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Full text of "Corneille Agrippa; sa vie et ses oeuvres"

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CORNEILLE    AGRIPPA 


SA   VIE   ET   SES   OEUVRES 


LE  PUY.    —  IMPRMEWE  ET    UTHOfiRAPHin    MARGHESSOU   FILS. 


LES 


SCIENCES   ET   LES   ARTS 


OCCULTES 


AU    XVIe    SIÈCLE 


u 


ORNBILLE  AGRIPPA 


SA    VIE   ET   SES   ŒUVRES 


PAR 


M.    AUG.    PROST 


TOME    PItRMIER 


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PARIS 
CHAMPION,     LIBRAIRE 

15,    QUAI    MALAQUAIS,     1  «"> 


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■1881 


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391 


INTRODUCTION 


Les  sciences  et  les  arts  occultes  ;  leur  origine.  —  Premières 
doctrines  scientifiques.  —  La  science  et  l'art  sacrés.  —  L'arl 
hermétique;  la  cabale;  la  magie. 


Au  commencement  du  xvie  siècle  vivait  un 
homme  qui  passait  pour  savant,  très  admiré  par 
quelques  disciples  et  par  de  nombreux  amis,  dé- 
crié et  ardemment  combattu  par  des  ennemis 
passionnés,  et  au  nom  duquel  s'est  finalement 
attachée  pour  le  grand  nombre,  parmi  ses  con- 
temporains et  dans  la  postérité,  la  réputation 
d'une  espèce  de  magicien  ou  de  sorcier.  Cet 
homme  est  Henri  Corneille  Agrippa.  D'où  vien- 
nent à  son  égard  des  sentiments  et  des  opinions 
si  contraires?  A  quelles  causes  faut-il  les  attri- 
buer? Aux  qualités  et  aux  défauts  de  son  esprit 
même,  ouvert  et  séduisant,  mais  inconsidéré, 
satyrique  et  hardi  jusqu'à  la  licence;  à  l'attitude 
prise  par  lui  dans  les  querelles  religieuses  de  son 
temps,  et,  en  première  ligne,  à  la  nature  de  ses  tra- 

T.  T.  1 


ir  iNTnourcnox 

vaux  et  do  quelques  uns  de  ses  écrits  consacrés 
à  do  mystérieuses  industries,  à  des  sciences  et 
à  des  arts  secrets  dont  il  a  rédigé  en  quelque  sorte 
le  code  général  sous  le  nom  de  philosophie  oc- 
culte, à  défaut  de  celui  de  magie  qu'il  avouait 
tout  bas  au  commencement,  et  qu'il  n'a  osé  qu'à 
la  fin  proclamer  hautement.  L'appareil  scientifi- 
que dressé  par  Agrippa  s'appuyait  nécessaire- 
ment sur  un  certain  charlatanisme,  favorisé  par 
la  crédulité  générale  qui  régnait  alors.  Quant 
aux  connaissances  rapprochées  ainsi,  elles  cons- 
tituaient un  corps  de  doctrines  singulières,  cul- 
tivées par  des  adeptes  qui  s'en  communiquaient 
mystérieusement  les  secrets  et  qui,  par  cette 
espèce  de  mise  en  scène,  en  augmentaient  gran- 
dement le  prestige  aux  yeux  du  vulgaire.  Avant 
d'aller  plus  loin,  quelques  explications  prélimi- 
naires peuvent  être  utiles  sur  ce  sujet. 

Les  sciences  secrètes  ont  toujours  eu,  comme 
tout  ce  qui  est  mystérieux,  le  privilège  de  captiver 
l'attention.  Le  prestige  qu'elles  exercent  est  de 
tous  les  temps.  Il  est  considérable  aux  époques 
principalement  où  règne  l'ignorance.  Tel  il  était 
au  moyen  âge;  et  il  ne  s'élevait  guère  de  doutes 
alors  sur  la  réalité  des  sciences  et  des  arts  oc- 
cultes. Cette  disposition  favorable  s'explique  suf- 
fisamment pour  le  vulgaire  par  l'aveugle  crédu- 


INTRODUCTION  tlî 

1 1 te  qui,  à  eu  moment,  dominait  généralement  les 
esprits.  On  se  rend  moins  facilement  compte  de 
l'attitude  prise  dans  ces  circonstances  par  cer- 
tains hommes  d'intelligence  supérieure  et  de 
véritable  savoir,  plus  ou  moins  engagés  dans  ces 
étranges  spéculations,  par  un  Gerbert  et  un  Al- 
bert le  Grand,  par  un  Roger  Bacon  et  un  Tri- 
theim,  par  un  Pic  de  la  Mirandole,  pour  ne  nom- 
mer que  les  plus  connus.  Est-il  possible  qu'il  n'y 
ait  eu  qu'illusions  ou  coupables  supercheries  dans 
des  doctrines  acceptées  et  recommandées  par  de 
tels  hommes?  Tout  serait-il  vain  dans  les  théories 
et  dans  les  actes  mystérieux  qui  sont  le  fonde- 
ment et  la  matière  de  sciences  et  d'arts  cultivés 
par  eux?  Il  ne  saurait  en  être  ainsi.  Qu'était-ce 
donc  que  ces  sciences  et  ces  arts  occultes?  En  quoi 
consistaient-ils?  D'où  venaient-ils;  et  quelle  était 
leur  véritable  portée? 

Les  sciences  et  les  arts  occultes  sont  un  nié- 
Linge  de  vérité  et  d'erreur,  de  résultats  positifs 
fournis  par  l'expérience  et  de  données  imaginaires 
enfantées  par  la  spéculation  ;  éléments  disparates 
dont  l'étrange  association  s'est  trouvée  favorisée 
par  le  demi-jour  dans  lequel  ont  forcément  vécu  et 
se  sont  développés  ces  corps  de  doctrine,  frappés  de 
condamnation  par  une  autorité  qui  les  déclarai! 
coupables  sans  démontrer,  sans  même  admettre 
leur  inanité. 


IV  INTRODUCTION 

Trop  souvent  exploités  par  le  charlatanisme, 
les  sciences  et  les  arts  occultes  se  sont  prêtés 
fréquemment  aussi  au  travail  sérieux.  Ils  ont 
servi  de  refuge  aux  écoles  hétérodoxes  pour- 
suivies par  des  écoles  autorisées  et  intolérantes, 
non  moins  qu'elles  souillées  par  l'erreur.  Ils  ont 
été,  à  une  certaine  époque  et  dans  de  certaines 
conditions,  la  carrière  ouverte  à  la  libre  recherche 
dans  toutes  les  directions.  Ils  ont  été  le  champ 
d'évolution  de  la  pensée  affranchie.  C'était  le 
camp  des  proscrits;  car  la  persécution,  la  révolte 
et  la  lutte  ont  existé  dans  le  domaine  scientifique 
comme  dans  le  domaine  religieux  et  dans  le  do- 
maine social.  Les  écoles  se  sont  combattues  et  se 
sont  opprimées  l'une  l'autre,  comme  l'ont  fait  les 
églises  et  les  castes. 

Le  désir  de  connaître ,  aiguillon  naturel  de 
l'activité  des  esprits,  est  aussi  vieux  que  l'huma- 
nité. Toujours  les  hommes  se  sont  appliqués  à 
y  satisfaire.  Deux  voies  leur  étaient  ouvertes  pour 
y  parvenir;  deux  procédés  s'offraient  à  eux  pour 
obtenir  ce  résultat:  l'observation  et  le  raisonne- 
ment. Ces  deux  procédés  également  utiles  étaient 
faits  pour  concourir  ensemble  à  l'œuvre  d'infor- 
mation. Mais,  au  lieu  de  s'aider  mutuellement  et 
de  se  compléter,  il  leur  est  arrivé  de  se  mécon- 
naître, de  vouloir  se  dominer,  quelquefois  même 


I.VJTlOnUCTJOX 


s'exclure  l'un  l'autre.  De  là  deux  courants  dis- 
tincts et  agissant  parfois  séparément  au  lieu  de 
se  confondre,  dans  le  développement  de  la  science  ; 
un  courant  procédant  de  l'observation  des  faits  et 
un  courant  déterminé  par  les  conceptions  de  l'es- 
prit. Le  premier  aboutit  aux  systèmes  naturalistes 
avec  une  certaine  tendance  vers  le  matérialisme, 
le  second  aux  systèmes  idéalistes  tout  particuliè- 
rement imprégnés  de  spiritualisme.  Les  systèmes 
naturalistes  émanant  d'observations  plus  ou  moins 
imparfaites  paraissent  avoir  pris  corps  avant  les 
autres  et  s'être  développés  d'abord  dans  l'Orient 
asiatique  et  en  Egypte.  C'est  là  que  les  Grecs 
vont  chercher  les  doctrines  scientifiques  de  leurs 
écoles  les  plus  anciennes. 

Nous  ne  connaissons  ces  premières  manifesta- 
tions de  la  sagesse  humaine  que  d'une  manière 
très  incomplète  et  par  des  témoignages  de  se- 
conde main.  Le  peu  que  nous  en  savons  se  résume 
dans  les  systèmes  cosmogoniques  des  vieilles  éco- 
les de  l'Ionie  et  de  la  grande  Grèce.  Les  anciens 
philosophes  qui  se  groupent  dans  ces  écoles 
associent  d'ailleurs  largement  aux  résultats  de 
l'observation  les  conceptions  purement  imagi- 
naires, et  se  rapprochent  ainsi  des  sages  groupés 
dans  les  écoles  idéalistes,  où  régnent  à  peu  près 
exclusivement,  au  mépris  de  l'observation,  le  rai- 
sonnement et  les  svstèmes. 


VI  INTRODUCTION 

Tout  ce  que  nous  pouvons  dire  ici  des  premiers 
résultats  conquis  par  l'observation,  c'est  que  de 
bonne  heure  les  anciens  avaient  reconnu  quelques 
faits  qui  servaient  de  fondement  à  leurs  doctrines 
scientifiques.  Le  témoignage  en  était  consigné  dans 
des  propositions  acceptées  comme  des  axiomes. 
Rien,  disait-on,  ne  se  fait  de  rien.  Certains  éléments 
primordiaux,  l'eau,  le  feu,  la  terre  et  l'air,  se  retrou- 
vent dans  tous  les  corps  ;  ceux-ci  se  modifient  et 
se  transforment  incessamment;  ils  se  constituent 
et  commencent  ;  ils  se  désorganisent  et  finissent  ;  le 
chaud  et  le  froid,  le  sec  et  l'humide,  le  solide  et  le 
liquide  sont  des  états  qui  se  succèdent  en  eux.  Ces 
corps  se  déplacent  aussi  ;  ils  changent  continuel- 
lement de  position  et  de  forme  sous  l'action  d'un 
agent  mystérieux,  la  force,  dont  la  nature  et  l'o- 
rigine restent  cachées  pour  l'homme.  Celui-ci  se 
trouve  ainsi  conduit  à  la  conception  du  surnaturel 
dont  il  assigne  le  caractère  à  tout  ce  qui  échappe 
à  sa  compréhension,  dans  un  cadre  immense  où  se 
meuvent  les  superstitions  de  tous  les  temps. 

Ces  données  diverses,  résultats  d'observations 
imparfaites,  et  les  conclusions  précipitées  qui  en 
sont  déduites  enfantent,  dès  l'antiquité,  des  sys- 
tèmes profondément  pénétrés  de  panthéisme,  sui- 
vant lesquels  tout  se  tiendrait  dans  la  nature.  De  là 
l'idée  d'une  étroite  liaison  entre  le  visible  et  Tin- 
visible,  entre  le  terrestre  et  le  céleste;   celle  de 


ixTuoru'irnoN  vu 

l'homogénéité  de  tous  les  corps  dans  leur  essence, 
ou  de  l'unité  de  la  matière  ;  conceptions  associées  à 
des  notions  mystiques  d'âmes,  de  démons,  de  gé- 
nies, enfantées  par  l'esprit  oriental  et  graduelle- 
ment répandues  partout;  ainsi  qu'à  des  théories 
singulières  sur  la  signification  des  nombres  et  des 
figures,  sur  la  valeur  de  certains  mots  et  sur 
celle  des  lettres,  fondement  des  théories  cabalis- 
tiques. 

L'Egypte  était  devenue  le  foyer  de  ces  doctrines 
inspiratrices  d'une  science  secrète  dont  l'expres- 
sion avouée  était  l'art  sacré  ;  corps  de  doctrines 
conservé,  non  sans  mystère,  par  les  prêtres  et  con- 
signé dans  des  écrits  dont  on  attribuait  l'origine 
au  dieu  Thoth,  le  révélateur  divin,  l'Hermès  des 
Grecs  alexandrins.  Ces  antiques  croyances,  fon- 
cièrement erronées,  malgré  quelques  vérités  qui 
s'y  trouvaient  mêlées,  remarquables  d'ailleurs  par 
une  hardiesse  qui  pouvait  être  féconde,  se  voient 
condamnées  à  vivre  dans  l'ombre  partout  où  pré- 
valent les  doctrines  idéalistes  enfantées  par  le 
génie  grec,  portées  par  lui  à  un  haut  degré  d'au- 
torité, continuées  ensuite  non  sans  quelque  mé- 
lange par  les  Alexandrins,  prépondérantes  enfin 
pendant  le  moyen  âge,  avec  le  christianisme  émi- 
nemment favorable  lui-même  aux  théories  spiri- 
tualistes    qu'elles   inspirent    et    absolument    cou- 


Vil!  INTRODUCTION 

traire    en   même  temps   aux   tendances    vers   le 
panthéisme  des  doctrines  naturalistes. 

On  voit  comment  s'est  trouvée  condamnée  à 
vivre  cachée  la  vieille  science  orientale  des  écoles 
naturalistes  de  l'Asie,  de  l'Egypte  et  de  la  Grèce. 
Cette  vie  cachée  n'a  pas  peu  contribué  au  genre  de 
développement  qu'ont  pris  les  théories  d'où  sort 
l'art  sacré,  l'art  hermétique,  principe  de  l'alchimie 
et  de  l'astrologie,  à  laquelle  s  associent  la  cabale, 
réduite  graduellement  à  de  pures  combinaisons 
de  mots  et  de  lettres,  et  la  magie  comprenant 
la  démonologie.  Tels  sont  les  éléments  princi- 
paux des  sciences  occultes  ;  indigeste  assem- 
blage de  notions  positives  et  d'erreurs  grossières  ; 
dépôt  des  plus  anciennes  connaissances  révélées 
par  l'observation  et  des  découvertes  accumulées 
par  les  siècles,  auxquelles  se  mêlent  les  concep- 
tions les  plus  hasardées  enfantées  dans  l'ombre 
par  des  esprits  affranchis  de  toute  discipline,  sous 
l'influence  d'un  mysticisme  sans  frein. 

C'est  là  pourtant  qu'associé  à  l'alliage  le  plus 
impur  se  trouvait  en  dépôt,  dans  l'attirail  en  quel- 
que sorte  des  arts  et  des  sciences  occultes,  le  vé- 
ritable procédé  scientifique,  l'observation.  C'est  là 
qu'il  s'est  conservé  jusqu'au  jour  où  la  science  mo- 
derne se  dégageant  de  ses  langes  vient  se  saisir  de 
cette  arme  puissante.  C'est  là  que  le  trouvaient 
et  que  durent  l'emprunter  ceux  qui  auparavant  se 


INTRODUCTION  IX 


sentaient  entraînés  vers  les  études  positives.  Ainsi 
s'explique  la  propension  de  la  plupart  des  grands 
esprits  du  moyen  âge  vers  les  sciences  occultes. 
Quant  aux  accusations  de  magie  qui  les  ont  at- 
teints presque  tous,  elles  ont  en  partie  pour  cause 
la  promiscuité  à  laquelle  se  trouvaient  condam- 
nées les  diverses  parties  de  ce  corps  de  doctrines, 
enveloppées  dans  une  même  proscription  et  rivées 
ainsi  à  une  chaîne  commune  que  les  temps  mo- 
dernes plus  éclairés  devaient  seuls  briser.  Ce  n'é- 
tait pas   d'ailleurs  chose  absolument  gratuite  ni 
tout  à  fait  injuste  que  ces  accusations  de  magie 
lancées  au  moyen  âge  contre  les  hommes  voués  à 
l'étude  et  à  la  pratique  des  sciences  et  des  arts  oc- 
cultes. Ces  hommes  ne  pouvaient  pas  encore  distin- 
guer et  répudier  en  les  cultivant  l'alliage  indigne 
qui  devait  en  être  rejeté.  Asservis  jusqu'à  un  cer- 
tain point  par  les  préjugés  de  leur  temps,  ils  ne 
pouvaient  pas  renier  absolument  l'autorité  de  cette 
magie  dont  on  ne  devait  anéantir  définitivement  le 
prestige  usurpé  qu'en  proclamant  sa  complète  ina- 
nité. Jusque-là  beaucoup  la  condamnent,  quelques 
uns  s'en  excusent,  presqu'aucun  ne  nie  sa  réalité. 
Le  moyen  âge  tout  entier  a  cru  à  la  magie,  et  de 
nos  jours  il  est  des  hommes  qui  y  croient  encore, 
enchaînés,  comme  on  l'était  alors,  à  ces  erreurs  par 
certaines  suspertitions  que  les  temps  modernes  ont 
reçues  et  conservées  de  ceux  qui  les  ont  précédés. 


X  INTRODUCTION 

Ces  considérations  peuvent  aider  à  comprendre 
ce  que  sont  les  sciences  et  les  arts  occultes,  quel 
est  leur  esprit,  quelle  est  leur  origine.  Elles  per- 
mettent d'entrevoir  ce  qu'est  dans  ses  grands  traits 
leur  histoire.  Il  nous  reste  à  examiner  d'un  peu 
plus  près  en  elles-mêmes  ces  étranges  spécula- 
tions, en  les  considérant  clans  leurs  principales 
branches  que  nous  avons  indiquées  tout  à  l'heure, 
l'art  hermétique,  la  cabale  et  la  magie. 

L'art  hermétique  est  ce  que,  vers  le  nic  siècle  de 
notre  ère,  les  Grecs  d'Alexandrie  appelaient  la 
science  ou  l'art  sacré,  la  science  d'Hermès  ou  de 
Thoth.  Quoique  cette  dénomination  n'apparaisse 
pour  la  première  fois  qu'à  cette  époque  tardive  dans 
les  documents  historiques,  il  y  a  lieu  de  croire 
qu'elle  est  plus  ancienne.  Plus  ancienne  aussi  est 
certainement  la  chose  à  laquelle  elle  s'applique. 
Dans  la  science  ou  l'art  sacré,  il  faut  vraisembla- 
blement reconnaître  le  corps  même  des  antiques 
doctrines  que  les  philosophes  grecs,  les  Thaïes, 
les  Démocrite,  les  Pythagore,  allaient  étudier  en 
Egypte  et  jusque  dans  l'Orient  asiatique. 

L'art  hermétique  était  une  véritable  encyclopédie 
de  toutes  les  connaissances.  Religion,  politique, 
philosophie,  sciences  et  arts,  tout  y  était  réuni. 
11  contenait  une  sorte  de  science  de  l'univers 
l'ondée  sur  l'observation  de   quelques  faits  natu- 


INTRODUCTION  XI 

rels,  et  des  doctrines  de  philosophie  spéculative 
s'accordant  avec  eux.  Mais  l'insuffisance  des  ob- 
servations devait  nécessairement  engendrer  des 
croyances  hasardées,  et  celles-ci  ne  pouvaient 
produire  que  des  opinions  erronées.  De  là  certai- 
nes idées  singulières  sur  l'origine  du  monde  ;  sur 
l'essence  des  choses;  sur  la  valeur  des  nombres, 
des  lettres  et  des  mots,  sur  celle  des  formes  géo- 
métriques ;  sur  le  sens  mystérieux  attaché  aux 
figures,  à  celles  notamment  qu'on  donnait  aux 
constellations,  à  celles  des  plantes  et  des  ani- 
maux. 

Dans  sa  partie  positive,  l'art  hermétique  com- 
prenait, sous  le  voile  de  symbole  sel  de  cérémonies 
mystiques,  le  secret  de  certains  procédés  touchant 
la  manière  de  traiter  les  métaux,  et  celui  de  cer- 
taines expériences  sur  leurs  combinaisons.  Les 
phénomènes  observés  dans  la  succession  des  di- 
vers états  de  la  matière  avaient,  dès  les  temps  re- 
culés, fait  concevoir  l'idée  de  l'unité  originaire  de 
celle-ci,  malgré  la  variété  de  ses  états.  De  là  pro- 
cèdent, d'une  part,  des  opinions  sur  la  mobilité 
des  éléments,  sur  la  prétendue  transmutation  des 
métaux,  sur  la  possibilité  imaginaire  de  donner 
ou  de  rendre  à  volonté  la  vie  à  la  matière  inerte. 
De  là  viennent,  d'autre  part,  des  croyances  sur 
l'unité  d'origine  de  toutes  choses,  et,  en  raison  de 
l'intime  union  observée  entre  les  causes  et  les  el- 


XII  INTRODUCTION 

fets,  des  doctrines  profondément  imprégnées  de 
panthéisme.  Ces  secrets  gardés  par  les  prêtres 
égyptiens  étaient  révélés  aux  seuls  initiés  et  re- 
commandés, sous  des  peines  sévères,  à  leur  abso- 
lue discrétion. 

On  rapportait,  avons-nous  dit,  l'origine  de  ces 
connaissances  à  un  dieu  Thoth  ou  Hermès.  Cepen- 
dant, chez  les  Grecs  et  chez  les  peuples  instruits 
par  eux,  la  légende  fit.  ensuite  d'Hermès  un  per- 
sonnage non  plus  divin,  mais  en  quelque  sorte  hé- 
roïque ou  plutôt  sacerdotal,  Hermès  trismégiste  ou 
trois  fois  grand,  trois  fois  maître, auquel  on  attribua 
la  composition  d'ouvrages  dont  il  n'est  fait,  du 
reste, mention  que  depuis  l'ère  chrétienne,  et  dont 
parlent  Plutarque  et  Galien,  Clément  d'Alexandrie, 
Tertullien,  Lactance,  Jamblique,  saint  Augustin, 
saint  Cyrille,  etc.  Ces  ouvrages  circulaient  en  grand 
nombre  aux  premier  et  second  siècles  de  notre  ère  ; 
époque  où  l'on  a  fabriqué  aussi  de  prétendus 
écrits  d'Orphée,  de  Zoroastre,  de  Pythagore  et 
d'autres  encore.  Comme  ceux-ci,  les  livres  d'Her- 
mès sont  incontestablement  des  compositions  apo- 
cryphes. Ils  ne  doivent  pas  être  absolument  dédai- 
gnés cependant,  car  quelques-uns  pourraient  bien 
être  dus  à  des  initiés  instruits  de  la  science  her- 
métique et  fournir,  à  ce  titre,  un  témoignage  pré- 
cieux de  quelques-unes  au  moins  des  vieilles 
croyances  conservées  par  elle;  quoiqu'il  dût  s'y  trou- 


INTRODUCTION  XL]  f 

ver  nécessairement  aussi  de  nombreux  éléments 
appartenant  à  une  autre  origine,  à  la  philosophie 
grecque  alexand rine  notamment,  et,  en  tout  cas,  des 
doctrines  étrangères  à  l'Egypte  proprement  dite. 
Il  y  a,  sans  aucun  doute,  exagération  dans  l'énu- 
mération  que  fait  Jamblique  des  livres  d'Hermès, 
au  nombre,  dit-il,  de  36,525  volumes,  suivant  Ma- 
néthon,  ou  môme  de  20,000  seulement,  suivant 
Séleucus  ;  à  moins  qu'on  ne  doive  entendre  ces 
nombres  comme  s'appliquant  à  la  quantité,  non 
des  ouvrages  eux-mêmes,  mais  des  exemplaires 
que  l'Egypte  entière  en  possédait;  ce  qui  serait 
encore  considérable.  Au  commencement  du  m0 
siècle,  Clément  d'Alexandrie  mentionne,  dans  ses 
Stromates,  les  livres  d'Hermès  trismégiste,  et  il  en 
compte  quarante-deux  :  huit  sur  le  monde,  l'as- 
tronomie, le  soleil,  la  lune,  la  terre  et  les  planètes  ; 
trois  sur  l'Egypte,  le  Nil  et  les  lieux  consacrés; 
quatorze  sur  la  religion  et  le  culte,  la  nature  des 
dieux  et  celle  de  l'âme;  onze  sur  la  police  sociale, 
les  devoirs  des  rois,  les  lois,  la  judicature,  les  im- 
pôts, les  mesures  et  l'art  d'écrire;  six  sur  le  corps 
humain,  la  médecine  et  la  chirurgie  l. 

l.  On  doit  peut-être  rapporter  ù.  cette  dernière  catégorie 
d'ouvrages  un  livre  de  pharmacologie  égyptienne  trouvé  dans 
un  papyrus  el  publié  récemment  par  M.  Gury  Ebers.  —  Das 
hcnnetisckc  buch  liber  die  arzeneimittel  der  alten  Aegypter. 
2  vol.  in-fol.  Leipzig,  1870. 


XIV  INTRODUCTION" 

Les  ouvrages  attribués  à  Hermès  trismégiste 
avaient  été,  dit-on,  traduits  en  grec  parMané thon, 
sur  l'ordre  de  Ptolémée  Philadelphie.  Quelques  trai- 
tés grecs  ayant  ce  prétendu  caractère  furent,  à  leur 
tour,  traduits  par  les  Arabes  ;  d'autres  avaient  été 
traduits  en  latin.  Très  peu  de  chose,  en  définitive, 
est  venu  de  tout  cela  jusqu'à  nous.  Ainsi,  nous 
possédons  quelques  fragments  d'un  ouvrage  grec 
de  science  hermétique,  conservés  par  Stobée  dans 
ses  recueils  et  des  définitions,  en  grec  également, 
d'Asclépius  adressées  au  roi  Ammon  sur  différents 
sujets,  Dieu,  l'homme,  la  matière,  les  astres,  etc., 
avec  deux  morceaux  d'un  caractère  analogue,  à  la 
suite  de  ces  définitions;  un  traité  dans  la  môme  lan- 
gue le  Pimander,  7ioi|j.avrfjp,  dialogue  sur  la  sagesse 
et  la  puissance  de  Dieu ,  retrouvé  au  xvc  siècle  et  tra- 
duit  alors  en  latin  par  Marsile  Ficin  ;  une  version 
laite  au  ne  siècle  en  latin  par  Apulée,  d'un  traité  dit 
YAscicpiiis,  sur  la  nature  des  dieux.  Ces  ouvrages 
sont  purement  philosophiques  et  ne  contiennent 
rien  des  secrètes  pratiques  de  l'art  sacré  ;  mais  ils 
peuvent  fournir,  indirectement  au  moins,  des  in- 
dications sur  les  théories  métaphysiques  associées 
à  celles-ci.  Quelques  autres  écrits  hermétiques,  soit 
en  grec  ou  en  latin,  soit  en  arabe,  traitent  de 
l'astrologie  et  de  l'alchimie,  ou  bien  concernent  les 
poisons,  les  pierres  précieuses,  la  pierre  philoso- 
phale,  l'art  de  faire  de  l'or. 


I.\  FROIU'CI'HiX  w 

Il  est  impossible  de  dire  quelle  part  revient  à 
la  science  elle-même  de  la  vieille  Egypte  dans  les 
notions,  les  idées  et  les  théories  que  renferment 
ces  divers  ouvrages  d'époque  relativement  récente. 
Ils  contiennent  au  moins  le  témoignage  de  ce  que, 
pour  une  part,  on  attribuait  à  la  science  hermétique 
dans  les  premiers  siècles  de  notre  ère  et  pendant 
le  moyen  âge.  Pour  ce  qui  est  de  l'antique  science 
elle-même,  bien  des  causes  avaient  dû  concourir 
à  l'altérer  et  à  la  faire,  en  partie  au  moins,  ou- 
blier. Après  avoir  été  cultivée  et  gardée  précieuse- 
ment par  les  prêtres  égyptiens  qui  en  tenaient 
les  secrets,  disaient  quelques-uns,  des  mages  ou 
sages  de  l'Orient  et  qui  les  avaient  communiqués 
aux  philosophes  grecs,  elle  avait  été  proscrite  en 
Egypte  môme  parles  Romains.  Dioclétien,  suivant 
Orose,  en  avait  fait  brûler  les  livres  vers  la  lin 
du  m-  siècle,  et  l'invasion  arabe  avait  achevé  de 
détruire  ce  qui  pouvait  en  rester,  au  vne.  Les 
(irecs  cependant  en  conservaient  les  traditions. 
Ils  en  avaient  de  bonne  heure  connu  les  mysté- 
rieuses doctrines.  Les  Alexandrins  avaient  re- 
cueilli et  des  philosophes  grecs  et  des  prêtres 
'■gypliens  cet  héritage.  Plotin  et  Porphyre  au 
m"  siècle,  Jamblique  ou  iv'!,  Proclus  au  v'1,  parais- 
sent avoir  été  initiés  aux  secrets  de  la  science 
hermétique.  Les  Byzantins  d'Europe  et  d'Asie  con- 
tinuent à  les  cultiver.   Syuùse,  Ovû[ue  de  Ptolé- 


XVI  INTRODUCTION 

maïs,  et  Philippe,  protosyncelle  de  Gonstantinople 
au  ve  siècle,  Photius  au  ixe,  Psellus  au  xiic,  Blem- 
mydas,  patriarche  de  Gonstantinople  et  Theotoni- 
cus  au  xme,  passent  pour  les  avoir  connus. 
Le  moyen  âge  a  produit  sur  l'art  sacré  un  grand 
nombre  d'ouvrages  conservés  aujourd'hui  en 
manuscrit  dans  nos  bibliothèques. 

Chez  les  Romains,  la  science  hermétique  avait 
été  peu  en  honneur;  mais  les  Arabes  s'y  adonnent 
avec  ardeur,  à  l'époque  de  civilisation  et  de  culture 
intellectuelle  qui  suit  chez  eux  celle  des  conquêtes. 
Les  Arabes  sont  bien  placés  et  arrivent  à  un  mo- 
ment favorable  pour  être  les  héritiers  scientifiques 
des  Orientaux,  des  Egyptiens  et  des  Grecs.  C'est 
par  eux,  en  grande  partie,  que  cet  héritage  passe 
aux  peuples  de  l'Occident.  Les   Juifs   partagent 
avec  les  Arabes  le  rôle  d'intermédiaires  pour  la 
transmission  des   connaissances  scientifiques  de 
l'antiquité   aux  modernes.    Geber   écrit    vers   le 
ixc  siècle  sur  la  science  et  l'art  hermétiques,  Rhazès 
au  x°,  Avicenne  un  siècle  plus  tard.  D'autres  en- 
core après  eux  composent  des  ouvrages  du  même 
genre.    Quelques    doctrines    métaphysiques,   des 
théories  mathématiques,  des  systèmes  d'astrolo- 
gie, des  procédés  d'alchimie,  des  recettes  de  mé- 
decine forment  les  éléments  de  ce  corps  de  science 
transporté  par  des  voies  diverses  de  l'Orient  dans 
les  contrées  de  l'Occident. 


INTRODUCTION  XVII 

(Jet.  débris  de  la   science  et  de  l'art  sacrés  ou 
hermétiques  sont  accueillis  avec  méfiance  sur  ce 
théâtre  nouveau,  et  finalement  proscrits  par  l'E- 
glise, jalouse  d'être  seule  dispensatrice  des  doc- 
trines philosophiques  et  scientifiques.  Une  cause 
suffisante  de  discrédit  pour  cette  science  antique 
résidait  dans  ses  tendances  vers  le  panthéisme,  et 
dans  le  matérialisme  apparent  qui  semblait  inspi- 
rer ses  méthodes  d'observation  et  d'investigation  ; 
procédés  essentiellement  contraires  aux  théories 
spiritualistes  et  aux  principes  idéalistes  qui,  d'ac- 
cord avec  l'esprit  du  christianisme,  régnaient  alors 
dans  les  écoles.  Le  clergé  fournit  cependant  de 
nombreux  adeptes  à  la  science  hermétique.  Leurs 
noms  se  lisent,  mêlés  à  beaucoup  d'autres,  sur  la 
liste  de  ceux  qui,  du  xc  siècle  au  xvic,  se  transmet- 
tent, chez  les  peuples  de  l'Occident,  le  dépôt  des 
doctrines  mystérieuses  léguées  aux  modernes  par 
l'antiquité.  On  trouve  notamment  sur  cette  liste, 
pour  ne  citer  que  les  plus  illustres,  après  le  pape 
Silvestre  II  mort  en  1003,  Alain  de  Lille,  évoque 
d'Auxerre  au  xnc  siècle,  Albert  le  Grand,  Roger 
Bacon,  Thomas  d'Aquin  au  xm°,  Arnauld  de  Ville- 
neuve, Raimond  Lulle,  Duns  ÎScot,  Jean  Dastin, 
Pierre  le  Bon,  Richard  l'Anglais,  Guillaume  de 
Paris,    Jean  de  lloquetaillade,  Nicolas  Flamel  au 
mv,  Bernard  de  Trévise,  Marsile  Ficin  au  xv%  Tri- 

theim,  Agrippa',  Paracelse,  Cardan,  Porta  au  xvic. 

T.  I. 


XVilI  INTRODUCTION 

Les  hommes  que  nous  venons  de  nommer  sont 
presque  tous  des  alchimistes  ;  quelques-uns  sont 
des  astrologues.  L'art  hermétique  s'était  en  effet, 
avec  le  temps,  à  peu  près  résumé  dans  l'alchimie  et 
l'astrologie  :  l'alchimie  dont  le  double  objet,  le  but 
pratique,  était  la  santé  et  la  richesse,  la  confection 
des  médicaments,  de  la  panacée,  de  l'élixir  univer- 
sel et  la  transmutation  des  métaux,  avec  la  re- 
cherche de  la  pierre  philosophale  pour  faire  de 
l'or;  l'astrologie,  qui  allait  se  rattacher  par  la  di- 
vination à  la  magie  et  côtoyait  à  la  fois  la  méde- 
cine et  la  politique,  avec  un  prestige  malgré  tout 
persistant,  auquel  le  xvi°  siècle  n'a  pas  échappé. 

L'alchimie  conserve  et  cultive,  au  moyen  âge, 
les  doctrines  essentielles  de  l'antiquité  sur  l'unité 
originaire  de  la  matière  et  sur  les  affinités  qui 
unissent  entre  eux  tous  les  corps.  Cependant 
quelques  alchimistes  travaillent  sur  des  principes 
nouveaux.  Abandonnant  les  voies  anciennes  et  les 
méthodes  spécialement  expérimentales,  ils  se  con- 
forment aux  théories  idéalistes  et  se  rangent  à 
l'esprit  spéculatif  de  leur  temps.  Les  procédés 
scientifiques  sont  soumis  par  eux  à  une  philosophie 
qui  consiste  à  descendre  de  l'absolu,  de  la  cause  su- 
périeure, aux  conséquences  qui  en  découlent,  ainsi 
que  le  prescrit  la  méthode  scolastique.  Ils  s'inspi- 
rent du  principe  qui  établit  la  subordination  de 
l'ordre   matériel   par  rapport  à  Tordre  spirituel. 


INTRODUCTION  MX 

Leurs  recettes  instituent  des  procédés  mystiques, 
des  opérations  mystérieuses  qui  se  rapprochent 
des  pratiques  de  la  magie  démonologique.  A  côté 
de  cette  alchimie  idéaliste,  science  chimérique 
plus  qu'aucune  autre,  contre  laquelle  surtout  se 
tournent  les  condamnations  et  les  proscriptions, 
l'alchimie  spécialement  pratique  se  concentre  de 
plus  en  plus  dans  les  recherches  directes  sur  la 
matière.  Les  ouvrages  qu'elle  enfante  sont  des 
descriptions  d'expériences  accomplies  dans  les 
laboratoires,  des  recueils  de  recettes  employons 
dans  les  arts  et  l'industrie,  dans  l'art  de  guérir 
principalement.  Voilà  ce  qu'est  l'alchimie  au 
xvie  siècle.  Encore  un  pas  et  la  pharmacopée  s'en 
détache.  La  chimie  moderne,  un  peu  plus  tard,  va 
s'en  dégager. 

A  cùlé  de  L'art  hermétique,  la  cabale  fournitaussi 

aux  sciences  et  aux  arts  occultes  une  branche  im- 
portante. Certains  procédés  du  symbolisme  caba- 
listique ne  sont  pas  étrangers  à  la  science  hermé- 
tique ;  mais  c'est  à  une  science  distincte  qu'ils 
appartiennent  surtout.  La  cabale  ne  dépend  nulle- 
ment de  l'art  hermétique;  elle  est  essentiellement 
juive  par  son  origine  et  par  ses  plus  anciens  dé- 
veloppements. Son  nom  vient  d'un  mot  qui,  eu 
hébreu,  signifie  tradition.  Elle  consiste  en  un 
corps    de    doctrines    longtemps    mystérieuses    et. 


Sx  lv  ri  tonner  ion 

secrètes.  C'est  par  là  qu'elle  rentre  dans  le  cadre 
des  sciences  occultes  que  nous  avons  en  vue. 

Les  Hébreux  ne  semblent  pas  avoir  eu  primiti- 
vement d'enseignement,  en  dehors  de  la  loi  conte- 
nue dans  les  livres  saints.  La  philosophie  propre- 
ment dite  avec  ses  développement  métaphysiques 
et  théologiques  n'apparaît  chez  eux  que  tardive- 
ment. Les  docteurs  qui  en  font  l'objet  de  leurs 
études  et  qui  la  professent  ne  remontent  pas  beau- 
coup plus  haut  que  le  commencement  de  notre 
ère.  La  science  née  ainsi  se  développe  plus  tard 
dans  les  écoles  des  rabbins  formées  après  la 
chute  de  la  nationalité  juive.  Elle  a  son  expression 
dans  le  Talmud  dont  les  rédactions  volumineuses 
appartiennent  aux  siècles  postérieurs  à  Jésus- 
Christ.  En  même  temps,  une  doctrine  restée  se- 
crète et  livrée  aux  initiés  seulement  s'était  formulée 
dans  les  traditions  de  la  cabale,  fixées  plus  tard 
et  recueillies  en  des  livres  nombreux  dont  quel- 
ques-uns nous  ont  laissé  leur  titre,  mais  qui  sont, 
pour  la  plupart,  perdus  pour  nous. 

On  possède  cependant  deux  de  ces  deux  livres, 
le  SepherJetzirah,  livre  de  la  création,  et  le  Zohar, 
ou  la  lumière,  qui  nous  permettent  de  nous  faire 
une  idée  de  l'ancienne  cabale  juive.  On  n'est  pas 
d'accord  sur  l'époque  précise  à  laquelle  ont  été 
écrits  ces  deux  ouvrages  qui  paraissent  repré- 
senter l'œuvre  de  plusieurs  générations.  Le  pre- 


INTRODUCTION  XXI 

mier  est  court  et  d'une  constitution  assez  ho- 
mogène ;  le  second  est  plus  long  et  composé 
d'innombrables  fragments  de  nature  diverse.  Le 
S.Jetzirah  est,  sous  la  forme  d'un  monologue  placé 
dans  la  bouche  d'Abraham,  une  exposition  dogma- 
tique de  la  Genèse  universelle  ;  il  a  dû  être  écrit 
entre  l'année  100  avant  Jésus-Christ  et  l'année 
"M)  de  notre  ère.  Le  Zohar  est  un  long  commentaire 
composé  de  notes  et  de  développements  du  carac- 
tère le  plus  varié,  ajustés,  sans  beaucoup  de  pré- 
cision, aux  principaux  passages  du  Pentateuque. 
Cette  vaste  compilation,  qui  est  comme  le  code 
universel  de  la  cabale,  ne  semble  remonter  qu'à 
la  première  partie  du  second  siècle  seulement 
après  Jésus-Christ.  Elle  paraît  s'être  graduellement 
accrue  jusque  dans  le  courant  du  vic  siècle,  peut- 
être  môme  avoir  reçu  des  modifications  successi- 
ves jusqu'à  sa  divulgation  parmi  les  peuples  de 
l'Occident,  vers  la  fin  du  xinp. 

Les  doctrines  qui  ressortent  des  textes  cabalis- 
tiques du  S.  Jet zirali  et  du  Zohar  se  présentent  dans 
ces  ouvrages  avec  une  certaine  confusion  et  de- 
mandent pour  être  comprises  qu'on  les  soumette 
à  une  classification  méthodique.  M.  Franck  et 
M.  Munk  ont  fait  ce  travail.  Les  idées  reconnues 
et  signalées  par  eux  dans  le  dépouillement  des 
textes  cabalistiques  se  rangent  sous  trois  chefs  : 
métaphysique,  dogmatique  et  symbolique. 


XXII  INTRODUCTION 

Au  point  de  vue  métaphysique,  on  trouve  dans 
la  cabale  juive  un  système  philosophique  de  la 
nature  des  choses,  une  explication  de  l'âme  et  de 
la  matière,  des  vues  sur  l'origine  de  l'univers  créé 
par  une  émanation  de  la  divinité.  Toutes  choses, 
y  est-il  dit,  sortent  de  l'essence  même  de  Dieu. 
Tout  est  esprit,  et  la  matière  même  n'est  qu'une 
condensation  de  l'esprit.  Dieu  et  le  monde  ne  font 
qu'un.  La  pensée  est  la  substance  universelle  elle- 
même.  C'est  là  un  panthéisme  spiritualiste  très 
remarquable  qui  au  dualisme  biblique  de  l'esprit  et 
de  la  matière,  de  Dieu  et  du  monde,  du  créateur 
et  de  la  créature,  substitue  l'unité  absolue  du 
principe  et  de  la  substance,  de  la  cause  et  de  l'ef- 
fet, de  la  pensée  et  de  l'existence  même.  De  là 
l'idée  d'un  Dieu,  substance  unique  et  universelle, 
nature  réelle  de  tout  ce  qui  existe.  Ce  système  es- 
sentiellement panthéiste,  auquel  sont  associés 
quelques  traits  de  métempsycose,  s'écarte  complè- 
tement de  la  doctrine  mosaïque. 

Au  point  de  vue  dogmatique,  la  cabale  présente 
un  ensemble  de  doctrines  mal  digérées,  dominées 
par  le  principe  essentiel  de  l'émanation  ;  amas  de 
notions  assez  confuses  sur  les  esprits  et  leur  hié- 
rarchie, les  âmes,  les  génies,  les  anges  et  les  dé- 
mons, distribués  dans  le  cadre  d'une  mythologie 
tout  imprégnée  de  goût  oriental,  telle  que  l'a  égale- 
ment accueillie  le  mvsticisme  alexandrin,  et  im- 


iKrK.inr<;Tio.\  xxin 

pliquant  l'idée  d'un  monde  supérieur  intellectuel 
et  d'un  monde  inférieur  purement  matériel. 

Au  point  de  vue  symbolique,  la  cabale  renferme 
un  système  très  singulier  d'exégèse,  qui,  s'ins- 
pirant  de  l'esprit  judaïque  se  donne  pour  objet 
d'établir  et  de  maintenir,  à  tout  prix  et  par  les 
procédés  même  le  plus  évidemment  arbitraires, 
l'accord  entre  toute  idée  nouvelle  et  la  lettre  au 
moins  de  l'Ancien  Testament.  Dans  ce  système, 
la  sainte  écriture,  la  loi,  est  considérée  comme 
cachant  toujours  sous  son  sens  direct  et  positif  un 
sens  mystérieux  plus  élevé  et  plus  important,  qui 
est  la  loi  véritable.  Cette  théorie  assurait  une 
grande  indépendance  de  pensée  aux  cabalistes, 
sous  le  voile  d'une  soumission  apparente  à  la  loi 
écrite.  Le  système  fondé  sur  ces  principes  visait 
à  établir  entre  la  lettre  sacrée  et  les  interpréta- 
tions arbitraires  qu'on  en  fournissait  un  lien  au 
moins  apparent,  grâce  à  des  procédés  artificiels 
tout  à  fait  caractéristiques.  Ces  procédés  consis- 
taient à  donner  une  valeur  réelle  à  de  simples 
combinaisons  de  signes.  On  attachait,  par  exem- 
ple, des  idées  aux  lettres  mômes  qui  constituaient 
les  mots  et  aux  nombres  que  pouvaient  représen- 
ter ces  lettres.  Ce  trait  est  commun  à  l'art  herméti- 
que, comme  nous  l'avons  dit,  et  à  la  cabale;  mais 
c'est  à  celle-ci  qu'il  appartient  originairemenl. 

Tantôt j  en  transposant   les  lettres  d'un  mot  OU 


XX  iV  INTRODUCTION' 

en  les  remplaçant  par  d'autres  suivant  certaines 
règles,  on  obtenait  un  mot  nouveau  dont  le  sens 
particulier  servait  à  justifier  le  changement  qu'on 
entendait  apporter  à  la  signification  du  mot  pri- 
mitif ainsi  modifié.  Ce  procédé  se  nommait  thc- 
moura,  d'un  mot  hébreu  qui  signifie  échange  ou 
permutation.  Tantôt,  en  vertu  de  la  valeur  numé- 
rique attachée  à  chaque  lettre,  mode  de  notation 
usité  chez  les  Hébreux  aussi  bien   que  chez  les 
Grecs  et  chez  les  Latins,  on  obtenait,  par  la  subs- 
titution d'une  lettre  à  une  autre  opérée  suivant 
certains  principes,  des  nombres  nouveaux  et  des 
combinaisons  d'où  l'on  tirait  des  inductions  esti- 
mées aussi  rigoureuses  que  des  démonstrations 
mathématiques,  touchant  la   valeur  relative  des 
mots  et  des  idées  correspondantes  que  mettaient 
en  jeu  ces  combinaisons.  Ce  procédé  se  nommait 
gematria,  dénomination  formée,  croit-on  sur  un 
radical  grec   plus    ou  moins   voisin  de  celui   de 
[jiYj-iïîp,  mère,  source  de  production.  D'autres  fois 
enfin,  à  l'aide  d'une  méthode  plus  grossière  en- 
core, on  appliquait  à  un  texte  une  signification 
nouvelle  en  réunissant,  pour  en  faire  un  mot  uni- 
que ayant  cette  signification  voulue,  les  initiales 
de  plusieurs  mots,    ou    bien  en   considérant  les 
diverses  lettres  d'un  seul   mot  comme  étant  les 
initiales  de  plusieurs   autres  concourant  h  l'ex- 
pression du  sens  nouveau  qu'on  voulait  justifier. 


INTRODUCTION  XX  Y 


Ce  procédé  se  nommait  notarikon,  du  latin  notare, 
désigner,  exprimer. 

De  ces  trois  procédés,  le  premier,  dont  le  nom 
est  hébreu,  paraît  être  le  plus  ancien.  Les  deux 
autres,  dont  les  noms  semblent  venir  du  grec  et 
du  latin,  sont  relativement  récents.  Ils  appartien- 
nent à  une  époque  où  la  cabale  avait  déjà  passé 
des  Juifs  aux  mains  des  Grecs,  et  où  elle  était 
adoptée  par  les  peuples  modernes.  Ceux-ci  s'atta- 
chèrent Surtout  à  développer  les  méthodes  de  ce 
grossier  symbolisme  cabalistique,  pour  utiliser, 
dans  leurs  disputes  philosophiques  et  religieuses, 
les  procédés  d'exégèse  arbitraire  qu'il  leur  ^offrait. 
Des  diverses  parties  de  la  cabale,  c'est  de  beau- 
coup celle  qui  a  eu  le  plus  d'adeptes  au  moyen 
âge,  et  partant  le  plus  de  durée. 

On  s'est  demandé  d'où  venaient  les  doctrines 
cabalistiques,  avec  leur  métaphysique  à  la  fois 
spiritualiste  et  panthéiste,  avec  leurs  dogmes 
étranges  touchant  la  hiérarchie  des  esprits  et 
des  âmes ,  et  leur  mythologie  d'anges  et  de 
démons,  avec  les  procédés  enfin  de  leur  symbo- 
lisme factice  et  de  leur  exégèse  arbitraire.  Bien 
que  les  monuments  littéraires  clans  lesquels  on  les 
voit  se  formuler  pour  la  première  fois  ne  sem- 
blent guère  remonter  au  delà  du  premier  siècle 
de  notre  ère,  on  est  généralement  porté  à  leur 
assigner  une  plus  haute  antiquité.  Le  nom  seul 


XXVI  .  ÎXTI'.ODCCTION 

de  cabale,  qui  implique  l'idée  de  tradition,  suffirait 
au  besoin  pour  montrer  que  cette  science  doit 
remonter  plus  haut  que  les  premiers  témoignages 
écrits  qu'on  en  possède.  Il  est  impossible  de  ne 
pas  être  frappé  de  ses  rapports  avec  les  croyan- 
ces panthéistes  de  l'Orient  asiatique,  avec  les  my- 
thologies  de  la  Ghaldée  et  de  la  Perse  et  leur 
double  hiérarchie  céleste  et  infernale.  On  a  cru 
pouvoir  assigner  une  origine  à  quelques-uns  des 
éléments  essentiels  de  la  cabale,  en  tirant  de  ce 
rapprochement  l'explication  de  sa  formation  ini- 
tiale, par  l'action  naturelle  et  l'influence  des  idées 
chaldéennes  sur  l'esprit  juif,  pendant  la  captivité 
de  Babylone.  Telle  serait,  suivant  certains  criti- 
ques, la  source  première  des  doctrines  cabalisti- 
ques ;  doctrines  d'emprunt,  d'origine  orientale, 
cultivées  et  propagées  en  secret  à  la  faveur  du 
mystère,  influencées  et  complétées  plus  tard  par 
la  métaphysique  néoplatonicienne  des  écoles  d'A- 
lexandrie. 

Les  Juifs  ont  pu  apporter  de  bonne  heure  en 
Occident  les  théories  et  les  procédés  de  discussion 
de  la  cabale;  mais  cette  science  paraît  y  être 
restée  secrète  et  en  la  possession  exclusive  de 
leurs  docteurs  et  de  leurs  rabbins,  jusqu'au 
xmc'  siècle,  époque  de  sa  divulgation  parmi  les 
chrétiens.  Les  principes  de  la  cabale  se  mêlent 
alors  à  ceux  de   la  science  hermétique  pour   les- 


INTRODUCTION  XXVII 

quels,  en  plus  d'un  point,  ils  avaient  de  l'al'imité. 

Raimond  Lulle  (1 235-13 15)  paraît  s'être,  un  des 
premiers,  occupe  de  cabale  parmi  les  occidentaux. 
Il  a  écrit  un  livre  intitulé,  De  auditu  kabbalistico, 
sire  ad  omnes  scientias  introductorium.  Pic  de  la 
Mirandole  (1463-1494)  étudie  plus  tard  aussi  la 
cabale;  vient  Reuchlin  (1455-1522)  qui  travaille 
beaucoup  avec  les  docteurs  juifs  et  qui  publie  le 
De  arte  kabbalisticà  et  le  De  verbo  mirifico,  com- 
posés par  lui  à  l'aide  des  méthodes  et  par  les  pro- 
cédés cabalistiques:  ouvrages  qui  servent  de  fonde- 
ment à  ce  qu'on  a,  dans  la  suite,  appelé  la  cabale 
chrétienne.  Agrippa,  au  xvie  siècle,  et  le  père  Kir- 
cher,  au  xvne,  font  encore  de  la  cabale. 

Les  cabalistes  occidentaux  du  moyen  âge  per- 
dent, au  reste,  généralement  de  vue  le  côté  méta- 
physique de  ces  vieilles  doctrines,  pour  concen- 
trer leur  attention  sur  le  côté  dogmatique  et 
mystique  de  l'ancienne  cabale,  touchant  la  hié- 
rarchie des  esprits  et  la  mythologie  des  génies,  des 
anges  et  des  démons,  avec  la  mise  en  œuvre  des 
combinaisons  de  lettres  et  de  mots  empruntées  à 
la  symbolique  de  cette  antique  science.  Ils  en- 
trent par  là  dans  la  démonologie  et  dans  le 
domaine  de  la  magie,  avec  les  pratiques  mysté- 
rieuses au  moyen  desquelles  ils  prétendent  évo- 
quer les  puissances  supérieures  et  provoquer  leur 
action  su?  le  monde  inférieur.  Ils  croient  pouvoir 


XXVIII  INTRODUCTION 

ainsi  produire  des  effets  surnaturels  et  des  mira- 
cles, deviner  les  choses  cachées,  prédire  l'avenir, 
exorciser  les  possédés  et  guérir  les  malades,  à 
l'aide  de  certains  mots  prononcés  ou  simplement 
écrits.  Cette  cabale  pratique,  maasith,  que  les  caba- 
listes  modernes  distinguent  de  la  cabale  théori- 
que ou  spéculative,  iyyounith,  dont  nous  avons 
parlé  surtout  jusqu'ici,  n'était  pas  étrangère  à  la 
science  antique,  pour  ce  qui  est  notamment  de  la 
divination;  mais  elle  devait  prendre,  au  moyen 
âge,  une  grande  importance  en  s'associant  à  la 
science  hermétique  et  en  fournissant-  le  contin- 
gent de  ses  méthodes  à  la  magie  alors  en  grand 
crédit. 

La  magie  que  nous  venons  de  nommer  est  le 
dernier  mot  et  la  plus  haute  expression  des  scien- 
ces et  des  arts  occultes  au  moyen  âge.  Aussi  quel- 
ques uns  ont-ils  prétendu  mettre  sous  son  nom  la 
science  universelle  et  absolue  elle-même.  Agrippa 
voulait  faire  de  ce  nom  le  titre  de  l'ouvrage  qu'il 
a  intitulé  «  Philosophie  occulte  »,  De  occulta  philo- 
sophia.  La  magie  est,  à  proprement  parler,  l'ency- 
clopédie des  sciences  et  des  arts  occultes  et  des 
pratiques  diverses  qui  s'y  rapportent.  L'art  her- 
métique avec  l'alchimie  qui  en  dépend,  avec  l'as- 
trologie qui  s'en  détache, et  la  cabale  dont  la  magie 
emprunte  les  procédés  symboliques,  viennent  se 


1 X  T  H  O  D  ÙCTK  »  N  XXXl  X 

fondre  dans  le  vaste  ensemble  de  cette  science 
universelle,  sans  en  occuper  cependant  le  cadre 
complet  qui  renfermait  beaucoup  d'autres  choses 
encore. 

La  magie  comprenait  notamment,  avec  la  sor- 
cellerie et  les  arts  magiques  proprement  dits,  la 
divination  soit  conjecturale  procédant  de  l'obser- 
vation des  signes,  soit  plus  spécialement  magique 
fondée  sur  des  pratiques  mystérieuses. 

A  la  divination  conjecturale  se  rapportaient 
l'astrologie,  conjectatio  ex  astris  ;  l'art  de  tirer  des 
probabilités  de  l'examen  des  corps,  conjectatio  ex 
elementis,  meteoris,  plantis,  arboribus,  brutis,  des 
aspects  divers  de  la  figure  de  l'homme  ou  de  ses 
membres,  conjectatio  ex  physionomia,  ex  manus 
lineis,  chiromantia,  mctoposcopia,  de  l'explication 
des  songes,  conjectatio  ex  somniis ,  èvsspôwoXefa ,  de 
l'étude  des  sorts,  conjectatio  ex  sortibus,  clcro- 
mantia  vXr,po\im-d<x,  cubomantia,  palomantia  cet 
l'iibdomantia,  stoicheiomantia ,  Indus  dodecoedron, 
alcctryomantia,  onomantia,  arithmanlia. 

A  la  divination  magique  appartenaient  les  révé- 
lations obtenues  du  démon  par  divers  procédés, 
manganeia  sive  //oefeia,  gcomanlia,  /n/dromantia 
per  annulwm,  per  lapillos,  aut  alia  ex  pelagi  agi- 
tationc ,  pqgomantia ,  acromantia,  pyromantm, 
/ici  roiwnitia,  Iccanomantia ,  gastromantni,  catapfTO- 
mantia,  crUtaltôïnantia,  dctctylôfnafttia,  onyehoïnart' 


XXX  IXTIIODUCTION 

lia ,  pkarmaceia ,  coscinomanlia ,  axinomantia  , 
cephalxonomantia,  clcidonomantia;  et  enfin  les  ora- 
cles, auguria,  auspicia ,  haruspicina  vcl  ariolatio, 
caticinia,  fiiror. 

La  sorcellerie  consistait  dans  les  pratiques  ef- 
fectuées avec  l'intervention  directe  des  démons, 
dœmonomantia,  lycanthropia ;  avec  les  pactes,  ex- 
plicita sive  latentia  pacta;\es  évocations,  stegano- 
grapkia,  theurgia  ,  eonjurationcs  per  liltcras,  mi- 
mera, verbos,  carmina,  imagines;  les  sacrifices, 
oblationcs,  consecrationcs  ;  les  charmes  et  les  pres- 
tiges, fascinationcs  ;  les  maléfices,  malcficia  som- 
ni/ica,  amatoria,  hostilia,  venenaria,  per  morbum. 
per  mortem,  per  incendium  ;  les  alligations,  alli- 
gationcs  per  annula,  per  sigilla. 

Les  arts  magiques  proprement  dits,  magia  na- 
in ralis  sca  physica,  operatrix  vcl  arli/iciosa,  com- 
prenaient la  médecine  magique  avec  les  l'umiga- 
fions,  su,f/Ua ,  les  philtres,  les  onguents,  les 
collyres,  tinctioncs,  et  enfin  f  alchimie,  chrysopeia, 
argyropeia  h 

Cette  longue  énumération  n'est  pas  encore  com- 
plète; elle  suffit  cependant  pour  donner  une  idée 
de  l'infinie  variété  des  doctrines  et  des  pratiques 


1.  Cette  nomenclature,  qu'on  pourrait  sans  grande  utilité 
étendre  encore,  est  empruntée,  pour  la  plus  grande  partie,  aux 
iVrils  (i'A'grïppi;  et  à  l'ouvrage  de  Del  Rio  mentionné  plus  loin. 


IMTRODUCTIOA"  XXXI 

comprises  dans  le  cadre  de  la  magie  au  moyen 
âge,  et  pour  justifier  ce  que  nous  avons  dit, 
que  celle-ci  était  alors,  comme  le  prétendait  en 
effet  Agrippa,  l'encyclopédie  en  quelque  sorte  des 
sciences  et  des  arts  occultes.  Ces  théories  bizar- 
res et  leurs  applications  étaient  dominées  par 
certaines  spéculations  sur  les  esprits  et  sur  les 
nombres  ;  conceptions  idéalistes  qui  en  consti- 
tuaient la  métaphysique.  Leur  fondement  reposait 
sur  une  foi  absolue  clans  la  vieille  mythologie 
orientale  des  esprits  et  des  génies,  des  anges  et 
des  démons ,  et  sur  une  sorte  de  spiritualisme 
grossier  assez  voisin  du  panthéisme  de  la  cabale, 
avec  la  croyance  à  l'intime  liaison  de  tout  ce  qui 
existe  soit  dans  l'ordre  matériel,  soit  dans  l'ordre 
spirituel,  et  à  l'action  toute  puissante  de  l'esprit 
sur  la  matière,  du  céleste  sur  le  terrestre.  Ces 
doctrines  impliquaient,  avant  liait,  riuterventiori 
du  surnaturel  dans  le  développement  des  laits 
humains  et  la  possibilité  de  disposer  à  volonté  de 
cet  agent  mystérieux,  au  moyen  de  certaines  opé- 
rations dont  les  méthodes  constituent  les  difïe- 
rentes  branches  de  la  science  magique,  comme 
nous  les  avons  énumérées  tout  à  l'heure,  suivant 
l'objet  spécial  qu'elles  concernent  ou  les  procédés 
qu'elles  emploient. 

La  magie  embrassait  tout  par  ses  principes  et 
dans  ses  applications.  Son  domaine  était  univri- 


XXXH  INTRODUCTION 

sel  ;  mais  ses  pratiques  aussi  bien  que  ses  théories 
étaient  réputées  coupables  au  premier  chef,  pros- 
crites et  condamnées  au  mystère.  Ce  n'était  pas, 
du  reste,  chose  nouvelle  que  ces  singulières  spé- 
culations dont  nous  voyons  l'épanouissement  au 
moyen  âge.  La  magie  est  de  tous  les  temps.  Elle 
est  signalée  dès  la  plus  haute  antiquité. 

Les  plus  anciens  écrits,  les  livres  de  la  bible  et 
les  chants  de  l'odyssée  en  témoignent.  Pline  dit 
qu'on  la  trouve  partout,  en  Perse  et  dans  l'Orient 
tout  entier,  chez  les  Juifs  et  chez  les  Grecs,  en 
Italie  et  dans  les  Gaules  K  II  parle  amplement  de 
la  magie  en  différents  endroits  de  son  Histoire  na- 
turelle, ouvrage  véritablement  encyclopédique  où 
il  traite  successivement  de  l'astronomie,  de  la  mi- 
néralogie, de  la  géographie,  de  la  zoologie,  de  la 
botanique  et  de  la  médecine.  C'est  dans  cette  der- 
nière partie  surtout,  il  n'est  pas  sans  intérêt  de 
le  faire  observer,  qu'il  a  groupé  les  particularités 
relatives  à  la  magie.  Il  constate  son  origine  orien- 
tale2,   sa   diffusion   et  son    crédit  chez   tous  les 
peuples  3,  le  secret  caractéristique  où  elle  se  ren- 

1.  Pline,  Historia  naturalù,  1.  XXX,  c.  n,  ni,  iv. 

2.  «.  Sine  dubio  illic  orta  in  Perside  a  Zoroaslre.  »  Ibid., 
1.  XXX,  c.  n. 

3.  «  Plurimum  iu  loto  terrarum  orbe  plurimisque  sœôulis 
avalait...  Itti...  ut  hodieque  etiarn  iu  magna  parte  yenlium 
x<  pncvaleal.  >  Ibid.,  1.  XXX,  c.  i. 


i.\  PRODUCTION  XXXUi 

ferme  *,  son  empire  sur  les  hommes  par  le  nom- 
bre et  l'importance  des  objets  qu'elle  embrasse  % 
la  variété  des  procédés  qu'elle  emploie  et  son  ac- 
tion sur  les  ombres  et  les  esprits  infernaux  3,  le 
caractère  frauduleux  de  ses  diverses  industries  4, 
son  inanité  enfin,  malgré  le  mélange  de  quelques 
parcelles  de  vérité  associées  à  ses  vaines  doctrines 
vouées  à  une  expresse  réprobation  5. 

La  magie  est  jugée  sévèrement  et  à  peu  près 
comme  chez  les  modernes,  on  le  voit,  dès  l'anti- 
quité. Les  condamnations  ne  lui  ont  manqué  dans 
aucun  temps  et  chez  aucun  peuple.  Sous  l'empire, 


1.  «  Hanc  in  arcanis  habuere.  »  IbiU.,  1.  XXX,  c.  n. 

2.  «  Auctoritatem  ei  maximam  fuisse  nemo  miretur...  Na- 
«  ta  m  primum  e  medicina  nemo  dubitat,  ac  specie  salutari 
«  irrepsisse  velut  altiorem  sanctioremque  medicinam.  Ita 
x  blandissimis  desideratissimisque  promissis  addidissc  vires 
«  religionis...  Atque  ut  hoc  quoque  suggesserit  miscuisse  artes 
«  malhematicas...  Ita  possessis  hominum  sensibus,  triplici 
«  vinculo  in  tantum  f'astigii  adolevit.  ut...  in  magna  parte 
«  gentium  prœvaleat.  »  IbicL.   I.  XXX,  c.    i. 

«.  3.  Specics  ejus  plures  sunt.  Namque  et  aqua,  etsphœris,  et 
«  acre  et  stellis,  et  lucernis  ac  pelvibus,  seçuribusque  et 
k  multis  aliis  modis  divina  promiltit,  pra'terea  umbrarum  in- 
u  rerorumque  colloquia.  »  Ibid.,  1.  XXX,  c.  v. 

I,  "  Magicas  vanitates...  coarguimus...  Fraudulentissima  ar- 
«  tium...  Immensum,  indubitatum  exomplum  est  Falsse  ârtis.  : 
Ibid.,  1.  XXX,  c.  i  et  v. 

h.  «  Proinde  ita  persuasuni  sil  inlestabileiu,  irritam,  inanem 
sse,   habentem  tameo   quasdam  veritatis  ambras.  »  Ibid., 
I.  XXX,  c.  vi. 

T.  I.  ' 


XXXIV  INTRODUCTION 

à  Rome  et  dans  le  monde  romain  tout  entier,  ses 
livres,  iïbri  improbatœ  Icctionis,  sont  condamnés  par 
le  Digeste.  Sous  la  domination  mahométane,  l'art 
hermétique  et  la  magie  sont  interdits  par  le  Coran. 
Sous  la  discipline  de  l'Eglise  romaine,  les  livres 
d'astrologie  sont  brûlés  par  ordre  du  pape  Gré- 
goire le  Grand.  En  France,  la  magie  est  frappée 
comme  un  acte  d'idolâtrie  par  la  faculté  de  théo- 
logie de  l'université  de  Paris,  l'astrologie  est  pros- 
crite par  les  arrêts  du  parlement.  Pendant  tout  le 
moyen  âge,  on  brûle  partout  des  magiciens  et  des 
sorciers.  La  magie  néanmoins  subsiste  toujours 
malgré  ces  coups  incessamment  réitérés. 

Deux  raisons  entre  autres  peuvent  rendre 
compte  de  cette  singulière  vitalité  en  présence  du 
tant  d'assauts  répétés.  La  première,  c'est  que  la 
magie  n'est  presque  jamais  atteinte  par  les  con- 
damnations prononcées  contre  elle  que  dans  quel- 
qu'une de  ses  parties  seulement,  au  lieu  de  l'être 
dans  son  ensemble  ;  ce  qui  laisse  toujours  intacte 
une  portion  de  son  domaine.  La  seconde,  c'est  que 
ces  condamnations,  se  bornant  à  déclarer  coupa- 
bles les  pratiques  qu'elle  autorise,  au  lieu  d'eu 
dévoiler  et  d'en  proclamer  l'inanité,  contribuent 
ainsi  à  maintenir  son  prestige  en  affirmant    sa 

puissance* 

La  magie  a  loujours  allécté  d'embrasser  l'uni- 
versalité des  choses.  Frappée  sur  un  point,  elle  se 


INTRODUCTION  XXXV 

trouvait  nécessairement  ménagée  sur  les  autres. 
Proscrite  en  principe  et  obligée  de  vivre  dans  le 
mystère,  elle  a,  en  outre,  intimement  mélangé 
et  par  là  confondu,  sous  le  voile  d'une  égale  obs- 
curité, ce  qu'elle  pouvait  contenir  de  positif  et  de 
vrai  avec  tout  ce  qu'elle  avait  de  vain  et  de  faux. 
Cette  confusion  lui  a  valu  dans  tous  les  temps  les 
ménagements  et,  sur  quelques  points,  l'attention 
d'esprits  sérieux  qui  sans  cela  se  fassent  absolu- 
ment détournés  d'elle.  D'un  autre  côté,  les  con- 
damnations qui  l'atteignaient  et  la  persécutaient 
au  lieu  de  la  tuer,  contribuaient  encore  à  la  faire 
durer,  en  certifiant,  en  quelque  sorte,  sa  réalité  à 
laquelle  ses  juges  ne  semblaient  pas  moins  croire 
que  ses  adeptes. 

C'est  ainsi  que,  pratiquée  depuis  la  plus  haute 
antiquité,  la  magie  est  cultivée  dès  ces  temps  re- 
cules et  pendant  le  moyen  âge  chez  des  peuples 
qui,  tout  adonnés  à  la  superstition,  avec  une 
croyance  absolue  au  surnaturel  et  aux  démons, 
maintiennent  en  crédit  cette  science  universelle 
fondée  sur  ces  principes  mômes.  Voilà  comment 
elle  se  conserve  grâce  aux  préjugés  régnants, 
grâce  encore  à  l'attention  particulière  que  les 
hommes  du  meilleur  esprit  n'hésitent  pas  à  lui  ac- 
corder, parce  qu'ils  y  trouvent  gardés  comme  en 
dépôt  les  méthodes  et  les  procédés  d'observation, 
avec  un  certain  nombre  des  résultats  les  plus  pro- 


XXXVI  I X  T  R  O  D  U  CT 1 0  X 


sitifs  de  l'expérience  appliquée  à  l'étude  de  l'uni- 
vers. Après  les  mages  de  l'Orient,  les  prêtres  et 
les  savants  de  l'Egypte  sont  ses  adeptes  ;  puis  les 
philosophes  des  vieilles  écoles  de  la  Grèce  qui  lui 
empruntent  ses  antiques  doctrines.  Les  Alexan- 
drins, puisant  en  quelque  sorte  à  ses  sources  ori- 
ginaires, renouvellent  ses  théories  et  les  perfec- 
tionnent; les  Byzantins,  les  docteurs  juifs  et  les 
savants  arabes  s'en  font  les  propagateurs  et  les 
communiquent  à  l'Europe  occidentale.  Le  moyen 
âge  est  pour  la  magie,  dans  cette  région,  une  épo- 
que d'efflorescence.  Il  serait  difficile  de  dresser 
une  liste  complète  de  tous  ceux  qui  s'en  sont  alors 
occupés.  Nous  en  avons  nommé  précédemment 
plusieurs.  Naudé  en  énumère  beaucoup  dans  son 
apologie  l.  Quelques  uns  dans  le  nombre  ont  pu 
être  signalés  à  tort  comme  s'étant  livrés  à  ces  pra- 
tiques. Au  moyen  âge,  aussi  bien  que  dans  l'anti- 
quité, l'ignorance  et  la  crédulité  ont  traité  de  ma- 
gie toutes  les  œuvres  dont  l'accomplissement 
heurtait  les  opinions  reçues  ou  contrariait  les 
connaissances  même  erronées  antérieurement  ac- 
quises, et  qui  semblaient  pour  cette  raison  incom- 
préhensibles, par  conséquent  surnaturelles.  Bien 
des    formules,    bien  des  opérations  scientifiques 


1 .  G.  Naudé,  Apologie  pour  tous  les  grands  personnages  qui 
ont  èlé  faussement  soupçonnés  de  magie.  1625. 


INTRODUCTION  XNXVII 

dont  les  effets  paraissaient  surprenants  ont  pu 
très  gratuitement  être  jugées  comme  des  procédés 
magiques  et  des  incantations. 

Jusque  dans  les  temps  modernes,  la  magie  avec 
son  cortège  de  charlatanisme  et  d'erreurs  a  été  ad- 
mise comme  une  réalité  et  condamnée  comme 
telle,  pratiquée  par  les  uns,  acceptée  parles  au- 
tres, favorisée  par  l'ignorance  dont  la  crédulité  est 
la  compagne  naturelle.  Malgré  des  attaques  redou- 
blées au  xvie  siècle,  attaques  parmi  lesquelles  il 
faut  compter  celles  d'Agrippa  se  contredisant  lui- 
même,  et  celles  de  Jean  Wier,  son  disciple,  la  ma- 
gie est  encore,  un  peu  plus  tard,  l'objet  d'un  grand 
ouvrage  où  un  savant  homme,  Martin  Del  Rio,  en 
traite  longuement  et  avec  un  sérieux  parfait,  pour 
la  condamner  l. 

On  voit  maintenant  ce  que  c'étaient  que  les 
sciences  et  les  arts  occultes,  et  l'on  peut  se  rendre 
compte  de  la  situation  où  se  trouvait  cet  héritage 
de  l'antiquité  à  l'époque  où  vivait  Agrippa,  au 
commencement  du  xvie  siècle.  Les  doctrines  et  les 
pratiques  de  toutes  sortes  qui  les  constituaient  se 
résumaient  alors  dans  la  magie.  Leur  métaphysi- 
que, toute  pénétrée  de  théories  panthéistes  et  de 

1.  Martini  Del  Rio  societatis  Jêsu  presbyteri,  Uisquisilunnri, 
magicarum  libri  sex.  1599. 


XXXVIIT  INTRODUCTION 

croyances  empruntées  à  un  spiritualisme  grossier, 
inspirait  à  la  fois  les  chercheurs  de  la  pierre  phi- 
losophale,  qui  visaient  à  faire  de  l'or,  les  astrolo- 
logues,  qui  lisaient  dans  les  astres,  et  les  sorciers 
en  rapport,  croyait-on,  avec  les  démons. 

L'art  hermétique, d'où  s'était  détachée  l'astrologie, 
avait  abouti  à  l'alchimie  dont  le  principal  objet  était 
la  recherche  du  remède  universel  et  des  moyens 
de  faire  de  l'or.  La  cabale  antique,  la  cabale  juive, 
avait  enfanté  ce  qu'on  peut  appeler  la  cabale  chré- 
tienne et  la  cabale  magique  ;  la  première  consistant 
dans  l'application  à  la  science  religieuse  du  moyen 
âge  des  méthodes  et  des  procédés  grossiers  de 
l'exégèse  cabalistique  ;  la  seconde  comprenant  l'ap- 
plication des  mêmes  procédés  aux  sciences  et  aux 
arts  occultes.  La  magie  était  l'association  de  l'al- 
chimie et  de  la  cabale  moderne  à  la  démonologie, 
dont  les  secrets  avaient,  croyait-on,  le  pouvoir  de 
dompter  les  esprits  infernaux  et  d'opérer,  par  leur 
puissance  asservie,  des  prodiges  et  des  miracles. 

Les  sciences  et  les  arts  occultes  avaient,  au 
xvf  siècle,  de  nombreux  adeptes.  Leur  autorité 
était  déjà  fort  menacée  cependant  et  près  de  son 
déclin  ;  mais  leur  existence  même  devait  se  prolon- 
ger longtemps  encore.  Au  xvnc  siècle  et  au  xviri",  la 
science  moderne  a  pu  compromettre  sérieusement 
leur  crédit  ;  il  ne  lui  a  pas  été  donné  de  le  suppri- 
mer complètement.  Aujourd'hui  même,  les  der- 


IXTROmVTION  XXXIX 


nièces  traces  n'en  sont  pas  encore  effacées.  De  nos 
jours  cependant  le  cercle  d'activité  des  sciences  et 
des  arts  occultes,  parfois  dissimulés  sous  des  noms 
nouveaux,  va  se  rétrécissant  de  plus  en  plus.  La 
crédulité  combattue  par  les  lumières  ne  leur  offre 
désormais  qu'un  domaine  fort  réduit,  condamné  à 
diminuer  encore;  où  bientôt,  on  voudrait  l'espérer, 
il  n'y  aura  plus  de  place  que  pour  les  victimes 
complaisantes  de  la  fourberie  et  du  charlatanisme. 


CHAPITRE  PREMIER 


LA.    VIE    ET    LES   ŒUVRES    D'AGRIPPA 
148B«1S38 


La  légende  à" Agrippa.  —  Son  histoire;  travaux  biographiques 
dont  il  a  été  l'objet.  —  Son  portrait.  —  Esquisse  de  sa  vie. 
—  Ses  ouvrages;  leur  publication;  leur  caractère.  —  Sa  cor- 
respondance. —  Le  traité  de  la  philosophie  occulte.  —  Le 
traité  de  l'incertitude  et  de  la  vanité  des  sciences. 


L'histoire  de  Henri  Corneille  Agrippa,  que  nous 
nous  proposons  de  raconter  ici,  peut  offrir  de  l'inté- 
rêt à  plus  d'un  point  de  vue.  Elle  présente  d'abord, 
dans  le  mouvement  d'une  existence  très  agitée  et 
passablement  romanesque,  le  tableau  assez  rare  de 
la  vie  privée  tout  entière  d'un  particulier  au  xvie  siè- 
cle. Elle  fournit  ensuite  quelques  indications  sur  les 
faits,  les  hommes  et  les  choses  qui  appartiennent  a 
l'histoire  générale  de  son  temps,  sur  les  questions 
d'ordre  religieux  notamment,  dignes  d'une  attention 
toute    particulière,    au   moment    où   commence    la 


2  CHAPITRE    PREMIER 

grande  crise  de  la  réforme.  Elle  donne  enfin  de  cu- 
rieux renseignements  touchant  les  sciences  et  les 
arts  occultes,  en  ouvrant  des  vues  sur  leurs  bizarres 
théories,  sur  leurs  pratiques  non  moins  singulières, 
et  sur  le  rôle  que  pouvaient  jouer  encore  au  com- 
mencement du  xvie  siècle,  chez  les  peuples  de  l'Eu- 
rope occidentale,  ces  étranges  spéculations.  Agrippa 
a  eu,  parmi  ses  contemporains,  la  double  renommée 
d'un  savant  aux  yeux  des  lettrés,  et  d'un  magicien, 
d'une  espèce  de  sorcier,  dans  /opinion  du  vulgaire. 
Il  n'y  avait  peut-être  pas  beaucoup  moins  d'exagéra- 
tion dans  la  première  de  ces  appréciations  que  dans 
la  seconde.  Celle-ci,  du  reste,  a  prévalu  finalement 
sur  l'autre.  Agrippa,  en  somme,  avait  surtout  de  son 
temps,  et  il  a  conservé  jusqu'à  nos  jours,  dans  une 
sorte  de  légende  traditionnelle ,  la  réputation  d'un 
homme  en  possession  de  secrets  redoutables  et  en 
commerce  avec  les  démons. 

On  racontait  d'Agrippales  choses  les  plus  extraor- 
dinaires. Il  avait,  croyait-on,  le  pouvoir  d'évoquer 
des  apparitions.  Un  jour,  Henry  Howard,  comte  de 
Surrey,  poète  distingué  de  la  cour  de  Henry  VIII, 
qui  pleurait  la  mort  d'une  femme  aimée,  la  belle  Gé- 
raldine, fille  du  lord  Kildare,  avait  dû  à  une  évoca- 
tion de  Corneille  Agrippa  la  consolation  de  revoir 
celle  qu'il  avait  perdue.  Le  magicien  l'avait  fait  appa- 
raître à  ses  yeux  dans  un  miroir  enchanté  '.  En  Ita- 

1 .  Sir  Walter  Scott  a  recueilli  cette  légende  et  l'a  introduite 
dans  un  de  ses  poèmes,  The  lay  of  the  last  minstrel,  chant  VI, 
strophes  16-30. 


LA   VIE    ET    LES    OEUVRES    D'aGRIPPA  H 

lie,  attaché  à  la  personne  d'un  général  espagnol,  An- 
toine  de  Leyva,  il  le  faisait  assurait-on  réussir  par 
des  charmes  dans  toutes  ses  entreprises.  Introduit 
par  ce  personnage  auprès  de  l'empereur  Charles- 
Quint  et  devenu,  grâce  à  cette  recommandation,  un 
de  ses  conseillers,  il  aurait  osé  proposer  à  ce  prince 
de  lui  procurer  par  ses  secrets  magiques  d'immenses 
trésors  ;  mais,  à  la  suite  de  cette  offre  imprudente,  il 
aurait  été  obligé  de  fuir  pour  échapper  à  la  juste 
indignation  du  puissant  empereur.  Il  lui  arrivait 
souvent,  à  ce  qu'on  prétendait,  de  payer  dans  les 
hôtelleries  avec  des  pièces  de  monnaie  de  bonne 
apparence,  qui,  après  son  départ  se  trouvaient  n'ê- 
tre plus  que  de  vils  morceaux  de  corne  ou  des  or- 
dures. Une  fois  entre  autres,  il  avait  remis  à  une 
vieille  femme  une  corbeille  qui  semblait  pleine  d'é- 
cus,  mais  qui,  placée  dans  une  armoire,  ne  contenait 
plus,  quand  on  voulut  les  y  reprendre,  que  du  fumier 
de  cheval. 

Ces  faits  pour  la  plupart  sont  rapportés  par  le  grave 
auteur  d'un  livre  sur  la  magie  et  la  sorcellerie,  le  père 
Del  Rio  qui  ne  semble  pas  douter  le  moins  du  monde 
de  leur  réalité  lï  Le  crédule  écrivain  n'est  pas  moins 
affirmatif  dans  la  relation  d'une  anecdote  des  plus 
singulières  qu'il  raconte  très  sérieusement  aussi 
dans  son  ouvrage,  pour  prouver  que  les  magiciens 
avaient  le  pouvoir  de  rendre  l'apparence  de  la  vie  a  un 

t.  Martini  Del  Rio  societatis  .Tesn  presbyteri,  DUqwsitionum 
magicarum  libri  sea.  1590. 


CHAPITRE    PREMIER 


corps  mort,  en  y  faisant  entrer  de  force  un  démon. 
Lorsque  Agrippa  était  à  Louvain,  dit  Del  Rio,  il  avait 
chez  lui  comme  pensionnaire  un  jeune  homme  qui, 
pour  satisfaire  une  curiosité  coupable,  obtint  de  la 
femme  du  magicien,  à  force  de  supplications,  qu'elle 
lui  confiât  la  clef  du  cabinet  de  son  mari,  quoique 
celui-ci  eût  expressément  recommandé  que  per- 
sonne n'y  entrât  en  son  absence.  Y  ayant  ainsi  pé- 
nétré, le  jeune  imprudent  jette  les  yeux  sur  un  livre 
de  conjurations,  et  en  lit  quelques  mots  que,  sans  y 
faire  attention,  il  prononce  à  haute  voix.  Aussitôt  la 
porte  du  cabinet  s'agite.  La  lecture  continuant,  la 
porte  s'ébranle  de  nouveau  ;  et,  rien  ne  répondant  à 
Ce  signal  qui  n'avait  pas  été  compris,  la  porte  s'ou- 
vre enfin  et  un  démon  paraît,  demandant  qui  l'appelle 
et  ce  qu'on  lui  veut.  Terrifié,  le  malheureux  jeune 
homme  ne  sait  que  répondre  ;  la  voix  s'arrête  dans 
son  gosier  paralysé  par  la  frayeur.  Le  démon  irrité 
se  jette  sur  lui  et  l'étrangle.  Le  magicien  rentre  à  ce 
moment.  Habile  à  commander  aux  suppôts  de  l'enfer, 
il  ordonne  au  démon  coupable  d'entrer  dans  le  corps 
inanimé  de  sa  victime  et,  avant  de  recouvrer  sa  liberté, 
de  se  promener  ainsi  affublé  sur  la  place  que  fré- 
quentaient les  étudiants.  Le  démon  obéit.  Le  corps 
ranimé  pour  un  instant,  s'avance  sur  la  place  publi- 
que ;  mais,  après  deux  ou  trois  tours,  abandonné 
tout  à  coup  par  son  hôte  redevenu  libre,  il  tombe 
sans  vie.  On  crut  alors,  dit  gravement  Del  Rio,  que 
le  jeune  homme  avait  été  frappé  par  une  mort  su- 
bite; mais,  des  marques  de  strangulation  qu'on  ob- 


LA    VIE    ET    LES    OEUVRES    D  AGU1PPA  D 

serva  bientôt  sur  son  corps  mirent  sur  la  voie  de  la 
vérité;  et  l'on  n'eut  plus  aucun  doute  à  ce  sujet, 
quand  plus  tard  Agrippa  rendit  publiques  les  héré- 
sies que  jusque-là  il  avait  retenues  cachées  dans  son 
sein. 

Sans  sortir  de  chez  lui  et  confiné  souvent  une  se- 
maine entière  dans  son  cabinet,  Agrippa  savait,  c'é- 
tait chose  notoire,  ce  qui  se  passait  dans  les  contrées 
les  plus  éloignées.  On  attribuait  ces  merveilleuses 
informations  à  ses  relations  avec  le  démon.  Elles 
s'expliquent  cependant  tout  simplement  par  ses 
nombreuses  correspondances ,  dit  son  disciple 
Jean  Wier,  qui  le  défend  de  ces  sottes  accusations 
clans  le  livre  où  il  démontre  l'inanité  du  prétendu 
pouvoir  de  la  sorcellerie  ?..  Le  démon  familier  à  qui 
Agrippa  devait,  croyait-on,  d'être  si  bien  renseigné, 
n'était  autre,  suivant  quelques-uns,  qu'un  chien  fa- 
vori qui  ne  le  quittait  pas.  Paul  Jove  parle  ainsi  de 
ce  chien  "2  :  C'était,  dit-il,  un  chien  noir  qui  suivait 
partout  son  maître  et  qui  portait  un  collier  orné  de 
clous  disposés  de  manière  à  former  des  figures  ma- 
giques. Au  moment  de  mourir  et  pressé  de  faire 
pénitence,  Agrippa  se  tourna  vers  ce  chien  en  s'é- 
oriant  :  «  Va-t-en,  bête  maudite  qui  m'as  perdu.  >• 
Et  l'animal,  qui  jusque-là  ne  l'avait  jamais  quitté. 


1.  .loaiiui;.  Wiuii  illustrissimi ducis  Cliviic,  elc,  quundum  ur- 
chiatri,  De  prsBtigiisdœmonùtn  libri  sex.  1583. 

ï.  Pàulî  Jovii  Novoeomensis,  episcopi  Nucci'ini,  lilogiaviru- 
rum  litteris illustrium .  1577. 


6  CHAPITRE    PHEVMHK 

courut  se  noyer  dans  le  fleuve.  Le  chien  noir  d'A- 
grippa,  dit  Wier  réfutant  cette  fable,  n'était  rien 
moins  qu'un  démon.  C'était  un  chien  ordinaire  au- 
quel son  maître  témoignait  seulement  une  affection 
peut-être  exagérée,  jusqu'à  ce  point  qu'il  le  faisait 
placer  près  de  lui  à  sa  table  et  coucher  dans  son  lit. 
J'ai  bien  connu  ce  chien,  dit  encore  le  disciple  d'A- 
grippa,  et  je  l'ai  promené  souvent.  Lorsque  je  tra- 
vaillais avec  le  savant  homme,  il  s'étendait  entre 
nous  deux.  C'était  un  animal  de  petite  taille  auquel 
Agrippa  avait  donné  le  nom  de  Monsieur,  et  il  possé- 
dait en  même  temps  une  chienne  de  même  couleur 
et  de  même  forme  qu'il  appelait  Mademoiselle. 

Nous  sommes  loin  de  connaître  tout  entière  la  lé- 
gende qui  s'attache  au  nom  d'Agrippa'.  Enfantée  par 
l'imagination  populaire,  consignée  dans  des  récits 
qui  vraisemblablement  ne  s'écrivaient  pas,  la  plus 
grande  partie  s'en  est  perdue  nécessairement  dans 
les  hasards  de  la  transmission  orale.  Nous  venons  de 
rapporter  le  peu  qui  en  a  été  fortuitement  recueilli 
par  quelques  écrivains.  Ce  que  nous  pouvons  en 
dire  ne  serait  pourtant  pas  complet  si  nous  n'ajou- 
tions pas  à  ce  qui  précède,  un  dernier  témoignage. 

< 

1.  Plusieurs  des  particularités  de  cette  légende,  mentionnées 
ci-dessus,  ne  sont  évidemment  que  de  pures  inventions  dues  à 
l'imagination  populaire;  mais  il  en  est  quelques-unes  qui  pour- 
raient bien  se  rattacher  à  certains  faits  réels,  plus  ou  moins 
dénaturés  du  reste,  de  la  vie  d'Agrippa.  On  trouvera  sur  ce 
point  quelques  considérations  dans  une  note  de  notre  appendice 
(n°  IX). 


LA    VIE    ET    LES    OEUVRES    H  AGRIPPA  i 

Il  s'agit  dé  ce  que  Rabelais  dit  du  personnage  dans 
son  PankujrueP  :  car,  de  l'avis  des  meilleurs  criti- 
ques, c'est  à  n'en  pas  douter  d'Agrippa  que  l'immor- 
tel railleur  entend  parler  dans  le  portrait  qu'il  trace 
de  lier  Trippa  qui,  «  par  art  de  astrologie,  géomantie, 
«  chiromantie,  métopomatie,  et  autres  de  pareille  fa  - 
«  rine,  prédit  toutes  choses  futures  »  ;  et  dont  la 
femme,  ajoute-t-il,  «  assez  bellastre  »,  était  sa- 
boulée  par  les  laquais  de  la  cour,  pendant  que  son 
mari  conférait  des  choses  célestes  devant  le  roi. 
Rabelais  fait  ici  allusion,  avec  plus  ou  moins  de  vé- 
rité du  reste,  à  la  situation  d'Agrippa  lorsque,  en 
qualité  de  médecin  de  la  reine-mère,  il  vivait  à  Lyon 
à  la  cour  de  France.  Panurge  consulte  lier  Trippa  et 
obtient  de  lui  un  horoscope  dans  des  termes  qui  sont 
d'accord  avec  les  pratiques  de  divination  attribuées 
par  la  commune  renommée  au  savant  Agrippa  et  re- 
commandées d'ailleurs  par  lui-même,  dans  quelques- 
uns  de  ses  ouvrages. 

Rabelais,  qui  ne  croyait  pas  un  mot  de  toulcH;i. 
s'en  moque  avec  sa  verve  habituelle.  Mais  c'est  pvec 
un  sentiment  tout  différent,  avec  une  véritable  hor- 
reur, que  dans  leur  naïve  crédulité  d'autres  écri- 
vains, comme  Paul  Jovc  et  Del  Rio,  racontent  les 
faits  abominables,  suivant  eux,  que  nous  avons 
mentionnés  tout  à  l'heure.  Thévct  se  fait  comme 
eux,  dans  ses  écrits,  le  propagateur  de  ces  grossie* 


].  Rabelais,  Pantagruel,  Liv.  Ml,  cl»,  sciv. 


8  CHAPITRE    PREMIER 

res  inventions  \  contre  lesquelles  s'élèvent  l'un  après 
l'autre  Jean  Wier,  disciple  d'Agrippa,  qui  le  présente 
comme  injustement  calomnié,  et  G.  Naudé,  qui  le 
traite  d'imposteur2,  ainsi  que  Freher  et  Bayle,  qui 
plus  tard  ont  pris  la  peine  de  réfuter  ces  misérables 
assertions 3. 

Ce  n'étaient  assurément  que  d'ineptes  rêveries  et 
de  pures  calomnies  ;   mais  Agrippa  ne  s'était  que 
trop  exposé,  nous  le  verrons,  à  les  faire  naître  par 
sa  conduite,  par  son  langage  et  par  quelques-uns  de 
ses  écrits.  La  réputation  de  magicien  en  commerce 
avec  les  démons  ne  l'effrayait  pas,  à  ce  qu'on  peut 
croire.  Il  l'aurait  même  expressément  affrontée  si, 
comme  l'assure  Naudé,  il  recherchait  et  s'attribuait 
volontiers  les  qualifications  singulières  de  magister 
Georgius    Sabellicus,  Faustus  junior,  fons   necroman- 
tium,  chir ornant icus,  astrologus,  magus 4,  etc.  Il  semble 
véritablement  avoir  tout  le  premier  fait  surgir  les 
imputations  dont  il  a  été  l'objet,  touchant  l'exercice 
de  la  magie  démonologique.  Ajoutons  que  dans  eu 
qu'il  a  pu  faire  pour  cela,  il   serait  difficile  de  le 

1.  A.  Thévet.  Les  vrais  portraits  et  vies  des  hommes  illustres 
grecs,  latins  et  payens,  anciens  et  modernes,  etc.  1584. 

2.  G.  Naudé.  Apologie  pour  tous  les  grands  personnages  qui 
ont  été  faussement  soupçonnés  de  magie.  1625. 

3.  Pauli  Freheri  med.  Norib.,  Theatrum  virorum  eruditionc 
clarorum,  etc.  1688.  —  P.  Bayle.  Dictionnaire  historique  et  cri- 
tique. 1697. 

4.  «  Magus  qui  sim.  »  —  Lectoribus  Epistola,  au  commence- 
ment du  traité  de  la  philosophie  occulte.  (Opéra,  tom.  I.  initio.) 


LA    VIE    ET    LES    OEUVRES    O'aGRIPPA  9 

croire  innocent  de  toute  imposture  et  de  tout  charla- 
tanisme. 

Pour  ce  qui  est  des  sciences  et  des  arts  occultes, 
dans  un  cadre  plus  étendu,  on  ne  peut  nier  qu'A- 
grippa n'en  ait  été  un  des  champions  décidés,  avant 
d'en  proclamer  l'inanité.   On  ne  saurait  dire  cepen- 
dant jusqu'à  quel  point  il  a  pu  jamais  y  croire.  Au 
moins  est-il  certain  qu'il  n'y  a  pas  toujours   cru  et 
que,   à  une  époque  où  il    n'y   croyait    assurément 
plus,  il  les  pratiquait  encore  et  feignait  parfois  d'a- 
voir dans  leur  autorité  une  confiance  qu'il  ne  leur 
accordait  nullement;  ce  qui  permet  de  douter  de  sa 
sincérité  en  ce  qui  les  concerne,  à  une   date  anté- 
rieure où  elle  serait  peut-être  plus  admissible.  Il  ne 
faut  néanmoins  pas  perdre  de  vue  que  tout  n'était 
pas  mensonge,  comme   nous  l'avons  dit,  dans  les 
sciences  et  les  arts  occultes;  que  le  vrai  y  était,  en 
une  certaine  mesure,  associé  au  faux;  et  qu'Agrippa 
a  pu,  pour  sauver  ce  qu'il  croyait  y  voir  de  vérité, 
accepter  et  propager  même  les  fictions  qui,  mêlées 
à  ces   éléments  plus  respectables,    leur  donnaient 
crédit  aux  yeux  des  hommes  de  son  temps,  en  flat- 
tant les    préjugés   auxquels    ils    étaient    attachés. 
Peut-être  est-il  allé  plus  loin  encore;  peut  être  a-t-il, 
à  l'origine  au  moins  des  études  et  des  travaux  qu'il 
a  consacrés  aux  sciences  et  aux  arts  occultes,  par- 
tagé, jusqu'à  un  certain  point,  la  crédulité  avec  la- 
quelle on  les  accueillait  généralement  alors.   Plus 
tard    seulement,    il  en   serait  venu   à   leur  refuser 
créance,  après  leur  en  avoir  accordé  d'abord. 

T.  I.  4 


10  CHAPITRE    PREMIER 

Sur  ces  questions  qui  sont  le  secret  d'Agrippa, 
nous  sommes  condamnés  à  rester  dans  le  doute, 
malgré  les  moyens  d'information  qu'on  peut  avoir, 
et  ils  sont  loin  de  faire  défaut,  pour  ce  qui  le 
concerne.  Agrippa  est,  en  effet,  un  personnage  sur 
lequel  les  renseignements  abondent.  11  a  écrit  des 
ouvrages  qui  ont  été  presque  tous  conservés  et 
publiés.  Il  a  laissé  en  outre,  sur  sa  vie  privée,  sur 
les  intérêts  et  les  sentiments  qui  l'ont  remplie,  des 
détails  instructifs  consignés  dans  une  correspon- 
dance étendue  qui  a  été  recueillie  et  qui  nous  a  été 
également  transmise.  Il  a  lui-même  donné  en  es- 
quisse un  abrégé  de  sa  vie  presque  tout  entière 
dans  quelques-unes  de  ses  lettres  et  surtout  dans 
deux  mémoires  adressés  sous  forme  de  supplique, 
l'un  en  1531  au  Conseil  de  Malines  (Ep.  VI,  22), 
l'autre  en  1532  à  la  reine  Marie,  gouvernante  des 
Pays-Bas  (Ep.  VII,  21)  ;  tableau  plein  d'intérêt,  bien 
qu'on  ne  doive  pas  l'accepter  sans  quelques  réser- 
ves, parce  que,  sur  plusieurs  points  essentiels,  il 
contient  bien  moins  la  vérité  même,  que  les  appa- 
rences sous  lesquelles  il  convenait  alors  à  Agrippa 
de  la  présenter  '.  Ajoutons  que  sa  biographie,  tou- 
chée dans   quelques-uns   de    ses   traits  par  divers 


1.  La  correspondance  d'Agrippa  contient  quelques  lettres 
moins  développées  ayant  évidemment,  à  ce  point  de  vue,  le 
même  caractère  que  celles  de  1531  au  conseil  de  Malines  et  de 
1532  à  la  reine  Marie;  la  lettre  do  1518  (1519,  n.  s.),  par  exem- 
ple, à  levèque  de  Cyrène  (Ep.  II,  ir>). 


LA    VIE    ET    LES    OEUVRES    d".\GRIPPA  II 

écrivains  du  siècle  où  il  a  vécu  ',  a  été  esquissée 
ultérieurement  par  Bayle  dans  son  grand  dictionnaire 
critique,  et  par  d'autres  encore  dans  des  ouvrages 
que  signale  OEttinger,  auteur  de  la  Bibliographie  bio- 
graphique universelle2.  Son  histoire  a  été  reprise  de  nos 
jours  par  M.  Guizot  et  par  M.  Hoefcr  dans  des  arti- 
cles composés  pour  les  collections  de  Michaud  et 
de  Didot,  par  M.  Franck  pour  le  Dictionnaire  des 
sciences  philosophiques  publié  sous  sa  direction.  Entin 
M.  A.  Daguet  et  M.  L.  Charvct  ont  donné  plus  ré- 
cemment encore  d'intéressantes  études  sur  des 
parties  spéciales  de  la  vie  d* Agrippa,  en  traitant  de 
son  séjour  de  quelques  années  à  Genève  et  à  Fri- 
bourg  (1521-1524)  \  Ces  divers  travaux  sont  fort 
instructifs  ;  cependant  ils  laissent  dans  l'ombre  bien 

1.  Nous  avons  mentionné  ces  écrivains  et  leurs  ouvrages 
dans  les  pages  qui  précèdent. 

2.  Ravius,  Dissertatio  de  H.  C.  Agrippée  eruditione  portenli, 
viia,  fatis  et  scriptis.  Witteb.,  1726,  8°.  —  Agripp.ru, iu  oder  II. 
G.  Agrippa' s  merkwiïrdiges  leben  und  sehriften.  s.  I.  1722.  8°. 
—  L'écrit  mentionii'''  par  GËttinger  avec  les  ouvrages  précé- 
dents, sous  le  titre,  Sommer  von  Sommersberg,  Dissertatio  de 
II.  C.  Agrippa.  Lipsise,  1717,  ne  concerne  pas  H.  C.  Agrippa, 
mais  Marcus  Vipsanius  Agrippa,  !e  gendre  d'Auguste,  l'époux 
de  la  trop  fameuse  Julie. Cet  ouvrage  est  une  dissertation  acadé- 
mique présentée  à  l'université  de  Leipsick,  sous  la  présidence 
de  Georg.  Clni-L.  Gebauer  à  qui  ottuinger  l'attribue  aussi 
par  inadvertance,  en  le  signalant  une  seconde  fois  à  sa  vraie 
place,  dans  son  article  consacré  .'i  Marcus  Vipsanius  Agrippa. 

3.  A.  Dagaet,  Agrippa  chez  les  Suisses.  1856.  —  L.  Charvet, 
Correspondance  d'Eustaehe  Chapuys  et  de  Henri  Cornélius 
Agrippa.  1874. 


1:2  CHAPITRE    PREMIER 

des  points  du  sujet  que  nous  nous  proposons  de 
traiter  en  consultant  les  documents  originaux  sur- 
tout, sans  trop  nous  préoccuper  pour  cette  raison 
d'autres  écrits  qui  peuvent  exister  encore  et  avoir 
échappé  à  notre  connaissance,  sur  le  même  objet l. 

Avant  d'entrer  dans  les  détails  de  cette  étude,  à 
laquelle  nous  voulons  conserver  la  forme  biogra- 
phique, nous  en  fixerons  brièvement  les  traits  es- 
sentiels et  les  grandes  lignes,  en  donnant  tout  d'a- 
bord quelques  indications  sur  l'esprit  et  sur  le 
caractère  d' Agrippa,  sur  les  principales  circons- 
tances de  sa  vie  et  sur  les  écrits  dépositaires  de  ses 
idées  et  de  ses  sentiments. 

Doué  d'une  intelligence  qui  paraît  avoir  été  supé- 
rieure à  son  caractère,  Agrippa  montre  un  esprit 
facile  et  plein  de  vivacité,  mais  mobile  à  l'excès. 
Sans  fermeté  sur  les  principes  et  très  peu  arrêté 
dans  ses  vues,  il  marche  à  l'aventure,  usant  volon- 
tiers de  charlatanisme  dans  son  langage  aussi  bien 
que  dans  sa  conduite.  Il  paraît  surtout  dominé,  pen- 
dant le  cours  de  son  existence,  par  une  inconstance 

1.  Nous  ne  pouvions  pas  cependant  négliger  volontairement 
le  secours  des  travaux  faits  par  d'autres  avant  nous  sur 
Agrippa;  nous  y  avons  recouru,  au  contraire,  autant  que  nous 
avons  pu  le  faire.  Mais,  sans  parler  de  ceux  qui  ne  sont  pas 
venus  à  notre  connaissance,  il  en  est  qu'il  ne  nous  a  pas  été 
possible  de  nous  procurer.  Tels  sont  les  deux  ouvrages  alle- 
mands cités  par  OEttinger,  et  un  ouvrage  publié  en  Angleterre 
qui  nous  a  été  signalé  tardivement  et  que  n'avons  pas  pu  non 
plus  consulter  :  H.  Morley,  The  life  of  IL  G.  Agrippa  von  Ncl- 
tesheim.  London,  1856,  2  vol. 


LA   VIE   ET    LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  13 

irrémédiable   qui  explique   la  direction  bizarre    et 
foncièrement  irrégulière   suivie   par  lui,    dans  une 
vie  décousue  et  accidentée  au  delà  de  ce  qu'on  peut 
imaginer.  Successivement  étudiant,  sans  qu'on  dis- 
cerne parfaitement  l'objet  de  ses  études  ;  quelque 
peu   soldat;   puis   à  certains  moments  professeur, 
jurisconsulte,  médecin;  amoureux  d'indépendance, 
et  cependant,  lorsque  son  intérêt  le  commande,  cour- 
tisan empressé  à  la   suite   des   grands,   autant  du 
moins  que  le  permettent  le  peu  de  fixité  de  sa  vo- 
lonté et  la  variabilité  de  sa  fantaisie,  il  était  voué 
d'avance  aux    situations   extrêmes,    dans   la  bonne 
ainsi  que  dans  la  mauvaise  fortune.  Il  a  connu  dans 
de  rares  instants  les  faveurs  de  l'une,  plus  souvent 
les  rigueurs  de  l'autre.  Sans  avoir  rempli  de  grands 
emplois  et  sans  avoir  joué  nulle  part  un  rôle  nota- 
ble, il  a  été  de  son  temps  un  personnage  générale- 
ment considéré,  en  raison  surtout  d'une   certaine 
réputation  de  savoir,  aujourd'hui  plus  facile  à  cons- 
tater qu'à  justifier,  quoiqu'on  ne  puisse  pas  lui  refu- 
ser absolument  toute  valeur.  Estimé  et  très  admiré 
par  les  uns,  redouté    et   détesté   par  les   autres, 
Agrippa  était  un  homme  qui  défiait,  à  ce  qu'il  sem- 
ble, l'indifférence,  et  qui  forçait  l'attention.  Au  phy- 
sique, ses  contemporains  nous  le  peignent  comme 
étant  de  petite  taille  et  doué  d'une  physionomie  ou- 
verte et  agréable  i. 

1.  Pour  ce  qui  regarde  le  portrait  physique  d'Agrippa,  nous 
renvoyons  à  une   note  qu'on  trouvera   dans  notre  appendice 


14  CHAPITRE    PREMIER 

Né  à  Cologne  en  i486,  Agrippa  y  fait  ses  premiè- 
res études  et  parait  ensuite  sur  les  bancs  de  l'uni- 
versité de  Paris.  Revenu  dans  sa  ville  natale,  vers 
1  âge  de  vingt  ans,  il  s'en  détache  presque  aussitôt, 
entraîné  pat?  le  goût  des  aventures  et  par  l'ambition 
d'arriver  à  la  fortune.  Il  part  en  1508  pour  l'Espagne 
où  il  sert  le  roi  d'Aragon;  mais,  incapable  de  sup- 
porter le  joug  d'un  emploi  régulier,  il  se  dérobe  à 
des  devoirs  dont  on  ne  connaît  pas  trop  au  reste  le 
caractère,  passe  en  Italie,  et  de  là  regagne  rapide- 
ment la  Provence,  Avignon,  Lyon,  puis  la  Bourgo- 
gne où  il  s'arrête  un  instant.  A  Dole,  il  s'essaie  pen- 
dant l'année  1309  au  rôle  de  lecteur,  c'est-à-dire  de 
professeur  dans  une  université;  mais  cette  situation 
ne  le  retient  pas  longtemps.  11  est  en  1510  à  Lon- 
dres,   où  semble  l'avoir   conduit  une    commission 
secrète  qu'il  indique  sans    donner    sur   son   objet 
aucune  explication;  et  dans  l'année  même,  il  revient 
à  Cologne  qu'il  ne  tarde  pas  à  quitter  encore  pour 
l'Italie.  Il   passe    en  divers  lieux  de  la  Lombardie 
sept  années  consécutives,  de  1511  à  1517.  Il  y  sert 
d'abord  l'empereur  Maximilien  dans  des  conditions 
difficiles  à  déterminer,  comme  petit   secrétaire  de 
camp,  dit  Naudé.  Il  paraît  ensuite  dans  des  chaires 
d'enseignement,  à  Pavie  notamment  et  à  Turin,  et 
joue  un  instant  le    rôle    do    théologien  au   concile 

(n°  XXX).  Cette  note  concerne  la  publication  d'un  de  ses 
ouvrages  auquel  on  a  joint,  de  son  vivant  même,  une  image 
de  ses  traits.  Nous  fournissons,  à  cette  occasion,  quelques 
renseignements  sur  les  portraits 'qu'on  a  de  lui. 


LÀ    VIE    ET    LES    OEUVRES    D'aGRIPPA  15 

indiqué  à  Pise  en  1511  et  transféré  ensuite  à  Milan. 
Un  peu  plus  tard  il  se  marie  vers  1515  à  Pavie,  où  il 
épouse  une  femme  du  pays  qui  lui  donne  alors 
un  fils. 

Après  quelques  années  passées  ainsi  dans  le  nord 
de  l'Italie,  au  milieu  des  troubles  et  des  désordres 
de  la  guerre,  Agrippa  quitte  cette  contrée  vers  la 
fin  de  1517  ou  au  commencement  de  4518,  au  mo- 
ment où  une  courte  période  de  paix  commençait 
pour  elle.  Il  passe  à  Ghambéry,  cherchant  un  emploi 
public ,  qu'une  certaine  réputation  d'homme  de 
science  et  d'affaires  lui  permettait  d'ambitionner. 
Il  accepte  alors,  à  titre  de  jurisconsulte,  les  proposi- 
tions de  la  cité  de  Metz  et  se  rend  dans  cette  ville, 
au  commencement  de  1518,  pour  y  prendre  l'office  de 
conseiller  stipendié  et  orateur,  sorte  d'emploi  en 
raison  duquel  il  était  chargé  de  certaines  affaires  con- 
tentieuses,  et  d'un  rôle  public  dans  les  négociations 
ainsi  que  dans  les  relations  de  l'État  avec  les  étran- 
gers. 

Agrippa  reste  à  Metz  environ  deux  années,  après 
lesquelles,  en  quittant  cette  ville,  il  se  retire  en 
1520  à  Cologne,  sa  patrie.  Il  ne  s'y  arrête  guère  et 
s'en  éloigne  au  bout  de  quelques  mois,  pour  se  ren- 
dre en  Suisse.  Il  perd  dans  ce  voyage  sa  première 
femme  qui  meurt  à  son  passage  à  Metz,  et  il  arrive 
bientôt  à  Genève  où  il  se  remarie  dans  l'année 
même,  en  1521.  Vers  cette  époque,  il  prend  l'état  de 
médecin.  C'est  en  cette  qualité  qu'il  se  fixe  d'abord 
à  Fribourg,  en  1523,  puis  l'année  suivante  à  Lyon, 


]f)  CHAPITRE    PREMIER 

où  il  est  attaché  à  la  personne  de  la  reine  Louise  de 
Savoie,  mère  du  roi  François  Ier.  Il  est  obligé  de  re- 
noncer à  cet  emploi  pour  des  causes  qui  ne  s'expli- 
quent pas  très  clairement,  mais  dont  une  part  re- 
vient, ce  semble,  à  des  relations  plus  ou  moins 
coupables  avec  le  connétable  de  Bourbon,  l'ennemi 
du  roi.  Agrippa  se  voit  réduit  par  cette  disgrâce  à 
une  situation  précaire  qui  se  prolonge  pendant  la 
plus  grande  partie  des  quatre  années  passées  par 
lui  à  Lyon  de  1524  à  1527,  C'est  le  plus  long  séjour 
qu'il  ait  jamais  fait  nulle  part.  Il  se  rend,  en  1528, 
dans  les  Pays-Bas,  où  il  pouvait  espérer  que  le  re- 
commanderaient les  services  rendus  autrefois  par 
lui  à  l'empereur  Maximilien  en  Italie.  Médecin  d'a- 
bord à  Anvers  en  1528,  il  renonce  ensuite  inopiné- 
ment à  la  médecine  et  obtient  un  office  impérial  à 
Malines  vers  1530.  Il  prend  dans  cette  dernière  ville 
une  troisième  femme,  peu  de  temps  après  avoir 
perdu  la  seconde,  morte  de  la  peste  à  Anvers.  Celle-ci 
lui  avait  donné,  pendant  les  huit  années  de  leur 
union,  six  enfants.  De  la  dernière,  qu'il  ne  tarde 
pas  à  répudier,  il  paraît  n'en  avoir  eu  aucun. 

A  ce  moment,  Agrippa  se  trouve  aux  prises  avec 
des  difficultés  de  deux  sortes.  Les  unes,  qui  n'é- 
taient pas  nouvelles  pour  lui,  consistent  dans  des 
embarras  d'argent  ;  il  est  poursuivi  et  même  empri- 
sonné, malgré  sa  qualité  d'officier  impérial,  par  des 
créanciers  auxquels  il  a  mille  peines  à  échap- 
per. Les  autres  lui  viennent  de  querelles  suscitées 
par  la  publication  de  ses  ouvrages,  imprimés  alors 


LA    VIE    ET    LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  17 

pour  la  première  fois,  quoique  composés  plus  ou 
moins  anciennement  déjà;  répandus  antérieurement 
par  la  copie,  mais  généralement  peu  connus.  Ses 
adversaires  acharnés,  dans  cette  lutte,  on  pourrait  dire 
ses  persécuteurs,  sont  les  théologiens  de  la  faculté 
de  Louvain,  qui  d'ailleurs  ne  trouvaient,  dans  ses 
écrits,  que  trop  de  sujets  de  l'atlaquer  et  de  le  pour- 
suivre. Agrippa  obtient  contre  eux  le  secours  de  pro- 
tecteurs puissants.  Il  a  pour  patrons  déclarés  le 
légat  du  pape,  l'évêque  de  Liège,  l'archevêque  de 
Cologne.  Ce  dernier  lui  offre  finalement  un  asile  au- 
près de  lui. 

Agrippa  se  réfugie  ainsi  en  1532  dans  les  domai- 
nes de  ce  prélat,  à  Bonn  qui  est  pendant  quelque 
temps  sa  principale  demeure.  Il  achève  alors,  non 
sans  de  nombreuses  difficultés,  la  publication  de 
ses  ouvrages.  C'est  à  Bonn  qu'il  répudie,  on  ne  sait 
pour  quelle  raison,  la  femme  qu'il  avait  épousée  en 
troisièmes  noces  àMalines.  En  1535,  des  motifs  res- 
tés inconnus  le  ramènent  en  France,  où  il  devait 
éprouver  de  nouvelles  traverses.  Il  avait  laissé  dans 
ce  pays,  est-il  dit,  des  ressentiments  et  des  haines. 
On  est,  du  reste,  très  mal  informé  de  ce  qui  le  con- 
cerne à  cette  époque,  sa  correspondance  qui  s'arrête 
en  1533  faisant  alors  complètement  défaut.  Il  paraît 
avoir  été  assez  misérable  dans  les  derniers  temps  de 
sa  vie.  Cependant,  après  s'être  vu  à  Lyon  jeter  un 
instant  en  prison,  par  ordre  du  roi  dit-on,  il  est  ac- 
cueilli ensuUe  et  traité,  paraît-il,  avec  une  certaine 
considération  à  Grenoble,  où  il  meurt  en  1535,  et  où 


18  CHAPITRE    PREMIER 

son  corps  reçoit  la  sépulture  dans  l'église  des  domi- 
nicains. 

Telle  est,  dans  ses  grandes  lignes  et  dans  ses  prin- 
cipaux traits,  la  vie  d'Agrippa.  Nous  y  reviendrons 
en  détail  pour  en  faire  connaître  les  particularités. 
Nous  emprunterons  pour  cela  nos  informations  aux 
ouvrages  de  cet  homme  singulier  et  aux  pièces  de 
sa  correspondance.  Il  convient  maintenant  de  don- 
ner une  idée  de  ce  que  sont  cei  documents. 

L'ensemble  des  œuvres  d'Agrippa  est  dominé  par 
deux  grands  ouvrages,  la  philosophie  occulte  et  le 
traité  de  l'incertitude  et  de  la  vanité  des  sciences;  le 
premier  remontant,  dans  sa  forme  originaire  au 
moins,àsajeunesse;le  second  appartenant  à  son  âge 
mûr. Voici  du  reste  la  suite  de  ses  écrits  rangés,  autant 
que  possible,  dans  l'ordre  où  ils  ont  été  composés. 
Plus  d'un  enseignement  peut  résulter  de  cette  simple 
énumération  qui  comprend  les  documents  suivants. 

Environ  deux  cent  cinquante  lettres  familières  et 
autres  adressées  à  divers  correspondants,  auxquel- 
les en  sont  jointes  deux  cents  à  peu  près  émanant 
de  ces  derniers,  de  l'année  1507  à  l'année  1533,  dis- 
tribuées en  sept  livres,  — Epistolarum  libri  septem  — 
(Opéra,  t.  II,  p.  681-1061  '). 

1.  L'édition  des  œuvres  d'Agrippa  citée  ici  et  dans  le  cou- 
rant de  la  présente  étude  est  celle  qui  a  été  donnée  à  Lyon, 
sans  date,  sous  le  nom  des  frères  Bering,  et  qui  forme  deux 
volumes  in-8°  imprimés  en  caractères  romains.  11  y  en  a  une 
autre  en  caractères  italiques,  au  nom  des  mômes  éditeurs. 
Voir  à  ce  sujet  une  note  de  l'appendice  (n°  XXXII). 


LA    VIE    ET    LES    ŒUVRES    d'AGRÏPPA  19 

Le  traité  de  la  philosophie  occulte,  —  De  occulta 
philosophai  libri  très,  —  ouvrage  commencé  dès  1509 
(Ep.  I,  23),  complété  à  diverses  reprises  par  des  ad- 
ditions et  qui  contient  probablement  le  résultat  des 
plus  anciens  travaux  d'Agrippa  (Opéra,  1. 1,  p.  1-404). 
Il  faut  distinguer  de  ces  trois  livres  de  la  philoso- 
phie occulte  un  quatrième  livre, —  De  ceremoniis  ma- 
yicis,  —  imprimé  après  sa  mort  pour  faire  suite  aux 
premiers  et  qui  est  considéré  comme  apocryphe 
(Opéra,  t.  I,  p.  426-454). 

Le  Traité  de  la  prééminence  du  sexe  féminin,  — 
De  nobilitate  et  prsecellentia  fœminei  sexus,  —  composé 
en  1509  à  Dole  par  Agrippa,  pour  attirer  sur  lui  la 
faveur  de  la  princesse  Marguerite  d'Autriche,  gou- 
vernante de  la  province,  «  Germania  inferior  et 
Burgundia  »,  mais  qui  ne  fut  en  réalité  offert  à  cette 
princesse  que  vingt  ans  plus  tard,  lorsque  Agrippa 
était  à  Anvers  (Opéra,  t.  II,  p.  518-542). 

L^Épître  dédicatoire  du  précédent  traité  à  Mar- 
guerite d'Autriche,  —  Divx  Marcjarctx  Augustx  Aus- 
triacorum  Buryundionum  que  principi  clemeutissimx 
epistola,  —  laquelle  semble  avoir  été  composée  en 
môme  temps  que  lui  en  1509  (Opéra,  t.  II,  p.  546- 
517). 

Une  plainte  contre  le  franciscain  Calilinet,  à  l'occa- 
sion des  accusations  de  ce  dernier  sur  l'exposition 
faite  par  Agrippa  du  livre  de  Reuchlin,  «  De  verbo 
mirifico  »,  —  Expostulatio  super  expositions  sua  in  li- 
brum  de  verbo  mirifico,  cum  Joanne  Catilineti  fratrvm 
Franciscanorum  per  Bwgundiam  provinciali  ministro, 


20  CHAPITRE   PREMIER 

sacr.  theol.  doctor.,  —  factum  écrit  en  1510  à  Londres, 
où  Agrippa  s'était  rendu  en  quittant  Dole,  après  avoir 
fait  l'année  précédente,  dans  cette  dernière  ville,  des 
leçons  publiques  sur  le  livre  de  Reuchlin  (Opéra, 
t.  II,  p.  508-512). 

De  petits  commentaires  sur  l'épître  de  saint  Paul 
aux  Romains,  —  Commentariola  in  epistolam  Pauli  ad 
Romanos,  —  ouvrage  commencé  en  1510  en  Angle- 
terre ;  poussé  jusqu'au  chapitre  vi  et  resté  inachevé, 
à  ce  qu'il  semble  ;  perdu  ensuite  en  Italie  dans  les 
désordres  qui  suivirent  la  bataille  de  Marignan  en 
1515  ;  et  retrouvé  plus  tard,  vers  1523,  par  Agrippa 
entre  les  mains  d'un  de  ses  anciens  élèves  (Ep.  III, 
40,  41,  42).  Cet  écrit  n'est  point  parvenu  jusqu'à 
nous  et  ne  nous  est  connu  que  par  ces  indications 
(Opéra,  t.  II,  p.  596  et  732). 

Des  thèses  théologiques,  —  Planta  théologien  qux 
quodlibeta  dicuntur,  —  déclamées  en  l'année  1510 
par  Agrippa  en  l'université  de  Cologne.  Ces  mor- 
ceaux ne  nous  sont  pas  non  plus  parvenus,  et  nous 
n'en  savons  que  ce  qui  en  est  dit  incidemment  par 
l'auteur  (Opéra,  t.  II,  p.  104  et  p.  596). 

Un  discours  sur  le  traité  d'Hermès  Trismégiste, 
de  la  puissance  et  de  la  sagesse  de  Dieu,  —  Oratio 
habita  Papise,  in  prselectione  Hermetis  Trismegisti,  de 
potestate  et  sapientia  Dei,  —  prononcé  en  1515  à  l'u- 
niversité de  Pavie,  en  présence  de  Jean  de  Gonza- 
gue,  marquis  de  Mantoue,  à  l'ouverture  de  leçons 
publiques  sur  le  «  Pimander  »  d'Hermès  Trismé- 
giste (Opéra,  t.  II,  p.  1073-1084). 


LA    VIE    ET    LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  21 

Un  discours  sur  une  explication  du  banquet  de 
Platon, —  Oratio  in  prxlectione  convivii  Platonis,  amoris 
laudem  continens,  —  prononcé  ou  au  moins  composé 
vers  Tannée  1515,  comme  introduction  à  des  leçons 
sur  ce  sujet,  dans  une  des  universités  du  nord  de 
l'Italie  (Opéra,  t.  II,  p.  1062-1073). 

Des  commentaires  ébauchés  sur  le  traité  de  la  phi- 
losophie occulte,  —  Commentaria  sed  adhuc  indigesta 
in  libros  nostros  de  philosophia  occulta,  —  ouvrage 
composé  vers  1515  et  perdu  en  Italie,  lors  du  pas- 
sage tumultueux  des  Suisses  à  Milan,  après  la  ba- 
taille de  Marignan.  On  ne  sait  de  cet  ouvrage  que  ce 
qui  en  est  dit  accidentellement  par  l'auteur  dans 
une  de  ses  lettres  (Ep.  II,  14). 

Un  dialogue  sur  l'homme,  image  de  Dieu,  — -  Dia- 
logus  de  homine,  Dei  imagine,  —  ouvrage  composé 
vraisemblablement  vers  1516  et  adressé  en  cette 
année  à  Guillaume  Paléologue,  marquis  de  Mont- 
ferrât,  vicaire  impérial  en  Italie ,  dont  Agrippa 
recherchait  la  faveur.  Nous  n'avons  de  ce  traité 
qui  est  perdu  que  son  Épître  dédicatoirc  (Opéra, 
t.  II,  p.  717). 

L'Epître  dédicatoire  de  l'ouvrage  précédent  au 
marquis  de  Montferrat,  —  Agrippa  ad  amicum  — 
(Ep.  I,  51). 

Un  traité  de  la  connaissance  de  Dieu,  —  Liber  de 
triplici  l'atione  cognoscendi  Deum,  —  dédié  en  1516, 
comme  le  dialogue  sur  l'homme,  au  marquis  de 
Montferrat  (Opéra,  t.  II,  p.  480-501). 

L'Epître  dédicatoire  du  traité  précédent  au  mar- 


22  CHAPITRE    PREMIER 

quis  de  Montferrat,  —  Illmo  excellmoque  sacri  Ro- 
mani imperii principi  ac  vicario,  Guilhelmo  Paheologo, 
marchioni  Montis-ferrati,  Domino  suo  beneficentissimo, 
Henricus  Cornélius  Agrippa  beatitudinem  perpétuant 
exoptat  —  (Ep.  I,  52). 

Des  Annotations  sur  le  traité  d'Hermès  Trismégiste, 
dit  le  «  Pimander  »,  —  Annotationes  super  Piman- 
drum  Trismegisti,  —  ouvrage  composé  vers  1516,  qui 
ne  nous  est  point  parvenu,  2t  qui  pourrait  bien  ne 
pas  avoir  été  terminé.  Nous  ne  le  connaissons  que 
par  une  brève  indication  que  nous  en  donne  incidem- 
ment l'auteur  dans  une  de  ses  lettres  (Ep.  I,  51). 

Un  volume  composé  en  l'honneur  du  duc  de 
Savoie,  — Orationis  tomus  in  laudem  ducis  Sabaudùe, — 
dont  nous  n'avons  qu'une  simple  mention  à  la  date 
de  1518  (Opéra,  t.  II,  p.  728). 

Un  discours  prononcé  à  Metz  devant  la  Seigneu- 
rie, en  prenant  possession  de  l'office  de  conseiller 
stipendié  et  orateur  de  la  Cité,  au  mois  de  février 
1518,  —  Oratio  ad  Metensium  Dominos  dum  in  illorum 
advocatum syndicum  et  oratorem  acceptaretur  — (Opéra, 
t.  II,  p.  1090-1092). 

Un  discours  au  conseil  de  Luxembourg  pour  la  Cité 
de  Metz,  —  Oratio  ad  Senatum  Lucemburg iorum  pro 
Dominis  suis  Metensibus  habita,  —  harangue  prononcée 
en  1518  ou  1519  à  propos  d'une  négociation,  dans  la- 
quelle Agrippa  figurait  comme  conseiller  stipendié  et 
orateur  de  la  ville  de  Metz  (Opéra,  t.  II,  p.  1092-1094). 

Un  discours  pour  la  réception  à  Metz  d'un  évo- 
que, —  Oratio  in  salutatione  eujtesdam  principes  et  épis- 


LA   VIE   ET    LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  23 

copi  pro  Metensibus  scripta,  —  harangue  composée 
en  1518  ou  1319  à  Metz  par  Agrippa,  en  raison  de 
ses  fonctions  de  conseiller  stipendié  et  orateur  de 
la  Cité  (Opéra,  t.  II,  p.  1094-1095). 

Un  discours  pour  la  réception  à  Metz  d'un  per- 
sonnage, —  Oratio  in  salutatione  cujusdam  magnifia 
viripro  Dominis  Metensibus  scripta,  —  harangue  d  ap- 
parat, analogue  à  la  précédente,  appartenant  à  la 
même  époque  et  qui  a  pu  comme  elle  être  pronon- 
cée par  Agrippa  au  nom  des  seigneurs  Messins  qu'il 
était  de  sa  charge  d'accompagner  dans  ces  occa- 
sions (Opéra,  t.  II,  p.  1095-109G). 

Le  traité  du  péché  originel,  —  De  original*  pec 
cato  disputabilis  opinionis  déclamât  io,  —  ouvrage  com- 
posé antérieurement  à  1519,  époque  où  Agrippa 
l'adresse  à  Théodoric,  évêque  de  Gyrène,  adminis- 
trateur spirituel  de  l'archevêché  de  Cologne  (Opéra, 
t.  II,  p.  553-564). 

L'ÉpUre  dédicatoire  du  précédent  traité,  du  péché 
originel,  à  l'évêque  de  Cyrône  en  1519,  —  Agrippa  ad 
anticunt  —  (Ep.  II,  17). 

L'antidote  contre  la  peste,  —  Contra  pestem  anti- 
data securissima  ad  dominum  Theodoricum  Cyrenensem 
Cohniemis  arehiprxmlatm  a  mffragiis,  in  sacris  admi- 
nistratorem,  —  petit  traité  dont  la  date  probable  res- 
sort du  rapprochement  qu'on  peut  l'aire  entre  lui 
et  deux  lettres  de  1518  (151!)  n.  s.)  ',   la  première 

1.  Nous  donnons,  dans  notre  appendice  (n°  XII),  une  note 
où  est  expliquée  la  date  de  ces  teltres  <  more  Meten9i  ». 


24  CHAPITRE    PREMIER 

écrite  de  Bedbar  dans  le  duché  de  Berg  sans  indica- 
tion de  jour,  par  laquelle  l'évêque  de  Gyrène  de- 
mande à  Agrippa  un  remède  contre  la  peste 
(Ep.  II,  18);  la  seconde  écrite  de  Metz  le  6  février 
par  Agrippa  au  même  personnage,  en  lui  envoyant, 
comme  réponse,  ce  petit  traité  (Ep.  II,  19),  (Opéra, 
t.  II,  p.  578-582). 

Deux  pièces  de  polémique  sur  la  question  de  la 
monogamie  de  sainte  Anne,  savoir  :  1°  la  position 
de  la  thèse,  —  De  beatissimas  Annse  monogamia  ac  unico 
puerperio  propositiones  abbreviatx   et  articulatx,  juxta 
disceptationem  Jacobi  Fabri  Stapulensis  in  libro  De  tribus 
et  una  —  (Opéra,  t.  II,  p.  588-593);  2°  la  discussion 
de  cette  thèse,  —  Defensio  propositionum  prxnarra- 
tarum  contra  quemdam  dominicastrum  illarum  impug- 
natorem,     qui   sanctissimam   deiparœ   virginis   matrem 
Annam  conatur  ostendere  polygamam  —  (Opéra,  t.  II, 
p.  594-663);  documents  relatifs  à  une  dispute  soutenue 
en  1519  à  Metz  par  Agrippa  contre  Claude   Salini, 
prieur  des  Dominicains,  laquelle  fut  une  des  causes 
du  départ  d' Agrippa  de  cette  ville  et  de  son  ressen- 
timent contre  elle.  Cet  écrit  a  été  dédié  en  1533  à 
Gantiuncula  par  Agrippa,  son  ami  (Ep.  VII,  35).  C'est 
cependant  avec  une  dédicace  à  un  autre,  au  méde- 
cin Jean  de  Pontigny  ou  de  Niedbruck,  qu'il  a  été 
ensuite  imprimé  et  publié  par  son  auteur,  en  1534 
(Opéra,  t.  II,  p.  583-586). 

Un  Discours  contre  la  théologie  païenne,  —  De- 
kortatio  gentilis  theologix,  —  composé  antérieurement 
à  1526,  date  de  son  envoi  à  Symphorien   Bullioud, 


LA    VIE    ET   LES    OEUVRES    D  AGRIPPA  _.) 

évêque   de   Bazas,    l'un  des   protecteurs   d' Agrippa 
à  la  cour  de  France  (Opéra,  t.  II,  p.  502-507). 

L'Épître  dédicatoire  du  précédent  opuscule  à  Yé- 
vêque  de  Bazas,  —  Reverendo  patri  ac  domino  D. 
Symphoriano  episcopo  Vasatensi,  Domino  suo  observan- 
dissimo,  H.  Cornélius  Agrippa  S.  D.  —  (Ep.  IV,  15). 

Le  Traité  du  sacrement  du  mariage,  —  De  sacra- 
mento  matrimonii  declamatio,  —  ouvrage  composé  à 
Lyon  avant  1526  et  dédié  en  cette  année  à  la  sœur 
de  François  Ier,  la  princesse  Marguerite,  connue 
alors  sous  le  titre  de  duchesse  d'Alençon,  laquelle 
devait  porter  par  la  suite  celui  plus  célèbre  de  reine 
do  Navarre  (Opéra,  t.  II,  p.  543-552). 

L'Epître  dédicatoire  du  précédent  traité  àja  prin- 
cesse Marguerite,  sous  la  date  de  1526,  —  Illustris~ 
simœ  principi  ac  dominx  D.  Marcjaretx,  e  christia- 
nissimorum  Francise  regum  sanguine,  Alenconix  ac 
Rituricensis  provinciarum  duci,  Armeniacorumque  co- 
miti  epistola  —  (Ep.  IV,  1). 

Le  Traité  de  l'incertitude  et  de  la  vanité  des  scien- 
ces, —  De  incertitudine  et  vanitate  scientiarum  atquear- 
tium  declamatio,  —  ouvrage  composé  à  Lyon,  ainsi 
que  sa  préface  à  ce  qu'il  semble,  en  1526  (Ep.  IV, 
44),  après  la  disgrâce  encourue  par  l'auteur  à  la 
cour  de  France  (Opéra,  t.  II,  p.  1-217). 

L'Epitrc  dédicatoire  du  traité  de  l'incertitude  et 
de  la  vanité  des  sciences,  à  Aug.  Fornari,  citoyen 
de  Gènes, —  Spectabili  viro domino  Augustino  Furnario 
civi  Genuensi  epistola  —  non  datée,  mais  écrite  au 
moment  môme,  dit  Agrippa,  où  il  venait  de  terminer 
t.  î.  fi 


26  CHAPITRE    PREMIER 

ce  traité,  offert  par  lui  à  l'homme  généreux  dont  il 
avait  reçu  à  Lyon  les  bienfaits,  dans  sa  détresse 
(Opéra,  t.  II,  initio). 

Un  Traité  des  feux  et  des  machines  de  guerre,  — 
Pyromachia,  —  composé  aussi  à  Lyon  en  1526,  au- 
jourd'hui perdu,  et  dont  il  est  souvent  question 
dans  les  lettres  de  cette  époque  (Ep.  IV,  44,  48,  49, 
54,  73  et  V,  5). 

Un  discours  pour  un  parent  d'Agrippa,  religieux 
de  l'ordre  des  Carmes,  bachelier  en  théologie,  à  l'oc- 
casion de  sa  réception  comme  professeur  à  Paris, 
—  Oratio  per  quemdam  affinera  suum  Carmelitanum 
sacrx  theologix  baccalaureum  formatum,  in  acccptione 
regentix  Pavisiis  habita,  —  composé  vraisemblable- 
ment à  la  fin  de  1527  ou  au  commencement  de  1528, 
lors  du  passage  d'Agrippa  à  Paris  (Opéra,  t.  II, 
p.  1096-1097J. 

Une  lettre  à  Maximil.  Transsylvanus,  conseiller 
de  l'empereur,  sur  le  traité  de  la  prééminence  du 
sexe  féminin,  —  Clarissimo  vivo  D.  Maximiliano  Trans- 
syloano  Caroli  V,  Csesaris  impemtorisque  a  consiliis, 
epislola,  —  datée  d'Anvers  le  16  avril  1529  (16  cal. 
Maii),  pour  lui  recommander  ce  traité  composé  vingt 
ans  auparavant  et  présenté,  en  1529  seulement,  à  la 
princesse  Marguerite  d'Autriche,  gouvernante  des 
Pays-Bas,  pour  qui  l'auteur  l'avait  écrit  primitive- 
ment (Opéra,  t.  II,  p.  513-515). 

L'histoire  du  couronnement  de  Charles-Quint  h 
Bologne,  —  De  duplici  coronatione  Csesaris  apud  Bo- 
noniam  historiola,  —  composée  vers  1530  par  Agrippa 


LA    VIE   ET    LES    OEUVRES    D'AGRIPPA  27 

en  sa  qualité  d'historiographe  de  l'empereur,  office 
dont  il  avait  été  récemment,  investi  à  cette  époque 
(Opéra,  t.  II,  p.  1121-1145). 

L'Epître  dédicatoire  de  l'histoire  du  couronnement 
de  Charles-Quint,  à  la  princesse  Marguerite  d'Au- 
triche, tante  de  l'empereur,  —  Ad  illustrissimam  prin- 
cipem  Austn'se  Margaretam  cpistola,  —  sans  date,  mais 
certainement  écrite  en  1330,  année  de  la  mort  de  la 
princesse  (Ep.  VI,  3). 

Deux  épigrammes  latines  sur  le  couronnement  de 
Charles-Quint,  —  In  triomphaient  Caroli  Cœsaris  coro- 

nationem  et  ad  Flamincm  Bononiam  epigrammata,  

composées  vraisemblablement  à  l'époque  de  cet  évé- 
nement en  1530  et  adressées,  l'une  à  l'empereur, 
l'autre  au  pape  Clément  VII  (Opéra,  t.  II,  p.  uio- 
1147). 

Un  mémoire  adressé  au  conseil  de  Malincs,  pour 
Jean  Thibault,  —  Ad  senatum  Cxsarewn  apud  Mcchli- 
niam  residuntem  attestatio,  —  daté  d'Anvers  en  1530  et 
dirigé  contre  le  corps  des  médecins  de  celte  ville 
qui  avaient  l'ait  interdire  l'exercice  de  la  médecine  à 
ce  Jean  Thibault,  dépourvu  de  titres  scientifiques 
en  règle  (Ep.  VI,  7). 

L'oraison  funèbre  do  la  princesse  Marguerite  d'Au- 
triche, gouvernante  des  Pays-Bas,  —  Oratio habita  in 
funere  divse  Margaretœ  Austriacorum  ci,  Burgundorum 
prïncipù  œterna  memoria  dtgnùstmdB,  —  composée 
pour  la  cérémonie  des  funérailles  do  cette  prin- 
cesse, tante  de  Charles-Quint,  morte  à  Malincs  le 
Ier  décembre  1830  (Opéra,  l.  1!,  p.  1098-1120). 


28  CHAPITRE   PREMIER 

L'Épître  dédicatoire  de  l'oraison  funèbre  de  la 
princesse  Marguerite,  à  Jean  Garondelet,  archevê- 
que de  Palerme,  président  du  conseil  privé  des 
Pays-Bas,  —  Reverendissimo  in  Christo  patri  ac  domino 
D.  Joanni  Carundeleto,  archiepiscopo  Panormitano,  pri- 
vait Cœsarei  consilii  per  inferiorem  Germaniam  atque 
Burgundiam  supremo  prœsidi,  H.  Cornélius  Agrippa, 
ejusdem  Cxsareœ  maj  estât  is  a  consiliis  et  archivis  indi- 
ciarius  S.  D.,  —  datée  de  Malines,  22  décembre  1530 
(Ep.  VI,  10). 

Un  discours  pour  Jean,  fils  du  roi  de  Danemark, 
à  l'empereur  Charles-Quint,  son  oncle,  —  Oratio 
pro  fdio  Christierni  serenissimi  Daniœ,  Norvegix,  et  Sue- 
ciœ  régis,  etc.,  habita  in  adventu  Cœsaris,  —  composé  à 
la  fin  de  1530  ou  au  commencement  de  1531,  pour 
être  prononcé  devant  l'empereur,  lors  de  son  arrivée 
dans  les  Pays-Bas,  après  la  mort  de  la  princesse 
Marguerite  d'Autriche,  sa  tante,  gouvernante  de  la 
province  (Opéra,  t.  II,  p.  1097-1098). 

La  préface  du  traité  de  la  philosophie  occulte,  — 
Àd  lectorem  operis  de  oculla  philosopkia,  —  pièce  non 
datée,  mais  composée,  y  est-il  dit,  à  l'occasion  de 
l'impression  de  ce  traité,  laquelle  fut  commencée 
vers  la  fin  de  1530  (Ep.  VI,  12,  et  Opéra,  t.  I,  initio). 

L'Epître  dédicatoire  du  traité  de  la  philosophie  oc- 
culte à  Hermann  de  Wyde,  archevêque  de  Cologne,  — 
Reverendissimo  in  Christo  patri  ac  principi  illustrissimo 
llcrmanno  e  comitibus  Vuydx  Dei  gratta  s.  Coloniensis 
ecclesix  archiepiscopo,  sacri  Romani Imperii principi elec- 
toriet  per  ltaliam  archicancellario,  Westphaliae  et  Anga- 


LA    VIE   ET    LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  20 

rix  duci,  etc.,  sacrosanctx  Romanx  Ecclesix  legato  nato 
et  in  pontifcalibus  vicario  gênerait  epistola,  —  datée  de 
Malines,  janvier  1531,  et  imprimée  en  tête  du  livre 
premier  du  traité,  publié  cette  année  môme  à  An- 
vers et  à  Paris  simultanément  (Ep.  VI,  13). 

L'histoire  de  l'expédition  du  duc  de  Bourbon  en 
Italie,  —  Gallici  belli  pro  Cxsare  in  Italia  per  Borbo- 
nium  gesti  historia,  —  travail  resté  probablement 
inachevé,  qu'Agrippa  avait  entrepris  vers  1531,  en 
raison  de  son  office  d'historiographe  de  l'empereur, 
et  dont  rien  ne  nous  est  parvenu  qu'une  simple 
mention  dans  un  autre  écrit  de  son  auteur  (Opéra, 
t.  II,  p.  1024). 

Des  travaux  du  même  temps  sur  la  guerre  contre 
les  Turcs,  —  Turcix  expeditionis  indicia,  —  travaux 
qui  semblent  s'être  bornés  à  la  recherche  des  docu- 
ments relatifs  à  cet  objet.  Agrippa  en  parle  en  1532, 
comme  de  l'histoire  de  l'expédition  du  duc  de  Bour- 
bon; il  ne  nous  en  est  non  plus  rien  resté,  et  nous 
n'en  savons  que  ce  qui  résulte  de  cette  indication 
(Opéra,  t.  II,  p.  1024). 

Une  première  supplique  au  conseil  privé,  —  Ad 
Cxsarex  majestatis  privatum  consilium  supplicatio,  • — 
requête  datée  de  Bruxelles,  1531,  par  laquelle  Agrippa 
réclame  le  paiement  de  sa  pension  (Ep.  VI,  21). 

Une  seconde  supplique  au  conseil  privé,  —  Alia 
ad  idem  consilium  supplicatio,  —  requête  pour  le  même 
objet,  plus  étendue  et  plus  pressante  que  la  pre- 
mière, et  datée  également  de  Bruxelles,  1531  (Ep.  VI, 
22). 


30  CHAPITRE   PREMIER 

Une  première  supplique  à  ses  juges,  —  Agrippa 
ad  judices,  —  requête  datée  de  Bruxelles,  1531,  à 
propos  de  la  menace  faite  à  Agrippa  do  la  part 
d'un  de  ses  créanciers  de  le  faire  mettre  en  prison 
(Ep.  VI,  25). 

Une  seconde  supplique  à  ses  juges,  —  Agrippse 
protest atio  judiciaria,  —  mémoire  daté  également  de 
Bruxelles,  1531,  contre  les  prétentions  d'Alexius 
Falco,  son  créancier  (Ep.  VI,  2P). 

Une  requête  à  l'empereur,  —  Agrippa  ad  Cœsa- 
rem, —  sous  la  même  date  de  Bruxelles,  1531,  et 
pour  le  même  objet  (Ep.  VI,  27). 

L'apologie  adressée  au  parlement  de  Malines 
contre  les  injustes  accusations  des  théologiens  de 
Louvain  touchant  le  traité  de  l'incertitude  et  de  la 
vanité  des  sciences,  —  Apologia  adversus  calumnias 
propter  declamationem  de  vanitate  scientiarum  et  excel- 
lentia  verbi  Dei,  sibi  per  aliquos  Lovanienses  theologis- 
tas  intentatas,  —  factum  rédigé  par  Agrippa,  du  15  dé- 
cembre 1531  au  1er  février  1532,  dans  la  maison 
même  du  cardinal  Campegi,  légat  du  saint-siège  en 
Germanie,  son  protecteur,  à  qui  l'écrit  a  été  dédié 
par  l'auteur,  lors  de  son  impression  (1532-1533).  Ce 
document  comprend  :  1°  une  préface  (Opéra,  t.  II, 
p.  257-2G2)  ;  2°  une  lettre  au  parlement  de  Malines 
pour  obtenir  communication  des  articles  formulés 
par  ses  accusateurs, —  Clarissimis  viris  domino  prœsidi 
et  senatoribus  Csesarei  parlamenti  apud  Mechliniam,  — 
non  datée,  mais  écrite  vraisemblablement  vers  la 
fin  de  l'année  1531  (Opéra,  t.  II,  p.  263)  ;  3°  les  arti- 


LA    VIE   ET    LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  31 

cles  en  question,  —  Articuli  Lovaniensium  autentico 
transumpto  sed  absque  ullo  interposito  senatus  décréta 
transmissi,  —  (Opéra,  t.  II,  p.  264-272);  4°  l'apologie 
elle-même,  —  Responsio  Corneliï  Agrippas  ad  prœnar* 
ratos  articulas  —  (Opéra,  t.  II,  p.  273-330). 

Une  plainte  sur  l'injuste  accusation  portée  devant 
l'empereur  par  certains  misérables  délateurs  au  su- 
jet de  la  publication  du  traité  de  l'incertitude  et  de 
la  vanité  des  sciences,  —  Querela  super  calumnia  ob 
editam  declamationem  de  vanitate  scientiarum  atque 
excetlentia  verbi  Dei,  sibi  per  aliquos  sceleratissimos  sy- 
cophantas  apud  Cxsaream  majestatem  nefarie  ac  pro- 
ditorie  intentata,  —  factum  non  daté,  composé  vrai- 
semblablement vers  le  même  temps  que  l'apologie 
(1531-1532)  et  adressé  par  Agrippa  à  son  ami  Eusta- 
che  Ghapuys,  envoyé  de  l'empereur  auprès  du  roi 
d'Angleterre  (Opéra,  t.  II,  p.  437-459). 

Une  épigrammo  latine  à  l'empereur  au  sujet  des 
attaques  dirigées  par  les  théologiens  contre  le 
traité  de  l'incertitude  et  de  la  vanité  des  sciences,  — 
Epigramma  ad  Cxsarem,  —  composée  selon  toute 
apparence  vers  1531-1532,  en  même  temps  à  peu 
près  que  l'apologie  et  la  plainte  (Opéra,  t.  II,  p.  251). 

L'Épitre  dédicatoire  do  l'apologie  contre  les  accu- 
sations des  théologiens  do  Louvain  au  cardinal 
Campegi,  —  Reverendissimo  in  Çhristo  pat  ri  generoso 
domino  D.  Laurentio  Campego  tituli  S.  Marias  tram 
Tyberim  presbytero  cardinali,  sanetx  Romatiae  sedis  per 
Qermaniam  nuper  a  latere  legato,  Domino  etpatrono  tuo 
semper  observandiss/mo  rpisto/a.  —  écrite  dans  le  cou- 


32  CHAPITRE    PREMIER 

rant  de  1532,  dix  mois  et  au-delà,  dit  Agrippa, 
après  la  rédactioR  de  l'apologie  cr  questioR,  et 
lorsqu'il  se  mit,  cette  aRRée  même,  eR  mesure  de 
publier  ce  factum;  lequel,  par  suite  de  quelques 
difficultés,  ue  parut  qu'eu  1533  (Opéra,  t.  II,  p.  252, 
et  p.  1011,1.  20). 

Ur  mémoire  adressé  à  la  reiue  Marie,  gouver- 
uaRte  des  Pays-Bas,  —  Serenissimse  principi  Marise, 
Hungarise  et  Bohemix  reginx  ac  inferioris  Gallo-Germa- 
niseproregi  epistola,  —  sorte  de  supplique  saus  date, 
rédigée  à  Borr,  vers  1532  ou  1533,  par  Agrippa 
pour  exposer  sa  couduite  avec  ses  réclamatious 
contre  la  disgrâce  où  il  était  tombé,  et  adressée 
par  lui  à  la  reine  Marie  qui  avait  succédé  à  sa  taute, 
Marguerite  d'Autriche,  dans  le  gouvernement  des 
Pays-Bas.  Ce  document  renferme  une  autobiographie 
d'Agrippa,  curieuse  à  consulter  malgré  certaines 
inexactitudes  volontaires  sur  bien  des  particula- 
rités, et  à  laquelle  les  historiens  ont  eu  générale- 
ment le  tort  de  s'en  rapporter  avec  une  confiance 
qu'elle  ne  mérite  que  sous  d'expresses  réserves 
(Ep.  VII,  21). 

Une  diatribe  contre  les  frères  prêcheurs,  —  Liber 
de  fratrum  prxdicatonim  sceleribus  et  haeresibus,  — 
ouvrage  dont  il  est  parlé  par  Agrippa,  au  mois  de 
janvier  1533,  à  propos  de  ce  qu'il  compte,  dit-il,  y 
mettre,  et  qui  pourrait  bien  être  resté  à  l'état  de 
projet  ou  tout  au  plus  d'esquisse.  Il  ne  nous  est,  en 
tout  cas,  rien  parvenu  de  cet  écrit,  et  on  ne  le 
connaît   que  par  la   mention  qu'en   fait  son  auteur 


LA   VIE   ET   LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  33 

dans  les  termes  que  nous  venons  d'indiquer  (Opéra, 
t.  II,  p.  1037).  Peut-être  y  aurait-il  lieu  de  rappro- 
cher des  renseignements  relatifs  à  cette  diatribe 
une  autre  indication  fournie  ailleurs  sur  Agrippa  et 
mentionnant,  à  ce  qu'il  semble,  un  écrit  où  il  aurait 
traité  des  désordres  du  clergé. 

Les  Épîtres  dédicatoires  des  livres  II  et  III  de  la 
philosophie  occulte,  à  Hermann  de  Wyde,  archevê- 
que de  Cologne,  —  Amplissimo  domino  principi  illus- 
trissimo  Hermanno  ab  Vuyda,  principi  electori,  West- 
plialix  et  Angariie  duci, domino  et  archiprsesuli  Coloniensi 
et  Paderbornensi,  Domino  suo  gratiosissimo,  Henricus 
Cornélius  Agrippa  ab  Nettesheym  S.  P. ,  —  sans 
date,  rédigées  en  1532  ou  1533,  à  l'occasion  de  la 
publication  de  ces  deux  livres  de  la  philosophie 
occulte  imprimés  à  Cologne  pour  la  première  fois 
en  cette  dernière  année  (Opéra,  1. 1,  p.  119  et  p.  250). 

Un  mémoire  adressé  aux  magistrats  de  Cologne 
contre  l'inquisiteur  et  les  docteurs  de  l'université  de 
cette  ville,  —  Clarissimis  viris  urbis  Agrippinx  Iioma- 
norumque  colonise  senatoribus  et  consultons  epistola, 
—  daté  de  Bonn,  11  janvier  1533,  et  rédigé  par 
Agrippa  pour  se  purger  des  accusations  portées 
contre  lui  à  propos  de  son  livre  de  la  philosophie 
occulte,  et  pour  en  appeler  des  oppositions  mises 
en  même  temps  à  l'impression  de  cet  ouvrage,  qui 
venait  d'être  commencée  à  Cologne  (Ep.  VII,  20). 

Une  préface  pour  les  œuvres  de  Godoschalcus 
Moncordius,  —  Prxfatio  in  opn*<-iil<t  Godoschalci  Mon- 
cordn,  —  petit  travail  daté  de  153.3,  destiné  a  recom- 


34  CHAPITRE    PREMIER 

mander  au  public  les  œuvres  pieuses  d'un  religieux 
cistercien,  publiées  à  Nuremberg  (Ep.  VII,  37). 

Une  Épître  dédicaloire  à  Cantiimcula  pour  les  piè- 
ces de  polémique  sur  la  question  de  la  monogamie 
de  sainte  Anne,  —  Cantiunculœ  jurisconsulte)  epistola, 
—  datée  de  1533,  et  malgré  laquelle  l'ouvrage  im- 
primé l'année  suivante  a  paru  avec  une  dédicace  au 
nom  de  Jean  de  Pontigny  ou  de  Niedbruck,  (Ep. 
VII,  35). 

L'Épître  dédicatoire  à  Jean  de  Pontigny  ou  à 
Niedbruck  pour  les  pièces  de  polémique  sur  la  ques- 
tion de  la  monogamie  de  sainte  Anne,  —  Spectabili 
viro  domino  Joanni  Nidepontano  illustrissimi  Lotharin- 
gorum  ducis  atque  civitatis  Metensis  physico  et  consiliario 
epistola,  —  datée  de  Bonn,  1534,  et  imprimée  cette 
année  même  en  tête  de  la  première  édition  de  ces 
écrits,  malgré  la  dédicace  à  Gantiuncula,  rédigée  pour 
les  mêmes  ouvrages  l'année  précédente  (Opéra,  t.  II, 
p.  583-586). 

Une  préface  pour  les  pièces  de  polémique  sur  la 
question  de  la  monogamie  de  sainte  Anne,  —  Prse- 
fatio  ad  lectorem  in  disputationem  suam  de  D.  Annœ 
monogamia,  —  non  datée,  mais  très  vraisemblable- 
ment composée  en  1534,  à  l'occasion  de  l'impres- 
sion des  documents  qu'elle  concerne  (Ep.  VII,  36,  et 
Opéra,  t.  II,  p.  587). 

A  l'énumération  précédente  des  écrits  d'Agrippa 
auxquels  on  peut  attacher  une  date  précise  ou  au 
moins  approximative,  il  faut  joindre  celle  de  quel- 
ques pièces,  les  unes  parvenues  jusqu'à  nous ,  les 


LA    VIE   ET   LES  .OEUVRES    d'aGRIPPA  35 

autres  maintenant  perdues,  auxquelles  il  ne  nous  est 
possible  d'assigner  aucune  date. 

Le  Traité  de  géomantie,  —  H.  Cornelii  Agrippae  in 
geomanticam  disciplinant  lectuva,  —  ouvrage  composé 
on  ne  sait  dans  quelles  circonstances,  dont  on  n'a 
pas  d'édition  spéciale,  et  qui  semble  avoir  été  im- 
primé pour  la  première  fois,  après  la  mort  d'Agrippa, 
dans  la  collection  de  ses  œuvres  (Opéra,  t.  1, 
p.  405-425). 

Les  Commentaires  sur  l'«  Ars  brevis  »  de  Haimond 
Lulle,  —  In  Artem  brevem  Raimundi  Lullii  commenta- 
ria^  —  ouvrage  imprimé  pour  la  première  fois  à  Co- 
logne en  1531,  mais  composé  vraisemblablement 
longtemps  auparavant,  peut-être  même  dès  la  jeu- 
nesse de  l'auteur;  comme  on  peut  l'inférer  de  sa  dé- 
dicace à  Jean  de  Laurencin,  commandeur  de  Saint- 
Antoine  de  Riverie,  personnage  avec  lequel  Agrippa 
s'est  trouvé  en  relation  vers  la  fin  de  son  séjour  en 
Italie,  en  1517.  Il  dit,  en  lui  adressant  cette  œuvre, 
qu'elle  était  déjà  terminée  depuis  longtemps,  quand 
il  a  rencontré  ce  nouvel  ami  et  résolu  de  la  lui  dé- 
dier (Opéra,  t.  II,  p.  334-436)  < 

L'Épîtrc  dédicatoire  des  Commentaires  sur  l'a  Ars 
brevis»  à  Jean  de  Laurencin,  commandeur  de  Saint- 
Antoine  de  Riverie,  —  Reverêndo parité?  atque  generoso 
domino  D.  Joanni  Laurentino  Lugdunênsi,  prœceptori 
primario  divi  Antonii  apud  Ritium  Ëversum,  provincix 
Ped&montium,  epistola,  — pièce  non  datée  pouvant  se 
rapporter  al  année  1517  ù  peu  près,  époque  probable 
de  la  première  rencontre,  qui  s'y  trouve  rappelée, 


3G  CHAPITRE    PREMIER 

d'Agrippa  et  du  commandeur  de  Saint-Antoine  de 
Riverie  (Opéra,  t.  II,  p.  331-333). 

La  table  abrégée  des  commentaires  sur  l'«  Ars 
brevis  »  de  Raimond  Lulle,  —  Tabula  abbreviata  com- 
mentariorum  Artis  inventivse,  —  ouvrage  non  daté  qui, 
d'après  quelques  mots  de  sa  dédicace  au  chanoine 
Adolphe  Roboreus,  paraît  avoir  été  composé  assez 
longtemps  après  les  commentaires  en  question,  et 
qui  pourrait  bien  avoir  été  publié  avec  ces  commen- 
taires dès  1531  (Opéra,  t.  II,  p.  461-479). 

L'Épître  dédicatoire  de  la  table  abrégée  des  com- 
mentaires sur  l'«  Ars  brevis  »  à  Adolphe  Roboreus, 
chanoine  de  Sainte-Marie  ad  gradus  de  Cologne,  — 
Ornatissimo  viro  legum  doctori  Adolpho  Iioboreo  Agrip- 
pinensi,  canonico  S.  Marise  virginis  ad  gradus  epistola, — 
non  datée,  qui  peut  être  du  même  temps  que  la 
table  qu'elle  concerne  (Opéra,  t.  II,  p.  460). 

Des  Thèses  théologiques,  —  Planta  qux dam  theolo- 
gica,  —  compositions  qui  ne  nous  sont  point  parve- 
nues et  sur  le  caractère  desquelles  on  n'est  même 
pas  fixé.  Elles  sont  mentionnées  par  Agrippa,  sans 
aucun  détail,  dans  la  discussion  de  sa  thèse  sur  la 
monogamie  de  sainte  Anne  en  1519,  et  semblent 
d'ailleurs  être  tout  autre  chose  que  les  thèses  quod- 
libétales  soutenues  par  lui  à  l'université  de  Colo- 
gne, en  1510,  dont  il  parle  également  au  même 
endroit  (Opéra,  t.  II,  p.  596.) 

Un  traité  de  l'exploitation  des  mines,  —  Demineris 
specialis  liber,  —  ouvrage,  aujourd'hui  perdu,  qu'A- 
grippa disait  avoir  entre  les  mains,  à  l'époque  où  il 


LA   VIE    ET    LES    OEUVRES    d'au  KIPPA  37 

écrivait  son  Traité  de  l'incertitude  et  de  la  vanité  des 
sciences,  en  1526.  Il  l'auraitcomposé,  ajoute-t-il  alors, 
quelques  années  auparavant,  lorsqu'il  était  préposé 
par  l'empereur  à  l'exploitation  de  certaines  mines  ; 
circonstance  de  sa  vie  dont  nous  ne  savons  absolu- 
ment rien  que  le  peu  qui  en  est  dit  ainsi  {De  vanitate, 
ch.  xxix.  Opéra,  t.  II,  p.  52). 

Une   histoire   de  la  royauté   dans  le  monde,  — 
Regnorum  omnium  initia...  ampliore  volumine  descripta, 

—  ouvrage  également  perdu  dont  on  ne  sait  rien 
que  par  une  mention  qu'en  fait  l'auteur  dans  son 
Traité  de  l'incertitude  et  de  la  vanité  des  sciences; 
d'où  l'on  peut  inférer  seulement  qu'il  a  été,  comme  le 
précédent,  écrit  avant  1526,  date  de  la  composition 
du  traité  où  il  est  parlé  de  l'un  et  de  l'autre  (De  va- 
nitate, ch.  lxxx.  Opéra,  t.  II,  p.  177). 

Un  Discours  sur  la  vie  monastique,  —  Sermo  devita 
monastica  per  venerabilem  abbatem  in  Browiler  habitas, 

—  composé  par  Agrippa  pour  un  abbé  de  Brauwci- 
lcr,  nous  ne  savons  à  quelle  occasion,  ni  dans  quel 
temps  (Opéra,  t.  II,  p.  565-572). 

Un  discours  sur  l'invention  des  reliques  de  saint 
Antoine  ermite,  —  Sermo  de  inventione  reliquiarum 
beati  Antonii  heremitae,  pro  quodam  venerabili  cjus 
ordinis  religioso,  —  composé  par  Agrippa  pour  un  rc- 
ligieuxde  l'ordre  de  Saint-Antoine,  dans  des  circons- 
tances et  à  une  époque  qui  nous  sont  inconnues 
(Opéra,  t.  Il,  p.  57:5-577). 

Un  discours  sur  la  justice  et  le  droit,  —  Oratio  pro 
quodam  doctorando,  —  composé  on  ne  sait  à  quelle 


38  CHAPITRE   PREMIER 

époque,  pour  un  docteur  prenant  possession  d'une 
chaire  d'enseignement  du  droit  (Opéra,  t.  II, 
p.  1081-1090). 

Des  Epigrammes,  — In  personam  Caroli  Cxsaris,  — 
In  imaginent  Caroli  equo  insidentis,  —  In  personam  Mer- 
curini  olim  Cxsaris  cancellarii,  —  In  emblema  nobilis 
domini  Rosebaldii,  —  In  idem, — Epigrammata, —  pièces 
de  vers  composées  par  Agrippa  en  diverses  circons- 
tances, a  des  dates  qui  nous  sont  inconnues  (Opéra, 
t.  II,  p.  1147-1148). 

Le  tableau  chronologique  des  ouvrages  d'Agrippa 
tel  que  nous  venons  de  le  présenter  permet  de  se 
l'aire  une  idée  du  mouvement  do  son  esprit.  Presque 
tous  ces  écrits  ont  été  publiés.  Nous  avons  signalé, 
en  les  énumérant,  ceux  d'entre  eux  qui  ne  l'ont  pas 
été  et  qui  ne  nous  sont  point  parvenus.  Quant  à  ceux 
que  nous  possédons,  ils  se  trouvent  réunis  dans  la 
collection  des  œuvres  do  l'auteur  publiée  à  Lyon. 
Mais,  avant  de  faire  partie  de  cette  publication  d'en- 
semble qui  parait  n'avoir  eu  lieu  qu'assez  longtemps 
après  la  mort  d'Agrippa,  la  plupart  avaient  été,  de 
son  vivant,  l'objet  de  publications  spéciales  dirigées 
par  lui  '. 

1.  Les  seuls  écrits  d'Agrippa  venus  jusqu'à  nous,  dont  nous 
ne  connaissions  pas  d'édition  particulière  laite  de  son  vivant, 
sont  le  Traité  de  la  géomantie  imprimé  à  la  suite  de  la  philo- 
sophie occulte  dans  les  œuvres  (t.  I,  p.  405-425);  et,  dans  la 
même  collection  (t.  II,  p.  671-1061),  la  Correspondance  jusque-là 
inédite,  à  l'exception  de  quarante  et  une  lettres  seulement  : 
treize,  imprimées  en  1532  avec  une  seconde  édition  des  petits 


LA   VIE    ET    LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  39 

Ces  publications  commencent  en  1529,  par  un  vo- 
lume imprimé  à  Anvers,  en  tête  duquel  se  trouve  le 
traité  de  la  prééminence  du  sexe  féminin  composé 
en  1509,  à  Dole,  pour  Marguerite  d'Autriche,  gouver- 
nante de  la  province,  et  présenté  à  cette  princesse 
vingt  ans  plus  tard  seulement,  lorsque  Agrippa  vint 
habiter  les  Pays-Bas  (Ep.  VI,  8).  A  la  suite  de  ce 
petit  traité,  le  môme  volume  contient  le  factum  écrit 
en  1510  contre  le  franciscain  Gatilinet  qui  avait  atta- 
qué Agrippa  l'année  précédente,  à  propos  de  l'expo- 
sition faite  par  lui,  à  Dole,  du  traité  de  Reuchlin 
De  verbo  mirifico.  Viennent  ensuite  dans  le  volume  le 
traité  du  sacrement  du  mariage,  composé  à  Lyon  vers 
1526  et  dédié  alors  à  la  princesse  Marguerite,  sœur 
de  François  Ier;  puis  le  traité  de  la  connaissance  do 
Dieu,  offert  en  1516  à  Guillaume  Paléologuc,  marquis 
de  Montfcrrat  ;  le  discours  contre  l'abus  de  la  théo- 
logie païenne,  adressé  de  Lyon  en  1526  à  l'évoque  de 
Bazas,  dont  Agrippa  cherchait  alors  à  réchauffer  le 
zêle  en  sa  faveur;  le  traité  du  péché  originel  et  l'an- 
tidote contre  la  peste,  envoyés  de  Metz  en  1519  à  l'é- 
voque de  Cyrcne,  administrateur  spirituel  de  l'arche- 
vêché de  Cologne.  Le  volume  où  sont  réunis  ces 
divers  écrits  estunin-octavoqui  porte  la  date  de  1529, 
et  qu'Agrippa  dit  être  depuis  longtemps  déjà  en  cir- 
culation, en  le  mentionnant  dans  une  lettre  du  mois 


traités,  et  vingt-huit  unir.:-;,  publiées  en  1534 à  la  fin  d'un  vo- 
lume consacré  aux  pièces  de  la  polémique  pour  la  monogamie 
de  sainte  Anne. 


40  CHAPITRE    PREMIER 

de  décembre  1530  (Ep.  VI,  8).  C'est  le  plus  ancien 
volume  imprimé  que  l'on  connaisse  des  ouvrages 
d'Agrippa. 

En  l'année  1530,  parait  à  Anvers  également  l'his- 
toire du  couronnement  de  l'empereur  Charles-Quint 
à  Bologne,  que  l'auteur  venait  de  composer  pour 
inaugurer,  en  quelque  sorte,  ses  nouvelles  fonctions 
d'historiographe  impérial. 

Agrippa  préludait  ainsi  à  une  publication  plus  im- 
portante, celle  de  ses  grands  traités,  pour  laquelle 
il  obtient,  au  mois  de  janvier  4530,  un  privilège  de 
l'empereur  '.  Ce  privilège  était  donné,  à  la  demande 
de  l'auteur,  pour  six  ans  et  valable  pour  quatre 
ouvrages  écrits  en  latin,  intitulés  :  De  occulta philoso- 
phia  ;  De  incertitudine  et  vanitate  scientiarum  atque  or~ 
tium  declamatio ;  In  Artem  brevem  Raimundi  Lullu  com- 
mentaria  et  Tabula  abbreviata  ;  Quxdam  orationes  et 
epistolas.  Ce  que  Agrippa  se  proposait  de  publier 
surtout,  c'étaient  ses  deux  grands  ouvrages  de  la 
philosophie  occulte  et  de  l'incertitude  et  de  la  vanité 


1.  Ce  privilège,  donné  à  Malines,  est  rédigé  en  français,  lan- 
gue de  la  cour  de  Brabant  ;  il  porte  la  date  du  12  janvier  1529, 
l'an  Xt  du  règne  de  Charles-Quint  comme  roi  des  Romains, 
l'an  XIII  de  son  règne  en  Castille,  etc.  L'élection  de  Charles- 
Quint  comme  roi  des  Romains  étant  du  28  juin  1519,  l'an  XI  à 
partir  de  cette  date  commence  le  28  juin  1529.  Le  12  janvier 
de  cette  onzième  année  est  donc  le  12  janvier  suivant,  1529 
ancien  style,  1530  nouveau  style,  ce  qui  montre  que  la  date  du 
privilège  est  bien  le  22  janvier  1530,  suivant  la  manière  de 
compter  d'aujourd'hui. 


LA   VIE    ET    LES    OEUVRES    D* AGRIPPA  41 

des  sciences,  composés  le  premier,  en  grande  partie, 
clans  sa  jeunesse  et  dès  l'an  1509,  le  second  à  Lyon 
pendant  sa  détresse,  en  1526.  Il  pensait  aussi  à  don- 
ner avec  eux  les  commentaires  sur  1'  «  Ars  brevis  »  de 
Raimond  Lulle,  écrits  depuis  longtemps  déjà,  disait 
l'auteur,  quand  il  les  dédiait  en  1517  à  Jean  de  Lau- 
rcncin,  commandeur  de  Saint-Antoine  de  Riverie; 
plus  une  table  de  ces  commentaires  «  Tabula  abbre- 
viata  commentariorum  »;  et  enfin  des  discours  et  sa 
correspondance  I. 

Agrippa  commence  ces  grandes  publications  par 
celle  du  traité  de  l'incertitude  et  de  la  vanité  des 
sciences  qui  paraît  à  Anvers  ,  imprimé  par  Jean 
Graphe,  au  mois  de  septembre  1530.  Aussitôt  après, 
est  livré  à  l'impression  le  traité  de  la  philosophie 


1.  Plusieurs  de  ces  écrits  ont  paru  du  vivant  d'Agrippa;  le 
traité  de  l'incertitude  et  de  la  vanité  des  sciences  eu  1530, 
la  philosophie  occulte  en  1531  et  1533;  les  commentaires  sur 
T  «  Ars  brevis  »,  avec  le  «  tabula  abbreviata  »  probablement, 
en  1531  ;  quarante-une  lettres  en  1532  et  en  1534;  et  les  discours 
au  nombre  de  dix  avec  les  épigrammes  en  1535,  l'année 
même  de  sa  mort.  Pour  ce  qui  est  des  quarante-une  lettres 
publiées  en  1532  et  en  1534,  il  est  permis  de  croire  que  là  ne  se 
bornait  pas  ce  que  Agrippa  voulait  donner  de  sa  correspon- 
dance, laquelle  comprend  quatre  cent  cinquante-une  lettres 
dans  l'édition  des  œuvres.  La  mention  de  cette  correspon- 
dance dans  le  privilège  sollicité  et  obtenu  par  lui  en  1530, 
donne  lieu  de  penser  qu'il  a  pu  projeter  alors  et  peut-être 
même  préparer  la  publication  générale  de  ses  lettres,  qui  n'a  eu 
lieu  cependant  qu'après  sa  mort,  dans  ses  œuvres  complètes 
(Appendice,  note  XXXII). 

T.  I.  (■ 


42  CHAPITRE    PREMIER 

occulte;  mais  le  livre  premier  paraît  seul  au  mois  de 
février  1531  à  Anvers,  chez  Jean  Graphe  qui  venait 
de  donner  déjà  le  précédent  ouvrage,  et  presque  en 
même  temps  à  Paris,  chez  Christian  Wechel.  Après 
l'impression  de  ce  livre  premier,  l'opération  reste 
en  suspens  ;  et  près  de  deux  années  s'écoulent  avant 
qu'elle  puisse  être  reprise. 

L'année  1531  voit  encore  paraître,  le  6  juin,  à  An- 
vers, l'oraison  funèbre  composée  tout  récemment 
alors  par  Agrippa  pour  la  princesse  Marguerite 
d'Autriche,  morte  le  1er  décembre  1530,  et  les  com- 
mentaires sur  ]'  «  Ars  brevis  »  de  Raimond  Lulle  im- 
primés à  Cologne  '.  Des  éditions  nouvelles  du  traité 
de  l'incertitude  et  de  la  vanité  des  sciences  sont 
données  en  1531  et  en  1532  à  Anvers,  à  Paris  et  à 
Cologne. 

En  1532  paraît  à  Cologne  une  seconde  édition  des 
petits  traités  imprimés  une  première  fois  à  Anvers 
en  1529,  au  début  de  cette  œuvre  de  publication.  Le 
volume  de  1532  est  augmenté  de  quelques  pièces 
nouvelles  de  peu  d'importance.  Il  comprend,  avec 
celles  données  en  1529,  les  deux  discours  sur  la  vie 
monastique  et  sur  les  reliques  de  saint  Antoine,  et 

1.  Nous  n'avons  pas  eu  entre  les  mains  celle  édition  de  1531 
ni  celle  de  1533  des  commentaires  sur  1'  «  Ars  brevis  »,  et 
nous  n'avons  pas  pu  vérifier  si  elles  contiennent,  ce  qui  est 
probable  du  reste,  la  «  Tabula  abbreviata  commentariorum  » 
donnée  dans  l'édition  de  1538,  .que  nous  avons  sous  les  yeux, 
et  qui  est  sortie,  comme  celles  de  1531  et  de  1533,  des  presses 
de  J.  Soter  à  Cologne. 


LA    VIE   ET   LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  -43 

quelques  lettres,  au  nombre  de  treize,  qui  se  retrou- 
vent sous  les  dates  de  1520,  1526,  1527  et  1528  dans 
la  correspondance  générale  ,  au  tome  II  des  œu- 
vres. 

En  1533,  après  bien  des  traverses,  des  suspen- 
sions et  des  retards,  paraît  à  Cologne  la  première 
édition  complète  de  la  philosophie  occulte,  dont 
le  livre  premier  seulement  avait  été  donné  au 
commencement  de  1531  à  Anvers  et  à  Paris  en 
même  temps.  L'imprimeur  Jean  Soter  fait  à  Cologne, 
dans  cette  année  même  1533,  deux  éditions  succes- 
sives de  ce  traité  '.  Viennent  ensuite,  en  1533  égale- 
ment, une  seconde  édition  des  commentaires  sur 
V  «  Ars  brevis  »  de  Raimond  Lulle,  et  la  première 
de  l'apologie  et  de  la  plainte  écrites  en  1531-1532, 
à  l'occasion  des  accusations  portées  par  les  théolo- 
giens de  Louvain  contre  le  traité  de  l'incertitude 
et  de  la  vanité  des  sciences;  compositions  que  l'au- 
teur avait  tenté  vainement  de  faire  imprimer  à  Bâlc 
en  1532   (Ep.  VII,  U,   16). 

En  1834  sont  imprimées  les  pièces  de  la  polémique 
soutenue  à  Metz,  en  1519,  contre  le  prieur  des  domi- 
nicains, Claude  Salini,  sur  la  question  de  la  mo- 
nogamie de  sainte  Anne,  avec  vingt-huit  lettres  de 
1519  à  1521  se  rapportant  à  ce  sujet,  lesquelles,  a 
l'exception  de  deux  seulement  de  l'année  1519,   se 


1.  L'une  de  ces  deux  éditions  est  accompagnée  d'un  portrait 
d' Agrippa,  le  plue  ancien,  croyons-nous,  que  l'on  possède.  On 
trouvera  dans  notre  appendice  'n°  XXX)  une  note  à  ce  sujet; 


44  CHAPITRE    PREMIER 

retrouvent  dans  la  correspondance  générale  donnée 
plus  tard  au  tome  II  des  œuvres. 

En  1535  enfin,  l'année  même  de  la  mort  d'Agrippa, 
est  publiée  à  Cologne  par  l'imprimeur  Jean  Soter  la 
deuxième  édition  du  couronnement  de  Charles- 
Quint,  avec  les  discours  et  les  épigrammcs  en 
vers;  et  en  même  temps  paraît  à  Strasbourg,  chez 
Pierre  Schœffer,  le  mémoire  adressé  au  mois  de  jan- 
vier 1533  au  sénat  de  Cologna,  contre  l'inquisiteur, 
Conrad  d'Ulm,  qui  faisait  alors  obstacle  à  la  publica- 
tion, terminée  du  reste  malgré  son  opposition,  du 
traité  de  la  philosophie  occulte.  Agrippa  meurt  en 
1535.  A  ce  moment  avait  paru,  comme  on  vient  de 
le  voir,  tout  ce  qui  nous  a  été  conservé  de  ses  écrits, 
à  l'exception  seulement  de  sa  géomantie  et  de  sa 
correspondance  presque  tout  entière,  imprimées  ul- 
térieurement dans  la  collection  de  ses  œuvres. 

Les  ouvrages  d'Agrippa  avaient  donc  été  presque 
tous  imprimés  de  son  vivant.  Nous  venons  d'indi- 
quer la  marche  de  leur  publication.  On  ne  peut, 
comme  on  le  ferait  pour  un  auteur  de  notre  temps, 
apprécier  les  progrès  de  la  notoriété  et  de  la  réputa- 
tion d'un  écrivain  du  commencement  du  xvie  siècle, 
d'après  les  dates  de  l'impression  de  ses  ouvrages. 
L'usage  de  l'imprimerie  commençait  à  peine  à  se 
généraliser  alors,  et  les  écrits  couraient  communé- 
ment encore  dans  le  public  à  l'état  de  copies  manus- 
crites ,  longtemps  parfois  avant  leur  impression. 
C'est  ce  qui  avait  eu  lieu  pour  les  ouvrages  d'A- 
grippa, dont  la  célébrité  comme  auteur  datait  de  sa 


LA    VIC    ET    LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  45 

jeunesse  même.  Dès  l'année  1509,  alors  qu'il  était  à 
peine  âgé  de  vingt-trois  ans,  il  avait  composé  pres- 
que complètement  son  premier  ouvrage,  la  philoso- 
phie occulte  ;  et,  quoiqu'il  ne  l'eût  terminé  par  diver- 
ses additions,  par  la  rédaction  notamment  du  livre 
troisième,  que  beaucoup  plus  tard,  son  travail  rece- 
vait déjà  en  1510  du  célèbre  Tritheim  une  éclatante 
approbation  (Ep.  I,  24).  Cet  ouvrage  singulier  est, 
parmi  tous  les  écrits  d' Agrippa,   celui  qui  semble 
avoir  le  plus  attiré  l'attention  de  ses  contemporains, 
et  avoir  soutenu  le  plus  longtemps  son  crédit  parmi 
eux.  Cette  popularité  et  les  avantages  qui  devaient 
en  résulter  expliquent  comment  Agrippa,  vers  la  fin 
de   sa   vie,  a  pu  être  induit  à  publier  ce  livre,  en 
même  temps  à  peu  près  que  le  traité  de  l'incerti- 
tude et  de  la  vanité  des  sciences,  qui  en  contenait  en 
quelque  sorte  la  réfutation.  On  doit  même  rappeler 
que  ce  dernier  traité  a  paru  antérieurement  à  l'au- 
tre.  Il  est  en  effet  imprimé  et  donné  pour  la  pre- 
mière  fois  au  public  au  mois  de  septembre  1530, 
tandis   que  la  philosophie   occulte  no  paraît  qu'au 
mois  de  février  1531.  Encore  n'en  livre-t-on  à  cette 
date  que  le  livre  1;   et  les  deux  suivants  se  font  at- 
tendre jusqu'en  1533.    C'était   pourtant   l'œuvre   la 
plus  ancienne  do  l'auteur. 

Nous  avons  énuméré  les  œuvres  qui  succèdent  à 
ce  premier  ouvrage  pendant  un  quart  de  siècle.  Elles 
marquent,  dans  leur  diversité,  par  leur  enchaîne- 
ment ou  par  leurs  contras! es,  quelle  a  été,  dans  ses 
traits  essentiels,  la  vie  de  leur  auteur.  Elles  nous  le 


4G  CHAPITRE    PREMIER 

montrent  engagé  de  bonne  heure  dans  la  culture  des 
sciences  et  des  arts  occultes,  auxquels  se  mêlait  le 
peu  que  l'on  possédait  alors  des  résultats  de  l'ob- 
servation et  des  études  expérimentales,  clans  l'anti- 
quité et  au  moyen  âge.  Elles  indiquent,  en  outre,  un 
homme  livré  à  la  discussion  des  questions  qui  préoc- 
cupaient par  dessus  tout  les  esprits  de  son  temps, 
les  questions  de  philosophie  générale,  de  métaphy- 
sique et  de  religion.  Elles  le  signalent  comme  admis 
à  plusieurs  reprises,  en  France  et  en  Italie,  dans  des 
chaires  d'enseignement;  investi  en  diverses  circons- 
tances d'offices  publics  et  fréquentant  les  grands  ; 
dominé  à  certains  moments  par  les  embarras  d'une 
existence  précaire  ;  troublé  par  les  écarts  d'une  con- 
duite mal  réglée. Voilà  ce  qu'on  saurait,  ne  connût-on 
que  la  nomenclature  de  ses  écrits,  d'un  homme  qui  a 
composé  avec  la  philosophie  occulte  et  la  géomantie, 
art  divinatoire,  des  ouvrages  sur  les  feux  de  guerre, 
Pj/romachia,  sur  l'exploitation  des  mines,  sur  le  trai- 
tement de  la  peste;  et,  indépendamment  du  traité  de 
l'incertitude  et  de  la  vanité  des  sciences,  ceux  où  il 
est  question  du  sacrement  du  mariage,  du  péché  ori- 
ginel, de  la  monogamie  de  sainte  Anne,  de  la  con- 
naissance de  Dieu  et  de  la  nature  de  l'homme;  de 
plus,  des  discours  sur  la  vie  monastique  et  sur  les 
reliques  de  saint  Antoine  ;  puis  des  thèses  théologi- 
ques, un  commentaire  des  épîtres  de  saint  Paul,  et 
des  polémiques  contre  les  religieux  et  les  théolo- 
giens ;  des  observations  sur  la  théologie  païenne; 
des  leçons  sur  Hermès  trismégiste,  sur   Platon  et 


LA    VIE   ET    LES    OEUVRES    tVaGRIPPA  il 

sur  Reuchlin  ;  des  commentaires  sur  les  écrits  de 
Raimond  Lulle  ;  une  histoire  du  couronnement  de 
Charles-Quint;  des  discours  destinés  à  des  céré- 
monies d'apparat  et  à  des  négociations  pour  cer- 
taines affaires  publiques  ;  outre  cela,  des  mémoires 
et  des  requêtes  touchant  diverses  questions  d'in- 
térêt privé  et  tout  personnel,  des  déclarations  contre 
ses  adversaires  et  ses  créanciers  ;  enfin,  des  dédi- 
caces à  plusieurs  grands  personnages,  à  la  tante  de 
Charles-Quint  par  exemple,  à  la  sœur  de  François  Ier, 
au  légat  du  saint-siège,  à  l'administrateur  spirituel  de 
l'archevêché  de  Cologne,  au  marquis  de  Montferrat  ; 
sans  parler  d'un  grand  nombre  de  lettres  adressées 
à  des  gens  de  toutes  conditions,  quelques-unes  à  des 
hommes  considérables,  avec  lesquels  il  était  en  com- 
merce épistolaire  plus  ou  moins  suivi. 

Nous  reviendrons  sur  les  ouvrages  d'Agrippa,  et 
nous  les  ferons  plus  particulièrement  connaître  par 
des  analyses  et  des  extraits,  quand  l'occasion  se  pré- 
sentera d'en  parler,  au  cours  de  cette  étude.  La  plu- 
part, en  effet,  se  trouvent  intimement  liés  aux  diver- 
ses circonstances  de  la  vie  accidentée  que  nous  avons 
entrepris  de  raconter.  Quant  aux  deux  grands  traités 
qui  dominent,  comme  nous  l'avons  dit,  son  œuvre 
tout  entière;  la  philosophie  occulte  qui,  en  établis- 
sant de  bonne  heure  sa  réputation  parmi  ses  con- 
temporains, a  été  son  titre  le  plus  positif  à  leur  ad- 
miration; et  le  traité  de  l'incertitude  et  de  la  vanité 
des  sciences,  goûté  par  un  moins  grand  nombre  peut- 
être  en  son  temps,  recommandé  aussi  par  un  moin- 


48  CHAPITRE    PREMIER 

dre  prestige,  mais  en  définitive,  croyons-nous,  celui 
de  ses  écrits  d'après  lequel  la  postérité  doit  porter 
son  jugement  sur  son  esprit;  nous  voulons  en  parler 
tout  do  suite.  Nous  voulons,  dès  le  début  de  notre 
travail,  rendre  tout  spécialement  compte  de  ces  im- 
portants ouvrages,  parce  que  leur  connaissance  est 
de  nature  à  éclairer  ce  que  nous  aurons  à  dire  en- 
suite de  Thistoire  de  leur  auteur.  Cependant,  avant 
de  nous  y  arrêter,  il  convient  de  donner  quelques 
explications  sur  une  dernière  partie  de  son  œuvre, 
sur  sa  correspondance,  à  laquelle  nous  aurons  à  em- 
prunter la  trame  du  récit  que  nous  nous  proposons 
de  faire  de  sa  vie. 

La  correspondance  d' Agrippa  contient  quatre  cent 
cinquante-une  lettres  '  distribuées  par  les  éditeurs  en 
sept  livres  \  Ces  lettres  embrassent  une  période  de 

1.  Une  de  ces  lettres,  qui  a  de  l'importance  (Ep.  III,  82), 
doit  être  éliminée  de  la  correspondance  d'Agrippa.  Elle  ne 
peut  pas  être  de  lui,  comme  nous  le  démontrerons  (Ghap.  VI); 
ce  qui  réduit  à  450  le  nombre  réel  des  pièces  composant  cette 
correspondance. 

2.  La  correspondance  d'Agrippa  n'a  été  publiée  qu'après  sa 
mort,  on  a  quelques  raisons  de  le  croire,  dans  les  éditions  gé- 
nérales de  ses  œuvres  (Appendice  n°  XXXII),  à  l'exception 
de  quarante-une  lettres  seulement,  imprimées  de  son  vivant, 
au  nombre  de  treize  en  1532,  avec  la  deuxième  édition  des 
petits  traités,  et  de  vingt-huit  en  1534,  à  la  suite  des  pièces 
relatives  à  la  polémique  sur  la  monogamie  de  sainte  Anne. 
Ces  quarante-une  lettres  se  retrouvent,  du  reste,  dans  le 
recueil   de   celles  données   plus  tard  en   sept  livres,   avec  la 

-  collection  des  œuvres,  à   l'exception  de   deux   seulement  de 


LA    VIE   ET    LES    OEUVRES    D'AGRIPPA  49 

vingt-sept  années  qui  va  de  1507  à  1533,  c'est-à-dire 
d'une  époque  où  l'écrivain  sortait  a  peine  de  la  pre- 
mière jeunesse,  jusqu'à  une  date  très  rapprochée  de 
sa  fin.  Celle-ci,  en  effet,  devait  être  prématurée;  car 
Agrippa  ne  dépassa  guère  l'âge  de  la  maturité.  Né 
en  i486,  il  mourait  en  1535,  au  cours  de  sa  qua- 
rante-neuvième année. 

Toutes  les  pièces  de  la  correspondance  ne  sont 
naturellement  pas  d'Agrippa  lui-même.  Pour  près 
de  la  moitié,  cent  quatre-vingt-dix-huit  sur  quatre 
cent  cinquante-une,  elles  émanent  de  ceux  avec 
lesquels  il  était  en  commerce  épistolairc.  Toutes 
non  plus  ne  sont  pas  datées  ;  et  la  plupart  ne  portent 
même  pas  les  noms  des  correspondants  qui  les  ont 
écrites,  ou  à  qui  elles  ont  été  adressées.  Pour  ce 
qui  regarde  leur  classement  chronologique,  on  peut, 
ce  semble,  s'en  tenir  à  peu  près  à  l'arrangement  qui 
en  a  été  fait  par  les  éditeurs,  par  Agrippa  peut-être 


l'année  1519,  qui  sont  dans  le  volume  imprimé  en  1534  et  qui 
ont  été  omises  dans  l'édition  des  œuvres.  Toutes  ces  lettres 
sont  en  latin.  M.  L.  Charvet  émet,  dans  la  Revue  savoisienne 
(1871,  p.  26),  l'opinion  que  plusieurs  d'entre  elles  auraient  été 
écrites  originairement  en  français  et  ultérieurement  traduites 
en  latin  par  les  éditeurs,  pour  être  ainsi  rapprochées  des 
autres.  Nous  ne  partageons  pas  cette  opinion.  Le  latin  était, 
au  temps  d'Agrippa,  la  langue  commune  îles  étudiants,  des 
lettrés  et  des  politiques,  catégories  de  personnes  auxquelles 
appartiennent  tous  ses  correspondants,  ceux  même  qui  se 
trouvent  qualifiés  serviteurs,  servi  domestici,  comme  nous  le 
montrerons. 


50  CHAPITRE    PREMIER 

lui-même  l.  Quant  à  leur  attribution,  elle  n'est  pas 
sans  difficulté  ;  un  grand  nombre  ne  portant  comme 
indication,  à  cet  égard,  dans  l'édition  qui  en  a 
été  donnée,  que  ces  mots  seulement  :  Un  ami  à 
Agrippa,  ou  Agrippa  à  un  ami  ;  amicus  ad  Agrippant, 
Agrippa  ad  amicum.  Les  particularités  relatées  dans 
le  document  sont,  dans  ce  cas,  les  seuls  indices 
qui  permettent  de  reconnaître  à  qui  on  doit  le 
rapporter. 

En  étudiant  ainsi  les  pièces  de  la  correspondance 
d'Agrippa,  on  constate  que,  parmi  les  individus 
qui  en  assez  grand  nombre  y  ont  participé  avec  lui, 
quelques-uns  seulement  méritent  réellement,  par  une 
certaine  suite  donnée  à  ce  commerce  épistolaire  ou 
par  l'intérêt  de  leurs  communications,  le  titre  de 
correspondant.  Les  autres  ne  figurent  que  d'une 
manière  accidentelle  et  peu- significative  dans  cette 
galerie  de  personnages  d-ivers.  Nous  allons  donner 
quelques  indications  sur  les  premiers;  nous  nous 
bornerons  ensuite  à  nommer  parmi  les  autres  ceux 
qui  méritent  de  fixer  l'attention  par  l'importance  de 


1.  La  correspondance,  Quasdam  epistolse,  était  mentionnée 
dans  le  privilège  impérial  sollicité  et  obtenu  par  Agrippa,  en 
1530,  pour  l'impression  de  ses  ouvrages.  Il  se  pourrait  donc 
qu'il  eût  lui-môme  préparé  la  publicatiou  de  ses  lettres.  Cette 
supposition  serait  grandement  confirmée  par  l'existence  d'une 
édition  des  œuvres  complètes  d'Agrippa  qui  eût  été  faite  de 
son  vivant,  si  l'on  pouvait  admettre,  ce  qui  est  peu  probable, 
qu'une  pareille  édition  existât  en  effet,  comme  on  l'a  prétendu. 
Voir,  à  ce  sujet,  une  note  à  l'appendice  (n°  XXXII). 


LA   VIE   ET    LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  51 

leur  personnalité.  Une  observation  que  nous  ferons, 
avant  d'entrer  dans  ces  explications,  c'est  qu'aucun 
des  correspondants  d'Agrippa  ne  le  suit  pendant  la 
durée  entière  de  sa  vie,  laquelle  a  été  cependant  as- 
sez courte.  On  pourrait  être  tenté  de  voir  dans  cette 
particularité  une  preuve  de  la  mobilité  d'esprit  et  de 
l'humeur  capricieuse  de  celui  qui  nous  occupe  ;  mais 
de  pareilles  modilications  des  relations  sont  assez 
ordinaires  dans  l'existence  de  presque  tous  les  hom- 
mes. Au  moins  est-il  permis  de  constater,  en  ce  qui 
concerne  Agrippa,  que  le  fait  se  trouve,  comme  nous 
aurons  occasion  de  le  constater,  parfaitement  d'ac- 
cord avec  un  des  traits  essentiels  de  son  caractère,  la 
variabilité  et  l'inconstance. 

Au  début  de  la  correspondance,  les  interlocuteurs 
d'Agrippa,  si  l'on  peut  s'exprimer  ainsi,  sont  deux 
de  ses  compagnons  d'études  à  l'université  de  Paris 
qu'il  a  quittée  vers  l'an  15Q7,  Landulphe  (1507-1512) 
et  Galbianus  (1508)  ',  lesquels  se  trouvent  mêlés 
aux  aventures  de  sa  jeunesse,  en  Espagne,  en  Pro- 
vence, en  Bourgogne  et  en  Italie.  Ils  paraissent  avoir 

1.  A  l'occasion  de  ces  noms,  nous  ferons  remarquer  que,  sui- 
vant la  mode  du  temps,  ceux  qui  figurent  dans  la  corres- 
pondance d'Agrippa  sont  généralement  latinisés.  Nous  leur 
avons  conservé  la  forme  latine  chaque  fois  que  la  forme  cor- 
respondante en  langue  vulgaire  n'était  pas  évidente  et  ne  nous 
était  point  parfaitement  connue  ;  parce  qu'un  travail  d'interpréj 
tation  pouvait,  dans  ce  dernier  cas,  sans  procurer  d'ailleurs 
beaucoup  d'avantages,  produire  des  erreurs  auxquelles  il  était 
inutile  de  s'exposer. 


52  CHAPITRE    PREMIER 

fini  l'un  et  l'autre  dans  ce  dernier  pays  vers  1512. 
Agrippa  échange  avec  Landulphe  notamment,  pen- 
dant cinq  ou  six  années,  des  lettres  dont  la  dernière 
porte  cette  date  de  1512,  après  laquelle  cet  ami  des 
premiers  temps  disparaît  tout  à  coup.  Leur  corres- 
pondance roule  principalement  sur  les  incidents  du 
voyage  d' Agrippa  en  Espagne,  et  sur  sa  vie  ulté- 
rieure en  France  et  dans  le  nord  de  l'Italie  '.  A  la 
partie  moyenne  de  cette  période  appartient  le  court 
séjour  d'Agrippa  dans  la  ville  de  Dole  et  clans  la 
province,  auquel  nous  n'avons  à  rapporter  aucune 
correspondance  suivie,  mais  pendant  lequel  nous 
trouvons,  indépendamment  d'une  des  missives 
adressées  à  Landulphe,  quelques  lettres  échangées 
avec  Théodoric  évêque  de  Gyrène,  administrateur 
spirituel  de  l'archevêché  de  Cologne  2  (1509),  et  avec 
le  célèbre  Trithcim,  abbé  de  Spanhein,  puis  de  Saint- 
Jacques  de  Wurtzbourg  (1510),  qui  encourage  les 


1.  La  correspondance  avec  Galbianus  (1508)  comprend  deux 
lettres  seulement  :  L.  I,  4  et  5  ;  celle  avec  Landulphe  (1507- 
1512)  comprend  treize  lettres  :  L.  I,  1,  2,  3,  G,  7,  8,  9,  10,  11, 
12,  25,  29,  30.  Nous  croyons  qu'on  ne  doit  pas  y  admettre  les 
deux  letLres  13  et  14  du  livre  I  que  les  éditeurs  de  la  corres- 
pondance générale  lui  attribuent.  Les  qualifications  «  adoles- 
cens  doctissime,  vir  praestantissime  »  qu'on  y  trouve  ne  sont  pas 
de  celles  qu'Agrippa  et  son  ami  Landulphe  échangent  ordinai- 
rement entre  eux. 

2.  La  correspondance  avec  l'évoque  de  Cyrène  (1509-1518, 
1519  n.  s.)  comprend  quatre  lettres:  L.  I,  21;  L.  II,  17, 
18,    19. 


LA    VIE    ET    LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  53 

travaux  d' Agrippa  sur  les  sciences  occultes,  objet  de 
ses  propres  études  '. 

Les  sept  années  passées  ensuite  par  Agrippa  dans 
le  nord  de  l'Italie  ne  nous  offrent  non  plus  presque  au- 
cune correspondance  suivie.  Agrippa  semble  n'avoir 
pas  entretenu,  à  cette  époque,  de  relations  avec  gens 
habitant  des  lieux  éloignés,  et  n'avoir  eu  de  rapports 
qu'avec  les  hommes  seulement  qui  vivaient  autour 
de  lui.  L'un  d'eux  est  encore  Landulphe,  qui  reçoit  à 
Milan  et  à  Pavie,  en  1512,  les  deux  dernières  lettres 
que  nous  ayons  d'Agrippa  à  son  adresse.  Un  autre 
dont  nous  ignorons  le  nom  est  un  ami  de  Borgo-La- 
vezzaro  qui,  en  1512  et  1516,  échange  avec  Agrippa 
quelques  lettres,  où  il  est  question  surtout  du  mar- 
quis de  Montferrat,  sur  la  protection  et  les  bienfaits 
duquel  on  comptait 2.  Un  troisième  est  un  carme  de 
Verccil,  le  père  Chrysostome  (1512),  qui  veut  être 
éclairé  sur  la  science  cabalistique  3.  Les  lettres  qui 
appartiennent  à  cette  période  ne  sont  pas  nombreu- 
ses; elles  sont  peu  importantes  et  peu  explicites. 
Elles  concernent,  on  ne  le  voit  que  trop,  des  person- 
nes qui,  très  rapprochées  les  unes  des  autres,  ont 
peu  de  choses  à  s'écrire  et  n'ont  souvent  besoin  pour 
s'entendre  que  de  s'expliquer  à  demi  mot.  Il  résulte 

• 

1.  La  correspondance  avec  Tritheim  (1510)  comprend  deux 
lettres  :  L.  I,  23,  24. 

2.  La  correspondance  avec  l'ami  de  Borgo-Lavczzaro  (1512- 
1516)  comprend  six  lettres:  L.  I,  32,  33,  3i,  35,  30,  GO. 

3.  La  correspondance  avec  le  père  Chrysostome  de  Verceil 
(1512-1510)  comprend  sept  lettres:  L.I,  31,  37,  5i,  55,  50,  58,59. 


54  CHAPITRE   PREMIER 

de  là  quelque  obscurité  sur  la  vie  d'Agrippa,  en  di- 
verses circonstances  où  elle  offrirait  de  l'intérêt,  soit 
dans  les  camps  où  il  semble  avoir  paru  vers  ce 
temps,  soit  dans  les  universités  où  il  s'essaie  alors  à 
l'enseignement. 

En  1518  et  1519,  Agrippa  est  à  Metz  où  il  réside 
pendant  près  de  deux  années,  jusque  dans  les  pre- 
miers mois  de  1520.  Son  principal  correspondant  est 
à  ce  moment  Claude  Gantiuncula,  jurisconsulte,  ori- 
ginaire de  Metz,  fixé  alors  àBâle,  plus  tard  à  Ensis- 
heim  en  Alsace,  où  il  a  passé  la  plus  grande  partie 
de  son  existence.  Les  lettres  échangées  avec  Cantiun- 
cula,  nombreuses  pendant  les  cinq  ou  six  années 
passées  par  Agrippa  à  Metz  et  en  Suisse,  de  1518  à 
1524,  deviennent  rares  ensuite.  La  dernière  est  écrite 
de  Bonn,  croyons-nous,  par  Agrippa  vers  la  fin  de 
sa  vie,  à  la  date  de  1533.  Cette  correspondance  com- 
mence à  l'occasion  de  certains  écrits  perdus  par 
Agrippa  clans  les  troubles  de  guerre  de  la  haute 
Italie,  et  qu'il  avait  quelques  raisons  de  croire  entre 
les  mains  d'un  de  ses  anciens  disciples  de  Pavie, 
Christophe  Schilling,  qui  était  Lucernois.  Agrippa 
charge  Cantiuncula,  qui  est  à  Bàle,  de  faire  à  ce 
sujet  des  recherches.  Plus  tard  il  s'entretient  avec 
«  son  ami  de  quelques  difficultés  que  celui-ci  semble 
avoir  eues  alors  avec  la  ville  de  Metz  elle-même. 
Mais  ce  qui  fait  le  plus  grand  intérêt  de  la  corres^- 
pondance  avec  Cantiuncula,  c'est  que,  pendant  la 
période  la  plus  active  des  relations  qu'elle  concerne, 
celui-ci,  placé  à  Bâle  où  vécut  Erasme  et  dans  le 


LA   VIE   ET    LES    OEUVRES    D'AGRIPPA  OO 

voisinage  des  presses  de  Froben,  se  trouve  au 
centre  d'un  mouvement  intellectuel  très  prononcé, 
et  qu'il  est,  grâce  à  cette  situation,  l'homme  à  qui 
Agrippa  s'adresse  pour  être  tenu  au  courant  des 
querelles  religieuses  soulevées  par  les  premiers 
réformateurs.  C'est  à  lui  qu'il  demande  aussi  la  com- 
munication des  ouvrages  publiés  alors  sur  ce  sujet. 
Cette  correspondance  est  un  des  principaux  témoi- 
gnages de  l'intérêt  qu'Agrippa  prenait  à  l'éclosion  et 
au  développement  des  idées  nouvelles  '. 

A  la  même  époque  appartiennent  quelques  unes 
des  lettres  échangées  entre  Agrippa  et  l'évêque  de 
Cyrène  à  Cologne  et,  pour  la  plus  grande  partie,  une 
correspondance  avec  un  religieux  célestin  du  cou- 
vent de  Metz,  Claude  Dieudonné,  séduit  par  les  en- 
tretiens d' Agrippa,  fasciné  par  la  hardiesse  de  ses 
idées  et  par  son  talent  à  les  exposer.  Cette  corres- 
pondance commence  au  cours  même  des  relations 
de  ces  deux  hommes  à  Metz,  en  1S18-1519,  et  elle 
continue  après  le  départ  du  religieux,  éloigné  par 
ses  supérieurs  et  envoyé  successivement  a  Paris 
(loi!)),  puis  à  Annecy  (1521),  dans  d'autres  maisons 

1.  La  correspondance  avec  CanliuncUla  (1518-1533)  comprend 
Vingt-Six  lettres  :  L,  II,  12,  13,  H,  15,  1G,  2G,  32,  33,  34,37,  40j 
41,  i2,  58;  L.  III,  1G,  17,  20,  23,  35,  43,  45,  46,  52,  Gi  ;  L.  VII, 
35.  La  vingt-sixième,  écrite  deBâle  parCanliuncula,le  12 des  ca- 
lendes d'août  (21  juillet)  1519,  n'a  pas  été  recueillie  dans  la  cor- 
respondance générale,  et  se  trouve  dans  un  volume  imprimé  en 
1531,  avec  les  pièces  relatives  à  la  querelle  sur  la  monogamie 
de  sainte  Anne. 


56  CHAPITRE    PREMIER 

de  son  ordre,  dont  Claude  Dieudonné  se  sépare 
ultérieurement  tout  à  fait  pour  se  jeter  ouvertement 
dans  la  réforme,  après  une  évolution  d'idées  à  la- 
quelle, dans  ses  débuts  au  moins,  l'influence  d'A- 
grippa  semble  n'avoir  pas  été  étrangère  '.  C'est 
encore  pendant  son  séjour  à  Metz  (1519),  qu'A- 
grippa entre  en  correspondance  avec  un  autre  per- 
sonnage, également  engagé  dans  le  mouvement  de 
la  réforme,  Lefèvre  d'Étaples  dont  il  avait  adopté  et 
défendu  passionnément  la  thèse  singulière  sur  la 
monogamie  de  sainte  Anne  2. 

Au  lendemain  de  son  départ  de  Metz,  Agrippa 
ouvre  de  Cologne,  en  1520,  une  correspondance  qui 
se  prolonge  jusqu'en  1526,  avec  un  ami  qu'il  a  laissé 
dans  la  première  de  ces  deux  villes,  maître  Jean 
Rogier,  dit  Brennonius,  curé  de  Sainte-Croix,  qui, 
s'associant  à  ses  études  et  partageant  ses  idées, 
avait  épousé  à  Metz  son  parti,  dans  ses  querelles 
avec  les  théologiens,  et  contre  qui  on  relève  un  peu 
plus  qu'un  soupçon  de  tendances  vers  l'hérésie. 
Les  prières  qu'Agrippa  fait  dire  par  lui,  à  diverses 
reprises,  pour  sa  première  femme,  morte  à  Metz  et 
enterrée  dans  l'église  même  de  Sainte-Croix,  dont 
Brennonius  était  curé,  forment  cependant  l'un  des 
sujets   de   cette  correspondance,  où  en  outre  il  est 

1.  La  correspondance  avec  le  frère  Claude  Dieudonné  (1518- 
1521)  comprend  douze  lettres  :  L.  II,  20,  21,  22,  23,  21,  25,  29; 
L.  III,  7,  9,  10,  11,  12. 

2.  La  correspondance  avec  Lefèvre  d'Étaples  (1519)  comprend 
six  lettres  :  L.  II,  27,  28,  30,  31,  35,  36. 


LA    VIE    ET    LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  57 

fait  ample  mention  du  train  de  vie  et  des  travaux  de 
maître  Jean  Rogier  et  des  autres  amis  de  Metz  aux- 
quels Agrippa  continue  de  loin  à  s'intéresser  l. 

Après  le  séjour  à  Metz  et  un  court  passage  à 
Cologne,  Agrippa,  successivement  à  Genève  (1521- 
1523),  puis  à  Fribourg  en  Suisse  (1523-1524),  a 
pour  principaux  correspondants  le  céleslin  Claude 
Dieudonné,  qu'il  avait  connu  d'abord  à  Metz  et 
qu'il  retrouve,  en  1521,  au  couvent  d'Annecy,  tou- 
jours passionné  pour  sa  personne  et  pour  sa 
science  ;  un  médecin  bourguignon  fixé  à  Annecy, 
Blancherose,  grand  admirateur  de  ses  inappréciables 
connaissances,  lequel,  de  cette  dernière  ville,  lui 
adresse  des  lettres  à  Fribourg  en  1523  2  ;  Christo- 
phe Schilling,  un  do  ses  anciens  disciples  de  Pavie, 
qui  réside  alors  en  Suisse  (1523)  et  dont  nous  avons 
déjà  dit  deux  mots1;  un  autre  disciple  de  Pavie 
dont  le  nom  ne  nous  est  pas  connu  et  qui  habite 
Strasbourg  (1523-1524)  4,  tous  deux  pleins  d'admira- 
tion pourlui;  et  Eustache  Chapuys,  officiai  de  Genève, 


1.  La  correspondance  avec  Jean  Rogier,  dit  Brennonius  (1520- 
1526),  comprend  vingt-cinq  lettres  :  L.  II,  43,  14,  45,  46,  47,  49, 
50,  51,  52,  53,  54,  55,  5G,  57,  59.  Gl  ;  L.  III,  5,  G,  8,  GO,  Gl,  62  ; 
L.  IV,  -20,  26,  27. 

2.  La  correspondance  avec  Blancherose  (15231  comprend  deux 
lettres:  L.  III,  36,37. 

3.  La  correspondance  avec  Christophe  Schilling  (1523)  com- 
prend trois  lettres  :  L.  III,    40,  II,  12. 

i.  La  correspondance  avec  le  disciple  de  Strasbourg  (1523- 
1521)  comprend  trois  lettres  :  1-.  111,55,  56,  57. 

T.  I,  7 


58  CHAPITRE    PREMIER 

qu'il  a  connu  précédemment  en  Italie.  La  correspon- 
dance avec  ce  dernier  commence  dès  1522  à  Genève 
même,  et  continue  pendant  le  séjour  d'Agrippa  à  Fri- 
bourg  (1523),  puis  à  Lyon  (1524-1525)  ;  plus  tard  elle 
est  reprise  en  1531,  Agrippa  étant  alors  à  Malines 
investi  de  l'office  d'historiographe  de  l'empereur,  et 
Chapuys  étant  à  Londres  comme  envoyé  de  Charles- 
Quint  auprès  du  roi  Henri  VIII.  De  simples  rela- 
tions d'amitié  sont  le  sujet  de  cette  correspondance 
pendant  sa  première  période  (1522-1525)  ;  les  affaires 
du  divorce  de  Henri  VIII  avec  la  reine  Catherine 
d'Aragon  en  font  l'objet  pendant  la  seconde  (1531)  '. 
Au  séjour  à  Lyon  d'Agrippa  (1521-1527)  se  rappor- 
tent les  dernières  lettres  échangées  par  lui  avec  le 
curé  de  Sainte-Croix  à  Metz  (1526).  A  la  même  épo- 
que appartiennent  la  correspondance  avec  Sympho- 
rien  Bullioud,  ôvêque  de  Bazas  (1526) 2,  et,  pour  sa 
partie  la  plus  considérable,  celle  avec  Jean  Chape- 
lain, médecin  du  roi  (4826-1520)  s.  Ces  deux  corres- 


1.  La  correspondance  avec  Eustachc  Chapuys  (1522-1531) 
comprend  quinze  lettres  :  L.  III,  21,  28,  38,  39,  49,  58,  63,  68, 
7i,  70,  78;  L.  VI,   19,  20.  29,  33, 

2.  La  correspondance  avec  l'évèque  de  Bazas  (1526)  com- 
prend treize  lettres  :  L.  IV,  9,  14,  15,  22,  24,  31,  39,  'i7,  49,  53, 
66,  69,  74. 

3.  La  correspondance  avec  Jean  Chapelain  (1526-1529)  com- 
prend cinquante-quatre  lettres  :  L.  IV,  2,  3,  6,  10,  12,  13,  16,21, 
23,  25,  29,  30.  36,  37.  40,  il,  42.  43.  44,  46,  48,  50,  51,  52,  54, 
55,  50,  62,  64,  70,  73,  75,  70;  L.  V,  3,  5,  7,  8,  9,  10,  13,  22,  23, 
25,  30,  32,  35,  36,  37,  13,  46,  19,  5?,  68,  83. 


.LA   VIE   ET   LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  51) 

pondances  concernent  surtout  les  affaires  d'Agfippa 
avec  la  cour  de  France,  et  la  disgrâce  qu'il  y  a  en- 
courue après  une  courte  période  de  faveur.  La  cor- 
respondance, assez  restreinte  du  reste,  avec  le  duc 
de  Bourbon  (15:27)  donne  peut-être  la  clef  de  ce  nau- 
frage de  la  fortune  d'Agrippa,  en  révélant  des  rela- 
tions, d'ailleurs  mal  définies,  entre  lui  et  cet  ennemi 
du  roi,  auquel  il  semble  attaché  par  certains  ser- 
vices, et  à  qui  il  paraît  avoir  adressé  un  horoscope 
heureux,  assez  mal  placé  toutefois,  au  début 
de  cette  dernière  campagne  de  1527  où  celui  qui 
en  était  l'objet  devait  finir  si  misérablement,  sous  les 
murs  de  Rome  '. 

A  la  même  époque  appartiennent  cinq  autres 
corrrespondances,  intéressantes  à  divers  titres  :  la 
première  avec  un  ami  de  Chambéry  (1526)  qu'A- 
grippa entretient  de  ses  travaux  et  de  ses  livres,  et 
à  qui  il  donne  des  conseils  pour  sa  santé  2;  la  se- 
conde avec  un  religieux  dominicain  de  Mâcon,  Pe- 
trus  Lavinius  (1526),  qu'il  cherche  loyalement  à  dés- 
abuser des  illusions  de  l'astrologie  3  ;  la  troisième 
avec  un  intrigant,  Paulus  Flammingus  (1526),  lequel 
est  traité  par  lui  avec  bonté,  quoique  cet  homme  ait 


1.  La  correspondance  avec  le  dtio  de  Bourbon  (1527)  com- 
prend deux  lettres  :  l.  V,  i,  6. 

2.  La  correspondance  avec  l'ami  dd  Cliambny  (1526)  edin- 
prend  sept  lettres  :  L.  III,  79,  !..  IV,  i,:.,  il,  32,  :,:,  981. 

3.  Le.  correspondance  avec   le  religieux  Petrug  i.aviuiu>,  de 
Mftoon  (1526))  comprend  quatre  lettres  :  L.  IV,  17,  l'.i,  34,  l& 


60  CHAPITRE    PREMIER. 

d'abord  essayé  de  le  duper  '  ;  la  quatrième  et  la  cin- 
quième avec  deux  hommes  qui  ont  une  grande  part 
dans  la  résolution  prise  en  1527  par  Agrippa  de  quit- 
ter la  France  pour  se  retirer  dans  les  Pays-Bas,  et 
qui  semblent  l'un  et  l'autre  d'origine  italienne  :  le 
père  Aurelio  d'Aquapendente,  religieux  augustin 
dans  un  couvent  d'Anvers  (1527-1528),  que  la  science 
d'Agrippa  éblouissait2,  et  Augustino  Fornari,  ci- 
toyen de  Gênes  (1527-1532),  riche  marchand  qui 
avait  un  comptoir  dans  cette  ville  d'Anvers  et  ce 
semble  aussi  à  Lyon,  où  il  était  venu  généreusement 
au  secours  d'Agrippa  en  sa  détresse,  pendant  les 
dernières  années  qu'il  y  a  passées  3. 

D'Anvers  et  de  Malines  qu'il  habite  ensuite  dans 
les  Pays-Bas,  Agrippa  entretient  diverses  corres- 
pondances, l'une  avec  les  serviteurs  de  sa  maison, 
ou,  pour  mieux  dire,  avec  les  disciples  qu'il  avait 
admis  à  y  vivre  au  sein  de  sa  famille,  et  qui  lui 
donnent  des  nouvelles  de  celle-ci  (1529),  pendant 
les  absences  momentanées  que  nécessitent  ses  affai- 
res 4  ;  une  autre  avec  un  parent  de  sa  seconde  femme, 

1.  La  correspondance  avec  Paulus  Flammingus  (152G)  com- 
prend six  lettres  :  L.  IV,  28,  33,  38,  58,  G3,  G7. 

2.  La  correspondance  avec  le  père  Aurelio  d'Aquapendente 
(1527-1528)  comprend  treize  lettres  :  L.  V.  14,  16,  19,  24,  29, 
31,  33,  45,  47,48,  51,  53,  54. 

3.  La  correspondance  avec  Augustino  Fornari  (1527-1532) 
comprend  sept  lettres:  L.  V,  20,  28,  38,  56,  G3;  L.  VII,  10,  23. 

4.  La  correspondance  avec  les  serviteurs  (1521-1529),  comprend 
onze  lettres  :  L.  II! ,  2,  3,  4,  GG  ;  I,  V,  72,  7:5,  74,  75,  76,  77,  78. 


LA    VIE    ET    LES    OEUVRES    d'aGIUPPA  CI 

Guillaume  Furbity  (1528-1529),  résidant  à  Paris  au 
moment  de  la  mort  à  Anvers  de  cette  femme,  enlevée 
par  la  peste  ';  une  troisième  avec  deux  hommes 
attachés  à  la  personne  du  légat,  le  cardinal  Cam- 
pegi,  son  protecteur  :  Dom  Luca  Bonfius  secrétaire 
du  prélat,  et  Dom  Bernardus  de  Paltrineriis  son 
économe  (1531-1532),  qu'avait  rapprochés  d'Agrippa 
leur  liaison  commune  avec  le  riche  Génois  Fornari 
et  avec  le  religieux  Aurelio  d'Aquapendente  ;  sans 
parler  des  relations  plus  étroites  engendrées  par  le 
goût  décidé  de  Dom  Bernardus  pour  les  sciences 
cabalistiques  2.  Le  séjour  d'Agrippa  dans  les  Pays- 
Bas  voit,  en  outre,  la  fin  de  sa  double  correspondance 
avec  Jean  Chapelain  (1529)  et  avec  Eustache  Cha- 
puys  (1531)  ;  il  voit  en  même  temps  le  commence- 
ment de  celle  qu'il  entretient,  pendant  les  dernières 
années  de  son  existence,  avec  le  célèbre  Érasme 
(1531-1533) s. 

Pour  les  derniers  temps  de  la  vie  d'Agrippa,  ré- 
fugié dans  les  États  de  l'archevêque  de  Cologne 
et  résidant,  à  cette  époque,  à  Bonn  principalement, 
nous  possédons,  outre  la  fin  de  sa  correspondance 

1.  La  correspondance  avec  Guill.  Furbity  (1538-1529)  com- 
prend  cinq  lettres  :  L.V,  55,58,  81,  84,  85. 

2.  La  correspondance  avec  Dom  Luca  Bonfius  (1531-1532) 
comprend  quatre  lettres  :  L.  VI,  30,  L.  VII,  3,  8,  14.  —  La 
correspondance  avec  Dom  Bernardus  de  Paltrineriis  (1531-1532) 
comprend  cinq  lettres  :  L.  VI,  24  ;  L.  VII,  2,  7,  15,  22. 

3.  La  correspondance  avec  Érasme  (1531-1533)  comprend 
neuflettres  :  L.  VI,  31,36;  L.  VII,  6,  11,  17,  18,  11),  38,  W. 


(52  CHAPITRE    PREMIER 

avec  Érasme,  celles  que  motivent  alors  ses  rela- 
tions avec  l'archevêque  lui-môme  (1531-1533)  *,  avec 
Khreutter,  secrétaire  de  la  reine  Marie,  gouvernante 
des  Pays-Bas  (1532)  2,  avec  les  imprimeurs  occupés 
delà  publication  do  ses  œuvres,  Gratander  (1532) 3 
etSoter  (1533) 4,  avec  le  libraire  Hetorpius  (1533)  5; 
et  enfin,  pour  clore  cette  grande  collection  épisto- 
laire,  quelques  lettres  écrites  en  1533  des  Bains 
de  Bertrich,  Termse,  Vertrigise,  par  Agrippa,  de  la 
part  de  l'archevêque  de  Cologne  qu'il  y  avait  accom- 
pagné, à  Driander  et  à  quelques  autres  lettrés  pour 
les  inviter,  au  nom  du  noble  prélat,  à  venir  goûter 
avec  lui  les  charmes  de  la  vie  agréable  qu'on  menait 
dans  ce  lieu  6. 

1.  La  correspondance  avec  l'archevêque  de  Cologne  (1531- 
1533)  comprend  dix  lettres  :  L.  VI,  13;  L.  VII,  1,  4,  5,  27,  28, 
30,  34.  La  première  de  ces  lettres  est  l'épître  dédicatoire  du 
livre  I  de  la  philosophie  occulte;  il  convient  d'y  joindre,  pour 
compléter  le  nombre  de  dix  lettres,  les  deux  dédicaces  des 
livres  II  et  III  de  ce  traité  qui  n'ont  pas  été  recueillies  dans 
la  correspondance  générale  et  qui  se  trouvent  à  la  tête  de  ces 
deux  livres  (Opéra,  t.  I,  p.  119  et  p,  250). 

2.  La  correspondance  avec  Khreutter  (1532)  comprend  deux 
lettres  :  L.  VII,  20,  39. 

3.  La  correspondance  avec  Gratander  (1532)  comprend  une 
lettre  :  L.  VU,  16. 

4.  La  correspondance  avec  Soter  (1533)  comprend  une  let- 
tre :  L.  VII,  25. 

5.  La  correspondance  avec  Hetorpius  (1533)  comprend  quatre 
lettres  :  L.  VII,  24,  31,  32,  33. 

6.  La  correspondance  avec  Dryander  et  ses  amis  (1533)  com- 
prend deux  lettres  :  L,  VII,  40,  47. 


la  vil:  et  les  oeuvres  d'aghippa  63 

Après  avoir  mentionné  les  correspondants  dont 
les  relations  épistolaires  plus  ou  moins  prolongées 
avec  Agrippa  ont,  dans  sa  vie,  le  caractère  d'incidents 
significatifs,  il  convient  de  citer,  en  négligeant  tou- 
tefois un  certain  nombre  do  noms  tout  à  fait  obscurs 
et  sans  intérêt,  ceux  de  quelques  personnages 
dignes  d'attention  qui  ne  figurent  que  d'une  manière 
accidentelle  dans  la  correspondance  générale  et 
dans  l'histoire  de  l'homme  qui  nous  occupe.  Tels 
sont  le  pape  Léon  X,  avec  une  lettre  sous  la  signa- 
ture du  célèbre  Bembo  (Ep.  I,  38)  ;  Charles-Quint 
(Ep.  VI,  27);  la  princesse  Marguerite  d'Autriche, 
tante  de  l'empereur  (Ep.  VI,  3),  et  la  sœur  de  celui-ci, 
la  reine  Marie  de  Hongrie  (Ep.  VII,  21),  l'une  après 
l'autre  gouvernantes  des  Pays-Bas  ;  Marguerite,  du- 
chesse d'Alençon,  plus  tard  reine  de  Navarre,  sœur 
de  François  Ier  (Ep.  IV,  1)  ;  Guillaume  Paléologue, 
marquis  de  Montferrat  (Ep.  I,  51,  52);  le  cardinal 
Campegi,  légat  du  saint-siège  (Ep.  VI,  28,  VII,  12); 
le  cardinal  de  La  Marck,  évoque  de  Liège  (Ep.  VI, 
18);  Michel  de  Aranda,  évoque  do  Saint-Paul  en 
Dauphiné  (Ep.  IV,  7);  lo  comte  abbé  de  Corbie 
(Ep.  V,  Ci)  ;  Jean  Carondclot,  archevêque  de  Pa- 
lcrme,  président  du  conseil  privé  au  gouvernement 
des  Pays-Bas  (Ep.  VI,  10,  23)  ;  le  vicaire  et  l'official 
de  l'évêché  do  Metz  (Ep.  II,  38,  39)  ;  Jean  do  Lau- 
rencin,  commandeur  de  Saint-Antoine  de  Hiverio 
(Opéra,  t.  Il,  p.  331)  ;  le  père  Lagrônc,  gardien  du 
couvent  do^:  Gordcliers  de  Sainl-Bonavcnturc  h  Lyon 
(Ep.  III,  33,  34);  le  comte  de  Ifochstrat,  président 


04  CHAPITRE    PREMIER 

du  conseil  des  finances  au  gouvernement  des  Pays- 
Bas  (Ep.  VI,  4)  ;  Maximil.  Transsylvanus,  conseiller 
de  l'empereur  dans  ce  gouvernement  (Opéra,  t.  II, 
p.  513);  le  docteur  Henry,  revêtu  du  même  caractère 
dans  la  province  de  Luxembourg  '  ;  Jean  de  Ponti- 
gny  ou  de  Niedbruck,  médecin  et  conseiller  du  duc 
de  Lorraine,  et  de  la  ville  de  Metz  (Opéra,  t.  II, 
p.  583);  le  fils  du  seigneur  de  Lucynge  (Ep.  III,  31)  ; 
Mélanchthon  (Ep.  VII,  13)  ;  Capiton  (Ep.  III,  15,  18); 
Orenti  (Ep.  V,  44)  ;  Gandiotus  (Ep.  I,  28). 

Quelques  unes  des  lettres  adressées  à  ces  person- 
nages sont  des  épîtres  dédicatoires,  d'autres  sont  de 
véritables  mémoires  ou  des  requêtes.  Cette  remar- 
que nous  fournit  l'occasion  de  faire  observer  que, 
parmi  les  pièces  de  la  correspondance  imprimée,  se 
trouvent  rangés  quelques  documents  qui  ont  égale- 
ment ce  dernier  caractère  bien  plutôt  que  celui 
de  simples  missives.  Telles  sont  les  pièces  adres- 
sées au  conseil  de  Malines  (Ep.  VI,  7,  21,  22),  aux 
magistrats  delà  ville  de  Cologne  (Ep.  VII,  26),  aux 
juges  de  Bruxelles  (Ep.  VI,  25,  26).  On  trouve 
même,  dans  le  recueil  des  lettres,  trois  préfaces  :  celle 
du  livre  I  du  traité  de  la  philosophie  occulte  (Ep.  VI, 
12) .  celle  des  pièces  de  la  polémique  pour  la  mono- 
gamie de    sainte    Anne   (Ep.   VII,   36),   celle   enfin 

1.  La  lettre  adressée  an  docteur  Henry  est  omise  dans  le  re- 
cueil général  des  lettres  publié  au  tome  II  des  œuvres  com- 
plètes. Elle  est  rapportée  avec  d'autres,  dans  un  volume  im- 
primé en  ]  53 1  et  contenant  les  pièces  relatives  à  la  querelle 
sur  la  monogamio   de  sainte  Anne. 


LA    VIE    ET    LES    OEUVRES    D'AGRIPPA  65 

qu'Agrippa  a  écrite  pour  les  œuvres  de  Godoschal- 
cus   Moncordius,  religieux  cistercien  (Ep.  VII,  37). 

Les  indications  qui  précèdent  montrent,  dans  ses 
lignes  essentielles,  le  mouvement  de  la  correspon- 
dance d'Agrippa.  Elles  nous  permettent  de  signaler 
d'avance  les  personnages  qui,  en  s'y  associant,  carac- 
térisent le  milieu  dans  lequel  s'est  développée  la  vie 
de  l'homme  que  nous  voulons  faire  connaître.  Nous 
n'insisterons  pas  pour  le  moment  et  nous  termine- 
rons ce  que  nous  avons  à  dire  maintenant  sur  ce 
sujet,  en  faisant  remarquer  comme  un  trait  des 
mœurs  du  temps  la  fréquente  mention,  dans  ces 
documents,  des  difficultés  qui  venaient  alors  à  la 
traverse  d'un  commerce  épistolaire.  Il  y  est  souvent 
question  de  lettres  perdues,  de  commissionnaires 
infidèles,  et  parfois  de  l'absence  complète  de 
moyens  de  correspondre,  de  la  rareté  des  inter- 
médiaires sûrs  et  dignes  de  confiance,  de  l'impossi- 
bilité enfin  de  livrer  certaines  choses  secrètes  aux 
chances  de  semblables  moyens  de  communication. 

La  correspondance  dont  nous  venons  de  parler 
nous  fournira,  comme  nous  l'avons  dit,  la  trame  du 
récit  dans  l'étude  que  nous  allons  faire  de  la  vie 
d'Agrippa;  mais  l'esprit  de  celle-ci  ressort  plutôt, 
avons-nous  dit  aussi,  des  ouvrages  laissés  par  lui,  des 
deux  principaux  surtout,  la  philosophie  occulte  et  le 
traité  de  l'incertitude  et  de  la  vanité  des  sciences, 
que  nous  avons  déjà  signalés,  et  à  l'appréciation 
desquels  nous  croyons  utile  de  nous  arrêter  un 
instant. 


6G  CHAPITRE    PREMIER 

Le  traité  de  la  philosophie  occulte  »  est,  en  rac- 
courci, une  espèce  d'encyclopédie,  comme  plusieurs 
grands  ouvrages  du  moyen  âge,  les  Sommes,  les 
Miroirs,  Spécula,  dans  lesquels  étaient  groupées  en 
un  vaste  ensemble,  ou  bien  d'une  manière  plus 
restreinte  dans  le  cadre  d'un  sujet  spécial,  les  con- 
naissances qu'un  homme  pouvait  réunir,  soit  sur 
toutes  les  branches  à  la  fois  de  la  science,  soit  sur 
l'une  d'elles  en  particulier.  A  une  époque  où  le  savoir 
humain  était  enfermé  dans  des  horizons  peu  éten- 
dus, la  possibilité  d'en  atteindre  les  limites  faisait 
que  volontiers  on  s'élançait  vers  celles-ci  dans  toutes 
les  directions  à  la  fois.  L'universalité  des  connais- 
sances obtenues  ainsi  donnait,  malgré  leur  imper- 
fection, aux  esprits  un  remarquable  ressort.  Un 
homme  voué  à  l'étude  était  par  là  au  courant  de 
toutes  choses,  et  savait  à  peu  près  tout  ce  qu'on 
connaissait  alors  de  chacune  d'elles.  Les  idées  géné- 
rales abondaient;  malheureusement  elles  étaient 
faussées  par  de  vieux  systèmes  dont  on  était,  il  est 
vrai,  bien  près  de  s'affranchir;  mais  auxquels  cepen- 
dant on  était  encore  généralement  attaché  et  soumis, 
au  commencement  du  xvie  siècle. 

L'ouvrage  d'Agrippa  est  comme  un  dernier  ta- 
bleau de  ces  conceptions  singulières,  qui  s'étaient 
pendant  longtemps  imposées  au  respect  et  à  la  foi 
des  hommes,  et  qui  étaient  à  la  veille  de  perdre 
leur  prestige    et  leur   autorité.     On    est    fondé   à 

1.  De  occullaphilosophia  libri  très  (Opéra,  t.  I,  p.  1  à  404). 


LA    VIE    ET    LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  <'>7 

croire  qu'en  les  résumant  à  son  lour,  Agrippa  ne 
leur  accordait  plus  complètement  sa  confiance.  Son 
ouvrage  est,  malgré  cela,  très  propre  à  donner  une 
idée  de  la  disposition  des  esprits  et  de  l'état  de 
certaines  opinions  à  l'époque  où  il  a  été  composé  ; 
époque  très  intéressante,  car  elle  n'est  autre  que  le 
début  du  xvi°  siècle,  le  commencement  d'une  ère 
qu'allaient  signaler  la  réforme  religieuse  avec  toutes 
ses  conséquences  sociales  et  politiques,  et  le  renou- 
vellement des  études  de  l'antiquité,  l'éclosion  de 
l'art  moderne,  l'aurore  de  la  renaissance  en  un  mot. 

Le  traité  de  la  philosophie  occulte  comprend  trois 
livres  subdivisés  en  cent  quatre-vingt-dix-neuf  cha- 
pitres. 11  occupe  environ  quatre  cents  pages  d'un 
texte  très  serré,  dans  l'édition  générale  des  œuvres 
d' Agrippa.  Dans  ce  cadre  étendu,  l'auteur  a  distribué 
ses  matières  d'après  une  classification  systéma- 
tique dont  il  rend  compte  comme  il  suit,  au  début 
de  son  œuvre  (L.  I,  1). 

Le  monde,  dit-il,  étant  triple,  élémentaire  c'est- 
à-dire  terrestre,  céleste  et  intellectuel,  les  connais- 
sances qui  s'y  rapportent  forment  naturellement 
trois  grands  groupes,  où  se  classent  d'une  ma- 
nière distincte  les  notions  qui  concernent  les  forces 
de  la  nature,  objet  de  la  magie  naturelle,  celles  qui 
regardent  les  vertus  supérieures,  c'est-à-dire  la 
magie  céleste,  et  celles  qui  sont  relatives  aux  reli- 
gions et  qui  constituent  la  magie  cérémonialc.  A 
chacun  de  ces  trois  groupes  est  consacré  un  des 
trois  livres  de  l'ouvrage.  Ce  plan  grandiose,  il  faut 


68  CHAPITRE    PREMIER 

bien  le  dire,  est  un  peu  modifié  dans  l'exécution  par 
la  difficulté  de  rester  fidèle  à  un  semblable  pro- 
gramme, et  par  celle  de  le  remplir  complètement. 
L'œuvre  réalisée  présente,  on  ne  saurait  s'en  éton- 
ner, quelque  confusion  et  de  nombreuses  lacunes, 
sans  parler  des  étranges  conceptions  qui,  en  bien 
des  points,  y  tiennent  la  place  de  la  vérité.  Mais  ces 
conceptions  sont  de  leur  temps.  Elles  offrent,  à  ce 
titre  au  moins,  et  comme  renseignement  historique 
touchant  l'état  des  esprits  qui  les  accueillaient,  un 
incontestable  intérêt.  En  somme,  voici  ce  qu'on 
trouve  dans  le  traité  d'Agrippa  de  la  philosophie 
occulte. 

Le  livre  premier  renferme  un  ensemble  de  consi- 
dérations sur  la  nature  et  les  propriétés  de  la 
matière  dans  le  ciel  aussi  bien  que  sur  la  terre, 
c'est-à-dire  dans  les  astres,  dans  les  corps  inertes 
qui  constituent  notre  globe,  dans  les  plantes  qui  le 
couvrent,  dans  les  animaux  qui  le  peuplent,  dans 
l'homme  enlin  qui  y  règne,  considéré  au  double  point 
de  vue  de  ses  organes  corporels  et  de  son  esprit.  Ce 
qui  préoccupe  le  philosophe  du  xvie  siècle,  ce  ne  sont 
pas  seulement  le  caractère  et  les  propriétés  particu- 
lières de  ces  êtres  divers,  en  eux-mêmes  ;  ce  sont 
surtout  leurs  relations  entre  eux.  La  conception  de 
ces  relations  est,  dans  l'œuvre  d'Agrippa,  dominée 
par  certains  systèmes  philosophiques  grossièrement 
spiritualistes  que  le  moyen  âge  avait,  en  grande 
partie,  empruntés  à  l'antiquité.  On  y  trouve  comme 
un  reflet  des  théories  de  Platon  sur  les  idées,  types 


LA    VIE    ET    LES   OEUVRES    d'aGRIPPA  G'J 

ou  formes  des  choses,  et  des  conceptions  do  Pytha- 
gore  sur  les  nombres,  âmes  des  choses  ;  systèmes 
qui  se  rattachaient  probablement,  on  a  lieu  de  le 
croire,  à  des  doctrines  orientales  plus  anciennes. 
Ces  systèmes,  imposés  ou  substitués  aux  données 
fournies  par  l'observation  et  par  l'expérience,  déna- 
turent dans  leur  essence  la  physique  et  la  physiolo- 
gie, et  en  font  sortir  l'alchimie,  l'astrologie  et  les 
arts  divinatoires.  Sur  ces  matières,  l'auteur  fait 
preuve  d'une  véritable  érudition  et  parfois  d'une 
certaine  sagacité,  dans  l'explication  de  quelques 
phénomènes  particuliers. 

Le  livre  deuxième  reprend,  avec  de  nouveaux  dé- 
veloppements, l'examen  des  liens  mystérieux  qui 
existent  entre  les  choses  d'ordre  matériel  et  celles 
d'ordre  spirituel,  entre  les  corps  et  les  esprits,  entre 
ce  qui  se  passe  sur  la  terre  et  ce  qui  existe  dans  le 
ciel  :  fondement  de  l'astrologie.  Il  débute  par  des  ob- 
servations sur  les  quantités  et  sur  les  nombres  qui 
les  représentent;  puis  sur  leurs  propriétés  dans  l'a- 
rithmétique, dans  la  géométrie,  dans  la  musique. 
L'harmonie,  dont  celle-ci  est  l'expression  propre,  le 
conduit  à  des  considérations  sur  le  corps  humain, 
type  de  l'harmonie  des  formes,  en  possession,  dit-il, 
(h;  fournir  le  canon  des  proportions  à  tous  les  arts. 
Des  harmonies  qui  résident  dans  les  corps  terres- 
tres, l'auteur  passe  à  celles  qui  appartiennent  aux 
corps  célestes,  et  il  arrive  par  là  aux  relations  qui, 
suivant  lui,  rattachent  ces  corps  les  uns  aux  autres,  et 
fournissent  ainsi   les  luis  des  arts  divinatoires;  la 


70  CHAPITRE    PREMIER 

cief  de  ceux-ci  étant  donnée  par  l'astrologie,  et  leurs 
procédés  consistant  dans  l'observation  des  astres  et 
même  dans  l'étude  des  figures  qui  les  représentent. 
De  là  diverses  déductions  sur  les  âmes  qui  animent 
le  monde  et  ses  diverses  parties,  sur  leurs  vertus, 
et  sur  le  pouvoir  du  magicien  de  s'approprier  leur 
influence  par  des  incantations. 

Le  livre  troisième,  enfin,  est  consacré  à  l'examen 
des  pratiques  religieuses,  clans  tous  les  temps  et 
chez  tous  les  peuples.  En  môme  temps  qu'il  y  af- 
firme son  inébranlable  orthodoxie,  l'auteur  y  fait 
preuve  d'un  esprit  de  tolérance  remarquable,  qui, 
eu  égard  au  temps  où  il  vivait,  prouve  de  sa  part 
un  peu  plus  peut-être  que  de  l'impartialité  et  jusqu'à 
une  certaine  indifférence,  touchant  ces  matières.  Il 
s'efforce  d'établir  sur  le  terrain  préparé  ainsi  une 
Sorte  de  lieu  de  rencontre  entre  le  christianisme  et 
les  anciennes  religions  du  paganisme.  Il  trouve  le  té- 
moignage de  ces  relations  dans  certains  principes, 
dans  certains  faits  admis  par  les  chrétiens  aussi 
bien  que  par  les  païens;  faits  relevés  par  lui  avec 
soin,  qui  servent  de  fondement  à  la  démonologie 
où  il  arrive  ainsi.  Après  avoir  parlé  des  bons  et  des 
mauvais  démons,  il  passe  aux  héros,  puis  à  l'homme 
qu'il  considère  au  point  de  vue  surtout  de  son  âme. 
Il  parle  de  la  nature  de  cette  âme,  de  sa  situation,  de 
sa  destinée,  après  sa  séparation  du  corps,  et  de  son 
retour  possible  dans  celui-ci  après  la  mort.  La  nô- 
cromantie,  les  évocations,  les  oracles,  vaticinia  et 
furor,  l'occupent  ensuite,   ainsi   que  les  conditions 


LA   VIE   ET    LES    OEUVRES    d\\GRIPPA  ~1 

dans  lesquelles  il  est  donné  à  l'homme  de  provoquer 
leurs  effets. 

Voilà  quelle  est,  dans  ses  grandes  lignes,  l'œuvre 
enfantée  par  Agrippa  sous  le  titre  de  philosophie 
occulte.  Nous  ne  parlons  pas  d'un  quatrième  livre 
introduit,  à  la  suite  des  trois  premiers,  dans  les  édi- 
tions postérieures  à  la  mort  de  l'auteur1,  et  consacré, 
y  est-il  dit,  à  la  magie  pratique,  Liber  de  cœremoniis 
magicis.  Jean  "Wier  nie  que  ce  quatrième  livre  soit 
d'Agrippa,  sur  le  compte  de  qui  on  l'a  mis  sans  rai- 
son, dit-il;  addition  qui,  suivant  le  disciple,  aggrave- 
rait beaucoup  les  torts  qu'on  peut  déjà  imputer  au 
maître.  Ce  livre  quatrième  est,  aux  yeux  de  Jean 
Wier,  une  véritable  abomination.  11  ne  nous  semble 
pas  cependant  aujourd'hui  qu'il  diffère  beaucoup  par 
son  caractère  do  ce  qui  est  dit  dans  les  trois  premiers 
livres  publiés  par  Agrippa  lui-même;  lesquels, 
de  son  propre  aveu  et  d'après  ses  déclarations  ex- 
presses, sont  incontestablement  son  ouvrage. 

Nous  venons  d'indiquer  sommairement  les  matiè- 
res contenues  dans  le  traité  de  la  philosophie  oc- 
culte. Il  convient  maintenant  de  signaler  plus  com- 
plètement les  idées  et  les  doctrines  qui  s'y  trouvent 
exposées.  Pour  le  Faire  plus  clairement  el  plus  briè- 
vement, nous  négligerons  l'arrangement  dont  nous 
venons  de  rendre  compte  suivant  lequel  l'auteur  en 
a  l'ail  l'exposition,  cl   nous  introduirons  dans  le  la- 

1.  On  trouvera  quelque  explications  à  ce  sujet  ddn9  une 
non.'  do  l'appendice  (n*  XXXII). 


72  CHAPITRE    PREMIER 

blcau  que  nous  voulons  en  présenter  ici,  un  ordre 
méthodique  permettant  de  réunir  des  traits  qui  se 
trouvent  épars  dans  les  diverses  portions  de  l'ou- 
vrage et  qu'il  peut  être  bon  de  rapprocher  les  uns 
des  autres,  pour  leur  donner  toute  leur  signification 
et  en  faciliter  l'intelligence. 

Rien  n'est  plus  digne  de  nos  efforts  en  cette  vie, 
dit  Agrippa  dans  son  traité,  que  de  conserver 
clans  sa  noblesse  notre  esprit;  puisque  par  lui  nous 
pouvons  nous  élever  jusqu'à  Dieu  et  revêtir,  en  quel- 
que sorte,  la  nature  divine.  Pour  cela,  il  faut  l'arra- 
cher à  la  torpeur  de  l'inaction  qui  le  livre  à  toutes 
les  fragilités  et  aux  vices  de  notre  corps  terrestre.  Il 
faut,  par  la  science  des  choses  divines,  le  disposer  à 
ne  jamais  perdre  de  vue  sa  propre  dignité,  dans  les 
conceptions  qu'il  enfante,  aussi  bien  que  dans  les 
actes  qu'il  nous  inspire  (L.  III,  Epist.  nuncupat.). 
Mais,  pour  Agrippa,  les  choses  divines  sont  intime- 
ment liées  aux  choses  humaines,  les  choses  célestes 
aux  choses  terrestres.  Les  rapports  qu'il  reconnaît 
entre  elles  le  conduisent  à  des  conséquences  exces- 
sives et  à  des  conclusions  erronées  qui  forment  une 
partie  essentielle  de  ses  doctrines;  d'accord  avec  les 
données  d'un  vague  panthéisme,  précédemment 
signalé  dans  notre  introduction,  comme  étant  au 
moyen  âge  la  métaphysique  môme  des  sciences  et 
des  arts  occultes. 

Toutes  choses  se  tiennent,  toutes  sont  liées  entre 
elles  par  des  relations  d'affinité  ou  d'opposition,  d'a- 
mitié ou   d'inimitié,   c'est   ainsi   qu'Agrippa    s'ex- 


LA    VIE    ET    LES    OEUVRES    d'aGUIPPA  73 

prime.  Les  astres  entre  eux,  et  comme  eux  les  corps 
inertes,  ainsi  que  les  animaux  et  les  hommes,  sont 
soumis  à  cette  loi  générale;  celle-ci  fournit  un 
des  moyens  les  plus  efficaces  pour  étudier  et  con- 
naître, les  unes  par  les  autres,  les  choses  d'ordres 
les  plus  éloignés,  et  pour  pénétrer  ainsi  des  secrets 
dont  la  recherche  directe  serait  inabordable.  De  là 
l'astrologie  et  la  divination.  Dans  des  conditions 
analogues,  on  peut  arriver  aussi,  par  des  transmu- 
tations que  régissent  ces  lois  générales  d'affinité,  à 
substituer  la  nature  d'une  chose  à  celle  d'une  au- 
tre. De  là  l'alchimie. 

Cette  science  universelle  et  ses  merveilleuses  ap- 
plications, c'est  la  magie;  la  magie  toute  puissante 
et  pleine  de  mystères,  embrassant  la  contemplation 
des  choses  les  plus  secrètes,  initiée  à  la  connais- 
sance de  la  nature  et  des  vertus  de  tout  ce  qui  existe, 
capable  de  produire  les  plus  admirables  effets  en 
unissant  les  corps  conformément  à  certaines  lois,  et 
en  rattachant  surtout,  comme  pour  les  fondre  ensem- 
ble, les  choses  supérieures  armées  de  leurs  puissants 
attributs,  aux  choses  inférieures.  C'est  là,  s'écrie 
Agrippa,  la  suprême  et  parfaite  science,  le  complet 
achèvement  de  la  plus  noble  philosophie  '.  Mais  cette 
science  universelle,  dit-il  ailleurs,  ne  saurait  être  li- 
vrée sans  danger  au  vulgaire;  elle  doit  rester  cou- 


1.  <•<  Hœc  perfeciissima,  aummaque  scientia,  hsce  allior  aanc* 
«  tiorque  pbilosophia,  haïe  denique  totius  nobilissiirïse  philo- 
«  sophiic  ubsolulu  consummatio.  ^  (L  1,  >.) 

T.  I.  S 


74  CHAPITRE    PREMIER 

verte  d'un  voile  qui,  sans  arrêter  la  vue  du  sage, 
s'oppose  à  l'indiscrète  curiosité  des  hommes  indi- 
gnes. De  là  le  titre  du  livre  delà  philosophie  occulte, 
De  occulta  ph ilosoph m. 

Tout  n'est  pas  vrai,  tant  s'en  faut,  dans  l'ouvrage 
d' Agrippa  ;  mais  tout  n'y  est  pas  faux  non  plus.  On  y 
trouve  quelques  notions  positives  mêlées  à  des  con- 
ceptions absolument  imaginaires.  Ce  sont  néan- 
moins celles-ci  qui  l'emportent  sur  les  autres,  et 
qui  donnent  à  l'œuvre  son  caractère  propre.  Les  no- 
tions positives  qui  s'y  rencontrent  sont  fondées  sur 
l'observation  et  sur  les  justes  déductions  qui  en  res- 
sortent  :  méthode  excellente,  quoiqu'elle  ne  préserve 
pas  complètement  de  l'erreur;  parce  que,  en  l'appli- 
quant, l'homme  est  nécessairement  guidé  par  les  ap- 
parences, et  que  celles-ci  sont  souvent  trompeuses. 
Quant  aux  conceptions  imaginaires  qui  se  trouvent 
associées  à  ces  résultats  de  l'expérience,  ce  sont  des 
inductions  procédant  de  théories  arbitraires  et  abou- 
tissant nécessairement  à  des  doctrines  erronées  et  à 
des  pratiques  abusives.  Je  voudrais  être  bref  en  fai- 
sant, avec  quelques  détails  cependant,  l'exposition 
des  idées  énoncées  par  Agrippa  dans  son  traité  delà 
philosophie  occulte  et  ne  toucher  qu'aux  plus  essen* 
déliés. 

Le  monde  matériel  est  ce  qui  frappe  l'homme  avant 
tout.  Agrippa  y  reconnaît  naturellement,  suivant  les 
doctrines  de  l'antiquité,  les  quatre  éléments,  l'eau,  le 
feu,  la  terre  et  l'air.  Dans  leur  condition  originaire^ 
dit-il,  ces  éléments  sont  purs  et  inaltérables.   Dans 


LA    VIE    ET    LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  75 

un  second  état,  ils  sont  mélangés,  impurs,  mais  ca- 
pables d'être  ramenés  par  l'effet  de  l'art  à  leur  pre- 
mière condition.  Dans  un  troisième  et  dernier  état, 
ils  sont  décomposés  et  susceptibles  de  se  transfor- 
mer les  uns  dans  les  autres  (L.  I,  4)  ;  mystère  qu'il 
est- donné  à  peu  d'hommes  de  pénétrer.  La  terre 
peut  se  liquéfier  et  l'eau  se  condenser  en  solide,  ou 
bien  par  la  chaleur  s'évaporer  et  se  changer  en  air. 
L'air,  de  son  côté,  devient  feu  en  s'enflammant. 
Lorsqu'il  est  éteint,  le  feu  redevient  air  et  celui-ci, 
refroidi,  passe  à  l'état  de  terre,  de  pierre  ou  de  soufre 
(L.  1,  o).  Ainsi  se  produisent  les  corps  ;  et,  dans  leur 
formation,  les  nombres,  élément  essentiel  de  tout  ce 
qui  est  dans  le  temps  et  clans  l'espace,  les  nombres 
jouent  un  grand  rôle,  suivant  certaines  lois  dont 
l'observation  a  une  importance  suprême,  quand  on 
veut  produire  les  phénomènes  de  transformation 
(L.  II,  "2).  On  pourrait  croire  ici  à  une  vue  anticipée 
de  la  théorie  des  atomes  constitutifs  et  des  équiva- 
lents chimiques  clans  la  composition  des  corps,  si 
l'écrivain  du  xvie  siècle  n'ajoutait  :  les  lois  qui  ré- 
gissent ces  nombres  se  révèlent  surtout  clans  la 
figure  des  objets  ;  ce  qui  montre  qu'il  n'entend 
parler  que  des  lois  d'une  harmonie  tangible  et  des 
proportions   extérieures   qui    régissent  la  forme. 

La  matière  qui  se  révèle  ainsi  à  nous  est  douée 
de  propriétés  diverses.  Telles  sont,  en  première 
ligne,  les  vertus  élémentaires,  tes  unes  primaires, 
comme  de  B*échaufFer  et  de  se  refroidir,  île  s'humi- 
difier et  de  se  dessécher,   au  moyen  desquelles  la 


76  CHAPITRE    PREMIER 

substance  peut  se  transformer;  les  autres  secon- 
daires, qui  sont  produites  parles  premières,  savoir: 
la  maturation,  la  digestion,  le  ramollissement,  l'in- 
duration, la  corrosion,  l'évaporation,  la  conglutina- 
tion,  l'attraction,  la  répulsion,  etc.  Appliquées  aux 
corps  constitués  pour  y  provoquer  certains  phé- 
nomènes, ces  vertus  secondaires  engendrent  di- 
verses opérations  naturelles  où  se  manifestent  les 
vertus  tertiaires,  lesquelles  procèdent  des  vertus 
secondaires,  comme  celles-ci  procèdent  des  vertus 
primaires.  Ces  vertus  tertiaires  jouent  un  grand 
rôle  dans  la  médecine  et  clans  les  arts  (L.  I,  9). 

Outre  les  vertus  élémentaires,  ajoute  Agrippa, 
lesquelles  dépendent  de  la  quantité  de  matière  mise 
enjeu,  il  en  est  d'autres  qui  sont  indépendantes  de 
cette  circonstance.  Ce  sont  les  vertus  ou  propriétés 
occultes,  dont  les  causes  cachées  et  insaisissables 
pour  l'intelligence  commune  des  hommes  ont  été 
révélées  aux  philosophes  par  une  observation  pro- 
longée des  faits  accidentels,  plutôt  que  par  aucune 
recherche  directe.  Tels  sont  une  foule  de  faits  mer- 
veilleux dont  il  est  impossible  de  révoquer  en  doute 
la  réalité  (L.  I,  10).  L'attraction  magnétique  est  si- 
gnalée comme  telle,  avec  beaucoup  d'autres  phéno- 
mènes analogues  non  moins  singuliers  (L.  I,  15). 

Après  le  monde  matériel,  les  choses  d'ordre  spi- 
rituel. Pour  Agrippa,  comme  pour  certains  philo- 
sophes de  l'antiquité,  la  matière  est  partout  animée  ; 
tous  les  corps  ont  une  âme  ;  mais  c'est  dans  l'animal 
et  dans  l'homme  seulement  qu'on  peut  saisir  et  qu'on 


LA    VIE    ET    LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  77 

observe  le  rapprochement  et  l'union  de  la  matière  et 
de  l'esprit,  du  corps  et  de  l'âme,  du  physique  et  du 
moral.  Il  constate  l'influence  de  celui-ci  sur  l'autre, 
c'est-à-dire  l'incontestable  action  de  l'âme  et  de  ses 
passions  sur  le  corps  et  sur  ses  organes.   L'esprit 
dans  ce  cas  agit,  dit-il,  par  la  volonté  et  par  la  foi  : 
la  volonté,    premier    mobile  en  quelque    sorte    de 
toutes  nos  forces,  dont  elle  dispose  à  son  gré  et  dont 
elle  use  pour  le  bien,  quand  elle  est  d'accord  avec 
l'esprit  suprême  (L.  II,  28)  ;  la  foi  qui  implique  une 
ferme  adhésion  dans  cet  accord,  une  intention  fixe  et 
une  véhémente  application  dans  l'action,  laquelle  en 
reçoit  un  secours  considérable.  Ainsi  pouvons-nous, 
dit  Agrippa,  faire  de  grandes  choses  par  la  foi  ;  ainsi 
devons-nous  consacrer   à  tout   acte  une   énergique 
application,  une  forte  croyance  et  un  ferme  espoir; 
à  ce  point,  ajoute-t-il,  et  c'est  là  une   remarquable 
observation,  qu'une  confiance  tenace  peut  produire 
de  merveilleux  résultats,   même  dans  des  œuvres 
d'imposture  ;  tandis  que  la  méfiance  et  l'hésitation 
brisent  toute  force  et  paralysent  toute  vertu.  Il  est 
prouvé  pour  les  médecins,  dit-il  encore,  qu'une  foi 
inébranlable,    la   confiance   et  môme   une    certaine 
crédulité  à  l'endroit  de  la  médecine  font  beaucoup 
pour  la  guérison,  et  peuvent  môme  quelquefois  opé- 
rer ce  que  la  médecine  cllc-môme   serait  impuis- 
sante à  produire  (L.  I,  6G). 

Agrippa,  on  le  voit,  accorde  une  très  grande  puis- 
sance aux  facultés  morales.  Les  mouvements  de 
notre   esprit,   les   passions  de  notre  âme   affectent 


78  CHAPITRE    PREMIER 

notre  corps  et  peuvent,  suivant  lui,  changer  ses  dis- 
positions, jusqu'à  lui  infliger  la  maladie  ou  lui 
rendre  la  santé.  Beaucoup,  ajoutc-t-il,  n'assignent 
pas  d'autre  origine  aux  stigmates  de  saint  François 
(L.  I,  64).  Bien  plus,  dit-il  ensuite,  nous  pouvons 
agir  ainsi  même  sur  le  corps  des  autres  et  sur  leurs 
maladies  (L.  I,  05).  Remarquons,  en  passant,  ces 
doctrines  singulières  qui  ont  de  nos  jours  des  parti- 
sans et  qui  leur  fournissent  une  explication  de  cer- 
tains faits  qui  semblent  incontestables,  et  dans  les- 
quels d'autres  aiment  mieux  reconnaître  un  caractère 
miraculeux. 

Aux  yeux  d'Agrippn,  l'esprit  de  l'homme  possède 
naturellement  la  propriété  et  comme  une  certaine 
vertu  de  lier,  d'attirer,  d'arrêter,  de  changer  et  les 
hommes  et  les  choses  au  gré  de  ses  désirs,  et  de  les 
contraindre  à  lui  céder  et  à  lui  obéir,  pourvu  qu'il  soit 
soutenu  par  la  force  de  quelque  passion  portée  à  un 
haut  degré  de  développement  (L.  I,  GS).  Tout  en 
faisant  de  justes  réserves  sur  les  conséquences  tirées 
par  Agrippa  de  ces  considérations,  on  ne  peut  nier 
la  remarquable  hardiesse  et,  en  quelques  points  de 
détail,  la  justesse  de  pareilles  observations. 

Les  mêmes  qualités  et  les  mêmes  excès  se  re- 
trouvent dans  ce  qu'Agrippa  dit  du  langage,  expres- 
sion des  mouvements  de  l'esprit.  Il  distingue  le 
verbe  interne,  v'erbum  internum,  du  verbe  externe, 
verbum  prolutum  ;  le  premier  qui  n'est,  à  proprement 
parler,  que  la  conception  de  l'idée,  le  second  qui  est 
son  expression  par  la  parole,  à  laquelle  il  accorde 


LA    VIE    HT    LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  7!) 

non-seulement  la  puissance  d'agir  sur  les  êtres  qui 

l'entendent,  mais  quelquefois  encore,  ajoute-t-il,  sur 
les  choses  inanimées  elles-mêmes  (L.  1,  69).  Et 
il  reconnaît  cette  vertu  non-seulement  à  la  parole, 
expression  de  la  pensée,  mais  même  aux  simples 
mots  qui  en  sont  les  éléments  et  aux  caractères  de 
l'écriture  qui  ne  sont  que  les  signes  de  ces  derniers. 
L'importance  prédominante  qu'il  accorde,  à  cet 
égard,  à  l'écriture  hébraïque  montre  qu'il  suit  en 
cela  certaines  doctrines  dérivées  de  la  cabale  juive  et 
de  ses  écarts  les  plus  hardis. 

Au  dessus  des  choses  tant  matérielles  que  spiri- 
tuelles, au  dessus  du  monde  plane  la  divinité.  Les 
relations  du  monde  avec  Dieu  sont,  à  leur  tour,  le  su- 
jet d'observations  dignes  d'intérêt  dans  le  traité  d'A- 
grippa.  C'est  sur  la  religion  que  portent  celles  qui 
appellent  le  plus  sérieusement  l'attention.  Le  mys- 
tère, aux  yeux  d' Agrippa,  est  essentiel  dans  les  cho- 
ses qui  regardent  la  religion,  c'est-à-dire  les  rap- 
ports de  l'homme  avec  la  divinité.  Tous  les  anciens, 
les  philosophes  grecs  aussi  bien  que  les  cabalistcs 
hébreux,  l'ont  recommandé;  et  Jésus-Christ  lui- 
même  qui  ne  parlait  qu'en  paraboles  a  montré  par 
là  que,  dans  sa  pensée,  ses  disciples  les  plus  intimes 
devaient  seuls  connaître  complètement  le  mystère 
de  la  parole  de  Dieu  (L.  III,  2).  Aussi,  dit  ailleurs 
Agrippa, les  œuvres  saintes  exécutées  avec  foi  et  avec 
exactitude,  même  sans  l'intelligence  de  ce  qu'elles 
signifient,  suffisent  pour  nous  acquérir  les  mérites 
que  Dieu  accorde  fi  leur  accomplissement  (L.  III,  3). 


80  CHAPITRE    PREMIER 

La  religion,  dit-il  encore,  diffère  naturellement 
dans  les  rites  et  dans  les  cérémonies,  suivant  les 
temps  et  suivant  les  lieux.  Mais  toute  religion  a 
quelque  chose  de  bon  dans  ce  qu'elle  fait  pour 
le  Dieu  créateur  ;  et,  bien  qu'une  seule,  la  religion 
chrétienne,  soit  approuvée  par  lui,  les  autres  cultes 
qu'on  lui  adresse  ne  sont  pas  entièrement  réprouvés. 
Il  n'a  de  haine  et  de  vengeance  que  pour  les  im- 
pies et  les  hommes  irréligieux.  Ceux  là  seuls  sont 
ses  ennemis.  Aucune  religion  en  effet,  Lactance 
dit-il  en  témoigne,  n'est  si  complètement  erronée 
qu'elle  ne  contienne  quelques  principes  de  sagesse. 
Il  n'y  a  souvent  de  différence  de  l'une  à  l'autre  que 
celle  des  noms  divers  donnés  aux  mêmes  choses. 
Dans  les  dieux  des  Gentils,  il  faut  voir  seulement 
ce  que  les  Hébreux  appellent  les  numérations,  ce 
que  nous  chrétiens  nous  nommons  les  attributs  delà 
divinité  (L.  III,  10).  Cependant,  ajoute  Agrippa,  tout 
culte  étranger  à  la  religion  vraie  est  une  pure  supers- 
tition, il  faut  le  reconnaître  (L.  III,  4). 

Il  y  a  dans  l'ensemble  des  opinions  d'Agrippa  tou- 
chant le  créateur  et  la  créature,  l'esprit  et  la  ma- 
tière, beaucoup  d'indications  à  relever  sur  lesquel- 
les nous  ne  saurions  insister  ici.  On  y  trouve  des 
vues  hardies  et  qui  ne  manquent  pas  d'étendue. 
Cette  science,  au  reste,  ne  lui  appartient  pas  exclusi- 
vement. C'est  un  legs  de  l'antiquité,  à  l'autorité  de 
laquelle  il  se  reporte  continuellement.  A  cette  ori- 
gine se  rattachent,  d'une  manière  toute  spéciale,  ses 
idées  métaphysiques   et  certaines    conceptions   du 


LA   VIE   ET    LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  81 

même  ordre  qu'il  nous    semble  opportun  de  faire 
connaître  encore. 

Ces   conceptions   roulent   sur    des    matières   qui 
échappent  à  l'observation  directe;  mystères  qui,  dans 
tous  les  temps,  ont  été  l'objet  des  spéculations  de 
l'esprit  humain  et   le  sujet  d'hypothèses    risquées 
dans  lesquelles  il  se  complaît,  au  lieu  de  s'arrêter 
prudemment  aux  limites  de  la  compréhension  dont 
il  est  capable.  C'est  que  ces  limites  sont  incertaines; 
c'est  qu'il  est  difficile  de  les  déterminer;  et  que,  en 
présence  de  tout  ce  qu'il  ignore,  l'homme  ne  saurait 
distinguer  d'avance  ce  dont  il  peut,  à  force  de  recher- 
ches et  d'attention,  obtenir  à  la  longue  la  connais- 
sance, de  ce  qui  est  pour  toujours  interdit  à^scs  re- 
gards. Ainsi  s'explique  la  hardiesse  avec  laquelle 
sont  parfois  résolues  les  questions  qui  regardent  l'o- 
rigine, la  nature  et  la  fin  des  choses,  Dieu  et  la  créa- 
tion, le  monde,  l'homme  enfin,  l'homme  qui,  sur  bien 
des  points,  estpour  lui-même  une  source  d'insolubles 
problèmes.  Sur  ces  grands  sujets,  les  idées  exposées 
par  Agrippa  ont  encore  pour  principal   fondement 
les  théories  admises  dans  les  écoles  de  l'antiquité, 
dans  celles  surtout  de  Pythagore  et  de  Platon  qu'il 
ne  pouvait  cependant  connaître  qu'imparfaitement. 
A  Pythagore  peuvent  remonter  l'idée  des  rapports 
intimes  reliant  toutes  les  choses  entre  elles,  et  celle 
des  lois  d'harmonie  universelle  réglant  ces  rapports, 
avec  cette  pensée  que  les  nombres  en  sont  la  rigou- 
reuse expression.  A  Platon  appartient  plus  spécia- 
lement la  conception  d'une    absolue  subordination 


82.  CHAPITRE    PREMIER 

des  choses  d'ordre  matériel  aux  choses  d'ordre  spi- 
rituel, celles-ci  fournissant  les  idées  types,  source 
originaire  de  tout  ce  qui  existe  dans  le  monde  visi- 
ble. Suivant  Pythagore,  le  monde  serait  un  être 
animé  composé  de  diverses  parties.  Ces  parties  dis- 
tinctes sont  les  corps  et  ceux-ci  seraient  hantés  par 
des  âmes,  vertus  divines  dispersées  partout,  es- 
prits, démons,  intelligences  célestes,  émanations  de 
Dieu  lui-même  qui  est  le  principe  de  toutes  choses, 
substances  immatérielles  mêlées  à  la  nature  corpo- 
relle qui  lui  est  soumise.  Quant  à  Platon,  il  admet- 
tait aussi  dans  le  monde,  œuvre  d'un  Dieu  créateur, 
des  âmes  invisibles  et  des  corps  sensibles;  des  cho- 
ses supérieures  et  élémentaires  dont  le  siège  est 
dans  le  ciel,  idées  et  types  des  choses  inférieures  et 
matérielles  qui  en  sont  la  réalisation  sur  la  terre  ; 
théories  toutes  spiritualistes  accueillies  et  dévelop- 
pées dans  les  écoles  d'Alexandrie,  où  elles  avaient 
rencontré  les  doctrines  orientales  auxquelles  on 
rattache  les  systèmes,  attribués  à  Zoroastre,  sur 
les  bons  et  les  mauvais  esprits,  et  sur  leur  hiérar- 
chie. C'est  de  là  que,  par  diverses  voies,  ces  opi- 
nions avaient  passé  aux  écoles  du  moyen  âge  qui  en 
sont  toutes  pénétrées,  chez  les  Orientaux  et  les  Ara- 
bes aussi  bien  que  chez  les  Latins  et  les  autres 
peuples  occidentaux.  C'est  ainsi  qu'elles  arrivent 
à  notre  Agrippa. 

Dieu  est  le  créateur  et  le  maître  de  toutes  choses. 
Agrippa  n'hésite  pas  à  le  proclamer  ;  mais  il  semble 
se  rallier  à  certaines  doctrines  alexandrines  suivant 


LA    VIE    ET    LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  K3 

lesquelles  le  Dieu  suprême  aurait  créé  seulement  les 
dieux  inférieurs  et  les  démons,  immortels  comme  lui 
à  cause  de  cette  origine,  et,  sur  son  ordre,  créateurs 
à  leur  tour  de  tous  les  êtres  soumis  aux  lois  de  la 
mortalité  (L.  I,  61).  Il  suit  très  loin  dans  cette  voie 
les  néo-platoniciens  et  les  gnostiques,  dont  il  expose 
avec  complaisance  les  étranges  conceptions  sur  les 
attributs  de  la  divinité  et  sur  la  hiérarchie,  le  ca- 
ractère et  les  rôles  divers  des  dieux  inférieurs  et 
des  démons. 

Les  corps  célestes  ont  des  âmes  qui  les  dirigent 
et  qui  sont  le  principe  de  leur  influence  sur  les  corps 
inférieurs,  sur  les  choses  terrestres  (L.  II,  55).  C'est 
ainsi  que  les  planètes  servent  d'instrument  à  Dieu, 
cause  première,  pour  agir  sur  les  hommes.  Agrippa 
pourrait  bien  se  faire  quelque  illusion,  quand  il 
ajoute  que  ces  opinions  sur  les  âmes  des  corps  céles- 
tes appartiennent  aux  docteurs  chrétiens  aussi  bien 
qu'aux  philosophes  païens,  à  Origène  et  à  Plotin,  à 
saint  Jérôme,  à  Eusèbe,  à  saint  Augustin  et  à  saint 
Thomas  (L.  III,  15).  Voit-il  plus  juste  quand  il  af- 
firme que  ce  dernier,  dans  son  livre  de  Fato  ',  assigne 
formellement  aux  astres  une  influence  sur  les  œu- 
vres des  hommes  (L.  Il,  35)?  Ces  âmes  des  corps 
célestes  sont  des  émanations  intelligentes  de  la  di- 
vinité et  font  partie  de  la  hiérarchie  des  démons 
(L.  III,  14);  les  uns  bons  et  dont  l'assistance  peut 


].  Agrippa  désigne  probablement   ainsi  la  Questio  OG  de  la 
partie  l,v  de  la  Summa  theologica,  9i  non  l'un  des  opuscules. 


84  CHAPITRE    PREMIER 

être  utilement  invoquée  par  les  hommes  ;  les  autres 
méchants,  dont  les  premiers  doivent  nous  aider  à 
conjurer  la  malice  (L.  I,  4,  67;  III,  32).  De  là  l'in- 
fluence des  astres  sur  les  choses  de  la  terre,  dont  les 
forces  n'ont  pas  d'autre  origine,  et  sur  les  facultés 
elles-mêmes  de  l'homme  qui  leur  sont  soumises.  De 
là  aussi  la  possibilité  de  réagir  sur  les  corps  céles- 
tes par  la  mise  en  action  des  forces  terrestres,  qui, 
dépendant  des  astres,  se  trouvent  par  là  en  rapport 
avec  eux,  et  d'apprécier,  de  provoquer  môme  leur 
influence,  par  les  nombres  et  les  figures  auxquels  ces 
corps  supérieurs  prêtent  leur  vertu.  On  peut  recon- 
naître dans  ces  croyances,  la  source  naturelle  des 
pratiques  de  la  magie. 

Gomme  les  astres,  la  terre  aussi  a  une  âme,  spiri- 
tus  mundi,  qui  dans  la  physique  d' Agrippa  joue  le 
rôle  de  cinquième  essence,  à  côté  des  quatre  élé- 
ments. C'est  le  principe  des  propriétés  occultes  de 
la  matière,  lesquelles  procèdent  ainsi  non  de  la  na- 
ture des  éléments  terrestres,  mais  de  celle  des  cho- 
ses célestes,  et  descendent  de  ces  régions  supérieu- 
res d'où  le  rayonnement  des  astres  nous  les  apporte 
(L.  I,  13).  On  sait  en  effet,  dit-il,  que  la  vie  vient  du 
soleil  (L.  II,  32).  Mais  un  corps  matériel  ne  saurait 
être  le  principe  d'une  action;  et  c'est  de  l'âme,  intel- 
ligence directrice  de  l'astre  vivifiant,  que  procède 
toute  la  virtualité  dont  il  est  capable  (L.  II,  55). 

Ainsi  s'explique  cette  puissance  que  les  corps  ont 
d'agir  les  uns  sur  les  autres  et  de  communiquer  par- 
fois à  ceux  qui  sont  mis  en  contact  avec  eux,  leur 


LA    VIE    ET    LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  80 

propre  vertu  (L.  J,  16).  Ainsi  s'expliquent  les  affinités 
et  les  répulsions  des  uns  pour  les  autres  ;  car  toutes 
les  choses  sont  entre  elles  en  rapport  d'amitié  ou 
d'inimitié,  comme  les  corps  célestes  qui  leur  com- 
muniquent leur  influence  (L.  I,  17).  De  là  la  néces- 
sité pour  nous  de  connaître  les  astres,  leurs  vertus 
et  leurs  relations,  quand  nous  voulons  pénétrer  le 
régime  secret  des  corps  terrestres  (L.  I,  12),  quand 
nous  voulons  surtout  le  modifier,  en  produisant  d'a- 
vantageuses transmutations.  Cette  connaissance  est 
le  fondement  de  la  divination,  notamment  par  l'as- 
trologie, et  celui  de  l'alchimie  (L.  I,  12;  II,  29).  Par- 
tout la  matière  est  soumise  et  obéit  à  l'esprit.  Celui- 
ci  a  pour  nous  son  expression  dans  les  nombres, 
dans  les  figures,  et  surtout  dans  les  noms  des  cho- 
ses. Ainsi  se  trouve  démontrée  l'importance  des  pa- 
roles, ainsi  est  justifié  leur  rôle  dans  les  opérations 
magiques,  dans  les  incantations  par  exemple. 

Pour  ce  qui  est  de  l'âme  humaine,  Agrippa  distin- 
gue en  elle  trois  parties  ;  l'une,  mens,  qui  est  l'éma- 
nation divine  d'où  provient  la  lumière  dont  Dieu  est 
la  source;  l'autre,  ratio,  qui  reçoit  de  la  première 
cette  lumière,  et  qui  est  en  nous  l'organe  de  l'intelli- 
gence ;  la  troisième,  idolum,  d'où  procèdent  la  vie  et 
la  sensibilité  du  corps  et  de  ses  organes  (L.  III,  43). 
Cette  subtile  analyse  des  principes  immatériels  qui 
sont  en  nous  n'est  pas  plus  risquée  que  la  distinc- 
tion admise  par  les  anciens  entre  les  esprits,  les 
mânes  et  les  ombres;  pas  plus  hypothétique  non 
plus  que  la  plupart  des  conceptions  introduites  par 


86  CHAPITRE    PREMIER 

les  modernes  sur  le  môme  sujet.  Mais  Agrippa  ne 
s'en  tient  pas  là  dans  ses  considérations  sur  l'âme 
humaine  ;  il  ne  craint  pas  d'affirmer  que,  séparée  du 
corps  où  elle  résidait  pendant  la  vie,  elle  peut  y  être 
rappelée  par  les  pratiques  de  la  nécromantie.  L'an- 
tiquité païenne  et  l'antiquité  sacrée  elle-même  en 
fournissent,  prétend-il,  des  exemples  ;  et  il  croit  ces 
pratiques  justifiées  aussi  parla  religion  chrétienne, 
laquelle,  suivant  lui,  affirme  que  certaines  âmes 
pourront,  avant  le  jour  do  la  résurrection  univer- 
selle, rentrer  en  possession  du  corps  qui  leur  appar- 
tenait (L.  III,  41,  42). 

La  description  des  pratiques  mystérieuses,  à 
l'aide  desquelles  on  obtient  ces  merveilleux  résultats 
et  d'autres  du  même  genre,  n'est  pas  oubliée  dans  le 
traité  d'Agrippa.  L'art  des  fascinations,  celui  des 
enchantements  et  des  évocations  et,  avec  eux,  les 
procédés  de  la  divination,  l'astrologie  enfin  y  font 
l'objet  d'expositions  détaillées  auxquelles  l'auteur 
donne  pour  fondement  les  doctrines  de  métaphysi- 
que et  de  physique  dont  nous  venons  de  présenter  la 
succincte  analyse.  Cette  portion  de  son  œuvre,  conçue 
dans  un  esprit  tout  pratique,  en  est  de  beaucoup  la 
plus  étendue,  et  elle  frappait  plus  que  le  reste  proba- 
blement les  hommes  de  son  temps.  Il  n'en  serait  pas 
de  même  pour  ceux  d'aujourd'hui,  et,  l'on  compren- 
dra que  nous  ne  nous  y  arrêtions  pas. 

L'esprit  général  qu'on  observe  dans  la  philosophie 
occulte  d'Agrippa  est  celui  que  nous  avons  signalé 
dans  notre  introduction,  comme  étant  l'âme  de  l'art 


LA    VIE    ET    LES    OEUVRES    d'aGRIPP.Y  87 

hermétique,  de  la  cabale  et  de  la  magie  au  moyen  âge. 
C'est  une  sorte  de  panthéisme  grossièrement  spi- 
ritualiste  qui,  en  admettant  l'intime  liaison  et  la  dé- 
pendance réciproque  de  toutes  les  choses,  en  sou- 
mettant d'ailleurs  d'une  manière  expresse  la  matière 
à  l'esprit,  subordonne  le  terrestre  à  l'action  céleste, 
voit  partout  une  émanation  directe  de  la  divinité  créa- 
trice, et  range  à  ce  titre  au-dessous  de  celle-ci,  dans 
les  cadres  d'une  mythologie  vulgaire,  les  intelligences 
supérieures,  les  esprits,  les  démons  bons  et  mauvais, 
et  les  âmes  qui  président  à  la  vie  de  chaque  corps 
en  particulier.  Car  tout  est  animé  suivant  ce  système, 
et  le  monde  n'est  autre  chose  qu'un  grand  animal 
qui  en  comprend  une  multitude  d'autres.  C'est  là  le 
secret  magistral,  le  moyen  de  pénétrer  les  arcanes 
de  toutes  choses,  souvent  mentionné  dans  la  cor- 
respondance d'Agrippa  et  de  ses  amis. 

Ces  mystérieuses  doctrines  formaient  le  lien  qui 
unissait  entre  eux  des  adeptes  répandus  en  France, 
en  Italie,  en  Allemagne,  et  compris  dans  une  vaste 
corporation  où  ils  étaient  distribués  en  groupes 
nombreux  formant  des  associations  secrètes. 
Agrippa  a  passé  pour  être  le  chef  d'une  de  ces  as- 
sociations. Les  premières  lettres  de  sa  correspon- 
dance échangées  avec  ses  jeunes  amis  de  l'univer- 
sité de  Paris,  vers  les  années  1507,  1508,  1509, 
contiennent  en  effet  quelques  traits  qui  semblent, 
on  le  verra,  se  l'apportera  une  organisation  de  cette 
sorte. 

En  disposant  méthodiquement,  comme  nous  vc- 


88  CHAPITRE    PREMIER 

rions  de  le  faire,  les  notions  essentielles  que  con- 
tient la  philosophie  occulte  d'Agrippa,  nous  nous 
proposions  surtout  d'en  simplifier  l'exposition.  Ce 
tableau  donnerait  une  très  fausse  idée  de  l'ouvrage, 
s'il  induisait  à  penser  que  celui-ci  renferme  un 
corps  de  doctrine  suivi  et  complet  sur  les  sujets  di- 
vers dont  il  traite.  Les  idées  sont  loin  d'y  être  systé- 
matiquement liées.  L'auteur  y  fait  surtout  œuvre 
d'érudition  ;  il  y  procède  par  citations  et  par  em- 
prunts, et  son  travail  n'est  autre  chose  qu'une 
grande  compilation  dans  laquelle  il  expose  surtout 
les  idées  des  autres,  celles  principalement  des  phi- 
losophes de  l'antiquité.  On  voit  même  qu'il  ne  les 
leur  emprunte  pas  toujours  directement;  mais  que 
ses  sources  ont  dû  être  souvent  les  grandes  ency- 
clopédies du  moyen  âge,  dont  son  ouvrage  est  l'imi- 
tation. C'est,  en  somme,  un  assemblage  un  peu  con- 
fus et  assez  indigeste  de  notions  parfois  disparates, 
où  l'on  ne  devine,  sur  plus  d'un  point,  la  pensée  de 
l'écrivain  que  par  la  complaisance  plus  ou  moins 
grande  qu'il  met  à  rapporter  celle  des  autres,  sans 
déclarer  nettement  lui-même  ce  qui  a  dans  l'opinion 
de  ceux-ci  son  entier  assentiment. 

Nous  n'insisterons  pas  sur  la  singularité  des  idées 
et  des  doctrines  qui  se  trouvent  réunies  dans  l'ou- 
vrage d'Agrippa.  Disons  seulement  qu'il  ne  faudrait 
pas  les  juger  trop  sévèrement  du  point  de  vue  où  nous 
sommes  aujourd'hui.  Au  moyen  âge,  c'était  là  réel- 
lement de  la  science  ;  c'était,  sur  certaines  matières 
qui  préoccupaient  les  esprits,  l'ensemble  des  con- 


LA    VIE    ET   LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  89 

naissances  acquises.  Mêlées  de  préjugés  el  de  gros- 
sières erreurs,  ces  connaissances  forment  le  bizarre 
assemblage  qu'Agrippa  décore  du  nom  de  philoso- 
phie occulte.  Il  lui  appliquerait  volontiers  celui  de 
magie,  dénomination  antique  dont  il  n'hésiterait 
pas,  dit-il  en  plus  d'une  occasion,  à  relever  le  pres- 
tige, si  la  magie  n'était  pas  condamnée  '. 

Le  règne  de  cette  étrange  science  était,  au  reste, 
bien  près  de  finir.  Agrippa  échappait  déjà  en  partie 
à  ses  lois,  et  l'on  peut  douter  de  sa  bonne  foi  dans 
l'exposition  de  certaines  conceptions,  aussi  bien 
que  dans  la  mise  en  œuvre  de  certaines  pratiques  ou 
industries  qui  en  dépendaient.  Il  est  permis  de  croire, 
en  effet,  qu'il  n'admettait  pas  tout  ce  que  son  livre 
contient,  quoique  ses  doutes  ne  s'étendissent  peut- 
être  pas  jusqu'au  principe  qui  en  fait  le  fondement, 
la  croyance  à  des  rapports  secrets  entre  les  choses 
terrestres  et  les  astres,  avec  l'influence  directe  de 
ces  derniers  sur  celles-là.  Cependant,  quoique  dans 
plusieurs  circonstances  il  affiche  sa  foi  pour  cette 
croyance,  il  la  juge  ailleurs  avec  plus  de  sévérité  et 
d'exactitude.  Des  témoignages  d'incrédulité  en  ce 
qui  la  concerne  lui  échappent  dans  plus  d'un  trait 

1.  C'est  comme  un  traité  de  magie,  qu'Agrippa  prétendait 
avoir  composé  et  qu'il  aurait  voulu  présenter  le  premier  jet 
de  son  ouvrage  à  Tritheim  en  r>iO;  et  ce  n'est  pas  sans  re- 
gret, on  le  devine,  qu'il  avait  dû  lui  donner  plutôt  le  titre 
moins  décrié  de  philosophie  occulte  :  «  Très  libros  de  magio. 
«...composui,  et  de  occulta  philosophia,  minus  infenso  litulo, 
«  inscripsi.  »  (Ep.  I,  23.) 

T.  I.  9 


90  CHAPITRE    PREMIER 

de  sa  correspondance  ;  ils  se  groupent  enfin  et  s'af- 
firment avec  un  certain  éclat,  sans  beaucoup  plus  de 
sincérité  du  reste,  on  peut  le  croire  en  raison  de  ses 
formes  paradoxales,  dans  l'ouvrage  dont  il  nous 
reste  à  parler  maintenant,  dans  le  traité  de  l'incer- 
titude et  de  la  vanité  des  sciences. 

Le  traité  de  l'incertitude  et  de  la  vanité  des  scien- 
ces '  est  un  livre  où  le  scepticisme  et  le  doute  s'éta- 
lent avec  autant  d'exagération  que  le  font  la  con- 
fiance apparente  et  la  crédulité  dans  le  traité  de  la 
philosophie  occulte.  Mais,  de  même  que  certains 
passages  de  ce  dernier  ouvrage  permettent  de  dou- 
ter que  l'écrivain  croie  de  bonne  foi  tout  ce  qu'il  y 
expose,  de  même  on  devine,  à  quelques  traits  de 
l'autre,  que  l'écrivain  est  loin  d'avoir  secoué  le  joug 
de  tous  les  préjugés  dont  il  essaie  de  démontrer 
l'inanité  et  de  toutes  les  erreurs  qu'il  semble  reje- 
ter. Dans  les  deux  cas,  on  est  également  conduit  à 
reconnaître  chez  Agrippa  un  parti  pris  d'hyperbole 
en  des  sens  opposés.  Nous  avons  vu,  dans  la  philo- 
sophie occulte,  la  crédulité  poussée  jusqu'à  la  su- 
perstition ;  nous  allons  voir,  dans  le  traité  de  la  va- 
nité des  sciences,  le  scepticisme  poussé  jusqu'au 
paradoxe. 

Dans  ce  nouvel  ouvrage,  Agrippa  prétend  démon- 
trer que,  par  leurs  applications  et  leurs  conséquen- 
ces,  les  sciences  et  les  arts  sont  nuisibles  plutôt 

1<   De  incerliludiae  cl  vanilJle  scienliarum  cl  arlium,  atijuc 
excellentia  Vcrbi  Dci,  declamalio  (Opéra,  t    II,  p.  1  à  247); 


LA   VIE    ET    LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  91 

qu'utiles  à  l'homme.  Il  ajoute  qu'ils  ne  peuvent  que 
faire  tort  à  son  âme  aussi  bien  qu'à  son  esprit  et  à 
son  corps,  et  que  le  souverain  bien  consiste  à  ne 
rien  savoir.  Si  ce  livre  ne  contenait  que  le  dévelop- 
pement de  cette  singulière  proposition,  il  mériterait 
à  peine  qu'on  s'y  arrêtât  :  mais,  pour  nous  comme 
pour  l'auteur  lui-même,  c'est  tout  autre  chose.  Pour 
lui,  c'est  un  cadre  ouvert  à  son  érudition,  c'  - 
surtout  une  occasion  et  un  moyen  de  polémique,  de 
polémique  religieuse  principalement.  Quant  à  nous, 
indépendamment  de  l'intérêt  qu'il  nous  offre  à  ce 
point  de  vue  particulier,  nous  y  trouvons  groupés, 
d'une  manière  très  diçne  d'attention,  une  foule 
d'observations  et  de  témoignages  relatifs  aux  idées 

■ 

et  aux  mœurs  du  siècle  où  a  vécu  l'auteur  ;  car  ce 
qu'Agrippa  nomme  les  sciences  et  les  arts,  c'est  non- 
seulement  l'ensemble  des  doctrines  et  des  indus- 
tries, mais  encore  celui  des  pratiques  sociales  et 
des  usages  de  son  temps. 

L'enchaînement  de  ces  considérations,  sans  avoir 
rien  de  dogmatique  dans  le  livre  d'Agrippa.  indique 
chez  lui  un  esprit  de  méthode  qui  ne  manquait  certai- 
nement pas  dans  la  composition  du  premier  ouvrage, 
mais  qui  mérite  d'être  signalé  plus  expressément 
dans  celui-ci.  En  instruisant  ce  vaste  procès  contre 

-  œuvres  de  l'esprit  humain,  l'auteur  commence  par 
'   a  lettres,  d'où  il  pass>\  parla  philosophie,  aux  ma- 
thématique?  et  aux  sciences,  ainsi  qu'aux  arts  qui 
rattachent.  La  musique,  â  laquelle  il  arrive  ainsi,  le 
conduit  à  parler  des  beau*  arts,  de  l'astronomie  en- 


92  CHAPITRE    PREMIER 

suite  et  tout  naturellement  de  l'astrologie  qui  alors 
ne  faisait  qu'un  avec  elle,  puis  des  arts  divinatoires, 
de  la  magie,  de  la  théurgie  et  des  prestiges.  Agrippa 
se  trouve  ramené  par  cette  voie  sur  le  terrain,  de  la 
philosophie  naturelle,  de  la  métaphysique,  et  de  la 
morale  tant  privée  que  publique,  de  la  politique  par 
conséquent,  et  de  tout  ce  qui  touche  au  régime  des 
sociétés,  comme  aux  besoins  des  hommes,  dans  les 
exigences  de  leur  propre  conservation,  dans  leurs 
relations  entre  eux  et  dans  leurs  rapports  avec  la 
divinité  ;  d'où  la  médecine,  la  jurisprudence  et  la 
théologie. 

Agrippa  ne  voit  partout  que  mensonges,  hérésies, 
abus  de  tout  genre,  instruments  de  mal,  sources 
d'erreur.  Sa  conclusion  est  qu'il  n'y  a  de  bien  et 
de  vérité  que  dans  la  parole  de  Dieu.  Mais  il  fait 
tourner  cette  considération  finale  en  une  amèrc 
et  violente  satire  contre  l'Église.  Là  est  évidem- 
ment le  but  véritable,  bien  que  déguisé,  auquel  tend 
l'ouvrage  tout  entier.  L'auteur  se  montre  animé, 
dans  cette  attaque  véhémente,  de  l'esprit  même  et 
de  la  passion  des  réformateurs  de  son  temps.  Mais, 
avant  d'en  venir  là,  il  développe  brillamment  la 
thèse  qui  doit  le  conduire  à  cette  dernière  proposi- 
tion. 11  faut,  sans  s'attarder  à  sa  suite  dans  la  longue 
carrière  où  il  s'est  engagé  en  vue  de  cette  fin,  indi- 
quer au  moins  par  quelques  jalons  la  voie  qu'il  a 
suivie  pour  arriver  graduellement  à  la  conclusion 
où  il  veut  en  venir. 

Le    traité   de    l'incertitude    et  de    la  vanité  des 


LA    VIE    ET    LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  93 

sciences  et  des  arts  et  de  l'excellence  de  la  parole  de 
Dieu  n'a  pas  moins  de  cent  trois  chapitres  et  occupe 
deux  cent  cinquante  pages  à  peu  près  d'un  texte  très 
serré  dans  l'édition  générale  des  œuvres  d'Agrippa. 
Au  début  de  l'ouvrage,  l'auteur  s'élève  contre  une 
assertion  qu'il  a  placée  en  tête  de  l'un  des  livres  de 
son  premier  traité  ;  ce  ne  sera  pas  le  seul  démenti 
qu'il  devra  se  donner  à  lui-même.  Il  avait  avancé 
que  la  science  peut  communiquer  quelque  chose  de 
divin  à  l'esprit  de  l'homme.  Telle  est  l'antique  et 
unanime  opinion  de  tous  les  philosophes,  dit-il  en 
commençant  son  second  traité  ;  mais  je  suis,  ajoute- 
t-il  aussitôt  et  il  le  répétera  en  finissant,  d'un  tout 
autre  avis  ;  rien  ne  me  semble  plus  pernicieux  à  la 
santé  de  notre  corps  et  au  salut  de  notre  âme  que 
la  pratique  des  arts  et  la  culture  des  sciences.  Et  il 
entre  immédiatement  dans  le  développement  de  ce 
prodigieux  paradoxe  qu'il  s'applique  à  justifier  à 
grand  renfort  d'érudition,  avec  beaucoup  d'esprit  en 
même  temps,  quelquefois  aussi,  on  doit  le  recon- 
naître, avec  une  certaine  habileté. 

La  grammaire  et  la  rhétorique,  dit  Agrippa,  qui 
sont  des  arts  et  non  pas  des  sciences,  mais  qui  sont 
au  moins  les  principaux  instruments  de  celles-ci, 
produisent  aussi  souvent  des  conséquences  perni- 
cieuses que  des  résultats  utiles;  car,  loin  d'être  au 
service  exclusif  de  la  vérité,  elles  obéissent  aux 
caprices  de  ceux  qui  les  emploient.  Ce  sont  les 
organes  de  l'erreur  et  des  plus  insignes  hérésies. 
Quelles  autres  armes  ont  employées  ces  promoteurs 


9-4  CHAPITRE    PREMIER 

de  doctrines  nouvelles  qui,  sur  les  traces  de  Luther, 
se  sont  multipliés  à  ce  point,  dit-il,  que  chaque  ville 
ou  à  peu  près  a  aujourd'hui  la  sienne?  Que  sont-ils 
ces  hommes,  sinon  ceux  dont  la  plume  est  la  plus 
élégante  et  le  langage  le  plus  éloquent?  Gicéron  fait 
d'eux  des  païens,  Aristote  et  Platon  des  impies. 
Dans  la  médecine  ensuite,  clans  le  droit,  dans  la 
philosophie,  dans  la  théologie,  que  de  choses  con- 
testables, que  d'erreurs!  La  dialectique  même,  sous 
le  nom  de  logique,  ne  fait  qu'ajouter  par  ses  artifices 
à  l'obscurité  de  ces  sciences.  L'art  des  sophistes,  à 
son  tour,  est  une  nouvelle  aggravation  du  mal  qui 
en  résulte,  et  les  subtiles  inventions  de  Raimond 
Lulle  ne  sont  que  des  hardiesses  aussi  stériles 
qu'elles  sont  surprenantes.  L'observation  elle-même 
et  les  connaissances  qui  en  dérivent,  ne  présentent 
que  de  l'incertitude  ;  car  l'observation  a  pour  instru- 
ments nos  sens,  dont  les  témoignages  sont  trop 
souvent  trompeurs.  Quant  à  la  poésie,  elle  ne  vit,  on 
le  sait,  que  de  fictions;  et  l'histoire  est  un  domaine 
toujours  ouvert  au  mensonge  (en.  ii-ix). 

Agrippa  ne  semble  pas  avoir  beaucoup  connu  les 
mathématiques;  elles  ne  se  prêtent  guère,  en  effet,  à 
la  culture  un  peu  superficielle  qu'il  a  seule  accordée 
généralement  aux  divers  sujets  d'étude  abordés 
par  lui.  Il  ne  s'arrête  donc  que  fort  peu  à  ce  qui  les 
concerne;  cependant  ce  qu'il  en  dit  ne  manque  pas 
d'un  certain  intérêt.  Les  sciences  mathématiques 
passent,  dit-il,  pour  les  plus  certaines  ;  ot  pourtant 
que  sont-elles  sinon  les  opinions  mêmes  des  doc- 


LA   VIE    ET    NES    OEUVRES    d'aGIUPPA  05 

teurs  qui  les  cultivent?  On  ne  peut,  il  est  vrai,  les 
accuser  d'être  la  source  que  d'un  petit  nombre  d'hé- 
résies ;  mais,  suivant  saint  Augustin,  elles  n'impor- 
tent en  rien  au  salut;  elles  peuvent,  au  contraire, 
bien  plutôt  conduire  à  l'erreur  et  éloigner  de  Dieu. 
Ce  no  sont  pas  enfin,  aurait  dit  saint  Jérôme,  des 
sciences  de  piété  (ch.  xi). 

A  leur  tête  est  l'arithmétique,  laquelle  est  aussi 
comme  le  cadre  de  toutes  les  autres.  Elle  traite 
des  nombres  et  de  leurs  rapports.  Connaissance 
vaine  et  superstitieuse,  elle  est  le  fondement  des 
pratiques  divinatoires,  de  la  géomantie  :  —  la  géo- 
mantic  dont  j'ai  moi-même,  ajoute  Agrippa,  écrit 
aussi  un  traité  très  différent  des  autres,  majs  non 
moins  superstitieux,  non  moins  trompeur,  et  je 
l'avouerai  tout  aussi  mensonger.  —  L'arithmé- 
tique inventée,  suivant  Platon,  avec  les  osselets  et 
les  dés  par  un  mauvais  démon,  est  responsable  aussi 
des  rêveries  de  Pythagore  sur  la  vertu  des  nombres, 
dont  on  a  osé  dire  qu'ils  sont  les  instruments  sans 
lesquels  Dieu  n'aurait  pas  pu  créer  le  monde,  et  qu'à 
ce  titre  ils  renferment  le  secret  des  choses  divines. 
Les  hommes,  quand  ils  connaissent  les  nombres, 
quod  sciant  numerare,  croient  par  là  môme  avoir  on 
eux  quelque  chose  qui  tient  de  la  divinité  ;  préten- 
tion insupportable  à  ceux  qui  cultivent  la  musique, 
ces  derniers  réservant  l'insigne  honneur  du  caractùro 
divin  à  leur  harmonie.  L'art  cultivé  par  ceux-ci,  la 
musique,  est  sans  doute  plein  do  charme  et  de 
douceur,  mais,  d'un  consentement  unanime  et  comme 


9G  CHAPITRE    PREMIER 

le  prouve  l'expérience,  il  est  surtout  le  partage  des 
hommes  d'un  esprit  malheureux  et  d'un  naturel 
intempérant.  La  musique  dont  il  est  ainsi  question 
est  celle  qui  consiste  dans  les  modulations  de  la  voix 
et  des  sons  ;  mais  non  pas  celle  qui  concerne  le 
mètre  et  le  rythme  et  qui  n'est  autre  chose  que  la 
poésie.  Avec  la  musique  il  faut  ranger  les  arts  qui 
en  dépendent  ;  la  danse  favorable  à  l'amour,  chère 
aux  jeunes  filles  et  où  beaucoup  perdent  la  pudeur; 
la  danse  guerrière,  art  tragique  ;  la  danse  théâtrale, 
art  d'expression  imitative,  et  celle  du  rhéteur  qui 
diffère  peu  de  la  dernière,  mais  qui  est  plus  calme, 
et  que  Socrate,  Platon,  Gicéron,  Quintilien  et  les 
stoïques  recommandent  à  l'orateur.  Que  de  vaines 
spéculations  !  (ch.  xii-xxi). 

Plus  louable  est  la  géométrie,  qui  réunit  au  moins 
sur  ses  doctrines  l'unanime  assentiment  de  ceux  qui 
s'adonnent  à  son  étude;  tandis  que  partout  ailleurs 
on  ne  voit  entre  les  hommes  qu'oppositions  et  dis- 
putes. Malheureusement  elle  sert  de  fondement  à 
une  foule  d'arts  plus  ou  moins  pernicieux;  à  la  pyro- 
graphie qui  enseigne  à  faire  vomir  le  feu  par  les 
instruments  de  guerre  ;  à  la  perspective  créée  pour 
la  déception  de  nos  sens  ;  à  la  peinture,  à  la  sta- 
tuaire, inventées  par  les  démons  méchants  pour  fa- 
voriser l'ostentation,  la  licence,  la  superstition,  et 
que  d'indignes  images  introduisent  dans  nos  mai- 
sons, sous  les  yeux  de  nos  femmes  et  de  nos  filles, 
dans  nos  temples  même,  où  elles  nous  exposent,  en 
outre,  à  tomber  dans  l'idolâtrie.  La  géométrie  est 


L\    VIE    ET    LES    OEUVRES    d'aGUIPPA  137 

aussi  une  partie  essentielle  de  l'art  de  scruter  les  en- 
trailles de  la  terre  pour  y  chercher  les  métaux  pré- 
cieux et  de  celui  d'interroger  le  ciel  en  étudiant  les 
astres.  Le  premier  soit  maudit  pour  les  richesses 
qu'il  procure,  source  de  tant  de  crimes  ;  le  second, 
pour  les  impostures  qu'il  engendre.  Ne  sait-on  pas 
que  les  astrologues,  afin  de  satisfaire  une  curiosité 
impie,  construisent  des  cercles  et  des  figures,  ima- 
ginent des  mouvements  et  des  nombres  à  l'aide  des- 
quels ils  prétendent  tout  connaître  :  art  plein  de 
contradictions  et  de  vanité,  dont  Pline  démontre  la 
nullité  et  où  ont  erré  saint  Thomas  d'Aquin  lui-même 
et  Albertus  Teutonicus  (ch.  xxn-xxx). 

Rien  de  tout  cela  n'est  l'œuvre  de  Dieu  ni  de  la 
nature;  tout  est  fiction  dans  ces  conceptions;  tout 
sort  du  cerveau  des  mathématiciens,  des  faux  phi- 
losophes et  des  poètes.  Imbu  moi-môme  de  ces  er- 
reurs dès  mon  jeune  âge,  au  sein  de  ma  famille  et 
dans  la  maison  paternelle,  dit  Agrippa,  j'y  ai  perdu 
dans  la  suite  bien  de  la  peine  et  du  temps,  avant 
d'apprendre  que  tout  cela  n'était  qu'imposture. 
Aussi,  l'ayant  rejeté  de  mon  esprit,  je  n'y  fusse  ja- 
mais revenu,  sans  les  importunes  sollicitations  des 
grands,  et  sans  le  besoin  où  je  me  suis  quelquefois 
trouvé  de  tirer  ainsi  profit  de  leur  sottise.  Combien 
ont  cru  devoir  agir  ainsi,  qui  prudemment  se  renfer- 
ment clans  des  prédictions  enveloppées  d'obscurité, 
et  reçoivent  des  princes  et  des  magistrats  crédules, 
pour  prix  de  ces  artifices,  des  paiements  et  des  pen- 
sions sur  les  deniers   publics!   Aussi  vaines  sont 


98  CHAPITRE    PREMIER 

toutes  les  pratiques  de  divination;  physiognoraie,  mé- 
toposcopio,  chiromantie,  etc.  L'astrologie  d'ailleurs 
a  enfanté  mainte  hérésie;  elle  est  condamnée  par  les 
docteurs  de  l'ancienne  loi  et  par  les  Pères  de  l'É- 
glise, parMoyse  et  par  saint  Augustin,  par  les  empe- 
reurs païens  et  par  les  princes  chrétiens,  par  Tibère 
et  par  Justinien  (ch.  xxx,  xxxi,  xxxn). 

Ces  vaines  pratiques  se  rencontrent  avec  quelques 
doctrines  plus  recommandabb  dans  le  vaste  cadre 
de  la  magie  :  science  antique  des  prêtres  de  l'Orient, 
comprenant  toute  philosophie,  la  physique,  les  mathé- 
matiques, et  tout  ce  qui  concerne  les  religions;  res- 
ponsable, par  conséquent,  des  erreurs  etdes  abus  qui 
peuvent  résulter  do  celles-ci.  La  magie,  suivant 
quelques-uns,  se  partage  en  deux  branches,  la  magie 
naturelle  et  la  magie  cérémoniale  (ch.  xli). 

La  magie  naturelle  comprend  l'étude  de  la  nature 
sur  la  terre  et  dans  le  ciel,  la  connaissance  des  ver- 
tus secrètes  qui  rattachent  les  choses  inférieures 
aux  choses  supérieures,  et  qui  sont  la  source  de  tant 
de  prodiges.  Le  magicien,  explorateur  attentif  do  ces 
phénomènes,  peut  en  diriger  parfois  et  en  hâter  l'é- 
closion,  et,  frappant  ainsi  les  yeux  du  vulgaire,  le 
faire  crier  au  miracle  ;  tandis  que  les  forces  naturel- 
les observées  et  conduites  avec  art  ont  tout  l'ait  en 
réalité.  Tels  sont  les  effets  des  breuvages  et  des 
philtres,  dont  la  composition  appartient  à  la  science 
des  poisons.  Ailleurs  ce  sont  de  purs  artifices  de  mé- 
canique qu'on  met  enjeu,  pour  imiter  l'action  de  la 
nature  (ch.  xlii-xliv). 


LA    VIE    ET    LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  99 

Quant  à  la  magie  eérémoniale,  elle  comprend  la 
goétie  et  la  théurgie.  Parla  première,  les  magiciens 
se  mettent  en  rapport  avec  les  esprits  immondes  et 
avec  les  démons  familiers  auxquels  ils  ne  craignent 
pas  de  se  soumettre,  au  grand  péril  de  leur  âme.  De 
la  goétie  procèdent  ces  livres  ténébreux  dont  les  im- 
postures ont  pu  séduire  un  Alphonse  de  Castille,  un 
Robert  d'Angleterre,  un  Bacon,  un  Apponus,  d'au- 
tres encore  doués  cependant  d'un  grand  esprit;  ces 
livres  fatidiques  dont  la  seule  vue  glace  d'effroi  les 
hommes  simples  et  ceux  qui  sont  restés  étrangers  à 
la  culture  des  bonnes  lettres,  qui  nesciunt  bonas  lite~ 
ras.  Cependant  tout  n'est  pas  vain  dans  ces  pratiques 
coupables,  lesquelles  ne  sont  pas  sans  raison  pros- 
crites, vouées  à  l'extermination,  et  condamnées  sévè- 
rement par  les  lois  divines  et  humaines.  Les  mau- 
vais démons  s'y  prêtent  seuls,  parce  que  les  bons 
anges  n'obéissent  qu'à  l'ordre  de  Dieu  ;  et  les  fem- 
mes s'y  adonnent  surtout,  parce  que,  plus  curieuses 
des  choses  secrètes  et  moins  prudentes  que  les  hom- 
mes, elles  sont  plus  portées  aux  superstitions.  Par  les 
mêmes  voies,  les  nécromanciens  conjurent  les  âmes 
des  morts.  Ce  n'est  donc  pas  sans  raison  qu'on  or- 
donne d'ensevelir  les  corps  dans  des  lieux  consacrés, 
livre,  des  flambeaux,  de  l'encens,  de  l'eau  bénite  et 
des  prières.  La  théurgie,  aux  yeux  de  quelques-uns, 
n'a  rien  d'illicite,  parce  qu'elle  s'exerce  au  nom  de 
Dieu  et  des  anges,  pour  contraindre  et  réduire  les 
mauvais  démons.  Une  grande  pureté  est  son  princi- 
pal moyen  d'action;  mais  elle  comprend   diverses 


100  CHAPITKE    PREMIER 

sortes  de  superstitions  d'autant  plus  dangereuses 
qu'elles  prennent,  aux  yeux  des  ignorants,  un  carac- 
tère plus  divin  (ch.  xlv,  xlvi).  Mentionnons  encore,  à 
la  charge  de  la  magie,  les  prestiges,  les  illusions  et 
les  artifices,  produits  de  la  fraude  des  magiciens 
(ch.  xlviii). 

Que  dire  maintenant  d'un  art  qui  se  rapproche  de 
ceux-là,  delà  cabale  des  Juifs,  doctrine  traditionnelle 
qui  passe  pour  avoir  été  donnée  par  Dieu  lui- 
même  à  Aloyse  ?  Que  dire  de  cet  art  singulier,  sinon 
qu'une  de  ses  parties,  comprenant  la  cosmologie  et 
l'explication  des  forces  de  la  nature,  n'est  pas  autre 
chose  que  la  magie  naturelle,  où  excellait,  on  le  sait, 
le  roi  Salpmon  ;  tandis  que,  dans  une  autre  partie, 
elle  applique  la  vertu  des  noms  divins  à  la  divina- 
tion, à  la  conjuration  des  anges  et  des  démons,  et  à 
la  production  des  miracles.  C'est  par  elle,  prétend-on, 
que  Moyse,  Josué,  d'autres  encore  et  le  Christ  lui- 
même,  ont  accompli  tant  de  faits  merveilleux.  J'ai 
beaucoup  étudié,  ajoute  Agrippa,  cet  art  de  la  ca- 
bale ;  je  n'y  ai  trouvé  que  superstition  ;  et  je  n'y  vois 
qu'une  sorte  de  magie  théurgique  (ch.  xlvii). 

Si  de  la  magie  nous  passons  à  la  philosophie  et 
aux  sciences  positives  qu'elle  comprend,  nous  ne 
trouvons  dans  les  opinions  qu'elles  engendrent  que 
diversité,  disputes  et  incertitude  (ch.  xlix). 

Considérons  maintenant  les  choses  humaines, 
et  les  disciplines  diverses  qui  les  concernent,  le  gou- 
vernement des  peuples,  la  religion,  le  régime  des 
sociétés,   les    arts  consacrés    au   commerce,   à  l'a- 


LA   VIE   ET    LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  101 

griculture,  à  la  guerre,  à  la  médecine,  à  la  juris- 
prudence, à  la  théologie.  Quelle  confusion,  quel 
mélange  du  bien  et  du  mal,  avec  la  prédominance 
presque  constante  de  celui-ci  ! 

Dans  les  gouvernements,  on  voit  la  forme  répu- 
blicaine, supérieure  à  toutes  les  autres,  confinée 
chez  les  petits  peuples,  comme  ceux  de  Venise  et  de 
la  Suisse;  mais,  en  revanche,  presque  partout,  les 
rois,  maîtres  de  tout  faire,  et  usant  rarement  de  ce 
grand  pouvoir  pour  le  bien.  Dans  les  choses  de  la 
religion  vers  lesquelles  l'homme  est  porté  par  une 
tendance  naturelle  qui  le  distingue,  plus  encore  que 
la  raison  elle-même,  des  autres  animaux,  dans  la 
religion,  une  foule  d'erreurs.  L'exploitation  abusive 
du  culte  des  saints  et  de  leurs  reliques  ;  les  profu- 
sions en  édifices  aux  dépens  des  pauvres  dont  on 
dissipe  ainsi  le  patrimoine;  l'abus  des  fêtes  et  des 
vaines  cérémonies  ;  les  scandales  donnés  par  les 
prêtres  (ch.  lv,  lvi). 

Dans  le  régime  de  la  société  que  trouve-t-on? 
Chez  les  gens  de  la  classe  commune,  les  mauvais 
ménages,  le  plus  souvent  produits  par  la  faute  de  ma- 
ris coupables;  chez  les  grands,  la  vie  des  cours, 
théâtre  des  crimes  les  plus  exécrables,  école  de  cor- 
ruption; à  ce  point  que,  dans  cette  fameuse  capitale 
de  la  France,  objet  d'admiration,  la  pudeur  est  pres- 
que inconnue,  et  que,  pour  une  fille  ou  une  femme, 
appartenir  aux  débauches  du  palais  est  réputé  un 
suprême  honneur.  Le  commerce  est  un  brigandage. 
L'agriculture  est  un  objet  de  dédain.  La  guerre  est 


102  CHAPITRE   PREMIER 

une  boucherie,  un  composé  de  crimes  et  d'excès  d'où 
l'on  fait  sortir  la  noblesse  la  plus  considérée,  la  no- 
blesse militaire,  avec  laquelle  sont  en  lutte  et  celle 
qui  s'achète  à  prix  d'argent,  et  celle  qui  s'acquiert 
par  les  plus  honteuses  complaisances  envers  les 
princes.  A  côté  de  la  guerre  on  peut  placer  la  méde- 
cine, comme  elle  appliquée  à  la  destruction  des  hom- 
mes ;  fondée  uniquement  sur  la  fraude  des  uns  et  sur 
la  crédulité  des  autres,  presque  toujours  plus  dan- 
gereuse que  la  maladie,  de  l'aveu  des  princes  de  l'art 
eux-mêmes,  d'Hippocrate,  d'Avicenne,  de  Galien  ;  la 
médecine  trop  bien  secondée  dans  son  action  perni- 
cieuse par  la  pharmacie  et  parla  chirurgie.  La  cui- 
sine mériterait  peut-être  plus  de  considération;  mais 
que  d'excès  favorisés  par  elle  (ch.  lxvii-lxxxix). 
Quant  à  l'alchimie,  qu'est-ce  autre  chose  qu'une 
grande  imposture?  Car  il  ne  saurait  être  donné  à 
l'art  de  l'emporter  sur  la  nature.  Tout  au  plus  peut-il 
la  suivre  à  distance.  Aussi  l'alchimie,  justement  con- 
damnée par  les  lois  romaines  et  par  les  sacrés  ca- 
nons, est-elle  proscrite  par  l'Église.  Que  no  pour- 
rais-je  pas  dire,  ajoute  Agrippa,  de  ses  vains 
mystères,  et  notamment  de  cette  insigne  pierre  phi- 
losophai qui  est  le  plus  fameux  d'entre  eux,  si  je 
n'étais  forcé  au  silence  par  le  serment  que  prêtent 
les  initiés  qui  ont  pratiqué  ces  secrètes  opérations  ! 
Les  alchimistes,  en  un  mot,  ne  sont-ils  pas  les  plus 
coupables  des  hommes,  eux  qui,  en  dépit  de  la  loi 
de  Dieu  qui  prescrit  de  gagner  son  pain  à  la  sueur 
de  son  front,  prétendent  faire,  en  se  jouant,  de  l'or? 


LA   VIL   ET   LES    OEUVRES   d'aGRIPPA  103 

A  leur  art  cependant  on  doit  mainte  découverte  utile, 
mainte  précieuse  conquête;  mais  je  ne  veux  pas  en 
dire  davantage  (ch.  xc). 

L'homme,  pour  les  soins  de  son  âme,  dépend  du 
prêtre  ;  pour  ceux  de  son  corps,  il  relève  du  méde- 
cin ;  pour  sa  fortune,  il  est  entre  les  mains  du  juris- 
consulte. A  celui-ci  appartient  de  décider  du  vrai  et 
du  faux,  du  juste  et  de  l'injuste;  et  les  maîtres  su- 
prêmes en  pareille  matière  sont  le  pape  et  l'empe- 
reur, qui  se  flattent  de  posséder  en  eux,  comme  en- 
l'ennô  dans  un  écrin,  tout  droit  et  toute  justice  ;  le 
pape  et  l'empereur,  à  qui  leur  simple  volonté  tient 
lieu  de  raison,  et  qui  prononcent  à  leur  gré  sur  tout 
ce  qui  regarde  aussi  bien  les  sciences  et  les  arts,  que 
les  opinions  et  l'activité  humaine  dans  son  cercle 
le  plus  étendu.  Toute  cette  science  du  droit  procède 
d'ailleurs  du  péché  du  premier  homme,  et  do  la  loi 
de  corruption  qui  en  résulte  et  qu'on  appelle  le  droit 
naturel.  En  voici  les  éléments  virtuels  :  repousser 
la  force  par  la  force  ;  tromper  qui  nous  trompe;  es- 
timer une  chose  ce  qu'elle  peut  se  vendre,  etc.  Du 
droit  naturel  sort  le  droit  des  gens  qui  règle  les  guer- 
res, les  massacres,  les  servitudes,  les  dominations; 
et  le  droit  civil,  source  des  procès.  De  celui-ci  émane 
le  droit  canonique,  instrument  de  rapine,  qui  ne 
saurait  venir  do  Dieu,  mais  qu'a  pu  seule  produire 
la  plus  insignr;  corruption  de  l'homme  (ch.  xci- 
\'<:n).  Voilà  comment  sont  réglés  les  biens  et  la  for- 
Lune  des  humains.  Ce  qu'on  sait  de  la  médecine 
montre    comment    leur    corps  est  gouverné  ;  pour 


lOi  CHAPITRE    PREMIER 

les  intérêts  de  leur  âme,  c'est,  avons-nous  dit,  aux 
prêtres  et  aux  théologiens  qu'ils  sont  remis. 

Que  dirons-nous  maintenant  de  la  théologie?  Sans 
parier  de  celle  des  Gentils,  de  celle  des  Musée,  des 
Orphée,  ou  d'Hésiode,  que  trouve-t-on  dans  la  théo- 
logie chrétienne  ?  A  côté  de  la  vraie  théologie,  la 
théologie  scolastique  fabriquée  par  la  Sorbonne  de 
Paris,  mélange  de  lettres  sacrées  et  d'argumenta- 
tion philosophique,  bonne  pour  combattre  les  hé- 
rétiques, entre  les  mains  d'un  Albert  le  Grand,  d'un 
saint  Thomas  d'Aquin,  à  qui  elle  doit  son  origine, 
mais  tombée  dans  le  sophisme,  avec  les  modernes 
docteurs  :  théologiens  à  prix  d'argent  voués  à  une 
vaine  logomachie,  par  où  notre  foi  devient  pour  les 
sages  un  objet  de  méfiance  et  de  risée  ;  vrais  suppôts 
d'idolâtrie,  pour    qui  l'autorité  des  lettres  sacrées 
est  nulle,    parce  que  suivant  eux  la  lettre  tue,  le 
sens  caché  méritant  seul  qu'on  le  recherche  ;  à  quoi 
ils  s'appliquent  à  grand  renfort  de  gloses,  de  syl- 
logismes,  et,   au   besoin,   d'injures   et  d'outrages 
(ch.  xcxvn).  La  vraie  théologie  ne  saurait  être  autre 
chose  que  la  tradition  de  ceux  qui  ont   connu   la 
parole  de  Dieu  ;  encore  bien  que,  suivant  certains 
docteurs,  elle  doive  tendre  plutôt  à  l'interprétation 
de  celle-ci,  et  constituer  l'art  d'extraire  des   oracles 
divins  la  nourriture  spirituelle  ;  comme  il  appartient 
à  l'industrie  humaine  de  faire  le  pain,  le  vin,  l'huile 
et  la  toile,  en  soumettant  à  une  dernière  élaboration 
le  froment,  le  raisin,  l'olive  et  le  lin,  présents  ina- 
chevés  de   la  nature.     Mais   l'interprétation    ainsi 


LA    VIE    ET    LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  105 

remise  à  l'homme  est  sujette  à  erreur.  L'homme  ne 
voit  pas  tout.  L'Esprit  saint  possède  seul  la  science 
divine.  Quant  aux  théologiens,  chacun  prend  de 
l'Écriture  ce  qui  convient  à  son  sentiment.  De  là 
vient  que  d'illustres  et  saints  docteurs  ont  erré  dans 
la  foi,  et  ont  admis  des  opinions  condamnées  par 
l'Église.  La  théologie  ne  nous  offre  donc  pas  plus  de 
certitude  que  le  reste  (ch.  xcxviii,  xcxix). 

Par  cette  analyse  et  ces  extraits  on  voit  quelle  est 
la  marche,  quel  est  l'esprit  du  traité  de  l'incertitude 
et  de  la  vanité  des  sciences.  Ce  paradoxe  prolongé 
ne  soutiendrait  pas  longtemps  l'attention,  s'il  n'était 
l'occasion  de  développements  particuliers  sur  divers 
sujets  que  l'écrivain  saisit  au  passage,  et  sur  lesquels 
il  révèle  des  connaissances  qui  rendaient  son  oeuvre 
intéressante  pour  ses  contemporains,  et  qui  peuvent 
encore  aujourd'hui  exciter  notre  curiosité.  Mention- 
nons comme  des  spécimens  de  ce  genre  d'exposi- 
tion, les  tahleaux  qu'il  trace  de  certaines  sciences  ; 
ce  qu'il  dit  de  l'astronomie,  de  la  musique,  de  l'ori- 
gine de  l'écriture,  des  vieux  historiens  français  ; 
signalons  encore  dans  son  œuvre  des  considérations 
vraiment  remarquables  sur  le  tempérament  et  les 
mœurs  des  différents  peuples.  Ces  connaissances, 
on  le  comprend,  ne  peuvent  être  chez  Agrippa  que 
le  résultat  de  ses  lectures.  Il  faut  y  voir  un  acte 
d'érudition,  et  non  une  œuvre  d'observation  directe. 
Mais,  dans  ces  termes  encore,  elles  témoignent  au 
moins,  par  leur  variété,  de  la  rare  culture  de  son 
esprit. 

T.  I.  lo 


1  00  CHAPITRE    PREMIER 

En  astronomie,  Agrippa  est,  comme  tout  le  moyen 
âge,  attaché  au  système  de  Ptolémée  qui  voit  la 
terre  immobile  au  centre  de  l'univers.  Il  avait  ce- 
pendant quelque  connaissance  d'opinions  très  an- 
ciennes sur  le  rôle  véritable  du  soleil,  conservateur 
et  régulateur  de  notre  monde.  Mais  l'heure  n'était 
pas  encore  venue  où  devait  être  constituée  sur 
ces  justes  principes  l'astronomie  moderne.  Agrippa, 
qui  sait  surtout  ce  qu'ont  dit  les  Grecs,  les  Arabes, 
les  docteurs  juifs  et  les  Italiens  du  moyen  âge,  de- 
puis Ptolémée  et  Hipparque  jusqu'à  Augustinus 
Ritius  dont  il  avait  cultivé  l'amitié,  Agrippa  l'ait 
tourner  le  monde  autour  de  notre  globe.  [1  connaît 
d'ailleurs  le  mouvement  propre  des  étoiles,  et  il  sait 
que  le  ciel  contient,  au-delà  des  corps  que  nous 
voyons,  d'autres  corps  inaccessibles  à  notre  faible 
vue.  Cependant  cette  notion  ne  lui  fournit  aucune 
idée  touchant  l'explication  de  la  voie  lactée,  qui,  pour 
lui  comme  pour  tous  les  hommes  de  son  temps,  est 
un  impénétrable  mystère  (ch.  xxx). 

La  musique  dont  parle  Agrippa  est  celle  des  Grecs, 
avec  ses  modes  qu'il  détaille,  en  expliquant  leurs 
caractères  propres  (ch.  xvn).  Pour  ce  qui  est  de 
l'écriture,  il  signale  son  origine  orientale  qu'il  rap- 
porte aux  Chaldéens,  aux  Assyriens  et  aux  Phéni- 
ciens ;  de  qui  elle  passe,  suivant  lui,  aux  Hébreux, 
aux  Grecs  et  enfin  aux  Romains;  lesquels  plus  tard 
l'imposent  avec  leur  langue  à  tous  les  peuples.  Ces 
grands  conquérants  font,  dit-il,  oublier  les  écritures 
primitives  en  même  temps  que  les  antiques  lan- 


LA    VIE    ET    LES    OEUVRES    D'AGRIPPA  107 

gages  des  nations  qu'ils  soumettent  ;  ceux  par 
exemple  des  anciens  habitants  de  la  Germanie  et  de 
l'Espagne  ;  ceux  également  des  races  étrusques  qui 
employaient  des  caractères  devenus  indéchifl'rables, 
mais  encore  visibles,  dit  Agrippa,  sur  leurs  monu- 
ments ;  ceux  enfin  des  vieux  Egyptiens  dont  il 
connaît  aussi  les  hiéroglyphes  (ch.  n). 

En  histoire,  Agrippa  critique  les  inventions  de  Ro- 
bert Gaguin  et  des  vieux  chroniqueurs  qui  font  re- 
monter à  Priam  la  souche  de  nos  rois,  et  qui  préten- 
dent rattacher  aux  Macédoniens  les  peuples  de  la 
Saxe.  Il  critique,  en  outre,  et  renvoie  hardiment  aux 
fictions  des  poètes  les  Amadis,  les  Mélusine,  les 
Lancelot,  les  Tristan  (ch.  v).  Dans  une  lettre  écrite 
en  1537,  il  traite  plus  complètement  la  question  de 
l'origine  des  Francs  et  des  Saxons,  venus  les  uns  et 
les  autres  de  la  Germanie,  dit-il,  et  non  pas  descen- 
dus des  Troycns  et  des  Grecs,  comme  le  veulent 
certains  conteurs  de  labiés.  Pour  ce  qui  est  des 
Francs,  ajoutc-t-il  alors,  on  sait  par  Trebellius  Pol- 
lio  qu'ils  ont  reçu  ce  nom  au  temps  d'Antonius  et 
de  Probus,  et  qu'auparavant  on  les  nommait  Sicam- 
bres.  Les  Francs  ont  souvent  changé  de  demeure; 
la  vanité  seule,  telle  est  sa  conclusion,  a  pu  les 
porter  à  faire  remonter  leur  origine  jusqu'aux  peu- 
ples fameux  qu'on  leur  donne  pour  souche,  sans 
s'apercevoir  qu'il  est  plus  glorieux  d'appartenir  à 
une  nation  qui  a  toujours  su  maintenir  son  indé- 
pendance, qu'à  des  fuyards  et  à  des  exilés  (Ep.  V,  1). 

Les  indications  de  ce  genre,  accompagnées  de  eu-* 


108  CHAPITRE    PREMIER 

rieux  développements,  abondent  dans  le  traité  d'A- 
grippa;  mais  ce  qui>s'y  trouve  partout  répandu,  c'est 
le  témoignage  de  la  hardiesse  de  son  esprit  en  ce  qui 
regarde  principalement  les  choses  religieuses,  de 
son  indépendance  agressive  vis-à-vis  de  l'Église,  et 
de  son  hostilité  envers  le  clergé,  envers  les  moines 
surtout  qu'il  attaque  en  maint  endroit  avec  violence. 

La  religion,  selon  lui,  est  en  son  essence  pure- 
ment spirituelle,  et  doit  être  tout  intérieure,  les  cé- 
rémonies extérieures  n'en  étant  que  le  signe.  Quant 
à  ces  dernières,  l'antiquité  en  a  jadis  admis  de  tou- 
tes sortes  et  des  plus  monstrueuses,  et  chez  nous, 
chrétiens,  elles  ont  varié,  dit-il,  grâce  à  la  crédulité 
des  peuples.  Les  images  ont  été  l'objet  du  culte  des 
Gentils  ;  les  Juifs  les  ont  eues  en  abomination  ;  et  les 
premiers  chrétiens  ne  le  cédaient  pas  à  ceux-ci  sur 
ce  point.  Mais  de  notre  temps,  ajoute  Agrippa,  les 
images  ont  repris  crédit  dans  l'Église,  avec  la  vaine 
pompe  de  stériles  cérémonies,  avec  de  grossières 
superstitions,  avec  une  sorte  d'idolâtrie  enfin,  à  la- 
quelle les  prêtres  eux-mêmes  convient  le  peuple 
ignorant.  Tout  au  contraire,  la  parole  ou  la  sainte 
Écriture,  et  non  de  vaines  images,  peuvent  seules 
nous  conduire  à  Dieu  (ch.  lvi). 

Ecartez  donc  ce  qui  est  visible,  dit  alors  Agrippa, 
et  attachez-vous  à  la  seule  pensée,  sinon  vous  tom- 
berez dans  la  superstition  et  dans  l'idolâtrie.  Laissez 
lu  les  reliques  et  les  images  des  saints,  pour  vous  en 
tenir  au  seul  sacrement  du  corps  de  Jésus-Christ. 
Mais  des  hommes  avides  trouvent  bon  de  trafiquer 


LA   VIE    ET    LES    OEUVRES    d'aGRIPPA  109 

des  pierres  et  des  ossements  des  morts,  et  de  vendre 
le  droit  de  les  toucher  et  de  les  baiser.  Ils  instituent 
en  grande  pompe  le  culte  des  saints  et  des  martyrs, 
et  leur  assignent,  comme  aux  dieux  des  Gentils,  des 
offices  divers,  à  ceux-ci  de  présider  aux  eaux  comme 
Neptune,  aux  moissons  comme  Cérès,  ou  aux  vignes 
comme  Bacchus  ;  à  ceux-là  de  disposer  du  feu 
comme  Vulcain,  de  la  foudre  comme  Jupiter.  Pour 
les  bonnes  femmes,  il  y  a  des  saints  auxquels  on 
demande  des  enfants,  comme  à  Vénus  et  à  Lucine, 
ou  l'apaisement  des  colères  d'un  mari  violent, 
comme  à  Junon.  Il  y  en  a  pour  faire  retrouver  les 
objets  perdus  ou  volés,  d'autres  pour  obtenir  des 
guérisons.  Chaque  maladie  a  son  saint.  Les  plaideurs 
ont  eux-mêmes  des  patrons.  Ne  sont-ce  pas  là  autant 
d'hérésies  (ch.  lvii)  ?  Ce  n'est  pas  assez  que  chaque 
saint  ait  ses  adorateurs  ;  il  a  aussi  ses  temples, 
comme  les  dieux  du  paganisme  (ch.  lviii). 

En  môme  temps  se  multiplient  les  jours  de  fête, 
comme  si  l'on  devait  jamais  cesser  d'adorer  Dieu! 
Saint  Paul  blâme  formellement  ces  pratiques.  Les 
jours  de  fête  ont  cependant  pu  être  institués;  mais 
le  diable  y  fait  son  profit,  en  attirant  le  peuple  oisif 
qu'il  détourne  de  la  prière,  aux  pompes  mondaines, 
aux  jeux,  aux  chants,  aux  danses,  aux  spectacles, 
aux  débauches  de  tout  genre.  Que  d'observances 
ensuite  et  d'usages  divers  inventés  en  tous  lieux 
pour  satisfaire  le  peuple,  à  qui  no  plaît  que  ce  qui 
frappe  les  yeux  !  C'est  ainsi  que  l'antique  palladium, 
le  feu  de  Vcsta,  la  superstition  des  jours   néfastes, 


HO  CHAPITRE   PREMIER 

les  processions,  les  offrandes  et  la  plupart  des  prati- 
ques usitées  chez  les  païens  ont,  comme  le  reconnaît 
Eusèbe,  passé  dans  notre  religion.  Tandis  que  Dieu, 
dédaignant  le  culte  grossier  des  actes  matériels,  ne 
veut  être  adoré  qu'en  esprit,  Platon  lui-môme  nous 
l'apprend.  Les  apôtres  et  les  anciens  docteurs  ont 
introduit  cependant  quelques  pieuses  cérémonies, 
on  doit  le  reconnaître  ;  mais  la  sottise  humaine  les  a 
ensuite  multipliées  à  l'infini.  Aujourd'hui  notre  re- 
ligion n'en  est  pas  moins  surchargée  que  n'avait  au- 
trefois fini  par  l'être  la  religion  des  Juifs.  Et  le  peu- 
ple s'y  attache  plus  qu'à  la  loi  de  Dieu  elle-même 

(ch.  LIX-Lx). 

Que  dire  maintenant  du  clergé?  Celui  qui  n'y  est 
pas  appelé  par  l'esprit  de  Dieu,  mais  par  la  faveur 
des  hommes,  celui-là  y  rentre  comme  un  voleur;  et 
il  ne  saurait  être  le  vicaire  du  Christ  ni  des  apôtres. 
Les  prêtres  convoitent  les  richesses,  s'attachent  aux 
dîmes  et  aux  oblations  et  ils  négligent  la  loi,  et  les 
les  préceptes  de  l'Evangile  (ch.  lxi).  Et  les  moines 
de  touie  espèce,  gens  inconnus  dans  l'ancienne 
loi!  Ceux-là  s'arrogent  le  privilège  du  titre  de  reli- 
gieux. Affublés  du  capuce,  invention  du  diable  qui 
le  premier  s'en  est  coiffé,  ils  accueillent  tous  ceux 
que  les  excès  de  toute  sorte,  la  paresse  et  la  men- 
dicité poussent  vers  eux.  Troupe  insolente  de 
monstres  encapuchonnés;  singes  de  stoïcisme;  bar- 
bus, porteurs  de  sac  et  de  corde,  en  sandales  ou  les 
pieds  nus,  en  robes  ou  en  manteaux;  noirs,  gris, 
blancs,  de  toute  couleur  et  de  tout  pelage;  pourvus 


LA    VIE   ET    LES    OEUVRES    û'aGRIPPA  111 

de  privilèges  par  l'Église  de  Rome;  exempts  de  la 
juridiction  de  toute  autre  Église;  protégés  par  une 
impunité  assurée;  la  plupart  mauvais  et  réprouvés, 
bien  qu'au  milieu  d'eux  se  trouvent  quelques  honnê- 
tes et  saints  personnages  auxquels  ce  discours  ne 
s'adresse  pas  (ch.  lxii).  Mais,  au  nombre  des  plus 
méchants,  il  faut  compter  la  tourbe  des  prêcheurs, 
inquisiteurs  de  la  foi,  lesquels  prétendent  qu'avec  les 
hérétiques  point  n'est  besoin  d'arguments,  et  que  le 
feu  et  les  fagots  sont  tout  ce  qu'il  faut  pour  dispu- 
ter contre  eux.  Arrogamment  confiants  dans  leurs 
privilèges,  ils  sont  fiers  d'une  juridiction  qu'ils 
étendent  audacieusement  des  causes  d'hérésie  à  tout 
ce  qui,  suivant  eux,  est  erreur  ou  scandale  (eh.  xevi). 

Nous  abrégeons,  en  l'atténuant,  cette  longue  dia- 
tribe contre  l'Église  et  le  clergé.  C'est  le  langage 
même  des  plus  violents  sectaires  de  la  réformation 
au  xvie  siècle,  et  le  ton  général  des  adversaires  de 
l'Église  de  Rome  à  cette  époque.  Il  était  essentiel  de 
la  signaler.  Elle  dénote  dans  un  do  ses  traits  carac- 
téristiques la  disposition  d'esprit  d'Agrippa,  et 
nous  fournira  l'explication  de  quelques-unes  des  cir- 
constances de  son  histoire.  D'accord  avec  un  grand 
nombre  de  passages  du  même  genre,  répandus  çà  et 
là  dans  le  traité  de  l'incertitude  et  de  la  vanité  des 
sciences,  elle  montre  quelle  lin  l'auteur  avait  sur- 
tout en  vue,  quand  il  a  composé  cet  ouvrage  émi- 
nemment satirique.  La  conclusion  par  laquelle  il  le 
termine  ne  permet  pas  le  moindre  cloute  à  cet  égard. 

Agrippa  a  voulu,  dit-il,  démontrer  que  (oui  ost 


H  2  CHAPITRE    PREMIER 

condamnable  dans  les  sciences  et  dans  les  arts, 
sources  de  périls  pour  les  hommes  et  de  désordre 
dans  le  monde.  Le  dernier  argument  qu'il  produit,  à 
l'appui  de  son  paradoxe,  est  un  trait  d'ironie  pas- 
sionnée dont  on  ne  saurait  méconnaître  la  véritable 
intention.  Nombre  d'excellentes  raisons  condam- 
nent, suivant  lui,  les  sciences  et  les  arts  ;  mais  la 
plus  grave  de  toutes,  dit-il,  c'est  que  rien  ne  répu- 
gne autant  que  la  science,  à  la  religion  chrétienne 
et  à  la  foi  (ch.  ci).  Nous  savons,  ajoute-t-il,  que  ja- 
mais l'Église  n'a  joui  de  plus  de  sécurité  que  quand 
la  science  a  été  abaissée.  Que  celle-ci  se  relève,  aus- 
sitôt l'Église  se  trouble  et  l'hérésie  paraît. 

Il  n'est  pas  d'hommes,  dit-il  alors,  moins  propres 
à  recevoir  la  doctrine  du  Christ  que  ceux  dont 
l'esprit  est  cultivé  et  enrichi  de  connaissances. 
Ceux-là,  en  effet,  sont  opiniâtrement  attachés  à  leurs 
opinions,  et  ne  laissent  aucune  prise  à  l'Esprit- 
Saint.  Rebelles  à  toute  vérité,  ils  n'admettent  que 
les  raisonnements,  et  se  moquent  de  ce  qu'ils  ne 
comprennent  pas.  Le  Christ  cache  la  vérité  aux 
savants  et  la  révèle  aux  petits  esprits  seulement. 
Aussi  n'a-t-il  pas  choisi  ses  apôtres  parmi  les 
rabbins  et  les  scribes,  les  prêtres  ou  les  docteurs. 
Il  les  a  pris  parmi  de  vulgaires  ignorants  ;  ce  sont 
des  hommes  sans  lettres  ;  ce  sont  des  ânes  (ch.  ci). 
Et  qu'on  ne  me  querelle  pas,  s'écrie  Agrippa,  pour 
avoir  dit  des  apôtres  que  ce  sont  des  ânes.  Je  veux 
expliquer  les  mystérieux  mérites  de  l'âne.  Aux 
yeux  des  docteurs  hébreux,  l'âne  est  l'emblème  de  la 


LA    VIE   ET    LES    OEUVRES    d'aGMPPA  113 

force  et  du  courage.  Il  a  toutes  les  qualités  néces- 
saires à  un  disciple  de  la  vérité  ;  il  se  contente  de 
peu,  il  supporte  la  faim  et  les  coups.  Simple  d'esprit, 
il  ne  distinguerait  pas  une  laitue  d'un  chardon;  il 
aime  la  paix,  il  supporte  les  fardeaux.  Un  âne  a 
sauvé  Marius  poursuivi  par  Sylla.  Apulée  le  philoso- 
phe, s'il  n'eût  été  changé  en  âne,  Apulée  n'eût  jamais 
été  admis  aux  mystères  d'Isis.  L'âne  a  servi  au 
triomphe  du  Christ  ;  l'âne  a  su  voir  l'ange  que  n'a- 
percevait pas  Balaam.  La  mâchoire  de  l'âne  a  fourni  à 
Samson  une  arme  victorieuse.  Jamais  animal  n'a  eu 
l'honneur  de  ressusciter  d'entre  les  morts,  sinon 
l'âne  seul,  à  qui  saint  Germain  a  rendu  la  vie;  et  cela 
suffit  pour  prouver  qu'après  cette  vie,  l'âne  aura  sa 
part  d'immortalité  (ch.  en). 

Vous  tous  donc,  dit  l'auteur  dans  sa  péroraison, 
vous  tous  ânes  dévoués  à  la  prédication  et  investis 
du  sacré  ministère,  vous  tous,  rejetez  la  science  hu- 
maine. Fuyez  les  écoles  des  philosophes  et  les  aca- 
démies. Contentez-vous  de  regarder  en  vous-mêmes, 
vous  y  trouverez  la  notion  de  toute  chose.  Déchirez 
le  voile  qui  couvre  votre  intelligence  ;  brillez  par  la 
pure  lumière.  L'onction  sacrée  que  vous  avez  reçue 
vous  suffit  pour  connaître  tout  ce  qu'on  peut  savoir; 
maints  personnages  célèbres  en  fournissent  la 
preuve.  Ou  bien,  si  vous  n'êtes  ni  de  ces  fils  des 
dieux  favorisés  par  le  grand  Jupiter,  ni  inspirés 
comme  les  prophètes  et  les  apôtres,  interrogez  les 
divins  oracles  ;  appliquez-vous  à  la  lecture  des  lettres 
sacrées.  La  sainte  Bible  vous  instruira  de  tout.  Que 


114  CHAPITRE    PREMIER 

peuvent  vous  apprendre  les  philosophes  païens  ?  La 
loi,  la  vraie  science  viennent  de  Dieu.  Qu'il  vous 
suffise  de  lui  demander  à  lui  seul  de  vous  en  révéler 
les  mystères  (ch.  cm). 

Cette  insistance  affectée  à  rabaisser  le  caractère 
et  l'autorité  du  prêtre,  avec  le  parti  pris  de  mettre 
l'Écriture  au-dessus  de  ses  décisions,  procède  de 
l'esprit  même  des  réformateurs  du  xvie  siècle,  qui, 
avec  Luther,  en  appelaient  à  l'Église  réunie  en 
concile,  des  condamnations  fulminées  par  le  pontife 
de  Rome,  et  réclamaient  avant  tout  la  confrontation 
de  leur  doctrine  avec  la  lettre  de  l'Évangile  \ 

Le  caractère  évidemment  paradoxal  du  traité  de 
l'incertitude  et  de  la  vanité  des  sciences  invite  à  ne 
pas  accepter  sans  réserve,  comme  étant  le  fond  de 
la  pensée  de  son  auteur,  tout  ce  qu'il  y  dit.  Dans  la 
plupart  des  cas,  l'exagération  de  son  langage  n'est 
qu'un  jeu  d'esprit,  destiné  à  amuser  ses  lecteurs. 
Ce  pourrait  bien  être  aussi  un  artifice  do  composi- 
tion, imaginé  par  lui  pour  donner  le  change  sur  ses 
intentions  réelles,  dans  d'autres  cas  où  cette  pru- 
dente précaution  n'est  pas  de  trop  pour  dissimuler, 
sous  le  masque  de  cette  exagération  généralisée 
et  en    apparence  uniforme,  la  véritable  portée  de 


1.  Cette  communauté  d'idées  sur  plus  d'un  point,  entre 
Agrippa  et  les  hérésiarques  du  xvie  siècle,  s'accuse  tout  particu- 
lièrement dans  divers  passages  de  son  traité  de  l'incertitude  cl 
de  la  vanité  des  sciences.  On  trouvera,  sur  cet  objet,  quelques 
détails  dans  une  noie  de  l'appendice  fn°  X). 


LA    VIE    ET    LES    OEUVRES    d'aGUIPPA  II") 

son  argumentation  sur  certains  sujets.  On  ne  peut 
méconnaître  en  effet  le  ton  de  la  conviction  clans  ce 
qu'il  dit  notamment  des  choses  religieuses,  et  dans 
les  attaques  passionnées  qu'il  dirige  contre  le  clergé, 
contre  les  moines  surtout,  dont  il  avait  eu  à  se 
plaindre  et  dont  il  se  montre  l'ennemi  déclaré.  Là, 
c'est  bien  sa  pensée  vraie  qu'il  nous  révèle. 

Nous  avons  fait  connaître  dans  ses  traits  essen- 
tiels le  traité  de  l'incertitude  et  de  la  vanité  des  scien- 
ces. Sa  publication  devait  naturellement  soulever 
des  orages.  On  s'explique  difficilement  que,  aux  pri- 
ses avec  les  difficultés  qui  s'en  suivirent,  Agrippa 
ait  trouvé  un  appui  dans  la  protection  de  deux  prin- 
ces de  l'Eglise,  du  cardinal  de  La  Marck,  évêque  de 
Liège,  et  du  légat  lui-même  du  saint-siège,  le  car- 
dinal Campegi.  On  comprend  mieux  que  l'ouvrage 
ait  été  l'objet  des  attaques  des  docteurs  catholiques, 
des  théologiens  de  Louvain  en  particulier,  et  qu'il  ait 
provoqué,  de  leur  part,  les  poursuites  qui  ont  con 
tribué,  pour  une  bonne  part,  à  troubler  dans  ses  der- 
nières années  la  vie  de  son  auteur.  Celui-ci  pourtant, 
lorsqu'il  l'écrivit  à  Lyon  en  152G,  l'avait  jugé  digne 
d'être  dédié,  il  le  dit  lui-même,  au  roi  François  Ier, 
tout  en  déclarant  alors  que  ce  prince,  dont  il  croyait 
avoir  à  se  plaindre,  ne  méritait  pas  un  pareil  hom- 
mage (Ep.  IV,  44). 

Les  deux  grands  ouvrages  dont  nous  venons  de 
parler  nous  fournissent,  malgré  les  réserves  qu'il 
convient  de  faire  en  les  lisant,  d'intéressants  témoi- 
gnages des  idées  et  des  opinions  d'Agrippa  sur  une 


116  CHAPITRE    PREMIER 

foule  de  sujets,  sur  ceux,  entre  autres,  qui  concer- 
nent la  religion.  La  philosophie  occulte  touche  par 
plus  d'un  point  à  la  théologie,  le  traité  de  l'incerti- 
tude et  de  la  vanité  des  sciences  est  une  critique  des 
croyances  et  surtout  des  pratiques  religieuses,  et 
dégénère  finalement  en  une  satire  violente  contre  le 
clergé.  Les  autres  ouvrages  d'Agrippa  et  sa  corres- 
pondance sont  semés  de  traits  qui  se  rapportent  au 
même  objet.  Les  questions  qui  regardaient  la  reli- 
gion et  l'Église  préoccupaient  alors  tous  les  esprits. 
Une  crise  redoutable  commençait  pour  les  intérêts 
divers  qui  touchaient  l'une  et  l'autre.  Déjà  les  pre- 
miers actes  de  la  réforme  étaient  accomplis.  Sans 
être  formellement  engagé  dans  cette  grande  querelle, 
Agrippa  s'y  associe  de  loin.  Sa  vie  reçoit  de  là  une 
direction  générale  dont  on  ne  saurait  méconnaître  le 
caractère.  Elle  est,  en  outre,  mêlée  à  quelques  uns 
des  faits  de  la  vie  publique  de  ce  temps,  par  des  re- 
lations que  sa  correspondance  révèle,  entre  lui  et  cer- 
tains hommes  qui  y  prennent  part  avec  des  rôles 
plus  ou  moins  importants. 

Par  ces  diverses  attaches  l'existence  d'Agrippa, 
bien  qu'on  ne  puisse  voir  en  lui  qu'un  personnage 
d'ordre  secondaire,  présente  un  sujet  d'étude  qui 
n'est  peut-être  pas  à  dédaigner.  Elle  offre  d'ailleurs, 
avec  un  tableau  très  animé  du  mouvement  de  cer- 
taines idées  et  du  développement  de  certains  intérêts 
d'un  caractère  général,  un  spécimen  curieux  et  suf- 
fisamment éclairé  par  les  documents,  de  la  vie  privée 
au  xvie  siècle.  C'est  là  un  spectacle  plus  rare  dans 


LA    VIE   ET    LES    OEUVRES    d'aGUIPPA  117 

l'histoire,  et  non  moins  instructif  à  plus  d'un  point 
de  vue,  que  celui  des  faits  politiques  et  des  actes  pu- 
blics eux-mêmes. 


CHAPITRE   II 


AGRIPPA   A   COLOGNE,   A   PARIS,    EN    ESPAGNE, 
EN    BOU  RGOGNE 

14SO-1SS1  1 


Origine  d'Agrippa  ;  sa  famille  :  son  nom.  —  Ses  premières  étu- 
des à  Cologne;  sa  présence  à  l'Université  de  Paris;  ses  amis. 
—  Voyage  en  Espagne;  correspondances  avec  Galbianus, 
avec  Landulphe,  avec  l'évêque  de  Cyrène.  —  Séjours  à  Avi- 
gnon, à  Lyon,  à  Autnn,  à  Chàlons-sur-Saùne,  à  Dole.  —  Com- 
position du  traité  de  la  prééminence  du  sexe  féminin,  pour 
la  princesse  Marguerite  d'Autriche,  gouvernante  de  la  pro- 
vince de  Bourgogne.  —  Leçons  sur  le  traité  de  Rcuchlin  De 
verbo  mirifico;  attaques  du  franciscain  Catilinet;  factuin 
d'Agrippa  en  réponse  à  ces  attaques.  —  Relations  avec  Tri- 
tlieini;  composition  du  traité  de  la  philosophie  occulte.  — 
Voyage  en  Angleterre  ;  commentaires  sur  les  Épîtres  de 
saint  Paul.  —Retour  à  Cologne;  thèses  théologiques.  — 
départ  pour  l'Italie. 

Nous  avons  indiqué  à  grands  traits,  dans  le  chapi- 
tre précédent,  quelle  a   ébé   l'existence  d'Agrippa; 

Nous  avons  l'ait  connaître  les  légendes  populaires 
qui  le  concernent,  et  les  travaux  biographiques  pu-» 


120  CHAPITRE    DEUXIÈME 

bliés  sur  son  compte.  Nous  avons  tracé  une  es- 
quisse de  sa  vie  ;  et,  pour  donner  une  idée  de  l'esprit 
et  du  caractère  de  l'homme,  nous  avons  présenté 
le  tableau  de  ses  œuvres  et  celui  de  sa  correspon- 
dance, avec  une  analyse  de  ses  deux  principaux 
écrits,  la  philosophie  occulte,  qui  appartient  à  sa 
jeunesse,  etle  traité  de  l'incertitude  et  de  la  vanité 
des  sciences,  qui  est  le  fruit  de  son  âge  mûr.  Il  est 
temps  maintenant  d'entrer  dans  la  connaissance 
plus  complète  du  personnage,  en  étudiant,  à  l'aide 
des  renseignements  empruntés  à  ces  sources  diver- 
ses, l'histoire  détaillée  de  sa  vie. 

Deux  questions  se  présentent  d'abord,  sur  les- 
quelles nous  n'avons  malheureusement  que  des  in- 
formations insuffisantes.  Quelle  est  l'origine,  quelle 
a  été,  dans  sa  première  jeunesse,  la  vie  d'Agrippa? 
On  ne  sait  rien  de  l'enfance,  et  presque  rien  de  la  pre- 
mière jeunesse  d'Agrippa  ;  et  l'on  est  très  imparfai- 
tement renseigné  sur  son  origine,  c'est-à-dire  sur 
ses  parents  et  sur  sa  famille  \  dont  on  ne  connaît 
guère  que  le  nom. 

Henri  Corneille  Agrippa,  —  nous  lui  conserverons 
ces  noms  de  forme  française,  consacrés  chez  nous 
par  l'usage,  —était  né  à  Cologne  en  1486.  Sa  famille 
était  de  condition  moyenne,  à  ce  qu'il  semble,  etpor- 


1.  Cette  famille  était  peu  nombreuse,  à  ce  qu'il  semble.  Il 
n'est  parlé  dans  la  correspondance  d'Agrippa  que  de  son  père, 
de  sa  mère  et  d'une  sœur  seulement.  Il  n'y  est  jamais  question 
d'aucun  autre  parent. 


AGRIPPA   A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  121 

tait,  on  a  de  sérieuses  raisons  de  le  croire,  le  nom 
de  Cornélis.  Il  est  plus  que  douteux  que  le  surnom 
aristocratique  de  Nettesheim  lui  appartînt,  comme 
on  l'a  prétendu,   quoique   Agrippa  le  prenne  quel- 
quefois ".  Ce  surnom,  dont  il  ne  se  pare  du  reste  que 
tardivement  et  sans  qu'on  sache  en  vertu  de  quel 
droit,  n'a  pas  été  relevé  par  ses  enfants  ;  il  no  figure 
pas  dans  certains  actes  publics  dressés  pour  eux  en 
France,  postérieurement  à  la  mort  de  leur  père,  et 
dont  l'un  est  destiné  à  établir  leur  filiation  2.  Dans 
cette  circonstance  notamment,  ils  se  contentent  de 
joindre  à  leur  prénom  individuel,  Henri  pour  l'un, 
Jean  pour  l'autre,  les  deux  noms  de    Corneille   et 
d'Agrippa  :  le  premier  représentant  le  nom  francisé 
de  la  famille  ;  le  second  étant  un  surnom  tout  person- 
nel de  leur  père,  recommandé  par  la  notoriété  qu'il  de- 
vait à  ce  dernier,  et  conservé  par  eux  pour  cette  raison. 
Ce  surnom  venait,  cela  ne  peut  faire  l'objet  d'aucun 
doute,  du  nom  antique  de  la  ville  de  Cologne,  Colonia 
Âgrippina,  d'où  Agrippa  tirait  son  origine,  et  celui-ci 
l'avait  adopté  de  bonne  heure,  pour  se  distinguer 
vraisemblablement  ainsi,  au  milieu  des  condisciples 
de  diverses  nationalités  avec  lesquels  il  avait,  dans 
sa  première  jeunesse,  vécu  à  l'université  de  Paris. 
Ses  amis  de  ce  temps  étaient  en  effet,  comme  nous 

1.  Nultesheim  est  le  nom  d'un  village  situé,  à  peu  de  dis- 
tance au  nord  de  Cologne,  aujourd'hui  dans  le  cercle  de  Neuss 
appartenants  la  province  prussienne  de  Dùsseldorf. 

2.  On  trouvera  quelques  renseignements  sur  ce  l'ait  dans  deux 
notes  de  l'appendice  (n0'  I  et  VIII). 

T.  I.  11 


122  CHAPITRE    DEUXIÈME 

l'apprend  sa  correspondance,  les  uns  Italiens,  les 
autres  Espagnols,  d'autres  encore  de  différentes 
provinces  de  la  France  ou  de  la  Germanie  ;  et  c'est 
par  ce  surnom  d'Agrippa  qu'eux-mêmes  le  dési- 
gnaient ordinairement. 

De  retour  à  Cologne,  en  1507,  après  avoir  quitté 
ces  amis,  Agrippa  y  reçoit  de  l'un  d'entre  eux,  Lan- 
dulphe  resté  à  Paris,  deux  lettres  :  ce  sont  celles 
qui  ouvrent  la  correspondance  générale  qui  a  été  im- 
primée. Dans  la  première,  Landulphe  le  salue  du 
surnom  d' 'Agrippa  (Ep.  I,  1)  ;  dans  la  seconde,  il  l'ap- 
pelle Henrice  Corneli  (Ep.  I,  3).  Dans  d'autres  lettres, 
qui  sont  de  l'année  1509,  Landulphe  n'emploie  plus 
que  le  surnom,  et  dit  tantôt  A  grippa  unice  (Ep.  I,  9), 
tantôt  suavissime  Agrippa  (Ep.  I,  11)  '. 

Ajoutons  que,  un  peu  plus  tard,  dans  une  lettre 
écrite  par  un  compatriote  d'Agrippa  qui  connaissait 
très  bien  et  lui  et  sa  famille,  par  l'évêque  de  Cyrène, 
administrateur  spirituel  de  l'archevêché  de  Cologne, 
celui-ci  l'appelle  Henrice  Corneli  (Ep.  II,  18),  comme 
l'a  fait  Landulphe  au  début  de  sa  correspondance 
avec  lui. 

Ces  indications,  rapprochées  de  celles  que  nous 
devons  aux  actes  authentiques  passés  ultérieure- 
ment par  les  fils  d'Agrippa,  montrent  que  le  nom 

1.  Ce3  quatre  lettres,  de  1507  et  de  1509,  sont  les  seules  qu'on 
ait  de  Landulphe  à  Agrippa.  Ce  sont  aussi  les  plus  ancien- 
nes qui  nous  soient  parvenues  de  toutes  celles  adressées  à  ce- 
lui-ci. On  ne  saurait  méconnaître  l'importance  des  indications 
qu'elles  fournissent  sur  la  question  de  son  nom. 


AGRIPPA   A    COLOGNE,   A    PARIS,    ETC.  123 

de  Corneille,  porté  par  eux,  et  celui  de  Cornélius,  pris 
par  lui,  doivent  représenter  sous  des  formes  fran- 
çaise et  latine  le  nom  véritable  de  la  famille.  Quant 
à  la  forme  germanique  originaire  de  ce  nom,  nous 
croyons  l'avoir  retrouvée  dans  certains  documents 
en  langue  vulgaire  contemporains  d'Agrippa,  qui 
confirment  les  renseignements  précédents,  et  où  il 
est  nommé  Maître  Hanry  Cornélis  dit  Agrippe,  Hanry 
Cornélis  Agrippa.  Ces  documents,  rédigés  en  français, 
sous  diverses  dates  comprises  entre  1517  et  1520, 
sont  des  comptes  de  finance  de  la  cité  de  Metz,  du 
temps  où  Agrippa  était  aux  gages  de  cette  ville.  Ce 
sont  des  pièces  authentiques  conservées  encore  au- 
jourd'hui aux  archives  de  Metz,  et  sur  lesquelles 
nous  aurons  à  revenir  un  peu  plus  loin  '. 

Un  titre  également  contemporain,  écrit  aussi  en 
français,  nomme  Agrippa  Henry  Cornille  Agrippa. 
Ce  titre  est  le  privilège  expédié,  le  12  janvier  1529 
(1530  n.  s.)  à  la  chancellerie  deMalines,  et  donné,  au 
nom  de  l'empereur  Charles-Quint,  à  l'écrivain  pour 
la  publication  de  ses  ouvrages.  Malgré  le  caractère 
authentique  de  cette  pièce,  la  forme  Cornille  qu'elle 
contient  nous  semble  avoir  moins  d'autorité  que 
celle  de  Cornélis,  parce  que,  avec  une  tournure 
éminemment  française,  elle  pourrait  bien  n'avoir 
été  introduite  dans  le  privilège  rédigé  lui-même  en 
français,  que  comme  une  traduction  du  latin  Corne- 


1.  Non<<  donnons  dans  une  note  de  L'appendice    a0  XIII),  des 
extrait   de  ce    documents. 


124  CHAPITRE   DEUXIÈME 

lius,  et  qu'elle  convient  beaucoup  moins  que  la 
forme  Gornélis  au  nom  d'une  famille  d'origine  ger- 
manique, comme  l'était  celle  d'Agrippa. 

On  peut  inférer  de  ces  diverses  considérations 
que  Gornélis  était  le  nom  de  famille  d'Agrippa  dans 
sa  forme  originaire.  Quant  au  surnom  de  Nettesheim, 
il  ne  saurait,  nous  le  répétons,  avoir  ce  caractère.  Il 
ne  figure  jamais  dans  la  correspondance  d'Agrippa; 
et  celui-ci  ne  le  prend,  sans  le  justifier  d'ailleurs  en 
rien,  que  vers  la  fin  de  sa  vie,  sur  le  frontispice  im- 
primé de  ses  ouvrages,  où  il  l'associe,  pour  éblouir 
évidemment  ses  lecteurs,  aux  fastueuses  qualifi- 
cations de  chevalier  doré  et  de  docteur  en  l'un  et 
l'autre  droit,  dont  l'authenticité  soulève  également, 
comme  on  le  verra  plus  loin,  de  sérieuses  objec- 
tions ». 

Agrippa  dit  quelque  part  que  son  père  et  ses  an- 
cêtres avaient  servi  l'empereur  avec  éclat  (Ep.  VII, 
21);  mais  il  n'indique  pas  de  quelle  manière,  ni  dans 
quels  emplois;  et  comme,  de  son  côté,  il  se  montre, 
en  d'autres  occasions,  très  porté  à  exagérer  ses  pro- 
pres services  envers  le  souverain,  il  est  permis  de 
n'accepter  qu'avec  réserve  ce  qu'il  dit  des  services 
analogues  de  son  père  et  de  ses  prédécesseurs. 

Il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  l'enfance  et  la  pre- 

1.  On  trouvera  dans  nne  noie  de  l'appendice  (n°  I)  la  men- 
tion de  quelques  faits  relatifs  à  la  question  du  véritable  nom 
d'Agrippa,  et,  dans  d'autres  notes  (n°5  II,  III,  VI),  des  rensei- 
gnements concernant  ses  prétentions  à  la  noblesse  de  naissance, 
à  la  chevalerie  et  au  doctorat. 


AGRIPPA    A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  Î2S 

mière  jeunesse  d' Agrippa  s'étaient  passées  auprès 
de  ses  parents,  où  son  esprit  avait  reçu  une  première 
culture.  Il  est  permis  néanmoins  de  douter  de  la  va- 
leur de  cette  éducation  en  quelque  sorte  paternelle  ; 
car  ce  serait  alors  et  au  sein  de  sa  famille,  il  nous 
l'apprend  lui-même,  qu'il  aurait  reçu  les  premières 
notions  de  l'astrologie  et  qu'il  aurait  été  ainsi  lancé 
dans  ses  vaines  spéculations  \  Il  parait  d'ailleurs 
avoir  étudié  aussi,  pendant  ses  jeunes  années,  aux 
écoles  publiques  de  Cologne,  dont  il  parle  du  reste 
d'une  manière  peu  favorable,  en  donnant  plus  tard 
quelques  détails  sur  le  caractère  des  maîtres  qui 
alors  y  enseignaient.  Deux  d'entre  eux  notamment 
sont  rappelés  par  lui  au  cours  d'une  diatribe  écrite  à 
Bonn,  vers  la  fin  de  sa  vie,  et  datée  du  lî  janvier 
1533,  contre  l'université  de  sa  ville  natale,  qui  s'était 
associée  aux  suppôts  de  l'Inquisition  pour  attaquer 
son  livre  de  la  philosophie  occulte.  Ces  deux  hom- 
mes sont  le  recteur  Bommelchen  et  le  théologien 
Cornélius  de  Breda,  qu'il  ne  mentionne  que  pour 
faire  une  critique  plus  que  sévère  de  leurs  mœurs  et 
de  leur  capacité  (Ep.  VII,  2G).  C'est  pourtant 
sous  ces  maîtres  décriés  par  lui  qu'il  aurait  ac- 
quis alors  la  partie  la  plus  sérieuse  et  le  fondement 
môme  de  son  instruction  dans  les  arts,  comme 
on  disait  de  son  temps:  les  arts  correspondant  à 
peu  près,  dans  cette  acception,  à  ce  qu'on  appelle  de 

1.  «  Ego  quoque  banc  artem  (nsirulogiam)  a  parentibus  puer 
.(  imbibi.  »  {Opéra,  l.  II,  p.  5G.) 


12G  CHAPITRE   DEUXIÈME 

nos  jours  les  humanités,  avec  l'addition  toutefois  de 
quelques  parties  de  la  philosophie  et  des  sciences  l. 
Il  dit  formellement,  dans  un  de  ses  écrits,  qu'il  était 
arrivé  jusqu'au  grade  de  la  maîtrise;  et,  en  rappor- 
tant ce  fait  à  propos  des  capacités  qu'il  prétend 
avoir  en  logique,  il  donne  suffisamment  à  enten- 
dre qu'il  s'agit  de  la  maîtrise  ès-arts.  Je  ne  suis 
pas  tout  à  fait  inexpert,  dit-il,  dans  le  raisonnement  ; 
ayant  jadis  étudié  cet  art,  au  prix  de  beaucoup  de 
temps,  à  l'école  des  sophistes  de  Cologne,  où,  à  la 
sueur  de  mon  front,  j'étais  parvenu  au  degré  de  la 
maîtrise  2. 

Agrippa  aurait  été,  on  le  voit,  reçu  maître  ès-arts 
à  l'université  de  Cologne.  Il  possédait  par  consé- 
quent déjà  ce  premier  grade,  quand  il  quittait  sa  ville 
natale  au  sortir  de  la  première  jeunesse.  Il  n'y  a 
aucune  raison  de  suspecter  la  sincérité  de  ses  décla- 
rations sur  ce  point;  car  elles  ne  vont  pas  plus  loin 
qu'à  établir  qu'il  avait,  à  ce  moment,  poussé  jusqu'à 
leur  terme  ordinaire  ses  études  d'humanités  ;  et  l'on 
a  d'autant  plus  de  motifs  de  l'admettre,  que  son  ins- 
truction sur  les  matières  qui  y  correspondent  est  in- 

1.  Dans  l'université  de  Paris,  la  faculté  des  arts  comprenait 
sept  arts  libéraux  :  la  grammaire,  la  logique,  la  rhétorique, 
formant  ce  qu'on  appelait  le  trivium;  l'arithmétique,  l'astro- 
nomie, la  géométrie,  la  musique,  composant  le  quadrivium. 

2.  «  Neque  tamen  me  latet  constituendas  bonse  consequentise 
«  ratio,  qui  in  eo  artificio  quondamapud  Colonienses  sophistas, 
«  non  modico  temporis  dispendio,  ad  lauream  usque,  magiste- 
«  riumque  desudavi.  »  (Opéra,  t.  II,  p.  628.) 


AGRIPPA  A   COLOGNE,   A    PARIS,   ETC.  127 

contestable  ;  tandis  qu'il  y  a  grandement  Lieu  de 
douter  que,  depuis  lors,  il  aitjamais  suivi  nulle  part 
un  cours  d'études  régulier.  Ce  premier  fonds  d'ins- 
truction suffit  d'ailleurs  pour  expliquer  chez  un 
homme  d'un  esprit  aussi  curieux  et  aussi  ouvert,  la 
variété  de  connaissances  et  d'aptitudes  dont  on  le 
voit  donner  la  preuve,  dans  les  phases  si  variées  de 
son  existence. 

C'est,  ainsi  préparé  et  en  possession  du  grade  de 
maître  ès-arts,  qu'Agrippa,  aux  approches  vraisem- 
blablement de  sa  vingtième  année,  arrive  à  Paris 
pour  y  entendre  les  leçons  qui  se  donnaient  dans  la 
célèbre  université  de  cette  ville.  Nous  ne  savons  pas 
quelle  fut  la  durée  du  séjour  qu'il  y  fit  alors.  Il 
est  douteux,  selon  toute  apparence,  qu'elle  ait  été 
suffisante  pour  lui  permettre  d'y  acquérir  les  grades 
supérieurs  de  docteur  en  l'un  et  l'autre  droit,  aussi 
bien  qu'en  médecine,  auxquels  on  le  voit  prétendre 
assez  longtemps  après  '.  Il  faudrait  pourtant  que 
cela  fût,  si  ses  prétentions  sur  ce  point  étaient  fon- 
dées ;  car  il  ne  possédait  certainement  pas  ces  gra- 
des en  arrivant  en  France,  n'ayant  jusque-là  étudié 
que  dans  sa  ville  natale,  où  il  ne  prétend  pas  avoir 
obtenu  d'autre  distinction  universitaire  que  celle 
delà  maîtrise  ès-arts;  et,  d'un  autre  côté,  à  partir 
du  séjour  d'assez  courte  durée  ce  semble  qu'il  fait  à 

].'.'...  Prœtcr  mullimodam  etiam  abstriisarum  rcrum  cogni- 
«  tionom,  peritiam  et  cyclinam  eruditiouem,  alriusque  juris  et 
«  medicinarum  doclor  evasi...  »  (Epi  VIT,  21.) 


128  CHAPITRE   DEUXIÈME 

Paris  à  cette  époque,  nous  ne  le  percions  plus  guère 
de  vue,  dans  une  existence  très  agitée  qui  ne  laisse 
pas  beaucoup  de  place  pour  les  études  que  réclame- 
rait ce  triple  doctorat.  Mais,  disons-le  tout  de  suite, 
on  a,  comme  nous  le  montrerons  plus  loin,  des  rai- 
sons sérieuses  de  douter  qu'Agrippa  ait  jamais  été 
régulièrement  en  possession  de  ces  titres  scientifi- 
ques, dont  il  se  pare  quelquefois,  vers  la  fin  de  sa  vie 
surtout;  et  l'on  peut  lui  contester  le  droit  de  les 
prendre  ',  quoique,  dans  certaines  circonstances,  il 
fasse  preuve,  en  réalité,  de  quelques  unes  des  con- 
naissances qu'ils  impliquent  \ 

C'est,  en  tout  cas,  pendant  cette  première  période 
de  sa  vie  qu'Agrippa  dut  acquérir,  cela  est  beaucoup 
plus  certain,  le  savoir  assez  étendu  sur  des  sujets 
très  différents,  qui  le  met  en  état  de  composer,  à  peu 
de  temps  de  là,  son  traité  de  la  philosophie  occulte. 
En  effet,  après  être  revenu  de  Paris  à  Cologne,  en 
1507,  il  donne  toute  l'année  1508  et,  pour  une  bonne 
part,  celle  de  1509  à  ses  voyages  en  Espagne,  en  Italie 

1.  On  trouvera,  sur  ce  sujet,  quelques  éclaircissements  dans 
une  note  de  l'appendice  (n°  VI). 

2.  Dans  le  procès,  par  exemple,  de  la  vieille  paysanne  pour- 
suivie à  Metz  comme  sorcière,  en  1519,  Agrippa  montre  des 
connaissances  positives  en  droit  et  en  procédure.  D'nn  autre 
côté,  il  a  exercé  ultérieurement  à  Fribourg,  à  Lyon  et  à  Anvers 
la  médecine,  non  sans  quelque  succès,  à  ce  qu'il  semble.  Nous 
dirons  plus  loin  comment  il  lui  a  été  possible  de  le  faire  sans 
posséder  cependant  aucun  grade  scientilique  dont  il  pût  s'au- 
toriser pour  cet  objet.  On  trouvera  quelques  renseignements  à 
ce  sujet  dans  une  note  de  l'appendice  (n°  VII). 


AGRIPPA    A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  129 

et  dans  le  midi  de  la  France,  ainsi  qu'aux  intrigues 
et  aux  démarches  qui  accompagnent  sa  tentative  d'ins- 
tallation en  Bourgogne  ;  et  le  traité  de  la  philosophie 
occulte  était  écrit  en  grande  partie  et  déjà  susceptible 
d'exciter  l'admiration  du  savant  Tritheim,  dès  lolO 
(Ep.  I,  24).  Or,  quoiqu'on  pense  des  idées  émises 
dans  cet  ouvrage  et  des  notions  qui  s'y  trouvent 
rassemblées,  il  faut  y  reconnaître  un  appareil  de  con- 
naissances qui  prouvent  au  moins  des  lectures  et 
une  certaine  étude  '  ;  l'œuvre  ne  fût-elle  avant  tout, 
comme  il  y  a  lieu  d'ailleurs  de  le  penser,  qu'une  sim- 
ple compilation.  Ajoutons  qu'à  la  môme  époque, 
Agrippa,  pour  ses  débuts  dans  la  vie  scientifique, 
avait  déjà  paru,  non  sans  éclat  à  ce  qu'il  semble,  dans 
une  chaire  publique  de  l'université  de  Dole,  en  1509. 
La  première  jeunesse  d' Agrippa  avait  été  stu- 
dieuse et  correctement  employée,  on  peut  le  croire, 
dans  le  pays  même  de  sa  naissance  ;  mais,  après  cela, 
son  séjour  à  l'université  de  Paris  n'avait  plus  été  con- 
sacré, ce  semble,  qu'à  des  travaux  probablement 
peu  réguliers,  accomplis  de  manière  à  satisfaire  sa 
simple  curiosité  dans  diverses  directions.  11  avait,  en 
môme  temps,  noué  dans  cette  ville  des  relations  d'a- 
mitié avec  un  certain  nombre  de  jeunes  hommes  ap- 
partenant à  différentes  nations,  comme  nous  l'avons 
indiqué  tout  à  l'heure;  car  l'université  de  Paris  était 

I .  îs'uus  avons  réuni,  dans  un"  note  de  notre  appendice (n"  IV), 
quelques  indications  sur  Les  études  d'Agrippa   louchant  les 
mees  'a  les  arts  occultes. 


130  CHAPITRE   DEUXIÈME 

le  lieu  de  rendez-vous  de  la  jeunesse  de  tous  les 
pays.  Parmi  ces  amis  des  premières  années,  se  trouve 
un  Italien,  Landulphe,  qui  échauffe  l'imagination 
d' Agrippa  en  lui  parlant  de  son  pays,  et  tourne  les 
idées  de  l'enfant  de  Cologne  vers  les  voyages  et  la 
vie  d'aventures.  Les  jeunes  étudiants  étaient  d'ail- 
leurs tout  remplis  de  cette  impatience  juvénile  de 
tenterl'inconnu,  dont  le  désir  de  voyager  est  l'accom- 
pagnement naturel.  Ils  prétendaient  arriver  à  la  for- 
tune, par  des  aventures  propres  à  mettre  en  relief  les 
mérites  qu'ils  n'hésitaient  pas  à  se  reconnaître.  Ces 
beaux  projets,  et  les  vifs  témoignages  de  leur  amitié 
réciproque  forment  le  sujet  des  premières  lettres 
échangées,  en  1307,  entre  l'Italien  Landulphe,  resté  à 
Paris,  et  Agrippa,  de  retour  pour  un  instant  à  Colo- 
gne, auprès  de  ses  parents. 

—  Je  ne  peux  l,  écrit  le  premier,  te  transmettre 
aucune  nouvelle  préférable  au  témoignage  que  nos 
affaires  marchent  à  souhait,  et  que  nous  sommes 
en  possession  du  résultat  tant  désiré  dont  la  pour- 
suite a  cimenté  à  Paris  notre  mutuelle  amitié.  Quoi- 
que séparés  pour  un  temps  par  la  distance  des  lieux, 
nos  esprits  sont  unis  par  des  liens  indissolubles.  Fasse 

1.  Dans  le  cours  de  ce  travail,  nous  nous  sommes  appliqué, 
disons-le  une  fois  pour  toutes,  non  pas  à  traduire  littérale- 
ment, mais  à  rendre  par  une  libre  interprétation  les  textes 
que  nous  citons.  Lorsqu'une  expression,  un  trait  particulier 
ou  un  passage  nous  semblent  présenter  quelque  intérêt  ou  bien 
avoir  une  importance  qui  le  commande,  nous  les  donnons 
dans  leur  forme  originale. 


AGRIPPA   A    COLOGNE.   A    PARIS,    ETC.  131 

le  souverain  maître  du  monde  que  je  puisse  enfin 
te  visiter  dans  ta  Germanie,  comme  nous  en  formions 
le  projet;  car,  tu  le  sais,  je  ne  vis  pas  sans  crainte 
et  à  l'abri  de  tout  danger,  dans  le  pays  où  je  me 
trouve  aujourd'hui.  En  attendant,  fais  en  sorte  de 
nous  revenir  le  plus  tôt  que  tu  le  pourras  (Ep.  I,  1). 
Il  y  a  quelque  chose  de  mystérieux  dans  cette  let- 
tre de  Landulphe  datée  de  Paris,  ex  academia  Pari- 
siaca,  le  o  des  calendes  d'avril  (28  mars)  1507.  Deux 
mois  après,  de  Cologne  et  dans  des  termes  non 
moins  ambigus,  Agrippa,  le  23  mai,  invite  son  ami  à 
rompre  sans  délai  avec  un  personnage  qui  n'est  pas 
nommé,  auquel  il  s'était,  à  ce  qu'il  semble,  impru- 
demment attaché.  Ces  jeunes  gens  paraissent,  à  ce 
moment  déjà,  engagés  dans  les  voies  de  l'intrigue. 

—  J'attends  ici,  dit  en  terminant  Agrippa,  le  man- 
dement d'un  Jupiter  tout  puissant,  de  qui  j'espère 
aussi  obtenir  quelque  chose  de  grandement  utile 
pour  toi.  Après  cela,  je  reviens  en  France,  où  nous 
nous  reverrons.  Salue,  de  ma  part,  Dom  Germanus, 
Ganeus  et  Garolus  Focardus,  Dom  de  Molinflor, 
Janotus  Bascus  et  Dom  de  Gharona  (Ep.  I,  2). 

—  Sur  ce  que  tu  me  conseilles,  réplique  do  Paris 
Landulphe,  je  ne  déciderai  rien  avant  ton  retour. 
Alors  nous  pourrons  réaliser  notre  ancien  projet  de 
visiter  l'Espagne,  et  de  gagner  ensuite  ma  chère 
Italie.  Dom  de  Molinflor  te  salue.  Janotus,  parti 
depuis  quelques  mois,  n'est  pas  encore  de  retour 
(Ep.  I,  3.) 

En  suivant  la  pente  naturelle  où  le  faisaient  glisser 


132  CHAPITRE    DEUXIÈME 

des  études  commencées  dès  sa  première  jeunesse, 
comme  il  le  dit, 'et  chez  ses  parents  eux  mêmes,  sur 
l'astrologie,  Agrippa  était  entré  de  plus  en  plus 
dans  le  domaine  des  sciences  occultes.  Il  se  trouvait 
alors  lancé  dans  les  spéculations  mystérieuses  de 
l'alchimie,  dont  l'objet  principal  était,  on  le  sait,  l'ac- 
complissement du  grand  œuvre,  la  découverte  de  la 
pierre  philosophale  au  moyen  de  laquelle  on  croyait 
pouvoir  faire  de  l'or.  Des  travaux  exécutés  à  cet 
effet  semblent  avoir  été,  à  cette  époque,  un  des 
liens  qui  unissaient  Agrippa  et  ses  amis  de  l'univer- 
sité de  Paris.  Ces  jeunes  gens  avaient  formé  entre 
eux  une  association  secrète,  sodalitii  sacramento  (Ep. 
I,  8),  à  l'imitation  de  ce  qui  se  pratiquait,  depuis  les 
temps  anciens,  pour  la  culture  de  l'art  hermétique. 
Nous  avons  dit,  dans  notre  introduction,  comment  se 
rattachaient  l'un  à  l'autre  l'art  hermétique,  la  cabale 
et  la  magie,  confondus  finalement  dans  ce  qu'on  ap- 
pelle d'une  manière  générale  les  sciences  et  les  arts 
occultes.  Leur  étude  a  beaucoup  occupé,  à  différents 
points  de  vue,  Agrippa  pendant  toute  sa  vie.  Elle 
s'était  emparée  de  son  esprit  dès  ses  jeunes  années. 
Landulphe  partageait  ses  goûts  et  ses  travaux  dans 
cette  direction.  C'est  à  leurs  résultats  et  a  divers  in- 
cidents qui  s'y  rattachent,  que  semblent  faire  allu- 
sion certains  traits  peu  explicites  des  lettres  échan- 
gées entre  eux  en  1507,  dont  il  vient  d'être  question. 
Les  projets  de  voyage  que  nous  y  voyons  en  outre 
mentionnés,  ne  tardent  pas  à  être  mis  à  exécution 
par  les  deux  amis;  et,  au  printemps  suivant,  nous  les 


AGRIPPA   A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  133 

trouvons  sur  cette  terre  d'Espagne  qu'ils  avaient 
rêvée  si  séduisante;  mais  où,  dès  les  premiers  pas,  ils 
trébuchent  et  se  heurtent  à  des  difficultés  inattendues. 
En  1508,  en  effet,  Agrippa  etLandulphe,  entraînés 
à  ce  qu'il  semble  par  leurs  camarades  espagnols 
de  l'université,  sont  de  l'autre  côté  des  Pyrénées. 
Séparés  accidentellement,  ils  s'adressent  réciproque- 
ment, pendant  ce  voyage,  des  lettres  conçues  dans 
des  termes  obscurs  dont  l'interprétation  présente 
quelque  difiiculté.  On  a  cru  généralement,  d'après  la 
teneur  ambiguë  de  ces  documents,  qu'Agrippa  était 
allé  en  Espagne  pour  y  travailler  au  grand  œuvre, 
et  qu'il  s'y  était  attiré  par  ces  pratiques  ténébreuses 
quelque  rigoureux  traitement,  auquel  se  rapporte- 
raient les  plaintes  qu'il  exhale  dans  ses  confidences 
à  Son  ami.  L'examen  des  textes  ne  confirme  pas  cette 
opinion.  Il  faut  rapprocher  des  lettres  adressées 
alors  à  Landulphe,  celles  qu'Agrippa  écrit  quelque 
peu  auparavant  à  un  autre  camarade,  à  Galbianus. 
Celles-ci  sont  un  peu  plus  explicites  que  les  autres. 
Elles  donnent  l'idée  de  quelque  entreprise  hasar- 
deuse, comme  serait  une  sorte  d'expédition  mili- 
taire. Agrippa  semble  avoir,  en  tout  cas,  cherché  ul- 
térieurement à  déguiser,  dans  sa  correspondance, 
certaines  particularités  au  moins  de  cette  expédi- 
tion; et  l'on  a  de  sérieuses  raisons  de  douter  de  sa 
parfaite  sincérité,  dans  ce  qu'il  en  dit  nprès  coup 
pour  exposer,  comme  nous  le  verrons,  les  dernières 
phases  et  l'issue  finale  de  cette  singulière  aven- 
ture. 


134  CHAPITRE    DEUXIÈME 

Nous  possédons  quatre  lettres  écrites  par  Agrippa 
pendant  son  séjour  en  Espagne.  Les  deux  premiè- 
res sont  adressées  à  Galbianus,  qui  semble  un  des 
promoteurs  de  l'entreprise  ;  les  deux  autres  sont  à 
la  destination  de  son  ami  Landulphe,  qui  l'accompa- 
gnait d'abord,  mais  que  les  hasards  de  l'entreprise 
et  le  développement  des  faits  avaient  à  la  fin  séparé 
de  lui,  ainsi  que  nous  venons  de  le  dire.  Les  deux 
lettres  à  Galbianus  se  rapportent  aux  débuts  de 
l'expédition  '. 

—  Tu  vois,  mon  cher  Galbianus,  lui  dit  Agrippa, 
combien  il  est  dangereux  de  se  vanter  inconsidéré- 
ment devant  ces  grands  seigneurs,  qui  s'empressent 
de  rapporter  à  leur  maître  ce  qu'ils  entendent,  et 
s'arrangent  pour  gagner  leurs  bonnes  grâces  à  nos 
dépens.  Prenant  au  pied  de  la  lettre  tout  ce  que 
nous  disons,  ils  nous  mettent  en  demeure  d'exécu- 
ter les  merveilles  annoncées  par  nos  discours,  et 
nous  pressent  ensuite,  de  manière  à  nous  faire  com- 
prendre qu'ils  sauront  obtenir  par  la  violence  ce 
qu'ils  n'auront  pu  gagner  par  leurs  prières.  Nos 
affaires,  je  l'avoue,  se  présentent  d'une  manière  as- 
sez favorable  ;  mais  il  faut  voir  la  suite.  On  nous 
fait  do  belles  promesses  ;   déjà  cependant  pointent 

1.  La  correspondance  d'Agrippa  et  de  Galbianus  ne  comprend 
que  les  deux  lettres  écrites  pendant  le  séjour  en  Espagne  (1508) 
et  imprimées  dans  la  Correspondance  générale.  L.  I,  4  et  5.  — 
La  correspondance  avec  Landulphe  a  plus  d'étendue;  elle  com- 
prend treize  lettres  (1507-1512)  imprimées  dans  la  Correspon- 
dance générale.  L.  I,  1,  2,  3,  6,  7,  8,  9,  10,  11,  12,  25,  29,  30. 


AGRIPPA   A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC. 


135 


les  menaces,  et  les  périls  ne  sont  pas  loin.  Ne  t'ai-je 
pas  dit,  dès  le  commencement,  que  tu  nous  poussais 
dans   un    labyrinthe  d'où  nous  ne  pourrions   plus 
sortir  ?  Tu  n'en   as  pas  moins  persisté  à  promettre 
monts  et  merveilles.  Dom  de  Gharona,  de  son  côté,  a 
encore  insisté  et  renchéri  sur  tout  ce  que  tu  avançais, 
et  il  a  donné  do  nous  au  roi  une  telle  opinion,  que 
personne  ne  saurait  aujourd'hui  lui  faire  abandon- 
ner le  projet  qu'il  a  conçu.  Mo  voilà   maintenant 
obligé,  non  sans  dangers  pour  moi,  de  justifier  vos 
promesses,  avec  cette  alternative,  que  si  je  recule  ou 
si  j'échoue,  tout  est  perdu  pour  nous,  et  la  disgrâce, 
la  persécution  même    seront   toute    notre    récom- 
pense ;  que  si  je  réussis,  au  contraire,  le  prix,  qui 
nous  attend  sera  probablement  d'être  réservés  à  de 
nouveaux  périls  et  d'être  conduits  par  nos  talents 
mêmes  à  notre  propre  perte,  attirant  ainsi  sur  nos 
têtes  le  mal  que  nous  aurons  préparé  pour  d'autres  ; 
sans  compter  que  nous   pouvons  nous   trouver   en 
présence  de  moyens  d'action  égaux  ou  supérieurs 
aux  nôtres,  et  à  tout  le  moins  inattendus  pour  nous. 
Si  je  te  parle  ainsi,  ce  n'est  pas  que  j'hésite.   Je 
veux  seulement  te  montrer  que  je  suis  prêt  a  expo- 
ser ma  vie.  Mais  j'espère  bien  plutôt,  si  le  destin  ou 
quelque  mauvais  génie  ne  s'y  opposent  pas,  que  par 
cet  acte  éclatant  nous  allons  gagner  une  gloire  im- 
mortelle. Je  n'ai   pour  cela  besoin  d'autre  secours 
que  le  tien.   Avec  toi,  compagnon  fidèle  et  souvent 
éprouvé,  je  marche  au  péril  plein  de  coniianec  ;  et 
je  vois  déjà  dans  ma  main  le  rameau  d'or.  Avec  toi, 


136  CHAPITRE   DEUXIÈME 

je  puis  tout  ;  avec  toi,  qui  m'as  invité  à  cette  grande 
entreprise.  Viens  donc  ici.  Viens  pour  que  nous  nous 
concertions  sur  les  moyens  d'exécution  (Ep.  I,  4), 

Cette  première  lettre  à  Galbianus  est  datée  du 
mois  d'avril  1508,  d'une  résidence  royale  à  ce  qu'il 
semble,  ex  Grangix  palatio.  Elle  dénote  chez  Agrippa 
beaucoup  moins  de  résolution  qu'il  n'en  affecte  en 
apparence.  La  seconde  lettre  le  montre  absolument 
découragé.  Il  a  fait  un  pas  de  plus,  et  maintenant  il 
désespère.  Il  écrit  cette  fois  d'une  place  forte,  ex 
Arce  vetere,  où  il  semble  avoir  été  envoyé  pour  quel- 
que expédition  militaire.  On  est  toujours  en  1508. 

—  Quelle  constellation  incertaine,  quel  destin  am- 
bigu, quel  génie  équivoque  ont  pu  me  conduire  où 
je  suis?  C'est  toi,  Galbianus,  et  Janotus  qui  m'avez 
lancé  dans  ces  hasards.  Puissiez-vous  maintenant 
être  capables  de  m'en  tirer;  ou  plutôt,  puissé-je  ne 
pas  y  être  entré  !  La  fortune  ne  m'a  élevé  que  pour 
me  précipiter  de  plus  haut;  et  ce  fantôme  de  dignité 
dont  on  m'a  revêtu  ne  fait  qu'aggraver  ma  misère. 
N'avais-je  pas  prévu  que  le  jour  où  nous  croirions 
recouvrer  notre  liberté,  ces  vains  titres  dont  nous 
étions  décorés  seraient  considérés  comme  étant  la 
rançon  de  notre  indépendance,  et  que,  pour  prix  des 
honneurs  acceptés  par  nous,  on  nous  pousserait  à 
de  nouveaux  périls  qui  auront  la  mort  pour  unique 
récompense?  N'est-ce  pas  assez  d'une  épreuve? 
Qu'est-il  besoin  de  tenter  de  nouveau  la  fortune? 
Janotus,  pour  plaire  au  roi,  n'hésite  pas,  je  le  vois, 
à  nous  immoler,  plutôt  que  de  sacrifier  pour  notre 


AGRIPPA   A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  137 

salut  une  parcelle  de  son  ambition.  Quant  à  Dom  de 
Charona,  son  nom,  qui  rappelle  un  fleuve  de  l'enfer, 
me  semble  du  plus  mauvais  augure.  Nous  voilà 
donc,  pour  obéir  au  caprice  d'un  souverain  irrité, 
exposés  à  braver  la  colère  et  le  ressentiment  d'un 
peuple  tout  entier,  sans  pouvoir  même  compter  sur 
la  bienveillance  de  la  cour.  As-tu  oublié,  mon  cher 
Galbianus,  comment  on  y  insinuait  traîtreusement 
au  roi  que,  s'il  nous  laissait  partir,  il  verrait  se  re- 
tourner contre  lui  les  pratiques  dont  nous  dispo- 
sions ;  et  que,  bien  plus,  il  essuierait  lui-même  les 
défaites  qui  menaçaient  alors  ses  ennemis.  Non, 
recourir  ainsi,  en  étouffant  le  cri  de  la  conscience, 
à  ces  arts  cruejs,  plus  coupables  vraiment  que  glo- 
rieux, et  s'exposer,  pour  l'unique  satisfaction  d'un 
prince  en  fureur,  à  la  juste  haine  de  tous,  c'est  de 
l'impiété  et  de  la  démence.  Ce  n'est  pas  là  ce  dont 
nous  étions  convenus  au  palais  de  Grangise.  Sou- 
viens-toi de  ce  qui  a  été  dit  alors.  Il  faut  sortir  d'ici, 
maintenant  que  rien  n'est  encore  compromis  sans 
retour;  sinon  je  disparais  et  vous  vous  arrangerez 
sans  moi,  comme  vous  le  pourrez.  Mon  Stephanus 
que  je  t'envoie  te  dira  le  reste  (Ep.  I,  5). 

Il  n'est  question,  ce  semble,  dans  tout  cela  ni  de 
magie,  ni  d'alchimie.  Il  s'agirait  bien  plutôt,  à  ce 
qu'on  peut  croire,  de  quelque  pratique  de  pyrotech- 
nie ou  de  génie  militaire  qu'Agrippa  se  serait  engagé 
à  mettre  en  œuvre  pour  le  service  du  roi.  Après 
avoir  accepté  un  rôle  qui  flattait  sa  vanité,  il  se  voit 
Lié  par  d'étroites  obligations  et  contraint  de  payer 

T.  I.  12 


138  CHAPITRE    DEUXIÈME 

de  sa  personne,  en  s'exposant  à  des  dangers  dont  la 
perspective  inquiétante  semble  dominer,  à  ses  yeux, 
tout  le  reste.  Agrippa  se  trouve  évidemment  en  si- 
tuation de  faire,  dans  une  certaine  mesure,  l'appren- 
tissage de  la  guerre.  A  la  première  épreuve,  il  sent 
défaillir  son  courage,  et  montre  combien  il  est  peu 
propre  à  la  carrière  des  armes,  dans  laquelle  il  a  ce- 
pendant toujours  eu  la  prétention,  très  peu  fondée, 
d'avoir  joué  un  rôle  brillant. 

La  dernière  des  deux  lettres  que  nous  venons  de 
citer  montre  qu'Agrippa,  quand  il  l'écrit,  est  déjà  en- 
tré en  action,  mais  qu'il  n'est  encore  qu'aux  débuts 
de  l'entreprise.  Elle  est  datée  d'un  lieu  nommé  Arx 
vêtus,  dont  nous  ne  connaissons  pas  l'emplacement. 
Elle  est  suivie  de  deux  autres  lettres,  écrites  bientôt 
après  et  dans  l'année  même,  de  Vallis  rotunda,  où 
Agrippa  semble  avoir  été  conduit  par  la  marche  des 
faits.  Celles-ci  sont  adressées  à  son  ami  Landulphe 
qui  partage  sa  triste  situation  et  que  des  circons- 
tances fortuites  ont  momentanément  éloigné  de  lui. 
Il  l'excite  à  secouer  le  joug  odieux  qui  pèse  sur 
tous  deux. 

—  Mon  cher  Landulphe,  lui  dit-il,  n'ai-je  pas  as- 
sez longtemps  gémi  dans  cet  antre  de  Vallis  rotunda, 
où  je  me  vois  confiné  comme  une  bête  fauve?  Ne 
t'endors  pas,  je  t'en  prie,  sur  nos  communs  intérêts. 
C'est  contre  mon  sentiment,  tu  dois  te  le  rappeler, 
que  nous  avons  sacrifié  notre  indépendance  pour 
nous  attacher  à  la  fortune  d'autrui,  et  que  nous 
nous  sommes  laissé  conduire  par  Charona,  pour  tom- 


AGRIPPA   A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  439 

ber  dans  la  périlleuse  situation  où  nous  nous  trou- 
vons. Ne  perds  donc  pas  de  temps  ;  brise  nos  chaî- 
nes et  rends-nous  à  la  liberté  (Ep.  I,  6). 

—  11  faut  au  plus  tôt  quitter  cette  existence  malfai- 
sante, reprend  Agrippa  dans  la  seconde  lettre, 
avant  que  la  contrée  qui  déjà  nous  déteste  ne  nous 
engloutisse  sans  retour;  car  nous  ne  sommes  entou- 
rés que  d'ennemis.  J'avais  bien  prévu  tout  cela.  Que 
n'as-tu  voulu  m'écouter?  Mieux  vaudrait,  pour  nous, 
être  aujourd'hui  ballottés  sur  l'océan,  qu'enchaînés, 
comme  nous  le  sommes,  par  ce  fantôme  trompeur 
de  fortune.  Hâte-toi  donc  d'accomplir  ce  dont  nous 
sommes  convenus.  Sortis  de  ce  péril,  nous  triomphe- 
rons facilement  de  tous  les  dangers  ;  si  non,  nous 
sommes  perdus.  Ne  vois-tu  pas  qu'on  se  joue  et  de 
toi  et  de  moi  (Ep.  I,  7)? 

Toutes  ces  indications  semblent  se  rapporter  à  des 
faits  de  guerre.  Une  expédition  militaire  n'entrait 
vraisemblablement  pas  dans  les  visées  premières 
des  jeunes  aventuriers,  lesquels  n'étaient  probable- 
ment partis  qu'avec  l'idée  vague  de  chercher  for- 
tune. Ils  avaient  cru,  un  instant,  la  trouver  dans  le 
métier  de  soldat.  11  y  a  lieu  de  croire,  suivant  cer- 
taines apparences,  que  cette  direction  particulière 
avait  été  donnée  à  leur  entreprise  par  Galbianus, 
Janotus  et  Charona,  leurs  amis  de  l'université 
qui,  en  Espagne,  paraissent  être  chez  eux.  D'après 
les  renseignements  fournis  par  la  correspondance, 
les  jeunes  gens  auraient  été  conduits  ainsi  à  la  cour 
du  roi  d'Aragon,  qu'ils  auraient  Irouvé  aux  prisc9 


140  CHAPITRE   DEUXIÈME 

avec  un  soulèvement  de  paysans,  à  ce  qu'il  semble, 
dans  le  nord  de  la  Catalogne  '.  Les  étrangers  ve- 
naient chercher  des  aventures,  et  on  leur  aurait  pro- 
posé celle  d'une  expédition  contre  les  rebelles. 
Agrippa,  présenté  comme  un  savant  ingénieur,  en 
possession  de  connaissances  spéciales  et  de  cer- 
tains secrets,  aurait,  paraît-il,  accepté  la  mission  de 
réduire  une  forteresse  où  étaient  cantonnés  les  ré- 
voltés. Peut-être  avait-il  alors  commencé  déjà  les 
études  qu'il  a  consacrées  aux  machines  de  guerre, 
sur  lesquelles  il  a,  dans  la  suite,  écrit  un  traité.  Lancé 
dans  cette  aventure,  il  aurait  contribué  par  son  in- 
dustrie à  faire  tomber  les  défenses  d'une  petite  cita- 
delle, Arx  nigra.  Cependant  ce  succès,  loin  de  l'en- 
courager, n'aurait  fait  qu'exciter  son  impatient  désir 
de  recouvrer  sa  liberté  perdue.  Il  n'aurait  plus  pensé, 
dès  lors,  qu'à  rompre  la  chaîne  insupportable  qui  le 
retenait  ;  d'accord  sur  ce  point  avec  Landulphe,  at- 
taché comme  lui  à  un  petit  corps  de  soldats  posté 

1.  Il  s'agit  ici  de  Ferdinand  le  Catholique,  époux  d'Isabelle 
de  Castille  et  aïeul  de  Charles-Quint.  Ferdinand  était  de  son 
chef  roi  d'Aragon,  depuis  la  mort  de  son  père,  Jean  II,  en 
1479.  Quant  à  la  couronne  de  Castille,  depuis  la  mort  d'Isa- 
belle, en  1504,  les  titulaires  en  avaient  été  successivement,  au 
droit  de  sa  fille  Jeanne  la  Folle,  l'archiduc  Philippe  le  Beau 
d'abord,  époux  de  cette  princesse,  puis,  en  1506,  à  la  mort  de 
Philippe,  le  prince  Charles,  son  lils,  qui  devait  être  un  jour 
Charles-Quint.  Le  prince  Charles,  né  en  1500,  était  alors  un 
enfant  en  bas-âge;  et  son  aïeul  maternel,  le  roi  Ferdinand, 
avait  pris,  en  son  nom,  la  régence  de  la  Castille.  Quant  à  la 
Catalogne,  c'était  une  dépendance  de  la  couronne  d'Aragon. 


AGRIPPA   A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  141 

dans  le  lieu  qu'il  nomme  Vallis  rotunda.  Il  s'agis- 
sait, pour  les  deux  amis,  de  fuir  en  trompant  la  sur- 
veillance de  leurs  compagnons  d'armes.  Landulphe 
ayant  le  premier  réussi  à  s'échapper,  Agrippa  n'y 
serait  parvenu  qu'avec  plus  de  peine,  et  malgré  mille 
difficultés  dont  il  rend  compte  ultérieurement  à  son 
ami ,  lorsque,  après  une  séparation  de  plusieurs 
mois,  rentré  lui-même  en  France,  il  apprend  que 
celui-ci  est  à  Lyon  et  qu'il  pourra  bientôt  le  revoir. 

On  voudrait  croire  au  récit  romanesque,  fourni 
par  Agrippa  lui-même,  de  cet  épisode  de  sa  vie. 
Malheureusement  il  plane  des  doutes  sérieux  sur  la 
réalité  d'une  partie  au  moins  des  faits  rapportés  par 
lui.  Quoiqu'il  en  soit,  voici  le  tableau  qu'il  en  a  tracé 
dans  une  lettre  écrite  d'Avignon,  où,  après  bien  des 
vicissitudes,  libre  désormais,  il  est  enfin  parvenu. 
Cette  lettre,  datée  du  24  janvier  1509,  est  adressée  à 
Landulphe  qui  est  alors  à  Lyon,  comme  nous  venons 
de  le  dire. 

—  Je  n'ai  pas  besoin  de  te  rappeler,  lui  dit-il, 
comment  après  la  réduction  à'Arx  nigra,  enlevée 
grâce  à  nos  artifices,  on  nous  envoya  tenir  garnison 
avec  Janotus  à  Vallis  rotunda,  enveloppés  par  une 
population  perfide  qui  nous  menaçait  des  plus 
grands  dangers.  Tu  n'a  pas  oublié  comment,  d'après 
ce  qui  avait  été  convenu  entre  nous  pour  notre 
salut  commun,  tu  partis  pour  Peniacum,  d'où  tu  re- 
vins à  Girone  en  annonçant  que  tu  te  rendais  à  Barce- 
lone. A  cette  nouvelle,  Janotus  partit  aussi  pour  cette 
dernière  ville.  C'était  le  5  des  ides  de  juin  (9  juin 


142  CHAPITRE   DEUXIÈME 

1508),  et  l'on  pensait  qu'il  reviendrait  pour  la  Saint- 
Jean-Baptiste  (24  juin),  ayant  invité  à  venir  dîner  ce 
jour-là  le  prieur  de  Saint-Georges,  le  prêtre  Francis- 
cus,  son  parent,  et  quelques  autres.  Je  n'ai  jamais 
su  si  Janotus  t'avait  rejoint  à  Barcelone,  ni  ce  que 
vous  aviez  pu  y  faire  ensemble. 

—  La  Saint-Jean  approchant,  on  attendait  son  re- 
tour, quand  un  soir  se  présente  devant  nos  murs  l'é- 
conome de  l'abbaye.  Il  fait  signe  ;  on  abaisse  le  pont; 
il  entre  dans  le  château;  et,  nous  ayant  réunis,  moi, 
Perottus  et  les  deux  parents  de  Janotus,  il  nous  an- 
nonce que  la  fureur  des  paysans  est  déchaînée  par- 
tout; que  Janotus,  surpris  à  son  retour,  a  été  em- 
mené dans  la  montagne;  que  deux  de  ses  gens  ont 
été  tués,  et  que  le  reste  est  prisonnier  avec  lui;  qu'il 
faut  enfin  nous  tenir  sur  nos  gardes.  La  peur  s'em- 
pare de  nous,  et  moi-même  qui  naguère  dirigeais 
hardiment  le  jeu  de  si  puissantes  machines,  moi  qui 
venais  de  faire  de  si  grandes  choses,  je  ne  sais  plus 
que  penser.  Nous  prions  l'économe  de  venir  à  no- 
tre secours.  Suivant  lui,  il  faut,  ou  se  frayer  un 
passage  par  la  force,  ou  se  fortifier  dans  le  château 
et  s'y  défendre  au  moins  quelques  jours,  jusqu'à  ce 
que  les  paysans  qui  sont  sans  chef  se  soient  déban- 
dés, ou  bien  aient  été  réduits  parles  troupes  du  roi. 
Se  frayer  un  passage  au  milieu  des  révoltés  en  ar- 
mes était  impossible  ;  les  attendre  sur  la  brèche 
était  s'exposer  à  une  mort  certaine  ;  défendre  contre 
eux  le  château  à  peine  fortifié  était  impraticable. 

—  A  trois  mille  pas  de  nous  se  trouvait  une  vieille 


AGRIPPA    A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  143 

tour,  je  ne  sais  si  tu  te  la  rappelles,  enfoncée  dans  une 
vallée  dominée  de  tous  côtés,  et  non  loin  d'Arcona. 
Là  les  montagnes  abruptes  forment  un  vaste  bassin 
où  se  réunissent,  au  milieu  de  rochers  inaccessibles, 
les  eaux  de  la  contrée.  C'est  dans  ce  défilé  qu'est  si- 
tuée la  tour,  plantée  sur  une  éminence  entre  les 
roches  ardues  et  les  marais.  Sauf  en  hiver,  quand 
vient  la  gelée,  elle  est  complètement  inaccessible,  si- 
non par  une  étroite  chaussée  resserrée  entre  les 
eaux,  qui  rendent  le  lieu  inexpugnable  pendant  la 
saison  d'été.  Cette  tour  était  habitée  par  un  homme 
de  l'abbaye,  préposé  à  la  garde  de  la  pêche.  L'éco- 
nome nous  engage  à  l'occuper  et  à  nous  y  fortifier. 
L'avis  nous  semble  bon  ;  nous  nous  décidons  aussi- 
tôt à  le  suivre.  Sans  plus  tarder,  nous  rassemblons 
nos  bagages  ;  les  chevaux  sont  chargés  de  vivres, 
de  munitions  et  de  ce  que  nous  avons  de  plus  pré- 
cieux ;  et,  munis  de  nos  armes,  pourvus  de  la  pou- 
dre nécessaire,  nous  partons  avec  nos  serviteurs, 
sous  la  conduite  de  l'économe.  Profitant  des  ombres 
de  la  nuit,  nous  descendons  par  des  sentiers  détour- 
nés, et  nous  atteignons  la  tour.  Là,  ayant  déchargé 
nos  chevaux,  nous  les  confions  à  l'économe  qui 
consent  à  s'en  charger  et  réussit  heureusement  à  les 
sauver. 

—  Le  lendemain  était  précisément  ce  jour  de  la 
Saint-Jean  qu'on  devait  fêter.  Dès  l'aurore,  le  châ- 
teau de  Janotus  que  nous  venions  d'abandonner  est 
assailli  parles  paysans  ;  ses  murs  en  ruine  sont  esca- 
ladés, ses  portes  enfoncées  à  coups  de  hache  ;  tout  est 


144  CHAPITRE   DEUXIÈME 

envahi  et  dévasté.  Les  révoltés  cherchaient  les  hom- 
mes de  Janotus  et  ne  trouvaient  que  des  femmes  et 
quelques  enfants  réveillés  en  sursaut,  lesquels,  ne 
sachant  rien  de  notre  fuite,  ne  pouvaient  rien  leur 
dire.  Mais,  avant  tout,  ils  en  voulaient  à  l'Allemand. 
C'est  moi  qu'ils  désignaient  ainsi,  moi  qui,  par  mes 
conseils  et  par  les  moyens  que  j'ai  su  mettre  en 
œuvre,  ai  réussi  à  enlever  le  château  inexpugnable 
à'Arx  nigra,  où  leurs  gens  ont  été  impitoyablement 
massacrés  et  leur  indépendance  à  jamais  anéantie. 
Cependant  les  montagnards  descendent  en  foule 
dans  la  vallée  ;  le  pays  en  est  rempli,  on  n'entend 
de  tous  côtés  que  cris  de  mort  poussés  contre  nous. 
Notre  retraite  ne  tarde  pas  à  être  connue.  On  nous 
enveloppe.  Mais  heureusement,  couverte  par  les 
eaux  et  par  les  rochers,  notre  position  était  de  tou- 
tes parts  inabordable,  et  nous  avions  fermé  l'unique 
passage  de  la  chaussée  par  une  barricade.  Derrière 
elle  nous  nous  tenions  avec  nos  armes,  dont  le  bruit 
seul  suffisait  pour  épouvanter  ces  paysans  qui  ne 
connaissent  que  l'arc  et  l'arbalète.  Ils  s'acharnent 
pourtant  à  notre  perte,  certains  de  nous  réduire  au 
moins  par  la  faim.  Le  péril  était  grand.  Nous  nous 
voyions  complètement  cernés  et  sans  espérance  d'au- 
cun secours. 

—  Au  milieu  de  ce  peuple  soulevé,  il  y  avait  encore 
des  gens  qui,  moins  exaltés  peut-être  que  les  autres, 
se  disaient  toujours  prêts  à  rendre  au  roi  l'obéis- 
sance accoutumée.  En  s'appuyant  sur  eux,  l'abbé, 
hautement  vénéré   dans  tout   le  pays,  convoque  à 


AGRIPPA   A   COLOGNE,   A   PARIS,    ETC.  145 

Arcona  une  assemblée  générale,  où  il  remontre  à  ces 
hommes  égarés  la  témérité  de  leurs  projets  et  l'ina- 
nité de  leurs  efforts.  Il  leur  dit  que,  s'ils  n'ont  pas 
renoncé  à  toute  soumission  envers  le  roi,  ils  doivent 
rendre  Janotus  ;  il  leur  parle  aussi  de  nous.  Mais 
c'est  en  vain.  Ils  n'en  veulent  pas  au  roi,  disent-ils, 
mais  à  Janotus  et  à  ses  gens  dont  les  vexations  et  l'in- 
tolérable tyrannie  les  ont  poussés  à  bout,  en  leur 
ravissant  les  libertés  héréditaires   dont  ils  jouis- 
saient, sous  la  protection  du  roi.  Ils  rappellent,  avec 
d'effroyables  menaces  de  vengeance,  comment  leur 
château  d'Arx  nigra  leur  a  été  enlevé  par  Janotus 
qui,  suivant  eux,  n'est  qu'un  traître,  et  par  moi  qui 
ai,  grâce  à  mes  exécrables  pratiques,  fait  tomber  leur 
inexpugnable  forteresse.  C'est  nous  qui  avons  dé- 
cidé le  roi  à  cette  odieuse  entreprise  et  qui  avons 
excité  en  lui  une  colère  que  leurs  défaites  et  leur 
sang  n'ont  pas  encore  satisfaite.  Maintenant,  ils  ne  se 
laisseront  pas  enlever  par  de  trompeuses  paroles  les 
avantages  qu'il  viennent  de  conquérir  ;  ils  ne  souffri- 
ront pas  qu'on  les  remette  en  servitude.  Ils  ne  re- 
fusent pas  de  reconnaître  la  souveraineté  du  roi; 
mais  ils  prétendent  le  faire  aux  mêmes  conditions 
que  leurs  ancêtres.  Pour  ce  qui  est  de  Janotus  et  de 
nous,  ils  ne  veulent  rien  entendre.  Ils  aiment  mieux 
tenir  leur  ennemi  que  rester  exposés  à  ses  vengean- 
ces. Ils  auraient,  disent-ils,  s'ils  nous  lâchaient,  plus 
à  craindre  de  nos  ressentiments  que  de  ceux  du  roi 
lui-même.  Les  parents  des  gens  qui  ont  été  exter- 
minés   à  la    prise    à'Arx  nigra  encouragent,    tant 


146  CHAPITRE    DEUXIÈME 

qu'ils  peuvent,  cette  fureur  populaire.  Les  choses  en 
restent  là.  De  notre  côté,  nous  avions  plus  à  craindre 
de  la  famine  que  d'une  attaque  de  vive  force. 

—  Perottus,  pensant  que  le  parti  de  la  retraite  est 
le  seul  à  prendre,  se  met  à  examiner  les  lieux.  Dans 
ses  reconnaissances,  il  trouve  un  sentier  abandonné 
au  milieu  des  rochers,  et  parvient  ainsi  au  sommet 
de  la  montagne,  de  l'autre  côté  de  laquelle  il  découvre 
un  lac  ;  c'est  le  lac  noir,  Lacus  niger,  lequel  s'étend, 
sur  une  longueur  de  quatre  mille  pas,  jusque  dans 
le  voisinage  de  l'abbaye,  dont  les  murs  sont  baignés 
par  le  ruisseau  qui  s'en  échappe.  Perottus  descend, 
malgré  mille  difficultés,  au  bord  du  lac  et  revient  le 
soir  avec  ces  informations.  Nous  décidons  qu'il  faut 
fuir  par  cette  voie,  en  prévenant  l'abbé  d'envoyer 
sur  la  rive  du  lac  un  bateau  pour  nous  prendre  ;  et 
nous  lui  faisons  parvenir  cet  avis  au  moyen  d'un 
stratagème  de  mon  invention.  Le  paysan  de  la  tour 
avait  un  fils  dont  je  barbouille  la, face  et  les  mains 
avec  le  suc  de  certaines  plantes.  Déguisé  alors  en 
mendiant,  portant  un  bâton  creux  qui  contient  nos 
lettres,  ayant  à  la  main  une  cliquette  de  lépreux,  il 
traverse  les  bandes  d'insurgés  qui  nous  pressaient, 
gagne  l'abbaye  et  en  revient  le  lendemain  sain  et 
sauf,  avec  la  réponse  à  notre  missive. 

—  Nous  passons  la  nuit  à  faire  nos  préparatifs,  et, 
au  petit  jour,  après  avoir  tiré,  comme  nous  le  faisions 
habituellement  à  cette  heure-là,  quelques  coups  de 
fusil,  nous  sortons  en  silence,  conduits  par  Perottus. 
Nous  gravissons  la  montagne  et,  parvenus  non  sans 


AGRIPPA    A    COLOGNE.    A    PARIS.    ETC.  147 

peine  au  sommet,  nous  nous  arrêtons  un  peu,  pendant 
que  Perottus  va  fixer  à  un  rocher  un  voile  blanc,  si- 
gnal convenu.  Nous  nous  mettons  alors  à  déjeuner 
avec  les  provisions  dont  nous  étions  munis,  jusqu'à  ce 
que,  vers  la  quatrième  heure,  nous  voyons  s'avancer 
sur  le  lac  deux  barques  de  pêcheurs  aux  mâts  des- 
quelles étaient  hissés  deux  bonnets  rouges  ;  c'était 
la  marque  de  reconnaissance  annoncée  par  l'abbé.  A 
cette  vue,  nous  déchargeons  nos  armes  en  signe  de 
joie,  et  pour  indiquer  que  nous  arrivons.  Nous 
sommes  bientôt  sur  le  rivage  ;  nous  montons  dans  les 
barques  ;  et,  le  soir  même,  nous  sommes  rendus  à 
l'abbaye.  C'était  la  veille  des  ides  d'août  (12  août). 
—  Voilà  l'histoire  de  notre  évasion.  Aux  yeux  des 
paysans  qui  nous  cernaient,  ce  fut  comme  une  espèce 
de  miracle.  Ébranlés  par  la  crainte  que  leur  inspi- 
raient nos  merveilleux  artifices,  redoutant  que  le 
roi  n'envoyât  de  nouveaux  soldats  qui  mettraient 
à  feu  et  à  sang  leur  vallée,  ils  commencent  à  se  dé- 
bander. Mais  les  chefs  de  la  révolte,  ceux  qui 
avaient  pillé  les  biens  de  Janotus  et  qui  le  rete- 
naient prisonnier,  ne  pouvaient  croire  qu'il  y  eût 
pour  eux  de  salut  autrement  que  dans  sa  perte.  Je 
ne  sais  comment  la  chose  s'est  terminée.  Quant  à 
moi,  j'étais  heureusement  sain  et  sauf.  L'abbé  me 
pressait  de  retourner  à  la  cour,  m'assurant  que  je 
ne  pouvais  manquer  de  rétablir  mes  affaires  auprès 
du  roi,  dont  j'avais,  une  fois  déjà,  reçu  des  preuves 
d'estime  avec  des  marques  de  sa  munificence.  Mais 
je  savais  bien  que,  rentré  en  grâce,  je  n'avais  autre 


148  CHAPITRE   DEUXIÈME 

chose  à  attendre  que  quelque  commission  périlleuse 
et  de  nouveaux  dangers.  Je  restai  ainsi  plusieurs 
jours  à  l'abbaye,  incertain  sur  le  parti  que  je  devais 
prendre.  Ce  qui  me  préoccupait  surtout,  c'était  ton 
absence,  car  je  ne  savais  ce  que  tu  étais  devenu. 

—  C'est  alors,  continue  Agrippa,  que  je  rencon- 
trai le  vieil  Antonius  Xanthus,  qui  est  encore  aujour- 
d'hui avec  moi.  Il  remonta  mon  courage  ;  et  je  con- 
çus la  pensée  de  voir  des  pays  et  des  peuples 
nouveaux.  Il  me  conseillait  cependant  d'agir  avec 
prudence  et  m'engageait  à  visiter  les  côtes  de  l'Espa- 
gne, puis  à  gagner  l'Italie,  en  tâchant  d'avoir  de  tes 
nouvelles.  Il  me  promettait  aussi  de  ne  pas  m'aban- 
donner  ;  et  en  cela  il  a  tenu,  pour  ma  grande  conso- 
lation, tous  ses  engagements.  C'est  avec  lui,  et  tou- 
jours accompagné  de  mon  fidèle  Stephanus,  que,  le 
7  des  calendes  de  septembre  (26  août),  je  quittai  l'ab- 
baye pour  me  rendre  à  Barcelone.  Après  avoir  passé 
trois  jours  dans  cette  ville,  sans  avoir  pu  y  rien  ap- 
prendre de  ce  que  tu  étais  devenu,  nous  gagnâmes 
la  grande  cité  de  Valence  ;  mais  là  nous  ne  fûmes  pas 
plus  heureux,  en  nous  informant  de  toi  près  de  Gom- 
paratus  Saracenus,  philosophe  et  astrologue,  jadis 
un  des  disciples  de  Zacutus.  Nous  vendîmes  alors 
nos  chevaux;  et,  au  bout  de  quelques  jours,  nous  nous 
embarquâmes  pour  les  Baléares,  la  Sardaigne  et 
Naples.  N'ayant  pas  trouvé  dans  cette  ville  tout  ce 
que  nous  y  espérions,  nous  résolûmes  de  revenir  en 
France  ;  et,  après  avoir  touché  le  port  de  Livourne 
en  Toscane,  nous  suivîmes  les  côtes  de  la  Ligurie  ; 


AGRIPPA   A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  149 

puis,  débarquant  en  Provence,  nous  arrivâmes  enfin 
dans  la  cité  fameuse  où  nous  sommes  aujourd'hui 
(Ep.  I,  10). 

Cette  lettre  était,  avons-nous  dit,  datée  d'Avignon 
le  9  des  calendes  de  février  (24  janvier)  1509  '.Agrippa 
la  terminait  en  exprimant  à  son  ami  le  désir  de  le  voir 
bientôt,  pour  lui  faire  connaître  certains  projets  qu'il 
était  maintenant  impatient  de  lui  communiquer. 

Agrippa  venait  de  faire  en  Espagne,  si  l'on  s'en 
rapporte  à  son  témoignage,  d'ailleurs  fort  suspect  sur 
les  points  de  détail  au  moins,  un  succinct  apprentis- 
sage de  la  vie  militaire.  Celle-ci  lui  était  apparue 
sous  un  jour  peu  favorable  ;  et  il  semble,  de  son  côté, 
avoir    montré   pour  elle    peu    d'aptitude.  Rien    ne 
prouve  qu'il  y  soit  beaucoup   revenu  depuis  lors, 
quoiqu'il  mette,  en  plus  d'une  occasion,  une  certaine 
complaisance  à  se  donner  pour  un  homme  de  guerre. 
C'est  ce  qu'il  avait  l'ait  notamment,  on  n'en  saurait 
douter,  à  son  retour  d'Espagnc,vis-à-vis  de  ses  parents 
et  de  ses  amis  de  Cologne.  Nous  n'avons  plus  les  let- 
tres écrites  par  lui  à  cette  occasion,  mais  nous  pos- 
sédons deux   réponses  qu'elles  avaient  provoquées. 
On  voit  par  ce  qui  est  dit  dans  celles-ci,  qu'Agrippa 
ne  s'était  pas  fait  faute  de  vanter  les  hauts  faits 
accomplis  par  lui  ;  et  qu'il   avait  dû  dans   ses  ré- 
cits exagérer  considérablement  la  vérité,  à  prendre 

1.  Cette  lettre,  entièrement  consacrée  au  récit  de  l'expédition 
d'Agrippa  en  Espagne,  soulève  bien  des  objections.  On  trouvera 
dans  une  note  de  L'appendice  (n°  XI),  quelques  observations  à 
ce  sujet. 


150  CHAPITRE    DEUXIÈME 

même   comme  tel  ce  qu'il  dit   lui  -  même   dans   la 
lettrequenous  avons  citée.  Au  cours  de  cette  épître, 
en  effet,  il  ne    dissimule  pas,  comme  on  l'a  vu, 
ses  appréhensions  et  son  mauvais  vouloir,  dans  une 
situation  qu'il  ne  subit  que  contraint  et  forcé  ;  non 
plus  que  l'empressement   avec  lequel,    après   une 
courte  épreuve,  il  se  hâte  de  se  soustraire  aux  périls 
de  l'entreprise,  sans  grand  souci  des  engagements 
et  des  obligations  qui  pouvaient  lui  faire  un  devoir 
de  les  braver.  Il  est  loin  de  nous  apparaître,  d'après 
ce  témoignage  fourni  par  lui-même,  comme  un  héros. 
C'est  là  pourtant  le  caractère  qu'il  avait  jugé  à  pro- 
pos de  se  donner  aux  yeux  de  ses  amis.  Il  suffit,  pour 
en  juger,  d'une  lettre  que  l'un  d'eux,  l'évêque  de  Cy- 
rêne  S  lui  écrit  à  ce  sujet  vers  la  fin  de  l'année  1509. 
—  Vaillant  guerrier,  strenue  miles,  dit  le  prélat, 
nous  venons  de  recevoir  tes  lettres  longuement  dési- 
rées. Elles  nous  ont  causé  une  joie  difficile  à  décrire. 
Nous    t'admirons,   et  nous  ne   te  louerons  jamais 
assez,  toi  qui,  seul  parmi  des  milliers  de  Germains, 
as  su  avec  un  égal  succès  accomplir  de  grandes  cho- 
ses et  dans  la  guerre  et  dans  les  lettres,  conquérir  la 
gloire  militaire  et  briller  en  même  temps  par  la  pa- 
role devant  des  auditoires  nombreux.  C'est  là  ce 

1.  «  Reverendus  Dominus  sacra;  theologiae  doctor,  dominus 
«  Theodoricus,  Episcopus  Cyrenensis,  archiprœsulatusque  Colo- 
«  niensis  a  suffrages  in  sacris  administrator.  »  C'est  à  lui  qu'A- 
grippa dédie  de  Metz,  au  commencement  de  février  1518  (1519 
n.  s.),  son  traité  du  péché  originel,  De  originali  peccato  dccla^ 
matio  (Ep.  II,  17). 


AGRIPPA   A    COLOGNE.    A    PARIS,    ETC.  151 

que  bien  peu  ont  jamais  fait.  Combien  ne  doit-on 
pas  estimer  un  homme  que  l'ardeur  de  Mars  en- 
traîne, sans  le  dérober  aux  faveurs  de  Minerve  !  Que 
n'est-il  pas  permis  d'attendre  de  toi  pour  la  gloire  de 
ta  famille  et  de  tes  amis,  pour  celle  de  la  cité  qui  t'a 
donné  le  jour  !  Courage  donc.  Reçois  les  compli- 
ments qui  s'adressent  à  la  fois  à  l'homme  puissant 
par  les  armes,  et  au  maître  savant  dans  les  lettres. 
Quand  tes  loisirs  te  le  permettront,  ne   néglige  pas 
de  nous  écrire.  Je  voudrais  savoir  ce  que  tu  penses 
de  l'astrologie   judiciaire.  Tu    sais  sans   doute  ce 
qu'en  dit  Pic  de  la  Mirandole  et  ce  que  Lucius  Balan- 
cius,  comme  en  soufflant  sur  ses  arguments,  a  fait 
de  tous  ses   raisonnements.  Quand  Lu  étais  ici,   lu 
paraissais  incertain,  et  attaché  à  je  ne  sais  quelle 
doctrine  ambiguë,  entre  la  religion  et  la  supersti- 
tion, doctrina  inter  sacrum  superstitiosumque.  Si  main- 
tenant tu  trouves  quelque  secret  qu'on  puisse  ad- 
mettre sans  impiété,  fais -nous  en   part.  De  notre 
côté,  nous  n'aurons  jamais   rien  de  caché  pour  toi 

(Ep.I,2<). 

Cette  lettre  est  datée  de  Cologne,  l'an  1509,  le  3  des 
calendes  de  décembre  (29  novembre).  Prcsqu'en 
môme  temps,  à  la  date  du  23  novembre,  ipso  die 
sancti  Clementis,  avait  été  écrite  également  de  Colo- 
gne, à  Agrippa,  une  première  lettre  où  un  autre  ami 
lui  disait  ce  qui  suit  : 

—  J'ai  reçu  par  ton  père  tes  salutations.  J'ai  vu, 
d'après  ce  que  tu  écris,  que  tu  as  fait  des  choses  dif- 
ficiles et  couru  des  dangers  de  tout  genre,  suppor- 


152  CHAPITRE   DEUXIÈME 

tés  avec  courage  et  sur  terre  et  sur  mer.  Tu  as  vu 
des  contrées  nombreuses;  tu  as  visité  et  entendu  les 
savants;  tu  as  consulté  les  livres  qui  nous  font  con- 
naître les  anciens.  Tu  as  vu  les  princes  et  les  peu- 
ples; tu  as  entendu  des  langues  diverses;  tu  as 
visité  les  cours,  les  villes,  les  monuments.  Puis- 
ses-tu revenir  bientôt  près  de  nous,  et  reprendre 
ces  entretiens  que  nous  prolongions  jusqu'à  las- 
ser la  patience  de  nos  serviteurs.  Tes  parents, 
tes  amis  te  réclament;  et  moi,  je  fais  comme  eux 
(Ep.  I,  22). 

Ces  lettres  sont  de  la  fin  de  l'année  1509.  Nous 
en  donnons  les  extraits  immédiatement  après  ceux  de 
la  longue  lettre  du  24  janvier  précédent  qui  contient 
le  récit  de  l'expédition  en  Espagne,  pour  qu'on  sai- 
sisse mieux  ainsi,  par  les  contrastes  qui  ressortent 
de  ce  rapprochement ,  un  des  traits  du  caractère 
d'Agrippa,  grandement  porté  à  s'attribuer,  en  toute 
circonstance,  des  mérites  qui  ne  lui  appartiennent 
pas.  L'ordre  chronologique  eût  exigé  que  ces  deux 
pièces  fussent  rapportées  un  peu  plus  loin,  après  les 
voyages  d'Agrippa  en  Bourgogne  et  à  Dole,  dont 
nous  allons  parler.  C'est  à  certaines  particularités  de 
son  séjour  dans  cette  ville  que  l'une  de  ces  deux  let- 
tres fait  allusion,  dans  ce  qu'elle  dit  de  ses  succès 
devant  des  auditoires  nombreux.  On  verra  bientôt 
de  quoi  l'évêque  de  Cyrène  entendait  parler  en  s'ex- 
primant  ainsi. 

Obligé  de  s'arrêter  faute  d'argent  à  Avignon  , 
Agrippa,  revenant  d'Espagne,  avaitappris  dans  cette 


AGRIPPA    A   COLOGNE,   A    PARIS,    ETC.  153 

ville,  de  la  bouche  d'un  marchand,  que  son  cher 
Landulphe  était  à  Lyon.  Il  s'était  alors  empressé  de 
lui  écrire.  Dès  le  mois  de  décembre  4508,  avant  la 
longue  épitre  que  nous  avons  analysée,  il  lui  avait 
adressé  une  première  lettre  dans  laquelle  il  se  féli- 
citait de  cette  heureuse  rencontre.  Il  rappelait  aussi, 
en  lui  parlant  de  ses  projets  pour  l'avenir,  quelques 
unes  des  circonstances  de  leur  vie  passée,  notam- 
ment cette  association  mystérieuse  dont  nous  avons 
précédemment  dit  quelques  mots  ,  dissoute  à  ce 
moment,  et  dont  il  voulait  ressaisir  et  rapprocher  de 
nouveau  les  éléments. 

—  Nous  voilà  heureusement  l'un  et  l'autre  sains 
et  saufs,  disait  dans  cette  première  lettre  Agrippa  à 
Landulphe.  Après  ces  terribles  épreuves,  il  ne  nous 
reste  plus  qu'à  nous  mettre  en  quête  de  nos  amis, 
pour  renouveler  nos  serments  et  rétablir  notre  asso- 
ciation. J'y  ai  déjà  fait  entrer  par  une  affiliation  so- 
lennelle le  vénérable  compagnon  de  ma  longue  pé- 
régrination ,  Antonius  Xanthus.  C'est  un  vieillard 
qui  a  servi  autrefois  d'interprète  au  TurcZizim,  pri- 
sonnier en  France.  Il  manque,  il  est  vrai,  de  lettres  et 
de  connaissances  philosophiques;  mais,  grâce  à  son 
âge  et  à  ses  nombreux  voyages,  il  a  beaucoup  ap- 
pris. Fidèle,  au  reste,  autant  que  discret,  il  est  tout  à 
fait  digne  d'être  des  nôtres.  Je  vais  faire  savoir  à 
Bovillus  et  à  Clarocampensis,  lesquels  doivent  être 
en  Aquitaine,  que  nous  sommes,  toi  à  Lyon  et  moi  à 
Avignon.  De  ton  côté,  avertis  Brixianus  et  Adamus 
à  qui   avait  été  assignée  la  Bourgogne.  Tu  pourras 

T.   I.  13 


154  CHAPITRE   DEUXIEME 

aussi  prévenir  facilement  Pascius  et  Wigandus,  qui 
sont  à  Paris  (Ep.I,  8). 

Cette  lettre  est  datée  d'Avignon  le  13  des  calendes 
de  janvier  (20  décembre)  1508. 

—  Alléluia,  Alléluia,  Alléluia,  répond  presque  aus- 
sitôt Landulphe.  Quelle  nouvelle,  ô  mon  Agrippa, 
pouvait  valoir  celle  de  ton  retour!  Je  t'ai  cherché 
par  monts  et  par  vaux  dans  tout  le  royaume  de  Na- 
varre, en  Gascogne  et  en  Aquitaine.  J'ai  trouvé  à 
Toulouse  Supplicius  Bovillus,  toujours  en  proie  à 
sa  fureur  poétique,  et  notre  cher  Clarocampensis 
tout  plein  de  ton  esprit.  Ne  pouvant  rien  apprendre 
de  ce  que  tu  étais  devenu,  je  me  suis  alors  rendu 
sur  ce  grand  marché  de  Lyon,  visité  par  des  trafi- 
quants de  tous  les  pays,  où  j'espérais  bien  qu'il 
m'arriverait  enfin  de  tes  nouvelles.  Viens  donc  ici. 
Nous  y  aviserons  commodément  à  reconstituer  no- 
tre association.  Adamus  est  mort  à  Dijon;  mais 
Brixianus  est  à  Beaune.  Vale.  Vis  longtemps  pour 
grandir  toujours;  tu  effaceras  par  ta  gloire  les  tra- 
vaux d'Hercule.  Écrit  de  Lyon  le  4  des  ides  de  jan- 
vier (10  janvier)  1509  (Ep.  I,  9). 

On  voit  dans  tout  cela  percer  l'ascendant  qu'avait 
déjà  pris  Agrippa,  dès  ces  premiers  temps,  sur  ses 
amis.  Il  est  permis  de  reconnaître  à  ce  trait  la  preuve 
de  sa  supériorité  réelle  au  milieu  d'eux.  De  part  et 
d'autre,  on  désirait  se  retrouver  et  se  rapprocher. 
L'année  1509  est  employée  par  ces  jeunes  gens  à 
ressaisir  pour  les  renouer  les  fils  de  l'ancienne  asso- 
ciation formée  précédemment  entre  eux,  et  à  s'aider 


AGRIPPA  A  COLOGNE,   A    PARIS,    ETC.  155 

des  moyens  d'action  qu'elle  leur  permet  de  mettre 
en  jeu  pour  se  faire  une  place  dans  le  monde.  Plus 
qu'aucun  autre,  Agrippa  se  montre  ardent  à  tirer 
parti  de  cette  situation.  Il  s'agite  et  multiplie  ses 
démarches.  Il  ne  tarde  pas  à  quitter  Avignon  pour 
aller  à  Lyon  retrouver  son  cher  Landulphe  ;  mais  il 
ne  s'arrête  pas  longtemps  près  de  lui.  Au  mois  de 
mai  il  est  à  Autun,  au  mois  de  juin  à  Dole,  en  juillet 
à  Ghâlons,  d'où  il  revient  encore  dans  cette  ville  de 
Dole  qui  le  retient  pendant  quelques  mois,  et  où  l'at- 
tendaient le  succès  et  un  semblant  de  fortune.  Suc- 
cès éphémère,  fortune  aussitôt  écroulée  qu'édifiée! 
La  vie  entière  d'Agrippa  se  passera  en  de  pareilles 
vicissitudes.  A  ce  moment  cependant,  cette  existence 
inquiète  paraît  tout  près  de  se  fixer,  dans  des  condi- 
tions que  favorise  un  commencement  de  réputation, 
dû  aux  pressantes  recommandations  d'amis  dévoués 
et  à  quelques  mérites  personnels  habilement  mis 
en  lumière.  Mais  ces  avantages  sont  en  môme  temps 
contrariés  par  l'impossibilité,  caractéristique  chez 
Agrippa,  do  suivre  les  voies  ordinaires,  et  de  se  sou- 
mettre à  la  règle  commune.  Avec  les  ressources 
d'une  intelligence  bien  douée,  il  avait  le  tempérament 
impatient  et  hardi  d'un  aventurier.  Il  en  a  eu  aussi 
la  vie  troublée  et  les  souffrances. 

Dans  ces  premiers  temps,  Agrippa  est  avant  tout 
pressé  par  des  embarras  qu'il  connaîtra  d'ailleurs 
plus  d'une  fois  dans  le  cours  de  son  existence.  Les 
ressources  matérielles  lui  font  défaut;  il  a  besoin 
d'argenl.  Il  dil.  dans  une  des  lettres  écrites  ù  cette 


156  CHAPITRE   DEUXIÈME 

époque,  comment  il  entend  s'en  procurer.  Rendu  à 
Avignon  au  retour  de  son  expédition  en  Espagne,  il 
s'était  remis  à  ses   travaux  d'alchimie.  C'est  à  eux 
qu'il  demande,  dit-il,  de  l'or,  quitte,  à  chercher  en- 
suite   des    aventures    moins    malencontreuses  que 
celle  d'où  il  vient  de  se  tirer  (Ep.  I,  10).  Échappé  à 
une  vie  de  périls  si  peu  faite  pour  lui,  il  était  donc 
revenu  à  ses  études,  à  ses  fourneaux,  à  ses  alambics. 
Est-ce  ainsi  qu'il  trouve  en  eifet,  comme  il  le  donne 
à  penser,  les  ressources  dont  il  a  un  si  pressant  be- 
soin? Cela  est  douteux.  On  peut  croire  qu'il  les  doit 
plutôt  à  la  fraternelle  assistance  des  anciens  cama- 
rades auxquels  on  le  voit  par  ses  lettres  faire  appel 
en  ce  moment.  Agrippa,  tel  qu'il  nous  apparaît  alors, 
semble  être  l'âme  d'une  société  secrète,  dont  il  serait 
le  chef  reconnu.  Ses  amis  s'appliquent  à  lui  aplanir 
les  voies,  à  vanter  ses  mérites,  sa  science  et  ses  ta- 
lents. De  son  côté,  il  ne  manque  pas  une  occasion  de 
s'exalter  lui-même.  Beau  parleur,  il  s'étudie  à  pro- 
duire de  l'effet.  11  y  réussit  par  l'étalage  d'une  appa- 
rente érudition,  que  caractérise  surtout  la  singularité 
de  quelques  unes  de  ses  connaissances. 

Au  mois  de  février  1509,  Agrippa  est  encore  à  Avi- 
gnon; Landulphe  lui  écrit  de  Lyon  pour  lui  recom- 
mander un  adepte. 

—  C'est,  dit  Landulphe,  un  Germain  comme  toi. 
Il  est  originaire  de  Nuremberg;  mais  il  habite  Lyon. 
Très  curieux  des  secrets  de  la  nature,  tout  à  fait  in- 
dépendant du  reste,  il  veut,  sur  la  réputation  que 
tu  as  déjà,  pénétrer  dans  ton  antre.  Il  faut  le  tâter  et 


AGRIPPA   A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  157 

mesurer  la  portée  de  son  esprit.  Il  me  semble  que 
ses  vues  ne  manquent  pas  de  justesse  et  qu'il  y  a  en 
lui  une  certaine  propension  aux  grandes  choses. 
Lance-toi  donc,  pour  l'éprouver,  dans  l'espace.  Porté 
sur  les  ailes  de  Mercure,  vole  des  régions  de  l'Aus- 
ter  à  celles  de  l'Aquilon,  saisis  même  le  sceptre  de 
Jupiter;  et,  si  ce  néophyte  veut  jurer  nos  statuts,  as- 
socie-le à  notre  confrérie.  Nos  autres  compagnons 
espèrent  te  voir  bientôt.  Ne  tarde  pas  à  combler  nos 
vœux.  Nous  avons  ici  des  merveilles  cachées  dont 
j'aurais  beaucoup  à  te  dire,  sans  l'impatience  du  por- 
teur de  ma  missive.  Ecrit  à  Lyon  la  veille  des  nones 
de  février  (4  février)  1509  (Ep.  I,  11). 

C'est  à  la  suite  de  cette  lettre  qu'Agrippa  vient  à 
Lyon,  d'où  il  passe  bientôt  à  Autun.  Il  est,  dans  cette 
ville, l'objet  des  attentions  de  l'abbé  de  Saint-Sympho- 
rien,  au  nom  duquel  il  invite  Landulphe  à  s'y  rendre 
également;  sinon,  il  lui  assigne  rendez-vous  à  Châ- 
lons,  pour  l'entretenir  de  choses  secrètes  qu'il  ne  peut 
pas  confier  à  l'écriture.  Agrippa  rappelle  en  même 
temps  à  lui  le  vieux  Xanthus  qui  était  à  Nevers,  et 
envoie  à  Dole  son  serviteur  Stephanus  pour  en  ra- 
mener Brixianus  qui  est  aussi  un  des  affiliés. 

—  Il  s'agit,  dit-il,  de  quelque  chose  qui  intéresse 
l'association  (Ep.  I,  12). 

Son  billet  est  daté  de  l'abbaye  de  Saint-Sympho- 
rien,  près  d'Autun,  le  5  des  calendes  de  juin  (28  mai) 
1509. 

On  se  réunit  à  Dole.  Agrippa  n'a  fait  qu'y  paraître. 
Ses  amis,  après  qu'il  les  a  quittés,  saisissent  toutes 


158  CHAPITRE    DEUXIÈME 

les  occasions  de  signaler  son  rare  mérite  et  de  le  re- 
commander. 

—  Très  savant  jeune  homme,  lui  écrit  l'un  d'eux, 
après  ton  départ,  j'ai  parlé  de  toi  au  révérendissime 
archevêque  de  Besançon.  Il  est  tombé  d'accord 
avec  mon  propre  sentiment,  pour  admirer  la  pro- 
fondeur et  la  variété  do  tes  connaissances.  Il  désire 
ardemment  te  voir,  et  se  flatte  de  te  montrer  des 
choses  que  peut-être  tu  ne  connais  pas  encore. 
Fais-moi  donc  savoir  quand  tu  seras  de  nouveau 
près  de  nous,  pour  que  je  puisse  répondre  à  ses 
demandes  réitérées.  Je  lui  dis,  en  attendant,  que  tu  vas 
revenir;  et  je  te  fais  arriver  plus  promptementque  ne 
le  comportent,  je  le  sais,  tes  intentions.  Tu  as  laissé 
ici  nombre  de  gens  toujours  prêts  à  emboucher  la 
trompette  en  ton  honneur;  mais,  sur  ce  point,  je  pré- 
tends les  devancer  tous.  Porte-toi  bien  et  aime-nous, 
nous  les  preneurs  de  ton  mérite.  De  Dole,  le  18  juin 

1509  (Ep.  I,  13). 

Trois  semaines  plus  tard,  Agrippa  est  à  Ghâlons, 
d'où  il  répond  à  cette  lettre. 

—  Homme  très  éminent,  écrit-il  à  son  correspon- 
dant do  Dole,  c'est  moi  sans  doute  et  non  pas  une 
lettre  que  tu  attendais;  mais  j'ai  failli  mourir.  J'ai 
été  pris  à  l'improviste  par  une  sorte  de  peste;  et 
je  n'en  suis  pas  encore  tout  à  fait  remis.  J'espère 
pourtant  te  voir  bientôt.  Je  te  communiquerai  alors 
des  choses  que  je  n'ose  pas  écrire,  car  je  n'ai  rien 
de  caché  pour  toi  ;  et  il  m'est  venu  do  nouveaux 
témoignages  qui  déposent  d'une  manière  éclatante 


AGRIPPA    A    COLOGNE.    A    PARIS.    ETC.  159 

en  faveur  de  la  pure  vérité.  Je  t'aime  toujours.  Ab- 
sent, je  converse  avec  ton  esprit.  Ne  néglige  rien 
pour  me  recommander  à  l'archevêque  de  Besançon. 
De  Ghâlons-sur-Saône,  le  7  des  ides  de  juillet  (9  juil- 
let) 1509  (Ep.  I,  14). 

Ces  deux  pièces  sont  rapportées  par  l'éditeur  des 
lettres  d'Agrippa  à  sa  correspondance  avec  Landul- 
phe.  Cette  attribution  ne  semble  guère  admissible 
d'après  certaines  expressions  qu'elles  renferment. 
Savant  jeune  homme,  adolescens  doctissime,  y  dit-on  à 
Agrippa.  Homme  très  respectable,  très  éminent, 
vir  observai  tissime,  vir  prxstantissime,  réplique  celui- 
ci.  Ce  n'est  pas  ainsi  que  se  traitent  Agrippa  etLan- 
dulpho,  dans  les  autres  lettres  échangées  entre  eux 
qui  nous  ont  été  conservées.  Ils  se  parlent  ordinai- 
rement du  ton  de  deux  camarades.  Ils  s'appellent 
mon  cher  Agrippa,  mon  cher  Landulphe,  mi  suavis- 
sime  Agrippa,  mi  Landulphe,  fidissime  Landulphe. 

Les  deux  lettres  en  question  ne  concernent  vrai- 
semblablement pas  Landulphe,  mais  elles  appartien- 
nent assurément  à  la  correspondance  d'Agrippa  avec 
un  ami  déclaré,  avec  un  de  ces  admirateurs  qui,  en 
toute  circonstance,  conspiraient  pour  lui.  Ce  doit  être, 
d'après  les  expressions  que  nous  venons  de  citer,  un 
homme  plus  considérable  qu'Agrippa,  pour  l'âge  au 
moins,  sinon  pour  la  condition  ;  et  il  est  habitant  de 
Dole.  Cette  ville  où  notre  héros  est  si  chaudement 
patronné  lui  offre  un  théâtre  d'action  sur  lequel  il  va 
se  produire  avec  un  certain  éclat.  Nous  venons  de 
voir  comment  une  sorte  de  faveur  publique  l'y  avait 


100  CHUMTUE     DEUXIÈME 

précédé.  Il  faut  dire  maintenant  ce  qu'il  devait  y 
trouver,  avant  de  raconter  ce  qu'il  y  a  fait. 

Dole  était  la  capitale  du  comté  de  Bourgogne,  do- 
maine à  cette  époque  de  la  maison  d'Autriche,  et,  à 
ce  titre,  servait  de  résidence  à  des  personnages  con- 
sidérables. Cette  ville  était  le  siège  d'un  parlement, 
d'une  chambre  des  comptes  et  d'une  université 
fondée  par  Philippe  le  Bon,  duc  de  Bourgogne. 
Depuis  le  xne  siècle,  le  sort  de  la  Franche-Comté  avait 
été  souvent  d'appartenir  comme  héritage  à  des  fem- 
mes. Celles-ci,  par  leurs  mariages,  l'avaient  fait  passer 
successivement  aux  maisons  de  Souabe,  deMéranie, 
deChâlons,  de  France,  de  Flandre,  de  Bourgogne  et 
d'Autriche.  En  1509,  la  Franche-Comté  formait  avec 
tout  l'héritage  de  Bourgogne,  avec  les  Pays-Bas  no- 
tamment, le  patrimoine  du  prince  de  Castille,  qu'on 
appelait  alors  Charles  de  Luxembourg  et  qui  était 
destiné  à  porter  un  jour  le  grand  nom  de  Charles- 
Quint.  C'était,  à  cette  époque,  un  enfant  de  neuf  ans. 
Jeanne  de  Castille,  sa  mère,  était  folle;  et  son  père, 
Philippe  d'Autriche,  était  mort  en  1506.  Le  jeune 
prince  se  trouvait  sous  la  double  tutelle  de  son  aïeul 
maternel,  le  roi  Ferdinand  le  Catholique,  en  Espagne  ; 
et  de  son  aïeul  paternel,  l'empereur  Maximilien  Ier, 
pour  les  terres  de  Bourgogne  et  les  Pays-Bas.  Jus- 
qu'à l'époque  de  sa  majorité,  les  vastes  domaines  que 
le  prince  Charles  tenait  de  son  père,  entre  la  France 
et  l'Allemagne,  devaient  être  administrés  parla  sœur 
de  celui-ci,  par  la  tante  du  jeune  souverain,  la  prin- 
cesse Marguerite  d'Autriche,  qui  possédait  de  plus, 


AGRIPPA    A    COLOGNE.    A    PARIS,    ETC.  161 

pour  sa  part  de  l'héritage  paternel,  le  domaine  utile  de 
la  Franche-Comté,  avec  le  titre  de  comtesse   à  vie  de 
Bourgogne  et  de  Gharolais.  Elle  résidait  ordinaire- 
ment dans  les  Pays-Bas,  soumis  comme  la  Franche- 
Comté  à  son  gouvernement,  et  conserva  cette  situa- 
tion depuis  Tannée  1507  ou  1508  jusqu'à  sa  mort,  en 
1530.  Née  le  10  janvier  1480,  cette  princesse  était 
veuve  depuis  1504  du  duc  de  Savoie  Philibert  II,  dont 
elle  n'avait  pas  eu  d'enfants  ;  mais  elle  avait  eu  d'un 
premier  mari,  Jean  de  Castille,  à  qui  elle  avait  été 
unie  pendant  une  année  seulement,  un  fils  posthume 
mort  en  naissant  '.  Marguerite  d'Autriche  était  let- 
trée,   elle    a  écrit  divers   ouvrages    en  vers   et  en 
prose.  Un    savant  pouvait    prétendre  à  sa  faveur. 
C'est  pour  la  mériter  qu'Agrippa,  pendant  son  séjour 
à  Dole,  a  composé,  en  1509,  un  de  ses  premiers  ou- 
vrages, le  traité  de  la  prééminence  du  sexe  féminin. 
Le  traité  de  la  prééminence  du  sexe  féminin  2  est 
une  amplification  de  rhétorique  à  la  mode  du  temps. 
On  goûtait  beaucoup,  au  commencement  du  xvi°  siè- 
cle, ces  jeux  d'esprit,  où  l'érudition  des  lettrés  in- 
troduisait une   foule  de  textes  mis  au   service  de 
subtils    raisonnements  et  souvent   aussi  des  plus 


1.  Ces  particularités  de  l'histoire  du  Marguerite  d'Autriche, 
tante  l  larles-Quint,  n'ont  pa3  été  toujours  bien  comprises. 
On  trouvera  sur  ce  sujel  quelques  explications  dans  une  note 
de  l'appendice  (n°  XXIII). 

2.  Oc  nobililate  el  przcellentia  fœminei  sexus  deelamatio. 
[Opéra,  t.  II,  p.  518-542.) 


162  CHAPITRE    DEUXIÈME 

étranges  paradoxes.  Dans  ce  petit  ouvrage,  Agrippa 
cite  beaucoup  l'Écriture  avec  les  Pères,  l'Ancien  et 
le  Nouveau  Testament,  les  écrivains  sacrés  et  les 
auteurs  profanes,  saint  Paul,  saint  Augustin,  Lac- 
tance,  Origène,  Eusèbe,  saint  Bernard,  le  prétendu 
Mercure  trismégiste,  Hésiode,  Aristote,  Virgile, 
Galien,  Averrhoës. 

—  L'homme  et  la  femme,  dit-il  en  commençant, 
ont  reçu  du  Créateur  des  corps  différents;  mais  Dieu 
n'a  établi  entre  eux  aucune  distinction  pour  l'âme, 
pour  l'esprit  et  pour  la  raison,  ni  aucune  différence 
dans   ses   promesses  pour  l'éternité. 

Cette  égalité  entre  Thomme  et  la  femme  ne  suffit 
cependant  pas  à  la  thèse  d'Agrippa.  Ce  qu'il  veut 
démontrer,  c'est  la  supériorité  du  sexe  féminin  sur 
l'autre.  Il  emprunte  d'abord  pour  cela  des  arguments 
à  la  cabale,  dont  les  méthodes  consistent,  on  le  sait, 
à  discuter,  non  sur  la  valeur  des  idées,  mais  sur  celle 
des  mots,  en  raison  de  certaine  signification  mysté- 
rieuse qui  leur  est  assignée  et  en  vertu  de  procédés 
analogues  appliqués  aux  lettres  elles-mêmes  qui  les 
composent.  Il  démontre  ainsi  que  le  nom  d'Eve  vaut 
mieux  que  celui  d'Adam.  Il  fait  succéder  à  ces  argu- 
ments des  considérations  très  singulières  :  celle-ci 
par  exemple,  que  la  femme,  étant  la  dernière  œuvre 
de  la  création,  doit  en  être  par  conséquent  aussi  le 
produit  le  plus  parfait;  et  cette  autre,  plus  étrange 
encore,  que,  plongé  dans  l'eau,  le  corps  de  la  femme 
surnagerait  mieux  que  celui  de  l'homme.  Il  remontre 
que  les  femmes  ont  toutes  sortes  de  qualités  à  un 


AGRIPPA    A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  163 

degré  plus  développé  que  les  hommes.  Elles  sont, 
dit-il,  plus  chastes  que  ceux-ci.  Elles  sont  aussi  plus 
éloquentes  ;  car,  ajoute  Agrippa  quelque  peu  légère- 
ment et  sans  grand  respect  en  outre  pour  la  logique, 
il  est  presque  sans  exemple  qu'aucune  femme  ait 
jamais  été  muette.  Une  circonstance  qui  lui  semble 
encore  très  digne  d'être  relevée  à  l'honneur  des  fem- 
mes, c'est  qu'on  trouve  désignés  par  des  noms  fémi- 
nins, les  arts  libéraux,  les  vertus,  les  diverses  par- 
ties du  monde  et  les  principales  contrées  de  la  terre. 
Agrippa  serre  d'un  peu  plus  près  son  sujet,  dans 
l'appréciation  qu'il  fait  des  beautés  et  des  moyens 
de  séduction  de  toute  sorte  qui  sont  le  privilège  in- 
contestable de  la  femme,  et  dans  ce  qu'il  dit  du  rôle 
prépondérant  qui  lui  est  assigné,  pour  la  propagation 
de  l'espèce  humaine.  Il  s'arrête  avec  complaisance, 
à  cette  occasion,  sur  des  tableaux  où  son  latin  n'est 
pas  de  trop,  pour  sauver  ce  qu'un  pareil  sujet  pré- 
sente de  scabreux  ;  car  il  se  garde  de  rien  omettre, 
et  dépasse  même  ce  qu'on  peut  naturellement  at- 
tendre à  cet  égard  de  la  liberté  d'esprit  d'un  lettré 
du  xvie  siècle.  Il  invoque  ensuite  des  considérations 
théologiques  dont  l'orthodoxie  pourrait  bien  ne  pas 
être   irréprochable.    Suivant  lui,  ,1e  péché  originel 
viendrait  non  pas  d'Eve,  mais  d'Adam,  et  la  respon- 
sabilité en  serait  tout  entière  à  la  charge  de  ce  der- 
nier; la  femme  n'y  ayant  participé  que  déçue  et  dé- 
sarmée par  l'ignorance  ;  l'homme,  au  contraire,  s'y 
étant  abandonné,    dit-il,  en  toute  connaissance,  ex 
certa  scientia.  A  celui-ci  l'expiation  ;  et  la  loi  de  la 


16i  CHAPITRE   DEUXIEME 

circoncision  qui  le  regarde  seul  ferait  partie  de  la 
peine  qui  lui  est  due,  à  en  croire  Agrippa.  A  l'autre 
sexe,  au  contraire,  le  noble  privilège  de  servir  d'ins- 
trument à  l'affranchissement;  puisque  seule,  et  sans 
le  concours  de  l'homme,  la  femme  aura  pu  donner 
naissance  au  Sauveur.  Quant  à  celui-ci,  ajoute  le 
subtil  écrivain,  s'il  a  revêtu  le  sexe  masculin,  c'est 
à  cause  du  rôle  de  victime  auquel  il  était  destiné. 

—  La  sainte  Vierge,  mère  de  Dieu,  voilà,  dit 
Agrippa,  la  grande  gloire  du  sexe  féminin,  et  la 
marque  la  plus  éclatante  de  sa  supériorité  sur  l'autre 
sexe. 

—  L'Écriture  est  pleine  des  louanges  de  la  femme. 
Trouver  une  fois  en  sa  vie  la  femme  vraiment  bonne 
est  une  bénédiction  de  Dieu.  Pour  le  mari  de  la 
femme  bonne,  les  années  valent  le  double.  Des  hom- 
mes, et  non  des  femmes,  viennent  tousles  maux.  Les 
hommes  seuls  ont  crucifié  Jésus-Christ;  eux  seuls 
enfantent  les  schismes  et  les  hérésies.  En  tout, 
l'homme  est  inférieur  à  la  femme.  C'est  abusive- 
ment qu'Aristote  prétend  tirer  argument  de  ce  que 
la  force  appartiendrait  surtout  au  premier  et  de  ce 
que  la  faiblesse  serait  le  partage  obligé  de  sa  com- 
pagne. Les  exemples  abondent  pour  prouver  que 
cette  condition  n'empêche  pas  la  supériorité  de  la 
femme.  C'est  ainsi,  dit  Agrippa,  que,  suivant  saint 
Paul,  Dieu  choisit  les  faibles  pour  confondre  les 
forts. 

—  La  patience  de  Job  qui  avait  su  défier  le  diable 
a  été  vaincue  par  une  femme;   la  Chananéenne  a 


AGRIPPA   A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  I6S 

pu  en  remontrer  au  Christ  lui-môme;  et  l'Eglise 
qui,  suivant  les  canonistes,  ne  peut  errer,  l'Église 
a  été  jouée  par  une  femme  qui  s'est  assise  dans  la 
chaire  de  saint  Pierre.  Et  qu'on  ne  vienne  pas, 
dit  spécieusement  encore  Agrippa,  reprocher  ces 
faits  comme  des  torts  au  sexe  féminin.  Il  est  tou- 
jours permis  de  se  préférer  à  autrui;  un  pape,  In- 
nocent III,  le  déclare  dans  une  lettre  à  un  de  ses  lé- 
gats, et  le  droit  civil  autorise  la  femme  à  se  défendre 
même  au  détriment  du  prochain.  L'Écriture,  en  effet, 
est  pleine  de  tromperies  et  d'actes  de  trahison  ac- 
complis parles  femmes  et  loués  comme  dignes  d'ad- 
miration. Rachcl,  Rébecca,  Rahab,  Jahel,  Judith  en 
fournissent  des  exemples.  Enfin,  si  l'on  a  vu  quelque- 
fois des  femmes  tuer  leur  mari,  qu'on  y  regarde  de 
près,  l'on  verra  qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  leur  en  faire 
un  crime,  et  que  jamais  bon  mari  n'a  eu  une  mau- 
vaise femme. 

—  Consultez  l'antiquité  sacrée  et  profane,  consul- 
tez l'histoire,  dit  en  finissant  Agrippa,  vous  verrez 
partout  les  femmes  capables  de  tous  les  mérites,  de 
toutes  les  vertus  et  des  rôles  les  plus  relevés.  Vous 
les  verrez  prophétesses,  sibylles,  saintes  et  marty- 
res. Vous  en  verrez  qui  exercent  l'office  de  prêtresse 
ou  de  reine,  d'autres  qui  accomplissent  des  actions 
héroïques  ;  vous  verrez  ce  qui  est  dit  notamment  de 
cette  noble  fille,  qu'on  ne  saurait  assez  exalter,  et  qui, 
nouvelle  amazone  à  la  tôle  des  armées,  triomphant 
des  Anglais  en  de  nombreux  combats,  rendit  au  roi 
de  France  son  royaume  perdu.  Aussi  bien  et  mieux 


166  CHAPITRE   DEUXIÈME 

que  les  hommes,  les  femmes  sont  poètes,  orateurs, 
docteurs,  jurisconsultes,  mathématiciens,  philoso- 
phes. Quel  grammairien  nous  apprendra  jamais 
plus  de  choses,  que  ne  l'a  fait  notre  nourrice?  Quel 
débiteur  payant  sa  dette  sera  capable  de  tromper  une 
femme  par  de  faux  calculs?  Quel  raisonneur  l'em- 
portera jamais  sur  la  plus  simple  des  femmes?  Mais 
je  m'arrête,  dit  Agrippa,  pour  ne  pas  écrire  un  vo- 
lume. Qu'un  plus  diligent  trouve  maintenant  de  nou- 
veaux arguments,  pour  les  joindre  à  ceux  que  j'ai 
donnés.  Loin  de  m'en  effrayer,  je  le  remercierai  du 
secours  apporté  par  lui  à  mon  œuvre. 

Le  petit  traité  d'Agrippa  était  écrit  en  latin,  comme 
le  sont  tous  ses  ouvrages.  Gela  ne  l'empêchait  pas 
de  le  destiner  à  être  offert  en  hommage  à  la  prin- 
cesse Marguerite,  bien  que  celle-ci  ne  sût  qu'impar- 
faitement cette  langue  '  :  circonstance  que  nous  ré- 
vèle un  ami  de  l'auteur,  dans  une  lettre  où,  après 
l'avoir  entendu  débiter  en  l'honneur  de  la  princesse 
un  discours  également  en  latin,  il  lui  écrit  ce  qui 
suit. 


1.  Le  traité  de  la  prééminence  du  sexe  féminin  fut,  pour 
cette  raison  peut-être,  traduit  d'assez  bonne  heure  en  français. 
Il  ne  fut  d'ailleurs,  comme  nous  l'avons  dit  déjà  et  comme 
nous  aurons  occasion  de  le  rappeler  encore,  présenté  que 
en  1529  seulement  à  la  princesse  pour  laquelle  il  avait  été 
composé  dès  1509;  et  ce  n'est  vraisemblablement  qu'après  lui 
avoir  été  offert  qu'il  fut  traduit.  On  connaît  une  édition  en  ca- 
ractères gothiques  de  cette  traduction,  donnée  à  Lyon  par 
François  Juste,  sous  la  date  de  1537* 


AGRIPPA   A   COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  1G7 

—  Heureux  Agrippa,  tu  es  un  véritable  Démos- 
thènes.  Qui  pourrait  en  douter,  après  t' avoir  entendu 
hier  dans  cette  magnifique  harangue  si  facile  et  si 
abondante  ;  où  l'art  est  poussé  à  ce  point  qu'on  ne 
saurait  en  rien  ôter,  ni  rien  y  ajouter.  Permets-moi, 
je  t'en  prie,  d'en  essayer  une  traduction.  Non  que 
j'espère  lui  conserver  en  français  sa  noble  distinction, 
mais  parce  que  j'y  vois  un  utile  exercice  pour  mon 
inexpérience,  et  un  moyen  de  faciliter  à  l'illustre 
princesse  qui  nous  gouverne,  l'intelligence  de  tout 
ce  que  tu  as  dit  à  sa  louange.  La  bonne  opinion 
qu'elle  a  déjà  de  ton  mérite  ne  peut  que  s'en  accroî- 
tre, et  sa  faveur  aussi  en  augmenter  (Ep.  I,  15). 

Agrippa  s'empresse  naturellement  d'acquiescer  à 
une  proposition  qui  est  toute  dans  son  intérêt.  La 
traduction  projetée  du  discours  est  exécutée  ;  et  le 
travail  a  pour  correcteur  le  vice-chancelier  lui-même, 
de  l'université  de  Dole  (Ep,  I,  16).  Quant  au  traduc- 
teur, c'était  sans  doute  un  des  admirateurs  passion- 
nés qui  avaient  attiré  à  Dole  Agrippa.  Nous  ne 
savons  si  c'est  celui  qui  précédemment  le  recomman- 
dait si  chaudement  à  l'archevêque  de  Besançon 
(Ep.  I,  13);  mais  nous  voyons,  par  une  autre  lettre 
(Ep.  I,  17),  que,  non  content  de  soigner  les  inté- 
rêts de  notre  héros  en  Bourgogne,  il  s'efforçait  en- 
core de  le  servir  au  dehors,  en  étendant  par  tous  les 
moyens  sa  réputation.  Agrippa  le  remercie  de  son 
travail  de  traduction  ;  il  lui  rend  grâce  d'avoir  com- 
blé ses  désirs,  en  le  faisant  ainsi  connaître  au  loin, 
et  de  lui  avoir  notamment  procuré  la  faveur  d'un 


J68  CHAPITRE   DEUXIÈME 

noble  officier  de  la  cour  de  France  à  Lyon,  de  Jean 
Perréal,  valet  de  chambre  du  roi,  cubicularius  ré- 
gi us  '. 

Les  amis  d'Agrippa  le  pressaient,  en  même  temps, 
de  ne  pas  se  borner  à  parler,  ce  dont  il  s'acquittait 
si  bien  ;  mais  de  s'appliquer  de  préférence  à  écrire, 
ce  qui  ferait  bien  plus  pour  sa  réputation  (Ep.  I, 
18).  Il  n'avait  pas  encore  fait  connaître  le  traité  de 
la  prééminence  du  sexe  féminin  ;  et  il  se  faisait 
entendre  alors  publiquement,  dans  une  chaire 
d'enseignement.  Non  content  de  l'écouter,  on  le 
consultait,  malgré  sa  jeunesse,  comme  un  savant 
docteur.  Nous  possédons  une  missive  par  laquelle 
on  l'engage  à  se  rendre  à  Châlons  près  d'un  noble 
personnage  qui  avait  besoin  de  ses  avis.  Nous  ne 
savons  pas,  au  reste,  de  quoi  il  s'agissait  ;  de  quelque 
opération  d'alchimie,  peut-être,  ou  bien  d'une  con- 
sultation de  médecine.  Dans  cette  circonstance, 
comme  dans  d'autres  déjà,  éclate  l'espèce  de  pas- 
sion avec  laquelle  les  amis  d'Agrippa  le  servaient. 
Rien  ne  devait  être  négligé  pour  assurer  ses  succès. 
Tout  était  permis  pour  y  arriver,  tout,  jusqu'à  un 
certain  charlatanisme,  considéré  comme  souvent 
nécessaire.  Les  conseils  qu'on  lui  donne  à  ce  propos 

1.  Jean  Perréal  dit  de  Paris,  valet  de  chambre  des  rois 
Charles  VIII  et  Louis  XII,  architecte  de  la  reine  Anne  de 
Bretagne  et  de  Marguerite  d'Autriche,  ordonnateur  des  décora- 
tions de  fêtes  et  cérémonies,  était  ingénieur,  maître  général 
des  fortifications  de  Lyon.  Il  est  mort  vers  1529.  (L.  Ghar- 
vet,  Notice  sur  Jean  Perréal.) 


AGRIPPA   A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  169 

caractérisent,  d'une  manière  assez  curieuse,  l'esprit 
dans  lequel  était  dirigée  cette  espèce  d'intrigue  de 
camaraderie. 

—  L'homme,  dont  il  s'agit,  est  riche,  lui  disait-on, 
et  il  n'épargnera  rien.  Je  me  réjouis  de  te  procurer 
cette  bonne  aubaine.  Permets-moi,  maintenant,  un 
avis.  Un  certain  appareil  te  fera  tout  à  la  fois  hon- 
neur et  profit.  Montre-toi  donc  dans  le  costume  le 
plus  noble  qu'il  te  sera  possible.  Gela  augmentera 
beaucoup  ton  crédit  et  pourra  te  servir.  Tu  n'ignores 
pas  quelle  est  l'autorité  d'un  riche  vêtement  sur  ces 
gens  de  courte  vue,  qui  ne  considèrent  dans  un 
homme,  que  son  extérieur.  Il  y  aurait  de  véritables 
inconvénients  à  ce  que  tu  fisses  autrement.  Dans  le 
cas  où  tu  ne  serais  pas,  pour  le  moment,  en  mesure 
de  suivre  ce  conseil,  tu  ferais  bien  de  dissimuler,  et 
de  différer  un  peu,  en  t'excusant,  ton  arrivée.  Je 
viendrais  alors  à  ton  aide.  Si,  cependant,  le  noble 
personnage,  cédant  à  son  impatience,  venait  te  trou- 
ver à  Dole,  n'oublie  pas  que  tu  sais  tout,  que  tu  peux 
tout  ;  mais  ne  fais  rien,  ne  promets  rien,  qu'après 
beaucoup  d'instances  ;  et,  ne  te  laisse  vaincre  qu'à 
force  de  bienfaits.  Si  enfin  tu  te  trouvais  dans  quel- 
que embarras,  cache-le  avec  soin.  Un  dernier  avis  : 
l'homme  est  comme  le  fer  qu'il  faut  battre  quand  il 
est  chaud  ;  je  n'ai  pas  besoin  de  m'expliquer  da- 
vantage ;  c'est  ton  affaire  et  ton  intérêt.  Penses-y 
bien.  Quant  à  moi,  je  fais  tout  ce  que  je  peux  et 
je  te  promets  de  ne  jamais  manquer  à  ce  qui  pourra 
te  servir  (Ep.  I,  20). 

T.  i.  u 


170  CHAPITRE   DEUXIÈME 

Entouré  d'amis  qui  travaillaient  ainsi  pour  lui, 
Agrippa,  de  son  côté,  ne  ménageait  probablement  pas 
sa  peine  et  n'oubliait  rien  vraisemblablement  pour 
se  faire  valoir,  sans  avoir  besoin  d'y  être  excité  par 
les  encouragements  ni  par  les  conseils  de  personne. 
Nous  voyons,  d'après  ce  qui  précède,  quelle  était 
alors  sa  situation.  La  considération  générale  lui  était 
acquise  et  la  faveur  publique  venait,  en  quelque  sorte, 
au-devant  de  lui.  A  peine  âgé  de  vingt-trois  ans,  il 
avait  déjà  la  double  réputation  d'un  vaillant  soldat 
et  d'un  savant  consommé.  Son  opinion  faisait  auto- 
rité. Pour  affirmer  et  étendre  son  crédit,  d'accord 
en  cela  avec  les  conseils  qu'il  recevait  d'écrire,  il 
avait  composé  le  petit  traité  de  la  prééminence  du 
sexe  féminin,  et  il  travaillait,  en  même  temps,  comme 
nous  le  verrons,  à  sa  fameuse  philosophie  occulte 
que,  dès  l'année  suivante,  il  avait  terminée  en  partie 
et  pouvait  livrer  à  l'admiration  du  savant  Tritheim. 
Il  paraissait  enfin,  pour  la  première  fois  à  ce  mo- 
ment, dans  une  chaire  publique  d'enseignement. 

Agrippa  ne  possédait  aucun  titre  scientifique  po- 
sitif qui  l'autorisât  à  prendre  la  parole  dans  de  pa- 
reilles conditions;  mais  la  curiosité  publique,  adroi- 
tement provoquée  par  lui  et  par  ses  amis,  l'y  appelait. 
Le  vice-chancelier  de  l'université  lui-même,  Simon 
Vernerius,  doyen  de  l'Église  de  Dole,  l'y  avait  for- 
mellement invité  (Ep.  I,  18).  Ce  personnage  consi- 
dérable ne  manquait  pas  une  occasion  de  l'entendre. 
Les  membres  du  parlement  et  ceux  du  corps  ensei- 
gnant fournissent  alors  la  partie  la  plus  distinguée 


AGRIPPA   A   COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  171 

et  la  plus  assidue  de  l'auditoire,  qui  vient  se  presser 
autour  de  la  chaire  du  jeune  savant.  Les  leçons 
étaient  dans  les  usages  du  temps  des  lectures,  et  le 
professeur  prenait  le  titre  de  lecteur,  qui  correspon- 
dait à  ce  genre  d'exposition.  Ces  expressions  mon- 
trent ce  qui  constituait  l'enseignement  à  cette  épo- 
que. Il  consistait  ordinairement  à  suivre,  en  le 
commentant,  le  texte  d'un  ouvrage  déterminé  qu'on 
faisait  ainsi  connaître.  Agrippa  devait  tout  son  cré- 
dit au  savoir  que  l'opinion  lui  accordait  dans  les 
sciences  occultes,  dans  l'art  hermétique,  dans  la  ca- 
bale et  la  magie.  Il  ne  songeait  pas  encore  aux  pré- 
tentions scientifiques  plus  sérieuses  qu'il  afficha 
ultérieurement  pour  le  droit  et  la  médecine,  fonde- 
ment du  triple  doctorat  dont  il  s'est  prévalu  clans 
la  suite  '.  Il  lui  eut  été  certainement  impossible  de 
traiter  de  pareilles  matières  devant  l'auditoire  qui 
allait  l'entendre.  C'est  donc  aux  sciences  occultes 
qu'est  emprunté  le  sujet  des  leçons  qu'il  ose  lui 
présenter.  Il  consacre  habilement  sa  première  séance 
à  célébrer  les  louanges  de  la  princesse  Marguerite, 
gouvernante  de  la  province.  C'est  ce  discours  qu'un 
de  ses  auditeurs  enthousiastes  traduisit,  comme  nous 
l'avons  dit,  en  français,  pour  le  faire  connaître  à  la 
princesse,  laquelle  put  ainsi  apprécier  le  mérite  des 


I.  Nous  montrerons,  plus  loin,  combien  peu  était  justifiée 
cette  prétention  d'Agrippa.  Nous  avons  réuni  dans  une  note 
de  l'appendice  (n"  VI)  quelques  textes  qui  se  rapportent  à 
cette  question. 


172  CHAPITRE   DEUXIÈME 

hommages  qui  lui  étaient  adressés.  Cette  précaution 
prise,  Agrippa  entre  en  matière. 

Nous  avons  dit  dans  notre  introduction  ce  qu'é- 
taient les  sciences  occultes.  Réprouvées  par  la  con- 
science publique,  condamnées  en  plusieurs  points 
par  les  lois  civiles  et  religieuses,  elles  possédaient, 
grâce  au  mystère  qui  les  entourait,  le  privilège  de 
s'imposer  comme  une  chose  des  plus  sérieuses  à  la 
crédulité  du  grand  nombre,  et  de  captiver  l'attention 
des  érudits  en  éveillant  leur  curiosité.  Elles  bénéfi- 
ciaient d'ailleurs,  à  ce  moment,  d'une  certaine  tolé- 
rance, dans  le  mouvement  général  d'affranchisse- 
ment qui  commençait  et  qui  favorisait,  sous  toutes 
les  formes  et  dans  toutes  les  directions,  les  hardies- 
ses de  la  pensée.  On  entrait  dans  ce  xvie  siècle  qui 
devait  tendre  à  la  réforme,  aussi  bien  dans  le  do- 
maine de  la  science  que  dans  celui  de  la  religion.  La 
réprobation  qui  précédemment  atteignait  les  sciences 
occultes,  pouvait  donc  céder  quelque  peu  devant  la 
curiosité  et  l'indépendance  des  esprits.  Profitant  de 
ces  dispositions,  Agrippa  fait  choix,  pour  ses  lec- 
tures publiques  à  l'université  de  Dole,  d'un  ouvrage 
composé  par  un  des  maîtres  adonnés  a  l'étude  de 
l'antique  cabale  ;  il  vient  expliquer,  devant  ses  audi- 
teurs, le  traité  de  Reuchlin,  de  la  parole  merveil- 
leuse, De  verbo  mirifico. 

Reuchlin,  dont  le  vrai  nom  est  Rauchlein  et  qu'on 
nomme  aussi  Gapnio,  formes  équivalentes  dans 
des  langues  différentes,  était  un  des  savants  dont 
l'Allemagne  s'enorgueillissait  à   cette  époque.   Né 


AGRIPPA   A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  173 

en  1455,  il  était  alors  âgé  d'environ  cinquante  ans, 
et  résidait  à  Stuttgard,  où  il  était  investi  des 
hautes  fonctions  de  juge  au  tribunal  de  la  ligue 
de  Souabe.  C'était  surtout  un  jurisconsulte  émi- 
nent.  Il  avait,  dans  sa  jeunesse,  étudié  aux  prin- 
cipales universités  de  la  France  et  de  l'Allemagne  ; 
il  avait  aussi  visité  l'Italie  ;  et,  dans  tous  ses 
voyages,  il  avait  cherché  à  perfectionner,  outre 
ses  connaissances  en  jurisprudence,  celles  que  de 
très  bonne  heure  il  s'était  appliqué  à  acquérir  en 
grec  et  en  hébreu.  Ces  dernières  études  l'avaient 
mis  en  rapport  avec  des  Juifs  instruits  et  de  doctes 
rabbins  dont  il  estimait  beaucoup  la  science,  quoi- 
qu'il avoue  quelque  part  n'avoir  jamais  pu  obtenir 
d'eux  la  communication  de  leur  Talmud,  qu'il  con- 
sidérait néanmoins  comme  la  source  de  leurs  doc- 
trines, et  comme  un  précieux  dépôt  de  rares  connais- 
sances. Quant  à  leurs  livres  cabalistiques,  il  avait  pu 
les  apprécier  par  les  travaux  au  moins  du  célèbre 
Pic  de  la  Mirandole  qui,  précédemment,  en  avait  fait 
une  apologie  fort  attaquée,  mais  finalement  approu- 
vée en  1493  par  un  bref  du  pape  Alexandre  VI. 
Reuchlin  donnait  vers  la  même  époque,  en  119-4,  un 
traité  de  cabale,  De  arte  cabalistka,  dont  le  pape 
Léon  X  accepta  plus  tard  la  dédicace.  En  même 
temps,  il  se  signalait  encore  dans  ce  genre  de  travaux 
par  son  traité  do  la  parole  merveilleuse,  De  verbo  mi~ 
rificOf  où  il  avait  mêlé  à  certaines  conceptions,  rele- 
vant d'un  christianisme  mystique,  une  exposition  de 
théories    philosophiques    empruntées    à  l'antiquité 


174  CHAPITRE   DEUXIÈME 

grecque  aussi  bien  qu'à  la  science  hermétique,  et 
des  procédés  de  discussion  cabalistique. 

Cet  ouvrage  était  de  ceux  qui  excitaient  alors  au 
plus  haut  point  la  curiosité  des  savants  par  leur 
nouveauté  et  par  leur  apparente  hardiesse.  On  y 
trouvait  une  espèce  de  science  hétérodoxe,  dont 
l'exposition  convenait  parfaitement  à  un  homme  qui, 
n'ayant  comme  Agrippa  aucun  caractère  scientifique 
régulier,  prétendait  cependant  en  imposer  à  titre  de 
savant,  et  visait  surtout  à  frapper  les  esprits.  Agrippa 
ne  pouvait  mieux  faire  pour  cela  que  d'annoncer  la 
lecture  et  l'explication  publiques  du  traité  de  Reuch- 
lin.  On  était  en  4509,  et  l'auteur  de  l'ouvrage  ne  se 
trouvait  pas  encore  aux  prises  avec  les  passions  vio- 
lentes, soulevées  contre  lui  par  le  rôle  équitable  et 
modéré  qu'il  lui  était  réservé  de  prendre  bientôt,  dans 
la  grande  affaire  de  la  destruction  commandée  des  li- 
vres juifs.  Cette  mesure  était  prescrite,  il  est  vrai, 
cette  année  même  par  un  édit  impérial,  qui  porte  la 
date  du  19  août  1509;  mais  c'est  l'année  suivante 
seulement  que  Reuchlin  fut  amené  à  se  prononcer 
sur  la  question.  On  sait  qu'ensuite  il  publia,  en  1511, 
à  cette  occasion,  un  écrit,  Spéculum  oculare,  brûlé  à 
Cologne  en  vertu  d'une  sentence  prononcée  par  la 
faculté  de  théologie  de  cette  ville,  puis  confirmée 
par  les  universités  de  Louvain ,  d'Erfurt ,  de 
Mayence  et  de  Paris  (1524)  ;  et  que  l'ouvrage  fut  en- 
suite l'occasion  d'un  procès  porté  en  cour  de  Rome, 
où  un  ordre  exprès  de  Léon  X,  mandatum  de  superse- 
dendo,  en  arrêta  purement  et  simplement  la  pour- 


AGRIPPA    A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  175 

suite,  le  20  juillet  1516,  au  lendemain  d'un  jugement 
donnant  raison  à  Reuchlin  par  une  sentence  qui  ne 
fut  pas  promulguée,  grâce  à  ce  stratagème.  Reuchlin 
ne  mourut  qu'en  1522.  Tous  ces  faits  sont  posté- 
rieurs à  l'explication  de  son  livre  par  Agrippa,  en 
1509.  A  celte  date,  rien  n'avait  encore  effleuré  la 
bonne  renommée  de  ce  savant  homme. 

Le  traité  de  Reuchlin,  De  verbo  mirifico,  avait  été 
publié  en  1494  '.  L'ouvrage  était  composé  dans  la 
forme  de  dialogues,  dont  les  interlocuteurs  étaient 
un  philosophe  de  l'antiquité,  Sidonius,  un  rabbin 
juif,  Baruch,  et  un  docteur  chrétien  que  l'auteur 
nomme  Capnio,  et  sous  la  figure  duquel  il  se  cache, 
en  se  dénonçant  toutefois  lui-même.  Capnio  est,  en 
effet,  la  traduction  greco-latine  de  son  propre  nom, 
Reuchlin  ou  plutôt  Rauchlein  qui  en  Allemand  signifie 
petite  fumée  2.  Jamais  ouvrage  n'a  été  conçu  plus 
noblement  ni  plus  admirablement  exécuté,  dit  un 
contemporain  3.  Le  dialogue  est  divisé,  ajoute-t-il, 
en  trois  parties  formant  autant  de  livres.  Le  pre- 


1.  Les  éditions  ultérieures  que  l'on  connaît  de  ce  traité  sont 
de  1514,  1522,  1552,  toutes  postérieures  à  l'exposition  verbale 
qu'en  a  faite  Agrippa  en  1509  ;  époque  où  l'ouvrage  n'était 
encore  que  peu  répandu. 

2.  Conformément  aux  usages  du  temps,  le  nom  latinisé  de 
Capnio  fut  conservé  à  Reuchlin  dans  le  monde  des  érudits 
du  xvi"  siècle. 

3.  Conradl  Leontorii  ad  Jacobum  Vuimphetingum  Epistola. 
1494.  —  Culte  lettre  est  imprimée,  comme  une  sorte  d'intro- 
duction, en    tète  du  livre  de  Reuchlin. 


170  CHAPITRE    DEUXIÈME 

mier  contient  l'exposition  de  tous  les  secrets  de  la 
philosophie  ;  le  second  fait  connaître  les  noms  mys- 
térieux et  tout  puissants  qui  donnent  la  clef  des 
doctrines  hébraïques;  le  troisième  est  consacré  au 
rapprochement  et  à  la  justification  de  ce  que  con- 
tiennent les  deux  autres,  pour  conclure  à  l'excel- 
lence par-dessus  tout  du  nom  mirifique,  du  nom  de 
Jésus,  réalisation  complète  de  l'ineffable  Tétra- 
gramme. 

On  pourrait,  aujourd'hui,  rabattre  sans  scrupule 
quelque  chose  de  cette  pompeuse  appréciation.  En  réa- 
lité, le  premier  dialogue  contient  une  argumentation 
dans  laquelle  Sidonius  expose  les  principes  d'une  phi- 
losophie sensualiste  attaquée  par  le  juif  Baruch,  qui 
démontre  contre  lui  l'existence  d'un  Dieu  unique  par 
qui  toutes  choses  ont  été  créées  et  sont  gouvernées. 
Dans  le  second  dialogue,  Baruch  développe  une  doc- 
trine où  se  mêlent  les  principes  d'une  sorte  de  phi- 
losophie hermétique  sur  les  rapports  de  Dieu  et  du 
monde,  avec  les  théories  de  la  cabale  hébraïque, 
touchant  la  formation  des  mots  et  la  puissance 
mystérieuse  qui  résulte  pour  ceux-ci  des  conditions 
mômes  de  cette  formation.  Après  tout  les  autres,  est 
mentionné  le  nom  de  la  divinité  ou  le  mystérieux 
Tétragramme  ;  groupe  de  quatre  lettres  qui  en  hé- 
breux exprime  ce  saint  nom.  La  dernière  partie 
enfin,  est  consacrée,  dans  un  troisième  dialogue,  h 
l'analyse  du  Tétragramme  divin,  et  à  de  subtiles  con- 
sidérations fondées  sur  sa  structure  et  sur  la  com- 
binaison de  ses  diverses  parties  avec  de  nouvelles 


AGRIPPA   A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  177 

lettres,  pour  former  d'autres  mots.  Vient  alors  l'ap- 
préciation de  ces  mots  nouveaux  et  des  lettres  qui 
les  constituent,  avec  l'explication  de  leur  sens  pro- 
pre et  de  la  vertu  ou  puissance  qui  appartient  aux 
uns  et  aux  autres.  L'alphabet  hébraïque  fournit  les 
éléments  du  mécanisme  ainsi  mis  en  jeu. 

Voici  quelques  propositions  qui  montrent  quel  est 
l'esprit  de  ces  théories.  Dieu  est  le  principe  de 
toutes  choses  ;  sa  toute  puissance  est  la  source  des 
miracles.  Il  importe  de  connaître  son  saint  nom  et 
de  savoir  en  faire  usage.  Dieu  a  plusieurs  noms  à 
l'aide  desquels  on  peut  rendre  compte  de  toutes  les 
œuvres  du  Christ.  Le  nom  du  Christ  lui-même  peut 
devenir  un  instrument  de  miracles.  La  toute-puis- 
sance de  Dieu  a  été  invoquée  par  le  moyen  de  trois 
lettres  aux  temps  de  nature,  par  quatre  lettres  sous 
le  règne  de  la  loi,  elle  doit  l'être  par  cinqiettres 
sous  celui  de  la  grâce  :  ces  trois  groupes  de  lettres 
constituant  trois  noms  différents  de  la  divinité  qui  se 
rapportent  à  chacune  des  trois  époques  dites  ainsi  de 
nature,  de  la  loi  et  de  la  grâce.  Tout  cela  se  termine 
par  une  dissertation  sur  la  croix,  et  sur  la  lettre  tau 
qui  en  est  la  figure. 

Avec  la  croix  et  non  sans  elle,  dit  en  terminant 
l'auteur  par  la  bouche  de  Capnio,  un  des  interlocu- 
teurs, toute  notre  opération  sera  rendue  facile. 
Quant  au  nom  de  la  croix,  c'est  là  le  très  secret 
mystère  du  Verbum  mirifîcum;  redoutable  symbole 
qu'on  no  doit  pas  jeter  au  vent,  mais  seulement 
murmurer  à  l'oreille.  Approche,  Sidonius,  et  reçois- 


178  CHAPITRE   DEUXIÈME 

en  le  souffle.  —  As-tu  compris?  —  J'ai  compris.  — 
Maintenant  que  tu  possèdes  ce  secret,  couvre-le  d'un 
profond  silence  :  Sile,  cela,  occulta,  tege,  tace,  mussa. 

—  A  ton  tour,  Baruch.  —  As-tu  entendu?  —  J'ai 
très  bien  entendu.  —  Garde-toi  d'en  rien  divulguer. 

—  Maintenant,  sachez  que  tout  ce  que  vous  deman- 
derez ainsi,  vous  l'obtiendrez.  Adieu,,  et  cultivez  reli- 
gieusement le  Verbum  mirificum.  Le  traité  finit  ainsi. 

Telle  était  l'œuvre  étrange  avec  laquelle,  en  1509, 
Agrippa  éveillait  et  soutenait  la  curiosité  du 
public  nombreux  et  distingué  qui  l'écoutait,  au  pied 
de  la  chaire  où  il  lui  avait  été  permis  de  monter, 
à  l'université  de  Dole.  On  trouvait  fort  beau  ce 
mélange  de  singulière  érudition  et  de  mysticisme. 
Nous  nous  étonnons  aujourd'hui  du  complaisant 
acquiescement  donné  à  ces  bizarres  conceptions.  On 
pourrait  s'étonner  également  qu'il  se  fût  en  même 
temps  rencontré  des  gens  pour  déclarer  dangereu- 
ses et  coupables  ces  rêveries.  C'est  ce  qui  eut  lieu 
cependant.  On  ne  peut  attribuer  cette  hostilité  au 
retentissement  de  la  grande  querelle  de  Reuchlin, 
l'auteur  du  traité  en  question,  avec  les  théologiens, 
à  propos  des  livres  juifs.  Cette  querelle,  avons-nous 
dit,  ne  devait  commencer  que  l'année  suivante. 
Quelle  était  donc  la  cause  de  l'opposition  dirigée  en 
1509  contre  Agrippa  ?  Etait-ce  l'effet  de  quelque  sen- 
timent de  jalousie  provoqué  par  les  succès  du  jeune 
étranger,  sur  lequel  venaient  de  se  concentrer  la 
faveur  publique  et  l'attention  générale  ?  Etait-ce 
la  crainte  sérieuse  de  voir  se  répandre  et  s'accréditer 


AGRIPPA   A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  1 7Î> 

certaines  doctrines  réprouvées,  que  mettait  indirec- 
tement en  lumière  le  livre  de  Reuchlin,  en  énonçant 
quelques  principes  d'épicurisme  et  de  philosophie 
hermétique,  et  surtout  en  les  accompagnant  de  ce 
bagage  d'érudition  hébraïque  plus  ou  moins  vraie 
qui  semblait  redoutable,  à  cause  de  son  origine  et 
de  sa  subtile  obscurité,  mais  qui  était  au  fond  la 
chose  la  plus  vaine  et  la  plus  innocente?  Etait-ce 
enfin  tout  simplement  le  dessein  de  faire  échec  à 
toute  discussion  libre,  en  arrêtant  un  enseignement 
qui  traitait,  à  un  point  de  vue  étranger  à  l'orthodoxie, 
des  matières  dont  celle-ci  s'était  toujours  réservé 
la  connaissance?  Il  y  avait  peut-être  un  peu  de  ces 
divers  motifs  dans  les  mobiles  qui  firent  agir  les  ad- 
versaires du  jeune  lecteur  de  l'université. 

Agrippa  était  de  plus  en  plus  goûté  par  le  public 
complaisant  que  captivait  sa  parole.  Le  corps  des  pro- 
fesseurs de  l'université  de  Dole  allait  s'ouvrir  pour 
le  recevoir;  une  chaire  permanente  lui  était  assurée, 
et  un  traitement  lui  était  promis.  Un  brillant  et 
solide  avenir  semblait  s'annoncer  pour  lui.  Mirage 
trompeur,  tout  près  déjà  de  s'évanouir  ;  échafau- 
dage de  fortune,  qu'un  seul  coup  allait  faire  écrou- 
ler. 

Non  loin  de  Dole,  théâtre  des  succès  éphémères 
d'Agrippa,  vivait,  dans  le  couvent  des  Franciscains 
de  Gray,  un  religieux  nommé  Jean  Gatilinet,  docteur 
en  théologie  et  provincial  de  son  ordre  pour  la 
Bourgogne.  C'est  lui  qui  devait  déchaîner  l'orage. 
Il  eût  probablement  tenté   vainement  d'ébranler  le 


180  CHAPITRE    DEUXIÈME 

crédit  naissant  d'Agrippa  à  Dole  même,  où  le  défen- 
dait la  faveur  publique.  Gatilinet  s'y  prend  autre- 
ment. Pendant  le  carême  de  l'année  1510,  il  s'est 
transporté  en  Flandre,  dans  la  ville  de  Gand,  où  il 
a  été  appelé  à  prêcher  devant  la  gouvernante  de  la 
province,  la  princesse  Marguerite,  et  toute  sa  cour. 
Il  profite  de  cette  situation  pour  attaquer  avec  viva- 
cité le  nouveau  lecteur  de  l'université  de  Dole,  le 
jeune  étranger,  qui  a  osé  introduire  dans  les  écoles 
les  doctrines  condamnées  et  prohibées  de  la  cabale, 
soumettre  au  Talmud  le  texte  des  saintes  écritures 
et  préférera  l'autorité  des  Pères  et  des  docteurs  de 
l'Église  celle  des  rabbins  juifs.  Il  profère  contre  lui 
une  accusation  redoutable  :  Agrippa,  dit-il,  n'est 
autre  chose  qu'un  hérétique  hébraïsant. 

Le  coup,  porté  à  Gand  parle  franciscain  Catilinet, 
paraît  avoir  eu  à  Dole  un  retentissement  immédiat, 
et,  en  ruinant  les  espérances  d'Agrippa,  l'avoir  con-' 
traint  à  s'éloigner  d'une  ville  où  il  avait  trouvé 
d'abord  de  si  sympathiques  encouragements.  C'est 
au  moins  ce  que  donne  lieu  de  penser  son  départ 
subit  pour  l'Angleterre  à  ce  moment,  bien  que  dans 
d'autres  circonstances,  il  semble,  en  des  termes  peu 
explicites  du  reste,  assigner  une  cause  différente  à 
ce  voyage.  Les  sermons  de  Gatilinet  à  Gand  sont  du 
mois  de  mars  1510,  et  dans  le  courant  de  la  même 
année,  Agrippa,  non  pas  formellement  expulsé  peut 
être,  mais  obligé  de  quitter  inopinément  la  Bourgo- 
gne, comme  il  le  dit  ailleurs,  se  trouve  en  Angle- 
terre et  à  Londres.  C'est  de  là  qu'il  date  un  écrit 


AGRIPPA    A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  181 

plein  d'amertume  dirigé  contre  le  moine  odieux  qui 
vient  de  renverser  l'édifice  ébauché  de  sa  fortune  l. 
On  ne  saurait  méconnaître  que,  dans  cette  circons- 
tance, Agrippa  n'eût  été  la  très  innocente  victime  de  la 
malice  d'autrui.  Mais  il  est  permis  de  douter  que  le 
tort  qu'il  en  reçut  fût  aussi  réel  qu'il  paraissait  l'être. 
On  a  quelque  raison  de  penser,  quand  on  connaît 
Agrippa  et  son  histoire,  que  la  situation  qu'il  avait 
prise  à  Dole  ne  se  serait  pas  prolongée  beaucoup. 
A  supposer  qu'elle  se  fût  d'abord  maintenue,  malgré 
les  conditions  factices  où  elle  s'était  produite,  l'hu- 
meur inconstante  de  l'homme,  son  défaut  habituel 
de  mesure,  et  son  absence  de   toute   prudence   ne 
pouvaient  manquer  d'y  mettre  fin  assez  prompte- 
ment.  Ceci  soit  dit  en  passant,  pour  combattre  la 
supposition   que,   sans  l'indiscrète  intervention  de 
Catilinet,  la  carrière  d'Agrippa  eût  pu  prendre  à  ce 
moment  une  marche  régulière  toute  différente  de  la 
vie  agitée  qu'il  mena,  en  effet,  jusqu'à  la  fin.  Il  y  avait 
de  l'aventurier  dans  Agrippa,  nous  l'avons  déjà  dit, 
son  existence  tout  entière  devait  s'en  ressentir.  Il 
était  presque  fatalement  condamné  aux  accidents  et 
aux  hasards.  Son  opinion  personelle,  cependant,  n'é- 
tait évidemment  pas  qu'il  dût  en  être  nécessairement 
ainsi.  Agrippa  s'est  toujours  montré  très  prompt  à 


1.  //  G.  Agrippée  exposlulath  super  expositione  sua  in  11- 
bnun  OK  verbo  mirifico  cum  Joanne  Catilineti  fratrum  Fran- 
ciscariorum  per  Burgundiam  provinciali  ministro,  sacra  théolo- 
gie doctori.  (Opéra  t.  II,  p.  5U8-512.) 


182  CHAPITRE   DEUXIÈME 

s'emporter  contre  ceux  qui  contrariaient  sa  marche 
et  lui  faisaient  obstacle.  Il  est  souvent  injuste  quand 
il  s'en  prend  de  ses  mésaventures  à  d'autres  qu'à 
lui-môme;  dans  la  circonstance  présente  son  ressen- 
timent est  plus  légitime.  Il  y  a  de  la  vérité  dans  sa 
plainte;  il  y  en  a,  dans  les  accents  par  lesquels 
il  l'exprime.  On  y  trouve  aussi  l'amère  ironie  qui 
caractérisera  toujours,  et  d'une  manière  bien  plus 
vive  encore  dans  d'autres  occasions,  ses  œuvres 
de  polémique. 

—  La  charité  et  la  sincérité  sont  les  premiers  de- 
voirs du  chrétien,  dit  Agrippa  en  s'adressant  à  Ca- 
tilinet.  C'est  pour  me  conformer  à  cette  obligation 
que  je  t'écris,  ô  bon  père;  ce  n'est,  crois  le  bien,  ni  par 
haine  ni  par  envie  que  je  le  fais.  Toi,  cependant,  tu 
n'a  pas  craint,  bien  plus,  tu  t'es  efforcé  de  provoquer, 
malgré  mon  innocence,  et  de  déchaîner  contre  moi, 
à  grand  renfort  de  mensonges,  la  haine  et  l'envie. 
Je  me  demande  ce  qui  a  pu,  à  si  grande  distance, 
t'exciter  contre  un  inconnu  vivant  en  étranger  au 
fond  de  la  Bourgogne,  ce  qui  a  pu  te  porter  à  lancer 
de  violentes  et  calomnieuses  imputations  contre  un 
absent,  contre  un  innocent,  qui  n'en  voulant  à  per- 
sonne, ne  cherchait  qu'à  se  faire  honneur  par  des 
moyens  honnêtes;  toi,  dont  le  devoir  est  de  haïr  le 
mal,  de  pratiquer  la  charité,  d'aimer,  de  bénir  et  de 
vivre  en  paix  avec  tout  le  monde.  Qu'aucun  méchant 
discours,  dit  l'apôtre,  ne  sorte  de  votre  bouche.  Ce- 
pendant, au  mépris  de  ton  devoir,  tu  as  répandu 
contre  moi   des    semences   de   discorde.   Appelé  à 


AGRIPPA   A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  183 

prêcher  le  carême  dernier  dans  la  ville  de  Gand, 
devant  notre  illustre  princesse  et  devant  toute  la 
cour,  tu  n'as  pas  craint  au  milieu  même  d'une  ex- 
position de  l'évangile  du  Christ,  d'éclater  contre  moi 
en  injures  et  en  vaines  calomnies,  jusqu'à  tromper 
l'opinion  sur  mon  compte  et  à  transformer  en  haine 
la  faveur  que  beaucoup  m'accordaient.  Dans  tes  ou- 
trageantes harangues,  tu  as  déclaré,  et  tu  l'as  répété, 
que  j'étais  un  hérétique  judaïsant,  coupable  d'intro- 
duire dans  les  écoles  l'art  impie  de  la  cabale,  de 
mépriser  les  Pères  et  les  docteurs  de  l'Église, 
d'élever  au-dessus  d'eux  les  rabbins  juifs,  de  tortu- 
rer le  sens  des  saintes  écritures  pour  les  plier  aux 
interprétations  du  Talmud. 

—  Je  suis,  au  contraire,  vraiment  chrétien  et  atta- 
ché jusqu'à  la  mort  à  la  foi  du  Christ.  Je  respecte 
avant  tout  les  docteurs  de  ma  religion, mais  je  ne  mé- 
prise pas  les  rabbins.  Si  je  tombe  enfin  dans  quelque 
erreur,  je  n'entends  pas  pour  cela  devoir  être  pris 
pour  hérétique,  ni  pour  judaïsant.  Je  ne  torture  pas  le 
sens  des  écritures;  je  me  contente  de  rapprocher  les 
interprétations  diverses  qu'en  donnent  ceux  qui  ont 
autorité  pour  les  expliquer.  Quant  aux  arts  prohibés, 
bien  loin  de  les  enseigner,  je  ne  veux  pas  même  les 
apprendre.  Tout  ce  que  j'ai  fait,  c'est  expliquer  le 
livre  tout  catholique  intitulé  De  verbo  mirifico,  et 
composé  par  le  très  chrétien  docteur  Jean  Reuchlin 
de  Pforzheim.  Ce  travail,  je  ne  l'ai  pas  fait  en  se- 
cret, mais  ouvertement,  en  pleine  école,  dans  des 
lectures  publiques,  entreprises  gratuitement  pour 


18  i  CHAPITRE   DEUXIÈME 

l'honneur  de  l'illustre  princesse  Marguerite,  et  pour 
l'unique  avantage  des  études  dans  sa  ville  de  Dole. 
Là,  j'ai  vu  dans  mon  auditoire  de  graves  sénateurs, 
de  savants  docteurs,  des  professeurs,  ordinarii  lectu- 
res, et,  au  milieu  d'eux,  le  révérend  Doyen  de  l'Eglise 
de  Dole,  Simon  Vernerius,  vice-chancelier  et  conser- 
vateur de  l'université  de  cette  ville,  docteur  en  l'un  et 
l'autre  droit,  qui  n'a  pas  manqué  à  une  seule  de  mes 
lectures. 

—  Mais,  toi  qui  ne  me  connais  pas,  toi  qui  ne  m'as 
jamais  entendu  ni  dans  une  de  mes  leçons,  ni  même 
en  conversation,  toi  qui  ne  m'as  jamais  vu,  tu  oses 
me  juger  et  me  condamner.  Tu  me  calomnies  dans 
tes  sermons,  tu  salis  mon  nom,  tu  ruines  ma  répu- 
tation; et  cela  sans  cause  et  sans  raison.  Tu  ne  peux 
rien  prouver  contre  moi.  Rendu  soupçonneux  par 
ton  ignorance  de  la  cabale  et  de  la  science  hébraï- 
que, tu  me  déclares  hérétique  judaïsant,  et  tu  me 
voues  au  bûcher.  Mes  doctes  et  équitables  audi- 
teurs savent  si  j'ai  jamais  rien  dit  qui  fût  con- 
traire àlafoi  chrétienne.  Mais,  peut-être,  prétendras- 
tu  qu'eux  aussi  judaïsent  et  sont  hérétiques;  car  ils 
ont  bien  voulu  m'entendre  sans  me  contredire  ;  bien 
plus,  j'ai  reçu  outre  leur  assentiment,  leur  approba- 
tion et  leurs  encouragements  ;  car,  en  paiement  de 
ma  peine,  ils  m'avaient  reçu  dans  leur  collège,  et  m'a- 
vaient assigné  une  chaire  et  un  traitement  pour 
avoir  ainsi  publiquement  judaïsé  et  fait  profession 
d'hérésie.  Tes  injures  ne  m'atteignent  donc  pas  seul. 
Elles  vont  frapper  le   parlement  lui-même  et  l'uni- 


AGRIPPA    A    COLOGNE,    A    PAUIS,    ETC.  185 

versité  de  Dole.  Vois  dans  quel  abîme  tu  t'es  jeté. 
En  trompant  et  la  princesse  et  la  cour,  tu  t'es  joué 
du  parlement  et  du  corps  enseignant  tout  entier.  Tu 
as  profané  ainsi  la  parole  de  Dieu.  Est-ce  là  prê- 
cher l'Évangile  du  Christ  ? 

—  Et  quand  il  serait  vrai  qu'adolescent,  âgé  de 
vingt-trois  ans  à  peine,  j'eusse  avancé  quelque  im- 
prudente proposition  dans  mes  lectures,  et  mérité 
ainsi  qu'on  me  reprit,  ne  pouvais-tu  le  faire  plus 
chrétiennement,  toi  qui,  de  ton  couvent  de  Cray,  ne 
manquais  pas  d'occasions  pour  venir  dans  cette  ville 
de  Dole,  où  tu  pouvais  me  voir  et  me  faire  entendre 
tes  plaintes.  Pourquoi  ne  pas  me  parler  en  face? 
Pourquoi,  lorsque  je  lis  à  Dole,  aller,  à  deux  cents 
milles  de  là,  m'attaquer  en  Flandre,  à  Gand,  devant 
la  princesse  et  la  cour  et,  en  les  excitant  contre  moi, 
me  faire  indirectement  repousser  de  la  Bourgogne? 
Ne  valait-il  pas  mieux  me  reprendre  et,  comme  le 
dit  Paulus,  m'instruirc  en  esprit  de  douceur?  C'eût 
été  là  un  procédé  vraiment  fraternel  et  tout  évan- 
géliquc,  digne  d'un  religieux,  d'un  frère  soumis  à 
la  règle  de  saint  François,  une  manière  d'agir  véri- 
tablement utile  à  mes  intérêts. 

—  Daigne  donc  m'épargner,  et  mettre  lin  à  tes  dis- 
cours, à  tes  calomnies,  à  tes  injures.  Rends-moi  la 
pureté  de  mon  nom;  rends-moi  ma  bonne  réputa- 
tion; rends-moi  tout  ce  que  tu  m'as  enlevé.  Fais  en 
sorte  de  te  réconcilier  avec  ton  frère  en  Jésus- 
Christ,  avant  d'aller  célébrer,  au  péril  de  ton  âme,  les 
saints  mystères,  et  recevoir  pour  ta  condamnation 

T.  I  13 


186  CHAPITRE   DEUXIÈME 

éternelle  le  corps  de  Jésus-Christ.  Je  t'adresse,  ce 
peu  de  paroles,  ô  bon  père,  sans  colère,  sans  haine, 
sans  envie;  mais  fort  de  mon  innocence  et  par  pure 
charité.  Maintenant,  si  par  défiance  contre  le  Tal- 
mud  et  la  cabale,  si  par  considération  pour  quel- 
ques pauvres  ignorants  ou  autres  qui  me  soient 
contraires,  tu  persistes  à  me  tenir,  en  suspicion,  je 
m'engage  à  me  justifier  et  à  me  purger  devant  toi 
de  toute  accusation. 

—  Fait  à  Londres,  ex  Londino  Angliae,  celebri  empe- 
rio,  l'an  1510. 

Dans  sa  retraite  de  Londres,  Agrippa  n'attendait 
évidemment  aucun  résultat  utile  de  cette  épître. 
Mais  il  cédait,  en  cette  circonstance,  comme  il  Ta  fait 
souvent  dans  la  suite,  à  la  satisfaction  de  donner 
carrière  à  son  ressentiment,  en  décochant  quelques 
traits  satyriques  à  l'ennemi  qui  l'avait  frappé.  Cette 
pièce  allait  beaucoup  moins  à  l'adresse  du  moine 
Gatilinet  qu'à  celle  du  public,  devant  lequel  Agrippa 
voulait,  pour  se  venger  de  lui,  le  bafouer  en  lui  di- 
sant quelques  dures  vérités. 

Nous  ne  connaissons  que  dans  ses  dernières  con- 
séquences, l'effet  de  l'attaque  dirigée  par  le  Père  Ca« 
tilinet  contre  Agrippa.  Nous  ne  savons  pas  si  celui- 
ci  fut  formellement  expulsé  de  Dole  et  de  la  province 
de  Bourgogne,  ou  bien  si  des  menaces  plus  ou 
moins  ouvertes  de  poursuites,  ou  encore  de  simples 
contrariétés,  suite  de  cette  hostilité  déclarée,  le  déci- 
dèrent à  s'éloigner.  Une  des  particularités  de  cette 
mésaventure,  fut  qu'elle  l'empêcha  de  remettre  alors. 


AGRIPPA    A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  187 

à  la  princesse  Marguerite,  le  traité  qu'il  venait  de 
terminer  de  la  prééminence  du  sexe  féminin,  com- 
posé pour  elle.  Il  lui  en  a  fait,  il  est  vrai,  finale- 
ment hommage,  comme  il  en  avait  l'intention;  mais 
cela  n'eut  lieu  que  vingt  ans  plus  tard,  dans  des  cir- 
constances dont  nous  aurons  à  rendre  compte  ulté- 
rieurement. La  dédicace  imprimée  en  tête  de  cet 
écrit,  à  l'adresse  de  la  princesse,  semble  être  néan- 
moins de  l'époque  où  il  a  été  composé  lui-môme, 
pendant  le  séjour  qu'Agrippa  fit  à  Dole,  en  1501)  et 
1510;  mais  une  épître  qu'il  y  a  jointe  ultérieurement 
pour  Maximil.  Transsylvanus,  membre  du  Conseil 
de  l'empereur  Charles-Quint,  porte  la  date  de  la  pré- 
sentation réelle  de  l'ouvrage  à  la  princesse  Margue- 
rite en  1529.  Il  relate,  pour  expliquer  ce  retard,  les 
faits  qui  en  avaient  décidé  et  que  nous  venons  d'ex- 
poser. En  rappelant  à  cette  occasion  le  nom  du 
Doyen  de  Dole,  Simon  Vernerius,  vice-chancelier 
de  l'université,  G ymnasiï procancellarius,  Agrippa  fait 
connaître  que  ce  personnage  est  un  des  hommes 
qui  l'avaient  le  plus  pressé  d'écrire  ainsi  quelque 
chose  pour  la  princesse,  afin  de  se  concilier  ses 
bonnes  grâces. 

Nous  avons  dit  que  le  traité  de  la  prééminence  du 
sexe  féminin,  exécuté  à  cette  intention,  n'était  pas 
le  seul  écrit  qu'Agrippa  eût  produit  pendant  son  sé- 
jour à  Dole.  Nous  avons  annoncé  que  sa  philosophie 
occulte  avait  pu  aussi  être  composée,  en  grande 
partie  au  moins  et  dans  un  premier  jet,  à  cette  épo- 
que. C'est,  en  effet,  ce  qui  semble  résulter  des  ter^ 


188  CHAPITRE   DEUXIÈME 

mes  d'une  lettre  qui,  vers  ce  temps,  a  dû  accompagner 
l'envoi  do  cet  ouvrage  à  l'illustre  Tritheim  par 
son  auteur  (Ep.  I,  23).  Cette  lettre  n'est  pas  datée,  il 
est  vrai,  mais  elle  a  nécessairement  précédé  de  bien 
peu  celle  que  Tritheim  a  écrite,  le  8  avril  1510,  pour 
y  répondre;  car  il  est  dit  au  début  de  celle-ci  qu'elle 
est  remise  au  messager  lui-même,  qui  a  apporté  la 
première  (Ep.  I,  24).  La  lettre  d'envoi  appartient 
donc  au  printemps  de  1510,  c'est-à-dire  aux  der- 
niers temps  du  séjour  d'Agrippa  à  Dole.  Or,  dans 
cette  lettre  d'envoi,  Agrippa  dit  formellement  qu'il 
vient  de  composer  l'ouvrage  qu'elle  accompagne. 

Mentionnant  ensuite  les  circonstances  dans  les- 
quelles il  avait  conçu  la  première  pensée  de  son 
œuvre,  Agrippa  en  rapporte  l'idée  aux  entretiens 
qu'il  avait  eus  avec  Tritheim  lui-même  dans  une 
visite,  est-il  dit,  assez  récente  \  Cette  visite  féconde 
en  résultats  devait  toutefois  remonter  assez  haut 
pour  que  l'auteur  eût  eu  le  temps  de  composer  l'ou- 
vrage qui  en  avait  été,  dit-il,  la  conséquence.  D'après 
la  manière  dont  il  en  parle,  nùper  tecum,  on  ne  pour- 
rait que  difficilement  la  reporter  jusqu'en  1507,  épo- 
que à  laquelle  Agrippa  se  trouvait  à  Cologne,  près 

1.  «  Gum  nuper  tecum...  in  cœnobio  luo  apud  Herbipolim 
«  (Wurtzbourg)  aliquandiu  conversatus,  multa...  una  contu- 
«  lissemus,...  post  collatum  inter  nos...  sermonem,  tua...ardens 
«  adhortatio  audaciam  mihi  animumque  addidit.  Ilaque...  très 

«  libros   de  magia recentibus  bis  diebus  composui,  et  de 

«  occulta  philosopbia,  minus    infenso  litulo,  inscripsi  (Ep.   I, 
«  23).  » 


AGRIPPA    A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  189 

do  retourner  à  Paris,  d'où  il  allait  bientôt  partir  pour 
l'Espagne.  Peut-être  faudrait-il  plutôt  la  placer  dans  la 
période,  assez  courte  du  reste,  qui  sépare  le  retour 
d'Espagne  de  l'arrivée,  à  Dole,  d'Agrippa,  et  qui  com- 
prend le  printemps  et  l'été  de  1500.  Cette  dernière 
hypothèse  ne  laisserait  cependant,  à  ce  qu'il  semble, 
qu'un  temps  bien  insuffisant  pour  l'exécution  d'une 
œuvre  qui  représente,  après  tout,  quelle  qu'en  soit 
au  fond  la  valeur,  une  notable  somme  de  travail. 
Nous  en  jugeons  ainsi,  bien  que  nous  sachions  par 
Agrippa  lui-même  que  la  philosophie  occulte  no 
sortit  pas  alors  de  ses  mains  telle  que  nous  la  con- 
naissons. Il  nous  apprend,  en  effet,  que  les  parties 
de  l'ouvrage  composées  avant  1510  durent  être  com- 
plétées ultérieurement;  que  le  troisième  livre  resta 
même  pendant  plus  de  vingt  ans  à  l'état  d'ébauche, 
en  quelque  sorte;  que  l'auteur,  en  un  mot,  ne  donna 
à  son  œuvre  sa  dernière  forme  qu'à  la  fin  de  sa  vie  '. 
11  n'en  est  pas  moins  constant  qu'au  mois  d'avril 
1510,  Tritheim,  alors  abbé  de  Wurtzbourg,  avait  déjà 
sous  les  yeux  une  copie  de  la  philosophie  occulte, 
en  grande  partie  terminée,  et  capable  déjà  de  mé- 
riter son  admiration  et  ses  éloges  (Ep.  I,  24). 

Ce  qui  permettrait  peut-être  de  concilier  ce  fait 
avec  les  assertions  d'Agrippa  sur  l'origine  qu'il  as- 
signe à  l'ouvrage  et  la  part  qu'auraient  pu  y  avoir, 

1.  Ces  indications  fournies  par  Agrippa  lui-môme  sont  dis- 
persées dans  plusieurs  do  ses  lettres.  (Ep.  1,2:5;  V,  14 ;  VI, 
12,13). 


190  CHAPITRE    DEUXIÈME 

suivant  lui,  les  encouragements  de  Tritheim,  c'est 
qu'une  parfaite  sincérité  n'est  pas,  on  peut  le  cons- 
tater en  mainte  occasion,  la  vertu  essentielle  du  per- 
sonnage, et  qu'en  adressant,  en  1510,  au  savant  abbé 
une  œuvre,  dont  la  première  conception  reste  après 
tout  pour  nous  incertaine,  il  a  pu  en  attribuer  avec 
plus  ou  moins  de  vérité  la  pensée  originaire  h  ses 
entretiens  avec  lui,  dans  l'unique  intention  de  se 
concilier  plus  sûrement  ainsi  sa  bienveillance.  Au 
reste,  quoi  qu'on  doive  penser  en  définitive  de  l'ori- 
gine du  traité,  les  indications  données  par  Agrippa 
sur  ce  sujet,  ont  au  moins  le  mérite  de  nous 
apprendre  de  quelle  manière  ont  commencé,  quelle 
qu'en  soit  la  date  précise,  1507  ou  1509,  ses  rela- 
tions avec  le  célèbre  abbé  de  Spanheim  et  de 
Wurtzbourg.  Nous  savons  que  des  entretiens  sur 
les  sciences  occultes  en  ont  été  l'objet,  sinon  le 
motif  même. 

Tritheim  était  un  des  hommes  dont  Agrippa  de- 
vait être,  dans  ses  premières  années,  le  plus  désireux 
de  se  rapprocher.  Il  avait  une  grande  réputation  de 
savoir  dans  les  sciences  et  les  arts  occultes  et  pas- 
sait môme  dans  l'opinion  commune,  pour  être  un 
peu  sorcier.  On  racontait  qu'après  la  mort  de  Marie 
de  Bourgogne,  épouse  de  l'empereur  Maximilien, 
il  avait,  à  la  prière  de  celui-ci,  fait  apparaître  un 
instant  devant  lui  la  princesse,  rappelée  par  ses 
évocations  du  séjour  des  morts.  Cette  fable  mérite 
d'être  mentionnée  comme  une  preuve  au  moins  des 
préjugés  qui  régnaient  sur  le  compte  de  l'abbé  de 


AGRIPPA    A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  191 

Spanheim,  et  comme  un  des  traits  de  sa  physiono- 
mie, aux  yeux  de  ses  contemporains. 

En  1510,  Tritheim  était  un  homme  d'environ  cin- 
quante ans.  Son  histoire  est  très  simple.  Né  en  14G2, 
dévoré  de  bonne  heure  d'un  besoin  d'apprendre  que 
mille  difficultés  l'avaient  d'abord  empêché  de  satis- 
faire, il  était  fortuitement  entré,  en  1-482,  dans  l'ab- 
baye de  Spanheim.  Conduit  en  ce  lieu,  par  le  ha- 
sard, il  s'y  était  arrêté,  y  avait  presque  aussitôt  fait 
profession,  en  avait  été  élu  abbé  l'année  même,  et 
l'avait  gouverné  pendant  vingt-quatre  ans,  au  bout 
desquels,  victime  d'une  intrigue  et  d'une  conspira- 
tion de  couvent,  il  avait  dû  l'abandonner  en  1506.   Il 
avait  été   appelé   bientôt  après,    à  la   direction   de 
l'importante  abbaye    de   Saint-Jacques   de    Wurtz- 
bourg,  qu'il  conserva  dès  lors  jusqu'à  la  fin  de  sa 
vie,  en  1516.  Une  des  causes  de  son  expulsion  de 
Spanheim  avait  été,  dit-on,  la  régularité  et  la  sévé- 
rité de  son  administration.  Il  s'était  appliqué  à  ré- 
former  cette    maison    qu'il    avait    trouvée   dans   un 
grand  état  de  relâchement.  Il  y  avait  notamment  in- 
troduit et  y  maintenait  rigoureusement  l'obligation 
du  travail;  et,  en  appliquant  celui-ci  à  la  transcrip- 
tion des  manuscrits,  auxquels  on  pouvait  déjà  join- 
dre quelques  livres  imprimés,  il  avait  formé  une  bi- 
bliothèque, dont  les  deux  mille  volumes,   nombre 
considérable  pour  ce  temps,   étaient   un  objet   de 
curiosité   qui   lui  attirait   de  savants  visiteurs.    Ce 
n'est  pourtant  pas  ce   motif  qui  valut  à  Tritheim  la 
visite  d' Agrippa  ;  car,  à  l'époque  où  il  la  reçut,  il 


1U2  CHAPITRE    DEUXIÈME 

avait  déjà  quitté  Spanheim  où  il  avait  dû  aban« 
donner  ce  précieux  trésor  littéraire.  Mais,  à  défaut 
de  livres,  la  personne  du  savant  abbé  suffisait 
pour  attirer  Agrippa,  si  curieux  et  si  avide  lui- 
même  de  savoir. 

Tritheim  a  écrit  dans  les  genres  les  plus  divers. 
On  a  de  lui  des  ouvrages  historiques,  lesquels  sont 
maintenant,  à  nos  yeux,  son  titre  littéraire  le  plus  sé- 
rieux. Il  avait  composé  également  des  traités  dogma- 
tiques, des  œuvres  mystiques  et  ascétiques,  sur  des 
matières  appartenant  à  la  philosophie  et  à  la  reli- 
gion. Il  était  de  plus  l'auteur  de  quelques  écrits  sur 
les  arts  et  les  sciences  occultes.  Ces  derniers  ouvra- 
ges ne  sont  vraisemblablement  pas  ceux  qui  étaient 
le  moins  remarqués  de  son  temps.  Il  avait  en  effet 
rédigé,  outre  des  chroniques  et  des  biographies  que 
l'on  consulte  encore  aujourd'hui,  plus  un  panégyri- 
que de  sainte  Anne  et  un  exposé  des  miracles  de  la 
sainte  Vierge,  un  traité  en  quelque  sorte  herméti- 
que des  intelligences  préposées  hiérarchiquement 
au  gouvernement  du  monde  ',  et  des  ouvrages  do 
magie  2,  sa  polygraphie  en  six  livres  3,  et  sa  fameuse 
stéganographie  *.    Ces    deux   derniers  traités,    qui 

1.  Chronologia  mystica  de  septem  intelligcntiis  orbis  post 
Deum  movenlibus. 

1.  Antipalus  maleficiorum.  —  Philosophia  naturalis  de  geo- 
maaiia. 

3.  Polygraphia  cum  clave  seu  enuclcatorio. 

4.  Steganographia;  hoc  est  arsper  occultam  scriphtram  animi 
sui  voluntatem  absenlibus  aperiendi  certa. 


AGRIPPA    A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  193 

avaient  pour  fondement  les  procédés  de  la  science 
cabalistique ,  étaient  beaucoup  plus  innocents  au 
fond,  que  ne  le  faisait  supposer  l'appareil  de  combi- 
naisons bizarres  que  l'auteur  y  étalait.  L'abbé  de 
Spanheim  est,  dit-on,  le  premier  qui  ait  parlé  avec 
une  certaine  étendue  de  Faust,  ce  fameux  docteur, 
cette  espèce  de  magicien,  dont  la  figure  est  devenue 
plus  tard  si  populaire.  On  reprochait  à  Tritheim 
certaines  opinions  hasardées,  comme  de  prétendre 
qu'à  force  de  science  et  de  vertu,  on  pouvait  enlever 
et  transporter  les  corps.  On  a  remarqué  sa  fréquente 
insistance  à  affirmer  sa  parfaite  orthodoxie,  ses  in- 
cessantes recommandations  de  s'en  tenir  surtout  au 
texte  des  livres  saints,  en  faisant  passer  avant  tout 
l'autorité  de  Jésus-Christ  et  des  apôtres  ;  au  lieu 
d'abuser,  comme  on  le  faisait  dans  les  écoles  de  son 
temps,  de  celle  d'Aristote  et  des  philosophes  de  l'an- 
tiquité. Par  ces  traits  divers  que  nous  retrouvons 
dans  les  écrits  d'Agrippa,  joints  à  un  certain  fonds 
d'érudition  historique,  et  à  des  discussions  mysti- 
ques, en  ce  qui  touche  notamment  sainte  Anne  et 
la  Vierge,  on  est  à  môme  d'apprécier  quelle  in- 
fluence ont  pu  avoir  sur  ce  dernier,  Tritheim,  ses 
idées  et  ses  ouvrages. 

Les  écrits  de  Tritheim  n'ont  été  pour  la  plupart 
imprimés  que  tardivement,  comme  cela  du  reste 
avait  lieu  généralement  des  ouvrages  de  son  temps; 
et  un  certain  nombre  d'entre  eux  ne  l'ont  môme  été 
qu'après  sa  mort,  il  est  donc  difficile  de  savoir  à 
quelle  époque  précise  ils   ont  été  composés,  et  de 


194  CHAPITRE    DEUXIÈME 

dire  par  conséquent  quels  sont  ceux  qu'Agrippa 
pouvait  connaître  quand  il  fut  pour  la  première  fois 
conduit  vers  leur  savant  auteur.  A  défaut  de  ces 
ouvrages  eux-mêmes  qu'il  ne  connut  certainement 
pas  tous  alors,  ses  entretiens  au  moins  avec  le 
célèbre  abbé,  avaient  fait  sur  lui  une  profonde 
impression.  Il  en  témoigne  dans  la  lettre  dont 
nous  avons  parlé  déjà,  où  il  rappelle  sa  visite  à 
Wurtzbourg. 

—  Révérend  père,  dit  Agrippa,  lorsque  naguère 
j'étais  près  de  toi,  dans  ton  couvent  de  Wurtzbourg, 
où  nos  entretiens  roulaient  sur  la  chimie,  la  magie, 
la  cabale  et  autres  sujets  mystérieux,  appartenant 
au  domaine  des  sciences  et  des  arts  occultes,  nous 
nous  demandions  pourquoi  la  magie  estimée  si  haut 
par  les  anciens  philosophes,  vénérée  dans  l'antiquité 
par  les  sages  et  les  prêtres,  était  devenue,  dès  les 
premiers  temps  de  la  Religion,  suspecte  et  odieuse 
aux  Pères  de  l'Église,  et  avait  été  bientôt  repoussée 
par  les  théologiens,  condamnée  par  les  sacrés  ca- 
nons, et  proscrite  par  les  lois.  En  y  réfléchissant,  il 
m'a  semblé  que  la  cause  unique  de  tout  cela,  était  la 
dépravation  des  temps  et  des  hommes,  grâce  à  la- 
quelle de  faux  philosophes  ,  pseudo-philosopki,  des 
magiciens  indignes  de  ce  nom,  mentito  nomine  magi, 
purent  introduire  d'exécrables  superstitions  et  des 
rites  funestes  ;  entasser,  au  mépris  de  Dieu  et  pour 
la  perdition  des  hommes,  leurs  infâmes  sacrilèges 
contre  la  religion  orthodoxe  ;  et  publier  enfin  cette 
quantité   de  livres  condamnables  que  nous  voyons 


AGRIPPA    A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  193 

circuler  de  tous  côtés,  et  auxquels  est  indignement 
donné,  pour  titre,  le  nom  très  respectable  de  magie. 
En  s'efforçant  d'assurer  ainsi  quelque  crédit  h  leurs 
rêveries,  ils  ont  l'ait  de  ce  nom  sacro-saint  de  magie 
un  objet  de  haine  pour  les  honnêtes  gens,  et  une 
source  de  graves  accusations  contre  les  savants; 
de  sorte  que  personne  n'ose  plus  maintenant,  par  sa 
doctrine  ni  par  ses  œuvres,  s'avouer  magicien,  si- 
non peut-être  ces  bonnes  femmes  de  la  campagne, 
qui  voudraient  faire  croire  qu'il  est  en  leur  pouvoir, 
comme  dit  Apulée,  d'abaisser  le  ciel,  d'enlever  la 
terre,  de  solidifier  les  sources,  de  fondre  les  monta- 
gnes, et  de  faire  toutes  sortes  de  prestiges,  dont 
parlent  Homère,  Virgile  et   Lucain. 

—  J'étais  étonné  et  indigné  tout  à  la  fois  de  voir 
que,  jusqu'à  présent,  il  ne  se  fût  trouvé  personne 
pour  venger  du  crime  d'impiété  de  sublimes  et 
saintes  doctrines,  et  pour  les  présenter  dans  leur 
intégrité  et  dans  leur  pureté;  car  tous  ceux  que 
j'ai  vus  annoncer  l'intention  de  le  faire,  avec  Roger 
Bacon,  Robertus  Anglicus,  Petrus  Apponus,  Âlbcr- 
tus  Teutonicus,  Arnoldus  de  Villanova,  Anselmus 
Parmcnsis ,  Piccatrix  Hispanicus,  et  beaucoup 
d'autres  moins  connus,  au  lieu  de  la  magie  qu'ils 
prétendaient  nous  faire  connaître,  ne  nous  ont  donné 
que  des  extravagances  dénuées  do  toute  valeur,  ou 
d'indignes  superstitions.  Aussi,  cédant  à  mon  indi- 
gnation et  au  juste  sentiment  de  mon  admiration, 
curieux  et  intrépide  explorateur  des  mystères  de  la 
nature,  j'ai  cru  que  ce  serait  une  œuvre  louable  que 


196  CHAPITRE    DEUXIEME 

de  restaurer  l'antique  magie,  la  doctrine  des  sages, 
après  l'avoir  purgée  des  erreurs  de  l'impiété  et  re- 
constituée sur  ses  solides  fondements. 

—  Cette  pensée  me  préoccupait  depuis  long- 
temps, mais  je  n'avais  jamais  osé  m'y  arrêter, 
quand  nos  entretiens  de  Wurtzbourg  sur  ce  sujet, 
tes  avis  éclairés  et  tes  exhortations,  enflammèrent 
mon  courage  et  me  décidèrent  à  me  mettre  à  l'œu- 
vre. Je  me  suis  appuyé  sur  l'opinion  de  philoso- 
phes d'une  sincérité  reconnue,  pour  dissiper  les  té- 
nèbres accumulées  par  une  fausse  science,  qui  pré- 
tendait tout  tirer  de  livres  réprouvés.  J'ai  donc  com- 
posé, en  ces  derniers  temps,  trois  livres  où  se  trouve 
concentrée  toute  la  magie,  sous  le  titre  moins 
décrié  de  philosophie  occulte  l.  Je  te  les  envoie, 
en  te  priant  de  les  revoir  et  de  les  corriger,  dans  le 
cas  où  ils  contiendraient  quelque  chose  qui  fût  con- 
traire à  la  vérité  ou  à  la  religion.  N'approuve  rien 
qui  soit  nuisible,  mais  ne  me  cache  rien  non  plus 
qui  puisse  servir  à  mon  objet,  afin  que,  approuvé 
par  toi,  mon  ouvrage  soit  digne  d'être  livré  au  pu- 
blic et  d'affronter  le  jugement  de  la  postérité.  Vale. 
Pardonne  à  ma  téméraire  entreprise  (Ep.  I,  23). 

Si  l'on  s'en  rapportait  aux  termes  précis  de  cette 
lettre,  il  faudrait,  comme  nous  l'avons  dit,  admettre 
qu'Agrippa,  presque  au  lendemain  de  sa  visite  à 
Wurtzbourg,  eût  conçu  et  exécuté  dans  un  temps 
très  court  le  traité  de  la  philosophie  occulte.  L'évi- 

1.  Voir  la  note  1,  ci-dessus,  p.  188. 


AGRIPPA    A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  1137 

dente  exagération  de  cette  conclusion  justifie  les  ré- 
serves que  nous  avons  faites  précédemment  à  cet 
égard.  La  lettre  d'ailleurs  contient  certaines  expres- 
sions d'où  il  résulte  que,  même  avant  ses  entretiens 
avec  Tritheim,  Agrippa  pensait  déjà  à  cet  ouvrage. 
Quant  à  ce  qui  regarde  l'œuvre  en  elle-même,  ce 
que  nous  en  avons  dit  précédemment  suffit  pour 
montrer  combien  sont  peu  fondées  les  prétentions 
d'Agrippa  d'avoir  purifié  les  sciences  et  les  arts  oc- 
cultes, ce  qu'il  appelle  la  magie,  des  superstitions 
grossières  accueillies  et  recommandées  par  ses  de- 
vanciers '.  Malgré  tout  le  dédain  qu'il  affecte  pour 
leurs  ouvrages,  il  ne  fait  guère  que  les  copier.  Les 
doctrines  erronées  et  abusives  qu'il  leur  reproche 
se  retrouvent  dans  son  livre,  et  il  ne  l'emporte 
guère  sur  eux  que  par  l'heureuse  idée  de  répudier, 
en  dépit  de  ses  protestations  d'admiration,  le  titre 
décrié  de  magie,  pour  y  substituer  celui  de  philo- 
sophie occulte,  contre  lequel  ne  s'élevaient  pas  en- 
core les  mêmes  préventions.  Ce  qu'il  avance  d'ail- 
leurs touchant  l'autorité  de  ce  titre  de  magie  dans 
l'antiquité  est  fort  contestable.  Les  plus  vieux  do- 
cuments historiques  nous  montrent  la  magie  en 
mauvais  renom  chez  les  anciens  comme  chez  les 
modernes  \ 


1.  Nuiis  avons  donné  un  aperçu  'lu  cet  ouvrage  dans  notre 
chapitre  premier,  ci-dessus,  p.  OG. 

i.  Voir  p.  xxxn  de  notre  introduction  et;  qui  est  dit  de 
l'opinion  énoncée  par  Pline  à  ce  sujet. 


198  CHAPITRE    DEUXIÈME 

En  adressant  son  livre  à  Tritheim,  Agrippa  le 
remettait  à  un  juge  plus  qu'indulgent.  La  réponse 
de  celui-ci  n'est  qu'un  long  et  chaleureux  éloge.  La 
langue  d'un  simple  mortel  peut  à  peine  exprimer 
la  volupté  que  la  lecture  du  merveilleux  ouvrage  a 
causée  au  savant  abbé.  Le  jeune  écrivain  a,  suivant 
lui,  pénétré  des  mystères  demeurés  cachés  aux 
hommes  les  plus  doctes.  On  ne  peut  qu'approuver 
cette  œuvre  admirable,  et  l'on  doit  souhaiter  que 
l'auteur,  donnant  l'essor  à  son  génie,  s'élève  plus 
haut  encore,  sans  se  laisser  arrêter  par  aucun  obs- 
tacle importun.  Son  rare  esprit  est  fait  pour  les  con- 
ceptions les  plus  sublimes.  Cependant,  après  avoir 
épuisé  toutes  les  formes  d'une  louange  exagérée, 
Tritheim,  en  homme  avisé  et  instruit  par  une  lon- 
gue expérience,  ajoute  pour  terminer  son  épître 
une  recommandation  pleine  de  sagesse,  à  laquelle 
il  ne  manque  pour  nous  toucher  que  de  s'appliquer 
à  un  sujet  qui  en  soit  plus  digne. 

—  Nous  n'avons  plus  maintenant,  dit-il,  qu'un 
conseil  à  te  donner;  et  ne  l'oublie  jamais.  Au  vul- 
gaire ne  parle  que  de  choses  vulgaires;  réserve 
pour  tes  amis  particuliers  les  secrets  d'un  ordre 
plus  élevé  (Ep.  I,  24). 

Nous  avons  parlé  précédemment  de  l'œuvre  à  la- 
quelle Tritheim  prodiguait  les  éloges  dont  on  vient 
de  voir  l'expression.  Bien  que  nous  ne  connaissions 
aujourd'hui  le  livre  d'Agrippa  que  dans  une  forme 
définitive  qu'il  n'avait  pas  encore  atteinte  à  cette 
date,  nous   avons   tout  lieu  de  croire  que  son  corn-» 


AGRIPPA   A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC. 


199 


plet  achèvement  n'y   a   rien    ajouté    d'essentiel  et 
qui   pût  en  modifier  l'esprit;   puisque   ce  supplé- 
ment  de   travail  appartient  à  une  époque  où  l'au- 
teur n'accordait  plus  aucune  confiance  aux  sciences 
occultes  qui  en  font  l'objet,  et  ne  s'occupait  plus 
de  celles-ci,  comme  il  l'avait  fait  dans  sa  jeunesse 
peut-être,    avec   l'ardeur    et  la    foi    de    néophyte, 
seules    capables    d'enfanter    des   conceptions   nou- 
velles   sur    ces    matières   suspectes,  et   vivement 
controversées.   Le  traité  de  la  philosophie  occulte 
que  Tritheim  a  eu  sous  les  yeux  ne  devait  donc  pas 
au  fond  différer  beaucoup  de   celui   que  nous  con- 
naissons. Gomme  lui,  il  était  divisé  en  trois  livres. 
Si  ceux-ci  étaient  un  peu  moins  étendus  qu'ils  ne 
le  sont  devenus  par  la  suite,  si  le  troisième,  no- 
tamment,   était  encore,    ainsi   que   nous  l'apprend 
Agrippa  lui-même,  à  l'état  d'ébauche  seulement,  au 
moins  est-il  à  peu  près  certain  que  l'ouvrage  ren- 
fermait déjà  les  doctrines  caractéristiques  dans  leur 
étrangeté,  que  nous  y  trouvons  :    un  tableau   des 
trois  sphères  d'ordre  terrestre,  céleste  et  intellectuel, 
c'est-à-dire  une  étude  sommaire  des  corps  animés 
ainsi  que  des  corps  inertes  qui  sont  du  domaine  de 
la  matière,  sur  la  terre  aussi  bien  que  dans  le  ciel,  ce 
qui  constitue  un  système  de  la  nature  ;  l'explication 
des  lois  qui  président  à  la  marche  des  corps  céles- 
tes, et  celle  des  rapports  mystérieux  qui  existent,  sui- 
vant ces  doctrines  hasardées,  entre  les  mouvements 
de  ces  corps  et  le  développement  des  faits  terrestres, 
source  des  théories  de  l'astrologie  et  des  sciences 


200  CHAPITRE    DEUXIEME 

divinatoires  ;  enfin  l'examen  du  système  hiérarchique 
des  intelligences,  depuis  Dieu  jusqu'à  l'homme, 
en  passant  par  le  régime  intermédiaire  des  démons 
bons  et  mauvais,  conceptions  d'où  procèdent  la  dé- 
monologie,  la  science  des  évocations,  la  nécromancie. 

Nous  ne  reviendrons  pas  ici  sur  ce  que  nous  avons 
dit  précédemment  de  ce  singulier  ouvrage,  qu'il 
nous  aura  suffi  de  rappeler  ainsi  pour  montrer  à 
quel  point  de  ses  travaux  en  était  Agrippa,  au  mo- 
ment de  sa  vie  où  nous  sommes  parvenus.  L'année 
1509  l'avait  vu  successivement  à  Avignon,  où  il  s'ar- 
rête un  instant,  au  retour  de  son  excursion  en  Espa- 
gne, à  Lyon  ensuite,  puis  à  Autun,  à  Châlons,  à  Dole, 
peut-être  encore  à  Wurtzbourg,  où  il  a  dû  visiter 
Tritheim,  au  plus  tard  vers  cette  époque.  L'année  sui- 
vante, en  lolO,  obligé  de  quitter  la  Bourgogne,  où 
il  avait  pu  un  instant  espérer  se  fixer,  il  passe, 
comme  nous  l'avons  dit,  en  Angleterre.  C'est  de 
Londres  qu'on  le  voit  adresser  au  moine  Catilinet 
sa  mordante  réponse  aux  attaques  dirigées  par  ce- 
lui-ci contre  les  lectures  publiques  de  l'université 
de  Dole,  sur  le  traité  de  Reuchlin  De  verbo  mirifico. 

Agrippa  donne  à  penser,  d'après  certaines  expres- 
sions trop  peu  explicites  malheureusement  d'un  de 
ses  écrits,  qu'il  avait  été  conduit  en  Angleterre  par 
quelque  commission  ou  affaire  secrète  sur  la  nature 
de  laquelle  il  ne  s'explique  pas  '.  Le  séjour  à  Lon- 

1',  <A|kkI  Iîi'it, iniios...  occultissimum  quoddam  lune  agebam 
«  negotium.  »  {Opéra,  t.  II,  p.  596.) 


AGRIPPA   A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  201 

dres  eut  au  reste  pour  lui  ce  résultat  intéressant 
de  lui  fournir  une  occasion  d'entrer,  plus  sérieuse- 
ment qu'il  ne  l'avait  fait  encore,  dans  un  genre  d'é- 
tudes qu'il  avait  à  peine  effleuré  ce  semble  jusque 
là,  l'étude  des  lettres  sacrées  proprement  dites; 
car  c'est  assez  gratuitement  qu'il  donne  quelque  part 
ce  titre  spécial  aux  travaux  nécessités  par  ses  le- 
çons de  Dole  sur  le  traité  de  Reuchlin  '.  Lui-même 
nous  apprend  que  pendant  son  séjour  à  Londres, 
en  1510,  il  se  livra  sous  la  direction  de  Johannes 
Goletus  à  l'étude  des  Épîtres  de  saint  Paul  \  C'est 
probablement  ce  travail  qui  lui  a  fourni  la  matière 
des  petits  commentaires  sur  saint  Paul  qui  ne  nous 
sont  point  parvenus  ;  que  plus  tard  il  se  plaint  d'a- 
voir perdus  en  Italie  ;  et  dont  la  recherche  fait,  par  la 
suite,  l'objet  d'une  partie  de  sa  correspondance  avec 
Cantiuncula,  comme  nous  le  verrons  ultérieure- 
ment. 

Un  est  très  mal  renseigné  sur  les  mouvements  et 
sur  les  actes  d'Agrippa  pendant  le  cours  des  années 
1510  et  1511,  où  sa  correspondance  fait  presque 
entièrement  défaut.  Son  séjour  en  Angleterre  ne 
peut  pas  s'être  prolongé  beaucoup  ,  malgré  l'impor- 
tance donnée  par  lui  aux  travaux  qu'il  prétend  y  avoir 
exécutés  ;  car  il  ne  dut  pas  y  arriver  avant  le  prin- 


1.  <  Primum  in  Dola  Burguadiae  publica  lectura  sacras  lileras 
«  professus  sum.  »  flbid.) 

2.  n  In  Britantuam  trajiciens  apud  Johagnem  Goletum,...  in 
«  divi  Pauli  epistolas  desudavi.  »  (Ibid.) 

T.  i.  16 


202  CHAPITRE   DEUXIÈME 

temps  de  l'année  1510  au  plus  tôt;  et,  dans  le  cou- 
rant de  la  même  année,  il  était  de  retour  dans  sa 
ville  natale,  à  Cologne,  où  il  soutenait  des  thèses 
de  théologie;  thèses  que,  dans  le  langage  de  l'École, 
on  qualifiait,  comme  nous  l'apprend  aussi  Agrippa, 
du  mot  barbare  de  quodlibeta  '.  Si  c'étaient  pour 
Agrippa  des  épreuves  destinées  à  lui  procurer 
l'acquisition  d'un  grade  universitaire,  on  peut  re- 
garder comme  douteux  qu'il  ait  alors  atteint  ce  ré- 
sultat, malgré  le  témoignage  qu'il  se  rend  à  lui-même 
de  ses  succès  dans  cette  circonstance  ;  car  il  sem- 
ble exprimer  un  peu  plus  tard,  en  1519,  le  regret 
de  n'avoir  pas  poussé  ses  études  dans  cette  direc- 
tion jusqu'à  conquérir  en  théologie  la  maîtrise, 
qu'il  avait  obtenue  clans  la  faculté  des  arts,  c'est-à- 
dire  dans  les  humanités.  En  effet,  à  propos  de  ce 
grade  de  maître  es  arts,  et  des  peines  qu'il  lui  avait 
coûtées,  Agrippa  se  plaint  de  n'avoir  pas  consacré 
plutôt  son  labeur  et  son  temps  aux  bonnes  lettres, 
bonx  literne  2.  Or,  ce  qu'Agrippa  nommait  les  bonnes 


1.  «  Ex  Britannia  autem  recedens,  apud  Colonienses  meos, 
«  coram  universo  studio  toloque  theologïco  cœtu,  theologica 
«  placita,  quae  vos  vocabulo  non  admodum  latino  quodlibeta 
«  dicitis,  haud  non  theologice  declamavi.  »  (Ibid.).  On  appelait 
thèses  quodlibétales  ou  quodlibétaires  celles  qui  devaient  être 
soutenues  non  sur  un  sujet  particulier,  mais  sur  toutes  les 
parties  de  la  science. 

2.  «...  Ad  lauream  usque,  magisteriumque  desudavi;  longe 
«  quidem  melius  tune  facturus,  si  pro  scholasticis  illis  nugis, 
«bonis   literis    laborera    illum    tempusque    impendissem.   » 


AGRIPPA   A    COLOGNE,    A    PARIS,    ETC.  203 

lettres  n'était  autre  chose,  on  le  sait,  que  les  travaux 
sur  les  matières  religieuses  et  théologiques.  Les 
thèses  quodlibétales,  soutenues  par  lui,  étaient,  il  y 
a  tout  lieu  de  le  croire,  les  exercices  d'un  candidat 
et  non  les  leçons  d'un  maître  l.  Ce  n'est  au  reste 
que  tardivement,  Agrippa  en  convient,  qu'il  s'est 
livré  avec  une  sérieuse  attention  aux  études  théolo- 
giques, ou  du  moins  à  ce  qu'il  décorait  de  ce  nom  2. 
De  Cologne  où,  arrivant  d'Angleterre,  il  n'était  que 
depuis  bien  peu  de  temps  de  retour,  Agrippa  prend 
tout  d'un  coup,  en  1511,  le  chemin  de  la  Lombardie, 
où  l'appelait,  dit-il,  le  service  de  l'empereur,  alors 
en  guerre  avec  les  Vénitiens.  Nous  allons  le  suivre 
dans  cette  contrée  qui  devait  le  retenir  pendant  près 
de  sept  années  ',  beaucoup  plus  adonné  aux  travaux 
littéraires,  il  l'avoue  lui-même  \  qu'à  l'exercice  des 


(Opéra,  t,  II,  p.  028 . )  Nous  avons  établi  précédemment  que  ce 
magisterium  dont  il  est  ici  question  est  le  grade  de  maître  es 
arts.  Voy.  ci-dessus,  p.  126. 

1.  Bayle  dit  cependant  à  ce  propos,  dans  des  termes  dont  il 
y  a  peut-être  lieu  de  contester  la  justesse,  qu'Agrippa  lit  alors 
à  Cologne  des  leçons  publiques,  sur  les  questions  du  théologie 
qu'on  nomme  quodlibétales  (sic).  (Bayle,  Diction.  critiq.t  t.  I. 
p.  101.) 

2.  Nous  avons  réuni  dans  une  note  de  l'appendice  (n°  V)  quel- 
ques indications  sur  les  études  théologiques  d' Agrippa. 

'.].  «  In  Ttalicis  dastris  septennio  illius  (Maximiliani  Ceesaris) 
«  stipendio  mililavi.  »  (Bp.  VII,  21.) 

4.  «  A  Maximiliano  Cœsare  contra "Venetos  destinatus,  in  ipsis 
«  castris,  hostiles  inter  turbas,  plebemque  cruentam,  à  sacris 
*  leclionibus  non  desliti.  »  [Opéra,  i.  II,  p.  596.) 


20-4  CHAPITRE    DEUXIÈME 

armes,  comme  il  le  prétend  ailleurs  (Ep.  VII,  21), 
et  comme  l'affirment,  d'après  ce  dernier  témoignage 
d'une  valeur  fort  contestable  quoique  venant  de  lui, 
la  plupart  de  ses  biographes. 


CHAPITRE   III 


AGRIPPA     EN     ITALIE 
1XS11-1818 


Le  nord  de  l'Italie  au  commencement  du  xvie  siècle.  —  Agrippa 
au  service  de  l'empereur,  à  Vérone.  —  Agrippa  au  concile  de 
pjse.  _  Premier  séjour  à  Pavie.  —  Correspondances  avec 
Bartholomeus  Rosatus  et  avec  l'ami  de  Borgo-Lavezzaro.  — 
Protection  du  marquis  de  Montferrat.  —  Premier  séjour  à 
Casale.  —  Second  séjour  à  Pavie;  mariage  d'Agrippa;  le- 
çons sur  le  Pimander,  sur  le  banquet  de  Platon.  —  Les 
Français  à  Pavie,  avant  et  après  la  bataille  de  Marignan  ;  les 
Suisses  à  Milan-,  malheurs  d'Agrippa.  —  Second  séjour  à 
Casale-,  correspondance  avec  le  père  Jean  Chrysostome  de 
Verceil;  le  dialogue  sur  l'homme;  le  traité  de  la  connais- 
sance de  Dieu.  —  Séjour  à  Turin.  —  Propositions  d'emploi  de 
divers  cotés  ;  départ  pour  Metz. 

A  partir  do  1511,  Agrippa  reste  pendant  sept  an- 
nées consécutives  en  Italie,  où  son  existence  est, 
dit-il  ultérieurement,  partagée  entre  la  vie  des  camps 
et  la  culture  des  lettres.  Les  témoignages  fournis 
par  sa  correspondance  pour  cette  époque,  font  voir 


206  CHAPITRE   TROISIÈME 

que,  de  ces  deux  parts  dans  l'emploi  de  son  temps, 
la  seconde  a  dû  être  de  beaucoup  la  plus  importante  ; 
car  on  y  cherche  vainement  la  trace  de  ces  fameux 
services  militaires,  que  depuis  lors  il  rappelle  en 
toute  occasion  avec  tant  de  complaisance.  Ce  qu'on 
sait  du  peu  de  dispositions  qu'il  a  manifesté  ailleurs 
pour  la  vie  du  soldat,  avec  sa  discipline  et  ses  périls, 
suffît  pour  faire  soupçonner  sur  ce  point  l'exacte 
vérité,  malgré  la  rareté  des  documents  ;  les  lettres 
de  cette  époque  étant  malheureusement  peu  nom- 
breuses. L'apprentissage  qu'Agrippa,  trois  ou  qua- 
tre ans  auparavant,  avait  fait  en  Espagne  de  la  pro- 
fession des  armes,  acceptât-on  comme  fidèle  le 
tableau  qu'il  en  a  donné  lui-même,  fournit  à  cet 
égard  des  preuves  décisives  ;  il  avait  pu  garder  de 
ces  premiers  exploits  une  impression  qui  paraît 
avoir  été  définitive,  on  a  tout  lieu  de  le  croire. 

Afin  d'apprécier  avec  connaissance  de  cause  ce 
qu'on  doit  penser  des  assertions  d'Agrippa  sur  sa  vie 
militaire  en  Italie,  et  pour  se  rendre  compte  de  l'exis- 
tence qu'il  a  été  dans  le  cas  de  mener  alors  dans  ce 
pays,  des  conditions  dans  lesquelles  il  y  est  arrivé, 
des  raisons  qu'il  a  eues  plus  tard  de  s'en  éloigner, 
il  convient  de  rappeler  succinctementles  événements 
qui  se  sont  accomplis  dans  la  contrée  pendant  les 
sept  années  qu'il  y  a  passées,  du  commencement  de 
1511  aux  premiers  mois  de  1518. 

Les  faits  dont  Agrippa  a  été  témoin  en  Italie,  ap- 
partiennent aux  complications  politiques  où  vient 
sombrer  en  1512  la  domination  de  Louis  XII,  et  où 


AGRIPPA   EN    ITALIE  207 

so  prépare  ensuite  et  se  consolide,  avant  de  dispa- 
raître à  son  tour,  celle  de  François  Ier  dans  le  Mi- 
lanais, à  partir  de  1515.  On  sait  quelles  étaient  les 
prétentions  des  souverains  de  la  France  sur  certai- 
nes parties  de  l'Italie,  dans  le  midi  aussi  bien  que 
dans  le  nord  de  la  Péninsule.  Dans  le  midi,  au 
royaume  de  Naples,  ils  réclamaient  l'héritage  de  la 
maison  d'Anjou  ;  dans  le  nord,  en  Lombardie,  il 
s'agissait  de  celui  de  Valentine  Visconti,  aïeule  du 
roi  Louis  XII,  aux  droits  de  laquelle  ce  prince  visait 
à  la  possession  du  duché  de  Milan  et  du  comté  d'Asti, 
avec  leurs  dépendances.  Ces  prétentions  devaient  fina- 
lement céder  devant  l'ascendant  de  la  maison  d'Au- 
triche, définitivement  assuré  un  peu  plus  tard  par 
Charles-Quint;  mais  auparavant  il  leur  était  réservé 
de  prévaloir  momentanément,  au  profit  d'abord  de 
Louis  XII,  en  possession  du  Milanais  pendant  treize 
années  environ  à  partir  de  l'an  1499,  puis  de 
François  Ier  qui  le  tint,  à  son  tour,  pendant  une 
période  de  sept  années  à  peu  près,  de  lolo  à  1522. 
La  ruine  des  affaires  de  Louis  XII  et  le  rétablis- 
sement de  celles  de  François  Ier,  tels  sont  les  deux 
grands  événements  qui  s'accomplissent  dans  le  nord 
de  l'Italie,  pendant  les  sept  années  que,  de  1511  à 
1518,  y  a  passées  Agrippa.  L'empereur  Maximilien 
n'a  dans  ces  faits  qu'un  rôle  assez  effacé,  en  compa- 
raison surtout  de  celui  que  devait  prendre  ulté- 
rieurement sur  le  môme  théâtre  son  petit-fils  Char- 
les-Quint, dans  sa  lutte  avec  le  roi  François  Ier. 
Cependant,  comme  c'est  pour  le  servir  qu'Agrippa 


208  CHAPITRE   TROISIÈME 

vient  alors  dans  cette  contrée,  il  importe  de  voir 
quel  caractère  y  avait,  à  ce  moment,  la  situation  de 
ce  prince. 

Le  rôle  de  Maximilien  en  Italie  était  alors  à  peu  près 
réduit  à  l'exercice  de  quelques  droits  personnels  qu'il 
possédait,  comme  archiduc  d'Autriche,  sur  le  Frioul, 
sur  Trévise,  Feltre,  Goncordia,  Udine  et  Trieste, 
et  à  la  conservation  des  droits  de  l'empire,  lesquels 
étaient  tombés  à  fort  peu  de  chose  dans  la  Pénin- 
sule, à  cette  époque.  A  Naples,  ils  étaient  nuls;  à 
Rome,  ils  avaient  été  à  peu  près  annihilés  par  les 
développements  de  la  puissance  pontificale;  en  Lom- 
bardie,  ils  consistaient  dans  la  possession  de  quel- 
ques territoires,  sur  l'Adige  principalement.  Après 
cela,  vis-à-vis  des  petits  états,  républiques  et  prin- 
cipautés, qui  se  partagaient  le  reste  de  l'Italie,  les 
droits  de  l'empereur  ne  comportaient  rien  de  plus 
qu'une  simple  supériorité  s'exerçant  par  les  investi- 
tures, avec  quelques  redevances  conservées  dans  cer- 
tains lieux.  Toute  l'action  politique  de  Maximilien  en 
Italie  s'appliquait,  clans  ces  termes,  à  la  défense  des 
terres  de  peu  d'importance  dépendant,  soit  de  son 
archiduché  d'Autriche,  soit  du  domaine  impérial,  et 
à  la  sauvegarde  des  droits  de  supériorité  qu'il 
pouvait  exercer  ailleurs  comme  souverain,  en  se 
faisant  payer,  autant  que  possible  à  haut  prix,  cer- 
tains services  qu'on  avait  à  réclamer  du  chef  de 
l'empire,  collation  d'investitures,  concession,  recon- 
naissance ou  confirmation  de  droits  et  privilèges. 
Quelquefois,     mais    plus   rarement,    il   intervenait 


AGRIPPA    EN    ITALIE  209 

d'une  manière  directe  dans  des  querelles  terminées 
par  des  traités  où  pouvaient  être  stipulés,  en  sa  fa- 
veur, des  subsides  et  des  pensions. 

Maximilien  était  avide  et  intéressé;  il  était,  en  ou- 
tre, capricieux  et  faible  dans  l'action.  Machiavel  dit 
de  lui,  d'après  le  témoignage  d'un  homme  qui  l'avait 
vu  de  près  :  L'empereur  Maximilien,  aujourd'hui  ré- 
gnant, ne  prend  conseil  de  personne,  et  néanmoins 
ne  fait  jamais  rien  suivant  ses  opinions  propres.  Il 
est  réservé,  ne  communique  ses  projets  à  qui  que  ce 
soit,  mais  il  écoute  trop,  au  moment  de  l'exécution, 
les  critiques  de  ceux  qui  l'entourent;  de  sorte  que 
l'on  ne  sait  jamais,  et  qu'il  ne  sait  pas  lui-même  d'a- 
vance,' à.  quel  parti  définitivement  il  s'arrêtera1.  Ce 
portrait  est  celui  d'un  homme  irrésolu.  Dans  ces 
conditions,  un  souverain  no  saurait  être  un  grand 
guerrier.  Tel  était  Maximilien.  La  politique  devait 
être  plus  que  la  guerre  clans  les  données  du  rôle  que 
comportait  son  caractère;  on  pouvait  le  servir,  et 
c'est  ce  que  parait  avoir  fait  Agrippa,  sans  être  iné- 
vitablement conduit  sur  les  champs  de  bataille. 

A  l'époque  où  nous  nous  plaçons,  vers  le  commen- 
cement du  xvie  siècle,  le  nord  de  l'Italie  était  princi- 
palement occupé,  sous  la  suzeraineté  plus  ou  moins 
acceptée  de  l'empereur  telle  que  nous  l'avons  indi- 
quée, par  l'État  de  Venise  et  par  le  duché  de  Milan  ; 
et  entre  ces  deux  souverainetés  se  trouvaient  quel- 
ques places,  comme  Vérone,  Viccncc  ctPadoue,  qui 

1.  Machiavel,  //  principe,  c   xxm. 


210  CHAPITRE   TROISIÈME 

ne  les  séparaient  pourtant  pas  complètement,  et  dont 
le  domaine  direct  était  revendiqué  par  l'empire.  L'É- 
tat de  Venise  confinait  vers  le  sud  aux  terres  des  mar- 
quis de  Mantoue  et  des  ducs  de  Perrare,  qui  le  sépa- 
raient des  Romagnes,  sur  lesquelles  le  Saint-Siège 
prétendait  avoir  des  droits.  Quant  au  duché  de  Mi- 
lan, il  touchait,  d'un  côté,  aux  terres  de  l'empire  que 
nous  venons  de  nommer  et  aux  domaines  de  Venise, 
et,  de  l'autre,  il  sJétendait  jusqu'au  marquisat  de 
Montferrat,  et  jusqu'à  la  principauté  de  Piémont 
appartenant  auK  ducs  de  Savoie.  Au-dessous  du  Pié- 
mont se  trouvaient  les  petits  états  du  marquis  de 
Saluces  qui  étaient  limités  vers  le  sud  par  les  dé- 
pendances de  Gênes.  Dans  cette  même  direction  du 
sud,  le  duché  de  Milan  comprenait  Parme  et  Plai- 
sance, par  où  il  s'étendait  jusqu'aux  provinces  dans 
lesquelles  le  pape  Alexandre  VI  cherchait  alors  à 
constituer  un  état  indépendant,  pour  son  fils  César 
Borgia,  duc  de  Valentinois. 

Ces  situations  respectives  créaient  des  antagonis- 
mes etdes  compétitions  naturelles,  dont  le  jeu  décide 
des  faits  accomplis  alors  en  Italie.  En  y  arrivant 
pour  arracher  le  Milanais  à  Ludovic  Sforze,  le  roi 
Louis  XII  avait  eu  pour  alliés,  en  1499,  la  république 
de  Venise  et  le  pape  :  Venise,  qui  convoitait  la  pos- 
session de  certaines  dépendances  du  duché  de  Mi- 
lan sur  la  rive  gauche  de  l'Adda,  Crémone,  Bergame, 
Brescia;  le  pape  Alexandre  VI,  à  qui  le  roi  promet- 
tait de  l'aider  dans  les  Romagnes,  et  de  favoriser  les 
entreprises  du  duc  de  Valentinois.  Louis  XII  avait 


AGRIPPA    EN    ITALIE  211 

pu  compter,  en  outre,  sur  le  duc  de  Savoie,  fidèle  allié 
des  rois  de  France  jusqu'au  jour  où  la  politique  de 
François  Ier  le  fit  plus  tard  tourner  contre  lui.  En 
l'année  1499,  Ludovic  Sforze  avait  été  chassé  du  Mi- 
lanais; l'empereur,  qui  l'avait  d'abord  accueilli,  l'a- 
vait abandonné  ensuite  et  avait  accordé,  en  loOo,  au 
roi  Louis  XII  l'investiture  du  duché  de  Milan  que  ce 
prince  avait  conquis. 

La  situation  nouvelle  produite  par  ces  événements 
n'avait  pas  tardé  à  changer  les  dispositions  des  prin- 
ces et  des  États  les  uns  à  l'égard  des  autres.  Le  duc 
de  Valentinois  avait  vu  d'abord  se  déclarer  contre 
lui  les  Vénitiens  que  son  ambition  et  ses  entreprises 
clans  leur  voisinage  ne  pouvaient  qu'alarmer;  et, 
après  la  mort  d'Alexandre  VI,  père  de  cet  ambitieux 
personnage  (1503),  le  concours  de  la  papauté  ne  de- 
vait pas  tarder  à  lui  faire  défaut,  le  pape  Jules  II 
n'ayant  plus  les  mêmes  raisons  que  son  prédéces- 
seur pour  tolérer,  à  plus  forte  raison  pour  favoriser 
un  établissement  qui  pouvait  compromettre  les  inté- 
rêts temporels  du  Saint-Siège.  Le  duc  de  Valenti- 
nois fut  bientôt  abattu.  Les  Vénitiens  se  trouvèrent 
alors  en  opposition  avec  le  pape  Jules  II  et  avec  le 
roi  Louis  XII  :  le  pape  revendiquant  diverses  places 
occupées  par  eux  en  Romagne,  Ravenne,  Rimini, 
Faenza,  Imola,  Forli,  Cesônc,  Gcrvia  ;  le  roi  jaloux 
de  recouvrer  les  dépendances  du  duché  de  Milan 
qu'il  leur  avait  d'abord  abandonnées,  Giradadda, 
Crème,  Crémone,  Bcrgame.  Brescia.  L'empereur,  de 
son  côté,  indépendamment  de  quelques  griefs  a  ven- 


212  CHAPITRE   TROISIÈME 

ger,  leur  réclamait  Roveredo,  Vérone,  Vicence,  Pa- 
doue,  terres  de  l'empire,  et,  comme  duc  d'Autriche,  il 
redemandait  en  outre  Trévise,  Peltre,  Goncordia, 
Udine,  et  Trieste.  Une  ligue  formidable  s'était  ainsi 
formée  contre  Venise,  entre  le  pape,  l'empereur  et  le 
roi  de  France.  Le  roi  d'Aragon,  souverain  do  Na- 
ples,  y  avait  accédé  également,  ainsi  que  les  Floren- 
tins, le  duc  de  Savoie  toujours  uni  au  roi  de  France, 
le  duc  de  Ferrare  qui  affichait  des  prétentions  sur  la 
Polésine,  le  marquis  de  Mantoue  qui  revendiquait 
Legnago,  Peschiera  et  Salo. 

Cette  coalition  est  la  fameuse  ligue  de  Cambrai 
(1508).  Les  Vénitiens,  qu'elle  menaçait,  avaient  réussi 
à  en  desserrer  peu  à  peu  les  nœuds  et  à  en  retour- 
ner l'action  contre  les  Français,  dont  la  puissance 
devenait,  en  grandissant,  un  sujet  d'inquiétude  pour 
toutle  monde.  Le  pape,  satisfait  sur  quelques  points 
s'était  d'abord  rapproché  de  la  sérénissime  républi- 
que (1509),  et  l'empereur  lui-même  s'était  à  la  longue 
détaché  aussi  de  Louis  XII  (1511),  grâce  à  certaines 
promesses  qui  achevèrent  dans  ses  dispositions  un 
revirement,  dont  le  principe  n'était  autre  que  le  mé- 
contentement de  n'avoir  pas  tout  d'abord  obtenu  les 
avantages  qu'il  se  promettait  de  la  ligue  de  1508.  En 
1512,  le  roi  Louis  XII  n'avait  plus  d'adhérents  en 
Italie  que  le  duc  de  Ferrare,  et  les  Bentivoglio  de 
Bologne  que  retenaient  dans  son  parti  les  dangers 
résultant  directement  pour  eux  de  la  politique  du 
pape  Jules  II;  et  cette  année  môme,  malgré  leur  vic- 
toire de  Ravenne,  les  Français  perdaient  tout  à  fait 


AGRIPPA    EN    ITALIE  213 

le  Milanais.  Ils  étaient  en  outre,  bientôt  après,  con- 
traints par  de  graves  désastres  d'abandonner  l'Italie 
(1512). 

La  lutte  qui  tournait  ainsi  au  détriment  de  la  poli- 
tique française  avait  failli  causer  en  même  temps  un 
schisme  religieux,  par  suite  de  l'hostilité  qui  s'était 
déclarée,  à  cette  occasion,  entre  le  pape  et  le  roi  de 
France.  Le  pape  Jules  II,  s'étant  dès  1509 rapproché, 
comme  l'avons  dit,  des  Vénitiens,  au  mépris  des  en- 
gagements contractés  par  lui  lorsqu'il  était  entré 
l'année  précédente  dans  la  ligue  de  Cambrai,  ma- 
nœuvrait sourdement  contre  les  intérêts  du  roi 
Louis  XII.  La  situation  s'était  rapidement  aggravée, 
et,  en  1510,  le  pape  avait  fulminé  des  censures  contre 
le  clergé  de  France,  qui  soutenait  le  roi,  et  contre  les 
troupes  qui  combattaient  pour  lui  en  Italie.  Pour  ré- 
pondre à  ces  coups  avec  des  armes  du  même^genre, 
Louis  XII  avait  alors  poussé  à  la  convocation  d'un 
concile,  devant  lequel  on  annonçait  la  prétention  de 
faire  comparaître,  pour  le  juger,  le  pontife  lui-môme. 

Convoqué  à  Pise  pour  le  1er  septembre  1511  par 
un  petit  nombre  de  prélats  dissidents,  le  concile 
avait  été  ouvert  dans  cette  ville  le  1er  novembre  seu- 
lement. Transféré  à  Milan  le  8  décembre  suivant,  il 
quittait  cette  ville,  à  la  fin  d'avril  1512,  avec  les  Fran- 
çais dont  il  servait  les  intérêts,  contraint  de  se  trans- 
porter à  Lyon  au  moment  où  ceux-ci  abandonnaient 
l'Italie.  Le  concile  traînait  encore  après  cela  en  lon- 
gueur pendant  quelques  mois,  et  se  terminait,  au 
commencement  de  l'année  suivante,   par  les   actes 


214  CHAPITRE   TROISIÈME 

successifs  de  soumission  de  ses  membres  vis-à-vis 
de  Léon  X,  qui  venait  de  succéder  à  Jules  II  (1513). 
En  cette  même  année,  1513,  les  Français  reparais- 
sent un  instant  en  Lombardie.  L'offensive  reprise 
par  eux,  non  sans  quelque  succès  d'abord,  aboutit 
ensuite  à  un  désastre,  la  défaite  de  Novare,  (6  juin 
1513),    qui  les   oblige   de  nouveau    à  repasser  les 
Alpes.  L'année  4514  n'est  guère  signalée  par  aucune 
entreprise  de  leur  part,  et  se  termine  par  la  mort  de 
Louis  XII,  à  qui  succède  François  Ier.  Ce  prince,  à 
peine  monté  sur  le  trône,  passe  les   Alpes   à   son 
tour,  comme  ses  prédécesseurs,  et,  vainqueur  à  Ma- 
rignan  (1515),  réussit  à  ressaisir  le  Milanais  sur  le- 
quel le    traité    de   Noyon   rétablit    sa    domination 
(août  1516).  Par  cet  arrangement  la  paix  est  restau- 
rée dans  le  nord  de  l'Italie;  la  jouissance  du  Mila- 
nais est  assurée  au  roi  de  France,  et  les  possessions 
de  Venise  en  terre  ferme  sont  consolidées;  mais  l'em- 
pereur Maximilien  se  trouve  à  peu  près  exclu  de  la 
Péninsule.  Cette  situation  qu'il  acceptait  devait  être, 
à  quelques  années  de  là,  répudiée  par  son  petit-fils 
Charles-Quint,  auquel  il  était  réservé  d'établir  dans 
la  suite  et  pour  longtemps,  en  s'appuyant  sur  les 
droits  des  Sforze,  la  domination  de  la  maison  d'Au- 
triche dans  les  plaines  de  la  Lombardie.   Une  re- 
prise nouvelle  de  guerres  acharnées  devait  conduire 
à  ce  résultat,  mais  auparavant  une  courte  période 
de  tranquillité  était  accordée,  de  1516  à  1521,  à  ces 
contrées  condamnées  h  tant  d'agitations. 
Après  le  tableau  d'ensemble,  que  nous  venons  de 


AGRIPPA    EN    ITALIE  215 

tracer  succinctement,  des  faits  accomplis  dans  le 
nord  de  l'Italie  au  commencement  du  xvic  siècle,  il 
conviendra  de  reprendre  avec  plus  de  détails  l'expo- 
sition de  quelques  épisodes  de  cette  histoire,  en 
suivant  le  fil  des  destinées  particulières  d'Agrippa, 
pour  expliquer  comment  il  s'y  trouve  accidentelle- 
ment mêlé,  à  Vérone  d'abord,  servant  les  intérêts  de 
l'empire  auprès  de  Maximilien  en  1511  ;  à  Pise  en- 
suite, ou  plutôt  a  Milan,  dès  le  commencement  de 
l'année  suivante,  servant  ceux  de  la  France  auprès 
du  cardinal  de  Sainte-Croix,  au  sein  du  concile;  à 
Pavie  enfin,  où,  vivant  à  quelque  temps  de  là  sous  la 
protection  des  Français,  il  est  atteint  successive- 
ment par  les  conséquences  de  leur  retraite  précipi- 
tée en  1512,  puis  de  leur  défaite  de  Novare  en  1513, 
par  celles  enfin  de  leur  retour  et  par  le  contre-coup 
de  leur  victoire  de  Marignan,  en  1515.  On  verra  par 
l'attitude  d'Agrippa  dans  ces  diverses  circonstances, 
ce  que  peut  avoir  de  vrai  son  assertion  d'avoir  servi 
en  soldat  l'empereur,  pendant  les  sept  années  de  son 
séjour  en  Italie. 

Nous  venons  de  dire  que,  de  1516  à  1521,  quel- 
ques années  de  tranquillité  séparent  les  deux  phases 
de  guerre  qui  aboutissent,  la  première  au  renver- 
sement de  la  domination  française  sous  Louis  XII, 
suivi  bientôt  après  de  son  rétablissement  sous  Fran- 
çois Ior;  la  seconde,  à  sa  ruine  définitive,  dans  le  nord 
de  l'Italie.  C'est  pendant  les  commencements  de 
cette  période  de  calme  que  devait  se  terminer  le  sé- 
jour d'Agrippa   dans    celte   contrée,   au    début  de 


216  CHAPITRE   TROISIÈME 

l'année  1518.  Il  y  était  arrivé  sept  années  environ 
auparavanl,  et  avait  pu  assister  alors  à  la  dis- 
solution de  la  ligue  de  Cambrai,  puis  à  l'effondre- 
ment de  la  puissance  de  Louis  XII  dans  le  Milanais, 
ainsi  qu'à  la  réunion  du  concile  schismatique  de 
Pise  et  à  son  transport  à  Milan.  Il  avait  vu  ensuite 
le  retour  des  Français  avec  François  Ier,  en  1515,  et 
la  reprise  de  possession  par  ce  prince  d'une  partie 
de  la  Lombardie.  Une  regrettable  lacune  dans  sa 
correspondance,  depuis  le  printemps  de  1510  jusqu'à 
celui  de  1512,  laisse  malheureusement  régner  une 
certaine  obscurité  sur  ses  actions  pendant  cette  pé- 
riode, et  ne  permet  pas  de  reconnaître  la  date  exacte 
de  son  arrivée  en  Italie,  non  plus  que  les  motifs  qui 
le  déterminèrent  à  s'y  rendre,  ni  le  rôle  qu'il  vint 
y  prendre.  Les  lettres  qui  se  rapportent  ensuite  au 
séjour  qu'il  y  a  fait,  jusqu'au  commencement  de 
l'année  1518,  sont  elles-mêmes  peu  nombreuses  '  et 
peu  explicites.  Cependant  il  est  dit  quelque  part 
qu'Agrippa  resta  sept  années  en  Italie,  et,  comme  on 
sait  qu'il  a  quitté  ce  pays  vers  le  commencement 
de  1518,  il  ressort  de  là  qu'il  dut  y  arriver  au  com- 
mencement de  1511,  sinon  dès  la  fin  de  1510.  Nous 
savons  d'ailleurs,  par  un  témoignage  émané  de 
lui,  qu'après  avoir  abandonné  l'Angleterre,  où  il 
était  au  printemps  de   1510,  et  après  être  revenu 


1.  Ces  lettres,  au  nombre  de  quarante-sept  seulement,  poul- 
ies sept  années  de  1511  à  1518,  sont  celles  du  1.  I,  25  à  60,  et 
du  1.11,1  à  11. 


AGRIPPA    EN    ITALIE  217 

à  Cologne,  où  il  soutint  l'été  suivant  des  thèses  do 
théologie,  il  s'était  rendu  en  Italie  pour  y  servir 
l'empereur,  et  qu'il  fut  appelé  ensuite  en  qualité  de 
théologien  au  concile  de  Pise,  vers  1512  probable- 
ment, par  le  cardinal  de  Sainte-Croix.  L'insuccès  du 
concile  lui  fit  perdre,  suivant  ses  propres  expres- 
sions ,  une  brillante  occasion  de  produire  sa 
science.  Il  ajoute  que,  s'appliquant  alors  à  utiliser 
ses  travaux  passés  sur  les  lettres  sacrées,  il  parut 
successivement  dans  les  chaires  de  théologie  des 
universités   de  Pavie  et  de   Turin  \ 

Tels  sont  les  principaux  traits  du  séjour  d'Agrippa 
en  Italie.  Les  pièces  de  sa  correspondance  four- 
nissent sur  cette  époque,  malgré  bien  des  lacunes, 
quelques  indications  qu'il  faut  rapprocher  de  ces 
faits  particuliers  et  aussi  des  faits  de  l'histoire  géné- 
rale dont  nous  avons  donné  une  esquisse.  On  peut 

1 .  «  Ex  Britannia  autem  recedens,  apud  Colonienses  meos 
«  coram  universo  studio  toloque  tlieologico  cœtu,  theologieapla- 
«  cila...  declamavi.  Exinde  a  Maxirailiano  Gsesare  contra  Vene- 
«  los  desûnatus,  in  ipsis  castris,  hostiles  inter  turbas  plebem- 
«  que  cruentam,  a  sacris  lectionibus  non  destiti,  donec  per 
«  reverendissimum  cardinalem  Sanctu>Crucis,  in  Pisanum  con- 
«  cilium  receptus,  nactusque  si  concilium  islud  prospérasse! 
«  egregiam  illustrandoruin  studioium  meorum  occasionem, 
-.<  multis  scriptis  adhuc  pênes  me  extanlibus,  sacris  qnœstio- 
«  nibus  operam  dedi.  Tandem  Papiae  Ticinensi,  famoso  gymna- 
«  sio,  tlieologicam  cathedram  in  publicis  scholis  ascendi.  Porro 
«  apud  Taurinum  gymnasium,  Iheologica  leclione  in  publicis 
«  scholis  sacras  literas  publiée  interpretatua  sum.  »  {Opéra, 
y.  II,  p.  596.) 

T.   I.  17 


218  CHAPITRE   TROISIÈME 

arriver  ainsi  à  comprendre,  jusqu'à  un  certain  point, 
la  situation  d' Agrippa  dans  ce  pays,  et  se  faire  une 
idée  à  peu  près  exacte  du  genre  de  vie  mené  par  lui 
pendant  cette  période  de  son  existence. 

Le  premier  document  où  se  trouve  signalée  la 
présence  d'Agrippa  en  Italie,  est  une  lettre  sans 
date,  écrite  par  lui  de  Trente  à  son  ami  Landulphe, 
pour  lui  assigner  rendez-vous  à  Vérone.  Il  allait 
lui-même  dans  cette  ville  pour  y  porter  à  l'empereur 
Maximilien  une  somme  d'argent  considérable,  ali- 
quot  aureorum  millia.  Cette  mission,  où  il  n'est  guère 
permis  de  voir  un  acte  guerrier  proprement  dit,  est 
le  seul  service  que  mentionne  explicitement  la  corres- 
pondance d'Agrippa,  comme  ayant  été  rendu  par 
lui  à  Maximilien  pendant  toute  la  durée  de  son  sé- 
jour en  Italie.  Il  ne  suffît  assurément  pas,  soit  dit  en 
passant,  pour  justifier  les  prétentions  d'Agrippa  h 
la  gloire  militaire  que,  dans  mainte  occasion,  il  af- 
firme avoir  conquise  alors  en  y  servant  l'empereur. 
D'un  autre  côté,  ce  fait  particulier  ne  fournit  aucune 
lumière  sur  la  question  de  la  date  précise  de  l'arri- 
vée d'Agrippa  en  Italie,  Maximilien  ayant  été  d'une 
manière  continue  en  possession  de  Vérone,  de  lo09 
à  1516. 

La  conquête  de  Vérone  avait  été  un  des  premiers 
avantages  retirés  par  l'empereur  de  son  accession 
à  la  ligue  de  Cambrai.  Cette  ville  et  quelques  au- 
tres places  étaient,  à  cette  époque,  l'objet  de  ses 
revendications  contre  les  Vénitiens.  Au  mois  de 
juin  1509,  les  troupes  impériales  s'étaient  assez  ra- 


AGRIPPA   EN    ITALIE  219 

pidemcnt  emparées  de  Vérone,  de  Vicence  et  de 
Padoue.  Cette  dernière  ville  avait  été,  il  est  vrai, 
presque  aussitôt  reprise  par  les  Vénitiens;  mais  les 
deux  autres  avaient  pu  être  défendues  contre  eux, 
avec  l'assistance  d'un  corps  de  troupes  françaises 
conduit  par  La  Palisse.  L'empereur  Maximilien, 
pendant  ce  temps-là,  était  descendu  d'Inspruck 
à  Trente,  d'où  il  s'était  rendu  au  commencement  de 
septembre  devant  Padoue.  Puis,  après  une  vaine 
tentative  pour  reprendre  cette  ville,  il  s'était  replié 
sur  Vérone,  laissant  Vicence  retomber  derrière  lui 
entre  les  mains  de  ses  ennemis.  L'année  suivante 
(lolO),  Vicence  avait  été  recouvrée,  mais  presque  aus- 
sitôt perdue  de  nouveau  par  l'empereur.  Vérone, 
attaquée  en  même  temps,  avait  pu  lui  être  conservée, 
grâce  à  l'arrivée  des  Français,  encore  ses  alliés  à 
cette  heure.  Un  peu  plus  tard,  la  ligue  de  Cambrai 
étant  dissoute,  Maximilien  continuait  à  tenir  cette 
place,  en  se  tournant  maintenant  contre  les  Français 
qui  deux  fois  la  lui  avaient  assurée,  et  en  s'unis- 
sant  alors  à  leurs  ennemis  qui  antérieurement  la  lui 
disputaient.  Il  réussit  ainsi  à  la  garder,  et  la  conserva 
encore  au  milieu  des  événements  qui  suivirent,  jus- 
qu'à ce  que  les  premiers  succès  de  François  Ier  l'eus- 
sent forcé,  en  1516,  d'accéder  au  traité  de  Noyon,  sui- 
vant les  termes  duquel,  au  prix  de  100,000  écus  d'or, 
il  dut  livrer  cette  ville  de  Vérone  au  roi  qui  se  char- 
geait de  la  rcmcLtre  aux  Vénitiens,  ses  alliés  à  ce  mo- 
ment. De  1509  à  1516,  Vérone  était  donc  restée  sans 
interruption  entre  les  mainsde  l'empcreurMaximilien, 


220  CHAPITRE   TROISIÈME 

Il  est  imposiblo  de  reconnaître  à  quel  moment 
précis,  clans  cette  période  de  près  de  huit  années, 
Agrippa  put  être  chargé  d'apporter  à  Vérone  l'ar- 
gent que,  de  Trente,  on  y  faisait  passer  à  l'empereur. 
Ce  qui  est  certain,  c'est  que  le  fait  n'est  pas  anté- 
rieur à  la  fin  de  l'année  1510,  pendant  laquelle  on 
voit  Agrippa  successivement  à  Dole,  à  Londres  et 
à  Cologne,  ni  postérieur  au  printemps  de  1512,  épo- 
que où  on  le  trouve  dans  la  partie  occidentale  de  la 
Lombardie,  dont  il  ne  semble  plus  s'être  écarté  beau- 
coup jusqu'au  jour  où  il  quitte  définitivement  l'Italie, 
vers  le  commencement  de  1518.  On  est  ainsi  conduit 
à  fixer  l'arrivée  d'Agrippa  dans  cette  contrée  à  1511, 
et  aux  premiers  mois  de  cette  année  même,  pour 
trouver,  à  la  date  où  il  l'abandonne  ensuite,  le  compte 
des  sept  années  qu'il  dit  y  avoir  passées.  Au  com- 
mencement de  1511  appartient,  par  conséquent  aussi, 
la  lettre  àLandulphe  dont  nous  avons  parlé. 

—  Salut,  fidèle  Landulphe,  dit  Agrippa  dans  cette 
lettre.  Je  viens  recevoir  à  Trente  quelques  milliers 
de  pièces  d'or  qu'on  me  charge  de  porter  à  Vérone 
au  camp  impérial.  Me  voilà  donc  encore  une  fois  en 
passe  d'accomplir  de  grandes  actions,  ajoute-t-il 
avec  emphase.  Il  ne  me  manque  plus  qu'une  chose, 
un  compagnon  fidèle,  et  je  sais  que  je  le  trouverai 
en  toi  ;  en  toi  dont  je  connais  l'attachement ,  le 
courage,  et  les  idées  si  conformes  aux  miennes. 
Nous  pouvons  l'un  et  l'autre  tirer  de  cette  situation 
des  avantages  considérables.  Voici  une  grande  et  fa- 
vorable occasion.  Je  ne  serai  pas  assez  fou  pour  me 


AGRIPPA    EN    ITALIE  221 

confier  en  cela  à  un  autre  qu'à  un  homme  sûr  el  bien 
éprouvé.  Je  veux  te  communiquer  un  projet  que 
j'ai  longtemps  tenu  caché,  et  qui  peut  nous  procurer 
à  tous  deux  honneur  et  profit.  L'effet,  tu  le  verras, 
ne  sera  pas  au-dessous  de  mes  paroles.  Il  est  juste 
que  je  partage  cette  fortune  avec  toi.  Mais  il  faut 
se  hâter.  Fais  donc  force  de  rames,  et  rends-toi  le 
plus  tôt  possible  à  Vérone,  chez  l'évêque  de  Trente 
où  tu  me  trouveras  (Ep.  I,  25). 

Les  termes  peu  explicites  de  cette  lettre  ne  per- 
mettent pas  de  reconnaître  en  quoi  précisément  con- 
sistaient les  projets  d'Agrippa.  On  ne  voit  pas  trop 
quelle  était  cette  fortune  au  partage  de  laquelle  il 
conviait  son  ami.  Etait-ce  tout  simplement  celle  que 
semblait  lui  promettre  le  service  de  l'empereur;  ou 
bien  s'agissait-il  des  résultats  chimériques  de  quel* 
que  entreprise  mystérieuse,  comme  il  luiétait^arrivé 
précédemment  déjà  d'en  projeter  avec  son  ancien 
compagnon  d'aventures?  De  ces  deux  hypothèses,  la 
première  est  la  plus  vraisemblable,  d'après  le  début 
de  la  lettre,  où  Agrippa  se  montre  tout  à  l'espoir  de 
se  signaler  dans  la  carrière  que  lui  ouvre  la  confiance 
du  souverain.  La  suite  des  faits  ne  paraît  pas,  du 
reste,  avoir  répondu  à  ces  premières  espérances. 

Revenons  à  une  observation  que  nous  avons  faite  in- 
cidemment  tout-à-1'heure  àpropos  des  services  qu'A- 
grippa dit  avoir  rendus  à  l'empereur  en  Italie.  L'u- 
nique indication  contemporaine  que,  dans  les  termes 
précédents,  nous  fournisse  à  cet  égard  sa  correspon- 
dance, n'implique  en  rien,  nous  l'avons  fait  remar- 


222  CHAPITRE   TROISIÈME 

quer,  que  les  services  rendus  alors  par  lui  aient 
eu  un  caractère  militaire.  Agrippa  est  chargé,  dit-il, 
de  transporter  une  importante  somme  d'argent  de 
Trente  au  camp  impérial,  à  Vérone.  Si  l'empereur 
Maximilien,  à  cette  date,  se  trouvait  là  dans  un  camp, 
ce  ne  pouvait  être  que  dans  une  situation  expectative 
et  nullement  en  action  ;  car  Vérone  était  entre  ses 
mains  depuis  longtemps  et  pour  longtemps  encore  à 
ce  moment,  ainsi  que  nous  l'avons  montré  tout  à 
l'heure.  Ce  n'est  d'ailleurs  pas  dans  un  camp,  où 
Agrippa  ne  devait  probablement  pas  s'arrêter,  s'il 
avait  à  y  paraître;  c'est  au  logis  del'évêque  de  Trente, 
dans  la  ville  même  de  Vérone,  qu'Agrippa  donne 
rendez-vous  à  Landulphe.  Ces  particularités  le  pla- 
cent expressément  en  dehors  du  mouvement  des  ar- 
mées. S'il  y  est  entré  ensuite,  ce  ne  peut  avoir  été 
que  pour  fort  peu  de  temps,  au  cours  de  cette  année 
1511;  car,  dès  le  commencement  de  l'année  suivante, 
pendant  l'hiver  et  au  printemps  de  1512,  il  est  clans 
le  Milanais,  bien  loin  de  l'empereur  et  de  ses  armées, 
dont  rien  ne  devait  plus  le  rapprocher  ultérieure- 
ment, et  dans  une  situation  qui  n'a  rien  de  militaire, 
comme  nous  le  verrons.  Ce  serait  donc  pendant  l'an- 
née 1511  seulement  et  après  l'arrivée  d'Agrippa  à 
Vérone  qu'aurait  pu  se  présenter  à  lui  une  occasion 
d'endosser  en  Italie  le  harnais  du  soldat.  Quelques 
mots  qu'on  relève  plus  tard  dans  un  de  ses  écrits, 
pourraient  induire  à  penser  que  l'empereur  avait 
voulu  le  pousser  alors  dans  cette  direction.  Mais 
Agrippa  nous  apprend  en  même  temps  qu'il  n'avait 


AGRIPPA   EN    ITALIE  223 

eu  garde  de  céder  à  cette  impulsion;  car,  ajoute-t-il, 
ses  travaux  littéraires  et  ses  études  théologiques  ne 
furent  pas  même  interrompus  à  cette  époque  '.  Ce 
n'eût  pas  été  sans  dégoût,  il  le  donne  assez  à  enten- 
dre, ni  sans  effroi  peut-être,  on  le  devine,  qu'il  se  fût 
de  nouveau  trouvé,  comme  précédemment  en  Espa- 
gne, au  milieu  du  trouble  et  des  agitations  des  camps, 
exposé  aux  périls  de  la  guerre.  Il  ne  serait  pas  allé 
bien  loin  dans  cette  voie,  on  a  tout  lieu  de  le  croire. 
Il  est  plus  que  douteux  qu'il  y  soit  même  entré, 
comme  nous  venons  de  le  dire.  Agrippa  est,  en  tout 
cas,  fort  discret  sur  ce  qui  le  concerne  en  ces  années. 
Pour  ce  qui  est  de  l'appel  adressé  à  Landulphe  par 
Agrippa,  au  moment  de  son  arrivée  en  Italie,  nous  ne 
savons  pas  si  cet  ami  des  premières  années  vint  re- 
trouver alors  son  compagnon  à  Vérone,  ainsi  qu'il  y 
était  invité  par  lui.  Nous  voyons  seulement  par  deux 
autres  lettres  d'Agrippa,  qu'ils  se  rencontrèrent  un 
peu  plus  tard  à  Milan,  et  que,  s'étant  séparés  ensuite, 
Landulphe  s'était  de  là  rendu  à  Pavie,  où  Agrippa 
s'apprêtait  à  le  rejoindre.  Ces  deux  lettres  d'Agrippa 
sont  datées  de  Borgo-Lavezzaro  2,  au  mois  d'avril 
1512.  Ce  sont  les  derniers  documents  où  il  soit  ques- 
tion de  Landulphe,  danslacorrespondance  d'Agrippa. 

1.  «  A  Maximiliano  Cuesare  contra  Venetos  destinalus  in  ip- 
«  sis  castris,  hostiles  inter  turbas  plebemque  cruentam,  a  sa- 
«  cris  lectionibus  non  destiti.  -  {Opéra,  t.  II,  p.  596.) 

2.  Borgo-Lavezzaro,  ancien  Forum  Lïbuorum  ou  Libicorum, 
est  un  bourg  du  Milanais,  situé  SUT  l'Arbogna,  à  trois  limes  au 
sud  de  Novare. 


224  CHAPITRE   TROISIÈME 

Il  semble,  d'après  leur  teneur,  que  ce  dernier  se  trou- 
vait alors  en  situation  de  prêter  secours  de  quelque 
manière  à  son  ancien  ami,  lequel,  à  ce  moment,  paraît 
s'être,  malgré  ses  avis,  jeté  dans  une  voie  difficile  où 
il  s'agit  de  venir  à  son  aide  (Ep.  I,  29,  30).  Quelques 
jours  plus  tard,  Agrippa  est  lui-même  à  Pavie, 
comme  l'indique  une  nouvelle  lettre  écrite  par  lui  de 
ce  lieu,  le  30  avril,  pridie  calendas  maiï,  1512  (Ep.  I, 
31).  Il  ne  paraît  pas  s'y  être  arrêté  bien  longtemps. 
Nous  reviendrons  sur  le  séjour  qu'il  y  fit  alors. 
Agrippa  s'était  vu  auparavant  appelé  par  le  cardinal 
de  Sainte-Croix  à  prendre  part,  comme  théologien, 
aux  travaux  du  concile  de  Pise.  Il  faut  dire  quelque 
chose  de  cet  épisode  singulier,  malheureusement 
fort  peu  éclairé,  de  la  vie  d'Agrippa  et  voir  au  moins, 
à  défaut  d'autres  renseignements  plus  explicites  en 
ce  qui  concerne  personnellement  celui-ci,  dans  quel- 
les circonstances  le  fait  s'est  produit. 

Nous  avons  indiqué  précédemment,  en  deux  mots, 
ce  qu'avait  été  le  concile  de  Pise.  Des  motifs  à  la  fois 
politiques  et  religieux  l'avaient  provoqué.  Les  motifs 
religieux  étaient  la  nécessité  de  remédier  aux  désor- 
dres de  tout  genre  qui  régnaient  alors  dans  l'Église, 
et  l'obligation  de  réaliser  une  promesse  faite  par  le 
pape  Jules  II,  à  son  élection  en  1503,  do  convoquer 
pour  cet  objet  un  concile  général  dans  le  délai  de 
deux  années.  Le  pape  s'y  était  engagé  en  plein  con- 
clave, sous  le  sceau  du  serment;  et  cependant,  bien 
que  la  limite  de  deux  années  eût  été  dépassée  depuis 
longtemps,  il  ajournait  toujours  l'accomplissement  de 


AGRIPPA    EN    ITALIE  225 

cette  grande  mesure,  destinée  à  mettre  fin  à  tous  les 
abus.  C'est  que  les  abus  de  la  cour  de  Rome  elle- 
même  n'étaient  pas  les  moindres  parmi  ceux  qu'il 
était  urgent  de  réformer.  Aux  motifs  religieux  qui 
n'auraient  peut-être  pas  suffi  pour  décider  la  réu- 
nion du  concile,  étaient  venues  se  joindre,  disons- 
nous,  des  raisons  politiques  d'y  aviser.  Celles-ci  de- 
vaient, en  précipitant  l'action,  lui  faire  manquer  le 
but  qu'on  avait  originairement  en  vue. 

Le  pape  Jules  II,  élu  en  1503,  était,  dès  cette  épo- 
que, mal  disposé  pour  Louis  XII  qu'il  accusait  d'avoir 
traversé  son  élection  pour  faire  arriver  à  la  papauté 
un  Français,  le  cardinal  d'Amboise.  Des  considéra- 
tions politiques  avaient  pu  suspendre  l'effet  de  ces 
dispositions  contraires  et  permettre  au  pape  de  s'u- 
nir au  roi  dans  la  ligue  de  Cambrai  contre  les  Véni- 
tiens (1508)  ;  mais,  en  dépit  de  ce  rapprochement  mo- 
mentané, la  vieille  inimitié  s'était  réveillée,  et  de 
part  et  d'autre,  avaient  commencé  les  actes  d'une  hos- 
tilité sourde  d'abord,  puis  bientôt  ouverte.  Le  pape 
s'était  retourné  vers  les  Vénitiens,  et  il  avait  cherché 
à  détacher  les  Suisses  du  service  du  roi  de  France 
(1509). 

Louis  XII  accorde  alors  quelques  secours  au  duc 
de  Fcrrare,  attaqué  parles  troupes  de  Jules  II  (1510). 
Celui-ci  donne,  de  son  coté,  au  roi  Ferdinand  l'inves- 
titure pleine  et  entière  du  royaume  de  Naples,  sur 
lequel  le  roi  de  France  conservait  des  prétentions. 
La  guerre  était  imminente.  Le  roi  obtient  du  clergé 
de  Franco,  assemblé  à  Orléans,   puis  à  Tours,  une 


226  CHAPITRE   TROISIÈME 

déclaration  reconnaissant  au  souverain  le  droit  de 
résister  au  pape  en  certains  cas,  même  par  les 
armes.  Le  pape  fulmine,  en  raison  de  cette  déclara- 
tion, des  censures  contre  le  clergé  de  France,  et  les 
étend  aux  troupes  qui  opéraient  pour  le  roi  en  Italie. 
En  même  temps,  du  côté  des  Français,  on  élève  la 
prétention  d'en  appeler  du  pape  à  un  concile  gé- 
néral. 

Il  avait  été  jadis  décidé,  à  Constance,  qu'on  ne  lais- 
serait pas  s'écouler  dix  années  sans  convoquer  un 
nouveau  concile  général,  et  le  pape  Jules  II  avait, 
comme  nous  venons  de  le  dire,  juré,  lors  de  son  élec- 
tion, de  réunir  à  bref  délai  ce  concile.  C'est  sur  ces  ré- 
solutions antérieures  qu'on  se  fondait  pour  demander 
sa  convocation.  Pressé  par  le  roi  auquel  s'était  joint 
l'empereur,  le  pape  se  dispose  à  la  résistance  ;  il 
prend  des  mesures  de  rigueur  contre  deux  cardinaux 
Français  qui  étaient  à  Rome.  L'un  d'eux  réussit  à 
s'échapper  et  il  est  suivi  de  près  par  quelques  autres 
prélats   contraires  au  pape.  Les  fugitifs  passent  à 
Gênes  et  gagnent  Milan,  d'où,  à  l'instigation  du  roi, 
d'accord  en  cela  avec  l'empereur,  ils  indiquent  le 
concile  général  à  Pise  pour  le  1er  septembre  1511.  On 
affichait  la  prétention  de  réformer  l'Église,  et  l'on  ne 
tendait  à  rien  moins  qu'à  déposer  le  pape  lui-même. 
Les    meneurs    étaient    deux  cardinaux    espagnols, 
Bernardin  Carvajal  et  François  Borgia,  et  deux  car- 
dinaux français,  Briçonnet  et  René  de  Prie.  Le  prin- 
cipal d'entre  eux  était  l'Espagnol  Carvajal,  vieillard 
de  soixante-six  ans  h  peu  près,   qui  avait  reçu  la 


AGRIPPA    EN    ITALIE  227 

pourpre,  en  1493,  des  mains  du  pape  Alexandre  VI  et 
qu'on  nommait  le  cardinal  de  Sainte-Croix. 

Après  quelques  retards,  le  concile  avait  été  ouvert 
à  Pise,  le  1er  novembre  1511,  sous  la  présidence  du 
cardinal  de  Sainte-Croix.  Le  pape  avait  riposté  en 
excommuniant  le  cardinal  et  ses  adhérents,  après  les 
avoir  vainement  sommés  de  comparaître  à  Rome  ; 
et  il  avait,  de  son  côté,  le  18  juillet  1511,  indiqué  un 
concile  à  Saint-Jean  de  Latran  pour  le  1er  avril  de 
l'année  suivante.  Cependant  les  excès  auxquels  on 
semblait  près  de  se  porter  et  la  crainte  du  schisme 
éloignent  et  détachent  des  Français  les  Vénitiens, 
ainsi  que  le  roi  d'Aragon  et  l'empereur  lui-même. 
Celui-ci  se  contente  d'abord  de  retenir,  par  son  atti- 
tude, les  prélats  allemands  disposés  à  se  rendre  à 
Pise  ;  il  manifeste  ensuite  l'intention  déjouer  le  rôle 
d'arbitre  entre  le  pape  et  le  roi  Louis  XII.  Les  Flo- 
rentins, à  leur  tour,  commencent  à  regretter  la  per- 
mission qu'ils  ont  donnée  d'abord  aux  prélats  de  se 
réunir  à  Pise,  qui  était  sous  leur  dépendance.  Quel- 
ques difficultés  qui  se  produisent  amènent  ceux-ci  à 
se  transporter  à  Milan  (8  déc.  1511),  où  les  évoques 
français  arrivent  en  plus  grand  nombre  et  où  l'on 
casse  la  convocation,  faite  par  le  pape,  d'un  concile  à 
Saint- Jean  de  Latran.  On  va  même  jusqu'à  lancer 
un  décret  de  suspension  contre  le  souverain  pontife, 
vainement  cité  et  déclaré  contumace  (21  avril  1512). 
C'est  à  peu  près  là  le  dernier  acte  du  concile 

La  ruine   des  affaires  du   roi   Louis   XII  dans  le 
Milanais  oblige  les    prélats  à  se  réfugier  en  France, 


228  CHAPITRE   TROISIÈME 

au  lendemain  de  la  bataille  de  Ravenne,  et  ils  se 
retirent  à  Lyon  (1512),  où  les  atteint  une  bulle  du 
pape  Jules  II.  Le  cardinal  de  Sainte-Croix  et  ses 
adhérents  sont  condamnés  comme  schismatiques  ; 
Louis  XII  est  excommunié  ;  son  royaume  est  mis 
en  interdit.  Le  pape  reprend  même  à  Lyon  les  foires 
franches  de  cette  ville  pour  les  transférer  à  Genève. 
Le  3  mai  1512  enfin,  il  ouvre  à  Rome  le  concile  de 
Latran.  Sa  mort,  arrivée  le  20  février  1513,  décide 
une  solution  qui  ne  pouvait  plus  guère  être  différée. 
Les  cardinaux  dissidents  quittent  Lyon,  où  leur  parti 
était  fort  affaibli,  et  viennent  à  Rome  dans  l'intention 
de  prendre  part  au  conclave.  Ils  n'arrivent  pas  à 
temps,  il  est  vrai,  pour  concourir  à  l'élection  du 
pape,  et  le  nouvel  élu,  Léon  X,  les  fait  retenir  prison- 
niers. Un  peu  plus  tard  ils  font  leur  soumission 
(juin  1513).  Elle  devait  être  suivie  de  celle  des  prélats 
Français  (1514).  Le  pape  Léon  X,  pour  éviter  le 
schisme,  s'était  montré  disposé  à  donner  quelques 
satisfactions  à  Louis  XII,  et  celui-ci,  pressé  par  la 
reine  Anne,  avait  envoyé  au  concile  de  Latran  ses 
ambassadeurs  (1513).  Pendant  que  ces  faits  s'accom- 
plissaient, le  roi  avait  perdu,  comme  nous  l'avons 
dit,  le  Milanais,  et,  après  treize  années  environ  de 
prépondérance  dans  ce  pays,  les  Français,  vaincus  à 
leur  tour,  s'étaient  vus  rejetés  au-delà  des  Alpes. 

Nous  venons  de  dire  succinctement  ce  qu'a  été  l'as- 
semblée schismatique  de  Pise.  L'Espagnol  Carva- 
vajal,  cardinal  de  Sainte-Croix,  en  était  l'âme  et  le 
chef.  C'est  lui   qui  avait  appelé  Agrippa  à  figurer 


AGRIPPA   EN    ITALIE  22'J 

comme  théologien  au  concile,  où  Ton  prétendait  ré- 
former l'Église  «  dans   son  chef  comme  dans  ses 
membres  »,  et  où  l'on  voulait  notamment  mettre  le 
pape  Jules  II  en  accusation.  On  se  demande  ce  qui 
avait  pu  valoir  une  semblable  invitation  à   maître 
Agrippa,  dont  le  bagage  théologique  ne  fut  jamais, 
il  en  exprime  lui-même  le  regret,  fort  considérable. 
Précédemment  nous  l'avons  vu,  sans  trop  nous  en 
étonner,  professer  à  Dole  la  science  cabalistique.  Un 
peu  plus  tard  nous  le  verrons,  à  Pavie,  expliquer  la 
philosophie  hermétique.  Ce  sont  là  des  connaissan- 
ces  singulières  pour  l'exposition  desquelles  suffi- 
saient, avec  une  culture  générale  et  une  hardiesse 
d'esprit  qui   ne-  manquaient  ni   l'une   ni   l'autre   à 
Agrippa,  quelques  lectures  spéciales  étrangères  à  la 
plupart  des  gens,   et  grâce  auxquelles  on  pouvait 
aisément  se  poser  ainsi  devant  eux  en  savant  distin- 
gué. Mais  la  théologie  était  une  science  parfaitement 
définie,  enseignée  régulièrement  dans  les  universi- 
tés, possédée  par  des  hommes    qu'on   rencontrait 
partout,  et  dont  un  grand  nombre  pouvaient  abriter 
leur  science  sous  la  garantie  de  grades   universi- 
taires d'un  caractère  authentique.  Agrippa  poussa-t-il 
alors   la   hardiesse  jusqu'à  se  prévaloir  d'un  titre 
de  docteur  en  théologie,  comme  nous  le  verrons  plus 
tard,  fort  gratuitement  ce  semble,  afficher  ceux  de  doc- 
teur en  médecine  et  en  l'un  et  l'autre  droit?  Nous  n'o- 
sons pas  l'affirmer,  lui-même  se  taisant  sur  ce  point. 
11   dut  cependant  se  donner  nécessairement  comme 
possédant  sur  ces  matières  une  instruction  qu'ail- 


230  CHAPITRE   TROISIÈME 

leurs,  avec  une  sincérité  qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  mettre 
en  suspicion,  il  se  reproche  de  n'avoir  pas  poussée 
très  loin.  C'est  en  1519,  longtemps  après  avoir  joué 
le  rôle  de  théologien  au  concile  de  Pise,  qu'Agrippa 
exprime  quelque  part  ce  regret;  on  peut  inférer  de 
là  qu'il  eût  été  fondé  à  tenir  alors  le  même  langage, 
malgré  ce  qu'il  dit  ailleurs  du  succès  avec  lequel  il 
aurait,  en  1510,  soutenu  devant  l'université  de  Colo- 
gne des  thèses  quodlibétales  sur  des  sujets  de  théo- 
logie. Il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  ces  épreuves,  sui- 
vant lui  si  brillantes,  n'avaient  produit,  en  réalité, 
que  peu  de  résultats.  Plus  tard,  en  1531,  dans  ses  re- 
quêtes au  conseil  des  Pays-Bas  (Ep .  VI,  22)  et  à  la  reine 
Marie  (Ep.  VII,  21),  non  plus  que  sur  le  frontispice 
de  ses  livres,  à  la  même  époque,  il  ne  joint  le  titre 
de  docteur  en  théologie  à  celui  de  docteur  en  lois. 
Ce  sont  là  des  raisons  très  sérieuses  de  douter  qu'il 
ait  possédé,  en  1511,  un  bien  grand  fonds  de  science 
théologique,  et  qu'il  ait  été  réellement  en  mesure  de 
présenter  des  garanties  de  quelque  valeur  à  cet 
égard  '. 

L'indépendance  et  la  hardiesse  d'esprit  qui  ca- 
ractérisaient notre  héros  étaient  probablement  les 
qualités  qui,  mieux  que  sa  science,  l'avaient  recom- 
mandé  à    l'attention  du    trop    fameux   meneur  du 


1.  Dans  une  autre  circonstance,  de  date  postérieure,  Agrippa 
avoue  très  explicitement  qu'il  n'était  nullement  docteur  en 
théologie.  On  trouvera  quelques  éclaircissements  sur  ce  sujet 
dans  une  note  de  l'appendice  (n°  V). 


AGRIPPA    EN    ITALIE  231 

concile  schismatique  de  Pise.  Nous  ignorons  com- 
ment les  premières  relations  s'étaient  établies  entre 
ces  deux  hommes.  Agrippa  n'en  dit  rien.  Il  est  ex- 
trêmement sobre  de  détails  sur  cette  particularité 
de  son  existence,  qu'il  se  contente  d'indiquer  briève- 
ment et  d'une  manière  tout  à  l'ait  incidente  dans 
un  de  ses  écrits  '.  Il  avait  pu  d'ailleurs  entrer  parfai- 
tement dans  l'esprit  d'hostilité  qui  animait  contre  le 
pape  Jules  II  le  cardinal  de  Sainte-Croix  et  ses  adhé- 
rents. Nous  en  avons  pour  témoignage  une  lettre  de 
ce  temps,  dans  laquelle  Agrippa  envoie  à  un  écri- 
vain nommé  Candiotus  de  très  amicales  félicitations, 
pour  des  satires  composées  par  celui-ci  contre  le 
pontife  (Ep.  I,  28).  Quant  à  la  manière  dont  Agrippa 
put  remplir  au  concile  le  rôle,  quel  qu'il  soit,  qui  lui 
avait  été  offert  dans  cette  assemblée,  il  est  bon,  pour 
s'en  l'aire  quelque  idée,  de  remémorer,  avec  leur 
date,  les  faits  qui  se  rapportent  à  la  convocation  et 
à  la  tenue  de  celle-ci. 

Le  concile  de  Pise,  convoqué  pour  le  1er  septem- 
bre loll,  s'était  ouvert  le  1er  novembre  seulement. 
il  ne  tint  dans  cette  ville  que  ses  trois  premières 
sessions,  et  la  quatrième  eut  lieu  le  4  janvier  1512 
à  Milan,  où  le  concile  avait  été  transféré  dès  le  com- 
mencement du  mois  de  décembre  précédent.  Il  eut 
encore  à  Milan  quatre  autres  sessions,  jusqu'à  ce 
que»  vers  le  commencement  de  mai  1512,  il  dut  quitter 

1.  «  Per  reverendissimum  cardinalem  Sanctce  Crucis  in  Pisa- 
«  num  concilium  receptus.  »  (Opci'u,  t.  II,  p.  5'JG.) 


23:2  CHAPITRE    TROISIÈME 

aussi  cette  ville,  pour  se  retirer  précipitamment  à 
Lyon,  quand  les  Français  lurent  contraints  d'aban- 
donner l'Italie. 

Rien  ne  prouve  qu'Agrippa  ait  été  présent, 
en  1511,  aux  sessions  de  Pise;  mais  il  pourrait  bien 
avoir  assisté  à  celles  qui  furent  tenues  à  partir 
du  mois  de  janvier  1512  à  Milan,  •  où  on  le  voit, 
précisément  pendant  l'hiver  de  cette  année.  11  ne 
dut  pas  assister  cependant  à  la  dernière  session, 
tenue  dans  cette  ville  le  21  avril  1512  ;  car  il  était,  ce 
jour-là  même,  à  Borgo-Lavezzaro,  près  de  Novare, 
d'où  il  écrit,  à  cette  date-,  une  lettre  qui  nous  est  par- 
venue (Ep.  I,  30).  On  sait  de  plus  qu'il  passa  le  reste 
de  l'année  en  Italie  ;  ce  qui  prouve  qu'il  ne  suivit 
pas  à  Lyon,  au  mois  de  mai,  le  concile  fugitif.  Mais 
le  fait  de  cette  translation  ne  fut  vraisemblablement 
pas  la  seule  cause  qui  mit  fin  au  rôle,  quel  qu'il  eût 
été,  d' Agrippa  dans  cette  assemblée,  puisqu'il  ne 
resta  même  pas  jusqu'au  bout  avec  elle  à  Milan, 
ainsi  qu'il  vient  d'être  dit.  Après  ces  explications,  il 
n'est  guère  permis  de  voir  autre  chose  qu'une  pré- 
somptueuse jactance  dans  ce  que  déclare  quelque 
part  notre  homme,  qu'il  perdit  alors  une  belle  occa- 
sion de  signaler  ses  connaissances,  occasion  que  lui 
eût  certainement  fournie,  dit-il,  le  concile  de  Pise, 
si  le  concile  eût  réussi  1. 


1.  «  Naclus...  si  concilium  istud  prosperassel,  egregiam  illus- 
«  trandorum  sludiorum  meorum  occasionem.  »  (Opéra,  t.  II, 
p.  596.) 


AGRIPPA    EN    ITALIE  233 

A  défaut  du  champ  d'action  que  lui  refusait,  sui- 
vant lui,  le  concile,  Agrippa  songe  au  moyen  de  tirer 
autrement  parti  de  ce  qu'il  appelait  ses  connaissances 
théologiques,  consignées  dans  divers  écrits  sur  des 
sujets  qui  pouvaient  s'y  rapporter  '.  C'est  alors  qu'il 
se  rendàPavie.  Il  était  clans  cette  nouvelle  résidence 
le  30  avril  '1512  (Ep.  I,  31);  mais  il  avait  quitté  Mi- 
lan depuis  près  d'un  mois  déjà,  car  nous  possédons 
une  lettre  datée  par  lui  de  Borgo-Lavezzaro,  dès  le 
5  avril  (Ep.  I,  29),  indépendamment  de  celle  du  21 
que  nous  avons  citée  tout  à  l'heure.  Pour  ne  rien 
négliger  de  ce  qui  pouvait  l'aider  à  s'emparer  de 
l'attention  publique,  Agrippa,  non  content  déparier 
et  d'écrire   en   théologien,  juge   alors   à  propos  de 
joindre  aux  mérites  plus  ou  moins  contestables  qu'il 
prétendait  avoir,  à  ce  titre,  le  prestige  des  sciences 
occultes  auxquelles  il  n'avait  jamais  cessé  de  s'a- 
donner. Il  savait  que  pour  celles-ci  un  certain  mystère, 
commandé  d'ailleurs  à  plus  d'un  point  de  vue  par  la 
prudence,  ne  pouvait  qu'ajouter  à  leur  autorité.  La 
première  lettre  que,  le  30  avril  1512,  nous  le  voyons 
écrire  de  Pavie,   accompagne  l'envoi  d'un  livre  de 
cabale  qu'il  adresse  à  un  ami,  avec  force  recomman- 
dations d'absolue  discrétion,  mais  avec  de  grands 
éloges  aussi  pour  cette  science,  la  plus  sublime  dont 
puisse  s'occuper  l'esprit  d'un  mortel  2  (Ep.  I,  31). 

1.  «    Multis    scriptis    adhuc    pênes   me   extanlibus,    sacria 

k  (|uacstioniljus  operam  dedi.  •   (Ibid.) 

2.  «  Scientiani  illam   divinam  omni  huniami  iiulagine  subli- 
«  miorem.  »  (Ep.  I,  31,) 

T.   I.  18 


234  CHAPITRE   TROISIÈME 

A  Pavie  où  il  arrivait  ainsi  vers  la  fin  d'avril  1512, 
Agrippa  vise  à  se  faire  une  place  dans  l'université 
de  cette  ville  ;  mais  il  n'a  pas  le  temps  de  mener 
jusqu'au  bout  cette  entreprise,  et,  pour  des  raisons 
que  nous  dirons  tout  à  l'heure,  son  rôle  sur  ce  nou- 
veau théâtre  prend  fin  inopinément,  avant  même  de 
s'être  complètement  dessiné.  Il   s'y  était  annoncé, 
comme  il  l'avait  fait  jadis  à  Dole,  en  frappant  les 
imaginations  par  l'étalage  d'une  grande  érudition, 
avec  le  secours  d'une  certaine  mise  en  scène.  Après 
y  avoir  paru  un  instant,  il  s'en  était  éloigné  pres- 
que aussitôt  pour  y  revenir  ensuite,  assuré  d'y  avoir 
laissé  une  impression  favorable.  On  peut  soupçonner 
quelque  calcul  dans  cette  manière  de  faire.  Le  calcul 
paraît  avoir  réussi.  On  en  saisit,  ce  semble,  le  résul- 
tat dans  ce  que  dit  de  l'effet  produit  à  cette  première 
apparition   par   Agrippa,  une  lettre  qu'on  lui  écrit 
alors  d'un  lieu  voisin,  et  où  il  en  est  question. 

—  Très  savant  Agrippa,  est-il  dit  dans  cette  lettre, 
je  reçois  avec  grand  plaisir  des  nouvelles  de  toi  et 
de  notre  cher  Bartholomeus  Rosatus.  J'ai  beaucoup 
entendu  parler  de  votre  commun  voyage  à  Pavie,  et 
de  la  haute  opinion  que  tu  y  as  laissée  de  ton  mérite 
aussi  bien  que  de  la  vivacité  de  ton  esprit.  Tout  cela 
m'a  été  très  agréable,  car  je  m'intéresse  vivement 
aux  louanges  qui  s'adressent  à  toi  (Ep.  I,  27). 

Bartholomeus  Rosatus,  dont  nous  lisons  le  nom 
dans  cette  lettre,  est  un  personnage  qu'on  voit  en 
relation  avec  Agrippa  pendant  toute  la  durée  de 
son  séjour  en  Italie  (Ep.  I,  26,  27,  53  ;  II,  I).  Quel- 


AGRIPPA    EN    ITALIE  235 

ques  indications  qui  le  concernent  donnent  lieu  de 
penser  que  c'était  un  de  ces  admirateurs  passionné- 
ment dévoués  à  sa  fortune,  comme  il  en  a  trouvé 
souvent. 

De  retour  à  Pavie,  après  la  courte  disparition 
dont  nous  avons  parlé,  Agrippa  s'y  installait  à  peine, 
qu'il  est  tout  à  coup  obligé  de  l'abandonner,  à  la 
suite  d'un  événement  inattendu  dont  il  Faut  main- 
tenant rendre  compte,  et  qui  se  rattache  comme 
épisode  à  la  chute  de  la  domination  française  dans 
le  Milanais. 

On  sait  qu'après  les  premiers  succès  de  la  ligue  de 
Cambrai  (1508-1510),  en  présence  de  l'effacement  du 
rôle  joué  alors  par  l'empereur  Maximilien,  la  pré- 
pondérance des  Français  était  devenue  considérable 
dans  tout  le  nord  de  l'Italie.  Le  pape  s'en  était  alarmé 
le  premier.  Dès  1509  il  s'était,  comme  nous  l'avons 
dit,  rapproché  des  Vénitiens,  et,  après  avoir  plus 
ou  moins  masqué  ses  dispositions  et  sa  politique 
nouvelle  pendant  quelque  temps,  il  avait  fini  par 
conclure,  le  5  octobre  1511,  avec  la  république  de 
Venise  et  le  roi  d'Aragon,  une  alliance  ouverte  contre 
Louis  XII.  On  avait  d'abord  vainement  tenté  d'y 
faire  entrer  l'empereur.  Celui-ci  continuait  à  mettre, 
comme  au  reste  il  l'avait  toujours  fait,  une  extrême 
mollesse  dans  ses  décisions.  Cependant,  au  commen- 
ment  de  1512,  il  avait  consenti  à  conclure  avec  Venise 
une  trêve  de  dix  mois.  Enfin,  après  la  bataille  de 
Ravenne  (avril  1512)  et  les  avantages  qui  en  avaient 
été  la  suite   pour  les  nouveaux  alliés,  Maximilien 


236  CHAPITRE   TROISIÈME 

s'était  décidé  à  accéder  à  la  ligue,  se  rendant  aux  solli- 
citations du  roi  d'Aragon,  appuyées  par  la  promesse 
de  le  remettre,  pour.prix  de  son  concours,  en  posses- 
sion du  duché  de  Bourgogne  qu'on  devait  enlever  au 
roi  de  France.  Au  mois  de  mai  1512,  l'empereur  per- 
mettait à  dix-huit  mille  Suisses,  auxiliaires  jusque- 
là  des  anciens  confédérés,  de  rejoindre  les  Vénitiens 
en  traversant  le  Trentin  parla  vallée  de  l'Adige,  et  en 
même  temps  il  ordonnait  à  quatre  mille  Allemands, 
ses  sujets,  alors  aux  gages  de  la  France,  de  quitter 
l'armée  de  La  Palisse.  Celui  ci  avait  succédé  dans  le 
commandement  des  troupes  françaises  à  Gaston  de 
Foix,  tué  à  Ravenne  ;  et,  après  avoir  perdu  ses  posi- 
tions de  la  Romagne,  il  avait  dû  se  replier  assez  rapi- 
dement, d'abord  sur  les  places  de  l'Adda,  puis  sur 
celles  du  Tessin  et  sur  Pavie,  pour  se  retirer  finale- 
ment en  Piémont;  pendant  que  derrière  lui  Bresciase 
rendait  aux  Espagnols,  Grema  aux  Vénitiens,  et  que 
Peschiera  ouvrait  ses  portes  à  l'empereur.  A  la  fin  de 
cette  année  (1512),  les   Français    n'occupaient  plus 
dans  le  nord  de  l'Italie  que  quelques  points  isolés, 
Legnago,  les  châteaux  de   Crémone,  de  Milan,  de 
Novare,  et  celui  de  la  Lanterne  à  Gênes.  La  ville 
de  Milan  voyait  enfin  rentrer  dans  ses  murs  Maxi- 
milien  Sforze,  à  qui  l'empereur  avait  rendu  l'investi- 
ture de  son  duché. 

Le  mouvement  de  retraite  des  Français,  au  mois 
de  mai  1512,  avait  produit  une  concentration  de 
toutes  leur  forces  à  Pavie.  La  Palisse  y  arrivait  avec 
les  troupes  qu'il  ramenait  de  la  Romagne  et  qui  vc- 


AGRIPPA    EN    ITALIE  237 

naicnt  d'abandonner  la  ligne  de  l'Adda.  En  même 
temps  Trivulce,  laissant  seulement  dans  le  château 
de  Milan  une  petite  garnison  pourvue  de  vivres  et 
de  munitions,  avait  quitté  cette  ville,  accompagné 
des  cardinaux  et  des  évoques  du  concile  de  Pise,  et, 
suivi  des  Français  et  des  Italiens  qu'il  avait  sous  ses 
ordres,  il  venait  de  se  replier  aussi  sur  Pavie,  où 
La  Palisse  s'apprêtait  à  se  défendre.  Cependant,  au 
moment  où  les  ennemis  approchaient,  on  se  décida 
à  évacuer  la  place.  Un  pont  fut  jeté  sur  le  Tessin  et 
l'armée  commença  à  passer.  L'opération  n'était  pas 
terminée  qu'une  avant-garde  de  Suisses  pénétrait 
dans  la  ville,  où  s'engageait  un  sanglant  combat. 
Pendant  ce  temps-là,  le  pont  s'était  rompu  sous  le 
poids  de  l'artillerie  ;  cinq  cents  lances  françaises, 
coupées  du  reste  de  l'armée  et  restées  du  côté  de  la 
ville,  furent  anéanties,  les  hommes  ayant  été  les  uns 
tués,  les  autres  noyés. 

Bayard  fut  blessé  clans  cette  affaire  qui  remplit 
Pavie  de  tumulte,  et  y  déchaîna  les  épouvantables 
désordres  d'une  ville  prise  d'assaut  '.  Agrippa  qui 
s'y  trouvait  alors,  n'eut  pas  le  temps  de  se  sauver  et 
tomba  entre  les  mains  des  Suisses.  Il  put  cependant, 
avec  assez  de  bonheur,  recouvrer  bienLôt  sa  liberté 
et  se  réfugier  à  Milan,  où  il  suivit  un  gentilhomme 


1.  Cette  affaire,  nécessairement  postérieure  au  11  juin,  est 
antérieure  au  24,  d'après  la  correspondance  d'Agrippa.  Elle 
eut  lieu  le  vendredi  18  de  ce  mois,  comme  on  le  verra  dans 
une  note  de  l'appendice  (n°  XXIV). 


238  CHAPITRE   TROISIÈME 

du  pays,  le  seigneur  Lancelottus  Lunatis  dont  il  avait 
gagné  l'amitié  (Ep.  I,  33).  Ce  qui  concerne  Agrippa 
dans  cette  circonstance  nous  est  révélé  par  les  let- 
tres d'un  ami  qui  était,  ce  semble,  dans  le  voisinage 
de  Pavie  le  jour  de  l'événement,  et  qui  lui  écrit  de 
Borgo-Lavezzaro  pendant  l'été  et  l'automne  de  cette 
année,  du  24  juin  au  26  octobre  1512   '.  Agrippa, 
comme  nous  l'avons  incliqué,  avait  dû  passer  une 
partie  du  printemps  précédent  auprès  de  cet  ami,  qui 
le   traite   avec    la  plus  grande   considération.   Les 
épithètes  dont  il  se  sert  à  son  égard  ne  sont  rien 
moins  que  celles  à'egregius,  excellent issimus,  maximus, 
divinus. 

—  Où  es-tu,  que  deviens-tu,  écrit  le  24  juin  à 
Agrippa  cet  ami  ?  Comment  t'es-tu  tiré  d'affaire  au 
milieu  de  ces  troubles  de  guerre?  Je  ressens  une  vé- 
ritable peine  de  ce  qui  est  arrivé  à  Pavie.  Je  me 
console  cependant,  à  la  pensée  que  tu  es  en  sûreté. 
Pavie,  à  ce  qu'il  me  semble,  ne  sera  plus  habitable; 
cependant  je  serais  prêt,  comme  par  le  passé,  à  tout 
sacrifier  pour  aller  demeurer  avec  toi,  si  tu  n'avais 
l'amitié  du  magnifique  seigneur  Lancelottus  qui 
t'aime  par  dessus  tout(Ep.  I,  32). 

—  J'apprends  aujourd'hui  par  Domitius,  écrit  un 
peu  plus  tard,  le  13  juillet,  le  même  correspondant, 
que  tu  as  été  pris  par  les  Suisses  ;  mais  que,  rendu 


1.  Les  lettres  de  l'ami  de  Borgo-Lavezzaro  à  Agrippa  sont 
au  nombre  de  six.  Elles  sont  imprimées  dans  la  Correspon- 
dance générale,  L.  I,  32,  33,  34,  35,  36,  GO. 


AGRIPPA   EN    ITALIE  239 

sans  trop  de  dommage  à  la  liberté,  tu  es  maintenant 
avec  le  magnifique  seigneur  Lancelottus  à  Milan,  où 
tu  me  mandes,  me  dit-on,  de  te  rejoindre  dès  que  les 
Suisses  auront  disparu.  Je  te  prie  donc  de  me  faire 
savoir  à  quel  parti  tu  l'arrêtes,  soit  de  retourner  à 
Pavie,  soit  de  te  rendre  près  du  marquis  de  Mont- 
ferrat.  En  tout  cas,  sois  certain  que  je  ne  manquerai 
jamais  à  ce  que  je  te  dois  (Ep.  I,  33). 

—  J'ai  reçu,  dit  encore  le  8  août  l'ami  de  Borgo- 
Lavezzaro,  les  lettres  par  lesquelles  tu  me  donnes  de 
tes  nouvelles.  J'ai  appris  aussi  ce  qui  est  arrivé  à 
Galbianus.  Il  n'aurait  eu  aucun  mal  s'il  fût  resté  près 
de  moi;  car,  avec  un  seul  bateau,  j'ai  sauvé  plus  de 
quarante  personnes  de  la  fureur  des  deux  armées.  11 
n'y  a  rien  eu  à  Borgo-Lavezzaro  (Ep.  I,  34). 

Il  est  permis  de  croire  que  ce  Galbianus,  qui 
semble  avoir  péri  dans  l'affaire  de  Pavie,  est  l'ancien 
compagnon  de  ce  nom  qui  était  en  1508  en  Espagne 
avec  Agrippa.  Landulphe  qui  était  également  de 
cette  première  expédition,  se  retrouve  aussi,  comme 
nous  l'avons  vu,  vers  cette  époque  en  Italie.  On  ne 
sait  quel  fut  son  sort  au  milieu  de  ces  événements  ; 
mais  on  doit  constater  que  depuis  lors,  on  ne  rencon- 
tre plus  aucune  mention  de  lui,  dans  la  correspon- 
dance d'Agrippa. 

Après  avoir  parlé  de  Galbianus,  l'ami  de  Borgo- 
Lavezzaro  ajoute  qu'il  a  eu  de  nombreux  entretiens 
avec  le  révérend  père  Anlonius;  que  si  Agrippa  se 
fût  trouvé  là,  l'occasion  eût  été  favorable  pour  con- 
clure quelque  chose  avec  le  marquis  de  Montferrat; 


24Ô  CHAPITRE    TROISIÈME 

que  cependant  il  était  difficile  de  rien  faire,  tant  que 
durerait  le  désordre  où  l'on  se  trouvait. 

—  Attends-moi  dans  quatre  jours,  dit-il  en  finis- 
sant. Nous  nous  entendrons  alors  sur  la  conduite 
que  nous  devrons  tenir.  On  ne  peut  pas  rester  à  Pa- 
vic  ;  il  faudra  chercher  une  autre  résidence.  Soigne 
ta  santé,  cela  doit  passer  avant  tout,  par  le  temps 
qui  court.  Fais  saluer,  de  ma  part,  le  magnifique  sei- 
gneur Lancelottus  Lunatis  et  le  seigneur  Ludovicus 
Gompegius.  Nous  nous  portons  tous  bien,  mon  fils 
Gamillus  qui  vit  pour  toi,  ma  fille  Prudentia  et  ma 
femme  Penthasilea.  Seul,  mon  frère  François  est  ma- 
lade ;  il  est  aux  prises  avec  la  fièvre  quarte  (Ep.  1, 34). 

Il  y  a  encore  du  même  correspondant  deux  lettres, 
du  5  et  du  26  octobre  1512,  par  lesquelles  on  voit 
qu'Agrippa  n'était  plus  alors  à  Milan.  L'ami  qui  lui 
écrit  y  est  allé,  et  il  compte  se  rendre  bientôt  à  Ca- 
sale,  d'où  il  enverra  des  chevaux  à  Agrippa,  quand 
il  faudra  qu'il  y  vienne  lui-même  (Ep.  I,  35).  Bartho- 
lomeus,  leur  ami  commun,  y  est  alors,  est-il  dit,  et, 
doit  en  revenir  bientôt  (Ep.  I,  36). 

Quelques  mots  de  cette  correspondance  donnentlieu 
de  penser  qu'Agrippa  était  retourné  provisoirement 
de  Milan  à  Pavie  vers  le  mois  d'août  1512,  mais 
qu'on  cherchait  ailleurs  une  position  pour  lui',  et 
que  celle-ci  pouvait  dépendre  du  marquis  de  Mont- 
ferrat.  Ce  prince  était  le  souverain  d'un  petit  État 

1.  «  Si  Papiae  moIcsUim  fuerit,  providendum  erit  de  meliori 
«  loco  »  (Ep.  I,  31]. 


AGRIPPA    EN    ITALIE  24i 

constitué  autour  do  la  ville  de  Casale,  entre  le  Pié- 
mont, le  Milanais  et  les  terres  de  Gênes.  Depuis  le 
commencement  du  xive  siècle,  le  marquisat  de  Mont- 
ferrat  avait  passé  par  héritage  à  une  branche  cadette 
des  Paléologue  de  Constantinople,  laquelle  était  alors 
à  la  veille  de  s'éteindre;  Guillaume  VII,  qui  en  était 
le  chef  et  l'avant-dernier  représentant  mâle,  n'ayant 
eu  que  des  filles  avec  un  fils  unique,  mort  en  bas- 
âge,  et  un  frère  qui  n'a  pas  laissé  d'enfants.  Guillaume 
avait,  parait-il,  offert  auprès  de  lui  à  Agrippa  une  si- 
tuation dont  nous  ne  connaissons  pas  exactement  le 
caractère,  et  que  celui-ci  avait  acceptée.  Une  lettre 
du  27  novembre  loi 2  nous  apprend  qu'à  cette  date  il 
avait  décidément  quitté  Pavic  et  son  université,  et 
qu'il  était  alors  installé  à  Casale,  chez  le  marquis  de 
Montferrat  (Ep.  1,  37). 

A  partir  de  cette  époque,  et  pour  plusieurs  années, 
il  est  difficile  de  suivre  Agrippa  dans  les  détails 
d'une  vie  agitée  sur  laquelle  les  renseignements 
sont  très  incomplets.  Les  lettres  qui  appartiennent  à 
cette  période  de  trois  ou  quatre  années  (1512-1515) 
sont  rares'  ;  la  suite  en  est  interrompue  par  des  la- 
cunes considérables  ;  la  signification  en  est  obscure; 
on  ne  voit  même  pas  le  plus  souvent  de  qui  elles 
émanent,  ni  à  qui  elles  sont  adressées.  L'une  de  ces 
lettres  est  un  document  d'un  caractère  unique  dans 
la  correspondance,  on  pourrait  dire  dans  l'existence 

1.  La  Correspondance  générale  d' Agrippa  ne  contient  que 
onze  1 1  ■  i  L  i  »  •  -  ilulées  des  années  1513  à  loi")  (Ep.  I,  38  ù  48). 


242  CHAPITRE   TROISIÈME 

tout  entière  d' Agrippa.  C'est  une  lettre  écrite,  en  1513, 
au  nom  du  pape  Léon  X,  par  le  célèbre  Bembo,  pour 
remercier  Agrippa  des  preuves  de  dévouement  don- 
nées par  lui  au  Siège  apostolique.  On  se  demande  ce 
qui  a  pu  valoir  un  pareil  témoignage  à  un  homme 
dans  lequel  il  est  difficile  de  reconnaître  un  ami  bien 
dévoué  de  la  cour  de  Rome.  Fort  peu  de  temps  aupa- 
ravant il  était  du  côté  des  ennemis  de  la  papauté,  as- 
socié à  l'action  du  concile  schismatique  de  Pise.  Il 
s'était  cependant  prudemment  détaché,  nous  l'avons 
vu,  du  concile,  avant  même  sa  retraite  de  Milan  sur 
Lyon  à  la  suite  des  Français  obligés  de  repasser  les 
monts,  en  1512.  Quoiqu'il  en  soit,  voici  la  lettre  de 
Léon  X. 

—  Cher  fils,  salut  et  bénédiction  apostolique.  Par 
les  lettres  de  notre  vénérable  frère  Ennius,  évoque 
de  Véroli,  notre  nonce,  et  sur  la  relation  de  quelques 
autres,  nous  avons  été  informé  de  ton  dévouement 
pour  le  Saint-Siège  apostolique,  et  de  ton  zèle  pour 
son  salut  et  sa  liberté.  Gela  nous  a  été  très  agréa- 
ble. En  conséquence,  nous  te  recommandons  grande- 
ment à  Dieu.  Nous  louons  tes  bonnes  dispositions 
et  nous  t'exhortons  à  persister  dans  ces  sentiments 
pour  ce  Siège  et  pour  nous;  toujours  prêt,  de  notre 
côté,  à  montrer  dans  l'occasion  que  tu  as  bien  mérité 
de  nous,  et  que  nous  te  portons  dans  le  sein  de  notre 
charité  paternelle.  C'est  ce  que  notre  susdit  nonce  te 
fera  connaître  plus  amplement.  Donné  à  Rome  au- 
près de  Saint-Pierre,  sous  l'anneau  du  pêcheur,  le 
12e  jour  de   juillet    1513,    l'an    premier    de   notre 


AGRIPPA   EN    ITALIE  243 

pontificat.   Petrus  Bembus    subsignabat  (Ep.  I,    38). 
Cette  lettre  est  peu  explicite  et  ne  permet  guère  de 
deviner  quel  acte  de  dévouement  Agrippa  pouvait 
avoir  accompli  envers  le  Souverain  Pontife .  Il  semble- 
rait qu'il  se  fût  agi  d'un  service  rendu  au  nonce  apos- 
tolique lui-même.  A  défaut  de  renseignements  plus 
précis,  il  est  bon  de  relater  au  moins  dans  quelles 
circonstances  le  fait  avait  pu  se  produire.  Au  mois  de 
juillet  1513,  les  Français  venaient  d'essuyer  une  nou- 
velle défaite  en  Italie.  Rentrés  depuis  le  mois  d'avril 
dans  le  Milanais  qu'ils  avaient  perdu  à  la  fin  de  l'an- 
née précédente,  et  alliés  cette  fois  aux  Vénitiens  que 
les  prétentions  du  pape  et  de  l'empereur  avaient  re- 
jetés dans  leur  parti,  ils  avaient  eu  d'abord  assez  fa- 
cilement raison  de  Maximilien  Sforze,  dont  tout  le 
monde  était  mécontent.  Mais  dix  mille  Suisses  arri- 
vés au  secours  de  celui-ci  avaient  triomphé  à  Novare, 
au  commencement  de  juin,  et  les  Français  avaient  été 
forcés  de  repasser  les  Alpes,  laissant  derrière  eux  les 
terres  du  marquis  de  Montferrat  et  du  duc  de  Savoie, 
leurs  alliés,  livrées  aux  dévastations  des  vainqueurs. 
Agrippa,   fixé  depuis  la  tin  de  1512  à  Casale,  ville 
principale  du  Montferrat,  était  alors  présent  dans 
cette  contrée.  C'est  là  probablement,  et  dans  ces  cir- 
constances, qu'il  a  pu  rendre   quelque  service    au 
nonce  de  Léon  X,  le  défendre  peut-être  contre  les 
Suisses  eux-mêmes,  bien  que  ceux-ci  eussent  été  in- 
directement appelés  par  le  pape,  et  qu'ils  fussent 
payés  de  ses  deniers.  Certains  passages  de  la  corres- 
pondance d'Agrippa  semblent  indiquer  qu'il  put  être 


Vi\  CHAPITRE   TROISIÈME 

alors  mêlé  à  ces  vainqueurs,  et  témoignent  en  outre 
de  relations  ultérieures,  dont  l'origine  pourrait  re- 
monter à  cette  date,  avec  un  ami  du  nonce  Ennius, 
évêque  de  Veroli  (Ep.  I,  40,  41) '. 

Nous  ignorons  pour  quelles  causes  Agrippa  quitte 
ensuite  la  résidence  de  Casale,  où  il  se  trouvait 
depuis  le  mois  de  novembre  1512.  Nous  ne  savons 
même  pas  à  quel  moment  précis  il  s'en  éloigne  et  ce 
qu'il  y  a  fait  auparavant.  Dans  l'automne  de  l'année 

1513,  nous  le  retrouvons  à  Borgo-Lavezzaro  où  il 
avait  déjà  vécu  et  où  il  avait  des  amis.  L'un  de 
ceux-ci  2  se  pose  alors  en  admirateur  passionné  de 
son  talent,  à  propos  d'un  de  ses  écrits  qu'il  a  sous 
les  yeux  (Ep.  I,  39).  Cependant,  dès  le  mois  de  mars 

1514,  Agrippa  est  encore  une  fois  àMilan  et  y  semble 
engagé  dans  une  négociation  avec  les  Suisses,  pour 
une  affaire  personnelle  que  nous  ne  connaissons  pas 
(Ep.  I,  40).  Il  s'en  éloigne  presque  aussitôt;  on  l'y 
rappelle,  au  mois  d'août,  pour  un  intérêt  pressant  qui 
le  concerne. 

1.  M.  Daguet  pense  que  la  lettre  du  pape  Léon  X  à  Agrippa 
fait  allusion  au  concours  prêté  par  celui-ci  au  nonce,  dans  ses 
négociations  pour  arriver  à  l'expulsion  d'Italie  des  Français, 
de  concert  avec  les  agents  des  Suisses,  Schinner,  évêque  de 
S  ion,  et  Falck,  avoyer  de  Fribourg.  (A  Daguet,  Agrippa  chez 
les  Suisses,  p.  6,  7.) 

2.  Rien  ne  prouve  que  ce  correspondant  soit  l'ami  de  Borgo- 
Lavezzaro  dont  nous  avons  parlé  précédemment.  Ce  pourrait 
être,  à  ce  qu'il  semble,  un  religieux,  d'après  certains  termes  de 
sa  lettre  :  «  Ex  domo  nostra  S.  Maria?,  apud  Burgum-Laviza- 
l'iiiin  »  [Ep.  I,  39). 


AGRIPPA    EX    ITALIE  245 

—  Il  serait  insensé,  lui  dit-on,  de  ne  pas  pousser 
jusqu'au  bout  une  chose  aussi  assurée  ;  mais  il  faut 
se  hâter  (Ep.  I,  42). 

Il  est  question,  à  ce  moment,  d'un  voyage  à  Rome 
pour  lequel  Agrippa  est  invité  à  faire  ses  préparatifs, 
dès  que  l'affaire  en  question  aura  été  réglée  (Ep.  I, 
-12,  43).  Ce  voyage  de  Rome  pourrait  bien  avoir  été 
effectué  pendant  l'automne  1514  et  l'hiver  1515;  car, 
au  mois  de  septembre  1514,  on  écrit  de  Milan  et  de 
PavieàAgrippa,qui,de  son  côté,  date  de  Brindes  une 
de  ses  lettres,  le  5  février  suivant  (Ep.  I,  44,  45,  46).  Le 
voyage  était  concerté  avec  un  ami  qui  lui  en  parle, 
au  mois  d'août  1514,  clans  une  lettre  où  nous  trou- 
vons en  même  temps  une  indication  fort  inattendue 
de  laquelle  il  résulterait  qu'Agrippa  n'était  pas  étran- 
ger à  la  pratique  des  beaux-arts,  et  qu'il  dessinait 
avec  une  certaine  habileté;  ce  dont  on  n*a -malheu- 
reusement que  cet  unique  témoignage.  Au  moins  est- 
il  tout  à  fait  concluant  '. 

—  J'apprends,  mon  cher  Agrippa,  dit  cet  ami,  que 
tu  as  décoré  d'un  très  beau  Mercure  la  muraille  de 


1.  On  pourrait  tout  au  plus  rapprocher  de  ce  renseignement  une 
autiv  indication,  moins  signilicalive  cependant,  empruntée  au 
chapitre  lxxx  du  traité  de  l'incertitude  et  de  la  vanité  des 
sciences,  où  Agrippa  donne  à  entendro  qu'il  pourrait  avoir  exé- 
cuté un  livre  sur  l'histoire  de  la  royauté  dans  le  monde,  enrichi 
de  peintures.de  blasons  peut-être:  «  Eyu  hancrem  (regnorum 

«  omnium  initia)...  ampliore   volumj lescripsi  alibi,  ipsam 

«  nobiiitatomsius  coloribus  et  lineamentis  exacleuxpiessi,elc.  » 
[Opéra,  t.  II,  il  177.) 


246  CHAPITRE   TROISIÈME 

ma  maison,  et  que  tu  t'es  servi  pour  cette  œuvre  du 
noir  de  charbon.  Prends  garde  cependant  que  ce 
dieu  inconstant  et  trompeur,  dangereux  même  quand 
on  l'irrite,  ne  te  conduise  tout  philosophant  aux 
charbons  ardents.  L'art  en  question  vit  en  effet,  tu  le 
sais,  de  charbon,  de  feu  et  de  fumée  '  (Ep.  I,  42). 

Avec  le  renseignement  très  positif  et  assurément 
intéressant  que  nous  venons  de  signaler  touchant  la 
pratique  du  dessin  par  Agrippa,  la  lettre  contient 
encore,  on  le  voit,  sous  une  forme  énigmatique,  cer- 
taines allusions  à  des  faits  d'un  autre  genre  qu'on  ne 
saurait  non  plus  négliger.  On  y  joue  sur  le  mot 
Mercure,  qui  désigne  à  la  fois  et  un  dieu  et  un  métal 
dont  le  rôle  a  beaucoup  d'importance  en  alchimie. 
Ces  allusions  portent  sur  cet  art  considéré  comme 
éminemment  philosophique ,  fécond  cependant  en 
mécomptes,  et  où  les  charbons  étaient  en  grand 
usage  ;  mais  qui  pouvait  conduire  ses  adeptes  jus- 
qu'aux coupables  machinations  punies  par  le  feu. 
On  le  rappelle,  ce  semble,  à  Agrippa,  comme  pour 
l'inviter  à  la  prudence.  Il  s'était,  on  le  sait,  dès  long- 
temps occupé  d'alchimie.  Il  en  faisait  à  Paris  pro- 
bablement, avec  ses  jeunes  amis  de  l'université;  il  en 
faisait  à  Avignon,  il  nous  le  dit,  au  retour  de  son  ex- 

1.  «  Audio  te  pulcherrimum  Mercurium  parieti  domus  nostrae 
«  appinxisse.  Hune  quia  carbone  nigerrimo  formasti,  cave  ne  te 
«  carbonibus  ignitis  inter  philosophandum  seducat.  Scis  enim 
«  quam  sit  Deus  hic  i'ugax,  lallax.mutabilis,  atque  etiam  inies- 
«  tus,  si  quando  irascatur  ;  atque  ars  isla  maxime  eget  carboni- 
«  bus  atque  igni  fumo  appositis  »  (Ep.  I,  42). 


AGRIPPA    ES    ITALIE  217 

pédition  en  Espagne.  Il  passait  évidemment  alors 
pour  en  faire  encore.  Nous  avons  cité  tout  à  l'heure 
une  lettre  de  ce  temps  où  il  recommande  un  livre  de 
cabale.  Il  était  loin,  comme  on  le  voit,  d'avoir  re- 
noncé aux  sciences  et  aux  arts  occultes. 

Après  être  allé  jusqu'à  Brindes  pendant  l'hiver  de 
1515,  Agrippa  était,  paraît-il,  revenu  à  Pavie  où  il 
avait  passé  le  printemps  peut-être,  et  certainement 
l'été  de  cette  année.  Antérieurement  déjà,  il  avait  ré- 
sidé, mais  fort  peu  de  temps,  nous  l'avons  vu,  dans 
cette  ville,  d'où  la  guerre  l'avait  chassé  en  1512.  Nous 
avons  cité  une  lettre  de  cette  époque  où  il  était  dit 
qu'il  y  avait  produit  alors  beaucoup  d'effet  (Ep.  I, 
27).  Pendant  le  séjour  de  1515,  il  y  prend  une  attitude 
plus  digne  encore  d'attention.  On  l'y  voit  monter  dans 
une  chaire  de  l'université,  où  il  explique  publique- 
ment le  prétendu  traité  d'Hermès  Trismégisie  qui 
porte  le  titre  de  Pimander.  Cette  exposition  fait  l'ob- 
jet d'une  série  de  leçons  ou  lectures  dont  la  première 
est  venue  jusqu'à  nous,  et  dont  nous  dirons  bientôt 
quelques  mots. 

La  situation  d'Agrippa  semble  à  ce  moment  près 
de  se  fixer,  comme  à  Dole  quelques  années  aupara- 
vant, comme  dans  d'aulrcs  circonstances  encore  ul- 
térieurement, sans  que  rien  de  stable  ait  jamais 
réussi  pour  lui.  A  Pavie,  en  1515,  il  est  en  possession 
d'un  titre  régulier  de  professeur,  car  il  parle  quelque 
part  de  ses  gages,  stîpendium  :  ii  a  une  maison  montée, 
il,, mus  ri  sit/ji'/li'.c,  des  serviteurs  attachés  à  sa  per- 
sonne, servi,  familia;  enfin  il  s'est  marié  récemment 


248  CHAPITRE   TROISIÈME 

et  il  a  déjà  un  fils  '.  La  guerre  vient  encore  une  fois, 
comme  en  1512,  bouleverser  son  existence. 

Nous  allons  voir  Agrippa  aux  prises  avec  l'adver- 
sité, avec  des  difficultés  que  complique  encore  l'obli- 
gation, nouvelle  pour  lui,  de  pourvoir  aux  besoins 
d'une  famille.  Mais,  avant  de  parler  de  cette  crise 
douloureuse  et  des  conséquences  qu'elle  devait  en- 
traîner pour  Agrippa,  nous  nous  arrêterons  un  ins- 
tant pour  considérer,  à  propos  de  l'attitude  prise  en 
ce  moment  par  lui  à  l'université  de  Pavie,  ce  qu'é- 
taient alors  ses  études  et  ses  travaux  2.  Il  cultivait 
toujours  les  sciences  et  les  arts  occultes.  Une  lettre 
d'un  de  ses  amis  dont  nous  avons  parlé  tout  à  l'heure 
fait  allusion  à  ses  opérations  d'alchimie  (Ep.  I,  42)  ;  et 
nous  avons  rappelé,  à  cette  occasion,  une  autre  lettre, 
citée  précédemment,  où  il  recommandait  à  un  nouvel 
adepte  la  cabale,  science  vraiment  sublime,  lui  di- 
sait-il, et  capable  de  remplir  de  tout,  bien  l'esprit 
qui  s'y  applique. 

—  Mais,  disait-il  encore  à  son  disciple,  toi  qui 
veux  t'exercer  à  cet  art  tout  divin,  sache   que  tu 

1.  Voir  à  l'appendice  la  note  VIII. 

2.  Est-ce  à  cette  époque  qu'il  faut  rapporter  la  composition  de 
ses  Commentaires  sur  YArs  brevis  de  Raimond  Lulle  que,  vers 
1517,  il  dédiait  au  commandeur  de  Saint-Antoine?  11  lui  dit  alors 
qu'il  les  avait  déjà  depuis  longtemps  entre  les  mains;  et  peut-être 
doit-on,  d'après  cela,  reporter  à  une  date  antérieure  encore 
l'exécution  de  cet  ouvrage;  mais  il  faut  rapprocher  des  travaux 
accomplis  alors  par  Agrippa  ses  petits  traités  religieux,  compo- 
sés vers  1515-1517,  sur  l'homme,  sur  la  connaissance  de  Dieu  et 
sur  le  péché  originel. 


AGRIPPA    EN    ITALIE  219 

dois  couvrir  d'un  absolu  silence  el  cacher  au  plus 
profond  de  ion  cœur  ce  mystère  auguste;  car  ce  se- 
rait une  véritable  impiété  de  publier  cette  doctrine 
pleine  de  la  majesté  de  Dieu  môme.  (Ep.  T,  31). 

Si  la  cabale  occupait  encore  Agrippa,  c'était  alors 
pour  lui  un  moyen  surtout  d'agir  en  secret  sur  cer- 
tains esprits.  Il  ne  voulait  plus  en  faire,  on  le  voit, 
comme  jadis  à  Dole,  le  drapeau  d'une  propagande 
ouverte,  le  texte  d'un  enseignement  public.  Nous 
savons  de  quel  sujet  avait  maintenant  fait  choix, 
pour  ce  dernier  objet,  le  théologien  du  concile  de 
Pise.  C'était  encore  d'une  science  en  quelque  sorte 
hétérodoxe  qu'il  voulait  parler.  Agrippa  était  de  ces 
esprits  hostiles  à  la  tradition,  rebelles  au  joug  de 
la  discipline,  auxquels  il  faut  à  tout  prix  des  voies 
nouvelles.  Il  faisait  de  la  philosophie,  mais  c'était  do 
la  philosophie  hermétique.  Il  avait  pris  en  1515,  nous 
l'avons  annoncé  tout  à  l'heure,  pour  texte  de  ses  le- 
çons à  l'université  de  Pavie,  le  prétendu  traité  d'Her- 
mèsTrismégiste,  intitulé  Pimander,  sur  la  puissance 
et  la  sagesse  de  Dieu. 

Nous  avons  dit  dans  notre  introduction  ce  que 
c'était  que  la  science  hermétique,  corps  d'antiques 
doctrines  formulées  définitivement  au  sein  des  éco- 
les gréco-orientales  d'Alexandrie.  Nous  avons  dit 
ce  que  c'était  qu'Hermès  Trismégiste,  c'est-à-dire 
trois  fois  grand  ;  personnage  imaginaire  présenté 
tantôt  comme  un  dieu,  tantôt  comme  un  mortel 
d'un  caractère  soit  héroïque,  soit  sacerdotal,  auquel 
on    avait,    dès     l'antiquité,    attribué   des    ouvrages 

T.   I.  10 


250  CHAPITRE   TROISIÈME 

apocryphes  dont  le  nombre  s'accrut  même  au  moyen 
âge,  et  jusque  dans  les  temps  modernes.  Quelques- 
uns  de  ces  ouvrages  pourraient  bien  remonter, 
croit-on,  jusqu'aux  premiers  siècles  de  notre  ère  et 
appartenir  à  l'œuvre  des  philosophes  alexandrins. 
Ces  écrits,  plus  anciens  que  les  autres,  étaient  pré- 
cisément ceux  qui  avaient  été  le  plus  oubliés  dans 
le  moyen  âge  ;  et,  lorsqu'à  l'époque  de  la  renais- 
sance ils  furent  remis  au  jour,  on  les  accueillit 
avec  cette  curiosité  respectueuse  qu'on  accordait 
aux  chefs-d'œuvre  de  tout  genre  de  l'antiquité 
remise  en  honneur,  sortant  alors  de  la  poussière  et 
de  l'obscurité,  aux  yeux  émerveillés  des  hommes. 

L'un  de  ces  écrits  récemment  tirés  de  l'oubli  était 
un  traité  en  langue  grecque,  composé  d'une  série  de 
dialogues,  où  il  était  question  de  l'origine  des  choses 
et  delà  création;  de  Dieu,  de  son  essence  et  de  ses 
attributs.  Un  moine  italien,  Léonardus  Pistoriensis, 
l'avait,  disait-on,  retrouvé  en  Macédoine  et  rapporté  à 
Florence,  où  il  était  tombé  entre  les  mains  du  docte 
Marsile  Ficin,  qui,  dans  la  seconde  moitié  du  xve  siè- 
cle, en  avait  fait  une  traduction  latine  publiée  alors  et 
dédiée  à  Cosme  de  Médicis.  Le  texte  grec  ne  fut  donné 
que  plus  tard  au  public  par  Vergés,  et  imprimé  par 
Turnèbc  à  Paris  en  1534.  Marsile  Ficin  avait  inti- 
tulé sa  traduction  latine  Pimander,  ou  traité  de  Mer- 
cure Trismégiste,  de  la  puissance  et  de  l'a  sagesse 
de  Dieu  :  Pimander,  Mercurii  Trismcgisti  liber,  de  po- 
tcstate  et  sapientia  Dei.  Le  nom  de  Pimander  venait 
de  celui  de  Poimandrès,  formé  lui-même  sur  le  grec 


AGRIPPA    EN    ITALIE  251 

7io'.lj.xvTYip,  berger,  conducteur,  directeur,  et  person- 
nifiant l'esprit  de  la  puissance  divine,  mens  divinœ 
potentix.  C'était  le  nom  de  l'un  des  interlocuteurs 
mis  en  scène  dans  ces  dialogues  ;  il  était  dû  à  Marsile 
Ficin  lui-même,  premier  traducteur  du  vieux  traité. 
Plus  récemment  Lefèvre  d'Etaples  avait  fait  impri- 
mer à  Paris,  en  1505,  une  nouvelle  édition  de  la  pu- 
blication de  Marsile  Ficin,  augmentée  de  commen- 
taires où  il  s'efforçait  de  mettre  d'accord  avec  les 
doctrines  du  christianisme,  ces  thèses  singulières 
empruntées  au  gnosticisme  des  Alexandrins.  Les 
notions  réunies  ainsi  procèdent  d'une  philosophie 
panthéiste  imprégnée  de  spiritualisme.  Elles  sont 
loin,  du  reste,  de  former  un  système  consistant.  Le 
Pimandei'  n'est  rien  moins  qu'un  traité.  Certaines 
discordances  faciles  à  y  relever  semblent  même  in- 
diquer, dans  les  dialogues  qui  le  constituent,  un  rap- 
prochement fortuit  et  des  origines  distinctes. 

On  trouve  dans  le  Pimander  trois  ou  quatre  systè- 
mes de  genèse  différents.  Dans  le  dialogue  premier, 
c'est  Dieu  le  père  ou  Esprit  enfantant  Dieu  le  fils  ou 
Verbe,  d'où  procède  une  troisième  personne  divine, 
le  Créateur,  de  qui  viennent  les  sept  gouverneurs 
des  sept  sphères  du  monde,  puis  les  créatures,  et 
l'homme  enfin  qui,  voulant  créer  à  son  tour,  engen- 
dre la  forme  dénuée  de  raison.  Ailleurs,  dans  les  dia- 
logues huitième,  neuvième,  dixième  et  onzième,  c'est 
Dieu  le  père,  le  Monde  fils  de  Dieu,  et  au-dessous 
d'eux  l'homme,  dieu  terrestre,  qui  sont  tout  cl  de 
qui  tout  procède.  Il  y  a  encore,  suivant  le  dialogue 


252  CHAPITRE    TROISIÈME 

douzième,  l'Éternité  engendrée  par  Dieu,  le  Monde 
produit  par  l'Eternité,  le  Temps  par  le  Monde,  la 
Génération  par  le  Temps. 

Au-dessus  de  ces  systèmes  genésiaques  planent 
certains  principes  panthéistes  reproduits  en  divers 
passages.  Tout  est  dans  Dieu  ;  hors  de  Dieu,  il  n'y  a 
rien.  Dieu  est  tout;  tout  est  immortel.  Créateur  et 
créature,  genitor  et  genitus,  forment  un  tout  indissolu- 
ble. Ce  qui  est  engendré,  c'est  ce  qu'on  voit  ;  ce  qui 
est  éternel,  c'est  ce  qui  reste  caché.  Rien  ne  finit  ;  la 
mort  n'est  qu'un  changement,  une  dissolution  des 
mélanges.  La  génération,  c'est  la  vie  rendue  appa- 
rente ;  la  mort,  c'est  la  vie  qui  se  cache.  De  la  bonté 
de  Dieu  ressort  la  bonté  de  tout  ce  qui  existe. 

A  côté  de  ces  principes  généraux,  on  saisit  un 
grand  nombre  de  propositions  particulières  qui  re- 
flètent le  gnosticisme  et  le  mysticisme  des  Grecs 
d'Alexandrie.  Toute  partie  du  monde  est  animée  par 
un  démon  qui  lui  est  propre.  Les  nombres  sont  le 
fondement  de  tout.  Les  âmes  soumises  à  la  mé- 
tempsycose passent  du  reptile  au  poisson,  de  ce- 
lui-ci à  l'animal  terrestre,  puis  à  l'oiseau  habitant  de 
l'air,  puis  a  l'homme,  d'où  elles  vont  aux  démons  et 
aux  dieux.  L'homme  est  né  de  Dieu,  qui  est  vie  et 
lumière.  Cependant,  parmi  les  hommes,  Dieu  ne  com- 
munique l'esprit  qu'à  ceux-là  seulement  qui  sont 
pieux  et  religieux.  Le  vrai,  qui  est  Dieu,  n'a  ni 
couleur,  ni  figure,  ni  corps  en  quelque  sorte.  Par  la 
contemplation,  la  connaissance  de  Dieu  descend  en 
nous;   la   contemplation    cessant,    nous   retombons 


AGRIPPA    EN    ITALIE  233 

dans  l'ignorance.  L'homme  vit  en  union  avec  Dieu,  la 
nuit  par  les  songes,  le  jour  par  les  prodiges  ;  de  là  les 
révélations  et  les  prédictions.  Ces  doctrines,  on  le 
voit,  partant  des  hauteurs  d'un  spiritualisme  raffiné, 
plongeaient  en  s'abaissant  dans  un  panthéisme  mys- 
tique, et  arrivaient  jusqu'au  seuil  des  arts  divinatoi- 
res et  de  la  magie. 

Tels  sont  les  principes  contenus  dans  le  traité  lu 
et  commenté  par  Agrippa,  en  lolo,  à  l'université  de 
Pavic.  Comment  réussit-il  à  exposer  convenable- 
ment de  semblables  idées  dans  une  chaire  de  théo- 
logie chrétienne?  Probablement  en  ayant  recours  à 
des  interprétations  symboliques,  à  des  analogies 
plus  ou  moins  spécieuses,  à  d'adroites  omissions  : 
procédés  conformes  à  ceux  qu'emploie  dans  son 
commentaire  Lefèvre  d'Étaples,  dont  il  avait  peut-être 
le  livre  entre  les  mains.  Il  y  avait,  en  tout  cas,  dans 
ce  sujet,  tout  ce  qu'il  fallait  pour  autoriser  les  har- 
diesses et  les  nouveautés  dont  on  était  surtout  friand 
alors,  et  qui  convenaient  tout  particulièrement  à 
l'esprit  d'Agrippa. 

Nous  ne  savons  pas  si  les  leçons  dWgrippa  sur 
le  Pimander  retinrent  bien  longtemps  l'attention  de 
ses  auditeurs  ;  mais  nous  savons  qu'elles  excitèrent 
vivement,  à  leur  début,  la  curiosité  publique.  Celle- 
ci  était  tout  naturellement  provoquée,  comme  nous 
venons  de  le  dire,  par  le  choix  môme  du  sujet  ;  elle 
l'était  bien  plus  encore  peut-être  par  le  caractère  du 
professeur.  C'était  un  homme  très  jeune  pour  un 
pareil  rôle,  il  n'avait  pas  trente  ans  et  se  présentait, 


254  CHAPITRE    TROISIEME 

non  comme  un  lettré,  comme  un  savant  de  profes- 
sion, mais  comme  un  soldat  détaché  accidentelle- 
ment de  la  vie  des  camps.  Nous  avons  déjà  dit 
qu'Agrippa,  en  toute  occasion,  affichait  de  grandes 
prétentions  à  la  gloire  des  armes,  et  qu'il  lui  plaisait 
de  passer  pour  un  guerrier.  Nous  avons  dit  aussi 
combien  ces  prétentions  étaient  peu  justifiées.  Voici 
un  nouveau  témoignage  de  ce  singulier  travers  de 
son  esprit. 

Sans  connaître  avec  beaucoup  de  précision  ce 
qu'avait  été  l'existence  d' Agrippa  depuis  qu'il  était 
en  Italie,  nous  en  savons  ass^z  pour  être  certains 
que,  malgré  son  apparition  dans  le  camp  de  l'empe- 
reur à  son  arrivée  dans  ce  pays,  sa  vie  n'y  avait  été 
nullement  celle  d'un  soldat.  Il  se  donne  cependant  à 
ce  moment  pour  tel,  obéissant  par  là  sans  doute  à  la 
tendance  qui  l'a  toujours  porté  à  se  targuer  de  ce 
genre  de  mérite  ;  mais  voulant  certainement  de  plus, 
par  esprit  de  charlatanisme,  provoquer  ainsi  l'atten- 
tion qu'éveille  toujours  un  homme  qui  paraît  se 
prêter  accidentellement  à  un  rôle  qu'on  peut  croire 
étranger  à  sa  condition  habituelle. 

Nous  possédons,  avons-nous  dit,  le  discours  pro- 
noncé dans  sa  première  leçon  par  Agrippa  '.  Son 
apparition  dans  une  chaire  d'enseignement  avait 
attiré  tout  ce  que  Pavie,  centre  d'études  et  de  vie 

1.  Oratio  habita  Papix  in  prMectione  Hermetis  Trismegisli, 
de  potestate  et  sapientia  Dei.  —  Anno  MDXV.  —  {Opéra,  t.  II, 
p.  1073-lOSi.) 


AGRIPPA  EN    ITALIE  255 

intellectuelle,  renfermait  d'hommes  distingués,  et 
avec  eux  un  personnage  considérable,  le  marquis  de 
Mantoue,  Jean-François  de  Gonzague,  un  de  ces 
petits  princes  qui,  dans  la  politique  embrouillée  de 
l'époque,  menaient,  honorablement  du  reste  suivant 
les  idées  et  les  usages  de  leur  temps,  la  vie  de  con- 
dottiere, plutôt  que  celle  de  souverain.  Agé  de  près 
de  soixante  ans  en  1515,  Jean  de  Gonzague  avait 
servi  l'une  après  l'autre  toutes  les  causes  en  Italie. 
A  un  certain  moment,  il  avait,  en  raison  d'un  grief 
personnel,  quitté  le  parti  de  Louis  XII,  pour  celui 
de  l'empereurMaximilien.  Mêlé  dès  lors  aux  ennemis 
des  Français,  il  se  trouvait  maintenant  l'ami  du  duc 
Sforze,  rentré  depuis  trois  années  dans  le  Milanais  ; 
c'est  ce  qui  explique  sa  présence  à  Pavie  en  1515, 
quand  Agrippa,  qu'il  pouvait  avoir  entrevu  en  1511 
sur  l'Adige,  au  camp  de  l'empereur,  parut  dans  la 
chaire  de  théologie  de  la  célèbre  université  de  cette 
ville.  Il  assiste  en  curieux  à  sa  première  leçon. 

—  Illustre  marquis,  dit  en  commençant  Agrippa, 
et  vous  personnages  éminents  et  recommandables, 
vous  voyez  devant  vous  un  homme  qui,  après  mainte 
traverse,  après  les  dures  leçons  d'une  fortune  con- 
traire, fatigué  par  trois  années  de  guerres  et  de 
travaux  de  toute  sorte,  s'est  longuement  demandé 
comment  il  lui  serait  possible  d'échapper  à  ces  écueils, 
et  de  sortir  de  cette  mer  toute  sanglante  pour  gagner 
le  port.  Il  me  fallait  un  emploi  honorable  en  même 
temps  que  lucratif.  J'ai  cru  le  trouver  dans  une 
fonction  qui  peut  s'accorder  avec  le  métier  des  ar- 


256  CHAPITRE   TROISIÈME 

mes.  Je  veux  exposer  devant  vous  les  secrets  mystè- 
res de  la  plus  sublime  philosophie.  Familiarisé  dès 
mon  jeune  âge  avec  l'étude,  je  me  suis  trouvé  porté 
par  l'influence  des  astres,  par  le  génie  divin,  et  par 
mes  propres  dispositions,  vers  la  contemplation,  at- 
trayante par-dessus  tout,  de  l'ordonnance  et  des 
secrets  de  la  nature;  et  rien  ne  peut  mieux  me 
convenir  que  de  me  présenter  sous  l'égide  de  la 
sacro-sainte  philosophie,  devant  la  jeunesse  qui 
peuple  cette  florissante  université.  Mais  ne  m'accu- 
sera-t-on  pas  de  présomption  et  de  témérité,  en  me 
voyant,  presque  barbare  au  milieu  de  cette  nation, 
soldat  jusqu'à  ce  jour,  et  en  habit  étranger,  franchir 
les  degrés  de  cette  chaire  et  oser,  si  jeune  encore 
d'années,  vous  promettre  des  choses  dont  l'impor- 
tance réclame  ordinairement  la  gravité  et  la  maturité 
d'un  vieux  docteur?  Je  ne  le  crains  pas.  Je  considère 
surtout  la  perspicacité  de  votre  intelligence  ;  je  me 
rappelle,  en  outre,  qu'ailleurs  déjà  j'ai  su  remplir 
avec  succès  l'emploi  dont  je  veux  me  charger  aujour- 
d'hui, et  je  me  dis  qu'après  tout  ce  n'est  pas  du 
nombre  des  années,  mais  des  forces  de  l'esprit,  que 
vient  la  science. 

Après  ce  début  insinuant,  Agrippa  rappelle  au 
marquis  de  Mantoue  qu'il  a  pu  le  voir,  pendant  ces 
dernières  années,  investi  d'un  commandement  mili- 
taire, dans  le  camp  de  l'empereur  '.  Il  revient  encore 

l.Los  expressions  proximis  kis  annis  devaient  faire  croire 
qu'Agrippa  avait,  pendant  les  dernières  années,  vécu  dans  les 


AGRIPPA   EN    ITALIE  257 

sur  le  contraste,  qui  semble  lui  plaire  beaucoup,  de 
sa  condition  antérieure  d'homme  de  guerre  et  de  sa 
situation  présente  dans  une  chaire  de  théologie, 
sacrarum  literarum  pulpito  prsepositus.  Il  prie  ses 
jeunes  auditeurs  de  ne  pas  se  scandaliser  de  ce 
titre  sanguinaire  de  soldat.  11  cite  l'exemple  d'illus- 
tres guerriers  qui  ont  manié  la  parole  et  la  plume 
aussi  bien  que  l'épée.  Il  nomme  César  et  Charle- 
masrne.  Les  armes  d'ailleurs  sont,  dit-il,  d'insti- 
tution  divine;  Judas  Machabée  a  reçu  les  siennes 
de  Dieu  lui-même.  Il  n'y  a  donc  aucune  raison  pour 
le  repousser,  lui,  d'une  situation  où  l'appellent  la 
voix  et  les  encouragements  de  ses  amis,  le  senti- 
ment de  ses  devoirs  envers  Dieu  et  envers  les  hom- 
mes, et  par  dessus  tout  les  circonstances  propices 
qui  ont  fait  succéder  aux  troubles  et  aux  fatigues  de 
la  guerre  la  paix  et  la  liberté,  sous  la  protection 
de  l'illustrissime  et  victorieux  Hercule  Maximilien 
Sforze,  huitième  duc  de  Milan,  que  Dieu  protège. 
L'orateur  annonce  ensuite  qu'il  veut  expliquer  les 

camps.  Nous  savons  qu'il  n'en  est  rien.  Il  se  donne  en  même 
temps  le  titre  de  militibus  prxf'ectus.  Son  manque  habituel  de 
sincérité,  en  ce  qui  regarde  ses  prétendus  services  militaires, 
nous  autorise  à  ne  pas  nous  arrêter  beaucoup  au  sens  rigoureux 
(pu;  pourraient  avoir  ces  expressions.  Quant  à  l'audacieux  appel 
qu'Agrippa  ne  craint  pas  de  faire  aux  souvenirs  du  vieux 
marquis  de  Mantoue,  ce  n'est  évidemment  qu'un  trait  de  har- 
diesse sans  grand  inconvénient,  vis-à-vis  d'un  homme  dont  la 
mémoire  n'avait  dû  conserver  qu'une  idée  imparfaite  du  grand 
nombre  de  gens  qui,  dans  les  camp,  divers,  avaient  passé 
devant  lui. 


258  CHAPITRE   TROISIÈME 

dialogues  d'Hermès  Trismégiste  sur  la  puissance  et, 
la  sagesse  de  Dieu.  Il  fait  l'histoire  de  cet  antique 
docteur,  d'après  ce  qu'il  en  a  trouvé,  dit-il,  dans  le 
livre  astrologique  de  Rab  Abraham  Avenazre.  Sui- 
vant lui,  le  patriarche  Abraham  aurait  eu  d'une  con- 
cubine un  fils  nommé  Mydas  qui  fut  père  d'Enoch,  et 
c'est  celui-ci  que  sa  science  aurait  fait  surnommer 
Hermès  ou  Mercure;  ce  qui  est,  dit  Agrippa,  d'accord 
avec  les  récits  d'Eusèbe,  de  Diodore  et  de  Lactance. 
Cet  Enoch,  surnommé  Hermès  ou  Mercure,  aurait 
donné  aux  Egyptiens  clés  lois  ;  il  leur  aurait  appris 
l'astromie,  leur  aurait  enseigné  l'harmonie  des  mots 
et  des  nombres,  la  médecine,  la  palestre.  Le  premier 
parmi  les  philosophes,  il  se  serait  élevé  de  la  connais- 
sance des  choses  physiques  et  mathématiques  à  celle 
de  la  divinité,  et  aurait  inventé  la  théologie.  Il  aurait 
enfin  rédigé,  pour  y  déposer  cette  universelle  science, 
26,525  volumes  tout  remplis  de  choses  merveilleuses, 
où  il  annonce  la  ruine  de  l'ancienne  religion  et  la  ve- 
nue du  Christ  ;  ce  qui  a  donné  occasion  à  saint  Au- 
gustin de  se  demander  si  c'est  par  les  astres  ou  par 
les  révélations  des  esprits  qu'il  a  pu  connaître  de  si 
grands  mystères  '.  Lactance  le  compte  parmi  les 
sibylles  et  les  prophètes.  Il  a  surpassé  tous  les  philo- 
sophes; il  était  prêtre,  et  les  Egyptiens  l'ont  créé 


1.  Ceci  est  emprunté  par  Agrippa  à  MarsileFicin,  suivant  le- 
quel saint  Augustin  se  serait  fait  celte  question  à  propos 
d'Hermès  Trismégiste  :  «  Peritia  ne  siderum,  an  revelatione 
spiriluum  illa  cognoverit.  »  {Opéra,  t.  II,  p.  1078,  1079.) 


AGRIPPA    EX    ITALIE  259 

roi.  De  là  vient  qu'on  l'a  surnommé  Trismégiste,  ou 
trois  t'ois  grand.  Agrippa,  on  le  voit,  a  des  informa- 
tions complètes,  trop  complètes  peut-être,  sur  la 
personne  de  son  auteur.  Il  sait  même  comment  il 
est  mort,  et  il  connaît  ses  dernières  paroles  à  ses 
disciples,  lorsqu'il  a  quitté  la  terre  pour  retourner  à 
la  cité  éternelle,  dont  la  corruption  de  la  mort  ouvre 
à  tous  les  portes. 

Après  avoir  parlé  de  l'auteur,  Agrippa  en  vient  à 
parler  du  livre.  Le  titre  de  celui-ci  est  Pimander.  Tl 
contientles  plus  profonds  mystères  de  la  plus  vieille 
théologie,  avec  les  secrets  de  l'une  et  l'autre  philoso- 
phie, sur  Dieu  et  le  monde,  sur  l'esprit,  sur  les  dé- 
mons et  sur  l'âme,  sur  l'ordre  de  la  providence,  le 
destin,  la  religion  et  ses  mystères,  les  prières  se- 
crètes, l'union  avec  Dieu,  de  divino  connitôio,  et  la 
régénération. 

—  Voilà,  dit  alors  Agrippa,  ce  que  je  vous  expli- 
querai, soit  Ihéologiquement,  soit  philosophique- 
ment, ou  bien  par  les  procédés  de  la  rhétorique  et 
de  la  dialectique,  suivant  les  exigences  du  texte  ;  en 
citant  les  autorités,  les  opinions,  les  exemples  et  les 
passages  des  lois  canoniques  ou  des  lois  civiles  qui 
s'y  rapportent.  Puisse  la  double  faculté  de  philoso- 
phie et  de  médecine,  puisse  celle  de  théologie,  puis- 
sent l'autorité  des  saints  canons  et  la  majesté  des 
lois  me  pardonner  de  toucher  à  quelques-uns  de 
leurs  dogmes.  Dans  cette  université,  je  le  sais,  ils 
sont  sous  la  garde  d'excellents  docteurs  et  de  sa- 
vants professeurs,  lectures  or  dinar  ii.  Je  ne  saurais  faire 


260  CHAPITRE   TROISIEME 

injure  à  ceux-ci,  en  associant  mon  œuvre  à  la  leur, 
et  en  partageant  avec  eux  le  fruit  de  mes  travaux. 
Je  m'engage  à  ne  laisser  sans  explication  rien  de  ce 
qui,  dans  ces  doctrines,  peut  se  rapporter  aux  autres 
sciences.  J'espère  y  réussir  grâce  au  Pimander  de 
Mercure  trois  fois  grand,  grâce  à  l'esprit  de  la  puis- 
sance divine,  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  lui-même, 
véritable  Pimander,  que  je  confesse  véritablement 
Dieu  et  homme,  et  auteur  de  notre  régénération  '. 

Agrippa  proteste  ensuite  de  sa  volonté  de  ne  ja- 
mais rien  dire  ni  rien  écrire  qui  ne  soit  approuvé  par 
l'Église,  par  le  chœur  des  fidèles,  par  le  collège  sa- 
cré des  ôvêques  et  le  souverain  pontife  qui  est  à  sa 
tête.  11  soumet  à  leur  jugement  ses  opinions;  il  se 
déclare  toujours  prêt  à  recevoir,  en  tout  esprit  de 
charité  chrétienne,  les  censures  et  les  corrections  qui 
lui  seront  imposées  par  ceux  qui  ont  autorité  pour  le 
faire,  ou  par  tout  autre,  mieux  informé  qu'il  n'a  pu 
l'être  lui-même.  Il  prévient,  en  outre,  qu'il  suivra 
également  dans  ses  discussions,  soit  les  procédés 
scolastiques  des  stoïciens  et  des  péripatéticiens,  les- 
quels, en  présence  d'une  proposition,  s'attachent  à 
une  question  particulière  à  l'aide  de  laquelle  ils  con> 
battent  tout  le  reste;  soit  la  méthode  de  Socrate  et 

1.  «  Favente  nobis  ipso  ter  maximi  Mercurii  Pimandro,  mente 
«  divinte  potentice,  Domino  videlicet  nostro  Jesu  Christo  Naza- 
«  reno  crucifixo,  qui  verus  Pimander,  qui  magni  consilii  Ange- 
«c  lus,  vero  mentis  lumine  illustrât;  quem  verum  Deum  et  verum 
«  hominem  regenerationis  auctorem  confitemur,  futurique  pa- 
ix trem  seculi  judicem  expectamus.  »  (Opéra,  t.  II,  p.  1080.) 


AGRIPPA   EN    ITALIE  201 

de  l'académie,  où,  rapprochant  d'un  point  controversé 
les  diverses  questions  qui  s'y  rapportent,  on  choisit, 
entre  toutes,  celle  qui  semble  avoir  le  plus  de  vrai- 
semblance et  de  probabilité.  Mais  il  répudie  la  ma- 
nière des  sceptiques,  lesquels, trouvant  toutes  choses 
incertaines,  plaident  successivement    le  pour  et  le 
contre,  et  restent  finalement  indécis  entre  les  deux, 
entassant  ainsi  montagnes  sur  montagnes    et,  nou- 
veaux   géants,   paraissant    vouloir    s'attaquer    aux 
dieux,  et  battre  en  brèche  avec  leurs  suphismes  tou- 
tes doctrines  et  jusqu'aux  lettres  sacrées  elles-mê- 
mes. Ces  docteurs  entêtés,  objet  de  mépris  pour  les 
philosophes  aussi  bien  que  pour  les  théologiens  et 
les  jurisconsultes,  condamnés  par  les  apôtres,  par 
les  Pères,  par  les  lois  civiles  elles-mêmes,  Agrippa 
veut  qu'ils  s'éloignent  de  ses  leçons  et  il  refuse  de 
les  entendre.  Quant  aux  autres,  il  recevra  toujours 
volontiers  leurs  objections  ou  leurs  contradictions  ; 
et  d'une  leçon  à  l'autre  il  promet  d'y  répondre,  si- 
non toujours  verbalement,  ce  qui  pourrait  tourner  h 
inconvénient,   au  moins  par  écrit,  à  l'exemple  des 
anciens  théologiens,  des    Origène,  des  Basile,  des 
Athanase,  des  Cyrille,  des  Didymc,  des  Eusèbe,  des 
Chrysostome,    des   Nazianze  parmi   les   Grecs,   et, 
parmi  les  Latins,  des  Tertullicn,  des  Rufin,  des  Jé- 
rôme, des  Augustin,  aussi  bien  que  de  tant  d'autres 
saints  personnages  qui  se  sont  toujours  montrés  for- 
mellement contraires  à  ces  discussions  en  paroles, 
où  l'on  combat  par  la  force  des  poumons,  plus  encore 
que  par  celle  des  arguments,  et  pour  la  vainc  gloire 


262  CHAPITRE   TROISIÈME 

de  discourir,  plutôt  que  pour  l'honneur  de  la  vérité. 

—  Je  ne  pouvais  pas,  dit  Agrippa  en  terminant 
son  discours,  m'attendre  à  parler  aujourd'hui,  ainsi 
que  je  l'ai  fait,  devant  un  auditoire  où  tant  d'hommes 
distingués  brillent  comme  les  astres  étincelants  qui, 
dans  le  ciel  président  par  leur  influence  et  leurs  mou- 
vements aux  événements  terrestres.  Comment  pour- 
rai-je  clignement  leur  rendre  grâces  de  cette  insigne 
laveur?  Toi,  Jean  de  Gonzague,  illustre  et  vaillant 
capitaine,  vous  tous  hommes  éminents,  recevez  avec 
bienveillance  l'hommage  du  dévouement  absolu  que 
vous  offre  un  soldat  qui,  docteur  aujourd'hui,  a 
quitté  les  armes  pour  les  lettres.  Et  vous,  mes  jeu- 
nes auditeurs,  croyez-moi  toujours  prêt  à  vous  ser- 
vir, si  l'occasion  s'en  présentait,  par  mon  bras  aussi 
bien  que  par  ma  parole. 

A  côté  du  morceau  que  nous  venons  de  faire  con- 
naître et  qui  appartient  à  l'année  1515,  les  œuvres 
d'Agrippa  en  contiennent  un  autre  du  même  genre, 
qui  malheureusement  ne  porte  aucune  date  et  qui  a 
pu  servir  aussi  de  préliminaire  à  des  leçons  publi- 
ques. Nous  ne  pouvons  mieux  faire  que  de  placer  ici 
ce  que  nous  avons  à  en  dire,  ne  sachant  ni  à  quelle 
époque,  ni  dans  quel  endroit  ont  dû  être  faites  ces  le- 
çons, si  tant  est  qu'elles  aient  eu  lieu  en  effet.  Serait- 
ce  également  à  Pavie,  antérieurement  à  celles  de 
l'année  1515,  c'est-à-dire  lors  du  premier  séjour 
d'Agrippa  dans  cette  ville,  en  1512?  Serait-ce  plus 
tard ,  à  l'université  de  Turin  par  exemple ,  où 
Agrippa  nous  apprend  qu'il  a  parlé  aussi  vers  la  fin 


AGRIPPA   EN    ITALIE  263 

de  son  séjour  en  Italie?  De  ces  deux  hypothèses,  la 
première  a  contre  elle  cette  considération  que  le  dis- 
cours de  1515  ne  contient  aucune  allusion,  et  il  eût 
été  nature]  d'en  faire  une  alors,  à  ces  leçons  anté- 
rieures, si  elles  avaient  eu  lieu  en  effet.  Bien  plus, 
le  discours  de  1515,  par  quelques-uns  de  ses  traits 
que  nous  avons  reproduits,  semble  indiquer  qu'A- 
grippa osait  pour  la  première  fois  paraître,  ce  dont 
il  s'excuse,  dans  la  chaire  où  on  le  voit  monter  à  ce 
moment.  Contre  la  seconde  hypothèse,  une  objection 
d'une  autre  espèce  résulte  de  cette  particularité,  qu'à 
Turin,  où  l'on  sait  du  reste  qu'il  n'a  dû  rester  que 
fort  peu  de  temps,  Agrippa  nous  dit  avoir  interprété 
dans  la  chaire  de  théologie  les  lettres  sacrées  ',  ce 
qui  ne  s'accorde  pas  du  tout  avec  le  sujet  abordé 
dans   le    second    discours    que    nous    avons    sous 
les  yeux.  Ce  discours  concerne  le  Banquet  de  Pla- 
ton   2  ;  morceau  singulier  de  philosophie    grecque 
dans  lequel  il  est  surtout  question  de  l'amour;  beau- 
coup,  il  est   vrai,  au  point  de  vue  métaphysique  ; 
mais  quelque  peu  aussi  à  un  point  de  vue  tout  dif- 
férent, où  il  est  signalé  comme  un  ressort  de  l'or- 
dre social,  et  cela  dans  un  sens  dont  nous  n'avons 
pas  besoin  de  rappeler  l'étrange  té. 


1.  '<  Apud  Taurinum  gymnasium,  theologica  lectione  in  pu- 
ablicisscholis,  sacrasliteras  publiée  interprétâtes  sum.  »(Opera, 
t.  II,  p.  590.) 

1.  Oratin  in  przleetione  convivii  Plalonis,  amoris  laudem 
continens.  (Opéra,  t.  II,  p.  1062,  1073.  Hi 


2G1  CHAPITRE   TROISIÈME 

Agrippa  n'était  pas  homme  à  être  fort  embarrassé 
de  ces  relations  d'érastes  et  d'éromènes  dont  les 
détails  tiennent  beaucoup  de  place  dans  ce  que  le 
philosophe  athénien  dit  de  l'amour.  Cependant,  il 
faut  le  reconnaître,  il  néglige  tout  à  fait,  dans  son  ex- 
position préliminaire,  cette  thèse  particulière,  et  en 
prend  une  autre  dans  les  développements  de  laquelle 
il  se  contente  d'insérer,  en  les  adoucissant  d'ailleurs, 
quelques-unes  des  propositions  que  Platon  met  dans 
la  bouche  de  Phèdre  et  des  autres  convives.  Il  eût 
été  difficile  de  faire  autrement  dans  la  circonstance; 
car  c'est  évidemment' à  des  jeunes  gens,  candidissimi 
audùores,  que  le  discours  était  adressé,  ou  qu'il  était 
au  moins  destiné,  dans  le  cas  où  il  n'aurait  été,  ce  qui 
après  tout  est  bien  possible,  qu'un  simple  projet  d'al- 
locution, en  vue  d'éventualités  qui  ne  se  seraient  pas 
réalisées. 

L'amour  qu'Agrippa  porte  à  la  jeunesse  est  le  mo- 
bile de  sa  conduite  et  le  motif  de  son  discours.  11 
justifie  par  les  considérations  les  plus  variées  ce  sen- 
timent si  naturel  à  l'homme,  et  qui  éclate  môme  dans 
l'acte  du  Dieu  créateur,  suivantMoyse  et,  dit  Agrippa, 
suivant  Platon.  Sans  amour,  pas  de  vertu.  Avec  l'a- 
mour, l'homme  est  capable  des  plus  grandes  choses. 
Il  est  lui-même  parla  presque  transformé.  L'amour. 
dont  les  païens  ont  fait  le  grand  Dieu,  magnus  Deus, 
soumet  tout  à  ses  lois,  tout  jusqu'aux  autres  dieux 
eux-mêmes.  L'amour  au  reste,  du  consentement  de 
tous  les  philosophes  et,  ajoute  non  sans  hardiesse 
Agrippa,  de  tous  les  théologiens,  l'amour  est  le  dé- 


AGRIPPA    EN    ITALIE  2(35 

sir  qui  nous  porte  vers  la  beauté,  mais  surtout  vers 
la  beauté  cachée, occultum  formosum,  dont  les  beautés 
visibles  ne  sont  que  le  symbole. 

L'amour  est  un  principe  de  paix  et  de  bon  or- 
dre.  La  médecine,  dit  encore  assez  singulièrement 
Agrippa,  ne  vise  pas  à  autre  chose  qu'à  réconcilier, 
dans  des  dispositions  d'amour  réciproque,  les  qua- 
tre   humeurs    du    corps.    L'agriculture,    a,joute-t-il 
dans    une  appréciation   non  moins  bizarre,    ne  vit 
que  par  l'amour  dont  la   terre  est  susceptible  pour 
les  semences  qu'on  lui  confie. 

Enfin,  après  avoir  signalé  comme  le  premier  et  le 
plus  essentiel  l'amour  de  Dieu,  Agrippa,  entrant  har- 
diment dans  un  ordre  d'idées  tout  différent,  ne 
craint  pas  de  recommander  l'amour  qui  si  justement 
s'adresse  à  la  femme,  et  de  faire  ressortir  le  droit 
qu'à  tant  de  titres,  elle  a  d'inspirer  ce  sentiment. 
Refuser  l'amour  à  la  femme  serait,  dit-il,  le  vice  le 
plus  honteux.  Au  reste,  il  relève  surtout  ce  que  ce 
sentiment  a  de  plus  noble  et  de  plus  légitime  et  dit  un 
mot,  à  cette  occasion,  de  son  livre  de  la  prééminence 
du  sexe  féminin,  lequel,  ainsi  qu'il  l'indique  à  cette 
occasion,  n'était  pas  encore  publié  alors.  Il  se  donne 
aussi,  en  passant,  la  satisfaction  de  lancer  une  in- 
vective contre  les  moines,  objets  dosa  haine,  contre 
ces  hypocrites  porteurs  de  capuce,  cuculliones,  qui 
prêchent  la  chasteté  en  faisanl  la  bacchanale,  et  qui, 
dit-il,  trouveront  peut-être  trop  hardie  ceLte  partie 
de  son  discours.  Mais  Agrippa  ne  veut  pas  qu'un  s'y 
méprenne.  11  condamne  formellement  l'amour  ?on- 
!    i  w 


266  CHAPITRE   TROISIÈME 

suel.  Celui  qu'il  préconise  est  un  sentiment  divin 
qui  élève  et  qui  anoblit. 

Agrippa,  comme  nous  l'avons  vu  tout  à  l'heure, 
terminait  en  1515,  devant  son  auditoire  de  l'univer- 
sité de  Pavie,  un  do  ses  discours  par  un  mouvement 
oratoire,  dont  il  empruntait  le  motif  aux  prétendus 
souvenirs  de  sa  vie  militaire.  Soldat  hier,  disait-il 
à  ceux  qui  l'écoutaient,  docteur  aujourd'hui,  je 
serais  toujours  prêt  à  revenir,  si  l'occasion  s'en 
présentait,  de  la  parole  à  l'action,  et  à  vous, servir 
par  mon  bras  aussi  bien  que  par  ma  parole. 

Pur  artifice  de  rhétorique  !  L'occasion  devait  se 
présenter  bientôt  d'agir  en  soldat,  sans  qu'Agrippa 
la  saisît,  lorsque,  cette'  année  même,  l'arrivée  des 
bandes  françaises  mit  brusquement  fin  aux  leçons  du 
docteur  improvisé,  et  dispersa,  momentanément  au 
moins,  les  élèves  et  les  maîtres  de  l'université  de 
Pavie.  Agrippa,  moins  guerrier  qu'il  n'aurait  voulu 
le  faire  croire,  se  sauva  comme  les  autres,  et,  lors  de 
l'envahissement  do  Pavie  par  les  Français,  il  cher- 
cha refuge  à  Milan,  d'où  le  torrent  des  Suisses,  mis 
en  déroule  à  Marignan,  devait,  quelques  jours  plus 
tard,  le  chasser  encore.  Préparait  alors  un  instant  à 
Pavie,  mais  pour  y  ramener  son  enfant  et  sa  femme 
qu'il  laisse  dans  la  famille  de  celle-ci,  pendant  que 
lui-même  court  d'un  autre  côté,  en  quête  de  nouvel- 
les ressources.  C'est  aux  faveurs  de  quelque  puis- 
saut  protecteur  qu'il  les  demande  alors,  et  non  au 
métier  des  armes,  mis  par  lui  dans  cette  circons- 
tance d'autant  mieux  en  oubli,  que  jamais,  quoiqu'il 


AGRIPPA   EN    ITALIE  267 

en  dise,  il  ne  l'avait  beaucoup  pratiqué.  Il  convient 
de  présenter  succinctement  un  tableau  de  ces  faits, 
dont  les  conséquences  devaient  être  si  graves  pour 
Agrippa. 

L'année  1514  s'était  passée  avec  assez  de  calme 
pour  le  Milanais,  où  les  Français  n'avaient  pas  re- 
paru depuis  l'échec  éprouvé  par  eux  à  Novare,  dans 
le  courant  de  l'été  1513.  Mais  à  Louis  XII,  mort  au 
commencement  de  1515,  venait  de  succéder  un  roi 
plein  d'ardeur,  François  Ier,  dont  la  première  pensée 
avait  été  de  reprendre  en  Italie  la  lutte  un  instant  in- 
terrompue, et  de  venger  les  armes  françaises  des 
défaites  qui  leur  avaient  été  infligées.  Le  roi  s'était 
assuré  l'alliance  des  Vénitiens.  Le  duc  de  Milan,  de 
son  côté,  comptait  sur  le  pape  et  sur  les  Suisses, 
sur  ceux-ci  surtout,  qui  presque  seuls  pouvaient 
fournir  à  sa  cause  des  combattants.  Au  mois 
d'août  1515,  François  Ier  franchit  les  Alpes  et  entre 
en  Italie.  Accueilli  par  le  duc  de  Savoie,  jusque  là 
fidèle  à  l'alliance  française,  il  s'avance  sans  trouver 
beaucoup  de  résistance.  Il  occupe  successivement 
Novare,  Pavie  et  Marignan.  Quarante  mille  Suisses 
viennent,  le  13  septembre,  lui  présenter  la  bataille 
près  de  cette  dernière  ville.  Ils  y  essuient  une  défaite 
qui  tourne  en  désastre.  Les  débris  de  leur  armée 
mise  en  fuite  se  jettent  en  désordre  dans  Milan  qu'ils 
ne  font  que  traverser,  regagnanl  par  Gômc  les  défi- 
Lés  des  montagnes,  et  suivis  de  près  par  leur  vain- 
queur. Celui-ci  entre  derrière  eux  dans  Milan,  qu'en 
passant  ils  viennent  de  saccager.  Puis,  en  attendant 


268  CHAPITRE   TROISIÈME 

la  reddition  du  château  de  cette  ville  où  Maximi- 
lien  Sl'orze  ne  tardera  pas  à  capituler,  le  roi  se 
replie  sur  Pavie  dont  il  s'était  emparé,  comme 
nous  venons  de  le  dire,  en  s'avançant  sur  Ma- 
ri gnan. 

Agrippa,  dans  ces  circonstances,  se  voit  ruiné  par 
deux  désastres  qu'il  essuie  ainsi  coup  sur  coup,  à 
court  intervalle  ;  à  Pavie  d'abord,  qu'il  avait  aban- 
donné précipitamment  lors  de  l'arrivée  des  Français  ; 
à  Milan  ensuite,  où  il  s'était  alors  réfugié  avec  sa 
femme,  son  fils,  ses  serviteurs  et  ce  qu'il  avait  de  plus 
précieux.  Sa  maison  de  Pa\ie,  pleine  encore  de  tout 
ce  qu'il  avait  été  obligé  d'y  laisser,  avait  été  pillée 
derrière  lui  par  les  soldats  de  François  Ier.  Quelques 
semaines  plus  tard,  à  Milan ,  dans  le  tumulte 
causé  par  le  passage  des  Suisses  débandés  et 
poursuivis  après  Marignan,  il  perd  tout  ce  qui  lui 
reste,  tout  jusqu'à  ses  livres,  jusqu'à  ses  cahiers 
(Ep.  I,  49). 

Les  Français  occupaient  de  nouveau  la  contrée. 
Le  roi  en  remet,  au  mois  d'octobre  lolo,  le  gouverne- 
ment au  duc  de  Bourbon  qui  le  conserve  pendant 
quelques  mois  seulement,  jusqu'à  ce  que,  traversé 
par  certaines  intrigues  et  rebuté  parles  contrariétés, 
il  le  résigne  pour  rentrer  en  France,  en  1516.  Nous 
ne  savons  si  Agrippa  eut  alors  occasion  de  voir 
ce  prince  dont  il  devait  plus  tard  se  trouver  rap- 
proché, dans  des  circonstances  que  nous  aurons  à 
faire  connaître  ultérieurement.  Ce  n'aurait  été,  en 
tout  cas,  que  d'une  manière  très  fugitive  ;  car  il  dut 


AGRIPPA    EN    ITALIE  2G9 

s'éloigner,  à  ce  moment  même,  du  Milanais  où  il  ne 
semble  plus  avoir  séjourné  depuis  lors. 

Après  le  naufrage  de  sa  fortune  à  peine  ébauchée, 
dans  le  cataclysme  qui  avait  enveloppé,  en  1515,  le 
Milanais  tout  entier,  Agrippa  se  voit  dans  la  néces- 
sité de  chercher  ailleurs,  pour  lui  et  pour  les  siens, 
les  ressources  qui  lui  manquaient  de  ce  côté.  Sa 
femme,  originaire  de  Pavie,  avait  été,  avons-nous  dit, 
provisoirement  ramenée  par  lui  avec  son  enfant  chez 
ses  parents.  Libre  alors,  il  se  met  aussitôt  en  quête 
de  nouveaux  moyens  d'existence.  L'université  de 
Pavie  était  déserte;  le  pays  se  trouvait  dans  le 
plus  grand  désordre  ;  tout  semblait  comme  entraîné 
par  un  torrent;  on  ne  savait  à  quelle  branche  se 
retenir. 

—  J'ai  reçu  tes  lettres  du  15  de  ce  mois,  lui  écrit 
le  16  octobre  1515  un  de  ses  amis.  Je  n'ai  rien  vu  des 
précédentes  dont  tu  me  parles.  Je  comprends  assez 
ce  qu'ont  de  douloureuses  les  épreuves  que  tu  viens 
de  traverser.  Tu  les  supporteras  avec  l'énergie  d'un 
homme  courageux.  Je  me  suis  assuré  des  disposi- 
tions du  prince.  Tl  faut  que  tu  le  voies  ;  que  tu  lui 
dises  ton  intention  de  retourner  h  Casale  ;  que  tu  lui 
demandes  enfin  d'ordonner  à  Galeotus  ou  à  Antonius 
de  Altavilla,  ses  maîtres  d'hôtel,  de  l'annoncer  dans 
cette  ville,  et  de  t'y  recevoir  au  nombre  de  ses  pen- 
sionnaires (Ep.  I,  47). 

Le  prince  dont  il  est  ici  question  est  le  marquis 
de  Montl'errat  dont  Agrippa, une  première  fois,  avait 
antérieurement  déjà  éprouvé  les  bienfaits,  et  duquel 


270  CHAPITRE   TROISIÈME 

il  avait  reçu  bon  accueil  en  l'année  1512,   dans  des 
circonstances  analogues  à  celles  du  moment  présent, 
ainsi  qu'il  a  été  dit  précédemment.   C'est  de  ce  côté 
qu'il  se  tourne  de  nouveau  dans  sa  détresse.  Il  avait 
quelque  espérance,  à  ce  qu'il  semble,  d'après  la  lettre 
que  nous  venons  de  citer,  d'être  admis,  nous  ne  sa- 
vons à  quel  titre  du  reste,  au  nombre  des  pensionnai- 
res de  ce  prince.  Il  fallait  pour  cela  venir  se  fixer  dans 
ses  États,  à  Gasale,  où  Agrippa  s'était  déjà  réfugié 
en  1512.  Il  se  rend  dans  cette  ville  vers  la  fin  de  1515, 
laissant  à  Pavie,  sous  la  garde  de  ses  parents  et  de 
ses  amis,  sa  femme  et  son  fils  qu'il  ne  tarde  pas, 
du  reste,  à  rappeler  près  de  lui  (Ep.  1,48).  En  1516 
et, jusqu'au  printemps  1517  (Ep.  I,  52;  II,  1),  nous 
le  voyons  installé  avec  les  siens  chez  le  marquis  de 
Montferrat,  à  qui  il  dédie  des  ouvrages  composés  à 
son  intention  (Ep.  I,  49,  51,  52).  Il  entendait  proba- 
blement s'acquitter  ainsi  de  la  dette  de  reconnais- 
sance contractée  par  lui  en  recevant  la  pension  que 
paraît  lui  avoir  alors    assignée  ce  prince.  Un   des 
amis  d'Agrippa  s'était  employé  très  activement  à  lui 
procurer  ces  avantages,  qui  cependant  ne  semblent 
pas  encore  l'avoir  satisfait  complètement.  C'est  au 
moins  ce  que  permettent  de  penser  quelques  docu- 
ments relatifs  à  cette  époque,  qui  le  montrent  cher- 
chant à  se  frayer,  dans  ce  moment  même,  d'autres 
voies. 

Dès  le  mois  de  février  1516,  Agrippa  est,  pour  ce 
dernier  objet,  en  correspondance  avec  un  ami  qui 
réside  à  Verceil.  Cet  ami  est  un  carme  du  couvent 


AGRIPPA   EN    ITALIE  271 

de  cette  ville,  le  père  Jean  Chrysostome,  qu'il  con- 
naissait depuis  plusieurs  années  déjà  l.  C'est  à  lui 
qu'en  1512  il  envoyait  un  livre  de  cabale  avec  de 
grands  éloges  pour  cette  science,  et  la  recommanda- 
tion d'être,  en  ce  qui  la  concerne,  d'une  absolue  dis- 
crétion (Ep.  I,  31).  Lorsque,  à  la  fin  de  cette  même 
année  1512,  Agrippa  était  venu  s'établir  une  première 
fois  à  Casale,  à  la  suite  des  désordres  causés  à 
Pavie  par  les  Suisses,  le  père  Chrysostome  lui  avait 
écrit  pour  l'assurer  du  plaisir  qu'il  éprouvait  de  le 
voir  se  rapprocher  ainsi  du  lieu  que  lui-même  il 
habitait.  Le  révérend  père  protestait  en  même  temps 
de  son  dévouement  pour  Agrippa,  et  du  désir  qu'il 
avait  de  le  servir.  Il  lui  parlait  enfin,  à  mots  couverts, 
de  certains  résultats  très  importants  qu'il  serait 
bientôt  en  mesure  de  lui  communiquer  (Ep.  1,37).  Il 
s'agissait  probablement  de  quelque  travail  d'alchi- 
mie ou  de  cabale.  On  voit  quels  liens  existaient  alors 
entre  le  père  Chrysostome  et  Agrippa. 

Quand  celui-ci  revient,  vers  la  fin  de  1515,  à  Casale, 
il  n'est  pas  étonnant  de  voir  le  carme  de  Verceil  entrer 
de  nouveau  en  relation  avec  lui.  Mais  ce  n'est  plus 
assez,  pour  le  bon  religieux,  d'une  correspondance 
favorisée  cependant  par  le  voisinage.  C'est  à  un  rap- 
prochement complet  qu'il  vise  ;  c'est  à  Verceil  même 


1.  La  correspondance  entre  Agrippa  et  le  père  Jean  Chrysos- 
tome, carme  du  couvent  de  Verceil,  comprend  sept  letiiv-,  qui 
se  trouvent  dans  la  correspondance  générale,  L.  i,  31,  37,  54,  55, 
5G,  58,  59. 


272  CHAPITRE   TROISIÈME 

qu'il  veut  posséder  l'homme  admiré  par  lui  comme 
un  maître,  estimé  comme  un  ami.  Le  père  Chrysos- 
tome  a,  dans  cette  ville,  accès  auprès  d'un  grand 
personnage,  le  seigneur  Hannibal,  auquel  il  a  parlé 
d'Agrippa.  Rien  n'a  été  oublié,  on  peut  le  croire,  de 
ce  qui  doit  recommander  le  mérite  de  celui-ci.  Le 
noble  seigneur  se  montre  disposé  à  l'attacher  à  sa 
personne,  avec  une  pension  de  200  ducats  et  la  fa- 
culté de  s'installer,  comme  il  le  jugera  à  propos,  dans 
la  ville  de  Verceil,  pour  y  voir  en  toute  liberté  le  vé- 
nérable père  Chrysostome.  Le  seigneur  Hannibal  ne 
peut  malheureusement  pas  donner  immédiatement 
suite  à  ses  bonnes  dispositions,  et  il  veut  que  pro- 
visoirement la  chose  soit  tenue  secrète  (Ep.  1,54). 
Cette  affaire,  qui  semble  n'avoir  abouti  à  aucun 
résultat,  traîne  en  longueur  pendant  tout  l'hiver,  le 
printemps  et  une  partie  de  l'été  de  l'année  1316,  du 
mois  de  février  au  mois  de  juin.  L'illustre  person- 
nage n'avait  peut-être  cédé  qu'en  apparence  aux 
importunes  sollicitations  du  père  Chrysostome.  Il 
retarde  de  jour  en  jour  la  réalisation  de  ses  promes- 
ses. Le  religieux  entretient  de  ce  sujet  Agrippa,  celui- 
ci  ayant,  dès  le  mois  de  mars,  donné  son  assentiment 
aux  propositions  qui  lui  ont  été  faites.  Son  ami  vou- 
drait qu'il  vînt  tout  d'abord  avec  sa  famille  à  Verceil, 
pour  y  attendre  la  parole  définitive  du  protecteur  qui 
s'offreàlui.  Sa  présence  hâterait,  lui  dit-on,  la  conclu- 
sion de  l'affaire.  Le  seigneur  Hannibal  ne  peut  mal- 
heureusement pas  mettre  à  sa  disposition  son  palais 
déjà  promis  à  un  de  ses  amis.  Mais  le  magnifique 


AGRIPPA    EN    ITALIE  273 

seigneur  Ludovicus  Cernole  lui  offre,  en  attendant 
mieux,  une  partie  du  sien.  Une  noble  veuve,  s'il  le 
préférait,  pourrait  aussi  le  recevoir,  pendant  quelques 
jours,  dans  sa  maison  (Ep.  1,  55,  56,  58,  59). 

L'important  était  la  pension,  dont  il  s'agissait 
d'avoir  l'assurance,  et  dont  le  seigneur  Hannibal  ne 
parlait  plus.  Au  retour  du  printemps,  celui-ci  était 
parti,  à  ce  qu'il  semble,  pour  la  campagne,  et  on  ne 
le  voyait  plus  guère  à  la  ville.  Cependant  il  avait 
toujours,  disait-on  à  Agrippa,  une  grande  admi- 
ration pour  lui  et  pour  ses  ouvrages.  Il  avait  eu  sous 
les  yeux  ses  deux  derniers  écrits,  lesquels  traitaient 
de  l'homme  et  de  la  connaissance  de  Dieu  ;  il  les 
avait  trouvés  fort  beaux  et  les  avait  montrés  à  un 
théologien  de  Tordre  des  prêcheurs  demeurant  à 
Vercei),  dont  la  complète  approbation  augmentait 
encore,  était-il  dit  à  Agrippa,  l'estime  que  le  sei- 
gneur Hannibal  faisait  de  lui.  Le  théologien  était, 
comme  tout  le  monde,  affirmait-on,  impatient  de  le 
voir  arriver  bientôt  (Ep.  I,  58). 

L'affaire  en  resta  là  cependant,  selon  toute  appa- 
rence, car  nous  n'en  trouvons  plus  aucune  trace 
après  le  2 juin  de  l'année  1516;  et,  au  mois  de  septem- 
bre suivant,  ainsi  qu'au  commencement  de  l'hiver 
1517,  Agrippa  était  encore  à  Casale  auprès  du 
marquis  de  Montferrat,  où  il  devait  se  contenter 
d'avantages  vraisemblablement  très  inférieurs  aux 
200  ducats  de  pension  que  la  libéralité  en  expecta- 
tive de  l'illustre  seigneur  Hannibal  avait  un  instant 
l'ait  briller  à  ses  yeux. 


274  CHAPITRE    TROISIÈME 

Les  deux  ouvrages  envoyés  à  ce  dernier  par 
Agrippa,  et  si  hautement  appréciés,  disait-on,  à  Ver- 
ceil,  étaient  deux  petits  traités  récemment  composés 
et  dédiés  au  marquis  de  Montferrat.  Le  premier 
était  un  dialogue  sur  l'homme  '  ;  le  second  était  une 
espèce  de  discours  sur  la  connaissance  de  Dieu  2. 
Agrippa  les  avait  écrits  au  milieu  même  du  trouble  où 
l'avait  jeté  l'invasion  française  de  1515  ;  au  moment 
où  le  pillage  de  sa  maison  de  Pavie  le  laissait  à  peu 
près  sans  ressources  3.  Il  rend  compte  de  cette  situa- 
tion à  un  ami  qu'il  appelle  Augustine  doctissime. 

—  L'esprit  et  le  cœur  troublés,  lui  dit-il,  je  pensais 
à  l'anéantissemeut  de  ma  fortune,  à  la  perte  de  mon 
emploi  et  du  salaire  que  j'en  retirais,  aux  charges 
de  la  famille,  à  la  suppression  des  revenus,  à  la 
difficulté  des  emprunts,  à  la  cherté  de  toute  chose, 
à  l'avenir  plus  sombre  encore  que  le  présent.  La 
mort  me  semblait  alors  préférable  à  la  vie.  J'étais 
seul  et.  séparé  des  miens,  et  je  ne  trouvais  personne 
pour  me  consoler.  Cependant,  me  recueillant,  je  me 
mis  à  réfléchir  sur  la  condition  de  l'homme  ;  je  re- 
trouvai des  pensées  que  j'agitais  jadis,  quand  j'étais 
à  Rivolta  près  du  comte  Alexandre  Laudo  de  Plai- 

1.  Dialogus  de  homme  qui  Dei  imago  est.  (Opéra,  l.  II, 
p.  719.) 

2.  Liber  de  triplici  ratione  cognoscendi  Deum.  (Opéra, 
t.  II,  p.  480-501.) 

3.  '■<  Rclicta  Papiœ  domo  ac  supellectile,  rebusque  omnibus 
«  quas  tandem,  paucis  salvis,  fere  omnes  spolialas  amisissem  » 
(Ep.  I,  49). 


AGRIPPA    EN    ITALIE  2"7o 

sance,  en  août  1514,  et  j'en  composai  un  dialogue  que 
je  veux  offrir  à  notre  illustre  prince  (Ep.  I,  49). 

C'est  le  marquis  de  Montferrat  que  désignait  ainsi 
Agrippa.  Il  terminait  sa  lettre  en  priant  le  savant 
Augustinus  de  vouloir  bien  approuver  et  corriger 
au  besoin  son  œuvre,  sachant  bien  qu'elle  n'en  serait 
que  plus  agréable  au  prince  à  qui  elle  était  destinée. 
L'approbation  qu'il  sollicitait  devait,  ajoutait-il,  l'en- 
courager à  continuer  ces  travaux.  Agrippa  envoie 
aussitôt,  avec  le  dialogue  sur  l'homme  dont  il  est  ici 
question,  le  petit  traité  de  la  connaissance  de  Dieu 
qu'il  communique  en  même  temps  à  Augustinus  ; 
car  celui-ci  répond  à  ce  double  envoi  par  une  seule 
et  même  lettre,  où  il  félicite  très  amicalement  le 
meilleur  et  le  plus  savant  des  mortels,  l'explorateur 
assidu  des  choses  secrètes,  arcanarum  rerum  obser- 
vator,  d'avoir  su  dans  son  infortune  assez  dégager 
son  esprit,  pour  le  porter  à  une  contemplation  qui 
lui  a  permis  d'étudier  d'une  manière  si  admirable  et 
l'homme  et  Dieu,  son  créateur  (Ep.  I,  50). 

Nous  possédons  les  lettres  de  dédicace  jointes  aux 
deux  petits  traités  par  Agrippa,  pour  les  offrir  au 
marquis  de  Montferrat  '  (Ep.  I,  54,52).  Mais  des 
deux  ouvrages  eux-mêmes,  le  second  nous  est  seul 
parvenu.  Nous  ne  savons  du  premier  que  le  peu  qui 


I.  «  Illustrissime»,  excellentissimoque  sacri  Romani  imperii 
«  principi  ac  vicario,  Guilhelmo  Pakeologo,  marchioni  Mon- 
«  tisferrati,  domino  suo  beneficentissimo,  Benricus  Cornélius 
«  Agrippa  beatudinum  perpeluam  exoptal  >,  (Ep.  I,  52). 


270  CHAPITRE   TROISIÈME 

en  est  dit  par  Agrippa  dans  les  lettres  que  nous 
venons  de  mentionner;  à  savoir,  qu'il  était  écrit  en 
forme  de  dialogue,  que  l'homme  y  était  considéré 
principalement  comme  l'image  de  Dieu,  et  que  l'au- 
teur s'y  était  appliqué  dans  ses  expositions  à  émettre 
des  opinions  plutôt  que  de  formelles  affirmations  '. 
11  disait  encore  qu'il  était  loin  d'avoir  épuisé  son 
sujet  dans  ce  travail  (Ep.  I,  51.) 

Quant  au  traité  de  la  connaissance  de  Dieu,  lequel 
a  été  recueilli  dans  les  œuvres  d'Agrippa,  c'est  un 
discours  soutenu,  divisé  en  six  chapitres,  où,  après 
avoir  établi  qu'ignorer  Dieu  est  le  comble  du  mal,  et 
que  le  connaître,  au  contraire,  est  le  souverain  bien 
(chap.  i  et  n),  l'auteur  développe  cette  thèse,  que 
trois  voies  sont  offertes  à  l'homme  pour  arriver  à 
cette  connaissance  :  la  contemplation  des  œuvres  du 
Créateur,  ou  ce  qu'il  appelle  le  livre  de  la  créature 
(chap.  m),  les  avertissements  des  prophètes  qui 
constituent  le  livre  de  la  loi  (chap.  iv),  les  enseigne- 
ments de  Jésus-Christ  et  des  apôtres,  dans  le  livre 
des  évangiles  (chap.  v).  A  propos  du  livre  de  la  loi, 
il  est  dit  par  Agrippa  qu'outre  la  loi  écrite,  ce  qu'il 
appelle  la  loi  littérale,  donnée  par  le  Seigneur  à 
Moyse,  celui-ci  en  a  reçu  parla  même  voie  la  secrète 
interprétation,  qui  était  à  côté  de  l'autre  comme  une 
loi  spirituelle  en  quelque  sorte.  La  première,  ajouto- 
t-il,  a  été  rédigée  en  cinq  livres  par  le  législateur  du 

1.  «  Neque  vero  id  te  lalere  volo,  pleraque  me  narrando  po- 
«  lias  et  opinando  quam  ailirmando  scripsisse  »  (Ep.  I,  49). 


AGRIPPA    EX    ITALIE  277 

peuple  juif;  tandis  que  la  seconde,  transmise  par 
lui  à  soixante-dix  sages,  a  été  confiée  à  la  seule 
tradition.  Telle  serait,  dit  Agrippa,  l'origine  de  la 
cabale,  à  l'aide  de  laquelle  la  connaissance  des  choses 
divines  et  de  l'humanité  peut  être  dégagée  de  la  loi 
de  Moyse,  où  elle  est  cachée  sous  le  voile  de  l'allégo- 
rie. Agrippa  cite  comme  son  autorité  sur  ces  matiè- 
res, Rabi  Moyses,  in  secundo  tractatu  Morœ,  et  un 
autre  Moyse  dit  Gerundinus. 

Les  modernes  hébreux,  dit  encore  à  cette  occa- 
sion Agrippa,  ont  donné  ce  nom  de  cabale  à  une 
science  secrète  des  opérations  mystérieuses  et  des 
effets  merveilleux;  et  c'est  ainsi  que  les  hommes 
qui  se  vantent  de  faire  des  prodiges  moyennant  un 
pacte  avec  le  démon,  ont  été  amenés,  pour  déguiser 
leurs  exécrables  artifices,  à  se  couvrir  du  nom  de 
cabale,  discrédité  ainsi,  comme  l'a  été  non  moins  in- 
justement celui  de  magie. 

On  a  constaté,  dans  le  traité  de  la  connaissance  de 
Dieu,  la  présence  de  passages  empruntés  h  YAscle- 
pius,  ouvrage  analogue  au  Pimander  et  attribué 
comme  lui  à  Hermès  Trismégiste.  UAsclepius  con- 
siste de  même  que  le  Pimander,  en  dialogues.  On  n'en 
a  du  reste,  qu'un  texte  latin  donné  comme  une  antique 
traduction  faite  au  nc  siècle  par  Apulée,  d'après  un 
livre  plus  ancien.  Marsile  Ficin,  dans  la  seconde 
moitié  du  xvc  siècle,  avait  publié  à  Florence  cet 
ouvrage,  en  môme  temps  que  sa  traduction  latine 
du  texte  grec,  récemment  découvert  alors,  du 
Pimander. 


278  CHAPITRE   TROISIÈME 

On  se  rappelle  que  les  leçons  d'Agrippa,  brusque- 
ment interrompues  à  Pavie  en  1515,  roulaient  sur  le 
Pimander.  C'est  probablement  pour  utiliser  les  étu- 
des faites  par  lui  à  cette  occasion,  qu'il  voulait  com- 
poser sur  ce  dernier  écrit  des  annotations  destinées 
vraisemblablement  à  être  publiées,  et  qu'il  annonçait 
en  1516  à  son  illustre  protecteur,  comme  une  œuvre 
particulièrement  digne  de  lui  être  offerte,  en  même 
temps  qu'il  lui  adressait  son  dialogue  sur  l'homme. 
Nous  ne  savons  pas,  du  reste,  s'il  a  exécuté  ce  travail, 
dont  on  ne  connaît  pas  autre  chose  que  l'indication 
donnée  dans  ces  termes  par  son  auteur  ]. 

Malgré  les  tentatives  du  père  Jean  Chrysostome 
pour  amener  à  Verceil  Agrippa  au  commencement 
de  1516,  celui-ci  paraît,  comme  nousl'avons  dit,  avoir 
passé  à  Casale,  auprès  du  marquis  de  Montferrat, 
tout  le  reste  de  cette  année  et  même  le  commence- 
ment de  la  suivante.  A  cette  dernière  époque,  il  y 
jouissait  encore  de  la  faveur  du  prince  et  invitait  un 
de  ses  anciens  amis  à  venir  la  partager  avec  lui 
(Ep.  II,  1).  Nous  ne  savons  pas  bien  quelles  considé- 
rations le  détachent  alors  de  ce  lieu  et  des  avantages 
qu'il  y  avait  trouvés.  A  la  fin  de  février  1517,  on  l'ap- 
pelle à  Turin.  Il  est  question  d'une  affaire  à  laquelle 
on  travaille  dans  son  intérêt,  avec  le  concours  d'un 
personnage  appartenant  à  une  famille  de  Lyon  qui 


1.  «  Copiosius  quse  hic  deflciunt,   in  annotationibus  nostris 
super  Pimandrum  Trismegisli  inox  comperies    olucidata  » 

(Ep.  r, 51). 


AGRIPPA    EN    ITALIE  279 

devait  un  peu  plus  tard  accueillir  Agrippa  dans  cette 
ville,  et  nouer  avec  lui  des  relations  assez  étroites. 
Ce  personnage  est  Jean  de  Laurencin,  commandeur 
de  Saint- Antoine  de  Riverie  '. 

Agrippa  est  maintenant  à  la  recherche  d'un  emploi. 
Le  o  mai  il  est  à  Chambéry,  et  le  16  novembre 
suivant,  on  l'attend  à  Genève.  C'est  vraisemblable- 
ment à  cette  époque  qu'il  a  dû  faire  à  l'université  de 
Turin  quelques  leçons,  puisqu'elles  n'eurent  lieu, 
suivant  son  propre  témoignage,  qu'après  celles  de 
Pavie.  Les  dates  que  nous  venons  de  mentionner  ne 
permettent  pas  de  penser  d'ailleurs  que  si  elles  fu- 
rent effectivement  faites  alors,  elles  se  soient  beau- 
coup prolongées.  Nous  savons,  d'un  autre  côté,  par 
Agrippa  lui-même,  que  ces  leçons  avaient  eu  pour- 

1.  Jean  do  Laurencin  est  qualilié  tantôt  prseceptor,  ou  praecep- 
lor  priiiiuiiu.s,  tantôt  pr&positus,  expressions  qu'il  faut  tra- 
duire par  celle  de  commandeur  ;  l'ordre  de  Saint-Antoine  ayant 
alors  adopté  depuis  longtemps  le  titre  de  commanderie  pour 
ses  prieurés  ou  maisons  provinciales.  C'est  à  ce  commandeur 
Jean  de  Laurencin  que  sont  dédiés  par  Agrippa  les  Commen- 
taires sur  YArs  brevis  de  Raimond  Lulle  :  «  Reverendo  domino 
«  Joanui  Laurentino  Lugdunensï,  prœceptori  primario  divi  An- 
«  toniiapud  Rivum  eversum, provinciae  Pedemontium.  »  {Opéra, 
t.  II,  p.  331).  Ce  personnage  appartenant  à  une  famille  lyon- 
nais' ne  saurait  être,  en  tout  cas,  celui  île  qui  émanent  certaines 
lettres  adressées  alors  de  Lyon  à  Agrippa  (Ep.  11.  G,  8,  0), 
car  il  estquestion  de  lui  dans  ces  lettres,  aussi  bien  que  dans 
quelque  .mires,  écrites  à  la  même  époque  de  Turin  à  Agrippa 
(Ep.  Il,  '.!, .;,  \  .  Ces  correspondants  de  Lyon  et  de  Turin  sont 
des  ainis  communs  d'Agrippa  et  du  commandeur  Jean  de 
Laurencin. 


280  CHAPITRE    TROISIÈME 

objet  l'inlerprélation  des  lettres  sacrées.  Pendant  ce 
temps-là,  ses  amis,  activement  dévoués  comme  tou- 
jours à  ses  intérêts,  cherchent  par  tous  les  moyens 
à  l'aider,  et  à  lui  frayer  les  voies. 

—  Tu  peux  m'en  croire,  lui  écrit  l'un  d'eux  qui  est 
à  Lyon  en  août  4517,  partout  je  veux  être  ton  précur- 
seur, comme  saint  Jean  a  été  celui  du  Christ.  Je  veux 
faire  en  sorte  de  te  procurer  les  moyens  de  te  livrer 
en  toute  liberté  à  tes  études  (Ep.  II,  6). 

Agrippa  était  alors  en  négociation  avec  le  duc  de 
Savoie  (Ep.  II,  6).  Un  ami  l'invite  dans  le  même 
temps  à  se  rendre  à  Saint-Antoine,  oppidulo  Sancti 
Antonii  (Ep.  II,  7);  un  autre  le  réclame  à  Lyon 
(Ep.  II,  8)  ;  on  demande  aussi  quelque  chose  pour 
lui  à  Grenoble  (Ep.  II,  6,  8)  ;  et  on  parle  en  sa  faveur 
au  légat  d'Avignon  qui  lui  fait  proposer  un  emploi  et 
un  traitement  (Ep.  II,  9).  La  cité  de  Metz,  d'un  autre 
côté,  lui  fait  faire  des  propositions  du  même  genre 
(Ep.  II,  9).  Des  amis  le  pressent  d'accepter  de  pré- 
férence les  offres  du  légat.  11  se  décide  cependant 
pour  celles  de  Metz.  Le  désir  de  se  rapprocher  de 
son  pays  natal  pourrait  bien  n'avoir  pas  été  étranger 
à  sa  résolution  dans  cette  circonstance.  Il  semble 
néanmoins  avoir  eu  quelque  peine  à  prendre  défini- 
tivement son  parti. 

Deux  lettres  reçues  par  Agrippa  d'un  ami  de 
Genève,  à  la  fin  de  loi 7  et  au  commencement  de 
1518,  nous  font  assister  à  ses  dernières  hésitations 
(Ep.  II,  10,  11).  Il  paraît  un  instant  près  d'aller  s'éta- 
blir à  Genève  même.  Il  s'y  annonce  et  on  l'y  attend  ; 


AGRIPPA    EN    ITALIE  281 

il  y  est  notamment  désiré,  est-il  dit,  par  Eustache 
Chapuys,  officiai  de  l'évêché,  dont  nous  aurons 
à  expliquer  ultérieurement  les  relations  avec  lui. 
Dans  sa  correspondance  de  cette  époque,  Agrippa 
se  plaint  beaucoup  de  sa  mauvaise  fortune  et  de 
l'ingratitude  des  hommes.  On  lui  a  offert  un  prix, 
suivant  lui  dérisoire,  pour  ses  services  passés,  et  il 
ne  veut  pas  l'accepter.  Il  n'est  pas  dit  de  qui  venait 
cette  proposition  dédaignée.  On  peut  supposer  qu'elle 
émanait  du  duc  de  Savoie,  avec  qui  Agrippa  s'était 
trouvé  en  rapport  dans  ces  derniers  temps,  et  de  qui 
nous  le  verrons,  dans  la  suite,  réclamer  une  pension 
promise,  dit-il  alors,  antérieurement  '.  Il  avait,  pa- 
rait-il, composé  en  l'honneur  de  ce  prince  un  dis- 
cours, publié  peut-être  déjà  en  forme  de  volume,  si 
l'on  s'en  rapportait  à  une  expression  employée  par 
lui  à  ce  sujet,  dans  une  de  ses  lettres,  ovationis  tomus 
in  laudem  ducis  edùus(Ep.  II,  11).  Ce  livre  ne  nous 
est  point  parvenu. 

Au  moment  où  les  amis  d'Agrippa  l'attendaient  à 
Genève,  ils  apprennent,  le  16  janvier  1518,  qu'il  part 
pour  Metz  (Ep.  II,  11).  Agrippa  venait  d'accepter 
les  offres  qui  lui  étaient  faites  de  la  part  de  cette 
ville,  où  on  lui  proposait  un  office  public  aux  gages 
de  la  Cité.  Rien  ne  prouve  qu'il  connut  déjà  aucun 
des  hommes  qui,  à  Metz,  devaient  plus  tard  être  pour 
lui    d'intimes  et  fidèles  amis,  ni  qu'il  eût  été  alors 

1.    Cette    réclamation  se  produit,  à  l'époijue  du  séjour  d'A- 
s:ii)i|>;i  à  Genève,  en  1521. 

T.  I.  21 


282  CHAPITRE   TROISIÈME 

appelé  par  eux  à  cette  nouvelle  résidence.  Il  ne  sem- 
ble pas  non  plus  que  les  voies  pour  y  arriver  lui 
aient  été  ouvertes  par  ses  amis  ni  par  ses  parents 
de  Cologne,  où  il  avait  encore  son  père,  sa  mère  et 
une  sœur,  à  cette  époque  l  (Ep.,  III,  8).  Il  est,  au  con- 
traire, parfaitement  certain  que  dans  cette  affaire  une 
part  essentielle  revient  à  un  membre  de  la  famille 
lyonnaise  des  Laurencin,  à  laquelle  appartenait  le 
commandeur  de  Saint- Antoine  de  Riverie,  grand 
ami  d'Agrippa,  dont  nous  avons  dit  quelques  mots 
tout  à  l'heure  ~.  Le  commandeur  de  Saint-Antoine 
aurait  fait  agir,  ce  semble,  pour  cet  objet,  un  de  ses 
frères,  Ponce  de  Laurencin,  titulaire  à  cette  époque 
de  la  commanderie  de  Saint-Jean  à  Metz.  C'est  à 
l'influence  de  celui-ci  que  serait  due,  on  a  tout  lieu 


1.  Au  nombre  des  amis  qu'Agrippa  possédait  alors  à  Colo- 
gne se  trouvent  Théodoric,  évoque  de  Cyrène,  administrateur 
de  l'archevêché,  et  Adolphe  Roboreus,  chanoine  de  Sainte-Ma- 
rie ad  gradus.  Le  premier  adressait,  neuf  ans  plus  tôt,  des  té- 
moignages de  la  plus  haute  estime  à  Agrippa  (Ep.  I,  21)  et 
celui-ci,  pendant  son  séjour  à  Metz,  lui  envoie  sou  Traité  du 
péché  originel  (Ep.  II,  17;,  et  l'opuscule  intitulé  Antidote  con- 
tre la  peste  (Ep.  II,  19).  Au  second  il  a  dédié  la  table  abré- 
gée de  ses  Commentaires  sur  l'Ars  brevis  de  Raimond  Lulle 
(Opéra,  t.  Il,  p.  460).  Quant  aux  Commentaires  eux-mêmes, 
c'est  à  Jean  de  Laurencin,  commandeur  do  Saint-Antoine  de 
Riverie,  qu'ils  sont  dédiés,  comme  il  a  été  dit  précédemment. 

2.  Nous  avons  réuni  dans  une  note  de  l'appendice  (n°  XXI) 
quelques  renseignements  sur  la  famille  de  Laurencin,  sur 
ceux  de  ses  membres  notamment  qui  ont  pu  se  trouver  en  re- 
lation avec  Agrippa. 


AGRIPPA    EX    ITALIE 


:>83 


de  le  croire,  la  proposition  adressée  de  cette  ville 
à  Agrippa,  qui,  dans  le  discours  prononcé  par  lui 
devant  les  magistrats  messins,  en  prenant  peu  de 
temps  après  possession  de  son  office,  rend  for- 
mellement témoignage  de  l'intervention  officieuse 
des  Laurencin  auprès  de  lui,  pour  le  lui  faire  ac- 
cepter, et  donne  ainsi  lieu  de  penser  qu'ils  ont  pu 
participer  aussi  aux  négociations  qui  le  lui  ont  pro- 
curé l.  Une  particularité  qui  confirme  nos  suppo- 
sitions, touchant  le  rôle  probable  du  commandeur 
de  ISaint-Jean  dans  cette  circonstance,  c'est  qu'on 
voit  le  gouverneur  même  de  cette  commanderie, 
qui  était  son  subordonné  et  son  agent  en  résidence 
permanente  à  Metz,  chargé  par  la  Cité  de  ve- 
nir avec  le  secrétaire  de  celle-ci  trouver  Agrippa 
en  Savoie,  pour  s'aboucher  avec  lui,  vers  la  fin  de 
1517  ou  au  commencement  de  1518  2.  Les  comptes, 

1 .  Oratio  ad  Metensium  Dominos,  dam  in  illorum  advoca- 
tum  syndicum  et.  oratorem  acceptaretur.  (Opéra,  t.  II, 
p.   1090-1092.) 

2.  Parmi  les  titres  de  l'ancienne  commanderie  de  Saint-Jean 
à  Metz,  conservés  aux  archives  départementales  de  cette  ville, 
existent  des  pièces  mentionnant  sous  diverses  dates,  de  15 16  à 
1529,  le  commandeur  Ponthus  ou  Ponce  (de)  Laurencin,  et  en 
même  temps  les  gouverneurs  Ricliart  Teunat  et  Estienne  de 
Laye,  successivement  chargés  d'administrer  en  son  nom,  lui 
absent,  la  commanderie  de  Metz.  Le  premier  de  ces  deux  per- 
sonnages est  signalé  encore  au  21  septembre  1516;  le  second 

l'est  au  29  mai  1518.  L'absence  de  documents  pour  la  période 
intermédiaire  comprise  entre  ces  deux  dates  ne  permel  pas  de 
décider    à  quel  moment  le  second  a  succédé  au  premier,  ni 


234  CHAPITRE    TROISIÈME 

qui  nous  sont  parvenus,  du  receveur  de  la  ville  de 
Metz,  à  cette  époque,  mentionnent  les  frais  de 
cette  mission,  et  ceux;  d'une  mission  analogue  don- 
née, un  peu  plus  tard,  à  un  messager  chargé  de  por- 
ter en  Savoie  à  Agrippa  l'argent  nécessaire  pour 
son  voyage  '. 

C'est  ainsi  que,  dans  les  premières  semaines  de 
1518,  Agrippa,  qui  avait  passé  d'Italie  en  Savoie, 
quitte  ce  dernier  pays,  après  un  séjour  de  peu  de 
durée,  et  se  met  en  route,  avec  sa  femme  et  son  fils, 
pour  les  rives  de  la  Moselle. 

Depuis  l'an  1511  qu'il  était  arrivé  dans  le  nord 
de  l'Italie,  Agrippa  n'y  avait  guère  vu,  tout  en  s'ap- 
pliquant  à  les  fuir,  que  les  troubles  et  les  émotions 
de  la  guerre.  Au  commencement  de  1518,  il  s'éloi- 
gnait de  cette  contrée,  qu'il  ne  devait  plus  revoir, 
au  moment  où  commençait  pour  elle  une  période 
malheureusement  trop  courte  de  tranquillité,  sous 
la  domination  reconstituée  du  roi  de  France.  C'est  à 
propos  du  séjour  qu'il  venait  d'y  faire  qu'Agrippa 
disait  plus  tard  y  avoir  servi  pendant  sept  années 
dans  les  camps  de  l'empereur  2.  Sans  connaître,  tant 

de  dire  par  conséquent  lequel  des  deux,  fut,  à  la  lin  de  1317 
ou  au  commencement  de  1318,  envoyé  de  Metz  avec  le  secrétaire 
di)  la  ville  vers  Agrippa,  pour  lui  apporter  les  propositions 
de  la  Cité.  Les  comptes  de  celle-ci  ne  le  nomment  pas. 

1.  On  trouvera  dans  une  note  de  l'appendice  (n°  XIII),  quel- 
ques renseignements  sur  cet  objet. 

2.  «  In  Ilalicis  castris  seplennio,  Ulius  (Maximiliani)  stipendio 
militavi.  »  (Ep.  VU,  21.) 


AGRIPPA    EN"    ITALIE  283 

s'en  faut,  dans  tous  ses  détails,  la  vie  menée  par 
lui  en  Italie  pendant  cette  période  de  son  exis- 
tence, nous  en  savons  assez  cependant  pour  cons- 
tater le  peu  d'exactitude  de  ses  assertions  sur  ce 
point.  Cette  observation  justifie  ce  que  nous  avons 
déjà  dit,  et  ce  que  nous  aurons  occasion  de  redire 
plus  d'une  fois  encore,  du  manque  de  sincérité  d'A- 
grippa  dans  ce  qu'il  avance  pour  exalter,  en  toute 
occasion,  ses  propres  mérites  ;  quand  il  s'agit  surtout 
de  ceux  de  l'homme  de  guerre  pour  lesquels  il  affi- 
chait les  prétentions  les  plus  formelles,  mais  aussi, 
nous  croyons  l'avoir  démontré,  les  moins  fondées. 


CHAPITRE   IV 


AGRIPPA      A      METZ 
1  :;im.i  zî-îo 


Arrivée  à  Metz  d'Agrippa.  —  Dédain  pour  les  sciences  occul- 
tes ;  attention  accordée  aux  questions  religieuses.  —La 
réforme.  —  Agrippa  conseiller  stipendié,  et  orateur  de  la  cité 
de  Metz.  —  Discours  de  réception  devant  la  Seigneurie-,  au- 
tres discours  d'Agrippa  à  Metz.  —  Conditions  d'existence  à 
Metz.  —  Querelles  avec  l'inquisition  et  les  théologiens.  — 
Affaire  de  la  prétendue  sorcière  de  Woippy.  —  Dispute  sur 
la  question  de  la  monogamie  de  sainte  Anne.  —Correspon- 
dances avec Cantiuncula;  avec  le  céleslin  Claude  Dieudonné; 
avec  Lefèvre  d'Étaples,  avec  Jean  Rogier  dit  Brennonius, 
curé  de  Sainte-Croix.  —  Témoignages  fournis  par  les  chro- 
niques de  Metz  sur  Agrippa.  —  Son  départ  précipité  de  cette 
ville.  —  Invective  d'Agrippa  contre  Metz. 

Agrippa,  au  mois  de  février  i518,  arrivait  à  Metz 
précédé  dans  cette  ville  par  une  réputation  de  grand 
savoir.  Depuis  quelque  temps,  il  inclinait  formel- 
lement vers  ce  qu'il  appelle  les  lettres  sacrées.  11 
n'avait  pas,    il  est   vrai,    renoncé  absolument  aux 


288  CHAPITRE   QUATRIÈME 

sciences  occultes,  comme  le  prouvent  les  faits  ulté- 
rieurs, et  comme  cela  ressort  en  outre  de  quelques 
passages  de  sa  correspondance  à  cette  époque  ;  mais 
il  ne  s'en  occupait  plus,  depuis  longtemps  déjà, 
d'une  manière  exclusive,  et  l'on  trouve  parfois  pour 
elles,  dans  ses  lettres  d'alors,  des  expressions  de 
blâme  et  de  dédain  K  II  avait  certainement  perdu 
la  foi  que  jadis  il  avait  pu  leur  accorder;  il  n'y 
voyait  plus  guère  qu'un  moyen  de  frapper  dans  cer- 
tains cas  les  esprits  et  d'attirer  ainsi  l'attention. 
Agrippa  commençait  de  plus  à  s'intéresser  vive- 
ment aux  querelles  religieuses  qui  prenaient  alors 
une  gravité  croissante,  en  Allemagne  surtout.  L'at- 
tention donnée  par  lui,  à  partir  de  ce  moment,  aux 
réformateurs,  à  leurs  idées,  à  leurs  actes,  et  en  gé- 
néral à  la  révolution  dont  ils  sont  les  principaux  ac- 
teurs, nous  oblige  à  nous  arrêter  un  instant  à  ce 
qui  les  concerne,  pour  apprécier  le  genre  d'intérêt 
que  lui  inspire  cette  grande  crise  sociale  et  reli- 
gieuse. Il  faut  en  signaler  l'origine  et  indiquer  suc- 


1.  Ces  témoignages  de  dédain  n'empêchent  pas  Agrippa  de 
revenir  fréquemment  par  la  suite,  et  jusqu'il  la  fin  de  sa  vie,  à 
ses  premiers  errements  en  ce  qui  concerne  les  sciences  occultes. 
On  le  voit  souvent  encore  faire  en  leur  faveur  des  recommanda- 
tions accidentelles  dont  sa  correspondance  ultérieure  contient 
plus  d'un  exemple.  On  peut  citer  comme  toi  une  lettre  de 
1520  dont  nous  ne  connaissons  pas,  du  reste,  le  destinataire 
(Ep.  II,  G3).  Nous  avons  parlé  dans  le  chapitre  précédent 
(p.  233,  246,  248,  249,  271)  de  son  attitude  à  leur  égard  pendant 
son  séjour  en  Italie. 


AGRIPPA   A   METZ  289 

cinctement  les  phases  caractéristiques  parcourues 
par  elle  pendant  les  quinze  ou  vingt  années  où  il  a 
été  donné  à  Agrippa  d'être  témoin  de  son  dévelop- 
pement. 

Les  querelles  religieuses  ne  sont  qu'un  des  côtés 
de  la  réforme  du  xvie  siècle,  où  de  graves  débats 
concernant  les  intérêts  civils  et  politiques  ont  une 
part  considérable.  En  effet,  outre  le  courant  des 
doctrines  nouvelles,  associé  à  une  réaction  passionnée 
contre  la  domination  de  l'Église  romaine,  elle  com- 
prend des  actes  inspirés  surtout  par  l'esprit  de 
révolte  des  peuples,  aussi  bien  que  par  l'ambition 
et  l'avidité  des  princes. 

A  ne  prendre  que  le  côté  religieux  de  cette  grande 
révolution,  on  en  trouve  le  principe  dans  une  pro- 
testation désespérée  contre  des  abus  qui  étaient  de- 
venus intolérables  au  sein  de  l'Église.  La_  cour 
pontificale,  envahie  par  la  corruption  du  siècle,  vivait 
des  subsides  de  la  catholicité  tout  entière.  Elle 
faisait  jouer  pour  cet  objet  les  ressorts  d'une  juri- 
diction envahissante  qui  embrassait  non-seulement 
le  domaine  des  choses  spirituelles,  mais  encore  ce- 
lui des  choses  temporelles,  et  qui,  s'étendant  même 
aux  questions  d'ordre  purement  civil,  faisait  dépen- 
dre de  Rome  la  décision  d'une  foule  d'affaires  de 
toutes  sortes.  C'était  là,  grâce  à  une  savante  fisca- 
lité, une  source  do  revenus  considérables.  Mais 
plus  abondants  encore  étaient  peut-être,  indépen- 
damment des  prélèvements  opérés,  à  divers  titres, 
sur  les  revenus  des  églises  particulières  du  monde 


290  CHAPITRE    QUATRIÈME 

entier,  les  produits  des  grâces  accordées  à  prix 
d'argent,  notamment  celui  des  indulgences  dont  la 
vente,  habilement  réglée,  s'appuyait  sur  un  corps  de 
doctrines  imposé  avec  autorité. 

La  chrétienté  était  divisée  pour  cet  objet  en  dé- 
partements pourvus  de  collecteurs,  et  ceux-ci,  dans 
le  rôle  de  prédicateurs  dont  ils  s'acquittaient  simul- 
tanément, ne  négligeaient  rien  pour  rendre  leur  ac- 
tion fructueuse.  La  théorie  des  indulgences  offrait 
un  terrain  tout  naturel  à  la  critique  et  aux  conflits. 
C'est  sur  ce  sujet  que  le  débat  s'engage.  La  querelle 
s'allume  au  fond  de  l'Allemagne.  Un  prêtre  régulier 
de  l'ordre  des  Augustins,  professeur  de  théologie  à 
Wittemberg,  est  chargé  par  le  vicaire-général  de 
son  ordre  de  s'élever  contre  les  prédications  que 
faisaient  les  Dominicains  pour  la  distribution  des 
indulgences.  Ce  prêtre  était  Martin  Luther  (1517). 
Un  des  motifs  secondaires  de  la  commission  qu'il 
venait  de  recevoir  de  son  supérieur  pourrait  bien 
avoir  été  la  jalousie  que  devait  inspirer  aux  Augus- 
tins la  préférence  accordée  sur  eux  aux  Dominicains 
par  l'archevêque  de  Mayence  et  de  Magdebourg, 
qui  avait  récemment  confié  à  ceux-ci  la  distribution 
des  indulgences  dans  les  églises  de  la  Saxe.  C'é- 
taient les  Augustins  qui  précédemment  avaient  ac- 
compli cette  mission.  Ils  se  trouvaient  naturellement 
portés  à  juger  qu'elle  était  moins  bien  remplie  par 
leurs  successeurs,  et  disposés  à  les  accuser  d'exa- 
gérer aux  yeux  des  peuples  la  doctrine  des  indul- 
gences, pour  rendre  plus  productive  son  application. 


A.GRIPPA    A    METZ  291 

Luther  s'élève  rapidement,  dans  ces  disputes,  de 
la  question  des  indulgences  au  sacrement  lui-même 
qui  en  est  le  principe,  au  sacrement  de  la  pénitence. 
Il  en  examine  les  diverses  parties,  la  justification, 
l'expiation,  la  réparation,  la  satisfaction,   l'absolu- 
tion, et  il  arrive  ainsi  de  proche  en  proche  à  traiter 
des  bonnes  œuvres,  du  culte  des  saints,  du  libre 
arbitre,   et  de   la  grâce.   Il  était  difficile  que   lui- 
même,  malgré  toute  sa  science,  ne  s'égarât  pas  clans 
l'immense  développement  et  dans  les  subtils  détails 
de  ces  questions  délicates.  Il  est  attaqué  vivement 
à  ce  sujet.  Pour  se  défendre,  il  se  réfugie  dans  l'in- 
terprétation  directe   de   l'Écriture,    et  bientôt  der- 
rière une  récusation  formelle  de  l'autorité  du  souve- 
rain   pontife,   avec  la  prétention  de   ne  se  rendre 
qu'au  jugement  de  l'Église  réunie  en  concile. 

Les  censures  et  les  condamnations  l'avaient  ainsi 
amené  ù  contester  l'autorité  du  pape,  en  même 
temps  que,  dans  ses  hardies  investigations,  il  atta- 
quait les  sacrements.  Il  les  rejette  pour  la  plupart, 
et  ne  veut  plus  en  reconnaître  que  trois,  le  baptême, 
la  pénitence,  et  l'eucharistie.  Encore  modifie-t-il 
plus  ou  moins  la  doctrine  admise  par  l'Église  sur 
chacun  d'eux.  Pour  ce  qui  concerne  l'eucharistie,  il 
introduit  quelques  subtilités  dans  l'appréciation  du 
fait  de  la  transsubstantiation,  et  recommande  expres- 
sément l'administration  du  sacrement  aux  fidèles 
sous  les  doux  espèces.  Il  reste,  d'ailleurs,  fermement 
attaché  au  dogme  de  la  présence  réelle,  qu'il  défend 
énergiquement  jusqu'à  la  (in.  Il  ose  ensuite  recom- 


292  CHAPITRE    QUATRIÈME 

mander  certaines  modifications  dans  la  liturgie,  dans 
la  constitution  de  la  messe  principalement,  condam- 
nant de  plus  diverses  pratiques,  le  célibat  des 
prêtres  par  exemple,  l'abstinence  de  viande,  les 
vœux,  les  pèlerinages.  Luther  avait  donné  le  signal; 
Mélanchthon  et  Carlostadt  se  distinguent  parmi  ses 
plus  ardents  disciples;  ce  dernier,  chanoine  et  archi- 
diacre de  Wittemberg  ;  l'un  et  l'autre  professeurs  à 
l'université  de  cette  ville. 

Jusque-là  le  sacrement  essentiel,  l'eucharistie, 
fondement  de  la  religion,  était  à  peu  près  intact 
Mais  des  entreprises  téméraires  allaient  être  bien- 
tôt dirigées  également  contre  lui.  La  Saxe  avait  vu 
commencer  la  querelle  ;  la  Suisse  devait  être  le 
théâtre  de  la  nouvelle  phase  où  elle  allait  entrer. 
OEcolampade,  curé  de  Bâle,  combat  le  premier  la 
croyance  à  la  présence  réelle  qu'entendait  conserver 
Luther,  et  il  prétend  n'attacher  qu'un  sens  figuré 
aux  paroles  de  Jésus-Christ,  dans  l'institution  du 
sacrement  (1524).  Zwingle,  curé  de  Zurich,  qui  avait 
commencé,  comme  Luther,  par  s'élever  contre  les 
indulgences  (1519),  se  range  à  l'opinion  d'OEcolam- 
pade  sur  le  sens  figuré,  suivant  lui,  du  sacrement 
(1525).  La  dispute  sur  l'eucharistie  se  substitue 
ainsi  à  la  querelle  originaire  sur  la  pénitence.  La 
digue  salutaire  de  la  discipline  est  en  même  temps 
rompue;  les  novateurs  ne  connaîtront  plus  de  bor- 
nes. Servet  déclamera  bientôt  contre  la  Trinité 
(1531-1532).  De  ces  doctrines  nouvelles  vont  sortir 
les  scandaleux   excès  des  anabaptistes  (1534-1536), 


AGRIPPA    A    METZ  293 

contre  lesquels  Lu!,her  lui-même  devra  prendre  la 
plume  (1535). 

Tels  sont,  dans  leurs  traits  essentiels,  les  mouve- 
ments de  doctrine  effectués  par  la  réforme,  du  vivant 
d'Agrippa.  Certains  laits  particuliers  qui  s'y  ratta- 
chent, ainsi  que  les  changements  politiques  en  ré- 
sultant, dont  il  a  été  également  témoin,  doivent  être 
remémorés  aussi. 

Au  début  de  ses  prédications  contre  les  indul- 
gences (1517),  Luther  avait  publié  quatre-vingt- 
quinze  propositions  formant  la  matière  d'une  thèse 
soutenue  par  lui  à  Vittemberg  sur  ce  sujet,  el  il  les 
avait  adressées  à  l'archevêque  de  Mayence  et  à 
l'évoque  de  Brandebourg.  A  leur  apparition,  Jean 
Tetzel,  religieux  dominicain,  inquisiteur  de  la  foi  et 
le  premier  des  commissaires  pour  la  publication  des 
indulgences,  avait  attaqué  ces  propositions,  en  pu- 
bliant cent  six  propositions  contraires,  soutenue  s 
dans  des  thèses  nouvelles,  à  Francfort  sur  l'Oder 
(1517),  et  cinquante  autres  sur  l'autorité  du  pape. 
En  même  temps,  comme  inquisiteur  de  la  foi,  il 
avait  fait  brûler  publiquement  les  thèses  de  Luther. 
Par  représailles,  les  amis  de  ce  dernier  avaient  aussi 
brûlé  les  siennes. 

De  nombreux  champions  se  présentent  alors  dans 
la  lice  (1518).  Les  religieux  dominicains  Jacques 
Hochstrat  et  Sylvestre  (Mazolini  di  Prierio)  écri- 
vent avec  violence  contre  Luther.  Jean  Eckius, 
professeur  de  théologie  et  vice-chancelier  de  l'uni- 
versité d'Ingolstadt,  entre  aussi  en  querelle,   mais 


294  CHAPITRE   QUATRIÈME 

avec  plus  de  mesure,  contre  lui,  sur  l'essence  de  la 
pénitence  (1518).  C'est  dans  la  réponse  que  lui  fait 
Luther  qu'il  donne  ses  propositions  contre  la  liberté 
de  l'homme,  et  sur  l'absolue  nécessité  de  la  grâce. 

Ces  débats,  publiés  au  moyen  de  l'imprimerie, 
nouvelle  alors,  agitaient  vivement  les  esprits,  en  Al- 
lemagne surtout  et  en  France.  Dans  ce  dernier  pays, 
on  se  trouvait  en  même  temps  sous  le  coup  d'une 
émotion  très  favorable  à  leur  effet.  Le  concor- 
dat que  le  roi  François  1er  et  le  pape  venaient  de 
substituer  à  la  pragmatique,  soulevait  les  résistan- 
ces du  parlement  et  de  l'université  de  Paris,  et  le 
public  participait  à  ces  dispositions  (15J8).  Les  têtes 
s'échauffaient,  en  outre,  sur  des  questions  de  criti- 
que relevant  de  la  seule  curiosité.  Mentionnons 
comme  exemple,  en  raison  de  l'intérêt  qu'Agrippa 
y  a  pris,  la  question  des  trois  Marie  discutée  alors 
avec  un  certain  éclat  par  Lefèvre  d'Etaples,  et  sur 
laquelle  nous  aurons  bientôt  à  revenir. 

Luther  avait,  dans  le  principe,  affecté  le  ton  d'une 
entière  soumission  à  l'égard  du  pape,  déclarant  qu'il 
ne  prétendait  à  autre  chose  qu'à  être  entendu  et 
jugé  par  lui,  sur  les  témoignages  de  l'Ecriture. 
Mais  on  ne  voulait  ni  l'entendre  ni  le  juger  ;  on  vou- 
lait lui  imposer  silence.  On  voulait,  non  l'admettre  à 
discuter  sa  doctrine,  mais  lui  permettre  seulement 
de  se  défendre  sur  la  question  de  fait  exclusivement. 
Le  pape  le  cite,  à  cet  effet,  à  comparaître  dans  les 
soixante  jours  devant  ses  commissaires,  et  tâche 
d'obtenir  du   prieur  des  Augustins  de  Wittemberg 


AGRIPPA   A    METZ  295 

et  de  l'électeur  de  Saxe,  que  ce  rebelle  soit  mis  entre 
les  mains  du  légat  (1518).  Luther  se  rend  volontai- 
rement à  une  conférence  avec  celui-ci,  à  Augsbourg; 
mais  il  n'y  consent  à  rien,  sinon  à  disputer,  et  il 
refuse  de  se  soumettre  autrement  qu'à  une  démons- 
tration, et  à  une  décision  prononcée  sur  celle-ci  par 
l'Église,  c'est-à-dire  par  une  assemblée  de  prélats 
et  de  docteurs.  Le  légat  allègue  l'autorité  du  pape. 
Luther  conteste  cette  autorité  et  en  appelle  au  con- 
cile. En  loi  9,  Eckius  dispute  à  Leipsick  avec  Luther, 
Carlostadt  et  Mélanchthon,  sur  l'autorité  du  pape, 
sur  la  pénitence  et  le  purgatoire,  sur  les  indulgen- 
ces, sur  le  libre  arbitre  et  la  grâce.  Luther  est  con- 
damné par  les  universités  de  Cologne  (4519),  de 
Louvain  (1519),  de  Paris  (1521).  Il  ose  dédier  au  pape 
son  livre  de  la  liberté  chrétienne  (1520),  et  il  publie 
un  traité  de  la  confession. 

L'heure  est  arrivée  où  vont  éclater  les  violences. 
Le  15  juin  1520,  Léon  X  fulmine  solennellement  con- 
tre Luther  une  bulle  par  laquelle  il  le  condamne 
comme  hérétique.  Le  10  décembre  suivant,  Luther 
brûle  publiquement  la  bulle  du  pape  à  Wittemberg. 
La  guerre  est  déclarée.  Luther  publie  en  allemand 
un  manifeste  contre  la  cour  de  Rome,  et  en  même 
temps  son  livre  de  la  captivité  de  Babylone.  Un  peu 
plus  tard,  il  fait  imprimer  sa  traduction  de  la  Bible 
en  Langue  vulgaire  (1522),  et  il  ose  paraître,  pour  se 
défendre,  devant  la  diète  de  Worms  (1523).  La  période 
politique  de  la  révolution  qui  s'annonce  va  com- 
mencer. 


296  CHAPITRE    QUATRIÈME 

En  vain  Adrien  VI  essaiera,  en  1522,  la  réforme 
du  clergé,  et  arrêtera  la  prédication  des  indulgences. 
Léon  X  a  réclamé  de  Charles-Quint  l'exécution  de 
la  sentence  portée  contre  les  novateurs,  et  l'empe- 
reur a  promulgué  l'édit  de  Worms  interdisant  toute 
profession  publique  du  luthéranisme  (1521).  Lu- 
ther, poursuivi,  trouve  un  asile  secret  chez  l'électeur 
de  Saxe.  Les  deux  diètes  de  Nuremberg  (1523,  1524) 
montrent  quels  progrès  ont  faits  les  nouvelles  doc- 
trines. Les  États  d'Allemagne  ne  craignent  pas  de 
formuler  d'expresses  accusations  contre  la  cour  de 
Rome,  Centum  gravamina,  ils  provoquent  la  réforme 
de  l'Église  et  demandent  pour  cette  œuvre  un  con- 
cile libre,  assemblé  en  Germanie,  hors  de  toute  in- 
fluence du  souverain  pontife.  Un  concile,  c'est  ce 
que  voulait  par-dessus  tout  éviter  la  cour  de  Rome. 

A  cette  date  (1525),  le  luthéranisme  a  pour  adhé- 
rents, en  Allemagne,  l'Électeur  de  Saxe,  le  landgrave 
de  Hesse,  le  duc  de  Brunswick,  les  villes  de  Stras- 
bourg, de  Francfort,  de  Mayence  et  de  Cologne 
en  partie;  et  la  Suisse  acquiesce  à  la  doctrine 
de  Zwingle,  qui  renchérit  encore  sur  celle  de  Lu- 
ther. A  la  diète  de  Spire  (1526)  ,  les  luthériens 
dominent.  Ils  protestent  contre  l'édit  de  Worms  ; 
ils  persistent  à  demander  le  concile.  En  1529,  ils 
s'assemblent  à  Smalkalde  pour  aviser  à  se  défendre 
contre  l'empereur  qui  les  menace,  et  préludent  ainsi 
à  la  ligue  qu'ils  formeront  en  1531,  clans  la  môme 
ville,  pour  se  préparer  à  la  guerre.  Auparavant  ils 
ont  présenté  leur  confession  à  la  diète  d'Augsbourg 


AGRIPPA    A    METZ  297 

où  les  zwingliens  ont  aussi  produit  la  leur  (1530). 
Devenus  parti  politique,  ils  obtiennent  l'appui  et 
l'alliance  de  François  1er,  ennemi  de  Charles-Quint, 
et  ils  réussissent  à  arracher  à  l'empereur  les  États 
confisqués  sur  le  duc  de  Wurtemberg  (1533-1534). 
La  rupture  éclatante  du  roi  Henri  VIII  avec  le  pape 
ouvre,  d'un  autre  coté,  l'Angleterre  au  protestan- 
tisme (1534). 

A  ce  moment,  les  affreux  désordres  provoqués  par 
les  anabaptistes  de  Munster  (1534-1536)  arrêtent 
un  instant  le  mouvement;  et,  parla  fameuse  transac- 
tion de  Cadam  (29  juillet  1534),  le  roi  des  Romains 
s'engage  à  faire  suspendre  toute  poursuite  contre 
les  protestants  dans  l'empire.  Une  sorte  d'apaise- 
ment momentané  marque  la  fin  de  la  première 
phase  de  cette  grande  histoire.  Agrippa,  mort  en 
1535  seulement,  en  a  été  témoin. 

Nous  avons,  dans  le  tableau  précédent,  devancé 
la  marche  des  temps,  pour  montrer  dans  leur  ensem- 
ble les  actes  de  la  réforme  accomplis  sous  les  yeux 
en  quelque)  sorte  d'Agrippa,  pendant  la  durée  de  sa 
vie  tout  entière.  Il  faut  maintenant  revenir  au  dé- 
but do  ces  événements  et  au  lendemain  des  premiè- 
res prédications  de  Luther  contre  les  indulgences, 
à  l'année  1518  qui  est  celle  de  l'arrivée  à  Metz 
d'Agrippa.  Nous  allons  le  voir  suivre  avec  une  at- 
tention marquée  le  développement  de  ces  faits  et 
les  conséquences  qui  on  découlent. 

Les    sympalhics   d'Agrippa   étaient    évidemment 
pour  les  réformateurs.  11  honore  Luther  et  Mélan- 

T.   T. 


298  CHAPITRE    QUATRIÈME 

chthon;  il  no  dissimule  pas  l'estime  qu'il  fait  de  leur 
caractère  et  l'intérêt  que  lui  inspire  leur  conduite. 
Leurs  idées,  on  peut  le  constater,  sont  en  partie  les 
siennes,  et  il  s'associe,  en  plus  d'un  point,  à  leurs  pas- 
sions. Gomme  eux,  il  ose  s'élever  contre  l'autorité 
du  souverain  pontife  et  s'insurger  contre  la  prépon- 
dérance des  moines  dans  l'Église  et  dans  la  société. 
A  Metz,  en  1520,  il  passait  pour  un  partisan  décidé 
et  un  propagateur  de  la  doctrine  de  Luther.  Cepen- 
dant, à  la  pensée  des  désordres  de  tout  genre  que  la 
réforme  semble  près  de  déchaîner  dans  le  monde, 
Agrippa  se  prononce  en  plus  d'un  endroit,  il  faut  le 
reconnaître,  contre  ses  entraînements  et  en  réprouve 
les  témérités  (Ep.  II,  54).  Il  semble,  en  définitive, 
avoir  tenu  prudemment  à  l'égard  du  protestantisme 
une  conduite  mesurée,  analogue  à  celle  que  tint 
aussi  au  même  point  de  vue  le  célèbre  Érasme,  un 
des  hommes  de  ce  temps  qui  ont  été  en  commerce 
de  lettres  avec  lui.  Gomme  Érasme,  Agrippa  con- 
serve, en  ce  qui  regarde  la  stricte  orthodoxie,  une 
attitude  assez  correcte  quant  aux  actes;  mais,  pour 
ce  qui  est  des  opinions,  il  se  permet  une  grande  li- 
berté de  pensée,  le  plus  souvent  déguisée  sous  le 
masque  d'une  soumission  apparente  dont  il  ne  mar- 
chande pas,  quand  il  le  faut,  les  témoignages,  mais 
quelquefois  aussi  exprimée  avec  un  notable  oubli 
de  toute  réserve. 

Agrippa  ne  nous  laisse,  en  définitive,  aucun  doute 
sur  ce  qu'il  pense  au  fond  touchant  les  questions 
religieuses.  Il  a  répandu  dans  ses  divers  écrits  et 


AGRIPPA   A    METZ  299 

condensé  finalement,  dans  son  traité  de  l'incertitude 
et  de  la  vanité  des  sciences,  les  opinions  par  les- 
quelles il  se  rapproche  des  novateurs  du  xvic  siècle. 
Nous  avons  fait  connaître  précédemment  ce  dernier 
ouvrage.  On  peut,  d'après  ce  que  nous  en  avons  dit, 
apprécier  les  tendances  de  son  auteur  dans  la  direc- 
tion que  nous  venons  de  signaler  '.  Oes  tendances, 
au  reste,  ne  faisaient  encore  que  s'indiquer  à  l'épo- 
que où  Agrippa,  quittant  l'Italie,  arrivait  à  Metz.  Pen- 
dant son  séjour  dans  cette  ville,  elles  s'accentuent 
graduellement;  elles  se  manifestent  d'une  manière 
générale  dans  l'attention  qu'il  accorde  aux  actes  des 
réformateurs  en  Allemagne  ,  comme  nous  l'avons 
annoncé  tout  à  l'heure  ;  elles  s'indiquent  plus  particu- 
lièrement dans  l'intérêt  qu'il  prend  aux  travaux  de 
Lefèvre  d'Étaples  en  France  ;  elles  s'accusent  com- 
plètement dans  la  hardiesse  avec  laquelle  ri  sou- 
tient alors  les  conclusions  de  celui-ci  contre  les 
théologiens  orthodoxes. 

Agrippa  sort  un  peu  en  cela  du  rôle  de  juriscon- 
sulte spécialement  propre  à  l'emploi  qu'il  était  venu 
prendre  à  Metz,  rôle  fort  nouveau  pour  lui  du  reste, 
très  différent  de  ceux  qu'il  avait  joués  jusquc-la, 
et  auquel  ne  semblaient  guère  l'avoir  préparé  ses 
études  antérieures  et  sa  vie  passée.  Nous  avons  dit 
quelque  chose  de  ces  études,  au  commencement  de 


1.  Nous  avons  réuni  dans  une  note  de  L'appendice  (n°  X)  di- 
vers renseignements  sur  l'attitude  d'Agrippa  vis  à-vis  du  pro- 
testantisme. 


300  CHAPITRE    QUATRIÈME 

noire  chapitre  second.  Ce  qu'on  sait,  d'un  autre  côté, 
de  la  vie  d'Agrippa  ne  permet  guère  d'admettre  qu'à 
partir  du  moment  où,  quittant  Cologne  pour  la  pre- 
mière fois  et  arrivant  à  Paris,  simplement  pourvu 
selon  toute  apparence  du  grade  de  maître  ès-arts, 
près  de  s'élancer  a  ce  moment  même  clans  le  tourbil- 
lon d'agitations  que  nous  connaissons,  il  ait  jamais 
eu  le  temps  de  faire  les  études  suivies  nécessaires 
pour  l'acquisition  du  grade  de  docteur  en  droit  que 
nous  le  voyons  prendre  maintenant.  On  trouve,  en 
effet,  les  qualifications  de  licencié  et  de  docteur  en 
l'un  et  l'autre  droit  associées  alors,  par  pure  cour- 
toisie vraisemblablement,  à  son  nom,  dans  quelques 
documents  de  l'époque  conservés  aux  archives  de 
Metz.  Mais  il  en  est  d'autres  à  côté  de  ceux-là  où 
Agrippa  prend  simplement  le  titre  de  maître,  beau- 
coup mieux  d'accord  avec  ce  que  nous  savons  de 
son  passé  '. 

Il  y  a  tout  lieu  de  penser  que  les  connaissan- 
ces d'Agrippa  en  matière  de  jurisprudence,  comme 
beaucoup  d'autres  d'ailleurs  qu'on  ne  saurait  lui 
contester  absolument,  ne  provenaient  guère  que 
d'études  accidentelles,  de  lectures,  d'observations 
et  de  réflexions,  et  qu'elles  ne  peuvent  impliquer  la 
possession  d'aucun  grade  universitaire.  Nous  dé- 
montrerons qu'il  en  était  certainement  ainsi    pour 


1.  Il  s'agit  ici  du  titre  'le  maître  63-arts;  qualité  modeste 
qu'il  n'y  a  aucune  raison  de  refuser  à  Agrippa,  comme  nous 
l'avons  montré  précédemment,  au  chapitre  deux  (p.  126). 


AGRIPPA   A    METZ  301 

lui  de  la  médecine  au  moins.  L'association  qu'il  l'ait, 
dès  1519,  de  son  prétendu  titre  de  docteur  en  méde- 
cine et  de  celui  de  docteur  en  l'un  et  l'autre  droit 
(Ep.  II,  19),  autorise  incontestablement  le  doute  sur 
l'authenticité  de  celui-ci,  puisqu'on  est  l'onde  à  lui 
refuser  absolument  la  légitime  possession  de  l'au- 
tre '. 

L'emploi  que  venait  prendre  à  Metz  Agrippa,  au 
mois  de  février  1518,  était  celui  de  conseiller  stipen- 
dié et  orateur  de  la  Cité2.  Metz,  ville  libre  du  Saint- 
Empire,  ancienne  capitale  de  l'Austrasie,  puis  du 
vieux  royaume  de  Lorraine,  était  resté,  lors  de  la 
dissolution  de  celui-ci,  sous  la  domination  de  ses 
évoques.  La  ville  avait  ultérieurement  secoué  l'auto- 
rité des  prélats  et  conquis,  vers  le  xme  siècle,  une 
sorte  d'indépendance,  grâce  à  laquelle,  à  partir  de 
ce  moment,  s'était  graduellement  constitué  dans  son 

1.  On  trouvera,  dans  la  dernière  partie  de  notre  chapitre 
cinquième,  des  observations  à  ce  sujet,  et,  dans  une  note  de 
L'appendice  (n°  VI),  quelques  textes  qui  s'y  rapportent. 

2.  Bien  que  cet  emploi  soit;  comme  nous  le  dirons  tout  à 
L'heure,  d'un  ordre  tout  à  fait  secondaire  dans  le  mécanisme 
des  institutions  publiques  à  Metz,  Agrippa  en  parle  quelque 
part  comme  s'il  s'agissait  de  la  fonction  la  plus  élevée  dans  la 
hiérarchie  gouvernementale  de  cette  ville  :  «  Cum,  apud  Me- 
'<  diomatricos,  reipubhca:  a  consiliis  advocatus  pnuessem.  >; 
(Opéra,  t.  II,  p.  220).  Cette  exagération  est  d'accord  avec  L'e3pmt 
de  jactance  qui  est  habituel  chez  Agrippa  et  qui  le  port.-,  en 
toute  rencontre,  à  cxull'T  son  mérite  aussi  bien  qu'à  grossir 
arbitrairement  son  importance.  Nous  aurons  plus  d'une  occa- 
sion de  le  constater. 


302  CHAPITRE    QUATRIÈME 

sein  un  gouvernement  oligarchique,  au  profit  d'un 
patriciat  compose  des  principaux  citoyens  l.  Ceux- 
ci  étaient,  pour  cet  objet,  distribués  dans  des  corps 
politiques  nommés  paraiges,  où  ils  prenaient  place 
en  vertu  de  droits  héréditaires  réglés  d'après  cer- 
tains principes.  Sauf  un  petit  nombre  d'emplois  in- 
férieurs attribués  au  commun  populaire,  toutes  les 
charges  et  magistratures  dans  l'État  messin  étaient 
exclusivement  dévolues  aux  membres  des  paraiges. 
De  plus,  à  la  seule  exception  des  échevinats,  offices 
de  judicature,  qui  étaient  à  vie  et  à  la  nomination  du 
maître-échevin,  chef  de  l'État,  ces  charges  étaient 
électives  et  même,  pour  la  plupart,  annuelles. 

Certaines  fonctions  cependant  exigeaient  une  as- 
siduité et  des  connaissances  particulières  qu'on  ne 
saurait  attendre  que  de  praticiens  expérimentés. 
La  Cité  avait  été  ainsi  obligée  de  prendre  à  ses  gages, 
pour  le  service  public,  quelques  employés  spéciaux, 
notamment  des  médecins  et  des  jurisconsultes  de 
profession.  Ces  derniers  portaient  les  titres  variés 
de  conseillers  stipendiés,  d'orateurs,  d'avocats,  de 
procureurs,  ou  celui  moins  précis  de  pensionnaires. 
Leur  emploi  consistait  à  servir  la  république,  dans 
les  affaires  contentieuses  surtout,  soit  à  l'intérieur 
soit  au  dehors  ;  à  suivre,  dans  ce  dernier  cas,  les  sei- 
gneurs citains   chargés  des  négociations  ;   à  porter 

1.  Voir,  sur  ce  sujet,  un  travail  intitulé  Le  patriciat  dans  la 
cité  de  Metz,  au  tom.  XXXI V  des  Mémoires  île  la  Société  des 
Antiquaires  de  France,  année  1873. 


AG1UPPA    A    METZ  303 

la  parole  dans  les  débats  qui  s'ensuivaient,  ou  bien 
encore  dans  les  circonstances  d'apparat,  aux  entrées 
de  souverains  par  exemple,  et  dans  les  réceptions  de 
personnages  considérables.  De  là  ce  titre  d'orateur 
qui  leur  est  donné  quelquefois,  et  qu'Agrippa  semble 
avoir  porté  le  premier;  d'où  l'on  pourrait  inférer, 
soit  dit  en  passant,  que  sa  situation  à  Metz  avait 
peut-être  dans  le  principe  quelque  chose  de  celle 
d'un  lettré,  plutôt  que  d'un  jurisconsulte  propre- 
ment dit.  Les  hommes  auxquels  on  confiait  l'emploi 
de  conseiller  stipendié  étaient  choisis  indifférem- 
ment, ou  parmi  les  clercs,  ou  parmi  les  laïques. 
C'étaient  souvent  des  membres  du  clergé  de  Metz, 
des  chanoines  ou  des  dignitaires  de  ses  divers 
chapitres,  ou  même  des  prêtres  de  son  clergé  parois- 
sial, ayant  fait  dans  les  universités  des  études  spécia- 
les, et  pourvus  le  plus  souvent  des  grades  de  docteur, 
de  licencié,  de  bachelier  en  droit,  ou  pour  le  moins 
de  celui  de  maître  ès-arts. 

La  ville  de  Melz  a  entretenu  quelquefois  plusieurs 
de  ces  officiers  en  même  temps,  deux  ou  trois,  quatre 
même  dans  certains  cas.  La  durée  de  leurs  services 
était  variable.  Elle  était  de  six  années  généralement, 
fixée  ainsi  par  les  termes  mêmes  de  leur  engage- 
gement,  et  le  plus  souvent  d'ailleurs  susceptible  d'ê- 
tre prolongée  moyennant  un  ou  plusieurs  renouvelle- 
ments. Quelques-uns  d'entre  eux  sont  restés  aux 
gages  de  la  Cité  pendant  une  période  de  vingt  années 
et  plus.  On  connaît  par  les  chroniques,  par  les  comp- 
tes et  autres  pièces  (li  s  archives  de  la  ville,  une  ving- 


304  CHAPITRE    QUATRIÈME 

taine  de  ceux  qui  ont  été  chargés  de  ces  fonctions 
pendant  la  durée  des  xvc  et  xvie  siècles.  Il  n'y  avait, 
du  reste,  rien  de  régulier  dans  leurs  engagements, 
qui  ont  bien  pu  n'être  parfois  que  des  commissions 
spéciales  pour  des  services  accidentels.  Leur  trai- 
tement aussi  variait  beaucoup,  et  il  a  naturellement 
toujours  tendu  à  s'élever.  Avant  l'arrivée  à  Metz 
d'Agrippa,  les  gages  annuels  des  conseillers  stipen- 
diés n'avaientjamais  dépassé  72  livres  ;  on  en  trouve, 
jusqu'à  ce  moment,  aux  chiffres  de  24,  30,  36,  50,  60 
et  72  livres.  Agrippa,  le  premier,  reçoit  un  traitement 
notablement  plus  considérable.  On  lui  alloue  immé- 
diatement 120  livres,  qui  valaient  alors  100  florins 
d'or  ',  et  après  lui  ses  successeurs  voient  leurs  émo- 
luments monter  en  moins  de  vingt  années  à  125, 
180,  200,  2-40  et  jusqu'à  300  livres  ;  chiffres  qui  s'élè- 
vent, du  reste,  en  même  temps  que  s'avilit  graduelle- 
ment la  valeur  de  l'argent. 

Outre  les  indications  qui  précèdent,  les  documents 
messins,  rapprochés  des  pièces  de  la  correspon- 
dance d'Agrippa,  fournissent  encore  des  renseigne- 
ments qui  présentent  quelque  intérêt  sur  la  durée 
de  son  séjour  à  Metz.  On  y  voit  qu'il  dut  arriver 
dans  cette  ville  pendant  la  seconde  moitié  de  février 
1518  et  qu'il  l'a  quittée  à  pareille  époque  à  peu  près, 
sinon  dès  la  fin  de  janvier  peut-être,  de  l'an  1520, 


1.  Celle  somme  pouvait  équivaloir  à  environ  3,(Jl)t)  francs  d'au- 
jourd'hui. On  trouvera  dans  une  note  de  l'appendice  (n1  XIV) 
quelques  éclaircissements  à  ce  sujet. 


AG  KIPPA    A    METZ  303 

après  y  être  resté  environ  deux  années  '.  Ses  lettres 
montrent  d'ailleurs  qu'il  abrégea  le  séjour  que  pri- 
mitivement il  devait  y  l'aire;  car  on  l'y  voit  sollici- 
ter, en  raison  de  diverses  considérations,  avant  la 
fin  de  la  seconde  année,  la  résiliation  de  l'engagement 
auquel  il  avait  souscrit  envers  la  Cité  pour  une  plus 
longue  durée  évidemment.  Le  règlement  de  ses  ga- 
ges aurait  été  néanmoins  opéré,  ce  semble,  tout  à 
son  avantage,  à  partir  d'une  date  quelque  peu  anté- 
rieure à  celle  de  son  arrivée  et  jusqu'à  une  époque 
notablement  postérieure  à  son  départ.  11  résulte  de 
l'examen  des  comptes  de  ce  temps,  qui  se  trouvent 
encore  aujourd'hui  aux  archives  de  la  ville,  qu'A- 
grippa reçut  de  celle-ci  des  gages  pour  plus  de  deux 
années,  indépendamment  des  frais  de  voyage  qui 
lui  furent  largement  payés  d'avance  à  son  départ  de 
Savoie,  et  non  remboursés  simplement  à  son  arri- 
vée à  Metz  ».  Quant  à  l'importance  de  ces  gages  al- 
loués par  les  Messins  à  Agrippa,  il  y  a  lieu  de 
constater,  d'après  ce  que  nous  en  avons  dit  tout  à 
l'heure,  que  le  chiffre  en  est  relativement  assez 
élevé  ;  supérieur,  en  tout  cas,  à  celui  des  gages  attri- 
bués jusqu'alors  aux  hommes  qui  avaient  précédem- 
ment rempli  a  Metz  les  mêmes  fonctions.  Cette  par- 
ticularité montre  le   prix  que,  dans   cette  ville,  on 


I.  Voir,  à  ce  sujet,  une  note  de  l'appendice  (n°  XII). 

».  Les  gages  payés  par  la  cité  de  Metz  à  Agrippa  vont  du 
15  février  1518  au  :ii  mars  1520.  On  trouvera  quelques  rensei- 
gnements à  cet  égard  dans  une  note  de  l'appendice  (n°  XIII). 


300  CHAPITRE    QUATRIÈME 

attachait  aux  services  du  nouveau  venu.  La  grande 
réputation  qu'il  avait  alors  et  les  chaudes  recomman- 
dations de  ses  amis,  telles  sont  vraisemblablement 
les  causes  qui  avaient  contribué  à  lui  procurer 
ces  avantages. 

A  l'époque  où  Agrippa  était,  à  Metz,  conseiller 
stipendié  et  orateur  de  la  Cité,  on  voit  figurer  à  côté 
de  son  nom,  sur  les  comptes  de  la  ville,  ceux  de  deux 
autres  individus  encore  qui  s'y  trouvaient,  ce  sem- 
ble, dans  des  situations  analogues  à  la  sienne  ;  l'un, 
que  l'on  appelait  maître  Henry  le  docteur,  c'est-à- 
dire  docteur  ès-lois,  pensionnaire  de  la  Cité  depuis 
1502  «  pour  la  servir  dans  ses  affaires  »  aux  gages 
de  60  livres  par  an,  maintenu  dans  cet  emploi  jus- 
qu'à sa  mort  en  1523;  l'autre,  ncmmé  maître  Claude 
Chansonneti,  qui  ne  touchait  que  24  livres  par  an,  et 
qui  ne  jouit  de  cette  pension  que  pendant  deux  ans 
et  demi  à  peu  près,  de  Noël  1516  à  Pâques  1519. 

De  ces  deux  hommes,  le  premier,  maître  Henry  le 
docteur,  ne  paraît  pas  avoir  noué  avec  Agrippa,  pen- 
dant son  séjour  à  Metz,  les  relations  que  leur  situa- 
tion réciproque  aurait  naturellement  autorisées.  On 
ne  trouve  aucune  mention  de  lui  dans  la  correspon- 
dance que  nous  avons  sous  les  yeux,  notammentdans 
des  lettres  où,  après  son  départ  de  Metz,  Agrippa 
rappelle  les  amis  qu'il  y  a  laissés  et  leur  adresse  des 
témoignages  de  son  souvenir.  Henry  le  docteur  vécut 
cependant  à  Metz,  nous  le  savons,  quelques  années 
encore  après  qu'Agrippa  eut  quitté  cette  ville.  Il  y  a 
lieu  de  faire  observer  qu'à  l'arrivée  de  celui-ci,  mai- 


AGRIPPA    A    METZ  301 

tre  Henry  occupait  le  premier  rang  parmi  les  pen- 
sionnaires messins.  On  peut  croire  qu'il  ne  vit  pas 
sans  quelque  déplaisir  le  nouveau  venu,  à  qui  1  on 
accordait  d'emblée  un  traitement  double  de  celui  qui 
lui  était  attribué  à  lui-même  pour  des  services  vieux 
déjà  de  quinze  années.  Une  jalousie  assez  naturelle  a 
pu  vraisemblablement  le  tenir  éloigné  de  l'étranger, 
objet  de  cette  insigne  faveur.  Maître  Henry  le  docteur 
pourrait  bien  môme  avoir  grossi  le  nombre  des  en- 
nemis  qui  ne   tardèrent  pas  à  se   déclarer  contre 
Agrippa,  et  qui  contribuèrent  finalement  à  lui  rendre 
le  séjour  de  Metz  insupportable.  Quant   à  Claude 
Chansonneti,  il  n'est  autre,  on  a  tout  lieu  de  le  croire, 
que  Claudius  Cantiuncula,  personnage  plus   connu 
qui,  de  Bâte,  entre  en  correspondance  avec  Agrippa 
dès  les  premiers  temps  de  son  séjour  à  Metz,  et  dont 
nous  aurons  pour  cette  raison  à  parler,  un  peu  plus 
loin,  avec  quelques  détails. 

Nous  avons  dit  quel  emploi  Agrippa  était  venu 
remplir  à  Metz.  Il  nous  a  conservé  le  discours  pro- 
noncé par  lui  devant  la  Seigneurie  composant  le 
conseil  de  la  ville, en  prenant  possession  de  ses  nou- 
velles fonctions  '.  Il  y  parle  des  circonstances  dans 
lesquelles  il  s'est  décidé  à  les  accepter. 

Après  avoir  vécu,  dit-il,  en  commerce  avec  les 
grands;  traité  comme  un  fils,  comme  un  ami  par  le 
souverain  pontife,  par  l'empereur,  par  nombre  de 

1.  Oratio  ad  Melensium  Dominos  dum  in  illorum  advocatum 
syndicwn  et  oratorcm  acceptarelur.  (Upcra,  t.  II,  p.  1090-1092). 


308  CHAPITRE    QUATRIÈME 

prélats  et  de  nobles  seigneurs;  il  a  voulu,  ayant  pris 
femme,  s'affranchir  du  fardeau  des  grandes  affaires 
et  des  relations  familières  avec  les  princes,  gens  de 
condition  supérieure  à  la  sienne.  Décidé  à  sacrifier 
à  sa  tranquillité  une  situation  satisfaisante  pour  son 
ambition,  mais  qui  n'était  pas  sans  inconvénients  et 
sans  périls  on  peut  le  croire,  il  a  résolu  de  vivre  dé- 
sormais du  seul  produit  de  ses  talents,  dans  une  po- 
sition modeste  dont  il  saura  se  contenter.  C'est  ainsi, 
ajoute-t-il,  que,  sollicité  par  les  lettres  des  sénateurs 
messins  et  par  les  instances  de  leur  secrétaire  lui- 
même  envoyé  par  eux  pour  lui  offrir  la  charge  de 
leur  orateur,  pressé  par  des  amis  auxquels  il  doit 
déjà  beaucoup,  par  le  commandeur  de  Riverie,  par 
son  frère  le  commandeur  de  Metz  et  par  le  baron 
de  Laurencin,  leur  père  ',  il  s'est  rendu  à  tant  de  sol- 
licitations, dédaignant  pour  cela  des  titres  et  des 
avantages  qui  lui  étaient  offerts  ailleurs. 

Tout  en  dissimulant  sous  ces  pompeuses  apparen- 
ces la  situation  précaire  et  l'espèce  de  dénuement 
auxquels  il  était  réduit  quand  il  s'était  décidé  à  quit- 
ter l'Italie,  Agrippa  nous  renseigne  indirectement, 
ainsi  que  nous  l'avons  déjà  fait  remarquer,  sur  les 
véritables  motifs  de  cette  décision  et  sur  les  res- 
sorts qui,  dans  cette  circonstance,  avaient  été  mis  en 


1 .  Le  texte  d'Agrippa  qui  contient  cette  énumération  des  mem- 
bres de  la  famille  de  Laurencin  présente  quelque  ambiguité, 
comme  on  le  verra  par  les  explications  fournies  dans  la  note 
XXI  de  l'appendice. 


AGRIPPA    A    METZ  309 

jeu  pour  attirer  sur  lui  l'attention  des  Messins,  et  ob- 
tenir d'eux  la  proposition  d'un  emploi  lucratif  à  leur 
service.  Il  devait  cet  avantage  à  une  famille  avec 
laquelle  son  passage  antérieur  à  Lyon  avait  pu  le 
mettre  précédemment  en  relation,  mais  dont  plu- 
sieurs membres  s'étaient,  en  tout  cas,  plus  récem- 
ment trouvés  rapprochés  de  lui,  pendant  son  séjour 
en  Piémont. 

Cette  famille  est  celle  des  Laurencin  l,  dont  le 
chef  était  Claude  de  Laurencin,  baron  de  Riverie,  père 
de  plusieurs  fils  parmi  lesquels  on  compte  un  se- 
cond Claude,  receveur  des  tailles  pour  le  roi  au  pays 
de  Lyonnais,  Jean,  commandeur  de  Saint-Antoine  de 
Riverie  en  Piémont,  etPoncc,  commandeur  de  Saint- 
Jean  de  Metz.  La  correspondance  d' Agrippa  fournit 
plusieurs  témoignages  de  ses  relations  avec  les  Lau- 
rencin, notamment  avec  le  commandeur  de  Riverie 
en  1317.  On  y  voit  que  les  négociations  avec  les 
Messins  étaient  commencées  des  le  mois  d'octobre 
de  cette  année  (Ep.  II,  4,  9),  et  Agrippa  donne  lui- 
même  à  entendre,  dans  son  discours  aux  magistrats 
messins,  que  les  deux  frères  de  Laurencin,  les  deux 
commandeurs  de  Riverie  et  de  Metz,  avec  leur  père, 
avaient   pu  en  être  les  promoteurs. 

Le  discours  prononcé  par  Agrippa  devant  la  Sei- 


1.  La  note  XXI  de  l'appendice  contient  quolques  renseigne- 
ments sur  cette  famille  do  Laurencin,  sur  ceux  de  ses  mem- 
bres en  particulier  qui  se  sont  trouvés  en  relation  avec 
Agrippa. 


310  CHAPITRE    QUATRIÈME 

gneurie  de  Metz  était,  du  reste,  un  simple  morceau 
d'apparat.  Point  n'est  besoin  de  faire  remarquer  le 
ton  de  jactance  avec  lequel  Agrippa  y  étale  ses  pré- 
tendues relations  familières  avec  les  grands,  et  le 
contraste  de  ce  langage  avec  ce  que  nous  savons  de 
sa  vie  passée.  L'orateur  ne  se  borne  pas  à  y  éblouir 
ses  auditeurs,  il  s'efforce,  en  outre,  de  se  concilier 
leurs  bonnes  grâces.  Il  appelle  ses  maîtres  les  sei- 
gneurs messins,  amplissimi patres  dominimei;  il  leur 
parle  de  leur  noble  république,  insignis  respublica, 
la  première  entre  toutes  par  des  vertus  où  nulle 
autre  ne  la  dépasse,  nulla  quae  liane  us  virtutibus 
prœcellat.  Dominé  par  des  ressentiments,  Agrippa  en 
parlera  plus  tard  fort  différemment.  Aujourd'hui,  il 
est  tout  aux  impressions  de  sa  reconnaissance  envers 
les  Messins  ;  il  les  remercie  de  la  faveur  inappré- 
ciable dont  il  est  l'objet;  il  les  entretient  de  l'éten- 
due de  ses  obligations  envers  eux,  de  l'importance 
de  sa  charge  d'adooeatus  et  orator  ;  des  grands  exem- 
ples que  lui  donnent,  il  le  sait,  pour  cet  emploi  les 
Démosthène,  les  Gicéron,  les  Hortensius  ;  de  sa 
propre  insuffisance  enfin  qu'il  était,  on  peut  le  croire, 
loin  de  reconnaître  au  fond.  Il  termine  par  une  dé- 
claration d'entière  soumission  et  de  complète  allé- 
geance l. 

1.  «...  Faciam  ergo  nunc  quod  me  decet;  vos  accipile  quod 
".  vobis  debetur.  En  habetis  me  quem  jamdudum  optastis.  Ti- 
«  lulum  Advocati  et  Oraloris  vestri  amplector.  Reeognosco  vos 
«  Dominos  meos  certos  et  indubitatos,  vobisque  omnem  re- 
«  verentianii   obedienliam    ac   fidem    exhibeo,  qualem  Orator 


AGRIPPA   A    METZ  311 

Outre  cette  pièce,  nous  possédons  encore  trois 
autres  discours  composés  par  Agrippa  dans  l'exer- 
cice de  ses  nouvelles  fonctions  à  Metz.  Deux  d'en- 
tre eux  ne  sont  que  des  compliments  de  bienvenue 
adressés,  au  nom  de  la  ville,  à  deux  personnages  qui 
la  visitent1.  Le  dernier  est  une  sorte  de  plaidoyer 
débité  devant  les  magistrats  de  Luxembourg,  au 
cours  d'une  négociation  dont  Agrippa  était  chargé 
près  d'eux  pour  les  Messins  ~. 

Les  commissions  de  ce  genre  le  forçaient  à  se 
mettre  souvent  en  voyage,  comme  il  nous  l'apprend 
lui-même  par  certains  détails  de  sa  correspondance 
(Ep.  II,  25,  35);  elles  donnaient  ainsi  à  sa  vie  une 
agitation  qui  se  trouvait  d'accord  avec  son  caractère, 
et  avec  ses  goûts.  Il  pouvait  en  tirer,  à  ce  point 
de  vue,  quelque  satisfaction.  Le  voisinage  de  Cologne 
lui  avait  en  outre  permis  d'y  faire,  à  cette  époque, 
une  excursion  dans  laquelle  il  avait  pu  revoir  ses 
amis  et  embrasser  sa  mère,  sa  sœur  (Ep.  II,  15,  16), 


«  et  ad  consilia  Reipublicœ  veslrœ  admissus  jura  et  consuetu- 
'.  dine  praestare  tenelur,  et  quicquid  vestrao  Reipublicse  causa 
«  ef'licere  prijeceperitis,  quam  studiosissime  prosequar,  experiar, 
«  enitar,  faciam,  perficiam,  neque  fidoi,  neque  industriœ,  neque 
«  diligentiae  unquam  defuturus.  Kn  facultaa,  persona,  animas, 
œ  omnia  in  vestra potestate  suât.  »  (Opéra,  l.  II,  p.  1092). 

1.  Oralxo  in  salutatione  cujusdam  principis  et  episcopi  pro 
Metensibus  scripta.  —  Oralio  in  s  ilutalione  ruinai  mi  magnifici 
viripro  Dominis  metensibus  scripla.  [Opéra,  t.  il,  p.  1094  et  1095). 

2.  Oralio  ad  senalum  Lucemburgiorum  pro  dominis  suis  me- 
tensibus habita.  (Opéra,  t.  II,  p.  1092). 


y 


312  CHAPITRE    QUATRIÈME 

et  pour  la  dernière  fois  son  vieux  père,  lequel 
mourait  peu  de  temps  après,  au  commencement  de 
Tannée  1519  !  (Ep.  II,  19).  Les  avantages  qu'offrait 
à  Agrippa  sa  nouvelle  résidence  étaient  cependant 
balancés  par  quelques  inconvénients. 

Quittant  l'Italie  qu'il  venait  d'habiter  pendant  sept 
années,  Agrippa  se  trouvait  tout  d'un  coup  trans- 
porté dans  un  milieu,  dont  le  contraste  complet 
avec  celui  qu'il  abandonnait  pouvait  lui  causer  plus 
que  de  la  surprise,  et  lui  inspirer  à  la  longue  un  en- 
nui auquel  il  devait  difficilement  échapper.  Le  sé- 
jour de  Metz,  qui  lui  procurait  certaines  satisfactions 
et  qui,  à  plusieurs  égards,  lui  convenait  assurément, 
ne  pouvait  sous  d'autres  rapports  que  très  peu  lui 
plaire.  Agrippa,  dit  un  de  ses  contemporains,  était 
devenu  tout  Italien  d'éducation  et  de  mœurs  (Ep. 
III,  15).  Lui-même  traite  de  pays  barbares,  dans 
une  de  ses  lettres,  la  France  et  l'Allemagne,  en 
comparaison  de  ce  qu'était  l'Italie  2.  Il  quittait  cette 
contrée  si  richement  pourvue  de  tout  ce  qu'il  aimait, 


i.  Le  père  d'Agrippa  dut  mourir  à  Cologne  vers  la  fin  de 
janvier  ou  au  commencement  de  février  1519,  d'après  une  lettre 
qui  mentionne  le  fait,  et  dont  la  date  est  l'objet  d'une  petite 
question  de  chronologie  exposée  dans  une  note  de  l'appendice 
(n-  XII). 

2.  «  Demum  horlor  te  ut  post  visam  Germaniam  ac  Galliam, 
«  totam  que  illàm  barbarorum  nostrorum  colluviem',  tandem  in 
«  Italiam  te  conféras;  quam  si  aliquando  apertis  oculis  intfo- 
«  spexeris,  omnis  alia  pallia  turpis  vilisque  eril,  si  ad  hanc  con- 
«  tuleris  »  (Ep.  II,  14). 


AGIUPPA    A    METZ  313 

ses  ressources  d'ordre  intellectuel  en  tout  genre, 
ses  universités,  son  public  amoureux  des  lettres  et 
des  arts  au  milieu  môme  des  troubles  politiques  et 
des  agitations  de  la  guerre.  Il  quittait  des  lieux  où 
régnait  un  grand  mouvement  d'esprit  et  une  cer- 
taine liberté  de  pensée  dans  toutes  les  classes,  dans 
le  peuple  comme  dans  le  clergé,  dans  la  bourgeoisie 
et  parmi  les  grands  seigneurs;  des  lieux  où,  grâce 
aux  circonstances,  il  jouissait  lui-même  d'une  très 
grande  indépendance;  inappréciable  avantage  pour 
un  homme  dont  le  caractère  était  naturellement  in- 
docile à  la  règle  et  impatient  du  joug.  Quant  aux 
désordres  causés  par  la  guerre  et  aux  graves  incon- 
vénients   qui    parfois   en   résultaient,    malheureux 
accompagnement  de    tous   ces  biens   dans   l'Italie 
d'alors,  c'étaient  de  ces  maux  qui  semblent  intolé- 
rables quand  ils   vous  pressent,  mais  qu'on  ^oublie 
quand  ils  sont  passés,  et  dont  l'impression  s'efface 
dans  l'éloigncment. 

Agrippa,  perdant  de  vue  ces  traverses  et  ne  pen- 
sant peut-être  qu'aux  avantages  qu'il  avait  perdu?, 
se  voyait  maintenant  à   Metz,   dans    un  petit   Etat 
dont  le  régime  parfaitement  réglé  lui  donnait  la  sé- 
curité, il  est  vrai,  mais  lui  imposait  en  même  temps 
un  joug  qui  pouvait  lui   sembler  importun.  On  se 
sentait  là  surveillé  de  très  près  par  des  dominateurs 
jaloux  de  maintenir  une  police  régulière,  au  milieu  de 
difficultés  considérables  d'ordre  civil    et  politique, 
auxquelles  s'en  joignaient  d'autres  encore  qui  com- 
mençaient à  grandir,  touchant  les  intérêts  religieux. 

I     I  2.) 


31i  CHAPITRE    QUATRIÈME 

La  Cité,  toujours  menacée  par  les  convoitises  de  ses 
puissants  voisins  de  la  maison  de  Lorraine,  était,  en 
outre,  exposée  aux  incessantes  hostilités  d'une  foule 
de  petits  seigneurs  pillards,  cantonnés  autour  d'elle 
dans  la  contrée,  et  aux  entreprises  des  capitaines 
de  bandes  qui  couraient  sur  le  pays.  En  même  temps 
la  religion  était  à  Metz,  comme  partout,  mise  en  pé- 
ril par  l'esprit  nouveau  de  recherche,  de  critique  et 
d'insoumission,  que  venaient  de  faire  éclore  les  pre- 
miers mouvements  de  la  réforme. 

Dans  ce  milieu  nouveau,  bien  capable  de  lui  causer, 
parles  motifs  que  nous.venons  d'énumérer,  quelques 
contrariétés,  Agrippa  était  de  plus,  pour  la  pre- 
mière fois,  astreint  aux  obligations  impérieuses  d'une 
charge  publique,  avec  la  fonction  de  conduire  et  de 
débattre  des  affaires  qui,  ne  lui  offrant  le  plus  sou- 
vent aucun  intérêt,  devaient  lui  paraître  absolument 
insupportables.  Troublé  dans  ses  études  favorites 
par  cette  situation,  il  devait  naturellement  ressen- 
tir d'autant  plus  vivement  l'irrésistible  attrait  de 
ces  libres  occupations.  En  même  temps,  il  se  trou- 
vait entouré  d'étrangers  ;  à  peu  près  sevré,  pour  les 
commencements  au  moins,  des  applaudissements  et 
encouragements  auxquels  il  était  habitué  dans  ses  tra- 
vaux, de  la  part  de  ses  amis  ;  bien  plus,  il  s'y  voyait 
parfois  arrêté  par  des  difficultés  et  des  empêche- 
ments imprévus. 

A  Metz,  la  vie  était  sévère.  Lu  ville  était,  comme 
nous  l'avons  dit,  gouvernée  par  les  membres  d'un 
patriciat  tout  puissant.  Cette  aristocratie,  graduel- 


AGRIPPA    A    METZ  315 

lcmcnt  réduite  et  au  xvie  siècle  très  peu  nombreuse, 
était,  d'une  manière  à  peu  près  exclusive,  vouée  au 
maniement  des  affaires  publiques  dont  elle  gardait 
avec  jalousie  le  privilège  ;  quoique,  en  raison  de  l'é- 
claircissement de  ses  rangs,  elle  en  fût  en  môme 
temps  accablée  l.  Les  loisirs  de  l'esprit  n'étaient 
permis  qu'à  un  petit  nombre  d'hommes  de  la  classe 
moyenne  appartenant  soit  à  la  petite  bourgeoisie, 
laquelle  était  systématiquement  éloignée  du  gouver- 
nement et  de  l'administration  des  choses  de  l'État, 
soit  au  clergé,  qui  était  dans  le  même  cas,  et  dont 
le  rôle  dans  la  Cité  était  limité  au  soin  de  ses  intérêts 
propres,  à  côté  de  l'accomplissement  de  ses  devoirs 
religieux.  Tels  étaient  les  traits  essentiels  de  la  si- 
tuation. Quel  contraste  pour  Agrippa  que  celui  de  la 
vie  assujettie,  contenue,  effacée  qu'elle  lui  faisait, 
avec  la  vie  libre,  active  et  brillamment  accidentée 
en  dépit  de  ses  misères,  qu'il  venait  de  quitter. 

Ce  qu'on  sait,  en  outre,  des  hommes  avec  lesquels 
Agrippa  devait  maintenant  se  trouver  particulière- 
ment en  relation  à  Metz,  n'est  pas  non  plus  sans 
signification.  Au  nombre  de  ceux  que  signale  sa 
correspondance  comme  ayant  été  alors  accidentelle- 
ment en  rapport  avec  lui,  on  voit  bien,  il  est  vrai, 
quelques  membres  de  la  classe  aristocratique,  Ni- 
cole de  Heu,  Nicole  Dcx  qui  paraissent  être  de  ses 
amis,  Nicole  Rouccl  qui  semble  lui  être  contraire, 


i.  celte  situai  onesl  expliquée  dans  l'Introduction  d'un  ou- 
vrage intitulé  :  Études  sur  l'histoire  <!<■  Mets,  les  légendes.  I8G5< 


310  CHAPITRE   QUATRIÈME 

tous  trois  faciles  ù  reconnaître  sous  les  dénomina- 
tions latinisées  do  Nicolaus  de  Bu,  Nicolaus  Aquensis, 
Nicolaus  Roscius  mediomatricorum  decurio  ]  ;  mais  le 
cercle  de  ses  relations  familières  les  plus  habituel- 
les no  comprend  que  des  hommes  appartenant  à  une 
classe  moins  relevée.  Il  faut  mentionner  à  leur  tête 
Claude  Chansonneti,  Claudàis  Cantiuncula,  fils  d'un 
notaire  public,  qu'on  ne  voit  pas  souvent  à  Metz,  il 
est  vrai,  pendant  le  séjour  qu'y  a  fait  Agrippa,  mais 
dont  les  parents  y  éiaient  journellement  en  relation 
avec  lui,  et  qui  de  Bâle,  où  il  résidait  le  plus  souvent 
alors,  était  un  de  ses  correspondants  assidus.  Nous 
nommerons  ensuite  dans  la  même  catégorie  Claude 
Dieudonné,  Claudius  Deodatus  Cœlestinianus,  religieux 
du  couvent  des  Célcstins  de  Metz,  puis  Jean  Rogier 
ou  Rougier,  dit  Brennonius,  curé  de  Sainte-Croix  2, 
avec  qui  Agrippa  resta  longtemps  en  correspondance, 
et  qui  semble  avoir  été  de  tous  ses  amis  de  Metz 
celui  qui  était  le  plus  particulièrement  en  commu- 
nauté d'idées  avec  lui.  Viennent  après  cela  des  gens 
de  moindre  condition  dont  nous  tâchons  de  deviner 
les  noms  véritables  sous  les  formes  latines  que  leur 
donne  la  correspondance;  le  notaire  Baccarrat,  Bac- 
caretus,  Baccaraldus,  Baccarats,  Bacchantius ;  Thilman, 

1.  On  trouve  ces  noms  on  divers  lieux  de  la  Correspondance 
et  des  OEuvres(Ep.  II.  13;  III,  62  ;  Opéra  t.  II,  p.  588).  Sur  les 
l'amilles  auxquelles  appartenaient  les  personnages  qui  les  por- 
tent, on  peut  consulter  d'Hannoucelles,  Metz  ancien.  1836. 

2.  Voir,  à  propos  de  ce  personnage,  une  note  de  l'appendice 
(ri"  XVI). 


AGIUPPA    A    METZ  317 

Tilmannus ;  Mérian  ou  Marian,  Marianus;  André  et 
Jacques  Charbonnier,  Andréas  et  Jacobus  Cdrboneius ; 
Michaud,  Mischaulus,  Mischaldus ;  Châtelain,  Coste/ia- 
nus  ;  les  deux  médecins,  Renaud,  Renaldas,  et  Laurent 
Frison,  Laurenttus  Frisius  physicus ;  Thirion  l'horlo- 
ger, Tyrius  horologiarius,  horarius;  et  Jacques  le  lib- 
raire, Jacobus  librarius.  Ces  hommes  sont  mentionnés, 
à  divers  titres,  dans  les  lettres  d'Agrippa  qui,  après 
avoir  vécu  avec  eux  à  Metz,  leur  envoie  de  loin, 
quand  il  a  quitté  cette  ville,  des  marques  de  souve- 
nir. Dans  le  nombre,  quelques-uns  partageaient  ses 
goûts  pour  les  études  singulières;  le  curé  de  Sainle- 
Croix,  Brennonius,  et  le  Célestin  Claude  Dicudonné 
pour  ce  qu'il  appelait  les  lettres  sacrées  etla  philoso- 
phie hermétique;  Laurent  Frison  pour  l'astrologie; 
Thirion  l'horloger  pour  l'alchimie. 

Après  avoir  parlé  des  amis  qu'Agrippa  pouvait 
avoir  à  Metz,  il  faut  mentionner  les  hommes  qui, 
dans  cette  ville,  lui  ont  été  contraires.  Ceux-ci  pa- 
raissent lui  avoir  causé  d'insupportables  ennuis. 
Nous  avons  nommé  comme  tel  un  membre  des  pa- 
raiges,  Nicole  Roucel.  Il  faut  citer  encore,  au  même 
titre,  Claude  Drouin  l'écrivain  '  ;  mais  on  doit  si- 
gnaler surtout,  parmi  les  ennemis  auxquels  il  a  eu 
affaire  à  Metz,  certains  membres  du  clergé  régulier 


1.  Ce  personnage  n'appartenait  pas,  comme  le  précédent,  à 
l'aristocratie  messine,  bien  qu'une  famille  du  nom  île  Drouin 
eût  existé  dans  les  paraiges  messins.  C'est  ce  qui  esl  expliqué 
dans  une  note  de  l'appendice  (n°  XVIII). 


318  CHAPITRE    QUATRIÈME 

1res  active. Tient  appliqué  dans  celte  ville,  comme 
partout  alors  en  général,  à  surveiller  les  entreprises 
des  esprits  hardis  soupçonnés  de  tendances  vers  les 
idées  et  les  doctrines  nouvelles.  Agrippa  ne  tarda 
pas  à  se  trouver  en  querelle  avec  ces  champions  de 
l'orthodoxie,  de  la  règle  établie  et  de  l'exacte  disci- 
pline; avec  Nicole  Savini,  religieux  dominicain,  qui 
était  investi  à  Metz  de  l'office  redoutable  d'inquisi- 
teur de  la  foi  ;  avec  Claude  Salini,  appartenant  au 
même  ordre,  prieur  du  couvent  des  frères  prê- 
cheurs J;  avec  Dominique  Dauphin,  Franciscain  de 
la  maison  de  l'Étroite-Observance,  dite  à  Metz  des 
frères  Baude;  avec  Nicolas  Orici,  religieux  cordelier; 
sans  parler  de  certains  membres  du  clergé  séculier 
avec  qui  Agrippa  eut  aussi  maille  à  partir  en  diver- 
ses circonstances,  l'archiprêtre  Regnault,  Reginaldus, 
par  exemple,  et  l'official  de  la  cour  épiscopale,  Jean 
Léonard. 

Nous  reviendrons  avec  quelques  détails  sur  ce 
qui  concerne  ceux  des  amis  messins  d' Agrippa  dont 
les  relations  avec  lui  nous  sont  révélées  par  sa  cor- 
respondance. Quant  à  ses  ennemis,  nous  aurons 
occasion  de  les  faire  plus  amplement  connaître  en 
rendant  compte  de  deux  grandes  affaires  dont  nous 
voulons  parler  maintenant,  et  qui,  ayant  par  dessus 
tout  occupé  Agrippa  pendant  la  dernière  année  de 


1.  Il  ne  faut  pas  confondre,  malgré  la  ressemblance  de  leur 
nom,  Savini  et  Salini.  On  trouvera  quelques  observations,  ace 
sujet,  dans  une  note  de  l'appendice  (n°  XVI 1). 


AGRIPPA    A    MK'IZ  .'51!) 

son  séjour  à  Metz,  l'ont  mis  alors  aux  prises  avec 
eux.  Ces  deux  affaires  sont  sa  querelle  sur  la  mono- 
gamie de  sainte  Anne,  laquelle  devait  finalement 
lasser  sa  patience  et  déterminer  son  départ  de  Metz, 
et  auparavant  une  sorte  de  procès  criminel  auquel 
il  s'est  consacré  avec  une  ardeur  passionnée.  Dans 
cette  dernière  circonstance,  il  révèle  une  ténacité  et 
une  indépendance  d'esprit  remarquables,  et  il  a  en- 
fin l'avantage;  mais,  en  même  temps,  il  a  le  tort  ir- 
réparable d'avoir  raison  contre  l'inquisiteur  delà  foi 
lui-môme,  et  de  l'emporter  sur  lui.  Il  s'agissait  d'ar- 
racher de  ses  mains  une  pauvre  femme  du  village 
de  Woippy  x  injustement  accusée  d'hérésie  et  do 
maléfice  ;  il  s'agissait  de  disputer  au  feu  une  pré- 
tendue sorcière. 

L'affaire  de  la  prétendue  sorcière  appartient  à  l'an- 
née 1519,  la  deuxième  du  séjour  à  Metz  d'Agrippa; 
elle  nous  est  connue  par  quatre  documents  émanant 
d'Agrippa  lui-môme  :  deux  suppliques  adressées 
par  lui  dans  le  cours  de  l'affaire,  l'une  au  vicaire, 
l'autre  à  l'official  de  Metz  (Ep.  II,  38,  39),  une  lettre 
écrite  à  son  ami  Cantiuncula  qui,  de  Bàle,  lui  avait 
demandé  des  explications  sur  cet  incident  (Ep.  II, 
40) 2,  et    enfin    un    rappel    assez    étendu     fait   par 

1.  Woippy,  village  situé  aux  portos  de  Metz,  où  les  chro- 
niqueurs mentionnent,  au  moyen  âge,  de  nombreux  faits  de 
sorcellerie.  La  seigneurie  en  appartenait  au  chapitre  de  la 
cathédrale  de  Metz.  (Histoire  <h/  village  de  Woippy,  pai  Neré 
Quépat  (René  Paquet)  1878). 

%.  Cette  lettre  est  reproduite  à   peu  près  mot  pour  mot  dans 


320  CHAPITRE    QUATRIEME 

Agrippa  de  cette  cause,  dans  son  traité  de  l'incerti- 
tude et  de  la  vanité  des  sciences,  au  chapitre  xcvi, 
consacré  à  ce  qu'il  appelle  l'art  des  inquisiteurs. 
Nous  emprunterons  à  ces  diverses  sources  réunies 
ce  que  nous  avons  à  dire  sur  ce  sujet. 

Les  détails  consignés  dans  le  chapitre  du  traité 
de  l'incertitude  et  de  la  vanité  des  sciences  consis- 
tent surtout  dans  l'exposition  des  raisons  que  l'in- 
quisiteur faisait  valoir  pour  justifier  sa  poursuite,  et 
des  considérations  qu'Agrippa  lui  opposait  pour  en 
démontrer  l'inanité.  Les  lettres  au  vicaire  et  à  l'of- 
ficial  sont  des  requêtes  ayant  le  caractère  de  deux 
pièces  originales  de  la  procédure.  Enfin  la  missive 
à  Gantiuncula  est  un  compte  rendu  dans  lequel 
Agrippa  se  propose  surtout,  il  le  dit  formellement, 
de  signaler  les  abus  et  les  irrégularités  dont  il  a  fait 
argument  pour  triompher,  sur  le  terrain  du  droit, 
des  adversaires  en  présence  desquels  il  se  trouvait. 


une  autre  missive  adressée  à  un  conseiller  de  l'empereur  à 
Luxembourg,  D.Henricus  legum  doctor,  etc.,  provincial  Lucem- 
biirçiensis  cesareus  consiliarius,  qui  avait  manifesté  le  même 
désir  que  Gantiuncula.  Cette  seconde  lettre  qui  n'est  pas  datée 
commence  ainsi  :  «  Retulit  mihi  dum  essem  apud  Theonisvil- 
«  lam  civis  noster  Nicolaus  Aquensis  (Nicole  Dex)  te  cupere 
«  quae  gesta  sunt  adversus  mulierculam  illam  de  Wapeyo, 
«  etc..  »  Elle  a  été  omise  dans  la  Correspondance  générale  où 
elle  aurait  fait  à  peu  près  double  emploi  avec  celle  adressée 
à  Cantiuncula(Ep.  II,  40).  On  la  trouve  imprimée  dans  un  vo- 
lume de  1534  qui  contient  les  documents  relalifsà  la  polémique 
sur  la  monogamie  de  sainte  Anne. 


A.GUIPPA    A    METZ  'Ml 

Il  tient  à  mettre  en  relief,  clans  cette  occasion,  son 
talent  de  jurisconsulte. 

—  Voilà,  dit-il  en  finissant,  quelles  exceptions  j'ai 
su  l'aire  valoir  contre  l'inquisiteur  et  ses  procédés 
exorbitants.  Je  te  donne,  en  style  du  palais,  titres, 
lois,  chapitres  et  paragraphes,  avec  les  gloses  et 
l'opinion  des  docteurs  ;  tu  ne  refuseras  pas  après 
cela,  je  l'espère,  dôme  reconnaître  pour  un  juriste 
accompli  (Ep.  II,  40). 

Nous  ne  pouvons  mieux  faire,  pour  donner  une 
idée  de  la  cause,  que  de  citer  d'abord  ce  qu'il  en 
rapporte  dans  cette  lettre. 

—  Tu  m'as  demandé,  dit-il,  mon  cher  Cantiun- 
cula,  de  te  raconter  comment  il  a  été  procédé  à  l'é- 
gard de  cette  pauvre  femme  de  Woippy,  muliercula 
de  villa  Wapeya,  que  j'ai  réussi  à  tirer  des  griffes 
et  comme  de  la  gueule  de  Nicole  Savini,  l'impétueux 
frère  prêcheur,  inquisiteur  de  la  foi.  Je  t'envoie 
toutes  les  pièces  du  procès;  tu  pourras  juger  toi- 
même  de  la  question;  mais  auparavant,  je  veux  te 
faire  brièvement  le  récit  des  excès  dont  cette  pauvre 
vieille  a  été   l'objet. 

—  Au  début  de  l'affaire,  une  troupe  ignoble  de 
paysans  conjurés  contre  elle  envahit  sa  maison  au 
milieu  de  la  nuit.  Ivres  de  vin  et  de  débauche,  ces 
misérables  s'emparent  de  la  malheureuse  et,  de 
leur  autorité  privée,  sans  aucun  droit,  sans  licence 
de  juge,  ils  la  jettent  en  prison.  Cependant  le 
chapitre  de  la  cathédrale,  seigneur  ci 1 1  lieu,  la  fait 
amener  à  Metz  et  la  remet   aux  mains  de  son  juge 


3~22  CHAPITRE    QUATRIÈME 

ordinaire,  l'oi'ficial  clc  la  cour  épiscopale.  Un  terme 
est  assigné  aux  paysans  pour  qu'ils  aient  à  décider 
entre  eux  s'ils  veulent  se  porter  accusateurs  ou 
bien  procéder  simplement  par  voie  de  dénonciation. 
Au  jour  dit,  huit  de  ces  coquins  viennent  auda- 
cieusement  se  déclarer  accusateurs.  Ils  reçoivent, 
en  conséquence,  l'ordre  de  se  constituer  prisonniers 
avec  l'accusée.  Mais,  grâce  à  l'inquisiteur  qui  sié- 
geait comme  assesseur  avec  l'official,  il  leur  est  ac- 
cordé deux  jours  de  répit,  et  c'est  alors  que  com- 
mence l'œuvre  d'iniquité.  L'official  Jean  Léonard 
livre,  à  notre  insu,  pour  quelques  florins,  à  ses  accu- 
sateurs cette  pauvre  femme,  dont  nous  avions  pris 
la  défense.  Quatre  de  ces  misérables  avaient  été 
déjà  écartés  comme  des  scélérats  notoires.  Les  qua- 
tre autres  s'emparent  de  la  victime  et  l'accablent 
d'injures,  de  coups  et  des  plus  mauvais  traitements. 
Informé  du  fait,  nous  opposons  en  vain  l'exception 
de  loco  non  tuto.  La  malheureuse  gémit  dans  la  plus 
dure  captivité,  tandis  que  ses  accusateurs  se  livrent 
en  liberté  à  de  bruyantes  orgies.  Cependant,  après 
quelques  jours  de  ces  traitements  indignes,  l'official 
arrive  à  Woippy,  pour  instruire  l'affaire.  On  pro- 
duit alors  un  mémoire  ou  plutôt  un  libelle  tout 
farci  d'impostures;  et,  contre  les  plus  sûrs  princi- 
pes de  droit,  le  procès  se  poursuit  à  la  fois  et  par 
voie  d'accusation  et  par  voie  d'inquisition.  De  notre 
côté,  nous  protestons,  en  refusant  de  comparaître 
in  loco  suspeclo.  Pendant  ce  temps-là,  le  mari  de  la 
pauvre  femme  est  écarté,  accessit  ad  judicium  prohi- 


A.GRIPPA   A    METZ  "     323 

Oùo,  pour  éviter,  de  sa  part,  toute  exception  ou   ap- 
pellation. 

—  C'est  alors  que,  sur  l'avis  de  l'inquisiteur,  de 
ce  gros  moine  qui,  sous  son  épaisse  enveloppe, 
cache  l'âme  cruelle  d'un  bourreau,  et  conformément 
aux  ineptes  conclusions  du  libelle  fabriqué  dit-on 
par  lui,  ainsi  qu'aux  articulations  sans  consistance 
des  accusateurs,  l'official  livre  la  malheureuse  aux 
atroces  épreuves  de  la  torture.  Il  est  lui-môme, 
aussi  bien  que  ses  acolytes,  mis  en  fuite  par  cet 
horrible  spectacle  ;  mais  il  laisse  la  victime  aux 
mains  de  ses  ennemis  et  des  suppôts  de  l'inquisi- 
tion. La  pauvre  Femme  continue  à  ôlre  tourmentée 
par  ceux-ci,  hors  de  la  présence  du  juge,  et  ensuite 
elle  est  plongée  de  nouveau  dans  sa  prison,  où  on  la 
laisse  inhumainement  souffrir  de  la  soif  et  de  la  faim. 

—  Cependant  quel  motif  allègue-t-il,  cet  impi- 
toyable inquisiteur,  pour  martyriser  ainsi  la  malheu- 
reuse? Quelle  preuve  donnc-t-il  que  cette  femme  soit 
réellement  sorcière?  Il  dit  que  sa  mère  a  été  brûlée 
comme  telle.  Et  moi,  je  lui  réponds  en  face  que  les 
faits  d'autrui  soin  sans  valeur  contre  un  accusé. 
Veux-tu  savoir  quelle  raison  il  va  emprunter  alors 
à  l'arsenal  de  sa  théologie  péripatéticienne?  Il  pré- 
tend que  c'est  la  coutume  des  sorcières  de  consa- 
crer le  fruit  de  leur  corps  au  diable;  et  que  d'ailleurs, 
comme  elles  se  livrent  ordinairement  à  lui,  il  est 
tout  naturellement  le.père  de  leurs  enfants,  et  leur 
transmet,  héréditairement  sa  malice  (Ep.  II,  rt0). 

C'est  ainsi   que   l'affaire   s'est   engagée.  En    l'ait 


321  CHAPITRE    QUATRIÈME 

de  théologie,  Agrippa,  grand  docteur  lui-même, 
n'entend  pas  être  on  reste  avec  son  contradicteur, 
et,  le  suivant  sur  ce  terrain,  il  lui  oppose  des 
objections  qui  lui  semblent  invincibles.  «  Avec  ta 
perverse  doctrine,  dit-il  à  son  adversaire,  tu  mé- 
connais la  vertu  du  baptême  et  de  ses  formules 
sacramentelles  ;  car  si  l'enfant  reste  au  diable,  même 
après  que  le  prêtre  a  dit,  sors  esprit  immonde  et 
fais  place  au  Saint-Esprit,  que  vaut  dès  lors  le  sacre- 
ment? Et  qui  te  prouve  d'ailleurs  que  le  diable 
puisse  engendrer?  Sans  cloute,  et  la  foi  nous  l'en- 
seigne, les  fils  des  hommes  ne  'ui  appartiennent  que 
trop  en  naissant;  mais  le  baptême  les  affranchit 
de  la  dépendance  de  Satan  et  les  renouvelle  en  Jésus- 
Christ.  Maintenant,  ose-t-il  ajouter,  toi  l'inquisiteur 
de  la  foi,  avec  tous  tes  arguments,  tu  n'es  qu'un 
hérétique.  »  L'inquisiteur  de  son  côté  retourne  l'ac- 
cusation et  s'écrie:  «  Que  parles-tu  d'hérétique?  Tu 
en  es  un  toi-même,  Agrippa;  je  saurai  le  prouver  » 
(Ep.  11,40). 

Agrippa  trouve  heureusement  pour  sauver  la  pau- 
vre femme  dont  il  a  pris  généreusement  la  défense 
un  moyen  plus  efficace  que  de  convaincre  d'hérésie 
le  ministre  de  l'inquisition.  Il  adresse  au  vicaire  de 
Metz  une  supplique  où.  il  résume  ses  exceptions  de 
droit  et  où  il  conteste  la  juridiction  de  l'inquisiteur. 

—  Il  ne  lui  appartient  pas,  dit-il  dans  sa  requête, 
de  connaître  du  crime  de  sorcellerie  :  et  quant  à  celui 
d'hérésie,  la  présomption  ne  suffit  pas  pour  le  saisir 
de  la   cause.   Il   faut   que  l'hérésie    soit  manifeste, 


AGRIPPA    A    METZ  325 

définie,  et  de  plus  expressément  condamnée.  Rien 
de  semblable  dans  les  faits  présents.  Ce  moine 
effronté  et  altéré  de  sang  ne  mérite  pas  qu'on  l'écoute, 
mais  bien  plutôt  qu'on  le  chasse,  pour  s'être,  arro- 
gamment  et  sans  raison,  ingéré  dans  cette  affaire, 
contre  le  droit  et  les  canons,  et  en  outrepassant  les 
privilèges  eux-mêmes  de  l'inquisition  (Ep.  II,  38). 

Les  seigneurs  du  chapitre  se  décident  alors  à  faire 
ramener  à  Metz  la  pauvre  villageoise.  L'official 
meurt  inopinément  sur  ces  entrefaites,  et  à  son  lit  de 
mort,  cédant  au  cri  de  sa  conscience,  il  dicte  à  un 
notaire  une  déclaration  par  laquelle  il  reconnaît,  et 
proclame  l'innocence  de  la  malheureuse  accusée. 
L'inquisiteur  cependant  ne  lâche  pas  sa  proie.  La 
poursuite  se  trouvant  arrêtée  par  la  mort  de  l'offi- 
cial, il  prétend  la  reprendre  lui-même  pour  soumet- 
tre sa  victime  à  de  nouveaux  tourments,  et  finalement 
la  livrer  au  feu.  «  Car,  dit  Agrippa,  ces  suppôts  de 
l'inquisition  croient  ne  s'être  acquittés  de  leur  office, 
que  quand  ils  ont  brûlé  ceux  qui  sont  exposés  à  leurs 
poursuites.  » 

Agrippa  néanmoins  ne  perd  pas  courage.  Une 
requête  pressante  est  adressée  par  lui  au  nouvel 
officiai;  il  remet  en  avant,  sans  se  lasser,  tous  les 
arguments  déjà  produits  par  lui,  et  rappelle  pa- 
thétiquement les  remords  du  précédent  juge,  avec  la 
déclaration  faite  par  lui  à  son  lit  de  mort(Ep.  II,  39). 
Enfin  l'inquisiteur  est  débouté  par  le  chapitre,  sei- 
gneur justicier  du  lieu,  de  son  exorbitante  préten- 
tion. Repoussé  honteusement,  battu  dans  son  l'or,  il 


326  CHAPITRE    QUATRIÈME 

est  sifflé  et  montré  au  doigt,  dit  Agrippa,  pendant 
que  ia  pauvre  femme  est  déclarée  innocente  par  le 
vicaire  de  Metz.  Quant  à  ses  accusateurs,  ils  sont 
plus  tard  condamnés  eux-mêmes  et  punis  d'une 
amende  (Ep.  II,  40.). 

L'année  suivante  le  curé  de  Sainte-Croix  écrivant 
à  son  ami  Agrippa,  lequel  avait  alors  quitté  Metz, 
l'informe  de  ces  faits. 

—  La  vieille  femme  de  Woippy,  vetula  de  Vapeyia, 
que  tu  as  sauvée  du  bûcher,  vient  me  voir  souvent, 
lui  dit-il,  et  m'apporte  en  souvenir  de  toi  de  petits 
présents  (Ep.  II,  53.).  Ses  ennemis  ont  été  condam- 
nés à  100  francs  d'amende  '  ;  ils  craignaient,  à  ce 
qu'elle  raconte,  une  peine  plus  rigoureuse  encore, 
pour  l'avoir  injustement  emprisonnée,  sans  licence  de 
juge,  ni  commission  de  leurs  seigneurs  (Ep.  II,  46.). 

Telle  est  l'affaire  de  la  prétendue  sorcière  de 
Woippy.  Agrippa  s'y  était  jeté  avec  une  ardeur 
passionnée  qui  fait  honneur  tout  à  la  fois  à  son  esprit 
et  à  son  caractère  ;  car  il  y  avait  déployé  autant  de 
sagacité  que  d'honnêteté  et  d'énergie.  Il  y  réussit, 
malgré  les  difficultés  très  réelles  de  l'entreprise 
eu  égard  à  la  condition  des  adversaires  auxquels  il 
avait  osé  s'attaquer.  Ce  triomphe  si  légitime  ne 
pouvait  avoir   cependant  que  de  fâcheuses  consé- 


1.  Somme  assez  considérable  pour  l'époque,  et  à  peu  près 
équivalente  à  ce  que  seraient  1,800  francs  de  nos  jours,  comme 
on  peut  le  voir  par  les  explications  fournies  dans  une  note  de 
l'appendice  (n°  XIV.) 


AGRIPPA    A    METZ  'Ml 

quenccs  pour  celui  qui  l'avait  obtenu,  et  il  devait 
en  résulter  finalement  contre  lui  des  rancunes  dont 
il  ne  tarda  pas  à  éprouver  les  effets.  La  vivacité  avec 
laquelle  il  allait  être  combattu  dans  la  querelle  sur 
la  monoQ-amie  de  sainte  Anne  s'en  ressentit  certaine- 
ment.  Ce  n'est  pas  là  une  simple  présomption  ;  elle 
serait  naturelle  du  reste.  Nous  avons  le  témoignage 
du  fait  dans  un  billet  du  Célestin  Claude  Dieudonné 
où,  parlant  à  Agrippa  des  ennemis  qui  s'acharnaient 
contre  lui  dans  cette  dernière  polémique,  il  ajoute  : 

—  Une  autre  cause  de  la  fureur  des  ignorants 
contre  toi  est  la  vigueur  et  le  succès  avec  lesquels  tu 
as  pris  dernièrement  la  défense  de  cette  pauvre 
femme  accusée  d'hérésie  et  de  maléfice.  Mais  ne  l'en 
émeus  pas,  et  reste  fidèlement  attaché  à  la  défense 
de  la  vérité  (Ep.  II,  24). 

Agrippa  l'avait  emporté  dans  sa  querelle  ^avec 
l'inquisition  et  ses  suppôts.  Mais,  comme  nous  ve- 
nons de  le  dire,  le  succès,  qu'il  avait  obtenu  ainsi, 
avait  soulevé  contre  lui  une  passion  et  une  haine 
avec  lesquelles  il  avait  maintenant  à  compter.  Nous 
allons  voir  ces  sentiments  se  manifester  dans  une 
circonstance  où  ses  ennemis  réussissent  à  lasser  sa 
persévérance,  à  ébranler  même,  non  sans  de  sérieux 
motifs,  son  courage,  et  à  lui  faire  quitter  la  place. 
Il  s'agit  cette  fois  d'un  débat  sur  une  question  dont 
il  peut  sembler  étrange,  à  première  vue,  que  se  soit 
préoccupé  un  esprit  comme  le  sien,  la  question  do 
la  monogamie  de  sainte  Anne.  Pour  expliquer  cette 
singularité,  il  faut  faire  connaître  quelques  traits  du 


328  CHAPITRE    QUATRIÈME 

mouvement  des  idées  en  France,  à  cette  époque, 
touchant  les  controverses  religieuses,  et  signaler 
celle  en  particulier  que  souleva  la  thèse  bizarre  que 
nous  venons  d'indiquer.  Il  faut  dire  aussi  quelques 
mots  de  l'homme  qui,  le  premier,  l'avait  l'ormulée 
et  mise  en  discussion. 

Vers  la  fin  du  xve  siècle  et  au  commencement  du 
xvic,  de  1493  à  1507,  vivait  au  Collège  du  Cardinal 
Lemoine,  à  Paris,  un  professeur  de  philosophie  aussi 
savant  que  hardi,  nommé  Jacques  Lefèvre  d'Éta- 
ples,  Faber  Stapulensis.  Né  vers  1*455,  il  était  alors 
âgé  d'environ  cinquante  ans  ;  il  avait  étudié  à  Paris, 
mais  il  ne  s'était  pas  élevé  jusqu'au  doctorat;  il 
était  simplement  maître  ès-arts  ou  tout  au  plus  ba- 
chelier. Briçonnet,  évêque  de  Lodève,  doué  lui-même 
d'un  esprit  assez  aventureux,  l'avait  attaché  à  sa 
personne  en  1507,  et  plus  tard  quand  il  fut,  en  1516, 
transféré  au  diocèse  de  Meaux,  il  l'y  emmenait  et  en 
faisait  son  grand-vicaire.  A  cette  époque,  Jacques 
Lefèvre  avait  déjà  publié  divers  travaux  sur  des 
sujets  religieux,  avec  une  traduction  nouvelle  des 
Épîtres  de  saint  Paul.  Il  donne  alors  des  disserta- 
tions qui  attirent  vivement  l'attention  et  soulèvent 
immédiatement  une  ardente  polémique,  bien  moins 
pour  leur  importance  propre,  qu'en  raison  du  ca- 
ractère connu  de  leur  auteur,  porlé  vers  les  nou- 
veautés dont  l'Eglise  s'effrayait  à  ce  moment,  non 
sans  quelque  raison. 

Ces  premiers  essais  de  discussion  et  de  critique 
hisLorique  appliqués   aux  traditions  cl  aux  erovan- 


AGRIPPA   A   METZ  329 

ces  religieuses    paraissaient   téméraires.   Us  sem- 
blaient répondre  aux  recommandations  des  nova- 
teurs qui   prêchaient    alors  le   renouvellement  des 
études    ecclésiastiques.    C'étaient    les    débuts     de 
l'exégèse   moderne;  science    à  peu  près    inconnue 
jusqu'alors,    qui,    appelant  la   lumière   sur    toutes 
les    questions,    donnant    pour    quelques-unes   des 
solutions  nouvelles,    et  répandant    au    moins    un 
doute   philosophique   sur    le   plus   grand    nombre, 
est  considérée  comme  un  danger  pour  l'édifice  de 
la  foi.  Car  dans  celui-ci  une  hardiesse  malavisée  a 
pu  l'aire  entrer  parfois  des  assises  peu  solides,  dont 
la  chute  serait  de  nature  à  compromettre  la  stabilité 
du  monument  lui-même.  Tel  est  incontestablement 
le   caractère    des   questions   qui  offrent  prise  non 
seulement  aux  démonstrations  scientifiques,   mais 
encore  aux  investigations  de  l'histoire.  Le  xvr;  siècle 
et  le  xvne  voient   commencer   ce   travail;   le  xvme 
siècle  devait  le  pousser  avec  vivacité  ;  de  nos  jours 
on   cherche  à  réagir  contre  lui,    en  ressaisissant, 
avec  plus  d'ardeur  que  de  prudence  peut-être,  bien 
des  fils  brisés  dans  les  discussions  antérieures. 

Au  commencement  du  xvie  siècle,  les  esprits 
étaient  déjà  puissamment  attirés  par  ces  polémi- 
ques, et  l'ardeur  qu'on  y  apportait  de  part  et  d'autre 
relevait  bien  plus  de  l'influence  exercée  par  le  cou- 
rant général  des  idées,  dans  l'attaque  comme  clans 
la  défense,  et  par  l'esprit  de  lutte  avec  son  cortège 
de  passions  aveugles,  que  du  mérite  et  de  la  portée 
véritable  des  questions   elles-mêmes   dans  la  dis- 

T      I  S I 


330  CHAPITRE    QUATRIÈME 

cussion  desquelles  on  se  rencontrait  ainsi.  C'est  ce 
qui  explique  les  singulières  querelles  dont  nous 
avons  à  parler  ici,  sur  deux  questions  traitées  par 
Lefèvro  d'Étaples  ;  questions  d'un  intérêt  très  mi- 
nime en  elles-mêmes  assurément,  et  dont  la  solution 
complète  est  d'ailleurs  à  peu  près  impossible,  faute 
de  documents.  L'une  est  celle  des  trois  Magdeleinc; 
l'autre,  celle  des  trois  Marie. 

La  première  de  ces  deux  questions  consiste  h 
décider  si  la  femme  de  mauvaise  vie  citée  par 
saint  Luc  (ch  vu,  v.  37),  la  femme,  possédée  qu'il 
nomme  Marie  Magdeleine  (ch.  vin,  v.  2),  et  Mario 
sœur  de  Marthe  et  de  Lazare  mentionnée  par  saint 
Jean  (ch.  xi,  v.  2),  sont  une  seule  et  même  personne 
ou  trois  personnes  différentes.  Les  Évangiles,  il  faut 
le  reconnaître,  ne  contiennent  rien  qui  doive  invi- 
ter à  les  confondre.  L'Église  grecque  les  a  toujours 
distinguées,  mais  l'Église  latine,  conformément  à 
une  déclaration  du  pape  saint  Grégoire  qui  vivait  au 
commencement  du  vnc  siècle,  n'en  faisait  qu'une 
seule  personne;  doctrine  généralement  admise  dans 
son  sein  jusqu'au  xvie  siècle.  Depuis  lors,  l'Église 
s'est  rangée  à  l'autre  opinion  1.  Lefèvre  d'Étaples 
devançant  l'heure  avait  adopté  et  défendu,  malgré 
d'ardents  contradicteurs,  cette  distinction  des  trois 
Magdeleine,  en  même  temps  qu'il  donnait  aussi  une 
solution  nouvelle  à  celle  des  trois  Marie  dont  nous 


l.ïillemont,  Mémoires  pour  .servir  à  l'histoire  ecclésiastique  des 
six  premiers  siècles;  loin.  II,  noie  I  sur  sainte  Marie  Magdeleine. 


AGRIPPA    A    METZ  331 

avons  surtout  à  nous  occuper  ici,  parce  que  c'est 
celle-là  précisément  que  concernent  les  polémiques 
soutenues  à  Metz,  en  1519,  par  Agrippa. 

La  question  des  trois  Mario,  beaucoup  plus  obs- 
cure et  plus  incertaine  encore,  s'il  est  possible,  que 
celle  des  trois  Magdelcine,  touchait  à  l'histoire  de 
la  sainte  Vierge,  dont  les  Évangiles  ne  disent  pres- 
que rien,  mais  dont  les  légendaires  se  sont  beau- 
coup occupés.  Il  s'agissait  de  savoir  si  la  sainte 
Vierge  avait  eu  oui  ou  non  deux  sœurs  portant 
comme  elle  le  nom  de  Marie,  ainsi  que  le  voulaient 
certaines  légendes.  L'évangile  de  saint  Jean  donne, 
suivant  Tillemont  x,  une  sœur  à  la  sainte  Vierge, 
Marie  de  Cléophas,  mère,  est-il  dit  ailleurs,  de  saint 
Jacques  le  mineur,  de  José,  de  saint  Jude  et  de 
saint  Simon.  Saint  Jérôme,  dit  encore  Tillemont, 
et  d'autres  Pères  suivent  cette  opinion.  La  légende 
ajoute  à  ces  indications  que  Salomé,  épouse  de 
Zébédée  et  mère  de  saint  Jacques  le  majeur  et 
de  saint  Jean,  nommée  aussi  Marie  dans  le  mar- 
tyrologe romain  sans  qu'on  sache  sur  quelle  auto- 
rité, était  également  sœur  de  la  sainte  Vierge.  Telle 
était  la  croyance  générale  admise  par  l'Eglise  sur 
les  trois  Marie,  au  commencement  du  xvi°  siècle. 

Une  opinion  ancienne  que  Baronius  a  adoptée, 
voulait  pourtant  que  la  sainte  Vierge  n'eût  eu  ni 
frère  ni  sœur.  Cette  opinion  paraît  l'ondée  sur  une 
Légende  apocryphe  très    ancienne  également   de   la 

1.  Tillemonl,  Ibidem  ;  lom.  I,  note  H  sur  la  sainte  Viei 


332  CHAPITRE    QUATRIÈME 

naissance  de  la  Vierge,  admise  par  l'Eglise  d'Orient, 
et  suivant  laquelle  la  sainte  Vierge,  dont  les  Évan- 
giles ne  nomment  d'ailleurs  ni  le  père  ni  la  mère, 
aurait  été  tille  de  saint  Joachim  et  de  sainte  Anne. 
Aux  termes  de  cette  légende,  sainte  Anne,  devenue 
vieille  et  restée  stérile,  aurait  obtenu  de  Dieu  la 
grâce  de  la  fécondité;  et  saint  Joachim,  alors  dans 
le  désert,  y  aurait  appris  par  l'entremise  d'un  ange, 
que  son  épouse  avait  conçu.  Telle  serait  l'origine 
miraculeuse  de  la  sainte  Vierge.  Saint  Epiphane  et 
Grégoire  de  Nysse  avaient  accepté  :ette  croyance. 
Les  Latins,  en  la  leur  empruntant,  l'avaient  associée 
à  l'opinion  énoncée  tout  à  l'heure,  que  la  sainte 
Vierge  avait  deux  sœurs,  Marie  de  Cléophas  et  Ma- 
rie Salomé;  et  ils  avaient  constitué  ainsi  une  lé- 
gende suivant  laquelle  sainte  Anne  aurait  été  la 
mère  des  trois  Marie,  et  les  aurait  eues  de  trois 
époux  successifs  Joachim,  Cléophas  et  Salomé. 
Telle  était  au  xvic  siècle  la  croyance  accréditée  clans 
l'Eglise  l  ;  telle  était  l'opinion  contre  laquelle  s'éleva 

1.  Cette  doctrine  est  formulée  dans  une  petite  pièce  de 
six  vers  transcrite  par  une  main  du  xve  siècle  à  la  lin  d'un 
manuscrit  de  la  cathédrale  de  Metz,  conservé  aujourd'hui  à  la 
Bibliothèque  de  cette  ville  (n°  620).  Celle  pièce  est  ainsi  con- 
çue : 

Anna  solet  dioi  très  coneepisse  Marias, 

Quas  genuere  viri  Joachim*,  Cléophas,  Salomeque. 

lias  iluxere  viri  Joseph,  AJpheus,  Zebedeus. 

Prima  peperit  Christian  ;  Jacobum  secunda  minorera 

Et  Joseph  justum  peperit  cum  Simone  Judara  ; 

Tertia,  majorera  Jacobum,  dilectum  ip<<<  Johannem. 


AGRIPPA    A    METZ  333 

Lefèvre  d'Étaples,  pour  reconstituer  dans  son  inté- 
grité la  légende  orientale  qui  ne  reconnaissait  à 
sainte  Anne  qu'une  seule  fille,  la  sainte  Vierge, 
dont  la  naissacce  miraculeuse  était  du  reste  admise 
par  tout  le  monde.  Il  regardait  la  gloire  de  la  mère 
de  Dieu  comme  essentiellement  intéressée  à  ces 
conclusions,  et,  chose  étrange,  les  théologiens 
orthodoxes  le  condamnaient  et  le  combattaient  pour 
cette  opinion. 

Sur  ces  deux  questions,  celle  des  trois  Magdeleine 
qu'il  distinguait  l'une  de  l'autre,  et  celle  des  trois 
Marie  qu'il  refusait  de  reconnaître  comme  trois 
sœurs,  Lefèvre  d'Étaples  avait  fait  imprimera  Paris, 
en  1517,  en  1518  et  en  1511),  les  traités  intitulés  :  De 
tribus  et  unica  Magdalena,  et  De  una  ex  tribus  Maria. 
Ses  propositions  avaient  été  censurées  par  la  faculté 
de  théologie  \  Elles  étaient  en  môme  temps  atta- 

1.  Lefèvre  d'Étaples,  condamné  sur  ce  point  et  sur  plusieurs 
autres,  finit  par  prendre  rang,  d'une  manière  formelle,  parmi  les 
hétérodoxes.  En  1523,  il  publia  à  Paris  une  traduction  française 
du  Nouveau-Testament,  puis,  en  1525  à  Meaux.un  commentaire 
sur  le  même  livre,  ensuite  à  Anvers,  eu  1528,  une  traduction 
française  de  la  Bible  tout  entière,  réimprimée  en  1529,  1530, 
1532,  1531,  1541,  et  accompagnée,  dans  une  de  ces  éditions 
données  à  Paris,  d'une  Epistola  exhortatoria  où  était  recom- 
mandée la  lecture  de  l'Écriture  sainte  en  langue  vulgaire.  11 
s'attira  ainsi  de  nouvelles  censures  de  la  faculté  de  théologie 
de  Paris,  et  des  persécutions  contre  lesquelles  il  trouva  un 
défenseur  dans  lapersomif  de  la  reine  de  Navarre,  Marguerite 
sœur  du  roi.  Lefèvre  d'Étaples  mourut  très  âgé,  en  1537,  à 
Nérac,  où  cette  princesse  lui  avait  donné  asile. 


334  CHAPITRE    QUATRIÈME 

quécs  ou  défendues  par  plusieurs  écrivains  ecclé- 
siastiques. Celles  qui  concernaient  les  trois  Magde- 
leine  étaient  notamment  combattues  dans  un  traité 
publié  à  Paris,  en  1519,  par  Jean  Fischer  évoque  de 
Rochester,  l'une  des  victimes  de  Henri  VIH,  à  qui 
Erasme  écrivait  d'Anvers,  le  2  avril  1519,  que  tout  le 
monde  lui  attribuait  la  victoire  dans  le  débat.  Sur  la 
question  des  trois  Marie,  Lefèvre  d'.Étaples  trouva 
dans  Agrippa  un  champion  passionnément  épris  do 
ses  idées.  Il  nous  reste  à  montrer  comment  celui-ci 
entra  dans  la  querelle  soulevée  à  cette  occasion.  Elle 
venait  d'éclater  au  moment  à  peu  près  où,  quittant 
l'Italie,  il  arrivait  à  Metz-(Ep.  II,  25,  30). 

Une  des  considérations  qui  avaient  pu  attirer  de 
ce  côté  l'esprit  curieux  et  frondeur  d' Agrippa,  c'est 
évidemment  que  la  thèse  de  Lefèvre  d'Étaples  était 
contraire  aux  opinions  généralement  reçues  à  ce 
moment.  Discutée  comme  nous  venons  de  le  dire 
par  ce  savant  homme,  la  question  De  una  ex  tribus 
Maria,  ou  de  la  monogamie  de  sainte  Anne,  semblait 
aux  novateurs  intéresser  la  dignité  de  la  sainte 
Vierge  dans  son  origine  immaculée.  Les  champions 
de  l'Église  soutenant  que  sainte  Anne  avait  eu  trois 
époux  successifs  et  plusieurs  enfants,  les  docteurs 
hétérodoxes  ne  voulaient  lui  reconnaître  qu'un  seul 
époux,  et  ne  lui  accordaient  qu'un  seul  enfant  mira- 
culeusement conçu,  qui  était  la  Vierge,  mère  de 
Dieu. 

Agrippa  très  adonné  depuis  quelques  années  à 
l'étude    des   choses  religieuses,   adopte   donc   avec 


AGRIPPA    A    METZ  335 

chaleur  l'opinion  de  Lefèvre  d'Étaples  touchant  la 
monogamie  de  sainte  Anne.  Il  trouve  à  Metz,  où  il 
était  alors,  d'ardents  contradicteurs.  A  la  tête  de 
ceux-ci,  se  place  un  confrère  de  l'inquisiteur  Savini, 
le  prieur  des  Dominicains  Claude  Salini,  fort  de 
son  titre  de  docteur  en  théologie  de  l'Université  de 
Paris.  La  dispute  s'était  engagée  dans  un  entretien 
d'Agrippa  avec  un  membre  de  l'aristocratie  messine, 
Nicole  Roucel  l'échevin  ',  qui  soutenait  l'opinion 
communément  admise  alors  dans  l'Église,  sur  les  trois 
mariages  de  sainte  Anne  et  les  enfants  procréés  ainsi 
par  elle,  les  trois  Marie.  La  querelle  n'avait  pas  tardé 
à  s'étendre  et  à  s'envenimer;  de  nouveaux  cham- 
pions intervenant  avaient  à  leur  tour  attaqué  Agrippa. 
Celui-ci  donne  à  ce  sujet  quelques  détails  intéres- 
sants, dans  une  lettre  adressée  par  lui  au  Célestin 
Claude  Dieudonné  qui  partageait  ses  idées,  et  qui 
venait  de  quitter  Metz  au  moment  môme  où  ces  faits 
s'accomplissaient. 

—  Je  vais  t'apprendre,  dit  Agrippa  dans  cette 
lettre,  quels  sont  ces  infâmes  calomniateurs  qui 
s'acharnent  dans  leurs  poursuites  publiques  contre 
le  vertueux  et  savant  Lefèvre  d'Étaples,  contre  ses 
livres,  contre  ses  opinions  et  ses  invincibles  doctri- 
nes. C'esl  d'abord  un  certain  frère  franciscain  du 
couventde  l'Observance,  Dominique  Dauphin,  comme 
on  l'appelle  d'un  nom  emprunté  a  l'enseigne  d'un 

l.  -  ('.mu  nobili  viro  Ni  :olao  Roscio  modiomatricorum  decu- 
«  rione.  -    Opéra,  t.  II,  \>.  5£ 


33G  CHAPITRE    QUATRIÈME 

cabaret,  homme  plein  d'insolence,  de  blasphèmes  et 
d'impertinents  discours  ;  Nicolas  Orici,  frère  mineur 
de  la  maison  des  Gordeliers,  et  frère  Claude  Salini, 
prieur  du  monastère  des  Prêcheurs  ;  celui-ci  tout 
fraîchement  décoré  à  Paris  du  grade  de  docteur,  et 
le  plus  ardent  de  tous  à  condamner  les  propositions 
et  leur  auteur.  Voilà  les  acteurs  de  cette  immonde 
tragédie,  ces  hommes  qui  se  croient  tout  permis,  et 
dont  l'autorité  est  telle  que  nul  n'a  le  courage  de  les 
contredire,  quand  ils  ont  froncé  le  sourcil  ;  tant  ils 
ont  de  crédit  sur  cette  populace  messine,  bien  digne 
de  croupir  honteusement  dans  l'erreur,  pour  avoir 
accepté  de  pareils  maîtres.  (Ep.  II,  25). 

Les  adversaires  d'Agrippa  avaient,  à  ce  qu'il  paraît, 
profité  d'une  courte  absence  de  celui-ci  pour  donner 
carrière  en  public  à  leur  ardeur  passionnée. 

—  Que  n'étais-je  là,  dit  en  effet  Agrippa  dans  une 
nouvelle  lettre  à  Claude  Dieudonné,  je  n'eusse  pas 
hésité  à  leur  résister  en  face.  Mais  me  voilà  revenu. 
J'ai  fait  ce  que  je  devais  et  ce  que  je  pouvais.  J'ai 
agi  de  la  main  et  de  la  plume  ;  j'ai  écrit  les  proposi- 
tions que  tu  connais  par  la  copie  que  je  t'en  ai  fait 
parvenir,  et  cela  pour  leur  donner  occasion  d'écrire 
eux-mêmes  et  de  répondre.  Mais  les  jours,  les  se- 
maines s'écoulent,  et  pas  un  d'eux  ne  donne  signe 
de  vie.  Il  leur  suffit  sans  doute  d'en  avoir  imposé  à 
la  foule,  sur  laquelle  ils  ont  pris  une  telle  autorité, 
qu'un  ange  descendrait  en  vain  du  ciel  pour  les 
démasquer.  Mais  les  choses  n'en  resteront  pas  là. 
Je  vais  attendre  encore  un  peu;  et  puis  j'aviserai  à 


AGRIPPA    A    MET/.  337 

d'autres  moyens.  Je  te  tiendrai  au  courant,  dit 
en  finissant  Agrippa  ù  son  correspondant,  en  quel- 
que lieu  que  tu  sois.  (Ep.  II,  2o.) 

Nous  ne  connaissons  pas  toutes  les  phases  du 
débat.  Dans  sa  querelle  avec  l'inquisiteur  pour  la 
paysanne  de  Woippy,  Agrippa,  entraîné  par  le  sen- 
timent de  la  justice,  avait  eu  finalement  le  dessus. 
Dans  celle-ci,  le  courage  lui  manque;  il  cède  et,  pris 
de  lassitude  et  de  dégoût,  il  s'éloigne  avant  la  fin. 
Mais,  après  son  départ,  ses  adversaires  continuent 
la  lutte  et  chantent  victoire.  Il  aurait  dû  s'y  atten- 
dre, puisque  dans  cette  nouvelle  affaire  il  ne  pouvait 
y  avoir,  comme  dans  la  première,  de  jugement  dé- 
finitif consacrant  le  triomphe  d'une  des  parties,  et 
imposant  silence  à  l'autre.  Agrippa,  se  retirant  du 
combat,  avait  le  pressentiment  qu'il  en  serait  proba- 
blement ainsi.  Il  disait  en  partant  au  curé  de  (Sainte- 
Croix,  lequel  partageait  ses  opinions,  qu'il  lui 
appartenait  dereprendre  le  rôle  que  lui-même  il  aban- 
donnait, et  de  défendre  à  son  tour,  pour  l'honneur 
de  Lefèvrc  d'Étaples,  la  gloire  de  sainte  Anne  et  de 
la  sainte  Vierge  (Ep.  II,  44.).  Arrivant  à  Cologne, 
quelques  jours  après  avoir  quitté  Metz  au  plus  fort 
de  la  querelle,  Agrippa  écrivait  pour  cet  objet  à  ce- 
lui-ci, le  19  lévrier  1520. 

—  Je  suis  certain,  lui  disait-il,  que  le  prieur  des 
Prêcheurs,  Claude  iSalini,  et  Claude  Drouin  le  tabel- 
lion, ce  singe  à  la  voix  de  castrat,  cette  espèce  d'an- 
drogyno  étranglé  par  l'envie  et  fou  d'orgueil,  avec 
toute  sa  séquelle,  triomphent  maintenant  en  toute 


338  CHAPITRE    QUATRIÈME 

sûreté,  entonent  des  chants  de  victoire,  et  me  taillent 
des  croupières,  pendant  que  j'ai  le  dos  tourné.  Conte- 
moi  ce  qui  en  est.  De  mon  côté,  je  vais  m'occuper  de 
publier  ce  que  j'ai  écrit  sur  ce  sujet,  et  ce  que 
maître  Claude  Salini  a  couché  à  ce  propos  sur  le  pa- 
pier, pour  la  plus  grande  évidence  de  sa  propre  inep- 
tie (Ep.  II,  43). 

Cette  lettre  se  croisait  avec  une  missive  où  l'ami 
d'Agrippa,  venant  au  devant  de  son  désir,  lui  rendait 
compte  d'une  sorte  de  dispute  publique  dans  laquelle 
ses  adversaires  s'étaient,  à  ce  qu'il  paraît,  empressés 
après  son  départ  de  constater  leur  victoire. 

—  Dans  nos  derniers  entretiens,  écrivait  à  Agrippa 
le  curé  de  Sainte-Croix,  tu  me  prédisais  que  je  te 
succéderais  dans  le  débat.  Jamais  tu  n'as  dit  plus 
vrai;  et  je  me  réjouis  d'avoir  aujourd'hui  sous  la 
main  un  messager  fidèle,  pour  me  décharger  du 
fardeau  des  confidences  que  j'ai  à  te  faire  à  ce 
sujet.  Tu  sais,  mon  cher  Agrippa,  avec  quelle  im- 
patiente aigreur  nos  sophistes  en  théologie,  infatués 
d'eux-mêmes,  reçoivent  la  critique  ;  et  comment  au 
contraire  ils  acceptent  les  viles  flatteries  auxquelles 
nous  avons  toujours  refusé  de  nous  associer.  Aussi 
nous  détestent-ils  assez  l'un  et  l'autre.  Tu  riras  en 
apprenant  ce  qui  s'est  passé  dans  le  petit  engage- 
ment  d'hier. 

—  Il  y  avait  affluence  de  paysans,  de  bonnes 
femmes  et  d'enfants,  tous,  le  col  tendu,  la  bouche 
béante.  Un  certain  Prêcheur,  qui  présidait  la  séance, 
se  plante  fièrement  dans  la  chaire  et,  trois  heures 


AGRIPPA    A    METZ  339 

durant,  pérore  d'une  voix  traînante  en  agitant  les 
bras  comme  un  histrion.  Cependant  l'assistance 
fatiguée  de  cette  interminable  harangue  se  met  à 
battre  des  mains,  et  toute  cette  belle  et  savante 
éloquence  se  trouve  étouffée  par  l'enthousiasme  po- 
pulaire. Enfin  la  discussion  est  ouverte.  Maitre  Re- 
ginaldus,  notre  archiprêtre,  prend  la  parole.  Il  attaque 
la  question  des  trois  mariages  de  sainte  Anne  ;  il 
n'hésite  pas  à  condamner  les  secondes  noces.  Anne, 
vraie  prophétesse,  mérite  surtout,  il  le  dit  lui-même, 
d'être  honorée  pour  sa  pureté.  Mais  quelle  est  sa 
conclusion?  Qu'il  a  été  cependant  accordé  à  cette 
sainte  femme  d'avoir  eu  successivement  trois  maris, 
pour  multiplier  une  lignée  destinée  à  former  l'Église 
de  Dieu.  A  Tarchiprêtre  succède  maître  Reinaud  le 
médecin,  lequel  jusqu'à  un  certain  point  est  des 
nôtres.  11  ne  veut  pas  que  la  moindre  souillure  ait 
jamais  atteint  celle  qui  a  été  sanctifiée  parla  concep- 
tion miraculeuse  de  la  vierge  Marie.  Il  ne  veut 
pas  que  la  sainte  demeure  où  la  mère  de  Dieu  a 
été  conçue  ait  ensuite  été  souillée  par  de  voluptueux 
caprices;  ou  bien,  suivant  lui,  si,  après  la  sainte 
Vierge,  sa  mère  a  dû  concevoir  encore  d'autres 
enfants,  ce  n'a  pu  être  que  par  de  nouveaux  mira- 
cles. La  pureté  de  la  sainte  Vierge  ne  peut  être 
mise  en  doute.  Nul  soupçon  du  péché  originel  ne 
saurait  l'effleurer,  quand  bien  même  il  eût  été  donné 
à  sa  mère  de  connaître  trois  époux,  afin  de  multi- 
plier la  race  prédestinée. 
—  Maître  Reinninl  s'arrête.  A  mon  tour,  continue 


340  CHAPITRE    QUATRIÈME 

le  curé  de  Sainte-Croix,  je  m'élance  dans  la  lice. 
J'attaque  les  assertions  qui  ont  été  produites;  je  les 
déclare  téméraires  et  scandaleuses.  Je  prouve  que  ni 
l'Évangile,  ni  les  apôtres,  ni  les  auteurs  ecclésiasti- 
ques, ni  aucune  autorité  ne  justifient  les  prétendus 
mariages  de  sainte  Anne  ;  que  la  vierge  Marie  étant 
fille  de  sainte  Anne  et  de  Joachim,  on  ne  saurait 
affirmer  que  Marie  de  Gléophas  fût  fille  de  la  même 
mère  et  d'un  autre  époux  du  nom  de  Gléophas.  Je 
démontre,  l'Évangile  en  main,  que  Marie  de  Cléophas 
est  ainsi  nommée,  non  à  cause  de  son  père,  mais 
à  cause  de  son  mari.  Mes  adversaires,  pour  tourner 
la  difficulté,  prétendent  alors  qu'il  a  pu  y  avoir 
deux  Cléophas  et  non  pas  un  seulement.  «  N'as-tu 
jamais  vu,  me  crient-ils,  deux  ânes  qui  s'appelassent 
Martin  ».  «  Oui  sans  doute,  dis-je  à  mon  tour.  J'ai 
vu  au  marché  deux  ânes  qui  s'appellent  Martin,  et  si 
je  suis  l'un,  toi  tu  es  l'autre  ;  mais  je  n'ai  jamais  vu 
dans  les  Saintes  Écritures  deux  hommes  qui  s'ap- 
pelassent Cléophas  ».  On  rit  autour  de  nous.  Je  parle 
alors  des  histoires  d'Eusèbe  et  d'Hégésippe.  «  Ce 
sont  des  songes  creux  me  crie-t-on  ».  De  mon  côté 
je  récuse  de  même  l'autorité  de  Thomas  leur  maître, 
d'Augustin,  de  Jérôme,  de  Chrysostome,  et  des  au- 
tres. «  Saint  Augustin  est  incapable  d'erreur,  murmu- 
rent les  Augustins  ».  «  Saint  Thomas  ne  s'est  jamais 
trompé,  disent  les  Thomistes  ».  Alors  je  me  déclare 
vaincu,  et  j'affirme  que  non-seulement  sainte  Anne  a 
eu  trois  maris,  mais  qu'elle  en  a  eu  quatre,  et  que  le 
dernier  devait  certainement  s'appeler  Marcolphe.  Les 


AGRIPPA    A    METZ  341 

uns  nient,  les  autres  se  tachent.  J'aurais  voulu  que  tu 
lusses  là.  En  somme,  déluge  de  paroles,  mais  de 
conclusion  point. 

—  Gomme  je  m'en  allais ,  Claude  Drouin  le 
tabellion  vient  à  moi  ronge  de  colère  pour  me  pro- 
voquer, et  se  penchant  à  mon  oreille:  «  Puisses-tu 
être  brûlé,  murmure-t-il,  hérétique  damné  ;  j'ai 
encore  quelques  fagots  ;  je  les  donnerais  volon- 
tiers pour  cela.  »  Il  n'y  avait  pas  de  témoins  du 
propos  et  je  me  contentai  de  lui  répondre:  «  Garde 
tes  fagots  pour  toi  et  pour  les  frères  prêcheurs,  à  qui 
cela  pourra  servir.  Leur  hérésie  n'est  pas  encore 
finie  chez  les  Bernois  (1).  »  Il  s'éloigne  furieux;  mais 
le  soir,  comme  on  se  promenait  sur  la  place  en  cau- 
sant du  débat  de  l'après-midi,  il  revient  sur  moi,  l'œil 
en  feu,  et  me  traite  de  fou,  d'âne,  d'impudent,  pour 
avoir  osé  calomnier  le  grand  saint  Augustin.  Comme 
beaucoup  de  gens  l'avaient  entendu  cette  fois,  je  l'ai 
assigné  en  jugement  pour  ses  injures  ;  et  à  huitaine 
il  aura  à  prouver  que  je  suis  en  effet  ce  qu'il  a  dit 
(Ep.  11,44). 

Quelques  semaines  après,  le  curé  de  Sainte-Croix, 
écrivant  de  nouveau  à  Agrippa,  lui  disait  qu'il  avail 
l'ait  condamner   pour   ses   injures  Claude  Drouin; 


l.  Allusion  à  une  cause  remontant  à  quelques  années,  et  à  la 
suite  de  laquelle  quatre  religieux  dominicains  avaient  été 
brûlés  comme  hérétiques  à  Berne,  en  150!).  On  peul  ronsuli<T 
sur  celle  affaire  un  livre  intitulé  :  De  quatuor  hxrcsiarchis  or- 
dinis  prsdicatorum,  etc.,  1509. 


342  CHAPITRE    QUATRIÈME 

mais  que,  content  de  l'avoir  emporté  sur  lui,  il  l'avait 
ensuite  traité  avec  ménagements.  Cette  vivante 
peinture  des  scènes  agitées  que  produisaient  à  Metz 
les  controverses  publiques,  nous  donne  le  sentiment 
de  ce  qu'étaient  dans  cette  ville  les  passions  reli- 
gieuses. Celles-ci  nous  aideront  à  comprendre  ce  qui 
a  provoqué  la  trop  fameuse  invective  lancée  contre 
Metz  par  Agrippa;  elle  nous  montreront  quel  en  est 
le  sens  véritable,  quelle  en  est  la  valeur.  Nous  re- 
viendrons au  reste,  un  peu  plus  loin,  sur  ce  sujet. 

A  ces  faits  se  borne  ce  que  nous  savons  de  la  que- 
relle allumée  à  Metz  par  Agrippa,  pour  l'étrange 
question  de  la  monogamie  de  sainte  Anne.  Nous 
nous  sommes  arrêtés  un  peu  longuement  peut-être 
sur  ce  qui  la  concerne,  parce  qu'elle  nous  a  paru  four- 
nir le  cadre  d'un  petit  tableau  où  se  trouvent  peintes, 
d'une  manière  piquante,  dans  quelques-uns  de  leurs 
traits  caractéristiques,  les  mœurs  de  ce  temps. 

Les  deux  épisodes  de  la  défense  de  la  vieille  pay- 
sanne accusée  de  sorcellerie  et  delà  querelle  pour  la 
monogamie  de  sainte  Anne,  appartiennent  l'un  et  l'au- 
tre, comme  nous  l'avons  dit,  à  la  seconde  année  du 
séjour  à  Metz  d'Agrippa,  Ils  ne  remplissent  donc  pas 
sa  vie  tout  entière,  pendant  le  temps  qu'il  y  a  passé. 
Les  devoirs  de  sa  charge,  dont  nous  ne  connais- 
sons que  quelques  points  indiqués  précédemment,  de- 
vaient être  naturellement  alors  le  principal  objet  de 
ses  occupations.  On  n'aurait  pas  cependant  une  idée 
complète  de  son  existence  à  cette  époque,  si  l'on  ne 
savait  que  ce  qui  concerne  ainsi  d'une  manière  gêné- 


AGRIPPA   A    METZ  343 

raie  ses  fonctions  publiques  et  en  particulier  les  in- 
cidents des  deux  grandes  querelles  dont  nous  avons 
parlé.  Il  faut  joindre  a  ce  que  nous  venons  de  dire 
à  cet  égard,  quelques  indications  sur  les  relations 
entretenues  en  même  temps  par  Agrippa,  soit  avec 
les  gens  qui  vivaient  autour  de  lui  à  Metz,  soit  avec 
ceux  qui  de  loin  étaient  en  correspondance  avec  lui. 
Les  lettres  échangées  alors  par  Agrippa  avec  ses 
amis  du  dehors,  et  plus  tard  avec  ceux  qu'il  avait 
laissés  ù  Metz,  après  l'avoir  quitté,  donnent  sur  ce 
sujet  des  renseignements  dignes  d'attention.  On  leur 
doit  ainsi  quelques  notions  précises  touchant  la  vie 
privée  chez  les  personnes  de  moyenne  condition,  au 
commencement  du  xvie  siècle;  genre  d'informations 
assez  rare  et  qui  n'est  pas  sans  prix. 

C'est  la  correspondance  du  curé  de  Sainte-Croix 
avec  Agrippa  qui  nous  a  fourni  tout  à  l'heure^  sur 
la  querelle  pour  la  monogamie  de  sainte  Anne,  les 
derniers  traits  du  tableau  que  nous  en  avons  tracé. 
Nous  avons  beaucoup  d'autres  particularités  inté- 
ressantes h  lui  emprunter  encore  ;  mais  comme  elle 
appartient  aux  temps  surtout  qui  ont  suivi  le  départ 
de  Metz  d'Agrippa,  nous  nous  occuperons  d'abord  de 
celles  qui  datent  du  séjour  fait  par  lui  dans  cette 
ville.  Nous  parlerons,  en  premier  lieu,  des  lettres 
qu'il  échange  alors  avec  Claude  Chansonncti,  Can- 
tiuncula,  qui  était  fixé  àBâle.  Nous  aborderons  ensuite 
ses  relations  avec  le  Célcslin  Claude  Dieudonné,  qui 
comportentégalement  quelques  pièces  de  correspon- 
dance pendant  le  temps  môme  où  ces  deux  hommes 


344  CHAPITRE    QUATRIÈME 

vivaient  l'un  près  de  l'autre,  et,  à  plus  forte  raison, 
quand  ils  furent  séparés  ;  le  Gélestin  n'ayant  pas 
tardé  à  être  écarté  de  Metz  par  ses  supérieurs.  Nous 
dirons  ensuite  quelque  chose  de  la  correspondance 
d' Agrippa  avec  Lefèvre  d'Étaples,  qui  se  rattache  à 
ses  relations  avec  Claude  Dieudonné  ;  après  quoi 
seulement,  nous  viendrons  à  celle  entretenue  par  lui 
avec  le  curé  de  Sainte-Croix  qui,  de  Metz,  lorsqu'A- 
grippa  s'est  éloigné  de  cette  ville,  continue  à  lui  en 
donner  pendant  quelques  années  encore  des  nouvel- 
les, clans  des  termes  capables  de  ressusciter  pour 
nous  la  physionomie  des  gens  qu'il  y  voyait,  et  le 
souvenir  de  ce  qu'il  y  a  fait  lui-même,  quand  il  y 
était. 

La  correspondance  avec  Cantiuncula  l  offre  cet 
intérêt  particulier,  que  c'est  une  de  celles  où  se 
manifestent  le  plus  formellement  l'attention  ac- 
cordée par  Agrippa  aux  mouvements  de  la  Réforme 
naissante  alors,  et  la  sympathie  qui  le  portait  du 
côté  des  hommes  engagés  dans  cette  grande  révolte, 
en  raison  de  ses  propres  tendances  vers  les  idées 
qu'ils  professaient.  Nous  avons  déjà  précédemment 

1.  Les  lettres  échangées  entre  Agrippa  et  Cantiuncula  sont 
au  nombre  de  vingt-six  (1518-1533).  Vingt-cinq  sont  imprimées 
dans  la  Correspondance  générale,  L  II,  12,  13,  14,  15,  16,26,  32, 
33,  34,  37,  40,  41,  42.  58;  L.  III,  16,  17,20,  23,  35,  43,  45,  46,  52, 
64;  L.  VII,  35.  La  vingt-sixième,  du  12  des  calendes  d'août  (21  juil- 
let) 1519,  ne  se  trouve  pas  dans  la  Correspondance  générale,  mais 
a  été  imprimée  dans  un  volume  publié  eu  I53'j,  qui  contient  les 
pièces  relatives  à  la  querelle  sur  la  monogamie  de  sainte  Anne. 


AGRIPPA    A    METZ  315 

nommé  Gantiuncula,  pour  dire  qu'à  l'époque  où 
Agrippa  entrait  au  service  de  la  cité  de  Metz,  ce  per- 
sonnage y  jouissait  d'une  petite  pension  qui  lui  est 
payée  pendant  un  peu  plus  de  deux  ans,  de  Noël 
15IG  à  Pâques  1519,  et  dont  on  trouve  la  mention 
sous  le  nom  de  maître  Claude  Chansonneti,  dans  les 
comptes  de  la  ville.  Elle  y  figure  avec  les  gages 
fournis,  du  15  février  1518  au  31  mars  1520,  à  Agrippa 
comme  conseiller  stipendié  et  orateur,  et  ceux  al- 
loués à  maître  Henry  le  docteur,  qui  y  exerçait  de- 
puis 1502  et  y  conserva  jusqu'à  sa  mort,  en  1523,  des 
fonctions  analogues. 

Cantiuncula,  juriconsulte  distingué,  parvenu  de- 
puis lors  à  une  certaine  réputation,  et  pendant  long- 
temps chancelier  de  la  régence  d'Ensisheim  en 
Alsace  pour  les  princes  de  la  maison  d'Autriche, 
était  originaire  de  Metz.  Fils  de  Didier  Chansonneti, 
notaire  public  dans  cette  ville,  il  était  très  jeune 
encore  quand  Agrippa  y  fît  sa  première  apparition, 
au  mois  de  février  1518.  On  pourrait  croire  que  les 
relations  entre  ces  deux  hommes  ont  commencé  par 
une  rencontre  personnelle  effectuée  dans  cette  cir- 
constance. Il  n'en  n'est  rien.  Cantiuncula  vivait  à 
Bâle  où  il  étudiait  à  ce  moment.  C'est  là  qu'il  reçoit 
la  première  lettre  d'Agrippa,  écrite  do  Metz  le 
13  juin  1518;  et  celte  missive,  aussi  bien  que 
celles  qui  lui  succèdent,  prouvent  qu'à  cette  date 
Agrippa  ne  l'avait  pas  encore  vu.  Mais  celui-ci 
étail  à  Metz  en  relation  avec  les  parents  du  jeune 
étudiant,  et  il  l'y  vit  lui   môme    un  instant  au   prin- 


346  CHAPITRE    QUATRIÈME 

temps  de  1519.  Si  Glauclius  Cantiuncula  n'était  pas  à 
Metz  en  1518  et  n'y  parut  que  d'une  manière  acci- 
dentelle en  1519,  il  semble,  à  première  vue,  difficile 
d'admettre  que  ce  personnage  soit  celui-là  même  qui 
figure,  comme  nous  l'avons  dit,  sous  le  nom  de 
Claude  Ghansonneti  dans  les  comptes  de  la  ville, 
avec  la  mention  d'une  pension  touchée  par  lui  préci- 
sément à  cette  époque,  depuis  Noël  1516  jusqu'à 
Pâques  1519.  Il  y  a  là  un  petit  problème  dont  nous 
allons  fournir  l'explication,  d'après  quelques  particu- 
larités de  la  correspondance  que  nous  avons  sous  les 
yeux. 

La  première  lettre  échangée  entre  Cantiuncula  et 
Agrippa  est,  avons  nous  dit,  écrite  le  13  juin  1518 
par  ce  dernier,  et  datée  de  Metz  où  il  était  alors  de- 
puis quatre  mois  à  peu  près. 

—  Je  ne  t'ai  jamais  vu,  dit-il,  brave  jeune  homme, 
adolescens  egregie;  et  toi-même,  tu  ne  m'as  je  crois 
jamais  vu  non  plus;  mais  ce  que  j'apprends  de  ton 
mérite  me  porte  à  t'écrire  pour  t'offrir  mon  amitié. 
Tu  aimes,  dit-on,  l'étude;  à  quoi  t'appliques -tu 
(Ep.  II,  12.)? 

Le  jeune  Claudius  répond  de  Bàle  à  cette  missive. 
Il  le  fait  dans  un  style  élégant,  et  avec  une  aisance 
qui  montrent  en  lui  plus  qu'un  simple  étudiant,  et 
déjà  un  véritable  lettré.  L'épître  est  naturellement 
écrite  en  latin,  la  seule  langue  admise  alors  dans 
les  régions  de  la  science.  Après  de  longs  com- 
pliments où  il  est  question  de  la  grande  réputa- 
ion  d' Agrippa  et  de  la  bonté  qu'il  a  de  s'occuper 


AGRIPPA   A    METZ  347 

ainsi    d'un     inconnu ,     le    nouveau    correspondant 
ajoute  : 

—  Tu  me  demandes  quels  sont  mes  travaux.  J'é- 
tudie les  lois,  sans  négliger  cependant  les  belles- 
lettres.  Je  suis  le  sillon  tracé  par  l'admirable  Budée 
en  France,  par  Zazius  en  Allemagne,  par  Alciat  en 
Italie  (Ep.  II,  13.). 

Dès  sa  troisième  lettre,  Agrippa  n'hésite  plus  à  sa- 
luer son  jeune  ami  du  titre  de  savant,  vir  doctissime, 
(Ep.  II,  15).  L'année  suivante,  Gantiuncula  écrit  de 
Bàle  à  Agrippa,  le  7  des  calendes  de  mars,  c'est-à- 
dire  le  23  février  1519  (Ep.  II,  16).  Nous  avons  en- 
suite une  lettre  d'Agrippa  sans  autre  date  que  le 
millésime  de  1519  (Ep.  II,  26),  à  laquelle  son  jeune 
correspondant  répond  de  Bàle  le  23  mai  de  cette 
même  année  (Ep.  II,  32).  Ces  trois  lettres  nous  ap- 
prennent que,  entre  le  23  février  et  le  23  mai  1519, 
Gantiuncula  était  revenu  à  Metz,  et  qu'il  s'en  était 
presque  aussitôt  éloigné  précipitamment,  sans  que 
rien  dans  la  correspondance  nous  révèle  les  motifs 
de  cette  étrange  conduite. 

—  Je  remets  à  te  dire  une  autre  fois,  écrit  Agrippa 
dans  la  seconde  des  trois  lettres  indiquées  ci-des- 
sus, quel  a  été  mon  ôtonnement  lors  de  ton  subit  et 
fâcheux  départ.  Puisse  du  moins  la  chose  réussir 
à  ton  gré.  Ce  que  je  sais,  et  tu  n'en  douteras  cer- 
tainement pas,  c'est  qu'il  est  bon  que,  pour  le  mo- 
ment, tu  ne  sois  plus  ici.  Quant  à  ce  que  j'aurais 
à  te  communiquer,  je  n'ose  le  confier  à  une  lettre 
susceptible  d'être  perdue  ou  détournée*  En  toul  cas, 


348  CHAPITRE    QUATRIÈME 

tu  peux  compter  que,  toi  absent,  je  suis  là  pour  te 
défendre  (Ep.  II,  26). 

—  Je  comprends,  répond  de  Bâle  Cantiuncula,  le 
23  mai  suivant,  que  mon  départ  inopiné  t'ait  causé, 
comme  à  tout  le  monde,  un  étonnement  qui  cessera 
quand  tu  en  connaîtras  la  cause.  Je  te  remercie  de 
tes  souhaits  pour  mon  bonheur,  et  de  la  promesse 
que  tu  me  fais  de  me  défendre.  Je  ne  t'en  rendrais 
pas  moins  à  l'occasion.  Je  ne  crains  ni  le  nez  ni  la 
langue  de  personne.  Je  ne  redoute  que  la  calomnie, 
et  je  sais  qu'elle  s'est  souvent  attaquée  à  de  plus 
grands  que  moi.  Sur  tout  cela  enfin  je*  ne  me  refuse 
pas  à  un  jugement  équitable.  Tout  au  contraire,  je 
le  demanderais  bien  plutôt  (Ep.  II,  32). 

—  Rien  de  nouveau,  lui  écrit  Agrippa  quelques 
jours  après,  le  2  juin  1511);  rien  de  nouveau  pour  ce 
qui  est  de  toi  et  de  ton  départ.  Si  quelque  mauvais 
propos  vient  à  mes  oreilles,  sois  certain  que  je  sau- 
rai tenir  mes  promesses  (Ep.  II,  33). 

Il  n'y  a  rien  clans  tout  cela  de  bien  explicite.  On 
peut  cependant  tirer  quelque  chose  de  ces  indications 
si  incomplètes.  Cantiuncula  devait  avoir  alors  une 
vingtaine  d'années  ;  si,  comme  le  rapportent  les  bio- 
graphes, il  était  né  à  la  (in  du  xve  siècle.  Il  étudiait 
à  Bàlc,  et  Agrippa  arrivant  à  Metz  en  1518,  avait 
entendu  parler  de  lui  avec  éloge.  Il  avait  pu  se 
trouver  alors  en  rapport  avec  les  parents  de  ce 
jeune  homme,  dans  lequel  il  ne  tarde  pas  à  reconnaî- 
tre, d'après  sa  correspondance,  un  lcltré  véritable, 
un  savant.  En  effet,   dès  l'année  1519,   Cantiuncula 


AGRIPPA    A   METZ  349 

occupait  à  Bâle  une  chaire  de  droit  expressément 
créée  pour  lui.  Or  c'est  en  mars  ou  avril  de  cette 
année  même  qu'il  reparaît  un  instant  à  Metz,  d'où  il 
s'éloigne  presqu'aussitôt  d'une  manière  tout  à  fait 
inopinée,  et  à  l'insu  même  de  ses  amis.  Il  y  semble 
décidé  par  une  affaire  où  ceux-ci  lui  souhaitent  en- 
suite de  réussir  au  gré  de  ses  désirs;  et  à  ce  mo- 
ment même,  à  Pâques  1519,  nous  voyons  disparaître 
des  comptes  de  la  ville  de  Metz  la  mention  de  la 
pension  annuelle  de  :2i  livres  qui  s'y  trouve  inscrite 
au  nom  de  Claude  Chansonneti,  à  côté  de  celle  de 
maître  Henry  le  docteur,  depuis  1516,  et  à  la  suite 
de  celle  d'Agrippa  depuis  1518. 

On  peut  rapprocher  de  ces  faits  ce  qu'on  sait 
d'ailleurs,  que  Cantiuncula  vint  à  Bâle  en  1517  pour 
y  étudier;  que  par  un  ordre  émané  des  magistrats 
de  Metz,  le  28  février  1519  *,  son  père  fut  sommé  de 
le  faire  revenir;  ce  qui  semble  indiquer  que  l'étu- 
diant se  trouvait  lié  par  quelque  obligation  envers 
la  Cité.  On  sera  dès  lors  tout  naturellement  conduit 
à  admettre  que  ce  jeune  homme  de  grande  espé- 
rance recevait  de  sa  ville  natale  la  modeste  pension 
que  nous  connaissons,  pour  l'aider  dans  ses  étu- 

1.  Le  souvenir  de  cet  acte  îles  magistrats  messins  nous  a  été 
conservé  par  Paul  Ferry  on  ses  Observations  séculaires,  sous 
la  date  du  28  février  loi 8  (more  meteasi) ,  correspondant 
au  28  février  1519  (n.  s.)  parce  que,  à  Metz,  l'année  ne  com- 
mençait et  le  millésime  ne  changeait  qu'à  L'Annonciation,  le 
25  mars.  Voir  ce  nui  est  dit  à  ce  sujet  dans  une  note  de  l'Ap- 
pendice  (n°  XII). 


350  CHAPITRE    QUATRIÈME 

des  l;  que  cette  faveur  avait  pu  provoquer  des  ja- 
lousies et  quelques  manœuvres  qui  auraient  eu  pour 
résultat  le  rappel  du  jeune  légiste,  de  qui  on  récla- 
mait peut  être  des  services  qu'il  était  jusqu'à  un 
certain  point  possible  de  regarder  comme  payés 
d'avance  ;  qu'à  peine  arrivé  à  Metz,  Cantiuncula 
avait  probablement  regretté  l'interruption  de  ses 
études,  et  qu'il  avait  couru  les  reprendre  à  Bâle 
où  on  le  rappelait,  et  où  d'ailleurs  on  ne  négligea 
rien  pour  le  retenir.  C'est  ainsi  qu'était  créée  pour 
lui  à  ce  moment,  dans  cette  ville,  une  chaire  de 
professeur,  et  que  dans  l'année  même,  il  y  était  élevé 
malgré  sa  jeunesse  à  la  dignité  de  recteur  de  l'uni- 
versité (18  octobre  1519).  La  conséquence  de  cette 
situation  nouvelle,  ou  plutôt  de  la  désobéissance  qui 
l'avait  précédée,  devait  être,  on  ne  saurait  s'en  éton- 
ner, la  suppression  de  la  pension  que  Cantiuncula 
recevait  de  la  ville  de  Metz,  ainsi  que  les  récrimi- 
nations de  quelques-uns,  avec  les  méchants  propos 
de  certains  autres;  ce  qui  s'accorde  parfaitement 
avec  les  faits  que  nous  venons  de  rappeler,  et  avec 
le  ton  des  lettres  que  nous  avons  sous  les  yeux. 

Cantiuncula,  il  faut  le  reconnaître,  avait  bien  quel- 
ques torts,  mais  non  une  faute  bien  grave  à  se  re- 
procher. On  ne  lui  en  garda  vraisemblablement  pas 
longtemps  rancune  à  Metz;  car  nous  voyons  par  la 


1.  Cette  pension  de  24  livres  pouvait  équivaloir  à  7  ou 
800  francs  de  nos  jours,  comme  on  le  voit  par  les  explications 
contenues  dans  la  note  XIV  de  l'Appendice. 


AGRIPPA   A    METZ  351 

suite  de  sa  correspondance,  qu'un  an  plus  tard,  en 
juin  et  juillet,  peut-être  même  dès  le  mois  de  mai 
1520,  il  revenait  y  voir  ses  parents  (Ep.  II,  55,  58)  ; 
qu'il  renouvelait  cette  visite  au  mois  d'août  1523 
(Ep.  III,  45)  ;  et  bien  plus,  qu'à  la  fin  de  cette  der- 
nière année,  il  quittait  momentanément  Bâle  avec 
l'intention  d'entrer,  à  Metz,  au  service  de  sa  ville  na- 
tale (Ep.  III,  52).  Il  ne  semble  pas  néanmoins  que 
cette  démarche  ait  eu  de  suite  ;  car  on  ne  trouve  à 
cette  époque  aucune  mention  de  Cantiuncula  dans  les 
comptes  des  gages  et  pensions  payés  par  la  ville  de 
Metz  à  ses  officiers. 

Il  y  a  lieu  de  considérer,  on  le  voit,  le  juriscon- 
sulte Claudius  Cantiuncula,  qui  figure  dans  la  cor- 
respondance d'Agrippa  depuis  l'an  1518.  comme 
étant  le  même  personnage  que  Claude  Chansonneti, 
dont  le  nom  est  couché  sur  les  états  de  dépense  de 
la  ville  de  Metz,  de  1516  à  1519,  pour  la  modeste 
pension  de  24  livres  par  an  l.  Claude  était  fils  de  Di- 
dier Chansonneti,  originaire  du  diocèse  de  Toul,  no- 
taire public,  comme  on  disait  alors,  des  autorités 
apostolique  et  impériale  et  des  cours  de  Metz,  à  la 
fin  du  xvc  siècle  et  au  commencement  du  xvie.  La 
signature  du  notaire  Didier  Chansonneti  se  voit  sur 
un  certain  nombre  d'actes  de  cette  époque,  conservés 
encore  aujourd'hui  dans  les  archives  de  Metz  et  de 


1.  Co  petit  problème  historique  est  discuté  en  détail,  et  la 
solution  en  est  justifiée  dans  un  travail  que  contiennent  les 
Mémoires  de  V Académie  de  Metz,  1807-1 8G8. 


352  CHAPITRE    QUATRIÈME 

la  province.  Cette  signature  avec  la  désinence  en  i 
fréquemment  usitée  chez  les  clercs  à  cette  époque, 
représente  le  nom  de  Chansonnette,  qui  était  en 
réalité  celui  de  la  famille,  et  que  représente  aussi, 
conformément  aux  usages  du  temps  parmi  les  let- 
trés, la  forme  latine  Cantiuncula. 

La  correspondance  d'Agrippa  et  de  Cantiuncula, 
très  active  pendant  les  années  J  518  et  1519  que  le  pre- 
mier a  passées  à  Metz,  contient  encore  quelques  piè- 
ces appartenant  à  1522,  1523,  1 524,  avec  une  dernière 
lettre  séparée  des  autres  par  un  assez  long  intervalle, 
et  qui  est  de  1533.  Nous  avons  montré,  dans  les 
extraits  que  nous  venons  d'en  donner,  Agrippa 
ouvrant  lui-même  cette  correspondance  quatre  mois 
après  son  arrivée  à  Metz,  pour  offrir  son  amitié  à 
un  jeune  homme  qu'il  n'avait  jamais  vu,  mais  dont 
on  lui  avait  vanté  le  mérite  déjà  reconnu.  Ce  motif, 
tout  à  fait  désintéressé,  n'était  pas  le  seul  qu'Agrippa 
eût  d'écrire  à  ce  nouveau  correspondant.  Dès  sa 
seconde  lettre,  il  réclamait  de  lui  un  service  qui 
pourrait  bien  avoir  été  la  cause  déterminante  de  sa 
première  démarche. 

Cantiuncula  était  en  Suisse,  et  Agrippa  le  priait  de 
faire  des  recherches  pour  le  mettre  sur  la  trace  d'un 
jeune  Lucernois,  Christophe  Schilling,  qui  avait  été 
son  disciple  en  Italie,  et  qui  avait,  lui  disait-on,  en- 
tre les  mains  des  cahiers  perdus  antérieurement 
par  le  maître,  lors  du  pillage  de  Milan  par  les  Suis- 
ses en  15 15,  après  leur  défaite  de  Maiïgnan.  Agrippa 
regrettait  beaucoup  cette  perte.  11  s'agissait  d'un 


AGRIPPA   A    METZ  353 

commentaire  sur  l'Épître  de  saint  Paul  aux  Ro- 
mains, étude  commencée  en  Angleterre;  de  notes 
relatives  au  traité  de  la  philosophie  occulte;  et  de 
quelques  autres  fragments  (Ep.  Il,  14).  Il  est  assez 
souvent  questiou  de  la  recherche  de  ces  documents 
dans  les  lettres  échangées  entre  Agrippa  et  Cantiun- 
cula,  pendant  les  années  1518  et  1519.  Agrippa  est 
remis  sur  les  traces  de  Christophe  Schilling  qui 
n'était  plus  en  Suisse  mais  en  Allemagne,  à  Tubin- 
gen,  comme  nous  l'apprend  une  lettre  de  Cantiun- 
cula,  lequel  fait  parvenir  à  l'élève  les  réclamations 
de  son  ancien  maître  (Ep.  II,  IG).  Celui-ci  retrouve 
lui-même  ultérieurement  Christophe  Schilling  en 
Suisse  '.  En  1523,  il  lui  écrit  de  Fribourg  trois  let- 
tres par  lesquelles  il  dit  qu'il  considère  comme 
étant  chez  lui  en  bonnes  mains  son  commentaire 
encore  incomplet  sur  saint  Paul,  et  les  autres  ou- 
vrages qui  peuvent  se  trouver  en  sa  possession, 
l'engageant  en  même  temps  aies  conserver  (Ep.  III, 
40,  41,  42). 

Le  commentaire  inachevé  d'Agrippa  sur  l'Epitre 
de  saint  Paul  aux  Romains,  que  Christophe  Schil- 
ling avait  encore  entre  les  mains  en  1523,  pourrait 
bien  avoir  été  finalement  perdu  pour  son  auteur, 

1.  Christophe  Schilling,  sans  avoir  conquis  un  grand  re- 
nom, parait  cependant  avoir  pris  rang  parmi  les  lettrés  de 
son  temps.  C'est  de  lui  qu'il  serait  question,  suivant  M.  A.  Da- 
guet,  dans  une  lettre  d'Erasme,  qui  avait  trouvé  son  nom  cité 
par  Reuchlin  dans  un  de  ses  écrits  A.  Daguet,  Agrippa  chez 
les  Suisses,  p.  10). 


354  CHAPITRE    QUATRIÈME 

comme  il  l'est  pour  nous.  Il  ne  figure  pas  dans  l'é- 
dition des  œuvres  d'Agrippa,  qui  ne  semble  pas, 
après  tout,  avoir  mis  beaucoup  d'insistance  à  le  re- 
couvrer. Outre  les  réclamations  qui  concernent  cet 
objet,  Agrippa  ne  tarde  pas,  en  1519,  à  solliciter  les 
bons  offices  de  son  jeune  correspondant  de  Bâle, 
pour  des  motifs  qui,  à  nos  yeux  au  moins,  présen- 
tent beaucoup  plus  d'intérêt. 

Bâle,  où  fonctionnaient  alors  les  presses  fameu- 
ses de  Proben,  était  un  foyer  d'activité  intellectuelle 
très  important.  Tout  ce  qui  se  disait  et  s'écrivait, 
en  Allemagne  surtout,  y  trouvait  des  moyens  de 
publicité,  avec  un  retentissement  assuré;  et  l'Alle- 
magne était  à  ce  moment  agitée  par  les  premières 
querelles  du  Luthéranisme,  auxquelles  Agrippa 
était  très  attentif.  C'est  à  son  jeune  ami  Gantiuncula 
qu'il  s'adresse  pour  être  tenu  au  courant  des  nou- 
velles, et  pour  avoir  les  factums  imprimés  et  les 
livres  qui  se  publiaient  sur  les  brûlantes  questions 
soulevées  alors.  Il  aborde  pour  la  première  fois  ce 
sujet,  après  son  entrevue  avec  Gantiuncula  lors  de 
la  courte  apparition  que  celui-ci  avait  faite  à  Metz, 
au  printemps  de  l'année  1519,  et  après  les  entretiens 
où  tous  deux  avaient  pu  se  rencontrer  clans  une 
certaine  communauté  d'idées,  sur  ce  qui  se  passait 
alors  dans  le  monde. 

—  Outre  le  petit,  volume  de  jurisprudence  que  je 
t'ai  demandé,  dit  Agrippa,  envoie-moi,  je  te  prie, 
les  ouvrages  de  Martin  Luther,  et  ce  que  tu  pourras 
trouver  encore  avec  cela  de  vraiment  théologique. 


AGRIPPA    A.    METZ  355 

Tu  sais  combien  je  suis  friand  do  pareilles  choses 
(Ep.II,  26). 

—  J'ai  parcouru  la  ville  de  Bâle  tout  entière,  répond 
presqu'aussitôtCantiuncula,  le  23  mai  1519, sans  réus- 
sira mettre  lamainsurles  écrits  de  Luther.  Tout  est 
vendu.  On  m'assure  qu'on  vient  de  les  réimprimer 
à  Strasbourg.  Je  t'envoie,  du  reste,  le  Compendium  de 
la  vraie  théologie,  publié  par  Erasme,  lequel  ne  peut 
manquer  de  te  plaire,  et  les  conclusions  prononcées 
cette  année  par  Luther  et  Eckius.  J'y  joins  certai- 
nes pièces  sur  l'empereur  ',  nuyas  de  imperatore 
(Ep.  II,  32). 

—  Je  te  remercie  mille  fois  de  ton  envoi,  réplique 
de  Metz  Agrippa,  dans  une  lettre  datée  du  2  juin  1519. 
Tout  ce  que  tu  m'as  fait  parvenir  me  convient  par- 
faitement. S'il  paraît  quelque  chose  de  nouveau  de 
Luther  et  d'Eckius,  ne  néglige  pas  de  me  l'adresser 
(Ep.  II.  33). 

1.  A  cette  date  du  23  mai  1519,  il  s'agit  de  l'empereur  Maxi- 
milien  Ior,  mort  le  12  janvier  précédent.  Charles-Quint  ne  l'ut 
élu  empereur  que  le  28  juin  suivant.  La  lettre  de  Gantiuncula 
étant  du  23  mai, decimo  kalendas  junias,  de  cotte  année;  c'est 
au  premier  de  ces  deux  princes  que  se  rapporte  ce  quiyestditdc 
l'empereur.  Cette  attribution  ne  nécessiterait  aucune  justifica- 
tion, si  le  mol  nwjœ  était  employé  ici,  comme  cela  est  fort  pos- 
sible, par  Gantiuncula,  non  pas  dans  le  sens  général  de  plaisante- 
ries et  de  futilités,  mais  dans  une  acception  particulière  où  il 
s'appliquait  aux  lamentations  des  pleureuses  gagées,  dans  les 
funérailles.  Il  désignerait  alors,  dans  la  lettre  de  Gantiuncula, 
des  compositions  sur  la  mort  et  les  funérailles  du  prince  en 
question. 


356  CHAPITRE    QUATRIÈME 

—  Il  n'y  a  rien  de  nouveau  de  Luther,  écrit  le 
29  août  Cantiuncula;  si  quelque  chose  paraît,  je  te 
l'envoie  aussitôt  (Ep.  il,  34). 

Agrippa  renouvelle  bientôt  ses  pressantes  ins- 
tances, pour  obtenir  tout  ce  qui  peut  se  publier 
touchant  les  questions  religieuses  agitées  en  Alle- 
magne (Ep.  II,  37);  et  au  mois  d'octobre  suivant  il 
reçoit,  mais  en  communication  seulement,  par  l'en- 
tremise du  père  de  Cantiuncula  qui  était  allé,  à  ce  qu'il 
paraît,  voir  son  fils  à  Bâle,  la  dissertation  de  Luther 
sur  le  pouvoir  du  pape. 

—  C'est  une  rareté,  lui  écrit  son  jeûne  correspon- 
dant, et  on  ne  la  trouve  pas  partout  (Ep.  II,  41). 

Un  peu  plus  tard,  et  de  Genève  où  il  s'était  rendu 
après  avoir  en  quittant  Metz  passé  quelques  mois 
à  Cologne,  Agrippa  écrit,  toujours  pour  le  même 
objet,  le  20  septembre  1522  à  Cantiuncula  : 

—  J'ai  appris  qu'on  a  publié  à  Bâle  certain  ou- 
vrage de  frère  Jacques  Hochstrat  contre  Luther,  et, 
en  même  temps,  un  autre  écrit  du  même  genre 
imprimé  sous  le  nom  du  roi  d'Angleterre.  Pais-les- 
moi  envoyer,  je  t'en  prie.  Si  Luther  a  daigné 
répondre  quelque  chose,  il  me  le  faut  aussi  à  tout 
prix.  Je  voudrais  enfin  savoir  comment  tourne  cette 
affaire  de  Luther  en  Allemagne.  Je  te  recommande 
le  porteur  de  la  présente  lettre.  C'est  un  Dominicain 
écossais,  fort  appliqué  à  la  théologie,  très  curieux 
de  grec,  d'hébreu  et  de  chaldéen.  Accorde-lui  ta 
protection,  et  fais  en  sorte  qu'il  puisse  reconnaître 
ainsi  ce  qu'est  notre  commune  amitié  (Ep.  III,  23). 


AGRIPPA    A    METZ  357 

De  Fribourg,  Agrippa  adressait,  un  peu  plus  tard 
encore,  le  5  janvier  152  i,  à  son  ami,  une  recomman- 
dation analogue  pour  un  homme  qui  partageait  ses 
tendances  vers  les  nouveautés,  Thomas  de  Gyri'alck, 
religieux  augustin  du  couvent  de  cette  ville.  A  ce 
moment,  et  à  la  veille  du  jour  où  Genève,  déjà  fort 
ébranlée,  allait  se  déclarer  ouvertement  pour  la  ré- 
forme (1535),  Fribourg  était,  au  milieu  des  cantons 
suisses  agités  par  les  dissensions  religieuses,  un 
des  boulevards  du  catholicisme. 

—  Celui  que  je  t'adresse  aujourd'hui,  disait 
Arippa  à  son  ami  alors  à  Metz,  Thomas  de  Gyri'alck, 
est  un  homme  vraiment  évangélique,  qui  n'a  pas 
besoin  qu'on  le  loue  avec  des  recherches  de  langage. 
Recommande-le  à  tes  amis  de  Bâle  (Ep.  III,  52). 

Ces  citations  ont  de  l'importance  à  plus  d'un  point 
de  vue.  Elles  montrent  les  préoccupations  reli- 
gieuses éveillées  par  l'entreprise  de  Luther  ;"  elles 
sont,  pour  ce  qui  regarde  en  particulier  Agrippa, 
un  indice  intéressant  de  l'état  de  son  esprit  et  de  ses 
idées,  dans  ces  circonstances.  Sa  correspondance 
avec  Cantiuncula,  languissante  dans  les  dernières 
années,  avait  été  ralentie  encore  par  la  perte  de 
quelques  letLres  qui,  de  part  et  d'autre,  avaient  été 
expédiées  sans  parvenir  à  leur  adresse  (Ep.  II, 
43,  45,46).  Elle  s'arrête  alors,  et  nous  ne  trouvons 
plus  à  y  ajouter  ultérieurement  qu'une  lettre  tar- 
dive de  l'année  1533,  écrite  à  la  fin  de  sa  vie  par 
Agrippa,  pour  dédier  à  son  ancien  ami  le  traité 
composé  quinze  ans  auparavant,  à  Metz,  sur  la  ques- 


358  CHAPITRE    QUATRIÈME 

tion  de  la  monogamie  de  sainte  Anne  (Ep.  Vil,  35)  '. 

Entre  les  deux  dernières  lettres  de  cette  corres- 
pondance, celle  de  Gantiuncula  du  10  novembre, 
crastino  Martini,  1524  (Ep.  III,  64),  et  celle  d'Agrippa 
de  1533  (Ep.  VII,  35),  se  place  une  visite  faite  à  Lyon, 
en  1525,  à  celui-ci  par  le  premier,  lequel  descend 
alors  jusqu'à  Avignon,  comme  nous  l'apprend  une 
autre  lettre  d'un  de  leurs  amis  communs,  qu'il  a 
quitté  dans  cette  ville  (Ep.  III,  73).  Là  se  borne  ce 
que  nous  savons  des  relations  d'Agrippa  avec 
Gantiuncula  2. 

Nous  ne  pouvons  abandonner  la  correspondance 
d'Agrippa  et  de  Cantiuncula,  sans  dire  encore  que 
c'est  dans  une  des  lettres  qui  lui  appartiennent  que  se 
trouve  la  fameuse  invective  d'Agrippa  contre  la  ville 
de  Metz.  On  était  au  2  juin  1519,  au  lendemain  du 

1.  Ce  n'est  pourtant  pas  avec  cette  dédicace  à  Gantiuncula, 
mais  avec  une  autre  au  médecin  Jean  de  Pontigny  ou  de 
Niedbruck,  que  l'ouvrage  l'ut  imprimé  en  1534  {Opéra,  t.  II, 
p.  583).  Voir,  sur  ce  personnage,  une  note  de  l'appendice 
(n°  XVI). 

2.  Nous  aurons  à  revenir  ultérieurement  sur  une  lettre 
du  12  novembre  1524,  dans  laquelle  Gantiuncula  parle  à  son 
ami  des  dispositions  où  serait  alors  le  célèbre  typographe 
Froben  d'imprimer  son  factum  contre  le  Dominicain  de  Metz, 
sur  la  question  de  la  monogamie  de  sainte  Anne,  et  môme  la 
totalité  de  ses  couvres  (Ep.  III,  04).  Gantiuncula  avait  déjà  dit 
à  Agrippa  quelque  chose  à  ce  sujet,  dans  une  lettre  du  12  des 
calendes  d'août,  21  juillet,  1519,  que  contient  un  volume  imprimé 
en  1534,  où  sont  réunies  les  pièces  relatives  à  cette  question  de 
la  monogamie  de  sainte  Anne.  On  trouvera  ces  indications  dans 
une  note  de  l'Appendice  (n°  XXVIII). 


AGRIPPA   A    METZ  359 

départ  du  Célestin  Claude  Dieudonné,  enlevé  comme 
nous  le  dirons  bientôt  à  l'amitié  d'Agrippa,  en  que- 
relle alors  avec  certains  hommes  que  la  liberté  de 
son  esprit  scandalisait.  Agrippa  avait  osé  tenir  tête, 
on  se  le  rappelle,  à  l'inquisiteur  Nicole  Savini,  des 
mains  duquel  il  avait  réussi  à  tirer  une  pauvre 
femme  que  celui-ci  voulait  brûler  comme  sorcière. 
Il  était,  de  plus,  en  pleine  dispute  avec  Claude  Salini, 
prieur  de  la  maison  des  Prêcheurs,  et  avec  quelques 
autres  encore  qui  l'attaquaient  sur  cette  fameuse  et 
indiscrète  question  de  la  monogamie  de  sainte  Anne, 
pour  laquelle  il  s'était  passionné.  On  avait  excité 
contre  lui  la  populace,  en  le  dénonçant  comme  un 
hérétique  méritant  le  bûcher;  et  c'était  alors  une  me- 
nace très  sérieuse  '.  Cantiuncula  son  ami,  en  butte  à 
certainesjalousies,  venait  de  quitter  précipitamment 
Metz  pour  retourner  à  Bâlc,  où  l'on  jouissait  d'une 
indépendance  qui  attirait  dans  cette  ville  les  lettrés 
amis  des  libres  études. 

—  0  toi,  le  plus  estimable  de  mes  amis,  écrit 
Agrippa  à  son  jeune  correspondant,  que  ne  puis-je 
encore  cultiver,  dans  ta  société,  mon  esprit  et  mon 
goût.  Ton  absence  m'afflige  ;  mais  je  m'en  réjouirai 
pour  toi,  si  elle  doit  te  profiter,  ifélas!  je  ne  sais 
quel  clou  me  tient  ici  attaché,  et  iîxé  de  telle  sorte 
que  je  ne  vois  comment  je  pourrai  ni  rester  ni  m'en 

1.  Cette  accusation  n'élail  d'ailleurs  pas  dénuée  de  tout 
fondement;  ci;  qui  devait  naturellement  porter  Agrippa  à  en 
tenir  d'autant  plus  compte.  On  trouvera,  sur  eu  sujet,  quelques 
explications  dans  une  note  '1'.'  l'Appendice  (n°  X). 


3liO  CHAPITRE    QUATRIÈME 

aller.  Jamais  je  ne  Fus  en  un  lieu  que  je  quittasse 
plus  volontiers  que  cette  ville  de  Metz,  soit  dit  sans 
t'offenscr,  marâtre  aux  bonnes  lettres  et  à  toute 
vertu  '. 

Nous  pouvons  apprécier  d'après  les  circonstances 
où  elle  a  été  prononcée,  l'invective  d'Agrippa  contre 
la  ville  de  Metz.  Agrippa  se  trouvait,  clans  ce  lieu, 
sous  une  impression  de  gêne  et  de  souffrance.  Blessé 
par  le  contraste  que  Metz  lui  offrait,  sous  le  rapport 
de  la  liberté  et  du  mouvement  des  esprits,  avec  les 
villes  d'Italie  qu'il  venait  de  quitter,  et  avec  celle  de 
Bâle  où  il  voyait  son  ami  Cantiunculajouir  de  ces 
biens  ;  importuné  par  les  obligations  nouvelles  pour 
lui  d'une  charge  publique,  et  par  le  joug  d'une  vie 
réglée  que  jusqu'alors  il  n'avait  jamais  connu  ;  tour- 
menté par  les  poursuites  des  théologiens  ;  fatigué 
par  l'hostilité  des  moines;  menacé  par  une  populace 
fanatisée  ;  retenu  en  même  temps  dans  cette  situa- 
tion troublée  par  une  chaîne  dont  le  poids  était  pour 
lui  intolérable  et  qu'il  ne  savait  comment  briser,  il 
écrit  à  un  ami  que  des  contrariétés,  des  difficultés 
analogues  à  certains  égards  ont  atteint  également, 
et  qui  a  réussi  à  s'y  soustraire.  Il  donne  alors 
carrière  à  son  irritation,  et  il  exhale  sans  ménage- 
ment sa  plainte.  Est-il  étonnant  qu'il  y  mette  de 
l'exagération?   Metz   est    pour  lui   la   marâtre    des 


1.  a  Nunquam  alicubi  locorum  fui,  imde  abirem  libontius, 
«  quain  ab  hac  omnium  bonarum  Iiterarum  virtulumque  no- 
«  verca,  pace  tua  dixerim,  civitate  moLensi.  »  (Ep.  Il,  33). 


AGRIPPA   A    METZ  361 

bonnes  lettres  et  de  toute  vertu  ;  c'est-à-dire  l'en- 
nemie des  libres  controverses  et  de  la  vertueuse 
hardiesse  de  ceux  qui  s'y  adonnent  ' . 

Sans  tarder  beaucoup,  Agrippa  devait  parvenir  à 
rompre  des  liens  qui  lui  étaient  devenus  insuppor- 
tables. L'invective  et  la  lettre  qui  la  contient  sont  du 
2  juin  1519 ;  quelques  mois  après,  le  23  janvier  1320, 
Agrippa  écrit  à  son  cher  Cantiuncula  : 

—  Enfin  je  puis  te  l'annoncer  ;  ce  congé  longtemps, 
si  longtemps  désiré,  demandé  tu  le  sais  à  mes  sei- 
gneurs de  Metz  depuis  plusieurs  jours,  il  vient  de 
m'ètre  enfin  accordé.  Je  l'ai  obtenu  ce  matin  même. 
D'ici  à  bien  peu  je  serai  parti  et  en  route  pour  Colo- 
gne. Quant  à  ce  que  j'y  ferai,  et  quoi  que  j'y  fasse,  je 
t'en  informerai  le  plus  tôt  que  je  le  pourrai  (Ep.  II,  42). 

Cette  dernière  lettre  est,  avons-nous  dit,  du  23  jan- 
vier 1320.  Avant  le  12  février  suivant,  dès  la  fin  de 
janvier  peut-être,  Agrippa,  ayant  quitté  Metz,  est 
en  route  pour  Cologne,  d'où  il  date  une  première 
lettre  le  19  de  ce  mois  de  février. 

Agrippa,  comme  on  a  pu  le  voir,  avait  trouvé  à 
Metz,  dans  les  moines,  ses  ennemis  les  plus  ardents. 
Un  des  nombreux  couvents  de  cette  ville  lui  avait 
cependant  offert  un  accueil  bienveillant.  Ce  couvent 
était  celui  des  Célestins,  où  il  devait  rencontrer  dans 
la  personne  du  frère  Claude  Dieudonné,  que  nous 
avons  nommé  tout  à  l'heure,  un  disciple  ou  plutôt 
un  admirateur  enthousiaste,  que  ses  supérieurs  ne 

1.  Ou  trouvera  à  l'Appendice    o°  XV)  une  note  sur  ce  sujet. 


362  CHAPITRE    QUATRIÈME 

tardèrent  pas  du  reste  à  soustraire  à  son  influence 
et  à  éloigner  de  lui.  C'est  peut-être  là  pour  Agrippa 
une  des  contrariétés  les  plus  vives  qu'il  ait  eu  à 
éprouver  à  Metz,  et  l'une  des  causes  assurément  de 
la  haine  vouée  par  lui  aux  moines;  sentiment  exalté 
dont  l'expression  se  retrouve  partout  dans  ses 
écrits. 

Les  relations  d'Agrippa  avec  le  Célestin  Claude 
Dieudonné  ont  pour  témoignage  quelques  lettres 
échangées  entre  eux  à  deux  reprises  différentes,  à 
Metz  d'abord,  en  1518  et  1519,  puis  en  1521  à 
Annecy,  nouveau  séjour  du  Célestin,  et  à  Genève 
où  Agrippa  vécut  alors  pendant  quelque  temps  *. 
Ces  relations  sont  caractérisées  par  certaines  parti- 
cularités qui  présentent  quelque  intérêt  et  qui  don- 
nent de  la  vie  à  ce  petit  épisode  de  l'histoire  d'A- 
grippa. 

Les  premières  lettres  échangées  entre  Agrippa  et 
le  Célestin  Claude  Dieudonné  ne  portent  pas  de 
date.  On  peut  admettre  qu'elles  sont,  ainsi  que  les 
premières  relations  entre  ces  deux  hommes,  anté- 
rieures à  la  fin  de  1518.  Cependant  au  moment  où  ces 
relations  s'établirent,  Agrippa  se  trouvait  probable- 
ment déjà  depuis  quelque  temps  à  Metz,  où  il  était 
arrivé  dans  le  courant  de  lévrier  de  cette  année. 

1.  Les  lettres  échangées  entre  Agrippa  et  Claude  Dieudonné 
sont  au  nombre  de  sept  pendant  la  première  période  de  leurs 
relations,  à  Metz  (1518-1519),  et  au  nombre  de  cinq  pendant  la 
seconde,  en  Suisse  (1521),  imprimées  dans  la  Correspondance 
générale  L,  11,20,  21,  22,23,24,  25,29;  L.  111,7,  9,  10,  11,  12. 


AGRIPPA   A   METZ  363 

La  situation  do  conseiller  stipendié  de  la  Cité 
acceptée  par  Agrippa,  le  classait  à  Metz  dans  une 
condition  moyenne,  au-dessous  des  rangs  de  l'aristo 
cratie  fort  réduite  en  nombre  à  cette  époque,  et  vrai 
semblablement,  pour  cette  raison  même,  d'autant 
plus  fière  de  ses  privilèges  et  de  sa  supériorité  so 
ciale.  Agrippa, d'un  autre  côté,  avec  son  esprit  cultivé 
avec  l'habitude  qu'il  avait  prise  dans  ses  voyages  et 
pendant  son  séjour  en  Italie  de  fréquenter  surtout 
des  hommes  distingués  à  divers  titres,  n'aurait  pu 
trouver  plaisir  dans  la  société  des  artisans  vulgaires 
qui  formaient  à  Metz  la  classe  inférieure.  Quant  aux 
gens  appartenant  à  une  catégorie  intermédiaire  dont 
les  relations  pouvaient  lui  convenir,  ils  étaient  rares. 
C'étaient  de  riches  marchands,  quelques  artisans 
habiles,  et  certains  individus  ayant  passé  plus  ou 
moins  par  les  études,  médecins,  notaires,  avocats 
du  palais;  c'étaient  surtout  les  membres  du  clergé 
tant  séculier  que  régulier,  dont  il  était  particulière- 
ment porté  à  se  rapprocher;  en  raison  de  la  tendance 
bien  accusée  dès  lors  de  son  esprit  vers  l'étude  des 
questions  religieuses,  ce  qu'il  appelait  les  lettres 
sacrées  ;  en  raison  surtout  de  ses  dispositions  crois- 
santes a  se  mêler  aux  disputes  que  ces  questions 
commençaient  à  susciter  vers  cette  époque.  Les  prê- 
tres et  les  religieux  étaient  partout  les  champions  de 
ces  querelfes.  Ceux  de  Metz  y  étaient  engagés 
comme  les  autres  ;  mais  ils  furent  finalement  pré- 
servés pout'  la  plupart  de  leurs  excès  et  vraisembla- 
blement, dès  le  principe,  écartés  autani  que  possible 


364  CHAPITRE    QUATRIÈME 

de  la  lice  par  la  surveillance  de  leurs  supérieurs, 
sous  la  vigoureuse  impulsion  des  suppôts  de  l'in- 
quisition. Cette  situation  est  mise  en  lumière  par 
l'histoire  même  d'Agrippa.  La  présence  à  Metz  d'un 
personnage  de  son  caractère  était  un  véritable  dan- 
ger, aux  conséquences  possibles  duquel  devaient 
aviser  ceux  à  qui  incombait  la  responsabilité  de  la 
police  religieuse.  On  peut  croire  qu'ils  ne  tardèrent 
pas  à  le  reconnaître.  La  preuve  en  est  dans  l'ardeur 
qu'ils  mirent  bientôt  à  combattre  sur  tous  les  ter- 
rains le  nouveau  venu.  On  s'en  aperçoit  à  la  manière 
dont  ils  le  circonviennent,  aux  embarras  qu'ils  lui  sus- 
citent, aux  ennuis  de  tout  genre  dont  ils  l'abreuvent; 
contrariétés  à  la  longue  insupportables,  qui  finissent 
par  forcer  l'intrus  à  lâcher  pied  et  à  faire  retraite, 
mais  qui  auparavant  lui  arrachent  l'imprécation  que 
nous  connaissons. 

■  Dans  le  clergé  de  Metz  qu'on  réussit  à  défendre 
contre  la  dangereuse  influence  d'Agrippa,  celui-ci 
put  cependant  nouer  quelques  relations  d'étude  et 
d'amitié.  Nous  parlerons  tout  à-1'heure  de  celles  qui 
le  rapprochèrent  du  curé  de  Sainte-Croix  et  qui  se 
prolongèrent  même  après  qu'il  eût  quitté  la  Cité. 
Nous  avons  à  expliquer  maintenant  celles  qui  l'atta- 
chèrent au  Gélestin  Claude  Dieudonné.  Elle  donnent 
une  idée  de  l'effet  qu'Agrippa  savait  produire  sur 
quelques-uns  de  ceux  qui  l'approchaient,  grâce  au 
prestige  de  science  qui  accompagnait  son  nom, 
grâce  encore  au  charme  attrayant  de  son  esprit  cu- 
rieux et  hardi. 


AGRIPPA    A    METZ  365 

Agrippa,  nous  ne  savons  à  quelle  occasion,  avait 
été  accueilli  dans  le  couvent  des  Célestins  de 
Metz  l.  Il  y  était  bien  reçu;  il  y  soupait  et  y  dînait 
quelquefois.  Sa  conversation  animée,  pleine  de  nou- 
veautés étranges,  indifférente  à  quelques-uns,  plaisait 
à  d'autres  singulièrement.  Dans  le  nombre  de  ces 
derniers,  se  trouvait  un  religieux  nommé  Claude 
Dieudonné  qu'avait  complètement  séduit  Agrippa. 
Celui-ci  lui  avait  donné  d'abord,  à  ce  qu'il  semble,  des 
conseils  pour  sa  santé.  Il  lui  avait  ensuite  prêté  des 
livres  et  communiqué  ses  propres  cahiers.  Il  le  visi- 
tait et  recevait  aussi  ses  visites.  Leurs  conversations 
étaient  de  véritables  conférences  ;  et  quand  ils  ne 
pouvaient  pas  se  voir  ils  s'écrivaient. 

1 .  La  maison  des  Célestins  de  Metz  avait  été  fondée  dans  la 
seconde  moitié  du  xive  siècle.  Elle  était  située  dans  l'emplace- 
ment occupé  de  nos  jours  par  l'arsenal  du  génie  et  par  la  gen- 
darmerie, pour  l'agrandissement  de  laquelle  l'église,  transfor- 
mée antérieurement  en  un  atelier  dépendant  de  L'arsenal,  a 
été  définitivement  détruite  dans  ces  dernières  années.  La 
maison  des  Célestins  fut  supprimée  en  177i,  et  ses  biens  furent 
alors  vendus,  entre  autres  une  bibliothèque  comprenant,  outre 
des  livres  imprimés,  une  collection  de  manuscrits.  La  plupart 
de  ceux-ci,  avec  la  marqué  de  cette  maison,  nous  sont  par- 
venus. Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  signaler  .le  caractère  de  ces 
manuscrits,  presque  tous  du  xve  siècle,  contenant  surtout  des 
traités  sur  des  sujets  religieux  et  des  matières  ecclésiastiques, 
avec  quelques  ouvrages  anciens  de  Grammaire  et  de  Rhétori- 
que. On  voit  par  là  que  les  études,  étaient  en  honneur  chez 
les  Célestins  de  Metz.  {Catalogue  général  des  manuscrits  (1rs 
bibliothèques  publiques  des  départements.  Tom.  V.  Introduction 
p.  86  et  p.  122). 


366  CHAPITRE    QUATRIÈME 

—  Très  savant  doc  le  ut,  doctor  doctissirne,  dit  le 
religieux  dans  une  lettre  qui  nous  a  été  conservée,  ta 
présence  chez  nous  et  ta  parole  élégante  ont  fait 
sur  moi  la  plus  profonde  impression.  Depuis  que  je 
t'ai  entendu,  je  n'ai  plus  de  repos.  Toi  qu'on  dit  non 
moins  habile  aux  soins  du  corps  qu'à  ceux  de  l'âme, 
ne  pourrais-tu  soulager  le  mien  dont  les  souffrances 
sont  une  cause  de  trouble,  même  pour  mon  esprit. 
Les  visions  m'obsèdent,  et  je  perds  parfois  la  mé- 
moire. Assigne-moi  une  heure  à  laquelle  tu  sois 
libre  de  me  recevoir  et  de  m'entendre  (Ep.  II,  20). 

—  Hier  pendant  le  repas,  écrit-il  une  autre  fois, 
tu  nous  a  charmés  par  ce  que  tu  disais  si  éloquem- 
ment  des  anges  et  de  l'homme  avant  sa  chute.  Bien 
différent  en  cela  de  quelques-uns  de  nos  frères, 
moins  attentifs  à  tes  paroles  qu'aux  vulgaires  jouis- 
sances de  la  table,  je  viens  humblement  réclamer 
de  ta  charité  quelques  éclaircissements  nouveaux 
(Ep.  11,21). 

—  Les  éclairs  de  ton  esprit  ont  dissipé  les  tris- 
tesses qui  obsèdent  le  mien,  ajoute-t-il  un  peu  plus 
tard.  Daigne  compléter  ce  que  tu  as  ainsi  commencé. 
Depuis  que  tu  m'as  lu  ton  ouvrage,  je  ne  pense  plus 
qu'à  une  chose,  c'est  à  en  faire  la  copie.  Je  veux 
transcrire  aussi  ton  dialogue;  j'y  trouve  des  choses 
excellentes  que  j'ai  vainement  demandées  jusqu'ici 
aux  plus  savants.  Que  ne  puis-je  profiter  de  tes 
sages  doctrines  en  disciple  assidu  I  Mais  loin  delà, 
je  suis  condamné  à  vivre  seul  dans  la  retraite  ;  je 
ne  puis  que  pleurer.  Puisque  je  ne  peux  pas  jouir  de 


AGRIPPA    A    METZ  367 

ta  présence  comme  je  le  souhaiterais,  consens 
au  moins  à  me  réjouir  souvent  par  tes  lettres 
(Ep.  11,22)-. 

On  avait  ce  semble,  jugé  à  propos  de  mettre 
obstacle  à  l'échange  des  visites  entre  Agrippa  et  le 
frère  Claude  Dieudonné.  Bien  plus,  on  résolut  bientôt 
d'éloigner  celui-ci,  pour  le  mettre  sans  doute  à  l'abri 
de  tout  péril. 

—  Vénérable  père,  venerande  pater,  lui  écrit  un 
jour  Agrippa,  je  ne  savais  comment  expliquer  la 
cessation  de  tes  visites.  Certain  de  n'avoir  pu  en 
rien  t'offenser,  je  ne  comprenais  pas  que  les  occu- 
pations du  couvent  ne  te  laissassent  aucun  moment 
de  liberté  pour  les  études  que  nous  consacras  en 
commun  aux  lettres  sacrées.  Mais  j'apprends  que 
dans  la  maison  des  Céleslins,  il  se  mêle  aux  anges 
des  démons  perfides,  calomniateurs  de  leurs  frères, 
qui  médisent  de  notre  commerce,  jugeant  des  mœurs 
des  autres  par  les  leurs.  Dédaigne  ces  tristes 
manœuvres,  tu  sauras  les  supporter;  car  l'apôtre 
l'a  dit  :  celui  qui  veut  vivre  en  Jésus-Christ  sera 
persécuté.  Adieu  ;  viens  me  voir  avant  ton  départ 
(Ep.  II,  23). 

Le  Célestin  partait  pour  Paris,  où  il  était  envoyé 
sous  prétexte  do  quelque  commission  sans  doute; 
car  il  comptait  revenir.  Il  n'en  fut  rien  cependant. 
Il  ne  semble  pas  qu'il  ait  revu  son  couvent  de  Metz. 
Au  moins  n'y  reparut-il  pas  tant  qu'Agrippa  fut 
dans  cette  ville.  Ces  deux  hommes  devaient  se  re- 
trouver encore,  mais   dans   un    autre  lieu,  comme 


368  CHAPITRE   QUATRIÈME 

nous  le  dirons  plus  loin.  Le  religieux  célestin  avait 
été  chargé  par  son  ami  de  Metz  de  voir  à  Paris 
Lefèvre  d'Étaples  et  de  lui  remettre  de  sa  part  une 
lettre.  C'est  peut-être  là  ce  qui  le  fit  éloigner  encore 
de  Paris  comme  il  l'avait  été  de  Metz.  Voici  ce  que, 
en  partant  de  cette  dernière  ville,  Claude  Dieudonné 
écrivait  à  Agrippa  qu'on  l'avait,  à  ce  qu'il  paraît, 
empêché  de  revoir. 

—  Très  savant  docteur,  je  ne  puis  trop  admirer 
ta  bienveillance  pour  moi  qui  ne  suis  rien.  Je  te 
renvoie  les  ouvrages  d'Erasme  et  de  Lefèvre  d'Éta- 
ples que  tu  m'as  prêtés.  Comme  toi  je  les  aime  et 
je  veux  les  suivre.  Je  n'ai  pu  qu'avec  grand  peine 
faire  à  la  dérobée  la  copie  de  ton  écrit;  car  on  me 
surcharge  de  besogne,  et  on  ne  me  laisse  aucun 
loisir.  Je  n'aurais  d'ailleurs  osé  confier  ce  soin  à 
personne;  car  nos  frères  sont  tous  grossièrement 
acharnés  contre  les  bonnes  lettres,  et  n'en  veulent 
pas  moins  à  toi  et  à  moi-même  qu'à  maître  Jacques 
Lefèvre  dont  ils  détestent  les  admirateurs,  et  dont 
ils  condamnent  le  livre  sans  l'avoir  ni  lu  ni  vu. 
J'ai  même  à  essuyer  parfois  leurs  injures.  Aussi 
ai-je  cru  devoir  leur  cacher  le  cahier  qui  con- 
tient tes  conclusions.  Notre  père  prieur  seul  et 
ce  jeune  homme  studieux  que  j'ai  conduit  derniè- 
rement chez  toi,  l'ont  vu  et  te  félicitent  de  ton 
œuvre  (Ep.  II,  24). 

L'écrit  d'Agrippa,  dont  il  est  ici  question,  est  un  de 
ceux  qu'il  a  composés  pour  défendre  son  opinion, 
laquelle  était  aussi  celle  de  Lefèvre  d'Étaples,  sur 


AGRIPPA    A    METZ  369 

la  question  de  la  monogamie  de  sainte  Anne  et  de 
la  naissance  de  la  Vierge  », 

Claude  Dieudonné  ne  fit,  comme  nous  l'avons  dit, 
qu'un  assez  court  séjour  à  Paris,  où  le  voisinage  de 
Lefèvre  d'Étaples  put  sembler  non  moins  dangereux 
pour  lui  que  ne  l'avait  été  à  Metz  celui  d'Agrippa. 
Nous  avons  cité  précédemment  la  lettre  où  celui-ci 
lui  raconte  le  commencement  de  sa  querelle  avec  les 
moines  de  Metz  sur  la  question  de  la  monogamie 
de  sainte  Anne  (Ep.  II,  25).  Nous  possédons  ensuite 
un  billet  très  bref  du  frère  célestin  adressé  de  Paris 
le  21  mai  1519  à  son  Agrippa,  pour  l'informer  qu'il  a 
vu  le  vénérable  et  docte  maître  Jacques  Lefèvre  et 
pour  le  prier  de  lui  transmettre  h  l'avenir  ce  qu'il 
voudra  bien  lui  communiquer,  par  l'intermédiaire  du 
jeune  frère  Philippe  Glérici  ;  celui  sans  doute  que, 
dans  une  lettre  précédente,  il  signalait  à  Agrippa 
comme  un  des  rares  admirateurs  qu'il  eût  encore 
dans  le  couvent  des  Gélestins  de  Metz  (Ep.  II,  29). 
Après  cela,  toute  relation  semble  pour  le  moment 
rompue  entre  le  frère  Claude  Dieudonné  et  Agrippa. 
Ils  devaient  d'ailleurs  se  revoir  un  peu  plus  tard, 
pendant  le  séjour  que  ce  dernier  a  fait  à  Genève. 
Nous  aurons  donc  occasion  de  parler  encore  du  Cé- 
lestin de  Metz.  Nous  verrons  que  les  tendances 
hardies  manifestées  par  lui  dès  le  début  do  ses  re- 
lations avec  Agrippa  devaient  se  prononcur  de  plus 


1.   Los  écrits  d'Agrippa  sur  ce  sujet,  sont  les  Propositions 
et  la  Defcnsio  propositionum  dont  il  est  parlé  un  j>ou  plus  loin. 


370  CHAPITRE   QUATRIÈME 

en  plus,  et  l'entraîner  finalement  jusqu'au  camp 
des  révoltés,  parmi  les  pasteurs  mêmes  de  la  ré- 
forme en  Suisse. 

Tel  est  le  petit  épisode  des  relations  du  Gélestin 
Claude  Dieudonné  avec  Agrippa,  pendant  que  ce- 
lui-ci était  à  Metz.  Il  met  dans  son  jour,  avec  un  de 
ses  traits  caractéristiques,  l'attitude  prise  dans  cette 
ville  par  ce  dernier;  il  permet  de.  reconnaître  et 
d'apprécier  une  des  causes  des  contrariétés  et  des 
ennuis  qu'il  y  a  rencontrés,  un  des  motifs  qu'il  a  pu 
avoir  de  la  maudire  avant  la  fin  même  d'un  séjour 
volontairement  abrégé  par  lui.  Il  montre  aussi  que 
les  docteurs  orthodoxes  avaient  bien  quelque  rai- 
son, à  leur  point  de  vue,  de  redouter  l'influence 
d'Agrippa  et  de  la  combattre  l.  Ce  que  nous  aurons 
à  dire  ultérieurement  de  Claude  Dieudonné,  comme 
nous  venons  de  l'annoncer,  justifiera  plus  complète- 
ment encore  cette  appréciation. 

Les  relations  d'Agrippa  avec  Claude  Dieudonné 
nous  amènent  tout  naturellement  à  parler  de  celles 
qu'il  a  entretenues  avec  Lefèvre  d'Étaples  ;  relations 


1.  A  l'appui  de  ces  considérations,  nous  trouvons  dans  la 
correspondance  ultérieure  du  frère  Claude  Dieudonné  avec 
Agrippa,  un  renseignement  qui  complète  ce  que  nous  savons 
de  leurs  relations  pendant  leur  séjour  commun  à  Metz.  Le 
Gélestin  dit  à  Agrippa,  dans  une  lettre  datée  dAnnecy,  le 
2  octobre  1521  :  «  Non  te  prœterit  arbilror,  qualiter  anud  Me- 
«  lenses  mihi  non  nulla  Lut  lerana  communicare  dignatussis; 
«  eaque  mira  laude  extulisse.  »(Ep.  III,  1U.).  Voir,  à  ce  sujet, 
une  note  de  l'Appendice  (n°  X). 


AGRIPPA   A    METZ  371 

dont  le  Frère  célestin  a   été  un  des  intermédiaires, 
et  qui  ont  pour  expression  une  correspondance  com- 
posée de  quelques  lettres  l.  C'est  par  une  missive 
dont  le  Célestin  était  porteur,  que  cette  correspon- 
dance commence  (Ep.   II,  27).   Le  religieux  était  en 
môme  temps  chargé   de  présenter  à  Lefèvre  d'Éta- 
ples  les  propositions  extraites  par  Agrippa  du  livre 
de  celui-ci  :  De  tribus  et  una  (Ep.  II,   30).  Agrippa 
mettait  ainsi   le  célèbre    docteur  au  courant  de  la 
polémique  soutenue  par  lui  à  Metz,  en  faveur  des 
opinions  exposées  dans  son  ouvrage  (Ep.   II,  27). 
Lefèvre  d'Étaples  répond  le  20  mai  1519  à  cette 
communication.  Il  engage  son  fougueux  partenaire 
à  supporter   plus   patiemment  qu'il  ne  le  fait,  des 
contradictions  qui  tomberont  un  jour,  dit-il,  toutes 
seules,   devant  l'éclatante  vérité.  Il  lui  adresse  en 
môme  temps  de  nouveaux  factums  sur  la  question 
controversée,   et  lui  demande  en  retour  les  écrits 
qu'il  pourra  être  dans  le  cas  de  publier  de  son  côté 
(Ep.  II,  28).  Agrippa  informe  alors  Jacques  Lefèvre 
du   développement  ultérieur  de  la  querelle.  Il  lui 
dit  que  le  prieur  des   Dominicains,    frère   Claude 
Salini,  a  fait  enfin  paraître  contre  lui   des  conclu- 
sions auxquelles  lui-môme  il  a  répondu.  Il  a  com- 
posé, ajoute-t-il,  pour  cet  objet,  un  travail  étendu 
dont  il  lui  annonce  l'envoi  (Ep.  II,  30,  35). 


1.  La  correspondance  entre  Agrippa  et  Lefèvre  d'Étaples 
(1519)  comprend  six  i  ii(  es  imprimées  dans  la  Correspondance 
générale,  L.  II,  27,  28,  30,  31,  35,  16. 


372  CHAPITRE    QUATRIÈME 

Lefèvre  d'Étaples  écrit  à  Agrippa,  touchant  cette 
bruyante  affaire,  qu'il  aimerait  bien  mieux  voir  ces 
discussions  renfermées  dans  le  cercle  des  savants, 
que  livrées  aux  disputes  publiques.  Cependant,  si 
Agrippa  ne  peut  pas  éviter  celles-ci,  il  l'engage  à 
n'y  entrer  qu'avec  un  sentiment  de  dévotion  pour 
la  sainte  Vierge  et  pour  sainte  Anne  sa  mère,  plutôt 
que  pour  l'honneur  de  leur  humble  défenseur.  Au 
reste,  s'il  juge  à  propos  de  publier  quelque  chose  à 
cette  occasion,  que  ce  soit  d'un  style  pur  et  élégant; 
car  les  choses  écrites  ainsi  obtiennent  seules  au- 
jourd'hui, dit-il,  l'attention  et  la  faveur  (<Ep.  II,  31). 

Lefèvre  d'Étaples  renouvelle  à  Agrippa  dans  une 
dernière  lettre  du  14  novembre  4519,  la  recomman- 
dation de  ne  rien  publier  qui  ne  soit  irréprochable 
pour  la  forme.  Car  il  y  a,  par  le  temps  qui  court, 
des  censeurs  impitoyables  qui  déprécient  tout  ce 
qui  n'est  pas  pur  et  sans  défaut.  «  Ne  manque  donc 
pas,  ajoute-t-il,  si,  comme  je  l'espère,  tu  as  des 
amis  complaisants  et  habiles,  surtout  en  Allemagne, 
de  leur  demander  la  révision  de  tout  ce  que  tu 
auras  écrit  »  (Ep.  II,  36).  Ces  détails  relatifs  au  soin 
de  la  forme,  môme  dans  des  écrits  de  polémique, 
méritent  d'être  relevés  comme  un  trait  caractéristi- 
que de  cette  époque  de  renaissance  dans  la  culture 
des  lettres.  C'est  un  des  points  qui  nous  frappe  dans 
cette  correspondance  de  Lefèvre  d'Étaples.  On  ne 
doit  pas  moins  remarquer  l'esprit  de  modération 
et  de  sincère  piété  qui  s'y  manifeste  en  même 
temps. 


AGRIPPA    A    METZ  373 

La   correspondance    de  Lefèvre  d'Étaples,    à  la- 
quelle   nous   a   conduits  celle   du   Gélestin    Claude 
Dieudonnc,  se  rattache  comme  celle-ci  en  partie,  à 
l'épisode  de  la  querelle  soutenue  à  Metz  par  Agrippa 
sur  la  question  de  la  monogamie  de  sainte  Anne, 
que  nous  avons    expliquée  antérieurement.    Outre 
les     deux    correspondances    dont    il    vient    d'être 
question   et  quelques   fragments  de  celle   du  curé 
de  Sainte-Croix  dont  nous  parlerons  tout  à  l'heure, 
le?  principaux  documents  qui  se  rapportent  à  cette 
querelle  sont    les  écrits  dont  nous    avons    signalé 
tout  à  l'heure  la  mention  dans  les  pièces  de  la  cor- 
respondance, et  qui  nous  ont  été  conservés  parmi 
les  œuvres  d'Agrippa  :  les  Propositiones  abbreviatx 
extraites  du  livre  do  Lefèvre  d'Étaples,  De  tribus  et 
una  l;  et  la   Defensio  propositionum^,  composée  pour 
répondre  aux  attaques  dirigées  contre  les  Propositio- 
nes par  le  prieur  des  Dominicains  de  Metz,  Claude 
Salini.   Nous  ne  nous  arrêterons    pas  à    ces  deux 
ouvrages,  ne  voulant  pas  nous  étendre  davantage 
sur  la  question  elle-même  dont  ils  traitent,  et  qu'il 
nous  suffit  d'avoir  exposée  comme  nous  l'avons  fait 
un  pou  plus  haut. 

1.  Propositiones  abbreviatx  et  articulât^  juxla  disceptatio- 
nem  Jacobi  Fabri  Stapulensis,  in  libro  De  tribus  et  una.  {Opéra, 
l   II,  p.  588-593). 

2.  Defensio  propositionum  contra  quemdam  Dominicastruni 
illarum  impugnatorem,  qui  sanclissimam  deiparx  Virginû  ma- 
trem   Annam    conatur  oslendere  polygamam.   [Opéra,  i.  Il, 

p.  .VJi-003). 


374  CHAPITRE    QUATRIÈME 

Nous  avons  annoncé  précédemment  que  nous  ter- 
minerions ce  que  nous  avions  à  dire  des  amis  d'A- 
grippa  à  Metz,  par  quelques  détails  empruntés  à  la 
correspondance  de  celui  auquel  il  semble  s'être  le 
plus  étroitement  attaché,  Jehan  Rogier  ou  Rou- 
gier,  dit  Brennonius,  curé  de  Sainte-Croix.  Nous 
avons  déjà  demandé  à  cette  correspondance  la  lettre 
par  laquelle  Brennonius  informait  Agrippa  de  la 
manière  dont  lui-même  avait  dû  prendre  rôle, 
après  son  départ  de  Metz,  dans  la  dispute  publique 
provoquée  par  le  prieur  des  Dominicains,  sur  la 
question  de  la  monogamie  de  sainte  Anne.  Cette 
lettre,  datée  du  12  février  1520  (Ep.  III,  44),  se 
croisait  avec  un  billet  d'Agrippa  écrit  le  19  du 
même  mois  au  curé  de  Sainte-Croix,  peu  de  temps 
après  son  arrivée  à  Cologne  (Ep.  III,  43).  Ces 
missives  initiales  échangées  entre  les  deux  amis, 
furent  suivies  d'un  grand  nombre  d'autres.  Il  faut 
nous  arrêter  maintenant  à  cette  correspondance. 
Quoiqu'elle  se  rapporte,  comme  nous  l'avons  dit,  à 
des  temps  postérieurs  au  séjour  à  Metz  d'Agrippa, 
elle  nous  fournit  cependant  des  indications  touchant 
la  vie  menée  par  lui  dans  cette  ville,  en  nous  procu- 
rant des  informations  qu'on  chercherait  vainement 
ailleurs  sur  les  hommes  qui  s'y  étaient  trouvés 
habituellement  en  relation  avec  lui.  Nous  conserve- 
rons au  curé  de  Sainte-Croix,  dans  ce  que  nous 
allons  dire,  le  surnom  de  Brennonius,  par  lequel  il 
est  toujours  désigné  dans  les  lettres  d'Agrippa, 
sans  que  nous   en    connaissions  ni  l'origine,  ni  la 


AGRIPPA   A    METZ  375 

signification  '.  Nous  l'adoptons  cependant  comme 
venant  d'Agrippa  lui-même,  de  préférence  aux  noms 
de  Jean  Rogier,  Rougier,  ou  Rougière  sous  lesquels 
on  voit  par  les  chroniques  messines  que  le  person- 
nage était  plus  généralement  connu  à  Metz. 

La  correspondance  entre  Agrippa  et  Brennonius 
comprend  vingt-cinq  lettres,  treize  d'Agrippa  et 
douze  de  Brennonius,  dont  les  dates  sont  comprises 
entre  le  12  février  1520  et  le  23  juillet,  lendemain  de 
sainte  Magdeleine,  1520  2.  Deux  lacunes  assez  con- 
sidérables dans  la  série  de  ces  lettres,  l'une  de  1521 
à  152 i,  l'autre  de  1521  à  1526,  paraissent  provenir 
de  la  perte  de  quelques-unes  des  missives  échangées 
par  les  deux  amis.  Nous  rappellerons  à  cette  occa- 
sion une  observation  lai ' e  précédemment,  justifiée 
ainsi  une  fois  de  plus,  et  à  l'appui  de  laquelle  la 
correspondance  générale  fournit  de  nombreux  té- 
moignages, touchant  les  difficultés  que  rencontrait 
alors  un  commerce  épistolaire.  On  n'avait  ordinaire- 
ment d'autre  ressource  pour  l'entretenir  que  celle 
d'intermédiaires  accidentels,  souvent  peu  sûrs  ou  au 
moins  inexacts.  Il  est  à  chaque   instant  question, 


1.  Voir  au  sujet  de  ce  surnom  et  des  relations  de  celui  qu'il 
désigne  avec  Agrippa,  quelques  observations  dans  une  noie 
de  l'Appendice  (n"  XVI). 

2.  Les  vingt-cinq  lettres  échangées  entre  Agrippa  et  Jean 
Rogier,  iliL  Brennonius  (1520-1526),  sont  imprimées  dans  la 
Correspondance  générale,  L.  II,  13,  ii,  i5,  16,  17,  49,  50,  51, 
52,  53,  51,  55,  5(3,  57,  59,  Cl  ,  L,  III,  5,  G,  8,  00,  01,  62;  L.  IV> 
•20,  20,  27. 


370  CHAPITRE    QUATRIÈME 

dans  celte  correspondance,  de  mécomptes  occasion- 
nés par  la  perte  ou  le  détournement  des  lettres,  de 
la  rareté  des  messagers  fidèles,  et  de  l'obligation 
d'attendre  qu'ils  se  présentent.  Le  petit  épisode  de 
Paulus  Flammingus,  dont  nous  aurons  à  parler  un 
peu  plus  loin,  et  qui  se  rattache  au  séjour  ultérieur 
d'Agrippa  à  Lyon,  peut  donner  une  idée  de  ces 
difficultés. 

Les  lettres  de  Brennonius  mettent  naturellement 
en  reliefla  figure  surtout  de  cet  ami  par  excellence 
de  notre  Agrippa.  On  y  voit  qu'il  partageait  le  pen- 
chant de  celui-ci*  pour  les  singularités  hitérodoxes 
de  la  philosophie  hermétique.  A  cet  ordre  d'idées 
appartient  ce  qui  concerne  un  traité  de  la  nature  de 
l'âme,  dont  le  curé  de  Sainte-Croix  nomme  l'auteur, 
Marcus  Damascenus,  et  qu'il  avait  découvert  dans  un 
vieux  manuscrit.  Il  est  fréquemment  question  du  pré- 
cieux ouvrage  dans  les  lettres  échangées  entre  Bren- 
nonius, qui  en  promet  la  transcription,  et  Agrippa 
qui  la  sollicite  avec  instance.  Nous  reviendrons  sur 
cette  découverte  et  sur  ce  qui  s'y  rapporte,  au  com- 
mencement du  chapitre  suivant,  où  nous  parlons  du 
séjour  fait  à  Cologne  par  Agrippa  en  quittant  Metz  ; 
parce  que  le  fameux  traité  est  alors  un  des  princi- 
paux objets  de  la  correspondance  des  deux  amis, 
pendant  les  premiers  mois  de  leur  séparation.  Il 
nous  suffit,  pour  le  moment,  de  mentionner  cette 
particularité  comme  fournissant  un  des  traits  de  la 
physionomie  du  curé  de  Sainte-Croix,  d'après  ses 
lettres.  Le  personnage  apparaît  dans  celles-ci,  duué 


AGRIPPA   A    METZ  377 

comme  Agrippa  d'un  esprit  hardi  et  indépendant  ; 
comme  lui  exécrant  les  moines  ;  comme  lui  soup- 
çonné d'hérésie  et  y  inclinant  plus  peut-être  qu'il  ne 
le  pense  lui-même.  Cependant  il  se  montre,  au 
moins  en  paroles,  disposé  à  se  soumettre  à  l'auto- 
rité ;  et  se  déclare  formellement  opposé  au  schisme 
qu'il  réprouve. 

—  Voilà,  dit-il,  dans  une  de  ses  lettres,  les  sophis- 
tes vaincus  et  je  m'en  réjouis  ;  ce  n'est  pas  chose 
facile  que  de  s'attaquer  au  souverain  pontife.  Qui  le 
néglige  ou  lui  résiste  est  toujours  en  grand  péril  de 
tomber  dans  l'hérésie  (Ep.  II,  55). 

Eu  égard  à  la  date  des  événements,  on  ne  saurait 
voir  dans  ce  jugement  porté  dès  le  17  juin  1520, 
date  de  la  lettre  qui  le  contient,  une  allusion  à  la 
bulle  fulminée  contre  Luther,  deux  jours  auparavant, 
le  15  du  même  mois,  par  le  pape  Léon  X.  Brennonius 
entend  probablement  parler  de  quelqu'autre  fait 
moins  considérable  du  même  genre,  parmi  ceux  qui 
ont  précédé  celui-là,  dans  l'histoire  de  l'hérésie.  Il 
exprime  en  tout  cas,  ici,  une  opinion  tout  à  fait  con- 
traire aux  actes  de  révolte  des  novateurs. 

Agrippa,  malgré  son  caractère  non  moins  indé- 
pendant, émet  un  avis  inspiré  par  le  même  esprit, 
dans  une  lettre  écrite  de  Cologne  à  Brennonius 
presqu'au  même  moment,  sous  la  date  du  16  juin 
de  cette  année. 

—  llutten,  dit-il,  était  dernièrement  ici  avec  cer- 
tains autres  adhérents  de  la  faction  luthérienne, 
qui  combattent  maintenant  de  la  plume  contre  les 

T     l  27 


378  CHAPITRE    QUATRIÈME 

légats  du  pape  et  s'attaquent  même  au  pontife.  Ils 
osent  inviter  les  princes  de  la  Germanie  à  s'affran- 
chir de  la  domination  de  Rome,  au  risque  de  faire 
naître  de  grandes  séditions,  si  Dieu  n'y  pourvoit 
(Ep.  II,  54). 

En  dépit  de  leur  langage,  les  deux  amis  n'en  pour- 
suivaient pas  moins,  de  part  et  d'autre,  de  leurs  vi- 
ves attaques  la  milice  sacrée  enrôlée  au  service  de 
la  cause  orthodoxe.  Ils  continuaient  à  harceler  les 
moines  qu'ils  avaient  tous  deux  également  pris  en 
haine. 

—  Je  t'envoie,  disait  Agrippa  à  Brennon'ius,  quel- 
ques vers  contre  cette'  peste  de  porteurs  de  capu- 
chons, que  je  voudrais  voir  brûler  tous  (Ep.  II,  57). 

Brennonius  de  son  côté  n'était  pas  mieux  disposé 
à  leur  égard.  Il  se  trouvait  à  ce  moment  même  en 
guerre  avec  les  religieux  des  couvents  de  Metz. 
Nous  connaissons  sa  dispute  avec  le  prieur  des 
frères  prêcheurs,  continuation  du  débat  soutenu 
contre  celui-ci  par  Agrippa.  Brennonius  ne  se  borne 
pas  à  suivre  en  cela  les  traces  de  son  ami.  Gomme 
lui,  il  entre  en  lutte  aussi  avec  l'inquisition.  Il  tient 
Agrippa  au  courant  des  hauts  faits  de  son  ancien 
adversaire,  l'inquisiteur  Nicole  Savini.  Il  lui  raconte 
longuement,  dans  une  de  ses  lettres,  les  poursuites 
dirigées  par  cet  infatigable  pourvoyeur  du  bûcher, 
contre  une  vieille  paysanne  qu'on  ne  put  pas  arra- 
cher de  ses  mains,  comme  avait  su  le  faire  Agrippa 
de  celle  de  Woippy,  et  qu'il  réussit  h  faire  brûler; 
puis,  à  la  suite  de  cet  exploit,  de  nouvelles  entrepri- 


AGRIPPA   A   METZ  379 

ses  du  même  genre  contre  d'autres  pauvres  femmes, 
que  le  curé  de  Sainte-Croix  indigné  put  heureuse- 
ment cette  fois  sauver  du  feu  (Ep.  II,  59). 

Dans  une  autre  circonstance,  où  le  curé  Brenno- 
nius  a  certainement  encore  raison  contre  les  moi- 
nes, il  a  affaire  aux  Cordcliers  dont  le  couvent 
était  voisin  de  son  église,  et  qui  prétendaient  le 
supplanter  dans  la  confession  de  ses  propres  pa- 
roissiens. Ces  religieux  prêchaient  publiquement 
qu'ils  avaient  en  pareille  matière  plus  d'autorité  que 
les  curés,  institués  par  leur  évêque  seulement; 
tandis  qu'eux  tenaient  directement  leurs  pouvoirs 
du  pape  lui-même.  Brennonius,  curé  de  Sainte-Croix, 
en  avait  appelé  au  vicaire  épiscopal,  et  devant  lui 
avait  réussi  à  l'emporter.  Il  fait  avec  grands  détails, 
à  son  ami  Agrippa,  le  récit  de  cette  cause  très  inté- 
ressante pour  lui  (Ep.  II,  49). 

Il  serait  bon  de  rapprocher  des  indications  pré- 
cédentes d'autres  renseignements  qui  montrent  dans 
Brennonius,  à  la  tète  do  sa  paroisse,  le  prêtre  ap- 
pliqué avec  simplicité  à  ses  fonctions  religieuses. 
Nous  nous  contenterons  de  signaler  ici  à  ce  titre 
les  faits  qui  se  rapportent  à  un  événement  relaté 
plus  loin,  la  mort  arrivée  à  Metz  de  la  première 
femme  d' Agrippa,  inhumée  dans  l'église  môme  de 
Suinte-Croix  qui  avait  pour  curé  Brennonius,  chargé 
par  son  ami  des  services  d'obsèques  et  d'anniver- 
saire do  cotte  épouse  tendrement  aimée. 

Il  est  curieux  après  cela  île  voir  Brennonius  livré 
on  même  temps  à  il''   Loul   autres  préoccupationsi 


380  CHAPITRE    QUATRIÈME 

Nous  le  montrerons  tout  à  l'heure  attentif  aux  chi- 
mériques investigations  d'un  alchimiste  ;  le  voici 
maintenant  tout  aux  merveilles  opérées  par  un 
empirique. 

—  Il  nous  est  arrivé,  écrit  un  jour  à  Agrippa  le 
curé  de  Sainte-Croix,  un  pauvre  diable  qui  guérit 
comme  par  miracle,  avec  une  eau  de  sa  façon,  le 
morbus  gallicus.  Peu  importe  que  le  mal  soit  ancien 
ou  qu'il  soit  récent.  On  court  chez  lui  en  foule; 
et  on  guérit  en  effet.  Aussi  l'argent  pleut-il  dans 
son  escarcelle.  Je  le  vois  souvent,  et  j'ai  tenté  par 
mille  ruses  de  pénétrer  le  secret  de  sa  recette. 
Mais  il  est  sur  ses  gardes.  Il  fait  venir  ses  drogues 
du  dehors,  et  ne  laisse  sa  fameuse  eau  entre  les 
mains  de  personne  (Ep.  III,  5). 

Citons  également,  d'après  la  même  correspondance, 
un  trait  encore  qui,  à  un  autre  point  de  vue,  peut 
avoir  de  l'intérêt  pour  nous.  On  voit  s'y  manifester 
le  désir  qu'a  eu,  longtemps  avant  de  le  réaliser, 
Agrippa,  de  faire  imprimer  ses  ouvrages. 

—  Une  bonne  dame  qui  vient  de  mourir  ici,  lui 
écrit  de  Metz  en  1524  son  ami  Brennonius,  m'a 
laissé  par  testament  une  presse  et  tout  l'attirail 
d'une  imprimerie.  Je  pourrai  y  exercer  mes  forces 
dans  mes  moments  de  loisir  (Ep.  III,  61). 

—  Je  me  réjouis  fort  de  l'héritage  que  tu  viens 
de  faire,  lui  répond  aussitôt  Agrippa.  Que  ne  puis-je 
t'envoyer  mes  ouvrages;  tu  les  imprimerais.  Mais 
il  me  faudrait  pour  cola  te  les  faire  transcrire;  il 
me  faudrait  un  copiste;  et  je  n'en  ai  pas.  Je  tâche- 


AGRIPPA   A   METZ  1)8 1 

rai  cependant  d'y  aviser,  pour  ce  qui  regarde  sur- 
tout mon  Apologie  contre  ce  Dominicain,  mon  ca- 
lomniateur (Ep.  III,  62). 

Il  s'agissait  du  contradicteur  d'Agrippa  dans  la 
querelle  sur  la  monogamie  de  sainte  Anne,  et  du 
l'actum  que  lui-même  avait  composé  sur  cette  ques- 
tion. Agrippa  s'était  vu  traiter  d'hérétique  ;  c'est 
contre  cette  allégation  qu'il  regimbe. 

Un  des  mérites  de  la  correspondance  de  Brenno- 
nius,  avons-nous  dit  tout  à  l'heure,  est  de  nous  faire 
connaître  les  hommes  qui  s'étaient  trouvés  en  rap- 
port avec  Agrippa  quand  il  vivait  à  Metz.  Il  y  est  en 
effet  souvent  question,  indépendamment  de  ce  qui 
concerne  le  correspondant  lui-même,  des  amis  lais- 
sés par  Agrippa  dans  cette  ville,  de  quelques-uns 
entre  autres  avec  des  détails  parfois  assez  piquants. 

Nous  avons  déjà  nommé  les  amis  d'Agrippa,  Ni- 
cole Dex  et  Nicole  de  Heu  ',  l'un  et  l'autre  membres 
des  paraiges,  c'est-à-dire  de  l'aristocratie  messine, 

1.  On  ne  saurait  dire  s'il  s'agit  ici  du  vieux  Nicole  de  Heu, 
né  en  1461.  mort  en  1535,  ou  de  son  fils  le  «  damoisiaul  Nicol- 
las  »  réputé  savant,  que  le  chroniqueur  Philippe  do  Vigneulles 
mentionne  avec  maître  Jehan  Rougier,  le  curé  de  Sainte-Croix, 
celui  qu'Agrippa  nomme  familièrement  Brennonius,  parmi  les 
grands  clercs  qui,  en  1522,  donnèrent  la  lecture  et  l'explication 
d'une  inscription  romaine  trouvée  dans  les  fondations  d'uni", 
vieille  église,  aux  portes  de  Metz.  «  Le  scienliticque  josne 
escuier  Nicollas  de  Heu  »,  ajoute  le  chroniqueur,  recueillit 
ce  monument  et  le  fit  incruster  dans  le  mur  de  sa  cour,  (i'h 
de  Vigneulles,  dans  Huguenin,  Les  chroniques  de  la  ville  de 
Metz,  p.  788.) 


382  CHAPITRE    QUATRIÈME 

et  dont,  il  est  souvent  question  dans  les  chroniques 
du  temps  ;  le  notaire  Baccarat,  moins  connu  que  les 
précédents  ;  puis  Thilman,  Mérian  ou  Marian,  André 
et  Jacques  Charbonnier,  et  Michaud,  dont  nous  ne 
savons  presque  rien  que  les  noms  ;  Claude  Chan- 
sonneti,  Cantiuncula,  que  nous  connaissons,  et  son 
père  Didier  Chansonneti  le  notaire;  Châtelain  avec 
qui  Agrippa  est  engagé  à  Metz  dans  une  affaire 
difficile  sur  la  nature  de  laquelle  il  ne  s'explique  pas, 
mais  qui  paraît  avoir  été  heureusement  résolue  '  ;  le 
médecin  Renaud  qui  avait  pris  part  à  la  dispute 
publique  sur  la  monogamie  de  sainte  Anne*;  et  enfin 
trois  personnages  dont  la  figure  se  dessine  pour 
nous  d'une  manière  aussi  nette  à  peu  près  que  celle 
de  Cantiuncula  lui-même,  le  médecin  Laurent  Fri- 
son, Thirion  l'horloger,  et  Jacques  le  libraire  ;  des- 
quels nous  savons  que  le  premier  s'occupait  d'as- 
trologie, que  le  second  faisait  de  l'alchimie,  et  que 
le  troisième  enfin,  s'étant  laissé  gagner  aux  doctrines 
religieuses  nouvelles,  y  fut  assez  compromis  pour 
avoir  été  vers  1525  condamné  à  perdre  les  oreilles  et 
ensuite  banni  de  Metz. 

Laurent  Frison  ou  de  Frise,  Laurentius  Frisius,  était 
médecin.  Il  s'intitule  naturse  physicus,  dans  un  thème 
astrologique  parvenu  en  manuscrit  jusqu'à  nous  % 

1.  Agrippa  en  parle  dans  une  lettre  à  Brennonius  :  «  Com- 
«  mendo  tibi  negotium  meum  apud  Castellanum  peragendum, 
«  utque  me  ex  hoc  labyrinthe-  expediendum  cures.  »  (Ep.  II,  45). 

2.  Ce  manuscrit  est  aujourd'hui  conservé  à  la  Bibliothèque 
de  l'Arsenal  à  Paris,  mss.  n°  5028. 


AGRIPPA   A    METZ  383 

dressé  pour  un  membre  de  la  famille  de  ce  Nicole 
de  Heu  dont  nous  venons  de  parler,  et  daté  par  son 
auteur  de  l'an  1528,  in  hac  civitate  metensi  ex  philo- 
sophico  tuguriolo  nostro.  Précédemment,  il  avait  dé- 
fendu contre  Luther  les  principes  de  l'astrologie, 
dans  un  livre  publié  en  1520  à  Strasbourg  '  ;  et  il 
donnait  deux  ans  après  clans  cette  ville  une  édition 
de  Ptolémée  2.  En  1529  enfin,  il  concourait  avec 
Jean  de  Pontigny  ou  de  Niedbruck,  un  des  amis 
également  d'Agrippa,  à  la  publication  d'un  écrit  mé- 
dical, composé  à  la  demande  de  l'évêque  de  Stras- 
bourg, sur  une  maladie  régnant  alors  3;  et  la  même 
année,  il  faisait  imprimer  à  Metz  un  petit  livre  inti- 
tulé, Sidéral  divinement  ou  pronostique  astrologique 
pour  l'an  1529  '.  On  voit  par  ces  indications  quel 
homme  c'était  que  Laurent  Prison,  le  physicien. 
Nous  ne  saurions  dire  s'il  avait  été  de  ceux  que 
fréquentait  le  plus  à  Metz  Agrippa,  dont  on^connaît 
la  véritable  opinion  sur  l'astrologie.  Il  parait  cepen- 

1.  Courte  apologie  de  l'astrologie  contre  les  juges  ignorants, 
Strasbourg,  152C.  (Sprengel,  Histoire  de  la  médecine,  t.  III, 
p.  254.) 

2.  Cette  publication  est  citée  par  Humbold,  Cosmos,  t.  II, 
p.  582,  note  17. 

3.  Sudoris  .1  nglici  exitialis  pestiferique  morbi  ratio,  préserva- 
lin  el  cura,  Joanne  Nidepontano  et  Laurentio  Frisio  inclytm 
civitatis  Melen.  medicis  auctoribus,prsecipiti  calamo  conscripta. 
Argentorat.  Anno  Ghristi  mdxxix.  (P.  Maréchal,  Maladies 
endémiques,  etc.,  à  Metz.  18">0,  p.  i 

\.  Un  exemplaire  de  cette  rare  publication  fait  partie  delà 
bibliothèque  de  M'.  G.  Chartener,  à  Metz. 


384  CHAPITRE    QUATRIÈME 

dant  s'être  trouvé  ultérieurement  en  correspondance 
avec  lui  (Ep.  IV,  28,  58)  ;  mais  il  ne  nous  reste 
aucune  des  lettres  échangées  entre  eux,  et  dans 
celles  qu'Agrippa  écrit  à  d'autres,  il  ne  parle  de  lui 
qu'une  seule  fois,  pour  demander  qu'on  le  salue  de 
sa  part,  et  qu'on  lui  présente  ses  excuses  de  ne  pas 
lui  écrire  autant  qu'il  le  voudrait  (Ep.  IV,  58). 

Agrippa  nomme  un  peu  plus  souvent  Jacques  le 
libraire  ;  il  paraît  lui  être  sympathique;  il  ne  semble 
pas  cependant  s'indigner  beaucoup  du  traitement 
cruel  qui  lui  avait  été  infligé  ;  car  il  en  parle  assez 
légèrement,  à  la  fin  d'une  lettre  à  Brennonius  où, 
après  avoir  rappelé  les  noms  de  quelques  autres 
amis,  il  ajoute  : 

—  Salue  aussi  de  ma  part  les  oreilles  de  Jacques 
le  libraire  puisque  c'est,  comme  je  l'apprends,  tout 
ce  qui  subsiste  encore  de  lui  à  Metz;  le  reste  en 
étant  banni;  etcelapour  Luther  et  sa  doctrine.  Cepen- 
dant, fidèle  à  une  ancienne  habitude,  encore  bien  qu'il 
soit  essorillé,  je  ne  veux  pas  l'oublier  (Ep.  IV,  20). 

Quant  à  Thirion  l'horloger,  Tyrius  horologiarius, 
il  faut  indubitablement  reconnaître  en  lui  Thirion 
«  le  serrier,  maître  du  gros  reloge,  »  qui  figure  sur 
les  comptes  de  la  ville  de  Metz,  depuis  l'année  1503, 
pour  les  modestes  gages  de  100  sols  ou  cinq  livres 
par  an  l.  La  qualification  de  «  serrier  »,  c'est-à-dire 
serrurier,  paraît  un  peu  vulgaire  pour  un  horloger; 


1.  Cincf  livres  équivalaient  alors  à  Melz  à  environ  150  francs 
d'aujourd'hui.  Voir  la  note  XIV  de  l'Appendice. 


AGRIPPA    A    METZ 


385 


elle  prouve  au  moins  que  maître  Thirion  à.  qui  on 
la  donne,  appartenait  originairement  à  un  métier 
au-dessus  duquel  il  s'était  élevé  par  son  talent;  ce 
qui  témoigne  assurément  en  sa  faveur.  C'était  en 
effet  un  esprit  curieux  et  investigateur.  On  com- 
prend qu'à  l'arrivée  d'Agrippa  il  se  soit  porté  avec 
empressement  au  devant  du  docte  étranger  qui  se 
présentait  à  Metz  précédé  d'une  réputation  de 
science  universelle.  Tyrius,  comme  il  est  appelé  dans 
la  correspondance  d'Agrippa,  s'occupait  sans  doute 
de  mécanique,  c'était  son  métier;  il  s'occupait  aussi 
beaucoup  d'alchimie  et  un  peu  de  pharmacie,  c'é- 
tait son  goût  dominant.  Il  associait  d'ailleurs  à  ces 
travaux  des  habitudes  de  vie  peu  relevées,  celles 
d'un  artisan  auquel  avait  dû  manquer  l'éducation. 
Quelques  détails  que  nous  possédons  à  son  égard, 
accusent  avec  vérité  une  figure  originale  qu'il  peut 
être  curieux  d'observer. 

—  Tyrius  est  tout  absorbé  par  ses  opérations 
dans  l'art  des  transmutations,  écrit  au  mois  de 
mai  1520  Brennonius,  qui  ne  semble  pas  prendre 
fort  au  sérieux  le  caractère  ni  les  travaux  du  per- 
sonnage. Il  a  trouvé,  ajoute  le  correspondant  d'A- 
grippa, un  secret,  grâce  auquel  on  rendrait  à  la 
Vénus  impudique  l'apparence  des  vertus  de  la 
chaste  Diane,  au  point  de  tromper  Vulcain  lui- 
même.  Il  lui  reste  maintenant  à  triompher  des 
feux  éteints  du  vieux  Saturne.  Qu'il  obtienne  ce 
résultat  :  il  est  sûr  d'être  riche  ù  tout  jamais.  11 
passe  les  jours  et  les  nuits  à  chercher,  et  il  invoque 


386  CHAPITRE    QUATRIÈME 

à  grands  cris  ton  secours.  Mais  voilà  bien  une  autre 
folie,  aliam  dementiam!  Nous  sommes  sur  la  piste 
d'un  sortilège  pour  couper  les  ailes  à  Mercure. 
On  nous  avait  signalé  une  herbe  mystérieuse  que 
nous  devions  reconnaître  à  certains  indices.  Nous 
nous  mettons  tous  ensemble  à  la  recherche  de  cette 
rareté.  Nous  voilà  donc  courant  par  monts  et  par 
vaux,  arrachant  avec  passion,  examinant  avec  ar- 
deur tout  ce  qui  nous  semble  inconnu.  Tyrius,  qui 
s'est  un  peu  écarté  des  autres,  trouve  la  plante  dési- 
rée. La  voilà,  la  voilà,  s'écrie-t-il.  Nous  accourons. 
On  recueille  avec  le  plus  profond  respect?  ce  brin 
d'herbe  objet  de  tant  de  soins  ;  on  se  félicite  d'un 
si  grand  bonheur;  et  au  retour,  on  tombe  dans  un 
petit  vallon  tout  tapissé  du  rare  végétal.  On  en  fait 
une  ample  récolte  qu'on  rapporte  au  jardin  de  l'heu- 
reux Tyrius;  puis,  comme  il  se  fait  tard,  on  termine  la 
journée  par  un  gai  repas  qui  nous  attendait  chez  lui, 
et  on  célèbre  jusqu'au  milieu  de  la  nuit  et  au  delà, 
cette  insigne  bonne  fortune.  Je  t'en  conterai  les 
suites  une  autre  fois  (Ep.  II,  51). 

Agrippa,  de  Cologne  où  il  est  alors,  riposte  sur  le 
même  ton.  La  merveilleuse  transformation  que 
Tyrius  sait  opérer  ne  lui  cause  qu'une  seule  in- 
quiétude. Comment  faire  pour  en  conserver  les 
effets  ? 

—  Tyrius,  en  maître  fèvre  qui  sait  si  bien  fabri- 
quer chaînes  et  serrures  saura,  dit-il,  mieux  que 
moi  qui  en  ignore,  retenir  ce  fugitif  objet  de  son 
industrie.  Je  consigne  néanmoins  dans  un  billet  ci- 


AGRIPPA    A    METZ  387 

inclus  quelques  indications  sur  ce  que,  à  mon  sens, 
il  y  aurait  à  l'aire  pour  y  parvenir.  Envoie-moi 
promptement  quelques  détails  sur  cette  prodigieuse 
métamorphose.  Tu  sais  combien  je  suis  curieux  de 
tout  cela.  Apprends-moi  aussi  qu'elles  ont  été  les 
suites  de  votre  fameuse  expédition  à  la  découverte 
de  l'herbe  mystérieuse,  récoltée  avec  tant  de  bon- 
heur (Ep.  II,  52). 

—  Parle-moi  donc,  reprend-il,  un  peu  plus  tard, 
des  expériences  de  Tyrius,  des  métamorphoses  qu'il 
opère,  et  de  l'herbe  merveilleuse  qu'il  a  découverte 
(Ep.  II,  54). 

—  La  fameuse  herbe  n'a  rien  donné,  répond  Bren- 
nonius.  Pour  ce  qui  est  des  expériences  de  Tyrius, 
je  t'en  adresse  la  description  plus  fastidieuse,  à 
mon  avis,  qu'utile  à  quoi  que  ce  soit  (Ep  II,  55). 

Telle  parait  être  également  l'opinion  finale  d'A- 
grippa,  qui  se  contente  d'accuser  réception  de  ce 
rare  secret  si  bien  fait,  comme  il  le  dit,  pour  abuser 
tous  les  dieux,  sauf  pourtant  le  vieillard  armé  de 
la  faux,  suffisamment  défendu  contre  les  illusions 
(Ep.  11,  56). 

L'infatigable  chercheur  ne  se  rebutait  cependant 
pas.  Quatre  années  plus  tard  (1524),  Brennonius 
écrivant  à  Agrippa,  lui  parlait  encore  du  «  serricr, 
horloger  »  et  de  ses  expériences. 

—  Notre  Tyrius,  disait-il,  te  salue.  Il  ne  se  relâ- 
che pas  de  ses  travaux  accoutumés  (Ep.  Il,  62). 

Deux  ans  apirs  1520)  il  est  rappelé  de  nouveau 
dans  la  correspondance  des  deux  amis. 


388  CHAPITRE    QUATRIEME 

—  Tyrius  a  fait  une  découverte,  dit  Brennonius, 
il  a  réussi  à  fabriquer  Vaqua  didcis,  laquelle  dis- 
sout tous  les  métaux  à  la  chaleur  du  soleil.  Voici 
sa  recette  ;  mais  on  doit  obtenir,  je  crois,  les  mêmes 
résultats  en  employant  toute  espèce  de  matière  ani- 
male ou  végétale  en  putréfaction  (Ep.  IV,  27). 

Voilà  bien  le  train  de  vie  d'un  véritable  alchimiste  ; 
d'une  crédulité  que  rien  ne  rebute  ;  marchant  avec 
persévérance  vers  des  résultats  incertains  ;  et  capa- 
ble de  trouver  parfois,  grâce  au  hasard,  quelque 
utile  secret.  Des  hommes  relativement  éclairés, 
comme  Agrippa  et  Brennonius,  se  moquaient  un  peu 
d'un  Tyrius  tâtonnant  "en  aveugle  clans  toutes  les 
directions  ;  mais  ils  étaient  attentifs  à  ce  qu'il  fai- 
sait, prêts  à  applaudir  à  ses  découvertes,  quand  par- 
fois il  y  avait  lieu  de  le  faire.  C'est  ainsi  qu'il  fallait 
prendre  l'alchimie  au  moyen  âge  et  à  cette  époque 
encore. 

Brennonius  et  Agrippa  souriaient  de  la  naïve 
crédulité  de  l'horloger  Thirion.  Non  moins  curieux 
et  aussi  aveugles  que  lui  sur  certains  points,  ils 
payaient  également  de  leur  côté  leur  tribut  à  l'igno- 
rance et  aux  préjugés  du  temps  où  ils  vivaient.  Les 
documents  que  nous  consultons  en  fournissent  plus 
d'une  preuve.  La  correspondance  des  deux  amis 
nous  donne  entre  autres  un  spécimen  de  leurs  pro- 
pres faiblesses,  dans  l'importance  qu'ils  attachent 
l'un  et  l'autre  à  certain  prodige  notamment,  où  ils 
croient  voir  un  présage.  L'enfant  d'un  neveu  de 
Brennonius  paraissait  quelquefois,  lui  disait-on,  tout 


AGRIPPA    A    METZ  389 

en  feu  ainsi  que  le  sein  de  sa  mère,  quand  elle  l'al- 
laitait. 

—  Je  ne  sais  ce  que  cola  présage,  écrivait  le  curé 
de  Sainte-Croix  (Ep.  II,  49). 

—  Gela  ne  peut  signifier  à  mon  sens,  répondait 
sérieusement  Agrippa,  que  règne  et  domination,  ou 
disposition  à  quelque  dignité  de  premier  ordre. 
Semblable  chose  a  eu  lieu  pour  Ascagne,  fils  d'Enée, 
pour  Servius  Tullius,  pour  L.  Martius  et  pour 
Moyse  (Ep.  II,  50). 

Brennonius  et  Agrippa,  on  le  voit,  avaient  aussi 
leur  dose  de  vaine  crédulité.  Ils  riaient  cependant 
de  celle  de  l'horloger  Thirion.  Celui-ci  prêtait  d'ail- 
leurs le  flanc  au  ridicule  par  plus  d'un  côté. 

—  Notre  ami  Tyrius  est  toujours  lancé  dans  les 
plus  hautes  spéculations  quand  il  n'est  pas  ivre, 
écrit  Brennonius  (Ep.  IV,  26). 

Sa  femme  était  laide,  et,  suivant  ses  amis,  il  lui 
préférait  quelquefois  sa  servante,  quand  il  était  gris 
surtout. 

—  Voici  une  nouvelle  qui  va  l'intéresser  et  t'a- 
muser,  tout  à  la  fois,  dit  un  jour  Brennonius  à 
Agrippa.  Notre  Tyrius,  depuis  si  longtemps  dédai- 
gneux de  sa  femme  qu'il  regardait  à  peine,  le  voilà 
pour  elle  aux  petits  soins  et  aux  caresses.  Elle  lui 
promet  un  fils,  et  il  l'adore  (Ep.  Il,  51). 

Ce  fils  désiré  vint  en  effet,  prédit  par  ses  amis  et 
plus  beau  que  Joscpb  ;  mais  la  servante  en  avait 
un  aussi  en  môme  temps.  De  là,  guerre  dans  le  mé- 
nage (Ep.  II,  •'» •• 


390  CHAPITRE    QUATRIÈME 

—  C'est  Abraham  entre  Agar  et  Sara,  dit  le  curé 
de  Sainte-Croix  (Ep.  II,  55). 

Tout  cela  aussi  bien  que  ce  qui  précède  est  ra- 
conté en  latin,  avec  une  crudité  d'expressions  qu'au- 
torisaient les  mœurs  du  temps  et  que  sauve  en 
partie  la  langue.  On  ne  pourrait  pas  reproduire  en 
français  les  mêmes  tableaux,  pour  les  lecteurs  d'au- 
jourd'hui. Ces  traits  du  portrait  de  Thirion  le  serru- 
rier, horloger  et  alchimiste,  empruntés  à  la  corres- 
pondance d'Agrippa  et  de  Brennonius,  reconstituent 
et  font  revivre  pour  nous  un  personnage  original 
de  moyenne  condition,  appartenant  à  une  époque 
lointaine,  dont  on  connaît  mieux  l'histoire  dans  ce 
qui  concerne  les  faits  d'ordre  politique  et  d'intérêt 
général,  que  dans  ce  qui  touche  aux  intérêts  privés 
et  à  la  vie  populaire.  Les  documents  que  nous  con- 
sultons ici  renferment  plus  d'un  enseignement  de  ce 
genre. 

La  correspondance  cle  Brennonius  avec  Agrippa 
contient  encore  sur  les  événements  du  temps  des 
indications  qui,  à  divers  points  de  vue,  mériteraient 
de  ne  pas  rester  inaperçues.  Les  plus  insignifiantes 
en  apparence,  dans  ce  genre,  sont  souvent  d'un  grand 
secours  pour  la  solution  des  problèmes  historiques, 
en  fournissant  des  dates  et  des  points  de  repère 
utiles  à  leur  discussion.  Quelquefois  aussi  ce  sont 
des  traits  de  mœurs  qui  donnent  cle  la  couleur  à 
un  récit. 

—  La  Cité  a  reçu  des  lettres  de  défi,  écrit  de 
Metz  Brennonius,   le  12    avril   1520.    L'abbaye  do 


AGRIPPA   A    METZ  391 

Sainte-Glossinde  est  en  révolution  ;  l'abbesse  est 
morte,  on  se  dispute  sa  succession;  l'affaire  ira 
probablement  à  Rome.  Le  père  de  Cantiuncula  n'a 
reçu  de  Bâle  aucune  lettre  pour  toi.  De  ce  qui  re- 
garde les  princes  et  les  rois,  nous  n'entendons  rien 
dire  dans  ce  moment  (Ep.  II,  49). 

—  Nous  attendons  l'empereur  qui  doit  s'arrêter 
ici  avec  une  suite  nombreuse,  répond  de  Cologne 
Agrippa,  au  commencement  de  septembre  de  la 
même  année  (Ep.  II)  Gl). 

L'année  suivante,  au  milieu  de  l'été,  le  19  juil- 
let 1521,  Brennonius  écrit  à  son  tour. 

—  Luther,  dit-il,  s'est  nous  apprend-on  réfugié  en 
Bohême,  où  il  est  plus  en  sûreté.  Hutten  et  Mélan- 
chthon  le  remplacent.  Robert  de  La  Mark,  ajoute-t-il, 
qui  est  revenu  aux  Français,  a  témérairement  voulu 
enlever  Virton  à  la  majesté  impériale;  mais  il  a 
échoué;  et  comme  il  continuait  ses  machinations 
dans  le  Luxembourg,  l'empereur  a  envoyé  le  comte 
de  Nassau  et  le  comte  Félix  qui,  à  la  tête  d'une 
troupe  de  Bourguignons,  sont  tombés  sur  ses  peti- 
tes places.  Longuion,  Nuscancourt  (Mesaincourt?), 
Le  Saulcy  et  Florango,  aux  environs  de  Thionville, 
ont  été  détruits  de  fond  en  comble.  Mais  mainte- 
nant La  Mark  les  attend  retranché  dans  ses  grandes 
forteresses  de  Sedan,  d'Immasion  (Jamaix?)  et  de 
Bouillon,  où  il  no  les  craint  guère. 

—  Curieux  comme  je  le  suis  de  (outes  les  choses 
nouvelles,  dit  encore  Brennonius,  j'ai  voulu  voir  le 
siège  de   Florange.  J'y  ai  passé  trois  jours.  J'ai  vu 


392  CHAPITRE    QUATRIÈME 

le  camp  des  Allemands  et  j'ai  assisté  aux  attaques, 
buvant  fort,  egregie  potans,  passant  la  nuit  à  la  belle 
étoile  au  milieu  de  cette  soldatesque,  et  n'éprouvant 
d'ailleurs  ni  crainte,  ni  embarras,  ni  le  moindre 
ennui.  J'ai  vu  tomber  les  murailles  du  bourg;  quant 
au  château,  il  s'est  rendu.  Le  sieur  de  Jamaix,  fils  de 
Robert  de  La  Mark,  qui"  y  commandait  avait  cherché 
à  s'évader.  Mais  arrêté  par  les  soldats  qui  faisaient 
le  guet,  il  a  du,  pour  avoir  la  vie  sauve,  se  livrer  à 
merci,  et  le  comte  de  Nassau  l'a  envoyé  à  l'empe- 
reur. Voilà  où  en  sont  les  choses  (Ep.  III,  8). 

Quelques  traits  de  ce  dernier  tableau  s'ajoutent 
à  ceux  que  nous  avons  précédemment  dégagés  de 
la  correspondance  de  Brennonius  et  complètent  le 
portrait  du  personnage.  Nous  pouvons  maintenant 
essayer  d'en  arrêter  les  contours,  sans  risquer  de 
fausser  l'effet  d'une  figure  dont  nous  connaissons 
les  lignes  principales.  Nous  en  savons  assez  pour 
nous  faire  une  idée  de  ce  que  pouvait  être  un  homme 
que  l'on  voit  remplissant  avec  zèle,  à  la  tête  d'une 
paroisse,  ses  devoirs  de  pasteur,  et  en  même  temps 
se  posant  comme  l'adversaire  des  moines  ;  combat- 
tant l'inquisition,  et  se  portant  le  champion  de  cer- 
taines opinions  hétérodoxes  ;  condamnant  les  nova- 
teurs, et  frisant  lui-même  l'hérésie  ;  adonné  aux 
spéculations  risquées  de  la  philosophie  hermétique; 
prêtant  une  attention  crédule  à  certains  prodiges; 
attiré  par  les  succès  d'un  empirique;  s'associant 
aux  recherches  d'un  alchimiste  vulgaire,  pour  être 
témoin  de  ses  expériences  ;  se  mêlant  à  de  gros- 


AGRIPPA    A    METZ 


393 


siers  soudards  pour  voir  do  près  la  guerre;  curieux 
de  toutes  choses,  ne  se  laissant  rebuter  par  aucune 
tentative  ni  par  aucun  spectacle.  Nous  ne  dirons 
pas  que  c'était  un  esprit  fort.  C'était  un  esprit  hardi  ; 
c'était  un  téméraire.  On  peut  comprendre  maintenant 
à  quel  point  un  pareil  homme  devait  se  trouver 
en  sympathie  et  en  communauté  d'idées  avec  un 
Agrippa. 

Nous  ne  terminerons  pas  ce  chapitre  consacré  au 
séjour  à  Metz  d'Agrippa,  sans  produire  un  témoi- 
gnage piquant  de  l'impression  que  sa  présence  avait 
faite  dans  cette  ville,  et  du  souvenir  qu'il  y  avait 
laissé.  Ce  témoignage  est  d*un  Messin  contemporain, 
Philippe  de  Vigneulles,  qui  l'a  consigné  dans  ses 
chroniques  :  «  Environ  celluy  temps,  dit-il  sous  la 
«  date  de  1521,  ung  nommé  maistre  Martin  Luther, 
«  allemant,  docteur  et  héréticque,  rëligieulx  de  l'or- 
«  dre  des  frères  Augustins,  fist  et  composa  plusieurs 
«  grandes  et  merveilleuses  escriptures,  imprimées 
«  et  publiées  par  la   crestienté,   touchant   certains 
«  articles  de  nostre  foid  et  des  saincts  sacrements, 
«  et  aussy  des  gouverneurs  et  suppotz  de  sainetc 
«  Eglise  ;   dont  plusieurs   grans   elers  et  docteurs 
«  l'cnsuivoicnt,  et  aultres  non.  Entre  lesquclx,  de 
«  ceux  qui  l'cnsuivoicnt,  estoit  ung  josne  Collongnc, 
«  merveilleusement  grant  clerc  et  petit  de  corps, 
«  nommé  maistre  Agrippa,  qui  de  son  temps  avoit 
«  hanté  le  monde,  et  parloit  tout  langaigo,  et  avoit 
«  nstudié  en    tout  te   science;   et  avoit   esté   celluy 
«  maistre  Agrippa,  en  L'an  vc  etxix,  aux  gaiges  de 

T.  i. 


394  CHAPITRE    QUATRIEME 

«  la  cité  de  Metz;  et  avoit  une  femme  native  de 
«  Pavye  en  Lombardie,  la  plus  mignone  et  la  plus 
u  diversement  acoustrée  qui  jamais  fut  veue  en  ce 
«  pais.  Et  hantoit  celluy  maistre  Agrippa  et  frè- 
te quentoit  fort  maistre  Jehan,  curé  de  Sainte  Croix, 
«  qui  estoit  ung  grant  clerc;  et  vouloit-on  dire  qu'il 
«  tenoit  aulcunement  de  son  opinion.  Pour  lesquelles 
«  choses  les  frères  Prédicateurs  de  la  devant  dicte 
«  Cité  firent  disputations,  et  donnairent  plusieurs 
«  arguments  tout  en  publicque  et  au  milieu  de  leur 
«  église,  y  cuidant  avoir  le  dit  maistre  Agrippa. 
«  Mais  il  print  congié  de  la  Cité,  et  s'en  alloU  pour 
«  le  meisme  jour  que  icelles  disputations  se  fai- 
«  soient  '.  » 

Philippe  de  Vigneulles,  mort  vers  1527,  vivait  à 
Metz  à  l'époque  où  y  vint  Agrippa.  Il  l'avait  vu  certai- 
nement ;  c'est  donc  un  portrait  d'après  nature  qu'il 
nous  en  donne  ici.  Son  témoignage,  si  bien  d'accord 
dans  ses  traits  essentiels  avec  les  particularités 
diverses  et  avec  les  faits  que  nous  avons  précédem- 
ment indiqués  d'après  d'autres  documents,  est  em- 
preint d'un  caractère  évident  de  vérité.  La  dispute 
publique  racontée  à  son  ami  absent  par  le  curé  de 
Sainte-Croix,  cette  tumultueuse  assemblée  où  avait 
été  agitée,  si  non  traitée,  la  question  de  la  mo- 
nogamie de  sainte  Anne  et  de  la  naissance  de  la 
sainte  Vierge,  est  rappelée  ici  par  une  peinture  très 


1.  Pliil.  de  Vigneulles,  dans  Iluguenin,  Les  chroniques  de  la 
ville  de  Met:,  p.  733. 


AGRIPPA    A    METZ  395 

vivante  de  l'impression  qu'elle  avait  dû  laisser  dans 
l'esprit  du  peuple  de  Metz.  L'opinion  d'Agrippa, 
dans  cette  singulière  querelle,  le  rangeait  suivant 
ses  adversaires  dans  la  classe  des  hérétiques,  et  en 
faisait  un  tenant  des  doctrines  de  Luther.  A  leurs 
yeux  du  reste,  on  le  voit,  il  s'était  avoué  vaincu  en 
désertant  le  combat  et  en  quittant  la  ville  avant  le 
jour  assigné  pour  cette  rencontre.  Rien  n'est  oublié 
par  le  chroniqueur,  rien,  pas  môme  les  étroites 
relations  d'Agrippa  avec  son  ami  le  curé  de  Sainte- 
Croix,  grand  clerc  comme  lui,  mais  comme  lui  en 
hostilité  avec  les  frères  prêcheurs  du  couvent  de 
Metz,  et  comme  lui  véhémentement  soupçonné  de 
tenir  pour  l'hérésie  de  Luther. 

Ce  curé  de  Sainte-Croix,  que  Philippe  de  Vigneul- 
les  appelle  ici  maître  Jehan  et  ailleurs  maître  Jehan 
Rougier  ou  Rougière,  est  bien  celui  qui  dans  la 
correspondance  d'Agrippa  est  nommé  Joannes  Ro- 
gcrius  Brennonius,  et  que  le  plus  souvent,  dans  les 
lettres  qu'il  lui  adresse,  son  ami  appelle  tout  sim- 
plement mon  cher  Brennonius  '.  Philippe  de  Vi- 
gneulles  qui  avait  pu  voir  souvent  le  curé  de  Sainte- 
Croix,  dit  que  c'était  un  homme  de  belle  prestance, 
grand  et  puissant,  et  qu'il  avait  la  réputation  d'être 
un  savant.  Il  nous  apprend  aussi  que  sa  science 
était  suspecte,  et  qu'en  1525,  l'hérésie  menaçant  de 
faire  à  Metz  des  progrès  dont  Strasbourg   donnait 


i    un  trouvera  dans  une  note  de  l'Appendice  [n°  XVI)  quul- 
i  i      observation    \  ue    ujet. 


39G  CHAPITRE    QUATRIÈME 

l'exemple,  on  usa  de  rigueur  et  on  alla  jusqu'à  met- 
tre en  prison,  à  la  Cour-1'évêque,  plusieurs  prêtres 
grands  clercs,  parmi  lesquels,  dit-il,  ii  maistre  Jehan 
Rougière  alors  curé  de  Sainte-Croix  »  '. 

Nous  avons  conduit  Agrippa  jusqu'à  la  fin  de  son 
séjour  à  Metz,  vers  le  commencement  de  février  1520. 
Nous  connaissons  les  contrariétés  qui  avaient  fini 
par  lui  rendre  cette  ville  insupportable;  nous  savons 
par  ses  lettres  à  Cantiuncula,  que  dès  le  mois  de 
juin  1519  il  pensait  à  rompre  la  chaîne  qui  l'y  re- 
tenait, c'est-à-dire  à  obtenir  la  résiliation  des  enga- 
gements qu'il  y  avait  contractés  (Ep.  II,  33).  Nous 
avons  cité  précédemment  celle  de  ces  lettres  datée 
du  jour  de  la  conversion  de  saint  Paul,  25  janvier 
1520,  par  laquelle  il  annonce  à  son  ami  qu'il  vient 
d'obtenir  enfin  ce  congé  ardemment  souhaité  et  vive- 
ment sollicité. 

—  Me  voilà  libre,  et  je  pars  dans  peu  de  jours, 
lui  dit-il  (Ep.  II,  42). 

Il  part  en  effet  sans  tarder  ;  car  dès  le  12  février 
le  curé  de  Sainte-Croix  lui  écrit  de  Metz,  où  il  n'est 
déjà  plus  (Ep.  II,  44),  et  huit  jours  après,  le  12  des 
calendes  de  mars,  19  février  1520,  il  répond  lui- 
même  de  Cologne  à  celui-ci,  qu'il  est  arrivé  dans 
cette  ville  et  qu'il  y  attend  maintenant  sa  visite 
(Ep.  II,  43). 

Agrippa  s'éloigne  de   Metz  au  plus   fort   de   sa 

I.  l'h.  de  Vigneullcs,  dans  Huguenin,  Les  chronique*  de  la 
ville  de  Metz,  p.  8v>i. 


AGRIPPA    A    METZ  397 

querelle  avec  le  prieur  des  Dominicains,  affaire  épi- 
neuse qui  lui  donnait  tant  d'ennuis  et  qui  lui  causait 
même  de  sérieuses  inquiétudes;  a  la  veille  d'un 
débat  public  auquel  il  s'empressait  ainsi  de  se  sous- 
traire, et  dont  il  laissait  peser  tout  le  poids  sur  son 
ami  Brennonius  (Ep.  II,  44}.  Nous  n'avons  plus  à 
revenir  sur  ces  particularités  dont  nous  avons  am- 
plement parlé.  Si  nous  les  rappelons,  c'est  pour 
montrer  qu'Agrippa  pouvait  à  ce  moment  se  trouver 
dans  le  môme  état  d'irritation,  dans  les  mêmes  dis- 
positions d'esprit  par  conséquent,  que  six  mois 
auparavant,  quand  il  lançait  contre  Metz  la  trop 
fameuse  invective  que  nous  avons  rapportée  en 
parlant  de  sa  correspondance  avec  Cantiuncula.  Metz 
dont  il  s'éloigne  maintenant,  est  pour  lui  certaine- 
ment encore  la  marâtre  des  bonnes  lettres  et  do  toute 
vertu.  Nous  avons  dit  ce  qu'Agrippa  entendait  par 
ces  paroles,  qui  dans  sa  bouche  visent  à  la  liberté 
des  études  hétérodoxes  et  aux  hardiesses  de  con- 
duite de  ceux  qui  s'y  livrent.  Nous  avons  signalé 
aussi  les  circonstances  qui  expliquent  ce  mouvement 
de  passion,  et  l'évidente  exagération  du  langage  où 
il  se  manifeste. 

Il  faut  ajouter  que  ces  entraînements  désordonnés 
étaient  chez  Agrippa  des  traits  de  caractère,  et  qu'on 
en  trouve  dans  sa  vie  plus  d'un  exemple  analogue. 
C'est  par  eux  qu'on  le  voit  de  môme  emporté,  lorsque 
i\  Fribourg  en  Suisse,  où  un  emploi  public  le  retient 
également  malgré  lui  en  1524,  il  traite  sans  raison 
cette    grave   Cité,     de    ville    sans    culture    ink-llec- 


;{(J8 


CHAPITRE    QUATRIÈME 


tuelle  '  ;  et  plus  tard  lorsque,  en  1531  dans  les  Pays- 
Bas,  aux  prises  avec  les  théologiens  censeurs  de  ses 
ouvrages,  et  en  même  temps  avec  ses  créanciers, 
il  s'en  prend  à  la  cour  de  Malines  qui  n'a  pas  pu 
ou  n'a  pas  voulu  le  sauver  des  poursuites  des  uns  et 
des  condamnations  des  autres.  Il  renouvelle  alors 
contre  cette  cour  de  César,  comme  il  dit,  sa  vieille 
invective,  et  l'appelle  aussi  la  marâtre  des  bonnes 
lettres  et  de  toute  vertu  \  Ce  sont  les  expressions 
mêmes  dont  il  s'est  servi  contre  la  ville  de  Metz, 
onze  ou  douze  ans  auparavant.  Dans  ces  nouvelles 
circonstances  encore,  ces  paroles  répondent  avant 
tout  à  la  passion  de  celui  qui  les  profère.  Elles  ont 
dans  ce  cas  la  même  signification  avec  le  même  vice 
d'exagération,  que  dans  l'autre  3. 

1.  «  Friburgum  Helvetiorum,  omnium  scientiarum  cultu  de- 
«  sertum  ac  dcstitulum  »  (Ep.  111,  56). 

2.  «   Omnium  bonarum  literarum  atqne  virtutum  noverca 
«  aula  cœsarea  »  (Ep.  VI,  20,  35,  3G). 

3.  On  trouvera  quelques  explications  à  ce  sujet  dans  une  note 
de  l'Appendice  (n°  XV). 


FIN    DU    PKKMlIill    VOLUME. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


INTRODUCTION p.  i 

Les  sciences  et  les  arts  occultes,  p.  n.  —  Pre- 
mières doctrines  scientifiques,  p.  iv.  —  La  science 
secrète  ou  art  sacré,  p.  vu.  —  L'art  hermétique, 
p.  x.  —  La  cabale,  p.  xix.  —  La  magie,  p.  xxvm. 

CHAPITRE    PREMIER.    -    la    vie    et    les    oeuvres 
d' agrippa.    1  iSG-1535 p.  1 

La  légende  d'Agrippa,"  p.  2.  —  Son  histoire; 
travaux  biographiques  dont  il  a  été  l'objet,    p.    \0." 

—  Son  portrait,  p.  12.  —  Esquisse  de  sa  vie,  p.    14. 

—  Ses  ouvrages,  p.  18.  —  Leur  publication,  p.  39. 

—  Leur  caractère,  p.  45.  —  Sa  correspondance, 
p.  i8.  —  Le  traité  de  la  philosophie  occulte,  p.  6G. — 
Le  traité  de  l'incertitude  et  de  la  vanité  des  scien- 
ces, p.  90. 

CHAPITRE     II.      —    AGRIPPA     A     COLOGNi:,     A     PARIS,     EN 

ESPAGNE,  EN    BOURGOGNE.    l'iSG-1511 ]).    [19 

Origine  d'Agrippa;  sa  famille;  son  nom,  p.  120. 

—  Ses  premières  études  à  Cologne,  p.  124.  —  Sa 
présence  à  l'Université  de  Paris,  p.  127.  —  Sus 
amis,  ]i.  129.  —  Voyage  en  Espagne,  p.  133.  — 
Correspondance  avec   Galbianus,   p.    134.    —  Avec 


400  TABLE    DES    MATIÈRES 

Landulphe,  p.  138.  —  Avec  l'Évêque  de  Cyrène, 
p.  150  —  Séjour  ù  Avignon,  p.  152.  —  A  Lyon,  à 
Aulun,  à  Chûlons-sur-Saûne,  à  Dole,  p.  157.  —  Com- 
position du  traité  de  la  prééminence  du  sexe 
féminin,  pour  la  princesse  Marguerite  d'Autriche, 
gouvernante  de  la  province  de  Bourgogne,  p.  161.  — 
Faveur  publique  dont  Agrippa  jouit  à  Dole,  p.  1G7. 

—  Leçons  sur  le  traité  de  Reuchlin  De  verbo  mirifteo, 
p.  172.  —  Attaques  du  franciscain  Catilinet,  p.    179. 

—  Factum  d'Agrippa  en  réponse  à  ces  attaques, 
p.  181.  —  Relations  avec  Tritheim  ;  composition  du 
traité  de  la  philosophie  occulte,  p.  188.  —  Voyage 
en  Angleterre;  Commentaires  sur  les  Épîlres  de 
saint  Paul,  p.  200.  —  Retour  à  Cologne;  thèses 
théologiques,  p.  202.  —  Départ  pour  l'Italie,  p.  203. 

CHAPITRE    III.   —   AGRIPPA   EN    ITALIE.   1511-1518 p.    205 

Le  nord  de  l'Italie  au  commencement  du  xvic  siè- 
cle, p.  200.  —  Agrippa  au  service  de  l'Empereur,  à 
Vérone,  p.  218.  —  Agrippa  du  concile  de  Pise, 
p.  224.  —  Premier  séjour  à  Pavie,  p.  233.  —  Rela- 
tions avec  Bartholomeus  Losalus,  p.  234.  —  Cor- 
respondance avec  l'ami  de  Borgo-Lavezzaro,  p.  238. 

—  Protection  du  marquis  de  Montferrat  ;  premier 
séjour  à  Casale,  p.  240.  —  Lettre  du  pape  Léon  X, 
p.  241.  —  Voyage  à  Rome,  p.  245.  —  Second  séjour 
à  Pavie  ;  mariage  d'Agrippa,  p.  247.  —  Leçons  sur 
le  Pimander  d'Hermès  Trismégiste,  p.  249.  —  Sur 
le  banquet  de  Platon,  p.  2G2.  —  Les  Français  à 
Pavie,  avant  et  après  la  bataille  de  Marignan  ;  les 
Suisses  à  Milan;  malheurs  d'Agrippa,  p.  267.  — 
Second  séjour  à  Casale,  p.  269.  —  Correspondance 
avec  le  père  Jean  Chrysostome  de  Verceil,  p.  270.  — 
Le  dialogue  sur  l'homme,  p.  274.  —  Le  traité  de 
la  connaissance  tle  Dieu,  p.  276.  —  Séjour  à  Turin; 


TABLE    DES    MATIÈI'.ES  401 

à  Chambéry,  p.  -278.  —    Propositions  d'emplois  de 

divers  cotes,  p.  '280.  —   Départ  pour  Metz,  p.  281. 

CHAPITRE  LV.  —  agrippa   a  metz.  1518-1520 p.  287 

Arrivée  ;ï  Metz  d'Agrippa,  p.  287.  —  Dédain  pour 
les  sciences  occultes;  attention  accordée  aux  ques- 
tions religieuses,  p.  288.  —  La  réforme,  p.  280.  — 
Agrippa  conseiller  stipendié  et  orateur  de  la  cité 
de  Metz,  p.  301.  —  Discours  de  réception  devant 
la  Seigneurie  de  Metz,  p.  307.  —  Autres  discours 
d'Agrippa  à  Metz,  p.  311.  —  Conditions  d'existence 
à  Metz,  p.  312.  —  Les  amis  et  les  ennemis  d'A- 
grippa dans  cotte  ville,  p.  315.  —  Querelles  avec 
L'inquisition  et  avec  les  théologiens,  p.  318.—  Affaire 
de  la  prétendue  sorcière  de  Woippy,  p.  310.  — 
Dispute  sur  la  question  de  la  monogamie  de  sainte 
Anne,  p.  327.  —  Correspondance  avec  Cantiuncula. 
p.  344.  —  Invective  d'Agrippa  contre  la  ville  de 
Mil/,  p.  358.  —  Correspondance  avec  le  célestin 
Claude  Dieudonné,  p.  301.  —  Avec  Lefèvre  d'Éla- 
ples,  p.  370.  —  Avec  Jean  Rogier  dit  Brennonius, 
curé  de  Sainte-Croix,  p.  371.  —  Traits  de  mœurs 
empruntés  à  cette  correspondance,  p.  370  —  Té- 
moignages fournis  par  les  chroniques  (h1  Metz  sur 
Agrippa,  p.  303.  —  Sun  départ  précipité  de  cette 
ville,  p.  300.  —  Rappel  de  l'Invective  d'Agrippa 
contre  Metz,  p.  397. 


i.i:  !•!  Y.   —  i.Mi'i; i.mi.i; 1 1    m  w;<  m  •   01    KiLS. 


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