Skip to main content

Full text of "Corps législatif. Conseil des Cinq-cents. Discours prononcé par Sonthonax, sur la situation actuelle de Saint-Domingue, et sur les principaux événements qui se sont passés dans cette île depuis la fin de floréal an IV, jusqu'en messidor de l'an V de la République. Séance du 16 pluviôse an VI."

See other formats


•>i8w 


n     i       ii"  'nf  fini — iP» 


CORPS    LÉGISLATIF. 


CONSEIL  DES  CINQ-CENTS. 


ISCOURS 

PRONONCÉ 

car    SONTHONAX, 

Sur  là  Jituation  actuelle  de  Saint-Domingue^  ù 
fur  les  principaux  événement  qui  fe  font  pajfés 
dans  cette  île  depuis  la  fin  de  floréal  an  4 ,  juf 
qu'en  meffïdor  de  L'an   5    de  la  République* 

Séance  du  16  pluviôfe  an  6t 


ITOYENS     RePRESENTANS  * 


Envoyé    au  Corps    légiflatif  par  la  colonie  de  Saint- 
Domingue  ,  je  range,  ai  au  nombre  des  courts   inftans  de 
bonheur  donc  j'ai  joui ,  celui  où  je  viens  au  milieu  de* 
a  A 


fondateurs  &  des  confervateurs  de  la  République ,  leur 
faire  le  tableau  de  ma  conduite  dans  cette  île ,  &  de  la 
(ituation   actuelle  de  cette  intérefïante   poifeilion. 

Ceft  aujourd'hui,  citoyens  collègues ,  l'anniverfaire  de 
la  déclaration  de  la  liberté  générale  des  noirs ,  de  ce 
décret  qui  replaça  dans  leurs  droits  ces  malheureux  arra- 
chés à  toutes  les  affections  de  la  nature  par  la  farouche 
cupidité. 

Si  cette  époque  me  retrace  des  fouverirs  attendrilTans 
&  perfonnels ,  elle  m'en  rappelle  de  bien  glorieux  pour  la 
Convention  nationale  ;  cette  afïtmblée  d'hommes  dont  les 
vaftes  conceptions  préparèrent  les  triomphes  de  la  liberté 
publique  ôc  lafFranchilTement  général  de  l'univers.  En  bri- 
fant  les  fers  des  noirs  ,  elle  apprit  à  tous  les  opprimés 
qu'elle  n'étoit  terrible  que  pour  les  oppreifeurs  ;  &  quel 
que  foit  le  jugement  de  la  poflérité  à  fon  égard  ,  il  lui 
lefte  un  monument  à  jamais  durable  ,  dont  l'envie  ne  peut 
altérer  la  pureté,  c'eft  la  haine  profonde,  éternelle,  de 
toutes  les  ariftocraties  qu'elle  détrôna. 

Cette  haine  étend  fa  profcription  à  rous  les  hommes  qui 
concoururent  à  fes  immenfes  travaux.  Faut-il  donc  s'éton- 
ner fi  j'ai  été  en  butte  aux  traits  affafïins  de  la  calomnie, 
fi ,  à  cette  tribune ,  l'afyle  de  la  liberté  des  opinions  , 
bannie  alors  du  relie  de  la  République ,  on  a  ofé  faire  un 
crime  aux  smis  de  la  liberté  d'avoir  défendu  ma  caufe  ! 

Ne  craignez  pas  cependant  qu'aigri  par  les  perfécutions  , 
j'aille,  en  récriminant  contre  mes  diffamateurs  ,  vous  prefïèt 
de  lancer  fur  eux  le  jufte  châtiment  qu'ils  méritent.  Loin 
de  moi  l'idée  de  nourrir  les  haines ,  d'exafpérer  les  ef- 
prits,  d'entretenir  la  fermentation  dans  un  pays  depuis  trop 
long-  temps  en  proie  à  la  difcorde  civile  ,  qui ,  jufqu'à 
préfent ,  n'a  connu  de  la  révolution  que  fes  fureurs ,  & 
qui  mérite  de  jouir  de  fes  bienfaits!  Si  j'ai  à  dire  des 
vérités  dures  fur  quelques  hommes  liés  avec  les  royaliftes 
qui  vouloient  vous  profcrire  avant  le  18  fructidor,  je  par- 
lerai avec  coût  le  ménagement  qu'exigent  les  citconiûnces  » 


toute  l'impartialité  qui  doit  caraâérifer  un  homme  depuis 
trop  long-temps  inftruit  à  l'école  du  malheur ,  &  pénétré 
du  delir  brûlant  du  bien  public. 

Ce  n'elt  point  ma  juftification  que  je  vous  préfente  ; 
je  ne  fuis  ni  accufé ,  ni  légalement  dénoncé  :  mais  comme 
hs  ennemis  de  la  révolution  ont  mis  la  plus  grande  im- 
portance à  ma  perte,  comme  cette  tribune  a  trop  fou- 
vent  retenti  d'infâmes  déclamations  ,  je  dois  difliper  par 
des  éclairciflemens  publics  les  foupçons  &  les  alarmes  donc 
on  a  ofé  vous  environner. 

Les  colonies  françaifes  avant  la  révolution  languidoienc 
fous  le  poids  de  la  plus  dure  oppreffion.  Les  gouverneurs  ' 
les  intendans,  une  nuée  de  commandât»  militaires  &  de 
commis,  fe  difputcient  à  qui  devoreroient  la  fubftance  des 
colons  de  tomes  les  couleurs.  La  même  voix  qui  appeloic 
l'ancien  monde  à  la  liberté  fit  entendre  ks  accens^dans  le 
nouveau  ,  tk  le  renverfement  de  la  Baftille  devint  en  Amé- 
rique comme  en  France  le  lignai  de  i'infurrection  uni- 
verfelle.  Les  Européens  habitans  des  Antilles  prirent  la  co- 
carde avec  rranfport  ;  mais  ils  voulurent  pour  eux  feuls  les 
avantages  de  la  liberté.  Ils  repoulïerent  les  hommes  de  cou- 
leur ,  de  l'égalité  politique  ;  ils  réfutèrent  d'améliorer  le 
fort  des  noirs  ;  &  tandis  qu'ils  brifoient  avec  courage  les 
chaînes  dont  le  gouvernement  les  avoir  chargés ,  ils  pro- 
pofoient ,  dans  une  aiïemblée  coloniale ,  de  river  éternelle- 
ment les  fers  des  cultivateurs.  C'eft  dans  cetre  conduit© 
aufli  barbare  que  contradictoire  qu'il  faut  chercher  l'origine 
de  tous  les  maux  qui  ont  délolé  Saint-Domingue.  La 
jufte  ambition  de  conquérir  les  droits  de  l'homme  d'un  coté  , 
de  l'autre  l'obftination  à  les  refufer ,  ont  caufé  l'une  des 
guerres  civiles  les  plus  terribles  &  les  plus  fanglantes  donc 
l'hiftoire  fafîè  mention. 

Repréfentans ,  pourrez -vous  contenir  votre  jufte  indigna- 
tion ,  lorfque  vous  faurez  que  Saint-Domingue  ,  dont  on 
m'a  attribué  les  malheurs,  éroit  entièrement  dévafté  long- 
temps avant  mon  arrivée    dans  cetre   île  ?  L'infurre&ion 

Aa 


éclata  prefque  en  même  temps  dans  les  trois  provinces  dt 
l'île. 

An  mois  d'août  de  l'année  1791  ,  les  noirs  efclaves  de  la 

Î>anie  du  Nord  fc  révoltèrent  en  marte  ;  ils  égorge  oient 
es  propriétaires  ,  incendioiem  les  plantations  &  les  habi- 
tations. Les  campagnes  fuient  ravagées  ,  bouleverfées  de 
fond  en  comble  j  &  les  hommes  libres,  pour  échappera 
la  fureur  des  Africains ,  fuient  obligés  de  fe  retrancher 
■dans  les  villes  du  Cap  ,  du  Fort- Dauphin ,  du  Port-de- 
Paix  &  du  Môle.  Les  mois  de  feptembre  ,  d'octobre  &  de 
novembre,  fuient  marqués  par  les  mêmes  excès  de  la  part 
des  hommes  de  couleur  de  l'Oued  &  du  Sud  ,  fous  le  pré- 
texte de  la  revendication  de  leurs  droits.  Déjà  les  villes  du 
Port-au-Prince  &  Jacmel  avoient  été  réduites  en  cendres  j 
ôc  tout  cela  s'efl:  fait ,  non- feulement  avant  ma  ptemière 
arrivée  à  Saint -Domingue,  mais  même  antérieurement,  à 
Ja  million  des  premiers  comniilTaires  civils  ,  Mirbeck  , 
Roume  &  Saint  -  Léger.  Cette  vérité  a  été  reconnue  dans 
les  débats  imprimés,  &  j'ai  pour  garant  de  mes  aliénions  le 
témoignage  des  hommes  les  plus  purs  que  la  Convention 
nationale  ait  eus  dans  (on  fein  ,  des  repréfentans  qui  compo- 
foient  la  commifïion  des  colonies  ,  cette  commifiion  qui  a 
prononcé  entre  moi  &  mes  anciens  aceufareurs. 

Si  donc  il  eft  prouvé  que  le  peuple  noir  &  de  couleur 
de  Saint-Domingue  a  pris  les  armes  dès  1796"  pour  re- 
couvrer les  droits  imprefcripribles  de  la  nature  ,  s'il  eft 
reconnu  qu'à  cette  époque  l'état  des  perfonnes  étoit  déjà 
fixé  par  le  fort  des  armes  ,  û  les  continuels  fuccès  des 
opprimés  fur  les  opprelfcurs  leur  afluroient  dès  -  lors  la 
jouilîànce  de  ces  mêmes  droits  ,  de  quel  front  oferoit-on 
me  taxer  aujourd'hui  d'avoir  été  l'auteur  des  maux  qui 
ont  accompagné  la  guerre  de  la  liberté  ,  puifque  j'étois 
«dors  en  France  ,  bien  éloigné  de  prévoir  le  rôle,  trop 
jnalheureufement  célèbre  pour  mon  repos ,  que  depuis  j'ai 
Joué  dans  les  colonies.  C'eft  le  17  feptembre  1792  que 
je  fuis  arrivé  à  Saint-Domingue  }  &  comme  je  viens  de 


5 

vous  le  dire ,  il  y  avoit  plus  d'un  an  que  le  fort  de  cette 

colonie  étoit  déc]dé. 

Je  ne  vous  remettrai  point  fous  les  yeux  le  tableau  des 
fairs  qui  fe  font  pâlies  pendant  ma  première  million  :  ce 
feroit  fatiguer  votre  artention  ,  dépalTer  moi-même  les 
bornes  que  je  me  fuis  prefcrites  ,  que  de  vous  entretenir 
de  faits  qui  déjà  vous  font  connus  ,  d'accufations  déclarées 
calomnieufes  par  un  décret  folemnel  de  la  Convention 
nationale. 

Au  commencement  de  pluviôfe  de  l'an  4  >  je  fLls  nommé 
par  le  Directoire  exécutif  l'un  de  fes  agens  particuliers  à  Saint- 
Domingue  :  deux  vailfeaux  de  ligwe  ,  trois  frégates  ,  fix 
cents  hommes  de  troupes  ,  cinq  à  Hx  généraux  ,  cinquante 
mille  francs  d'argent  comptant  ;  tels  font  les  moyens  mili- 
taires Se  financiers  qu'on  mit  à  notre  difpofinon  ,  pour 
chalTer  les  Anglais  de  Saint-Domingue  8c  tirer  enfin  cette 
colonie  du  cinos  où  l'abfence  d^s  autorités  civiles  l'avoit 
plongée. 

Nous  partîmes  de  Rochefort,  &  le  &3  floréal  nous  mouil- 
lâmes dans  la  rade  du  Cap.  je  m'attendois  à  trouver  le 
pays  tranquille  ,  les  efprits  réunis  ,  les  autorités  françaifes 
reipecties.  Au  lieu  du  fpe&acle  touchant  de  l'union  &  de 
la  paix ,  je  n'y  vois  que  les  apprêts  de  la  guerre  civile.  Le 
gouverneur  général  8c  l'ordonnateur  avoient  été'  incarcérés 
par  une  troupe  de  bandits  furieux.  Le  commandant  du  Cap  , 
campé  avec  un  parti  de  mulâtres  a  lept  lieues  de  la  ville  , 
était  en  révolte  ouverte  contre  fon  chef  légitime  ;  les  ar- 
mées en  préfence  alloient  en  venir  aux  mains;  le  fang  des 
hommes  de  couleur  Se  des  noirs  étoit  prêt  à  couler.  Deux 
jours  plus  tard  ,  cV  c'en  étoic  fait  de  la  colonie ,  les  trois 
parties  de  Saint  -  Domingue  paftoient  fous  le  joug  des  en- 
nemis de  la  France. 

Deux  hommes  de  couleur,  Rigaud  &Beauvaiç,  gouver- 
noient  le  Sud  &  l'Ouedde  l'île  ;  le  Nord  feul  obeifloit  à  un 
gérféral  européen.  Viilatejqui  avoit  conçu  le  projet  de  régner 
ieul  6c  de  cKalTei  ie  gouverneur,  avoit  dirigé  l'infurreciioru 

A  S 


Bien  loin  de  le  défendre ,  il  méconnut  fes  ordres ,"  &  lut 
donna  des  gardes  pour  s'afTurer  de  fa  perfonne.  Il  fit  plus  ; 
voyant  les  généraux  noirs  embraffer  le  parti  du  repréfenrant 
de  la  France ,  il  fit  prendre  les  armes  à  la  garnifon ,  diftri- 
buer  des  cartouches ,  &  ordonna  par  écrit  de  marcher  contre 
les  libérateurs  de  fon  prifonnier.  Il  écrivit  en  même  temps 
une  circulaire  à  tous  les  commandans  militaires  de  la  colo- 
nie pour  leur  ordonner  ne  correfpondre  avec  lui  feul ,  leur 
annonçant  qu'il  remplifïoit  déformais  les  fonctions  du  gé- 
néral en  chef  Laveaux. 

Le  plan  d'indépendance  étoit  tellement  organifé  ,  que  la 
municipalité  du  Cap  invita  ,  par  une  adreiïe ,  toutes  celles 
de  la  partie  françaife  à  envoyer  des  députés  dans  la  capi- 
tale pour  s'y  réunir  en  alTemblée  coloniale. 

D'après  des  délits  aufïï  graves  j'aurois  pu  fans  doute  en 
livrer  les  auteurs  au  glaive  de  la  loi.  Le  fait  étoit  confiant , 
les  difpofitions  du  code  pénal  précifes-,  j'étois  autorifé  à  les 
faire  juger  par  une  commifîion  militaire  ;  &  cette  commif- 
fion  ,compofée  de  leurs  ennemis,  les  eût  infailliblement  fait 
fufiller.  Eh  bien  !  au  lieu  de  faire  juftice  des  coupables  , 
j'ai  provoqué  l'indulgence  de  la  commiflion  du  gouverne- 
ment ;  elle  s'eft  bornée  à  éloigner  des  hommes  qui  ne  pou- 
voient  plus  demeurer  dans  la  colonie  fans  danger  pour  la 
tranquillité  publique  ,  à.  les  envoyer  en  France  à  la  difpo- 
fition  du  Dire&oire  exécutif.  Eli  -  ce  donc  là  une  mefure 
cruelle  &  fanguinaire  ?  eft-cedonc  là  la  conduite  d'un  tyran  > 
d'un  ennemi  de  la  conftitution  Se  de  la  patiie  ? 

Cependant  à  peine  Villate  &  fes  complices  arrivent  en 
France  ,  qu'ils  font  accueillis  par  mes  ennemis.  Les  aflaf- 
fins  du  gouverneur  général  font  transformés  en  vi&imes  de 
Ja  tyrannie.  Vaublanc  les  défend  avec  chaleur  à  cette  tri- 
bune ;  il  unit  leur  caufe  à  la  fienne  :  il  fuffit  qu'ils  aient 
été  arrêtés  par  ordre  des  agens  du  Directoire ,  pour  exciter 
l'intérêt  de  mes  perfécuteurs. 

Encore,  s'il  avoit  été  permis  de  douter  des  crimes  de  ces 
malheureux  î  fi  l'accufation  eût  été  fondée  fur  des  indices 


7 
purement  teftimoniaux  !  mais  c'eft  fur  des  preuves  écrites ,' 
émanées  des  accufés  eux  mêmes  !  Les  ordres  donnés  par 
Villate  font  fignés  de  fa  main;  la  circulaire  que  je  vous  ai 
annoncée  eft  avouée  de  fes  auteurs  ;  ces  pièces  font  dépofées  à 
la  corrimiffion  des  colonies.  Et  cependant ,  dans  cette  étrange 
conjuration  du  crime  contre  l'innocence ,  c'eft  le  juge  qui 
prend  la  place  de  l'accu fé  !  c'eft  l'agent  du  gouvernement 
qui  eft  facrifié  à  la  vengeance  àes  confpirateurs  ! 

A  Dieu  ne  plaife  ,  repréfentans  ,  que  profitant  de  l'avan- 
tage que  donne  la  victoire  ,  j'eflaie  de  provoquer  une  réac- 
tion contre  les  conjurés!  Le  malheur  qui  frappe  même  le 
coupable,  le  rend  facré  à"  mes  yeux.  Je  ne  vou  ois  que  vous 
montrer  de  quels  méprifables  moyens  on  fe  fervoit  pour  me 
perdre  ,  &  quel  étoit  le  nœud  fiinefte  qui  unifient  les  chefs 
de  la  faction  que  vous  avez  terrafTée  le  18  fructidor,  avec 
ceux  de  {qs  complices  que  j'ai  frappés  en  Amérique. 

L'embarquement  de  Villate  &  des  principaux  chefs  de 
fa  faction  rendit  la  paix  à  la  partie  du  Nord.  Le  retour 
de  l'ordre  permit  enfin  aux  agens  du  Directoire  de  s'occuper 
de  réformes  Se  d'amélioration  dans  les  différentes  branches 
du  gouvernement.  On  organifa  les  tribunaux  civils  & 
criminels;  on  nomma  des  juges-de-paix  dans  toutes  les 
communes  ;  on  forma  des  adminiftracions  municipales;  on 
tendit  les  biens  à  ceux  des  propriétaires  que  l'erreur  ou  la 
malveillance  avoient  mis  au  nombre  des  émigrés  ;  enfin  on 
s'occupa  férieufement  des  cultures. 

Ce  dernier  objet ,  avant  notre  arrivée  j  étoit  confié  au* 
foins  du  général  Lavaux  ,  aujourd'hui  membre  du  Confeil 
des  Anciens,  &  de  l'ordonnateur  Perroud.  Je  dois  dire  à 
la  louange  de  ces  deux  citoyens ,  qu'ils  font  parvenus  à 
relever  un  grand  nombre  d'habitations  dans  la  plaine  du 
Cap ,  &  dans  les  montagnes  de  la  partie  du  Nord. 

La  confiance  dans  la  commiffion  étoit  telle,  que  ce 
département  marchoit  à  grands  pas  vers  fa  reftaurarion.  Les 
habitans  de  TOueft  &  du  Sud ,  courbés  fous  le  joug  de  fer 
que  leurimpofoient  Rigaud  &  quelques  autres  chefs  mulâtres  9 

A  4 


8 

nous  prefîbient  de  les  faire  jouir  du  bienfait  des  lois  fran- 
çaifesj  nous  nous  hâtâmes  d'y  envoyer  une  délégation  for- 
mée de  trois  hommes  connus  par  un  patriotifme  fage  & 
éclairé  àinfi  que  par  leur  ardent  amour  pour  la  liberté.  Ils 
avoient  pour  instruction,  i°.  de  maintenir  l'égalité  politique 
entre  tous  les  citoyens ,  fans  diitir.clion  de  couleur;  i°.  d'or- 
g2nifer  les  adminiitrations  municipales;  3°.  de  rechercher 
les  dilapidareurs  de  la  fortune  publique  &  de  les  forcer  à 
rendre  compte  ;  40.  de  ne  pas  oublier  ,  dans  les  récompenfes 
à  accorder  de  la  part  du  gouvernement ,  les  fervices  rendus 
par  les  hommes  qui  avoient  concouru  à  la  confervation  du, 
territoire  français  ,  &  à  le  garantir  de  l'invafîon  anglaife. 

A  peine  les  délégués  de  la  commifîîon  font- ils  nommés, 
que  Rigaud  &  les  chefs  qui  fervoient  fous  fes  ordres  fe 
réunifient  à  Léogane  pour  délibérer  h"  on  les  recevrait  ,  Se 
il  on  reconnoîtroit  les  agens  particuliers  du  Directoire  exé- 
cutif. Sur  les  repréfentations  de  quelques-uns  d'entre  eux, 
on  fe  décide  pour  l'affirmative ,  &  les  délégués  arrivèrent. 
Ils  trouvèrent  les  municipalités  avilies  ;  leurs  fonctions  fe 
bornoient  à  tenir  les  regiftres  de  l'état  civil.  Les  comman- 
dans  militaires,  tous  hommes  de  couleur  ,  s'arrogeoient  tous 
les  pouvoirs  des  anciens  lieufenans  de  roi  ;  ils  régloient  ar- 
bitrairement tout  ce  qui  étoit  relatif  aux  cultures  ik  aux 
cultivateurs.  Cette  patrie  importante  des  reflources  publi- 
ques étoit  la  proie  de  ces  hommes  fans  pudeur  &  fans 
moralité. 

Les  blancs  étoient  aux  hommes  de  couleur  ce  que 
ceux-ci  étoient  aux  blancs  fous  l'ancien  régime  :  les 
Européens  étoient  réduits  à  la  condition  des  affranchis.  Le 
fort  des  noirs  n'avoir  pas  changé  ;  on  leur  infligeoit  les 
mêmes  ïfuppiices  qu'autrefois  ,  &  la  barbarie  des  nouveaux 
maîtres  furpalïoit  de  beaucoup   celle  des  anciens. 

Les  délégués  commencèrent  par  erganifer  les  adminiftra- 
tions'mJufripales.  Les  juges- de -paix  furent  établis,  &  ou 
leur  confia  la  police  des  ateliers.  Un  régime  uniforme  & 
doux  remplaça  celui  du  bâton ,  des  chaînes  &  des  cachots. 


9 
Les  arbres.de  la  liberté  furent  plantés   fur  les   habitations* 
Des  autels  à  la  patrie  furent  dreifés ,  pli  chaque  décade  les 
propriétaires  ou  gérens  dévoient  réunir  les  cultivateurs  pour 
leur  infpirer  l'obéilTance  aux  lois. 

Des  réformes  aulîî  falutaires  ne  plaifoient  guères  au* 
dominateurs-  ils  attendoient  avec  impatience  une  occa- 
flon  favorable  de  fe  reffàifir  du  pouvoir  qu'ils  avoient  ufurpé. 
L'arreitation  de  Le  franc  ,  commandant  de  Saint-  Louis  * 
prévenu  d'un  projet  d'ailaîiingt ,  leur  en  offrit  une  qu'ils 
ne  laifsèrent  pas  échapper. 

C'étoit  le  10  fru&i-Jor  de  l'an  4«  A  peine  a-t-on  no- 
tifié à  Lefranc  le  mandat  d'anét ,  qu'il  s'échappe  en  criant 
aux  armes.  Plufieurs  de  (qs  complices  le  fuivent  dans  les 
forts  ;  ils  y  attirent  une  foule  de  noirs  &  d'hommes  de 
couleur  qui  s'y  rendent  de  la  vilfe  de  de  la  campagne.  Ce 
fut  en  vain  que  la  délégation  promir  une  amniflie  &  même 
le  pardon  de  Lefranc ,  (I  l'on  évacuoit  les  forts ,  fi  les 
chefs  de  la  révolte  faifoient  retirer  ôc  rentrer  dans  les 
ateliers  leurs  trop  crédules  auxiliaires  :  les  rebelles  répon- 
dirent qu'ils  ne  pouvoient  fe  retirer  qu'à  l'arrivée  du  gé- 
néral IVigaud,  ôc  qu'ils  ne  reconnoilToient  que  lui  pour 
chef  légitime.  Ils  fe  formèrent  en  confeil  permanent  fous 
le  titre  de  confeil  populaire  féant  au  fore  l'Iler. .  . .  C'eft 
ainfi  qu'au  i3  vendémiaire  de  l'an  4  >  1£S  ennemis  de  la 
repréfentatioa  nationale  avoient  leur  directoire  à  la  feâion. 
Lepelletier. 

Cependant  les  partis  n'étoient  encore  qu'en  jjréfence  , 
le  fang  des  citoyens  n'avoit  pas  coulé ,  &"  tout  fembloic 
ajourné  jufqu'à  l'apparition  du  général  Rigaud ,  alors  en 
campagne. 

Le  14»  au.  matin,  on  apprend  qu'il  eft  aux  portes  de 
la  ville  avec  fon  armée.  Il  y  entre  fur  les  dix  heures,  Se 
avec  lui  l'épouvante,  le  carnage  &  la  mort.  Ses  fatellites 
égorgent,  pilent  les  amis  de  la  France;  &  c'étoit  les 
Français  récemment  venus  de  l'Europe  qu'on  leur  avoit 
particulièrement  défignés   pour   victimes.  Bientôt   la  villf 

Difcours  de  Sonthonax.  A  5 


10 


des  Cayes  préfente  le  fpeclacle  d'une  ville  prife  d'alTaut. 
Le  bruit  de  la  moufqueterie ,  les  cris  perçans  des  mal- 
heureux égorgés  par  les  ordres  de  Pugaud  ,  glacent  de 
terreur  les  blancs  qui  s'étoient  réfugiés  chez  les  délégués. 
Ce  général  les  fait  venir  chez  lui  :  là  ,  fur  les  cadavres 
fanglans  de  leurs  frères  aflaflinés ,  on  les  force  de  ligner 
une  adreffe  dans  laquelle  ils  le  fupplient  de  s'emparer  du 
gouvernement. 

«  Nous  citoyens  français  ,  difent-ils  ,  habirans  de  la 
«  ville  des  Cayes  ,  réunis  en  ce  moment  dans  la  maifon 

»  du  général  Rigaud ;    confîdérant   qu'il  n'y  a   pas 

«  un  moment  à  perdre ,  au  milieu  des  gémifîemens  plain- 
»  tifs  de  nos  femmes  &  de  nos  enfans,  nous  lignons  tous 
*>  individuellement  la  prière  que  nous  adreiTons  au  général 
j»  Rigaud  ,  de  prendre  en  main  les  rênes  du  gouverne- 
»  ment,  &c.  • » 

Alors  on  avoit  lieu  de  croire  que  l'ambition  de  Rigaud 
fatisfaite  arrêterait  le  cours  des  afTaflinats  ;  que  ,  content 
de  régner ,  il  empêcherait  des  crimes  devenus  inutiles ,  &: 
qn'il  voudrait  jouir  tranquillement  de  fa  victoire.  Vaine 
efpérance  !  les  brigands  à  fa  folde  profitent  de  la  nuit  du 
24  au  *5  pour  piller  les  maifons  des  blancs  entalTés  chez 
lui,  &  conduire  au  fort  pour  y  être  fufiîlés  ceux  que  la 
profeription  avoir  défignés  fous  le  titre  de  partifans  de  la 
faSlon  francaife. 

Dans  la  matinée,  les  délégués  ,  qui  jufques-là  avoient 
été  refpectés  ,  virent  violer  leur  afyle  ;  on  fe  porte  à  la 
maifon  qu'ils  occupoient  ;  leurs  archives  &  leurs  effets  font 
luis  au  pillage.  Inutilement  fe  plaignent-ils  de  ces  enlève- 
mens:  .Rigaud  leur  répond  en  leur  lignifiant  qu'ils  font 
Jes  prifonniers  ,  &  que  leurs  papiers  feront  examinés  par 
--une  commifîion. 

Cependant  les  afTaflinats  &  les  fufillades  continuent  fix 
jours  entiers  fans  que  Rigaud,  qui  avoit  la  force  armée  à 
fa  difpôfition ,  (Fît  le  moindre  effort  pour  les  arrêter.  Tous. 
les  hommes  qui  ,  par  leurs  talens  ou  leur  énergie  ,  pouYoienc. 


lui  porter  ombrage  ,  étoient  impitoyablement  facrifiés.  Le 
commiflaire  du  Direâoire  près  la  municipalité  ,  des  membres 
de  l'adminiitration ,  des  officiers  diftingués  par  leurs  con- 
noiflances  dans  le  métiet  de  la  guérie,  ont  été  immolés. 
Plus  de  deux  cents  victimes  ont  péri  dans  ess  journées  mal- 
heureufes  ,  &  le  carnage  n'a  cefTé  aux  Cayes  que  pour  re- 
prendre à  Saint-Louis  ,  chef-lieu  du  commandement  de 
Lefranc  :  quinze  malheureux  blancs  ,  du  nombre  defquels 
étoit  une  femme  de  foixanre-quinze  ans,  ont  été  maiTacrés 
par  fes  ordres  ,  &  devant  fa  porte. 

A  Acquin  il  ordonne  les  mêmes  exécutions  ;  mais  il  y 
trouve  un  militaire  ,  ami  de  l'humanité  ,  qui  s'honora  par 
une  rëfiftance  ferme ,  en  refufant  de  tremper  fes  mains 
dans  le  fang  européen.  C'eft  le  capitaine  Bentier  ,  homme 
de  coureur  ,  à  qui  je  me  plais  à  rendre,  devant  le  Confeil  , 
la  juftice  qu'il  mérite.  Je  luis  foldat  de  la  République, 
dit-  il  à  Lefranc,  &  non  le  bourreau  de  mes  concitoyens. 
Il  met  les  prifonniers  fous  fa  iauve-garde,  &  ils  font  con- 
fervés.  11  avoit  à  peine  cinquante  foldats ,  &,  avec  ce  foible 
fecours  ,  il  parvient  à  maintenir  l'ordre  dans  (on  quartier  ; 
il  rende  à  Lefranc  lui-même,  il  conferve  la  vie  ôc  la  pro- 
priété des  habitans  ;  tandis  que  R.igaud ,  à  la  tête  d'une  ar- 
mée nombreufe  ,  accoutumée  à  lui  obéir,  fort  de  l'influence 
que  lui  donne  fa  popularité  ,  lailfe  tranquillement  égorger 
&  piller  dans  toute  l'étendue  de  fon  commandement  ,  fans 
prendre  aucune  mefure  répreflive  ,  fans  même  daigner  invi- 
ter les  aiîaffins  à  cellèr  leur  affreufe  boucherie. 

Le  but  de  tant  de  mafTacres  étoit  d'empêcher  la  mife  ea 
activité  de  la  conftitution ,  qui  avoit  été  proclamée  le  jour 
même  de  la  révolte.  Rigaud  défend  la  tenue  des  alTembléei 
primaires.  De  fon  autorité  privée  j  il  deftitue  les  juges-de- 
paix,  tous  les  commiiuires  du  Directoire  exécutif'  il  mec 
toutes  ks  communes  en  état  de  fiége.  Les  arbres  de  la  liberté 
iout  arrachés  ,  les  autels  de  la  patrie  renverfés ,  les  arrêté* 
de  la  délégation  méprifés ,  les  lois  de  la  République  fou- 
lées aux  pieds.    Rigaud  ,  pour  couvrir  ks  crimes ,  efTaie  de 

A  6 


12 

négocier  avec  les  Anglais,  Plusieurs  officiers  français ,  prï- 
fonniers  à  la  Jamaïque  &  au  mô!e  Saint-Nicolas ,  onr  vu 
fes  agens  avouer  publiquement  la  m'ifïioa  donc  ils  étoient 
chargés.  Une  correfpondance  d'émigrés  ,  &  une  lettre  du 
commandant  pour  le  roi  d'Angleterre  au  Port-au-Prince , 
interceptées  par  la  com million  ,  ne  laiflent  aucun  doute  à 
cet  égard.  J'ai  fait  publier  officiellement  l'une  &  l'aune  ,  & 
Rigaud  ,  furveillé  aujourd'hui  par  les  patriotes  3  qui  lont 
encore  en  grand  nombre  dans  le  département,  eft  dans 
J'impcfîibihté  de  confommer  fon  crime. 

Rigaud,en  négociant  avec  l'Angleterre,  ne  perdoit  pas 
de  vue  la  France.  Il  falloir ,  en  cas  de  befoin ,  fe  ména- 
ger des  appuis  auprès  du  gouvernement  ;  il  falloir  fur- tout 
le  lier  avec  les  agens  du  miniftère  britannique  dans  le  Con- 
feil  des  Cinq-Cents.  Sous  le  nom  de  la  municipalité  des 
Cayes,  il  envoya  à  Paris  deux  commiflTaires ,-1'un  blanc, 
Se  l'autre  homme  de  couleur,  pour  rendre  compte  des  évé- 
nemens.  Leur  premier  foin  à  leur  arrivée  a  été  de  protefter 
contre  les  fignatures  que  FJ^aud  ,  le  poignard  fur  la  poi- 
trine ,  leur  avoit  extorquées.  Forrés  de  rendre  hommage  à 
ïa  vérité,  ils  ont  fait  imprimer  leur  récit  des  événemens 
ides  Cayes  dans  le  même  leni  que  je  viens  de  vous  les  ra- 
conter. 

Eh  bien!  citoyens  collègues,  malgré  l'évidence  des  faits 
qui  aceufent  Rigaud  ,  maigre  les  preuves  matérielles  qui 
réfultent  des  actes  qu'il  avoue  ,  malgré  les  dénonciations 
portées  courre  lui  mr  les  mêmes  hommes  qu'il  a  eu  foin 
de  munir  de  lettres  de  créance,  il  trouva  à  cette  tribune 
des  protecteurs  intérelfés  qui  me  chargeoient  des  crimes 
qu'il  a  commis.  Depuis  un  an  je  ligna  le  Rigaud  comme 
3'aflaiîin  des  Européens  \  j'envoie  foigneufement  au  gouver- 
nement toutes  les  pièces  qui  confiaient  lés  faits  ;  <k  c'eft  moi 
qui  fuis  repréienté,  par  Vaubîanc  fon  déienfeur ,  comme 
couvert  du  fang  innocent  qu'il  fie  répandre.  Etrange  effet 
de  l'aveuglement  des  pallions  révolutionnaires ,  qui  ,  fans 
éea'rd  pour   les  preuves  morales  pu  ^évidence  phyfique , 


i3 

travefYit  tour- à- tour  les  victimes  en  bourreaux  ,  6c  les 
bourreaux  en  victimes  !  Des  attentats  inoins  font  commis 
aux  Cayes ,  &  la  délégation  du  gouvernement  y  eft  mé- 
connue j  les  dépêches  de  la  commiilion  interceptées ,  fes 
couriers  maîfacrés  ;  des  agens  du  gouvernement,  fes  plus 
intrépides  défenfeurs,  prefque  tous  venus  de  France  à  la 
fuite  des  commiiTahes,  périlfent  par  les  ordres  de  Rigaud , 
&  des  mains  des  hommes  de  couleur  fes  fatellites.  Com- 
ment ofoit-on  m'attribuer  ces  faits ,  quand  mes  amis  feuls 
font  frappés  du  fer  alTaflin  ,  quand  ils  fuccombent  feuls 
fous  les  coups  de  ceux  qui  me  calomnient  aujourd'hui  ? 
comment  a-t-on  pu  me  peindre  comme  l'auteur  des  maf- 
facr  es  du  Sud ,  moi  qui  depuis  quinze  mois  n'ai  ceffé  d'é- 
lever la  voix  contre  les  vrais  coupables  ? 

Pendant  les  dix- huit  mois  qu'a  duré  ma  féconde  mif- 
fion  ,  quatre  individus  ont  fubi  la  peine  capitale  par  ]\i-m 
gement  d'une  commiflîon  militaire  ;  &:  ces  hommes  étoienc 
des  noirs»  chefs  de  l'infurredion  du  Port  de  Paix.  Qu'oit 
me  cite  un  feul  Européen  qui  ait  péri  par  ma  faute  ou  par 
mes  ordres  ! 

Je  fuis  loin  cependant  de  vouloir  envelopper  dans  une 
profcription  générale  la  mau^e  des  hommes  de  couleur  •  (i 
l'ambition  &  la  cupidité  en  ont  égaré  quelques-uns,  c'eft 
un  malheur  qui  leur  eft  commun  avec  les  blancs  j  avec 
les  noirs  j  mais  dont  on  ne  peut  accufer  ceux  qui  font  reliés 
fidèles.  Lorfqu'il  y  a  dts  crimes  commis,  ce  n'eft  pas 
la  couleur  de  l'individu  ,  c'eft  le  ccrur_qui!  faut  acculer» 
Si  Rigaud  fut  un  tigre  furieux  ,  Bentier  nous  rappelle  ce 
généreux  gouverneur  de  Bayonne  qui,  fous  le  règne  fan- 
glant  de  Médicis  ,  refufa  de  fe  fouiller  du  meurtre  des 
proteftans. 

Les  malheureux  événemens  du  Sud  influèrent  pour  quelque 
temps  fur  la  tranquillité  de  la  partie  du  Nord.  En  vendémiaire 
de  l'an  5  ,  les  noirs  de  la  montagne  du  Port-de-Paix  s'infur- 
gèrent ,  &  ceux  de  la  partie  de  l'Eft  recommencèrent  leurs 
incurfions  ;   mais  des  mefures  fages  &  vigoureufes  eurent 

Difcours  de  Sonchonax,  A  7 


bientôt  terminé  la  révolte.  C'en:  le  général  Desfourneaux 
qui  a  l'honneur  d'avoir  fini  cette  guerre  contre  les  reftes 
de  Parmée  vendéenne  de  Jean  -  François ,  qui ,  lors  de  la 
paix  avec  l'Efpagne,  avoit  paiïé  fous  les  ordres  du  comte 
de  Rouvray  ,  émigré  «a  la  folde  de  l'Angleterre'.  Dans  le 
courant  de  ventôfe  ,  &  en  moins  de  quinze  jours  ,  les 
montagnes  de  Valière ,  de  Sainte-Suzanne  &  de  la  Grande- 
Rivière,  ont  été  entièrement  balayées,  les  brigands  défarmés, 
les  cultivateurs  réunis  paifiblement  dans  leurs  ateliers. 

A  dater  de  cette  pacification  de  la  Vendée  de  Saint- 
Domingue,  la  culture  a  fait  des  progrès  rapides.  Une  gen- 
darmerie provifoire,  organifée  dans  toutes  les  communes, 
a  réprimé  le  vagabondage  ;  &  l'amour  du  travail  étoit  tel- 
lement gravé  dans  les  cœurs  ,  que  les  noirs  déper.dans  des 
habitations  incendiées  relevoient  eux  -  mêmes  les  bâumens 
détruits ,  &  venoient  enfuite  au  Cap  follicîter  les  capitaliftes 
êc  les  propriétaires  de  cette  ville  d'employer  leurs  fonds  à  l'ex- 
ploitation des  terres.  Plus  de  cent  quatre-vingts  fucreries  font 
en  activité.  Les  fermages  en  nature  fe  montent  à  près  de 
6  millions j  ce  qui,  avec  la  part  des  cultivateurs,  les  frais 
de  faifance- valoir  5c  les  bénéfices  du  fermier,  porte  le  pro- 
duit brut  des  cultutes  à  près  de  vingt-cinq  millions  pefant 
de  fucre  pour  la  province  du  Nord  feulement.  Amis  ou 
ennemis  ,  étrangers  ou  nationaux  ,  tous  conviennent  de 
cette  vérité. 

L'encouragement  des  cultures  produifit  la  reftauration  du 
commerce.  L'état  des  mouvemens  de  la  rade  du  Cap  ,  de- 
puis le  mois  de'  prairial  an  4  >  jufqu'à  celui  de  fructidor 
an  5  ,  prouve  que  plus  de  deux  cents  bâtimens  neutres 
étoieut  employés  à  1  importation  des  marchandifes  d'Eu- 
rope &rà  l'exportation  des  denrées  coloniales.  Les  relevés 
de  la  douane  du  Cap  portent  à  10  millions  par  trimeftre  la 
Tomme  des. unes  &  des  autres.  Les  droits  d'o&roi  fur  la 
Toctie  des  marchandifes  fe  montent  à  près  de  i5o,ooo  liv. 
par  mois ,  le  tout  argent  des  Colonies.  Vous  voyez  par  là , 
citoyens  collègues,  qu'il  f#  fait  aujourd'hui  plus  de  com- 


i5 

merce  au  Cap  Français,  qu'en  aucun  antre  des  grands  porcs 
de  la  République  en  Europe. 

Les  progrès  inouïs  de  la  culture  &  du  commerce  ont 
fait  rétablir  les  maifons  incendiées  en  1793.  Un  plan  en- 
voyé au  Directoire  par  la  commillion  du  gouvernement , 
où  les  maifons  rétablies  font  marquées  d'une  couleur  par- 
ticulière ,  attefte  que  les  deux  riers  au  moins  de  la  ville 
du  Cap  font  conftruits.  Le  fermage  des  maifons  louées 
pour  le  compte  de  la  République  s'élève  à  600,000  liv. 

Au  nombre  des  caufes  diverfes  qui  ont  produit  la  ref- 
tauration  de  Saint-Domingue ,  je  dois  mettre  fur-tout  les 
arméniens  en  courfe.  Les  mers  du  golfe  du  Mexique 
ont  été  couvertes  de  bâtimens  légers,,  portant  depuis  deux 
canons  jufqu'à  vingt  ,  qui  ont  défoîé  &  prefque  détruit  le 
commerce  anglais.  Les  braves  marins  qui  les  commandent 
renouvellenr  aux  Antilles  \es  miracles  des  anciens  flibuf- 
tiers.  Avec  de  (impies  chaloupes  ,  armés  de  fufils  &  d'ef- 
pingoles,  ils  enlèvent  à  l'abordage  des  bâtimens  portant 
de  la  grotte  artillerie.  11  n'y  a  pas  huit  mois  que  i'avifo 
anglais  le  Port- Royal  _,  armé  de  dix  canons  du  calibre  de 
quatre  &  quarante  hommes  d'équipage  ,  commandé  par 
un  lieutenant  de  la  manne  royale  ,  a  été  pris  par  un  Fran- 
çais appelé  Michel  Meilhan  ,  monté  fur  une  mauvaife 
barge,  n'ayant  que  deux  efpingoles  ce  vingt  hommes 
armés  de  piftolets  &  de  Cabres.  Ce  fait  paroîtroit  in- 
croyable fi  la  procédure  de  condamnation  envoyée  au  mi- 
niftre  de  la  marine  n'en  garanthfoii  pas  l'authenticité. 

Tels  font,  en  peu  de  mots  ,  les  heureux  réfultats  de  ma 
million  j  les  Anglais  repoulTés  &  remis  en  échec  dans  les 
places  que  la  trahifon  leur  avoir  livrées ,  leur  commerce 
intercepté  ou  détruit ,  la  Vendée  de  Saint-Domingue  paci- 
fiée ,  les  cultures  vivifiées  ,  la  ville  du  Cap  rebâtie ,  le 
commerce  colonial  encouragé,  voilà  les  actes  que  j'ai  Jf 
oppofer  à  mes  ennemis  en  réponfe  à  routes  leurs  calom- 
nies. Ces  faits  font  avoués  par  tous  mes  détracteur,  ils 
ont  été  proclamés  dans  cette  enceinte  par   de  nombreux 


i6 

mefiages  du  Direcloire  ,  tous  approbatifs  de   ma  conduite. 

Si  quelques  incrédule*,  vouloient  encore  douter  du  com- 
mencement de  profpérité  dont  jouit  la  colonie  ,  s'ils  re- 
fufené  de  croire  aux  heureux  effets  de  la  liberté  des  noirs  , 
qu'ils  lifent  eux  mêmes  les  aveux  de  mes  dénonciateurs  j 
qu'ils,  fe  donnent  la  peine  de  parcourir  îe  rapport  fait 
par  Baibé  Marbois  au  Confeil  des  Anciens  ,  le '28  ventôfe 
dernier ,  fur  les  comptes  rendus  par  le  miniflre  de  la 
marine. 

«'  Malgré  les  agitations  &  les  orages  qui  tourmentent 
»  Saint-Domingue  (  difoit  Marbois  )>  la  liberté  y  a  jeté 
»  de  fi  profondes  racines,  qu'elle  ne  peut  plus  être  arra- 
*  chée  de  cette  terre.  L'homme  libre  y  faura  conduire  la 
»  charrue  que  l'efclave  n'a  jamais  pu,  n'a  jamais  voulu 
»>  manier.  La  forme  des  êngagemens  à  terme  ne  répugne 
»   point  aux  inftitutions  républicaines 

»  Si  les  arts  utiles  de  i  Europe  font  une  fois  introduits 
»  dans  les  colonies ,  on  ne  peut  calculer  avec  quelle  rapi- 
»  dite  ils  en  favori  feraient  la  reftauration.  Déjà  il  eft  re- 
»  connu  que  les  affranchis  >  foit  qu'ils  fe  mettent  aux  gages 
»  de  ceux  dont  ils  ont  été  les  efclaves^  foit  qu'ils  de- 
»  viennent  co-partageans  dans  les  produits  ,  ainfi  que  nos 
»>  vignerons ,  peuvent  travailler  utilement  pour  le  proprié- 
•>■>  taire  &  pour  eux-mêmes,  &  que  pour  êtte  maintenu, 
»  l'ordre  n'a  pas  befoin  de  la  févéïité  des  châtimens.  Le 
»  fon  delà  cloche  fe  fait  entendre  à  des  heures  fixes,  5c 
»  appelle  comme  autrefois  les  nègres  aux  travaux.  Mais 
»  pour  les  y  animer ,  le  bruit  du  fouet  n'eft  pas  nécef- 
v  faire  ,  l'épreuve  eft  faite  ,  le  (uccès  n'eft  plus  douteux  ». 

C'eft  de  la  bouche  de  mes  ennemis,  citoyens  collègues, 
que  la  ve'tité-fefait  entendre  fur  la  caufe  des  noirs: cet  homme, 
qui  ,  certes ,  n'a  pas  partagé  mes  opinions  politiques  ,  qui  , 
<i îai sile  rapport  ^que  je  viens  de  citer  ,  blâme  ma  conduite  à 
Saint. Dfcîningué ,  èft  forcé  d'avouer  que  la  liberté  des  noirs 
a  fait*  bien  des  Antilles;  que  les  Africains,  cultivateurs, 
fe  livrent^  travail  avec  ardeur,  fans  que  le  fouet  tetrible 


«7 

d'un  féroce  conducteur  le*  appelle  à  l'ouvrage.  L 'épreuve  ejl 
faite  3  s'écrie-t  il,  en  s'adrefTant  aux  colons  propriétaires , /e 
fuccès  riejl  plus  douteux. 

Qu'il  eft  glorieux  ,  citoyens  collègues,  cet  hommage  renda 
à  vos  principes  !  C'eft  à  vous,  c'eft  a  la  Convention  nationale, 
qu'aopartient  l'immortel  honneur  d'avoir  affranchi  les  efclaves 
de  l'Amérique.  C'eft  par  votre  courage  ,  par  votre  énerg.e  , 
que  l'une  des  grandes  familles  du  genre  humain ,  réduite 
à  la  condition  des  bêtes  de  fotnrne  ,  va  jouir  des  droits 
du  citoyen.  C'eft  par  vous ,  enfin  ,  que  cette  quatrième  partie 
du  monde,  déformais  civilifée,  va  ouvrir  de  nouvelles  ioiitces 
de  profpérité  au  commerce  national,  Ainfi  la  politique,  d'ac- 
cord avec  la  philanthropie ,  ont  d'avance  fanc-tionné  votre 
ouvrage. 

En  vain,  pour  arTciblir  le  mérite  'des  grands  fcrvices  que 
vous  avez  rendus  à  l'humanité  ,  viendcoit  -  on  vous  parier 
des  hommes  féroces  qui  ont  fouillé  la  liberté  parleurs  crimes  , 
des  ingrats  qui  fe  font  fervis  de  (es  bienfaits  pour  les  tourner 
contre  la  France  :  vous  avez  promis  au  monde  que  le  fol 
des  Antilles  feroit  rerti'ifé  par  dçs  mains  libres  ;  que  les 
noirs  ,  cultivateurs  ,  iravailferoient ,  &  ils  ont  tenu  votre 
parole:  mais  vous  n'avez  p.is  pu  garantir  q  fil  n'y  au  toit  parmi 
eux,  ni  ambitieux,  ni  traîtres.  C'eft  le  fort  des  révolution» 
de  produire  de  tels  hommes,  &  l'Europe,  fur  ce  point,  a 
donné  l'exemple  à  l'Amérique. 

Il  me  refte  à  vous  parler  de  mon  déport  de  Saint- Do- 
mmgue,  fi  aiverfement  interprété  j  des  éain  qu'on  attribue  , 
à  ce  fujet ,  à  TouiTaint-l'Ouvcnure  ;  &  fur  tout  ,  de  la  ridi- 
cule inculpation  d'indépendance  dont  on  a  o'fé  me  charger, 
C  eft:  ici  ,  fur-tout  ,  que  je  réclame  toute  votre  attention. 

Je  fuis  parti  librement  de  Saint-Domingue  le  7  fructidor 
dernier  pour  me  fendre  à  mon  pofte  au  Corps  légi  datif  0 
je  ne  tohnoiflois  alors  ni  mon  exclufion  par  la  fiction  \&au- 
blario,  ni  ma  réintégration  définitive  par  une  loi  pairicuîiè'e. 
Depuis  neuf  mois,  mon  départ  avoit  été  ajourné  à  cay£  des 
troubles  du  Sud  fie  du  Port- dcrPaix ,  Bi  fur  les  WreS  inf- 


i8 

tances  de  mes  collègues,  qui ,  n'ayant  pas  le  courage  de  refter 
fans  moi  à  leur  porte  ,  me  déclarèrent  pofitivemeiu  qu'ils 
abandonnoient  la  Colonie   Ci   je   n\gn  éloignois. 

La  reftauration  du  commerce  ck  des  cultures ,  la  réédi- 
ficarion  de  k  ville  du  Cap  ,  enfin  la  paix  la  plus  profonde 
ayant  fuccédé  aux  orages ,  aux  dévaluations  ôc  aux  dan- 
gers de  toute  efpèce  ,  je  crus  pouvoir  fonger  à  retourner 
en  France. 

Ce  fut  dans  ces  circonftances  que  j'eus  connoilTance 
d'un  complot  tramé  par  des  prêtres  &  des  émigrés ,  & 
dont  Toulfaint-l'Ouvenure  étoit  l'inftrument ,  pour  fe  dé- 
faire de  la  commiflion  du  gouvernement.  J'en  fus  averti 
par  pluficurs  commandans  militaires  noirs  ,  Ôc  notamment 
par  un  officier  de  marque  européen  ,  dont  la  fureté  per- 
fonnelle  exige  que  je  vous  taife  le  nom  :  c'eft  par  écrit 
qu'il  s'eft  ouvert  à  moi  ;  j'ai  remis  copie  de  fa  lettre  au 
Directoire  exécutif  :  il  en  réfulte  que  non- feulement  on 
ne  veut  pas  àts  agens  actuels  de  Saint-Domingue  ,  mais 
encore  qu'on  rejette  d'avance  ceux  qu'on  enverroit  à  la 
pcix.  Je  dois  cette,  juftice  à  Tonllaint  -  l'Ouverture  :  c'eft 
que  par  lui-même  il  eft  incapable  de  concevoir  de  pareils 
projets  ;  &  je  fais  ,  à  n'en  pouvoir  douter  ,  que  s'il  n'avoir 
pas  été  obfédé,  travaillé  au-delà  de  toute  imagination  ,  il 
n'eût  jamais  confenti  à  fe  fouiller  du  crime  de  rébellion. 
Fait  pour  être  gouverné ,  fon  fort  eft  d'être  fournis  à  une 
impulsion  étrangère.  Sa  confcience  fuperftitieufe  &  peu 
éclairée  l'a  jtté  dans  la  dépendance  des  prêtres  contre- 
révolutionnaires  ,  qui,  à  Saint-Domingue,  comme  en  France, 
faiiilTent  tous  les  moyens  de  renverfer  la  liberté. 

Aux  prêtres  fe  font  joints  les  émigrés  qui  étoient  réunis 
avec  lui  îorfque ,  portant  la  cocarde  blanche ,  il  fervoit 
l'Efpa^ne  contre  la  France  ,  fous  les  ordres  &  comme 
général  en  fécond  de  l'armée  vendéenne  de  Jean- François, 
principaux  font,  un  abbé  italien  appelé  Martini  ,  qui, 
dam^la  partie  efpagnoîe ,  étoit  (on  aumônier  j  Salnavc  , 
émigre\pris  par   les   républicains   fur    un  çorlaire  anglais 


i9 

faifant  la  courfe  contre  les  Français  -,  Bâillon  de  Libertat  y 
qui ,  pendant  la  double  guerre  que  nous  avions  avec  l'Ef- 
pagne  ôc  l'Angleterre  ,  a  parcouru  fucceffivement  toutes  les 
villes  de  Saint-Domingue,  dont  l'ennemi  étoit  en  pof- 
feflion  •  le  prêtre  Lantheaume  j  aujourd'hui  fon  confeilèur. 
Tels  font  les  principaux  fripons  qui  le  féduifent  &  î'éga- 
rent.  Tant  que  les  déclamations  Virulentes  des  ïraublanc  , 
des  Villaret-loyeufc  ,  des  Bourdon  (  de  l'Oife  ) ,  n'ont  pas 
percé  dans  la  colonie  ,  l'afcendant  de  la  commiflion  a  tenu 
en  échec  les  confpirateurs  :  on  favoit  quelle  avoit  la  con- 
fiance du  gouvernement ,  &  c'en  étoit  allez  pour  qu'elle 
fût  refpe&ée. 

Mais  une  fois  que  les  conjurés  fe  font  crus  afTurés  d'un 
appui  dans  le  Corps  législatif ,  ils  ont  profité  du  fommeil 
forcé  du  Directoire  à  l'égard  de  fes  agens  pour  me  préfenter 
aux  yeux  de  l'Ouverture  comme  pourfuivi  par  l'opinion 
publique  cv  par  le  Corps  legillatif,  comme  abandonné  de 
mon  gouvernement ,  &  fuccombant  d'avance  fous  le  poids 
de  la  diffamation. 

Hâtei  vous ^  lui  difoit-on  fans  cette  ,  de  faifir  Sonthonax  > 
il  ejl profcrit  en  Europe:  arrêtez-le  avant  qu'il  ait  le  temps 
de  fuir  3  &  vous  aureç  bien  mérité  de  la  République.  C'eft 
ainli  que  Vaublanc  ,  dans  une  féance  trop  mémorable  ,  vous 
difoit  :  Qu'attendez-vqus  pour  frapper  Sonthonax? 
Toussaint- l'Ouverture    vous    le  livrera   pieds    et 

POINGS     LIES. 

Cependant  il  héfaoit  encore ,  Iorfque ,  pour  U  détermi- 
ner ,  on  lui  dépêcha  des  Etats-Unis  une  efpèce  d'aventu- 
turier  génois  de  nation ,  portant  la  cocarde  efpagnole  ,  fe 
difant  officier  de  la  marine  royale ,  lui  apportant ,  de  la  parc 
de  l'émigré  Gatereau  ,  journaliite colon,  des  paquets  venant 
de  France  qui  achevèrent  de  le  jeter  dans  le  parti  en** 
nemi.  • 

Raymond  ,  incertain  5c  lâche  ,  ne  s'occupant  qte  de 
l'exploitation  des  fucreries  aifermées  pour  [on  compte  , 
crut  confcrver  fa  vie  &  fon  or ,  en  me  livrai  à  Çourdon 


20 

(  de  l'Oife  ),  &  en  roulant  fur  moi  .tout  le  poids  des  fléaux 
révolutionnaires  qui  ont  défolé  Saint-Domingue.  Il  n'hé- 
lita  pas  à  fe  déshonorer  par  ce  honteux  marché  j  &  ma 
perte  fut  réfolue. 

J5étois  député  au  Corps  légiflatif;  il  ne  s'agiiToit  que 
de  m'inviter  à  me  rendre  au  pefte ,  pour  lequel  j'avois 
opté,  lors  de  mon  élection.  Le  3  fructidor  ,  mon  collègue, 
fit  ligner,  par  Toulfaint -l'Ouverture ,  une  adreiTe  dont 
voici  le  contenu  : 

TouJJa'wt-l' Ouverture  s  général  en  chef  de  Saint-Domingue  f 
au  citoyen  Sonthonax  ,  ïepréfentant  du  peuple  &  corn- 
mïffaire  délégué  aux  ifi.es  fous  le  vent. 

«•  Privés  depuis  long-temps  des  nouvelles  du  gouver- 
y>  m  ment  français  ,  ce  long  filence  affecte  les  vrais  amis 
»  de  la  République.  Les  ennemis  de  Tordre  &  de  la  li- 
«  bercé  chcichcnt  à  profiter  de  l'ignorance  où  nous  fommes 
»  pour  fuie  circuler  des  nouvelles ,  dont  le  but  eft  de 
»  jeter  le  trouble  dans  la  colonie. 

»  Dans  ces  circcnfbnces  ,  il  eit  néceiTaire  qu'un  homme 
»  inftruit  des  événemtns  ,  &  qui  a  été  le  témoin  des 
»  changemens  qui  ont  produit  fa  reftauration  &  fa  tran- 
»  quillité ,  veuille  bien  fc  rendre  auprès  du  Directoire 
»  exécutif  pouf. lui  faire  connaître  îa   vérité. 

»  Ncmmé  député  de  la  colonie  au  Corps  légiflatif,  des 
w  circomlances  impérieiTes  vous  rirent  un  devoir  de  relier 
»  quelque  temps  encore  au  milieu  de  nous  :  alors  votre 
»  influence  écoit  néceiTaire  ;  des  troubles  nous  aroient 
»  agités  ,  il  falloir  les  calmer.  Aujourd'hui  que  l'ordre  , 
>>  la  paix  ,  le  zèle  pour  le  retablillement  des  cultures , 
*V)os  fuccès  fur  nos  ennemis  extérieurs  ôc  leur  impuifîance  , 
»  v^s  permettent  de  vous  rendre  à  vos  fonctions  ,  allez 
»  dire  à  ]a  France  ce  que  vous  avez  vu,  les  prodiges 
«  dont  vuis  avez  été  témoin  j  éV  foyez  toujours  le  défenfeur 


i»  de  la  caufe  facrée  que   vous  avez  embrafTée  ,  dont  nous 
j»  fommes  les  éternels  foldats.  Saltft  &  refpdt.  , 

Signé j  Toussaint  -  l'Ouverture. 

Cette  adrefTe  fut  préfenrée  à  la  fignature  des  officiers  de 
la  gamifon  du  Cap  j  ils  refilèrent  unanimement.  On  jetoit 
les  hauts  cris  contre  Touflaint  :  comme  on  lui  foupçonnoit 
de  mauvaifes  intentions  ,  on  alloit  fe  porter  contre  lui  aux 
dernières  extrémités,  loifque  ,  pout  éviter  l'efFufion  du  fang, 
l'infurrecYion  de  la  plaine  ,  l'incendie  des  propriétés  &  le 
malfacre  des  propriétaires  ,  j'annonçois  à  tous  les  ronctàon- 
naires  publics  de  la  commune  du  Cap  ,  que  j'allois  partir 
pour  me  rendre  en  France  au  Corps  légiflatif. 

Cependant  ,  la  b.-nde  de  fcélérats  qui  s'etoient  emparé 
de  l'efprit  de  Toulfainr- l'Ouverture ,  alarmée  des  eftets  de 
fa  lerrre  ,  lui  en  dicta  une  féconde,  interprétative  de  la  pre- 
mière ;  en  voici  ks  exprefîîons  : 

Tou jfaint-ï' 'Ouverture ,  général  en  chef  de  l'armée  de  Saint- 
Domingue  ,  au  citoyen  Sonthonax  ,  représentant  du  peuple  , 
commijjaire  délégué  par  le  gouvernement  aux  îles  fous  U 
vent. 

«  Citoyen  commiflaire  , 

Le  vœu  du  peuple  de  Saint-Domingrre  s'étoit  fixé  fur 

iir      t-»i-k.t.-    1/-»   -,-, ,'■.(" _._/""•  I    »     • /l        •  f    i"N  1         I     


))  vous   pour  le  repréfenrer  au  Corps  légiflatiE  Dans  la  lettre 

»  que   nous  vous  avons  écrite,   nous  avons  voulu  joindre 

»  notre  aflenriment  particulier  à  la  volonté  générale;^  les 

>*  ennemis  de  la  liberté  s'obftinent  encore  à  vom  pourfuivre, 

»  dites  leur  que  nous  avons  proreflé  de  rendre  leurs  ïrTorts 

»  impuiflans,  &  que  nos  moyens  font  norre  courage  ,  norr^ 

»  perfévérance ,  notre  amour' du  travail  &  de  Tordre.  Ç'/U 

»>  par  nos  vertus  &  norre  attachement  à  la  République;,  que 

j»  nous  répondions  à  leurs  calomnies-,  &,  d'après  ce  que 

»  vous  ave?  vu  dans  la  cofohie ,  vous  avez  déjà  fentj  qu'il 


1% 
»»  vous  étoit  aufli  Facile  de  défendre  notre  caufe   que  de 
»  terrafler  nos  ennemis.  » 

Raimond  lui-même  configna  dans  un  arrêté  que  mon  dé- 
part affligeoit  tous  les  amis  de  la  liberté  &  de  l'humanité 
dans  la  colonie. 

Raimond  avoit  raifon  :  tous  les  fonctionnaires  publics ,  civils 
&  militaires,  vinrent  tn  corps  me  témoigner  leurs  regrets 
fur  mon  abfence  de  la  colonie.  Tous  les  capitaines  des  bâti- 
mens  neutres ,  tous  les  négocians  étrangers ,  me  témoignèrent, 
par  une  adrefTe  ,  combien  ma  préfence  en  Amérique  leur 
étoit  chère  ,  combien  elle  avoit  fervi  à  ramener  le  crédit 
ébranlé  êc  à  consolider  la  confiance  dans  le  gouvernement. 
La  municipalité  vint,  environnée  du  peuple  &  en  ion  nom, 
me  déclarer  que  mon  départ  annoncé  caufoit  les  plus  grands 
murmures  ;  que  le  mécontentement  augmentoit  à  chaque  inf- 
tant  j  &  que  l  unique  moyen  pour  moi  de  prévenir  des 
malheurs  étoit  de  rejler  dans  la  colonie  jufquà  ce  que  les 
nouvelles  d'Europe  me  permirent  de  la  quitter  fans  danger  pour 
la.  chofe  publique. 

Le  peuple  étoit  confterné  de  mon  déport  ;  on  ne  par- 
loit  que  de  s'y  oppofer.  Pour  tromper  fa  vigilance,  je  m'em- 
barquai de  grand  matin  le  7  fméVidor,  accompagné  de 
mon  collègue  ,  qui  me  quitta  fur  le  bord  de  la  mer , 
après  m'avoir  ferré  dans  fes  bras  &  inondé  de  fes 
larmes. 

Je  ne  prévoyois  guère  alors  tout  ce  que  ces  adre (Tes 
patriotiques ,  ces  tendres  embrafTemens  ,  cachoient  de  per- 
fidie. Pouvois  -  je  imaginer  qu'un  homme  qui  fe  difoit 
mon  ami  ,  osât  dénoncer  ,  diffamer  celui  qui  fut  le 
fien  ;  qu'il  ne  m'eût  embralTé  que  pour  m'étoufTer  ,  pour 
me  poignarder  par  derrière  ?  Je  me  fuis  joué  des  atta- 
ques des  colons  contre  -  révolutionnaires  ;  je  trouvois  coût 
Ûmple  que  des  princes  détrônés  ,  qne  de  grands  enfans 
à  qui  j'avois  arraché  le  hochet  fanglant  de  l'efclavagej 
ne  me  pardonnaient  pas  tant  de  zèle  &  de  dévouement: 
mais  Raimond,  homme  de  couleur  j   Raimond,   pour  les 


23 

droits  duquel  j'ai  bravé  mille  morts  &  tous  les  outrages; 
le  voir  au  nombre  de  mes  aiTaflms  !  Non  ,  je  ne  fuis  pas 
fait  à  tant  de  perverfité  :  le  ciel  me  garde  d'imiter  fon 
crime  en  l'accufant  à  mon  tour!  Je  l'abandonne  à  fes  re- 
mords ,  fi  un  cœur  affez  corrompu  pour  brifer  les  liens 
de  la  reconnoififance  en  eft  encore  fufceptible. 

On  a  ofé  m'accufer  de  rêver  l'indépendance  des  colo- 
nies Se  le  maiïacre  général  des  Européens.  On  fonde  cette 
imputation  fur  une  prétendue  converfation  qu'on  m'at- 
tribue avec  ToufTaint-  l'Ouvertute.  J'ai  lu  cette  miferable 
rapfodie ,  vile  production  de  l'intrigue  &  de  1  impofture.  le 
n'ai  que  deux  mots  à  y  répondre  ,  c'eft  que  ToufTaint  eft 
parfaitement  incapable  de  tenir  le  langage  qu'on  'ni  prête.  Oa 
ne  m'a  jamais  accule  de  ftupidité ,  ni  de  b-flelTe  d'ame  ; 
ôc  cependant,  dans  cetre  ridicule  converfation  ,  on  me  peint 
comme  un  écolier  fous  la  férule  ,  débitant  des  fottifes  ,  &  fe 
faifant  rappeler  à  l'ordre  par  fon  pédagogue. 

Quel  elt  le  fonctionnaire  qu'on  peut  aceufer  fur  des 
indices  aufïï  foibles  que  ceux  qu'on  articule  contre  moi  ? 
quel  eft  l'homme  public  ,  revêtu  de  fondions  éminentes , 
qu'on  oferoit  condamner  fur  de  femblables  preuves  ?  Qu'on 
parcoure  mes  écrits  ;  qu'on  examine  mes  actes  ,  ma  cor- 
refpondance ,  mes  longs  débats  avec  les  colons  :  eft-il  une 
ligne  ,  un  feul  mot  ,  qui  puiffent  faire  foupçonner  une 
doctrine  dangereufe   pour  les  droits  de  la  métropole? 

Une  (Impie  dénégation  de  ma  part  fuffiroit  fans  doute 
pour  détruire  cette  abfurde  imputation  ;  mais  il  me  refte 
un  moyen  plus  direct ,  c'eft  le  témoignage  de  ToufTaint 
lui-même  que  j'invoque  contre  lui.  C'eft  fur  la  fin  de  fri- 
maire ,  ou  dans  le  commencement  de  nivôfe  de  l'an  5 
(dit-il  )  ,  que  je  lui  ai  propofé  le  projet  de  rendre  la  co- 
lonie indépendante.  S'il  eft  vrai  qu'à  cette  époque  j'aie 
eu  l'infamie  de  lui  faire  de  pareilles  ouvertures  ,  pourquoi 
le  29  frimaire  ccrivoir-il  au  miniftre  de  la  marine  :  ce  Je 
»  compte  beaucoup  fur  les  chefs  civils  &  militaiies  qui 
»  nous  gouvernent ,  fur  le  ccmmijfaire  Sonthonax  ,  en  qui 


s4 

i»  mes  frères  mettent  toujours  la  plus  grande  confiance ,  alnjl 
*   que  moi.  » 

Pourquoi  le  i3  pluviôfe  fuivant  s'exprime-t-il  plus  for- 
tement encore  en  s'adreflant  au  même  miniftre?  «N'allez 
»  pas  croire  (lui  écrie- il)  ,  comme  chercheront  à  vous 
»  l'infirmer  ceux  qui  font  partis  de  la  colonie  ,  que  les 
»  citoyens  Sonthonax  &  Raymond  trahiftent  les  intérêts 
»  de  la  France.  L'harmonie  qui  règne  aujourd'hui  dans  la 
»  colonie  ,  &  qui  eft  le  fruit  des  travaux  des  agens  de  la 
j>  France  ,  me  porte  à  defirer  que  le  commilîaire  Son- 
»  thonax  refte  parmi  nous ,  au  moins  jufqu'a  la  paix  ,  & 
»  qu'il  foie  toujours  revêtu  de  l'autorité  nationale.  Le  falut 
»  de  Saint-  Domingtè1,  fon  entiefc  rétablitlement  8c  fa 
»  profpérité  exigent  que  le  DirecY:ire  ne  lui  permette  pas 
»  de  s'en  retourner;  mon  attachement  à  ta  France-,  l'a- 
»>  mont  de  ma  patrie  &  de  mes  frètes  ,  m'obligent  à  lui 
»  en  faire  la  demande.  Veuillez ,  je  vous  en  prie  ,  citoyen 
»  miniftre,  l'appuyer  ;  &  foyez  perfuadé  que,  comme  étant 
»  le  plus  ii  térelfé  à  la  cau£e  de  la  France  ,  je  n'ai  fait 
»  cette  demande  qu'après  avoir  bien  fenti  la  nécefïité 
»  qu'elle  foit  accordée,  &  les  malh  urs  qui  pouiroient  ré- 
»  fulter  du  départ  de  cet  homme  eftimable.  » 

Voyez,  citoyens  collègues,  comme  l'iniquité  fe  ment  à 
elle  -  même  ,  comme  la  calomnie  déchire  fon  mafque  de 
fes  propres  mains.  C'eft  le  i3  pluviôfe  ,  c'eft  quarante- 
trois  jours  après  que  je  lui  ai  propofé  l'indépendance ,  que 
Toufïaint  demande  au  miniftre  de  la  marine  cV  au  Direc- 
toire exécutif  de  conferver  dans  mes  mains  l'autorité  na- 
tionale julqu'à  la  paix  !  Peut  -  on  imaginer  une  pareille 
contradiction  ?  De  deux  chofes  l'une  :  eu  il  a  trompé  le 
gouvernement  par  fa  dernière  aceufation  ,  en  me  chargeant 
d'un  crime  que  je  n'ai  pas  commis  ;  ou  bien  fes  lettres  au 
miniftre  démontrent  que  lorfqu'il  les  écrivoit ,  il  étoit  mon 
complice.  Dans  l'un  &  l'autre  cas ,  quelle  foi  ajouter  à  (es 
affe ttions  ? 

Certes ,  h  quelqu'un  pouvoit    être    foupçonné  de  favo-. 


rifer  k  fyftême  d'indépendance,  ce  feroît  fans  doute  celui 
donc  la  vie  politique  n'a  été  qu'une  révolte  continuelle 
contre  la  France.  Toulîaint-  l'Ouverture  a  été  l'un  des 
chefs  de  la  Vendée  de  Saint  -  Domingue.  Par  l'impulfioa 
de  ces  mêmes  émigrés  qui  l'entourent  aujourd'hui ,  il  or- 
ganifoit  en  1791  la  révolte  des  noirs  &  le  ma(Tacre  des 
blancs  propriétaires.  En  1790  &  94  il  commandoit  l'ar- 
mée des  brigands  aux  ordres  du  roi  catholique  ,  &  il  n'a 
palfé  au  fervice  des  républicains  que  lorfque  les  négocia- 
tions de  paix  lui  ont  appris  que  lEfpagne  n'avoic  plus 
befoin  de   lui. 

Les  émigrés  &  les  prêtres  ne  font  pas  les  feuls  qui 
aient  contribué  à  égarer  l'Ouverture  j  fa  coalition  avec  Ri- 
gaud  ,  dont  il  blâmait  hautement  les  crimes  dans  fa  cor- 
refpondance  avec  moi  ,  prouve  évidemment  qu'il  eft  aujour- 
d'hui la  dupe  de  [es  fuggeltions.  Voyant  Rigaud  défendu 
par  Vaublanc  ,  il  m'a  cru  perdu  ^  il  s'eil  lié  avec  le  meur- 
trier dzs  Français,  en  m 'imputant  ùs  perfidies. 

Dans  ces  circonftances  ,  citoyens  collègues  ,  quel  parti 
prendre  fur  les  colonies  ?  Celui  de  la  fageffe ,  de  la  mo- 
dération <k  de  la  jutlice.  En  parcourant  les  pages  enfan- 
glantées  de  leur  hiltoire  révolutionnaire  ,  vous  avez  dû  vous 
convaincre  que  tous  les  partis  ont  eu  des  torts  récipro- 
ques j  que  des  hommes  de  toutes  les  couleurs  ont  commis 
de  grands  crimes  ;  que  plufieurs  généraux  _,  au  lieu  de  faire 
refpedbr  la  métropole  &  fes  agens ,  n'ont  raie  que  les  in- 
fulter  (Scies  trahir.  Tantôt  ce  font  les  aflfemblées  coloniales 
qui  proclament  l'indépendance  •  tantôt  des  chefs  militaires, 
par  des  voies  différentes ,  marchent  au  môme  but. 

Faut -il  s'étonner  que  l'oubli  de  l'Europe  enhardiiTê 
les  ambitieux  à  fecouer  le  joug  ;  &  s'il  exiftoit  dans  l'in- 
térieur de  la  République  un  feul  département  qui  ,  pen- 
dant un  an  feulement,  fût  privé  de  correfpondance  avec 
les  deux  pouvoirs  qui  conftituent  norre  gouvernement  , 
croyez -vous  qu'il  demeurât  long- temps  fidèle  à  l'unité,  à 
l'indivifibilité  de  l'empire?  Eh  bien!  depuis  cinq  ans  en- 


2-6 
tiers  vos  colonies  font  fans  loi ,  fans  correfpondance  fuivie 
avec  la  métropole.  Dans   ma  première   million  ,  les  agens  j 
de  la  France  ont  été  quinze   mois  fans  recevoir  de  nou- 
velles :  dans   la  féconde  ,  j'en    ai  attendu  vainement  de- 
puis le  mois  de  brumaire   de  l'an  5  ,   jufqu'en  fructidor  ' 
dernier.  La  diftance  des  lieux ,  le  dépériffement  de  notre 
marine  ,  les  embarras  que  les  diverfes  factions  qui  fe  font  | 
mêlées  des   colonies  ont  fufcités  au  Directoire ,  ne  lui  ont 
pas  permis  de    faire  pour  ces  contrées    lointaines   tout  ce 
qu'on  a  droir  d'attendre  du  patriosKme'  &des  lumières  de 
fes  membres.   Si  les  colons  fe  font  livrés  à  des  écarts  re- 

Î>réhenfibles  ,  n'eft-ce  pas  à  l'ignorance  ,  à  l'abfence  des 
ois ,  qu'il  faut  s'en  prendre  ,  plutôt  que  de  les  accufer 
d'intentions  perfides?  Je  ne  connois  qu'une  feule  claiïe 
d'hommes  dont  les  délits  foient  inexecufables  j  ce  font  les 
alTaflîns  :  pourfuivons  -  les  par-tout  où  ils  fe  trouveront  ; 
mais  faifons  grâce  aux  hommes  égarés  ,  que  le  délire  de 
la  guerre  civile  a  précipites  dans  des  erreurs  funeites*  pro- 
clamons pour  les  Antilles  la  loi  bienfaifante  de  l'amniftie, 
avec  la  feule  modification  contenue  dans  le  décret  du  3 
brumaire,  qui  a  terminé  la  feiîion  de  la  Convention  na- 
tionale. 

Quant  à  moi  ,  je  déclare  que  je  renonce,  pour  ce  qui 
me  concerne ,  au  bénéfice  de  cette  falutaire  mefure  ;  8c  je 
demande  que  les  ngens  du  Directoire  dans  les  colonies , 
contre  lefquels  il  pourroit  y  avoir  lieu  à  aceufation,  en  foient 
formellement  exceprés.  Content ,  fatisfait  du  bien  que  doit 
produire  l'indulgence  paternelle  de  la  métropole  envers 
fes  colonies ,  le  fpeétacle  du  bonheur  public  me  fera  oublier 
pour  jamais  les  persécutions  &  les  perfécuteurs. 


A    PARIS,   DE  L'IMPRIMERIE   NATIONALE, 
Pluviôfe  an  6.