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Full text of "Correspondance (1830-1855)"

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GERARD    DE   NERVAL 

Correspondance 

(i83o-i855) 

AVEC    UNE    INTRODUCTION    ET    DES     NOTES    PAR 


JULES    MARSAN 


PAKIS 
MERCVRE    DE    FRANCE 

ÏXVI,  RVE  DB  CONnÉ,  XXVI 


CORRESPOIXDANCE 

DE 

GÉRARD    DE   NERVAL 


A   LA    MÊME    LIBRAIRIE 

LES  PLUS  BELLES  PAGES  DE  GERARD  DE  NERVAL,  aVCC  UDC  DO- 

tice  et  ua  portrait .  ,      i  vol. 


GÉRARD    DE   NERVAL 

Correspondance 

(i83o-i855) 

AVEC    UNE    INTRODUCTION    ET    DES    NOTES    PAR 


JULES    MARSAN 


PARIS 
MERCVRE    DE    FRANCE 

sxvi,  Rve  DE  coNnÉ,  xxvi 


JUSTIFICATION     DU     TIBAGE 


359 


Droits  fie  Irndiiclion  et  de  reproduction  réservés  pour  tous  pays. 


INTRODUCTION 


Le  bon  Gérard  n'a  pas  trop  à  se  plaindre  de  la 
postérité,  souvent  injuste.  Tous  les  honneurs  pos- 
tliumes  dont  elle  dispose,  il  les  a  obtenus,  ou  va 
les  obtenir  :  réimpressions,études  biographiques  ou 
littéraires...  Bientôt,  il  aura  son  buste. 

Il  est  vrai  qu'on  ne  le  lit  plus  guère.  De  l'œuvre, 
si  abondante,  mais  trop  dispersée,  le  petit  roman 
dcSyloie,kTpeu  près  seul,  a  survécu,  avec  quelques 
pièces  de  vers  qui  ont  leur  place  marquée  dans 
toutes  les  anthologies.  Le  reste  n'intéresse  plus 
guère  que  les  curieux.  Mais,  parmi  les  maîtres 
les  plus  incontestés,  quels  sont  ceux  que  l'on  lit 
encore,  cinquante  ans  après  ? 

Du  moins,  le  souvenir  de  l'homme  ne  s'est  pas 
eftacé.  C'est  que  sa  physionomie  est  d'un  charme 
singulier,  c'est  aussi  que  cette  existence  a  l'attrait 
d'un  roman,  —  un  roman  vrai,  —  d'une  infinie 
variété,  d'une  émotion  croissante,  jusqu'à  la  crise 
finale  qui  l'achève  brutalenient.  Autour  de  ses  pre- 


CORRESPONDANCE 


mières  années,  cette  bohème  de  i83o,  la  jeunesse 
la  plus  folle,  la  plus  exubérante  dans  son  désordre 
pittoresque,  avec  ses  enthousiasmes  et  ses  naïvetés, 
son  insouciance  et  sa  foi.  La  chronique  a  raconté 
tous  ses  exploits.  Les  anecdotes  abondent.  Il  n'y 
a  qu'à  puiser  chez  Gautier,  dans  les  souvenirs  de 
Georges  Bell  ou  d'Arsène  Houssaye,  dans  les  arti- 
cles de  Ghampfleury,de  Monselet,  d'Asselineau,  dans 
les  confessions  de  Gérard  lui-même. 

Puis,  dès  les  premières  inquiétudes,  c'est  la  série 
des  voyages,  ce  besoin  d'oublier,  au  loin,  sous  des 
ciels  nouveaux.  Et  en  effet,  l'oubli  n'est  pas  long 
avenir.  Ses  tristesses  ne  résistent  pas  à  quelques 
jours  de  vie  errante,  en  pleine  liberté,  —  à  l'aven- 
ture :  car  il  a  horreur  des  itinéraires  traditionnels  ; 
il  redoute  «  la  ligne  droite  des  chemins  de  fer  »  ; 
son  caprice  ne  peut  se  plier  aux  horaires  réguliers 
des  Laffitte  et  Gaillard.  Il  prend  plaisir  à  s'attar- 
der, oubliant  les  heures.  Il  goûte  le  charme  de  ces 
voitures  archaïques, /a  ^^r /me,  laChalonnaise,oi\ 
s'empilent  «  des  couches  superposées  de  voyageurs», 
qui  filent  à  grands  cahots  le  long  des  routes  de 
France,  dans  un  nuage  de  poussière,  parmi  les 
rires  et  les  chansons,  d'où  l'on  sort  les  membres 
rompus,  mais  l'âme  légère. 

Les  romantiques  furent  de  grands  voyageurs  : 


INTRODUCTION 


Gérard  est  le  seul,  peut-être,  qui  voyage  sans  ar- 
rière-pensée littéraire,  sans  souci  de  la  copie  à  four- 
nir, qui  note  au  jour  le  jour  ses  impressions  avec 
une  sincérité  absolue, pour  lui-même.  Et  c'est  pour- 
quoi ces  impressions  sont  charmantes  de  fraîcheur 
et  d'imprévu. 

«  Sensations  d'un  voyageur  enthousiaste  »,a-t-il 
dit  :  cette  faculté  d'enthousiasme  ne  l'empêche  pas 
d'y  voir  clair.  Il  échappe  aux  admirations  de  com- 
mande. Il  excelle  à  saisir  les  ridicules,  à  marquer 
d'un  trait  vif  la  physionomie  d'une  ville  :  Vienne 
«  semi-slave,  semi-européenne  »,  Munich  «  la  ville 
des  rapins  »,  où  tout  est  imitation  et  trompe-l'œil, 
faux  ors,  faux  marbres,  fausses  pierres,  faux  bois, 
— badigeonnée  de  vert,  de  jaune,  de  bleu,  de  rouge 
antique ySy&c  ses  palais  en  stuc  où  s'ébattent  grave- 
ment des  chambellans  d'opéra  bouffe...  Les  mœurs, 
les  pavsages,les  aventures  de  la  route  :  sa  curiosité 
d'artiste  s'amuse  de  tout.  Il  va  d'étonnement  en 
étonnement,  dans  la  joie.  Dans  tous  les  pays,  tour 
à  tour,  on  le  croirait  près  de  se  fixer  à  jamais.  Il  faut 
le  voir  au  Caire,  en  costume  arabe,  la  tète  rasée,  le 
machlab  sur  les  épaules,  le  gilet  rouge  et  la  culotte 
bleue,  seigneur  et  maître,  assez  empêtré,  de  la  petite 
Zeinab.  Quelques  mois  plus  tard,  dans  les  montagnes 
du  Liban,  il  est  tout  entier  à  l'étude  de  la  religion 


CORRESPONDANCE 


druse;  peu  s'en  faut  qu'il  n'épouse  la  fille  du  cheik 
Seïd  Eschérazy.  Mais  une  bonne  fièvre  l'oblige  à 
fuir,  et  le  sauve.  D'ailleurs  une  fantaisie  nouvelle 
a  bientôt  chassé  les  fantaisies  d'hier. 

Même  au  temps  de  sa  maladie,  toutes  les  fois 
qu'il  lui  sera  possible,  dans  l'intervalle  de  ses  cri- 
ses, de  fuir  Paris,  il  semblera  que  se  dissipent  ses 
ang-oisses.  La  frontière  passée,  le  Gérard  de  jadis 
se  retrouve,  avec  sa  gaîté^  son  esprit  lucide  et  vif. 
Mais,  rég-ulièrement  aussi,  dès  le  retour,  avec  les 
premiers  mois  d'automne,  le  voile  de  mélancolie 
retombe,  épais  de  plus  en  plus.  La  raison  se  débat 
contre  le  rêve  obsédant.  L'imagination  se  heurte 
aux  murailles  du  réel. 

Et  c'est  la  fin  de  la  lutte,  cette  mort  mystérieuse, 
poig-nante,  si  bien  en  scène.  Tous  les  chroniqueurs 
et  tous  les  biographes  ont  refait  le  tableau  :  l'hor- 
reur de  la  petite  ruelle  suant  le  vice  et  la  misère, 
ces  assommoirs  et  ces  bouges  qui  ont  refusé  de 
s'ouvrir  au  vagabond,  les  marches  gluantes  du 
vieil  escalier, le  corbeau  qui  croasse  dans  la  neige, 
l'égoùt  roulant  ses  immondices,  et  là,  accroché  à  la 
grille  sinistre,  ce  cadavre  en  habit  noir,  le  chapeau 
haut  de  forme  sur  la  tête...  Admirable  sujet  de 
lithographie  romantique  ! 

Ne  dirait-on  pas  que  toute  cette  existence  a  été 


INTRODUCTION 


arrang-ée  par  un  artiste  épris  de  pittoresque, habile 
à  varier  ses  efFets,  de  la  fantaisie  souriante  à  l'hor- 
reur tragique?  Or,  l'homme  qui  a  vécu  cette  vie  est 
le  plus  simple,  le  plus  naïf,  le  plus  ingénu.  C'est, 
en  dehors  de  ses  crises  passagères,  l'esprit  le  mieux 
équilibré. 

On  ne  le  connaît  d'ordinaire  que  par  un  por- 
trait de  ses  dernières  années  :  le  visage  empâté, 
cerclé  d'un  collier  de  barbe  drue,  et,  sous  la  mous- 
tache tombante,  le  pli  douloureux  de  la  lèvre. 
Celui-là,  c'est  le  poète  qui  a  souffert,  lassé  déjà  de 
la  lutte.  Lui-même  ne  se  reconnaît  pas.  «  Je  trem- 
ble de  rencontrer  aux  étalages  un  certain  portrait, 
écrit-il  à  Georges  Bell...  Dites  partout  que  c'est  un 
portrait  ressemblant,  mais  posthume  (i).  »  Et  il 
se  rappelle  ce  qu'il  était  jadis;  il  se  revoit  tel  que 
le  représentait,  en  i83i,le  médaillon  de  Jean  Dusei- 
gneur,  figure  à  la  fois  naïve  et  décidée,  le  grand 
front  poli  sous  la  «  fumée  d'or  »  des  cheveux 
blonds  (2),  le  nez  droit  et  fin,  la  bouche  délicate- 
ment tracée,  physionomie  toute  de  charme  et  de 
douceur. 

Personne,  moins  que  ce  jeune  homme  rougis- 
sant, n'était  fait  pour  la  vie  des  cénacles.  Il  en  a 

(i)  Lettre  du  i"' juin  i854. 

(3)  Th.  Gautier,  Portraits  et  Souvenirs  littéraires. 


CORRESPONDANCE 


toujours  ignoré  les  jalousies,  les  bassesses,  le  cabo- 
tinage :  il  n'est  pas  homme  de  lettres  le  moins  du 
monde  :  ce  qui  ne  l'empêche  pas  d'être  écrivain. 

Tandis  que  les  autres  s'amusent  à  de  pénibles 
fantaisies,  il  s'est  mis  à  l'œuvre,  modestement. 
Ses  goûts  le  portaient  vers  le  xviii^  siècle;  sans 
souci  d'étonner  personne,  il  les  a  suivis.  «  Lorsque 
chacun  cherchait  les  tournures  excentriques  et  les 
couleurs  violentes,  écrira  Théophile  Gautier,  et  se 
fût  volontiers  peint  de  vert  et  de  rouge  comme  un 
loway  partant  pour  la  guerre,  des  plumes  d'aigle 
sur  la  tête,  des  colliers  de  griffes  d'ours  au  bas  du 
col,  des  scalps,  ou  plutôt  des  perruques  de  classi- 
ques à  la  ceinture,  pour  avoir  l'air  plus  étrange  et 
plus  formidable,  lui  se  plaisait  dans  les  gammes 
tendres,  les  pâleurs  délicates  et  les  gris  de  perle 
chers  à  l'école  française  de  l'autre  siècle...  » 

Surtout, il  est  tolérant, —  ce  qui  est  merveilleux, 
à  son  âge  et  à  cette  époque.  Il  ne  raille  guère  que 
l'Académie  :  mais  cela  est  traditionnel.  Impéria- 
liste et  libéral,  il  a  le  culte  de  Béranger;  on  pour- 
rait craindre  de  trouver  en  lui  un  second  Casimir 
Delavigne...  Par  bonheur,  sa  traduction  de  Faust 
permet  d'espérer  mieux;  elle  l'a  classé;  il  a  tous 
les  droits  à  être  un  des  chefs  de  bande  qui,  à  la 
première  d'Her/iani,  luttent  pour  la  liberté. 


INTRODUCTION 


Le  théâtre,  d'ailleurs,  a  toujours  été  une  de  ses 
grandes  passions.  Dans  ses  Portraits  et  Souvenirs 
littéraires,  Th.  Gautier  rappelle  le  titre  de  quel- 
ques œuvres  perdues,  de  la  première  jeunesse  :  un 
petit  acte  en  vers.  Tartufe  chez  Molière,  une 
«  diablerie  »,  le  Prince  des  Sots,  un  grand  drame, 
ia  Dame  de  Carouge,  qui  annonce  le  Charles  VII 

de    Dumas    (i) Autant   de    déceptions.   Et 

Petrus  Borel,  dans  la  préface  des  Rhapsodies  s'in- 
digne pour  lui  :  «  A  toi,  bon  Gérard  :  quand  donc 
les  directeurs-gabelous  de  la  littérature  laisseront- 
ils  arriver  au  comité  public  tes  œuvres,  si  bien 
accueillies  de  leurs  petits  comités?...  » 

Mais  Gérard  ne  se  décourage  pas.  Il  ne  crie  pas 
ses  colères.  Il  se  console  de  ses  déboires  en  fai- 
sant d'admirables  projets  qui  ne  seront  jamais 
réalisés  :  d'abord,  le  drame  biblique  de  la  Reine 
de  Saba;  et  aussi  un  drame  moderne,  d'inspira- 
tion philosophique;  comme  principal  personnage, 
un  médecin  allant  jusqu'au  crime  «  pour  éclaircir 
quelques  points  obscurs  de  son  art  »  (2)  :  une  assez 
belle  idée  de  pièce,  en  somme,  —  et  qui  se  retrou- 
vera. 

(  I  )  De  la  mcme  époque,  les  quelques  scènes  de  Nicolas  Flamel, 
l'atlaptalion  de  la  Coinedia  nuena  de  Moraliu,  la  petite  tragédie  de 
Lara.  (Voy.  la  lettre  à  Taylor,  été  de  i83i.) 

(a)  Théophile  Gautier. 


CORRESPONDANCE 


Il  s'adresse  tour  à  tour  à  tous  les  directeurs  :  à 
Harel,  au  baron  Taylor,  à  Anténor  Joly,  à  Marc 
Fournier,  à  Arsène  Houssaye.  Il  aborde  tous  les 
genres.  Après  le  livret  de  Piquillo,  deux  drames 
en  collaboration  avec  A.  Dumas,  i' Alchimiste  et 
Léo  Burckart,  sans  parler  de  ce  Dolbreiise,  dont 
il  ne  reste  rien  (i).  Puis,  l'opéra  comique  dts Mon- 
ténégrins, le  Chariot  d'enfant,  V Imagier  de  Har- 
lem; entre  temps,  une  farce  satirique  :  Une  nuit 
blanche  et  un  vaudeville  :  le  Pruneau  de  Tours  (2). 
Jusque  dans  ses  derniers  mois,  à  la  veille  même 
de  sa  mort,  une  série  de  projets  encore  :  l'adapta- 
tion de  Misanthropie  et  Repentir,  celle  de  Jodelet, 
toutes  deux  pour  le  Théâtre  français,  un  drame 
féerie  à  tirer  de  la  Main  de  gloire,  et  ces  pièces 
dont  le  titre  seul  a  survécu  :  Louis  de  France  et 
le  Citoyen  marquis 

Il  est  injuste,  vraiment,  de  confondre  ce  tra- 
vailleur acharné  avec  une  demi-douzaine  de  ratés 
extravagants.  De  l'orig-inalité,  de  la  fantaisie,  il  en 
a  plus  qu'eux  tous  ;  mais  ce  n'est  pas  une  fantaisie 
de  rapin,  une  de  ces  originalités  voulues,  forcées,  la- 
borieuses, qui  sonnent  faux.  Parmi  ces  agités,  il  est 

(i)  Voy,  la  lettre  à  Anténor  Joly,  le  2  mars  1889. 

(m)  Voy.  encore  les  lettres  à  Marie  de  l'Epinay  (août  18^0)  et  à 
H.  Lucas  (i853),  les  articles  de  Méry  dans  V Univers  illustré  (août 
i864),  la  liste  autographe  des  œuvres  complètes  {Intermédiaire, i86q). 


INTRODUCTION  l3 


e  seul,  peut-être,  à  qui  cette  gaîté  bruyante  ne  suf- 
ise  pas. Même  au  temps  de  sa  jeunesse  exubérante, 
l  a  des  instants  de    mélancolie  :  un   besoin  de  se 
eplior  sur  lui-même  et,  déjà,  de  revivre  le  passé, 
^u  fond  de  sa  mémoire,  les  impressions  anciennes 
estent  gravées,   inell'açables  :   le  Valois,  ses  prés 
:t    ses  forêts,  les  rivières  nonchalantes,  les  étangs 
le  Ghaalis,  les  longues  routes  blanches,  à  perte  de 
me  ;  dans  ces  paysages  harmonieux,  les  fraîches 
dylles  enfantines,  le  cortège  des  petites  amies  in- 
génues, Célénie  qui  semblait  la  nymphe  des  étangs, 
(  tentatrice  naïve,  follement  enivrée  de  l'odeur  des 
)rés,  couronnée  d'ache  et  de  nénufar...  ».  Et  Fan- 
îhette,  et  Sylvie,  et  Adrienne  qui  lui  est  apparue 
un  jour  sur  la  pelouse  d'un  vieux  château,  «  fleur 
de  la  nuit,  éclose  à  la   pâle  clarté  de  la  lune,  fan- 
tôme rose  et  blanc,  glissant   sur    l'herbe    verte  à 
iemi  baignée  de   blanches    vapeurs   ».  Adrienne, 
e  grand  amour  do  sa  vie!  C'est  elle  qu'il  cherchera 
ioujours,    qu'il  croira  parfois  avoir  retrouvée  et 
ju'il  ne  se  consolera  pas  d'avoir  perdue... 

Comment  cette  âme  délicate  et  profonde  serait- 
Ile  comprise  de  la  médiocre  poupée  de  théâtre 
jii'est  Jeuny  Colon?  Comment  sentirait-elle  le  prix 
le  cette  adoration  mystique  qui  n'exige  rien  des 
atisfactions  habituelles   et  qui    semble    aimer  en 


l4  CORRESPONDANCE 


elle  une  idole  qu'elle  ne  connaît  pas?  Flattée  un 
instant,  elle  se  lasse  vite  de  cette  passion  respec- 
tueuse. Le  poète  n'est  qu'un  timide,  embarras- 
sant et  ridicule. 

Et  ses  meilleurs  amis,  ceux  qui  devraient  savoir, 
ne  le  jug-ent  pas  beaucoup  mieux.  Eux  aussi,  ces 
exaltations  les  font  sourire.  «  Nous  l'avions  parfois 
doucement  raillé,  avoue  Théophile  Gautier,  sur 
ces  caprices  soudains  à  l'endroit  de  femmes  aper- 
çues de  loin  et  dont  il  évitait  même  de  se  rappro- 
cher pour  ne  pas  détruire  ses  illusions.  »  Un  para- 
graphe du  Voyage  en  Orient  répond  à  ces  raille- 
ries, qui  le  touchent  au  cœur  :  «  J'ai  entendu  des 
g^ens  g-raves  plaisanter  sur  l'amour  que  l'on  con- 
çoit pour  des  actrices-,  pour  des  reines,  pour  des 
femmes  poètes,  pour  tout  ce  qui,  selon  eux,  agite 
l'imagination  plus  que  le  cœur;  et  pourtant,  avec 
de  si  folles  amours,  on  aboutit  au  délire,  à  la 
mort...  Ah!  je  crois  être  amoureux?  Ah!  je  crois 
être  malade,  n'est-ce  pas?  Mais,  si  je  crois  l'être, 
je  le  suis...  »  Gautier,  un  jour,  regrettera  d'avoir 
souri. 

Pour  jouer  les  Don  Juan,  ce  rêveur  n'a  rien  de 
ce  qu'il  faut  :  ni  l'égoïsme,  ni  l'élégance.  «  Il  n'a 
jamais  été  bien  habillé  des  pieds  à  la  tète,  déclare 
Arsène  Houssaye  :  si  l'habit  était  neuf,  le  chapeau 


INTRODUCTION  1 5 


manquait  d'un  coup  de  fer;  si  le  pantalon  était 
irréprochable,  la  bottine  tirait  la  langue.  Quand  il 
avait  de  l'argent,  il  le  dépensait  mal,  comme  son 
ami  Balzac  (i)...  »  Au  milieu  des  dandys,  comme 
parmi  lesbousingots,  il  reste  un  isolé. 

Il  n'est  pas  fait  pour  la  vie  mondaine,  indiffé- 
rente et  sceptique.  Ses  goûts, sa  curiosité  du  moins, 
lui  feraient  chercher  plutôt  la  société  des  humbles. 
Partout  où  il  passe,  c'est  une  de  ses  joies  de  se 
mêler  à  la  foule,  de  s'absorber  en  elle,  de  parta- 
ger ses  plaisirs.  Il  aime  les  fêtes  un  peu  vulgaires 
où  s'épanouit  une  grosse  gaîté  franche.  Volontiers, 
il  s'arrête  dans  ces  guinguettes  où  semble  se  sur- 
vivre le  passé,  dans  les  auberges  de  village,  dans 
les  brasseries  d'Allemagne,  comme  dans  les  caba- 
rets des  halles.  Le  vieux  Paris  surtout  l'enchante, 
ce  Paris  que  le  Paris  élégant  ne  connaît  plus,  ses 
ruelles  tortueuses  entre  les  vieilles  maisons  bran- 
lantes, les  verdures  des  grands  jardins  par-dessus 
les  murs  qui  croulent,  toute  cette  cohue  grouillante 
de  gens  en  haillons,  les  bavardages  des  commères 
sur  le  pas  des  portes,  les  bousculades  des  enfants 
parmi  les  rires  et  les  pleurs.  Plus  loin  encore,  la 
mélancolie  des  banlieues,  les  prairies  lépreuses,  les 

(:)  Le  Livre,  février  i883. 


l6  CORRESPONDANCE 


chantiers  abandonnés,  les  carrières  où  l'on  côtoie 
des  vagabonds  et  des  bandits. 

Ceci  n'est  pas  une  curiosité  d'artiste,  une  affec- 
tation. Personne  n'a  plus  de  sincérité  dans  ses 
g-oûts  ;  la  littérature  n'y  est  pour  rien.  Il  suffit  de 
lire  la  Bohême  galante,  ce  livre  exquis  où  il  y  a 
de  tout  :  du  pittoresque  et  de  l'émotion,  du  sourire 
et  de  l'ang-oisse,  de  la  réalité  et  du  songe,  des  dis- 
sertations littéraires  et  des  paysages  pleins  de  fraî- 
cheur, des  odelettes  travaillées  dans  le  goût  du 
xvi*^  siècle  et  des  chansons  où  chante  l'ame  même 
de  la  race  ;  cela  d'une  aisance,  d'une  pureté,  d'une 
souplesse,  d'une  fluidité  admirables  de  style. 

Là  est  le  véritable  Gérard.  On  s'est  évertué  à  en 
faire  un  personnage  de  roman.  Sa  folie  a  surexcité 
les  imaginations  qui  l'ont  voulue  tragique,  extra- 
vagante. Plusieurs  années  avant  la  crise,  remarque 
Champfleury,  l'originalité,  le  mystérieux  de  cette 
existence  soulevaient  bien  des  curiosités  :  «  Sa  vie 
errante,  les  aventures  qu'on  racontait  de  lui  dans 
Paris  l'avaient  transformé  de  son  vivant  en  per- 
sonnage légendaire  (i).  «  Ce  fut  bien  pis  après  sa 
mort  ;  et  Champfleury  pourrait  s'accuser  lui-même. 
11  a  travaillé  à  cette  légende,  il  a  ramassé  dans  ses 
ouvenirs  toutes  les  excentricités  du  poète  ;  nous 

Champfleury,  Grandes  figures  dîner  et  d'aujourd'hui,  p.  164. 


INTRODUCTION  I7 


les  connaissons  surtout  par  lui.  Dans  un  très  bon 
article  de  la  Revue  fantaisiste  (i),  Asselineau  a 
expliqué  de  la  façon  la  plus  simple  quelques-unes 
de  ces  prétendues  folies.  Vainement.  L'histoire 
des  Poissons  de  plomb,  celle  du  Trésor  des  Tui- 
leries, de  la  Sirène  d' Amsterdam  n'en  sont  pas 
moins  restées  articles  de  foi.  Allez  demander  à  des 
chroniqueurs  de  sacrifier  une  anecdote  à  effet  ! 

Parmi  ces  anecdotes,  pourtant,  il  faudrait  faire 
un  choix.  Il  est  certain  que  si  l'on  examine  grave- 
ment jusqu'à  ses  moindres  boutades,  si  l'on  discute 
avec  un  dog^matisme  de  médecin  aliéniste  tous  ses 
paradoxes,  toutes  ses  fantaisies  de  lang-age  et  de 
conduite  (a),  si  l'on  relève  comme  dépourvues  de 
sens  toutes  les  allusions  dont  le  sens  nous  échappe, 
il  est  facile  de  conclure  à  la  folie.  Je  me  demande 
seulement  quelle  correspondance  un  peu  libre  ne 
permettrait  pas  un  diagnostic  analogue. 

A  aucun  moment,  à  vrai  dire,  il  n'a  semblé  que 
cette  raison  fût  définitivement  perdue.  Après  cha- 
que atteinte  du  mal,  ce  sont  quelques  mois,  au  moins, 

(i)  Livraison  du  i5  septembre  1861. 

(3)  o  Le  plaisir  de  contrarier  les  Philistins  nous  poussait  à  des 
bizarreries  concertées  du  i!:oùt  le  plus  douteux...  Quelques  propos 
étranges  nous  faisaient  bien  ouvrir  de  çrands.  yeux,  mais  il  les 
expliquait  d'une  faron  si  inu^énieuse,  si  savante  et  si  profonde  que 
notre  admiration  pour  lui  en  augmentait.  »  Th.  Gautier,  Portraits 
et  Souvenirs,  p.  87. 


CORRESPONDANCE 


de  répit,  pendant  lesquels  on  croirait  à  une  guérison 
complète.  La  première  crise,  en  i84i,  n'a  pas  été 
très  grave  (i^.  Elle  lui  a  laissé  seulement  le  regret 
de  voir  interrompues  les  belles  rêveries  de  son  ima- 
gination. Il  a  retrouvé  toute  sa  vivacité  d'esprit, 
l'ardeur  au  travail,  l'enthousiasme  d'autrefois.  Les 
dix  années  qui  suivent  sont  parmi  les  plus  actives 
de  sa  vie  ;  c'est  l'époque  des  grands  voyages  qui 
lui  rendent  toute  sa  confiance  en  lui-même:  «  Ce  que 
c'est  que  de  changer  de  latitude  !  En  Allemagne, 
nul  ne  songe  à  me  trouver  fou  (2)  !  » 

En  France  même,  on  n'y  pense  guère.  Ses  amis 
se  sont  faits  assez  vite  à  certaines  excentricités.  Ils 
s'habituent  à  ces  crises  périodiques  qui  le  laissent 
chaque  fois  plus  las,  mais  à  la  suite  desquelles  ses 
facultés  demeurent  à  peu  près  intactes.  A  plusieurs 

(i)  Sur  cette  première  crise  voy.  les  lettres  de  mars  i84i.  —  Parmi 
les  familiers  du  poète,  Janin  est  le  seul  qui  semble  s'être  ému  très 
vivement;  le  i*'"'  mars  il  donne  aux  Débats  cet  article  dont  Gérard 
gardera  toujours  un  pénible  souvenir.  Les  autres  sont  préoccupés 
surtout  de  démentir  les  bruits  pessimistes.  D'une  lettre  de  Paul  Fou- 
clier  à  Marie  de  l'Epinay,  le  12  mars  :  «  Je  m'empresse  de  vous 
adresser  sur  la  santé  et  la  raison  de  notre  bon  Gérard  d'excellentes 
nouvelles  dont,  au  reste,  la  contirmalion  vous  sera  déjà  parvenue, 
sans  doute.  Quant  au  l'euilleton  de  Janin,  je  serais  d'avis  de  le  lui 
cacher  ,  mais  qu'est-ce  que  nos  deux  silences  auprès  des  dix  mille 
indiscrétions  qu'il  peut  rencontrera  sa  première  sortie.  «  (Inédit.) 
—  Houssaye,  dans  l'Artiste:  «  Hassurez-vous  !...  Gérard  de  Nerval 
n'a  perdu  ni  la  vie,  ni  la  raison. ..  Une  fièvre  ardente,  une  fièvre  de 
huit  jours  a  seule  donné  lieu  aux  fatales  nouvelles  qui  se  sont 
répandues    sur  noire  spirituel  ami...  »  (2«  série,  t.  VII,  p.   164). 

(2)  Pensées  publ.  par  Houssaye,  Presse  du  7  septembre  i865. 


INTRODUCTION  I() 


reprises,  ils  l'ont  cru  terrassé  par  la  maladie,  et  il 
a  suffi  pour  le  g^uérir  des  premiers  rayons  du  soleil. 
Au  printemps,  il  revit  pour  courir  les  routes,  et  les 
lettres  qu'ils  reçoivent  de  lui,  d'Allemag-ne,  de  Bel- 
gique ou  de  Hollande,  sont  toutes  rayonnantes  de 
jeunesse  (i)... 

Il  est  assez  difficile  de  suivre  Gérard,  dans  cette 
vie  açitée  et  vagabonde  dont  l'imprévu  déroute 
jusqu'à  ceux  qui  le  connaissent  le  mieux.  Sa  cor- 
respondance seule  permet  de  retrouver  quelques 
étapes  :  en  cela,  d'abord,  elle  est  précieuse.  Mais 
elle  n'a  pas  un  intérêt  historique  seulement. Parmi 
toutes  les  correspondances  romantiques  qui  ont  eu 
les  honneurs  de  la  publication,  je  n'en  connais  pas 
de  plus  variée,  de  plus  délicate,  de  plus  sincère. 
Sous  la  limpidité  du  style,  l'âme  transparaît,  d'une 
sensibilité  charmante.  Jusque  dans  les  dernières 
années,  c'est  quelque  chose  de  frais  et  d'ingénu. 

Personne  n'a  conservé  plus  pieusement  le  trésor 
de  ses  illusions.  Il  en  a  vécu,  et  il  en  est  mort, 
aimé  de  tous,  sauf  des  deux  êtres  que  lui-même  a 
le  plus  aimés.  Et  peut-on  dire  même  qu'il  soufl:Ve 
de  la  dureté  de  l'un,  de  la  vulgarité  de  l'autre  ? 
Obstinément,  son  rêve  embellit  la  réalité.  Rien  ne 


(i)  Voy.,  après  les  inquif'tudes  de  janvier  i85î,  la  lettre  à  Stadler 
du  12  mai.  De  même,  la  lettre  du  lo  juin  i853. 


GOaRESPONDANCE 


lui  fera  mépriser  l'idole  à  qui  son  culte  s'est  con- 
sacré. Rien,  de  la  part  de  son  père,  ne  le  découra- 
gera. Les  moindres  billets  qu'il  lui  adresse  sont 
exquis  d'abandon  affectueux;  il  a  avec  lui  des 
câlineries  d'enfant  ;  il  ne  semble  pas  s'apercevoir 
de  sa  froideur  ;  il  veut  croire  à  cette  tendresse,  qui 
se  refuse. 

Il  l'a  peu  connu,  cependant.  Pendant  sa  pre- 
mière jeunesse,  le  D"^  Labrunie  courait  l'Europe,  à 
la  suite  de  la  Grande  Armée.  Le  souvenir  le  plus 
ancien  qu'il  en  ait  gardé  est  du  mois  de  juin  i8i4  : 
un  officiera  l'uniforme  sali,  à  la  figure  sombre  qui 
le  serrait  sur  sa  poitrine,  à  lui  faire  mal.  Ce  retour, 
c'a  été  la  fin  de  ses  belles  années  de  vie  libre,  dans 
les  prairies  du  Valois, la  fin  des  idylles  enfantines, 
de  toutes  ces  joies  où  rien  d'amer  ne  se  mêlait 
encore.  Son  père  s'appliquera  désormais  à  meur- 
trir ses  illusions  ;  il  est  venu  pour  lui  apprendre 
«  ses  devoirs  ».  A  tous  ses  goûts,  il  oppose  un 
bon  sens  étroit  et  revêche.  Il  se  refuse  à  le  com- 
prendre (i).  Etre  tyrannique,  ce  serait  encore  une 
façon  d'aimer  :  il  est    pire  :  il  est   indifférent  et 


(i)  Voy.  la  lettre  du  20  juin  i854  :  «  Ne  croispas,  quand  je  suis 
loin,  que  je  ne  sois  pas  près  de  toi  cependant.  J'y  serais  près 
encore,  fût  ce  dans  le  tombeau.  Si  je  mourais  avant  toi,  j'aurais, 
au  dernier  moment,la  pensée  que,  peut-être,  tu  ne  m'as  jamais  bien 
connu.  » 


INTRODUCTION 


dédaigneux.  Même  dans  les  derniers  mois,  quand 
les  amis  de  Gérard  ont  le  cœur  serré  d'ang^oisse, 
lui  seul  s'obstine  à  tout  ignorer.  Vieilli  maintenant, 
il  redoute  pour  sa  propre  santé  des  émotions  trop 
vives.  L'essentiel  est  que  le  dénouement  attendu  ne 
lui  impose  pas  un  excès  de  fatigues  et  de  soucis... 

En  i855,  le  mal  s'est  aggravé  avec  une  rapidité 
foudroyante.  Au  printemps,  une  première  crise  a 
abattu  le  poète  :  transport  au  cerveau,  disent  les 
médecins,  et  bientôt  ils  le  proclament  guéri.  Mais, 
en  août,  il  n'y  a  plus  d'illusion  possible.  G^est  bien 
la  folie  qui  reprend  sa  victime  ;  elle  ne  lui  accor- 
dera plus  que  deux  mois  de  répit,  en  juin  et  juillet 
i854,  —  l^  temps  exactement  de  revoir  l'Allema- 
gne, une  fois  encore.  Ce  voyage  suprême  est  le  der- 
nier recours  du  D""  Blanche.  Si  souvent,  le  malade 
est  revenu  guéri  de  ses  courses  lointaines  ! 

Mais  aujourd'hui,  le  charme  est  impuissant.  Lui- 
même  n'a  plus  la  force  d'espérer. Parfois, en  retrou- 
vant des  paysages  aimés  jadis,  il  a  des  instants  de 
gaîté  ;  il  voudrait  se  persuader  que  ses  forces  en- 
tières lui  sont  rendues... Puis, ce  sont  de  nouveaux 
accès  de  tristesse,  des  angoisses  inexpliquées,  des 
remords  sans  cause.  Un  rien  suffît  à  troubler  la 
joie  qu'il  se  promettait  de  goûter  et  l'assombrit.  Et 
toujours  cette    terreur  constante,  cette    inquiétude 


CORRESPONDANCE 


sur  ses  facultés  créatrices,  son  plus  grand  sujet 
d^ abattement  (i)... 

A  peine  rentré  à  Paris,  il  fallut  encore,  le  8 août 
i854, l'enfermer  à  la  maison  de  Passy  :  il  ne  devait 
plus  en  sortir  que  pour  aller  à  la  mort. Le  D'^  Blan- 
che fit  tout  ce  qui  était  en  son  pouvoir.  Vainement, 
il  essaya  de  secouer  l'égoïsme  du  D""  Labrunie  en 
le  prévenant  de  l'imminence  du  danger.  De  toute 
son  énerg-ie,  il  résista  aux  prières  et  aux  menaces 
de  Gérard,  réclamant  sa  liberté...  Il  dut  céder 
devant  une  intervention  officielle  de  la  Société  des 
gens  de  lettres. 

La  Société  prenait  là  une  responsabilité  bien 
grande  et  la  discussion  avait  été  vive  au  sein  du 
comité.  Ghampfleury  déclare  qu'il  protesta  avec 
énergie.  Mais  la  supplique  de  Gérard,  transmise 
par  l'avocat  Godefroy,  était  si  pressante.  Surtout, 
elle  était  écrite  en  termes  si  mesurés,  si  calmes  (2). 

La  sommation  est  datée  dug  octobre.  Le  D^  Blan- 
che s'inclina,  et,  le  19, commençait  cette  agonie, — 
ces  courses  éperdues  sous  la  neige  d'un  hiver  par- 
ticulièrement rigoureux.  Ce  que  fut  la  vie  de  Gérard 
durant  ces  dernières  semaines,  personne  ne  pour- 
rait le  dire  ;  personne  même  ne  connut  son  domi- 


(i)  Lettre  du  37  juin. 

(2)  Voy.  la  lettre  du  28  septembre  i854. 


INTRODUCTION  23 


cile,  car  il  avait  donné  congé  à  son  hôtel  garni 
de  la  rue  Neuve-des- Bons -Enfants.  A  diver- 
ses reprises,  quelques-uns  de  ses  amis  le  virent 
apparaître,  loquace  et  nerveux,  vêtu  toujours  de 
son  éternel  habit  noir,  et  c'était,  pendant  quel- 
ques instants,  un  feu  roulant  de  paradoxes,  les 
éclats  d'une  gatié  forcée,  ou  des  phrases  de  déses- 
poir,brusquement  interrompues. Mais  ils  essayaient 
en  vain  de  le  retenir,  ou  de  l'interroger,  ou  de 
venir  à  son  aide  :  il  se  défendait  de  leur  amitié, 
comme  d'une  curiosité  indiscrète. 

Chacun  d'eux  a  pieusement  noté  le  souvenir  de 
la  suprême  rencontre  :  Théophile  Gautier  et  Maxime 
Du  Camp,  le  20  janvier,  dans  les  bureaux  de  la 
Reuue  de  Paris  ;  le  bibliophile  Jacob,  le  28  ;  Geor- 
ges Bell  et  Philibert  Audebrand,  le  24,  au  dîner  de 
Béatrix  Person  ;  Charles  Asselineau,  le  26...  Puis, 
au  matin  du  26,  un  avis  laconique  de  la  police  les 
priait  de  passer  à  la  Morgue,  pour  reconnaître  le 
corps.  Un  apprenti,  sortant  d'un  garni  voisin,  avait 
aperçu  ce  cadavre. 

La  nouvelle  ne  mit  pas  longtemps  à  se  répandre. 
La  consternation  fut  générale.  Pendant  quelques 
jours,  on  ne  parla  pas  d'autre  chose.  Ou  plaignit  le 
désespéré. On  fit  le  procès  delà  société  indifférente, 
on  risqua  des  hypothèses,  on  disserta  sur  les  causes 


24  CORRESPONDANCE 


et  les  circonstances  probables  de  la  mort.  Ce  fait- 
divers  faisait  plus,  pour  la  gloire  du  poète,  qu'une 
vie  entière  de  travail.  Les  artistes,  les  écrivains,  la 
foule  innombrable  des  curieux,  tout  Paris  défila 
dans  la  ruelle  sinistre  (  i). 

(i)  Sur  la  mort  de  Gérard, voy.  le  Mousquetaire  des  3o  janvier  et 
2  février  i855.  —  J'ai  dû  à  l'obligeance  de  M.  Gustave  Simon  com- 
munication d'un  document  inédit  fort  intéressant.  C'est  une  lettre 
d'Alexandre  Dumas  à  Victor  Hugo, la  veille  même  de  l'enterrement  : 
«  Mon  bien  Cher  et  bien  Grand, 

Vous  savez  que  notre  pauvre  Gérard  s'est  suicidé  ou  a  été  assas- 
siné. 

On  l'enterre  demain. 

Arsène  Houssaye  s'est  chargé  de  tous  les  détails  du  convoi. 

Voici  ce  que  je  lui  ai  écrit  hier  : 
«  Mon  cher  Houssaye, 

«  Si  Victor  Hugo  eût  été  à  Paris,  il  eût  fait  à  notre  cher  Gérard 
«  l'honneur  de  porter  un  des  coins  du  Drap. 

«  Je  crois  qu'en  l'absence  de  notre  grand  poète,  il  est  de  notre 
«  ou  voir  de  laisser  la  place  d'Hugo  vacante  et  de  n'avoir  que  trois 
«  de  cinq  porteurs. 


o  Je  propose  —  disposez. 


«  A  vous. 

«  AL.    DUMAS. 


Houssaye  a  répondu  : 
«  Oui, 

«  à  mardi  matin. 

«    ARSÈNE  HOUSSAYE.    » 

Vous  voyez,  cher,   que  je  ne  perds  aucune  occasion  de  protester 
contre  votre  absence. 

Demain  vous  serez  donc  au  milieu  de  nous  ; 

Quand  je  pense  à  vous,  je  vous  aime,  je  crois,  encore  plus  que  je 
ne  vous  admire.  Quand  je  vous  lis,  je  vous  admire,  je  crois,  plus 
que  je  ne  vous  aime  —  mais  croyez-le  bien,  en  tout  temps  et  à  toute 
heure,  je  vous  aime  comme  ami  et  vous  admire  comme  maître. 
A  vous  et  aux  vôtres, 

AL.   DUMAS. 

Lundi,  29  janvier. 


INTRODUCTION 


A  quelques  pas  de  là,  remarque  Champfleury,  sur 
la  place  du  Châlelet,  la  Renommée  du  sculpteur  Bosio 
dressait  vers  le  ciel  gris  l'ironie  de  ses  palmes  d'or. 

L'attitude  du  D"^  Labrunie  avait  été  jugée  sévè- 
remeut.  Il  daigna  s'en  émouvoir,  un  peu  tard.  Au 
moment  de  mourir,  il  confia  à  A.  Houssaye  les 
lettres  de  Gérard,  «  comme  pour  prouver  qu'ils 
avaient  toujours  vécu  en  vive  amitié  ».  Ces  lettres 
sont  probantes  en  effet;  elles  prouvent  l'affection 
si  mal  reconnue  de  ce  fils.  A.  Houssaye  en  a  publié 
un  assez  grand  nombre  dans  la  Presse,  en  1862  et 
1 865, dans  l' Artiste, qw  187661  1 877, dans /e  Livre, 
en  i883.  Une  autre  série  a  été  donnée  oar  M.  L. 
de  Bare  à  la  Nouvelle  Revue  Internationale,  en 
1894,  1890  et  1897.  Avec  les  lettres  recueillies  par 
G.  Bell  {Gérard  de  Nerval,  i855),  A.  Dumas  {le 
Pays,  i854)  et  Champfleury  {Grandes  figures), 
c'est  là  l'essentiel  de  la  correspondance  déjà  publiée. 
Il  faut  ajouter  encore  l'importante  contribution  d'Al- 
phonse Karr(/e  Livre  de  bord),  d'H.  Lucas  {Por- 
traits  et  Souvenirs),  d'Avvède  Barine  (Névrosés),  de 
MM.  Adolphe  Jullicn  (le  Romantisme  et  l'éditeur 
Renduel),  Maurice  Tourneux  {l'Age  du  roman- 
tisme et  V Intermédiaire  de  mars  1889J,  Jules 
Glaretie  (/a  Prf 55^  1878,  l'Artiste  1879),  ^-  ^^s- 

3 


26  CORRESPONDANCE 


quet  {le  Temps,  août  1881),  Clément  Janin  (Dédi- 
caces et  lettres  autographes),  de  M^'^  Julia  Cartier 
{Un  intermédiaire  entre  la  France  et  V Allemagne). 
Enfin  des  lettres  éparses  dans  diverses  publications 
ou  revues  :  le  Journal  de  la  librairie  (juillet  i84o), 
le  Charivari  {AécQmhT&  1846),  le  Corsaire  (octo- 
bre i85o),  l Histoire  anecdotique  des  cafés  de 
Paris  d'A.  Delvau,  la  Correspondance  littéraire 
(novembre  i856),  l'Univers  illustré  (août  1864, 
articles  de  Méry),  la  Petite  Presse  (octobre  1866), 
l'Amateur  d'autographes  {mdLYs  1866  et  avril  1869), 
le  Conseiller  du  bibliophile  (1876),  la  Revue  des 
documents  historiques  (1878),  le  Livre  moderne 
(1891),  V  Intermédiaire  (juillet  igoB),  le  Temps 
(août  1907)...  Je  ne  prétends  pas  que  rien  ne 
m'ait  échappé  ;  mais  j'ai  cherché  de  mon  mieux. 

Les  lettres  qui  ne  portent  aucune  indication  d'o- 
rigine (soixante  environ)  sont  inédites  et  publiées 
sur  les  originaux.  Il  m'aurait  été  facile  d'en  aug- 
menter le  nombre,  en  reproduisant  une  foule  de 
billets  insignifiants  qui  sont  passés  sous  mes  yeux  : 
rendez-vous,  invitations,  demandes  de  places  de 
théâtre...  J'ai  conservé  seulement  ceux  qui  appor- 
taient une  date  ou  quelque  précision  de  fait. 

D'ailleurs,  même  parmi  les  lettres  publiées  déjà, 
j'ai  cru  devoir  en  sacrifier  quelques-unes, —  qui  ne 


INTRODUCTION  27 


sont  pas  des  lettres  véritables.  Gérard  ayant  sou- 
vent recours  à  la  forme  épistolaire  qui  convient  à 
merveille  à  son  génie,  il  est  arrive  plusieurs  fois 
aux  chroniqueurs  qui  ont  rassemblé  les  débris  de 
sa  correspondance  de  prendre  pour  des  brouillons 
de  lettres  de  simples  feuillets  manuscrits  de  ses 
ouvrag^es.  Houssaye  donne  ainsi  comme  lettre  iné- 
dite une  page  d'Aurélia  (i),  et  L.  de  Bare,  trou- 
vant la  suite  du  même  fragment,  y  voit  à  son  tour 
un  billet  écrit  «  au  retour  d'une  de  ces  envolées 
lointaines  dont  il  était  coutumier  (2)  ». 

J'ai  écarté  tous  les  morceaux  de  ce  genre.  Peut- 
être  est-ce  une  solution  trop  rigoureuse  ;  il  est 
bien  possible  que  tel  ou  tel  fragment  d'article  ait 
figuré  d'abord  dans  une  lettre  véritable...  mais  il 
faut  prendre  un  parti  qui  soit  net.  Sans  quoi, 
l'on  en  viendrait  à  faire  entrer  dans  la  correspon- 
dance une  bonne  partie  de  Lorehj  et  de  la  Bohème 
galante  et  le  Voyage  en  Orient  tout  entier. 

tJne  exception  seulement  pour  les  18  lettres 
d'amour.  Ce  n'est  pas  que  je  partage  l'opinion  de 
V.  Sardou  croyant  avoir  ici  une  correspondance 


(i)  Houssaye,  le   Livre,  i883,  p.  94,  et  Aurélia,  p.  106. 

(a)  L.  de  Bare,  Nouv.  Rev.  intern.,  i«'"  mai  94.  Aure//a,p.  106. 
—  Voy.  encore  dans  le  Livre  de  Bord  d'A.  Karr  (p.  194)  une  pré- 
tendue lettre  qui  n'est  qu'un  fragment  de  l'article  les  Amours  de 
Vienne  (Voyage  en  Orient,  I,  p.  xli)  . 


28  CORRESPONDANCE 


authentique  de  Gérard  et  de  Jenny  Colon  (i).  Bien 
des  détails  s'appliqueraient  assez  mal  à  la  comé- 
dienne ;  et  d'ailleurs  il  suffit  de  reg'arder  le  manus- 
crit, écrit  régulièrement  sur  de  grandes  feuilles, 
pour  reconnaître,  non  pas  une  série  de  lettres  dis- 
tinctes, mais  —  sous  la  forme  épistolaire  —  une 
sorte  de  petit  roman,  ou,  si  l'on  veut,  de  journal 
intime.  Ce  journal  ne  mérite  pas  moins  d'être  con- 
servé ;  c'est  toute  l'âme  du  poète  que  l'on  y  re- 
trouve, son  âme  naïve  et  douloureuse. 

Il  ne  me  reste  plus  qu'à  remercier  les  admira- 
teurs de  Gérard  qui  ont  bien  voulu  répondre  à 
mon  appel  :  MM.  Maurice  Tourneux  et  Paul  Bon- 
nefonj  dont'  on  sait  l'érudition  en  ces  matières, 
M.  Couët,  qui  a  fait  pour  moi  des  recherches  dans 
les  archives  de  la  Comédie  Française  ;  M.  Noël  Cha- 
ravay,  MM.  Clément  Janin,  Léo  Lucas,  Gustave 
Simon,  Louis  Grobet,qui  m'ont  ouvert  leurs  collec- 
tions. A  M.  Edouard  Champion  je  dois  une  recon- 
naissance particulière  :  ayant  renoncé  à  écrire  lui- 
même  la  biographie  de  Gérard  de  Nerval,  il  m'a 
communiqué  très  libéralement,  avec  plusieurs  lettres 
inédites,  tout  un  dossier  qu'il  avait  constitué  déjà. 

JULES   MARSAN. 

(i)  Quelques-unes  de  ces  lettres  figurentà  la  suite  d'Aiirelin.Le  ma- 
nuscrit a  été  imprimé  intégralement  par  V.  Sardou  dans  la  Nouvelle 
Revue  (i5  octobre  1902),  sous  le  titre  :  «  Lettres  à  Jenny  Colon  ». 


I 


l83o    NOVEMBRE     l84l 


Les  premiers  ossais]tlramatiqucs,  i83i.  —  Sainte-Pélagie,  1882.  — 
Voyage  en  Italie,  octobre-novembre  i834. — Impasse  du  Doyenne, 
i835.  —  Voyage  en  Belgique,  été  i836.  —  Piqaillo,  octobre 
1837.  —  Voyage  en  Allemagne,  septembre  i838.  —  L' Alchimiste , 
et  Léo  Burckarl,  avril  1839.  —  Voyage  à  Vienne,  novembre 
1839-févricr  1840.  —  Passage  en  Allemagne,  mars  i84o.  —  Séjour 
à  Paris,  mai-septembre  i84o.  —  Voyage  en  Belgique,  octobre- 
décembre  1840.  —  Première  crise,  mars-novembre  i84t. 


I 


5  février  i83o. 

Monsieur, 

Je  suis  bien  touché  de  la  peine  que  vous  avez  prise 
dépasser  chez  mon  grand-père  pour  me  voir(i)  et 
je  vous  remercie  de  l'aimable  lettre  que  vous  avez 
bien  voulu  m'écrire.  Quant  à  une  autre  dont  vous 
me  parlez,je  ne  l'ai  point  reçue  et  j'ai  été  fort  éton- 
né quand  on  m'apprit  chez  mon  grand-père  que 
vous  m'en  aviez  écrit  une,  il  y  a  quelques  mois, 
d'après  ce  que  vous  leur  en  aviez  dit  :  Je  me  suis 
rendu  à  l'étude  où  vous  l'aviez  adressée  (2),  igno- 
rant que  je  n'y  fusse  plus  et  je  me  suis  convaincu 
là  que  ces  messieurs,  par  une  négligence  dont  je 
leur  sais  fort  mauvais  gré,  l'avaient  égarée,  après 
me  l'avoir  gardéelongtenips, parce  qu'ils  comptaient 
que  je  viendrais  les  voir  et  que  je  suis  resté  plu- 
sieurs mois  sans  y  aller.  Je  le  regrette  d'autant 
plus  que  probablement  elle  m'aurait  donné  votre 
adresse  et  procuré  par  là  le  plaisir  de  vous  écrire. 

J'aurai  maintenant  le  plaisir  devons  voir,  ce  qui 


Sa  CORRESPONDANCE 


vaut  mieux  et  si  je  ne  crains  pas  de  vous  dérang-er 
trop,  j'irai  vous  rendre  visite,  lundi  ou  mardi  pro- 
chain, à  huit  heures  et  demie  :  c'est  un  peu  matin, 
mais  je  crois  que  c'est  l'heure  où  l'on  est  le  plus 
sûr  de  vous  trouver. 

Tout  à  vous, 

G.    LABRUNIE. 


II 


AU  BARON  TAYLOR 

[Eté  i83i.] 
Monsieur, 
Je  suis  auteur  de  deux  pièces  reçues  à  l'Odéon  à 
l'unanimité  (3)  :  j'ai  besoin  que  l'une  d'elles  soit 
représentée  de  suite  et  comme  cela  ne  se  peut  pas  à 
l'Odéon,  Ligier  ayant  déjà  d'autres  rôles  et  Fré- 
déric étant  absent,  je  vous  aurais  une  bien  grande 
obligation  si  vous  vouliez  l'entendre  et  juger  si 
elle  convient  aux  Français.  Je  serais  trop  reculé  s'il 
fallait  passer  par  le  comité  de  lecture  et  c'est  une 
demi-heure  tout  au  plus  que  je  vous  demande. 
Cette  pièce  est  intitulée  Zara,  tragédie  en  un  acte 
(600  vers),  elle  peut  se  jouer  sans  la  moindre 
dépense,  avec  4  acteurs,  et  jetterait  sans  doute  une 
variété  singulière  dans  le  répertoire  actuel  du 
Théâtre  Français, étant  d'un  genre  tout  nouveau  et 


l830   — '   NOVEMBRE    i84i  33 


cependant  écrite  de  manière  à  ne  choquer  aucun 
parti  littéraire. 

Je  comptais  employer,  pour  obtenir  de  vous  la 
faveur  que  je  vous  demande,  monsieur  Hugo  (4) 
ou  Dumas, qui  sont  mes  amis  et  je  pense  aussi  les 
vôtres;  mais  tous  deux  sont  absents  de  Paris  et 
ne  voyant  pas  d'autre  moyen  de  me  faire  connaître 
à  vous,  je  joins  à  ce  billet  des  lettres  qu'ils  m'ont 
écrites  en  différents  temps,  pensant  que  cela  suffira 
pourvouspersuaderqueces  messieurs  nem'auraient 
pas  refusé  une  démarche  auprès  de  vous.  J'aurai 
l'honneur  d'aller  demain  matin  connaître  votre 
réponse  ;  vous  vous  êtes  montré  si  souvent  bien- 
veillant envers  des  jeunes  gens  débutant  dans  des 
voies  nouvelles  que  je  ne  doute  point  que  vous  ne 
fassiez  aussi  quelque  chose  en  ma  faveur,  si  vous 
pouvez. 

Votre  dévoué  serviteur, 

GÉRARD. 


m 


Février  i832. 
Mon  cher  ami, 
Je  vous  ai  écrit  de  la  Préfecture,  mais  je  ne  sais 

m.  —  Fac-similé  publ.  par  M.  Tourncux.  :  l'Age  du  Romantisme. 
Gérard  de  Nerval. 


34  COnaESPONDANCE 


si  vous  aurez  reçu  ma  lettre,  car  on  ne  les  envoie 
pas  toutes  (5.).  C'est  donc,  si  vous  ne  l'avez  pas, 
reçue,  que  je  vous  prie  de  me  rendre  le  service  que 
j'avais  refusé  il  y  a  quelques  jours  et  d'aller  chez 
Levvavasseur,  libraire  au  palais  royal,  ou  Heideloff, 
rue  Vivienne,  n°  8  ou  i6,  m'acheter  un  almanach 
allemand  intitulé  Cornélia,  dont  j'ai  le  plus  pres- 
sant besoin  et  qui  coûte  environ  dix  francs,  puis  de 
me  l'envoyer  à  Sainte-Pélag-ie  par  votre  jeune  hom- 
me. Si  vous  voulez  me  voir,  demandez  un  laisser- 
passer  à  la  préfecture.  Je  ne  doute  pas  que  vous  ne 
vous  hâtiez  d'oblig'er  un  ami  prisonnier  et  je  vous 
en  aurai  une  bien  grande  reconnaissance. 

Votre  dévoué, 

GÉRARD     LABRUNIE. 


IV 

A  PAPION  DU  CHATEAU   (6) 

[i832.] 

...  Je  fais  des  visites  pour  le  choléra  (7)  comme 
font  maintenant  tous  les  étudiants,  les  médecins 
étant  insuffisants  de  beaucoup  pour  le  nombre  des 
malades.  Je  vous  assure  quec'estune  chose  cruelle... 
Je  ne  crois  pas  que  M  M.  Dumas  et  Hugo  vous  écrivent 

IV.  —  Fragment  public  dans  le  catalogue  Noilly,  n.  978. 


l830   NOVEMBRE    I 84 I  35 

pour  ce  que  vous  leur  avez  envoyé  (8).  Ils  ne  son! 
pas  grands  écriveurs  de  leur  nature,  et  c'est  ce  qui 
fait  qu'on  attache  plus  de  prix  à  une  seule  lettre 
qu'on  possède  d'eux.  Leur  haute  position  les  met 
au-dessus  de  ce  qui  serait  une  impolitesse  pour 
d'autres  ;  mais  vous  sentez  que,  recevant  tous  les 
joursdes  paquets  énormes  d'opuscules  de  par  toute 
la  France  et  aussi,  surtout,  de  l'étranger,  il  fau- 
drait qu'ils  consacrassent  tout  leur  temps  à  écrire 
des  lettres,  et  cela  serait  dommage  pour  tout  le 
monde... 


V 

AU   D""   LABUUME 

Aix,  octobre  i834- 

Mon  cher  papa, 
...J'ai  vu  Avignon,  j'ai  vu  Vaucluse.  Tout  cela 
est  admirable.  Combien  j'aurais  dû  regretter  de 
mourir  sans  avoir  vu  ces  beaux  pays.  Je  prends 
toutes  sortes  de  moyens  pour  rendre  le  voyage  le 
moins  coûteux  possible,  par  les  bateaux,  les  pataches 
ou  à  pied.  C'est  plus  long,  mais  la  campagne  est 
pleine  d'attraits.  A  Avignon,  il  y  a  des  églises  char- 

V.    —  Piibl.    par   L.    de  Bare,  Nouvelle  Revue    internationale, 
i""  mai  1894. 


36  CORRESPONDANCE 


mantes,  toutes  peintes  à  l'intérieur.  J'ai  suivi  les 
bords  de  la  Durance.  C'est  plein  d'îles.  C'est  très 
beau.  Il  y  a  un  pont  d'au  moins  une  demi-lieue.  A 
Aix,  je  vois  le  châleau  du  roi  René.  Les  champs 
sont  pleins  d'oliviers  et  de  mûriers.  Les  figues  sont 
délicieuses.  Ici,  on  boit  du  vm  du  midi  et  l'on 
mange  de  la  cuisine  à  l'huile.  Adieu,  papa,  porte- 
toi  bien.  Je  t'embrasse.  Moi,  je  vais  voir  lamer(9). 


VI 

A  JEAN  DU    SEIGNEUR  (lo) 

4  novembre  ^1834. 

Mon  cher  Du  Seigneur, 
...  Hé  bien,  me  voilà  dans  une  belle  position: 
je  n'ai  pas  d'argent  à  Naples  et  pas  d'argent  à  Mar- 
seille. Je  n'y  comprends  rien.  Tu  n'as  donc  pas  reçu 
mes  deux  lettres,  l'une  d'Aix(ii),  l'autre  de  Nice, 
il  y  a  cinq  semaines  ?  ou  il  y  a  donc  eu  quelque 
incident  que  je  ne  sais  pas  ?  Tu  es  malade  ou  mort, 
ou  tu  étais  à  la  campagne.  C'est  ce  qui  me  paraît 
le  plus  probable...  Voilà  ce  que  je  demandais  (12). 

Art.  5.   —  Si  tout  cela  manque..,  si  Paris   est 

VI.  —  Publ.  par  M.  Maurice  du  Seigneur  dans  h  Conseiller  da 
Bibliophile,  1876. 


l83o    NOVEMBRE    l84l  Sj 

enterré  par  un  tremblement  de  terre,  ou  la  Bourse 
l'outiroyL'o,  ou  M.  Mignotte  suicidé,  et  toi  Jean  du 
Seigneur  abymé  connue  Don  Juan  par  ses  pro- 
pres statues  !  S'il  n'y  a  plus  d'argent  au  monde, 
plus  de  notaires,  d'agents  de  change,  de  banquiers 
(ce  (jue  je  désire,  sans  l'espérer),  il  faudrait  tou- 
jours nie  prévenir  et  m'expliquer  le  tout  dans  une 
lettre  ajjranchie,  adressée  à  Marseille,  et  dans  une 
autre  non  affranchie  adressée  à  Ag-en  (i3);  fais 
attention  qu'il  yae/,  et  non  pas  ou;  c'est  pour  pré- 
voir tous  les  cas  possibles. 

Art.  6. —  Ne  pas  perdre  une  minute,  car  je  n'ai 
que  5  sols,  quoicpie  je  ne  sois  pas  le  Juif  Errant, 
quoique  je  sois  errant.  Je  suis,  il  est  vrai,  à  l'hô- 
tel à  crédit,  mais  à  la  longue  le  crédit  peut  s'in- 
quiéter. 

Je  t'embrasse,  mon  bon  Jehan,  et  te  remercie 
pour  tous  les  dérangements  que  je  t'occasionne  et 
compte  sur  moi  entièrement. 

Bonjour  à  tout  le  monde,  et  à  bientôt, 

GÉRARD   LABRUNIE. 

Suscription  :    A  monsieur  Du  Seigneur,  statuaire 
Rue  de  l'Odéon,  n"^  20,  21,22,  23, 
24  ou  2.1  à  Paris. 
S' il  est  à  la  campagne  ou  n'y  est  plus  : 
A  monsieur  Rogier,  peintre, 
Rue  des  Beaux- Arts,  /i"  .7. 


38  GORRKSPONDANCE 


On  à  monsieur  Gautier  {Théophile), 
à   la   barrière  de  Passy, 
dans  le  bâtiment  de  la  barrière. 
Ou  à  Monsieur  Darq,  Rue  Hyacintlie 
Si-Michel,  n''  22. 


VII 

A   E.   RENDUEL  (l4) 

Marseille,  0  novembre  i8o4. 

Mon  bon  monsieur Renduel, 
Voulez-vous  me  rendre  un  petit  service  ?  Ce  se- 
rait défaire  demander  chez  MM.  HeideloffetCampé, 
rue  Vivienne,  un  livre  allemand  intitulé  Z)/e  Tochter 
der  Luft,  je  crois,  drame  de  Raupach  (i5).  Ils  con- 
naîtront bien  cela  chez  M.  Campé,  quand  même  le 
litre  ne  serait  pas  exact.  S'ils  ne  l'ont  pas  à  Paris, 
mais  ils  l'auront,  vous  les  feriez  prier  de  le  faire 
venir  d'Allemagne  et  de  me  le  garder  à  Paris,  où  je 
serai  bientôt  ;  s'ils  l'ont,  vous  auriez  la  bonté  de 
me  le  faire  envoyer  sans  perdre  une  minuie  par  la 
poste  chez  M.  Noubel,  libraire  à  Agen  (départe- 
ment de  Lot-et-Garonne),  pour  M.  Gérard  Labru- 
nie.  Comme  il  faudra  payer  la  poste  et  le  libraire, 

VII.  —  PuLl.  jiar  M,  Adolphe  Jullica  :  le  Romantisme  cl  l'éditeur 
Rendael. 


l83o    —     NOVEMBRE    l84l  3f) 

et  que  jfi  ne  jniisle  faire  d'ici,  je  vous  prie  de  v<ju- 
loir  l)ien  vous  eu  charger  (mais  quaut  au  livre,  je 
crois  que  vous  j)ouvez  le  j)rendre  à  crédit  comme 
libraire).  La  poste  peut  coûter  un  iianc  et  le  livre 
quatre  francs,  ou  un  peu  plus  ou  un  peu  moins.  Ce 
fesant,  vous  me  seriez  bien  at^rëable  et  bien  utile, 
et  je  vous  serais  bien  reconnaissant.  S'il  est  impos- 
sible (juc  le  livre  me  parvienne  cinq  à  six  jours 
après  l'arrivée  de  la  présente  lettre  chez  vous,  il 
vaut  mieux  me  le  garder;  et  si  M.  Ileideloff  n'a 
pas  le  livre,  vous  voudriez  bien,  dans  tous  les  cas, 
le  prier  de  le  faire  venir. 

Maintenant,  je  vous  prie  de  recevoir  les  saluta- 
tions d'un  heureux  voyageur  ([ui  rentre  à  l'instant 
dans  sa  patrie  avec  autant  de  plaisir  (ju'il  en  avait 
eu  en  la  quittant.  La  librairie  belî^e  infecte  toute 
ritalie  d'une  manière  déplorable,  mais  vous  le  sa- 
vez comme  moi(i6).  C'est  incroyable  qu'il  se  vende 
autant  de  livres  français  en  Italie  sans  que  vous  y 
soyez  pour  rien.  Des  libraires  de  Gênes  et  de  Li« 
vourne  m'assuraient  qu'il  se  vendait  plus  de  livres 
français  modernes  en  Italie  qu'en  France.  C'est 
à  Rome  et  à  Naples  qu'il  s'en  vend  le  moins.  Mais 
c'est  à  Livourne  qu'est  la  plus  forte  librairie  (Mar- 
villy);  ils  impriment  même  dans  la  ville,  notam- 
ment Barnave  (17), en  un  volume,  dont  il  y  a  déjà 
deux  autres  éditions  en  JJelyique. 

Il  me  semble  que,    cela  étant  ainsi,  vous  pour- 


40  GORnESPONDANCE 


riez  bien  çag"iier  à  publier  des  éditions  à  bas  prix 
en  Belgique  :  vous  les  gagneriez  toujours  de  vi- 
tesse en  imprimant  là  en  même  temps  qu'à  Paris. 
Gela  est  si  vrai  qu'à  Florence  les  libraires  atten- 
daient encore  avec  impatience  Volupté,  qui  leur 
était  demandé  partout  et  qui  n'était  pas  encore 
arrivé  de  Bruxelles  quand  j'y  ai  passé  vers  le  lo  oc- 
tobre. Ils  avaient  également  le  Spectacle  dans  un 
fauteuil,  mais  pas  encore  la  prose.  C'est  ce  retard 
seul  qui  fait  que  les  cabinets  de  lecture  vous  achè- 
tent vos  éditions  de  France  ;  mais  s'ils  ont  besoin 
d'un  re-exemplaire,  ils  attendent  Bruxelles.  Mais 
en  Italie  on  achète  plutôt  les  livres  (pourvu  qu'ils 
ne  soient  pas  chers)  qu'on  ne  les  prend  au  cabinet; 
c'est  le  contraire  de  Paris  ;  c'est  ce  qui  fait,  je  pense, 
que  le  débit  doit  être  beaucoup  plus  grand  qu'à 
Paris  et  que  vous  auriez  un  grand  avantage  à  en- 
trer en  concurrence  avec  Bruxelles.  Ce  que  je  vous 
dis  pour  l'Italie  doit  être  encore  bien  plus  vrai 
pour  la  Belgique.  Il  est  vrai  de  dire  que  leurs  édi- 
tions sont  à  présent  très  soignées,  mais  je  crois 
que  le  nom  d'un  libraire  français  présenterait  plus 
de  garanties  d'exactitude  au  lecteur  étranger.  Pour 
moi,  je  ne  rapporte  dans  mes  poches  aucune  de  ces 
jolies  éditions  à  bon  marché  de  Bruxelles,  et  crois 
par  conséquent  avoir  droit  à  votre  estime.  Je  suis 
à  Marseille,  où  l'on  vend  et  lit  beaucoup  de  livres. 
Notamment  les  Paroles  cVun  croijant  (édition  de 


l83o    NOVEMBRE     I 84 I  4' 

Bruxelles)  dans  les  marchés,  le  port  elles  rues, sur 
papier  gris,  mais  seulement  chez  les  libraires  am- 
bulants ou  étalant  le  lonç;-  des  murs.  Du  reste,  pas 
(l'autre  livre  ({ue  celui-là,  et  j'en  suis  étonné,  ru  la 
facilité  qu'il  y  a  à  passer  ce  qu'on  veut  à  la  douane 
de  la  mer. 

Adieu,  je  compte  sur  vous  et  suis  tout  à  vous. 

GÉRARD    LABRUNIE. 

Faites-moi  donc  le  plaisir  encore  de  mettre  cette 
feuille  sous  enveloppe  quand  vous  l'aurez  lue  et  de 
l'envoyer  à  Duseigneur,  ou  à  Théophile,  ou  à  Nan- 
teuil  :  elle  est  pour  eux  et  les  autres.  C'est  que  les 
ports  de  lettre  sont  chers  d'un  bout  de  la  France, 
où  je  suis  positivement,  à  l'autre  presque,  où  vous 
êtes. 

[AJ.  Duseii^neurjTh.  Gautier  ouC.  Nanleuil.] 

Vous  croyez,  parce  que  je  suis  sans  argent  à 
Marseille  (mais  cela  n'est  plus  vrai  depuis  quelques 
heures),  que  j'y  vis  médiocrement  :  vous  vous 
trompez.  Je  suis  à  l'hôtel,  où  je  dîne  splendide- 
ment à  crédit  et  me  refais  de  mes  voyages.  C'est 
que,  dans  tout  hôtel  moins  beau  que  l'hôtel  des 
Princes,  on  éprouverait  quelque  inquiétude  à  me 
voirsans  malle  et  presque  sans  bag-age.  J'ai  fait  en 
sorte  de  me  souvenir  de  Robert  Macaire.  J'avais, 
en  débarquant,  cinq  sols.  J'en  ai  donné  deux  pour 


4a 


CORRESPONDANCE 


me  faire  cirer.  Je  suis  allé  jusqu'au  coin  de  la  rue, 
où  est  l'hôtel  des  Princes  ;  j'ai  trouvé  deux  gamins 
et  je  leur  ai  promis  trois  sols  pour  porter  mes  effets; 
l'un  a  pris  mon  sac,  où  il  y  avait  principalement 
un  grand  pain  qui  me  restait  de  Naples  ;  l'autre  a 
pris  la  petite  valise  en  cuir  que  d'Arc  (18)  m'a  don- 
née, où  il  y  avait  deux  citrons,  des  pommes  et  des 
poires,  le  reste  de  mes  provisions  ;  et  tout  bien 
agrafé,  je  suis  entré  sous  le  vestibule  entre  mes 
deux  acolytes  :  j'avais  heureusement  retrouvé  une 
vieille  paire  de  gants  jaunes. 

Vous  ne  croirez  pas  à  ces  beaux  apprêts,  mais 
cela  m'est  égal.  Le  maître  de  l'hôtel  m'a  donné  une 
belle  chambre  :  j'aurais  craint  de  porter  atteinte  à 
la  considération  nécessaire  en  demandant  quelque 
chose  de  très  inférieur  ;  du  reste,  tout  ce  luxe  n'est 
pas  fort  coûteux  à  Marseille,  où  tout  est  bon  mar- 
ché. Heureusement  il  y  a  la  bibliothèque  publique  : 
voilà  pour  ma  journée.  Je  n'ose  guère  marcher, 
parce  que  mes  bottes  se  fendent.  J'ai  fait  tous  ces 
jours-ci  le  roman  intime  que  nous  savons  :  je  sais 
que  cela  est  usé,  mais  je  vous  jure  que  mes  bottes 
le  sont  encore  plus,  et  il  faut  cela  pour  que  j'en 
parle.  Mais  j'ai  toujours  bien  dhié  :  figurez-vous 
que  je  ne  mangeais  que  du  macaroni  et  des  fruits 
depuis  quinze  jours,  plus  cinq  jours  de  tempête, 
où  je  n'ai  pas  eu  le  mal  de  mer.  Je  décous  ma 
lettre  à  dessein  pour  que  Renduel  ne  se  fig-ure  pas 


i83o  —  KOVEMURE   iH/|i  /|3 

que  je  vais  publier  mes  impressions  tle  voyage  et 
(jue  c'en  est  une. 

A  table,  il  y  avait  une  jolie  dame  avec  un  vieux 
militaire,  qui  avait  un  çrain  de  folie  et  qu'elle  con- 
duisait à  Nice  pour  l'hiver.  Un  homme  très  bien, 
son  mari  !  Au  milieu  du  dîner  il  lui  prend  une  fan- 
taisie de  demander  du  champag^ne  :  c'est  une  folie 
très  douce.  La  dame  se  récrie  que  les  médecins 
l'ont  défendu  :  il  en  demande  deux  bouteilles.  On 
n'ose  pas  refuser,  car,  disait  la  dame,  il  aurait  tout 
brisé;  mais,  pour  qu'il  en  bût  le  moins  possible, 
elle  a  fait  demander  des  verres  pour  tout  le  monde 
et  elle  nous  en  versait  tant  qu'elle  pouvait  pour 
qu'il  en  restât  moins  à  son  mari.  C'était  adroit.  Le 
lendemain  nous  venons  à  parler  du  Lacrima  Cristi 
mousseux  et  du  vin  d'Orvieto  qui  pique  :  voilà 
le  monsieur  qui  redemande  du  Champagne.  Si  cela 
pouvait  devenir  son  idée  fixe  !  Mais  nous  étions 
très  peu  de  monde,  parce  que  tout  le  monde  du 
bateau  à  vapeur  était  parti.  Il  y  avait  des  dames  qui 
n'en  voulaient  qu'une  goutte,  des  gens  âgés  crai- 
jj^nant  de  s'échaulfer  ;  de  sorte  que  la  dame,  qui,  je 
crois,  m'a  soupçonné  d'avoir  trop  appuyé  sur  les 
vins  mousseux  d'Italie  (mais  elle  a  tort),  la  dame 
m'en  versait  tant  qu'elle  pouvait.  C'est  très  féminin, 
cette  manière  de  reproche.  C'est  bien.  Voici  le  mal  : 
le  monsieur  se  vexait,  il  est  sorti  de  table.  C'est 
naturel.  Le  fou  n'aurait  pas  voulu  qu'on  partageât 


44  CORRESPONDANCE 


sa  sensation  ;  riiomme,  que  l'on  but  son  vin  ;  le 
mari,  que  sa  femme  prît  tant  de  soin  d'un  jeune 
homme.  Oui,  d'un  jeune  homme.  Je  n'ai  pas  l'air 
d'un  Antony,je  le  sais,  mais  aux  yeux  d'un  mari  et 
d'un  fou  je  puis  paraître  encore  redoutable. 

Vous  me  direz  que  ceci  n'est  pas  drôle,  mais 
quand  on  fait  quelque  cent  lieues  pour  le  rencon- 
trer, on  mérite  considération.  Et  puis,  que  voulez- 
vous  que  je  vous  dise,  ici  où,  n'ayant  ni  argent,  ni 
le  moindre  divertissement,  toutes  mes  idées  conver- 
gent vers  ce  point  lumineux  :  la  table  d'hôte  à  cinq 
heures  et  demie?  Maintenant  j'ai  de  l'argent,  mais 
il  fait  un  temps  abominable,  suite  des  tempêtes  que 
nous  avons  essuyées  sur  mer.  Est-ce  étonnant  que 
je  n'aie  pas  eu  le  mal  de  mer,  quand  on  ne  pouvait 
pas  se  tenir  debout  sur  le  pont  !  Je  vous  conterais 
bien  ma  traversée  comme  je  l'ai  contée  à  mon  père, 
mais  vous  n'y  croiriez  pas.  J'aime  mieux  vous  la 
dire  de  vive  voix  [)arce  qu'alors  je  vous  ferai  des 
serments  tellement  affreux  que  vous  direz  :  C'est 
possible.  Je  n'ose  pas  davantage  vous  parler  de 
mon  séjour  à  Naples.  Voyez  quel  malheur  !  Je 
me  balance  misérablement  entre  le  roman  nauti- 
que (19)  et  la  couleur  locale.  Je  vais  dîner  à  la  table 
d'hôte.  Tâchez  donc  d'arranger  tout  cela  pour  que 
mou  voyage  ne  me  fasse  pas  de  tort  :  je  vous  pro- 
melii  que  je  suis  devenu  très  naïf. 

Je  lis  Jacques,  j'en  suis  à  la  moitié  du  premier 


l830    NOVEMBRE    1 8/}  I  l{^ 


(volume)  :  je  trouve  jusqu'ici  (jue  c'est  de  l'ana- 
lyse un  peu  terre  à  terre.  Cela  ne  sort  guère  du 
niveau  de  M""  Cottin  et  de  M™*  de  Souza  (20)  ;  ce 
ne  sont  pas  là  encore  les  belles  pages  de  Lélia, 
mais  il  faut  espérer  que  cela  viendra.  D'après  les 
articles  de  journaux,  le  plan  paraît  très  riche  et 
très  beau.  C'est  l'idée  du  Peintre  de  Salzboiirg, 
(le  Charles  Nodier  :  je  suis  étonné  que  les  journa- 
listes ne  l'aient  pas  remarqué.  Cela  importerait 
beaucoup  pour  leur  critique,  cela  importe  peu  pour 
la  mienne, mais  je  n'aime  pasbeaucoup  qu'un  roman 
soit  un  syllogisme.  Cela  paraît  combiné  presque 
comme  le  roman  de  Goethe,  les  Affinités  électi- 
ves, dont  lui-même  donnait  l'analyse  soit  en  ter- 
mes d'algèbre,  soit  en  termes  de  chimie.  Les  qua- 
tre personnages  de  Jacques  sont  bien  posés, 
comme  ceux  des  Affinités  ;  on  peut  même  les  repré- 
senter par  a,  b,  c,  etc.;  seulement,  je  crois  que 
dans  Gielhe,  le  quatrième  est  jc,  l'inconnu. 

Je  pars  pour  Nîmes.  Je  vais  faire  une  partie  du 
chemin  sur  le  bateau  à  vapeur,  sur  un  canal  qu'on 
vient  d'ouvrir  par  là.  On  m'a  dit  que  j'y  verrais  la 
Locuste  de  M.  Sigalon.  Je  compte  trouver  là 
quel([ue  dédommagement  d'avoir  très  peu  vu  le 
Jugement  dernier  de  Michel-Ange  à  la  Chapelle 
Sixtine,  qui  est  offusqué  par  les  échafaudages  du 
même  M.  Sigalon.  Au  musée  de  Naples,j'en  ai  vu 
une  belle  copie,  mais  extrêmement  diminuée.  Oh  ! 

4. 


46  COKRESPONDANCE 

la  belle  Judith  de  Caravage  que  j'ai  vue  au  musée 
de  Naples!  Naples,  quand  je  pense  que  la  cendre 
chaude  du  Vésuve  n'a  pas  peu  contribué  à  la  démo- 
ralisation de  mes  bottes  !  Cela  avait  desséché  le 
cuir,  qui  s'est  fendu.  Mais  n'en  parlons  plus,  puis- 
que j'ai  maintenant  de  l'argent  et  des  bottes.  Je 
voudrais  que  ce  fussent  des  bottes  de  207  lieues 
pour  être  à  Paris  dans  l'instant. 

Les  journaux  de  Marseille  nous  annoncent  l'ar- 
rivée d'Alexandre  Dumas.  Je  ne  puis  pas  l'atten- 
dre. Ah  !  que  Nanteuil  pense  donc  aux  deux  der- 
niers volumes  et  à  Ashéuérus.  J'ai  vu  ses  vignettes 
à  Florence  et  à  Naples,  et  ])artout.  Il  y  avait  aussi 
de  plus  M.  Nanteuil  à  Rome  (Charles)  qui  faisait 
des  caricatures  dans  le  Café  Grec  (21).  L'Italie  est 
bien  belle,  mais  elle  n'a  pas  de  beurre  :  voilà  pour- 
quoi je  vous  conseille  d'aller  manger  du  macaroni 
à  la  ville  de  Naples,  et  des  stoffato,  et  des  cro- 
quettes, etc.,  attendu  que  sa  viande  de  boucherie 
n'a  pas  le  moindre  goût.  J'ai  vu  à  Civita-Vecchia 
cette  fameuse  troupe  de  bandits  qu'on  a  prise  à 
Terracine  :  ce  sont  des  malheureux  en  pantalons, 
vestes  de  velours  et  chapeaux  tromblons.  Mainte- 
nant, si  je  vous  parais  désillusionné  touchant  la 
cantine  et  les  brigands,  je  vous  dirai  que  sur  tout 
le  reste  je  suis  incandescent.  Ainsi  prenez-y  garde  ! 

A  bientôt,  à  plus  tôt  que  vous  ne  croyez. 

Ecrivez-moi  donc,  mais  de  suite,  à  Agen,  poste 


l83o    NOVEMBHK     iS'jI  4? 

restante.  Je  dis  :  poste  restante,  parce  que  si  la 
lettre  arrive  trop  tard,  les  personnes  chez  qui  je 
vais  ne  me  la  renveiroiit  pas  à  Paris.  Parlez-moi 
de  1(1  Famille  Moronval  —  est-ce  beau?  —  et  de 
tout  ce  qui  peut  m'intcresser  dans  certains  théâtres, 
et  touchant  vous-mêmes. 

Adieu. 

Ah  !  je  j)rie  quelqu'un  de  vous  d'aller  chez 
M.  INIii^iiotte,  notaire,  au  coin  des  rues  Goquillière 
et  Jean-.lacques-Rousseau,  de  lui  dire  que  j'ai  reçu 
sa  lettre  à  Marseille  et  le  remercie,  et  que  s'il  avait 
quelque  chose  de  pressé  à  me  faire  savoir,  il  me 
l'écrive  c\  Agen,  département  de  Lot-et-Garonne, 
où  du  reste  je  resterai  peu.  Poste  restante.  N'ou- 
bliez pas. 

[a   RENDUELj 

INIoncher  monsieur  Renduel, 
Je  vous  envoie  cette  lettre  directement,  parce 
que  j'ai  là  sur  mes  livres  votre  adresse  exacte.  Du 
reste,  il  paraît  que  j'ai  oui)lic  les  adresses  de  tous 
mes  amis,  car  j'ai  écrit  des  lettres,  et  aucune  ne 
paraît  être  parvenue.  J'avais  laissé  à  Duseigneur 
des  inscriptions  de  rente,  parce  qu'il  est  le  seul  de 
nous  autres  qui  ait  un  secrétaire  fermant  bien  et 
ne  redoute  pas  la  saisie  et  qu'il  est  soigneux.  Je  l'ai 
prié  d'Aixet  de  Nice  de  les  vendre  et  de  m'envoyer 


48  CORRESPONDANCE 

l'argent  à  Naples  :  je  ne  me  rappelais  plus  son 
numéro  dans  la  rue  de  l'Odéon.  De  sorte  qu'à 
Naples  je  n'ai  rien  reçu.  J'ai  vécu  en  lazzarone  pen- 
dant dix  jours.  S'il  ne  les  a  pas  vendues  pourtant, 
c'est  très  heureux,  car  ces  rentes  ont  haussé  de- 
puis :  s'il  les  a  vendues  et  a  reçu  l'argent  trop  tard 
pour  me  l'envoyer,  priez-le  donc,  si  vous  le  voyez, 
de  ne  pas  me  l'adresser  à  Agen,  comme  je  lui  ai 
écrit  il  y  a  deux  jours  (22),  mais  de  me  le  garder  : 
j'en  ai  reçu  d'autre  part.  Veuillez  envoyer  cette 
lettre  à  lui  d'abord,  si  vous  savez  son  numéro  :  c'est 
depuis  20  jusqu'à  3o,  je  crois,  rue  de  TOdéon.  Par- 
donnez-moi votre  peine  et  mon  griffonnage,  —  et 
adieu. 

GÉRARD   LABRUNIE. 

Si  vous  voyez  Pétrus  et  Théophile,  dites-leur 
qu'on  les  lit  dans  tous  les  cabinets  de  lecture 
d'Italie. 


VIII 

A    PAPION     DU    CHATEAU 

[i834.] 

Mon  cher  Du  Château, 
Si  l'on  ne  me  connaissait  pas  pour  l'homme  le 


l83o    NOVEMBRE     iS/jI  49 

plus  distrait  et  le  plus  étourdi  du  monde,  je  serais 
souvent  inexcusable  ;  mais  ces  défauts  ne  me  des- 
servent que  vis-à-vis  des  étrangers,  car  mes  amis 
y  sont  faits  et  résignés  depuis  longtemps. Quand  j'ai 
reçu  votre  lettre  de  faire  part  (et  je  l'ai  reçue  très 
tard,  ainsi  que  votre  dernière,  car  je  ne  demeure 
plus  chez  mon  père),  j'ai  tout  de  suite  écrit  deux 
lettres  :  l'une  à  Duj)onchel,  où  je  lui  faisais  part  de 
votre  mariage  (23),  l'autre  avons,  où  je  vous  expri- 
mais toute  ma  satisfaction  de  cette  bonne  nouvelle 
et  tous  mes  remcrcîments  d'avoir  bien  voulu  me 
l'apprendre.  L'une  est  partie  par  la  poste,  l'autre 
aurait  eu  le  même  sort  si  je  n'avais  pas  eu  à  la 
remettre  à  une  tierce  personne  pour  vous  la  faire 
parvenir.  Alors  je  l'ai  mise  dans  ma  poche  où  elle 
est  restée;  et  il  ne  m'est  pas  venu  à  l'esprit,  depuis, 
qu'elle  ne  fût  pas  partie.  Du  reste,  vous  savez  mon 
antipathie  pour  l'action  d'écrire  ;  j'aime  à  voir  et 
embrasser  mes  amis  et  leur  écrire  est  une  compen- 
sation qui  m'attriste  sans  me  satisfaire.  Ce  sera 
donc  une  heureuse  visite  que  je  vous  rendrai  de- 
main matin  et  un  moment  bien  désiré  qui  me  per- 
mettra de  vous  offrir  de  vive  voix  mes  félicitations 
bien  ardentes  et  de  présenter  mes  respectueux 
hommages  à  M^e  la  Baronne  Papion  du  Château, 
.le  ne  connaissais  pas  votre  adresse  actuelle  et 
je  suis  allé  à  votre  ancien  domicile,  où  il  y  avait  une 
nouvelle  portière  qui  n'a  pu  me  la  donner;  alors  je 


5o  CORRESPONDANCE 


suis  allé  chez  M.  Béiiard  et  je   l'ai   apprise  enfin. 
Votre  bien  dévoué, 

GÉRARD    LABRUNIE. 


IX 

AU    D""  LABRUNIE    (24) 

27  septembre  i836. 
Mon  cher  papa, 

Depuis  que  je  t'ai  écrit,  comptant  te  revoir  le 
surlendemain,  je  suis  retombé  malade  à  Presles  ; 
on  m'a  mis  les  sangsues,  j'ai  maigri  ;  enfin  cela  va 
bien  maintenant. 

Je  viens  d'arriver  à  Passy,  chez  M.  Gautier  (26), 
avec  Théophile,  qui  m'a  ramené.  Je  suis  encore  un 
peu  faible  et  n'entrerai  à  Paris  que  dans  deux 
jours.  Nous  dînons,  couchons  et  travaillons  ici  et 
nous  sommes  bien  pressés  de  la  besogne  que  ma 
maladie  a  retardée.  Je  me  souviendrai  des  fièvres 
de  la  Belgique. 

Dans  le  cas  où  tu  aurais  à  m'écrire  quelque  chose 
de  très  pressé,  écris-moi  demain,  chez  M.  Gautier, 
receveur  de  Passy.  Mais  je  serai  là-bas  avant. 

ïu  sauras  que  j'arrive  pour  les  répétitions  de 
l'opéra  comique  en  quatre  actes  que  j'ai  fait  avec 
Dumas  et  que  tu  as  vu  annoncer  dans  tous  les  jour- 

IX.  —  Publ,  dans  le  Temps,  20  août  1907. 


l83o    NOVEMBRK     1 8/}  I  5l 

naux  (2G).  La  musique  est  de  Monpou  et  nous 
avons  5.000  francs  à  toucher,  Dumas  et  moi,  le 
jour  de  la  représentation',  pour  la  partition  qui  est 
déjà  vendue.  C'est  donc  là  la  grande  affaire  qui 
décide  tout  à  fait  mon  avenir. 

Nous  avons  ensuite  une  grande  pièce  auThéâtre- 
l'Vançais  pour  le  mois  de  novembre.  C'est  le  tra- 
vail de  tout  notre  été  (27)  ;  mais  les  vers  de  l'opéra 
comique  nous  ont  fait  piocher  rudement.  Le  livre 
de...  est  aussi  très  avancé,  mais  c'est  lui  qui  a  le 
plus  soullei't  de  ma  maladie,  car  j'ai  fait  les  vers 
d'opéra  facilement  dans  mon  lit. 

Nous  sommes  joués  par  M""^  Damoreau,  comme 
tu  l'auras  vu.  Les  droits  d'auteurs  seront  de  i5o 
francs  par  jour  pour  nous  deux,  outre  les  5. 000 
francs  de  la  partition,  qui  sont  le  tiers  de  ce  qui 
revient  au  musicien.  Tout  cela  existe  avec  des  trai- 
tés signés  et  des  dédits  des  directeurs,  de  sorte  que 
nous  avons  toute  certitude,  cette  fois.  Dumas  a 
déjà  emprunté  sur  les  droits  d'auteur  futurs.  Mon- 
pou est  dans  une  joie  délirante  et  vient  ici  pour 
m'enimoner  à  sa  campagne,  mais  je  veux  aller  à 
Paris  avant. 

Adieu,  mon  cher  papa,  nous  avons  un  l)el  hiver 
devant  nous.  C'est  une  compensation  du  sort  en- 
vieux que  ma  maladie.  Mais  c'est  fini. 

Ton  fils  dévoué, 

Ce   27.  GÉRARD    LAURUNIE. 


52  OORRESPONDANCE 


X 

A    ELWART   (28) 

[24  mars  i838.] 
Mon  pauvre  ami, 
Je  viens  faire  appel  à  votre  oblig-eance.  J'ai,  pour 
demain,  deux  feuilletons  à  faire.  Celui  de  la  Charte 
et  celui  de  la  Presse  (29).  Tâchez  donc  de  me  faire 
trois  ou  quatre  colonnes  de  musique  pour  la  Presse. 
Sur  vous,  sur  la  musique  de  la  pièce  de  Top.  comi- 
que (3o)  et  ensuite  sur  tout  ce  que  vous  voudrez, 
Ginevra  (3i),  les  concerts.  Il  importe  énormément 
que  je  fasse  ce  feuilleton,  demain,  à  la  Presse,  afin 
de  ne  pas  laisser  prescrire  nos  droits  sur  l'opéra 
comique  qui  nous  seront  précieux  quelque  jour  à 
l'un  et  à  l'autre.  Rendez-moi  ce  service,  n'est-c^ 
pas  ?  J'irai  demain  dimanche,  chez  vous,  sur  les 
trois  heures  et  demie,  chercher  ce  que  vous  aurez 
fait.  C'est  un  service  que  je  vous  demande, enten- 
dez-vous ?  Adieu. 

GÉRARD. 

Ne    traitez  pas  trop  mal  Leborne,   mais  soyez 
juste. 

Suscription  :  Monsieur,  Monsieur  Elwart 
Rue  Taitbout,  n°  3o  . 

X.  — Date  de  la  poste. 


l830    NOVEMBRB     1 84 I  b3 

XI 

A    ALEXANDRE    DUMAS  (Sa) 

Septembre  i838. 

J'ai,  en  effet,  mon  cher  Dumas,  reçu  douze  cents 
livres  de  l'ancien  préfet  des  Landes,  plus  connu  sous 
le  nom  de  Harel  (33). 

Ces  douze  cents  livres  sont  lég"èrement  écornées 
par  voire  faute,  ayant  tardé  de  deux  jours  à  me 
dire  où  je  devais  vous  rejoindre. 

Depuis  deux  jours,  il  passe  bien  de  l'eau  sous  les 
ponts  et  bien  des  pièces  d'or  par  les  mailles  d'une 
bourse. 

N'importe,  je  pars, ma  lettre  reçue,  attendez-moi 
donc  d'un  jour  à  l'autre. 

Votre  ami, 

GÉRARD  DE  NERVAL. 

XII 

A    ALEXANOni:    DUMAS 

Badcn,  septembre  i838. 
Mon  cher  Dumas, 
Une  foule  de  circonstances  plus  impérieuses  les 

XI.  —  Pulil.  par  A.  Dumas,  le  Pays,  7  juillet  i854. 
xii.  •=-  Publ.  par  Dumas,  le  Pays,  7  juillet  i854. 


54  C0HRE8P0NDANCE 


unes  que  les  autres  me  retiennent  à  Baden-Baden  ; 
la  dernière  de  toutes,  mais  celle  que  je  mets  en 
première  lii^iie,  pour  ne  pas  vous  fatiguer  du 
récit  des  autres,  c'est  que  je  n'ai  plus  d'arçent. 

Envoyez-moi  donc  ce  que  vous  pourrez  poste 
restante,  à  Strasbourg-,  et  adressez-moi  votre  let- 
tre d'avis  en  double. 

L'une  à  V Hôtel  du  Corbeau  à  Strasbourg-. 

L'autre  à  V Hôtel  du  Soleil  à  Baden. 

Le  jour  même  où  je  recevrai  votre  réponse,  je 
partirai  pour  Francfort. 

Tout  à  vous, 

GÉRARD  DE   NERVAL. 


XIII 

AU  D''  LABRUNIE 

Francfort,  i8  septembre  i838. 

Mon  cher  papa. 
Je  l'écris  de  Francfort-sur-Mein,  où  je  suis  de- 
puis deux  jours,.  J'ai  quitté  Baden  pour  Manheim 
où  je  suis  resté  un  peu  ;  puis  j'ai  pris  les  bateaux 
du  Rhin  jusqu'à  Mayence,  et  les  voitures  de  là 
pour  Francfort.  A  Francfort,  je  viens  de  rejoindre 
Dumas  qui  y  est  établi  depuis  plusieurs  jours.  Nous 

XIII.  —  Publ.  par  A.  Houssaye,  la  Presse,  24  septembre  i865. 


l83o    —    NOVKMBRE     I  S '|  f  55 

sommes  dans  une  petite  maison  qu'il  a  louée  jus- 
qu'à la  fin  du  mois,  et  entourés  de  l'attention  et  des 
amitiés  de  toute  la  ville.  On  nous  donne  des  fètos, 
des  soupers,  des  promenades,  de  telle  sorte  qu'il 
est  impossible  de  rc[»ondre  au  (juart  des  invitations 
et  que  nous  ne  pouvons  ^uè^e  travailler  que  la 
nuit  (34).  Les  MM.  Rothschild,  M***,  le  représen- 
tant politique  de  la  Russie,  et  plusieurs  consuls, 
ainsi  que  le  directeur  du  théâtre  et  quelques  per- 
sonnes de  la  ville  forment  notre  principale  société. 
Avant-hier  soir,  nous  avons  eu  soirée  et  souper 
chez  l'envoyé  de  Russie.  Hier,  M.  Gh.  Durand,  le 
directeur  du  Journal  de  Francfort,  nous  a  pro- 
menés toute  la  journée  dans  les  environs  en  calè- 
che; nous  avons  dhié  à  Ilombourg-  et  nous  avons 
pris  du  café  dans  un  des  deux  villages  français 
occupés  par  les  réfugiés  de  l'édit  de  Nantes.  Ce 
soir,  nous  allons  au  spectacle,  dans  la  loge  de 
MM.  Rothschild,  qui  nous  ont  invités.  Ils  ont  pré- 
paré aussi  une  partie  de  chasse  pour  après  demain, 
mais  je  ne  sais  si  nous  irons,  car  Dumas  est  un 
peu  malade.  Il  est  incroyable  de  voir  à  quel  point 
les  yens  de  lettres  français  sont  estimés  et  bien 
accueillis  en  Allemagne.  Cela  m'a  donné  l'idée  d'al- 
ler l'année  prochaine  à  Vienne,  où  l'on  veut  me 
recommander  d'une  manière  suprême,  et  où  je 
pourrai  me  fortifier  dans  la  prononciation  alle- 
mande. M,  Durand  me  promet  une  recommanda- 


56  CORRESPONDANCE 


tion  pour  M.  de  Metternich,  qui  est  un  de  ses 
amis  diplomatiques,  et  qui  me  ferait  accueillir  dans 
la  plus  belle  société  de  la  ville  et  pourrait  peut- 
être  me  servir  davantage  en  me  faisant  confier 
quelques  missions  littéraires  de  traduction  ou  de 
recherche,  car  il  y  a  si  peu  de  gens  de  lettres 
français  capables  de  traduire  l'allemand  qu'elles 
sont  plus  nombreuses  et  moins  difficiles  à  obtenir 
en  Allemagne  que  partout  ailleurs.  Du  reste,  en 
admettant  qu'aujourd'hui  encore  j'éprouve  quel- 
que difficulté  à  traduire  ou  comprendre  certaines 
choses,  il  est  clair  que  l'an  prochain,  en  ayant  ce 
but  devant  les  yeux,  je  pourrai  me  mettre  en  état 
de  l'accomplir.  D'ailleurs,  mon  séjour  d'un  mois 
m'a  déjà  été  fort  bon.  Sûr  d'un  si  bon  appui  que 
celui  de  M.  Ch.  Durand  près  du  ministère  de 
Vienne,  je  m'occuperai  cet  hiver  à  trouver  quel- 
que spécialité  importante, pour  laquelle  une  double 
bienveillance  me  serait  acquise  des  deux  parts,  soit 
qu'il  s'agisse  de  recherches  dans  les  bibliothèques, 
comme  celles  qu'a  faites  Francisque  Michel  en 
Angleterre,  ou  quelque  étude  d'art  correspondant 
à  la  spécialité  de  mes  feuilletons,  ou  encore  un 
rapport  officiel  sur  les  points  de  relation  des  deux 
littératures  (35).  Je  n'ai  toutefois  aucune  préten- 
tion à  être  attaché  à  l'ambassade,  ce  dont  Dumas 
me  parlait  hier,  car  ma  carrière  littéraire  est  plus 
facile    et  plus    belle    à    Paris.  Mais    une   mission 


l83o    NOVEMBRE     I S/J  I  5"] 

momentanée  me  servirait  à  acquérir  des  relations 
exa'llentcs  et  répondrait  fort  l)ien  au  besoin  que 
j'ai  de  nie  l'ortilier  dans  l'allemand,  puisque  déjà 
j'en  sais  un  peu,  et  qu'avec  un  peu  de  travail  encore, 
je  puis  m'en  faire  un  accessoire  littéraire  fort  utile 
assurément.  Ce  qui  faisait  penser  Dumas  à  me 
conseiller  de  tendre  à  une  position  d'attaché  d'am- 
bassade, c'est  que,  dernièrement,  il  en  a  fait  obtenir 
une,  par  l'influence  du  duc  d'Orléans,  à  Blaze  de 
Bury,  l'un  de  nos  amis,  qui  était  dans  la  même 
position  que  moi,  journaliste,  et  sachant  un  peu 
d'allemand;  mais  à  rester  longtemps  éloigrié  de 
Paris,  on  risque  tro{)  de  perdre  le  courant  des 
idées  littéraires,  et  c'est  là  où  est  encore  le  meil- 
leur et  le  })lus  sur  avenir. 

Car,  après  tout,  les  positions  semi-littéraires  et 
semi-politiques,  elles  ne  sont  valables  et  ne  servent 
à  votre  fortune  que  lorsqu'il  s'y  joint  un  prestig^e, 
aux  yeux  du  g-ouvernement,  d'une  réputation  litté- 
raire croissante,  sans  quoi  l'on  risque  de  se  voir 
abandonné  toujours  à  l'un  des  deg-rés  inférieurs  de 
l'échelle  administrative.  Le  mérite  littéraire  dis- 
pense de  monter  de  grade  en  ii;ra(le  dans  les  posi- 
tions politiques.  Vous  entrez  de  plain-pied,  et  de 
haut,  là  où  vous  ne  seriez  parvenu  que  péniblement 
et  d'en-bas,  en  sacrifiant  toute  votre  vie  à  cet  uni- 
que dessein. 

Tu  vois  ([u'au  milieu  de  nos  distractions,  de  nos 


58  CORRESi»ONbANCE 


vacances,  je  m'occupe  aussi  du  solide  et  de  l'ave- 
nir. Du  reste,  la  position  des  journalistes  d'Allema- 
gne est  encore  à  faire  envie  à  la  nôtre.  M.  Durand,  \ 
par  exemple,  a  des  maisons  à  Francfort  et  de 
grandes  propriétés  rurales  qu'il  nous  a  fait  voir 
hier.  Il  gagne,  à  ce  que  nous  dit  son  père,  trente- 
quatre  mille  francs  par  an,  rien  que  par  son  Jour.  J 
na/o^c/e/ et  pourtant  écrit  en  français.                             ' 

Je  viens  de  reprendre  la  plume,  ce  matin.  Hier 
soir,  notre  apparition  dans  la  log-e  de  MM.  Roths- 
child a  produit  une  g-rande  sensation.  Tout  le 
monde  se  levait  pour  voir  Dumas,  et  les  acteurs  se 
tournaient  vers  lui  en  déclamant.  Nous  avons  vu 
une  tragédie  de  Griseldy  fort  bien  jouée  (36). 
C'était  hier  le  jour  de  l'an  des  juifs,  très  nombreux 
à  Francfort,  de  sorte  que  la  salle  était  très  brillante 
et  avait  un  air  de  fête.  Après  le  spectacle,  nous 
avons  eu  grand  souper,  où  il  y  avait  plusieurs  des 
sénateurs  de  la  ville.  Ce  matin,  nous  déjeunons 
avec  le  médecin  de  M"'''  Rothschild,  qui  a  été  étu- 
diant avec  le  fameux  Sand  (Sy),  et  va  nous  donner 
des  détails  très  curieux.  Voici  une  chose  singu- 
lière :  Dumas  voulait  se  faire  saigner  par  lui.  Mais 
il  paraît  qu'ici  les  barbiers  seuls  ont  le  privilège 
de  saigner,  par  un  droit  de  leur  corporation,  et 
les  médecins  ne  saignent  que  dans  un  cas  extrême. 
Cette  ville  est  toute  remplie  d'habitudes  du  moyen 
âge. 


l830    —    NOVEMBRE    1 8^  I  6() 

Je  me  rappelleriii  t(»iij(»iirs  noire  visite  an  villaei^e 
fianrais  de  Dornshoh huas ,  i[[Hi  M.  Durand  appelle 
Toiirnesauce,  d'après  la  prononciation  du  pays. 
Le  iVan(;ais  qu'on  y  parle  ressemble  au  français  des 
comédies  de  Molière,  et  s'est  parfaitement  con- 
servé le  même,- depuis  ce  temps  (38). 

Adieu,  mon  cher  papa,  porte-toi  bien;  moi,  je 
suis  plus  heureux  que  Dumas,  et  je  jouis  de  la  plus 
belle  santé. 

Je  t'embrasse. 

G.    LABRUNIE. 

Suscription  :  A  M.  Labranie,  docteur  en  méde- 
cine, rue  Saint-Martin,'  j 2. 


XIV 

A    ANTÉNOH   JOI.Y   (89) 

TIIIÎVTHE 
DE   LA    RENAISSANCE 

(Salle    Venladour) 

DIRECTION 

[Fiu  i838.] 

Mon  cher  Monsieur, 
V.  Hug-o    m'a   dit    que    vous  m'enverriez  vous- 


Or, 


CORRESPONDANCE 


même  les  2  stalles.  J'ai  peur  que  vous  n'ayez  oublié 
mon  adresse  actuelle  ;  c'est 

Rue  Caumartin 
Hôtel  Caumartin 
V.  Hugo  m'a  promis  aussi  trois  petites  loges  de 
cintre. 

Vous  savez  que  nous  lirons  quand  vous  vou- 
drez (4o).  Dumas  parle  de  lundi,  afin  de  pouvoir 
causer  sans  préoccupation.  Ce  sera  avant  si  vous 
voulez. 

M.  votre  frère  m'a  dit  que  vous  aviez  un  acteur 
pour  notre  deuxième  rôle  (40-  C'est  très  beau,  s'il 
est  bon. 

Votre  bien  dévoué, 

GÉRARD. 


XV 


A  ANTENOR  JOLY 

[2  mars  1889.] 

Mon  cher  Monsieur, 

Voilà  trois  jours  que  je  veux  vous  aller  voir,  le 

soir,  comme  vous  m'en  avez  requis,  mais  une  fois, 

je  ne  vous  ai  pas  rencontré  et  deux  fois,  j'ai  été 

retenu  par  des  premières   représentations.   Dans 

XV.  —  Date  de  la  poste. 


l830    NOVEMBRE     l8/(r  6l 

lincertitude  de  vous   voir  ce   soir,  je  vous  écris. 

Cerlainemoiit,  vous  pouvez  compter  sur  la  pièce, 
cl  je  suis  lionteux  qu'elle  n'ait  pu  être  terminée  au 
jour  dit.  Cela  vient  seulement  de  la  refonte  totale 
(|ue  j'ai  été  forcé  de  faire  de  Léo  Burckart  (qui  ne 
(levait  pas  être  représenté  et  paraissait  arrêté  défi- 
nitivement lorsque  je  me  suis  eng-agé  envers  vous)  ; 
ensuite,  du  travail  des  répétitions.  J'ai  tenté  vai- 
nement de  lutter  contre  cette  distraction  conti- 
nuelle; mais  j'ai  été  forcé  de  suspendre  après  le 
troisième  acte.  Toutefois,  j'aurais  pu  terminer  très 
vite,  ainsi  que  je  l'ai  dit  à  Frédéric  que  j'ai  rencon- 
tré aux  Variétés,  en  cas  de  besoin  urgent,  mais 
j'ai  pensé  que  C Alchimiste  me  donnerait  plus  de 
temps,  puisque  le  rôle  revenait  décidément  à  Fré- 
déric, et  j'ai  mieux  aimé  ne  rien  g-âcher. 

Maintenant,  mon  travail  de  la  Porte-Saint-Mar- 
lin  est  à  peu  près  terminé  (42),  les  répétitions  mar- 
chent toutes  seules  et, lundi  ou  mardi, je  me  remets 
à  l'œuvre,  plus  fort  de  cette  suspension,  qui  me 
permet  de  revoir  froidement  les  parties  déjà  faites. 
Du  reste,  j'ai  tout  lieu  d'espérer  que  j'aurai,  dans 
quelques  jours,  un  succès  qui  rendra  ma  seconde 
pièce  d'autant  plus  importante  et  disposera  bien  le 
public  pour  l'ouvrage  que  vous  aurez.  Je  suis  bien 
facile  qu'il  ait  fallu  tant  de  temps  pour  rendre  Léo 
Burckart  représcntahle  et  que,  sous  sa  première 
forme,  il  ait  été  si  indigne  de  vous;  je  n'en  tiens 

5 


02  CORRESPONDANCE 

que  plus  à  vous  dédommager  avec  Dolùreuse  (43). 
J'irai  causer  avec  vous  ce  soir  ou  deuiain. 
Votre  bien  dévoué, 

GÉRARD. 

Suscription  :  .4  Monsieur,  Monsieur  Anténor  Joly, 
au  théâtre  de  la  Renaissance 
ou  rue  de  C/ioiseui,  (j. 


XVI 

AU    D'"  LABRUME    (44) 

Vienne,  19  novembre  1889. 

Mou  cher  papa, 
Je  ne  t'ai  pas  écrit  de  Municli  parce  que  je  n'y 
suis  resté  que  fort  peu.  J'y  retournerai, soit  en  reve- 
nant, soit  plus  tard,  car  c'est  une  ville  qu'il  est 
important  d'examiner.  Je  n'ai  })u  que  parcourir 
rapidement  les  collections  magnifiques  de  tableaux 
et  de  statues,  les  palais  et  les  églises;  j'ai  été  voir 
plusieurs  personnes  ;  puis  je  suis  reparti  pour  Lintz, 
par  Salzbourg.  Je  crois  me  souvenir  que  tu  as  été 
à  Lintz;  c'est  pourquoi  je  l'en  parie  surtout.  C'est 
une  fort  jolie  ville  et  la  vue  que  l'on  a  sur  le  pont 

XVI.    —  PuLl.   par   L.   de  Bare,  Nouvelle  Revue  internalionale, 
i"  mai  1894. 


l830    —    NOVEMBRE     I 8^ I  63 

du  Danul)c  est  une  des  plus  belles  que  je  connaisse. 
Je  suis  l)i(Mi  IViché  de  ne  voir  tout  cela  que  dans 
une  saison  si  mauvaise  où  les  brouillards  cachent  la 
phis  grande  partie  des  montaîj^nes.  Pourtant  j'ai  eu 
de  tort  belles  journées  au  commencement  de  mon 
voyage. 

Je  voulais  descendre  par  l'Italie  afin  d'avoir 
encore  un  peu  de  beau  temps;  mais,  à  Lyon,  on 
m'a  dit  que  les  routes  des  Alpes  étaient  mauvaises 
et  couvertes  de  neig-e,  de  sorte  que  je  me  suis  dirigé 
vers  Genève,  afin  de  voir  du  moins  la  Suisse  (jue  je 
n'avais  pas  vue  encore.  J'ai  pris  par  Bourg",  Nantua 
et  Ferney.  Je  suis  resté  deux  jours  à  Genève,  et 
voyant  le  beau  temps  venir,  j'ai  pris  le  bateau  à 
vapeur  pour  Lausanne.  La  journée  a  été  mag-nifi- 
que.  J'ai  pu  me  rendre  compte,  du  moins,  dos  plus 
beaux  effets  de  la  nature  en  Suisse.  J'ai  débarqué 
à  Lausanne  vers  trois  heures  et  je  suis  re{)arli  le 
soir  même  pour  Bàle.  Baie  est  une  fort  belle  ville, 
la  plus  belle  de  la  Suisse  assurément.  Seulement  il 
y  faisait  très  froid.  Ensuite,  par  Aarau,  je  suis  arrivé 
à  Zurich  où  j'avais  quelques  études  à  faire.  Le  len- 
demain, j'ai  pris  la  poste  pour  Constance,  puis  le 
bateau  à  vapeur  qui  m'a  conduit  à  Lindau.  Là  j'é- 
tais en  pleine  Allemagne. 

Je  suis  arrivé  le  surlendemain  à  Augsbourg  où 
je  suis  resté  deux  jours  encore.  Les  routes  sont  si 
pénibles  et  les  voitures  si  lentes  dans  ces  pays  qu'on 


64  COURESJ'ONDANGE 


a  besoin  de  se  reposer  un  peu.  Toutefois,  j'ai  trouvé 
un  temps  fort  agréable  à  Munich  et  une  tempéra- 
ture fort  douce;  ce  sont  des  détails  importants  dans 
cette  saison  et  dans  des  contrées  aussi  froides. 
Enfin,  j'arrive  à  Vienne  après  vingt  jours  de  voyage 
continuels.  Je  ne  songe  qu'à  me  reposer  aujour- 
d'hui et  demain  et  à  voir  la  ville  d'une  manière 
générale.  Je  crois  qu'il  y  doit  faire  froid  l'hiver,  car 
toutes  les  maisons  sont  garnies  de  doubles  croisées. 
La  ville  me  paraît  charmante  !  Je  vais  aller  m'y  ins- 
taller... 


XVII 

AU    D'    LABRUNIE  (45) 

[Vienne,  fin  novembre  iSSg.] 

Mon  cher  papa, 
Me  voici  donc  à  Vienne  depuis  huit  jours  ainsi 
que  tu  l'as  apj)ris  dans  une  lettre  précédente  que 
je  t'ai  écrite  un  peu  fatigué,  un  peu  pressé  d'écrire; 
mais  tu  verras  sans  doute  les  détails  de  mon  voyage 
dans  quelque  feuilleton, car  j'en  envoie  deux,  un  à 
r Artiste  et  un  à  la  Correspondance  des  départe- 
ments. Maintenant,  j'ai  à  te  faire  une  demande  qui 

XVII.  —  Publ.   par  L.  de  Bare,  Nouvelle  Reuiie  internationale, 
i5  juin  1894. 


l83o    NOVKMliUE     l84[ 


a  besoin  de  quelques  explications.  Il  paraît  sans 
doute  assez  simple,  dans  le  cours  ordinaire  des 
choses,  d'emprunter  à  son  père  cinq  cents  francs 
dont  on  a  besoin  ;  cependant,  depuis  plusieurs 
années,  je  m'étais  fait  une  règle  de  me  soutenir 
entièrement  par  moi-même.  Il  faut  donc  que 
j'expose  non  pas.  positivement  un  besoin,  mais  la 
nécessité  d'un  service  passager,  en  même  temps 
(jue  je  t'en  donne  li.'s  raisons. 

Il  est  fort  évident,  par  la  saison  même  où  nous 
sommes,  que  je  n'ai  pas  fait  un  voyage  de  plaisir 
el  qu'en  outre  j'ai  fait  un  voyage  fort  coûteux. 
J'ai  dû  parcourir  la  Suisse  malgré  la  neige  et  la 
bone,  faire  un  cercle  dans  la  Bavière,  pourvoir  des 
villes  importantes  et,  ici  même,  il  m'a  fallu  faire 
des  dépenses  d'établissement,  car  je  suis,  non  à 
l'hôtel,  ce  qui  est  trop  coûteux  quand  on  doit  res- 
ter, mais  dans  un  logement  meublé.  J'ai  reçu  six 
cents  francs  en  partant  et  la  fin  du  mois  doit  m'en 
apporter  autant.  Mais  tu  conçois  que  mes  frais  de 
départ  et  de  voyage  ont  été  fort  supérieurs  à  la  pre- 
mière de  ces  deux  sommes.  Il  m'a  donc  fallu  faire 
sur  les  deux  mois  suivants  une  délégation  qui 
monte  encore  à  cinq  cents  francs, trois  cents  le  pre- 
mier et  deux  cents  le  second.  J'ai  eu,  avant  de  par- 
tir, et  dans  l'intervalle  de  mon  affaire  terminée  à 
mon  départ,  environ  cent  cinquante  francs  de  dé- 
penses pour  vivre,  faire  des  courses, prt'parer  tout. 

5. 


66  CORRESPONDANCE 

En  outre,  il  m'a  fallu  me  fournir  de  toutes  choses 
nécessaires  :  chemises,  habits,    malle,  livres,  etc. 
J'en  ai  eu  pour  trois  cents  francs,   dont  cinquante 
francs  de  livres,  forcément;  deux  pantalons  et  un 
habit  tout  fait,  un  paletot,  un  gilet  et  un  pantalon 
dont  je  dois  encore  moitié  ;  quelques  chemises  de 
toile, enfin  de  quoi  n'avoir  besoin  de  rien  ici  —  un 
chapeau,    des  bottes,   un  parapluie,  divers  petits 
objets  de  voyage,  etc.  Il  faut  ajouter  à  cela  cent 
francs  que  j'ai  dû  pajer  au  Messager  qui  me  les 
avait  avancés  sur  ma  rédaction  et  cent  francs  que 
je  lui  dois  encore,  mais  que  je  paierai  en  articles. 
En  somme,  je  suis  parti  avec  cinq  cent  vingt  francs 
que  je  t'ai  montrés  en  or.  —  J'étais  à  Genève  avec 
quatre  cent  vingt  francs,  à  Munich  avec  trois  cent 
cinquante,   mais   j'y  suis    resté    quatre  jours;    à 
Vienne,  enfin,  avec  cent  quarante  francs.  Ce  qui  a 
fort  augmenté  mes  frais  de  route  et  me  force  donc 
maintenant  à  une  demande  que  je  n'avais  pas  pré- 
vue, c'est  que,  dans  cette  saison,  les  diligences  ne 
vont  plus  et  qu'il  faut,  partout,  prendre  la  poste. 
Ainsi,  l'on  a  cinquante  francs  de  Munich  à  Salz- 
bourg,  quarante  de  Salzbourg  à  Lintz,  trente-cinq 
de  Lintz  à  Vienne  environ;   au  lieu  que,  dans  la 
belle  saison,  on  peut  prendre  les  bateaux  à  vapeur 
du  Danube;    mais   l'eau    est  trop    basse    mainte- 
nant. 

Me  voilà  donc  arrivé  avec  cent  quarante  francs. 


l83o    NOVEMBRE    1 8/4  1  67 

Tu  vas  voir  mou  économie  :  il  m'a  fallu  payer  qua- 
tre florins  (lo  fr.)  à  Vienne  pour  mon  permis  de 
séjour,  —  acheter  des  g^ants,  des  socques,  parce 
qu'il  y  a  beaucoup  de  boue.  Quatre  jours  à  l'hôtel 
m'ont  coûté  trente  francs.  J'ai  loué  un  lo^^ement; 
j'ai  payé  vinçt-riiiq  fiancs  d'avance.  Tu  comprends 
qu'il  faut  aller  jusqu'au  3o  avec  bien  peu,  —  je  ne 
sais  même  pas  si  le  mois  n'a  pas  3i  jours.  Le  3o, 
je  n'ai  à  toucher  que  trois  cents  francs,  sur  les- 
quels j'ai  à  acheter  des  livres  indispensaliles  pour 
mou  travail,  que  je  n'ai  pu  (|ue  noter;  j'ai  à  pren- 
dre un  maître  d'allemand  pour  m'aider  dans  ce 
que  j'ai  à  faire,  attendu  fjue,  comme  lu  sais,  je  ne 
sais  pas  encore  autant  l'allemand  (jue  l'on  croit  et 
qu'en  outre  la  prononciation  me  crée  des  difficul- 
tés très  grandes.  Je  dois  donner  cinquante  francs 
encore  pour  mon  loe^ement  et  toutes  sortes  d'ac- 
cessoires que  l'on  m'a  fournis,  car  mes  vinî(t-cin(j 
francs  ne  sont  qu'un  acompte.  Il  me  faut  encore 
une  cravate  blanche,  des  souliers  pour  les  soirées, 
des  ^anls  toujours  et  une  foule  de  petits  effets.  Tu 
comprends  qu'il  est  impossible  que  j'aille,  tout  le 
mois  avec  cela!  Le  mois  prochain,  ou  plutôt  le 
mois  d'après, mes  quatre  cents  francs  me  suffiront. 
Ensuite,  je  suis  à  mon  aise. 

Je  t'explique  tout  cela  en  détail,  parce  qu'il  faut 
que  tu  voies  qu'il  y  a  là  un  besoin  non  pas  de  ma 
subsistance,  mais  de  mon  avenir  et  de  la  nécessité 


CORKESPONDANCE 


OÙ  je  suis  de  ne  pas  perdre  mon  temps  et  de  n'être 
pas  arrêté  par  un  obstacle  d'un  ordre  inférieur. 
Maintenant,  si  tu  ne  peux  pas,  réponds-le-moi.  J'ai 
un  moyen  fort  simple  ici;  c'est  de  donner  des  arti- 
cles aux  journaux  de  la  ville.  Seulement,  —  car  il 
faut  que  je  partage  avec  le  traducteur  —  cela  me 
fait  moitié  moins  qu'à  Paris,  et  c'est  du  temps 
perdu.  Si  tu  le  peux,  lu  me  rendras  vraiment  ser- 
vice et  je  crois  que  tu  le  feras  dans  cette  circons- 
tance, considérant  et  la  position  où  je  suis  particu- 
lièrement aujourd'hui,  et  que,  malg^ré  de  grands 
malheurs  que  j'ai  éprouvés,  j'ai  évité  depuis  quatre 
ans  de  te  faire  même  savoir  que  j'ai  eu  des  moments 
bien  difficiles  à  passer, 

A  l'époque  même  où  j'avais  de  l'argent,  tu  me 
donnais  quatre  cents  francs  par  an,  relativement  à 
la  dot  de  ma  mère.  Il  est  naturel  que  tu  te  sois 
épargné  cette  dépense  plus  tard,  où  il  te  fallait 
économiser.  Si  je  te  rappelle  cela  dans  cette  cir- 
constance, ce  n'est  donc  que  pour  te  présenter  plus 
naturellement  cette  demande.  D'ailleurs,  j'aurais 
mauvaise  grâce  à  faire  le  besogneux,  puisqu'il  est 
clair  qu'avec  trois  pièces  de  théâtre,  les  feuilletons 
de  la  Charte,  de  la  Presse,  du  Messager  (46),  très 
bien  payés,  et  encore  une  foule  de  travaux  de  détail, 
j'ai  gagné,  en  somme,  beaucoup,  depuis  quatre 
ans  que  je  suis  dans  la  plénitude  de  mes  facultés 
littéraires;  c'est  pourquoi,  même,  je  tiens  à  ce  que 


l83o    NOVEMBRE     1 84 I  69 

tu  ne  voies  là  qu'une  aide  à  luon  avenic  et  à  mes 
progrès  plutôt  qu'à  ma  subsistance. 

En  elFet,  pour  rentrer  dans  l'apjjréciation  de  ma 
position  actuelle,  lu  dois  voir  que  je  n'ai  pas  per- 
du de  temps  dans  la  carrière  que  j'ai  suivie.  Quel- 
ques raisons  que  tu  aies  pu  avoir  dans  les  com- 
mencements d'en  craindre  les  hasards,  tu  peux 
aujourd'hui  mesurer  le  point  où  je  suis  et  ceux  où 
je  touche. 

Les  jeunes  gens  qu'une  malheureuse  ou  heureuse 
vocation  pousse  dans  les  arts  ont,  en  vérité,  beau- 
coup plus  de  peine  que   les  autres,  par  l'éternelle 
méfiance  qu'on  a  d'eux.  Qu'un  jeune  homme  adopte 
le  commerce  ou  l'industrie,  on  fait  pour  lui  tous 
les    sacrifices  possibles  ;   on    lui    donne  tous  les 
moyensde  réussir  et,  s'il  ne  réussit  pas,  dn  le  plaint 
et  on  l'aide  encore.  L'avocat,  le  médecin  peuvent 
être  fort  longtemps  médecin  sans  malades  ou  avo- 
cat sans  causes,  qu'importe,  leurs  parents  s'ôtent 
le  pain  de  la  bouche   pour   le  leur  donner.  Mais 
l'homme  de  lettres,   lui,  quoi  qu'il  fasse,  si  haut 
qu'il  aille,  si  patient  que  soit  son  labeur...  on  ne 
songe  pas  même  qu'il  a  besoin  d'être  soutenu  aussi 
dans  le  sens  de  sa  vocation  et  que  son  état,   peut- 
être  aussi  bon  matériellement  que  les  autres  —  du 
moins  de  notre  temps  —  doit  avoir  des  commence- 
ments aussi  rudes.  Je  comprends  tout  ce  qu'il  peut 
y  avoir  de  déceptions,  de  craintes  et  sans  doute  de 


7^  CORRESPONDANCE 


tendresse  froissée  dans  le  cœur  d'un  père  ou  d'une 
mère  ;  mais,  hélas  !  l'histoire  éternelle  de  ces  sor- 
tes de  situations,  consig-nées  dans  toutes  les  biogra- 
phies possibles,  ne  devrait-elle  pas  montrer  qu'il 
existe  une  destinée  qui  ne  peut  être  vaincue?  11  fau- 
drait donc,  après  une  épreuve  suffisante,  après  la 
conviction  acquise  d'une  aptitude  vraie,  en  prendre 
son  parti  des  deux  parts  et  rentrer  dans  les  rela- 
tions habituelles,  dans  la  confiante  et  sympathique 
amitié  qui  règ-ne  d'ordinaire  entre  pères  et  enfants 
déjà  avancés  dans  la  vie. 

Pardon,  si  pour  te  dire  ces  choses,  que,  du  res- 
te, tu  as  certainement  souvent  pensées,  je  choisis 
une  occasion,  après  tout,  d'une  médiocre  impor- 
tance, puisqu'une  impossibilité  ou  un  refus  de  ta 
part  ne  nuirait  qu'accessoirement  à  ma  position  ; 
mais,  dans  un  si  grand  isolement^  que  celui  qui 
existe  à  rétranger,  on  est  porté  toujours  à  jeter 
sur  sa  vie  un  regard  d'ensemble  et  à  soulever  de 
grandes  réflexions  à  propos  de  tout.  Je  n'ai  jamais 
douté  que  tu  ne  fusses  toujours  disposé  à  me  venir 
en  aide  dans  un  moment  difficile  et  surtout  lors- 
qu'il ne  s'agit  ni  de  folies  ni  d'imprudence,  mais 
seulement  d'un  de  ces  cas  où, pour  agir,  il  faut  des 
moyens.  Si,  depuis  quatre  ans,  je  n'avais  su  que 
tu  avais  besoin  de  ne  faire  aucune  dépense  exces- 
sive, certainement  il  y  aurait  eu  des  instants  où 
une  aide  très  légère  m'aurait  fait  gagner  beaucoup  de 


l830    —    NOVEMBKB    I 84 I  7' 


temps.  Le  liavail  lilléiaire  se  compose  de  deux 
clioses  :  cette  besogne  des  journaux  qui  l'ait  vivre 
tort  bien  etcjui  donne  une  position  fixe  à  tous  ceux 
qui  la  suivent  assidûment,  mais  qui  ne  conduit  mal- 
heureusement ni  plus  haut  ni  plus  loin.  Puis  le 
livre,  le  théâtre,  les  éludes  artistiques,  choses  len- 
tes, difhciles,  qui  ont  besoin  toujours  de  travaux 
préliminaires  fort  longs  et  de  certaines  é[)oques  de 
recueillement  et  de  labeurs  sans  fruit  ;  mais  aussi, 
là  est  l'avenir,  l'agrandissement,  la  vieillesse  heu- 
reuse et  honorée. 

Lt;s  hommes  de  lettres  qui,  comme  Lamartine, 
Chateaubriand,  de  Vigny,  Casimir  Delavig-ne, 
Hugo,  avaient  des  rentes,  une  fortune,  enfin  la  vie 
assurée  d'autre  part,  sont  ceux  qui  sont  arrivés  le 
plus  loin,  parce  qu'ils  n'ont  pas  été  contraints  à 
détourner  leur  force  sur  un  travail  stérile  comme 
celui  des  romans  et  des  journaux, et  toutefois  sédui- 
sant par  sa  facilité. 

C'est  un  bien  grand  nuilheur  pour  moi  que  je  n'aie 
pas  eu,  il  y  a  sept  ans,  lorsque  j'avais  une  somme 
assez  forte,  quoique  insuflisanle  à  me  faire  vivre 
comme  revenu  (l^'j),  que  je  n'aie  pas  eu,  dis-je,  la 
maturité  d'esprit  ([ui  me  permet  de  faire  aujour- 
d'hui quelques  œuvres  un  peu  remarquées  !  Mais 
alors  je  n'ai  pas  eu  confiance  en  moi-même  ;  j'ai 
tenté  une  spéculation  de  librairie,  espérant  que  son 
succès  me  donnerait  du  moins  de  quoi  faire  phis 


72  CORRESPONDANCE 

tard  de  la  littérature,  sans  crainte  de  manquer  de 
pain.  Enfin,  puisqu'il  s'agit  là  d'un  mal  qui  peut  se 
réparer,  j'ai  maintenant  toute  assurance,  puisque 
je  ne  puis  plus,  pour  ainsi  dire,  douter  de  mon  ave- 
nir. Si  je  suis  obligé  de  combattre  à  force  de  tra- 
vail, aujourd'hui,  l'inaptitude  qui  me  reste  encore 
pour  certaines  occupations  sérieuses  où  je  me  vois 
appelé  et  de  combler  les  lacunes  qui  subsistent  dans 
mes  connaissances  spéciales,  du  moins  je  suis  sur 
une  route  tracée  et  j'ai  désormais  un  but  assuré 
devant  moi. 

Depuis  que  je  suis  en  Allemagne,  je  sais  déjà 
une  foule  de  mots  de  plus  ;  ma  mémoire  se  rafraî- 
chit aussi  de  beaucoup  de  choses  que  je  savais  autre- 
fois, mais  l'accent  me  donne  une  peine  terrible  ; 
je  parle  de  manière  à  me  faire  bien  comprendre, 
mais  je  comprends  peu,  à  moins  que  l'on  n'ait  soin 
de  bien  détacher  les  mots.  Tout  le  monde  a  pour 
moi,  ici,  les  plus  grandes  bontés,  mais,  malheu- 
reusement, par  cela  même,  il  y  a  une  grande  dis- 
traction de  dîners  et  de  soirées.  Les  voitures  sont 
souvent  indispensables  et  toujours  très  chères. 
Toutefois,  la  vie  ordinaire  est  à  très  bon  compte 
ce  qui  produit  au  moins  une  compensation. 

Maintenant,  comme  il  n'est  pas  juste  que  la 
somme  que  tu  pourras  m'envojer  te  soit  une  gêne 
et  une  privation,  j'entends  bien  te  la  rembourser. 
A  partir  de  mars  prochain,  je  t'enverrai  cinquante 


l83o    NOVEMBRE     iS^I  -j'Ô 

francs  par  mois  ou,  dans  le  cas  où  tu  pourrais 
attendre  et  me  donner  cette  facilité,  viiig^t-cinq 
francs  par  mois,  ce  qui  me  rendrait  la  chose  pres- 
que insensible.  Dans  le  cas,  pour  ainsi  dire  impos- 
sible, de  grande  gêne  de  ma  part,  il  y  a  toujours 
comme  tu  sais  le  lot  de  terre  dont  mon  oncle  m'a 
apporté  dernièrement  la  rente  et  qu'on  peut  ven- 
dre à  lui  ou  bien  dans  le  pays. 

II  faisait  hier  un  temps  affreux,  il  fait  un  temps 
magnifique  ce  matin.  Aussi  vais-je  partir  pour 
Presbourg  où  je  passerai  quelques  jours  en  atten- 
dant ta  bonne  lettre.  La  contrefaçon  de  mon  ou- 
vrage a  paru  à  trois  éditions  différentes,  en  Belgi- 
que, en  Hollande  et  à  Stuttgard.  On  ne  l'euipèchera 
certainement  pas  de  pénétrer  ici,  où  toutes  les 
rigueurs  sont  inconnues.  Chacun  est  gai  et  heureux 
dans  cet  excellent  pays. 

Ainsi,  à  quatre  mois  encore! 

Je  t'embrasse  et  suis  de  toute  mon  âme. 

Ton  fils, 

GÉRARD. 

XVIII 

AU   1)^    LABRUNIE 

Vienne,  le  2  décembre  1839. 
Je  t'écris  cette  fois  dans  un  paquet  de  lettres  que 

xviii.  —  Ptibl.  par  L.  de  Bare,  Nouvelle  Revue  infernalionalc, 
i»*"  mai  1894. 


74  CORRESPONDANCE 


j'envoie  par  le  courrier  de  l'ambassade,  qui  part  ce 
soir.  M.  de  Sainte-Aulaire  a  bien  voulu  me  per- 
mettre d'envoyer  mes  lettres  particulières  avec  les 
dépêches.  C'est  M.  Triquet,  un  des  secrétaires,  qui 
sera  à  Paris  dans  six  jours,  rapidité  inouïe  et  tout 
à  fait  inconnue  de  la  poste  même,  qui  met  de  huit 
à  neuf  jours  de  Paris  à  Vienne. 

J'ai  dîné  hier  à  l'Ambassade.  Tu  ne  saurais  croire 
toutes  les  bontés  qu'on  a  pour  moi  dans  la  famille  de 
M.  de  Sainte-Aulaire  et  que  je  dois  surtout  à  la 
recommandation  de  M.  Lingay  (48).  D'ailleurs,  tout 
le  monde  est  ici  d'une  bienveillance  merveilleuse 
pour  moi.  J'ai  écrit  dans  ce  même  paquet  une  lettre 
à  M.  Lingay,  où  je  le  prie  de  demander  que  je  sois 
envoyé  à  Constantinople  où  les  affaires  sont,  en  ce 
moment,  d'un  g^rand  intérêt  (49)-  Ici  l'on  perd  trop 
de  temps  dans  la  société,  et  les  renseignements  sont 
difficiles  sur  les  affaires  des  provinces  moldaves  et 
turques,  parce  que  les  eaux  du  Danube  sont  trop 
basses  pour  permettre  la  circulation  habituelle  des 
voyageurs.  Dans  le  cas  où  j'obtiendrais  ce  déplace- 
ment, je  partirais  dans  un  mois,  et  je  reviendrais 
toujours  en  France  au  printemps,  sur  un  vaisseau 
de  l'Etat. 

Autrement,  je  m'accommoderais  fort  bien  de  res- 
ter ici  ;  mou  travail  y  est  très  facile  et  la  vie  est 
charmante.  C'est  Paris  et  Naples  réunis,  pour  l'éclat 
çt  le  mouvement.  Le  bonheur  est  partout.  Les  fêtes 


l83()    NOVEMBHE     l8'll  78 

sont  mag^nifiques.  Les  bals,  les  lieux  de  conversa- 
tion, avec  la  musique  ravissante  de  Strauss,  ne 
peuvent  trouver  de  comparaison,  même  à  Paris. 
Les  spectacles  sont  moins  remarquables.  J'ai  en- 
tendu avant-hier  le  grand  concert  de  Bériot  (5o). 
J'ai  fait  connaissance  avec  lui-même  chez  le  prince 
Dietrichstein.  —  J'étais  hier,  à  table,  à  côté  du  duc 
de  Raguse  ;  un  beau  vieillard  avec  d'énormes  sour- 
cils noirs  ;  il  m'a  paru  fort  spirituel  [et  fort  aima- 
ble... 


XLX 

A  JULES  JAMN 

Vienne,  a3  décembre  1889. 

Mon  cher  Janin, 
Il  y  a  là  une  bonne  ville  qui  s'occupe  de  vous 
souvent,  et  qui  vous  aime  beaucoup.  Des  envieux 
pourraient  dire  que  cela  vient  de  ce  qu'on  n'y  peut 
lire  que  le  Journal  des  Débats  et  de  ce  qu'on  n'y 
lit  que  le  feuilleton  de  ce  même  journal  ;  mais 
croyez  que  vous  n'y  êtes  pas  moins  apprécié  comme 
autour,  comme  poète,  que  comnie  journaliste.  Si 
bien  (ju'on  s'y  est  ému  beaucoup  ces  jours-ci  de 
votre  Défense  de  la  Critique  française  ;  vous  avez 

xi.\.  —  Commiini(juéc  par  M.  Clément  Janiii. 


76  COHRESPOiNDANCE 


soutenu  noire  honneur  à  tous  chez  l'étranger,  cela 
est  fort  beau  ;  mais  on  disait  que  l'auteur  de  la 
Confession  et  de  Barnave  pouvait  se  dispenser  de 
plaider  la  cause  du  journaliste  pur  ;  c'est  au  moins 
généreux  de   sa  part.  Pour  moi  qui  n'ai  guère  ici 
d'autre  importance  que  celle  d'un  feuilletonniste 
anonyme  et  ignoré,  je  vous  ai  dû  hier  un  fort  bel 
accueil  et  un  honneur  infini.  Imaginez-vous  que, 
bien  que  M'"''  Pleyel  soit  arrivée  depuis   une  se- 
maine, je  n'avais  pas  osé  encore  lui  aller  remettre 
votre  recommandation  (5i).   On   me   la  faisait  si 
entourée  de  ducs,  de  princes  et  de  grands  artistes, 
que  j'hésitais  à  me  présenter  à  une  aussi  belle  dame, 
même  sous  votre  patronage.  Mais  hier  j'ai  eu  la  for- 
tune de  me  rencontrer  avec  elle  à  la  table  de  notre 
ambassadeur,  et  alors  il  a  bien  fallu  surmonter  ma 
honte.  M.  de  Sainte-Aulaire,  auprès  duquel  nous 
étions  placés,  m'a  trahi  tout  d'abord,  et    à   peine 
a-t-il'eu  prononcé  votre  nom  que  M'^e  pjeyel  ne 
s'est  plus  occupée  que  de  vous,  et  que  de  moi  par 
conséquent.  On  a  déclaré  de  toutes  parts  que  j'étais 
très  heureux  ;  princes,  ambassadeurs  et  maréchaux 
de  France  (M.  le  Duc  de  Raguse  y  était),  tous  ont 
compris  qu'il  s'agissait  pour  notre  belle  compatriote 
d'un  souvenir  bien  supérieur  à  leurs  hommages,  et 
je  vous  jure  que  rAlleniagne,  la  Russie  et  l'Emi- 
gration se  trouvaient  fort  humihées  dans  ce  mo- 
ment-là. 


l830    —     NOVEMBRE    I 8^ I  77 

Ce  malin,  M""  Pleyel  m'a  parlé  bien  long^temps 
de  vous,  et  m'a  dit  tout  ce  qu'elle  devait  à  votre 
amiti*'.  Vous  allez  la  revoir  dans  quelques  jours  ; 
elle  a  grand'peur  de   Paris  et  compte   sur  vous 
avant  tout.  Je  ne  vous  dirai  pas  combien  elle  a  eu 
de  succès  à   Saint-Pétersbourg"  et  à  Leipsick,   e^ 
combien  elle  en  a  ici  ;  les  journaux  vous  ont  trans- 
mis déjà  toutes  ces  merveilles.  Il  y  a  d'autant  plus 
de  mérite  à  notre  belle  et  bonne  compatriote   à 
exciter   à    Vienne  lant  d'enthousiasme  que  nous 
sommes  encombrés  de  pianistes:  M.  Litz,  M^'^Anna 
Ludlow,  etc.  ;  il  en  vient  de  partout.  M.  de  Sainte- 
Aulaire  comparait  spirituellement  cet  embarras  de 
pianos  à  la  journée  des  brancards.  J'ai  rencontré 
ce  matin  encore    un  prince,    qui   venait  admirer 
■^[mo.  Pleyel,  mais  celui-ci  est,je  crois,  de  vos  amis.  Il 
s'appelle  le  prince  de  Schwartzenberg-.  A  présent, 
que  voulez-vous  que  je  vous  dise  encore  ?  On  va 
vous  écrire  beaucoup  de  mal  de  moi,  parce  que 
j'ai  remis  votre  lettre  si  tard  ;  mais  vous  venez  de 
lire  mes  raisons.  Je  suis  très  coupable  aussi  envers 
l'Artiste  et  M.    de    Launay  (Ba),  de  n'avoir  rien 
envoyé  depuis  mon  arrivée;  mais  figurez-vous  bien 
qu'on  ne  peut  rien  faire   ici  :    le  Viennois    boit, 
mange^  et  valse,  et  l'étranger  qui  le  visite  n'a  pas 
plutôt  goûté    de    ce  régime    qu'il    devient  tout  à 
fait  Viennois.  La  pensée  et  le  travail  ne   se  con- 
çoivent pas  dans  l'atmosphère  matérielle  de  cette 


78  CORRESPONDANCE 


bonne  capitale  ;  c'est,  comme  on  l'a  dit  très  bien, 
la  salle  à  manger,  la  chambre  à  coucher,  et  je  ne 
sais  quoi  encore,  de  l'Europe.  Je  tâcherai  avant  la 
fin  du  mois  de  vous  définir  tout  cela  plus  nette- 
ment, pour  l'Artlste.Yin  ce  moment,  nous  sommes 
en  grande  fête  :  c'est  la  Noël.  Les  arbres  de  la  fête 
courent  les  rues,  ornés  de  boutons,  de  bougies,  de 
fleurs  et  de  clinquants,  et  tout  cela  est  allemand 
au  possible;  ne  vous  étonnez  donc  pas  de  mon 
enthousiasme,  de  mes  plaisirs  et  de  ma  paresse. 
J'enverrai  à  M.  Delaunay  un  beau  feuilleton  après 
Noël,  quand  tout  ce  bruit  sera  passé  (53). 

Adieu,  mon  cher  ami,  et  grand  merci  de  vos 
bonnes  recommandations  ;  je  compte  revenir  dans 
deux  mois;  écrivez-moi  si  vous  avez  le  temps,  ou  si 
vous  avez  quelque  commission  à  me  donner  ici. 

Votre  bien  affectionné, 

Le  23  décembre.  Gérard. 

Suscription  :  A  Monsieur,  Monsieur  Jules  Janin, 
/i"  2o,jRue  de  Vaugirard  à  Paris. 

XX 

AU   D''    LABRUNIE 

Vienne,  3o  janvier  i84o. 
Mon  cher  papa, 
Je  t'écris  aujourd'hui  par  un  courrier  extraordi- 

XX.  —  Publ.  dans  le  Temps,  20  aoûl  1907. 


l830    NOVEMBRE    I 84 I  79 

nairc  de  l'ambassade,  ce  que  je  n'avais  pu  faire 
depuis  quelque  temps,  car,  les  lettres  étant  lues  à  la 
poste,  il  est  fort  désa^^réable  de  mettre  le  gouver- 
nement au  courant  de  ses  affaires  privées,  surtout 
dans  ma  position. 

C'est  pourquoi  je  regrette  que  tu  n'aies  pas 
ouvert  ma  lettre,  qui  est  bien  réellement  pour  toi, 
mais  qui  se  sera  trouvée  mal  indiquée  sur  l'a- 
dresse, par  suite  des  précautions  que  j'ai  cru  de- 
voir prendre.  Tu  y  aurais  vu  que  je  te  priais  de  ne 
me  parler  qu'en  termes  vagues  de  ces  petites  obser- 
vations de  famille,  dont  toutefois  les  expressions 
m'ont  paru  un  peu  exagérées.  C'est  même  une 
grande  peine  pour  moi,  an  milieu  des  heureuses 
circonstances  qui  viennent  enfin  m'assurer  un  ave- 
nir plus  solide  même  que  la  plus  belle  position  lit- 
téraire, de  t'avoir  vu  douter  de  choses  que  tout  le 
monde  sait  et  qui  n'ont  pu  manquer  de  t'être  affir- 
mées de  divers  côtés  (54). 

Certes,  je  suis  habitué  à  cette  expérience  que 
nul  n'est  prophète  en  sa  famille,  pas  plus  qu'en  son 
pays,  car  les  parents  sont  les  derniers  à  croire 
qu'on  ait  quelque  mérite  et  quelque  valeur,  et  cela 
par  la  seule  raison  qu'ils  nous  ont  vus  très  petits. 
Mais  je  compreuds  que,  de  ton  côté,  tu  as  pu  être 
plus  frappé  que  je  n'avais  cru  des  pertes  d'argent 
que  j'ai  pu  faire  il  y  a  quatre  ans,  sans  songer 
que,  depuis  ce  temps,  j'ai   su  me  faire  une  assez 


8o 


CORRESPONDANCE 


belle  situation  et  donner  des  preuves  suffisantes  de 
mon  courage  et  de  mon  travail. 

S'il  faut  être  chagriné  non  seulement  par  les 
malheurs  qui  peuvent  nous  frapper,  mais  encore 
par  la  crainte  qu'ils  ne  nous  attirent  la  désaffec- 
tion des  personnes  que  nous  aimons,  il  faut  avouer 
que  la  vie  est  une  triste  chose,  et  que  l'intérêt 
qu'on  nous  porte  est  bien  aisément  contrarié  par 
des  affaires  d'intérêt. 

S'il  n'était  pas  fort  triste  de  répéter  sans  cesse 
les  mêmes  assurances,  indiquées  cependant  par  des 
faits  évidents,  je  te  dirais  encore  qu'à  part  le  dé- 
sagrément d'avoir  perdu  de  l'argent  je  ne  puis 
avoir  rien  à  craindre,  puisque  ce  ne  sont  point  des 
dettes  personnelles  qui  me  sont  restées,  mais  la 
solidarité  d'une  obligation,  et  que  du  jour  où  l'on 
réduira  la  dette  à  ce  qui  me  concerne,  j'aurai 
acquitté  presque  immédiatement  les  3ooo  francs 
dont  je  puis  être  redevable. 

Quant  à  ce  que  tu  m'écris  que  mes  amis  sont 
pour  quelque  chose  là-dedans,  je  te  dirai  qu'au- 
cun de  mes  amis  n'avait  approuvé  mon  entreprise 
et  que  tous  me  conseillaient  de  m'en  tenir  à  la  litté- 
rature, ce  que  j'aurais  fait  si  les  craintes  conti- 
nuelles de  mes  parents,  touchant  mon  avenir,  ne 
m'avaient  intimidé  moi-même  sur  mes  moyens 
d'existence  future,  ce  qui  m'a  malheureusement 
conduit  à  tenter  une  affaire  de  librairie  et  non  de 


l83o    NOVEMBRE    iS^I  8l 


liltératiire.  Le  Bouchardy,  qui  était  avec  moi  là- 
dedans  et  qui  y  a  perdu  autant,  le  pauvre  garçon, 
avec  moins  de  moyens  pour  s'en  relever,  n'est  pas 
le  Bouchardy  littéraire  qui  est  au  nombre  de  mes 
connaissances. 

D'ailleurs,  je  suis  étonné  de  te  voir  accuser  mes 
amis,  tous  étrangers  à  ces  désagréments,  et  qui 
sont  seulement  mes  confrères  littéraires,  qui  tous 
m'ont  rendu  des  services  en  me  faisant  travailler 
avec  eux  et  m'ont  aidé  dans  l'occasion.  Mes  amis, 
ils  sont  assez  connus;  c'est  Théophile  qui  m'a  fait 
gagner  260  francs  par  mois,  pendant  deux  ans,  en 
me  faisant,  à  la  Presse,  le  collaborateur  de  son 
feuilleton,  qui  m'a  fait  connaître  M.  L...  [Lingay], 
auquel  je  dois  ma  mission;  c'est  Alphonse  Karr 
qui  m'a  fait  gagner  jusqu'à  4oo  francs  par  mois 
au  Figaro  qu'il  dirigeait  (55);  c'est  M.  Victor  Hugo 
qui  m'a  été  utile  dix  fois,  qui  m'a  placé  dans  deux 
journaux,  a  concouru  récemment  encore  à  sollici- 
ter le  ministère  en  ma  faveur.  C'est  Alexandre 
Dumas,  qui  m'a  fait  gagner  6000  francs  avec  Pi- 
rjiiillo,  lesquels  m'ont  permis  d'acquitter  une  partie 
de  ce  que  je  devais,  et  depuis  1200  francs  avec  UAl' 
chimiste,  toutes  choses  que  chacun  sait  et  dont 
M.  Michel,  l'agent  dramatique,  a  les  preuves. 

Voilà  mes  amis,  je  m'en  connais  pas  d'autres, 
hormis  D...,  que  je  n'ai  pas  vu  depuis  huit  ans, 
qui  est  marié  et  notaire  en  province,  et  qui  ne  m'a 

6. 


82  CORRESPONDANCE 


jamais  donné,  certes,  que  de  bons  conseils  ;  puis 
encore  M.  D...,  qui  vit  en  province,  riche,  un  peu 
ennuyeux,  que  je  n'ai  guère  vu  depuis  le  même 
temps,  et  qui  est  le  plus  excellent  homme  et  le 
plus  incapable,  assurément,  de  causer  aucun  dom- 
mage à  qui  que  ce  soit. 

Je  dois  l'avouer,  il  y  a  eu  peut-être  même  un  peu 
d'intérêt  de  ma  part  à  négliger  les  personnes  qui 
ne  m'étaient  pas  directement  utiles  comme  le  sont 
les  littérateurs  ;  mais,  hélas  !  il  faut  bien  rendre  jus- 
tice à  tous  et  à  moi-même,  en  disant  que,  si  j'ai 
fait  quelque  imprudence,  je  ne  le  dois  qu'à  moi 
seul.  Et  encore  y  a-t-il  eu  imprudence?  Je  suis  loin 
d'en  être  convaincu;  mauvaise  chance,  à  la  bonne 
heure  !  J'avais  douté  de  la  littérature,  je  le  méri- 
tais, et  je  crois  avoir  commencé  à  prendre  ma  re- 
vanche depuis. 

Mon  Dieu,  qu'il  est  désagréable  d'avoir  réveillé 
ces  souvenirs  fâcheux  après  des  travaux  de  quatre 
années,  tant  de  fois  couronnés  et  qui  commencent 
à  me  porter  si  haut  !  Je  regrette  d'autant  plus  que 
tu  m'aies  répondu  sans  Hre  ma  lettre,  qui  t'aurait 
fait  voir  qu'il  ne  s'agissait  dans  ce  que  je  te  deman- 
dais que  d'une  aide  fort  légère  et  nullement  indis" 
pensable.  Il  t'est  facile  de  voir  que  je  survis  à  ces 
besoins. 

Je  te  dirai  même  —  ce  qu'on  a  dû  te  dire  d'au- 
tre part  —  que  je  passe  l'hiver   ici   fort  agréable- 


l83o    NOVEMBRE    1 84 I  83 

ment  et  au  milieu  d'un  monde  dont  ma  nouvelle 
position  m'a  largement  ouvert  les  portes.  J'en  dois 
remercier  avant  tout  les  bontés  de  l'ambassadeur, 
qui,  malgré  la  distance  que  la  hiérarchie  adminis- 
trative met  entre  nous,  ne  veut  voir  en  moi  qu'un 
confrère  littéraire.  Tu  sais  que  nous  avons  tous 
les  deux  traduit  Faust,  et  que  nos  deux  traductions 
sont  considérées  comme  les  meilleures  (56).  La 
mienne  a  même  l'avantage  d'une  2^  édition,  et 
M.  de  Sainte-A...  [Aulaire]  a  bien  voulu  m'en  faire 
compliment. 

Je  suis  le  commensal  le  plus  fréquent  de  l'am- 
bassade, et  dimanche  dernier  l'ambassadeur  a  eu  la 
bonté  de  me  dire  :  «  Nous  ne  vous  avons  pas  vu 
depuis  trois  jours;  vous  abandonnez  la  maison 
paternelle.  »  Hier  soir  mercredi,  après  dîner,  nous 
avonsjouédes  proverbes.  M"""...  et  le  maréchal (67) 
sont  venus  dans  la  soirée;  c'était  charmant.  La 
semaine  dernière,  nous  avons  lu  des  comédies 
devant  toute  une  assistance  de  princes  et  d'ambas- 
sadeurs. M.  de  Metternich  vient  aux  grandes  soi- 
rées, mais  nos  convives  les  plus  habituels  sont  les 
princes  Schw^artzenberg,  Esterhazy,  Dietrichstein 
et  le  maréchal.  M"'"  de  Sainle-A...  joue  lesproverbes 
[un ou  deux  mots  manquent]  et  M.  de  Sainte-A... 
veut  bien  aussi  prendre  des  rôles  qu'il  remplit  avec 
[un  mot  manque  |  esprit  et  une  habitude  d'impro- 
visation admirable. 


CORRESPONDANCE 


Tels  sont  nos  plaisirs.  Ensuite,  les  bals  et  les 
soirées  sont  continuels  ici.  C'est  tout  le  monde 
d'une  grande  capitale  et  toute  l'intimité  d'une  ville 
de  province.  Car  la  société  est  très  compacte  et 
[trois  mots  rayés]  l'on  se  voit  continuellement. 

Je  regretterai  beaucoup  ce  séjour,  et  pourtant 
mes  quatre  mois  expirent  et  je  dois  être  à  Paris 
dans  quatre  ou  cinq  semaines.  Si  alors  le  ministère 
ne  change  pas,  je  repartirai  pour  l'Allemagne  du 
Nord  ou  pour  la  Bavière.  Car  la  question  d'Orient 
étant  près  de  se  terminer,  je  ne  crois  pas  qu'on  me 
continue  ma  mission  vers  les  frontières  de  Tur- 
quie, dont  je  suis  ici  à  deux  journées  (58).  Je  me 
suis  mis  au  courant  dans  tous  les  cas. 

Tu  me  reverras  donc  aux  premiers  jours  de  mars 
et  tu  ne  croiras  plus  que  j'ai  des  raisons  pour  ne 
point  résider  à  Paris,  ce  dont  tu  pourrais  être 
revenu,  car,  depuis  quatre  ans,  j'y  suis  assez  faci- 
lement resté,  sauf  les  trois  ou  quatre  voyages  que 
j'ai  faits  à  l'étranger. 

Mais,  bon  Dieu,  pourquoi  t'entretenir  de  ces 
idées  ?  Je  suis  fort  triste  de  te  les  voir  continuelle- 
ment, et  je  ne  sais  pas  ce  que  je  puis  te  dire.  Mon 
existence  est  si  publique  que  tu  devrais  savoir  à 
quoi  t'en  tenir,  et  songer  qu'on  n'a  nul  besoin  d'al- 
ler au  bout  de  l'Europe,  pour  échapper  aux  dan- 
gers que  tu  supposes. 

Enfin,  ne  parlons  plus  de  ces  préventions,  et  je 


l830    —    NOVEMBRE    I 84 I  85 

t'en  prie,  érris-moi  pour  me  donner  de  tes  nouvel- 
les. Je  legrelte  de  ne  pouvoir  faire  venir  ta  lettre 
par  l'ambassade,  mais  nous  n'avons  l'affranchisse- 
ment que  d'ici  à  Paris. 

Adieu.  Je  te  recommande  de  nouveau  de  song^er 
que  toutes  les  lettres  sont  lues. 

Ton  fils  bien  affectionné, 

G.    LABRUNIE. 


XXI 

A  HENRI    DE   SAINT-GEORGES   (Bq) 

Vienne,  ce  25  février  [i84o]. 

Mon  cher  Monsieur, 
Je  pense  que  vous  avez  reçu  un  petit  mot  que  je 
vous  ai  adressé  en  arrivant  à  Vienne.  Maintenant 
je  vais  revenir  et  serai  à  Paris  avant  un  mois.  Je  ne 
sais  si  vous  vous  serez  occupé  de  notre  sujet  si 
négligé,  si  traîné,  si  refait,  du  magnétiseur  (Go)  ; 
mais  il  faut  bien  qu'il  ait  la  vie  dure  puisque  nous 
y  revenons  toujours.  La  dernière  fois  que  nous  en 
avons  parlé,  vous  m'aviez  tellement  démoli  mon 
pauvre  scénario  que  j'avais  compris  fort  bien  que 
vous   aviez   raison  ;  mais  la  chose   ne  s'était  pas 

XXI.  —  Publ.  dans  l'Ainaleur  d'autographes,  i6  mars  1866. 


86  CORRESPONDANCE 


refaite  poétiquement  dans  ma  tête  de  manière  à  en 
sentir  l'exécution. 

Il  m'est  arrivé  de  rencontrer  ici  à  l'ambassade 
et  dans  la  société  un  consul  de  Prusse  qui  est  ma- 
g-nétiseur  et  produit  un  grand  efFet  sur  les  dames  : 
cela  m'a  remis  la  chose  en  tête.  Je  vous  écris  là- 
dessus  d'affreuses  pattes  de  mouches  que  vous 
ferez  bien  de  faire  recopier  avant  de  les  lire,  mais 
j'envoie  une  telle  masse  de  lettres  par  l'ambassade 
que  j'ai  besoin  de  serrer  beaucoup.  Vous  me  trou- 
vez peut-être  un  peu  paresseux.  Je  vous  jure 
que  ce  n'est  pas  négligence,  mais  incertitude  du 
résultat.  J'ai  fait  assez  de  besogne  dans  ma  vie 
pour  prouver  que  le  travail  ne  me  fait  pas  peur,  et 
certes  j'aime  autant  écrire  des  scènes  d'opéra- 
comique  que  des  feuilletons  de  journal  ;  mais  l'é- 
loignement  de  la  représentation  me  décourage. 
Quand  j'avais  cru  voir  jour  à  ce  que  Joly  nous  fît 
passer  cet  hiver  (6i),  je  prenais  la  plume  de  grand 
cœur.  Mais  la  remise  à  l'hiver  prochain  m'a  rejeté 
au  bout  de  l'Europe,  où  je  suis.  Pourtant  le  temps 
marche  et  cet  autre  hiver  arrive  à  son  tour  ;  si  le 
scénario  vous  paraît  exécutable  à  présent,  tâchez 
que  nous  puissions  venir  l'hiver  prochain  à  la 
Renaissance  ou  à  l'Opéra-Comique,  et  alors  je 
vous  jure  que  je  me  mets  de  suite  à  tout  écrire  — 
à  ma  manière  —  vous  reviendrez  par  dessus. 
Soyez  donc   assez  bon  pour  me  répondre  sur  ce 


l83o    NOVÏMBRF.     l8'|l  87 

point  au  reçu  de  ma  lettre  et  pour  adresser  la  vôtre 
sous  onvelo])pe  à  M.  Douet-D'Arq,  archiviste,  rue 
St-JIjacintlie  Si-Michel,  n"  22  (62).  On  me  la  fera 
passer  par  les  affaires  étrangères,  car  ici  rien 
n'est  plus  compliqué  que  la  correspondance.  Je  lis 
aujourd'hui  même  une  analyse  de  la  Fille  du  Régi- 
ment, et  suis  heureux  de  vous  féliciter  de  ce  nou- 
veau succès.  On  va  donner  à  Vienne  votre  Reine 
d'un  Jour  et  votre  Symphonie  dont  les  journaux 
allemands  font  le  plus  g-rand  éloge  (63).  Je  vous 
dirai  qu'ici  nos  opéras  français  ne  sont  guère  esti- 
més que  par  les  poèmes.  Tous  les  jours,  je  vois 
représenter  des  opéras  dont  on  a  retranché  la  mu- 
sique —  qui  nuit  à  l'action  (comme  disait  ce  directeur 
de  province).  C'est  ce  qu'on  avait  fait  pour  l'Am- 
bassadrice (64),  qui  avait  réussi  à  Léopoldstadt, 
On  vient  de  la  donner  au  théâtre  de  Carinthie 
(avec  musique)  et  elle  est  tombée  à  plat  avec  un 
concert  de  sifflets  comme  on  n'en  a  jamais  entendu. 
Ils  disent  un  mal  horrible  de  notre  musique  pari- 
sienne ;  la  leur  me  paraît  bien  ennuyeuse,  cela 
tient  sans  doute  à  la  conformation  des  oreilles.  A 
présent,  avcz-vous  en  vue  un  musicien  ?  Je  vous 
rappelle  que  nous  sommes  pour  ainsi  dire  engagés 
avec  Monpou,  à  moins  qu'il  ne  s'agisse  de  Doni* 
zetti.  Je  vous  assure  qu'à  part  Auber  c'est  encore 
Monpou  aujourd'hui  qui  comprendrait  le  mieux  un 
sujet  poétique.    C'est  un  homme  qui  a  besoin  de 


CORRESPONDANCE 


l'inspiration  du  poème.  Enfin  voyez,  faites  pour  le 
mieux.  J'ai  trouvé  ici  quelques  sujets  dont  on 
pourrait  se  servir  en  les  modifiant  beaucoup  ;  en 
voici  un  que  j'ai  à  peu  près  arrangé.  C'est  d'après 
une  pièce  populaire  de  Léopoldstadt  (65).  Je  crois 
que  cela  serait  fort  joli  au  Palais-Royal  ou  aux 
Variétés.  Si  vous  en  voyiez  la  place,  écrivez-moi 
aussi  sur  ce  point. 

Trois  ouvriers  de  Nuremberg  se  rencontrent  sur 
un  chemin.  Tous  trois,  le  sac  sur  le  dos,  sans 
ouvrage  prochain,  ne  sachant  où  aller,  ils  entrent 
dans  un  cabaret,  s'asseyent  à  la  même  table  et 
demandent  l'un  une  soupe,  l'autre  un  verre  de  vin, 
l'autre  une  tasse  de  café.  L'auberge  est  pleine  de 
gens  en  fête,  il  y  a  là  un  paysan  qui  a  gagné  à  la 
loterie,  il  traite  ses  amis  et  l'on  fait  passer  quel- 
ques verres  de  vin  aux  trois  voyageurs. Puis, comme 
il  est  tard, tout  ce  monde  s'en  va  coucher,  mais  il  n'y 
a  plus  de  lits  pour  les  survenants.  On  leur  met  trois 
bottes  de  paille  par  terre,  des  chaises  retournées 
leur  servent  d'oreiller;  le  maître  et  la  servante  se 
retirent.  Voilà  nos  trois  gars  couchés.  Avant  de 
s'endormir,  ils  se  disent  leurs  affaires.  Jacques 
aimait  la  fille  de  son  maître,  riche  marchand  de 
meubles;  il  n'a  pas  osé  la  demander,  elle  épouse 
un  gros  marchand  de  vin.  Lui,  pour  ne  pas  voir  la 
noce,  a  pris  son  paquet  et  s'est  mis  en  route.  Hubert 
est  un  cordonnier  :  on  l'a  mis  à  la  porte  parce  qu'il 


l83o    —    NOVEMBRE     I 84 I  89 

avait  fait  des  hottes  trop  justes  à  une  riche  prati- 
que, qui  n'avait  pas  voulu  les  payer.  Richard  est 
garçon  marchand  de  vin,  on  l'a  renvoyé  parce 
qu'il  buvait  la  marchandise.  Après  ces  confidences, 
les  trois  ouvriers  s'endorment  en  song-eant  au 
bonheur  des  riches.  II  descend  un  nuage  noir  sur 
lequel  est  un  numéro  transparent,  ikkl'  Jacques  se 
lève  en  sursaut  et  dit  en  se  frottant  les  yeux  : 
tiens,  j'ai  rêvé  un  numéro.  Richard  se  lève  de  son 
côté  et  dit  :  tiens,  moi  aussi,  —  moi  244??  —  moi 
de  même,  c'est  étonnant.  Il  faut  l'écrire.  Ils  appel- 
lent l'hôte,  demandent  une  plume.  On  cherche,  on 
se  moque  d'eux  ;  enfin,  au  moment  d'écrire,  ils 
ont  oublié  le  chillVe.  Hubert,  qui  dormait  le  plus 
fort, finit  par  s'éveiller  au  bruit.  —  J'ai  fait  un  drôle 
de  rêve,  j'ai  rêvé  un  numéro. —  Lequel? —  2447* — 
C'est  le  même.  —  Les  voilà  tous  les  trois  qui  s'em- 
brassent, sûrs  de  gagner.  Il  n'y  a  plus  qu'une  diffi- 
culté. Il  faut  avoir  de  quoi  mettre  à  la  loterie.  Ils 
se  fouillent  et  parviennent  à  faire  un  écu  à  eux  trois. 
L'un  d'eux  s'en  va  dans  la  ville  acheter  le  billet. 
Mais  à  présent  il  ne  leur  reste  plus  de  quoi  payer 
leur  écot.  N'importe,  ils  demandent  à  boire  sur  la 
foi  du  numéro.  Quand  l'hôte  apprend  sur  quoi  sa 
créance  est  hypothéquée,  il  veut  remporter  ses  bou- 
teilles à  moitié  vides.  Mais  l'heure  arrive  où  les 
numéros  sont  tirés,  et  c'est  bien  le  244?  qui  sort. 
Les  trois  compagnons  tombent  par  terre  de  joie. 


go  CORRESPONDANCE 

En  payant  i'iiôte,  Jacques  dit  :  Tiens,  si  nous  lais- 
sions cent  francs  à  ce  brave  homme?  —  Pourquoi? 

—  Mais  pour  quand  nous  n'aurons  plus  d'argent. 

—  Nous  avons  cent  mille  écus.  —  Enfin  c'est  mon 
idée.  Je  les  laisse  pour  nous  trois  sur  ma  part. 

Ce  premier  acte  est  fort  amusant  à  la  représenta- 
tion; les  caractères  d'ouvriers  sont,  comme  vous 
pensez,  distincts.  Jacques  aime  les  femmes,  Hubert 
le  luxe,  Richard  le  vin.  Au  deuxième  tableau,  c'est 
un  coin  de  rue.  La  boutique  du  marchand  de  vin 
est  en  fête;  celle  dii  marchand  de  meubles  est  fer- 
mée. Le  mariage  va  se  faire.  Les  trois  compagnons 
ont  peur  qu'il  ne  soit  fait  déjà.  Huliert,  déjà  vêtu 
en  monsieur,  frappe  chez  le  marchand  de  meubles 
et  veut  commander  un  ameublement  complet.  Le 
père  lui  dit  de  revenir  le  lendemain  et  qu'il  marie 
sa  fille.  Richard  fait  la  proposition  au  marchand  de 
vin,  en  frappant  de  même  à  sa  porte,  de  lui  acheter 
son  établissement.  Celui-ci  demande  un  délai,  l'au- 
tredit  qu'il  est  pressé,  de  sorte  que  le  marchand  de 
vin  vêtu  en  marié  ne  sait  que  faire.  Enfin  la  mariée 
sort  assez  triste.  Jacques  se  présente  à  la  famille. 
On  lui  demande  pourquoi  il  est  parti,  on  l'accueille 
très  bien.  Lorsqu'il  parle  de  son  amour,  tout  le 
monde  jette  les  hauts  cris.  Enfin  vous  comprenez 
que  le  marchand  de  vin,  qui  a  voulu  faire  affaire, 
est  évincé.  Jacques  épouse.  Hubert  veut  que  le 
repas  de  noces  se  fasse  chez  lui. 


l830    NOVEMBRE     1 84  QI 

Il  s'agit  au  tableau  suivant  que  Hubert  se  fasse 
un  chez  lui.  Il  s'en  va  droit  chez  le  monsieur  qui 
n'avait  pas  voulu  payer  ses  bottes.  Les  laquais  se 
moquent  de  lui  et  veulent  le  jeter  à  la  porte.  Il  dit  : 
Annoncez  M.  Hubert.  Le  maître  sort  aux  rires  et 
au  bruit.  Hubert  lui  propose  de  lui  acheter  sa  mai- 
son, ses  meubles  et  jusqu'à  ses  habits,  il  veut  être 
substitué  à  lui  en  tout.  Il  rêvait  depuis  longtemps 
d'être  maître. 

Le  monsieur,  qui  n'est  pas  très  bien  dans  ses 
affaires,  y  consent  en  voyant  l'argent.  Il  l'installe 
dans  sa  robe  de  chambre,  dans  ses  pantoufles, 
dans  son  fauteuil,  lui  apprend  l'usage  des  différents 
objets  à  la  mode  qu'il  possède.  C'est  une  scène  très 
amusante  à  faire.  Puis  le  maître  sort  en  le  saluant. 
11  sonne,  les  domestiques  sont  consternés,  mais  on 
le  salue  jusqu'à  terre.  Il  commande  un  grand  repas 
et  reçoit  du  monde.  Tous  ceux  qui  viennent  sont 
des  gens  à  projets  :  on  lui  vend  des  actions,  des 
découvertes,  des  objets  nouveaux  :  tout  un  cadre 
de  mœurs.  Lui  achète,  s'émerveille  de  tout  et  les 
invite  tous.  Enfin  Jacques  arrive  avec  sa  noce,  et 
toute  cette  société  bizarre  se  mélange  dans  la  fête. 
Il  reste  à  trouver  un  moyen  de  placer  Richard  et  de 
faire  prévoir  sa  ruine  pour  ne  pas  avoir  un  tableau 
de  plus.  Au  dernier  tableau,  nous  retrouvons  l'au- 
berge du  premier.  Richard  et  Hubert  arrivent  vêtus 
comme  au  commencement  et  demandent  les  loo 


CORHESPONDANGE 


francs  déposés  chez  l'hôle,  leur  dernière  ressource. 
L'Iiôte  leur  montre  une  lettre  de  Jacques  qui  dit 
qu'il  est  malade  dans  un  hôpital  et  qu'on  lui  envoie 
les  100  francs.  Alors  les  deux  camarades  y  renon- 
cent et  Jacques  paraît  tout  à  coup  avec  sa  famille, 
leur  apprend  qu'il  a  au  contraire  fait  de  bonnes 
afiaires  et  leur  offre  des  établissements  plus  raison- 
nables. Hubert  épouse  la  fille  de  l'auberg-e  et 
Richard  promet  d'entrer  dans  une  Société  de  tem- 
pérance. Si  on  met  la  scène  en  Amérique  ou  en 
Angleterre,  on  peut  ajouter  avec  cela  des  épisodes 
récréatifs. 

Je  ne  sais  si  cette  analyse  vous  suffira  pour  ju- 
ger le  sujet,  j'y  vois  des  détails  charmants.  Si  vous 
le  croyez  possible  je  m'amuserai  à  écrire  rapide- 
ment un  brouillon.  La  pièce  allemande  ne  peut  être 
suivie  que  pour  le  premier  tableau.  Elle  est,  du 
reste,  mélangée  de  génies  et  d'apparitions.  J'en  ai 
extrait  la  pulpe.  II  faudra  quelque  chose  plus  à  effet 
au  dernier  tableau.  Mais  les  autres  sont  sûrs.  Cela 
ressemblera  aux  trois  bals  à  la  canaille,  c'est  un 
très  joli  cadre,  je  crois.  Le  rôle  d'acteur  est  là-de- 
dans celui  d'Hubert  ;  il  a  ce  contraste  de  l'amour 
du  luxe  avec  des  haillons  qui  fait  toujours  grand 
effet;  en  outre  il  est  toujours  en  scène,  cela  peut 
convenir  à  Vernet  ou  à  Achard.  Ayez  donc  la  bon- 
té de  m'écrire  un  mot  sur  tout  cela,  et  dites-moi 
surtout  pour  le  grand  sujet  les  points  où  je  puis 


i83o  —   NOVKMimt:   18  ii  gS 


faire  fausse  voie,  afin  que  je  ne  me  fatigue  pas  la 
tête  inutilement.  D'ailleurs,  comme  je  vous  le  dis, 
je  serai  bientôt  à  votre  disposition,  j'ai  encore  plu- 
sieurs petites  machines  dramatiques  dont  je  vous 
parlerai,  car  je  voudrais  bien  avoir  plusieurs  choses 
l'hiver  prochain.  J'ai  formé  le  projet  d'un  voyage 
en  Orient  pour  le  printemps  d'après,  et  je  serais 
fort  content  que  cela  put  m'y  aider.  Mais  la  pers- 
pective lointaine  me  tue,  n'ayant  ni  votre  pré- 
voyance, ni  votre  certitude  d'arriver  toujours. 

Adieu,  Monsieur,  recevez  mes  compliments.  Si 
je  puis  voir  encore  jouer  ici  votre  Symphonie  et 
\oivii  Reine  d'un  jour,  je  vous  écrirai  tout  de  suite 
(juel  effet  cela  aura  produit.  Quant  à  moi,  ce  sont 
deux  ouvrages  que  j'aime  beaucoup,  et  je  regrette, 
surtout  pour  le  second,  que  vous  n'ayez  pas  visé 
plus  haut  que  l'Opéra-Comique.  Vous  aimez  mieux 
être  le  premier  là  que  le  second  dans  Rome.  Mais 
je  crois  bien  que  vous  avez  encore  des  projets  que 
vous  nous  cachez. 

Votre  bien  dévoué, 

GÉRARD    DE  NERVAL   (66). 

Suscription  :   A    Monsieur  le  marquis  de  Saint' 

Gf'orrjes,  rue    Bleue,    82    ou   34,   ou   au 

Théâtre  de  l'Opéra-Comique,  à  Paris. 


9^  CORKESPONDANCE 


XXII 

A    ALPHONSE    KARR     (67) 

Ettingen  [mars  1840]. 

Mon  cher  Karr, 

Tant  il  est  vrai  qu'on  revient  toujours  à  Paris  ! 
Me  voici  à  douze  lieues  de  Strasbourg-,  à  quatre 
lieues  de  Bade,  entre  l'hôtel  du  Soleil  et  l'hôtel  du 
Corbeau  :  à  présent,  si  vous  m'avez  écrit,  je  n'en 
sais  rien  ;  voici  le  plus  pressé. 

Je  viens  de  traverser  à  pied  le  Wurtemberg- et  le 
duché  de  Bade;  je  vous  prie  de  n'en  rien  dire, 
mais  c'est  comme  cela. 

Alors,  à  Strasbourg,  je  donnerai  des  arrhes  é 
Laffitteet  Gaillard,  et,  en  arrivant  à  Paris,  il  faudra 
que  je  traîne  quelque  g-arçon  de  l'établissement 
après  moi,  pour  payer  le  reste  ;  il  faudrait  donc 
m'avoir  l'argent  nécessaire,  dussiez-vous  le  voler  ! 
Comprenez-vous  la  position  ? 

Or,  j'ai  envoyé  des  masses  de  copie  dont  je  n'ai 
pas  touché  un  sou  ni  un  kreutzer  (68)  ;  il  se  trou- 
vera un  peu  d'argent  dans  tout  cela,  si  la  littérature 
vaut  quelque  chose  à  Paris  encore,  ce  dont  je  doute 

XXII.  —  Publ.  par  A. Karr,  le  Liure  de  bord,  lorne  III,  chap,  cix 


l83o    —    NOVKMBRE     1 84  I  05 

fortement  ;  si  vous  m'avez  envoyé  quekjuo  argent 
par  quel(jiies  banquiers,  hâtez-vous  de  leur  écrire 
pour  qu'ils  tassent  revenir  les  fonds,  si  fonds  il  j  a  ; 
mais  j'ai  bien  peur  qu'il  en  soit  de  même  que  de 
ma  culotte. 

Je  reviens  donc;  pardonnez-moi  1  ennui  que  je 
vous  ai  causé  déjà  et  la  peine  que  je  vous  donne 
encore;  je  devais  être  bien  assommant  de  si  loin  :  il 
faut  dire  ([ue,  à  Vienne,  ouest  comme  dans  un  four: 
on  ne  fait  rien,  on  est  bouché  ;  ville  charmante 
d'ailleurs,  etqui  se  sauve  parles  femmes,  en  nous 
perdant. 

Je  viens  de  faire  à  pied  dix  lieues  par  jour,  pen- 
dant trois  jours;  je  m'y  fais  assez;  cependant,  j'ai 
peur  que  cela  ne  me  coûte  plus  cher  que  par  les 
voitures,  mais  c'est  une  idée  que  je  voulais  satis- 
faire à  tout  prix;  n'en  parlez  pas  surtout,  cela 
nuirait  à  ma  considération  actuelle. 

Je  vois  avec  plaisir  que  nous  avons  encore  des 
amis  au  ministère  ;  plaise  à  Dieu  qu'ils  nous  soient 
bons,  car  le  besoin  des  picaillons  se  fait  beaucoup 
sentir  !  Pourquoi  Ourliac  a-t-il  perdu  son  Constitu- 
tionnel (69)?  Et  Théo?  que  fait  ce  crétin?  Je  parie 
que  je  vais  les  trouver  tous  engourdis  comme  des 
hannetons  auxquels  il  faut  écraser  les  pattes  pour 
les  réveiller  ;  moi  je  suis  assez  guilleret  ;  le  vin  de 
tous  ces  pays  n'est  pas  mauvais  et  n'est  pas  cher. 

J'apprends    encore    qu'on   va   jouer  la  pièce  de 


CORRESPONDANCE 


Balzac  (70)  ;  je  regrette  bien  de  ne  pouvoir  arriver 
assez  tôt. 

Il  doit  vous  aller  voir  un  jeune  Allemand,  nommé 
Weill(7i);  traitez-le  bien  :  c'est  un  ami.  Il  est 
rédacteur  de  presque  tous  les  journaux  allemands 
et  y  mettra  tout  ce  que  vous  voudrez;  adieu! 
pensez  surtout  à  l'argent  et  à  Laffitte.  Je  serai  à 
Paris  le  i5  ou  le  16  (72)  ;  mettez  les  capitaux  chez 
votre  portier  si  vous  sortez;  avertissez  Théo;  vous 
comprenez  bien  la  position,  hein  ?  j'en  ai  vu  de  plus 
cruelles  ;  mais  il  me  semble  qu'à  Paris  des  jours 
plus  doux  vont  luire  désormais. 

A  vous  de  cœur  ! 

GÉRARD. 


XXIII 

AU   RÉDACTEUR  EN   CHEF  DU  JOURNAL  DE    LA  LIBRAIRIE 

[Juillet  i84o.] 

Monsieur,  je  crois  devoir  répondre,  pour  ce  qui 
me  concerne,  à  la  lettre  que  M.  Charpentier  vient 
de  vous  adresser  (73). 

Sans  entrer  dans  les  motifs  de  prétendue  concur- 
rence, qui  ont  pu  causer  l'irritation  de  M.  Char- 
pentier, et  le  conduire  à  la   menace    d'un   procès 

XXIII.  —  Publ.  dans  le  Journal  de  La  librairie,  du  i8  juillet  i84o. 


l830   NOVEMBllE    i8'ji  97 

imae^iiiaire,  il  me  suffira  de  relever  les  inexactitu- 
des qu'il  s'est  permises  en  parlant  de  mon  travail. 

Le  litre  des  deux  Faust  n'est  pas  à  M.  Cliarpen- 
ier,  mais  à  tout  le  monde,  puisqu'il  existe  deux 
Faust  de  Goethe  et  qu'il  est  impossible  de  les  inti- 
tuler autrement. 

Est-il  de  bon  goût,  de  la  part  de  M.  Charpentier 
(pour  nous  servir  d'une  de  ses  expressions),  d'avoir 
payé  des  réclames  dans  les  journaux  pour  discré- 
diter notre  édition,  en  annonçant  qu'elle  ne  conte- 
nait que  trois  scènes  an  secorvà  Faust  ;  tandis  qu'elle 
coiilient  toute  la  seconde  partie  de  Faust,  qui 
parut  du  vivant  de  l'auteur,  en  1828,  traduite  en 
entier  et  littéralement  pour  la  première  fois  (voir  de 
la  page  192  à  la  page  243).  Il  est  vrai  que  l'œuvre  a 
été  augmentée  et  complétée  depuis,  dans  les  édi- 
tions posthumes  de  Goethe;  mais  j'ai  donné  de 
plus  six  scènes  principales  de  ce  complément, 
expliquées  et  réunies  par  une  introduction  et  une 
analyse  fort  longues,  le  tout  formant  118  pages 
compactes,  dans  un  volume  où  l'ancien  Faust 
(3"  édition)  en  tient  167  seulement. 

Je  sais  que  M.  Blaze,  qui  est  un  jeune  poète 
plein  de  science  et  de  talent,  est  aussi  contrarié 
que  moi  de  cette  discussion  toute  commerciale.  Il  a 
dû  compter  sur  le  charme  de  ses  vers  pour  donner 
de  la  valeur  à  certaines  scènes  obscures  ou  faibles 
du  Faust  posthume,  (jue  j'ai  désespéré  de  rendre 


CORRESPONDANCE 


en  prose  d'une  manière  satisfaisante  ;  mais  il  ne 
nierait  pas  le  droit  que  j'ai  eu  de  les  élag-uer,  droit 
dont  usèrent  souvent,  vis-à-vis  d'ouvrages  plus 
célèbres  encore,  MM.  Séveling-e,  de  Sainte-Aulaire 
Loève-Veimar,  et  d'autres  traducteurs  de  premier 
ordre,  qui  savent  que  peu  d'ouvrages  étrangers  peu- 
vent, sans  coupures,  satisfaire  le  goût  du  lecteur 
français  ;  1 3o  pages  de  traductions  des  cliefs-d  œu- 
vre de  la  poésie  allemande  m'ont  paru  pouvoir  offrir 
au  public  une  satisfaisante  compensation. 

Agréez,  etc. 

GÉRARD. 


XXIV 

A   MARIE  DE  l'epINAY  (74) 

28  [juillet  i84o]. 

Madame  la  comtesse, 
Je  suis  forcé  de  vous  prier  de  m'excaser  encore. 
Peut-être  savez-vous  que  j'ai  des  lettres  de  voyage 
qui  paraissent  en  ce  moment  dans  la  Presse  (76). 
Celaserafini  dans  deuxjours.  Le  pire  est  que  cela  me 
distrait  de  l'agencement  des  scènes  du  scénario.  Je 
crois  que  samedi  je  pourrai  vous  porter  ce  petit 
travail.  Y  avez-vous  pensé  de  votre  côté  ? 
Votre  bien  dévoué  serviteur, 

Ce   28.  GÉRARD. 


i 


l830     —    NOVEMBRE    l84l 


XXV 


A  MARIE  DE  L  EPINAY 


[i4  août  iH4o]. 

J'ai  encore  à  m'accuser,  Madame,  d'être  bien 
coupable  envers  vous.  En  revenant  de  la  campa- 
gne où  j'étais  depuis  dimanche,  je  reçois  une  lettre 
de  M.  de  Girardin,  qui  me  demande  le  feuilleton 
pour  aujourd'hui,  à  cause  d'une  fête  qui  aura  lieu 
dimanche.  Demain,  je  me  mettrai  à  écrire  pour 
vous  et  après  demain,  au  plus  tard,  vous  recevrez  le 
scénario.  Pardon  encore  une  fuis. 
Votre  bien  dévoué  serviteur, 

GÉRARD. 

Ce  i/j  août. 


XXVI 

A  MARIE  DE    l'ePINAY 

[i4  septembre  i84o.] 
Madame, 
Mille  pardons  encore  une  fois;  je  n'ai  point  vu 
Foucher  dont  j'ai  encore  deux  actes  à  lire  (76).  Je 

XXV.  —  Cachet  de  la  poste. 

XXVI.  —  Cachet  de  la  poste. 


CORKESPONDANCE 


pense  le  voir  ce  soir  au  Palais-Royal.  Sinon,  j'irai 
le  trouver  chez  lui.  Avez-vousvu  dans  le  Messager 
un  article  sur  vous  qui  a  dû  paraître  ?  Thierry  m'a 
dit  qu'il  avait  reçu  votre  volume  (77),  mais  que 
ceux  de  Madame  votre  mère  ne  lui  étaient  point 
parvenus  (78).  Peut-être  ont-ils  été  perdus  au 
bureau  du  journal.  Je  tâcherai  de  vous  aller  voir 
demain  ou  après  demain,  après  avoir  vu  Foucher. 
Votre  bieu  dévoué  serviteur, 

GÉRARD. 

Ce  14. 

Mes  compliments  sur  vos  charmants  feuille- 
tons, dans  le  Grand  Journal  ! 


XXVII 

AU  D""  LABRUNIK 

Anvers,  le  22  octobre  i84o. 

Mon  cher  papa. 
Je  t'écris  sur  du  papier  d'Anvers,  portant  les 
belles  armes  de  cette  cité.  Je  ne  comptais  t'écrire 
que  de  Rotterdam, mais  le  temps  est  si  mauvais  que 
je  n'ai  pu  prendre  le  bateau  à  vapeur.  Si  le  temps  ne 
s'améliore  pas,  je  prendrai  la  route  de  terre.  D'ail- 

xxvii.   —   Publ.  par  L.  de  Bare,  Nouvelle  Revue  internalionale, 
1 5  juin  1894. 


l83o    —    NrJVEMUUR     l8'|I 


leurs  je  me  suis  arrêté  à  peu  j)rès  daus  tous  les 
endroits  où  j'ai  passé,  tant  en  France  qu'en  Bel- 
gique, à  Lille,  à  Courtrai, à  Bruxelles  et  à  Malines. 
Depuis  mon  départ,  je  n'ai  eu  que  deux  jours  avec 
un  peu  de  soleil  ;  il  règne  souvent  des  vents  ter- 
ribles. 

Je  comptais  voir  la  représentation  de  Piqiiillo 
(79)  à  Bruxelles,  mais  la  plupart  des  acteurs  sont 
indisposés,  et  l'on  ne  jouera  peut-être  pas  avant  un 
mois,  de  sorte  qu'il  est  peu  probable  que  je  le  voie, 
même  en  repassant.  J'ai  trouvé  ici  une  foule  de 
p<*rsonnes  qui  me  connaissent  de  réputation  et  qui 
me  réparent  un  peu  l'ennui  de  la  mauvaise  saison. 
On  m'invite  à  dîner  tous  les  jours,  et  je  trouve 
tous  les  journaux  et  les  livres  dans  le  cercle  de  la 
ville  où  l'on  m'a  présenté.  En  outre,  on  m'a  donné 
mes  entrées  dans  les  théâtres,  ce  qui  assure  mes 
soirées.  J'ai  rencontré  ici  un  de  nos  grands  acteurs. 
Bocage,  qui  est  en  congé.  Il  a  donné  hier  sa  pre- 
mière représentation. 

Je  regrette  bien  que  le  retard  de  Théophile  (80) 
ne  m'ait  pas  permis  de  venir  plus  tôt.  Cependant, 
toutes  les  feuilles  sont  aux  arbres  et  le  temps  n'au- 
rait qu'à  s'éclaircir  pourj  que  les  points  de  vue 
devinssent  très  agréables.  Hier  même,  en  venant 
par  le  chemin  de  fer,  j'admirais  ces  belles  plaines 
et  ces  villes  gothiques  étonnantes,  sous  quelques 
rayons  de  soleil.  Aujourd'hui  j'ai  vu  le  musée  de 

7- 


CORRESPONDANCE 


Rubens  et  la  cathédrale,  mais  il  fait  un  temps  gris 
depuis  ce  matin. 

Adieu,  mon  cher  papa,  peut-être  ne  serai-je  pas 
longtemps  dans  cette  tournée, à  moins  qu'il  ne 
survienne  des  beaux  jours,  ce  qu'on  serait  en  droit 
d'attendre  cependant,  au  20  octobre.  L'année  der- 
nière, j'avais  de  très  beaux  temps  un  mois  plus 
tard,  et,  l'année  d'avant  encore,  étant  à  Goblentz, 
presque  sous  la  même  latitude, nous  nous  trouvions, 
pour  ainsi  dire,  dans  la  saison  d'été.  Anvers  est 
toujours  une  admirable  ville,  dans  tous  les  temps. 

Je  te  prie  d'avoir  la  complaisance  d'envoyer  la 
lettre  ci-jointe  en  l'affranchissant,  je  ne  puis  le 
faire  ici.  C'est  pour  réparer  l'oubli  d'une  visite  au 
commissaire  royal  (81),  qui  m'avait  demandé  une 
pièce  et  m'avait  été  très  favorable  dans  mes  rela- 
tions de  journaux. 

Adieu,  je  t'embrasse  de  tout  mon  cœur. 

Ton  fils, 

G.    LÂBRUNIE. 

XXXVIII 

A   HENRI  HEINE 

Bruxelles  6  novembre  i84o' 
. . .  J'ai  profité  des  loisirs  que  le  mauvais  temps  m'a 

XXVIII.  —  Publ.  par  M"'^  J.  Cartier,  Un  intermédiaire  entre  la 
France  et  l'Allemagne,  Gérard  de  Nerval,  p,  77. 


i83o  —  NovEMniiii   iS/ji  io3 

laissés  souvent, pour  traduire  leplusque  j'aipu(82). 
Cependant,  je  n'ai  encore  qu'un  tiers, environ.  Mais 
en  redoublant  de  travail,  lorsque  j'arriverai,  je 
pourrai  n'avoir  g-uère  dépassé  les  deux  mois..- 
J'éprouve  parfois  de  g^randes  difficultés,  moins 
pour  comprendre  que  pour  rendre  et  j'ai  laissé  plu- 
sieurs aens  douteux,  afin  de  vous  les  soumettre.  J'ai 
même  quelquefois  passé  provisoirement  les  pièces 
trop  difficiles  que  j'ai  rencontrées.  L'admirable 
richesse  de  certains  détails  me  laisse  parfois  dans 
l'incertitude  si  je  dois  germaniser  la  phrase  ou 
rendre  par  un  équivalent  français  ;  mais  comme 
vous  m'avez  promis  votre  aide,  j'ai  laissé,  comme 
je  vous  le  disais,  les  points  les  plus  graves  pour  vous 
les  soumettre,  de  manière  seulement  à  ne  pas  vous 
faire  perdre  trop  de  temps... 


XXIX 

AIT    D'    LABRUNIE 

Liège,  ce  17  novembre  i84o. 
Mon  cher  papa, 
Depuis  ma  dernière  lettre  d'Anvers,  j'ai  fait  en- 
core une  assez  grande   tournée  ;  cependant  je  suis 
resté  quelque  temps  à  Bruxelles  et  à  Gand,  j'ai  vu 

XXIX.  —  Publ.  par  A.  Houssaye,  (a  Presse,  24  septembre  i8G5. 


I04  CORRESPONDANCE 


les  répétitions  de  l'une  de  mes  pièces  avec  Dumas, 
Piquillo,  qui  sera  représentée  la  semaine  prochaine; 
le  directeur  aussi  m'a  donné  mes  entrées  aux  deux 
théâtres;  on  m'a  présenté  au  Casino,  ce  qui  m'a 
rendu  mes  après-midi  et  mes  soirées  très  ag-réables 
tout  le  temps  de  mon  séjour. Les  recommandations 
que  j'avais  m'ont  procuré  aussi  une  société  fort 
aimable  qui  s'est  étendue  de  telle  sorte  qu'avant 
mon  départ  je  n'ai  pu  répondre  à  toutes  les  invita- 
tions. Il  est  remarquable  que  les  g-ens  de  lettres 
français  sont  particulièrement  bien  accueillis  à 
l'étranger  ;  à  Paris,  la  supériorité  de  fortune  ou 
de  position  nous  domine  toujours  et  nous  rend  le 
g-rand  monde  peu  attrayant  ;  partout  ailleurs,  au 
contraire,  nous  avons  la  double  recommandation 
de  Français  et  d'organes  de  la  publicité  ;  les  som- 
mités politiques  d'un  pays  comme  celui-ci  sont  tout 
au  plus  à  notre  niveau  et  dépendent  jusqu'à  un  cer- 
tain point  de  notre  appréciation  de  voyageurs  feuil- 
letonistes. Du  reste,  je  n'ai  encore  envoyé  qu'une 
lettre,  mon  travail  de  traduction  pour  Henri  Heine 
m'ayant  pris  une  partie  de  mon  temps.  Je  craignais 
beaucoup,  comme  je  te  le  disais  avant  de  partir, 
que  le  climat  ne  me  fût  défavorable  ;  mais,  à  part 
quelques  maux  de  tête,  les  premiers  jours,  je  me 
suis  trouvé  très  bien.  Seulement,  tout  le  temps 
que  je  suis  resté  dans  la  Flandre  proprement 
dite,  j'ai  senti  que  l'air  était  lourd,  ce  qui  rendait 


i83o  —  NOvnMB[\E   184 1  io5 

même  mon  travail  assez  pénible.  J'en  éprouve  la 
ditrérence  ici  à  Liège,  qui  est  un  pays  d'une  toute 
autre  nature  comme  mœurs,  comme  aspect  et 
comme  langage.  Les  bords  de  la  Meuse  offrent  des 
promenades  ravissantes;  j'ai  pu  même  aller  voir 
Spa,à  six  lieues  d'ici,  mais  il  n'y  a  plus  personne; 
ce  n'est  pas  qu'il  fasse  froid,  mais  la  saison  des 
pluies  renvoie  tous  les  l^aigneurs.  Je  ne  sais  encore 
si  j'irai  à  Aix-la-Chapelle;  il  n'y  a  que  sept  à  huit 
heures  de  voyage,  mais  on  ne  me  dit  pas  que  ce 
soit  fort  curieux  autrement  que  par  les  souvenirs, 
d'autant  que  j'ai  vu  le  pays  déjà  d'un  autre  côté,  il 
y  a  deux  ans. 

J'ai  profité  de  mon  séjour  à  Bruxelles  pour  faire 
un  travail  sur  la  contrefaçon  (83);  je  crois  avoir 
trouvé  un  moyen  de  résoudre  la  question  et  j'en 
présenterai,  en  revenant,  un  mémoire.  Il  s'agirait 
seulement  d'obtenir  que  la  Chambre  assimilât  les 
produits  littéraires  aux  produits  industriels,  et 
qu'on  pût  prendre,  pour  ainsi  dire,  un  brevet  d'im- 
portation. J'ai  vu  à  ce  sujet  le  ministre  des  travaux 
publics,  M.  Rogier,  et  il  ne  m'a  point  fait  d'objec- 
tions sérieuses.  Y  trouverai-je  matière  à  une  mis- 
sion comme  celle  dont  j'ai  été  chargé  l'année  der- 
nière :  je  m'en  occuperai  à  mon  retour. 

On  s'occupe  beaucoup  de  magnétisme  (84)  dans 
ce  pays.  J'ai  assisté  à  une  séance  où  une  dame 
magnétisée  donnait  des  consultations:  il  paraît  que 


106  CORRESPONDANCE 


les  femmes  ne  veulent  plus  d'autres  médecins: 
elles  y  ont  une  foi  imperturbable.  Du  reste,  je  n'ai 
rien  vu  de  très  surprenant. 

Liège  me  plaît  beaucoup.  Hier,j'ai  fait  une  prome- 
nade magnifique  sur  les  hauteurs  d'où  l'on  décou- 
vre toute  la  vallée  de  la  Meuse  et  la  ville  entière, 
comme  sur  une  carte.  Ce  soir,  j'irai  voir  M.  Kauff- 
mann,  administrateur  du  trésor,  auquel  je  suis 
recommandé,  et  qui  doit  me  présenter  au  Casino  ; 
malheureusement,  depuis  hier,  le  temps  s'est  remis 
à  la  pluie,  et  j'aurai  besoin  de  cette  distraction.  Je 
suis,  du  reste,  fort  heureux  dans  monvoyage,car  le 
temps  est  toujours  fort  doux,  et  si  la  pluie  est  fré- 
quente, le  beau  temps  l'est  aussi.  Hier,  en  montant 
les  hauteurs, il  me  semblait  être  aux  premiers  jours 
du  printemps;  après  huit  mois  de  travail  et  de 
feuilleton  parisien,  ce  voyage  me  rafraîchit  un  peu 
l'esprit  et  je  me  sens  tout  plein  de  courage  et  de 
bonne  volonté.  Je  repartirai  dans  quelques  jours 
pour  Namur  et  je  serai  à  Paris  vers  la  fin  du  mois, 
en  visitant  une  partie  de  la  France  que  je  ne  con- 
nais pas;  ce  sont  les  noires  Ardennes  qui  m'ou- 
vrent les  bras  de  ce  côté  et  je  regrette  de  voir  pres- 
que tomber  les  feuilles  de  ces  belles  forêts. 

Adieu  et  à  bientôt,  mon  cher  papa. 

Ton  fils  affectionné, 

G.    LAIÎRUNIE. 


l83o    NOVEMBRE     I 84 I  I O7 

Si  tu  avais  ù  m'écrire,  je  suis  à  Liège,  hôtel  de 
la  Ponimeletle,  ensuite  à  Namur. 


XXX 

A  EUGÈNE  DE  STADLER 

[7  décembre  i84o.] 

Mon  cher  Stadler, 

Je  suis  pris, mon  ami  —  leGirardin  m'a  manqué; 
mon  éditeur  est  en  fuite;  me  voilà  à  Bruxelles  atten- 
dant de  quoi.  Le  pis  est  relatif  à  l'A...;  envoyez- 
lui  la  note  ci-jointe.  Je  lui  ai  donné  assez  d'argent 
cet  été  pour  qu'il  se  calme,  d'autant  qu'il  m'a  floué 
cent  francs  que  j'ai  {)ayés  au  mois  de  juin  de  trop 
—  sur  quoi  je  l'attaquerais  devant  les  tribunaux 
et  pour  usure,  s'il  faisait  le  méchant.  Dites-le-lui 
s'il  se  plaint.  Heureusement,  je  me  remets  à  tra- 
vailler et  je  serai  revenu  dans  quelques  jours,  j'es- 
père, ou  j'enverrai  toujours  une  cinquantaine  de 
livres  dans  une  quinzaine.  La  trahison  du  Girardin 
cause  tous  mes  malheurs;  pourtant  que  faire  autre- 
ment? J'ai  voyage  [)0ur  trouver  des  sujets  do  feuil- 
h'foiis  et  l'on  m'arrête  mon  argent. 

Adieu, envoyez  ce  mot  à  l'h  si  dans  if)  jours 

XXX.  —  Date  de  la  poste. 


CORRESPONDANCE 


il  ne  reçoit  pas  la  somme,  je  le  réglerai  comme  j'ai 
fait  déjà,  — par  semaine.  A  bientôt. 
Votre  bien  affectionné, 

GÉRARD. 

Ce  7  décembre. 

—  M...  est  revenu  au  cabinet  du  ministre.  J'ai 
demandé  la  continuation  de  ma  mission  de  l'année 
dernière,  et  je  ne  doute  pas  d'obtenir  au  moins 
quelque  chose,  puisque  je  ne  me  suis  pas  rattaché 
aux  précédents. 

Mettez  l'adresse  exacte  d'A... 

Suscription   :   A  Monsieur  Eugène  de  Stadler 
Aux  archives  royales  de  France 
au  3farais 
ou  Quai  Napoléon,  n°  lo,  à  Paris. 


XXXI 

A  HIPPOLYTE    LUCAS 

[Décembre]  i84o. 

Mon  cher  ami, 
Je  vous  envoie  un  volume    que  je  vous  recom- 
mande pour  le  Siècle  ou  le  National  (85).  J'en  ai 

XXXI.  —  Publ.par  H.  Lucas,  Portraits  et  Souvenirs  littéraires . 


l830    NOVEMBRE    iS.^I  lOQ 

envoyé  un  à  l'Artiste.  Vous  le  lirez,  n'est-ce  pas, 
mon  ami  ?  J'y  compte  bien. 

Je  suis  en  ce  moment  à  Bruxelles,  fort  agréable- 
ment et  au  milieu  des  sociétés  les  plus  charmantes. 
On  vient  de  représenter  Piquillo  et  je  n'ai  pas 
besoin  de  vous  dire  que  j'en  ai  profité  pour  revoir 
une  charmante  dame  que  vous  connaissez.  Je  vous 
écrirai  encore  dans  quelques  jours, et  je  vous  deman- 
derai quelque  autre  service  semblable  pour  elle.  Je 
vous  préviens. 

Adieu,  mon  cher  ami, 

GÉRARD   DE  NERVAL. 


XXXII 

A  STADLER 

Ce  vendredi  [3  janvier  i84i]. 

Mon  cher  Stadler, 
J'arrive.  Vous  n'y  êtes  point  —  n'importe.  —  Le 
plus  important  est  ceci.  J'ai  rencontré  hier  le 
A...  Il  est  charmé  de  me  voir  de  retour,  il  demande 
à  tout  arranger.  Il  nous  donne  rendez-vous  lundi  de 
6  à  I  h.  I  /  2  .Je  lui  portecent  francs  don!  je  lui  donnerai 
5o,  et  00  à  vous  —  tout  en  renouvelant  les  billets 
en  totalité.  C'est  convenu.  Je  suis  tellement  forcé 
de  travailler  vite  pour  avoir  la  somme,  que  je  n'ai 


CORRESPONDANCE 


pas  un  moment.  Dans  tous  les  cas,  je  viendrai  vous 
prendre  ici  à  i  heure,  lundi.  N'ayez  nulle  inquié- 
tude sur  les  billets  de  ce  jour-là,  puisque  c'est  con- 
venu avec  lui.  Je  tâcherai  toujours  de  venir  avant, 
mais  j'aurai  l'argent  assurément  (86). 

G. 


XXXIII 

A    ALEXANDRE   WEILL 

5  mars  [i84i]. 
MoncherWeill(87) 
Je  vous  ai  écrit  avant-hier.  Si  vous  n'avez  pas 
reçu  ma  lettre,  venez  vite  me  voir,  rue  Picpus,n^  6, 
près  la  barrière  du  Trône  chez  Madame  Veuve 
Morel;  tâchez  de  venir,  au  plus  tard,  dimanche.  J'ai 
eu,  comme  vous  savez,  une  courte  maladie,  terminée 
depuis  cinq  à  six  jours.  Je  suis  en  pleine  convales- 
cence, venez  vite.  J'ai  besoin  de  vousparler.  Deman- 
dez M.  Gérard.  Depuis  lo  heures  du  matin  jusqu'à 

5  heures. 

Adieu  et  à  vous  de  cœur, 

GÉRARD. 

Ce  5  mars. 

Suscription  :  A   Monsieur  A.   Weill, 

rue  du  Croissant  hôtel  du  — 

après  les  bains.  Paris, 


l83o    NOVEMBUE    l84l 


XXXIV 

A  JULES  JANIN  (88) 

iG  mars  i84i. 

Il  fait  si  beau  que  l'on  ne  peut  se  rencontrer  ni 
s'embrasser  dans  les  maisons.  Je  vais  tâcher  de 
revenir.  Addio. 

Ilcar.  G.  Nap.  délia  lorre  Brunya.  Ce  iG  mars. 


XXXIV.  —  Putjl.par  M.  Ck'incnl  Janin,  Dédicaces  cl  Lellrea  auto- 
graphes. 


II 


NOVEMBRE  i84i  —AOUT  i853 


Le  second  séjour  à  Vienne,  i84i-42  ('?). —  Voyage  en  Orient,  décem- 
bre 42-décembre  43.  —  Voyage  à  Londres,  i845.  —  Les  Femmes 
du  Caire,  1848.  —  Les  Monténégrins,  mars  1849.  —  ^*  Chariot 
d'enfant,  mai  i85o.  —  Voya^^e  en  Allemag-nc,  août  i85o. —  Excur- 
sions dans  le\alois,  novembre  i85o. —  Le  Voyage  en  Orient,  i85i. 
—  L'imagier  de  Harlem,  décembre  i85i.  —  Voyage  en  Belgique 
et  Hollande,  mai  i852.  —  Les  Illuminés  et  Lorely,  1862. —  Petits 
châteaux  de  Bohème,  i853.  —  Séjour  dans  le  Valois,  printemps 
i853.  —  Sylvie,  août  i853.  —  Deuxième  crise,  26  août  i853. 


XXXV 

A   MADAME  ALEXANDRE     DUMAS  (89) 

Le  9  novembre  [184 1]. 

Ma  chère  Madame, 
J'ai  rencontré  hier  Dumas,  qui  vous  écrit  au- 
jourd'hui. Il  vous  dira  que  j'ai  recouvré  ce  que  l'on 
est  convenu  d'appeler  raison,  mais  n'en  croyez 
rien.  Je  suis  toujours  et  j'ai  toujours  été  le  même, 
et  je  m'étonne  seulement  que  l'on  m'ait  trouvé 
changé  pendant  quelques  jours  du  printemps  der- 
nier. L'illusion,  le  paradoxe,  la  présomption  sont 
toutes  choses  ennemies  du  bon  sens,  dont  je  n'ai 
jamais  manqué.  Au  fond,  j'ai  fait  un  rêve  très 
amusant,  et  je  le  regrette  ;  j'en  suis  même  à  me 
demander  s'il  n'était  pas  plus  urai  (juc  ce  qui  me 
semble  seul  explicable  et  naturel  aujourd'hui.  Mais 
comme  il  y  a  ici  des  médecins  et  des  commissaires 
qui  veillent  à  ce  qu'on  n'étende  pas  le  champ  de 
la  poésie  aux  dépens  delà  voie  publique,  on  ne  m'a 
laissé  sortir  et  vaguer  définitivement  parmi  les 
g-ens  raisonnables  que  lorsque  je  suis  convenu  bien 

xx.\v.  —  Revue  des  Documenls  historiques,  1878. 


Il6  CORRESPONDANCE 


formellement  d'avoir  été  malade,  ce  qui  coûtait 
beaucoup  à  mon  amour-propre  et  même  à  ma  véra- 
cité. Avoue  !  avoue  1  me  criait-on,  comme  on  fai- 
sait jadis  aux  sorciers  et  aux  hérétiques,  et  pour 
en  finir,  je  suis  convenu  de  me  laisser  classer  dans 
une  ajjection  définie  par  les  docteurs  et  appelée 
indifféremment  Théomanie  ou  Démonomanie  dans 
le  Dictionnaire  médical.  A  l'aide  des  définitions 
incluses  dans  ces  deux  articles,  la  science  a  le  droit 
d'escamoter  ou  réduire  au  silence  tous  les  prophè- 
tes et  voyants  prédits  par  l'Apocalypse,  dont  je 
me  flattais  d'être  l'un  1  Mais  je  me  résigne  à  mon 
sort,  et  si  je  manque  à  ma  prédestination,  j'accu- 
serai le  docteur  Blanche  d'avoir  subtilisé  l'esprit 
divin. 

Je  vous  trouve  bien  heureuse  d'être  en  Italie  à 
l'heure  qu'il  est.  J'ai  voulu  faire  un  petit  voyag-e 
jusqu'à  la  mer,  pour  profiter  au  moins  des  derniè- 
res feuilles  de  l'automne,  mais  le  mauvais  temps 
m'a  fait  vite  revenir  à  Paris.  Voici  Dumas  à  la  veille 
de  grands  succès  ;  on  l'applaudit  déjà  depuis  un 
mois  comme  aux  plus  beaux  temps  du  drame  mo- 
derne, et  cela  est  de  bon  augure  assurément  (90). 
Que  je  voudrais  pouvoir  me  réchauffer  encore  à  ce 
rayon  ;  mais  je  me  trouve  tout  désorienté  et  tout 
confus  en  retombant  du  ciel  où  je  marchais  de 
plain-pied,il  y  a  quelques  mois.  Quel  malheur  qu'à 
défaut  de  gloire  la  société  actuelle  ne  veuille   pas 


NOVEMBRE     »84l    AOUT    1 853  II7 

toutefois  nous  permettre  l'illusion  d'un  rêve  con- 
tinuel. II  me  sera  resté  du  moins  la  conviction  de 
la  vie  future  et  de  la  sympathie  immortelle  des 
esprits  qui  se  sont  choisis  ici-bas.  C'est  en  associant 
toujours  Dumas  et  vous  à  mes  pensées  dans  les 
instants  dangereux  de  ma  maladie,  que  je  me  suis 
convaincu  de  mon  attachement  pour  vous  deux  et 
du  besoin  que  j'ai  de  croire  que  vous  m'avez  con- 
servé toute  votre  amitié. 

GÉRARD. 


XXXVI 

A  STADLER  (91) 

[Novembre  ou  Décembre  i84i .] 

J'apprends  que  vous  êtes  sauf,  moi  aussi,  —  de 
plus  licencié  de  Montmartre. 

Adieu.  GÉR. 

XXXVII 

AU    C    LABRUNIE 

Lyon,  ce  25  décembre  1842. 
Mon  cher  papa, 
Nous  sommes  à  Lyon  en  très  bonne  santéet  nous 

XXXVII.  —  Piibl.  par  L.  de  Bare,  Nouvelle  Revue  internationale, 
3o  juin  1895. 

8. 


IlS  CORRESPONDANCE 

allons  partir  pour  Marseille,  cette  nuit.  Le  temps 
s'est  éclairci,  de  sorte  que  nous  sentons  déjà  l'ap- 
proche et  le  bon  soleil  du  midi.  Notre  route  se 
faisant  désormais  sur  le  bateau  à  vapeur,  sauf  le 
court  trajet  d'Avignon  à  Marseille,  nous  pouvons 
dire  que  le  plus  ennuyeux  et  le  plus  fatig-ant  du 
voyage  est  à  présent  passé. 

Nous  sommes  allés  aujourd'hui  à  Fourvières  et 
comme  c'est  jour  de  fête,  c'était^très^brillant,  La  vue 
était  magnifique  à  ce  beausoleil.  Nos  lits  de  voyage 
et  le  daguerréotype  sont  cause  que  nous  avons  un 
excédent  de  bagage  très  coûteux,  mais  cela  sera 
moins  sensible  sur  les  bateaux. 

Je  t'écrirai  de  Marseille  comment  tu  pourras  me 
faire  parvenir  des  lettres.  Tu  ne  saurais  croire  com- 
bien j'ai  été  affecté  de  te  quitter,  surtout  en  voyant 
que  cela  te  faisait  de  la  peine.  L'humeur  voyageuse 
qui  me  vient  un  peu  de  toi  me  porte  assez  sou- 
vent à  ces  résolutions,  sans  que  l'éloignement  me 
soit  moins  sensible  une  fois  parti.  Mais,  avec  le 
caractère  que  j'ai,  je  me  trouve  souvent  si  malheu- 
reux delà  vie  de  Paris  que  les  personnes  qui  m'ai- 
ment ne  doivent  pas  être  fâchées  que  j'y  échappe 
parfois.  Lequel  vaut-il  mieux,  de  garder  près  de 
soi  son  fils  ou  son  ami  malade  ou  triste,  ou  bien  de 
le  savoir  au  loin,  bien  portant,  gagnant  des  forces 
et  du  savoir  et  satisfait  au  moins  d'un  désir  accom- 
pli. L'hiver  dernier  a  été  pour  moi  déplorable,  l'a- 


NOVEMBRE    I 84 1    AOUT    l853  IIQ 

battement  m'ôtait  les  forces,  l'ennui  du  peu  que  je 
faisais  me  gagnait  de  plus  en  plus  et  le  sentiment 
de  ne  pouvoir  exciter  que  la  pitié  à  la  suite  de  ma 
terrible  maladie  m'ôtait  même  le  plaisir  de  la 
société  (92).  11  fallait  sortir  de  là  par  une  grande 
entreprise  qui  effaçât  le  souvenir  de  tout  cela  et  me 
donnât  aux  yeux  des  gens  une  physionomie  nou- 
velle. Tâche  donc  de  considérer  la  réalisation  de  ce 
projet  comme  un  grand  bonheur  qui  m'arrive  et 
le  gage  d'une  position  à  venir. 

J'ose  â  peine  te  souhaiter  ta  fête  dans  ces  cir- 
constances, et  pourtant  je  vois  désormais  l'avenir 
très  heureux.  Nous  ne  sommes  encore  d'âge  ni  de 
santé  nv  l'un  ni  l'autre  à  nous  inquiéter  d'une  sé- 
paration de  cinq  à  six  mois  :  la  saison  où  je  pars 
rend  presque  impossible  la  perspective  de  mala- 
dies graves  dans  les  pays  où  je  vais  et,  ne  quittant 
pas  les  villes  de  la  côte,  je  ne  crois  courir  aucun 
danger. 

Je  t'écrirai  de  Marseille,  car  nous  avons  bien  peu 
de  temps.  Adieu  donc  et  courage  encore  une  fois. 
J'écris  une  petite  lettre  au  D""  Blanche,  que  je  n'ai 
pu  voir  avant  de  partir. 

Ton  fils  bien  affectionné, 

G.  LABRUNIE. 


CORRESPONDANCE 


XXXVIII 

AU    Dr   LABRUNIE 

Marseille,  ce    le''  [janvier  i8/j3]. 

Mon  cher  papa, 
Je  suis  bien  triste,  en  te  souhaitant  la  bonne 
année,  de  le  faire  de  si  loin.  Nous  voilà  séparés  pour 
bien  du  temps  encore,  et,  en  vérité,  c'est  presque 
le  seul  regret  que  je  laisse  à  Paris  au  moment  d'un 
voyag'c  que  j'entreprends  avec  la  pensée  qu'il  sera 
favorable  à  mon  avenir.  Nous  avons  eu  bien  peu 
de  temps  pour  achever  nos  préparatifs  à  Marseille, 
car  les  bateaux  ont  mis  deux  jours  pour  nous  me- 
ner à  Avignon,  et  le  temps  était  mauvais;  mainte- 
nant, nous  nous  embarquons,  par  un  temps  superbe 
et  par  un  soleil  tout  méridional,  sur  le  Mentor,  qui 
part  à  cinq  heures.  Dans  huit  jours  nous  serons  à 
Alexandrie,  s'il  plaît  à  Dieu.  Nous  emportons  tout 
ce  qu'il  nous  faut,  et  plus  encore,  jusqu'à  des  lunettes 
bleues  et  garnies  contre  la  poussière.  Nous  avons 
été  accueillis  admirablement  ici  ;  Méry  nous  a  fait 
les  honneurs  de  la  ville  (98),  et  rien  ne  nous  a 
manqué  comme  affaires  et  comme  recommanda- 
tions. Je  doutais  encore  ce  matin  que  nous  nous 
embarquions  aujourd'hui  ;  mais  le  beau  temps  nous 

XXXVIII.  —  Publ.  par  A.  Houssaye,  la  Presse,  3  décembre  1862. 


NOVEMBRE     l84l     AOUT     l853 


a  décidés.  Le  vent  est  favorable,  et  nous  arriverons 
très  vite  ;  sois  donc  un  peu  content  de  me  voir  tiré 
de  ma  végétation  de  Paris  pour  des  travaux  utiles 
et  instructifs.  Nous  allons  travailler  l'arabe  sur  le 
bateau.  Nos  livres  sont  très  bons.  Si  tu  as  à  m'écrirc, 
il  faudrait  le  faire  à  Alexandrie,  bureau  restant, 
mais,  je  ne  sais  s'il  faut  affranchir,  ni  ce  qu'il  y  a  à 
faire.  Je  t'en  écrirai  les  détails  en  arrivant,  car, 
comme  lorsque  j'étais  à  Vienne,  j'aurai  les  moyens 
de  rendre  la  correspondance  moins  coûteuse.  Adieu 
donc,  je  t'écris  et  je  t'embrasse,  le  cœur  serré; 
mais  enfin,  cela  vaut  mieux  que  la  maladie,  et 
nous  l'avons  supportée.  Sois  sûr  aussi  que  je 
n'aurai  pas  lieu  de  courir  aucun  danger. 

Adieu  !  reçois  mes  vœux;  partage  un  peu  mes 
espérances  et  aime-moi  toujours. 

Ton  fils  bien  affectueux, 

G.    LABRUNIE. 

Tu  as  reçu  ma  lettre  de  Lyon  ?  J'ai  peur  d'avoir 
oublié  de  mettre  à  Paris. 

XXXLX 

AU    D""    LABRUNIE 

Malte,  ce  8  janvier  i843. 
Mon  cher  papa, 
Je  me  hâte  de  t'écrire  de  Malte,  car  le  plus  dur 

XXXIX.  —  Piibl.  par  L.  de  Barc,  Nouvelle  Revue  internationale, 
3o  juin  1895. 


CORRESPONDANCK 


de  ma  traversée  est  accompli,  à  ce  que  je  crois,  du 
moins.  Nous  avons  eu  un  temps  affreux  depuis 
Marseille,  et  nous  avons  mis  huit  jours  pour  ce 
trajet  qui  n'en  veut  que  quatre  ou  cinq.  Je  suis 
encore  étourdi  du  roulis,  mais  du  reste  en  parfaite 
santé.  Maintenant,  le  temps  est  superbe  et  l'on  nous 
promet  une  mer  très  douce  pour  le  trajet  qui  nous 
reste  à  faire  ;  je  me  suis  d'ailleurs  habitué  très 
vite  à  la  mer  qui,  les  derniers  jours,  ne  me  faisait 
nullement  souffrir.  Hier,  dans  la  soirée,  nous  avons 
traversé  heureusement  le  canal  de  Messine  et,  mal- 
gré Gharybde  et  Scylla,  bien  dégénérés,  nous  som- 
mes entrés  à  La  Valette  aujourd'hui  à  une  heure. 
Malheureusement,  il  était  mort  un  homme  à  bord 
pendant  le  grand  roulis  d'avant-hier,  de  sorte  que 
nous  avons  failli  être  mis  en  quarantaine  et  il  a  fallu 
toujours  attendre  trois  heures  la  permission  de 
prendre  terre. 

C'était  un  Anglais,  officier  de  la  Compagnie  des 
Indes,  qui,  attaqué  de  la  poitrine,  s'en  allait  pren- 
dre les  bains  du  Nil  ;  mais,  la  nuit  de  l'orage,  il  a 
voulu  rester  seul  à  table,  il  a  mangé  beaucoup,  bu 
une  bouteille  de  Champagne  et,  le  lendemain,  on  l'a 
trouvé  mort  dans  son  lit.  De  plus,  un  officier  du 
bord  s'est  cassé  la  tète  en  tombant  d'une  manœu- 
vre. Je  suis  content  d'avoir  quitté  ce  navire  de 
malheur.  Demain,  à  7  heures  du  matin,  c'est  le 
Minos  qui  nous  reprend  pour  l'Archipel,  car  nous 


NOVEMBRE     1 84 I     AOUT     l853  I 23 

sommes  forcés  de  faire  un  coude  jusqu'à  Syra  avant 
d'arriver  en   Eg-ypte.  Il  n'y  a  pas  de  trajet  direct. 

Malle  est  une  lie  superbe  et  charmante;  malheu- 
reusement il  faut  la  quitter  trop  vite  et  nous  n'a- 
vons eu  qu'une  soirée  pour  parcourir  sa  belle  capi- 
tale, la  cité  La  Valette,  où  les  Anglais  dominent. 
C'est  aujourd'hui  dimanche,  de  sorte  que  tout  est 
fermé,  mais  il  y  avait  beaucoup  de  monde  dans  la 
ville  et  sur  les  places,  et  les  musiques  militaires 
s'entendaient  devant  le  palais  et  sur  les  navires  du 
port. 

J'ai  été  agréablement  surpris,  en  entrant  dans  la 
ville,  de  voir  les  fossés  remplis  d'arbres  orientaux 
magnifiques,  de  palmiers,  de  cactus  et  d'orangers 
chargés  d'oranges,  etc..  Quand  nous  avons  passé 
à  Naples,  avant-hier,  c'était  l'hiver  encore  et  le 
Vésuve  était  chargé  de  neige  ainsi  qu'hier  le  Strom- 
boli  et  ce  matin  l'Etna;  mais  ici  le  printemps  appar 
raît,  comme  la  France  ne  l'aura  que  dans  trois 
mois;  nous  avons  mangé  du  melon,  des  primeurs, 
et  dîné  du  reste  un  peu  à  l'anglaise;  l'Angleterre 
gâte  tout  ici. 

Tous  nos  compagnons  de  route  nous  rassurent 
touchant  les  dangers  de  l'Orient,  surtout  en  cette 
saison,  qui,  sauf  l'ennui  et  les  mauvais  temps  que 
nous  venons  de  traverser,  est  vraiment  la  meilleure 
pour  un  pareil  voyage;  mais  peu  de  gens  ont  le  cou- 
rage que  nous  avons  eu  de  partir  en  plein  hiver. 


124  CORRESPONDANCE 


Dans  trois  jours,  nous  espérons  être  à  Syra  et,  trois 
Jours  après,  à  Alexandrie.  Nous  n'avons  encore 
dépensé  que  fort  peu,  relativement,  et  il  faut 
compter  beaucoup  d'achats  de  livres,  armes,  etc., 
ainsi  que  des  choses  relatives  au  dag"uerréotype. 
Je  commence  à  m'essayer  de  parler  arabe  avec  des 
Egyptiens  qui  voyagent  avec  nous  et  qui  faisaient 
partie  de  l'ambassade  d'Artim-bey  (94)-  Gela  est 
bien  plus  facile  que  je  ne  pensais  et  il  est  certain 
que  nos  livres  modernes  simplifient  beaucoup  cette 
étude,  en  nous  donnant  l'exacte  prononciation  ainsi 
que  j'ai  pu  le  vérifier.  J'ai  des  dictionnaires,  une 
g-rammaire  et  des  livres  de  conversation  trouvés,  la 
plupart,  à  Marseille.  Nos  Egyptiens  parlent  l'arabe 
pur;  ainsi  nous  en  saurons,  en  arrivant,  assez  pour 
nous  faire  entendre  sur  les  choses  les  plus  néces- 
saires. Adieu,  mon  cher  papa,  tu  vois  que  tout  va 
pour  le  mieux  et  qu'il  n'y  a  nulle  raison  de  t'alar- 
mer.  Le  Minos  part  demain  par  le  plus  beau  soleil 
possible  et  il  n'y  a  nulle  raison  pour  que  le  temps 
change  en  si  peu  de  jours  qui  nous  restent  à  faire 
par  mer.  Porte-toi  bien,  je  ne  t'écrirai  plus  que 
d'Alexandrie  maintenant,  à  moins  de  circonstances 
particulières  d'ici  à  Syra.  Ainsi  tu  ne  peux  avoir  de 
mes  nouvelles  avant  trois  semaines  ou  un  mois, 
puisque  les  lettres  mettent  quinze  jours  d'Alexan- 
drie à  Marseille,  plus  les  quatre  jours  de  Marseille 
à  Paris. 


NOVEMBRE  1841  —  AOUT  l853  125 

Adieu  donc  et  à  bientôt. 

Je  l'ombrasse  de  tout  mon  cœur. 

G.   LABRU.NIE. 

Alexandrie,  ce  i6  janvier  i8/(:^. 

Mon  cher  papa, 
Ma  lettre  n'a  pu  partir  de  Malte  ;  la  poste  était 
terminée  et,  de  Syra,elle  ne  serait  pas  arrivée  plus 
tôt.  Tu  seras  plus  content  de  la  recevoir  d'Alexan- 
drie, puisque  me  voici  arrivé  et  en  bonne  santé.  Je 
vais  seulement  monter  Je  Nil  jusqu'au  Caire  où  tu 
pourras  m'écrire  bureau  restant  :  je  ne  sais  encore 
où  nous  log^erons.  Nous  venons  de  traverser  l'Ar- 
chipel, nous  arrêtant  seulement  à  Syra,  puis  nous 
sommes  arrivés,  après  quatre  jours  encore  de  tra- 
versée,depuis  Syra. C'est  donc  quinze  jours  en  tout. 
La  ville  est  très  belle  et  nous  sommes  très  bien 
log-és.  C'est  un  peu  cher  à  cause  de  l'épizootie,  mais 
d'ailleurs  tout  est  très  sain  et  il  n'y  a  nul  danger 
de  peste.  Je  t'écrirai  maintenant  du  Caire.  Je  te  prie 
d'envoyer  cette  petite  lettre  à  Belleville  en  la 
cachetant.  Adieu,  mon  cher  papa,  et  encore  une 
fois  bonheur  et  santé. 

GÉRARD. 


CORRESPONDANCE 


XL 

AU    Dr    LABRUNIE 

Le  Caire  [avril  i843]. 

Dans  deux  jours,  Ibrahim-Pacha  (95)  nous  a  promis 
de  nous  conduire  lui-même  à  Gizeh  et  aux  Pyrami- 
des. M.  Perron  (96)  nous  a  fait  recevoir  à  la  Société 
égyptienne  où  nous  avons  tous  les  livres  possibles 
concernant  l'Eg-ypte,  ce  qui  me  permet  d'étudier  à 
mesure  que  je  vois  les  choses.  Il  s'était  répandu 
quelques  bruits  de  peste  à  Malte  et  à  Syra  qui  nous 
avaient  un  peu  effrayés  pendant  notre  traversée, 
mais  ici  il  se  trouve  qu'il  ne  se  trouve  absolument 
rien;  jamais  la  santé  n'a  été  si  bonne  et  jamais 
aussi  la  mienne  n'a  été  meilleure  que  depuis  le 
commencement  de  ce  voyage.  Il  est  vrai  que  je  suis 
un  régime  excellent  en  ne  mangeant  que  des  choses 
très  simples  et  en  ne  faisant  aucune  sorte  d'excès. 
La  mortalité  des  bœufs  a  rendu  la  viande  très 
chère,  mais  la  volaille  est  à  trèsbon  marché  et  l'on 
mange  aussi  beaucoup  de  riz  et  de  légumes.  Nous 
avons  des  petits  pois  verts  excellents.  Quant  aux 
fruits,  ce  n'en  est  pas  la  saison,  et  nous  n'avons 
mangé  que  des  dattes  fraîches  à  Alexandrie  et  des 
bananes  qui  sont  délicieuses;  mais  au  Caire  on  n'en 

XL.  — Publ.  par  A.  Houssaye,  la  Presse,  3  décembre  1862, 


NOVEMBRE  l84l  —  AOUT  l853  127 

peut  plus  trouver.  Le  temps  est  toujours  magnifique 
et  représente  constamment  un  été  d'Europe, ou, tout 
au  moins,  un  printemps.  La  verdure  et  les  fleurs 
sont  éternelles  dans  ces  heureux  pays  ;  je  traverse 
tous  les  jours,  dans  la  ville  même,  des  jardins  déli- 
cieux. Toutefois  nous  n'allons  pas  tarder  à  nous 
mettre  en  route  pour  visiter  encore  quelques 
points  du  pays  et  nous  diriger  ensuite  vers  la  Syrie, 
afin  d'être  à  Jérusalem  aux  fêtes  de  Pâques.  C'est 
le  plus  beau  moment  pour  voir  cette  ville;  ensuite, 
nous  iK)us  dirigerons  vers  Damas  et  Beyrouth.  Ce 
sont  des  pays  maintenant  tellement  frayés  qu'on  y 
voyage  comme  en  Europe.  Ainsi  toutes  les  crain- 
tes qu'on  nous  donnait  sur  l'Egypte  se  sont  dissi- 
pées en  approchant  ;  cela  remonte  à  des  époques 
de  guerre  et  de  désordre  qui  ne  sont  plus.  Les  gens 
au  milieu  desquels  nous  vivons  sont  d'une  douceur 
admirable;  ce  serait  le  meilleur  peuple  de  la  terre 
sans  son  avidité  pour  le  bachiz  (le  pour-boire).  La 
ville  est  très  grande  et  les  courses  fort  longues, 
mais  il  y  a  un  service  d'ânes  fort  commode  dont 
tout  le  monde  se  sert.  Ils  sont  beaucoup  plus  forts 
qu'en  Europe  et  vont  très  vile,  de  sorte  qu'on  ne 
se  fatigue  ni  ne  s'échautfe  à  courir.  Cela  coûte 
environ  cinq  sous  l'heure  ;  il  est  presque  impossible 
d'aller  à  pied. 

Après  tout,  il  y  a  des  heures  bien  ennuyeuses  et 
bien  tristes  dans  cet  isolement  :  j'ai  pensé  à  toi  bien 


Î28  CORRESPONDANCE 


souvent,  et  mon  âge  me  fait  plus  sentir  l'ennui  d'ê- 
tre si  loin.  J'espère  que  nous  pourrons  être  de 
retour  pour  le  mois  de  juillet,  ayant  fait  la  tournée 
complète  et  amassé  de  bons  sujets  de  travail.  Je 
suis  très  content,  dans  cette  circonstance,  que  tu 
aies  pu  décider  M"^  Delile  à  venir  te  tenir  compa- 
gnie. Tu  vois,  du  reste,  qu'il  n'y  a  plus  d'inquié- 
tudes à  avoir,  puisque  nous  n'avons  plus  mainte- 
nant qu'à  revenir  par  terre,  par  Gonstantinople  et 
le  Danube.  Quant  au  climat,  l'épreuve  est  faite,  et 
ma  santé  n'a  pas  été  ébranlée  un  seul  instant. 
Adieu,  la  poste  part  aujourd'hui,  après  un  retard 
de  quinze  jours.  Je  pense  que  cette  lettre  t'arrivera 
dans  vingt  jours  au  plus  et  vingt  jours  après  la 
précédente.  Je  t'écrirai  encore  avant  de  quitter 
l'Egypte. 

Ton  iîls  bien  affectionné, 

G.  LABRUNIE. 


XLI 

AU  D^   LABRUNIE 

Le  Caire,  le  2  mai  i843. 

Mon  cher  papa. 
Je  pars  aujourd'hui  du  Caire  pour  la  Syrie  ;  je 
ne  sais  si  je  trouverai  quelque  lettre  de  toi  à  Bey- 

xLi.  —  Publ.  par  A.  Houssaye,  la  Presse,  3  décembre  1862. 


NOVEMBRE    184 I    —    AOUT    |853  1 SQ 

routh,  mais  il  n'en  est  pas  venu  ici.  Peut-être  n'as- 
tu  pas  reçu  toutes  mes  lettres,  ou  celle  que  tu  as 
pu  m'écrire  s'est-elle  perdue  ;  la  poste  est  si  mal 
organisée  que  cela  est  fréquent.  Enfin  écris-moi 
encore  une  fois  à  Beyrouth,  l'eusses-tu  fait  déjà  ; 
c'est  là  que  je  vais  et  compte  m'arréter  deux  mois. 
J'ai  passé  toute  la  saison  en  Egypte  sans  éprouver 
la  moindre  altération  de  santé;  j'espère  que  la 
Syrie  ne  me  sera  pas  moins  favorable.  C'est  ici,  je 
puis  te  le  dire  à  présent,  qu'était  le  plus  grand  dan- 
ger; car  il  y  a  eu  des  cas  de  peste,  peu  nom- 
breux, il  est  vrai,  et  l'ophtalmie  ainsi  que  la  dysen- 
terie sont  très  fréquentes.  Je  suis  resté  à  peu  près 
tout  le  temps  qu'il  faut  pour  prendre  une  idée 
assez  complète  de  ce  beau  et  célèbre  pays;  j'ai  vu 
déjà  Alexandrie,  Lafté,  le  Caire,  Fostat,  Héliopo- 
lis, Giseh,  Schoubra,  les  Pyramides  ;  je  vais  voir 
encore  Mansourah  et  Damiette,  et  la  plus  belle 
partie  du  Delta  en  redescendant  le  Nil  ;  ce  sera 
donc  complet,  quant  à  l'Egypte;  j'aurais  bien  voulu 
remonter  jusqu'aux  cataractes  et  voir  Thèbes, mais 
la  saison  était  déjà  trop  avancée  pour  accomplir  ce 
voyage  quand  nous  avons  voulu  le  faire  ;  les  bar- 
ques eussent  mis  deux  à  trois  mois,  ce  qui  est  trop 
long  et  trop  fatigant  pour  voir  de  simples  ruines, 
dont  on  se  rend  fort  bien  compte  d'après  les 
dessins.  Les  mœurs  des  villes  vivantes  sont  plus 
curieuses  à  observer  que  les  restes  des  cités  mortes 


i3o  CORRESPONDANCE 


et  nous  avons  été  servis  à  souhait  par  les  circons- 
tances. Nous  avons  pu  voir,  tour  à  tour,  la  Pâque 
des  Cophtes  et  des  Grecs,  la  fête  turque  de  la 
naissance  du  Prophète  et  celle  du  retour  des  pèle- 
rins de  la  Mecque.  Cette  dernière  surtout  présente 
des  cérémonies  extraordinaires  et  qu'on  s'étonne 
de  rencontrer  encore  dans  un  pays  a  demi  civilisé. 
J'ai  vu  des  fanatiques  qui  s'étaient  mis  dans  un 
état  d'exaltation  analogue  à  celui  des  convulsion- 
naires,  se  coucher  sur  le  ventre  en  grand  nombre 
sous  le  pas  du  cheval  de  l'émir  des  pèlerins  ;  le 
cheval  trotte  sur  un  chemin  de  dos  humains,  sans 
leur  faire  de  mal,  à  ce  qu'ils  disent.  Il  y  a  eu  seu- 
lement un  nègre  que  l'on  a  été  obligé  de  relever  ; 
mais  ils  prétendent  qu'il  n'était  pas  blessé,  mais 
tombé  en  convulsions.  Les  fêtes  étaient  très  bril- 
lantes d'ailleurs.  Je  t'ai  dit  que  nous  avions  été 
parfaitement  reçus  par  plusieurs  Français  haut 
placés  dans  le  gouvernement,  M.  Lambert  (97), 
directeur  de  l'Ecole  polytechnique,  M.  Linant 
(98),  inspecteur  général  des  ponts  et  chaussées, 
et  M.  Perron,  directeur  de  l'Ecole  de  Médecine. 
Nous  avons  dîné  plusieurs  fois  chez  ce  dernier,  et 
nous  avons  pu  lui  rendre  sa  politesse,  ainsi  qu'à 
M.Tardieu,  administrateur  de  la  ferme  modèle  du 
pacha.  Je  me  suis  aussi  rencontré  avec  le  fameux 
Glot-bey  (99)  et  M.  Lubert  (100)  aux  dîners  du 
consul  général.  Tu  vois  que  ces  diverses  relations 


NOVEMBRE  184I  AOUT  l853  l3l 

ont  dû  nous  distraire  suftisamniLMit  pendant  le 
temps  que  nous  n'avons  pas  employé  en  excursions. 
Le  Caire  est  du  reste  une  ville  qu'on  ne  connaîtrait 
pas  en  un  an  ;  c'est  le  fouillis  de  maisons  le  plus 
inextricable  qu'on  puisse  rêver.  Malheureusement 
la  population  n'est  plus  en  rapport  avec  l'ancienne 
mag^nificence  des  palais  et  des  maisons. 

Je  me  remets  à  l'écrire  au  milieu  de  nos  prépa- 
ratifs et  pendant  que  l'on  nous  achète  des  matelas 
pour  dormir  dans  le  bateau.  Nous  avons  reçu  une 
recommandation  du  consulat  pour  Damiette,  où 
nous  arriverons  dans  six  jours.  Là,  nous  pren- 
drons un  vaisseau  grec  pour  Jaffa,  en  Syrie,  où  il 
nous  faudra  faire  une  quarantaine  de  douze  jours; 
cela  doit  être  fort  ennuyeux,  mais  après,  nous 
irons  à  Saint-Jean  d'Acre  et  de  là  à  Bevrouth,  si 
Dieu  le  permet.  Il  fait  beaucoup  de  vent  ce  soir; 
mais,  pour  descendre  le  Nil,  peu  importe^  puisque 
nous  avons  le  courant.  J'ai  fait  mes  dernières  visi- 
tes aujourd'hui.  Ce  que  je  craignais  principalement 
en  Egypte,  c'était  l'ophtalmie,  extrêmement  fré- 
quente ;  ma  vue  basse  a  dû  me  protéger. 

J'espère  que  M™*^  Delile  est  près  de  toi,  qu'il  ne 
te  manque  rien  que  de  me  savoir  bien  portant  et 
en  bonne  route,  c'est  pourquoi  je  te  donne  tous 
ces  détails  ;  mon  voyage  avance  et  j'espère  l'accom- 
plir tout  entier  d'ici  à  l'hiver.  Ensuite  cela  me  taille 


l32  CORRESPONDANCE 


de  la  besogne  et  de  la  tranquillité  pour  long-temps. 
Il  faut  dire  que  l'Egypte  est  un  peu  monotone  à  la 
longue  pour  qui  n'est  pas  spécialement  un  savant 
et  un  déchiffreur  de  hiéroglyphes.  Le  peuple  est 
très  pauvre,  ce  qui  est  assez  triste  à  voir,  et  le  tiers 
des  gens  a  les  yeux  malades.  Cette  étroite  lisière 
de  végétation  serrée  entre  deux  déserts  n'offre  pas 
assez  de  contrastes,  et  l'on  conçoit  que  les  Egyp- 
tiens aient  été  portés  de  tout  temps  à  la  tristesse. 
La  Syrie  nous  offrira  un  spectacle  moins  sublime, 
mais  plus  vivant 

Nous  avons  un  théâtre  italien  assez  distingué, 
des  comédies,  des  opéras,  des  bals;  c'est  donc  pres- 
que l'Europe,  dans  tout  un  quartier  de  la  ville. 
Je  possède  assez  d'italien,  d'arabe  et  de  grec  déjà 
pour  parler  ce  qu'on  appelle  la  langue  franque  qui 
se  compose  arbitrairement  de  mots  de  ces  trois  lan- 
gues. On  finit  par  se  faire  comprendre  à  force  d'ac- 
cumuler des  mots  et  d'essayer  des  intonations  de 
la  gorge  ;  j'ai  deux  dictionnaires  et  une  grammaire, 
mais  j'apprends  bien  plus  par  la  nécessité  de  de- 
mander les  choses;  seulement,  je  vérifie  après  avoir 
entendu  les  mots,  ou  je  les  prononce  de  plusieurs 
manières  jusqu'à  ce  qu'on  m'ait  compris. 

On  voulait  me  marier  au  Caire  avec  une  Syrienne 
de  douze  ans  ;  mais  je  l'ai  trouvée  un  peu  trop 
jeune  (loi).  Les  mariages  ici  se  font  de  trois  ma- 
nières :  devant  le  prêtre  cophte,  devant  le  papa 


NOVEMBRE  l84l  AOUT  l853  l33 

grec  ou  devant  le  prêtre  catholique.  La  plupart  ne 
sont  valables  que  dans  le  pays,  mais  je  crois  que, 
devant  la  religion,  cela  engage  toujours. 

J'ai  profité  de  la  mode  du  pays,  qui  est  de  por- 
ter un  tarbouch  avec  une  coiffe,  blanc,  pour  me 
faire  raser  les  cheveux,  ce  qui  me  les  conservera 
probablement.  La  chaleur  n'est  pas  insupportable, 
parce  qu'il  fait  beaucoup  d'air. 

Ecris-moi  donc  à  Beyrouth  (Syrie).  Je  crois  qu'il 
est  nécessaire  d'affranchir  jusqu'à  Marseille,  comme 
on  le  fait  ici  jusqu'à  Alexandrie,  mais  je  n'en  suis 
pas  sûr.  On  adresse  à  la  poste  franque,  bureau  res- 
tant. Voilà  donc  le  plus  dangereux  du  voyage  passé. 
A  bientôt,  mon  cher  papa  :  tu  ne  peux  croire  com- 
bien je  serai  heureux  de  te  revoir;  c'est  dans  de  tels 
pays  surtout  qu'on  se  sent  isolé. 

Je  t'embrasse  de  tout  mon  cœur  et  de  toutes 
mes  forces. 

Adieu.  Ton  fils, 

GÉRARD    LABRUNIE. 

XLII 

AU  D''  LABRUNIE 

Constantinople,  25  juillet  i843. 
Mon  cher  papa, 
J'arrive  à  Constantinople  et  je   suis  obligé  de 

XLII.  —  Publ.  par  L.  de  Bare,  Nouv.  Revue  Internationale,  i5 
mars  1897. 


l34  CORRESPONDANCE 


t'écrire  vite  par  le  paquebot  qui  repart  dans  quel- 
ques heures.  Je  ne  sais  si  tu  as  reçu  mes  dernières 
lettres  d'Eg-ypte  et  de  Syrie  (102).  Il  faut  au  moins 
deux  mois  pour  faire  parvenir  en  France  des  nou- 
velles de  ce  dernier  pays.  Pas  de  poste  régulière  et 
un  service  de  bateaux  à  voile  tous  les  mois  !  Me  voici 
enfin  en  Europe  ;  je  retrouve  ici  mes  chers  jour- 
naux de  France, mais  que  d'ennuis,  que  de  chaleur, 
que  de  quarantaines  pour  arriver  dans  cette  région 
presque  civilisée  !  Je  suis  un  peu  fatigué  des  mon- 
tagnes, de  la  poussière  et  des  gens  à  demi  sauva- 
ges du  Carmel  et  du  Liban.  Cela  est  fort  beau  de 
loin, et  très  ennuyeux  de  près.  Il  faut  dire,  toutefois, 
que  la  circulation  ne  pouvant  se  faire  qu'à  cheval, 
dans  les  montagnes  et  les  rochers,  cela  est  très 
coûteux  et  assez  pénible  pour  un  si  mauvais  cava- 
lier que  je  suis.  A  part  cet  inconvénient,  je  procla- 
merais la  Syrie  un  pays  superbe  et  délicieux. 

Lorsque  je  suis  arrivé,  le  consul  était  à  Damas, 
d'où  il  n'est  revenu  que  trois  jours  avant  mon 
départ.  Je  croyais  trouver,  par  sou  entremise, quel- 
que lettre  de  toi  adressée  à  Beyrouth,  mais  rien 
n'était  venu  et  je  ii.e  serais  pas  étonné  que  tes  let- 
tres, car  j'en  attends  plusieurs,  fussent  définitive- 
ment perdues.  Il  n'y  a,  pour  cette  maudite  destina- 
tion, ni  bateaux  à  vapeur,  ni  poste  française.  Enfin, 
m'en  voilà  sorti.  Je  suis  arrivé  par  Chypre,  Rhodes, 
Smyrne  et  la  Grèce,  ou  du  moins  les  îles.  La  mer 


NOVEMBRE     l84l     AOUT     l853  l'65 


m'a  peu  fatigué.  Il  ne  m'est  resté  du  séjour  sous 
la  tente  qu'une  légère  névralgie.  Au  fond, ma  santé 
est  admirable  dans  tout  ce  voyage.  Il  est  vrai  que 
je  ne  fais  aucune  imprudence  et  que  je  vis  partout 
conformément  .aux  habitudes  du  pays. 

A  présent,  je  regrette  de  n'être  pas  resté  plus 
longtemps  en  Syrie, mais  vraiment  il  faudrait  beau- 
coup de  résolution  et  beaucoup  d'argent.  On  ne 
peut  voyager  qu'avec  un  drogman,  des  chevaux, 
une  tente,  et,  de  cette  manière  encore,  avec  des 
peines  infinies.  J'ai  vécu  un  mois  au  milieu  des 
Maronites,  faisant  des  excursions  dans  le  Liban, 
mais  je  n'ai  pu  voir  ni  Damas  où  était  la  peste,  ni 
Balbek  dont  la  route  était  coupée  par  les  Druses  et 
les  Métualis,  toujours  en  révolte.  Je  ne  te  parle  pas 
de  ma  traversée  de  Damietteaux  côtes  de  Syrie, sur 
la  Santa  Barbara,  bateau  grec  fort  incommode, 
où  j'ai  été  fort  ballotté  pendant  sept  jours.  Tout 
cela  est  passé  et,  désormais,je  n'ai  plus  en  perspec- 
tive que  de  bonnes  et  solides  lignes  de  bateaux  à 
vapeur. 

Maintenant,  reviendrai-jeparla  Grèce  et  Trieste» 
ou  par  Vienne  et  l'Allemagne?  c'est  une  question 
de  temps  et  d'argent.  Or,  depuis  mon  départ  de 
Paris,  j'ai  un  peu  gaspillé  de  l'un  et  de  l'autre,  sur 
terre  et  sur  mer.  Après  tout,  la  situation  n'est  pas 
mauvaise  dans  cette  belle  capitale,  où  l'on  vit  très 
facilement,  comme  dans  toute  capitale,  tandis  que, 


l36  COURESPONDANCE 


dans  le  désert,  il  en  coûte  fort  cher  pour  coucher  en 
plein  air  et  manger  fort  mal. 

Adieu,  mon  cher  papa,  je  ne  te  parle  que  de 
moi  ;  c'est  une  suite  de  ma  position  momentanée. 
Je  reg-rette  bien  de  n'avoir  pas  trouvé  de  tes  nou- 
velles à  Beyrouth,  mais  c'était  presque  impossible. 
Ici,  si  tu  veux  m'écrire  au  bureau  restant,  c'est 
aussi  simple  que  d'écrire  à  Rouen.  Rien  qu'un  mot, 
ce  que  tu  voudras.  Je  serai  à  temps  pour  le  rece- 
voir d'ici  à  un  mois;  je  resterai  ce  temps-là  au 
moins.  Mes  amis  n'ont  pas  de  nouvelles  de  moi 
depuis  l'Egypte. Fais-moi  le  plaisir  d'envoyer  ce  mot 
à  Théophile.  Ce  que  j'ai  écrit  de  Syrie  ne  peut 
arriver  que  plus  tard.  J'écrirai  dans  dix  jours  par  le 
bateau  français.  Adieu,  mon  cher  papa,  je  n'ai  pas 
le  temps  de  te  dire  combien  j'ai  song'é  à  toi  et  rêvé 
de  toi.  Nous  nous  reverrons  avant  l'hiver. 

Je  t'embrasse  bien  fort  et  de  tout  mon  cœur. 
Adieu  encore. 

GÉRARD. 

XLIII 

A.U    D'     LABRUNIE 

Constantinople,  ce  19  aoùt[i843]. 

Mon  cher  papa. 
Je  vais  pouvoir  t'écrire  plus  rég-ulièrement  ;  je 

XLIII.  —  Publ.  par  A.  Houssaye,  la  Presse,  i5  septembre  i865. 


NOVEMBRE     1 84 1     AOUT     l85o  iZ"] 

n'ai  plus  qu'à  voir  des  villes  d'Europe,  des  pays 
civilises.  Depuis  mon  arrivée  à  Constantinople,  je 
nie  suis  senti  toujours  dans  une  ville  européenne 
où  le  Turc  est  devenu  lui-même  un  étranger.  J'ha- 
bite Péra,  ville  complète  qui  a  la  physionomie  de 
Lyon  ou  de  Rouen,  ainsi  que  Galata,  sa  voisine. 
Constantinople  se  déploie  en  face  de  nos  fenêtres, 
et  c'est  un  spectacle  charmant,  de  loin  surtout.  Je 
t'ai  dit  que  Tenlrée  dans  le  port  était  le  plus  beau 
coup  d'oeil  de  la  terre;  ce  n'est  que  de  près  que 
la  ville  perd  beaucoup  de  ses  charmes.  Ce  n'est  pas 
qu'elle  soit  sale  et  malsaine,  comme  on  le  dit  dans 
les  itinéraires  ;  elle  a  beaucoup  gagné  sous  ce  rap- 
port depuis  quelques  années,  mais  l'uniformité  de 
ses  maisons  de  bois  peintes  rend  la  plupart  des 
rues  assez  monotones.  Par  exemple,  les  bazars, 
les  mosquées  et  les  places  sont  fort  dig-nes  d'atten- 
tion et  on  ne  peut  se  lasser  de  les  voir. 

Quant  aux  rives  du  Bosphore,  c'est  une  grande 
rue  bordée  de  palais, la  plus  lielle  du  monde;  enfin, 
sans  valoir  le  Caire,  Constantinople  lui  est  très  pré- 
férable pour  l'agrément  et  pour  la  santé.  J'ai  ren- 
contré un  peintre,  M.  Rogier  (io3),  qui  m'a  fait 
connaître  plusieurs  personnes  du  pays.  Il  vit  dans 
une  famille  d'Arméniens,  qui  sont  de  hauts  digni- 
taires du  sultan.,  de  sorte  que  les  renseignements 
curieux  ne  me  manquent  pas.  On  lui  a  abandonné 
tout  un  palais  au  bord  du  Bosphore,  que  la  famille 

9. 


l38  COHRESPONDANCE 


n'habite  que  l'hiver.  Il  y  a  là  une  bibliothèque 
dont  je  profite,  ce  qui  est  fort  rare  et  fort  précieux 
pour  le  pays.  Je  connais  de  plus  le  directeur  du 
Journal  de  Constaniinople  (io4),  M.  Deschamps, 
qui  me  communique  tous  les  journaux.  Les  loge- 
ments sont  très  chers,  mais  la  vie  matérielle  est  à 
bon  marché,  du  moins  en  ne  vivant  pas  à  l'hôtel. 
On  peut  dîner  pour  six  à  sept  piastres,  chez  un  res- 
taurateur viennois  fort  bon.  J'ai  pu  déjà  voir  plu- 
sieurs fêtes  g-recques  et  turques,  et  la  ville  tout 
illuminée  quatre  à  cinq  fois;  bientôt  va  recommen- 
cer le  Ramazan,  que  je  comparerai  avec  les  fêtes 
de  la  naissance  de  Mahomet  que  j'ai  vues  au  Caire. 
Il  me  reste  aussi  à  visiter  les  îles  des  Princes, 
Brousse,  Belgrade,  le  mont  Olympe,  etc.  Hier,  en 
passant  près  des  bazars,  j'ai  vu  par  terre  un  homme 
à  qui  on  avait  tranché  la  tête.  C'est  un  Grec  qui 
avait  promis,  pour  échapper  à  la  bastonnade,  de 
se  faire  musulman,  et  comme  il  s'était  échappé  et 
qu'on  l'avait  saisi  ensuite,  on  lui  a  tranché  la  tête 
sur  son  refus  positif  de  changer  de  religion  ;  les 
Grecs  le  regardent  comme  un  martyr  et  les  Turcs 
se  sont  fait  beaucoup  de  tort  par  ce  procédé,  qui 
rappelle  leur  ancienne  barbarie.  Du  reste,  un  Franc 
n'a  rien  à  craindre  d'eux  et,  dans  les  relations 
habituelles,  ils  sont  très  doux. 

Je  ne  t'ai  pas   donné  de  grands  détails   sur  la 
Syrie;  tu  les  liras  imprimés  ;  et  d'ailleurs,  je  n'ai 


NOVE.vnRK   i8'(i   — AOL'T  i853  iSg 

pas  pénétré  dans  des  contrées  bien  extraordinai- 
res ;  la  montagne,  je  veux  dire  le  Liban,  est  très 
fatigante  à  parcourir,  d'abord  parce  qu'on  ne 
peut  le  faire  qu'à  cheval,  et  à  monter  ou  descen- 
dre toujours  sur  des  rochers  glissants.  Pendant 
mon  séjour,  les  Druses  se  battaient  à  peu  de  dis- 
tance, et  j'ai  vu  des  villages  de  Maronites  à  moitié 
brûlés  par  eux. Au  fondj'ai  couru  très  peu  de  dan- 
gers, et  n'ai  pas  été  malade  un  seul  jour  depuis  mon 
départ  ;  ni  la  mer,  ni  la  chaleur,  ni  le  désert  n'ont 
pu  interrompre  cette  belle  santé  dont  mes  amis  se 
défiaient  tant  avant  mon  départ.  Ce  voyage  me  ser- 
vira toujours  à  démontrer  aux  gens  que  je  n'ai 
été  victime,  il  y  a  deux  ans,  que  d'un  accident  bien 
isolé.  Je  me  suis  remis  à  travailler,  et  j'attends  ici 
la  réponse  d'un  libraire  avec  lequel  j'avais  des 
arrangements  pour  mon  voyage.  Mon  compagnon 
a  pu  m'avancer  quelque  chose  sur  cette  affaire,  qui 
nous  est  commune  ;  mais  il  va  repartir,  appelé  par 
un  procès.  Je  reviendrai  donc  tout  doucement,  me 
faisant  envoyer  de  ville  en  ville  par  le  libraire 
et  par  les  journaux.  Après  tout,  c'est  notre  vie  à 
Paris  ou  partout  ailleurs  ;  il  faut  travailler  pour 
avancer.  Le  meilleur,  c'est  que  j'ai  acquis  de  la 
besogne  pour  longtemps,  et  me  suis  créé,  comme 
on  dit,  une  spécialité.  J'ai  fait  oublier  ma  maladie 
par  un  voyage;  je  me  suis  instruit,  je  me  suis  même 
anmsé  ;  j'ai  donc  bien  fait  au  point  de  vue  de  mon 


l4o  CORRESPONDANCE 


état.  Ce  qui  m'a  été  triste  et  me  l'est  chaque  jour 
davantag-e, c'est  d'être  si  longtemps  séparé  de  toi; 
tu  es  mon  seul  parent  et  presque  mon  seul  ami 
véritable,  et  la  patrie  ne  m'offre  guère  de  regrets 
que  par  là  :  mon  humeur  est  errante  et  je  la  tiens 
peut-être  un  peu  de  toi,  du  moins  de  ta  jeunesse  ; 
mais  je  sens  toujours  le  besoin  de  revenir  au  nid, 
dès  que  j'en  suis  loin,  et  le  reg-ret  de  n'y  être  point 
resté. 

J'ai  vu  un  médecin  de  bateau  à  vapeur  qui  s'en  va 
se  faire  journaliste  àParis;il  se  plaint  de  son  état  : 
tout  le  monde  est  donc  ainsi  sur  toute  la  terre  ! 
Il  s'était  fait  nommer  depuis  médecin  de  la  qua- 
rantaine deDamas,et  il  n'y  a  pu  rester  qu'un  mois. 
Au  reste,  on  ne  voit  ici  que  médecins,  et  les  Turcs 
s'imaginent  que  tous  les  Francs  le  sont  :  Hakim- 
hakim-bachi,  cela  équivaut  à  monsieur.  A  propos, 
je  sais  presque  l'arabe.  Il  est  vrai  que  je  n'ai  pu 
encore  réussir  à  l'écrire.  Quant  au  turc,  je  n'y 
comprends  rien  ;  pour  le  grec,  je  le  lis  couram- 
ment, mais  je  l'entends  bien  peu;  je  ne  fais  de 
progrès  que  dans  l'italien,  que  l'on  parle  bien  plus 
que  toute  autre  langue  sur  ces  fortunés  rivages  ; 
après  tout,  on  finit  par  se  faire  comprendre  avec 
un  peu  des  mots  de  tous  les  pays,  comme  les 
écrivains  médiocres  peignent  leur  cœur  avec  les 
expressions  des  grands  maîtres  de  l'éloquence. 

Ah  çà  !  maintenant,  dans  le  cas  où  tu  m'aurais 


NOVEMBRE    I 84 I     AOUT     l853  l4l 

écrit,  il  faudrait  avoir  la  patience  de  recommencer, 
car  les  lettres  arrivent  bien  peu  en  Orient.  Je  ne 
sais  ce  que  tu  as  reçu  des  miennes,  mais  je  n'en  ai 
vu  aucune  de  toi,  ni  même  de  personne,  hors  une 
de  Tliéopliile  dans  les  journaux,  adressée  à  mon 
pseudonyme  littéraire.  Je  suis  persuadé  qu'il  y  en 
a  qui  dorment  dans  les  bureaux  restants  de  plu- 
sieurs échelles  du  Levant  ;  mais  la  poste  faisant  le 
service  par  bateaux  à  voiles,  cela  arrive  deux  mois 
après  qu'on  est  parti.  Ici,  au  contraire,  le  service 
est  régulier.  Ecris-moi  donc,  ne  fût-ce  que  quelques 
mots,  à  Constantinople,  bureau  restant,  Galata. 
Celle-là  parviendrait  pour  sur. 

Adieu,    mon  cher  papa  ;  je  t'embrasse   de   tout 
mon  cœur. 

Ton  fils  bien  affectionné, 

GÉRARD   LABRUNIE. 


XLIV 

AU     D'   LABRUNIE   (lo5) 

CoDstantiDopIe,  5  septembre  i843. 

...   Depuis    le  commencement  du  Ramazan   je 
suis  allé  m'établir,  non  plus  à  Péra,  ville  des  Euro- 

xnv.   —   Publ.    par  L.   de   Barc,  Xouv.    Revue  internationale, 
i5  mars  1897. 


l42  CORKESPONDANCE 


péens,  mais  à  Gonstantinople  même,  dans  la  par- 
tie située  entre  la  Corne  d'Or  et  la  mer  ;  j'ai  trouvé 
un  logement  très  ag-réable,  avec  la  plus  belle  vue, 
dans  un  Khan  —  Ghildiz-Khan — ,  c'est-à-dire  hôtel 
de  l'Etoile.  Tout  le  bâtiment  énorme  est  garni  de 
Persans  et  d'Arméniens  fort  polis.  Le  logement 
n'avait  que  les  murs,  mais  avec  mon  lit  de  vo^^age, 
une  natte,  un  tapis  et  une  table  en  Ireillis  de  pal- 
mier, cela  est  meublé  autant  qu'il  faut.  Quand  je 
suis  invité  à  Péra  ou  quand  il  y  a  théâtre  ou  con- 
cert, je  retourne  coucher  chez  les  Grecs  où  j'étais 
précédemment.  Il  faut  dire  aussi  que  tout  est  fort 
cher  à  Péra  et  qu'à  Gonstantinople,  en  se  privant 
devin,  on  vit  très  agréablement,  selon  la  manière 
des  gens  du  pays.  Depuis  que  le  Ramazan  est  ou- 
vert, la  ville  dort  une  partie  du  jour;  mais,  la  nuit, 
elle  est  toute  illuminée.  On  boit  du  café  et  l'on 
écoute  la  musique  tant  qu'on  veut.  On  vivrait  rien 
que  de  pâtisseries  et  de  sucreries  et  le  tout  à  très 
bon  marché.  Les  gens  ne  sont  nullement  féroces 
et  les  chiens  mêmes,  dont  on  m'avait  tant  dit  de 
me  méfier,  sont  beaucoup  plus  doux  qu'ailleurs,  si 
l'on  fait  attention  de  ne  pas  marcher  sur  eux,  car 
ils  couvrent  une  grande  partie  du  pavé.  Le  soir, 
les  soldats  leur  distribuent  la  soupe,  et  ce  n'est  pas 
un  des  moindres  amusements  de  cette  singulière 
cité. 

Il  faut    dire  pourtant  que    Gonstantinople   est 


NOVEMBRE  l84l  —  AOUT  l853  l43 

beaucoup  moins  originale  que  le  Caire,  à  cause  de 
l'invasion  des  mœurs  européennes  et  de  l'unifor- 
mité des  maisons,  toutes  bâties  de  bois;  aussi  n'y 
resterai-jepas  silongtemps. En  revanche, la  mer  sous 
SCS  dilîérents  aspects  et  dans  ses  trois  branches 
est  un  spectacle  inappréciable  et  dont  on  ne  peut 
se  lasser.  Je  ne  connais  encore  ni  la  partie  de 
Constantinople,  comprise  entre  le  vieux  port  et  le 
château  des  sept  tours,  ni  Scutari,  située  sur  la 
côte  d'Asie,  car  il  faut  bien  du  temps  et  de  la  fati- 
gue pour  tout  voir. 

Je  n'ai  pas  encore  la  réponse  du  libraire  tou- 
chant le  travail  que  je  lui  ai  proposé,  mais  les 
retours  sont  si  lents  qu'il  faut  attendre  encore  ;  si 
elle  vient  par  le  prochain  bateau,  j'aurai  à  peine  le 
temps  de  faire  les  recherches  nécessaires.  II  en 
coûte  si  cher  pour  voir  les  monuments  qu'il  faut 
attendre  des  occasions  pour  pouvoir  les  visiter  à 
la  suite  de  quelque  personnage.  Toutefois  j'aurai  à 
peu  près  tout  ce  qu'il  faut,  pour  tirer  le  parti  con- 
venable de  mes  études  et  de  mon  séjour.  J'ai  trou- 
vé ici  plusieurs  personnes  très  aimables  qui  m'ou- 
vrent toutes  les  relations  nécessaires  et  dont  la 
compagnie  ne  me  laisse  pas  le  temps  dem'ennuyer, 
ce  qui  arriverait  parfois  dans  une  ville  aussi  dé- 
pourvue des  amusements  européens.  Il  y  a  pour- 
tant maintenant  des  concerts  fort  beaux  et  le 
théâtre   va   s'ouvrir  régulièrement.  Je  lis  tous  les 


l44  CORRESPONDANCE 


journaux  et  je  serais  aussi  près  de  Paris  que  possi- 
ble,, si  je  recevais  des  nouvelles  de  toi.  Mais  je  ne 
sais  où  sont  passées  les  lettres  que  tu  m'as  adres- 
sées en  Syrie.  Ces  pays  sont  si  arriérés  pour  la 
correspondance  qu'il  ne  faut  pas  seulement  écrire, 
mais  envoyer  par  tel  ou  tel  vaisseau  qu'il  faut  dé- 
sig-ner,  attendu  qu'il  n'y  a  pas  de  poste  française,  j 
je  te  l'ai  déjà  dit;  mais  reçois-tu  mieux  mes  lettres 
que  je  ne  reçois  les  tiennes  ? 

Enfin  nous  n'avons  plus  longtemps  à  être  sépa- 
rés, et  c'est  presque  le  seul  attrait  qui  me  rappelle  | 
à  Paris.  D'ailleurs  ma  santé  est  très  bonne  et,  le 
moral  étant  beaucoup  meilleur,  il  est  probable  que 
tout  ira  bien,  car,  avec  du  courage  et  de  la  bonne 
humeur,cene  sont  pas  les  ressources  qui  manquent. 
Mais  que  faire  quand  on  est  malade,  chagrin  et 
aplati  comme  je  l'étais  l'an  dernier?  Tu  le  sais,  je 
ne  suis  pourtant  pas  facile  à  décourager  et  je  ne 
manque  pas  de  volonté,  non  certainement,  et  c'est 
par  là  que  je  sortirai  de  toutes  les  difficultés  du 
moment. 

L'homme  de  lettres,  comme  l'artiste,  n'a  que  lui 
seul  pour  lui  et  il  faut  donc  qu'il  dispose  complè- 
tement de  toutes  ses  facultés.  Une  fois  malade  ou 
découragé,  tout  est  perdu. 

Adieu,  mon  cher  papa,  sois  convaincu  que  je 
me  trouve  mieux  que  jamais  maintenant.  J'éprouve 
à  te  le  dire  une  grande  joie,  car  je  sais  que  mon 


NOVEMBRE  ï84l  AOUT  l853  l45 

sort  n'est  pas  indilTérenl  à  ton  bonlieur  et  à  ta 
tranquillité.  Je  t'embrasse  de  tout  mon  cœur  et  de 
toute  mon  âme  et  puis  te  dire  enfin  certainement  : 
à  bientôt,  sous  toute  réserve  providentielle,  bien 
entendu. 

Ton  lils  bien  dévoué  et  bien  affectueux, 

GÉRARD    LABRUNIE. 


XLV 

AU    D""    LABKUNIE 

[Gonstantinople,  octobre  i843.] 

...  L'amabilité  de  Théophile,  en  me  dédiant,  pour 
ainsi  dire,  son  ballet  (io6)  et  en  entretenant  le 
public  de  mon  vojag-e,  m'a  été  d'autant  plus  sensi- 
ble que,  depuis  ma  maladie  trop  connue,  il  impor- 
tait que  mon  retour  à  la  santé  fût  constaté  bien 
publiquement,  et  rien  ne  devait  mieux  le  prouver 
qu'un  voyaçe  pénible  dans  les  pays  chauds;  ce  n'a 
pas  été  l'un  des  moindres  motifs  de  me  le  faire 
entreprendre... 

XLV.  —  Piibl.  par  A. Bnr'ine, Névrosés,  p.  333.  La  lettre  porte  cette 
mention  de  la  main  du  D''  I.,abn:nie  :  «  Heruc  le  a5  octobre  i8/(3.  » 


l46  COURESPONDANCE 


XLVI 

AU     D*"   LABRUNIE 

[Malte    novembre  i843.] 

Mon  cher  papa, 

J'arrive  à  Malte  avec  le  mal  de  tête  le  plus  vio- 
lent, dû  au  mauvais  temps  que  nous  avons  eu  de- 
puis Syra  jusqu'ici.  J'avais  un  peu  de  lièvre  hier, 
mais  aujourd'hui  je  n'ai  plus  rien.  Je  suis  installé 
à  la  quarantaine  pour  dix  jours,  après  quoi  je  reste- 
rai quatre  jours  à  Malle  pour  attendre  l'autre 
bateau  qui  me  conduira  à  Naples,  où  je  resterai 
dix  autres  jours.  Là  le  bateau  actuel  me  reprendra 
pour  Marseille.  J'y  suis  très  bien  aux  premières 
places,  table  et  cabine,  et  le  capitaine  à  qui  je  suis 
recommandé  m'a  fait  toutes  sortes  d'honnêtetés. 

J'ai  quitté  Constantinople  le  lendemain  des 
fêtes  du  Baïram,  n'ayant  pas  éprouvé  la  moindre 
indisposition  pendant  toute  ma  tournée  d'Orient. 
Mon  compag'uon  de  voyag-e  était  parti  depuis  deux 
mois.  Je  suis  donc  resté  un  peu  plus  de  temps  que 
je  ne  pensais,  mais  ne  fallait-il  pas  employer  au 
moins  toute  la  belle  saison? 

Je  serai  à  Paris  dans  six  semaines,  la  quaran- 

xLvi.  —  Publ.     par   L.  de   Bare,   Noiiv.  Revae    internationale, 
i5  mars  1897. 


NOVEMBIVK     l84l     —    AOfT    l853  14? 


(aine  comptée.  Ce  voyag^e  m'a  fait  énormémeiil  de 
l)UMi  physiquement  et  moralement.  As-tu  reçu  tou- 
tes mes  lettres  ?  Je  n'ose  l'espérer,  si  j'en  jug^e  par 
le  sort  qu'ont  eu  les  tiennes.  Adieu,  la  poste  part  et 
je  n'ai  plus  la  force  de  regarder  le  papier.  C'est 
la  seule  indisposition  que  j'ai  éprouvée,  mais  ce 
n'est  rien  qu'un  malaise  causé  parle  mauvais  temps 
d'hier. 

Adieu  e(   à  bientôt  pour  l'embrasser,  puisque  je 
suis  aux  deux  tiers  de  la  route. 
Ton  nis  bien  affectionné, 

(iKUARD  LABRUNIE. 


XLVll 

A   .IIILKS   .rANlN 

En  nier,  près  (le  ^fallc,  lO  novembre  iS^S. 

Mon  cher  Janin, 
Quoi,  vous  avez  pensé  à  moi  de  si  loin  et  vous 
m'avez  donné  encore  un  aimable  souvenir,  tandis 
(jue  je  ne  vous  ai  pas  même  écrit,  ni  du  Caire,  ni 
du  Liban,  ni  de  l'Archipel,  ni  de  Constantinople  ! 
Il  faut  pourtant  que  j'en  revienne  à  mon  pays  que 
je  quittais  do  si  bon  cœur,  à  mes  amis  que  j'ou- 
bliais si  bien;  tout  le  monde  est  fait  comme  noire 

XLVll.  —  Communiquée  par  M.  Clément  Jaiiiii.  —  Le  cachet  de  la 
poste  est  du  7  décembre. 


l48  CORRESPONDANCE 


famille,  mais  tout  le  monde  n'est  pas  notre  famille 
et,  quoiqu'on  rencontre  partout  d'honnêtes  et  d'ai- 
mables gens,  ils  ne  valent  jamais  ceux  que  l'on  con- 
naît et  que  l'on  aime  depuis  longtemps,  et  avec  qui 
l'on  a  été  jeune.  En  somme,  l'Orient  n'approche 
pas  de  ce  rêve  éveillé  que  j'en  avais  fait  il  y  a  deux 
ans,  ou  bien  c'est  que  cet  Orient-là  est  encore  plus 
loin  ou  plus  haut  (107),  j'en  ai  assez  de  courir  après 
la  poésie  ;  je  crois  qu'elle  est  à  votre  porte,  et  peut- 
être  dans  votre  lit.  Moi  je  suis  encore  l'homme  qui 
court,  mais  je  vais  tâcher  de  m'arréter  et  d'attendre. 
Je  suis  content  toutefois  de  revoir  un  peu  l'Italie; 
la  retrouverai-je  aussi  belle  qu'il  y  a  dix  ans,  quand 
je  la  parcourais  en  lisant  un  Barnaue  belge  acheté 
à  Livourne  et  en  jetant  aux  montagnes  les  belles 
phrases  enthousiastes  du  pauvre  Gastelnau  (108)? 
J'aime  ce  livre,  vous  le  savez,  par-dessus  tout.  C'est 
ce  que  je  connais  de  plus  vrai,  à  mon  point  de  vue, 
sur  la  révolution.  Je  vais  relire  mon  Barnaue  et 
retrouver  mon  Italie;  quanta  mes  dix  ans  d'inter- 
valle, ils  sont  bien  perdus;  et  pourtant,  je  me  sens 
le  même  (je  crois  que  j'ai  plus  de  cheveux);  qu'y 
a-t-il  donc  de  changé?  Rien,  ma  foi,  rien  du  tout^ 
rien  je  crois.  Adieu  donc,  adieu  et  à  bientôt.  Bon- 
jour à  notre  ami  Houssaye  si  vous  le  voyez. 
Votre  bien  affectionné, 

GÉRARD  (109). 

Le  16  novembre. 


NOVEMBRE     l8/|I     AOUT     l853  1^9 

Suscription  :   A  Monsieur,  Monsieur  Jules  Janin 

Rue  de  Vaugirard  n°  20 
à  Paris. 


XL  VIII 

A    STADLER 

REVUE  PITTORESQUE 
MCSÉE   ILLUSTRÉ 

Rue  Neuve-Saint-Augustin,  87 

[3o  mai  i845.] 
Mon  cher  Stadler, 
Je  suis  allé  vous  voir  sans  vous  trouver  —  je  ne 
puisplus  vous  rencontrer, qu'ya-t-il de  nouveaudans 
votre  existence  passionnée?  Ecrivez-moi  donc  un 
mot  si  vous  y  pensez  en  m'indiquant  le  titre  et  le 
nom  de  l'ouvrage  héraldique  que  j'ai  vu  chez  vous 
et  qui  s'appelle  je  crois  Archives  nobiliaires  ou 
autrement,  en  8  volumes  couverts  en  jaune  avec 
des  étiquettes  —  marquez-moi  le  nom  de  l'auteur. 
Ecrivez  rue  de  la  Victoire,  36,  n'est-ce  pas. 

Votre  affectionné, 

GÉRARD. 

Suscription  :  A  Monsieur  Eugène  de  Stadler 
i3  Quai  Napoléon. 

iLviii.  —  Date  de  la  poste. 


l5o  CORRESPONDANCE 


XLIX 

A    A.  BUSQUET    (l lo) 


[.845.] 


Mon  cher  Biisqiiet, 
Je  pars  inopinément  pour  8  jours  pour  Londres 
(m).  Je  suis  allé  plusieurs  fois  aux  deux  journaux 
pour  vous  trouver.  Le  tracas  des  préparatifs  m'a 
empêché  de  faire  le  bout  d'article,  mais  je  vous  en 
enverrai  un  beau  de  Londres.  Pour  le  papier,  j'ai 
une  idée  fort  saine,  c'est  qu'on  le  rende  en  payant 
le  déchet.  J'ai  peur  que,  dans  les  circonstances 
actuelles,  un  livre  fait  môme  avec  cette  économie  ne 
rende  pas  ce  qu'il  coûterait.  Si  on  peut  attendre 
8  jours,  laissez  les  choses  en  l'état —  mais  bahl  il 
vaut  mieux  ne  plus  s'en  embarrasser. 

Je  donne  à  l'imprimerie  ce  qu'il  faut,  pour  la 
semaine  prochaine. 

Adieu  mon  cher  ami, 
à  bientôt. 

Votre  affectionné, 

GÉRARD    DE  NERVAL. 

Suscription  :  A  monsieur  Busquet 
à  la  Silhouette. 


NOVEMBRE  l84l  —  AOUT  l853  l5l 


L 

A  PAPION   DU   CHATEAU 

[5  mai    i8'(6.] 

Mon  cher  Du  Château, 

Je  viens  seulement  de  recevoir  deux  lettres  de 
vous  à  la  fois,  car  je  ne  demeure  plus  rue  de  la 
Victoire  et  les  lettres  m'avaient  été  g-ardées  par 
Roi;ier.  J'habite  Montmartre  depuis  quelque  temps 
etje  fais  de  petits  voyages  enattendant  une  grande 
tournée  que  je  prépare  vers  le  milieu  du  mois. 

Mais  que  je  me  hâte  donc  de  vous  féliciter  et  de 
tout  mon  cœur.  C'est  d'ailleurs  un  acte  de  justice 
que  vous  méritez  à  double  titre.  Ainsi  cela  n'a  pu 
surprendre  personne. 

Vous  me  reprochez  de  n'être  pas  allé  vous  voir  ; 
je  me  plains  seulement  de  n'avoir  pu  y  retourner 
ces  jours-ci,  à  cause  d'un  travail  qui  m'a  absorbé  et 
me  tient  encore,  mais  dont  une  partie  a  paru  (i  12). 
Lorsque  je  suis  allé  chez  vous,  vous  veniez  d'emmé- 
nager de  l'autre  coté  de  la  rue  et  j'ai  parlé  à  votre 
fils,  qui  m'a  dit  que  vous  reviendriez  à  cinq  heures  ; 
je  n'ai  pu  retourner  vous  voir  ce  jour-là. 

Mais  je  vais  vous  aller  trouver  ces  deux  ou  trois 

L.   —  Date  de  la  poste. 


CORRESPONDANCE 


jours-ci  et  vous  féliciter  en  vous  serrant  la  main,  ce 
qui  vaut  mieux. 

A  bientôt  donc. 
Votre  bien  affectionné, 

GÉRARD. 

Suscription  :  A  monsieur  le  Baron  du  Château^ 

Chevalier  de  la  Légion  d'honneur^ 

3  ou  4  Rue  Neuve  de  V  Université, 


LI 

A  MONSIEUR  LE  REDACTEUR   DU  CHARIVARI 

Jeudi,  3  décembre  [1846]. 

Monsieur, 
Dans  l'article  que  vous  publiez  aujourd'hui  sur 
le  programme  du  Faust  de  M.  Berlioz  (ii3),  vous 
voulez  bien  me  compter  au  nombre  des  trois  libret" 
tistes.  L'affiche  porte  cependant  que  certains  pas- 
sages ont  été  seulement  empruntés  à  ma  traduction. 
M.  Berlioz  s'est  entendu  avec  mon  éditeur  pour 
pouvoir  se  servir  de  quelques  vers  littéralement 
traduits  de  Goethe  et  qui,  je  le  crois,  ne  ressem- 
blent guère  à  des  vers  d'opéra  comique  ;  s'il  se  fût 
adressé  à  moi,  je  lui  aurais  proposé  une  imitation 

Li.  —  Le  Charivari,  6  décembre  184G. 


NOVEMBRE  l84l. —  AOUT  l853  l53 

plus  lyrique.  Il  a  mieux  aimé  résoudre  le  problème 
si  connu  de  mettre  en  musique  quelque  chose 
comme  la  Gazette  de  Hollande.  Je  crois  que  son 
talent  peut  tout,  et  je  n'ai  besoin  que  de  mettre  à 
couvert  ma  responsabilité  comme  traducteur.  Je 
dois  dire  aussi  que  beaucoup  de  ces  vers  qui  fai- 
saient partie  de  la  première  édition  du  Faust  tra- 
duit, que  j'ai  publié  à  l'âg-e  de  dix-huit  ans,  ont  été 
modifié»  ou  supprimés  dans  les  suivantes.  J'ajoute 
ceci  non  comme  réclame  personnelle,  mais  dans 
l'intérêt  de  l'éditeur  de  la  3«  édition,  M.  Gosselin. 
Agréez,  etc. 

GÉRARD   DE  NERVAL. 


LU 

A    STADLER 

[6  mars  1847.] 

0  Eug-ène, 
Je  me  suis  informé  pour  le  concert  David  (ii4)- 
Guichardet  peut  avoir  un  billet  payant  ou  non  (s'il 
se  peut),  mais  il  faudrait  vous  trouver  au  divan 
demain  samedi  à  5  heures.  Le  Guichardet  y  sera 
ou  laissera  un  mot.  Si  vous  aviez  tenu  au  concert, 
vous  auriez  pu  entendre  la  répétition  aujourd'hui, 

LU.  —  Date  de  la  poste. 

10. 


i54 


COR KESPOND ANGE 


mais   je   crois   que  c'est  pour  la   représentation. 
Demain  donc  à  5  lieures. 
A  vous, 

GÉRARD. 


LUI 


A  STADLER 

[21  août  1847.] 
Mon  cher  Eugène, 
Avez-vous  demandé  à  Houssaye  la  lettre  pour  le 
Concert  Spectacle?  Je  lui  en  ai  parlé.  Il  m'a  dit  qu'il 
était  tout  prêt.  J'ai  été  tous  ces  jours-ci  chez  Théo- 
phile et  je  ne  l'ai  pu  revoir.  Il  faudra  que  j'aille 
vous  voir.  J'ai  l'embêtement  du  musicien  qui  veut 
repartir  pour  Maline  (i  i5),  sans  quoi  je  serais  sûr 
de  vous  aller  trouver  demain.  Allez  toujours  à 
r Artiste.  J'ai  rencontré  tout  à  l'heure  le  ténor 
léger  qui  joue  de  votre  basse  à  la  porte  Saint... 

ADDIO. 


LIV 

A    HIPPOLYTE    LUCAS 


1848. 


Mon  cher  ami, 
Je  suis  bien  reconnaissant  de  votre  article  ;  tout 


LUI.  —  Date  de  la  poste. 
Liv.  —  Publ.  par  H.  Lucas. 


NOVlCMimK     l84l     AOUT    1 853 


le  inonde  m'en  a  parlé  hier;  il  était  excellent  et 
cliariuant.J('(M()is(ju'il  l'erai^ran(li)ieii  an  li\Te(i  lO), 
parce  (pi'il  y  a  là  volie  nom  et  celni  fin  journal,  et 
de  plus  parce  que  vous  avez  su  exciter  la  cui'iosité 
du  public  pour  l'ouvraj^e  qui  risrpiait  hien  autre- 
ment de  faire  le  peu  d'ett'ct  d'une  impression  de 
voyage  quelconque.  Encore  une  fois,  grand  merci. 
Le  Sartorius  a  puusst;  les  hauts  cris  en  entendant 
pariei"  d'un  livre  quelconque  à  mettre  an  jour, dans 
l'f'tat  des  affaires.  Il  dit  qu'on  ne  vendrait  pas 
3oo  exemplaires.  Cependant,  ce  serait  déjà  peut- 
être  couvrir  une  partie  des  plus  gros  frais,  et,  en 
attendant  un  peu,  on  gagnerait  l'hiver.  Si  vous  vou- 
liez faire  comme  moi  de  compte  à  demi  avec  lui,  je 
crois  la  chose  possible  et  de  plus  qu'il  est  le  seul 
homme  fini  saurait  en  vendre  à  l'étranger  plus  que 
d'autres,  à  Paris  autant  que  d'autres.  De  plus, 
( 'est  l'honnêteté  même  que  cet  éditeur.  J'irai  cau- 
ser de  cela  avec  vous  un  de  ces  matins. Car  je  vou- 
drais en  faire  autant  pour  autre  chose. 
Adieu  et  à  bientôt. 

GÉRARD    DE    NERVAL. 

LV 

AU    DOCTEUR    A...     [aUSSANDOu]    (1I7) 

28  avril  18^9. 
Mon  cher  ami, 

Xe  t'inquiète  pas  si  j'ai  découché  ;  c'est  la  faute 

LV.  —  Piibl.  dans  lu  Correspondance  littéraire, 8  novembre  i85i. 


l56  CORRESPONDANCE 


à  Théo.  Il  était  passé  minuit  quand  nous  sommes 
sortis  de  chez  un  de  ses  amis,  où  il  m'avait  invité 
à  dîner.  De  sorte  que,  ne  voulant  pas  réveiller  ta 
portière,  je  suis  allé  coucher  à  l'hôtel.  Aujourd'hui 
je  dîne  en  ville,  et  je  ne  sais  pas  encore  si  je  pour- 
rai rentrer  ;  mais  je  le  pense  bien. 
Ton  affreux  ami, 

GÉRARD. 


LVI 

AU    RÉDACTEUR  EN  CHEF  DU   MESSAGER  DES  THEATRES    (  I  I  8) 

8  mai  1849. 
Mon  cher  ami. 
Tout  littérateur,  comme  tout  artiste,  comme  tout 
homme  politique  appartient  à  la  publicité  ;  il  est 
même  difficile  de  tracer  nettement,  pour  cette  der- 
nière, la  ligne  qui  sépare  la  vie  publique  de  la  vie 
privée  ;  cependant  elle  existe,  un  peu  vague,  un 
peu  flottante,  il  est  vrai,  et  il  n'est  guère  permis 
qu'aux  amis  de  la  franchir  parfois  sur  quelques 
points.  Mais  n'y  a-t-il  pas  des  circonstances  parti- 
culières où  cette  liberté  peut  nuire,  soit  à  la  consi- 
dération morale  d'un  auteur,  soit  à  l'espoir  légitime 
pour  lui  d'un  honnête  établissement. 

LVI.  —  Publ.  par  Champfleury,  Grandes  figures. 


NOVEMBRE  1841  —  AOUT  l853  167 

Telle  est,  je  crois,  la  question  que  soulèvent 
certains  passages  de  l'article,  trop  bienveillant, 
du  reste,  que  notre  ami  Chanipfleury  a  bien  voulu 
consacrer,  jeudi,  à  un  de  mes  livres  dans  votre 
journal. 

Mon  principal  grief  se  rapporte  à  la  ligne  sui- 
vante : 

//  se  fait  mahométan  sans  trop  de  remords... 

Si  je  m'étais  fait  mahométan,  je  n'en  concevrais 
ni  trop,  ni  trop  peu  de  remords,  attendu  que 
probablement  j'y  aurais  longtemps  réfléchi,  et 
que  je  n'obéirais  dès  lors  qu'à  une  conviction  abso- 
lue. Mais  la  vérité  est  que  je  ne  me  suis  point  fait 
mahométan. 

La  preuve  même  que  Champfleury  ne  le  croit 
pas,  c'est  que,  dans  un  autre  passage  de  son  article, 
il  me  suppose  débarquant  à  Constantinople,  trou- 
vant la  ville  couverte  de  barricades,  et  écrivant 
sur  mon  carnet  : 

(f  J'ai  vu  tuer  aujourd'hui  beaucoup  de  monde. 
Accident.  »  (119). 

Ceci  serait  l'observation  d'un  mahométan  bien 
peu  convaincu  et  bien  peu  sympathique  pour  ses 
frères. 

Ce  ne  serait  même  au  fond  (]u'une  parodie  de 
cette  plu'ase  célèbre  :  «  J'admirais  la  sublime  hor- 
reur de  la  canonnade.  » 

J'ai  eu  le  malheur  d'assister  dans  cette  ville  de 


[58  CORRESPONDANCE 


Constantin ople  à  quelques  tueries  entre  les  Hellè- 
nes et  les  Grecs  ioniens,  et  j'en  ai  été  réellement 
très  affecté. 

J'ai  manqué  même  de  me  faire  tuer  par  des  harnais 
(portefaix  turcs),  pour  avoir  exprimé  mon  horreur 
touchant  l'exécution  de  l'Arménien  Ovaghim. C'était 
à  un  carrefour  du  marché  aux  poissons.  Les  hamals 
m'ont  dit,  c'est-à-dire,  ils  nous  ont  dit,  car  je  me 
trouvais  avec  le  peintre  Rogier  :  «  On  peut  bien 
aussi  couper  la  tète  à  ceux  qui  portent  des  cha- 
peaux. » 

Il  n'est  pas  moins  inexact  de  prétendre  que  je 
n'ai  remarqué  à  Cythère  (Cerigo)  qu'une  potence 
ornée  d'un  pendu.  Je  n'ai  fait  cette  observation 
que  comme  critique  de  la  domination  anglaise,  qui 
a  confisqué  les  libertés  de  la  république  des  Sept 
Iles. 

Je  ne  suis  donc  pas  un  sceptique  ne  m'occupant 
ni  de  politique  ni  de  socialisme...  Dans  ce  dernier 
cas,  comment  notre  ami  Champfleury  aurait-il  pu 
me  classer  parmi  les  membres  de  cette  association, 
mal  appréciée  jusqu'ici,  qu'on  appela  les  Bousin- 
gots? 

Le  drame  de  Léo  Burckart  même,  que  Champ- 
fleury affecte  d'appeler  «  son  grand  drame  »,  avec 
ce  sentiment,  peut-être,  que  lorsqu'on  en  a  jfait 
un  si  grand,  on  n'en  peut  plus  faire  d'autre..., n'est- 
il  pas  un  drame  politique  ? 


NOVEMBRE     1 84  1     AOUT     1 853  1 69 

Je  me  souviens  pourtant  que  la  salle  de  la  Porte- 
Saint-Martin  a  croulé  d'applaudissements,  quand, 
au  deuxième  acte,  un  des  étudiants  conspirateurs 
s'est  écrié  :  «Les  rois  s'en  vont!...  je  les  pousse —  » 

C'était  il  y  a  dix  ans.  Le  drame  avait  été  arrêté 
huit  mois  par  la  censure.  Et  vous  savez  Itien,  mou 
cher  ami,  vousqui  m'avez  soutenu danscctte œuvre, 
que  j'ai,  le  premier,  attaqué  la  censure,  comme 
illé^^ale,  par  le  ministère  de  M^  Schayé,  M.  Le- 
fèvre,  l'agréé  de  notre  société  des  auteurs  dramati- 
ques, m'ayaiit  refusé  son  concours. 

Grâce  à  ma  résolution,  aidé  de  votre  concours, 
mon  cher  ami,  le  ministre  me  rendit  la  pièce  qui 
est  la  seule  peut-être  qu'on  ait  pu  jouer  sous  la 
monarchie  sans  que  l'encre  rouge  y  eût  passé. 
Malheureusement  l'infortuné  Harel  n'ayant  pu  faire 
les  frais  de  décorations  nécessaires,  la  moitié  d'un 
acte  immense,  qui  représentait  l'intérieur  des  socié- 
tés secrètes,  dut  être  supprimé  aux  répétitions,  et 
je  doute  que  la  censure  eût  fait  mieux  que  ce  hasard 
spirituel. 

Je  ne  réponds,  ici  qu'à  la  partie  des  allégations 
de  mon  ami  Champfleury  qui  concerne  le  théâtre. 
A  ce  point  de  vue,  il  eût  dû  ne  pas  me  mettre  en 
lutte,  comme  orientaliste,  avec  M.  Empis  (120), 
qu'il  traite,  je  ne  sais  pourquoi,  d'académicien. 
M.  Empis  est   peut-être  de  l'Institut,   mais  je  ne 


l6o  CORRESPONDANCE 


crois  pas  qu'il  ait  jamais    publié  de   travaux   sur 
TEgjpte. 

Votre  ami  et  collaborateur, 

GÉRARD    DE  NERVAL. 


LVII 


A  H.   DE   SAINT-GEORGES 


19  mai  [1849]. 

Voici  deux  actes,  mon  cher  ami,  où  vous  recon- 
naîtrez, j'espère,  de  bons  éléments.  Ce  qui  est  mal 
rendu  dans  le  dialogue  prendra  de  l'intérêt  sous 
votre  plume  (121).  C'est  le  troisième  acte  surtout 
qui  appellera  votre  imag-ination.  Il  faudra  éviter  de 
changer  les  principaux  morceaux  de  chaut,  ce  qui 
causerait  un  retard  énorme  et  interromprait  l'étude 
commencée  de  la  musique.  La  teinte  des  scènes  mu- 
sicales est  un  peu  sombre  ou  solennelle.  Le  genre 
du  musicien  l'a  voulu  et  le  talent  de  madame 
Ugalde  (122),  la  cantatrice  engagée  pour  nous, 
s'en  accommode  parfaitement.  Il  faut  concevoir  ici 
non  un  opéra  comique,  mais  un  drame  lyrique 
comme  Haydée,  comme  Zampa. 

Comprenez  maintenant  ma  position.  Je  fais  près 
de  vous  une  è.é.ïi\diTc\\Q personnelle  qui  ne  deviendra 

LVII.  —  Publ.  dans  l'Amateur  d'autographes,  i"'  avril  1869. 


NOVEMBRE  l84l  —  AOUT  l853  l6l 

sérieuse  que  si  vous  ne  croyez  pas  de  trop  grands 
chang-ements  indispensables.  Autrement  nous  som- 
mes résolus  à  tout  faire  nous-mêmes  et  à  ne  rien 
abandonner  de  notre  droit  d'être  joués  d'une  façon 
telle  quelle. 

On  ignore  et  le  directeur  doit  ig-norer  que  je  vous 
ai  communiqué  le  manuscrit.  Ceci  est  entre  nous 
deux. 

Vous  comprenez  que  M.  Alboize(i 23) paraît  pré- 
férer Scribe  :  cela  ne  tient  nullement  aune  question 
personnelle.  Il  ne  vous  connaît  pas  et  connaît  Scribe, 
voilà  tout.  De  plus  il  consentirait  plus  volontiers  à 
se  subordonner  à  l'auteur  le  plus  ancien  ;  enfin  tout 
cela  n'est  rien  au  fond  et  le  musicien  et  moi,  nous 
en  viendrons  à  bout  facilement. 

Adieu,  je  viendrai  vous  voir  demain  vers  dix 
heures  du  matin.  Si  cela  vous  gêne,  laissez-moi  un 
mot  pour  ce  soir,  car  je  travaille  toute  la  journée. 
Votre  bien  affectionné, 

GÉRARD  DE  NERVAL. 

Ce  19  mai. 

LVIII 

A  STADLER 

[1849]  (124). 
Moucher  ami, 

Je  vous  écris   du   chemin  de  fer  où  j'ai  pris  ce 


102  CORRESPONDANCE 


livre. Voilà  les  pages  qui  vous  concernent.  Je  vous 
conseille  de  prendre  par  Calais,  le  passage  étant 
plus  court.  Observez  que  ce  n'est  guère  qu'au 
départ  de  i  h.  que  l'on  peut  prendre  les  3''^  places. 
Les  départs  des  paquebots  sont  fixés  par  la  marée. 
Vous  dépenserez  moins  à  Calais  qu'ailleurs  en 
allant  au  temple  de  l'Union,  grande  place  près  de 
l'omnibus.  Allez  manger  des  huîtres  sur  le  port. 
Vous  verrez  de  belles  filles  qui  ont  de  longues 
boucles  d'oreilles. 

Vous  pouvez  prendre  si  vous  voulez  le  paquebot 
direct  de  Londres  qui  part  2  fois  par  semaine, mais 
de  Londres  seulement  s'il  fait  beau,  car  on  met 
plus  de  temps  en  remontant  la  Tamise. 

La  3'^  classe  pour  Calais  est  17  fr.  la  2*=  2 3.  Il  y  a 
en  outre  un  omnibus  à  Saint-Pierre-lès«Calais. 
C'est  5o  cent,  ou  i  fr.  selon  les  heures.  Le  bateau 
est  5,  6  à  7  fr.  les  first  places.  Rail  wail  de  Dower 
à  London  7  à  8  fr.  cela  représente  en  tout  : 

7,5o 

3o,5o  plus  les  omnibus.  En  arrivant  à  Douvres, 
demandez  immédiatement  le  Railway- 

Suscription  :   A  Monsieur  E.  de    Sladler 
10  Quai  Napoléon 

à  Paris. 


NOVEMBRE  l84l  AOUT  l853  l63 

LIX 

AU  MINISTRE  DE  l'iNTÉRIEUR    (i25) 

17  juillet  1849. 
Monsieur  le  Ministre, 

J'ai  l'honneur  de  vous  demander  votre  souscrip- 
tion pour  un  volume  sur  l'Egypte, intitulé /<?*  Femmes 
du  Caire ^  scènes  de  la  vie  orientale.  C'est  la  réu- 
nion, corrigée  et  complélce,  de  divers  articles  pu- 
bliés dans  la  Revue  des  deux  mondes.  Sous  une 
forniétoute  littéraire  ce  livre  est  ccj)endant  le  résul- 
tat de  longues  études  sur  les  mœurs  des  habitants 
du  Caire.  Il  serait  lu  avec  intérêt  dans  toutes  les 
bibliothèques  qui  contiennent  déjà  des  ouvrages  sur 
l'Egypte,  .l'espère,  monsieur  le  Ministre,  que  vous 
daignerez  encourager  par  cette  souscription  les 
efforts  de  l'auteur  et  de  réditeur,M.Sartorius,  qui, 
dans  une  épo([ue  si  difficile  pour  la  librairie,  ne 
publie  cependant  que  des  ouvrages  d'art  et  de  lit- 
térature sérieuse. 

7  fr.  5o 

le  volume 

J'ai  l'honneur  d'être, 

Monsieur  le  Ministre, 

Votre  très  humble  et  très  obéissant,  serviteur, 

GÉRARD    DE  NKRVAL. 

Ce  17  Juillet  18/(9. 
Monsieur  le  ministre  de  l'Intérieur. 


i64 


CORRESPONDANCE 


LX 


[Septembre  i85o.] 

Mon  cher  Monsieur, 
Me  voici  de  retour  d'Allemagne  en  parfaite 
santé  (126).  J'ai  beaucoup  retravaillé  mon  travail, 
j'ai  moralement  fini.  Il  n'y  a  plus  qu'à  rajuster  des 
morceaux.  Mais  j'ai  absolument  besoin  d'épreuves. 
Si  vous  voulez,  vous  pouvez  commencer  pour  le 
prochain  numéro.  Dans  tous  les  cas,  je  vous  serai 
bien  obligé  de  donner  cette  copie  où  je  me  recon- 
naîtrai mieux.  Je  ne  m'occupe  que  du  reste  qui 
formera  encore  un  tiers  —  ne  doutezpasde  l'achè- 
vement, c'est  comme  fini  (127). 

Votre  bien  dévoué, 

GÉRARD   DE   NERVAL. 


LXI 

A  MONSIEUR   LE     REDACTEUR   EN    CHEF     DU  CORSAIRE     (128) 

[Octobre  i85o.] 

Monsieur, 
La  note  de  M.    Legros,  que   vous   avez    insérée 

LXI.  —  Publ.  dans  le  Corsaire,  du  3i  octobre  i85o. 


NOVEMBRE  l84l  —  AOUT  l853  l65 

dans  votre  numéro  de  ce  malin,  est  inexacte,  à 
cause  sans  doute  d'une  erreur  de  nom. 

Je  ne  suis  pas  le  même  que  M.  Gérard,  qui  était 
l'un  des  employés  du  bureau  de  l'Intérieur  que 
vous  appelez  bureau  de  V Esprit  public. 

Je  n'ai  jamais  fait  de  politique,  et  ceux  de  mes 
ouvra^^es,  pièces  ou  voyages  où  peuvent  se  rencon- 
trer des  paysag'cs  qui  prennent  couleur  ont  tou- 
jours été  écrits  dans  le  sens  libéral,  comme  on 
disait  autrefois  et  comme  on  peut  le  dire  encore 
aujourd'hui. 

Je  n'ai  jamais  eu  de  rapports  avec  la  monarchie 
de  Juillet,  ni  avec  la  précédente,  tout  en  admet- 
tant qu'on  ait  pu  honorablement  les  servir. 

J'ai  parlé  de  certains  vaudevilles  avec  le  senti- 
ment que  j'ai  éprouvé  en  les  écoutant,  et  qui  peut- 
être  était  aigri  par  l'impression  de  leur  peu  de 
valeur  littéraire. 

Tout  le  monde  n'est  pas  Aristophane.  A  celui-là 
je  pardonne  son  esprit  de  réaction. 

Je  n'ai  jamais  eu  de  mission  ni  pour  l' Allemagne, 
ni  pour  l'Orient  (129).  J'ai  seulement  touché  une 
indemnité  due  pour  la  suppression  d'une  pièce. 

J'espère  que  vous  voudrez  bien  rectifier  des 
assertions  qui  ne  me  laissent  aucun  ressentiment 
puisqu'ils  (sic)  sont  le  résultat  d'erreurs  maté- 
rielles. 


[66 


CORRESPONDANCK 


Je  suis,  avec  considération,  votre  dévoué  servi- 
teur, 

GÉRARD   DE  NERVAL, 

ancien  rédacteur  du  Corsaire. 
LXII 

A   ARSÈNE    HOUSSAYE     (  I  3o) 

[Novembre   i85o.] 

Mon  cher  floussaye. 

Je  retourne  dans  le  Valois  pour  continuer  CAbbé 
de  Buqiioij  et  revoir  Soissons  et  Laon,  d'où  nous 
sommes  orig^inaires  tous  deux,  moi  du  côté  de  ma 
mère, —  compatriotisme  et  affinité  !  — Je  crois  fer- 
mement que  cela  explique  les  sympathies.  Je  suis 
surtout  celui  qui  vous  doit  de  l'amitié  et  qui  vou- 
drait vous  en  rendre. 

Je  vous  embrasse. 

GÉRARD. 

LXIII 

A     CHARTENTIER  (l3l) 

i5  avril  i85i. 

Mon  cher  Charpentier, 
Je  viens  de  chez  Bida  (iSa).  Je  lui  ai  exposé  la 

LXII.  —  Publ.  par  A.  Houssaye,  le  Livre,  i883. 
LXIII.  —  Date  de  la  poste. 


NOVEMBRE    iS^l    —  AOUT    l853  167 


cliose  el  lui  ai  ilit  (ju'il  fallait  vous  tiailer  en  ami. 
II  parlait  de  5oo  et  s'est  arrêté  à  4oo.  Je  pense  que 
ce  n'est  pas  cher,  attendu  que  c'est  un  dessin  de 
premier  ordre  et  que  de  pareils  se  vendent  jusqu'à 
i5(»o.  Consultez  d'ailleurs  là  dessus.  Il  a  travaillé 
3  mois  et  dépensé  120  fr.  de  modèles  et  son  prin- 
cipal désir  est  de  voir  le  dessin  bien  placé.  Il  ne  le 
cédera  certainement  pas  au-dessous,  c'est  pourquoi 
je  ne  vous  dis  pas  le  mot  5oo.  Bida  gagnera  en- 
core au  Salon  prochain  par  les  belles  choses  qu'il 
a  en  portefeuille.  Le  temps  lui  a  manqué  pour  les 
exposer  celte  fois.  Si  vous  voulez,  nous  irons  le  voir 
ensemble  ;  il  déménage  et  cela  ne  pourra  être  que 
dans  trois  ou  (piatie  jours.  Vous  verrez  ses  magni- 
fiques dessins  d'Egypte  et  vous  entendrez  ses  re- 
grets de  ce  que  j'aie  traité  avec  vous.  N'importe,  je 
pense  que,  s'il  y  avait  lieu  plus  tard  à  une  édition 
illustrée,  vous  concéderiez  bien  quelques  extraits 
avec  une  addition  de  texte  particulière  à  la  publi- 
cçition.  Nous  causerons  de  cela. 

J'ai  rendu  la  4®  feuille  et  je  vais    à  l'impriinerie 
pour  la  5*. 

Votre  bien  dévoue, 

GÉRARD  DE   NERVAL. 

Ce  i5  avril. 

Suscriplion  :    Monsieur   Charpentier ,   Editeur 
26,  rue  de  Lille. 


l68  CORRESPONDANCE 


LXIV 

A   CHARPENTIER 


[Avril  i85i.] 


Mon  cher  Charpentier, 
Je  ne  reçois  vos  lettres  qu'aujourd'hui  parce  que, 
quoiqu'ayant  mes  meubles  dans  mon  logement  nou- 
veau, je  n'y  coucherai  qu'à  dater  du  8.  Comme  j'al- 
lais tous  les  jours  à  l'imprimerie  je  ne  m'attendais 
pas  à  une  lettre  de  vous.  Enfin  voici  le  titre  :  Je 
pense  qu'il  est  inutile  de  mettre  pendant  les  années, 
ce  qui  ferait  vieillir  vite  le  livre.  Mon  grand  tra- 
vail a  été  au  contraire  de  supprimer  les  choses  du 
moment  et  d'avoir  un  ouvrage  général  comme  les 
lettres  de  Lady  Montagne  (i33)  ou  les  aventures 
d'un  jeune  grec  ;  on  pourrait  seulement  mettre 

Egypte  Liban  Turquie, 

ce  qui  exprime  tout. 

Je  n'ai  jamais  été  en  arrière  pour  la  copie;  j'avais 
donné  une  centaine  de  pages  dès  les  deux  tiers  du 
P''  volume  et  j'ai  donné  autant  «  quand  on  m'en  a 
redemandé  n  à  première  réquisition.  Aujourd'hui, 
j'attends  depuis  samedi  les  3  premières  feuilles 
qu'on  m'a  promises,  mais  je  vais  donner  encore  cent 
pages  demain  et  je  ne  crois  pas  qu'on  ait  eu  à  les 
attendre. 


NOVEMBRE  l84l  —  AOUT  l853  169 

Du  reste,  le  premier  volume  a  été  assez  lestement 
fait  et  réellement  je  ne  me  suis  guère  occupé  d'au- 
tre chose  depuis  deux  mois.  Vous  devez  tenir  plu- 
tôt encore  à  avoir  un  ouvrage  très  soigné  et  digne 
de  rester,  qu'à  arriver  quelques  jours  plus  tôt  que 
le  possible.  Je  crois  du  reste  que  nous  aurons  peu 
de  difficultés  maintenant.  Mais  j'ai  fait  tout  en  cons- 
cience et  l'imprimerie  m'a  vu  tous  les  jours,  sauf 
ceux  où  rien  n'était  à  faire.  Vous  savez  en  outre 
qu'on  remet  toujours  un  peu  la  faute  sur  les 
auteurs...  Enfin  nous  avons  déjà  un  beau  volume. 

Le  Musée  des  familles  a  fait  hier  un  article. 
Votre  dévoué, 

GÉRARD   DE  NERVAL. 


LXV 

A  CHARPENTIER 

[28  avril  i85i .] 

Mon  cher  Charpentier, 

Je  viens  de  porter  presque  toute  la  copie  restante 
à  l'imprimerie.  Si  je  ne  l'avais  pas  donnée  plus  tôt, 
c'est  qu'ayant  changé  de  place  une  série  de  chapi- 
tres, je  craignais  les  remaniements. 

Je  vous  avais  prévenu  qu'il  y  avait  plus  à  faire 
dans  le  2^  que  dans  le  i®""  volume.  J'ai  ajouté  de 

LXV.  —  Date  de  la  poste. 


i  70  t;ORHF.Si*ONDANCE 


la  copie  pour  les  liaisons.  J'ai  dû  soumettre  aussi 
une  feuille  à  des  gens  de  Constantinople  pour  éviter 
les  inexactitudes.  Je  viens  de  rendre  cette  feuille, 
en  en  donnant  la  mise  en  page. 

Il  n'y  a  donc  qu'une  seule  feuille  que  j'aie  deman- 
dé à  voir  en  placard,  et  c'est  l'usage,  particulier  à 
l'imprimerie  de  M.  Gratiot,  de  ne  pas  donner  de 
placards,  qui  m'a  exposé  à  quelques  coupures  pré- 
cédemment. Cependant  ces  dernières  ne  portent 
que  sur  deux  ou  trois  feuilles,  et  il  y  a  au  moins 
les  trois  quarts  des  feuilles  qui  sont  revenues  avec 
des  corrections  purement  de  détail  ou  typographi- 
ques, sans  remanîments. 

Vous  comprenez  que  je  tiens  surtout  à  faire  une 
édition  classique  et  pure  de  fautes  autant  que  pos- 
sible. Je  me  suis  doinié  beaucoup  de  peine  pour 
cela,  n'ayant  pas  manqué  de  venir  à  l'imprimerie 
tous  les  jours  ,  sauf  quand  il  fallait  attendre.  Je  le 
fais  dans  l'intérêt  non  seulement  de  cette  édition, 
mais  des  autres  que  j'espère. 

Ce  que  je  donne  à  présent  forme  un  bloc  où  il  n'y 
aura  que  peu  à  revoir,  ainsi  que  dans  le  i^""  volume, 
qui  n'a  été  retardé  que  sur  3  feuilles,  lesquelles, 
ajoutées  à  l'ouvrage,  lui  donnent,je  crois,  beaucoup 
de  valeur. 

Votre  bien  dévoué, 

GÉRARD   DE  NERVAL. 

Ce  mercredi. 


NOVEMBRE  l84l  AOUT  l853  I7I 

LXVI 

A    CHARPENTIER 

[i85i.] 
Mon  cher  Charpeiilier, 
Vous  avez  bien  voulu  me  permettre  de  repro- 
duire un  morceau  de  mon  voyag-e  dans  un  journal, 
.l'ai  donné  au  Pays  le  conte  arahe  du  second  vo- 
lume qui  a  pour  titre  :  Histoire  de  Soliman,  prince 
des  génies  (i34).  Ecrivez-moi  si  vous  avez  quelque 
objection  quanta  ce  choix.  Ce  morceau  est  enterré  là 
et  cela  n'en  vaudra  que  mieux  pour  le  livre,  pour 
lequel  on  fera  une  annonce,  .le  vous  parlerai  d'autre 
chose  à  votre  retour  ;  cela  paraîtrait  dans  le  demi- 
feuilleton  consacré  aux  reproductions  dans  la  3^  page 
du  journal,  par  conséquent  sans  grand  éclat.  Votre 
bien  dévoué, 

GÉRARD  DE  NERVAL. 

J'ai   besoin  de  votre   réponse  tout   de  suite,  si 
vous  pouvez. 

LXVII 

A     ARSÈNE    HOUSSAYE 

9  novembre  i85i. 

Ne  vous  inquiétez  pasdeil/fsawMro/j/e  (i35).  Il 

LXVII.  —  Publ.  par  M"''  Julia  Cartier. 


CORRESPONDANCE 


y  a  trois  actes  faits  qui  sont  à  la  copie.  Vous  les 
aurez  successivement  d'ici  à  jeudi.  Nous  serons 
donc  en  mesure  pour  le  retour  de  Rachel.  C'est 
très  difficilç  et  plus  que  je  ne  croyais,  non  à  com- 
prendre mais  à  rendre  ;  ce  vieux  style  allemand 
à  la  française  résiste  tant  qu'il  peut.  Vous  vous 
rendrez  compte  des  difficultés  en  lisant.  Heureu- 
sement le  cinquième  acte  est  fini.  Je  compte  que 
tout  sera  traduit  le  20  sans  faute.  Mais  nous  au- 
rons à  faire  ensemble  pour  les  coupures  et  pour 
certains  rabibochag-es.; 


LXVIII 

A    PERROT    (l36) 

[20  novembre  1 85 1.] 

Mon  cher  Perrot, 
J'ai  écrit  avant-hier  à  M.  Cave.  Je  lui  ai  dit  qu'une 
somme  de  3oo  francs  pourrait  me  suffire  pour  tra- 
verser l'hiver  ;  s'il  était  possible  d'obtenir  126  francs 
par  mois,  de  décembre  à  mars,  cela  suffirait  abso_ 
lument  à  ma  dépense  et  me  permettrait  de  faire 
tranquillement  quelque  ouvrage  dont  je  trouverais 
ensuite  les  produits.  Voyez,  faites  pour  le  mieux, 
selon  que  vous  le  trouverez  disposé  à  mon  égard- 

LXVIII.  -^  Publ.  dans  le  Livre  moderne,  tome  IV,  juillet-décem- 
bre 1891. 


NÛVEMDRE  l84l  AOUT  l853  178 

M.  Blanche  m'a  dit  qu'il  fallait  toujours  un  certain 
temps  pour  que  la  chose  fût  terminée,  et  je  n'ai  plus 
d'argent  pour  loni^temps,  vous  le  savez. 

Dites  bien  d'ailleurs  à  M.  Cave  que  je  suis  cer- 
tain d'être  en  état  ensuite  de  me  passer  de  l'aide 
du  Ministère.  Je  n'y  avais  jamais  recouru,  et  je  fus 
longtemps  à  me  convaincre  que  mes  amis  avaient 
bien  fait  de  la  solliciter  pour  moi.  Enfin,  c'est  une 
grande  consolation  que  j'ai  d'avoir  trouvé  tant  de 
sympathies,  et  cela  surtout  m'encourage  à  rentrer 
avec  ardeur  dans  la  vie  et  dans  le  travail. 
Votre  bien  affectionné, 

GÉRARD, 

10,  rue  Saint-Hyacinthe-Saint-Michel. 


LXIX 

A   STADLER 

[6  janvier  i852.] 

Mon  cher  ami, 

Prenez  les  dix  francs  de  M.  Varin  et  allez  chez 
Marc  Fournier,  200,  rue  du  Temple,  au  coin  du  bou- 
levard (liiy).  Ensuite  vous  retirerez  là  le  billet  de 
bal  et  vous  le  donnerez  à  Mirault  où  vous  irez. 

Je  suis  un  peu  malade  et  à  l'hôtel  de  Normandie 
rue  du  Chantre. 

i.xix.  —  Date  de  la  poslc. 


174  CORRESPONDANCE 

Demander   M.  Gérard,  au  n°  C;  c'est  demain  7 
qu'a  lieu  le  bal. 
Adieu. 

Suscription  :  A  Monsieur  de  Stadler 
aux  Archives  nationales 

LXX 

A     STADLER 

[22  mars   i852.] 

Mon  cher  ami, 

Verteuil  vous  a  inscrit  pour  jeudi  (sauf  chang-e- 
ment)  avecuneautre  pièce  en  i  acte  (i38);  jelui  ai 
dit  que  vous  n'aviez  qu'un  acte,  ce  qui  l'a  décidé. 
Tâchez  au  surplus  d'y  aller  demain.  Je  suis  arrivé 
à  temps  parce  que  Beauvallet  était  venu  demander 
lecture  pour  un  Roméo  et  Juliette. 

Si  vous  voyez  M.  Varin,  dites-lui  donc  qu'il  peut 
faire  toucher  le  matin,  chez  Porcher,  6,  rue  de 
l'Ancry. 

Votre  ami,  gérard. 

LXXI 

A     STADLER 

Anvers,  12  [mai  i852.J 
Mon  cher  ami 
Je  vous  écris  du  port  d'Anvers  (i39),du  fond  d'un 

LXX.  —  Date  de  la  poste. 


NOVEMBRE  l84l  AOUT  l853  I7J 


estam  —  d'où  je  regarde  se  coucher  le  soleil  à  tra- 
vers les  mâts  des  vaisseaux.  J'attends  l'ouverture 
des  riddecks,  endroits  charmants  où  l'on  voit  dan- 
ser le  sexe  facile.  Je  me  l)ornerai,j'espère,à  ce  plai- 
sir que  le  jeune  V.  H.  m'envie  en  ce  moment, forcé 
([u'il  est  de  faire  gravement  la  société  de  son  père 
à  Brux.  J'ai  (piilté  aussi  et  laissé  assez  mornes  le 
A.D.  et  le  Parf.  son  intime  actuel  (i4o)-  Ces  hom- 
mes travaillent  effroyablement  ;  je  n'ai  pas  eu 
encore  tant  de  courage.  Il  s'agit  demain  matin  d'at- 
traper le  vapeur  néerlandais  et  de  se  réveiller  à 
temps.  Vous  vous  étonnez  sans  doute  de  ne  me 
voir  qu'ici.  Mais  je  me  suis  arrêté  partout  sur  ma 
route,  et  à  Bruxelles  notamment,  où  l'on  m'a  trop 
nourri.  Je  me  mets  d'aujourd'hui  au  régime  du 
hareng  saur,  car,  en  quittant  Bruxelles,  j'ai  été 
affligé  ce  matin  d'un  beefsteaclc  de  92  centimes.  Ils 
sont  meilleurs  à  76  chez  Véry  ;  c'est  du  reste  la  seule 
dépense  culinaire  que  m'ait  coûté  mon  séjour,  mais 
le  reste  !  Le  D.  est  très  bien  logé,  avec  le  Parf.  et 
sa  HUe.  Il  magnétise  une  boulangère  hystérique  et 
lui  fait  faire  des  contorsions  surprenantes  dont  elle 
n'a  plus  le  souvenir  au  réveil.  Je  la  plains  s'il  ne 
la  finit  pas,  mais  on  a  lieu  de  croire  qu'il  la  finit 
dans  le-  particulier.  L'émigration  est  assez  réservée 
et  peu  apparente,  quoiqu'elle  se  compose  de  plus 
de  mille  personnes.  Je  me  suis  un  peu  amusé  à  la 
kermesse  d'Ixelles  dimniiche  passé. 


176  CORRESPONDANCE 


Arrivons  au  sérieux. 

Remettez  la  lettre  ci-incluse  à  Gorges  (i4i)  ;  elle 
contient  ceci  de  grave  que  je  suis  fâché  qu'il  ne 
soit  plus  temps,  ce  12,  de  vousprier  d'aller  donner 
cong-é  de  ma  turne.  S'il  était  encore  temps,  faites- 
le.  Mais  ne  vous  en  préoccupez  pas  autrement. 

Adieu. 

GÉR. 


LXXII  i 

A    MÉRY  (142)  1 

[Gancl,  mai  1862.] 
Mon  cher  Méry, 
Je  suis  à  Gand,  de  retour  de  mon  voyage  en     j 
Hollande;  il  y  fait  si  mauvais  temps,  et  si  cher, 
que  je  n'ai  pas  eu  la  patience  d'y  rester  davantage. 
Maintenant,  je  ne  sais  où  j'irai,  peut-être  à  Paris  ; 
le  but  que  je  voulais  atteindre  était  surtout  de  me 
dégourdir  l'esprit  et  les  jambes,  après  une  conva- 
lescence plus  longue  qu'il  ne  semblait.  Je  n'avais 
pas  d'appétit,  je  me  levais  à  onze  heures;  aujour- 
d'hui je  me  lève  à  sept  heures,  et  je  déjeune  en  me 
levant;  ma  figure  ressemble  à  une  pomme,  je  ne 
sens  plus  d'eng-ourdissement  dans  les  pieds,  je  suis 

LXXII.  —  Publ.  par  Méry  dans  l'Univers  illiislré,  août  iSG/j. 


NOVEMBRE  l84l  AOUT  l853  I77 

redevenu  un  homme.  Ce  qui  m'a  le  plus  charmé 
en  Hollande,  c'est  la  kermesse  de  la  Haye  et  un 
petit  voyage  par  mer  à  Saardam,  ville  chinoise, 
avec  des  carrés  de  tulipes  (|ui  flottent  dans  les 
canaux,  et  une  foule  de  kiosques  peinturlurés.  Je 
ne  vous  parle  pas  de  la  maison  de  pierre  conservée 
et  contenue  dans  une  autre  maison  plus  neuve, 
c'est  le  pont  aux  Anglais.  J'ai  laissé  un  exemplaire 
de  l'Imagier  à  la  bibliothèque  de  la  Haye,  avec 
notre  double  signature.  Je  n'ai  pas  tenu  à  voir  le 
roi,  attendu  qu'il  a  été  un  peu  écœuré  par  le  non- 
suceès  de  l'opéra  qu'il  avait  demandé  à  S...  et 
à  ...,dans  le  but  de  favoriser  la  poésie  française.  Ce 
désagrément  rejaillit  sur  nous  tous.  J'ai  dit  seule- 
ment au  directeur  :  «  Mais  pourquoi  avoir  demandé 
cet  ouvrage  à  S...?  »  Il  m'a  dit  :  «  Mon  Dieu,  on 
ne  sait  à  qui  s'adresser  entre  tant  de  poètes  fran- 
çais; on  choisit  alors  celui  qui  tient  la  corde.  — 
Et  celui  qui  tient  la  corde  vous  a  étranglé,  lui  ai-je 
répondu.  » 

L'infortuné  directeur  a  poussé  un  couic  déses- 
péré; il  quittait  la  direction  le  surlendemain,  y 
ayant  mangé  ses  capitaux. 

A  propos  de  l'Imagier,  vous  savez  que  je  vous 
redois  toujours  ma  part  de  dépenses  (i43)?  nous 
arrangerons  cela.  Vous  comprenez  que  j'ai  dépensé, 
sans  rien  faire,  l'argent  que  je  devais  à  Porcher.  Il 
me  restait  126  francs  quand  je  suis  parti,  et  j'ai 


17^  CORRESPONDANCE 


emprunté  200  francs  pour  16  francs  d'escompte  et 
pour  deux  mois.  —  Sufficit.  —  Je  vous  reverrai 
probablement  d'ici  à  huit  jours,  mais  ne  le  dites 
pas,  je  vous  prie,  car  il  est  possible  que  je  m'éta- 
blisse dans  les  environs  de  Paris,  pour  rédiger  en 
paix  mon  voyage  dont  je  n'ai  pas  écrit  le  premier 
mot.  Je  me  sens,  du  reste,  bien  disposé  et  j'espère 
que  nous  pourrons  causer  de  quelque  chose  à  mon 
retour. 

Votre  ami, 

GÉRARD  DE  NERVAL. 


LXXIll 

A   JULES  DE  PRÉMARAY   (l44) 


LIBRAIRIE 
DE 


VICTOR    LECOU, 

10,  rue  du  Bouloi. 

[if'rjuin  i852.] 

Monsieur, 
Je  ne  vous  ai  pas  encore  remercié  de  votre  char- 
mant et  si  excellent  article  sur  l'Imagier.  J'étais 
alors  dangereusement  malade  et  je  me  suis  tout  à 
fait  remis  depuis,  en  faisant  un  voyage  danslé  nord. 
Voici  un  livre  qui  a  paru  pendant  mon  absence.  Ne 
vous  préoccupez  d'en  dire  quelques  mots  que  si  cela 

Lxxiii. —  Commiini(niée  par  M.  Couët. 


NOVEMBRE  l84l  AOUT  l853  179 

vient  dans  votre  cadre  et  sous  volie  plume.  .l'en  ai 
un  autre  encore  qui  paraîtra  dans  (pielques  jours. 
Votre  bien  dévoué, 

(iKRARD  DE  NERVAL. 

Ce  i"*"  juin. 

Suscription  :  A  Monsieur  Jules  de  Prémaray 
A  la  Patrie. 


LXXIV 

A    JULES   JANIN 

3  juin  i852. 

Mon  cher  Janin, 
Je  ne  vous  ai  pas  remercié  des  choses  si  aima- 
l)h\s(jue  vous  avez  dites  de  moi  à  propos  de  l'Ima- 
gier. J'ai  été  malade  tout  l'hiver,  en  comptant  la 
convalescence.  Je  ne  me  trouve  bien  remis  que 
depuis  un  voyai^c  que  je  viens  de  faire  dans  le 
nord. J'ai  vu  à  Amsterdam  les  fêtes  pour  la  statue 
de  Rembrandt  et  la  Kermesse  de  la  Haye.  J'irai 
vous  porter  dans  quclcjnes  jours  un  livre  sur  l'Alle- 
magne intitulé  Lnrrlij,  dont  l'introduction  vous  est 
adressée.Mais  avant,  je  vous  montrerai  les  épreuves. 
Vous  devez  avoir  reçu  celui  de  F^ecou.  On  s'occu- 

Lxxiv.  —   Communiquée  par  .M.   C.lémctit  Janin.  —  Cachet  de  la 
Poste. 


l8o  CORRESPONDANCE 


pait  beaucoup,  à  Amsterdam,  de  vos  feuilletons  sur 
l'Opéra.  Certainement  vous  aviez  pour  vous  le  bien 
dire  et  le  bien  faire. 

Votre  ami  dévoué, 

GÉRARD   DE    NERVAL. 

Ce  3  juin. 

Suscription  :  A    Monsieur,  Monsieur  Jules  Janin, 
20,  rue  de  Vaugirard 
à  Paris 


LXXV 

A    BULOZ 

[Aoùti852.] 
Mon  cher  monsieur, 
Vous  allez  voir  que  cela  me  coûtera   plus  que 
cela  ne  me  rapportera,   comme  le  voyage  de  Hol- 
lande. Quand  vous    m'avez  écrit,  j'étais    dans  le 
Valois  faisant  le  paysage  de  mon  action  (i45).  J'y 
repars  au  premier  rayon  de  soleil.  J'ai  trouvé  de 
bonnes  choses,  et  cela  prend  du  développement.  Pour 
moi,  c'est  fini,  c'est-à-dire  écrit  au  crayon  sur  une 
foule  de    morceaux  de   papier,  que  je    n'ai  qu'à 
récrire  :  un  bon  coup  de  collier  de  trois  ou  quatre 
jours  ;  mais  il  faut  que  je  reparte  pour  décrire  une 

LXXV.  —  Date  de  la  poste. 


NOVEMBRE     1 84 1     AOUT    1 853 


chasse  à  la  loutre  (i4G)  et  pour  des  détails  de 
mœurs.  Mairileiiant  nous  serons  forcés  de  faire  un 
écrit,  à  cause  de  l'éditeur,  pour  marquer  les  épo- 
ques. Je  doute  bien  d'être  prêt  pour  la  fin  du  mois; 
mais,  n'est-ce  pas,  il  vaut  mieux  que  ce  soit  mieux. 
Toutefois,  c'est  encore  possible.  Mais  je  vous  pré- 
viens. Il  serait  impossible  pourtant  que  cela  n'ar- 
rivât pas  au  i5  suivant.  Gela  m'est  nécessaire  en 
tous  cas.  L'afTaire  d'arrangement  avec  des  Anglais 
qui  m'achètent  les  Illuminés  m'a  un  peu  fait  per- 
dre de  temps,  mais  il  s'agit  de  plus  de  cinquante 
centimes  ! 

A  ces  jours  ci. 

Votre  dévoué, 

GÉRARD  DE  NERVAL. 

Suscription:  A  Monsieur  Bulos 
ou  à  M.  de  Mars 
Kj  rue  St-Benoît 
Marlij-le-Roi/  {Seine-et-Oise) . 

LXXVI 

A    STADLEK    (l47) 

[i852.] 
Un   souvenir,  mon   ami.  Nous  ne  vivons  qu'en 

i.xxvi.  —  Publ.  par  A.  lloussayc,  le  Livre,  i883. 


CORRESPONDANCE 


avant  ou  en  arrière.  Vous  êtes  à  Saint-Germain, j'y 
crois  être  encore. 

Dans  les  intervalles  de  mes  études,  j'allais  par- 
fois m'asseoir  à  la  porte  hospitalière  d'une  famille 
du    pays.  Les   beaux  yeux  de  la    douce   Sidonie 
m'y    retenaient  parfois  jusque    fort   avant   dans 
la  nuit.  Souvent,  je  me  levais  dès  l'aube  et  je  l'ac- 
compagnais, soit  à  Mareil  (sic),  me  chargeant  avec 
joie   des  légers  fardeaux   qu'on  lui  remettait.  Un 
jour,  c'était  en  carnaval,  nous  étions  chez  sa  vieille 
tante,  à  Carrière  ;  elle  eut  la  fantaisie  de  me  faire 
vêtir  les  habits  de  noce  de  mon  oncle  et  s'habilla 
elle-même  avec  la  robe  à  falbalas  de  ma  tante.  Nous 
regagnâmes  Saint-Germain  ainsi  accoutrés.  La  ter- 
rasse était  couverte    de    neige,  mais  nous  ne  son- 
gions guère  au  froid  et  nous  chantions  des  airs  du 
pays.  A  tout  instant,  nous  voulions  nous  embras- 
ser ;  seulement,  au  pied  du  pavillon  Henri  ÏV,  nous 
rencontrâmes  trois  visages  sévères.  C'était  ma  tante 
et  deux  de  ses  amies.   Je  voulus  m'esquiver,  mais    i 
il  était  trop  tard  et  je  ne  pus  échapper  à  une  verte     i 
réprimande  ;  le  chien  lui-même  ne  me  reconnais- 
sait plus  et  s'unissait  en  aboyant  à  cette  mercuriale    i 
trop   méritée.   Le  soir,    nous  parûmes  au  bal  du    * 
théâtre    avec    grand    éclat.    0    tendres    souvenirs 
des  aïeux.  !  brillants  costumes,  profanés   dans  une     ; 
nuit  de  folie,  que  vous  m'avez  coûté  de  larmes  !     ; 
L'ingrate  Sophie  elle-même  trahit  son  jeune  cava- 


NOVEMBRE  l84l  AOUT  l853  l83 

lier  pour  un    garde-du-corps  de  la  compagnie  de 
Graminont. 


LXXVII 

A    ARSÈNE    HOUSSAYE 

4  octobre  i852. 

Mon  cher  Houssaye, 
.1^  vous  prie  de  payer,  au  besoin,  à  M.  Porcher 
la  somme  de  cent  cinquante  francs  que  je  lui  dois, 
soit  sur  ce  qui  doit  me  revenir  de  la  traduction 
àii  Misanthropie  et  Repentir,  soïi  sur  ma  rédaction 
de  rAriiste(ili8). 

Votre  ailectionné, 

GÉRARD  DE  NERVAL. 

Suscription  :  A  Monsieur  Arsène  Houssaye 
directeur  de  la  Comédie  Française. 

LXXVIII 

A   STADLER 

[3o  uovenibrc  1802.] 
Mon  cher  ami, 
Je  ne  sais  si  Nefftzer  a  mis  la  note  (149);  dans 
le  doute,   je  lui  ai  envoyé  une  autre  noie  hier  que 

LXXVIII.  —  Date  de  la  poste. 


l84  CORRESPONDANCE 

j'ai  découpée  dans  un  Constitutionnel  .J'ai  vu  Weill 
hier.  II  fera  ce  qu'il  pourra,  mais  il  doute  qu'à  la 
Gasette  on  mette  la  note  telle  qu'elle  est.  J'ai  en- 
vie de  la  modifier  aussi  pour  l'Union,  où  je  ne 
connais  personne.  Mais  Monselet  vient  de  me 
donner  le  nom  de  M.  Emile  Fontaine,  que  j'irai 
voir  (i5o).  Si  Nefftzer  ne  la  met  pas  ce  soir,  il  fau- 
dra donner  une  autre  forme. 

Adieu. 

GÉRARD. 

Suscription  :  Monsieur  Eugène  de  Stadler 

2^,  Rue  Bréda  Paris. 

LXXIX 

A  STADLER 

ri852.] 
Mon  cher  ami, 

J'étais  très  nerveux  hier,  à  cause  d'une  bêtise 
que  j'ai  faite  ces  jours-ci,  et  qui  dure  encore  !  Je 
ne  sais  pourquoi,  j'ai  assimilé  dans  ma  tête  à  ce 
que  j'avais  fait  ce  que  je  croyais  devoir  vous  em- 
pêcher de  faire.  Ce  matin  cela  m'apparaît  autre- 
ment.Il  est  clair  qu'il  fautdonner  à  la  notela  forme 
officielle  et  non  la  forme  de  réclame.  Il  la  faut  la 
plus  simple  possible.  Laissez-moi  donc  la  note  au 
divan.  Sinon  j'irai  chez  vous  la  chercher. 

G. 


NOVEMBRE     1 8/}  I     AOUT     1 853  l85 

LXXX 

A   HIPPOLYTE   LUCAS 

[Fin  i852.] 

Mon  cher  ami, 
Voici  un  petit  livre  (i5i).   Vous  a-t-on  envoyé 
Lorrly? 3e  Vaxa'is  dit  aux  Giraud  et  Dag-neau.  S'ils 
ne  l'avaient  pas  fait,  écrivez-leur  donc  un  mot. 
Votre  affectionné, 

GÉRARD    DE  NERVAL. 

LXXXI 

A     ...,   (162) 

[Fin  i852.] 
Mon  cher  ami, 
N'oubliez  pas  ce  que  je  vous  ai  dit  ;  c'est  un 
coup  d'épaule  qui  sauvera  mon  hiver,  et  dont  je 
serai  profondément  reconnaissant.  Je  ne  songe- 
rais pas  à  cette  démarche,  moi  qui  viens  de  travail- 
ler douze  ans  sans  demander  aucune  aide  ;  mais 
ayant  été  si  dang-ereusement  malade  l'hiver  dernier, 
je  vois  avec  crainte  revenir,  avec  la  mauvaise  sai- 

Lxxx.  —  Communiquée  par  M.  Léo  Lucas. 


CORRESPONDANCE 


son,  un  certain  état  de  santé  qui  me  commande  un 
peu  de  repos  et  de  soins. 

Vous  savez  que  c'est  l'excès  de  travail  qui  m'avait 
mis  endang'er  et  j'ai  encore  beaucoup  écrit  depuis. 
J'ai  publié  deux  volumes  :  les  Illuminés  et  Lorely,  et 
des  articles  dans  les  Revues. 

Si  ce  que  je  demande  pouvait  s'appliquer  aux 
fonds  d'encouragement  pour  l'art  dramatique,  mes 
titres  sont  deux  opéras  comiques  :  Piqiiillo  et  les 
Monténégrins^  et  trois  grands  drames  :  Léo-Biirc- 
kart,  le  Chariot  d'Enfant  et  l'Imaffier, qui  a  rou- 
vert la  Porte -Saint-Martin. 

Si  c'est  sur  les  fonds  des  lettres,  vous  savez  que 
je  dois  exécuter  pour  Furne  un  voyage  descriptif 
de  la  Méditerranée  pour  lequel  j'ai  été  choisi,  comme 
auteur  du  Voyage  en  Orient  publié  par  Charpen- 
tier. Il  faut  que  je  commence  en  mars  et  que  je 
me  prépare  jusque-là.  Agissez  pour  le  mieux  en 
faisant  comprendre  ces  motifs  et  connaître  mon 
peu  d'habitude  des  sollicitations.  Je  ne  crois 
demander  que  ce  qu'on  pourrait  placer  moins 
bien,  considérant  le  soin  de  santé  nécessaire  et 
la  certitude  que  j'ai  de  m'employer  ensuite  à  des 
travaux  utiles. 

Je  vous  confie  le  soin  de  parler  pour  moi,  à 
vous  qui  m'avez  si  bien  soutenu  quand  j'étais  souf- 
frant cette  année. 

Voire  ami,  gérard  de  nerval. 


NOVEMBRE  lS4l  —  AOUT  l853  187 

LXXXII 

A    LOUIS   DE    GORMENIN 

[.853.] 
Mon  cher  Cormenin, 
Voici  Monsclet  que  vous  connaissez,  qui  a  fait 
un  ailicle  sur  les  Illuminés,  qui  n'est  pas  tout  en 
ma  faveur,  à  ce  qu'il  dit,  mais  j'aime  mieux  cela, 
et  au  contraire  s'il  se  trompait,  il  faudrait  en  ra- 
jouter. —  Voyez  donc  s'il  est  possible  qu'il  pût 
trouver  place  dans  cette  institution  nouvellement 
littéraire  (i53). 

Votre  affectionné, 

GÉRARD  DE  NERVAL. 

Suscription  :  A  monsieur  Louis  de  Cormenin 
au  Ministère  d'Etat. 


LXXXIII 

A    DIDIER 

fl853.] 

Mon  cher  Didier, 
Je   vous    envoie  mon  bon  ami  Guichardet,  qui 
veut  vous  parler  d'un    petit  livre  d'Henri  Blaze. 

LXXXII.  —  Communiquée  par  M.  Maurice  Tourneux. 


l88  CORRESPONDANCE 


Causez-en  avec  lui,  je  crois  que  vous  ne  serez  pas 
fâchés  de  vous  connaître.  Blaze  figurerait  très  bien 
dans  votre  collection  de  stylistes  (t54). 

GÉRARD     DE    NERVAL. 

Suscription  :  A  AIonsieurDidier  Editeur 
10,  Bue  des  Beaux- Art  s 


LXXXIV 

A    MADAME    DE  SOLMS    (l55) 

2  janvier  i853. 

Ne  me  donnez  pas,  chère  fée  bienfaisante,  le 
beau  livre  que  vous  m'avez  promis  pour  mes  étren- 
nes;je  les  convoitais  depuis  bien  long-temps,  ces 
beaux  volumes  dorés  sur  tranche,  cette  édition 
unique.  Mais  ils  coûteront  très  cher  et  j'ai  quelque 
chose  de  mieux  à  vous  proposer  :  une  bonne 
action.  Je  vous  sens  tressaillir  de  joie,  vous  dont 
le  cœur  est  si  chercheur  !  Eh  bien  !  voici,  ma  belle 
amie,  de  quoi  l'occuper  pendant  toute  une  semaine  ! 
Rue  Saint-Jacques,  n"  7,  au  cinquième  étage, crou- 
pissent dans  une  affreuse  misère  —  une  misère 
sans  nom  —  le  père,  la  mère,  sept  enfants,  sans 
travail,  sans  feu,  sans  pain,  sans  lumière. 

Deux  des  enfants  sont  à  moitié  morts  de  faim. 

i.xxxiv.  —  Publ.  dans  la  Petite  Presse,  26  octobre  i8û6, 


NOVEMBRE  l84l  —  AOUT  i853  i8g 

Un  de  ces  hasards  qui  me  conduisent  souvent  m'a 
porté  1;\  hier.  Je  leur  ai  donné  tout  ce  que  je  possé- 
dais :  mon  manteau  et  quarante  centimes.  0  misè- 
re !  Puis,  je  leur  ai  dit  qu'une  grande  dame,  une 
fée,  une  reine  de  dix-sept  ans,  viendrait  dans  leur 
taudis  avec  tout  plein  de  pièces  d'or,  de  couvertu- 
res, de  pain  pour  les  enfants.  Ils  m'ont  regardé 
comme  un  fou.  Je  crois  vraiment  que  je  leur  ai 
promis  des  rubis  et  des  diamants,  et,  ces  pauvres 
gens,  ils  n'ont  pas  bien  compris,  mais  ils  se  sont 
mis  à  sourire  et  à  pleurer. 

Ah  !  si  vous  aviez  vu  !  Vite  donc,  accourez, 
avec  vos  grands  yeux  si  doux,  qui  leur  feront  croire 
à  l'apparition  d'un  ange,  réaliser  ce  que  votre  pau- 
vre poète  a  promis  en  votre  nom.  Donnez  à  cette 
bonne  œuvre  le  prix  de  mes  étrennes,  car  je  veux 
absolument  y  concourir,  ou  plutôt  remettez  à  D... 
les  quatre-vingts  francs  que  devait  coûter  le  chef- 
d'œuvre  auquel  je  ne  veux  plus  penser,  et  je  cours 
au  Temple  et  chez  le  père  Verdureau  acheter  tout 
un  aménagement  de  prince  russe  en  vacances. 

Ce  sera  beau,  vous  verrez!  Vous  serez  éblouie  ! 
Je  cours  quêter  chez  Déranger.  Au  revoir,  petite 
reine,  à  bientôt,  au  grenier  de  nos  pauvres.  Nos 
pauvres  !  Je  suis  fier  en  écrivant  ces  mots.  Il  y  a 
donc  quelqu'un  de  plus  pauvre  que  moi  —  de  par 
le  monde!  N'oubliezpas  le  numéro.  Au  cinquième» 
second  couloir,  la  porte  à  gauche. 


igo  CORRESPONDANCE 


Adieu,  Mig-non,  chère  Mig-non,  douce  Mignon, 
providence  des  affligés,  mignonne  Mig-non,  si  douce 
et  si  fine,  si  peu  fière  et  si  gentille  !  Mettez  votre 
robe  à  grande  queue  et  vos  souliers  à  talons  !  Je  leur 
ai  promis,  gros  comme  le  bras,  une  grande  prin- 
cesse, plus  puissante  que  tous  les  puissants  de  la 
terre.  Ils  n'y  croiront  plus  quand  ils  verront  vos 
dix-sept  ans  et  votre  frais  sourire.  Mais  je  bavarde, 
je  bavarde  ;   adieu,    mignonne,   encore   adieu.  — 


Pardon,  madame. 


LXXXV 


[Printemps  iS53.] 
Mon  cher  Listz, 
Il  y  a  bien  longtemps  que  je  ne  vous  ai  écrit; 
cette  lettre  vous  vient  d'un  pays  où  je  vais  lorsque 
je  suis  bien  portant,  ce  qui  ne  m'est  pas  arrivé 
souvent   depuis    deux  années  (i56).  J'ai   souffert* 
d'une  maladie  nerveuse  dont  la  convalescence  a  été 
longue  et  qui  a  commencé  à  la  suite  d'un  excès  de 
travail  occasionné  par  une  pièce  de  théâtre  jouée 
dans  l'hiver  de  i85i  à  la  Porte-Saint-Martin.  Je 
vous  ai  parlé  de  ce  sujet  à  Weimar  (iSy).  C'est  une 
sorte  de  Second  Faust,  quej'ai  arrangé  avec  Méry, 

LXXXV.  —  Publ.  par  A.  Houssnyp,  le  Livre,  i883. 


NOVEMBRE  iS/jI  AOUT  l853  IQI 

parce  que  Dumas,  avec  qui  je  devais  le  faire  d'a- 
bord, n'était  plus  en  France.  Vous  compnMiez, quoi- 
que de  si  loin,  combien  les  affaires  de  ces  dernières 
années  ont  dérangé  les  relations.  Je  me  faisais  une 
joie  de  vous  proposer  cela  accessoirement,  comme 
sujet  d'opéra  pouvant  être  traité  dans  le  gonl  alle- 
mand (io8).  Puis  la  maladie  arrive;  plus  rien!  Je 
voudrais  cependant  vous  envoyer  cette  pièce  et  des 
livres  dont  je  vous  ai  parlé  dans  une  lettre  précé- 
dente. Je  vous  écrivis  de  Chantilly;  par  une  erreur 
de  suscription,  la  lettre  est  allée  à  la  Revue  des 
Deux  Mondes. 

Votre  ami, 

GÉRARD  DB  NERVAL. 


LXXXVI 

A     STADLER 

[26  mai  i853.] 
Mon  cher  ami, 

Je  vous  écris  très  au  hasard  et  ce  qui  m'a  fait 
hésiter,  c'est  que  j'ai  rencontré  le  g^rand  brun  avec 
qui  nous  avons  déjeuné  un  jour  chez  Cousinet,  et 
qui  m'a  dit  que  vous  deviez  aller  beaucoup  plus 
loin  que  Lyon,  vu  des  circonstances  qui  vous  y  en- 
traîneraient. Enfin,  si  vous  êtes  là,  je  vous  appren- 
drai du  moins  le  ^-rand  succès  qu'a  votre  imae^e  (^  1 69). 
Nous  en  avons  causé  une  heure  hier  avec  Georg-es 


192  COBRESPONDANCE 


(  1 60),  ainsi  que  de  vos  qualités  plus  précieuses  encore 
à  vos  amis.  Le  portrait  est  splendide  et  d'un  grand 
mérite;  il  fait  l'admiration  de  tous  et  de  toutes. 
Je  vous  dirai  du  reste  qu'il  n'y  a  rien  de  bien  nou- 
veau. Je  me  sens  beaucoup  mieux  et  je  reprends, 
ce  qui  a  été  difficile  et  est  dû,  avant  tout,  à  vous. 
J'ai  beaucoup  erré,  mais  je  retrouve  peu  à  peu  le 
goût  du  travail.  Ecrivez-moi  donc  si  vous  êtes 
encore  là.  Je  n'ai  rien  reçu  de  là-bas;  peut-être 
n'ont-ils  pas  mon  adresse  ;  mais  j'ai  fait  un  petit 
travail  qui  me  soutient  en  attendant.  Le  grand 
Gorges  a  eu  des  succès  dans  son  affaire  delà  marée, 
mais  il  vous  en  a  sans  doute  parlé.  Vous  amusez- 
vous  un  peu  dans  cette  localité,  tout  au  travers  du 
travail?  Chez  nous,  le  temps  change  à  tous  mo- 
ments et  il  est  rarement  beau.  J'espère  pour  vous 
que  vous  aurez  fait  la  grande  tournée  dont  on  m'a 
parlé  et  que  ma  lettre  ne  vous  trouvera  qu'au 
retour;  sinon,  revenez-nous  vite. 
Votre  affectionné, 
Ce  jeudi  26.  gérard. 

LXXXVII 

A    STADLER 

[10  juin   i853.j 
Mon  cher  ami, 
J'ai  reçu  votre  lettre  avec  bien  du  plaisir.  Je  suis 

LXXXVII.  —  Date  de  laf poste. 


NOVi^MBKE     18/41     AOUT     l853  1q3 

». • — ■ —  ' 

ail»'  chez  Théo  pour  le  portrait  ;  il  m'a  parlé  avec 
grande  estime  du  peintre  (161).  Je  vais  à  l'Artistp 
mettre  une  note  pour  relui  qui  fait  le  salon,  c'est 
sans  doute  Clément  de  Ris.  Je  vais  tâcher  de  voir 
au  Pays  si  c'est  Saint-Victor —  et  d'autres.  —  J'en 
ai  entendu  parler  de  tous  côtés  très  favorablement 
et  comme  d'une  belle  chose. 

Il  paraît  qu'il  tait  chaud  là-bas,  ici  cela  com- 
dîience.  Quand  revicndrez-vous  ?  On  m'avait  dit 
que  vous  iriez  peut-être  jusqu'en  Italie.  C'est  cela 
qui  serait  beau  et  j'en  serais  bien  content  pour 
vous  malgré  l'éloig-nement.  Ici  on  ne  parle  que  de 
guerre,  ce  qui  a  surtout  l'inconvénient  de  rendre  les 
transactions  difficiles.  Du  reste,  il  n'y  a  rien  de 
nouveau  comme  toujours.  Quand  vous  reviendrez, 
vous  retrouverez  les  mêmes  bons  hommes  faisant 
les  mêmes  mouvements  de  tête,  de  braset  de  jambes, 
comme  les  petites  fig-ures  qu'on  fait  travailler  en 
versant  du  sable.  Le  plus  actif,  c'est  toujours  (ior- 
g^es.qui  a  reçu  ce  mois-ci  un  second  versement  con- 
firmant son  affaire.  Moi,  j'ai  presque  terminé  le 
prospectus.  Je  me  trouve  enfin  tout  à  fait  bien  por- 
tant, car  jusque-là  j'avais  encore  des  papillons 
noirs.  Je  suis  un  grand  chien  de  ne  pouvoir  vous 
dire  combien  jo  vous  dois  et  à  quel  point  vous 
m'avez  sauvé  cette  année  comme  l'autre,  d'autant 
plus  que  j'ai  reçu  la  lettre  et  tout.  Il  est  impossible 
qu'une  créature  ait   plus  de  reconnaissance  pour 


194  CORRESPONDANCE 

une  autre, mais  tout  cela  vous  sera  compté  ailleurs; 
vous  le  dire  est  tout  ce  que  je  puis. 

Votre  ami, 

G. 

Suscription  :  A  Monsieur  Eugène  de  Stadler 

à  Valence-sur-Rhône 
Poste  restante. 


LXXXVIII 

A  CHARPENTIER 

[Juillet  i853.] 

Mon  cher  Charpentier, 

Je  vous  ai  parlé  d'exemplaires  qui  serviraient  à 
avoir  des  articles  pour  notre  livre  dans  ce  moment 
où  l'on  s'occupe  de  la  question  d'Orient.  J'ai  vu 
hier  Limayrac  à  la  Presse.  Il  veut  me  faire  un 
article,  pour  moi  seul,  samedi  en  huit.  Je  lui  envoie 
toutes  mes  œuvres.  Envoyez  donc  la  principale  à  la 
Presse  sous  son  nom  ;  autrement  il  demeure  rue 
des  Batailles,  9,  à  Chaillot,c'est  trop  loin  —  mais  à 
la  Presse,  on  est  fidèle  (162). 

Je  vous  écrirai  encore  pour /e  5" /ec/e  et  le  Pays  et 
le  Moniteur.  Mais  vous  savez  que  je  vous  ai  acheté 
des  exemplaires  en  d'autres  occasions  ;  ici,  c'est 
l'histoire  d'écouler  notre  édition  à  la  faveur  de  l'af- 


I 


NOVEMBRB    l8^I    —    AOUT    l853  IqS 

faire  d'Orient  ;  par  conséquent,  prenez  note  de 
ce  que  je  vous  demanderai,  et  comptez  le  moi 
sur  la  siiioante,  s'il  y  en  a.  Mon  motif  principal 
c'est  que  je  termine  un  article  pour  la  Revue  et 
que,  comme  il  y  a  long-temps  qu'on  n'a  rien  vu 
de  moi,  je  ne  suis  pas  fâché  des  propositions  ten- 
dantes à  me  ressusciter  un  peu. 
Votre  bien  dévoué, 

GÉRARD. 

J'irai  vous  parler  ytonYXçs  fragments,  bons  aussi, 
je  crois,  dans  l'intérêt  du  livre. 

LXXXIX 

A   HIPPOLYTE  LUCAS 

l853. 

Mon  cher  ami', 
Combien  je  vous  remercie  de  votre  trop  bonne 
appréciation  et  de  votre  souvenir,  moi  qui  vous 
ai  un  peu  oublié.  J'ai  été  un  peu  décourag-é,  il 
faut  le  dire,  par  Leroy,  qui  m'a  soulevé  des  diffi- 
cultés. Il  faudrait  rependant  voir  Deligny  (iG3)  et 
moi  j'ai  été  plein  d'ennuis  ces  derniers  temps-ci  et 
d'ouvrag-e  pressé  à  faire,  dont  j'ai  peu  fait  n'étant, 
pas  encore  en  très  bonne  santé.  Je  vais  vous  aller 
voir  un  de  ces  malins  et  causer  de  tout  cela. 
Votre  affectionné, 

Gr;RARD    DE  NERVAL. 
LXXXIX. —  Puhl.  par  H.  Lncas,  Portraits  et  Sonvenim  littéraires. 


CORRESPONDANCE 


XG 

A  H.    LUCAS 

i858. 
Mon  cher  ami, 
C'est  bien  l'idée  que  j'avais  eue  d'abord.  La 
flûte  enchantée  va  comme  de  cire  pour  les  deux 
sujets.  Notre  donnée  de  Francesco  fait  disparaître 
tout  le  commun  d'Aurore  où  il  y  a  deux  ou  trois 
scènes  et  un  dénouement  remarquables.  Je  crois 
que  le  caractère  de  la  rivale  est  très  bien  et  la  sup- 
position d'une  femme  chargée  de  remplacer  la 
morte  par  sa  ressemblance  rentre  bien  dans  le^ 
sujet  tel  que  je  l'avais  conçu  ;  l'intervention  de 
l'Inquisition  et  Francesco  indigène  qui  veut  briser 
tout  le  prestig'e  forment  une  scène  essentiellement 
dramatique,  et  le  dénouement  d'Aurore  est  parfait. 
La  scène  où  le  comique  fait  des  prodiges  est  très 
bonne,  comme  vous  disiez.  Il  y  aura  de  plus  la  sou- 
brette qui  le  lutine  comme  dans  la  flûte  enchantée. 
J'irai  d'ici  à  deux  ou  trois  jours  élucider  le  sujet 
avec  vous  J'en  cherche  la  combinaison.  Voyez  un 
peu  l'histoire  d'Italie  au  temps  des  Médicis.  Il 
faut,  je  crois,  que  Francesco  soit  fils  d'un  Médicis 
ou    d'un  souverain   quelconque  assassiné,  ou   fils 

xc.  —  Publ.  par  H.  Lucas,  Portraits  et  Souvenirs  littéraires. 


NOVRMBIVE    l84l    AOUT    l853  1 97 


inconnu,  perdu,  ou  souverain  lui-même,  ou  petit- 
fils  du  g-rand  Duc,  car  il  ne  faut  rien  nég-lig-er  pour 
donner  de  l'importance  à  l'épreuve  qui  ne  doit 
pas  porter  seulement  sur  l'amour,  en  ce  que  trop 
de  gens  y  sont  intéressés.  Enfin,  nous  verrons 
cela  (i()/i). 

Votre  ami, 

GÉRARD  DE  NERVAL. 

Ne  dites  pas,  pour  cause,  que   nous  travaillons 
à  cela. 


-    XGI 

A     DE  MARS 

[29  juillet  i853.] 

Mon  cher  de  Mars, 
Je  vais  vous  en  porter  demain.  Je  reviens  de 
Chantilly,  où  j'étais  allé  pour  prendre  un  paysage. 
Je  suis  sûr  de  l'histoire,  mais  non  de  ne  pas  Técour- 
ter.  Après  tout,  nous  ferions  un  autre  morceau 
sous  un  autre  titre.  Autrement,  cela  n'en  finira  pas. 

A  demain. 

GÉRARD. 

xci.  —  Date  de  la  poste. 


CORRESPONDANCE 


Cependant  s'il  y  avait  un  moyen.  —  La  seule 
hâte  me  fait  travailler,  comme  toujours.  Sinon,  je 
perle  trop  (i65). 

Suscription  :  Monsieur  de  Mars,  à 

la  Revue  des  2  mondes 

I g,  rue  Saint-Benoit. 


ITÏ 

AOUT  i853  —JANVIER  i8o5 


A  la  maison  Blanche,  27  aoyt  1853-27  mai  i854.  —  Les  Filles  du 
Feu,  i85/(. —  Voyage  en  Allemas^ne,  mai-juillet  1804.  —  Retour  à 
la  maison  Blanche,  8  aoùt-19  octobre  i854.  —  Mort  de  Gérard, 
20  janvier  i855. 


xcu 


AU  D'    LABRUME 


i"'  septembre  i853. 

Mon  cher  papa, 
Tu  sais,  la  dernière  fois  que  je  t'ai  vu,  combien 
j'étais  heureux  d'une  affaire  qui  venait  de  se  termi- 
ner favorablement  pour  moi.  La  joie  m'adonne  un 
peu  d'excitation,  et  je  suis  à  Passy,  chez  des  amis, 
dans  une  maison  superbe  et  dans  de  beaux  jar- 
dins (i66).  Ne  te  tourmente  pas  au  sujet  de  cette 
campagne,  où  il  faut  que  je  passe  quelques  jours. 
C'est  un  simple  complément  de  santé  qu'il  faut  que 
j'y  trouve.  On  a  dû,  au  reste,  te  prévenir  déjà.  Si 
Gabrielle  voulait  venir,  je  t'écrirais  de  nouveau, 
car  c'est  bien  loin  pour  elle.  Si  tu  avais  à  m'écrire, 
c'est  rue  de  Seine,  n°  2,  maison  de  santé,  à  Passy. 
Donc,  je  suis  certain  de  pouvoir  t'embrasser  d'ici  à 
quelques  jours. 

Ton  fils, 

GÉRARD. 

Chez  M.  Blanche, à  Passy. 

xcu.  —  Publ.  par  A.  Iloiissaye,  taPresse,  in  septembre  18O2.  — 
Date  de  la  poste. 


CORKESPONDANCE 


Suscription  :  AM.  le  Docteur  Labrunie^  ancien  mé- 
decin en  chef  des  hôpitaux  militaires . 

XCIII 

A   STADLER  (167) 

[Septembre  i853.j 
Mon  cher  ami, 

Vous  savez  qu'il  m'est  survenu  encore  un  petit 

accident —  toujours  la  tête  —  mais  j'apprends  peu 

à  peu  à  dominer   le  mal.  Je  suis  chez    Blanche  à 

Passy  et  je  me  sens  tout  à  fait  remis.  Venez  donc 

me  voir,  si  vous  pouvez,  sinon  j'irai  vous  trouver, 

dans  très  peu  de  temps,  j'espère. 

Votre  ami, 

GÉRARD. 

Et  la  source  ? 

Suscription  :  A  Monsieur   Eugène 

de  Stadler,  Archiviste, 

21,  Rue  de  Bréda,  Paris. 

XCIV 

A    STADLER    (168) 

[Septembre  i853.] 
Il  y  a  cinq  à  six  jours,  j'ai  été  pris  d'un  trans- 

xciii.  — Publ.  dans  l'Inlermédiaire  des  Chercheurs. . .,  3o  juil- 
let 1905. 

xciv.  —  Publ.  par  Arvède  Bariuc  (collection  Spœlberch  de  Loven- 
joulj. 


AOUT     l853    JANVIKK     l8Ô5 


poil  au  cerveau  eu  vous  quillaul;  j'ai  fail  des 
folies.  Avec  un  esprit  plus  sain,  je  vous  écris  de 
venir  me  voir,  si  vous  pouvez,  chez  M.  Blanche,  à 
Passy.  N'ai-je  pas  laissé  chez  vous  mon  gilet?  Je 
ne  sais  ce  qu'est  devenu  mon  argent,  du  moins  ce 
qui  m'en  restait.  Mais  tout  se  retrouve  —  comme 
tout  se  paie,  —  suivant  le  mot  que  Balzac  attribu- 
ait au  grand  homme.  Venez  vite. 

Post-scriptuni. —  Vous  n'avez  pas  perdu  la  tète 
de  Christ  (169)  ?  Bien  des  choses  à  Méry  ;  dites- 
lui  ce  qui  m'est  arrivé.  —  Et  l'oiseau  rare  ? 

xcv 

A  THÉOPHILE  GAUTIER 

[Septembre  i853.] 
Mon  cher  Théophile,  on  te  dit  revenu  des  cour- 
ses de  taureaux  de  Bayonne  (170).  Viens  donc  me 
voir  chez  Blanche,  où  je  me  trouve  fort  à  propos 
pour  guérir  un  peu  ma  tète;  je  crois  qu'enfin  cela 
va  mieux,  ma  chi  lo  sa  ? 

XGVI 

A  STADLEK 

[21  septembre  i8ô3.] 
Mon  cher  Eugène, 
Venez  donc  dîner    chez    Blanche    jeudi  (après 


xcv.  —  Publ.  par  Arvède  Parine,  Nécrosés. 
xcvi.  —  Date  de  la  poste. 


2(»Z|  CCRRESPONDAXCE 


demain).  Il  y  aura  Méry,  Houssaye  et  Chatillon 
(171).  Tâchez  d'apporter  votre  musique  pour 
Antony  (172). 

Votre  ami,  I 

GÉRARD. 


Ce  mardi. 


XGVII 


[23  septembre  i853.j 
Mon  cher  Méry, 
Envoyez  vile  à  Théo  ce  qui  est  imprimé  de  la 
pièce.  Il  fera  de  grandes  citations,  surtout  le  Ser- 
pent (173). 
Votre  ami, 

GÉRARD. 

Suscription  :  Monsieur,  Monsieur  Mérij 

5  bis  Rue  Lamartine, 

Paris. 

XCVIII 

A    STADLER   (l74) 

le  7  octobre  [i853]. 
Mon  cher  ami. 
On  m'a  ramené  à  la  maison  Blanche,  assez  gra- 

xcvii.  —  Date  de  la  poste. 


AOUT  l853  —  JANVIER  l855  205 

vemenl  malade  par  suite  d'excitations  que  je  vous 
expliquerai.  Ayez  donc  la  bonté,  si  vous  êtes  à 
Paris,  de  vous  occuper  de  mon  affaire  de  déména- 
g^ement,  car  le  logement  avait  été  mis  primitive- 
ment sous  votre  nom,  mais  les  quittances  sont  au 
mien.  Cela  peut  faire  complication.  Si  je  ne  suis 
pas  assez  bien  portant  pour  qu'on  me  laisse  sortir, 
occupez-vous  de  cela  et,  comme  je  ne  puis  toucher 
l'argent  qu'il  me  faudrait,  demandez-en  provisoire- 
ment à  Houssaje,  ou  à  quelque  autre  de  nos  amis. 
Je  ne  voudrais  pas  charger  de  ces  frais  le  bon 
M.  Blanche, qui  a  déjà  tant  fait  pour  moi. 
Enfin,  voyez  cela  et  faites  pour  le  mieux. 
Votre  ami, 

GÉRARD. 

XCIX 

AU  d""  labrunie  (175) 

Ce  21  octobre  i853. 
Mon  cher  papa, 

Tu  n'as  pas  répondu  à  ma  dernière  lettre  datée 

de   Passy,   mais   on   m'a  dit  que  tu  avais  envoyé 

Evariste  et  que  l'on   te  tenait  au  courant  de  Tétat 

de  ma  santé.  Tu  sais   alors  que  je  vais  très  bien 

depuis  quatre  ou  cinq  jours,  après  une  rechute  assez 

grave  à  ce  qu'on  dit,  et  dont  M.  Emile  Blanche  m'a 

tiré.  Je  n'ai  point  souffert  du  reste  et  je  ne  puis 

i3 


206  CORRESPONDANCE 


dire  que  ma  raison  ait  été  sérieusement  attaquée. 
Il  y  avait  seulement  une  forte  agitation  due  en  par- 
tie à  la  contrariété  d'être  soumis  à  un  régime  sé- 
vèrCj  en'partie  aussi  à  l'effet  nerveux  que  produisait 
en  moi  le  voisinage  des  autres  malades.  Je  crains 
que  ceux  de  mes  amis  qui  ont  été  admis  à  me  voir 
(deux  seulement,  Eugène  de  Stadler  et  Georges 
Bell,  que  tu  as  vu  avec  moi,)  ne  se  soient  trop  in- 
quiétés d'une  irritation  qui  ne  tenait  qu'à  la  crainte 
de  ne  pouvoir  faire  mes  affaires  et  répondre  à  mes 
engagements.  On  m'a  pleinement  rassuré  là-dessus, 
et  M.  Blanche  a  eu  la  bonté  de  faire  fairemon  dé- 
ménagement. On  a  meublé  avec  une  partie  de  mes 
meubles  et  tableaux  une  jolie  chambre  donnant 
sur  un  jardin,  dominé  par  les  maisons  de  Passy. 
Nous  avons  la  jouissance  d'un  jardin  et  du  parc 
deux  fois  par  jour  (i  76);  enfin  je  suis  d'une  santé 
ridicule,  si  bien  que  je  suis  forcé  de  sauter  toute 
la  journée  et  de  faire  des  exercices  gymnastiques 
pour  me  calmer  un  peu.  Je  suis  comme  un  enfant, 
je  chante  et  je  ris  à  tout  propos,  ce  qui  étonne  un 
peu  les  gens  qui  ne  savent  pas  que  cela  est  dans 
mes  habitudes,  du  moins  lorsque  je  n'ai  pas  d'in- 
quiétudes graves.  C'est  toi,  avant  tout,  que  je  vou- 
drais voir,  car  bien  souvent  je  ne  chante  et  ne  ris 
que  pour  m'étourdir,  et  ne  pas  penser  aux  absents 
chéris,  ni  aux  présents,  qui  sont  de  pauvres  diables 
plus  malades  que  moi,  convalescent  (177).  J'avoue- 


AOUT  i853  —  JANVIER  i855  207 

rai,  fi  la  lionte  de  l'art  d'Hippocrate,  que  l'on  ne 
comprend  pas  assez  que  le  voisinage  des  malades 
rend  malade,  surtout  dans  les  affections  mentales 
ou  nerveuses.  Les  nerfs  s'agitent  de  l'agitation 
voisine  comme  les  cordes  à  boyau  dont  on  nous 
parlait  en  physique.  Je  ne  puis  persuader  à  per- 
sonne ici  que  je  suis  un  peu  médecin,  ayant  suivi 
deux  ans  les  cours  de  l'Ecole  et  la  clinique  de  l'IIô- 
tel-Dieu  (178).  On  ne  veut  pas  croire  que  j'ai  soi- 
gné des  malades  pendant  le  choléra  et  que  j'ai  fait 
alors  une  centaine  de  visites  avec  ou  sans  toi.  On 
n'en  douterait  pas  si  je  m'étais  cru  assez  utile  alors 
pour  demander  la  médaille.  Mais  je  ne  voudrais 
constater  qu'une  chgse,  c'est  que,  joignant  à  d'im- 
parfaites études  médicales  l'observation  philosophi- 
que et  l'expérience,  ayant  traversé  des  villes  pesti- 
férées comme  Damiettc  etMansourah,sans  la  moin- 
dre crainte,  ayant  lutté  à  coups  de  chaise  contre 
un  terre-neuve,  devenu  enragé  depuis,  et  qui  avait 
cruellement  déchiré  un  de  mes  amis  (Ed.  Féret) 
(179),  j'ai  quelque  droit  à  donner  mon  opinion  et  à 
me  dire  hakim.  Comme  je  ne  mens  jamais,  ou,  du 
moins,  comme  je  ne  mens  plus,  je  deviens  un  peu 
comme  Cassandre,  ce  qui  me  rappelle  deux  vers 
de  ce  bon  Lingay,  l'ancien  secrétaire  de  M.  Gui- 
zot (180)  : 

Près  de  chaque  ministre  où  j'ai  daigne  descendre. 
J'étais  une  Cassandre,  à  côté  d'un  Cassandre. 


208  CORRESPONDANCE 


Enfin,  espérons  qu'Esculape  nous  sauvera  d'Hip- 
pocrate  ou,  sans  quoi,  je  me  range  du  parti  de 
Molière  et  de  Jean-Jacques,  fût-ce  contre  toi-même 
qui  serais  bien  fâché  de  m'en  vouloir,  et  qui  te 
traites  sans  drog-ues,  ni  prescriptions  magistrales, 
de  façon  à  vivre.  Dieu  merci  !  les  six  vingt  ans  accor- 
dés par  l'Ecriture  à  la  race  adamique. 

Enfin,  écris-moi,  envoie  mon  cousin,  viens  si  tu 
peux,  que  je  voie  un  visage  de  parent,  ne  comptant 
plus  guère  sur  mes  amis  ni  sur  mes  amies  qui  se 
laissent,  je  trouve,  bien  facilement  décourager  ou 
consoler  de  ne  me  voir  plus  ! 

J'ai  appris  que  cette  pauvre  Gabrielle  était  dans 
un  état  désespéré,  morte  peut-être  ;  c'est  un  de  mes 
grands  regrets  de  n'avoir  pu  continuer  à  l'aller 
voir  et  assister.  Enfin  l'on  m'a  dit  que  tu  l'avais 
remplacée.  Mais  je  ne  la  regrette  pas  seulement  à 
cause  des  services  qu'elle  te  rendait.  Elle  était  aussi 
très  bonne  pour  moi.  J'aurais  encore  bien  des 
choses  à  te  dire,  mais  l'heure  approche  où  M.  Blan- 
che doit  venir  et  j'ai  encore  à  écrire. 

Je  t'embrasse  de  tout  mon  cœur. 
Ton  fils, 

GÉRARD  LABRUNIE  DE  N. 

Suscription  :  A  Monsieur  le  Docteur  Labrunic^ 
ancien  médecin  en  chef  militaire^ 
52 ,  Rue  Culture  Sainte-Catherine 
à  Paris. 


AOUT     ï8o[\    JANVIER     l855  2O9 


AU  Df  LABRUNIE  (181) 

Ce  22  octobre  i853. 

Mon  cher  papa, 
Voilà  une  troisième  lettre  que  je  t'écris  depuis 
que  je  suis  ici.  On  m'a  conseillé  de  ne  pas  envoyer 
la  seconde,  qui  était  encore  un  peu  bizarre,  du 
moins  aux  yeux  des  docteurs.  Tu  as  dû  en  rece- 
voir une,  et  tu  as  envoyé  Evariste,  qui  n'a  pu  me 
voir.  Aujourd'hui,  je  vais  très  bien,  et  ce  qui  le 
prouve,  c'est  que  je  dois  dîner  aujourd'hui  au  châ- 
teau avec  M.  Blanthe  et  Chatillon,  un  de  mes  bons 
amis.  Dis  donc  à  Evariste  qu'il  revienne.  Ma  rechute 
a  duré  une  huitaine  de  jours,  mais  je  n'ai  pas  souf- 
fert. M.  Blanche  a  fait  faire  mon  déménag^ement  et 
je  suis  ici  dans  mes  meubles,  avec  mes  livres  et 
mes  tableaux.  Tâche  donc  de  venir  un  jour  par 
l'omnibus,  que  l'on  prend  sur  la  place  du  Palais- 
Royal,  pour  Passy.  Du  reste,  j'irai  te  voir  demain 
ou  après,  si....  La  prolongation  de  mon  séjour  est 
due  surtout  à  certaines  bizarreries  qu'on  avait  cru 
remarquer  dans  ma  conduite.  Fils  de  maçon  et 
simple  loiwelenii,  je  m'amusais  à  couvrir  les  murs 

c.  —  Piil)l.  par  A.  Honssaye,  la  Presse,  a?  sppicmbrc  igGs. 

i3. 


CÛRUESPONDANCE 


de  figures  cabalistiques  et  à  prononcer  ou  à  chan- 
ter des  choses  interdites  aux  profanes;  mais  on 
ignore  ici  que  je  suis  compagnon-égyptien  (refik). 
Enfin,  j'en  suis  sorti  et  je  ne  souhaite  à  personne 
de  passer  par  les  mêmes  épreuves.  Si  la  vie  est  un 
voyage,  je  demande  à  voyager  quelques  jours  pour 
ma  santé.  J'ai  écrit  à  M"^^  Alexandre  Labrunie  pour 
les  arrangements  relatifs  à  notre  terre.  C'est  là  que 
je  voudrais  aller  faire  une  promenade  pour  savoir 
quelle  est  la  valeur  du  quartier  de  terre  qu'elle  veut 
me  céder  à  Nerval.  L'affaire  ne  serait  pas  mauvaise 
au  prix  ancien,  car  il  y  a  un  tracé  de  chemin  de 
fer  local  qui  doit  passer  par  là,  à  ce  que  m'a  dit  der- 
nièrement un  ingénieur  des  Ponts-et-chaussées.  Je 
la  paierais  en  annuités  ou  autrement,  quand  je 
saurai  le  prix  actuel  de  la  terre  dans  le  pays.  Nos 
fermiers  ont  deux  autres  lots  revendus  par  mes 
autres  cousins,  et  en  s'entendant  avec  eux,  on  refe- 
rait en  partie  l'ancienne  propriété  de  mon  grand- 
oncle  Olivier  Béga.  Gela  me  serait  un  moyen  d'éco- 
nomie et  d'avenir  (182). 

Je  m'étends  sur  ce  sujet,  parce  qu'on  m'a  dit  que 
tu  étais  informé  de  ma  santé,  et  l'on  me  dit  égale- 
ment, chaque  fois  que  je  m'en  informe,  que  tu  te 
portes  très  bien.  J'ai  appris  avec  douleur  la  mort 
de  la  pauvre  Gabrielle.  Mais  cela  était  prévu.  Enfin, 
j'espère  que  cela  ne  t'a  causé  aucun  nouvel  embar- 
ras. 


AOUT    l853    JANVIER     iS.jS 


Je  t'embrasse  de  tout  mon  cœur. 
Ton  fils, 

(JÉRARD  LABRU.ME  DE   N. 

Maison  de  santé  Blanche  (Passy). 


CI 

AU  D''  blanche 

[27  novembre  i853.] 
Mon  cher  Emile, 

Aujourd'hui,  dimanche  27  novembre,  trois  mois 
après  mon  entrée  chez  vous, mes  épreuves  sont  ter- 
minées, et,  pour  parler  comme  les  Initiés  :  «  J'ai 
déposé  la  clef  d'Osiris  sur  l'autel  de  la  Sag-esse.  » 
Je  me  sens  délivré  d'une  g-rande  responsabilité,  et 
n'étant  pas  Cinna,  c'est-à-dire  un  traître,  je  ne  me 
sens  nullement  embariassé  du  rôle  d'Ovide.  Si 
mes  sentiments  m'exilent  chez  les  Sarmates,  je 
n'y  vois  pas  d'inconvénient.  En  attendant,  je  me 
plais  ici  et  j'y  aime  tout  le  monde,  surtout  les 
dames,  et  surtout  vous,  qui  savez  être  le  médecin 
de  l'àme  non  moins  que  celui  du  corps. 

Prenez-moi  pour  votre  acolyte,  comme  vous  me 
l'avez  promis,  et  je  marcherai  sans  peur  contre 
tous  les  fléaux.  J'ai  prouvé  déjà  que  je  ne  craignais 

CI.  —  r'ubl.  par  Houssayc,  le  Livre,  i883. 


CORRESPONDANCE 


ni  le  choléra,  ni  la  peste,  ni  la  rag^e.  J'ai  aidé  mon 
père  contre  le  premier,  j'ai  bravé  la  seconde  au 
Caire  et  à  Damiette,  et  j'ai  combattu  la  dernière 
en  sauvant  un  homme.  Je  voulais  trop  faire  en 
bravant  la  mort  !  C'est  dans  une  autre  vie  qu'elle 
me  rendra  celle  que  j'aime  (i83).  Ici  je  n'écoute 
pas  la  voix  d'un  songe,  mais  la  promesse  sacrée 
de  Dieu. 


Votre  ami. 
Ce  dimanche. 


GERARD. 


cil 

A     DUBLANC 

[27  novembre  i853.] 
Tu  sais  combien  les  goûts  de  solitude  de  mon 
père  ont  influé  sur  moi.  Les  souvenirs  de  mon  on- 
cle et  de  ma  tante  se  sont  ravivés  dans  mon  cœur 
pendant  une  période  de  cette  sing-ulière  maladie, 
qui  est  pour  moi  l'âge  critique,  et  dans  laquelle  on 
n'a  vu  sans  doute  que  les  apparences  de  l'ég^arement. 
Aujourd'hui,  jour  anniversaire  de  celui  où  ma 
pauvre  mère  est  morte  en  Silésie,  suivant  le  dra- 
peau de  la  France,  mais  laissant  son  fils  orphelin, 
jeme  suis  promis  de  vivre  enfin  sérieusement (i 84). 

cii.  —  Publ.  par  Champfleiiry,  Grandes  Figures. 


AOUT     i8j3    JANVIER     iSfjJ  2l3 


cm 


[3o  novembre  i853.j 

Mon  cher  Abel, 
II  y  a  eu  une  lég'ère  erreur  dans  mon  envoi 
d'hier.  Il  faudrait  me  carder  le  Comte  de  Saint- 
Germain,  s'il  n'est  pas  encore  composé.  Sinon, faites- 
le  moi  dire.  J'ai  aussi  quelques  modifications  à 
faire  à  la  copie  d'hier.  Mais  je  les  ferai  sur  l'épreuve 
en  placards.  C'est  peu  de  chose  d'ailleurs;  V intro- 
duction donnera  la  clé  et  la  liaison  de  ces  souvenirs. 
Soyez  assez  bon  pour  transmettre  la  lettre  ci-jointe 
à  M.  Giraud  (i85). 
Votre  bien  dévoué, 

GÉRARD  DE  NERVAL. 

Ce  mercredi. 

Suscription  :  A  Monsieur,  Monsieur  Abel,  proie 

chez  M.  Grat'ioi,  imprimeur, 

Rue  de  Seine  St-Germain,  Paris 

Note  de  la  poste  :  Les  2  rues.  Inconnu 

V.  R.  Mazarine. 

cm. —  Date  de  la  poste. 


ai4  CORRESPONDANCE 


CIV 

A     GÎRAUD 

[3o  novembre  i853.] 
Mon  cher  Monsieur, 
Je  reçois  très  peu  d'épreuves.  Veillez  donc  à  ce 
que  nous  n'éprouvions  pas  de  relards.  Il  y  a  une 
portion  de  copie  que,  par  erreur,  j'ai  envoyée  à  l'im- 
primerie. Elle  est  destinée  à  la  Revue  de  Paris  ;  je 
vous  prie  de  la  lui  faire  porter,  au  bureau  du  Boule- 
vard. C'est  le  Comte  de  Saint-Germain.  En  revanche, 
on  vous  enverra,  du  journal  Paris,  la  Pandora{i  86) 
qui  prendra  place  dans  notre  volume.  Elle  doit  être 
composée,  prenez  l'épreuve  dans  ce  cas.  Dites  à 
M.Venet  que  j'ai  un  petit  chang-ement  à  faire  pour 
éclaircir  le  dénouement.  Que  du  reste  il  l'illustre 
avec  les  vignettes  de  la  Poupée  de  Nuremberg  et  ce 
qu'il  voudra  des  autres.  —  Je  voudrais  bien  vous 
voir,  pour  causer  de  tout  cela.  Venez  doncàPassy, 
à  la  maison  de  santé  de  M.  Blanche.  Les  voitures 
sont  sur  la  place  du  Palais-Royal. 

Votre  bien  dévoué, 

GÉRARD    DE     NERVAL. 

Ce  mercredi. 

Suscription  :  A  Monsieur,  Monsieur  Giraud, 
éditeur,  Rue  Viuienne 

au  Coq  d'Or. 

CIV.  —  Collection  Edouard  Champion. 


AOUT    l853    —   JANVIER    i85b 


cv 

A    GIUAIJD 

[Décembre  i853.] 

Mon  cher  ami,  j'ai  absolument  besoin  d'une  nou- 
velle pour  terminer,  car  cela  mange  plus  que  je  ne 
croyais;  faites-la  donc  copier  bien  vite.  Il  faut  quel- 
qu'un qui  aille  au  cabinet  de  lecture,  1 56,  galerie  de 
Valois,  et  qui  demande  le  Messager  de  i83g.  Il 
feuillettera  et  trouvera  une  nouvelle  en  Variétés  in- 
titulée :  le  Fort  de  Bitche.  Il  faudra  mettre,  au  lieu 
de  ce  titre,  le  nom  de  l'héroïne  (187).  Tâchez  que 
l'on  ne  perde  pas  de  temps.  J'ai  donné  la  Pandora 
au  Mousquetaire  (188).  On  va  donc  l'avoir. 
Votre  dévoué, 

GÉHARD. 

Vous  avez  oublié  de  laisser  le  billet;  laissez-le 
donc  et  faites-le  tout  de  suite.  Je  viendrai  lundi. 

CVI 

A     GIKAUD 

[Décembre  i853.] 
Mon  cher  Giraud, 
Avez  vous  trouvé  la  nouvelle?  J'y  tiens  beaucoup 

cv.  —  Collection  Edouard  Champion, 
cvi.  —  Collection  Edouard  Champion. 


2l6  CORRESPONDANCE 

car  elle  est  très  intéressante  et  finira  bien  le  volume. 
Je  m'apercevais  que  sans  cela  il  n'y  aurait  pas  eu 
de  pièce  de  résistance,  mais  des  morceaux  trop  dé- 
coupés vers  la  fin. Envoyez  vite  la  lettre  ci-jointe  à 
Maurice  Sand  et  n'oubliez  pas  ce  que  je  vous  ai  dit. 
Je  n'ai  pas  encore  reçu  la  feuille,  qui  n'était  pas 
prête  samedi. 

Votre  dévoué, 

GÉRARD    DE    NERVAL. 

Ce  lundi. 

Voulez-vous  mettre  la  lettre  ci  jointe  sous  enve- 
loppe et  l'adresser  à  Maurice  Sand. 

CVII 

A    GEORGES  BELL   (189) 

[Hiver  i853.] 
Vous  avez  été  un  de  mes  médecins,  et  je  me  sou- 
viens avec  reconnaissance  de  ces  tournées  lointaines 
que  nous  faisions  l'été  dernier  et  où  vous  me  gou- 
verniez avec  tant  de  patience  et  d'amitié  solide.  Et 
maintenant  ne  m'abandonnez  pas,  si  longue  que 
soit  par  ce  temps-ci  la  course  de  Passy.  J'ai  à  vous 
parler  beaucoup.  Ce  que  j'écris  en  ce  moment  tour- 
ne trop  dans  un  cercle  restreint.  Je  me  nourris  de 
ma  propre  substance  et  ne  me  renouvelle  pas  (190). 

cvii.  —  Publ.  par  G.  Bell. 


AOUT   i85i^)  —  JANVIER  1 855  217 

De  plus,  j'ai  de  l'inquiétude  quant  au  placement 
de  la  copie.  Venez  donc  bien  vite... 

CVIII 

A  GEORGES  BELL 

[Hiver  i853.] 

Mon  ami,  pourquoi  n'êtes-vous  pas  revenu  ? 
J'aurais  été  bien  plus  vite  rendu  à  la  santé.  Venez 
donc  très  vite,  le  matin  ou  le  soir,  car  je  sors  dans 
la  journée,  —  ou  écrivez-moi.  J'ai  bien  des  cho- 
ses à  vous  lire... 

CIX 

A  STADLER 

^Mars  1854.] 
Mon  cher  ami, 
M.  Blanche  vous  prie,  ainsi  que  Wey  (191),  de 
venir  demain  un  peu  de  bonne  heure,  c'est-à-dire 
pas  plus  tard  que  six  heures  demain,  si  vous  pouvez, 
pour  vous  parler  avant  le  dîner,  parce  qu'il  sortira 
après  huit  heures.  Enfin  faites  pour  le  mieux. 

Votre  alfectionné, 

GÉRARD. 

Ce  jeudi. 

cvin.  —  Publ.  par  G.  Bell. 

•4 


2l8  CORRESPONDANCE 


ex 

A    STADLER 


[Mars  1854. 


Mon  cher  ami, 
Merci  de  votre  lettre...  Voilà  qu'il  se  trouve  que 
M.  Blanche  n'y  sera  pas  aujourd'hui  mercredi.  Je 
viens  de  voir  Wej  et  nous  avons  pris  vendredi,  mais 
pourrez-vous  ?  pour  que  je  profite  de  la  bonne  vo- 
lonté de  M.  Blanche  et  que  je  sorte  de  mon  indi- 
vision à  l'ég-ard  de  son  établissement.  Gela  est 
nécessaire  pour  conclure  quelque  chose  et,  pardon- 
nez-moi de  vous  occuper  tant  de  moi,  après  que 
vous  m'avez  tiré  (du  fossé),  il  faut  me  boire. 

Votre  affectionné, 

GÉHARD. 

CXI 

A    STADLER 

I  1 1  mars  iBô^.] 
Mon  cher  Eug-ène, 
Wey  m'écrit  que  la  chose  est  faite  et  M.  Blanche 
m'a  dit  qu'il  y  a  aussi  de  quoi  de  votre  côté.  Merci, 
merci,  je  me  ravive  ! 

Ne  parlez  pas  de  la  chose,  n'est-ce  pas  ? 
Votre  ami, 

GÉRARD. 


CXI.  —  Date  de  la  poste. 


AOUT   i853  —  janvibu  i855  219 


GXII 

A    STADLER 

[20  mars  i854. 


Mon  cher  ami, 
Passez    chez  Cousiuet,  j'y  ai  laissé  deux  exem- 
plaires (192)  [)our  M.  D.  M.  et  pour  M"""  la  G...  J'ai 
louché  le  bon. 

Votre 

GÉRARD.  - 

Je  crois  (lécidémentaprès  réflexion  qu'il  vaudrait 
mieux  'donner  [ii  une  dame  nouvellemenL  mariée) 
l'édition  in-octavo  à  cause  des  amours  de  Vienne 
et  de  détails  trop  décolletés  dans  Constantinople. 
Gardez-moi  donc  l'exemjjlaire  in-i8  ou  plutôt  pre- 
nez-le pour  Gayrol  en  coupant  le  faux-titre.  Je 
leur  donnerai  Lorely. 

Gela  va  bien.  J'ai  vu  Millaud,  qui  me  fera  une 
avance  pour  correspondance. 

CXIII 

A  STADLER 

[Mars  1854.] 
]Mon  cher  ami, 

Voici  un  exemplaire  pour  M.  de  Martre  —  (s'il 

cxn.  —  Date  de  la  poste. 


COnRESPONDANCE 


y  a  une  S  ajoulez-la  sur  l'exemplaire  et  sur  la  lettre. 
L'exemplaire  sans  inscription  est  pour  M""^  la 
Comtesse  de...  Voyez  si  l'ouvrage  n'est  pas  un  peu 
léger  pour  elle.  En  ce  cas  je  donnerais  l'autre  édi- 
tion. S'il  vaut  mieux  que  vous  ayez  l'air  de  lui 
offrir,  gardez  l'exemplaire,  je  vous  en  donnerai 
un  autre. 

Tout  va  bien,  j'ai  encore  des  espoirs... 

GÉRARD. 

Ce  lundi. 


CXIV 

A    BAMPS    (193) 

Mars  1854. 
Monsieur, 

Si  M.  Ernest  Constant  vous  a  dit  qu'il  était  très 
lié  avec  moi,  il  y  a  sans  doute  erreur.  Toutefois,  il 
se  peut  qu'il  me  connaisse  beaucoup  sans  que  je 
puisse  au  juste  me  rappeler  son  nom.  Vous  savez 
la  manière  de  vivre  des  écrivains  français  ;  jour- 
nalistes ou  auteurs  dramatiques,  nous  sommes, 
pour  ainsi  dire,  hommes  publics,  et  notre  position 
nous  met  souvent  en  rapport  avec  des  personnes 
que  nous  voyons  tous  les  jours  sans  savoir  autre 
chose  qu'un  prénom  ou  un  nom  qui  ressemble  à 
d'autres  et  qui  s'oublie.  M.  Ernest  Constant  est-il 


I 


AOUT     18Ô3    JANVIER     l855 


auteur,  acteur,  imprimeur  ou  employé  de  quelque 
journal  où  j'aie  travaillé,  j'ai  pu  le  connaître  dans 
CCS  conditions-là.  D'un  autre  côté,  je  ne  voudrais 
pas  qu'une  personne  qui  se  recommande  de  moi 
dans  un  besoin  risquât  d'être  repoussée  par  suite 
de  mon  oubli.  Je  ne  suis  pas  de  ces  notabilités  si 
claires  dont  on  peut  songer  à  se  recommander 
dans  l'intention  de  tromper.  Je  voudrais  donc, 
pour  ménaiger  une  susceptibilité  peut-être  juste, 
que,  sans  faire  part  de  ma  réponse  à  M.  Constant, 
vous  l'eng-agiez  à  m'écrire.  Il  ne  manquerait  pas 
sans  doute  de  me  rappeler  quelque  circonstance 
que  j'ai  peut-être  oubliée,  car,  depuis  vingt  ans  que 
je  suis  dans  la  presse  parisienne,  j'ai  eu  des  rap- 
ports avec  des  milliers  de  personnes  et  même  ce 
nom  de  Constant  s'appliquerait  à  plusieurs.  Ayez 
donc  la  bonté  de  me  donner  ou  me  faire  donner 
des  indications  plus  précises  ;  j'ai  habité  Bruxelles 
et  j'y  connais  des  i^ens  qui  seraient  utiles  à  M. Cons- 
tant si  son  individualité  me  devenait  plus  claire  ; 
ce  ne  serait  point,  dans  tous  les  cas,  au  point  de 
vue  politique,  auquel  je  suis  complètement  étran- 
ger. 

Votre  bien  dévoué  serviteur, 

GÉRARD    DE  NERVAL. 


5o  rue  des  Minimes. 


CORRESPONDANCE 


cxv 

A    DE   MARS 

[i  r  avril  i854.] 
Mon  cher  De  Mars, 
J'ai  voulu  encore  aujourd'hui  vous  aller  voir, 
ainsi  que  M.  Buloz.  Une  affaire  qui  dure  depuis 
plusieurs  jours  m'en  a  encore  empêché.  J'irai  vous 
voir  ces  jours-ci  et  causer  de  mes  projets,  car  je 
n'ai  pu  encore  me  remettre  à  travailler  sérieuse- 
ment (I94)- 

Votre  bien  dévoué, 

GÉRARD   DE    NERVAL. 

Ce  lundi. 

Suscription  :  A  Monsieur,  Monsieur   de  Mars 
à  la  Revue  des  Deux-Mondes 
ig^  rue  St-Benoît. 

CXVI 

A  BUSQUET 

Strasbourg,  3o  mai  i854  (195) 

Mon  cher  Busquet, 
Pardon  de  ne  a'ous  être  pas  allé  dire  adieu,  et  je 
souffre  même  de  ne  vous  avoir  pas  assez  témoigné 

cxv.  —  Date  de  la  poste. 

CXVI.  — Publ.  par  Busquet,  le  Temps,  lo  août  1881. 


AOUT     l853    —    JANVIER     1 855  2  23 

ma  reconnaissance  pour  votre  amitié  si  chaude,  si 
dévouée,  si  efTective.  Dieu  merci,  je  me  sens  bien 
et  je  ne  suis  plus  l'être  aplati  que  vous  avez  vuder- 
nit^'rement.  Le  voyag-e  et  l'air  de  la  montagne  m'ont 
transformé.  Je  travaille,  je  fais  de  jolies  choses, 
nous  ferons  honneur  à  nos  engagements.  J'ai  tout 
un  plan  de  voyage  et  de  travaux  parfait  (196). 
Voyez  donc  Millaud  (197)  (mais  je  lui  écrirai), 
et  Cohen  (198).  Dites  que  je  réponds  de  leur  être 
agréable  et  de  leur  faire  quelque  chose  de  bien. 
Peut-être  y  arrivera-t-on  à  me  renvoyer  quelque 
chose  de  la  somme  rendue  qui  prouve  du  moins 
ma  loyauté. Car  vous  savez  que  ce  qui  y  manque  a 
servi  à  payer  des  dettes  passées, comme  :  100  francs 
dus  à  Méry,  un  billet  de  libraire  remboursé,  40 
francs,  plus  les  trente  francs  que  je  vous  ai  laissés 
pour  Villedeuil  (199).  Aussi  je  ne  suis  pas  un 
pierrot...  A  propos  de  ces  trente  francs,  s'il  est 
vrai  qu'on  ne  puisse  les  rendre  tout  de  suite  et  que 
vous  les  ayez  encore,  savez-vous  ce  qu'il  y  a  à  faire? 
Passez  chez  un  changeur,  prenez  la  somme  en  pa- 
pier d'Autriche  et  envoyez-moi  cela  à  Strasbourg, 
Flôlel  de  la  F/ewr, tout  de  suite.  Cela  m'arrangera, 
et  travaillant  bien  comme  je  fais  depuis  trois  jours, 
je  les  rendrai  l)ien  vite  :  du  reste,  si  vous  avez 
l'adresse  de  Villedeuil,  M.  Blanche  pourrait  les  don- 
ner sur  ce  qu'il  a  rncore  à  moi.  Mais  avec  cela  je 
m'achèterai  un  manteau^chosetrès  nécessaire  (200). 


2a4  CORRESPONDANCE 


Adieu,  mon  bon  ami,  vous  m'avez  vu  très  embar- 
rassé, très  penaud.  Croyez  que  me  voilà  remonté 
pour  longtemps,  disposé  à  bien  faire  et  à  vous 
aimer  plus  que  je  n'ai  fait  encore.  Car  je  vous 
connais  à  présent. 
Votre  ami, 

GÉRARD  DE  NERVAL. 

P. -S.  —  Dites  à  Du  Camp  que  son  affaire  va 
crânement  bien  (201).  J'enverrai  les  premiers  arti- 
cles au  Pays  d'ici  à  peu  de  jours  (202). 


CXVII 

AU    m'    blanche 

Bade  [3i  mai  i854]. 
Au  moment  de  m'enfoncer  dans  la  verte  Alle- 
magne, je  sens  qu'il  me  manque  un  habit  sérieux 
pour  me  présenter  dans  les  cours,  si  l'on  m'invite 
ou  si  je  me  laisse  inviter.  Nous  verrons  ce  qu'il 
conviendra  de  faire  dans  l'occasion.  Je  m'abstien- 
drai des  grandeurs  autant  que  possible,  et  je  me 
félicite  déjà  de  n'avoir  pas  pris  de  lettres  de  recom- 
mandation. Ce  n'est  pas  la  peine  de  se  faire  un 
nom,  si  l'on  ne  sait  pas  se  recommander  par  soi- 
même... 

cxvii.  —  Publ.  par  Champfleury,   Grandes  figures. 


AOUT  l853  JANVIER  l855  225 

Ceci  me  conduit  à  vous  prier  d'adresser  à  table 
ou  au  salon  un  speech  en  ma  faveur  à  toutes  nos 
dames  si  bonnes  pour  moi  et  si  indulgentes  tou- 
jours. Expliquez-leur  que  l'être  pensif  qu'elles  ont 
vu  se  traîner,  inquiet  et  morose,  dans  le  salon,  dans 
le  jardin,  ou  le  long  de  votre  table  hospitalière, 
n'était  pas  moi-même  assurément.  De  l'autre  bord 
du  Rhin,  je  renie  le  sycophante  qui  m'avait  pris 
mon  nom  et  peut-olre  mon  visage.  Elles  me  rever- 
ront,jespèrc, meilleur, plus  spirituel  etplusgalant — 
plus  affectueux,  je  veux  dire.  Elles  me  liront  peut- 
être  et  me  connaîtront  mieux  que  par  une  conver- 
sation trop  bruyante  ou  trop  timide.  Je  m'épouvante 
encore  de  mes  crimes  d'inattention,  de  lèse-poli- 
tesse... (203). 


CXVIII 

A  GEORGES  BELL 

[Strasbourg  i«'"  juin  i854]  . 

Mon  cher  Bell, 
Je  vous  écris  de  Strasbourg  et  non  de  Malte,  en- 
tendez-vous bien.  Tout  chemin,  il  est  vrai,  mène  à 
Rome,  mais  il  n'est  pas  permis  aux  omnibus   de  se 
rendre  à  Gorinlhe,  non  que  ce  soit  impossible  abso- 

cxvm.  —  Piibl.   par  M.    Maurice  Tourneux,  Intermédiaire  des 
chercheurs,  25  mars  1889. 

i4. 


2  26  CORRESPONDANCE 


lument,  mais  la  g-uerre  actuelle  rendrait  ce  trajet 
bien  dangereux  (2o4).  Du  reste,  on  n'y  allait  que 
pour  se  ruiner  avec  des  courtisanes,  ce  qui  n'est 
sain  ni  pour  la  bourse,  ni  pour  la  santé. 

Un  prodige  !  En  touchant  les  bords  du  Rhin,  j'ai 
retrouvé  ma  voix  et  mes  moyens l  Hier  soir^  j'ai 
écrit  un  sonnet  dans  le  trajet  de  Bade  à  Stras- 
bourg" :  car  je  reviens  de  Bade. 

De  l'hôtel  du  Soleil  à  l'hôtel...  de  la  Fleur. 

Je  ne  loge  plus  au  Corbeau,  —  c'est  sinistre, 
mais  je  me  sens  déjà  flamboyer  comme  un  astre, 
et,  quelque  temps  éteint,  je  me  suis  rallumé  à  ce 
vieux  soleil  de.  mes  plus  beaux  jours  (205). 

Est-ce  que  j'avais  laissé  tout  à  fait  mourir  le  feu 
sacré  ?...  C'est  bon  pour  la  vestale  du  boulevard 
de  l'Hôpital!  je  n'attends  pas  le  secours  tardif  de 
la  déesse,  je  remonte  avec  le  rameau.  —  J'ai  trop 
chanté  dans  les  ténèbres  : 

Laissez-vous  toucher  par  mes  pleurs, 
Ombres,  larves,  spectres  terribles  ! 

Certes,  je  ne  suis  pas  un  héros  de  la  force  de 
Thésée  et  de  Pirithoûs,  —  ni  de  celle  de  Paganini, 
mais  j'aspire  à  devenir  fort  comme  un  Turc.  Avec 
un  peu  d'aide,  j'y  réussirai. 

A  propos,  tâchez  donc  de  savoir  à  qui  j'ai  donné 
ce  rude  soufflet,  vous  savez  bien,  une  nuit,  à  la 


AOUT  i853  —  JANVIER  i855  227 

halle..  (206).  Faites  mes  excuses  à  ce  malheureux 
quidam.  Je  lui  offrirais  bien  une  réparation,  mais 
j'ai  pour  principe  qu'il  ne  faut  pas  se  battre  quand 
on  a  tort,  surtout  avec  un  inconnu  nocturne. 

Autrement,  vous  croirez  que  je  fais  le  Gascon 
sur  la  lisière  de  l'Allemagne  ;  —  mais  franchement 
j'étais  plus  malade  que  je  ne  croyais,  le  jour,  ou 
plutôt  la  nuit  de  cet  exploit  ridicule. 

Quelques  jours  après,  vous  vous  en  souvenez,  un 
de  mes  amis  m'a  lég-èrement...commentdire  ?  bla- 
g-ué  dans  un  journal  :  je  me  suis  contenté  de  l'ap- 
peler/)r/<7  drôle.  11  a  tout  de  suite  avoué  qu'il  ne 
s'était  cru  que  comique,  et  cela  par  suite  d'un 
verre  de  trop. 

Un  verre  de  bordeaux  peut-être  (mais  «  était-ce 
vieux  ou  nouveau  ?») 

Quoiqu'il  en  soit,je  vais  reprendre  quelques  Ieço.ns 
de  rapière  à  l'académie  d'IIeidelberg. 

J'y  arriverai  ce  soir. 

Si  je  ne  suis  pas  encore  le  quatrième  mousque- 
taire, c'est  que  Dumas  père  n'en  avait  annoncé  que 
trois. 

—  Dites-lui  donc  que  je  pense  par  moments  à 
continuer  les  aventures  de  Brisacier,  d'autant  qu'il 
a  promis  de  les  terminer  (207).  Qu'il  ne  soit  pas 
inquiet  des  3  louis  avancés  sur  les  premiers  chapi- 
tres; s'il  en  était  autrement,  je  le  jugerais  indigne 
d'avoir  des  créanciers.  Il  serait  digne  d'en  être  un. 


228  CORRESPONDANCE 

(N'allez  pas  montrer  aux  gens  celte  phrase  d'un 
français  douteux.)  Mais  je  connais  Dumas,  et  je  lui 
en  dois  bien  d'autres. 

...L'amitié  n'est  pas  un  compte  en  partie  double. 
Il  serait  pourtant  dangereux  de  trop  appuyer  sur 
cette  maxime. 

Ce  que  je  regrette  encore,  ce  n'est  pas  de  ne 
l'avoir  pas  dérangé  en  partant,  pour  lui  faire  des 
adieux  moroses,  c'est  d'avoir  perdu  l'occasion 
d'embrasser  sa  fdle.  Remettez-lui  (à  elle)  ce  brin 
de  myosotis  cueilli  peut-être  au  pied  des  roches 
glissantes  où  apparaît  le  Lorely. ..  je  n'en  envoie 
qu'un  autre. 

Dites  à  ceux  de  nos  amis  auxquels  je  n'ai  pu  faire 
visite  le  simple  nom  de  cette  fleur,  que  je  ne  sais 
pas  écrire  en  allemand. 

Encore  un  mot  :  les  deux  louis  que  je  vous  ai 
laissés,  je  les  ai  regagnés  à  Bade. 

Décidément  la  chance  a  tourné  :  a  les  cœurs 
vont  me  revenir  en  foule.  —  Je  les  connais  >),  a 
dit  Figaro. 

Mais  quelle  méfiance  absurde!  Est-ce  que  j'en 
avais  perdu?  Oui,  parmi  la  plus  belle  moitié  de  ce 
qui  m'est  cher.  La  maladie  m'avait  rendu  si  laid, 
—  la  mélancolie  si  négligent.  Dites  donc,  je  tremble 
ici  de  rencontrer  aux  étalages  un  certain  portrait 
pour  lequel  on  m'a  fait  poser  lorsque  j'étais  malade, 
sous  prétexte  de  biographie  nécrologique  (208). 


AOUT  i853  —  JANVIER  1 855  aag 


L'artiste  est  un  homme  de  talent,  plus  sérieux  que 
Nadar,  qui  n'a  que  de  l'esprit  au  bout  de  son 
crayon  ;  mais,  comme  notre  ami  aux  cheveux  rou- 
ges, il  fait  trop  vrai!  (209). 

Dites  partout  que  c'est  mon  portrait  ressem- 
blant, mais  posthume^  —  ou  bien  encore  que  Mer- 
cure avait  pris  les  traits  de  Sosie  et  posé  à  ma  place. 

Je  veux  me  débarbouiller  avec  de  l'ambroisie, 
si  les  dieux  m'en  accordent  un  demi-verre  seule- 
ment. 

Infâme  daguerréotype  !  tu  pervertis  le  goût  des 
artistes.  —  M.  Gervais  est  pourtant  un  si  habile 
graveur  ! 

Et  cette  biographie  elle-même,  comment  est-elle? 
Suis-je  éreinté?  suis-je  flatté?  —  Danger  des  deux 
parts.  —  J'ai  fait  un  jour  le  portrait  à  la  plume  de 
mon  meilleur  ami.  Je  croyais  l'avoir  adonisé.  On 
m'a  dit  :  «  Que  vous  a-t-il  fait?  —  Rien  que  du  bien. 

—  Vous  dites  quelque  part  qu'il  a  voyagé  en  Grèce. 

—  Hé  bien?  —  En  ajoutant  qu'il  a  toujours  passé 
pour  gras.  » 

Amère  facétie!  crapaud  de  brigadier  !...  Remar- 
quez que  j'avais  comparé  mon  ami  à  l'Antinous  et 
au  Bacchus  indien,  —  ajoutant  pour  les  dames 
qu'il  était  fort  beau  sous  le  linge. 

II  ne  m'a  jamais  remercié. 

Karr  m'en  a  voulu  longtemps,  pour  un  portrait 
de  lui,  à  la  plume,  que  j'avais  rédigé,  étant  à  Vienne 


aSo  CORRESPONDANCE 


dans  un  journal  humoristique,  celui  de  mon  ami 
Saphir,  peut-être  (210). 

Il  a  dit  ce  mot  féroce  :  «  Tout  le  monde  veut 
avoir  des  amis,  et  personne  ne  veut  être  un  ami.  » 
Je  me  le  suis  aussitôt  appliqué.  Cela  ne  l'a  pas  em- 
pêché depuis  de  m'envoyer  à  Bruxelles  un  louis  d'or 
dont  je  ferai  l'histoire  quelque  jour,  pour  le  Mous- 
quetaire, et  que  je  ne  lui  ai  pas  encore  rendu. 

Oh!  les  louis  d'or! 

Souvenez-vous,  Georg^es,  qu'il  y  a  trois  jours 
nous  suivions  le  boulevard  des  Italiens  dans  une 
voiture  découverte,  —  avec  une  malle  sur  le  tablier. 

On  ne  pavait  nulle  part.  Cependant  je  n'ai  pas 
voulu  passer  rue  Lepelletier  en  allant  faire  mes 
adieux  à  Théophile.  Pourquoi  donc  cela?  Je  vous 
l'écrirai  un  de  ces  jours,  en  vous  chargeant  d'une 
politesse  à  faire. 

Je  n'ai  donc  pour  créanciers  que  des  amis... 

J'ai  trop  d'amis  ! 

Attendons  encore  pour  m'en  vanter.  Dans  une 
heure,  je  traverse  une  seconde  fois  le  pont  duRhin. 

Divinités  du  Styx,  soyez-moi  favorables! 
Pâles  divinités  ! 

Ma  foi,  je  laisse  ma  malle  à  Strasbourg-.  J'avais 
oublié  de  l'abandonner  à  Meaux,  mais  j'ai  déjà 
abusé  une  fois  de  cette  facétie.  Il  n'y  en  a  peut- 
être  pas  (de  mal). 


AOUT  l853  —  JANVIER  |855  23l 

J'irai  peut-être  jusqu'en  Bohême...  c'est  tou- 
jours l'Orient,  mais  ce  n'est  pas  la  route  de  Malte, 
dites-le  bien  à  notre  ami  Philibert  (211)  et  ne  l'é- 
garez  plus  par  de  fausses  nouvelles.  Rien  n'est  plus 
dangereux  par  ce  temps  de  hausse  et  de  baisse. 

Adieu,  encore  une  fois,  mon  ami. 

GÉRARD  DE  NERVAL. 
Strasbourg,  16''  juin. 

Je  rouvre  ma  lettre  ce  matin-  parce  qu'en  allant 
la  mettre  à  la  poste  j'ai  trouvé  la  biographie  sur 
l'étalage  d'un  libraire.  Mirecourt  m'a  bien  chargé. 
Il  m'a  peint  en  beau...  et  en  buste.  Je  relèverai  les 
erreurs  quelque  autre  jour,  mais  il  a  trop  parlé  de 
ma  misère.  J'ai  encore  le  sac.  Pourquoi  me  fait-il 
si  généreux  et  si  grand  avec  mes  amis?...  S'il  savait 
la  vérité!...  Démolir  les  autres  avec  ma  boule, c'est 
bien  machiavélique  (212).  Je  vais  toujours  prendre 
des  leçons  de  rapière  à  Heidelberg. 

J'ai  fraternisé  hier  avec  les  étudiants  au  bal  ou 
plutôt  au  poêle  de  la  rue  des  Savetiers.  On  voulait 
me  faire  danser.  Je  me  suis  contenté  de  donner  des 
fleurs  aux  étudiantes. 

CXIX 

A  UN   AMI 

Strasbourg  [juin  1854]. 
Ayant  fraternisé  avec  les  étudiants   au  bal  des 

cxix.  —  Publ.  par  A.   Barine,  Névrosés. 


2.32  CORRESPONDANCE 


Savetiers, j'ai  bu  plus  de  bière  que  de  raison, en  vou- 
lant faire  le  crâne,  ce  qui,  joint  avec  les  invitations 
des  deux  jours  suivants,  m'a  rendu  assez  fantasque 
dans  cette  ville.  J'ai  fait  tant  de  bruit  à  l'hôtel  de 
la  Fleur  que  je  crois  qu'il  y  a  des  gens  qui  en  sont 
partis  à  cause  de  cela,  des  femmes  peut-être, 
malheureusement,  que  l'on  n'a  qu'entrevues.  Hé 
bien,  les  garçons  sont  si  polis  dans  cet  établisse- 
ment, qu'on  ne  m'a  fait  que  des  observations 
détournées  sur  ce  que  je  ne  me  rendais  peut- 
être  pas  bien  compte  des  heures.  —  J'ai  dit  : 
«  Mais  je  n'ai  pas  de  montre,  et  le  jour  paraît  de 
bonne  heure;  est-ce  que  j'ai  dérangé  quelqu'un?  il 
fallait  me  le  dire.  »  —  Le  garçon  m'a  dit  :  «  Mon- 
sieur sait  bien  ce  qu'il  fait.  »  —  J'ai  répondu  : 
«  Pas  toujours.  » 

cxx 

AU   D'"  LABRUNIE 

Strasbourg,  ce  4  juin  1854. 

Mon  cher  papa, 
Je  t'écris  de  Strasbourg, où  je  suis  revenu  depuis 
mon  excursion  à  Bade  (ai 3).  Ma  foi,  on  avait  rai- 
son de  me  prescrire  des  ménagements.  Le  mal, 
c'est-à-dire  l'exaltation,  est  revenu  parfois,  c'est-à- 

cxx.  —  Publ.  par   A.  Houssaye,  la  Presse,  ?4  septembre  i865.    ' 


AOCT     l85ii    —    JANVIER     l855  233 

dire  dans  de  certaines  heures.  Je  dois  passer  ici  pour 
un  prophète  (un  faux  prophète),  avec  mon  lang-age 
parfois  mystique  et  mes  fréquentes  distractions. 
J'ai,  comme  toi,  la  vue  basse  :  je  salue,  on  ne  ré- 
pond pas;  je  ne  réponds  pas  quand  on  salue,  l'un 
est  la  cause  de  l'autre,  et  quelquefois  je  me  figure 
qu'on  m'en  veut  sérieusement.  Je  finis  par  m'habi- 
tacr  à  ne  plus  être  poli  que  par  quintes  et  à  ne  plus 
m'en  repentir.  Du  reste,  tel  père,  tel  fils;  tu  t'es 
fait  aussi  bien  des  ennemis  par  ta  vue  basse  et  non 
par  l'inattention.  Ensuite,  la  ville  est  pleine  d'étran- 
g-ers  se  rendant  aux  eaux  ou  dans  divers  endroits, 
vu  les  longues  lignes  de  chemin  de  fer;  alors, on  ne 
sait  jamais  avec  qui  l'on  est;  c'est  un  tohu-bohu 
de  visages  connus  ou  inconnus.  Il  y  a  déjà  deux 
ou  trois  Gérard  à  Strasbourg,  car  on  me  dit  par- 
fois :  On  vous  a  vu  passer  là  ou  là  —  où  je  n'étais 
pas.  —  Je  vous  ai  parlé,  vous  ne  m'avez  pas  ré- 
pondu. —  Je  pensais...  —  Ah  !...  Et  l'on  salue... 
Ma  foi,  à  bas  la  modestie  du  poëte  !  on  a  tant  parlé 
de  moi  ces  temps-ci,  grâce,  il  est  vrai,  à  mes  mal- 
heurs, qu'il  faut  bien  que  je  sois  connu.  A  présent, 
je  ne  me  charge  plus  de  reconnaître  que  mes  amis 
intimes.  Je  te  parle  de  moi  d'abord,  ce  qui  est  en- 
core un  de  mes  défauts,  mais,  en  ce  cas-ci,  c'est  la 
première  chose  qui  doit  te  faire  plaisir.  Je  voudrais 
bien  avoir  de  tes  nouvelles,  car,  avec  tant  d'amis, 
je  n'en  ai  pas  que  tu  reçoives,  sinon  par  hasard.  Si 


234  CORRESPONDANCE 


j'en  donne  commission,  cela  gêne  et  te  gêne;  je  ne 
te  demande  pas  de  m'écrire,  car  c'est  corvée  pour 
toi,  et  je  ne  sais  où  m'arrêter.  Cependant,  je  suis 
décidé  pour  la  route  de  Stutlgard  et  Ratisbonne.  On 
peut  toujours  m'écrire  bureau  restant  dans  cette 
dernière  ville,  car  si  j'allais  ailleurs  je  ferais  récla- 
mer la  lettre.  Pour  le  plus  sûr,  je  chargerai  quelqu'un 
de  l'aller  voir.  Il  y  a  ici  bien  des  voix  qui  me  rap- 
pellent mon  enfance, quand  tu  voyais  des  Polonais 
et  des  Allemands  que  tu  avais  connus  et  qui  venaient 
en  France  plus  tard.  Des  voix  de  femme  d'un 
timbre  délicieux,  des  hommes  à  l'allure  guerrière; 
tout  cela  me  rappelle  les  impressions  que  tu  m'as 
transmises  de  la  vie  de  soldat.  Je  t'en  écrirai  plus 
une  autre  fois  ;  tu  sais  qu'il  faut  saisir  les  heures  de 
la  poste,  et  que  ma  tête  fatigue  encore  facilement. 
Pourtant  je  vais  dix  fois  mieux,  quoi  qu'on  puisse  te 
dire  ou  t'écrire.  Crois-le  bien.  La  preuve,  du  reste, 
c'est  que  je  vis  à  ma  tête,  et  que  je  t'écris,  comme 
tu  vois,  avec  assez  de  logique  et  de  facilité.  Porte- 
toi  bien,  j'écrirai  à  mon  cousin  de  t'aller  voir  et  te 
porter  une  lettre  plus  longue,  car,  il  faut  l'avouer, 
je  suis  encore  hésitant,  et  tu  le  comprendras  en 
faveur  de  ma  sagesse,  et  songeant  que  le  temps  a 
été  très  mauvais  ces  jours-ci. 

Je  t'embrasse  bien  tendrement. 
Ton  fds, 

GÉRARD  DE    NERVAL. 


AOUT  i853  —  jANviEn  t855  235 

P.  S.  —  Je  pars  aujourd'hui  par  un  beau  soleil 
et  avec  une  bonne  disposition. 


CXXI 

AU   D""  BLANCHE 

[.Munich, juin  iSS^.] 
Mon  cher  Emile, 
Jeme  suis  arrêté  à  Munich  où  je  trouve  beaucoup 
à  voir  et  quelque  chose  à  faire  (21 4)  ;  je  ne  travaille 
pas  encore  tant  que  je  l'aurais  espéré,  cependant 
mon  esprit  se  rasseoit  de  plus  en  plus  et  je  crois  que 
c'est  là  le  meilleur  résultat.  Je  vous  envoie  cette 
lettre  par  Du  Camp  à  qui  j'écris  touchant  le  travail 
que  je  continue  {)Our  lui.  Gela  ne  m'a  pas  empêché 
de  recueillir  beaucoup  pour  plus  lard.  J'ai  trouvé 
dans  les  librairies  beaucoup  d'ouvrages  fort  curieux 
dont  je  prends  les  titrer,  pour  faire  venir  ceux  qui 
pourraient  m'être  utiles.  J'irai  demain  aux  grands 
Musées  dont  l'un  est  entièrement  nouveau.  La  ville 
est  très  animée  en  ce  moment  à  cause  d'une  exposi- 
tion d'industrie  qui  doit  avoir  lieu,  comme  par- 
tout, dans  un  magnifique  palais  de  crystal,  mais  je 
ne  resterai  pas  jusque-là.  Dites,  je  vous  prie,  à 
Antony  que  je  n'ai  pas  eu  encore  occasion  d'enten- 
dre un  opéra  de  Wagner  (21 5).  On  joue  demain  le 


236  CORRESPONDANCE 

Prophète  ;  il  y  a  évidemment  plus  à  apprendre 
dans  les  petits  théâtres.  Je  suis  arrivé  à  régulariser 
mes  dépenses  et  vous  ne  regretterez  pas  de  m'a- 
voir  rendu  à  moi-même;  c'est  ainsi  que  j'arriverai 
à  reprendre  ma  situation.  Enfin  rien  n'est  perdu 
et  j'ai  beaucoup  réfléchi  depuis  que  je  vous  ai 
quitté. 

Paris  se  recompose  pour  moi  dans  le  lointain, 
avec  des  regrets  et  des  espérances.  Je  compte  en- 
core sur  vous  pour  dire  combien  je  pense  aux  per- 
sonnes qui  vous  sont  chères  et  qui  me  le  sont  deve- 
nues.Je  ne  doute  plus  de  pouvoir  me  montrer  digne 
de  tant  de  sympathie  et  de  soins  qu'on  a  eus  pour 
moi.  J'en  suis  maintenant  à  me  dire  :  comment 
va-t-on  ?  qu'est-il  arrivé  ?  Il  faut  cependant  que  je 
m'assure  des  points  où  je  m'arrêterai  maintenant. 
Si  je  n'allais  pas  à  Ratisbonne,  au  cas  où  le  mau- 
vais temps  continuerait,  je  serais  toujours  à  Nurem- 
berg- dans  deux  jours;  on  pourrait  m'écrire  là,  ne 
fût-ce  que  quelques  lignes. 

Adieu,  mon  cher  Emile,  pensez  à  moi  et  à  bien- 
tôt—  mais  pas  trop  tôt,  n'est-ce  pas. 
Votre  affectionné, 

GÉRARD. 

Suscription  :  A  Monsieur,  Monsieur  Emile 
Blanche,  i,  Rue  de  Seine 
Passy-lès-Paris. 


iSjS  —  JANVIER  i855  287 


CXXII 

AU    D""     LABRU.NIE 

[Donauwertli]  Ce  20  juin  i854. 

Mon  cher  papa, 

Je  t'écris  de  Donauwerth  où  je  me  suis  arrêté 
venant  de  Munich  et  d'Augsbourg.  Je  ne  sais  trop 
si  j'irai  à  Ratisbonne,  parce  qu'il  y  a  neuf  heures 
de  bateau  à  vapeur,  sur  le  Danube,  et  le  fleuve  est 
encore  si  peu  de  chose  ici  que  cela  ne  doit  pas 
être  très  pittoresque.  J'ai  pourtant  une  bonne  let- 
tre de  recommandation  pour  Ratisbonne,  l'hospi- 
talité si  je  veux,  mais  je  la  trouverai  aussi  par 
l'autre  chemin,  celui  de  Leipsick,  et,  après  tout,  je 
ne  profiterai  peut-être  ni  de  l'une  ni  de  l'autre. 

Le  principal,  c'est  que  le  voyage  m'a  fait  grand 
bien  et  que  je  me  sens  remis  tout  à  fait.  Tu  m'as  vu 
malade,  mais  non  pas  mort.  Tu  n'es  ni  l'un  ni 
l'autre,  Dieu  merci  !  Comptons  donc  que  nous 
aurons  encore  de  bonnes  années  à  vivre  ensemble. 
Je  ne  tends  qu'à  un  but  et  à  une  consolation, 
c'est  que  tu  me  voies  un  jour  heureux,  comme  je 
crois  mériter  de  l'être  et  que  tu  me  connaisses  bon, 
comme  je  sens  que  je  le  suis.  Ne  crois  pas,  quand 

cxxu.  —  Publ.  par  L.  de  I3are,  -Nouvelle  Revue  internationale, 
t"  mai   189A. 


238  CORRESPONDANCE 


je  suis  loin,  que  je  ne  sois  pas  près  de  loi,  cepen- 
dant. J'y  serais  près  encore,  fut-ce  dans  le  tombeau. 
Si  je  mourais  avant  toi,  j'aurais,  au  dernier  moment, 
la  pensée  que,  peut-être,  tu  ne  m'as  jamais  bien 
connu. 

Pardon  de  ces  idées  noires  ;  je  viens  de  visiter 
l'ég-lise  assez  lugubre  de  celle  ville,  mais  j'en  ai 
emporté  aussi  de  douces  pensées;  c'est  que,  me 
croyant  g-uéri,  je  me  sens  meilleur.  Voilà  ce  qui  me 
fait  l'écrire  tout  de  suite. 

•  Le  temps  se  brouille  un  peu.  Je  crois  bien  que 
je  vais  finir  par  reprendre  le  chemin  de  fer  pour 
Nuremberg-,  où  je  m'arrêterai  deux  ou  trois  jours, 
parce  qu'il  y  a  bien  des  curiosités  à  voir.  J'ai  encore 
beaucoup  d'argent  et  l'on  m'en  enverra  si  j'en 
manque.  Il  faut  aussi  noter  que  si  je  voulais  aller  à 
Weimar,  je  passerais  là  des  mois  sans  avoir  à 
m'occuper  de  rien  —  que  de  loi  et  de  Paris,  ce 
qui  m'empêche  de  songer  trop  à  celte  oasis. 

Je  suis  sûr  qu'à  Paris  on  me  croit  en  Orient. 
J'ai  eu, un  instant,  l'idée  d'y  aller,  en  franchissant 
le  Rhin  (216).  Je  le  pouvais  et  on  ne  m'aurait  pas 
laissé  dans  l'embarras,  quoique  je  n'eusse  pas 
emporté  tout  l'argent  nécessaire.  Mes  amis  avaient 
abusé  de  leur  crédit  pour  moi  et  je  pouvais  me 
pavaner  sur  les  bateaux  de  l'Etat.  Mais  je  n'aime  pas 
ces  promenades  trop  faciles  dont  on  médit  ensuite, 
et  quoique  je   croie  mériter  comme  bien  d'autres 


AOUT     l853    JANVIER     l855  2^9 


ce  que  l'on  voulait  faire  pour  moi,  je  me  sens  plus 
libre  en  agissant  à  ma  j^uise. 

N'as-tu  pas  été  aussi  comme  cela  ?  Plus  j'avance 
en  âge, plus  je  sens  de  toi  en  moi.  C'est  ta  jeunesse 
qui  revient  et  dont  l'exemple  soutient  la  mienne 
qui  passe. 

J'oublie  toujours  une  chose,  en  te  parlant  de  ma 
situation  plus  heureuse  et  de  mes  ressources  pour 
l'avenir,  c'est  que  toi-même  tu  te  gènes  peut-être 
dans  une  idée  qui  me  serait  relative...  Song'e  sur- 
tout que  je  ne  voudrais  pas  que  tu  te  privassespour 
moi  et  même  que  tu  pusses  refuser  à  des  parents, 
(jui  le  mériteraient,  le  peu  dont  tu  pourrais  dispo- 
ser. Mon  devoir  serait  d'y  songer,  moi.  Mais  je 
pense  que  cela  viendra. 

Je  t'embrasse.  A  bientôt,  j'espère. 

Ton  fils, 

GÉRARD. 


CXXIII 

AU  D""  BLANCHE 

[Bamberg,  26  juin  i854.] 
Sauf  une  petite  rechute  de  régime,  j'ai   mani- 
festé ma  tem[)érance  dans  tous  les  pays  à  bière  que 
je  viens  de  traverser;  je  suis  frais  comme  une  rose, 

r.xxin.  — Publ.  pav  Champûeur j, Grandes  Figures.. 


240  COUKKSPONDANCE 


et  j'ai  la  fig^ure  culottée,  comme  disent  les  artistes, 
par  le  bon  air,  l'exercice  et  le  soleil.  Ce  n'est  pas 
qu'il  ne  pleuve  assez  souvent;  mais  alors  je  tra- 
vaille, comme  je  viens  de  faire  ici  avant  déjeuner. 
Je  suis  content  de  ce  que  je  fais,  ce  qui  est  le  prin- 
cipal, car  autrement  comment  me  tirer  de  peine, 
et  je  suis  d'autant  plus  heureux  d'avoir  suivi  vos 
conseils  en  ne  publiant  rien  depuis  quelques  mois. 
Je  n'ai  pas  besoin  de  vous  dire  ici  que  je  vois  sûre- 
ment les  choses  —  et  que  la  réflexion  et  la  santé 
m'ont  fait  comprendre,  mieux  qu'avant,  tout  ce  que 
je  dois  à  vos  soins  et  à  votre  parfaite  rectitude 
d'esprit.  Vous  avez  été  surtout  le  médecin  moral, et 
c'est  ce  qu'il  fallait. 


CXXIV 

A   GEORGES   BELL 

Neuenmarket,  27  juin  i854. 
Mon  cher  Georg-es,  je  viens  de  passer  un  mois  à 
visiter  l'Allemagne  du  midi.  Je  me  suis  clarifié 
l'esprit  et  j'ai  repris  la  forte  santé  des  jeunes  an- 
nées. Munich  et  Nuremberg"  m'ont  plu  particuliè- 
rement, ainsi  que  Bamberg',  où  j'étais  hier.  A  pré- 
sent, je    me    dirig-e  vers   Leipsick    et    Dresde.  A 

cxxiv.  — Publ.  parG.   Bell. 


AOUT  i853  —  jANViiii»   185")  24 1 

Strasbourg,  les  réceptions  et  les  invitations   m'a- 
vaient encore  un  peu  ag^ité.  Pour  éviter  les  occa- 
sions,   j'ai    vu  fort  peu  de  monde  depuis,  et  j'ai 
pris  de   la  force  dans  la  réllexion  et  la  solitude. 
J'ai  beaucoup  travaillé,  et  j'ai  môme  de  la  copie 
que  je  ne  veux  pas  envoyer  légèrement  ;  le  princi- 
pal, c'est  que  je  suis  fort  content  et  plein  de  res- 
sources pour  l'avenir.  Du  résultat  de  ce  mois  seul, 
il  va  de  quoi  travailler  un  an.  Je  me  suis  découvert 
des  dispositions  nouvelles.  Et  vous  savez  que  l'in- 
(juiétude  sur  mes  facultés  créatrices  était  mon  plus 
grand   sujet   d'abattement...    (217J.    J'ai  recueilli 
beaucoup  de  choses  à  faire  sur  Nuremberg  ;  c'est 
décidément  la  plus  jolie  ville  de  l'Allemagne...  J'ai 
fait  route  hier  soir,  dans  un   wagon,  avec  sept  ou 
huit  paysannes  bohémiennes  qui  avaient  des  costu- 
mes d'opéra  et  qui  dormaient  sur  les  bancs  et  sur 
le  plancher  du  wagon  dans  le  désordre  le  plus  pit- 
toresque. Cet  intérieur  ressemblait  à  un  foyer  de 
marcheuses,  —  endormies  comme  les  bacchantes 
de  Boucher.  Tout  cela  est  court-vêtu,  avec  les  jam- 
bes nues,  des  corsets  pailletés,  et  des  tresses  blon- 
des s'échappant  de  leurs  mouchoirs  rouges  à  fes- 
tons, (jui  les  coiffent  comme  dessphinx.  (Jue  la  vie 
est  amusante  dans  ce  pays-ci  !... 


242  (JOKRESPONDANCE 

cxxv 

AU    dI"   blanche     (218) 

[Leipzig,  3o  juin  i854.] 

Je  vais  à  la  poste  espérant  que  vous  avez  pu 
m'envoyer  la  chose  que  je  vous  ai  demandée  de 
Bamberg-.  Si  la  lettre  n'était  pas  parvenue,  —  ce 
serait  la  valeur  de  cent  florins —  adressez-moi  cela 
à  Weimar  chez  Listz,  si  quelquefois  cela  n'était 
parti;  j'ai  fini  par  me  décider  à  y  aller,  me  sentant 
assez  bien  portant  depuis  un  mois  de  solitude  pour 
pouvoir  voir  un  peu  de  monde.  J'ai  à  peu  près  ce 
qu'il  me  faut,m'étantunpeu  remonté  à  Strasbourg-, 
sur  quelques  détails  oubliés.  Du  reste,  c'est  fort 
simple  :  ce  sont  des  fêtes  musicales  qui  ont  lieu  à 
la  Wartburg-  en  souvenir  des  maîtres  chanteurs. 
Dites  à  Antony  que  cela  m'intéressera  surtout  à 
cause  de  lui  et  je  tâcherai  de  définir  Wagner  de 
façon  à  ce  qu'il  n'ait  rien  à  dire.  Jusqu'ici,  je  n'ai 
vu  que  des  opéras  connus  :  Fidelio,  Don  Juan  et 
le  Prophète  ;  ici  la  Dame  Blanche  est  bien  chan- 
tée en  allemand.  Mais  je  me  sens  fort  disposé  en 
faveur  de  la  musique,  et  mes  théories,  que  je  n'ex- 
pose pas  souvent,  se  rapportent  assez  à  celles  de 
Richard  Wag-ner. 

cxxv.  —  Publ.  par  M.  J.  Claretie,  la  Presse,  22  avril  1878. 


AOUT  i853  —  jANviEH  i855  243 

Parlez  donc  de  moi  au  docteur  Boulé,  que  je 
n'ai  pas  vu  en  partant.  Ah!  je  suis  un  monstre, 
et  M'"^  Lise,  dont  je  n'ai  pas  parlé  et  que  je  crains 
bien  de  ne  pas  avoir  embrassée,  car  je  ne  voyais 
même  pas  !  J'espère  que  votre  lettre  va  m'arriver 
aujourd'hui  et  me  donnera  toutes  les  nouvelles. 
J'en  ai  reçu  une  hier  de  Sartorius,  qui  me  recom- 
mande à  son  correspondant.  Il  me  dit  que  tout  le 
monde  va  bien. 

Je  n'ai  que  le  temps  de  porter  cette  lettre  à  la 
poste.  Je  vous  prie  de  faire  tenir  l'autre  à  «non 
pure.  Pardon  de  toutes  ces  peines,  mais  je  sais  que 
vous  serez  content  de  me  savoir  en  bonne  santé 
et  bonne  disposition.  Peut-être  irai-je  à  Berlin,  où 
Janin  m'a  dit  d'aller  voir  le  roi,  tout  simplement 
(le  sa  part.  Du  reste,  c'est  tout  près  d'ici. 

Votre  ami, 

GÉRARD, 


CXXVI 

AU  D*"   BLANCHE  (219) 

[Weimar,  juillet  i854.] 
Mon  cher  Blanche, 
J'ai  bien  des  reproches  à  me  faire  sans  doute, 
mais  vous  m'excuserez  en  pensant  que  mon  voyage 
actuel  a  pour  but   la  distraction    et  quelque   peu 


244  CORRESPONDANCE 


l'étude,  ce  qui  fait  que,  jusqu'ici,  je  l'ai  accompli  un 
peu  au  hasard,  comptant  surtout  réunir  assez  de 
matériaux  pour  travailler  longtemps.  Votre  der- 
nière lettre  a  étépour  moi  un  reproche  bien  sensible 
et  m'a  troublé  au  moment  oùj'espérais  beaucoup 
de  plaisir  de  mon  voyage  à  Weimar,  d'autant  que 
je  l'ai  ouverte  en  présence  de  Listz  qui  m'avait 
accompagné  à  la  poste.  De  plus,  le  temps  s'est 
mis  de  la  partie  et  la  fête  d'Eisenacli  n'a  pu  avoir 
lieu,  ce  qui  nous  a  tous  attristés.  Cependant  j'ai 
pu  profiter  de  l'hospitalité  offerte,  mais  seulement 
deux  jours,  car  Listz  a  dû  partir  pour  le  Nord.  Je 
ne  sais  si  je  le  reverrai  cette  fois.  Je  me  rapproche, 
car  je  suis  bien  inquiet  de  n'avoir  pas  de  nouvelles 
de  mon  père  et.... 


CXXVII 

AU    D''    BLANCHE 

[Cassel,  juillet  1854.J 

...  Je  m'interromps,  en  pensant  à  votre  mariage, 
pour  vous  dire  qu'à  Leipsick,  sur  la  place,  en  face 
de  la  statue  de  Hahnemann,  j'ai  vu  un  joli  petit 
enfant  dont  j'ai  demandé  le  nom.  On  m'a  répon- 
du Emile.  Que  ce  soit  donc  un  présage.  Pardon, 

CXXVII.  —  Publ.  par  Champfleury,  Grandes  Figures. 


AOUT  i853  —  JANVIER  i855  245 

je  dois  convenir  qu'il  m'est  toujours  resté,  pendant 
mon  voyage,  un  fond  d'idées  superstitieuses.  Ma 
santé  est-elle  aussi  bonne  que  je  le  crois  ?  C'est  ce 
qui  doit  se  prouver  par  mon   travail. 

Je  pleure  en  vous  écrivant  ceci,  et  ce  n'est  pas 
en  signe  de  regret.  Comment  saurai-je  si  j'ai  eu 
tort  ou  raison,  si  je  suis  bon  ou  méchant  ?  Ecrivez- 
moi,  mon  cœur  se  détend  en  songeant  à  vous,  en 
songeant  à  lui  ;  écrivez-moi  ce  qu'il  faut  faire,  car 
je  souffre  bien,  et  c'est  du  cœur.  S'il  y  a  toujours 
un  moment  pour  se  repentir,  eh  bien  !  je  me  re- 
pens  ;  mais  je  marche  encore  dans  les  ténèbres,  et 
c'est  votre  réponse  et  votre  conseil  que  j'attends. 


CXXVIII 

AU    D""    LABRUNIE 

[Francfort,  i5  juillet  i854.] 
Mon  cher  papa, 
...  Je  ne  sais  pourquoi,  à  Cassel,  il  m'a  pris  une 
inquiétude  sur  ta  santé.  J'ai  écrit  à  Blanche  dont  je 
viens  de  recevoir  une  lettre  qui  m'a  en  partie  ras- 
suré. Il  se  marie  et  m'invite  à  revenir  pour  le  20. 
Je  vais  tâcher  de  le  faire.  Il  t'ira  voir  sans  doute 

cxxvTii.  —  Publ.  par  L.  de  Barc,  Nouvelle  Revue  internationale, 
i"  mai  1894. 

i5. 


246  CORRESPONDANCE 


dans  l'intervalle.  Je  n'ai  pas  toujours  assez  compris 
toutes  les  obliç;^ations  que  je  lui  ai,  mais  il  a  la  bon- 
té de  me  mettre  à  mon  aise  et  j'espère  bien  abuser 
moins,  à  l'avenir,  de  ses  bonnes  dispositions.  Ce 
voyage  me  sera  peut-être  bon  surtout  en  ce  qu'il 
m'a  fait  beaucoup  réfléchir  sur  les  autres  et  sur  moi- 
même,  et  les  jours  de  solitude  que  j'ai  rencontrés 
ont  été  remplis  souvent  de  bonnes  pensées  et  de 
bonnes  résolutions.  La  lettre  que  Blanche  m'écrit 
est  pleine  de  cœur  et  de  sympathie.  S'il  n'est  pas 
trop  mécontent  de  moi,  j'arriverai  à  me  rassurer 
tout  à  fait  et  à  réformer  plus  complètement  les 
défauts  que  je  me  reproche  encore...  J'ai  fait  de 
bonnes  études,  surtout  à  Munich  et  à  Nuremberg, 
et  je  rapporte  de  curieux  détails  sur  Leipsick;  ail- 
leurs, le  temps  a  beaucoup  contrarié  mes  explora- 
tions, surtout  à  Weimar,  où  il  a  plu  continuelle- 
ment, A  Francfort,  il  fait  très  beau.  Je  vais  partir 
aujourd'hui  pour  Mayence.  A  cette  semaine  donc. 
Je  t'embrasse  (220). 

Ton  iils,  gérard. 

CXXIX 

A  GODEFROY 

Passy,  28  septembre  i854. 
Mon  cher  Monsieur, 
A    mon    retour   d'yVUemagne,    j'ai  cru    devoir 


AOUT  l853  —  JANVIER  l855  24? 

vous  aller  rendre  comple  des  démarches  que  j'avais 
faites,  dans  l'intérêt  de  mes  confrères,  principale- 
ment à  Leipsick  et  à  Weimar,  pour  obtenir  la  réa- 
lisation et  l'exécution  des  traités  internationaux 
relatifs  au  droit  de  traduction.  J'avais  à  cœur  sur- 
tout de  me  rendre  digne  de  répondre  à  la  confiance 
de  M.  le  Ministre  de  l'Instruction  publique  qui 
m'avait  honoré  d'une  mission  et  m'avait  donné 
en  outre  quelques  instructions  verbales.  Vous  avez 
paru  prendre  intérêt  aux  détails  que  je  vous  ai 
donnés,  à  la  lecture  de  la  note  de  M.  Ackermann 
de  Leipsick,  que  j'avais  rapportée,  aux  réponses 
aussi  qui  m'avaient  été  faites  par  le  Docteur 
Kobb,  d'Augsbourg-,  par  MM.  Listz,  Hoffmann  de 
Fallersleben  et  par  M.  Perrière  Levayer,  notre 
ministre  à  Weimar.  De  plus,  vous  avez  eu  la  com- 
plaisance de  vous  charger  d'écrire  en  Ang-leterre 
et  en  Espagne  pour  m'y  assurer  la  propriété 
du  nouveau  livre  intitulé  Aurélia^  etc.,  dont  je 
vous  ai  montré  les  premiers  cahiers.  Je  regrette  de 
vous  avoir  un  peu  pressé  à  cet  égard,  mais  les  deux 
premières  feuilles  étaient  sous  presse  et  je  ne 
croyais  pas  avoir  à  m'occuper  encore  de  ma  santé. 
Deux  jours  après  notre  entrevue,  j'avais  fait  partir 
à  Leipsick  le  premier  article  composé  pour  la  Re- 
vue de  Paris  et  j'allais  vous  adresser  quatre  épreu- 
ves pareilles,  lorsque  M.  Blanche,  mon  médecin, 
a  jugé  que  la   fatigue  du  voyage,  jointe  aux  dé- 


«48  CORRESPONDANCE 


marches  multipliées  que  j'avais  faites  à  mon  retour, 
m'avait  fatig-ué,  ce  qui  était  en  effet,  et  m'a  con- 
seillé quelques  jours  de  repos.  Depuis  deux  mois 
j'ai  été  soumis  à  une  hyg-iène  sévère  et  ce  n'est  que 
d'aujourd'hui  qu'il  m'est  permis  de  communiquer 
par  écrit  avec  des  amis  ou  parents.  Toutefois,  n'ayez 
aucune  inquiétude  sur  l'exécution  du  travail,  qui 
est  à  peu  près  terminé  et  dont  les  corrections  peu- 
vent s'effectuer  sur  épreuves.  Une  partie  est  impri- 
mée dans  l'Artiste  elles  deux  fragments  sont  des- 
tinés à  se  rejoindre.  J'ai  à  Passy  la  presque  totali- 
té de  la  copie  manuscrite.  Il  est  d'autant  plus  im- 
portant que  je  sache  maintenant  à  quoi  m'en  tenir 
que  c'est  là  le  seul  tourment  d'esprit  qui  me  reste, 
la  saison  favorable  pour  nos  affaires  étant  déjà 
avancée.  J'étais  au  moment  de  conclure  un  arran- 
g-ement  avec  M.  Dutacq  (221),  du  Pays,  pour  une 
somme  importante.  Il  m'achetait  les  droits  d'auteur 
de  plusieurs  volumes  et  je  crains  que  l'incertitude 
présumée  de  ma  santé  ne  fasse  obstacle  à  ses  bon- 
nes résolutions  dont  il  m'a  assuré  à  deux  reprises. 
Vous  voyez  qu'il  n'y  a  pas  de  temps  à  perdre,  vous 
qui  savez  mieux  que  tout  autre  que  de  telles  affai- 
res tiennent  surtout  à  ce  qu'on  sait  en  saisir  l'occa- 
sion. Je  serais  replong-é  dans  une  bien  triste  incer- 
titude si,  par  trop  de  préoccupation  de  ma  santé,  ^ 
on  me  mettait  hors  d'état  de  faire  face  à  mes  nom- 
breux engag-ements  et  de  payer  même  les  frais  de 


AOUT  i853  —  .lANviKR  1 855  2/19 

ma  maladie,  ne  voulant  pas  avoirrecours  à  la  caisse 
de  la  Société.  Je  vous  prie  donc,  mon  cher  mon- 
sieur, de  vouloir  bien  envoyer  à  Passy  un  de  nos 
commissaires  pour  assurer  M.  le  Docteur  Blanche 
de  l'importance  des  détails  sur  lesquels  je  viens 
d'appuyer,  afin  que,  selon  la  promesse  qu'il  m'en  a 
faite  hier,  je  puisse  sans  trop  de  travail  reprendre  la 
direction  d'affaires  importantes  pour  mon  avenir 
et  qui  ne  peuvent  être  traitées  que  par  moi-même 
(222).  J'ai,  d'autre  part,  écrit  à  mes'parents  dont  les 
plus  proches  sont  venus  me  visiter  et  je  pense  que 
si  vous  m'envoyez  un  de  nos  confrères,  on  ne  refu- 
sera pas  de  me  laisser  communiquer  avec  lui.  On 
peut  venir  de  votre  part  depuis  le  matin  jusqu'à 
cinq  heures  ou  le  soir  après  six  ou  sept  heures. 
Votre  bien  dévoué, 

L.  GÉRARD  DE   NERVAL. 

à  Passy-les  Paris, 
Maison  de  santé  du  Docteur  Blanche 
I,  Rue  de  Seine. 

Suscription  :  M.  Godefroy  Affent  de  la  Société 

des  auteurs. 

cxxx 

AU  D''  blanche 

[17  octobre  i854.] 
Mon  cher  Emile,  laissez-moi  vous  appeler  encore 

cxxx.  —  Publ.  par  Champflcury,  Grandes  figures. 


25o  CORRESPONDANCE 


de  ce  nom,  quoique  mon  père,  qui  est  très  méfiant, 
avec  justes  raisons  de  l'être,  m'ait  dit  que  vous 
m'en  vouliez  peut-être  de  vous  traiter  en  jeune 
homme,  en  camarade.  Vous  êtes  jeune  !  en  effet 
et  j'oublie  l'âg-e  qui  nous  sépare,  parce  que  j'agis 
encore  en  jeune  homme,  ce  qui  m'empêche  de  m'a- 
percevoir  que  j'aibien  des  années  de  plus  que  vous. 
Je  vous  ai  vu  si  jeune  chez  votre  père  que  j'abu- 
sais même  de  quelques  avantag-es  et  de  mon  état 
présumé  de  folie  pour  aspirer  à  l'amitié  d'une  jeune 
dame  dont  le  chat,  qu'elle  portait  toujours  dans 
un  panier,  m'attirait  invinciblement.  —  Un  jour 
que  je  l'avais  embrassée  par  surprise,  elle  m'a  dit, 
comme  le  général  Barthélémy,  en  pareille  occasion  : 
Aspetta  !  traduction  française  :  Nous  n'en  sommes 
pas  encore  là  !  Voulez-vous  que  je  pense  et  laisse 
penser  que,  dès  cette  époque,  une  sourde  jalousiie 
vous  a  rendu  injuste  à  mon  égard...  Peutrêtre 
même  ce  sentiment  cruel  se  sera-t-il  de  nouveau 
manifesté  ici...  Je  tremble  d'aller  trop  loin  et  j'ai 
besoin,  pour  vous  rassurer,  de  faire  appel  à  toute 
ma  vie.  N'ayant  jamais  aspiré  aux  femmes  ni  aux 
maîtresses  de  mes  amis,  je  veux  toujours  vous  ran- 
ger parmi  eux,  et  cette  lettre  amicale  que  M.  Ber- 
trand, votre  oncle,  m'a  conseillé  de  vous  écrire,  ne 
sera  pas  la  dernière. 

J'ai   peut-être  plus  de  protections   à  faire  mou- 


AOUT  l853  JANVIER  l855  25l 

voir  que  vous  n'en  rencontrerez  contre  moi.  Je  ne 
sais  si  vous  avez  trois  ans  ou  cinq  ans,  mais  j'en 
ai  pins  de  sept  et  j'ai  des  métaux  cacliés  dans  Pa- 
ris. Si  vous  avez  pour  vous-même  le  Gr.-.  0.- .  je 
vous  dirai  que  je  m'appelle  \e  frère  terrible.  Je  se- 
rais même  la  sœur  terrible  au  besoin.  Appartenant 
en  secret  à  l'Ordre  des  Nopses^  qui  est  d'Alle- 
magne, mon  raui^  me  permet  de  jouer  carte  sur 
table...  Dites-le  à  vos  chefs,  car  je  ne  suppose  pas 
qu'on  ait  confié  les  grands  secrets  à  un  simple  (?) 
qui  devrait  me  trouver  très  Respectable  (X).  Mais 
je  suis  assuré  que  vous  êtes  plus  que  cela.  Si  vous 
avez  le  droit  de  prononcer  le  mot  de...  (cela  veut 
dire  Mac-Denac  et  je  l'écris  à  l'orientale),  si  vous 
dites  Jachin,  je  (Ws  Boa z,  si  vous  dites  Boas,  je 
dis  Jehoua, ou  même  Machenac...  Maisje  vois  bien 
que  nous  ne  faisons  que  rire  (228). 

CXXXI 

A  JULES  JANIN 

[Fin  1854.] 
Mon  cher  Janin, 
Meici  (224).  Je  suis  sorti  avec  les  honneurs  de  la 
guerre,  mais  non  avec  armes   et  bagages,  comme 
on  disait  à  Sainte-Pélagie.  On  m'a  gardé  provisoi- 

Gxxxi,  —  Publ.    par    M.    Clément    Janin,  Dédicaces    et    Lettres 
autographes. 


252 


CORRESPONDANCE 


rement  mes  meubles  ;  mais  il  paraît  qu'il  le  fallait. 
Je  vais  donner  une  représentation  à  mon  petit 
bénef  à  la  Porte-Saint-Martin  (2  2  5). 

Comme  a^ous  m^vez  tiré  de  peine,  je  me  fais  le 
plaisir  de  vous  donner  ceci  à  lire.  Je  vous  apporte- 
rai la  première  partie  qui  paraît  le  i5  et  les  Filles 
du  feu,  que  diverses  circonstances  m'ont  empêché 
de  vous  donner. 
Votre  ami, 

GÉRARD. 

CXXXII 

A   ALFRED  DELVAU 

[Janvier  i855.] 
Monsieur, 
Que  de  choses  charmantes  vous  avez  écrites  sur 
mes  livres  (226).  Je  n'ose  me  sentir  digne  de  tant 
d'éloges.  Mais  cela  vient  m'encourager  dans  un 
moment  où  j'ai  besoin  de  m'appuyer  sur  ce  que 
j'ai  fait  pour  tâcher  de  mieux  faire,  si  ma  santé  le 
permet  encore.  Je  suis  heureux  de  me  voir  soutenu 
par  un  écrivain  qui  parle  de  style  en  maître  et  qui 
entend  si  hautement  la  critique  littéraire.  J'attends 
le  numéro  prochain  pour  me  rendre  compte  de 
l'ensemble  de  votre  appréciation  et  vous  en  remer- 

cxxxii. —  Publ.  par  A.  Yiebf&\x,  Histoire   anecdotiqae  des    cafés 
de  Paris. 


AOUT   i8.j3  —  jANviiR   i85j 


cier  pleinement,  avec  l'espoir  de  profiter  de  (juel- 
ques  sévérilés  qu'il  me  reste  à  vous  demander  du 
moins. 

Votre  bien  dévoué, 

GÉRARD    DE   NERVAL. 


CXXXIII 

A   SA   TANTE   (227) 

24  janvier  i855. 

Ma  bonne  et  chère  tante,  dis  à  ton  fds  qu'il  ne 
sait  pas  que  tu  es  la  meilleure  des  mères  et  des 
tantes.  Quand  j'aurai  triomphé  de  tout,  tu  auras 
ta  place  dans  mon  Olympe,  comme  j'ai  ma  place 
dans  ta  maison.  Ne  m'attends  pas  ce  soir,  car  la 
nuit  sera  noire  et  blanche. 

GÉRARD  LAIÎRUNIE. 


f:xx\iii.  —  Piil.l   par  A.  Iloiissayc,  le  Llore,  i883". 

i6 


LETTRES  SANS  DATE 
GXXXIV 

A     MADAME (228) 

Madame  et  souveraine, 
Que  mon  cœur  a  de  peine... 
Ainsi  disait  un  enfant  chérubin. 
Madame  et  souveraine. 
Que  mon  cœur  a  de  peine. 


Cette  nuit,  je  ne  sais  trop  pourquoi,  ce  refrain 

A  trotté  dans  ma  tète  et  m'a  laissé  tout  triste... 

J'ai  des  torts  envers  vous,  mais  de  ces  torts  d'artiste 

Que  l'on  peut  pardonner  de  la  main  à  la  main. 

Je  suis  un  l"ainéant,  bohème  journaliste 

Qui  dîne  d'un  bon  mol  étalé  sur  son  pain. 

Vieux  avant  l'âge  et  plein  de  rancunes  amères, 

Méfiant  comme  un  rat,  trompé  par  trop  de  gens. 

Ne  croyant  nullement  aux  amitiés  sincères, 

J'ai  mis  exprès  à  bout  les  nobles  sentiments 

Qui  vous  poussaient,  Madame,  à  calmer  les  tourments 

D'une  âme  abandonnée  au  pays  des  misères. 

Daignez  me  pardonner  cet  essai  maladroit. .. 

Vos  lettres  m'ont  prouvé  que,  dans  cette  bagarre. 

Vous  possédez  l'esprit  qui  marche  ferme  et  droit, 

cxxxiv.  —  Publ.  par  le  V'^  de  Tresser vc,A'ou/;e//e  Revue  interna- 
tionale, mai  1897. 


LETTRES    SANS    DATE 


205 


Vous  voulez  votre  rf/î,  mot  grotesque  et  barbare, 

Que  l'on  n'accepterait  jamais  au  Tintamarre... 

Mais  il  parait  qu'il  faut  payer  ce  que  l'on  doit. 

Vous  aurez  donc,  Madame,  et  manuscrits  et  lettres, 

Doucement  ficelés  dans  un  calicot  vert, 

Car  ma  plume  est  gelée  aux  jours  noirs  de  l'hiver. 

Sans  feu  dans  mon  taudis,  sans  carreaux  aux  fenêtres, 

Je  vais  trouver  le  joint  du  ciel  ou  de  l'enfer, 

Et  j'ai  pour  l'autre  monde  enfin  bouclé  mes  guêtres. 

J'ai  fait  mon  épitaphe  et  prends  la  liberté 

De  vous  la  dédier  dans  un  sonnet  stupide 

Oui  s'élance  à  l'instant  du  fond  d'un  cerveau  vide... 

Mouvement  de  coucou  par  le  froid  arrêté  : 

La  misère  a  rendu  ma  pensée  invalide? 


Il  a  vécu  tantôt  gai  comme  un  sansonnet. 
Tour  à  tour  amoureux,  insoucieux  et  tendre, 
Tantôt  sombre  et  rêveur  comme  un  triste  Clitandre. 
Un  jour,  il  entendit  qu'à  sa  porte  on  sonnait. 

C'était  la  mort  !  Alors  il  la  pria  d'attendre 
Qu'il  eût  posé  le  point  à  son  dernier  sonnet  ; 
Et  puis,  sans  s'émouvoir,  il  s'en  alla  s'étendre 
Au  fond  du  coffre  froid  où  son  corps  frissonnait. 

Il  était  paresseux,  à  ce  que  dit  l'histoire, 

Et  laissait  trop  lécher  l'encre  dans  l'écritoire. 

Il  voulut  tout  savoir,  mais  il  n'a  rien  connu. 

Et  quand  vint  le  moment  où,  las  de  cette  vie, 
Lu  soir  d'hiver  enfin,  l'àmc  lui  fut  ravie, 
Il  s'en  alla  disant  :  pourquoi  suis-je  venu  ? 

Adieu,  Madame,  puisse  ma  lettre  vous  trouver 
joveuse  et  contente. 

Vous  êtes  jeune,  tout  est  bien  pour  vous.  J'ai  la 


256  COnRESPONDANCE 

tête  bourrelée  d'ennuis, vous  me  pardonnerez  donc 
cette  lettre  qui,  pour  vous,  n'a  sans  doute  pas  sa 
raison  d'être  !  Prenez-la  comme  une  énigme  et  si 
vous  en  trouvez  le  mot,  répondez-moi  que  vous 
daignez  agréer  les  vœux  sincères  que  je  fais  pour 
votre  bonheur. 

Votre  dévoué  serviteur, 

G.    DE  NERVAL. 

cxxxv 

A   FORGUES  (229) 

Mon  cher  Forgues, 
Voici  un  exemplaire  de  mon  volume  ;  pourrez- 
vous  en  parler  dans  une  revue  bibliographique. 
Est-il  nécessaire  d'envoyer  un  autre  volume  au  jour- 
nal? Dans  ce  cas,  dites-moi  à  qui.  Ecrivez-moi  cela 
rue  de  Navarin,  no  i4. 
Votre  bien  dévoué, 

GÉRARD. 

Suscription  :  A  Mom^ieur,   Monsieur   Forgues 
Rédacteur  du  Journal  du  Commerce. 

CXXXVI 


Monsieur, 
Votre  lettre  est  tellement  obligeante  que  c'est  à 

cxxxv.  —  Collection  Edouard  Champion. 


LKTXriKS    SANS    DATK  207 

moi  de  m'excuser  maintenant  et  de  reconnaître  ma 
propre  erreur.  J'avais  cruqueM.de  Girardin  avait, 
l'année  dernière,  demandé  purement  et  simplement 
mes  entrées  (que  j'avais  eu  longtemps  comme  ré- 
dacteur partiel  du  feuilleton).  Théophile  ayant  les 
siennes  comme  auteur,  cela  ne  chang-eait  rien  à  la 
position  du  journal.  Vous  voyez  comment  j'ai  été 
conduit  à  me  présenter  dernièrement  sans  droit 
réel,  ce  que  je  n'ai  fait  au  reste  que  pour  les  néces- 
sités de  mon  travail.  Ce  qui  m'a  contrarié,  c'est 
seulement  un  procédé  un  peu  dur,  qu'il  serait  aisé 
d'éviter  en  pareil  cas.  Ordinairement  les  contrô- 
leurs comprennent  que  toute  personne  qui  a  pu 
déjà  obtenir  ses  entrées  a  droit  à  quelques  égards. 
Us  lui  disent,ou  lui  écrivent  :  «  Monsieur,  Nous  ne 
savons  pas  si  votre  nom  est  porté  encore  sur  le 
livre  des  entrées;  veuillez  faire  une  réclamation  et 
justifier  de  vos  droits,  —  ou  bien,  on  s'en  infor- 
mera et  on  vous  en  donnera  avis.  »  De  plus  on  offre 
au  spectateur  qui  s'est  fait  illusion  sur  sa  posi- 
tion la  faculté  de  voir  finir  le  spectacle.  Il  peut  se 
trouver  avec  des  personnes  qu'il  lui  est  désagréa- 
ble de  laisser  seules.  —  Que  ceci  soit  entre  nous, 
Monsieur,  vous  avez  été  journaliste  et  vous  com- 
prenez que  ce  n'est  là  de  ma  part  qu'une  humble 
observation  dans  l'intérêt  de  tous.  J'accepte  avec 
reconnaissance  l'ofTre  que  vous  me  faites  de  me 
continuer  mes  entrées   et  j'espère   pouvoir  recon- 


258  CORRESPONDANCE 


naître    tôt  ou  tard  votre  excellente  manière  d'agir. 
J'ai  l'honneur  d'être,  Monsieur, 

Votre  bien  dévoue  serviteur, 

GÉRARD   DE    NERVAL. 

Ce  19  octobre. 

CXXXVÎI 

A   HIPPOLYTE    LUCAS 

Mon  cher  Lucas, 
Voici  les  deux  matériaux.  Je  vous  les  laisse  lire 
pour  que  nous  puissions  en  causer.  Je  viendrai 
dans  trois  ou  quatre  jours.  Les  noms  ne  sont  pas 
les  mêmes,  ce  sont  deux  versions  de  la  même  his- 
toire (23o).  Enfin,  nous  verrons  ce  qu'on  pourrait 
asseoir  dessus.  Il  faudra  peut-être  aussi  demander 
r Hijpnérotomacliie  ou  le  Songe  de  Polyphile  à  la 
bibliothèque  (-iSi). 

Votre  ami, 

GÉRARD  DE  NERVAL . 

CXXXVIII 

A  ARSÈNE    HOUSSATE 

De  Morfontaine  (232). 
Vous  vous  rappelez,  mon  cher  ami,  le  voyage  à 

CXXXVII.  — Communiquée  par  M.  Léo  Lucas. 

CXXXVIII.  —  Publ.  par  A.  Houssayc,  la  Presse,  22  septembre  1862. 


LETTUES    SANS    DATE  zSq 


Cythère  que  j'écrivais  pour  notre  vieil  Artiste. 
Je  racontais  que  je  m'tHais  arrêté,  en  approchant 
d'Apliinori,  dans  un  pellt  bois  de  mûriers  et  d'oli- 
viers où  quelques  pins  plus  rares  étendaient  çà  et 
là  leurs  sombres  parasols;  l'aloès  et  le  cactus  se 
hérissaient  parmi  les  broussailles,  et,  sur  la  gauche, 
s'élevait  de  nouveau  le  grand  œil  bleu  de  la  mer 
que  nous  avions  quelque  temps  perdue  de  vue.  Sur 
un  marbre,  débris  d'une  ancienne  arcadi;  qui  sur- 
montait une  porte  carrée,  je  pus  distinguer  ces 
mots  :  KAPAIQN  0EPAniA,  guérison  des  cœurs.  Jus- 
qu'ici rien  n'a  pu  guérir  mon  cœur  qui  soufFre  tou- 
jours du  mal  du  pays. 


CXXXIX 


Mon  cher  Méry, 
Cette  lettre  vous  sera  remise  par  M.  Frédéric  de 
Fauconnet,  le  fils  du  général,  qui  se  rend  en  Algé- 
rie, et  qui  aurait  besoin  de  quelques  recommanda- 
tions près  des  autorités  maritimes.  Si  vous  connais- 
sez quelqu'une  des  personnes  qu'il  vous  indiquera, 
faites,  je  vous  en  prie,  pour  lui  comme  pour  moi. 
Quand  pourrai-je  vous  voir  et  vous  remercier  de 

CXXXIX.  —  Collection  de  M.  L.  Grobet. 


aCo  CORRESPONDANCE 


cette  intervention  en  faveur  d'un  excellent  homme, 
qui  mérite  toute  votre  sympathie?  II  est  très  mo- 
deste, mais  très  intelligent  et  très  capable,  tâchez 
de  le  rassurer  un  peu  et  de  lui  donner  aussi  quel- 
ques recommandations  pour  Alg"er. 

Votre  bien  affectionné, 

GÉRARD   DE  NERVAL. 

Ce  26  octobre. 

Suscription  :  A  Monsieur,  Monsieur  Méry 
au  Musée,  à  Marseille. 


CXL 

A    FRÉDÉRIC    LEMAÎTRE 

Mon  cher  Monsieur, 

Je  ne  vous  ai  pas  revu  depuis  une  certaine  pièce 
qui  n'a  pas  pu  s'arranger,  parce  que  le  rôle  était 
difficile  à  mettre  à  votre  taille.  J'irai  causer  avec 
vous  un  de  ces  jours,  si  cela  ne  vous  ennuie  pas.  Il 
est  assez  difficile  de  songer  à  des  rôles  pour  a^ous, 
ici,  du  moins  selon  la  nature  de  mon  esprit.  L'Ima- 
gier de  Harlem  eût  été  l'affaire,  si  vous  eussiez  été 
libre.  Nous  avions  songé  — 

Voici  un  canevas  d'un  ami  qui  habite  la  pro- 
vince, que  je  suis  chargé  de  vous  remettre.  Voyez  — 

CXL.  —  Collection  Edouard  Champion. 


LETTKES    SANS    DATE  :».6l 

il  y  a  peut-être  quelque  chose,  en  refaisant  tout  et 
en  chaiiî^eant  le  titre.Le  principal,  c'est  que  je  serais 
charmé  de  causer  avec  vous  sur  l'art  et  d'agiter 
des  questions. 

Votre  g^rand  admirateur 
et  ami  j'espère, 

GÉRARD     DE  NERVAL. 

9,  rue  du  Mail. 

Suscription  :  A  Monsieur,  Monsieur  Frédéric 

Lemaître. 

CXLI 

A    ALEXANDRE    DUMAS   (aSS) 

Mon  cher  Dumas, 
Je  vous  prie  de  me  rendre  un  service,  c'est  de 
ne  pas  insérer  dans  votre  journal  et  de  détruire 
même  les  plaisanteries  que  j'ai  dictées  ou  écrites  à 
votre  bureau.  Je  ne  suis  ni  un  bouffon  ni  un  Bru- 
tus,  et  surtout  j'ai  à  garder  pure  la  gloire  de  mon 
nom.  Vous  savez  à  quel  point  j'avais  pris  cela  en 
plaisanteries,  puisque  je  vous  réclamais  une  somme 
que  vous  m'avez  si  largement  rendue,  ce  dont  j'ai 
du  reste  instruit  tout  le  monde  :  laissons  tout  cela 
dans  l'ombre.  Si  maintenant  vous  voulez  des  arti- 

cxLi.  — Publ.  par  A.  Houssaye,  le  Livre,  i883. 

16. 


202  CORRESPONDANCE 


des  sérieux,  demandez-les  moi.  Si  vous  préférez 
rentrer  dans  les  i6o  francs  que  vous  m'avez  avan- 
cés, M.  Blanche  voudra  bien,  sans  doute,  vous  les 
offrir.  Je  ne  vous  rendrai  jamais  vos  bons  con- 
seils et  votre  exemple,  qui  m'ont  fait  ce  que  je  suis, 
c'est-à-dire  ce  que  je  veux  être,  un  prosateur  éner- 
gique et  un  conteur  facile. 
Votre  ami, 

GÉRARD    DE  NERVAL. 


CXLII 


A    ALEXANDRE  DUMAS 


Voici  le  drame  dont  je  vous  ai  parlé,  ou  plutôt 
la  fin  du  drame  (234). 

Rousseau,  assis  devant  une  petite  cabane,  cause 
avec  un  jeune  enfant.  L'enfant  va,  vient,  apporte 
des  plantes.  «  —  Quelle  est  celle-ci?  —  C'est  de  la 
ciguë.  Apporte-moi  toutes  celles  que  tu  rencon- 
treras. »  Thérèse  vient  déposer  le  café  de  Rous- 
seau près  de  lui  et  aperçoit  dans  ses  mains  un 
pistolet  :  a  Ou'allez-vous  faire  ?  —  Mettre  fin  à  une 
existence  dont  vous  avez  fait  un  long  martyre.  » 
Il  sait  tout  et  dit  tout.  «  Ce  père  de  vos  enfants, 
que  l'on  m'accuse  d'avoir  abandonnés ,  est  ici 
palefrenier  dans  cette  maison,  etc.  »  Thérèse  s'age- 

cxLii.  —  Publ.  par  A   Houssayc,  le  Livre,  i883. 


LETTRES    SANS    DATE  263 


nouille.  «  Il  est  trop  tard!...  Souvenez-vous  seu- 
lement qu'aux  yeux  du  monde  je  vous  ai  permis  de 
porter  un  nom  qui  sera  désormais  glorieux.  »  L'en- 
fant revient;  Rousseau  dit  à  Thérèse  de  sortir.  Celle- 
ci,  sans  bouger,  lui  montre  le  pistolet.  Rousseau 
le  lui  donne  ;  elle  sort.  Puis,  en  causant  avec 
l'enfant,  il  exprime  le  jus  des  ciguës  dans  son 
café  qu'il  boit  tranquillement  en  caressant  l'enfant. 
«  Viendrez-vous  ce  soir  à  la  fête  du  château  ?  — 
Non,  —  Pourquoi  donc?  Il  y  aura  M.  Diderot, 
M.  Saint-Lambert,  M""^  d'Houdetot,  etc.  »  Ses 
tortures  effrayent  l'enfant,  qui  fuit.  Rousseau 
s'achève  avec  un  autre  pistolet  qu'il  tire  de  sa 
poche.  Le  bruit  fait  accourir  tous  les  invités, 
M""'  d'Houdetot  se  précipite  la  première  pour  le 
relever.  Rousseau  est  mort  1,.. 
Qu'en  dites-vous  ? 

GÉRARD     DE     NERVAL. 


CXLIII 

A     ARSÈNE   HOUSSAYE 

Mon  pauvre  cher  Houssaye, 
.Te  n'étais  pas  là  quand  vous  êtes  venu. 
Vous  aurez  été  bien  content  toutefois  de  me  voir 
sorti.  Aujourd'hui  je  vais  plus  loin,  demain  sans 

cxi.m. —  Fac-similé  piibi.  par  Arsène  Houssaye,  Confessions,  t.  I. 


204  CORRESPONDANCE 

doute,  j'irai  voir  Janin.  Dites-lui  ce  qu'il  faut.  Il 
n'y  a  pas  besoin  de  le  remercier.  —  Je  suis  fol.  — 
Je  lui  porterai  bonheur  et  je  lui  apprendrai  à  faire 
de  l'or.  Voilà  tout.  —  Mais  c'est  si  ennuyeux  qu'il 
n'en  aura  pas  la  patience,  il  aimera  mieux  le  rece- 
voir tout  fait  du  bon  Dieu.  —  A  propos  il  y  en  a 
un  quelque  part  —  dans  un  coucou;  —  il  y  en  a 
même  peut-être  plusieurs. —  J'en  ai  eu  peur.  Mais 
vous  allez  croire,  mon  pauvre  et  bonami,que  je  suis 
encore  malade,  comme  disaient  les  Grecs  !  Janin  a 
bien  compris  —  pas  tout  —  mais  il  sait  ou  saura 
tout. 

Venez  me  voir  ce  soir  si  vous  pouvez,  ou  demain 
matin. 

Celui  qui  fut  GÉRARD  et  qui  l'est  encore;  yépaç, 
gloire,  honneur,  récompense  (pour  vous  tous  !  et 
toutes). 


» 


LETTRES  D'AMOUR 


I 


Ah  !  je  suis  bien  puni  de  mes  exigences  !  Vous 
m'en  avez  cruellement  puni!  Pourquoi  vous  ai-je 
dit  une  seule  fois  ce  que  j'avais  fait  pour  vous? 
Pourquoi  me  suis-je  vanté  d'un  passé  qui  n'est  plus 
et  auquel  vous  ne  devez  rien?  Une  femme  aime  à 
dt)nner  plus  qu'elle  ne  reçoit,  et  ce  n'est  pas  à  elle 
qu'appartient  la  reconnaissance.  Ou'ai-je  fait  pour 
vous,  mon  Dieu?...  Un  sourire,  un  serrement  de 
main,  une  douce  parole  valaient  cent  fois  mes  pei- 
nes et  j'ai  eu  tout  cela  de  vous.  Soyez  tranquille, 
je  suis  assez  humilié  I  et  je  ne  song-e  plus  à  me  faire 
des  titres  que  dans  le  présent  et  dans  l'avenir. 

Qu'elle  est  bonne  et  douce  votre  lettre,  quand  je 
son^-e  à  mes  torts  !  mais  qu'elle  est  polie  et  mesu- 
rée !  Vous  étiez  bien  calme  en  l'écrivant  1  Ah!  pau- 
vre chère  lettre  !  C'est  mon   seul  trésor  d'amour 

Publ.  par  V.  Sardoii,  la  Nouvelle  Revae,  i5  octobre  1902.  J'ai 
collalionni-  le  texte  sur  le  manuscrit  original  et  corrigé  quehjues 
erreurs.  Entre  crochets, les  morceaux  déjà  parus  à  la  suite  à' Au- 
rélia. 


206  CORRESPONDANCE 


pourtant  !  et  je  suis  bien  forcé  de  me  faire  une 
bien  grande  illusion  pour  trouver  en  elle  un  espoir. 

Madame,  ne  craignez  pas  de  me  voir!  Vous  le 
savez,  je  suis  timide  en  face  de  vous,  vous  avez 
tout  pouvoir  sur  moi  et  ma  passion  elle-même 
n'ose,  en  votre  présence,  s'exprimer  que  faible- 
ment. Je  vous  ai  raconté  mes  ang-oisses  avec  le  sou- 
rire sur  les  lèvres,  de  peur  de  vous  effrayer;  je 
vous  ai  dit  avec  calme  des  choses  dont  vous  n'avez 
pas  frémi  et  qui  me  tenaient  tellement  au  cœur 
qu'il  me  semblait  que  j'en  arrachais  des  fibres  en 
vous  parlant.  Il  semblait  que  je  fisse  pour  ainsi 
dire  l'analyse  et  la  critique  de  mes  émotions  les 
plus  chères,  il  semblait  que  je  parlais  d'un  autre 
et  que  je  disais  :  «  Voyez  ce  malheureux,  voyez  ce 
rêveur,  qui  vous  aime  si  follement  !  » 

[Je  vous  jure  que  vous  ne  risquez  rien  de  plus  à 
m'écouter  :  votre  reg'ard  est  ce  qu'il  y  a  pour  moi 
de  plus  doux  et  de  plus  terrible.  Ce  n'est  que  loin 
de  vous  que  je  suis  violent  et  que  je  me  livre  aux 
idées  les  plus  extrêmes.  Madame,  vous  m'avez  dit 
qu'il  fallait  trouver  le  chemin  de  votre  cœur...  Eh 
bien,  je  suis  trop  ému  pour  chercher,  pour  trou- 
ver... Ayez  pitié  de  moi,  guidez-moi!  Je  ne  sais; 
il  y  a  des  obstacles  que  je  touche  sans  les  voir,  des 
ennemis  que  j'aurais  besoin  de  connaître.  Il  y  a 
quelque  chose,  ces  jours-ci,  qui  vous  a  changée  à 
mon  égard,..]  Eclairez-moi  dans  ces  détours,  où  je 


I 


LETTRES    d'aMOLR  267 

nie  lieurte  à  cliaque  pas.  'M'avez-vous  cru  injuste, 
inloléranl,  capable  de  troubler  votre  repos  par  des 
foHes?  Hélas  !  vous  le  voyez,  je  raisonne  trop  juste, 
je  juu;e  trop  froidement  les  choses  et  vous  avez  eu 
bien  des  preuves  de  mon  empire  sur  moi-même. 
Suis-je  un  enfant?  quoique  je  vous  aime  avec  toute 
l'imprudence  d'un  enfant  I  Non,  je  suis  un  homme 
calme  et  qui  raisonne  la  passion.  Je  suis  un  homme 
honorable  et  dig^ne  en  tout  de  votre  préférence;  je 
suis  capable  de  vous  faire  respecter  aux  yeux  de 
tous:  je  suis  digne  de  votre  confiance  et,  désormais, 
tout  mon  sang^  est  à  vous,  toute  mon  intelligence 
s'emploiera  pour  vous  servir.  Jamais  une  femme 
n'a  rencontré  tant  d'abnég-ation  jointe  à  quelque 
importance  réelle  et  toutes  en  seraient  flattées. 
Maintenant,  je  n'ai  plus  qu'un  mot  à  vous  dire. 
Admettez  une  épreuve.  Il  faut  un  homme  bien  épris 
pour  qu'il  ne  recule  pas  devant  une  question  de  vie 
ou  de  mort.  Si  vous  voulez  savoir  jusqu'à  quel 
point  vous  êtes  aimée  ou  estimée,  le  résultat  d'une 
démarche  que  je  puis  faire  vous  apprendra  sur  quel 
bras  il  faut  compter.  Si  je  me  suis  trompé  dans 
toutes  mes  suppositions,  rassurez-moi,  je  vous  en 
prie!  épargnez-moi  quelque  ridicule  et,  avant  tout, 
celui  de  me  commettre]  avec  quelqu'un  dont  l'hu- 
miliation même  n'aurait  rien  de  satisfaisant  pour 
ma  vanité. 

Vous  allez  me  jug-or   bien   mal  ;  vous  allez  me 


268 


CORRESPONDANCE 


croire  jaloux  et  violent.  Non,  je  vous  l'ai  dit  :  un 
mot  de  vous  peut  calmer  mon  esprit,  une  bonne 
raison  me  trouvera  sans  réponse,  une  confidence 
me  trouvera  résig-né.  Je  vous  aime  autrement  que 
les  autres,  moi.  C'est  votre  âme  que  j'aime  avant 
tout.  J'ai  eu  des  raisons  pour  espérer  d'y  avoir  fait 
un  peu  d'impression  et  peut-être,  en  a-^ous  consul- 
tant bien,  la  reconnaîtrez-vous  plus  profonde  qu'il 
ne  vous  semble.  Si  cela  n'était  pas,  il  faudrait 
désespérer  de  la  puissance  de  l'âme  humaine  et  de 
la  bonté  de  Dieu  1 


II 


[J'ai  lu  votre  lettre,  cruelle  que  vous  êtes  !  Elle 
est  si  douce  et  si  indulg^ente  que  je  ne  puis  que 
plaindre  mon  sort;  mais  si  je  vous  croyais  comme 
autrefois  coquette  et  perfide,  je  vous  dirais  comme 
Fig'aro,  Madame  :  «  Votre  esprit  se  rit  du  mien  !  » 
Cette  pensée  que  l'on  peut  trouver  un  ridicule  dans 
les  sentiments  les  plus  nobles,  dans  les  émotions 
les  plus  sincères,  me  glace  le  sang  et  me  rend 
injuste  malgré  moi.  Oh  non  !  vous  n'êtes  pas 
comme  tant  d'autres  femmes  !  Vous  avez  du  cœur 
et  vous  savez  bien  qu'il  ne  faut  pas  se  jouer  d'une 
véritable  passion  !  Vous  croyez  en  Dieu,  n'est-ce 
pas  ?  et  vous  devez  song'er,  à  de  certaines  heures, 


LLTTRES    d'aMOUH  269 


(lu'il  y   a  dans    le  monde    une  àme    (jui  aurait    le 
diolt,  un  jour,  de  vous  accuser  devant  lui  (i). 

Ah  !  inétiez-vous  !  non  pas  de  voire  cœur,  qui 
est  bon,  mais  de  voire  humeur,  qui  est  légère  et 
chane^eanle  !  Songez  que  vous  m'avez  mis  dans 
une  position  telle,  vis-à-vis  de  vous,  que  l'abandon 
me  serait  beaucoup  plus  affreux  que  ne  le  serait  une 
infidélité  quand  je  vous  aurais  obtenue.  En  eîFet, 
dans  ce  dernier  cas,  qu'aurais-je  à  dire  ?  le  res- 
sentiment serait  ridicule  à  mes  propres  yeux  ;  j'au- 
rais cessé  de  plaire,  voilà  tout,  et  ce  serait  à  moi 
de  chercher  des  moyens  de  rentrer  dans  vos  bonnes 
grâces.  Je  vous  devrais  toujours  de  la  reconnais- 
sance et  je  ne  pourrais,  dans  tous  les  cas,  douter 
de  votre  loyauté.  Mais  songez  au  désespoir  où  me 
livrerait  votre  chang-ement  dans  nos  relations 
actuelles  !  Oh  !  mon  Dieu!  vous  vous  créez  des 
craintes  là  où  elles  ne  peuvent  exister  !  Pour  ce 
qui  est  de  la  jalousie,  c'est  un  côté  bien  mort  chez 
moi...  Quand  j'ai  pris  une  résolution,  elle  est 
ferme;  quand  je  me  suis  résig-né, c'est  pour  tout  de 
bon  :  je  pense  à  autre  chose  et  j'arrang'e  mes  idées 
d'après  les  circonstances.  Mon  esprit  sait  toujours 
plier  devant    un  fait  irrévocable.  Ainsi,  ma  belle 

(i)  Que  jai  pleuré  en  relisant  quelques  passages  de   cette  leUre  ; 
c'est  ma  condamnation  (juc  j'écrivais  d'avance. 
Peut-on  outraçer  ce  qu'on  aime  ? 
Peut-on  cherclier  à  le  laclicr  ? 
C'est  bien  en  vouloir  à  soi-même 

(Note  de  Gérard  de  Nerval .  ) 


270  CORRESPONDANCE 


amie,  vous  me  connaissez  bien,  maintenant;  je 
livre  tout  ceci  à  vos  réflexions  ;  je  ne  veux  rien 
tenir  que  de  leur  effet.  Ne  craignez  donc  pas  de 
me  voir  ;  votre  présence  me  calme,  votre  entretien 
m'est  nécessaire  et  m'empêche  de  me  livrer]  au 
désespoir  qui  me  tuerait  ! 


III 


[...  Ce  n'était  pas  alors  la  femme  que  j'aimais  en 
vous  ;  c'était  la  Divinité  à  qui  je  rendais  hommage. 
Peut-être  aurais-je  dû  me  contenter  toujours  de  cet 
humble  rôle  et  ne  pas  chercher  à  faire  descendre  de 
son  piédestal  cette  belle  idole,  que,  jusque-là,  j'a- 
vais adorée  de  si  loin. 

Vous  dirai-je  pourtant  que  j'ai  perdu  quelque 
illusion  en  vous  voyant  de  plus  près?  Non!...  mais 
en  se  prenant  à  la  réalité,  mon  amour  a  changé 
de  caractère  ;  ma  volonté,  jusque-là  si  nette  et  si 
précise,  a  éprouvé  un  moment  de  vertige  :jene  sen- 
tais pas  tout  mon  bonheur  d'être  arrivé  si  près  de 
vous,  ni  toutle  danger  que  je  courais  en  risquant  de 
ne  pas  vous  plaire  ;  mes  projets  se  sont  contrariés  ; 
j'ai  voulu  me  montrer  à  la  fois  un  homme  sérieux 
et  timide,  un  homme  utile  et  exigeant,  et  je  n'ai 
pas  compris  que  les  deux  sentiments  queje  voulais 
exciter  ensemble  se  froisseraient  dans  votre  cœur. 


LETTRES    U  AMOCR  27I 


Plus  jeune,  je  vous  eusse  touchée  par  une  passion 
plus  naïve  et  plus  chaleureuse;  plus  vieux,  j'aurais 
su  mieux  calmer  ma  marche,  étudier  votre  carac- 
tère et  trouver  à  la  longue  les  secrets  que  vous  me 
cachez.  Si  je  vous  fais  un  aveu  si  complet,  c'est  que 
je  vous  crois  dig-ne  de  comprendre  un  esprit]  trop 
singulier  pourètre  saisi  tout  d'abord,  trop  fier  pour 
se  livrer  lui-même,  sans  g^arantie  et  sans  espoir... 

IV 

[Mon  Dieu!  mon  Dieu  !  je  suis  allé  vous  voir  un 
instant...  Quoi  !  vous  n'êtes  pas  si  irritée  que  je 
le  craignais  !  Quoi  !  vous  avez  encore  un  sourire 
pour  ma  présence,  un  doux  rayon  de  soleil  pour 
mes  yeux  !  et  j'emporte  avec  moi  cet  espoir  im- 
prévu, de  peurd'ètre  détrompé  parun  mol!  Insen- 
sé que  je  suis  toujours,  moi  qui  me  croyais  déjà 
plus  sage  !...  un  regard  m'abat,  un  souffle  me  re- 
lève et  je  ne  me  sens  fort  que  loin  de  vos  yeux! 

Oui,  j'ai  mérité  d'être  humilié  par  vous!  oui,  je 
dois  payer  encore  de  beaucoup  de  souffrances  l'ins- 
tant d'orgueil  auquel  j'ai  cédé!...  Ah  !  c'était  une 
risihle  ambition  que  celle  de  me  croire  quelque 
chose  près  d'une  femme  de  votremérite  et  de  votre 
beauté!] 

Prétendre  vous  prêter  l'appui  de  je  ne  sais 
quelle  puissance  que  j'ai  sur  d'autres  et  vous  par- 


272  COnnESPONDANCE 


1er  comme  un  roi  couronné,  au  nom  de  cette 
misérable  autorité!  Eussiez -vous  réduit  trop  bas 
l'insignifiance  de  mes  prétentions  à  vous  servir, 
[j'accepte  vos  dédains  pour  ma  justice.  Ne  craignez 
rien,  j'attends  I  ne  craig-nez  rien  !] 

V 

Je  ne  puis  me  remettre  encore  de  l'étrange  soirée 
que  nous  avons  passée  hier  :  que  de  bonheur  et 
d'amertume  ensemble  dans  ce  souvenir  !  Je  vou- 
drais pouvoir  m'écrier  comme  Saint-Preux  :  «  Mon 
Dieu  !  vous  m'avez  donné  une  âme  pour  la  souf- 
france ;  donnez-m'en  une  pour  la  joie  !  »  Mais  je 
suis  aussi  mécontent  de  moi-même  que  reconnais- 
sant envers  vous.  Que  vous  écrirai-je,  à  présent  ? 
Mon  âme  est  bouleversée...  Il  y  a  comme  un  cercle 
de  fer  autour  de  mon  front;  je  vous  demande  un 
jour  pour  me  reconnaître  ;  il  me  faut  un  jour,  au 
moins,  pour  me  reposer  de  mes  émotions.  Que  vous 
dirais-je  d'ailleurs  de  ma  journée  ?  Elle  ressemble 
à  la  plupart  des  autres  ;  j'ai  marché  longtemps 
pour  apaiser  mon  ardeur  que  je  ne  puis  dompter 
que  par  la  fatigue,  mon  inquiétude  dont  je  ne  puis 
sortir  que  par  l'abrutissement.  J'ai  marché  long- 
temps. Faut-il  vous  affliger  encore  de  mon  tour- 
ment ou  vous  effrayer  de  mes  agitations?  Non  ! 
j'ai  tant  de  choses  à  vous  dire  encore, que  je  ne  veux 


LUTTIIES    d'amour  278 

pasles  perdre  dans  une  froide  lettre...  Quoi  de  plus 
triste  qu'une  lettre?  quoi  de  plus  facile  pour  une 
pensée indittérente  et  déplus  malaisé  pour  un  cœur 
épris?  La  pensée  se  glace  en  se  traduisant  en  phra- 
ses, el  les  plus  douces  émotions  de  l'amour  res- 
semblent alors  à  ces  plantes  desséchées,  que  l'on 
presse  entre  des  feuillets,  afin  de  les  conserver... 
Mais  songer  que  tout  cela  peut  être  lu  dans  un 
instant  de  contrariété,  d'ennui,  d'humeur  légère  ! 
ou  songer  que  ce  peut  être  par  là  qu'on  vous  juge 
et  que  l'on  peut  jouer  sur  un  morceau  de  papier  son 
avenir  et  son  bonheur,  sa  vie  et  sa  mort  !  Non  ! 
non  !  je  ne  vous  écris  pas  sérieusement  aujour- 
d'hui, et  je  garde  les  belles  fleurs  de  mon  amour, 
qui  ne  veulent  plus  s'épanouir  que  près  de  vous 
et  sous  vos  yeux  ! 


VI 


Mon  Dieu  !  Mon  Dieu  !  que  je  vous  remercie  ! 
Votre  œil  rencontrant  le  mien,  votre  main  serrant 
la  mienne,  vous  savez  bien  que  c'était  assez,  n'est- 
ce  pas  !  Et  qu'importe  que  je  n'aie  pu  vous  dire 
un  mot?  J'y  aurais  peut-être  perdu  ce  bonheur  de 
tout  un  jour  d'illusion,  cet  adoucissement  passa- 
ger, qui  me  donne  la  force  de  souffrir  encore  ! 


274  CORRESPONDANCE 


VII 

Pauvre  amie,je  vous  ai  encore  bien  tourmentée  et 
bieninquiétée!  Mais  c'est  pourladernière fois. Quand 
je  vous  verrai  ainsi,  froide  et  contrainte,  je  compren- 
drai bien  qu'il  existe  une  de  ces  raisons  dont  nous 
avons  parlé  et  que  votre  cœur  se  resserre  à  l'approche 
du  mien,  comme  une  fleur  craintive.  Mon  Dieu  !  ne 
craignez  rien  ;  je  me  fais  à  cette  idée,  si  pénible 
qu'elle  puisse  être...  Oh!  nous  sommes  fiancés 
dans  la  vie  et  dans  la  mort  !  Qu'importent  les 
hommes  et  le*s  indignes  obligations  de  l'existence? 
Une  heure  de  liberté  entre  nous,  d'effusions  céles- 
tes, et  tout  le  reste  est  oublié  !...  Mais  prenez  un 
peu  pitié  de  mes  peines  mortelles  et  de  cette  terri- 
ble exaltation, dont  je  ne  puis  répondre  toujours! 
Songez  qu'elle  vient  moins  de  la  jalousie  que  de 
la  crainte  d'être  abusé...  Aujourd'hui, cette  crainte 
est  moins  forte  :  je  crois  en  vos  paroles.  La  per- 
mission que  vous  m'avez  donnée  de  me  regarder 
du  moins  comme  ayant  tout  obtenu  de  vous,  en 
attendant  l'instant  de  votre  bon  vouloir,  me  ras- 
sure et  me  fait  du  bien  :  car  vous  ne  pouvez  plus 
revenir  là-dessus;  car  vous  savez  bien  qu'il  y  a 
votre  parole  dans  un  des  plateaux  de  la  balance, 
et  dans  l'autre  toute  ma  vie,  tout  l'effort  d'une 
âme  énergique  qui,  du  point  où  vous  lui  avez  per- 


LKTTRES    D  AMOUR  27» 


mis  d'atteindre,  ne  peut  tomber  qu'en  se  brisant 
et  entraîner  peut-être  quelque  destinée  avec  la 
sienne.  Eh  bien!  maintenant,  rassurez-vous  donc! 
J'ai  promis  I... 

VIII 

[Deux  jours  sans  vous  voir  !  sans  te  voir, 
cruelle  I  Oh  !  si  tu  m'aimes,  nous  sommes  encore 
bien  malheureux  !...  Hier  je  ne  sais  à  quoi  j'ai 
passé  ma  journée,  je  suis  allé  et  venu;  j'ai  vu  une 
foule  de  figures...  Ma  tète  était  près  de  toi...  et, 
comme  tout  le  monde  me  disait  du  mal  de  ***, 
je  n'ai  pas  osé  le  juger  si  mal  sans  l'avoir  vu.  Ce 
n'est  pas  la  faute  de  ce  pauvre  jeune  homme,  si  je 
suis  amoureux. 

Il  ne  faut  pas  rire  de  cela...] 


IX 


Je  vous  réponds  bien  vite  pour  que  vous  ne  me 
croyiez  pas  mécontent  ou  découragé.  Oh  !  comme 
vous  connaissez  bien  votre  pouvoir  sur  moi  ! 
Comme  vous  en  usez  et  abusez  sans  pitié  !  INIoi,  je 
ris  à  travers  mes  larmes,  je  ris  par  un  suprême 
effort  de  courage,  comme  l'Indien  qu'on  brûle, 
comme  le  martyr  qu'on  tenaille;  je  suis  content  de 


276  CORRESPONDANCE 


moi,  je   me  trouve  sublime   et  j'excite  ma  propre 
admiration. 

Jamais  je  n'ai  été  si  convaincu   de  cette  vérité, 
que  mon  amour   pour  vous    est  ma  religion.  Les 
solitaires  de  la  Thébaïde  avaient  comme    moi  des 
nuits  affreuses  ;  ils  se  tordaient    comme   moi  sous 
des  désirs  impitoyables  et  ils  offraient  leurs  souf- 
frances en  holocaustes    à  l'Eternel  ;  mais  c'étaient 
des  gens  qui  vivaient  d'eau  et  de  racines  ;  c'étaient 
peut-être  aussi  des  tempéraments  paisibles  et  non 
de  ces  natures   nerveuses,  où   la  passion  n'a  pas 
moins  de  prise  que  la  douleur.  Oh  !  vous  êtes  bien 
calme  et  bien  tranquille,  vous!  Vous  me  parlez  de 
fidélité  sans  récompense  comme  à  un  chevalier  du 
moven-âge,  chevauchant  à  quelque  entreprise  dans      I 
sa  froide   armure  de    fer.  J'ai  bien  un  peu  de  ce 
sang--là  dans  les    veines,   moi,   pauvre    et  obscur 
descendant  d'un  châtelain  du  Périgord  ;  mais  les 
temps   sont    bien   changés  et  les    femmes  aussi  ! 
Gardez-nous  la  fidélité  des  anciens  temps  et  nous 
nous  résignerons  peut-être  à  faire  de  même.  Mais, 
en  vérité, ce  serait  là  bien  du  temps  et  du  bonheur 
perdus  ! 

Voyez-vous,  je  vous  parle  en  riant  ;  mais  je 
tremble  que  votre  lettre  ne  soit  pas  tout  à  fait  sé- 
rieuse. Il  y  a  toujours  quelque  niaiserie  à  trop  res- 
pecter les  fempies  et  elles  prennent  souvent  avan- 
tage d'une  trop  grande  délicatesse  pour  exiger  des 


LETTRES    D  AMOUR  277 


sacrifices  dont  elles  se  raillent  en  secret.  Oh  !  je 
suis  bien  loin  de  vous  croire  coquette  ou  perfide  \ 
mais  celte  pensée...  sacrifié  !... 

X 

[Ah  !  ma  pauvre  amieje  ne  sais  quels  rêves  vous 
avez  faits  ;  mais  moi,  je  sors  d'une  nuit  terrible. 
Je  suis  malheureux  par  ma  faute,  peut-être  et  non 
par  la  vôtre;  mais  je  le  suis.  Oh!  peut-être  vous 
avez  eu  déjà  quelques  bonnes  intentions  pour  moi  ; 
mais  je  les  ai  laissé  perdre  et  je  me  suis  exposé  à 
votre  colère.  Grand  Dieu  !  excusez  mon  desordre, 
pardonnez-moi  les  combats  de  mon  âme.  Oui,  c'est 
vrai, j'ai  voulu  vous  le  cacheren  vain,  je  vous  désire 
autant  que  je  vous  aime;  mais  je  mourrais  plutôt 
que  d'exciterencore  une  fois  votre  mécontentement- 

Oh  !  pardonnez  !  je  ne  suis  pas  volag'e,moi  ;  de- 
puis trois  ans, je  vous  suis  fidèle,  je  le  jure  devant 
Dieu  !  Si  vous  tenez  un  peu  à  moi,  voulez-vous 
m'abandonner  encore  à  ces  vaines  ardeurs  qui  me 
tuent  ?  Je  vous  avoue  tout  cela  pour  que  vous  y 
songiez  plus  tard  ;  car  je  vous  l'ai  dit,  quelque 
espoir  que  vous  ayez  bien  voulu  me  donner,  ce 
n'est  pas  à  un  jour  fixe  que  je  voudrais  vous  obte- 
nir :  mais  arrang^ez  les  choses  pour  le  mieux.  Ah  ! 
je  le  sais,  les  femmes  aiment  qu'on  les  force  un 
peu  ;  elles  ne  veulent  pas  paraître  céder  sans  con- 

'7 


278  CORRESPONDANCE 


trainte.  Mais  songez-y,  vous  n'êtes  pas  pour  moi 
comme  les  autres  femmes  ;  je  suis  plus  peut-être 
pour  vous  que  les  autres  hommes  ;  sortons  donc 
des  usages  de  !a  galanterie  ordinaire.  Que  m'im- 
porte que  vous  ayez  été  à  d'autres,  que  vous  soyez 
à  d'autres  peut-être  ! 

Vous  êtes  la  première  femme  que  j'aime  et  je 
suis  peut-être  le  premier  homme  qui  vous  aime  à 
ce  point.  Si  ce  n'est  pas  là  une  sorte  d'hymen  que 
le  ciel  bénisse, le  mot  amour  n'est  qu'un  vain  mot  I 
Que  ce  soit  donc  un  hymen  véritable  où  l'épouse 
s'abandonne  en  disant  :  C'est  l'heure  !...  Il  y  a 
de  certaines  formes  de  forcer  une  femme  qui  me 
répugnent.  Vous  le  savez,  mes  idées  sont  singuliè- 
res ;  ma  passion  s'entoure  de  beaucoup  de  poésie 
et  d'originalité  ;  j'arrange  volontiers  ma  vie  comme 
un  roman,  les  moindres  désaccords  me  choquent 
et  les  modernes  manières  que  prennent  les  hom- 
mes avec  les  femmes  qu'ils  ont  possédées  ne  seront 
jamais  les  miennes.  Laissez-vous  aimer  ainsi  ;  cela 
aura  peut-être  quelques  douceurs  charmantes  que 
vous  ignorez.  Ah  I  ne  redoutez  rien,  d'ailleurs,  de 
la  vivacité  de  mes  transports  !  Vos  craintes  seront 
toujours  les  miennes  et  de  même  que  je  sacrifierais 
toute  ma  jeunesse  et  ma  force  au  bonheur  de  vous 
posséder,  de  même  aussi  mon  désir  s'arrêterait  de- 
vant votre  réserve,  comme  il  s'est  arrêté  si  long- 
temps devant  votre  rigueur. 


LETTKES    n'AMOUH  2  79 

Ah  !  lua  chère  et  véritable  amie,  j'ai  peut-être 
tort  de  vous  écrire  ces  choses,  qui  ne  se  disent 
d'ordinaire  qu'aux  heures  d'enivrement.  Mais  je 
vous  sais  si  bonne  et  si  sensible  que  vous  ne  vous 
otïenserez  pas  d'aveux  qui  ne  tendent  qu'à  vous 
faire  lire  plus  complètementdansmon  cœur.  Je  vous 
ai  fait  bien  des  concessions;  faites-m'en  quelques- 
unes  aussi.  La  seule  chose  qui  m'effraie  serait  de 
n'obtenir  de  vous  qu'une  complaisance  froide,  qui 
ne  partirait  pas  de  l'attachement, mais  peut-être  de 
la  pitié.  Vous  avez  reproché  à  mon  amour  d'être 
matériel  ;  il  ne  l'est  pas,  du  moins  dans  ce  sens  ! 
Que  je  ne  vous  possède  jamais  si  je  dois  n'avoir 
dans  mes  bras  qu'une  femme  résig-née  plutôt  que 
vaincue.  Je  renonce  à  la  jalousie;  je  sacrifie  mon 
amour-propre;  mais  je  ne  puis  faire  abstraction 
des  droits  secrets  de  mon  cœur  sur  un  autre.  Vous 
m'aimez,  oui,  beaucoup  moins  que  je  ne  vous  aime 
sans  doute  ;  mais  vous  m'aimez,  et,  sans  cela,  je 
n'aurais  pas  pénétré  aussi  avant  dans  votre  inti- 
mité. Eh  bien  1  vous  comprendrez  tout  ce  que  je 
cherche  à  vous  exprimer  :  autant  cela  serait  cho- 
quant pour  une  tête  froide,  autant  cela  doit  toucher 
un  cœur  indulgent  et  tendre. 

Un  mouvement  de  vous  m'a  fait  plaisir,  c'est 
que  vous  avez  paru  craindre  un  instant,  depuis 
quelques  jours,  que  ma  constance  ne  se  fût  démen- 
tie. Ah  !  rassurez-vous  l  j'ai  peu  de  mérite  à  la 


CORRESPONDANCE 


conserver  :  il  n'existe  pour  moi  qu'une  seule  femme 
au  monde  !] 


XI 

.j 

[Vous  vous  trompez,  Madame,  si  vous  pensez  | 
que  je  vous  oublie  ou  que  je  me  résigne  à  être  ou- 
blié  de  vous.  Je  le  voudrais,  et  ce  serait  un  bon- 
heur pour  vous  et  pour  moi  sans  doute  ;  mais  ma 
volonté  n'y  peut  rien.  La  mort  d'un  parent,  des 
intérêts  de  famille  ont  exigé  mon  temps  et  mes 
soins,  et  j'ai  essayé  de  me  livrer  à  cette  diversion 
inattendue,  espérant  retrouver  quelque  calme  et 
pouvoir  jug'er,  enfin, plus  froidement  ma  position  à 
votre  égard.  Elle  est  inexplicable,  elle  est  triste  et 
fatale  de  tout  point  ;  elle  est  ridicule  peut-être  ; 
mais  je  me  rassure  en  pensant  que  vous  êtes  la 
seule  personne  au  monde  qui  n'ayez  pas  le  droit 
de  la  trouver  telle.  Vous  auriez  bien  peu  d'orgueil 
si  vous  vous  étonniez  d'être  aimée  à  ce  point  et  si 
follement.] 

Madame,je  vous  avais  obéi  ;  j'avais  attendu  pour 
vous  voir  le  jour  où  tout  le  monde  en  a  le  droit. 
J'ai  changé  d'idée. 

[Oh  !  si  j'ai  réussi  à  mêler  quelque  chose  de 
mon  existence  dans  la  vôtre,  si  toute  une  année 
je  me  suis  occupé  de  vous  préparer  un  triomphe,] 
s'il  y  a  à  moi,  toutes  à  moi,  quelques  journées  de 


LETTRES    d'aM0U1\  28  I 


votre   vie,  et  mali^rr  vous,  quelques-unes  de  vos 
pensées...  (Suit  un  illisible  brouillon.) 


XII 


[Vous  êtes  bien  la  plus  étrange  personne  du 
monde  et  je  serais  indij^ne  de  vous  admirer  si  je 
me  lassais  de  vos  inégalités  et  de  vos  caprices. 

Oui,  je  vous  aime  ainsi,  bien  plus,  je  vous  ad- 
mire et  je  serais  fâché  que  vous  fussiez  autrement. 
A  un  amour  tel  que  le  mien^  il  fallait  une  lutte 
pénible  et  compliquée  ;  à  cette  passion  infatigable 
il  fallait  une  résistance  inouïe  ;  à  ces  ruses,  à  ces 
travaux,  à  cette  sourde  et  constante  activité,  qui 
ne  néglige  aucun  moyen,  qui  ne  repousse  aucune 
concession, ardente  comme  \me  passion  espagnole, 
souple  comme  un  lien  italien,  il  fallait  toutes  les 
ressources,  toutes  les  finesses  de  la  femme,  tout  ce 
qu'une  tête  intelligente  peut  rasseml)ler  de  forces 
contre  un  cœur  bien  résolu.  Il  fallait  tout  cela, 
sans  doute,  et  je  vous  aurais  peu  estimée  d'avoir 
cru  la  résistance  plus  facile  et  l'épreuve  moins 
dangereuse... 

Toutefois,  ne  craignez  rien  :  je  suis  encore  mal 
remis  du  coup  qui  m'a  frappé  et  il  me  faut  du 
temps  pour]  me  reconnaître. 


17. 


282 


COimESPONDANCt: 


XIII 

Je  suis  plus  calme  aujourd'hui  qu'hier;  je  me 
réveille  plein  d'espoir  et  de  courage.  Mon  Dieu  ! 
le  mauvais  temps  pour  aimer,  que  l'hiver  !  On  ne 
devrait  aimer  qu'au  printemps,  comme  les  petits 
oiseaux.  Moi,  qui  voudrais  pouvoir  jeter  sous  vos 
pieds  un  manteau  de  verdure  et  de  fleurs,  moi  qui 
voudrais  rêver  avec  vous  sous  les  ombrages  parfu- 
més, au  bruit  des  eaux  murmurantes,  je  viens  à 
vous  par  un  temps  de  brume  et  de  gelée  et  mon 
beau  drame,  si  chaleureux,  si  bien  conduit,  n'a  pas 
de   décoration  ! 

Madame,  si  vous  ne  m'aimez  pas  un  peu,  je  suis 
perdu.  Si  vous  n'avez  pas  un  peu  de  bonté,  ma 
conduite  est  folle  et  la  vôtre  est  cruelle.  Je  crains 
bien  des  choses  encore  :  j'ai  peur  que  mon  abnéga- 
tion ne  vous  semble  de  la  faiblesse,  j'ai  peur  que 
vous  ne  vous  lassiez  d'un  amour  trop  entier,  trop 
ardent,  pour  savoir  revêtir  les  formes  de  la  galan- 
terie. La  conjugaison  éternelle  du  verbe  «  aimer  » 
ne  convient  peut-être  qu'aux  âmes  tout  à  fait  naï- 
ves. Mais  je  vous  ai  dit  combien  j'étais  jeune  encore 
d'émotions  et  il  m'a  semblé  qu'il  y  avait  dans 
votre  cœur  une  fraîcheur  de  sentiments  qui  n'avait 
jamais  été  comprise. 

Mais  j'y  songe  :je  suis  sûr  que  vous  allez  beau- 


LETTllKB    d'amour  283 

coup  lire  de  ma  lettre  et  de  mes  terreurs  et  que 
nous  en  rirons  ensemble,  ce  soir.  Si  elle  devait  vous 
déplaire,  song-ez  à  notre  traité.  J'ai  votre  parole, 
que  vous  deviez  tenir,  pourvu  que  je  vous  écrive 
une  lettre  un  peu  longue  ;  prenez  celle-ci  pour  un 
rêve.  Ecoutez  !  je  ne  demande  qu'à  vous  voir  un 
instant  I 

XIV 

[Souvenez-vous,  oublieuse  personne,  que  vous 
m'avez  donné  la  permission  de  vous  voir  une  heure 
aujourd'hui.  Je  vous  envoie  mon  médaillon  en 
bronze,  pour  fixer  encore  mieux  votre  souvenir... 
Ah  !  j'ai  été  l'une  des  célébrités  parisiennes  et  je 
remonterais  encore  aujourd'hui  à  cette  position, 
que  j'ai  néglig;ée  pour  vous,  si  vous  me  donniez  lieu 
de  chercher  à  vous  rendre  fière  de  moi.  Vous  vous 
plaignez  de  quelques  heures  que  je  vous  ai  fait  per- 
dre!... Mais  mon  amour  m'a  fait  perdre  des  années, 
et  le  plus  terrible  encore,  c'est  que  je  ne  puis  plus 
rien  sans  vous. ..Que  m'importe  la  Renommée,  tant 
qu'elle  ne  prendra  pas  vos  traits  pour  me  couron- 
ner? Jusque-là,  il  y  aura  une  gloire  dans  laquelle 
la  mienne  s'absorbera  toujours,  la  vôtre  I  Jamais 
mes  assiduités  les  plus  grandes  n'arriveront  à  vous 
la  faire  oublier.  Accordez-moi  quelques-uns  de 
vos  instants...  Ne  vous  effrayez  plus  de  me  voir... 


284  CORRESPONDANCE 


Je  vous  avoue  que  je  suis  aujourd'hui  d'une  humeur 
fort  peu  tragique  et  que  je  risque  beaucoup  moins 
de  vous  ennuyer.] 

XV 

Je  me  réveille  en  poussant  des  cris  de  joie  ! 

Mon  amie,  le  bonheur  est  une  chose  noble  et 
sérieuse,  et  il  n'y  a  de  g-aieté  folle  que  pour  les 
plaisirs  de  l'enfant.  J'ai  la  joie  du  ciel  dans  le  cœur; 
vos  bontés  me  ravissent,  et  c'est  de  l'enthousiasme 
aujourd'hui  que  j'éprouve  pour  vous.  Que  vous 
soyez  aussi  bonne  que  belle,  aussi  sensible  que 
charmante,  ah  !  voilà. ce  que  je  n'avais  jamais  osé 
espérer,  voilà  ce  qui  m'aurait  donné  cent  fois  plus 
de  force  encore;  mais  j'ai  manqué  de  confiance  en 
vous  et  j'en  ai  été  puni  par  de  bien  longues  dou- 
leurs. 

Maintenant,  que  viens-je  vous  offrir?  Mon  âme 
abattue,  endolorie,  qui  peut  à  peine  comprendre 
que  ses  mauvais  jours  sont  passés  et  qui  se  remet 
encore  de  temps  à  autre  à  s'attrister,  par  habitude. 
Oh  !  les  transports  de  la  jeunesse,  l'éclair  des  yeux 
qui  se  rencontrent,  l'imagination  qui  déborde  en 
de  ravissantes  extases,  voilà  ce  que  je  perds  de 
jour  en  jour  !  Serez-vous  assez  récompensée  de 
vous  sacrifier  par  l'ivresse  d'un  pauvre  cœur,  où  le 
bonheur  revêtira  peut-être  des  apparences  moins 


LKTTRES    D  AMOLH 


séduisaiiles  que  le  désir  cl  rin(|uiëtude  ?...  Tout 
cela  me  reviendra  t-il  comme  au  temps  où  mon 
amour,  inconnu  de  vous,  était  pur  et  céleste  ?... 

[Nous  avons  maintenant  à  nous  garder  d'une 
chose;  c'est  de  cet  abattement  qui  succède  à  toute 
tension  violente,  à  tout  effort  surhumain;  pour  qui 
n'a  qu'un  désir  modéré,  la  réussite  est  une  suprême 
joie  qui  fait  éclater  toutes  les  facultés  humaines. 
C'est  un  point  lumineux  dans  l'existence  qui  ne 
larde  pas  à  pâlir  et  à  s'éteindre...  Mais  pour  des 
cœurs  plus  profondément  épris,  l'excès  d'émotion 
mêle  pour  un  instant  tous  les  ressorts  de  la  vie; 
le  trouble  est  çrand,  la  confusion  est  profonde  et 
la  tète  se  courbe  en  frémissant,  comme  sous  le 
souffle  de  Dieu.  [lélas!  que  sommes-nous,  pauvres 
créatures,  et  comment  répondre  dignement  à  la 
puissance  que  le  ciel  a  mise  en  nous  !  Je  ne  suis 
qu'un  homme  et  vous  une  femme,  et  l'amour  qui 
est  entre  nous ] 

—  Ne  dérangez  personne  de  chez  vous  par  le 
temps  qu'il  fait... 

XVI 

Permettez-moi  de  me  rapprocher  de  vous,  après 
vous  avoir  donné  le  temps  d'oublier  mes  folies. 
J'ai  respecté  vos  ordres;  j'ai  misa  me  calmer  toutes 
les  forces  de  mon  àme;  je  n'espère  et  n'attends  de 


286  COHRESPONDANCE 


VOUS  pour  ce  soir  qu'un  signe  de  pardon,  un  mot 
de  bonté...  J'ai  attendu,  pour  vous  voir, le  jour  où 
tout  le  monde  en  a  le  droit,  pour  vous  parler,  le 
jour  où  beaucoup  d'autres  en  ont  le  privilège...  Ne 
redoutez  rien  de  ma  présence  et  de  mes  paroles; 
enfin,  quelques  jours  ont  calmé  mes  agitations 
qu'il  vous  a  été  plus  facile  de  comprendre  que  d'ex- 
cuser, peut-être;  j'ai  appris  à  redevenir  courageux 
et  patient.  Je  ne  veux  plus  compromettre,  en  quel- 
ques heures,  toutes  les  chances  d'une  destinée  à 
laquelle  vous  avez  paru  prendre  quelque  intérêt  et 
je  me  suis  dit  souvent  que,  dans  l'affection  que  je 
vous  porte,  il  y  a  trop  de  passé  pour  qu'il  n'y  ait 
pas  beaucoup  d'avenir. 

J'avais  résolu  de  ne  pas  vous  écrire  :  en  man- 
quant à  cette  résolution,  je  m'expose  encore  à  un 
danger  d'où  votre  indulgence  peut  me  sauver 


XVII 

J'avais  résolu  de  ne  plus  vous  écrire,  Madame. 
Les  lettres  ne  sont  bonnes  que  pour  les  amants 
froids  ou  pour  les  amants  heureux.  On  admet  l'in- 
cohérence dans  les  paroles  ;  mais  les  phrases  écri- 
tes deviennent  des  témoins  éternels.  Je  voudrais 
pouvoir  anéantir  toutes  les  lettres  que  je  vous  ai 
adressées  ;    votre    indifférence    m'aura    peut-être 


LETTHES    d'amour  287 


rendu  ce  service;  mais  le  souvenir  reste  encore,  et 
c'est  trop.  Combien  n'en  ai-je  pas  déchiré,  pour- 
tant î  J'en  écris  une  vraie  et  sentie,  mais  dont  la 
violence  risquerait  de  vous  effrayer;  puis  une  autre 
réfléchie  etcalculée,où  je  m'applique  à  vous  paraître 
patient  et  raisonnable;  et  ce  n'est  aucune  des  deux 
que  je  vous  envoie,  mais  une  troisième  écrite  à  la 
hâte  et  parce  qu'il  faut  en  finir,  faite  avec  les  lam- 
beaux des  autres,  où  les  phrases  ne  se  suivent  pas, 
oij  les  idées  se  confondent,  une  lettre  folle  et  bles- 
sante et  qui  défait  tout  mon  ouvrage. 

N'attendez  pas  de  moi  des  phrases  de  roman;  je 
ne  suis  ni  Saint-Preux,  ni  Werther;  ou  plutôt,  je 
sens  trop  vivement  pour  écrire  comme  eux  des 
lettres  éloquentes  et  ménagées. 

Le  beau  roman  que  je  vous  écrirais,  si  j'étais 
moins  sincère  !...  Il  y  a  des  années  d'angoisses,  de 
rêves,  de  projets  qui  voudraient  se  presser  dans 
une  phrase,  dans  un  mot...  Votre  lettre  m'a  fait 
assez  expier  mes  torts;  j'ai  senti  également  toute 
l'imprudence  et  toute  la  dureté  de  ma  conduite... 
Je  suis  retombé  à  vos  pieds. 


XVIII 

Madame,  puisque    le    malheur  veut  qu'une  cir- 
constance insignifiante  vienne  tout  à  coup  m'arra- 


COUnESPOXOANCE 


cher  à  ce  peu  de  calme  que  j'avais  retrouvé  enfin 
et  qui  me  servait  à  préparer  l'avenir,  puisque  tout 
un  passé  qu'il  fallait  oublier  revient  gronder  à  mes 
oreilles  et  me  rapporter  à  la  fois  ses  ém€)tions  et 
son  vertige,  écoutez  donc  quelques  mots  encore  et 
vous  y  gagnerez  peut-être  des  mois  de  résignation 
et  de  silence  de  ma  part  : 

Que  vous  ayez,  en  un  seul  jour,  oublié  tant  de 
dévouement  dont  vous  aviez  des  preuves,  tant  de 
loyauté  et  de  bonne  foi  qui  se  trahissaient  dans  mes 
moindres  rapports,  que  vous  ayez  même  flétri 
d'un  doute  une  proposition  qui  honorait  mon  cœur, 
même  en  admettant  que  mon  amour-propre  en  eût 
mis  trop  haut  l'importance,  —  je  ne  vous  en  veux 
pas,  j'accepte  cette  punition  cruelle  d'une  impru- 
dence probable  dont  j'ai  peine  à  me  rendre  compte 
même  aujourd'hui...  Mais  je  ne  vois  dans  tout 
cela  rien  d'irréparable.  Je  ne  suis  coupable  d'aucun 
de  ces  crimes  qu'une  femme  ne  peut  pardonner  et, 
vous  l'avouerai-je,  l'excès  même  de  votre  ressenti- 
ment m'a  découragé  moins  que  n'eût  fait  le  dédain 
d'une  âme  indifférente.  .J'aurais  perdu  tout  espoir 
si  vous  m'eussiez  quitté  par  ennui,  par  fatigue,  ou 
par  la  diversion  d'un  autre  attachement  ;mais  rien 
de  tout  cela  !  Mon  amour  a  été  tranché  dans  le  vif  ; 
il  y  a  une  blessure  et  non  une  plaie.  Je  ne  puis  me 
rappeler  ce  jour  fatal  sans  penser  àla  veille,  si  belle 
et  si  enivrante  qu'il  eût  fallu  mourir  après.  Mon 


LElTttES    d'amour  289 


J3ieu  !  notre  pauvre  lane  de  miel  n'a  guère  eu  qu'un 
premier  quartier...  et  vous  me   connaissez  si  peu 
encore,  que  vous  ne  m'avez  ni  bien  compris  jus- 
qu'ici, ni  bien  jugé.  Vos  injustices  en  seraient  une 
preuve  déjà.  Oh!  daignez  interroger  votre  cœur  et 
vous  vous  direz  qu'il  y  amaigré  tout  quelque  chose 
qui  bat  encore  pour  moi,  que  tous  ces  hommes  qui 
vous  ont  entourée  depuis  quelque  temps  sont  plus 
riches  et  plus  beaux,  mais  n'ont  pas  cette  âme,  cet 
esprit  même  que  vous  aviez  su  distinguer,  qu'ils 
sont  frivoles  surtout  et  aussi  incapables  d'aimer 
que  de  sentir  en  eux  l'ambition  des  grandes  choses. 
Ah  !  l'amour  et  l'art  nous  réuniront  malgré  tout  ! 
Vous  sentirez  que  toutes    ces  relations  brillantes 
laissent  un  côté  vide  dans  le  cœur,  que  c'est  beau- 
coup d'avoir  rencontré  un  ami  fidèle,  soumis,  dont 
l'alïection  se  conserve  pure,  à  travers  toutes  sor- 
tes d'amertumes.  Pourquoi  vous  risqueriez-vous  à 
choisir  quehjue  autre  que  moi  ?  Je  sais  vos  habi- 
tudes ;  vous  pouvez  me  rendre  prudent  par  beau- 
coup de  confiance.  Quel  intérêt  aurais-je  à  vous 
compromettre  aujourd'hui  ?  Je  sais  maintenant  de 
quoi  il  faudra  se  garder  et  je  tiens,  d'ailleurs,  à  m'i- 
soler  de  plus  en  plus,  à  vivre  toutik  fait  pour  vous. 
Ce  n'est  pas  difficile  pour  qui  ne  pense  qu'à  vous 
seule...  Eh  bien  !  vous  me  verriez  aussi   rarement 
qu'il  vous  plairait.  Nous  trouverions  les  précautions 
les  plus  sûres.  Puisque  vous  avez  tant  à  craindre, 

18 


2Q0  CORRESPONDANCE 


votre  secret  sera  sous  la  garde  de  mon  honneur. 
Mais  j'ai  besoin  de  vous  voir  un  peu  de  temps  en 
temps,  de  vous  voir  à  tout  prix  ;  je  vous  ai  aper- 
çue hier  et  vous  étiez  si  belle,  vous  aviez  l'air  si 
doux  !...  J'ai  retrouvé  dans  vos  traits  quelque  chose 
de  cette  expression  de  bonté  qui  me  charmait  tant, 
quand  vous  m'étiez  favorable. 

Ah!  cruelle  femme,  ne  dites  pas  que  vous  ne 
m'avez  pas  aimé  !  autrement,  vous  auriez  été  bien 
trompeuse!  Si  vous  m'aimiez,  vous  m'aimez  tou- 
jours. Vous  êtes  touchée  de  cette  passion  qui  sur- 
vit à  tout,  qui  garde  pour  elle  toute  l'humiliation 
et  tout  le  malheur  et  qui  vous  laisse  à  vous  toute 
liberté,  toute  fantaisie,  qui  ne  se  plaint  pas  même 
de  votre  inconstance,  mais  seulement  de  votre 
injustice... 

Vous  serez  bien  avancée  quand  vous  m'aurez 
fait  mourir  !  Que  diriez-vous,  si  j'allais  me  tuer, 
comme  D...  ! 


NOTES 


LETTRE  I 

(1)  Son  grand-père  maternel,  P.  Ch.  Laurent,  celui  dont 
Gérard  a  conté  le  mariage,  devenu,  par  la  suite,  «  linger  » 
dans  le  quartier  Saint-Martin. 

("2)  Je  ne  sais  de  quelle  élude  il  est  ici  question.  D'ailleurs, 
bien  des  obscurités  subsistent  sur  cette  période  de  sa  vie.  Une 
autre  lettre  (IV)  nous  le  montre  étudiant  en  médecine.  D'après 
un  passage  de  si;n  feuilleton  des  Faux  Sauniers,  au  Xaiional 
(IS.jO),  il  aurait  été  aussi  «  apprenti  compositeur  »  dans  une 
imprimerie. 

LETTRE   II 

(3)  Georges  Bell  et  Théophile  Gautier,  qui  nous  font  connaî- 
tre ces  premières  tentatives  de  Gérard  ù  TOdéon,  pendant  la 
direction  Harel  (1829-32),  se  contentent  d'indications  assez 
vagues.  Une  lettre  portée  sur  un  catalogue  Charavay  donne 
une  date.  Le  16  janvier  1831,  Gérard  écrit  à  un  ami  :  «  La 
petite  pièce  que  vous  savez  que  je  devais  lire  à  VOdéon  a 
été  reçue ,  samedi  même  .par  acclamations  et  à  la  seule  condi- 
tion d'y  Joindre  un  prologue,  pour  préparer  le  public  aux 
innovations  qui  s'y  trouvent...  Je  vous  requiers,  au  reste,  si 
classique  que  vous  soyez, d'appuyer  mon  ouvrage...  »  Il  doit 
s'agir  ici  de  la  a  Diablerie  »  le  Prince  des  sots,  de  facture 
toute  nouvelle  en  effet,  et  pour  laquelle  Th.  Gautier  écrivit  un 
prologue,  La  même  pièce  avait  été,  un  mois  plus  tôt,  préscn- 


COnUESPONDANCE 


tée  au  Théâtre  français;  M.  Couët  me  signale  cette  indication, 
relevée  sur  les  archives  du  théâtre  en  Décembre  1830  ; 

Le  prince  des  sots        M.  Gérard,  rue  St  Martin,  72         N.  A. 
comédie  en  i  acte  en  vers  Rendu  à  l'auteur  [Non  admis] 

Quant  à  cette  tentative  nouvelle,  elle  doit  être  postérieure 
de  six  mois  environ. C'est  ce  quiressort  de  la  lettre  elle-même. 
En  effet,  Frederick  Lemaître  entré  à  l'Odéon  le  12  Août  1830 
y  joue  régulièrement  pendant  près  d'un  an.  En  Juillet,  Août 
et  Septembre  1831,  il  ne  paraît  plus  sur  l'affiche,  tandis  que 
Ligier  crée  le  3  août  V Homme  au  masque  de  fer  et,  le  20  Oc- 
tobre, Charles  Vil  chez  ses  grands  vassaux  ;  tous  deux 
quittent  l'Odéon  au  début  de  1832.  Il  est  à  remarquer,  d'ail- 
leurs, que  lebaron  Taylor,  suppléé  depuis  le  19  Mars  1830  par 
Albertin  et  depuis  le  2i' Septembre  par  Mazères,  a  repris  son 
poste  de  Commissaire  royal  le  6  Avril  1831,  et  que,  durant  cet 
été,  le  Théâtre  français,  dont  les  affaires  ne  sont  pas  brillantes, 
fait  un  appel  pressant  aux  auteurs  dramatiques  (Renseignement 
communiqué  par  M.  Couët).  Il  ne  reste  rien,  ni  de  la  tragédie 
de  Lara  ni  de  la  diablerie  du  Prince  des  sots. 

(4)  On  connaît  le  rôle  de  Gérard  au  moment  à' Hernani . 
D'une  lettre  d'Août  1831, à  propos  de  Marionde  Lorme  :  «  C'est 
ce  soir  Marion  de  Lorme  de  V.  Hugo  ;  si  vous  ne  craignez 
pas  d'y  assister  du  sein  des  bandes  romantiques,  venez  à  5 
heures  précises. . .  Nulle  représentation,  de  longtemps,  ne 
présentera  la  physionomie  de  celle-ci  où  les  deux  écoles 
seront  aux  prises.  »  (Vente  du  18  Mai  1859.) 

LETTRE  III 

(5)  Gérard  fut  incarcéré  après  l'avortement  du  complot  de  la 
rue  des  Prouvaires  ('nuit  du  l'^r  au  2  Février  1832).  Retenu 
quelque  temps  à  Sainte-Pélagie,  il  fut  relâché  avant  le  prin- 
temps. Sur  cette  détention, voy.yT/es  Prisons,  dans  la  Bohême 
galante. 

LETTRE  IV 

(G)  Le  baron  Papion  du  Château, capitaine  de  cavaleric,né  le 


293 


15  Nivôse  an  IV,  avait  connu  Gérard  au  temps  de  ses  premiè- 
res œuvres.  Voy.  la  préface  de  le  Nouveau  Ge/ire, comédie 
poslhume  achevée  et  publiée  par  Arlhus  Fleury, Paris, Barbré, 
iSGO. 

(7)  Epidémie  de  1832.  Le  choléra  Ht  son  apparition  à  Paris 
le  2<)  Mars. 

(8)  Les  Messéniennes polonaises, YtaT  M.  F.  Papion  du  Châ- 
teau... ParisjLevavasseur,  1832. Dumas,  en  efl'et,  négligea  d'é- 
crire; mais  V,  Husfo  répondit.  Sa  lettre  est  imprimée,  l'année 
suivante,  à  la  Hn  d'un  volume  nouveau  de  Papion  du  Château 
{Esquisses  poétiques,  Paris,  Ledoyen,  1833),  parmi  d'«utres 
témoitrnages  du  même  genre,  signés  de  Lamartine,  Casimir 
Delavigne,  Nodier,  Chateaubriand,  D.  Gay,  Salvandy,  Janin, 
Berryer,  A.  de  Vigny...  Voici  la  lettre  de  Hugo  :  «  Les  poé- 
sies que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'envoyer  me  sont  par- 
venues hier.  Monsieur  ;  je  les  ai  lues  avec  un  bien  vif  intérêt. 
Le  chant  funèbre  sur  la  Pologne  expirée  est  d'un  noble  cœur. 
11  est  impossible  de  ne  pas  sympathiser  avec  de  si  généreux 
sentiments.  Recevez,  Monsieur,  je  vous  prie,  l'assurance  de 
ma  considération  distinguée.  Victor  Hugo.  » 

LETTRE  V 

(9)  Ce  voyage  en  Italie  (Octobre-Novembre  1834)  est  le  pre- 
mier grand  voyage  de  Gérard  que  nous  connaissions.  D'après 
sa  nouvelle  d'Octavie  dans  les  Filles  du  Feu,  c'est  au  prin- 
temps de  183o  qu'il  aurait  découvert  l'Italie,  mais  Oclavie  a 
paru  seulementcn  1 8  i3,  dans /a  5y//>/a'(/e,et  Gérard  n'a  jamais 
eu  la  mémoire  des  dates. 

LETTRE  VI 

(10)  Le  médaillon  de  Jehan  du  Seigneur  (1831)  est  le  seul 
portrait  de  Gérard  jeune  qui  nous  soit  parvenu. 

(11)  Il  est  passé  en  vente  une  lettre  à  J.  du  Seigneur  du 
2  Octobre  183  i.  (Catal.  Charavay.) 

(12)  M.  Maurice  du  Seigneur  a  coupé  une  partie  de  la  let- 
tre :  «  Ici,  il  divise  sa   missive   en  six  articles,  dont  les    qua- 


294  CORRESPONDANCE 


tre  premiers,  un  peu  embrouillés,  n'ont  trait  qu'à  des  affaires 
d'argent  » . 

(13)  Le  D'  Labrunie  était  né  à  Agen.  Gérard  avait  là  un 
cousin,  d'abord  pharmacien,  puis  négociant  en  vin  de  Cham- 
pagne. Champfleury  cite  delui  une  lettre  fort  amusante  (Gra«- 
des  Figures  p.  2ii2).  Présenté  parle  poète  à  ses  camarades  de 
la  Bohême,  ce  bon  bourgeois  garda  toujours  de  cette  rencon- 
tre un  souvenir  enthousiaste  :  «  Je  lis  Théophile  tous  les  huit 
jours  dans  la  Presse,  et  c'est  bien  toujours  là  le  Théophile 
Gautier  que  j'ai  connu  dans  l'atelier  de  Du  Seigneur  et  que 
j'aimais  tant.  Vous  ne  sauriez  croire  le  plaisir  que  j'éprouve, 
moi  bourgeois,  je  devrais  dire  demi-bourgeois,  à  apprendre 
des  nouvelles  de  ces  aimables  artistes  avec  qui  j'ai  passé  des 
moments  si  agréables  :  Duseigneur,  Bion,  Nanteuil,  Petrus, 
puis  ce  pauvre  Bouchardy,  Vabre,  Léon  Clopet  :  il  me  semble 
que  c'est  d'hier  que  je  les  ai  perdus  de  vue,  et  cependant  voilà 
vingt  et  un  ans  que  j'ai  quitté  Paris  et  dix-neuf  que  je  ne  vous 
ai  vu...  »  Cette  lettre  est  de  la  fin  de  1853;  Gérard  n'est  donc 
plus  revenu  à  Agen  depuis  ce  passage  en  Novembre  1834. 

LETTRE  VII 

(14)  Sur  les  rapports  de  Gérard  et  de  Renduel,  voy.  Ad. 
JuIIien,  le  Romantisme  et  Véditear  Renduel. 

(lia)  La  Fille  de  l'Air  de  Raupach. 

(16)  Cette  question  de  la  contrefaçon  littéraire  a  toujours 
préoccupé  Gérard.  Voy.  la  lettre  du  17  Novembre  1840. 

(17)  Roman  de  Jules  Janio.  —  Une  contrefaçon  à  Bruxelles, 
Méline,  1831,  in-18. 

(18)  Douet  d'Arcq,  l'archiviste. 

(19)  C'est  le  moment  de  la  grande  raveur  pour  les  romans 
maritimes  d'E.  Corbière,  E.  Sue,  J.  Lecomte... 

(20)  Sur  Mme  de  Souza,  voy.  Sainte-Beuve,  Portraits  de 
femmes. 

(21)  Charles  Nanteuil,  le  sculpteur. 

(22)  Cette  lettre  à  Renduel  est  donc  du  6  Novembre,  et  l'on 
peut  établir  ainsi,  d'après  la  correspondance,  les  principales 
étapes  de  ce  voyage  en  Italie  :  Avignon,  Vaucluse,  Aix  (début 


agS 


d'Oclobre\  iNice,  Gènes,  Livoui-nc,  llorencc  (V6  Octobre), 
Civita  Vecchia,  Rome,  Naples,  Marseille  (4  Novembre),  Nîmes, 
Agen . 

LETTRE  VIII 

(2;$)  Papion  du  Château  a  épousé,  le  6  Mai  1834,  mademoi- 
selle de  Truchis  de  Lays. 

LETTRE  IX 

(2i)  Je  ne  connais  aucune  lettre  de  d835.  Gérard  passe 
cette  année  à  Paris.  C'est  l'année  delà  Bohême  avalante  et  de 
l'impasse  du  Doyenné  (le  fameux  bal  est  donné  le  28  Novem- 
bre), —  l'année  aussi  où  commence  à  paraître  le  Monde  dra- 
matique. —  En  1836,  Gérard  habite  avec  Gautier,  3,  place  du 
Carrousel,  et  commence  avec  lui,  pour  Renduel, /es  Co/i/(?ss<onf 
galantes  de  deux  gentilshommes  périgourdins.  Au  prin- 
temps, tous  deux  partent  pour  la  I3elgi(}ue  et  peut-être  tra- 
versent l'Allemagne  rhénane.  C'est  au  retour  que  Gérard  tombe 
malade  à  Presles. 

(25)  Pierre  Gautier,  le  père  de  Théophile,  receveur  de  l'oc- 
troi à  Passy. 

(2(j)Piquillo,  représenté  seulement  le  31  Octobre  1837,  sous 
la  signature  de  Dumas,  avec  Jenny  Colon  dans  le  rôle  de 
Sylvia.  Chose  assez  singulière,  l'article  du  Monde  dramati- 
que, signé  Th.  V.  est  particulièrement  sévère  pour  le  livret 
(t.  V,  p.  284). 

(27)  Sans  doute  l'Alchimiste,  qui  ne  sera  représenté  qu'en 
1839,  et  à  la  Renaissance. 

LETTRE  X 

(28)  Elwart,  né  à  Paris  en  1808,  prix  de  Rome  en  1834, 
professeur  au  Conservatoire.  En  18 47,  il  fera  la  musique  et  les 
chœurs  de  l'adaptation  d\4icesle,  d'H.  Lucas  (Odéon).  De  lui 
encore,  un  opéra,  resté  inédit,  sur  la  Reine  de  Saba,  —  le 
sujet  qui,  si  longtemps,  avait  hanté  l'imagination  de  Gérard. 

(29)  A  la  Charte  de  iSJo,  Gérard  a  donné  deux  articles,  ea 


2fj6  CORRESPONDANCE 


Octobre  et  Décembre  1836  {le  Rhin  à  Bâle  et  Une  soirée 
d'automne)  ;  il  y  rédigea  ensuite  le  feuilleton  théâtral.  —  Sa 
collaboration  à  la  Presse  commence  en  Juillet  1837. 

(30)  Lequel?  un  acte  de  Leborne. 

(31)  Guido  e  Ginevra   de   Halévy,  à  l'Opéra,  le  9  Mars 
4838. 

LETTRE  XI 

(32)  Sur  ce  voyage  en  Allemagne  de  1838,  voy.  Lorelij 
{Du  Rhin  au  Mein).  —  Décidés  à  écrire  dans  le  pays  même 
leur  drame  de  Léo  Barckari,  les  deux  amis  devaient  se  ren- 
contrer à  Franclort.  Dumas  y  arriva  le  premier.  Gérard, 
faute  d'argent,  se  faisait  attendre.  Voici  la  lettre  à  laquelle  il 
répond  :  «  Cher  ami,  par  considération  pour  vous,  j'ai  choisi 
pour  couver  l'œuf  que  vous  avez  pondu,  Francfort  sur  le  Mein, 
patrie  de  notre  Gœthe  :  venez  me  rejoindre  et  que  l'ombre 
de  l'auteur  de  Werther  veille  sur  vous  pendant  le  voyage. 
Quoique  la  ville  ne  soit  pas  grande  et  que  je  ne  sois  pas  dif- 
ficile à  trouver,  mettez  bien  dans  votre  mémoire  que  je  de- 
meure à  l'hôtel  de  l'Empereur  romain.  11  faut  cinq  jours 
pour  venir  en  s'amusant  convenablement  en  route,  tâchez  de 
n'en  mettre  que  quinze.  Je  ne  suis  pas  inquiet  de  vous,  pécu- 
niairement parlant.  J'apprends  par  Harel  qu'il  vient  de  vous 
compter  douze  cents  livres;  en  supposant  ([u'il  m'ait  menti  de 
moitié,  c'est  six  cents  francs  que  vous  devez  posséder  :  je 
connais  votre  manière  de  voyager;  avec  six  cents  francs, 
vous  feriez  le  tour  du  monde.  —  Tout  à  vous.  Alexandre 
Dumas.  »  (Publ.  par  Dumas  dans  le  Pays,  7  Juillet  1854.) 

(33)  Harel  avait  été  préfet  des  Landes  en  1815.  La  rentrée 
des  Bourbons  lui  fit  quitter  la  France  jusqu'en  1820.  A  son 
retour, il  collabora  au  Miroir,  à  la  3/inerve...En  1829, il  prit 
la  direction  de  l'Odéon  et,  en  1832,  celle  de  la  Porte-Saint- 
Martin.  Gérard  avait  connu  Harel  par  l'intermédiaire  de 
Janin,  lors  de  ses  premières  tentatives  dramatiques.  —  Cette 
somme  de  douze  cents  livres  était  un  à  compte  sur  les  droits 
d'auteur  de  Léo  Burckart. 


297 


LETTRE  XIII 

(34)  C'est  à  Dumas  surtout  (ju'allait  cet  enthousiasme. 

(Sri)  On  ne  sait  rien  de  précis  sur  ses  missions  à  l'étranger. 
On  ne  peut  preuJre  au  sérieux  la  boutade  d'A.  Karr,  et  Gérard 
lui-même  s'est  contredit  à  ce  sujet.  Dans  une  lettre  à  son 
oncle  du  17  Août  18  iO  :  <(  Le  souci  de  mon  avenir  nVa  obligé 
à  faire  trois  grands  voyages  en  Allemagne...  L'année  der- 
nière f  ai  été  envoijé  en  Allemagne  par  le  Ministre  de  l'In- 
térieur, chargé  d'une  mission».  (Fragment  publ.  par  Mlle  Julia 
Cartier,  Un  intermédiaire  entre  la  France  et  l'Allemagne, 
Gérard  de  Nerval.)  Voy.  encore  ci-dessous  les  lettres  du 
30  janvier  et  du  17  Novembre  1840...  Mais  la  lettre  au  rédac- 
teur en  chef  du  Corsaire  d'octobre  1830  dit  exactement  le 
contraire. 

(36)  La  Griselidis  de  Frédéric  Halm  (Baron  de  Mùnch- 
Bellinghausen).  Voy.  Lorely.  p.  60. 

(37)  L'étudiant  patriote,  meurtrier  de  Kotzebue.  On  com- 
prend à  quel  point  cette  tragédie  doit,  à  ce  moment,  préoccu- 
per les  deux  collaborateurs.  A  Manheim,  où  elle  s'est  dérou- 
lée, ils  se  feront  donner  par  l'acteur  Jerrmann  les  détails  les 
plus  précis.  (Lorelg,  pp.  40  et  suiv.)  —  Voy.  encore  la  pré- 
face de  Léo  Durckart  sur  les  sociétés  secrètes  ;  Gérard  se 
défend  d'ailleurs  d'avoir  mis  à  la  scène,  sous  des  noms  sup- 
posés, Karl  Sand  et  Kotzebue. 

(38)  En  reproduisant  dans  le  Livre  (1883)  cette  même 
lettre,  A.  Houssaye  lui  donne  une  fin  toute  différente  :  a  Avis 
à  tous  les  écrivains  d'aujourd'hui  qui  ne  savent  plus  leur 
langue!  Adieu,  rassure-toi  sur  mon  sort.  Et  d'ailleurs,  il 
ne  faut  pas  tant  de  bruit  du  monde  pour  faire  un  galant 
homme.  Pourvu  qii'on  aille  le  soir  à  l'Opéra,  on  doit  être 
content.  —  Gérard.  » 

LETTRE  XIV 

(39)  Antenor  Joly,  le  premier  directeur  de  la  Renaissance. 
Rnij  Blas,  spectacle  d'ouverture  (8  Novembre  183S),  est  joué 
juscju'en  Janvier  1839.  —  Dans  une  autre  lettre  de  1838, Gérard 

i8. 


agS  COUEVESPONDANGE 


recommande  à  Antenor  Joly  :  Hippolyte  Lucas,  Forgues, 
J.  Saadeau,  Darthenay,  Monnais,  Albert  Clerc...  (Catal. 
Charavay). 

(40)  V Alchimiste  représenté,  avec  le  nom  seulement  de 
Dumas,  le  10  Avril  1839,  à  la  Renaissance. 

(41)  Le  premier  rôle  était  pour  Frederick  Lemaître. 

LETTRE  XV 

(42)  Léo  Barckart  représenté,  avec  la  signature  seule  de 
Gérard  le  16  Avril  1839  à  la  Porte-St-Martin. 

(43)  Il  ne  reste  aucune  trace  de  ce  \Dolbreuse,  au  moins 
sous  la  forme  dramatique.  Sur  une  liste  autographe  de  ses 
œuvres  complètes,  remise  par  Gérard  au  bibliophile  Jacob^ 
quelques  jours  avant  sa  mort,  et  publiée  par  l'Intermédiaire 
en  1869,  figure,  comme  inédit,  un  roman  du  même  titre,  en 
2  volumes. 

LETTRE  XVI 

(44)  Gérard  réalise  en  Novembre  1839  le  projet  de  voyage 
à  Vienne  qu'il  avait  formé  un  an  plus  tôt    (voy.    la  lettre   du 

18  Septembre  1838.)  —  Le  récit  du  voyage  a  paru  dans  la 
Presse  (28  Janvier,  5  Mars,  29  Juin  1840)  et  a  été  repris  dans 
V Artiste  (Novembre  1845,  Mars  1846). Une  Z,e^/re  sur  Vienne 
datée  du  16  Février  dans  l'Artiste  (1840).  Les  Amours  de 
Vienne,  à9.ns  la  Revue  de  Paris  (1841). 

LETTRE  XVII 

(43)  Je  ne  sais  pourquoi  L.  de  Rare  et,  après  lui,  tous  les 
biographes  de  Gérard  reportent  cette  lettre,  dont  l'original 
n'est  pas  daté,  à  un  second  voyage  à  Vienne,  durant  l'hiver 
1841-42.  Elle  a  sa  place  marquée  cependant,  entre  la  lettre  du 

19  Novembre  1839  et  celle  du  30  Janvier  1840.  —  Ce  deuxième 
séjour  à  Vienne  me  paraît  d'ailleurs  une  pure  hypothèse  sans 
preuve.  Il  y  a  bien  une  phrase  d'A.  Karr  ;  «  la  dernière  fois 
qu'il  alla  à  Vienne...  »,  mais  les  souvenirs  d'A.  Karr  sont 
bourrés   d'erreurs.  {Le  Livre  de  bord,  III,  p.  194.)  On  cite 


299 


encore  un  passasse  de  la  lettre  à  Janinqui  sert  de  préface  à  Lo- 
reli/',  il  est  assez  peu  convaincant.  —  Par  contre,  la  lettre  du 
25  Décembre  18i2  semble  bien  indiquer  que  Gérard  n'a  pas 
quitté  la  France  l'hiver  précédout.  Voy.  ci-dessous,  note  92. 

(4G)  Sur  la  Charte  et  ta  Presse,  voy.  note  29.  —  Dans  le 
Messager,  Gérard  a  publié, en  1838,  Du  Rhin  au  Mein, —  en 
i^'.ii)  Emilie  o a  le  fort  de  Bilche;  il  y  rédige  en  même 
temps  le  feuilleton  dramatique.  (Voy.  la  bibliographie  de 
M"''  J.  Cartier,  liu.  cit.) 

{■il)  La  dot  de  sa  mère  d'abord,  puis  l'héritage  de  son  on- 
cle, une  centaine  de  mille  francs,  tl'après  P.  Lacroix.  {Inter- 
médiaire, 1897,  t.  H.)  Cet  argent  se  perdit  dans  l'entreprise 
du  Monde  dramatique. 

LETTRE  XVIII 

(48)  Lingay,  secrétaire  de  Guizot.  —  L'ambassade  de 
France,  dit-il  encore,  n  où  Je  sais  désormais  reçu  sur  un 
pied  d'intimilé.  Maintenant  que  J'ai  terminé  mon  travail  et 
que  Je  n'ai  plus  quà  attendre  de  nouvelles  instructions.  Je 
vais  envoyer  deux  on  trois  articles  aux  Journaux  ;  mais  ma 
position  ne  me  permet  pas  de  les  signer.  Je  vais  écrire  celai 
pour  C  Artiste  demain,  sur  les  fêtes  de  sainte  Catherine  qui 
ont  eu  lieu  à  Venise  la  semaine  dernière  et  qui  étaient  ma- 
gnijlques.  »  (Fragment  publ.  par  J^.  de  Bare.  Ibid.) 

(•49)  En  4839,  la  reprise  de  la  guerre  entre  le  sultan  Mah- 
moud et  Méhemet  Ali  a  fait  entrer  dans  une  phase  nouvelle, 
particulièrement  dangereuse, l'éternelle  question  d'Orient.  Les 
Turcs  ont  été  battus  à  Nézib  le  :24Juin,et  Mahmoud  est  mort 
le  Itr  juillet.  La  France, qui  s'est  engagée  en  faveur  de  Méhé- 
met  Ali,  a  sollicité  l'action  commune  des  puissances  parsanote 
du  i7  Juillet. 

(50;  Bériot,  le  grand  violoniste  belge,  qui  épousa  la  Mali- 
bran. 

LETTRE  XIX 

(51)  Avant  de  débuter  à  Paris  en  1845,  Marie  Pleyel  avait 
conquis  une  réputation  européenne  :   elle  avait  joué  à  Saint- 


300  CORRESPONDANCE 


Pétersbourg-,  à  Leipzig,  où  Mendelssohn  dirigea  l'orchestre  qui 
l'accompagnait.  A  Vienne  l'accueil  ne  fut  pas  moins  triom- 
phal, et  Liszt  lui-même  la  conduisit  au  piano.  —  Ouant  à  Gé- 
rard, il  déclarera  plus  tard  «  l'avoir  adorée  »  (Préf.de  Lorely). 
En  Octobre  1840,  il  la  rencontra  encore  à  Bruxelles,  où  l'a- 
vait appelée  une  maladie  de  sa  mère. 

(52)  Delaunay  a  pris  la  direction  de  V Artiste  après  Ricourt, 
le  29  Avril  1838. 

(53)  Lettre  sur  Vienne,  datée  du  16  Février.  Voy.  ci-dessus, 
note  44. 

LETTRE  XX 

(54)  Même  en  admettant  l'hypothèse  d'un  deuxième  voyage 
à  Vienne,  cette  lettre  ne  pourrait  appartenir  qu'au  premier,  et 
c'est  bien  au  premier  qu'on  l'a  toujours  attribuée.  (Voy.  les 
allusions  à  la  question  d'Orient.)  Or  elle  se  rattache  direc- 
tement à  la  lettre  XVIL  (Voy.  note  45.) 

(55)  Le  Figaro  de  1836  et  celui  de  1837.  Voy.  A.  Karr,  le 
Livre  de  bord,  III,  pp.  196  et  suiv. 

(56)  La  traduction  de  Faust  de  Sainte-Aulaire,  dans  la  col- 
lection des  Chefs-d'œuvre  des  théâtres   étrangers, 

(57)  Le  maréchal  Marmont. 

(58)  Gérard  est  trop  optimiste.  Le  17  Janvier  1840  a  été  con- 
clue l'entente  de  la  Russie  et  de  l'Angleterre  ;  le  15  Juillet  le 
traité  des  trois  puissances  laisse  la  France  dans  un  isolement 
d'où  elle  ne  sortira  que  par  la  convention  de  Londres  du  13 
Juillet  1841. 

LETTRE  XXI 

(59)  H.  de|Saint-Georges,né  en  1801,  une  des  figures  les  plus 
sympathiques  du  Paris  littéraire,  librettiste  fécond  et  dandy 
impeccable.  Voy,  la  comtesse  Dash,  Mémoires  des  autres, 
t.  VI,  pp.  54  suiv. 

(60)  Ce  projet  n'a  pas  été  réalisé.  Un  fragment  de  lettre  de 
la  collection  Spœlberch  de  Lovenjoul  donne  l'analyse  des  deux 
derniers  actes  :  un  jeune  homme  se  sert  du  magnétisme  pour 


3oi 


séduire  la  jeune  fille  qu'il  aime  et  triompher  de  son  rival.  Le 
sujet  est  emprunté  an  Spectre  fiancé  d'Hoffmann;  l'un  des 
héros  conserve  sou  nom,  Maurice  ;  la  jeune  fille  prend  celui 
d'Aurélie,  toujours  cher  à  Gérard.  (Voy.  J.  Cartier,  liv.  cit., 
p.  88.) 

(61)  Selon  le  privilège  concédé  à  Anténor  Joly,  le  30  Septem- 
bre 4837,  le  théâtre  de  la  Renaissance  devait  être  à  la  fois 
«  second  théâtre  franç^ais  et  second  théâtre  d'opéra  comique». 
Huit  jours  après  les  débuts  des  acteurs  de  drame  dans  Ruy 
Blas,  la  troupe  lyrique  s'était  présentée  avec  deux  opéras 
comiques,  Olivier  Dasselin  ou  le  Val  de  Vire  et  Lady  Mel- 
vil,  celui-ci  précisément  sur  un  livret  d'H.  de  Saint-Georges. 
—  Dans  une  lettre  à  Anténor  Joly,  Gérard  parle  d'un  opéra 
comique  encore  à  l'état  de  projet  qu'il  doit  faire  en  collabora- 
tion avec  H.  de  St-Georges  et  Monpou  (vente  du  25  Nov.  85). 

(62)  Voy.  la  suscription  de  la  lettre  du  -4  Novembre   183-i. 

(63)  La  Fille  du  Régi  ment, ']onéc  le  11  Février  1840. —  La 
Reine  du  jour,  opéra  comicjue  en  collaboration  avec  Scribe, 
musique  d'Adam.  —  La  Symphonie,  un  acte,  musique  de 
Clapisson. 

(Gi)  L' Ambassadrice  de  Scribe  et  Auber  (1830). 

(65)  Théâtre  de  Léopoldstadt,  théâtre  populaire  où  l'on  joue 
des  farces  locales,  dans  le  faubourg  même  qu'habite  Gérard. 
Le  théâtre  de  la  Porte  de  Carinthie  donne  du  Meyerbeer,  du 
Bellini,  du  Donizetli.  (Voy.  les  Amours  de  Vienne.) 

(60)  Le  24  Février,  Gérard  écrit  à  Perrot:  il  fait  à  Vienne  des 
travaux  de  deux  sortes,  sérieux  et  légers  ;  en  post-scriptum  : 
«  Dumas  s'est  donc  marié  ?  »  (Catal.  de  la  vente  du  30  Mars 
d882.)  Dumas  avait  épousé  Ida  Ferricr  le  5  Février.  —  Du 
25  Février,  une  autre  lettre,  à  Dumas,  dont  E.  Charavay  cite 
quelques  fragments  (Catal.  de  la  vente  du  21  Janvier  78)  : 
a  Peut-être  series-vous  ici  plus  honoré  comme  marquis  que 
comme  écrivain...  »  Sur  Munich  :  «  C'est  une  ville  pour  les 
artistes  qui  même  en  sont  moins  satisfaits  qu'on  ne  pense, 
car  il  y  a  bien  du  gâchis  dans  leurs  nouvelles  peintures. 
Enfin  ce  n'est  pas  écrasant...  »  Sur  sa  vie  à  Vienne  :  «  Nous 
avons  ici  Bériot,  Liszt  et  M"^  Pleyel.  Cette  dernière  vient 


302  CORRESPONDANCE 


ri  l'ambassade  el  nous  jouons  des  proverbes,  où  Je  ne  sais 
pas  mes  rôles,  devant  un  parterre  de  princes  et  de  souve- 
rains. » 

LETTRE  XXII 

(67)  Dans  sa  lettre  à  son  père  du  30  janvier,  Gérard  annon- 
çait l'intention  de  faire  un  voyage  dans  l'Allemagne  du  Nord 
à  son  retour  de  Vienne.  Plusieurs  lettres,  passées  en  vente 
publique  et  que  je  n'ai  pu  retrouver,  ont  trait  au  même 
voyage.  De  Carlsruhe  une  lettre  à  Dumas, alors  à  Francfort; 
Gérard  l'engage  à  venir  à  Bade  :  «  D'ailleurs,  je  doute  qu'on 
puisse  trouver  an  pays  plus  charmant  ;  il  n'a  que  l'inconvé- 
nient de  laisser  douter  si  l'on  n'est  pas  sur  les  planches  de 
l'opéra  et  si  les  montagnes  ne  sont  pus  des  décorations... 
Figurez-vous  que  je  n'ai  pas  encore  pu  dépenser  i5o  fr., 
me  livrant  toutefois  aux  joies  les  plus  diverses.  »  —  A 
Dumas  encore,  deux  autres  lettres,  de  Bade  et  de  Strasbourg. 
—  De  Strasbourg  enfin,  une  lettre  datée  du  15  Mars  et 
adressée  à  Delaunay,  directeur  de  V Artiste ;GéTavA  parle  de 
son  dénuement  qui  ne  lui  permet  pas  de  rentrer  en  France  ; 
il  demande  le  montant  de  ses  articles  «  un  hiver  à  Vienne  »  ; 
il  écrit  aussi  à  la  Presse:  «  Je  vais  employer  ce  printemps, 
ajoute-t-il,  à  faire  une  grande  pièce.  »  (Catal.  Charavay). 

(68)  Voy.  note  44. 

(69)  Edouard  Ourliac  (1813-1848),  encore  un  des  habitués 
de  l'impasse  du  Doyenné,  et  l'un  des  plus  joyeux.  Les  fan- 
taisies de  sa  gaîté  débordante  lui  valurent  d'abord  une  réelle 
popularité.  Le  roman  de  Suzanne,  en  1840,  marque  une 
transformation  très  nette  de  son  talent,  qui  évolue  vers  le 
sérieux  et  l'émotion.  Cette  conversion  alla  jusqu'à  en  faire 
un  légitimiste  ardent  et  un  collaborateur  de  l'Univers.  (Voy. 
les  Confessions  d'A.  Houssaye,  —  un  article  de  Balzac  à  la 
3e  livraison  de  la  Revue  Parisienne,  —  Monselet,  Revue  de 
Paris,  1855.)  D'après  L.  Veuillot,  Ourliac,  entré  au  Consti- 
tutionnel pour  rendre  con^pte  des  petits  théâtres,  se  serait 
permis  des  incursions  hardies  dans  le  domaine  de  la  politique. 

(70)  Vautrin,  interdit  après  une  seule  représentation  à  la 


3o3 


Porte-Sl-Martin   (14   Mars  1840).  —  Voy.    la    Revue   Pari- 
sienne de  Balzac,  3''  livraison,  Septembre  1840. 

(71)  Alexandre  Weill.  Gérard  l'avait  rencontré  à  Francfort, 
en  1830,  enj^ae^é  dans  les  rancis  de  la  Jeune  Allemagne  ;  c'est 
lui  qui  le  décida  à  venir  à  Paris.  (Vo)'.  la  biographie  de 
M.  Robert  Dreyfus,  Caliiers  de  la  Quinzaine^  IX,  9.) 

(72)  Entre  ce  passage  en  Allemagne  au  printemps  de  1840 
et  le  voyante  en  Belgi(jue  à  l'automne,  Gérard  est  donc  rentré 
à  Paris.  Le  11  mai  1840,  il  a  repris  le  feuilleton  de  la  Presse 
pendant  une  absence  de  Gautier  parti  pour  l'Espagne.  Dans 
une  lettre  à  Lingay  du  23  Juin  1840,  Gérard  parle  de  ce 
voyage  de  son  ami  :  «  Lui-même  s'étonne  de  s'êlre  trouvé  si 
connu,  si  loin.  »  (Calai.  Charavay.) 

LETTRE  XXIII 

(73)  La  lettre  de  Charpentier  (11  Juillet  1840)  protestait 
contre  l'annonce  d'une  traduction  des  Deux.  Faust  de  Goethe 
par  Gérard.  11  réclamait  la  propriété  du  titre  pour  la  traduc- 
tion d'il.  Blaze  depuis  longtemps  annoncée,  la  seule  d'ailleurs 
qui  fût  complète  et  menaçait  Gosselin,  l'éditeur  de  Gérard, 
d'un  procès. 

LETTRE  XXIV 

(74)  Pseudonyme  de  la  Baronne  de  Bruchez,  auteur,  en 
1840,  de  Clara  de  Noirmont. 

(7.'i)  Les  souvenirs  du  premier  voyage  en  Allemagne  dans 
la  Presse  des  20,  29  et  30  juillet  1840. 

LETTRE  XXVI 

(76)  Peut-être  s'agit-il  du  Comte  de  Mansfeld  de  Paul 
Foucher  représenté  à  la  Porte-St-Martin,  le  30  Novembre 
1840.  A  ce  moment,  il  est  question,  entre  Foucher  et  Gautier, 
d'écrire  en  collaboration  une  pièce.  V'^oy.  la  lettre  publ.  par 
Spoelberch  de  Lovenjoul,  Histoire  des  œuvres  de  Th.  Gau- 
tier, t.  I,  p.  212. 

(77)  Edouard  Thierry,  le  futur  administrateur  du  Théâtre 


3o4  CORRESPONDANCE 

français,  rédacteur  au  Moniteur  universel^  auteur,  en  1833, 
du  petit  volume  de  vers,  les  Enfants  et  les  Anges,  une  des 
raretés  de  la  littérature  romantique. 

(78)  La  comtesse  de  Bradi.  Elle  a  collaboré  au  Livre  des 
cent  un,  à  la  Revue  de  Paris... 

LETTRE  XXVII 

(79)  Avec  Jcnny  Colon,  en  représentations  à  Bruxelles. 
Piquillo  ne  fut  joué  que  le  45  Décembre.  (Voy.  Faber,  His- 
toire du  théâtre  français  en  Belgique.)  A  Bruxelles  encore, 
Gérard  retrouva  Marie  Pleyel.  (Voy.  Gauthier-Ferrières, 
Gérard  de   Nerval,  p.  128.) 

(80)  Voy.  note  72.  Gautier  ne  reprit  son  feuilleton  de  la 
Presse  qu'en  Novembre. 

(81)  Fr.  Buloz,  commissaire  royal  à  la  place  de  Taylor 
depuis  1838,  nommé  administrateur  en  septembre  1842. 

LETTRE  XXVIII 

(82)  Sur  les  rapports  de  Gérard  et  de  Heine,  voy.  Betz, 
Heine  in  Frankreich,  Zurich,  1895,  J.  Cartier,  liv.  cit.). 
Gérard  fut  détourné  de  son  travail  de  traduction  par  des 
préoccupations  différentes.  Dans  une  lettre  non  datée,  il  prie 
Renduel  de  ne  plus  compter  sur  lui  pour  cela  et  l'eng-ane  à 
s'adresser  à  Marmier  :  «  Xai  dans  ce  moment-ci  un  travail 
énorme  pour  lequel  je  pioche  depuis  longtemps  et  qui  va 
commencer  à  se  produire  ces  Jours-ci  par  une  série  d'ar- 
ticles dans  les  journaux.  Ce  n'est  rien  moins  qu'une 
grande  association  artiste  et  sociale,  appuyée  d'ouvrages 
importants  et  qui  triomphera  ou  tombera  entièrement  pen- 
dant l'hiver  prochain...  »  (Catal.  Charavay,  vente  du 
12  Novembre  1887.)  —  Les  pièces  traduites  par  Gérard 
paraîtront  seulement  en  Juillet-Septembre  1848  à  la  Revue  des 
Deux  Mondes. 

LETTRE  XXIX 

(83)  Voy.  la   lettre    du  4  Novembre  1834  à  Renduel.  En 


3o5 


dSil  la  question  de  la  propriclé  littéraire  va  être  à  l'ordre  du 
jour.  On  connaît  le  discours  de  Lamartine,  le  30  Mars,  sur  le 
projet  de  loi  élaboré  par  le  gouvernement. 

(84)  Voy,  la  lettre  du  25  Février  i840,  à  H.  de  St-Gèorges. 
C'est  là,  pour  Gérard,  une  préoccupation  constante.  Voy.  en 
18i.j,sa  notice  sur  Cazotte  et,  en  1832,  tout  le  volume  des 
Illuminés. 

LETTRE  XXXI 

(83)  La  3«  édition  de  Faust  suivie  du  Second  Faust,  Paris, 
Gosselin.  —  H.  Lucas  a  fait  très  régulièrement  de  la  critique 
littéraire  ou  dramatique  au  Siècle,  au  National,  à  l'Artiste. 
—  Voy.  en  1839  son  compte-rendu  très  clogieuxde  Léo  Bnrc- 
kart  {l'Artiste,  2e  série,  t.  II,  p.  334). 

LETTRE  XXXII 

(86)  Au  retour  à  Paris,  la  correspondance  s'interrompt.  Peu 
à  peu,  la  folie  s'empare  de  Gérard, 

LETTRE  XXXIII 

(87)  Sur  l'original  une  longue  note  manuscrite  d'A.  Weill  : 
«  Gérard  de  Nerval  m'ayant  prié  d'aller  le  voir,  j'y  allai.  On 
me  fit  entrer  dans  une  pièce  grillée,  au  milieu  de  la  cour  qu'on 
ferma  derrière  moi. Gérard  me  reçut  cordialement  en  me  disant 
qu'il  avait  une  fièvre  extatique,  qu'on  l'avait  envoyé  dans  cette 
maison  pour  le  calmer.  Au  bout  de  quelque  temps,  après  avoir 
regardé  les  ongles  de  ma  main,  il  me  dit  :  tu  sais  que  je  con- 
nais la  science  occulte  des  mains,  je  vois  que  tu  descends 
comme  moi  de  bien  haut,  mais,  pour  en  être  sur,  il  faut  que 
je  voie  tes  pieds.  Déchausse-toi,  ùte  tes  bas  et  je  dirai  d'où 
tu  descends.  —  Ne  voulant  pas  le  contrarier,  connaissant  son 
mal,  je  me  prêtai  de  bonne  grâce  à  son  caprice.  J'ùtai  mes 
botteset  meschaussettes,  il  inspecta  religieusement  les  ongles 
et  les  doigts  de  mon  pied;  cela  fait,  au  vu  de  la  femme,  la 
concierge,  qui  suivait  avec  attention  nos  manèges  :  Je  vais  te 
montrer  les  miens.  Moi  je  descends  de  Napoléon,  je  suis  fils 


3o6  CORUESPONDANCE 

de  Joseph,  Irère  dcrEmpereiir,  qui  a  reçu  ma  mère  à  Dantzig; 
toi,  tu  descends  d'Isaïe,  tu  en  as  tous  les  signes.  Je  ne  répon- 
dis pas.  J'avais  hâte  de  m'en  aller  ou  plutôt  j'acceptai  les  pro- 
phéties de  mon  malheureux  ami,  sous  bénéfice  d'inventaire. 
«  Quel  fut  mon  étonnemenl  de  voir  la  concierge  me  refuser 
d'ouvrir  la  grille.  Je  ne  sais,  dit-elle,  qui  de  vous  deux  est  le 
plus  fou.  On  vous  a  probablement  envoyé  ici  pour  que  je  vous 
garde  malgré  vous,  fit  Gérard  de  rire  de  tout  son  corps.  Ils 
n'en  font  pas  d'autres,  s'écria-t-il.  C'est  ainsi  qu'ils  m'ont  fait 
entrer  ici.  — J'avais  beau  protester,  jurer,  menacer,  cogner  la 
grille,  plus  je  démenais  plus  la  femme  était  sûre  de  ma  folie. 
Force  me  fut  d'attendre  le  médecin  qui  vint  fort  heureusement, 
une  demi-heure  après,  me  délivrer  et  me  faire  ouvrir  la  porte, 
sans  toutefois  être  tout  àfait  convaincu  delà  santé  dema  raison. 
Alexandre  Weill.  »  Cette  lettre  à  Alexandre  Weill  est  le  l^r 
document  relatif  à  la  folie  de  Gérard.  Elle  apporte  une  préci- 
sion nouvelle.  Les  biographes  de  Gérard  considèrent  comme 
le  début  de  cette  crise  le  moment  où  il  a  été  confié  aux  soins 
du  Dr  Blanche  (21  Mars)  ;  or,  trois  semaines  plus  tôt,  il  était 
déjà  interné,  rue  de  Picpus.  D'ailleurs  c'est  le  1er  Mars  que 
Janin  a  donné  aux  Débats  son  fameux  article. 

LETTRE  XXXIV 

(88)  Lettre  écrite  en  sortant  de  la  maison  de  la  rue  de  Pic- 
pus.  Gérard  aura  quelques  jours  de  liberté  ;  mais  il  est  loin 
d'être  guéri.  Cinq  jours  plus  tard,  on  doit  le  conduire  chez  le 
Di-  Esprit  Blanche,  rue  de  Norvins,  à  Montmartre  ;  il  y  restera 

jusqu'au  21  Novembre. 

LETTRE  XXXV 

(89)  Ida  Ferrier,  l'interprète  habituelle  des  pièces  de  Du- 
mas, depuis  Theresa.  Le  mariage  a  eu  lieu  le  5  Février  1840. 
La  date  du  9  Novembre  ne  peut  être  exacte, Gérard  n'étanl  sorti 
de  la  maison  de  santé  que  le  21. 

(90)  Allusion  probablement, à  Un  Mariage  sous  Louis  XV, 
représenté  au  Théâtre  français  le  1"=^  juin  18-41. 


3o7 


LKTTKii  XXXVI 


(01)  Lettre  écrite  à  la  sortie  de  la  maison  Blanche.  Eugène 
(le  Sladler,  un  des  amis  les  jjIus  dévoués  et  les  plus  fidèles  de 
Gérard.  Archiviste  aux  Archives  nationales,  la  protection  de 
son  cousiijPersicfny  le  fit  arriver  au  poste  d'inspecteur  s^éoé- 
ral  des  archives  départementales.  Poète,  il  a  écrit  le  Bois  de 
Dctphné.  (Voy.  la  lettre  du  22  Mars  1832.)  Stadler  est  mort 
en  1873,  à  l'âge  de  39  ans, 

LETTRE  XXXVII 

(92)  Ces  quelques  lignes  sont  un  argument  encore  contre 
l'hypothèse  d'un  deuxième  séjour  à  Vienne  (voy.  ci-dessus 
note  -43).  Sur  ce  triste  hiver  de  18i2,  nous  ne  savons  à  peu 
près  rien  et  je  n'ai  retrouvé  aucune  lettre.  Peut-être  est-il  allé 
dans  le  Valois  au  printemps  ;  Jenny  Colon  meurt  le  3  juin 
18-i2.  A  la  fin  de  l'année,  le  courag^e  est  revenu;  Gérard  peut 
enfin  réaliser  son  ancien  projet  de  voyage  en  Orient.  Quant  à 
son  excursion  sur  les  côtes  de  la  Grèce  et  dans  l'Archipel,  il 
est  impossihle  d'en  fixer  la  date.  Ses  impressions  de  voyage 
ont  paru  par  fragments  dans  V Artiste,  la  Revue  des  Deux 
Mondes,  le  National,  de  184-4  à  1831  (voy.  la  bibliographie 
de  .M"'^  Cartier,  liv.  cit.).  En  1848-18.30,  Scènes  de  la  vie 
orientale,  2  vol.  in-8o«  En  1831,  Voyage  en  Orient,  2  vol. 
in-12,  chez  Charpentier.  —  A  rapprocher  d'E.  de  Salle,  l'au- 
teur de  .Va/.-o^/a/a  à  Paris  et  é\Ali  le  Renard,  2  volumes 
de  Pcrégrinationen  Orieniou  voyage  pittoresque  historique 
et  politique  en  Egypte,  Nubie,  Syrie,  Turquie,  Grèce,  pen- 
dant les  années  i83y-38-3g.  Paris,  Pagnerre,  1840. 

LETT1\E  XXXVIII 

(93)  C'est  Méry  encore  qui  l'accueillera  le  premier  à  son 
retour  de  Constantinople.  Leurs  relations  doivent  remonter 
au  temps  de  la  Villcliade.  Le  Mercure  du  XIX^ siècle,  après 
avoir  rendu  compte  du  poème  de  .Méry,  publie  le  12  août  1826 
une  Epîlre  à  M.  de  Villèle  par  l'auteur  du  Cuisinier  d'un 
grand  homme  (Gérard)  avec  cette  note  :  «  L'auteur  de  cette 


3o8  CORRESPONDANCE 

satire  va  publier  sous  quelques  jours  La  Villéleïde  ou  la  Jeu- 
nesse du  grand  homme,  ses  conversations  avec  le  malin,  la 
création  du  monstre,  sa  mort,  sa  descente  aux  enfers,  etc.  Ce 
poème  en  5  chants,  composé  en  partie  avant  que  la  Villéliade 
eût  paru,  n'a  aucun  rapport  avec  elle,  mais  en  peut  être  le 
complément,  parce  que  la  Villéliade  chante  l'avenir  et  que  la 
Villéleïde  chantera  le  passé.  »  (T.  XIV,  p.  2-47.)  La  Villé- 
léïden'a  jamais  paru;  VEpitre  seule  est  entrée  dans  le  volume 
des  Elégies  nationales.  Sur  Méry,  voy.  la  notice  de  G.  Bell, 
un  des  grands  amis  de  Gérard,en  tête  à'Héva  [Collection  des 
romans  modernes). 

LETTRE  XXXIX 

(94)  Artim-Bey,  ambassadeur  de  Méhémet-Ali. 

LETTRE  XL 

(95)  Ibrahim-Pacha,  l'organisateur  de  l'armée  de  Méhémet- 
Ali,  le  vainqueur  des  Turcs  et  le  conquérant  de  la  Syrie. 
Voy.  Eusèbe  de  Salle,  Pérégrinations  en  Orient,  t.  I, 
p.  219. 

(96)  Le  Dr  Perron,  Saint- Simonien,  appelé  par  Méhémet- 
Ali  à  la  direction  de  l'école  de  médecine  d'Abou  Zabel  ;  tra- 
vailleur acharné,  il  apprit  à  fond  l'Arabe  et  le  Persan  et  se 
consacra  à  l'étude  de  la  littérature  orientale. 

LETTRE  XLI 

(97)  Charles  Lambert,  un  des  disciples  favoris  du  P.  Enfan- 
tin, avait  accompagné  en  Egypte  la  famille  Saint-Simonienne. 
Sur  ce  voyage,  voy.  les  Souvenirs  littéraires  de  Maxime  du 
Camp,  t.  II,  chap.l9,  et  l'article  de  M.  P.  Bonnefon,  Maxime 
Du  Camp  et  les  Saint-Simoniens,  dans  la  Revue  d'histoire 
littéraire,  Octobre-Décembre  1910. 

(98)  Linant,  conduit  en  Egypte  par  ses  goûts  d'archéologue, 
était  devenu  ingénieur  en  chef.  En  1845,  il  travaillera  aux 
premières  études  en  vue  du  percement  de  l'isthme  de  Suez. 

(99)  Clot-Bey,  médecin  marseillais  engagé  en  1823  par  un 


3o9 


a^ent  de  Méhémet-Ali  comme  chirurgien  en  chef,  organisa- 
teur du  service  sanitaire  de  l'armée.  Il  a  publié,  en  1840,  un 
Aperçu  gvnrral  sur  l'Egypte. 

(100)  l^mile  Lubbert,  prédécesseur  à  l'Opéra  du  D""  Véron. 
01)iii?é  de  (juitter  la  France  à  la  suite  d'affaires  malheureuses, 
il  remplit  en  Egypte  des  fonctions  assez  diverses,  tour  à  tour 
ministre  de  linstruction  publicfue,  ori^'anisateur  de  fêtes  et  de 
divertissements.  Voy.  le  portrait  qu'en  a  laissé  Maxime  du 
Camp,  Souvenirs  lilléraircs,  I,  p.  335. 

(101)  Sur  le  mariage  de  («érard  et  sur  tous  les  épisodes  du 
voyage,  voy.  le  Voyage  en  Orient. 

LETTRE  XLII 

(102)  Il  ne  reste,  dans  la  correspondance,  aucune  trace  des 
étapes  intermédiaires  du  voyage  :  Beyrouth,  le  Liban,  Saint- 
Jean-d'Acre... 

LETTRE  XLIII 

(103)  Camille  Rogier,  le  vignetliste,  un  ami  du  cénacle. 
Avant  de  s'installer  à  l'impasse  du  Doyenné,  Gérard  avait  logé 
chez  lui,  5,  rue  des  Beaux-Arts.  Voy.  iNI.  Tourneux,  l'Age  du 
romantisme. 

(lOi)  Gérard  a  collaboré  à  ce  journal.  C'est  là  qu'a  paru 
d'abord,  le  7  Octobre  18  i3,  la  lettre  à  Théophile  Gautier,  re- 
prise plus  tard  en  appendice  au  Voyage  en  Orient.  La  lettre 
de  Gérard  était  une  réponse  à  celle  que  Gautier  lui  avait  écrite 
dans  la  Presse  du  25  Juillet. 

LETTRE  XLIV 

(103)  Cette  lettre,  dit  L.  de  Bare,  «  a  été  à  ce  point  maculée 
par  les  fumigations  et  mutilée  par  les  macérations,  sans  doute 
dans  quelque  quarantaine  du  chemin  —  la  peste  ne  sévissant 
pas  alors  dans  les  Etats  européens  de  sa  hautesse  ottomane  — 
(|u  il  est  à  peine  possible  d'en  rétablir  le  sens,  au  moins  de 
ses  premières  feuilles.  Nous  y  perdons  une  originale  descrip- 
tion du  quartier  grec,  où  notre  voyageur  avait  tout  d'abord 


3lO  CORRESPONDANCii 


planté  sa  tente.  Il  y  est  aussi  question  du  retour  qui  ne  peut 
plus  se  faire  par  Vienne  et  l'Allemagne  —  il  est  déjà  trop  tard, 
attendu  la  nécessité  de  remonter  le  Danube.  — Heureusement 
le  chlore  et  les  ciseaux  de  ces  messieurs  du  Lazaret  ont  res- 
pecté les  dernières  pages  et  je  les  reproduis  fidèlement,  » 

LETTRE  XLV 

(106)  La  Péri,  ballet  de  Th.  Gautier  et  Corally,  musique  de 
Burgmuller,  Opéra,  Juillet  1843.  —  La  lettre  de  Gautier,  du 
25  juillet,  adressée  «  A  mon  ami  Gérard  de  Nerval  au  Caire», 
donnait  un  compte-rendu  du  ballet  ;  elle  a  été  réimprimée 
dans  VHistoire  de  Fart  dramatique  (III,  p.  70)  et  dans  la 
seconde  édition  du  Théâtre. 

LETTRE  XLVII 

(107)  Comp.  à  la  fin  du  Voyage  en  Orient  :  «  Triste  impres- 
sion! Je  regagne  le  pays  du  i'roidet  des  orages  et  déjà  l'Orient 
n'est  plus,  pour  moi,  qu'un  de  ces  rêves  du  matin  auxquels 
viennent  bientôt  succéder  les  ennuis  du  jour.  »  —  Cette  lettre 
nous  donne  la  date  précise  du  retour  de  Gérard. 

(108)  Voy.  la  lettre  à  Renduel  du  6  Novembre  183i. —  Nous 
ne  savons  rien  de  plus  sur  ce  nouveau  passage  de  Gérard  en 
Italie. 

(109)  Aucune  lettre  pour  l'année  1844.  Gérard  est  rentré  à 
Paris.  Or,  c'est  là  qu'il  échappe  le  plus  sûrement  et  qu'il  est 
le  plus  difficile  de  retrouver  sa  trace.  On  le  suit  beaucoup 
mieux  dans  ses  voyages  à  l'étranger  que  dans  ses  pérégrina- 
tions à  travers  la  banlieue  parisienne. 

LETTRE  XLIX 

(110)  A.  Busquet  a  fait  au  Corsaire  ses  débuts  de  journa- 
liste; il  a  collaboré  à  l'Artiste^  au  Pays,  etc.  Rédacteur  en 
chef  de  la  Silhouette  fondée  en  Décembre  1844,  il  a  beaucoup 
connu  Gérard  pendant  îa  dernière  partie  de  sa  vie.  Lu  Sil- 
houette donnera  de  Gérard,  en  1849,  le  Monstre  vert  et  une 
réimpression  des  Femmes  du  Caire. 


NOTIS  3 1  I 

(Hl)  Dans  les  Naiis  d'octobre,  Géraril  dit  être  allé  trois 
fois  en  Angleterre.  Nous  ne  connaissons  avec  certitude  qu'un 
seul  de  ces  voyages,  celui  de  lS-45.  (Voy.,  dans  la  Presse  du 
8  Septembre  l!S4o,  L'ne  nuit  à  Londres^  article  repris  dans 
V Artiste  du  20  septembre  ISiG.)  On  rapporte  d'ordinaire  au 
même  moment  une  pièce  de  vers  non  datée,  parue  dans  l'Ar- 
tiste en  d8-4G,  De  Ramsgatc  à  Anvers.  Celle-ci  pourtant  est 
antérieure.  Nous  retrouvons  en  eftet,  en  1877,  dans  la  même 
revue,  et  publiée  par  A.  Houssayc,  sans  doute  sur  le  manus- 
crit original,  la  même  pièce  sous  ce  titre  :  Voyage  rimé, 
pages  inédites  ;  mais  ici, elle  porte  une  date.  Juin  1837.  Gérard 
aurait  donc  fait  un  séjour  à  Londres  en  1837  ou  1836,  peut- 
être  au  moment  du  premier  voyage  en  Belgique.  A  remar- 
([uer  d'ailleurs  un  article  sur  les  Mœurs  Anglaises,  le  5  dé- 
cembre 183G,  dans  la  Charte  de  i83o.  Enfin,  A.  Houssaye 
écrit  en  1841  dans  V Artiste  en  parlant  de  son  ami  :  «  Gérard 
qui  s'en  va  coucher  à  Bruxelles  ou  à  Londres  aussi  facilement 
que  nous  rentrons  chez  nous...  »  (2"  série,- 1.  VII,  p.  104). 

LETTRE  L 

(H2)  Les  Scènes  de  la  vie  orientale  ont  commencé  de 
paraître  à  la  Revue  des  Deux  Mondes,  le  1er  Mai  1846  ;  elles 
continuent  le  l*""  Juillet,  le  15  Septembre,  le  15  Décembre,  etc., 
et,  à  intervalles  irréguliers,  jusqu'en  Octobre  1847. 

LETTRE  LI 

(113)  La  Damnation  de  Faust,  exécutée  le  6  Décembre 
1846  à  l'Opéra  comique.  Le  titre  de  la  partition  porte  cette 
note  :  «  Les  morceaux  çuillemetés  dans  ce  livret  sont  em- 
pruntés au  Faust  de  Gœthe  et  traduits  par  M.  Gérard  de 
Nerval.  Une  grande  partie  des  scènes  1,  4,  5,  6,  7  et  9  est  de 
M.  A.  Gandonnière,  tout  le  reste  des  paroles  est  de  M.  Hector 
Berlioz.  » 

LETTRE  LU 

(114)  Le  7  Mars   1847,  le   Christophe  Colomb  de  Félicien 


3t2  courespondance 


David  [ode-symphonie) ,    à    la  salle    du  Conservatoire.  Voy. 
la  Revue  et  Gazette  musicale  du  14  Mars. 

LETTRE  LUI 

(il5)  Limnander,  musicien  belge,  né  à  Gand  et  établi  à 
Maline.  Venu  à  Paris  en  1845,  il  fut  présenté  à  Gérard  par 
M™'  de  Girardin.  La  Gazette  musicale  du  29  Août  1847 
annonce,  au  3*  théâtre  lyrique,  dit  Opéra  national,  la  prochaine 
représentation  d'un  opéra  en  3  actes  de  Gérard,  musique  de 
Limnander.  Il  s'agit  des  Monténégrins  qui  ne  seront  joués  à 
l'Opéra  comique  que  le  31  mars  1849. 

LETTRE  LIV 

(116)  Scènes  de  la  vie  orientale.  Les  femmes  du  Caire. 
In-8'',  chez  Sartorius,  1848. —  C'est  pendant  cette  année  1848 
que  Gérard  donne  à  la  Revue  des  Deux  Mondes  ses  traduc- 
tions de  Henri  Heine  (15  Juillet  et  15  Septembre). 

LETTRE  LV 

(117)  Sur  le  Dr  Aussandou,  voy.  A.  Karr,  le  Livre  de 
bord,  t.  II,  p.  135. 

LETTRE  LVI 

(118)  En  réponse  à  un  article  de  Champfleury  du  7  Mai 
1849  (reproduit  dans  son  volume.  Grandes  figures).  Cet  ar- 
ticle, conçu  d'ailleurs  dans  un  esprit  de  vive  sympathie,  devait 
apparaître,  quelques  années  plus  tard,  vraiment  prophétique: 
«  Gérard  mort  serait  un  grand  écrivain  ;  on  accuserait  la 
société,  le  gouvernement.  Pauvre  Gérard  !  La  belle  âme,  etc.. 
Mais  Gérard  vivant  passe  inaperçu.  »  Il  y  a  dans  la  réponse 
de  Gérard,  dans  cette  amertume,  dans  sa  façon  de  discuter 
quelques  boutades  de  Champfleury  des  traces  évidentes  d'une 
certaine  surexcitation  nerveuse.  Depuis  le  premier  accès  de 
la  maladie,  il  est  resté  en  lui  un  point  douloureux,  —  peut- 
être  une  inquiétude  jamais  apaisée.  (Voy.  la  préface  de 
Lorely,  la  lettre  du  1er  Juin  1854...) 


.",13 


(119)  Voy.  la  lettre  du  19  Août  1843. 

(120)  C'est  par  une  faute  d'impression  que  le  nom  d'Empis 
s'était  glissé  dans  l'article  de  Champfleury.  La  direction  du 
journal  rectifia  :  a  Le  nom  de  M.Einpis,traité  trop  lée^èrcmcnt 
par  les  compositeurs  du  Messager  des  théàlres  dacadémi- 
cicn-pliilolos^ue,  ne  sort  pas  de  la  plume  de  Champfleury  : 
il  était  question,  dans  le  manuscrit,  de  M.  A...  » 

LETTRE  LVII 

(121)  On  ne  sait  rien  sur  la  collaboration  d'H.  de  St  Georges 
aux  Monténégrins  ;  la  pièce  parut  sous  le  nom  seulement 
d'Alboize  et  de  Gérard.  Je  conserve  à  cette  lettre  la  date 
donnée  par  V Amateur  d'autographes  ;  il  y  a  là  une  erreur 
manifeste,  la  première  représentation  étant  du  31  mars.  (Peut- 
être  faudrait-il  corriger  :  19  Mars). 

(122)  Ugalde,  dans  !e  rôle  de  Béatrice. 

(123)  Alboizc  de  Pujol,un  des  grands  fourfiisseurs  de  théâ- 
tre, surtout  en  collaboration,  avec  P.  Foucher,  Anicet  Bour- 
geois, etc. 

LETTRE  LVIII 

(124)  Une"  lettre  de  Gérard  adressée  à  Fiorentino  à  Londres, 
pour  lui  recommander  Stadier,  porte  la  date  du  28  Juin  1849 
(Catal.  Charavay). 

LETTRE  LIX 

(12.^))  En  marge,  cette  note  :  «  7  fr.  50  le  volume. M.  Merlin. 
Ce  volume  a  de  l'intérêt.  Il  touche  aux  arts  et  se  fait  lire  avec 
plaisir.  On  pourrait  souscrire  à  25  ex.  » 

LETTRE  LX 

(126)  Après  quelques  années  assez  vides,  —  sur  lesquelles 
du  moins  nous  savons  peu  de  chose  (1844-49),  —  la  série  des 
voyages  reprend. Le  9  Juillet  1850,  Gérard  parlait  à  un  ami  de 
pièces  de  théâtre  qu'il  était  en  train  de  terminer  et  de  la  diffi- 

«9 


3l4  CORRESPONDANCE 


culte  de  les  faire  jouer.  (Vente  du  19  Mai  83.)  —  En  Août,  il 
est  en  Allemagne  ;  il  passe  à  Cologne,  Francfort,  Weimar, 
où  il  assiste  aux  fêtes  en  l'honneur  de  Goethe  et  de  Herder. 

(427)  Ses  impressions  de  voyage  dans  la  Presse  des  8,  18 
et  49  Septembre.  [Souvenirs  de  Thuringe,  réimprimés  dans 
Lorely.) 

LETTRE  LXI 

(428)  En  réponse  à  un  article  de  T.  Legros  publié  dans  le 
Corsaire  du  30  Octobre  4850,  sous  le  titre  :  Encore  un  fan- 
taisiste qui  tourne  au  rouge  :  «  Dans  le  feuilleton  dramati- 
que de  la  Presse,  où  il  supplée  temporairement  M,  Théophile 
Gautier,  M.  Gérard  de  Nerval  se  met  à  écrire  contre  la  réac- 
tion. Il  arbore  la  cocarde  de  la  démocratie.  Il  s'élève  contre 
les  Foires  aux  Idées  et  les  Saisons  Vivantes,  pièces  hideuses, 
dit-il,  qui  déshonorent  le  vaudeville  depuis  deux  ans.  On 
concevrait  à  la  rigueur  une  pareille  bouffée  de  colère  de  la 
part  d'un  socialiste  de  vieille  roche...  Pas  un  homme  de  let- 
tres n'ignore  que,  sous  la  monarchie  de  Louis-Philippe, 
M.  Gérard  de  Nerval  était  plus  royaliste  que  le  roi...  Sous  le 
gouvernement  de  Juillet,  il  était  employé  à  V Esprit  public. 
Bien  plus,  il  obtenait  des  missions  du  ministère  de  l'instruc- 
tion publique.  C'est  ainsi  qu'il  est  allé  en  Allemagne  et  en 
Egypte...  «  ,    .  _ 

(129)  Sur  les  missions  de  Gérard,  voy.  Note  33. 

LETTRE  LXII 

(430)  Je  ne  sais  pourquoi  A.  Houssaye  date  cette  lettre  de 
la  fin  de  l'été  4854.  L'Abbé  de  Bucquoy  parait  dans  le  Natio- 
nal en  Octobre-Décembre  4850.  Cette  excursion  dans  le  Valois 
doit  se  placer  vers  le  milieu  de  Novembre.  (Voy.  le  feuilleton 
du  13  Novembre.) 

LETTRE  LXIII 

(431)  G.  Charpentier,  éditeur,  en  1831,  du  Voyage  en  Orient 
(2  vol.  in-18). 


3i5 


(132)  Bida  ;ivail  exposé  en  i^il  non  Café  ù  Conslaiilinnjde 
cl  un  Café  sur  le  Bosphore,  —  en  18iS  des  Femmes  turques 
dans  un  cimetière,  une  Boutique  ù  Constantinople,  —  en 
ISlD  un  Marché  d'esclaves  circassiennes,en  I80O  un  Barbier 
arménien... —  Il  n'a  pas  élc  fait  d'édition  illustrée  du  Voyage 
en  Orient. 

LETTRE  LXIV 

(133)  Lettres  de  lady  Mary  Wortley  Montague  pendant  son 
séjour  en  Orient.  (Trad.  françaises  en  1804,  4805,  181G.) 

LETTRE  LXVI 

(134)  Histoire  de  la  Reine  du  matin  et  de  Soliman, prince 
des  Génies,  légende  contée  dans  un  café  de  Stamboul. 

LETTRE  LXVII 

(1.3o)  Traduction  de  Misanthropie  et  Repentir  deKotzebue, 
représentée  seulement  le  2.S  Juillet  18.ji3,  La  pièce  n'avait  pas 
été  soumise  au  comité;  elle  fut  vraisemblablement  commandée 
à  Gérard  par  A.  Houssaye;  c'était  un  moyen  délicat  de  venir 
à  son  aide,  en  faisant  des  avances  sur  ses  futurs  droits  d'au- 
teur. (Renseignement  communiqué  par  M.  Couct.)  —  Voy. 
lettre  du  4  Octobre  18.j2. 

LETTRE  LXVIII 

(136)  Perret,  chef  de  bureau  des  théâtres  au  ministère  de 
l'intérieur. 

LETTRE  LXIX 

(137)  Marc  Fournier,  encore  un  auteur  dramatique  devenu 
directeur.  Il  avait  écrit  au  iValional,  à  l'Artiste,  à  la  Presse. 
Il  prit  la  direction  de  la  Porle-Saint-Martin  en  I80I.  C'est  lui 
(jui  a  monté  l'I/nar/ier  le  27  Décembre  1851.  Les  fatigues  de 
la  pièce,  les  déceptions  de  Gérard  devant  son  médiocre  succès 
le  mettent  dans  un  état  de  santé  qui,au  début  de  1852,  inspire 


3i6 


CORRESPOISDANCE 


à  ses  amis  des  inquiétudes  sérieuses.  Mais  ce  n'est  qu'une 
fausse  alerte. 

LETTRE  LXX 

(138)  Verteuil,  le  premier  des  quatre  secrétaires  de  Hous- 
saye  à  la  direction  du  Théâtre  français.  Il  s'agit  du  Bois  de 
Daphné,  comédie  antique  en  2  actes  et  en  vers;  elle  fut 
repoussée  par  le  comité,  sauf  les  voix  de  Houssaye  et  de 
Brohan.  (Voy.  Houssaye,  Conjessions,  I,  p.  382.)  En  avril, 
Gérard  la  propose  encore  à  Marc  Fournier^  directeur  de  la 
Porte-Saint-Martin  :  «  C'est  grand,c'est  même  spirituel  :  Ceci 
n'est  pas  toujours  une  recommandation  au  point  de  vue  des 
recettes,  mais  cela  peut  être  fort  bien  accepté  par  le  public, 
comme  contraste  avec  un  de  ces  spectacles  essentiellement 
populaires qu  il  convientde  donnera  cethéâtre.  L'art  sérieux 
y  doit  garder  une  place,  pourvu  qu'il  ne  se  la  fasse  pas 
trop  grande.  »  (Lettre  du  29  Avril  1852,  Catal.  Charavay.)  — 
La  pièce,  non  représentée,  parut  en  librairie  en  Juillet. 

LETTRE  LXXI 

(139)  Ce  voyage  a  fourni  la  matière  d'un  article  à  la  Revue 
des  Deux-Mondes  (13  Juin  1852)  :  Les  fêtes  de  Mai  en  Hol- 
lande. 

(140)  Noël  Parfait,  représentant  du  peuple,  inscrit  sur  la 
liste  d'expulsion  du  9  Janvier  1832.  Dumas  l'accueillit  à 
Bruxelles  dans  son  appartement,  73,  boulevard  Waterloo  ;  en 
échange  de  cette  hospitalité.  Parfait  faisait  office  de  secré- 
taire.  Voy.  Charles  Hugo,  les  Hommes  de  l'exil. 

(141)  Ed.  Gorges  qui  publiera  en  1856  un  roman  posthume 
de  Gérard,  le  Marquis  de  Faijolle. 

LETTRE  LXXII 

(1-42)  Méry  a  consacré  à  Gérard  une  série  d'articles  dans 
l'Univers  illustré,  en  août  1864.  Il  s'étend  surtout  sur  leurs 
relations  d'amitié  et  sur  leur  collaboration:  «  J'ai  eu  l'honneur 
de  collaborer  avec  Gérard  de  Nerval.  Nous  avons  fait  ensem- 


3,7 


ble  trois  grands  ouvrages  dramatiques,  assis  côte  à  côte  de- 
vant la  même  table  et  nous  servant  de  la  même  plume.  Nous 
no  nous  sommes  pas  quittés  pendant  trois  ans.  »  Du  premier 
de  ces  trois  ouvrages,  il  ne  reste  rien  ;  c'était  une  grande 
pièce,  écrite  en  1848,  avec  un  troisième  collaborateur,  Paul 
Bocage,  et  destinée  à  l'Odéon  ;  «  le  chant,  la  danse  et  la  féerie 
abondaient  dans  cet  ouvrage  qui,  pour  scène,  avait  l'univers 
avec  ses  cinr]  parties  géographiques  »;  pour  le  titre,  ils  hési- 
taient; probablement  de  Paris  à  Pékin...  Mais  la  pièce,  mise 
en  répétitions  fut  retirée  avant  la  première.  Méry  donne  encore 
des  renseignements  sur  le  Chariot  d'enfant  et  sur  V Imagier, 
qui  d'abord  fut  chaleureusement  accueilli,  mais  ne  réussit  pas 
à  attirer  le  public. 

(143)  Comptant  sur  un  gros  succès,  Gérard  avait  dépensé 
sans  compter.  Au  le""  Janvier,  il  avait  tenu  à  offrir  des  cadeaux 
à  tous  les  artistes  et  Méry  avait  payé.  —  Pour  l'argent  que 
lui  avait  avancé  Porcher,  l'agent  théâtral,  voy.  la  lettre  du 
4  Octobre  32. 

LETTRE  LXXIII 

(144)  Jules  de  Premaray(Regnault),  devenu,  après  des  débuts 
assez  difficiles,  rédacteur  en  chef  de  la  Patrie,  où  il  soutint  la 
candidature  du  général  Cavaignac.  Il  se  cantonna  ensuite  dans 
le  domaine  purement  littéraire,  et  se  réserva,  avec  de  nom- 
breuses chroniques,  le  feuilleton  du  lundi.  La  lettre  de  Gérard 
a  été  écrite  entre  l'apparition  de  Lorelij  et  celle  des  Illuminés. 

LETTRE  LXXV 

(145)  Probablement  Si/lvie,  qui  paraîtra  seulement  un  an 
plus  tard.  Du  15  Juin  52  {les  Fêtes  de  Mai  en  Hollande)  au 
15  Août  5)5,  la  Revue  des  Deux  Mondes  n'a  rien  donné  de 
Gérard. 

(146)  Il  est  question  de  cette  chasse  à  la  loutre  dans  les 
Xuits  d'octobre,  publiées  par  l'Illustration  en  1832.  Voy.  la 
Bohème  galante,^.  222. 

»9- 


3l8  CORRESPONDANCE 


LETTRE  LXXVI 

(147)  MUe  J.  Cartier  rapporte  cette  lettre  aux  «  derniers 
jours  de  Gérard  ».  C'est  une  erreur  évidente.  Nous  avons  ici 
comme  un  premier  crayon  du  délicieux  épisode  de  Sylvie;  il 
faut  adopter  comme  date,soit  l'été  de  1852  (voy.  la  lettre  pré- 
cédente), soit  le  printemps  de  1853  (voy.  G.  Bell,  Gérard  de 
Nerval,  p.  41).  «  Je  possède  et  je  garde  précieusement, écrit 
Méry  dans  V Univers  illustré, une  belle  copie  d'un  chef-d'œu- 
vre de  Gérard,  Sylvie,  et  ce  n'est  pas  celle-là  qu'il  a  donnée  à 
la  Revue  des  Deux  Mondes  ;  elle  n'était  pas  encore  au  degré 
de  perfection  qu'il  voulait  atteindre  toujours.»  (Articles  cités.) 

LETTRE  LXXVII 

(148)  Sur  Misanthropie  et  Repentir,  voy.  la  lettre  du 9  No- 
vembre 1851.  A,  Houssaye  a  pris  la  direction  de  l'Artiste 
après  Delaunay,  en  Janvier  1844,  tome  V  de  la  3<>  série.  Por- 
cher est  l'agent  théâtral  qui  acheta  pour  cent  francs  à  Gérard 
son  vaudeville,  le  Pruneau  de  Tours  (voy.  M.  Tourneux). 

LETTRE  LXXVIII 

(149)  A.  NefTtzer,  entré  à  la  Presse  en  1844,  fondateur  du 
Temps  en  1861.  La  note  en  question  est  relative  au  volume 
les  Illuminés. 

(150)  Emile  Fontaine,  auteur  dramatique,  journaliste  légi- 
timiste au  Globe,  à  f  Uni  on... Monselet  avait  connu  Gérard  en 
1846,  dans  les  bureaux  de  l'Artiste.  (Voy.  Portraits  après 
décès.) 

LETTRE  LXXX 

(151)  Sans  doute  les  Petits  châteaux  de  Bohême  (E.  Di- 
dier), 

LETTRE  LXXXI 

fl52)  A  rapprocher  de  la  lettre  à  Perrot  du  20  Novembre 
1851.  La  demande  de  Gérard  fut   accueillie,  après  de   longs 


3i9 


retards.  C'est  ce  qui  ressort  d'une  lettre  du  D' Blanche  du  il 
octobre  1833  :  a  Monsieur,  il  ne  sera  pas  nécessaire  que  Gé- 
rard vous  donne  une  procuration  pour  que  vous  puissiez  tou- 
cher l'indeninilé  allouée  par  le  ministère  d'Etat,  (^etle  somme 
de  iOO  fr.  doit  cire  comptée  par  l'administrateur  du  Théâtre 
Français,  et  il  a  été  convenu  avec  M.  Camille  Doucet  que  je 
vous  prierais  de  vous  rencontrer  avec  moi  chez  lui,  jeudi,  à 
l'heure  qui  vous  sera  commode.  Veuillez  donc  m'écrire  un 
mot  à  ce  sujet.  Gérard  ne  va  pas  encore  bien...  »  Je  relève 
dans  les  catalogues  dt  ventes  du  30  Mai  1877  et  du  28  Nov. 
187G,deux  reçus  siç^nés  de  Gérard  :  l'un  du  8  avril  1854  pour 
une  somme  de  ^50  Fr.  à  titre  d'encourajçemenl  comme  auteur 
dramatique,  l'autre  de  GOU  fr.  pour  une  mission  littéraire  eu 
Orient  (?). 

LETTRE  LXXXII 

(1."j3)  Allusion  à  la  transformation  du  Moniteur  universel, 
l'organe  ofKciel  dont  Fould  a  voulu  l'aire  aussi  le  premier 
journal  littéraire  français.  Louis  de  Cormenin  resta  rédacteur 
en  chef  de  Novembre  32  à  Juillet  33.  Voy.  les  Souvenirs  de 
Maxime  Du  Camp. 

LETTRE  LXXXIII 

(134)  La  collection  Diamant  d'Eugène  Didier,  dans  laquelle 
Gérard  a  publié  ses  Petits  châteaux  de  Bohême.  Il  n'y  est 
entré  aucun  volume  d'H.  Blaze. 

LETTRE  LXXXIV 

(133)  La  petite-fille  de  Lucien  Bonaparte,  née  vers  1834, 
avait  épousé  à  10  ans  Frédéric  de  Solms.  Engagée  de  bonne 
heure  dans  une  opposition  très  vive  contre  son  cousin  le 
prince  Louis,  son  salon  s'ouvrait  à  la  fois  à  des  patriotes 
étrangers, aux  chefs  du  parti  démocratique  et  aux  littérateurs. 
Voy.  la  brochure  d'E.  Sue,  Une  page  de  l'histoire  de  mes 
livres,  1837, 


320  CORRESPONDANCE 


LETTRE  LXXXV 

(156)  Au  printemps  de  1853,  Gérard  passe  deux  mois  à  ]a 
maison  Dubois, où  il  est  soigné  pour  un  transport  au  cerveau. 
Pendant  sa  convalescence  il  part  pour  le  Valois.- — Je  ne  sais  à 
quel  moment  précis, en  1853,  doit  se  placer  le  projet  de  voyage 
à  Berlin  dont  il  parle  dans  une  lettre  au  D>"  Blanche  :  «  V étude 
des  monuments  et  des  découvertes  orientales  de  M.  Lepsius 
me  servira  sans  doute  à  m'acquitter  en  partie,  touchant  la 
mission  que  vous  savez.  »  (B^ragment  cité  par  Champfleury.) 

(157)  Voyage  d'Août  1850. 

(158)  Dans  une  lettre  à  Dumas,  non  datée,  il  est  question 
d'un  projet  de  drame  intitulé  les  deux  Faust,  que  Gérard 
doit  faire  en  collaboration  avec  Liszt. 

LETTRE  LXXXVI 

(159)  Stadler  était  parti  en  voyage  dans  le  midi  de  la 
France.  Son  portrait  par  Timbal  figura  au  salon  de  1853. 

(ICO)  Georges  Bell. 

LETTRE  LXXXVII 

(161)  Voici  ce  qu'en  dit  Théophile  Gautier,  dans  son  feuille- 
ton de  la  Presse  du  9  Juillet  1853  :  ((  N'oublions  pas  notre 
ami  Eugène  de  Stadler,  le  poète  du  Bois  de  Daphné,  une  des 
plus  pures  études  antiques  que  l'on  ait  faites,  dont  la  belle 
tête  allemande  et  la  longue  barbe  blonde  ont  fourni  l'occasion 
d'un  excellent  portrait,  d'une  vie  singulière  et  d'une  ressem- 
blance parfaite  à  M.  Timbal,  auteur  d'une  Vierge  au  pré- 
toire pendant  la  flagellation  du  Christ,  qui  ne  manque  pas 
de  mérite.  » 

LETTRE  LXXXVIII 

(162)  Note  manuscrite  :  «  Envoyé  à  la  Presse  l'exemplaire 
pour  M.  Liniayrac  et  prévenu  ce  dernier  par  lettre  du  1-4  Juillet 
1853.  y>  —  D'une  lettre  à  Limayrac,  datée  du  31  Juillet  (Li- 
mayrac  rédigeait  à  la  Presse  le    feuilleton  de  critique   litté- 


321 


raire)  :  «  Sauvez -moi  de  Venoie,voas  qui  répandez  la  lumière 
et  qui  lancez  la  foudre.  Comment  vous  remercier?  En 
regrettant  d'abord  de  m'ètre  ejcposé  à  votre  seule  critique, 
et  cela  par  négligence.  Le  titre  Précurseurs  du  Socialisme 
est  un  faux  titre  tj-ès  réel.  Je  V avais  donné  à  l'éditeur  dans 
la  pensée  d'un  ouvrage  plus  considérable  avec  d'autres  bio- 
graphies qui  citaient  au  livre  le  caractère  que  vous  suppo- 
sez :  il  ne  se  montré  pas  à  l'intérieur  des  pages.  »  (Catal. 
Charavay,  vente  du  17  Nov,  187G.) 

LETTRE  LXXXIX 

(163)  Deligny,  le  librettiste. 

LETTRE  XG 

(104)  Encore  un  projet  dramatique  qui  avorta.  De  la  main 
d'Hfppolyte  Lucas,  sur  l'original  de  la  lettre,cette  note  manus- 
crite (jue  M.  Ijéo  Lucas  a  eu  l'obligeance  de  me  communi- 
quer :  «  Voici  une  des  dernières  lettres  que  j'ai  reçues  de 
Gérard  de  Nerval.  Il  s'agissait, autant  que  je  puis  m'en  souve- 
nir,d'adapter  un  nouveau  poème  à  la  flûte  enchantée  de  Mozart. 
Gérard  m'avait  apporté  un  scénario  et  je  lui  avais,  en  retour, 
communiqué  une  pièce  intitulée  Aurore,  qui  est  imprimée 
dans  le  répertoire  des  Variétés  étrangères.  C'est  après  avoir 
lu  cette  comédie,  tirée  de  l'allemand,  qu'il  me  répondit  les 
lignes  suivantes...  »  Et  à  la  fin  de  la  lettre  :  a.  J'attendis 
Gérard,  il  ne  vint  pas,  »  —  Il  ne  reste  rien  de  ce  Francesco  ; 
la  liste  autographe  que  Gérard  a  laissée  de  ses  œuvres  nous 
en  donne  le  titre  complet  :  Francesco  Colonna. 

LETTRE  XCI 

(1G5)  Le  H  Février  d8o3,  Gérard,  dans  une  lettre  à  De 
Mars,  s'excusait  de  ne  pouvoir  arriver  à  terminer  son  article 
pour  la  Revue  des  Deux  Mondes  :  «  Je  n'arrive  pas.  C'est 
déplorable.  Cela  tient  peut-être  à  vouloir  trop  bien  faire... 
Je  vais  toujours  néanmoins,  si  Je  puis  aller,  car  ce  n'est 
pas  maladie  réelle,  mais  lourdeur  d'esprit.  J'écrirais  tout 


322  CORRESPONDANCE 


autre  chose...  »  (Catal.  Charavay).  Cette  difficulté  à  travailler 
ne  fera  que  s'aggraver  jusqu'à  la  fin,  avec  les  angoisses 
qu'elle  provoque.  Sylvie  paraît  le  15  Août  à  la  Revue;  une 
lettre  passée  en  vente  publique  annonce  qu'il  en  sera  fait  un 
tirage  à  part.  (Ventes  du  7  Dec.  1865  et  du  17  Juin  1870.)  — 
Gérard  est  conduit,  le  26  Août,  à  l'hospice  de  la  Charité  et  le 
27,  à  la  maison  Blanche,  à  Passy;  il  y  reste  jusqu'au  27  Mai 
1854. 

LETTRE  XCÏI 

(166)  Voy.  Aurélia,  pp.  101  et  suiv. 

LETTRE  XCIII 

(167)  Au  bas  du  billet,  ces  mots  :  a  Monsieur  de  Stadler 
peut  venir  voir  M.  Gérard  tous  les  jours  de  1  h.  à  4  h.  — 
E.  Blanche.  »  —  Peut-être  ce  billet  a-t-il  été  écrit  lors  de  la 
dernière  crise,  en  août  54. 

LETTRE  XCIV 

(168)  De  la  main  du  Dr  Blanche  :  «  J'engage  les  amis  de 
M.  Gérard  à  venir  l'un  après  l'autre  et  pas  ensemble.  — 
E.  Blanche.  » 

(169)  Allusion  au  portrait  de  Timbal.  Voy.  ci-dessus,  note 
161. 

LETTRE  XGV 

(170)  Article  de  Gautier  dans  la  Presse,  le5  Septembre  1853: 
Courses  de  taureaux  à  Saint-Esprit. 

LETTRE  XCVl 

(171)  Auguste  de  Chatillon,  peintre  et  littérateur,  l'auteur  de 
la  Grand'Pinte.  C'est  un  des  plus  anciens  amis  de  Gérard, 
un  des  camarades  de  la  Bohème.  Lors  du  fameux  bal  du 
28  Nov.  1835,  à  la  rue  du  Doyenné,  il  avait  concouru  à  la  dé- 
coration de  la  salle  avec  un  panneau  bien  romantique  :  un 


3^3 


«  moine   rouage  lisant   la  bihlc  sur  la  hanche  cambrée  d'une 
femme  nue  qui  dort  ».  [Petils  châteaux  de  Bohême,  p.  il.) 

(172)  Antoni  Deschamps  a  toujours  été  un  passionné  de 
musique.  —  Depuis  une  vingtaine  d  années  déjà,  sans  renon- 
cer pour  cela  à  son  travail  ni  à  ses  amitiés,  en  conservant  au 
contraire  toute  liberté  d'allure,  il  avait  cherclié  un  asile  à  la 
maison  Blanche  ;  il  y  resta  jusiju'à  sa  mort.  Voy.  ci-dessous, 
lettres  de  Munich  et  de  Leipzig  en  Juin  1854. 

LETTRE  XCVII 

(173)  Gacman  le  brave,  Odéon,  19  Septembre  1853.  Allu- 
sion au  récit  de  José  (acte  II,  se.  i). 

LETTRE  XCVIII 

(174)  Note  manuscrite  du  D""  Blanche  :  «  Je  serais  bien  aise 
(le  voir  Monsieur  de  Stadler, demain  samedi  dans  la  journée, 
ou  dimanche  matin.  —  E.  Blanche.  »  (Voy.  sa  lettre  du 
11  Octobre,  ci-dessus,  note  152.) 

LETTRE  XCIX 

(175)  En  tète  de  la  première  page,  cerclé  de  rouge,  un  des- 
sin assez  confus  :  une  mosquée  avec  quelques  caractères  ara- 
bes; au-dessous,  ce  mot  en  lettres  grecques  loTaaooX'îa  et  cette 
note  :  a  Ceci  est  un  souvenir  de  tes  études  orientales  et  de 
mes  voyages.  » 

(176)  Voy.  Aurélia. 

(177)  L'écriture  devient  ici  e(  reste  jusqu'au  dernier  tiers 
de  la  lettre  visiblement  plus  nerveuse. 

(178)  Voy.  la  lettre  à  Papion  du  Château  en  1832. 

(179)  Ed.  Ferey,  un  des  fondateurs,  avec  Maurice  Alhoy  et 
Pawlowski,  en  1834,  de  VOnrs,  journal  rédigé  par  une 
société  de  bétes  ayant  bec  et  onrjles. 

(180)  La  protection  de  Lingay  avait  été  précieuse  à  Gérard, 
lors  de  son  séjour  à  Vienne.  (Voy.  lettre  du  2  Dec.  1839.) 

LETTRE  C 

(181)  En  tète,  le  même  dessin  que  sur  la  précédente. 


324  CORRESPONDANCE 


(182)  Dans  un  article  d'A.  Houssaye  (l'Artiste,  1875)  : 
ce  Pendant  ses  visions,  Gérard  parlait  plus  que  jamais  de  son 
petit  champ  de  terre  de  Morfontaine.  Voici  ce  que  m'écrivait 
sa  tante  Labrunie  :  «  Il  possédait  un  morceau  de  terrain 
«  appelé  Nerval,  qu'il  évaluait  à  1300  fr.;  on  a  souvent  voulu 
«  abuser  de  sa  position  en  lui  offrant  la  moitié  de  la  somme 
«  que  l'on  donnerait  encore.  La  personne  qui  jouit  de  cette 
«  propriété  porte  notre  nom  sans  être  de  notre  lamille.  Gérard 
«  la  voyait  quelquefois  et  l'appelait  aussi  ma  tante.  » 

LETTRE  Cï 

(183)  Toujours  l'ancienne  chimère. — On  retrouve,  d'ailleurs, 
dans  cette  lettre  toutes  les  rêveries  ordinaires  de  Gérard. 

LETTRE  Cil 

(184)  Du  même  jour  encore,  Champfïeury  cite  un  autre 
fragment  de  lettre  de  Gérard  à  l'un  de  ses  cousins  M.  C..., 
commerçant  à  Agen.  //  va  bien  et  se  sent  tout  à  fait  guéri 
d'une  sorte  d'exaltation  due  à  ses  travaux  et  à  ses  nombreux 
voyages.  Il  voudrait  aller  auprès  de  lui,  car,  dit-il,  je  sens 
que  l'air  du  pays  me  ferait  grand  bien...  Si  vous  êtes  tou- 
jours associé  de  la  Maison  R...  s,  de  Bordeaux,  je  serai 
heureux  de  mettre  à  votreservice  quelques  idées  ou  inventions 
que  j'ai  conçues.  —  Sur  ce  cousin  voy.  note  13. 

LETTRE  cm 

(183)  Giraud,  éditeur  des  Filles  du  Feu,  en  Janvier  1854. 

LETTRE  CIV 

(186)  Pandora  paraîtra  dans  le  Mousquetaire  seulement  en 
Octobre  1834.  Mais  il  n'est  pas  juste  de  croire,  comme  on  le 
dit  d'ordinaire,  que  cette  nouvelle  hallucinante  a  été  écrite 
pendant  le  dernier  voyage  en  Allemagne. 

LETTRE  CV 

(187)  Emilie  ou  le  fort  de  Biiche,kla  fin  des  Filles  du  feu. 


325 


(188)  Dans  une  lettre  du  4  Dec.  1853,  Gérard  prie  Dumas 
de  roclanier  la  copie  qu'il  a  remise  à  Francis  W  ey  et  de  l'in- 
sérer dans  son  journal.  Il  lui  demande  de  ne  pas  publier  les 
lettres  qu'il  a  écrites  étant  encore  sous  l'impression  de  la  ma- 
ladie (Vente  du  6  Mai  1878,  Catal.  Charavay.) 

LETTRK  CVII 

(189)  Georges  Bell  (Joachim  Ilounaul,  né  en  1827,  un  des 
premiers  biographes  de  Gérard  est,  avec  Stadler  et  Houssaye, 
un  de  ses  amis  les  plus  fidèles  et  les  plus  attentifs,  pendant 
ses  dernières  années.  (V'oy.  Ph.  Auilebrand,  A.  Dumas  à  la 
Maison  d'or,  p.  321.)  G.  Bell,  en  reproduisant  cette  lettre  et  la 
suivante,  n'en  donne  pas  la  date  précise.  Il  est  probable  que 
ce  sont  les  deux  lettres  du  23  Sept,  et  du  4  Dec.  53,  passées 
en  vente  publique  le  G  Mai  1878. 

(l'JO)  Comp.  ce  fragment  d'une  lettre  non  datée  à  E.  Blan- 
che, publiée  par  Champtleury  :  «  Une  fois  débarrassé  de  mes 
inquiétudes,  Je  sortirai,  selon  le  conseil  d'Anton//,  de  cette 
disposition  à  n'écrire  que  des  impressions  personnelles  qui 
vient  de  ce  que  Je  tourne  dans  un  cercle  étroit.  » 

LETTRE  CIX 

(191)  Francis  Wey,  le  compatriote  et  ami  de  Charles  Nodier, 
inspecteur  général  des  archives  départementales,  président  de 
la  Société  des  gens  de  lettres  depuis  1853.  —  A  ce  moment 
encore,  Gérard  forme  des  projets  dramatiques.  Dans  une  let- 
tre à  Michel  Carré,  du  7  Mars  1854,  il  lui  propose  de  mettre 
en  musique  sa  petite  pièce  Corilla,  inspirée  par  les  aventures 
de  M"«  Colombe,  artiste  du  xviii'J  siècle.  (Catal.  Charavay.) 
Corilla  a  paru  en  1853  dans  les  Petits  Châteaux  de  Bohême. 
En  1879,  l'Artiste  la  reprendra  sous  ce  titre  nouveau  :  les 
Deux  Rendez-vous,  intermède.  (Ici,  Corilla  devient  la  Signora 
Mercedes.) 

LETTRE  CXII 

(192)  Il  s'agit  encore  du  Voyage  en  Orient,  édit.  Charpen- 
tier. 


326 


GORRESPONDANCK 


LETTRE  CXIV 

(193)  La  lettre  à  laquelle  répond  Gérard,  signée  «  Bamps, 
docteur  eu  droit,  attaché  au  ministère  de  la  justice  »,  est  datée 
de  Bruxelles  le  20  Mars  d854.  C'est  une  demande  de  rensei- 
gnements :  «  Voici,  Monsieur,  de  quoi  il  s'agit.  Un  nommé 
Ernest  Constant  se  disant  réfugié  politique  est  venu  me  prier, 
il  y  a  deux  jours,  de  lui  rendre  un  service...  » 

LETTRE  CXV 

(19.4)  Après  Sylvie,  Gérard  n'a  plus  rien  donné  à  la  Revue 
des  Deux  Mondes. 

LETTRE  CXVI 

(195)  Sorti  de  la  maison  Blanche  le  27  Mai  1854,  Gérard 
part  aussitôt  pour  l'Allemagne. 

(196)  Il  ne  reste,  hors  de  la  correspondance,  aucune  rela- 
tion de  ce  dernier  voyage.  Sur  ses  projets,  voy.  ci-dessous  la 
lettre  à  Godefroy  du  23  Septembre  1854. 

(197)  Le  banquier  Moïse  Millaud,né  à  Bordeaux  enl813,ras- 
socié  de  Mirés,  un  des  créateurs  du  journalisme  d'afFaires; 
personne  encore  n'avait  aussi  nettement  compris  quel  peut 
être  le  rôle  industriel  et  commercial  de  la  presse.  Avec  cela, 
très  versé  dans  le  monde  littéraire,  très  généreux... 

(198)  Joseph  Cohen,  né  à  Marseille  en  1817,  rédacteur  en 
chef  du  Pays. 

(199)  «  Il  faut  savoir  qu'à  cette  époque  le  dit  Villedeuil  était 
en  train  de  manger  une  fortune  énorme  en  extravagances  de 
toutes  sortes.  »  (Note  d'A.  Busquet.) 

(200)  Busquet  donne  un  fragment  d'une  autre  lettre  reçue 
quelques  jours  après,  a  d'Ems  ou  de  Wiesbaden  »  :  Décidé- 
ment, mon  bon  ami,  je  n'ai  pas  besoin  de  manteau.  Je  m'é- 
tais Jî  g  uré  que  l'air  du  Taunus  était  vif  et  qu'un  vêlement 
chaud  me  serait  nécessaire  dans  la  montagne.  Je  vois  que 
je  puis  m'en  passer.  Il  vaut  mieux  payer  Villedeuil, 

(201)  D'accord  avec  A.  Houssaye,  directeur  de  l'Artiste,  et 
avec   le  concours  de  Gautier  et  Louis  de   Cormenin,  Maxime 


327 


Du  Camp  avait  fait  revivre  l'ancienne  Revue  de  Paris.  (Voy. 
Sonnenirs  litlrraires,  t.  H,  p.  ('».)  C'est  là  ifue  paraîtra,  le 
1er  Janvier  1835,  la  première  partie  d'Aiirelia. — En  ^8o3-5i, 
Maxime  Du  Camp  est  passé  par  ime  crise  nerveuse  qui  pou- 
vait être  inquiétante.  Voy.  en  183;^  le  Livre  posthume,  ini'- 
moire  cVan  suicidé,  et  les  lettres  publiées  par  M.  P.  BonncFon 
(art.  cité). 

(202) Z,e  Pays,  l'ancien  Journal  des  volontés  de  la  France 
devenu  Journal  de  l'empire.  Dumas  y  publie,  en  Juillet  1834, 
des  souvenirs  sur  son  voyage  en  Allemagne  avec  Gérard  en 
4838. 

LETTRE  CXVII 

(203)  C'est  là  comme  une  idée  fixe.  A  rapprocher  ce  frag- 
ment de  lettre  publié  parChampfleury  :  <(  Je  vous  prie  de  m' ex- 
cuser auprès  de  ces  dames  de  l'excentricité  prolongée  qui  m'a 
fait  prendre  trop  au  sérieux  la  prétention  des  poètes  à  la 
descendance  de  Jupiter  et  d'Apollon. ..Cette  généalogie  m'est 
un  trop  grand  honneur  que  je  ne  devais  pas  surtout  me 
décerner  à  moi-même.  » 

LETTRE  CXVIII 

(204)  La  guerre  contre  la  Russie,  engagée  depuis  le  27  Mars. 
(203)  Voy.  les  lettres  à  A.  Dumas  de  Septembre  1838. 

(206)  Au  début  de  l'été  de  1833.  Voy.  Aurélia,  p.  97. 

(207)  Voy.  la  lettre  à  Dumas,  en  tète  des  Filles  du  Feu.  — 
Le  31  Octobre  183i,  le  journal  de  Dumas,  le  Mousquetaire, 
|)  ibliera  la  première  partie  de  l'efïrayante  Pandora;  quant  à 
la  deuxième  partie,  elle  a  été  imprimée,  mais  on  n'a  pas  osé 
l:i  faire  passer.  Ml'e  J.  Cartier  (//y.  cit.,  p.  68)  en  cite  quel- 
(jues  lignes  d'après  une  feuille  d'épreuves  qui  appartient  à  la 
collection  Spoelberch  de  Lovenjoul. 

(208)  La  brochure  d'Eugène  de  Mirecourt,  avec  un  portrait 
dessiné  et  gravé  par  E.  Gervais,  avait  été  communiquée  à 
Gérard  par  un  bibliophile  de  Strasbourg,  Charles  Mehl. Sur  les 
marges  de  l'exemplaire  et  du  portrait,  Gérard  a  crayonna  des 


SaS  CORRESPONDANCE 


annotations  à  peu  près  inintelligibles  et  des    coq-à-l'âne  gra- 
phiques »  (note  de  M.  M.  Tourneux). 

(209)  Allusion  à  la  caricature  de  Nadar,  dans  la  collection 
des  Binettes  contemporaines  de  Citrouillard.  Cette  carica- 
ture nous  présente  un  Gérard  poussé  au  grotesque,  mais  du 
moins  bien  vivant  et  joyeusement  campé. 

(210)  Moïse  Saphir,  l'humoriste  allemand  qui  rédigea  à 
Vienne  V Humoriste  depuis  1837. —  A  Karr,  dans  le  Livre  de 
Bord,  cite  encore  un  fragment  de  lettre  de  Gérard  :  «  On  m'a 
demandé  ici  des  renseignements  sur  les  écrivains  Jrançais 
contemporains  ;  vous  m' avez  rapporté  200  francs  pour  votre 
part;  cette  considération  vous  fera  pardonner,  fen  suis 
certain,  quelques  détails  peut-être  un  peu  intimes.  » 

(2H)  Philibert  Audebrand. 

(212)  Allusion  aux  attaques  de  Mirecourt  contre  A.  Dumas. 

LETTRE  CXX 

(213)  M'ie  J.  Cartier  cite  un  fragment  d'une  lettre  à  son 
père,  antérieure  de  quelques  jours(Bade,  31  Mai)  :  «  C'est  toi 
qui  m'as  appris  cette  langue,  Je  te  dois  donc  le  peu  de 
gloire  que  j'ai  retiré  de  mes  traductions.  » 

LETTRE  CXXI 

(214)  En  allant  à  Vienne,  Gérard  s'est  arrêté  à  Munich 
(1839).  Voy.  Un  jour  à  Munich  dans  l'introduction  du 
Voyage  en  Orient.  (Publ.  d'abord  dans  la  Presse.) 

(215)  Sur  Wagner  et  Liszt,  voy.,  dans  Lorely, les  Souvenirs 
de  Thuringe  (voyage  de  1850). 

LETTRE  CXXII 

(216)  Le  passe-port,  délivré  à  Gérard  le  14  avril  1854,  por- 
tait la  mention  :  «  Bon  pour  traverser  l'Autriche  »  (Cartier, 
p.  67). 

LETTRE  CXXIV 

(217)  Voy.  la  lettre  du  29  Juillet  1853  et  la  note  165. 


329 


LETTRE  CXXV 


(218)  Mlle  J,  Cartier  signale,  de  Leipzig,  une  lettre  au 
Dr  Lal)runie  du  29  Juin  (Collection  Houssaye),  et  une  lettre  à 
Sartorius  du  30  Juin  (Collection  Spoelberch  de  Lovcnjoul). 

LETTRE  CXXVI 

(219)  Brouillon  de  lettre  inachevée.  Sur  l'original,  cette 
note  manuscrite  de  Chanipfleury  :  a  Lettre  de  Gérard  pendant 
sa  folie.  On  l'a  retrouvée  telle  quelle  dans  ses  papiers.  C-y.  » 
Il  n'y  a  pourtant  rien  que  de  raisonnable  dans  ce  billet.  —  Il 
est  vrai  que  l'on  ne  retrouve  plus  que  par  intervalles,  durant 
ce  dernier  voyage,  cette  gaîté  saine  qui  avait  animé  jusqu'ici 
toutes  ses  lettres  écrites  de  l'étranger.  (Voy.  la  lettre  sui- 
vante.) La  maladie  a  accordé  un  répit;  mais  à  ces  inquiétudes, 
à  cette  exaltation  nerveuse,  on  peut  prévoir  une  reprise  pro- 
chaine. 

LETTRE   CXXVIII 

(220)  Voici  donc,  d'après  la  correspondance,  les  étapes  du 
voyage  :  Strasbourg  et  Bade  (30  mai-4  Juin).  Augsbourg. 
Munich.  Donauwerth  (20  Juin).  Nuremberg.  Banibera: 
(26  Juin).  Neuenmarket  (27  Juin).  Leipzig  (30  Juin).  VVeimar. 
Cassel.  Francfort  (13  Juillet).  Mayence.  —  D'après  le  passe- 
port cité  par  M'ie  Cartier,  il  part  de  Forbach  pour  Paris  le 
18  Juillet.  —  Le  8  Août,  il  faut  de  nouveau  l'enfermer  à  la 
maison  de  Passy. 

LETTRE    CXXIX 

(221)  L'éditeur  Dutacq,  le  créateur  du  Siècle.  —  Voy.  A. 
Karr,  le  Livre  de  bord  (III,  p.  310). 

(222)  Devant  la  surexcitation  de  son  malade,  le  Dr  Blanche 
avait  dû  le  priver  de  sorties  dans  Paris.  C'est  alors  qu'il  fit 
appel  au  comité  de  la  Société  des  gens  de  lettres.  Champ- 
fleury  nous  a  conservé  le  procès-verbal  signé  précisément  de 
Godefroy  :  «  Nous  soussignés,  amis  de  M.  Gérard  de  Nervd, 


33o  CORRESPONDANCE 


homme  de  lettres,  avons  l'honneur  de  prier  M.  le  docteur 
Blanche  de  vouloir  bien  autoriser  la  sortie  de  M.  Gérard  de 
Nerval,  ainsi  que  l'enlèvement  de  tout  ce  qui  lui  appartient,  et 
ce  en  conformité  des  règlements  qui  régissent  la  maison  dont 
il  est  le  directeur  et  le  propriétaire.  Paris,  le  9  octobre  1854. 
Godefroy,  avocat,  v  A  la  suite,  ce  billet  :  «  Cher  Monsieur, 
Voici  Gérard  qui  veut  que  je  lui  signe  ce  papier  et,  comme  je 
n'ai  rien  à  lui  refuser^  je  signe,  m'en  rapportant  tout  à  fait  à 
ce  qui  est  plus  facile  à  faire.  Je  vous  dis  mille  bonjours.  J. 
Janin.  »  {Grandes  figures,  p.  218.) 

LETTRE  CXXX 

(223)  C'est  deuxjours  après  cette  lettre,  le  19  Octobre,  que 
le  Dr  Blanche  se  vit  contraint  de  rendre  la  liberté  à  son 
malade.  —  Le  2i  Octobre  1854,  Gérard  tout  joyeux  écrira 
à  Sartorius  :  «  Je  conviens  officiellement  que  fai  été 
malade.  Je  ne  puis  convenir  que  fai  été  fou,  ou  même 
halluciné...  Si  f  offense  la  médecine,  je  me  Jetterai  à  ses 
genoux  quand  elle  prendra  les  traits  d'une  déesse.  »  (Frag- 
ment cité  par  A.  Barine  et  Champfleury;  c'est  celui-ci  qui 
donne  la  date,  mais,  d'après  lui,  la  lettre  serait  adressée  à 
Antoni  Deschamps.) 

LETTRE  CXXXI 

(224)  Voy.  ci-dessus  note  222.  Cette  lettre  est  écrite  au 
crayon,  sur  une  feuille  d'épreuves  d'Aurélia. 

(225)  Dans  ses  derniers  mois,Gérard  avait  en  tête  de  grands 
projets  dramatiques.  Le  4*^  numéro  de  la  Propriété  littéraire 
et  artistique  (15  Févr.  1855)  conte  à  ce  sujet  une  aventure 
assez  étrange,  et  que  rien  par  ailleurs  n'a  confirmée  :  «  Au 
mois  de  Novembre  dernier  »,  Gérard  porte  «  à  l'un  de  nos  prin- 
cipaux théâtres  »  une  pièce  qu'il  venait  de  finir.  «  Etait-ce  le 
Don  Japhet  d'Arménie  de  Scarron,  ou  le  drame  de  Kotzebue, 
Misant/iropie  et  Repentir,que  nons  savons  qu'il  voulait  remet- 
tre à  la  scène?  Il  laisse  le  manuscrit  sur  le  bureau  du  direc- 
teur. Trois  jours  après,  il  le  lui  redemande.  Le  manuscrit 


NOTES  33l 

avait  disparu.Un  garçon  de  bureau siefnalc  M.  X..., dramaturge 
bien  connu,  comme  ayant  pénétré  dans  le  bureau  après  Gérard. 
Appelé  par  M.  H...,  le  directeur,  le  dramaturge  avoue  sans 
hésiter  et  déclare  (|u'il  ne  peut  le  rendre  et  qu'il  a  déjà  refait 
le  premier  acte.  Et  etFectivement  il  ne  le  rendit  jamais.  » 

LETTRE  CXXXII 

(226)  «  Je  publiais  à  ce  moment-là,  dans  un  journal  parisien, 
une  Galerie  des  célébrités  contemporaines .  J'avais  tout  natu- 
rellement ouvert  cette  série  par  la  biographie  de  Gérard  de 
Nerval...  On  était  aux  premiers  jours  de  Janvier  1855.  Un 
matin,  je  reçois  une  lettre  d'une  écriture  inconnue.  Je  l'ouvre, 
je  la  lis.  La  voici...  »  (A.  Delvau,  Histoire  anecdotique  des 
cafés  de  Paris,  1S(J2.  Repris  dans  la  petite  biographie  de 
Gérard,  Paris,  Bachelin  Detloreune,  1865.) 

LETTRE  CXXXIII 

(227)  Sur  cette  tante,  voy.  l'article  de  Houssaye  dans  l'Ar- 
tiste, en  1875. 

LETTRE  CXXXIV 

(228)  La  lettre  est  publiée  sans  indication  de  destinataire, 
mais  à  côté  de  la  lettre  déjà  connue  du  2  Janvier  1853.  Peut- 
être  fut-elle  adressée  aussi  à  M™''  de  Solms.  —  M.  A.  Bris- 
son  a  reproduit  les  vers  :  «  II  a  vécu  tantôt  gai  comme  un 
sansonnet  »  dans  son  volume  T Envers  de  la  gloire  (p.  274); 
d'après  M.  Ch.  Landelle,  qui  le  lui  a  communiqué,  ce  son- 
net aurait  été  écrit  par  Gérard  lors  de  son  dernier  voyage 
en  Angleterre,  en  compagnie  de  M.  Landelle  lui-même  et  de 
Gautier  (?). 

LETTRECXXXV 

(229)  Emile  Durand  Forgues,  plus  connu  sous  son  pseudo- 
nyme, Old  Nick  ;  chargé  en  1838  de  la  chronique  littéraire  au 
Journal  du  Commerce,  il  passe  ensuite  au  National.Woy.  un 


332  CORRESPONDANCE 


article  de  M,  M.  Tourneux,  Amateur  d'autographes,  Janvier 
4910. 

LETTRE  GXXXVII 

(230)  Voy,  la  lettre  XC  et  la  note  d64.  Peut-être  s'agit-il 
ici  encore  de  ce  projet  de  drame  en  collaboration,  Francesco 
Colonna. 

(231)  Le  Poliphile  italien  des  Aides  ou  l'adaptation  fran- 
çaise de  J.  Martin,  tous  deux  précieux  surtout  à  cause  des 
gravures. 

LETTRE  CXXXVIII 

(232)  Voy.  la  Note  482. 

LETTRE  CXLI 

(233)  Ecrite  sans  doute  à  l'automne  de  1853  ou  de  1854. 
Voy.  les  lettres  de  Décembre  1853  et  du  1er  Juin  4854. 

LETTRE    CXLII 

(234)  La  Mort  de  Rousseau  figure  parmi  les  projets  de  Gé- 
rard, sur  la  liste  autographe  de  ses  œuvres.  {Intermédiaire, 
1869.) 


INDEX  ALPHABETIQUE 

DES    NOMS    PROPRES 


Abel,  2i3. 

Achard,  92. 

Ackermann,  247. 

Adam,  3oi. 

Albertin,  292. 

Alboize,  lOi,  3i3. 

Alhoy  (Maurice),  323. 

Artim-Bey,  124,  3o8. 

Asselineau,  6,  17,  23. 

Auber,  87,  3oi. 

Audebrand    (Philibert) ,    28, 

23  I,  235,  328. 
Aussandou  (Dr),  i55,  3i2. 


Balzac,  96,  2o3,  3o2,  3o3. 

Bamps,  220,  32G. 

Bare  (Louis  de),  25,   27,    35, 

G2,  64,  73,    100,  1 17,   121, 

i33,    i4i,    146,    237,  245, 

298,  299,  309. 
Barine  (Arvèdej,  25,  i45,202, 

2o3,  281,  33o. 


Beauvallet,  174. 

Béga  (Olivier),  210. 

Bell    (Georges),  6,  9,  23,  25, 

191,    206,      21G,      217,     225, 

240,  291,  3o8,  3i8,  320. 
325. 

Belliai,  Soi. 

Bénard,  5o. 

Béranger,  10,  189. 

Bériot,  75,  299,  3oi . 

Berlioz,  i52,  3i  i. 

Berryer,  298. 

Betz,  3o4. 

Bida,   166,  167,    3i5. 

BioQ,  294. 

BlaDche  (Dr),  21,  22,  116, 
119,  173,  199,  201,  202, 
2o3,  2o4,  2o5,  206,  208, 
209,  211,  2i4,  217,  218, 
223,  224,  235,  289,  242, 
243,  244,  245,  240,  247, 
249,  3o6,  3ig,  320,  822, 
820,    325,    829,   83o. 

Blaze  (Henri),  67,  97,  187, 
188,  808,  819. 

Bocage,  loi,  817. 


334 


CORRESPONDANCE 


Bonaparte  (Lucien),  319. 
BonnefoQ    (Paul),    28,    3o8, 

327. 
Borel  (Petrus),  11,  48,  294. 
Bosio,  28. 

Bouchardy,  81,  294. 
Boulé,  243. 

Bourgeois  (Anicet),  3i3. 
Brarli  (Comtesse  de),  3o4. 
Brisson  (Adolphe),  33 1. 
Brohan,  3 16. 
Buloz,   180,  222,  3o4. 
Burgmuller,  3 10. 
Busquet,  25,    i5o    222,  3io, 

326. 


C 


Campé,  38. 

Carré  (Michel),  325. 

Cartier  (Mll«  J.),  26,  102, 
171^  297,  299,  3oi,  3o4, 
307,  3i8,  327,  328,  339. 

Cavaignac  (général),  317. 

Cave,  172,  173. 

Cayrol,  219. 

Cazotte,  3o5. 

Champfleury,  6,  16,  22,  25, 
i56,  157,  i58,  159,  212, 
224,  239,  244,  249,  294, 
3i2,  3i3,  320,  324,  325, 
327,  329,  33o. 

Champion  (Edouard),  28,214, 
2i5,  256,  260. 

Charavay,  28,  291,  293,  298, 
3oi,    3o2,   3o4,   3i3,  3 16, 

321,    322,   325. 

Charpentier,  96,97,  166,167, 
169,171,  186,194,  3o3,3i4. 
Chateauhriand,  71,  293. 
Chatillon,  204,  209,  322. 
Clapisson,  3oi. 


Claretie  (Jules),  aS,  242. 
Clément-Janin,     26,    28,   75, 

III,   i47,  179,  25i. 
Clerc  (Albert),  298. 
Clopet  (Léon).  294. 
Clot-Bey,  i3o,  3o8. 
Cohen,  223,  326. 
Colon    (Jenny),   i3,  25,  295, 

3o4, 307. 
Constant,  220,  221,  326. 
Corally,  3io. 
Corbière  (Edouard),  294. 
Cormenin  (Louis  de), 187,319, 

326. 
Cottin  (Mme),  45. 
Couët  (Jules),  28,    178,  292, 

3i5. 
Cousinet,  191,  219. 


Dagneau,  i85. 
Damoreau  (Mme),  5i. 
Darthenay,  298. 
Dash  (Comtesse),  3oo. 
David  (Félicien),  i53,  3ii. 
Delaunay,   77,  78,  3oo,  3o2, 

3 18. 
Delavigne  (Casimir),  10,  71, 

293. 
Deligny,  195,  32 1. 
Delile  (Mme),  128,  i3i. 
Delvau  (Alfred),  26,  252, 33 1. 
Deschamps,   i38. 
Deschamps(Antoni),  2o4,235, 

242,  323,  325,  33o. 
Didier,  187,  319. 
Dietrichstein  (Prince),  75,83. 
Donizetti,  87,  3oi. 
Doucet  (Camille),  319. 
Douet  d'Arçq,  38,42,87,  294. 
Dreyfus  (Robert),  3o3. 


INDEX    ALPHABÉTIQUE   DES   NOMS   PROPRES 


335 


Dublanc,  212. 

Du  Camp  (Maxime),  aS,  22/1, 
235,  3()8,  Soy,  3i(),  327. 

Dumas  (Alexandre),  11,  12, 
^4,  2"),  33,  3'),  4^»  -JO,  f)!, 
î)3,  54,  56,  57,  58,  60,81, 
io4,    ii5,    lit),    117,    175, 

191,     227,     228,     261,    2()3, 

295,  296,    297,    298,  3oi, 

3o2,   3oG,   3iC,    320,  324, 

327,  328. 
DupoDchel,  49- 
Durand,  55,  56,  58,  59. 
Duseigneur  (Jean),  9,  36,37, 

4i.  47,  293,  294, 
Duseigneur    (Maurice) ,     36, 

293. 
Dutacq,  248,  329. 

E 

Elwart,  02,  295. 
Empis,  109,  3i3. 
EnFantlD,  3o8. 
Esterhazy  (Prince),  83. 


Faber,  3o4. 
Fauconnet,  259. 
Férey  (Edouard),  207,  323. 
Ferrier  (Ida),  11 5,  3oi,  3o6. 
Ferrière-Levayer,  247. 
Fiorentino,  3i3. 
Fleury  (Arthus),  293. 
Fontaine,   i84,  3i8. 
Forgues  (Durand),  256,  298, 

33i . 
Foucher  (Paul),   18,  9g,  3o3, 

3i3. 
Fould,  319. 
Fouruier  (Marc),  12,  173, 3i5. 


Furne,  186. 


Gandonnière,  3i  i. 

Gauthier-Fer rières,  3o4. 

Gautier  (Pierre),  295. 

Gautier  (Théophile),  6,  9,10, 
II,  i4,  17,  23,  :w,  4i,48, 
5o^  8i,_^  95,  96,  loi,  i4i, 
145,  i54,  i56,  193,  2o3, 
2oj,  23o,  257,  291,  29'î, 
295,  3o3,  3o4,  309,  3io, 
3i4,  320,  322,  326. 

Gay  (Delphine),  293,  3i2. 

Girard,  i65. 

Gervais,  229,  327. 

Girardin  (Emile  de),  99,  107, 
207. 

Giraud,  i85,  2i3,  214,  2i5 
324. 

Godefroy,  22,  246,  326,  3^9, 
33o. 

Goëihe,  45,  97,  i52,  296, 
3o3,  3i  I,  3 14. 

Gorges  (Edouard),  176,  192, 
193,  3i6. 

Gosselin,  i53,  3o3. 

Gratiot,  170,  21 3. 

Grobet,  28,  259. 

Guichardet,  i53,  187. 

Guizot,  207,  299. 

H 

Halévy,  296. 
Halm  (Frédéric),  297. 
Harel,  12,  53,  lâg,  291,  296. 
Heideloff,  34,  38,  39. 
Heine  (Henri),  102,  io4,  3o4, 

3l2. 

Herder,  3i4. 


336 


CORRESPONDANCE 


Hoffmann,  3oi. 

Houssaye  (Arsène),  6,  12,1/i, 
18,  24,  25,  27,  54,  io3, 120, 
126,  128,  i36,  i48,  i54, 
166,  171,  iBi,  i83,  190, 
201,  2o4,  2o5,  209,  211, 
282,  2.53,  258,  261,  262, 
263,  297,  3o2,  3i  I,  3i4, 
3i5,  3iG,  018,  324,  325, 
326,  829,  33i. 

Hugo  (Charles),  3i6. 

Hug'O  (Victor),  24,  33,  34, 
59,  60,    71,    81,  175,  292, 

293. 

I 

Ibrahim-Pacha,  126,  3o8. 


Jacob  (Bibliophile),  28,  298, 

299. 
Janin    (Jules),    18,    76,  m, 

i47,     179,    243,  25i,  264, 

293,    294,   296,  299,  3o6, 

33o. 
Jerrmann,  297, 
Joly  (Anténor),  12,  69, 60, 86, 

297,  298,  3oi. 
JuUiea  (Adolphe),  25,  88,294- 


Karr  (Alphonse),  26,  27,  81, 
94,  229,  297,  298,  3oo, 
3i2,  828. 

Ivauffmann,  106. 

Kobb  (Dr),  247. 

Kolzebue,  297,  3i5,  38o. 


Labrunie  (M^^e  A.),  210. 


Labrunie  (D'"),  20,  22,25,  35, 
5o,  54,  62,  64,  78,  78,  100, 
io3,  117,  120,  121,  126, 
128,  i33,  i36,  i4i,  145, 
i46,  201,  2o5,  209,  282, 
287,  245,  294,  829. 

Lamartine,  71,  298,  8o5. 

Lambert  (Charles),  i3o,  808. 

Landelle,  33i. 

Laurent,  291. 

Leborne,  52,  296. 

Lecomte  (Jules),  294. 

Lecou,  179. 

Lefèvre,  159. 

Legros,  1O4,  3 14. 

Lemaître  (Frederick),  82,61, 
260,  292,  298. 

L'Epinay  (Marie  de),  12,  18, 
98,  99,  8o3. 

Leroy,   195. 

Levavasseur,  34. 

Liftier,  82,  292. 

Limayrac,  194,  320. 

Limnander,  812. 

Linant,  98,  808. 

Lin^ray,  74,  81,  207,299,308, 
323. 

Liszt,  77,  190,242,  244,247, 
3oi,  820,  828. 

Loëve-Veimars,  98. 

Lovenjoul  (Spoelberch  de), 
202,  3o3,  827,  829. 

Lubbert,  i3o,  809, 

Lucas  (Hippolyte),  12,  25, 
108,  i54,  i85,  195,  196, 
258,  295,  298,  8o5,  32  1. 

Lucas  (Léo),  28,  i85,  258,821. 

I.udlow  (Anna),  74. 

M 
Mahmoud  (Sultan),  299. 


1NI)I;\    ALPHAIJEÏIQUE    DES    NOMS    HHOPRES 


33; 


Malibran,  299. 

Marmier,  iio4. 

Mars(De),  181,  197,  222.321. 

Martre  (De),  219. 
villy,  39. 
■res,  292. 

Mclieinet-Ali,  299,  3o8,  2oQ. 

Mehl  (Charles),  327. 

Mendeissohn,  3oo. 

Merlin,  3i3. 

Méry,  12,  26,  120,  176,  190, 
2o3,  20^,  223,  209,  307, 
3oS,  3i6,  317,  3i8. 

Mellernicli,  5G,  83. 

Moyerbeer,  3oi. 

Midiei,8i. 

Micliel  (Francisque),  56. 

Miq-notle,  34,  47- 

Miilaud,  219,  223,  326. 

Mirecoiirt,  23i,  327,  328. 

Mirés,  326. 

Monnais,  298. 

Monpou,  5i,  87,  3oi. 

Monselet,  6,  184,  3o2,  3i8. 

Mi.ntag'ue    (Lady   Wortley), 
iS,  3i5. 
alÏD,   1 1 . 

Mozart,  32 1. 

N 

Nadar,  229,  328. 

Nanieuil   (Gélestin),   4'»  46, 

Nauieuil  (Charles),  46,   294. 
Napoléon  (Louis),  3 19. 
Nefftzer,  i83,  184,  3i8. 
Nodier  (Charles), 45, 293, 325. 
Noubel,  08. 


Orléans  (Duc  d'),  57. 


Ourliac  (Edouard),  95,  3o2. 
Ovaghini,  i58. 


Pac;-anini,  226. 

Papion  du  Château,    .34,  48, 

i5i,  292,    293,    295,    323. 
Parfait  (Noël),  175,  177,316. 
Pawlowïki,  323. 
Perron  (Dr),    126,  i3o,   3o8. 
Perrot,  172,  3i5,  3i8. 
Persiçny,  307. 
PersoQ  (Béalrix),  23. 
Pleyel   (M-"e),    76,    77,  299, 

3oi,  3o4- 
Porcher,  174,  i83,  317. 
Préinaray  (Jules  de),  178,307. 

R 

Rachel,  172. 

Raeruse   (Marmont,  duc  de), 

70,  76,  83,  3oo. 
Raupach,  38,  294. 
Renduel,  38,  42, 47,  294,  290, 

3o4,  3 10. 
Ricourt,  3oo. 
Ris  (Clément  de),  193. 
Rogfier    (Camille),    37,    137, 

i58,  309. 
Rothschild,  55,  58. 


Saint-Georçes  (Henri  de),  85, 
160,  3oo,  3oi,  3o5,  3i3. 

Sainl-Victor,  193. 

Sainte-Aulaire,  74,  76,77,83, 
98,  3oo. 

Sainte-Beuve,  294. 

Salle  (Eusèbe  de),  807,  3o8. 

Salvandy,  293. 


338 


CORRESPONDANCE 


Sand  (Karl),  58,  297. 

Sand  (Maurice),  216. 

Sandeau,  298. 

Saphir,  280,  828. 

Sardou  (Victorien),  27,  28, 
265. 

Sarlorius,  i55,  i03,  243,  029, 
33o. 

Scarron,  33o. 

Schayé,  iSg. 

Schwartzenberg  (Prince  de), 
77,  83. 

Scribe,  161,  3oi . 

Sevelinge,  98. 

Sigalon,  45. 

Simon  (Gustave),  24,  28. 

Solms  (Frédéric  de),  819. 

Solms(M"=e  de),  188,  33i. 

Souza  (M™«  de),  45,  29^. 

Stadler  (Eugène  de),  19,  107, 
109,  117,  149,  i53,  i54, 
161,  173,  174,  ï8i,  i83, 
184,  191,  192,  202,  203, 
2o4,  206,  217,  218,  219, 
807,  3i3,  320,  322,  323, 
325. 

Strauss,  75. 

Sue  (Eugène),  294,  819. 


Tardieu,  i3o. 

Taylor  (Baron),  1 1, 12,32,292. 


Thierry  (Edouard),  100,  3o3. 
Timbal,  820,  822. 
Tourneux  (Maurice),   25,  28, 

33,    187,     225,    809,    818, 

828,  332. 
Tresserve  (Vicomte  de),  254. 
Triquet,  74. 
Truchis  de  Lays    (Mlle    de) 

295. 

U 

Ugalde  (Delphine),  iGo,  3i3. 

V 

Vabre,  294. 

Varin,  178,  174. 

Venet,  214. 

Vernet.  92. 

Véron  (Dr),  809. 

Verteuil,  174,  3 16. 

Véry,  175. 

Veuillot  (Louis),  802. 

Vigny  (Alfred  de),  71,  298, 

Villedeuii,  228,  826. 

^v 

Wagner,  235,  242,  828. 
Weill  (Alexandre),    96,  no, 

184,  3o3,  8o5,  3o6. 
Wey  (Francis),  217,  218,825. 


TABLE  CHRONOLOGIQUE 

DES    LETTRES 


1830  —  Novembre  1841. 

I.  —  A....  —  5  Février  i83o '  3i 

II.  —  Au  Baron  Taylor.  —  Eté  i83i 82 

m.  —  A —  Février  1882 33 

IV.  —  A  Papion  du  Château.  —  1882 34 

V.  —  Au  D''  Labrunie.  —  Octobre  i834 35 

VI.  —  A  Jean  du  Seigneur. — 4  Novembre  1 834.  36 

VII .  —  A  Renduel .  —  (5  Novembre  1 834  ■ 38 

VIII.  —  A  Papion  du  Château.  —  i834 48 

IX.  —  Au  D"^  Labrunie.  —  27  Septembre  i83G.  5o 

X.  —  A  Elwart.  —  24  Mars  i838 52 

XI.  —  A  Alexandre  Dumas.  —  Septembre  i838.  53 

XII.  —  A  Alexandre  Dumas.  —  Septembre  i838,  58 

XIII.  —  Au  Dr  Labrunie.  —  1 8  Septembre  i838.  54 

xrv.  —  A  Anténor  Joly.  —  Fin  i838 59 

XV.  —  A  Anténor  Joly.  —  2  Mars  1889 60 

XVI.  —  Au  D'  Labrunie.  —  19  Novembre  1889..  62 

xvH.  —  Au  Dr  Labrunie. — J'in  Novembre  1889.  64 

xviii.         Au  D""  Labrunie. — 2  Décembre   1889...  78 

XIX.  —  A  Jules  Janin.  — 23  Décembre  1889....  75 

XX.  —  Au  Dr  Labrunie.  —  3o  Janvier  i8/|0  ....  78 

XXI.  —  A  Henri  de  Saint-Georges.  —  25  Février 

1840 85 


34o 


CORRESPONDANCE 


XXII.  —  A  Alphonse  Karr.  —  Mars  i84o" 94 

XXIII.  —  Au  Journal  de  la  librairie. — Juillet  iS^o.  9G 

XXIV.  —  A  Marie  de  l'Epinay.  — 28  Juillet  i84o.  98 
XXV.   —  A  Marie  de  TEpinay.  —  i/j  Août  i84o.  .  99 

XXVI.   —  A  Marie  de  l'Epinay. — 14  Septembre  1840.  99 

XXVII.  —  Au  D''  Labrunie.  —  22  Octobre  i84o. ...  100 

XXVIII.  —  A  Henri  Heine.  —  6  Novembre  i84o...  102 

XXIX.  —  Au  D''  Labrunie.  —  17  Novembre  i84o. .  io3 

XXX.   —  A  Stadler.  —  7  Décembre  i84o 107 

XXXI.  —  A  Hippolyte  Lucas.  —  Décembre  1840..  108 

XXXII.  —  A  Stadler.  —  3  Janvier  i84i 109 

XXXIII.   —  A  Alexandre  Weill.  — 5  Mars  i84i....  110 

xxxiv.   —  A  Jules  Janin.  —  16  Mars  i84i lu 

Novembre  1841  —  Août  1853. 


XXXV.  —  A  Madame  Dumas.  —  9 Novembre  i84i.  ii5 

xxxvi.   —  A  Stadler.  —  Fin  i84i • 117 

XXXVII.   —  Au  D""  Labrunie.  —  25  Décembre  1842  .  117 

xxxviii.    —  Au  D""  Labrunie.  —  iC  Janvier  i843...  120 

XXXIX.  —  Au  D'"  Labrunie.  —  8  Janvier  i843 121 

XL .   —  Au  Dr  Labrunie.  —  Avril  1 843 126 

xLi.   —  Au  D""  Labrunie.  —  2  Mai  i843 128 

xLii.   —  Au  D'  Labrunie.  —  30  Juillet  i843 i33 

xLiii.   —  Au  Dr  Labrunie.  —  19  Août  i843 i3G 

xLiv.   —  Au  Dr  Labrunie.  — 5  Septembre  i843..  141 

XLV.    —  Au  D''  Labrunie.  —  Octobre  i843 i45 

xLvi.  —  Au  D""  Labrunie.  —  Novembre  i843. . .  .  i4G 

xLvii.  —  A  Jules  Janin.  —  i G  Novembre  i843...  147 

XLvni.  —  xV  Stadler.  —  3o  Mai  i845 i49 

xLix .  —  A  Busquet.  —  1 845 1 5o 

L.   —  A  Papion  du  Château.  —  5  Mai  i846. .  .  i5i 

Li.   —  Au  Charivari.  —  3  Décembre  1846 i52 

m.   —  A  Stadler.    —  0  Mars  1847 i53 

LUI.   —  A  Stadler.  —  21  Août  1847. i54 

Liv.  —  A  Hippolyte  Lucas.  —  1848 i54 

Lv.  —  Au  D'  Aussandou.  —  28  Avril  1849....  i55 


TABLE    CURONOLUGtQUE    DES    LETTRES 


34  I 


LVI. 

LVII. 

LVIII. 

LIX. 

LX. 

LXI. 
LXII. 
LXIH. 
LXIV. 
LXV. 
LXVI. 
LXVII. 

Lxvni. 

LXIX  . 

LXX. 

LXX£  , 

LXXIl. 

LXXIII. 

LXXIV. 

LXXV  . 

LXXVI . 

LXXVK. 

LXXVI  II  . 

LXX IX . 

LXXX  . 

LXXXI. 

LXXX  II  . 

LXXXIII  . 

LXXXI  V. 

LXXXV. 

LXXXVI  . 

LXXXVII  , 

LXXXVIII  . 

LXXXIX. 

XC. 

XCI. 


Au  Messas^er  des  théâtres. —  8  Mai  1849.  i5G 

A  Henri  de  St-Georges.  —  19  Mai  1849.  160 

A  Sladler.  —  1849 " iGi 

Au  ministre  de  l'Intérieur.  —  17  Juillet 

1849... • 1O3 

A  —  Septembre  i85o iG4 

Au  Corsaire.  —  Octobre  i85o 164 

A  Arsène  Houssaye.  —  Novembre  i8ôo.  166 

A  Charpentier.  —  1 5  Avril  1 85 1 1 66 

A  Charpentier.  —  Avril  i85i 168 

A  Charpentier,  —  28   Avril  i85i 169 

A  Charpentier.  —  1 85 1 171 

A  Arsène  Houssaye. — 9 Novembre  1 85 1.  171 

A  Perrot.  —  ao  Novembre  i85i 172 

A  Stadler.  —  6  Janvier  1802 178 

A  Stadler.  —  22  Mars  i852 174 

A  Stadler.  —  12  Mai  1802 174 

A  Méry .  —  Mai  1 852 176 

A  Jules  de  Prémaray.  —  1er  Juin  i852.  178 

A  Jules  Janin.  —  3  Juin  i852. 179 

A  Buloz.  —  Août  i852. 180 

A  Stadler.  —  1802 181 

A  Arsène  Houssaye.  —  4  Octobre  i852 . .  i83 

A  Sladler.  —  00  Novembre  i852 i83 

A  Sladler.  —  i852 .  i84 

A  Hippolyte  Lucas.  —  Fin  i852. i85 

A...  —  Fin  i852 i85 

A  Louis  de  Cormenin.  —   i853 187 

A  Didier.  —  i853 187 

A  Madame  de  Solms. —  2  Janvier  1 853.  188 

A  Liszt.  —  Printemps  i853 190 

A  Sladler.  —  2G  .Mai  1 853 191 

A  Stadler.  —  10  Juin  i853 192 

A  Charpentier.  —  Juillet  i853 194 

A  Hippolyte  Lucas.  —  i853 195 

A  Hippolyte  Lucas.  —  i853. 19G 

A  de  Âlars.  —  29  Juillet  i853 197 


342 


COKRESPOiNDANCE 


Août  1853  —  Janvier  1855. 


xcii.  —  Au  Dr  Labrunie.  —  ï''f  Septembre  i853.  201 

xciii.  —  A  Stadier.  —  Septembre  i853 202 

xGiv.   —  A  Stadier.  —  Septembre   i853 202 

xcv.  —  A  Théophile  Gautier. —  Septembre  i853.  2o3 

xcvx.   —  A  Stadier.  —  21    Septembre  i853 2o3 

xcvn.  —  A  Méry.  —  23  Septembre  i853 2o4 

xcviii.  —  A  Stadier.  —  7  Octobre  i853 204 

xGix.   —  Au  Dr  Labrunie.  — 21  Octobre  i853...  2o5 

G.   —  Au  Dr  Labrunie.  —  22  Octobre  i853...  209 

CI.  —  Au  D""  Blanche.  —  27  Novembre  i853..  211 

Gii.  —  A  Dublanc.  —  27  Novembre  i853 212 

GUI .   —  A  Abel .  —  3o  Novembre  1 853 212 

Giv.   —  A  Giraud.  —  3o  Nov  mbre  i853 2i3 

cv.  —  A  Giraud.  —  Décembre  i853 2i5 

cvi .   —  A  Giraud.  —  Décembre  1 853 2 1 5 

Gvii .   —  A  Georges  Bell .  —  Hiver  1 853 216 

Gviii .  —  A  Georges  Bell .  —  Hiver  i853 217 

Gix.   —  A  Stadier.  —  Mars  i854 217 

Gx.   —  A  Stadier.  —  Mars  i854 218 

CXI,   —  A  Stadier.  —  11  Mars  i854 218 

cxii.   —  A  Stadier.  —  20  Mars  i854 2 /g 

Gxiii.   —  A  Stadier.  —  Mars  i854 219 

cxiv.   —  A  Bamps.  —  Mars  i854 220 

cxv.   —  A  de  Mars.  —  1 1  Avril    i854 222 

cxvi.   —  A  Busquet.  —  3o  Mai  i854 222 

cxvii.  —  Au  D'"  Blanche.  —  3i  Mai  i854 224 

cxvin.  —  A  Georges  BelL  —  le^  Juin  i854 225 

Gxix.   —  A  un  ami.  —  Juin  i854 23i 

Gxx.   —  Au  D''   Labrunie.  —  4  Juin  i854 232 

cxxi,   — •  Au  D""  Blanche.  —  Juin  i854 235 

cxxii.   —  Au  D^' Labrunie. —  20  Juin  i854 237 

cxxiii.  —  Au  D'"  Blanche.  —  26  Juin   i854 239 

Gxxiv,  —  A  Georges  Bell.  —  27  Juin  i854 240 

cx.xv.  —  Au  D""  Blanche.  —  3o  Juin  i854 242 


TABLE   CHUONOLOGIQUE   DES   LETTRES  343 

cxxvi.  —  Au  D'  Blanche.  —  Juillet  i854 ^43 

cxxvii.   —  Au  D""  Blanche.  —  Juillet   i854 ^44 

cxxviii.  —  Au  D'"  Lahrunie.  —  i5  Juillet  i854....  2/|5 

cxxix.  —  A  Godcfroy.  — 28  Septemhre  i854....  240 

cxxx     -    Au  D''  Biauche.  —  17  Octobre  i854    ..•  249 

cxxxi .   —  A  Jules  Janin .  —  Fin  i854. 20 1 

cxxxii.   —  A  Alfred  Delvau. —  Janvier  i855v 262 

cxxxiii.   —  A  sa  tante.  —  24  Janvier  i855. 203 

Lettres  sans  date 

cxxxiv.    —  A  Madan.e 254 

cxxxv.  —  A  Forf^ues 206 

cxxxvi ,  —  A 206 

cxxxvii,   —  A  Hippolyle  Lucas 268 

cxxxviii.  —  A  Arsène  Iloussaye 258 

cxxxix.   —   A  Méry 259 

cxL.   —  A  Frederick  Lemaîlre 260 

cxi.i.   —  A  Alexandre  Dumas. 261 

cxLii .   —  A  Alexandre  Dumas 262 

cxi.iii .  —  A  Arsène,  Houssaye 2G3 

Lettues  d'.\.moui\ 265 


ACHEVE  D'IMPRIMER 

le   vingt  novembre  mil  neuf  ccnl    onze 
PAR 

BLAIS  ET  ROY 

A    POITIERS 

pour  le 

MERCVRE 

de 

FR,VNCE 


MERCVRE   DE  FRANCE 

XXVI,     RVE     DE      CONDÉ     PARIS-Vje 

Paraît  le  i^r  et  le  i6  de  chaque  mois,  et  forme  dans  l'année  six  volumes 

Littérature,   Poésie,  Théâtre,   Musique,   Peinture,    Sculpture 

Philosophie,  Histoire,  Sociologie,  Sciences,  Voyages 

Bibliophilie,  Sciences  occultes 

Critique,  Littératures  étrangères,  Revue  de  la  Quinzaine 

La  Revue  de  la  Quinzaine  s'alimente  à  l'étraDger  autant  qu'en  France. 
Elle  offre  un  nombre  considérable  de  documents,  et  constitue  une  sorte  d'  «  en- 
cyclopédie au  jour  le  jour  »  du  mouvement  universel  des  idées.  Elle  se  compo'c 
des  rubriques  suivantes  : 


Epilogues  (actualité)  :  Rerny  de  Gour- 

mont 
Les  Poèmes  :  Pierre  Ouillard. 
Les  Romans  :  Rachilde. 
Littérature  :  Jean  de  Gourmont. 
Littératures  antiques  :  A. -Ferdinand 

Herold. 
Histoire  :  Edmond  Barthélémy. 
Philosophie  :  Georf^es  Palante. 
Psychologie  :  Gaston  Banville. 
Le  Mouvement  scientifique  :  Georges 

Bohn. 
P$(/chiàtrie   et   Sciences   médicales  : 

Docteur  Albert  Prieur. 
Science  sociale  :  Henri  Mazcl. 
Ethnographie,    Folklore   .   A.    Van 

Gennep, 
Archéologie,  Voyages  :  Charles  Merki. 
Questions  juridiques  :  José  Théry. 
Questions   militaires   et  maritimes  : 

Jean  Norel. 
Questions  coloniales  :  Cari  Siger. 
Esotérisme  et  Sciences  psychiques  : 

Jacques  Brieu. 
Les  Revues  :  Charles-Henry  Hirsch. 
Les  Journaux  :  R.  de  Bury. 
Les  Théâtres  :  Maurice  Boissard. 
Musique  :  Jean  Marnold. 
Art  moderne  :  Gustave  Kahn. 
Art  ancien  :  Tristan  Leclcre. 
Musées  et  Collections  :  Auguste  Mar- 
'     guillier. 


Chronique  du  Midi  :  Paul  Sonchon. 

Chronique  de  Bruxelles:  G.  Eekhoud. 

Lettres  allemandes  :  Henri  Albert. 

T^ettres  anglaises  :  Henry-D.  Davray. 

Lettres  italiennes  :  Ricciotto  Canudo. 

Lettres  espagnoles  :  IMarcel  Robin. 

Zei'/res/3o?"/Mi7a/s(fs;PhiléasLebesgue. 

Lettres  américaines  :  Théodore  Stan- 
ton. 

Lettres  hispano-américaines  :  Fran- 
cisco Contreras. 

Lettres  brésiliennes:  Tristao  da  Cunha. 

Lettres  néo- grecques  :  Démétrius 
Astériotis. 

Lettres  roumaines  :  Marcel  Montan- 
don. 

Lettres  russes  :  E.  Séménoft. 

Z<e/<res/Jo/o/ïa/se.s,- Michel  Mutermilch. 

Lettres  néerlandaises  :  H.  Messet. 

Lettres  Scandinaves  :  P. -G.  La  Ches- 
nais,  Fritiof  Palmér. 

Lettres  hongroises  :  Félix  de  Gerando. 

Lettres  tchèques  :  William  Ritter. 

La  France  jugée  à  l'Étranger  :  Lucile 
Dubois. 

Variétés  :  X.. . 

La  Vie  anecdotique  :  Guillaume  Apol- 
linaire. 

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