GERARD DE NERVAL
Correspondance
(i83o-i855)
AVEC UNE INTRODUCTION ET DES NOTES PAR
JULES MARSAN
PAKIS
MERCVRE DE FRANCE
ÏXVI, RVE DB CONnÉ, XXVI
CORRESPOIXDANCE
DE
GÉRARD DE NERVAL
A LA MÊME LIBRAIRIE
LES PLUS BELLES PAGES DE GERARD DE NERVAL, aVCC UDC DO-
tice et ua portrait . , i vol.
GÉRARD DE NERVAL
Correspondance
(i83o-i855)
AVEC UNE INTRODUCTION ET DES NOTES PAR
JULES MARSAN
PARIS
MERCVRE DE FRANCE
sxvi, Rve DE coNnÉ, xxvi
JUSTIFICATION DU TIBAGE
359
Droits fie Irndiiclion et de reproduction réservés pour tous pays.
INTRODUCTION
Le bon Gérard n'a pas trop à se plaindre de la
postérité, souvent injuste. Tous les honneurs pos-
tliumes dont elle dispose, il les a obtenus, ou va
les obtenir : réimpressions,études biographiques ou
littéraires... Bientôt, il aura son buste.
Il est vrai qu'on ne le lit plus guère. De l'œuvre,
si abondante, mais trop dispersée, le petit roman
dcSyloie,kTpeu près seul, a survécu, avec quelques
pièces de vers qui ont leur place marquée dans
toutes les anthologies. Le reste n'intéresse plus
guère que les curieux. Mais, parmi les maîtres
les plus incontestés, quels sont ceux que l'on lit
encore, cinquante ans après ?
Du moins, le souvenir de l'homme ne s'est pas
eftacé. C'est que sa physionomie est d'un charme
singulier, c'est aussi que cette existence a l'attrait
d'un roman, — un roman vrai, — d'une infinie
variété, d'une émotion croissante, jusqu'à la crise
finale qui l'achève brutalenient. Autour de ses pre-
CORRESPONDANCE
mières années, cette bohème de i83o, la jeunesse
la plus folle, la plus exubérante dans son désordre
pittoresque, avec ses enthousiasmes et ses naïvetés,
son insouciance et sa foi. La chronique a raconté
tous ses exploits. Les anecdotes abondent. Il n'y
a qu'à puiser chez Gautier, dans les souvenirs de
Georges Bell ou d'Arsène Houssaye, dans les arti-
cles de Ghampfleury,de Monselet, d'Asselineau, dans
les confessions de Gérard lui-même.
Puis, dès les premières inquiétudes, c'est la série
des voyages, ce besoin d'oublier, au loin, sous des
ciels nouveaux. Et en effet, l'oubli n'est pas long
avenir. Ses tristesses ne résistent pas à quelques
jours de vie errante, en pleine liberté, — à l'aven-
ture : car il a horreur des itinéraires traditionnels ;
il redoute « la ligne droite des chemins de fer » ;
son caprice ne peut se plier aux horaires réguliers
des Laffitte et Gaillard. Il prend plaisir à s'attar-
der, oubliant les heures. Il goûte le charme de ces
voitures archaïques, /a ^^r /me, laChalonnaise,oi\
s'empilent « des couches superposées de voyageurs»,
qui filent à grands cahots le long des routes de
France, dans un nuage de poussière, parmi les
rires et les chansons, d'où l'on sort les membres
rompus, mais l'âme légère.
Les romantiques furent de grands voyageurs :
INTRODUCTION
Gérard est le seul, peut-être, qui voyage sans ar-
rière-pensée littéraire, sans souci de la copie à four-
nir, qui note au jour le jour ses impressions avec
une sincérité absolue, pour lui-même. Et c'est pour-
quoi ces impressions sont charmantes de fraîcheur
et d'imprévu.
« Sensations d'un voyageur enthousiaste »,a-t-il
dit : cette faculté d'enthousiasme ne l'empêche pas
d'y voir clair. Il échappe aux admirations de com-
mande. Il excelle à saisir les ridicules, à marquer
d'un trait vif la physionomie d'une ville : Vienne
« semi-slave, semi-européenne », Munich « la ville
des rapins », où tout est imitation et trompe-l'œil,
faux ors, faux marbres, fausses pierres, faux bois,
— badigeonnée de vert, de jaune, de bleu, de rouge
antique ySy&c ses palais en stuc où s'ébattent grave-
ment des chambellans d'opéra bouffe... Les mœurs,
les pavsages,les aventures de la route : sa curiosité
d'artiste s'amuse de tout. Il va d'étonnement en
étonnement, dans la joie. Dans tous les pays, tour
à tour, on le croirait près de se fixer à jamais. Il faut
le voir au Caire, en costume arabe, la tète rasée, le
machlab sur les épaules, le gilet rouge et la culotte
bleue, seigneur et maître, assez empêtré, de la petite
Zeinab. Quelques mois plus tard, dans les montagnes
du Liban, il est tout entier à l'étude de la religion
CORRESPONDANCE
druse; peu s'en faut qu'il n'épouse la fille du cheik
Seïd Eschérazy. Mais une bonne fièvre l'oblige à
fuir, et le sauve. D'ailleurs une fantaisie nouvelle
a bientôt chassé les fantaisies d'hier.
Même au temps de sa maladie, toutes les fois
qu'il lui sera possible, dans l'intervalle de ses cri-
ses, de fuir Paris, il semblera que se dissipent ses
ang-oisses. La frontière passée, le Gérard de jadis
se retrouve, avec sa gaîté^ son esprit lucide et vif.
Mais, rég-ulièrement aussi, dès le retour, avec les
premiers mois d'automne, le voile de mélancolie
retombe, épais de plus en plus. La raison se débat
contre le rêve obsédant. L'imagination se heurte
aux murailles du réel.
Et c'est la fin de la lutte, cette mort mystérieuse,
poig-nante, si bien en scène. Tous les chroniqueurs
et tous les biographes ont refait le tableau : l'hor-
reur de la petite ruelle suant le vice et la misère,
ces assommoirs et ces bouges qui ont refusé de
s'ouvrir au vagabond, les marches gluantes du
vieil escalier, le corbeau qui croasse dans la neige,
l'égoùt roulant ses immondices, et là, accroché à la
grille sinistre, ce cadavre en habit noir, le chapeau
haut de forme sur la tête... Admirable sujet de
lithographie romantique !
Ne dirait-on pas que toute cette existence a été
INTRODUCTION
arrang-ée par un artiste épris de pittoresque, habile
à varier ses efFets, de la fantaisie souriante à l'hor-
reur tragique? Or, l'homme qui a vécu cette vie est
le plus simple, le plus naïf, le plus ingénu. C'est,
en dehors de ses crises passagères, l'esprit le mieux
équilibré.
On ne le connaît d'ordinaire que par un por-
trait de ses dernières années : le visage empâté,
cerclé d'un collier de barbe drue, et, sous la mous-
tache tombante, le pli douloureux de la lèvre.
Celui-là, c'est le poète qui a souffert, lassé déjà de
la lutte. Lui-même ne se reconnaît pas. « Je trem-
ble de rencontrer aux étalages un certain portrait,
écrit-il à Georges Bell... Dites partout que c'est un
portrait ressemblant, mais posthume (i). » Et il
se rappelle ce qu'il était jadis; il se revoit tel que
le représentait, en i83i,le médaillon de Jean Dusei-
gneur, figure à la fois naïve et décidée, le grand
front poli sous la « fumée d'or » des cheveux
blonds (2), le nez droit et fin, la bouche délicate-
ment tracée, physionomie toute de charme et de
douceur.
Personne, moins que ce jeune homme rougis-
sant, n'était fait pour la vie des cénacles. Il en a
(i) Lettre du i"' juin i854.
(3) Th. Gautier, Portraits et Souvenirs littéraires.
CORRESPONDANCE
toujours ignoré les jalousies, les bassesses, le cabo-
tinage : il n'est pas homme de lettres le moins du
monde : ce qui ne l'empêche pas d'être écrivain.
Tandis que les autres s'amusent à de pénibles
fantaisies, il s'est mis à l'œuvre, modestement.
Ses goûts le portaient vers le xviii^ siècle; sans
souci d'étonner personne, il les a suivis. « Lorsque
chacun cherchait les tournures excentriques et les
couleurs violentes, écrira Théophile Gautier, et se
fût volontiers peint de vert et de rouge comme un
loway partant pour la guerre, des plumes d'aigle
sur la tête, des colliers de griffes d'ours au bas du
col, des scalps, ou plutôt des perruques de classi-
ques à la ceinture, pour avoir l'air plus étrange et
plus formidable, lui se plaisait dans les gammes
tendres, les pâleurs délicates et les gris de perle
chers à l'école française de l'autre siècle... »
Surtout, il est tolérant, — ce qui est merveilleux,
à son âge et à cette époque. Il ne raille guère que
l'Académie : mais cela est traditionnel. Impéria-
liste et libéral, il a le culte de Béranger; on pour-
rait craindre de trouver en lui un second Casimir
Delavigne... Par bonheur, sa traduction de Faust
permet d'espérer mieux; elle l'a classé; il a tous
les droits à être un des chefs de bande qui, à la
première d'Her/iani, luttent pour la liberté.
INTRODUCTION
Le théâtre, d'ailleurs, a toujours été une de ses
grandes passions. Dans ses Portraits et Souvenirs
littéraires, Th. Gautier rappelle le titre de quel-
ques œuvres perdues, de la première jeunesse : un
petit acte en vers. Tartufe chez Molière, une
« diablerie », le Prince des Sots, un grand drame,
ia Dame de Carouge, qui annonce le Charles VII
de Dumas (i) Autant de déceptions. Et
Petrus Borel, dans la préface des Rhapsodies s'in-
digne pour lui : « A toi, bon Gérard : quand donc
les directeurs-gabelous de la littérature laisseront-
ils arriver au comité public tes œuvres, si bien
accueillies de leurs petits comités?... »
Mais Gérard ne se décourage pas. Il ne crie pas
ses colères. Il se console de ses déboires en fai-
sant d'admirables projets qui ne seront jamais
réalisés : d'abord, le drame biblique de la Reine
de Saba; et aussi un drame moderne, d'inspira-
tion philosophique; comme principal personnage,
un médecin allant jusqu'au crime « pour éclaircir
quelques points obscurs de son art » (2) : une assez
belle idée de pièce, en somme, — et qui se retrou-
vera.
( I ) De la mcme époque, les quelques scènes de Nicolas Flamel,
l'atlaptalion de la Coinedia nuena de Moraliu, la petite tragédie de
Lara. (Voy. la lettre à Taylor, été de i83i.)
(a) Théophile Gautier.
CORRESPONDANCE
Il s'adresse tour à tour à tous les directeurs : à
Harel, au baron Taylor, à Anténor Joly, à Marc
Fournier, à Arsène Houssaye. Il aborde tous les
genres. Après le livret de Piquillo, deux drames
en collaboration avec A. Dumas, i' Alchimiste et
Léo Burckart, sans parler de ce Dolbreiise, dont
il ne reste rien (i). Puis, l'opéra comique dts Mon-
ténégrins, le Chariot d'enfant, V Imagier de Har-
lem; entre temps, une farce satirique : Une nuit
blanche et un vaudeville : le Pruneau de Tours (2).
Jusque dans ses derniers mois, à la veille même
de sa mort, une série de projets encore : l'adapta-
tion de Misanthropie et Repentir, celle de Jodelet,
toutes deux pour le Théâtre français, un drame
féerie à tirer de la Main de gloire, et ces pièces
dont le titre seul a survécu : Louis de France et
le Citoyen marquis
Il est injuste, vraiment, de confondre ce tra-
vailleur acharné avec une demi-douzaine de ratés
extravagants. De l'orig-inalité, de la fantaisie, il en
a plus qu'eux tous ; mais ce n'est pas une fantaisie
de rapin, une de ces originalités voulues, forcées, la-
borieuses, qui sonnent faux. Parmi ces agités, il est
(i) Voy, la lettre à Anténor Joly, le 2 mars 1889.
(m) Voy. encore les lettres à Marie de l'Epinay (août 18^0) et à
H. Lucas (i853), les articles de Méry dans V Univers illustré (août
i864), la liste autographe des œuvres complètes {Intermédiaire, i86q).
INTRODUCTION l3
e seul, peut-être, à qui cette gaîté bruyante ne suf-
ise pas. Même au temps de sa jeunesse exubérante,
l a des instants de mélancolie : un besoin de se
eplior sur lui-même et, déjà, de revivre le passé,
^u fond de sa mémoire, les impressions anciennes
estent gravées, inell'açables : le Valois, ses prés
:t ses forêts, les rivières nonchalantes, les étangs
le Ghaalis, les longues routes blanches, à perte de
me ; dans ces paysages harmonieux, les fraîches
dylles enfantines, le cortège des petites amies in-
génues, Célénie qui semblait la nymphe des étangs,
( tentatrice naïve, follement enivrée de l'odeur des
)rés, couronnée d'ache et de nénufar... ». Et Fan-
îhette, et Sylvie, et Adrienne qui lui est apparue
un jour sur la pelouse d'un vieux château, « fleur
de la nuit, éclose à la pâle clarté de la lune, fan-
tôme rose et blanc, glissant sur l'herbe verte à
iemi baignée de blanches vapeurs ». Adrienne,
e grand amour do sa vie! C'est elle qu'il cherchera
ioujours, qu'il croira parfois avoir retrouvée et
ju'il ne se consolera pas d'avoir perdue...
Comment cette âme délicate et profonde serait-
Ile comprise de la médiocre poupée de théâtre
jii'est Jeuny Colon? Comment sentirait-elle le prix
le cette adoration mystique qui n'exige rien des
atisfactions habituelles et qui semble aimer en
l4 CORRESPONDANCE
elle une idole qu'elle ne connaît pas? Flattée un
instant, elle se lasse vite de cette passion respec-
tueuse. Le poète n'est qu'un timide, embarras-
sant et ridicule.
Et ses meilleurs amis, ceux qui devraient savoir,
ne le jug-ent pas beaucoup mieux. Eux aussi, ces
exaltations les font sourire. « Nous l'avions parfois
doucement raillé, avoue Théophile Gautier, sur
ces caprices soudains à l'endroit de femmes aper-
çues de loin et dont il évitait même de se rappro-
cher pour ne pas détruire ses illusions. » Un para-
graphe du Voyage en Orient répond à ces raille-
ries, qui le touchent au cœur : « J'ai entendu des
g^ens g-raves plaisanter sur l'amour que l'on con-
çoit pour des actrices-, pour des reines, pour des
femmes poètes, pour tout ce qui, selon eux, agite
l'imagination plus que le cœur; et pourtant, avec
de si folles amours, on aboutit au délire, à la
mort... Ah! je crois être amoureux? Ah! je crois
être malade, n'est-ce pas? Mais, si je crois l'être,
je le suis... » Gautier, un jour, regrettera d'avoir
souri.
Pour jouer les Don Juan, ce rêveur n'a rien de
ce qu'il faut : ni l'égoïsme, ni l'élégance. « Il n'a
jamais été bien habillé des pieds à la tète, déclare
Arsène Houssaye : si l'habit était neuf, le chapeau
INTRODUCTION 1 5
manquait d'un coup de fer; si le pantalon était
irréprochable, la bottine tirait la langue. Quand il
avait de l'argent, il le dépensait mal, comme son
ami Balzac (i)... » Au milieu des dandys, comme
parmi lesbousingots, il reste un isolé.
Il n'est pas fait pour la vie mondaine, indiffé-
rente et sceptique. Ses goûts, sa curiosité du moins,
lui feraient chercher plutôt la société des humbles.
Partout où il passe, c'est une de ses joies de se
mêler à la foule, de s'absorber en elle, de parta-
ger ses plaisirs. Il aime les fêtes un peu vulgaires
où s'épanouit une grosse gaîté franche. Volontiers,
il s'arrête dans ces guinguettes où semble se sur-
vivre le passé, dans les auberges de village, dans
les brasseries d'Allemagne, comme dans les caba-
rets des halles. Le vieux Paris surtout l'enchante,
ce Paris que le Paris élégant ne connaît plus, ses
ruelles tortueuses entre les vieilles maisons bran-
lantes, les verdures des grands jardins par-dessus
les murs qui croulent, toute cette cohue grouillante
de gens en haillons, les bavardages des commères
sur le pas des portes, les bousculades des enfants
parmi les rires et les pleurs. Plus loin encore, la
mélancolie des banlieues, les prairies lépreuses, les
(:) Le Livre, février i883.
l6 CORRESPONDANCE
chantiers abandonnés, les carrières où l'on côtoie
des vagabonds et des bandits.
Ceci n'est pas une curiosité d'artiste, une affec-
tation. Personne n'a plus de sincérité dans ses
g-oûts ; la littérature n'y est pour rien. Il suffit de
lire la Bohême galante, ce livre exquis où il y a
de tout : du pittoresque et de l'émotion, du sourire
et de l'ang-oisse, de la réalité et du songe, des dis-
sertations littéraires et des paysages pleins de fraî-
cheur, des odelettes travaillées dans le goût du
xvi*^ siècle et des chansons où chante l'ame même
de la race ; cela d'une aisance, d'une pureté, d'une
souplesse, d'une fluidité admirables de style.
Là est le véritable Gérard. On s'est évertué à en
faire un personnage de roman. Sa folie a surexcité
les imaginations qui l'ont voulue tragique, extra-
vagante. Plusieurs années avant la crise, remarque
Champfleury, l'originalité, le mystérieux de cette
existence soulevaient bien des curiosités : « Sa vie
errante, les aventures qu'on racontait de lui dans
Paris l'avaient transformé de son vivant en per-
sonnage légendaire (i). « Ce fut bien pis après sa
mort ; et Champfleury pourrait s'accuser lui-même.
11 a travaillé à cette légende, il a ramassé dans ses
ouvenirs toutes les excentricités du poète ; nous
Champfleury, Grandes figures dîner et d'aujourd'hui, p. 164.
INTRODUCTION I7
les connaissons surtout par lui. Dans un très bon
article de la Revue fantaisiste (i), Asselineau a
expliqué de la façon la plus simple quelques-unes
de ces prétendues folies. Vainement. L'histoire
des Poissons de plomb, celle du Trésor des Tui-
leries, de la Sirène d' Amsterdam n'en sont pas
moins restées articles de foi. Allez demander à des
chroniqueurs de sacrifier une anecdote à effet !
Parmi ces anecdotes, pourtant, il faudrait faire
un choix. Il est certain que si l'on examine grave-
ment jusqu'à ses moindres boutades, si l'on discute
avec un dog^matisme de médecin aliéniste tous ses
paradoxes, toutes ses fantaisies de lang-age et de
conduite (a), si l'on relève comme dépourvues de
sens toutes les allusions dont le sens nous échappe,
il est facile de conclure à la folie. Je me demande
seulement quelle correspondance un peu libre ne
permettrait pas un diagnostic analogue.
A aucun moment, à vrai dire, il n'a semblé que
cette raison fût définitivement perdue. Après cha-
que atteinte du mal, ce sont quelques mois, au moins,
(i) Livraison du i5 septembre 1861.
(3) o Le plaisir de contrarier les Philistins nous poussait à des
bizarreries concertées du i!:oùt le plus douteux... Quelques propos
étranges nous faisaient bien ouvrir de çrands. yeux, mais il les
expliquait d'une faron si inu^énieuse, si savante et si profonde que
notre admiration pour lui en augmentait. » Th. Gautier, Portraits
et Souvenirs, p. 87.
CORRESPONDANCE
de répit, pendant lesquels on croirait à une guérison
complète. La première crise, en i84i, n'a pas été
très grave (i^. Elle lui a laissé seulement le regret
de voir interrompues les belles rêveries de son ima-
gination. Il a retrouvé toute sa vivacité d'esprit,
l'ardeur au travail, l'enthousiasme d'autrefois. Les
dix années qui suivent sont parmi les plus actives
de sa vie ; c'est l'époque des grands voyages qui
lui rendent toute sa confiance en lui-même: « Ce que
c'est que de changer de latitude ! En Allemagne,
nul ne songe à me trouver fou (2) ! »
En France même, on n'y pense guère. Ses amis
se sont faits assez vite à certaines excentricités. Ils
s'habituent à ces crises périodiques qui le laissent
chaque fois plus las, mais à la suite desquelles ses
facultés demeurent à peu près intactes. A plusieurs
(i) Sur cette première crise voy. les lettres de mars i84i. — Parmi
les familiers du poète, Janin est le seul qui semble s'être ému très
vivement; le i*'"' mars il donne aux Débats cet article dont Gérard
gardera toujours un pénible souvenir. Les autres sont préoccupés
surtout de démentir les bruits pessimistes. D'une lettre de Paul Fou-
clier à Marie de l'Epinay, le 12 mars : « Je m'empresse de vous
adresser sur la santé et la raison de notre bon Gérard d'excellentes
nouvelles dont, au reste, la contirmalion vous sera déjà parvenue,
sans doute. Quant au l'euilleton de Janin, je serais d'avis de le lui
cacher , mais qu'est-ce que nos deux silences auprès des dix mille
indiscrétions qu'il peut rencontrera sa première sortie. « (Inédit.)
— Houssaye, dans l'Artiste: « Hassurez-vous !... Gérard de Nerval
n'a perdu ni la vie, ni la raison. .. Une fièvre ardente, une fièvre de
huit jours a seule donné lieu aux fatales nouvelles qui se sont
répandues sur noire spirituel ami... » (2« série, t. VII, p. 164).
(2) Pensées publ. par Houssaye, Presse du 7 septembre i865.
INTRODUCTION I()
reprises, ils l'ont cru terrassé par la maladie, et il
a suffi pour le g^uérir des premiers rayons du soleil.
Au printemps, il revit pour courir les routes, et les
lettres qu'ils reçoivent de lui, d'Allemag-ne, de Bel-
gique ou de Hollande, sont toutes rayonnantes de
jeunesse (i)...
Il est assez difficile de suivre Gérard, dans cette
vie açitée et vagabonde dont l'imprévu déroute
jusqu'à ceux qui le connaissent le mieux. Sa cor-
respondance seule permet de retrouver quelques
étapes : en cela, d'abord, elle est précieuse. Mais
elle n'a pas un intérêt historique seulement. Parmi
toutes les correspondances romantiques qui ont eu
les honneurs de la publication, je n'en connais pas
de plus variée, de plus délicate, de plus sincère.
Sous la limpidité du style, l'âme transparaît, d'une
sensibilité charmante. Jusque dans les dernières
années, c'est quelque chose de frais et d'ingénu.
Personne n'a conservé plus pieusement le trésor
de ses illusions. Il en a vécu, et il en est mort,
aimé de tous, sauf des deux êtres que lui-même a
le plus aimés. Et peut-on dire même qu'il soufl:Ve
de la dureté de l'un, de la vulgarité de l'autre ?
Obstinément, son rêve embellit la réalité. Rien ne
(i) Voy., après les inquif'tudes de janvier i85î, la lettre à Stadler
du 12 mai. De même, la lettre du lo juin i853.
GOaRESPONDANCE
lui fera mépriser l'idole à qui son culte s'est con-
sacré. Rien, de la part de son père, ne le découra-
gera. Les moindres billets qu'il lui adresse sont
exquis d'abandon affectueux; il a avec lui des
câlineries d'enfant ; il ne semble pas s'apercevoir
de sa froideur ; il veut croire à cette tendresse, qui
se refuse.
Il l'a peu connu, cependant. Pendant sa pre-
mière jeunesse, le D"^ Labrunie courait l'Europe, à
la suite de la Grande Armée. Le souvenir le plus
ancien qu'il en ait gardé est du mois de juin i8i4 :
un officiera l'uniforme sali, à la figure sombre qui
le serrait sur sa poitrine, à lui faire mal. Ce retour,
c'a été la fin de ses belles années de vie libre, dans
les prairies du Valois, la fin des idylles enfantines,
de toutes ces joies où rien d'amer ne se mêlait
encore. Son père s'appliquera désormais à meur-
trir ses illusions ; il est venu pour lui apprendre
« ses devoirs ». A tous ses goûts, il oppose un
bon sens étroit et revêche. Il se refuse à le com-
prendre (i). Etre tyrannique, ce serait encore une
façon d'aimer : il est pire : il est indifférent et
(i) Voy. la lettre du 20 juin i854 : « Ne croispas, quand je suis
loin, que je ne sois pas près de toi cependant. J'y serais près
encore, fût ce dans le tombeau. Si je mourais avant toi, j'aurais,
au dernier moment,la pensée que, peut-être, tu ne m'as jamais bien
connu. »
INTRODUCTION
dédaigneux. Même dans les derniers mois, quand
les amis de Gérard ont le cœur serré d'ang^oisse,
lui seul s'obstine à tout ignorer. Vieilli maintenant,
il redoute pour sa propre santé des émotions trop
vives. L'essentiel est que le dénouement attendu ne
lui impose pas un excès de fatigues et de soucis...
En i855, le mal s'est aggravé avec une rapidité
foudroyante. Au printemps, une première crise a
abattu le poète : transport au cerveau, disent les
médecins, et bientôt ils le proclament guéri. Mais,
en août, il n'y a plus d'illusion possible. G^est bien
la folie qui reprend sa victime ; elle ne lui accor-
dera plus que deux mois de répit, en juin et juillet
i854, — l^ temps exactement de revoir l'Allema-
gne, une fois encore. Ce voyage suprême est le der-
nier recours du D"" Blanche. Si souvent, le malade
est revenu guéri de ses courses lointaines !
Mais aujourd'hui, le charme est impuissant. Lui-
même n'a plus la force d'espérer. Parfois, en retrou-
vant des paysages aimés jadis, il a des instants de
gaîté ; il voudrait se persuader que ses forces en-
tières lui sont rendues... Puis, ce sont de nouveaux
accès de tristesse, des angoisses inexpliquées, des
remords sans cause. Un rien suffît à troubler la
joie qu'il se promettait de goûter et l'assombrit. Et
toujours cette terreur constante, cette inquiétude
CORRESPONDANCE
sur ses facultés créatrices, son plus grand sujet
d^ abattement (i)...
A peine rentré à Paris, il fallut encore, le 8 août
i854, l'enfermer à la maison de Passy : il ne devait
plus en sortir que pour aller à la mort. Le D'^ Blan-
che fit tout ce qui était en son pouvoir. Vainement,
il essaya de secouer l'égoïsme du D"" Labrunie en
le prévenant de l'imminence du danger. De toute
son énerg-ie, il résista aux prières et aux menaces
de Gérard, réclamant sa liberté... Il dut céder
devant une intervention officielle de la Société des
gens de lettres.
La Société prenait là une responsabilité bien
grande et la discussion avait été vive au sein du
comité. Ghampfleury déclare qu'il protesta avec
énergie. Mais la supplique de Gérard, transmise
par l'avocat Godefroy, était si pressante. Surtout,
elle était écrite en termes si mesurés, si calmes (2).
La sommation est datée dug octobre. Le D^ Blan-
che s'inclina, et, le 19, commençait cette agonie, —
ces courses éperdues sous la neige d'un hiver par-
ticulièrement rigoureux. Ce que fut la vie de Gérard
durant ces dernières semaines, personne ne pour-
rait le dire ; personne même ne connut son domi-
(i) Lettre du 37 juin.
(2) Voy. la lettre du 28 septembre i854.
INTRODUCTION 23
cile, car il avait donné congé à son hôtel garni
de la rue Neuve-des- Bons -Enfants. A diver-
ses reprises, quelques-uns de ses amis le virent
apparaître, loquace et nerveux, vêtu toujours de
son éternel habit noir, et c'était, pendant quel-
ques instants, un feu roulant de paradoxes, les
éclats d'une gatié forcée, ou des phrases de déses-
poir,brusquement interrompues. Mais ils essayaient
en vain de le retenir, ou de l'interroger, ou de
venir à son aide : il se défendait de leur amitié,
comme d'une curiosité indiscrète.
Chacun d'eux a pieusement noté le souvenir de
la suprême rencontre : Théophile Gautier et Maxime
Du Camp, le 20 janvier, dans les bureaux de la
Reuue de Paris ; le bibliophile Jacob, le 28 ; Geor-
ges Bell et Philibert Audebrand, le 24, au dîner de
Béatrix Person ; Charles Asselineau, le 26... Puis,
au matin du 26, un avis laconique de la police les
priait de passer à la Morgue, pour reconnaître le
corps. Un apprenti, sortant d'un garni voisin, avait
aperçu ce cadavre.
La nouvelle ne mit pas longtemps à se répandre.
La consternation fut générale. Pendant quelques
jours, on ne parla pas d'autre chose. Ou plaignit le
désespéré. On fit le procès delà société indifférente,
on risqua des hypothèses, on disserta sur les causes
24 CORRESPONDANCE
et les circonstances probables de la mort. Ce fait-
divers faisait plus, pour la gloire du poète, qu'une
vie entière de travail. Les artistes, les écrivains, la
foule innombrable des curieux, tout Paris défila
dans la ruelle sinistre ( i).
(i) Sur la mort de Gérard, voy. le Mousquetaire des 3o janvier et
2 février i855. — J'ai dû à l'obligeance de M. Gustave Simon com-
munication d'un document inédit fort intéressant. C'est une lettre
d'Alexandre Dumas à Victor Hugo, la veille même de l'enterrement :
« Mon bien Cher et bien Grand,
Vous savez que notre pauvre Gérard s'est suicidé ou a été assas-
siné.
On l'enterre demain.
Arsène Houssaye s'est chargé de tous les détails du convoi.
Voici ce que je lui ai écrit hier :
« Mon cher Houssaye,
« Si Victor Hugo eût été à Paris, il eût fait à notre cher Gérard
« l'honneur de porter un des coins du Drap.
« Je crois qu'en l'absence de notre grand poète, il est de notre
« ou voir de laisser la place d'Hugo vacante et de n'avoir que trois
« de cinq porteurs.
o Je propose — disposez.
« A vous.
« AL. DUMAS.
Houssaye a répondu :
« Oui,
« à mardi matin.
« ARSÈNE HOUSSAYE. »
Vous voyez, cher, que je ne perds aucune occasion de protester
contre votre absence.
Demain vous serez donc au milieu de nous ;
Quand je pense à vous, je vous aime, je crois, encore plus que je
ne vous admire. Quand je vous lis, je vous admire, je crois, plus
que je ne vous aime — mais croyez-le bien, en tout temps et à toute
heure, je vous aime comme ami et vous admire comme maître.
A vous et aux vôtres,
AL. DUMAS.
Lundi, 29 janvier.
INTRODUCTION
A quelques pas de là, remarque Champfleury, sur
la place du Châlelet, la Renommée du sculpteur Bosio
dressait vers le ciel gris l'ironie de ses palmes d'or.
L'attitude du D"^ Labrunie avait été jugée sévè-
remeut. Il daigna s'en émouvoir, un peu tard. Au
moment de mourir, il confia à A. Houssaye les
lettres de Gérard, « comme pour prouver qu'ils
avaient toujours vécu en vive amitié ». Ces lettres
sont probantes en effet; elles prouvent l'affection
si mal reconnue de ce fils. A. Houssaye en a publié
un assez grand nombre dans la Presse, en 1862 et
1 865, dans l' Artiste, qw 187661 1 877, dans /e Livre,
en i883. Une autre série a été donnée oar M. L.
de Bare à la Nouvelle Revue Internationale, en
1894, 1890 et 1897. Avec les lettres recueillies par
G. Bell {Gérard de Nerval, i855), A. Dumas {le
Pays, i854) et Champfleury {Grandes figures),
c'est là l'essentiel de la correspondance déjà publiée.
Il faut ajouter encore l'importante contribution d'Al-
phonse Karr(/e Livre de bord), d'H. Lucas {Por-
traits et Souvenirs), d'Avvède Barine (Névrosés), de
MM. Adolphe Jullicn (le Romantisme et l'éditeur
Renduel), Maurice Tourneux {l'Age du roman-
tisme et V Intermédiaire de mars 1889J, Jules
Glaretie (/a Prf 55^ 1878, l'Artiste 1879), ^- ^^s-
3
26 CORRESPONDANCE
quet {le Temps, août 1881), Clément Janin (Dédi-
caces et lettres autographes), de M^'^ Julia Cartier
{Un intermédiaire entre la France et V Allemagne).
Enfin des lettres éparses dans diverses publications
ou revues : le Journal de la librairie (juillet i84o),
le Charivari {AécQmhT& 1846), le Corsaire (octo-
bre i85o), l Histoire anecdotique des cafés de
Paris d'A. Delvau, la Correspondance littéraire
(novembre i856), l'Univers illustré (août 1864,
articles de Méry), la Petite Presse (octobre 1866),
l'Amateur d'autographes {mdLYs 1866 et avril 1869),
le Conseiller du bibliophile (1876), la Revue des
documents historiques (1878), le Livre moderne
(1891), V Intermédiaire (juillet igoB), le Temps
(août 1907)... Je ne prétends pas que rien ne
m'ait échappé ; mais j'ai cherché de mon mieux.
Les lettres qui ne portent aucune indication d'o-
rigine (soixante environ) sont inédites et publiées
sur les originaux. Il m'aurait été facile d'en aug-
menter le nombre, en reproduisant une foule de
billets insignifiants qui sont passés sous mes yeux :
rendez-vous, invitations, demandes de places de
théâtre... J'ai conservé seulement ceux qui appor-
taient une date ou quelque précision de fait.
D'ailleurs, même parmi les lettres publiées déjà,
j'ai cru devoir en sacrifier quelques-unes, — qui ne
INTRODUCTION 27
sont pas des lettres véritables. Gérard ayant sou-
vent recours à la forme épistolaire qui convient à
merveille à son génie, il est arrive plusieurs fois
aux chroniqueurs qui ont rassemblé les débris de
sa correspondance de prendre pour des brouillons
de lettres de simples feuillets manuscrits de ses
ouvrag^es. Houssaye donne ainsi comme lettre iné-
dite une page d'Aurélia (i), et L. de Bare, trou-
vant la suite du même fragment, y voit à son tour
un billet écrit « au retour d'une de ces envolées
lointaines dont il était coutumier (2) ».
J'ai écarté tous les morceaux de ce genre. Peut-
être est-ce une solution trop rigoureuse ; il est
bien possible que tel ou tel fragment d'article ait
figuré d'abord dans une lettre véritable... mais il
faut prendre un parti qui soit net. Sans quoi,
l'on en viendrait à faire entrer dans la correspon-
dance une bonne partie de Lorehj et de la Bohème
galante et le Voyage en Orient tout entier.
tJne exception seulement pour les 18 lettres
d'amour. Ce n'est pas que je partage l'opinion de
V. Sardou croyant avoir ici une correspondance
(i) Houssaye, le Livre, i883, p. 94, et Aurélia, p. 106.
(a) L. de Bare, Nouv. Rev. intern., i«'" mai 94. Aure//a,p. 106.
— Voy. encore dans le Livre de Bord d'A. Karr (p. 194) une pré-
tendue lettre qui n'est qu'un fragment de l'article les Amours de
Vienne (Voyage en Orient, I, p. xli) .
28 CORRESPONDANCE
authentique de Gérard et de Jenny Colon (i). Bien
des détails s'appliqueraient assez mal à la comé-
dienne ; et d'ailleurs il suffit de reg'arder le manus-
crit, écrit régulièrement sur de grandes feuilles,
pour reconnaître, non pas une série de lettres dis-
tinctes, mais — sous la forme épistolaire — une
sorte de petit roman, ou, si l'on veut, de journal
intime. Ce journal ne mérite pas moins d'être con-
servé ; c'est toute l'âme du poète que l'on y re-
trouve, son âme naïve et douloureuse.
Il ne me reste plus qu'à remercier les admira-
teurs de Gérard qui ont bien voulu répondre à
mon appel : MM. Maurice Tourneux et Paul Bon-
nefonj dont' on sait l'érudition en ces matières,
M. Couët, qui a fait pour moi des recherches dans
les archives de la Comédie Française ; M. Noël Cha-
ravay, MM. Clément Janin, Léo Lucas, Gustave
Simon, Louis Grobet,qui m'ont ouvert leurs collec-
tions. A M. Edouard Champion je dois une recon-
naissance particulière : ayant renoncé à écrire lui-
même la biographie de Gérard de Nerval, il m'a
communiqué très libéralement, avec plusieurs lettres
inédites, tout un dossier qu'il avait constitué déjà.
JULES MARSAN.
(i) Quelques-unes de ces lettres figurentà la suite d'Aiirelin.Le ma-
nuscrit a été imprimé intégralement par V. Sardou dans la Nouvelle
Revue (i5 octobre 1902), sous le titre : « Lettres à Jenny Colon ».
I
l83o NOVEMBRE l84l
Les premiers ossais]tlramatiqucs, i83i. — Sainte-Pélagie, 1882. —
Voyage en Italie, octobre-novembre i834. — Impasse du Doyenne,
i835. — Voyage en Belgique, été i836. — Piqaillo, octobre
1837. — Voyage en Allemagne, septembre i838. — L' Alchimiste ,
et Léo Burckarl, avril 1839. — Voyage à Vienne, novembre
1839-févricr 1840. — Passage en Allemagne, mars i84o. — Séjour
à Paris, mai-septembre i84o. — Voyage en Belgique, octobre-
décembre 1840. — Première crise, mars-novembre i84t.
I
5 février i83o.
Monsieur,
Je suis bien touché de la peine que vous avez prise
dépasser chez mon grand-père pour me voir(i) et
je vous remercie de l'aimable lettre que vous avez
bien voulu m'écrire. Quant à une autre dont vous
me parlez,je ne l'ai point reçue et j'ai été fort éton-
né quand on m'apprit chez mon grand-père que
vous m'en aviez écrit une, il y a quelques mois,
d'après ce que vous leur en aviez dit : Je me suis
rendu à l'étude où vous l'aviez adressée (2), igno-
rant que je n'y fusse plus et je me suis convaincu
là que ces messieurs, par une négligence dont je
leur sais fort mauvais gré, l'avaient égarée, après
me l'avoir gardéelongtenips, parce qu'ils comptaient
que je viendrais les voir et que je suis resté plu-
sieurs mois sans y aller. Je le regrette d'autant
plus que probablement elle m'aurait donné votre
adresse et procuré par là le plaisir de vous écrire.
J'aurai maintenant le plaisir devons voir, ce qui
Sa CORRESPONDANCE
vaut mieux et si je ne crains pas de vous dérang-er
trop, j'irai vous rendre visite, lundi ou mardi pro-
chain, à huit heures et demie : c'est un peu matin,
mais je crois que c'est l'heure où l'on est le plus
sûr de vous trouver.
Tout à vous,
G. LABRUNIE.
II
AU BARON TAYLOR
[Eté i83i.]
Monsieur,
Je suis auteur de deux pièces reçues à l'Odéon à
l'unanimité (3) : j'ai besoin que l'une d'elles soit
représentée de suite et comme cela ne se peut pas à
l'Odéon, Ligier ayant déjà d'autres rôles et Fré-
déric étant absent, je vous aurais une bien grande
obligation si vous vouliez l'entendre et juger si
elle convient aux Français. Je serais trop reculé s'il
fallait passer par le comité de lecture et c'est une
demi-heure tout au plus que je vous demande.
Cette pièce est intitulée Zara, tragédie en un acte
(600 vers), elle peut se jouer sans la moindre
dépense, avec 4 acteurs, et jetterait sans doute une
variété singulière dans le répertoire actuel du
Théâtre Français, étant d'un genre tout nouveau et
l830 — ' NOVEMBRE i84i 33
cependant écrite de manière à ne choquer aucun
parti littéraire.
Je comptais employer, pour obtenir de vous la
faveur que je vous demande, monsieur Hugo (4)
ou Dumas, qui sont mes amis et je pense aussi les
vôtres; mais tous deux sont absents de Paris et
ne voyant pas d'autre moyen de me faire connaître
à vous, je joins à ce billet des lettres qu'ils m'ont
écrites en différents temps, pensant que cela suffira
pourvouspersuaderqueces messieurs nem'auraient
pas refusé une démarche auprès de vous. J'aurai
l'honneur d'aller demain matin connaître votre
réponse ; vous vous êtes montré si souvent bien-
veillant envers des jeunes gens débutant dans des
voies nouvelles que je ne doute point que vous ne
fassiez aussi quelque chose en ma faveur, si vous
pouvez.
Votre dévoué serviteur,
GÉRARD.
m
Février i832.
Mon cher ami,
Je vous ai écrit de la Préfecture, mais je ne sais
m. — Fac-similé publ. par M. Tourncux. : l'Age du Romantisme.
Gérard de Nerval.
34 COnaESPONDANCE
si vous aurez reçu ma lettre, car on ne les envoie
pas toutes (5.). C'est donc, si vous ne l'avez pas,
reçue, que je vous prie de me rendre le service que
j'avais refusé il y a quelques jours et d'aller chez
Levvavasseur, libraire au palais royal, ou Heideloff,
rue Vivienne, n° 8 ou i6, m'acheter un almanach
allemand intitulé Cornélia, dont j'ai le plus pres-
sant besoin et qui coûte environ dix francs, puis de
me l'envoyer à Sainte-Pélag-ie par votre jeune hom-
me. Si vous voulez me voir, demandez un laisser-
passer à la préfecture. Je ne doute pas que vous ne
vous hâtiez d'oblig'er un ami prisonnier et je vous
en aurai une bien grande reconnaissance.
Votre dévoué,
GÉRARD LABRUNIE.
IV
A PAPION DU CHATEAU (6)
[i832.]
... Je fais des visites pour le choléra (7) comme
font maintenant tous les étudiants, les médecins
étant insuffisants de beaucoup pour le nombre des
malades. Je vous assure quec'estune chose cruelle...
Je ne crois pas que M M. Dumas et Hugo vous écrivent
IV. — Fragment public dans le catalogue Noilly, n. 978.
l830 NOVEMBRE I 84 I 35
pour ce que vous leur avez envoyé (8). Ils ne son!
pas grands écriveurs de leur nature, et c'est ce qui
fait qu'on attache plus de prix à une seule lettre
qu'on possède d'eux. Leur haute position les met
au-dessus de ce qui serait une impolitesse pour
d'autres ; mais vous sentez que, recevant tous les
joursdes paquets énormes d'opuscules de par toute
la France et aussi, surtout, de l'étranger, il fau-
drait qu'ils consacrassent tout leur temps à écrire
des lettres, et cela serait dommage pour tout le
monde...
V
AU D"" LABUUME
Aix, octobre i834-
Mon cher papa,
...J'ai vu Avignon, j'ai vu Vaucluse. Tout cela
est admirable. Combien j'aurais dû regretter de
mourir sans avoir vu ces beaux pays. Je prends
toutes sortes de moyens pour rendre le voyage le
moins coûteux possible, par les bateaux, les pataches
ou à pied. C'est plus long, mais la campagne est
pleine d'attraits. A Avignon, il y a des églises char-
V. — Piibl. par L. de Bare, Nouvelle Revue internationale,
i"" mai 1894.
36 CORRESPONDANCE
mantes, toutes peintes à l'intérieur. J'ai suivi les
bords de la Durance. C'est plein d'îles. C'est très
beau. Il y a un pont d'au moins une demi-lieue. A
Aix, je vois le châleau du roi René. Les champs
sont pleins d'oliviers et de mûriers. Les figues sont
délicieuses. Ici, on boit du vm du midi et l'on
mange de la cuisine à l'huile. Adieu, papa, porte-
toi bien. Je t'embrasse. Moi, je vais voir lamer(9).
VI
A JEAN DU SEIGNEUR (lo)
4 novembre ^1834.
Mon cher Du Seigneur,
... Hé bien, me voilà dans une belle position:
je n'ai pas d'argent à Naples et pas d'argent à Mar-
seille. Je n'y comprends rien. Tu n'as donc pas reçu
mes deux lettres, l'une d'Aix(ii), l'autre de Nice,
il y a cinq semaines ? ou il y a donc eu quelque
incident que je ne sais pas ? Tu es malade ou mort,
ou tu étais à la campagne. C'est ce qui me paraît
le plus probable... Voilà ce que je demandais (12).
Art. 5. — Si tout cela manque.., si Paris est
VI. — Publ. par M. Maurice du Seigneur dans h Conseiller da
Bibliophile, 1876.
l83o NOVEMBRE l84l Sj
enterré par un tremblement de terre, ou la Bourse
l'outiroyL'o, ou M. Mignotte suicidé, et toi Jean du
Seigneur abymé connue Don Juan par ses pro-
pres statues ! S'il n'y a plus d'argent au monde,
plus de notaires, d'agents de change, de banquiers
(ce (jue je désire, sans l'espérer), il faudrait tou-
jours nie prévenir et m'expliquer le tout dans une
lettre ajjranchie, adressée à Marseille, et dans une
autre non affranchie adressée à Ag-en (i3); fais
attention qu'il yae/, et non pas ou; c'est pour pré-
voir tous les cas possibles.
Art. 6. — Ne pas perdre une minute, car je n'ai
que 5 sols, quoicpie je ne sois pas le Juif Errant,
quoique je sois errant. Je suis, il est vrai, à l'hô-
tel à crédit, mais à la longue le crédit peut s'in-
quiéter.
Je t'embrasse, mon bon Jehan, et te remercie
pour tous les dérangements que je t'occasionne et
compte sur moi entièrement.
Bonjour à tout le monde, et à bientôt,
GÉRARD LABRUNIE.
Suscription : A monsieur Du Seigneur, statuaire
Rue de l'Odéon, n"^ 20, 21,22, 23,
24 ou 2.1 à Paris.
S' il est à la campagne ou n'y est plus :
A monsieur Rogier, peintre,
Rue des Beaux- Arts, /i" .7.
38 GORRKSPONDANCE
On à monsieur Gautier {Théophile),
à la barrière de Passy,
dans le bâtiment de la barrière.
Ou à Monsieur Darq, Rue Hyacintlie
Si-Michel, n'' 22.
VII
A E. RENDUEL (l4)
Marseille, 0 novembre i8o4.
Mon bon monsieur Renduel,
Voulez-vous me rendre un petit service ? Ce se-
rait défaire demander chez MM. HeideloffetCampé,
rue Vivienne, un livre allemand intitulé Z)/e Tochter
der Luft, je crois, drame de Raupach (i5). Ils con-
naîtront bien cela chez M. Campé, quand même le
litre ne serait pas exact. S'ils ne l'ont pas à Paris,
mais ils l'auront, vous les feriez prier de le faire
venir d'Allemagne et de me le garder à Paris, où je
serai bientôt ; s'ils l'ont, vous auriez la bonté de
me le faire envoyer sans perdre une minuie par la
poste chez M. Noubel, libraire à Agen (départe-
ment de Lot-et-Garonne), pour M. Gérard Labru-
nie. Comme il faudra payer la poste et le libraire,
VII. — PuLl. jiar M, Adolphe Jullica : le Romantisme cl l'éditeur
Rendael.
l83o — NOVEMBRE l84l 3f)
et que jfi ne jniisle faire d'ici, je vous prie de v<ju-
loir l)ien vous eu charger (mais quaut au livre, je
crois que vous j)ouvez le j)rendre à crédit comme
libraire). La poste peut coûter un iianc et le livre
quatre francs, ou un peu plus ou un peu moins. Ce
fesant, vous me seriez bien at^rëable et bien utile,
et je vous serais bien reconnaissant. S'il est impos-
sible (juc le livre me parvienne cinq à six jours
après l'arrivée de la présente lettre chez vous, il
vaut mieux me le garder; et si M. Ileideloff n'a
pas le livre, vous voudriez bien, dans tous les cas,
le prier de le faire venir.
Maintenant, je vous prie de recevoir les saluta-
tions d'un heureux voyageur ([ui rentre à l'instant
dans sa patrie avec autant de plaisir (ju'il en avait
eu en la quittant. La librairie belî^e infecte toute
ritalie d'une manière déplorable, mais vous le sa-
vez comme moi(i6). C'est incroyable qu'il se vende
autant de livres français en Italie sans que vous y
soyez pour rien. Des libraires de Gênes et de Li«
vourne m'assuraient qu'il se vendait plus de livres
français modernes en Italie qu'en France. C'est
à Rome et à Naples qu'il s'en vend le moins. Mais
c'est à Livourne qu'est la plus forte librairie (Mar-
villy); ils impriment même dans la ville, notam-
ment Barnave (17), en un volume, dont il y a déjà
deux autres éditions en JJelyique.
Il me semble que, cela étant ainsi, vous pour-
40 GORnESPONDANCE
riez bien çag"iier à publier des éditions à bas prix
en Belgique : vous les gagneriez toujours de vi-
tesse en imprimant là en même temps qu'à Paris.
Gela est si vrai qu'à Florence les libraires atten-
daient encore avec impatience Volupté, qui leur
était demandé partout et qui n'était pas encore
arrivé de Bruxelles quand j'y ai passé vers le lo oc-
tobre. Ils avaient également le Spectacle dans un
fauteuil, mais pas encore la prose. C'est ce retard
seul qui fait que les cabinets de lecture vous achè-
tent vos éditions de France ; mais s'ils ont besoin
d'un re-exemplaire, ils attendent Bruxelles. Mais
en Italie on achète plutôt les livres (pourvu qu'ils
ne soient pas chers) qu'on ne les prend au cabinet;
c'est le contraire de Paris ; c'est ce qui fait, je pense,
que le débit doit être beaucoup plus grand qu'à
Paris et que vous auriez un grand avantage à en-
trer en concurrence avec Bruxelles. Ce que je vous
dis pour l'Italie doit être encore bien plus vrai
pour la Belgique. Il est vrai de dire que leurs édi-
tions sont à présent très soignées, mais je crois
que le nom d'un libraire français présenterait plus
de garanties d'exactitude au lecteur étranger. Pour
moi, je ne rapporte dans mes poches aucune de ces
jolies éditions à bon marché de Bruxelles, et crois
par conséquent avoir droit à votre estime. Je suis
à Marseille, où l'on vend et lit beaucoup de livres.
Notamment les Paroles cVun croijant (édition de
l83o NOVEMBRE I 84 I 4'
Bruxelles) dans les marchés, le port elles rues, sur
papier gris, mais seulement chez les libraires am-
bulants ou étalant le lonç;- des murs. Du reste, pas
(l'autre livre ({ue celui-là, et j'en suis étonné, ru la
facilité qu'il y a à passer ce qu'on veut à la douane
de la mer.
Adieu, je compte sur vous et suis tout à vous.
GÉRARD LABRUNIE.
Faites-moi donc le plaisir encore de mettre cette
feuille sous enveloppe quand vous l'aurez lue et de
l'envoyer à Duseigneur, ou à Théophile, ou à Nan-
teuil : elle est pour eux et les autres. C'est que les
ports de lettre sont chers d'un bout de la France,
où je suis positivement, à l'autre presque, où vous
êtes.
[AJ. Duseii^neurjTh. Gautier ouC. Nanleuil.]
Vous croyez, parce que je suis sans argent à
Marseille (mais cela n'est plus vrai depuis quelques
heures), que j'y vis médiocrement : vous vous
trompez. Je suis à l'hôtel, où je dîne splendide-
ment à crédit et me refais de mes voyages. C'est
que, dans tout hôtel moins beau que l'hôtel des
Princes, on éprouverait quelque inquiétude à me
voirsans malle et presque sans bag-age. J'ai fait en
sorte de me souvenir de Robert Macaire. J'avais,
en débarquant, cinq sols. J'en ai donné deux pour
4a
CORRESPONDANCE
me faire cirer. Je suis allé jusqu'au coin de la rue,
où est l'hôtel des Princes ; j'ai trouvé deux gamins
et je leur ai promis trois sols pour porter mes effets;
l'un a pris mon sac, où il y avait principalement
un grand pain qui me restait de Naples ; l'autre a
pris la petite valise en cuir que d'Arc (18) m'a don-
née, où il y avait deux citrons, des pommes et des
poires, le reste de mes provisions ; et tout bien
agrafé, je suis entré sous le vestibule entre mes
deux acolytes : j'avais heureusement retrouvé une
vieille paire de gants jaunes.
Vous ne croirez pas à ces beaux apprêts, mais
cela m'est égal. Le maître de l'hôtel m'a donné une
belle chambre : j'aurais craint de porter atteinte à
la considération nécessaire en demandant quelque
chose de très inférieur ; du reste, tout ce luxe n'est
pas fort coûteux à Marseille, où tout est bon mar-
ché. Heureusement il y a la bibliothèque publique :
voilà pour ma journée. Je n'ose guère marcher,
parce que mes bottes se fendent. J'ai fait tous ces
jours-ci le roman intime que nous savons : je sais
que cela est usé, mais je vous jure que mes bottes
le sont encore plus, et il faut cela pour que j'en
parle. Mais j'ai toujours bien dhié : figurez-vous
que je ne mangeais que du macaroni et des fruits
depuis quinze jours, plus cinq jours de tempête,
où je n'ai pas eu le mal de mer. Je décous ma
lettre à dessein pour que Renduel ne se fig-ure pas
i83o — KOVEMURE iH/|i /|3
que je vais publier mes impressions tle voyage et
(jue c'en est une.
A table, il y avait une jolie dame avec un vieux
militaire, qui avait un çrain de folie et qu'elle con-
duisait à Nice pour l'hiver. Un homme très bien,
son mari ! Au milieu du dîner il lui prend une fan-
taisie de demander du champag^ne : c'est une folie
très douce. La dame se récrie que les médecins
l'ont défendu : il en demande deux bouteilles. On
n'ose pas refuser, car, disait la dame, il aurait tout
brisé; mais, pour qu'il en bût le moins possible,
elle a fait demander des verres pour tout le monde
et elle nous en versait tant qu'elle pouvait pour
qu'il en restât moins à son mari. C'était adroit. Le
lendemain nous venons à parler du Lacrima Cristi
mousseux et du vin d'Orvieto qui pique : voilà
le monsieur qui redemande du Champagne. Si cela
pouvait devenir son idée fixe ! Mais nous étions
très peu de monde, parce que tout le monde du
bateau à vapeur était parti. Il y avait des dames qui
n'en voulaient qu'une goutte, des gens âgés crai-
jj^nant de s'échaulfer ; de sorte que la dame, qui, je
crois, m'a soupçonné d'avoir trop appuyé sur les
vins mousseux d'Italie (mais elle a tort), la dame
m'en versait tant qu'elle pouvait. C'est très féminin,
cette manière de reproche. C'est bien. Voici le mal :
le monsieur se vexait, il est sorti de table. C'est
naturel. Le fou n'aurait pas voulu qu'on partageât
44 CORRESPONDANCE
sa sensation ; riiomme, que l'on but son vin ; le
mari, que sa femme prît tant de soin d'un jeune
homme. Oui, d'un jeune homme. Je n'ai pas l'air
d'un Antony,je le sais, mais aux yeux d'un mari et
d'un fou je puis paraître encore redoutable.
Vous me direz que ceci n'est pas drôle, mais
quand on fait quelque cent lieues pour le rencon-
trer, on mérite considération. Et puis, que voulez-
vous que je vous dise, ici où, n'ayant ni argent, ni
le moindre divertissement, toutes mes idées conver-
gent vers ce point lumineux : la table d'hôte à cinq
heures et demie? Maintenant j'ai de l'argent, mais
il fait un temps abominable, suite des tempêtes que
nous avons essuyées sur mer. Est-ce étonnant que
je n'aie pas eu le mal de mer, quand on ne pouvait
pas se tenir debout sur le pont ! Je vous conterais
bien ma traversée comme je l'ai contée à mon père,
mais vous n'y croiriez pas. J'aime mieux vous la
dire de vive voix [)arce qu'alors je vous ferai des
serments tellement affreux que vous direz : C'est
possible. Je n'ose pas davantage vous parler de
mon séjour à Naples. Voyez quel malheur ! Je
me balance misérablement entre le roman nauti-
que (19) et la couleur locale. Je vais dîner à la table
d'hôte. Tâchez donc d'arranger tout cela pour que
mou voyage ne me fasse pas de tort : je vous pro-
melii que je suis devenu très naïf.
Je lis Jacques, j'en suis à la moitié du premier
l830 NOVEMBRE 1 8/} I l{^
(volume) : je trouve jusqu'ici (jue c'est de l'ana-
lyse un peu terre à terre. Cela ne sort guère du
niveau de M"" Cottin et de M™* de Souza (20) ; ce
ne sont pas là encore les belles pages de Lélia,
mais il faut espérer que cela viendra. D'après les
articles de journaux, le plan paraît très riche et
très beau. C'est l'idée du Peintre de Salzboiirg,
(le Charles Nodier : je suis étonné que les journa-
listes ne l'aient pas remarqué. Cela importerait
beaucoup pour leur critique, cela importe peu pour
la mienne, mais je n'aime pasbeaucoup qu'un roman
soit un syllogisme. Cela paraît combiné presque
comme le roman de Goethe, les Affinités électi-
ves, dont lui-même donnait l'analyse soit en ter-
mes d'algèbre, soit en termes de chimie. Les qua-
tre personnages de Jacques sont bien posés,
comme ceux des Affinités ; on peut même les repré-
senter par a, b, c, etc.; seulement, je crois que
dans Gielhe, le quatrième est jc, l'inconnu.
Je pars pour Nîmes. Je vais faire une partie du
chemin sur le bateau à vapeur, sur un canal qu'on
vient d'ouvrir par là. On m'a dit que j'y verrais la
Locuste de M. Sigalon. Je compte trouver là
quel([ue dédommagement d'avoir très peu vu le
Jugement dernier de Michel-Ange à la Chapelle
Sixtine, qui est offusqué par les échafaudages du
même M. Sigalon. Au musée de Naples,j'en ai vu
une belle copie, mais extrêmement diminuée. Oh !
4.
46 COKRESPONDANCE
la belle Judith de Caravage que j'ai vue au musée
de Naples! Naples, quand je pense que la cendre
chaude du Vésuve n'a pas peu contribué à la démo-
ralisation de mes bottes ! Cela avait desséché le
cuir, qui s'est fendu. Mais n'en parlons plus, puis-
que j'ai maintenant de l'argent et des bottes. Je
voudrais que ce fussent des bottes de 207 lieues
pour être à Paris dans l'instant.
Les journaux de Marseille nous annoncent l'ar-
rivée d'Alexandre Dumas. Je ne puis pas l'atten-
dre. Ah ! que Nanteuil pense donc aux deux der-
niers volumes et à Ashéuérus. J'ai vu ses vignettes
à Florence et à Naples, et ])artout. Il y avait aussi
de plus M. Nanteuil à Rome (Charles) qui faisait
des caricatures dans le Café Grec (21). L'Italie est
bien belle, mais elle n'a pas de beurre : voilà pour-
quoi je vous conseille d'aller manger du macaroni
à la ville de Naples, et des stoffato, et des cro-
quettes, etc., attendu que sa viande de boucherie
n'a pas le moindre goût. J'ai vu à Civita-Vecchia
cette fameuse troupe de bandits qu'on a prise à
Terracine : ce sont des malheureux en pantalons,
vestes de velours et chapeaux tromblons. Mainte-
nant, si je vous parais désillusionné touchant la
cantine et les brigands, je vous dirai que sur tout
le reste je suis incandescent. Ainsi prenez-y garde !
A bientôt, à plus tôt que vous ne croyez.
Ecrivez-moi donc, mais de suite, à Agen, poste
l83o NOVEMBHK iS'jI 4?
restante. Je dis : poste restante, parce que si la
lettre arrive trop tard, les personnes chez qui je
vais ne me la renveiroiit pas à Paris. Parlez-moi
de 1(1 Famille Moronval — est-ce beau? — et de
tout ce qui peut m'intcresser dans certains théâtres,
et touchant vous-mêmes.
Adieu.
Ah ! je j)rie quelqu'un de vous d'aller chez
M. INIii^iiotte, notaire, au coin des rues Goquillière
et Jean-.lacques-Rousseau, de lui dire que j'ai reçu
sa lettre à Marseille et le remercie, et que s'il avait
quelque chose de pressé à me faire savoir, il me
l'écrive c\ Agen, département de Lot-et-Garonne,
où du reste je resterai peu. Poste restante. N'ou-
bliez pas.
[a RENDUELj
INIoncher monsieur Renduel,
Je vous envoie cette lettre directement, parce
que j'ai là sur mes livres votre adresse exacte. Du
reste, il paraît que j'ai oui)lic les adresses de tous
mes amis, car j'ai écrit des lettres, et aucune ne
paraît être parvenue. J'avais laissé à Duseigneur
des inscriptions de rente, parce qu'il est le seul de
nous autres qui ait un secrétaire fermant bien et
ne redoute pas la saisie et qu'il est soigneux. Je l'ai
prié d'Aixet de Nice de les vendre et de m'envoyer
48 CORRESPONDANCE
l'argent à Naples : je ne me rappelais plus son
numéro dans la rue de l'Odéon. De sorte qu'à
Naples je n'ai rien reçu. J'ai vécu en lazzarone pen-
dant dix jours. S'il ne les a pas vendues pourtant,
c'est très heureux, car ces rentes ont haussé de-
puis : s'il les a vendues et a reçu l'argent trop tard
pour me l'envoyer, priez-le donc, si vous le voyez,
de ne pas me l'adresser à Agen, comme je lui ai
écrit il y a deux jours (22), mais de me le garder :
j'en ai reçu d'autre part. Veuillez envoyer cette
lettre à lui d'abord, si vous savez son numéro : c'est
depuis 20 jusqu'à 3o, je crois, rue de TOdéon. Par-
donnez-moi votre peine et mon griffonnage, — et
adieu.
GÉRARD LABRUNIE.
Si vous voyez Pétrus et Théophile, dites-leur
qu'on les lit dans tous les cabinets de lecture
d'Italie.
VIII
A PAPION DU CHATEAU
[i834.]
Mon cher Du Château,
Si l'on ne me connaissait pas pour l'homme le
l83o NOVEMBRE iS/jI 49
plus distrait et le plus étourdi du monde, je serais
souvent inexcusable ; mais ces défauts ne me des-
servent que vis-à-vis des étrangers, car mes amis
y sont faits et résignés depuis longtemps. Quand j'ai
reçu votre lettre de faire part (et je l'ai reçue très
tard, ainsi que votre dernière, car je ne demeure
plus chez mon père), j'ai tout de suite écrit deux
lettres : l'une à Duj)onchel, où je lui faisais part de
votre mariage (23), l'autre avons, où je vous expri-
mais toute ma satisfaction de cette bonne nouvelle
et tous mes remcrcîments d'avoir bien voulu me
l'apprendre. L'une est partie par la poste, l'autre
aurait eu le même sort si je n'avais pas eu à la
remettre à une tierce personne pour vous la faire
parvenir. Alors je l'ai mise dans ma poche où elle
est restée; et il ne m'est pas venu à l'esprit, depuis,
qu'elle ne fût pas partie. Du reste, vous savez mon
antipathie pour l'action d'écrire ; j'aime à voir et
embrasser mes amis et leur écrire est une compen-
sation qui m'attriste sans me satisfaire. Ce sera
donc une heureuse visite que je vous rendrai de-
main matin et un moment bien désiré qui me per-
mettra de vous offrir de vive voix mes félicitations
bien ardentes et de présenter mes respectueux
hommages à M^e la Baronne Papion du Château,
.le ne connaissais pas votre adresse actuelle et
je suis allé à votre ancien domicile, où il y avait une
nouvelle portière qui n'a pu me la donner; alors je
5o CORRESPONDANCE
suis allé chez M. Béiiard et je l'ai apprise enfin.
Votre bien dévoué,
GÉRARD LABRUNIE.
IX
AU D"" LABRUNIE (24)
27 septembre i836.
Mon cher papa,
Depuis que je t'ai écrit, comptant te revoir le
surlendemain, je suis retombé malade à Presles ;
on m'a mis les sangsues, j'ai maigri ; enfin cela va
bien maintenant.
Je viens d'arriver à Passy, chez M. Gautier (26),
avec Théophile, qui m'a ramené. Je suis encore un
peu faible et n'entrerai à Paris que dans deux
jours. Nous dînons, couchons et travaillons ici et
nous sommes bien pressés de la besogne que ma
maladie a retardée. Je me souviendrai des fièvres
de la Belgique.
Dans le cas où tu aurais à m'écrire quelque chose
de très pressé, écris-moi demain, chez M. Gautier,
receveur de Passy. Mais je serai là-bas avant.
ïu sauras que j'arrive pour les répétitions de
l'opéra comique en quatre actes que j'ai fait avec
Dumas et que tu as vu annoncer dans tous les jour-
IX. — Publ, dans le Temps, 20 août 1907.
l83o NOVEMBRK 1 8/} I 5l
naux (2G). La musique est de Monpou et nous
avons 5.000 francs à toucher, Dumas et moi, le
jour de la représentation', pour la partition qui est
déjà vendue. C'est donc là la grande affaire qui
décide tout à fait mon avenir.
Nous avons ensuite une grande pièce auThéâtre-
l'Vançais pour le mois de novembre. C'est le tra-
vail de tout notre été (27) ; mais les vers de l'opéra
comique nous ont fait piocher rudement. Le livre
de... est aussi très avancé, mais c'est lui qui a le
plus soullei't de ma maladie, car j'ai fait les vers
d'opéra facilement dans mon lit.
Nous sommes joués par M""^ Damoreau, comme
tu l'auras vu. Les droits d'auteurs seront de i5o
francs par jour pour nous deux, outre les 5. 000
francs de la partition, qui sont le tiers de ce qui
revient au musicien. Tout cela existe avec des trai-
tés signés et des dédits des directeurs, de sorte que
nous avons toute certitude, cette fois. Dumas a
déjà emprunté sur les droits d'auteur futurs. Mon-
pou est dans une joie délirante et vient ici pour
m'enimoner à sa campagne, mais je veux aller à
Paris avant.
Adieu, mon cher papa, nous avons un l)el hiver
devant nous. C'est une compensation du sort en-
vieux que ma maladie. Mais c'est fini.
Ton fils dévoué,
Ce 27. GÉRARD LAURUNIE.
52 OORRESPONDANCE
X
A ELWART (28)
[24 mars i838.]
Mon pauvre ami,
Je viens faire appel à votre oblig-eance. J'ai, pour
demain, deux feuilletons à faire. Celui de la Charte
et celui de la Presse (29). Tâchez donc de me faire
trois ou quatre colonnes de musique pour la Presse.
Sur vous, sur la musique de la pièce de Top. comi-
que (3o) et ensuite sur tout ce que vous voudrez,
Ginevra (3i), les concerts. Il importe énormément
que je fasse ce feuilleton, demain, à la Presse, afin
de ne pas laisser prescrire nos droits sur l'opéra
comique qui nous seront précieux quelque jour à
l'un et à l'autre. Rendez-moi ce service, n'est-c^
pas ? J'irai demain dimanche, chez vous, sur les
trois heures et demie, chercher ce que vous aurez
fait. C'est un service que je vous demande, enten-
dez-vous ? Adieu.
GÉRARD.
Ne traitez pas trop mal Leborne, mais soyez
juste.
Suscription : Monsieur, Monsieur Elwart
Rue Taitbout, n° 3o .
X. — Date de la poste.
l830 NOVEMBRB 1 84 I b3
XI
A ALEXANDRE DUMAS (Sa)
Septembre i838.
J'ai, en effet, mon cher Dumas, reçu douze cents
livres de l'ancien préfet des Landes, plus connu sous
le nom de Harel (33).
Ces douze cents livres sont lég"èrement écornées
par voire faute, ayant tardé de deux jours à me
dire où je devais vous rejoindre.
Depuis deux jours, il passe bien de l'eau sous les
ponts et bien des pièces d'or par les mailles d'une
bourse.
N'importe, je pars, ma lettre reçue, attendez-moi
donc d'un jour à l'autre.
Votre ami,
GÉRARD DE NERVAL.
XII
A ALEXANOni: DUMAS
Badcn, septembre i838.
Mon cher Dumas,
Une foule de circonstances plus impérieuses les
XI. — Pulil. par A. Dumas, le Pays, 7 juillet i854.
xii. •=- Publ. par Dumas, le Pays, 7 juillet i854.
54 C0HRE8P0NDANCE
unes que les autres me retiennent à Baden-Baden ;
la dernière de toutes, mais celle que je mets en
première lii^iie, pour ne pas vous fatiguer du
récit des autres, c'est que je n'ai plus d'arçent.
Envoyez-moi donc ce que vous pourrez poste
restante, à Strasbourg-, et adressez-moi votre let-
tre d'avis en double.
L'une à V Hôtel du Corbeau à Strasbourg-.
L'autre à V Hôtel du Soleil à Baden.
Le jour même où je recevrai votre réponse, je
partirai pour Francfort.
Tout à vous,
GÉRARD DE NERVAL.
XIII
AU D'' LABRUNIE
Francfort, i8 septembre i838.
Mon cher papa.
Je l'écris de Francfort-sur-Mein, où je suis de-
puis deux jours,. J'ai quitté Baden pour Manheim
où je suis resté un peu ; puis j'ai pris les bateaux
du Rhin jusqu'à Mayence, et les voitures de là
pour Francfort. A Francfort, je viens de rejoindre
Dumas qui y est établi depuis plusieurs jours. Nous
XIII. — Publ. par A. Houssaye, la Presse, 24 septembre i865.
l83o — NOVKMBRE I S '| f 55
sommes dans une petite maison qu'il a louée jus-
qu'à la fin du mois, et entourés de l'attention et des
amitiés de toute la ville. On nous donne des fètos,
des soupers, des promenades, de telle sorte qu'il
est impossible de rc[»ondre au (juart des invitations
et que nous ne pouvons ^uè^e travailler que la
nuit (34). Les MM. Rothschild, M***, le représen-
tant politique de la Russie, et plusieurs consuls,
ainsi que le directeur du théâtre et quelques per-
sonnes de la ville forment notre principale société.
Avant-hier soir, nous avons eu soirée et souper
chez l'envoyé de Russie. Hier, M. Gh. Durand, le
directeur du Journal de Francfort, nous a pro-
menés toute la journée dans les environs en calè-
che; nous avons dhié à Ilombourg- et nous avons
pris du café dans un des deux villages français
occupés par les réfugiés de l'édit de Nantes. Ce
soir, nous allons au spectacle, dans la loge de
MM. Rothschild, qui nous ont invités. Ils ont pré-
paré aussi une partie de chasse pour après demain,
mais je ne sais si nous irons, car Dumas est un
peu malade. Il est incroyable de voir à quel point
les yens de lettres français sont estimés et bien
accueillis en Allemagne. Cela m'a donné l'idée d'al-
ler l'année prochaine à Vienne, où l'on veut me
recommander d'une manière suprême, et où je
pourrai me fortifier dans la prononciation alle-
mande. M, Durand me promet une recommanda-
56 CORRESPONDANCE
tion pour M. de Metternich, qui est un de ses
amis diplomatiques, et qui me ferait accueillir dans
la plus belle société de la ville et pourrait peut-
être me servir davantage en me faisant confier
quelques missions littéraires de traduction ou de
recherche, car il y a si peu de gens de lettres
français capables de traduire l'allemand qu'elles
sont plus nombreuses et moins difficiles à obtenir
en Allemagne que partout ailleurs. Du reste, en
admettant qu'aujourd'hui encore j'éprouve quel-
que difficulté à traduire ou comprendre certaines
choses, il est clair que l'an prochain, en ayant ce
but devant les yeux, je pourrai me mettre en état
de l'accomplir. D'ailleurs, mon séjour d'un mois
m'a déjà été fort bon. Sûr d'un si bon appui que
celui de M. Ch. Durand près du ministère de
Vienne, je m'occuperai cet hiver à trouver quel-
que spécialité importante, pour laquelle une double
bienveillance me serait acquise des deux parts, soit
qu'il s'agisse de recherches dans les bibliothèques,
comme celles qu'a faites Francisque Michel en
Angleterre, ou quelque étude d'art correspondant
à la spécialité de mes feuilletons, ou encore un
rapport officiel sur les points de relation des deux
littératures (35). Je n'ai toutefois aucune préten-
tion à être attaché à l'ambassade, ce dont Dumas
me parlait hier, car ma carrière littéraire est plus
facile et plus belle à Paris. Mais une mission
l83o NOVEMBRE I S/J I 5"]
momentanée me servirait à acquérir des relations
exa'llentcs et répondrait fort l)ien au besoin que
j'ai de nie l'ortilier dans l'allemand, puisque déjà
j'en sais un peu, et qu'avec un peu de travail encore,
je puis m'en faire un accessoire littéraire fort utile
assurément. Ce qui faisait penser Dumas à me
conseiller de tendre à une position d'attaché d'am-
bassade, c'est que, dernièrement, il en a fait obtenir
une, par l'influence du duc d'Orléans, à Blaze de
Bury, l'un de nos amis, qui était dans la même
position que moi, journaliste, et sachant un peu
d'allemand; mais à rester longtemps éloigrié de
Paris, on risque tro{) de perdre le courant des
idées littéraires, et c'est là où est encore le meil-
leur et le })lus sur avenir.
Car, après tout, les positions semi-littéraires et
semi-politiques, elles ne sont valables et ne servent
à votre fortune que lorsqu'il s'y joint un prestig^e,
aux yeux du g-ouvernement, d'une réputation litté-
raire croissante, sans quoi l'on risque de se voir
abandonné toujours à l'un des deg-rés inférieurs de
l'échelle administrative. Le mérite littéraire dis-
pense de monter de grade en ii;ra(le dans les posi-
tions politiques. Vous entrez de plain-pied, et de
haut, là où vous ne seriez parvenu que péniblement
et d'en-bas, en sacrifiant toute votre vie à cet uni-
que dessein.
Tu vois ([u'au milieu de nos distractions, de nos
58 CORRESi»ONbANCE
vacances, je m'occupe aussi du solide et de l'ave-
nir. Du reste, la position des journalistes d'Allema-
gne est encore à faire envie à la nôtre. M. Durand, \
par exemple, a des maisons à Francfort et de
grandes propriétés rurales qu'il nous a fait voir
hier. Il gagne, à ce que nous dit son père, trente-
quatre mille francs par an, rien que par son Jour. J
na/o^c/e/ et pourtant écrit en français. '
Je viens de reprendre la plume, ce matin. Hier
soir, notre apparition dans la log-e de MM. Roths-
child a produit une g-rande sensation. Tout le
monde se levait pour voir Dumas, et les acteurs se
tournaient vers lui en déclamant. Nous avons vu
une tragédie de Griseldy fort bien jouée (36).
C'était hier le jour de l'an des juifs, très nombreux
à Francfort, de sorte que la salle était très brillante
et avait un air de fête. Après le spectacle, nous
avons eu grand souper, où il y avait plusieurs des
sénateurs de la ville. Ce matin, nous déjeunons
avec le médecin de M"''' Rothschild, qui a été étu-
diant avec le fameux Sand (Sy), et va nous donner
des détails très curieux. Voici une chose singu-
lière : Dumas voulait se faire saigner par lui. Mais
il paraît qu'ici les barbiers seuls ont le privilège
de saigner, par un droit de leur corporation, et
les médecins ne saignent que dans un cas extrême.
Cette ville est toute remplie d'habitudes du moyen
âge.
l830 — NOVEMBRE 1 8^ I 6()
Je me rappelleriii t(»iij(»iirs noire visite an villaei^e
fianrais de Dornshoh huas , i[[Hi M. Durand appelle
Toiirnesauce, d'après la prononciation du pays.
Le iVan(;ais qu'on y parle ressemble au français des
comédies de Molière, et s'est parfaitement con-
servé le même,- depuis ce temps (38).
Adieu, mon cher papa, porte-toi bien; moi, je
suis plus heureux que Dumas, et je jouis de la plus
belle santé.
Je t'embrasse.
G. LABRUNIE.
Suscription : A M. Labranie, docteur en méde-
cine, rue Saint-Martin,' j 2.
XIV
A ANTÉNOH JOI.Y (89)
TIIIÎVTHE
DE LA RENAISSANCE
(Salle Venladour)
DIRECTION
[Fiu i838.]
Mon cher Monsieur,
V. Hug-o m'a dit que vous m'enverriez vous-
Or,
CORRESPONDANCE
même les 2 stalles. J'ai peur que vous n'ayez oublié
mon adresse actuelle ; c'est
Rue Caumartin
Hôtel Caumartin
V. Hugo m'a promis aussi trois petites loges de
cintre.
Vous savez que nous lirons quand vous vou-
drez (4o). Dumas parle de lundi, afin de pouvoir
causer sans préoccupation. Ce sera avant si vous
voulez.
M. votre frère m'a dit que vous aviez un acteur
pour notre deuxième rôle (40- C'est très beau, s'il
est bon.
Votre bien dévoué,
GÉRARD.
XV
A ANTENOR JOLY
[2 mars 1889.]
Mon cher Monsieur,
Voilà trois jours que je veux vous aller voir, le
soir, comme vous m'en avez requis, mais une fois,
je ne vous ai pas rencontré et deux fois, j'ai été
retenu par des premières représentations. Dans
XV. — Date de la poste.
l830 NOVEMBRE l8/(r 6l
lincertitude de vous voir ce soir, je vous écris.
Cerlainemoiit, vous pouvez compter sur la pièce,
cl je suis lionteux qu'elle n'ait pu être terminée au
jour dit. Cela vient seulement de la refonte totale
(|ue j'ai été forcé de faire de Léo Burckart (qui ne
(levait pas être représenté et paraissait arrêté défi-
nitivement lorsque je me suis eng-agé envers vous) ;
ensuite, du travail des répétitions. J'ai tenté vai-
nement de lutter contre cette distraction conti-
nuelle; mais j'ai été forcé de suspendre après le
troisième acte. Toutefois, j'aurais pu terminer très
vite, ainsi que je l'ai dit à Frédéric que j'ai rencon-
tré aux Variétés, en cas de besoin urgent, mais
j'ai pensé que C Alchimiste me donnerait plus de
temps, puisque le rôle revenait décidément à Fré-
déric, et j'ai mieux aimé ne rien g-âcher.
Maintenant, mon travail de la Porte-Saint-Mar-
lin est à peu près terminé (42), les répétitions mar-
chent toutes seules et, lundi ou mardi, je me remets
à l'œuvre, plus fort de cette suspension, qui me
permet de revoir froidement les parties déjà faites.
Du reste, j'ai tout lieu d'espérer que j'aurai, dans
quelques jours, un succès qui rendra ma seconde
pièce d'autant plus importante et disposera bien le
public pour l'ouvrage que vous aurez. Je suis bien
facile qu'il ait fallu tant de temps pour rendre Léo
Burckart représcntahle et que, sous sa première
forme, il ait été si indigne de vous; je n'en tiens
5
02 CORRESPONDANCE
que plus à vous dédommager avec Dolùreuse (43).
J'irai causer avec vous ce soir ou deuiain.
Votre bien dévoué,
GÉRARD.
Suscription : .4 Monsieur, Monsieur Anténor Joly,
au théâtre de la Renaissance
ou rue de C/ioiseui, (j.
XVI
AU D'" LABRUME (44)
Vienne, 19 novembre 1889.
Mou cher papa,
Je ne t'ai pas écrit de Municli parce que je n'y
suis resté que fort peu. J'y retournerai, soit en reve-
nant, soit plus tard, car c'est une ville qu'il est
important d'examiner. Je n'ai })u que parcourir
rapidement les collections magnifiques de tableaux
et de statues, les palais et les églises; j'ai été voir
plusieurs personnes ; puis je suis reparti pour Lintz,
par Salzbourg. Je crois me souvenir que tu as été
à Lintz; c'est pourquoi je l'en parie surtout. C'est
une fort jolie ville et la vue que l'on a sur le pont
XVI. — PuLl. par L. de Bare, Nouvelle Revue internalionale,
i" mai 1894.
l830 — NOVEMBRE I 8^ I 63
du Danul)c est une des plus belles que je connaisse.
Je suis l)i(Mi IViché de ne voir tout cela que dans
une saison si mauvaise où les brouillards cachent la
phis grande partie des montaîj^nes. Pourtant j'ai eu
de tort belles journées au commencement de mon
voyage.
Je voulais descendre par l'Italie afin d'avoir
encore un peu de beau temps; mais, à Lyon, on
m'a dit que les routes des Alpes étaient mauvaises
et couvertes de neig-e, de sorte que je me suis dirigé
vers Genève, afin de voir du moins la Suisse (jue je
n'avais pas vue encore. J'ai pris par Bourg", Nantua
et Ferney. Je suis resté deux jours à Genève, et
voyant le beau temps venir, j'ai pris le bateau à
vapeur pour Lausanne. La journée a été mag-nifi-
que. J'ai pu me rendre compte, du moins, dos plus
beaux effets de la nature en Suisse. J'ai débarqué
à Lausanne vers trois heures et je suis re{)arli le
soir même pour Bàle. Baie est une fort belle ville,
la plus belle de la Suisse assurément. Seulement il
y faisait très froid. Ensuite, par Aarau, je suis arrivé
à Zurich où j'avais quelques études à faire. Le len-
demain, j'ai pris la poste pour Constance, puis le
bateau à vapeur qui m'a conduit à Lindau. Là j'é-
tais en pleine Allemagne.
Je suis arrivé le surlendemain à Augsbourg où
je suis resté deux jours encore. Les routes sont si
pénibles et les voitures si lentes dans ces pays qu'on
64 COURESJ'ONDANGE
a besoin de se reposer un peu. Toutefois, j'ai trouvé
un temps fort agréable à Munich et une tempéra-
ture fort douce; ce sont des détails importants dans
cette saison et dans des contrées aussi froides.
Enfin, j'arrive à Vienne après vingt jours de voyage
continuels. Je ne songe qu'à me reposer aujour-
d'hui et demain et à voir la ville d'une manière
générale. Je crois qu'il y doit faire froid l'hiver, car
toutes les maisons sont garnies de doubles croisées.
La ville me paraît charmante ! Je vais aller m'y ins-
taller...
XVII
AU D' LABRUNIE (45)
[Vienne, fin novembre iSSg.]
Mon cher papa,
Me voici donc à Vienne depuis huit jours ainsi
que tu l'as apj)ris dans une lettre précédente que
je t'ai écrite un peu fatigué, un peu pressé d'écrire;
mais tu verras sans doute les détails de mon voyage
dans quelque feuilleton, car j'en envoie deux, un à
r Artiste et un à la Correspondance des départe-
ments. Maintenant, j'ai à te faire une demande qui
XVII. — Publ. par L. de Bare, Nouvelle Reuiie internationale,
i5 juin 1894.
l83o NOVKMliUE l84[
a besoin de quelques explications. Il paraît sans
doute assez simple, dans le cours ordinaire des
choses, d'emprunter à son père cinq cents francs
dont on a besoin ; cependant, depuis plusieurs
années, je m'étais fait une règle de me soutenir
entièrement par moi-même. Il faut donc que
j'expose non pas. positivement un besoin, mais la
nécessité d'un service passager, en même temps
(jue je t'en donne li.'s raisons.
Il est fort évident, par la saison même où nous
sommes, que je n'ai pas fait un voyage de plaisir
el qu'en outre j'ai fait un voyage fort coûteux.
J'ai dû parcourir la Suisse malgré la neige et la
bone, faire un cercle dans la Bavière, pourvoir des
villes importantes et, ici même, il m'a fallu faire
des dépenses d'établissement, car je suis, non à
l'hôtel, ce qui est trop coûteux quand on doit res-
ter, mais dans un logement meublé. J'ai reçu six
cents francs en partant et la fin du mois doit m'en
apporter autant. Mais tu conçois que mes frais de
départ et de voyage ont été fort supérieurs à la pre-
mière de ces deux sommes. Il m'a donc fallu faire
sur les deux mois suivants une délégation qui
monte encore à cinq cents francs, trois cents le pre-
mier et deux cents le second. J'ai eu, avant de par-
tir, et dans l'intervalle de mon affaire terminée à
mon départ, environ cent cinquante francs de dé-
penses pour vivre, faire des courses, prt'parer tout.
5.
66 CORRESPONDANCE
En outre, il m'a fallu me fournir de toutes choses
nécessaires : chemises, habits, malle, livres, etc.
J'en ai eu pour trois cents francs, dont cinquante
francs de livres, forcément; deux pantalons et un
habit tout fait, un paletot, un gilet et un pantalon
dont je dois encore moitié ; quelques chemises de
toile, enfin de quoi n'avoir besoin de rien ici — un
chapeau, des bottes, un parapluie, divers petits
objets de voyage, etc. Il faut ajouter à cela cent
francs que j'ai dû pajer au Messager qui me les
avait avancés sur ma rédaction et cent francs que
je lui dois encore, mais que je paierai en articles.
En somme, je suis parti avec cinq cent vingt francs
que je t'ai montrés en or. — J'étais à Genève avec
quatre cent vingt francs, à Munich avec trois cent
cinquante, mais j'y suis resté quatre jours; à
Vienne, enfin, avec cent quarante francs. Ce qui a
fort augmenté mes frais de route et me force donc
maintenant à une demande que je n'avais pas pré-
vue, c'est que, dans cette saison, les diligences ne
vont plus et qu'il faut, partout, prendre la poste.
Ainsi, l'on a cinquante francs de Munich à Salz-
bourg, quarante de Salzbourg à Lintz, trente-cinq
de Lintz à Vienne environ; au lieu que, dans la
belle saison, on peut prendre les bateaux à vapeur
du Danube; mais l'eau est trop basse mainte-
nant.
Me voilà donc arrivé avec cent quarante francs.
l83o NOVEMBRE 1 8/4 1 67
Tu vas voir mou économie : il m'a fallu payer qua-
tre florins (lo fr.) à Vienne pour mon permis de
séjour, — acheter des g^ants, des socques, parce
qu'il y a beaucoup de boue. Quatre jours à l'hôtel
m'ont coûté trente francs. J'ai loué un lo^^ement;
j'ai payé vinçt-riiiq fiancs d'avance. Tu comprends
qu'il faut aller jusqu'au 3o avec bien peu, — je ne
sais même pas si le mois n'a pas 3i jours. Le 3o,
je n'ai à toucher que trois cents francs, sur les-
quels j'ai à acheter des livres indispensaliles pour
mou travail, que je n'ai pu (|ue noter; j'ai à pren-
dre un maître d'allemand pour m'aider dans ce
que j'ai à faire, attendu fjue, comme lu sais, je ne
sais pas encore autant l'allemand (jue l'on croit et
qu'en outre la prononciation me crée des difficul-
tés très grandes. Je dois donner cinquante francs
encore pour mon loe^ement et toutes sortes d'ac-
cessoires que l'on m'a fournis, car mes vinî(t-cin(j
francs ne sont qu'un acompte. Il me faut encore
une cravate blanche, des souliers pour les soirées,
des ^anls toujours et une foule de petits effets. Tu
comprends qu'il est impossible que j'aille, tout le
mois avec cela! Le mois prochain, ou plutôt le
mois d'après, mes quatre cents francs me suffiront.
Ensuite, je suis à mon aise.
Je t'explique tout cela en détail, parce qu'il faut
que tu voies qu'il y a là un besoin non pas de ma
subsistance, mais de mon avenir et de la nécessité
CORKESPONDANCE
OÙ je suis de ne pas perdre mon temps et de n'être
pas arrêté par un obstacle d'un ordre inférieur.
Maintenant, si tu ne peux pas, réponds-le-moi. J'ai
un moyen fort simple ici; c'est de donner des arti-
cles aux journaux de la ville. Seulement, — car il
faut que je partage avec le traducteur — cela me
fait moitié moins qu'à Paris, et c'est du temps
perdu. Si tu le peux, lu me rendras vraiment ser-
vice et je crois que tu le feras dans cette circons-
tance, considérant et la position où je suis particu-
lièrement aujourd'hui, et que, malg^ré de grands
malheurs que j'ai éprouvés, j'ai évité depuis quatre
ans de te faire même savoir que j'ai eu des moments
bien difficiles à passer,
A l'époque même où j'avais de l'argent, tu me
donnais quatre cents francs par an, relativement à
la dot de ma mère. Il est naturel que tu te sois
épargné cette dépense plus tard, où il te fallait
économiser. Si je te rappelle cela dans cette cir-
constance, ce n'est donc que pour te présenter plus
naturellement cette demande. D'ailleurs, j'aurais
mauvaise grâce à faire le besogneux, puisqu'il est
clair qu'avec trois pièces de théâtre, les feuilletons
de la Charte, de la Presse, du Messager (46), très
bien payés, et encore une foule de travaux de détail,
j'ai gagné, en somme, beaucoup, depuis quatre
ans que je suis dans la plénitude de mes facultés
littéraires; c'est pourquoi, même, je tiens à ce que
l83o NOVEMBRE 1 84 I 69
tu ne voies là qu'une aide à luon avenic et à mes
progrès plutôt qu'à ma subsistance.
En elFet, pour rentrer dans l'apjjréciation de ma
position actuelle, lu dois voir que je n'ai pas per-
du de temps dans la carrière que j'ai suivie. Quel-
ques raisons que tu aies pu avoir dans les com-
mencements d'en craindre les hasards, tu peux
aujourd'hui mesurer le point où je suis et ceux où
je touche.
Les jeunes gens qu'une malheureuse ou heureuse
vocation pousse dans les arts ont, en vérité, beau-
coup plus de peine que les autres, par l'éternelle
méfiance qu'on a d'eux. Qu'un jeune homme adopte
le commerce ou l'industrie, on fait pour lui tous
les sacrifices possibles ; on lui donne tous les
moyensde réussir et, s'il ne réussit pas, dn le plaint
et on l'aide encore. L'avocat, le médecin peuvent
être fort longtemps médecin sans malades ou avo-
cat sans causes, qu'importe, leurs parents s'ôtent
le pain de la bouche pour le leur donner. Mais
l'homme de lettres, lui, quoi qu'il fasse, si haut
qu'il aille, si patient que soit son labeur... on ne
songe pas même qu'il a besoin d'être soutenu aussi
dans le sens de sa vocation et que son état, peut-
être aussi bon matériellement que les autres — du
moins de notre temps — doit avoir des commence-
ments aussi rudes. Je comprends tout ce qu'il peut
y avoir de déceptions, de craintes et sans doute de
7^ CORRESPONDANCE
tendresse froissée dans le cœur d'un père ou d'une
mère ; mais, hélas ! l'histoire éternelle de ces sor-
tes de situations, consig-nées dans toutes les biogra-
phies possibles, ne devrait-elle pas montrer qu'il
existe une destinée qui ne peut être vaincue? 11 fau-
drait donc, après une épreuve suffisante, après la
conviction acquise d'une aptitude vraie, en prendre
son parti des deux parts et rentrer dans les rela-
tions habituelles, dans la confiante et sympathique
amitié qui règ-ne d'ordinaire entre pères et enfants
déjà avancés dans la vie.
Pardon, si pour te dire ces choses, que, du res-
te, tu as certainement souvent pensées, je choisis
une occasion, après tout, d'une médiocre impor-
tance, puisqu'une impossibilité ou un refus de ta
part ne nuirait qu'accessoirement à ma position ;
mais, dans un si grand isolement^ que celui qui
existe à rétranger, on est porté toujours à jeter
sur sa vie un regard d'ensemble et à soulever de
grandes réflexions à propos de tout. Je n'ai jamais
douté que tu ne fusses toujours disposé à me venir
en aide dans un moment difficile et surtout lors-
qu'il ne s'agit ni de folies ni d'imprudence, mais
seulement d'un de ces cas où, pour agir, il faut des
moyens. Si, depuis quatre ans, je n'avais su que
tu avais besoin de ne faire aucune dépense exces-
sive, certainement il y aurait eu des instants où
une aide très légère m'aurait fait gagner beaucoup de
l830 — NOVEMBKB I 84 I 7'
temps. Le liavail lilléiaire se compose de deux
clioses : cette besogne des journaux qui l'ait vivre
tort bien etcjui donne une position fixe à tous ceux
qui la suivent assidûment, mais qui ne conduit mal-
heureusement ni plus haut ni plus loin. Puis le
livre, le théâtre, les éludes artistiques, choses len-
tes, difhciles, qui ont besoin toujours de travaux
préliminaires fort longs et de certaines é[)oques de
recueillement et de labeurs sans fruit ; mais aussi,
là est l'avenir, l'agrandissement, la vieillesse heu-
reuse et honorée.
Lt;s hommes de lettres qui, comme Lamartine,
Chateaubriand, de Vigny, Casimir Delavig-ne,
Hugo, avaient des rentes, une fortune, enfin la vie
assurée d'autre part, sont ceux qui sont arrivés le
plus loin, parce qu'ils n'ont pas été contraints à
détourner leur force sur un travail stérile comme
celui des romans et des journaux, et toutefois sédui-
sant par sa facilité.
C'est un bien grand nuilheur pour moi que je n'aie
pas eu, il y a sept ans, lorsque j'avais une somme
assez forte, quoique insuflisanle à me faire vivre
comme revenu (l^'j), que je n'aie pas eu, dis-je, la
maturité d'esprit ([ui me permet de faire aujour-
d'hui quelques œuvres un peu remarquées ! Mais
alors je n'ai pas eu confiance en moi-même ; j'ai
tenté une spéculation de librairie, espérant que son
succès me donnerait du moins de quoi faire phis
72 CORRESPONDANCE
tard de la littérature, sans crainte de manquer de
pain. Enfin, puisqu'il s'agit là d'un mal qui peut se
réparer, j'ai maintenant toute assurance, puisque
je ne puis plus, pour ainsi dire, douter de mon ave-
nir. Si je suis obligé de combattre à force de tra-
vail, aujourd'hui, l'inaptitude qui me reste encore
pour certaines occupations sérieuses où je me vois
appelé et de combler les lacunes qui subsistent dans
mes connaissances spéciales, du moins je suis sur
une route tracée et j'ai désormais un but assuré
devant moi.
Depuis que je suis en Allemagne, je sais déjà
une foule de mots de plus ; ma mémoire se rafraî-
chit aussi de beaucoup de choses que je savais autre-
fois, mais l'accent me donne une peine terrible ;
je parle de manière à me faire bien comprendre,
mais je comprends peu, à moins que l'on n'ait soin
de bien détacher les mots. Tout le monde a pour
moi, ici, les plus grandes bontés, mais, malheu-
reusement, par cela même, il y a une grande dis-
traction de dîners et de soirées. Les voitures sont
souvent indispensables et toujours très chères.
Toutefois, la vie ordinaire est à très bon compte
ce qui produit au moins une compensation.
Maintenant, comme il n'est pas juste que la
somme que tu pourras m'envojer te soit une gêne
et une privation, j'entends bien te la rembourser.
A partir de mars prochain, je t'enverrai cinquante
l83o NOVEMBRE iS^I -j'Ô
francs par mois ou, dans le cas où tu pourrais
attendre et me donner cette facilité, viiig^t-cinq
francs par mois, ce qui me rendrait la chose pres-
que insensible. Dans le cas, pour ainsi dire impos-
sible, de grande gêne de ma part, il y a toujours
comme tu sais le lot de terre dont mon oncle m'a
apporté dernièrement la rente et qu'on peut ven-
dre à lui ou bien dans le pays.
II faisait hier un temps affreux, il fait un temps
magnifique ce matin. Aussi vais-je partir pour
Presbourg où je passerai quelques jours en atten-
dant ta bonne lettre. La contrefaçon de mon ou-
vrage a paru à trois éditions différentes, en Belgi-
que, en Hollande et à Stuttgard. On ne l'euipèchera
certainement pas de pénétrer ici, où toutes les
rigueurs sont inconnues. Chacun est gai et heureux
dans cet excellent pays.
Ainsi, à quatre mois encore!
Je t'embrasse et suis de toute mon âme.
Ton fils,
GÉRARD.
XVIII
AU 1)^ LABRUNIE
Vienne, le 2 décembre 1839.
Je t'écris cette fois dans un paquet de lettres que
xviii. — Ptibl. par L. de Bare, Nouvelle Revue infernalionalc,
i»*" mai 1894.
74 CORRESPONDANCE
j'envoie par le courrier de l'ambassade, qui part ce
soir. M. de Sainte-Aulaire a bien voulu me per-
mettre d'envoyer mes lettres particulières avec les
dépêches. C'est M. Triquet, un des secrétaires, qui
sera à Paris dans six jours, rapidité inouïe et tout
à fait inconnue de la poste même, qui met de huit
à neuf jours de Paris à Vienne.
J'ai dîné hier à l'Ambassade. Tu ne saurais croire
toutes les bontés qu'on a pour moi dans la famille de
M. de Sainte-Aulaire et que je dois surtout à la
recommandation de M. Lingay (48). D'ailleurs, tout
le monde est ici d'une bienveillance merveilleuse
pour moi. J'ai écrit dans ce même paquet une lettre
à M. Lingay, où je le prie de demander que je sois
envoyé à Constantinople où les affaires sont, en ce
moment, d'un g^rand intérêt (49)- Ici l'on perd trop
de temps dans la société, et les renseignements sont
difficiles sur les affaires des provinces moldaves et
turques, parce que les eaux du Danube sont trop
basses pour permettre la circulation habituelle des
voyageurs. Dans le cas où j'obtiendrais ce déplace-
ment, je partirais dans un mois, et je reviendrais
toujours en France au printemps, sur un vaisseau
de l'Etat.
Autrement, je m'accommoderais fort bien de res-
ter ici ; mou travail y est très facile et la vie est
charmante. C'est Paris et Naples réunis, pour l'éclat
çt le mouvement. Le bonheur est partout. Les fêtes
l83() NOVEMBHE l8'll 78
sont mag^nifiques. Les bals, les lieux de conversa-
tion, avec la musique ravissante de Strauss, ne
peuvent trouver de comparaison, même à Paris.
Les spectacles sont moins remarquables. J'ai en-
tendu avant-hier le grand concert de Bériot (5o).
J'ai fait connaissance avec lui-même chez le prince
Dietrichstein. — J'étais hier, à table, à côté du duc
de Raguse ; un beau vieillard avec d'énormes sour-
cils noirs ; il m'a paru fort spirituel [et fort aima-
ble...
XLX
A JULES JAMN
Vienne, a3 décembre 1889.
Mon cher Janin,
Il y a là une bonne ville qui s'occupe de vous
souvent, et qui vous aime beaucoup. Des envieux
pourraient dire que cela vient de ce qu'on n'y peut
lire que le Journal des Débats et de ce qu'on n'y
lit que le feuilleton de ce même journal ; mais
croyez que vous n'y êtes pas moins apprécié comme
autour, comme poète, que comnie journaliste. Si
bien (ju'on s'y est ému beaucoup ces jours-ci de
votre Défense de la Critique française ; vous avez
xi.\. — Commiini(juéc par M. Clément Janiii.
76 COHRESPOiNDANCE
soutenu noire honneur à tous chez l'étranger, cela
est fort beau ; mais on disait que l'auteur de la
Confession et de Barnave pouvait se dispenser de
plaider la cause du journaliste pur ; c'est au moins
généreux de sa part. Pour moi qui n'ai guère ici
d'autre importance que celle d'un feuilletonniste
anonyme et ignoré, je vous ai dû hier un fort bel
accueil et un honneur infini. Imaginez-vous que,
bien que M'"'' Pleyel soit arrivée depuis une se-
maine, je n'avais pas osé encore lui aller remettre
votre recommandation (5i). On me la faisait si
entourée de ducs, de princes et de grands artistes,
que j'hésitais à me présenter à une aussi belle dame,
même sous votre patronage. Mais hier j'ai eu la for-
tune de me rencontrer avec elle à la table de notre
ambassadeur, et alors il a bien fallu surmonter ma
honte. M. de Sainte-Aulaire, auprès duquel nous
étions placés, m'a trahi tout d'abord, et à peine
a-t-il'eu prononcé votre nom que M'^e pjeyel ne
s'est plus occupée que de vous, et que de moi par
conséquent. On a déclaré de toutes parts que j'étais
très heureux ; princes, ambassadeurs et maréchaux
de France (M. le Duc de Raguse y était), tous ont
compris qu'il s'agissait pour notre belle compatriote
d'un souvenir bien supérieur à leurs hommages, et
je vous jure que rAlleniagne, la Russie et l'Emi-
gration se trouvaient fort humihées dans ce mo-
ment-là.
l830 — NOVEMBRE I 8^ I 77
Ce malin, M"" Pleyel m'a parlé bien long^temps
de vous, et m'a dit tout ce qu'elle devait à votre
amiti*'. Vous allez la revoir dans quelques jours ;
elle a grand'peur de Paris et compte sur vous
avant tout. Je ne vous dirai pas combien elle a eu
de succès à Saint-Pétersbourg" et à Leipsick, e^
combien elle en a ici ; les journaux vous ont trans-
mis déjà toutes ces merveilles. Il y a d'autant plus
de mérite à notre belle et bonne compatriote à
exciter à Vienne lant d'enthousiasme que nous
sommes encombrés de pianistes: M. Litz, M^'^Anna
Ludlow, etc. ; il en vient de partout. M. de Sainte-
Aulaire comparait spirituellement cet embarras de
pianos à la journée des brancards. J'ai rencontré
ce matin encore un prince, qui venait admirer
■^[mo. Pleyel, mais celui-ci est,je crois, de vos amis. Il
s'appelle le prince de Schwartzenberg-. A présent,
que voulez-vous que je vous dise encore ? On va
vous écrire beaucoup de mal de moi, parce que
j'ai remis votre lettre si tard ; mais vous venez de
lire mes raisons. Je suis très coupable aussi envers
l'Artiste et M. de Launay (Ba), de n'avoir rien
envoyé depuis mon arrivée; mais figurez-vous bien
qu'on ne peut rien faire ici : le Viennois boit,
mange^ et valse, et l'étranger qui le visite n'a pas
plutôt goûté de ce régime qu'il devient tout à
fait Viennois. La pensée et le travail ne se con-
çoivent pas dans l'atmosphère matérielle de cette
78 CORRESPONDANCE
bonne capitale ; c'est, comme on l'a dit très bien,
la salle à manger, la chambre à coucher, et je ne
sais quoi encore, de l'Europe. Je tâcherai avant la
fin du mois de vous définir tout cela plus nette-
ment, pour l'Artlste.Yin ce moment, nous sommes
en grande fête : c'est la Noël. Les arbres de la fête
courent les rues, ornés de boutons, de bougies, de
fleurs et de clinquants, et tout cela est allemand
au possible; ne vous étonnez donc pas de mon
enthousiasme, de mes plaisirs et de ma paresse.
J'enverrai à M. Delaunay un beau feuilleton après
Noël, quand tout ce bruit sera passé (53).
Adieu, mon cher ami, et grand merci de vos
bonnes recommandations ; je compte revenir dans
deux mois; écrivez-moi si vous avez le temps, ou si
vous avez quelque commission à me donner ici.
Votre bien affectionné,
Le 23 décembre. Gérard.
Suscription : A Monsieur, Monsieur Jules Janin,
/i" 2o,jRue de Vaugirard à Paris.
XX
AU D'' LABRUNIE
Vienne, 3o janvier i84o.
Mon cher papa,
Je t'écris aujourd'hui par un courrier extraordi-
XX. — Publ. dans le Temps, 20 aoûl 1907.
l830 NOVEMBRE I 84 I 79
nairc de l'ambassade, ce que je n'avais pu faire
depuis quelque temps, car, les lettres étant lues à la
poste, il est fort désa^^réable de mettre le gouver-
nement au courant de ses affaires privées, surtout
dans ma position.
C'est pourquoi je regrette que tu n'aies pas
ouvert ma lettre, qui est bien réellement pour toi,
mais qui se sera trouvée mal indiquée sur l'a-
dresse, par suite des précautions que j'ai cru de-
voir prendre. Tu y aurais vu que je te priais de ne
me parler qu'en termes vagues de ces petites obser-
vations de famille, dont toutefois les expressions
m'ont paru un peu exagérées. C'est même une
grande peine pour moi, an milieu des heureuses
circonstances qui viennent enfin m'assurer un ave-
nir plus solide même que la plus belle position lit-
téraire, de t'avoir vu douter de choses que tout le
monde sait et qui n'ont pu manquer de t'être affir-
mées de divers côtés (54).
Certes, je suis habitué à cette expérience que
nul n'est prophète en sa famille, pas plus qu'en son
pays, car les parents sont les derniers à croire
qu'on ait quelque mérite et quelque valeur, et cela
par la seule raison qu'ils nous ont vus très petits.
Mais je compreuds que, de ton côté, tu as pu être
plus frappé que je n'avais cru des pertes d'argent
que j'ai pu faire il y a quatre ans, sans songer
que, depuis ce temps, j'ai su me faire une assez
8o
CORRESPONDANCE
belle situation et donner des preuves suffisantes de
mon courage et de mon travail.
S'il faut être chagriné non seulement par les
malheurs qui peuvent nous frapper, mais encore
par la crainte qu'ils ne nous attirent la désaffec-
tion des personnes que nous aimons, il faut avouer
que la vie est une triste chose, et que l'intérêt
qu'on nous porte est bien aisément contrarié par
des affaires d'intérêt.
S'il n'était pas fort triste de répéter sans cesse
les mêmes assurances, indiquées cependant par des
faits évidents, je te dirais encore qu'à part le dé-
sagrément d'avoir perdu de l'argent je ne puis
avoir rien à craindre, puisque ce ne sont point des
dettes personnelles qui me sont restées, mais la
solidarité d'une obligation, et que du jour où l'on
réduira la dette à ce qui me concerne, j'aurai
acquitté presque immédiatement les 3ooo francs
dont je puis être redevable.
Quant à ce que tu m'écris que mes amis sont
pour quelque chose là-dedans, je te dirai qu'au-
cun de mes amis n'avait approuvé mon entreprise
et que tous me conseillaient de m'en tenir à la litté-
rature, ce que j'aurais fait si les craintes conti-
nuelles de mes parents, touchant mon avenir, ne
m'avaient intimidé moi-même sur mes moyens
d'existence future, ce qui m'a malheureusement
conduit à tenter une affaire de librairie et non de
l83o NOVEMBRE iS^I 8l
liltératiire. Le Bouchardy, qui était avec moi là-
dedans et qui y a perdu autant, le pauvre garçon,
avec moins de moyens pour s'en relever, n'est pas
le Bouchardy littéraire qui est au nombre de mes
connaissances.
D'ailleurs, je suis étonné de te voir accuser mes
amis, tous étrangers à ces désagréments, et qui
sont seulement mes confrères littéraires, qui tous
m'ont rendu des services en me faisant travailler
avec eux et m'ont aidé dans l'occasion. Mes amis,
ils sont assez connus; c'est Théophile qui m'a fait
gagner 260 francs par mois, pendant deux ans, en
me faisant, à la Presse, le collaborateur de son
feuilleton, qui m'a fait connaître M. L... [Lingay],
auquel je dois ma mission; c'est Alphonse Karr
qui m'a fait gagner jusqu'à 4oo francs par mois
au Figaro qu'il dirigeait (55); c'est M. Victor Hugo
qui m'a été utile dix fois, qui m'a placé dans deux
journaux, a concouru récemment encore à sollici-
ter le ministère en ma faveur. C'est Alexandre
Dumas, qui m'a fait gagner 6000 francs avec Pi-
rjiiillo, lesquels m'ont permis d'acquitter une partie
de ce que je devais, et depuis 1200 francs avec UAl'
chimiste, toutes choses que chacun sait et dont
M. Michel, l'agent dramatique, a les preuves.
Voilà mes amis, je m'en connais pas d'autres,
hormis D..., que je n'ai pas vu depuis huit ans,
qui est marié et notaire en province, et qui ne m'a
6.
82 CORRESPONDANCE
jamais donné, certes, que de bons conseils ; puis
encore M. D..., qui vit en province, riche, un peu
ennuyeux, que je n'ai guère vu depuis le même
temps, et qui est le plus excellent homme et le
plus incapable, assurément, de causer aucun dom-
mage à qui que ce soit.
Je dois l'avouer, il y a eu peut-être même un peu
d'intérêt de ma part à négliger les personnes qui
ne m'étaient pas directement utiles comme le sont
les littérateurs ; mais, hélas ! il faut bien rendre jus-
tice à tous et à moi-même, en disant que, si j'ai
fait quelque imprudence, je ne le dois qu'à moi
seul. Et encore y a-t-il eu imprudence? Je suis loin
d'en être convaincu; mauvaise chance, à la bonne
heure ! J'avais douté de la littérature, je le méri-
tais, et je crois avoir commencé à prendre ma re-
vanche depuis.
Mon Dieu, qu'il est désagréable d'avoir réveillé
ces souvenirs fâcheux après des travaux de quatre
années, tant de fois couronnés et qui commencent
à me porter si haut ! Je regrette d'autant plus que
tu m'aies répondu sans Hre ma lettre, qui t'aurait
fait voir qu'il ne s'agissait dans ce que je te deman-
dais que d'une aide fort légère et nullement indis"
pensable. Il t'est facile de voir que je survis à ces
besoins.
Je te dirai même — ce qu'on a dû te dire d'au-
tre part — que je passe l'hiver ici fort agréable-
l83o NOVEMBRE 1 84 I 83
ment et au milieu d'un monde dont ma nouvelle
position m'a largement ouvert les portes. J'en dois
remercier avant tout les bontés de l'ambassadeur,
qui, malgré la distance que la hiérarchie adminis-
trative met entre nous, ne veut voir en moi qu'un
confrère littéraire. Tu sais que nous avons tous
les deux traduit Faust, et que nos deux traductions
sont considérées comme les meilleures (56). La
mienne a même l'avantage d'une 2^ édition, et
M. de Sainte-A... [Aulaire] a bien voulu m'en faire
compliment.
Je suis le commensal le plus fréquent de l'am-
bassade, et dimanche dernier l'ambassadeur a eu la
bonté de me dire : « Nous ne vous avons pas vu
depuis trois jours; vous abandonnez la maison
paternelle. » Hier soir mercredi, après dîner, nous
avonsjouédes proverbes. M"""... et le maréchal (67)
sont venus dans la soirée; c'était charmant. La
semaine dernière, nous avons lu des comédies
devant toute une assistance de princes et d'ambas-
sadeurs. M. de Metternich vient aux grandes soi-
rées, mais nos convives les plus habituels sont les
princes Schw^artzenberg, Esterhazy, Dietrichstein
et le maréchal. M"'" de Sainle-A... joue lesproverbes
[un ou deux mots manquent] et M. de Sainte-A...
veut bien aussi prendre des rôles qu'il remplit avec
[un mot manque | esprit et une habitude d'impro-
visation admirable.
CORRESPONDANCE
Tels sont nos plaisirs. Ensuite, les bals et les
soirées sont continuels ici. C'est tout le monde
d'une grande capitale et toute l'intimité d'une ville
de province. Car la société est très compacte et
[trois mots rayés] l'on se voit continuellement.
Je regretterai beaucoup ce séjour, et pourtant
mes quatre mois expirent et je dois être à Paris
dans quatre ou cinq semaines. Si alors le ministère
ne change pas, je repartirai pour l'Allemagne du
Nord ou pour la Bavière. Car la question d'Orient
étant près de se terminer, je ne crois pas qu'on me
continue ma mission vers les frontières de Tur-
quie, dont je suis ici à deux journées (58). Je me
suis mis au courant dans tous les cas.
Tu me reverras donc aux premiers jours de mars
et tu ne croiras plus que j'ai des raisons pour ne
point résider à Paris, ce dont tu pourrais être
revenu, car, depuis quatre ans, j'y suis assez faci-
lement resté, sauf les trois ou quatre voyages que
j'ai faits à l'étranger.
Mais, bon Dieu, pourquoi t'entretenir de ces
idées ? Je suis fort triste de te les voir continuelle-
ment, et je ne sais pas ce que je puis te dire. Mon
existence est si publique que tu devrais savoir à
quoi t'en tenir, et songer qu'on n'a nul besoin d'al-
ler au bout de l'Europe, pour échapper aux dan-
gers que tu supposes.
Enfin, ne parlons plus de ces préventions, et je
l830 — NOVEMBRE I 84 I 85
t'en prie, érris-moi pour me donner de tes nouvel-
les. Je legrelte de ne pouvoir faire venir ta lettre
par l'ambassade, mais nous n'avons l'affranchisse-
ment que d'ici à Paris.
Adieu. Je te recommande de nouveau de song^er
que toutes les lettres sont lues.
Ton fils bien affectionné,
G. LABRUNIE.
XXI
A HENRI DE SAINT-GEORGES (Bq)
Vienne, ce 25 février [i84o].
Mon cher Monsieur,
Je pense que vous avez reçu un petit mot que je
vous ai adressé en arrivant à Vienne. Maintenant
je vais revenir et serai à Paris avant un mois. Je ne
sais si vous vous serez occupé de notre sujet si
négligé, si traîné, si refait, du magnétiseur (Go) ;
mais il faut bien qu'il ait la vie dure puisque nous
y revenons toujours. La dernière fois que nous en
avons parlé, vous m'aviez tellement démoli mon
pauvre scénario que j'avais compris fort bien que
vous aviez raison ; mais la chose ne s'était pas
XXI. — Publ. dans l'Ainaleur d'autographes, i6 mars 1866.
86 CORRESPONDANCE
refaite poétiquement dans ma tête de manière à en
sentir l'exécution.
Il m'est arrivé de rencontrer ici à l'ambassade
et dans la société un consul de Prusse qui est ma-
g-nétiseur et produit un grand efFet sur les dames :
cela m'a remis la chose en tête. Je vous écris là-
dessus d'affreuses pattes de mouches que vous
ferez bien de faire recopier avant de les lire, mais
j'envoie une telle masse de lettres par l'ambassade
que j'ai besoin de serrer beaucoup. Vous me trou-
vez peut-être un peu paresseux. Je vous jure
que ce n'est pas négligence, mais incertitude du
résultat. J'ai fait assez de besogne dans ma vie
pour prouver que le travail ne me fait pas peur, et
certes j'aime autant écrire des scènes d'opéra-
comique que des feuilletons de journal ; mais l'é-
loignement de la représentation me décourage.
Quand j'avais cru voir jour à ce que Joly nous fît
passer cet hiver (6i), je prenais la plume de grand
cœur. Mais la remise à l'hiver prochain m'a rejeté
au bout de l'Europe, où je suis. Pourtant le temps
marche et cet autre hiver arrive à son tour ; si le
scénario vous paraît exécutable à présent, tâchez
que nous puissions venir l'hiver prochain à la
Renaissance ou à l'Opéra-Comique, et alors je
vous jure que je me mets de suite à tout écrire —
à ma manière — vous reviendrez par dessus.
Soyez donc assez bon pour me répondre sur ce
l83o NOVÏMBRF. l8'|l 87
point au reçu de ma lettre et pour adresser la vôtre
sous onvelo])pe à M. Douet-D'Arq, archiviste, rue
St-JIjacintlie Si-Michel, n" 22 (62). On me la fera
passer par les affaires étrangères, car ici rien
n'est plus compliqué que la correspondance. Je lis
aujourd'hui même une analyse de la Fille du Régi-
ment, et suis heureux de vous féliciter de ce nou-
veau succès. On va donner à Vienne votre Reine
d'un Jour et votre Symphonie dont les journaux
allemands font le plus g-rand éloge (63). Je vous
dirai qu'ici nos opéras français ne sont guère esti-
més que par les poèmes. Tous les jours, je vois
représenter des opéras dont on a retranché la mu-
sique — qui nuit à l'action (comme disait ce directeur
de province). C'est ce qu'on avait fait pour l'Am-
bassadrice (64), qui avait réussi à Léopoldstadt,
On vient de la donner au théâtre de Carinthie
(avec musique) et elle est tombée à plat avec un
concert de sifflets comme on n'en a jamais entendu.
Ils disent un mal horrible de notre musique pari-
sienne ; la leur me paraît bien ennuyeuse, cela
tient sans doute à la conformation des oreilles. A
présent, avcz-vous en vue un musicien ? Je vous
rappelle que nous sommes pour ainsi dire engagés
avec Monpou, à moins qu'il ne s'agisse de Doni*
zetti. Je vous assure qu'à part Auber c'est encore
Monpou aujourd'hui qui comprendrait le mieux un
sujet poétique. C'est un homme qui a besoin de
CORRESPONDANCE
l'inspiration du poème. Enfin voyez, faites pour le
mieux. J'ai trouvé ici quelques sujets dont on
pourrait se servir en les modifiant beaucoup ; en
voici un que j'ai à peu près arrangé. C'est d'après
une pièce populaire de Léopoldstadt (65). Je crois
que cela serait fort joli au Palais-Royal ou aux
Variétés. Si vous en voyiez la place, écrivez-moi
aussi sur ce point.
Trois ouvriers de Nuremberg se rencontrent sur
un chemin. Tous trois, le sac sur le dos, sans
ouvrage prochain, ne sachant où aller, ils entrent
dans un cabaret, s'asseyent à la même table et
demandent l'un une soupe, l'autre un verre de vin,
l'autre une tasse de café. L'auberge est pleine de
gens en fête, il y a là un paysan qui a gagné à la
loterie, il traite ses amis et l'on fait passer quel-
ques verres de vin aux trois voyageurs. Puis, comme
il est tard, tout ce monde s'en va coucher, mais il n'y
a plus de lits pour les survenants. On leur met trois
bottes de paille par terre, des chaises retournées
leur servent d'oreiller; le maître et la servante se
retirent. Voilà nos trois gars couchés. Avant de
s'endormir, ils se disent leurs affaires. Jacques
aimait la fille de son maître, riche marchand de
meubles; il n'a pas osé la demander, elle épouse
un gros marchand de vin. Lui, pour ne pas voir la
noce, a pris son paquet et s'est mis en route. Hubert
est un cordonnier : on l'a mis à la porte parce qu'il
l83o — NOVEMBRE I 84 I 89
avait fait des hottes trop justes à une riche prati-
que, qui n'avait pas voulu les payer. Richard est
garçon marchand de vin, on l'a renvoyé parce
qu'il buvait la marchandise. Après ces confidences,
les trois ouvriers s'endorment en song-eant au
bonheur des riches. II descend un nuage noir sur
lequel est un numéro transparent, ikkl' Jacques se
lève en sursaut et dit en se frottant les yeux :
tiens, j'ai rêvé un numéro. Richard se lève de son
côté et dit : tiens, moi aussi, — moi 244?? — moi
de même, c'est étonnant. Il faut l'écrire. Ils appel-
lent l'hôte, demandent une plume. On cherche, on
se moque d'eux ; enfin, au moment d'écrire, ils
ont oublié le chillVe. Hubert, qui dormait le plus
fort, finit par s'éveiller au bruit. — J'ai fait un drôle
de rêve, j'ai rêvé un numéro. — Lequel? — 2447* —
C'est le même. — Les voilà tous les trois qui s'em-
brassent, sûrs de gagner. Il n'y a plus qu'une diffi-
culté. Il faut avoir de quoi mettre à la loterie. Ils
se fouillent et parviennent à faire un écu à eux trois.
L'un d'eux s'en va dans la ville acheter le billet.
Mais à présent il ne leur reste plus de quoi payer
leur écot. N'importe, ils demandent à boire sur la
foi du numéro. Quand l'hôte apprend sur quoi sa
créance est hypothéquée, il veut remporter ses bou-
teilles à moitié vides. Mais l'heure arrive où les
numéros sont tirés, et c'est bien le 244? qui sort.
Les trois compagnons tombent par terre de joie.
go CORRESPONDANCE
En payant i'iiôte, Jacques dit : Tiens, si nous lais-
sions cent francs à ce brave homme? — Pourquoi?
— Mais pour quand nous n'aurons plus d'argent.
— Nous avons cent mille écus. — Enfin c'est mon
idée. Je les laisse pour nous trois sur ma part.
Ce premier acte est fort amusant à la représenta-
tion; les caractères d'ouvriers sont, comme vous
pensez, distincts. Jacques aime les femmes, Hubert
le luxe, Richard le vin. Au deuxième tableau, c'est
un coin de rue. La boutique du marchand de vin
est en fête; celle dii marchand de meubles est fer-
mée. Le mariage va se faire. Les trois compagnons
ont peur qu'il ne soit fait déjà. Huliert, déjà vêtu
en monsieur, frappe chez le marchand de meubles
et veut commander un ameublement complet. Le
père lui dit de revenir le lendemain et qu'il marie
sa fille. Richard fait la proposition au marchand de
vin, en frappant de même à sa porte, de lui acheter
son établissement. Celui-ci demande un délai, l'au-
tredit qu'il est pressé, de sorte que le marchand de
vin vêtu en marié ne sait que faire. Enfin la mariée
sort assez triste. Jacques se présente à la famille.
On lui demande pourquoi il est parti, on l'accueille
très bien. Lorsqu'il parle de son amour, tout le
monde jette les hauts cris. Enfin vous comprenez
que le marchand de vin, qui a voulu faire affaire,
est évincé. Jacques épouse. Hubert veut que le
repas de noces se fasse chez lui.
l830 NOVEMBRE 1 84 QI
Il s'agit au tableau suivant que Hubert se fasse
un chez lui. Il s'en va droit chez le monsieur qui
n'avait pas voulu payer ses bottes. Les laquais se
moquent de lui et veulent le jeter à la porte. Il dit :
Annoncez M. Hubert. Le maître sort aux rires et
au bruit. Hubert lui propose de lui acheter sa mai-
son, ses meubles et jusqu'à ses habits, il veut être
substitué à lui en tout. Il rêvait depuis longtemps
d'être maître.
Le monsieur, qui n'est pas très bien dans ses
affaires, y consent en voyant l'argent. Il l'installe
dans sa robe de chambre, dans ses pantoufles,
dans son fauteuil, lui apprend l'usage des différents
objets à la mode qu'il possède. C'est une scène très
amusante à faire. Puis le maître sort en le saluant.
11 sonne, les domestiques sont consternés, mais on
le salue jusqu'à terre. Il commande un grand repas
et reçoit du monde. Tous ceux qui viennent sont
des gens à projets : on lui vend des actions, des
découvertes, des objets nouveaux : tout un cadre
de mœurs. Lui achète, s'émerveille de tout et les
invite tous. Enfin Jacques arrive avec sa noce, et
toute cette société bizarre se mélange dans la fête.
Il reste à trouver un moyen de placer Richard et de
faire prévoir sa ruine pour ne pas avoir un tableau
de plus. Au dernier tableau, nous retrouvons l'au-
berge du premier. Richard et Hubert arrivent vêtus
comme au commencement et demandent les loo
CORHESPONDANGE
francs déposés chez l'hôle, leur dernière ressource.
L'Iiôte leur montre une lettre de Jacques qui dit
qu'il est malade dans un hôpital et qu'on lui envoie
les 100 francs. Alors les deux camarades y renon-
cent et Jacques paraît tout à coup avec sa famille,
leur apprend qu'il a au contraire fait de bonnes
afiaires et leur offre des établissements plus raison-
nables. Hubert épouse la fille de l'auberg-e et
Richard promet d'entrer dans une Société de tem-
pérance. Si on met la scène en Amérique ou en
Angleterre, on peut ajouter avec cela des épisodes
récréatifs.
Je ne sais si cette analyse vous suffira pour ju-
ger le sujet, j'y vois des détails charmants. Si vous
le croyez possible je m'amuserai à écrire rapide-
ment un brouillon. La pièce allemande ne peut être
suivie que pour le premier tableau. Elle est, du
reste, mélangée de génies et d'apparitions. J'en ai
extrait la pulpe. II faudra quelque chose plus à effet
au dernier tableau. Mais les autres sont sûrs. Cela
ressemblera aux trois bals à la canaille, c'est un
très joli cadre, je crois. Le rôle d'acteur est là-de-
dans celui d'Hubert ; il a ce contraste de l'amour
du luxe avec des haillons qui fait toujours grand
effet; en outre il est toujours en scène, cela peut
convenir à Vernet ou à Achard. Ayez donc la bon-
té de m'écrire un mot sur tout cela, et dites-moi
surtout pour le grand sujet les points où je puis
i83o — NOVKMimt: 18 ii gS
faire fausse voie, afin que je ne me fatigue pas la
tête inutilement. D'ailleurs, comme je vous le dis,
je serai bientôt à votre disposition, j'ai encore plu-
sieurs petites machines dramatiques dont je vous
parlerai, car je voudrais bien avoir plusieurs choses
l'hiver prochain. J'ai formé le projet d'un voyage
en Orient pour le printemps d'après, et je serais
fort content que cela put m'y aider. Mais la pers-
pective lointaine me tue, n'ayant ni votre pré-
voyance, ni votre certitude d'arriver toujours.
Adieu, Monsieur, recevez mes compliments. Si
je puis voir encore jouer ici votre Symphonie et
\oivii Reine d'un jour, je vous écrirai tout de suite
(juel effet cela aura produit. Quant à moi, ce sont
deux ouvrages que j'aime beaucoup, et je regrette,
surtout pour le second, que vous n'ayez pas visé
plus haut que l'Opéra-Comique. Vous aimez mieux
être le premier là que le second dans Rome. Mais
je crois bien que vous avez encore des projets que
vous nous cachez.
Votre bien dévoué,
GÉRARD DE NERVAL (66).
Suscription : A Monsieur le marquis de Saint'
Gf'orrjes, rue Bleue, 82 ou 34, ou au
Théâtre de l'Opéra-Comique, à Paris.
9^ CORKESPONDANCE
XXII
A ALPHONSE KARR (67)
Ettingen [mars 1840].
Mon cher Karr,
Tant il est vrai qu'on revient toujours à Paris !
Me voici à douze lieues de Strasbourg-, à quatre
lieues de Bade, entre l'hôtel du Soleil et l'hôtel du
Corbeau : à présent, si vous m'avez écrit, je n'en
sais rien ; voici le plus pressé.
Je viens de traverser à pied le Wurtemberg- et le
duché de Bade; je vous prie de n'en rien dire,
mais c'est comme cela.
Alors, à Strasbourg, je donnerai des arrhes é
Laffitteet Gaillard, et, en arrivant à Paris, il faudra
que je traîne quelque g-arçon de l'établissement
après moi, pour payer le reste ; il faudrait donc
m'avoir l'argent nécessaire, dussiez-vous le voler !
Comprenez-vous la position ?
Or, j'ai envoyé des masses de copie dont je n'ai
pas touché un sou ni un kreutzer (68) ; il se trou-
vera un peu d'argent dans tout cela, si la littérature
vaut quelque chose à Paris encore, ce dont je doute
XXII. — Publ. par A. Karr, le Liure de bord, lorne III, chap, cix
l83o — NOVKMBRE 1 84 I 05
fortement ; si vous m'avez envoyé quekjuo argent
par quel(jiies banquiers, hâtez-vous de leur écrire
pour qu'ils tassent revenir les fonds, si fonds il j a ;
mais j'ai bien peur qu'il en soit de même que de
ma culotte.
Je reviens donc; pardonnez-moi 1 ennui que je
vous ai causé déjà et la peine que je vous donne
encore; je devais être bien assommant de si loin : il
faut dire ([ue, à Vienne, ouest comme dans un four:
on ne fait rien, on est bouché ; ville charmante
d'ailleurs, etqui se sauve parles femmes, en nous
perdant.
Je viens de faire à pied dix lieues par jour, pen-
dant trois jours; je m'y fais assez; cependant, j'ai
peur que cela ne me coûte plus cher que par les
voitures, mais c'est une idée que je voulais satis-
faire à tout prix; n'en parlez pas surtout, cela
nuirait à ma considération actuelle.
Je vois avec plaisir que nous avons encore des
amis au ministère ; plaise à Dieu qu'ils nous soient
bons, car le besoin des picaillons se fait beaucoup
sentir ! Pourquoi Ourliac a-t-il perdu son Constitu-
tionnel (69)? Et Théo? que fait ce crétin? Je parie
que je vais les trouver tous engourdis comme des
hannetons auxquels il faut écraser les pattes pour
les réveiller ; moi je suis assez guilleret ; le vin de
tous ces pays n'est pas mauvais et n'est pas cher.
J'apprends encore qu'on va jouer la pièce de
CORRESPONDANCE
Balzac (70) ; je regrette bien de ne pouvoir arriver
assez tôt.
Il doit vous aller voir un jeune Allemand, nommé
Weill(7i); traitez-le bien : c'est un ami. Il est
rédacteur de presque tous les journaux allemands
et y mettra tout ce que vous voudrez; adieu!
pensez surtout à l'argent et à Laffitte. Je serai à
Paris le i5 ou le 16 (72) ; mettez les capitaux chez
votre portier si vous sortez; avertissez Théo; vous
comprenez bien la position, hein ? j'en ai vu de plus
cruelles ; mais il me semble qu'à Paris des jours
plus doux vont luire désormais.
A vous de cœur !
GÉRARD.
XXIII
AU RÉDACTEUR EN CHEF DU JOURNAL DE LA LIBRAIRIE
[Juillet i84o.]
Monsieur, je crois devoir répondre, pour ce qui
me concerne, à la lettre que M. Charpentier vient
de vous adresser (73).
Sans entrer dans les motifs de prétendue concur-
rence, qui ont pu causer l'irritation de M. Char-
pentier, et le conduire à la menace d'un procès
XXIII. — Publ. dans le Journal de La librairie, du i8 juillet i84o.
l830 NOVEMBllE i8'ji 97
imae^iiiaire, il me suffira de relever les inexactitu-
des qu'il s'est permises en parlant de mon travail.
Le litre des deux Faust n'est pas à M. Cliarpen-
ier, mais à tout le monde, puisqu'il existe deux
Faust de Goethe et qu'il est impossible de les inti-
tuler autrement.
Est-il de bon goût, de la part de M. Charpentier
(pour nous servir d'une de ses expressions), d'avoir
payé des réclames dans les journaux pour discré-
diter notre édition, en annonçant qu'elle ne conte-
nait que trois scènes an secorvà Faust ; tandis qu'elle
coiilient toute la seconde partie de Faust, qui
parut du vivant de l'auteur, en 1828, traduite en
entier et littéralement pour la première fois (voir de
la page 192 à la page 243). Il est vrai que l'œuvre a
été augmentée et complétée depuis, dans les édi-
tions posthumes de Goethe; mais j'ai donné de
plus six scènes principales de ce complément,
expliquées et réunies par une introduction et une
analyse fort longues, le tout formant 118 pages
compactes, dans un volume où l'ancien Faust
(3" édition) en tient 167 seulement.
Je sais que M. Blaze, qui est un jeune poète
plein de science et de talent, est aussi contrarié
que moi de cette discussion toute commerciale. Il a
dû compter sur le charme de ses vers pour donner
de la valeur à certaines scènes obscures ou faibles
du Faust posthume, (jue j'ai désespéré de rendre
CORRESPONDANCE
en prose d'une manière satisfaisante ; mais il ne
nierait pas le droit que j'ai eu de les élag-uer, droit
dont usèrent souvent, vis-à-vis d'ouvrages plus
célèbres encore, MM. Séveling-e, de Sainte-Aulaire
Loève-Veimar, et d'autres traducteurs de premier
ordre, qui savent que peu d'ouvrages étrangers peu-
vent, sans coupures, satisfaire le goût du lecteur
français ; 1 3o pages de traductions des cliefs-d œu-
vre de la poésie allemande m'ont paru pouvoir offrir
au public une satisfaisante compensation.
Agréez, etc.
GÉRARD.
XXIV
A MARIE DE l'epINAY (74)
28 [juillet i84o].
Madame la comtesse,
Je suis forcé de vous prier de m'excaser encore.
Peut-être savez-vous que j'ai des lettres de voyage
qui paraissent en ce moment dans la Presse (76).
Celaserafini dans deuxjours. Le pire est que cela me
distrait de l'agencement des scènes du scénario. Je
crois que samedi je pourrai vous porter ce petit
travail. Y avez-vous pensé de votre côté ?
Votre bien dévoué serviteur,
Ce 28. GÉRARD.
i
l830 — NOVEMBRE l84l
XXV
A MARIE DE L EPINAY
[i4 août iH4o].
J'ai encore à m'accuser, Madame, d'être bien
coupable envers vous. En revenant de la campa-
gne où j'étais depuis dimanche, je reçois une lettre
de M. de Girardin, qui me demande le feuilleton
pour aujourd'hui, à cause d'une fête qui aura lieu
dimanche. Demain, je me mettrai à écrire pour
vous et après demain, au plus tard, vous recevrez le
scénario. Pardon encore une fuis.
Votre bien dévoué serviteur,
GÉRARD.
Ce i/j août.
XXVI
A MARIE DE l'ePINAY
[i4 septembre i84o.]
Madame,
Mille pardons encore une fois; je n'ai point vu
Foucher dont j'ai encore deux actes à lire (76). Je
XXV. — Cachet de la poste.
XXVI. — Cachet de la poste.
CORKESPONDANCE
pense le voir ce soir au Palais-Royal. Sinon, j'irai
le trouver chez lui. Avez-vousvu dans le Messager
un article sur vous qui a dû paraître ? Thierry m'a
dit qu'il avait reçu votre volume (77), mais que
ceux de Madame votre mère ne lui étaient point
parvenus (78). Peut-être ont-ils été perdus au
bureau du journal. Je tâcherai de vous aller voir
demain ou après demain, après avoir vu Foucher.
Votre bieu dévoué serviteur,
GÉRARD.
Ce 14.
Mes compliments sur vos charmants feuille-
tons, dans le Grand Journal !
XXVII
AU D"" LABRUNIK
Anvers, le 22 octobre i84o.
Mon cher papa.
Je t'écris sur du papier d'Anvers, portant les
belles armes de cette cité. Je ne comptais t'écrire
que de Rotterdam, mais le temps est si mauvais que
je n'ai pu prendre le bateau à vapeur. Si le temps ne
s'améliore pas, je prendrai la route de terre. D'ail-
xxvii. — Publ. par L. de Bare, Nouvelle Revue internalionale,
1 5 juin 1894.
l83o — NrJVEMUUR l8'|I
leurs je me suis arrêté à peu j)rès daus tous les
endroits où j'ai passé, tant en France qu'en Bel-
gique, à Lille, à Courtrai, à Bruxelles et à Malines.
Depuis mon départ, je n'ai eu que deux jours avec
un peu de soleil ; il règne souvent des vents ter-
ribles.
Je comptais voir la représentation de Piqiiillo
(79) à Bruxelles, mais la plupart des acteurs sont
indisposés, et l'on ne jouera peut-être pas avant un
mois, de sorte qu'il est peu probable que je le voie,
même en repassant. J'ai trouvé ici une foule de
p<*rsonnes qui me connaissent de réputation et qui
me réparent un peu l'ennui de la mauvaise saison.
On m'invite à dîner tous les jours, et je trouve
tous les journaux et les livres dans le cercle de la
ville où l'on m'a présenté. En outre, on m'a donné
mes entrées dans les théâtres, ce qui assure mes
soirées. J'ai rencontré ici un de nos grands acteurs.
Bocage, qui est en congé. Il a donné hier sa pre-
mière représentation.
Je regrette bien que le retard de Théophile (80)
ne m'ait pas permis de venir plus tôt. Cependant,
toutes les feuilles sont aux arbres et le temps n'au-
rait qu'à s'éclaircir pourj que les points de vue
devinssent très agréables. Hier même, en venant
par le chemin de fer, j'admirais ces belles plaines
et ces villes gothiques étonnantes, sous quelques
rayons de soleil. Aujourd'hui j'ai vu le musée de
7-
CORRESPONDANCE
Rubens et la cathédrale, mais il fait un temps gris
depuis ce matin.
Adieu, mon cher papa, peut-être ne serai-je pas
longtemps dans cette tournée, à moins qu'il ne
survienne des beaux jours, ce qu'on serait en droit
d'attendre cependant, au 20 octobre. L'année der-
nière, j'avais de très beaux temps un mois plus
tard, et, l'année d'avant encore, étant à Goblentz,
presque sous la même latitude, nous nous trouvions,
pour ainsi dire, dans la saison d'été. Anvers est
toujours une admirable ville, dans tous les temps.
Je te prie d'avoir la complaisance d'envoyer la
lettre ci-jointe en l'affranchissant, je ne puis le
faire ici. C'est pour réparer l'oubli d'une visite au
commissaire royal (81), qui m'avait demandé une
pièce et m'avait été très favorable dans mes rela-
tions de journaux.
Adieu, je t'embrasse de tout mon cœur.
Ton fils,
G. LÂBRUNIE.
XXXVIII
A HENRI HEINE
Bruxelles 6 novembre i84o'
. . . J'ai profité des loisirs que le mauvais temps m'a
XXVIII. — Publ. par M"'^ J. Cartier, Un intermédiaire entre la
France et l'Allemagne, Gérard de Nerval, p, 77.
i83o — NovEMniiii iS/ji io3
laissés souvent, pour traduire leplusque j'aipu(82).
Cependant, je n'ai encore qu'un tiers, environ. Mais
en redoublant de travail, lorsque j'arriverai, je
pourrai n'avoir g-uère dépassé les deux mois..-
J'éprouve parfois de g^randes difficultés, moins
pour comprendre que pour rendre et j'ai laissé plu-
sieurs aens douteux, afin de vous les soumettre. J'ai
même quelquefois passé provisoirement les pièces
trop difficiles que j'ai rencontrées. L'admirable
richesse de certains détails me laisse parfois dans
l'incertitude si je dois germaniser la phrase ou
rendre par un équivalent français ; mais comme
vous m'avez promis votre aide, j'ai laissé, comme
je vous le disais, les points les plus graves pour vous
les soumettre, de manière seulement à ne pas vous
faire perdre trop de temps...
XXIX
AIT D' LABRUNIE
Liège, ce 17 novembre i84o.
Mon cher papa,
Depuis ma dernière lettre d'Anvers, j'ai fait en-
core une assez grande tournée ; cependant je suis
resté quelque temps à Bruxelles et à Gand, j'ai vu
XXIX. — Publ. par A. Houssaye, (a Presse, 24 septembre i8G5.
I04 CORRESPONDANCE
les répétitions de l'une de mes pièces avec Dumas,
Piquillo, qui sera représentée la semaine prochaine;
le directeur aussi m'a donné mes entrées aux deux
théâtres; on m'a présenté au Casino, ce qui m'a
rendu mes après-midi et mes soirées très ag-réables
tout le temps de mon séjour. Les recommandations
que j'avais m'ont procuré aussi une société fort
aimable qui s'est étendue de telle sorte qu'avant
mon départ je n'ai pu répondre à toutes les invita-
tions. Il est remarquable que les g-ens de lettres
français sont particulièrement bien accueillis à
l'étranger ; à Paris, la supériorité de fortune ou
de position nous domine toujours et nous rend le
g-rand monde peu attrayant ; partout ailleurs, au
contraire, nous avons la double recommandation
de Français et d'organes de la publicité ; les som-
mités politiques d'un pays comme celui-ci sont tout
au plus à notre niveau et dépendent jusqu'à un cer-
tain point de notre appréciation de voyageurs feuil-
letonistes. Du reste, je n'ai encore envoyé qu'une
lettre, mon travail de traduction pour Henri Heine
m'ayant pris une partie de mon temps. Je craignais
beaucoup, comme je te le disais avant de partir,
que le climat ne me fût défavorable ; mais, à part
quelques maux de tête, les premiers jours, je me
suis trouvé très bien. Seulement, tout le temps
que je suis resté dans la Flandre proprement
dite, j'ai senti que l'air était lourd, ce qui rendait
i83o — NOvnMB[\E 184 1 io5
même mon travail assez pénible. J'en éprouve la
ditrérence ici à Liège, qui est un pays d'une toute
autre nature comme mœurs, comme aspect et
comme langage. Les bords de la Meuse offrent des
promenades ravissantes; j'ai pu même aller voir
Spa,à six lieues d'ici, mais il n'y a plus personne;
ce n'est pas qu'il fasse froid, mais la saison des
pluies renvoie tous les l^aigneurs. Je ne sais encore
si j'irai à Aix-la-Chapelle; il n'y a que sept à huit
heures de voyage, mais on ne me dit pas que ce
soit fort curieux autrement que par les souvenirs,
d'autant que j'ai vu le pays déjà d'un autre côté, il
y a deux ans.
J'ai profité de mon séjour à Bruxelles pour faire
un travail sur la contrefaçon (83); je crois avoir
trouvé un moyen de résoudre la question et j'en
présenterai, en revenant, un mémoire. Il s'agirait
seulement d'obtenir que la Chambre assimilât les
produits littéraires aux produits industriels, et
qu'on pût prendre, pour ainsi dire, un brevet d'im-
portation. J'ai vu à ce sujet le ministre des travaux
publics, M. Rogier, et il ne m'a point fait d'objec-
tions sérieuses. Y trouverai-je matière à une mis-
sion comme celle dont j'ai été chargé l'année der-
nière : je m'en occuperai à mon retour.
On s'occupe beaucoup de magnétisme (84) dans
ce pays. J'ai assisté à une séance où une dame
magnétisée donnait des consultations: il paraît que
106 CORRESPONDANCE
les femmes ne veulent plus d'autres médecins:
elles y ont une foi imperturbable. Du reste, je n'ai
rien vu de très surprenant.
Liège me plaît beaucoup. Hier,j'ai fait une prome-
nade magnifique sur les hauteurs d'où l'on décou-
vre toute la vallée de la Meuse et la ville entière,
comme sur une carte. Ce soir, j'irai voir M. Kauff-
mann, administrateur du trésor, auquel je suis
recommandé, et qui doit me présenter au Casino ;
malheureusement, depuis hier, le temps s'est remis
à la pluie, et j'aurai besoin de cette distraction. Je
suis, du reste, fort heureux dans monvoyage,car le
temps est toujours fort doux, et si la pluie est fré-
quente, le beau temps l'est aussi. Hier, en montant
les hauteurs, il me semblait être aux premiers jours
du printemps; après huit mois de travail et de
feuilleton parisien, ce voyage me rafraîchit un peu
l'esprit et je me sens tout plein de courage et de
bonne volonté. Je repartirai dans quelques jours
pour Namur et je serai à Paris vers la fin du mois,
en visitant une partie de la France que je ne con-
nais pas; ce sont les noires Ardennes qui m'ou-
vrent les bras de ce côté et je regrette de voir pres-
que tomber les feuilles de ces belles forêts.
Adieu et à bientôt, mon cher papa.
Ton fils affectionné,
G. LAIÎRUNIE.
l83o NOVEMBRE I 84 I I O7
Si tu avais ù m'écrire, je suis à Liège, hôtel de
la Ponimeletle, ensuite à Namur.
XXX
A EUGÈNE DE STADLER
[7 décembre i84o.]
Mon cher Stadler,
Je suis pris, mon ami — leGirardin m'a manqué;
mon éditeur est en fuite; me voilà à Bruxelles atten-
dant de quoi. Le pis est relatif à l'A...; envoyez-
lui la note ci-jointe. Je lui ai donné assez d'argent
cet été pour qu'il se calme, d'autant qu'il m'a floué
cent francs que j'ai {)ayés au mois de juin de trop
— sur quoi je l'attaquerais devant les tribunaux
et pour usure, s'il faisait le méchant. Dites-le-lui
s'il se plaint. Heureusement, je me remets à tra-
vailler et je serai revenu dans quelques jours, j'es-
père, ou j'enverrai toujours une cinquantaine de
livres dans une quinzaine. La trahison du Girardin
cause tous mes malheurs; pourtant que faire autre-
ment? J'ai voyage [)0ur trouver des sujets do feuil-
h'foiis et l'on m'arrête mon argent.
Adieu, envoyez ce mot à l'h si dans if) jours
XXX. — Date de la poste.
CORRESPONDANCE
il ne reçoit pas la somme, je le réglerai comme j'ai
fait déjà, — par semaine. A bientôt.
Votre bien affectionné,
GÉRARD.
Ce 7 décembre.
— M... est revenu au cabinet du ministre. J'ai
demandé la continuation de ma mission de l'année
dernière, et je ne doute pas d'obtenir au moins
quelque chose, puisque je ne me suis pas rattaché
aux précédents.
Mettez l'adresse exacte d'A...
Suscription : A Monsieur Eugène de Stadler
Aux archives royales de France
au 3farais
ou Quai Napoléon, n° lo, à Paris.
XXXI
A HIPPOLYTE LUCAS
[Décembre] i84o.
Mon cher ami,
Je vous envoie un volume que je vous recom-
mande pour le Siècle ou le National (85). J'en ai
XXXI. — Publ.par H. Lucas, Portraits et Souvenirs littéraires .
l830 NOVEMBRE iS.^I lOQ
envoyé un à l'Artiste. Vous le lirez, n'est-ce pas,
mon ami ? J'y compte bien.
Je suis en ce moment à Bruxelles, fort agréable-
ment et au milieu des sociétés les plus charmantes.
On vient de représenter Piquillo et je n'ai pas
besoin de vous dire que j'en ai profité pour revoir
une charmante dame que vous connaissez. Je vous
écrirai encore dans quelques jours, et je vous deman-
derai quelque autre service semblable pour elle. Je
vous préviens.
Adieu, mon cher ami,
GÉRARD DE NERVAL.
XXXII
A STADLER
Ce vendredi [3 janvier i84i].
Mon cher Stadler,
J'arrive. Vous n'y êtes point — n'importe. — Le
plus important est ceci. J'ai rencontré hier le
A... Il est charmé de me voir de retour, il demande
à tout arranger. Il nous donne rendez-vous lundi de
6 à I h. I / 2 .Je lui portecent francs don! je lui donnerai
5o, et 00 à vous — tout en renouvelant les billets
en totalité. C'est convenu. Je suis tellement forcé
de travailler vite pour avoir la somme, que je n'ai
CORRESPONDANCE
pas un moment. Dans tous les cas, je viendrai vous
prendre ici à i heure, lundi. N'ayez nulle inquié-
tude sur les billets de ce jour-là, puisque c'est con-
venu avec lui. Je tâcherai toujours de venir avant,
mais j'aurai l'argent assurément (86).
G.
XXXIII
A ALEXANDRE WEILL
5 mars [i84i].
MoncherWeill(87)
Je vous ai écrit avant-hier. Si vous n'avez pas
reçu ma lettre, venez vite me voir, rue Picpus,n^ 6,
près la barrière du Trône chez Madame Veuve
Morel; tâchez de venir, au plus tard, dimanche. J'ai
eu, comme vous savez, une courte maladie, terminée
depuis cinq à six jours. Je suis en pleine convales-
cence, venez vite. J'ai besoin de vousparler. Deman-
dez M. Gérard. Depuis lo heures du matin jusqu'à
5 heures.
Adieu et à vous de cœur,
GÉRARD.
Ce 5 mars.
Suscription : A Monsieur A. Weill,
rue du Croissant hôtel du —
après les bains. Paris,
l83o NOVEMBUE l84l
XXXIV
A JULES JANIN (88)
iG mars i84i.
Il fait si beau que l'on ne peut se rencontrer ni
s'embrasser dans les maisons. Je vais tâcher de
revenir. Addio.
Ilcar. G. Nap. délia lorre Brunya. Ce iG mars.
XXXIV. — Putjl.par M. Ck'incnl Janin, Dédicaces cl Lellrea auto-
graphes.
II
NOVEMBRE i84i —AOUT i853
Le second séjour à Vienne, i84i-42 ('?). — Voyage en Orient, décem-
bre 42-décembre 43. — Voyage à Londres, i845. — Les Femmes
du Caire, 1848. — Les Monténégrins, mars 1849. — ^* Chariot
d'enfant, mai i85o. — Voya^^e en Allemag-nc, août i85o. — Excur-
sions dans le\alois, novembre i85o. — Le Voyage en Orient, i85i.
— L'imagier de Harlem, décembre i85i. — Voyage en Belgique
et Hollande, mai i852. — Les Illuminés et Lorely, 1862. — Petits
châteaux de Bohème, i853. — Séjour dans le Valois, printemps
i853. — Sylvie, août i853. — Deuxième crise, 26 août i853.
XXXV
A MADAME ALEXANDRE DUMAS (89)
Le 9 novembre [184 1].
Ma chère Madame,
J'ai rencontré hier Dumas, qui vous écrit au-
jourd'hui. Il vous dira que j'ai recouvré ce que l'on
est convenu d'appeler raison, mais n'en croyez
rien. Je suis toujours et j'ai toujours été le même,
et je m'étonne seulement que l'on m'ait trouvé
changé pendant quelques jours du printemps der-
nier. L'illusion, le paradoxe, la présomption sont
toutes choses ennemies du bon sens, dont je n'ai
jamais manqué. Au fond, j'ai fait un rêve très
amusant, et je le regrette ; j'en suis même à me
demander s'il n'était pas plus urai (juc ce qui me
semble seul explicable et naturel aujourd'hui. Mais
comme il y a ici des médecins et des commissaires
qui veillent à ce qu'on n'étende pas le champ de
la poésie aux dépens delà voie publique, on ne m'a
laissé sortir et vaguer définitivement parmi les
g-ens raisonnables que lorsque je suis convenu bien
xx.\v. — Revue des Documenls historiques, 1878.
Il6 CORRESPONDANCE
formellement d'avoir été malade, ce qui coûtait
beaucoup à mon amour-propre et même à ma véra-
cité. Avoue ! avoue 1 me criait-on, comme on fai-
sait jadis aux sorciers et aux hérétiques, et pour
en finir, je suis convenu de me laisser classer dans
une ajjection définie par les docteurs et appelée
indifféremment Théomanie ou Démonomanie dans
le Dictionnaire médical. A l'aide des définitions
incluses dans ces deux articles, la science a le droit
d'escamoter ou réduire au silence tous les prophè-
tes et voyants prédits par l'Apocalypse, dont je
me flattais d'être l'un 1 Mais je me résigne à mon
sort, et si je manque à ma prédestination, j'accu-
serai le docteur Blanche d'avoir subtilisé l'esprit
divin.
Je vous trouve bien heureuse d'être en Italie à
l'heure qu'il est. J'ai voulu faire un petit voyag-e
jusqu'à la mer, pour profiter au moins des derniè-
res feuilles de l'automne, mais le mauvais temps
m'a fait vite revenir à Paris. Voici Dumas à la veille
de grands succès ; on l'applaudit déjà depuis un
mois comme aux plus beaux temps du drame mo-
derne, et cela est de bon augure assurément (90).
Que je voudrais pouvoir me réchauffer encore à ce
rayon ; mais je me trouve tout désorienté et tout
confus en retombant du ciel où je marchais de
plain-pied,il y a quelques mois. Quel malheur qu'à
défaut de gloire la société actuelle ne veuille pas
NOVEMBRE »84l AOUT 1 853 II7
toutefois nous permettre l'illusion d'un rêve con-
tinuel. II me sera resté du moins la conviction de
la vie future et de la sympathie immortelle des
esprits qui se sont choisis ici-bas. C'est en associant
toujours Dumas et vous à mes pensées dans les
instants dangereux de ma maladie, que je me suis
convaincu de mon attachement pour vous deux et
du besoin que j'ai de croire que vous m'avez con-
servé toute votre amitié.
GÉRARD.
XXXVI
A STADLER (91)
[Novembre ou Décembre i84i .]
J'apprends que vous êtes sauf, moi aussi, — de
plus licencié de Montmartre.
Adieu. GÉR.
XXXVII
AU C LABRUNIE
Lyon, ce 25 décembre 1842.
Mon cher papa,
Nous sommes à Lyon en très bonne santéet nous
XXXVII. — Piibl. par L. de Bare, Nouvelle Revue internationale,
3o juin 1895.
8.
IlS CORRESPONDANCE
allons partir pour Marseille, cette nuit. Le temps
s'est éclairci, de sorte que nous sentons déjà l'ap-
proche et le bon soleil du midi. Notre route se
faisant désormais sur le bateau à vapeur, sauf le
court trajet d'Avignon à Marseille, nous pouvons
dire que le plus ennuyeux et le plus fatig-ant du
voyage est à présent passé.
Nous sommes allés aujourd'hui à Fourvières et
comme c'est jour de fête, c'était^très^brillant, La vue
était magnifique à ce beausoleil. Nos lits de voyage
et le daguerréotype sont cause que nous avons un
excédent de bagage très coûteux, mais cela sera
moins sensible sur les bateaux.
Je t'écrirai de Marseille comment tu pourras me
faire parvenir des lettres. Tu ne saurais croire com-
bien j'ai été affecté de te quitter, surtout en voyant
que cela te faisait de la peine. L'humeur voyageuse
qui me vient un peu de toi me porte assez sou-
vent à ces résolutions, sans que l'éloignement me
soit moins sensible une fois parti. Mais, avec le
caractère que j'ai, je me trouve souvent si malheu-
reux delà vie de Paris que les personnes qui m'ai-
ment ne doivent pas être fâchées que j'y échappe
parfois. Lequel vaut-il mieux, de garder près de
soi son fils ou son ami malade ou triste, ou bien de
le savoir au loin, bien portant, gagnant des forces
et du savoir et satisfait au moins d'un désir accom-
pli. L'hiver dernier a été pour moi déplorable, l'a-
NOVEMBRE I 84 1 AOUT l853 IIQ
battement m'ôtait les forces, l'ennui du peu que je
faisais me gagnait de plus en plus et le sentiment
de ne pouvoir exciter que la pitié à la suite de ma
terrible maladie m'ôtait même le plaisir de la
société (92). 11 fallait sortir de là par une grande
entreprise qui effaçât le souvenir de tout cela et me
donnât aux yeux des gens une physionomie nou-
velle. Tâche donc de considérer la réalisation de ce
projet comme un grand bonheur qui m'arrive et
le gage d'une position à venir.
J'ose â peine te souhaiter ta fête dans ces cir-
constances, et pourtant je vois désormais l'avenir
très heureux. Nous ne sommes encore d'âge ni de
santé nv l'un ni l'autre à nous inquiéter d'une sé-
paration de cinq à six mois : la saison où je pars
rend presque impossible la perspective de mala-
dies graves dans les pays où je vais et, ne quittant
pas les villes de la côte, je ne crois courir aucun
danger.
Je t'écrirai de Marseille, car nous avons bien peu
de temps. Adieu donc et courage encore une fois.
J'écris une petite lettre au D"" Blanche, que je n'ai
pu voir avant de partir.
Ton fils bien affectionné,
G. LABRUNIE.
CORRESPONDANCE
XXXVIII
AU Dr LABRUNIE
Marseille, ce le'' [janvier i8/j3].
Mon cher papa,
Je suis bien triste, en te souhaitant la bonne
année, de le faire de si loin. Nous voilà séparés pour
bien du temps encore, et, en vérité, c'est presque
le seul regret que je laisse à Paris au moment d'un
voyag'c que j'entreprends avec la pensée qu'il sera
favorable à mon avenir. Nous avons eu bien peu
de temps pour achever nos préparatifs à Marseille,
car les bateaux ont mis deux jours pour nous me-
ner à Avignon, et le temps était mauvais; mainte-
nant, nous nous embarquons, par un temps superbe
et par un soleil tout méridional, sur le Mentor, qui
part à cinq heures. Dans huit jours nous serons à
Alexandrie, s'il plaît à Dieu. Nous emportons tout
ce qu'il nous faut, et plus encore, jusqu'à des lunettes
bleues et garnies contre la poussière. Nous avons
été accueillis admirablement ici ; Méry nous a fait
les honneurs de la ville (98), et rien ne nous a
manqué comme affaires et comme recommanda-
tions. Je doutais encore ce matin que nous nous
embarquions aujourd'hui ; mais le beau temps nous
XXXVIII. — Publ. par A. Houssaye, la Presse, 3 décembre 1862.
NOVEMBRE l84l AOUT l853
a décidés. Le vent est favorable, et nous arriverons
très vite ; sois donc un peu content de me voir tiré
de ma végétation de Paris pour des travaux utiles
et instructifs. Nous allons travailler l'arabe sur le
bateau. Nos livres sont très bons. Si tu as à m'écrirc,
il faudrait le faire à Alexandrie, bureau restant,
mais, je ne sais s'il faut affranchir, ni ce qu'il y a à
faire. Je t'en écrirai les détails en arrivant, car,
comme lorsque j'étais à Vienne, j'aurai les moyens
de rendre la correspondance moins coûteuse. Adieu
donc, je t'écris et je t'embrasse, le cœur serré;
mais enfin, cela vaut mieux que la maladie, et
nous l'avons supportée. Sois sûr aussi que je
n'aurai pas lieu de courir aucun danger.
Adieu ! reçois mes vœux; partage un peu mes
espérances et aime-moi toujours.
Ton fils bien affectueux,
G. LABRUNIE.
Tu as reçu ma lettre de Lyon ? J'ai peur d'avoir
oublié de mettre à Paris.
XXXLX
AU D"" LABRUNIE
Malte, ce 8 janvier i843.
Mon cher papa,
Je me hâte de t'écrire de Malte, car le plus dur
XXXIX. — Piibl. par L. de Barc, Nouvelle Revue internationale,
3o juin 1895.
CORRESPONDANCK
de ma traversée est accompli, à ce que je crois, du
moins. Nous avons eu un temps affreux depuis
Marseille, et nous avons mis huit jours pour ce
trajet qui n'en veut que quatre ou cinq. Je suis
encore étourdi du roulis, mais du reste en parfaite
santé. Maintenant, le temps est superbe et l'on nous
promet une mer très douce pour le trajet qui nous
reste à faire ; je me suis d'ailleurs habitué très
vite à la mer qui, les derniers jours, ne me faisait
nullement souffrir. Hier, dans la soirée, nous avons
traversé heureusement le canal de Messine et, mal-
gré Gharybde et Scylla, bien dégénérés, nous som-
mes entrés à La Valette aujourd'hui à une heure.
Malheureusement, il était mort un homme à bord
pendant le grand roulis d'avant-hier, de sorte que
nous avons failli être mis en quarantaine et il a fallu
toujours attendre trois heures la permission de
prendre terre.
C'était un Anglais, officier de la Compagnie des
Indes, qui, attaqué de la poitrine, s'en allait pren-
dre les bains du Nil ; mais, la nuit de l'orage, il a
voulu rester seul à table, il a mangé beaucoup, bu
une bouteille de Champagne et, le lendemain, on l'a
trouvé mort dans son lit. De plus, un officier du
bord s'est cassé la tète en tombant d'une manœu-
vre. Je suis content d'avoir quitté ce navire de
malheur. Demain, à 7 heures du matin, c'est le
Minos qui nous reprend pour l'Archipel, car nous
NOVEMBRE 1 84 I AOUT l853 I 23
sommes forcés de faire un coude jusqu'à Syra avant
d'arriver en Eg-ypte. Il n'y a pas de trajet direct.
Malle est une lie superbe et charmante; malheu-
reusement il faut la quitter trop vite et nous n'a-
vons eu qu'une soirée pour parcourir sa belle capi-
tale, la cité La Valette, où les Anglais dominent.
C'est aujourd'hui dimanche, de sorte que tout est
fermé, mais il y avait beaucoup de monde dans la
ville et sur les places, et les musiques militaires
s'entendaient devant le palais et sur les navires du
port.
J'ai été agréablement surpris, en entrant dans la
ville, de voir les fossés remplis d'arbres orientaux
magnifiques, de palmiers, de cactus et d'orangers
chargés d'oranges, etc.. Quand nous avons passé
à Naples, avant-hier, c'était l'hiver encore et le
Vésuve était chargé de neige ainsi qu'hier le Strom-
boli et ce matin l'Etna; mais ici le printemps appar
raît, comme la France ne l'aura que dans trois
mois; nous avons mangé du melon, des primeurs,
et dîné du reste un peu à l'anglaise; l'Angleterre
gâte tout ici.
Tous nos compagnons de route nous rassurent
touchant les dangers de l'Orient, surtout en cette
saison, qui, sauf l'ennui et les mauvais temps que
nous venons de traverser, est vraiment la meilleure
pour un pareil voyage; mais peu de gens ont le cou-
rage que nous avons eu de partir en plein hiver.
124 CORRESPONDANCE
Dans trois jours, nous espérons être à Syra et, trois
Jours après, à Alexandrie. Nous n'avons encore
dépensé que fort peu, relativement, et il faut
compter beaucoup d'achats de livres, armes, etc.,
ainsi que des choses relatives au dag"uerréotype.
Je commence à m'essayer de parler arabe avec des
Egyptiens qui voyagent avec nous et qui faisaient
partie de l'ambassade d'Artim-bey (94)- Gela est
bien plus facile que je ne pensais et il est certain
que nos livres modernes simplifient beaucoup cette
étude, en nous donnant l'exacte prononciation ainsi
que j'ai pu le vérifier. J'ai des dictionnaires, une
g-rammaire et des livres de conversation trouvés, la
plupart, à Marseille. Nos Egyptiens parlent l'arabe
pur; ainsi nous en saurons, en arrivant, assez pour
nous faire entendre sur les choses les plus néces-
saires. Adieu, mon cher papa, tu vois que tout va
pour le mieux et qu'il n'y a nulle raison de t'alar-
mer. Le Minos part demain par le plus beau soleil
possible et il n'y a nulle raison pour que le temps
change en si peu de jours qui nous restent à faire
par mer. Porte-toi bien, je ne t'écrirai plus que
d'Alexandrie maintenant, à moins de circonstances
particulières d'ici à Syra. Ainsi tu ne peux avoir de
mes nouvelles avant trois semaines ou un mois,
puisque les lettres mettent quinze jours d'Alexan-
drie à Marseille, plus les quatre jours de Marseille
à Paris.
NOVEMBRE 1841 — AOUT l853 125
Adieu donc et à bientôt.
Je l'ombrasse de tout mon cœur.
G. LABRU.NIE.
Alexandrie, ce i6 janvier i8/(:^.
Mon cher papa,
Ma lettre n'a pu partir de Malte ; la poste était
terminée et, de Syra,elle ne serait pas arrivée plus
tôt. Tu seras plus content de la recevoir d'Alexan-
drie, puisque me voici arrivé et en bonne santé. Je
vais seulement monter Je Nil jusqu'au Caire où tu
pourras m'écrire bureau restant : je ne sais encore
où nous log^erons. Nous venons de traverser l'Ar-
chipel, nous arrêtant seulement à Syra, puis nous
sommes arrivés, après quatre jours encore de tra-
versée,depuis Syra. C'est donc quinze jours en tout.
La ville est très belle et nous sommes très bien
log-és. C'est un peu cher à cause de l'épizootie, mais
d'ailleurs tout est très sain et il n'y a nul danger
de peste. Je t'écrirai maintenant du Caire. Je te prie
d'envoyer cette petite lettre à Belleville en la
cachetant. Adieu, mon cher papa, et encore une
fois bonheur et santé.
GÉRARD.
CORRESPONDANCE
XL
AU Dr LABRUNIE
Le Caire [avril i843].
Dans deux jours, Ibrahim-Pacha (95) nous a promis
de nous conduire lui-même à Gizeh et aux Pyrami-
des. M. Perron (96) nous a fait recevoir à la Société
égyptienne où nous avons tous les livres possibles
concernant l'Eg-ypte, ce qui me permet d'étudier à
mesure que je vois les choses. Il s'était répandu
quelques bruits de peste à Malte et à Syra qui nous
avaient un peu effrayés pendant notre traversée,
mais ici il se trouve qu'il ne se trouve absolument
rien; jamais la santé n'a été si bonne et jamais
aussi la mienne n'a été meilleure que depuis le
commencement de ce voyage. Il est vrai que je suis
un régime excellent en ne mangeant que des choses
très simples et en ne faisant aucune sorte d'excès.
La mortalité des bœufs a rendu la viande très
chère, mais la volaille est à trèsbon marché et l'on
mange aussi beaucoup de riz et de légumes. Nous
avons des petits pois verts excellents. Quant aux
fruits, ce n'en est pas la saison, et nous n'avons
mangé que des dattes fraîches à Alexandrie et des
bananes qui sont délicieuses; mais au Caire on n'en
XL. — Publ. par A. Houssaye, la Presse, 3 décembre 1862,
NOVEMBRE l84l — AOUT l853 127
peut plus trouver. Le temps est toujours magnifique
et représente constamment un été d'Europe, ou, tout
au moins, un printemps. La verdure et les fleurs
sont éternelles dans ces heureux pays ; je traverse
tous les jours, dans la ville même, des jardins déli-
cieux. Toutefois nous n'allons pas tarder à nous
mettre en route pour visiter encore quelques
points du pays et nous diriger ensuite vers la Syrie,
afin d'être à Jérusalem aux fêtes de Pâques. C'est
le plus beau moment pour voir cette ville; ensuite,
nous iK)us dirigerons vers Damas et Beyrouth. Ce
sont des pays maintenant tellement frayés qu'on y
voyage comme en Europe. Ainsi toutes les crain-
tes qu'on nous donnait sur l'Egypte se sont dissi-
pées en approchant ; cela remonte à des époques
de guerre et de désordre qui ne sont plus. Les gens
au milieu desquels nous vivons sont d'une douceur
admirable; ce serait le meilleur peuple de la terre
sans son avidité pour le bachiz (le pour-boire). La
ville est très grande et les courses fort longues,
mais il y a un service d'ânes fort commode dont
tout le monde se sert. Ils sont beaucoup plus forts
qu'en Europe et vont très vile, de sorte qu'on ne
se fatigue ni ne s'échautfe à courir. Cela coûte
environ cinq sous l'heure ; il est presque impossible
d'aller à pied.
Après tout, il y a des heures bien ennuyeuses et
bien tristes dans cet isolement : j'ai pensé à toi bien
Î28 CORRESPONDANCE
souvent, et mon âge me fait plus sentir l'ennui d'ê-
tre si loin. J'espère que nous pourrons être de
retour pour le mois de juillet, ayant fait la tournée
complète et amassé de bons sujets de travail. Je
suis très content, dans cette circonstance, que tu
aies pu décider M"^ Delile à venir te tenir compa-
gnie. Tu vois, du reste, qu'il n'y a plus d'inquié-
tudes à avoir, puisque nous n'avons plus mainte-
nant qu'à revenir par terre, par Gonstantinople et
le Danube. Quant au climat, l'épreuve est faite, et
ma santé n'a pas été ébranlée un seul instant.
Adieu, la poste part aujourd'hui, après un retard
de quinze jours. Je pense que cette lettre t'arrivera
dans vingt jours au plus et vingt jours après la
précédente. Je t'écrirai encore avant de quitter
l'Egypte.
Ton iîls bien affectionné,
G. LABRUNIE.
XLI
AU D^ LABRUNIE
Le Caire, le 2 mai i843.
Mon cher papa.
Je pars aujourd'hui du Caire pour la Syrie ; je
ne sais si je trouverai quelque lettre de toi à Bey-
xLi. — Publ. par A. Houssaye, la Presse, 3 décembre 1862.
NOVEMBRE 184 I — AOUT |853 1 SQ
routh, mais il n'en est pas venu ici. Peut-être n'as-
tu pas reçu toutes mes lettres, ou celle que tu as
pu m'écrire s'est-elle perdue ; la poste est si mal
organisée que cela est fréquent. Enfin écris-moi
encore une fois à Beyrouth, l'eusses-tu fait déjà ;
c'est là que je vais et compte m'arréter deux mois.
J'ai passé toute la saison en Egypte sans éprouver
la moindre altération de santé; j'espère que la
Syrie ne me sera pas moins favorable. C'est ici, je
puis te le dire à présent, qu'était le plus grand dan-
ger; car il y a eu des cas de peste, peu nom-
breux, il est vrai, et l'ophtalmie ainsi que la dysen-
terie sont très fréquentes. Je suis resté à peu près
tout le temps qu'il faut pour prendre une idée
assez complète de ce beau et célèbre pays; j'ai vu
déjà Alexandrie, Lafté, le Caire, Fostat, Héliopo-
lis, Giseh, Schoubra, les Pyramides ; je vais voir
encore Mansourah et Damiette, et la plus belle
partie du Delta en redescendant le Nil ; ce sera
donc complet, quant à l'Egypte; j'aurais bien voulu
remonter jusqu'aux cataractes et voir Thèbes, mais
la saison était déjà trop avancée pour accomplir ce
voyage quand nous avons voulu le faire ; les bar-
ques eussent mis deux à trois mois, ce qui est trop
long et trop fatigant pour voir de simples ruines,
dont on se rend fort bien compte d'après les
dessins. Les mœurs des villes vivantes sont plus
curieuses à observer que les restes des cités mortes
i3o CORRESPONDANCE
et nous avons été servis à souhait par les circons-
tances. Nous avons pu voir, tour à tour, la Pâque
des Cophtes et des Grecs, la fête turque de la
naissance du Prophète et celle du retour des pèle-
rins de la Mecque. Cette dernière surtout présente
des cérémonies extraordinaires et qu'on s'étonne
de rencontrer encore dans un pays a demi civilisé.
J'ai vu des fanatiques qui s'étaient mis dans un
état d'exaltation analogue à celui des convulsion-
naires, se coucher sur le ventre en grand nombre
sous le pas du cheval de l'émir des pèlerins ; le
cheval trotte sur un chemin de dos humains, sans
leur faire de mal, à ce qu'ils disent. Il y a eu seu-
lement un nègre que l'on a été obligé de relever ;
mais ils prétendent qu'il n'était pas blessé, mais
tombé en convulsions. Les fêtes étaient très bril-
lantes d'ailleurs. Je t'ai dit que nous avions été
parfaitement reçus par plusieurs Français haut
placés dans le gouvernement, M. Lambert (97),
directeur de l'Ecole polytechnique, M. Linant
(98), inspecteur général des ponts et chaussées,
et M. Perron, directeur de l'Ecole de Médecine.
Nous avons dîné plusieurs fois chez ce dernier, et
nous avons pu lui rendre sa politesse, ainsi qu'à
M.Tardieu, administrateur de la ferme modèle du
pacha. Je me suis aussi rencontré avec le fameux
Glot-bey (99) et M. Lubert (100) aux dîners du
consul général. Tu vois que ces diverses relations
NOVEMBRE 184I AOUT l853 l3l
ont dû nous distraire suftisamniLMit pendant le
temps que nous n'avons pas employé en excursions.
Le Caire est du reste une ville qu'on ne connaîtrait
pas en un an ; c'est le fouillis de maisons le plus
inextricable qu'on puisse rêver. Malheureusement
la population n'est plus en rapport avec l'ancienne
mag^nificence des palais et des maisons.
Je me remets à l'écrire au milieu de nos prépa-
ratifs et pendant que l'on nous achète des matelas
pour dormir dans le bateau. Nous avons reçu une
recommandation du consulat pour Damiette, où
nous arriverons dans six jours. Là, nous pren-
drons un vaisseau grec pour Jaffa, en Syrie, où il
nous faudra faire une quarantaine de douze jours;
cela doit être fort ennuyeux, mais après, nous
irons à Saint-Jean d'Acre et de là à Bevrouth, si
Dieu le permet. Il fait beaucoup de vent ce soir;
mais, pour descendre le Nil, peu importe^ puisque
nous avons le courant. J'ai fait mes dernières visi-
tes aujourd'hui. Ce que je craignais principalement
en Egypte, c'était l'ophtalmie, extrêmement fré-
quente ; ma vue basse a dû me protéger.
J'espère que M™*^ Delile est près de toi, qu'il ne
te manque rien que de me savoir bien portant et
en bonne route, c'est pourquoi je te donne tous
ces détails ; mon voyage avance et j'espère l'accom-
plir tout entier d'ici à l'hiver. Ensuite cela me taille
l32 CORRESPONDANCE
de la besogne et de la tranquillité pour long-temps.
Il faut dire que l'Egypte est un peu monotone à la
longue pour qui n'est pas spécialement un savant
et un déchiffreur de hiéroglyphes. Le peuple est
très pauvre, ce qui est assez triste à voir, et le tiers
des gens a les yeux malades. Cette étroite lisière
de végétation serrée entre deux déserts n'offre pas
assez de contrastes, et l'on conçoit que les Egyp-
tiens aient été portés de tout temps à la tristesse.
La Syrie nous offrira un spectacle moins sublime,
mais plus vivant
Nous avons un théâtre italien assez distingué,
des comédies, des opéras, des bals; c'est donc pres-
que l'Europe, dans tout un quartier de la ville.
Je possède assez d'italien, d'arabe et de grec déjà
pour parler ce qu'on appelle la langue franque qui
se compose arbitrairement de mots de ces trois lan-
gues. On finit par se faire comprendre à force d'ac-
cumuler des mots et d'essayer des intonations de
la gorge ; j'ai deux dictionnaires et une grammaire,
mais j'apprends bien plus par la nécessité de de-
mander les choses; seulement, je vérifie après avoir
entendu les mots, ou je les prononce de plusieurs
manières jusqu'à ce qu'on m'ait compris.
On voulait me marier au Caire avec une Syrienne
de douze ans ; mais je l'ai trouvée un peu trop
jeune (loi). Les mariages ici se font de trois ma-
nières : devant le prêtre cophte, devant le papa
NOVEMBRE l84l AOUT l853 l33
grec ou devant le prêtre catholique. La plupart ne
sont valables que dans le pays, mais je crois que,
devant la religion, cela engage toujours.
J'ai profité de la mode du pays, qui est de por-
ter un tarbouch avec une coiffe, blanc, pour me
faire raser les cheveux, ce qui me les conservera
probablement. La chaleur n'est pas insupportable,
parce qu'il fait beaucoup d'air.
Ecris-moi donc à Beyrouth (Syrie). Je crois qu'il
est nécessaire d'affranchir jusqu'à Marseille, comme
on le fait ici jusqu'à Alexandrie, mais je n'en suis
pas sûr. On adresse à la poste franque, bureau res-
tant. Voilà donc le plus dangereux du voyage passé.
A bientôt, mon cher papa : tu ne peux croire com-
bien je serai heureux de te revoir; c'est dans de tels
pays surtout qu'on se sent isolé.
Je t'embrasse de tout mon cœur et de toutes
mes forces.
Adieu. Ton fils,
GÉRARD LABRUNIE.
XLII
AU D'' LABRUNIE
Constantinople, 25 juillet i843.
Mon cher papa,
J'arrive à Constantinople et je suis obligé de
XLII. — Publ. par L. de Bare, Nouv. Revue Internationale, i5
mars 1897.
l34 CORRESPONDANCE
t'écrire vite par le paquebot qui repart dans quel-
ques heures. Je ne sais si tu as reçu mes dernières
lettres d'Eg-ypte et de Syrie (102). Il faut au moins
deux mois pour faire parvenir en France des nou-
velles de ce dernier pays. Pas de poste régulière et
un service de bateaux à voile tous les mois ! Me voici
enfin en Europe ; je retrouve ici mes chers jour-
naux de France, mais que d'ennuis, que de chaleur,
que de quarantaines pour arriver dans cette région
presque civilisée ! Je suis un peu fatigué des mon-
tagnes, de la poussière et des gens à demi sauva-
ges du Carmel et du Liban. Cela est fort beau de
loin, et très ennuyeux de près. Il faut dire, toutefois,
que la circulation ne pouvant se faire qu'à cheval,
dans les montagnes et les rochers, cela est très
coûteux et assez pénible pour un si mauvais cava-
lier que je suis. A part cet inconvénient, je procla-
merais la Syrie un pays superbe et délicieux.
Lorsque je suis arrivé, le consul était à Damas,
d'où il n'est revenu que trois jours avant mon
départ. Je croyais trouver, par sou entremise, quel-
que lettre de toi adressée à Beyrouth, mais rien
n'était venu et je ii.e serais pas étonné que tes let-
tres, car j'en attends plusieurs, fussent définitive-
ment perdues. Il n'y a, pour cette maudite destina-
tion, ni bateaux à vapeur, ni poste française. Enfin,
m'en voilà sorti. Je suis arrivé par Chypre, Rhodes,
Smyrne et la Grèce, ou du moins les îles. La mer
NOVEMBRE l84l AOUT l853 l'65
m'a peu fatigué. Il ne m'est resté du séjour sous
la tente qu'une légère névralgie. Au fond, ma santé
est admirable dans tout ce voyage. Il est vrai que
je ne fais aucune imprudence et que je vis partout
conformément .aux habitudes du pays.
A présent, je regrette de n'être pas resté plus
longtemps en Syrie, mais vraiment il faudrait beau-
coup de résolution et beaucoup d'argent. On ne
peut voyager qu'avec un drogman, des chevaux,
une tente, et, de cette manière encore, avec des
peines infinies. J'ai vécu un mois au milieu des
Maronites, faisant des excursions dans le Liban,
mais je n'ai pu voir ni Damas où était la peste, ni
Balbek dont la route était coupée par les Druses et
les Métualis, toujours en révolte. Je ne te parle pas
de ma traversée de Damietteaux côtes de Syrie, sur
la Santa Barbara, bateau grec fort incommode,
où j'ai été fort ballotté pendant sept jours. Tout
cela est passé et, désormais,je n'ai plus en perspec-
tive que de bonnes et solides lignes de bateaux à
vapeur.
Maintenant, reviendrai-jeparla Grèce et Trieste»
ou par Vienne et l'Allemagne? c'est une question
de temps et d'argent. Or, depuis mon départ de
Paris, j'ai un peu gaspillé de l'un et de l'autre, sur
terre et sur mer. Après tout, la situation n'est pas
mauvaise dans cette belle capitale, où l'on vit très
facilement, comme dans toute capitale, tandis que,
l36 COURESPONDANCE
dans le désert, il en coûte fort cher pour coucher en
plein air et manger fort mal.
Adieu, mon cher papa, je ne te parle que de
moi ; c'est une suite de ma position momentanée.
Je reg-rette bien de n'avoir pas trouvé de tes nou-
velles à Beyrouth, mais c'était presque impossible.
Ici, si tu veux m'écrire au bureau restant, c'est
aussi simple que d'écrire à Rouen. Rien qu'un mot,
ce que tu voudras. Je serai à temps pour le rece-
voir d'ici à un mois; je resterai ce temps-là au
moins. Mes amis n'ont pas de nouvelles de moi
depuis l'Egypte. Fais-moi le plaisir d'envoyer ce mot
à Théophile. Ce que j'ai écrit de Syrie ne peut
arriver que plus tard. J'écrirai dans dix jours par le
bateau français. Adieu, mon cher papa, je n'ai pas
le temps de te dire combien j'ai song'é à toi et rêvé
de toi. Nous nous reverrons avant l'hiver.
Je t'embrasse bien fort et de tout mon cœur.
Adieu encore.
GÉRARD.
XLIII
A.U D' LABRUNIE
Constantinople, ce 19 aoùt[i843].
Mon cher papa.
Je vais pouvoir t'écrire plus rég-ulièrement ; je
XLIII. — Publ. par A. Houssaye, la Presse, i5 septembre i865.
NOVEMBRE 1 84 1 AOUT l85o iZ"]
n'ai plus qu'à voir des villes d'Europe, des pays
civilises. Depuis mon arrivée à Constantinople, je
nie suis senti toujours dans une ville européenne
où le Turc est devenu lui-même un étranger. J'ha-
bite Péra, ville complète qui a la physionomie de
Lyon ou de Rouen, ainsi que Galata, sa voisine.
Constantinople se déploie en face de nos fenêtres,
et c'est un spectacle charmant, de loin surtout. Je
t'ai dit que Tenlrée dans le port était le plus beau
coup d'oeil de la terre; ce n'est que de près que
la ville perd beaucoup de ses charmes. Ce n'est pas
qu'elle soit sale et malsaine, comme on le dit dans
les itinéraires ; elle a beaucoup gagné sous ce rap-
port depuis quelques années, mais l'uniformité de
ses maisons de bois peintes rend la plupart des
rues assez monotones. Par exemple, les bazars,
les mosquées et les places sont fort dig-nes d'atten-
tion et on ne peut se lasser de les voir.
Quant aux rives du Bosphore, c'est une grande
rue bordée de palais, la plus lielle du monde; enfin,
sans valoir le Caire, Constantinople lui est très pré-
férable pour l'agrément et pour la santé. J'ai ren-
contré un peintre, M. Rogier (io3), qui m'a fait
connaître plusieurs personnes du pays. Il vit dans
une famille d'Arméniens, qui sont de hauts digni-
taires du sultan., de sorte que les renseignements
curieux ne me manquent pas. On lui a abandonné
tout un palais au bord du Bosphore, que la famille
9.
l38 COHRESPONDANCE
n'habite que l'hiver. Il y a là une bibliothèque
dont je profite, ce qui est fort rare et fort précieux
pour le pays. Je connais de plus le directeur du
Journal de Constaniinople (io4), M. Deschamps,
qui me communique tous les journaux. Les loge-
ments sont très chers, mais la vie matérielle est à
bon marché, du moins en ne vivant pas à l'hôtel.
On peut dîner pour six à sept piastres, chez un res-
taurateur viennois fort bon. J'ai pu déjà voir plu-
sieurs fêtes g-recques et turques, et la ville tout
illuminée quatre à cinq fois; bientôt va recommen-
cer le Ramazan, que je comparerai avec les fêtes
de la naissance de Mahomet que j'ai vues au Caire.
Il me reste aussi à visiter les îles des Princes,
Brousse, Belgrade, le mont Olympe, etc. Hier, en
passant près des bazars, j'ai vu par terre un homme
à qui on avait tranché la tête. C'est un Grec qui
avait promis, pour échapper à la bastonnade, de
se faire musulman, et comme il s'était échappé et
qu'on l'avait saisi ensuite, on lui a tranché la tête
sur son refus positif de changer de religion ; les
Grecs le regardent comme un martyr et les Turcs
se sont fait beaucoup de tort par ce procédé, qui
rappelle leur ancienne barbarie. Du reste, un Franc
n'a rien à craindre d'eux et, dans les relations
habituelles, ils sont très doux.
Je ne t'ai pas donné de grands détails sur la
Syrie; tu les liras imprimés ; et d'ailleurs, je n'ai
NOVE.vnRK i8'(i — AOL'T i853 iSg
pas pénétré dans des contrées bien extraordinai-
res ; la montagne, je veux dire le Liban, est très
fatigante à parcourir, d'abord parce qu'on ne
peut le faire qu'à cheval, et à monter ou descen-
dre toujours sur des rochers glissants. Pendant
mon séjour, les Druses se battaient à peu de dis-
tance, et j'ai vu des villages de Maronites à moitié
brûlés par eux. Au fondj'ai couru très peu de dan-
gers, et n'ai pas été malade un seul jour depuis mon
départ ; ni la mer, ni la chaleur, ni le désert n'ont
pu interrompre cette belle santé dont mes amis se
défiaient tant avant mon départ. Ce voyage me ser-
vira toujours à démontrer aux gens que je n'ai
été victime, il y a deux ans, que d'un accident bien
isolé. Je me suis remis à travailler, et j'attends ici
la réponse d'un libraire avec lequel j'avais des
arrangements pour mon voyage. Mon compagnon
a pu m'avancer quelque chose sur cette affaire, qui
nous est commune ; mais il va repartir, appelé par
un procès. Je reviendrai donc tout doucement, me
faisant envoyer de ville en ville par le libraire
et par les journaux. Après tout, c'est notre vie à
Paris ou partout ailleurs ; il faut travailler pour
avancer. Le meilleur, c'est que j'ai acquis de la
besogne pour longtemps, et me suis créé, comme
on dit, une spécialité. J'ai fait oublier ma maladie
par un voyage; je me suis instruit, je me suis même
anmsé ; j'ai donc bien fait au point de vue de mon
l4o CORRESPONDANCE
état. Ce qui m'a été triste et me l'est chaque jour
davantag-e, c'est d'être si longtemps séparé de toi;
tu es mon seul parent et presque mon seul ami
véritable, et la patrie ne m'offre guère de regrets
que par là : mon humeur est errante et je la tiens
peut-être un peu de toi, du moins de ta jeunesse ;
mais je sens toujours le besoin de revenir au nid,
dès que j'en suis loin, et le reg-ret de n'y être point
resté.
J'ai vu un médecin de bateau à vapeur qui s'en va
se faire journaliste àParis;il se plaint de son état :
tout le monde est donc ainsi sur toute la terre !
Il s'était fait nommer depuis médecin de la qua-
rantaine deDamas,et il n'y a pu rester qu'un mois.
Au reste, on ne voit ici que médecins, et les Turcs
s'imaginent que tous les Francs le sont : Hakim-
hakim-bachi, cela équivaut à monsieur. A propos,
je sais presque l'arabe. Il est vrai que je n'ai pu
encore réussir à l'écrire. Quant au turc, je n'y
comprends rien ; pour le grec, je le lis couram-
ment, mais je l'entends bien peu; je ne fais de
progrès que dans l'italien, que l'on parle bien plus
que toute autre langue sur ces fortunés rivages ;
après tout, on finit par se faire comprendre avec
un peu des mots de tous les pays, comme les
écrivains médiocres peignent leur cœur avec les
expressions des grands maîtres de l'éloquence.
Ah çà ! maintenant, dans le cas où tu m'aurais
NOVEMBRE I 84 I AOUT l853 l4l
écrit, il faudrait avoir la patience de recommencer,
car les lettres arrivent bien peu en Orient. Je ne
sais ce que tu as reçu des miennes, mais je n'en ai
vu aucune de toi, ni même de personne, hors une
de Tliéopliile dans les journaux, adressée à mon
pseudonyme littéraire. Je suis persuadé qu'il y en
a qui dorment dans les bureaux restants de plu-
sieurs échelles du Levant ; mais la poste faisant le
service par bateaux à voiles, cela arrive deux mois
après qu'on est parti. Ici, au contraire, le service
est régulier. Ecris-moi donc, ne fût-ce que quelques
mots, à Constantinople, bureau restant, Galata.
Celle-là parviendrait pour sur.
Adieu, mon cher papa ; je t'embrasse de tout
mon cœur.
Ton fils bien affectionné,
GÉRARD LABRUNIE.
XLIV
AU D' LABRUNIE (lo5)
CoDstantiDopIe, 5 septembre i843.
... Depuis le commencement du Ramazan je
suis allé m'établir, non plus à Péra, ville des Euro-
xnv. — Publ. par L. de Barc, Xouv. Revue internationale,
i5 mars 1897.
l42 CORKESPONDANCE
péens, mais à Gonstantinople même, dans la par-
tie située entre la Corne d'Or et la mer ; j'ai trouvé
un logement très ag-réable, avec la plus belle vue,
dans un Khan — Ghildiz-Khan — , c'est-à-dire hôtel
de l'Etoile. Tout le bâtiment énorme est garni de
Persans et d'Arméniens fort polis. Le logement
n'avait que les murs, mais avec mon lit de vo^^age,
une natte, un tapis et une table en Ireillis de pal-
mier, cela est meublé autant qu'il faut. Quand je
suis invité à Péra ou quand il y a théâtre ou con-
cert, je retourne coucher chez les Grecs où j'étais
précédemment. Il faut dire aussi que tout est fort
cher à Péra et qu'à Gonstantinople, en se privant
devin, on vit très agréablement, selon la manière
des gens du pays. Depuis que le Ramazan est ou-
vert, la ville dort une partie du jour; mais, la nuit,
elle est toute illuminée. On boit du café et l'on
écoute la musique tant qu'on veut. On vivrait rien
que de pâtisseries et de sucreries et le tout à très
bon marché. Les gens ne sont nullement féroces
et les chiens mêmes, dont on m'avait tant dit de
me méfier, sont beaucoup plus doux qu'ailleurs, si
l'on fait attention de ne pas marcher sur eux, car
ils couvrent une grande partie du pavé. Le soir,
les soldats leur distribuent la soupe, et ce n'est pas
un des moindres amusements de cette singulière
cité.
Il faut dire pourtant que Gonstantinople est
NOVEMBRE l84l — AOUT l853 l43
beaucoup moins originale que le Caire, à cause de
l'invasion des mœurs européennes et de l'unifor-
mité des maisons, toutes bâties de bois; aussi n'y
resterai-jepas silongtemps. En revanche, la mer sous
SCS dilîérents aspects et dans ses trois branches
est un spectacle inappréciable et dont on ne peut
se lasser. Je ne connais encore ni la partie de
Constantinople, comprise entre le vieux port et le
château des sept tours, ni Scutari, située sur la
côte d'Asie, car il faut bien du temps et de la fati-
gue pour tout voir.
Je n'ai pas encore la réponse du libraire tou-
chant le travail que je lui ai proposé, mais les
retours sont si lents qu'il faut attendre encore ; si
elle vient par le prochain bateau, j'aurai à peine le
temps de faire les recherches nécessaires. II en
coûte si cher pour voir les monuments qu'il faut
attendre des occasions pour pouvoir les visiter à
la suite de quelque personnage. Toutefois j'aurai à
peu près tout ce qu'il faut, pour tirer le parti con-
venable de mes études et de mon séjour. J'ai trou-
vé ici plusieurs personnes très aimables qui m'ou-
vrent toutes les relations nécessaires et dont la
compagnie ne me laisse pas le temps dem'ennuyer,
ce qui arriverait parfois dans une ville aussi dé-
pourvue des amusements européens. Il y a pour-
tant maintenant des concerts fort beaux et le
théâtre va s'ouvrir régulièrement. Je lis tous les
l44 CORRESPONDANCE
journaux et je serais aussi près de Paris que possi-
ble,, si je recevais des nouvelles de toi. Mais je ne
sais où sont passées les lettres que tu m'as adres-
sées en Syrie. Ces pays sont si arriérés pour la
correspondance qu'il ne faut pas seulement écrire,
mais envoyer par tel ou tel vaisseau qu'il faut dé-
sig-ner, attendu qu'il n'y a pas de poste française, j
je te l'ai déjà dit; mais reçois-tu mieux mes lettres
que je ne reçois les tiennes ?
Enfin nous n'avons plus longtemps à être sépa-
rés, et c'est presque le seul attrait qui me rappelle |
à Paris. D'ailleurs ma santé est très bonne et, le
moral étant beaucoup meilleur, il est probable que
tout ira bien, car, avec du courage et de la bonne
humeur,cene sont pas les ressources qui manquent.
Mais que faire quand on est malade, chagrin et
aplati comme je l'étais l'an dernier? Tu le sais, je
ne suis pourtant pas facile à décourager et je ne
manque pas de volonté, non certainement, et c'est
par là que je sortirai de toutes les difficultés du
moment.
L'homme de lettres, comme l'artiste, n'a que lui
seul pour lui et il faut donc qu'il dispose complè-
tement de toutes ses facultés. Une fois malade ou
découragé, tout est perdu.
Adieu, mon cher papa, sois convaincu que je
me trouve mieux que jamais maintenant. J'éprouve
à te le dire une grande joie, car je sais que mon
NOVEMBRE ï84l AOUT l853 l45
sort n'est pas indilTérenl à ton bonlieur et à ta
tranquillité. Je t'embrasse de tout mon cœur et de
toute mon âme et puis te dire enfin certainement :
à bientôt, sous toute réserve providentielle, bien
entendu.
Ton lils bien dévoué et bien affectueux,
GÉRARD LABRUNIE.
XLV
AU D"" LABKUNIE
[Gonstantinople, octobre i843.]
... L'amabilité de Théophile, en me dédiant, pour
ainsi dire, son ballet (io6) et en entretenant le
public de mon vojag-e, m'a été d'autant plus sensi-
ble que, depuis ma maladie trop connue, il impor-
tait que mon retour à la santé fût constaté bien
publiquement, et rien ne devait mieux le prouver
qu'un voyaçe pénible dans les pays chauds; ce n'a
pas été l'un des moindres motifs de me le faire
entreprendre...
XLV. — Piibl. par A. Bnr'ine, Névrosés, p. 333. La lettre porte cette
mention de la main du D'' I.,abn:nie : « Heruc le a5 octobre i8/(3. »
l46 COURESPONDANCE
XLVI
AU D*" LABRUNIE
[Malte novembre i843.]
Mon cher papa,
J'arrive à Malte avec le mal de tête le plus vio-
lent, dû au mauvais temps que nous avons eu de-
puis Syra jusqu'ici. J'avais un peu de lièvre hier,
mais aujourd'hui je n'ai plus rien. Je suis installé
à la quarantaine pour dix jours, après quoi je reste-
rai quatre jours à Malle pour attendre l'autre
bateau qui me conduira à Naples, où je resterai
dix autres jours. Là le bateau actuel me reprendra
pour Marseille. J'y suis très bien aux premières
places, table et cabine, et le capitaine à qui je suis
recommandé m'a fait toutes sortes d'honnêtetés.
J'ai quitté Constantinople le lendemain des
fêtes du Baïram, n'ayant pas éprouvé la moindre
indisposition pendant toute ma tournée d'Orient.
Mon compag'uon de voyag-e était parti depuis deux
mois. Je suis donc resté un peu plus de temps que
je ne pensais, mais ne fallait-il pas employer au
moins toute la belle saison?
Je serai à Paris dans six semaines, la quaran-
xLvi. — Publ. par L. de Bare, Noiiv. Revae internationale,
i5 mars 1897.
NOVEMBIVK l84l — AOfT l853 14?
(aine comptée. Ce voyag^e m'a fait énormémeiil de
l)UMi physiquement et moralement. As-tu reçu tou-
tes mes lettres ? Je n'ose l'espérer, si j'en jug^e par
le sort qu'ont eu les tiennes. Adieu, la poste part et
je n'ai plus la force de regarder le papier. C'est
la seule indisposition que j'ai éprouvée, mais ce
n'est rien qu'un malaise causé parle mauvais temps
d'hier.
Adieu e( à bientôt pour l'embrasser, puisque je
suis aux deux tiers de la route.
Ton nis bien affectionné,
(iKUARD LABRUNIE.
XLVll
A .IIILKS .rANlN
En nier, près (le ^fallc, lO novembre iS^S.
Mon cher Janin,
Quoi, vous avez pensé à moi de si loin et vous
m'avez donné encore un aimable souvenir, tandis
(jue je ne vous ai pas même écrit, ni du Caire, ni
du Liban, ni de l'Archipel, ni de Constantinople !
Il faut pourtant que j'en revienne à mon pays que
je quittais do si bon cœur, à mes amis que j'ou-
bliais si bien; tout le monde est fait comme noire
XLVll. — Communiquée par M. Clément Jaiiiii. — Le cachet de la
poste est du 7 décembre.
l48 CORRESPONDANCE
famille, mais tout le monde n'est pas notre famille
et, quoiqu'on rencontre partout d'honnêtes et d'ai-
mables gens, ils ne valent jamais ceux que l'on con-
naît et que l'on aime depuis longtemps, et avec qui
l'on a été jeune. En somme, l'Orient n'approche
pas de ce rêve éveillé que j'en avais fait il y a deux
ans, ou bien c'est que cet Orient-là est encore plus
loin ou plus haut (107), j'en ai assez de courir après
la poésie ; je crois qu'elle est à votre porte, et peut-
être dans votre lit. Moi je suis encore l'homme qui
court, mais je vais tâcher de m'arréter et d'attendre.
Je suis content toutefois de revoir un peu l'Italie;
la retrouverai-je aussi belle qu'il y a dix ans, quand
je la parcourais en lisant un Barnaue belge acheté
à Livourne et en jetant aux montagnes les belles
phrases enthousiastes du pauvre Gastelnau (108)?
J'aime ce livre, vous le savez, par-dessus tout. C'est
ce que je connais de plus vrai, à mon point de vue,
sur la révolution. Je vais relire mon Barnaue et
retrouver mon Italie; quanta mes dix ans d'inter-
valle, ils sont bien perdus; et pourtant, je me sens
le même (je crois que j'ai plus de cheveux); qu'y
a-t-il donc de changé? Rien, ma foi, rien du tout^
rien je crois. Adieu donc, adieu et à bientôt. Bon-
jour à notre ami Houssaye si vous le voyez.
Votre bien affectionné,
GÉRARD (109).
Le 16 novembre.
NOVEMBRE l8/|I AOUT l853 1^9
Suscription : A Monsieur, Monsieur Jules Janin
Rue de Vaugirard n° 20
à Paris.
XL VIII
A STADLER
REVUE PITTORESQUE
MCSÉE ILLUSTRÉ
Rue Neuve-Saint-Augustin, 87
[3o mai i845.]
Mon cher Stadler,
Je suis allé vous voir sans vous trouver — je ne
puisplus vous rencontrer, qu'ya-t-il de nouveaudans
votre existence passionnée? Ecrivez-moi donc un
mot si vous y pensez en m'indiquant le titre et le
nom de l'ouvrage héraldique que j'ai vu chez vous
et qui s'appelle je crois Archives nobiliaires ou
autrement, en 8 volumes couverts en jaune avec
des étiquettes — marquez-moi le nom de l'auteur.
Ecrivez rue de la Victoire, 36, n'est-ce pas.
Votre affectionné,
GÉRARD.
Suscription : A Monsieur Eugène de Stadler
i3 Quai Napoléon.
iLviii. — Date de la poste.
l5o CORRESPONDANCE
XLIX
A A. BUSQUET (l lo)
[.845.]
Mon cher Biisqiiet,
Je pars inopinément pour 8 jours pour Londres
(m). Je suis allé plusieurs fois aux deux journaux
pour vous trouver. Le tracas des préparatifs m'a
empêché de faire le bout d'article, mais je vous en
enverrai un beau de Londres. Pour le papier, j'ai
une idée fort saine, c'est qu'on le rende en payant
le déchet. J'ai peur que, dans les circonstances
actuelles, un livre fait môme avec cette économie ne
rende pas ce qu'il coûterait. Si on peut attendre
8 jours, laissez les choses en l'état — mais bahl il
vaut mieux ne plus s'en embarrasser.
Je donne à l'imprimerie ce qu'il faut, pour la
semaine prochaine.
Adieu mon cher ami,
à bientôt.
Votre affectionné,
GÉRARD DE NERVAL.
Suscription : A monsieur Busquet
à la Silhouette.
NOVEMBRE l84l — AOUT l853 l5l
L
A PAPION DU CHATEAU
[5 mai i8'(6.]
Mon cher Du Château,
Je viens seulement de recevoir deux lettres de
vous à la fois, car je ne demeure plus rue de la
Victoire et les lettres m'avaient été g-ardées par
Roi;ier. J'habite Montmartre depuis quelque temps
etje fais de petits voyages enattendant une grande
tournée que je prépare vers le milieu du mois.
Mais que je me hâte donc de vous féliciter et de
tout mon cœur. C'est d'ailleurs un acte de justice
que vous méritez à double titre. Ainsi cela n'a pu
surprendre personne.
Vous me reprochez de n'être pas allé vous voir ;
je me plains seulement de n'avoir pu y retourner
ces jours-ci, à cause d'un travail qui m'a absorbé et
me tient encore, mais dont une partie a paru (i 12).
Lorsque je suis allé chez vous, vous veniez d'emmé-
nager de l'autre coté de la rue et j'ai parlé à votre
fils, qui m'a dit que vous reviendriez à cinq heures ;
je n'ai pu retourner vous voir ce jour-là.
Mais je vais vous aller trouver ces deux ou trois
L. — Date de la poste.
CORRESPONDANCE
jours-ci et vous féliciter en vous serrant la main, ce
qui vaut mieux.
A bientôt donc.
Votre bien affectionné,
GÉRARD.
Suscription : A monsieur le Baron du Château^
Chevalier de la Légion d'honneur^
3 ou 4 Rue Neuve de V Université,
LI
A MONSIEUR LE REDACTEUR DU CHARIVARI
Jeudi, 3 décembre [1846].
Monsieur,
Dans l'article que vous publiez aujourd'hui sur
le programme du Faust de M. Berlioz (ii3), vous
voulez bien me compter au nombre des trois libret"
tistes. L'affiche porte cependant que certains pas-
sages ont été seulement empruntés à ma traduction.
M. Berlioz s'est entendu avec mon éditeur pour
pouvoir se servir de quelques vers littéralement
traduits de Goethe et qui, je le crois, ne ressem-
blent guère à des vers d'opéra comique ; s'il se fût
adressé à moi, je lui aurais proposé une imitation
Li. — Le Charivari, 6 décembre 184G.
NOVEMBRE l84l. — AOUT l853 l53
plus lyrique. Il a mieux aimé résoudre le problème
si connu de mettre en musique quelque chose
comme la Gazette de Hollande. Je crois que son
talent peut tout, et je n'ai besoin que de mettre à
couvert ma responsabilité comme traducteur. Je
dois dire aussi que beaucoup de ces vers qui fai-
saient partie de la première édition du Faust tra-
duit, que j'ai publié à l'âg-e de dix-huit ans, ont été
modifié» ou supprimés dans les suivantes. J'ajoute
ceci non comme réclame personnelle, mais dans
l'intérêt de l'éditeur de la 3« édition, M. Gosselin.
Agréez, etc.
GÉRARD DE NERVAL.
LU
A STADLER
[6 mars 1847.]
0 Eug-ène,
Je me suis informé pour le concert David (ii4)-
Guichardet peut avoir un billet payant ou non (s'il
se peut), mais il faudrait vous trouver au divan
demain samedi à 5 heures. Le Guichardet y sera
ou laissera un mot. Si vous aviez tenu au concert,
vous auriez pu entendre la répétition aujourd'hui,
LU. — Date de la poste.
10.
i54
COR KESPOND ANGE
mais je crois que c'est pour la représentation.
Demain donc à 5 lieures.
A vous,
GÉRARD.
LUI
A STADLER
[21 août 1847.]
Mon cher Eugène,
Avez-vous demandé à Houssaye la lettre pour le
Concert Spectacle? Je lui en ai parlé. Il m'a dit qu'il
était tout prêt. J'ai été tous ces jours-ci chez Théo-
phile et je ne l'ai pu revoir. Il faudra que j'aille
vous voir. J'ai l'embêtement du musicien qui veut
repartir pour Maline (i i5), sans quoi je serais sûr
de vous aller trouver demain. Allez toujours à
r Artiste. J'ai rencontré tout à l'heure le ténor
léger qui joue de votre basse à la porte Saint...
ADDIO.
LIV
A HIPPOLYTE LUCAS
1848.
Mon cher ami,
Je suis bien reconnaissant de votre article ; tout
LUI. — Date de la poste.
Liv. — Publ. par H. Lucas.
NOVlCMimK l84l AOUT 1 853
le inonde m'en a parlé hier; il était excellent et
cliariuant.J('(M()is(ju'il l'erai^ran(li)ieii an li\Te(i lO),
parce (pi'il y a là volie nom et celni fin journal, et
de plus parce que vous avez su exciter la cui'iosité
du public pour l'ouvraj^e qui risrpiait hien autre-
ment de faire le peu d'ett'ct d'une impression de
voyage quelconque. Encore une fois, grand merci.
Le Sartorius a puusst; les hauts cris en entendant
pariei" d'un livre quelconque à mettre an jour, dans
l'f'tat des affaires. Il dit qu'on ne vendrait pas
3oo exemplaires. Cependant, ce serait déjà peut-
être couvrir une partie des plus gros frais, et, en
attendant un peu, on gagnerait l'hiver. Si vous vou-
liez faire comme moi de compte à demi avec lui, je
crois la chose possible et de plus qu'il est le seul
homme fini saurait en vendre à l'étranger plus que
d'autres, à Paris autant que d'autres. De plus,
( 'est l'honnêteté même que cet éditeur. J'irai cau-
ser de cela avec vous un de ces matins. Car je vou-
drais en faire autant pour autre chose.
Adieu et à bientôt.
GÉRARD DE NERVAL.
LV
AU DOCTEUR A... [aUSSANDOu] (1I7)
28 avril 18^9.
Mon cher ami,
Xe t'inquiète pas si j'ai découché ; c'est la faute
LV. — Piibl. dans lu Correspondance littéraire, 8 novembre i85i.
l56 CORRESPONDANCE
à Théo. Il était passé minuit quand nous sommes
sortis de chez un de ses amis, où il m'avait invité
à dîner. De sorte que, ne voulant pas réveiller ta
portière, je suis allé coucher à l'hôtel. Aujourd'hui
je dîne en ville, et je ne sais pas encore si je pour-
rai rentrer ; mais je le pense bien.
Ton affreux ami,
GÉRARD.
LVI
AU RÉDACTEUR EN CHEF DU MESSAGER DES THEATRES ( I I 8)
8 mai 1849.
Mon cher ami.
Tout littérateur, comme tout artiste, comme tout
homme politique appartient à la publicité ; il est
même difficile de tracer nettement, pour cette der-
nière, la ligne qui sépare la vie publique de la vie
privée ; cependant elle existe, un peu vague, un
peu flottante, il est vrai, et il n'est guère permis
qu'aux amis de la franchir parfois sur quelques
points. Mais n'y a-t-il pas des circonstances parti-
culières où cette liberté peut nuire, soit à la consi-
dération morale d'un auteur, soit à l'espoir légitime
pour lui d'un honnête établissement.
LVI. — Publ. par Champfleury, Grandes figures.
NOVEMBRE 1841 — AOUT l853 167
Telle est, je crois, la question que soulèvent
certains passages de l'article, trop bienveillant,
du reste, que notre ami Chanipfleury a bien voulu
consacrer, jeudi, à un de mes livres dans votre
journal.
Mon principal grief se rapporte à la ligne sui-
vante :
// se fait mahométan sans trop de remords...
Si je m'étais fait mahométan, je n'en concevrais
ni trop, ni trop peu de remords, attendu que
probablement j'y aurais longtemps réfléchi, et
que je n'obéirais dès lors qu'à une conviction abso-
lue. Mais la vérité est que je ne me suis point fait
mahométan.
La preuve même que Champfleury ne le croit
pas, c'est que, dans un autre passage de son article,
il me suppose débarquant à Constantinople, trou-
vant la ville couverte de barricades, et écrivant
sur mon carnet :
(f J'ai vu tuer aujourd'hui beaucoup de monde.
Accident. » (119).
Ceci serait l'observation d'un mahométan bien
peu convaincu et bien peu sympathique pour ses
frères.
Ce ne serait même au fond (]u'une parodie de
cette plu'ase célèbre : « J'admirais la sublime hor-
reur de la canonnade. »
J'ai eu le malheur d'assister dans cette ville de
[58 CORRESPONDANCE
Constantin ople à quelques tueries entre les Hellè-
nes et les Grecs ioniens, et j'en ai été réellement
très affecté.
J'ai manqué même de me faire tuer par des harnais
(portefaix turcs), pour avoir exprimé mon horreur
touchant l'exécution de l'Arménien Ovaghim. C'était
à un carrefour du marché aux poissons. Les hamals
m'ont dit, c'est-à-dire, ils nous ont dit, car je me
trouvais avec le peintre Rogier : « On peut bien
aussi couper la tète à ceux qui portent des cha-
peaux. »
Il n'est pas moins inexact de prétendre que je
n'ai remarqué à Cythère (Cerigo) qu'une potence
ornée d'un pendu. Je n'ai fait cette observation
que comme critique de la domination anglaise, qui
a confisqué les libertés de la république des Sept
Iles.
Je ne suis donc pas un sceptique ne m'occupant
ni de politique ni de socialisme... Dans ce dernier
cas, comment notre ami Champfleury aurait-il pu
me classer parmi les membres de cette association,
mal appréciée jusqu'ici, qu'on appela les Bousin-
gots?
Le drame de Léo Burckart même, que Champ-
fleury affecte d'appeler « son grand drame », avec
ce sentiment, peut-être, que lorsqu'on en a jfait
un si grand, on n'en peut plus faire d'autre..., n'est-
il pas un drame politique ?
NOVEMBRE 1 84 1 AOUT 1 853 1 69
Je me souviens pourtant que la salle de la Porte-
Saint-Martin a croulé d'applaudissements, quand,
au deuxième acte, un des étudiants conspirateurs
s'est écrié : «Les rois s'en vont!... je les pousse — »
C'était il y a dix ans. Le drame avait été arrêté
huit mois par la censure. Et vous savez Itien, mou
cher ami, vousqui m'avez soutenu danscctte œuvre,
que j'ai, le premier, attaqué la censure, comme
illé^^ale, par le ministère de M^ Schayé, M. Le-
fèvre, l'agréé de notre société des auteurs dramati-
ques, m'ayaiit refusé son concours.
Grâce à ma résolution, aidé de votre concours,
mon cher ami, le ministre me rendit la pièce qui
est la seule peut-être qu'on ait pu jouer sous la
monarchie sans que l'encre rouge y eût passé.
Malheureusement l'infortuné Harel n'ayant pu faire
les frais de décorations nécessaires, la moitié d'un
acte immense, qui représentait l'intérieur des socié-
tés secrètes, dut être supprimé aux répétitions, et
je doute que la censure eût fait mieux que ce hasard
spirituel.
Je ne réponds, ici qu'à la partie des allégations
de mon ami Champfleury qui concerne le théâtre.
A ce point de vue, il eût dû ne pas me mettre en
lutte, comme orientaliste, avec M. Empis (120),
qu'il traite, je ne sais pourquoi, d'académicien.
M. Empis est peut-être de l'Institut, mais je ne
l6o CORRESPONDANCE
crois pas qu'il ait jamais publié de travaux sur
TEgjpte.
Votre ami et collaborateur,
GÉRARD DE NERVAL.
LVII
A H. DE SAINT-GEORGES
19 mai [1849].
Voici deux actes, mon cher ami, où vous recon-
naîtrez, j'espère, de bons éléments. Ce qui est mal
rendu dans le dialogue prendra de l'intérêt sous
votre plume (121). C'est le troisième acte surtout
qui appellera votre imag-ination. Il faudra éviter de
changer les principaux morceaux de chaut, ce qui
causerait un retard énorme et interromprait l'étude
commencée de la musique. La teinte des scènes mu-
sicales est un peu sombre ou solennelle. Le genre
du musicien l'a voulu et le talent de madame
Ugalde (122), la cantatrice engagée pour nous,
s'en accommode parfaitement. Il faut concevoir ici
non un opéra comique, mais un drame lyrique
comme Haydée, comme Zampa.
Comprenez maintenant ma position. Je fais près
de vous une è.é.ïi\diTc\\Q personnelle qui ne deviendra
LVII. — Publ. dans l'Amateur d'autographes, i"' avril 1869.
NOVEMBRE l84l — AOUT l853 l6l
sérieuse que si vous ne croyez pas de trop grands
chang-ements indispensables. Autrement nous som-
mes résolus à tout faire nous-mêmes et à ne rien
abandonner de notre droit d'être joués d'une façon
telle quelle.
On ignore et le directeur doit ig-norer que je vous
ai communiqué le manuscrit. Ceci est entre nous
deux.
Vous comprenez que M. Alboize(i 23) paraît pré-
férer Scribe : cela ne tient nullement aune question
personnelle. Il ne vous connaît pas et connaît Scribe,
voilà tout. De plus il consentirait plus volontiers à
se subordonner à l'auteur le plus ancien ; enfin tout
cela n'est rien au fond et le musicien et moi, nous
en viendrons à bout facilement.
Adieu, je viendrai vous voir demain vers dix
heures du matin. Si cela vous gêne, laissez-moi un
mot pour ce soir, car je travaille toute la journée.
Votre bien affectionné,
GÉRARD DE NERVAL.
Ce 19 mai.
LVIII
A STADLER
[1849] (124).
Moucher ami,
Je vous écris du chemin de fer où j'ai pris ce
102 CORRESPONDANCE
livre. Voilà les pages qui vous concernent. Je vous
conseille de prendre par Calais, le passage étant
plus court. Observez que ce n'est guère qu'au
départ de i h. que l'on peut prendre les 3''^ places.
Les départs des paquebots sont fixés par la marée.
Vous dépenserez moins à Calais qu'ailleurs en
allant au temple de l'Union, grande place près de
l'omnibus. Allez manger des huîtres sur le port.
Vous verrez de belles filles qui ont de longues
boucles d'oreilles.
Vous pouvez prendre si vous voulez le paquebot
direct de Londres qui part 2 fois par semaine, mais
de Londres seulement s'il fait beau, car on met
plus de temps en remontant la Tamise.
La 3'^ classe pour Calais est 17 fr. la 2*= 2 3. Il y a
en outre un omnibus à Saint-Pierre-lès«Calais.
C'est 5o cent, ou i fr. selon les heures. Le bateau
est 5, 6 à 7 fr. les first places. Rail wail de Dower
à London 7 à 8 fr. cela représente en tout :
7,5o
3o,5o plus les omnibus. En arrivant à Douvres,
demandez immédiatement le Railway-
Suscription : A Monsieur E. de Sladler
10 Quai Napoléon
à Paris.
NOVEMBRE l84l AOUT l853 l63
LIX
AU MINISTRE DE l'iNTÉRIEUR (i25)
17 juillet 1849.
Monsieur le Ministre,
J'ai l'honneur de vous demander votre souscrip-
tion pour un volume sur l'Egypte, intitulé /<?* Femmes
du Caire ^ scènes de la vie orientale. C'est la réu-
nion, corrigée et complélce, de divers articles pu-
bliés dans la Revue des deux mondes. Sous une
forniétoute littéraire ce livre est ccj)endant le résul-
tat de longues études sur les mœurs des habitants
du Caire. Il serait lu avec intérêt dans toutes les
bibliothèques qui contiennent déjà des ouvrages sur
l'Egypte, .l'espère, monsieur le Ministre, que vous
daignerez encourager par cette souscription les
efforts de l'auteur et de réditeur,M.Sartorius, qui,
dans une épo([ue si difficile pour la librairie, ne
publie cependant que des ouvrages d'art et de lit-
térature sérieuse.
7 fr. 5o
le volume
J'ai l'honneur d'être,
Monsieur le Ministre,
Votre très humble et très obéissant, serviteur,
GÉRARD DE NKRVAL.
Ce 17 Juillet 18/(9.
Monsieur le ministre de l'Intérieur.
i64
CORRESPONDANCE
LX
[Septembre i85o.]
Mon cher Monsieur,
Me voici de retour d'Allemagne en parfaite
santé (126). J'ai beaucoup retravaillé mon travail,
j'ai moralement fini. Il n'y a plus qu'à rajuster des
morceaux. Mais j'ai absolument besoin d'épreuves.
Si vous voulez, vous pouvez commencer pour le
prochain numéro. Dans tous les cas, je vous serai
bien obligé de donner cette copie où je me recon-
naîtrai mieux. Je ne m'occupe que du reste qui
formera encore un tiers — ne doutezpasde l'achè-
vement, c'est comme fini (127).
Votre bien dévoué,
GÉRARD DE NERVAL.
LXI
A MONSIEUR LE REDACTEUR EN CHEF DU CORSAIRE (128)
[Octobre i85o.]
Monsieur,
La note de M. Legros, que vous avez insérée
LXI. — Publ. dans le Corsaire, du 3i octobre i85o.
NOVEMBRE l84l — AOUT l853 l65
dans votre numéro de ce malin, est inexacte, à
cause sans doute d'une erreur de nom.
Je ne suis pas le même que M. Gérard, qui était
l'un des employés du bureau de l'Intérieur que
vous appelez bureau de V Esprit public.
Je n'ai jamais fait de politique, et ceux de mes
ouvra^^es, pièces ou voyages où peuvent se rencon-
trer des paysag'cs qui prennent couleur ont tou-
jours été écrits dans le sens libéral, comme on
disait autrefois et comme on peut le dire encore
aujourd'hui.
Je n'ai jamais eu de rapports avec la monarchie
de Juillet, ni avec la précédente, tout en admet-
tant qu'on ait pu honorablement les servir.
J'ai parlé de certains vaudevilles avec le senti-
ment que j'ai éprouvé en les écoutant, et qui peut-
être était aigri par l'impression de leur peu de
valeur littéraire.
Tout le monde n'est pas Aristophane. A celui-là
je pardonne son esprit de réaction.
Je n'ai jamais eu de mission ni pour l' Allemagne,
ni pour l'Orient (129). J'ai seulement touché une
indemnité due pour la suppression d'une pièce.
J'espère que vous voudrez bien rectifier des
assertions qui ne me laissent aucun ressentiment
puisqu'ils (sic) sont le résultat d'erreurs maté-
rielles.
[66
CORRESPONDANCK
Je suis, avec considération, votre dévoué servi-
teur,
GÉRARD DE NERVAL,
ancien rédacteur du Corsaire.
LXII
A ARSÈNE HOUSSAYE ( I 3o)
[Novembre i85o.]
Mon cher floussaye.
Je retourne dans le Valois pour continuer CAbbé
de Buqiioij et revoir Soissons et Laon, d'où nous
sommes orig^inaires tous deux, moi du côté de ma
mère, — compatriotisme et affinité ! — Je crois fer-
mement que cela explique les sympathies. Je suis
surtout celui qui vous doit de l'amitié et qui vou-
drait vous en rendre.
Je vous embrasse.
GÉRARD.
LXIII
A CHARTENTIER (l3l)
i5 avril i85i.
Mon cher Charpentier,
Je viens de chez Bida (iSa). Je lui ai exposé la
LXII. — Publ. par A. Houssaye, le Livre, i883.
LXIII. — Date de la poste.
NOVEMBRE iS^l — AOUT l853 167
cliose el lui ai ilit (ju'il fallait vous tiailer en ami.
II parlait de 5oo et s'est arrêté à 4oo. Je pense que
ce n'est pas cher, attendu que c'est un dessin de
premier ordre et que de pareils se vendent jusqu'à
i5(»o. Consultez d'ailleurs là dessus. Il a travaillé
3 mois et dépensé 120 fr. de modèles et son prin-
cipal désir est de voir le dessin bien placé. Il ne le
cédera certainement pas au-dessous, c'est pourquoi
je ne vous dis pas le mot 5oo. Bida gagnera en-
core au Salon prochain par les belles choses qu'il
a en portefeuille. Le temps lui a manqué pour les
exposer celte fois. Si vous voulez, nous irons le voir
ensemble ; il déménage et cela ne pourra être que
dans trois ou (piatie jours. Vous verrez ses magni-
fiques dessins d'Egypte et vous entendrez ses re-
grets de ce que j'aie traité avec vous. N'importe, je
pense que, s'il y avait lieu plus tard à une édition
illustrée, vous concéderiez bien quelques extraits
avec une addition de texte particulière à la publi-
cçition. Nous causerons de cela.
J'ai rendu la 4® feuille et je vais à l'impriinerie
pour la 5*.
Votre bien dévoue,
GÉRARD DE NERVAL.
Ce i5 avril.
Suscriplion : Monsieur Charpentier , Editeur
26, rue de Lille.
l68 CORRESPONDANCE
LXIV
A CHARPENTIER
[Avril i85i.]
Mon cher Charpentier,
Je ne reçois vos lettres qu'aujourd'hui parce que,
quoiqu'ayant mes meubles dans mon logement nou-
veau, je n'y coucherai qu'à dater du 8. Comme j'al-
lais tous les jours à l'imprimerie je ne m'attendais
pas à une lettre de vous. Enfin voici le titre : Je
pense qu'il est inutile de mettre pendant les années,
ce qui ferait vieillir vite le livre. Mon grand tra-
vail a été au contraire de supprimer les choses du
moment et d'avoir un ouvrage général comme les
lettres de Lady Montagne (i33) ou les aventures
d'un jeune grec ; on pourrait seulement mettre
Egypte Liban Turquie,
ce qui exprime tout.
Je n'ai jamais été en arrière pour la copie; j'avais
donné une centaine de pages dès les deux tiers du
P'' volume et j'ai donné autant « quand on m'en a
redemandé n à première réquisition. Aujourd'hui,
j'attends depuis samedi les 3 premières feuilles
qu'on m'a promises, mais je vais donner encore cent
pages demain et je ne crois pas qu'on ait eu à les
attendre.
NOVEMBRE l84l — AOUT l853 169
Du reste, le premier volume a été assez lestement
fait et réellement je ne me suis guère occupé d'au-
tre chose depuis deux mois. Vous devez tenir plu-
tôt encore à avoir un ouvrage très soigné et digne
de rester, qu'à arriver quelques jours plus tôt que
le possible. Je crois du reste que nous aurons peu
de difficultés maintenant. Mais j'ai fait tout en cons-
cience et l'imprimerie m'a vu tous les jours, sauf
ceux où rien n'était à faire. Vous savez en outre
qu'on remet toujours un peu la faute sur les
auteurs... Enfin nous avons déjà un beau volume.
Le Musée des familles a fait hier un article.
Votre dévoué,
GÉRARD DE NERVAL.
LXV
A CHARPENTIER
[28 avril i85i .]
Mon cher Charpentier,
Je viens de porter presque toute la copie restante
à l'imprimerie. Si je ne l'avais pas donnée plus tôt,
c'est qu'ayant changé de place une série de chapi-
tres, je craignais les remaniements.
Je vous avais prévenu qu'il y avait plus à faire
dans le 2^ que dans le i®"" volume. J'ai ajouté de
LXV. — Date de la poste.
i 70 t;ORHF.Si*ONDANCE
la copie pour les liaisons. J'ai dû soumettre aussi
une feuille à des gens de Constantinople pour éviter
les inexactitudes. Je viens de rendre cette feuille,
en en donnant la mise en page.
Il n'y a donc qu'une seule feuille que j'aie deman-
dé à voir en placard, et c'est l'usage, particulier à
l'imprimerie de M. Gratiot, de ne pas donner de
placards, qui m'a exposé à quelques coupures pré-
cédemment. Cependant ces dernières ne portent
que sur deux ou trois feuilles, et il y a au moins
les trois quarts des feuilles qui sont revenues avec
des corrections purement de détail ou typographi-
ques, sans remanîments.
Vous comprenez que je tiens surtout à faire une
édition classique et pure de fautes autant que pos-
sible. Je me suis doinié beaucoup de peine pour
cela, n'ayant pas manqué de venir à l'imprimerie
tous les jours , sauf quand il fallait attendre. Je le
fais dans l'intérêt non seulement de cette édition,
mais des autres que j'espère.
Ce que je donne à présent forme un bloc où il n'y
aura que peu à revoir, ainsi que dans le i^"" volume,
qui n'a été retardé que sur 3 feuilles, lesquelles,
ajoutées à l'ouvrage, lui donnent,je crois, beaucoup
de valeur.
Votre bien dévoué,
GÉRARD DE NERVAL.
Ce mercredi.
NOVEMBRE l84l AOUT l853 I7I
LXVI
A CHARPENTIER
[i85i.]
Mon cher Charpeiilier,
Vous avez bien voulu me permettre de repro-
duire un morceau de mon voyag-e dans un journal,
.l'ai donné au Pays le conte arahe du second vo-
lume qui a pour titre : Histoire de Soliman, prince
des génies (i34). Ecrivez-moi si vous avez quelque
objection quanta ce choix. Ce morceau est enterré là
et cela n'en vaudra que mieux pour le livre, pour
lequel on fera une annonce, .le vous parlerai d'autre
chose à votre retour ; cela paraîtrait dans le demi-
feuilleton consacré aux reproductions dans la 3^ page
du journal, par conséquent sans grand éclat. Votre
bien dévoué,
GÉRARD DE NERVAL.
J'ai besoin de votre réponse tout de suite, si
vous pouvez.
LXVII
A ARSÈNE HOUSSAYE
9 novembre i85i.
Ne vous inquiétez pasdeil/fsawMro/j/e (i35). Il
LXVII. — Publ. par M"'' Julia Cartier.
CORRESPONDANCE
y a trois actes faits qui sont à la copie. Vous les
aurez successivement d'ici à jeudi. Nous serons
donc en mesure pour le retour de Rachel. C'est
très difficilç et plus que je ne croyais, non à com-
prendre mais à rendre ; ce vieux style allemand
à la française résiste tant qu'il peut. Vous vous
rendrez compte des difficultés en lisant. Heureu-
sement le cinquième acte est fini. Je compte que
tout sera traduit le 20 sans faute. Mais nous au-
rons à faire ensemble pour les coupures et pour
certains rabibochag-es.;
LXVIII
A PERROT (l36)
[20 novembre 1 85 1.]
Mon cher Perrot,
J'ai écrit avant-hier à M. Cave. Je lui ai dit qu'une
somme de 3oo francs pourrait me suffire pour tra-
verser l'hiver ; s'il était possible d'obtenir 126 francs
par mois, de décembre à mars, cela suffirait abso_
lument à ma dépense et me permettrait de faire
tranquillement quelque ouvrage dont je trouverais
ensuite les produits. Voyez, faites pour le mieux,
selon que vous le trouverez disposé à mon égard-
LXVIII. -^ Publ. dans le Livre moderne, tome IV, juillet-décem-
bre 1891.
NÛVEMDRE l84l AOUT l853 178
M. Blanche m'a dit qu'il fallait toujours un certain
temps pour que la chose fût terminée, et je n'ai plus
d'argent pour loni^temps, vous le savez.
Dites bien d'ailleurs à M. Cave que je suis cer-
tain d'être en état ensuite de me passer de l'aide
du Ministère. Je n'y avais jamais recouru, et je fus
longtemps à me convaincre que mes amis avaient
bien fait de la solliciter pour moi. Enfin, c'est une
grande consolation que j'ai d'avoir trouvé tant de
sympathies, et cela surtout m'encourage à rentrer
avec ardeur dans la vie et dans le travail.
Votre bien affectionné,
GÉRARD,
10, rue Saint-Hyacinthe-Saint-Michel.
LXIX
A STADLER
[6 janvier i852.]
Mon cher ami,
Prenez les dix francs de M. Varin et allez chez
Marc Fournier, 200, rue du Temple, au coin du bou-
levard (liiy). Ensuite vous retirerez là le billet de
bal et vous le donnerez à Mirault où vous irez.
Je suis un peu malade et à l'hôtel de Normandie
rue du Chantre.
i.xix. — Date de la poslc.
174 CORRESPONDANCE
Demander M. Gérard, au n° C; c'est demain 7
qu'a lieu le bal.
Adieu.
Suscription : A Monsieur de Stadler
aux Archives nationales
LXX
A STADLER
[22 mars i852.]
Mon cher ami,
Verteuil vous a inscrit pour jeudi (sauf chang-e-
ment) avecuneautre pièce en i acte (i38); jelui ai
dit que vous n'aviez qu'un acte, ce qui l'a décidé.
Tâchez au surplus d'y aller demain. Je suis arrivé
à temps parce que Beauvallet était venu demander
lecture pour un Roméo et Juliette.
Si vous voyez M. Varin, dites-lui donc qu'il peut
faire toucher le matin, chez Porcher, 6, rue de
l'Ancry.
Votre ami, gérard.
LXXI
A STADLER
Anvers, 12 [mai i852.J
Mon cher ami
Je vous écris du port d'Anvers (i39),du fond d'un
LXX. — Date de la poste.
NOVEMBRE l84l AOUT l853 I7J
estam — d'où je regarde se coucher le soleil à tra-
vers les mâts des vaisseaux. J'attends l'ouverture
des riddecks, endroits charmants où l'on voit dan-
ser le sexe facile. Je me l)ornerai,j'espère,à ce plai-
sir que le jeune V. H. m'envie en ce moment, forcé
([u'il est de faire gravement la société de son père
à Brux. J'ai (piilté aussi et laissé assez mornes le
A.D. et le Parf. son intime actuel (i4o)- Ces hom-
mes travaillent effroyablement ; je n'ai pas eu
encore tant de courage. Il s'agit demain matin d'at-
traper le vapeur néerlandais et de se réveiller à
temps. Vous vous étonnez sans doute de ne me
voir qu'ici. Mais je me suis arrêté partout sur ma
route, et à Bruxelles notamment, où l'on m'a trop
nourri. Je me mets d'aujourd'hui au régime du
hareng saur, car, en quittant Bruxelles, j'ai été
affligé ce matin d'un beefsteaclc de 92 centimes. Ils
sont meilleurs à 76 chez Véry ; c'est du reste la seule
dépense culinaire que m'ait coûté mon séjour, mais
le reste ! Le D. est très bien logé, avec le Parf. et
sa HUe. Il magnétise une boulangère hystérique et
lui fait faire des contorsions surprenantes dont elle
n'a plus le souvenir au réveil. Je la plains s'il ne
la finit pas, mais on a lieu de croire qu'il la finit
dans le- particulier. L'émigration est assez réservée
et peu apparente, quoiqu'elle se compose de plus
de mille personnes. Je me suis un peu amusé à la
kermesse d'Ixelles dimniiche passé.
176 CORRESPONDANCE
Arrivons au sérieux.
Remettez la lettre ci-incluse à Gorges (i4i) ; elle
contient ceci de grave que je suis fâché qu'il ne
soit plus temps, ce 12, de vousprier d'aller donner
cong-é de ma turne. S'il était encore temps, faites-
le. Mais ne vous en préoccupez pas autrement.
Adieu.
GÉR.
LXXII i
A MÉRY (142) 1
[Gancl, mai 1862.]
Mon cher Méry,
Je suis à Gand, de retour de mon voyage en j
Hollande; il y fait si mauvais temps, et si cher,
que je n'ai pas eu la patience d'y rester davantage.
Maintenant, je ne sais où j'irai, peut-être à Paris ;
le but que je voulais atteindre était surtout de me
dégourdir l'esprit et les jambes, après une conva-
lescence plus longue qu'il ne semblait. Je n'avais
pas d'appétit, je me levais à onze heures; aujour-
d'hui je me lève à sept heures, et je déjeune en me
levant; ma figure ressemble à une pomme, je ne
sens plus d'eng-ourdissement dans les pieds, je suis
LXXII. — Publ. par Méry dans l'Univers illiislré, août iSG/j.
NOVEMBRE l84l AOUT l853 I77
redevenu un homme. Ce qui m'a le plus charmé
en Hollande, c'est la kermesse de la Haye et un
petit voyage par mer à Saardam, ville chinoise,
avec des carrés de tulipes (|ui flottent dans les
canaux, et une foule de kiosques peinturlurés. Je
ne vous parle pas de la maison de pierre conservée
et contenue dans une autre maison plus neuve,
c'est le pont aux Anglais. J'ai laissé un exemplaire
de l'Imagier à la bibliothèque de la Haye, avec
notre double signature. Je n'ai pas tenu à voir le
roi, attendu qu'il a été un peu écœuré par le non-
suceès de l'opéra qu'il avait demandé à S... et
à ...,dans le but de favoriser la poésie française. Ce
désagrément rejaillit sur nous tous. J'ai dit seule-
ment au directeur : « Mais pourquoi avoir demandé
cet ouvrage à S...? » Il m'a dit : « Mon Dieu, on
ne sait à qui s'adresser entre tant de poètes fran-
çais; on choisit alors celui qui tient la corde. —
Et celui qui tient la corde vous a étranglé, lui ai-je
répondu. »
L'infortuné directeur a poussé un couic déses-
péré; il quittait la direction le surlendemain, y
ayant mangé ses capitaux.
A propos de l'Imagier, vous savez que je vous
redois toujours ma part de dépenses (i43)? nous
arrangerons cela. Vous comprenez que j'ai dépensé,
sans rien faire, l'argent que je devais à Porcher. Il
me restait 126 francs quand je suis parti, et j'ai
17^ CORRESPONDANCE
emprunté 200 francs pour 16 francs d'escompte et
pour deux mois. — Sufficit. — Je vous reverrai
probablement d'ici à huit jours, mais ne le dites
pas, je vous prie, car il est possible que je m'éta-
blisse dans les environs de Paris, pour rédiger en
paix mon voyage dont je n'ai pas écrit le premier
mot. Je me sens, du reste, bien disposé et j'espère
que nous pourrons causer de quelque chose à mon
retour.
Votre ami,
GÉRARD DE NERVAL.
LXXIll
A JULES DE PRÉMARAY (l44)
LIBRAIRIE
DE
VICTOR LECOU,
10, rue du Bouloi.
[if'rjuin i852.]
Monsieur,
Je ne vous ai pas encore remercié de votre char-
mant et si excellent article sur l'Imagier. J'étais
alors dangereusement malade et je me suis tout à
fait remis depuis, en faisant un voyage danslé nord.
Voici un livre qui a paru pendant mon absence. Ne
vous préoccupez d'en dire quelques mots que si cela
Lxxiii. — Commiini(niée par M. Couët.
NOVEMBRE l84l AOUT l853 179
vient dans votre cadre et sous volie plume. .l'en ai
un autre encore qui paraîtra dans (pielques jours.
Votre bien dévoué,
(iKRARD DE NERVAL.
Ce i"*" juin.
Suscription : A Monsieur Jules de Prémaray
A la Patrie.
LXXIV
A JULES JANIN
3 juin i852.
Mon cher Janin,
Je ne vous ai pas remercié des choses si aima-
l)h\s(jue vous avez dites de moi à propos de l'Ima-
gier. J'ai été malade tout l'hiver, en comptant la
convalescence. Je ne me trouve bien remis que
depuis un voyai^c que je viens de faire dans le
nord. J'ai vu à Amsterdam les fêtes pour la statue
de Rembrandt et la Kermesse de la Haye. J'irai
vous porter dans quclcjnes jours un livre sur l'Alle-
magne intitulé Lnrrlij, dont l'introduction vous est
adressée.Mais avant, je vous montrerai les épreuves.
Vous devez avoir reçu celui de F^ecou. On s'occu-
Lxxiv. — Communiquée par .M. C.lémctit Janin. — Cachet de la
Poste.
l8o CORRESPONDANCE
pait beaucoup, à Amsterdam, de vos feuilletons sur
l'Opéra. Certainement vous aviez pour vous le bien
dire et le bien faire.
Votre ami dévoué,
GÉRARD DE NERVAL.
Ce 3 juin.
Suscription : A Monsieur, Monsieur Jules Janin,
20, rue de Vaugirard
à Paris
LXXV
A BULOZ
[Aoùti852.]
Mon cher monsieur,
Vous allez voir que cela me coûtera plus que
cela ne me rapportera, comme le voyage de Hol-
lande. Quand vous m'avez écrit, j'étais dans le
Valois faisant le paysage de mon action (i45). J'y
repars au premier rayon de soleil. J'ai trouvé de
bonnes choses, et cela prend du développement. Pour
moi, c'est fini, c'est-à-dire écrit au crayon sur une
foule de morceaux de papier, que je n'ai qu'à
récrire : un bon coup de collier de trois ou quatre
jours ; mais il faut que je reparte pour décrire une
LXXV. — Date de la poste.
NOVEMBRE 1 84 1 AOUT 1 853
chasse à la loutre (i4G) et pour des détails de
mœurs. Mairileiiant nous serons forcés de faire un
écrit, à cause de l'éditeur, pour marquer les épo-
ques. Je doute bien d'être prêt pour la fin du mois;
mais, n'est-ce pas, il vaut mieux que ce soit mieux.
Toutefois, c'est encore possible. Mais je vous pré-
viens. Il serait impossible pourtant que cela n'ar-
rivât pas au i5 suivant. Gela m'est nécessaire en
tous cas. L'afTaire d'arrangement avec des Anglais
qui m'achètent les Illuminés m'a un peu fait per-
dre de temps, mais il s'agit de plus de cinquante
centimes !
A ces jours ci.
Votre dévoué,
GÉRARD DE NERVAL.
Suscription: A Monsieur Bulos
ou à M. de Mars
Kj rue St-Benoît
Marlij-le-Roi/ {Seine-et-Oise) .
LXXVI
A STADLEK (l47)
[i852.]
Un souvenir, mon ami. Nous ne vivons qu'en
i.xxvi. — Publ. par A. lloussayc, le Livre, i883.
CORRESPONDANCE
avant ou en arrière. Vous êtes à Saint-Germain, j'y
crois être encore.
Dans les intervalles de mes études, j'allais par-
fois m'asseoir à la porte hospitalière d'une famille
du pays. Les beaux yeux de la douce Sidonie
m'y retenaient parfois jusque fort avant dans
la nuit. Souvent, je me levais dès l'aube et je l'ac-
compagnais, soit à Mareil (sic), me chargeant avec
joie des légers fardeaux qu'on lui remettait. Un
jour, c'était en carnaval, nous étions chez sa vieille
tante, à Carrière ; elle eut la fantaisie de me faire
vêtir les habits de noce de mon oncle et s'habilla
elle-même avec la robe à falbalas de ma tante. Nous
regagnâmes Saint-Germain ainsi accoutrés. La ter-
rasse était couverte de neige, mais nous ne son-
gions guère au froid et nous chantions des airs du
pays. A tout instant, nous voulions nous embras-
ser ; seulement, au pied du pavillon Henri ÏV, nous
rencontrâmes trois visages sévères. C'était ma tante
et deux de ses amies. Je voulus m'esquiver, mais i
il était trop tard et je ne pus échapper à une verte i
réprimande ; le chien lui-même ne me reconnais-
sait plus et s'unissait en aboyant à cette mercuriale i
trop méritée. Le soir, nous parûmes au bal du *
théâtre avec grand éclat. 0 tendres souvenirs
des aïeux. ! brillants costumes, profanés dans une ;
nuit de folie, que vous m'avez coûté de larmes ! ;
L'ingrate Sophie elle-même trahit son jeune cava-
NOVEMBRE l84l AOUT l853 l83
lier pour un garde-du-corps de la compagnie de
Graminont.
LXXVII
A ARSÈNE HOUSSAYE
4 octobre i852.
Mon cher Houssaye,
.1^ vous prie de payer, au besoin, à M. Porcher
la somme de cent cinquante francs que je lui dois,
soit sur ce qui doit me revenir de la traduction
àii Misanthropie et Repentir, soïi sur ma rédaction
de rAriiste(ili8).
Votre ailectionné,
GÉRARD DE NERVAL.
Suscription : A Monsieur Arsène Houssaye
directeur de la Comédie Française.
LXXVIII
A STADLER
[3o uovenibrc 1802.]
Mon cher ami,
Je ne sais si Nefftzer a mis la note (149); dans
le doute, je lui ai envoyé une autre noie hier que
LXXVIII. — Date de la poste.
l84 CORRESPONDANCE
j'ai découpée dans un Constitutionnel .J'ai vu Weill
hier. II fera ce qu'il pourra, mais il doute qu'à la
Gasette on mette la note telle qu'elle est. J'ai en-
vie de la modifier aussi pour l'Union, où je ne
connais personne. Mais Monselet vient de me
donner le nom de M. Emile Fontaine, que j'irai
voir (i5o). Si Nefftzer ne la met pas ce soir, il fau-
dra donner une autre forme.
Adieu.
GÉRARD.
Suscription : Monsieur Eugène de Stadler
2^, Rue Bréda Paris.
LXXIX
A STADLER
ri852.]
Mon cher ami,
J'étais très nerveux hier, à cause d'une bêtise
que j'ai faite ces jours-ci, et qui dure encore ! Je
ne sais pourquoi, j'ai assimilé dans ma tête à ce
que j'avais fait ce que je croyais devoir vous em-
pêcher de faire. Ce matin cela m'apparaît autre-
ment.Il est clair qu'il fautdonner à la notela forme
officielle et non la forme de réclame. Il la faut la
plus simple possible. Laissez-moi donc la note au
divan. Sinon j'irai chez vous la chercher.
G.
NOVEMBRE 1 8/} I AOUT 1 853 l85
LXXX
A HIPPOLYTE LUCAS
[Fin i852.]
Mon cher ami,
Voici un petit livre (i5i). Vous a-t-on envoyé
Lorrly? 3e Vaxa'is dit aux Giraud et Dag-neau. S'ils
ne l'avaient pas fait, écrivez-leur donc un mot.
Votre affectionné,
GÉRARD DE NERVAL.
LXXXI
A ..., (162)
[Fin i852.]
Mon cher ami,
N'oubliez pas ce que je vous ai dit ; c'est un
coup d'épaule qui sauvera mon hiver, et dont je
serai profondément reconnaissant. Je ne songe-
rais pas à cette démarche, moi qui viens de travail-
ler douze ans sans demander aucune aide ; mais
ayant été si dang-ereusement malade l'hiver dernier,
je vois avec crainte revenir, avec la mauvaise sai-
Lxxx. — Communiquée par M. Léo Lucas.
CORRESPONDANCE
son, un certain état de santé qui me commande un
peu de repos et de soins.
Vous savez que c'est l'excès de travail qui m'avait
mis endang'er et j'ai encore beaucoup écrit depuis.
J'ai publié deux volumes : les Illuminés et Lorely, et
des articles dans les Revues.
Si ce que je demande pouvait s'appliquer aux
fonds d'encouragement pour l'art dramatique, mes
titres sont deux opéras comiques : Piqiiillo et les
Monténégrins^ et trois grands drames : Léo-Biirc-
kart, le Chariot d'Enfant et l'Imaffier, qui a rou-
vert la Porte -Saint-Martin.
Si c'est sur les fonds des lettres, vous savez que
je dois exécuter pour Furne un voyage descriptif
de la Méditerranée pour lequel j'ai été choisi, comme
auteur du Voyage en Orient publié par Charpen-
tier. Il faut que je commence en mars et que je
me prépare jusque-là. Agissez pour le mieux en
faisant comprendre ces motifs et connaître mon
peu d'habitude des sollicitations. Je ne crois
demander que ce qu'on pourrait placer moins
bien, considérant le soin de santé nécessaire et
la certitude que j'ai de m'employer ensuite à des
travaux utiles.
Je vous confie le soin de parler pour moi, à
vous qui m'avez si bien soutenu quand j'étais souf-
frant cette année.
Voire ami, gérard de nerval.
NOVEMBRE lS4l — AOUT l853 187
LXXXII
A LOUIS DE GORMENIN
[.853.]
Mon cher Cormenin,
Voici Monsclet que vous connaissez, qui a fait
un ailicle sur les Illuminés, qui n'est pas tout en
ma faveur, à ce qu'il dit, mais j'aime mieux cela,
et au contraire s'il se trompait, il faudrait en ra-
jouter. — Voyez donc s'il est possible qu'il pût
trouver place dans cette institution nouvellement
littéraire (i53).
Votre affectionné,
GÉRARD DE NERVAL.
Suscription : A monsieur Louis de Cormenin
au Ministère d'Etat.
LXXXIII
A DIDIER
fl853.]
Mon cher Didier,
Je vous envoie mon bon ami Guichardet, qui
veut vous parler d'un petit livre d'Henri Blaze.
LXXXII. — Communiquée par M. Maurice Tourneux.
l88 CORRESPONDANCE
Causez-en avec lui, je crois que vous ne serez pas
fâchés de vous connaître. Blaze figurerait très bien
dans votre collection de stylistes (t54).
GÉRARD DE NERVAL.
Suscription : A AIonsieurDidier Editeur
10, Bue des Beaux- Art s
LXXXIV
A MADAME DE SOLMS (l55)
2 janvier i853.
Ne me donnez pas, chère fée bienfaisante, le
beau livre que vous m'avez promis pour mes étren-
nes;je les convoitais depuis bien long-temps, ces
beaux volumes dorés sur tranche, cette édition
unique. Mais ils coûteront très cher et j'ai quelque
chose de mieux à vous proposer : une bonne
action. Je vous sens tressaillir de joie, vous dont
le cœur est si chercheur ! Eh bien ! voici, ma belle
amie, de quoi l'occuper pendant toute une semaine !
Rue Saint-Jacques, n" 7, au cinquième étage, crou-
pissent dans une affreuse misère — une misère
sans nom — le père, la mère, sept enfants, sans
travail, sans feu, sans pain, sans lumière.
Deux des enfants sont à moitié morts de faim.
i.xxxiv. — Publ. dans la Petite Presse, 26 octobre i8û6,
NOVEMBRE l84l — AOUT i853 i8g
Un de ces hasards qui me conduisent souvent m'a
porté 1;\ hier. Je leur ai donné tout ce que je possé-
dais : mon manteau et quarante centimes. 0 misè-
re ! Puis, je leur ai dit qu'une grande dame, une
fée, une reine de dix-sept ans, viendrait dans leur
taudis avec tout plein de pièces d'or, de couvertu-
res, de pain pour les enfants. Ils m'ont regardé
comme un fou. Je crois vraiment que je leur ai
promis des rubis et des diamants, et, ces pauvres
gens, ils n'ont pas bien compris, mais ils se sont
mis à sourire et à pleurer.
Ah ! si vous aviez vu ! Vite donc, accourez,
avec vos grands yeux si doux, qui leur feront croire
à l'apparition d'un ange, réaliser ce que votre pau-
vre poète a promis en votre nom. Donnez à cette
bonne œuvre le prix de mes étrennes, car je veux
absolument y concourir, ou plutôt remettez à D...
les quatre-vingts francs que devait coûter le chef-
d'œuvre auquel je ne veux plus penser, et je cours
au Temple et chez le père Verdureau acheter tout
un aménagement de prince russe en vacances.
Ce sera beau, vous verrez! Vous serez éblouie !
Je cours quêter chez Déranger. Au revoir, petite
reine, à bientôt, au grenier de nos pauvres. Nos
pauvres ! Je suis fier en écrivant ces mots. Il y a
donc quelqu'un de plus pauvre que moi — de par
le monde! N'oubliezpas le numéro. Au cinquième»
second couloir, la porte à gauche.
igo CORRESPONDANCE
Adieu, Mig-non, chère Mig-non, douce Mignon,
providence des affligés, mignonne Mig-non, si douce
et si fine, si peu fière et si gentille ! Mettez votre
robe à grande queue et vos souliers à talons ! Je leur
ai promis, gros comme le bras, une grande prin-
cesse, plus puissante que tous les puissants de la
terre. Ils n'y croiront plus quand ils verront vos
dix-sept ans et votre frais sourire. Mais je bavarde,
je bavarde ; adieu, mignonne, encore adieu. —
Pardon, madame.
LXXXV
[Printemps iS53.]
Mon cher Listz,
Il y a bien longtemps que je ne vous ai écrit;
cette lettre vous vient d'un pays où je vais lorsque
je suis bien portant, ce qui ne m'est pas arrivé
souvent depuis deux années (i56). J'ai souffert*
d'une maladie nerveuse dont la convalescence a été
longue et qui a commencé à la suite d'un excès de
travail occasionné par une pièce de théâtre jouée
dans l'hiver de i85i à la Porte-Saint-Martin. Je
vous ai parlé de ce sujet à Weimar (iSy). C'est une
sorte de Second Faust, quej'ai arrangé avec Méry,
LXXXV. — Publ. par A. Houssnyp, le Livre, i883.
NOVEMBRE iS/jI AOUT l853 IQI
parce que Dumas, avec qui je devais le faire d'a-
bord, n'était plus en France. Vous compnMiez, quoi-
que de si loin, combien les affaires de ces dernières
années ont dérangé les relations. Je me faisais une
joie de vous proposer cela accessoirement, comme
sujet d'opéra pouvant être traité dans le gonl alle-
mand (io8). Puis la maladie arrive; plus rien! Je
voudrais cependant vous envoyer cette pièce et des
livres dont je vous ai parlé dans une lettre précé-
dente. Je vous écrivis de Chantilly; par une erreur
de suscription, la lettre est allée à la Revue des
Deux Mondes.
Votre ami,
GÉRARD DB NERVAL.
LXXXVI
A STADLER
[26 mai i853.]
Mon cher ami,
Je vous écris très au hasard et ce qui m'a fait
hésiter, c'est que j'ai rencontré le g^rand brun avec
qui nous avons déjeuné un jour chez Cousinet, et
qui m'a dit que vous deviez aller beaucoup plus
loin que Lyon, vu des circonstances qui vous y en-
traîneraient. Enfin, si vous êtes là, je vous appren-
drai du moins le ^-rand succès qu'a votre imae^e (^ 1 69).
Nous en avons causé une heure hier avec Georg-es
192 COBRESPONDANCE
( 1 60), ainsi que de vos qualités plus précieuses encore
à vos amis. Le portrait est splendide et d'un grand
mérite; il fait l'admiration de tous et de toutes.
Je vous dirai du reste qu'il n'y a rien de bien nou-
veau. Je me sens beaucoup mieux et je reprends,
ce qui a été difficile et est dû, avant tout, à vous.
J'ai beaucoup erré, mais je retrouve peu à peu le
goût du travail. Ecrivez-moi donc si vous êtes
encore là. Je n'ai rien reçu de là-bas; peut-être
n'ont-ils pas mon adresse ; mais j'ai fait un petit
travail qui me soutient en attendant. Le grand
Gorges a eu des succès dans son affaire delà marée,
mais il vous en a sans doute parlé. Vous amusez-
vous un peu dans cette localité, tout au travers du
travail? Chez nous, le temps change à tous mo-
ments et il est rarement beau. J'espère pour vous
que vous aurez fait la grande tournée dont on m'a
parlé et que ma lettre ne vous trouvera qu'au
retour; sinon, revenez-nous vite.
Votre affectionné,
Ce jeudi 26. gérard.
LXXXVII
A STADLER
[10 juin i853.j
Mon cher ami,
J'ai reçu votre lettre avec bien du plaisir. Je suis
LXXXVII. — Date de laf poste.
NOVi^MBKE 18/41 AOUT l853 1q3
». • — ■ — '
ail»' chez Théo pour le portrait ; il m'a parlé avec
grande estime du peintre (161). Je vais à l'Artistp
mettre une note pour relui qui fait le salon, c'est
sans doute Clément de Ris. Je vais tâcher de voir
au Pays si c'est Saint-Victor — et d'autres. — J'en
ai entendu parler de tous côtés très favorablement
et comme d'une belle chose.
Il paraît qu'il tait chaud là-bas, ici cela com-
dîience. Quand revicndrez-vous ? On m'avait dit
que vous iriez peut-être jusqu'en Italie. C'est cela
qui serait beau et j'en serais bien content pour
vous malgré l'éloig-nement. Ici on ne parle que de
guerre, ce qui a surtout l'inconvénient de rendre les
transactions difficiles. Du reste, il n'y a rien de
nouveau comme toujours. Quand vous reviendrez,
vous retrouverez les mêmes bons hommes faisant
les mêmes mouvements de tête, de braset de jambes,
comme les petites fig-ures qu'on fait travailler en
versant du sable. Le plus actif, c'est toujours (ior-
g^es.qui a reçu ce mois-ci un second versement con-
firmant son affaire. Moi, j'ai presque terminé le
prospectus. Je me trouve enfin tout à fait bien por-
tant, car jusque-là j'avais encore des papillons
noirs. Je suis un grand chien de ne pouvoir vous
dire combien jo vous dois et à quel point vous
m'avez sauvé cette année comme l'autre, d'autant
plus que j'ai reçu la lettre et tout. Il est impossible
qu'une créature ait plus de reconnaissance pour
194 CORRESPONDANCE
une autre, mais tout cela vous sera compté ailleurs;
vous le dire est tout ce que je puis.
Votre ami,
G.
Suscription : A Monsieur Eugène de Stadler
à Valence-sur-Rhône
Poste restante.
LXXXVIII
A CHARPENTIER
[Juillet i853.]
Mon cher Charpentier,
Je vous ai parlé d'exemplaires qui serviraient à
avoir des articles pour notre livre dans ce moment
où l'on s'occupe de la question d'Orient. J'ai vu
hier Limayrac à la Presse. Il veut me faire un
article, pour moi seul, samedi en huit. Je lui envoie
toutes mes œuvres. Envoyez donc la principale à la
Presse sous son nom ; autrement il demeure rue
des Batailles, 9, à Chaillot,c'est trop loin — mais à
la Presse, on est fidèle (162).
Je vous écrirai encore pour /e 5" /ec/e et le Pays et
le Moniteur. Mais vous savez que je vous ai acheté
des exemplaires en d'autres occasions ; ici, c'est
l'histoire d'écouler notre édition à la faveur de l'af-
I
NOVEMBRB l8^I — AOUT l853 IqS
faire d'Orient ; par conséquent, prenez note de
ce que je vous demanderai, et comptez le moi
sur la siiioante, s'il y en a. Mon motif principal
c'est que je termine un article pour la Revue et
que, comme il y a long-temps qu'on n'a rien vu
de moi, je ne suis pas fâché des propositions ten-
dantes à me ressusciter un peu.
Votre bien dévoué,
GÉRARD.
J'irai vous parler ytonYXçs fragments, bons aussi,
je crois, dans l'intérêt du livre.
LXXXIX
A HIPPOLYTE LUCAS
l853.
Mon cher ami',
Combien je vous remercie de votre trop bonne
appréciation et de votre souvenir, moi qui vous
ai un peu oublié. J'ai été un peu décourag-é, il
faut le dire, par Leroy, qui m'a soulevé des diffi-
cultés. Il faudrait rependant voir Deligny (iG3) et
moi j'ai été plein d'ennuis ces derniers temps-ci et
d'ouvrag-e pressé à faire, dont j'ai peu fait n'étant,
pas encore en très bonne santé. Je vais vous aller
voir un de ces malins et causer de tout cela.
Votre affectionné,
Gr;RARD DE NERVAL.
LXXXIX. — Puhl. par H. Lncas, Portraits et Sonvenim littéraires.
CORRESPONDANCE
XG
A H. LUCAS
i858.
Mon cher ami,
C'est bien l'idée que j'avais eue d'abord. La
flûte enchantée va comme de cire pour les deux
sujets. Notre donnée de Francesco fait disparaître
tout le commun d'Aurore où il y a deux ou trois
scènes et un dénouement remarquables. Je crois
que le caractère de la rivale est très bien et la sup-
position d'une femme chargée de remplacer la
morte par sa ressemblance rentre bien dans le^
sujet tel que je l'avais conçu ; l'intervention de
l'Inquisition et Francesco indigène qui veut briser
tout le prestig'e forment une scène essentiellement
dramatique, et le dénouement d'Aurore est parfait.
La scène où le comique fait des prodiges est très
bonne, comme vous disiez. Il y aura de plus la sou-
brette qui le lutine comme dans la flûte enchantée.
J'irai d'ici à deux ou trois jours élucider le sujet
avec vous J'en cherche la combinaison. Voyez un
peu l'histoire d'Italie au temps des Médicis. Il
faut, je crois, que Francesco soit fils d'un Médicis
ou d'un souverain quelconque assassiné, ou fils
xc. — Publ. par H. Lucas, Portraits et Souvenirs littéraires.
NOVRMBIVE l84l AOUT l853 1 97
inconnu, perdu, ou souverain lui-même, ou petit-
fils du g-rand Duc, car il ne faut rien nég-lig-er pour
donner de l'importance à l'épreuve qui ne doit
pas porter seulement sur l'amour, en ce que trop
de gens y sont intéressés. Enfin, nous verrons
cela (i()/i).
Votre ami,
GÉRARD DE NERVAL.
Ne dites pas, pour cause, que nous travaillons
à cela.
- XGI
A DE MARS
[29 juillet i853.]
Mon cher de Mars,
Je vais vous en porter demain. Je reviens de
Chantilly, où j'étais allé pour prendre un paysage.
Je suis sûr de l'histoire, mais non de ne pas Técour-
ter. Après tout, nous ferions un autre morceau
sous un autre titre. Autrement, cela n'en finira pas.
A demain.
GÉRARD.
xci. — Date de la poste.
CORRESPONDANCE
Cependant s'il y avait un moyen. — La seule
hâte me fait travailler, comme toujours. Sinon, je
perle trop (i65).
Suscription : Monsieur de Mars, à
la Revue des 2 mondes
I g, rue Saint-Benoit.
ITÏ
AOUT i853 —JANVIER i8o5
A la maison Blanche, 27 aoyt 1853-27 mai i854. — Les Filles du
Feu, i85/(. — Voyage en Allemas^ne, mai-juillet 1804. — Retour à
la maison Blanche, 8 aoùt-19 octobre i854. — Mort de Gérard,
20 janvier i855.
xcu
AU D' LABRUME
i"' septembre i853.
Mon cher papa,
Tu sais, la dernière fois que je t'ai vu, combien
j'étais heureux d'une affaire qui venait de se termi-
ner favorablement pour moi. La joie m'adonne un
peu d'excitation, et je suis à Passy, chez des amis,
dans une maison superbe et dans de beaux jar-
dins (i66). Ne te tourmente pas au sujet de cette
campagne, où il faut que je passe quelques jours.
C'est un simple complément de santé qu'il faut que
j'y trouve. On a dû, au reste, te prévenir déjà. Si
Gabrielle voulait venir, je t'écrirais de nouveau,
car c'est bien loin pour elle. Si tu avais à m'écrire,
c'est rue de Seine, n° 2, maison de santé, à Passy.
Donc, je suis certain de pouvoir t'embrasser d'ici à
quelques jours.
Ton fils,
GÉRARD.
Chez M. Blanche, à Passy.
xcu. — Publ. par A. Iloiissaye, taPresse, in septembre 18O2. —
Date de la poste.
CORKESPONDANCE
Suscription : AM. le Docteur Labrunie^ ancien mé-
decin en chef des hôpitaux militaires .
XCIII
A STADLER (167)
[Septembre i853.j
Mon cher ami,
Vous savez qu'il m'est survenu encore un petit
accident — toujours la tête — mais j'apprends peu
à peu à dominer le mal. Je suis chez Blanche à
Passy et je me sens tout à fait remis. Venez donc
me voir, si vous pouvez, sinon j'irai vous trouver,
dans très peu de temps, j'espère.
Votre ami,
GÉRARD.
Et la source ?
Suscription : A Monsieur Eugène
de Stadler, Archiviste,
21, Rue de Bréda, Paris.
XCIV
A STADLER (168)
[Septembre i853.]
Il y a cinq à six jours, j'ai été pris d'un trans-
xciii. — Publ. dans l'Inlermédiaire des Chercheurs. . ., 3o juil-
let 1905.
xciv. — Publ. par Arvède Bariuc (collection Spœlberch de Loven-
joulj.
AOUT l853 JANVIKK l8Ô5
poil au cerveau eu vous quillaul; j'ai fail des
folies. Avec un esprit plus sain, je vous écris de
venir me voir, si vous pouvez, chez M. Blanche, à
Passy. N'ai-je pas laissé chez vous mon gilet? Je
ne sais ce qu'est devenu mon argent, du moins ce
qui m'en restait. Mais tout se retrouve — comme
tout se paie, — suivant le mot que Balzac attribu-
ait au grand homme. Venez vite.
Post-scriptuni. — Vous n'avez pas perdu la tète
de Christ (169) ? Bien des choses à Méry ; dites-
lui ce qui m'est arrivé. — Et l'oiseau rare ?
xcv
A THÉOPHILE GAUTIER
[Septembre i853.]
Mon cher Théophile, on te dit revenu des cour-
ses de taureaux de Bayonne (170). Viens donc me
voir chez Blanche, où je me trouve fort à propos
pour guérir un peu ma tète; je crois qu'enfin cela
va mieux, ma chi lo sa ?
XGVI
A STADLEK
[21 septembre i8ô3.]
Mon cher Eugène,
Venez donc dîner chez Blanche jeudi (après
xcv. — Publ. par Arvède Parine, Nécrosés.
xcvi. — Date de la poste.
2(»Z| CCRRESPONDAXCE
demain). Il y aura Méry, Houssaye et Chatillon
(171). Tâchez d'apporter votre musique pour
Antony (172).
Votre ami, I
GÉRARD.
Ce mardi.
XGVII
[23 septembre i853.j
Mon cher Méry,
Envoyez vile à Théo ce qui est imprimé de la
pièce. Il fera de grandes citations, surtout le Ser-
pent (173).
Votre ami,
GÉRARD.
Suscription : Monsieur, Monsieur Mérij
5 bis Rue Lamartine,
Paris.
XCVIII
A STADLER (l74)
le 7 octobre [i853].
Mon cher ami.
On m'a ramené à la maison Blanche, assez gra-
xcvii. — Date de la poste.
AOUT l853 — JANVIER l855 205
vemenl malade par suite d'excitations que je vous
expliquerai. Ayez donc la bonté, si vous êtes à
Paris, de vous occuper de mon affaire de déména-
g^ement, car le logement avait été mis primitive-
ment sous votre nom, mais les quittances sont au
mien. Cela peut faire complication. Si je ne suis
pas assez bien portant pour qu'on me laisse sortir,
occupez-vous de cela et, comme je ne puis toucher
l'argent qu'il me faudrait, demandez-en provisoire-
ment à Houssaje, ou à quelque autre de nos amis.
Je ne voudrais pas charger de ces frais le bon
M. Blanche, qui a déjà tant fait pour moi.
Enfin, voyez cela et faites pour le mieux.
Votre ami,
GÉRARD.
XCIX
AU d"" labrunie (175)
Ce 21 octobre i853.
Mon cher papa,
Tu n'as pas répondu à ma dernière lettre datée
de Passy, mais on m'a dit que tu avais envoyé
Evariste et que l'on te tenait au courant de Tétat
de ma santé. Tu sais alors que je vais très bien
depuis quatre ou cinq jours, après une rechute assez
grave à ce qu'on dit, et dont M. Emile Blanche m'a
tiré. Je n'ai point souffert du reste et je ne puis
i3
206 CORRESPONDANCE
dire que ma raison ait été sérieusement attaquée.
Il y avait seulement une forte agitation due en par-
tie à la contrariété d'être soumis à un régime sé-
vèrCj en'partie aussi à l'effet nerveux que produisait
en moi le voisinage des autres malades. Je crains
que ceux de mes amis qui ont été admis à me voir
(deux seulement, Eugène de Stadler et Georges
Bell, que tu as vu avec moi,) ne se soient trop in-
quiétés d'une irritation qui ne tenait qu'à la crainte
de ne pouvoir faire mes affaires et répondre à mes
engagements. On m'a pleinement rassuré là-dessus,
et M. Blanche a eu la bonté de faire fairemon dé-
ménagement. On a meublé avec une partie de mes
meubles et tableaux une jolie chambre donnant
sur un jardin, dominé par les maisons de Passy.
Nous avons la jouissance d'un jardin et du parc
deux fois par jour (i 76); enfin je suis d'une santé
ridicule, si bien que je suis forcé de sauter toute
la journée et de faire des exercices gymnastiques
pour me calmer un peu. Je suis comme un enfant,
je chante et je ris à tout propos, ce qui étonne un
peu les gens qui ne savent pas que cela est dans
mes habitudes, du moins lorsque je n'ai pas d'in-
quiétudes graves. C'est toi, avant tout, que je vou-
drais voir, car bien souvent je ne chante et ne ris
que pour m'étourdir, et ne pas penser aux absents
chéris, ni aux présents, qui sont de pauvres diables
plus malades que moi, convalescent (177). J'avoue-
AOUT i853 — JANVIER i855 207
rai, fi la lionte de l'art d'Hippocrate, que l'on ne
comprend pas assez que le voisinage des malades
rend malade, surtout dans les affections mentales
ou nerveuses. Les nerfs s'agitent de l'agitation
voisine comme les cordes à boyau dont on nous
parlait en physique. Je ne puis persuader à per-
sonne ici que je suis un peu médecin, ayant suivi
deux ans les cours de l'Ecole et la clinique de l'IIô-
tel-Dieu (178). On ne veut pas croire que j'ai soi-
gné des malades pendant le choléra et que j'ai fait
alors une centaine de visites avec ou sans toi. On
n'en douterait pas si je m'étais cru assez utile alors
pour demander la médaille. Mais je ne voudrais
constater qu'une chgse, c'est que, joignant à d'im-
parfaites études médicales l'observation philosophi-
que et l'expérience, ayant traversé des villes pesti-
férées comme Damiettc etMansourah,sans la moin-
dre crainte, ayant lutté à coups de chaise contre
un terre-neuve, devenu enragé depuis, et qui avait
cruellement déchiré un de mes amis (Ed. Féret)
(179), j'ai quelque droit à donner mon opinion et à
me dire hakim. Comme je ne mens jamais, ou, du
moins, comme je ne mens plus, je deviens un peu
comme Cassandre, ce qui me rappelle deux vers
de ce bon Lingay, l'ancien secrétaire de M. Gui-
zot (180) :
Près de chaque ministre où j'ai daigne descendre.
J'étais une Cassandre, à côté d'un Cassandre.
208 CORRESPONDANCE
Enfin, espérons qu'Esculape nous sauvera d'Hip-
pocrate ou, sans quoi, je me range du parti de
Molière et de Jean-Jacques, fût-ce contre toi-même
qui serais bien fâché de m'en vouloir, et qui te
traites sans drog-ues, ni prescriptions magistrales,
de façon à vivre. Dieu merci ! les six vingt ans accor-
dés par l'Ecriture à la race adamique.
Enfin, écris-moi, envoie mon cousin, viens si tu
peux, que je voie un visage de parent, ne comptant
plus guère sur mes amis ni sur mes amies qui se
laissent, je trouve, bien facilement décourager ou
consoler de ne me voir plus !
J'ai appris que cette pauvre Gabrielle était dans
un état désespéré, morte peut-être ; c'est un de mes
grands regrets de n'avoir pu continuer à l'aller
voir et assister. Enfin l'on m'a dit que tu l'avais
remplacée. Mais je ne la regrette pas seulement à
cause des services qu'elle te rendait. Elle était aussi
très bonne pour moi. J'aurais encore bien des
choses à te dire, mais l'heure approche où M. Blan-
che doit venir et j'ai encore à écrire.
Je t'embrasse de tout mon cœur.
Ton fils,
GÉRARD LABRUNIE DE N.
Suscription : A Monsieur le Docteur Labrunic^
ancien médecin en chef militaire^
52 , Rue Culture Sainte-Catherine
à Paris.
AOUT ï8o[\ JANVIER l855 2O9
AU Df LABRUNIE (181)
Ce 22 octobre i853.
Mon cher papa,
Voilà une troisième lettre que je t'écris depuis
que je suis ici. On m'a conseillé de ne pas envoyer
la seconde, qui était encore un peu bizarre, du
moins aux yeux des docteurs. Tu as dû en rece-
voir une, et tu as envoyé Evariste, qui n'a pu me
voir. Aujourd'hui, je vais très bien, et ce qui le
prouve, c'est que je dois dîner aujourd'hui au châ-
teau avec M. Blanthe et Chatillon, un de mes bons
amis. Dis donc à Evariste qu'il revienne. Ma rechute
a duré une huitaine de jours, mais je n'ai pas souf-
fert. M. Blanche a fait faire mon déménag^ement et
je suis ici dans mes meubles, avec mes livres et
mes tableaux. Tâche donc de venir un jour par
l'omnibus, que l'on prend sur la place du Palais-
Royal, pour Passy. Du reste, j'irai te voir demain
ou après, si.... La prolongation de mon séjour est
due surtout à certaines bizarreries qu'on avait cru
remarquer dans ma conduite. Fils de maçon et
simple loiwelenii, je m'amusais à couvrir les murs
c. — Piil)l. par A. Honssaye, la Presse, a? sppicmbrc igGs.
i3.
CÛRUESPONDANCE
de figures cabalistiques et à prononcer ou à chan-
ter des choses interdites aux profanes; mais on
ignore ici que je suis compagnon-égyptien (refik).
Enfin, j'en suis sorti et je ne souhaite à personne
de passer par les mêmes épreuves. Si la vie est un
voyage, je demande à voyager quelques jours pour
ma santé. J'ai écrit à M"^^ Alexandre Labrunie pour
les arrangements relatifs à notre terre. C'est là que
je voudrais aller faire une promenade pour savoir
quelle est la valeur du quartier de terre qu'elle veut
me céder à Nerval. L'affaire ne serait pas mauvaise
au prix ancien, car il y a un tracé de chemin de
fer local qui doit passer par là, à ce que m'a dit der-
nièrement un ingénieur des Ponts-et-chaussées. Je
la paierais en annuités ou autrement, quand je
saurai le prix actuel de la terre dans le pays. Nos
fermiers ont deux autres lots revendus par mes
autres cousins, et en s'entendant avec eux, on refe-
rait en partie l'ancienne propriété de mon grand-
oncle Olivier Béga. Gela me serait un moyen d'éco-
nomie et d'avenir (182).
Je m'étends sur ce sujet, parce qu'on m'a dit que
tu étais informé de ma santé, et l'on me dit égale-
ment, chaque fois que je m'en informe, que tu te
portes très bien. J'ai appris avec douleur la mort
de la pauvre Gabrielle. Mais cela était prévu. Enfin,
j'espère que cela ne t'a causé aucun nouvel embar-
ras.
AOUT l853 JANVIER iS.jS
Je t'embrasse de tout mon cœur.
Ton fils,
(JÉRARD LABRU.ME DE N.
Maison de santé Blanche (Passy).
CI
AU D'' blanche
[27 novembre i853.]
Mon cher Emile,
Aujourd'hui, dimanche 27 novembre, trois mois
après mon entrée chez vous, mes épreuves sont ter-
minées, et, pour parler comme les Initiés : « J'ai
déposé la clef d'Osiris sur l'autel de la Sag-esse. »
Je me sens délivré d'une g-rande responsabilité, et
n'étant pas Cinna, c'est-à-dire un traître, je ne me
sens nullement embariassé du rôle d'Ovide. Si
mes sentiments m'exilent chez les Sarmates, je
n'y vois pas d'inconvénient. En attendant, je me
plais ici et j'y aime tout le monde, surtout les
dames, et surtout vous, qui savez être le médecin
de l'àme non moins que celui du corps.
Prenez-moi pour votre acolyte, comme vous me
l'avez promis, et je marcherai sans peur contre
tous les fléaux. J'ai prouvé déjà que je ne craignais
CI. — r'ubl. par Houssayc, le Livre, i883.
CORRESPONDANCE
ni le choléra, ni la peste, ni la rag^e. J'ai aidé mon
père contre le premier, j'ai bravé la seconde au
Caire et à Damiette, et j'ai combattu la dernière
en sauvant un homme. Je voulais trop faire en
bravant la mort ! C'est dans une autre vie qu'elle
me rendra celle que j'aime (i83). Ici je n'écoute
pas la voix d'un songe, mais la promesse sacrée
de Dieu.
Votre ami.
Ce dimanche.
GERARD.
cil
A DUBLANC
[27 novembre i853.]
Tu sais combien les goûts de solitude de mon
père ont influé sur moi. Les souvenirs de mon on-
cle et de ma tante se sont ravivés dans mon cœur
pendant une période de cette sing-ulière maladie,
qui est pour moi l'âge critique, et dans laquelle on
n'a vu sans doute que les apparences de l'ég^arement.
Aujourd'hui, jour anniversaire de celui où ma
pauvre mère est morte en Silésie, suivant le dra-
peau de la France, mais laissant son fils orphelin,
jeme suis promis de vivre enfin sérieusement (i 84).
cii. — Publ. par Champfleiiry, Grandes Figures.
AOUT i8j3 JANVIER iSfjJ 2l3
cm
[3o novembre i853.j
Mon cher Abel,
II y a eu une lég'ère erreur dans mon envoi
d'hier. Il faudrait me carder le Comte de Saint-
Germain, s'il n'est pas encore composé. Sinon, faites-
le moi dire. J'ai aussi quelques modifications à
faire à la copie d'hier. Mais je les ferai sur l'épreuve
en placards. C'est peu de chose d'ailleurs; V intro-
duction donnera la clé et la liaison de ces souvenirs.
Soyez assez bon pour transmettre la lettre ci-jointe
à M. Giraud (i85).
Votre bien dévoué,
GÉRARD DE NERVAL.
Ce mercredi.
Suscription : A Monsieur, Monsieur Abel, proie
chez M. Grat'ioi, imprimeur,
Rue de Seine St-Germain, Paris
Note de la poste : Les 2 rues. Inconnu
V. R. Mazarine.
cm. — Date de la poste.
ai4 CORRESPONDANCE
CIV
A GÎRAUD
[3o novembre i853.]
Mon cher Monsieur,
Je reçois très peu d'épreuves. Veillez donc à ce
que nous n'éprouvions pas de relards. Il y a une
portion de copie que, par erreur, j'ai envoyée à l'im-
primerie. Elle est destinée à la Revue de Paris ; je
vous prie de la lui faire porter, au bureau du Boule-
vard. C'est le Comte de Saint-Germain. En revanche,
on vous enverra, du journal Paris, la Pandora{i 86)
qui prendra place dans notre volume. Elle doit être
composée, prenez l'épreuve dans ce cas. Dites à
M.Venet que j'ai un petit chang-ement à faire pour
éclaircir le dénouement. Que du reste il l'illustre
avec les vignettes de la Poupée de Nuremberg et ce
qu'il voudra des autres. — Je voudrais bien vous
voir, pour causer de tout cela. Venez doncàPassy,
à la maison de santé de M. Blanche. Les voitures
sont sur la place du Palais-Royal.
Votre bien dévoué,
GÉRARD DE NERVAL.
Ce mercredi.
Suscription : A Monsieur, Monsieur Giraud,
éditeur, Rue Viuienne
au Coq d'Or.
CIV. — Collection Edouard Champion.
AOUT l853 — JANVIER i85b
cv
A GIUAIJD
[Décembre i853.]
Mon cher ami, j'ai absolument besoin d'une nou-
velle pour terminer, car cela mange plus que je ne
croyais; faites-la donc copier bien vite. Il faut quel-
qu'un qui aille au cabinet de lecture, 1 56, galerie de
Valois, et qui demande le Messager de i83g. Il
feuillettera et trouvera une nouvelle en Variétés in-
titulée : le Fort de Bitche. Il faudra mettre, au lieu
de ce titre, le nom de l'héroïne (187). Tâchez que
l'on ne perde pas de temps. J'ai donné la Pandora
au Mousquetaire (188). On va donc l'avoir.
Votre dévoué,
GÉHARD.
Vous avez oublié de laisser le billet; laissez-le
donc et faites-le tout de suite. Je viendrai lundi.
CVI
A GIKAUD
[Décembre i853.]
Mon cher Giraud,
Avez vous trouvé la nouvelle? J'y tiens beaucoup
cv. — Collection Edouard Champion,
cvi. — Collection Edouard Champion.
2l6 CORRESPONDANCE
car elle est très intéressante et finira bien le volume.
Je m'apercevais que sans cela il n'y aurait pas eu
de pièce de résistance, mais des morceaux trop dé-
coupés vers la fin. Envoyez vite la lettre ci-jointe à
Maurice Sand et n'oubliez pas ce que je vous ai dit.
Je n'ai pas encore reçu la feuille, qui n'était pas
prête samedi.
Votre dévoué,
GÉRARD DE NERVAL.
Ce lundi.
Voulez-vous mettre la lettre ci jointe sous enve-
loppe et l'adresser à Maurice Sand.
CVII
A GEORGES BELL (189)
[Hiver i853.]
Vous avez été un de mes médecins, et je me sou-
viens avec reconnaissance de ces tournées lointaines
que nous faisions l'été dernier et où vous me gou-
verniez avec tant de patience et d'amitié solide. Et
maintenant ne m'abandonnez pas, si longue que
soit par ce temps-ci la course de Passy. J'ai à vous
parler beaucoup. Ce que j'écris en ce moment tour-
ne trop dans un cercle restreint. Je me nourris de
ma propre substance et ne me renouvelle pas (190).
cvii. — Publ. par G. Bell.
AOUT i85i^) — JANVIER 1 855 217
De plus, j'ai de l'inquiétude quant au placement
de la copie. Venez donc bien vite...
CVIII
A GEORGES BELL
[Hiver i853.]
Mon ami, pourquoi n'êtes-vous pas revenu ?
J'aurais été bien plus vite rendu à la santé. Venez
donc très vite, le matin ou le soir, car je sors dans
la journée, — ou écrivez-moi. J'ai bien des cho-
ses à vous lire...
CIX
A STADLER
^Mars 1854.]
Mon cher ami,
M. Blanche vous prie, ainsi que Wey (191), de
venir demain un peu de bonne heure, c'est-à-dire
pas plus tard que six heures demain, si vous pouvez,
pour vous parler avant le dîner, parce qu'il sortira
après huit heures. Enfin faites pour le mieux.
Votre alfectionné,
GÉRARD.
Ce jeudi.
cvin. — Publ. par G. Bell.
•4
2l8 CORRESPONDANCE
ex
A STADLER
[Mars 1854.
Mon cher ami,
Merci de votre lettre... Voilà qu'il se trouve que
M. Blanche n'y sera pas aujourd'hui mercredi. Je
viens de voir Wej et nous avons pris vendredi, mais
pourrez-vous ? pour que je profite de la bonne vo-
lonté de M. Blanche et que je sorte de mon indi-
vision à l'ég-ard de son établissement. Gela est
nécessaire pour conclure quelque chose et, pardon-
nez-moi de vous occuper tant de moi, après que
vous m'avez tiré (du fossé), il faut me boire.
Votre affectionné,
GÉHARD.
CXI
A STADLER
I 1 1 mars iBô^.]
Mon cher Eug-ène,
Wey m'écrit que la chose est faite et M. Blanche
m'a dit qu'il y a aussi de quoi de votre côté. Merci,
merci, je me ravive !
Ne parlez pas de la chose, n'est-ce pas ?
Votre ami,
GÉRARD.
CXI. — Date de la poste.
AOUT i853 — janvibu i855 219
GXII
A STADLER
[20 mars i854.
Mon cher ami,
Passez chez Cousiuet, j'y ai laissé deux exem-
plaires (192) [)our M. D. M. et pour M""" la G... J'ai
louché le bon.
Votre
GÉRARD. -
Je crois (lécidémentaprès réflexion qu'il vaudrait
mieux 'donner [ii une dame nouvellemenL mariée)
l'édition in-octavo à cause des amours de Vienne
et de détails trop décolletés dans Constantinople.
Gardez-moi donc l'exemjjlaire in-i8 ou plutôt pre-
nez-le pour Gayrol en coupant le faux-titre. Je
leur donnerai Lorely.
Gela va bien. J'ai vu Millaud, qui me fera une
avance pour correspondance.
CXIII
A STADLER
[Mars 1854.]
]Mon cher ami,
Voici un exemplaire pour M. de Martre — (s'il
cxn. — Date de la poste.
COnRESPONDANCE
y a une S ajoulez-la sur l'exemplaire et sur la lettre.
L'exemplaire sans inscription est pour M""^ la
Comtesse de... Voyez si l'ouvrage n'est pas un peu
léger pour elle. En ce cas je donnerais l'autre édi-
tion. S'il vaut mieux que vous ayez l'air de lui
offrir, gardez l'exemplaire, je vous en donnerai
un autre.
Tout va bien, j'ai encore des espoirs...
GÉRARD.
Ce lundi.
CXIV
A BAMPS (193)
Mars 1854.
Monsieur,
Si M. Ernest Constant vous a dit qu'il était très
lié avec moi, il y a sans doute erreur. Toutefois, il
se peut qu'il me connaisse beaucoup sans que je
puisse au juste me rappeler son nom. Vous savez
la manière de vivre des écrivains français ; jour-
nalistes ou auteurs dramatiques, nous sommes,
pour ainsi dire, hommes publics, et notre position
nous met souvent en rapport avec des personnes
que nous voyons tous les jours sans savoir autre
chose qu'un prénom ou un nom qui ressemble à
d'autres et qui s'oublie. M. Ernest Constant est-il
I
AOUT 18Ô3 JANVIER l855
auteur, acteur, imprimeur ou employé de quelque
journal où j'aie travaillé, j'ai pu le connaître dans
CCS conditions-là. D'un autre côté, je ne voudrais
pas qu'une personne qui se recommande de moi
dans un besoin risquât d'être repoussée par suite
de mon oubli. Je ne suis pas de ces notabilités si
claires dont on peut songer à se recommander
dans l'intention de tromper. Je voudrais donc,
pour ménaiger une susceptibilité peut-être juste,
que, sans faire part de ma réponse à M. Constant,
vous l'eng-agiez à m'écrire. Il ne manquerait pas
sans doute de me rappeler quelque circonstance
que j'ai peut-être oubliée, car, depuis vingt ans que
je suis dans la presse parisienne, j'ai eu des rap-
ports avec des milliers de personnes et même ce
nom de Constant s'appliquerait à plusieurs. Ayez
donc la bonté de me donner ou me faire donner
des indications plus précises ; j'ai habité Bruxelles
et j'y connais des i^ens qui seraient utiles à M. Cons-
tant si son individualité me devenait plus claire ;
ce ne serait point, dans tous les cas, au point de
vue politique, auquel je suis complètement étran-
ger.
Votre bien dévoué serviteur,
GÉRARD DE NERVAL.
5o rue des Minimes.
CORRESPONDANCE
cxv
A DE MARS
[i r avril i854.]
Mon cher De Mars,
J'ai voulu encore aujourd'hui vous aller voir,
ainsi que M. Buloz. Une affaire qui dure depuis
plusieurs jours m'en a encore empêché. J'irai vous
voir ces jours-ci et causer de mes projets, car je
n'ai pu encore me remettre à travailler sérieuse-
ment (I94)-
Votre bien dévoué,
GÉRARD DE NERVAL.
Ce lundi.
Suscription : A Monsieur, Monsieur de Mars
à la Revue des Deux-Mondes
ig^ rue St-Benoît.
CXVI
A BUSQUET
Strasbourg, 3o mai i854 (195)
Mon cher Busquet,
Pardon de ne a'ous être pas allé dire adieu, et je
souffre même de ne vous avoir pas assez témoigné
cxv. — Date de la poste.
CXVI. — Publ. par Busquet, le Temps, lo août 1881.
AOUT l853 — JANVIER 1 855 2 23
ma reconnaissance pour votre amitié si chaude, si
dévouée, si efTective. Dieu merci, je me sens bien
et je ne suis plus l'être aplati que vous avez vuder-
nit^'rement. Le voyag-e et l'air de la montagne m'ont
transformé. Je travaille, je fais de jolies choses,
nous ferons honneur à nos engagements. J'ai tout
un plan de voyage et de travaux parfait (196).
Voyez donc Millaud (197) (mais je lui écrirai),
et Cohen (198). Dites que je réponds de leur être
agréable et de leur faire quelque chose de bien.
Peut-être y arrivera-t-on à me renvoyer quelque
chose de la somme rendue qui prouve du moins
ma loyauté. Car vous savez que ce qui y manque a
servi à payer des dettes passées, comme : 100 francs
dus à Méry, un billet de libraire remboursé, 40
francs, plus les trente francs que je vous ai laissés
pour Villedeuil (199). Aussi je ne suis pas un
pierrot... A propos de ces trente francs, s'il est
vrai qu'on ne puisse les rendre tout de suite et que
vous les ayez encore, savez-vous ce qu'il y a à faire?
Passez chez un changeur, prenez la somme en pa-
pier d'Autriche et envoyez-moi cela à Strasbourg,
Flôlel de la F/ewr, tout de suite. Cela m'arrangera,
et travaillant bien comme je fais depuis trois jours,
je les rendrai l)ien vite : du reste, si vous avez
l'adresse de Villedeuil, M. Blanche pourrait les don-
ner sur ce qu'il a rncore à moi. Mais avec cela je
m'achèterai un manteau^chosetrès nécessaire (200).
2a4 CORRESPONDANCE
Adieu, mon bon ami, vous m'avez vu très embar-
rassé, très penaud. Croyez que me voilà remonté
pour longtemps, disposé à bien faire et à vous
aimer plus que je n'ai fait encore. Car je vous
connais à présent.
Votre ami,
GÉRARD DE NERVAL.
P. -S. — Dites à Du Camp que son affaire va
crânement bien (201). J'enverrai les premiers arti-
cles au Pays d'ici à peu de jours (202).
CXVII
AU m' blanche
Bade [3i mai i854].
Au moment de m'enfoncer dans la verte Alle-
magne, je sens qu'il me manque un habit sérieux
pour me présenter dans les cours, si l'on m'invite
ou si je me laisse inviter. Nous verrons ce qu'il
conviendra de faire dans l'occasion. Je m'abstien-
drai des grandeurs autant que possible, et je me
félicite déjà de n'avoir pas pris de lettres de recom-
mandation. Ce n'est pas la peine de se faire un
nom, si l'on ne sait pas se recommander par soi-
même...
cxvii. — Publ. par Champfleury, Grandes figures.
AOUT l853 JANVIER l855 225
Ceci me conduit à vous prier d'adresser à table
ou au salon un speech en ma faveur à toutes nos
dames si bonnes pour moi et si indulgentes tou-
jours. Expliquez-leur que l'être pensif qu'elles ont
vu se traîner, inquiet et morose, dans le salon, dans
le jardin, ou le long de votre table hospitalière,
n'était pas moi-même assurément. De l'autre bord
du Rhin, je renie le sycophante qui m'avait pris
mon nom et peut-olre mon visage. Elles me rever-
ront,jespèrc, meilleur, plus spirituel etplusgalant —
plus affectueux, je veux dire. Elles me liront peut-
être et me connaîtront mieux que par une conver-
sation trop bruyante ou trop timide. Je m'épouvante
encore de mes crimes d'inattention, de lèse-poli-
tesse... (203).
CXVIII
A GEORGES BELL
[Strasbourg i«'" juin i854] .
Mon cher Bell,
Je vous écris de Strasbourg et non de Malte, en-
tendez-vous bien. Tout chemin, il est vrai, mène à
Rome, mais il n'est pas permis aux omnibus de se
rendre à Gorinlhe, non que ce soit impossible abso-
cxvm. — Piibl. par M. Maurice Tourneux, Intermédiaire des
chercheurs, 25 mars 1889.
i4.
2 26 CORRESPONDANCE
lument, mais la g-uerre actuelle rendrait ce trajet
bien dangereux (2o4). Du reste, on n'y allait que
pour se ruiner avec des courtisanes, ce qui n'est
sain ni pour la bourse, ni pour la santé.
Un prodige ! En touchant les bords du Rhin, j'ai
retrouvé ma voix et mes moyens l Hier soir^ j'ai
écrit un sonnet dans le trajet de Bade à Stras-
bourg" : car je reviens de Bade.
De l'hôtel du Soleil à l'hôtel... de la Fleur.
Je ne loge plus au Corbeau, — c'est sinistre,
mais je me sens déjà flamboyer comme un astre,
et, quelque temps éteint, je me suis rallumé à ce
vieux soleil de. mes plus beaux jours (205).
Est-ce que j'avais laissé tout à fait mourir le feu
sacré ?... C'est bon pour la vestale du boulevard
de l'Hôpital! je n'attends pas le secours tardif de
la déesse, je remonte avec le rameau. — J'ai trop
chanté dans les ténèbres :
Laissez-vous toucher par mes pleurs,
Ombres, larves, spectres terribles !
Certes, je ne suis pas un héros de la force de
Thésée et de Pirithoûs, — ni de celle de Paganini,
mais j'aspire à devenir fort comme un Turc. Avec
un peu d'aide, j'y réussirai.
A propos, tâchez donc de savoir à qui j'ai donné
ce rude soufflet, vous savez bien, une nuit, à la
AOUT i853 — JANVIER i855 227
halle.. (206). Faites mes excuses à ce malheureux
quidam. Je lui offrirais bien une réparation, mais
j'ai pour principe qu'il ne faut pas se battre quand
on a tort, surtout avec un inconnu nocturne.
Autrement, vous croirez que je fais le Gascon
sur la lisière de l'Allemagne ; — mais franchement
j'étais plus malade que je ne croyais, le jour, ou
plutôt la nuit de cet exploit ridicule.
Quelques jours après, vous vous en souvenez, un
de mes amis m'a lég-èrement...commentdire ? bla-
g-ué dans un journal : je me suis contenté de l'ap-
peler/)r/<7 drôle. 11 a tout de suite avoué qu'il ne
s'était cru que comique, et cela par suite d'un
verre de trop.
Un verre de bordeaux peut-être (mais « était-ce
vieux ou nouveau ?»)
Quoiqu'il en soit,je vais reprendre quelques Ieço.ns
de rapière à l'académie d'IIeidelberg.
J'y arriverai ce soir.
Si je ne suis pas encore le quatrième mousque-
taire, c'est que Dumas père n'en avait annoncé que
trois.
— Dites-lui donc que je pense par moments à
continuer les aventures de Brisacier, d'autant qu'il
a promis de les terminer (207). Qu'il ne soit pas
inquiet des 3 louis avancés sur les premiers chapi-
tres; s'il en était autrement, je le jugerais indigne
d'avoir des créanciers. Il serait digne d'en être un.
228 CORRESPONDANCE
(N'allez pas montrer aux gens celte phrase d'un
français douteux.) Mais je connais Dumas, et je lui
en dois bien d'autres.
...L'amitié n'est pas un compte en partie double.
Il serait pourtant dangereux de trop appuyer sur
cette maxime.
Ce que je regrette encore, ce n'est pas de ne
l'avoir pas dérangé en partant, pour lui faire des
adieux moroses, c'est d'avoir perdu l'occasion
d'embrasser sa fdle. Remettez-lui (à elle) ce brin
de myosotis cueilli peut-être au pied des roches
glissantes où apparaît le Lorely. .. je n'en envoie
qu'un autre.
Dites à ceux de nos amis auxquels je n'ai pu faire
visite le simple nom de cette fleur, que je ne sais
pas écrire en allemand.
Encore un mot : les deux louis que je vous ai
laissés, je les ai regagnés à Bade.
Décidément la chance a tourné : a les cœurs
vont me revenir en foule. — Je les connais >), a
dit Figaro.
Mais quelle méfiance absurde! Est-ce que j'en
avais perdu? Oui, parmi la plus belle moitié de ce
qui m'est cher. La maladie m'avait rendu si laid,
— la mélancolie si négligent. Dites donc, je tremble
ici de rencontrer aux étalages un certain portrait
pour lequel on m'a fait poser lorsque j'étais malade,
sous prétexte de biographie nécrologique (208).
AOUT i853 — JANVIER 1 855 aag
L'artiste est un homme de talent, plus sérieux que
Nadar, qui n'a que de l'esprit au bout de son
crayon ; mais, comme notre ami aux cheveux rou-
ges, il fait trop vrai! (209).
Dites partout que c'est mon portrait ressem-
blant, mais posthume^ — ou bien encore que Mer-
cure avait pris les traits de Sosie et posé à ma place.
Je veux me débarbouiller avec de l'ambroisie,
si les dieux m'en accordent un demi-verre seule-
ment.
Infâme daguerréotype ! tu pervertis le goût des
artistes. — M. Gervais est pourtant un si habile
graveur !
Et cette biographie elle-même, comment est-elle?
Suis-je éreinté? suis-je flatté? — Danger des deux
parts. — J'ai fait un jour le portrait à la plume de
mon meilleur ami. Je croyais l'avoir adonisé. On
m'a dit : « Que vous a-t-il fait? — Rien que du bien.
— Vous dites quelque part qu'il a voyagé en Grèce.
— Hé bien? — En ajoutant qu'il a toujours passé
pour gras. »
Amère facétie! crapaud de brigadier !... Remar-
quez que j'avais comparé mon ami à l'Antinous et
au Bacchus indien, — ajoutant pour les dames
qu'il était fort beau sous le linge.
II ne m'a jamais remercié.
Karr m'en a voulu longtemps, pour un portrait
de lui, à la plume, que j'avais rédigé, étant à Vienne
aSo CORRESPONDANCE
dans un journal humoristique, celui de mon ami
Saphir, peut-être (210).
Il a dit ce mot féroce : « Tout le monde veut
avoir des amis, et personne ne veut être un ami. »
Je me le suis aussitôt appliqué. Cela ne l'a pas em-
pêché depuis de m'envoyer à Bruxelles un louis d'or
dont je ferai l'histoire quelque jour, pour le Mous-
quetaire, et que je ne lui ai pas encore rendu.
Oh! les louis d'or!
Souvenez-vous, Georg^es, qu'il y a trois jours
nous suivions le boulevard des Italiens dans une
voiture découverte, — avec une malle sur le tablier.
On ne pavait nulle part. Cependant je n'ai pas
voulu passer rue Lepelletier en allant faire mes
adieux à Théophile. Pourquoi donc cela? Je vous
l'écrirai un de ces jours, en vous chargeant d'une
politesse à faire.
Je n'ai donc pour créanciers que des amis...
J'ai trop d'amis !
Attendons encore pour m'en vanter. Dans une
heure, je traverse une seconde fois le pont duRhin.
Divinités du Styx, soyez-moi favorables!
Pâles divinités !
Ma foi, je laisse ma malle à Strasbourg-. J'avais
oublié de l'abandonner à Meaux, mais j'ai déjà
abusé une fois de cette facétie. Il n'y en a peut-
être pas (de mal).
AOUT l853 — JANVIER |855 23l
J'irai peut-être jusqu'en Bohême... c'est tou-
jours l'Orient, mais ce n'est pas la route de Malte,
dites-le bien à notre ami Philibert (211) et ne l'é-
garez plus par de fausses nouvelles. Rien n'est plus
dangereux par ce temps de hausse et de baisse.
Adieu, encore une fois, mon ami.
GÉRARD DE NERVAL.
Strasbourg, 16'' juin.
Je rouvre ma lettre ce matin- parce qu'en allant
la mettre à la poste j'ai trouvé la biographie sur
l'étalage d'un libraire. Mirecourt m'a bien chargé.
Il m'a peint en beau... et en buste. Je relèverai les
erreurs quelque autre jour, mais il a trop parlé de
ma misère. J'ai encore le sac. Pourquoi me fait-il
si généreux et si grand avec mes amis?... S'il savait
la vérité!... Démolir les autres avec ma boule, c'est
bien machiavélique (212). Je vais toujours prendre
des leçons de rapière à Heidelberg.
J'ai fraternisé hier avec les étudiants au bal ou
plutôt au poêle de la rue des Savetiers. On voulait
me faire danser. Je me suis contenté de donner des
fleurs aux étudiantes.
CXIX
A UN AMI
Strasbourg [juin 1854].
Ayant fraternisé avec les étudiants au bal des
cxix. — Publ. par A. Barine, Névrosés.
2.32 CORRESPONDANCE
Savetiers, j'ai bu plus de bière que de raison, en vou-
lant faire le crâne, ce qui, joint avec les invitations
des deux jours suivants, m'a rendu assez fantasque
dans cette ville. J'ai fait tant de bruit à l'hôtel de
la Fleur que je crois qu'il y a des gens qui en sont
partis à cause de cela, des femmes peut-être,
malheureusement, que l'on n'a qu'entrevues. Hé
bien, les garçons sont si polis dans cet établisse-
ment, qu'on ne m'a fait que des observations
détournées sur ce que je ne me rendais peut-
être pas bien compte des heures. — J'ai dit :
« Mais je n'ai pas de montre, et le jour paraît de
bonne heure; est-ce que j'ai dérangé quelqu'un? il
fallait me le dire. » — Le garçon m'a dit : « Mon-
sieur sait bien ce qu'il fait. » — J'ai répondu :
« Pas toujours. »
cxx
AU D'" LABRUNIE
Strasbourg, ce 4 juin 1854.
Mon cher papa,
Je t'écris de Strasbourg, où je suis revenu depuis
mon excursion à Bade (ai 3). Ma foi, on avait rai-
son de me prescrire des ménagements. Le mal,
c'est-à-dire l'exaltation, est revenu parfois, c'est-à-
cxx. — Publ. par A. Houssaye, la Presse, ?4 septembre i865. '
AOCT l85ii — JANVIER l855 233
dire dans de certaines heures. Je dois passer ici pour
un prophète (un faux prophète), avec mon lang-age
parfois mystique et mes fréquentes distractions.
J'ai, comme toi, la vue basse : je salue, on ne ré-
pond pas; je ne réponds pas quand on salue, l'un
est la cause de l'autre, et quelquefois je me figure
qu'on m'en veut sérieusement. Je finis par m'habi-
tacr à ne plus être poli que par quintes et à ne plus
m'en repentir. Du reste, tel père, tel fils; tu t'es
fait aussi bien des ennemis par ta vue basse et non
par l'inattention. Ensuite, la ville est pleine d'étran-
g-ers se rendant aux eaux ou dans divers endroits,
vu les longues lignes de chemin de fer; alors, on ne
sait jamais avec qui l'on est; c'est un tohu-bohu
de visages connus ou inconnus. Il y a déjà deux
ou trois Gérard à Strasbourg, car on me dit par-
fois : On vous a vu passer là ou là — où je n'étais
pas. — Je vous ai parlé, vous ne m'avez pas ré-
pondu. — Je pensais... — Ah !... Et l'on salue...
Ma foi, à bas la modestie du poëte ! on a tant parlé
de moi ces temps-ci, grâce, il est vrai, à mes mal-
heurs, qu'il faut bien que je sois connu. A présent,
je ne me charge plus de reconnaître que mes amis
intimes. Je te parle de moi d'abord, ce qui est en-
core un de mes défauts, mais, en ce cas-ci, c'est la
première chose qui doit te faire plaisir. Je voudrais
bien avoir de tes nouvelles, car, avec tant d'amis,
je n'en ai pas que tu reçoives, sinon par hasard. Si
234 CORRESPONDANCE
j'en donne commission, cela gêne et te gêne; je ne
te demande pas de m'écrire, car c'est corvée pour
toi, et je ne sais où m'arrêter. Cependant, je suis
décidé pour la route de Stutlgard et Ratisbonne. On
peut toujours m'écrire bureau restant dans cette
dernière ville, car si j'allais ailleurs je ferais récla-
mer la lettre. Pour le plus sûr, je chargerai quelqu'un
de l'aller voir. Il y a ici bien des voix qui me rap-
pellent mon enfance, quand tu voyais des Polonais
et des Allemands que tu avais connus et qui venaient
en France plus tard. Des voix de femme d'un
timbre délicieux, des hommes à l'allure guerrière;
tout cela me rappelle les impressions que tu m'as
transmises de la vie de soldat. Je t'en écrirai plus
une autre fois ; tu sais qu'il faut saisir les heures de
la poste, et que ma tête fatigue encore facilement.
Pourtant je vais dix fois mieux, quoi qu'on puisse te
dire ou t'écrire. Crois-le bien. La preuve, du reste,
c'est que je vis à ma tête, et que je t'écris, comme
tu vois, avec assez de logique et de facilité. Porte-
toi bien, j'écrirai à mon cousin de t'aller voir et te
porter une lettre plus longue, car, il faut l'avouer,
je suis encore hésitant, et tu le comprendras en
faveur de ma sagesse, et songeant que le temps a
été très mauvais ces jours-ci.
Je t'embrasse bien tendrement.
Ton fds,
GÉRARD DE NERVAL.
AOUT i853 — jANviEn t855 235
P. S. — Je pars aujourd'hui par un beau soleil
et avec une bonne disposition.
CXXI
AU D"" BLANCHE
[.Munich, juin iSS^.]
Mon cher Emile,
Jeme suis arrêté à Munich où je trouve beaucoup
à voir et quelque chose à faire (21 4) ; je ne travaille
pas encore tant que je l'aurais espéré, cependant
mon esprit se rasseoit de plus en plus et je crois que
c'est là le meilleur résultat. Je vous envoie cette
lettre par Du Camp à qui j'écris touchant le travail
que je continue {)Our lui. Gela ne m'a pas empêché
de recueillir beaucoup pour plus lard. J'ai trouvé
dans les librairies beaucoup d'ouvrages fort curieux
dont je prends les titrer, pour faire venir ceux qui
pourraient m'être utiles. J'irai demain aux grands
Musées dont l'un est entièrement nouveau. La ville
est très animée en ce moment à cause d'une exposi-
tion d'industrie qui doit avoir lieu, comme par-
tout, dans un magnifique palais de crystal, mais je
ne resterai pas jusque-là. Dites, je vous prie, à
Antony que je n'ai pas eu encore occasion d'enten-
dre un opéra de Wagner (21 5). On joue demain le
236 CORRESPONDANCE
Prophète ; il y a évidemment plus à apprendre
dans les petits théâtres. Je suis arrivé à régulariser
mes dépenses et vous ne regretterez pas de m'a-
voir rendu à moi-même; c'est ainsi que j'arriverai
à reprendre ma situation. Enfin rien n'est perdu
et j'ai beaucoup réfléchi depuis que je vous ai
quitté.
Paris se recompose pour moi dans le lointain,
avec des regrets et des espérances. Je compte en-
core sur vous pour dire combien je pense aux per-
sonnes qui vous sont chères et qui me le sont deve-
nues.Je ne doute plus de pouvoir me montrer digne
de tant de sympathie et de soins qu'on a eus pour
moi. J'en suis maintenant à me dire : comment
va-t-on ? qu'est-il arrivé ? Il faut cependant que je
m'assure des points où je m'arrêterai maintenant.
Si je n'allais pas à Ratisbonne, au cas où le mau-
vais temps continuerait, je serais toujours à Nurem-
berg- dans deux jours; on pourrait m'écrire là, ne
fût-ce que quelques lignes.
Adieu, mon cher Emile, pensez à moi et à bien-
tôt— mais pas trop tôt, n'est-ce pas.
Votre affectionné,
GÉRARD.
Suscription : A Monsieur, Monsieur Emile
Blanche, i, Rue de Seine
Passy-lès-Paris.
iSjS — JANVIER i855 287
CXXII
AU D"" LABRU.NIE
[Donauwertli] Ce 20 juin i854.
Mon cher papa,
Je t'écris de Donauwerth où je me suis arrêté
venant de Munich et d'Augsbourg. Je ne sais trop
si j'irai à Ratisbonne, parce qu'il y a neuf heures
de bateau à vapeur, sur le Danube, et le fleuve est
encore si peu de chose ici que cela ne doit pas
être très pittoresque. J'ai pourtant une bonne let-
tre de recommandation pour Ratisbonne, l'hospi-
talité si je veux, mais je la trouverai aussi par
l'autre chemin, celui de Leipsick, et, après tout, je
ne profiterai peut-être ni de l'une ni de l'autre.
Le principal, c'est que le voyage m'a fait grand
bien et que je me sens remis tout à fait. Tu m'as vu
malade, mais non pas mort. Tu n'es ni l'un ni
l'autre, Dieu merci ! Comptons donc que nous
aurons encore de bonnes années à vivre ensemble.
Je ne tends qu'à un but et à une consolation,
c'est que tu me voies un jour heureux, comme je
crois mériter de l'être et que tu me connaisses bon,
comme je sens que je le suis. Ne crois pas, quand
cxxu. — Publ. par L. de I3are, -Nouvelle Revue internationale,
t" mai 189A.
238 CORRESPONDANCE
je suis loin, que je ne sois pas près de loi, cepen-
dant. J'y serais près encore, fut-ce dans le tombeau.
Si je mourais avant toi, j'aurais, au dernier moment,
la pensée que, peut-être, tu ne m'as jamais bien
connu.
Pardon de ces idées noires ; je viens de visiter
l'ég-lise assez lugubre de celle ville, mais j'en ai
emporté aussi de douces pensées; c'est que, me
croyant g-uéri, je me sens meilleur. Voilà ce qui me
fait l'écrire tout de suite.
• Le temps se brouille un peu. Je crois bien que
je vais finir par reprendre le chemin de fer pour
Nuremberg-, où je m'arrêterai deux ou trois jours,
parce qu'il y a bien des curiosités à voir. J'ai encore
beaucoup d'argent et l'on m'en enverra si j'en
manque. Il faut aussi noter que si je voulais aller à
Weimar, je passerais là des mois sans avoir à
m'occuper de rien — que de loi et de Paris, ce
qui m'empêche de songer trop à celte oasis.
Je suis sûr qu'à Paris on me croit en Orient.
J'ai eu, un instant, l'idée d'y aller, en franchissant
le Rhin (216). Je le pouvais et on ne m'aurait pas
laissé dans l'embarras, quoique je n'eusse pas
emporté tout l'argent nécessaire. Mes amis avaient
abusé de leur crédit pour moi et je pouvais me
pavaner sur les bateaux de l'Etat. Mais je n'aime pas
ces promenades trop faciles dont on médit ensuite,
et quoique je croie mériter comme bien d'autres
AOUT l853 JANVIER l855 2^9
ce que l'on voulait faire pour moi, je me sens plus
libre en agissant à ma j^uise.
N'as-tu pas été aussi comme cela ? Plus j'avance
en âge, plus je sens de toi en moi. C'est ta jeunesse
qui revient et dont l'exemple soutient la mienne
qui passe.
J'oublie toujours une chose, en te parlant de ma
situation plus heureuse et de mes ressources pour
l'avenir, c'est que toi-même tu te gènes peut-être
dans une idée qui me serait relative... Song'e sur-
tout que je ne voudrais pas que tu te privassespour
moi et même que tu pusses refuser à des parents,
(jui le mériteraient, le peu dont tu pourrais dispo-
ser. Mon devoir serait d'y songer, moi. Mais je
pense que cela viendra.
Je t'embrasse. A bientôt, j'espère.
Ton fils,
GÉRARD.
CXXIII
AU D"" BLANCHE
[Bamberg, 26 juin i854.]
Sauf une petite rechute de régime, j'ai mani-
festé ma tem[)érance dans tous les pays à bière que
je viens de traverser; je suis frais comme une rose,
r.xxin. — Publ. pav Champûeur j, Grandes Figures..
240 COUKKSPONDANCE
et j'ai la fig^ure culottée, comme disent les artistes,
par le bon air, l'exercice et le soleil. Ce n'est pas
qu'il ne pleuve assez souvent; mais alors je tra-
vaille, comme je viens de faire ici avant déjeuner.
Je suis content de ce que je fais, ce qui est le prin-
cipal, car autrement comment me tirer de peine,
et je suis d'autant plus heureux d'avoir suivi vos
conseils en ne publiant rien depuis quelques mois.
Je n'ai pas besoin de vous dire ici que je vois sûre-
ment les choses — et que la réflexion et la santé
m'ont fait comprendre, mieux qu'avant, tout ce que
je dois à vos soins et à votre parfaite rectitude
d'esprit. Vous avez été surtout le médecin moral, et
c'est ce qu'il fallait.
CXXIV
A GEORGES BELL
Neuenmarket, 27 juin i854.
Mon cher Georg-es, je viens de passer un mois à
visiter l'Allemagne du midi. Je me suis clarifié
l'esprit et j'ai repris la forte santé des jeunes an-
nées. Munich et Nuremberg" m'ont plu particuliè-
rement, ainsi que Bamberg', où j'étais hier. A pré-
sent, je me dirig-e vers Leipsick et Dresde. A
cxxiv. — Publ. parG. Bell.
AOUT i853 — jANViiii» 185") 24 1
Strasbourg, les réceptions et les invitations m'a-
vaient encore un peu ag^ité. Pour éviter les occa-
sions, j'ai vu fort peu de monde depuis, et j'ai
pris de la force dans la réllexion et la solitude.
J'ai beaucoup travaillé, et j'ai môme de la copie
que je ne veux pas envoyer légèrement ; le princi-
pal, c'est que je suis fort content et plein de res-
sources pour l'avenir. Du résultat de ce mois seul,
il va de quoi travailler un an. Je me suis découvert
des dispositions nouvelles. Et vous savez que l'in-
(juiétude sur mes facultés créatrices était mon plus
grand sujet d'abattement... (217J. J'ai recueilli
beaucoup de choses à faire sur Nuremberg ; c'est
décidément la plus jolie ville de l'Allemagne... J'ai
fait route hier soir, dans un wagon, avec sept ou
huit paysannes bohémiennes qui avaient des costu-
mes d'opéra et qui dormaient sur les bancs et sur
le plancher du wagon dans le désordre le plus pit-
toresque. Cet intérieur ressemblait à un foyer de
marcheuses, — endormies comme les bacchantes
de Boucher. Tout cela est court-vêtu, avec les jam-
bes nues, des corsets pailletés, et des tresses blon-
des s'échappant de leurs mouchoirs rouges à fes-
tons, (jui les coiffent comme dessphinx. (Jue la vie
est amusante dans ce pays-ci !...
242 (JOKRESPONDANCE
cxxv
AU dI" blanche (218)
[Leipzig, 3o juin i854.]
Je vais à la poste espérant que vous avez pu
m'envoyer la chose que je vous ai demandée de
Bamberg-. Si la lettre n'était pas parvenue, — ce
serait la valeur de cent florins — adressez-moi cela
à Weimar chez Listz, si quelquefois cela n'était
parti; j'ai fini par me décider à y aller, me sentant
assez bien portant depuis un mois de solitude pour
pouvoir voir un peu de monde. J'ai à peu près ce
qu'il me faut,m'étantunpeu remonté à Strasbourg-,
sur quelques détails oubliés. Du reste, c'est fort
simple : ce sont des fêtes musicales qui ont lieu à
la Wartburg- en souvenir des maîtres chanteurs.
Dites à Antony que cela m'intéressera surtout à
cause de lui et je tâcherai de définir Wagner de
façon à ce qu'il n'ait rien à dire. Jusqu'ici, je n'ai
vu que des opéras connus : Fidelio, Don Juan et
le Prophète ; ici la Dame Blanche est bien chan-
tée en allemand. Mais je me sens fort disposé en
faveur de la musique, et mes théories, que je n'ex-
pose pas souvent, se rapportent assez à celles de
Richard Wag-ner.
cxxv. — Publ. par M. J. Claretie, la Presse, 22 avril 1878.
AOUT i853 — jANviEH i855 243
Parlez donc de moi au docteur Boulé, que je
n'ai pas vu en partant. Ah! je suis un monstre,
et M'"^ Lise, dont je n'ai pas parlé et que je crains
bien de ne pas avoir embrassée, car je ne voyais
même pas ! J'espère que votre lettre va m'arriver
aujourd'hui et me donnera toutes les nouvelles.
J'en ai reçu une hier de Sartorius, qui me recom-
mande à son correspondant. Il me dit que tout le
monde va bien.
Je n'ai que le temps de porter cette lettre à la
poste. Je vous prie de faire tenir l'autre à «non
pure. Pardon de toutes ces peines, mais je sais que
vous serez content de me savoir en bonne santé
et bonne disposition. Peut-être irai-je à Berlin, où
Janin m'a dit d'aller voir le roi, tout simplement
(le sa part. Du reste, c'est tout près d'ici.
Votre ami,
GÉRARD,
CXXVI
AU D*" BLANCHE (219)
[Weimar, juillet i854.]
Mon cher Blanche,
J'ai bien des reproches à me faire sans doute,
mais vous m'excuserez en pensant que mon voyage
actuel a pour but la distraction et quelque peu
244 CORRESPONDANCE
l'étude, ce qui fait que, jusqu'ici, je l'ai accompli un
peu au hasard, comptant surtout réunir assez de
matériaux pour travailler longtemps. Votre der-
nière lettre a étépour moi un reproche bien sensible
et m'a troublé au moment oùj'espérais beaucoup
de plaisir de mon voyage à Weimar, d'autant que
je l'ai ouverte en présence de Listz qui m'avait
accompagné à la poste. De plus, le temps s'est
mis de la partie et la fête d'Eisenacli n'a pu avoir
lieu, ce qui nous a tous attristés. Cependant j'ai
pu profiter de l'hospitalité offerte, mais seulement
deux jours, car Listz a dû partir pour le Nord. Je
ne sais si je le reverrai cette fois. Je me rapproche,
car je suis bien inquiet de n'avoir pas de nouvelles
de mon père et....
CXXVII
AU D'' BLANCHE
[Cassel, juillet 1854.J
... Je m'interromps, en pensant à votre mariage,
pour vous dire qu'à Leipsick, sur la place, en face
de la statue de Hahnemann, j'ai vu un joli petit
enfant dont j'ai demandé le nom. On m'a répon-
du Emile. Que ce soit donc un présage. Pardon,
CXXVII. — Publ. par Champfleury, Grandes Figures.
AOUT i853 — JANVIER i855 245
je dois convenir qu'il m'est toujours resté, pendant
mon voyage, un fond d'idées superstitieuses. Ma
santé est-elle aussi bonne que je le crois ? C'est ce
qui doit se prouver par mon travail.
Je pleure en vous écrivant ceci, et ce n'est pas
en signe de regret. Comment saurai-je si j'ai eu
tort ou raison, si je suis bon ou méchant ? Ecrivez-
moi, mon cœur se détend en songeant à vous, en
songeant à lui ; écrivez-moi ce qu'il faut faire, car
je souffre bien, et c'est du cœur. S'il y a toujours
un moment pour se repentir, eh bien ! je me re-
pens ; mais je marche encore dans les ténèbres, et
c'est votre réponse et votre conseil que j'attends.
CXXVIII
AU D"" LABRUNIE
[Francfort, i5 juillet i854.]
Mon cher papa,
... Je ne sais pourquoi, à Cassel, il m'a pris une
inquiétude sur ta santé. J'ai écrit à Blanche dont je
viens de recevoir une lettre qui m'a en partie ras-
suré. Il se marie et m'invite à revenir pour le 20.
Je vais tâcher de le faire. Il t'ira voir sans doute
cxxvTii. — Publ. par L. de Barc, Nouvelle Revue internationale,
i" mai 1894.
i5.
246 CORRESPONDANCE
dans l'intervalle. Je n'ai pas toujours assez compris
toutes les obliç;^ations que je lui ai, mais il a la bon-
té de me mettre à mon aise et j'espère bien abuser
moins, à l'avenir, de ses bonnes dispositions. Ce
voyage me sera peut-être bon surtout en ce qu'il
m'a fait beaucoup réfléchir sur les autres et sur moi-
même, et les jours de solitude que j'ai rencontrés
ont été remplis souvent de bonnes pensées et de
bonnes résolutions. La lettre que Blanche m'écrit
est pleine de cœur et de sympathie. S'il n'est pas
trop mécontent de moi, j'arriverai à me rassurer
tout à fait et à réformer plus complètement les
défauts que je me reproche encore... J'ai fait de
bonnes études, surtout à Munich et à Nuremberg,
et je rapporte de curieux détails sur Leipsick; ail-
leurs, le temps a beaucoup contrarié mes explora-
tions, surtout à Weimar, où il a plu continuelle-
ment, A Francfort, il fait très beau. Je vais partir
aujourd'hui pour Mayence. A cette semaine donc.
Je t'embrasse (220).
Ton iils, gérard.
CXXIX
A GODEFROY
Passy, 28 septembre i854.
Mon cher Monsieur,
A mon retour d'yVUemagne, j'ai cru devoir
AOUT l853 — JANVIER l855 24?
vous aller rendre comple des démarches que j'avais
faites, dans l'intérêt de mes confrères, principale-
ment à Leipsick et à Weimar, pour obtenir la réa-
lisation et l'exécution des traités internationaux
relatifs au droit de traduction. J'avais à cœur sur-
tout de me rendre digne de répondre à la confiance
de M. le Ministre de l'Instruction publique qui
m'avait honoré d'une mission et m'avait donné
en outre quelques instructions verbales. Vous avez
paru prendre intérêt aux détails que je vous ai
donnés, à la lecture de la note de M. Ackermann
de Leipsick, que j'avais rapportée, aux réponses
aussi qui m'avaient été faites par le Docteur
Kobb, d'Augsbourg-, par MM. Listz, Hoffmann de
Fallersleben et par M. Perrière Levayer, notre
ministre à Weimar. De plus, vous avez eu la com-
plaisance de vous charger d'écrire en Ang-leterre
et en Espagne pour m'y assurer la propriété
du nouveau livre intitulé Aurélia^ etc., dont je
vous ai montré les premiers cahiers. Je regrette de
vous avoir un peu pressé à cet égard, mais les deux
premières feuilles étaient sous presse et je ne
croyais pas avoir à m'occuper encore de ma santé.
Deux jours après notre entrevue, j'avais fait partir
à Leipsick le premier article composé pour la Re-
vue de Paris et j'allais vous adresser quatre épreu-
ves pareilles, lorsque M. Blanche, mon médecin,
a jugé que la fatigue du voyage, jointe aux dé-
«48 CORRESPONDANCE
marches multipliées que j'avais faites à mon retour,
m'avait fatig-ué, ce qui était en effet, et m'a con-
seillé quelques jours de repos. Depuis deux mois
j'ai été soumis à une hyg-iène sévère et ce n'est que
d'aujourd'hui qu'il m'est permis de communiquer
par écrit avec des amis ou parents. Toutefois, n'ayez
aucune inquiétude sur l'exécution du travail, qui
est à peu près terminé et dont les corrections peu-
vent s'effectuer sur épreuves. Une partie est impri-
mée dans l'Artiste elles deux fragments sont des-
tinés à se rejoindre. J'ai à Passy la presque totali-
té de la copie manuscrite. Il est d'autant plus im-
portant que je sache maintenant à quoi m'en tenir
que c'est là le seul tourment d'esprit qui me reste,
la saison favorable pour nos affaires étant déjà
avancée. J'étais au moment de conclure un arran-
g-ement avec M. Dutacq (221), du Pays, pour une
somme importante. Il m'achetait les droits d'auteur
de plusieurs volumes et je crains que l'incertitude
présumée de ma santé ne fasse obstacle à ses bon-
nes résolutions dont il m'a assuré à deux reprises.
Vous voyez qu'il n'y a pas de temps à perdre, vous
qui savez mieux que tout autre que de telles affai-
res tiennent surtout à ce qu'on sait en saisir l'occa-
sion. Je serais replong-é dans une bien triste incer-
titude si, par trop de préoccupation de ma santé, ^
on me mettait hors d'état de faire face à mes nom-
breux engag-ements et de payer même les frais de
AOUT i853 — .lANviKR 1 855 2/19
ma maladie, ne voulant pas avoirrecours à la caisse
de la Société. Je vous prie donc, mon cher mon-
sieur, de vouloir bien envoyer à Passy un de nos
commissaires pour assurer M. le Docteur Blanche
de l'importance des détails sur lesquels je viens
d'appuyer, afin que, selon la promesse qu'il m'en a
faite hier, je puisse sans trop de travail reprendre la
direction d'affaires importantes pour mon avenir
et qui ne peuvent être traitées que par moi-même
(222). J'ai, d'autre part, écrit à mes'parents dont les
plus proches sont venus me visiter et je pense que
si vous m'envoyez un de nos confrères, on ne refu-
sera pas de me laisser communiquer avec lui. On
peut venir de votre part depuis le matin jusqu'à
cinq heures ou le soir après six ou sept heures.
Votre bien dévoué,
L. GÉRARD DE NERVAL.
à Passy-les Paris,
Maison de santé du Docteur Blanche
I, Rue de Seine.
Suscription : M. Godefroy Affent de la Société
des auteurs.
cxxx
AU D'' blanche
[17 octobre i854.]
Mon cher Emile, laissez-moi vous appeler encore
cxxx. — Publ. par Champflcury, Grandes figures.
25o CORRESPONDANCE
de ce nom, quoique mon père, qui est très méfiant,
avec justes raisons de l'être, m'ait dit que vous
m'en vouliez peut-être de vous traiter en jeune
homme, en camarade. Vous êtes jeune ! en effet
et j'oublie l'âg-e qui nous sépare, parce que j'agis
encore en jeune homme, ce qui m'empêche de m'a-
percevoir que j'aibien des années de plus que vous.
Je vous ai vu si jeune chez votre père que j'abu-
sais même de quelques avantag-es et de mon état
présumé de folie pour aspirer à l'amitié d'une jeune
dame dont le chat, qu'elle portait toujours dans
un panier, m'attirait invinciblement. — Un jour
que je l'avais embrassée par surprise, elle m'a dit,
comme le général Barthélémy, en pareille occasion :
Aspetta ! traduction française : Nous n'en sommes
pas encore là ! Voulez-vous que je pense et laisse
penser que, dès cette époque, une sourde jalousiie
vous a rendu injuste à mon égard... Peutrêtre
même ce sentiment cruel se sera-t-il de nouveau
manifesté ici... Je tremble d'aller trop loin et j'ai
besoin, pour vous rassurer, de faire appel à toute
ma vie. N'ayant jamais aspiré aux femmes ni aux
maîtresses de mes amis, je veux toujours vous ran-
ger parmi eux, et cette lettre amicale que M. Ber-
trand, votre oncle, m'a conseillé de vous écrire, ne
sera pas la dernière.
J'ai peut-être plus de protections à faire mou-
AOUT l853 JANVIER l855 25l
voir que vous n'en rencontrerez contre moi. Je ne
sais si vous avez trois ans ou cinq ans, mais j'en
ai pins de sept et j'ai des métaux cacliés dans Pa-
ris. Si vous avez pour vous-même le Gr.-. 0.- . je
vous dirai que je m'appelle \e frère terrible. Je se-
rais même la sœur terrible au besoin. Appartenant
en secret à l'Ordre des Nopses^ qui est d'Alle-
magne, mon raui^ me permet de jouer carte sur
table... Dites-le à vos chefs, car je ne suppose pas
qu'on ait confié les grands secrets à un simple (?)
qui devrait me trouver très Respectable (X). Mais
je suis assuré que vous êtes plus que cela. Si vous
avez le droit de prononcer le mot de... (cela veut
dire Mac-Denac et je l'écris à l'orientale), si vous
dites Jachin, je (Ws Boa z, si vous dites Boas, je
dis Jehoua, ou même Machenac... Maisje vois bien
que nous ne faisons que rire (228).
CXXXI
A JULES JANIN
[Fin 1854.]
Mon cher Janin,
Meici (224). Je suis sorti avec les honneurs de la
guerre, mais non avec armes et bagages, comme
on disait à Sainte-Pélagie. On m'a gardé provisoi-
Gxxxi, — Publ. par M. Clément Janin, Dédicaces et Lettres
autographes.
252
CORRESPONDANCE
rement mes meubles ; mais il paraît qu'il le fallait.
Je vais donner une représentation à mon petit
bénef à la Porte-Saint-Martin (2 2 5).
Comme a^ous m^vez tiré de peine, je me fais le
plaisir de vous donner ceci à lire. Je vous apporte-
rai la première partie qui paraît le i5 et les Filles
du feu, que diverses circonstances m'ont empêché
de vous donner.
Votre ami,
GÉRARD.
CXXXII
A ALFRED DELVAU
[Janvier i855.]
Monsieur,
Que de choses charmantes vous avez écrites sur
mes livres (226). Je n'ose me sentir digne de tant
d'éloges. Mais cela vient m'encourager dans un
moment où j'ai besoin de m'appuyer sur ce que
j'ai fait pour tâcher de mieux faire, si ma santé le
permet encore. Je suis heureux de me voir soutenu
par un écrivain qui parle de style en maître et qui
entend si hautement la critique littéraire. J'attends
le numéro prochain pour me rendre compte de
l'ensemble de votre appréciation et vous en remer-
cxxxii. — Publ. par A. Yiebf&\x, Histoire anecdotiqae des cafés
de Paris.
AOUT i8.j3 — jANviiR i85j
cier pleinement, avec l'espoir de profiter de (juel-
ques sévérilés qu'il me reste à vous demander du
moins.
Votre bien dévoué,
GÉRARD DE NERVAL.
CXXXIII
A SA TANTE (227)
24 janvier i855.
Ma bonne et chère tante, dis à ton fds qu'il ne
sait pas que tu es la meilleure des mères et des
tantes. Quand j'aurai triomphé de tout, tu auras
ta place dans mon Olympe, comme j'ai ma place
dans ta maison. Ne m'attends pas ce soir, car la
nuit sera noire et blanche.
GÉRARD LAIÎRUNIE.
f:xx\iii. — Piil.l par A. Iloiissayc, le Llore, i883".
i6
LETTRES SANS DATE
GXXXIV
A MADAME (228)
Madame et souveraine,
Que mon cœur a de peine...
Ainsi disait un enfant chérubin.
Madame et souveraine.
Que mon cœur a de peine.
Cette nuit, je ne sais trop pourquoi, ce refrain
A trotté dans ma tète et m'a laissé tout triste...
J'ai des torts envers vous, mais de ces torts d'artiste
Que l'on peut pardonner de la main à la main.
Je suis un l"ainéant, bohème journaliste
Qui dîne d'un bon mol étalé sur son pain.
Vieux avant l'âge et plein de rancunes amères,
Méfiant comme un rat, trompé par trop de gens.
Ne croyant nullement aux amitiés sincères,
J'ai mis exprès à bout les nobles sentiments
Qui vous poussaient, Madame, à calmer les tourments
D'une âme abandonnée au pays des misères.
Daignez me pardonner cet essai maladroit. ..
Vos lettres m'ont prouvé que, dans cette bagarre.
Vous possédez l'esprit qui marche ferme et droit,
cxxxiv. — Publ. par le V'^ de Tresser vc,A'ou/;e//e Revue interna-
tionale, mai 1897.
LETTRES SANS DATE
205
Vous voulez votre rf/î, mot grotesque et barbare,
Que l'on n'accepterait jamais au Tintamarre...
Mais il parait qu'il faut payer ce que l'on doit.
Vous aurez donc, Madame, et manuscrits et lettres,
Doucement ficelés dans un calicot vert,
Car ma plume est gelée aux jours noirs de l'hiver.
Sans feu dans mon taudis, sans carreaux aux fenêtres,
Je vais trouver le joint du ciel ou de l'enfer,
Et j'ai pour l'autre monde enfin bouclé mes guêtres.
J'ai fait mon épitaphe et prends la liberté
De vous la dédier dans un sonnet stupide
Oui s'élance à l'instant du fond d'un cerveau vide...
Mouvement de coucou par le froid arrêté :
La misère a rendu ma pensée invalide?
Il a vécu tantôt gai comme un sansonnet.
Tour à tour amoureux, insoucieux et tendre,
Tantôt sombre et rêveur comme un triste Clitandre.
Un jour, il entendit qu'à sa porte on sonnait.
C'était la mort ! Alors il la pria d'attendre
Qu'il eût posé le point à son dernier sonnet ;
Et puis, sans s'émouvoir, il s'en alla s'étendre
Au fond du coffre froid où son corps frissonnait.
Il était paresseux, à ce que dit l'histoire,
Et laissait trop lécher l'encre dans l'écritoire.
Il voulut tout savoir, mais il n'a rien connu.
Et quand vint le moment où, las de cette vie,
Lu soir d'hiver enfin, l'àmc lui fut ravie,
Il s'en alla disant : pourquoi suis-je venu ?
Adieu, Madame, puisse ma lettre vous trouver
joveuse et contente.
Vous êtes jeune, tout est bien pour vous. J'ai la
256 COnRESPONDANCE
tête bourrelée d'ennuis, vous me pardonnerez donc
cette lettre qui, pour vous, n'a sans doute pas sa
raison d'être ! Prenez-la comme une énigme et si
vous en trouvez le mot, répondez-moi que vous
daignez agréer les vœux sincères que je fais pour
votre bonheur.
Votre dévoué serviteur,
G. DE NERVAL.
cxxxv
A FORGUES (229)
Mon cher Forgues,
Voici un exemplaire de mon volume ; pourrez-
vous en parler dans une revue bibliographique.
Est-il nécessaire d'envoyer un autre volume au jour-
nal? Dans ce cas, dites-moi à qui. Ecrivez-moi cela
rue de Navarin, no i4.
Votre bien dévoué,
GÉRARD.
Suscription : A Mom^ieur, Monsieur Forgues
Rédacteur du Journal du Commerce.
CXXXVI
Monsieur,
Votre lettre est tellement obligeante que c'est à
cxxxv. — Collection Edouard Champion.
LKTXriKS SANS DATK 207
moi de m'excuser maintenant et de reconnaître ma
propre erreur. J'avais cruqueM.de Girardin avait,
l'année dernière, demandé purement et simplement
mes entrées (que j'avais eu longtemps comme ré-
dacteur partiel du feuilleton). Théophile ayant les
siennes comme auteur, cela ne chang-eait rien à la
position du journal. Vous voyez comment j'ai été
conduit à me présenter dernièrement sans droit
réel, ce que je n'ai fait au reste que pour les néces-
sités de mon travail. Ce qui m'a contrarié, c'est
seulement un procédé un peu dur, qu'il serait aisé
d'éviter en pareil cas. Ordinairement les contrô-
leurs comprennent que toute personne qui a pu
déjà obtenir ses entrées a droit à quelques égards.
Us lui disent,ou lui écrivent : « Monsieur, Nous ne
savons pas si votre nom est porté encore sur le
livre des entrées; veuillez faire une réclamation et
justifier de vos droits, — ou bien, on s'en infor-
mera et on vous en donnera avis. » De plus on offre
au spectateur qui s'est fait illusion sur sa posi-
tion la faculté de voir finir le spectacle. Il peut se
trouver avec des personnes qu'il lui est désagréa-
ble de laisser seules. — Que ceci soit entre nous,
Monsieur, vous avez été journaliste et vous com-
prenez que ce n'est là de ma part qu'une humble
observation dans l'intérêt de tous. J'accepte avec
reconnaissance l'ofTre que vous me faites de me
continuer mes entrées et j'espère pouvoir recon-
258 CORRESPONDANCE
naître tôt ou tard votre excellente manière d'agir.
J'ai l'honneur d'être, Monsieur,
Votre bien dévoue serviteur,
GÉRARD DE NERVAL.
Ce 19 octobre.
CXXXVÎI
A HIPPOLYTE LUCAS
Mon cher Lucas,
Voici les deux matériaux. Je vous les laisse lire
pour que nous puissions en causer. Je viendrai
dans trois ou quatre jours. Les noms ne sont pas
les mêmes, ce sont deux versions de la même his-
toire (23o). Enfin, nous verrons ce qu'on pourrait
asseoir dessus. Il faudra peut-être aussi demander
r Hijpnérotomacliie ou le Songe de Polyphile à la
bibliothèque (-iSi).
Votre ami,
GÉRARD DE NERVAL .
CXXXVIII
A ARSÈNE HOUSSATE
De Morfontaine (232).
Vous vous rappelez, mon cher ami, le voyage à
CXXXVII. — Communiquée par M. Léo Lucas.
CXXXVIII. — Publ. par A. Houssayc, la Presse, 22 septembre 1862.
LETTUES SANS DATE zSq
Cythère que j'écrivais pour notre vieil Artiste.
Je racontais que je m'tHais arrêté, en approchant
d'Apliinori, dans un pellt bois de mûriers et d'oli-
viers où quelques pins plus rares étendaient çà et
là leurs sombres parasols; l'aloès et le cactus se
hérissaient parmi les broussailles, et, sur la gauche,
s'élevait de nouveau le grand œil bleu de la mer
que nous avions quelque temps perdue de vue. Sur
un marbre, débris d'une ancienne arcadi; qui sur-
montait une porte carrée, je pus distinguer ces
mots : KAPAIQN 0EPAniA, guérison des cœurs. Jus-
qu'ici rien n'a pu guérir mon cœur qui soufFre tou-
jours du mal du pays.
CXXXIX
Mon cher Méry,
Cette lettre vous sera remise par M. Frédéric de
Fauconnet, le fils du général, qui se rend en Algé-
rie, et qui aurait besoin de quelques recommanda-
tions près des autorités maritimes. Si vous connais-
sez quelqu'une des personnes qu'il vous indiquera,
faites, je vous en prie, pour lui comme pour moi.
Quand pourrai-je vous voir et vous remercier de
CXXXIX. — Collection de M. L. Grobet.
aCo CORRESPONDANCE
cette intervention en faveur d'un excellent homme,
qui mérite toute votre sympathie? II est très mo-
deste, mais très intelligent et très capable, tâchez
de le rassurer un peu et de lui donner aussi quel-
ques recommandations pour Alg"er.
Votre bien affectionné,
GÉRARD DE NERVAL.
Ce 26 octobre.
Suscription : A Monsieur, Monsieur Méry
au Musée, à Marseille.
CXL
A FRÉDÉRIC LEMAÎTRE
Mon cher Monsieur,
Je ne vous ai pas revu depuis une certaine pièce
qui n'a pas pu s'arranger, parce que le rôle était
difficile à mettre à votre taille. J'irai causer avec
vous un de ces jours, si cela ne vous ennuie pas. Il
est assez difficile de songer à des rôles pour a^ous,
ici, du moins selon la nature de mon esprit. L'Ima-
gier de Harlem eût été l'affaire, si vous eussiez été
libre. Nous avions songé —
Voici un canevas d'un ami qui habite la pro-
vince, que je suis chargé de vous remettre. Voyez —
CXL. — Collection Edouard Champion.
LETTKES SANS DATE :».6l
il y a peut-être quelque chose, en refaisant tout et
en chaiiî^eant le titre.Le principal, c'est que je serais
charmé de causer avec vous sur l'art et d'agiter
des questions.
Votre g^rand admirateur
et ami j'espère,
GÉRARD DE NERVAL.
9, rue du Mail.
Suscription : A Monsieur, Monsieur Frédéric
Lemaître.
CXLI
A ALEXANDRE DUMAS (aSS)
Mon cher Dumas,
Je vous prie de me rendre un service, c'est de
ne pas insérer dans votre journal et de détruire
même les plaisanteries que j'ai dictées ou écrites à
votre bureau. Je ne suis ni un bouffon ni un Bru-
tus, et surtout j'ai à garder pure la gloire de mon
nom. Vous savez à quel point j'avais pris cela en
plaisanteries, puisque je vous réclamais une somme
que vous m'avez si largement rendue, ce dont j'ai
du reste instruit tout le monde : laissons tout cela
dans l'ombre. Si maintenant vous voulez des arti-
cxLi. — Publ. par A. Houssaye, le Livre, i883.
16.
202 CORRESPONDANCE
des sérieux, demandez-les moi. Si vous préférez
rentrer dans les i6o francs que vous m'avez avan-
cés, M. Blanche voudra bien, sans doute, vous les
offrir. Je ne vous rendrai jamais vos bons con-
seils et votre exemple, qui m'ont fait ce que je suis,
c'est-à-dire ce que je veux être, un prosateur éner-
gique et un conteur facile.
Votre ami,
GÉRARD DE NERVAL.
CXLII
A ALEXANDRE DUMAS
Voici le drame dont je vous ai parlé, ou plutôt
la fin du drame (234).
Rousseau, assis devant une petite cabane, cause
avec un jeune enfant. L'enfant va, vient, apporte
des plantes. « — Quelle est celle-ci? — C'est de la
ciguë. Apporte-moi toutes celles que tu rencon-
treras. » Thérèse vient déposer le café de Rous-
seau près de lui et aperçoit dans ses mains un
pistolet : a Ou'allez-vous faire ? — Mettre fin à une
existence dont vous avez fait un long martyre. »
Il sait tout et dit tout. « Ce père de vos enfants,
que l'on m'accuse d'avoir abandonnés , est ici
palefrenier dans cette maison, etc. » Thérèse s'age-
cxLii. — Publ. par A Houssayc, le Livre, i883.
LETTRES SANS DATE 263
nouille. « Il est trop tard!... Souvenez-vous seu-
lement qu'aux yeux du monde je vous ai permis de
porter un nom qui sera désormais glorieux. » L'en-
fant revient; Rousseau dit à Thérèse de sortir. Celle-
ci, sans bouger, lui montre le pistolet. Rousseau
le lui donne ; elle sort. Puis, en causant avec
l'enfant, il exprime le jus des ciguës dans son
café qu'il boit tranquillement en caressant l'enfant.
« Viendrez-vous ce soir à la fête du château ? —
Non, — Pourquoi donc? Il y aura M. Diderot,
M. Saint-Lambert, M""^ d'Houdetot, etc. » Ses
tortures effrayent l'enfant, qui fuit. Rousseau
s'achève avec un autre pistolet qu'il tire de sa
poche. Le bruit fait accourir tous les invités,
M""' d'Houdetot se précipite la première pour le
relever. Rousseau est mort 1,..
Qu'en dites-vous ?
GÉRARD DE NERVAL.
CXLIII
A ARSÈNE HOUSSAYE
Mon pauvre cher Houssaye,
.Te n'étais pas là quand vous êtes venu.
Vous aurez été bien content toutefois de me voir
sorti. Aujourd'hui je vais plus loin, demain sans
cxi.m. — Fac-similé piibi. par Arsène Houssaye, Confessions, t. I.
204 CORRESPONDANCE
doute, j'irai voir Janin. Dites-lui ce qu'il faut. Il
n'y a pas besoin de le remercier. — Je suis fol. —
Je lui porterai bonheur et je lui apprendrai à faire
de l'or. Voilà tout. — Mais c'est si ennuyeux qu'il
n'en aura pas la patience, il aimera mieux le rece-
voir tout fait du bon Dieu. — A propos il y en a
un quelque part — dans un coucou; — il y en a
même peut-être plusieurs. — J'en ai eu peur. Mais
vous allez croire, mon pauvre et bonami,que je suis
encore malade, comme disaient les Grecs ! Janin a
bien compris — pas tout — mais il sait ou saura
tout.
Venez me voir ce soir si vous pouvez, ou demain
matin.
Celui qui fut GÉRARD et qui l'est encore; yépaç,
gloire, honneur, récompense (pour vous tous ! et
toutes).
»
LETTRES D'AMOUR
I
Ah ! je suis bien puni de mes exigences ! Vous
m'en avez cruellement puni! Pourquoi vous ai-je
dit une seule fois ce que j'avais fait pour vous?
Pourquoi me suis-je vanté d'un passé qui n'est plus
et auquel vous ne devez rien? Une femme aime à
dt)nner plus qu'elle ne reçoit, et ce n'est pas à elle
qu'appartient la reconnaissance. Ou'ai-je fait pour
vous, mon Dieu?... Un sourire, un serrement de
main, une douce parole valaient cent fois mes pei-
nes et j'ai eu tout cela de vous. Soyez tranquille,
je suis assez humilié I et je ne song-e plus à me faire
des titres que dans le présent et dans l'avenir.
Qu'elle est bonne et douce votre lettre, quand je
son^-e à mes torts ! mais qu'elle est polie et mesu-
rée ! Vous étiez bien calme en l'écrivant 1 Ah! pau-
vre chère lettre ! C'est mon seul trésor d'amour
Publ. par V. Sardoii, la Nouvelle Revae, i5 octobre 1902. J'ai
collalionni- le texte sur le manuscrit original et corrigé quehjues
erreurs. Entre crochets, les morceaux déjà parus à la suite à' Au-
rélia.
206 CORRESPONDANCE
pourtant ! et je suis bien forcé de me faire une
bien grande illusion pour trouver en elle un espoir.
Madame, ne craignez pas de me voir! Vous le
savez, je suis timide en face de vous, vous avez
tout pouvoir sur moi et ma passion elle-même
n'ose, en votre présence, s'exprimer que faible-
ment. Je vous ai raconté mes ang-oisses avec le sou-
rire sur les lèvres, de peur de vous effrayer; je
vous ai dit avec calme des choses dont vous n'avez
pas frémi et qui me tenaient tellement au cœur
qu'il me semblait que j'en arrachais des fibres en
vous parlant. Il semblait que je fisse pour ainsi
dire l'analyse et la critique de mes émotions les
plus chères, il semblait que je parlais d'un autre
et que je disais : « Voyez ce malheureux, voyez ce
rêveur, qui vous aime si follement ! »
[Je vous jure que vous ne risquez rien de plus à
m'écouter : votre reg'ard est ce qu'il y a pour moi
de plus doux et de plus terrible. Ce n'est que loin
de vous que je suis violent et que je me livre aux
idées les plus extrêmes. Madame, vous m'avez dit
qu'il fallait trouver le chemin de votre cœur... Eh
bien, je suis trop ému pour chercher, pour trou-
ver... Ayez pitié de moi, guidez-moi! Je ne sais;
il y a des obstacles que je touche sans les voir, des
ennemis que j'aurais besoin de connaître. Il y a
quelque chose, ces jours-ci, qui vous a changée à
mon égard,..] Eclairez-moi dans ces détours, où je
I
LETTRES d'aMOLR 267
nie lieurte à cliaque pas. 'M'avez-vous cru injuste,
inloléranl, capable de troubler votre repos par des
foHes? Hélas ! vous le voyez, je raisonne trop juste,
je juu;e trop froidement les choses et vous avez eu
bien des preuves de mon empire sur moi-même.
Suis-je un enfant? quoique je vous aime avec toute
l'imprudence d'un enfant I Non, je suis un homme
calme et qui raisonne la passion. Je suis un homme
honorable et dig^ne en tout de votre préférence; je
suis capable de vous faire respecter aux yeux de
tous: je suis digne de votre confiance et, désormais,
tout mon sang^ est à vous, toute mon intelligence
s'emploiera pour vous servir. Jamais une femme
n'a rencontré tant d'abnég-ation jointe à quelque
importance réelle et toutes en seraient flattées.
Maintenant, je n'ai plus qu'un mot à vous dire.
Admettez une épreuve. Il faut un homme bien épris
pour qu'il ne recule pas devant une question de vie
ou de mort. Si vous voulez savoir jusqu'à quel
point vous êtes aimée ou estimée, le résultat d'une
démarche que je puis faire vous apprendra sur quel
bras il faut compter. Si je me suis trompé dans
toutes mes suppositions, rassurez-moi, je vous en
prie! épargnez-moi quelque ridicule et, avant tout,
celui de me commettre] avec quelqu'un dont l'hu-
miliation même n'aurait rien de satisfaisant pour
ma vanité.
Vous allez me jug-or bien mal ; vous allez me
268
CORRESPONDANCE
croire jaloux et violent. Non, je vous l'ai dit : un
mot de vous peut calmer mon esprit, une bonne
raison me trouvera sans réponse, une confidence
me trouvera résig-né. Je vous aime autrement que
les autres, moi. C'est votre âme que j'aime avant
tout. J'ai eu des raisons pour espérer d'y avoir fait
un peu d'impression et peut-être, en a-^ous consul-
tant bien, la reconnaîtrez-vous plus profonde qu'il
ne vous semble. Si cela n'était pas, il faudrait
désespérer de la puissance de l'âme humaine et de
la bonté de Dieu 1
II
[J'ai lu votre lettre, cruelle que vous êtes ! Elle
est si douce et si indulg^ente que je ne puis que
plaindre mon sort; mais si je vous croyais comme
autrefois coquette et perfide, je vous dirais comme
Fig'aro, Madame : « Votre esprit se rit du mien ! »
Cette pensée que l'on peut trouver un ridicule dans
les sentiments les plus nobles, dans les émotions
les plus sincères, me glace le sang et me rend
injuste malgré moi. Oh non ! vous n'êtes pas
comme tant d'autres femmes ! Vous avez du cœur
et vous savez bien qu'il ne faut pas se jouer d'une
véritable passion ! Vous croyez en Dieu, n'est-ce
pas ? et vous devez song'er, à de certaines heures,
LLTTRES d'aMOUH 269
(lu'il y a dans le monde une àme (jui aurait le
diolt, un jour, de vous accuser devant lui (i).
Ah ! inétiez-vous ! non pas de voire cœur, qui
est bon, mais de voire humeur, qui est légère et
chane^eanle ! Songez que vous m'avez mis dans
une position telle, vis-à-vis de vous, que l'abandon
me serait beaucoup plus affreux que ne le serait une
infidélité quand je vous aurais obtenue. En eîFet,
dans ce dernier cas, qu'aurais-je à dire ? le res-
sentiment serait ridicule à mes propres yeux ; j'au-
rais cessé de plaire, voilà tout, et ce serait à moi
de chercher des moyens de rentrer dans vos bonnes
grâces. Je vous devrais toujours de la reconnais-
sance et je ne pourrais, dans tous les cas, douter
de votre loyauté. Mais songez au désespoir où me
livrerait votre chang-ement dans nos relations
actuelles ! Oh ! mon Dieu! vous vous créez des
craintes là où elles ne peuvent exister ! Pour ce
qui est de la jalousie, c'est un côté bien mort chez
moi... Quand j'ai pris une résolution, elle est
ferme; quand je me suis résig-né, c'est pour tout de
bon : je pense à autre chose et j'arrang'e mes idées
d'après les circonstances. Mon esprit sait toujours
plier devant un fait irrévocable. Ainsi, ma belle
(i) Que jai pleuré en relisant quelques passages de cette leUre ;
c'est ma condamnation (juc j'écrivais d'avance.
Peut-on outraçer ce qu'on aime ?
Peut-on cherclier à le laclicr ?
C'est bien en vouloir à soi-même
(Note de Gérard de Nerval . )
270 CORRESPONDANCE
amie, vous me connaissez bien, maintenant; je
livre tout ceci à vos réflexions ; je ne veux rien
tenir que de leur effet. Ne craignez donc pas de
me voir ; votre présence me calme, votre entretien
m'est nécessaire et m'empêche de me livrer] au
désespoir qui me tuerait !
III
[... Ce n'était pas alors la femme que j'aimais en
vous ; c'était la Divinité à qui je rendais hommage.
Peut-être aurais-je dû me contenter toujours de cet
humble rôle et ne pas chercher à faire descendre de
son piédestal cette belle idole, que, jusque-là, j'a-
vais adorée de si loin.
Vous dirai-je pourtant que j'ai perdu quelque
illusion en vous voyant de plus près? Non!... mais
en se prenant à la réalité, mon amour a changé
de caractère ; ma volonté, jusque-là si nette et si
précise, a éprouvé un moment de vertige :jene sen-
tais pas tout mon bonheur d'être arrivé si près de
vous, ni toutle danger que je courais en risquant de
ne pas vous plaire ; mes projets se sont contrariés ;
j'ai voulu me montrer à la fois un homme sérieux
et timide, un homme utile et exigeant, et je n'ai
pas compris que les deux sentiments queje voulais
exciter ensemble se froisseraient dans votre cœur.
LETTRES U AMOCR 27I
Plus jeune, je vous eusse touchée par une passion
plus naïve et plus chaleureuse; plus vieux, j'aurais
su mieux calmer ma marche, étudier votre carac-
tère et trouver à la longue les secrets que vous me
cachez. Si je vous fais un aveu si complet, c'est que
je vous crois dig-ne de comprendre un esprit] trop
singulier pourètre saisi tout d'abord, trop fier pour
se livrer lui-même, sans g^arantie et sans espoir...
IV
[Mon Dieu! mon Dieu ! je suis allé vous voir un
instant... Quoi ! vous n'êtes pas si irritée que je
le craignais ! Quoi ! vous avez encore un sourire
pour ma présence, un doux rayon de soleil pour
mes yeux ! et j'emporte avec moi cet espoir im-
prévu, de peurd'ètre détrompé parun mol! Insen-
sé que je suis toujours, moi qui me croyais déjà
plus sage !... un regard m'abat, un souffle me re-
lève et je ne me sens fort que loin de vos yeux!
Oui, j'ai mérité d'être humilié par vous! oui, je
dois payer encore de beaucoup de souffrances l'ins-
tant d'orgueil auquel j'ai cédé!... Ah ! c'était une
risihle ambition que celle de me croire quelque
chose près d'une femme de votremérite et de votre
beauté!]
Prétendre vous prêter l'appui de je ne sais
quelle puissance que j'ai sur d'autres et vous par-
272 COnnESPONDANCE
1er comme un roi couronné, au nom de cette
misérable autorité! Eussiez -vous réduit trop bas
l'insignifiance de mes prétentions à vous servir,
[j'accepte vos dédains pour ma justice. Ne craignez
rien, j'attends I ne craig-nez rien !]
V
Je ne puis me remettre encore de l'étrange soirée
que nous avons passée hier : que de bonheur et
d'amertume ensemble dans ce souvenir ! Je vou-
drais pouvoir m'écrier comme Saint-Preux : « Mon
Dieu ! vous m'avez donné une âme pour la souf-
france ; donnez-m'en une pour la joie ! » Mais je
suis aussi mécontent de moi-même que reconnais-
sant envers vous. Que vous écrirai-je, à présent ?
Mon âme est bouleversée... Il y a comme un cercle
de fer autour de mon front; je vous demande un
jour pour me reconnaître ; il me faut un jour, au
moins, pour me reposer de mes émotions. Que vous
dirais-je d'ailleurs de ma journée ? Elle ressemble
à la plupart des autres ; j'ai marché longtemps
pour apaiser mon ardeur que je ne puis dompter
que par la fatigue, mon inquiétude dont je ne puis
sortir que par l'abrutissement. J'ai marché long-
temps. Faut-il vous affliger encore de mon tour-
ment ou vous effrayer de mes agitations? Non !
j'ai tant de choses à vous dire encore, que je ne veux
LUTTIIES d'amour 278
pasles perdre dans une froide lettre... Quoi de plus
triste qu'une lettre? quoi de plus facile pour une
pensée indittérente et déplus malaisé pour un cœur
épris? La pensée se glace en se traduisant en phra-
ses, el les plus douces émotions de l'amour res-
semblent alors à ces plantes desséchées, que l'on
presse entre des feuillets, afin de les conserver...
Mais songer que tout cela peut être lu dans un
instant de contrariété, d'ennui, d'humeur légère !
ou songer que ce peut être par là qu'on vous juge
et que l'on peut jouer sur un morceau de papier son
avenir et son bonheur, sa vie et sa mort ! Non !
non ! je ne vous écris pas sérieusement aujour-
d'hui, et je garde les belles fleurs de mon amour,
qui ne veulent plus s'épanouir que près de vous
et sous vos yeux !
VI
Mon Dieu ! Mon Dieu ! que je vous remercie !
Votre œil rencontrant le mien, votre main serrant
la mienne, vous savez bien que c'était assez, n'est-
ce pas ! Et qu'importe que je n'aie pu vous dire
un mot? J'y aurais peut-être perdu ce bonheur de
tout un jour d'illusion, cet adoucissement passa-
ger, qui me donne la force de souffrir encore !
274 CORRESPONDANCE
VII
Pauvre amie,je vous ai encore bien tourmentée et
bieninquiétée! Mais c'est pourladernière fois. Quand
je vous verrai ainsi, froide et contrainte, je compren-
drai bien qu'il existe une de ces raisons dont nous
avons parlé et que votre cœur se resserre à l'approche
du mien, comme une fleur craintive. Mon Dieu ! ne
craignez rien ; je me fais à cette idée, si pénible
qu'elle puisse être... Oh! nous sommes fiancés
dans la vie et dans la mort ! Qu'importent les
hommes et le*s indignes obligations de l'existence?
Une heure de liberté entre nous, d'effusions céles-
tes, et tout le reste est oublié !... Mais prenez un
peu pitié de mes peines mortelles et de cette terri-
ble exaltation, dont je ne puis répondre toujours!
Songez qu'elle vient moins de la jalousie que de
la crainte d'être abusé... Aujourd'hui, cette crainte
est moins forte : je crois en vos paroles. La per-
mission que vous m'avez donnée de me regarder
du moins comme ayant tout obtenu de vous, en
attendant l'instant de votre bon vouloir, me ras-
sure et me fait du bien : car vous ne pouvez plus
revenir là-dessus; car vous savez bien qu'il y a
votre parole dans un des plateaux de la balance,
et dans l'autre toute ma vie, tout l'effort d'une
âme énergique qui, du point où vous lui avez per-
LKTTRES D AMOUR 27»
mis d'atteindre, ne peut tomber qu'en se brisant
et entraîner peut-être quelque destinée avec la
sienne. Eh bien! maintenant, rassurez-vous donc!
J'ai promis I...
VIII
[Deux jours sans vous voir ! sans te voir,
cruelle I Oh ! si tu m'aimes, nous sommes encore
bien malheureux !... Hier je ne sais à quoi j'ai
passé ma journée, je suis allé et venu; j'ai vu une
foule de figures... Ma tète était près de toi... et,
comme tout le monde me disait du mal de ***,
je n'ai pas osé le juger si mal sans l'avoir vu. Ce
n'est pas la faute de ce pauvre jeune homme, si je
suis amoureux.
Il ne faut pas rire de cela...]
IX
Je vous réponds bien vite pour que vous ne me
croyiez pas mécontent ou découragé. Oh ! comme
vous connaissez bien votre pouvoir sur moi !
Comme vous en usez et abusez sans pitié ! INIoi, je
ris à travers mes larmes, je ris par un suprême
effort de courage, comme l'Indien qu'on brûle,
comme le martyr qu'on tenaille; je suis content de
276 CORRESPONDANCE
moi, je me trouve sublime et j'excite ma propre
admiration.
Jamais je n'ai été si convaincu de cette vérité,
que mon amour pour vous est ma religion. Les
solitaires de la Thébaïde avaient comme moi des
nuits affreuses ; ils se tordaient comme moi sous
des désirs impitoyables et ils offraient leurs souf-
frances en holocaustes à l'Eternel ; mais c'étaient
des gens qui vivaient d'eau et de racines ; c'étaient
peut-être aussi des tempéraments paisibles et non
de ces natures nerveuses, où la passion n'a pas
moins de prise que la douleur. Oh ! vous êtes bien
calme et bien tranquille, vous! Vous me parlez de
fidélité sans récompense comme à un chevalier du
moven-âge, chevauchant à quelque entreprise dans I
sa froide armure de fer. J'ai bien un peu de ce
sang--là dans les veines, moi, pauvre et obscur
descendant d'un châtelain du Périgord ; mais les
temps sont bien changés et les femmes aussi !
Gardez-nous la fidélité des anciens temps et nous
nous résignerons peut-être à faire de même. Mais,
en vérité, ce serait là bien du temps et du bonheur
perdus !
Voyez-vous, je vous parle en riant ; mais je
tremble que votre lettre ne soit pas tout à fait sé-
rieuse. Il y a toujours quelque niaiserie à trop res-
pecter les fempies et elles prennent souvent avan-
tage d'une trop grande délicatesse pour exiger des
LETTRES D AMOUR 277
sacrifices dont elles se raillent en secret. Oh ! je
suis bien loin de vous croire coquette ou perfide \
mais celte pensée... sacrifié !...
X
[Ah ! ma pauvre amieje ne sais quels rêves vous
avez faits ; mais moi, je sors d'une nuit terrible.
Je suis malheureux par ma faute, peut-être et non
par la vôtre; mais je le suis. Oh! peut-être vous
avez eu déjà quelques bonnes intentions pour moi ;
mais je les ai laissé perdre et je me suis exposé à
votre colère. Grand Dieu ! excusez mon desordre,
pardonnez-moi les combats de mon âme. Oui, c'est
vrai, j'ai voulu vous le cacheren vain, je vous désire
autant que je vous aime; mais je mourrais plutôt
que d'exciterencore une fois votre mécontentement-
Oh ! pardonnez ! je ne suis pas volag'e,moi ; de-
puis trois ans, je vous suis fidèle, je le jure devant
Dieu ! Si vous tenez un peu à moi, voulez-vous
m'abandonner encore à ces vaines ardeurs qui me
tuent ? Je vous avoue tout cela pour que vous y
songiez plus tard ; car je vous l'ai dit, quelque
espoir que vous ayez bien voulu me donner, ce
n'est pas à un jour fixe que je voudrais vous obte-
nir : mais arrang^ez les choses pour le mieux. Ah !
je le sais, les femmes aiment qu'on les force un
peu ; elles ne veulent pas paraître céder sans con-
'7
278 CORRESPONDANCE
trainte. Mais songez-y, vous n'êtes pas pour moi
comme les autres femmes ; je suis plus peut-être
pour vous que les autres hommes ; sortons donc
des usages de !a galanterie ordinaire. Que m'im-
porte que vous ayez été à d'autres, que vous soyez
à d'autres peut-être !
Vous êtes la première femme que j'aime et je
suis peut-être le premier homme qui vous aime à
ce point. Si ce n'est pas là une sorte d'hymen que
le ciel bénisse, le mot amour n'est qu'un vain mot I
Que ce soit donc un hymen véritable où l'épouse
s'abandonne en disant : C'est l'heure !... Il y a
de certaines formes de forcer une femme qui me
répugnent. Vous le savez, mes idées sont singuliè-
res ; ma passion s'entoure de beaucoup de poésie
et d'originalité ; j'arrange volontiers ma vie comme
un roman, les moindres désaccords me choquent
et les modernes manières que prennent les hom-
mes avec les femmes qu'ils ont possédées ne seront
jamais les miennes. Laissez-vous aimer ainsi ; cela
aura peut-être quelques douceurs charmantes que
vous ignorez. Ah I ne redoutez rien, d'ailleurs, de
la vivacité de mes transports ! Vos craintes seront
toujours les miennes et de même que je sacrifierais
toute ma jeunesse et ma force au bonheur de vous
posséder, de même aussi mon désir s'arrêterait de-
vant votre réserve, comme il s'est arrêté si long-
temps devant votre rigueur.
LETTKES n'AMOUH 2 79
Ah ! lua chère et véritable amie, j'ai peut-être
tort de vous écrire ces choses, qui ne se disent
d'ordinaire qu'aux heures d'enivrement. Mais je
vous sais si bonne et si sensible que vous ne vous
otïenserez pas d'aveux qui ne tendent qu'à vous
faire lire plus complètementdansmon cœur. Je vous
ai fait bien des concessions; faites-m'en quelques-
unes aussi. La seule chose qui m'effraie serait de
n'obtenir de vous qu'une complaisance froide, qui
ne partirait pas de l'attachement, mais peut-être de
la pitié. Vous avez reproché à mon amour d'être
matériel ; il ne l'est pas, du moins dans ce sens !
Que je ne vous possède jamais si je dois n'avoir
dans mes bras qu'une femme résig-née plutôt que
vaincue. Je renonce à la jalousie; je sacrifie mon
amour-propre; mais je ne puis faire abstraction
des droits secrets de mon cœur sur un autre. Vous
m'aimez, oui, beaucoup moins que je ne vous aime
sans doute ; mais vous m'aimez, et, sans cela, je
n'aurais pas pénétré aussi avant dans votre inti-
mité. Eh bien 1 vous comprendrez tout ce que je
cherche à vous exprimer : autant cela serait cho-
quant pour une tête froide, autant cela doit toucher
un cœur indulgent et tendre.
Un mouvement de vous m'a fait plaisir, c'est
que vous avez paru craindre un instant, depuis
quelques jours, que ma constance ne se fût démen-
tie. Ah ! rassurez-vous l j'ai peu de mérite à la
CORRESPONDANCE
conserver : il n'existe pour moi qu'une seule femme
au monde !]
XI
.j
[Vous vous trompez, Madame, si vous pensez |
que je vous oublie ou que je me résigne à être ou-
blié de vous. Je le voudrais, et ce serait un bon-
heur pour vous et pour moi sans doute ; mais ma
volonté n'y peut rien. La mort d'un parent, des
intérêts de famille ont exigé mon temps et mes
soins, et j'ai essayé de me livrer à cette diversion
inattendue, espérant retrouver quelque calme et
pouvoir jug'er, enfin, plus froidement ma position à
votre égard. Elle est inexplicable, elle est triste et
fatale de tout point ; elle est ridicule peut-être ;
mais je me rassure en pensant que vous êtes la
seule personne au monde qui n'ayez pas le droit
de la trouver telle. Vous auriez bien peu d'orgueil
si vous vous étonniez d'être aimée à ce point et si
follement.]
Madame,je vous avais obéi ; j'avais attendu pour
vous voir le jour où tout le monde en a le droit.
J'ai changé d'idée.
[Oh ! si j'ai réussi à mêler quelque chose de
mon existence dans la vôtre, si toute une année
je me suis occupé de vous préparer un triomphe,]
s'il y a à moi, toutes à moi, quelques journées de
LETTRES d'aM0U1\ 28 I
votre vie, et mali^rr vous, quelques-unes de vos
pensées... (Suit un illisible brouillon.)
XII
[Vous êtes bien la plus étrange personne du
monde et je serais indij^ne de vous admirer si je
me lassais de vos inégalités et de vos caprices.
Oui, je vous aime ainsi, bien plus, je vous ad-
mire et je serais fâché que vous fussiez autrement.
A un amour tel que le mien^ il fallait une lutte
pénible et compliquée ; à cette passion infatigable
il fallait une résistance inouïe ; à ces ruses, à ces
travaux, à cette sourde et constante activité, qui
ne néglige aucun moyen, qui ne repousse aucune
concession, ardente comme \me passion espagnole,
souple comme un lien italien, il fallait toutes les
ressources, toutes les finesses de la femme, tout ce
qu'une tête intelligente peut rasseml)ler de forces
contre un cœur bien résolu. Il fallait tout cela,
sans doute, et je vous aurais peu estimée d'avoir
cru la résistance plus facile et l'épreuve moins
dangereuse...
Toutefois, ne craignez rien : je suis encore mal
remis du coup qui m'a frappé et il me faut du
temps pour] me reconnaître.
17.
282
COimESPONDANCt:
XIII
Je suis plus calme aujourd'hui qu'hier; je me
réveille plein d'espoir et de courage. Mon Dieu !
le mauvais temps pour aimer, que l'hiver ! On ne
devrait aimer qu'au printemps, comme les petits
oiseaux. Moi, qui voudrais pouvoir jeter sous vos
pieds un manteau de verdure et de fleurs, moi qui
voudrais rêver avec vous sous les ombrages parfu-
més, au bruit des eaux murmurantes, je viens à
vous par un temps de brume et de gelée et mon
beau drame, si chaleureux, si bien conduit, n'a pas
de décoration !
Madame, si vous ne m'aimez pas un peu, je suis
perdu. Si vous n'avez pas un peu de bonté, ma
conduite est folle et la vôtre est cruelle. Je crains
bien des choses encore : j'ai peur que mon abnéga-
tion ne vous semble de la faiblesse, j'ai peur que
vous ne vous lassiez d'un amour trop entier, trop
ardent, pour savoir revêtir les formes de la galan-
terie. La conjugaison éternelle du verbe « aimer »
ne convient peut-être qu'aux âmes tout à fait naï-
ves. Mais je vous ai dit combien j'étais jeune encore
d'émotions et il m'a semblé qu'il y avait dans
votre cœur une fraîcheur de sentiments qui n'avait
jamais été comprise.
Mais j'y songe :je suis sûr que vous allez beau-
LETTllKB d'amour 283
coup lire de ma lettre et de mes terreurs et que
nous en rirons ensemble, ce soir. Si elle devait vous
déplaire, song-ez à notre traité. J'ai votre parole,
que vous deviez tenir, pourvu que je vous écrive
une lettre un peu longue ; prenez celle-ci pour un
rêve. Ecoutez ! je ne demande qu'à vous voir un
instant I
XIV
[Souvenez-vous, oublieuse personne, que vous
m'avez donné la permission de vous voir une heure
aujourd'hui. Je vous envoie mon médaillon en
bronze, pour fixer encore mieux votre souvenir...
Ah ! j'ai été l'une des célébrités parisiennes et je
remonterais encore aujourd'hui à cette position,
que j'ai néglig;ée pour vous, si vous me donniez lieu
de chercher à vous rendre fière de moi. Vous vous
plaignez de quelques heures que je vous ai fait per-
dre!... Mais mon amour m'a fait perdre des années,
et le plus terrible encore, c'est que je ne puis plus
rien sans vous. ..Que m'importe la Renommée, tant
qu'elle ne prendra pas vos traits pour me couron-
ner? Jusque-là, il y aura une gloire dans laquelle
la mienne s'absorbera toujours, la vôtre I Jamais
mes assiduités les plus grandes n'arriveront à vous
la faire oublier. Accordez-moi quelques-uns de
vos instants... Ne vous effrayez plus de me voir...
284 CORRESPONDANCE
Je vous avoue que je suis aujourd'hui d'une humeur
fort peu tragique et que je risque beaucoup moins
de vous ennuyer.]
XV
Je me réveille en poussant des cris de joie !
Mon amie, le bonheur est une chose noble et
sérieuse, et il n'y a de g-aieté folle que pour les
plaisirs de l'enfant. J'ai la joie du ciel dans le cœur;
vos bontés me ravissent, et c'est de l'enthousiasme
aujourd'hui que j'éprouve pour vous. Que vous
soyez aussi bonne que belle, aussi sensible que
charmante, ah ! voilà. ce que je n'avais jamais osé
espérer, voilà ce qui m'aurait donné cent fois plus
de force encore; mais j'ai manqué de confiance en
vous et j'en ai été puni par de bien longues dou-
leurs.
Maintenant, que viens-je vous offrir? Mon âme
abattue, endolorie, qui peut à peine comprendre
que ses mauvais jours sont passés et qui se remet
encore de temps à autre à s'attrister, par habitude.
Oh ! les transports de la jeunesse, l'éclair des yeux
qui se rencontrent, l'imagination qui déborde en
de ravissantes extases, voilà ce que je perds de
jour en jour ! Serez-vous assez récompensée de
vous sacrifier par l'ivresse d'un pauvre cœur, où le
bonheur revêtira peut-être des apparences moins
LKTTRES D AMOLH
séduisaiiles que le désir cl rin(|uiëtude ?... Tout
cela me reviendra t-il comme au temps où mon
amour, inconnu de vous, était pur et céleste ?...
[Nous avons maintenant à nous garder d'une
chose; c'est de cet abattement qui succède à toute
tension violente, à tout effort surhumain; pour qui
n'a qu'un désir modéré, la réussite est une suprême
joie qui fait éclater toutes les facultés humaines.
C'est un point lumineux dans l'existence qui ne
larde pas à pâlir et à s'éteindre... Mais pour des
cœurs plus profondément épris, l'excès d'émotion
mêle pour un instant tous les ressorts de la vie;
le trouble est çrand, la confusion est profonde et
la tète se courbe en frémissant, comme sous le
souffle de Dieu. [lélas! que sommes-nous, pauvres
créatures, et comment répondre dignement à la
puissance que le ciel a mise en nous ! Je ne suis
qu'un homme et vous une femme, et l'amour qui
est entre nous ]
— Ne dérangez personne de chez vous par le
temps qu'il fait...
XVI
Permettez-moi de me rapprocher de vous, après
vous avoir donné le temps d'oublier mes folies.
J'ai respecté vos ordres; j'ai misa me calmer toutes
les forces de mon àme; je n'espère et n'attends de
286 COHRESPONDANCE
VOUS pour ce soir qu'un signe de pardon, un mot
de bonté... J'ai attendu, pour vous voir, le jour où
tout le monde en a le droit, pour vous parler, le
jour où beaucoup d'autres en ont le privilège... Ne
redoutez rien de ma présence et de mes paroles;
enfin, quelques jours ont calmé mes agitations
qu'il vous a été plus facile de comprendre que d'ex-
cuser, peut-être; j'ai appris à redevenir courageux
et patient. Je ne veux plus compromettre, en quel-
ques heures, toutes les chances d'une destinée à
laquelle vous avez paru prendre quelque intérêt et
je me suis dit souvent que, dans l'affection que je
vous porte, il y a trop de passé pour qu'il n'y ait
pas beaucoup d'avenir.
J'avais résolu de ne pas vous écrire : en man-
quant à cette résolution, je m'expose encore à un
danger d'où votre indulgence peut me sauver
XVII
J'avais résolu de ne plus vous écrire, Madame.
Les lettres ne sont bonnes que pour les amants
froids ou pour les amants heureux. On admet l'in-
cohérence dans les paroles ; mais les phrases écri-
tes deviennent des témoins éternels. Je voudrais
pouvoir anéantir toutes les lettres que je vous ai
adressées ; votre indifférence m'aura peut-être
LETTHES d'amour 287
rendu ce service; mais le souvenir reste encore, et
c'est trop. Combien n'en ai-je pas déchiré, pour-
tant î J'en écris une vraie et sentie, mais dont la
violence risquerait de vous effrayer; puis une autre
réfléchie etcalculée,où je m'applique à vous paraître
patient et raisonnable; et ce n'est aucune des deux
que je vous envoie, mais une troisième écrite à la
hâte et parce qu'il faut en finir, faite avec les lam-
beaux des autres, où les phrases ne se suivent pas,
oij les idées se confondent, une lettre folle et bles-
sante et qui défait tout mon ouvrage.
N'attendez pas de moi des phrases de roman; je
ne suis ni Saint-Preux, ni Werther; ou plutôt, je
sens trop vivement pour écrire comme eux des
lettres éloquentes et ménagées.
Le beau roman que je vous écrirais, si j'étais
moins sincère !... Il y a des années d'angoisses, de
rêves, de projets qui voudraient se presser dans
une phrase, dans un mot... Votre lettre m'a fait
assez expier mes torts; j'ai senti également toute
l'imprudence et toute la dureté de ma conduite...
Je suis retombé à vos pieds.
XVIII
Madame, puisque le malheur veut qu'une cir-
constance insignifiante vienne tout à coup m'arra-
COUnESPOXOANCE
cher à ce peu de calme que j'avais retrouvé enfin
et qui me servait à préparer l'avenir, puisque tout
un passé qu'il fallait oublier revient gronder à mes
oreilles et me rapporter à la fois ses ém€)tions et
son vertige, écoutez donc quelques mots encore et
vous y gagnerez peut-être des mois de résignation
et de silence de ma part :
Que vous ayez, en un seul jour, oublié tant de
dévouement dont vous aviez des preuves, tant de
loyauté et de bonne foi qui se trahissaient dans mes
moindres rapports, que vous ayez même flétri
d'un doute une proposition qui honorait mon cœur,
même en admettant que mon amour-propre en eût
mis trop haut l'importance, — je ne vous en veux
pas, j'accepte cette punition cruelle d'une impru-
dence probable dont j'ai peine à me rendre compte
même aujourd'hui... Mais je ne vois dans tout
cela rien d'irréparable. Je ne suis coupable d'aucun
de ces crimes qu'une femme ne peut pardonner et,
vous l'avouerai-je, l'excès même de votre ressenti-
ment m'a découragé moins que n'eût fait le dédain
d'une âme indifférente. .J'aurais perdu tout espoir
si vous m'eussiez quitté par ennui, par fatigue, ou
par la diversion d'un autre attachement ;mais rien
de tout cela ! Mon amour a été tranché dans le vif ;
il y a une blessure et non une plaie. Je ne puis me
rappeler ce jour fatal sans penser àla veille, si belle
et si enivrante qu'il eût fallu mourir après. Mon
LElTttES d'amour 289
J3ieu ! notre pauvre lane de miel n'a guère eu qu'un
premier quartier... et vous me connaissez si peu
encore, que vous ne m'avez ni bien compris jus-
qu'ici, ni bien jugé. Vos injustices en seraient une
preuve déjà. Oh! daignez interroger votre cœur et
vous vous direz qu'il y amaigré tout quelque chose
qui bat encore pour moi, que tous ces hommes qui
vous ont entourée depuis quelque temps sont plus
riches et plus beaux, mais n'ont pas cette âme, cet
esprit même que vous aviez su distinguer, qu'ils
sont frivoles surtout et aussi incapables d'aimer
que de sentir en eux l'ambition des grandes choses.
Ah ! l'amour et l'art nous réuniront malgré tout !
Vous sentirez que toutes ces relations brillantes
laissent un côté vide dans le cœur, que c'est beau-
coup d'avoir rencontré un ami fidèle, soumis, dont
l'alïection se conserve pure, à travers toutes sor-
tes d'amertumes. Pourquoi vous risqueriez-vous à
choisir quehjue autre que moi ? Je sais vos habi-
tudes ; vous pouvez me rendre prudent par beau-
coup de confiance. Quel intérêt aurais-je à vous
compromettre aujourd'hui ? Je sais maintenant de
quoi il faudra se garder et je tiens, d'ailleurs, à m'i-
soler de plus en plus, à vivre toutik fait pour vous.
Ce n'est pas difficile pour qui ne pense qu'à vous
seule... Eh bien ! vous me verriez aussi rarement
qu'il vous plairait. Nous trouverions les précautions
les plus sûres. Puisque vous avez tant à craindre,
18
2Q0 CORRESPONDANCE
votre secret sera sous la garde de mon honneur.
Mais j'ai besoin de vous voir un peu de temps en
temps, de vous voir à tout prix ; je vous ai aper-
çue hier et vous étiez si belle, vous aviez l'air si
doux !... J'ai retrouvé dans vos traits quelque chose
de cette expression de bonté qui me charmait tant,
quand vous m'étiez favorable.
Ah! cruelle femme, ne dites pas que vous ne
m'avez pas aimé ! autrement, vous auriez été bien
trompeuse! Si vous m'aimiez, vous m'aimez tou-
jours. Vous êtes touchée de cette passion qui sur-
vit à tout, qui garde pour elle toute l'humiliation
et tout le malheur et qui vous laisse à vous toute
liberté, toute fantaisie, qui ne se plaint pas même
de votre inconstance, mais seulement de votre
injustice...
Vous serez bien avancée quand vous m'aurez
fait mourir ! Que diriez-vous, si j'allais me tuer,
comme D... !
NOTES
LETTRE I
(1) Son grand-père maternel, P. Ch. Laurent, celui dont
Gérard a conté le mariage, devenu, par la suite, « linger »
dans le quartier Saint-Martin.
("2) Je ne sais de quelle élude il est ici question. D'ailleurs,
bien des obscurités subsistent sur cette période de sa vie. Une
autre lettre (IV) nous le montre étudiant en médecine. D'après
un passage de si;n feuilleton des Faux Sauniers, au Xaiional
(IS.jO), il aurait été aussi « apprenti compositeur » dans une
imprimerie.
LETTRE II
(3) Georges Bell et Théophile Gautier, qui nous font connaî-
tre ces premières tentatives de Gérard ù TOdéon, pendant la
direction Harel (1829-32), se contentent d'indications assez
vagues. Une lettre portée sur un catalogue Charavay donne
une date. Le 16 janvier 1831, Gérard écrit à un ami : « La
petite pièce que vous savez que je devais lire à VOdéon a
été reçue , samedi même .par acclamations et à la seule condi-
tion d'y Joindre un prologue, pour préparer le public aux
innovations qui s'y trouvent... Je vous requiers, au reste, si
classique que vous soyez, d'appuyer mon ouvrage... » Il doit
s'agir ici de la a Diablerie » le Prince des sots, de facture
toute nouvelle en effet, et pour laquelle Th. Gautier écrivit un
prologue, La même pièce avait été, un mois plus tôt, préscn-
COnUESPONDANCE
tée au Théâtre français; M. Couët me signale cette indication,
relevée sur les archives du théâtre en Décembre 1830 ;
Le prince des sots M. Gérard, rue St Martin, 72 N. A.
comédie en i acte en vers Rendu à l'auteur [Non admis]
Quant à cette tentative nouvelle, elle doit être postérieure
de six mois environ. C'est ce quiressort de la lettre elle-même.
En effet, Frederick Lemaître entré à l'Odéon le 12 Août 1830
y joue régulièrement pendant près d'un an. En Juillet, Août
et Septembre 1831, il ne paraît plus sur l'affiche, tandis que
Ligier crée le 3 août V Homme au masque de fer et, le 20 Oc-
tobre, Charles Vil chez ses grands vassaux ; tous deux
quittent l'Odéon au début de 1832. Il est à remarquer, d'ail-
leurs, que lebaron Taylor, suppléé depuis le 19 Mars 1830 par
Albertin et depuis le 2i' Septembre par Mazères, a repris son
poste de Commissaire royal le 6 Avril 1831, et que, durant cet
été, le Théâtre français, dont les affaires ne sont pas brillantes,
fait un appel pressant aux auteurs dramatiques (Renseignement
communiqué par M. Couët). Il ne reste rien, ni de la tragédie
de Lara ni de la diablerie du Prince des sots.
(4) On connaît le rôle de Gérard au moment à' Hernani .
D'une lettre d'Août 1831, à propos de Marionde Lorme : « C'est
ce soir Marion de Lorme de V. Hugo ; si vous ne craignez
pas d'y assister du sein des bandes romantiques, venez à 5
heures précises. . . Nulle représentation, de longtemps, ne
présentera la physionomie de celle-ci où les deux écoles
seront aux prises. » (Vente du 18 Mai 1859.)
LETTRE III
(5) Gérard fut incarcéré après l'avortement du complot de la
rue des Prouvaires ('nuit du l'^r au 2 Février 1832). Retenu
quelque temps à Sainte-Pélagie, il fut relâché avant le prin-
temps. Sur cette détention, voy.yT/es Prisons, dans la Bohême
galante.
LETTRE IV
(G) Le baron Papion du Château, capitaine de cavaleric,né le
293
15 Nivôse an IV, avait connu Gérard au temps de ses premiè-
res œuvres. Voy. la préface de le Nouveau Ge/ire, comédie
poslhume achevée et publiée par Arlhus Fleury, Paris, Barbré,
iSGO.
(7) Epidémie de 1832. Le choléra Ht son apparition à Paris
le 2<) Mars.
(8) Les Messéniennes polonaises, YtaT M. F. Papion du Châ-
teau... ParisjLevavasseur, 1832. Dumas, en efl'et, négligea d'é-
crire; mais V, Husfo répondit. Sa lettre est imprimée, l'année
suivante, à la Hn d'un volume nouveau de Papion du Château
{Esquisses poétiques, Paris, Ledoyen, 1833), parmi d'«utres
témoitrnages du même genre, signés de Lamartine, Casimir
Delavigne, Nodier, Chateaubriand, D. Gay, Salvandy, Janin,
Berryer, A. de Vigny... Voici la lettre de Hugo : « Les poé-
sies que vous m'avez fait l'honneur de m'envoyer me sont par-
venues hier. Monsieur ; je les ai lues avec un bien vif intérêt.
Le chant funèbre sur la Pologne expirée est d'un noble cœur.
11 est impossible de ne pas sympathiser avec de si généreux
sentiments. Recevez, Monsieur, je vous prie, l'assurance de
ma considération distinguée. Victor Hugo. »
LETTRE V
(9) Ce voyage en Italie (Octobre-Novembre 1834) est le pre-
mier grand voyage de Gérard que nous connaissions. D'après
sa nouvelle d'Octavie dans les Filles du Feu, c'est au prin-
temps de 183o qu'il aurait découvert l'Italie, mais Oclavie a
paru seulementcn 1 8 i3, dans /a 5y//>/a'(/e,et Gérard n'a jamais
eu la mémoire des dates.
LETTRE VI
(10) Le médaillon de Jehan du Seigneur (1831) est le seul
portrait de Gérard jeune qui nous soit parvenu.
(11) Il est passé en vente une lettre à J. du Seigneur du
2 Octobre 183 i. (Catal. Charavay.)
(12) M. Maurice du Seigneur a coupé une partie de la let-
tre : « Ici, il divise sa missive en six articles, dont les qua-
294 CORRESPONDANCE
tre premiers, un peu embrouillés, n'ont trait qu'à des affaires
d'argent » .
(13) Le D' Labrunie était né à Agen. Gérard avait là un
cousin, d'abord pharmacien, puis négociant en vin de Cham-
pagne. Champfleury cite delui une lettre fort amusante (Gra«-
des Figures p. 2ii2). Présenté parle poète à ses camarades de
la Bohême, ce bon bourgeois garda toujours de cette rencon-
tre un souvenir enthousiaste : « Je lis Théophile tous les huit
jours dans la Presse, et c'est bien toujours là le Théophile
Gautier que j'ai connu dans l'atelier de Du Seigneur et que
j'aimais tant. Vous ne sauriez croire le plaisir que j'éprouve,
moi bourgeois, je devrais dire demi-bourgeois, à apprendre
des nouvelles de ces aimables artistes avec qui j'ai passé des
moments si agréables : Duseigneur, Bion, Nanteuil, Petrus,
puis ce pauvre Bouchardy, Vabre, Léon Clopet : il me semble
que c'est d'hier que je les ai perdus de vue, et cependant voilà
vingt et un ans que j'ai quitté Paris et dix-neuf que je ne vous
ai vu... » Cette lettre est de la fin de 1853; Gérard n'est donc
plus revenu à Agen depuis ce passage en Novembre 1834.
LETTRE VII
(14) Sur les rapports de Gérard et de Renduel, voy. Ad.
JuIIien, le Romantisme et Véditear Renduel.
(lia) La Fille de l'Air de Raupach.
(16) Cette question de la contrefaçon littéraire a toujours
préoccupé Gérard. Voy. la lettre du 17 Novembre 1840.
(17) Roman de Jules Janio. — Une contrefaçon à Bruxelles,
Méline, 1831, in-18.
(18) Douet d'Arcq, l'archiviste.
(19) C'est le moment de la grande raveur pour les romans
maritimes d'E. Corbière, E. Sue, J. Lecomte...
(20) Sur Mme de Souza, voy. Sainte-Beuve, Portraits de
femmes.
(21) Charles Nanteuil, le sculpteur.
(22) Cette lettre à Renduel est donc du 6 Novembre, et l'on
peut établir ainsi, d'après la correspondance, les principales
étapes de ce voyage en Italie : Avignon, Vaucluse, Aix (début
agS
d'Oclobre\ iNice, Gènes, Livoui-nc, llorencc (V6 Octobre),
Civita Vecchia, Rome, Naples, Marseille (4 Novembre), Nîmes,
Agen .
LETTRE VIII
(2;$) Papion du Château a épousé, le 6 Mai 1834, mademoi-
selle de Truchis de Lays.
LETTRE IX
(2i) Je ne connais aucune lettre de d835. Gérard passe
cette année à Paris. C'est l'année delà Bohême avalante et de
l'impasse du Doyenné (le fameux bal est donné le 28 Novem-
bre), — l'année aussi où commence à paraître le Monde dra-
matique. — En 1836, Gérard habite avec Gautier, 3, place du
Carrousel, et commence avec lui, pour Renduel, /es Co/i/(?ss<onf
galantes de deux gentilshommes périgourdins. Au prin-
temps, tous deux partent pour la I3elgi(}ue et peut-être tra-
versent l'Allemagne rhénane. C'est au retour que Gérard tombe
malade à Presles.
(25) Pierre Gautier, le père de Théophile, receveur de l'oc-
troi à Passy.
(2(j)Piquillo, représenté seulement le 31 Octobre 1837, sous
la signature de Dumas, avec Jenny Colon dans le rôle de
Sylvia. Chose assez singulière, l'article du Monde dramati-
que, signé Th. V. est particulièrement sévère pour le livret
(t. V, p. 284).
(27) Sans doute l'Alchimiste, qui ne sera représenté qu'en
1839, et à la Renaissance.
LETTRE X
(28) Elwart, né à Paris en 1808, prix de Rome en 1834,
professeur au Conservatoire. En 18 47, il fera la musique et les
chœurs de l'adaptation d\4icesle, d'H. Lucas (Odéon). De lui
encore, un opéra, resté inédit, sur la Reine de Saba, — le
sujet qui, si longtemps, avait hanté l'imagination de Gérard.
(29) A la Charte de iSJo, Gérard a donné deux articles, ea
2fj6 CORRESPONDANCE
Octobre et Décembre 1836 {le Rhin à Bâle et Une soirée
d'automne) ; il y rédigea ensuite le feuilleton théâtral. — Sa
collaboration à la Presse commence en Juillet 1837.
(30) Lequel? un acte de Leborne.
(31) Guido e Ginevra de Halévy, à l'Opéra, le 9 Mars
4838.
LETTRE XI
(32) Sur ce voyage en Allemagne de 1838, voy. Lorelij
{Du Rhin au Mein). — Décidés à écrire dans le pays même
leur drame de Léo Barckari, les deux amis devaient se ren-
contrer à Franclort. Dumas y arriva le premier. Gérard,
faute d'argent, se faisait attendre. Voici la lettre à laquelle il
répond : « Cher ami, par considération pour vous, j'ai choisi
pour couver l'œuf que vous avez pondu, Francfort sur le Mein,
patrie de notre Gœthe : venez me rejoindre et que l'ombre
de l'auteur de Werther veille sur vous pendant le voyage.
Quoique la ville ne soit pas grande et que je ne sois pas dif-
ficile à trouver, mettez bien dans votre mémoire que je de-
meure à l'hôtel de l'Empereur romain. 11 faut cinq jours
pour venir en s'amusant convenablement en route, tâchez de
n'en mettre que quinze. Je ne suis pas inquiet de vous, pécu-
niairement parlant. J'apprends par Harel qu'il vient de vous
compter douze cents livres; en supposant ([u'il m'ait menti de
moitié, c'est six cents francs que vous devez posséder : je
connais votre manière de voyager; avec six cents francs,
vous feriez le tour du monde. — Tout à vous. Alexandre
Dumas. » (Publ. par Dumas dans le Pays, 7 Juillet 1854.)
(33) Harel avait été préfet des Landes en 1815. La rentrée
des Bourbons lui fit quitter la France jusqu'en 1820. A son
retour, il collabora au Miroir, à la 3/inerve...En 1829, il prit
la direction de l'Odéon et, en 1832, celle de la Porte-Saint-
Martin. Gérard avait connu Harel par l'intermédiaire de
Janin, lors de ses premières tentatives dramatiques. — Cette
somme de douze cents livres était un à compte sur les droits
d'auteur de Léo Burckart.
297
LETTRE XIII
(34) C'est à Dumas surtout (ju'allait cet enthousiasme.
(Sri) On ne sait rien de précis sur ses missions à l'étranger.
On ne peut preuJre au sérieux la boutade d'A. Karr, et Gérard
lui-même s'est contredit à ce sujet. Dans une lettre à son
oncle du 17 Août 18 iO : <( Le souci de mon avenir nVa obligé
à faire trois grands voyages en Allemagne... L'année der-
nière f ai été envoijé en Allemagne par le Ministre de l'In-
térieur, chargé d'une mission». (Fragment publ. par Mlle Julia
Cartier, Un intermédiaire entre la France et l'Allemagne,
Gérard de Nerval.) Voy. encore ci-dessous les lettres du
30 janvier et du 17 Novembre 1840... Mais la lettre au rédac-
teur en chef du Corsaire d'octobre 1830 dit exactement le
contraire.
(36) La Griselidis de Frédéric Halm (Baron de Mùnch-
Bellinghausen). Voy. Lorely. p. 60.
(37) L'étudiant patriote, meurtrier de Kotzebue. On com-
prend à quel point cette tragédie doit, à ce moment, préoccu-
per les deux collaborateurs. A Manheim, où elle s'est dérou-
lée, ils se feront donner par l'acteur Jerrmann les détails les
plus précis. (Lorelg, pp. 40 et suiv.) — Voy. encore la pré-
face de Léo Durckart sur les sociétés secrètes ; Gérard se
défend d'ailleurs d'avoir mis à la scène, sous des noms sup-
posés, Karl Sand et Kotzebue.
(38) En reproduisant dans le Livre (1883) cette même
lettre, A. Houssaye lui donne une fin toute différente : a Avis
à tous les écrivains d'aujourd'hui qui ne savent plus leur
langue! Adieu, rassure-toi sur mon sort. Et d'ailleurs, il
ne faut pas tant de bruit du monde pour faire un galant
homme. Pourvu qii'on aille le soir à l'Opéra, on doit être
content. — Gérard. »
LETTRE XIV
(39) Antenor Joly, le premier directeur de la Renaissance.
Rnij Blas, spectacle d'ouverture (8 Novembre 183S), est joué
juscju'en Janvier 1839. — Dans une autre lettre de 1838, Gérard
i8.
agS COUEVESPONDANGE
recommande à Antenor Joly : Hippolyte Lucas, Forgues,
J. Saadeau, Darthenay, Monnais, Albert Clerc... (Catal.
Charavay).
(40) V Alchimiste représenté, avec le nom seulement de
Dumas, le 10 Avril 1839, à la Renaissance.
(41) Le premier rôle était pour Frederick Lemaître.
LETTRE XV
(42) Léo Barckart représenté, avec la signature seule de
Gérard le 16 Avril 1839 à la Porte-St-Martin.
(43) Il ne reste aucune trace de ce \Dolbreuse, au moins
sous la forme dramatique. Sur une liste autographe de ses
œuvres complètes, remise par Gérard au bibliophile Jacob^
quelques jours avant sa mort, et publiée par l'Intermédiaire
en 1869, figure, comme inédit, un roman du même titre, en
2 volumes.
LETTRE XVI
(44) Gérard réalise en Novembre 1839 le projet de voyage
à Vienne qu'il avait formé un an plus tôt (voy. la lettre du
18 Septembre 1838.) — Le récit du voyage a paru dans la
Presse (28 Janvier, 5 Mars, 29 Juin 1840) et a été repris dans
V Artiste (Novembre 1845, Mars 1846). Une Z,e^/re sur Vienne
datée du 16 Février dans l'Artiste (1840). Les Amours de
Vienne, à9.ns la Revue de Paris (1841).
LETTRE XVII
(43) Je ne sais pourquoi L. de Rare et, après lui, tous les
biographes de Gérard reportent cette lettre, dont l'original
n'est pas daté, à un second voyage à Vienne, durant l'hiver
1841-42. Elle a sa place marquée cependant, entre la lettre du
19 Novembre 1839 et celle du 30 Janvier 1840. — Ce deuxième
séjour à Vienne me paraît d'ailleurs une pure hypothèse sans
preuve. Il y a bien une phrase d'A. Karr ; « la dernière fois
qu'il alla à Vienne... », mais les souvenirs d'A. Karr sont
bourrés d'erreurs. {Le Livre de bord, III, p. 194.) On cite
299
encore un passasse de la lettre à Janinqui sert de préface à Lo-
reli/', il est assez peu convaincant. — Par contre, la lettre du
25 Décembre 18i2 semble bien indiquer que Gérard n'a pas
quitté la France l'hiver précédout. Voy. ci-dessous, note 92.
(4G) Sur la Charte et ta Presse, voy. note 29. — Dans le
Messager, Gérard a publié, en 1838, Du Rhin au Mein, — en
i^'.ii) Emilie o a le fort de Bilche; il y rédige en même
temps le feuilleton dramatique. (Voy. la bibliographie de
M"'' J. Cartier, liu. cit.)
{■il) La dot de sa mère d'abord, puis l'héritage de son on-
cle, une centaine de mille francs, tl'après P. Lacroix. {Inter-
médiaire, 1897, t. H.) Cet argent se perdit dans l'entreprise
du Monde dramatique.
LETTRE XVIII
(48) Lingay, secrétaire de Guizot. — L'ambassade de
France, dit-il encore, n où Je sais désormais reçu sur un
pied d'intimilé. Maintenant que J'ai terminé mon travail et
que Je n'ai plus quà attendre de nouvelles instructions. Je
vais envoyer deux on trois articles aux Journaux ; mais ma
position ne me permet pas de les signer. Je vais écrire celai
pour C Artiste demain, sur les fêtes de sainte Catherine qui
ont eu lieu à Venise la semaine dernière et qui étaient ma-
gnijlques. » (Fragment publ. par J^. de Bare. Ibid.)
(•49) En 4839, la reprise de la guerre entre le sultan Mah-
moud et Méhemet Ali a fait entrer dans une phase nouvelle,
particulièrement dangereuse, l'éternelle question d'Orient. Les
Turcs ont été battus à Nézib le :24Juin,et Mahmoud est mort
le Itr juillet. La France, qui s'est engagée en faveur de Méhé-
met Ali, a sollicité l'action commune des puissances parsanote
du i7 Juillet.
(50; Bériot, le grand violoniste belge, qui épousa la Mali-
bran.
LETTRE XIX
(51) Avant de débuter à Paris en 1845, Marie Pleyel avait
conquis une réputation européenne : elle avait joué à Saint-
300 CORRESPONDANCE
Pétersbourg-, à Leipzig, où Mendelssohn dirigea l'orchestre qui
l'accompagnait. A Vienne l'accueil ne fut pas moins triom-
phal, et Liszt lui-même la conduisit au piano. — Ouant à Gé-
rard, il déclarera plus tard « l'avoir adorée » (Préf.de Lorely).
En Octobre 1840, il la rencontra encore à Bruxelles, où l'a-
vait appelée une maladie de sa mère.
(52) Delaunay a pris la direction de V Artiste après Ricourt,
le 29 Avril 1838.
(53) Lettre sur Vienne, datée du 16 Février. Voy. ci-dessus,
note 44.
LETTRE XX
(54) Même en admettant l'hypothèse d'un deuxième voyage
à Vienne, cette lettre ne pourrait appartenir qu'au premier, et
c'est bien au premier qu'on l'a toujours attribuée. (Voy. les
allusions à la question d'Orient.) Or elle se rattache direc-
tement à la lettre XVIL (Voy. note 45.)
(55) Le Figaro de 1836 et celui de 1837. Voy. A. Karr, le
Livre de bord, III, pp. 196 et suiv.
(56) La traduction de Faust de Sainte-Aulaire, dans la col-
lection des Chefs-d'œuvre des théâtres étrangers,
(57) Le maréchal Marmont.
(58) Gérard est trop optimiste. Le 17 Janvier 1840 a été con-
clue l'entente de la Russie et de l'Angleterre ; le 15 Juillet le
traité des trois puissances laisse la France dans un isolement
d'où elle ne sortira que par la convention de Londres du 13
Juillet 1841.
LETTRE XXI
(59) H. de|Saint-Georges,né en 1801, une des figures les plus
sympathiques du Paris littéraire, librettiste fécond et dandy
impeccable. Voy, la comtesse Dash, Mémoires des autres,
t. VI, pp. 54 suiv.
(60) Ce projet n'a pas été réalisé. Un fragment de lettre de
la collection Spœlberch de Lovenjoul donne l'analyse des deux
derniers actes : un jeune homme se sert du magnétisme pour
3oi
séduire la jeune fille qu'il aime et triompher de son rival. Le
sujet est emprunté an Spectre fiancé d'Hoffmann; l'un des
héros conserve sou nom, Maurice ; la jeune fille prend celui
d'Aurélie, toujours cher à Gérard. (Voy. J. Cartier, liv. cit.,
p. 88.)
(61) Selon le privilège concédé à Anténor Joly, le 30 Septem-
bre 4837, le théâtre de la Renaissance devait être à la fois
« second théâtre franç^ais et second théâtre d'opéra comique».
Huit jours après les débuts des acteurs de drame dans Ruy
Blas, la troupe lyrique s'était présentée avec deux opéras
comiques, Olivier Dasselin ou le Val de Vire et Lady Mel-
vil, celui-ci précisément sur un livret d'H. de Saint-Georges.
— Dans une lettre à Anténor Joly, Gérard parle d'un opéra
comique encore à l'état de projet qu'il doit faire en collabora-
tion avec H. de St-Georges et Monpou (vente du 25 Nov. 85).
(62) Voy. la suscription de la lettre du -4 Novembre 183-i.
(63) La Fille du Régi ment, ']onéc le 11 Février 1840. — La
Reine du jour, opéra comicjue en collaboration avec Scribe,
musique d'Adam. — La Symphonie, un acte, musique de
Clapisson.
(Gi) L' Ambassadrice de Scribe et Auber (1830).
(65) Théâtre de Léopoldstadt, théâtre populaire où l'on joue
des farces locales, dans le faubourg même qu'habite Gérard.
Le théâtre de la Porte de Carinthie donne du Meyerbeer, du
Bellini, du Donizetli. (Voy. les Amours de Vienne.)
(60) Le 24 Février, Gérard écrit à Perrot: il fait à Vienne des
travaux de deux sortes, sérieux et légers ; en post-scriptum :
« Dumas s'est donc marié ? » (Catal. de la vente du 30 Mars
d882.) Dumas avait épousé Ida Ferricr le 5 Février. — Du
25 Février, une autre lettre, à Dumas, dont E. Charavay cite
quelques fragments (Catal. de la vente du 21 Janvier 78) :
a Peut-être series-vous ici plus honoré comme marquis que
comme écrivain... » Sur Munich : « C'est une ville pour les
artistes qui même en sont moins satisfaits qu'on ne pense,
car il y a bien du gâchis dans leurs nouvelles peintures.
Enfin ce n'est pas écrasant... » Sur sa vie à Vienne : « Nous
avons ici Bériot, Liszt et M"^ Pleyel. Cette dernière vient
302 CORRESPONDANCE
ri l'ambassade el nous jouons des proverbes, où Je ne sais
pas mes rôles, devant un parterre de princes et de souve-
rains. »
LETTRE XXII
(67) Dans sa lettre à son père du 30 janvier, Gérard annon-
çait l'intention de faire un voyage dans l'Allemagne du Nord
à son retour de Vienne. Plusieurs lettres, passées en vente
publique et que je n'ai pu retrouver, ont trait au même
voyage. De Carlsruhe une lettre à Dumas, alors à Francfort;
Gérard l'engage à venir à Bade : « D'ailleurs, je doute qu'on
puisse trouver an pays plus charmant ; il n'a que l'inconvé-
nient de laisser douter si l'on n'est pas sur les planches de
l'opéra et si les montagnes ne sont pus des décorations...
Figurez-vous que je n'ai pas encore pu dépenser i5o fr.,
me livrant toutefois aux joies les plus diverses. » — A
Dumas encore, deux autres lettres, de Bade et de Strasbourg.
— De Strasbourg enfin, une lettre datée du 15 Mars et
adressée à Delaunay, directeur de V Artiste ;GéTavA parle de
son dénuement qui ne lui permet pas de rentrer en France ;
il demande le montant de ses articles « un hiver à Vienne » ;
il écrit aussi à la Presse: « Je vais employer ce printemps,
ajoute-t-il, à faire une grande pièce. » (Catal. Charavay).
(68) Voy. note 44.
(69) Edouard Ourliac (1813-1848), encore un des habitués
de l'impasse du Doyenné, et l'un des plus joyeux. Les fan-
taisies de sa gaîté débordante lui valurent d'abord une réelle
popularité. Le roman de Suzanne, en 1840, marque une
transformation très nette de son talent, qui évolue vers le
sérieux et l'émotion. Cette conversion alla jusqu'à en faire
un légitimiste ardent et un collaborateur de l'Univers. (Voy.
les Confessions d'A. Houssaye, — un article de Balzac à la
3e livraison de la Revue Parisienne, — Monselet, Revue de
Paris, 1855.) D'après L. Veuillot, Ourliac, entré au Consti-
tutionnel pour rendre con^pte des petits théâtres, se serait
permis des incursions hardies dans le domaine de la politique.
(70) Vautrin, interdit après une seule représentation à la
3o3
Porte-Sl-Martin (14 Mars 1840). — Voy. la Revue Pari-
sienne de Balzac, 3'' livraison, Septembre 1840.
(71) Alexandre Weill. Gérard l'avait rencontré à Francfort,
en 1830, enj^ae^é dans les rancis de la Jeune Allemagne ; c'est
lui qui le décida à venir à Paris. (Vo)'. la biographie de
M. Robert Dreyfus, Caliiers de la Quinzaine^ IX, 9.)
(72) Entre ce passage en Allemagne au printemps de 1840
et le voyante en Belgi(jue à l'automne, Gérard est donc rentré
à Paris. Le 11 mai 1840, il a repris le feuilleton de la Presse
pendant une absence de Gautier parti pour l'Espagne. Dans
une lettre à Lingay du 23 Juin 1840, Gérard parle de ce
voyage de son ami : « Lui-même s'étonne de s'êlre trouvé si
connu, si loin. » (Calai. Charavay.)
LETTRE XXIII
(73) La lettre de Charpentier (11 Juillet 1840) protestait
contre l'annonce d'une traduction des Deux. Faust de Goethe
par Gérard. 11 réclamait la propriété du titre pour la traduc-
tion d'il. Blaze depuis longtemps annoncée, la seule d'ailleurs
qui fût complète et menaçait Gosselin, l'éditeur de Gérard,
d'un procès.
LETTRE XXIV
(74) Pseudonyme de la Baronne de Bruchez, auteur, en
1840, de Clara de Noirmont.
(7.'i) Les souvenirs du premier voyage en Allemagne dans
la Presse des 20, 29 et 30 juillet 1840.
LETTRE XXVI
(76) Peut-être s'agit-il du Comte de Mansfeld de Paul
Foucher représenté à la Porte-St-Martin, le 30 Novembre
1840. A ce moment, il est question, entre Foucher et Gautier,
d'écrire en collaboration une pièce. V'^oy. la lettre publ. par
Spoelberch de Lovenjoul, Histoire des œuvres de Th. Gau-
tier, t. I, p. 212.
(77) Edouard Thierry, le futur administrateur du Théâtre
3o4 CORRESPONDANCE
français, rédacteur au Moniteur universel^ auteur, en 1833,
du petit volume de vers, les Enfants et les Anges, une des
raretés de la littérature romantique.
(78) La comtesse de Bradi. Elle a collaboré au Livre des
cent un, à la Revue de Paris...
LETTRE XXVII
(79) Avec Jcnny Colon, en représentations à Bruxelles.
Piquillo ne fut joué que le 45 Décembre. (Voy. Faber, His-
toire du théâtre français en Belgique.) A Bruxelles encore,
Gérard retrouva Marie Pleyel. (Voy. Gauthier-Ferrières,
Gérard de Nerval, p. 128.)
(80) Voy. note 72. Gautier ne reprit son feuilleton de la
Presse qu'en Novembre.
(81) Fr. Buloz, commissaire royal à la place de Taylor
depuis 1838, nommé administrateur en septembre 1842.
LETTRE XXVIII
(82) Sur les rapports de Gérard et de Heine, voy. Betz,
Heine in Frankreich, Zurich, 1895, J. Cartier, liv. cit.).
Gérard fut détourné de son travail de traduction par des
préoccupations différentes. Dans une lettre non datée, il prie
Renduel de ne plus compter sur lui pour cela et l'eng-ane à
s'adresser à Marmier : « Xai dans ce moment-ci un travail
énorme pour lequel je pioche depuis longtemps et qui va
commencer à se produire ces Jours-ci par une série d'ar-
ticles dans les journaux. Ce n'est rien moins qu'une
grande association artiste et sociale, appuyée d'ouvrages
importants et qui triomphera ou tombera entièrement pen-
dant l'hiver prochain... » (Catal. Charavay, vente du
12 Novembre 1887.) — Les pièces traduites par Gérard
paraîtront seulement en Juillet-Septembre 1848 à la Revue des
Deux Mondes.
LETTRE XXIX
(83) Voy. la lettre du 4 Novembre 1834 à Renduel. En
3o5
dSil la question de la propriclé littéraire va être à l'ordre du
jour. On connaît le discours de Lamartine, le 30 Mars, sur le
projet de loi élaboré par le gouvernement.
(84) Voy, la lettre du 25 Février i840, à H. de St-Gèorges.
C'est là, pour Gérard, une préoccupation constante. Voy. en
18i.j,sa notice sur Cazotte et, en 1832, tout le volume des
Illuminés.
LETTRE XXXI
(83) La 3« édition de Faust suivie du Second Faust, Paris,
Gosselin. — H. Lucas a fait très régulièrement de la critique
littéraire ou dramatique au Siècle, au National, à l'Artiste.
— Voy. en 1839 son compte-rendu très clogieuxde Léo Bnrc-
kart {l'Artiste, 2e série, t. II, p. 334).
LETTRE XXXII
(86) Au retour à Paris, la correspondance s'interrompt. Peu
à peu, la folie s'empare de Gérard,
LETTRE XXXIII
(87) Sur l'original une longue note manuscrite d'A. Weill :
« Gérard de Nerval m'ayant prié d'aller le voir, j'y allai. On
me fit entrer dans une pièce grillée, au milieu de la cour qu'on
ferma derrière moi. Gérard me reçut cordialement en me disant
qu'il avait une fièvre extatique, qu'on l'avait envoyé dans cette
maison pour le calmer. Au bout de quelque temps, après avoir
regardé les ongles de ma main, il me dit : tu sais que je con-
nais la science occulte des mains, je vois que tu descends
comme moi de bien haut, mais, pour en être sur, il faut que
je voie tes pieds. Déchausse-toi, ùte tes bas et je dirai d'où
tu descends. — Ne voulant pas le contrarier, connaissant son
mal, je me prêtai de bonne grâce à son caprice. J'ùtai mes
botteset meschaussettes, il inspecta religieusement les ongles
et les doigts de mon pied; cela fait, au vu de la femme, la
concierge, qui suivait avec attention nos manèges : Je vais te
montrer les miens. Moi je descends de Napoléon, je suis fils
3o6 CORUESPONDANCE
de Joseph, Irère dcrEmpereiir, qui a reçu ma mère à Dantzig;
toi, tu descends d'Isaïe, tu en as tous les signes. Je ne répon-
dis pas. J'avais hâte de m'en aller ou plutôt j'acceptai les pro-
phéties de mon malheureux ami, sous bénéfice d'inventaire.
« Quel fut mon étonnemenl de voir la concierge me refuser
d'ouvrir la grille. Je ne sais, dit-elle, qui de vous deux est le
plus fou. On vous a probablement envoyé ici pour que je vous
garde malgré vous, fit Gérard de rire de tout son corps. Ils
n'en font pas d'autres, s'écria-t-il. C'est ainsi qu'ils m'ont fait
entrer ici. — J'avais beau protester, jurer, menacer, cogner la
grille, plus je démenais plus la femme était sûre de ma folie.
Force me fut d'attendre le médecin qui vint fort heureusement,
une demi-heure après, me délivrer et me faire ouvrir la porte,
sans toutefois être tout àfait convaincu delà santé dema raison.
Alexandre Weill. » Cette lettre à Alexandre Weill est le l^r
document relatif à la folie de Gérard. Elle apporte une préci-
sion nouvelle. Les biographes de Gérard considèrent comme
le début de cette crise le moment où il a été confié aux soins
du Dr Blanche (21 Mars) ; or, trois semaines plus tôt, il était
déjà interné, rue de Picpus. D'ailleurs c'est le 1er Mars que
Janin a donné aux Débats son fameux article.
LETTRE XXXIV
(88) Lettre écrite en sortant de la maison de la rue de Pic-
pus. Gérard aura quelques jours de liberté ; mais il est loin
d'être guéri. Cinq jours plus tard, on doit le conduire chez le
Di- Esprit Blanche, rue de Norvins, à Montmartre ; il y restera
jusqu'au 21 Novembre.
LETTRE XXXV
(89) Ida Ferrier, l'interprète habituelle des pièces de Du-
mas, depuis Theresa. Le mariage a eu lieu le 5 Février 1840.
La date du 9 Novembre ne peut être exacte, Gérard n'étanl sorti
de la maison de santé que le 21.
(90) Allusion probablement, à Un Mariage sous Louis XV,
représenté au Théâtre français le 1"=^ juin 18-41.
3o7
LKTTKii XXXVI
(01) Lettre écrite à la sortie de la maison Blanche. Eugène
(le Sladler, un des amis les jjIus dévoués et les plus fidèles de
Gérard. Archiviste aux Archives nationales, la protection de
son cousiijPersicfny le fit arriver au poste d'inspecteur s^éoé-
ral des archives départementales. Poète, il a écrit le Bois de
Dctphné. (Voy. la lettre du 22 Mars 1832.) Stadler est mort
en 1873, à l'âge de 39 ans,
LETTRE XXXVII
(92) Ces quelques lignes sont un argument encore contre
l'hypothèse d'un deuxième séjour à Vienne (voy. ci-dessus
note -43). Sur ce triste hiver de 18i2, nous ne savons à peu
près rien et je n'ai retrouvé aucune lettre. Peut-être est-il allé
dans le Valois au printemps ; Jenny Colon meurt le 3 juin
18-i2. A la fin de l'année, le courag^e est revenu; Gérard peut
enfin réaliser son ancien projet de voyage en Orient. Quant à
son excursion sur les côtes de la Grèce et dans l'Archipel, il
est impossihle d'en fixer la date. Ses impressions de voyage
ont paru par fragments dans V Artiste, la Revue des Deux
Mondes, le National, de 184-4 à 1831 (voy. la bibliographie
de .M"'^ Cartier, liv. cit.). En 1848-18.30, Scènes de la vie
orientale, 2 vol. in-8o« En 1831, Voyage en Orient, 2 vol.
in-12, chez Charpentier. — A rapprocher d'E. de Salle, l'au-
teur de .Va/.-o^/a/a à Paris et é\Ali le Renard, 2 volumes
de Pcrégrinationen Orieniou voyage pittoresque historique
et politique en Egypte, Nubie, Syrie, Turquie, Grèce, pen-
dant les années i83y-38-3g. Paris, Pagnerre, 1840.
LETT1\E XXXVIII
(93) C'est Méry encore qui l'accueillera le premier à son
retour de Constantinople. Leurs relations doivent remonter
au temps de la Villcliade. Le Mercure du XIX^ siècle, après
avoir rendu compte du poème de .Méry, publie le 12 août 1826
une Epîlre à M. de Villèle par l'auteur du Cuisinier d'un
grand homme (Gérard) avec cette note : « L'auteur de cette
3o8 CORRESPONDANCE
satire va publier sous quelques jours La Villéleïde ou la Jeu-
nesse du grand homme, ses conversations avec le malin, la
création du monstre, sa mort, sa descente aux enfers, etc. Ce
poème en 5 chants, composé en partie avant que la Villéliade
eût paru, n'a aucun rapport avec elle, mais en peut être le
complément, parce que la Villéliade chante l'avenir et que la
Villéleïde chantera le passé. » (T. XIV, p. 2-47.) La Villé-
léïden'a jamais paru; VEpitre seule est entrée dans le volume
des Elégies nationales. Sur Méry, voy. la notice de G. Bell,
un des grands amis de Gérard,en tête à'Héva [Collection des
romans modernes).
LETTRE XXXIX
(94) Artim-Bey, ambassadeur de Méhémet-Ali.
LETTRE XL
(95) Ibrahim-Pacha, l'organisateur de l'armée de Méhémet-
Ali, le vainqueur des Turcs et le conquérant de la Syrie.
Voy. Eusèbe de Salle, Pérégrinations en Orient, t. I,
p. 219.
(96) Le Dr Perron, Saint- Simonien, appelé par Méhémet-
Ali à la direction de l'école de médecine d'Abou Zabel ; tra-
vailleur acharné, il apprit à fond l'Arabe et le Persan et se
consacra à l'étude de la littérature orientale.
LETTRE XLI
(97) Charles Lambert, un des disciples favoris du P. Enfan-
tin, avait accompagné en Egypte la famille Saint-Simonienne.
Sur ce voyage, voy. les Souvenirs littéraires de Maxime du
Camp, t. II, chap.l9, et l'article de M. P. Bonnefon, Maxime
Du Camp et les Saint-Simoniens, dans la Revue d'histoire
littéraire, Octobre-Décembre 1910.
(98) Linant, conduit en Egypte par ses goûts d'archéologue,
était devenu ingénieur en chef. En 1845, il travaillera aux
premières études en vue du percement de l'isthme de Suez.
(99) Clot-Bey, médecin marseillais engagé en 1823 par un
3o9
a^ent de Méhémet-Ali comme chirurgien en chef, organisa-
teur du service sanitaire de l'armée. Il a publié, en 1840, un
Aperçu gvnrral sur l'Egypte.
(100) l^mile Lubbert, prédécesseur à l'Opéra du D"" Véron.
01)iii?é de (juitter la France à la suite d'affaires malheureuses,
il remplit en Egypte des fonctions assez diverses, tour à tour
ministre de linstruction publicfue, ori^'anisateur de fêtes et de
divertissements. Voy. le portrait qu'en a laissé Maxime du
Camp, Souvenirs lilléraircs, I, p. 335.
(101) Sur le mariage de («érard et sur tous les épisodes du
voyage, voy. le Voyage en Orient.
LETTRE XLII
(102) Il ne reste, dans la correspondance, aucune trace des
étapes intermédiaires du voyage : Beyrouth, le Liban, Saint-
Jean-d'Acre...
LETTRE XLIII
(103) Camille Rogier, le vignetliste, un ami du cénacle.
Avant de s'installer à l'impasse du Doyenné, Gérard avait logé
chez lui, 5, rue des Beaux-Arts. Voy. iNI. Tourneux, l'Age du
romantisme.
(lOi) Gérard a collaboré à ce journal. C'est là qu'a paru
d'abord, le 7 Octobre 18 i3, la lettre à Théophile Gautier, re-
prise plus tard en appendice au Voyage en Orient. La lettre
de Gérard était une réponse à celle que Gautier lui avait écrite
dans la Presse du 25 Juillet.
LETTRE XLIV
(103) Cette lettre, dit L. de Bare, « a été à ce point maculée
par les fumigations et mutilée par les macérations, sans doute
dans quelque quarantaine du chemin — la peste ne sévissant
pas alors dans les Etats européens de sa hautesse ottomane —
(|u il est à peine possible d'en rétablir le sens, au moins de
ses premières feuilles. Nous y perdons une originale descrip-
tion du quartier grec, où notre voyageur avait tout d'abord
3lO CORRESPONDANCii
planté sa tente. Il y est aussi question du retour qui ne peut
plus se faire par Vienne et l'Allemagne — il est déjà trop tard,
attendu la nécessité de remonter le Danube. — Heureusement
le chlore et les ciseaux de ces messieurs du Lazaret ont res-
pecté les dernières pages et je les reproduis fidèlement, »
LETTRE XLV
(106) La Péri, ballet de Th. Gautier et Corally, musique de
Burgmuller, Opéra, Juillet 1843. — La lettre de Gautier, du
25 juillet, adressée « A mon ami Gérard de Nerval au Caire»,
donnait un compte-rendu du ballet ; elle a été réimprimée
dans VHistoire de Fart dramatique (III, p. 70) et dans la
seconde édition du Théâtre.
LETTRE XLVII
(107) Comp. à la fin du Voyage en Orient : « Triste impres-
sion! Je regagne le pays du i'roidet des orages et déjà l'Orient
n'est plus, pour moi, qu'un de ces rêves du matin auxquels
viennent bientôt succéder les ennuis du jour. » — Cette lettre
nous donne la date précise du retour de Gérard.
(108) Voy. la lettre à Renduel du 6 Novembre 183i. — Nous
ne savons rien de plus sur ce nouveau passage de Gérard en
Italie.
(109) Aucune lettre pour l'année 1844. Gérard est rentré à
Paris. Or, c'est là qu'il échappe le plus sûrement et qu'il est
le plus difficile de retrouver sa trace. On le suit beaucoup
mieux dans ses voyages à l'étranger que dans ses pérégrina-
tions à travers la banlieue parisienne.
LETTRE XLIX
(110) A. Busquet a fait au Corsaire ses débuts de journa-
liste; il a collaboré à l'Artiste^ au Pays, etc. Rédacteur en
chef de la Silhouette fondée en Décembre 1844, il a beaucoup
connu Gérard pendant îa dernière partie de sa vie. Lu Sil-
houette donnera de Gérard, en 1849, le Monstre vert et une
réimpression des Femmes du Caire.
NOTIS 3 1 I
(Hl) Dans les Naiis d'octobre, Géraril dit être allé trois
fois en Angleterre. Nous ne connaissons avec certitude qu'un
seul de ces voyages, celui de lS-45. (Voy., dans la Presse du
8 Septembre l!S4o, L'ne nuit à Londres^ article repris dans
V Artiste du 20 septembre ISiG.) On rapporte d'ordinaire au
même moment une pièce de vers non datée, parue dans l'Ar-
tiste en d8-4G, De Ramsgatc à Anvers. Celle-ci pourtant est
antérieure. Nous retrouvons en eftet, en 1877, dans la même
revue, et publiée par A. Houssayc, sans doute sur le manus-
crit original, la même pièce sous ce titre : Voyage rimé,
pages inédites ; mais ici, elle porte une date. Juin 1837. Gérard
aurait donc fait un séjour à Londres en 1837 ou 1836, peut-
être au moment du premier voyage en Belgique. A remar-
([uer d'ailleurs un article sur les Mœurs Anglaises, le 5 dé-
cembre 183G, dans la Charte de i83o. Enfin, A. Houssaye
écrit en 1841 dans V Artiste en parlant de son ami : « Gérard
qui s'en va coucher à Bruxelles ou à Londres aussi facilement
que nous rentrons chez nous... » (2" série,- 1. VII, p. 104).
LETTRE L
(H2) Les Scènes de la vie orientale ont commencé de
paraître à la Revue des Deux Mondes, le 1er Mai 1846 ; elles
continuent le l*"" Juillet, le 15 Septembre, le 15 Décembre, etc.,
et, à intervalles irréguliers, jusqu'en Octobre 1847.
LETTRE LI
(113) La Damnation de Faust, exécutée le 6 Décembre
1846 à l'Opéra comique. Le titre de la partition porte cette
note : « Les morceaux çuillemetés dans ce livret sont em-
pruntés au Faust de Gœthe et traduits par M. Gérard de
Nerval. Une grande partie des scènes 1, 4, 5, 6, 7 et 9 est de
M. A. Gandonnière, tout le reste des paroles est de M. Hector
Berlioz. »
LETTRE LU
(114) Le 7 Mars 1847, le Christophe Colomb de Félicien
3t2 courespondance
David [ode-symphonie) , à la salle du Conservatoire. Voy.
la Revue et Gazette musicale du 14 Mars.
LETTRE LUI
(il5) Limnander, musicien belge, né à Gand et établi à
Maline. Venu à Paris en 1845, il fut présenté à Gérard par
M™' de Girardin. La Gazette musicale du 29 Août 1847
annonce, au 3* théâtre lyrique, dit Opéra national, la prochaine
représentation d'un opéra en 3 actes de Gérard, musique de
Limnander. Il s'agit des Monténégrins qui ne seront joués à
l'Opéra comique que le 31 mars 1849.
LETTRE LIV
(116) Scènes de la vie orientale. Les femmes du Caire.
In-8'', chez Sartorius, 1848. — C'est pendant cette année 1848
que Gérard donne à la Revue des Deux Mondes ses traduc-
tions de Henri Heine (15 Juillet et 15 Septembre).
LETTRE LV
(117) Sur le Dr Aussandou, voy. A. Karr, le Livre de
bord, t. II, p. 135.
LETTRE LVI
(118) En réponse à un article de Champfleury du 7 Mai
1849 (reproduit dans son volume. Grandes figures). Cet ar-
ticle, conçu d'ailleurs dans un esprit de vive sympathie, devait
apparaître, quelques années plus tard, vraiment prophétique:
« Gérard mort serait un grand écrivain ; on accuserait la
société, le gouvernement. Pauvre Gérard ! La belle âme, etc..
Mais Gérard vivant passe inaperçu. » Il y a dans la réponse
de Gérard, dans cette amertume, dans sa façon de discuter
quelques boutades de Champfleury des traces évidentes d'une
certaine surexcitation nerveuse. Depuis le premier accès de
la maladie, il est resté en lui un point douloureux, — peut-
être une inquiétude jamais apaisée. (Voy. la préface de
Lorely, la lettre du 1er Juin 1854...)
.",13
(119) Voy. la lettre du 19 Août 1843.
(120) C'est par une faute d'impression que le nom d'Empis
s'était glissé dans l'article de Champfleury. La direction du
journal rectifia : a Le nom de M.Einpis,traité trop lée^èrcmcnt
par les compositeurs du Messager des théàlres dacadémi-
cicn-pliilolos^ue, ne sort pas de la plume de Champfleury :
il était question, dans le manuscrit, de M. A... »
LETTRE LVII
(121) On ne sait rien sur la collaboration d'H. de St Georges
aux Monténégrins ; la pièce parut sous le nom seulement
d'Alboize et de Gérard. Je conserve à cette lettre la date
donnée par V Amateur d'autographes ; il y a là une erreur
manifeste, la première représentation étant du 31 mars. (Peut-
être faudrait-il corriger : 19 Mars).
(122) Ugalde, dans !e rôle de Béatrice.
(123) Alboizc de Pujol,un des grands fourfiisseurs de théâ-
tre, surtout en collaboration, avec P. Foucher, Anicet Bour-
geois, etc.
LETTRE LVIII
(124) Une" lettre de Gérard adressée à Fiorentino à Londres,
pour lui recommander Stadier, porte la date du 28 Juin 1849
(Catal. Charavay).
LETTRE LIX
(12.^)) En marge, cette note : « 7 fr. 50 le volume. M. Merlin.
Ce volume a de l'intérêt. Il touche aux arts et se fait lire avec
plaisir. On pourrait souscrire à 25 ex. »
LETTRE LX
(126) Après quelques années assez vides, — sur lesquelles
du moins nous savons peu de chose (1844-49), — la série des
voyages reprend. Le 9 Juillet 1850, Gérard parlait à un ami de
pièces de théâtre qu'il était en train de terminer et de la diffi-
«9
3l4 CORRESPONDANCE
culte de les faire jouer. (Vente du 19 Mai 83.) — En Août, il
est en Allemagne ; il passe à Cologne, Francfort, Weimar,
où il assiste aux fêtes en l'honneur de Goethe et de Herder.
(427) Ses impressions de voyage dans la Presse des 8, 18
et 49 Septembre. [Souvenirs de Thuringe, réimprimés dans
Lorely.)
LETTRE LXI
(428) En réponse à un article de T. Legros publié dans le
Corsaire du 30 Octobre 4850, sous le titre : Encore un fan-
taisiste qui tourne au rouge : « Dans le feuilleton dramati-
que de la Presse, où il supplée temporairement M, Théophile
Gautier, M. Gérard de Nerval se met à écrire contre la réac-
tion. Il arbore la cocarde de la démocratie. Il s'élève contre
les Foires aux Idées et les Saisons Vivantes, pièces hideuses,
dit-il, qui déshonorent le vaudeville depuis deux ans. On
concevrait à la rigueur une pareille bouffée de colère de la
part d'un socialiste de vieille roche... Pas un homme de let-
tres n'ignore que, sous la monarchie de Louis-Philippe,
M. Gérard de Nerval était plus royaliste que le roi... Sous le
gouvernement de Juillet, il était employé à V Esprit public.
Bien plus, il obtenait des missions du ministère de l'instruc-
tion publique. C'est ainsi qu'il est allé en Allemagne et en
Egypte... « , . _
(129) Sur les missions de Gérard, voy. Note 33.
LETTRE LXII
(430) Je ne sais pourquoi A. Houssaye date cette lettre de
la fin de l'été 4854. L'Abbé de Bucquoy parait dans le Natio-
nal en Octobre-Décembre 4850. Cette excursion dans le Valois
doit se placer vers le milieu de Novembre. (Voy. le feuilleton
du 13 Novembre.)
LETTRE LXIII
(431) G. Charpentier, éditeur, en 1831, du Voyage en Orient
(2 vol. in-18).
3i5
(132) Bida ;ivail exposé en i^il non Café ù Conslaiilinnjde
cl un Café sur le Bosphore, — en 18iS des Femmes turques
dans un cimetière, une Boutique ù Constantinople, — en
ISlD un Marché d'esclaves circassiennes,en I80O un Barbier
arménien... — Il n'a pas élc fait d'édition illustrée du Voyage
en Orient.
LETTRE LXIV
(133) Lettres de lady Mary Wortley Montague pendant son
séjour en Orient. (Trad. françaises en 1804, 4805, 181G.)
LETTRE LXVI
(134) Histoire de la Reine du matin et de Soliman, prince
des Génies, légende contée dans un café de Stamboul.
LETTRE LXVII
(1.3o) Traduction de Misanthropie et Repentir deKotzebue,
représentée seulement le 2.S Juillet 18.ji3, La pièce n'avait pas
été soumise au comité; elle fut vraisemblablement commandée
à Gérard par A. Houssaye; c'était un moyen délicat de venir
à son aide, en faisant des avances sur ses futurs droits d'au-
teur. (Renseignement communiqué par M. Couct.) — Voy.
lettre du 4 Octobre 18.j2.
LETTRE LXVIII
(136) Perret, chef de bureau des théâtres au ministère de
l'intérieur.
LETTRE LXIX
(137) Marc Fournier, encore un auteur dramatique devenu
directeur. Il avait écrit au iValional, à l'Artiste, à la Presse.
Il prit la direction de la Porle-Saint-Martin en I80I. C'est lui
(jui a monté l'I/nar/ier le 27 Décembre 1851. Les fatigues de
la pièce, les déceptions de Gérard devant son médiocre succès
le mettent dans un état de santé qui,au début de 1852, inspire
3i6
CORRESPOISDANCE
à ses amis des inquiétudes sérieuses. Mais ce n'est qu'une
fausse alerte.
LETTRE LXX
(138) Verteuil, le premier des quatre secrétaires de Hous-
saye à la direction du Théâtre français. Il s'agit du Bois de
Daphné, comédie antique en 2 actes et en vers; elle fut
repoussée par le comité, sauf les voix de Houssaye et de
Brohan. (Voy. Houssaye, Conjessions, I, p. 382.) En avril,
Gérard la propose encore à Marc Fournier^ directeur de la
Porte-Saint-Martin : « C'est grand,c'est même spirituel : Ceci
n'est pas toujours une recommandation au point de vue des
recettes, mais cela peut être fort bien accepté par le public,
comme contraste avec un de ces spectacles essentiellement
populaires qu il convientde donnera cethéâtre. L'art sérieux
y doit garder une place, pourvu qu'il ne se la fasse pas
trop grande. » (Lettre du 29 Avril 1852, Catal. Charavay.) —
La pièce, non représentée, parut en librairie en Juillet.
LETTRE LXXI
(139) Ce voyage a fourni la matière d'un article à la Revue
des Deux-Mondes (13 Juin 1852) : Les fêtes de Mai en Hol-
lande.
(140) Noël Parfait, représentant du peuple, inscrit sur la
liste d'expulsion du 9 Janvier 1832. Dumas l'accueillit à
Bruxelles dans son appartement, 73, boulevard Waterloo ; en
échange de cette hospitalité. Parfait faisait office de secré-
taire. Voy. Charles Hugo, les Hommes de l'exil.
(141) Ed. Gorges qui publiera en 1856 un roman posthume
de Gérard, le Marquis de Faijolle.
LETTRE LXXII
(1-42) Méry a consacré à Gérard une série d'articles dans
l'Univers illustré, en août 1864. Il s'étend surtout sur leurs
relations d'amitié et sur leur collaboration: « J'ai eu l'honneur
de collaborer avec Gérard de Nerval. Nous avons fait ensem-
3,7
ble trois grands ouvrages dramatiques, assis côte à côte de-
vant la même table et nous servant de la même plume. Nous
no nous sommes pas quittés pendant trois ans. » Du premier
de ces trois ouvrages, il ne reste rien ; c'était une grande
pièce, écrite en 1848, avec un troisième collaborateur, Paul
Bocage, et destinée à l'Odéon ; « le chant, la danse et la féerie
abondaient dans cet ouvrage qui, pour scène, avait l'univers
avec ses cinr] parties géographiques »; pour le titre, ils hési-
taient; probablement de Paris à Pékin... Mais la pièce, mise
en répétitions fut retirée avant la première. Méry donne encore
des renseignements sur le Chariot d'enfant et sur V Imagier,
qui d'abord fut chaleureusement accueilli, mais ne réussit pas
à attirer le public.
(143) Comptant sur un gros succès, Gérard avait dépensé
sans compter. Au le"" Janvier, il avait tenu à offrir des cadeaux
à tous les artistes et Méry avait payé. — Pour l'argent que
lui avait avancé Porcher, l'agent théâtral, voy. la lettre du
4 Octobre 32.
LETTRE LXXIII
(144) Jules de Premaray(Regnault), devenu, après des débuts
assez difficiles, rédacteur en chef de la Patrie, où il soutint la
candidature du général Cavaignac. Il se cantonna ensuite dans
le domaine purement littéraire, et se réserva, avec de nom-
breuses chroniques, le feuilleton du lundi. La lettre de Gérard
a été écrite entre l'apparition de Lorelij et celle des Illuminés.
LETTRE LXXV
(145) Probablement Si/lvie, qui paraîtra seulement un an
plus tard. Du 15 Juin 52 {les Fêtes de Mai en Hollande) au
15 Août 5)5, la Revue des Deux Mondes n'a rien donné de
Gérard.
(146) Il est question de cette chasse à la loutre dans les
Xuits d'octobre, publiées par l'Illustration en 1832. Voy. la
Bohème galante,^. 222.
»9-
3l8 CORRESPONDANCE
LETTRE LXXVI
(147) MUe J. Cartier rapporte cette lettre aux « derniers
jours de Gérard ». C'est une erreur évidente. Nous avons ici
comme un premier crayon du délicieux épisode de Sylvie; il
faut adopter comme date,soit l'été de 1852 (voy. la lettre pré-
cédente), soit le printemps de 1853 (voy. G. Bell, Gérard de
Nerval, p. 41). « Je possède et je garde précieusement, écrit
Méry dans V Univers illustré, une belle copie d'un chef-d'œu-
vre de Gérard, Sylvie, et ce n'est pas celle-là qu'il a donnée à
la Revue des Deux Mondes ; elle n'était pas encore au degré
de perfection qu'il voulait atteindre toujours.» (Articles cités.)
LETTRE LXXVII
(148) Sur Misanthropie et Repentir, voy. la lettre du 9 No-
vembre 1851. A, Houssaye a pris la direction de l'Artiste
après Delaunay, en Janvier 1844, tome V de la 3<> série. Por-
cher est l'agent théâtral qui acheta pour cent francs à Gérard
son vaudeville, le Pruneau de Tours (voy. M. Tourneux).
LETTRE LXXVIII
(149) A. NefTtzer, entré à la Presse en 1844, fondateur du
Temps en 1861. La note en question est relative au volume
les Illuminés.
(150) Emile Fontaine, auteur dramatique, journaliste légi-
timiste au Globe, à f Uni on... Monselet avait connu Gérard en
1846, dans les bureaux de l'Artiste. (Voy. Portraits après
décès.)
LETTRE LXXX
(151) Sans doute les Petits châteaux de Bohême (E. Di-
dier),
LETTRE LXXXI
fl52) A rapprocher de la lettre à Perrot du 20 Novembre
1851. La demande de Gérard fut accueillie, après de longs
3i9
retards. C'est ce qui ressort d'une lettre du D' Blanche du il
octobre 1833 : a Monsieur, il ne sera pas nécessaire que Gé-
rard vous donne une procuration pour que vous puissiez tou-
cher l'indeninilé allouée par le ministère d'Etat, (^etle somme
de iOO fr. doit cire comptée par l'administrateur du Théâtre
Français, et il a été convenu avec M. Camille Doucet que je
vous prierais de vous rencontrer avec moi chez lui, jeudi, à
l'heure qui vous sera commode. Veuillez donc m'écrire un
mot à ce sujet. Gérard ne va pas encore bien... » Je relève
dans les catalogues dt ventes du 30 Mai 1877 et du 28 Nov.
187G,deux reçus siç^nés de Gérard : l'un du 8 avril 1854 pour
une somme de ^50 Fr. à titre d'encourajçemenl comme auteur
dramatique, l'autre de GOU fr. pour une mission littéraire eu
Orient (?).
LETTRE LXXXII
(1."j3) Allusion à la transformation du Moniteur universel,
l'organe ofKciel dont Fould a voulu l'aire aussi le premier
journal littéraire français. Louis de Cormenin resta rédacteur
en chef de Novembre 32 à Juillet 33. Voy. les Souvenirs de
Maxime Du Camp.
LETTRE LXXXIII
(134) La collection Diamant d'Eugène Didier, dans laquelle
Gérard a publié ses Petits châteaux de Bohême. Il n'y est
entré aucun volume d'H. Blaze.
LETTRE LXXXIV
(133) La petite-fille de Lucien Bonaparte, née vers 1834,
avait épousé à 10 ans Frédéric de Solms. Engagée de bonne
heure dans une opposition très vive contre son cousin le
prince Louis, son salon s'ouvrait à la fois à des patriotes
étrangers, aux chefs du parti démocratique et aux littérateurs.
Voy. la brochure d'E. Sue, Une page de l'histoire de mes
livres, 1837,
320 CORRESPONDANCE
LETTRE LXXXV
(156) Au printemps de 1853, Gérard passe deux mois à ]a
maison Dubois, où il est soigné pour un transport au cerveau.
Pendant sa convalescence il part pour le Valois.- — Je ne sais à
quel moment précis, en 1853, doit se placer le projet de voyage
à Berlin dont il parle dans une lettre au D>" Blanche : « V étude
des monuments et des découvertes orientales de M. Lepsius
me servira sans doute à m'acquitter en partie, touchant la
mission que vous savez. » (B^ragment cité par Champfleury.)
(157) Voyage d'Août 1850.
(158) Dans une lettre à Dumas, non datée, il est question
d'un projet de drame intitulé les deux Faust, que Gérard
doit faire en collaboration avec Liszt.
LETTRE LXXXVI
(159) Stadler était parti en voyage dans le midi de la
France. Son portrait par Timbal figura au salon de 1853.
(ICO) Georges Bell.
LETTRE LXXXVII
(161) Voici ce qu'en dit Théophile Gautier, dans son feuille-
ton de la Presse du 9 Juillet 1853 : (( N'oublions pas notre
ami Eugène de Stadler, le poète du Bois de Daphné, une des
plus pures études antiques que l'on ait faites, dont la belle
tête allemande et la longue barbe blonde ont fourni l'occasion
d'un excellent portrait, d'une vie singulière et d'une ressem-
blance parfaite à M. Timbal, auteur d'une Vierge au pré-
toire pendant la flagellation du Christ, qui ne manque pas
de mérite. »
LETTRE LXXXVIII
(162) Note manuscrite : « Envoyé à la Presse l'exemplaire
pour M. Liniayrac et prévenu ce dernier par lettre du 1-4 Juillet
1853. y> — D'une lettre à Limayrac, datée du 31 Juillet (Li-
mayrac rédigeait à la Presse le feuilleton de critique litté-
321
raire) : « Sauvez -moi de Venoie,voas qui répandez la lumière
et qui lancez la foudre. Comment vous remercier? En
regrettant d'abord de m'ètre ejcposé à votre seule critique,
et cela par négligence. Le titre Précurseurs du Socialisme
est un faux titre tj-ès réel. Je V avais donné à l'éditeur dans
la pensée d'un ouvrage plus considérable avec d'autres bio-
graphies qui citaient au livre le caractère que vous suppo-
sez : il ne se montré pas à l'intérieur des pages. » (Catal.
Charavay, vente du 17 Nov, 187G.)
LETTRE LXXXIX
(163) Deligny, le librettiste.
LETTRE XG
(104) Encore un projet dramatique qui avorta. De la main
d'Hfppolyte Lucas, sur l'original de la lettre,cette note manus-
crite (jue M. Ijéo Lucas a eu l'obligeance de me communi-
quer : « Voici une des dernières lettres que j'ai reçues de
Gérard de Nerval. Il s'agissait, autant que je puis m'en souve-
nir,d'adapter un nouveau poème à la flûte enchantée de Mozart.
Gérard m'avait apporté un scénario et je lui avais, en retour,
communiqué une pièce intitulée Aurore, qui est imprimée
dans le répertoire des Variétés étrangères. C'est après avoir
lu cette comédie, tirée de l'allemand, qu'il me répondit les
lignes suivantes... » Et à la fin de la lettre : a. J'attendis
Gérard, il ne vint pas, » — Il ne reste rien de ce Francesco ;
la liste autographe que Gérard a laissée de ses œuvres nous
en donne le titre complet : Francesco Colonna.
LETTRE XCI
(1G5) Le H Février d8o3, Gérard, dans une lettre à De
Mars, s'excusait de ne pouvoir arriver à terminer son article
pour la Revue des Deux Mondes : « Je n'arrive pas. C'est
déplorable. Cela tient peut-être à vouloir trop bien faire...
Je vais toujours néanmoins, si Je puis aller, car ce n'est
pas maladie réelle, mais lourdeur d'esprit. J'écrirais tout
322 CORRESPONDANCE
autre chose... » (Catal. Charavay). Cette difficulté à travailler
ne fera que s'aggraver jusqu'à la fin, avec les angoisses
qu'elle provoque. Sylvie paraît le 15 Août à la Revue; une
lettre passée en vente publique annonce qu'il en sera fait un
tirage à part. (Ventes du 7 Dec. 1865 et du 17 Juin 1870.) —
Gérard est conduit, le 26 Août, à l'hospice de la Charité et le
27, à la maison Blanche, à Passy; il y reste jusqu'au 27 Mai
1854.
LETTRE XCÏI
(166) Voy. Aurélia, pp. 101 et suiv.
LETTRE XCIII
(167) Au bas du billet, ces mots : a Monsieur de Stadler
peut venir voir M. Gérard tous les jours de 1 h. à 4 h. —
E. Blanche. » — Peut-être ce billet a-t-il été écrit lors de la
dernière crise, en août 54.
LETTRE XCIV
(168) De la main du Dr Blanche : « J'engage les amis de
M. Gérard à venir l'un après l'autre et pas ensemble. —
E. Blanche. »
(169) Allusion au portrait de Timbal. Voy. ci-dessus, note
161.
LETTRE XGV
(170) Article de Gautier dans la Presse, le5 Septembre 1853:
Courses de taureaux à Saint-Esprit.
LETTRE XCVl
(171) Auguste de Chatillon, peintre et littérateur, l'auteur de
la Grand'Pinte. C'est un des plus anciens amis de Gérard,
un des camarades de la Bohème. Lors du fameux bal du
28 Nov. 1835, à la rue du Doyenné, il avait concouru à la dé-
coration de la salle avec un panneau bien romantique : un
3^3
« moine rouage lisant la bihlc sur la hanche cambrée d'une
femme nue qui dort ». [Petils châteaux de Bohême, p. il.)
(172) Antoni Deschamps a toujours été un passionné de
musique. — Depuis une vingtaine d années déjà, sans renon-
cer pour cela à son travail ni à ses amitiés, en conservant au
contraire toute liberté d'allure, il avait cherclié un asile à la
maison Blanche ; il y resta jusiju'à sa mort. Voy. ci-dessous,
lettres de Munich et de Leipzig en Juin 1854.
LETTRE XCVII
(173) Gacman le brave, Odéon, 19 Septembre 1853. Allu-
sion au récit de José (acte II, se. i).
LETTRE XCVIII
(174) Note manuscrite du D"" Blanche : « Je serais bien aise
(le voir Monsieur de Stadler, demain samedi dans la journée,
ou dimanche matin. — E. Blanche. » (Voy. sa lettre du
11 Octobre, ci-dessus, note 152.)
LETTRE XCIX
(175) En tète de la première page, cerclé de rouge, un des-
sin assez confus : une mosquée avec quelques caractères ara-
bes; au-dessous, ce mot en lettres grecques loTaaooX'îa et cette
note : a Ceci est un souvenir de tes études orientales et de
mes voyages. »
(176) Voy. Aurélia.
(177) L'écriture devient ici e( reste jusqu'au dernier tiers
de la lettre visiblement plus nerveuse.
(178) Voy. la lettre à Papion du Château en 1832.
(179) Ed. Ferey, un des fondateurs, avec Maurice Alhoy et
Pawlowski, en 1834, de VOnrs, journal rédigé par une
société de bétes ayant bec et onrjles.
(180) La protection de Lingay avait été précieuse à Gérard,
lors de son séjour à Vienne. (Voy. lettre du 2 Dec. 1839.)
LETTRE C
(181) En tète, le même dessin que sur la précédente.
324 CORRESPONDANCE
(182) Dans un article d'A. Houssaye (l'Artiste, 1875) :
ce Pendant ses visions, Gérard parlait plus que jamais de son
petit champ de terre de Morfontaine. Voici ce que m'écrivait
sa tante Labrunie : « Il possédait un morceau de terrain
« appelé Nerval, qu'il évaluait à 1300 fr.; on a souvent voulu
« abuser de sa position en lui offrant la moitié de la somme
« que l'on donnerait encore. La personne qui jouit de cette
« propriété porte notre nom sans être de notre lamille. Gérard
« la voyait quelquefois et l'appelait aussi ma tante. »
LETTRE Cï
(183) Toujours l'ancienne chimère. — On retrouve, d'ailleurs,
dans cette lettre toutes les rêveries ordinaires de Gérard.
LETTRE Cil
(184) Du même jour encore, Champfïeury cite un autre
fragment de lettre de Gérard à l'un de ses cousins M. C...,
commerçant à Agen. // va bien et se sent tout à fait guéri
d'une sorte d'exaltation due à ses travaux et à ses nombreux
voyages. Il voudrait aller auprès de lui, car, dit-il, je sens
que l'air du pays me ferait grand bien... Si vous êtes tou-
jours associé de la Maison R... s, de Bordeaux, je serai
heureux de mettre à votreservice quelques idées ou inventions
que j'ai conçues. — Sur ce cousin voy. note 13.
LETTRE cm
(183) Giraud, éditeur des Filles du Feu, en Janvier 1854.
LETTRE CIV
(186) Pandora paraîtra dans le Mousquetaire seulement en
Octobre 1834. Mais il n'est pas juste de croire, comme on le
dit d'ordinaire, que cette nouvelle hallucinante a été écrite
pendant le dernier voyage en Allemagne.
LETTRE CV
(187) Emilie ou le fort de Biiche,kla fin des Filles du feu.
325
(188) Dans une lettre du 4 Dec. 1853, Gérard prie Dumas
de roclanier la copie qu'il a remise à Francis W ey et de l'in-
sérer dans son journal. Il lui demande de ne pas publier les
lettres qu'il a écrites étant encore sous l'impression de la ma-
ladie (Vente du 6 Mai 1878, Catal. Charavay.)
LETTRK CVII
(189) Georges Bell (Joachim Ilounaul, né en 1827, un des
premiers biographes de Gérard est, avec Stadler et Houssaye,
un de ses amis les plus fidèles et les plus attentifs, pendant
ses dernières années. (V'oy. Ph. Auilebrand, A. Dumas à la
Maison d'or, p. 321.) G. Bell, en reproduisant cette lettre et la
suivante, n'en donne pas la date précise. Il est probable que
ce sont les deux lettres du 23 Sept, et du 4 Dec. 53, passées
en vente publique le G Mai 1878.
(l'JO) Comp. ce fragment d'une lettre non datée à E. Blan-
che, publiée par Champtleury : « Une fois débarrassé de mes
inquiétudes, Je sortirai, selon le conseil d'Anton//, de cette
disposition à n'écrire que des impressions personnelles qui
vient de ce que Je tourne dans un cercle étroit. »
LETTRE CIX
(191) Francis Wey, le compatriote et ami de Charles Nodier,
inspecteur général des archives départementales, président de
la Société des gens de lettres depuis 1853. — A ce moment
encore, Gérard forme des projets dramatiques. Dans une let-
tre à Michel Carré, du 7 Mars 1854, il lui propose de mettre
en musique sa petite pièce Corilla, inspirée par les aventures
de M"« Colombe, artiste du xviii'J siècle. (Catal. Charavay.)
Corilla a paru en 1853 dans les Petits Châteaux de Bohême.
En 1879, l'Artiste la reprendra sous ce titre nouveau : les
Deux Rendez-vous, intermède. (Ici, Corilla devient la Signora
Mercedes.)
LETTRE CXII
(192) Il s'agit encore du Voyage en Orient, édit. Charpen-
tier.
326
GORRESPONDANCK
LETTRE CXIV
(193) La lettre à laquelle répond Gérard, signée « Bamps,
docteur eu droit, attaché au ministère de la justice », est datée
de Bruxelles le 20 Mars d854. C'est une demande de rensei-
gnements : « Voici, Monsieur, de quoi il s'agit. Un nommé
Ernest Constant se disant réfugié politique est venu me prier,
il y a deux jours, de lui rendre un service... »
LETTRE CXV
(19.4) Après Sylvie, Gérard n'a plus rien donné à la Revue
des Deux Mondes.
LETTRE CXVI
(195) Sorti de la maison Blanche le 27 Mai 1854, Gérard
part aussitôt pour l'Allemagne.
(196) Il ne reste, hors de la correspondance, aucune rela-
tion de ce dernier voyage. Sur ses projets, voy. ci-dessous la
lettre à Godefroy du 23 Septembre 1854.
(197) Le banquier Moïse Millaud,né à Bordeaux enl813,ras-
socié de Mirés, un des créateurs du journalisme d'afFaires;
personne encore n'avait aussi nettement compris quel peut
être le rôle industriel et commercial de la presse. Avec cela,
très versé dans le monde littéraire, très généreux...
(198) Joseph Cohen, né à Marseille en 1817, rédacteur en
chef du Pays.
(199) « Il faut savoir qu'à cette époque le dit Villedeuil était
en train de manger une fortune énorme en extravagances de
toutes sortes. » (Note d'A. Busquet.)
(200) Busquet donne un fragment d'une autre lettre reçue
quelques jours après, a d'Ems ou de Wiesbaden » : Décidé-
ment, mon bon ami, je n'ai pas besoin de manteau. Je m'é-
tais Jî g uré que l'air du Taunus était vif et qu'un vêlement
chaud me serait nécessaire dans la montagne. Je vois que
je puis m'en passer. Il vaut mieux payer Villedeuil,
(201) D'accord avec A. Houssaye, directeur de l'Artiste, et
avec le concours de Gautier et Louis de Cormenin, Maxime
327
Du Camp avait fait revivre l'ancienne Revue de Paris. (Voy.
Sonnenirs litlrraires, t. H, p. ('».) C'est là ifue paraîtra, le
1er Janvier 1835, la première partie d'Aiirelia. — En ^8o3-5i,
Maxime Du Camp est passé par ime crise nerveuse qui pou-
vait être inquiétante. Voy. en 183;^ le Livre posthume, ini'-
moire cVan suicidé, et les lettres publiées par M. P. BonncFon
(art. cité).
(202) Z,e Pays, l'ancien Journal des volontés de la France
devenu Journal de l'empire. Dumas y publie, en Juillet 1834,
des souvenirs sur son voyage en Allemagne avec Gérard en
4838.
LETTRE CXVII
(203) C'est là comme une idée fixe. A rapprocher ce frag-
ment de lettre publié parChampfleury : <( Je vous prie de m' ex-
cuser auprès de ces dames de l'excentricité prolongée qui m'a
fait prendre trop au sérieux la prétention des poètes à la
descendance de Jupiter et d'Apollon. ..Cette généalogie m'est
un trop grand honneur que je ne devais pas surtout me
décerner à moi-même. »
LETTRE CXVIII
(204) La guerre contre la Russie, engagée depuis le 27 Mars.
(203) Voy. les lettres à A. Dumas de Septembre 1838.
(206) Au début de l'été de 1833. Voy. Aurélia, p. 97.
(207) Voy. la lettre à Dumas, en tète des Filles du Feu. —
Le 31 Octobre 183i, le journal de Dumas, le Mousquetaire,
|) ibliera la première partie de l'efïrayante Pandora; quant à
la deuxième partie, elle a été imprimée, mais on n'a pas osé
l:i faire passer. Ml'e J. Cartier (//y. cit., p. 68) en cite quel-
(jues lignes d'après une feuille d'épreuves qui appartient à la
collection Spoelberch de Lovenjoul.
(208) La brochure d'Eugène de Mirecourt, avec un portrait
dessiné et gravé par E. Gervais, avait été communiquée à
Gérard par un bibliophile de Strasbourg, Charles Mehl. Sur les
marges de l'exemplaire et du portrait, Gérard a crayonna des
SaS CORRESPONDANCE
annotations à peu près inintelligibles et des coq-à-l'âne gra-
phiques » (note de M. M. Tourneux).
(209) Allusion à la caricature de Nadar, dans la collection
des Binettes contemporaines de Citrouillard. Cette carica-
ture nous présente un Gérard poussé au grotesque, mais du
moins bien vivant et joyeusement campé.
(210) Moïse Saphir, l'humoriste allemand qui rédigea à
Vienne V Humoriste depuis 1837. — A Karr, dans le Livre de
Bord, cite encore un fragment de lettre de Gérard : « On m'a
demandé ici des renseignements sur les écrivains Jrançais
contemporains ; vous m' avez rapporté 200 francs pour votre
part; cette considération vous fera pardonner, fen suis
certain, quelques détails peut-être un peu intimes. »
(2H) Philibert Audebrand.
(212) Allusion aux attaques de Mirecourt contre A. Dumas.
LETTRE CXX
(213) M'ie J. Cartier cite un fragment d'une lettre à son
père, antérieure de quelques jours(Bade, 31 Mai) : « C'est toi
qui m'as appris cette langue, Je te dois donc le peu de
gloire que j'ai retiré de mes traductions. »
LETTRE CXXI
(214) En allant à Vienne, Gérard s'est arrêté à Munich
(1839). Voy. Un jour à Munich dans l'introduction du
Voyage en Orient. (Publ. d'abord dans la Presse.)
(215) Sur Wagner et Liszt, voy., dans Lorely, les Souvenirs
de Thuringe (voyage de 1850).
LETTRE CXXII
(216) Le passe-port, délivré à Gérard le 14 avril 1854, por-
tait la mention : « Bon pour traverser l'Autriche » (Cartier,
p. 67).
LETTRE CXXIV
(217) Voy. la lettre du 29 Juillet 1853 et la note 165.
329
LETTRE CXXV
(218) Mlle J, Cartier signale, de Leipzig, une lettre au
Dr Lal)runie du 29 Juin (Collection Houssaye), et une lettre à
Sartorius du 30 Juin (Collection Spoelberch de Lovcnjoul).
LETTRE CXXVI
(219) Brouillon de lettre inachevée. Sur l'original, cette
note manuscrite de Chanipfleury : a Lettre de Gérard pendant
sa folie. On l'a retrouvée telle quelle dans ses papiers. C-y. »
Il n'y a pourtant rien que de raisonnable dans ce billet. — Il
est vrai que l'on ne retrouve plus que par intervalles, durant
ce dernier voyage, cette gaîté saine qui avait animé jusqu'ici
toutes ses lettres écrites de l'étranger. (Voy. la lettre sui-
vante.) La maladie a accordé un répit; mais à ces inquiétudes,
à cette exaltation nerveuse, on peut prévoir une reprise pro-
chaine.
LETTRE CXXVIII
(220) Voici donc, d'après la correspondance, les étapes du
voyage : Strasbourg et Bade (30 mai-4 Juin). Augsbourg.
Munich. Donauwerth (20 Juin). Nuremberg. Banibera:
(26 Juin). Neuenmarket (27 Juin). Leipzig (30 Juin). VVeimar.
Cassel. Francfort (13 Juillet). Mayence. — D'après le passe-
port cité par M'ie Cartier, il part de Forbach pour Paris le
18 Juillet. — Le 8 Août, il faut de nouveau l'enfermer à la
maison de Passy.
LETTRE CXXIX
(221) L'éditeur Dutacq, le créateur du Siècle. — Voy. A.
Karr, le Livre de bord (III, p. 310).
(222) Devant la surexcitation de son malade, le Dr Blanche
avait dû le priver de sorties dans Paris. C'est alors qu'il fit
appel au comité de la Société des gens de lettres. Champ-
fleury nous a conservé le procès-verbal signé précisément de
Godefroy : « Nous soussignés, amis de M. Gérard de Nervd,
33o CORRESPONDANCE
homme de lettres, avons l'honneur de prier M. le docteur
Blanche de vouloir bien autoriser la sortie de M. Gérard de
Nerval, ainsi que l'enlèvement de tout ce qui lui appartient, et
ce en conformité des règlements qui régissent la maison dont
il est le directeur et le propriétaire. Paris, le 9 octobre 1854.
Godefroy, avocat, v A la suite, ce billet : « Cher Monsieur,
Voici Gérard qui veut que je lui signe ce papier et, comme je
n'ai rien à lui refuser^ je signe, m'en rapportant tout à fait à
ce qui est plus facile à faire. Je vous dis mille bonjours. J.
Janin. » {Grandes figures, p. 218.)
LETTRE CXXX
(223) C'est deuxjours après cette lettre, le 19 Octobre, que
le Dr Blanche se vit contraint de rendre la liberté à son
malade. — Le 2i Octobre 1854, Gérard tout joyeux écrira
à Sartorius : « Je conviens officiellement que fai été
malade. Je ne puis convenir que fai été fou, ou même
halluciné... Si f offense la médecine, je me Jetterai à ses
genoux quand elle prendra les traits d'une déesse. » (Frag-
ment cité par A. Barine et Champfleury; c'est celui-ci qui
donne la date, mais, d'après lui, la lettre serait adressée à
Antoni Deschamps.)
LETTRE CXXXI
(224) Voy. ci-dessus note 222. Cette lettre est écrite au
crayon, sur une feuille d'épreuves d'Aurélia.
(225) Dans ses derniers mois,Gérard avait en tête de grands
projets dramatiques. Le 4*^ numéro de la Propriété littéraire
et artistique (15 Févr. 1855) conte à ce sujet une aventure
assez étrange, et que rien par ailleurs n'a confirmée : « Au
mois de Novembre dernier », Gérard porte « à l'un de nos prin-
cipaux théâtres » une pièce qu'il venait de finir. « Etait-ce le
Don Japhet d'Arménie de Scarron, ou le drame de Kotzebue,
Misant/iropie et Repentir,que nons savons qu'il voulait remet-
tre à la scène? Il laisse le manuscrit sur le bureau du direc-
teur. Trois jours après, il le lui redemande. Le manuscrit
NOTES 33l
avait disparu.Un garçon de bureau siefnalc M. X..., dramaturge
bien connu, comme ayant pénétré dans le bureau après Gérard.
Appelé par M. H..., le directeur, le dramaturge avoue sans
hésiter et déclare (|u'il ne peut le rendre et qu'il a déjà refait
le premier acte. Et etFectivement il ne le rendit jamais. »
LETTRE CXXXII
(226) « Je publiais à ce moment-là, dans un journal parisien,
une Galerie des célébrités contemporaines . J'avais tout natu-
rellement ouvert cette série par la biographie de Gérard de
Nerval... On était aux premiers jours de Janvier 1855. Un
matin, je reçois une lettre d'une écriture inconnue. Je l'ouvre,
je la lis. La voici... » (A. Delvau, Histoire anecdotique des
cafés de Paris, 1S(J2. Repris dans la petite biographie de
Gérard, Paris, Bachelin Detloreune, 1865.)
LETTRE CXXXIII
(227) Sur cette tante, voy. l'article de Houssaye dans l'Ar-
tiste, en 1875.
LETTRE CXXXIV
(228) La lettre est publiée sans indication de destinataire,
mais à côté de la lettre déjà connue du 2 Janvier 1853. Peut-
être fut-elle adressée aussi à M™'' de Solms. — M. A. Bris-
son a reproduit les vers : « II a vécu tantôt gai comme un
sansonnet » dans son volume T Envers de la gloire (p. 274);
d'après M. Ch. Landelle, qui le lui a communiqué, ce son-
net aurait été écrit par Gérard lors de son dernier voyage
en Angleterre, en compagnie de M. Landelle lui-même et de
Gautier (?).
LETTRECXXXV
(229) Emile Durand Forgues, plus connu sous son pseudo-
nyme, Old Nick ; chargé en 1838 de la chronique littéraire au
Journal du Commerce, il passe ensuite au National.Woy. un
332 CORRESPONDANCE
article de M, M. Tourneux, Amateur d'autographes, Janvier
4910.
LETTRE GXXXVII
(230) Voy, la lettre XC et la note d64. Peut-être s'agit-il
ici encore de ce projet de drame en collaboration, Francesco
Colonna.
(231) Le Poliphile italien des Aides ou l'adaptation fran-
çaise de J. Martin, tous deux précieux surtout à cause des
gravures.
LETTRE CXXXVIII
(232) Voy. la Note 482.
LETTRE CXLI
(233) Ecrite sans doute à l'automne de 1853 ou de 1854.
Voy. les lettres de Décembre 1853 et du 1er Juin 4854.
LETTRE CXLII
(234) La Mort de Rousseau figure parmi les projets de Gé-
rard, sur la liste autographe de ses œuvres. {Intermédiaire,
1869.)
INDEX ALPHABETIQUE
DES NOMS PROPRES
Abel, 2i3.
Achard, 92.
Ackermann, 247.
Adam, 3oi.
Albertin, 292.
Alboize, lOi, 3i3.
Alhoy (Maurice), 323.
Artim-Bey, 124, 3o8.
Asselineau, 6, 17, 23.
Auber, 87, 3oi.
Audebrand (Philibert) , 28,
23 I, 235, 328.
Aussandou (Dr), i55, 3i2.
Balzac, 96, 2o3, 3o2, 3o3.
Bamps, 220, 32G.
Bare (Louis de), 25, 27, 35,
G2, 64, 73, 100, 1 17, 121,
i33, i4i, 146, 237, 245,
298, 299, 309.
Barine (Arvèdej, 25, i45,202,
2o3, 281, 33o.
Beauvallet, 174.
Béga (Olivier), 210.
Bell (Georges), 6, 9, 23, 25,
191, 206, 21G, 217, 225,
240, 291, 3o8, 3i8, 320.
325.
Belliai, Soi.
Bénard, 5o.
Béranger, 10, 189.
Bériot, 75, 299, 3oi .
Berlioz, i52, 3i i.
Berryer, 298.
Betz, 3o4.
Bida, 166, 167, 3i5.
BioQ, 294.
BlaDche (Dr), 21, 22, 116,
119, 173, 199, 201, 202,
2o3, 2o4, 2o5, 206, 208,
209, 211, 2i4, 217, 218,
223, 224, 235, 289, 242,
243, 244, 245, 240, 247,
249, 3o6, 3ig, 320, 822,
820, 325, 829, 83o.
Blaze (Henri), 67, 97, 187,
188, 808, 819.
Bocage, loi, 817.
334
CORRESPONDANCE
Bonaparte (Lucien), 319.
BonnefoQ (Paul), 28, 3o8,
327.
Borel (Petrus), 11, 48, 294.
Bosio, 28.
Bouchardy, 81, 294.
Boulé, 243.
Bourgeois (Anicet), 3i3.
Brarli (Comtesse de), 3o4.
Brisson (Adolphe), 33 1.
Brohan, 3 16.
Buloz, 180, 222, 3o4.
Burgmuller, 3 10.
Busquet, 25, i5o 222, 3io,
326.
C
Campé, 38.
Carré (Michel), 325.
Cartier (Mll« J.), 26, 102,
171^ 297, 299, 3oi, 3o4,
307, 3i8, 327, 328, 339.
Cavaignac (général), 317.
Cave, 172, 173.
Cayrol, 219.
Cazotte, 3o5.
Champfleury, 6, 16, 22, 25,
i56, 157, i58, 159, 212,
224, 239, 244, 249, 294,
3i2, 3i3, 320, 324, 325,
327, 329, 33o.
Champion (Edouard), 28,214,
2i5, 256, 260.
Charavay, 28, 291, 293, 298,
3oi, 3o2, 3o4, 3i3, 3 16,
321, 322, 325.
Charpentier, 96,97, 166,167,
169,171, 186,194, 3o3,3i4.
Chateauhriand, 71, 293.
Chatillon, 204, 209, 322.
Clapisson, 3oi.
Claretie (Jules), aS, 242.
Clément-Janin, 26, 28, 75,
III, i47, 179, 25i.
Clerc (Albert), 298.
Clopet (Léon). 294.
Clot-Bey, i3o, 3o8.
Cohen, 223, 326.
Colon (Jenny), i3, 25, 295,
3o4, 307.
Constant, 220, 221, 326.
Corally, 3io.
Corbière (Edouard), 294.
Cormenin (Louis de), 187,319,
326.
Cottin (Mme), 45.
Couët (Jules), 28, 178, 292,
3i5.
Cousinet, 191, 219.
Dagneau, i85.
Damoreau (Mme), 5i.
Darthenay, 298.
Dash (Comtesse), 3oo.
David (Félicien), i53, 3ii.
Delaunay, 77, 78, 3oo, 3o2,
3 18.
Delavigne (Casimir), 10, 71,
293.
Deligny, 195, 32 1.
Delile (Mme), 128, i3i.
Delvau (Alfred), 26, 252, 33 1.
Deschamps, i38.
Deschamps(Antoni), 2o4,235,
242, 323, 325, 33o.
Didier, 187, 319.
Dietrichstein (Prince), 75,83.
Donizetti, 87, 3oi.
Doucet (Camille), 319.
Douet d'Arçq, 38,42,87, 294.
Dreyfus (Robert), 3o3.
INDEX ALPHABÉTIQUE DES NOMS PROPRES
335
Dublanc, 212.
Du Camp (Maxime), aS, 22/1,
235, 3()8, Soy, 3i(), 327.
Dumas (Alexandre), 11, 12,
^4, 2"), 33, 3'), 4^» -JO, f)!,
î)3, 54, 56, 57, 58, 60,81,
io4, ii5, lit), 117, 175,
191, 227, 228, 261, 2()3,
295, 296, 297, 298, 3oi,
3o2, 3oG, 3iC, 320, 324,
327, 328.
DupoDchel, 49-
Durand, 55, 56, 58, 59.
Duseigneur (Jean), 9, 36,37,
4i. 47, 293, 294,
Duseigneur (Maurice) , 36,
293.
Dutacq, 248, 329.
E
Elwart, 02, 295.
Empis, 109, 3i3.
EnFantlD, 3o8.
Esterhazy (Prince), 83.
Faber, 3o4.
Fauconnet, 259.
Férey (Edouard), 207, 323.
Ferrier (Ida), 11 5, 3oi, 3o6.
Ferrière-Levayer, 247.
Fiorentino, 3i3.
Fleury (Arthus), 293.
Fontaine, i84, 3i8.
Forgues (Durand), 256, 298,
33i .
Foucher (Paul), 18, 9g, 3o3,
3i3.
Fould, 319.
Fouruier (Marc), 12, 173, 3i5.
Furne, 186.
Gandonnière, 3i i.
Gauthier-Fer rières, 3o4.
Gautier (Pierre), 295.
Gautier (Théophile), 6, 9,10,
II, i4, 17, 23, :w, 4i,48,
5o^ 8i,_^ 95, 96, loi, i4i,
145, i54, i56, 193, 2o3,
2oj, 23o, 257, 291, 29'î,
295, 3o3, 3o4, 309, 3io,
3i4, 320, 322, 326.
Gay (Delphine), 293, 3i2.
Girard, i65.
Gervais, 229, 327.
Girardin (Emile de), 99, 107,
207.
Giraud, i85, 2i3, 214, 2i5
324.
Godefroy, 22, 246, 326, 3^9,
33o.
Goëihe, 45, 97, i52, 296,
3o3, 3i I, 3 14.
Gorges (Edouard), 176, 192,
193, 3i6.
Gosselin, i53, 3o3.
Gratiot, 170, 21 3.
Grobet, 28, 259.
Guichardet, i53, 187.
Guizot, 207, 299.
H
Halévy, 296.
Halm (Frédéric), 297.
Harel, 12, 53, lâg, 291, 296.
Heideloff, 34, 38, 39.
Heine (Henri), 102, io4, 3o4,
3l2.
Herder, 3i4.
336
CORRESPONDANCE
Hoffmann, 3oi.
Houssaye (Arsène), 6, 12,1/i,
18, 24, 25, 27, 54, io3, 120,
126, 128, i36, i48, i54,
166, 171, iBi, i83, 190,
201, 2o4, 2o5, 209, 211,
282, 2.53, 258, 261, 262,
263, 297, 3o2, 3i I, 3i4,
3i5, 3iG, 018, 324, 325,
326, 829, 33i.
Hugo (Charles), 3i6.
Hug'O (Victor), 24, 33, 34,
59, 60, 71, 81, 175, 292,
293.
I
Ibrahim-Pacha, 126, 3o8.
Jacob (Bibliophile), 28, 298,
299.
Janin (Jules), 18, 76, m,
i47, 179, 243, 25i, 264,
293, 294, 296, 299, 3o6,
33o.
Jerrmann, 297,
Joly (Anténor), 12, 69, 60, 86,
297, 298, 3oi.
JuUiea (Adolphe), 25, 88,294-
Karr (Alphonse), 26, 27, 81,
94, 229, 297, 298, 3oo,
3i2, 828.
Ivauffmann, 106.
Kobb (Dr), 247.
Kolzebue, 297, 3i5, 38o.
Labrunie (M^^e A.), 210.
Labrunie (D'"), 20, 22,25, 35,
5o, 54, 62, 64, 78, 78, 100,
io3, 117, 120, 121, 126,
128, i33, i36, i4i, 145,
i46, 201, 2o5, 209, 282,
287, 245, 294, 829.
Lamartine, 71, 298, 8o5.
Lambert (Charles), i3o, 808.
Landelle, 33i.
Laurent, 291.
Leborne, 52, 296.
Lecomte (Jules), 294.
Lecou, 179.
Lefèvre, 159.
Legros, 1O4, 3 14.
Lemaître (Frederick), 82,61,
260, 292, 298.
L'Epinay (Marie de), 12, 18,
98, 99, 8o3.
Leroy, 195.
Levavasseur, 34.
Liftier, 82, 292.
Limayrac, 194, 320.
Limnander, 812.
Linant, 98, 808.
Lin^ray, 74, 81, 207,299,308,
323.
Liszt, 77, 190,242, 244,247,
3oi, 820, 828.
Loëve-Veimars, 98.
Lovenjoul (Spoelberch de),
202, 3o3, 827, 829.
Lubbert, i3o, 809,
Lucas (Hippolyte), 12, 25,
108, i54, i85, 195, 196,
258, 295, 298, 8o5, 32 1.
Lucas (Léo), 28, i85, 258,821.
I.udlow (Anna), 74.
M
Mahmoud (Sultan), 299.
1NI)I;\ ALPHAIJEÏIQUE DES NOMS HHOPRES
33;
Malibran, 299.
Marmier, iio4.
Mars(De), 181, 197, 222.321.
Martre (De), 219.
villy, 39.
■res, 292.
Mclieinet-Ali, 299, 3o8, 2oQ.
Mehl (Charles), 327.
Mendeissohn, 3oo.
Merlin, 3i3.
Méry, 12, 26, 120, 176, 190,
2o3, 20^, 223, 209, 307,
3oS, 3i6, 317, 3i8.
Mellernicli, 5G, 83.
Moyerbeer, 3oi.
Midiei,8i.
Micliel (Francisque), 56.
Miq-notle, 34, 47-
Miilaud, 219, 223, 326.
Mirecoiirt, 23i, 327, 328.
Mirés, 326.
Monnais, 298.
Monpou, 5i, 87, 3oi.
Monselet, 6, 184, 3o2, 3i8.
Mi.ntag'ue (Lady Wortley),
iS, 3i5.
alÏD, 1 1 .
Mozart, 32 1.
N
Nadar, 229, 328.
Nanieuil (Gélestin), 4'» 46,
Nauieuil (Charles), 46, 294.
Napoléon (Louis), 3 19.
Nefftzer, i83, 184, 3i8.
Nodier (Charles), 45, 293, 325.
Noubel, 08.
Orléans (Duc d'), 57.
Ourliac (Edouard), 95, 3o2.
Ovaghini, i58.
Pac;-anini, 226.
Papion du Château, .34, 48,
i5i, 292, 293, 295, 323.
Parfait (Noël), 175, 177,316.
Pawlowïki, 323.
Perron (Dr), 126, i3o, 3o8.
Perrot, 172, 3i5, 3i8.
Persiçny, 307.
PersoQ (Béalrix), 23.
Pleyel (M-"e), 76, 77, 299,
3oi, 3o4-
Porcher, 174, i83, 317.
Préinaray (Jules de), 178,307.
R
Rachel, 172.
Raeruse (Marmont, duc de),
70, 76, 83, 3oo.
Raupach, 38, 294.
Renduel, 38, 42, 47, 294, 290,
3o4, 3 10.
Ricourt, 3oo.
Ris (Clément de), 193.
Rogfier (Camille), 37, 137,
i58, 309.
Rothschild, 55, 58.
Saint-Georçes (Henri de), 85,
160, 3oo, 3oi, 3o5, 3i3.
Sainl-Victor, 193.
Sainte-Aulaire, 74, 76,77,83,
98, 3oo.
Sainte-Beuve, 294.
Salle (Eusèbe de), 807, 3o8.
Salvandy, 293.
338
CORRESPONDANCE
Sand (Karl), 58, 297.
Sand (Maurice), 216.
Sandeau, 298.
Saphir, 280, 828.
Sardou (Victorien), 27, 28,
265.
Sarlorius, i55, i03, 243, 029,
33o.
Scarron, 33o.
Schayé, iSg.
Schwartzenberg (Prince de),
77, 83.
Scribe, 161, 3oi .
Sevelinge, 98.
Sigalon, 45.
Simon (Gustave), 24, 28.
Solms (Frédéric de), 819.
Solms(M"=e de), 188, 33i.
Souza (M™« de), 45, 29^.
Stadler (Eugène de), 19, 107,
109, 117, 149, i53, i54,
161, 173, 174, ï8i, i83,
184, 191, 192, 202, 203,
2o4, 206, 217, 218, 219,
807, 3i3, 320, 322, 323,
325.
Strauss, 75.
Sue (Eugène), 294, 819.
Tardieu, i3o.
Taylor (Baron), 1 1, 12,32,292.
Thierry (Edouard), 100, 3o3.
Timbal, 820, 822.
Tourneux (Maurice), 25, 28,
33, 187, 225, 809, 818,
828, 332.
Tresserve (Vicomte de), 254.
Triquet, 74.
Truchis de Lays (Mlle de)
295.
U
Ugalde (Delphine), iGo, 3i3.
V
Vabre, 294.
Varin, 178, 174.
Venet, 214.
Vernet. 92.
Véron (Dr), 809.
Verteuil, 174, 3 16.
Véry, 175.
Veuillot (Louis), 802.
Vigny (Alfred de), 71, 298,
Villedeuii, 228, 826.
^v
Wagner, 235, 242, 828.
Weill (Alexandre), 96, no,
184, 3o3, 8o5, 3o6.
Wey (Francis), 217, 218,825.
TABLE CHRONOLOGIQUE
DES LETTRES
1830 — Novembre 1841.
I. — A.... — 5 Février i83o ' 3i
II. — Au Baron Taylor. — Eté i83i 82
m. — A — Février 1882 33
IV. — A Papion du Château. — 1882 34
V. — Au D'' Labrunie. — Octobre i834 35
VI. — A Jean du Seigneur. — 4 Novembre 1 834. 36
VII . — A Renduel . — (5 Novembre 1 834 ■ 38
VIII. — A Papion du Château. — i834 48
IX. — Au D"^ Labrunie. — 27 Septembre i83G. 5o
X. — A Elwart. — 24 Mars i838 52
XI. — A Alexandre Dumas. — Septembre i838. 53
XII. — A Alexandre Dumas. — Septembre i838, 58
XIII. — Au Dr Labrunie. — 1 8 Septembre i838. 54
xrv. — A Anténor Joly. — Fin i838 59
XV. — A Anténor Joly. — 2 Mars 1889 60
XVI. — Au D' Labrunie. — 19 Novembre 1889.. 62
xvH. — Au Dr Labrunie. — J'in Novembre 1889. 64
xviii. Au D"" Labrunie. — 2 Décembre 1889... 78
XIX. — A Jules Janin. — 23 Décembre 1889.... 75
XX. — Au Dr Labrunie. — 3o Janvier i8/|0 .... 78
XXI. — A Henri de Saint-Georges. — 25 Février
1840 85
34o
CORRESPONDANCE
XXII. — A Alphonse Karr. — Mars i84o" 94
XXIII. — Au Journal de la librairie. — Juillet iS^o. 9G
XXIV. — A Marie de l'Epinay. — 28 Juillet i84o. 98
XXV. — A Marie de TEpinay. — i/j Août i84o. . 99
XXVI. — A Marie de l'Epinay. — 14 Septembre 1840. 99
XXVII. — Au D'' Labrunie. — 22 Octobre i84o. ... 100
XXVIII. — A Henri Heine. — 6 Novembre i84o... 102
XXIX. — Au D'' Labrunie. — 17 Novembre i84o. . io3
XXX. — A Stadler. — 7 Décembre i84o 107
XXXI. — A Hippolyte Lucas. — Décembre 1840.. 108
XXXII. — A Stadler. — 3 Janvier i84i 109
XXXIII. — A Alexandre Weill. — 5 Mars i84i.... 110
xxxiv. — A Jules Janin. — 16 Mars i84i lu
Novembre 1841 — Août 1853.
XXXV. — A Madame Dumas. — 9 Novembre i84i. ii5
xxxvi. — A Stadler. — Fin i84i • 117
XXXVII. — Au D"" Labrunie. — 25 Décembre 1842 . 117
xxxviii. — Au D"" Labrunie. — iC Janvier i843... 120
XXXIX. — Au D'" Labrunie. — 8 Janvier i843 121
XL . — Au Dr Labrunie. — Avril 1 843 126
xLi. — Au D"" Labrunie. — 2 Mai i843 128
xLii. — Au D' Labrunie. — 30 Juillet i843 i33
xLiii. — Au Dr Labrunie. — 19 Août i843 i3G
xLiv. — Au Dr Labrunie. — 5 Septembre i843.. 141
XLV. — Au D'' Labrunie. — Octobre i843 i45
xLvi. — Au D"" Labrunie. — Novembre i843. . . . i4G
xLvii. — A Jules Janin. — i G Novembre i843... 147
XLvni. — xV Stadler. — 3o Mai i845 i49
xLix . — A Busquet. — 1 845 1 5o
L. — A Papion du Château. — 5 Mai i846. . . i5i
Li. — Au Charivari. — 3 Décembre 1846 i52
m. — A Stadler. — 0 Mars 1847 i53
LUI. — A Stadler. — 21 Août 1847. i54
Liv. — A Hippolyte Lucas. — 1848 i54
Lv. — Au D' Aussandou. — 28 Avril 1849.... i55
TABLE CURONOLUGtQUE DES LETTRES
34 I
LVI.
LVII.
LVIII.
LIX.
LX.
LXI.
LXII.
LXIH.
LXIV.
LXV.
LXVI.
LXVII.
Lxvni.
LXIX .
LXX.
LXX£ ,
LXXIl.
LXXIII.
LXXIV.
LXXV .
LXXVI .
LXXVK.
LXXVI II .
LXX IX .
LXXX .
LXXXI.
LXXX II .
LXXXIII .
LXXXI V.
LXXXV.
LXXXVI .
LXXXVII ,
LXXXVIII .
LXXXIX.
XC.
XCI.
Au Messas^er des théâtres. — 8 Mai 1849. i5G
A Henri de St-Georges. — 19 Mai 1849. 160
A Sladler. — 1849 " iGi
Au ministre de l'Intérieur. — 17 Juillet
1849... • 1O3
A — Septembre i85o iG4
Au Corsaire. — Octobre i85o 164
A Arsène Houssaye. — Novembre i8ôo. 166
A Charpentier. — 1 5 Avril 1 85 1 1 66
A Charpentier. — Avril i85i 168
A Charpentier, — 28 Avril i85i 169
A Charpentier. — 1 85 1 171
A Arsène Houssaye. — 9 Novembre 1 85 1. 171
A Perrot. — ao Novembre i85i 172
A Stadler. — 6 Janvier 1802 178
A Stadler. — 22 Mars i852 174
A Stadler. — 12 Mai 1802 174
A Méry . — Mai 1 852 176
A Jules de Prémaray. — 1er Juin i852. 178
A Jules Janin. — 3 Juin i852. 179
A Buloz. — Août i852. 180
A Stadler. — 1802 181
A Arsène Houssaye. — 4 Octobre i852 . . i83
A Sladler. — 00 Novembre i852 i83
A Sladler. — i852 . i84
A Hippolyte Lucas. — Fin i852. i85
A... — Fin i852 i85
A Louis de Cormenin. — i853 187
A Didier. — i853 187
A Madame de Solms. — 2 Janvier 1 853. 188
A Liszt. — Printemps i853 190
A Sladler. — 2G .Mai 1 853 191
A Stadler. — 10 Juin i853 192
A Charpentier. — Juillet i853 194
A Hippolyte Lucas. — i853 195
A Hippolyte Lucas. — i853. 19G
A de Âlars. — 29 Juillet i853 197
342
COKRESPOiNDANCE
Août 1853 — Janvier 1855.
xcii. — Au Dr Labrunie. — ï''f Septembre i853. 201
xciii. — A Stadier. — Septembre i853 202
xGiv. — A Stadier. — Septembre i853 202
xcv. — A Théophile Gautier. — Septembre i853. 2o3
xcvx. — A Stadier. — 21 Septembre i853 2o3
xcvn. — A Méry. — 23 Septembre i853 2o4
xcviii. — A Stadier. — 7 Octobre i853 204
xGix. — Au Dr Labrunie. — 21 Octobre i853... 2o5
G. — Au Dr Labrunie. — 22 Octobre i853... 209
CI. — Au D"" Blanche. — 27 Novembre i853.. 211
Gii. — A Dublanc. — 27 Novembre i853 212
GUI . — A Abel . — 3o Novembre 1 853 212
Giv. — A Giraud. — 3o Nov mbre i853 2i3
cv. — A Giraud. — Décembre i853 2i5
cvi . — A Giraud. — Décembre 1 853 2 1 5
Gvii . — A Georges Bell . — Hiver 1 853 216
Gviii . — A Georges Bell . — Hiver i853 217
Gix. — A Stadier. — Mars i854 217
Gx. — A Stadier. — Mars i854 218
CXI, — A Stadier. — 11 Mars i854 218
cxii. — A Stadier. — 20 Mars i854 2 /g
Gxiii. — A Stadier. — Mars i854 219
cxiv. — A Bamps. — Mars i854 220
cxv. — A de Mars. — 1 1 Avril i854 222
cxvi. — A Busquet. — 3o Mai i854 222
cxvii. — Au D'" Blanche. — 3i Mai i854 224
cxvin. — A Georges BelL — le^ Juin i854 225
Gxix. — A un ami. — Juin i854 23i
Gxx. — Au D'' Labrunie. — 4 Juin i854 232
cxxi, — • Au D"" Blanche. — Juin i854 235
cxxii. — Au D^' Labrunie. — 20 Juin i854 237
cxxiii. — Au D'" Blanche. — 26 Juin i854 239
Gxxiv, — A Georges Bell. — 27 Juin i854 240
cx.xv. — Au D"" Blanche. — 3o Juin i854 242
TABLE CHUONOLOGIQUE DES LETTRES 343
cxxvi. — Au D' Blanche. — Juillet i854 ^43
cxxvii. — Au D"" Blanche. — Juillet i854 ^44
cxxviii. — Au D'" Lahrunie. — i5 Juillet i854.... 2/|5
cxxix. — A Godcfroy. — 28 Septemhre i854.... 240
cxxx - Au D'' Biauche. — 17 Octobre i854 ..• 249
cxxxi . — A Jules Janin . — Fin i854. 20 1
cxxxii. — A Alfred Delvau. — Janvier i855v 262
cxxxiii. — A sa tante. — 24 Janvier i855. 203
Lettres sans date
cxxxiv. — A Madan.e 254
cxxxv. — A Forf^ues 206
cxxxvi , — A 206
cxxxvii, — A Hippolyle Lucas 268
cxxxviii. — A Arsène Iloussaye 258
cxxxix. — A Méry 259
cxL. — A Frederick Lemaîlre 260
cxi.i. — A Alexandre Dumas. 261
cxLii . — A Alexandre Dumas 262
cxi.iii . — A Arsène, Houssaye 2G3
Lettues d'.\.moui\ 265
ACHEVE D'IMPRIMER
le vingt novembre mil neuf ccnl onze
PAR
BLAIS ET ROY
A POITIERS
pour le
MERCVRE
de
FR,VNCE
MERCVRE DE FRANCE
XXVI, RVE DE CONDÉ PARIS-Vje
Paraît le i^r et le i6 de chaque mois, et forme dans l'année six volumes
Littérature, Poésie, Théâtre, Musique, Peinture, Sculpture
Philosophie, Histoire, Sociologie, Sciences, Voyages
Bibliophilie, Sciences occultes
Critique, Littératures étrangères, Revue de la Quinzaine
La Revue de la Quinzaine s'alimente à l'étraDger autant qu'en France.
Elle offre un nombre considérable de documents, et constitue une sorte d' « en-
cyclopédie au jour le jour » du mouvement universel des idées. Elle se compo'c
des rubriques suivantes :
Epilogues (actualité) : Rerny de Gour-
mont
Les Poèmes : Pierre Ouillard.
Les Romans : Rachilde.
Littérature : Jean de Gourmont.
Littératures antiques : A. -Ferdinand
Herold.
Histoire : Edmond Barthélémy.
Philosophie : Georf^es Palante.
Psychologie : Gaston Banville.
Le Mouvement scientifique : Georges
Bohn.
P$(/chiàtrie et Sciences médicales :
Docteur Albert Prieur.
Science sociale : Henri Mazcl.
Ethnographie, Folklore . A. Van
Gennep,
Archéologie, Voyages : Charles Merki.
Questions juridiques : José Théry.
Questions militaires et maritimes :
Jean Norel.
Questions coloniales : Cari Siger.
Esotérisme et Sciences psychiques :
Jacques Brieu.
Les Revues : Charles-Henry Hirsch.
Les Journaux : R. de Bury.
Les Théâtres : Maurice Boissard.
Musique : Jean Marnold.
Art moderne : Gustave Kahn.
Art ancien : Tristan Leclcre.
Musées et Collections : Auguste Mar-
' guillier.
Chronique du Midi : Paul Sonchon.
Chronique de Bruxelles: G. Eekhoud.
Lettres allemandes : Henri Albert.
T^ettres anglaises : Henry-D. Davray.
Lettres italiennes : Ricciotto Canudo.
Lettres espagnoles : IMarcel Robin.
Zei'/res/3o?"/Mi7a/s(fs;PhiléasLebesgue.
Lettres américaines : Théodore Stan-
ton.
Lettres hispano-américaines : Fran-
cisco Contreras.
Lettres brésiliennes: Tristao da Cunha.
Lettres néo- grecques : Démétrius
Astériotis.
Lettres roumaines : Marcel Montan-
don.
Lettres russes : E. Séménoft.
Z<e/<res/Jo/o/ïa/se.s,- Michel Mutermilch.
Lettres néerlandaises : H. Messet.
Lettres Scandinaves : P. -G. La Ches-
nais, Fritiof Palmér.
Lettres hongroises : Félix de Gerando.
Lettres tchèques : William Ritter.
La France jugée à l'Étranger : Lucile
Dubois.
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linaire.
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Poitiers. — Imprimerie du Mercure de France. BLAIS et ROY, 7, me Victor-Hugo.