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Full text of "Correspondance complète de madame duchesse d'Orléans, né princesse palatine, mère du régent \"

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University  of  Ottawa 


littp://www.arcli  ive.org/details/correspondancecoOOorl 


CORRESPONDANCE 

COMPLÈTE 

DE  MADAME 

DUCHESSE  D'ORLÉANS 


l'iiiis,  —  Ini|)rinicrie  P. -A.  «OIIUDIKU  cl  C'»,  ruo  M.i/fuiiic,  30. 


■^  or 
CORRESPONDANCE 

COMPLÈTE 

DE  MADAME 

DUCHESSE   D'ORLÉA]\S 

NÉE   PRINCESSE    PALATINE,    MÈKE   DU    KÉGENT 
TKADUCTION    ENTIÈKEMENT    NOUVELLE 

PAR  M.  G.  BRUNET 

Accompagnée  d'une  Annotation 

HISTORIQUE,    BIOC.  RAPHIQCE    ET    LITTÉnAIHB 

Du  Traducteur 


TOME  SECOND 


PARIS 

CHARPENTIER,   LIER  AI  RE- ÉDITEUR, 

28,    QUAI   DE    l'École, 

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GORRESPOiNDANCE 


DE 


M"  LA  DUCHESSE  D'ORLEANS 


Paris,  25  septembre  1718. 

M""*  du  Maine  est  aussi  méchante  que  la  vieille 
(Maintenon),  mais  il  ne  faut  pas  s'en  étonner.  Tous 
les  enfants  du  roi  et  de  la  Montespan  (à  l'exception  du 
comte  de  Toulouse)  ont  été  élevés  dans  de  tels  senti- 
ments de  fierté  qu'ils  se  croient  fort  supérieurs  à  nous. 
Mme  d'Orléans  croit  avoir  fait  à  mon  fils  une  grâce  in- 
signe et  beaucoup  d'honneur  en  consentant  à  l'épou- 
ser '  ;  ses  femmes  de  chambre  et  ses  domestiques  n'en 
parlent  pas  différemment;  ils  regardent  tout  le  bien 
que  mon  fils  leur  a  fait  comme  leur  étant  dû.  M""  du 
Maine  est  très -loin  de  demander  gi'àce.  Tout  cela 

'  a  La  duchesse  d'Orléans  était  charmante;  des  yeux  adrai- 
tt  râbles,  de  belles  dents,  la  bouche  jolie,  une  chevelure  su- 
■  perbe.  On  retrouvait  en  elle  cette  finesse  d'esprit  particulière 
«  à  Mme  de  Montespan.  Elle  avait  delà  vertu  et  une  grande  no- 
«  blesse  de  caractère,  mais  ces  éminentes  qualités  étaient  ob- 
«  scurcies  par  une  fierté  excessive.  »  (Vatout). 

Elle  mourut  le  1er  février  17  49.  Le  Journal  de  Barbier  donne 
des  détails  sur  la  querelle  entre  ses  aumôniers  et  le  curé  de 
Saint-Eustache  pour  savoir  qui  lui  administrerait  les  sacrements, 
sur  la  réconciliation  (qui  ne  fut  sincère  de  part  ni  d'autre) 
entre  son  fi!s  et  son  pelit-fds,  sur  ses  funérailles  qui,  d'après 
SCS  ordres,  eurent  lieu  san:j  éclat. 


2  CORRESPONDANCE 

m'exaspère,  et  je  crains  que  la  colère  ne  m'emporte  et 
ne  me  fasse  dire  ce  qu'il  vaut  mieux  taire.  J'ai  toujours 
délesté  d'être  l'occasion  de  nouvelles  scènes. 

26  septembre  1718. 

Le  duc  du  Maine  et  son  parti  ont  fait  savoir  à  sa 
sœur  {la  duchesse  d'Orléans)  que  si  mon  fils  venait  à 
mourir,  elle  serait  faite  régente;  qu'en  toutes  choses, 
on  agirait  d'après  ses  avis  et  qu'elle  ferait  la  plus 
grande  figure  qu'il  y  ait  au  monde  ;  qu'on  ne  voulait 
Taire  aucun  mal  à  mon  fils,  mais  qu'il  ne  pouvait  vivre 
longtemps,  parce  qu'il  menait  une  vie  trop  désordon- 
née; qu'il  ne  pouvait  donc  manquer  de  mourir  ou  de 
devenir  aveugle,  et  qu'il  consentirait  à  ce  qu'elle  exer- 
çât la  régence.  Je  tiens  tout  cela  de  quelqu'un  à  qui 
le  duc  du  Maine  lui-même  l'a  dit,  et  quand  on  est  au 
fait,  on  ne  s'étonne  pas  si  M^^e  d'Orléans  a  voulu  forcer 
sa  fille  à  épouser  le  fils  du  duc  du  Maine...  Mon  fils  a 
fait  un  grand  changement;  au  lieu  des  divers  conseils, 
il  a'  placé  des  secrétaires  d'État.  M.  d'Armenonville 
est  secrétaire  d'État  de  la  marine,  M.  Leblanc  de  la 
guerre,  M.  de  Vrillière  du  dedans  du  royaume,  l'abbé 
Dubois  des  affaires  étrangères,  M.  de  Maurepas  de  la 
maison  du  roi,  et  un  évêque  a  la  feuille  des  bénéfices. 

2G  septembre  1718. 
'    Le  père  Joseph  '  était  en  grande  faveur  auprès  du 

*  t'iaiirois  Lcclerc  du  Tremblay,  connu  sous  le  nom  du  Père 
Joseph,  né  en  1577,  entra  à  vingt-deux  ans  dans  l'ordre  des 
capucins.  11  se  trouva  en  rapport  avec  Richelieu,  alors  évcquc 
de  Luçon  ;  devenu  tout-puissant,  le  premier  ministre  le  chargea 

i 


DE   MADAME   LA   DUCHESSE   D  ORLEANS.  à 

cardinal  de  Richelieu,  et  on  le  consultait  dans  toutes 
les  aiïaires.  Un  jour  on  appela  au  conseil  le  duc  Ber- 
nard ',  et  le  père  Joseph,  promenant  le  doigt  sur  une 
carte  géographique,  disait  :  «  Monsieur,  vous  pren- 
drez cette  ville,  ensuite  vous  prendrez  celle-ci,  puis 
celle-là.  »  Le  duc  l'écouta  longtemps  et  dit  enfin  : 
«  Monsieur  Joseph,  on  ne  prend  pas  les  villes  avec  le. 
doigt.  »  Cela  faisait  rire  de  bon  cœur  le  feu  roi. 

27  septembre  1718. 

La  reine-mère,  veuve  de  Louis  XIII,  a  fait  encore' 
bien  pis  que  d'aimer  le  cardinal  Mazarin;  elle  l'a 
épousé  ;  il  n'était  pas  prêtre  et  n'avait  pas  les  ordres 
qui  pussent  l'empêcher  de  se  marier  ^ 

des  affaires  d'État  les  plus  épineuses,  tant  au  dedans  qu'au  de-, 
hors  du  royaume.  Agent  adroit  et  sûr,  le  capucin  était  consulté 
par  le  cardinal  dans  toutes  les  diflicultés,  et  les  principaux  per-  . 
sonnages  de  la  cour  s'inclinaient  devant  l'éminence  grise  (on 
l'appelait  ainsi).  11  mourut  en  1638,  et  Richelieu  s'écria  :  «  J'ai 
perdu  mon  bras  droit.  »  Sa  vie,  écrite  par  l'abbé  Richard,  Pa- 
ris, 1702,  2  vol.  in-12,  est  un  panégyrique  continuel,  et,  cir- 
constance assez  curieuse,  c'est  au  même  auteur  qu'on  attribue  ' 
le  Vcriiable  Père  Joseph,  1704  (autre  édition,  1760),  livre  qui 
rassemble  tous  les  reproches,  fondés  ou  non,  adressés  à  ce  per- 
sonnage. 

'  De  Saxe-Weimar,  l'un  des  plus  grands  capitaines  du  dix- 
septième  siècle  ;  il  prit  part  aux  campagnes  de  Gustave- Adolphe, 
et  mourut  en  1639,  âgé  de  trente-six  ans. 

2  De  tous  les  libelles  publiés  à  l'époque  de  la  Fronde,  je  n'ex- 
trairai que  le  passage  suivant,  qui  a  trait  au  mariage  de  la  reine 
avec  le  cardinal,  opinion  établie  dès  1647,  et  dont  la  princesse 
palatine  s'est  faite  le  complaisant  écho;  la  pièce  est  intitulée  : 
Suite  du  silence  au  bout  du  doigt  ;  «  Pourquoy  tant  blasmer  la 
ie\nc  de  ce  qu'elle  ayme  le  cardinal?  n'y  est-elle  pas  obliàéei 


4  COIIHESI'O.NDANCE 

27  septembre  17  i6. 

Le  portrait  de  l'abbé  Dubois  est  celui  d'un  renard 
qui  s'accroupit  sur  la  terre  et  qui  guette  un  poule. 

Malezieux  et  le  cardinal  de  Polignac  ont  travaillé 
autant  que  la  duchesse  du  Maine  à  la  réponse  au  livre 
de  Filz-Moritz  ' . . .  Mon  fils  est  forcé  à  des  ménagements 
envers  ses  parents;  mais  si  j'avais  autant  de  cent  écus 
qu'il  a  de  motifs  de  se  repentir  de  s'être  allié  à  tous 
ces  gens-là,  je  pourrais  demander  au  roi  de  me  vendre 
la  France,  la  payer  comptant,  et  acquitter  toutes  ses 
dettes. 

Paris,  28  septembre  1718. 

Le  maréchal  de  Tessé  est  fort  dévoué  à  l'Espagne 
ainsi  que  tous  les  maréchaux  qui  sont  les  créatures  de 
la  vieille.  Tous  les  Français  préfèrent  Paris  à  tout; 
j'aime  les  Parisiens,  mais  je  n'aime  pas  à  résider  dans 
leur  ville  ;  c'est  un  séjour  auquel  je  ne  puis  m'habituer  ; 
tout  ce  qu'on  voit  et  entend  est  intolérable;  il  faut  y 

s'il  est  vray  qu'ils  soient  mariés,  et  que  le  Père  Vincent  ait  ap- 
prouvé et  ratifié  le  mariage?  » 

Voir  aussi  \ARequeste  clville  contre  la  conclusion  de  la  paix. 
Dans  une  autre  pièce  ,  VArresfadon  du  duc  de  Deaufort ,  on 
suppose  que  l'arrestation  du  duc  est  due  à  ce  qu'il  avait  sur- 
pris Mazarin  dans  la  ruelle  de  la  reine,  lui  faisant  des  protesta- 
tions d'amour  (De  Laliorde,  Vahiis-Mazarin  ,  p.  158). 

'  Lettres  de  M.  t'itz-Moritz  sur  les  affaires  du  temps  (par 
l'abbé  Margon  )  ;  Amsterdam  ,1718;  ouvrage  composé  d'après  les 
instructions  du  régent,  et  dans  lequel  l'auteur  discute  les  droits 
de  la  branche  d'Orléans  à  la  couronne  de  France ,  par  préfé- 
rence à  la  brandie  espagnole.  La  réponse  qui  y  fut  faite,  et  dont 
parle  Madame,  a  pour  titre  :  Conférences  d'un  Anglais  et  d'un 
Allemand  sur  les  Lettres  de  FHz-Moritz  ,  Cambray,  1722, 
in-12. 


DE  MADAME   LA    DUCHESSE  D  ORLEANS.  5 

faire  ce  qu'on  ne  veut  pas,  et  on  n'y  a  de  repos  ni  nuit 
ni  jour.  Il  n'est  que  trop  vrai  que  des  femmes  se  font 
peindre  des  veines  bleues  afin  de  faire  croire  qu'elles 
ont  la  peau  si  fine  qu'on  distingue  leurs  veines  à  tra- 
vers. 

Je  suis  sûre  que  lorsque  l'électeur  se  sera  accoutumé 
au  bon  air  d'Heidelberg,  il  s'en  trouvera  très-bien. 
J'aime  ce  prince  parce  qu'il  aime  le  Palatinat;  je  puis 
facilement  imaginer  combien  il  a  été  peiné  quand  il 
a  vu  qu'à  peine  restait -il  des  ruines  d'Heidelberg. 
■Quand  j'y  songe,  les  larmes  me  viennent  aux  yeux  et 
je  suis  toute  triste. 

30  septembre  1718. 
Monsieur  a  été  lui-même  la  cause  de  l'intrigue  'de 
Madame  avec  le  comte  de  Guicbe  ' .  On  a  dit  qu'il  a  été 

'  Fils  du  duc  de  Granimont  et  l'un  des  plus  aimables  sei- 
gneurs de  la  cour.  Nous  n'aborderons  pas  les  questions  délicates 
que  soulève  cette  lettre  de  Madame  ;  il  y  a  sans  doute  de  l'exa- 
gération, mais  probablement  aussi  des  vérités  dans  le  pamphlet 
intitulé  Histoire  galante  de  M.  (Madame 'ï  et  du  comte  de  G. 
(Guiche),  pamphlet  qui  se  trouve  dans  le  recueil  intitulé  :  His- 
toires galantes,  Cologne,  Jean  Leblanc  (Hollande),  sans  date, 
p.  424-464  ;  dans  les  Dames  ilhistres  de  notre  siècle,  Cologne, 
1G82,  p.  135-176;  dans  diverses  éditions  de  l'Histoire  amou- 
reuse des  Gaules.  L'évéque  de  Valence,  Cosnac ,  se  rendit  en 
Hollande  pour  acheter  en  totalité  et  détruire  l'édition  de  ce  li- 
belle ;  Saint-Simon  raconte  (t.  V,  p.  207)  de  quelle  singulière 
façon  ce  prélat,  arrêté  dans  son  lit,  s'y  prit  pour  sauver  des  pa- 
piers qui  pouvaient  conipromettie  Madame.  On  peut  consulter, 
dans  les  recueils  que  nous  venons  d'indiquer,  l'Histoire  de  l'a- 
mour feinte  du  roi  pour  Madame,  à  la  suite  de  l'Histoire  du 
Palais- lîoijal  (  1007  )  ;  La  Beaumellc  (notes  sur  les  Lettres  de 
Matlanie  de  Maintenon  )  dit  que  le  fond  de  cet  ouvrage  mal  écrit 
est  vrai. 

D'après  M.  WakKcnaër,  l'article  consacré  au  comte  de  Guiche 

1. 


6  CORRESPONDANCE 

jadis  très-joli  garçon,  et  il  était  un  des  favoris  de  feu 
Monsieur;  Monsieur  avait  vivement  recommandé  à 
Madame  d'avoir  de  l'attachement  pour  le  comte  et  de 
trouver  bon  qu'il  pût  être  à  toute  heure  auprès  d'elle. 
Le  comte,  qui  était  fort  brutal  avec  tous  les  hommes, 
s'appliqua  extrêmement  à  plaire  à  Madame;  il  était 
plein  de  vanité;  il  voulut  se  faire  aimer  d'elle,  et 
cela  arriva'.  Sa  tante,  M™e  de  Saint-Chaumond,  qui 

dans  le  Dictionnaire  historique  de  Prosper  Marchand  est  excel- 
lent et  très-complet. 

^  Les  recueils  de  chansons  manuscrites  contiennent  des  vers 
qui,  s'ils  étaient  authentiques,  donneraient  une  terrible  idée  des 
mœurs  et  du  stjle  de  la  malheureuse  Henriette. 

C'est  d'abord  le  comte  de  Guiche  qui  adresse  à  Madame  une 
que;^lion  passablement  hasardée  : 

Pour  occuper  la  place 

De  votre  époux. 

Si  l'on  avait  l'audace 

D'entrer  chez  vous, 

Y  seriez-vous,  Madame  ?  y  seriez-vous? 

La  réponse  attribuée  à  la  princesse,  et  faite  sur  les  mêmes 
rimes,  ne  peut  se  transcrire  d'aucune  façon. 

Voici  deux  couplets  que  nous  prenons  dans  ces  mêmes  recueils 
manuscrits,  si  bien  qualifiés  de  sottisiers;  ils  portent  la  date 
de  1G63;  nous  les  croyons  inédits  : 

Dans  mon  amour  plus  d'une  chose  blesse 

Mon  bon  petit  époux  ; 
Je  suis  pourtant  une  bonne  princesse  ; 

J'ai  des  attraits  si  doux. 
Que  si  j'osais,  je  n'en  serais  pas  chiche 
Au  comte  d<!  Guiche,  moi, 
Au  conilc  de  Guiche. 

La  bergère  d'Angleterre 

Dans  Saint-CIoud  s'en  va  chantant: 

Est-ce  une  grande  .ifT.iire 

Qui'  d'avoir  fait  ini  amant? 

Vous  souvient-il  bien,  ma  mère, 


DE   MADAME    LA   DUCHESSE   D  OKLÈANS.  7 

était  gouvernante  des  enfants  de  Madame,  le  seconda 
fidèlement.  Une  fois,  Madame  vint  «hez  M"""  de  Saint- 
Çhaumond  sous  prétexte  de  voir  ses  enfants,  mais,  au 
fait,  pour  s'entretenir  avec  le  comte  de  Guiche.  Elle 
avait  ini  valet  de  chambre  nommé  Launois,  que  j'ai 
vu  encore  auprès  de  Monsieur;  on  le  plaça  sur  l'esca- 
lier pour  avertir  au  cas  que  Monsieur  survînt.  Tout 
d'un  coup  voilà  Launois  qui  accourt  et  qui  dit  :  «  Voilà 
Monsieur  qui  descend  le  degré.  »  Ils  furent  tous  épou- 
vantés, le  comte  de  Guiche  ne  pouvait  se  sauver  dans 
l'antichambre;  les  gens  de  Monsieur  y  étaient  déjà. 
Launois  dit  :  «  Je  ne  vois  quim  moyen,  et  je  vais  y  avoir 
recours  ;  »  il  dit  au  comte  :  «  Tenez-vous  ici  derrière 
la  porte;  »  il  court  au  devant  de  Monsieur  et  le.  frappe 
si  fort  de  la  tête  au  milieu  de  la  figure,  que  le  sang 
coulait  en  abondance  du  nez  de  Monsieur;  il  s'écria  : 

Du  comte  de  Saint-Alban, 
Et  vous,  ô  ma  belle-mère. 
De  Jule  et  de  Buckingham? 

Jules,  c'est-à-dire  Mazavin. 

Parmi  les  amoureux  (platoniques  sans  doute)  de  Madame,  il 
faut  citer  le  comte  de  TréviUe,  personnage  très-spirituel,  très- 
instruit  et  qui  brilla  à  la  cour  de  Louis  XIV.  Saint-Simon  dit 
qu'il  fut  «  du  grand  et  du  meilleur  monde,  »  et  «  plus  que  très- 
bien  »  avec  des  dames  du  plus  haut  parage.  Témoin  de  la  mort 
affreuse  de  Madame,  en  proie  à  la  plus  violente  douleur,  il  fut 
ramené  de  Saint-Cloud  par  La  Fare  (voir  les  Mémoires  de  ce 
dernier  dans  la  coUccUon  de  Pelitot,  t.  LXV,  p.  180),  et  il  se 
jeta  dans  la  dévotion. 

La  petite  cour  du  duc  d'Orléans  était  d'ailleurs  un  foyer  d'in- 
trigues honteuses.  Le  comte  de  Tonnerre,  premier  gentilhomme 
du  prince,  perdit  sa  place  pour  avoir  dit  un  jour  que  Monsieur 
était  la  plus  sotte  femme  du  monde,  et  Madame  le  plus  sot  houiiuc' 
qu'il  eût  jamais  vu. 


8  CORRESPONDANCE 

«  Monsieur,  je  vous  demande  grâce  et  pardon  ;  je  ne 
vous  croyais  pas  si  près;  je  voulais  vile  courir  pour 
ouvrir  la  porte.  »  Madame  et  M'""  de  Saint-Chaumond 
vinrent  tout  épouvantées  avec  des  serviettes  qu'elles 
tinrent  si  longtemps  sur  le  nez  de  Monsieur,  en  l'en^ 
tourant,  que  le  comte  de  Guiche  eut  le  temps  de  s'é- 
lancer au  dehors  et  de  gagner  l'escalier  avant  que 
Monsieur  ne  pût  l'apercevoir;  il  crut  que  c'était  Laii- 
nois  qui  se  sauvait  de  peur,  et  de  sa  vie  il  n'a  su  la 
vérité  ' . 

INIadame  était  la  confidente  du  roi  ;  on  avait  toujours 
voulu  animer  le  roi  contre  IMonsieur;  on  disait  que 
Monsieur  était  tellement  aimé  à  la  cour  et  à  Paris,  que 
la  politique  exigeait  ([ue  Monsieur  eût  quelque  chose 
qui  le  préoccupât,  afm  qu'il  ne  songeât  pas  aux  affaires 
d'État;  c'est  pourquoi  le  roi  a  soutenu  Madame  dans 
ses  galanteries  afin  de  tracasser  Monsieur;  je  le  tiens 
du  roi  lui-même.  Madame  était  très-bien  avec  son  frère 
le  roi  Charles  lï,  que  le  roi  voulait  gagner  au  moyen 
de  sa  sœur;  il  fallait  donc  qu'il  fût  de  son  parti,  aussi 
a-t-elle  été  traitée  beaucoup  mieux  que  moi. 


*  Pareille  ruse,  dont  les  récits  sont  fort  nombreux,  se  trouve 
àansVn'dopadcsa,  sixième  fable  du  premier  livre;  dans  la  Dis- 
clpUna  clericalis  (p.  ■iS,  édit.  Schmidt);  dans  les  Fabliaux 
de  Legrand  d'Aussy,  1820,  t.  IV,  p.  188  ;  dans  les  Gcsla  Ro- 
manornm,  eh.  cxxi  et  r.xxui  ;  dans  Vllcptconcron ,  nouv.  VI; 
dans  les  Cent  Nouvelles  nouvelles  (seizième);  dans  les  iN'oî<- 
t>e?Zf'idcIJandello,part.  I,nov.25;deMaIcspini,^art.  I,nov.  44; 
de  Sabadino,  nov.  4  ;  dans  les  Nu'ils  de  Straparole,  172G,  t.  I, 
p.  400,  cinquième  nuit,  quatrième  conte;  dans  les  Contes  de 
d'Ouvilic,  t.  II,  p.  215,  etc. 

(Voir  Loisclcur  des  Longchamps,  Fables  indiennes^  p.  7C). 


DE   MADAME   LA    DUCHEïiSE   D  ORLEANS.  9 

Fr  octobre  1718. 

Le  roi  n'avait  de  superstition  que  dans  les  choses 
religieuses,  dans  les  miracles  de  la  mère  de  Dieu,  et 
autres  objets  semblables.  On  lui  a  fait  croire  que  c'était 
un  grand  trait  de  politique  que  d'embrasser  son  frère, 
un  vrai  coup  d'État,  et  que  cela  pouvait  s'appeler  gou- 
verner... De  son  temps,  on  avait  appris  aux  dames  à 
ne  pas  parler  des  affaires  d'État  ;  ce  n'était  pas  l'usage. 

T^orsque  le  roi  apprenait  que  quelqu'un  s'était  avisé 
de  mal  parler  de  lui ,  il  lui  parlait  avec  beaucoup  de 
fierté,  mais  autrement  on  ne  pouvait  s'exprimer  avec 
plus  de  politesse  ni  être  plus  civil  que  lui, 

Paris,  2  oclobre  1718. 

Je  ne  suis  pas  comme  le  petit  roi,  je  déteste  les  cé- 
rémonies. 11  serait  fort  gentil  s'il  voulait  parler  un  peu 
plus,  mais  on  a  de  la  peine  à  lui  arracher  des  paroles; 
il  garde  volontiers  le  silence  et  il  semble  n'aimer  per- 
sonne ,  si  ce  n'est  peut-être  sa  gouvernante,  M'n^  de 
Ventadour  '. 

Mon  fils  est,  grâce  à  Dieu,  en  parfaite  santé  ;  il  vint 
hier  soir  ici ,  il  y  a  couché  et  soupe ,  et  retourne  ce 

*  I.a  duchesse  de  Ventadour  était  une  demoiselle  de  La  Mothe- 
Houdancourt,  et  elle  joua  un  grand  rôle  à  la  cour.  La  médi- 
sance s'occupa  souvent  d'elle  (voir  Saint-Simon,  t.  VII,  p.  36 
et  IST)  :  "  Son  plus  que  très-intime  ami  dès  leur  jeunesse,  le 
duc  deVilleroi,  l'avoit  servie  auprès  de  Mn^e  de  Maintenon,  qui, 
par  raison  de  ressemblance,  aimoit  bien  mieux  les  repenties  que 
celles  qui  n'avoient  pas  fait  de  quoi  se  repentir.  »  Leduc  de  Ven- 
tadour, fort  laid,  fort  contrefait,  mourut  en  1717,  séparé  d'elle 
depuis  nombre  d'années.  Avec  beaucoup  d'esprit,  il  mena  tou- 
jours la  vie  la  plus  obscure  et  la  plus  débauchée.  11  ne  pouvait 


10  CORRESPONDANCE 

matin  à  Paris;  il  a  été  fort  gai.  Il  nous  a  dit  qu  en 
Espagne  il  y  avait  des  raisins  énormes  et  qui  enivrent 
comme  du  vin,  et  qu'une  fois,  ai)rès  avoir  mangé  une 
seule  grappe,  il  s'était  senti  la  tête  toute  troublée;  il 
était  allé  dans  un  couvent,  ne  savait  plus  ce  qu'il 

être  oublié  dans  les  chansons  de  l'époque  ;  en  voici  une  que 
nous  prenons  dans  le  recueil  de  Maurepas  : 

De  l'objet  le  plus  bizarre, 
Du  corps  le  plus  contrefait, 
J'entreprendrai  le  portrait, 
si  mon  pinceau  ne  s'égare  ; 
Je  n'eu  dirai  pas  le  nom, 
Sa  bosse  nous  le  déclare  ; 
Je  n'en  dirai  pas  le  nom. 
Or,  écoutez  ma  chanson. 

De  la  bouche  de  ce  faune. 
D'un  gnome  le  rejeton. 
Il  coule  sur  son  menton 
Une  bave  épaisse  et  jaune  ; 
Je  n'en  dirai  pas  le  nom. 
Sa  maison  est  à  Charonne, 
Je  n'en  dirai  pas  le  nom. 

Il  est  parent  d'un  grand  prince; 
Son  père  jusqu'à  sa  fin, 
Quoique  d'un  esprit  fort  mince, 
Gouverna  le  Limousin; 
Je  n'en  dirai  pas  le  nom, 
Son  titre  est  dans  la  province, 
Je  n'en  dirai  pas  le  nom. 

Sa  femme,  par  sa  prudence. 
L'a  quitté  depuis  vingt  ans, 
N'a  souffert  que  trop  longtemps 
Son  iuiporluue  présence  ; 
Je  n'eu  dirai  pas  le  nom. 
Elle  a  soin  des  fils  de  France, 
Je  n'en  dirai  pas  le  nom. 

«  Madame  de  Ventadour  était  fort  belle  et  fort  agréable  ;  son 
mari  très-laid  et  très-contrefait;  ils  étaient  fort  mal  ensemble, 
et  les  clioscs  éluicut  souvent  allées  fort  loin.  Sur  la  démission 


DE  MADAME  LA  DUCHESSE  o'ORLÉANS.      H 

disait,  et  avait  dit  aux  religieuses  toutes  sortes  de 
folies. 

4  octobre  1718. 

Le  duc  du  Maine  sait  bien  qui  a  été  sa  mère;  mais 
il  n'a  aimé  que  sa  gouvernante,  et  il  ne  lui  a  jamais 
témoigné  de  mécontentement  povu^  le  mauvais  service 
qu'elle  a  rendu  à  sa  mère,  qu'elle  a  jetée  à  bas  et  dont 
elle  a  pris  la  place  '. 

6  octobre  1718. 

M"*  de  Valois  est  Ijrune,  elle  a  de  fort  beaux  yeux, 
mais  son  nez  est  vilain  et  trop  gros...  Selon  moi,  elle 
n'est  pas  belle  ;  il  y  a  pourtant  des  jours  où  elle  n'est 
pas  laide,  car  elle  a  de  belles  couleurs  et  une  belle 
peau;  lorsqu'elle  rit,  une  grande  dent  qu'elle  a  à  la 
mâchoire  d'en  haut  fait  un  vilain  eflet.  Sa  taille  est 
courte  et  laide;  sa  tête  enfoncée  dans  ses  épaules;  et 
ce  qu'elle  a  de  pire,  à  mon  avis,  c'est  la  mauvaise 

de  Mme  de  Cléranibault ,  Monsieur  donna  gratis  la  charge  de 
dame  d'honneur  de  Madame  à  Mme  de  Ventadour  ;  cela  parut  si 
éU'ange  au  roi,  qu'il  demanda  à  Monsieur  si  sa  famille  y  con- 
sentait; on  se  soucia  peu  du  mari,  dont  la  débauche  et  une  ab- 
sence continuelle  de  la  cour  ne  lui  donnaient  pas  grande  con- 
sidération »  {note  de  Saint-Simon  sur  le  Journal  de  Dangeau). 
1  La  bibliothèque  impériale  du  Louvre  renferme  (t.  III  de  la 
seconde  sério  de  la  Correspondance  des  Noailles)  vingt-sept  let- 
tres de  Mme  de  Montespan  écrites  de  1691  à  1707.  Quelques- 
unes  sont  fort  intéressantes,  car  elles  témoignent  des  elïorts  inu- 
tiles que  lit ,  à  diverses  reprises ,  la  maîtresse  délaissée  pour 
entretenir  des  relations  avec  celle  qui  l'avait  supplantée  dans  le 
cœur  du  roi.  Des  lettres  et  documents  relatifs  à  Mme  de  Màin- 
tenon  se  trouvent  dans  cette  bibliothèque  et  dans  celle  de  la 
rue  Richelieu  (voir  V Al hcnœum  français,  10  décembre  1854, 
p.  1185). 


12  CORRESPONDANCE 

grâce  qu'elle  met  en  tout  ce  qu'elle  fait;  elle  va  comme 
une  femme  de  quatre-vingts  ans. 

8  octobre  1718. 

Ma  tante  Elisabeth,  abbesse  d'Hervord,  avait  les 
cheveux  très-noirs.  Un  jour,  sortant  du  bain  et  s'en- 
veloppant  d'un  peignoir  qui  avait  un  grand  trou  sur 
le  devant,  elle  se  mit  à  gronder  sa  femme  de  chambre  : 
«  N'êtes-vous  pas  les  gens  les  plus  négligents  et  les  plus 
malpropres  du  monde  de  me  donner  un  peignoir  avec 
une  si  horrible  tache  noire?  »  La  femme  de  chambre  se 
mit  à  rire  et  pria  ma  tante  de  mettre  la  main  sur  celte 
tache  afin  de  s'assurer  de  ce  que  c'était.  Ma  tante 
suivit  le  conseil  de  sa  femme  de  chambre,  et  courut 
toute  honteuse  se  cacher  dans  son  lit. 

9  octobre  1718. 

Ce  qui  a  porté  la  pauvre  demoiselle  d'Orléans  à  se 
faire  religieuse,  c'est  tout  simplement  le  peu  d'affec- 
tion qu'elle  a  trouvée  auprès  de  sa  mère  et  la  peur 
qu'elle  a  eue  qu'on  ne  la  tourmentât  afin  de  la  forcer 
à  épouser  le  fils  ahié  du  duc  du  Maine;  elle  a  mieux 
aime  se  retirer  du  monde  que  s'exposer  à  attirer  sur 
elle  toute  la  haine  de  sa  mère  '.  C'est  une  bien  mau- 
vaise mère  qu'elle  a  là,  et  Dieu  le  sait  bien,  mais  il  ne 
faut  pas  confier  des  choses  de  ce  genre  à  la  poste. 

M'«etle  Dangeau  n'a  pas  lieu  de  s'inquiéter  que  j'aille 
dîner  chez  elle;  en  dix  ans  il  ne  m'est  arrivé  qu'une 

'  Un  passage  curieux  et  touchant  dos  Mémoires  de  la  ba- 
ronne d'Oberk'iveh  prétend  faire  connaître  la  véritable  cause  de 
la  dét(!rniination  de  M"c  d'Oriéans,  mais  nous  avons  des  doutes 
sur  l'aullienticité  de  ces  Mémoires. 


DE   MADAME   I.A   DUCHESSE   d'oRLÉANS.      .        13 

seule  fois  de  diner  chez  quelqu'un,  et  c'était  chez 
jf me  (Je  Venladour.  Le  fait  est  que  M™^  de  Dangeau  est 
fort  réservée  et  ne  veut  pas  se  répandre  beaucoup 
dans  le  monde.  M"*  de  Valois  n'a  pas  du  tout  été  de 
son  goût  ;  elle  ne  veut  plus  voir  personne  de  la  maison 
royale,  si  ce  n'est  moi;  elle  évite  la  duchesse  de  Berri 
tout  autant  que  sa  sœur.  Son  seul  défaut  c'est  qu'elle 
regarde  la  vieille  sorcière  [Maintenon]  comme  une 
personne  respectable  et  pieuse,  tandis  que  c'est  un 
véritable  diable;  mais  ceci  fait  l'éloge  de  ses  bons 
sentiments,  puisqu'elle  ne  peut  penser  du  mal  d'une 
personne  qu'elle  aime.  J'ai  regretté  souvent  qu'elle  ne 
fût  pas  duchesse ,  et  en  voyant  tant  de  duchesses  as- 
sises, je  souffrais  de  voir  debout  M"'^  de  Dangeau,  qui 
est  d'une  si  bonne  famille  de  comtes. 

Je  parlerai  à  mon  fils  du  colonel  Sclnvartz,  mais  je 
crains  de  ne  pas  réussir  ;  l'argent  est  chose  rare  à  la 
cour,  et  il  est  plus  difficile  de  trouver  mille  livres  que 
deux  fois  autant  du  temps  du  feu  roi.  Les  finances  sont 
dans  un  état  déplorable ,  et  on  peut  dire  avec  raison 
de  notre  roi  qu'il  est  un  pauvre  roi. 

11  octobre  1718. 

M""*  du  Maine  n'est  pas  plus  grande  qu'un  enfant  de 
dix  ans.  Quand  elle  ferme  la  bouche,  elle  n'est  pas 
laide.  Elle  a  de  vilaines  dents  mal  rangées.  Elle  n'est 
pas  très-grosse,  elle  met  horriblement  de  rouge,  elle 
a  de  johs  yeux,  elle  est  blanche  et  blonde  ;  si  elle  était 
aussi  bonne  ([u'clle  est  méclianle,  il  n'y  aurait  rien  à 
dire  contre  elle,  mais  sa  méchanceté  est  intolérable... 
Elle  est  Iranquille  durant  toute  la  journée,  et  elle  la 
!..  2 


14  CORRESPONDANCE 

passe  à  jouer  aux  cartes;  mais  lorsque  le  jour  esl  fini, 
alors  commencent  les  colères  et  les  extravagances; 
elle  tourmente  son  mari,  ses  enfants,  ses  domestiques 
au  point  qu'ils  ne  savent  que  devenir. 

La  Polignac  faisait  croire  à  M.  le  Duc  qu'elle  l'ai- 
mait. Lui,  qui  sait  bien  le  train  qu'elle  mène,  la  fit 
espionner  et  apprit  qu'elle  avait  une  intrigue  cachée 
avec  le  chevalier  de  Bavière.  Il  lui  en  fit  des  repro- 
ches; elle  nia  la  chose.  M.  le  Duc  l'avertit  de  ne  pas 
s'imaginer  qu'elle  pût  le  tromper;  elle  jura  qu'il  était 
mal  informé,  et  dès  qu'il  l'eut  quittée,  elle  se  rendit 
chez  le  chevalier.  M.  le  Duc,  qui  l'avait  fait  suivre, 
l'apprit  aussitôt.  Le  lendemain,  il  lui  donna  rendez- 
vous  chez  lui  ;  elle  se  rendit  dans  la  chambre  à  cou-? 
cher,  elle  croyait  qu'il  ne  savait  rien.  Cependant  M.  le 
Duc  ouvrit  grandement  la  porte,  en  sorte  qu'on  pou- 
vait la  voir  du  cabinet  qui  était  tout  rempli  d'hommes  ; 
il  appela  le  chevalier  de  Bavière,  et  lui  dit  :  «  Monsieur  ! 
venez  prendre  votre  compagne,  elle  n'aura  pas  besoin 
d'aller  si  loin  pour  vous  trouver...  »  Quoique  M.  le  Duc 
et  le  prince  de  Conti  soient  doublement  beaux-frères, 
ils  n'ont  de  leur  vie  pu  se  souflrir  mutuellement. 

14  octobre  m  8,  _ 

M™«  la  princesse  {de  Conti)  est  fort  petite  et  elle  est 
contrefaite,  sans  être  cependant  bossue.  Elle  a  de 
beaux  yeux  comme  en  avait  son  père,  mais  autrement 
elle  n'est  pas  du  tout  belle;  mais  elle  a  beaucoup  de 
vertu  et  de  piété. 

Mon  fils  aime  le  comte  de  Toulouse;  il  le  trouve 
fort  raisonnable  en  toute  circonstance  ;  et  si  le  duc  du 


DE   MADAMK    LA    niCIll.SSE   D'ORLÉANS.  15 

Maine  avait  suivi  le  conseil  de  son  frère,  il  n'aurait 
pas  ce  qui  lui  est  arrivé  ;  malheureusement  pour  lui, 
il  a  mieux  aimé  agir  d'après  les  avis  de  sa  femme. 

•jyinie  (jij  Maine  n'est  pas  une  beauté,  mais  elle  a 
beaucoup  d'esprit,  elle  est  fort  instruite,  elle  peut 
parler  de  toutes  sortes  de  sujets  ;  cela  attire  auprès 
d'elle  tous  les  savants;  elle  sait  tlatler  tous  les  mécon- 
tents et  les  animer  contre  mon  fils.  Elle  est  seigneur 
et  maître  de  son  mari.  Il  a  beaucoup  de  charges  et 
peut  donner  des  places  à  beaucoup  de  monde,  dans  le 
régiment  des  gardes,  dont  il  est  général  ;  dans  l'artil- 
lerie, dont  il  est  grand-maitre,  dans  les  carabiniers, 
où  il  nomme  tous  les  ofliciers;  il  a  aussi  son  régiment  ; 
cela  rallie  à  lui  beaucoup  de  monde. 

Quelqu'un  m'a  raconté  qu'il  avait  surpris  Madame 
et  Mnie  de  Monaco  se  livrant  ensemble  à  la  débauche. 

15  octobre  1718. 

L'affaire  du  duc  du  Maine  n'est  pas  de  ces  choses 
qu'on  puisse  oublier,  du  moins  tant  que  les  deux 
vieilles  drôlesses  (zoten)  seront  en  vie  {M^^  de  Main- 
tenon  et  la  princesse  des  Ursins),  car  elles  excitent  le 
duc  du  Maine  '  et  sa  petite  diablesse  de  femme  à  ma- 
nigancer toutes  sortes  de  choses  contre  mon  fils. 
M^^e  (les  Ursins  a  du  moins  cela  de  bon  qu'elle  ne  fait 
pas  intervenir  le  bon  Dieu  dans  ses  intrigues  ^ 

'  «  Le  duc  du  Maine,  comblé  de  dignités,  n'avait  su  mériter 
«  aucun  respect;  il  était  affligé  d'une  maladie  mortelle  en 
«  France,  même  pour  les  vertus  ;  il  était  sans  courage.  »  (Le- 
montey.  ) 

*  Lsi  Revue  d'Edimbourg,  n'88;  sej)teinbre  182G,  renferme, 


16  CORRESPONDANCE 

Mon  fils  n'est  pas  en  sûreté,  et  cela  m'inquiète  ex- 
trêmement. Je  fais  de  mon  mieux  pour  me  résigner  à 
la  volonté  divine,  et  pour  accepter  tout  ce  qu'elle  dé' 
cidera  ;  mais  le  cœur  d'une  mère  est  trop  tendre  à 
l'égard  d'un  fds  unique. 

On  attendrirait  des  lions,  des  tigres  et  toutes  sortes 
de  bêtes  féroces  plutôt  que  de  méchantes  gens,  sur- 
tout lorsque  l'ambition  et  la  cupidité  sont  la  cause  de 
leur  inimitié.  Tous  les  raisonneurs  ne  savent  pas  dans 
quel  état  déplorable  mon  fds  a  trouvé  le  royaume; 
lorsque  survient  un  changement,  chacun  s'imagine 
qu'il  va  devenir  riche,  on  loue  celui  qui  gouverne  et 
on  attend  de  lui  des  merveilles  ;  mais  comme  elles  ne 
se  réalisent  pas,  car  elles  sont  impossibles,  alors  le 
blâme  se  substitue  à  l'éloge.  11  n'y  aurait  pas  de  mal 
si  ces  plaintes  s'exhalaient  seulement  en  paroles,  mais 
les  mécontents  forment  des  intrigues  et  des  complots  ; 
les  Français  ne  se  gênent  en  rien  et  ne  savent  pas  ce 
que  c'est  que  la  reconnaissance. 

IG  oclobre  1718. 

Le  roi  a  oublié  La  Vallière  aussi  bien  que  si  de  sa 
vie  il  ne  l'avait  ni  vue  ni  connue...  Elle  avait  autant 
de  vertus  que  la  Montcspan  avait  de  vices.  La  seule 
faiblesse  qu'elle  ait  eue  pour  le  roi  était  bien  excu- 
sable; le  roi  était  jeuiu;,  galant,  beau  ;  elle-même  était 
fort  jeune;  tout  le  monde  l'a  poussée  et  amenée  à  sa 
faute;  au  fond,  elle  était  modeste  et  vertueuse,  et  elle 
avait  un  très-bon  cœur.  Je  lui  disais  quelquefois  qu'elle 

au  sujet  des  lettres  de  M"ic  je  Maiulcnon  ù  la  princesse  des  Ur- 
sins,  une  appréciation  judicieuse  do  ces  deux  femmes  célèbres. 


DE   MADAME   LA    DUCHESSE   d'oRLÉANS.  17 

avait  fait  une  transposition  de  son  amour,  et  qu'elle 
avait  rapporté  à  Dieu  tout  ce  qu'elle  avait  eu  dans 
son  cœur  pour  le  roi. 

On  a  fait  à  La  Vallière  la  plus  grande  injustice  en 
l'accusant  d'aimer  quelque  autre  personne  que  le  roi  ; 
mais  les  mensonges  ne  donnaient  nul  souci  à  la  Mon- 
tespan.  Le  comte  de  Vermandois  était  un  très-bon  en- 
fant ;  le  pauvre  jeune  homme  m'a  aimée  comme  si 
j'avais  été  sa  mère.  Lorsque  tout  fut  découvert  au 
sujet  de  ses  débauches,  je  fus  avec  raison  très-fàchée 
contre  lui ,  car  je  l'avais  fait  avertir  sérieusement  que 
s'il  se  comportait  ainsi,  je  cesserais  de  l'aimer.  Cela 
lui  tint  au  cœur;  il  envoya  tous  les  jours  chez  moi,  et 
me  fit  prier  de  lui  permettre  de  me  dire  seulement  un 
couple  de  mots.  Je  tins  bon  pendant  quatre  semaines  ; 
à  la  fin,  je  le  fis  venir  :  il  tomba  à  genoux  devant  moi, 
en  pleurant  beaucoup,  et  me  demanda  pardon  en  me 
promettant  de  se  corriger,  et  me  suppliant  de  lui 
rendre  mon  amitié ,  sans  laquelle  il  ne  pouvait  pas 
vivre,  disait-il,  et  de  l'assister  de  nouveau  de  mes 
conseils.  11  me  raconta  toute  son  histoire.  Il  a  été 
horriblement  séduit.  Lorsque  madame  la  Dauphine 
accoucha  du  duc  de  Bourgogne,  je  dis  au  roi  :  «Votre 
Majesté  ne  me  refusera  pas  à  présent,  je  l'espère,  une 
humble  prière  que  j'ai  à  lui  faire.  »  Le  roi  se  mit  à  rire, 
et  dit  :  «  Que  demandez-vous  donc?  »  Je  répondis  :  «  Mon- 
sieur, la  grâce  du  pauvre  M.  de  Vermandois.  »  11  rit  de 
nouveau,  et  dit  :  «  Vous  êtes  bonne  amie;  mais  pour 
M.  de  Vermandois,  il  n'a  pas  encore  été  assez  puni 
pour  ses  crimes.  »  Je  dis  :  «  Le  pauvre  garçon  est  si  re- 
pentant de  ses  fautes  !  »  Le  roi  répondit  :  «  Je  ne  me 

2. 


18  CORRESPONDANCE 

sens  pas  encore  en  disposition  de  pouvoir  le  voir;  je 
suis  encore  trop  en  colère  contre  lui.  »  Il  s'est  écoulé 
encore  quelques  mois  avant  que  le  roi  ait  voulu  le 
voir;  mais  le  pauvre  enfant  m'a  su  beaucoup  de  gré 
d'avoir  parlé  pour  lui;  et  mes  propres  enfants  n'au- 
raient pu  m'êlre  plus  attachés  qu'il  ne  l'était.  11  était 
i)ien  fait  ;  mais  sa  figure,  sans  être  cependant  désa- 
gréable, n'était  pas  jolie  :  il  louchait  un  peu. 

18  octobre  1718. 

Plût  à  Dieu  que  mon  fils  eût  aussi  peu  de  confiance 
en  l'abbé  Dubois  que  j'en  ai  moi-même  ;  ce  qu'il  y  d'é- 
tonnant, c'est  qu'il  le  connaît  mieux  que  qui  que  ce 
soit  au  monde,  et  que  cependant  il  se  fie  à  lui  comme 
il  fait,  mais  il  en  est  ainsi  de  tous  les  gens  de  sa  fa- 
mille; il  faut  qu'ils  fassent  ce  dont  ils  ont  contracté 
l'habitude.  Cet  abbé  a  été  son  précepteur,  mon  fils 
s'est  accoutumé  à  tout  lui  dire,  et  les  choses  doivent 
continuer  à  marcher  de  la  sorte. 

19  Oflolne  1718. 

La  cour  craignait  horriblement  le  duc  du  Maine, 
d'abord  à  cause  de  la  Maintenon,  ensuite  parce  qu'il 
disait  au  roi  du  mal  de  tout  le  monde  ;  ceux  qu'il  avait 
promis  de  servir  étaient  ceux  auxquels  il  jouait  les 
plus  mauvais  tours...  Le  premier  président  de  Mesmes 
n'a  pas  tort  d'être  l'ami  du  duc  du  Maine,  qui  lui  a 
fait  avoir  sa  place,  et  qui  conserve  encore  toutes  ses 
charges.  On  ne  peut  lui  ôter  celle  de  grand-mailre  de 
l'artillerie  sans  faire  tomber  sa  tête  à  ses  pieds. 


DE  MADAME   LA  DUCHESSE  d'oRLÉANS.  19 

Paris,  20  octobre  H 18. 

Pour  dire  la  vérité,  il  faut  convenir  que  les  femmes 
galantes  sont  plus  amusantes  que  les  femmes  ver- 
tueuses, mais  il  faut  moins  s'y  fier.  La  princesse  de 
Siegen  prétend  que  parce  qu'elle  ne  fait  aucun  mys- 
tère des  visites  et  des  rapports  qu'elle  entretient  avec 
le  jeune  Dornberg,  rien  de  mal  ne  se  passe  entre  eux  ; 
cela  s'appelle  une  finesse  cousue  de  fil  blanc.  Toutes 
les  coquettes  prétendent  que  leurs  amants  se  bornent 
à  les  admirer  et  qu'il  n'y  a  là  que  de  la  plaisanterie  ; 
mais  c'est  un  jeu  périlleux,  et  les  femmes  qui  ont 
contracté  l'habitude  de  la  coquetterie  trouvent  diffi- 
cile d'y  renoncer. 

Paris,  23  octobre  1718. 

11  est  facile  de  se  rendre  compte  pourquoi  mon  fils 
est  haï  dans  toute  la  France;  la  vieille,  et  le  duc  du 
Maine  et  sa  femme,  ainsi  que  tout  le  parti  espagnol, 
ont  leurs  agents  qui  vont  de  maison  en  maison,  dé- 
peignant mon  fils  comme  un  monstre,  comme  un  em- 
poisonneur, comme  un  voleur,  tandis  qu'il  est  le  plus 
désintéressé  des  hommes  et  qu'il  ne  saurait  faire  de 
mal  à  un  animal  ;  mais  ils  ont  leurs  raisons  pour  agir 
ainsi;  ces  choses  se  voient  de  tout  temps.  En  atten- 
dant, on  répand  contre  lui  des  écrits  atroces,  et  on 
l'injurie  de  la  façon  la  plus  mensongère  et  la  plus 
horrible  '. 

1  M.  Capeflgue  a  publié  des  vers  jusqu'alors  inédits  de  Vol- 
taire, alors  très-jeune,  contre  le  Régent,  et  enfouis  dans  la  col- 
leclion  Maurepas,  t.  XllI. 

De  l'État  sujet  inutile. 

Plus  que  feu  ton  père  imbécile. 


20  COIlHESI'ONDANCl£ 

28  oclobre  1718. 

Il  faut  qu'on  ait  dispensé  le  fils  de  l'électeur  de 
Bavière  de  fournir  des  preuves  pour  le  faire  évèqiie  de 
Cologne  et  de  Munster  ;  on  sait  bien  que  le  roi  Sobiesky 

Plus  que  Ion  oucle  détesté, 
îlauvais  donneur  de  faux  breuvage, 
Non,  tu  ne  l'a  jamais  été  ; 
Il  faut  pour  cela  du  courage. 

Une  éplfaphe  où  était  contenue  une  allusion  aux  projets  prêtés 
au  duc  sur  la  couronne  de  Philippe  V  fut  faite  d'avance  : 

Philippe  est  mort  à  la  sourdine. 
Il  est  descendu  dans  l'enfer; 
C'est  pour  enlever  Proserpine, 
Ou  pour  détrôner  Lucifer. 

On  connait  les  fameuses  PhiVppiqiies  de  La  Grange-Chanccl. 
fjlles  sont  divisées  en  quatre  odes  ;  le  poêle  accuse  sans  ména- 
gement le  réu'cnt  d'avoir  empoisonné  plusieurs  membres  de  la 
famille  royale,  et  d'inceste  avec  sa  fille. 

Nocher  des  ondes  infernales, 
Prépare-toi,  sans  t'cffE-ayer, 
A  passer  les  ombres  royales 
Que  Philippe  va  t'envoyer.,,. 

11  apostrophe  en  ces  termes  la  duchesse  de  Berri  : 

Toi  qui  joins,  au  nœud  qui  vous  lie, 

Des  nœuds  dont  tu  n'as  pas  d'effroi, 

Ni  Mtssaliue,  ni  Julie, 

Ne  sont  plus  rien  auprès  de  toi  ; 

De  ton  père  amante  et  rivale. 

Avec  une  fureur  égale, 

Tu  poursuis  les  mêmes  plaisirs. 

Et  toujours  plus  insatiable, 

Quand  le  nombre  même  t'accable, 

11  n'assouvit  point  tes  désirs. 

La  première  édition  des  Philippiques  vit  le  jour  en  Hollande 
en  17  23;  il  en  existe  plusieurs  autres,  notamment  celle  impri- 
mée ù  Paris,  chez  Didot,  179S,  de  132  pages  dont  C5  pour  les 
notes,  et  celle  de  Bordeaux,  1797.  M.  Pcignot  (Dictionnaire 


DE   MADAME    LA    DLCHESSl-:    d'oKLÉANS.  21 

était  un  simple  gentilhomme  polonais,  et  sa  lemme 
était  fille  de  Darquin,  qui  a  été  capitaine  dos  Suisses 
de  feu  iMonsieur.  On  soupçonne  i'ort  un  docteur  ita- 
lien, nommé  Simoni,  d'avoir  fait  tous  les  princes  ba- 
varois, savoir  l'électeur  et  ses  frères  et  sœurs;  on  dit 
seulement  à  la  cour  qu'il  a  donné  à  l'électeur  et"à  sa 
femme  des  drogues  si  fortifiantes  que  les  enfants  en 
sont  survenus;  à  en  juger  par  la  physionomie,  ils  ap- 
partiennent au  docteur. 

Le  maréchal  de  Villars  était  excessivement  pas- 
sionné pour  un  prince  d'Kiscnach  ;  il  lui  fit  une  décla- 
ration d'amour;  celui-ci  n'entendit  pas  raillerie;  il 
voulait  faire  donner  des  coups  de  bâton  au  maréchal, 

Baudelot  dit  un  jour  des  douceurs  à  M'"*  la  douai- 
rière, qui  était  masquée  et  qu'il  ne  connaissait  pas. 
Elle  lui  donna  rendez-vous  au  Palais-Royal,  il  y  vint, 
et,  quand  il  la  reconnut,  il  fut  saisi  d'effroi;  elle  faillit 
6C  rendre  malade  à  force  de  rire. 

29  oclobre  1718. 
Monsieur  aimait  si  fort  le  son  dos  cloches  qu'il  ve- 
nait exprès  à  Paris  passer  la  nuit  de  la  Toussaint,  car 
toutes  les  cloches  sonnent  pendant  cette  nuit.  Il  n'ai- 
mait aucune  autre  musique.  Il  en  riait  lui-même,  mais 
il  convenait  que  cette  sonnerie  lui  faisait  un  plaisir 
extrême...  Je  ne  l'ai  jamais  laissé  aller  seul  quelque 
part  sans  son  ordre  exprès... 

des  livres  condamnés,  ISOfi,  t.  I,  p.  209)  a  donné  des  extraits 
de  ces  odes.  (Voir  aussi  son  Précis  historique  de  la  maison 
d'Orléans,  18-30,  p.  48.)  Elles  ont  été  insérées,  mais  avec  beau- 
coup de  fautes  et  de  contre-sens,  dans  l'ouvrage  de  Moullle- 
d'Argcnville,  Vie  privée  de  Louis  XV,  1772,  4  vol.  in-12. 


22  CORRESPONDANCE 

Monsieur  a  toujours  fait  le  dévot.  Les  soldats  di- 
saient de  lui  à  l'armée  :  11  craint  plus  la  poussière  et 
le  soleil  que  les  coups  de  fusil.  Et  c'était  bien  vrai. 

Le  chevalier  de  Lorraine  était  un  méchant  homme, 
mais  tous  ses  bons  amis  ne  valaient  pas  mieux  que 
lui.  Ses  dernières  paroles  ont  été  des  infamies  ;  il  a 
perdu  soudain  toute  connaissance,  et  il  est  mort  une 
heure  après.  Quelques  années  avant  la  mort  de  feu 
Monsieur,  il  m'avait  demandé  pardon. 

30  octobre  1T18. 

M.  le  Duc  et  le  prince  {de  Conti)  ont  travaillé  avec 
beaucoup  de  véhémence  à  la  chute  du  duc  du  Maine. 
Mon  fds  ne  pouvait  s'y  résoudre,  jusqu'à  ce  qu'on  lui 
eût  fait  voir  si  clairement  toutes  ses  trahisons  qu'il  a 
bien  compris  qu'il  serait  lui-même  la  victime  s'il  ne 
prévenait  pas  ses  ennemis. 

l<^'"  novembre  1718. 

Mon  fils  ne  nie  point  qu'il  soit  indiscret  et  incon- 
stant. Nous  voyions  dans  une  comédie  Valère  qui  est 
fatigué  de  sa  maîtresse  ;  il  me  dit  :  «  Voilà  comme  je 
me  suis  très-souvent  trouvé...  »  11  a  très-vivement  re- 
commandé à  milord  Slanhopc  de  parler  au  roi  d'An- 
gleterre en  faveur  de  Votre  Altesse  (  la  princesse  de 
Galles).  Il  dit  qu'il  n'a  pas  de  désir  plus  vif  que  de 
voir  Votre  Altesse  rentrer  dans  les  bonnes  grâces  de 
Sa  Majesté,  et  qu'il  ne  laissera  échapper  nulle  occa- 
sion pour  y  contribuer  de  son  mieux  ;  car  il  est  per- 
suadé que  ce  qu'il  y  a  de  i)lus  favorable  pour  les  inté- 
rêts do  Votre  Altesse  et  pour  ceux  du  roi,  c'est  de  vivre 
ensemble  en  bonne  harmonie. 


DE   MADAME    LA   DUCHESSE    d'oRLÉANS,  23 

Il  est  certain  que  mon  fils  est  à  plaindre  à  cause  de 
sa  femme,  et,  n'y  eût-il  que  cette  raison,  je  ne  puis 
comprendre  qu'il  puisse  si  fort  aimer  l'abbé  Dubois  ; 
car  c'est  cet  abbé  qui  l'a  persuadé  de  consentir  à  ce 
mariage  et  qui  l'a  plongé  dans  ce  malbeur. ..  Mon  fds 
voit  sa  femme  tous  les  jours  ;  si  elle  est  de  bonne  hu- 
meur, il  reste  longtemps  avec  elle  ;  si  elle  est  de  mau- 
vaise humeur,  ce  qui  arrive  souvent ,  il  s'en  va  et  ne 
dit  rien. 

Paris,  1"  novembre  1718. 

jyjme  ^'Orléans  ne  croit  pas  avoir  sa  pareille  au  monde 
sous  le  rapport  de  la  beauté,  de  l'esprit  et  de  toutes 
les  perfections.  Je  la  compare  toujours  à  Narcisse, 
tant  elle  se  regarde  constamment  dans  son  miroir. 
Elle  joint  à  son  ambition  un  caractère  fort  vindicatif; 
elle  ne  pardonne  ni  à  M""  de  Valois,  ni  à  la  religieuse 
de  Chelles ,  de  n'avoir  pas  voulu  épouser  son  neveu 
aux  longues  lèvres  (  le  fils  du  duc  du  Maine).  Je  lui 
pardonnerais  tout  cela,  si  elle  n'était  pas  aussi  fausse; 
par  exemple,  elle  me  (latte,  et  sous  main  elle  fait  tout 
pour  exciter  M""  de  Berri  contre  moi;  elle  lui  dit 
qu'elle  croit  peut-être  que  j'ai  de  l'attachement  pour 
elle,  mais  que  je  ne  m'en  soucie  plus  depuis  que  j'ai 
sa  sœur  avec  moi. 

;  2  novembre  1718. 

!  11  est  certain  que  W  de  Berri  vit  avec  magnificence, 
mais  elle  le  peut,  car  elle  a  six  cent  mille  livres  de 
revenu...  Elle  a  pris  Meudon  pour  son  douaiie  au 
lieu  d'Amboise...  Si  elle  avait  eu  auprès  d'elle  des 
gens  bien  intentionnés,  qui  auraient  eu  plus  de  souci 


24  correspondancf: 

(lo  riionnonr  de  leur  [)rincesse  que  de  leurs  propres 
intérêts,  elle  serait  digne  d'admiration,  car  d'elle- 
même  elle  a  de  bons  sentiments  ;  mais,  comme  dit  le 
proverbe,  les  mauvaises  compagnies  gâtent  les  bonnes 
mœurs. 

3  novembre  1718. 

J'éprouve  une  douleur  amère  quand  je  pense  à  tout 
ce  que  M.  Louvois  a  fait  brûler  dans  le  Palatinat  ;  je 
crois  qu'il  brûle  terriblement  dans  l'autre  monde,  car 
il  est  mort  si  brusquement  qu'il  n'a  pas  eu  le  temps 
de  se  repentir.  Il  a  été  empoisonné  par  son  médecin, 
que  l'on  a  ensuite  empoisonné  '  ;  mais  avant  de  mou- 
rir, il  a  fait  l'aveu  de  son  crime,  avec  des  détails  si 
circonstanciés,  qu'il  n'y  avait  pas  moyen  d'en  douter. 
Comme  il  était  l'ami  de  la  vieille,  on  a  prétendu  qu'il 
avait  un  transport  de  fièvre  chaude  :  on  voit  ainsi , 
quand  on  examine  bien  les  choses,  la  justice  de  Dieu 
en  tout ,  et  ordinairement  on  est  en  ce  monde  puni 
par  où  l'on  a  péché.  L'électeur  palatin  s'est  toute  sa 

'  Nous  lisons  dans  le  Journal  de  Dangeau  :  «  On  a  fait  cm- 
«  prisonner  un  fioUeur  savoyard  qu'on  soupçonne  avoir  mis  du 
•  poison  dans  une  aiguière,  qui  était  dans  la  chambre  de  M.  de 
0  Louvois,  dans  laquelle  il  buvait  souvent;  il  y  avait  même  bu 
«(  après  son  dîner,  le  jour  qu'il  mourut.  »  Saint-Simon  et  divers 
autres  écrivains  de  l'époque  parient  de  ces  circonstances,  et  tous 
les  médecins,  un  seul  excepté,  déclarèrent  qu'il  y  avait  indica- 
tion de  poison;  mais,  d'après  le  témoignage  du  docteur  Dionis, 
qui  assista  Louvois  à  ses  derniers  moments,  et  qui  en  parle  avec 
grands  détails  dans  son  Tiailc  des  vioiis  subites  (  1720),  on  ne 
saurait  douter  que  le  célèjjre  minisire  n'ait  succombé  à  une  at- 
taque d'appnpk'xic  pulmonaire  (  voir  la  nouvelle  édition  dcDail- 
geau,  à  la  (in  du  tome  III). 


DE   MADAME   LA    ni'CHKSSF:    d'oRLKANS.  '15 

vie  fait  aimer  à  cause  de  son  cuiuilé  ;  mais  les  minis- 
tres ne  se  piquent  pas  d'être  justes  ;  ils  ne  voient  que 
leur  propre  intérêt;  ils  le  prélèrent  à  l'honneur  et  à 
la  gloire  de  leur  maître,  et  plus  celui-ci  est  bon,  plus 
les  ministres  sont  insolents. 

4  novembre  1718. 

11  n'est  pas  étonnant  que  le  roi  n'ait  pas  été  affligé 
de  la  famine.  D'abord  il  n'a  rien  vu ,  ensuite  on  lui  a 
fait  croire  que  les  nouvelles  qu'on  répandait  étaient 
fausses,  et  que  ces  bruits  n'étaient  pas  vrais.  La  gue- 
nipe  a  agi  de  la  sorte  afin  de  gagner  énormément 
d'argent  ;  elle  a  acheté  du  blé  bon  marché  et  l'a  re- 
vendu extrêmement  cher.  On  avait  recommandé  à 
tout  le  monde  de  ne  pas  parler  de  la  disette ,  afin  de 
ne  pas  causer  au  roi  une  peine  mortelle. 

Le  roi  aimait  mon  fils  et  mon  petit-fils;  mais  il  s'est 
peu  soucié  de  mes  petites-filles...  11  a  sincèrement 
aimé  feu  Monsieur,  et  il  avait  raison ,  car  un  enfant 
ne  saurait  avoir  pour  ses  parents  ime  obéissance  plus 
aveugle  que  n'était  celle  de  Monsieur  pour  le  roi. 
C'était  de  l'idolâtrie. 

La  Dauphine  passait  fortement  pour  aimer  les 
femmes. 

Mon  fils  dit  qu'il  prend  toutes  les  précautions  pos- 
sibles ;  mais  si  Dieu  a  décidé  qu'il  devait  passer  par 
les  mains  de  ses  ennemis,  il  ne  saurait  l'en  empêcher; 
il  va  donc  de  l'avant. 

Il  a  trop  de  penchant  pour  les  femmes;  il  ne  le  nie 
pas,  et  il  convient  qu'il  a  couché  avec  des  femmes 
(pril  IIP  roiuiaissait  pas  (hi  tout. 

.n.  3 


26  CORRESPONDANCE 

4  novembre  1718. 

La  guenipe  voulait  bien  faire  déclarer  son  maudit 
mariage ,  mais  le  roi  n'a  pas  voulu  y  consentir  "...  11 
y  a  longtemps  qu'on  l'a  accusée  d'aimer  les  femmes. 

8  novembre  1718. 

Le  Dauphin  n'aimait  pas  qu'on  lui  témoignât  beau- 
coup de  respect;  il  aimait  qu'on  fût  libre  avec  lui.  11 
était  plus  partial  que  juste,  comme  le  montre-ce  qu'il 
a  fait  au  sujet  de  la  régularisation  du  rang  de  la  femme 
de  mon  fds.  S'il  l'avait  voulu,  il  aurait  eu  le  plus  grand 
crédit  du  monde  auprès  du  roi  son  père.  Le  roi  lui 
avait  oflert,  s'il  voulait  faire  du  bien  à  quelqu'un  à  la 

1  Lemontey  [Essai  siir  le  gouvernement  de  Louis  XfV ,  1820, 
p.  418)  apprécie  jnclicieiisement  ce  mariage  secret  :  «  Mme  de 
Maintenon  ne  put  jamais  parvenir  à  être  déclarée  après  en  avoir 
frisé  le  moment  de  bien  près  par  deux  fois  »  (Saint-Simon,  t.  XX, 
p.  173).  M.  Th.  Lavallée,  dans  son  Histoire.de  la  maison  de 
Saint-Cyr,  démontre,  autant  qu'il  est  possible  d'établir  un  fait 
si  bien  caché,  que  le  mariage  date  des  derniers  mois  de  1684.  On 
sait  que  le  curé  de  Versailles,  François  Hébert,  fut  nommé 
évéque  d'Agen  en  remplacement  de  Mascaron.  On  a  toujours 
supposé  que  cet  évéché  fut  le  prix  de  la  bénédiction  nuptiale 
donnée  par  le  curé  de  Versailles  à  ses  illustres  paroissiens,  Louis 
le  Grand  et  la  Scarron.  Quoi  qu'il  en  soit,  Hébert  avait  laissé 
des  Mémoires  dont  La  Beaumellc  connaissait  l'existence,  mais 
qui  paraissent  aujourd'hui  perdus;  l'intimité  de  l'auteur  avec 
Mme  de  Maintenon  leur  donnerait  sans  doute  de  l'intérêt.  Un  cour- 
tisan, qui  avait  épousé  une  aventurière  sans  naissance  et  sans 
mœurs,  imagina  qu'il  donnerait  au  roi  un  exemple  agréable  et 
encourageant  en  publiant  cette  alliance.  Il  le  fit  hardiment;  le 
roi  fut  choqué  de  l'intenlion ,  M'>'p  de  Maintenon  très-blessée  du 
parallèle,  et  une  disgrâce  complète  fut  le  prix  de  ce  dévouement 
maladroit. 


DE  MADAME   LA   DL'CÏIESSE   d'oRLÉANS.  27 

cour,  de  prendre  au  trésor  ce  qu'il  voudrait,  et  il 
avait  donné  l'ordre  de  lui  compter  tout  ce  qu'il  deman- 
derait. Mais  le  Dauphin  lui  répondit  que  cela  lui  don- 
nerait trop  d'embarras  ;  il  ne  voulut  pas  se  mêler  des 
affaires  publiques,  de  peur  d'être  obligé  d'assister  aux 
conseils  secrets  et  de  n'avoir  pas  le  temps  d'aller  à  la 
chasse  ' .  Quelques  personnes  ont  pensé  qu'il  agissait 
ainsi  par  politique,  pour  ne  pas  donner  au  roi  sujet 
de  soupçonner  qu'il  était  ambitieux  ;  moi,  je  suis  per- 
suadée que  ce  n'était  chez  lui  que  paresse  et  indo- 
lence, afin  de  mener  la  vie  d'un  fainéant  et  de  n'avoir 
à  se  tracasser  de  rien  ^ 

9  novembre  1718. 

Avant  que  le  parlement  ne  se  fût  mis  en  vacance, 
ses  membres  ont  eu  une  conférence  avec  mon  fils  ;  ils 
l'ont  prié  de  leur  rendre  de  bons  offices  auprès  du  roi 
et  de  permettre  que  leurs  camarades  fussent  relâchés  ; 
ils  voulaient,  s'ils  étaient  coupables,  les  punir  eux- 
mêmes.  Mon  fils  a  répondu  qu'ils  ne  devaient  pas 
douter  qu'il  ne  conseillât  toujours  au  roi  d'user  de 
clémence  ;  que  le  roi  se  montrerait  gracieux  pour  leur 

*  «  Le  roi  paya  les  dettes  de  Monseigneur  qui  allaient  à  cin- 
quante mille  livres,  se  chargea  de  payer  ses  bâtiments  de  Meu- 
don,  et,  au  lieu  de  quinze  cents  pistoles  qu'il  avait  par  mois,  le 
mita  cinquante  mille  écus.  Pontchartrain ,  en  habile  homme, 
fit  sa  cour  de  cette  affaire-là,  et  combla  par  ce  présent  un  fils 
accoutumé  à  trembler  devant  son  père,  et  que  le  père  n'avait 
pas  envie  d'en  désaccoutumer  »  (Saint-Simon,  t.  IV,  p.  108). 

*  Bossuet  a  dit  en  parlant  de  ce  prince  maussade  :  <(  Repré- 
sentons-nous ce  jeune  prince  que  les  Grâces  sembloient  elles- 
mêmes  avoir  formé  de  leurs  mains.  «  (Oraison  funèbre  de  Marie- 
Thérèse  d'Autriche).  La  fiction  était  un  peu  forte. 


28  CORHESPONDAXCE 

corps,  s'il  en  était  cligne,  et  que,  de  plus,  chacun 
d'eux  pourrait  en  particulier  avoir  espoir  en  ses  fa- 
veurs. Quant  aux  prisonniers,  on  les  relâcherait  lors- 
que le  moment  serait  venu. 

Paris,  10  novembe  1718. 

Lord  Stairs  '  est  derechef  frais  et  bien  portant  ;  sa 
femme  voudrait  beaucoup  qu'il  revînt  en  Angleterre , 
car  elle  meurt  ici  de  jalousie  ;  son  mari  a  une  vivo 
passion  pour  une  jolie  femme  qu'on  appelle  M"'*  Ray- 
mond*, et  qui,  en  outre  de  sa  gentillesse,  est  spiri- 
tuelle, l)ien  élevée,  instruite  ;  l'électeur  de  Bavière  en 
a  été  fort  épris.  A  son  air  modeste,  on  la  prendrait 
pour  une  vestale,  ce  qu'elle  n'est  certes  pas,  à  ce  que 
dit  la  médisance,  et  à  ce  que  pense  M™^  Stairs.  Je  n'ai 
pas  encore  vu  celle-ci ,  car  son  mari  n'a  pas  fait  son 
entrée,  et  jusquc-lù  les  ambassadrices  n'ont  aucun 
rang  à  la  cour.  11  n'est  point  exact  que  la  femme  d'un 
envoyé  ait  eu  le  tabouret  en  ma  présence  ;  la  femme 
de  l'envoyé  de  l'empereur  ne  l'a  jamais  eu,  et  même 

1  John  Dalrymplc,  comte  de  Stairs,  mort  en  17  47,  après  avoir, 
comme  militaire  et  comme  diplomate  ,  joué  un  rôle  distingué. 

2  Nous  trouvons  dans  le  recueil  Maurepas  une  chanson  très- 
vive  sur  cette  dame,  et  une  note  qui  nous  apprend  que  son  mari, 
bourgeois  d'Angoulème,  fut  assassiné  d'un  coup  de  pistolet  par 
le  sieur  Arnold,  lieutenant-général  de  rAngoumois.  Voici  un 
couplet  que  nous  empruntons  à  une  autre  chanson  : 

La  maîtresse  d'un  électeur 

rrofcre  ces  paroles:  ( 

Je  suis  une  feiTiine  d'honneur, 
Mais  si  quelque  jeune  enjôleur 

Me  dit  des  fariboles, 
Peut-on  lui  refuser  son  cœur 

S'il  a  mille  pislolcs? 


I)K   iMAUAMK    L\    Dl.CIlKSSE    U'OI'.LÉANS.  20 

il  y  a  i)lus,  c'est  que  toutes  les  dames  de  bonnes  mai- 
sons qui  peuvent  dîner  avec  moi,  ne  le  peuvent  plus 
aussitôt  que  leurs  maris  deviennent  envoyés;  mais 
les  ambassadrices  sont  traitées  comme  les  duchesses 
et  placées  au  même  rang  ;  je  les  salue  et  elles  peuvent 
s'asseoir  devant  moi.  Ce  qui  a  pu  faire  croire  que 
M"ie  de  Zachmann  avait  eu  le  tabouret,  c'est  que, 
lorsqu'il  y  a  jeu  dans  ma  chambre  et  qu'il  y  vient  des 
dames  qui  n'ont  pas  le  tabouret,  je  leur  dis,  pour 
leur  faire  faveur  :  «  Mesdames,  soyez  du  jeu  ;  »  alors 
on  leur  avance  un  siège  auprès  de  la  table  ;  mais ,  le 
jeu  fini,  elles  se  tiennent  debout  ;  le  jeu  est  de  si  peu 
de  conséquence  que  mes  femmes  de  chambre  elles- 
mêmes  pourraient  s'asseoir. 

Je  n'ai  de  ma  vie  vu  de  plus  belles  dents  que  celles 
de  notre  religieuse  de  Chelles  ;  ce  sont  comme  des 
perles  qu'on  vient  de  tirer  d'un  écrin. 

11  novembre  1718. 

C'est  par  pure  paresse  que  M'"'=  d'Orléans  ne  dine 
pas  avec  nous  à  Paris;  si  elle  mangeait  avec  moi,  elle 
aurait  à  se  contenter  d'un  tabouret,  tandis  que  lors- 
qu'elle mange  dans  sa  chambre ,  avec  son  fils  et  ses 
favorites,  elle  est  couchée  sur  un  canapé  ou  sur  un 
grand  fauteuil;  ce  qu'elle  trouve  bien  plus  agréable... 
Selon  moi,  elle  n'est  pas  du  tout  séduisante;  ses  mines 
ne  me  plaisent  pas  du  tout,  et  sa  démarche  est  toute 
vacillante.  M'""  de  Ratzenhausen  appelle  cela  aller 
sur  une  oreille.  Je  ne  sais  pas  si  mon  fils  aime  fort 
sa  femme,  mais  elle  fait  de  lui  tout  ce  qu'elle  veut. 
La  populace  et  toutes  les  femmes  de  chambre  aiment 

3. 


30  CORRESrONDANCE 

M"»»  d'Orléans,  mais  autrement  elle  n'est  pas  fort 
aimée.  Elle  est  inconstante  dans  ses  amitiés. 

Quand  je  suis  venue  en  France,  j'y  ai  vu  des  gens 
comme  on  n'en  retrouvera  plus  dans  beaucoup  de 
siècles.  C'étaient  LuUi,  pour  la  musique;  Beauchamp, 
pour  les  ballets;  Corneille  et  Racine,  pour  la  tra- 
gédie; Molière,  pour  la  comédie;  la  Chamelle  et  la 
Beauval,  actrices  ;  Baron,  Lafleur,  Torilière  et  Guérin, 
acteurs.  Tous  ces  gens  ont  excellé  dans  leur  genre. 
La  Ducloset  la  Raisin  étaient  également  très-bonnes; 
la  dernière  avait  beaucoup  d'agrément.  Son  mari 
était  excellent  dans  les  rôles  comiques.  11  y  avait  aussi 
un  bon  arlequin  et  un  excellent  scaramouche.  Il  y 
avait  de  bons  acteurs  à  l'Opéra,  Clédière,  Pomereuil, 
Godenarche,  Duménil,  La  Rochechouard,  Mauvry,  la 
Saint-Christophe,  la  Brigogne,  la  Beaucreux.  Tout  ce 
qu'on  voit  et  entend  maintenant  n'approche  pas  de 
ceux-là. 

Ce  que  j'ai  trouvé  de  plus  joli  dans  la  vie  de  Beau- 
vernois,  c'est  sa  réponse  au  prince  de  Vaudemont. 
S'étant  enfui  d'ici ,  et  étant  arrivé  à  Bruxelles,  il  s'y 
faisait  passer  pour  un  prince  de  Lorraine.  M.  de  Vau- 
demont le  fît  venir,  et  lui  dit  en  le  voyant  :  «  Je  con- 
nais tous  les  princes  de  Lorraine,  mais  je  ne  vous 
connais  pas.  —  Je  vous  assure,  Monsieur,  répondit 
Beauvernois,  que  je  suis  prince  de  Lorraine,  tout 
comme  vous.  » 

A   M.    DE    HAULING. 

1'»  novembre  1718. 

■   Albçroni  est  un  mauvais  drôle  qui  ne  cherche  qu'à 


DE  MADAME    LA    DUCHESSE    d'oRLÉANS.  31 

mettre  du  désordre  partout.  11  vaudrait  mieux  qu'il 
lut  resté,  comme  son  père,  un  garçon  jardinier,  et 
qu'il  vendit  des  choux  et  des  herbes  plutôt  que  de 
soulever  toutes  les  puissances  de  la  chrétienté ,  l'une 
contre  l'autre,  comme  il  le  fait  à  présent.  Certes,  on 
peut  bien  dire  de  lui  que  c'est  de  la  mauvaise  herbe. 
M.  Law  est  digne  d'éloge,  à  cause  de  ses  talents; 
mais  il  faut  avouer  qu'il  est  détesté  en  ce  pays.  Mon 
fils  est  charmé  de  son  habileté  en  affaires...  Mon  fils 
est  comme  toutes  les  personnes  de  sa  famille;  il  faut 
que  les  choses  auxquelles  ils  ont  été  habituées  dès 
leur  jeunesse  aillent  leur  train  ordinaire  :  voilà  pour- 
quoi il  ne  peut  se  séparer  de  l'abbé  Dubois,  dont  il 
connaît  cependant  toute  la  fourberie.  Cet  abbé  a  voulu 
me  persuader  à  moi-même  que  le  mariage  de  mon 
fils  était  très-avantageux  pour  lui.  J'ai  répondu  : 
«  L'honneur,  qui  est-ce  qui  peut  le  réparer?  »  La 
Maintenon  lui  avait  en  secret  fait  de  grandes  pro- 
messes, ainsi  qu'à  mon  fils;  mais,  grâce  à  Dieu,  elle 
n'a  tenu  parole  ni  à  l'un  ni  à  l'autre. 

17  novembre  1718. 

Ce  n'est  nullement  à  son  mérite  que  ce  scélérat 
d'Albéroni  a  dû  sa  fortune  ;  l'histoire  est  un  peu  sale; 
mais  comme  elle  est  plaisante  et  comme  elle  vous  fera 
rire,  je  vais  vous  la  raconter  exactement.  Dans  le 
temps  que  M.  de  Vendôme  commandait  l'armée  en 
Italie,  le  duc  de  Parme  envoya  auprès  de  lui  l'évêque 
de  sa  résidence  pour  traiter  avec  lui.  M.  de  Vendôme  ' 

•  M.  de  Laborde,  Palais-Muzarin,  p.  37  4,  observe  que  Saint- 
Simon  abuse  de  la  sévérité  et  du  talent  de  bien  écrire,  en  traçant 


32  CORRESPONDANCi; 

avait  beaucoup  de  bonnes  qualités,  mais  elles  étaient 
mêlées  de  défauts,  comme  chez  la  plupart  des  gens. 
Il  en  avait  deux  énormes  :  c'étaient  ses  débauches 
avec  des  hommes,  et  son  horrible  et  dégoûtante  sa- 
leté; il  n'a  jamais  donné  à  l'armée  audience  que  sur 
sa  chaise  percée.  Aussi  ne  fit-il  pas  plus  de  façon 
avec  l'évoque  de  Parme  qu'avec  tous  les  autres  grands 
officiers.  L'évêque  vint  avec  un  grand  train  de  clergé; 
il  fut  introduit  dans  la  chambre  du  duc  de  Vendôme,  et 
le  trouva  sur  son  beau  trône.  On  donna  une  chaise  à 
l'évêque,  afin  qu'il  pût  parler  avec  lui.  L'évêque  vit 
que  le  visage  de  M.  de  Vendôme  était  très-bour- 
geonné,  et  il  dit  :  «  Il  me  semble,  Monsieur,  que  vous 
êtes  échauffé  ;  il  faut  que  l'air  de  ce  pays-ci  ne  soit 
pas  bon.  »  M.  de  Vendôme  répondit  :  «  C'est  bien 
pis  à  mon  corps  qu'à  mon  visage...  Voyez.  »  En  même 
temps  il  se  lève,  et  montre  son  derrière  au  bon  évê- 
que.  Celui-ci  se  dispose  aussitôt  à  s'en  aller ,  en  di- 

le  portrait  de  ce  grand  général.  Chanlieu,  La  Fare,  La  Bruyère 
et  autres  contemporains  font  allusion  aux  travers  honteux 
des  deux  frères.  On  appelait  riiùtcl  Vendôme  l'hôtel  Sodome 
(Brienne,  Mémoires,  t.  II,  p.  295).  Les  recueils  de  chansons 
sont  remplis  de  vers  faisant  allusion  à  la  bravoure,  aux  vices,  à 
la  saleté  du  duc;  nous  mentionnerons  seulement  celle  qui  com- 
mence par  : 

Qu'on  pi'cpai'C  sur  nos  musctles 
Pour  Yciidosiuc  des  chaiisouucltes. 

M.  Morcl  [Quinze  ans  du  rl-.gnc  de  Louis  XfV,  t.  I,  p.  241) 
a  tracé  un  portrait  bien  fait  de  Vendôme,  «  mélange  do  cra- 
pule et  de  grandeur;  il  y  avait  en  lui  du  César  et  du  Vitel- 
lius.  » 

Quant  à  l'anecdote  ci-dessus,  Madame  la  raconte  aussi  dans 
une  Iciire  adressée  â  la  princesse  de  Galles;  nous  ne  reprodui- 
rons pas  ce  nouveau  itcit. 


DE   MADAME  LA  DtCHESSE   DORLÉANS.  33 

sant  :  «  Je  vois  bien ,  Monsieur,  que  je  ne  suis  pas 
propre  à  traiter  avec  vous.  Vos  manières  et  votre  rang 
ne  s'accordent  pas  ensemble;  mais  je  vous  enverrai 
un  de  mes  aumôniers  qui  sera  bien  votre  fait.  »  Et  il 
lui  envoya  Âlbéroni.  Celui-ci  fut  introduit  chez  le 
duc  de  Vendôme,  au  moment  il  se  torchait  le  der- 
rière. Aussitôt  il  accourt,  se  jette  à  genoux,  et  s'é- 
crie :  «  Ah!  quel  cul  d'ange!  »  Cela  charma  le  duc  de 
Vendôme  au  point  qu'il  le  voulut  garder  toujours  au- 
près de  lui,  et  qu'il  en  fit  son  favori.  Âlbéroni  trahit 
son  maître  le  duc  de  Parme  pour  le  duc  de  Vendôme; 
puis  quand  M.  de  Vendôme  fut  en  Espagne,  il  le  sa- 
crifia à  la  princesse  des  Ursins,  et  trahit  celle-ci  au- 
près de  la  reine  d'Espagne.  Voilà  comme  cet  honnête 
homme  a  fait  sa  fortune.  Ce  que  je  viens  de  raconter 
a  été  tout  son  mérite  et  le  seul  fondement  de  son 
élévation  ' . 

18  novembre  1718. 

J'ai  obéi  à  feu  Monsieur  en  ne  l'importunant  plus 
de  mes  embrassements,  et  j'ai  vécu  avec  lui  avec 
beaucoup  de  respect  et  de  soumission. 

La  première  Dauphine  parlait  bien  l'italien;  elle 
parlait  le  patois  des  paysans  de  la  Bavière.  Au  com- 
mencement, lorsqu'elle  parlait  vite  avec  Bessola,  je 
ne  pouvais  comprendre  un  seul  mot. 

La  vieille  était  extrêmement  redoutée  à  la  cour; 

i  Tout  ceci  se  retrouve  dans  les  Mémoires  de  Duclos.  Saint- 
Simon,  qui  raconte  les  mêmes  détails,  t.  IX,  p.  40,  expose  com- 
ment \il)éroni  se  rendit  cher  au  duc  de  Vendôme  en  l'amusant 
par  des  contes  orduricrs ,  et  en  lui  faisant  préparer  des  soupes 
au  fromage  et  des  ragoûts  que  le  duc  trouvait  excellents. 


34  CORRESPONDANCE 

on  aurait  mieux  aimé  offenser  Dieu  qu'elle...  Ses 
amants  lui  disaient  autrefois  qu'on  voyait  bien  qu'elle 
n'avait  pas  couché  seule ,  car  elle  avait  les  yeux 
battus  et  était  fatiguée. 

Mon  fils  n'est  pas  beau  et  ne  se  pique  pas  de  l'être  ; 
il  a  une  vilaine  démarche;  mais  lorsqu'il  danse,  il  sait 
se  tenir  de  bonne  grâce,  et  il  ne  danse  pas  mal. 

^me  d'Orléans  se  pique  d'être  dévote,  mais  elle  ne 
considère  pas  que  mentir  et  tromper  sont  des  œuvres 
du  diable  et  non  de  Notre-Seigneur  Dieu.  L'ambi- 
tion ,  l'orgueil  et  l'amour-propre  l'ont  complètement 
gâtée  ;  je  crains  que  tout  cela  ne  finisse  mal  ;  afin  de 
vivie  en  paix,  je  fais  comme  si  je  ne  savais  rien...  Il 
est  impossible  de  trouver  une  personne  plus  pares- 
seuse qu'elle;  elle  en  convient  elle-même,  mais  elle 
ne  se  corrige  pas. 

Paris,  24  novembre  1718. 

Je  vous  prie ,  si  vous  pouvez  me  procurer  un  plan 
d'Heidelberg,  de  le  faire  coller  sur  toile  pour  qu'il  ne 
se  déchire  pas  et  de  me  l'envoyer.  Je  vous  en  rem- 
bourserai volontiers  la  valeur. 

Nous  savons  maintenant  qu'il  n'y  a  rien  de  vrai 
dans  la  nouvelle  que  le  prince  Eugène  était  mort 
empoisonné,  et  comme  on  passe  à  Paris  d'une  extré- 
mité à  l'autre,  on  affirme  maintenant  qu'il  va  se 
marier. 

M"«  do  Quadt  a  été  ma  première  gouvernante  et 
celle  de  mon  frère;  elle  était  déjà  vieille  :  elle  voulut 
une  fois  me  donner  le  fouet,  car  j'étais  un  peu  volon- 
taire dans  mon  enfance  ;  mais  je  me  débattis  si  fort 


DE  MADAME  LA  DUCHESSE   d'oRLÉANS.  35 

et  je  lui  donnai  avec  mes  jeunes  pieds  tant  de  coups 
dans  son  vieux  ventre  qu'elle  tom])a  tout  de  son  long 
avec  moi  et  faillit  se  tuer.  Depuis  elle  ne  voulut  plus 
rester  avec  moi;  on  me  donna  alors  pour  gouver- 
nante M'»'^  d'Oflen ,  qui ,  depuis ,  a  épousé  à  Hanovre 
M.  Harling. 

Chez  les  méchantes  gens  comme  Louvois,  tout  n'est 
que  vice  et  perfidie.  On  croit  généralement  en  ce 
pays  que  Louvois,  la  Montespan  et  la  vieille  [Main- 
tenon)  encore  vivante,  avaient  tous  trois  appris  l'art 
de  la  Brinvilliers  ;  cette  dernière  le  connaît  parfaite- 
ment. Dieu  veuille  qu'il  périsse  avec  eux.  Cette  mode 
est  venue  aussi  à  la  cour  de  Berlin,  car  l'électeur  et 
son  frère  ont  été  empoisonnés;  le  plus  jeune  est 
mort  tout  de  suite,  et  lorsqu'on  l'a  ouvert,  on  a 
trouvé  de  la  poudre  de  diamant  dans  ses  entrailles. 

25  novembre  1718. 

M"*  d'Orléans  ne  se  couche  pas  tard;  elle  est  telle- 
ment paresseuse  qu'elle  ne  saurait  rester  au  lit  assez 
longtemps;  elle  ne  lit  pas;  ses  femmes  de  chambre 
lui  font  la  lecture,  surtout  lorsqu'elle  a  sa  migraine  ; 
elle  fait  lire  pour  s'endormir.  Elle  va  souvent  au 
salut  aux  Quinze-Vingts,  et  ses  femmes  de  chambre 
vont  répétant  qu'elle  est  une  sainte  et  qu'elle  a  de 
grands  chagrins,  parce  que  mon  fils  a  des  maîtresses. 
Cela  attendrit  le  peuple,  et  la  fait  passer  pour  la  meil- 
leure et  la  plus  estimable  des  femmes.  Au  fait,  elle 
est  pleine  d'artifice  comme  son  frère  aîné  [le  duc  du 
Maine). 

M.  le  Duc  est  fort  poli,  c'est  vrai  ;  mais  il  est  inca- 


36  CORRESPONDANCE 

pable  de  s'occuper  strrieusement  d'affaires  :  d'abord 
il  est  fort  ignorant,  ensuite  il  n'aime  pas  à  s'appli- 
quer, enfin  il  n'a  [»as  de  patience;  il  est  donc  dé- 
pourvu des  diverses  qualités  qu'exigent  les  affaires... 
11  est  fort  épris  de  M""=  de  Prie,  qui  a  déjà,  pour  ce 
motif,  reçu  quelques  coups  de  bâton  de  son  mari, 
mais  cela  ne  fait  rien. 

Mon  fils  n'a  pas  tenu  la  parole  qu'il  m'avait  donnée; 
il  a  été  au  bal,  quoiqu'il  n'en  convienne  pas...  Lors- 
qu'il n'avait  rien  à  faire,  il  a  fait  orner  un  petit  ca- 
binet de  M™«  d'Orléans  avec  des  sujets  d'un  petit 
roman  pastoral  qu'on  appelle  Daph7iis  et  Chloé,  et  il 
les  a  gravés  sur  cuivre  '. 

1  Ce  fut  en  1 7 1 4  que  le  duc  d'Orléans  fit  ces  dessins,  au  nom- 
bre de  vingt-huit;  Ils  furent  gravés  par  l'habile  Benoît  Audran, 
et  ils  parurent  en  1718,  accompagnant  la  traduction  faite  par 
Aniyot  du  célèbre  roman  de  Longus.  L'intention  du  prince  était 
que  ce  livre  fût  tiré  à  petit  nombre  ;  mais,  ainsi  que  le  remarque 
M.  Nodier,  «  on  sait  comment  les  grands  seigneurs  suivent  les 
«  volontés  des  princes  et  comment  les  imprimeurs  exécutent  les 
«  ordres  des  grands  seigneurs  qui  font  imprimer.  C'est  un  vo- 
«  lume  assez  commun.  » 

A  la  vente  des  livres  de  M.  de  Pixérécourt,  en  1829,  il  s'est 
trouvé  (n"  1 17 1  )  un  exemplaire  renfermant,  entre  autres  objets 
précieux,  un  dessin  à  la  plume  de  la  main  du  Régent  et  un 
feuillet  autographe  contenant  le  premier  projet  des  gravures 
qu'il  voulait  ajouter  à  celte  édition,  et  qu'il  n'a  pas  exécutées 
toutes.  Ce  volume  unique  a  été  adjugé  au  prix  modique  de 
'.'C2  francs. 

Le  duc  s'occupait  aussi  de  peinture.  11  fit  un  portrait  de  la 
duchesse  de  lîirri  avant  son  mariage.  Il  l'avait  peinte ,  dit 
Mme  lie  Caylus,  sans  beaucoup  de  draperies,  ce  qui  fut  trop  enve- 
nimé. 

Les  planches,  gravées  par  Audran,  ont  reparu,  niirùs  avoir 
élé  retouchées,  dans  une  édition  nouvelle  de  17  4  6. 


DE  MADAME   I.A    DUCHESSE    d'oRLÉANS.  37 

A  M.  DR    BEAUSOBRE,    CAPITAINE  AU    RÉGIMENT    SUISSE    DE 
COURTEN,  A  MORGES  EN  SUISSE  '. 

25  novembre  1718. 

Je  VOUS  suis  bien  obligée  du  compliment  que  vous 
me  faites  sur  ma  fête  et  des  vœux  que  vous  renou- 
velez pour  ma  conservation  ;  je  vous  prie  aussi  d'être 
bien  persuadé  de  Testimc  que  j'ai  pour  vous,  et  que 
je  suis,  monsieur  de  Beausol)ro,  votre  bien  bonne 
amie. 

5  décembre  17 IS. 

Le  roi,  feu  Monsieur,  M''  le  Dauphin  et  M.  le  duc  de 
Berri  étaient  de  grands  mangeurs'.  J'ai  vu  souvent  le 
roi  manger  quatre  pleines  assiettes  de  soupes  diverses, 
un  faisan  entier,  une  perdrix,  une  grande  assiette  do 
salade,  deux  grandes  tranches  de  jambon,  du  mouton 
au  jus  et  à  l'ail,  une  assiette  de  pâtisserie,  et  puis  en- 
core du  fruit  et  des  œufs  durs.  Le  roi  et  feu  Monsieur 
aimaient  beaucoup  les  œufs  durs. 

1  Cette  lettre,  de  même  que  celle  en  date  du  15  septembre 
1715,  que  nous  avons  publiée  ci-dessus,  se  trouve  dans  la  col- 
lection de  M.  le  docteur  J. -F.  Payen. 

2  La  dissertation  de  M.  Paul  Lacroix,  que  nous  avons  déjà 
citée,  donne  des  extraits  du  Journal  des  médecins  de  Louis  XIV, 
extraits  qui  montrent  souvent  le  roi  incommodé  par  suite  d'excès 
de  nourriture,  «  alïeclé  d'une  tension  de  ventre  pour  avoir  trop 
mangé  de  fruits.  »  Quand  on  connaît  son  menu,  tel  que  le  retrace 
Madame,  on  ne  s'étonne  pas  qu'il  eût  souvent  recours  aux 
purgations  et  aux  lavements  qui  excitaient  davantage  cette  invin- 
cible faim,  capable  de  surpasser  les  exploits  gastronomiques  de 
Gargantua.  Saint-Simon  rapporte  qu'à  l'ouverture  du  corps  de 
Louis  XIV,  «  on  lui  trouva  la  c-ipacité  de  l'estomac  et  des  intes- 
tins double  au  moins  dot»  hommes  de  sa  taille.  » 


38  CORRESPONDANCE 

6  décembre  1718. 

[^es  frères  et  sœurs  de  M'""  d'Orléans  ont  dit  ce  prin- 
temps que  l'on  avait,  à  mon  insu  et  à  celui  de  mon 
fds,  donné  du  contre-poison  à  M'"''  d'Orléans,  et  qu'au- 
trement elle  serait  morte.  Je  ne  veux  me  mêler  en  rien 
de  ce  qui  regarde  M'^'^  d'Orléans,  mais  j'ai  eu  la  conso- 
lation de  dire  un  peu  à  Mo^<=  du  Maine  ma  façon  de  voir  ; 
je  lui  ai  dil  ;  «  Ma  nièce  (car  c'est  ainsi  que  je  l'ap- 
pelle), je  vous  prie  de  me  dire  qui  vous  a  dit  que 
]\fme  d'Orléans  avait  pris  du  contre-poison  à  notre 
insu.  C'est  la  plus  grande  fausseté  du  monde,  et  vous 
pouvez  le  dire  de  ma  part  à  tous  ceux  qui  vous  l'ont 
dit.  »  Elle  devint  rouge  comme  du  feu  et  dit  :  «  Il  n'est 
pas  vrai  que  j'en  ai  parlé.  »  Je  répondis  :  «  J'en  suis 
bien  aise;  ce  serait  bien  infâme  à  vous  si  vous  teniez 
de  pareils  propos,  et  vous  ne  devriez  pas  souflrir  qu'on 
vous  donne  de  tels  paquets.  »  Elle  s'en  alla  bien  vite 
aussitôt  que  je  lui  eus  parlé  ainsi. 

9  décembre  1713. 

Toute  ma  vie,  et  depuis  ma  première  jeunesse,  je 
me  suis  trouvée  si  laide  que  je  n'ai  jamais  été  tentée 
de  faire  beaucoup  de  parure;  les  bijoux  et  la  toilette 
ne  font  qu'attirer  les  yeux  snr  les  gens  qui  les  portent. 
Il  était  heureux  que  je  fusse  de  celle  humeur,  car  feu 
Monsieur,  qui  aimait  extrêmement  la  parure,  aurait 
vn  mille  quorollos  avec  moi,  pour  savoir  qui  porterait 
les  diamants  les  plus  beaux...  Jamais  on  ne  m'a  parée 
sans  qu(!  lui-même  n'ordonnât  ma  toilette  entière;  il 
me  m(;(lail  liii-niêmo  le  rouge  sur  les  joues. 

Lu  yrand  Goerz  que  j'ai  vu  ici  a  l'air  poli,  mais  il  a 


DE   MADAME    LA  DUCHESSE    d'oRLÉANS.  39 

une  physionomie  qui  ne  prévient  pas  en  sa  faveur;  je 
ne  crois  pas  qu'il  meure  d'une  belle  fm. 

9  décembre  1718. 

Mon  fils  s'est  vu  obligé  de  faire  arrêter  l'ambassa- 
deur d'Espagne,  le  prince  de  Cellamare  ',  parce  qu'on 
a  trouvé  sur  son  courrier,  qui  était  l'abbé  Porto-Carrero 
et  qui  a  été  arrêté,  des  lettres  de  cet  ambassadeur  qui 
ont  fait  découvrir  une  conspiration  contre  le  roi  et 
contre  mon  fds.  On  a  fait  arrêter  l'ambassadeur  par 
deux  conseillers  d'État. 

Paris,  11  décembre  17/8. 

Je  m'empresse  de  vous  dire  à  quel  point  je  suis  in- 
quiète et  agitée  au  sujet  d'une  affreuse  manigance  qu'on 
vient  de  découvrir  et  qui  était  dirigée  contre  mon  fils. 
Un  banquier  anglais,  ou  soi-disant  tel,  se  rendant  en 
Espagne,  on  a  donné  avis  à  mon  fils  qu'il  convenait 
de  l'arrêter;  on  a  couru  après  lui  et  on  l'a  saisi  a  Poi- 
tiers; il  avait  des  dépêches  secrètes  de  l'ambassadeur 
espagnol  à  Paris;  vous  pouvez  croire  qu'on  les  a  sai- 
sies aussi;  l'ambassadeur  mandait  à  Âlbérom  qu'il 
fallait  bien  se  garder  de  se  mettre  d'accord  avec  mon 
fils  parce  qu'aussitôt  qu'un  traité  serait  signé,  il  em- 
poisonnerait le  petit  roi;  cet  ambassadeur  ajoutait 
qu'il  donnerait  à  mon  fils  trop  de  besogne  pour  qu  il 
pût  songer  à  la  guerre,  ajoutant  qu'il  travaillait  a 

1  Le  tome  11  des  Mémoires  de  la  Régence,  par  le  chevalier 
de  Piusseins.  renferme  de  nombreux  documents  officiels  sur  celle 
affaire,  connue  sous  le  nom  de  conjuration  de  Cel  amare  Voir 
aussi  l.cmontey,  Histoire  de  la  Régence,  Pans,  1832,  2  vol. 
in-8,t.  11,  p.  39'Jetsuiv. 


40  CORRESPONDANCE 

amener  plusieurs  provinces  à  se  révoIl(!r,  que  leur 
parti  était  puissant  à  Paris,  qu'il  n'y  avait  qu'à  envoyer 
de  l'argent  sans  l'épargner.  Je  crois  bien  que  le  frère 
de  ma  belle-fille,  le  boiteux  [le  clvc  du  Maine),  se  trou- 
vera dans  cette  affaire.  L'ambassadeur  a  été  interrogé 
par  deux  conseillers  d'Étal;  il  est  convenu  en  riant 
qu'il  avait  écrit  ces  lettres  a(in  d'écarter  les  maux  de 
la  guerre,  et  avait  voulu  faire  peur  à  mon  fils.  Quand 
on  lui  a  demandé  pourquoi  il  disait  de  telles  liorreurs 
du  régent,  il  a  répondu  qu'il  devait  convenir  qu'il  y 
avait  bien  un  peu  de  poison  dans  cette  correspondance, 
mais  que  du  poison  était  nécessaire  pour  composer 
le  contre-poison.  Ce  qu'il  y  a  d'étrange,  c'est  que  le 
beau-père  du  fils  de  M"™^  de  Dangeau,  le  maréchal  de 
Noailles,  second  gouverneur  de  mon  fils,  est  impliqué 
dans  ce  complot;  cela  vient  de  ce  qu'il  est  parent  de 
ce  diable  incarné,  la  princesse  des  Ursins,  qui  pour- 
suivra mon  pauvre  fils  jusqu'à  sa  mort,  et  le  seul  motif 
de  sa  haine,  c'est  qu'il  l'a  trouvée  trop  vieille  pour 
vouloir  être  son  amoureux  ' . 

La  iM'incesse  de  Galles  m'écrit  que  le  duc  de  Saxe- 
Zcitz  est  mort;  ce  n'est  pas  une  grande  perte;  il  était 
livré  aux  plus  affreuses  débauches,  s'imaginant  peut- 
être  par  là  qu'il  se  conformait  à  la  mode. 

'  L'iiisloire  ne  dit  pas  jusqu'à  quel  point  cette  assertion  est 
exacte.  M'»e  des  Ursins  avait  «  des  mœurs  à  l'cscarpoleUe,  »  se- 
lon l'élrani-'e  expression  de  Louville,  mais  tlle  était  d'une  ving- 
taine d'années  plus  ;ii;ée  que  le  duc  d'Orléans.  A  soixante  ans 
et  plus,  elle  avait  encore  des  auianls.  «  La  galanterie  et  l'enlé- 
tt-menl  de  sa  personne  fut  en  elle  la  foildesse  dominante  et  sur- 
nageante à  tout,  jusque  dans  sa  dernière  vieillesse  w  (Saint- 
Siinon). 


DE   MADAMK    i-A    DLCUKSSE    i/oKLÉANS.  4l 

Paris,  13  décembre  1718. 

Il  faut  que  M""  des  Ursins  soit  un  vrai  diable  pour 
exciter  contre  mon  fils  M.  de  Ponipadour;  quoiqu'il 
ne  soit  pas  un  grand  personnage,  sa  femme  est  fille 
du  duc  de  Noailles,  qui  a  été  gouverneur  de  mon  fils, 
et  M"*  de  Pompadour  elle-même  était  gouvernante  du 
petit  duc  d'Alençon,  l'enfant  du  duc  de  Berri.  Je  con- 
nais bien  l'abbé  Brigau;  M'"°  de  Ventadour  l'a  tenu 
avec  le  premier  Daupbin  sur  les  fonts  de  baptême  où 
il  a  reçu  le  nom  de  Philippe.  Il  a  de  l'esprit,  mais  c'est 
un  drôle  d'intrigant  et  un  vaurien;  il  a  longtemps  fait 
le  dévot  et  il  voulait  se  faire  père  de  l'Oratoire.  Il  s'est 
ensuite  fatigué  de  cette  vie,  et  il  s'est  fait  entremet- 
teur (Kupler);  il  a  attiré  auprès  de  lui  déjeunes  filles 
qu'il  vendait  en  secret,  puis  il  est  devenu  le  factotum 
de  M"""  du  Maine  dont  il  a  été  serviteur,  et  il  a  pris 
part  à  tous  les  libelles,  vers  et  chansons,  dirigés  contre 
mon  fils....  M'"e  d'Orléans  a  un  grand  crédit  sur  l'es- 
})rit  de  mon  fils;  il  a  vivement  aimé  tous  ses  enfants, 
mais  par-dessus  tout  sa  fille  aînée.  Lorsqu'elle  était 
encore  toute  petite,  elle  fut  extrêmement  malade  et 
abandonnée  de  tous  les  médecins.  Mon  fils,  désolé  de 
voir  mourir  cette  enfant,  entreprit  de  la  guérir;  il  la 
traita  lui-même  et  si  bien  qu'il  la  sauva;  depuis  il  u 
eu  plus  d'affection  pour  elle  que  pour  ses  autres  en- 
fants. Quant  à  sa  femme,  on  peut  dire  qu'il  aime  toutes 
les  femmes  avec  lesquelles  il  a  couché;  car,  soit  dit 
enft-e  nous,  ce  n'est  }>as  un  homme  à  la  mode,  mais  un 
vrai  fou  à  l'égard  des  fouîmes. 

L'abbé  Dubois  est  le  plus  insinuant  de  tous  les 

.  4. 


42  CORRESPONDANCE 

hommes,  et  cela  lui  assure  un  grand  empire  surtout 
sur  un  homme  qu'il  a  dirigé  dès  l'enfance. 

15  décemlire  1718. 

Il  est  vrai  que  j'ai  présenté  au  roi  le  prince  de  Dour- 
lach;  il  est  vrai  que  j'ai  failli  épouser  son  frère;  mais 
il  n'est  pas  vrai  du  tout  qu'il  fût  de  mon  goût,  c'est  le 
plus  grand  mensonge  qu'il  y  ait  au  monde  :  le  hon  sire 
était  Irop  aflecté  et  trop  peu  agréahle  pour  avoir  pu 
me  plaire. 

J'ai  entendu  parler  du  ridicule  sérail  qu'entretient 
le  margrave  de  Dourlach.  D'après  co  que  j'apprends 
des  princes  et  des  seigneurs  de  l'Allemagne,  il  paraît 
qu'ils  sont  tous  aussi  fous  que  s'ils  sortaient  de  petites- 
maisons.  J'en  ai  vraiment  de  la  honte. 

i 

Paris,  16  clL'cemlire  1718. 

Doux  Allemands  sont  iuiplicjués  dans  l'affaire  du  duc 
du  Maine;  il  y  en  a  un  qui  m'a  causé  bien  de  l'élon- 
nement,  le  brigadier  Sandrasky,  qui  était  tous  les  jours 
avec  moi  et  en  faveur  duquel  jai  souvent  parlé,  parce 
que  son  père  avait  servi  mon  frère  et  avait  été  com- 
mandant à  Frankenlhal  ;  il  est  mort  celte  année.  L'au- 
tre est  le  comte  de  Schiicben,  qui  n'a  qu'un  bras.  Je 
n'ai  pas  été  surprise  de  celui-ci,  qui  était  l'ami  et  le 
serviteur  de  M'''^  des  IJrsins,  et  je  savais  aussi  com- 
ment il  avait  perdu  son  bras.  On  l'a  arrêté  à  Lyon. 
Sandrasky  était  encore  avant-hier  à  ma  toilette;  il  avait 
mauvaise  mine.  Je  lui  demandai  :  «  Qui  est-ce  qui  vous 
donne  ainsi  un  air  tout  troublé?  y  H  nie  répondit:  «Je 
suis  malade  tant  j'ai  de  souci;  j'aime  beaucoup  ma 


DE   MADAME   LA    Ul  CHESSE   o'ORLÉANS.  43 

femme  qui  est  une  Anglaise  ;  elle  m'aime  aussi,  mais 
nous  n'avons  pas  les  moyens  de  soutenir  un  ménage; 
il  faut  qu'elle  se  retire  dans  un  couvent  ;  cela  me  préoc- 
cupe tellement  que  j'en  suis  malade.  »  Je  fus  vrai- 
ment affligée  de  ce  qu'il  me  disait,  et  je  formai  le 
projet  de  parler  pour  lui  à  mon  fds. 

23  décembre  1718. 

Si  l'abbé  Dubois  en  était  à  son  premier  mensonge, 
il  serait  mort  depuis  longtemps;  il  est  passé  maître 
dans  l'art  de  mentir,  surtout  lorsque  c'est  pour  son 
avantage  personnel;  si  j'écrivais  là-dessus  tout  ce  que 
je  sais,  ce  serait  une  longue  litanie.  C'est  lui  qui  a 
clandestinement  fait  savoir  au  roi  ce  qu'il  fallait  dire 
et  faire  à  l'époque  du  mariage  de  mon  tlls,  pour  amener 
la  chose  à  une  conclusion  ;  il  a  aussi  eu  pour  cela  des 
conférences  secrètes  avec  la  Maint enon. 

Tout  ce  que  j'ai  pour  vivre  dci)end  du  roi  et  de  mon 
fils;  mon  douaire  n'est  rien.  Quant  à  ce  qui  m'était  dû 
pour  mes  pensions,  je  n'ai  été  payée  qu'après  la  mort 
du  roi;  on  me  devait  trois  cent  mille  francs.... 

Feu  la  Daupliine  de  Bavière  me  disait:  «  Ma  pauvre 
chère  maman  (c'est  ainsi  qu'elle  m'appelait),  oîi  prends- 
tu  toutes  les  sottises  que  tu  fais?  » 

23  liécembre  1718. 

Mme  de  Fiennes,  qui  a  été  dans  sa  première  jeunesse 
auprès  de  la  reine  {Anne  d'Autriche),  disait  à  feu 
Monsieur  :  «  La  reine  votre  mère  était  une  sotte  femme  ; 
Dieu  veuille  avoir  son  àine.  »  Ma  tante,  l'abbesse  de 
Maubuisson,  m'a  raconté  que  la  reine  Marie  avait  au- 


44  COKKKSl'ONDANCt; 

près  d'elle  un  homme  que  l'on  appelait  le  raccommo- 
(leur  du  visage  de  la  reine;  la  reine  et  toutes  ses  dames 
et  demoiselles,  jusqu'aux  plus  vieilles,  étaient  toutes 
lardées  de  rouge  et  de  blanc. 

Le  roi  était  bien  bâti  :  il  avait  de  belles  jambes,  de 
jolis  pieds,  une  figure  agréable  et  toute  naturelle,  sans 
la  moindre  affectation,  une  voix  charmante,  ni  trop 
forlc  ni  trop  faible.  On  trouverait  difficilement  son 
pareil  ;  il  est  resté  agréable  jusqu'à  sa  mort.  Mes 
dames,  qui  l'ont  vu  après  sa  mort,  m'ont  dit  qu'il  ne 
lui  restait  rien  alors  qui  pût  le  faire  reconnaître. 

27  décembre  1718. 

Mme  d'Orléans  a  une  vraie  et  une  fausse  migraine; 
mon  fils  et  moi,  nous  l'avons  souvent  plaisantée  à  cet 
égard  lorsqu'elle  se  met  à  se  plaindre.  On  voit  chez  elle 
plus  d'attachement  pour  son  frère  que  pour  ses  en- 
fants. Son  frère  aîné  lui  a  mis  dans  la  tète  qu'elle 
devait  être  régente  et,  comme  elle  est  très-ambitieuse, 
elle  ne  peut  et  ne  veut  plus  dès  lors  aimer  un  autre 
que  lui. 

Paris,  27  décembre  1718. 

On  peut  saisir  le  fil  de  toute  la  conspiration  en  li- 
sant les  lettres  de  Cellamare  qui  ont  été  imprimées. 
l>'abbé  Brigau  commence  aussi  à  jaser  joliment.  Tout 
cela  me  cause  tant  d'inquiétude  que  je  ne  dors  que  par 
suite  de  mon  accablement.  J'ai  le  cœur  toujours  brisé; 
mon  (ils  ne  se  préoccupe  absolument  de  rien.  Je  l'ai 
sujtplié,  pour  l'amour  de  Dieu,  de  ne  pas  courir  la  nuit 
eu  voiture;  il  m'a  fait  de  belles  promesses,  mais  il  ne 
les  tiendra  pas  jibis  qu'il  ne  l'a  fait  la  première  fois. 


DE   MADAMK    LA    DLCllKSSK    d'oULÉANS.  45 

Paris,  29  décembre  1718. 

Je  suis  tellement  troublée  que  la  main  me  tremble: 
mon  fils  est  venu  me  dire  qu'il  avait  été  obligé  de  se 
décider  à  faire  arrêter  son  beattfrère,  le  duc  du  Maine 
et  la  duchesse.  Ils  sont  les  chefs  de  l'affreux  complot 
espagnol  ;  tout  a  été  découvert  ;  on  a  saisi  des  pièces 
de  la  main  de  l'ambassadeur  d'Espagne,  et  les  gens 
arrêtés  ont  tout  avoué;  on  a  fait  arrêter  la  duchesse, 
comme  princesse  du  sang,  par  un  des  quatre  capitaines 
des  gardes,  et  son  mari,  qui  était  à  la  campagne,  par 
un  lieutenant.  Cela  fait  une  grande  dilTérence  entre 
eux  :  la  duchesse  a  été  envoyée  à  Dijon  ' ,  et  son  mari 
à  Doulens,  qui  est  une  petite  citadelle.  Tous  ceux  de 
leurs  gens  qui  étaient  du  complot  ont  été  mis  à  la 
Bastille. 

>lrae  d'Orléans  est  fort  troublée,  mais  beaucoup  plus 
raisonnable  que  M"^*^  la  Duchesse;  elle  dit  que  puisque 
son  mari  a  adopté  à  l'égard  de  son  beau-frère  des  me- 
sures aussi  rigoureuses,  il  fallait  qu'il  eût  de  bien  fortes 
raisons. 

1  Le  réijent  conçut  l'adroite  combinaison  de  donner  pour  geô- 
lier à  la  duchesse  du  Maine  son  neveu,  le  duc  de  Bourbon.  D'une 
part,  on  la  croirait  bien  coupable,  puisque  sa  propre  famille 
consentait  à  sa  punition;  de  l'autre,  on  avilirait  le  duc  et  on 
lui  t'itérait  cette  puissance  de  l'opinion  qui,  un  jour  peut-être, 
en  eût  fait  un  rival  dangereux.  Après  quelques  diflicuités  de 
forme,  le  duc  consentit  à  une  mesure  qui  flattait  la  haine  qu'il 
nourrissait  contre  sa  tante,  haine  qui  avait  pour  cause  un  procès 
entre  la  duchpsse  et  la  maison  de  C.ondé  pour  le  iiaitagc  de  la 
succession  du  dernier  prince  deCondé.  Le  duc  de  Bourbon  était 
i:ouverncur  di^  la  Bourgogne,  ce  qui  fit  choisir  la  ville  de  Dijon 
pour  séjour  forcé  de  la  duchesse. 


46  CORRESPONDANCE 

Il  y  a  panni  le  clergé  la  plus  grande  discorde  :  tous 
les  évêques  sont  désunis  :  les  uns  sont  pour  le  pape 
et  pour  la  doctrine  des  jésuites;  les  autres  appuient 
les  opinions  des  jansénistes.  Je  voudrais  que  les  uns 
et  les  autres  eussent  souci  de  vivre  chrétiennement  et 
de  bien  mourir,  laissant  les  disputes  à  ceux  qui  les 
trouvent  de  leur  goût.  Je  ne  me  préoccupe  ni  de  l'un 
ni  de  l'autre  parti. 

30  décembre  1718. 

On  ne  peut  arrêter  les  cardinaux,  mais  on  peut  les 
exiler.  Le  cardinal  de  Polignac  a  donc  reçu  l'ordre  de 
se  retirer  dans  une  de  ses  abbayes  et  d'y  rester.  L'amour 
lui  a  fait  tourner  la  tête.  Il  était  autrefois  le  bon  ami 
de  mon  fils;  mais  il  avait  changé  depuis  qu'il  s'était 
attaché  à  cette  grenouille  {la  duchesse  du  Maine). 
Magny  n'est  pas  encore  arrêté;  il  se  cache  de  couvent 
en  couvent;  il  est  longtemps  resté  avec  les  jésuites. 

|c>-  janvier  1719. 

On  a  intercepté  une  lettre  d'AlItéroni,  écrite  au 
bâtard  boiteux,  et  dans  laquelle  il  dit:  .<  Dès  qu'on 
déclarera  la  guerre  en  France,  mettez  le  feu  à  toutes 
les  mines.  »  Ce  qui  me  fait  bondir  d'impatience,  c'est 
que  M™''  d'Orléans  et  IM'"*^  la  Princesse  veulent  encore 
faire  croire  que  le  duc  et  lu  duchesse  du  Maine  sont 
entièrement  innocents ,  quoique  leur  crime  se  montre 
de  pins  en  [jIus  au  grand  jour.  .M'"^  la  Piincesse  vint 
me  prier  de  parler  pour  sa  fille,  afin  qu'on  lui  envoyât 
ses  gens,  ses  dames  d'honneur,  sa  femme  de  chambre 
et  son  chirurgien.  Je  mi;  mis  à  rire  et  je  dis  :  «  Ml'<"  de 
Launay  est  une  des  plus  dangereuses  intrigantes  qui 


DE   MADAME   LA   DUCHESSE   d'oRLÉANS.  47 

aient  conduit  toute  cette  affaire.  »  M'"^  la  Princesse  lY'- 
pondit  :  «  Elle  est  à  la  Bastille.  »  Je  dis  :  «  Je  le  sais, 
et  elle  l'a  bien  mérité.  »  Cela  a  fortement  offensé 
^me  la  Princesse. 

3  janvier  1719. 

On  assure  que  la  duchesse  du  Maine  a  engagé  de 
toutes  ses  forces  son  mari  à  s'enfuir  ;  mais  qu'il  a  ré- 
pondu que ,  puisque'  ni  lui  ni  elle  n'avaient  rien  écrit 
de  leur  propre  main,  on  ne  pourrait  lion  [irouver  contre 
eux,  et  qu'en  s'évadant,  ils  paraîtraient  coupables.  Ils 
n'ont  pas  pensé  que  M.  de  Pompadour  a  pu  dire  tout 
ce  qu'il  fallait  pour  les  faire  arrêter. 

Dès  qu'on  arrêté  Schlieben ,  il  a  dit  :  «  Si  M.  le  ré- 
gent n'a  point  pitié  de  moi,  je  suis  perdu.  »  Schlieben 
a  été  longtemps  à  la  cour  d'Espagne,  où  il  a  joui  de 
la  faveur  de  la  princesse  des  Ursins.  Il  a  de  l'esprit, 
sait  bien  jaser,  et  est  un  excellent  espion  pour  une 
pareille  dame.  Ceux  qui  l'avaient  arrêté  le  condui- 
sirent par  la  diligence  à  Paris  sans  faire  semblant  de 
rien.  Arrivé  à  Paris,  la  diligence  fut  menée  à  la  Bas- 
tille; les  autres  voyageurs,  ne  sachant  pas  pourquoi, 
puisqu'on  ne  leur  avait  rien  dit  de  Schlieben,  crurent 
mourir  de  peur,  et  s'attendirent  à  être  tous  enfermés; 
aussi,  lorsqu'on  les  fit  sortir,  ils  furent  bien  contents. 
Sandraski  a  peu  d'esprit;  c'est  un  Silésien.  Il  a  épousé 
une  Anglaise,  dont  il  a  dissipé  tout  le  bien  ;  c'était  un 
grand  joueur. 

Paris,  5  janvier  1719. 

Je  vous  ai  mandé  que  le  duc  et  la  duchesse  du  Maine 
étaient  les  meneurs  du  complot  ;  on  a  depuis  trouvé 


48  CORRESPONDANCE 

la  preuve  de  la  culpabilité  du  duc  ;  c'est  une  lettre 
que  lui  écrivait  Âlbéroni  et  où  se  trouvent  ces  mots  : 
«  Dès  que  la  guerre  sera  déclarée ,  mettez  le  feu  à 
toutes  vos  mines.  »  Il  n'y  a  rien  de  plus  clair.  Ce  sont 
de  grands  misérables.  On  vient  de  m'annoncer  une 
nouvelle  qui  m'afllige  fort,  que  le  roi  de  Suède  avait 
péri  dans  une  tempête  '.  Je  m'en  consolerais,  si  mon 
cousin,  le  prince  héréditaire  de  Hesse-Cassel,  lui  suc- 
cédait. 

6  janvier  1719. 

Quoique  la  trahison  soit  découverte,  tous  les  traîtres 
ne  sont  pas  encore  découverts.  Mon  fils  a  dit  en  plai- 
santant :  «  Je  liens  la  tète  et  la  queue  de  ce  monstre, 
mais  je  ne  tiens  pas  encore  le  corps.  »  Je  n'ai  pas  de 
peine  à  comprendre  pourquoi  des  marchands  ont  écrit 
que  mon  ills  devait  être  arrêté  ;  c'était  en  effet  le  projet 
des  conspirateurs ,  et  il  devait  s'effectuer  deux  jours 
après  celui  où  tout  a  été  découvert  ;  c'est  ce  que  des 
gens  de  leur  parti  avaient  mandé  en  Angleterre. 

Paris,  G  janvier  1719. 

11  était  temps  que  la  trahison  de  l'ambassadeur  d'Es- 
pagne- fût  mise  au  jour.  Un  valet  de  l'abbé  Portoca- 
rero  avait  un  mauvais  cheval,  et  ne  put  suivre  son 
maître;  il  resta  eu  arrière  de  deux  relais,  et  rencontra 
le  courrier  ordinaire  de  Poitiers.  Le  valet  demanda  à 

*  Cette  nouvelle  était  fausse. 

'  Voir  dans  les  Mémoires  de  Saint-Simon,  t.  XXXII,  de  longs 
détails  sur  celte  allaite  ;  l'auiliassadcur  fut  conduit  à  la  fron- 
tière ;  le  roi  d'Espagne,  pour  lui  témoigner  sa  satisfaction  ,  le 
nomma  vice-roi  de  Navarre. 


DE   MADAME    LA    DUCHESSE   d'ORLÉAXS.  49 

celui-ci  :  «  Quelle  nouvelle?  »  Le  postillon  répondit  : 
«  Je  n'en  sais  point,  sinon  qu'on  a  arrêté  à  Poitiers  un 
Anglais  banqueroutier,  et  un  abbé  espagnol  qui  por- 
tait un  paquet.  »  Quand  le  valet  entend  cela,  il  prend 
un  cheval  frais,  et,  au  lieu  de  suivre  son  maître,  il 
revient  le  plus  vite  qu'il  peut  à  Paris.  11  y  mit  tant  de 
hâte,  qu'il  en  a  été  malade  à  la  mort;  il  devança  de 
douze  heures  le  courrier  de  mon  fils  ;  il  eut  donc  le 
temps  d'avertir  le  prince  de  Cellamare  douze  heures 
avant  qu'il  ne  fût  arrêté,  ce  qui  laissa  à  l'ambassadeur 
le  temps  de  brûler  les  lettres  et  autres  papiers  les  plus 
importants.  Les  ennemis  de  mon  fils  prétendent  par- 
tout que  c'est  la  dernière  bagatelle  du  monde  ;  mais 
je  ne  puis  comprendre  comment  on  peut  regarder 
comme  une  bagatelle,  qu'un  ambassadeur  cherche  à 
soulever  tout  le  royaume  et  tous  les  parlements  contre 
mon  fils,  et  médite  le  projet  de  l'assassiner,  lui,  son 
fils  et  sa  fille;  on  ne  voulait  laisser  vivre  que  moi 
seule. 

Paris,  7  janvier  1719. 

Le  duc  et  la  duchesse  du  Maine  ont  écrit  de  tous 
côtés  pour  se  justifier  :  il  y  a  tant  de  fausseté  et  de 
scélératesse  dans  tout  ce  qu'ils  ont  imaginé,  que  je  ne 
puis  en  supporter  l'idée.  On  ne  s'imagine  pas  les 
libelles  qu'ils  ont  répandus  dans  les  provinces  contre 
mon  pauvre  fils  ;  ils  en  ont  envoyé  aussi  à  l'étranger  ' . 

»  La  duchesse  du  Maine  écrivait  ou  faisait  écrire  des  pam- 
phlets, on  les  envoyait  en  Espagne.  Je  trouve  dans  une  dépêche 
d'Albé'roni  :  «  La  reine  a  fort  agréé  la  satire  que  vous  savez;  Leurs 
Majestés  s'en  sont  diverties  deux  jours  entiers;  25  mai  1718  » 
(Capefiguc). 

â 


50  CORRESPONDANCR 

Paris,  8  janvier  1719. 

Un  nouveau  malheur  est  survenu  :  le  château  de 
Luncville  est  entièrement  brûlé,  avec  tout  le  mobilier. 
C'est  le  3  de  ce  mois  que  c'est  arrivé  ;  tout  le  garde- 
meuble  a  été  consumé.  On  a  voulu  sauver  les  archives 
et  les  papiers;  mais  cent  personnes  ont  péri.  La  cha- 
pelle, qui  venait  d'être  rebâtie  et  qui  était  magnifique, 
est  réduite  en  cendres.  On  évalue  la  perte  de  15  à  20 
millions.  On  a  emporté  les  enfants  en  chemise.  Ma 
fille  s'était  mise  dans  une  chaise ,  les  jambes  nues  ; 
mais  les  porteurs  tremblaient  si  fort  qu'ils  ne  pouvaient 
avancer;  ma  pauvre  fille  a  donc  été  forcée  de  traverser 
tout  le  jardin,  pieds  nus,  dans  la  neige,  qui  était  haute 
de  deux  pouces.  Vous  pensez  quelles  ont  été  ses  an- 
goisses, jusqu'à  ce  qu'elle  a  su  que  ses  chers  enfants 
étaient  retrouvés. 

Je  vous  envoie  le  manifeste  de  la  déclaration  de 
guerre  à  l'Espagne  et  .la  copie  d'une  lettre  que  l'am- 
bassadeur adressait  au  nonce  ;  il  n'y  a  pas  une  ligne 
qui  ne  soit  une  atrocité  et  un  mensonge. 

10  janvier  1719. 

On  a  voulu  arrêter  à  Painpelune  le  duc  de  Saint- 
Aignan,  mais  il  a  changé  de  vêtements  avec  sa  femme 
et  il  s'est  sauvé...  Lorsqu'on  a  arrêté  le  duc  du  Maine, 
il  a  dit  :  «  Je  ne  suis  pas  inquiet,  car  je  reviendrai 
bientôt,  puisque  mon  innocence  ne  peut  tarder  k  être 
reconnue  ;  mais  je  ne  réponds  que  de  moi  et  non  de 
ma  femme.  »  Celle-ci  pensait  bien  ne  pas  revenir  de 
sitôt.  M""î  d'Orléans  ne  peut  croire  que  son  frère  eût 
conspiré  ;  elle  dit  que  c'est  sa  femme  qui  a  agi  en  son 


DE   MADAME   LA    DUCHESSE   D'oRLEANS.  51 

nom.  D'autre  part,  M-^e  la  Princesse  croit  que  sa  fille 
est  exempte  de  tout  blâme,  et  que  c'est  le  duc  du 
Maine  seul  qui  a  conspiré. 

11  janvier  1719. 
Mon  fils  charge  trop  son  estomac  à  table  ;  il  s'ima- 
gine qu'il  est  bon  de  ne  faire  qu'un  seul  repas  ;  au  lieu 
de  dîner,  il  ne  prend  qu'une  tasse  de  chocolat;  quand 
vient  ensuite  Iheure  du  souper,  il  a  grand'faim  et  soif. 
Quelque  chose  qu'on  lui  dise  contre  un  tel  régime ,  il 
prétend  qu'il  ne  peut  travailler  après  avoir  mangé. 

12  janvier  1719, 

Toutes  les  intrigues  du  duc  et  de  la  duchesse  du 
Maine  viennent  de  la  vieille  Maintenon  et  de  la  prin- 
cesse desUrsins;  ce  sont  deux  démons  incarnés'.  Les 
jésuites  pourraient  bien  être  mêlés  dans  tout  cela; 
mais  on  ne  peut  les  accuser,  on  n'a  rien  trouvé  contre 
eux. 

>  A  l'égard  de  ces  attaques  perpétiienes  contre  Mme  de  Main- 
tenon,  nous  pensons,  comme  M.  Walckenaêr,  qu'elles  sont  de 
même  que  celles  de  Saint-Simon,  le  résultat  d'une  haine  aveugle 
et  de  la  plus  injuste  paitialilé.  «  11  en  est  de  même  de  presque 
«  tous  ceux  qui  ont  écrit  sur  cette  femme  célèbre  dans  le  temps 
«  de  sa  faveur.  Pendant  tout  le  dix-huitième  siècle,  les  philo- 
«  sophes.  a  cause  de  sa  dévotion,  lui  ont  attribué  sur  les  alfaires 

•  une  influence  qu'elle  n'avait  pas,  afin  de  pouvoir  rejeter  sur 
«  elle  les  malheurs  et  les  désastres  du  règne  de  Louis  XIV.  Ce 

•  n'est  que  de  nos  jours  que  l'on  a  commencé  à  la  juger  impar- 
«  tialement  »  (Mémoires  sur  Mme  de  sévigné,  t.  11^  p.  46o). 
Elle  est  défendue  avec  habileté  et  talent  dans  VHis/oire  qu'a 
publiée  M.  de  Nuailles  (  1848,  grand  in-8),  et  dont  il  n'a  paru 
encore  que  les  deux  premiers  volumes  ;  M.  Ampère  en  a  rendu 
compte  dans  la  nevue  des  Deux-Mondes,  1848,  t.  XXIV  p.  538- 


52  CORRESPONDANCE 

13  janvier  1719. 

Un  jour,  le  Dauphin  lit  venir  la  Raisin  à  Clioisy,  et 
la  cacha  clans  un  moulin  sans  manger  ni  boire,  car 
c'était  jour  de  jeune;  il  pensait  que  le  i)lus  grand  de 
tous  les  péchés  était  de  manger  de  la  viande  un  jour 
maigre.  Après  le  départ  de  la  cour,  il  lui  donna  pour 
tout  souper  de  la  salade  et  du  pain  rôti  dans  l'huile. 
La  Raisin  en  a  bien  ri  elle-même  et  l'a  raconté  à  plu- 
sieurs personnes.  L'ayant  appris ,  je  demandai  au 
Dauphin  à  quoi  il  avait  pensé  en  faisant  jeûner  ainsi 
sa  maîtresse  ;  il  me  dit  :  «  Je  voulais  bien  faire  un 
péché,  mais  pas  deux,  »  et  il  rit  lui-même  de  bon 
cœur. 

15  janvier  1719. 

La  Mainlenon  se  piquant  de  dévotion ,  on  la  crai- 
gnait tellement  à  la  cour,  qu'on  aurait  plutôt  oflensé 
le  bon  Dieu  qu'elle.  A  Versailles ,  elle  avait  cliaque 
semaine  une  assemblée  oîi  toutes  les  dames  étaient 

655-  Ajoutons  que  cette  même  Revue  renferme  (  1849,  t.  IV) 
un  article  sur  les  apocryphes  de  la  peinture,  dû  à  M.  Feuillet 
de  Conciles,  et  dans  leiiuel  ce  judicieux  auteur  d'autographes 
cite  un  i)as&ai,'e  extrait  d'une  lettre  inédite  de  Ninon  de  Lenclos 
à  Saint-Évremoud,  lettre  qui  fait  partie  de  son  cabinet,  et  qui 
est  de  nature  à  elVraycr  les  défenseurs  de  M"ie  de  Maintenon. 
«  Scarron  était  mon  ami;  sa  fennne  m'adonne  mille  plaisirs 
«  par  sa  conversation ,  et  dans  le  temps  je  l'ai  trouvée  trop 
«  gauche  pour  l'amour.  Quant  aux  détails,  je  ne  sais  rien ,  je 
«  n'ai  rien  vu,  mais  je  lui  ai  prêté  souvent  ma  chambre  jaune 
«  à  elle  et  à  Villarceaux.  »  Remarquons  que  «  Mn^e  de  Mainte- 
non  avait  été  plus  que  très-amie  de  Villarceaux,  »  selon  Saint- 
Simon  (t.  XIX,  p.  35),  et  on  a  dit  avec  raison  que  Villarceaux 
était  un  fort  grand  débauché  de  corps,  de  cœur  et  d'esprit. 


DE    MAUAJIH    LA    Ut CHESSt;    l)  OKLEANS.  53 

obligées  de  se  rendre  pour  faire  la  charité  aux  pau- 
vres. Le  curé,  appelé  M.  Âuclion,  leur  adressait  cha- 
que fois  une  exhortation  pour  les  engager  à  faire 
l'aumône.  A  la  sortie  d'une  des  dernières  réunions, 
où  on  leur  avait  fait  une  exhortation ,  elles  pouf- 
faient toutes  de  rire.  Le  curé  leur  avait  dit  ces  mots  : 
u  Mesdames,  je  sais  que  vous  êtes  bien  bas  percées 
(c'est  une  expression  triviale  des  gens  du  commun, 
pour  dire  que  la  bourse  est  mal  garnie);  mais  nos 
besoins  sont  grands  ;  attendrissez-vous  ;  ouvrez-vous 
pour  recevoir  les  membres  de  Jésus  -  Christ ,  tout 
roides  de  froid  et  de  misère!  »  C'était  pour  attendrir 
ces  dames  que  le  curé  leur  avait  adressé  ce  discours 
de  la  manière  la  plus  sérieuse  du  monde. 

17  janvier  1719. 

Le  manifeste  n'est  pas  mal  écrit;  notre  petit  pres- 
tolet  (Dubois)  n'écrit  pas  mal  quand  il  veut;  il  a  com- 
posé ce  document  et  mon  fils  l'a  corrigé.  Plus  on 
examine  la  chose,  plus  on  voit  que  le  duc  et  la  du- 
chesse du  Maine  sont  coupables;  il  y  a  trois  jours  que 
Malézieux,  qui  est  à  la  Bastille,  a  livré  sa  cassette'. 
La  première  chose  qu'on  y  a  trouvée  est  un  projet  que 
Malézieux  a  écrit  à  côté  du  lit  de  la  duchesse  et  que 
le  cardinal  de  Polignac  a  corrigé  de  sa  propre  main. 
Malézieux  disait  que  c'était  une  lettre  adressée  d'Es- 
pagne, et  qu'elle  l'avait  chargé  de  traduire  avec  l'aide 

'  «  Malézieux  rassemblait  dans  son  état  servile  les  avantages 
d'une  médiocrité  universelle;  à  quelque  conspiration  qu'on  l'em- 
plojàt,  il  ne  pouvait  craindre  que  d'en  être  le  valet  et  jamais  le 
complice  »  (Lemontey). 

6. 


54  CORRESPONDANCE 

du  cardinal;  mais  les  lettres  d'Albcroni  au  prince  de 
Cellamare  se  rapportent  si  clairement  à  ce  projet, 
qu'il  est  facile  de  voir  que  tout  cela  vient  de  la  même 
boutique.  M'"'^  du  Maine  a  fait  savoir  à  M™«  la  Prin- 
cesse que  M.  le  Duc  est  la  cause  de  tout;  il  n'ose  pas 
venir  devant  M""*  la  Princesse,  quoiqu'elle  ait  tou- 
jours vécu  avec  elle  avec  beaucoup  d'amitié  et  de 
respect,  tandis  que  M.  et  M™'"  du  Maine  ne  l'ont  pas 
vue  pendant  quatre  ans,  par  suite  d'un  procès  qu'ils 
soutenaient  contre  elle  ;  mais  depuis  que  M™«  la  Prin- 
cesse a  recueilli  le  grand  héritage  de  M'"«  de  Vendôme, 
ils  se  sont  réconciliés. 

19  janvier  1719. 

Chez  mon  fils  et  chez  ses  maîtresses,  tout  va  tam- 
bour battant,  sans  la  moindre  galanterie.  Cela  me 
rappelle  les  vieux  patriarches  qui  avaient  beaucoup 
de  femmes.  Mon  fils  a  beaucoup  du  roi  David;  il  a 
du  courage  et  de  l'esprit  ;  il  est  musicien,  petit,  brave, 
et  il  couche  volonlieis  avec  toutes  les  femmes.  Il  n'est 
pas  difficile  à  cet  égard;  pourvu  iju'elles  soient  de 
bonne  humeur,  bien  elTrontécs  et  qu'elles  boivent  et 
mangent  beaucoup,  il  s'inquiète  peu  de  leur  figure  '. 

Paris,  21  janvier  1119. 

Le  duc  du  Maine  avait  bien  fait  de  ne  pas  se  mettre 
dans  le  complot,  non  plus  que  sa  diablesse  de  naine  ^ 

'  On  trouve  d'étranges  détails  sur  les  orgies  du  régont  dans 
les  pièces  jointes  par  Soulavie  à  s-on  édilion  des  Mrmoircs  de 
Saint-Simon,  1791,1.  Vil,  p.  240.  et  dans  la  Vie  privée  du  ma- 
réchal de  iiichduu,  1791,  trois  vol.  in-8. 

*  «  Lu  duchcbac  du  Maine,  ainsi  que  ses  sujurs,  était  presque 


DE   iMADAME    LA    DUCHESSE    D'oKLÉANS.  55 

Mme  d'Orléans  ne  mérite  pas  de  grands  éloges  dans 
cette  circonstance,  car  elle  n'a  pas  longtemps  été  rai- 
sonnable. M"»  la  Princesse  (de  Condé)  n"a  pas  grand 
motif  d'aimer  la  duchesse  du  Maine;  elle  lui  a  fait  un 
procès  terrible  durant  cinq  ans,  et  elle  n'a  voulu  la 
voir,  non  plus  que  ses  enfants;  mais  sitôt  que  M""  de 
Vendôme  est  morte  et  que  M™«  la  Princesse  a  fait  un 
riche  héritage,  ils  se  sont  tous  mis  à  lui  courir  après. 

26  janvier  1719. 

Le  parlement  est  derechef  en  bonne  amitié  avec 
mon  fils  ;  il  a  rendu  un  arrêt  tout  en  sa  faveur  :  cela 
montre  bien  que  la  du  Maine  les  avaient  excités 
contre  lui.  Les  jésuites  pourraient  bien  en  secret  ma- 
chiner contre  mon  fils ,  car  tous  les  partisans  de  la 
Constitution  sont  ses  adversaires  ;  mais  ils  se  tien- 
nent tranquilles  et  on  ne  découvre  rien  qui  les  com- 
promette. Ce  sont  d'habiles  gens.  M™^  d'Orléans  re- 
commence à  montrer  de  la  satisfaction  et  à  rire;  cela 
me  tracasse  bien ,  d'autant  plus  que  j'ai  su  qu'elle 
avait  consulté  le  premier  président  et  d'autres  per- 
sonnages pour  savoir  si,  en  cas  de  mort  de  mon  fils, 
elle  ne  pourrait  pas  être  nommée  régente  et  son  lils 
régent.  Le  premier  président  a  répondu  que  ce  n'é- 
tait pas  possible,  et  que  la  régence  reviendrait  à  M.  le 

«  naine  ;  elle  qui  étnit  une  des  plus  grandes  do  la  famille,  ne 

«  paraissait  pas  plus  (lu'un  enfant  de  dix  ans.  Quaud  le  duc  du 

«  Maine  l'épousa  et  qu'il  eut  à  choisir  entre  les  lilles  non  encore 

«  mariées  de  M.  le  Prince,  il  se  décida  pour  celle-ci,  sur  ce 

«  qu'elle  avait  peut-étie  quelques  lignes  de  plus  que  son  aînée. 

«  On  ne  les  appelait  pas  k's  princesses  du  sang,  mais  les  pou- 

«  pécs  du  saiiy  »  (Saint:,-Deu\c). 


56  CORUESPO.NDANCt: 

Duc.  Cette  réponse  paraît  lui  avoir  cause  une  con- 
trariété extrême. 

Paris,  2T  janvier  1719. 

Si  mon  fils  avait  voulu  acheter  un  peu  cher  le  car- 
dinal de  Polignac  ',  il  aurait  trahi  tous  ses  complices. 
11  est  maintenant  dans  son  abhaye,  et  il  se  console 
en  traduisant  Lucrèce.  Le  manifeste  du  roi  d'Espagne 
a  servi  mon  tils  au  lieu  de  lui  nuire,  car  il  était  troj» 
partial  et  trop  violent.  Il  faut  qu'Albéroni  soit  un 
violent  meneur  d'ours.  Comment  un  garçon  jardi- 
nier pourrait-il  savoir  le  langage  que  doivent  tenir 
des  personnes  royales?  On  a  envoyé  à  Paris  un  mil- 
lier d'exemplaires  imprimés  de  ce  document;  on  en 
a  adressé  à  tous  les  gens  de  la  cour,  h  tous  les  évo- 
ques, à  tous  les  membres  du  parlement;  et  ceux-ci, 
h  Paris  et  à  Bordeaux,  ont  bien  pris  la  chose,  comme 
le  montrent  les  arrêts  qu'ils  ont  rendus.  J'avais  cru 
qu'au  lieu  de  laisser  distribuer  ce  manifeste,  il  fallait 
brûler  tous  les  exemplaires  saisis  à  la  poste,  mais 
mon  fils  a  dit  qu'on  l'avait  fait  ainsi  à  dessein  et  pour 
connaître  les  partis,  car  on  avait  à  la  poste  note  des 
noms  de  ceux  qui  avaient  reçu  des  paquets.  Les  gens 
de  bien  rapi)Oitent  eux-mêmes  les  paquets  qui  leur 
ont  été  envoyés,  les  autres  les  gardent  et  ils  sont  cou- 
chés par  écrit  à  la  poste,  sans  (lue  le  public  ait  con- 
naissance de  tout  cela.  On  a  crié  dans  la  ville  un 
arrêt  contre  les  poules  d  Inde.  Quand  on  regarda  de 
près  ce  que  c'était,  il  se  trouvait  que  c'était  un  arrêt 

»  Voir  le  portrait  que  Saint-Simon,  t.  VIII,  p.  239,  U-acc  do 
re  prélat. 


DE  MADAME  LA   DUCHESSE   d'oRLÉANS.  57 

rendu  contre  les  jésuites  qui  uni  [)erdu  un  procès  au 
sujet  d'un  prieuré  qu'ils  s'étaient  appliqué.  Tout  le 
monde  achète  cet  arrêt,  excepté  les  partisans  de  la 
Constitution  et  de  l'Espagne. 

Mon  fds  aime  ses  fdles  légitimes  et  illégitimes  beau- 
coup plus  que  son  fds. 

Paris,  31  janvier  1711». 

L'incendie  de  Lunéville  n'est  pas  arrivé  par  acci- 
dent ;  on  sait  que  des  gens  ont  fermé  la  bouche  à  une 
femme  qui  voulait  appeler  au  secours;  on  a  entendu 
un  homme  crier  :  «  Ce  n'est  ])as  moi  qui  ai  mis  le 
feu  !  »  Ma  fille  écrit  que  c'est  la  vieille  guenipc  qui 
voulait  tous  les  faire  brûler,  car  Thomme  auquel 
celui-ci  parlait  a  servi  chez  le  duc  de  Noailles.  Je 
crois  plutôt  que  la  jeune  drôlesse,  la  Craon,  a  part  là 
dedans,  car  Lunéville  est  l'habitation  de  ma  fille, 
comme  on  dit  ici,  et  son  douaire. 

30  janvier  1719. 

La  duchesse  de  Zell  sortait  d'une  famille  tout  à  fait 
commune  '  ;  elle  aurait  regardé  comme  un  bien  grand 
bonheur  d'épouser  le  père  d'un  des  premiers  valets 
de  chambre  de  Monsieur,  qui  rem{)lissait  alors  celle 
charge.  Dans  cette  position,  on  peut  apprendre  à  être 

'  Éléonore  Desmicrs,  dame  d'Olbreusc ,  devint  duchesse  de 
Zell  de  simple  demoiselle  de  compagnie  qu'elle  était  près  de  la 
duchesse  de  la  Trciiioilic.  Née  en  1C38,  elle  séduisit,  par  les 
charmes  de  sa  ligure  et  les  agréments  de  son  esprit,  le  prince 
Georges-Guillaume  de  Dnmswick,  ducde  Zeli,  qui  l'épousa  et  en 
Ut,  par  sa  fille  Sophie-Dorothée,  la  souche  des  familles  royales 
de  Prusse  et  d'Angleterre. 


58  COKRESPONDANCE 

charitable,  mais  non  à  s'associer  avec  des  familles 
princières...  Le  feu  roi  était  capable  de  reconnais- 
sance, mais  aucun  de  ses  enfants  ou  petits-enfants 
ne  l'était.  Il  ne  pouvait  souffrir  qu'on  se  fit  attendre... 
Le  reversi  était  le  seul  jeu  qu'il  jouait  et  qu'il  ai- 
mail...  Dans  les  cabinets,  après  souper,  il  n'y  avait 
(|ue  M"'"  la  Duchesse  [de  Bourbon)  et  moi  qui  lui  par- 
lassions; je  ne  sais  pas  si  M'^^f^  la  Dauphine  parlait 
dans  les  cabinets  avec  le  roi ,  car,  tant  qu'elle  vécut, 
on  ne  m'y  laissa  jamais  entrer;  la  Maintenon  avait 
fait  si  bien  que  la  Dauphine  s'y  était  opposée  ;  le  roi 
le  voulait  bien ,  mais  il  n'osait  commander,  dans  la 
crainte  de  déplaire  à  la  Dauphine  et  à  la  vieille.  Ce 
n'est  donc  quaprès  la  mort  de  la  Dauphine,  qu'on 
m'a  laissé  entrer,  parce  que  le  roi  était  tellement 
affligé  de  cette  mort,  qu'il  voulait  avoir  une  personne 
qui  causât  avec  lui  le  soir  pour  le  distraire  de  ses 
tristes  pensées;  c'est  ce  que  j'ai  fait  de  mon  mieux. 
Il  était  mécontent  de  ses  filles  de  droite  et  de  gau- 
che ,  qui ,  au  lieu  de  chercher  à  le  consoler  de  ses 
chagrins,  ne  pensaient  qu'à  leurs  amusements,  et 
le  bon  roi  eût  été  souvent  tout  seul  le  soir  si  je  ne 
fusse  toujours  entrée  dans  son  cabinet.  Il  s'en  aper- 
çut bien,  et  il  dit  à  la  vieille  :  a  11  n'y  a  que  Madame 
qui  ne  m'abandonne  pas.  » 

Paris,  2  février  1119. 

J'ai  eu  ce  matin  à  écrire  à  ma  pauvre  fille,  qui  a 
grand  besoin  de  consolations.  C'est  une  bien  détestable 
chose  (jue  ces  maîtresses;  elles  tiaîiuîiit  à  leur  suite 
toute  sorte  de  maux  et  se  conduisent  comme  des  diu- 


DE   MADAME    LA    DUCHESSE    D'ORLÉANS.  59 

bles  incarnés.  Celle  à  laquelle  ma  fille  à  affaire  est  une 
méchante  femme,  qui  fait  tout  son  possible  pour  lui 
enlever  entièrement  son  mari.  Je  ne  voudrais  pas  jurer 
qu'elle  n'a  point  fait  mettre  le  feu  au  château  de  Lu- 
néville,  car  la  haine  qu'elle  a  contre  ma  fille  est  bien 
plus  forte  que  l'attachement  qu'elle  porte  au  duc.  Il 
s'est  trouvé  un  homme  qui  a  menacé  une  femme  qui, 
au  début  de  lincendie,  voulait  donner  l'alarme;  il  lui 
a  mis  la  main  sur  la  bouche,  en  lui  disant  :  «  Si  vous 
a  criez  au  feu,  vous  êtes  morte.  »  Un  autre  a  dit  :  «  Ce 
«  n'est  pas  moi  qui  ai  mis  le  feu  au  château.  »  Ma  fille 
pense  que  la  vieille  i^Maintenon)  est  la  cause  de  tout 
cela,  et  qu'elle  voulait  la  l'aire  brûler,  afin  de  se  ven- 
ger sur  moi  et  sur  mon  fils  de  ce  qui  est  survenu  au 
duc  du  Maine  et  à  sa  femme.  Je  ne  jurerais  point  qu'elle 
n'ait  pas  assez  de  malice  pour  agir  de  la  sorte.  On  peut 
s'attendre  à  tout  de  sa  part,  après  sa  méchanceté  et 
après  la  conduite  qu'elle  a  toujours  menée  '. 

*  Nous  ne  savons  si  Madame  eut  jamais  le  plaisir  de  lire  les 
écrits  imprimés  en  Hullaude  contre  Mme  de  Mainienon,  mais,  à 
coup  sûr,  elle  se  serait  singulièrement  délectée  à  les  parcourir. 
11  existe  en  ce  genre  un  libelle  fort  plat,  qui  flgurc  dans  le  re- 
cueil intitulé:  Amours  des  Dames  illnslres,  imprimé  à  di- 
verses reprises,  1(;80,  IGSI,  1694,  sans  date  (vers  1737),  etc., 
(voir  le  Manuel  du  Libraire  de  M.  Brunet,  t.  I,  p.  91);  il  en 
existe  des  étilliono  séparées;  la  première  porte  au  frontispice: 
La  Cassette  ouverte  de  l'illustre  crude  (créole},  ou  les  Amours 
de  3/me  de  ilaintenon  ,  épouse  de  Louis  XIV;  ce  libelle  re- 
parut une  troi.-iiènic  l'ois  uwc  suppreàsion  de  quelijues  potsies 
peu  édifiantes  qui  accompagnaient  les  premières  impressions,  et 
avec  un  titre  nouveau  :  Le  Passe-temps  royal  de  Versailles, 
ou  les  Amours  secrètes  de  iVrae  de  Maintenon,  Cologne,  1704. 
Il  il  d'ailleurs  été  inséré  sous  le  titre  des  Derniers  dérégie-' 
luents  de  lu  cour,  dans  les  éditions  de  Vllistoirc  amoureuse 


60  CORRESPONDANCE 

Tout  se  découvre  et  tout  vient  au  jour  :  les  scéléra- 
tesses dont  j'entends  parler  depuis  quelque  temps  ne 
peuvent  avoir  été  inventées  que  dans  l'enfer;  il  est 

des  Gaules.  Dans  celle  qui  porte  la  dnte  de  1777  et  la  ru- 
brique de  F.ondres  (5  vol.  in-18),  il  remplit  les  pages  l-liO 
du  tome  IV. 

En  lG9i,  le  libraire  Chavance,  accusé  de  distribution  de  pa- 
reils libelles,  fut  mis  à  la  torture,  et  deux  garçons  imprimeurs 
furent  pendus  après  avoir  subi  la  question  ordinaire  et  ex- 
traordinaire (  Depping  ,  Correspondance  administrative  sous 
Louis  XIV,  t.  H,  elBrunei,  Manuel  du  Libraire^  t .  IV,  p.  217). 
Les  deux  écrits  suivants  n'ont  pas  été  réimprimés  et  sont 
assez  rares  :  Scarron  apparu  à  Mme  de  Maintenon,  et  les  rC' 
proches  qu'il  lui  fait  sur  ses  amours  avec  Louis-le- Grand, 
Cologne,  1694. 

Entretien  entre  Louis  XIV  et  3i™e  de  Maintenon  pour  la 
conclusion  de  leur  mariage.  Marseille  (Hollande),  1710,  in-12 
de  94  pages. 

Ajoutons  qu'en  Angleterre  on  se  déchaîna  aussi  contre  la 
vieille  que  détestait  Madame.  Voici  le  titre  d'un  écrit  qui  n'est 
sans  doute  pas  facile  à  trouver  sur  le  continent,  et  que  nul  bi- 
bliogr;iphe  français  n'a  connu  :  The  frenck  king's  loedding,  or 
the  royal  froUck,  being  a  pleasant  account  of  the  intrigues, 
comical  cour/ship,  catlerwauling  and  surprising  marriage  cé- 
rémonies 0/  Lctiùs  the  XIV  wilh  Madame  de  Maintenon,  wifh 
a  comical  wcdding  song  sung  to  his  Mojesty,  1708. 

Voici  encore  quelques  étliantillons  des  couplets  satiriques  que 
nous  olfre  la  collection  Maurepas  : 

Louis  le  Grand  aime  la  gloire  ; 

Il  a  commandé  son  histoire 

Pour  immortaliser  son  nom. 

De  quoi  scra-t-elle  remplie? 

De  la  noce  de  Maintenon, 

De  la  fin  de  la  monarchie. 

On  dit  que  c'est  la  Mainteuou 

Qui  renverse  le  trône. 
Et  que  cette  vieille  guenon 

.N'iMis  réduit  h  Paium'ine  ; 


DE   MADAME    LA   DlCtlF.SSF.    It'or.LÉANS.  6l 

affreux  que  des  clirétiens  agissent  de  la  sorte,  et  si  je 
pouvais  tout  vous  dire,  ma  chère  Louise,  vous  seriez 
hors  de  vous-même  et  vos  ciieveux  se  hérisseraient 
d'horreur  ;  vous  ne  pourriez  croire  ce  qui  n'est  pour- 
tant que  la  vérité  pure.  Je  puis  aimer  mes  parents  aussi 
bien  qu'un  autre;  mais  lorsque  je  les  reconnais  pour 
indignes  de  mon  amitié,  alors  je  les  repousse  encore 
plus  que  des  étrangers.  Par  exemple,  j'ai  su  que  le  duc 
Max  s'était  réjoui  de  la  mort  de  sa  mère,  notre  chère 
électrice,  et  que,  par  motifs  d'intérêts,  il  l'avait  accu- 
sée auprès  de  l'empereur;  depuis  ce  temps,  je  ne  puis 
plus  le  souffrir,  ni  en  entendre  parler.  Si  j'avais  un 
frère  qui  eût  commis  des  méfaits  tels  que  ceux  du  duc 
du  Maine,  certes,  je  voudrais,  non-seulement  ne  pas 
prononcer  son  nom  de  tout  le  reste  de  sa  vie,  mais  je 
ne  le  reconnaîtrais  même  plus  pour  mon  frère. 

Louis  le  Grand  soutient  que  non^ 
Et  que  tout  se  règle  par  lui, 

Blribi, 
A  ia  façon  de  Barbari, 

Mon  ami. 

Pour  bien  défendre  le  royaume, 
Il  nous  faudrait  un  roi  Guillaume. 
Louis  ne  fait  que  radoter, 
Et  quoi  que  l'on  en  puisse  dire. 
Le  plus  court  est  de  l'onftTmer, 
Avec  sa  mégère,  à  Saint-Cjr, 

Maintenon  a  beau  se  targuer  '    ' 

D'instruire  la  jeunesse  ; 
Dès  lors  qu'où  ne  peut  plus  pécher 
On  prêche  la  sagesse  ; 
Mais  nous  savons  qu'au  Canada 
Elle  avait  fait  plus  de  fracas, 
Qu>  J.'an  de  Vert. 


.62  CORRESPONDANCE 

Quant  à  ce  qu'on  dit  des  projets  du  roi  de  Prusse, 
c'est  complètement  invraisemblable,  car  on  assure  qu'à 
la  suite  de  maux  de  tête  très-violenls,  il  est  devenu 
tout  à  fait  fou;  cela  m'afflige,  surtout  à  cause  de  la 
reine,  qui  est  une  princesse  pleine  de  vertu. 

3  février  1T19. 

A  Berlin,  il  y  avait  jadis  une  vieille  princesse  de 
Schœningen  qui  s'était  éprise  du  prince  Maurice  de 
IVassau.  Elle  ne  pouvait  plus  marcher,  mais  elle  avait 
des  porteurs  qui  la  transportaient  partout  après  lui. 
11  en  fut  impatienté,  et  comme  elle  le  tourmentait  un 
jour  pour  qu'il  lui  donnât  son  portrait,  il  lui  demanda 
ce  qui  donc  la  charmait  si  fort  en  sa  personne.  Elle 
dit  que  c'était  sa  belle  taille,  son  dos  arrondi  et  ses 
belles  jambes.  Il  répondit  :  «  Puisque  vous  voulez  à 
toute  force  avoir  mon  portrait  en  pied,  je  me  ferai 
peindre  dès  que  je  serai  de  retour  en  Hollande.  »  Quel- 
que temps  après  qu'il  fut  parti,  son  portrait  arriva. 
Tout  le  mond  accourut  pour  voir  s'il  était  ressemblant, 
mais,  quand  on  l'eut  déroulé,  on  vit  qu'il  s'était  fait 
peindre  par  derrière,  et  il  écrivait  qu'il  envoyait  le 
portrait  de  ce  qui,  en  sa  personne,  avait  le  plus  charmé 
la  princesse. 

Pari»,  4  févripr  1719. 

Ce  n'était  pas  assez  pour  ma  pauvre  fille  de  l'incendie 
du  château  de  Lunéville;  son  mari  est  tombé  très- 
gravement  malade,  à  la  suite  de  cette  nuit  fatale  où 
il  a  été  saisi  par  le  froid.  Il  a  eu  une  fluxion  de  poi- 
trine; il  a  été  saigné  trois  fois,  et  il  a  été  saisi  d'une 
forte  fièvre  continuelle.  Vous  imaginez  aisément  les 


DE   MADAME   LA   DUCHESSE   d'ORLÉANS.  63 

angoisses  de  ma  fille;  elle  aime  son  mari  de  toute  son 
âme  et  nullement  comme  les  dames  françaises  amieni 
les  leurs.  11  faut  vraiment  que  M">e  de  Craon  ait  ensor- 
celé le  duc,  car  lorsqu'il  ne  la  voit  pas,  il  est  dans  une 
telle  agitalion,  qu'il  est  tout  en  sueur.  Il  y  a  la  quelque 
chose  qui  n'est  pas  naturel,  et  elle  se  conduit  avec 
beaucoup  d'adresse.  Elle  n'a  d'attachement  pour  lui 
que  par  cupidité,  et  elle  serait  enchantée  de  l'exaspérer 
contre  ma  fille;  mais  celle-ci  se  conduit  avec  tant  de 
sagesse  et  de  prudence,  qu'elle  n'a  jamais  fourni  de 
prétexte  à  ce  qu'on  irritât  son  mari  contre  elle.  Le  feu 
a  certainement  été  mis  à  dessein,  car  on  empêchait 
d'apporter  des  secours  et  de  donner  l'alarme.  Tout  ce 
qui  se  passe  en  Lorraine  est  bien  fait  pour  me  donner 
les  plus  grands  soucis,  car  les  Craon  y  dirigent  tout; 
et  comme  ils  ne  pensent  qu'à  placer  leurs  créatures  et 
à  prendre  de  l'argent  de  tout  côté,  les  choses  vont  de 
mal  en  pis,  et  mes  pauvres  petits-enfants  se  trouvent 
ruinés.  Je  doute  que  les  sujets  du  duc  de  Deux-Ponts 
aient  lieu  d'être  satisfaits  de  leur  souverain,  car,  entre 
nous   c'est  un  singulier  original;  il  voulait  épouser 
M'"*^  de  Vendôme,  et  quand  il  vit  qu'il  n'y  réussirait 
pas  et  qu'on  se  moquait  de  lui,  il  s'en  retourna  a 
Strasbourg,  et  manifesta  son  mécontentement  de  la 
façon  la  plus  ridicule.  Vous  le  connaissez  bien  d'ail- 
leurs. ,      ,  • 

Le  roi  Philippe  n'est  pas  mort,  mais  il  est  tres-serieu- 
sement  malade';  ce  n'est  pas  un  méchant  homme, 

1  11  ivc  mourut  que  furt  loiislcmiis  après,  en  17  46.  Porté  na- 
turellement à  la  mélancoUe,  scrupuleux  à  rcxcés,  faible  et  ti- 
mide, paresseux  d'esprit,  comeul  de  la  vie  la  plus  triste,  la  plus 


64  CORRESPONDANCE 

mais  il  est  extrêmement  opiniâtre;  quand  il  s'est  mis 
une  fois  quelque  chose  dans  lu  tète,  le  diable  ne  k  lui 
sortirait  pas.  La  princesse  des  Ursins  lui  avait  fait 
croire  que  mon  fils  en  voulait  à  sa  vie;  rien  n"a  pu  le 
faire  revenir  de  cette  idée,  aussi  a-t-il  pour  mon  fils 
une  haine  implacable. 

Paris,  9  février  1719. 

J'ai  eu  des  nouvelles  de  la  maladie  du  duc  de  Lor- 
raine; il  est,  Dieu  merci,  hors  de  danger;  il  n'y  a  pas 
de  doute  que  le  feu  n'ait  été  mis  à  dessein;  ma  fille 
soupçonne  la  vieille  qui  est  à  Saint-Cyr  et  qui  aura 
voulu  se  venger  de  ce  qu'on  a  fait  contre  son  duc  du 
Maine;  on  a  reconnu,  comme  il  s'échappait  des  ap- 
partements où  l'incendie  avait  commencé,  un  homme 
qui  est  au  service  de  la  nièce  de  la  vieille.  Il  serait  bien 
temps  que  cette  vieille  femme  se  convertit,  si  elle  veut 
éviter  l'enfer  que  depuis  sa  jeunesse  jusqu'à  présent 
elle  a  bien  mérité. 

14  février  1719. 

Quand  la  vieille  gnenipc  vit  que  la  récolte  avait 
manqué,  elle  fit  acheter  sur  tous  les  marchés  tout  le 
blé  (jui  s'y  trouvait.  Elle  a  ainsi  gagné  horriblement 

isolée,  n'ayant  d'autre  iiasse-temps  que  tle  tirer  sur  des  bêles 
fju'on  faisait  défiler  devant  lui,  ce  prince  éprouva  toule  sa  vie  le 
besoin  de  se  laisser  dominer.  Ses  successeurs  ne  furent  guère 
plus  sensés  que  lui.  Ferdinand  VI,  mort  en  1759,  devint  aliéné 
vers  la  fin  de  sa  vie.  «  il  ne  veut  pas  se  laisser  raser,  va  sans 
autre  vêtement  qu'une  clieuiise,  dont  il  n'a  pas  voulu  clianger 
depuis  très-longtemps  et  une  robe  de  chambre  »  (dépêche  de  l'am- 
bassadeur anglais  citée  par  lord  Mahon ,  Histoire  de  l'Europe 
depuis  In  paix  d'Utrevfif,  cliap.  xxxvi). 


M-;    MADAMH,    LA    DLCilKSSI-.    ij'ohLbA.N  :.  Go 

d'argent,  mais  tout  le  monde  mourait  de  l'aim.  Elle 
n'avait  pas  fait  faire  assez  de  greniers,  aussi  i)canconp 
de  blé  s'est-il  gâté  dans  les  bateaux;  il  a  fallu  le  jeter 
à  la  Seine  ;  le  peuple  criait  que  c'était  un  cbâtiment 
de  Dieu. 

15  février  1719. 

M"e  de  Montauban  et  M"e  de  Launay  ',  qui  est  une 
personne  spirituelle  et  qui  a  toujours  été  en  correspon- 
dance avec  Fontenelle,  et  qui  était  femme  de  chambre 
de  M""*  du  Maine,  ont  toutes  deux  été  mises  à  la  Bas- 
tille.... Le  duc  du  Maine  est  bien  fâché  d'avoir  suivi 
le  conseil  de  sa  femme;  il  semble  qu'il  n'a  voulu  le 
suivre  que  dans  ce  qu'il  y  a  de  pire, 

Paris,  16  février  1719. 

Depuis  huit  à  dix  jours,  il  y  a  un  vent  effroyal^le,  et 
cet  ouragan  a  occasionné  des  choses  incroyables.  Il  a 
enlevé  le  plomb  de  dessus  des  clochers  et  l'a  jeté  bien 
an  loin  par  delà  la  rivière  ;  il  a  arraché  deux  grandes 
portes  dans  une  église,  brise  des  arbres  par  le  milieu, 
renversé  des  murailles.  Si  cela  se  passait  dans  la 

•  Connue  plus  tard  sous  le  nom  de  Mme  de  Staal.  Ses  Mé- 
moires, qui  font  si  i)ien  connaître  la  petite  cour  de  Sceaux,  sont 
entre  les  mains  dé  tout  le  monde.  M.  Sainte-Beuve  a  fait  sur 
cette  femme  remarquable  une  notice  des  plus  intéressantes  (  Der- 
niers portraits  Utléraires,  1852,  p.  427-441.)  I.e  catalogue  des 
autographes  du  bibliophile  Jacob  (M.  Paul  Lacroix)  indique 
(1840,  p.  45)  un  manuscrit  de  ces  Mémoires,  corrigé  et  aug- 
menté par  l'auteur,  contenant  un  grand  nombre  d'additions  qui 
n'ont  jamais  été  recueillies,  et  de  beaucoup  de  suppressions  qui 
mériteraient  de  Télre  sous  les  ratures  oîi  elles  sont  cachées. 
M.  le  comte  IÎ(Pdcrcr  a  composé  une  comédie  inlltuléc  :  Mcidc- 
inoiselle  de  Launay  à  la  Bastille. 

6. 


66  COUHESPONDANCK   • 

Westphalie,  on  y  veiruil  l'œuvre  des  sorciers,  mais  à 
Paris  on  ne  croit  plus  aux  magiciens  et  on  ne  les  brûle 
plus. 

Les  divertissements  qui  ont  lieu  à  Heidelberg  me 
rappellent  qu'un  Italien  disait  une  fois  à  Versailles,  à 
M^^e  la  Duchesse  :  «  Je  vois  à  la  cour  de  France  beau- 
coup de  fêles,  mais  je  n'y  aperçois  pas  de  gaieté.  »  11 
me  semble  qu'aujourd'hui  la  mode  n'est  plus  nulle 
part  de  se  réjouir  et  de  se  livrer  à  une  joie  réelle.  L'élec- 
trice  palatine  fait  bien  de  ne  pas  songer  à  se  remarier  ; 
sa  fille  est  bien  en  état  de  faire  assez  de  princes  pour 
gouverner  1  eleclorat.  Le  bruit  court  que  cette  prin- 
cesse est  brouillée  avec  son  mari  et  qu'il  a  raison  d'être 
jaloux,  mais  on  ne  dit  pas  de  qui;  il  paraît,  toutefois, 
que  sa  fennne  ne  veut  plus  le  souffrir  ;  c'est  pourtant 
un  bel  homme,  mais  d'une  beauté  trop  délicate  et  troj) 
féminine;  il  ressemble  à  deux  de  nos  dames  à  la  mode 
ici  :  M"e  de  Clermont,  sœur  de  M.  le  Ikic,  et  M°>e  de 
Flamarin. 

J'aime  mieux  voir  des  arbres  et  des  prairies  que  les 
plus  beaux  palais;  j'aimemieuxun  jardin  potager  que 
des  jardins  ornés  de  statues  et  de  jets  d'eau;  un  ruis- 
seau me  plaît  davantage  que  de  somptueuses  cascades; 
en  un  mot,  tout  ce  (|ui  est  naturel  est  infiniment  plus 
de  mon  goût  que  les  œuvres  de  l'art  et  de  la  magnifi- 
cence; elles  ne  f)luisont  qu'au  premier  aspect,  et,  aussi- 
tôt qu'on  y  est  habitué,  elles  inspirent  la  fatigue  et  on 
ne  s'en  soucie  plus. 

17  Icvricr  1719. 

Mon  fils  a  marié  au  marquis  de  Ségur  la  fille  qu'il 


DE    MADAME    LA   DUCHESSE   D'oRLÉANS.  67 

a  eue  de  la  Desmares  ' .  La  mère  n'a  pu  voir  cette  en- 
fant qu'une  seule  fois  depuis  qu'elle  l'a  mise  au  monde  ; 
c'est  celte  année  qu'elle  la  vit  dans  mie  loge;  les 
larmes  lui  vinrent  aux  \eux  dans  l'excès  de  sa  joie. 
La  fille  est  fort  gentille,  mais  pas  de  beaucoup  aussi 
jolie  que  sa  mère. 

17  février  1719. 

Feu  le  duc  d'Ossune  '  avait,  dit-on,  une  femme  très- 
belle  et  très-vive,  qui  était  jalouse  d'une  comédienne. 
Elle  apprit  que  son  mari  avait  choisi  une  très-belle 
étoile  pour  un  habillement  qu'il  donnait  à  sa  maîtresse. 
Elle  alla  chez  le  marchand  et  se  la  fit  donner,  car  le 
duc  n'avait  pas  confié  au  marchand  pour  qui  était  cette 
emplette.  Elle  s'en  fit  faire  un  costume  et  alla  ensuite 
ainsi  vêtue  vers  son  mari  et  lui  dit  :  «  Ne  trouvez-vous 
pas  cette  étoffe  admirable?  »  11  fut  piqué  et  répondit  : 
a  Oui,  l'étoflé  est  belle,  mais  elle  est  mal  emplo}ée.  » 
La  duchesse  dit  :  «  Tout  le  monde  dit  la  même  chose 
de  moi.  » 

*  Entre  autres  couplets  que  les  recueils  manuscrits  consa- 
crèrent à  cette  actrice,  nous  citerons,  comme  l'un  des  plus  vifs, 
celui-ci  où  nous  ferons  une  suppression  nécessaire. 

Oq  vit  de  la  même  façou, 

Chez  la  Desmares  que  chez  Fillon, 

Plus qu'uue  louve. 

Elle  en  preud  par  où  elle  eu  trouve. 

La  Desmares ,  après  avoir  eu  pour  amant  le  fils  de  l'acteur 
Baron  et  un  banquier  suisse,  se  maria  avec  le  fils  aîné  du  co- 
médien Poijson.  Voir  les  Mélanges  de  Boisjourdain,  1807,  t.  1, 
p.  209. 

*  Pedro  Tcllcz  y  Giron,  duc  d'Ossune,  né  en  1579,  mort  en 
1624.  Voir  son  hislorictle  daus  Tallcinant,  t.  I. 


t)8  CORKESl'ONDANCE 

Connue  les  ancêtres  de  la  maison  d'j^rpajon,  en 
France,  ont  rendu  à  l'ordre  de  Malte  de  grands  ser- 
vices, elle  a  obti'iui  le  privilège  que  le  second  fds  de 
la  maison  est  chevalier  de  Malte,  dès  qu'il  est  né,  sans 
avoir  besoin  de  faire  de  preuves  et  s^ns  qu'on  s'occupe 
de  sa  mère. 

20  février  1719. 

Quant  à  M™^  d'Orléans,  je  ne  pnis  empêcher  son 
étrange  conduite;  j'ai  entendu  feu  le  bon  roi  à  son  lit 
de  mort  lui  en  faire  des  reproches,  mais  il  ne  pouvait 
rien  em[)èclier.  Il  lui  adressa  alors  des  conseils  tres- 
sages et  pieux  ;  mais,  comme  dit  le  proverbe  :  on  a 
beau  prêcher  à  qui  n'a  cœur  de  bien  faire....  Elle  est 
souvent  malade,  ce  qui,  je  crois,  joint  à  ce  qu'elle  a 
de  si  longues  dents,  la  fait  paraître  plus  vieille  qu'elle 
ne  l'est.  Elle  est  un  peu  marquée  de  la  petite  vérole. 

Il  est  certain  que  nous  avons  peu  de  sympathie  l'une 
pour  l'autre,  mais  nous  vivons  ensemble  avec  beau- 
coup de  politesse....  Elle  croit  qu'il  n'y  avait  rien  au 
monde  de  plus  parfait  que  sa  mère,  qu'elle  ne  peut 
cependant  regarder  comme  ayant  été  reine,  car  elle  a 
fort  bien  connu  la  reine,  qui  l'appelait  toujours  ma 
fille  et  la  traitait  avec  beaucoup  de  bonté,  mieux  que 
toutes  ses  sœurs,  je  ne  sais  jiourquoi,  car  elle  n'élait 
pas  la  plus  agréable  de  toutes....  Elle  aime  beaucoup 
les  jiierreries;  elle  aune  fois  i)leuré  pendant  vingt- 
quatre  heures  parce  que  mon  (ils  avait  donné  de  belles 
pendeloques  à  la  duchesse  de  IJcrri. 

21  rôvricr  H  10. 

La  colère  a  rendu  M'"^'  (hi  .Maine  malade  Ea  vieille 


DE   MADAME   LA    DUCHESSE    d'oULEANS.  69 

doit  s'être  terriblement  emportée;  elle  doit  avoir  plus 
de  dépit  que  personne  au  monde,  car  c'est  elle  seule 
qui  a  jeté  ce  couple  dans  le  malheur,  en  leur  mettant 
en  tête  que  s'ils  ne  régnaient  pas,  c'était  le  résultat 
d'une  grande  injustice,  et  que  ce  royaume  leur  ap|)ar- 
tenait  aussi  bien  qu'au  roi  Salomon. 

23  février  1719. 

Aucun  des  deux  Dauphins  et  aucune  des  Dauphines 
ne  s'est  jamais  inquiété  de  leurs  enfants;  le  roi  les  a  fait 
élever  sans  leur  avis  et  leur  a  désigné  tous  leurs  gens; 
il  n'aurait  pas  trouvé  bon  qu'ils  s'en  fussent  mêlés. 
Le  Dauiihin  ne  savait  pas  vivre;  lui  et  son  tlls  étaient  de 
grossiers  personnages....  11  est  certain  que  les  femmes 
des  halles  ont  eu  pour  le  premier  Dauphin  une  véritable 
passion  '  ;  on  leur  avait  fait  croire  qu'il  prenait  le  parti 
du  peuple  de  Paris,  et  il  n'y  avait  pas  un  mot  de  vrai 
là  dedans.  Le  peuple  le  croyait  meilleur  et  plus  com- 
patissant qu'il  ne  l'était  ;  il  n'aurait  pas  été  méchant 
en  ellct,  mais  le  maréchal  d'Uxelles,  la  Chouin  et  la 
Montespan,  auprès  desquels  il  avait  été  fourré  dans  sa 
jeunesse,  ainsi  que  M'"«  la  Duchesse  {de  Bourbon), 
l'avaient  tout  à  fait  gâté  et  lui  avaient  fait  croire  que  la 
jnéchanceté  était  une  manpie  d'esprit. 

23  février  1719. 

Je  ne  puis  être  en  repos  tant  que  je  vois  mon  fils 
l'objet  de  la  haine  des  plus  grands  seigneurs  de  ce 
))ays.  Lorsqu'ils  sont  en  sa  présence,  ce  n'est  de  leur 
jiartque  protestations  de  dévouement;  mais  ensuite  ils 

'  Voir  Saint-Simon,  t.  V,  p.  190,  et  t.  XVI,  p.  227. 


70  COIUIKSI'ONUANCË 

vont  dans  leurs  assemblées  el  ils  disent  de  lui  des  hor- 
reurs et  font  tous  leurs  efforts  pour  exciter  contre  lui  la 
colère  publique.  Tant  de  fausseté  m'exaspère.  Connue 
l'on  ne  se  gène  pas  pour  exprimer  des  souhaits  à  l'égard 
de  sa  mort,  j'ai  peur  que  quelque  enrage  ne  se  mette 
dans  la  tête  de  faire  un  mauvais  coup,  afin  de  gagner 
ime  grande  récompense.  Dieu  soit  loué  de  ce  que  le 
carnaval  est  fini,  car,  en  dépit  des  promesses  qu'il 
avait  faites,  il  avait  recommencé  à  aller  au  bal.  11  a  les 
meilleures  intentions  du  monde  ;  il  aime  sa  patrie 
plus  que  sa  propre  vie;  il  travaille  tout  le  jour  et  y 
consume  sa  vie  et  sa  santé,  et  il  voudrait  voir  tout  le 
monde  content. 

Je  ne  puis  comprendre  toutes  ces  brouilleries  qu'il 
y  a  dans  la  famille  royale [d'Anyleterrc')',  si  le  roi 
croit  que  le  prince  de  Galles  n'est  pas  son  fds,  pour- 
quoi l'îi-t-il  mené  à  Londres?  Pourquoi  l'a-t-il  fait 
élever,  l'a-t-il  marié  et  ne  s'est-il  brouillé  avec  lui 
que  depuis  deux  ansï  il  faut  qu'il  y  ait  là-dessous  des 
choses  que  l'on  ne  sait  pas.  A  mon  sens ,  c'est  le  roi 
qui  a  tort  '. 

1  Georges  l*^'  était  en  effet  un  personnage  fort  peu  aimable. 
On  connaît  ses  scandaleux  débats  avec  sa  femme  légitime,  la 
Itrincesic  Soiiliic  Durotliée,  qu'il  tenait  reufcrnu'c  dans  une  for- 
teresse du  Hanovre.  11  avait  deux  ni;iî!re?scs,  loutcsdeux  vieilles 
et  laides,  mais  il  y  avait  entre  elles  une  différence  notable  : 
l'une,  la  comtesse  de  Schulembuurg,  créée  duchesse  de  Keudall, 
était  d'une  maigreur  cllV;i\aiite;  l'autre,  la  baronne  de  Kielman- 
seck,  qui  fut  éle\ée  au  rang  de  comtesse  d'Ailiuglon,  ollVait  un 
cmboniioinl  mouiitrueux.  Les  railleurs  les  avaient  surnonunées 
la  Perche  et  Vf:i('i)h(mt.  Ce  roi  n'avait  aucun  goût  pour  les  An- 
glais; il  ignorait  leur  langue  et  passait  la  majeure  partie  de  son 
temps  u  fumer  dans  sa  pipe  cl  à  boire  do  la  bière.  Ses  querelles 


DE   MADAME  LA    DICHRSSE   d'ORLÉANS.  ^l 

Quoique  l'on  sache  bien  que  la  Maintenon  est  mêlée 
dans  toutes  ces  aiïaires,  on  ne  peut  cependant  rirn 
lui  dire,  car  son  nom  ne  se  trouve  nulle  part...  Quand 
on  nomme  à  mon  fils  les  gens  qui  le  haïssent  et  qui 
en  veulent  à  sa  vie,  il  ne  fait  qu'en  rire,  et  il  dit  :  «  Ils 
n'oseraient;  je  ne  suis  pas  si  faible  que  je  ne  puisse 
me  défendre.  »  Cela  me  fait  trépigner  d'impatience... 
Sa  femme  croit  qu'elle  a  fait  grand  honneur  à  mon 
fils  en  l'épousant,  puisqu'il  n'est  que  le  neveu  d'un 
roi,  tandis  qu'elle  est  fille  d'un  roi  ;  elle  ne  veut  pas 
comprendre  qu'elle  est  l'enfant  d'une  p....n  '. 

25  février  1719. 

J'ai  causé  hier  avec  mon  fils  et  j'ai  voulu  savoir  s'il 
était  vrai  que  sa  femme  lui  ait  conseillé  de  sortir  la 
nuit  et  d'aller  au  bal  masqué.  Il  en  est  convenu,  et  il 
a  ajouté  que  AW  de  Berri  avait  dit  que  je  voulais  être 
la  seule  à  le  gouverner,  et  qu'il  levait  tort  à  sa  répu- 
tation s'il  montrait  de  la  crainte  pour  sa  vie.  Dites- 
moi  s'il  peut  y  avoir  dans  l'enfer  un  diable  pire  que 
cette  femme;  elle  commence  bien  à  marcher  sur  les 
traces  de  sa  mère.  Vous  comprenez  bien  combien 
mes  angoisses  augmentent,  quand  je  vois  que  mon 
fils  ne  trouve  chez  sa  femmme  nul  souci  de  sa  sûreté. 
C'est  pour  moi  un  plaisir  que  de  penser  que  j'ai  tou- 
jours regardé  ce  mariage  comme  un  fléau,  mais  il  est 
bien  pénible  pour  moi  d'avoir  chaque  jour  devant  les 

avec  son  fils  vinrent  au  point  qu'un  de  ses  courtisans  put  un 
jour  lui  pruposer  sérieusement  de  le  débarrasser  du  prince  royal 
en  l'emmenant  de  force  au  fond  de  l'Amérique. 
^  Ein  huretikmd. 


72  CORRESPONDANCR 

yciix  cette  maudite  femme  ;  elle  ne  peut  souffrir  que 
ses  enfants  aient  de  l'affection  pour  moi. 

Je  reviens  à  ce  mécliant  duc  Max;  ne  vous  étonnez 
pas  si  le  père  Wolf  a  voulu  vous  persuader  que  le 
duc  avait  mené  une  bonne  conduite  à  l'égard  de  sa 
mère  l'électrice,  et  qu'il  était  exempt  de  reproches; 
tous  les  jésuites  sont  de  la  sorte  ;  mon  confesseur  s'est 
donné  toutes  les  peines  du  monde  pour  me  faire 
croire  qu'il  ne  se  passe  pas  le  moindre  mal  entre  le 
duc  de  Lorraine  et  M™*  de  Craon  ;  je  lui  ai  répondu  : 
«  Mon  père,  tenez  ces  discours  dans  vostre  couvent, 
«  à  vos  moines,  qui  ne  voyent  le  monde  que  par  le 
«  trou  d'une  bouteille ,  mais  ne  dittes  jamais  ces 
«  choses-là  aux  gens  de  la  cour;  nous  savons  trop 
«  que  quand  un  jeune  prince ,  très-amoureux ,  est 
«  dans  une  cour  où  il  est  le  maistre,  quand  il  est  avec 
«  une  famé  jeune  et  belle  24  heure  qu'il  n'y  est  pas 
«  pour  cnliler  des  perles,  sur  tout  quand  le  mary  ce 
«  lève  et  s'en  va  si  tost  que  le  prince  arive,  et  pour 
«  les  tesmoin  qui  sont  dans  la  chambre  cela  n'est 
«  pas  vray ,  mais  quand  cela  seroit,  ce  sont  tous  do- 
«  mestique  à  qui  le  maistre  n'a  (ju'a  faiie  un  clin 
«  d'œil  pour  le  faire  partir,  ainsi  si  vous  croyes  sau- 
«  ver  vos  i)ere  jessuwiste  qui  sont  les  confesseur  vous 
«  vous  trompes  beaucoup,  car  tout  le  monde  voit 
«  qu'ils  toUercnt  de  double  adulterre  '.  »  Le  père  de 
Liguière  se  tut  et  ne  m'en  a  [ilus  [)arlé.  Vous  voyez 
ainsi,  ma  chère  Louise,  ce  que  sonl  les  jésuites,  et 


'  Ce  passage  est  en  fianrais  dans  la  Icllic  de  Madame  ;  nous 
le  ropi-dduisonf  avec  son  orlhoi-'vafilie  f.t  sa  i>onctiialion. 


DE  MADAME   LA   DUCHESSE    d'oRLÉANS.  73 

VOUS  ne  devez  pas  être  surprise  de  ce  que  vous  a  dit 
le  père  Wolf. 

Le  duc  de  Lorraine  ruine  ses  enfants  pour  enrichir 
la  Craon  et  son  mari  ;  ma  fille  fait  assurément  son 
purgatoire  en  ce  monde. 

28  février  1919. 

J'ai  fait  avant-hier  rire  mon  fils.  Je  lui  demandais 
comment  se  portait  la  Maiutenon,  il  me  répondit: 
«  Elle  se  porte  à  merveille.  »  Je  lui  dis  :  «  Connnent 
cela  se  peut-il  à  son  âge?  »  Il  me  dit  :  «  Ne  savez-vous 
pas  que  le  bon  Dieu,  pour  punir  le  diable,  le  fait  de- 
meurer longtemps  dans  un  si  vilain  corps?  » 

3  mars  1719. 

Si  les  preuves  contre  Malezieux  '  ne  sont  pas  mises 
au  Jour,  et  si  l'on  ne  fait  son  procès  à  ce  coquin,  c'est 
que  ses  délits  sont  tellement  entremêlés  avec  ceux  de 
M  me  tin  Maine  qu'il  faudrait  qu'elle  comparût  et  qu'elle 
fût  jugée  par  le  parlement,  mais  le  parlement  est 
mieux  disposé  pour  le  duc  et  la  duchesse  du  Maine 
que  pour  mon  fds,  de  sorte  qu'il  pourrait  bien  les  dé- 
clarer innocents  et  les  retirer  des  mains  de  mon  fils , 
ce  qui  mettrait  toutes  choses  dans  un  état  pire  qu'à 

1  Malezieux  avait  été  le  fondateur  de  l'ordre  des  Chevaliers 
de  la  mouche-à-miel,  ordre  joyeux  et  burlesque  imaginé  par  la 
duchesse  du  Maine,  et  qui  couvrait  peut-être  une  pensée  plus 
sérieuse  que  celle  d'un  divertissement  frivole.  On  en  trouve  les 
statuts  dans  les  Divertissements  de  Sceaux,  Trévoux,  1712, 
in-1 2.  Des  pièces  inédites,  relatives  à  cette  association  et  aux  af- 
faircb  du  temps,  figurent  au  numéro  5S08  du  Catalogue  de  la 
Liiiiiolliètiue  de  M.  Leber,  appartenant  aujourd'hui  à  la  ville  de 
Uoui  n. 


74  CORRESPONnANCE 

présent.  Orl  dierche  donc  à  se  procurer  une  évidence 
telle  que,  daus  le  parlement,  il  ne  puisse  y  avoir  de 
contradiction  ni  de  justification. 

5  mars  1719. 

La  Montespan  est  cause  que  le  roi  s'est  épris  de  la 
vieille  guenipe.  D'abord,  afin  de  l'avoir  auprès  de  ses 
enfants,  elle  a  caché  au  roi  que  cette  bête  '  avait  mené 
une  vie  fort  désordonnée  ;  elle  a  recommandé  à  tous 
ceux  qui  approchaient  le  roi  de  louer  cette  femme  et 
de  vanter  sa  vertu  et  sa  piété;  on  a  persuadé  de  la 
sorte  au  roi  que  tout  ce  qu'on  disait  de  mal  et  de  dé- 
favorable sur  son  compte  n'était  que  .mensonge,  et  il 
ne  s'est  plus  écarté  de  cette  opinion  fort  erronée.  La 
Montespan  était  une  créature  pleine  de  caprices,  qui 
ne  pouvait  se  contraindre  en  rien,  aimait  toute  espèce 
de  divertissements,  s'ennuyait  d'être  seule  avec  le  roi; 
elle  ne  l'aimait  que  par  intérêt  et  par  ambition,  et  se 
souciait  fort  peu  de  sa  personne.  Pour  l'amuser,  elle 
avait  imaginé  de  faire  venir  la  Maintenon,  afin  qu'il 
ne  s'aperçût  pas  qu'elle  {la  Montespan)  jouait  et  se 
divertissait.  Cependant  le  roi ,  qui  aimait  fort  la  vie 
retirée,  aurait  volontiers  passé  son  temps  auprès  de 
celle-ci;  il  lui  reprochait  souvent  de  ne  pas  l'aimer 
assez;  il  en  résultait  des  brouilleries;  ils  se  querel- 
laient fort.  Alors  paraissait  la  Scarron,  et  elle  mettait 
la  paix  et  consolait  le  pauvre  roi.  Elle  lui  faisait  re- 
maifpicr  de  plus  en  i)lus  la  mauvaise  humeur  de  la 
Montespan,  jouait  la  dévote,  et  faisait  entendre  au  roi 
que  Dieu  lui  envoyait  cette  aflliction  à  cause  du  péché 

'  Cet  animal,  ce  Ijétail,  dièses  vleh. 


DE   MADAME   LA   DUCHESSE    d'oRLÉANS.  75 

qu'il  commettait  avec  la  Montespan  ;  cette  femme  est 
éloquente  et  a  de  fort  beaux  yeux.  Le  roi  s'habitua 
ainsi  à  elle,  et  crut  qu'elle  ferait  de  lui  un  saint.  11  la 
poursuivit  ;  mais  elle  tint  bon,  et  lui  lit  entendre  quf 
bien  qu'elle  lui  portât  la  plus  grande  inclination  du 
monde,  elle  ne  voulait  pourtant  pas  offenser  Dieu. 
Cela  donna  au  roi  une  si  grande  admiration  pour  cette 
femme,  et  un  tel  dégoût  pour  la  vie  dissipée  de  la 
Montespan,  qu'il  songea  à  se  convertir.  La  vieille  em- 
ploya son  duc  du  Maine  pour  persuader  à  s'a  mère  que, 
puisque  le. roi  avait  pris  d'autres  maîtresses,  comme 
la  Ludre  et  la  Fontanges,  elle  n'aurait  plus  d'autorité, 
et  serait  un  objet  de  mépris  pour  toute  la  cour.  Cela 
l'irrita  ;  elle  était  de  mauvaise  humeur  quand  le  roi 
venait  chez  elle.  La  Maintenon  au  contraire  ne  cessait 
de  plaindre  le  roi  ;  elle  lui  disait  qu'il  se  damnerait, 
s'il  ne  vivait  pas  mieux  avec  la  reine.  Le  roi  redisait 
cela  à  la  reine ,  qui ,  étant  la  meilleure  femme  du 
monde,  croyait  avoir  de  très-grandes  obligations  en- 
vers la  Maintenon;  elle  la  distinguait,  et  consentit  à 
ce  qu'elle  fût  nommée  deuxième  dame  d'atour  de  la 
dauphine  de  Bavière  ;  en  sorte  que  la  Maintenon  n'avait 
plus  rien  de  commun  avec  la  Montespan.  Celle-ci  en 
devint  si  furieuse,  qu'elle  raconta  au  roi  toute  la  vie 
de  la  Scarron.  Mais  le  roi,  qui  savait  bien  que  c'était 
un  méchant  diable,  et  que,  dans  sa  colère,  elle  n'é- 
pargnait personne,  n'en  voulut  rien  croire,  quelque 
chose  qu'elle  pût  lui  dire.  Le  duc  du  Maine  persuada 
à  sa  mère  de  se  retirer  de  la  cour  pour  quelque  temps, 
et  que  cela  engagerait  le  roi  à  la  rappeler.  Elle  aimait 
son  fils,  elle  croyait  qu'il  lui  voulait  du  bien,  clic  alla 


76  CORRESPONDANCE 

à  Paris,  et  écrivit  au  roi  qu'elle  ne  reviendrait  plus. 
Le  duc  du  Maine  fit  bien  vite  expédier  pour  Paris  tous 
les  bagages  de  sa  mère,  sans  qu'elle  en  fût  instruite. 
Quant  à  ses  meubles,  il  les  fit  tous  jeter  par  la  fenêtre, 
en  sorte  qu'elle  ne  pouvait  plus  revenir  à  Versailles. 
Le  roi  avait  été  traité  si  mal  et  si  durement  par  la 
Montespan ,  qu'il  fut  cordialement  satisfait  d'en  être 
débarrassé ,  n'importe  de  quelle  manière.  S'il  l'eût 
gardée  plus  longtemps,  excédé  comme  il  l'était,  il 
n'y  aurait  plus  eu  de  sûreté  pour  lui  auprès  d'elle, 
tant  elle  était  emportée  quand  elle  était  en. colère.  La 
reine  crut  avoir  à  la  Mainlenon  les  plus  grandes  obli- 
gations du  monde  d'avoir  chassé  la  Montespan,  et 
d'être  cause  que  le  roi  revenait  coucher  avec  elle;  car, 
en  bonne  Espagnole,  elle  ne  haïssait  point  ce  métier. 
Comme  elle  avait  un  bon  cœur,  elle  pensa  que  la  re- 
connaissance l'obligeait  à  tout  faire  pour  la  Main- 
tenon  ;  ainsi  elle  ne  s'opposa  point  à  ce  que  cette 
femme  fût  nommée  dame  d'atour.  Ce  n'est  que  fort 
peu  de  temps  avant  sa  fin  qu'elle  a  appris  que  la 
Maintcnon  l'avait  trompée.  Après  la  mort  de  la  reine, 
Louis  XIV  crut  triompher  de  la  vertu  même  en  cou- 
chant avec  la  vieille  {Miltterchen)  ;  cela  avait  lieu 
toutes  les  après-midi  :  elle  le  gagna  au  point  de  l'ame- 
ner enfin  à  l'épouser,  ce  qui  eut  lieu'. 

6  mars  1719. 
Le  duc  de  Deux-Ponts  est  un  bien  triste  sire,  et 

'  M.  Cousin  (Jeunesse  de  M"'<^  de  Longitevllle,  p.  31),  en 
[inilanl  do  Mme  do  Maintcnon  ,  signale  «  les  laleuls  sans  lin  de 
n  sa  I  nuii  nef  mondaine  et  les  scrnimlcs  tardifs  d'une  piété  qui 
«  vint  toujours  à  l'appui  de  sa  fortune.  » 


DE  MADAME   LA   DUCHESSE   d'ûRLÉANS,  77 

pour  la  figure  comme  pour  les  manières,  c'est  assuré- 
ment l'ctrc  le  plus  désagréable  que  Dieu  ait  jamais 
fabriqué.  11  s'imagine  que  lui  et  moi  nous  nous  res- 
semblons comme  deux  gouttes  d'eau  :  je  me  Hattc  . 
d'être  moins  désagréable  que  lui  et  d'avoir  un  peu 
plus  de  bon  sens.  Sa  femme  est  contrefaite  ;  c'est  un 
couple  de  vilains  êtres  très-déplaisants.  Je  me  réjouis 
de  ce  qu'ils  n'aient  pas  d'enfants  ;  c'aurait  été  des 
fous,  et  j'ai  déjà  assez  de  fous  parmi  mes  parents  d'Al- 
lemagne. 

9  mars  1719. 

Chacun  veut  surpasser  son  voisin  par  le  luxe  des 
équipages,  de  la  table,  de  la  toilette;  et  comme  pour 
cela  il  faut  beaucoup  d'argent,  on  s'efforce  de  s'en 
procurer,  n'importe  par  quels  moyens.  Si  tous  les  mé- 
chants étaient  enlevés  par  une  attaque  d'apoplexie,  le 
monde  n'en  irait  que  mieux. 

Je  ne  connais  pas  l'affaire  du  baron  de  Goertz,  qui 
été  arrêté  en  Suède  ',  car  j'ai  la  tête  tellement  rem- 

1  Ministre  de  Charles  Xll;  après  la  mort  de  ce  monarque  tué 
(ou  assassiné)  au  siège  d'une  ville  de  Norwége,  il  fut  arrêté, 
conduit  à  Stockholm,  traduit  devant  un  tribunal  extraordinaire, 
et  condamné  à  avoir  la  tète  tranchée.  Il  demanda  à  se  justifier,  ■ 
mais  il  ne  put  l'obtenir,  et  la  sentence  fut  exécutée  le  2  mars 
>719  Voir  la  Bmjraphie  universelle,  t.  XVll,  p.  68G  ;  Samt- 
Simon,  t.  XXXII,  p.  235,  etc.  Au  dire  de  Voltaire,  jamais 
hompe  ne  fut  si  souple  et  si  audacieux  à  la  fois,  si  vaste  dans 
ses  desseins,  si  actif  dans  ses  démarches  ;  nul  projet  ne  l'ef- 
frayait, nul  moyen  ne  lui  coûtait;  il  eût  été  capable  d  ébranler 
l'Europe,  et  il  en  avait  conçu  l'idée. 

Il  marcha  au  supplice  avec  pompe,  dans  une  voiture  à  six  che- 
vaux paré  de  tous  ?es  ordres,  et  entouré  des  gens  de  sa  mai- 
son. Arrivé  sur  l'écliafaud,  il  se  lit  déshabiller  par  ses  valets  de 
chambre,  cl  livra  intrépidement  sa  tète  au  bourreau. 


T, 


78  CORRESPONDANCE 

plie  de  ce  qui  se  passe  ici,  que  je  ne  m'occupe  guère 
de  l'étranger.  Si  le  baron  a  commis  les  crimes  qu'on 
lui  impute,  il  mérite  les  châtiments  les  plus  sévères; 
aussi  je  voudrais,  à  cause  de  sa  famille,  qui  est  très- 
honorable,  qu'il  ne  passât  pas  par  les  mains  du  bour- 
reau, mais  qu'il  fût  condamné  à  une  prison  perpé- 
tuelle; mon  fils  a  écrit  à  cet  égard,  mais  il  ne  pense 
pas  que  son  intervention  ait  grand  résultat.  On  dit 
que  les  Impériaux  ont  voulu  arrêter,  à  Milan,  le  che- 
valier de  Saint-Georges,  mais  ils  n'ont  pris  que  milord 
Mar  et  milord  Pertli  ;  le  chevalier  s'est  rendu  par  mer 
en  Espagne,  où  Albéroni  lui  équipe  une  flotte  pour  se 
rendre  en  Irlande. 

Après  dîner,  je  ne  peux  jamais  aller  au  sermon,  car 
je  m'endors  aussitôt;  et  comme  ici  on  n'est  pas  à 
l'église  dans  une  tribune,  mais  en  face  de  la  chaire  et 
dans  une  chaise  à  bras  où  tout  le  monde  vous  voit, 
ce  serait  un  vrai  scandale;  de  plus,  depuis  que  je  suis 
devenue  vieille,  je  ronfle  très-fort  en  dormant;  ce  se- 
rait un  sujet  de  risée,  et  le  prédicateur  lui-même  en 
serait  déconcerté. 

10  mars  «719. 

La  maréchale  de  Schomberg  avait  une  nièce  qui 
s'appelait  M"'  d'Aumale;  ses  parents  la  mirent  à  Saint- 
Cyrdu  temps  du  roi.  Cette  créature  est  laide,  mais  elle 
a  beaucoup  d'esprit ,  et  elle  sut  si  bien  amuser  le  roi 
que  cela  donna  du  souci  à  la  vieille  guenipe.  Elle  cher- 
cha à  susciter  une  querelle,  et  à  la  faire  entrer  dans 
un  couvent.  Mais  le  roi  ne  voulut  pas  le  soulfrir,  et  il 
fallut  que  la  vieille  la  laissât  revenir.  0>i<ind  le  roi 
mourut,  elle  ne  voulut  plus  rester  auprès  do  lu  vieille. 


DE  MADAME   LA   DUCHESSE  d'ORLÉANS.  79 

Le  duc  du  Maine  a  écrit  à  sa  sœur  :  «  Ce  n'est  pas 
en  prison  qu'on  devrait  me  mettre,  mais  m'ôter  mes 
habits  et  me  mettre  en  jaquette  pour  m'ôtrc  ainsi 
laissé  mener  par  ma  femme.  »  Et  il  a  écrit  à  M""'  de 
Langeron  qu'il  éprouvait  maintenant  une  tranquillité 
telle  qu'il  la  regardait  comme  une  grâce  de  Dieu,  qu'il 
ne  s'occupait  plus  que  de  ses  enfants,  et  qu'il  ne  dési- 
rerait rien  s'ils  étaient  auprès  de  lui. 

Le  duc  [de  Lorraine)  a  pour  la  Craon  la  plus  grande 
passion  que  j'ai  vue  de  ma  vie;  quand  elle  entre  dans 
la  chambre,  sa  figure  change;  tant  qu'elle  n'y  est  pas, 
il  est  inquiet  et  regarde  toujours  du  côté  de  la  porte; 
quand  elle  est  venue,  il  rit  et  .il  est  tranquille  ;  c'est 
un  drôle  de  spectacle. 

Mon  fils  m'a  donné,  comme  à  toute  la  famille  royale, 
deux  millions  de  livres  que  j'ai  partagées  dans  ma 
maison. 

Feu  Monsieur  était  bon  au  fond  ;  les  faiblesses  qu'il 
avait  m'ont  plus  affligée  qu'irritée.  Parfois,  j'ai  témoi- 
gné de  l'impatience,  mais  lorsqu'il  est  venu  me  prier 
de  le  pardonner,  je  lui  ai  toujours  accordé  son  pardon. 

Paris,  n.  mars  1719. 

A  Paris  on  ne  croit  plus  aux  sorciers,  et  vous  ne 
seriez  pas  la  fille  de  notre  père  si  vous  ajoutiez  foi  à  la 
sorcellerie,  car  il  était  bien  au-dessus  de  ces  supersti- 
tions; mais  lorsque  le  poison  se  glisse  sous  le  masque 
de  la  sorcellerie,  ou  lorsqu'il  y  a  du  sacrilège,  alors  on 
ne  saurait  punir  trop  rigoureusement,  et  je  ferais, 
sans  aucun  scrupule,  brûler  de  pareils  coupables; 
mais  on  ne  doit  pas  brûler  les  gens  sous  prétexte  qu'ils 


SO  CORRESPONDANCE 

vont  au  sabbat  en  passant  par  la  cheminée,  qu'ils 
chevauchent  à  travers  les  airs  et  qu'ils  se  changent 
en  chats. 

Paris,  15  mars  1719. 

J'ai,  sans  le  vouloir,  brouillé  la  religieuse  de  Chelles 
avec  sa  mère,  M™^  d'Orléans.  Je  reçus  au  commence- 
ment de  l'affaire  du  duc  du  Maine  une  lettre  de  ma 
fille;  je  lus  dessus  le  nom  de  M^ii^  d'Orléans,  je  ne 
pensais  pas  à  celle  qui  est  au  couvent  et  qui  a  aussi 
maintenant  le  titre  de  Madame;  je  l'envoyai  de  suite 
à  la  femme  de  mon  fds.  Or,  cette  lettre  était  précisé- 
ment la  réponse  à  une  lettre  de  notre  religieuse,  qui 
avait  dit  à  l'allemande  sa  façon  de  penser  sur  le  duc 
et  la  duchesse  du  Maine,  et  qui  avait  fini  par  plaindre 
son  père  d'être  le  beau-frère  du  duc  du  Maine,  et  d'avoir 
contracté  un  mariage  insensé  et  qui  était  aussi  nui- 
sible en  tout  point.  On  peut  facilement  deviner  que 
la  réponse  de  ma  fille  a  causé  un  grand  vacarme.  Je 
suis  l)ien  fâchée  d'avoir  commis  cette  étourderie. 
Pourquoi  aussi  la  femme  de  mon  fils  a-t-elle  ouvert 
une  lettre  qui  n'était  pas  pour  elle  '/ 

17  mars  1719. 

Le  roi  d'Espagne  et  Albéroni  haïssent  personnelle- 
ment mon  fils  ;  c'est  l'œuvre  de  la  princesse  des  Ur- 
sins...  Mon  fils  est  naturellement  brave,  cela  fait  qu'il 
ne  peut  se  résoudre  à  rien  craindre;  il  ne  s'inquiète 
nullement  de  la  mort. 

21  mars  1719. 

On  a  Yoproché  au  roi  de  ne  pas  être  bien  propor- 
tionné pour  sa  taille  et  d'être  trop  [)etit  à  cet  égard, 


DE   MADAME   LA   DUCHESSE   D'OULÉANS.  81 

tandis  que  Monsieur  était  trop  grand  ;  on  disait  en 
plaisantant  à  la  cour  que  le  roi  et  son  frère  étaient 
mal  partagés,  et  que  l'un  avait  ce  que  l'autre  aurait 
dû  avoir. 

24  mars  1719. 

La  reine  avait  une  telle  passion  pour  le  roi  qu'elle 
cherchait  à  lire  dans  ses  yeux  tout  ce  qui  pouvait  lui 
faire  plaisir;  pourvu  qu'il  la  regardât  avec  amitié, 
elle  était  gaie  toute  la  journée.  Elle  était  bien  aise  que 
le  roi  couchât  avec  elle  ;  car,  en  bonne  Espagnole, 
elle  ne  haïssait  pas  ce  métier  ;  elle  était  si  gaie  lorsque 
cela  était  arrivé  qu'on  le  voyait  tout  de  suite.  Elle 
aimait  à  ce  qu'on  la  plaisantât  là-dessus;  elle  "riait, 
clignait  les  yeux  et  frottait  ses  petites  mains. 

Paris,  25  mars  1719. 

Lord  Stairs  m'a  bien  troublée  hier;  il  m'a  dit  que  le 
bruit  avait  couru  en  Angleterre  que  mon  fds  avait  été 
assassiné  ;  cela  me  prouve  que  le  parti  qui  s'est  formé 
contre  lui  roule  toujours  dans  sa  tête  le  projet  de  l'as- 
sassiner, et  d'avance  on  en  répand  la  nouvelle,  afin 
de  voir  comment  elle  sera  accueillie  et  quel  effet  elle 
produira.  J'ai  appris,  de  plus,  que  la  duchesse  de 
Berri  donne  à  souper  à  son  père  dans  une  maison 
près  de  Versailles  ;  on  n'en  revient  qu'à  trois  heures 
du  matin  :  en  sus  du  danger  qui  en  résulte  pour  la 
vie  de  mon  (ils ,  cela  fait  le  plus  grand  tort  à  sou 
honneur  et  à  sa  réputation.  Mais  il  vaut  mieux  parler 
d'autre  chose,  car  plus  j'y  pense,  plus  je  suis  triste 
et  irritée. 

El)  Fiance,  rien  ne  peut  se  passer  tranquillement; 


82  CORRESPONDANCE 

les  princes  ont  le  malheur  de  ne  pouvoir  faire  un  pas 
sans  que  tout  le  monde  en  soit  instruit,  leurs  gens 
sont  leurs  plus  redoutables  ennemis. 

Paris,  30  mars  1719. 

Tous  les  jésuites  veulent  qu'on  regarde  leur  ordre 
comme  parfait  et  exempt  du  moindre  reproche;  aussi 
excusent-ils  tout  ce  qui  se  passe  oîi  se  trouve  le 
confesseur  ;  j'ai  dit  nettement  au  mien  qu'il  ne  pou- 
vait y  avoir  aucune  excuse  sur  ce  qui  se  fait  à  Luné- 
ville. 

Il  n'y  a  pas  longtemps  que  Craon  a  acheté  une 
terre  qu'il  a  payée  onze  cent  mille  francs  ;  et  l'on  sait 
qu'il  était  naguère  pauvre  comme  Job  ',' 

Je  ne  puis  croire  qu'avec  tous  les  embarras  qu'il  a 
sur  le  corps,  le  roi  d'Angleterre  ait  l'intention  de  se 
rendre  en  Hanovre;  ainsi,  les  dames  hanovriennes 
ne  gagneraient  rien  à  se  faire  faire  de  belles  toilettes  ; 
ce  serait,  comme  on  dit,  jeter  sa  poudre  aux  moi- 
neaux. Je  reçois  en  ce  moment  votre  lettre  du  14;  je 
vous  remercie  des  deux  belles  histoires  de  revenants 
que  vous  me  racontez;  elles  m'amusent  et  me  four- 
nissent un  sujet  de  conversation  avec  M™»  d'Orléans, 
à  hupielle  je  n'ai  pas  grand'chose  à  dire. 

Tout  est  ici  d'un  prix  excessif;  depuis  un  an,  la 
valeur  des  objets  de  tout  genre,  meubles,  vêtements, 
comestibles,  a  doublé. 

On  apprend  cha([uo  jour  de  nouvelles  perfidies. 

'  Il  s'agit  de  Marc  do  iJeauveau  ,  qui  acheta  la  terre  d'Hau- 
donvillers ,  et  qui  obtint  qu'elle  fût  érigée  en  marquisat  de' 
Craon  par  lettres-patentes  du  21  août  1712. 


DE  MADAME   LA   DUCHESSE   d'oRLÉAXS.  83 

Avant-hier,  le  duc  de  Richelieu  va  trouver  le  marquis 
de  Biron,  qui  est  fort  attaché  à  mon  fils;  il  lui  fait 
mille  protestations  de  dévouement,  et  lui  demande 
avec  instance  la  permission  de  partir  pour  rejoindre 
son  régiment  ;  en  même  temps  on  intercepte  une 
lettre  d'Albéroni  à  ce  duc,  qui  rend  sa  trahison  plus 
claire  que  le  jour  ;  mon  fds  l'a  fait  arrêter  dans  son 
lit ,  et  mener  immédiatement  à  la  Bastille.  Ce  duc 
fera  verser  beaucoup  de  larmes  à  Paris,  car  toutes 
les  dames  sont  amoureuses  de  lui  ;  je  ne  comprends 
pas  pourquoi ,  car  c'est  un  petit  crapaud  en  qui  je  ne 
trouve  rien  d'agréable;  il  a  encore  moins  de  courage; 
il  est  impertinent ,  infidèle ,  indiscret  ;  il  dit  du  mal 
de  toutes  ses  maîtresses,  et  cependant  une  princesse; 
du  sang  royal  est  tellement  éprise  de  lui,  que  lors- 
qu'il devint  veuf,  elle  voulait  absolument  l'épouser  : 
sa  grand'mère  et  son  frère  s'y  sont  formellement  op- 
posés, et  avec  beaucoup  de  raison  ;  car,  indépendam- 
ment de  la  mésalliance,  elle  aurait  été  toute  sa  vie 
très-malheureuse. 

31  mars  1719. 

Le  duc  de  Richelieu  a  fait  peindre  toutes  ses  maî- 
tresses revêtues  des  costumes  de  divers  ordres  reli- 
gieux. M"'  de  Charolais  est  peinte  en  récollette  et  on 
la  dit  parfaitement  ressemblante;  les  maréchales  de 
Villars  et  d'Eslrccs  ont  l'habit  de  capucines  '...  Aus- 

*  Que  sont  devenus  ces  portraits  ?  Ils  doivent  subsister  en- 
core cachés  dans  quelque  collection  peu  connue,  ainsi  que  le  fa- 
meux livre  dans  lequel  Bussy-Rabutin  avait  fait  peindre  les 
sainlcs  de  la  cour. 

Des  lettres  galantes  autographes  de  Richelieu  se  trouvent 


84  CORRESPONDANCE 

sitôt  qu'on  a  montré  au  duc  de  Richelieu  sa  lettre  à 
Albéroni,  il  a  avoué  tout  ce  qui  le  regarde  personnel- 
lement, mais  il  n'a  rien  dit  au  sujet  de  ses  com- 
plices. 

31  mars  1719. 

Avant-hier  le  jeune  duc  de  Richelieu  a  été  conduit 
à  la  Bastille,  ce  qui  a  fait  couler  bien  des  larmes,  car 
toutes  les  femmes  lui  courent  après  et  sont  amou- 
reuses de  lui.  Il  a  été  en  correspondance  avec  Albé- 
roni, et  il  avait  fait  envoyer  son  régiment,  avec  celui 
de  son  bon  ami,  M.  de  Seiilant,  à  Rayonne,  afin  de 
livrer  cette  ville  aux  Espagnols.  Dernièrement,  il  était 
allé  chez  M.  de  Biron,  et  lui  avait  dit  qu'il  lui  fau- 
drait bientôt  partir,  afin  de  rejoindre  son  régiment  à 
Rayonne ,  et  cela  dans  le  but  de  montrer  son  zèle  et 
de  prouver  combien  il  était  attaché  à  mon  fils.  Son 
camarade,  qui  passe  pour  un  poltron,  un  escroc  et 
un  filou  au  jeu,  a  aussi  été  mis  à  la  Bastille. 

2  avril  1719. 

Je  deviens  si  distraite  en  vieillissant,  que  je  crois 
que  je  finirai  ])ar  tomber  en  enfance ,  ou  par  devenir 
comme  notre  tante,  la  princesse  Elisabeth  '.  Un  jour, 

dans  la  bibliotlièqne  de  M.  Lcher  (  achetée  par  la  ville  de  Rouenj, 
et  le  catalujj'iie,  n"  .'.815,  ajoute  qu'une  des  lettres  du  duc  ré- 
vèle une  particularité  de  sa  vie  libertine  ;  il  recevait  de  l'argent 
de  SCS  maîtresses,  et,  ne  fùt-cc  que  douze  louis,  il  ne  les  déclai- 
j^nait  pas.  On  a  imprimé,  à  la  suite  du  tome  I"''  de  la  Vie  privée 
de  Richelieu,  1791,  3  vol.  in-8°,  p.  38.5-408,  des  lettres  d'a- 
mour de  M"*^  de  Cliarolais,  de  M'""  d'Averne,  de  Villeroi  ,  etc. 
'  Kiisabelh,  princes.<;(' palatine,  fille  de  Frédéric  V,roi  de  Bd- 
liénie,  était  née  en  ICI 8.  Elle  cultiva  les  sciences  avec  un  zélc 


DE   MADAME  LA   DUCHESSE   d'oRLÉANS.  85 

voulant  aller  ù  un  bal  masqué,  elle  prit  un  pot  de 
chambre  pour  un  masque ,  et  elle  dit  :  «  Mais  com- 
ment se  fail-il  que  ce  masque  n'ait  pas  d'yeux,  et  qu'il 
sente  mauvais  ?  »  Quand  elle  mourut,  elle  n'avait  que 
soixante-deux  ans  ;  moi,  j'en  ai  près  de  soixante-sept. 

Il  n'est  pas  vrai  que  le  chevalier  de  Saint-Georges 
ait  été  pris  à  Milan,  mais  on  a  arrêté  lord  Mar,  lord 
Perth  et  un  autre  encore  que  je  crois  fds  de  lord  Mar; 
ils  ont  été  relâchés  ;  leur  maître  est  en  Espagne  ;  le 
pape  et  les  Espagnols  le  soutiennent  fort,  et  l'on  assure 
qu'il  a  beaucoup  de  partisans  en  Angleterre,  en  Ecosse 
et  en  Irlande  ;  la  princesse  de  Galles  affirme  que ,  de 
ce  côté ,  il  n'y  a  rien  à  craindre. 

La  duchesse  de  Berri  est  malade  ;  elle  a  la  fièvre  et 
des  vapeurs;  c'est  l'effet  des  parfums  horriblement 
forts  qu'elle  a  toujours  dans  son  appartement,  et  qui 
font  beaucoup  de  mal;  j'en  ai  prévenu,  mais  on  ne 
m'a  pas  écoutée  ;  il  est ,  d'ailleurs ,  impossible  de  se 
bien  porter  avec  son  affreuse  gloutonnerie;  chaque 
soir,  elle  se  met  à  table  à  huit  ou  neuf  heures,  et  elle 
mange  jusqu'à  trois  heures  du  matin.  S'il  lui  arrivait 
quelque  chose  de  fâcheux,  mon  fils  en  serait  inconso- 
lable ,  car  c'est  au  monde  la  personne  qu'il  aime  le 
mieux. 

remarquable  et  reçut  des  leçons  de  Descartes  qui  affirme,  dans 
la  dédicace  de  ses  Principes  de  philosophie ,  qu'il  n'avait  trouvé 
personne,  si  ce  n'est  elle,  qui  fût  parvenu  à  l'intelligonce  par- 
faite de  ses  ouvrages.  Elisabeth  fut  demandée  en  mariage  par 
Wladislas  IV,  roi  de  Pologne  ;  mais  elle  refusa  d'écouter  aucune 
proposition  d'établisscmeut,  dans  la  crainte  d'être  détournée  par 
là  de  sa  passion  pour  l'étude.  Elle  obtint  l'abbaye  luthérienne 
d'Hervorden,  et  y  mourut  en  IGâO. 

n.  8 


86  CORRESPONDANCE 

4  avril  1Î19,      • 

]^Ime  la  Princesse  a  fort  engagé  mon  fils  à  laisser 
M™^  du  Maine  quitter  Dijon  ;  elle  dit  que  l'air  y  est 
fort  malsain.  Mon  fils  a  consenti  à  ce  qu'elle  se  rendît 
dans  son  carrosse  de  Dijon  à  Châlons-sur-Saône,  escor- 
tée par  des  gardes  de  Sa  Majesté.  Elle  s'était  imaginée 
qu'elle  y  aurait  plus  de  liberté,  et  qu'elle  aurait  seule- 
ment la  ville  pour  prison  ;  elle  a  été  fort  étonnée  qu'on 
la  tînt  d'aussi  près  à  Châlons  qu'à  Dijon.  Quand  elle 
en  a  demandé  la  raison,  on  lui  a  dit  que  tout  était 
découvert  maintenant,  et  que  tous  les  détenus  avaient 
jasé.  Elle  a  d'abord  été  fort  troublée,  mais  ensuite 
elle  s'est  remise  et  elle  a  dit  :  «  M.  le  duc  d'Orléans 
croit  que  je  le  hais  ;  s'il  voulait  suivre  mes  conseils , 
je  le  conseillerais  mieux  que  personne.  »  Son  mari  se 
tient  fort  tranquille. 

8  avril   171!). 

En  accouchant  du  duc  de  Berri ,  la  Dauphine  fut  si 
mal  traitée  qu'elle  est  devenue  contrefaite;  aupara- 
vant, elle  avait  une  jolie  taille.  Depuis  ce  temps,  elle 
n'a  pas  eu  une  heure  de  bonne  santé.  La  veille  de  sa 
mort,  pendant  que  le  petit  duc  de  Béni  était  assis  sur 
son  lit,  elle  dit  :  «  Mon  cher  Berri,  je  t'-aime  bien,  mais 
tu  me  coûtes  bien  cher.  »  M.  le  Dauphin  n'était  point 
afflige  ;  la  Monlchevreuil  lui  avait  dit  tant  de  mal  de 
sa  femme,  qu'il  ne  pouvait  l'aimer.  La  vieille  guenipe 
espérait,  comme  cela  est  arrivé,  gouverner  le  Dauphiii 
par  le  moyen  de  ses  maîtresses,  ce  qu'elle  n'aurait  pu 
faire ,  s'il  avait  continué  d'ainior  la  Dauphine.  La 
vieille  avait  conçu  une  haine  d  oH'royable  contre  cette 


DE   MADAME    LA    DUCHESSE    d'ORLÉAXS.  87 

pauvre  princesse,  que  j'ai  cru  (lu'elle  avait  donné  ordre 
à  Clément,  l'accoucheur,  de  la  traiter  si  mal  ;  ce  qui 
m'a  confirmée  dans  cette  idée,  c'est  qu'elle  a  failli 
faire  mourir  la  Dauphine  en  venant  chez  elle  avec  des 
gants  parfumés  ;  elle  disait  que  c'était  moi  qui  en  por- 
tais, ce  qui  n'était  pas  vrai  '. 

Saint-Cloud,  8  avril  1719. 

De  grandes  pei  sonnes  s'amusent  ici ,  comme  des 
enfants,  à  faire  des  châteaux  de  cartes. 

Mi'e  de  Chasteautier  se  divertit  fort  de  cette  ma- 
nière, car  elle  aime  les  plaisirs  innocents  ;  mais  il  y  a 
beaucoup  de  personnes  qui  pensent,  à  cet  égard, 
comme  la  dernière  duchesse  de  Longueville ,  qui  est 
morte  dans  la  plus  haute  dévotion,  mais  qui,  dans  sa 
jeunesse,  avait  été  très-coquette  et  très-galante  %  Son 
mari  était  gouverneur  de  Normandie  ;  il  fallait  qu'elle 
allât  le  rejoindre,  mais  elle  ne  se  souciait  nullement 
de  quitter  la.  cour,  car  elle  y  laissait  des  gens  qu'elle 
aimait  bien  mieux  que  son  mari;  et,  comme  on  la 
voyait  fort  triste,  et  qu'on  lui  proposait  déjouer,  de 
chasser  ou  de  se  promener  pour  se  distraire,  elle  ré- 
pondit :  «  Je  n'aime  pas  les  plaisirs  innocents.  »  Cette 

'  Saint-Simon,  dans  ses  notes  sur  le  journal  de  Dangeau,  s'ex- 
prime ainsi  à  cet  égard  :  «  On  a  toujours  cru  que  Clément,  son 
0  accoucheur,  l'avait  blessée  en  sa  dernière  couche.  iM™«  la 
«  princesse  de  Conti  fut  aussi  fort  accusée  d'avoir  approché 
«  d'elle  aussitôt  après  avec  des  senteurs  dont  elle  n'est  pas  re- 
«  venue.  » 

'  Voir,  au  sujet  de  cette  femme  célèbre,  une  série  d'articles 
de  M.  Cousin,  dans  la  Revue  des  Deux-Mondes,  1851 ,  et  dans 
le  Journal  des  Savants. 


88  CORRESPONDANCE 

duchesse  de  Longueville  était  la  sœur  du  prince  de 
Condé  ;  elle  avait  mené  une  vie  fort  irrégulière,  mais 
elle  s'en  était  repentie,  avait  fait  pénitence,  et  n'avait 
fait  que  jeûner  et  prier  le  reste  de  sa  vie  ;  elle  était 
tellement  changée  qu'on  ne  pouvait  plus  se  douter 
qu'elle  eût  été  belle  ;  sa  taille  seule  avait  conservé 
de  la  grâce  ;  mais  ce  sont  de  vieilles  histoires. 

9  avril  1719. 

Ni  le  roi,"  ni  la  première  dauphine,  ni  moi,  n'avons 
de  notre  vie  pris  un  liard  ;  mais  la  vieille  guenipe  a 
pris  de  toutes  mains,  et  la  seconde  dauphine  a  appris 
à  prendre  de  l'argent  ;  les  autres  ont  suivi  cet  exem" 
pie  ;  voilà  la  vérité. 

11  avril  1719,. 

Le  roi  a  sincèrement  aimé  M.  le  Dauphin,  et  ce 
n'est  pas  sans  motif,  car  jamais  un  fils  n'a  pu  avoir 
pour  son  père  plus  de  vénération,  d'amour  et  de  sou- 
mission que  M.  le  Dauphin  n'en  avait  pour  le  roi  ; 
aussi  le  roi  a-t-il  été  inconsolable  lorsque  son  fils  est 
mort.  Le  roi  n'avait  jamais  eu  beaucoup  d'inclination 
pour  le  duc  de  Bourgogne ,  la  vieille  sorcière  l'a  des- 
servi auprès  du  roi ,  le  faisant  passer  pour  un  ambi- 
tieux, qui  trouvait  que  le  roi  vivait  trop  longtemps. 
Elle  agissait  ainsi  de  crainte  que,  si  ce  prince  venait 
un  jour  à  ouvrir  les  yeux  et  à  voir  comme  sa  femme 
avait  été  mal  dirigée  par  la  vieille,  le  roi  ne  l'écoatât 
point,  en  cas  qu'il  vînt  se  plaindre  à  Sa  Majesté  ;  c'est 
en  effet  ce  qui  est  arrivé. 

12  avril  1719. 

Le  roi  a  toutes  les  nuits  dormi  dans  le  lit  de  la 


DE   MADAME   LA   DLCIIESSE   d'ORLÉANS.  89 

reine,  mais  pas  toujours  comme  elle,  avec  son  tempé- 
rament espagnol,  l'aurait  souhaité.  La  reine  remar- 
quait bien  ainsi  quand  il  avait  été  courir  par-ci  par-là. 
Le  roi  a  toujours  eu  de  la  considération  pour  elle ,  et 
il  a  voulu  que  ses  maîtresses  la  respectassent  fort.  11  l'a 
aimée  à  cause  de  sa  vertu  et  de  l'attachement  sincère 
qu'elle  a  toujours  eu  pour  lui ,  malgré  ses  infidélités. 
Il  a  été  sincèrement  affligé  lorsqu'elle  est  morte. 

Paris,  13  avril  1719. 

J'ai  un  chagrin  sincère  de  savoir  l'affliction  que 
vous  cause  la  perte  de  votre  petite-nièce.  Mon  Dieu  ! 
ma  chère  Louise,  le  sort  des  femmes  est  si  malheu- 
reux, qu'on  doit  promptoment  se  consoler  de  la  mort 
d'ijne  petite  fille,  car  c'est  de  moins  une  créature 
destinée  à  souffrir.  Je  suis  aujourd'hui,  et  avec  raison, 
plus  contrariée  que  jamais  ;  mais  cela  ne  peut  s'écrire. 
Je  m'étonne  de  ce  que  la  France  entière  ne  soit  pas 
engloutie  comme  Sodome  et  Gomorrhe;  car  on  ne 
peut  se  faire  une  idée  de  toutes  les  horreurs  qui  se 
commettent  ici.  Des  femmes  expérimentées  en  savent 
plus,  pour  soigner  des  enfants  malades,  que  les  doc- 
teurs en  médecine  ;  car  elles  ont  été  à  même  d'obser- 
ver ce  que  les  autres  n'ont  pu  étudier.  Je  suis  bien 
peinée  d'apprendre  que  votre  nièce  est  malade;  si 
vous  pouvez  la  sortir  d'Angleterre  et  la  conduire  dans 
notre  bon  air  allemand,  elle  sera  bientôt  guérie  ;  c'est 
l'air  de  Londres  qui  la  rend  malade. 

14  avril  1719. 

La  Montespan  était  plus  blanche  que  La  Vallière  ; 
elle  avait  une  belle  bouche,  de  belles  dents,  mais  elle 

8. 


90  CORRESPONDANCE 

avait  l'air  effronté;  on  voyait  sur  sa  figure  qu'elle 
avait  quelque  projet  en  vue.  Elle  avait  de  beaux  che- 
veux blonds,  de  belles  mains,  de  beaux  bras  ',  ce  que 
La  Yallière  n'avait  pas ,  mais  celle-ci  était  fort  pro- 
pre, et  la  Montespan  une  sale  personne. 

Ce  que  le  duc  de  Bourgogne  avait  de  bon,  il  le 
tenait  de  son  précepteur  ;  ce  qu'il  avait  de  mauvais 
lui  venait  de  lui-même...  Il  était  fort  dévot  et  n'a 
jamais  eu  daltachemcnl  que  pour  sa  femme,  mais 
cet  amour  était  le  partage  de  Montgommery  :  tout 
d'un  côté ,  rien  de  l'autre ,  car  elle  n'aimait  pas  son 
mari. 

14  avril  1719. 

C'est  à  l'instigation  de  la  Montespan  que  le  roi  ^  si 
mal  traité  La  Yallière;  elle  en  avait  le  cœur  percé; 
mais  la  pauvre  créature  s'imaginait  qu'elle  ne  pouvait 
faire  un  plus  grand  sacrifice  à  Dieu,  qu'en  lui  sacrifiant 
la  source  de  ses  péchés ,  et  elle  croyait  être  d'autant 
plus  agréable  à  Di(Hi ,  que  la  [lénilence  viendrait  du 
même  lieu  où  elle  avait  péché.  Aussi  restait-elle,  par 
pénitence,  chez  la  Montespan  ^  Celle-ci,  qui  avait 

*  «  La  nature  avait  prodigué  tous  s^es  don»  à  M^c  de  Muntcs- 
pan  ;  des  flots  de  cheveux  Ijlonds,  des  yeux  Ideus  ravissants  avec 
des  sourci»  plus  foncés,  qui  unissaient  la  vivacité  à  la  langueur, 
un  teint  d'une  biaiu-liour  éblouissante,  une  de  ces  ligures  enfin 
qui  éclairent  les  lieux  où  elles  paraissent.  »  [Histoire  de  M'^e  de 
Mnmicnon,  par  M.  de  NoaiUes,  t.  I,  p.  -450.)  Elle  cultivait  la 
poésie,  et  il  existe  d'elle  des  lettres  en  vers  écrites  dans  les  der- 
nières années  de  sa  vie  au  savant  II  net,  qu'elle  voyait  beaucoup. 

'  Voici  un  des  couplets  que  l'on  lit  à  cette  époque  : 

L'on  dil  que  La  Valliùrc 
S'en  va  sur  goii  dcclin  ; 


DE   MADAME    LA   DUCHESSE   DORLÉANS.  91 

plus  d'esprit,  se  moquait  d'elle  publiquement,  la  trai- 
tait fort  mal,  et  obligeait  le  roi  à  en  agir  de  même. 
Il  fallait  que  le  roi  traversât  la  chambre  de  La  Yal- 
lière  lorsqu'il  voulait  aller  chez  la  Montespan.  Le  roi 
avait  un  bel  épagneul  appelé  Malice  :  à  l'instigation 
de  la  Montespan,  il  prenait  ce  petit  chien,  et  le  jetait 
à  la  duchesse  de  LaVallière,  en  disant  :  «Tenez,  Ma- 
dame, voilà  votre  compagnie,  c'est  assez.  »  Cela  était 
d'autant  plus  dur,  qu'il  ne  restait  pas  chez  elle,  mais 
qu'il  allait  chez  la  Montespan.  Cependant  elle  a  souf- 
fert tout  cela  en  patience.  Elle  avait  autant  de  vertus 
que  la  Montespan  avait  de  vices.  La  fail)lesse  qu'elle 
avait  eue  pour  le  roi  était  bien  pardonnable  :  tout  le 
monde  le  lui  avait  conseillé  et  y  avait  contribué.  Le 
roi  était  jeune,  galant  et  beau;  elle-même  était  encore 
très-jeune,  mais  dans  le  fond  elle  était  modeste  et 
vertueuse,  et  avait  un  très-bon  cœur.  Lorsqu'on  la  fit 
duchesse  et  qu'on  légitima  ses  enfants,  elle  fut  déses- 
pérée ,  car  elle  avait  cm  que  personne  ne  saurait 
qu'elle  avait  eu  des  enfants.  Ses  regards  avaient  un 
charme  qu'on  ne  peut  décrire  ;  elle  avait  une  taille 
fine,  mais  de  vilaines  dents  ;  ses  yeux  me  paraissaient 
bien  plus  beaux  que  ceux  de  M""*  de  Montespan  ;  tout 
son  maintien  était  modeste.  Elle  boitait  légèrement, 
mais  cela  ne  lui  allait  pas  mal. 

Paris.  15  avril  1719. 

Mon  fils  ne  peut  se  résoudre  à  se  faire  craindre,  et 

Ce  n'est  que  par  manière 
Que  le  roi  va  son  train  ; 
Montespan  prend  sa  place  ; 
Il  faut  que  tout  y  passe 
Ainsi  de  main  en  main. 


92  CORRESPONDANCE 

c'est  ce  que  ses  ennemis  ne  savent  que  trop  bien.  Le 
jour  où  il  envoya  à  la  Bastille  le  jeune  duc  de  Riche- 
lieu ,  il  était  troublé  tout  comme  s'il  lui  était  arrivé 
un  grand  malheur;  et  pourtant  il  ne  devait  guère 
avoir  d'égard  pour  ce  petit  drôle ,  qui  lui  a  souvent 
manqué  de  respect ,  et  qui  a  parlé  de  lui  et  de  ses 
fdles  d'une  façon  qui,  à  elle  seule,  aurait  mérité  la 
Bastille;  mais  mon  fds  ne  fait  qu'en  rire. 

M'»^  de  Montpensier  n'a  pas  eu  la  petite  vérole  ;  les 
deux  petites,  qui  l'ont  eue,  viennent  à  présent  me 
voir  chaque  jour  ;  la  petite  Beaujolais  est  plus  jolie  et 
plus  gentille  que  jamais  '.  La  maladie  de  M™*  la  du- 
chesse {de  Berri)  vient  d'avoir  bu  trop  d'eau-de-vie, 
et  d'avoir  énormément  mangé;  dès  qu'elle  est  un  peu 
mieux ,  elle  se  remet  à  boire  et  à  faire  de  nouveaux 
excès,  et  elle  éprouve  une  réduite  ^ 

18  avril  1719. 

Aujourd'hui  il  faut  que  je  commence  ma  lettre 
comme  M™«  de  Ponikau  en  Saxe.  Étant  une  fois  en 
couches  et  se  trouvant  seule,  elle  vit  venir  à  elle  une 
petite  femme  vêtue  à  l'ancienne  mode  fi  ançaise,  qui 
la  pria  de  permettre  qu'une  compagnie  put  faire  une 
noce  dans  son  appartement  ;   (lu'on  prendrait  bien 

1  Cette  jeune  princesse  avait  reçu  de  la  nature  une  âme  ten- 
dre et  un  naturel  charmant;  elle  mourut  avant  la  fin  de  sa  ving- 
tième année,  de  douleur  de  voir  rompre  le  mariayc  qui  avait 
été  convenu  entre  elle  et  l'infant  Don  (larlos. 

2  Saint-Simon  raconte  un  Irait  assez  i)i(iuaul  relatif  à  la  d  :- 
cliessc  de  Berrl  :  Kllc  accoucha  d'un  prince  qui  vint  à  sept 
mois;  la  llaUerie  fut  telle,  que  presque  toute  la  cour  se  trouva 
avoir  des  enfants  àccternic  (t.  XXI,  p.  1 1}. 


DE  MADAME  LA   DUCHESSE   d'ORLÉANS.  93 

garde  que  ce  fût  dans  un  temps  où  Madame  serait 
seule.  M™*  de  Ponikau  y  ayant  consenti ,  il  vint  un 
jour  dans  la  chambre  une  grande  compagnie  de  nains 
et  de  naines;  on  apporta  une  petite  table,  on  y  mit 
le  couvert  et  un  grand  nombre  de  plats,  et  toute  la 
compagnie  et  la  noce  se  placèrent  à  cette  table.  Au 
milieu  du  festin,  une  de  leurs  petites  femmes  accou- 
rut en  s'écriant  :  «  Dieu  merci,  nous  voilà  sauvés 
d'un  grand  embarras,  la  vieille  g....  est  morte!  »  11 
en  est  de  même  ici  aujourd'hui,  la  vieille  g....  est 
crevée  à  Saint-Cyr  samedi  passé,  15  avril,  entre  qua- 
tre et  cinq  heures  du  soir.  La  nouvelle  de  l'arresta- 
tion du  duc  du  Maine  et  de  sa  femme  l'a  fait  tomber 
évanouie,  et  cela  peut  avoir  été  la  cause  de  sa  mort, 
car  depuis  ce  temps  elle  n'a  plus  eu  un  seul  moment 
de  repos  et  de  contentement.  La  colère  et  la  perte  de 
l'espoir  qu'elle  avait  de  régner  avec  lui,  lui  ont  tourné 
le  sang  et  lui  ont  donné  la  rougeole,  puis  elle  a  eu 
durant  vingt  jours  une  fièvre  continuelle.  Un  orage 
qui  est  survenu  a  fait  rentrer  la  maladie  ;  ce  qui  l'a 
étoufiée.  Elle  devait  avoir  quatre-vingt-six  ans.  J'ai 
dans  la  tête  que  ce  qui  lui  a  fait  le  plus  de  chagrin 
lors  de  sa  mort,  c'est  de  laisser  derrière  elle  mon  fds 
et  moi  en  bonne  santé  ' . 

A  M.   DE   HARLING. 

20  avril  1719. 

Samedi  soir  nous  avons  perdu  une  pieuse  âme  à 

'  «  Si  Mme  de  Maintenon  était  inorto  avant  le  roi ,  c'eût  été 
un  événement  dans  rEurope  entière  ;  deux  lignes  dans  la  ga- 
zette apprirent  sa  mort  à  ceux  qui  ignoraient  si  elle  vivait  en- 
core. »  (Duclos.) 


94  CORRESPONDANCE 

Saint-Cyr,  la  vieille  Maintenoii.  C'est  à  un  orage  qu'il 
faut  s'en  prendre  de  sa  mort,  car  il  a  fait  rentrer  la 
rougeole  qu'elle  avait.  Elle  est  morte  comme  une  jeune 
personne  ;  elle  a  caché  quatre  années  de  son  âge,  car 
elle  ne  se  donnait  que  quatre-vingt-deux  ans,  et  elle 
en  avait  quatre-vingt-six.  Si  elle  était  morte  vingt 
ans  plus  tôt,  je  m'en  serais  cordialement-  réjouie; 
mais  maintenant  cela  ne  me  fait  ni  plaisir  ni  peine. 

11  n'y  a  pas  tant  à  s'étonner  que  la  Maintenon  soit 
morte  que  de  ce  qu'elle  est  morte  comme  une  jeune 
personne.  Si  dans  l'autre  monde,  où  tout  est  égal  et 
où  il  n'y  a  aucune  différence  de  rang ,  on  pouvait  dé- 
cider si  elle  resterait  avec  le  roi  ou  avec  son  premier 
mari,  le  paralytique  Scarron  ,  et  si  le  roi  savait  tout 
ce  qu'on  lui  a  caché,  il  n'y  a  pas  de  doute  qu'il  ne  la 
rejidit  bien  volontiers  à  Scarron. 

A   LA   COMTESSE   LOUISE. 

Paris,  20  avril  1719. 

Feu  Monsieur  ne  voulait  pas  que  l'épouse  de  son 
fils  fût  coquette,  Je  ne  désapprouvai  point  cela,  mais 
je  ne  voulais  point  qu'il  avertit  le  mari  et  qu'il  fit  de 
l'éclat  5  ce  qui  n'aurait  eu  d'autre  résultat  que  de 
forcer  mon  fils  à  garder  une  femme  déshonorée. 

Voyez  ,  ma  chère  Louise  ,  si  je  n'ai  pas  lieu  d'être 
inquiète  ;  avant-hier,  on  a  arrêté  un  homme,  nommé 
La  Jonckère,  qui  s'était  engagé  à  enlever  mon  fils  et 
à  le  livrer,  vivant  ou  mort,  dans  les  mains  d'Alhé- 
roni.  11  ne  l'a  manqué,  au  bois  de  Boulogne,  que  d'un 
quart  d'heure. 


DE  MADAME   I-A   DUCHESSE   d'oRLÉANS.  95 

Paris,  22  avril  1719. 

J'ai  lu,  ce  matin,  mes  doaze  chapitres  de  la  Bible, 
les  37,  38,  39  et  40^  psaumes,  les  quatre  premiers 
de  l'Ecclésiaste,  les  22,  23  et  24«  de  saint  Luc,  et  le 
4*  de  saint  Jean;  je  vais  ni'entretenir  une  demi-heure 
avec  vous,  et  j'irai  ensuite  au  couvent  du  Val-de-Grâce 
où  ma  petite-fille  va  arriver  en  venant  de  Chelles, 
qu'elle  quitte  momentanément,  tandis  que  l'abbesse 
actuelle  se  retire  et  rend  ses  comptes  à  ses  religieuses. 
On  lui  fait  une  pension  de  12,000  francs,  jusqu'à  ce 
qu'il  y  ait  quelque  autre  abbaye  vacante  à  laquelle 
on  puisse  la  transférer.  Je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  ja- 
mais eu  une  abbesse  aussi  jeune  que  ma  petite-fdle  ; 
elle  aura  vingt  et  un  ans  au  mois  d'août  prochain. 

Lundi,  j'irai  chez  le  prince  de  Conti,  qui  m'a  in- 
vitée à  venir  à  son  château  de  Choisy,  à  deux  heures 
d'ici.  C'est  une  belle  résidence  que  la  grande  Demoi- 
selle fit  bâtir,  et  qu'elle  légua  à  M.  le  Dauphin  ;  mais 
le  feu  roi  la  trouva  trop  loin  de  Versailles,  et  il  voulut 
que  le  Dauphin  l'échangeât  contre  Meudon ,  qui  ap- 
partenait à  M'°^  de  Louvois,  dont  les  héritiers  ont 
vendu  Choisy  au  prince  de  Conti.  C'est  un  endroit 
fort  agréable ,  situé  le  long  de  la  Seine  ;  les  jardins 
sont  si  près  de  l'eau,  qu'on  peut  prendre  le  plaisir  de 
la  pêche.  Mercredi  étant  mon  grand  jour  de  corres- 
pondance, je  n'irai  que  le  soir  prendre  congé  du  roi, 
et  assister  au  spectacle  ;  jeudi  matin  je  serai  de  re- 
tour à  Paris  ;  je  vous  écrirai  deux  lignes  ;  et ,  après 
avoir  été  à  l'église,  je  partirai  à  midi  pour  mon  cher 
Saint-Cloud,  afin  d'y  passer  tout  l'été,  si  Dieu  le  per- 
met. Vous  connaissez  ainsi  tout  mon  plan. 


96  CORRESPONDANCE 

Ce  qu'a  dit  lord  Stairs  m'a  choquée,  sans  m'ef- 
frayer,  car  je  savais  bien  que  mon  fils  était  sain  et 
sauf;  ce  pauvre  lord  est  lui-même  fort  malade;  les 
dames  françaises  lui  ont  appris  trop  de  français;  sa 
vertueuse  femme  me  l'ait  éprouver  une  compassion 
réelle. 

22  avril  1719. 

Le  feu  roi  n'était  pas  aussi  brave  que  Monsieur, 
mais  il  n'était  pas  poltron...  Il  se  plaisait  beaucoup 
avec  le  comte  de  Grammont,  qui  était,  en  effet,  fort 
amusant  '  ;  il  lui  a  accordé  beaucoup  de  grâces  et 
l'admettait  à  tous  les  voyages  de  Marly;  ce  qui  a  tou- 
jours été  une  faveur  marquée....  Le  roi  s'est  plaint 
souvent  de  ce  que,  dans  sa  jeunesse,  on  ne  l'avait  pas 
assez  laissé  s'entretenir  avec  le  monde  ;  mais  c'est 
dans  le  naturel,  car  Monsieur,  qui  avait  été  élevé  avec 
le  roi,  était  toujours  disposé  à  parler  avec  toute  sorte 
de  gens.  Le  roi  disait  en  riant  que  le  bavardage  de 
Monsieur  l'avait  dégoùlé  de  parler  :  «  Ah!  mon  Dieu, 

*  Tout  le  monde  connaît  les  Mémoires  du  comte  de  Gram- 
mont, si  spirituellement  rédigés  par  Ilamilton;  les  éditions  pu- 
bliées en  Angleterre,  en  1792  et  1802,  renferment  de  nombreux 
portraits  qui  leur  donnent  un  prix  tout  particulier.  L'édition 
mise  au  jour  en  17  7  2,  par  les  soins  d'Horace  Walpole,  est 
la  première  oii  il  y  ait  des  notes.  Celle  imprimée  chez  Didot  en 
1783,  3  vol.  in-18,  est  un  bijou  typographique  d'une  netteté 
admirable  ;  le  texte  a  malheureusement  été  l'objet  de  quelques 
corrections  peu  heureuses. 

«  Grammont  fut  riiomme  le  plus  à  la  mode  de  son  temps, 
l'idéal  du  courtisan  fran(;ais  à  une  époque  où  la  cour  était  tout, 
le  type  de  ce  personnage  léger,  brillant,  souple,  alerte,  infatiga- 
ble, réparant  toutes  les  fautes  cl  les  folies  par  un  coup  d'épéc  ou 
par  un  bon  mot.  »  (Sainle-Ueuvc,) 


DE  MADAME  LA  blîCHESSE   d'oRLÉANS.  97 

disait-il,  faut-il  que,  pour  plaire  au  monde ,  je  dise 
autant  de  pauvretés  et  de  sottes  choses  que  mon 
frère  ?  » 

25  avril  1719. 

Le  17  avril,  on  a  amené  un  drôle  qui,  l'an  passé,  a 
failli  surprendre  mon  fils  au  bois  de  Boulogne.  C'est 
un  colonel  réformé,  nommé  LaJonckère;  il  avait  écrit 
à  mon  fils,  en  faisant  des  demandes  exorbitantes  de 
pensions  et  de  cliarges ,  ayant  été  refusé,  il  va  en  Es- 
pagne, et  promet  à  Albéroni  de  livrer  mon  fils  mort 
ou  vif,  et  de  l'enlever.  Il  vient  avec  deux  cents  hom- 
mes qu'il  met  en  embuscade  aux  environs  de  Paris. 
Il  n'a  manqué  mon  fils  que  d'un  quart  d'heure  au 
bois  de  Boulogne ,  que  celui-ci  avait  traversé  pour 
aller  dîner  chez  sa  fille  à  la  Muette.  Cet  homme  en  a 
été  désespéré,  et  s'est  sauvé  dans  les  Pays-Bas.  Là  il 
a  dit  avec  jactance  que  puisqu'il  avait  manqué  mon 
fils  une  fois,  il  prendrait  désormais  si  bien  ses  me- 
sures ,  qu'on  entendrait  bientôt  parler  d'un  grand 
coup.  Par  bonheur,  on  a  rapporté  cela  à  mon  fils,  et 
on  a  ajouté  que  l'homme  était  à  Liège.  Mon  fils  y  a 
envoyé  un  rusé  compère  qui  a  attrapé  l'homme  en  le 
conduisant  hors  de  la  porte;  là,  il  lui  a  mis  un  pistolet 
sur  la  gorge,  et  l'a  menacé  de  le  tuer  sur-le-champ 
s'il  ne  le  suivait  pas  et  s'il  faisait  du  bruit.  Saisi  de 
frayeur,  le  coquin  s'est  laissé  conduire  au  bateau; 
mais  quand  il  a  vu  qu'on  le  conduisait  sur  le  territoire 
français,  il  n'a  pas  voulu  aller  plus  loin,  et  il  a  dit  :  «  Je 
suis  perdu,  et  je  serai  écartelé.  »  On  l'a  lié,  et  on  l'a 
conduit  à  la  P.aslille. 

li.  0 


98  CORRESPONDANCE 

26  avril  1719. 

Le  premier  Dauphin  avait  suivi  l'exemple  de  son 
père ,  et  pris  une  vilame  et  puante  créature ,  qui 
avait  été  fille  d'honneur  auprès  de  la  grande  prin- 
cesse de  Conti;  elle  s'appelait  M'"  Chouin;  elle  vit 
encore  à  Paris.  On  a  pensé  qu'il  l'avait  épousée  clan- 
destinement ;  je  jurerais  que  cela  n'a  pas  eu  liéii. 
Elle  avait  l'air  d'un  carlin.  Elle  était  petite;  elle  avait 
de  petites  jambes,  un  visage  rond,  un  nez  court  et 
relevé,  une  grande  bouche  remplie  de  dents  pourries 
qui  avaient  une  puanteur  telle  qu'on  pouvait  la  sen- 
tir à  l'autre  bout  de  la  chambre.  Elle  avait  une  gorge 
horriblement  grosse;  cela  charmait  Monseigneur,  car 
il  frappait  dessus  comme  sur  des  timbales.  Mais  cette 
créature  courte  et  grosse  avait  beaucoup  d'esprit.  Je 
crois  que  le  Dauphin  s'était  habitué  au  tabac  pour 
ne  pas  sentir  Thorrible  odeur  des  dents  pourries  de 
la  Chouin.  Il  faisait  beaucoup  de  cas  du  maréchal 
d'Uxelles ,  parce  que  celui-ci  feignait  d'être  ami  in- 
time de  cette  femme;  mais  dès  que  le  Dauphin  eut 
fermé  les  yeux,  le  maréchal  a  cessé  de  la  voir,  et  n'a 
pas  remis  le  pied  chez  elle,  tandis  que,  tant  que  le 
Dauphin  a  vécu ,  il  passait  toutes  les  journées  chez 
elle. 

25 avril  )7li). 

On  a  trouvé  dans  la  cassette  du  duc  de  Richelieu 
d'autres  lettres  que  des  billets  doux.  Albéroni  s'est  lié 
à  un  drôle  qui  l'avait  précédemment  servi  et  qui  est 
un  espion  de  mon  fils.  Celui-ci  a  apporté  à  mon  fils 
la  lettre  d'Albéroni;  on  l'a  ouvorlr,  lue,  copiée,  pro- 


DE  MADAME  LA  DUCHESSE  d'ORLÉANS.  99 

prement  recachetée  et  envoyée  au  petit  duc  (de  Ri- 
chelieu), qui  y  a  répondu.  Mon  fils  a  celte  réponse; 
mais  il  ne  peut  en  faire  usage,  parce  qu'elle  parle  en 
termes  cachés...  J'ai  bien  recommandé  à  mon  fds 
de  faire  attention  à  lui;  il  m'a  promis  de  ne  plus  sor- 
tir la  nuit,  mais  je  ne  me  fie  nullement  à  lui...  On 
vient  d'arrêter  M.  de  Laval,  le  frère  de  la  duchesse 
de  Roquelaure. 

Saint-Cloud,  27  avril  1719. 

Vous  dites  que  vous  n'êtes  pas  fatiguée  d'entendre 
vos  deux  prédicateurs  :  je  dois  avouer,  à  ma  honte, 
que  je  ne  connais  rien  de  plus  ennuyeux  qu'un  ser- 
mon; nul  opium  ne  m'endormirait  aussi  bien,  surtout 
le  soir. 

J'ai  trois  belles  bibles  :  celle  de  Mérian,  que  ma 
tante,  l'abbesse  de  Maubuisson,  m'a  laissée;  une  édi- 
tion de  Lunebourg,  qui  est  fort  belle,  et  une  autre 
que  la  princesse  d'Oldenbourg,  fille  de  la  princesse 
de  Tarente,  m'a  envoyée  l'an  passé.  Elle  est  comme 
ma  personne,  petite  et  grosse  ;  mais  ni  l'impression 
ni  les  gravures  ne  sont  aussi  belles  que  chez  les  deux 
autres.  Quand  je  vins  en  France,  il  était  défendu  à 
tout  le  monde,  si  ce  n'est  à  moi,  de  lire  la  Bible  '; 
depuis  une  couple  d'années,  c'était  permis ,  mais  la 
constitution  '  au  sujet  de  laquelle  on  fait  tant  de 

'  Cette  assertion  n'est  pas  fort  exacte  ;  il  parut,  sous  le  rè- 
gne de  Louis  XIV,  diverses  traductions  de  la  Biltle  ;  celle  de  Le 
JMaistre  de  Sacy  surtout  fut  souvent  réimprimée  (Paris,  17  07, 
8  vol.  in-12;  1716,  .'5  vol.in-fol.,  etc.). 

*  La  constitution  Vn'igenïhis,  qui  condamna  cent  une  propo- 
eitions  extraites  du  livre  du  père  Qucsnel.  Cette  querelle  Ihéo- 


100  CORRESPONDANCE 

bruit,  l'a  derechef  défendu  ;  il  est  vrai  qu'on  ne  veut 
pas  s'y  soumettre;  moi,  j'ai  dit  en  riant  que  j'étais 
toute  disposée  à  obéir  à  la  constitution  et  à  m' enga- 
ger à  ne  lire  aucune  bible  française;  de  fait,  je  n'ou- 
vre que  mes  bibles  allemandes.  La  Bible  est  une 
bonne  et  salutaire  nourriture,  et,  de  plus,  fort  agréa- 
ble ;  mais  les  catholiques  allemands  n'y  recourent 
pas,  et  sont  enclins  à  la  superstition;  de  ce  nombre 
est  la  margrave  de  Bade,  la  femme  du  prince  Louis; 
au  lieu  de  faire  faire  de  l'exercice  à  son  fds  et  de  le 
faire  voyager,  elle  le  conduit  en  pèlerinage  à  Notre- 
Dame-de-Lorette,  mais  on  ne  peut  se  figurer  combien 
chacun  en  rit.  Je  partage  votie  affliction  pour  la  perte 
de  votre  nièce,  mais  on  a  tort  de  tant  regretter  une 
petite  fdle.  Mon  Dieu!  quel  bonheur  c'eût  été  pour 
mon  fils  s'il  avait  perdu  ses  trois  premières  fdles 
dans  leur  enfance!  Je  ne  veux  pas  en  dire  davan- 
tage ' . 

logique  enfanta  des  milliers  de  volumes  parfaitement  oubliés 
aujourd'hui  ;  nous  n'en  citerons  qu'un  seul,  à  cause  de  la  singu- 
larité de  l'idùe  qui  l'a  dicté  :  Virç/ilii  Maronh  Sibijlla  capilo- 
Vna,  pocmalion  intcrprcla/um  et  nol'ts  illaslralian  a  S.  L, 
(P.  Daude),  Oxonii,  (lloJlandc),  1Î2G,  in-8.  C'est  un  centon 
composé  de  vers  ou  de  fragments  empruntés  à  l'auteur  de  i'É- 
néide. 

On  ne  s'attendait  guère 
A  voir  Virgile  en  cette  affaire. 

*  La  duchesse  ne  ferait-elle  pas  allusion  aux  bruits  qui  cou- 
raient à  l'égard  do  l'atlachcmcnt  incestueux  qu'on  prétendait 
exister  de  la  part  du  Uégcnt  pour  deux  de  ses  fdles!'  Quant  à 
M""  de  Valois,  Lemontcy  fait  judicieusement  observer  que  des 
lettres  nombreuses ,  échangées  entre  son  père  et  elle,  existent 
aux  archivcodcsalVaires  étrangères,  et  que  cette  corrospondanco, 


,  ^ 


DE   MAUA)JE   LA   DUCHESSE    d'oIîLEANS.  lOl 

Le  duc  de  Richelieu  est  lui  arcliidébaiiché  '  et  un 
poltron  ;  il  ne  croit  ni  en  Dieu  ni  en  sa  parole  ;  de  sa 
vie  il  n'a  rien  fait  et  ne  fera  jamais  rien  qui  vaille;  il 
est  ambitieux  et  faux  comme  le  diable.  Il  n'a  pas 
encore  vingt-quatre  ans.  Je  ne  le  trouve  pas  aussi 
bien  que  toutes  les  dames  qui  sont  folles  de  lui.  Il  a 
une  fort  jolie  taille  et  de  beaux  cheveux,  le  visage 
ovale  et  des  yeux  très-brillanls ,  mais  tout,  dans  sa 
figure,  indique  le  drôle;  il  est  gracieux  et  ne  manque  pas 
d'esprit,  mais  il  est  d'une  insolence  rare;  c'est  le  pire 
des  enfants  gâtés.  La  première  fois  qu'il  fut  mis  à  la 
Bastille,  ce  fut  pour  avoir  dit  qu'il  avait  été  au  mieux 
avec  M»'"  la  Dauphine  [la  diœhcsse  de  Bourgogne)  et 
avec  toutes  ses  jeunes  dames,  ce  qui  était  le  plus  hor- 
rible des  mensonges  ;  la  seconde  fois ,  ce  fut  parce 
qu'il  fit  lui-même  savoir  que  le  chevalier  de  Bavière 

souvent  tracée  dans  des  circonstances  orageuses,  mais  toujours 
empreinte  de  dignité  paternelle  et  de  respect  filial,  ne  permet 
pas  le  plus  léger  soupçon.  On  ne  saurait  élre  aussi  afTiimatif  au 
sujet  de  la  duchesse  de  Derri.  Les  chansonniers  du  temps  nel'c- 
pargnèrent  pas  ;  l'un  deux  lui  disait  : 

Un  nouveau  Loth  vous  sert  d'époux  ; 

Reine  des  Moabites, 
Faites  bientôt  sortir  de  vous 

Un  peuple  d'Ammonites. 

Il  faut  d'ailleurs  reconnaître  que  la  conduite  du  Régent  jus- 
tifiait les  suppositions  peu  charitables  de  ses  ennemis.  11  pro- 
fessait et  alTichait  l'irréligion  la  plus  efïrontée.  Les  jours  consa- 
crés à  la  dévotion  étaient  ceux  qu'il  choisissait  de  préférence 
pour  quelques  débauches  d'éclat.  Le  chilfrc  dont  il  se  servait 
dans  sa  correspondance  pour  ks  afl'iiircs  étrangères  était  com- 
posé des  mots  les  plus  orduriers  qu'il  y  ait  dans  la  langue  fran- 
çaise. 

*  Ein  crlz  desbeaiichitler. 

9. 


102  CORRESPONDANCE 

voulait  se  battre  avec  lui.  11  y  a  deux  jours  qu'on  a 
mis  à  la  Bastille  un  autre  homme  de  qualité  de  la 
maison  de  Laval ,  qui  trempait  dans  les  manigances 
du  duc  et  de  la  duchesse  du  Maine. 

28  avril  17  J  8. 

Le  Dauphin  avait  de  bonnes  qualités  et  aussi  beau- 
coup de  mauvaises.  Ce  qu'il  avait  de  mauvais  venait 
de  M"-*  de  Montespan ,  chez  laquelle  il  était  toujours 
fourré,  et  ensuite  chez  M'^^  la  Duchesse;  le  roi  l'ai- 
mait beaucoup ,  mais  le  connaissait  bien.  Il  était  plu- 
tôt petit  que  grand  et  loin  d'avoir  la  taille  du  roi.  Sa 
maxime  éiait  de  ne  pas  montrer  qu'il  fit  plus  de  cas 
d'un  homme  de  la  cour  que  d'un  autre. 

29  avril  17)9. 

Il  est  certain  que  M^e  de  Montespan  se  moquait  de 
la  reine ,  mais  elle  se  moquait  de  tout  le  monde.  Elle 
n'avait  d'ailleurs  aucune  impertinence  de  hauteur 
avec  la  reine  ;  c'est  ce  que  le  roi  n'aurait  point  souf- 
fert. 

Elle  avait  marié  un  de  ses  cousins,  M.  de  Moulpi- 
peau,  avec  la  fille  d'un  simple  bourgeois,  M''^  Aubry, 
qui  élait  très-riche.  Pour  lui  montrer  qu'elle  avait  fait 
un  bon  mariage,  elle  la  fit  venir  un  jour  dans  le  petit 
particulier.  Cette  jeune  personne  ne  savait  pas  du 
tout  vivre;  elle  sauta  sur  le  coin  d'une  table,  croisa 
les  jambes,  et  se  mit  h  se  balancer  tout  comme  si 
elle  eût  été  dans  sa  cliamlne.  On  j)ei.it  s'imaginer  quel 
rire  cela  causa  et  r,omni(>  M™"  d(!  M()nles|)aii  raconta 
plaisamment  la  chose  pour  divertir  le  roi.  La  petite 


DE   MADAME   LA    DUCHESSE   O'ORLÉAXS.  103 

créature  s'imagina  qu'elle  prenait  son  parti  et  lui  fit 
compliment  sur  compliment. 

Saint-Cloud.  30  avril  1719. 

Le  tluc  de  Richelieu  n'est  pas  dans  la  conspiration 
du  duc  et  de  la  duchesse  du  Maine;  il  avait  ourdi 
une  intrigue  de  son  côte;  il  s'était  mis  dans  la  télé 
de  se  rendre  un  personnage  tellement  considérable, 
qu'on  ne  pourrait  lui  refuser  un  mariage  très-au- 
dessus  de  tout  ce  qu'il  pourrait  prétendre  ';  lorsqu'il 
a  vu  que  cet  espoir  s'évanouissait,  il  s'est,  par  dépit, 
jeté  dans  un  complot'.  Ce  n'est  pas  pour  lui  que  deux 
dames  ont  voulu  se  battre  en  duel ,  mais  pour  le 
prince  de  Soubise,  fils  du  prince  de  Rohan;  il  n'est 

*  Ceci  se  rapporte  à  une  intrigue  qu'avait  Richelieu  avec 
M"e  (le  Charolais,  de  la  maison  de  Condé;  il  s'était  flaUé  de  l'é- 
pouser. Les  chansons  du  temps  font  parfois  allusion  à  ces 
amours  : 

Que  Charolais  jeiine  et  fringante 
Pour  Richelieu  soit  complaisante, 
N'est-ce  pas  le  sort  de  son  sang? 
Mais  pour  un  seul,  c'est  bien  la  peine, 
Quand,  à  son  âge,  sa  maman 
En  avait  plus  de  deux  douzaines. 

Vingt  ans  plus  tard,  les  faiseurs  de  couplets  continuaient  leurs 
attaques.  Voici  ce  que  nous  trouvons  dans  le  recueil  Maurepas, 
sous  la  date  de  1737. 

Princesse,  en  vain,  aux  amours. 

Tous  les  jourS; 
Vous  offrez  votre  prière; 
Apprenez  qu'à  quarante  ans. 

Les  enfants 
Vous  prennent  pour  leur  grand'raère; 
Vos  yeux  ne  sont  plus  louchants, 

Et  vos  dents 
Sont  noires  comme  votre  âme... 


104  CORRESPONDANCE 

pas  mal,  mais  il  ressemble  à  un  veau  qui  tette  encore; 
le  duc,  les  oubliant  bien  vite,  s'est  mis  à  se  distraire 
avec  une  troisième  dame ,  mais  le  mari  de  celle-ci  a 
découvert  ce  qui  se  passait,  et  il  a  battu  sa  femme  au 
point  de  la  rendre  toute  noirç  et  bleue.  Le  gouver- 
neur de  Metz,  M.  de  Saillant,  est  arrivé  à  Paris  de- 
puis quelques  jours  pour  disculper  son  neveu;  je 
donlc  qu'il  y  réussisse,  mais  je  crains  que  le  drôle  ne 
soit  pas  puni  comme  il  le  mérite;  mon  fds  ne  peut 
se  résoudre  à  verser  le  sang;  je  pense  qu'il  se  repen- 
tira de  sa  clémence ,  car  lorsqu'on  ne  se  fait  pas 
craindre  des  Français,  on  n'a  aucune  prise  sur  eux. 

Je  dois  convenir  que  je  suis  étonnée  que  Paris  soit 
encore  debout  et  n'ait  pas  été  englouti ,  car  tout  ce 
qui  s'y  fait  d'affreux,  le  jour  et  la  nuit,  fait  dresser 
les  cheveux  sur  la  tète. 

2  mai  1719. 

M"'^  la  Dauphine  {la  duchesse  de  Bourgogne)  ne  s'est 
jamais  souciée  du  duc  de  Richelieu,  quoiqu'il  s'en 
soit  vanté,  et  il  est  allé  pour  cela  à  la  Bastille.  M'"«  la 
Dauphine  était  un  peu  coquette;  elle  bavard.iit  avec 
tous  les  jeunes  gens;  mais  si  elle  a  vraiment  aimé 
quelqu'un,  ce  n'a  été  que  Nangis  '.  Elle  lui  avait  re- 
commandé de  se  poser  comme  s'il  était  amoureux  de 

1  Voir  Saint-Simon,  t.  Ylll,  p.  35.  Nangis  avait  un  visaij;e 
gracieux  sans  rien  de  rare  ;  il  était  élevé  dans  l'intrigue  et  la 

galanterie 11  était  le  favori  des  dames,  t.  VII,  p.  109.  — 11 

est  fort  question ,  dans  les  inênics  Mcmoires,  t.  IX,  p.  60,  du 
comte  (le  Mauievrier,  qui  lit  beaucoup  piiricr  de  lui  à  cause  de 
sa  passion  pour  la  Dauphine  et  qui  liuit  par  se  suicider,  circon- 
stance fort  rare  à  celle  époque. 


DE  MADAME   LA   DUCHESSE   D'oRLÉANS.  105 

M""®  de  la  Vrillicre ,  qui  n'avait  pas  une  aussi  belle 
taille  ni  de  si  bonnes  manières  que  M™*  la  Daiipliine, 
mais  qui  avait  une  figure  beaucoup  plus  jolie  et  qui 
était  d'une  coquetterie  inouïe.  On  croit  que  de  ce  jeu 
il  est  résulté  quelque  chose  de  sérieux.  Le  bon  Dau- 
phin était  comme  les  maris  de  toutes  les  femmes  ga- 
lantes, qui  sont  toujours  les  derniers  à  remarquer 
pareilles  choses.  Le  duc  de  Bourgogne  n'a  jamais 
pensé  que  sa  femme  songeât  à  Nangis,  ce  qui  était 
pourtant  très-visible  et  ce  que  tout  le  monde  voyait. 
Il  aimait  sincèrement  Nangis,  et  il  croyait  que  c'était 
pour  lui  plaire  que  sa  femme  parlait  à  Nangis;  il 
était  bien  persuadé  que  son  favori  avait  une  intrigue 
avec  M"'«  de  la  Vrillière. 

3  mai  1710. 

Mon  fds  s'est  toujours  si  bien  disculpé  des  accusa- 
tions que  la  Mainlenon  et  le  duc  du  Maine  dirigeaient 
contre  lui,  que  le  roi  l'a  cru  et  qu'il  lui  a  rendu  jus- 
tice après  avoir  tout  examiné  avec  soin.  M™'=  d'Or- 
léans ne  s'est  pas  bien  conduite  dans  cette  circon- 
stance; elle  a  laissé  ses  créatures  mal  parler  de  mon 
fds  et  aller  jusqu'à  dire  qu'il  avait  voulu  l'empoi- 
sonner ;  pat  là  elle  a  fait  la  paix  avec  la  vieille  gue- 
nipe,  qui  précédemment  ne  pouvait  la  souffrir.  J'ai 
souvent  admiré  la  patience  de  mon  fds,  car  il  sait 
tout  cela  tout  aussi  bien  (jue  moi. 

Saint-Cloud,  4  mai  1119. 

La  cérémonie  de  rendre  le  pain  bénit  ne  se  fait 
nulle  part  ailleurs  qu'en  France;  elle  est  d'une  ori- 


106  COKUESI'ONDANCE 

gine  fort  ancienne  et  vient  de  la  distribution  du  pain 
qu'on  faisait,  dans  la  primitive  Église,  pour  la  com- 
munion ;  il  y  a,  parfois,  de  grandes  querelles  ici,  au 
sujet  de  savoir  qui  le  rendra  ou  non,  mais  l'Église 
n'y  perd  pas ,  car  l'on  donne  des  cierges  avec  de  l'ar- 
gent ;  la  maison  royale  présente  treize  écus  d'or,  avec 
le  cierge  qu'offre  le  grand-aumônier. 

Je  ne  me  mêle  nullement  de  ce  qui  se  passe  à 
Rome  ;  le  pape  et  moi  n'avons  aucun  rapport  ensem- 
ble; il  ne  faut  donc  pas  songer  à  s'adresser  à  moi 
pour  avoir  quelque  dispense. 

Il  n'est  pas  vrai  que  j'aie  changé  de  nom;  je  n'ai 
jamais  pu  avoir  en  France  aucun  autre  titre  que  celui 
de  Madame,  car  mon  mari  était  le  frère  du  roi,  et  la 
femme  du  frère  du  roi  ne  porte  pas  d'autre  nom  ;  les 
filles  du  roi  l'ont  aussi,  mais,  pour  les  distinguer,  on 
ajoute  le  nom  de  baptême;  ainsi,  les  trois  filles  de 
Henri  IV  se  nommaient  :  Madame  Élisabetii ,  qui  fut 
reine  d'Espagne;  Madame  Henriette,  qui  fut  reine 
d'Angleterre,  et  Madame  Christine,  qui  fut  duchesse 
de  Savoie;  les  filles  du  frère  du  roi  se  nomment  Made- 
moiselle; la  première  porte  ce  titre,  sans  rien  n'y 
ajouter;  les  autres  y  ajoutent  le  nom  de  leurs  apa- 
nages ;  c'est  ainsi  qu'il  y  a  Mademoiselle  de  Chartres, 
Mademoiselle  de  Valois ,  Mademoiselle  de  Monlpen- 
sier;  il  en  est  de  même  des  fils  du  roi  :  l'ainé  s'ap- 
pelle Monsieur,  les  autres  prennent  le  titre  de  leurs 
apanages;  c'est  par  abus  qu'on  a  dit  le  duc  de  Bour- 
gogne ,  le  duc  de  Berri  ;  il  fallait  dire  Monsieur  de 
Bourgogne,  Monsieur  de  Borri. 

J'ai  clé  hier  ù  Paris  rendre  visite  à  notre  abbesse, 


DE  MADAME   LA   DVCHESSE   d'oRLÉANS.  107 

qui  est  au  Val-de-Grâce  ;  sa  mère  et  elle  sont  fort  mal 
ensemble,  et  c'est  la  mère  qui  a  tort.  C'est  une  mé- 
chante femme,  qui  n'aime  ni  son  mari  ni  ses  enfants  ; 
elle  n'a  d'attachement  que  pour  son  frère,  et  elle  veut 
faire  regarder  son  arrestation  comme  un  acte  très- 
injuste;  elle  dit  que  c'est  un  homme  d'une  piété  fer- 
vente, un  véritable  saint,  et  que  la  conspiration  était 
uniquement  l'œuvre  de  sa  femme,  où  il  n'avait  aucune 
part. 

J'admire  la  patience  de  mon  fils,  et,  à  sa  place,  je 
ne  l'aurais  pas.  Je  me  réjouis  d'être  hors  de  Paris, 
afin  de  ne  plus  voir  et  entendre  tant  de  choses  pé- 
nibles. 

5  mai  1719. 

La  nouvelle  abbesse  de  Chelles  a  une  grande  que- 
relle avec  madame  sa  mère  ;  M""^  d'Orléans  dit  qu'elle 
ne  pardonnera  jamais  à  sa  fille  d'être  convenue  à  son 
insu,  avec  le  père,  de  se  faire  abbesse;  la  fille  a  ré- 
pondu que ,  puisque  sa  mère  avait  toujours  pris  le 
parti  de  l'ancienne  abbesse  contre  elle,  on  ne  lui  avait 
pas  confié  ce  secret,  car  elle  s'y  serait  opposée;  alors 
la  mère  s'est  mise  à  pleurer  amèrement  ;  elle  a  dit 
qu'elle  était  bien  malheureuse  avec  son  mari  et  ses 
enfants,  que  son  mari  était  l'homme  le  plus  injuste 
du  monde,  puisqu'il  tenait  captif  son  beau-frère, 
l'homme  le  meilleur  et  le  plus  pieux  du  monde,  un 
saint,  et  que  Dieu  l'en  punirait.  La  fille  ayant  ré- 
pondu qu'elle  se  taisait  par  respect,  la  mère  est  deve- 
nue encore  plus  furieuse  ;  cela  montre  que  cette 
femme  nous  hait  tous  comme  le  diable,  et  qu'elle 


108  CORRF.SPONDANCR 

n'aime  personne  que  son  frère^  le  boiteux  et  ceux  qui 
l'aiment  ou  qui  lui  louchent  de  près. 

6  mai  1717. 

Au  commencement,  la  vieille  Maintenon  n'était  pas 
aussi  mt3cliante ,  mais  elle  l'est  toujours  devenue  de 
plus  en  plus.  Pour  nous,  il  eût  suffi  qu'elle  eût  crevé 
il  y  a  vingt  ans;  mais,  pour  l'honneur  du  feu  roi,  cela 
aurait  dû  arriver  depuis  trente-trois  ans,  car  elle  a, 
à  ce  que  je  crois,  épousé  le  roi  deux  ans  après  la  mort 
de  la  reine,  et  il  y  a  bien  trente-cinq  ans  que  la  reine 
est  morte  '. 

7  mai  1717. 

Le  cousin  de  la  vieille,  qu'elle  avait  fait  archevêque 
de  Rouen,  et  qui  s'était  donné  beaucoup  de  mouve- 
ment au  sujet  de  la  constitution,  a  suivi  sa  chère  pa- 
rente dans  l'autre  monde,  huit  jours  après,  jour  pour 
jour  et  heure  pour  heure. 

10  mai  1717. 

La  grande  princesse  de  Conti  n'était  pas  mal  avec 
la  Maintenon;  celle-ci  voulait  se  faire  honneur  de 
distinguer  cette  princesse,  qui  avait  mené  une  vie  ré- 

1  Les  Mémoires  de  l'abbé  deChoisy  expluiuent  les  motifs  du 
mariage  secret  île  Louis  XIV  : 

«  Le  roi  ne  vouluit  point  se  remarier  par  tendresse  pour  son 
0  peuple  ;  il  se  voyoit  trois  petils-fils  otjiiecoit  prudemment  que 
«  des  princes  d'un  second  lil  pourroicnt,  dans  la  suite  des  temps, 
«  cauM'r  des  guerres  civiles.  I)";uilrc  colc,  il  no  pouvoit  se  pas- 
«  ser  de  fenmies;  M""--  de  Maintenon  étoit  encore  aimable;  ses 
«  yeux  étoient  vifs  et  per(;ants,  et  son  ;\gc  la  nieltoil  hors  d'état 
«  d'evoir  des  enfants.  » 


l 


DE   MADAME   LA    DICIIF.SSE   D'oRLÉANS.  109 

gulière  et  renoneù  aux  bagatelles...  Lorsqu'on  lui 
annonça  la  mort  comme  prochaine,  elle  dit  :  «  Mourir 
est  le  moindre  événement  de  ma  vie.  » 

12  mai  1717. 
Le  nonce  est  fourré  dans  toutes  les  trames  contre  mon 
fils;  c'est  un  méchant  prêtre  et  un  mauvais  diable... 
M.  de  Pompadour  a  accusé  le  comte  de  Laval  d'avoir 
été  en  rapport  avec  le  prince  de  Cellamare,  et  de  lui 
avoir  servi  de  cocher  pour  le  mener  la  nuil  chez 
M""*  du  Maine  à  TArsenal...  Ce  comte  est  toujours 
malade,  couvert  de  blessures;  il  a  un  bandeau  qui  lui 
entoure  le  menton  et  va  d'une  oreille  à  l'autre;  il 
boite  et  il  a  souvent  un  bras  en  écharpe,  et,  avec  tout 
cela,  c'est  un  intrigant  infatigable  '  ;  il  écrit  nuit  et 
jour  contre  mon  fds...  On  dit  que  M""'  de  Maintenon 
a  envoyé  beaucoup  d'argent  dans  les  provinces  pour 
exciter  des  révoltes  en  faveur  du  duc  du  Maine;  mais, 
grâce  à  Dieu,  cela  n'a  pas  réussi. 

Sainl-Cloud,  13  mai  1719 

Vous  me  demandez  ce  qui  m'a  récemment  mise 

fort  en  colère;  je  ne  puis  le  raconter  en  détail,  mais 

en  gros;  c'est  l'effroyable  coquetterie  de  M""  de  Valois 

avec  ce  maudit  duc  de  Richelieu ,  qui  a  montré  les 

'  C'était  un  gentilhomme  ruiné,  défiguré  par  une  blessure, 
bilieux,  haineux  et  farouche  (Sismondi).  Pour  s'entretenir  des 
relations  au  dehors,  il  s'aidait  du  chirurgien,  qui  faisait  aussi  les 
fonctions  d'apothicaire.  11  prétendit,  afin  d'avoir  plus  d'occasions 
de  le  voir  plus  souvent,  qu'd  lui  fallait  deux  lavements  par  jour, 
i.'abbé  Dubois  se  récria  sur  cette  quantité  de  lavements;  le  duc 
d'Orléans  lui  dit  :  «  L'îibbé,  puisqu'ils  n'ont  que  ce  divertisse- 
ment, ne  le  leur  ôtons  pas.  »  [Mémoire  de  Sfaal.) 

n.  10 


110  CORRESPONDANCR 

lettres  qu'il  avait  d'elle,  car  il  ne  l'aime  que  par  va- 
nité '.  Tous  les  jeunes  seigneurs  de  la  cour  ont  pu 
voir  les  lettres  où  elle  lui  assigne  des  rendez-vous. 
Sa  mère  voulait  que  je  la  reprisse  avec  moi ,  ce  que 
j'ai  refusé  tout  net;  mais  on  ne  cesse  de  revenir  à  la 
charge,  et  je  suis  horriblement  vexée  ;  l'espèce  hu- 
maine me  fait  horreur.  Je  ne  peux  supporter  l'idée 
de  revoir  M"^  de  Valois,  et  il  faut  cependant  le  faire, 
afin  d'éviter  un  bien  fâcheux  éclat  ;  la  vue  de  cette 
étourdie  me  fera  mal.  Tout  cela  est  la  suite  de  l'apa- 
thie et  de  la  nullité  de  la  mère;  que  Dieu  lui  par- 
donne !  mais  elle  a  bien  mal  élevé  ses  filles. 

Le  duc  est  hardi  et  plein  d'impertinence;  il  connaît 
la  bonté  de  mon  fils  et  il  en  abuse;  si  on  lui  rendait 
justice,  il  payerait  de  sa  tête  toutes  ses  témérités  et 
ses  manœuvres;  il  l'a  triplement  mérité.  Je  ne  suis 
pas  cruelle,  mais  je  verrais,  sans  répandre  une  larme, 
ce  drôle  accroché  à  un  gibet.  Je  suis  vraiment  irritée 
contre  lui,  et  je  le  déteste  de  tout  mon  cœur.  Notre 
religieuse  a  été  élue  abbesse  de  Chelles;  on  a  envoyé 
hier  un  courier  à  Rome  pour  obtenir  la  confirmation 
de  cette  élection.  Je  crains  que  la  Maintenon  ne 
meure  que  comme  la  Gorgone,  et  qu'après  sa  mort 
elle  ne  produise  encore  beaucoup  de  monstres.  Si  elle 
était  morte  il  y  a  trente  ans ,  tous  les  pauvres  réfor- 
més seraient  encore  en  France,  et  leur  temple  de 
Charcnton  n'aurait  pas  été  rasé.  La  vieille  sorcière  a 
été ,  avec  le  jésuite  le  père  La  Chaise ,  la  cause  de 
tout  cela;  à  eux  deux  ils  ont  produit  tout  le  mal. 

'  Les  Mémoires  de  Richclinu  parlent  avec  impertinence  de 

euii  iiiliiuuc  uvcc  M"<-"  de  Valois. 


DE   MADAME   LA    DICHF.SSR   D'ORLKAXS.  111 

16  mai  17 19. 

La  vieille  gucnipe  a  fait  répandre  rto  maison  en 
maison  que  mon  fils  avait  empoisonné  tontes  les  per- 
sonnes de  la  famille  royale  qui  sont  mortes.  Elle  avait 
gagné  nn  des  médecins  du  roi  pour  disséminer  ce 
bruit.  Si  ISIaréchal,  chirurgien  du  roi,  avec  tous  les 
autres  honnêtes  gens  qui  ont  été  présents  à  l'ouver- 
ture des  cadavres,  n'avait  pas  affirmé  qu'il  n'y  a  pas 
eu  de  poison,  et  s'il  n'eût  confirmé  cela  au  roi ,  cette 
méchante  créature  eût  jeté  dans  le  plus  grand  mal- 
heur mon  fils  innocent. 

17  mai  1719. 

Les  sommes  dont  les  Noailles,  neveu  et  nièce  de  la 
Maintenon,  héritent  d'elle,  sont  immenses;  mais  on 
ne  sait  pas  tout  ce  qu'elle  avait  caché. 

1G  mai  1719. 

W"  d'Orléans  en  a  voulu  longtemps  à  sa  fille,  parce 
que  c'est  à  cause  d'elle  qu'on  a  fait  sortir  de  son  cou- 
vent l'abbesse,  sœur  de  Villars  ;  c'est  que  le  maré- 
chal est  dans  les  intérêts  du  duc  du  Maine.  Je  trouve 
cependant  que  cette  abbesse  n'est  pas  fort  à  plaindre, 
puisqu'on  lui  donne  12,000  livres  de  pension,  en 
attendant  la  première  abbaye  vacante  ;  mais  M">e  d'Or- 
léans ne  peut  soulïrir  l'idée  que  la  sœur  du  maré- 
chal de  Villars  soit  obligée  de  céder  à  la  fille  de  mon 
fils  ;  ce  qui  pourtant ,  selon  moi ,  n'est  pas  incon- 
venant'. 

<  Voir  à  ce  sujet  Saint-Simon ,  qui  ne  blâme  point  Mme  de 
Villars,  et  qui  trace  un  portrait  assez  curieux  de  la  nouvelle  ab- 


112  COHUESPONUAKCE 

19  mai  1719. 
M"'  de  Charolais  dit  que  l'affaire  de  Bayonne  ne 
peut  être  vraie  ,  parce  que  le  duc  de  Richelieu  ne  lui 
en  a  pas  parlé,  et  qu'il  n'avait  rien  de  caché  pour 
elle.  Elle  dit  aussi  qu'elle  ne  veut  pas  voir  mon  fils, 
puisqu'il  a  fait  mettre  le  duc  à  la  Bastille.  Ce  duc  se 
promenait  sur  la  terrasse,  frisé  et  paré,  et  toutes  les 
dames  se  tenaient  dans  la  rue  pour  voir  cette  belle 
image. 

23  mai  1719. 

J'allais  voir  M™»  de  Berri  dimanche  dernier;  je  la 
trouvai  dans  un  triste  état;  elle  avait  des  douleurs  si 
affreuses  aux  plantes  et  aux  doigts  des  deux  pieds 
que  les  larmes  lui  en  venaient  aux  yeux.  Je  vis  que 
ma  présence  l'empêchait  de  crier,  et  là-dessus  je  par- 

bessc  :  «  tantôt  austère  à  l'excès,  tantôt  n'ayant  de  la  religieuse 
o  que  l'habit,  musicienne,  chivuruienne,  théologienne,  et  tout 
'(  cela  de  saut  et  par  bonds,  mais  avec  beaucoup  d'esprit  ;  tou- 
«  jours  fatiguée  et  dégoûtée  de  ses  diverses  situations  et  inca- 
«  pablc  d'eu  prendre  une  ;  clic  obtint  enfin  la  permission  de  se 
«  déineltre.  »  11  existe  un  petit  volume  intitulé  :  Lettre  d'un 
ecclcsiastiquc  sur  la  vocation  et  la  profession  de  Mme  d'Or- 
léans, ubbcsse  deC/iclhs,  Dijon,  17  19. 

Le  quatrièuie  volume,  réccuinient  publié,  du  Catalogue  de  la 
Bililiollièque  de  M.  Leber,  fait  connaître  (page  127)  un  manus- 
crit remarquable  ;  c'est  un  examen  de  consciente  de  l'abbesse 
de  dii'Ues  ,  fait  par  elle-mcuic,  et  dans  lequel  celte  princesse, 
conslanmient  partagée  entre  les  joies  du  monde  et  les  austérités 
du  cit. ilrc,  rappelle  sans  ménageuiçut  les  circonstances  les  plus 
curieuses  et  les  moins  connues  de  sa  vie  intérieure,  et  des  in- 
lluencis  secrètes  qu'elle  a  subies.  Voici  un  extrait  qui  ne  laisse 
auciui  doute  sur  la  sincérité  de  la  pénitente,  qui  s'accuse  en  pré- 
sciici'  de  Dieu  : 

«  Mon  père  mourut.  Je  rcQus  ce  coup  si  sensible  à  mon  cœur 


DE   MADAME    LA    ULCHESSE   u'oilLÉANS.  113 

lis.  Je  lui  trouvai  très-mauvaise  mine;  on  a  fait  tenir 
une  consultation  par  trois  docteurs  :  ils  ont  résolu 
de  la  saigner  au  pied.  On  a  eu  de  la  peine  à  l'y  déci' 
der,  car  sa  douleur  aux  pieds  était  si  insupportable, 
qu'elle  jetait  les  hauts  cris  lorsque  les  draps  du  lit  ne 
faisaient  que  la  froisser.  La  saignée  lui  a  bien  réussi  ; 
elle  a  moins  souffert  ensuite.  C'était  la  goutte  aux 
deux  pieds. 

Saiot-^loud,  28  mai  1719. 

Ma  petite-filie  ne  pouvait  plus  supporter  la  hauteur 
de  son  abbesse,  qui  est  sœur  du  maréchal  de  Villars, 
et  qu'elle  a  remplacée.  Je  ne  trouve  pas  l'ancienne 
abbesse  fort  à  plaindre,  car  on  lui  donne  18,000  li- 
vres de  pension  par  an,  et  elle  a  la  promesse  de  la 
première  abbaye  de  son  ordre  qui  deviendra  vacante  ; 

«  avec  soumission  à  votre  volonté.  Le  dirai-je?  J'eus  un  moment 
«  de  consolation  que  vous  fussiez  vengé  d'un  pécheur  qui  vous 
«  avoit  tant  offensé.  Que  je  revins  promptement  au  déchirement 
«  que  cette  perte  faisoit  à  mon  cœur  !  L'autorité  que  son  amitié 
«  pour  moi  me  donnoit  fut  anéantie  avec  lui.  Ses  ministres,  ja- 
«  dis  si  soumis  à  mes  ordres,  si  assidus  à  me  faire  leur  cour, 
«  reprirent  leur  orgueil  naturel.  Ma  famille  elle-même  m'aban- 
«  donna  sur  un  léger  prétexte...  J'arrivai  au  Val-de-Gràce  : 
«  quelle  dilférence  pour  une  âme  aussi  vaine  que  la  mienne  ! 
«  Mes  chambres  qui ,  du  temps  de  mon  père ,  ne  désemplis- 
«  soient  point  de  monde,  étoient  vides.  Ces  milliers  de  placets 
«  et  de  mémoires  que  mon  amour-propre  s'amusoit  à  recevoir, 
«  se  changèrent  en  demandes  ordinaires  de  pauvres.  Je  m'en 
«  retournay  dans  mon  abbaye,  la  rage  dans  le  cœur,  et  bien  dé- 
«  terminée  à  m'en  consoler  par  tout  ce  que  je  pourrois.  Cette 
n  malheureuse  aventure  a  été  la  source  de  toutes  les  fautes  que 
«  j'ai  faites  dans  la  suite  ,  et  qui  ont  duré  depuis  l'âge  de 
n  vingt-cinq  ans  jusqu'à' celui  de  trente-trois  »   (de  1125  à 

«  nai  ). 

10. 


114  CORRESPONDANCE 

cependant  elle  crie ,  ainsi  que  son  frère ,  comme  si 
mon  fils  leur  avait  fait  la  plus  grande  injustice  du 
monde.  11  y  a  en  France  une  insolence  extrême,  sur- 
tout parmi  les  ducs  et  pairs;  ils  se  figurent  être  les 
égaux  du  roi,  et  le  grand-père  de  ce  Villars  était  un 
simple  procureur  de  village. 

31  mai  1719. 

Le  roi  fut  fort  touché  de  la  mort  de  la  reine ,  mais 
ce  vieux  et  méchant  diable  de  Fagon  l'avait  amenée 
à  dessein,  dans  le  but  d'assurer  par  là  la  fortune  de 
la  vieille. 

La  reine  ne  pouvait  renier  son  pays;  elle  avait 
beaucoup  de  manières  espagnoles...  On  dit  que  c'é- 
tait le  grand  usage  de  prendre  du  chocolat,  qui  avait 
rendu  ses  dents  noires  et  cassées  ' . 

!«'  juin  1719. 

Un  jour,  la  reine,  après  avoir  causé  une  demi-heure 
avec  le  prince  Kgon  de  Furstenberg  %  me  prit  à  part  et 
me  dit:  «  Âvcz-vous  entendu  M.  de  Strasbourg?  Je  ne 
l'ai  pas  compris.  »  Un  moment  après,  l'évoque  me  dit  : 
«  Votre  Altesse  a-t-ellc  entendu  ce  que  la  reine  m'a 

'  ('cite  reine,  dont  le  riMe  fut  si  insicnifiant,  est  l'objet  d'un 
panégyrique  inséré  dans  un  volume  peu  commun  :  Abn'gé  de 
la  vie  de  frh-aiiguste  et  très-vertueuse  princesse ,  Marie- 
Thérèse  d'Autriche,  reine  de  France  et  de  Navarre,  par  le  R. 
P.  Bonaventure  de  Soria,  sou  conIVssour,  Paris,  1083.  L'ouvrago 
fut  réimprimé  en  Hollande  la  même  année,  augmenté  de  VO- 
raison  funèbre  prononcée  par  llossuet. 

»  Cardinal  et  évcque  de  Slraslioiirg.  Voir  ce  que  Saint-Simon 
(t.  IV,  p.  23»)  dit  do  ce  prélat  et  do  sa  délresse  au  milieu  d'im- 
niiiiâCà  revenus. 


DE  MADAME  LA   DUCHESSE   d'oRLÉANS.  Il5 

dit?  Je  n'en  ai  pas  compris  un  mot.  »  Je  lui  dis  : 
«  Pourquoi  avez-vous  doue  répondu?  »  11  dit  :  «  Je 
pensais  qu'il  serait  impoli  de  faire  voir  que  je  ne  com- 
prenais pas  la  reine.  »  Le  rire  me  prit  si  fort  qu'il  me 
fallut  m'en  aller  promptement. 

4  juin  ni9. 

Hier  est  mort  à  Paris,  à  l'âge  de  quatre-vingts  ans, 
un  homme  qui,  durant  les  trente  années  que  j'ai  passées 
avec  mon  mari,  m'a  fait  bien  du  mal;  Dieu  veuille  le 
lui  pardonner!  C'est  le  marquis  d'Effiat,  qui  était 
grand-écuyer  et  grand-veneur  de  Monsieur,  et  qiii 
avait  gardé  ces  fonctions  auprès  de  mon  fds.  Il  lui  a 
légué  une  belle  maison  d'une  valeur  de  cent  mille 
livres;  mon  fds  n'a  pas  voulu  l'accepter,  il  l'a  rendue 
aux  héritiers.  C'était  un  homme  extrêmement  riche; 
il  avait  des  caisses  pleines  d'or  et  d'argent,  et,  le  feu 
ayant  pris  dans  son  appartement,  six  hommes  ne  pu- 
rent les  emporter,  tant  elles  étaient  lourdes.  Il  n'a  pas 
laissé  d'enfants,  et  ses  héritiers  sont  dans  l'allégresse  ' . 

Ce  matin,  en  allant  à  Paris,  je  suis  descendue  chez 
les  Carmélites ,  et  j'y  ai  trouvé  la  bonne  duchesse  du 
Lude,  qui  était  à  son  dîner.  Elle  souffre  nuit  et  jour 
de  la  goutte,  et  elle  est  encore  tranquille  et  gaie  ;  elle 
a  soixante-seize  ans,  et  ne  parait  pas  en  avoir  plus  de 
cinquante.  J'y  trouvai  aussi  une  cousine,  la  nièce  de 
5[me  la  Princesse.  Elle  a  épousé  le  comte  d'Ourches, 

»  Voir  Saint-Simon,  t.  XIX,  p.  25  :  «  D'Efflat  étoit  un  homme 
de  beaucoup  d'esprit  et  de  manège,  qui  n'avoit  ni  âme,  ni  prin- 
cipes; qui  vivoil  dans  un  désordre  public  de  mœurs  et  de  religion, 
également  riche  et  avare;  avec  le  chevalier  de  Lorraine,  dont 
il  étoit  l'àme  damnée,  il  gouvernoit  Monsieur  et  sa  cour.  » 


116  COUKESPONDANCE 

qui  a  été  élevé  au  rang  des  comtes  de  l'empire,  mais 
qui  n'a  ici  aucun  rang,  de  sorte  qu'elle  ne  peut  s'as- 
seoir à  la  cour;  aussi  ne  vient-elle  jamais  me  voir  au 
Palais-Royal,  mais  seulement  dans  un  couvent  où  l'on 
reste  constamment  debout.  La  sœur  de  son  père ,  la 
princesse  Christine  de  Salm,  déteste  mortellement  sa 
nièce ,  parce  qu'elle  n'a  pas  voulu  se  faire  religieuse , 
et  elle  l'a  si  bien  brouillée  avec  M"'*  la  Princesse, 
qu'elles  ne  se  voient  pas.  Cette  pauvre  comtesse  vou- 
drait que  j'amenasse  une  réconciliation  avec  sa  tante  ; 
mais  ce  n'est  pas  chose  facile ,  car  M""®  la  Princesse 
aime  trop  la  princesse  Christine  pour  ne  pas  prendre 
son  parti.  La  comtesse  est  si  petite  qu'elle  me  vient 
à  peine  à  la  hauteur  du  nez  ;  elle  est  blanche  et  a  de 
grands  yeux  bleus,  de  sorte  qu'elle  n'est  point  laide; 
elle  a  du  jugement,  parle  avec  une  grande  vivacité, 
s'exprime  bien  en  français ,  mais  pas  si  bien  en  alle- 
mand; on  finit  par  s'habituer  à  sa  figure,  mais  le  pre- 
mier aspect  surprend  et  effraye  tout  net. 

11  fait  à  Paris  une  chaleur  épouvantable.  Il  est  mort 
hier  une  femme  d'une  façon  vraiment  étonnante;  elle 
était  en  peu  de  temps  devenue  si  énormément  grosse 
qu'on  pensait  qu'elle  était  hydropique  et  on  lui  avait 
fait  force  remèdes  à  cet  égard  ;  mais  comme  elle  ne 
faisait  qu'enfler  davantage ,  on  l'a  menée  de  Flandre 
à  Paris  pour  consulter  le  docteur  llelvétius,  qui  jouit 
d'une  grande  réputation  et  qui  est  un  homme  d'un 
grand  talent.  Il  a  dit  qu'il  fallait  qu'il  observât  la  na- 
ture de  la  maladie.  Deux  jours  après,  on  a  trouvé  la 
femme  morte  dans  son  lit;  la  graisse  s'était  fondue 
tout  à  coup  et  l'avait  éloun'éc  :  n'est-ce  pas  une  chose 


DE   MADAMK    LA   DLCHKSSE    d'oULÉANS.  117 

étrange?  Elle  se  nommait  M"""  Doujat.  J'ai  bien  connu 
son  père,  car  il  était  intendant  de  la  grande  Mademoi- 
selle; je  ne  sais  pas  s'il  vil  encore  ;  il  se  nommait  Ro- 
linde;  c'était  un  homme  fort  capable,  mais  méchant. 
J'ai  toujours  aimé  les  gens  sérieux,  posés  ;  la  pauvre 
Dauphine  de  Bavière  s'amusait  à  m'adresser  tous  les 
jeunes  freluquets  de  la  cour ,  sachant  bien  qu'ils  me 
déplairaient,  puis  elle  riait  aux  larmes  de  l'air  vexé 
qui  se  voyait  sur  ma  figure. 

6  juin  1719. 

On  a  envoyé  la  Dauphine  dans  l'autre  monde  comme 
si  on  lui  avait  tiré  un  coup  de  pistolet  dans  la  tête... 
Elle  m'a  dit  souvent  :  «  Nous  sommes  toutes  deux 
malheureuses;  mais  la  différence  entre  nous  c'est  que 
Votre  Excellence  s'est  défendue  contre  son  sort  au- 
tant qu'il  lui  a  été  possible,  tandis  que  moi  j'ai  tra- 
vaillé de  mon  mieux  pour  venir  ici  ;  je  mérite  donc 
bien  ce  qui  m'arrive...  »  Elle  aimait  M.  le  Dauphin  non 
comme  un  mari ,  mais  plutôt  comme  s'il  eût  été  son 
fils...  On  voulait  la  faire  passer  pour  folle  lorsqu'elle 
se  plaignait'.  Une  couple  d'heures  avant  sa  mort, 
elle  me  dit  :  «  Je  montrerai  aujourd'hui  que  je  n'étais 

•  La  Dauphine  fut  peu  regreUée  ;  elle  avait  beaucoup  d'es- 
prit, mais  les  mœurs  allemandes  s'y  laissèrent  trop  sentir  dans 
une  cour  qui  n'était  occupée  qu'à  adorer  les  volontés  et  les  in- 
clinaisons du  roi.  Le  joug  de  Mn^e  de  Maintenon  parut  lui  peser, 
et  celle-ci  ne  lui  pardonna  pas.  Ses  grossesses  et  ses  couches  dif- 
ficiles altérèrent  souvent  sa  santé.  Le  roi,  qui  mesurait  à  sa  pro- 
pre santé  celle  des  autres,  lui  en  sut  mauvais  gré,  et  il  lui  a 
fallu  mourir  pnur  qu'on  crût  à  ses  maladies.  Elle  n'avait  jamais 
élé  belle,  ni  rien  d'approchant  (Saint-Simon,  notes  sur  le/owr- 
nal  de  Dangeau). 


118  CORRESPONDANCE 

pas  folle  lorsque  je  me  plaignais  et  que  je  disais  que 
j'étais  malade...  »  La  vieille  guenipe  a  envoyé  de  ses 
gens  parmi  le  peuple  pour  faire  répandre  le  bruit  que 
la  Dauphine  haïssaitla  France  et  qu'elle  voulait  créer 
de  nouvelles  taxes  et  surcharger  le  peuple  d'impôts. 

8  juin  1719. 

M"ie  de  Berri  n'est  pas  dévote  et  n'en  joue  nulle- 
ment le  rôle  ;  M"«  de  Valois  ne  signifie  rien  et  restera 
toute  sa  vie  parfaitement  insignifiante;  elle  ne  mérite 
pas  que  nous  parlions  d'elle.  Il  faut  reconnaître  la 
vérité  ;  là  où  les  jésuites  gouvernent,  il  en  résulte  ra- 
rement de  bonnes  choses  :  personnellement,  ce  sont 
des  gens  dignes  d'estime,  mais  en  corps  ils  sont  fort 
dangereux.  L'électeur  a  le  tort  de  se  laisser  gouverner 
par  des  moines  et  des  prêtres  ;  mais  j'espère  que  lors- 
qu'il reconnaîtra  qu'il  s'attire  ainsi  la  haine  de  ses 
sujets ,  il  changera  de  sjstème  et  ne  suivra  plus  ses 
mauvais  conseillers.  J'ai  appris  avec  peine  que  la 
princesse  de  Sulzbach  s'était  blessée  pour  avoir  trop 
dansé  pendant  ce  carnaval. 

12. juin  1719. 

J'étais  indignée  que  la  Graucey  fût  si  insolente  avec 
moi,  et  qu'elle  me  brouillât  toujours  avec  Monsieur. 
Je  lui  ai  souvent  dit  ce  que  j'en  pensais;  ceux  qui  n'en 
savaient  pas  davantage  prenaient  cela  pour  de  la  ja- 
lousie. A  son  retour  de  Rome,  le  chevalier  de  Lorraine 
est  devenu  son  amant  déclaré;  lui  et  d'Effiat  l'ont  fait 
demeurer  chez  Monsieur,  qui  ne  se  serait  pas  le  moins 
du  monde  soucié  d'elle  :  les  sollicitations  continuelles 


DE  MADAME    LA    DUCHESSE    d'ORLÉANS.  119 

de  cette  femme ,  et  la  lassitude  du  chevalier  de  Lor- 
raine en  avaient  même  tellement  dégoûte  Monsieur 
que,  s'il  n'était  pas  mort,  il  l'aurait  chassée  de  la 
maison.  11  s'était  lassé  aussi  du  chevalier  de  Lorraine, 
parce  qu'il  vit  que  celui-ci  ne  lui  était  attaché  que  par 
intérêt.  Quand  Monsieur,  trompé  par  ses  favoris,  fai- 
sait quelque  chose  qui  n'était  pas  convenable  ou  juste, 
j'avais  l'habitude  de  lui  dire  :  «  Vous  mettez,  par  com- 
plaisance pour  le  chevalier  de  Lorraine ,  votre  bon 
esprit  dans  la  poche ,  et  vous  renfermez  si  bien  qu'il 
ne  peut  se  montrer.  » 

13  juin  1719. 

j^roe  la  Princesse  est  assurément  fort  malheureuse 
avec  ses  enfants.  La  princesse  de  Conli,  mère  du  prince 
de  Conli,  n'est  pas  une  étourdie,  c'est  au  contraire  une 
personne  vertueuse,  mais  une  petite  folle  et  une  es- 
pèce de  comtesse  de  Pimbêche,  car  elle  veut  toujours 
avoir  des  procès  avec  sa  mère,  qui  a  cherché  tous  les 
moyens  de  s'arranger  avec  elle,  mais  cela  n'a  servi 
de  rien. 

14  juin  1719. 

La  Vallière  n'était  pas  encore  au  couvent  quand  je 
suis  venue  en  France  ;  elle  est  restée  encore  deux  ans 
à  la  cour.  Nous  fîmes  une  connaissance  intime  lors- 
qu'elle prit  l'habit  de  religieuse.  Je  fus  bien  touchée 
de  voir  cette  charmante  créature  prendre  une  pareille 
résolution  ;  et,  lorsqu'on  la  mit  sous  le  drap  mortuaire, 
je  me  mis  à  pleurer  si  amèrement  que  je  ne  pus  me 
laisser  voir  davantage.  Quand  la  cérémonie  fut  faite, 
elle  vint  me  liouvcr  poui'  ine  consoler,  et  elle  me  dit 


1 20  CORRESPONDANCE 

qu'il  fallait  la  féliciter  et  non  la  plaindre,  puisqu'elle 
commençait,  dès  ce  moment,  à  être  heureuse  ;  elle  dit 
qu'elle  n'oublierait  de  sa  vie  la  grâce  et  l'amitié  que 
je  lui  avais  témoignée  et  qu'elle  n'avait  jamais  méritée 
de  ma  part  '.  Peu  de  temps  après  je  retournai  la  voir, 
j'étais  curieuse  de  savoir  pourquoi  elle  était  restée  si 
longtemps  comme  une  suivante  chez  la  Montespan. 
Dieu,  me  dit-elle,  avait  touché  son  cœur,  lui  avait 
donné  à  connaître  son  péché  ;  elle  avait  aussi  pensé 
qu'il  fallait  faire  pénitence  et  souflrir  ainsi  ce  qui  était 
le  plus  douloureux  pour  elle,  partager  le  cœur  du  roi 
et  se  voir  méprisée  de  lui.  Dans  les  trois  années  après 
l'amour  du  roi,  elle  avait  souffert  comme  une  âme 
damnée,  et  elle  avait  offert  à  Dieu  toutes  ses  peines  en 
expiation  de  ses  péchés  passés;  car,  puisque  ses  pé- 
chés avaient  été  publics,  il  fallait  aussi  que  sa  péni- 
tence fût  publique.  On  la  prenait  pour  une  sotte  qui 
ne  remarquait  rien,  et  c'était  précisément  alors  qu'elle 
avait  le  plus  souffert,  jusqu'à  ce  que  Dieu  lui  eût  ainsi 
mis  dans  l'esprit  de  tout  quitter  et  de  ne  servir  que 
lui,  ce  qu'elle  avait  fait;  mais  qu'à  cause  de  ses  vices 
elle  n'était  pas  digne  de  vivre  auprès  d'âmes  aussi 

*  11  n'a  rien  été  écrit  de  mieux  sur  M-^''  de  La  Vallière  que 
la  notice  de  M.  Sainte-Deuve  injéréc  au  Constituliounel , 
10  mars  1851,  et  icinoduile  dans  les  Causeries  du  lundi, 
t.  111,  p.  3't!)-;iOC  ;  nous  y  renvoyons  volontiers  nos  lecteurs. 
L'habile  critique  parle,  p.  35C,  d'un  exemplaire  des  Ii('Jlexions 
sur  la  miséricorde  de  Dieu  qui  est  h  la  liitiliollièquc  du  Louvre; 
il  offre  de  nombreuses  corrections  manuscrites  qui  ont  été  attri- 
buées à  Bossuet.  M.  Damas-Hinard  les  a  publiées  avec  soin  , 
1853,  In- 18,  et  M.  Komain-Curnul  après  avoir  donné,  à  cet 
égard,  une  notice  intéressauledans  la  Revue  de  Paris,  octobre 
1863,  en  a  fait  l'objet  d'un  volume  mis  au  jour  en  1854. 


DE   MADAME   LA    DUCHESSE   d'ORLÉANS.  121 

pieuses  et  aussi  pures  que  l'étaient  les  autres  carmé- 
lites. On  voyait  que  cela  venait  du  fond  de  son  âme. 

15  juin  1719. 

A  treize  ans,  mon  fils  était  déjà  un  homme;  une 
dame  de  qualité  l'avait  instruit. 

16  juin  17i9. 

Je  ne  me  suis  de  ma  vie  aussi  divertie  que  dans  le 
voyage  que  j'ai  fait  avec  le  roi  en  Flandre-,  la  reine  et 
la  Dauphine  vivaient  encore.  Dès  que  nous  arrivions 
dans  une  ville,  chacun  se  relirait  d'abord  chez  soi, 
puis  on  allait  à  la  comédie,  qui  était  souvent  si  mau- 
vaise que  nous  riions  à  nous  en  rendre  malades.  Entre 
autres  choses,  je  me  souviens  qu'à  Dunkerque  il  y 
avait  une  troupe  qui  jouait  Mithridate.  En  parlant  à 
Monime,  Mithridate  laissa  échapper  je  ne  sais  quel 
mot  grossier.  Aussitôt  il  se  tourna  vers  M"i^  la  Dau- 
phine, et  lui  dit  :  «  Madame,  je  vous  demande  très- 
humblement  pardon  ;  la  langue  m'a  fourché.  »  On  peut 
juger  des  éclats  de  rire  que  cela  occasionna.  Ce  fut 
encore  pis  lorsque  le  prince  de  Conli',  mari  de  la 
grande  princesse ,  qui  était  assis  au-dessus  de  l'or- 
chestre, tomba  dans  cet  orchestre  à  force  de  riro;  et 
comme  il  voulut  s'accrocher  à  la  corde  du  rideau ,  le 
rideau  tomba  sur  les  lampes  et  prit  feu;  on  l'éteignit 
aussitôt,  mais  il  resta  un  grand  trou.  Les  comédiens 
ne  firent  semblant  de  rien,  ils  continuèrent  de  jouer, 

*  Louis-Armand  de  Bourbon  ,  prince  de  Conti ,  marié  en 
1680  à  Marip.-Aiine  légitimée  de  Fiance,  dite  mademoiselle  de 
Blois,  liile  de  Louis  XIV  et  de  M'"'  de  La  Vallière.  On  l'appelait 
à  la  cour  hf  (jrnnde  princesse  à  cause  de  sa  haute  taille. 

u.  11 


122  CORRESPONDANCE 

quoiqu'on  ne  les  vît  qu'au  travers  de  ce  trou.  Le  jour 
où  il  n'y  avait  pas  de  comédie ,  nous  avions  des  pro- 
menades et  de  bonnes  collations  ;  en  somme,  il  y  avait 
presque  chaque  jour  quelque  chose  de  nouveau.  Après 
le  souper  du  roi,  il  y  avait  de  superbes  feux  d'artifice 
que  donnaient  les  villes  de  Flandre,  et  qui  étaient 
magnifiques.  Tout  le  monde  était  gai ,  la  cour  était 
toujours  réunie,  et  chacun  ne  songeait  qu'à  rire  et  à 
se  divertir. 

18  juin  1719. 

J'ai  rendu  hier  visite  à  la  duchesse  de  Berri  ;  elle 
va  mieux,  grâce  à  Dieu,  mais  elle  ne  peut  encore  mar- 
cher. 11  lui  est  venu  à  la  plante  des  pieds  de  grosses 
ampoules  qui  lui  font  éprouver  des  brûlures,  comme 
si  l'on  appliquait  uu  fer  rouge  ;  c'est  une  maladie  bien 
singulière.  Deux  fois  par  semaine  on  lui  donne  une 
médecine  et,  à  jour  passé,  un  clystère  ;  cela  lui  fait 
du  bien  ;  il  parait  ainsi  que  son  mal  vient  de  l'aflieuse 
gloutonnerie  à  laquelle  elle  s'est  livrée  l'an  dernier. 

Je  vous  ai  dit  que  mon  fils  avait  eu  la  fièvre;  il  est 
rétabli  maintenant,  mais  je  crains  lort  qu'il  ne  rechute, 
car  il  est,  pour  le  moins,  tout  aussi  glouton  que  sa 
fille,  et  il  n'écoute  aucun  conseil. 

La  iiatiun  anglaise  est  une  nation  inéchanle,  fausse 
et  ingrate.  La  plupart  des  gens  de  qualité  qui  étaient 
à  Saiut-Germain  et  que  la  feue  reine  soutenait,  en 
«'imposant  personnelleniont  les  plus  grandes  priva- 
tions, se  déchaînent  contre  elle  et  disent  mille  men- 
songes de  celte  i  eine,  qui  était  si  vertueuse  et  si  pieuse. 
Cela  me  remplit  de  courroux. 


DE   MADAME    LA    DUCHESSE    d'ORLÉANS.  123 

26  juin  ni9. 

On  attachait  autrefois  en  ce  pays  tant  d'importance 
à  la  naissance  d'un  septième  garçon ,  que  les  rois 
donnaient  une  pension  au  père;  cela  a  tout  à  fait 
cessé,  car  on  a  reconnu  que  ce  n'était  qu'une  super- 
stition ;  quant  à  ce  qu'on  dit  du  pouvoir  qu'a  un  sep- 
tième garçon  de  guérir  les  écrouelles,  je  crois  qu'il  en 
est  de  celte  faculté  comme  de  celle  dont  se  vante  le 
roi  de  France  ' .  Si  l'on  suivait  mon  avis,  tous  les  sou- 
verains donneraient  ordre  que  parmi  tous  les  chré- 
tiens, sans  distinction  de  religion,  on  eût  à  s'abstenir 
d'expressions  injurieuses,  et  que  chacun  croirait  et 
pratiquerait  selon  sa  volonté;  toutes  les  lois  qui  pu- 
nissent avec  tant  de  rigueur  les  différences  d'opinions 
entre  chrétiens,  seraient  abolies,  et  on  se  conformerait 
ainsi  à  l'Évangile  qui  recommande  à  tant  d'endroits 
la  charité,  et  qui  dit  :  «  Qui  aime  Dieu  de  toute  son  âme 
et  son  prochain  comme  soi-même ,  c'est  la  loi  et  les 
prophètes.  »  Regarder  un  autre  comme  damné,  c'est 
agir  directement  contre  la  charité,  et  cela  fait  qu'on 
hait  le  prochain  au  lieu  de  l'aimer  ;  cela  serait  donc 
sévèrement  défendu,  mais  je  crains  qu'on  n'écoutera 
ni  ne  suivra  mon  conseil. 

27  juin  1719. 

Si  le  roi  avait  bien  connu  la  duchesse  de  Hanovre, 

"  On  voit  que  Madame  ne  croyait  guère  au  vieux  privilège 
que  les  rois  dft  France  ont  longtemps  passé  pour  posséder,  et 
sur  lequel  il  a  été  écrit  divers  ouvrages,  parmi  lesquels  on  dis- 
tingue celui  de  Iju  Laurent ,  premier  médecin  d'Henri  IV  :  De 
nirabili  strumas  sanandi  vi  solis  Gallix  rerj\bx(s  divinitus 
concessa.  Paris,  1009,  2  vol.  in-8. 


124  COIUtESPOXDANCt; 

il  n'eût  pas  été  fâché  de  ce  qu'elle  l'avait  appelé 
M<jnsieur;  mais  comme  elle  était  une  souveraine,  il 
a  pensé  (juc  c'était  par  orgueil  qu'elle  ne  voulait  pas 
lui  donner  le  titre  de  Sire,  et  cela  l'a  olfensé.  11  était 
susceptible  pour  de  pareilles  choses. 

4  juillet  1719. 

Après  la  mort  de  mon  mari,  je  n'ai  revu  la  Grancey 
qu'une  seule  fois;  elle  me  rencontra  au  jardin.  Quand 
elle  devint  laide ,  elle  fut  désespérée  ;  il  s'était  opéré 
chez  elle  un  changement  si  affreux  que  personne  ne 
pouvait  la  reconnaître.  Son  beau  nez  était  devenu 
très-gros ,  long  et  couvert  de  bourgeons  ;  sur  chacun 
de  ces  bourgeons,  elle  mettait  une  mouche;  cela  fai- 
sait un  effet  étrange  :  le  blanc  et  le  rouge,  ne  tenant 
plus  sur  sa  figure,  s'écaillaient.  Ses  yeux  étaient  creux 
et  battus;  on  peut  se  figurer  l'alléralion  que  cela  pro- 
duisait sur  son  visage.  En  Espagne,  on  enferme  la 
nuit  jusqu'aux  femmes  de  chambre  de  soixante-dix 
ans.  Quand  la  Grancey  suivit  notre  reine  en  Espagne, 
comme  dame  d'atour,  on  l'enferma  aussi  le  soir;  elle 
en  fut  désolée.  Quand  elle  mourut,  elle  s'écria  :  «  Ah! 
mon  Dieu,  faut-il  que  je  meure,  et  je  n'ai  de  la  vie 
songé  à  la  mort!  »  Elle  n'avait  jamais  rien  fait  que  jouer 
avec  ses  amants  juscju'cà  trois  ou  six  heures  du  matin, 
se  régaler,  fumer  du  tabac,  et  puis  faire  ce  qui  était 
son  métier  oïdinaire.  Lorsqu'elle  perdit  son  temps  cri- 
tique, elle  se  désespéra  et  s'écria  :  «  Je  deviens  vieille, 
et  ne  pourrai  plus  avoir  d'enfants!  »  Cela  a  fait  rire 
tout  le  monde,  ses  amis  et  ses  ennemis.  Elle  avait  eu 
une  fois  une  dispute  avec  M"'*  de  Bouillon  '  ;  le  soir 

'  Une  des  nièces  de  Mazariii.  On  liome  de  Ioiiias  dclails  sur 


DE   MADAME   LA    DLCIIESSE    d'oHLEANS.  125 

il  prit  envie  à  la  Grancey  de  se  cacher  dans  l'embra- 
sure d'une  croisée  de  celle  dame,  qui,  ne  croyanl  pas 
être  écoutée,  s'enlrelenait  libremenl  avec  la  marquise 
d'Alluye  '  de  la  vie  déréglée  de  la  Grancey,  dont,  en 
effet,  il  n'y  avait  pas  grand  éloge  à  faire;  elle  dit  que 
la  Grancey  avait  eu  tort  de  donner  la  v....e  à  ce  pauvre 
Contade ,  et  autres  choses  semblables.  Aussitôt  la 
Grancey  se  précipite  dans  la  chambre,  et  se  met  à  in- 
jurier M™*  de  Bouillon  ,  comme  une  poissarde.  Celle- 
ci  ,  qui  ne  garda  pas  le  silence ,  répliqua ,  et  l'on  en- 
tendit de  belles  choses.  M'"^  de  Bouillon  alla  se 
plaindre  ensuite  de  la  Grancey,  d'abord  pour  s'être 
introduite  la  nuit  dans  son  embrasure,  et,  en  second 
lieu,  pour  l'avoir  insultée  chez  elle.  Monsieur  gronda 
la  Grancey,  lui  dit  que  c'était  de  sa  faute  si  elle  s'é- 
tait attiré  ce  désagrément,  et  lui  enjoignit  de  se  rac- 
commoder. La  Grancey  dit  :  (c  Puis-je  me  raccommoder 
avec  M^^de  Bouillon  après  tout  le  mal  qu'elle  a  dit  de 
moi?  »  Après  avoir  réfléchi  un  peu,  elle  ajouta  :  «  Oui, 
je  le  puis,  car  elle  n'ajamais  dit  que  j'étais  laide.  »  Elles 
se  sont  ensuite  embrassées,  et  ont  fait  la  paix. 

Saiiit-CIoud,  6  juillet  1719. 

M.  Fesch  est  veuf;  il  a  un  fils  et  il  déplore  chaque 

son  compte  dans  l'ouvrage  de  M.  de  Laborde,  le  Palais  Mazarin, 
p.  36  4  et  suiv.  Saint-Simon  en  parle  souvent  et  n'oublie  pas  son 
orgueil  ,  sa  naissance,  sa  beauté  ( Mémoires,  t.  XX,  p.  215, 
222).  Elle  mourut  d'apoplexie  à  soixante-huit  ans. 

»  Compronuse  dans  l'allaire  des  poisons  en  IGSO,  elle  quitta 
la  France  avec  la  comtesse  de  Soissons,  sœur  de  la  duchesse  de 
Bouillon.  Sa  conduite  avait  été  fort  peu  régulière  ;  elle  mourut 
à  l'âge  de  plus  de  quatre-vingts  ans.  Voir  Saint-Simon,  t.  XXXIV, 
p.  79. 

11. 


126  CORRESPONDANCE 

jour  la  mort  de  sa  femme  ;  je  crois  que  M"**  de  Zach- 
mann  l'aurait  consolé  si  elle  l'avait  voulu,  et  il  a  rai- 
son ,  car  on  ne  peut  voir  une  petite  femme  plus  gra- 
cieuse et  charmante  pour  la  figure  comme  pour  les 
manières.  Lui  est  un  Suisse,  et  il  a  beaucoup  de  ca- 
pacité. 

7  juillet  1719. 

Entre  mon  fils  et  ses  maîtresses  tout  va  tambour 
battant  et  sans  la  moindre  galanterie;  cela  me  fait 
l'eflet  des  anciens  patriarches  qui  avaient  beaucoup 
de  femmes  ' ...  Le  duc  de  Saint-Simon  s'impatienta  une 
fois  de  la  bonté  demonfds,  et  il  lui  dit  en  colère:  «Ah! 
vous  voilà  bien  débonnaire  ;  depuis  Louis  le  Débon- 
naire on  n'a  rien  vu  d'aussi  débonnaire  que  vous.  » 
Mon  fds  faillit  se  rendre  malade  à  force  de  rire. 

8  juillet  1719. 

La  dernière  Dauphine  était  horriblement  sale;  par- 
fois elle  s'est  fait  donner  un  clystère  dans  le  cabinet 
du  roi  DÛ  il  y  avait  beaucoup  de  monde;  elle  se  te- 
nait debout  devant  le  feu ,  derrière  un  petit  écran , 
et  la  femme  qui  le  lui  donnait  se  tenait  à  genoux 

'  On  trouve  dans  les  Mélanges  Ae  Bolgjourdan,  t.  1,  p.  210, 
quelques  détails  sur  Mmes  Leve^que,  Dorvanx,  Hnuël,  inaitressfs 
peu  corinneb  du  Hégent.  Voir  aussi  les  Mémoires  de  Maurepas, 
t.  I,  p.  loa  et  suiv.  La  duchesse  de  Falari,  auprès  de  laquelle  il 
mourut,  était  petite-fille  d'un  traitant  dont  boileau  a  placé  le 
nom  dans  ses  satires.  Son  mari,  persimnaye  des  plus  currompua, 
escroc  et  habituellement  en  prison,  parcourut  en  aventurier  une 
partie  de  l'Kurope  et  termina  se»  jours  en  Russie,  en  1740,  au 
fund  d'uu  cuchut. 


DE   MADAME   LA    DLCHKSSE   D'ORLÉANS.  127 

après  s'être  avancée  en  rampant  sur  les  pieds  et  sur 
les  mains;  cela  passait  pour  une  gentillesse'! 

Le  roi  Jacques  est  mort  '  avec  beaucoup  de  réso- 
lution et  de  fermeté,  sans  bigoterie  et  pas  du  tout 
comme  il  avait  vécu.  Je  l'ai  vu  et  je  lui  ai  parlé  vingt- 
quatre  heures  avant  sa  mort  ;  je  lui  dis  :  «  J'espère 
que  Votre  Majesté  se  trouvera  bientôt  mieux.  »  Il  se 
mit  à  rire  et  dit  :  «  Et  quand  je  mourrais  ?  n'ai-je  pas 
assez  vécu?  » 

Le  roi  et  Monsieur  avaient  été,  dès  l'enfance,  ha- 
bitués à  voir  des  maisons  sales,  de  sorte  qu'ils  regar- 
daient la  chose  comme  toute  simple,  mais  sur  leurs 
personnes  il  étaient  fort  propres. 

La  Montespan  avait,  avec  une  taille  épaisse  et 
laide,  un  éclat  extraordinaire  et  beaucoup  d'esprit 
dans  les  yeux,  une  très-jolie  bouche  et  un  rire  char- 
mant. Elle  était  bien  drôle  et  bien  amusante;  on  ne 
pouvait  s'ennuyer  auprès  d'elle. 

Sainl-Cloiid,  9  jiiillfif  1719. 
Les  mauvais  prêtres  sont  de  méchants  personnages  ; 

*  Saint-Simon,  qui  confirme  ces  singuliers  détails  ,  dit  aussi 
qne  la  Dauphine  avait  d'autres  étranges  habitudes  :  «  Elle  cau- 
soit  sur  sa  chaise  percée  avec  M^es  je  Nogaret  et  du  Chastelet, 
qui  me  le  contèrent  le  lendemain,  et  c'étoit  là  où  elle  s'ouvroit 
le  plus  volontiers.  »  (Mémoires,  t.  X,  p.  185.)  Cet  auteur  prouve 
en  maint  passage  ce  que  nous  avons  déjà  dit  au  sujet  de  l'im- 
portance du  rôle  de  la  chaise  percée  à  cette  époque  ;  il  montre 
le  duc  de  Noailles  allant  trouver  le  Régent  comme  il  sortoit  de 
son  lit  et  allait  se  mettre  sur  sa  chaise  peicëe  (t.  XXVII,  p.  1 15), 
et  Tallard  mettant  comble  la  chaise  percée  de  Vill8roi(t.  XXVIII, 
p.  203). 

'  Voir  le  ré<;it  que  fait  Saint-Simon,  t.  IV,  p.  47,  du  trépas 
de  ce  monarque. 


128  CORRESPONDANCE 

quand  ils  se  sont  mis  dans  la  tête  de  tourmenter  les 
gens,  ils  n'ont  aucun  repos  jusqu'à  ce  qu'ils  aient 
accompli  leurs  projets;  j'en  ai  vu  assez  pour  être  bien 
iixée  à  cet  égard.  C'est  pitié  que  de  voir  les  gens  qui 
veulent  être  dévots  et  qui  croient  aveuglément  tout 
ce  que  les  prêtres  leur  disent;  le  feu  roi  était  ainsi;  il 
ne  connaissait  pas  un  seul  mot  de  la  sainte  Écriture; 
on  ne  la  lui  avait  jamais  laissé  lire;  il  croyait  que 
pourvu  qu'il  écoutât  son  confesseur  et  qu'il  marmot- 
tât ses  patenôtres,  il  était  dans  la  bonne  voie  et  il 
craignait  sincèrement  Dieu.  Cela  me  faisait  bien  de 
la  peine,  car  ses  intentions  ont  toujours  été  excel- 
lentes; mais  la  vieille  { Main(enon)  et  les  jésuites  lui 
ont  persuadé  que  s'il  persécutait  les  réformés ,  il  ef- 
facerait ainsi  devant  Dieu  et  devant  le  monde  le  scan- 
dale qui  résultait  du  double  adultère  dans  lequel  il 
vivait  avec  la  Montespan;  c'est  ainsi  qu'il  a  été 
trompé  ' .  J'ai  souvent  dit  mou  opinion  à  cet  égard  à 
mes  deux  confesseurs  %  le  père  Jourdan  et  le  père  de 

*  D'après  M.  Walckenacr,  qui  a  fait  une  élude  si  approfondie 
du  siècle  de  Louis  XIV,  M*""  de  Mainteuon  rédigea,  en  eiïct,  un 
mémoire  sur  la  révocation  de  l'édit  de  Nantc»  ;  elle  y  fut  ame- 
née par  tout  le  clergé  et  par  les  ministres  eux-mêmes.  Ou  peut 
consulter  sur  cette  grande  affaiic  V Histoire  de  M"'^  de  Main- 
tenon,  par  M.  de  Noailles,  t.  11.  Ajoulons  que  M.  Wakkcnaër 
consacre  à  M"'"  de  Maintenon  des  pngcs  nombreuses  du  tome  V 
de  ses  Mémoires  sur  M"^"  de  Sévigné  (p.  209,  2\'o  et  noies, 
427  et  suiv.j.  Très-opposé  au  point  de  vue  de  Madame,  il  célè- 
bre la  beauté  el  la  ponté  de  l'ànie  de  Kninçoise  d'Aidiigné. 

*  Louis  XIV  a&siguait  lui-même  aux  personnes  de  la  famille 
royale  les  eoulesseurs  qu'il  voulait  leor  donner.  «  MouHeiuneiu' 
n'a  jamais  eu  d'autre  confesseur  (|uc  ceiiii  du  roi.  La  dochesse 
de  lîouryoyue,  élevée  à  Turin  ,  dans  l'éliiiincuiijnt  des  jésuites, 


DE  MADAME   LA  DUCHBSSK  d'OULKÂNS.  120 

Saint-Piene  ;  ils  me  donnaient  raison,  de  sorte  qu'il 
n'y  avait  à  ce  sujet  aucune  dispute  entre  nous.  Les 
capucins  sont  des  gens  fort  simples;  la  religion  est 
pour  eux  pleine  de  petites  pratiques  superstitieuses, 
mais  en  somme,  ce  sont  de  bonnes  gens. 

14  juillet  1719. 

M.  d'Entremont ,  dernier  ambassadeur  de  Sicile, 
étant  sur  le  point  de  partir,  avait  déjà  eu  son  audience 
de  congé;  mais  il  lui  survint  des  affaires  qui  l'obli- 
gèrent de  rester  encore  quelque  temps  à  Paris.  Il  se 
trouva  sans  logement ,  attendu  que  son  hôtel  avait 
déjà  été  loué.  Une  dame ,  voyant  madame  d'Entre- 
mont dans  l'embarras,  lui  dit  :  «  Madame,  je  vous 
offre  ma  maison,  ma  chambre  et  mon  lit.  »  L'ambas- 
sadrice, qui  ne  savait  comment  faire,  accepta  cette 
offre  avec  beaucoup  de  plaisir  ;  elle  se  rendit  chez  la 
dame,  et  se  mit  tout  de  suite  au  lit,  car  la  pauvre 
femme  est  vieille  et  malade.  Vers  minuit,  elle  enten- 
dit un  bruit,  comme  si  on  montait  un  escalier  dérobé. 
Quelqu'un  ouvrit  une  porte  donnant  dans  la  ruelle, 

en  eut  un  pour  confesseur  en  arrivant,  lequel  lui  ayant  été  ôté 
pour  les  affaires  de  la  Chine,  le  roi  lui  en  nomma  d'autres  dont 
elle  ne  s'accommoda  pas,  et  le  père  de  La  Rue,  enfin,  qu'il  lui 
fallut  bien  accepter,  a  demeuré.  Sa  belle-mère  ne  s'en  était 
sauvée  qu'à  la  faveur  du  langage  et,  de  ce  qu'ayant  amené  de 
Bavière  un  jésuite  allemand ,  b  s  jésuites  la  laissèrent  faire  » 
{Journal  de  Dangeau).  Le  confe.-seur  de  Madame  n'était,  se- 
lon Duclos,  qu'un  domestique  de  plus  dans  sa  maison.  L'abbé 
de  Saint-Pierre,  frère  du  jésuite,  fait,  dans  ses  Annales  politi- 
ques, l'éloge  de  la  princesse,  dont  il  fut  le  premier  aumônier 
durant  plus  de  vingt-cinq  ans. 


130  CORRESPONDANCE 

entra,  et  se  mit  à  se  déshabiller.  L'ambassadrice 
commence  à  crier  :  «  Qui  est  là?  »  On  lui  répond  : 
«  Taisez-vous  donc,  c'est  moi.  »  —  «  Qui  ôtes-vous?» 
reprit  l'ambassadrice.  L'inconnu  répondit  :  «  Depuis 
quand  êles-vous  si  farouche?  vous  n'avez  pas  coutume 
d'être  si  sauvage  avec  moi  ;  je  vais  me  coucher  tout  à 
l'heure.  »  A  ces  mots,  l'ambassadrice  se  mit  à  crier 
au  voleur.  Le  monsieur  se  rhabilla  en  toute  hâte  et 
s'enfuit. 

Quand  le  prince  électoral  de  Saxe  vint  ici,  il  fit  au 
roi  un  joli  compliment  sans  hésiter  :  nous  crûmes  que 
cela  venait  de  lui,  et  nous  pensions  qu'il  avait  beau- 
coup d'esprit  ;  mais  il  n'a  pas  soutenu  cette  opinion  ; 
apparemment  que  le  compUment  avait  été  fait  par  l'é- 
lecteur palatin.  Le  roi  ordonna  à  la  duchesse  de  Berri 
de  montrer  au  prince  électeur  tout  Marly.  Il  se  pro- 
mena une  grande  heure  avec  elle,  sans  lui  offrir  la 
main  et  sans  lui  dire  un  seul  mot.  Pendant  qu'ils  gra- 
vissaient un  monticule,  le  palatin,  son  gouverneur,  le 
poussa  dans  le  côté  ;  et  comme  le  prince  ne  compre- 
nait pas  ce  qu'il  voulait,  il  fut  obligé  de  crier  :  «  Pré- 
sentez donc  la  main  à  M"^^  la  duchesse  de  Berri  !  »  Le 
prince  le  fit  sans  dire  une  seule  parole.  Quand  ils  fu- 
rent arrivés  en  haut,  M'"*-'  de  Berri  dit  en  plaisantant  : 
«  Voici  une  belle  place  pour  jouer  au  colin-maillard  ;  » 
alors  sa  bouche  s'ouvrit,  et  il  dit  :  «  Oui ,  j'y  jouerai 
volontiers.  »  M'"*'  de  Berri  était  si  fatiguée  qu'elle  ne 
put  jouer;  mais  le  prince  joua  toute  la  journée  sans 
faire  la  moindre  honnêteté  à  M™«>  de  Berri,  qui  s'était 
fatiguée  pour  lui.  On  voit  par  là  combien  ce  prince  est 
puéril. 


DE   MADAME   LA    DUCHESSE   d'oRLÉANS.  I3l 

«5  juillet  1719. 

11  faut  avouer  la  vérité  :  là  où  les  jésuites  gouver- 
nent, il  en  résulte  rarement  quelque  chose  de  bien  ; 
en  particulier  ce  sont  des  gens  honnêtes  et  estimables; 
mais  en  général  ils  sont  bien  dangereux.  Je  croyais  cet 
électeur  trop  habile  pour  se  laisser  mener  par  des 
moines  et  des  prêtres,  mais  j'espère  qu'on  lui  fera  voir 
que  ces  gens  qui  le  tourmentent  le  feront  haïr  de  ses 
sujets,  et  qu'il  comprendra  mieux  ce  qui  est  à  propos, 
ce  qui  fera  qu'il  ne  suivra  plus  de  pernicieux  conseils.' 
J'ai  appris  que  la  princesse  de  Sultzbach  s'était  blessée 
parce  qu'elle  avait  trop  dansé  dans  le  carnaval,  et 
qu'elle  ne  s'était  pas  ménagée;  c'est  à  leurs  dépens 
que  les  jeunes  gens  deviennent  sages;  si  c'avait  été  sa 
première  grossesse,  ce  serait  fort  dangereux,  mais  à  la 
seconde  cela  ne  peut  nuire;  elle  se  trouvera  bientôt 
enceinte  derechef. 

16  juillet  1719. 

Je  crois  que  les  excès  de  la  duchesse  de  Berri  pour 
le  manger  et  pour  le  boire  la  mettront  en  terre.  Elle 
a  des  fièvres  continuelles  et  deux  redoublements  par 
jour.  La  fièvre  ne  la  quitte  jamais.  Elle  ne  montre  ni 
impatience,  ni  colère  ;  elle  éprouve  de  grandes  dou- 
leurs par  suite  de  fémétique  qu'on  lui  a  donné  hier. 
Elle  est  devenue  aussi  maigi-e  et  aussi  sèche  qu'elle 
était  grasse;  elle  s'est  confessée  hier  et  elle  a  com- 
munié. 

17  juillet  1719. 

Le  prince  de  Conti  croyait  être  guéri,  mais  il  a  eu 
une  rechute  en  Espagne,  et  quoiqu'il  soit  général  de 


132  CORRESPONDANCE 

cavalerie,  il  ne  peut  pas  du  tout  montera  cheval.  Je 
dis  mardi  dernier  à  la  jeune  princesse  que  j'avais  ap- 
pris que  son  mari  n'était  pas  entièrement  rétabli.  Elle 
se  mit  à  rire,  et  me  dit  à  l'oreille  :  «  Bon!  bon  !  il  est 
guéri;  mais  il  fait  semblant  de  ne  pas  l'être  de  peur 
d'être  obligé  d'aller  à  la  tranchée  et  d'y  être  tué,  car 
il  est  poltron  comme  un  singe.  »  Il  me  semble  que  si 
je  me  trouvais  aussi  pen  propre  à  la  guerre,  je  ne  vou- 
drais pas  entrer  en  campagne,  car  rien  ne  l'y  oblige. 
On  doit  aller  à  la  guerre  pour  acquérir  de  l'honneur 
et  non  de  la  honte.  Ses  meilleurs  amis,  comme  Lanoue 
et  Clermont,  le  lui  ont  représenté;  cela  les  a  brouillés 
avec  lui  ;  c'est  une  chose  triste  lorsqu'on  ne  se  connaît 
pas  soi-même. 

17  juillet  1719. 

Cette  nuit  la  duchesse  de  Berri  est  morte  entre  deux 
et  trois  heures  ;  sa  fin  a  été  très-douce;  on  dit  qu'elle 
est  morte  comme  si  elle  s'était  endormie  '.  Mon  fils  est 
resté  auprès  d'elle  jusqu'à  ce  qu'elle  ait  entièrement 
perdu  connaissance.  C'était  son  enfant  chéri. 

18  juillet  1719. 

La  pauvre  duchesse  de  Berri  s'est  ôté  la  vie  à  elle- 
même,  comme  si  elle  s'était  tiré  un  coup  de  pistolet 
dans  la  tête,  car  elle  a  mangé  on  secret  des  melons, 
des  figues  et  du  lait  ;  elle  inc  l'a  avoué  elle-même,  et 

'  D'après  Saint-Simon,  le  docteur  Chirac  donna  A  la  du- 
chesse un  purgatif  qui  doiruisil  le  hon  cITet  qu'avait  produit 
l'rlixir  do  Garus  ;  le  caustique  duc  et  pair  s'emporte  fort  cmilre 
rauilacr,  l'impudence,  la  scélératesse  du  docteur  (t.  XWIll, 
p.  80.) 


DE   MADAME    LA    DUCHESSE    D'oRLÉANS.  133 

mon  docteui'  m'a  r.iconté  qu'elle  lui  avait  fermé  sa 
chambre  ainsi  qu'à  tous  autres  docteurs  pendant  qua- 
torze jours,  pour  accomplir  celle  belle  œuvre.  Dès 
que  l'orage  est  venu,  elle  a  tourné  à  la  mort.  Elle  me 
disait  hier  soir  :  «  Ah!  madame,  voilà  un  coup  de 
tonnerre  qui  me  fait  bien  du  mal.  »  Cela  était  bien 
visible  ' . 

19  juillet  1719. 

Elle  a  reçu  les  derniers  sacrements  avec  une  telle 
fermeté,  que  chacun  en  avait  le  cœur  navré. 

20  juillet  1719. 

Mon  fils  a  perdu  le  sommeil  ;  la  pauvre  duchesse  de 
Berri  ne  pouvait  être  sauvée;  sa  tête  était  toute  pleine 
d'eau;  elle  avait  un  ulcère  dans  l'estomac,  un  autre 
dans  la  hanche;  le  reste  était  comme  delà  bouillie  et 
le  foie  attaqué.  On  l'a  conduite,  la  nuit,  en  secret,  avec 
toute  sa  maison,  à  Saint-Denis.  On  a  été  tellement  em- 
barrassé pour  faire  son  oraison  funèbre  qu'on  a  jugé 
à  propos  de  n'en  point  faire  du  tout  ^  Elle  a  dit 
qu'elle  mourrait  sans  regret,  puisqu'elle  était  récon- 
ciliée avec  Dieu,  et  que,  si  sa  vie  se  prolongeait,  elle 
pourrait  bien  l'offenser  de  nouveau;  cela  nous^a  si  fort 
touchés  que  je  ne  saurais  l'exprimer.  Au  fond  c'était 

*  Dès  le  commencement  de  sa  maladie,  la  duchesse  voua  au 
blanc,  pour  six  mois ,  elle  et  sa  maison  ;  pour  accomplir  son 
vœu,  elle  ordonna  un  carrosse  dont  les  harnais  étaient  en  argent. 
{Mànoires  de  Duclos.) 

-  CeUe  princesse  fut  un  prodige  d'esprit,  d'orgueil,  d'ingra- 
titude, de  folie,  de  débauche,  et  d'entclement.  »  (Saint-Simon, 
t.  XVII,  p.  20;. 

"•  12 


134  CORRESPONDANCE 

une  bonne  personne,  et  si  sa  mère  en  avait  pris  plus 
de  soin  et  l'avait  mieux  élevée,  il  n'y  aurait  en  que  du 
bien  à  en  dire.  J'avoue  que  sa  perte  me  va  au  cœur. 

Mais  parlons  d'autre  chose,  car  celle-là  est  trop 
triste. 

Ce  que  vous  n'avez  pu  lire  dans  ma  dernière  lettre 
vient  de  ce  qu'elle  a  été  en  partie  déchirée  par  un  de 
mes  chiens  qui  la  saisit  au  moment  où  je  venais  de  la 
terminer.  Je  vois  que  vous  n'aimez  pas  les  chiens,  car 
si  vous  les  aimiez  comme  moi,  vous  leur  passeriez 
tous  leurs  petits  défauts.  J'ai  une  chienne  nommée 
Reine  inconnue,  qui  comprend  tout  aussi  bien  qu'un 
homme  et  qui  ne  me  quitte  pas  un  moment  sans  se 
mettre  à  pleurer  et  à  hurler  aussitôt  qu'elle  ne  me 
voit  plus. 

Dans  les  commencements  que  je  vins  en  France,  je 
voulus  une  nuit  me  promener  dans  le  jardin  de  Ver- 
sailles ;  le  Suisse  qui  était  de  garde  refusa  de  me  lais- 
ser passer;  je  lui  dis  :  «  Mon  bon  Suisse,  laissez-moi 
me  promener;  je  suis  la  femme  du  (rère  du  roi.  »  — 
«  Est-ce  que  le  roi  a  un  frèrcï  »  me  répondit-il.  Je  ré- 
pliquai :  «  Comment,  est-ce  que  vous  ne  le  savez  pas? 
Depuis  combien  de  temps  servez-vous  le  roi'/  »  — 
«  Depuis  trente  ans.  »  —  «  Vous  devez  alors  bien  sa- 
voir que  le  roi  a  un  frère,  car  chaque  fois  qu'il  passe 
on  vous  fait  prendre  les  armes.  »  —  «  Oui,  répondit  le 
Suisse,  lorsqu'on  bat  le  tambour  je  prends  les  armes, 
mais  je  ne  me  suis  jamais  informé  pour  qui  c'était,  et 
si  le  roi  avait  un  frère  ou  dos  cjifants,  car  cela  m'est 
bien  égal.  »  J'ai  l'ait  rire  le  roi  en  lui  racontant  ce  dia- 
logue. 


DE   MADAME    LA    DUCHESSE    d'ORLÉANS.  135 

Saint-CIoud,  22  juillet  1719. 

Ce  que  je  craignais  si  fort  est  arrivé;  la  pauvre  du- 
chesse de  Berri  est  morte  '  jeudi  à  quatre  heures  du 

*  Voir  Saint-Simon  (t.  XXXII,  p.  7  7),  sur  la  mort  de  la  du- 
chesse de  Berri  et  sur  sa  conduite  scandaleuse.  Les  recueils 
manuscrits  renferment  nombre  de  pièces  de  vers  relatives  à 
cette  princesse,  mais  la  plupart  sont  d'un  genre  qui  rend  toute 
citation  impossible.  Nous  pouvons  à  peine  nous  permettre  quel- 
ques extraits.  Un  77oél  nous  présente  d'abord  un  couplet  passa- 
blement mordant  : 

Grosse  à  pleine  ceinture, 
La  féconde  Berri 
Dit  d'une  humble  posture 
Et  le  cœur  bien  marri  : 
Seigneur,  je  n'aurai  plus  l'humeur  aussi  gaillarde  ; 
Je  ne  veux  qu,^  Uiom,  don,  don, 
Quelquefois  mon  papa,  la,  la. 
Par-ci,  par-là,  mes  gardes. 

Une  autre  composition,  dont  le  début  seul  se  laisse  transcrire, 
commence  ainsi  ; 

Celle  de  qui  j'écris  l'histoire 
Est  la  Messaline  du  temps  ; 
J'en  veux  éterniser  la  gloire 
Par  des  hommages  éclatants. 

Prenons  encore  quelques  passages  dans  ce  que  nous  trouvons 
de  moins  choquant. 

Que  le  régent  avec  sa  fille 
Commette  quelque  peccadille, 
Je  le  croirai  facilement  ; 
Mais  que  de  lui  elle  soit  mère, 
Se  pout-il  que  du  même  enfant 
On  soit  le  grand-père  et  le  père  T 

Or,  écoutez,  petits  et  grands, 
Le  très-sinistre  événement, 

0  reguingué, 

0  Ion  Ion  la, 
A  l'endroit  d'une  jeune  dame 
Qui  en  a  la  douleur  dans  l'àme. 


136  CORRESPONDANCE 

matin;  il  y  avait  juste  un  mois  qu'elle  avait  accompli 
sa  vingt-quatrième  année.  De  suite  après  mon  diner, 
j'ai  été  à  Paris;  j'ai  trouvé  mon  pauvre  fils  dans  un 
état  qui  aurait  attendri  un  rocher.  Nous  n'aurons  que 

Dans  le  Luxembourg,  se  dit-on, 
Elle  a  fait  un  petit  poupon, 
Et  quoique  tout  le  monde  en  cause. 
Tous  les  jours  fait  la  même  chose. 

Depuis  la  mort  de  sou  mari, 
Cet  aimable  duc  de  Berri, 
Pour  ne  point  éteindre  sa  race, 
Elle  épouse  la  populace. 

Nous  laissons  de  côté  une  chanson  ordurière,  faite  à  l'occasion 
de  la  fermeture  des  portes  du  jardin  du  Luxembourg,  le  soir.  La 
duchesse  s'y  promenant  avec  trois  de  ses  dames,  fut  insultée  par 
des  jeunes  gens  ;  cette  anecdote  donna  lieu  à  des  vers  très-acer- 
hes  (ini ,  d'ailleurs,  ont  été  imprimés.  Voici  quelques  couplets 
d'un  noël  qui  fut  composé  à  la  même  époque  : 

Toute  la  cour  de  France, 

Les  grands  et  les  petits, 

Apprenant  la  naissance 

Du  Dieu  du  paradis, 
S'en  vont  à  Bethléem,  le  régent  à  leur  tète, 
Pourquoi  tant  de  façon?  don,  don. 
Serait-ce  pour  cela,  la,  la, 

Qu'on  fait  si  grande  fête? 

Apercevant  Marie, 
Si  gracieuse  à  voir, 
Il  lui  dit  :  Je  vous  prie 
A  souper  pour  ce  soir  ; 
Venez  chez  la  Berri,  rous  ferez  bonne  chère; 
Nous  nous  enivrerons,  don,  don, 
Et  Noce  y  sera,  la,  la. 
Avec  la  Parabèrc. 

Plein  d'audace  et  de  zèle. 
Prélat  contre  les  lois, 
En  vrai  Polichinelle 
Parut  l'ahbé  Dubois  ; 


DE   MADAME    LA    DtCHESSK    It'oiU  EANS.  137 

trois  mois  de  deuil  au  lieu  de  six,  car  un  usage  tout 
récent  a  abrégé  de  moitié  la  durée  des  deuils. 

25  juillet  1719. 

Le  roi  trouvait  gentil  tout  ce  que  faisait  la  duchesse 
de  Bourgogne;  il  pensait  que  ce  n'était  que  pour  le 
divertir,  et  c'est  ainsi  que  la  vieille  guenipe  présentait 
la  chose;  la  vieille  était  la  loi  et  les  prophètes;  ce 
qu'elle  approuvait  était  bien  ,  ce  qu'elle  condamnait 
était  mal,  quelque  bien  que  ce  pût  être  d'ailleurs.  On 
présentait  comme  des  crimes  les  actions  les  plus  inno- 
centes de  la  première  Dauphine,  et  l'on  admirait  toutes 
les  impertinences  de  la  seconde. 

27  juillet  1719. 
Il  est  vrai  que  feu  Monsieur  était  à  Paris  plus  aimé 
que  le  roi,  à.  cause  de  son  alïabilité;  mais  quand  le  roi 
voulait  plaire  à  quelqu'un ,  il  avait  les  manières  du 
monde  les  plus  séduisantes,  et  il  gagnait  les  cœurs 
bien  mieux  que  mou  mari.  Monsieur,  de  même  que 
mon  fils,  était  fort  bien  pour  tout  le  monde,  mais  il  ne 
distinguait  pas  assez  les  gens,  et  il  ne  faisait  grand 
cas  que  des  personnes  qu'aimaient  le  chevalier  de  Lor- 
raine et  ses  favoris. 

Le  bœuf  s'épouvanta,  l'âne  effrayé  recule; 
Dès  qu'il  eut  dit  son  nom,  dou,  don, 
Uu  chacun  s'écria,  la,  la, 
C'est  Dubois,  qu'on  le  brûle. 

11  existe  un  vaudeville  furl  ciiiiciix,  on  trois  actes  et  en  vers, 
intitulé  :  Pioxopopce  sur  le  duc  ciOrlnnis,  Mme  de  Bernj  et  le 
cardinal  Dubois,  ou  le  Jirtjcnl  aux  enfers.  Il  Ctt  rc-té  manus- 
crit, et  pour  cau-c.  Nous  en  donnerons  une  analyse  à  la  fin  de 
ce  volume,  si  l'espace  dont  nous  jjouvons  disposer  le  permet. 

12. 


138  CORRESPONDANCE 

Sainl-Cloiid,  30  jnillet  1719. 

Dans  l'almanach  qu'on  appelle  le  Liégeois  \  de 
grands  incendies  sont  annoncés  pour  cette  année,  et 
de  fait  qu'avait  fait  le  comte  de  Salm  à  ce  coquin  de 
paysan,  pour  que  celui-ci,  par  esprit  de  vengeance,  ait 
mis  le  feu  au  village?  Au  mois  d'avril,  nous  avons  eu 
ici  à  Paris  des  signes  dans  le  ciel  ;  je  crois  vous  l'avoir 
écrit;  c'était  pendant  la  nuit  comme  un  soleil,  cela 
dura  presque  le  temps  de  réciter  un  Pater;  dans  d'au- 
tres endroits  on  a  vu  comme  une  boule  de  feu.  Quant 
au  pauvre  duc  de  Scliomberg,  vous  aurez  su  par  mes 
lettres  précédentes  que  je  savais  qu'il  était  mort;  on 
dit  que  c'est  un  grand  bonheur  pour  sa  fille  qu'il  soit 
mort  aussi  subitement,  car  il  paraît  que  son  intention 
était  de  reconnaître  sa  maîtresse  pour  sa  femme,  de 
déshériter  sa  tille  et  de  déclarer  pour  son  héritier  un 
bâtard  qu'il  a  eu  de  sa  maîtresse.  C'aurait  été  une 
chose  horrible. 

Je  ne  savais  pas  que  la  princesse  de  Galles  ne  pou- 

'  C'est-à-dire  le  Liégeois,  VAlmanach  de  Liège,  si  connu 
BOUS  le  nom  de  son  auteur  supposé,  Mathieu  Laensbcrg.  C'est  à 
coup  sur  le  plus  ancien  des  almanaclis  connus,  car  le  volume  de 
1861  j)orto  le  chiIVre  ■22V>''  aniicc.  Si  celte  indication  est  exacte, 
la  puijiication  de  l'alnianuch  de  Liéye  remonterait  ù  l'année 
1C28.  Cependant  le  volume  le  plus  ancien  connu  des  bililinphi- 
les  liégeois  est  de  1G3G,  et  dans  le  volume  de  1811,  l'éditeur 
disait  :  «  C'est  en  1G3G  que  IMathicu  La-nsberg  commença  ses 
*  prédictions,  en  aniiout,'ant  au  monde  entier  les  biens  et  les 
«  maux  qui  seml)!aient  devoir  leur  ariixer,  mais  avec  celte  scru- 
«  puleuse  attention  d'éviter  toute  pertonnalité.  »  (Voir  d'ailleurs 
les  lU'c/wnhcs  bibliogruplinjuis  de  M.  B.  Warzce  svr  Us  al- 
munachs  belges,  dans  le  Uullvlin  du  Bibliophile  belge,  t.  Mil 
(1851),  p.  08. 


DE   MADAME    LÀ   DUCHESSE   D'ORLÉANS.  139 

vait  souffrir  l'odeur  de  la  fleur  d'oranger;  l'électeur  de 
Bavière  tombe  en  défaillance  lorsqu'il  voit  des  oranges 
et  des  citrons. 

Sainl-Cloud,  1er  août  1719. 

Avec  tous  ses  revenus,  la  duchesse  de  Berri  laisse  à 
mon  fils  400,000  livres  de  dettes.  On  a  hoiTiblement 
volé  et  pillé  cette  pauvre  princesse;  c'est  ainsi  que 
vont  les  choses  avec  cette  engeance  de  favoris.  La 
Mouchy,  qui  dominait  tout,  n'a  pas  été  affligée  un  seul 
moment  ;  elle  a  joué  de  la  flûte  à  sa  fenêtre,  et  le  jour 
où  cette  pauvre  princesse  a  été  conduite  à  Saint-Denis, 
elle  a  été  dîner  à  Paris  en  grande  compagnie;  elle  a 
bu  du  Champagne,  et  elle  a  bu  et  mangé  aussi  goulû- 
ment que  si  de  rien  n'était  ;  elle  a  tenu  aussi  des  dis- 
cours impertinents  qui  ont  choqué  tous  les  assistants. 
Mon  fils  l'a  fait  prier,  elle  et  son  monde ,  de  quitter 
Paris. 

Mon  fils  est  affligé  dans  l'âme,  et  d'autant  plus 
qu'il  voit  bien  que  s'il  n'avait  pas  eu  une  complaisance 
excessive  pour  sa  chère  fille,  et  s'il  avait  plus  agi  en 
père,  sa  fille  serait  encore  en  vie  et  bien  portante. 

2  août  1719. 

Le  roi  d'Espagne  ne  peut  jamais  pardonner,  et 
M^"^  des  Ursins  lui  a  persuadé  trop  de  mensonges  sur 
le  compte  de  mon  fils  pour  que  le  roi  puisse  l'aimer 
de  sa  vie*. 

*  Le  duc  d'Orléans  avait,  durant  son  séjour  en  Espagne, 
trempé  dans  des  intrigues  qui  étaient  de  nature  à  déplaire  à 
Philippe  V.  Voyant  la  résistance  acharnée  que  les  puissances 
coaUsées  opposuicut  à  Philippe  V,  il  a\ait  conçu  le  projet  de  se 


140  COl'.KKSPONUANCE 

5  août  1719. 

Avant  que  le  duc  de  Roquelaure  '  ne  fût  fait  duc, 
un  jour  qu'il  pleuvait  très-fort,  il  dit  à  son  cocher  de 

substilupr  à  ce  prince  et  de  se  faire  accepter  par  les  Anglais  et 
les  Hollandais  comme  un  moyen  terme.  L'afl'aire  fut  étouffée. 
Voir  les  Œuvres  de  Louis  XIV,  t.  VI,  p.  202  ;  les  Mémoires  de 
Noailles,  1744,  p.  217. 

•  Antoinc-Gaston-Jean-Baptiste,  duc  de  Roquelaure,  maré- 
chal de  France  en  1724,  mort  le  6  mai  1 738  i\  82  ans.  11  n'est 
certainement  point  l'auteur  d'un  recueil  de  plates  et  souvent 
indécentes  bouffonneries  publiées  pour  la  première  fois  en  Hol- 
lande, en  1718,  sous  le  titre  de  Momus  français,  ou  les  Aven- 
tures divertissantes  du  duc  de  Roquelaure.  11  en  a  été  fait 
des  réimpressions  fort  nombreuses.  Celle  de  Versailles,  1787, 
est  (itéc  dans  le  Manuel  du  Libraire  comme  préférable,  parce 
qu'elle  est  d'un  tiers  moins  ample  que  les  précédentes.  En  1845, 
(in  a  publié  à  Paris  de  prétendus  Mémoires  secrets  du  duc  de 
Ihquelaure,  2  vol.  in-8°.  «  C'étoit  un  plaisant  de  profession 
qui,  avec  force  bas  comique,  en  disoit  quelquefois  d'assez  bon- 
nes. M  (Saint-Simon,  t.  VIII,  p.  221.)  Ou  n'oiibliera  guère  le 
bon  mot  qui  lui  échappa  en  nomlireuse  compagnie  à  la  nais- 
sance de  sa  fille  :  «  Madem()i.selle,soj'ezlabien-venue,  je  ne  vous 
atlendois  pas  de  sitôt.  »  En  clfet,  elle  ne  s'était  pas  fait  attendre. 
Dans  le  ballet  royal  des  i\oces  de  Pelée  et  de  Thétis,  dansé  par 
le  roi  en  iG54,  Roquelaure  représentait  une  dryade,  et  Bense- 
radefit  pour  lui  ces  vers  étranges  : 

Il  n'est  point  de  foièt  qui  ne  soit  indignée 
Du  fracas  cniiuyimx  que;  j'ai  fait  tant  de  fois. 
Et  sitôt  que  je  liante  une  souolic  de  liuis, 
Il  vaudrait  tout  autant  qu'on  y  mît  la  cognée. 

M.  Barrière,  qui  cite  ce  quatrain  dans  ses  notes  sur  les  Mé- 
moires de  Brieune,  fournil  d'autres  exemples  des  singulièrea 
allusions  que  Uenserade  se  permettait  et  qui  étaient  déhitées  de- 
vant le  roi,  iinpriniées  avec  privilège.  «  Quand  on  souj;e  que 
«  ces  vers  se  récitaient  en  présence  des  (iaïu.'s  de  la  fo:  r,  on 
«  est  forcé  de  [lenser  que  le  [)oëte  leur  accordait  beaucoup  do 
«  candeur  et  bien  peu  de  pénétration.  >» 


DE   MADAME   LA   DUCHESSE   D'oRLÉANS.  141 

le  conduire  au  Louvre  où  personne  ne  pouvait  entrer 
en  voiture,  si  ce  n'est  les  ambassadeurs,  les  princes 
et  les  ducs.  Lorsqu'il  vint  à  la  porte ,  on  demanda  : 
«  Qu'est-ce?  »  Il  répondit  :  «  C'est  un  duc.  —  Quel 
duc?  demanda  la  sentinelle.  —  Celui  d'Épernon,  ré- 
pondit-il. —  Lequel?  —  Le  dernier  mort,  dit-il.  » 
Alors  on  le  laissa  passer.  Afin  qu'on  ne  lui  fit  pas 
quelque  affaire  à  cet  égard,  il  alla  droit  au  roi  et  il 
dit  :  «  Sire,  il  pleut  si  fort  que  je  suis  entré  en  carrosse 
jusqu'à  votre  degré.  »  Le  roi  se  fâcha  et  dit  :  «  Quel 
est  le  sot  qui  vous  a  laissé  entrer  ?  »  Il  dit  :  «  Encore 
plus  sot  que  vous  ne  pouvez  penser.  Sire ,  car  il  m'a 
laissé  entrer  sous  le  nom  du  duc  d'Épernon,  dernier 
mort.  »  Cela  dissipa  la  colère  du  roi  et  le  fit  rire  de 
bon  cœur. 

Saint-Cloud,  5  août  1719. 

Au  service  funèbre  de  la  Dauphine,  quand  j'allais  à 
l'offrande,  je  portai  le  cierge,  nota  benè  avec  des  pièces 
d'or,  à  l'évêque  qui  chantait  la  grand'messe,  et  qui 
était  assis  dans  une  chaise  à  bras  auprès  de  l'autel. 
Il  voulut  donner  le  cierge  à  ceux  qui  servaient  la  messe 
et  qui  étaient  des  prêtres  de  la  chapelle  du  roi  ;  mais 
les  moines  de  Saint-Denis  accoururent  à  bride  abattue, 
prétendant  que  le  cierge  et  les  pièces  d'or  leur  reve- 
naient. Ils  se  jetèrent  sur  l'évêque ,  dont  le  fauteuil 
commença  à  chanceler,  et  la  mitre  lui  tomba  de  la 
tête.  Si  j'étais  restée  encore  un  moment,  l'évêque  avec 
tous  ses  moines  seraient  tombés  sur  moi  ;  aussi  je  sau- 
tais à  la  hâte  les  quatre  marches  de  l'autel,  car  j'étais 
encore  leste,  et  je  regardai  la  bataille;  il  me  futim- 


142  CORRESPONDANCE 

possible  de  ne  pas  me  mettre  à  rire,  et  tout  le  monde 
rit  aussi. 

Je  ne  voudrais  pas  jurer  que  la  Dauphine  n'eût  aimé 
Bessola  plus  que  son  mari;  celle  fille  ne  méritait  sûre- 
ment pas  une  pareille  afTection  ;  elle  a  chaque  jour 
trahi  et  vendu  la  princesse  à  la  Maintenon.  J'ai  pré- 
venu souvent  sa  maîtresse  de  sa  perfidie  ;  mais  elle 
n'a  jamais  voulu  me  croire. 

C  août  1719. 

M"*  du  Maine  a  dit  publiquement  chez  elle  qu'elle 
n'aurait  aucun  repos  jusqu'à  ce  qu'elle  eût  fait  passer 
à  mon  fils  le  goût  du  pain.  Sa  mère  lui  ayant  reproché 
ce  propos,  elle  ne  l'a  pas  nié;  mais  elle  a  dit  :  «  On 
dit  bien  des  choses  dans  la  colère  qu'on  n'exécutera 
jamais.  » 

G  août  1719. 

Je  n'ai  aucune  ambition  :  je  ne  veux  point  gouver- 
ner ;  je  n'y  trouverais  aucun  plaisir.  11  n'en  est  pas  de 
même  des  Françaises;  la  moindre  servante  se  croit 
très-propre  à  diriger  l'État;  je  trouve  cela  tellement 
ridicule  que  j'ai  été  guérie  de  toute  manie  de  ce  genre. 
Quoique  je  ne  sois  pas  riche  pour  ma  situation,  je  ne 
voudrais  pas  me  donner  la  moindre  peine  pour  avoir 
autant  de  fortune  qu'en  avait  la  duchesse  de  Berri; 
elle  jouissait  d'im  revenu  double  du  mien,  et  toutefois 
elle  laisse  400,000  livres  de  dettes  ;  c'est  du  moins  ce 
qu'on  ne  trouveia  pas  après  ma  mort. 

Siiinl-Cloiid,  10  août  1719. 

<^uant  à  la  mort  de  la  pauvre  duchesse  de  Berri,  jo 


DE  MADAME  LA  DUCHESSE  D*ORLÉAXS.     143 

sais  bien  à  qui  il  faut  s'en  prendre  de  ce  malheur  '  ; 
c'est  la  maudite  Mouchy,  la  favorite  de  la  pauvre  du- 
chesse, qui  est  cause  de  sa  mort  ;  elle  l'a  tuée  comme 
si  elle  lui  avait  enfoncé  un  couteau  dans  la  gorge  '  ; 
la  duchesse  était  consumée  d'une  fièvre  lente  ;  sa  fa- 
vorite lui  apportait  dans  la  nuit  à  manger  toutes  sortes 
de  choses,  des  fricassées,  des  petits  pàlés,  des  melons, 
de  la  salade,  du  lait,  des  prunes,  des  figues;  elle  lui 

'  Voici  comment  s'exprime  l'auteur  de  V Histoire  philosophi- 
que du  règne  de  Louis  XV  : 

«  Une  grossesse  survient.  Les  veilles  et  les  excès  ne  pouvoient 
«  en  rendre  le  terme  heureux.  A  peine  accouchée,  la  princesse 
o  tombe  danKcreusement  malade  ;  le  curé  de  Saint-Sulpice  ae- 
«  court,  mais  elle  venoit,  lui  dit-on,  de  se  confesser  à  un  cor- 
«  délier,  et  il  ne  reste  \Aus  qu'à  lui  apporter  les  sacrements.  Le 
«  curé  exige,  comme  couilition  indispensable,  l'éloignement  de 
«  Riom  et  de  M'"*  de  Jloucliy  ,  seconde  dame  d'atour  de  la 
«  princesse,  confidente  et  complice  de  ses  désordres.  En  appre- 
«  nant  l'exigence  du  curé,  la  duchesse  se  met  en  fureur,  et  crie 
«  qu'on  jette  ces  cafards  à  la  porte.  Le  régent  tache  de  l'apai- 
«  ser  et  de  vaincre  la  résolution  du  curé.  Le  refus  des  sacre- 
«  mcnts  entraînait  le  refus  de  la  sépulture,  et  le  régent  crai- 
€  gnait  un  pareil  scandale.  U  fait  appeler  le  cardinal  de  Ni  ailles, 
«  archevêque  de  Paris,  espérant  de  lui  plus  de  condescendance; 
«  mais  le  prélat  approuve  hautement  la  conduite  du  curé.  La 
«  princesse  guérit ,  mais  sa  santé  avoit  reçu  une  atteinte  irré- 
«  parai)!e,  et  elle  mourut  quelques  mois  après.  » 

*  Consulter  les  Mémoires  de  Saint-Simon  (t.  XIX,  p.  173) 
au  sujet  de  M'"e  de  Mouchy  «  qui  fut  une  étrange  poulette,  u 
Elle  est  fort  maltraitée  dans  les  chansons  du  temps;  nous  ne 
leur  emprunterons  qu'un  seul  pass;ige  : 

Belle  Mouchy,  par  tes  minières. 
Au  graud  prieur  tu  ue  peux  plaire, 
Quant  il  le  voit  tromper  Couti  ; 
Ne  lui  vante  plus  ta  tendresse, 
Car  il  est  plus  fidèle  ami 
Que  tu  u'es  fidèle  mûtresse. 


144  CORRESPONDANCE 

donnait  à  boire  de  la  bière  à  la  glace.  Pendant  qua- 
torze jours,  elle  n'a  voulu  faire  venir  aucun  médecin; 
aussi  la  lièvre  a  toujours  été  en  redoublant,  et  la  ma- 
lade n'a  pu  y  résister. 

Mon  fils  a  exilé  cette  méchante  sorcière ,  ainsi  que 
son  mari.  Je  crois  que  s'ils  étaient  restés  à  Paris,  les 
gens  de  la  duchesse  les  auraient  lapidés. 

Il  est  très-rare  que  les  Françaises  soient  bien  éle- 
vées ;  on  en  fait  des  coquettes  ou  des  bigotes. 

11  août  1719. 

Le  cardinal  (Mazarin)  renvoya  en  Italie  sa  nièce  '. 
Lorsqu'elle  partit,  le  roi  pleura  abondamment.  M*"*  de 
Calonne  lui  dit  :  «  Vous  êtes  roi,  vous  pleurez,  et  je 
pars.  »  C'était  beaucoup  de  choses  dites  en  peu  de 
mots.  Quant  à  sa  sœur,  la  comtesse  de  Soissons,  le 
roi  a  toujours  eu  pour  elle  une  grande  amitié,  sans  en 
être  amoureux  ;  il  lui  a  toujours  beaucoup  donné  ;  le 
moindre  présent  était  deux  mille  louis  d'or  2. 

*  Madame  a  déjà  parlé  de  ce  sujet  ;  voir  la  lettre  du  24  juillet 
11 IG.  11  fiiut  purlout  lire  une  lettre  de  Maznrin  à  Louis  XIV, 
datée  de  Saint-Jcan-dc-Luz,  le  ÏS  août  )C69.  Publiée  avec  peu 
d'exactiUide  dans  le  recueil  des  Lettres  de  Mazarin  (Amsterdam, 
1745,  t.  1,  p.  203-321),  elle  a  été  reproduite,  d'apn'^s  l'original 
autographe,  dans  les  Documents  historiques,  jjints  au  Bulletin 
(le  la  Société  de  V Histoire  de  France,  1835,  t.  I,  p.  17C. 

"  M.  Dc'pping  [Correspond,  administrative  sous  Louis  XIV, 
t.  III,  p.  15)  cite,  d'après  des  registres  secrets,  de  curieux 
exemples  des  libéralités  du  roi  ;  une  pension  de  80,000  livres  à 
la  duchesse  de  Fontange;  une  somme  de  300,000  hvres  don- 
née à  M""-  de  Brégy  ;  une  de  200,000  à  Ml|o  de  La  Muthe  (  IIou- 
dancourt),  «  cette  fille  des  plus  aimables  et  qui  dansoil  mieux 
que  personne.  »  (Mémoires  de  La  Fare.) 


DE   MADAME   LA   DUCHESSE  D'ORLÉANS.  145 

12  août  1719. 
La  Mainlenoii  a  toujours  conservé  du  feu  dans  les 
yeux,  mais  elle  pinçait  la  bouche  et  fronçait  les  na- 
rines, ce  qui  lui  donnait  un  air  désagréable  qu'elle 
prenait  surtout  lorsqu'elle  voyait  quelqu'un  qui  lui 
déplaisait,  mon  Excellence,  par  exemple;  alors  elle 
relevait  la  bouche  en  arrière  et  laissait  pendre  la 
lèvre  ' . 

15  août  1719. 

Mme  d'Orléans  a  tout  à  fait  ramené  à  elle  son  mari  ^  ; 
d'après  son  conseil,  il  court  la  nuit;  mercredi,  dans 
la  nuit,  il  alla  à  Âsnières,  où  la  Parabère  a  une  mai- 
son; il  y  soupa;  lorsqu'il  voulut,  après  minuit,  re- 
monter dans  son  carrosse,  il  tomba  dans  un  Irou  et 
se  foula  un  pied...  Mon  fils  dit  qu'il  s'était  attaché  à 
la  Parabère,  parce  qu'elle  ne  songe  à  rien,  si  ce  n'est 
à  se  divertir  et  qu'elle  ne  se  mêle  d'aucune  alTaire. 
Ce  serait  très-bien  si  elle  n'était  pas  aussi  ivrognesse, 
et  si  elle  ne  faisait  pas  que  mon  fils  bût  et  mangeât 
autant  et  courût  la  nuit  à  Asnières. 

'  M.  Ueppinga  publié  [Correspondance  adm'mistrative  sous 
Louis  XIV,  t.  111)  un  acte  fort  curieux  par  lequel  Louis  XIY  ac- 
corde (le  30  septembre  lG7i)  à  Françoise  d'Aubigné  [sic], 
veuve  Scarron  ,  le  privilège  de  faire  faire  des  àtres  :\  des  four- 
neaux, fours  et  cheminées  d'une  nouvelle  invention.  La  pauvre 
veuve  exploita-t-elle  ce  brevet;'  qu'advint-il  de  cette  invention? 
Personne  n'en  a  parlé.  On  prévoyait  si  peu  alors  la  haute  for- 
tune qui  l'attendait. 

2  Avant  la  mort  de  son  père,  le  duc,  mécontent  du  roi  qui 
l'éloignait  des  armées  et  le  tenait  en  disgrâce,  «  se  précipita 
"  dans  une  conduite  fort  licencieuse,  qu'il  se  piqua  de  porter  au 
«  plus  loin  pour  marquer  le  mépris  qu'il  faisoit  de  son  épouse  et 
«  de  la  colère  que  le  roi  lui  témoignoit.  »  (Sainl-Simon.) 

II.  13 


146  CORRESPONDANCE 

IG  août  1719. 

La  reine  mangeait  souvent  et  longtemps  ;  mais  elle 
ne  mangeait  pas  plus  qu'une  autre,  car  elle  ne  pre- 
nait que  de  tout  petits  morceaux,  comme  on  aurait 
pu  en  donner  à  un  serin  ' . 

Une  dame  blâmait  son  amie  d'aimer  un  homme  fort 
laid  ;  celle-ci  lui  dit  :  «  Vous  a-t-il  parlé  tendrement 
et  passionnément? —  Non,  répondit  la  première.  — 
Vous  ne  pouvez  donc  pas  juger,  répliqua  la  seconde, 
s'il  est  aimable  ou  non.  » 

Sainl-Cloud,  22  août  1719. 

^  La  Mouchy  avait  les  clefs  de  tout  ;  elle  et  son  amant 
Riom  ont  fait  de  jolis  coups  :  ils  avaient  de  doubles 
clefs,  et  ils  ont  laissé  la  pauvre  duchesse  sans  un 
sou  ni  un  liard.  Je  ne  puis  comprendre  qu'on  puisse 
aimer  ce  drôle  :  il  n'a  ni  figure  ni  taille  ;  il  a  l'air 
d'un  fantôme  des  eaux ,  car  il  est  vert  et  jaune  de 
visage;  il  a  la  bouche,  le  nez  et  les  yeux  comme  les 
Chinois;  on  pourrait  le  prendre  pour  un  magot  plu- 
tôt que  pour  un  Gascon  qu'il  est;  il  est  fat  et  n'a  pas 
du  tout  d'esprit;  une  grosse  tête  enfoncée  entre  de 
larges  épaules  ;  on  voit  dans  ses  yeux  qu'il  n'y  voit 
pas  bien;  en  somme,  c'est  un  drôle  fort  laid;  mais 
on  dit  qu'il  est  très-vigoureux  %  cela  charme  toutes 

'  «  La  reine  étoit  jalouse  de  tout  le  monde  ;  quand  on  dinoit , 
elle  ne  vouloit  jias  que  l'on  mangrât  ;  elle  disoit  :  «  On  mangera 
«  tout,  on  ne  laissera  rien.  »  Le  roi  s'en  nioquoit.  »  (Mémoires 
de  Montpcnsier.) 

*  Soll  icie  ein  Escl  gcschaffvn  sojn.  On  trouvera  des  détails 
ëtendus  sur  Uioni  dans  la  G  aie  f  le  de.  l'ancienne  cour,  l78«, 
t.  II).  l)'u|>rèô  les  Mcinoircs  de  Mauicpas,  il  menait  fort  dure- 


DE   MADAME   LA  DUCHESSE   D'orLÉANS.  147 

les  femmes  débauchées;  aussi  la  Polignac  l'a-t-elle 
une  fois  enfermé  deux  jours  avec  elle. 

23  août  1719. 

Je  crains  fort  la  petite  vérole  pour  mou  fils.  Il 
soupe  longuement  et  mange  beaucoup;  il  est  court 
et  rouge  :  la  petite  vérole  s'attaque  volontiers  à  ces 
gens-là. 

25  août  1718. 

Mon  fils  est  insupportable  de  se  promener  la  nuit 
avec  le  méchant  et  imperlhient  Noce.  Je  hais  Noce 
comme  le  diable.  Lui  et  Broglie  risquent  tout,  parce 
que  cela  leur  donne  l'occasion  de  tirer  beaucoup  d'ar- 
gent de  mon  fils.  On  dit  que  Noce  est  jaloux  "de  la 
Parabère,  qui  a  pris  un  autre  amant  que  lui.  On 
voit  par  là  que  mon  fils  n'est  pas  du  tout  jaloux. 
Celui  dont  elle  est  devenue  amoureuse  est  un  per- 
sonnage qui  a  déjà  bien  couru  le  monde;  c'est  Cler-, 
mont,  capitaine  des  Suisses  de  mon  fils,  le  même  qui 
a  préféré  la  Chouin  à  la  grande  duchesse  de  Conti  ' . 
On  dit  que  Noce  dit  tout  ce  qui  lui  passe  par  la  tête, 

ment  la  duchesse,  et  elle  fit  une  fausse  couche  à  la  suite  de 
coups  qu'il  lui  donna. 

*  Madame  fait  allusion  à  une  intrigue  qui  fut  ourdie  afin  de 
s'emparer  de  l'esprit  du  Dauphin  ;  le  prince  de  Conti  la  dirigeait  ; 
Clermont-Chatte.parentdu  maréchal  de  Luxembourg  et  amant  de 
la  princesse  douairière  de  Conti  (M"«  de  Blois),  y  fut  mêlé,  ainsi 
que  Mlle  Chouin.  Des  lettres  interceptées  dévoilèrent  tous  ces  se- 
crets à  Louis  XIV,  qui  en  fut  fort  irrité.  Voir  les  Mémoires  de 
Saint-Simon;  Anquetil,  Louis  XIV,  sa  Cour  et  le  Régent,  17  89, 
t.  11,  p.  248-257;  les  Lc/</-<?sdeMme(ieSévigné,  27  août  1G94; 
Walckenaër,  Hislolre  de  La  Fontaine,  1820,  p.  273  et  470. 


148  COUHKSl'UNDANCE 

el  qu'il  aniuso  ainsi  mon  lils  et  ie  fait  rire;  il  a  de 
l'esprit  et  sait  plaisamment  présenter  les  choses.  Son 
père  a  été  sons-gouverneur  de  mon  fds,  qui  s'est  at- 
taché, dès  l'enfance,  à  ce  méchant  dial)le,  et  qui  l'a 
pris  en  affection.  Je  ne  sais  comment  on  peut  aimer 
ce  drôle  ;  il  est  vert,  noir  et  jaune  foncé  ;  il  a  dix  ans 
de  plus  que  mon  fils  ;  on  ne  saurait  croire  combien  de 
millions  cet  homme  avide  a  tirés  de  mon  fils. 

2G  août  1719. 

Le  prince  [de  Conti)  souffre  encore  beaucoup  de  sa 
dyssenteric  ;  on  a  voulu  le  conduire  à  Bayonne,  mais 
il  a  une  fièvre  si  forte  qu'on  n'a  pu  lui  faire  entre- 
prendre le  voyage,  et  il  a  été  obligé  de  rester  à 
l'armée. 

Paris,  27  août  1719. 

11  faisait  vendredi  dernier  une  chaleur  excessive.  Je 
restai  à  mon  balcon  jusqu'à  neuf  heures  et  je  vis  le 
feu  d'artifice  des  Tuileries,  que  l'on  tire  chaque  année 
le  jour  de  la  fête  du  roi  ;  mais  cette  fois-ci ,  la  chose 
s'est  mal  passée,  car  on  dit  que  sept  personnes  ont  été 
étouffées  dans  la  foule ,  entre  autres  une  femme  en- 
ceinte et  un  abbé  ;  ce  sont  des  filous  qui  ont  occa- 
sionné le  tumulte,  el  pour  commencer  le  désordre,  ils 
ont  arraché  à  une  pauvre  fille  sa  coiffure  de  dessus  lu 
tête.  Je  n'ai  pas  dormi  de  toute  la  nuit  à  cause  de  la 
chaleur  et  des  maudites  punaises.  A  propos  de  ces 
bètes-là,  la  princesse  de  Galles  m'écrit  qu'on  s'en  plaint 
dans  toute  la  ville  de  Londres,  et  la  reine  de  Sicile 
écrit  qu'on  a  trouvé  son  lit  tout  plein  de  punaises. 

M'""  de  Bcni  avait  l'apanage  tout  entier  de  son 


DE   MADAME    LA   DLCHESSE    D'oKLÉANS.  H9 

mari  ;  il  revient  au  roi  ainsi  que  la  pension  de  six  cent 
soixante  mille  livres  par  an  ;  les  dettes  retombent  sur 
mon  fils  ;  depuis  deux  ou  trois  ans  elle  n'avait  pas  payé 
les  gages  de  tous  ses  gens;  mon  fils  aura  à  payer  plus 
de  quatre  cent  mille  livres.  Les  alTaires  de  la  duchesse 
sont  dans  un  désordre  complet  ;  il  y  a  eu  des  vols 
épouvantables.  Tous  les  gens  au  service  de  la  duchesse 
paraissent  enlièroment  consolés  de  sa  perte;  moi  aussi 
j'en  suis  consolée,  à  cause  de  bien  des  choses  que  j'ai 
apprises  depuis  sa  mort,  et  qui  ne  peuvent  s'écrire. 

Notre  chère  princesse  de  Galles  met  très-mal  l'or- 
thographe ',  c'est  elle-même  qui  s'est  appris  à  écrire; 
il  n'est  donc  pas  étonnant  qu'elle  s'en  tire  fort  mal  ; 
je  m'y  suis  habituée  avec  le  temps ,  et  maintenant  je 

*  11  en  était  de  même  alors  d'une  foule  de  personnes  de  pre- 
mier rang;  mais,  ainsi  que  le  remarque  très-bien  M.  Léon  de 
Laborde,  «  combien  de  grands  seigneurs  et  des  plus  importants, 
«  combien  de  superbes  dames  et  des  plus  distinguées,  n'écri- 
re valent  pas  plus  correctement!  L'esprit  alors  et  le  talent  écla- 
«  talent  en  dépit  des  règles  de  la  grammaire  ou  des  lois  de  l'é- 
«  cole,  et  ils  ne  s'en  croyaient  pas  de  plus  mauvais  aloi  pour 
«  cela.  »  Les  exemples  d'une  orthographe  vicieuse  abondent 
dans  les  écrits  de  l'époque.  En  ouvrant  le  premier  qui  nous  vient 
sous  la  main,  les  Mémoires  de  Louville,  nous  trouvons  des  let- 
tres de  Louis  XIV  fidèlement  reproduites  ;  on  y  lit  :  «  Jay  apris... 
plésir...  traittement...  »  La  reine  douairière  d'Espagne  écrit  : 
«  La  manière  dont  Madame  de  Dénie  s'est  servit  pour  demander 
les  catre  atelages  qui  me  restent.  »  Au  lieu  de  hier,  la  reine, 
femme  de  Philippe  V,  écrivait  yer. 

Mlle  de  Montpensier  traçait  de  son  côté  ces  lignes,  que  nous 
reproduisons  exactement  : 

«  J'ay  cru  que  Votre  Altesse  seret  bien  ése  de  savoir  sete  is- 
toire;  je  m'enqueteré  de  toute  nouvelle  pour  luy  mander,  m'es- 
timent hureusc  si  je  puis  luy  donner  (luelque  divertisement.  » 

13. 


150  CORRESPONDANCE 

la  lis  sans  difficulté;  mais  au  commencement  j'avais 
de  la  peine;  elle  écrit  d'ailleurs  avec  agrément. 

Saint-Cloud,  31  août  1719. 

Lundi  dernier  je  voulais,  comme  à  l'ordinaire,  aller 
au  bois  de  Boulogne;  mais  tous  mes  cochers,  écuyers, 
palefreniers,  étaient  si  malades  que  je  fus  obligée  de 
rester  à  Saint-Cloud,  où  je  crois  qu'il  y  aura  bientôt 
plus  de  morts  que  de  vivants;  la  rougeole  et  la  fièvre 
font  de  terribles  ravages;  c'est  affreux  de  voir  com- 
bien il  meurt  de  monde.  De  tous  côtés  on  n'apprend 
que  des  malheurs;  un  pauvre  jardinier  d'ici  a  perdu 
à  la  fois  son  père  et  sa  mèie,  et  sa  femme  est  devenue 
subitement  folle;  il  faut  la  veiller  sans  cesse,  autre- 
ment elle  s'empresserait  d'aller  se  noyer.  On  ne  voit 
partout  que  des  figures  désolées,  et  il  n'y  a  que  mon 
petit-fils ,  le  duc  de  Chartres  ,  qui  soit  toujours  gai  et 
content.  Je  ne  me  souviens  plus  (car  j'ai  toujours  eu 
une  mauvaise  mémoire,  et  elle  va  en  s'affaiblissant) 
si  je  vous  ai  mandé  que  mon  fils  a  acheté,  pour  le  duc 
de  Chartres,  le  gouvernement  du  Dauphinéau  duc  de 
La  Feuillado,  moyennant  la  somme  de  huit  cent  mille 
livres;  cinq  cent  mille  livres  pour  le  gouvernement, 
et  cent  mille  écus  pour  le  brevet  de  retenue  qu'avait 
le  duc  ;  tous  les  gouverneurs  do  province  ont  un  capi- 
taine des  gardes;  mon  petit-fils  en  a  donc  aussi  un,  et 
il  me  l'a  présenté  hier  avec  une  extrême  satisfaction. 
C'est  le  marquis  d'O,  dont  la  fille  était  au[)iès  de  la 
duchesse  de  Bcrrl,  et  qui  était  tombée  en  disgrâce  par 
suite  des  intrigues  de  la  méchante  Mouchy  ;  M"'o  d'Or- 
léans l'a  placée  parmi  ses  darnes.  C'est  là  tout  ce  quo 


DE   MADAME    LA    DUCHESSE    d'OKLEANS.  151 

je  sais  de  neuf;  depuis  six  jours  il  n'est  rien  survenu, 
si  ce  n'est  beaucoup  de  mesures  relatives  aux  finances 
où  je  ne  comprends  rien  ;  je  sais  seulement  que  mon 
fds,  d'accord  avec  un  Anglais  nommé  Law,  mais  que 
les  Français  appellent  Lass ,  a  trouvé  le  moyen  d'ac- 
quitter cette  année  toutes  les  dettes  du  feu  roi,  qui  se 
montent  à  deux  fois  cent  mille  millions  ';  le  jeune  roi 
va  donc,  au  lieu  d'un  monarque  pauvre,  se  trouver  un 
souverain  fort  riche. 

l*''  septembre  1719. 

Je  n'ai  pas  douté  un  seul  instant  que  le  mariage  de 
mon  fils  ne  fût  funeste  sous  tous  les  rapports,  mais 
mes  conseils  n'ont  servi  de  rien;  si  la  chose  avait  pu 
aboutir  à  quelque  chose  de  bon,  la  vieille  guenipe  n'y 
aurait  pas  poussé  comme  elle  l'a  fait...  La  Montespan 
était  fort  belle  et  avait  infiniment  d'esprit,  mais  c'était 
un  vrai  diable  pour  la  méchanceté  '. 

2  septembre  1719. 

M''«  de  Charolais  a  fait  demander  en  secret  à  mon 
fils  comment  il  fallait  s'y  prendre  pour  voir  le  duc  de 
Richelieu  et  pour  lui  parler  avant  qu'il  partît  pour 

*  Nous  transcrivons  le  chiffre  qu'indique  Madame,  sans  pré- 
tendre rectifier  l'erreur  évidente  qu'il  renferme. 

'  Mme  de  Montespan  partageait  l'oubli  de  son  époque  pour  les. 
règles  de  l'orthographe;  un  catalogue  d'autographes  (L.***.  1844, 
n°  34 1  )  renferme  un  extrait  d'une  lettre  à  Mme  de  Lauzun,  nous 
le  reproduisons  :  «  11  lia  sy  lontant  que  je  n'ay  antandu  parler 
«  de  vous  que  je  ne  puis  m'anpescher  de  vous  demander  des 
«  nouvelles  delà  disposition  de  votre  esprit,  car  pour  vos  afaire 
«  ce  seret  à  moy  a  vous  en  instruire.  M.  Colbcrt  promet  di;3 
a  merveilles  sur  les  mémoires  que  Ion  luy  a  donnes...  » 


152  CUIUŒSPONDANCK 

Richelieu.  Mon  lils  a  répondu  qu'elle  pouvait  s'adres- 
ser au  cardinal  de  Noailles,  car,  puisque  celui-ci  l'avait 
conduit  chez  lui  à  Conflans,  il  saurait  mieux  que  per- 
sonne comment  on  pourrait  voir  le  duc.  Comme  elle 
a  appris  ensuite  que  le  duc  était  arrivé  à  Samt-Ger- 
main,  elle  s'y  est  rendue  tout  de  suite. 

3  septembre  1719. 

Il  ne  faut  i)as  s'étonner  si  la  duchesse  de  Berri  a 
laissé  beaucoup  de  dettes;  elle  avait  auprès  d'elle  un 
Jeune  impertinent  et  une  femme  sans  honneur,  qui 
s'entendaient  ensemble  pour  lui  faire  contracter  dettes 
sur  dettes;  ils  avaient  pris  sur  elle  un  tel  empire, 
qu'elle  ne  pouvait  rien  leur  refuser. 

J'ai  appris  ce  soir  que  mon  fils  avait  fait  sortir 
de  la  Bastille  ce  maudit  duc  de  Richelieu,  et  lui  a 
rendu  la  liberté;  c'est  la  duchesse  d'Orléans  qui  l'a 
voulu.  On  peut  dire  qu'elle  a  la  cervelle  à  l'envers; 
elle  en  fera  tant,  qu'un  de  ces  matins  elle  fera  aussi 
relâcher  son  frère  et  la  duchesse  du  Maine. 

Sainl-Cloiul,  8  sciitcnibre  1719. 

Mon  fils  est  venu  me  voir  vendiedi  dernier,  et  il  m'a 
rendue  riche  ;  il  a  trouvé  que  mon  revenu  était  insuf- 
fisant, et  il  l'a  augmenté  de  150,000  francs.  Comme, 
grâce  à  Dieu,  je  n'ai  aucune  dette,  cela  vient  à  propos 
et  de  manière  à  me  mettre  à  même  de  passer  le  reste 
de  ma  vie  à  l'aise,  comme  on  dit  ici. 

La  Mouchy  était  bien  la  plus  indigue  favorite  que 
l'on  ait  jamais  vue;  elle  a  trahi,  trompé  et  volé  sa 
princesse;  elle  était  d'une  maison  tout  à  fait  obscure; 


DK    iMADAMi:    LA    DICIIESSL    l)'lJlU.i:ANS.  153 

son  grand-père  du  côté  maternel  était  contrôleur  gé- 
néral de  la  maison  de  mon  maii,  ce  qui  est  une  charge 
fort  médiocre;  il  se  nommait  Forcadel.  La  mère  n'é- 
tait non  plus  rien  de  bon  ;  devenue  veuve,  elle  a  long- 
temps fait  ménage  avec  un  homme  marié.  On  peut 
dire  que  tout  cela  c'est  du  beurre  puant  et  des  œufs 
pourris  ' .  Ce  que  cette  Moucliy  a  fait  de  plus  drôle,  c'a 
été  de  voler  son  amant,  le  comte  de  Riom ,  auquel  la 
duchesse  de  Berri  avait  donné  de  fortes  sommes  en 
numéraire  et  en  pierreries;  il  avait  tout  mis  dans  une 
caisse  qu'il  a  laissée  à  Meudon  ;  sa  chère  amie  a  dérobé 
la  cassette  et  s'en  est  allée  avec.  Je  trouve  cela  fort 
drôle. 

Quant  à  Langallerie  dont  vous  me  parlez,  je  vous 
ai  déjà  dit  comment  il  était  mort^ 

8  septembre  1719. 

Le  mariage  de  la  Duchesse  {de  Berri)  avec  la  tête 
de  crapaud  {Riom)  n'est  malheureusement  que  trop 
vrai;  ce  n'est  point  d'ailleurs  un  mauvais  gentilhomme; 
il  est  allié  aux  meilleures  maisons  :  le  duc  de  Lauzun 
est  son  oncle  et  Biron  son  neveu  ;  mais  avec  tout  cela 
il  n'était  pas  digne  des  honneurs  qui  lui  sont  surve- 
nus. 11  n'était  que  capitaine  au  régiment  du  roi.  Toutes 
les  femmes  courent  après  lui.  Je  le  trouve  laid  et  re- 
poussant ;  il  a  l'air  aussi  malade  que  s'il  avait  le  mal 
français. 

•  Proverbe  allemand. 

'  Voir  la  lettre  du  20  octobre  1717.  Le  niarqtiis  de  Langal- 
lerie est  une  des  figures  les  plus  originales  de  son  temps,  mais 
les  Mnnoiirs  qui  portent  son  nom  (La  Haye,  1753)  ne  sont 
pas  de  lui  i  ils  ont  été  écrits  et  publiés  par  Gautier  de  Faget. 


154  CORRESPONDANCE 

9  septembre  1719. 

Il  faut  dire  la  vérité,  Law  est  un  homme  admirable 
pour  les  finances. 

12  septembre  1719. 

Lorsque  la  nouvelle  de  la  mort  de  M™«  de  Berri  vint 
à  l'armée,  le  prince  de  Conti  alla  trouver  Riom  et  lui 
chanta  une  sotte  chanson  :  «  Elle  est  morte,  la  vache 
aux  paniers,  il  n'en  faut  plus  parler.  »  Mon  fils  en  a 
été  un  peu  piqué,  mais  il  n'a  pas  voulu  avoir  eu  l'air 
de  le  savoir. 

14  septembre  1719. 

Jl  est  déplorable  que  la  débauche  se  soit  développée 
comme  elle  l'a  fait;  autrefois  on  n'entendait  pas  par- 
ler d'histoires  aussi  horribles  qu'à  présent.  J'ai  appris 
la  vie  scandaleuse  du  margrave  de  Dourlach  ;  c'est 
vraiment  trop  fort  ;  je  crains  que  ce  seigneur  ne  soit 
tout  à  fait  devenu  fou  ;  on  n'a  rien  vu  de  plus  insensé 
et  je  n'ai  jamais  rien  appris  de  pareil,  si  ce  n'est  d'un 
peintre,  à  Paris,  qui  s'appelait  Santerre;  il  n'avait 
point  de  valets,  mais  il  se  faisait  servir  par  de  jeunes 
filles  qui  l'habillaient  et  le  déshabillaient.  11  n'était 
pas  marié. 

17  Roptembrc  1719. 

Je  vous  ai  promis  de  vous  raconter  mon  voyage  à 
Chelles.  Je  partis  jeudi,  à  sept  heures,  avec  la  duchesse 
de  Brancas,  M""  de  Chasteautier  et  M"*  de  Ratzam- 
haussen;  nous  arrivâmes  à  dix  heures  et  deniic.  Mon 
petit-lils,  le  duc  de  Chartres,  était  déjà  arrivé;  mon 
fils  arriva  un  quart  d'heure  après,  et  puis  M"«  de  Vu- 
lois.  M""«  d'Orléans  s'était  fait  saigner  tout  exprès  pour 


DE   MADAME   LA   DUCHESSE    d'ORLÉANS.  155 

ne  pas  venir  ;  elle  et  l'abbesse  ne  sont  pas  très-bonnes 
amies,  et  d'ailleurs  son  extrême  paresse  l'aurait  em- 
pêchée de  se  déplacer  et  de  se  lever  un  peu  de  bonne 
heure.  Nous  allâmes  à  l'église ,  le  prie-Dieu  de  l'ab- 
besse était  placé  dans  le  chœur  des  religieuses  ;  il  était 
en  velours  violet  tout  couvert  de  fleurs  de  lis  d'or  ; 
mon  prie-Dieu  était  contre  la  balustrade;  mon  fils  et 
sa  fdle  étaient  derrière  ma  chaise,  car  les  princes  do 
sang  ne  peuvent  s'agenouiller  sur  mon  tapis,  c'est  un 
droit  réservé  aux  petits-fils  de  France;  toute  la  musi- 
que du  roi  était  dans  la  tribune  ;  le  cardinal  de  Noaiiles 
dit  la  messe.  L'autel  est  fort  beau  ;  il  est  formé  de 
marbre  noir  et  blanc,  avec  quatre  grosses  colonnes 
de  marbre  noir;  il  y  a  quatre  belles  statues  de  marbre 
blanc  représentant  de  saintes  abbesses  ;  une  ressemble 
si  fort  à  notre  abbesse ,  qu'on  croirait  que  c'est  son 
portrait;  elle  a  cependant  été  faite  bien  avant  que  ma 
petite-fille  fût  née,  car  elle  n'a  que  vingt-un  ans.  Douze 
moines  de  son  ordre,  revêtus  de  superbes  chasubles, 
vinrent  pour  servir  la  messe  ;  après  que  le  cardinal 
eut  lu  l'épître,  le  maître  des  cérémonies  entra  dans  le 
chœur  des  religieuses  et  ramena  l'abbesse  ;  elle  vint 
de  fort  bon  air,  suivie  de  deux  abbesses  et  d'une  demi- 
douzaine  de  religieuses  de  son  couvent  ;  elle  fit  une 
grande  révérence  à  l'autel  et  à  moi,  et  s'agenouilla  de- 
vant le  cardinal,  qui  était  assis  dans  une  grande  chaise 
à  bras  devant  l'autel  ;  on  apporta  en  cérémonie  la  con- 
fession de  foi,  qu'elle  lut,  et  ajjrès  que  le  cardinal  eut 
récité  beaucoup  de  prières,  il  lui  donna  un  livre  qui 
contenait  la  règle  de  son  couvent.  Elle  revint  ensuite 
à  sa  place,  et  après  qu'on  eut  lu  le  Credo  et  l'ofler- 


156  CORRESPONDANCE 

toire,  elle  vint  à  roffrande,  accompagnée  de  l'abbesse 
et  de  ses  religieuses;  on  apporta,  pour  ofl'rande,  deux 
grands  cierges  et  deux  pains ,  dont  l'un  était  doré  et 
l'autre  argenté  ;  après  que  le  cardinal  eut  communié, 
elle  revint  s'agenouiller  devant  lui,  et  il  lui  donna  la 
crosse  ;  il  la  reconduisit  à  son  siège ,  non  pas  à  son 
prie-Dieu,  mais  à  son  siège  d'abbesse,  qui  était  une 
espèce  de  trône  surmonté  d'un  dais  de  princesse  du 
sang,  avec  des  fleurs  de  lis;  aussitôt  qu'elle  s'y  fut 
placée,  les  trompettes  et  les  hautbois  se  firent  enten- 
dre, et  le  cardinal,  suivi  de  tous  ses  prêtres,  se  plaça 
auprès  de  l'autel,  du  côté  gauche,  sa  crosse  dans  la 
main,  et  on  chanta  le  Te  Deiim.  Toutes  les  religieuses 
du  couvent  arrivèrent  ensuite  deux  à  deux,  et  elles 
vinrent  témoigner  leur  soumission  à  leur  abbesse,  en 
lui  faisant  une  grande  révérence;  cela  me  fit  souvenir 
des  honneurs  qu'on  rend  à  Athys  lorsqu'on  le  fait  grand 
prêtre  de  Cybèle,  car  on  vient  aussi  deux  à  deux  le 
saluer;  je  croyais  qu'on  allait  chanter,  comme  dans 
l'opéra  : 

Que  devant  vous  toiil  sabaise  et  tout  tremble; 

Vives  heureux,  vos  jours  sont  iioslre  Espoir  ; 

Rien  n'est  si  beau  que  de  voir  Ensemble 

Un  grand  méritle  avec  un  grand  pouvoir. 

Oue  Ion  bénisse 

I 
I.e  Ciel  propisse,  5 

Qui  dans  vos  mains  ' 

Met  les  sort  dus  humaiir. 

Après  le  Te  Deujû,  nous  entrâmes  dans  le  couvent,  cl, 
à  midi  et  demi,  nous  nous  mîmes  à  table,  mon  fils, 
mon  pctit-lilsle  duc  tic  (lliarlrcs,  la  princesse  Victoire 
do  Soissons,  la  jcinio  dcnioisclle  d'Auvergne,  fille  du 
iliic  d'Alhict,  et  les  Irois  daiiu^s  (jui  étaient  avec  moi; 


DE   MADAMT.    LA    DUCllKSSE   D'oRLÉANS.  157 

l'abbesse  se  mit  de  son  côlé,  dans  son  réfectoire,  à  une 
table  de  quarante  couverfs,  avec  sa  sœur,  M'i^  de  Va- 
lois, les  deux  dames  qui  l'accompagnaient,  douze  ab- 
besses  et  toutes  les  autres  religieuses  du  couvent. 
C'était  drôle  de  voir  toutes  ces  robes  noires  autour  de 
la  table.  Les  gens  de  mon  fils  servirent  un  très-beau 
repas  ;  on  laissa  le  peuple  piller  le  dessert  et  les  con- 
fitures après  que  le  dîner  fut  fini.  A  quatre  heures 
trois  quarts  ma  voiture  arriva,  et  je  revins  ici  '. 

*  La  nouvelle  abbesse  de  Chelles  prit  le  nom  de  sœur  Ba- 
lliildc.  Racine  le  fils  composa  une  pièce  de  vers  sur  sa  profession 
religieuse  : 

•  Plaisir,  beauté,  jeunesse,  honneurs,  gloire,  puissance, 

•  Ambitieux  espoir  que  permet  la  naissance, 

•  Tout  au  pied  de  l'Agneau  fut  par  elle  immolé i 

D'autres  poètes  prirent  la  chose  d'une  tout  autre  façon  ;  nous 
trouvons  dans  les  recueils  manuscrits  une  description  de  la  ma- 
nière dont  on  passe  la  vie  à  l"abbaye  de  Chelles  : 

De  l'abbaye 
Où  réside  Vénus, 

Nonne  jolie. 
Disant  peu  A'oremus, 
Loin  des  soins  superflus, 
Ne  songeant  tout  au  pins 
Qu'à  bien  passer  sa  vie, 
Fait  bon  les  revenus 

Do  l'abbaye. 

Pour  tout  office, 
On  goûte  tous  les  jours 

Mille  délices 
Qu'assaisonne  l'amour  ; 
Chaque  instant  sur  les  cœurs, 
11  répand  ses  faveurs; 
A  ce  Dieu  si  propice 
Elles  livrent  leurs  cœurs, 

Pour  tout  office. 

Il  est  que^iion  dans  les 7l/mo«ra  de  Maurrpas  (t.  I,  p.  12!)- 
II.  14 


158  CORRESPONDANCE 

19  septembre  1719. 

Le  feu  roi  aurait  volontiers  employé  M.  Law  pour 
les  finances  ;  mais  comme  il  n'est  pas  catholique,  le 
roi  disait  qu'il  ne  fallait  pas  se  fier  à  lui. 

23  septembre  1719. 

Je  n'ai  que  456,000  livres,  et  si  Dieu  veut,  je  ne 
laisserai  pas  un  liard  de  dettes  '.  Mon  fils  vient  de  me 
rendre  plus  riche  en  augmentant  ma  pension  de 
150,000  livres.  La  cause  de  presque  tout  le  malheur 
ici,  c'est  la  fureur  des  dames  pour  le  jeu.  On  m'a  sou- 
vent dit  en  face  :  «  Vous  n'êtes  bonne  à  rien ,  vous 
n'aimez  pas  le  jeu.  » 

26  septembre  1719. 

Le  prince  de  Conti  est  enfin  venu  me  voir;  appa- 
remment il  n'y  avait  pas  ce  jour-là  autant  à  agioter 
dans  la  rue  Quincampoix  qu'à  l'ordinaire,  car  il  y  a 
été  fourré  tout  le  temps  depuis  son  retour.  Son  cou- 
sin, M.  le  Duc,  n'agit  pas  mieux.  Le  prince  de  Conti  a 
remporté  fort  peu  d'honneur  de  la  campagne,  il  est 
trop  débauché  sous  tous  les  rapports  ;  je  doute  qu'il 
s'habitue  à  la  guerre...  Ses  méchancetés  me  rappcllout 

145)  de  cette  abbesse;  ils  n'en  disent  pas  de  bien  et  prétendent 
que  le  duc  de  Richelieu,  déguisé  en  niu.sicien,  fut  admis  quel- 
quefois dans  son  couvent. 

*  Madame  avait  pour  chef  de  son  conseil  un  homme  éclairé, 
Nicolas-Joseph  Foucault,  qnï  a  laissé  des  Mémoires  dont  la  pu- 
blication olfrirait  de  l'intérêt  pour  l'histoire  de  l'administration 
française.  Le  manuscrit  existe  à  la  bibliothèque  impériale. 
M.  A.  Bernier  en  a  publié  queUiucs  extraits  à  la  suite  des  Mé- 
jnoiresdti  marquis  de  Hoiirchcs,  1840,  2  vol.  in-S". 


DE  MADAME   LA   DUCHESSE  d'ORLÉANS.  159 

les  miennes.  Quand  j'étais  enfant,  je  prenais  du  bois 
pourri,  j'en  plaçais  des  morceaux  sur  les  yeux  et  sur 
la  bouche,  et  je  me  cachais  le  soir  dans  l'escalier  pour 
faire  peur  aux  gens;  mais  j'avais  moi-même  tant  peur 
de  rencontrer  des  revenants  que  je  tremblais  la  pre- 
mière. Voilà  ce  que  fait  aussi  ce  prince,  il  veut  se  faire 
craindre  et  il  meurt  presque  de  peur. 

28  septembre  1719. 

L'homme  à  la  tête  de  crapaud  n'était  pas  ici  lorsque 
M""  de  Berri  est  morte;  il  était  à  l'armée,  il  comman- 
dait le  régiment  qu'on  a  acheté  pour  lui...  La  Mouchy 
est  petite-fille  du  chirurgien  de  feu  Monsieur.  Mon  fils 
a  fait  sa  mère,  la  Forcadèle,  gouvernante  de  sa  fille 
aînée  et  de  son  fds;  la  petite  Forcadèle  a  été  ainsi 
élevée  avec  M'"'  de  Berri,  qui  la  maria  à  M.  de  Mou- 
chy, son  maître  de  garde-robe,  et  qui  lui  donna  beau- 
coup d'argent  pour  sa  dot.  Tant  que  le  roi  a  vécu,  la 
duchesse  ne  put  la  fréquenter  beaucoup;  mais,  après 
la  mort  du  roi,  elle  la  déclara  pleinement  sa  favorite, 
et  lui  donna  la  charge  de  seconde  dame  d'atour. 

29  septembre  1119. 

Un  homme  qui,  pendant  de  longues  années,  a  cons- 
tamment été  auprès  du  roi,  et  a  travaillé  avec  lui  tous 
les  soirs  chez  la  Maintenon,  qui  a  ainsi  tout  entendu, 
et  qui  est  mon  bon  ami,  m'a  avoué  que,  tant  que  la 
vieille  a  été  en  vie,  il  n'a  rien  voulu  me  dire,  mais  que 
depuis  qu'elle  est  morte,  il  pouvait  m'assurer  que  le 
roi  avait  eu  une  véritable  amitié  pour  moi;  il  a  en- 
tendu plusieurs  fois,  de  ses  propres  oreilles,  qu'elle 


160  CORRESPONDANCE 

lourmciitait  le  roi,  et  qu'elle  disait  toute  sorte  de  mal 
de  moi,  afin  de  me  rendre  odieuse  à  ses  yeux,  mais 
que  le  roi  avait  toujours  pris  mon  parti.  C'est  sans 
doute  pour  cela  que  le  roi  m'avait  dit  sur  son  lit  de 
mort  :  «  On  a  fait  tout  ce  qu'on  a  pu  pour  que  je  vous 
haïsse,  Madame,  mais  ils  n'ont  pas  réussi;  »  il  ajouta 
qu'il  m'avait  trop  bien  connue  pour  ajouter  foi  à  ces 
calomnies.  Pendant  que  le  roi  me  disait  cela ,  la 
vieille  avait  un  air  si  coupable,  que  je  ne  pus  douter 
que  cela  ne  vînt  d'elle, 

1"  octobre  1719. 

J'allai  à  quatre  heures  au  Palais-Royal,  et  je  montai 
chez  M™«  d'Orléans,  que  je  trouvai  très-contente,  car 
elle  venait  de  recevoir  des  nouvelles  de  son  frère  aîné 
{le duc  (lu  Maine)  ;  il  était  hors  de  danger  et  comme 
guéri  d'une  atteinte  de  choléra-morbus  qu'il  a  eue.  Je 
ne  dis  rien,  comme  vous  pouvez  croire;  mais  je  son- 
geai combien  était  vrai  le  provcr])e  qui  dit  que  mau- 
vaise herbe  croit  toujours.  J'allai,  avec  la  duchesse, 
son  fils  et  trois  de  ses  filles,  au  spectacle;  nous  eûmes 
deux  pièces,  une  ancienne,  les  Horace^,  et  une  nou- 
velle, les  ISoces  de  Vulcain  '.  L'idée  en  est  originale; 

'  Ou  Momus  fabuliste,  par  Fuzclier  (et  Lei;rand);  la  pre- 
mière édition  de  cette  comédie,  en  un  acte,  est  de  I*aris,  17  19. 
Fuzelier,  auteur  spirituel  et  fécond,  composa  un  très-grand 
nombre  de  pièces  pour  les  tbéàtres  de  la  foire,  mais  il  fut  tou- 
jours éclipsé  par  son  collatioratcur  Le  Sage,  et  aujourd'hui  il  est 
à  peine  connu  de  nom.  Kntre  autres  preuves  du  goût  bien  connu 
de  Madame  pour  la  comédie,  on  peut  citer  la  dédicace  qui  lui 
fut  faite  du  Thcàtrc  itaUcn ,  publié  par  E.  Gherardi.  Il  s'est 
trouvé  diins  la  riche  bibliothèque  dramatique  de  M.  de  Soleinne 
un  recueil  fort  curieux  (n"  32  42)  d'anciens  ballets  en  sept  vo- 


DE  MADAME  LA  DUCHESSE  d'oRLÉANS.     161 

on  suppose  que  Momus  se  moque  des  dieux  et  leur 
récite  des  fables  qui  sont  des  allusions  à  leurs  défauts; 
c'est  une  satire  de  tous  les  travers  de  Paris  ;  cela  nio 
fit  rire. 

L'augmentation  de  pension  que  m'a  accordée  mon 
fils  est  venue  fort  à  propos,  car  après  la  mort  de  mon 
mari  je  m'étais  trouvée  fort  gênée  ;  la  vieille  (  Main- 
tenon),  qui  me  détestait,  ainsi  que  mon  fils,  préten- 
dait que  l'intention  expresse  du  roi  était  de  ne  rien 
faire  pour  nous;  c'était  un  horrible  mensonge,  et  la 
preuve,  c'est  qu'ayant  été  trouver  le  roi  et  lui  ayant 
exposé  que  je  ne  pouvais  soutenir  mon  rang,  il  aug- 
menta aussitôt  de  quarante  mille  livres  ma  pension  '  ; 
la  vieille  faillit  en  crever  de  dépit.  Ce  qui  me  fit  bien 
rire,  c'est  que  le  duc  et  la  duchesse  du  Maine  deman- 
dèrent à  mon  intendant  comment  il  se  faisait  qu'avec 
le  peu  de  revenu  que  j'avais,  je  parvenais  à  vivre 
selon  mon  rang  et  à  ne  pas  contracter  de  dettes. 
Lagarde  (c'est  ainsi  que  se  nomme  mon  intendant) 
répondit  :  «  C'est  que  Madame  se  modère  et  ne  fait 
jamais  de  folles  dépenses;  »  c'était  une  bonne  leçon 
donnée  à  ce  beau  couple,  car  lem's  dettes  venaient  de 
fêles  nocturnes  qu'ils  donnaient  à  Sceaux,  et  qui  du- 
raient depuis  le  soir  jusqu'au  grand  jour  *  ;  feux  d'ar- 

lumes  in-é",  reliés  aux  armes  de  Madame,  et  provenant  de  son 
cabinet. 

'  Saint  Simon  (t.  XX ,  p.  4  )  :  «  Madame,  qui  avait  peine  à 
fournir  à  la  dépense  de  son  grand  élat  avec  400, ooo  livres  de 
vente,  demanda  des  secours  au  roi  qui,  avec  excuse  du  peu,  lui 
donna  40,000  livres  d'augmentation.  » 

-  Les  h^ùts  de  Sceaux^  ou  NuHs  blanches  de  ce  manoir 
somptueux ,  étaient  des  fêtes  magnili(iucs.  La  duchesse  aimait 

14i 


162  CORRESPONDANCE 

tifice,  spectacles,  opéras,  festins,  bals,  rien  n'y  man- 
quait. Si  mon  fils  n'avait  pas  perdu  sa  fille,  et  si  le 
roi  n'avait  pas  recueilli  sa  riche  succession ,  je  n'au- 
rais pas  eu  cet  accroissement  dans  ma  pension ,  car 
mon  fils  ne  veut  pas  qu'on  puisse  dire  qu'il  enrichit 
sa  famille  aux  dépens  du  roi. 

Mon  fils  n'est  que  trop  bon  ;  le  petit  duc  de  Riche- 
lieu lui  ayant  affirmé  que  son  intention  avait  été  de 
tout  lui  révéler,  il  l'a  cru  et  l'a  fait  relâcher,  il  est 
vrai  que  la  maîtresse  du  duc,  M"*-'  de  Charolais,  ne 
laissait  pas,  à  cet  égard,  une  minute  de  repos  à  son 
père.  C'est  cependant  une  chose  horrible  qu'une  prin- 
cesse du  sang  déclare,  à  la  face  de  tout  le  monde, 
qu'elle  est  amoureuse  comme  une  chatte,  et  que  celte 
passion  est  pour  un  drôle  qui  est  d'un  rang  si  au-des- 
sous du  sien,  qu'elle  ne  peut  l'épouser,  et  qui  de  plus 
lui  est  infidèle,  car  il  a  une  demi-douzaine  d'autres 
maîtresses.  Quand  on  lui  expose  cela,  elle  répond  : 
«  Bon  !  il  n'a  des  maîtresses  que  pour  me  les  sacrifier 
«  et  pour  me  conter  ce  qui  se  passe  entre  eux.  »  C'est 
vraiment  une  chose  aflieuse. 

Si  je  croyais  à  la  sorcellerie,  je  dirais  qu'il  faut  que 
ce  duc  possède  quelque  secret  surnaturel ,  car  il  n'a 
pas  trouvé  une  femme  qui  lui  ait  opposé  la  moindre 

beaucoup  la  comédie  et  la  jouait  foit  mal,  à  ce  que  dit  Voltaire; 
on  la  vit  sur  le  théâtre  avec  Daron.  Sa  cour  était  charmante;  ou 
s'y  divertissait  autant  qu'on  s'ennuyait  alors  à  Versailles  ;  elle 
animait  tous  les  plaisirs  par  son  esprit,  par  son  imagination, 
par  SCS  fantaisies  ;  on  ne  pouvait  ruiner  son  mari  plus  gaiement. 
On  faisait  une  loterie  des  vingt-(iiiatre  lettres  de  l'alpiiabct  ;  celui 
qui  tirait  le  (i  était  tenu  de  donner  une  comédie,  l'O  désignait 
un  petit  opéra,  le  U  evigeail  uu  ballet. 


DE  MADAME   LA   DUCHESSE   d'ORLÉANS.  163 

résistance;  toutes  courent  après  lui,  que  c'est  vrai- 
ment une  honte.  11  n'est  pas,  après  tout,  plus  beau 
qu'un  autre,  et  il  est  tellement  indiscret  et  bavard, 
qu'il  a  déclaré  lui-même  que  si  une  impératrice,  belle 
comme  un  ange,  était  éprise  de  lui  et  voulait  coucher 
avec  lui,  à  condition  qu'il  n'en  dirait  rien,  il  aimerait 
mieux  la  planter  là  et  ne  pas  la  voir  de  sa  vie.  C'est 
un  grand  poltron,  fort  insolent,  sans  cœur  et  sans 
âme  ;  je  me  révolte  contre  l'idée  qu'il  est  la  coque- 
luche de  toutes  ces  dames,  et  je  suis  sûre  qu'il  n'aura 
que  de  l'ingratitude  pour  les  bontés  de  mon  fils;  mais 
je  ne  veux  plus  parler  de  ce  personnage,  il  me  fait 
perdre  patience.  Le  mal  qu'on  dit  de  M.  Law  et  de  sa 
banque  est  l'effet  de  la  jalousie,  car  on  ne  saurait  rien 
voir  de  mieux;  il  paye  les  effroyables  dettes  du  feu  roi 
et  diminue  les  impôts,  allégeant  ainsi  le  fardeau  qui 
pesait  sur  le  peuple  ;  le  bois  ne  coûte  que  la  moitié 
de  ce  qu'il  coûtait  ;  les  droits  d'entrée  sur  le  vin,  la 
viande  et  tout  ce  qui  se  consomme  à  Paris,  ont  été 
supprimés;  cela  inspire  une  grande  joie  parmi  le 
peuple,  comme  vous  pouvez  bien  croire.  M.  Law  est 
fort  poli  ;  je  fais  grand  cas  de  lui  ;  il  fait  ce  qu'il 
peut  pour  m'être  agréable;  il  ne  veut  pas  agir  en 
secret ,  comme  ceux  qui  ont  eu  précédemment  la 
direction  des  finances ,  mais  en  public  et  avec  hon- 
neur. Il  est  complètement  faux  qu'il  ait  acheté  un  palais 
de  la  duchesse  de  Berri  ;  elle  n'en  avait  pas  ;  il  était 
donc  impossible  qu'elle  en  vendît  ;  toutes  les  maisons 
qu'elle  avait,  c'est-à-dire  Meudon,  Chaville  et  La 
Muette,  sont  retournées  au  roi,  qui  a  établi  sa  ména- 
gerie à  La  Muette  ;  il  y  aura  là  des  vaches,  des  mou 


164  CORRESPONDANCE 

tons  et  autres  animaux.  Des  maladies  terribles, 
telles  que  la  petite  vérole,  la  rougeole  et  la  fièvre 
chaude,  font  beaucoup  de  mal  à  Paris;  mais  de  tous 
les  coins  de  l'Europe  on  n'entend  pas  parler  d'autre 
chose.  On  dit  que  la  peste  est  à  Manheim  et  qu'elle 
y  fait  beaucoup  de  mal. 

J'ai  vu  mon  oncle  à  la  mode  de  Bretagne,  le  land- 
grave Charles  de  Hesse-Rheinfeis  :  il  est  impossible  de 
dire  plus  de  sottises  qu'il  n'en  dit  ;  il  parle  toujours 
de  son  cocher,  qui  est  de  si  bonne  compagnie  qu'il  le 
fait  coucher  auprès  de  lui  et  qu'il  veut  le  charger  d'é- 
lever son  fds  cadet.  Je  lui  ai  dit  très-sérieusement 
qu'il  devrait  bien  se  garder  de  dire  toutes  ces  bêtises 
qui  faisaient  que  tout  le  monde  se  moquait  de  lui.  Il 
a  pris  la  chose  fort  mal  ;  il  a  répondu  qu'il  voyait  bien 
que  je  désirais  qu'il  s'en  allât,  puisque  j'avais  honte 
de  mes  parents.  Je  me  fâchai,  et  lui  répliquai  crû- 
ment que  lorsque  mes  parenis  parlaient  de  la  sorte, 
j'avais  sujet  d'avoir  honte  pour  eux.  Nous  nous  sommes 
quittés  fort  mal  ensemble. 

6  octobre  1719. 

Lavv  est  tellement  pourchassé,  qu'il  n'a  de  repos  ni 
jour  ni  nuit;  une  duchesse  lui  a  baisé  les  mains  de- 
vant tout  le  monde  ;  et  si  les  duchesses  lui  baisent  les 
mains,  qu'est-ce  que  les  autres  dames  ne  devront  jias 
lui  baiser? 

Mon  fils  a  toujours  eu  un  grand  faible  pour  les 
amants  dont  il  a  été  le  conlident...  Il  n'est  pas  dé- 
licat; pourvu  que  les  dames  soient  de  bonne  humeur, 
qu'elles  boivent  et  mangent  goulùnient,  et  qu'elles 


DE   MADAME   LA   DUCHESSE  d'oRLÉANS.  165 

soient  fraîches,  elles  n'ont  pas  besoin  d'avoir  de  la 
beanté.  Je  lui  ai  souvent  reproché  d'en  avoir  de  très* 
laides. 

7  octobre  1719. 

On  voit  bien  que  l'on  est  plus  que  jamais  irrite 
contre  mon  fils,  car  on  apprend  chaque  jour  des  sou- 
lèvements en  Bretagne,  et  je  ne  sais  pas  si  ce  qu'on 
raconte  d'une  conspiration  à  La  Rochelle  est  vrai  ;  le 
gouverneur  de  celte  place  voulait  la  livrer  aux  Espa- 
gnols. Dix  officiers  étaient  du  complot  ;  on  en  a  arrêté 
quelques-uns;  les  autres  se  sont  sauvés  en  Espagne... 
J'avais  regardé  l'évcque  de  Soissons  comme  un  fort 
brave  homme  ;  je  l'ai  connu  lorsqu'il  était  encore 
abbé  et  aumônier  de  la  duchesse  de  Bourgogne ,  mais 
l'ambition  de  devenir  cardinal  rend  fous  la  plupart 
des  évêques;  il  n'en  est  aucun  qui  ne  pense  que,  plus 
il  fera  d'impertinences  à  l'égard  de  mon  fils  et  en  fa- 
veur de  la  constitution ,  plus  il  se  mettra  dans  les 
bonnes  grâces  de  la  cour  de  Rome  et  deviendra  ainsi 
cardinal. 

8  oclobre  1719. 

11  est  faux  que  la  reine  ait  mis  au  monde  une  né- 
gresse. Feu  Monsieur,  qui  avait  été  présent,  disait  que 
la  petite  princesse  était  laide,  mais  point  noire.  On  ne 
peut  ôter  de  la  tête  du  peuple  que  l'enfant  ne  vive 
encore,  qu'elle  ne  soit  dans  un  couvent,  à  Moret  près 
de  Fontainebleau  ;  cependant  il  est  certain  que  l'en- 
fant laide  est  morte  :  toute  la  cour  l'a  vue  mourir  '. 

•  Voir  les  Mémoires  de  Maurepas,  1. 1,  p,  101 ,  et  de  Saint- 
Simon,  1. 111,  p,  12G.  Ou  disait  tout  bas  à  la  cour  que  la  mau- 


166  CORRESPONDANCE 

M.  de  Brancas  '  était  très-amoureux  de  sa  fiancée. 
Le  jour  où  devait  se  célébrer  la  noce,  il  fut  au  bain 
comme  à  son  ordinaire,  et  se  mit  au  lit.  Son  valet  de 
chambre  lui  demanda:  «D'où  vient,  monsieur,  que  vous 
couchez  encore  ici,  et  que  vous  n'allez  pas  coucher 
avec  madame  votre  femme?»  Il  dit:  «Je  l'avais  ou- 
blié. »  Il  se  leva  et  alla  trouver  sa  femme,  qui  l'avait 
longtemps  attendu  au  lit.  Il  était  chevalier  d'hon- 
neur de  la  reine -mère.    Un  jour,  lorsqu'elle  était 
à  l'église,  Brancas  oublie  que  c'est  la  reine  qui  est  age- 
nouillée. Comme  elle  avait  le  dos  voûté,  lorsqu'elle 
baissait  la  tête  on  ne  pouvait  guère  la  reconnaître.  Il 
la  prend  pour  un  prie-Dieu  ;  il  s'agenouille  sur  ses  ta- 
lons, et  appuie  ses  deux  coudes  sur  les  épaules  de  la 
reine.  Elle  fut  très-étonnée  de  voir  son  chevalier  d'hon- 
neur se  mettre  à  genoux  sur  elle,  et  chacun  se  mit  à 
rire.  Jadis  les  dames  portaient  dans  leurs  déshabillés 
des  tabliers  de  drap  fin.  La  duchesse  de  Duras  était 
dans  la  cour  de  son  hôtel  ;  elle  avait  reconduit  une 
dame  à  son  carrosse.  M.  de  Brancas  entre  dans  la 

ressc  du  couvent  de  Moret  étnit  fille  d'un  cocher  du  roi  dont  la 
femme  était  fort  jolie  (Anquctil,  Louis  XfV,  t.  111,  p.  430). 

'  Mort  en  1681.  Voir  les  Historiettes  de  Tallemant  des  Uéaux, 
t.  111,  p.  135.  A  cet  égard,  ftl.  Monmerqué  cite  une  lettre  de 
Bussy,  qui  dit  :  «  Il  est  assez  distrait,  et  comme  il  a  vu  que  ses 
«  rêveries  ont  fait  rire  le  roi  quelquefois,  il  les  a  outrées  pour 
«  se  faire  un  mérite  d'une  imperfection  qui  faisait  parler  de  lui, 
«  n'y  pouvant  réussir  par  de  meilleures  voies.  »  La  Bruyrre  l'a 
immortalisé  sous  le  nom  de  Ménal(|ue  (voir  l'édition  des  Caroc-' 
^èr('5  doiméepar  M.  Walckeuaér,  1845,  p.  4')4.  M"iedeScvit!né, 
avec  laquelle  il  était  fort  lié,  donne  beaucoup  de  détails  sur  cet 
étraiitic  pcrsoimai^c,  cl  raconte  plusieurs  de  ses  singulières  dis- 
truilious.  Consultez  aussi  Saint-Simon. 


DE  MADAME  LA  DUCHESSE  d'oRLÉANS.  167 

cour  pour  rendre  visite  à  la  duchesse  et  prend  son  ta- 
blier pour  un  mur;  il  va  pour  pisser  contre,  et  il  e^st 
tout  saisi  lorsque  la  duchesse  se  met  à  crier:  (.Oh  fi. 
cela  ne  se  fait  point  !  »  U  dit  :  «  Je  vous  demande  mille 
pardons,  j'ai  pris  votre  tablier  pour  un  mur.  » 

10  octobre  1719. 

Le  duc  de  Lorraine  n'entend  plus  que  par  Craon, 
sa  femme  ou  ses  créatures. 

Je  ne  crois  pas  que  la  passion  de  ma  fille  {pour  son 
mari)  soit  aussi  vive  qu'elle  a  été,  mais  elle  l'aime 
encore  sincèrement;  et,  s'il  lui  témoigne  la  moindre 
amitié,  elle  est  hors  d'elle-même  à  force  de  joie,  et 
elle  me  l'écrit  bien  vite. 

14  oclobre  1719. 

Le  roi  d'Angleterre  et  le  roi  de  Prusse  ont  résolu,  à 
ce  qu'on  m'annonce,  de  défendre  vivement  la  cause 
des  réformés;  les  prêtres  ne  pourront  donc  plus  les 
tourmenter,  ce  qui  me  réjouit  cordialement,  car  je 
souhaite  toute  espèce  de  bien  et  de  bonheur  a  nos 
braves  compatriotes;  et  quant  aux  maudits  prêtres 
qui  les  persécutent,  je  voudrais  leur  voir  une  corde 
au  cou  ;  ils  l'ont  bien  méritée  à  cause  de  leur  fausseté 
et  de  leur  perfidie. 

16  oclobre  1719. 

Le  Dauphin  ne  s'est  pas  affiigé  un  quart  d'heure  de 
la  mort  de  sa  femme  ni  de  celle  de  sa  mère  ;  quand  il 
s'alïubla  de  son  grand  manteau  de  deuil,  il  faillit 
éloulïer  de  rire...  Quelqu'un  voulut  un  jour  le  plai- 


168  CORRESPONDANCE 

santer  sur  son  inclination  pour  les  hommes;  le  Dau- 
phin s'emporta  comme  je  ne  l'ai  jamais  vu  faire,  et 
dit  :  «  Si  quelqu'un  est  assez  impertinent  pour  se 
vanter  de  celte  infamie,  qu'on  me  le  nomme,  et  je 
ferai  voir  par  mes  traitements  combien  je  le  méprise 
et  combien  je  hais  sa  vue.  » 

Le  roi  ne  voulait  ordinairement  avoir  personne  à 
sa  table,  si  ce  n'est  les  membres  de  la  famille  du  sang. 
Il  y  avait  tant  de  princesses  du  sang  que  la  table  or- 
dinaire n'aurait  pas  été  suffisante  ;  elle  était  déjà  tout 
occupée  quand  nous  étions  réunies.  Le  roi,  assis  au 
milieu,  avait  à  sa  droite  M.  le  Dauphin  et  le  duc  de 
Bourgogne,  et  à  sa  gauche  la  Dauphine  et  le  duc  de 
Berri  ;  dans  un  des  retours  étaient  assis  feu  Monsieur 
et  moi,  et  dans  l'autre  mon  fds  et  sa  femme  ;  le  reste 
de  la  table  restait  réservé  pour  les  gentilshommes  ser- 
vants qui  nous  servaient  à  table,  car  ceux  qui  servent 
le  roi  ne  se  placent  pas  derrière  le  siège  du  roi,  mais 
en  face  de  lui.  Lorsque  les  princesses  du  sang  ou 
d'autres  dames  mangeaient  à  la  table  du  roi,  c'étaient 
non  pas  les  gentilshommes  servants  mais  d'autres  offi- 
ciers de  la  maison  du  roi  qui  nous  servaient,  et  ceux- 
ci  se  trouvaient  derrière  nous  comme  des  pages.  Dans 
ce  cas,  le  roi  était  servi  par  son  jnemier  maUre-d'hôtel. 
Les  pages  ne  servaient  à  la  lalile  du  roi  que  lorsqu'il 
était  en  voyage,  et  ils  ne  servaient  pas  la  famille 
royale;  elle  était  servie  par  des  gens  qui  n'étaient  pas 
gentilshommes.  Anciennement,  tous  les  officiers  du 
roi,  tels  (|ue  ceux  de  l'échansonncrie,  du  gobelet,  du 
fruit,  clc,  étaient  geiitilshoiiiines  ;  mais  depuis  que 
la  noblesse  est  deverau!  pauvre,   et  que  toutes  les 


DE  MADAME   LA   DUCHESSE   d'ORLÉANS.  169 

charges  se  sont  payées  cher,  il  a  falhi  prendre  de  bons 
bourgeois  qui  eussent  de  l'argent. 

16  octobre  1719. 

M.  Law  est  un  homme  habile  et  honorable  ;  il  est 
extraordinairement  civil  et  poli  à  l'égard  de  tout  le 
monde;  il  sait  fort  bien  vivre.  11  ne  parle  pas  mal  le 
français,  mieux  que  les  Anglais  ne  le  font  habituel- 
lement. 

A  M.   DE  HARLING. 

19  octobre  1719. 
Dieu  tout-puissant  a  délivré  la  France  entière  d'une 

méchante  bête  sauvage,  car  il  a  emporté  la  Scarron; 
je  ne  peux  pas  dire  qu'il  l'ait  appelée  à  lui ,  la  chose 
me  semble  trop  douteuse. 

A  LA  COMTESSE   LOUISE. 

20  octobre  1719. 

Huit  ou  dix  jours  avant  la  mort  du  roi,  il  lui  vint 
un  mal  à  une  jambe  et  la  gangrène  s'y  mit,  dont  il  est 
mort.  Mais  il  avait  eu  durant  plus  de  trois  mois  une 
fièvre  lente  qui  l'avait  fait  dépérir  à  vue  d'œil ,  et  il 
était  aussi  maigre  qu'un  éclat  de  bois.  Le  vieux  co- 
quin de  Fagon  l'avait  mis  dans  cet  état,  il  le  faisait 
toutes  les  trois  semaines  purger  jusqu'au  sang,  et  tous 
les  jours  il  le  faisait  horriblement  suer.  De  plus,  le 
roi  s'était,  îi  l'instigation  du  père  Le  TcUicr,  aflreuse- 
nicnt  tourmenté  au  sujet  de  la  maudite  constitution 
{Unigeniti(s),  au  point  qu'il  n'en  avait  de  repos  ni  jour 
ni  nuit;  c'est  ce  qui  lui  a  ôté  la  vie.  Fagon  était  un 
mauvais  drôle  et  plus  altaclié  à  la  guenipe  qu'au  roi. 
u.  li 


170  CORRESPONDANCE 

Aussi,  lorsque  je  vis  qu'on  voulait  si  fort  élever  le  duc 
du  Maine,  et  que  la  vieille  giienipe  se  souciait  si  peu 
de  la  mort  du  roi,  j'ai  eu  de  mauvaises  pensées  sur  ce 
vieux  coquin. 

20  octobre  1719. 

Le  docteur  Chirac  '  fut  aj^pelé  auprès  d'une  dame 
qui  était  malade.  Pendant  qu'il  était  dans  l'anticham- 
bre ,  on  y  dit  que  les  actions  (de  la  banque  de  Law) 
avaient  beaucoup  diminué.  Le  docteur,  qui  avait  beau- 
coup de  papiers  sur  le  Mississipi,  fut  saisi  de  cette  nou- 
velle, et,  s'étant  assis  auprès  de  la  malade  pour  lui 
tâter  le  pouls,  il  se  dit  à  lui-même  :  «  Ah  !  mon  Dieu  ! 
cela  diminue,  cela  diminue,  cela  diminue.  »  En  l'en- 
tendant parler  ainsi,  la  malade  se  mit  à  crier;  ses 
gens  accoururent;  elle  dit  :  «  Je  vais  mourir,  M.  Chirac 
vient  de  crier  trois  fois  en  làtant  mon  pouls  :  Il  dimi- 
nue! »  Le  docteur  revint  à  lui,  et  dit  :  «  Vous  rêvez, 
votre  pouls  bat  à  merveille,  et  vous  vous  portez  bien. 
Je  m'occupais  des  actions  du  Mississipi,  sur  lesquelles 
je  perds,  puisqu'elles  baissent.  »  La  dame  malade  fut 
ainsi  rassurée. 

20  octobre  1719. 
Le  duc  de  Sully  "  avait  parfois  de  grandes  distrac- 

1  Chirac,  né  en  1660,  mort  en  1732;  il  suivit  le  duc  d'Or- 
léans dans  ses  campagnes  d'Italie  et  d'Espagne,  et  fut  nommé 
son  premier  médecin  en  17 15  j  les  favcms,  les  dignités  s'accu- 
mulèrent sur  lui;  un  an  avant  sa  mort  il  devint  premier  méde- 
cin de  Louis  XV.  Malgré  sa  grande  réputation,  il  n'a  laissé  que 
des  écrits  sans  mérite. 

«  Saint-Simon,  t.  XIX,  p.  167,  parle  de  ce  personnage,  fort 
peu  régulier  en  sa  conduite,  et  qui  fut  trouvé  mort  dans  son  lit 
à  l'âge  de  quaruntc-huit  ans. 


DE   MADAME    LA    DUCHESSE   d'oRLÉANS.  171 

lions  ;  s'habillant  un  jour  pour  se  rendre  à  l'église,  il 
n'oublia  rien  que  son  haut-de-chausse.  C'était  en  hiver; 
entrant  à  l'église,  il  dit  :  «  Mon  Dieu!  qu'il  fait  froid 
aujourd'hui  !  »  On  lui  répondit  :  «  Pas  plus  froid  qu'à 
l'ordinaire.  —  J'ai  donc  la  fièvre,  »  dit-il.  Quelqu'un 
demanda  :  «  Ne  serait-ce  pas  parce  que  vous  n'êtes 
pas  habillé  assez  chaudement?  »  Et  il  leva  son  habit; 
on  vit  alors  ce  qui  lui  manquait. 

2J  octobre  1719. 

La  vieille  guenipe  et  le  père  La  Chaise  '  ont  per- 
suadé au  roi  que  tous  les  péchés  que  Sa  Majesté  avait 
commis  avec  la  Montespan  seraient  pardonnes  s'il  per- 
sécutait et  expulsait  les  rélormés,  et  qu'il  prendrait 
ainsi  le  cliemin  du  ciel.  Le  pauvre  roi  les  a  crus  fer- 
mement, car  il  n'a  de  sa  vie  lu  un  seul  mot  de  la  Bible; 
et  telle  est  l'origine  des  persécutions  que  nous  avons 
vues...  Le  roi  ne  savait  pas  faire  consister  la  religion 
en  autre  chose  qu'à  accomplir  ce  que  ses  confesseurs 
lui  prescrivaient.  Ils  lui  ont  fait  croire  qu'il  n'était  pas 
permis  de  raisonner  dans  les  choses  religieuses,  et  qu'il 
fallait,  pour  faire  son  salut,  tenir  la  raison  captive. 

22  oclobie  1719. 

Personne  ne  s'étonne  de  ce  que  je  mange  avec  plai- 
sir des  boudins,  j'ai  aussi  mis  à  la  mode  ici  les  jam- 

1  II  existe  un  pamphlet  intitulé  :  Prévarications  du  père 
La  Chaise,  confesseur  du  roi,  au  préjudice  des  droits  et  des 
intérêts  de  Sa  Majesté;  Cologne  (Hollande),  1685.  L'auteur 
8'eftbrce  d'établir  que  ce  Père  sacrifie  à  sa  compagnie  et  à  son 
ambition  personnelle  le  roi  et  la  l^'rance. 


172  COnRESl'ONUANCE 

bons  crus;  tout  le  monde  on  mange  maintenant;  on 
mange  aussi  beaucoup  de  nos  plats  allemands,  comme 
la  eboucroûte  et  les  cboux  au  sucre,  ainsi  que  du  lard 
salé  accommode  aux  choux  ;  mais  il  est  rare  qu'on  s'en 
procure  de  bonne  qualité  ' .  On  ne  mangeait  guère  de 
gibier  avant,  j'ai  mis  tout  cela  à  la  mode,  ainsi  que  les 
harengs  saurs;  j'ai  appris  au  feu  roi  à  en  manger,  et  il 
les  trouvait  fort  de  son  goût.  J'ai  tellement  affriandé 
ma  gueule  allemande  ^  à  des  plats  allemands,  que  je 
ne  puis  ni  souffrir  ni  manger  un  seul  ragoût  fran- 
çais :  je  ne  mange  que  du  bœuf,  du  veau  rôti,  et  ra- 
rement du  mouton,  des  perdrix,  ou  bien  des  poules 
rôties,  et  jamais  de  faisan. 

24  octobre  1719. 

Il  y  a  quarante  ans  que  le  mois  d'octobre  ne  se 
passe  jamais  sans  que ,  vers  le  22 ,  mon  fils  ne  se 
trouve  souffrant,  soit  d'une  manière,  soit  d'une  autre, 
et  cela  depuis  son  grand  accident...  Quoiqu'il  soit  ré- 
gent, il  ne  paraît  jamais  devant  moi  et  ne  me  quitte 
jamais  sans  venir  me  baiser  la  main  avant  que  je  ne 
l'ombiasse;  il  ne  prend  point  de  chaise  devant  moi; 
mais  d'ailleurs  il  no  fait  pas  de  façons  et  il  bavarde  ron- 
dement avec  moi.  Nous  rions  et  plaisantons  comme  de 
bons  amis  \ 

'  La  lUichcsse  se  faisait  envoyer  d'AUcniagne  des  graines  de 
ces  clioiix  qu'elle  aimait  tant. 

*  Mein  leutschcr  mnul. 

3  Le  duc  d'Orléans  avait  pour  Madame  des  attentions  pleines 
de  respect  ;  tous  les  soirs  il  se  rendait  chez  elle  à  huit  heures,  et 
jouait  aux  échecs  jusqu'à  l'heure  du  souper  du  roi  (Saint-Simon, 
t.  I,  p.  n?}. 


2G  oclobre  H 10. 

J'apprends  avec  grand  plaisir  que  les  envoyés  an- 
dais,  prnssiens  et  hollandais,  sont  à  Heidolberg,  car 
j'espère  qn'en  dépit  du  pape  et  des  Barbanns,  comme 
disait  le  pauvre  duc  de  Créqui,  ils  réussn<ont  a  sou- 
lager les  pauvres  habitants  du  Palatinat,  en  depit  de 
la   malice  des  prêtres  autrichiens.  C'est  une  chose 
bien  terrible  que  de  voir  que  chacun  de  nous  veut 
vivTB  heureux,  et  qu'il  travaille  cependant  à  rendre 
la  vie  des  autres  aussi  dure  que  possible.  Je  me  flatte 
toutefois  que  l'électeur  est  trop  sensé  pour  se  laisser 
mener  par  les  ecclésiastiques  ;  toutes  les  sottises  qu  ils 
font  faire  à  sa  sœur  l'impératrice,  qui  est  entièrement 
soumise  à  leur  direction,  devraient  lui  servir  de  leçon. 
Un  prince  doit  comprendre  que  la  véritable  piété  con- 
sisle  pour  lui  à  tenir  sa  parole  et  à  gouverner  avec 
justice  et  sagesse;  quiconque  lui  donne  des  avis  con- 
traires est  un  mauvais  conseiller.  Cela  me  fait  sou- 
venir d'un  dialogue  (pie  j'entendis  une  fois  à  Saint- 
Cloud,  et  qui  me  fil  bien  rire.  Un  chanoine,  qui  était 
un  homme  très-respectable,  mais  sévère  ',  entra  dans 

'  Comme  témoisnase  de  la  sévérité  de  faLbé  Feuillet,  on 
peut  citer  son  RccU  de  la  mort  de  Madame  (Henrietle  d'An- 
gleterre), publié  dans  le  Bulletin  du  biblioph'le,  mars  1853, 
p  107  d'après  le  manuscrit  autographe  qui  appartient  à  la  bi- 
bliothèque impériale.  Cet  etclésiastique  se  montre  peu  touc'é 
du  spectacle  de  douleur  qu'il  eut  sous  les  yeux  ;  on  cherche  les 
émotions  qu'il  a  dû  éprouver  comme  homme,  et  on  ne  trouve 
qu'une  censure  amère  des  faiblesses  qu'il  a  condamnées  comme 
prêtre  Sa  rigueur  donna  lieu  à  un  opuscule  devenu  fort  rare  : 
Lettre  écrite  de  la  campagne  par  un  docteur  en  théologie  a 
une  dame  de  qualité  [iux  la  mort  de  Madame],  107  0. 

16. 


174  CORRESPONDANCE 

le  cabinet  de  Monsieur,  et  Monsieur,  qui  s'amusait 
quelquefois  à  faire  l'Iiypocrite,  lui  dit  :  «  J'ai  grand 
soif;  serait-ce  rompre  le  jeûne  que  de  prendre  un  jus 
d'orange?  »  M.  Feuillet  (ainsi  s'appelait  ce  chanoine) 
lui  répondit  :  «  Oh  !  Monsieur,  mangez  un  bœuf,  et 
soyez  bon  chrétien,  et  payez  vos  dettes.  »  On  en  pour- 
rait dire  autant  à  l'électeur.  Le  bon  M.  Law  est  tombé 
sérieusement  malade,  il  y  a  quelques  jours,  par  suite 
du  tracas  et  du  travail  dont  il  est  accablé;  on  ne  lui 
laisse  pas  un  instant  de  repos  ni  jour  ni  nuit.  On  ne 
peut  imaginer  une  race  d'hommes  plus  intéressés 
que  les  Français. 

28  octobre  1719. 

On  ne  peut  avoir  plus  de  capacité  que  M.  Law, 
mais  je  ne  voudrais  pas,  pour  tout  l'or  du  monde, 
être  à  sa  place;  car  il  est  tourmenté  comme  une  âme 
damnée,  et  ses  ennemis  ré[)andcnt  toutes  sortes  de 
méchancetés  sur  son  compte  ' . 

*  On  rencontre  dans  les  recueils  manuscrits  une  foule  de  vers 
dirigés  contre  Law  et  le  système.  En  voici  quelques  échantillons  : 

Lundi  je  pi-is  des  aclions  , 
Mardi  je  gagnai  des  millions, 
Mercredi  je  pris  équipage, 
Jeudi  j'arrangeai  mou  ménage, 
Vendredi  je  m'en  fus  au  bal, 
,  Et  samedi  à  l'hôpital. 

Voir  dans  les  Mélanges  de  Cois-Jourdau,  t.  II,  p.  317,  d'au- 
tres vers  du  même  genre. 

Depuis  qu'un  juif  venu  d'Ecusse 
S'est  euriclii  de  notre  argfut, 
Tous  les  gredins  roulent  carrosse, 
Et  qui  fut  riche  est  indigent. 

Un  cou  est  un  ëcu  ; 
Un  billet  de  baucjuc, 


Î)E  MADAME    LA   DUCHESSE   d'ORLÉA.NS.  175 

J'ai  reçu  une  lettre  de  ma  fille  qui  me  mande  qu'Al- 
béroni  a  voulu  faire  assassiner  ou  empoisonner  l'em- 
pereur ;  il  avait  chargé  de  ce  coup  un  comte  silésien, 
nommé  Kimtsch,  et  deux  abbés  italiens.  Je  ne  sais 
comment  la  chose  a  été  découverte,  mais  elle  s'éclair- 
ciia,  car  tous  ces  scélérats  ont  été  arrêtés.  Vous  aurez 
peut-être  à  cet  égard  des  nouvelles  à  Francfort;  je 
vous  prie  de  me  les  transmettre  :  elles  m'intéressent 
vivement,  car  Albéroni  en  veut  à  mon  fils  encore  plus 
qu'à  l'empereur. 

29  octobre  1719. 

La  duchesse  de  Berri  avait  été  fort  mal  élevée  et 
toujours  fourrée  avec  les  femmes  de  chambre;  elle 
n'était  pas  très-capricieuse,  mais  hautaine  et  absolue 
dans  toutes  ses  volontés...  J'avais  entendu  parler  de 
son  mariage  [avec  Rio?7i),  et  je  lui  en  fis  des  représen- 
tations; elle  répondit  en  riant  :  «  Ah!  Madame,  n'ai-je 
pas  assez  l'honneur  d'être  connue  de  vous  pour  que 
vous  puissiez  croire  une  telle  sottise  de  moi,  à  qui  on 
reproche  tant  d'orgueil?»  Elle  m'endormit  ainsi,  de 
sorte  que  je  ne  voulais  pas  croire  la  chose  ;  son  père 
et  sa  mère  n'y  ont  consenti  de  leur  vie  '.  Non,  je  ne 

Un  billet  de  banque, 

Un  écu  est  un  écu, 

Un  billet  de  bainque 

Est  un  torche-cu. 
1  La  duchesse,  avec  sa  violence  habituelle ,  tourmenta  son 
père  pour  que  son  mariage  fut  déclaré;  c'était  aussi  ce  que  vou- 
lait Hioni,  qui  s'était  marié  par  ambition.  Le  régent  voulut  ga- 
gner du  temps  et  fit  partir  pour  l'armée  son  gendre,  qu'il  aurait 
voulu  voir  à  tous  les  diables.  Après  la  mort  de  la  duchesse, 
Riom  vendit  son  résiuient  et  son  gouvernement,  et  rentra  dans 
l'obscurilc. 


176  COHIŒSl'ONOANCb; 

consentirais  de  l'éternité  à  une  pareille  impertinence, 
lors  même  que  son  père  et  sa  mère  l'auraient  fait.  La 
tête  de  crapaud  fit  croire  à  sa  princesse  qu'il  était 
prince  de  la  maison  d'Aragon,  et  que  le  roi  d'Espagne, 
en  dépit  de  tout  droit,  lui  retenait  son  royaume,  mais 
que,  lorsqu'elle  l'aurait  épousé,  il  pourrait  réclamer 
ses  États  dans  les  traités  de  paix;  la  Moucliy  reutre- 
lenait  de  cela  du  matin  jusqu'à  la  nuit;  voilà  pourquoi 
elle  était  si  fort  en  faveur. 

30  octobre  1719. 

Le  czar  n'est  pas  un  fou  ;  il  a  beaucoup  de  capacité, 
mais  il  est  bien  donunage  qu'il  ait  été  élevé  d'une 
façon  aussi  sauvage  et  brutale.  Je  le  trouve  cruel  au 
delà  de  toute  expression  dans  ce  qu'il  a  fait  à  l'égard 
du  cz-arowitz,  :  il  donne  à  son  lîls  sa  parole  qu'il  peut 
venir  et  qu'U  ne  lui  fera  rien,  et,  lorsque  son  fils  est 
venu,  il  le  fait  empoisonner  dans  le  saint  sacrement. 
C'est  quelque  cliose  de  si  impie  et  de  si  abominable  que 
je  ne  puis  le  lui  pardonner  '. 

'  11  n'y  a  point"  de  preuves  du  fait  horrible  que  raconte  Ma- 
dame, et  qui  n'est  qu'une  de  ces  rumeurs  qu'elle  accueillait  trop 
aviilcmcnt.  La  mort  du  czarowitz  présente  un  vériluble  problème 
liistorique;  on  a  i)rélen(lu  qu'il  avait  été  empoisonné,  (pj'il  avait 
été  décapité,  qu'il  était  morl  d'apoplexie.  Voir  l'édition  de  Saint- 
Simon  donnée  par  Suulavie,  ITJI,  t.  XI,  p.  170  ;  ïllisloircde 
lUis.sic,  par  Lévesque,  t.  Y;  celle  de  Lcclerc,  t.  111;  la  Vie  (en 
allemand)  de  Pierre  le  Grand,  par  Von-lialem,  cte.  On  con- 
sultera aussi  les  Mémoires,  en  forme  de  manifeste,  sur  le  procès 
criminel  jui;é  et  publié  à  Saint-Pétersbourg,  le  25  juin  17  18, 
contre  le  czarowilch  Alcxci,  convaincu  de  factions,  rébellion  et 
désobéissance  envers  son  père  et  soigneur  souverain,  Nancy, 
ni«,in-l2. 


DE  MADAMh:   LA   UliCIIKSSK   u'oULÉANS.  177 

Paris,  2  novembre  1719. 

H  ne  peut  exister  un  plus  mauvais  service  que  celui 
de  la  poste  en  France;  elle  est  toujours  sous  la  direc- 
tion de  M.  de  Torcy,  qui  n"a  jamais  manqué  d'ouvrir 
et  de  lire  toutes  mes  lettres  ;  je  ne  m'en  serais  pas  tra- 
cassée, mais  ce  que  je  ne  pouvais  souffrir,  c'est  que, 
pour  obéir  à  la  vieille  [Maintenon],  il  faisait  là-dessus 
des  commentaires  afin  de  me  brouiller  avec  le  feu  roi, 
et  cela  était  par  trop  fort.  Aujourd'hui,  il  peut  faire 
tous  les  commentaires  qu'il  voudra ,  je  ne  crains  pas 
qu'il  me  brouille  avec  mon  fils;  l'abbé  Dubois  et  lui 
sont  ennemis  acharnés;  ils  ont  eu  des  querelles  ter- 
ribles où  ils  se  sont  dit  mutuellement  leurs  vérités  ;  on 
pourrait  leur  dire,  comme  en  pareils  cas,  faisait  notre 
cousin  l'électeur  ;  «  Accordez-vous,  canailles.  »  11  faut 
se  réjouir  lorsque  les  lettres  ne  sont  pas  entièrement 
perdues,  et  lorsqu'elles  arrivent  enfin. 

Il  est  vrai  qu'il  y  a  eu  de  grands  désordres  en  Bre- 
tagne, et  M"i«  du  Mai)ie  y  a  autant  de  part  qu'Albé- 
roni  ;  M""^  la  Princesse  est  allée  trouver  sa  fille  afin  de 
la  ramener  au  bon  sens,  ce  à  quoi  je  doute  qu'elle 
réussisse;  la  petite  naine  est  trop  méchante. 

Vous  me  demandez  si  mon  abbé  de  Saint-Albin  et 
son  frère  le  chevalier,  qui  est  à  présent  grand-prieur 
de  France,  ont  eu  la  même  mère  ;  le  chevalier  est  lé- 
gitimé, mais  le  pauvre  abbé  n'est  pas  reconnu  ;  il  a  un 
air  de  famille;  il  ressemble  fort  à  feu  Monsieur;  il  a 
quelque  chose  de  son  père  et  beaucoup  de  M"^  de 
Valois  ;  il  a  quelques  années  de  plus  que  le  chevalier, 
et  il  est  bien  fùrhé  de  voir  son  frère  cadet  i)lacé  si  fort 
au-dessus  de  lui.  Le  chevalier,  qui  est,  depuis  peu  de 


178  CORRESPONDANCE 

temps,  grand-prieur  de  France  dans  l'ordre  de  Malte, 
est  le  fils  de  M''^  de  Sery,  qui  a  été  ma  fille  d'honneur, 
et  qui  se  nomme  aujourdluii  M"'^  d  Arginton  ;  la  mère 
de  l'abbé  était  une  danseuse  de  l'Opéra,  qui  s'appelait 
Florence  '.  Mon  fils  a  encore  une  fille  du  côté  gauche 
qui  n'est  pas  reconnue;  il  Ta  mariée  à  un  marquis  de 
Ségur;  elle  est  fille  de  la  Desmare,  une  des  meilleures 
actrices  de  la  troupe  du  roi.  11  y  a  encore  deux  ou  trois 
enfants  que  je  n'ai  jamais  vus,  et  qu'il  a  eus  d'une 
femme  de  qualité;  leur  grand-père  a  été  gouverneur 
de  mon  fils,  et  il  était  précédemment  chevalier  d'hon- 
neur de  la  reine.  Cette  femme  est  veuve  depuis  deux 
ans  ;  sa  mère  a  été  dame  d'atours  de  la  duchesse  de 
Berri,  et  elle  est  morte  dans  cette  charge.  Je  ne  crois 
]jas  que  mon  fils  puisse  être  bien  sûr  que  ces  enfants 
soient  de  lui,  car  cette  femme  est  une  terrible  déver- 
gondée. Elle  boit  nuit  et  jour-,  et  ne  se  gêne  en  rien , 
mais  mon  fils  n'est  pas  du  tout  jaloux;  les  tours  que 
lui  jouent  ses  maîtresses  ne  le  chagrinent  ni  ne  le  met- 

'  On  trouve  diverses  chansons  sur  elle  dans  les  recueils  ma- 
nuscrits, mais  elles  ne  peuvent  être  transcrites.  Une  note  d'un 
de  ces  recueils  fournit  des  détails  sur  les  {iremiers  pas  du  régent 
dans  la  carrière  qu'il  devait  parcourir  d'une  façon  tristement 
célèbre  :  «  Sa  première  maîtresse  fut  la  petite  Léonore,  fille  du 
«  concierge  du  garde-meuLle  du  Palais-Rojal;  il  en  eut,  âgé 
«  de  quatorze  ans,  un  enfant,  ce  qui  fit  grand  bruit.  Monsieur 
0  s'en  fàcba  fort;  Madame  n'en  parut  point  mécontente,  elle 
0  prit  même  beaucoup  de  soins  de  la  mère  et  de  l'enfant.  Celte 
«  fille  a  dejiuis  été  mariée  à  M.  de  Charencey,  fils  d'un  con- 
«  scillcr  à  Riom.  » 

Kc  prince  de  Léon  avait  été  l'amant  de  la  Florence;  elle  fut 
enlevée  par  ordre  du  roi  en  17  07,  et  mibc  dans  un  couvent 
(voir  tJuiut-Siiiion,  t.  XI,  p.  X'U). 


DE  MADAME   LA  DUCHESSE   d'ORLÉANS.  179 

tent  en  colère;  cela  le  divertit,  et  il  ne  fait  qu'en  rire; 
je  ne  puis  le  comprendre.  Une  de  ses  maîtresses  qui  a 
le  mieux  réussi  à  le  captiver  est  une  femme  de  qualité, 
elle  se  nomme  M°»^  de  Parabère  '. 

Paris,  6  novembre  1719. 

Si  ma  tante,  la  princesse  de  Tarente,  vivait  encore, 
elle  aurait  sans  doute  un  vif  chagrin  de  la  mort  de  son 
petit-fils;  mais  il  n'en  serait  pas  digne,  car  c'était  un 
personnage  fort  mal  élevé.  J'ai  fait  de  mon  mieux  pour 
le  remettre  dans  une  meilleure  voie,  mais  je  n'ai  point 
réussi.  Je  l'ai  souvent  rudement  tancé,  surtout  lorsque 
je  le  surprenais  à  mentir,  ce  à  quoi  il  était  horrible- 

1  «  Mme  de  Parabère  était  vive,  légère,  capricieuse,  hautaine, 
«  emportée  ;  le  séjour  de  la  cour  et  la  société  du  régent  eurent 
«  bientôt  développé  cet  heureux  naturel.  L'originalité  de  son 
a  esprit  éclata  sans  retenue  ;  ses  traits  malins  atteignaient  tout 
«  le  monde,  sans  même  excepter  le  prince.  Ajoutons  qu'aucun 
«  vil  intérêt,  aucune  idée  d'ambition  n'entrait  dans  la  conduite 
«  de  la  comtesse.  Elle  aimait  le  régent  pour  lui,  elle  recher- 
«  chait  en  lui  le  convive  charmant,  l'homme  aimable.  »  D'après 
une  anecdote  racontée  un  peu  crûment  par  Duclos,  ce  fut  elle 
qui  força  le  régent  à  assister  au  sacre  de  l'abbé  Dubois  ;  le  duc 
de  Saint-Simon,  qui  se  vantait  d'être  le  seul  homme  titré  que 
Dubois  eût  assez  respecté  pour  l'excepter  de  l'invitation,  avait 
offert  au  prince  de  s'y  trouver,  si  le  prince  voulait  assez  se 
respecter  lui-même  pour  n'y  point  aller  (voir  les  Tableaux  de 
genre  et  d'histoire,  p.  U).  Le  régent  ayant  appris  un  beau  jour 
que  Mme  de  Parabère  désirait  des  porcelaines,  en  fit  chercher 
de  tous  côtés,  à  quelque  prix  que  ce  fut,  et  en  acheta  pour  dix- 
huit  cent  mille  hvres.  On  lit,  sous  la  date  du  2  juin  1721,  dans 
le  Journal  de  Darbier  :  «  Le  régent  a  congédié  Mme  de  Para- 
bère, et  lui  a  conté  tout  doucement  le  mot  de  Mahomet  II,  qui 
dit  à  sa  maîtresse  :  Voilà  une  belle  tête,  je  la  ferai  couper  quand 
je  voudrai.  Co  trait  historique  ne  plut  point  à  la  dame.  » 


180  CORRESPONDANCE 

ment  porté;  il  faisait  toujours  des  contes,  il  ne  voyait 
que  de  la  très-mauvaise  compagnie,  il  était  livré  à  une 
affreuse  débauche  ;  en  un  mot,  ce  n'est  pas  du  tout  un 
mal  qu'il  soit  mort.  Je  l'avais  tenu  sur  les  fonts  de 
baptême  avec  les  États  de  Bretagne,  de  sorte  qu'il 
s'appelait  Charles  de  Bretagne.  11  n'a  laissé  qu'un 
petit  garçon,  qui  est  aussi  joli  et  aussi  agréable  que  le 
père  était  laid  et  repoussant.  Dieu  veuille  qu'il  lui 
ressemble  aussi  peu  à  l'intérieur  qu'à  l'extérieur.  Je 
souhaite  aussi  qu'au  moral  il  ne  ressemble  pas  à  sa 
mère,  car  elle  ne  valait  rien  du  tout;  elle  est  morte 
de  la  v...le  ^  Toute  la  famille  voulait  la  faire  séparer 
de  son  mari,  qui  l'avait  surprise  avec  son  valet  de 
chambre  ;  mais  elle  était  fine  et  adroite  ;  elle  savait 
qu'il  avait  des  dettes,  et  elle  agit  si  bien  auprès  de  lui, 
que,  lorsqu'on  voulut  les  séparer,  il  dit  :  «  Nous  nous 
sommes  raccommodés.  »  Vous  voyez  ainsi ,  ma  chère 
Louise,  quel  couple  cela  faisait,  et  si  j'ai  eu  motif  de 
regretter  cette  créature. 

Je  ne  vois  pas  pourquoi  on  veut,  à  Vienne,  tenir  tel- 
lement secret  le  complot  tramé  par  Albéroni  ;  tout  le 
monde  sait  bien  que  c'est  un  scélérat  fini;  il  a  vendu 
son  premier  maître,  le  duc  de  Parme,  au  duc  de  Ven- 
dôme, le  duc  de  Vendôme  à  la  princesse  des  Ursins,  la 
princesse  des  Ursins  à  la  reine  d'Espagne;  c'est  un 
misérable  intrigant  qui  n'a  ni  foi  ni  loi. 

Le  comte  d'Altheim  et  sa  sœur  me  font  de  la  peine; 
car  c'est  une  terrible  chose  que  d'avoir  pour  parent  un 
homme  tel  que  le  comte  de  Nimtsch,  qui  mérite  bien 
(l'êlrc  roue  tout  vif. 

*  MiKliimc  écrit  les  niolr?  en  touiee  letlrc!*-. 


DE  MADAME   LA    DUCHESSE   D'ORLÉANS.  181 

7  novembre  1719. 

Je  trouvais  une  fois  la  {première)  Daupliine  au 
désespoir  et  fondant  on  larmes,  parce  que  la  vieille 
l'avait  menacée  de  la  rendre  malheureuse,  de  lui  faire 
préférer  M'"*  du  Maine,  et  de  la  faire  haïr  de  toute  la 
cour  et  même  du  roi.  Je  me  m.is  à  rire  quand  elle  me 
conta  cela ,  et  je  lui  dis  :  «  Est-il  possible  qu'avec  au- 
tant d'esprit  et  de  courage  qu'en  a  Voire  Altesse,  elle 
puisse  se  laisser  intimider  par  cette  vieille  sorcière  ? 
Votre  Altesse  n'a  rien  à  craindre;  elle  est  Dauphine, 
la  première  dans  la  France  entière  ;  sans  les  motifs 
les  plus  graves,  l'on  ne  saurait  lui  faire  du  mal.  Ainsi, 
lorsque  la  vieille  menace  Votre  Altesse  de  la  sorte , 
qu'elle  réponde  avec  fermeté  :  «  Je  ne  crains  point  vos 
menaces  ;  M"'*  de  Maintcnon  est  trop  loin  de  moi  ;  le 
roi  est  trop  juste  pour  me  condamner  sans  m'entendra. 
Si  vous  me  pressez,  je  le  lui  dirai  moi-même,  et  nous 
verrons  s'il  n'osera  pas  me  soutenir.  » 

La  Dauphine  ne  resta  pas  en  arrière;  elle  redit  mot 
pour  mot  ce  que  je  lui  avais  dit.  La  vieille  lui  répon- 
dit :  «  Ce  discours  ne  vient  point  de  vous  ;  ce  sont  les 
mauvais  raisonnements  de  Madame  ;  vous  n'avez  pas 
assez  de  courage  pour  le  penser,  mais  nous  verrons 
si  cette  amitié  pour  Madame  vous  sera  profitable.  » 
Depuis  ce  temps,  elle  n'a  pourtant  plus  menacé  la  prin- 
cesse. Elle  avait  fort  à  propos  fait  intervenir  le  nom  de 
M™^  du  Maine  dans  ses  menaces  envers  la  Dauphine, 
parce  que,  comme  elle  avait  élevé  le  duc  du  Maine, 
elle  se  croyait  toute-puissante  à  la  cour,  et  voulait 
montrer  que  son  influence  était  telle  qu'elle  pouvait 
u.  \Q 


182  CORRESPONDANCE 

faire  préférer  la  dernière  princesse  du  sang  à  la  pre- 
mière personne  de  France,  et  que  par  cette  raison  il 
fallait  la  redouter  et  lui  obéir  en  tout;  mais  la  Bessola, 
qui  était  très-jalouse  de  moi  et  qui  ne  pouvait  souffrir 
que  la  Dauphine  eût  de  la  confiance  en  moi,  qui, 
d'ailleurs,  avait  été  gagnée  et  payée  par  la  vieille, 
nous  trahissait  auprès  de  la  Maintenon,  et  lui  rappor- 
tait tout  ce  que  j'avais  dit  pour  consoler  la  princesse  ; 
elle  avait  ordre  de  la  vieille  de  tourmenter  et  d'inti- 
mider la  pauvre  Dauphine.  Elle  s'acquittait  à  mer- 
veille de  cette  commission ,  et  faisait  peur  sur  peur  à 
la  princesse,  sous  prétexte  de  n'agir  que  par  attache- 
ment pour  elle ,  et  de  lui  être  entièrement  dévouée  et 
fidèle.  La  pauvre  Dauphine  ne  se  défiait  point  de  cette 
Bessola ,  qui  avait  été  élevée  avec  elle  et  qu'elle  avait 
amenée;  elle  n'imaginait  pas  qu'on  pût  pousser  la 
fausseté  aussi  loin  que  le  faisait  cette  maudite  créa- 
ture. Je  ne  pus  le  souffrir;  je  contredis  la  Bessola,  et 
j'employai  tout  pour  consoler  la  Dauphine  et  soulager 
son  chagrin.  Elle  me  dit  aussi,  en  mourant,  que  j'avais 
prolongé  sa  vie  de  deux  années,  par  le  courage  que  je 
lui  avais  toujours  inspiré.  Mais  par  là,  je  me  suis  attiré 
la  haine  complète  de  la  vieille,  qui  a  duré  jusqu'à  sa 
fin.  Quand  même  la  Dauphine  eût  eu  quelque  petit 
reproche  à  se  faire,  ce  n'était  point  à  la  vieille  à  y 
trouver  à  redire  ;  car  qui  a  mené  une  vie  plus  légère 
qu'elle?  En  puhlic  et  en  face,  elle  ne  m'a  de  ma  vie 
rien  tlit  de  désagréable;  car  elle  savait  bien  que  je  lui 
aurais  vertement  répondu,  car  je  connaissais  toute  sa 
vie.  Villarceaux  m'en  a  plus  raconté  que  je  n'aurais 
voulu  en  savoir. 


DE   MADAME   LA    DUCHESSE    d'oHLÉANS.  183 

7  novembre  1711). 

L'abbé  de  Mauleuvrier  et  M'"  de  Langeron  avaient 
persuadé  à  M™^  la  Princesse  que  M"i«  du  Maine  était 
à  la  mort,  et  qu'elle  ne  demandait  qu'à  voir  encore 
sa  chère  mère  avant  sa  fin,  afin  de  recevoir  d'elle  la 
dernière  bénédiction,  car  elle  mourait  innocente. 
M™e  la  Princesse  s'est  mise  en  route  avec  de  vives 
inquiétudes  et  en  versant  des  larmes  ;  mais  elle  a  été 
bien  surprise,  en  arrivant  à  la  demeure  de  sa  fille,  de 
voir  celle-ci,  fraîche  et  bien  portante,  venir  au-devant 
d'elle.  M"^  de  Langeron  disait  que  M"^^  du  Maine  ca- 
chait son  mal,  pour  ôter  toute  inquiétude  à  M"^^  la 
Princesse. 

s  novembre  1719. 

J'avais  eu  d'abord  de  l'attachement  pour  l'abbé 
Dubois,  parce  que  je  croyais  qu'il  aimait  tendrement 
mon  fils,  et  qu'il  ne  cherchait  en  tout  que  son  bien  et 
son  avantage  ;  mais  quand  j'ai  vu  que  c'était  un  chien 
perfide  qui  ne  cherche  que  ses  propres  intérêts ,  qui 
ne  songe  nullement  à  soigner  l'honneur  de  mon  fils , 
mais  qui  le  précipitait  dans  la  perte  éternelle ,  en  le 
laissant  se  plonger  dans  la  débauche ,  sans  faire  sem- 
blant de  s'en  apercevoir,  toute  mon  estime  pour  ce 
petit  prêtre  s'est  changée  en  mépris.  Je  tiens  de  mon 
fils  lui-même  que  l'ayant  rencontré  un  jour  tout  seul 
dans  la  rue  au  moment  oîi  son  élève  se  disposait  à 
entrer  dans  un  mauvais  lieu  ' ,  il  ne  fit  qu'en  rire  avec 
lui ,  au  lieu  de  le  prendre  par  le  bras  et  le  ramener  à 
la  maison.  Par  cette  indulgence,  et  par  le  mariage  de 

'  Madame  écrit  nettement  et  tout  au  long  :  Im  Bordel  gieng. 


184  CORRESPONDANCE 

mon  fils,  il  a  bien  prouvé  qu'il  n'y  a  en  lui  ni  foi,  ni 
fidélité ,  ni  honnêteté.  Ce  n'est  pas  à  tort  que  je  le 
soupçonnai  de  s'être  mêlé  du  mariage  de  mon  fils  ;  ce 
que  j'en  sais,  je  le  liens  de  mon  fils  lui-même  et  des 
gens  qui  étaient  chez  la  vieille  vilaine,  dans  le  temps 
où  l'abbé  se  rendait  chez  elle  la  nuit  pour  arranger 
ses  intrigues,  et  pour  trahir  son  maître  qu'il  a  vendu  '. 
Il  se  trompe  s'il  croit  que  je  ne  sais  pas  tout  cela. 
D'abord,  il  s'était  prononcé  pour  moi;  mais  après  que 
la  vieille  vilaine  l'eut  fait  venir  trois  ou  quatre  fois,  il 
a  promptement  changé.  Cependant  ce  n'est  pas  pour 
cette  affaire  que  le  roi  l'a  pris  ensuite  en  haine,  mais 
pour  un  tripotage  qu'il  avait  fait  avec  le  P.  La  Chaise. 
Monsieur  en  fut  aussi  fâché  que  moi.  Le  roi  et  la  vieille 
vilaine  le  firent  menacer  de  chasser  tous  ses  favoris  ; 
cela  le  fit  consentir  à  tout  ;  il  s'en  est  repenti  ensuite, 
mais  il  était  trop  tard. 

9  novembre  17 19. 

Nous  n'avons  ici  rien  de  neuf,  si  ce  n'est  que  M"^  de 
Valois  a  été,  lundi  dernier,  au  moment  de  se  tuer  ;  elle 
a  voulu  par  enfantillage,  en  faisant  une  promenade  à 
cheval,  passer  au  galop  par  une  petite  porte;  elle  ne 
s'est  pas  assez  baissée;  sa  tête  a  porté  contre  la  pierre, 
et  elle  s'est  frappée  si  fort,  qu'elle  est  tombée  de  che- 
val. On  l'a  saignée  aussitôt,  et  on  espère  qu'il  n'en 
résultera  rien  de  fâcheux. 

10  novembre  1719. 

Notre  feu  roi  m'a  raconté  une  histoire  de  la  reine 

•  Saint-Simon  confirme  la  part  que  l'abbé  eut  à  ce  mariage  : 
«  Il  lit  pcMir  au  prince  du  roi  et  de  Monsieur;  d'un  autre  côté  il 
lui  m  voir  les  cicux  ouverts  »  (t.  I,  p.  43}. 


UE  MADAME  LA   UlCHESSE   D'ORLÉANS.  185 

Christine  de  Suède  :  elle  ne  meltait  jamais  de  bonnet 
de  nuit,  mais  elle  attachait  seulement  une  serviette 
autour  de  sa  tête.  Une  fois ,  comme  elle  ne  pouvait 
dormir,  elle  fît  venir  de  la  musique  devant  son  lit.  Elle 
avait'fait  tirer  les  rideaux  ;  mais  la  musique  lui  faisant 
plaisir,  elle  se  leva  sur  son  lit  et  avança  tout  d'un  coup 
la  tête  en  s'écriant  :  Mort  du  diable  !  qu'ils  chantent 
bien  !  Les  castrats  et  les  Italiens,  qui  ne  sont  pas  des 
plus  braves,  eurent  une  telle  peur  à  l'aspect  de  cette 
figure  étrange,  qu'ils  restèrent  muets,  et  il  fallut  que  la 
musique  cessât. 

On  voit  encore  dans  la  grande  salle  de  Fontainebleau 
le  sang  d'un  homme  qu'elle  a  fait  assassiner  ' .  Elle  ne 
voulait  pas  que  l'on  connût  ce  qu'il  savait  d'elle ,  et 
elle  pensait  qu'il  le  divulguerait  si  elle  ne  lui  ôtait  pas 
la  vie.  Il  avait  déjà  commencé  à  parler  par  pure  jalou- 
sie, parce  qu'un  autre  était  devenu  plus  en  faveur  que 
lui.  Elle  était  très-vindicative^  et  livrée  à  tous  les  genres 

*  Le  père  Lebel,  religieux  qui  fut  appelé  pour  préparer  Mo- 
nadelschi  à  la  mort,  a  rédigé  une  relation  de  ce  tragique  événe- 
ment; elle  a  été  insérée  dans  les  Archives  curieuses  de  l'histoire 
de  France,  2"  série,  t.  Vlll,  p.  287  ;  voir  aussi  La^\ace,  Pièces 
intéressantes  et  peu  connues,  t.  IV,  p.  139. 

^  «  La  reine  de  Suède  n'est  ni  bcle,  ni  bigote  ;  elle  entend 
«  bien  le  latin  et  en  sait  plus  que  beaucoup  de  gen  s  qui  en  font 
«  profession.  Je  sais  de  bonne  source  qu'à  vingt-trois  ans  elle 
«  savait  tout  le  Martial  par  cœur  w  (Gui-Patiu,  Lettres,  t.  III, 
p.  60). 

Cette  femme  orgueilleuse  et  violente  a  été  beaucoup  trop 
vantée.  Mme  de  Motleville  la  peint  arrivant  à  Compiègne  «  avec 
sa  perruque  défrisée,  sa  chemise  d'homme,  sa  taille  un  peu 
bossue,  ses  mains  assez  bien  faites,  mais  si  crasseuses  qu'il  était 
impossible  d'y  apercevoir  quelque  beauté.  » 

IG, 


186  CORRESPONDANCE 

de  débauche,  même  avec  les, femmes.  Si  elle  n'avait 
pas  eu  autant  d'esprit,  personne  n'aurait  pu  la  souf- 
frir. Elle  était  redevable  de  ses  vices  aux  Français,  et 
surtout  au  vieux  Bourquelot,  qui  avait  été  docteur  du 
grand  Condé;  c'est  lui  qui  l'avait  fortifiée  dans  toute 
son  inconduite.  Elle  pouvait  parler  de  choses  aux- 
quelles les  plus  grands  débauchés  seuls  peuvent  son- 
ger. Elle  a  pris  de  force  M^'^  de  Bregy  '  ,  qui  n'a 
presque  pu  se  défendre.  On  a  pensé  que  cette  reine 
était  un  hermaphrodite.  Les  Français  qu'elle  a  eus 
auprès  d'elle  à  Stockholm  étaient  des  gens  bien  dan- 
gereux. Ce  sont  eux  qui  ont  poussé  la  reine  à  de  si 
grands  désordres. 

12  novembre  1719. 

Les  Broglie  sont  d'origine  italienne,  mais  il  y  a  long- 
temps qu'ils  sont  établis  en  France  ;  ils  étaient  trois 
frères;  l'aîné  a  péri  à  l'armée,  le  second  était  abbé, 
mais  il  a  jeté  le  froc  aux  orties  :  c'est  celui-là  qui  est 
un  franc  vaurien  ;  le  troisième ,  qui  sert  encore  à  l'ar- 
mée, est,  sous  tous  les  rapports,  un  des  cavaliers  les 
plus  estimables  qu'on  puisse  voir  ;  mon  fils  ne  l'aime 
pas  autant  que  son  polisson  de  frère,  parce  qu'il  est 
sérieux  et  nullement  boud'on.  Mon  111s  dit  que  lorsqu'il 
sort  du  travail,  il  a  besoin  de  quelque  chose  qui  le  fasse 
rire,  et  que  le  cadet  Broglie  est  trop  sérieux  pour  cela; 
qu'il  lui  donnerait  la  préférence  quand  il  s'agirait  d'une 
affaire  de  confiance  ou  d'une  expédition  de  guerre, 
mais  que  l'aîné  convient  mieux  pour  rire  à  table  et 
bavarder  à  tort  et  à  travers. 

*  Sic  hat  die  Madame  de  /Irc/ie  zur  imzticht  mit  Uir  for- 
ciret. 


DE   MADAME   r  A    DUCHESSE   d'ORLÉANS.  187 

Paris,  13  novembre  1719. 

Je  suis  extrêmement  vexée,  car  hier  au  soir  j'ai 
appris  que  mon  fils  et  M™*  d'Orléans  ont  permis  à  leur 
fils  d'aller  à  ce  maudit  bal  de  l'Opéra  ;  c'est  le  moyen 
de  perdre,  corps  et  âme,  un  garçon  qui  était  si  pieux  ; 
car,  aller  au  bal  de  l'Opéra  ou  dans  un  mauvais  lieu, 
c'est  tout  un.  En  revenant  de  l'église,  j'ai  trouvé  le 
jeune  grand- prieur  qu'on  appelle  le  chevalier  d'Or- 
léans ;  il  vient  de  Malte,  où  il  a  fait  ses  caravanes  et 
prononcé  ses  derniers  vœux.  Il  ne  peut  plus  se  marier: 
la  race  de  mon  fils  du  côté  gauche  n'aura  donc  pas  de 
rejeton,  car  l'abbé  sera  fait  prêtre,  ce  pour  quoi  il  n'a 
pas  grande  inclination.  11  me  fait  vraiment  de  la  peine, 
car  c'est  un  charmant  et  très-honnête  garçon  ;  il  res- 
semble à  feu  Monsieur,  mais  il  a  une  plus  belle  taille; 
il  a  la  tête  de  plus  que  son  père. 

Paris,  Ifi  novembre  1719, 

Je  vous  remercie  de  m'avoir  envoyé  la  Gazette  de 
Vienne;  je  l'ai  lue  avec  intérêt.  Le  prince  Eugène  a 
bien  raison  de  ne  pas  vouloir  laisser  tomber  par  terre 
une  accusation  aussi  horrible ,  et  de  poursuivre  à  ou- 
trance ce  comte  de  Nimtsch.  Je  fais  grand  cas  du 
prince  Eugène,  car  il  n'est  pas  intéressé.  11  a  fait  une 
belle  action  :  il  avait  laissé  ici  beaucoup  de  dettes; 
après  être  entré  au  service  de  l'empereur  et  avoir  ac- 
quis de  la  fortune,  il  a  payé  jusqu'au  dernier  liard  tout 
ce  qu'il  devait,  et  il  s'est  acquitté  à  l'égard  de  tous 
ceux  qui  n'avaient  aucun  billet  ni  engagement  de  lui, 
et  qui  n'y  pensaient  plus.  U  est  donc  impossible  (pi'un 


188  CORRESPONUANCE 

homme  qui  agit  avec  tant  de  loyauté  puisse  trahir  son 
maître  [)Our  de  l'argent;  toutes  les  accusations  de  ce 
traître  de  INimtsch  sont  des  mensonges,  et  c'est  l'œuvre 
de  ce  diable  d'Albcroni, 

21  novembre  1719. 

Un  cautère  qu'on  posa  mal  à  la  nuque  à  la  petite 
Madame  '  lui  avait  tiré  la  bouche  tout  de  travers,  au 
point  qu'elle  l'avait  presque  au  milieu  de  la  joue 
gauche;  elle  avait  ainsi  beaucoup  de  peine  à  bien 
parler,  et  elle  parlait  fort  peu.  J'étais  là  lorsqu'elle 
mourut;  elle  ne  dit  pas  un  mot  à  son  père,  quoiqu'une 
convulsion  lui  eût  remis  la  bouche  en  place.  Le  roi, 
qui  avait  bon  cœur  et  qui  aimait  sincèrement  ses  en- 
fants, pleurait  de  tout  son  cœur,  et  il  me  fît  pleurer. 
La  reine  n'y  était  pas  ;  on  ne  lui  avait  pas  permis  d'y 
venir  parce  qu'elle  était  enceinte. 

Paris,  21  novembre  1719. 

Je  suis  si  fatigué  de  n'entendre  parler  que  d'actions 
et  de  millions,  que  je  ne  puis  cacher  mon  humeur... 
Il  vient  ici  des  gens  de  tous  les  coins  de  l'Europe; 
dc[Mii3  un  mois  on  a  observé  qu'il  y  avait  à  Paris  deux 

'  Fille  de  Louis  XIV,  morte  fort  jeune.  Cette  princesse  avait 
eu  deux  sœurs,  mortes  également  en  bas  âge;  Gui-Patin  parle 
d'elles  dans  sa  conesponiianre  :  «  Les  princes  sont  malheureux 
en  médecins.  Cette  petite  Madame  n'est  morte  que  d'un  coup 
qu'elle  avait  eu  à  la  tête,  qui  avait  fait  un  éi)r;inlemcnt  du  cer- 
veau, et  qui  lui  a  causé  les  convulsions  et  la  mort.  Donc,  elle 
n'avait  pas  besoin  de  saignée  »  (Ciui-Patin,  lettre  du  19  janvier 
K)(i3,  t.  III,  p.  ■in).  «  La  petite  Madame  a  eu  des  convuloions 
cl  e.-t  morte  ce  matin  ;  elle  était  fluette  et  délicate  sans  avoir 
janiuii  lu  de  santé  »  (8  décembre  1CC4,  t.  lil,  p.   i97). 


DE  MADAME   LA  DUCHESSE  d'ORLÉANS.  189 

cent  cinquante  mille  personnes  de  plus  que  précédem- 
ment; il  a  fallu  construire  des  chambres  au-dessus 
des  greniers,  et  Paris  est  tellement  rempli  de  carrosses, 
quïl  y  a  de  grands  embarras  dans  les  rues,  et  beaucoup 
de  gens  écrasés.  Une  dame  voulait  dire  à  M.  Law  : 
a  Faites-moi  une  concession;  »  elle  s'écria  tout  haut  : 
«  Ah  !  monsieur!  faites-moi  une  conception.  »  M.  Law 
répondit  :  «  Madame ,  vous  venez  trop  tard  ;  il  n'y  a 
«  pas  moyen  à  présent.  » 

23  novembre  1719. 

Au  premier  voyage  que  je  fis  à  Fontainebleau ,  le 
roi  voulait  me  donner  deux  mille  pistoles,  mais  Mon- 
sieur pria  Sa  Majesté  d'en  réserver  mille  pour  les 
donner  à  Madame,  qui  depuis  est  devenue  reine  d'Es- 
pagne '.Je  m'en  tracassai  peu,  et  je  n'en  fis  pas  moins 
le  voyage  de  Fontainebleau,  où  je  perdis  tout  mon  ar- 
gent au  hoca  ^  Monsieur,  pour  me  piquer,  me  raconta 
lui-même  ce  qu'il  avait  fait  contre  moi;  je  ne  fis  qu'en 
rire,  et  je  dis  que  si  Madame  avait  voulu  prendre  les 

'  Marie-Louise  d'Orléans,  fille  de  Monsieur  et  d'Henriette 
d'Angleterre,  mariée  en  1G7  9  à  Charles  II,  roi  d'Espagne. 

^  Le  Hoca,  ou  le  hoc,  ou  beau  jeu  de  trente  et  quarante, 
comme  dit  Scarron,  fut,  selon  une  supposition  fort  douteuse, 
inventé  par  le  cardinal  Mazarin.  Voir  les  notes  de  M.  L.  de  La- 
liorde,  Palais  Mazarin,  p.  235.  Nous  lisons  dans  une  mazari- 
nade  assez  curieuse  : 

Et  le  jeune  frondeur,  aussi  ferme  qu'un  roc. 
Sanglera  la  croupière  à  ce  joueur  de  hoc. 

[Ballade  servant  à  l'Insloire,  16S1,  in-4.  ) 

Une  locution  tirée  de  ce  jeu  se  trouve  dans  La  Fontaine  et 
dans  Molitre;  voir  le  Lexique  de  la  langue  de  Molière,  par 
M.  Gcnin,  ISiG,  p.  204. 


190  CORRESPONDANCE 

mille  pistoles  de  ma  main ,  je  les  lui  aurais  données 
de  bien  bon  cœur.  Cela  fit  que  Monsieur  fut  tout  con- 
fus ;  pour  réparer  la  chose ,  il  se  chargea  de  six  cents 
louis  d'or  que  j'avais  perdus  en  sus  des  mille  pistoles, 
de  sorte  que  je  ne  fus  tenue  de  rien  payer.  , 

24  novembre  1719. 

La  vieille  guenipe  fut  très-piquée  quand  elle  vit  que 
la  Dauphine  voulait  tenir  sa  cour  comme  elle  le  de- 
vait... On  l'avait  si  mal  (raitée  durant  ses  couches 
qu'elle  en  devint  contrefaile;  avant  elle  avait  une 
très-jolie  taille.  Je  me  suis  bien  moquée  de  ses  dévo- 
tions bavaroises,  et  je  l'ai  désabusée  de  bien  des  su- 
perstitions. 

26  novembre  1719. 

La  Deschamps,  danseuse  de  l'Opéra,  a  fait  à  Paris, 
au  prince  Charles-Frédéric  de  Wurtemberg  un  présent 
dont  il  est  mort;  ce  prince  a  ainsi  payé  bien  cher  ses 
grandes  débauches. 

28  novembre  1719. 

Le  duc  Frédéric- Auguste  de  Brunswick  était  charmé 
de  la  reine  Christine;  il  disait  que  de  sa  vie  il  n'avait 
pas  vu  de  femme  qui  eût  autant  d'esprit  et  qui  fût 
aussi  agréable  et  aussi  divertissante;  il  n'y  avait  pas 
moyen  do  s'ennuyer  avec  elle.  Je  dis  que  j'avais  en- 
tendu dire  qu'elle  parlait  d'une  façon  fort  ordurière  '. 

*  C'est  ce  que  conflrme  Biienne  [Mémoires,  t.  H,  p.  142). 
Christine,  en  parlant  à  la  reine-mère,  se  servit  de  ternies  obs- 
cènes que  Brienne  n'ose  citer,  mais  qu'il  redit  tout  crûment  à 
Mn»e  (le  I.oncuevillc,  a  et  cette  princesse,  avec  toute  sa  dévotion, 
qui  était  fort  sincère,  ne  put  s'cuipcchei*  de  rire.  » 


DE   MADAME  LA   DUCHESSE  d'oRLÉANS.  Î91 

0  C'est  vrai,  répondit-il,  mais  elle  sait  tourner  les  choses 
de  manière  qu'elles  ne  causent  aucun  dégoût.  »  Elle  ne 
pouvait  être  agréable  aux  femmes,  car  elle  les  mépri- 
sait toutes  en  général. 

Autrefois  on  jurait  beaucoup  en  France;  le  roi  a  fait 
cesser  celte  habitudequ'il  ne  pouvait  souffrir...  Hélait 
de  bonne  foi;  ce  n'était  donc  pas  sa  faute  si  la  cour 
était  devenue  hypocrite  ;  la  vieille  guenipe  y  avait  forcé 
les  gens...  La  bonne  princesse  de  Bavière  perdit 
promptement  la  familiarité  du  roi,  et  ne  la  recouvra 
jamais  ;  elle  n'a  pas  une  seule  fois  dans  sa  vie  éié  ad- 
mise dans  les  cabinets,  après  le  souper.  Je  n'y  suis 
entrée  qu'après  la  mort  de  la  seconde  Dauphine. 

29  novembre  1719. 

L'histoire  du  cocher  de  M.  Law  est  très-vraie;  il  a 
présenté  deux  autres  cochers  à  son  maître,  et  celui-ci 
lui  demandant  s'ils  étaient  bons ,  il  a  répondu  :  «  Ils 
sont  si  bons,  que  celui  que  vous  ne  jirendrez  pas,  je 
le  prends  pour  moi.  »  On  fait  cent  autres  histoires  du 
même  genre,  et  il  n'est  plus  question  d'autre  chose 
que  de  la  banque  de  M.  Lav^.  Une  dame,  qui  n'avait  pu 
arriver  jusqu'à  lui,  s'est  servie  d'un  moyen  fort  singu- 
lier pour  réussir  à  lui  parler;  elle  a  donné  ordre  à  son 
cocher  de  verser  devant  la  porte  de  M.  Law,  lequel 
est  accouru  aux  cris  que  l'on  poussait,  en  s'imaginant 
que  la  dame  avait  le  cou  ou  la  jambe  cassée ,  mais  elle 
s'empressa  de  lui  dire  que  c'était  un  stratagème  qu'elle 
avait  inventé.  Une  autre  dame,  qui  se  nomme  M""*  de 
Bouchu ,  a  imaginé  un  autre  moyen  ;  elle  avait  des 
espions  qui  l'instruisaient  de  ce  que  faisait  M.  Law, 


192  CORRESPONDANCE 

et  ayant  appris  qu'il  devait  dîner  chez  M*"*  de  Simiane 
(une  des  dames  d'honneur  de  la  duchesse  d'Orléans), 
elle  a  aposlé  des  gens  pour  crier  au  feu  pendant  le 
repas;  tous  les  convives  sont  sortis  de  table;  M.  Law 
étant  descendu  dans  la  cour  pour  voir  où  était  le  feu, 
cette  M"'^  de  Bouchu  lui  a  sauté  dessus,  pour  ainsi 
dire,  et  lui  a  dit  que  c'était  une  ruse  de  sa  part,  afin 
de  réussir  à  lui  parler  et  à  lui  demander  des  actions. 
Ce  qu'ont  fait  six  autres  dames  de  qualité  est  vraiment 
scandaleux;  elles  avaient  saisi  M.  Law  au  moment  oîi 
il  était  dans  son  appartement,  et  comme  il  les  suppliait 
de  le  laisser  aller  et  qu'elles  s'y  refusèrent  opiniâtre- 
ment, il  leur  dit  enfin  :  «  Mesdames,  je  vous  demande 
mille  pardons,  mais  si  vous  ne  me  laissez  pas  aller,  il 
faut  que  je  crève,  car  j'ai  un  tel  besoin  de  pisser  qu'il 
m'est  impossible  d'y  tenir  davantage.  »  Elles  lui  ré- 
pondirent :  «  Eh  bien  !  monsieur,  pissez ,  pourvu  que 
vous  nous  écoutiez.  »  Il  le  fit  tandis  qu'elles  restaient 
autour  de  lui.  C'est  une  chose  affreuse,  et  lui-même  en 
a  ri  à  se  rendre  malade  '.  Vous  voyez  ainsi  à  quel  point 

'  Un  couplet  que  nous  demandons  permission  de  prendre 
dans  un  des  noëis  de  l'époque,  fait  allusion  aux  bassesses  dont 
parle  Madame  : 

Avec  maintes  duchesses 

Parut  madame  Law  ; 

Viilais  léciioit  SOS  fesses, 

Guiclie  baisoit  ses  pas;  ) 

La  Roquelaure  oiifiii,  ce  n'est  pas  un  mensonge,  ' 

Décrottait  son  jupon,  don,  don; 
Brissac  et  la  Brancas,  la,  la, 

Nettoyoient  son  éponge. 

On  trouve,  dans  les  Mélanges  do  Boisjourdan,  t.  I ,  p.  .309  et 
suiv.,  diverses  pièces  de  vers  écriles  contre  le  système.  Il  yen 
a  de  fort  piquantes,  mais  trop  vives  pour  être  reproduites  ici. 


DE   MADAME   LA   DL'LHESSR   d'oRLKANS.  193 

la  cupidité  est  venue  en  France  ;  à  part  M"»"  de  Chas- 
teautier,  je  ne  connais  personne  qui  ne  soit  horrible- 
ment intéressé  et  avide,  et  je  connais  bien  des  gens 
qui  le  sont  à  un  point  qui  fait  frémir.  Voilà  quarante- 
huit  ans  que  je  suis  en  France,  et  c'est  toujours,  pour 
moi,  chose  nouvelle  que  de  voir  et  d'entendre  pareilles 
choses. 

30  novembre  1719. 

J'ai  à  vous  mander  une  nouvelle  qui  me  fait  grand 
plaisir,  le  mariage  de  M"*  de  Valois  et  du  prince  de 
Modène;  le  courrier  est  parti  hier  pour  Rome,  pour 
demander  les  dispenses ,  car  ils  sont  parents  au 
deuxième  degré.  La  fiancée  se  désole  ;  elle  aurait  voulu 
épouser  son  cousin,  le  comte  de  Charolais,  mais  il 
ne  l'a  pas  voulu ,  car  tous  les  parents  dans  la  famille 
royale  se  détestent  comme  le  diable  ;  les  deux  sœurs, 
c'est-à-dire  M^^^  la  Duchesse  et  la  femme  de  mon  fils, 
sont  loin  de  s'aimer  et  ont  tenu  réciproquement  sur 
leur  compte  mutuel  de  méchants  propos  '  ;  les  princes 
légitimes  du  sang  n'ont  pas  voulu  soulîrir  que  les  bâ- 
tards du  roi  fussent  mis  avec  eux  sur  le  pied  d'égalité; 

*  «  Le  roi  et  Monsieur  veulent  que  Mme  la  duchesse  de  Char- 
«  très  appelle  Mme  la  Duchesse  et  Mme  la  princesse  de  Conti, 
■  ma  sœur,  quoique  les  autres  l'appellent  Madame.  Cet  oidre 
«  vint  de  ce  que  les  deux  princesses  du  sang ,  piquées  de  voir 
«  leur  cadette  au-dessus  d'elles,  et  n'osant  pourtant  l'appeler 
«  ma  sœur,  l'appelaient  ma  mignonne,  par  un  air  de  familiarité 
«  aigre-douce,  d'autant  que  l'air,  le  visage  et  la  taille  de  la 
«  petite-fille  de  France  n'avaient  rien  de  mignon.  Cela  à  la  fin 
«  ofl'cnsa  Monsieur  qui  attira  cet  ordre,  dont  Mme  la  Duchesse 
«  et  la  princesse  de  Conti  eurent  un  extrême  dépit  »  {Journal 
deDangeauj. 

n.  17 


194  CORRESPONDANCE 

M'"^  la  Duchesse  s'est  déclarée  pour  ses  fils  contre  son 
frère  [le  duc  du  Maine),  tandis  que  M^e  d'Orléans,  au 
contraire,  a  pris  le  parti  de  son  frère  contre  les  princes 
du  sang;  cela  a,  comme  vous  pouvez  le  croire,  pro- 
duit une  haine  terrible,  qui,  à  ce  que  je  pense,  durera 
toute  leur  vie  ;  quoique  M.  le  Duc  et  le  prince  de  Conti 
soient  doublement  beaux-frères,  puisque  chacun  d'eux 
a  épousé  la  sœur  de  l'autre,  ils  se  détestent  à  un  point 
qui  est  véritablement  scandaleux.  Mon  fds  a  fait  toute 
sorte  de  bien  à  ces  princes  du  sang  ;  il  a  augmenté 
leurs  pensions,  et  ils  n'ont  pour  lui  aucune  reconnais- 
sance ;  au  contraire,  ils  le  haïssent  à  la  mort  ;  ce  sont 
de  méchants  et  faux  personnages.  Le  prince  de  Conti 
peut  passer  pour  avoir  la  tête  un  peu  dérangée;  il  est 
plein  de  caprices,  et  la  raison  n'a  aucun  empire  sur 
lui  ;  tantôt  il  dit  à  sa  femme  qu'il  veut  la  tuer,  tantôt 
il  se  prend  pour  elle  d'une  amitié  si  forte,  qu'il  ne 
veut  pas  la  laisser  s'écarter  d'un  seul  pas  '.  Un  jour  il 
vint,  un  pistolet  chargé  à  la  main,  trouver  sa  femme 
qui  était  couchée,  et  il  lui  dit  qu'elle  ne  lui  échappe- 
rait pas  et  qu'il  allait  lui  brûler  la  cervelle.  Comme 
elle  connaît  ses  manies,  elle  avait,  elle  aussi,  des  pis- 
tolets sous  son  chevet;  elle  en  saisit  un,  et  lui  dit  : 
«  Prenez  bien  garde  de  ne  pas  me  manquer,  car  si 
vous  ne  me  tuez  pas  tout  raide,  vous  êtes  mort!  tirez 
le  premier.  »  C'est  une  femme  extrêmement  résolue 
et  courageuse.  Le  prince,  qui  n'est  pas  fort  brave, 

'  Louis-Armand,  prince  de  Conti,  était  fort  contrefait,  bossu 
par  devant  et  par  derrière,  et  fort  d('i)auclic.  Sa  femme,  Louisc- 
Éli8at)elh  deCondé,  eut  une  conduite  des  plus  légères  (voir  lea 
Mémoires  de  Maurcpas,  t.  I,  p.  2!j;j). 


DE   MADAME   LA    DUCHESSE    d'ORLÉANS.  195 

comme  il  l'a  montre  dans  la  dernière  campagne,  eut 
peur  et  se  retira.  La  princesse  de  Conti  est  jolie,  gaicr 
et  originale  :  nn  jour  elle  voulut  accompagner  son 
mari  à  une  chasse  au  sanglier;  elle  se  munit  d'une 
grande  et  forte  épée.  Le  prince  lui  demanda  :  «  l*our- 
quoi  faire  cette  épée?  »  Elle  répondit  avec  beaucoup 
de  sang-froid  :  «  Il  y  a  dans  les  forèls  tant  de  bêtes 
méchantes  et  farouches;  je  veux  au  moins  avoir  quel- 
que chose  pour  me  défendre,  et  je  m'en  servirai  bien.  » 
Mais  si'je  racontais  toutes  ces  folies,  ce  serait  un  livre 
que  j'écrirais  et  non  une  lettre  '. 

l<;i-  décembre  1719. 

Le  cardinal  a  tourmenté  mon  fils  au  sujet  du  duc 
de  Richelieu  ;  on  ne  peut  faire  autrement  que  l'exiler  à 
Conflans  pour  six  mois...  J'ai  fait  tout  ce  qui  était  en 
mon  pouvoir  pour  empêcher  le  mariage  de  mon  tîls  ; 
mais  puisqu'il  a  eu  lieu,  et  que  mon  fils  l'a  voulu  mal- 
gré moi,  je  souhaite  maintenant  qu'il  soit  tranquille. 

3  décembre  17  li). 

M"*  de  Valois  commence  un  peu  à  se  consoler  de- 
puis qu'elle  voit  les  belles  toilettes  qu'on  lui  fait.  On 
lui  donne  quarante  habits  différents  ^  ;  on  a  aussi  en- 

1  II  y  eut  dans  cette  famille  des  exemples  bien  caractérisés 
de  folie  ;  le  diic  de  Bourbon,  fils  du  grand  Condé,  s'imagina  sur 
la  fin  de  sa  vie  qu'il  était  devenu  lièvre;  une  autre  fois  il  crut 
être  plante,  et  comme  tel  il  voulut  se  faire  arroser  ;  cette  manie 
fit  place  à  une  autre,  celle  de  se  croire  mort;  il  se  figurait  sou- 
vent devenir  cliauve-souris  (  voir  les  Mémoires  de  Maurepas, 
t.  I,p.  2GG). 

^  Le  roi  lui  fit  pour  quatre  millions  de  cadeaux. 


196  CORRESPONDANCE 

voyé  de  Modène  de  beaux  diamants  ;  c'est  une  c<)nso- 
■lation. 

Tout  est  ici  horriblement  clier,  et  les  prix  ont  aug- 
menté du  double  ;  on  envoie  d'Angleterre  à  Paris  une 
masse  de  diamants  et  de  bijoux  :  les  gens  qui  ont  si 
efTroyablement  gagné  sur  les  actions  achètent  tout 
sans  marchander.  On  raconte  des  histoires  plaisantes. 
Il  y  a  quelques  jours,  une  dame,  nommée  M"'^  Bégon, 
était  à  l'Opéra  ;  elle  vit  entrer  dans  une  loge  une 
dame  extrêmement  laide,  mais  vêtue  des  plus  belles 
étoffes  qu'on  puisse  imaginer  et  couverte  de  dia- 
mants; la  fille  de  M"""  Bégon  lui  dit:  «  Ma  mère,  re- 
gardez donc  celte  dame  si  parée;  il  me  semble  que 
c'est  notre  cuisinière  Marie.  »  —  La  mère  lui  ré- 
pondit :  «  Taisez-vous,  ma  fille ,  cela  n'est  pas  pos- 
sible. »  —  La  fille  répliqua  :  «  Mais,  ma  mère,  regardez- 
la  bien.  —  Je  ne  sais  qu'en  penser,  répondit  la  mère  ; 
«  elle  lui  ressemble  extraordinairement.  —  Eh  bien? 
«  quoi  '/  je  suis  Marie,  la  cuisinière  de  M"'"  Bégon  ;  je 
«  suis  devenue  riche,  je  me  pare  de  mon  bien;  je  ne 
«  dois  rien  à  personne;  j'aime  à  me  parer  et  je  me 
«  pare  ;  cela  ne  fait  tort  à  personne  ;  qu'est-ce  qu'on 
«  a  donc  à  redire  à  cela?  »  Vous  pouvez  pensera  quel 
point  on  éclata  de  rire;  il  existe  des  centaines  d'anec- 
dotes semblables. 

6  décembre  ni 9. 

M.  le  Duc  {de  Bourbon)  et  Madame  sa  mère,  ainsi 
que  son  bon  ami  Lassay,  ont  gagné  plusieurs  mil- 
lions; le  prince  de  Conti  a  gagné  moins;  cependant 
on  prétend  que  son  gain  se  monte  à  des  millions.  Les 


DE   MADAMK   LA    ULCHF.SSE   d'ORLÉANS.  197 

deux  cousins  ne  bougent  pas  de  la  rue  Quincampoix  ' , 
ce  qui  a  donné  lieu  à  l'épigramme  suivante: 

Prince,  dites-uous  vos  exploits, 
Que  failes-vous  pour  votre  gloire  ? 
—  Taisez-vous,  sols  !  Lisez  l'histoire 
De  la  rue  Quiucanipoix. 

Mais  celui  qui  a  gagné  le  plus  d'argent,  c'est  ce 
d'Antin,  qui  est  si  terriblement  intéressé*. 

7  décembre  1719. 

J'ai  appris  une  nouvelle  qui  m'a  causé  une  peine 
sensible  :  le  marquis  de  La  Varenne,  que  je  connais 
depuis  longtemps,  est  venu  me  voir  ce  matin,  et  m'a 
annoncé  un  malheur  qui  est  survenu  à  sa  fille,  que  je 
connais  également  bien,  ainsi  que  son  mari,  qui  est 
un  homme  l'oit  capable,  11  se  nomme  M.  du  Boury; 
M"^  de  La  Varenne  l'a  épousé  malgré  la  volonté  de  ses 
parents,  qui  ont  fini  par  y  consentir.  Cette  dame  était 
àGênes,  je  ne  sais  pour  quels  motifs;  elle  voidait  aller 
en  Espagne  pour  rejoindre  son  mari.  M.  de  La  Va- 

'  Cette  rue,  qui  devint  tout  d'un  coup  rélèbre,  avait  reçu  son 
nom  des  seigneurs  de  Quincampoix  ;  voir  l'armoriai  du  Père  Pe- 
tau  et  celui  du  Père  Laldje.  Les  autres  étymologies  de  ce  nom 
singulier  sont  ridicules.  Dans  lo  Livre  de  la  taille  de  Paris  pour 
12'J2,  elle  est  appelée  rue  Quinqucmpoist.  Diverses  estampes  de 
l'époque  de  la  Régence  représentèrent  les  scènes  dont  elle  fut 
le  tiiéàtie  ;  dans  V AUnanach  de  la  Fortune,  ou  agenda  de  la 
nieQnineompoix ,  on  la  voit  encombrée  de  voitures,  de  chaises 
à  porteur,  de  gens  allai rés.  Il  existe  aussi  le  Véritable  Portrait 
du  trèsfamcitjc  seigneur  Quinquampoix,  avec  trente  vers  fran- 
çais ;  voir  les  Mémoires  de  la  Régence,  t.  H,  p.  329. 

-  Saint-Simon  le  représente  comme  un  joueur  furieux,  fort 
soupi^onné  d'aider  la  fortune. 

17. 


198  CORRESPONDANCE 

renne  eut  un  pressentiment  qu'il  arriverait  quelque 
malheur;  il  écrivit  à  sa  fille  de  ne  pas  s'embarquer, 
sous  quelque  prétexte  que  ce  fût,  quoique  le  trajet 
soit  tellement  court,  qu'on  peut  le  faire  en  vingt- 
quatre  heures,  tandis  que  par  terre  il  prend  beaucoup 
plus  de  temps.  La  pauvre  M'''^  du  Boury  désobéit  à 
son  père,  et,  quoiqu'elle  lui  eût  promis  de  faire  le 
voyage  par  terre  avec  ses  deux  enfants,  elle  s'est  em- 
barquée ;  mais  mal  lui  en  a  pris,  car  le  navire  génois 
sur  lequel  elle  était  a  été  pris  par  des  Algériens,  (^es 
Turcs  sont  en  paix  avec  tout  le  monde,  si  ce  n'est 
avec  les  Génois;  c'est  une  fatalité  affreuse,  et  j'en  suis 
désolée.  Il  est  arrivé  à  la  marquise  de  Foy,  cpii  a  été 
une  de  mes  fdles  d'honneur,  une  aventure  comme 
celle  qui  survint  à  M'""  de  La  Houssaye  :  elle  tomba 
malade  à  Maëslricht,  et  fut  dans  une  si  alfreuse  lé- 
thargie, qu'elle  ne  pouvait  ni  ouvrir  les  yeux,  ni  faire 
un  mouvement,  de  sorte  qu'on  la  croyait  morte; 
elle  pouvait  cependant  entendre  et  voir  tout  ce  qui  se 
faisait  autour  d'elle,  mais  elle  était  hors  d'état  do 
faire  le  moindre  signe.  Elle  vit  mettre  au  pied  de  sou 
lit  un  grand  crucifix  et  des  cierges  allumés,  comme 
cela  se  pratique  parmi  les  catholiques;  on  tendit  dans 
toute  la  chambre  des  étoffes  noires;  enfin  on  donna 
l'ordre  d'apporter  le  cercueil  où  elle  devait  être  pla- 
cée. Ce  dernier  coup  la  mit  hors  d'elle-même;  elle 
fit  un  effort  si  violent,  que  sa  langue  se  délia,  et  elle 
s'écria  de  toutes  ses  forces  ;  «  Enlevez  tout  cela,  et 
donnez-moi  à  boire  et  à  manger.  »  Tous  ceux  qui  étaient 
dans  l'apiiarlement  furent  Icllument  saisis  de  frayeur, 
qu'ils  se  précipitèrent  dehors  eu  tumulte,  se  culbu- 


DE   MADAME   LA   DUCHESSE   D'ORLÉANS.  199 

tant  les  uns  sur  les  autres.  Elle  a  vécu  plusieurs 

années  depuis. 

C'est  une  chose  inconcevable  que  l'immense  richesse 
qu'il  y  a  maintenant  en  France.  On  n'entend  parler  que 
par  millions.  Je  n'y  comprends  rien ,  mais  je  vois  que 
le  dieu  Mammon  règne  à  Paris  d'une  manière  absolue. 

9  décembre  1719. 

Ce  que  je  craignais  au  sujet  de  mon  pelit-fils  est 
justement  arrivé.  11  est,  dans  ce  maudit  bal  de  l'Opéra, 
tombé  dans  les  mains  des  filles  de  l'Opéra;  vous  pou- 
vez facilement  imaginer  ce  qu'elles  lui  ont  appris;  d 
est  maintenant  comme  un  animal  échappé.  Lorsque 
sa  mère  s'en  plaint  à  son  père,  d  rit  à  s'en  rendre  ma- 
lade'. La  chose  n'est  cependant  pas  du  tout  risible; 
car,  avec  ce  genre  de  vie,  ce  garçon,  qui  est  délicat, 
se  tuera  le  corps  et  l'àme  ;  ce  n'est  que  trop  certain. 
11  y  a  d'autres  choses  qui  ne  valent  pas  mieux,  mais 
qui  ne  peuvent  s'écrire;  vous  voyez  ainsi,  ma  chère 
Louise,  si  j'ai  sujet  d'être  chagrine  et  tracassée.  Le 
sous-gouverneur  de  mon  pctit-fds,  qui  est  un  homme 

1  Les  Mémoires  deMauvepas  (t.  1,  p.  255)  confirment  ceci  en 
disant  que  le  Régent  «  voulut  donner  à  son  fils  l'amour  des  plai- 
sirs et  chargea  de  son  éducation  en  libertinage  plusieurs  femmes 
très-connues.  La  plus  célèbre  de  ces  demoiselles  du  Palais-Royal 
ne  put  jamais  parvenir  à  lui  donner  aucune  sorte  d'intelligence, 
mais  elle  en  eut  nn  enfant.  »  On  lit  dans  le  Journal  de  Bar- 
bier (janvier  1722)  :  «  Le  duc  de  Chartres  a  dix-neuf  ans,  et  a 
déjà  eu  plusieurs  galanteries.  11  a  maintenant  une  maîtresse  en 
forme,  la  petite  Quinault.  Ce  prince  n'est  point  aimé  ;  il  a  l'es- 
prit petit  et  mauvais.  »  Et  plus  loin,  l'auteur  rapporte  que  le 
Régent  disait  de  son  lils  :  «  11  a  aussi  peu  d  esprit  (^ue  M.  le  Duc, 
il  est  aussi  brutal  que  le  comte  de  Charolais,  et  aussi  fou  que  le 
prince  do  Conti.  » 


200  CORRESPONDANCE 

fort  vertueux,  est  tellement  affecté  que  je  crains  qu'il 
n'en  perde  la  vie.  Il  n'y  a  que  trop  de  gens  sans  reli- 
gion qui  contribuent  à  plonger  la  jeunesse  dans  toutes 
sortes  de  vices.  La  France  a  horriblement  gâté  l'élec- 
teur de  Saxe:  mon  bon  ami,  M.  d'IIaxthaussen,  m'a 
souvent  dit,  en  versant  des  larmes,  que  son  prince 
s'était  tellement  corrompu  à  Paris  qu'il  n'avait  plus 
l'espoir  de  le  ramener  au  bien.  C'est  ainsi  que  les 
jeunes  gens  tombent  dans  la  débauche  ;  il  n'y  a  plus 
aucun  vice  auquel  ils  ne  s'abandonnent,  et  ils  de- 
viennent de  véritables  brutes. 

Rien  au  monde  n'est  pire  que  cette  manie  qu'ont 
les  moines  et  les  prêtres  de  tout  gouverner.  Tous  les 
ecclésiastiques,  de  quelque  religion  qu'ils  soient,  sont 
ambitieux  et  prétendent  partout  à  la  domination.  Si 
l'électeur  n'obéit  pas  aux  traités  conclus  avec  l'An- 
gleterre, la  Prusse  et  les  Étals  généraux,  et  s'il  n'é- 
coute pas  la  voix  de  la  raison,  comment  puis-jc  es- 
pérer qu'il  m'écouteracn  faveur  des  pauvres  habitants 
du  Palatinat?  Je  ne  puis  que  les  plaindre  du  fond  de 
mon  cœur,  mais  je  n'ai  pas  les  moyens  di;  leur  rendre 
service.  Je  ne  vois  que  trop  maintenant  (pie  Dieu  n'a 
pas  voulu  que  je  pusse  accom|)lir  quehpie  bien  en 
France,  car,  en  dépit  de  mes  efi'orls,  je  n'ai  jamais  pu 
être  utile  à  mon  pays.  Il  est  vrai  (pie,  si  je  suis  venue 
en  France,  c'est  par  pure  obéissance  pour  mon  père, 
l)Our  mon  onde  et  pour  ma  tante,  l'éleelrice  de  Ha- 
novre: mon  inclination  ne  m'y  [tortait  millement, 

12  décembre  m !). 

Notre  reine  {Marie-Thérèse)  est  morte  il'un  abcès 


DE   MADAME   LA    DLCHESSE   d'ORLÉANS.  201 

qu'elle  avait  sous  le  bras.  Au  lieu  de  le  tirer  au  dehors, 
Fagon,  qui,  par  grand  malheur,  était  alors  son  méde- 
cin, la  fit  saigner;  cela  lit  crever  Tabccs  dans  rinlcrieur: 
tout  tomba  sur  le  cœur,  et  l'émétique  qu'il  lui  donna 
là-dessus  étouffa  la  reine.  Le  chirurgien  cjui  saigna  la 
reine  dit:  «Monsieur,  y  songez-vous  bien?  ce  sera  la 
mort  de  ma  maîtresse.  »  Fagon  dit  :  «  Faites  ce  que  je 
vous  ordonne,  Gervais.  »  Le  chirurgien  pleurait  amè- 
rement, et  disait  à  Fagon  :  «Vous  voulez  donc  que  ce 
soit  moi  qui  tue  la  reine,  ma  maîtresse?  »  A  onze 
heures  il  la  fit  saigner,  à  midi  il  lui  donna  l'émé- 
tique, et  à  trois  heures  du  soir  elle  était  morte.  Après 
la  saignée,  il  lui  donna  une  grande  prise  d'émétique, 
et,  dans  cette  opération,  la  reine  partit  pour  l'autre 
monde.  On  peut  bien  dire  que  tout  le  bonheur  de  la 
France  est  mort  avec  elle.  Le  roi  fut  très-touché,  mais 
le  vieux  méchant  diable  de  Fagon  l'avait  fait  à  des- 
sein, afin  d'assurer  par  là  la  fortune  de  la  vieille  giie- 
nipe. 

12  décembre  1719. 

M.  Law  n'est  pas  le  seul  qui  ait  acheté  de  beaux 
bijoux  et  des  biens,  M.  le  Duc  devient  énormément 
riche,  ainsi  que  tous  ceux  qui  ont  des  actions. 

13  décembre  1719. 

M"*  de  Fiennes  avait  beaucoup  d'esprit  >  et  aimait 
la  raillerie;  sa  langue  n'épargnait  personne  que  moi. 

'  D'apiès  les  Mémoires  du  temps,  M  me  de  Fiennes  exerçait 
une  grande  inllueiice  sur  Mimsieur;  spiiiluelle,  caustique,  arro- 
gante, ambitieuse  et  avare,  clic  était  liée  avec  M"ic  de  Sévisné, 
qui  en  parle  quelquefois. 


202  CORRESPONDANCE 

Comme  je  vis  qu'elle  ne  ménageait  nullement  dans 
ses  propos  ni  le  roi,  ni  Monsieur,  ni  qui  que  ce  fût,  je 
la  pris  un  jour  par  la  main  et,  la  conduisant  dans  un 
coin,  je  lui  dis  :  «  Madame,  vous  êtes  aimable,  vous 
avez  beaucoup  d'esprit ,  mais  vous  avez  une  manière 
de  parler  dont  le  roi  et  Monsieur  s'accommodent  parce 
qu'ils  y  sont  accoutumés;  pour  moi,  qui  ne  fais  que 
d'arriver,  je  n'y  suis  point  faite  ;  je  me  fâche  quand 
on  se  moque  de  moi  ;  c'est  pourquoi  j'ai  voulu  vous 
donner  un  petit  avis.  Si  vous  m'épargnez,  nous  serons 
très-bien  ensemble;  mais  si  vous  me  traitez  comme 
les  autres,  je  ne  vous  dirai  rien  :  cependant  je  m'en 
plaindrai  à  votre  mari,  et,  s'il  ne  vous  corrige  pas,  je 
le  chasserai.  »  11  était  mon  écuyer  ordinaire.  Elle  me 
promit  de  ne  jamais  parler  de  moi,  et  elle  a  tenu  pa- 
role. Monsieur  disait  souvent  :  «  Mais  comment  faites- 
vous  pour  que  madame  de  Fiennes  ne  vous  dise  rien 
de  fâcheux?  »  Je  répondais  :  «  C'est  qu'elle  m'aime.  » 
Je  ne  voulais  pas  lui  dire  ce  que  j'avais  fait,  car  il. 
l'aurait  excitée  contre  moi. 

A   M.    DE    HARLING. 

l4  décembre  1710. 

Le  roi  d'Auglcterre  est  heureusement  arrivé  à  Lon- 
dres en  bonne  santé;  mais  le  prince  de  Galles  m'af- 
llige  jusqu'au  fond  de  l'àme;  il  a  cru  faire  quel()ue 
chose  de  fort  beau  en  envoyant  im  page  auprès  du  roi 
son  père,  pour  le  féliciter  de  son  heureuse  arrivée  dans 
les  termes  les  plus  soumis;  non-seulement  le  roi  n'a 
pas  voulu  recevoir  son  message,  mais  encore  il  a  con- 
gédié le  jeune  gentilhonnneuvec  des  paroles  fort  dures, 


DE  MADAME   LA  DUCHESSE   d'oRLÉANS.  203 

et  il  a  donné  des  ordres  pour  retirer  la  permission 
que  le  prince  avait  eue,  avant  le  voyage  du  roi,  de 
voir  sa  tille,  que  le  prince  aime  tendrement.  Cela  me 
parait  par  trop  dur,  et  l'on  croirait  que  le  roi  est  plutôt 
de  la  race  du  czar  que  de  colle  de  Brunswick  et  du 
Palatinat.  Cela  ne  peut  tourner  bien  pour  le  roi. 

A   LA   COMTESSE    LOUISE. 

17  décembre  1719.       » 

La  princesse  de  Galles  m'a  fait  part  du  malheur 
survenu  à  la  comtesse  d'Holderness;.il  y  avait  un 
vieux  duc  de  Bellegarde  qui  disait  :  «  Je  n'ai  que  les 
peurs  que  l'honneur  permet  »,  et  assurément  l'épou- 
vante qu'a  eue  votre  nièce  est  de  ces  peurs-là ,  car  il 
est  permis  de  s'eflrayer  lorsqu'on  voit  trois  coquins 
escalader  votre  fenêtre  ;  je  ne  m'étonne  pas  que  la 
comtesse  en  ait  fait  une  fausse  couche,  et  elles  sont 
pires  qu'un  accouchement  naturel.  On  dit  que  de 
bonnes  couches  réparent  les  fausses,  et  qu'il  est  bon 
de  se  retrouver  enceinte  de  suite  après  une  fausse 
couche;  selon  moi,  ce  qu'il  y  a  de  mieux  en  ce  genre 
ne  vaut  pas  grand'chose. 

Il  n'y  a  pas  un  mot  de  -sTai  dans  ce  que  disent  les 
journaux,  que  le  chevalier  de  Saint-George  m'a  écrit; 
mais  le  fait  est  qu'il  me  cause  une  peine  que  je  ne 
puis  exprimer,  car  c'est  le  meilleur  homme  du  monde, 
doux  et  poli,  et  il  ne  mérite  pas  tous  les  malheurs  qui 
l'accablent. 

Je  ne  crois  pas  qu'on  ait  jamais  vu  autant  de  malice 
et  de  méchanceté  qu'il  s'en  montre  à  présent  ;  c'est 
une  preuve  de  la  vérité  du  vieux  proverbe  allemand  : 


204  CORRESPONDANCE 

«  OÙ  le  diable  ne  peut  aller  lui-même,  il  envoie  une 
vieille  femme,  »  car  tout  le  mal  vient  de  la  vieille  Main- 
tenon,  qui  vient  de  mourir  à  quatre-vingt-quatre  ans, 
et  de  la  princesse  des  Ursins,  qui  en  a  soixante-dix- 
sept  ;  ces  deux  vieilles  sorcières,  comme  les  appelle  la 
gi'ande-duchesse,  avaient  juré  la  perte  de  mon  fds;  la 
première  à  cause  de  son  affection  pour  le  duc  du  Maine, 
qu'elle  voulait  placer  sur  le  trône;  la  seconde  n'a 
aucun  motif  pour  haïr  mon  fils,  si  ce  n'est  qu'il  l'a 
trouvée  trop  vieille  pour  faire  le  galant  auprès  d'elle; 
voilà  pourquoi  elle  lui  a  voué  une  haine  implacable. 
M"e  de  Valois  est  certainement  plus  belle  que  sa 
sœur  l'abbesse  de  Chelles,  mais  celle-ci  est  incompara- 
blement plus  agi^éable;  elle  a  un  rire  charmant  et  les 
plus  belles  dents  du  monde;  on  peut,  sans  exagéra- 
tion ,  les  comparer  à  une  rangée  de  perles  ;  elle  est 
bien  faite  et  pas  trop  petite;  elle  bégaye  un  peu,  mais 
cela  ne  lui  sied  point  mal.  Elle  parle  et  elle  rit  tout 
naturellement,  sans  affectation  et  sans  effort;  elle  est 
franche  et  naturelle  ;  elle  dit  ce  qu'elle  pense ,  tandis 
que  sa  sœur  est  dissimulée  et  sans  franchise  ;  je  ne 
peux  supporter  cela,  et  j'avoue  que  je  voudrais  qu'elle 
fût  déjà  à  Modènc.  11  est  très-vrai  que  le  comte  de 
Charolais  doit  épouser  une  piincesse  de  Modène ;  si 
c'est  une  pécheresse ,  elle  fera  une  rude  pénitence, 
car  je  connais  le  personnage,  et  je  me  trompe  fort, 
ou  bien  elle  sera  la  plus  malheureuse  qu'il  y  ait  au 
monde  '  ;  j'ai  donc  de  la  compassion  pour  elle.  On  met 

'  Le  comte  de  Charolais  devint  un  des  plus  vils  scélérats 
dont  l'hisloire  ait  çiardé  le  souvenir.  11  débuta  par  assassiner  un 
de  ses  valets  dont  il  n'avait  pu  séduire  la  femaie.  11  ensanglan- 


DE  MADAME   LA   DUCHESSE   d'oRLÉANS.  2Ô5 

dans  les  gazettes  un  tas  de  choses  qui  ne  sont  pas 
vraies;  ce  qu'on  dit  au  sujet  du  duc  de  Chartres  est 
tout  à  fait  faux;  M"ede  Valois,  pour  ne  pas  le  voir, 
s'enfuirait  jusqu'aux  antipodes,  comme  l'on  dit;  c'est 
son  demi-frère,  le  grand-prieur  et  général  des  galères, 
qui  la  conduira  à  Modène,  sur  les  galères  du  roi. 

Paris,  24  décembre  1719. 

M.  Marion  m'a  remis  votre  lettre  du  9  de  ce  mois  ; 
elle  n'est  pas  venue  bien  vite,  puisqu'elle  a  déjà  quinze 
jours  de  date  ;  il  m'a  aussi  remis  le  livre  des  Dialo- 
gues des  morts.  Je  l'ai  aussitôt  envoyé  à  mon  relieur, 
et  je  vous  en  remercie  sincèrement.  Il  ne  peut  être 
médiocre;  il  faut  qu'il  soit  très-joli  ou  très-plat;  un 
m'a  fait  rire,  c'est  le  dialogue  entre  M.  de  Turenne 
et  M""^  de  LaVallière;  si  on  avait  mis  M"^  de  Coetquen, 
on  aurait  pu  raconter  toute  l'histoire  du  traité  que 
Madame  avait  négocié  entre  son  frère,  le  roi  d'Angle- 
terre, et  le  feu  roi,  secret  qui  fut  divulgué  par  l'indiscré- 
tion de  Turenne.  Malgré  son  âge,  il  était  éperdument 

tait  ses  débauches  par  d'ignobles  barbaries  sur  les  courtisanes 
qu'on  lui  amenait;  il  lirait  sur  des  couvreurs  pour  se  donner  le 
plaisir  de  les  voir  tomber  du  haut  des  toits.  11  eût  dix  fois  pour 
une  porté  sa  tête  sur  l'érhafaud,  s'il  eût  pu  exister,  sous  la  mo- 
narchie, une  justice  contre  les  princes  (voir  Lacretelle,  Histoire 
de  France  pendant  le  dix-fiuilième  siècle,  1. 11,  p.  59,  H.  Mar- 
tin, Hist.  de  France).  Marais  raconte  dans  son  Journal,  Revue 
rétrospective,  t.  IX,  p.  309,  des  traits  de  la  brutalité  de  ce  per- 
sonnage. 

Les  Mémoires  du  Genevois  Franqois  de  Bonivard  offriraient, 
au  seizième  siècle,  des  traits  du  même  genre  :  «  De  mon  temps, 
«  un  comte  de  Nevers,  ayant  une  épée  nouvelle,  pour  icclle 
«  essayer,  coupoit  par  derrière  le  col  à  quelqu'un  qu'il  croyoit 
«  avoir  long.  »  Mais  pareils  récits  sont-ils  bien  authentiques? 

II.  18 


206  CORRESPONDANCE 

épris  de  M"'^  de  Coetquen,  qui  était  toujours  auprès  de 
Madame  et  très-fort  dans  ses  bonnes  grâces,  quoi- 
qu'elle n'en  fût  pas  digne ,  puisqu'elle  aimait  le  che- 
valier de  Lorraine,  qui  était  l'ennemi  le  plus  acharné 
de  Madame,  et  qui,  pour  pénétrer  ses  secrets,  souffrait 
que  sa  maîtresse  flattât  son  vieil  adorateur.  Ils  n'a- 
vaient pu  tirer  de  Madame  le  secret  du  traité,  mais 
Turenne  était  trop  amoureux  de  M""*  de  Coetquen  ' 
poiu'  rien  lui  cacher;  il  lui  révéla  le  secret  ;  elle  en  fit 
part  au  chevalier  et  celui-ci  à  Monsieur,  qui  fut  très- 
irrité  contre  sa  femme  et  contre  le  roi ,  et  qui  s'em- 
porta contre  eux.  Madame  dit  au  roi  que  le  chevalier 
de  Lorraine  l'avait  brouillée  avec  son  mari,  et  le  che- 
valier fut  chassé,  mais  Madame  paya  tout  cela  de  sa 
vie  ;  ils  ne  voulurent  pas  mettre  Monsieur  dans  leur 
secret;  ils  dirent  :  «  11  ne  sauroit  rien  taire  au  roy  si 
nous  luy  avouons  que  nous  voulions  empoissener  Ma- 
dame ou  jl  ne  le  souffrira  pas  ou  bien  jl  nous  dénon- 
cera au  roy  et  nous  fera  tout  pendre  -.  »  On  a  donc 
fait  grand  tort  à  Monsieur  lorsqu'on  a  prétendu  qu'il 
avait  laissé  empoisonner  sa  femme;  il  était  incapable 
d'un  pareil  crime;  c'est  une  vieille  histoire,  mais  très- 
vraie,  quoiqu'elle  ait  l'air  d'un  roman.  Vous  voyez 
donc  que  si,  au  lieu  de  M"^"  de  La  Vallière,  on  avait 

>  M'"e  Je  Coetquen  mourut  à  Rennes  dans  un  cou  vent,  le  17  juin 
1720.  «  Elle  étoit  sœur  cadette  de  Mme  Je  Soubise,  belle,  encore 
«  plus  agréable,  et  de  grande  mine,  avec  de  l'esprit  et  fort  faite 
«  pour  la  cour  et  le  grand  monde,  où  elle  figura  longtemps. 
«  Son  aventure  avec  M.  de  Turenne  lui  donna  beaucoup  de  re- 
«  licf.  »  Ainsi  s'exprime  Saint-Simon. 

'  Ce  passage  est  en  français  dans  la  lettre  de  Madame  ;  nous 
le  reproduisons  textuellement. 


DE   MADAME    LA   DUCHESSE   d'oRLÉANS.  207 

supposé  un  dialogue  entre  M™^  de  Coetquen  et  Tu- 
renne,  on  aurait  pu  mettre  quelque  chose  de  piquant 
et  de  curieux,  mais  peu  de  gens  connaissent  bien  tous 
ces  détails  ;  je  les  sais  de  bonne  source,  car  je  les  tiens 
du  roi  et  de  INIonsieur ,  si  ce  n'est  ce  qui  regarde  la 
mort  de  Madame,  que  j'ai  appris  d'autre  part. 

26  décembre  1719. 

Le  cardinal  Mazarin  envoya  un  jour  Boisrobert  com- 
plimenter un  envoyé  anglais;  lorsqu'il  fut  arrivé  à 
l'hôtel,  il  dit  :  «  M.  le  cardinal  m'envoie  ici  pour  voir 
M.  l'ambassadeur  et  M"^^  l'ambassadrice,  et  leur  faire 
des  compliments.  »  Un  Anglais  qui  l'avait  introduit 
répondit  :  «  Mylord  il  est  prêt,  Myledy  il  n'est  pas 
prêt,  friselire  ses  cheveux,  prendre  patience.  » 

28  décembre  1719. 

On  dit  beaucoup  de  bien  du  prince  de  Modène  ;  il  a 
de  la  capacité  et  de  bons  sentiments  ;  il  n'est  pas  beau, 
mais  il  est  bien  élevé  et  très-raisonnable.  Ce  prince  a 
dû  être  tout  à  fait  épris  du  portrait  de  sa  future  épouse; 
il  me  fait  vraiment  bien  de  la  peine.  Les  bons  mé- 
nages sont  extrêmement  rares,  et  j'ai  vu  des  gens  qui 
s'étaient  épousés  par  amour,  et  qui  ensuite  se  sont 
mis  à  se  détester  comme  le  diable,  et  qui  se  haïssent 
encore.  Heureux  qui  ne  s'est  pas  marié  !  que  j'eusse 
été  contente  si  l'on  m'avait  permis  de  ne  pas  me  ma- 
rier, et  de  vivre  dans  le  célibat!  Si  vous  voulez  que  je 
vous  dise  la  véritable  raison  pourquoi  les  princes  et 
princesses  se  détestent  tellement,  c'est  qu'ils  ne  valent 
rien  du  tout. 


r 


208  CORRESPONDANCE 

29  décembre  1719. 

C'est  une  drôle  de  chose  de  voir  comment  tout  le 
monde  court  après  M.  Law  et  se  bouscule  rien  que 
pour  l'apercevoir,  lui  ou  son  fils. 

2  janvier  1720. 

Il  faut  que  le  roi  d'Espagne  connaisse  bien  les  gens 
pour  leur  dire  une  couple  de  mots  ;  si  voulez  qu'il  vous 
parle,  il  faut  l'agacer  et  le  tourmenter  un  peu  ;  autre- 
ment, il  ne  dit  absolument  rien.  J'ai  vu  Monsieur  très- 
impatienté  de  ce  que  ce  roi  ne  parlait  point  et  ne  lui 
adressait  une  seule  parole.  Monsieur  n'avait  pas  pris  la 
peine  de  s'entretenir  avec  lui  avant  qu'il  fût  roi  ;  ensuite 
il  voulut  que  ce  prince  lui  adressât  la  parole;  cela  ne 
convenait  pas  à  ce  sire.  Avec  moi,  c'était  autre  chose. 
Dans  l'appartement,  à  table,  à  la  comédie,  nous  étions 
toujours  assis  ensemble  ;  il  aimait  à  entendre  des 
contes;  je  lui  en  faisais  pendant  des  soirées  entières; 
c'est  \h  surtout  ce  qui  l'a  accoutumé  à  moi,  et  voilà 
pourquoi  il  a  toujours  eu  quelque  chose  à  me  deman- 
der. J'ai  ri  souvent  de  la  réponse  qu'il  me  faisait  quand 
je  lui  disais  :  «  Eh,  Monsieur,  parlez  un  peu  à  votre 
grand-oncle,  qui  est  tout  peiné  de  ce  que  vous  ne  lui 
parlez  pas.  »  11  répondait  :  «  Que  voulez-vous  que  je 
lui  dise?  je  ne  le  connais  presque  pas.  » 

Paris,  4  janvier  1720. 

Je  n'ai  ici  qu'ennui  et  désagrément  :  il  n'est  pas 
jusqu'au  spectacle,  le  seul  plaisir  qui  me  restât  à  mon 
âge,  qu'on  n'ait  gâté,  car  la  scène  est  à  présont  en- 
combrée de  monde,  de  sorte  ([ue  les  acteurs  n'ont  pas 


DE  MADAME  LA   DUCHESSE  d'ORLÉANS.  2C9 

de  place  pour  jouer  ;  c'est  extrêmement  désagréable. 
Un  abbé,  qui  est  de  mes  amis,  et  qui  appartient  à 
une  des  meilleures  maisons  de  Franco,  qui  a  beaucoup 
d'esprit,  mais  la  tète  un  peu  exaltée,  s'est  imaginé 
qu'il  n'appartenait  pas  à  la  vraie  religion,  puisque  l'on 
persécutait  si  fort  les  pauvres  réformés  ;  cela  lui  a  fait 
prendre  le  parti  de  se  mettre  lui-même  parmi  les  ré- 
formés; il  est  allé  trouver  le  chapelain  de  l'ambassa- 
deur de  Hollande,  et  il  abjuré  entre  ses  mains  la  foi 
catholique  ;  il  est  ensuite  allé ,  la  veille  de  la  Noël , 
rendre  une  visite  à  une  dame,  qui  lui  a  dit  :  «  L'abbé, 
voici  un  vrai  temps  pour  vous  qui  aimez  à  veiller,  car 
vous  irez  à  la  messe  de  minuit.  »  Le  pauvre  abbé 
d'Entrague  '  a  répondu  :  «  Moi,  je  n'irai  plus  de  ma 
vie  à  la  messe.  »  Cela  a  fort  surpris  tous  les  assistants, 
et  quelqu'un  lui  ayant  demandé  :  «  Pourquoi  n'allez- 
vous  plus  à  la  messe?  »  il  a  répondu  avec  le  plus  grand 
sang-froid  :  «  Depuis  que  j'ai  eu  le  bonheur  de  com- 
munier sous  les  deux  espèces  avec  six  cents  de  mes 
frères ,  je  suis  bien  résolu  à  ne  plus  jamais  aller  à  la 
messe.  »  Cela  a  mis  tout  Paris  en  rumeur  ;  les  évêques 
et  tous  les  prêtres  se  sont  réunis,  et  ont  résolu  d'aller 

1  Saint-Simon  (t.  XXXIIl,  p.  250)  donne  de  curieux  détails 
sur  ce  personnage  :  «  C'était  un  grand  lioninie,  trcs-l)ien  fait, 
«  d'une  pâleur  singulière,  qu'il  entretcnoit  exprès  à  force  de 
n  saignées,  qu'il  appeloit  sa  friandise,  et  qui  dormoit  les  bras 
«  attachés  en  liaut  pour  avoir  de  plus  belles  mains.  Il  étoit 
«  méchant,  se  plaisait  aux  tracasseries  et  à  brouiller  les  gens. 
«  On  ne  pouvoit  rien  imaginer  de  sérieux  d'un  homme  si  fri- 
«  vole.  Il  ne  laissa  pas,  avec  tous  les  fruits  et  la  glace  qu'il 
«  avaloit,  de  passer  quatre-vingts  ans  sans  infirmité,  et  il  Unit 
n  fort  clirétienncment  une  vie  fort  peu  chrétienne.  « 

18. 


210  CORRESPONDANCE 

trouver  mon  fils  et  de  lui  demander  de  faire  mettre 
l'abbé  à  la  Bastille.  Le  pauvre  homme  est  venu  la  nuit 
me  trouver,  et  m'a  demandé  conseil  sur  ce  qu'il  devait 
faire.  Je  l'ai  bien  grondé  pour  son  imprudence,  et  je 
lui  ai  dit  que  la  seule  chose  qu'il  eût  à  faire,  c'était  de 
s'échapjier  au  plus  tôt.  11  a  suivi  mon  avis,  et,  Dieu 
merci,  il  s'est  sauvé.  On  l'a  bien  cherché  pour  le  mettre 
à  la  Bastille,  mais  on  ne  l'a  pas  trouvé.  Je  ne  sais  où 
il  est  ;  mais  j'espère  qu'il  est  en  lieu  de  sûreté,  et  j'en 
suis  bien  aise.  Vous  ne  connaîtriez  pas  les  Français,  si 
vous  pensiez  qu'ils  peuvent  se  retenir  de  parler. 

5  janvier  1720. 

A|)rès  les  aveux  que  M"^  du  Maine  a  faits  au  sujet 
de  sa  conspiration,  et  qu'elle  a  mis  par  écrit,  mon  fils 
l'a  fait  mettre  en  liberté  et  l'a  laissée  revenir  à  Sceaux. 
Elle  est  très-irrilée  de  ce  qu'on  a  fait  lecture  de  ses 
lettres  en  plein  conseil.  Comme  elle  a  déclaré,  dans 
sa  déposition,  qu'elle  a  tout  fait  à  l'insu  de  son  mari, 
quoiqu'en  son  nom,  on  le  laisse  revenir  dans  sa  terre 
de  Chavigny,  auprès  de  Versailles. 

Paris,  7  janvier  1720. 

Si  l'abbé  d'Entrague  arrivait  à  Erancfurt,  dites-lui 
que  j'ai  écrit  du  bien  de  lui.  Vous  pouvez  le  voir  sans 
crainte  du  scandale;  car  lorsqu'il  était  encore  un  tout 
petit  enfant,  des  poules  qu'il  trouva  dans  une  basse- 
cour  où  il  était  à  jouer,  le  niulilèicnt  d'une  étrange 
façon  '  ;  cela  lui  a  donné  une  telle  horreur  pour  les 

•  Alleseine  sieben  Sachen  abge/ressen  :  liUéralcment ,  mangé 
toutes  SCS  sept  choses  j  ceci  rappelle  la  mcÊavciUurc  do  boilcau, 


DE  MADAME  LA  DLCHESSE  D OULÉANS.     211 

poules,  que  lorsqu'il  en  aperçoit,  il  est  au  moment  de 
se  trouver  mal. 

Sjanvier  1720. 

Le  grand-prieur,  qui  est  général  des  galères ,  doit 
mener  M""*  sa  sœur  en  Italie.  Les  galères  doivent  être 
élégamment  meublées;  cela  seul  coûte  100,000  livres. 

9  janvier  ITiO. 

Je  me  suis  souvent  promenée  la  nuit  dans  la  galerie 
du  château  de  Fontainebleau,  où  l'on  disait  que  l'es- 
prit du  feu  roi  François  I"  revenait,  mais  le  bon  roi 
ne  m'a  jamais  fait  l'honneur  de  se  montrer  ù  moi  ; 
peut-être  il  ne  regardait  pas  nos  prières  comme  assez 
efficaces  pour  le  sortir  du  purgatoire ,  et ,  en  cela  ,  il 
pourrait  bien  avoir  raison. 

J'étais  très-gaie  dans  ma  jeunesse;  c'est  pourquoi 
on  m'appelait  en  allemand  Rinischen  petten  Knedit. 
Je  me  souviens  de  la  naissance  du  roi  d'Angleterre 
comme  si  c'était  d'aujourd'hui  ;  j'étais  un  enfant 
curieux  et  espiègle.  On  avait  mis  une  poupée  dans 
un  buisson  de  romarin,  et  on  voulait  me  faire  croire 
que  c'était  l'enfant  dont  ma  tante  venait  d'accou- 
cher ;  au  même  moment,  je  l'entendis  crier  horrible- 
ment, car  l'électrice  était  en  mal  d'enfant  ;  cela  ne 
s'accordait  pas  avec  l'enfant  dans  le  buisson  de  roma- 

mutilé  à  grands  coups  de  bec  par  un  dindon;  d'où,  suivant 
Helvélius,  la  haine  du  poëte  pour  les  jétuites  importateurs  des 
dindons  (voir  les  éditions  de  Boileau,  données  par  >1M.  Daunou, 
1825,  t.  I,  iiii,  et  de  Saint-Surin,  1821,  t"  I,  p.  85:  mais 
M.  Berriat  Saint-Prix  (Essai  sur  Boileau,  en  tète  de  son  édi- 
tion, 1831,  4  vol.  in-8,  t.  1,  chap.  xxxiv)  montre  que  celte 
anecdote  est  dépourvue  de  toute  vraisemblance. 


212  CORRESPONDANCE 

rin;  je  fis  comme  si  je  le  croyais,  mais  je  me  glissai 
dans  la  chambre  de  ma  tante,  comme  si  je  jouais  à  la 
cachette  avec  le  jeune  Bulau  et  avec  Haxthausen,  et 
je  me  lapis  derrière  un  grand  paravent  qu'on  avait 
placé  devant  la  porte  auprès  de  la  cheminée.  On  apporta 
l'enfant  auprès  de  la  cheminée  pour  le  baigner;  je 
sortis  de  ma  cachette.  Je  devais  avoir  le  fouet,  mais 
en  l'honneur  de  l'heureux  événement,  je  ne  fus  que 
bien  grondée. 

9  janvier  1720. 

M.  le  Duc  et  M^^  sa  mère  ont,  dit-on,  gagné  250 
millions  '. 

11  janvier  1720. 

Je  crois  que  l'abbé  d'Entrague  est  tout  à  fait  devenu 
fou.  Comme  je  vous  l'ai  écrit,  il  avait  pris  la  fuite, 
selon  le  conseil  que  je  lui  avais  donné,  et  il  était  arrivé 
en  Flandre;  il  était  tout  près  de  Tournai,  où  il  aurait 
été  en  sûreté  ;  au  lieu  de  cela,  il  va  à  Lille,  où  il  passe 
quelques  jours  à  se  reposer.  Comme  personne  ne  ly 
connaissait,  il  ne  courait  aucun  risque  s'il  était  resté 
tranquille,  mais,  au  contraire,  il  va  sur  la  place  pu- 
Itliquo  ;  il  veut,  comme  un  juif,  négocier  des  billets  de 
l»anque  ;  il  déclame  contre  mon  fds  et  contre  le  gou- 
vernement :  on  prévient  le  commandant  de  Lille,  qui 
le  fait  aussitôt  arrêter,  et  on  découvre  qu'il  est  l'abbé 
(rLnlrague.  A-t-on  jamais  vu  un  pareil  extravagant'/ 
Mon  fils  a  fait  tout  ce  qu'il  a  pu  pour  le  sauver  ;  il  lui 
a  laissé  le  temps  de  s'enfuir;  il  ne  l'a  pas  fait  pour- 

'  u  L'avidité  liistoriqiic  de  la  maison  de  Condc  se  gorgea  de 
millions  par  le  dévouement  de  Law  »  (Saint-Simon  ,  t.  VII, 
I).  20 1). 


DE   MADAME    LA    DUCIIIÎSSE    D'oKLÉANS.  213 

suivre ,  et  voilà  cet  imbécile  qui  va  déclamer  contre 
lui  sur  la  place  publique. 

Je  ne  veux  rien  dire  des  millions  actuels;  j'en  suis 
tellement  fatiguée,  que  je  ne  puis  plus  en  entendre 
parler.  J'ai  honte  de  voir  une  princesse  du  sang  entrer 
à  la  Banque,  et  se  faire  battre  par  cupidité  pour  amas- 
ser de  l'argent  ;  c'est  vraiment  ignoble. 

23  janvier  l';20. 

M""  du  Maine  avait  écrit  à  mon  fils  que  dans  le  cas 
où  elle  aurait  oublié  quelque  chose  dans  sa  déclara- 
tion, il  n'y  aurait  qu'à  le  demander  à  M""  de  Launay, 
qui  savait  tout.  En  conséquence,  il  envoya  chez  cette 
demoiselle  pour  lui  adresser  des  questions.  Elle  répon- 
dit :  «  Je  ne  sais  si  la  prison  a  tourné  la  tète  à  ma 
maîtresse,  mais  la  même  chose  n'est  point  arrivée  à 
moi.  Je  ne  sais  rien  et  je  ne  veux  rien  dire.  » 

M"^^  du  Maine  avait  gagné  dans  toutes  les  provinces 
des  gentilshommes  et  leur  avait  fait  faire  des  tournées 
pour  provoquer  à  la  révolte ,  mais  nulle  part  on  n'a 
voulu  mordre  à  la  grappe,  si  ce  n'est  en  Bretagne. 

24  janvier  n20. 

M.  Law  a  fait  abjuration  à  Melun,  et  il  est  devenu 
catholique  ainsi  que  ses  enfants  ;  sa  femme  en  a  été 
désespérée...  11  n'est  point  avare;  il  fait,  sans  qu'on 
en  entende  parler,  beaucoup  d'aumônes  et  donne  de 
grosses  sommes  ;  il  assiste  aussi  beaucoup  de  pauvres 
gens. 

25  janvier  1720. 

Le  présent  attendu  de  Modcne  est  arrivé;  il  ne  se 


214  CORRESPONDANCE 

compose  pas  de  beaucoup  d'objets  ;  il  y  a  un  très-gros 
joyau  que  la  fiancée  doit  porter  sur  elle  avec  de  fort 
beaux  diamants,  et  le  portrait  du  duc,  mais  bien  mal 
fait  ;  on  donnera  tout  cela  quand  les  promesses  auront 
été  faites  en  présence  du  roi  et  après  la  signature  du 
contrat...  La  grande-duchesse  (fZe  Toscane)  dit  qu'elle 
ne  veut  pas  voir  Mademoiselle;  elle  sait  ce  que  c'est 
que  l'Italie,  et  combien  peu  W^  de  Valois  pourra  s'y 
accoutumer,  et  elle  dit  qu'elle  craint,  si  Mademoiselle 
venait  à  s'en  retourner,  qu'on  ne  dit  :  «  Voilà  le  se- 
cond tome  delà  duchesse  de  Toscane;  »  à  chaque  sot- 
tise qu'elle  ferait  à  l'égard  de  son  beau-père  et  de  son 
mari,  on  s'écrierait  :  «  «  Ah  !  voilà  les  instructions  que 
lui  a  données  sa  tante  la  grande -duchesse.  »  Ainsi, 
elle  ne  veut  ni  la  voir  ni  lui  parler. 

Paris,  2G  janvier  1720. 

Mme  (Ju  Maine  a  disculpé  complètement  son  mari  et 
déclaré  que  c'était  elle  qui  avait  ourdi  toute  la  cons- 
piration, et  qu'elle  avait  abusé  de  son  nom  pour  cela, 
mais  qu'il  n'en  savait  pas  un  seul  mot.  Tous  les  autres 
conspirateurs  qui  sont  à  la  Bastille  en  disent  de  inême. 
11  est  possible  que  ce  soit  vrai,  quoique  ce  soit  diflicile 
à  croire.  Le  duc ,  pour  confirmer  cette  façon  de  pré- 
senter la  chose,  ne  veut  ni  voir  sa  femme  ni  en  enten- 
dre parler.  Elle  est  désespérée  que  mon  lils  ait  fait  lire 
au  Conseil  toutes  les  pièces  qui  établissaient  l'exis- 
tence du  complot;  mais  cette  méchante  bête  a  bien 
dû  comprendre  que,  si  mon  iils  n'avait  pas  agi  de  la 
sorte,  on  n'eût  pas  manqué  de  dire  (pie  la  conspira- 
lictu  n'était  pas  vraie,  mais  seulement  une  invention 
de  su  paii. 


DE   MADAME   LA  DUCHESSE  d'oRLÉANS.  215 

Albéroni  a  écrit  à  mon  fils  pour  solliciter  son  par- 
don; il  lui  a  déclaré  que  tous  les  libelles  répandus 
contre  lui  en  Espagne  étaient  envoyés  de  Paris;  il  of- 
fre de  tout  découvrir  et  de  procurer  à  mon  fils  les 
moyens  de  s'emparer  de  toute  l'Espagne,  car  il  con- 
naît le  fort  et  le  faible  du  royaume.  N'est-ce  pas  là  un 
trait  d'un  coquin  insigne? 

Le  pauvre  abbé  d'Entrague  s'est  fait  arrêter  à  Lille 
comme  un  sot  ;  sa  voiture  était  devant  la  porte,  il  n'a- 
vait qu'à  s'en  aller,  et  son  valet  le  pressait  de  le  faire; 
mais  il  a  perdu  son  temps  à  s'occuper  de  sa  toilette, 
et  lorsqu'on  lui  a  demandé  :  «  Que  faites-vous  ici?  » 
il  a  répondu  :  «  Je  me  suis  fait  huguenot.  »  C'était  une 
belle  réponse  à  faire  en  Flandre,  où  l'on  est  papiste 
très-zélé.  Mon  fils  a  ordonné  de  le  bien  traiter  et  de 
lui  donner  tout  ce  qu'il  demande,  jusqu'à  des  poupées, 
avec  lesquelles  il  joue  comme  un  enfant.  Il  a  cepen- 
dant de  la  capacité;  je  ne  puis  comprendre  qu'avec 
des  moyens  on  puisse  agir  d'une  façon  aussi  puérile. 
D'après  ce  qu'on  nous  mande  sur  l'Espagne,  il  faut 
croire  que  les  gens  n'y  valent  pas  mieux  qu'ici  ' . 

27  janvier  1720. 
Mon  fils  demandait  une  duchesse  qui  accompagnât 

'  Nous  lisons  dans  une  lettre  du  marquis  de  Villars,  ambas- 
sadeur de  France  à  Madrid,  en  date  du  17  août  1671  :  «  Il  est 
«  aussi  familier  d'assassiner  ici  que  de  se  désaltérer  quand  oa 
«  a  soif;  et  il  n'y  a  jamais  de  châtiment  »  (Mignet,  Négociations, 
t.  IV,  p.  IGU).  Louville  assure  aussi,  dans  sl's  Mémoires,  qu'il 
n'y  avait  pas  d'homme  un  peu  riche  qui  n'eût  au  moins  cent 
coupe-jarrets  à  sa  solde,  et  que  des  milliers  de  gens,  dans  la 
capitale,  ne  vivaient  que  de  ce  vilain  métier. 


216  CORRESPONDANCE 

sa  fille  jusqu'à  Gênes;  quelqu'un  qui  se  trouvait  près 
de  lui ,  dit  :  «  Monsieur,  si  vous  voulez  avoir  le  choix 
des  duchesses,  envoyez  chez  M"^^  l^w,  vous  les  y  li-ou- 
verez  toutes  rassemblées...  »  Milord  Stairs  ne  peut 
s'empêcher  de  témoigner  sa  haine  contre  Law  ;  il  ga- 
gne cependant  là  dedans  trois  bons  miihons. 

27  janvier"  1720. 

Le  roi  fut  très-affligé  de  la  mort  de  la  reine,  mais 
la  vieille  guenipe  fit  tant  par  son  bavardage,  que  dans 
quatre  jours  il  en  fut  consolé.  Peu  de  jours  après,  fai- 
sant le  voyage  de  Fontainebleau,  nous  craignîmes 
qu'en  voiture  le  roi  ne  fût  de  mauvaise  humeur,  et 
qu'il  ne  nous  grondât  toutes,  mais  nous  le  trouvâmes 
très-gai...  Feu  Monsieur  aimait  beaucoup  les  bals  et 
les  mascarades;  il  dansait  bien,  mais  c'était  à  la  ma- 
nière des  femmes;  il  ne  pouvait  danser  comme  un 
homme,  parce  qu'il  portait  des  souliers  trop  hauts  '. 

1  Dans  les  ballets  dont  Benserade  fit  les  vers,  et  qui  sont 
imprimés  dans  le  recueil  de  ses  œuvres,  on  voit  souvent  figurer 
le  duc  d'Orléans  avec  ses  favoris,  le  comte  de  Guiclie,  Mani- 
eamp,  etc.  Un  petit  ouvrage  écrit  vers  IGGl  et  intitulé  :  les 
PortraUs  de  la  cour,  a  été  inséré  dans  les  Archives  curieuses 
de  l'Ilisloirc  de  France,  seconde  série,  t.  VIII;  on  y  trouve, 
p.  384,  le  portrait  de  Monsieur;  mais  il  est  peint  en  beau; 
Saint-Simon  le  montre  sous  un  aspect  plus  vrai  (t.  V,  p.  230}. 
M.  Cousin  qualifie  Monsieur  de  «prince  médiocre,  mais  dont 
«  une  triste  politique  se  plut  à  cultiver  les  goûts  frivoles  qui 
«  finirent  par  être  bonleux.  Il  n'était  né  sans  esprit  ni  sans 
«  courage,  et,  si  son  frère  l'eiit  bien  voulu,  il  en  aurait  pu  faire 
'(  l'égal  de  bien  des  arcbiiincs.  »  —  M""^  de  La  Fayette  dit,  de 
son  cùté  :  "  Monsieur  était  beau  et  bien  l'ait,  mais  d'une  beauté 
«  et  d'une  taille  plus  convenable  à  une  princesse  qu'à  un  prince  ; 
«  ausîi  avait-il  plus  songé  ù  faire  admirer  sa  beauté  de  tout  le 


DE  MADAME  LA   DUCHESSE  D'oRLÉANS.  217 

A  M.   DE  HARLING. 

28  janvier  1720. 

C'est  un  grand  malheur  lorsque  de  grands  seigneurs 
comme  l'électeur  '  se  laissent  mener  par  des  prêtres; 
il  ne  peut  en  résulter  que  des  malheurs.  11  devrait 
plutôt  suivre  le  conseil  de  gens  sages,  laisser  ses  su- 
jets en  repos  et  attacher  gentiment  une  bonne  pierre 
au  cou  de  ses  maudits  prêtres,  pour  les  jeter  dans  le 
Necker  ou  dans  le  Rhin  ;  c'est  le  conseil  que  je  lui 
doimerais,  et  il  ne  serait  pas  mauvais. 

A   LA   PRLNGESSE  DE  GALLES. 

2  février  1120. 

Quoique  le  prince  de  Conti  puisse  être  poli  quand 
il  le  veut,  personne  n'est  plus  brutal  que  lui,  et  il  de- 
vient plus  fou  chaque  jour...  A  l'un  des  derniers  bals 
de  l'Opéra,  il  prit  de  force  une  pauvre  petite  fille  ré- 
cemment arrivée  de  la  province  et  toute  jeune  ;  il  l'ar- 
racha d'à  côté  de  sa  mère,  la  plaça  entre  ses  jambes, 
et  tandis  qu'il  la  tenait  d'un  bras,  il  lui  appliqua  cent 
soufflets  et  des  chiquenaudes,  qui  lui  firent  sortir  le 
sang  du  nez  et  de  la  bouche.  La  créatru^e,  qui  ne  lui 
avait  jamais  fait  de  mal,  et  qui  ne  le  connaissait  même 
pas,  pleura  à  chaudes  larmes  ;  mais  il  se  mil  à  rire  et 
dit  :  «  Ne  sais-je  pas  bien  donner  des  chiquenaudes'/  » 
Tous  ceux  qui  ont  vu  cela  en  ont  pitié,  cependant  on 

«  monde  qu'à  s'en  servir  pour  se  faire  aimer  des  femmes,  quoi- 
«  qu'il  fût  continuellement  avec  elles.  » 
'  L'électeur  palatin,  Ican-GuiUaumc. 

i:.  19 


218  CORRESPOND A NfiE 

n'a  pas  osé  venir  au  seconis  de  la  pauvre  petite  fille, 
car  on  craint  d'avoir  affaire  à  ce  fou,  il  est  si  violent; 
il  fait  les  grimaces  les  plus  affreuses  et  il  parle  tout 
seul  ;  moi  qui  redoute  horriblement  les  fous,  je  tremble 
quand  je  me  trouve  avec  lui. 

4  février  1720. 

Nous  avons  reçu  aujourd'hui  une  bonne  nouvelle, 
celle  de  la  conclusion  de  la  paix  avec  l'Espagne. 

6  février  1720. 

Dimanche  prochain,  on  célébrera  les  fiançailles,  et 
le  contrat  sera  signé  en  présence  du  roi;  lundi  matin 
les  épousailles  auront  lieu,  et,  mardi,  la  mariée  se  met- 
tra en  route. 

Un  jour,  trois  laquais  se  disputaient;  deux  d'entre 
eux  refusaient  de  laisser  dîner  le  troisième  avec  eux, 
en  disant  :  «  Fi  donc  1  il  ne  sert  avec  son  maître  qu'une 
présidente,  cela  ne  peut  être  comparé  à  nous,  qui  ser- 
vons tous  les  jours  des  princesses  et  des  duchesses.  » 
Le  laquais  rebuté  fut  tellement  en  colère,  qu'il  appela 
des  camarades  à  son  secours ,  et  il  y  eut  une  grande 
rixe.  On  appela  le  commissaire.  Il  se  trouva  alors  qu'ils 
servaient  trois  frères ,  fils  d'un  riche  marchand  de 
Rouen  ;  deux  d'entre  eux  avaient  acheté  des  compa- 
gnies aux  gardes-françaises;  l'un  d'entre  eux  avait 
une  intrigue  avec  la  femme  du  duc  d'Âlbret  ;  l'autre 
avec  la  duchesse  de  Luxembourg,  et  le  troisième  avec 
une  présidente.  Les  deux  premiers  s'appellent  Colande 
ot  Miiigremoiit;  et  comme  dans  le  mémo  temps  le  due 
d'Albret,  fils  du  duc  de  Bouillon,  était  amoiueux  do 


DE    MAPAIir,    (.A    DrCHF^SK    l)'(»lîl,KANS.  219 

la  présidente  Savari ,  qiu  étail  (.■lueiule  ainsi  (juc  la 
duchesse,  on  a  fait  là-dessus  le  couplet  suivant  : 

Colande  a  fait  un  Bouillon  , 
Luxeuiliouig  un  Jlai^'rtmout; 
Et  du  duc  d'.\lbr(!t,  peut  être, 
Un  petit  Savari  va  naître  : 
Lampous,  lampous  1 

Il  février  1720. 

-  Paris  n'est  plus  aussi  peuplé  qu'il  l'était;  le  haut 
prix  de  toutes  les  denrées  en  a  chassé  bien  du  monde. 
Aujourd'hui  l'or  et  l'argent  sont  défendus,  les  louis 
d'or  et  les  écus  ne  valent  plus  rien  ;  il  n'y  a  que  des 
billets  de  banque  et  des  pièces  de  vingt  sous.  Je  ne 
peux  pas  soulîrir  d'entendre  parler  de  millions,  d'ac- 
tions, de  primes  et  de  souscriptions  ;  je  n'y  comprends 
rien,  et  ce  sujet  m'est  intolérable.  Je  ne  connais  per- 
sonne en  France  qui  soit  franchement  désintéressé,  si 
ce  n'est  mon  fds  et  Mn^^  de  Chasteautier  ;  tous  les  au- 
tres sont  d'une  âpreté  honteuse,  surtout  les  princes  et 
princesses  du  sang,  qui  se  sont  battus  à  la  Banque 
avec  des  commis,  et  ont  eu  à  essuyer  les  propos  les 
plus  injurieux.  L'argent  gouverne  le  monde,  dit-on; 
mais  je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  sur  la  terre  un  endroit 
où  il  règne  plus  complètement  qu'ici. 

18  février  1720, 

Il  n'est  pas  vrai  que  le  feu  roi  portât  un  ciliée  et 
qu'il  l'eût  reçu  des  mains  d'un  cordelier  ;  il  avait  trop 
de  raison  pour  cela ,  et  ce  n'est  point  l'usage  parmi 
les  gens  du  siècle.  On  a  dit  à  tort  beaucoup  de  choses 
de  ce  genre  sur  le  compte  du  roi.  Il  est  également 
faux  que  la  reine  portât  un  cilice;  je  l'ai  vue  nue  plus 


220  CORRKSPONDANCK 

de  cent  lois,  loisquc  je  donnais  la  chemise  à  Sa  Ma- 
jesté, comme  c'est  la  coutume.  La  première  femme  de 
chambre  donnait  la  chemise  à  la  dame  d'honneur,  qui 
me  la  donnait  ensuite,  et  moi  à  la  reine.  Lorsque  je 
n'étais  pas  là,  la  première  femme  de  chambre  donnait 
directement  la  chemise  à  une  princesse  du  sang,  sans 
qu'elle  passât  par  les  mains  de  la  dame  d'honneur. 
Nous  avons  beaucoup  de  différences  de  ce  genre  dans 
le  cérémonial.  L'abbé  d'Entrague  est  toujours  à  la  ci- 
tadelle de  Lille;  on  ne  le  tourmente  pas,  et  on  le  laisse 
vivre  à  sa  fantaisie.  Il  a  beaucoup  d'esprit,  mais  il  a 
été  élevé  pitoyablement  par  sa  mère,  qui  voulait  une 
fille  et  qui  n'en  eut  pas,  de  sorte  qu'il  a  reçu  l'éduca- 
tion d'une  petite  fdle.  Il  est  devenu,  on  peut  le  dire, 
une  franche  coquette,  et  il  en  a  pris  tous  les  dé- 
fauts. 

Je  craignais  que  la  détention  d'Albéroni  ne  fût  un 
jeu  combiné  entre  lui  et  le  pape,  mais  il  parait  qu'elle 
est  sérieuse.  Ses  papiers  ayant  été  saisis  en  Espagne, 
on  y  a  trouvé  la  preuve  des  machinations  qu'il  avait 
ourdies  contre  le  pape,  auquel  on  en  a  fait  pour;  le 
pape  en  a  été  fort  courroucé  et  a  fait  arrêter  Albéroni, 
qui  a  été  enfermé  à  Rome,  où  il  recevra  le  châtiment 
dû  à  toute  sa  scélératesse. 

19  février  1720. 

J'avais  une  fdle  d'honneur  nommée  Beauvais  ;  c'é- 
tait \mc  fort  honnête  créature  :  le  roi  en  devint  amou- 
reux ;  mais  elle  tint  bon  ;  alors  il  se  tourna  vers  sa 
compagne,  laFontange,  qui  était  aussi  fort  belle,  mais 
elle  n'avait  pas  du  tout  d'esprit.  D'abord  il  dit  en 


DE  MADAME  LA   DUCHESSE   d'ORLÉANS.  221 

riant  :  «  Voilà  un  loup  qui  ne  me  mangera  point,  )> 
et  il  en  devint  ensuite  amoureux.  Avant  de  venir  chez 
moi,  elle  avait  rêvé  tout  ce  qui  devait  lui  arriver  en  sa 
vie,  et  un  pieux  capucin  lui  avait  expliqué  son  rêve. 
Elle  me  l'a  raconté  elle-même  avant  qu'elle  ne  devînt 
la  maîtresse  du  roi.  Elle  rêva  une  fois  qu'elle  était 
montée  sur  une  haute  montagne,  et  qu'étant  sur  le 
sommet,  elle  fut  éblouie  par  un  nuage  resplendissant; 
ensuite  il  vint  une  si  grande  obscurité  qu'elle  se  ré- 
veilla saisie  de  frayeur.  Elle  raconta  ce  rêve  à  son 
confesseur,  qui  lui  dit  :  «  Prenez  garde  à  vous;  cette 
montagne  est  la  cour,  où  il  vous  arrivera  un  grand 
éclat;  cet  éclat  sera  de  très-peu  de  durée;  si  vous 
abandonnez  Dieu,  il  vous  abandonnera,  et  vous  tom- 
berez dans  d'éternelles  ténèbres.  » 

20  février  1720. 

Je  ne  crois  pas  que  milord  Stairs  continue  à  faire 
l'éloge  de  mon  fds  comme  il  avait  commencé;  car  ils 
ne  paraissent  nullement  bons  amis  ' .  Après  que  mon 
fds  eut  tout  fait  pour  le  satisfaire,  après  l'avoir  rendu 
plus  riche  qu'il  n'avait  pu  de  sa  vie  en  avoir  l'espoir, 
il  lui  a  tourné  le  dos,  lui  a  donné  tous  les  embarras 
possibles,  et  l'a  tellement  tourmenté  que  mon  fds  est 
fort  content  d'en  être  débarrassé...  M"^^  de  Berri  m'a 
raconté  que  les  plaisanteries  deBroglie  consistent  à  dire 
grossièrement  les  plus  grandes  ordures  en  employant 
les  mots  les  plus  sales;  cela  fait  rire  mon  fils.  Il  est  in- 
solent, hardi,  débauché  avec  les  femmes  et  ivrogne. 

*.  Saint-Simon  parle  bcaiJÇoup  de  iorrt  Stairs,  de  ses  airs  in- 
Bolents,  de  ses  propos  audacieux,  de  ses  intrigues. 

td. 


222  CORRESPONDANCE 

22  février  1720. 

Lorsque  M.  de  Louvois  proposa  pour  la  première 
fois  au  roi  de  nommer  M"^  Dufresnoy,  sa  maîtresse, 
dame  du  lit  de  la  reine,  le  roi  dit  :  «  Vous  voulez  donc 
qu'on  se  moque  de  vous  et  de  moi.  »  Cependant  Lou- 
vois pria  avec  tant  d'instance  que  le  roi  lui  accorda 
sa  demande  '. 

25  février  1720. 

M.  le  Duc  a  été  maltraité  du  peuple,  qui  voit  en 
lui  un  bon  ami  de  Law;  on  lui  a  dit  toutes  les  injures 
du  monde  et  on  l'a  traité  de  chien  ;  on  a  couru  après 
son  petit-frère,  le  comte  de  Clermont,  sur  le  pont 
Royal,  en  lui  disant  :  «  Va,  chien,  tu  ne  vaudras  pas 
mieux  que  tes  frères.  »  Le  gouverneur  descendit  de 
voiture  et  voulut  haranguer  le  peuple ,  mais  on  lui  jeta 
des  pierres;  il  fut  oblige  de  remonter  dans  le  carrosse 
et  de  s'en  aller  au  plus  vite. 

2G  février  1720. 

J'ai  d'abord  parlé  longtemps  avec  mon  fds  au  sujet 
des  affaires  de  Lorraine;  ensuite  j'ai  eu  à  lui  parler  au 
sujet  d'une  montre  qui  m'a  été  volée  dans  mon  cabi- 
net; il  se  trouve  qu'il  y  a  un  gentilhomme  dans  cette 
affaire;  cela  a  fait  grand  bruit  comme  vous  pouvez 
croire. 

'  Élise  Dufrcsnoy,  femme  d'un  premier  commis  de  la  guerre, 
fut  nommée  à  la  place  dont  parle  Madame  en  novemlirc  167  3. 
La  Fare  dit,  dans  ?:C.-^  Mémoires,  qu'elle  était  la  plus  belle  femme 
du  temps,  insolente,  avec  fort  peu  d'esprit,  et  qu'elle  fit  faire 
bien  des  sottises  à  Louvois.  «  C'est  ffiie  nymphe,  une  divinilQ,  » 
éciivail  Miiu  de  Sévigné,  le  29  janvier  1G7  2, 


DE  MADAME    LA    DUCHESSK   d'ORLÉANS.  223 

1er  mars  I72(X. 

Le  Dauphin  n'était  pas  grand,  mais  il  avait  bonne 
mine.  Le  roi  avait  coutume  de  dire:  «Monseigneur 
(c'est  ainsi  qu'il  l'appelait)  a  une  bonne  mine  d'un 
fermier  allemand.»  Il  avait,  en  effet,  l'arr  allemand, 
mais  ce  n'était  qu'à  l'extérieur  ;  à  l'intérieur  il  n'a- 
vait rien  d'allemand...  Je  sais  qu'il  s'était  habitué  an' 
tabac  pour  ne  pas  sentir  l'odeur  de  la  Chouin,  dont  les 
dents  gâtées  puaient  horriblement'. 

3  mars  1720.  , 

Il  n'est  pas  étonnant  que  le  duc  de  Berri  ^  n'ait  pas 
eu  des  manières  distinguées;  il  avait  été  élevé  par 
M™*  de  Maintenon  et  par  la  Dauphine  comme  un  valet 
de  chambre.  A  table  il  était  obligé  de  servir  la  vieille 
vilaine,  et  le  reste  du  temps  les  dames  de  M*"^  la  Dau- 
phine, chez  lesquelles  il  était  jour  et  nuit.  Celles-ci 
l'avaient  dressé  comme  un  domestique;  elles  le  tu- 
toyaient, lui  disant  :  «  Berri,  va  me  chercher  mon  ou- 
vrage, approche  la  table,  apporte-moi  les  ciseaux  ;  »  en 

•  <T  Chonin  n'a  jamais  éîé  qu'une  grosse  camarde,  brune, 
qui  avec  toute  la  physionomie  et  le  jeu  d'esprit  n'avait  l'air  que 
d'une  servante ,  et  qui  étoit  devenue  excessivement  grosse  et 
puante.  »  (Sainl-Simon). 

*  Le  Biillcdn  des  comités  historiques,  1853,  p.  9G,  renferme 
un  document  singulier,  qui  donne  une  triste  idée  de  l'éduca- 
tion de  ce  prince  ;  c'est  une  lettre  qu'il  écrivit  (âgé  de  moins  de 
quinze  ans)  à  la  maréchale  de  Noailles,  et  datée  de  Bayonne  le 
15  janvier  îTOl  :  «  J'ai  connu,  petit  cochon,  la  dammequi  vous 
«  a  chargée  de  me  faire  réponse.  J'avais  attendu  à  lui  écrire 
■  jusques  ici,  car  je  lui  avois  promis.  Dittes-lui  de  ma  part 
«  qu'elle  ne  boive  pas  tant  qu'elle  a  accoutumée.  Au  reste,  dilte 
«  lui  d'ctre  assurée  de  mon  amitié...  Adieu,  petit  cucUon.  • 


224  CORRESPONDANCE 

un  mot,  tout  ce  dont  elles  avaient  besoin  et  sans 
nulle  façon.  C'était  une  honte  que  leur  manière  de  le 
traiter.  Par  là  elles  l'ont  tout  à  fait  abruti  et  lui  ont 
donné  de  basses  inclinations;  il  n'est  donc  pas  sur- 
prenant qu'il  ait  eu  un  amour  violent  pour  une  femme 
de  chambre  laide.  Le  bon  sire  était  un  peu  brutal  de 
son  naturel. 

C  mars  1720. 

Mon  fds  dansait  bien  dans  sa  jeunesse,  mais  il  n'a 
jamais  aimé  la  danse,  et  il  y  a  renoncé  contre  ma  vo- 
lonté... Le  père  de  Noce  a  été  sous-gouverneur  de 
mon  fds.  Dès  son  enfance,  mon  iîls  s'est  habitué  à  ce 
méchant  diable,  et  l'a  sincèrement  aimé.  Il  a  de  l'es- 
prit, mais  il  n'y  a  absolument  rien  de  bon  chez  lui  '. 
11  parle  toujours  contre  Dieu  et  les  hommes  ;  il  est 
vert,  noir  et  jaune  foncé  ;  il  paraît  avoir  dix  ans  de 
plus  que  mon  fds.  Je  ne  comprends  pas  qu'on  puisse 
aimer  un  pareil  drôle.  C'est  une  chose  incroyable 
tous  les  millions  que  cet  homme  intéressé  a  tirés  de 
mon  fds. 

18  mars  1720. 

Noce  dit  sur  le  compte  de  tout  le  monde  tout  ce  qui 
lui  passe  par  la  bouche;  cela  amuse  mon  fils  et 
le  fait  rire,  car  Noce  a  de  l'esprit,  et  sait  présenter 
les  choses  sous  un  aspect  plaisant...  Je  soutiens  à  mon 
fils  que  de  sa  vie  il  n'a  été  amoureux,  et  que  son 
amour  ne  consiste  que  dans  la  débauche  ;  il  répond  : 
«  11  est  vrai  que  je  ne  saurais  être  comme  un  héros  de 
roman  ou  passionné  comme  Céladon ,  mais  j'aime  à 

*  Isl  kcin  (jut  lluar  an  ihm. 


DE   MADAME   LA   DUCHESSE   d'oULÉANS.  225 

ma  mode.  »  Je  réponds  :  «  Votre  mode  est  d'aller 
comme  à  votre  chaise  percée.  »  11  rit  lorsque  je  lui 
dis  cela. 

20  mars  1720. 

M™»  la  Princesse  est  la  seule  de  la  maison  qui  vaille 
quelque  chose  ;  je  crois  qu'elle  sent  encore  le  bon 
sang  allemand  dans  ses  veines  ' . 

22  mars  1720. 

M™«  la  Duchesse  est  morte  hier  '  ;  elle  ne  sera  guère 
regrettée. 

Mon  fds  a  fait  avertir  l'électeur  de  ne  rien  faire 
contre  les  stipulations  du  traité  de  Westphalie  ;  l'em- 
pereur, qui  est  un  homme  judicieux,  et  qui  n'est  pas 
porté  pour  les  prêtres  comme  l'était  son  oncle,  s'est 
exprimé  dans  le  même  sens;  il  faut  donc  espérer  que 
tous  les  troubles  seront  apaisés  dans  le  pauvre  Pa- 
latinat. 

23  mars  1720. 

11  est  arrivé  hier  une  chose  terrible  :  un  jeune  homme 

'  La  princesse  de  Condé,  Anne  de  Bavière,  fille  d'Edouard, 
prince  pahttin,  née  en  1C48,  mariée  en  IGG3  à  Henri-Jules  de 
Bourbon,  prince  de  Condé.  Saint-Simon  la  dépeint  comme  «  laide, 
vertueuse  et  sotte,  un  peu  bossue  ;  elle  n'avoit  ni  lumières,  ni 
volonté,  fut  toujours  comptée  pour  rien,  et  n'eut  jamais  de  sens 
et  d'esprit  que  pour  prier  Dieu»  (t.  XIX,  p.  ll;t.  XX,  p.  64,  etc.). 

*  Marie-Anne  de  BourLon-Conti.  Elle  avait  épousé  le  duc  de 
Bourbon,  qui  fut  premier  ministre  après  le  Régent;  elle  ne  lui 
donna  point  d'enfant.  D'après  les  Mémoires  de  Maurepas,  elle 
aimait  fort  la  table,  buvait  beaucoup  de  liqueurs  et  s'échauffait 
le  sang,  de  sorte  qu'elle  ne  put  revenir  de  la  petite  vérole.  La 
médisance  ne  l'épargna  pas.  Les  Mcmoires  que  nous  venons  de 
citer  représentent  sous  un  jour  très-peu  avantageux  les  mœurs 
du  duc  qui,  né  en  1C92,  mourut  en  1740. 


226  CORRESPONDANCE 

de  bonne  mine  et  bien  élevé,  appartenant  à  la  famille 
des  comtes  de  Horn,  en  Flandre,  avait  perdu  quatre 
mille  écus  à  la  foire  de  Saint-Germain;  ne. sachant 
comment  faire  pour  payer  cette  dette,  il  prit  avec 
lui  trois  coquins,  et  alla  arrêter,  dans  la  rue  Quin- 
campoix,  une  maison  par  la  croisée  de  laquelle  on 
pût  sauter;  le  lendemain  il  va  dans  cette  rue,  il 
trouve  un  commis  de  la  Banque,  il  lui  demande  s'il  a 
des  billets  et  s'il  veut  en  vendre  ;  le  commis  demande 
le  prix  qu'il  veut  y  mettre  ;  le  comte  lui  promet  tout 
ce  qu'il  veut  pour  terminer  Taflaire;  ils  se  rendent 
dans  une  chambre  du  cabaret  de  VEpée  de  bois,  dans 
la  rue  Quincampoix,  et  là  ils  ont  assassiné  le  commis. 
Ils  se  sont  ensuite  tous  quatre  sauvés  par  la  croisée, 
mais  le  comte  de  Horn  voulait  donner  le  change  sur 
son  crime  ;  il  courut  tout  sanglant  chez  le  commis- 
saire du  quartier,  et  se  plaignit  qu'on  avait  voulu 
l'assassiner.  Le  commissaire  le  regarde,  et  lui  dit  : 
«  Monsieur,  vous  vous  plaignez  d'un  assassmat;  vous 
arrivez  tout  en  sang,  et  vous  n'êtes  pas  blessé;  sur 
ce,  trouvez  bon  que  je  vous  arrête.  »  Au  même  mo- 
ment arrive  le  second  coquin  ;  il  entend  le  comte  qui 
dit  :  «  Tenez,  demandez  à  monsieur  qui  entre,  et  qui 
est  témoin  de  l'assassinat.  »  Il  croit,  tourmenté  par 
sa  conscience,  que  le  comte  a  fait  l'aveu  du  crime,  et 
il  s'empresse  de  racîonter  comment  la  chose  s'est  pas- 
sée. Us  ont  été  arrêtés  et  mis  sous  bonne  garde,  et 
l'on  croit  qu'ils  seront  jugés  lundi.  Tous  les  seigneurs 
de  la  maison  de  Lorraine  qui  sont  ici,  les  Noailles,  les 
d'Arcmberg,  les  Issenghien  et  bien  d'autres  encore, 
se  sont  réunis,  et  ont  présenté  des  suppliques  à  mou 


DE  MADAME   LA  DUr.IÎF.SSE   d'oP.LÉANS.  227 

fils;  ils  ne  demandent  pas  la  vie  de  leur  parent,  mais 
ils  sollicitent  pour  qu'il  ne  soit  pas  exécuté  en  public, 
mais  seulement  décapité  dans  l'enceinte  de  la  prison. 
Ils  sont  venus  me  parler;  je  leur  ai  dit  que  je  les  plai- 
gnais bien  sincèrement,  mais  que  je  ne  pouvais  rien 
pour  eux,  car  ils  devaient  savoir  que  je  n'avais  à  me 
mêler  en  rien  des  choses  du  gouvernement. 

30  mars  1720. 

Le  comte  de  Horn  était  perdu  de  débauche  et  livré 
aux  vices  les  plus  infâmes;  le  jeu  et  l'inconduite  la 
plus  horrible  perdent  tous  les  jeunes  gens  et  en  font 
des  fripons;  il  ne  faudrait  jamais  les  envoyer  à  Paris; 
ils  n'y  apprennent  que  des  désordres  affreux;  cette 
ville  est  un  abîme  de  corruption,  et  elle  serait  entiè- 
rement engloutie  si  Dieu  n'avait,  à  ce  que  je  crois, 
égard  aux  gens  honnêtes  et  pieux  qui  y  sont  encore. 
L'autre  jour  on  a  brûlé  vifs  deux  jeunes  gens;  l'un 
était  le  fils  d'une  femme  qui  fournit  à  ma  maison  des 
étoffes  et  du  linge;  ils  étaient  en  prison  pour  vol,  et, 
comme  on  leur  avait  envoyé  un  prêtre ,  ils  ont  voulu 
le  forcer  à  renier  Jésus-Christ;  il  n'a  pas  voulu,  et  ils 
lui  ont  arraché  les  ongles,  enlevé  la  peau  de  la  tête, 
et  l'ont  tellement  maltraité,  qu'il  est  mort  quelques 
jours  après. 

Vous  voyez  que  l'électeur  donne  de  belles  paroles, 
et  rien  de  plus  ;  on  m'a  dit  en  confidence  qu'on  lui 
avait  persuadé  que  les  réformés  voulaient  se  soulever 
contre  lui  ;  je  crois  que  les  pauvres  gens  n'en  ont  au- 
cune envie. 

On  entend  tous  les  jouis  raconter  des  histoires  au 


228  CORRESPONDANCE 

sujet  des  billets  de  banque  ;  je  trouve  très-dur  de  ce 
qu'on  ne  voit  plus  d'or,  car  il  y  a  quarante-huit  ans 
que  j'avais  toujours  quelques  belles  pièces  d'or  dans 
ma  poche ,  et  maintenant  on  ne  voit  plus  que  des 
pièces  d'argent  de  très-peu  de  valeur. 

Il  est  sûr  que  M .  Law  est  horriblement  détesté  ; 
mon  fils  m'a  dit  aujourd'hui  en  voiture  quelque  chose 
qui  m'a  tellement  émue,  que  les  larmes  m'en  sont 
venues  aux  yeux  ;  il  m'a  dit:  «  Le  peuple  a  dit  quelque 
chose  qui  m'a  tout  à  fait  touché  le  cœur,  et  j'y  suis 
bien  sensible.  »  Je  lui  ai  demandé  ce  que  c'était,  et  il 
m'a  dit  que,  lorsque  le  comte  a  été  roué,  le  peuple  di- 
sait :  «  Quand  on  fait  quelque  chose  personnellement 
contre  le  régent,  il  pardonne  tout  ;  mais  quand  on  fait 
quelque  chose  contre  nous,  il  n'entend  point  raillerie 
et  nous  rend  justice.»  M.  Law  n'a  aucune  mauvaise 
intention  ;  il  achète  des  terres,  et  montre  ainsi  qu'il 
compte  rester  dans  le  pays.  Je  ne  crois  pas  qu'il  en- 
voie de  l'argent  en  Angleterre,  en  Hollande  et  à  Ham- 
bourg. 

Je  crois  vous  avoir  déjà  dit  que  ce  qui  se  passait 
entre  le  pape  et  Albéroni  était  un  jeu  convenu  entre 
eux  ;  ainsi  que  je  l'avais  prévu ,  il  a  été  remis  en  li- 
berté. 

avril  1720. 

M.  le  Duc  a  des  passions  violentes.  Lorsque  M"'*  de 
Nesle  lui  donna  son  congé,  il  faillit  mourir  de  cha- 
grin ';  il  avait  l'air  d'un  agonisant;  il  fut  plus  de  six 

'  Des  écrits  du  temps  racontent  que  Mme  de  Nçsle,  après 
avoir  longtemps  vécu  dans  l'inliniité  du  prince  de  Souliise,  s'é- 
prit d'une  si  violente  passion  pour  le  duc  de  Hiclielien,  qu'elle 


DE  MADAME  LA  BUCHESSK   d'oRLÉANS.  229 

mois  sans  pouvoir  prendre  son  parti.  M""*  de  Prie  •  l'a 
consolé;  on  dit  qu'elle  ne  lui  est  pas  du  tout  fidèle, 
mais  qu'elle  le  trompe  avec  deux  autres  :  l'un  est 
le  prince  de  Carignan ,  l'autre  est  Livri ,  le  premier 
maître  d'hôtel  du  roi;  celui-ci  est  le  plus  gentil  des 
trois. 

AU  ROY   d'ESPAGNE  *. 

Paris,  ce  samedy  C  avril  1120. 

J'ai  receue  hier  avec  respect  et  joye  la  lettre  que 
V.  M.  m'a  fait  l'honneur  de  m'escrire  du  15  de  mars; 
et  quoy  que  j'eusse  eu  grand  envie  de  marquer  à 
V.  M.  la  part  que  j'ay  prise  à  la  perte  qu'elle  a  faitte 
de  l'infant  don  Philipe  dont  j'avais  eue  l'honneur 
d'estre  marraine,  je  n'ay  osés  escrire  sans  la  permis- 
sion de  V.  M.  Je  n'en  veux  plus  parler,  de  crainte  de 
renouveller  ce  triste  souvenir;  j'aime  mieux  me  ré- 
jouir avec  V.  M.  de  la  naissance  du  prince  dont  la 
Reine  d'Espagne  vient  d'accoucher.  Le  bon  Dieu 
veuille  conserver  Vos  Majestés  et  toute  sa  royale  fa- 
mille et  la  bénir  de  plus  en  plus.  Je  snplie  V.  M.  de 
me  continuer  ces  bontés,  et  d'estre  bien  persuadés 

voulut  le  disputer  les  armes  à  la  main  à  l'une  de  ses  rivales, 
Mme  de  Polignac.  Ces  deux  dames  se  battirent  au  pistolet  dans 
le  bois  de  Boiilognc,  et  Mme  de  ÎN'esle  fut  blessée  i  l'épaule.  Cette 
dame  eut  six  filles,  et  cinq  d'entre  elles  eurent,  dit-on,  l'hon- 
neur de  fiver  les  regards  du  Louis  XV  ;  Mmes  de  MaiUy,  de  Yin- 
timille,  de  la  Tournelle,  de  Lauraguais  et  de  Flavacourt. 

1  Voir  le  portrait  que  trace  Saint-Simon  (t.  XX,  p.  119  )  de 
cette  dame  «  extraordiuaireiaenl  jolie  et  bien  faite,  avec  beau- 
coup d'esprit  et  une  lecture  surprenante.  » 

2  CcUe  lettre  autogrui-he  fait  partie  de  la  collection  du  doc- 
teur i.'V-  l'tiycn,  à  Paris. 

II.  20 


230  CORRESPONDANCE 

que  l'interuplion  de  l'esciiture  n'a  rien  changés  en 
moy  de  mon  respect  et  attachement  pour  V.  M.,  qui 
durera  autant  que  ma  vie. 

A  LA   PRINCESSE   DE   GALLES. 

14  avril  1720. 
Lord  Stairs  est  extrêmement  épris  d'une  maîtresse 
qu'on  appelle  M™»  Raymond  ;  elle  est  plus  agréable 
que  belle ,  et  elle  a  été  la  maîtresse  de  l'électeur  de 
Bavière  '  ;  elle  a  aujourd'hui  un  autre  amant  qui 
donne  beaucoup  de  souci  à  milord;  cet  amant,  c'est 
le  comte  Maurice  de  Saxe ,  qui  n'est  pas  beau,  mais 
qui  est  jeune,  séduisant  et  de  bonne  mine;  lady  Stairs 
se  trouve  ainsi  vengée  de  l'infidélité  de  son  mari. 
Âlbéroni  est  allé  en  Suisse ,  dans  l'abbaye  de  Saint- 
Gall  ;  le  temps  fera  bien  voir  si  ce  n'est  pas  pour  re- 
commencer ses  tours  diaboliques  ;  cette  petite  mé- 
chante sorcière,  la  duchesse  du  Maine,  doit  venir  me 
voir  demain  ;  je  l'en  aurais  bien  dispensée ,  mais  je 
ne  puis  faire  différemment  que  de  la  recevoir,  mon 
fils  l'ayant  vue. 

19  avril  1720. 

Cette  grande  p....n  la  Polignac  '  a  voulu  séduire 
aussi  le  duc  de  Chartres,   comme  son  frère  de  la 

•  Voir,  au  sujet  des  galanteries  et  des  prodigalités  de  cet 
électeur,  les  Lellres  de  Mme  Dunoycr,  17  39,  t.  III,  p.  119. 

*  11  ne  faut  pas  trop  s'cfonner  de  la  crudité  de  l'expression 
dont  Madame  fait  usage.  On  voit,  d:ins  les  Mémoires  de  la  du- 
chesse de  Nemours,  que  Mazarin  se  servit  à  l'égard  de  Mi"e  de 
Chevreuse  d'un  mot  tout  à  fait  injurieux  qui  exprimait  fort 
bien  ce  qu'il  pensait  d'elle.  S'il  faut  s'en  rapporter  à  Saint- 
Simon,  l'épouse  de  Louis  XIV  ne  choisissait  pas  davantage  ses 
expressions  pour  désigner  Mme  de  Montespan. 


DE   MADAME   LA   DUCHESSE   d'ORLÉANS.  231 

main  gauche,  le  grand-prieur.  Celui-ci  allant  avec 
son  gouverneur  à  Versailles,  s'était  esquivé  pour  aller 
trouver  cette  dame;  au  moment  de  son  arrivée,  elle 
était  couchée  avec  un  autre  polisson,  mais  elle  se 
leva,  et  alla  coucher  avec  le  nouveau  venu.  Mon 
fils  ayant  appris  cela,  voulut  faire  arrêter  le  petit 
jdrôle,  et  le  conduire  à  la  Bastille  ;  mais  averti  par  un 
de  ses  amis  qui  était  accouru  la  nuit,  le  jeune  homme 
avait  déjà  pris  la  poste  pour  s'enfuir.  Il  a  écrit  à 
mon  fils  une  lettre  très-humble  pour  implorer  son 
pardon. 

Je  n'ai  plus  de  cercle,  parce  qu'il  est  fort  rare  que 
des  dames  à  tabouret  viennent  chez  moi,  ne  pouvant 
se  résoudre  à  aller  autrement  qu'en  robes  battantes. 
Je  les  avais  fait  pi  ier,  comme  à  l'ordinaire,  d'assister 
à  l'audience  que  je  donnerai  aux  ambassadeurs  de 
Malte,  mais  il  n'en  est  pas  venue  une  seule.  Lorsque 
le  feu  roi  et  Monsieur  vivaient  encore,  elles  venaient 
avec  empressement  à  mon  audience;  elles  n'étaient 
pas  encore  accoutumées  alors  au  grand  habit,  et 
quand  il  n'en  venait  pas  assez.  Monsieur  menaçait  de 
le  dire  au  roi. 

Pourquoi  tourmenterai-je  inutilement  mon  fils  pour 
qu'il  reconnût  son  abbé'  ?  Cela  lui  attirerait  de  grands 
tourments,  car  il  a  beaucoup  d'enfants  de  la  Para- 
bère.  Elle  voudrait  aussi  qu'ils  fussent  reconnus  ; 
ce  motif  m'a  retenue. 

20  avril  1720. 

Je  n'ai  connu  dans  la  feue  duchesse  {de  Bourbon) 
*  C'est-à-dire  son  tils,  l'abbc  de  Saiut-A'biii, 


232  COURKSPONDANCE 

que  deux  bonnes  qualités ,  le  respect  et  l'amour 
qu'elle  avait  pour  sa  grand'mère,  M'"»  la  Princesse,  et 
qu'elle  a  eu  la  raison  de  reconnaître  ses  torts.  Pour 
le  reste,  elle  ne  valait  absolument  rien.  Elle  n'a  ni 
aime  ni  détesté  son  mari  ;  ils  ont  vécu  ensemble 
comme  frère  et  sœur  plutôt  que  comme  des  gens 
mariés.  Elle  était  fausse,  c'est  chose  sûre,  et  c'est 
par  sa  mauvaise  conduite  qu'elle  s'est  fait  perdre  la 
vie  à  elle-même....  La  princesse  de  Modène  ne  perd 
rien  à  la  mort  de  M""'  la  Duchesse  ;  M.  le  Duc  a  dé- 
claré qu'il  ne  se  remarierait  pas. 

A   M.   DE   HARLING. 

21  avril  1720. 

J'ai  reçu  votre  lettre  du  17  avril,  et  j'ai  droit  d'être 
surprise  que  votre  cousin,  pendant  le  long  séjour  qu'il 
a  fait  en  France ,  n'ait  pas  appris  les  choses  que  je 
vois  qu'il  ignore.  Est-il  possible  qu'il  prétende  que 
je  prenne  pour  mon  chevalier  d'honneur  un  Allemand 
que  j'ai  élevé  ,  tandis  que  huit  personnes  de  qualité 
et  des  meilleures  familles  de  France  sollicitent  cette 
charge?  On  ne  fait  pas  ici  attention  aux  ancêtres, 
mais  beaucoup  à  la  nation. 

Je  me  serais ,  dans  ma  vieillesse  ,  attiré  beaucoup 
d'inimitié  si  j'avais  voulu  faire  un  passe-droit  en  fa- 
veur de  votre  neveu,  au  détriment  du  premier  écuyer, 
qui  est  de  la  maison  de  Simiane  ;  c'est  une  chose  qui 
n'aurait  pas  d'exemple.  M.  de  Mortaigne,  qui  était  mon 
premier  écuyer,  et  qui  a  été  chevalier  d'honneur,  n'est 
pas  d'une  aussi  bonne  maison  que  les  Simiane.  On  ne 
connaît  i)as  du  tout  les  Français,  si  on  croit  qu'il  soit 


DE  MADAME  LA    DUCHESSE   d'ORLÉANS.  233 

possible  de  leur  préférer  des  étrangers.  Il  faut  que 
quelqu'un  ait  mis,  par  jalousie,  cette  idée  dans  la 
tète  de  Harling.  11  y  a  h  la  cour  des  gens  dangereux 
qui ,  lorsqu'ils  veulent  nuire  à  quelqu'un ,  se  présen- 
tent à  lui  comme  ses  meilleurs  amis  et  lui  mettent  de 
mauvais  conseils  dans  la  tète.  Je  n'ai  pas  voulu  moi- 
même  lui  dire  qu'il  avait  tort;  j'ai  chargé  un  de  ses 
amis  de  lui  faire  comprendre  qu'on  l'avait  mal  con- 
seillé, car  les  choses  ne  vont  pas  comme  il  l'imagine. 
J'aime  Harling ,  je  l'ai  élevé ,  et  il  n'a  pas  à  se 
plaindre  de  moi ,  car  tout  le  monde  est  témoin  que  je 
l'ai  toujours  parfaitement  traité  et  que  je  n'ai,  à  cet 
égard ,  rien  à  me  reprocher.  Mais  le  mettre  au-dessus 
de  toute  ma  maison ,  c'est  ce  qui  n'est  pas  possible  ; 
je  connais  trop  les  usages  d'ici.  J'ai  fait  dire,  en  con- 
fidence, la  vérité  à  votre  cousin,  mais  au  lieu  de 
prendre  en  bonne  part  mes  bonnes  recommandations, 
il  s'est  fâché  comme  un  enfant  de  six  ou  sept  ans  ; 
personne  au  monde  ne  peut  regarder  comme  une 
disgrâce  que  je  ne  fasse  pas  passer  mon  capitaine  des 
gardes  avant  mon  premier  écuyer  dont  la  mère  a  été 
à  mon  service  et  qui  était  gouvernante  de  mes  filles 
d'honneur.  Si  Harling  s'en  plaignait,  il  ferait  rire  tout 
le  monde  à  ses  dépens;  quant  à  devenir  chevalier  do 
l'ordre  du  Saint-Esprit,  il  n'a  pas  besoin  pour  cela 
d'être  mon  chevalier  d'honneur;  beaucoup  d'officiers 
font  partie  de  cet  ordre.  Quand  une  promotion  aura 
lieu,  je  serai  depuis  longtemps  dans  l'autre  monde, 
car  mon  fils ,  comme  régent ,  ne  peut  faire  aucune 
promotion  avant  que  le  roi  ne  soit  majeur;  lui  seul 
peut  en  faire.  M.  Harling  voit  donc  bien  que  l'on  a 

20. 


234  CORRESPONDANCE 

mis  en  tête  à  son  cousin  des  choses  qui  n'ont  pas  de 
sens.  Je  ne  saurais  jamais  promellre  ce  qui  n'est  pas 
en  mon  pouvoir;  je  suis  irop  franclie  et  trop  sincère 
pour  ne  pas  vous  dire  toute  ma  pensée,  mais  l'on  a 
cherché  à  monter  Harling  contre  moi.  Je  connais 
bien  ces  manigances;  elles  sont  chose  habituelle  ici, 
mais  je  ne  croyais  pas  Harling  assez  simple  pour  tom- 
ber dans  ce  panneau. 

A   LA  COMTESSE   LOUISE, 

21  avril  1720. 

Le  comte  de  Horn  s'était  lié  avec  tous  les  fdous  de 
Paris;  il  ne  faut  donc  pas  s'étonner  s'il  a  si  mal 
fini  ;  c'était  un  vaurien  accompli  sous  tous  les  rap- 
ports, un  sodomiste;  en  somme,  il  n'avait  rien  pour 
luif  si  ce  n'est  une  jolie  figure  ;  la  naissance  ne  doit 
pas  entrer  en  ligne  de  compte  lorsqu'on  n'y  joint  au- 
cune vertu.  Il  a  toutefois  fait  une  bonne  fin,  et  il  a  ma- 
nifesté un  grand  repentir  de  ses  fautes  '.  J'espère  que 
Dieu  lui  aura  fait  miséricorde.  11  est  certain  qu'autre- 

*  Le  comte  de  Horn,  petit-ûls  du  prince  de  Ligne,  duc  d'A- 
remberg,  était  allié  à  l'empereur  d'Allemagne  et  au  régent;  son 
exécution  eut  lieu  le  2G  mars  1720,  quatre  jours  après  son 
crime.  Les  lois  de  l'époque  confisquaient  les  biens  du  Condamné, 
le  régent  les  donna  à  son  frère  aîné,  Maxiniilien  de  Horn;  ce- 
lui-ci les  refusa  par  une  lettre  qui  circula  alors,  mais  qu'on  re- 
garde généralement  comme  apocryphe  ;  elle  se  terminait  ainsi  : 
«  J'espère  que  Dieu  et  le  roi  vous  rendront  un  jour  une  justice 
u  aussi  exacte  que  celle  que  vous  avez  rendue  à  mon  malheu- 
«  reu\  frère.  »  Saint-Simon  (t.  XXXIV,  p.  48)  donne  de.^  dé- 
tails sur  cette  aiTaire  célèbre;  il  opina  pour  une  commutation  de 
peine,  c'est-à-dire  pour  la  décapitation  ;  mais  le  régent  et  Law 
crurent  que  le  supplice  de  la  roue  était  nécessaire  à  la  sûreté 
des  ayiotcurs  (voir  le  Journal  de  Uarbier,  t.  1,  p.  2a). 


DE   MADAME   LA   DUCHESSE    d'OULÉANS.  235 

fois  les  Allemands  étaient  bien  plus  verlueux  qu'à 
présent  ;  ils  ont  reçu  de  la  France  toutes  sortes  de 
dérèglements,  et  surtout  le  vice  contre  nature,  qui  est 
effroyable  à  Paris. 

26  avril  1720. 

M.  le  Duc  [de  Bourbon)  ne  savourera  guère  la  joie  que 
lui  avait  causée  la  mort  de  sa  femme  ;  elle  a  tout  légué 
à  sa  sœur,  M"^  de  la  Roche-sur-Yon,  et,  d'après  la 
coutume  de  Paris,  le  mari  et  la  femme  sont  en  com- 
munauté; M.  le  Duc  doit  donc  rapporter  la  moitié  de 
tout  ce  qu'il  a  gagné  à  la  Banque. 

27  avril  1720. 

L'histoire  du  corberest  arrivée  l'an  dernier  en  An- 
gleterre; la  princesse  de  Galles  l'a  également  raconlée. 
Ce  cocher  ne  devait  pas  avoir  une  longue  barbe  comme 
en  portent  ceux  d'ici,  et  l'anecdote  de  son  accouche- 
ment me  fait  souvenir  du  comte  de  Kœnigsmark,  frère 
cadet  de  celui  qui  eutunefin  tragique  à  Hanovre.  Une 
jeune  fille  anglaise  le  suivait,  habillée  en  page';  je 

*  Ce  page  était  la  belle  comtesse  de  Southampton  que  Charles- 
Jean  de  Kœnigsmark  avait  rencontrée  à  Venise.  On  trouve  des 
détails  intéressants  sur  cet  aventurier  plein  de  charmes  et 
de  la  plus  brillante  valeur,  dans  la  Revue  des  Deux-Mondes 
(octobre  1852).  Après  avoir  couru  toute  l'Europe,  se  montrant 
avec  éclat  sur  tous  les  champs  de  bataille,  reçu  chevalier  de 
Malte,  quoique  protestant  (circonstance  sans  exemple),  il  périt 
en  1686  ,  à  l'âge  de  vingt  six  ans,  au  siège  de  Négrepont.  Il 
avait  soutenu  à  Londres  un  procès  criminel  d'étrange  espèce. 
Pour  épouser  la  plus  riche  héritière  de  la  Grande-Bretagne,  lady 
Élizabeth  Percy,  il  n'avait  p:is  trouvé  de  meilleur  moyen  que  de 
faire  assassiner  par  trois  spadassins  son  second  mari,  le  célèbre 
Thomas  Thyun,  Thomas  aux  millions.  Le  mari  ne  mourut  pas, 


236  CORRESPONDANCE 

l'ai  vue;  elle  avait  le  visage  rond,  de  longs  cheveux 
bruns  et  frisés  en  grosses  boucles,  de  vives  couleurs, 
de  belles  dents  et  une  jolie  bouche,  mais  elle  était 
petite  et  grosse.  Comme  nous  revenions  de  la  chasse, 
le  comte  m'ayant  raconté  toute  l'histoire,  je  me  plaçai 
comme  si  j'étais  curieuse  de  voir  son  pavillon  turc;  il 
appela  le  page,  et  lui  dit  de  descendre  de  cheval;  celui-ci 
obéit  promptement  et  aida  son  maître  à  descendre 
aussi  ;  j'eus  de  cette  façon  toute  facilité  pour  le  voir 
de  très-près.  Le  comte  étant  plus  tard  à  voyager  en 
Italie,  on  lui  dit  un  jour  dans  une  auberge:  «Monsieur, 
votre  page  est  fort  malade  d'une  colique  »,  et  un  mo- 
ment après  :  «  Monsieur  le  comte,  votre  page  accou- 
che »  ;  elle  mit  au  monde  une  fille.  Ce  prétendu  page 
s'est  retiré  depuis  dans  un  couvent,  où  elle  ne  s'est 
point  faite  religieuse,  mais  où  elle  a  vécu  honorable- 
ment et  pieusement  jusqu'à  sa  mort.  M.  le  marquis 
de  Thiange ,  qui  était  un  grand  ami  du  comte ,  a , 
après  sa  mort,  pris  soin  de  la  petite  fille  et  lui  a  fait 
obtenir  une  pension  du  roi,  qui  lui  donne  les  moyens 
de  vivre.  M.  de  Thiange  est  mort  aussi;  c'était  un 
brave  et  digne  homme,  quoi(|u'il  eût  une  mère  bien 
méchante,  un  vrai  diable  aussi  bien  que  sa  sœur,  la 
Montcspan,  mais  elle  était  encore  pire.  Elle  ne  pouvait 
soiifliir  son  fils  pour  deux  raisons  :  la  première,  c'est 
qu'il  n'était  pas  débauché  et  qu'il  aimait  sincèrement 
sa  femme;  la  seconde,  c'est  qu'il  craignait  Dieu  et  se 
livrait  ù  la  prière;  aussi  disait-elle  souvent  :  «Mon 
fils  n'est  qu'un  sot.»  Le  roi  riait  de  bon  cœur  de  voir 

les  trois  assassins  fiirciil  prndiis,  cl,  ^làceà  rintcrvonlion  per- 
sonnelle du  roi  Cliarlcs  11,  le  comle  pul  aller  batulller  en  G:ccc. 


UE  MADAME   LA  DUCIIES'^E  D'ORLÉANS.  237 

mon  étonnement  au  sujet  des  étranges  propos  de  ces 
dames  ' . 

Le  cardinal  Mazarin  disait  •  «  La  nation  française 
est  la  plus  folle  du  monde;  ils  crient  et  chantent 
contre  moi,  et  me  laissent  faire;  moi,  je  les  laisse 
crier  et  chanter,  et  je  fais  ce  que  je  veux.  »  Voici  un 
tour  plaisant  dont  il  s'avisa  ;  il  faisait  parfois  recher- 
cher et  saisir  les  libelles  et  les  chansons  qu'on  faisait 
contre  lui,  et  il  les  faisait  vendre  en  secret  ;  il  a  de 
cette  manière  gagné  dix  mille  écus. 

Il  n'est  pas  étonnant  que  M°''=  la  duchesse  de  Bour- 
bon soit  morte  '  ;  il  faut  plutôt  être  surpris  qu'elle  ait 
pu  vivre  si  longtemps.  Je  ne  parle  pas  de  sa  vie  extra- 
ordinaire; elle  était,  en  outre,  horriblement  contre- 
faite. Tous  ceux  qui  connaissent  M.  le  Duc  aflirment 
qu'il  est  bien  dégoûté  du  mariage,  et  qu'il  se  gardera 
bien  de  se  remarier. 

'  Mme  de  Thiange  est  vivement  attaquée  dans  les  chansons 
du  temps,  d'une  façon  qui  rend  les  citations  impossibles;  voici, 
du  moins,  un  couplet  qu'on  peut  transcrire  : 

0  vous  dont  les  vers  odieux 

Disent  qu'on  aime  la  Thiange, 
Médisants,  connaissez-la  mieux, 
Elle  est  aussi  chaste  qu'un  ange  ; 
Que  diable  voulez-vous  qu'elle  puisse  charmer. 

Cette  masse  de  chair? 

Cette  marquise  eut  pour  fille  aînée  la  duchesse  de  Nevers,  que 
Saint-Simon  représente  comme  ayant  une  «  beauté  de  toutes  les 
sortes,  »  et  comme  s'étant,  à  défaut  du  roi,  contentée  de  mon- 
sieur le  Duc,  fils  du  prince  de  Condé  (voir  La  Bruyère,  édition 
de  Walckenaër,  p.  057  ). 

*  Marie-Anne  de  Bourbon-Conti,  morte  sans  enfants  le  2 1  mars 
1720,  épouse  du  duc  de  Bourbon,  qui  fut  premier  ministre  après 
la  mort  du  régent. 


238  CORRESPONDANCE 

M™«  de  Verrue,  qui  a  été  la  maîtresse  déclarée  du 
roi  de  Sicile  ',  avait  de  lui  une  fille  qu'il  avait  donnée 
au  prince  de  Carignan,  qui  est  aujourd'hui  à  Paris.  Ce 
prince  s'en  est  allé,  plantant  là  sa  femme. 

On  ne  sait  plus  ce  que  c'est  que  la  cour;  aucune 
dame  ne  veut  plus  venir  me  voir,  parce  que  je  ne  veux 
pas  souffrir  qu'on  se  présente  devant  moi  comme  de- 
vant M^'^  d'Orléans,  sans  corps  d'habit,  en  écharpe  et 
eji  robe  battante  ;  c'est  ce  que  je  ne  puis  ni  ne  veux 
tolérer.  J'aime  mieux  ne  voir  personne  que  [jermettre 
ces  familiarités. 

J'ai  écrit  à  l'abbé  Dubois,  aujourd'hui  archevêque 
de  Cambrai,  pour  le  remercier  de  m'avoir  envoyé,  par 
exprès,  la  nouvelle  qu'une  réconciliation  était  opérée 
entre  le  roi  d'Angleterre  et  ses  enfants,  et  que  tous 
ceux  du  parti  du  prince  avaient  été  admis  à  baiser  la 
main  du  roi. 

30  avril  1720. 

Aucune  femme  ne  pourrait  avoir  de  l'amour  pour 
M.  le  Duc;  il  est  très-grand,  maigre  comme  un  éclat 
de  bois  ;  il  marche  voûté ,  il  a  des  jambes  longues 
comme  une  cigogne,  le  corps  très-court,  point  de  mol- 
lets, les  deux  yeux  si  rouges  qu'on  ne  saurait  distinguer 
quel  est  le  mauvais  et  lequel  est  le  bon,  des  joues 
creuses,  un  menton  si  long  qu'on  ne  croirait  pas  qu'il 
appartient  au  visage,  de  grosses  lèvres  ;  en  somme,  il 
est  très-laid,  et  je  n'en  ai  guère  vu  de  pareil.  On  pré- 
tend que  sa  maîtresse,  M""=  de  Prie,  lui  est  infidèle; 

•  Il  a  déjà  été  question  de  cette  daine;  voir  aussi  lu  nouvelle 
édition  du  Journal  de  Dangeau,  t.  111,  p.  268. 


nE   MADAME   I.A   mifJIF.SSR    o'ORLÉANS.  239 

cela  Tafflige  prolondénient  et  fait  grand  tort  à  sa  santé. 
Il  est  vrai  que  la  reine  d'Espagne  '  avait  aime  par- 
dessus tout  la  princesse  des  Ursins,  et  qu'elle  a  été  au 
désespoir  lorsqu'on  l'a  chassée  pour  la  première  fois. 
Ce  que  l'on  a  raconté  du  confesseur  est  vrai  aussi  ;  il 
n'y  manque  qu'une  circonstance,  c'est  que  le  duc  de 
Grammont ,  qui  était  alors  ambassadeur,  a  parlé 
comme  le  confesseur,  et  c'est  pour  cela  qu'il  a  été 
renvoyé. 

17  mai  1720. 

Feu  Monsieur  était  lui-même  cause  que  mes  enfants 
me  craignaient,  car  il  leur  faisait  toujours  des  me- 
naces de  ma  sévérité...  Il  n'était  pas  d'ailleurs  d'hu- 
meur à  s'affliger  longtemps.  Il  aimait  beaucoup  ses 
enfants,  ne  pouvait  les  gronder,  et  venait  toujours  me 
porter  ses  plaintes;  je  disais  :  «  Mais,  Monsieur,  ne 
sont-ils  pas  vos  enfants  comme  les  miens  ;  que  ne  les 
corrigez-vous?  »  11  répondait  :  «  Je  ne  saurais  gronder 
et  ils  ne  me  craignent  pas,  il  ne  craignent  que  vous.  » 

23  mai  1720. 

jjme  d'Orléans  gâte  ici  toutes  les  dames ,  elle  ne  se 
fait  pas  respecter  et  ne  sait  pas  ce  que  c'est  que  le 
rang;  M^'^s^e  Montesson  et  de  Maintenon,  qui  l'ont 
élevée,  ne  le  savaient  pas  non  plus;  elle  est  trop  fière 
pour  vouloir  apjjrcnJre  quelque  chose  de  moi  :  elle 
croit  que  ce  serait  au-dessous  d'elle,  et  elle  se  croit 
bien  supérieure  à  moi ,  lorsqu'elle  voit  sa  chambre 
reniplie  de  luonuc;  elle  ne  veut  point  m'imiler,  et  jo 

*  La  première  lemmo  de  l'iiilippe  V. 


240  CORRESPONDANCE 

ne  veux  pas  l'imiter  davantage  ;  chacune  de  nous  reste 
donc  de  son  côté. 

Il  n'y  a  plus  de  cour  en  France,  et  c'est  la  faute  de 
la  Maintenon  qui ,  voyant  que  le  roi  ne  voulait  pas  la 
déclarer  reine ,  ne  voulut  plus  qu'il  y  eût  de  grandes 
réceptions,  et  persuada  à  la  jeune  Dauphine  {la  du- 
chesse de  Bourgogne)  de  se  tenir  dans  sa  chambre  à 
elle,  oîi  il  n'y  avait  plus  de  distinction  de  rang  ni  de 
dignité.  Sous  prétexte  que  co  n'était  qu'un  jeu,  la 
vieille  amena  la  Dauphine  et  les  princesses  à  la  servir 
à  sa  toilette  et  à  table  ;  elle  leur  persuada  de  lui  pré- 
senter les  plats,  de  changer  ses  assiettes,  de  lui  verser 
à  boire.  Tout  fut  donc  mis  sens  dessus  dessous,  et  per- 
sonne ne  savait  plus  quelle  était  sa  place  ni  ce  qu'il 
était.  Je  ne  me  suis  jamais  mêlée  à  tout  cela;  mais, 
lorsque  j'allais  voir  la  dame,  je  me  mettais  près  de  sa 
niche  sur  un  fauteuil ,  et  je  ne  l'ai  jamais  servie  ni  à 
table  ni  à  la  toilette.  Quelques  personnes  me  conseil- 
laient de  faire  comme  la  Dauphine  et  les  princesses  ; 
je  répondis  :  «  Je  n'ai  jamais  été  élevée  à  faire  des 
bassesses,  et  je  suis  trop  vieille  pour  me  livrer  à  des 
jeux  d'enfants.  »  Depuis  on  ne  m'en  a  plus  reparlé. 

31  mai  1720. 

Mon  fils  a  été  obligé  de  dépouiller  de  sa  charge  Law, 
que  l'on  avait  ici  adoré  comme  un  Dieu.  11  faut  qu'on 
lui  donne  des  gardes;  sa  vie  n'est  pas  en  sûreté,  et 
c'est  effroyable  de  voir  combien  grande  est  la  peur  de 
cet  homme...  On  continue  de  répandre  des  satires  de 
toute  sorte  ' , 

'  Nous  citerons  un  cchanlillon  de  ces  satires  :  les  Vins  de  la 


DE  MADAME   LA  DUCHESSE   D'oRLÉAXS.  241 

4  juin  1720. 

Law  n'est  plus  contrôleur-général,  mais  il  est  encore 
directeur-général  de  la  Banque  et  de  la  Compagnie  des 
Indes...  On  a  mis  auprès  de  lui  des  conseillers  au  par- 
lement devant  lesquels  se  règle  tout  ce  qui  se  fait  à 
la  Banque. 

4  juin  J720. 

Madame  du  Maine  n'a  pas  encore  paru  à  la  Comédie, 
ce  qui  signifie  qu'elle  est  encore  affligée  do  vivre  dans 
la  disgrâce  de  son  mari.  On  prétend  qu'elle  lui  a  écrit, 
mais  qu'il  a  renvoyé  la  lettre  sans  l'ouvrir. 

Elle  vint,  il  y  a  quelques  jours,  trouver  mon  fils, 
pour  le  prier  de  ne  pas  s'opposer  à  ce  que  son  mari  se 
raccommodât  avec  elle.  Mon  fils  se  mit  à  rire  et  ré- 

cour  en  1720,  pièce  que  nous  trouvons  dans  le  recueil  Maure- 
pas,  et  dont  voici  quelques  traits  : 

Du  Roi.  —  11  est  de  bonne  espérance. 

Du  Régent.  —  Diabolique. 

De  Madame.  —  Il  sent  la  vieille  futaille,  i 

De  M.  le  Duc.  —  Rude  et  plat. 

Du  maréclial  de  Villars.  —  Il  monte  à  la  tête. 

De  la  Duchesse.  —  Il  tourne  à  la  graisse. 

De  Law.  —  Empoisonné. 

Du  peuple.  —  Vin  de  pressoir. 

Un  autre  écrit  du  même  genre,  les  Logements  des  seigneurs 
de  la  cour,  est  souvent  d'une  insolence  extrême. 
Le  duc  du  Maine,  au  Diable  boiteux,  vallée  de  Misère. 
M.  de  Nesle,  à  la  Précaution  inutile,  rue  du  Croissant. 
T.e  marquis  de  Gèvres,  à  la  Poupée,  rue  Chapon, 
jime  jg  Polignac,  au  Cœur  volant,  rue  Perdue. 
M"'^'  de  Parabère,  à  la  Sultane,  rue  Putinière. 
M'"'=  de  la  Vrillière,  au  Champ-de-Mars,  rue  de  la  Petite-Vertu. 

Nous  en  passons,  et  des  plus  vifs. 

II.  31 


242  CORRESPONDANCE 

pondit  :  «  Je  ne  m'en  mêlerai  pas;  car  j'ai  appris  de 
Sganarelle  qu'entre  l'arbre  et  Técorce  il  ne  faut  pas 
mettre  le  doigt.  »  On  dit  à  Paris  qu'ils  se  raccommode- 
ront. Si  cela  a  lieu,  je  dirai  comme  Son  Altesse  mon 
père  avait  toujours  coutume  de  dire  :  «  Accordez-vous, 
'^anailles.  » 

11  juin  1720. 

Les  orfèvres  ne  veulent  plus  travailler,  car  ils  éva- 
luent leurs  marchandises  trois  fois  plus  cher  qu'elles 
ne  valent  maintenant  à  cause  des  billets  de  banque. 
J'ai  souvent  désiré  que  le  feu  de  l'enfer  brûlât  tous  ces 
billets.  Ils  donnent  à  mon  fils  plus  de  peine  que  de 
consolation.  Il  n'y  a  pas  moyen  de  décrire  tous  les  ré- 
sultats qu'ils  ont  amenés.  Mon  fils  n'épargne  aucune 
peine,  mais,  après  avoir  travaillé  du  matin  jusqu'au 
soir,  il  aime  à  s'amuser,  à  souper  avec  son  petit  cor- 
beau brun  '...  Personne  en  France  n'a  plus  un  sou  ni 
un  liard ,  mais  avec  votre  permission ,  et  en  bon  lan- 
gage palatin,  on  a  des  torche-culs  de  papier  à  foison. 

12  juin  1720. 

D'après  la  clameur  universelle,  il  paraît  que  tout  va 
horriblement  mal.  Je  voudrais  que  l.aw  fût  au  diable 
avec  son  système,  et  qu'il  n'eût  jamais  mis  le  pied  ea 
France.  On  me  fait  trop  d'honneur  en  disant  que,  si 
mes  conseils  avaient  été  suivis,  les  choses  auraient  été 
mieux;  je  n'ai  aucun  avis  à  émettre  en  ce  qui  touche 
le  gouvernement  et  je  ne  m'en  mêle  en  rion  ;  mais  les 
Français  sont  tellement  habitiH''s  à  voir  des  femmes  se 

•  Nom  (lue  le  Uégriit  iloiiiittit  à  W"^  de  Parabère. 


DE   MADAME   LA   DUCHESSE    d'ORLÉANS.  243 

mêler  de  tout,  qu'il  leur  paraît  impossible  que  je  reste 
étrangère  à  ce  qui  se  passe;  les  bons  Parisiens,  auprès 
desquels  je  suis  en  faveur,  veulent  m'attribuer  toute 
sorte  de  bien  ;  je  suis  fort  obligée  à  ces  pauvres  gens 
de  l'affection  qu'ils  ont  pour  moi,  mais  je  ne  la  mérite 
nullement. 

14  juin  1720. 

Le  bon  ami  de  Law,  le  duc  d'Ântin,  a  voulu  avoir 
sa  charge  de  directeur  de  la  Banque...  M.  le  Duc  avait 
d'abord  parlé  contre  Law  ;  quatre  millions  l'ont  amené 
à  se  déclarer  en  sa  faveur  ;  il  y  a  eu  trois  millions  pour 
lui  et  un  pour  M""  de  Prie...  On  ne  saurait  être  plus 
effrayé  que  n'est  M.  Law;  mon  fils,  qui  n'est  point 
intimidé,  malgré  les  menaces  qu'on  lui  adresse,  rit  à 
se  rendre  malade  de  la  lâcheté  de  Law. 

16  juin  1T20. 

Tant  que  j'ai  été  à  Heidelberg,  je  n'ai  jamais  lu  de 
roman,  mais  depuis  que  je  suis  ici,  je  m'en  suis  bien 
dédommagée,  car  il  n'en  est  pas  que  je  n'aie  lu, 
Astrée,  Cleopatre',  Alefie,  Cassandre,  Poliscan- 
dre\  Son  Altesse,  mon  père,  m'avait  permis  de  les 

»  Ce  roman  de  la  Calprenède  parut  en  1 648,  en  douze  volumes 
petit  in-8.  M.  Pieters  {Annales  de  Vimprhnerie  des  Elzévirs, 
V  294)  indique  une  édition  donnée  à  Leyde  en  1648;  il  en 
existe  une  autre,  Leyde,  h  Sambix,  1657,  également  en  douze 
volumes,  qui  est  jolie,  et  que  les  bibliophiles  recherchent.  Il  a 
paru  à  Paris,  en  17  89,  un  abrégé  de  Cléopâtre  en  trois  vol.  in- 
12,  fait  par  M.  Benoist.  Cassandre  est  aussi  sorti  de  la  plume 
féconde  de  La  Calprenède,  et  forme  dix  volumes. 

«  Polixandre,  par  Le  Roy  de  Gomberville,  Paris,  1637,  trois 
volumes. 


244  CORRESPONDANCE 

lire  ;  j'en  ai  lu  bien  d'autres  petits,  Tarcis  et  Celte  ' , 
Lissandre  et  Caliste  ',  Caloandro  -,  Endimiro,  Ama~ 
dis,  mais  de  celui-ci  je  n'ai  été  que  jusqu'au  dix-sep- 
tième tome,  et  il  y  en  a  vingt-quatre  %  le  Eommi  des 
romans^  Théagène  et  Clariclée,  dont  il  y  a  des  pein- 
tures à  Fontainebleau,  au  cabinet  du  roi. 

La  duchesse  de  Hanovre  n'a  pas  besoin  de  se  presser 
devoir  sa  nouvelle  petite-fdle,  notre  demoiselle  de 
Valois,  qui  n'est  nullement  pressée  de  se  rendre  à 
^lodène.  C'est  une  personne  singulièrement  fantasque 
et  têtue;  sans  tenir  compte  des  pressantes  recomman- 
dations de  son  père,  elle  veut  se  promener  dans  toute 
la  Provence  et  visiter  Toulon ,  qui  est  tout  à  fait  en 
dehors  de  sa  route  ;  elle  veut  aussi  aller  à  la  Sainte- 


*  Par  !e  Vayer  de  Boutigny  ;  l'édition  originale  est  de  Paris, 
1CG5,  en  six  volumes.  On  a  pris  la  peine  assez  inutile  de  réim- 
primer avec  un  certain  luxe,  en  1774,  cette  production  que 
personne  ne  lit. 

2  Histoire  des  Amours  de  Lysandrc  et  de  Caliste,  par  Henry 
Daudignier.  Ce  roman  avait  vu  le  jour  sans  nom  d'auteur,  à 
Paris,  en  1CG5,  sous  le  titre  A' Histoire  tragi-comique  de  notre 
temps,  et  11  obtint  dans  le  cours  du  diK-septiùme  siècle  l'hon- 
neur de  réimpressions  nombreuses.  11  en  existe  des  éditions  cl- 
zéviiicnncs  qui  ont  de  la  valeur. 

3  II  s'aj-'it  du  Caloandrc  écrit  en  italien  par  J.-.\.  Marini,  très- 
souvent  réimprimé,  traduit  en  français  par  Scudéry,  Paris,  1GG8, 
;}  vol.  in-8,'  et  depuis  par  (>a\lus  (voir  le  Manuel  du  libr., 
t.  111,  p.  282).  On  trouve  dans  la  Bibliothèque  des  romans, 
octobre  1779,  p.  1  à  1.36,  un  extrait  de  cet  ouvrage  qui  serait 
parfaitement  oublié  si  Boileau  n'avait  placé  son  nom  dans  le 
poëme  du  Lutrin. 

*  La  suite  complète  des  Amadis,  en  petit  format,  se  compose 
de  2G  volumes,  à  l'égard  desquels  le  Manuel  du  libraire  entre 
dans  de  minutieux  détails. 


DE  MADAME   LA  DUCHESSE   D'ORLÉANS.  'i4.'> 

Baume;  elle  n'a  pas  le  moindre  souci  de  toute  la  dé- 
pense que  cela  entraîne  et  qui  retombe  sur  son  père  ; 
cela  me  met  de  très-mauvaise  humeur,  quoique  le 
père  et  la  mère  aient  bien  mérité  de  n'avoir  de  cette 
fille  que  du  chagrin,  tant  ils  l'ont  gâtée  '.  J'ai  vu  bien 
des  femmes  qui  avaient  la  tête  à  l'envers,  mais  je  n'en 
ai  jamais  trouvé  de  cette  force  ;  le  sang  de  la  Montes- 

*  On  trouve  des  particularités  piquantes  au  sujet  de  cette 
princesse  dans  une  notice  de  Lemontey  sur  les  filles  du  Régent, 
insérée  au  t.  1  de  la  Revue  rétrospective. 

La  duchesse  de  Villars,  chargée  d'accompagner  Ml'o  de  Valois 
jusqu'à  la  fronUère,  lui  était  devenue  odieuse.  Elle  prétendait, 
par  son  titre,  partager  avec  elle  les  hor.neurs  de  la  soucoupe, 
c'est-à-dire  Loire  dans  un  \erre  à  pied  présenté  sur  une  sou- 
coupe. La  princesse  hautaine  refusa  d'y  consentir  ;  afin  d'humi- 
lier la  vanité  de  cette  dame,  elle  cessa  de  manger  avec  elle,  et 
lorsqu'elle  y  fut  obligée,  elle  s'abstint  de  boire  pendant  tout  le 
repas.  Mme  de  Villars  l'imita ,  décidée  à  mourir  de  soif  plutôt 
que  de  compromeUre  pour  une  goutte  d'eau  le  corps  des  du- 
chesses. 

La  princesse  une  fois  à  Modène,  les  choses  prirent  une  tour- 
nure des  plus  originales.  Le  prince  héréditaire  était  un  jeune 
homme  de  vingt-deux  ans,  faible,  timide,  avare  et  sans  esprit. 
On  le  crut  impuissant  ou  peu  s'en  faut.  Lemontey  rapporte  de 
très-singuliers  passages  des  lettres  de  l'abbé  CoUbeaux,  confes- 
seur de  la  princesse,  conservées  aux  archives  des  affaires  étran- 
gères. Tout  ceci  roulait  sur  une  intrigue  très-compliquée  ;  le  duc 
de  Modène  détestait  son  fils  aine  et  fomentait  avec  joie  un  procès 
d'impuissance  qui  lui  permettrait  de  donner  sa  succession  à  son 
fils  cadet.  Enfin,  après  deux  ans  d'hésitation,  la  princesse  de- 
vint enceinte.  Sa  vie  fut  fort  agitée  ;  elle  détestait  l'Italie  et 
n'aspirait  qu'à  revenir  en  France,  mais  on  craignait  son  carac- 
tère indomptable  et  on  était  bien  aise  de  la  tenir  éloignée. 

En  septembre  17  37,  le  parlement  prononça  sur  un  procès  que 
cette  princcs.^e  intenta,  au  sujet  du  payement  de  sa  dot,  à  son 
frère  le  duc  d'Orléans.  Voirie  Journal  de  Barbier  (t.  11,  p.  166), 
qui  était  un  des  conseils  de  la  princesse. 

21. 


246  CORRESPONDANCE 

pan  se  montre  en  plein  chez  elle;  mais  ce  n'est  pa3 
ma  faute,  et  je  puis  dire  à  mon  fils,  comme  dans  la 
comédie  :  «  Tu  l'as  voulu,  George  Dandin.  »  Le  duc  de 
Modène  s'est  montré  très-peu  convenable  à  l'égard  de 
sa  parente,  la  duchesse  de  Hanovre,  comme  s'il  était 
d'un  rang  supérieur,  tandis  qu'elle  a  droit  à  toute 
sorte  de  respect,  car  elle  a  élevé  ses  enfants  avec  le 
plus  grand  zèle  et  le  plus  grand  soin.  Quant  à  trouver 
au  monde  une  Française  qui  ne  mette  pas  au-dessus 
de  tout  les  manières  de  France,  qui  n'en  parle  sans 
cesse  et  qui  ne  veuille  se  mêler  de  tout  ',  c'est  impos- 
sible; de[iuis  la  plus  éminente  jusqu'à  la  servante  de 
cuisine,  on  n'en  trouvera  pas. 

Je  ra'éionne  que  la  princesse  de  Galles  ne  m'ait  pas 
écrit  la  mort  de  la  duchesse  de  Zell  ;  cela  me  fait 
croire  que  cette  nouvelle  est  fausse;  je  voudrais  qu'elle 
fût  moite  depuis  quarante  ans;  elle  aurait  échappé  à 
beaucoup  de  malheurs  et  de  chagrins  ;  elle  n'était  pas 
toujours  d'humeur  accommodante,  mais  comme  toutes 
les  Françaises  qui  sont  capricieuses,  pleines  d'ambi- 
tion, et  qui  veulent  que  tout  leur  soit  soumis;  plût  à 
Dieu  qu'elle  fût  restée  dans  sa  petite  noblesse  du  Poi- 
tou !  il' fut  un  temps  où  elle  aurait  regardé  comme  un 
grand  honneur  d'épouser  le  premier  valet  de  chambre 
de  mon  mari,  feu  Monsieur. 

'  Longtemps  avant  Madame ,  le  cardinal  Mnzarin  tenait  le 
même  langage  :  il  disait  au  premier  ministre  d'Espagne  :  a  Les 
Fraii'jaisys,  soit  prudes,  soit  galantes,  soit  vieilles  ou  jeunes. 
Belles  ou  habiles,  veulent  se  mêler  de  toutes  choses.  Elles  veu- 
lent tout  voir,  tout  connaître,  tout  savoir,  et,  qui  pis  est,  tout 
faire  et  tout  brouiller  »  (  voir  les  Causeries  du  lundi  de  M.  SaiatO' 
I3eu\e,  t.  Y,  p.  519y. 


DE  MADAME   LA  DUCHESSE   D'ORLÉANS.  247 

18  juin  1720. 

Mon  fils  m'a  raconté  que  la  petite  duchesse  (du 
Maine)  l'a  prié  de  la  raccommoder  avec  son  mari.  Il 
lui  a  répondu  que  cela  dépendait  d'elle  plutôt  que  de 
lui.  Je  ne  sais  si  elle  a  pris  cela  pour  un  compliment 
ou  ce  qui  lui  a  passé  par  la  tête,  mais  tout  à  coup  elle 
s'est  levée  de  dessus  le  canapé,  elle  a  sauté  au  cou  de 
mon  fils  et  l'a  embrassé  plusieurs  fois. 

A   M.    DE   HARLIXG. 

23  juia  1720. 

Je  suis  fermement  persuadée  que  mes  heures  sont 
comptées  et  je  ne  m'en  préoccupe  pas  un  instant.  Je 
remets  tout  aux  mains  de  Dieu  tout-puissant  et  je  ne 
me  donne  plus  aucun  souci  sur  ce  qui  en  résultera, 
car  ce  serait  une  grande  folie  aux  hommes  et  aux 
femmes  de  s'imaginer  que  tous  les  hommes  ne  sont 
pas  égaux  devant  Dieu  et  qu'il  doit  faire  pour  eux 
quelque  chose  de  spécial  ;  je  n'ai  point,  grâce  à  Dieu, 
pareille  présomption,  ni  autant  d'orgueil  ;  je  sais  qui 
je  suis,  et  je  ne  m'abuse  point  à  cet  égard. 

AU    MEME. 

25  juin  1720 

Une  de  mes  anciennes  connaissances  durant  mon 
séjour  à  Hano\Te,  un  nommé  Hortencans,  homme 
éclairé  d'ailleurs  et  bon  catholique ,  s'était  figuré 
que  l'absolution  donnée  par  un  évêque  était  d'une 
plus  grande  valeur  que  celle  donnée  par  un  sim- 
ple prêtre  quelconque.  Je  ne  peux  comprendre  qu'un 
homme  d'autant  de  raison  ait  vécu  aussi  longtemps 


248  CORRESPONDANCE 

sans  reconnaître  la  sottise  de  son  opinion.  Aucune 
absolution  ne  peut  avoir  d'effet  lorsqu'il  y  manque 
les  conditions  nécessaires  et  le  repentir  de  ses  péchés, 
et  tous  les  prêtres  sont  alors  aussi  bons  que  le  Pape 
lui-même. 

L'archevêque  de  Cambrai ,  dont  vous  me  parlez , 
était  très-habile  et  très-pieux,  mais  il  était  tombé  dans 
la  disgrâce  du  roi,  de  sorte  qu'il  est  mort  sans  repa- 
raître à  la  cour  *. 

*  Il  est  permis  de  croire  que  la  disgrâce  de  Fénelon  fut  la 
suite  moins  du  Télémaque  (dont  l'impression ,  commencée  en 
1699,  fut  suspendue  par  ordre  supérieur)  que  d'une  lettre  bien 
hardie  qu'il  adressa  à  Louis  XIV,  et  qui  forme  un  contraste  écla- 
tant avec  les  écrits  de  l'époque,  où  toutes  les  formes  de  l'idolâ- 
trie étaient  épuisées  lorsqu'il  s'agissait  du  monarque. 

Cette  lettre,  dont  l'origine  avait  été  contestée,  et  au  sujet  de 
laquelle  il  n'existait  que  des  données  assez  vagues,  a  été  retrou- 
vée, en  1825,  par  M.  Renouard,  qui  l'a  publiée  d'après  la  mi- 
nute originale  (adjugée  à  sept  cents  francs  à  la  vente  de  la 
bibliothèque  de  cet  amateur,  en  novembre  1854).  Cette  pièce 
importante  n'est  pas  fort  connue,  et  nous  croyons  pouvoir  en 
reproduire  ici  le  début  : 

«  Vous  êtes  né.  Sire,  avec  un  cœur  droit  et  équitable,  mais 
a  ceux  qui  vous  ont  élevé  ne  vous  ont  donné  pour  science  de 
«  gouverner  que  la  défiance,  la  jalousie,  réloigncmcnt  de  la 
«  vertu,  la  crainte  de  tout  mérite  éclatant,  le  goût  des  hommes 
o  souples  et  rampants ,  la  hauteur  et  l'attention  à  votre  seul 
«  intérêt. 

«  Depuis  environ  trente  ans,  vos  principaux  ministres  ont 
«  ébranle  et  renversé  toutes  les  anciennes  maximes  de  l'État 
«  pour  faire  montfr  jusqu'au  comble  votre  autorité,  qui  était  la 
«  leur,  parce  qu'elle  était  dans  leurs  mains.  Ou  n'a  plus  parlé 
«  de  l'Ktat  et  des  règles,  on  n'a  parlé  que  du  roi  et  de  son  bon 
a  plaisir.  Ou  a  poussé  vos  revenus  et  vos  dépenses  à  l'inlini. 
«  On  vous  a  élevé  jusqu'au  ciel  pour  avoir  cll'acé,  disait-on,  la 
«  t;randeur  de  vos  prcdécesseurs  cuocmble,  c'est-à-dire  pour 


DE  MADAME   LA  DUCHESSE  D'oULÉANS.  2i9 

27  juin  1720. 

La  Daiipliine  '  avait  de  la  capacité,  mais  elle  faisait 
tout  ce  que  voulait  la  vieille  femme  [la  Maintenon)^ 
afin  de  se  mettre  dans  les  bonnes  grâces  du  roi  ;  si  le 
pauvre  homme  avait  encore  pu  vivre  une  couple  d'an- 
nées, elle  se  serait  délivrée  de  son  esclavage,  et  elle 
n'aurait  plus  eu  besoin  de  la  vieille,  car  elle  avait  en- 
tièrement gagné  le  cœur  du  roi.  La  vieille,  qui  avait 
élevé  le  duc  du  Maine,  comptait  gouverner  avec  lui,  et 
quand  elle  a  vu  que  son  coup  manquait,  elle  a  été  au 
moment  d'en  mourir  de  douleur;  jamais  elle  n'a  pu  se 
relever  de  ce  chagrin. 

Trois  ducs,  qui  appartiennent  aux  premières  mai' 
sons,  ont  fait,  selon  moi,  des  choses  indignes  :  le  duc 

«  avoir  appauvri  la  France  entière,  afin  d'Introduire  à  la  cour 
«  un  luxe  monstrueux  et  incurable.  Ils  ont  voulu  vous  élever 
«  sur  les  ruines  de  toutes  les  conditions  de  l'État,  comme  si 
«  vous  pouviez  être  grand  en  ruinant  tous  vos  sujets  sur  qui 
«  votre  grandeur  est  fondée... 

«  On  a  rendu  votre  nom  odieux,  et  toute  la  nation  française 
«  insupportable  à  tous  nos  voisins.  On  n'a  conservé  aucun  allié, 
«  parce  qu'on  n'a  voulu  que  des  esclaves.  La  guerre  de  Hollande, 
«I  en  1672,  n'a  eu  pour  fondement  qu'un  motif  de  gloire  et  de 
a  vengeance,  ce  qui  ne  peut  jamais  rendre  une  guerre  juste, 
«  d'où  il  s'ensuit  que  toutes  les  frontières  que  vous  avez  élen- 
«!  dues  par  cette  guerre  sont  injustement  acquises  dans  l'ori- 
•  gine.  » 

Cette  lettre  est  d'ailleurs  dans  le  genre  des  Instnictions  que 
Fénelon  donna  à  Mme  de  Maintenon  sur  sa  demande,  et  qui  sont 
insérées  dans  les  lettres  de  Maintenon,  175G,  in-12,  t.  111.  H 
s'y  abandonne  un  peu  trop  à  ses  rancunes  contre  Louis  XIV,  et 
il  dit  durement  à  la  marquise  que  le  roi  (son  mari  alors)  ne 
pratique  pas  ses  devoirs  et  qu'il  n'en  a  aucune  idée  (p.  224.) 

*  C'est-à-dire  la  duchesse  de  Bourgogne, 


250  CORRESPONDANCE 

d'Antin ,  qui  est  fils  de  la  Moatespan  ' ,  et  par  consé- 
quent frère  de  ma  belle-fille  et  de  M"*  la  Duchesse,  le 
duc  maréchal  d'Estrées  et  le  duc  de  La  Force;  le  pre- 
mier a  acheté  toutes  les  étoffes,  afin  de  les  revendre 
plus  cher;  le  second  tout  le  café  et  le  ciiocolat;  le 
troisième  a  fait  pire,  car  il  a  acheté  toutes  les  chan- 
delles, et  il  les  a  mises  à  l'enchère.  L'autre  jour, 
comme  il  sortait  de  l'Opéra,  des  jeunes  gens  se  sont 
mis  à  le  suivre  en  chantant  le  chœur  de  Topera  de 
Phaëton^. 

•  Allez,  allez  répandre  la  lumière; 

«  Puisse  un  heureux  destin 
•  Vous  conduire  à  la  fin 
€  De  votre  brillante  carrière. 

•  Allez,  allez  répandre  la  lumière.  » 

Vous  pouvez  vous  imaginer  à  quel  point  on  a  ri. 

30  juin  1720. 

Je  pense  que  les  princes  allemands  ne  consentiront 
pas  à  ce  que  le  fils  ou  le  petit-fils  du  czar  épouse  une 
archiduchesse;  ce  serait  trop  dangereux  pour  toute 
l'Allemagne. 

La  confession  de  la  princesse  de  Nassau-Siegen  m'a 
fait  rire.  On  appelle  missionnaires  les  gens  qui  vont 
prêcher;  il  y  en  a  maintenant  en  Lorraine;  ils  prê- 
chent quatre  fois  par  jour,  et  le  duc  de  Lorraine  as- 
siste deux  fois  par  jour  à  leurs  prédications.  Je  crains 

*  Une  curieuse  notice  sur  ce  duc,  véritable  type  du  courtisan, 
se  rencontre  dans  les  Causeries  du  lundi {i.  V),  de  M.  Sainte- 
Ik'iive.  11  est  peint  sous  de  vilains  traits  dans  les  Mémoires  de 
Saint-Simon. 

*  L'opéra  de /VifléVon,  paroles  de  0"'iiault.  •nu'''<iue  de  Lulli, 
représenté  pour  la  première  fois  le  27  avril  1G83. 


DE  MADAME   LA  DUCHESSE   D'oRLÉANS.  251 

qu'avec  sa  couronne  d'épines ,  celte  pauvre  princesse 
ne  soit  devenue  encore  plus  folle  que  son  mari  ;  vous 
verrez  comme  on  l'attachera  avec  la  chaîne  qu'elle 
s'est  mise  au  cou.  Quant  à  la  discipline  qu'elle  s'est 
laissé  donner  publiquement  dans  les  rues,  c'est  ce 
qu'on  ne  souffrirait  pas  ici ,  et  ce  qui  passerait  pour 
une  indécence;  je  ne  peux  tolérer  des  choses  aussi 
ridicules.  Le  cardinal  de  Noailles  a  défendu  les  pèle- 
rinages qu'on  faisait  le  vendredi  saint  au  mont  Valé- 
rien,  pieds  nus  et  en  se  donnant  la  discipline ,  et  on 
ne  permettrait  pas  à  des  femmes  de  s'infliger  pareil 
traitement. 

2  juillet  1720. 

La  Montchevreuil  élait  une  méchante  diablesse, 
mais  la  Maintenon  avait  bien  raison  de  l'aimer  '  et  de 
lui  faire  du  bien,  car  cette  dame  l'avait  nourrie  et 
vêtue  lorsqu'elle  vivait  encore  dans  la  détresse  et  dans 
la  plus  grande  pauvretés 

»  M™e  de  Montchevreuil  était,  d'après  Saint-Simon,  le  cœur, 
l'âme,  la  confiance  totale  et  sans  appel  de  M^e  de  Maintenon. 
Son  mari  devint  gouverneur  du  duc  du  Maine,  et  fut  l'un  dea 
témoins  du  mariage  de  Louis  XIV  avec  Mme  de  Maintenon. 

*  Un  catalogue  d'autographes  que  nous  avons  déjà  cité  (  L.  en 
1844,  n°  301;  offre  un  extrait  d'une  lettre  importante  de 
Mme  de  Maintenon  au  marquis  de  Montchevreuil,  lettre  relative 
à  l'éducation  du  jeune  duc  du  Maine.  «  Je  vous  diray  que  quoy 
que  l'on  face,  mon  mignon  sera  un  ignorant,  et  que  si  on  luy 
aprenl  quelque  chose  malgré  luy,  il  l'oubliera  ou  fera  semblant 
de  l'avoir  oublié,  quand  il  n'agira  plus  par  la  crainte. Cependant 
comme  Mme  de  Montespan  a  d'autres  vues,  il  faut  aller  son 
chemin,  mais  altachés-vous  aux  maximes  de  l'honneur,  de  la 
probité,  du  christianisme,  et  inspirés-luy  de  l'élévation  et  un 
désir  ardent  d'estre  estimé;  voilà  ce  qui  luy  demeuiera,  et  qui 


252  CORRESPONOANCE 

14  juillet  1720. 

J'ai  chaque  jour  de  nouveaux  désagréments  :  un 
jour  on  vient  me  dire  que  je  n'aurai  plus  à  manger, 
car  mon  intendant  ne  pouvait  se  procurer  d'argent  et 
n'avait  que  des  billets  ;  un  autre  jour  ce  sont  des  mar- 
chands qui  refusent  de  livrer  des  étoffes  si  on  ne  les 
paye  en  espèces  ;  une  autre  fois  on  annonce  que  les 
Parisiens  veulent  se  soulever. 

IG  juillet  1720. 

Le  feu  roi  disait  que  par  des  chaînes  d'or  on  obte- 
nait des  ministres  de  Vienne  tout  ce  qu'on  voulait... 
Il  ne  pouvait  pardonner  aux  dames  françaises  de  sui- 
vre les  modes  anglaises;  il  parlait  très- plaisamment  à 
cet  égard,  et  dans  la  conversation  il  s'adressait  à  moi, 
car  il  espérait  que  je  broderais  là-dessus  et  que  je  fe- 
rais enrager  les  princesses;  pour  divertir  Sa  Majesté, 
souvent  je  ne  mettois  aucun  frein  à  ma  langue  et  je 
disais  tout  ce  qui  me  venait  dans  la  tête,  ce  qui  fai- 
sait beaucoup  rire  le  roi. 

Le  roi  a  gâté  les  jésuites  ;  tout  ce  qui  venait  d'eux 
était  digne  d'admiration,  que  cela  fût  raisonnable  ou 
non,  et  il  se  laissait  mener  par  le  père  La  Chaise,  qui 
est  cause  de  bien  du  mal  '. 

est  meilleur  que  le  latin  de  Chevreau  »  (  Il  s'agit  d'Urbain  Che- 
vreau, nommé  en  1678  précepteur  du  duc  du  Maine,  écrivain 
fécond,  en  grande  réputation  do  son  temps  et  fort  oublié  aujour- 
d'hui). 

>  Parmi  les  écrits  dirigés  contre  le  pi'^rc  La  Chaise,  nous  in- 
di(liierons  son  Histoire,  Cologne  (Hollande),  1C!)3,  in-12,  plu- 
sieurs fois  réimprimée  ;  dans  VfivisoH  IccU'ur.nousTcmiwiiiiona 
ce  passage  ;  «  On  a  enlevé  des  écrivains  qui  pourrissent  encore 


DE   MADAME   LA   DUCHESSE   D'oRLÉANS.  253 

18  juillet  1720. 

Il  faut,  ma  chère  Louise,  avant  de  répondre  à  votre 
bonne  lettre,  que  je  vous  dise  quelle  horrible  frayeur 
j'aie  eue  hier;  je  me  rendis  en  voiture,  comme  à  l'or- 
dinaire, chez  les  Carmélites,  et  j'y  trouvai  M"""  du 
Lude'.   Nous  étions  fort  tranquilles,   lorsqu'arrive 

«  aujourd'hui  dans  les  cachots  du  Mont-Saint-Michel;  d'autres 
«  ont  été  assassinés  jusque  dans  la  cour  de  Hanovre,  et  le  père 
«  La  Chaise  n'a-t-il  pas  forcé  les  Genevois  à  lui  rendre  un  mal- 
«  heureux  qui  avait  écrit  quelque  chose  contre  lui  ?  » 

Entre  autres  assertions  calomnieuses,  l'auteur  raconte  qu'en 
1683,  le  Père  avait  extorqué  du  roi  un  ordre  pour  massacrer 
tous  les  réformés;  quatre-vingts  régiments  devaient  se  rendre 
danstousles  lieux  où  étaient  les  huguenots,  les  ordres  de  massaa'e 
étaient  envoyés  à  tous  les  évéques.M.  le  Prince  {de  Condé)  em- 
pêcha l'exécution  de  cette  entreprise.  Nous  ne  croyons  rien  de 
tout  cela,  mais  nous  regardons  comme  vraisemblable  qu'il 
y  avait  en  effet  les  jeudis  et  vendredis,  jours  d'audience  du 
confesseur  de  Sa  Majesté,  plus  de  deux  cents  personnes  dans  son 
antichambre.  Le  biographe  raconte  que  «  le  prince  de  Condé , 
«  qui  donnait  souvent  des  mortifications  au  père  La  Chaise, 
«  ordonna  à  Molière  de  faire  une  pièce  qui  représenta  si  naive- 
«  ment  ce  jésuite  qu'on  ne  put  faillir  à  le  reconnaître,  et  lui 
«  promit  une  récompense  de  deux  mille  pistoles.  Néanmoins 
«  cet  illustre  comédien  se  contenta  d'y  dépeindre  son  génie  et 
«  sa  morale  fort  au  naturel,  et  déguisa  la  figure.  »  Il  nous 
semble  que  les  biographes  et  les  commentateurs  de  Molière  ont 
négligé  cette  anecdote  plus  ou  moins  authentique. 

'  Le  duc  de  Lude,  mort  en  i685,  fut  marié  deux  fois.  La 
première  de  ses  femmes  était  de  la  famille  de  Bouille;  dans  les 
annotations  de  Saint-Simon  sur  le  journal  de  Dangeau,  on  lit 
à  son  égard  quelques  détails  singuliers  :  «  Toujours  dans  ses 
«  terres,  elle  ne  se  plaisoit  qu'aux  chevaux  qu'elle  piquoit  mieux 
«  qu'un  homme,  et  chasseuse  à  outrance.  Elle  faisoit  sa  toi- 
«  lette  dans  son  écurie,  et  faisoit  trembler  le  pays.  Vertueuse 
«  pour  elle,  et  trop  pour  les  autres,  elle  lit  châtrer  un  clerc  en 

11.  22 


254  CORBESPONDANCE 

M'""  de  Chasteauthicr,  pâle  comme  une  morte,  et  elle 
me  (lit  :  «  Madame,  on  ne  saurait  vous  cacher  ce  qui 
«  se  passe  ;  vous  trouverez  toutes  les  cours  du  Palais- 
«  Royal  remplies  de  peuple;  ils  y  ont  porté  des  corps 
«  morts  écrasés  à  la  Banque  '  ;  Law  a  été  obligé  de  se 
«  sauver  au  Palais-Royal  ;  on  a  brisé  son  carrosse  en 
«  mille  pièces  et  on  a  enfoncé  les  portes.  »  Je  vous 
laisse  imaginer  quelle  impression  fit  sur  moi  une  pa-« 
reille  nouvelle  ;  je  ne  la  laissai  pourtant  pas  paraître, 
car  en  pareil  cas  il  ne  faut  pas  manquer  de  résolu- 
tion. Je  me  fis  conduire  chez  le  roi,  comme  à  l'ordi- 
naire; il  y  avait  dans  la  rue  Saint-Honoré  un  tel  em- 
barras que  je  fus  une  demi-heure  sans  pouvoir  passer; 
j'entendis  les  gens  du  peuple  s'emporter  contre  Law, 
mais  ils  ne  disaient  rien  au  sujet  de  mon  fils  et  ils  m'a- 
dressèrent des  bénédictions;  j'arrivai  enfin  au  palais, 
mais  tout  y  était  fort  tranquille  et  le  peuple  s'était  re- 
tiré. Mon  fils  vint  me  voir  et  m'assura  que  tout  ce  tu- 
multe avait  été  occasionné  par  quelques  ivrognes  ;  les 
gens  qui  avaient  été  étouffés  ne  s'étaient  pas  soulevés 
pour  demander  le  remboursement  des  billets  par  suite 
d'une  extrême  détresse;  l'un  d'eux  avait  cent  écus 
dans  sa  poche,  et  aucun  de  ceux  qui  avaient  été  ar- 
rêtés n'étaient  sans  argent;  l'invasion  du  Palais-Royal 

«  sa  prpscncc,  pour  avoir  abusé,  dans  son  château,  d'une  de 
«  ses  demoiselles,  le  fit  guérir,  lui  donna  dans  une  boîte  ce 
«  qu'on  lui  avoit  ôté,  et  le  renvoya.  » 

'  Trois  personnes  avaient  été  étouffées  dans  la  colnie  qui  se 
pressait  aux  portes  de  la  Banque  pour  le  remboursement  des 
billets.  Un  plaisant  lit  courir  un  placard  sur  lequel  était  cet 
engagement  d'un  nouveau  genre  :  «  La  Banque  promet  d'é- 
toiilïer  à  vue  le  porteur  du  présent  billet.  » 


DE  MADAME  LA   DUCHESSE   O'ORLÉANS.  255 

était  l'ouvrage  de  quelques  malintentionnés  qui  dé- 
testent mortellement  mon  pauvre  fils  '. 

Paris,  21  juillet  1720. 

L'argent  est  ici  plus  rare  que  jamais;  mais,  ce  qui 
n'est  pas  rare ,  c'est  la  fausseté ,  la  malice ,  la  per- 
fidie et  l'ambition  ;  elles  ne  peuvent  atteindre  un  degré 

*  Cette  émeute  inspira  à  un  satirique,  qui  eut  soin  de  earder 
l'anonyme,  l'idée  de  parodier  la  dernière  scène  de  MUhridute, 
et  de  représenter  le  régent  mourant  d'une  blessure  reçue  dans 
une  sédition.  Nous  transcrivons  le  début  de  ce  petit  écrit,  qui 
n'est  pas  mal  tourné  : 

LAW. 

Ah!  que  vois-je,  seigneur?  et  quel  sort  est  le  TÔtre? 

LE    RÉGE7IT. 

Cessez  et  retenez  vos  larmes  l'un  et  l'autre  ; 

Mon  cœur  de  sa  fureur  et  de  tous  ses  forfaits 

Veut  d'autres  sentiments  que  de  tristes  regrets. 

Ma  régence,  plutôt  digne  d'être  abhorrée. 

Par  des  pleurs  aujourd'hui  doit-elle  être  honorée? 

J'ai  désolé  la  France  autant  que  je  l'ai  pu; 

La  mort  dans  mes  projets  m'a  seule  interrompu  ; 

Le  Ciel  n'a  pas  touIu  qu'achevant  mon  dessein 

Je  versasse  à  mon  roi  un  poison  de  ma  main. 

Mais  au  moins  quelque  chose  en  mourant  me  console  ; 

J'expire  environné  des  rentiers  que  j'immole.... 

C'est  à  la  même  époque  qu'il  faut  rapporter  une  autre  pièce 
de  vers,  le  Rcgcnt  malade,  que  nous  trouvons  dans  les  manu- 
scrits : 

Lorsque  tu  livres  à  la  Parque 
Trois  dauphins  et  notre  monarque. 
Crois-tu  le  faire  impunément? 
Leurs  ombres  demandent  vengeance. 
Tremble,  car  tu  touches  au  moment 
Qui,  par  ta  mort,  sauve  la  France. 

l'n  rimeuT,  non  moins  acharné,  s'écriait  : 
Je  Tois  tous  nos  malheurs  finir. 
Le  Ciel  nous  est  propice, 


256  CORHKSPONDANCI-: 

plus  clcvc  que  celui  auquel  elles  sont  iei;  pareil  spec- 
tacle dégoûte  de  la  vie.  Les  femmes  qui  sont  ici  ja- 
louses de  leurs  maris  le  sont  par  ambition  plutôt  que 
par  amour,  car  elles  veulent  toutes  gouverner,  et  il 
n'est  pas  de  cuisinière  qui  ne  se  croie  capable  de  gou- 
verner l'État;  de  sorte  que  si  elles  n'ont  pas  d'empire 
sur  leurs  maris,  elles  sont  furieuses.  Le  mieux  est 

Que  le  Tout-Puissaut  soit  béni, 

Honorons  sa  justice. 

Fléaux  vomis  de  l'enfer, 

Abandonnez  la  France; 
Il  meurt,  et  va  chez  Lucifer 

Exercer  la  régence. 

On  allait  jusqu'à  reprocher  au  Régent  des  épidémies  qui  exer- 
çaient de  cruels  ravages  : 

Après  avoir  pris  notre  argent 

Par  un  conseil  inique, 

Chassé  le  parlement 

Pour  être  despotique, 

Fait  publier  impunément 

Cent  arrêts  qu'on  déleste, 
Il  te  manquait,  maudit  Régent, 

De  nous  donner  la  peste. 

De  nombreuses  estampes  satiriques  furent  dirigées  contre  le 
système.  M.  L.  de  Laborde,  PnlaisMazarm,  notes,  p.  390, 
en  énumère  soixante-dix,  presque  toutes  d'origine  hollandaise. 
Du  reste,  en  opposition  à  toutes  ces  satires,  il  se  trouva  quel- 
ques flatteries.  On  sait  que  dans  certains  exemplaires  du  Dic- 
tionnaire de  Bayle,  édition  de  1720,  dédiée  au  Régent,  on  ren- 
contre, au  bas  du  portrait  de  ce  prince,  dix-neuf  vers  qui  font 
l'éloge  du  système  de  Law  ;  il  fallut  les  supprimer  après  la  dé- 
conlilure  (voir  M.  L.  Laborde,  Palais-Mazarin,  p.  39G).  L'é- 
pilre  dédicatoire,  rédigée  par  La  Motte,  est  fort  ridicule;  elle 
s'exprime  ainsi  :  «  Les  plus  grands  hommes  regardent  les 
louanges  comme  la  récompense  de  la  vertu,  mais  il  semble  que 
pour  vous  elle  n'en  soit  que  l'incouvéuicnt.  »  Tout  le  reste  est 
de  tcUe  force. 


DE  MADAME   LA   DICHESSE   D'om.ÉANS.  257 

d'aimer  son  mari  par  devoir,  et  non  par  passion,  de 
vivre  avec  lui  en  paix  et  amicalement,  mais  de  ne  pas 
se  fracasser  du  cours  qu'il  donne  à  ses  passions.  De 
celte  manière,  on  reste  toujours  bons  amis,  et  la  paix 
et  l'harmonie  se  maintiennent  dans  le  ménage. 

30  juillet  1720. 

Salvatico  avait  déjà  commencé  ses  folies  ici;  il  vou- 
lait à  tout  instant  entrer  dans  la  chambre  de  la  prin- 
cesse, et  il  en  était  même  très-jaloux  ;  elle  s'en  est  plaint 
à  son  mari,  et  celui-ci  l'a  dit  à  son  père  en  le  priant 
de  renvoyer  ce  méchant  diable.  C'est  ce  que  le  père 
ne  veut  pas  l'aire  ;  il  veut  même  faire  de  Salvatico  son 
majordome. 

30  juillet  1720. 

Quand  mon  fils  donne  du  désagrément  à  quelqu'un, 
il  est  certainement  plus  i)ciné  que  celui  qui  tombe 
ainsi  en  disgrâce.  11  ne  se  soucie  nullement  des  bijoux 
et  il  aime  peu  la  toilette.  Le  petit  corbeau  noir  {la  Pa- 
rahère)  n'est  pas  désagréable,  mais  elle  passe  pour 
sotte.  Elle  est  capable  de  beaucoup  manger  et  boire 
et  de  débiter  des  étourderics  ;  cela  divertit  mon  fds  et 
lui  fait  oublier  tous  ses  travaux. 

A   M.   DE   HARLING. 

1«'-  août  1720, 

Je  connais  quelqu'un  à  Paris  qui  a  été  l'ami  intime 
d'un  savant  abbé.  Cet  abbé  avait  connu  très-particu- 
lièrement Descartes,  et  il  a  souvent  dit  que  Descartes 
avait  ri  avec  lui  de  son  système,  et  qu'il  disait  :  «  Je 

2Z 


258  CORRESPONDANCE 

leur  ai  taillé  de  la  besogne  ;  nous  verrons  qui  sera  as- 
sez sot  pour  y  donner.  » 

A  LA  PRINCESSE  DE  GALLES. 

2  août  1720. 

Le  prince  et  la  princesse  {de  Modène)  s'aiment  beau- 
coup, mais  on  dit  qu'ils  se  moquent  ensemble  du  vieux 
père. 

3  août  1720. 

Lorsque  le  roi  d'Espagne  partit  ' ,  notre  roi  pleura 
amèrement,  M.  le  Dauphin  pleura  beaucoup  aussi,  et 
précédemment  il  n'avait  jamais  donné  à  aucun  de  ses 
fds  la  moindre  marque  qu'il  eût  de  rattachement  pour 
eux;  on  ne  les  avait  jamais  vus  dans  son  apparte- 
ment, ni  le  malin,  ni  le  soir^  quand  le  Dauphin  n'é- 
tait pas  à  la  chasse,  il  était  toujours  chez  la  grande 
princesse  de  Conti,  et  ensuite  chez  W^^  la  Duchesse. 
On  n'aurait  pu  deviner  que  ses  enfants  fussent  à  lui, 
car  il  vivait  avec  eux  comme  s'ils  avaient  été  des 

•  Le  Bulletin  des  comités  historiques {iSbZ,  p.  94  et  suiv.) 
renferme  des  lettres  de  Louis  XIV  et  du  maréchal  de  Noailles,  pen- 
dant le  voyage  des  ducs  de  Bourgogne  et  de  Bcrri  aux  frontières 
d'Espagne,  1 7  00-17  0 1 .  Les  originaux  de  ces  lettres  font  partie  de 
la  bibliothèque  du  Louvre.  Parmi  beaucoup  de  détails  minu- 
tieux relatifs  à  l'étiquette,  au  régime  et  à  la  santé  des  princes, 
détails  dans  lesquels  se  complaît  la  courtisanerie  déliée  du  ma- 
réchal et  la  gravité  oflicielle  du  monarque,  on  retrouve  des  élé- 
ments et  des  traces  de  grandeur.  Voir  aussi  l'écrit  intitulé  : 
o  Journal  du  voyage  où  j'accompagnai  le  roi  d'Espagne  dans  ses 
Etals.  »Ce  document  se  trouve  au  t.  II,  p.  93  à  250  des  Cîirio- 
sili's  historiques,  oit  recueil  de  iiièccs  utiles  à  l'histoire  de 
l'rancc,  17  5y,  2  vol.  in-12. 


DE   MADAME    LA   DUCHESSE   D'oRLÉANS.  259 

étrangers;  il  ne  les  appelait  pas  mon  fils,  mais  M.  le 
duc  de  Bourgogne,  M.  le  duc  d'Anjou,  M.  le  duc  de 
Berri,  et  ils  l'appelaient  monseigneur. 

Saint-Cloud,  4  août  1720. 

Vous  auriez  tort  de  croire  que  je  ne  chante  jamais 
les  psaumes  ou  les  cantiques  luthériens;  je  les  chante 
souvent  et  je  les  trouve  fort  consolants.  Il  faut  que  je 
vous  raconte  ce  qui  m'est  arrivé  à  cet  égard,  il  y  a 
plus  de  vingt-cinq  ans.  Je  ne  savais  pas  que  M.  Rous- 
seau, qui  a  peint  l'orangerie,  était  un  réformé  :  il  était 
à  travailler  sur  un  échafaudage,  et  moi,  me  croyant 
toute  seule  dans  la  galerie,  je  me  mis  à  chanter  le 
sixième  psaume.  J'avais  à  peine  achevé  le  premier 
verset,  que  je  vois  quelqu'un  descendre  en  toute  hâte 
de  l'échafaudage,  et  tomber  à  mes  pieds  :  c'était  Rous- 
seau; je  crus  qu'il  était  devenu  fou.  «  Bon  Dieu!  lui 
dis-je,  qu'avez -vous,  Rousseau?  »  Il  me  répondit  : 
«  Est-il  possible,  madame,  que  vous  vous  souveniez 
encore  de  nos  psaumes,  et  que  vous  les  chantiez?  Que 
le  bon  Dieu  vous  bénisse  et  vous  maintienne  dans  ces 
bons  sentiments.  »  Il  avait  les  larmes  aux  yeux;  il 
partit  quelques  jours  après;  je  ne  sais  ce  qu'il  est  de- 
venu; mais,  en  quelque  lieu  qu'il  se  trouve,  je  lui 
souhaite  toute  espèce  de  prospérité  et  de  bonheur; 
c'était  un  homme  très-estimable  et  excellent  peintre  à 
fresque. 

Il  y  a  peu  de  médailles  antiques  que  je  n'aie  déjà, 
car  j'en  ai  déjà  près  de  neuf  cents.  J'ai  commencé  par 
deux  cent  soixante,  que  j'ai  achetées,  et  qui  avaient 
été  volées  au  duc  de  Savoie ,  j'écrivis  à  la  reine  ac- 


260  CORRESl'ONDANCE 

tuelle  de  Sardaigne,  et  j'offris  de  les  renvoyer  au  roi. 
La  reine  me  répondit  qu'elle  était  enchantée  de  pou- 
voir m'engager  à  garder  celles  que  j'avais  acquises;  je 
les  avais  eues  à  bon  marché,  rien  que  pour  le  poids, 
et  il  y  en  avait  de  rares  parmi  elles. 

C  août  1720. 

Personne  n'a  entendu  ce  que  le  roi  a  dit  à  la  vieille  ; 
elle  s'était  sauvée  à  Saint-Cyr  avant  qu'il  ne  fût  morl. 
On  l'a  ramenée,  mais  elle  n'est  pas  restée  jusqu'à  la 
fin.  Je  crois  que  le  roi  s'est  repenti  d'avoir  fait  la  folie 
de  l'épouser.  En  effet,  quoi  qu'elle  ait  fait,  il  n'a  pas 
voulu  publiquement  déclarer  le  mariage.  Elle  a  pleuré 
à  la  mort  du  roi,  cependant  elle  n'a  pas  été  aussi  affli- 
gée qu'elle  aurait  dû  l'être.  Elle  s'est  toujours  flattée 
de  régner  avec  le  duc  du  Maine. 

Saiiit-Cloud,  8  août  1720. 

Je  ne  peux  dire  ni  bien  ni  mal  du  système  de  M.  Law, 
car  il  est  complètement  incompréhensible  pour  moi; 
mais  je  vois  qu'il  en  résulte  pour  mon  fils  toutes  sortes 
de  tracas  et  de  soucis  ;  je  voudrais  donc  qu'il  n'en  eût 
jamais  été  question.  Avec  des  gens  aussi  intéressés 
que  les  Français,  depuis  M.  le  Duc  jusqu'au  dernier 
laquais,  on  n'est  jamais  en  sûreté  lorsqu'ils  pensent 
qu'ils  ont  quelque  chose  à  gagner  à  votre  mort;  cela 
m'inquiète  fort,  car  cela  me  romi)lit  de  crainte  pour 
la  vie  de  mon  fils  ,  quant  à  moi,  je  n'ai  rien  à  crain- 
dre, car  ma  mort  ne  profiterait  à  personne.  Plût  à  Dieu 
(jue  j<!  n'eusse  à  m'inquiéter  que  pour  moi  ;  cola  ne  me 
donnerait  pas  une  minute  de  préoccuitation!  11  y  a 


DE   MADAME    LA    DUCHESSE   it'OF'.LÉANS.  !2(jl 

encore  beaucoup  d'argent  en  France,  mais  chacun  U» 
cache  par  malice,  et  ne  veut  pas  le  mettre  clans  le  com- 
merce; on  ne  s'inquiète  pas  des  lois  de  M.  Law  à  ce 
sujet.  Personne  n'a  de  goût  ici  pour  la  guerre,  mais 
bien  pour  le  luxe,  qui  n'a  jamais  été  porté  au  point 
auquel  il  est  à  présent;  le  tenq)s  montrera  ce  qui  en 
résultera. 

13  août  1720. 

Law  est  dans  de  telles  angoisses  qu'il  n'a  pu  se  ré- 
soudre à  se  rendre  à  Saint-Cloud  auprès  de  mon  fils, 
qui  lui  avait  cependant  envoyé  son  carrosse  ' .  La  ma- 
lice des  ennemis  de  mon  fils  ne  diminue  pas;  on  ré- 
pand sans  cesse  contre  lui  des  écrits  horribles  où  il  est 
attaqué  avec  acharnement  '.  Je  ne  comprends  pas  qu'il 

*  Donnons  ici  un  échantillon  des  vers  que  les  recueils  ma- 
nuscrits nous  présentent  comme  circulant  alors  à  Paris, 

Puisque  nous  u'avous  plus  d'argent, 
Le  diable  emporte  et  Lass  et  le  Kegent, 
Le  premier  est  un  animal. 
Fripon,  ignorant  et  brutal. 
Qui  nous  réduit  à  l'iiôpilal  ; 
Le  second  rit  de  voir  le  mal; 

Dieu  nous  fasse 

Bientôt  la  grâce 

De  voir  déconfit 

Ce  couple  maudit. 

Condé,  Dubois  et  le  Régent 

Sout,  ma  fol,  bien  faits  l'un  pour  l'autre; 

L'un  bruta'  et  l'autre  méchant. 

Le  tiers  en  crapule  se  vautre  ; 

Tous  trois  le  fléau  des  iiuniaiiis  ; 

Pauvres  Français,  que  je  vous  plains  ! 

'  Il  y  aurait  un  curieux  travail  à  faire  sur  les  livres  dont  le 
Régent  est  le  sujet;  parmi  beaucoup  de  faussetés  et  d'exagéra- 
tions, ils  ne  renferment  que  trop  de  vérités.  On  trouve  dans  le 


^H2  CORRESPONDANCE 

ne  punisse  sévèrement  de  pareilles  insolences,  mais  il 
est  le  meilleur  des  hommes. 

Paris,  15  août  1120. 

Les  Parisiens  sont  les  meilleures  gens  du  monde,  et 
si  le  parlement  ne  les  avait  pas  excités,  ils  ne  se  seraient 
jamais  soulevés  de  leur  vie.  Les  pauvres  gens  m'ont 
fort  touchée,  car  ils  criaient  contre  Law,  et  nullement 
contre  mon  fils;  et  lorsque  j'ai  passé  en  voiture  à  tra- 
vers le  peuple,  on  m'a  adressé  tout  haut  des  bénédic- 
tions ;  cela  m'a  si  fort  émue,  que  je  n'ai  pu  m'empê- 
cher  d'en  pleurer.  Il  n'est  pas  étonnant  qu'on  n'aime 
pas  mon  fds  autant  que  moi,  car  ses  ennemis  n'épar- 
gnent rien  pour  le  décrier,  et  pour  le  faire  passer  pour 
un  impie  et  pour  un  tyran,  tandis  que  c'est  le  meilleur 
homme  du  monde,  et  qu'il  n'est  que  trop  bon.  Je  n'ai 
jamais  rien  compris  au  système  de  M.  Law,  mais  j'ai 
toujours  cru  fermement  qu'il  ne  pouvait  en  rien  ré- 
sulter de  bon;  je  ne  saurais  déguiser  ma  pensée,  et 
j'ai  dit  tout  crûment  à  mon  fils  ce  que  j'en  pensais.  Il 
m'a  dit  que  j'étais  dans  l'erreur,  cl  il  a  voulu  m'expli- 

Précis  historique  de  la  maison  d'Orléans,  par  un  membre  de 
l'Université  [G.  Peignot,  l'aris,  1830,  p.  38-68),  une  notice  sur 
dix-sept  ouvrages  divers  de  ce  genre  ;  les  Pkiitppiqucs  de  La 
Grange-Chancel,  V Histoire  du  prince  Papyrms,  les  Aventures 
de  Pomponius,  y  sont  indiquées  avec  quelque  détail.  On  peut  y 
joindre  ; 

La  Chronique  de  don  Philippe  d'Aurélie,  manuscrit  indiqué 
au  ratalngnc  de  la  bibliothc^que  de  M.  Leber,  n"  5811 . 

Mahmoud  le  Gasvénide,  histoire  orientale  (par  Melon),  Rot- 
terdam, 1720,  in-S".  C'est  une  histoire  allégorique  de  la  Ré- 
gente. 


DE  MADAME  LA  DUCHESSE  d'ORLÉANS.  263 

quer  la  chose;  mais,  plus  il  s'efforçait  de  me  la  faire 
comprendre,  moins  j'y  entendais  quoi  que  ce  soit. 

16  aofit  1120. 

Je  trouve  que  c'est  un  bonheur  pour  notre  princesse 
de  Modène  que  Salvatico  eût  été  amoureux  d'elle,  car, 
comme  il  a  appris  ici  tout  ce  qui  s'est  passé  ' ,  il  aurait 
pu  en  faire  des  rapports  ;  maintenant  il  aura  beau  dire, 
le  prince  ne  le  croira  pas.  Salvatico  est  un  fou  des  plus 
grands.  Pendant  qu'il  était  ici,  il  disait  à  toute  hem'e  : 
«  Oui,  j'aime  tant  ma  princesse,  que,  sans  dégoût,  je 
mangerais  sa  m.. de.  »  C'est  le  favori  déclaré  du  duc 
de  Modène.  Cela  prouve  la  vérité  de  notre  proverbe 
allemand  :  Ce  qui  se  ressemble  sassemble ,  disait  le 
diable  au  charbonnier  '. 

17  août  1720. 

Law  est  comme  un  homme  mort  et  pâle  comme  un 
linge;  il  n'a  pu  se  remettre  des  dernières  peurs  qu'il 
a  éprouvées...  Si  le  peuple  déteste  M.  le  Duc,  c'est  seu- 
lement parce  qu'il  était  bon  ami  de  Law,  dont  il  me- 
nait les  enfants  se  promener  à  Saint-Maur,  et  il  les  y 
logeait. 

*  Mlle  de  Valois  avait  une  intrigue  avec  le  duc  de  Richelieu, 
et  elle  ne  consentit,  dit-on,  à  épouser  le  prince  de  Modène  qu'à 
la  condition  que  son  père  rendrait  la  liberté  à  son  amant. 

'  On  lit  dans  des  écrits  de  l'époque  que  le  comte  Salvatico, 
chargé  de  demander,  pour  le  prince  de  Modène,  la  main  de 
M'ie  de  Valois,  s'était  d'abord  adressé  au  maréchal  de  Villeroy , 
Dubois  s'opposa  ù  ce  mariage;  le  comte  comprit  sa  faute j  l'a- 
vide ministre  tut  gagné  pur  le  dun  de  cinq  tableaux. 


264  CORRESPONDANCE 

Saint-CIoud,  18  août  1720. 

Tout  est  encore  calme  ici,  mais  M.  Law  n'ose  pas 
sortir;  les  femmes  de  la  halle  ont  placé  des  petits  gar- 
çons comme  espions  autour  de  sa  maison,  afin  de  sa- 
voir quand  est-c  e  qu'il  sortira  ;  cela  n'indique  rien  de 
bon  pour  lui,  et  je  crains  quelque  nouvelle  émeute. 

Vous  me  parlez  de  vers  où  feu  le  maréchal  de  Luxem- 
bourg était  maltraité  ;  je  ne  les  connais  pas,  mais  je 
sais  qu'on  a  fait  des  livres  qui  lui  adressent  toutes 
sortes  d'injures  '. 

Saint-Cloud,  21  août  1720. 

Je  n'ai  jamais  de  ma  vie  vu  aucun  Anglais  ni  Écos- 
sais aussi  poltron  que  Law  ;  c'est  la  fortune  qui  ôte  le 
courage  ;  on  ne  quitte  pas  volontiers  ce  qu'on  possède. 
Je  crois  qu'il  y  a  des  moments  où  il  voudrait  se  trou- 
ver au  Mississipi  ou  à  la  Souciane  {Louisiane). 

Il  y  a  ici  du  tonnerre  tous  les  jours,  mais  il  ne  fait 

'  Madame  fait  sans  doute  allusion  aux  libelles  suivants  : 
Histoire  des  amours  du  maréchal  de  Luxembourg,  dont  il 
existe  deux  éditions  imprimées  en  Hollande,  sous  la  rubrique  de 
Culogiu',  1G'J4  et  1G'J5. 

Le  maréchal  de  Luxembourg  au  lit  de  la  mort,  tragi- 
cdmédie  en  cinq  actes  et  en  prose,  Cologne  (Hollande),  1G95. 
On  connaît  quatre  éditions  différentes,  sous  cette  date,  de  cette 
satire,  qui  fut  accueillie  avec  cnipressemenf.  En  l'enregistrant 
au  catalogue  Soleiune,  n°  37  64,  M.  Paul  Lacroix  observe  «  qu'elle 
«  offre  des  particularités  curieuses  pour  rhist!)ire  du  temps, 
«  quoicpi'il  faille  les  admettre  avec  précaution;  ainsi  nous  n'a- 
«  vous  pas  vu  ailleurs  que  le  maréchal  mourut  des  suites  d'une 
«  déliautlie  avec  M"*^  de....  —  iM.iis,  monsieur  le  médecin,  qui 
«  l'a  donc  fait  mourir:'  dit  le  duc  dn  Maine.  — Ce  n'est  pas 
«  moi,  réjiond  naïvement  le  docteur.  » 


DE  MADAME  LA  DUCHESSE  D ORLÉANS.     265 

que  se  divertir;  il  a  enlevé  à  un  homme  tout  le  poil 
quil  avait  sur  le  corps,  sans  lui  faire  le  moindre  mal; 
il  a  brisé  le  pommeau  de  l'épée  qu'un  cavalier  avait  au 
côté,  et  le  cavalier  n'a  pas  été  blessé  le  moins  du 
monde.  Un  officier  des  Invalides  portait  un  habit  bleu 
avec  une  boucle  et  des  boutons  d'argent  ;  la  foudre  a 
enlevé  la  boucle  et  les  boutons  sans  causer  du  tout  de 
dommage  à  l'étoffe.  Les  paysans  ici  croient  qu'il  y  a 
des  sorciers  qui  sont  maîtres  du  tonnerre  '. 

'^7  août  n20. 

La  jeune  princesse  de  Conti  m'a  raconté  qu'elle 
avait  fait  examiner  son  fds,  dans  son  enfance,  par  Clé- 
ment, pour  savoir  s'il  était  bien  conformé.  Clément 
trouva  l'enfant  bien  constitué;  il  se  rendit  choZ  le 
prince  de  Conti  et  lui  dit  :  «  Monseigneur,  j'ai  examiné 
la  taille  du  prince  qui  vient  de  naître;  il  est  droit; 
faites-le  coucher  sans  chevet  pour  qu'il  reste  ainsi; 
songez  quel  chagrin  ce  serait  pour  la  princesse  de  Conti, 
q\ii  a  fait  ce  prince  droit,  si  vous  le  rendiez  tortu  et 
bossu.  »  Le  prince  de  Conti  voulut  parler  d'autre 
chose,  mais  Clément  revenait  toujours  à  son  sujet,  et 
disait  :  «  Songez  qu'il  est  droit  comme  un  jonc;  ne  le 
rendez  pas  tortu  et  bossu.  Monseigneur.  »  Le  prince 
de  Conti  ne  put  plus  y  tenir,  et  il  s'enfuit. 

'  «  L'étrange  et  ridicule  aventure  »  de  la  duchesse  d'Es- 
trées,  occasionnée  par  le  tonnerre,  est  consignée  dans  les  no- 
tes dé  Saint-Simon  sur  le  Journal  de  Dangeau  publiées  dans  les 
Œuvres  de  Lemontey  ^Œuvres,  t.  IV,  p.  33).  Un  bénédictin  ju- 
dicieux, Dom  Lamy,  mit  au  jour,  en  1G89,  un  traité  pour  expli- 
quer un  fait  dont  il  avait  été  tûmoin  oculaire  ;  la  foudre,  tombant 
ùLagny,  avait  imprimé  le  canon  de lamesse  suvune  nappe  d'autel. 

23 


266  CORRESPONDANCE 

28  août  1720. 

Lorsque  le  duc  de  Mecklembourg  était  à  réfléchir, 
et  qu'on  lui  demandait  à  quoi  il  pensait,  il  répondait  : 
«  Je  donne  audience  à  mes  pensées;  »  sa  seconde 
femme  s'en  serait  mieux  acquittée,  car  elle  avait  plus 
de  moyens  que  lui.  C'était  un  singulier  personnage  que 
ce  prince  :  il  était  bien  élevé,  il  appréciait  fort  bien  les 
affaires,  il  raisonnait  avec  justesse,  mais  dans  tout  ce 
qu'il  faisait,  il  était  plus  simple  qu'un  enfant  de  six 
ans.  Il  se  plaignait  un  jour  à  moi;  je  ne  lui  répondis 
pas.  Il  me  demanda  pourquoi  je  me  taisais;  je  lui  ré- 
pondis crûment  qu'il  parlait  fort  bien,  mais  que  ses 
actions  ne  correspondaient  nullement  à  ses  discours, 
et  que  toute  sa  conduite  était  si  pitoyable  qu'on  en 
riait  dans  toute  la  France.  Il  se  fâcha  et  s'en  alla  de 
très-mauvaise  humeur.  Il  avait  demandé  une  audience 
au  roi;  le  roi  croyait  qu'il  voulait  l'entretenir  d'affaires, 
et  il  l'admit  seul  dans  son  cabinet.  Sitôt  qu'il  vit  le 
roi,  il  lui  dit  :  «  Sire,  je  vous  trouve  grandi  depuis  que 
je  n'ai  eu  le  plaisir  de  vous  voir.  »  Le  roi  répondit  : 
«  Je  ne  crois  pas  être  en  âge  de  grandir  »  (il  avait 
trente-cinq  ans)  ;  le  duc  répliqua  :  «  Eh  !  Sire  !  vous 
avez  bien  bonne  mine ,  tout  le  monde  trouve  que  je 
vous  ressemble,  mais  que  j'ai  encore  meilleure  mine 
que  vous.  »  Le  roi  se  mit  à  rire,  et  répondit  :  «  Cela 
peut  bien  être.  »  Là-dessus  l'autre  s'en  alla.  Ne  fût-ce 
pas  une  belle  audience  ? 

Un  cavalier  anglais,  M.  Ilammer,  avait  comparé  le 
roi  à  un  maître  d'escrime  '. 

*  Le  ciiovalicr  ùo.  Hammcr  avait  épouBé  la  veuve  du  duc  de 


DE   MADAME   LA   DLCIIESSE    d' ORLÉANS.  267 

r 

Paris,  5  septembre  1720. 

On  est  tranquille  ici,  mais  l'on  murmure  beaucoup, 
et  d'un  moment  à  l'autre  il  peut  éclater  des  désordres 
sérieux.  Il  y  a  quelques  jours,  des  laquais  se  sont  per- 
mis une  grande  insolence  ;  je  ne  puis  comprendre 
qu'on  tolère  de  pareils  excès  :  ils  ont  accablé  d'inpires 
la  fdlede  M.  Law,  une  pauvre  enfant  qui  revenait  de 
la  promenade,  et  lui  ont  jeté  des  pierres.  Je  ^ois  bien 
la  cause  de  tous  ces  désordres  ;  les  jeunes  gens  d'au- 
jourd'hui se  sont  trop  mêlés  avec  leurs  laquais;  ils  les 
ont  pour  complices  dans  toutes  sortes  d'infamies;  les 
laquais  imitent  leurs  maîtres,  et  ceux-ci  n'osent  se 
plaindre  ' . 

La  reine  de  Prusse  m'a  annoncé  l'explosion  du  ma- 
gasin à  poudre,  mais  elle  ne  dit  pas  du  tout  qu'elle 
en  ait  été  elïrayée  ;  le  fait  est  pourtant  que  toutes  les 
fenêtres  du  château  ont  été  brisées.  Cela  me  fait  sou- 
venir d'une  aventure  qui  arriva  à  M"«  de  Durfort,  qui 
a  été  ma  dame  d'atours.  Elle  était  sœur  du  maréchal 
de  Duras,  qui  était  gouverneur  de  Besançon,  et,  chez 
son  frère,  il  y  avait  un  jardin  décoré  de  statues,  parmi 
lesquelles  il  y  en  avait  une  représentant  Jupiter  qui 
était  si  belle,  que  le  roi  l'a  achetée,  et  elle  est  main- 
tenant à  Versailles.  M°«  de  Durfort,  se  trouvant  seule 

Grafton  ;  il  fut  très-bien  accueilli  à  Versailles  ;  voir  Saint-Simon, 
t.  XIX,  p.  148. 

1  La  correspondannce  administrative  sotis    le  règne  de 
Louis  XIV,  publiée  par  M.  Depping,  fournit(t.  II,  1851,  in-4 
des  détails  sur  les  troubles  causés  par  les  laquais,  sur  les  vols  et 
et  assassinats  commis  clans  les  rues  de  Paris,  sur  la  fureur  du 
jeu,  etc. 


268  CORRESPONDANCE 

un  jour  dans  le  jardin  de  son  frère,  s'arrêta  un  mo- 
ment devant  cette  statue,  et  lui  dit:  «Or  çà,  mon- 
sieur Jupiter,  on  dit  que  vous  avez  parlé  autrefois; 
nous  voilà  seuls,  parlez-moi  donc,  aussi  bien  avez- 
vous  la  bouche  entr'ouverte.  »  Au  moment  oîi  elle  ache- 
vait ces  mots,  im  moulin  à  pondre  vint  à  sauter  avec 
un  fracas  épouvantable.  M"'«  de  Durfort  croit  que  c'est 
Jupiter  qui  lui  répond  ;  elle  a  une  telle  frayeur  qu'elle 
tombe  par  terre  sans  connaissance,  et  qu'il  fallut  l'em- 
porter du  jardin. 

Saint-Clond,  C  septembre  1720. 
J'ai  reçu  depuis  huit  jours  plusieurs  lettres  où  l'on 
me  menace  de  me  brûler  à  Saint-Cloud,  et  de  brûler  mon 
fds  au  Palais-Royal.  Mon  fils  ne  m'a  jamais  dit  un  mot 
de  ce  qui  se  passe  ici  ;  il  suit  en  cela  l'exemple  de  son 
père,  qui  disait  :  «Tout  est  bien,  pourvu  que  Madame 
ne  le  sache  pas.»  Voici  des  vers  qu'on  fait  courir' 

Si  tu  veux  de  ton  parlement 

Clianger  l'humeur  hautaine, 
De  Pontoise,  sire  Régent, 

Fais-le  passer  à  Fresne  ; 
C'est  un  lieu  de  correction, 
La  faridondaine ,  la  faridondon. 
Où  d'Aguesseau  s'est  converti, 

Birihi, 
A  la  façon  de  Barbari, 
Mon  ami. 

On  a  fait  aussi  ce  couplet  : 

Accablés  de  malheurs,  menaocs  de  la  pcsto, 

Grand  saint  Hoch,  notre  unique  bien, 

Ecoutez  un  peuple  chrétien  : 

Nous  ne  craindrons  rien  de  funcstc, 
Venez  nous  secourir,  soyez  notre  soutien, 
Détournez  de  sur  nous  la  colère  céleste, 

Mais  n'amenez  pas  votre  chien  ; 

Nous  n'avons  pas  de  pain  de  reste. 


DE   MADAME    LA   DUCHESSE   d'oULÉANS.  269 

20  septembre  1720. 

J'ai  reçu,  il  y  a  trois  jours,  une  autre  lettre  ano- 
nyme ;  celle-là  m'a  fait  bien  rire  :  on  me  conseille  de 
faire  enfermer  mon  lils  comme  fou,  et  que  ce  serait  le 
moyen  de  lui  sauver  la  vie...  Mon  fils  a  déjà  couché 
plusieurs  fois  aux  Tuileries  ;  je  crains  cependant  que 
le  roi  ne  puisse  s'habituer  à  lui,  car  mon  fils  n'a  jamais 
pu  jouer  avec  des  enfants  ;  il  ne  les  aime  pas.  Voici  de 
nouveaux  vers  qu'on  fait  courir  : 

Je  ne  trouve  pas  étonnant 

Que  l'on  fasse  un  -.ninistre, 
Et  même  un  prélat  important 

D'un  maquereau,  d'un  cuistre  ; 
Rien  ne  me  surprend  en  cela. 

Et  ne  sait-on  pas  comme 
De  son  cheval  Caligula 

Fit  un  consul  de  Rome  ? 

A   M.    DE   HARLING. 

21  septembre  1720. 

On  n'entend  parler  que  d'aventures  tragiques,  d'em- 
poisonnements, de  meurtres,  de  vols;  la  mode,  à  Paris, 
est  maintenant  de  se  débarrasser  de  la  vie  :  la  plupart 
se  noient,  beaucoup  se  jettent  par  les  fenêtres  et  se 
cassent  le  cou;  d'autres  se  poignardent,  et  tout  cela 
à  cause  de  ce  maudit  argent.  S'imaginent-ils  qu'ils 
seront  plus  riches  quand  ils  seront  morts?  Les  gens 
deviennent  ici  horriblement  barbares  ;  on  a  trouvé,  il 
y  a  trois  jours,  une  femme  mise  à  la  broche,  que  l'on 
avait  voiUu  faire  rôtir;  des  parents  tuent  leurs  enfants, 
des  enfants  tuent  leurs  parents;  on  n'entend  parler 
chaque  jour  que  de  pareilles  horreurs. 

2?; 


270  CORRESPONDANCE 

A   LA   COMTESSE    LOUISE. 

26  septembre  1720. 

Notre  abbesse  de  Chellcs  n'envie  pas  à  sa  sœur  son 
mariage;  elle  se  trouve  plus  heureuse,  et  elle  a  bien 
raison. 

A   M.    DE    HARLING. 

27  septembre  1720. 

La  vie  déréglée  et  folle  à  Paris  devient  chaque  jour 
plus  détestable  et  plus  horrible  :  toutes  les  fois  qu'il 
tonne,  j'ai  peur  pour  cette  ville.  Trois  femmes  de  qua- 
lité ont  fait  des  choses  vraiment  affreuses  :  elles  ont 
suivi  à  Paris  l'ambassadeur  turc,  elles  ont  attiré  à 
elles  son  fils,  l'ont  bel  et  bien  enivré,  et  ont  passé 
deux  jours  avec  ce  drôle  à  grande  barbe  dans  le  laby- 
rinthe [de  Versailles).  A  présent  qu'elles  s'y  sont  ha- 
bituées, je  crois  qu'aucun  capucin  ne  sera  en  sûreté 
auprès  de  ces  dames;  cela  fera  une  belle  réputation  à 
Constantinople  aux  chrétiennes  et  aux  dames  de  qua- 
lité. Le  jeune  Turc  a  dit  à  M"'*  de  Polignac',  une  de 
ces  trois  dames  (il  a  parfaitement  appris  le  français)  : 
«Madame,  votre  réputation  était  venue  jusqu'à  Cons- 
tantinople, et  je  vois  bien,  madame,  qu'on  nous  a  dit 
la  vérité.»  L'ambassadeur  a  été  extrêmement  tracassé 
de  tout  ceci',  et  il  a  dit  à  son  (ils  qu'il  fallait  tenir  la 

'  Les  Mémoires  de  Maurcpas,  t.  Il,  donnent  de  trop  longs  dé- 
lails  sur  les  écarts  de  cette  dame;  elle  fut,  en  17  32,  enfermée 
dans  un  couvent. 

'  Il  existe,  parmi  les  manuscrits  de  la  bibliotli^que  de  l'Ar- 
senal, une  relation  de  l'ambassiule  de  Turquie  ;  on  en  trouve  des 
extraits  dans  ['Iliiloire  de  la  diplomatie  française,  par  Flassan, 


DE  MADAME   LA  DUCHESSE  d'ORLÉANS.  271 

chose  fort  secrète,  car  si  l'on  savait  à  Constanlinople 
qu'il  s'était  enivré  et  qu'il  avait  eu  affaire  à  des  chré- 
tiennes, on  lui  ferait  tomber  la  tête.  N'est-ce  pas  une 
chose  horrible?  il  est  fort  à  craindre  pour  ce  jeune 
homme  qu'il  ne  sorte  pas  de  France  en  bonne  santé,  car 
la  Polignac  a  infecté  presque  tous  les  jeunes  gens  de 
qualité.  Je  ne  comprends  pas  comment  ses  parents 
et  ceux  de  son  mari  ne  s'occupent  pas  d'arrêter  une 
conduite  aussi  désordonnée,  mais  toute  honte  est 
bannie  de  ce  pays-ci;  on  ne  sait  plus  en  France  ce 
que  c'est  qu'une  vie  régulière,  et  tout  va  à  la  déban- 
dade. 

A   LA    COMTESSE   LOL'ISE. 

Paris,  3  octobre  1720. 

L'irrégularité  de  la  poste  vient  seulement,  ma  chère 
T.ouise,  de  l'animosité  de  M.  de  Torcy  '  et  de  l'arche- 
vêque de  Cambrai,  qui  veulent  savoir  tout  ce  que 
j'écris;  et  comme  ils  ne  peuvent  me  brouiller  avec 
mon  fds,  ils  s'efforcent  de  me  mettre  mal  avec  d'au- 
tres personnes.  Us  ont  dit  au  maréchal  de  Villeroi  que 
j'avais  écrit  à  ma  fille  que  ce  maréchal  et  tout  ce  qu'on 
appelle  les  hommes  de  la  vieille  cour  étaient  les  en- 

t.  IV,  p.  422  ;  voir  aussi  Lemontey,  1. 1,  p.  445,  et  Henri  Martin, 
Histoire  de  France,  t.  XVII,  p.  275. 

'  J.-B.  Colbert,  marquis  de  Torcy,  ministre  des  affaires  étran- 
gères depuis  1G88;  SOUS  la  régence  il  fut  remplacé  par  le  car- 
dinal Dubois.  Il  est  de  fait,  comme  Madame  le  répète  souvent, 
qu'à  cette  époque  rien  n'était  moins  respecté  que  le  secret  des 
correspondances,  et  Barbier  observe  dans  son  Journal  {t.  II, 
p.  21  )  que  a  les  jésuites  ne  s'écrivent  aucune  nouvelle  d'une 
province  à  l'autre,  parce  que  depuis  longtemps  toutes  les  lettres 
sont  décachetées.  » 


272  CORRESPONDANCE 

nemis  de  mon  fils;  j'ai  répondu  fioidement  :  «  11  est 
vrai  que  je  l'ai  écrit  à  ma  fille,  et  je  l'ai  écrit  parce 
que  c'est  vrai,  et  les  lettres  de  l'ambassadeur  d'Espagne 
en  ont  assez  fait  foi.  » 

4  octobre  1720, 

Mon  fils  a  été  aimé,  mais  depuis  l'arrivée  de  ce 
maudit  Law,  il  a  été  de  plus  en  plus  haï;  il  n'y  a  pas 
de  semaines  où  je  ne  reçoive  par  la  poste  des  lettres 
remplies  d'adreuses  menaces,  où  mon  fils  est  traité 
comme  le  plus  scélérat  des  tyrans. 

Un  prédicateur  disait  en  chaire  que  le  jugement  der- 
nier aurait  lieu  dans  la  vallée  de  Josaphat.  Quelqu'un 
qui  avait  entendu  le  sermon  voulut  prouver  au  prédi- 
cateur qu'il  n'y  aurait  pas  assez  de  place;  il  répondit  : 
«  Pas  du  tout  ;  ceux  qui  ne  pourront  pas  entrer  reste- 
ront dehors.  » 

8  octobre  1720. 

Lorsque  la  dauphine  de  Bavière  arriva,  la  cour,  qui 
avait  été  si  belle,  avait  commencé  à  tomber  en  déca- 
dence, car  c'était  le  ronuncncement  de  la  domination 
de  la  Maintenon  qui  a  tout  gâté,  et  depuis  ce  moment 
tout  est  allé  en  décadence.  Il  n'y  a  rien  d'étonnant  ù 
ce  que  la  pauvre  Dauphine  désirât  se  retrouver  chez 
elle,  car  la  vieille  guenipe  l'a  fait  soudrir  immédiate- 
ment après  son  mariage,  au  point  cpie  cela  faisait  com- 
passion. La  pauvre  Dau[>hine  avait  fait  elle-même  son 
mariage;  elle  avait  espéré  être  sa  maîtresse,  et  voler 
de  ses  propres  ailes.  On  la  mit  d(^  suite  entre  les  mains 
de  la  vieille  guenipe,  (|ui  voulut  la  gouverner  counne 
une  cillant  île  sept  ans,  quoiqu'elle  eu  eût  i>liis  de  dix- 


DE  MADAME  LA  DUCHESSE  d'ORLÉANS.     273 

neuf.  La  vieille,  piquée  de  voir  que  la  Dauphinc  vou- 
lait tenir  une  cour  comme  elle  le  devait,  a  détourne 
le  roi  de  cette  princesse.  La  Bessola  l'a  vendue  et 
trahie  ;  on  peut  croire  que  cela  fit  une  vie  bien  mal- 
heureuse à  la  Dauphino.  En  me  prenant  en  amitié,  elle 
mit  le  comble  à  la  colère  de  la  vieille  ,  qu'échauiTait 
d'ailleurs  la  Bessola ,  qui  était  jalouse  contre  moi ,  et 
qui  était  irritée  de  ce  que  j'avais  averti  la  Dauphine 
de  se  méfier  de  cette  fille,  car  je  savais  qu'elle  avait  eu 
des  conférences  secrètes  avec  la  vieille. 

11  octobre  1720. 

La  reine  Catherine  é'ait  une  méchante  femme.  Son 
oncle,  le  pape,  avait  bien  raison  quand  il  disait  qu'il 
avait  fait  un  méchant  cadeau  à  la  France.  On  dit 
qu'elle  a  empoisonné  son  fils  le  plus  jeune,  i)arce  qu'il 
l'a  trouvée  une  fois  dans  un  mauvais  lieu,  où  elle  allait 
incognito  se  divertir  '.  Aussi  n'est-il  pas  étonnant 
qu'elle  ait  bu  dans  une  coupe  où  étaient  ciselées  les 
figures  de  l'Ai'étin  \ 

'  Voir  le  Discours  merveilleux  de  la  vie,  actions  et  dcpor- 
temenls  de  Catherine  de  Médicis,  157  5,  attribué  à  Ilenii  Es- 
tienne,  et  qui  est  peut-ctie  sorti  de  la  plume  de  P.  Pitliou.  II 
existe  plusieurs  éditions  de  cette  diatribe,  et  elle  a  été  réimprimée 
dans  les  Archives  curieuses  de  l'histoire  de  France,  fe  série, 
t.  IX. 

'  Nous  ne  savons  si  ce  fait  est  vrai,  mais  il  rappelle  ce  que 
dit  Brantôme  (Dames  rjalantcs,  premier  discours)  «  d'un  prince 
«  qui  avoit  une  très-belle  coupe  d'argent  doré,  où  estoient  taii- 
«  lées  bien  gentiment  et  subtilement  plusieurs  figures  de  l'A- 
«  rélin,  et  quand  il  fcstinoit  les  dames  et  filles  de  la  cour,  ses 
«  sommeliers  ne  failloient  jamais  par  son  commandement  de 
«  leur  bailler  à  buire  dedans.  »  Le  naïf  chroniqueur  entre  avec 
une  complaisance  extrême  dans  d'étranges  détails  à  cet  és:ard. 


274  CORRESPONDANCE 

Madame  de  Nemours  avait  coutume  de  dire  :  «  J'ai 
remarqué  une  chose  dans  ce  pays  :  l'honneur  y  recroit 
comme  les  cheveux.  » 

12  octobre  1720. 

La  Maintenon  avait  recommandé  à  sa  créature, 
M™"  de  Montchevreuil ,  gouvernante  des  filles  d'hon- 
neur de  M™*  la  Dauphine,  d'attirer  constamment  le 
Dauphin  dans  la  société  de  ces  demoiselles  et  dans 
des  parties  de  plaisir  avec  elles  ,  jusqu'à  ce  qu'il  fût 
entièrement  détaché  de  sa  femme.  Quand  la  Dauphine 
était  enceinte  (ce  qui  arrivait  souvent ,  et  elle  avait 
des  couches  très-pénibles),  elle  était  fort  malade  et  ne 
pouvait  sortir;  la  Montchevreuil  amenait  .alors  les 
filles  d'honneur  auprès  du  Dauphin  pour  chasser  et 
jouer  avec  lui.  Il  devint  amoureux  à  sa  manière  de  la 
sœur  de  La  Force,  que  l'on  donna  ensuite  au  jeune 
Du  Roure.  Leur  amour  dura  malgré  ce  mariage;  elle 
se  fit  donner  par  le  Dauphin  une  promesse  de  mariage 
écrite,  portant  qu'il  l'épouserait  dans  le  cas  où  son 
mari  et  la  Dauphine  viendraient  à  mourir.  Je  ne  sais 
comment  le  feu  roi  apprit  tout  cela,  mais  il  s'en  fàciia 
très-sérieusement,  et  il  a  exilé  la  Du  Uoure  en  (las- 
cogne,  sa  patrie  '.  Le  Dauphin  eut  aussi  une  galanle- 

'  C'est  au  siijpf  de  ceUe  intriiinc  que  parut  un  petit  roman 
intitulé  :  La  Chasse  au  loup  de  Monseigneur  le  Dauphin,  oti  la 
Renconlre  du  comle  bu  liouie  dans  les  plaines  d'Anel,{\o\oane, 
P.  Marteau  (Uoilaudej,  1G9S.  Ce  livret,  peu  commun,  est  re- 
dierclié  des  bibliopliiles  ;  un  bel  exemplaire  s'est  payé  quarante- 
cinq  francs  à  l'une  des  ventes  de  Ch.  Nodier  ;  une  relation  des 
amours  du  Dauphin  avec  la  comtesse  Du  Uoure  se  trouve  dans 
le  louie  V  de  V Histoire  amoureuse  des  Gaules.  On  lit  dans  lea 


DE  MADAME  LA  DUCHESSE   d'ORLÉANS.  275 

rie  avec  une  autre  fille  d'honneur  de  sa  femme,  appe- 
lée Rambures  '.  Il  n'avait  point  de  fausseté  avec  la 
Dauphine  ;  tout  allait  tambour  battant  ;  cette  méchante 
et  perfide  sorcière  de  Bessola,  qui  était  toute  façonnée 
par  la  vieille  guenipe,  et  qui  suivait  ses  ordres,  déta- 
chait de  plus  en  plus  la  Dauphine  de  son  mari.  Celle- 
ci  n'était  pas  amoureuse  du  Dauphin,  mais  ce  qui  lui 
déplaisait  dans  les  intrigues  de  son  mari,  c'est  qu'elles 
étaient  cause  qu'on  se  moquait  d'elle  ouvertement 
toute  la  journée,  et  qu'on  la  tournait  en  ridicule.  La 
Montchevreuil  attirait  son  attention  sur  tout  ce  qui 
se  passait,  et  la  Bessola  l'aigrissait  contre  son  mari. 

18  octobre  1720. 

Monsieur  a  toujours  fait  le  dévot.  Il  m'a  fait  rire 
une  fois  de  bon  cœur.  Il  apportait  toujours  au  lit  un 
chapelet  d'où  pendait  une  quantité  de  médailles,  et 
(pii  lui  servait  à  faire  ses  prières  avant  de  s'endormir. 
Quand  cela  était  fini,  j'entendais  un  gros  fracas  causé 

Mémoires  de  la  cour  de  France  ,  par  Mme  de  La  Fayette  : 
«  M.  le  Duc  donna  un  bal  à  Monseigneur  ;  la  comtesse  Du  Roure 
s'y  trouva,  mais  Monseigneur  est  un  amant  si  peu  dangereux 
que  l'on  ne  parla  pas  seulcnunt  de  lui.  »  Le  marquis  de  Créquy 
succéda  au  Dauphin  (voir  Saint-Simon,  t.  I,  p.  254). 

1  Madame  a  déjà  parlé  de  Mlle  de  Rambures;  elle  se  maria 
avec  le  marquis  de  Polignac  ;  elle  n'était  pas  fort  riche,  mais 
elle  avait  de  bons  amis  ;  Monseigneur  pressa  fort  le  roi  de  la 
marier,  et  lui  fil  donner  cinquante  mille  écus  [Mémoires  Aq 
Choisy);  elle  fut  chassée  de  la  cour,  se  ruina  au  jeu  et  mourut 
au  Puy.dans  les  leries  de  son  mari  (Saint-Simon,  t.  IX,  p.  110). 
Il  ne  faut  [jus  la  confondre  avec  une  autre  dame  de  Polignac, 
dont  MadaUiC  fait  austi  mcnlion,  et  dont  la  conduite  fit  scan- 
dale, même  aux  temps  de  la  régence  (voir  p.  270). 


27G  CORRESPONDANCE 

par  les  médailles,  comme  s'il  les  promenait  sous  ia 
couverture.  Je  lui  dis  :  «  Dieu  me  le  pardonne,  mais  je 
soupçonne  que  vous  faites  promener  vos  reliques  et  vos 
images  de  la  Vierge  dans  un  pays  qui  leur  est  in- 
connu. »  Monsieur  répondit  :  «  Taisez-vous,  dormez; 
vous  ne  savez  ce  que  vous  dites.  »  Une  nuit,  je  me 
levai  tout  doucement,  je  plaçai  la  lumière  de  manière 
à  éclairer  tout  le  lit,  et  au  moment  où  il  promenait 
ses  médailles  sous  la  couverture,  je  le  saisis  par  le 
bras,  et  lui  dis  en  riant  :  «  Pour  le  coup,  vous  ne  sau- 
riez plus  le  nier.  »  Monsieur  se  mit  aussi  à  rire,  et  dit  : 
«  Vous  qui  avez  été  huguenote,  vous  ne  savez  pas  le 
pouvoir  des  reliques  et  des  images  de  la  Sainte  Vierge. 
Elles  garantissent  de  tout  mal  les  parties  qu'on  en 
frotte.  »  Je  répondis  :  «  Je  vous  demande  pardon , 
Monsieur,  mais  vous  ne  me  persuaderez  point  que 
c'est  honorer  la  Vierge ,  que  de  promener  son  image 
sur  les  parties  destinées  à  ôter  la  virginité.  »  Monsieur 
ne  put  s'empêcher  de  rire,  et  dit  :  «  Je  vous  prie,  ne 
le  dites  à  personne,  » 

Paris,  20  octobre  1720. 

Une  pauvre  femme,  qui  lait  partie  de  ma  maison  el 
qui  est  la  fille  de  mon  dernier  médecin,  et  qui  a  épousé 
un  nommé  Borstcl,  a  failli  po:  dr(!  hier  son  mari  par  un 
accident  bien  cxtraordinaiie.  11  passait  hier  dans  la  rue 
Saint-Antoine,  conduit  [)ar  un  cocher  de  fiacre,  et  vous 
savez  que  ces  gens-là  sont  tort  insolents.  Un  embarras 
empêche  le  cocher  d'avancer,  lîorstel  lui  crie  de  con- 
tinuer son  chemin ,  le  cocher  lui  répond  avec  gros- 
sièreté; Uorstoi  se  facile  et  veut  le  frapper;  le  cocher 


DE   MADAME   LA   DUCHESSE    d'oRI.ÉANS.  277 

appelle  à  lui  le  peuple  et  crie  :  «  Au  secours  !  au  se- 
cours !  voilà  Law  qui  veut  me  tuer.  »  Le  peuple  s'as- 
semble, s'arme  do  pierres  et  de  bâtons,  et  tombe  sur 
Borslcl;  il  se  réfugie  dans  une  église;  on  le  poursuit 
jusqu'au  pied  de  l'autel;  heureusement  qu'il  trouve 
devant  lui  une  petite  porte  par  laquelle  il  réussit 
à  se  sauver;  autrement  il  aurait  été  lapidé  ou  as- 
sommé. 

J'ai  appris  que  ce  Rousseau,  dont  je  vous  ai  parlé, 
et  qui  m'avait  entendu  chanter  des  psaumes  dans 
l'Orangerie,  est  mort  en  Hollande;  cela  m'a  fait  de  la 
peine.  Je  ne  crois  pas  que  Law  ait  été  assez  méchant 
pour  tout  perdre  de  dessein  prémédité,  mais  il  n'en  a 
pas  moins  tout  plongé  dans  une  bien  fâcheuse  situa- 
tion; il  n'avait  pas  pu  prévoir  que  tous  les  Français, 
y  compris  les  princes  de  la  famille  royale,  fussent  aussi 
intéressés  qu'ils  le  sont;  mais  parlons  d'autre  chose. 
J'avais  autrefois  pour  page  un  jeune  gentilhomme  du 
nom  de  Neuhofl",  qui  s'était  toujours  bien  conduit  à 
mon  senice;  je  l'avais  recommandé  à  l'électeur  de 
Bavière ,  qui  lui  avait  donné  le  grade  de  capitaine  et 
une  bonne  compagnie,  mais ,  en  Bavière,  il  s'est  livré 
au  jeu  et  il  est  devenu  un  fripon  ;  il  avait  emprunté  de 
l'argent,  et  pour  ne  pas  le  rendre,  il  dit  à  un  chevalier 
de  Malle  :  «  J'ai  un  oncle  et  une  tante  au  service  de 
Madame;  mon  oncle  est  M.  de  Wendt,  et  ma  tante 
M"'"  de  llatzenhaussen  ;  je  vous  donnerai  des  lettres 
pour  eux,  et  ils  s'empresseront  de  vous  payer  ce  que 
je  vous  dois.  »  11  lui  remet  en  elTet  un  paquet  cacheté; 
quand  le  chevalier  arrive  ici  et  qu'il  parle  à  M.  de 
Wendt  et  à  M'^'^  de  Ratzenhaussen  de  leur  neveu 

II.  24 


278  CORRESPONDANCE 

Neuhoff,  ils  lui  répondent  qu'ils  le  connaissent  bien , 
qu'il  a  été  page  de  Madame,  mais  qu'il  n'est  nullement 
leur  parent.  On  ouvre  le  paquet;  il  n'y  avait  que  du 
papier  blanc;  le  pauvre  chevalier  comprit  bien  qu'il 
avait  été  volé.  On  s'adresse  à  moi,  je  réponds  que  ce 
drôle  n'est  plus  à  mon  service,  et  qu'on  peut  en  faire 
ce  qu'on  voudra,  que  cela  m'est  bien  égal.  Il  revint 
ensuite  à  Paris,  et  comme  son  beau -frère  voulait  le 
tancer,  il  essaya  de  l'assassiner;  instruit  qu'on  le 
cherchait  pour  l'arrêter,  il  se  sauva  et  passa  en  Angle- 
terre. Il  était  joli  garçon,  insinuant  et  spirituel,  il 
trouva  une  femme  qui  devint  éprise  de  lui  et  qui  l'é- 
pousa. Aussitôt  qu'ils  furent  mariés,  il  lui  prit  tout, 
et  il  revint  à  Paris;  mais  se  souciant  peu  de  la  re- 
trouver, il  passa  en  Espagne,  où  il  épousa  une  autre 
femme.  Je  ne  sais  pas  si  déjà  il  ne  s'était  point  marié 
en  Bavière;  en  tout  cas,  c'est  bien  assez  d'être  bigame; 
d'Espagne  il  a  l'audace  de  m'écrire  une  grande  lettre , 
où  il  me  demande  de  le  reprendre  à  mon  service;  il 
revient  encore  à  Paris,  et  s'adresse  derechef  à  moi;  je 
lui  fais  dire  que  je  ne  veux  pas  le  voir  et  que  je  lui  dé- 
fends de  se  présenter  devant  moi  de  toute  sa  vie.  Je 
le  rencontrai  une  fois  dans  une  voiture,  lorsque  j'allais 
aux  Carmélites  ;  je  dis  :  «  Voilà  cet  honnête  garçon  de 
Neuholl  ;  »  il  baissa  les  yeux  et  devint  pâle  comme  un 
linge.  11  finit  par  s'efibrccr  de  rentrer  en  grâce  auprès 
de  sa  famille;  il  demande  pardon,  il  promet  de  s'a- 
mender, et,  durant  quelques  mois,  il  mène  en  effet  une 
conduite  tellement  régulière  qu'on  le  croyait  corrigé 
et  qu'on  avait  de  la  conliauce  en  lui;  voi(à  qu'un  jour 
il  dit  (pTil  a  reçu  d'Espagne  des  lettres  qui  lui  annon- 


DE   MADAME    LA   DLCFIESSE   d'ORLÉANS.  279 

cent  que  sa  femme  vient  à  Paris,  et  il  prétexte  la  con- 
venance d'aller  au  devant  d'elle  ;  il  part  dans  la  nuit, 
et  le  matin  on  découvre  qu'il  a  tout  enlevé  à  sa  sœur 
et  à  son  beau-père;  il  leur  a  pris  deux  cent  mille 
livres.  Personne  ne  sait  de  quel  côté  il  a  passé.  Sa 
vSœur,  M"»  de  Trévoux, est  désespérée;  il  ne  lui  a  abso- 
lument rien  laissé.  N'est-ce  pas  une  belle  histoiie? 

25  octobre  1720. 

Je  crois  que  la  vieille  guenipe  n'a  pas  voulu  pro- 
curer un  tabouret  à  M"*  Dangeau  ' ,  parce  qu'elle  était 
Allemande  et  de  bonne  naissance;  elle  s'est  fait  un 
plaisir  de  l'opprimer.  Elle  avait  aussi  fait  venir  une 
fois  deux  filles  de  Strasbourg,  et  les  faisait  passer  pour 
des  comtesses  palatines;  elle  les  avait  placées  comme 
suivantes  chez  ses  nièces.  Je  n'en  savais  pas  un  mot; 
AW  la  Dauphine  s'en  plaignit  à  moi  en  pleurant.  Je 
lui  dis  :  «  Que  Votre  Altesse  me  laisse  faire  ;  j'arran- 
gerai la  chose  promplement;  car  lorsque  j'ai  raison, 
je  me  moque  de  la  vieille  sorcière.  »  Ayant  vu  un  jour 

'  Sophie  de  Lowestein,  nièce  du  cardinal  de  Furstemberg. 
L'abbé  de  Choisy  dit  d'elle  dans  ses  Mémoires  :  «  Elle  étoit  belle 
«  comme  les  anges,  une  taille  fine,  les  yeux  brillants,  le  teint 
«  admirable,  les  chevei.x  du  plus  beau  blond  du  monde,  un 
«  air  engageant,  modeste  et  spirituel  ;  elle  avoit  une  fort  bonne 
o  conduite  dans  une  place  fort  glissante  »  (  1728,  t.  II,  p.  3). 
Elle  fut  sur  son  contrat  de  mariage  nommée  Sophie  de  Bavière, 
ce  qui  mil  la  Dauphine  fort  en  colère,  et  il  fallut  effacer  ce 
nom.  Nous  lisons  dans  les  Lettres  de  la  comtesse  de  Rivière, 
t.  I,  p.  140,  que  Mme  ^q  Dangeau  était  «  belle  conmie  Vénus,  la 
taille  fine,  les  yeux  vifs,  un  teint  éclatant,  les  cheveux  d'un 
beau  blond,  un  air  doux,  un  regard  modeste  et  une  conversa- 
tion spii'iluelle.  » 


280  CORRESPONDANCE 

par  mes  croisées  la  nièce  de  la  vieille  se  promener  avec 
les  filles  allemandes,  je  descendis  au  jardin  et  je  fis  en 
sorte  de  les  rencontrer.  J'appelai  Tune  des  filles,  et 
lui  demandai  qui  elle  était.  Elle  me  dit  en  face  qu'elle 
était  une  comtesse  palatine  de  Lutzelslein.  «  Allons 
donc  !  —  Non,  répondit-elle  ;  je  ne  suis  point  bâtarde  ; 
le  jeune  comte  palatin  a  épousé  ma  mère,  qui  est  de 
la  maison  de  Gehlcn.  »  Je  dis  :  «  En  ce  cas,  vous  ne 
pouvez  être  comtesse  palatine;  car  chez  nous  autres, 
comtes  palatins ,  les  mésalliances  ne  sont  d'aucune 
valeur;  je  dirai  encore  plus  :  tu  mens  en  disant  que 
le  comte  palatin  a  épousé  ta  mère;  c'est  une  archi- 
p....n  avec  laquelle  le  comte  palatin  peut  bien  avoir 
couché  comme  tant  d'autres;  je  sais  qui  est  son  véri- 
table mari,  c'est  un  liaut-bois  (et  c'est  la  vérité).  Si 
à  l'avenir  tu  te  fais  passer  pour  une  comtesse  palatine, 
je  te  ferai  couper  les  jupes  sur  le  derrière  ;  que  je  n'en- 
tende plus  parler  de  cela  de  ma  vie  ;  mais  si  tu  suis 
mon  conseil  et  que  tu  reprennes  ton  véritable  nom,  je 
ne  te  reprocherai  jamais  ta  naissance;  ainsi,  vois  ce 
que  tu  as  à  faire.  »  La  fille  prit  cela  si  vivement  à  cœur 
qu'elle  en  mourut  quelques  jours  après.  On  envoya  la 
seconde  en  pension  <à  Paris;  elle  est  devenue  aussi 
grande  p....n  que  sa  mère,  mais  elle  a  changé  de 
nom;  aussi  je  l'ai  laissée  courir.  J'allai  trouver  notre 
Dauphine  et  lui  racontai  ce  qui  s'était  passé;  elle  me 
dit  qu'elle  en  était  bien  aise,  et  que  de  sa  vie  elle 
n'aurait  pas  eu  le  cœur  «l'agir  ainsi.  Elle  crut  que  le 
roi  me  gronderait,  mais  il  ne  m'en  dit  pas  un  mot; 
seulement,  en  i)laisaiitanl,  il  me  disait  quelquefois  : 
«  Il  ne  fait  pas  bon  se  jouer  à  vous  sur  le  chapitre  de 


DE  jMadamk  la  duchesse  d'orléans.         281 

votre  maison  ;  la  vie  en  dépend.  »  Je  dis  :  «  Je  n'aime 
pas  les  menterics.  » 

Paris,  26  octobre  1720. 

Je  veux  vous  envoyer  un  couplet  assez  drôle ,  que 
l'on  a  fait  sur  un  homme  que  je  n'estime  guère ,  sur 
Dubois,  l'ancien  précepteur  de  mon  fils,  qui  a  été 
nommé  archevêque  de  l'endroit  où  la  paix  s'est  con- 
clue; il  inspire  à  tout  le  monde  les  mêmes  sentiments 
qu'à  moi ,  et  personne  ne  l'aime  davantage  ;  cela  se 
chante,  je  crois,  sur  l'air  de  Joconde  : 

Je  ne  trouve  pas  étonnant  ' ... 

On  a  fait  aussi  ces  vers  • 

Je  suis  du  bois  dont  ou  fait  les  cuistres, 
Et  cuistre  je  fus  autrefois, 
Mais,  à  présent,  je  suis  du  bois 
Dont  on  fait  les  ministres. 

*  Ce  couplet  a  déjà  été  inséré  dans  une  lettre  de  Madame  à 
un  autre  de  ses  correspondants  (page  2C9  ). 

On  ferait  sans  peine  un  recueil  assez  volumineux  des  pièces 
de  vers  lancées  contre  Dubois;  en  voici  quelques  échantillons. 
Un  noël  de  l'époque  oll're  lo  couplet  suivant: 

Revenant  d'Angleterre, 

L'anibassaileur  Duljois, 

En  mettant  pied  à  terre, 

Aperçut  les  trois  rois  : 
Faisons  vite  un  traité,  dit-il,  avec  ces  princes; 
t  OlTrons  des  millions,  don,  don; 

I  S'ils  ne  suffisent  pas,  la,  la, 

*  Lâchons  quelques  provinces. 

(  

Pour  avilir  l'éclat  de  la  pourpre  romaine, 
Et  lui  faire  porter  l'opprobre  de  la  croix. 
Le  Saiut-Père  n'a  vu  de  route  plus  certaine 
Que  de  l'enchâsser  dans  du  bois. 

Voir  aussi  dans  le  recueil  connu  sous  le  nom  de  Mémoires 
de  la  cfl/o/^c  (édition  de  1732,  t.  ÎI,  p.  170),  la  Milamor- 

24. 


282  COr.RESPONDANCE 

30  octobre  1720. 

Je  n'aurais  pas  reconnu  le  prince  Eugène  dans  le 
portrait  qu'on  en  a  gravé,  car  il  avait  un  nez  court  et 
plat,  et  dans  l'estampe  on  lui  a  fait  un  grand  nez 
pointu.  Je  le  connais  bien,  je  l'ai  souvent  tapé  lorsqu'il 
était  enfant;  on  voulait  qu'il  entrât  dans  l'Église;  il 
était  vêtu  en  abbé;  je  lui  ai  toujours  dit  qu'il  ne  por- 
terait pas  constamment  ce  costume  ;  les  jeunes  gens 
l'appelaient  M^^e  Simoni  ou  M'"^  Putana,  à  cause  du 
rôle  qu'on  prétend  qu'il  jouait  souvent  dans  des  par- 
ties de  débauche.  J'ai  connu  toute  sa  famille,  père, 
mère,  sœur,  oncle  et  tantes. 

Je  ris  en  pensant  que  M.  de  Lutzenberger  est  au- 
jourd'hui comte;  il  a  été  page  de  feu  le  prince  de 
Conti;on  a  trouvé  ici  fort  drôle  qu'on  l'ait  donné  pour 
gouverneur  à  l'électeur  de  Saxe,  mais  les  Allemands 
trouvent  aujourd'hui  parfait  tout  ce  qui  arrive  de 
France.  11  a  de  la  capacité ,  mais  ses  mœurs  ne 
conviennent  pas  du  tout  au  gouverneur  d'un  jeime 
prince. 

2)hosc  du  C.  du  B.  Madame  manifesta  constammrnt  un  cloigne- 
mont  iiroiioncé  pour  Dubois;  nous  lisouo  dans  SainlSiuion  : 
«  Wailame,  ravie  de  joie,  embrassa  le  régent  [lorsqu'il  fut 
nommé),  et  lui  dit  qu'elle  ne  lui  demanderoit  jamais  qu'une 
seule  chose,  mais  qu'elle  lui  den)andoit  sa  parole  précise,  c'é- 
loil  de  n'employer  jamais  en  rien  du  tout  l'abbé  Dubois,  qui 
cloit  le  plus  grand  coquiri  et  le  plus  insigne  l'ripon  qu'il  y  eut 
au  monde  »  (t.  XXV,  p.  51  ). 

Les  derniers  restes  de  la  collégiale  de  Saint-Honoré,  où  avait 
été  inhumé  Dubois,  ont  été  détruits  récemment;  on  assure  que  le 
raxenii  sé|iiiliT!il  du  (•■■irdiiial  élait  converli  en  fosse  d'aisance 
[Dulti'loi  des  sociclcs  suvuiilcs,  18i)i,l.  1,  p.  2VJ). 


DE   MADAME  LA  DUCHESSE  D'ORLÉANS.  283 

Paris,  9  novembre  1720. 

Le  Mississipi  cause  à  Paris  autant  de  malheurs  que 
la  mer  du  Sud  en  Angleterre.  La  semaine  dernière, 
un  homme  s'est  jeté  par  la  croisée  et  s'est  cassé  le  cou. 
Je  ne  voudrais  pas  être  dans  la  peau  de  M.  Law;  il  a 
trop  à  répondre  devant  Dieu  pour  avoir  amené  tant 
de  calamités.  Si  les  Français  se  mettent  dans  la  tète 
d'imiter  les  Anglais  et  de  se  détruire,  il  en  mourra 
autant  par  là  que  de  la  peste,  car  tout  est  mode  dans 
ce  pays. 

Le  baron  Gorz  m'a  écrit,  il  y  a  quelques  semaines, 
que  les  rois  d'Angleterre  et  de  Prusse  avaient  pris  les 
résolutions  les  plus  favorables  pour  les  pauvres  habi- 
tants du  Palatinat,  mais  je  ne  crois  pas  qu'il  en  soit 
encore  rien  résulté.  Un  souverain  ne  doit  pas  haïr  ses 
sujets,  mais  les  aimer  comme  un  père,  ou  bien  il  en 
répond  devant  Dieu. 

J'ai  vu  une  prophétie  qui  est  venue  de  Gênes,  et  qui 
dit  que,  dans  l'an  1727,  le  monde  sora  entièrement 
détruit  et  calciné,  au  point  d'être  changé  en  un  globe 
de  verre.  Cela  m'a  fait  rire. 

Je  ne  sais  pas  si  je  vous  ai  envoyé  une  chanson 
faite  sur  l'archevêque  de  Cambrai',  mais  Ce  que  je 

'  Les  chansonniers  avaient  en  effet  beau  jeu  lorsqu'il  s'agis- 
sait de  lancer  leurs  traits  contre  Dubois  ;  sa  promotion  au  car- 
dinalat fut  le  signal  d'une  foule  de  satires  restées,  et  pour  cause, 
dans  les  recueils  manuscrits  ;  nous  citerons  seulement  quelques 
vers  : 

Que  chacun  se  réjouisse  ; 
Admirons  Sa  Saiulelé, 
Qui  U-ansforme  en  ocrevisse 
Un  -vilain  crapaud  crotté, 

1. 


284  CORRESPOXDAXCE 

peux  VOUS  affirmer  en  parfaite  assurance,  c'est  que  je 
ne  connais  pas  de  plus  grand  coquin  et  d'homme  plus 
faux;  il  n'a  pas  son  pareil  en  France.  Ce  qui  me  dé- 
sole, cest  que  mon  fils,  qui  le  connaît  aussi  bien  que 
moi,  n'écoule  et  ne  croit  que  ce  petit  diable. 

12  novembre  1720. 

La  princesse  [de  31orIène)  va  toute  la  journée  d'une 
chambre  à  l'autre,  et  s'écrie  tout  haut  :  «  Ah  !  que  je 
m'ennuie!  ah  !  que  je  m'ennuie  ici'  !  »  Elle  estcepen- 

Après  un  si  beau  miracle, 
Son  infaillibilité 
Ne  trouvera  plus  d'obstacle 
Dans  une  autre  faculté. 

Admirons  Sou  Eminence  ; 
Son  esprit,  sa  sainteté. 
Sont  aussi  connus  en  France 
Que  sa  grande  qualité  ; 
On  sait  d'ailleurs  les  services 
Qu'il  a  rendus  au  Régent  ; 
Aussi,  pour  le  même  office, 
Fillon  au  chapeau  prétend. 

On  sait  que  la  Fillon  était  une  entremetîeu«e  de  l'cpoquc. 
Dans  une  chronique  satirique  à  la  suite  des  Aventures  de  Pom- 
ponnes, 17  24,  on  lit  :  «  Comme  quoi  le  pontife  de  Cainljray  ne 
«  disoit  messe  et  juroit  comme  un  payen.  »  On  peut  consulter, 
mais  non  sans  méfiance,  la  Vie  privée  du  cardinal  Dubois  (ré- 
digée d'après  des  Mémoires  contemporains,  par  A.  Mongez), 
178!),  in-8.  N'oublions  par  les  Mémoires  secrets  et  Correspon- 
dance inédile  du  cardinal  Dubois,  publiés  par  Scvelingcs,  1815, 
2  vol.  in-8,  ouvraj^e  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  dos  mé- 
moires apocryphes  qui  n'ont  point  de  valeur  historique. 

*  La  vie  de  la  cour  de  Modènc  est  une  vie  de  communauté; 
on  s'y  lève  de  grand  malin,  on  va  à  la  messe,  on  dîne  de  bonne 
heure,  on  fait  un  lour  de  promenade,  on  soupe  à  huit  heures, 
et  .'i  dix  on  est  couché  ( iVcmo/rfs  de  Pocllnitz,  17  47,  t.  1, 
p.  Vdo). 


DE  MADAME  LA  DUCHESSE  d'oULÉANS.     285 

dant  un  peu  mieux  avec  son  mari  qu'au  commence- 
ment. 

A   M.    DE   HARLING. 

14  novembre  1720. 

La  reine-mère  avait  fait  faire  pour  elle  un  apparte- 
ment au-dessus  de  la  galerie  de  Fontainebleau;  ses 
femmes  de  chambre  étaient  forcées  de  passer  la  nuit 
dans  cette  longue  galerie;  elles  disent  qu'elles  ont  vu 
le  roi  François  se  promener  couvert  d'une  robe  de 
chambre  verte  et  à  Heurs  ,  mais  il  ne  m'a  jamais  fait 
l'honneur  de  se  montrer  à  moi  ;  il  faut  que  je  ne  sois 
pas  en  faveur  auprès  des  esprits.  J'ai  dormi  dix  ans 
dans  la  chambre  où  feue  Madame  est  morte,  et  je  n'ai 
jamais  rien  pu  voir.  La  première  fois  que  M.  le  Dau- 
phin y  dormit,  sa  tante,  feue  Madame,  lui  apparut;  c'est 
lui-même  qui  me  l'a  raconté.  11  lui  vint  un  besoin  tan- 
dis qu'il  était  couché  :  il  se  leva,  se  mit  sur  sa  chaise 
percée  qui  était  auprès  de  son  lit,  et  commença,  sauf 
respect,  à  satisfaire  son  envie.  Comme  il  était  en  pleine 
opération ,  il  entendit  ouvrir  la  porte  qui  menait  au 
salon;  le  même  soir  un  grand  bal  avait  été  donné  dans 
ce  salon.  11  vit  arriver  une  dame  bien  parée,  ayant  un 
vêtement  bleu,  une  belle  jupe  jaune,  et  sur  la  tête 
beaucoup  de  rubans  jaunes;  elle  avait  la  tête  tournée 
vers  la  fenêtre.  M.  le  Dauphin  trouva  que  c'était  la 
jeune  duchesse  de  Foix  ;  il  se  mit  à  rire,  et  pensa  en 
lui-même  combien  cette  dame  serait  effrayée  lors- 
qu'elle le  verrait  assis  en  chemise;  il  commença  ainsi 
à  tousser,  alni  de  lui  faire  tourner  la  tête  et  les  yeux 
de  ce  côté,  ce  que  fit  cette  dame;  mais  au  lieu  de  la 


286  CORRESPONDANCE 

duchesse  de  Foix,  ce  fut  feue  Madame  qu'il  vit  devant 
lui,  telle  qu'il  l'avait  vue  la  dernière  fois  :  au  lieu 
d'effrayer  la  dame,  ce  fut  lui  qui  fut  tellement  épou- 
vanté, qu'il  s'élança  de  toute  sa  force  dans  le  lit  où 
dormait  M™^  la  Dauphine  ;  ce  brusque  mouvement  la 
réveilla,  et  elle  dit  :  «  Qu'avez-vous  donc,  monsieur, 
de  sauter  ainsi?»  Il  répondit:  «Dormez,  je  vous  le 
dirai  demain.  »  M.  le  Dauphin  a  soutenu  toute  sa  vie 
que  cette  histoire  était  vraie.  Ce  que  j'en  ai  cru,  c'est 
que  M.  le  Dauphin,  qui  avait  l'habitude  de  rester 
longtemps  sur  la  chaise  percée,  s'y  est  endormi,  et 
qu'il  a  vu  en  rêve  seulement  tout  ce  qu'il  a  raconté. 

19  novembre  1720. 
M"*  La  Fayette,  qui  a  écrit  la  vie  de  feue  Madame', 
était  son  amie  intime,  mais  elle  était  amie  plus  intime 
encore  de  M.  de  Larochefoucauld ,  qui,  jusqu'à  sa 
mort,  est  toujours  reste  auprès  d'elle.  On  dit  que  ces 
deux  amis  ont  fait  ensemble  le  roman  de  la  Princesse 
deClèves^. 

^  Vifisioire  de  Henriette  d'Angleterre,  publiée  en  Hollande 
en  1720,  a  été  réimpriméo  plusieurs  fois,  et  toujours  d'une  fa- 
çon très-incorrecte,  jusqu'à  l'édition  très-soignée  que  M.  Bazin  a 
juise  au  jour  en  1862  (l'aris,  Tecliener,  in-IG);  consulter  un  ar- 
licle  de  iVI.  deSacy  dans  IcJiuUclïn  du  UiOliophile,(é\ïm  1863, 
et  un  autre  de  M.  L.  EnauU  dans  VAthcnxum,  tC  avril  1863. 
«  Ce  livre  est  digne  de  celle  qui  l'a  écrit  et  de  celle  qui  en  est 
riiéroïne.  » 

A  l'égard  de  M'^e  de  La  Fayette,  on  lira  avec  plaisir  les 
pages  intéressantes  de  M.  Sainte-Beuve,  Portraits  de  J'ciumes, 
1S4'i,  p.  221-268,  et  la  notice  érudite  de  Petilot  (ro//('c//o« 
de  M(^moires  relatifs  à  l'Histoire  de  France,  drnxiènio  série, 
t.  LXIV  ). 

*  L'édiiiou  originale  de  ce  joli  roman  est  de  1G78;  un  cxem- 


DE  MADAME  LA   DUCHESSE   d'oRLÉâNS.  2S7 

20  noïtnilire  1*20. 

La  princesse  de  Siegen  doit  être  plus  agréable  que 
son  mari,  qui  est  un  bien  ennuyeux  personnage;  je  ne 
l'ai  point,  grâce  à  Dieu,  vu  depuis  longtemps.  11  vint 
une  fois  me  trouver,  et  me  dit  que  je  devais  le  secon- 
der et  l'appuyer  de  mon  mieux;  je  lui  demandai  pour- 
quoi; il  me  dit  que  c'était  parce  qu'il  était  catholique, 
et  qu'il  devait  ainsi  avoir  plus  d'avantage  que  tous  les 
autres  princes  et  comtes  de  la  maison  de  Nassau,  qui 
étaient  huguenots.  Je  me  mis  à  rire,  et  je  lui  dis  que 
sa  religion  était  son  affaire  et  non  la  mienne;  que  j'a- 
vais toute  ma  vie  eu  la  plus  grande  estime  pour  la 
maison  de  Nassau  ;  que  j'avais  appris  qu'il  fallait  aimer 
mon  prochain,  et  non  le  haïr  ou  lui  faire  tort,  sous 
prétexte  de  religion  ;  qu'il  ne  pouvait  donc  pas  s'a- 
dresser plus  mal  qu'à  moi,  s'il  me  supposait  capai  le  do 
me  laisser  entraîner  par  quelipie  considération  de 
parti,  et  que  j'estimerais  également  tous  les  Nassau, 
quelle  que  fût  leur  religion,  s'ils  étaient  dignes  d'es- 
time. Il  devint  rouge  connue  le  leu,  et  s'en  alla  tout 
honteux. 

23  novembre  1*20. 

Ma  tante,  notre  chère  éleclrice  (d'Hanovre),  étant 
à  La  Haye,  n'alla  pas  chez  la  princesse  royale',  mais 

plaire  s'est  payé  quatre-vingt-douze  francs  en  1853  à  la  vente 
Debure.  Le  livre  avait  été  ébauclié  dès  1672,  comme  le  montre 
une  lettre  de  Mme  de  Sévlgné  ;  durant  l'iiiver  de  167  7  à  le'îS, 
Mme  de  La  Fayette  l'acheva,  aidée  du  goût  de  La  Rocliefou- 
cauld. 

*  Élisabeth-Stuart ,  fille  de  Jacques  I",  roi  d'Angleterre, 
veuve  de  Frédéric  V,  duc  de  Bavière,  comte  palatin  du  Htiin, 


288  CORRESPONDANCE 

la  reine  de  Bohême  '  y  alla  ,  et  me  prit  avec  elle. 
Avant  que  je  partisse,  ma  tante  me  dit  :«  Lisette  , 
prenez  garde  de  ne  pas  faire  comme  à  votre  ordinaire, 
et  ne  vous  égarez  pas  de  manière  qu'on  ne  puisse 
vous  retrouver;  suivez  la  reine  pas  à  pas,  afin  qu'elle 
n'ait  pas  besoin  de  vous  attendre.»  Je  dis  :  «Oli,  ma 
tante  apprendra  que  je  me  serai  comportée  bien  gen- 
timent. »  J'arrivai  chez  la  princesse  royale,  que  je  ne 
connaissais  pas,  et  j'y  trouvai  son  fils,  avec  lequel 
j'avais  souvent  joué;  après  avoir  regarde  longtemps 
sa  mère  sans  savoir  qui  c'était,  je  me  retournai  pour 
voir  s'il  n'y  avait  personne  qui  pût  me  dire  qui  était 
cette  dame.  Ne  voyant  que  le  prince  d'Orange,  j'allai  à 
lui,  et  lui  dis  :  «  Dites-moi,  je  vous  prie,  qui  est  cette 
femme  qui  a  un  si  furieux  nez?»  Il  se  mit  à  rire,  et 
répondit  :  «  C'est  la  princesse  royale,  ma  mère.  »  Je 
fus  toute  épouvantée  et  restai  stupéfaite.  Pour  me  re- 
mettre, M"^  Hcyde  me  conduisit  avec  le  prince  dans 
la  chambre  à  coucher  de  la  princesse,  où  nous  jouâmes 
encore  à  toutes  sortes  de  jeux.  J'avais  demandé  que 
l'on  m'appelât  quand  la  reine  voudrait  partir  :  nous 
nous  roulions  sur  un  tajiis  deTurquit;  quand  on  m'ap- 
pela; je  ne  fis  qu'un  saut  et  courus  dans  la  salle, 
mais  la  reine  était  déjà  dans  l'antichambre.  Je  ne  m'in- 
timide pas  et  je  tire  la  princesse  royale  par  la  robe, 
lui  fais  une  jolie  révérence,  me  place  devant  elle,  et 

roi  (le  Dolième  jusqu'en  1G21,  mère  de  l'électrice  de  Hanovre. 
'  Marie-Henriette  Stuart,  fille  de  Ctiarlesl*",  roi  d'Angle- 
terre; iniiriéc  en  lGôO,!iGuilIainiie  de  Nassau,  prince  d'Orange  ; 
elle  devint  veuve  en  1G50,  cl  dcim'ura  enceinte  do  CJiiillaiime- 
llenri  de  iSassau,  prince  d'Oranf^c,  depuis  roi  d'AiiBlcterre  par 
l'ellVt  de  la  révolution  de  IG88. 


DE  MADAME    LA   DUCHESSE   d'ORLÉANS.  289 

suis  la  reine  pas  à  pas  jusqu'au  carrosse;  tout  le 
monde  riait,  je  ne  savais  pas  pour(iuoi.  Lorsque  nous 
fûmes  de  retoin",  la  reine  alla  trouver  ma  tante,  s'as- 
sit sur  son  lit,  se  mit  à  rire  aux  éclats,  et  dit  :  «  Lisette 
a  fait  un  beau  voyage  !  »  et  lui  raconta  tout  ce  que  j'a- 
vais fait  ;  notre  chère  électrice  rit  alors  encore  plus 
que  la  reine.  ¥A\e  m'appela  et  me  dit  :  «  Lisette,  vous 
avez  bien  fait;  vous  nous  avez  vengées  de  cette  fière 
princesse.  » 

26  novembre  1720. 

Si  la  vieille  gueuse  n'avait  pas  été  si  affreusement 
déchaînée  contre  moi,  elle  aurait  pu  me  nuire  davan- 
tage auprès  du  roi ,  mais  elle  y  allait  avec  trop  de 
violence;  c'est  ce  qui  faisait  voir  au  roi  que  ce  n'était 
que  de  la  haine  toute  pure  ;  et  cela  ne  pouvait  pro- 
duire aucun  effet.  Il  y  avait  trois  motifs  pour  lesquels 
cette  femme  me  haïssait  si  honiblement  :  le  premier, 
c'est  que  le  roi  me  traitait  favorablement;  j'avais  déjà 
plus  de  vingt-cinq  ans  quand  elle  entra  en  faveur  ; 
elle  prévit  qu'au  lieu  de  me  laisser  gouverner  par  elle, 
je  ferais  à  ma  tête,  et,  puisque  le  roi  avait  de  la  bonté 
pour  moi,  que  je  le  désabuserais  et  l'avertirais  de  ne 
pas  se  laisser  conduire  aussi  aveuglément  par  celte 
méchante  bête.  Le  second  motif,  c'est  qu'elle  savait 
bien  que  je  désapprouverais  son  mariage  avec  le  roi  ; 
elle  s'imaginait  que  cela  serait  un  obstacle  à  ce  qu'elle 
fût  déclarée  reine.  Le  troisième  motif  était  que  j'avais 
toujours  consolé  la  dauphine  de  Bavière,  quand  la 
Maintenon  l'avait  jetée  dans  le  désespoir.  •  La  bonne 
Dauphine  ne  savait  rien  faire  contre  la  Maintenon, 

11.  25 


290  CORRESPONDANCE 

qui  possédait  seule  le  cœur  du  roi,  et  était  maîtresse 
de  toutes  ses  pensées  et  volontés.  Cependant,  malgré 
la  faveur  dont  elle  jouissait,  la  vieille  était  peureuse  ; 
si  la  Dauphine  eût  eu  le  courage,  comme  je  le  lui  con- 
seillais, de  menacer  la  Maintenon  et  de  lui  faire  com- 
prendre que  sa  vie  antérieure  était  connue,  et  que, 
dans  le  cas  où  elle  ne  vivrait  pas  mieux  avec  la  Dau- 
phine, on  la  démasquerait  auprès  du  roi ,  mais  que, 
si  elle  se  comportait  mieux,  on  se  tairait,  et  qu'on  vi- 
vrait en  bonne  intelligence,  la  Maintenon  aurait  tenu 
une  conduite  bien  différente.  La  méchante  Bessola 
n'a  jamais  permis  cela,  parce  qu'alors  elle  n'aurait 
plus  eu  rien  à  rapporter. 

28  novembre  1720. 

La  duchesse  de  Hanovre  '  restera  au  Luxembourg 
jusqu'à  ce  qu'elle  ait  une  maison  à  elle  ;  je  voudrais 
qu'elle  en  trouvât  une  où  elle  fût  aussi  bien  et  aussi 
commodément.  11  ne  faut  pas  s'étonner  si  cette  du- 
chesse aime  la  France,  car  elle  y  est  née,  y  a  été  éle- 
vée, et  elle  y  a  une  sœur  ;  elle  ne  peut  cependant  ap- 
peler Paris  sa  patrie,  car  sa  mère  était  une  Italienne, 
une  princesse  de  Manloue. 

Paris,  30  novembre  1720. 

La  duchesse  de  Hanovre  est  si  peu  changée,  dans 
les  vingt-sept  ans  qui  viennent  de  se  passer,  qu'on  a 
le  droit  d'en  être  surpris.  L'impératrice  aurait  voulu 

*  C'était  une  princesse  palatine  delà  Lranclie  de  Simnicrn; 
elle  avait  épousé  Jean-Frédéric  de  Hanovre,  frère  du  mari  de 
l'élcctrirc  Soiihle,  cette  tante  iini  avait  élevé  M;iilanic. 


DE   MADAME   LA    DUCHESSE    d'oRLÉANS.  291 

qu'elle  restât  à  Vienne  ;  mais  je  ne  peux  la  blâmer  de 
n'y  pas  avoir  consenti,  car  on  dit  qu'on  voulait  la 
mettre  dans  un  couvent,  et  les  couvents  ne  font  pas 
l'affaire  de  tout  le  monde  ;  il  me  serait  impossible  d'y 
exister.  N'est-il  pas  plus  naturel  qu'on  veuille  vivre 
dans  sa  patrie  où  l'on  est  né,  où  l'on  a  été  élevé,  et 
où  Ton  a  une  sœur  que  l'on  a  toujours  chérie  plus  qiie 
toute  autre  chose  ?  Notre  duchesse  n'est  pas  assez  folle 
pour  se  laisser  enfermer  dans  un  couvent  ;  mais  je  n'ai 
pas  de  peine  à  deviner  quel  a  été  le  motif  de  ce  bruit  ; 
il  s'est  répandu  une  rumeur  qu'elle  avait  contracté  un 
mariage  de  conscience  avec  son  secrétaire  italien. 
C'est  pour  contredire  cette  nouvelle  qu'on  prétendait 
qu'elle  voulait  entrer  dans  un  couvent;  vous  devez 
connaître  celui  qu'on  accuse  d'être  son  mari,  car  elle 
l'a  eu  longtemps  à  Hanovre  auprès  d'elle,  et,  si  je  ne 
me  trompe,  il  se  nomme  Marcelli. 

3  décembre  1720. 

Je  ne  me  souciais  nullement  des  favoris  de  Mon- 
sieur; pourvu  qu'ils  vécussent  avec  moi  d'une  façon 
respectueuse,  je  les  traitais  bien  ;  mais  si  l'un  d'eux 
s'avisait  de  se  moquer  de  moi  ou  de  me  rendre  de 
mauvais  services,  alors  je  menais  rudement  ce  drôle, 
quel  qu'il  fût. 

Bessola  m'a  souvent  mise  en  colère  ;  elle  m'impa- 
tientait au  point  que  je  ne  voulais  plus  lui  dire  un  seul 
mot  de  bonté,  et  j'aurais  souvent  exprimé  ma  façon 
de  penser,  si  je  n'avais  pas  remarqué  que  cela  tracas- 
sait fort  la  pauvre  Dauphine.  Je  l'ai  donc  ménagée,  et 
je  disais  à  la  Dauphine  :  «  Je  puis  me  taire,  par  corn 


292  CORRESPONDANCE 

plaisance  pour  Voire  Altesse,  mais  faites  que  Bessola 
ne  m'échauffe  pas  la  tête  ;  car  je  ne  réponds  pas  alors 
qu'il  ne  m'échappe  quelque  chose  de  désagréable  pour 
elle.  »  La  Dauphine  me  remercia  cordialement,  ce  qui 
m'engagea  encore  plus  à  me  taire. 

A  l'exception  du  comte  de  Toulouse,  tous  les  en- 
fants que  M"'"  de  Montespan  a  eus  du  roi  sont  disgra- 
ciés de  la  nature  ;  le  duc  du  Maine  est  estropié , 
M"»  d'Orléans  contrefaite,  et  M™» la  Duchesse  boi- 
teuse. 

Montespan  n'était  pas  quelque  chose  de  bon  ;  il  ne 
faisait  rien  que  jouer;  il  était  fort  intéressé;  je  crois 
que  si  le  roi  avait  voulu  donner  beaucoup ,  il  se  serait 
apaisé.  C'était  une  drôle  de  chose  à  voir,  lorsque  lui 
et  son  fils  d'Antin  jouaient  avec  M™*  d'Orléans  et 
M"^*'  la  Duchesse,  et  qu'il  donnait  très-respectueuse- 
ment et  avec  des  baisements  de  mains  les  cartes  à  ces 
princesses,  qui  passaient  pour  ses  enfants.  11  trouvait 
lui-même  cela  plaisant;  il  se  retournait  et  riait  tou- 
jours un  peu. 

La  passion  de  Rebenac  '  n'a  fait  aucun  tort  h  feu 
notre  reine  d'Espagne;  elle  ne  faisait  que  s'en  moquer 
et  ne  se  souciait  nullement  de  lui.  Celui  qui  l'a  em- 
jioisotmée  est  le  comte  de  Mansf(;ld,  au  nez  pointu. 
Il  gagna  deux  de  ses  femmes  de  chambre  françaises, 

'  Franrris  de  Fcuquières,  comte  de  Rebenac,  ambassadeur 
m  Espagne.  11  existe  au  ministère  des  alTaircs  étrangères  d'assez 
nombreux  documents  relatifs  à  sa  mission  en  Espagne.  Voir 
aussi  les  t.  IV  et  V  (  Introduction)  des  Lcltrcs  huditcs  des  Fcu- 
qitihrs,  Paris,  Leleux,  1840.  II  mourut  ;i  Madrid  en  IG88.O11 
rrniiirquc  dans  sa  correspondance  de  l'habiloté,  de  la  patience, 
du  dévouement,  une  étonnante  activité. 


DE   MADAMR   LA   DUCHESSE  D'ORLÉANS.  293 

qui  lui  donnèrent  du  poison  dans  des  huîtres  crues, 
et  elles  ne  voulurent  pas  ensuite  donner  le  contre- 
poison qui  était  confié  à  leur  garde  ' . 

G  décembre  1720. 

Lorsque  le  roi  revenait  d'un  voyage,  nous  étions 
obligés  de  nous  trouver  tous  auprès  de  la  voiture  au 
moment  de  son  arrivée,  afin  de  l'accompagner  dans 
son  appartement. 

Pari?,  14  décembre  1720. 

C'est  un  triste  compliment  que  celui  d'avoir  à  rece- 
voir le  titre  de  bisaïeule  ;  j'ai  été  bisaïeule,  car  la  du- 


«  M"ie  de  Sévigné  écrivait  le  21  février  1689  :  «  On  a  appris 
la  mort  de  la  reine  d'Espagne  en  deux  jours  par  de  grands  vo- 
missements; cela  sent  bien  le  fagot.  >>  Dangeau  prétend  que  la 
reine  fut  empoisonnée  par  une  Iourte  d'anguilles  ;  Mme  je  La 
Fayette  dit  que  ce  fut  dans  une  tasse  de  chocolat,  et  elle  ajoute 
que  la  reine  avait  ttilement  peur  d'une  entreprise  de  ce  genre, 
qu'elle  le  mandait  à  son  père  par  presque  tous  les  courriers. 
Saint-Simon  affirme  que  le  conseil  de  Vienne  ne  se  fit  pas  scru- 
pule de  faire  empoisonner  la  reine  d'Espagne,  et  fit  exécuter 
ce  crime  par  la  comtesse  de  Soissons,  sous  la  direction  du  comte 
de  Mansfeld(t.  III,  p.  95).  Il  répète  la  même  assertion,  t.  IV, 
p.  81,  et  il  ajoute  que  ce  fui  par  un  moyen  semblable  que  l'on 
se  défit  du  prince  électoral  de  Bavière,  héritier  de  Charles  II. 
En  dépit  d'accusations  aussi  formelles,  rien  n'est  moins  prouvé 
que  de  pareils  crimes.  L'histoire  du  temps  offre  une  foule  d'in- 
culpations pareilles  que  la  postérité  n'a  point  admises.  On  a  pré- 
tendu que  Richelieu  avait  fait  empoisonner  le  cardinal  de  Bé- 
ruUe.  La  mort  du  duc  de  Vendôme  a  été  attribuée  au  poison. 
Nous  avons  déjà  cité  d'autres  exemples.  Quant  aux  contre- 
poisons dont  parle  souvent  Madame,  et  auxquels  on  ajoutait  en- 
core foi  à  celle  époque,  on  sait  bien  qu'il  n'en  existe  guère. 

25. 


294  CORRESPONDANCE 

cliesse  de  Berri  avait  eu  deux  filles  et  un  fils  ;  ils  sont 
tous  morts  extrêmement  jeunes  ;  le  premier  avait  le 
titre  de  duc  d'Alençon  :  c'était  un  bel  enfant,  mais  il 
ne  vécut  que  trois  jours  ;  je  n'ai  pas  vu  la  seconde 
fille,  car  elle  mourut  à  Rambouillet ,  où  sa  mère  était 
accoucbée,  et  où  elle  était  avec  le  roi.  Si  ce  qu'on  dit 
de  la  princesse  de  Modène  est  vrai ,  elle  ne  sera  pas 
enceinte  de  sitôt  ;  on  dit  qu'elle  ne  veut  pas  coucher 
avec  son  mari.  Elle  a  une  tête  singulièrement  opiniâ- 
tre; elle  ne  suit  aucun  conseil,  et  n'agit  que  d'après 
ses  caprices. 

17  décembre  1720. 

M.  Law  est  à  une  de  ses  terres,  à  six  lieues  de  Pa- 
ns. M.  le  Duc,  voulant  aller  le  voir,  a  pris  la  chaise 
de  poste  de  M'"''  de  Prie  et  a  fait  revêtir  à  ses  laquais 
des  capotes  grises,  autrement  le  peuple  l'aurait  mal 
reçu. 

18  décembre  1720. 

J'ai  reçu  une  autre  lettre  qui  menace  mon  fils  du 
poison.  Quand  je  lui  ai  montré  cette  belle  épître,  il 
n'a  fait  qu'en  rire,  et  il  m'a  dit  que  le  poison  persan 
ne  pouvait  lui  être  administré,  et  que  ce  qu'on  en  di- 
sait était  un  conte...  Le  parlement  reviendra  demain 
à  Paris,  ce  qui  cause  à  la  ville  autant  de  joie  que  le 
dcpai  t  de  Law. 

La  mère  de  l'abbé  de  Saint-Albin  était  fort  belle, 
mais  elle  n'avait  nul  esprit;  c'était  une  sotte  ;  lorsqu'on 
la  voyait ,  on  aurait  pensé,  avec  ses  jolies  mines,  que 
pcrbonne  n'était  plus  lin  qu'elle. 


DE   MADAME   LA   DUCHESSE   d'oRLÉANS.  295 

20  décembre  1720. 

II  y  avait  ici  une  troupe  de  comédiens  italiens  qui 
voulaient  jouer  une  comédie  intitulée  :  La  fausse  luj- 
pocrite.  Lorsque  j'appris  ce  qu'ils  faisaient,  je  les  lis 
mander  et  je  les  avertis  de  ne  pas  jouer  cette  pièce; 
cela  ne  servit  à  rien.  Ils  la  jouèrent  et  gagnèrent  ainsi 
beaucoup  d'argent,  mais  ils  furent  bientôt  cbassés  ;  ils 
revinrent  vers  moi,  et  ils  voulaient  que  j'intercédasse 
pour  eux  ;  mais  je  dis  :  «  Non  !  pourquoi  n'avez-vous 
pas  suivi  mon  conseil?  »  Ils  avaient,  disait-on,  repré- 
senté la  vieille  guenipe  de  la  façon  la  plus  drôle  '.  J'au- 
rais bien  voulu  voir  jouer  cette  comédie,  mais  je  n'y 
allai  pas  de  peur  que  la  vieille  ne  dit  au  roi  que  c'était 
moi  qui  avais  mis  la  chose  en  train ,  afin  de  lui  faire 
pièce. 

24  décembre  1720. 

M.  Law  est  à  Bruxelles  ;  M"'"  de  Prie  lui  a  prêté  sa 
chaise  de  poste  ;  en  la  lui  renvoyant,  il  lui  a  écrit  pour 
la  remercier,  et  il  lui  a  envoyé  une  bague  de  cent 
mille  livres.  M.  le  Duc  lui  a  donné  des  relais  et  l'a  fait 
accompagner  de  quatre  de  ses  gens. 

27  décembre  1720. 

En  prenant  congé  de  mon  fils,  Law  lui  a  dit  : 

1  «  Tant  qu'ils  n'avoient  fait  que  se  déborder  en  ordures, 

et  quelquefois  en   impiétés,  on  n'avoil  fait  qu'en  rire Celle 

qui  les  avoit  fait  chasser  n'y  gagna  pas  par  la  licence  avec  la- 
quelle ce  ridicule  événement  donna  lieu  d'en  parler  x  (Saint- 
Siuion.  t.  111,  p.  aCj. 


296  CORRESPONDANCE 

«  Monseigneur,  j'ai  fait  de  grandes  fautes  ;  je  les  ai 
faites  parce  que  je  suis  homme,  mais  vous  ne  trouve- 
rez ni  malice,  ni  friponnerie  dans  ma  conduite.  »  Sa 
femme  ne  veut  pas  quitter  Paris  que  toutes  ses  dettes 
ne  soient  payées  ;  il  doit  au  rôtisseur  seul  dix  mille  li- 
vres'. 

Pari3,  28  décembre  1720. 

On  élève  si  mal  les  princesses  dans  ce  pays,  et  sur- 
tout dans  la  maison  royale,  que  c'est  une  honte  criante  ; 
ce  serait  toute  autre  chose  si  on  en  prenait  soin  ;  car 
vous  voyez  que  mes  fdles,  pour  lesquelles  je  n'ai  rien 
négligé,  sont  tout  ce  qu'il  est  possible  d'imaginer  de 
convenable.  On  ne  peut  mieux  vivre  avec  leurs  maris 
que  ne  le  font  la  reine  de  Sardaigne  et  la  duchesse  de 
Lorraine  ;  mais  quand  on  laisse  les  enfants  agir  com- 
plètement à  leur  guise  depuis  sept  jusqu'à  vingt  ans, 
et  qu'on  ne  leur  fait  jamais  aucune  observation,  il  ne 
peut  rien  en  résulter  que  de  très-fàcheux.  Pour  moi , 
j'ai  rempli  mon  rôle  ;  je  ne  veux  plus  me  tracasser  au 
sujet  de  mes  petits-enfants  ;  qu'ils  fassent  ce  qu'ils 
voudront.  Le  mariage  de  mon  iils  s'est  fait  contre  ma 
volonté,  je  serais  bien  folle,  si  j'allais  m'affliger  de 
tout  ce  qui  s'en  est  suivi  ;  je  veux,  tout  le  reste  de  ma 
vie,  vivre  en  paix  et  poliment  avec  tous  ces  gens,  mais 
ne  pas  me  mêler  de  ce  qu'ils  font. 

Je  ne  conçois  pas  pourquoi  votre  cousin,  M.  de  De- 

'  Law  se  relira  à  Venise,  et  il  y  mourut  en  1729,  dans  un 
^tal  asspz  voisin  do  l'indigcnre.  D'après  quelques  mémoires  du 
temps,  il  n'était  pas  marié  avec  l'Anglaise  qui  passait  pour  sa 
fcomic. 


DE   MADAME    LA    DUCHESSE    d'oRLÉANS.  297 

genfelt,  ne  reste  pas  avec  le  roi  de  Suède,  auprès  du- 
quel il  est  si  fort  en  faveur;  il  faut  que  les  Suédois  ne 
veuillent  souffrir  aucun  étranger.  J'avoue  que  je 
n'aime  pas  que  les  cadets  des  maisons  princières  se 
marient  ;  cela  fait  des  maisons  divisées  à  l'infini,  et  des 
princes  très-misérables.  Le  landgrave  a  bien  fait  de 
racheter  ce  prince  indien  et  cette  princesse  dont  vous 
me  pariez,  et  de  les  renvoyer  dans  leur  pays  ;  mais  il 
faut  que  vous  sachiez  que,  parmi  ces  sauvages  de  l'A- 
mérique ,  il  n'y  a  ni  princes  ni  nobles  ;  tous  sont 
égaux  ;  ils  reconnaissent  seulement  des  chefs  qui  les 
mènent  à  la  guerre,  et  auxquels  ils  cessent  d'obéir 
aussitôt  que  la  guerre  est  finie.  Je  connais  parfaite- 
ment tout  ce  qui  regarde  les  sauvages,  car  j'ai  une 
femme  de  chambre  qui  avait  épousé  un  Français  dont 
les  biens  étaient  au  Canada,  et  qui  y  a  passé  de  longues 
années;  elle  m'a  mis  entièrement  au  fait  de  toutes  les 
coutumes  des  gens  de  ce  pays,  et  aucun  capitaine  de 
navire  n'aurait  quelque  chose  à  m'apprendre. 
Voici  d'autres  vers  qu'on  avait  faits  contre  M.  Law  : 

Aussitôt  que  Law  arriva 

Dans  notre  grande  ville, 
Monsieur  le  Rcgent  publia 

Qu'il  serait  fort  utile. 
Pour  rétabJir  la  nation, 
La  faridondaine,  la  faridondon 
Mais,  hclas  '.  il  nous  enrichit, 

Biribi, 
A  la  façon  de  Barbari, 
Mon  ami. 

Jamais  de  si  barbares  lois 

N'ont  gouverné  les  hommes; 
Qu'il  est  fàchcut  d'être  François 

Dans  le  temps  où  nous  sommes; 

Tout  est  confusion, 


298  CORRESPONDANCE 

La  faridondaine,  la  faridondon 
Chaque  jour  un  nouvel  édit, 
Biribi...  ' 

Law,  ce  fils  aîné  de  Satan, 

Nous  met  tous  à  rauraône  ; 
Il  r.ous  a  pris  tout  notre  argent, 

nt  n'en  rend  à  personne  ; 
Mais  le  Régent,  humain  et  bon, 
La  faridondaine,  la  faridondon 

Nous  rendr:!  ce  qu'on  nous  a  pris, 

Biribi, 
A  la  façon  de  Barbari, 
Mon  ami. 

Paris,  1"  février  1721. 

Je  m'affaiblis  beaucoup  et  je  puis  à  peine  tenir  ma 
plume,  mais  qu'y  faire?  Il  faut  se  remettre  clans  les 
mains  de  Dieu  et  s'en  rapporter  à  sa  volonté.  Je  crois 
que  je  finirai  pas  me  dessécher  tout  comme  la  tortue 
que  j'avais  à  Heidelherg  dans  ma  chambre;  tant  que 
je  vivrai,  soyez  sûre,  chère  Louise,  que  je  vous  chéri- 
rai de  cœur. 

Hier,  le  prince  Charles  de  Hesse-Philipsthal  m'a  été 
présenté  :  il  a  fort  bonne  mine,  une  jolie  figure  et  il 
s'exprime  d'une  manière  fort  raisonnable.  Il  désirerait 
certainement  entrer  au  service  de  la  France  ;  je  lui  ai 
conseillé  de  commencer  par  bien  examiner  les  choses, 
et  je  crois  que,  lorsqu'il  aura  vu  combien  les  étrangers 
sont  peu  goûtés  ici,  cette  envie  lui  passera.  Croire 
qu'un  homme  de  mérite  doit  réussir  est  une  grande 
erreur;  ceux  qui  ont  du  mérite  sont  sûrs  d'être  l'objet 
de  la  jalousie  et  de  la  persécution  :  je  ne  peux  donc 
rien  attendre  à  cet  égard  que  des  désagréments,  mais 
c'est  mon  pain  quotidien.  On  ne  parle  ici  que  do  l'in- 
famie du  duc  de  la  Force,  et  comme  quoi  il  s'est  fait 


DE    MADAME   LA   DTJriIESSR   d'oRLÉANS.  299 

marchand  :  c'est  aujourd'hui  que  son  afïaire  sera  ju- 
gée au  parlement,  et  l'on  croit  que  mal  lui  en  viendra  ; 
il  l'a  bien  mérité  ;  on  fait  contre  lui  une  foule  de 
chansons.  Son  frère  lui  a  joué  un  vilain  tour  ;  il  lui  a 
compté  sa  légitime  en  billets  de  banque,  sachant  l)ien 
que  ces  billets  ne  valaient  rien.  C'est  une  chose  atîreuse 
de  voir  combien  les  gens  de  la  plus  haute  qualité  sont 
âpres  et  résolus  de  s'enrichir  n'importe  par  quels 
moyens  '. 

Mon  fils  m'a  montré  une  lettre  que  M™^  du  Maine 
avait  écrite  au  cardinal  de  Polignac,  et  qui  fut  saisie 
dans  ses  papiers.  C'est  à  coup  sûr  une  personne  bien  ver- 
tueuse et  bien  estimable.  Dans  une  de  ces  belles  lettres 
il  y  a  ceci  :  «  Nous  allons  demain  à  la  campagne  ;  je 
rangerai  les  appartements  de  façon  que  votre  chambre 
sera  près  de  la  mienne;  tâchez  de  faire  aussi  bien  que 
la  dernière  fois,  et  nous  nous  en  donnerons  à  cœur 
joie.  » 

Paris,  20  février  1721. 

Jai  reçu  avant-hier  une  grande  visite.  On  m'a 
amené  le  jeune  roi;  il  y  avait  parmi  les  personnes  de 
sa  suite  le  grand-écuyer,  le  prince  Charles  de  Lorraine, 
et  le  capitaine  des  gardes,  le  duc  de  Noailles,  qui  n'a- 
vaient pas  l'air  de  se  regarder  de  bon  œil  ;  je  n'en  sa- 
vais pas  la  raison,  que  j'ai  apprise  hier;  le  prince 
Charles  avait  épousé,  il  y  a  deux  ans,  la  fille  du  duc  ; 

*  Sainl-Simon  raconte  (t.  XX,  p.  407)  que  l'hôtel  d'un  am- 
bassadeur fran(;ais  ayant  été  brù!é,  presque  tout  le  monde  crut 
qu'il  avait  été  l'incendiaire,  pour  gagner  ce  qu'il  en  tirerait  du 
roi,  et  pour  couvrir  une  contrebande  monslrueusc. 


300  CORRESPONDANCE 

elle  n'était  encore  qn'unc  enfant  et  avait  à  peine  douze 
ans  ;  on  l'a  empêchée,  pendant  un  an  entier,  de  cou- 
cher avec  son  mari;  mais  ,  depuis  un  an,  ils  étaient 
ensemble  :  c'est  une  personne  très-vertueuse,  fort  at- 
tachée à  son  mari,  ce  qui  n'est  pas  étonnant,  car  c'est 
un  très-bel  homme  ;  mais  ce  qui  est  surprenant,  c'est 
qu'elle  n'est  point  devenue  coquette,  comme  le  sont 
toutes  les  jeunes  femmes,  et  qu'elle  a  toujours  mené 
une  conduite  parfaite,  quoiqu'elle  vît  bien  que  son 
mari  n'avait  aucune  inclination  pour  elle,  bien  qu'elle 
fût  jolie  et  bien  élevée.  Avant-hier,  au  matin,  le  prince 
Charles  va  la  trouver  et  lui  dit  :  «  Madame,  il  faut 
nous  séparer,  je  ne  me  trouve  pas  assez  de  bien  pour 
vous  entretenir.  »  La  pauvre  petite  femme,  tout  ef- 
frayée, lui  répondit  :  «  Vous  ai-je  déplu  dans  ma  con- 
duite? dites-moi  ce  que  c'est  et  je  m'en  corrigerai; 
quant  au  bien ,  mettez -moi  dans  une  chambre,  ne  me 
donnez  que  du  pain  et  de  l'eau ,  et  que  je  puisse  vous 
voir,  je  serai  contente.  »  Il  répliqua  :  «  Je  suis  très- 
content  de  votre  conduite  ;  je  n'ai  pas  la  moindre 
plainte  à  faire  contre  vous;  mais,  en  un  mot  comme 
en  mille,  vous  êtes  mon  aversion ,  je  ne  puis  vous 
souflrir,  je  veux  ainsi  (jue  vous  retourniez  chez  votre 
père.  »  Klle  se  mit  à  i)leurer  amèrement,  sur  quoi  il 
dit  :  «  A  quoi  bon  ces  i)leiu'S  !*  ils  ne  m'allcndriront 
pas;  allez- vous-en.  »  Klle  réijondit  :  «  l*uis(}ue  je  suis 
si  mal  avec  vous,  il  n'est  pas  juste  que  j'aille  dans  la 
maison  de  mon  père  ;  il  faut  me  cacher  à  jamais.  » 
Klle  fit  venir  tous  ses  domestiques ,  les  paya  tous  ,  ils 
fondaient  en  larmes  ;  elle  monta  en  voiture  et  se  fit 
conduire  au  couvent  des  Filles  de  Sainte-Marie  où  elle 


DE    MADAME   LA   DUCHESSE   D'oRLÉANS,  301 

a  une  tante.  Tout  le  monde  la  plaint  ;  je  n'ai  pu  en- 
tendre celte  histoire  sans  pleurer;  personne  ne  sait  ce 
qui  a  pu  déterminer  le  prince  à  agir  ainsi  ;  il  parais- 
sait fort  convenable  avant  son  mariage,  mais  il  avait 
été  fort  épris  d'une  dame  qui  est  à  présent  devenue 
veuve  ;  quelques  personnes  pensent  que  c'est  le  motif 
de  ses  procédés  ' . 

Dans  sa  jeunesse,  le  roi  {Louis  XI V)  avait  joué  la  co- 
médie du  Visionnaire  ■;  il  la  savait  fort  bien,  et  il  la 
jouait  mieuxqueles  comédiens.  Il  ne  connaissait  aucune 
note  de  musique,  mais  il  avait  l'oreille  juste  et  il  jouait 
de  la  guitare  mieux  qu'un  maître,  arrangeant  sur  cet 
instrument  tout  ce  qu'il  voulait. 

Paris,  22  février  1721. 

Le  duc  de  la  Force  a  eu  hier  un  grand  affront  ;  il 
voulait  prendre  au  parlement  la  place  de  duc  et  pair  ; 
le  premier  président  l'en  a  empêché,  lui  a  dit  qu'il  ne 
souffrirait  pas  qu'il  s'assit,  et  a  dit  à  un  huissier: 
«  Huissier,  faites  sortir  la  Force  !  »  Lorsqu'il  est  remonté 
en  voiture,  le  peuple  l'a  poursuivi  de  huées  en  criant  : 

^  Nous  lisons  dans  le  Journal  de  Marais  :  «  Tout  le  monde 
cherche  la  raison  de  la  Lrouillerie  du  prince  Charles  ;  on  devine 
quelque  galanterie  avec  le  chevalier  de  Lorraine  ou  le  duc  de 
Richelieu.  » 

*  Les  Visionnaires,  comédie  en  cinq  actes  el  en  vers,  par 
Jean  Desmarest;  Paris,  1G47  ;  in-4°.  Celte  pièce  singulière  obtint 
beaucoup  de  succès  ;  le  cardinal  de  Richelieu  lui  accorda  une 
protection  déclarée;  on  dit  môme  qu'il  y  avait  travaillé.  Oa 
tronve  une  analyse  assez  détaillée  de  cette  comédie  dans  la  Bi- 
bliothèquc  du  Théâtre-Français,  1768,  1. 11,  p.  574-581.  Elle 
a  été  reproduite  dans  le  tome  II  du  Recueil  des  pièces  choisies, 
La  Haye,  1714. 

u.  26 


302  CORRESPONDANCE 

Il  a  chic  au  lit.  On  dit  qu'il  doit  être  dégradé  do  son 
duché.  C'est  un  juste  châtiment  que  Dieu  lui  inflige, 
car  il  a  préféré  Mammon  à  son  Dieu,  il  a  laissé  pres- 
que mourir  de  faim  sa  pauvre  mère,  et  il  a  horrible- 
ment persécuté  les  pauvres  réformés,  ce  qui  lui  fit  ob- 
tenir une  pension,  grâce  à  l'appui  du  père  La  Chaise  et 
de  la  Maintenon  ' . 

Pari?,  27  février  1721. 

Les  gens  de  qualité  sont  en  ce  temps  beaucoup  plus 
corrompus  que  les  gens  du  commun  ;  chez  ceux-ci,  il 
n'y  a  que  galanterie  ou  passion  vive  mais  sincère;  mais 
chez  les  autres,  c'est  pure  débauche,  et  il  n'y  a  plus 
de  honte  nulle  part;  les  femmes  s'expriment  d'une  fa- 
çon encore  plus  dévergondée  que  les  hommes  ^ 

l^e  17  de  ce  mois,  il  y  a  eu  une  chose  terrible  à  un 
bal  masqué.  Six  masques  sont  arrivés;  deux  portaient 
des  flambeaux  et  quatre  un  brancard  sur  lequel  était 
un  homme  masqué  et  couvert  d'un  domino  ;  ils  l'ont 
posé  au  milieu  de  la  salle  et  se  sont  retirés  ;  ou  a  de- 
mandé au  masque  qui  était  sur  le  brancard  s'il  vou- 
lait danser,  mais  il  n'a  pas  répondu  ;  on  lui  a  ôté  le 

*  On  trouve,  dans  les  écrits  du  temps,  que  le  duc  de  la  Force 
avait  loué  plusieurs  charnières  dans  le  couvent  des  Augustins 
pour  y  déposer  des  marcliandiscs,  et  qu'on  y  trouva,  entre  au- 
tres objets,  quarante  caisses  de  thé,  beaucoup  de  myroboians, 
une  cai^se  de  sucre  candi  et  plus  de  cinquante  mille  pièces  de 
porcelaine  du  Japon. 

*  Marais  confirme  dans  son  Journal  les  assertions  de  Ma- 
dame sur  la  corruption  du  temps  :  «  On  sait  peu  de  nouvelles 
de  Versailles,  sinon  qu'on  y  joue  un  jeu  affreux,  qu'on  y  fait 
l'amour  partout  »  (juillet  1722).  «  On  vit  en  débauche  ouverlo 
à  Versailles  n  (idcuij. 


DE   MADAME   LA  DL'CHESSE  d'ORLÉANS.  303 

masque  de  dessus  la  figure,  et  on  a  trouvé  que  c'était 
un  cadavre. 

Paris,  1"  niais  1721. 

11  faut  espérer  qu'avec  ce  beau  temps  tous  les  mala- 
des se  trouveront  guéris  ;  c'est  ce  que  je  désire  de  tout 
mon  cœur  pour  vous  et  pour  la  princesse  d'Ussingen. 
Il  ne  faut  pas  s'étonner  si  celte  princesse  n'est  pas 
bien  avec  sa  nièce  ;  elle  serait  encore  plus  mal  si  elle 
savait  de  quelle  façon  en  parlent  les  officiers  français 
qui  ont  été  à  Strasbourg  ;  elle  y  a  mené  une  drôle  de 
vie  et  ne  se  vantait-elle  pas  d'être  ma  cousine  ?  Elle 
aurait  dû  ne  pas  le  dire  ou  changer  de  conduite.  Elle 
m'a  une  fois  écrit  ;  mais  je  lui  fis  répondre  par  mon 
secrétaire.  Depuis  j'ai  reçu  plusieurs  lettres  d'elle, 
mais ,  comme  dit  le  proverbe  :  «  A  sotte  demande, 
point  de  réponse.  »  Il  n'y  aurait  que  demi-mal  si  elle 
n'était  que  sotte,  mais  elle  est  débauchée  et  intéressée, 
et  c'en  est  trop  ;  pourquoi  veut-elle  que  je  lui  donne 
de  l'argent  ?  Je  ne  lui  dois  rien  et  je  ne  suis  pas  assez 
riche  pour  faire  des  présents  inutiles,  à  des  princesses 
surtout,  lorsque  j'ai  lieu  d'avoir  honte  qu'elles  soient 
mes  parentes. 

Quant  à  M"-^  d'Aligre,  dont  vous  me  parlez,  j'en  ai 
entendu  parler  dans  le  temps;  je  crois  qu'elle  est 
morte  '. 

'  Mme  d'Aligre,  riche  héritière  d'un  président  de  Toulouse. 
C'était  une  dévote  à  triple  carat  et  folle  au  centuple,  que  le 
cardinal  de  Coislin  Qt  arrêter  une  fois  proche  d'Orléans,  ivre  de 
la  lecture  des  Pères  du  Désert,  et  allant  seule,  de  pied,  cher- 
cher les  déserts,  tandis  qu'on  la  cherchait  à  Paris,  d'où  elle 
6'était  échappée.  Elle   acheta,    pendant  une  absence  de  son 


304  COHRESPONDANCK 

Paris,  6  mars  172  (. 

M.  de  Louvois  lisait  toutes  les  lettres  ',  mais  il  avait 
de  bons  traducteurs,  et  les  lettres  arrivaient  toujours  à 
l'époque  juste  ;  cela  couvrait  un  peu  l'insolence  de 
faire  ouvrir  mes  lettres  ;  mais  le  Torcy  n'y  met  pas 
tant  de  soin;  je  crois  qu"il  veut  dénaturer  ce  que  je 
dis,  et  faire  des  mensonges  à  cet  égard,  ainsi  qu'il  l'a 
fait  souvent  auprès  du  feu  roi;  l'abbé  Dubois  l'imitait, 
agissant  ainsi  de  la  façon  qu'exprime  le  proverbe  : 
«  Il  est  comme  les  petits  cbiens  qui  font  comme  les 
grands  ;  il  pisse  contre  les  murs  parce  qu'il  les  y  voit 
pisser  »  ;  je  ne  m'en  soucie  pas  le  moins  du  monde;  il 
ne  peut  ouidir  aucune  intrigue  auprès  de  mon  fils 
contre  moi ,  quelle  que  soit  sa  mauvaise  volonté,  car 
mon  fds  me  connaît  et  l'abbé  me  connaît  aussi  :  c'est 
le  plus  mécbant  et  le  plus  avide  personnage  qu'on 
puisse  voir  ;  que  Dieu  veuille  le  punir  aujourd'hui  ou 
demain  comme  il  mérite  -. 

mari,  assez  sot  pour  lui  avoir  laissé  sa  procuration,  pour  cent 
cinquante  mille  livres  de  tableaux  de  dévotion,  tous  plus  tristes 
les  uns  que  les  autres  (Saint-Simon,  Notes  sur  le  Journal  de 
Dangeiu,  25  janvier  1708). 

1  11  serait  facile  de  citer  de  nombreux  exemples  de  lettres 
ouvertes  à  cette  époque  ;  Saint-Simcm  (t.  IV,  p.  2C9  )  parle  entre 
autres  de  la  correspondance  de  M'"*^  de  Nemours,  où  se  trou- 
vèrent des  choses  qui  déplurent  au  roi  et  qui  la  fa*ent  exiler; 
il  prenait  lui-même  ses  précautions  à  cet  égard  :  «  J'écrivois  en 
chiffres  au  duc  d'Orléans,  mais  par  ses  propres  courriers  quand 
ils  s'en  retournoient,  et  par-ti  par-l;\  quelques  lettres  de  paille 
et  au  clair  pour  amuser  par  la  poste  ou  par  les  courriers  de  la 
cour  »  (t.  XI,  p.  lOli). 

'  Malgré  l'éclat  de  ses  vices,  Dubois  a  trouvé  des  panégy- 
ristes ;  le  chevalier  de  Piossens,  dans  ses  Mémoires  de  la  Rd- 


ME   MADAME   LA   DUCHKSSE   u'ORLÉANS.  305 

Paris,  8  mars  1721. 

Mon  fils  \'it  lies-bien  avec  moi,  il  me  témoigne  beau- 
coup d'amitié  et  serait  désolé  de  me  perdre.  Ses  visites 
me  font  meilleur  eiïet  rpic  le  quinquina  ;  elles  me  ré- 
jouissent le  cœur  et  ne  me  causent  pas  de  souffrances 
dans  l'estomac  ;  il  me  dit  toujours  quelque  chose  de 
drôle,  qui  me  fait  rire  ;  il  a  de  l'esprit  et  s'exprime 
avec  beaucoup  d'agrément  ;  je  serais  une  mère  déna- 
turée si  je  ne  l'aimais  pas  du  fond  du  cœur;  si  vous  le 
connaissiez  bien,  vous  verriez  qu'il  n'y  a  chez  lui  au- 
cune ambition  et  aucune  malice.  Ah  !  mon  Dieu ,  il 
n'est  que  trop  bon,  il  pardonne  tout  ce  qu'on  fait  con- 
tre lui  et  ne  fait  qu'en  rire;  s'il  montrait  un  peu  plus 
les  dents  à  ses  méchants  parents,  ceux-ci  appren- 
draient à  le  craindre  et  à  ne  pas  entreprendre  contre 
lui  leurs  horribles  machinations.  On  ne  peut  imaginer 
tout  ce  qu'il  y  a  de  méchanceté  et  d'ambition  dans  le 
troisième  des  princes  du  sang.  Aussi  longtemps  que 
M.  le  Duc  a  espéré  tirer  de  l'argent  de  mon  fils,  il 
l'accablait  de  protestations  d'atlachemeiit  et  de  dé- 
vouement ;  maintenant  qu'il  n'a  plus  rien  à  gagner 
avec  lui,  il  s'est  mis  entièrement  contre  lui,  et  il  s'est 

gence  de  S.  A.  R.  le  duc  d'Orléans  (La  Haye,  17  29  ou  17  37, 
3  vol.),  est  allé  jusqu'à  dire  :  «  L'archevêque  de  Cambrai  fut 
«  élevé  au  cardinalat  avec  des  applaudissements  qui  lui  firent 
«  autant  d'honneur  que  les  satires  violentes  qu'on  répandit 
«  dans  le  public  durent  faire  honte  à  ceux  qui  en  cloient  les 
«  auteurs.  »  Ces  Mnnoiics  importants  à  consuiler  et  renfer- 
mant de  nombreux  documents  olliciels,  sont  un  éloge  continuel 
du  Régent  et  de  son  administration.  Lemontey  parle  d'un  abbé 
La  Rivière,  espion  de  Dubois,  qui  commençait  toutes  ses  lettres 
par  demander  à  genoux,  au  cardinal,  sa  sainte  bénédiction. 

27* 


306  CORRESPONDANCE 

réuni  à  son  ennemi  le  plus  inhumain,  son  beau-frère, 
le  prince  de  Conti,  ainsi  qu'à  son  frère,  le  comte  de 
Charolais  '  ;  mais  pour  ce  dernier,  ce  n'est  pas  une 
chose  étonnante,  après  le  commerce  infâme  qu'il  en- 
tretient continuellement  et  sans  aucune  honte  avec  le 
prince  de  Conti,  qui  est  cependant  son  beau-frère,  ce 
prince  ayant  épousé  la  sœur  du  comte  ;  c'est  une  chose 
horrible  et  inouïe;  je  m'étonne  que  Paris  n'ait  pas  été 
encore  englouti,  en  punition  des  choses  aflreuses  qui 
s'y  commettent  chaque  jour.  11  est  mort  la  semaine 
dernière  un  honnête  homme  de  la  cour;  il  a  suc- 
combé au  chagrin  que  lui  a  causé  la  mort  de  son  fils  : 
il  l'avait  uni  à  la  fille  du  premier  président,  M.  de 
Mesmes  %  mais  il  se  sont  bientôt  séparés,  car  il  était 
horriblement  débauché  et  ne  pouvair  souflrir  aucune 
femme  ;  il  se  nomme  M.  de  Lautrec,  et  son  pauvre 
l)cre  s'appelle  le  marquis  d'Ambre.  Je  l'ai  bien  connu  ; 
il  a  toujours  été  à  la  cour  ;  il  a  demandé  pardon  au 
premier  président  et  à  sa  belle-fille;  il  a  dit  qu'il  ne 
connaissait  pas  bien  son  fils  et  que,  s'il  l'avait  connu, 

1  Charles,  comte  de  Cliaiolais,  né  le  19  juin  1700,  mort  sans 
alliance  en  17  50. 

2  Ce  magistrat,  qui  joua  un  grand  rôle  sous  la  Régence,  mou- 
rut en  1723,  âgé  de  soixante-un  ans.  Saint-Simon  en  a  tracé 
le  portrait  avec  cette  tuiiclie  firme  et  caustique  qui  lui  est  fa- 
milière :  «  C'étoit  un  gros  homme ,  de  ligure  colossale ,  dont 
«  les  manières  avolent  beaucouii  de  grâce,  et  avec  l'âge,  quel- 
u.  que  chose  de  majestueux.  Touti^  son  étude  fut  celle  du  grand 
«  monde  auquel  il  plut  ;  il  fut  mêlé  dans  les  meilleures  cuni- 
<(  pagnies  et  dans  les  plus  gaillardes.  D'ailleurs,  il  n'aïqtrit 
«  rien  ;  il  voulait  à  toute  force  élre  un  hoiume  de  qualité,  et 
i<  se  faisoit  souvent  moquer  de  lui  par  ceux  qui  l'éloieiit  en 
«  eifct.  « 


DE   MADAME    LA    DL'CHESSE   D'oRLÉANS.  307 

il  n'aurait  jamais  songé  à  ce  mariage,  et  il  est  mort 
de  chagrin. 

On  m'a  raconté  qu'un  laquais  de  rarclicvcque  de 
Reims  disait  à  un  laquais  de  l'archevêque  de  Cam- 
brai :  «  Quand  même  mon  maître  ne  serait  pas  car- 
dinal, il  est  toujours  plus  grand  seigneur  que  le  tien, 
car  il  sacre  le  roi.  »  Le  laquais  de  Didjois  répondit  : 
«  Oui,  mais  mon  maître  sacre  tous  les  jours  le  bon 
Dieu,  qui  est  bien  plus  que  les  rois.  » 

Je  crois  que  je  ne  vous  ai  pas  envoyé  encore  la 
chanson  qu'on  a  faite  sur  l'aventure  arrivée  à  M™^  de 
Saint-Sulpice  '. 

Le  grand  portail  de  Saint-Siilpice, 
Où  l'on  faisoit  si  bien  l'ofHce , 
Esl  brûlé  jusqu'au  foiideiiient. 
Quelle  rigueur  !  quelle  injustice  î 
Les  Condé,  par  amuseiueut, 
Ont  brûlé  ce  saiut  éditice. 

*  Femme  de  Vezet  de  Saint-Sulpice,  inspecteur  général  de  la 
marine.  Les  chansons  du  temps  lui  donnent  pour  amant  le  che- 
valier de  Bouillon.  D'autres  vers  sur  la  même  aventure  se  li- 
sent dans  les  Mélanges  de  Boisjourdain,  t.  11,  p.  10.  Cette 
anecdote  est  aussi  racontée  dans  le  manuscrit  du  Joiutial  de 
l'avocat  Barbier;  l'éditeur  n'a  pas  cru  pouvoir  la  livrer  à  l'im- 
pression. Diverses  pièces  de  vers  à  l'égard  de  cette  dame  se  pré- 
sentent dans  le  recueil  Maurepas;  nous  nous  abstenons  de  les 
citer.  Voir  aussi  le  Journal  de  Marais,  Revue  rétrospective, 
deuxième  série,  t.  VII,  p.  356,  3C9,  371,  373;  t.  VIII,  p.  69  et 
17  9.  Cet  avocat  traite  de  calomnies  les  récits  qui  circulèrent 
dans  tout  Paris  .  «  L'histoire  de  celte  brûlure,  qu'on  dit  avoir 
été  faite  exprès  par  les  princes,  est  très-fausse  ;  Mn^e  de  Saint- 
Sulpice  a  été  confessée  le  5  mars  et  a  reçu  le  viatique.  »  Elle 
guérit  fort  bien. 

«  Le  duc  de  Bourgogne  accommodoit  un  pétard  sous  le  siège 
de  la  princesse  d'Harcourt,  comme  elle  jouoit  au  piquet.  Comme 
il  alloit  y  mettre  le  feu,  quelque  âme  charitable  l'avisa  que  ce 


308  CORRESPONDANCE 

On  croit  qu'elle  en  mourra,  mais  elle  l'aura  bien 
mérité  ;  car,  en  soupant  avec  le  comte  de  Charolais, 
ill'enivra  complètement,  la  déshabilla,  lui  appliqua 
un  pétard  tout  enflammé  sur  un  endroit  qu'il  ne  faut 
pas  nommer,  en  disant  :  «  11  faut  que  petit  Bichon 
mange  aussi.  )^  Elle  fut  horriblement  brûlée;  il  l'en- 
veloppa dans  un  drap  de  lit  et  la  renvoya  chez  elle 
dans  un  fiacre.  Après  cela,  on  ne  peut  la  plaindre. 

Il  n'est  pas  permis  non-seulement  à  un  duc  et  pair, 
mais  même  à  un  gentilhomme,  de  se  faire  marchand; 
le  duc  de  la  Force  a  été  cause  de  la  ruine  d'une  foule 
de  gens,  car  il  avait  acheté  à  bas  prix ,  et  il  préten- 
dait revendre  si  cher  ' ,  que  tous  les  marchands  ont  été 

pétard  l'est ropieroit,  et  l'empcclia  «(Saint  Simon,  t,  VI,  p.  233). 
Cet  écrivain,  dans  ses  notes  sur  le  Journal  de  Dangeau  (voir 
Lemontey,  Œuvres,  t.  IV,  p.  310) ,  raconte  la  même  anecdote, 
mais  le  nom  de  la  princesse  est  laissé  en  blanc  et  le  duc  n'est 
pas  nommé.  Le  caustique  duc  et  pair  trace  de  la  princesse  un  por- 
trait des  moins  flattés  :  «  Sa  liardie,-sc  à  voler  au  jeu  était  in- 
concevable, et  ce'a  publiquement;  on  l'y  surprenait,  elle  chantait 
pouiUc  et  empochait;  il  n'en  était  jamais  autre  chose.  » 

•  On  peut  lire  à  ce  sujet  de  longs  détails  dans  Saint-Simon, 
ainsi  que  dans  les  Mémoires  de  la  Régence,  par  le  chevalier  de 
Piossens(t.  111,  p.  82-105);  les  chansonniers  de  l'époque  ne 
manquèrent  pas  d'exercer  leur  verve  sur  cette  aiïjire  qui  fit 
{.-rand  bruit.  Voici  un  échantillon  des  vers  qui  circulèrent  alors  : 

Le  duc  de  la  Force, 

Marctiand  de  savon, 

N'aura  que  l'ccoici; 

D'un  assez  grand  nom  ; 
Tout  le  long  do  la  rivière, 

Chez  les  AngustiTis, 
11  fit  pour  les  lavandières, 

Un  grand  magasin. 

Il  a,  sans  roproclic, 
Aussi  pris  le  soin 


DE  MADAME   LA   DUCHKSSE  D'ORLÉANS.  309 

forcés  de  tripler  le  prix  de  leurs  marchandises,  ce  qui 
aurait  amené  une  disette  terrible,  si  la  chose  avait 
duré.  Vous  demanderez  pourquoi  le  duc  seul  est  puni, 
lorsqu'il  y  a  bien  d'autres  seigneurs  qui  ont  agi  comme 
lui  :  la  raison  est  que  les  autres  ont  été  plus  adroits 
que  lui,  et  qu'ils  ont  opéré  en  secret,  de  sorte  qu'on 
ne  peut  les  connaître.  Son  malheur  est  un  châtiment 
de  la  main  de  Dieu,  qui  le  punit  d'avoir  horriblement 
persécuté  les  pauvres  réformés.  On  avait  caché  tout 
cela  à  sa  mère,  mais  il  lui  est  tombé  dans  les  mains 
une  gazette  de  Hollande  où  elle  a  lu  l'histoire  complète 
de  son  fds;  la  pauvre  femme  est  inconsolable,  elle 
est  bien  malheureuse  avec  ses  enfants  ;  tous  deux  sont 

De  fournir  les  coches 

De  fort  bon  \ieu\-oiiig. 
Partout  on  le  trouve  digne 

Que  les  magistrats 
Changent  s)n  manteau  il'herniiiio 

En  tablier  gras. 

On  trouve  dans  le  Journal  de  Barbier  que  le  duc  de  la  Force 
avait  mis  pour  un  million  de  café,  de  chandelle  et  d'eau-de-vie 
dans  de  grandes  chambres  que  les  Âugustins  lui  avaient  louées 
dans  leur  couvent,  et  qu'il  en  avait  rempli  la  bibliothèque.  Une 
caricature  de  l'époque  représente  un  marchand  soulevant  d'une 
seule  main  un  très-gros  ballot  qu'il  va  placer  sur  les  épaules 
d'un  crocheteur;  au-dessous  est  écrit  :  «  Admirez  la  force.  » 
Le  Journal  de  Marais  entre  aussi  dans  bien  des  particularités; 
la  chose  ne  méritait  pas  tant  de  bruit,  et  le  déchaînement  contre 
le  duc  était  inique.  Le  parlement  et  le  public,  irrités  contre 
Law  qui  avait  pris  la  fuite,  s'acharnèrent  contre  un  des  confi- 
dents du  célèbre  Écossais.  On  érigea  en  crime  de  monopole  la 
conversion  faite  très-légitimement  par  le  duc  de  la  Force  de  ses 
billets  de  banque  en  marchandises  d'épicerie.  Ce  procès  causa 
autant  de  bruit  par  la  ridicule  injustice  du  fond  que  par  les  obsta- 
cles dont  les  privilèges  de  la  pairie  embarrassèrent  sa  poursuite. 


310  CORRESPONDANCE 

non-seulement  laids  et  désagréables,  mais  encore  ils 
n'ont  rien  de  noble;  M.  de  Caumont  n'est  pas  non  plus 
en  bonne  réputation  ;  il  vaudrait  bien  mieux  ne  pas 
avoir  d'enfants,  qu'en  avoir  de  ce  genre.  La  princesse 
de  Galles  sait  bien  quelle  répugnance  j'ai  pour  toutes 
les  actions  du  Mississipi  ici,  et  pour  celles  de  la  mer 
du  Sud  en  Angleterre. 

L'envoyé  de  Holstein,  M.  Dumont,  était  éperdument 
épris  de  M™e  de  La  Rochefoucauld,  une  des  dames  du 
palais  de  M"^  de  Berri;  c'est  une  belle  personne,  mais 
qui  n'est  pas  très-spirituelle.  On  la  plaisantait  à  cet 
égard,  en  disant  qu'elle  l'avait  bien  traité  :  «  Oh  non, 
dit-elle,  cela  est  impossible,  mais  je  vous  dis  entière- 
ment impossible;  »  et  comme  on  la  pressait  fort  de 
dire  en  quoi  consistait  cette  impossibilité,  elle  répon- 
dit :  «  Dès  que  je  vous  l'aurai  dit,  vous  verrez  bien  que 
cela  est  impossible;  »  enfin,  pressée  derechef,  elle  dit 
d'un  air  très-sérieux  :  «  Il  est  huguenot.  » 

A   M.    DE   HARLING. 

9  mars  1721. 
Je  sens  bien  que  je  m'approche  du  terme  de  ma 
soixante-dixième  année  ;  et  s'il  me  vient  encore  un 
coup  comme  celui  qui  m'a  si  rudement  frappé  l'an 
dernier,  j'irai  bientôt  apprendre  comment  les  choses 
se  passent  en  l'autre  monde.  Mon  tempérament  est 
resté  fort  bon,  ce  qui  se  montre  bien,  puisque  j'ai  ré- 
sisté à  tout  ce  qui  m'est  arrivé;  mais,  comme  dit  le 
l)roverbe  français  :  «Tant  va  la  cruche  à  l'eau  qu'à  la 
iin  elle  se  casse.  »  Et  c'est  enlin  ce  qui  m'arrivera. 
Mais  ces  pensées  ne  me  troublent  pas,  car  on  sait  bien 


DE  MADAME  LA  DUCHESSE  d'ORLIUNS.  311 

qu'on  ne  vient  en  ce  monde  que  pour  mourir.  Je  ne 
trouve  pas  qu'une  bien  grande  vieillesse  soit  quelque 
chose  d'agréable  ;  on  a  trop  à  souffrir,  et,  sous  le  rap- 
port de  la  souffrance,  je  suis  un  grand  poltron. 

A   LA   COMTESSE    LOUISE. 

15  mars  1721. 

J'ai  appris  non-seulement  la  mort  de  lord  Stanhope, 
qui  m'afflige  à  cause  de  mon  fils  dont  il  était  le  grand 
ami,  mais  encore  celle  de  deux  autres  personnages,  lord 
Kreyts,  qui  était  secrétaire  d'État,  et  le  duc  de  Rut- 
land  ;  ils  sont  morts  de  la  petite  vérole.  Lord  Stan- 
hope est  mort  '  d'une  horrible  orgie  qu'il  a  faite  avec 
quatre  autres  lords;  tous  ont  été  à  la  mort;  deux  ont 
été  sauvés  :  l'un,  parce  que  le  sang  lui  est  sorti  par 
les  oreilles;  l'autre,  parce  qu'une  veine  s'est  rompue 
pendant  qu'il  dormait.  Je  ne  puis  comprendre  quel 
plaisir  on  trouve  dans  des  excès  qui  tiennent  vraiment 
de  la  bête. 

On  s'est  trompé  en  vous  disant  que  la  duchesse  de 
la  Force  n'est  pas  la  mère  de  ce  duc  qui  vit  en  Angle- 
terre :  c'est  elle  positivement.  Je  connais  toute  sa  fa- 
mille; j'ai  connu  son  père,  sa  mère  et  sa  sœur,  qui 
avait  été  fille  d'honneur  auprès  de  M"«  la  Dauphine 
de  Bavière,  et  qui  fut  ensuite  la  maîtresse  du  Dau- 
phin; mais  elle  était  si  débauchée,  si  infidèle,  qu'il  la 
quitta  ;  elle  vit  encore  dans  la  misère  ;  tous,  tant  qu'ils 

'  Jacques,  premier  comte  de  Stanhope,  né  en  1073.  D'après 
divers  historiens,  ce  fut  à  la  suite  d'une  vive  discussion  per- 
sonnelle avec  le  duc  de  Wharton,  dans  la  Chambre  des  Lords, 
que  le  comte  fut  saisi  d'un  mal  de  tête  si  violent,  qu'on  fut 


312  CORRESPONDANCE 

étaient,  ne  valaient  rien.  La  mère  seule  était  une  brave 
et  digne  femme  dont  j'ai  aussi  connu  la  mère  :  c'était 
une  Hollandaise  et  de  très-braves  gens.  Le  comte  de 
Toulouse  a  acheté  une  maison  qu'elle  avait  à  Fontai- 
nebleau, et  qu'on  appelait  la  Rivière.  Elle  avait  en- 
core une  fille  qui  ne  s'est  pas  si  noblement  mariée, 
mais  qui  a  épousé  un  conseiller  au  parlement,  nommé 
M.  Lecoq  '.  n 

Paris,  20  mars  1721, 

J'ai  connu  une  femme  de  bonne  famille  qu'on  appe- 
lait la  Persilie,  et  qui  avait  perdu  la  raison.  Elle  avait 
été  bien  élevée  et  jouait  fort  bien  de  la  guitare  :  lors- 
qu'elle avait  des  accès  de  fureur  et  qu'elle  voidait  tout 
détruire,  on  n'avait  qu'à  lui  donner  sa  guitare  ;  aussi- 
tôt elle  redevenait  calme.  C'était  par  suite  de  chagrin 
que  la  pauvre  femme  était  devenue  folle.  Elle  avait 
éprouvé  d'affreux  malheurs  :  deux  frères  qu'elle  aimait 
tendrement  avaient  été  assassinés  sous  ses  yeux;  son 
mari  l'avait  quittée  pour  s'en  aller  avec  une  drôlesse: 
elle  l'avait  suivi  jusqu'à  Copenhague  ;  il  l'avait  chassée 
en  la  reniant  pour  sa  femme  et  en  la  faisant  passer 
pour  folle.  Tous  ces  malheurs  l'avaient  rendue  telle  en 
elfet,  tant  ils  l'avaient  frappée.  J'avais  une  sincère 
compassion  pour  elle  ;  elle  se  plaisait  beaucoup  avec 

obligé  de  l'emporter  chez  lui  ;  il  fut  saigné  sur-Ic-champ,  mais 
il  expira  le  lendemain.  «  Il  avoit  beaucoup  d'esprit,  de  génie  et 
de  ressource  »  (Saint-Simon). 

•  «  Les  Lecoq,  une  des  plus  vieilles  familles  d'échevinage  h 
«  Paris,  au  temiis  de  la  révolte  des  boucliers,  sous  les  Aniia- 
«  giiacs  »  (Capeligue). 


DE  MADAME   LA   DUCHESSE   d'oRLÉANS.  313 

moi  et  m'appelait  son  aimable;  mais  toutes  les  fois 
qu'elle  venait,  j'avais  constanmient  une  guitare  toute 
prèle.  Elle  éprouvait  de  grands  maux  de  tête,  et  se 
figurait  qu'ils  venaient  de  ce  que  sa  tête  était  devenue 
celle  d'un  veau,  de  sorte  qu'elle  s'écriait  :  «Ah!  que 
cette  tête  de  veau  me  fait  mal  et  me  fait  tant  de  ca- 
quets en  l'air!  »  de  sorte  que  nous  disions  en  façon  de 
proverbe  :  «  Elle  entend  des  caquets  en  l'air  comme  la 
Persilie.  » 

Paris.  22  mars  1721. 

Le  chevalier  d'Hackeberg,  dont  vous  me  parliez, 
doit  être  le  parent  de  l'ancien  précepteur  du  duc  de 
Deux-Ponls,  et  je  ne  sais  s'il  avait  beaucoup  d'agré- 
ment au  service  de  son  élève,  car  le  père  de  ce  duc, 
le  comte  palatin  Adolphe  et  sa  mère  battaient  tous 
les  jours  leurs  gens.  Lorsqu'on  entendait  un  vacarme 
chez  eux,  on  disait  :  «  Oh  !  ce  n'est  rien  d'extraordi- 
naire :  le  duc  Adolphe  court  après  son  maréchal  et  la 
duchesse  après  sa  gouvernante  pour  les  rosser.  » 

24  mars  1721. 

Saint  François  de  Sales ,  qui  a  fondé  l'ordre  des 
filles  de  Sainte-Marie,  avait  été,  dans  sa  jeunesse,  l'ami 
du  maréchal  de  Villeroi,  père  du  maréchal  actuel;  ce 
maréchal  ne  put  jamais  s'habituer  à  lui  donner  le  nom 
de  saint,  et  quand  on  lui  parlait  de  son  ami,  il  disait  : 
«  J'ai  été  ravi  quand  j'ai  vu  M.  de  Sales  un  saint;  il 
aimait  à  dire  des  gravelures  et  trompait  au  jeu.  Le 
meilleur  genlilhommc  du  monde  au  reslc,  mais  le  plus 
sot.  » 

".  2? 


314  CORRESPONDANCE 

Paris,  27  mars  1721. 

Il  n'est  pas  étonnant  que  la  comtesse  d'Hohenlohe 
soit  mécontente  de  sa  fille,  M™^  de  Nassau-Siegen,  et 
qu^elle  l'ait  déshéritée  après  la  vie  qu'elle  a  menée. 
Les  chagrins  détruisent  la  santé,  mais  ceux  que  nous 
donnent  nos  enfants  sont  les  plus  sensibles  de  tous,  et 
ils  nous  font  un  mal  affreux;  je  pourrais  en  dire  quel- 
que chose. 

Paris,  29  mars  1721. 

Hier  matin  est  arrivé  un  courrier  annonçant  que  le 
pape  est  mort  le  19  de  ce  mois  '  ;  cela  contrarie  beau- 
coup nos  cardinaux,  parce  qu'il  faut  qu'ils  aillent  à 
Rome  afin  d'élire  un  nouveau  pape.  Ce  voyage  leur 
coûte  fort  cher,  et  les  éloigne  de  Paris  dont  le  séjour 
leur  convient;  mais  pourquoi  tous  les  prélats  veu- 
lent-ils être  cardinaux  et  se  désolent-ils  ensuite  lors- 
qu'il faut  aller  à  Rome? 

Le  chevalier  Schaub  est  arrivé  ici  il  y  a  huit  jours. 
Ce  n'est  point  un  Anglais,  mais  bien  un  bon  Suisse  de 
Bàle;  il  est  habitué  aux  grandes  affaires;  il  a  beau- 
coup de  capacité,  et  c'est  d'ailleurs  un  homme  fort 
estimable.  Je  lui  parle  toujours  en  allemand,  langue 
dans  laquelle  il  s'exprime  volontiers;  il  a  avec  lui 
pour  secrétaire  un  autre  Bùlois,  mais  celui-là  est  bien 
moins  intelligent;  il  lui  est  arrivé  une  chose  étrange. 
Le  frère  de  M.  Iltcn,  qui  est  en  Angleterre,  lui  avait 
confié  250  guinées  avec  une  lettre  pour  remettre  à 

*  CU-ment  XI  ;  il  cul  pour  successeur  Innocent  XIII. 


DE  MADAME   LA   DUCHESSE   d'oRLÉANS.  315 

son  frère.  A  son  arrivée,  le  secrétaire  s'informe  à 
l'ambassade  anglaise  où  demeurait  M.  Ilten;  on  lui 
indique  l'adresse  et  on  ajoute  qu'il  loge  au  second 
étage;  il  y  va  et  demande  M.  Ilten  ;  un  individu  vient 
et  dit  :  «  C'est  moi ,  que  voulez-vous  ?  »  Le  secrétaire 
répond  tout  bonnement  qu'il  est  cliargé  de  lui  re- 
mettre une  lettre  et  de  l'argent;  l'homme  prend  le 
tout  et  demande  au  secrétaire  s'il  ne  veut  pas  lui  faire 
l'honneur  de  souper  avec  lui;  le  secrétaire  accepte, 
et  bientôt  il  se  trouve  tout  endormi,  car  on  avait  mis 
de  l'opium  dans  ce  qu'on  lui  avait  donné  à  boire;  le 
prétendu  Ilten  lui  dit  alors  :  «  Vous  êtes  trop  fatigué 
pour  retourner  chez  vous;  il  y  a  ici  un  bon  lit;  dor- 
mez une  couple  d'heures  et  puis  vous  vous  retirerez; 
je  vais  serrer  ce  que  vous  avez  sur  vous.  »  Il  avait 
cinquante  guinées  dans  sa  poche  et  deux  montres, 
l'une  d'or,  et  l'autre  d'argent.  M.  Schaub  était  extrê- 
mement inquiet  de  ne  pas  voir  revenir  son  secrétaire; 
il  craignait  qu'on  ne  l'eût  assassiné,  mais  ce  secré- 
taire avait  pour  domestique  un  nègre,  qui  lui  était  ex- 
trêmement attaché  et  qui  savait  qu'il  avait  été  chez 
M.  Ilten;  il  s'y  rend  et  demande  ce  qu'est  devenu  son 
maître.  On  lui  répond  qu'il  s'est  mis  au  lit  et  qu'il 
dort  depuis  plusieurs  heures.  Le  nègre  va  le  trouver 
et  l'éveille;  ses  habits  avaient  été  mis  dans  un  coin, 
mais  il  n'y  avait  plus  rien  de  ce  qu'ils  contenaient  de 
précieux.  On  cherche  le  cavalier  qui  logeait  dans  la 
maison ,  mais ,  sitôt  que  le  secrétaire  avait  été  cou- 
ché, il  avait  disparu,  emportant  les  trois  cents  guinées 
et  les  deux  montres.  On  va  chez  l'ambassadeur  an- 
glais, qui  se  doute  aussitôt  de  la  fraude,  et  il  demande 


316  CORRESPONDANCE 

comment  était  l'individu  qui  s'était  fait  passer  pour 
M.  Ilten.  —  «  C'est  un  petit  homme  brun  et  d'une 
figure  agréable.  »  —  Ce  filou  est  un  Anglais,  qui  était 
tous  les  jours  auprès  de  l'ambassadeur  et  qui  devait 
l'accompagner  à  Cambrai;  il  se  nomme  Day;  son  tour 
est  ingénieux,  mais  c'est  l'œuvre  d'un  escroc  fini. 

3  avril  1721. 

Manheim  est  un  endroit  chaud;  je  me  souviens 
qu'une  fois,  nous  y  soupàmes  la  nuit  du  l^'"  mai;  tout 
était  vert;  il  vint  un  orage  tellement  violent,  qu'on 
eût  dit  que  le  ciel  et  la  terre  allaient  s'abîmer;  ma 
mère  avait  grand'peur,  mais  cependant  elle  ne  pou- 
vait s'empêcher  de  rire  en  voyant  les  grimaces  hor- 
ribles que  la  frayeur  arrachait  à  mon  gouverneur 
ColLin  ;  je  fus  au  point  de  me  rendre  malade,  à  force 
de  rire. 

Le  luxe  et  le  gros  jeu  '  qui  régnent  ici  sont  la  cause 

'  Une  foule  d'exemples  aUcàtent  la  fureur  du  jeu  qui  sévis- 
sait à  la  cour  de  Louis  XIV,  et  le  peu  de  loyauté  qui  se  mon- 
trait parfuis.  M.  L.  de  I.aliorde,  Palais-Mazaiin,  p.  233,  en  a 
cité  quolc|ucs  traits.  Fouquet,  dans  une  partie  avec  Gourville, 
perdit  cinquante-cinq  mille  livres  en  une  demi-heure;  un  altbé 
de  (Jordès,  en  1000,  perdit  avec  le  roi  cent  cinquante  mille  li- 
vres en  une  seule  séance  (  il  faut  doubler  ces  sommes  pour  avoir 
le  montant  de  ces  pertes  en  valeur  actuelle).  Gui-Patin  (lettre 
du  0  mars  1050}  dit  que  M.  de  Garguat,  intendant  des  fi- 
nances, est  mort  de  regret  d'avoir  perdu  tout  d'un  coup  un 
million  au  jeu.  Des  femmes  d'un  rang  élevé,  la  marécliale  d'Ks- 
trades  entre  autres,  tenaient  chez  elles  un  jeu  public  (Uepping, 
Correspondance  administrative  sous  Louis  A/l  ).  N'ius  lisons 
dans  le  Journal  de  Marais  (août  1722;  :  «  La  comtesse  de  Li- 
vry  a  gagné  trois  cent  mille  livres  au  vicomte  de  Turcnne,  en 


DE   MADAME    l\   Ul'CMESSE    U  ORLÉANS.  317 

de  bien  des  mines;  la  débauche  y  contribue  de  son 
côté,  car  les  maîtresses  et  les  favorites  veulent  être 
payées,  et  cela  absorbe  de  grosses  sommes.  La  Saint- 
Sulpice  n'est  pas  morte,  mais  elle  restera  estropiée 
toute  sa  vie;  on  espère  qu'elle  se  convertira.  Les 
princes  de  la  maison  de  Condé  ont  perdu  leur  père 
étant  jeunes  ;  leur  mère  n'a  jamais  songé  à  l'éducation 
de  ses  enfants;  elle  n'a  pensé  qu'à  s'amuser,  à  jouer 
jusqu'à  cinq  heures  du  matin,  à  beaucoup  manger,  à 
aller  au  spectacle;  elle  n'a  jamais  eu  l'idée  de  veiller  à 
leur  instruction,  mais  ils  se  chargent  de  l'en  punir,  car 
im  jour  qu'elle  grondait  le  comte  de  Charolais  sur  sa 
vie  déréglée,  il  lui  répondit  :  «  Il  faut  que  le  jeune 
Lassay  '  n'ait  pas  bien  fait  son  devoir  cette  nuit,  puis- 


jouant  avec  lui  tcte-à-tcte  au  pharaon.  «  Même  fureur  à  la  cour 
d'Analeterre.  Charles  II  tenait  lui-nicrae  le  cornet,  et,  sous 
George  I^r,  une  dame  perdit  en  une  fois  trois  mille  guinéesau  loo. 
'  Armand  Jladaillan  de  Lcsparre,  marquis  de  Lass;iy.  Sur 
son  compte  et  sur  l'hôtel  qu'il  fit  hàtir,  et  qui  est  devenu  le 
palais  de  la  présidence  de  la  Chambre  des  députes,  de  l'Assem- 
blée nationale  et  du  Corps  iéuislatif,  on  peut  consulter  un  pi- 
quant article  de  M.  Paulin  Paris,  inséré  dans  le  Moniteur,  et 
reproduit,  un  peu  modifié,  dans  le  Bulletin  du  Bibliophile 
(Paris,  Tcchcncr,  1848,  p.  719).  La  vie  du  marquis  de  Lassay 
fut  semée  d'aventures  assez  romanesques  pour  former  la  ma- 
tière d'un  roman  très-invraisemblable.  Il  fut  marié  pour  le  moins 
trois  fois  en  bonne  forme,  et  dans  l'intervalle  de  la  mort  de  ses 
femmes ,  il  ne  tint  pus  à  lui  d'être  remarié  trois  autres  fois. 
Urave,  intelligent,  spirituel,  il  mourut  à  quatre-vingt-sept  ans, 
sans  avoir  été  mis  à  l'épreuve  des  alfaircs,  et,  comme  il  l'a  dit 
assez  heureusement,  sans  avoir  déballé  sa  marchandise.  Il  servit 
avec  distinction  dans  l'armée  de  l'empereur  contre  les  Turcs  ; 
il  voyagea  ensuite  en  Italie,  et  il  rencontra  à  Rome  la  prin- 
cesse de  Hanovre,  femme  de  George  I*""",  depuis  roi  d'Angleterre  ; 

36. 


318  CORRESPONDANCE 

que  vous  êtes  de  si  mauvaise  humeur  ;  si  vous  nous 
donniez  de  meilleurs  exemples,  nous  vivrions  mieux.» 
N'est-ce  pas  affreux  qu'un  fils  parle  ainsi  à  sa  mère , 
mais  elle  l'a  bien  mérité  '. 

Je  craignais  que  le  margrave  de  Dourlach  ne  fût 
devenu  tout  à  fait  fou.  J'avais  déjà  entendu  parler  de 


il  obtint  dans  le  cœur  très-sensible  de  cette  femme  la  place  qu'y 
devait  plus  tard  occuper  le  malheureux  Koenigsmarck,  mais  on 
découvrit  leur  intimité,  et  il  eut  le  bon  esprit  de  s'éloigner  à 
temps.  11  passa  ses  dernières  années  dans  son  château  de  Lassay, 
dans  le  Maine,  ety  fit  imprimer  sous  ses  yeux,  de  1730  à  1738, 
trois  volumes  in-8,  intitulés  :  Recueil  de  différentes  choses. 
Au  milieu  de  beaucoup  de  bagatelles  et  de  détails  insiguiûants, 
ce  recueil  renferme  quelques  morceaux  curieux ,  tels  qu'une 
lettre  contre  Mnie  de  La  Fayette  adressée  à  M^ie  de  Maintenon, 
et  des  lettres  sur  la  campagne  de  Hongrie.  Cette  édition  origi- 
nale est  fort  rare,  il  en  existe  quelques  exemplaires  avec  des 
cartons  et  des  additions  manuscrites  (  voir  les  catalogues  Pixc- 
récourt,  1838,  n»  1635,  et  Aimé-Martin,  1847,  n°  910).  Une 
réimpression  donnée  par  l'abbé  Pérau,  Lausanne  (  Paris),  1767, 
4  vol.  in-12,  est  incomplète  (voir  l'Année  littéraire,  1767, 
t.  1").  M.  Sainte-Beuve  a  consacré  à  Lassay  une  notice  intéres- 
sante {Causeries  du  hindi ,  t.  IX). 

'  C'était  Louise-Françoise,  dite  Mademoiselle  de  Nantes, 
fille  de  Louis  XIV  et  de  M^ede  Montespan.  Ou  l'avait  mariée 
à  peine  à^iée  de  onze  ans,  à  Louis  III,  Monsieur  le  Duc.  «A 
trente-six  ans  elle  était,  sans  trop  de  regrets,  demeurée  veuve, 
nmitresse  d'ellc-ménic  et  de  revenus  énormes  que  les  tripotages 
du  fameux  système  venaient  encore  d'augmenter.  Elle  était 
vive,  enjouée,  désordonnée  ;  elle  avait  le  parler  leste,  la  riposte 
ci'uellc;  elle  se  mêlait  de  faire  des  couplets.  Cette  àme,  si  su- 
]/érieure  aux  séductions  de  l'amour,  finit  pourtant  par  être  sub- 
juguée; le  marquis  de  Lassay  trouva  le  secret  de  gouverner 
celte  imagination  capricieuse.  »  C'est  par  dérision  que  le  comte 
de  Cliarolais  donnait  à  Lassay  l'épilhèle  de  jeune;  en  1720,  lo 
marquis  avait  soixante-sept  ans  (voir  l'article  (juc  lui  a  cou- 


DE    MADAME    LA   DUCHESSE   D'ORLÉAN'S.  319 

son  sérail  '  ;  il  n'est  jamais  venu  en  France ,  mais  son 
fils  y  est  venu  ;  celui-là  n'avait  pas  de  barbe  et  avait 
l'air  d'une  jeune  fille;  on  le  disait  hors  d'état  de  se 
marier,  mais  il  a  prouvé  que  cela  n'était  pas,  puisqu'il 
a  eu  un  fils.  Fouetter  ses  maîtresses  et  les  battre  à 
coups  de  verge  est  un  raffinement  de  débauche  dont 
il  y  a  de  nombreux  exemples. 

Les  débauchés  contractent  trop  l'habitude  de  l'in- 
conduite  pour  pouvoir  se  corriger;  la  violence  du 
tempérament  et  la  force  de  l'usage  continuent  de  les 
maîtriser  ;  ils  regardent  la  vertu  comme  une  niai- 
serie et  ils  ne  voient  pas  qu'ils  s'assurent  dans  ce 
monde  le  mépris  général ,  et  dans  l'autre  la  damna- 
tion éternelle. 

Paris,  12  avril  1721. 

Je  ne  suis  les  modes  que  de  loin,  et  il  en  est  que  je 
mets  tout  à  fait  de  côté,  comme  les  paniers  que  je  ne 
porte  pas,  et  les  robes  ballantes,  que  je  ne  puis  souf- 

sacréM.  WeL-sdans  \<i.  Biographie  universelle,  t.XXlll.p.  412). 
Les  recueils  manuscrits  renferment  divers  couplets  dirigés  contre 
la  duchesse,  nous  n'en  transcrivons  qu'un  seul  : 

La  Bourbon  dans  son  boucan 
Etale  sa  marchandise; 
Des  vieux  bijoux  qu'elle  prise 
Elle  veut  faire  un  encan, 
Mais  à  ce  bel  inventaire 
Personne  n'est  empressé, 
Et  pour  adjudicataire 
On  n'v  trouve  que  Lassay. 

*  Le  comte  de  Clcrmont  s'était  formé  une  espèce  de  sérail  à 
Paris  (voir  les  Mémoires  de  Richelieu,  noo,  t.  VI,  deuxième  par- 
tie, p.  18). 


320  CORRESPONDANCE 

frir  et  que  je  n'admets  pas  en  ma  présence  ;  il  me 
semble  que  c'est  une  indécence  '  ;  on  a  l'air  de  sortir 
du  lit.  11  n'y  a  ici  aucune  règle  pour  les  modes.  Les 
tailleurs,  les  faiseuses  de  robes  et  les  coiffeurs  les  in- 
ventent à  leur  gré;  je  n'ai  jamais  suivi  à  l'excès  la 
mode  des  hautes  coilfurcs. 

Je  ne  sais  ce  que  vous  voulez  dire  au  sujet  de  vos 
voisines  les  cigognes,  qui  ne  laissent  passer  aucune 
année  sans  venir.  On  n'en  voit  pas  en  France,  je 
vous  prie  de  me  dire  si  on  en  voit  en  Angleterre, 
car  on  prétend  qu'elles  ne  séjournent  dans  aucun 
royaume. 

Nous  avons  appris  la  mort  de  la  reine  de  Dane- 
mark -  ;  demain  je  prendrai  le  deuil ,  mais  je  ne  le 
porterai  qu'un  mois.  On  dit  que  le  roi  a  été  très-ému 
et  qu'il  a  perdu  connaissance  après  que  la  reine  lui 
eût  parlé,  mais  cet  attendrissement  vient  un  peu  trop 
tard.  Il  est  possible  que  la  pauvre  reine  ait  eu  sujet 

^  «  C'est  M'ne  de  Montcspan  qui  a  inventé  les  robes  bal- 
«  lantes,  pour  cacher  sa  grossesse,  parce  qu'on  ne  peut  distin- 
«  gner  la  taille  sous  ces  rohes;  mais  lorsqu'elle  les  mettait, 
o  c'était  précisément  comme  si  clic  eût  écrit  au  front  qu'elle 
«  était  grosse;  en  elfet,  tout  le  monde  à  la  cour  disait  :  M'nedc 
«  Montespan  met  sa  robe  ballante,  donc  elle  est  grosse.  » 

*  Louise  de  Meckleuibourg,  épouse  de  Frédéric  iV.  Le  roi 
épousa  la  même  année  Anne-Sopbie,  fille  du  grand  chancelier, 
comte  de  Rewentlau,  à  laquelle  il  était  attaché  depuis  long- 
temps, et  qu'il  avait  créée,  dés  1711,  comtesse  de  Slcswig.  Il 
ne  lui  accorda  d'abord  que  le  titre  d'altesse  royale,  mais  bien- 
tôt il  la  couronna  lui-même  sans  employer  le  ministère  d'aucun 
ecclésiastique,  et  il  fit  avec  elle  une  entrée  pompeuse  dans  la 
capitale.  Il  mourut  en  1730,  n'ayant  poiat  eu  d'enfants  de  sa 
seconde  fcniuic. 


DE    MADAME   LA    DUCIIKSSK    d'oULÉAXS.  321 

d'être  jalouse  de  son  mari  ;  h  sa  place,  j'eusse  été  fort 
satisfaite  s'il  eût  consenti  à  me  laisser  tranquille;  il 
était  impossible  qu'elle  l'aimât  beaucoup;  il  était  trop 
laid  et  trop  sot.  Je  le  vois  encore  lorsqu'il  dansait  à 
Versailles  avec  ma  fdle;  il  ne  savait  ce  qu'il  faisait;  il 
resta  au  milieu  de  la  salle,  regardant  le  ciel,  tournant 
la  bouche  et  les  yeux  ;  le  roi  me  dit  :  «  Allez  au  se- 
cours de  votre  pauvre  neveu ,  il  ne  sait  plus  où  il  en 
est.  »  J'allai  le  chercher  et  je  le  ramenai  à  sa  place; 
j'avais  honte  de  lui. 

Pari?,  23  avril  1721. 

Il  est  arrivé  au  prince  de  Hesse  une  chose  désa- 
gréable ,  qu'il  aurait  pu  éviter  s'il  avait  pris  la  peine 
de  me  dire  ce  qu'il  voulait  entreprendre  ;  je  lui  aurais 
donné  conseil  sur  ce  qu'il  devait  faire,  mais,  au  lieu 
de  me  dire  un  seul  mot,  il  va  à  la  chapelle  et  il  entre 
durant  la  messe;  il  reste  debout  au  moment  où  le 
monde  s'agenouille;  les  gardes  lui  disent  de  se  mettre 
à  genoux,  il  s'y  refuse  ;  les  gardes  le  prennent  au 
collet;  le  maréchal  de  Villeroy  s'en  mêle  et  il  lui 
ordonne  de  s'en  aller;  tous  ces  désagréments  ne  se- 
raient pas  survenus  s'il  avait  daigné  me  consulter; 
j'aurais  pu  le  mener  dans  une  tribune;  mais,  lors- 
qu'on ne  veut  agir  qu'à  sa  tête,  on  finit  par  s'en  trou- 
ver mal .  Je  crois  qu'il  se  repentira  bien  avec  le  temps 
de  n'avoir  pas  écouté  mes  avis  ' . 

Paris,  26  avril  1721. 
Tout  ce  qu'on  lit  dans  la  lîible  sur  les  excès  que 
*  Marais  dans  son  Journal  raconte  le  même  trait. 


322  CORRESPONDANCE 

punit  le  déluge,  el  sur  les  débordements  de  Sodome 
et  de  Gomorrhe,  n'approche  pas  de  la  vie  qu'on  mène 
à  Paris  '.  Sur  neuf  jeunes  gens  de  qualité  qui  dînaient 
l'autre  jour  avec  mon  petit-fds  le  duc  de  Chartres,  il 
y  en  avait  sept  qui  avaient  le  mal  français  ;  n'est-ce 
pas  une  chose  horrible?  La  plupart  des  gens  ici  ne 
s'occupent  que  de  leurs  plaisirs  et  de  leurs  débau- 
ches ;  hors  de  cela  ils  ne  veulent  rien  savoir  ni  rien 
écouter;  ils  ne  croient  pas  à  la  vie  future  et  ils  s'ima- 
ginent que  tout  finit  avec  la  mort. 

Paris,  3  mai  1721. 

Je  suis  toute  Allemande  pour  ce  qui  regarde  le  boire 
et  le  manger,  et  je  l'ai  été  toute  ma  vie.  On  ne  peut 
pas  faire  ici  de  bonnes  fritures  ;  le  lait  et  le  beurre  ne 
sont  pas  aussi  bons  que  chez  nous  ;  ils  n'ont  pas  de 
saveur  et  sont  comme  de  l'eau  ;  les  choux  ne  sont  pas 
bons  non  plus,  car  la  terre  n'est  pas  grasse ,  mais  lé- 
gère et  sablonneuse ,  de  sorte  que  les  légumes  n'ont 

'  Voici  sur  ce  point  délicat  une  appréciation  de  M.  Paulin 
Paris  qui  nous  semble  fort  exacte  :  «  Il  me  semble  qu'on  se 
'<  trompe  en  faisant  dater  les  mauvaises  mœurs  et  les  disposi- 
«  lions  irréligieuses  de  la  mort  de  Louis  XIV.  11  serait  plus  juste 
«  d'avancer  que  les  vices  de  tout  genre  funnt  plus  nouibrcux, 
«  plus  énormes  dans  les  vingt  dernières  années  du  grand  règne. 
«  La  raison  en  est  facile  à  saisir;  quand  le  duc  d'Orléans  prit 
«  en  main  la  conduite  de  l'État ,  ses  roués  comuicuçuient  à 
«  vieillir;  en  1C9C,  ils  étaient  jeunes  et  leur  impalience  de 
«  toute  espèce  de  répression  trouv;iit  dans  les  princes  du  sang, 
o  les  Orléans,  les  Conti,  les  Vendôme,  autant  d'illustres  paraton- 
u  nerrcs,  comme  on  dirait  aujourd'hui.  A  la  mort  de  Louis  XIV, 
«.  le  désordre  moral,  déjà  mailre  de  Paris  et  de  la  plupart  des 
u  (  lialcauv  de  France,  rentra  dans  Versailles  on  triomphe.  » 


DE  MADAME   LA  DUCHESSE  D'ORLÉANS.  323 

pas  de  force,  et  que  le  bétail  ne  peut  donner  de  bon 
lait.  Mon  Dieu  !  que  je  voudrais  pouvoir  manger  les 
plats  que  vous  fait  votre  cuisinière  !  ils  seraient  plus 
de  mon  goût  que  tout  ce  que  m'apprête  mon  maitrc 
d'hôtel'. 

On  dit  à  Paris  que  la  maladie  de  M™»  de  Schleunilz 
vient  du  chagrin  qu'elle  éprouve  d'avoir  tout  perdu 
sur  les  actions  du  Mississipi ,  tandis  qu'elle  espérait  y 
gagner  beaucoup'.  J'avoue  que  je  n'ai  pas  le  cœur 

*  On  trouve  quelques  détails  sur  la  table  de  Madame  dans  l'ou- 
vrage de  M.  Monteil  {Matériaux  hicdils  pour  l'histoire,  1838, 
t.  I,  p.  138)  ;  il  s'agit  du  compte  des  dépenses  de  la  Duchesse 
en  1693;  tout  est  fixé,  compté,  pesé,  apprécié  : 

Disné  :  un  potage  d'un  chapon  et  un  jarret  de  veau,  x  livres 
IX  sols  ; 

Un  potage  de  deux  poulets  au  veimiehel,  xx  sols  ; 

Un  autre  potage  d'un  canard  aux  choux,  xxiv  sols. 

■■'  Les  établi.^sements  qu'on  devait  former  au  Mississipi  et  sur 
lesquels  ou  comptait  réaliser  de  grands  bénéfices  furent,  avec 
raison,  l'objet  des  railleries  de  l'époque  j  les  recueils  manuscrits 
renferment  bien  des  pièces  de  vers,  assez  plats  en  général,  à  ce 
sujet.  Nous  en  citerons  peu  de  chose  : 

Pour  policer  ce  grand  pays 
On  va  faire  bien  des  édits. 
On  en  défera  bien  aussi. 
Pour  premier  établissement, 
Envoyons-y  le  parlement 
Qui  ne  sert  de  rien  à  Paris. 

Mississipi  n'est  pas  habité, 
11  sera  bientôt  fréquenté. 
Peut-être  dans  cent  ans  et  plus. 

Des  filles  on  y  envcrrii, 

Et  d'abord  on  les  mariera, 
t  . 

Si  rou  trouve  des  maris. 

Les  mines  on  y  fouillera. 


324  CORRESPONDANCE 

assez  compatissant  pour  m'affliger  de  pareilles  intor- 
lunes  ;  au  contraire ,  je  serais  tentée  d'en  rire  :  la 
pauvre  dame  est  horriblement  laide  ;  je  ne  puis  com- 
prendre qu'elle  ait  pu  trouver  deux  amoureux  l'un 
après  l'autre,  car,  avec  ses  longues  dents,  elle  res- 
semble à  un  cheval  qui  veut  mordre.  Je  m'étonne 
qu'elle  ne  m'ait  pas  parlé  de  vous. 

8  mai  1721. 

11  est  impossible  d'avoir  plus  d'impertinence  que 
M""  de  Langallerie  ;  je  ne  puis  la  souffrir,  et  je  regar- 

Car,  sans  doute,  on  en  trouvera, 
Si  la  nature  en  a  mis. 

Nos  billets  vont  êtrj  payés, 
Car  les  fonds  en  sont  assurés 
Sur  l'or  qu'elles  auront  produit. 

La  compagnie  (lu  Mississipi  partageait  elle-même  les  étranges 
illusions  qu'elle  cherchait  à  propager;  elle  dépensa  beaucoup 
d'argent  pour  la  recherche  d'un  prétendu  rocher  d'énieraude. 

Un  des  chansonniers  de  l'époque  donnait  au  Régent  le  conseil 
que  voici  : 

Si  tu  veux  réformer  l'Etat, 
yuc  l'on  pende  Law  et  Noailles, 
Auï  flatteurs  donne  éclicc  et  mat, 
Ue  la  cour  chasse  la  canaille, 
El  qu'on  enlève  la  Berri 
Pour  peupler  le  Mississipi. 

Dans  un  poëme  sans  nul  mérite,  intitulé  :  Système  des  bil- 
lets de  /Jft/iywe,  Amsterdam,  1"  17,  les  pays  dont  les  agents  du 
gouverucinent  traçaient  un  tableau  llattour,  sont  représentés 
cunune  un  assemblage 

Di'  spacieux  déserts  et  de  plaines  arides, 

Redoutable  séjour  des  sauvages  prrlîdcs,  • 

Cfiii,  tenant  de  la  brute  un  goût  du:it  je  frémis, 

Aluugcnt  avec  plaisir  lu  chair  d'un  cnuenii. 


DR   MADAME    I.A    niT.HF.SSF.   I>'nRM'ANS.  325 

dorais  mon  cousin  le  landgrave  comme  fort  heureux 
s'il  pouvait  se  débarrasser  de  celte  folle;  ce  n'est  au 
f.iit  qu'une  campagnarde  imbécile  qui  ne  sait  nulle- 
ment vivre,  mais  qui  se  met  h  rire  sans  savoir  ce  qu'elle 
dit,  et,  lorsqu'elle  a  dit  cent  sottises,  elle  est  tout 
étonnée  de  ce  qu'on  ne  l'admire  pas;  elle  ne  doit 
m'avoir  aucune  obligation  de  ne  pas  l'avoir  chassée 
de  ma  chambre,  mais  je  n'ai  pas  voulu  tracasser  mon 
cousin  le  landgrave  au  sujet  de  son  cher  objet  ;  car, 
lorsqu'on  a  été  attaché  à  quelqu'un  comme  il  l'a  été 
à  celte  folle,  on  éprouve  une  peine  violente  en  le 
voyant  maltraiter. 

Il  parait  que  les  choses  continuent  d'aller  étrange- 
ment à  Modène,  et  je  m'attends  à  ce  qu'un  jour  la 
princesse  revienne  en  France  ' . 

Je  ne  regarde  pas  du  tout  comme  un  malheur  pour 
la  princesse  Anne  de  ne  pas  épouser  le  roi  de  Dane- 
mark, et  il  pourrait  bien  dire  comme  le  chevalier 
à  la  mode  :  «  Celle  qui  ne  m'aura  point  ne  sera  pas 
la  plus  malheureuse.  »  Non-seulement  il  n'est  pas  bien 
fait  du  tout  et  il  est  très-laid  de  visage ,  mais  il  est 
encore  désagréable  dans  toutes  ses  façons.  Son  envoyé, 
M.  de  Warnick,  assure  qu'il  ne  fera  point  reine  sa  prin- 

*  La  princesse  de  Modène  revint  en  effet,  mais  bien  après  la 
mort  de  Madame,  en  1734  ;  elle  fut  mal  accueillie  de  sa  famille. 
Voici,  à  cet  égard,  un  des  couplets  de  l'époque  : 

Que  la  grosse  princesse  Églé 

Traîne  sa  pesante  figure, 

Qu'elle  ait  parents  malenconlré  .  ' 

Et  vive  ici  à  l'aventure. 

Ah  !  le  voilà  et  le  voici 

Celui  qui  n'en  a  nul  souoil 

il.  21 


3â6  CORRESPONDANCE 

cesse  de  Schleswig  ;  mais  on  voit  bien  comment  pa- 
reilles créatures  mènent  partout  leurs  maîtres  et  elles 
en  font  tout  ce  qu'elles  veulent  ;  il  est  donc  difficile 
de  croire  qu'elle  ne  sera  pas  reine.  Ce  que  je  trouve 
de  plus  affreux  chez  ce  roi,  c'est  sa  fausseté  ;  car  il  fait 
comme  s'il  était  accablé  de  chagrin  par  suite  de  la 
mort  de  sa  femme,  et,  trois  jours  après,  il  se  livre  à 
des  liaisons  très-peu  morales  :  c'est  ce  qui  me  semble 
horrible.  Dieu  veuille  que  le  prince  héréditaire  soit 
l>lus  raisonnable  et  plus  sensé  que  son  père;  notre 
princesse  Anne  échappera  ainsi  au  malheur,  qui  est 
ordinairement  le  |)arluge  des  reines,  et  elle  peut  chan- 
ter comme  dans  l'opéra  de  Tliésén  : 

Ce  n'est  point  dans  le  rang  suprême 
Qu'on  trouve  les  plus  doux  appas, 
Et  souvent  un  bonheur  extrême 
Est  plus  sûr  dans  un  rang  plus  bas. 

La  sœur  du  roi  a  fait  une  chose  héroïque  et  belle 
en  se  retirant  de  la  cour  et  en  écrivant  à  son  frère  une 
lettre  aussi  ferme  :  si  elle  soutient  ce  qu'elle  a  com- 
mencé, elle  s'attirera  des  louanges  unanimes.  On  m'a 
(lit  que  ce  roi  a  si  mal  vécu  avec  sa  mère  que  cela  a 
été  une  des  causes  de  la  mort  de  cette  pauvre  femme. 
Si  c'est  vrai,  il  ne  saurait  plus,  de  toute  sa  vie,  goûter 
aucun  bonheur.  M."^^  de  Maintenon  disait  parfois  : 
«  Depuis  quelques  années  il  règne  un  esprit  de  vertige 
(pii  se  répand  partout,  »  et  en  cela  elle  avait  bien 
raison. 

Le  margrave  de  Bayreuth  et  sa  femme  sont  aussi 
un  singidier  coiqjlc;  l'ciSj^it  de  vertige  règne  égale- 
nit  iil  dans  celte  cour  avec  toute  sa  force;  il  est  aisé 


■  DE   MADAME   LA   DUCHESSE   d'oRLÉANS.  327 

de  croire  qu'il  n'y  a  que  misère  dans  un  État  où  il  n'y 
a  ni  droit  ni  justice,  et  où  le  maître  n'agit  que  d'après 
SCS  passions  et  ses  caprices.  On  peut  dire  que  ce  sont 
des  fous  accomplis  et  qu'ils  ne  savent  ce  qu'ils  font. 

Pari?.  12  juin  1721. 

Ma  fille  s'est  fait  mal  au  pied  et  elle  a  eu  beaucoup 
à  soufliir  ;  il  est  venu  un  gros  abcès  qui  a  crevé  et  qui 
a  donné  beaucoup  de  matière  ;  j'ai  reçu  une  lettre 
d'elle;  elle  a  horriblement  souffert,  car  il  a  fallu  lui 
faire  une  opération  très-douloureuse.  La  pauvre  femme 
vit  dans  des  peines  continuelles,  car  il  ne  peut  lui 
convenir  de  voir  une  de  ses  dames  être  plus  aimée 
qu'elle,  et  avoir  plus  de  considération  et  d'égards.  Le 
mari  de  cette  femme  est  le  plus  coquin  qu'il  y  ait  au 
monde;  il  ruine  entièrement  le  duc  de  Lorraine.  Ma 
fille  chérit  ses  enfants  et  ne  peut  se  faire  à  l'idée  de 
les  voir  ruinés  par  ces  misérables  Craon  ;  elle  est  bien 
malheureuse ,  et  je  la  plains  de  tout  mon  cœur. 

Je  sais  bien  qu'on  paye  le  port  des  lettres  qu'on 
reçoit  de  la  poste  ;  mais  payer  pour  celles  que  l'on  met 
à  la  poste,  c'est  quelque  chose  de  neuf,  et  dont  je 
n'avais  pas  entendu  parler  de  toute  ma  vie. 

14  juin  1721. 

Feu  la  duchesse  de  Nemours  avait,  par  charité,  élevé 
une  petite  fdle  pauvre,  et  celle-ci,  étant  âgée  de  neuf 
ans  environ,  dit  à  la  duchesse  :  «  Madame,  on  ne  peut 
avoir  plus  de  reconnaissance  de  vos  chantés  que  moi. 
Je  ne  puis  mieux  les  reconnaître  qu'en  disant  à  tout  le 


328  CORRESPONUANCE 

inonde  «lue  je  suis  votre  fille;  mais  ne  vous  fâchez  pas, 
je  ne  dis  point  que  je  suis  votre  fille  légitime  ;  je  dis 
seulement  que  je  suis  votre  bâtarde.  » 

Paris,  19  juin  1721. 

L'abbé  Dubois  m'a  fait  dire  qu'il  ne  se  mêlait  nul- 
lement de  la  poste,  et  qu'elle  regardait  exclusivement 
M.  de  Torcy  ;  mais  ils  sont  tous  deux  des  œufs  pourris 
et  du  beurre  gâté  '  ;  ils  ne  valent  pas  mieux  l'un  que 
l'autre,  et  ils  seraient  tous  deux  mieux  à  leur  place  à 
la  potence  qu'à  la  cour,  car  ils  ne  valent  pas  le  diable, 
et  ils  sont  plus  faux  que  le  bois  du  gibet,  comme  dit 
Lenore  ^  S'il  a  la  curiosité  de  lire  cette  lettre,  il  verra 
l'éloge  que  je  fais  de  lui,  et  il  reconnaîtra  la  vérité  de 
notre  proverbe  allemand  :  «  Celui  qui  écoute  aux  portes 
entend  dire  bien  du  mal  de  lui.  » 

21  juin  1721. 

Comme  je  n'ai  rien  de  nouveau  à  vous  mander  au- 
jourd'hui, je  veux  vous  raconter  une  ancienne  histoire 
qin'  m'est  arrivée  la  première  fois  que  j'ai  été  à  Bonne- 
fontaine.  J'étais  encore  jeune,  n'ayant  que  vingt-trois 
ans,  et  assez  étourdie;  j'entrai  avec  la  pauvre  Théo- 
bon  '  dans  le  couvent  ;  je  trouvai  une  porte  où  la  clef 
était  dans  la  serrure  ;  je  l'ouvris  et  je  me  trouvai  dans 
une  cellule;  il  y  avait  un  moine  de  grande  taille,  qui 
avait  les  yeux  tout  égarés;  dès  qu'il  me  vit,  il  se  jeta 

'  Proverbe  allemand. 

*  M'"*  de  Uathsenliaiisscn,  dame  d'iionncur  de  la  duchesse. 
'  Fille  d'Iionneur  de  Madame;  elle  fut  depuis  comtesse  de 
IJcuvron;  vuii  Saint-Simon,  t.  Ml,  p.  9!). 


DE   MADAME    LA    DICHESSE   D'oHLÉANS.  329 

par  terre,  il  saisit  mes  deux  pieds  et  les  tint  avec  tant, 
de  force  que  je  ne  pouvais  remuer  ;  il  n'y  a  rien  au 
monde  que  je  craigne  autant  que  les  tous;  vous  pouvez 
donc  vous  figurer  à  quel  point  je  fus  elTraycc.  Je  m'ar- 
mai cependant  de  résolution  et  je  dis  au  fou  :  «  Levez- 
vous,  je  vous  l'ordonne;  »  j'étais  en  habit  de  chasse, 
venant  de  descendre  de  cheval  ;  il  me  prit  pour  un 
homme.  Théobon  était  trcs-elTarée  ;  elle  me  dit  que 
c'était  un  aliéné,  et  qu'il  fallait  appeler  au  secours; 
mais  je  jugeai  plus  à  propos  de  réitérer  mes  ordres; 
le  moine  làclia  mes  pieds,  et  je  m'empressai  de  sortir. 
Je  ne  fis  que  rire  ensuite  de  cette  aventure.  Six  ans 
après,  j'allai  de  nouveau  à  Villers-Cotterets ;  on  vint 
me  prévenir  un  matin  que  le  procureur  de  la  Char- 
treuse demandait  à  m'ètre  présenté,  afin  de  me  pré- 
senter, selon  l'usage,  les  hommages  du  couvent.  Dès 
qu'il  entra,  je  le  reconnus  de  suite,  quoiqu'il  fût  de- 
venu plus  gros;  il  n'avait  plus  les  yeux  égarés  et  avait 
l'air  foit  raisonnable.  Après  qu'il  m'eut  fait  son  com- 
pliment, il  se  mit  à  sourire  et  dit:  «J'ai  peur  que 
Votre  Altesse  Royale  ne  me  trouve  bien  effronté  d'oser 
reparaître  devant  elle  après  l'horrible  état  où  elle  m'a 
vu  et  où  je  lui  ai  fait  si  grand'peur  ;  mais  il  est  de  ma 
charge  de  venir,  et  cette  mortification  m'est  bien  due, 
pourvu  que  je  ne  fasse  pas  encore  peur  à  Madame.  » 
Je  lui  répondis  :  «  Non ,  mon  père ,  quand  vous  me 
parlerez  aussi  raisonnablement  que  vous  le  faites  à 
présent,  je  ne  pourrai  avoir  peur  de  vous;  mais  il  est 
vrai  que  je  vous  ai  vu  bien  malade.  »  Il  rit  et  répliqua  : 
«  Madame  a  trop  de  bonté  de  vouloir  m'épargner  la 
honte  d'avoir  paru  si  fou  devant  ses  yeux.  »  Je  lui  dis  ; 


330  CORRESPONDANCE 

«  Qui  est-ce  qui  vous  a  guéri  ?  —  La  charité  de  notre 
supérieur,  qui,  voyant  que  j'étais  devenu  fou  faute  de 
société,  m'a  permis  de  m'entretenir  avec  le  monde; 
et,  petit  à  petit,  voyant  que  cela  faisait  un  bon  etïet 
sur  mon  esprit,  m'a  chargé  des  affaires  de  la  maison, 
où  il  a  fallu  parler  tous  les  jours  à  divers  gens  ;  cela, 
par  la  grâce  de  Dieu ,  tout  indigne  que  j'en  suis ,  m'a 
rendu  le  bon  esprit  que  j'avais  ;  au  lieu  donc  de  cacher 
le  malheur  que  j'ai  eu,  je  dois  le  publier  partout  pour 
rendre  grâce  à  Dieu  de  m'avoir  remis  dans  mon  bon 
sens.  »  Je  le  trouvai  si  raisonnable  que  je  causai  long- 
temps avec  lui;  il  avait  beaucoup  de  moyens,  et  je  ne 
pouvais  comprendre  comment  il  avait  jadis  été  tout  à 
fait  fou.  Je  lui  demandai  poinquoi  il  avait  saisi  mes 
pieds  ;  il  me  dit  que  sa  folie  était  de  se  croire  dans  un 
royaume  étranger,  et,  qu'en  me  voyant,  il  avait  cru 
voir  son  souverain  auquel  il  s'était  empressé  de  rendre 
hommage.  Après  avoir  ri  avec  lui  de  sa  folie,  je  lui 
dis  que  la  règle  de  son  ordre  était  tiop  sévère  ;  il  ne 
voulut  pas  en  convenir,  mais  il  remua  les  épaules  et 
baissa  les  yeux  ;  je  vis  bien  qu'il  était  de  mon  avis. 

P;iri!=,  25  juin  1721. 

Il  n'a  pas  dépendu  du  duc,  ni  de  la  duchesse  de 
Simmern,  que  je  n'aie  été  à  Creutznach,  car  ils  avaient 
demandé  que  j'y  fisse  un  voyage ,  mais  rélcctcur, 
notre  père ,  ne  voulut  pas  le  permettre ,  disant  qu'il 
ne  convenait  pas  qu'une  jeune  princesse  non  mariée, 
comme  j'étais  alors,  fit  des  voyages  et  allai  visiter  des 
cours  étrangères.  Telle  fut  sa  réponse;  mais  j'ai  su 
que  c'était  surtout  parce  que  la  duchesse  de  Sinuncrn 


DE   MADAME    LA   DUCHESSE   d'oRLÉANS.  331 

menait  une  conduite  trop  peu  régulière  pour  que  je 
dusse  aller  la  voir.  Quand  j'ai  connu  le  duc  de  Sim- 
mern,  il  avait  épousé  depuis  longtemps  la  princesse 
Marie  d'Orange;  il  n'était  donc  pas  à  marier.  Je  l'ai 
aimé  comme  un  cousin  et  un  ami,  mais  je  n'aurais  eu 
aucune  envie  de  l'épouser,  car  il  ne  me  plaisait  pas  du 
tout;  il  était  petit  et  laid;  ce  mariage  aurait  pu  se 
faire  cependant  si  la  politique  de  la  France  n'avait  fait 
prévaloir  d'autres  projets.  J'étais  alors  bien  en  âge  de 
me  marier,  car  il  y  a  quarante-trois  ans  que  le  duc  est 
mort;  Dieu  sait  quand  je  dois  le  suivre;  mais  pourvu 
que  Notre  Seigneur  protège  mes  enfants,  je  suis  tran- 
quille. 

Feu  la  princesse  d'Espinoy  était  ime  femme  fort 
originale  ;  une  nuit,  un  voleur  pénétra  dans  son  ap- 
partement, et,  la  menaçant  d'un  poignard,  il  lui  dit 
qu'il  fallait  qu'elle  lui  remit  tout  son  argent  ou  qu'il 
allait  la  tuer.  Elle  n'hésite  pas,  elle  lui  saute  au  cou, 
le  saisit  par  sa  cravate,  et  le  serre  si  fort  qu'il  était 
au  moment  d'être  étranglé  ;  en  même  temps  elle  ap- 
pelle ses  gens;  on  lui  ôte  son  poignard,  on  le  conduit 
dans  les  écuries  et  on  se  met  à  le  battre  :  «  Autant  de 
coups  qu'il  vous  plaira,  dit-il,  mais  faites-moi  grâce 
de  la  vie.  »  Elle  lui  fit  donner  en  sa  présence  cent 
coups  de  bâton,  et  elle  ordonna  ensuite  de  le  lâcher 
et  de  le  laisser  aller  ;  il  ne  se  le  fit  pas  dire  deux 
fois. 

4  juillet  1721. 

Un  prédicateur,  à  Rouen,  déclama  fortement  contre 
ceux  (jui  vont  à  des  noces  et  qui  s'y  divertissent  ;  quel- 


332  COUKESl'OXDANCK 

qu'un  qui  avait  entendu  ce  sermon  dit  au  prédicateur  : 
«  Vous  avez  prêché  contre  ceux  qui  vont  aux  noces, 
mais  Notre  Seigneur  y  alla  bien  lui-même  à  Cana  en 
Galilée.  »  Le  prédicateur  répondit  brusquement  :  «  Il 
est  vrai  qu'il  y  allait ,  mais  il  aurait  mieux  fait  de  ne 
pas  y  aller.  » 

Paris,  10  juillet  1721. 

Vous  saurez  déjà,  ma  clière  Louise,  combien  vous 
aviez  raison  d'être  inquiète  au  sujet  de  vos  parents; 
ils  ont  couru  les  plus  grands  dangers  dans  leur  voyage 
sur  mer;  le  vent  a  jeté  sur  le  navire  où  ils  étaient,  et 
qui  a  perdu  ses  mâts,  un  autre  bâtiment  qui  arrivait 
de  la  Virginie.  Une  barque  où  il  y  avait  six  personnes 
s'est  trouvée  entre  et  a  détourné  un  choc  qui  devait 
engloutir  leur  navire ,  mais  elle  a  été  coulée  à  fond 
avec  les  personnes  qu'elle  contenait.  Je  crains  que 
toute  la  frayeur  qu'a  éprouvée  votre  nièce  ne  lui  ait 
fait  grand  mal;  comme  vous  devez  savoir,  elle  est 
encore  enceinte.  Dieu  veuille  que  tout  se  termine 
bien. 

Il  me  semble  que  le  comte  de  Dcgenfelt  aurait  bien 
fait  de  différer  de  faire  des  enfants  jusqu'à  ce  qu'il 
fût  établi  chez  lui  ;  il  n'aurait  pas  exposé  sa  femme  à 
d'aussi  grands  périls ,  mais  les  hommes  sont  de  telle 
.sorte  qu'ils  s'imaginent  que  faire  des  enfants  est  la 
plus  grande  preuve  d'affection  qu'ils  puissent  nous 
donner;  tandis  que  la  confiance,  l'estime  et  la  dou- 
ceur sont  cent  fois  plus  piopres  à  produire  l'atlachc- 
ment  et  la  bonne  intelligence  (pii  sont  si  fort  à  désirer 
en  ménage. 


DE   MADAME  LA   DUCHESSE   d'oULÉANS.  333 

Paris,  17  juillet  1721. 

Il  y  a  une  grande  diflërence  entre  être  né  dans  un 
pays  et  en  connaître  la  langue,  ou  y  arriver  déjà 
grand  et  formé.  Si  la  comtesse  de  Degenfelt,  votre 
nièce,  aime  son  mari,  elle  trouvera  tout  bel  et  bon, 
car  c'est  une  sauce  qui  fait  aimer  tous  les  plats ,  et 
comme  dit  le  prologue ,  dans  la  pièce  de  Pourceau- 
gnac  : 

Quand  deux  cœurs  s'aimeut  bien, 
Tout  if  reste  n'est  rien. 

Ainsi,  si  elle  aime  son  mari,  elle  ne  regrettera  point 
sa  patrie,  et  tout  ce  qu'elle  trouvera  dans  le  nouveau 
pays  où  elle  va  vivre  sera  de  son  goût.  J'approuve  fort 
votre  résolution  de  ne  pas  vivre  avec  elle  ;  vous  serez 
ainsi  mieux  ensemble,  et  rien  n'est  plus  vrai  que  le 
proverbe  qui  dit  que  «  Jeunes  et  vieux  ne  peuvent 
s'accorder,  »  même  quand  les  jeunes  sont  raisonna- 
bles; d'ailleurs,  les  domestiques  ne  vivent  pas  en 
bonne  intelligence;  il  y  a  entre  eux  des  querelles  qui 
amènent  entre  les  maîtres  des  scènes  et  de  la  froi- 
deur. 

D'après  ce  que  j'ai  entendu  dire  de  feu  le  landgrave 
de  Pliilipstlial,  mon  bon  cousin,  c'était  un  des  per- 
sonnages les  plus  simples  qu'il  y  eût  au  monde,  Paris 
plaît  beaucoup  au  prince  Charles  ;  je  ne  crois  pas  qu'il 
ait  envie  de  quitter  le  service  de  France,  et  je  ne  crois 
pas  non  plus  qu'il  soit  en  position  de  faire  un  bon 
mariage;  s'il  suivait  mes  conseils,  il  ne  se  marierait 
point,  car  tous  ces  princes  sans  fortune,  lorsqu'ils  ont 
des  enfants,  se  trouvent  avoir  une  famille  de  nien- 


334  CORRESPONDANCE 

diants,  ce  qui  est  une  vilaine  chose;  il  n'y  a  déjà  que 
trop  de  princes  pauvres.  Sa  mère  ne  veut  pas  se  sé- 
parer de  son  Français,  quoiqu'elle  dût  le  faire  pour 
éviter  le  scandale,  car  on  tient  des  propos  sur  elle  et 
sur  ce  drôle.  Ceux  qui  en  jugent  le  plus  charitable- 
ment disent  qu'il  y  a  im  mariage  de  conscience;  ce 
n'en  est  pas  moins  une  chose  aflreuse  pour  cette  prin- 
cesse de  faire  un  tel  éclat  dans  ses  vieux  jours ,  car 
elle  est  loin  d'être  jeune,  puisque  son  fds  aîné  a  qua- 
rante ans. 

Paris,  24  juillet  1721. 

On  m'a  dit  que  nos  bons  Allemands  s'étaient  cruel- 
lement gâtés,  et  qu'ils  avaient  répudié  les  vieilles 
qualités  de  leurs  ancêtres  afin  de  prendre  les  vices 
des  nations  étrangères;  cela  m'at'lligc  sincèrement;  il 
convient  aux  Allemands  moins  qu'à  tout  autre  d'être 
faux,  méchants  et  débauchés,  car  leur  naturel  ne  les 
y  porte  pas. 

La  peste  diminue  en  Provence,  mais  les  gens  n'en 
deviennent  pas  meilleurs;  et  ce  qu'il  y  a  d'étonnant, 
c'est  qu'il  a  fallu  mettre  à  l'hôpital  de  Toulon  dix- 
huit  personnes  qui,  au  milieu  des  ravages  de  la  peste, 
avaient  mené  une  vie  déréglée. 

Il  est  positif  que  ceux  qui  ont  visité  la  Hollande 
trouvent  les  Allemands  sales;  mais  pour  trouver  l'Al- 
lemagne propre  et  agréable ,  il  n'y  a  qu'à  venir  en 
France,  car  rien  n'est  [)lus  sale  et  plus  dégoûtant  que 
Paris. 

Ma  fille  est,  grâce  à  Dieu,  complètement  remise;  il 
y  a  eu  un  mariage  à  sa  cour  ;  un  prince  de  celle 


DE  JIADAME   LA  DUCHESSE  d'oRLÉANS.  335 

maison  (qui  s'appelle  le  chevalier  de  Lorraine  et  qui 
est  fils  du  comte  de  Nassau)  a  épousé  la  seconde  fdle 
de  M""'  de  Craon;  je  parle  exactement,  car  il  est  sûr 
qu'elle  est  bien  la  fille  de  sa  mère. 

Je  voudrais  que  ma  fille  n'eût  pas  aimé  son  mari 
autant  qu'elle  l'a  fait;  le  duc  ne  songe  qu'à  faire  du 
bien  à  ses  favoris  les  Craon ,  il  ne  s'inquiète  pas  de 
ses  propres  enfants;  cela  cause  à  ma  fille  un  chagrin 
extrême. 

Lorsque  le  prince  Charles  de  Hesse  s'est  imaginé 
voir  la  reine,  sa  tante,  il  ne  savait  pas  qu'elle  fût 
morte,  et  il  ignorait  même  qu'elle  fût  malade  ;  il  ve- 
nait de  recevoir  une  lettre  d'elle.  Dans  les  endroits 
où  l'on  croit  aux  revenants,  comme  à  la  cour  de 
Cassel,  on  en  voit  sans  cesse;  chez  nous  où  l'on  n'y 
croit  pas,  il  n'en  est  jamais  question.  Ici,  dire  de 
quelqu'un  qu'il  est  trop  pieux  pour  se  livrer  à  la  dé- 
bauche la  plus  outrée,  serait  regardé  comme  un  af- 
front ;  on  se  fait  honneur  et  gloire  d'être  en  relation 
avec  des  femmes  mariées,  et  l'on  n'y  attache  aucune 
houle.  Très-peu  de  personnes  connaissent  la  sainte 
Écriture,  et  il  y  en  a  bien  moins  encore  qui  y  croient 
et  qui  en  suivent  les  préceptes. 

2G  juillet  1721. 

L'archevêque  de  Cambrai  vint  hier  et  me  fit  part 
de  son  élévation  au  cardinalat;  Albéroni  a  ainsi  un 
camarade  ' . 

*  M.  Capefigue  a  voulu  montrer  dans  son  ouvrage  sur  Phi- 
lippe d'Orléans,  réycnt  de  France,  qu'à  certains  égards  Dubois 
avait  été  fort  mal  apprécié;  les  écrivains  satiriques  de  l'époque 


336  CORRESPONDANCE 

Paris,  7  août  172/. 

Personne  ne  peut  bien  juger  de  l'état  des  femmes 
enceintes,  parce  que  les  grossesses  sont  bien  diffé- 
rentes. J'ai  eu  trois  enfants,  et  mes  trois  grossesses 
ont  offert  de  telles  différences  que  moi-même  je  n'y 
pouvais  rien  comprendre. 

Je  sais  bien  quelqu'un  que  je  ne  puis  aimer,  mais 
auquel  je  ne  voudrais  cependant  faire  aucun  mal, 
c'est  le  nouveau  cardinal  Dubois;  il  a  empoisonné 
toute  ma  vie  ^  Dieu  veuille  lui  pardonner,  mais  il 
pourrait  bien  en  souffrir  en  ce  monde. 

et  les  compilateurs  qui  les  ont  copiés,  n'ont  vu  en  lui  que 
l'homme  corrompu  ;  Dubois  fut  autre  chose  ;  il  se  montra  diplo- 
mate du  premier  ordre  et  ministre  des  plus  laborieux;  toute  sa 
correspondance  est  marquée  d'un  cachet  de  finesse  et  de  pré- 
voyance incontestable.  Voir  p.  383  de  l'ouvrage  cité  (édition  de 
1845),  l'ordre  de  travail  du  cardinal  écrit  de  sa  main.  Chaque 
jour  le  travail  commençait  à  cinq  heures  du  matin  et  se  pro- 
longeait sans  interruption  jusqu'à  la  nuit.  Saint-Simon,  qui  dé- 
testait le  cardinal  et  qu'il  ne  faut  pas  toujours  croire  sur  parole, 
prétend  qu'à  la  mort  de  ce  premier  ministre,  il  se  trouva  des 
milliers  de  dépêches  toutes  cachetées,  et  il  ajoute  :  «  Son  esprit 
était  fort  ordinaire ,  sa  capacité  nulle ,  il  voulait  tout  faire  en 
tout  genre,  et  se  comptait  lui  seul  pour  tout  »  (t.  XXXIX, 
p.  135).  Les  artifices  de  Dubois  pour  obtenir  le  chapeau  sont 
choses  des  plus  curieuses.  Il  se  fit  appuyer  par  des  adversaires 
qui  n'étaient  d'accord  que  sur  ce  seul  point;  il  eut  pour  lui 
l'empereur  et  le  roi  d'Kspague ,  le  prétendant  et  le  roi  Georges; 
il  acheta  la  misère  de  l'un  avec  les  guinées  de  l'autre.  Dana 
son  àmc  insatiable,  à  la  fureur  du  chapeau  succéda  la  rabbia 
papale. 

*  C'est  sans  doute  une  allusion  à  la  part  active  qu'eut  Dubois 
au  mariage  du  Uégcnt  (alors  duc  de  Chartres)  avec  une  fille  na- 
turelle  de  Louis  XIV. 


DE   MADAME   LA   DL1CHK?SF.    d'ORLÉANS.  337 

On  ne  saurait,  lors  même  qu'on  le  voudrait  par 
plaisanterie,  imaginer  des  modes  plus  vilaines  et  plus 
ridicules  que  celles  qu'il  y  a  maintenant  pour  les  hom- 
mes comme  pour  les  founnes  ;  j'en  suis  effrayée  quand 
je  les  vois;  on  dirait  que  les  gens  sortent  d'une  maison 
de  fous,  ou  tout  au  moins  d'un  bal  masqué.  Vous 
avez  bien  raison  de  trouver  horribles  les  modes  fran- 
çaises d'aujourd'hui. 

Paris,  JG  août  1721. 

Aimer  ses  enfants  comme  le  fait  le  comte  de  Degen- 
felt  est  une  chose  fort  ordinaire,  mais  aimer  sa  femme 
est  une  chose  tout  à  fait  passée  de  mode;  on  n'en 
trouve  ici  aucun  exemple,  c'est  une  habitude  entière- 
ment perdue;  mais,  à  bon  chat,  bon  rat;  les  femmes 
en  font  bien  autant  pour  leurs  maris.  On  trouve  bien 
encore,  parmi  les  gens  d'une  condition  inférieure,  de 
bons  ménages;  par  exemple,  un  de  mes  valets  de 
chambre  avait  une  femme  qui  était  bien  la  plus  laide 
créature  qu'on  pût  rencontrer  dans  le  monde  entier; 
elle  était  plus  laige  que  longue,  la  bouche  énorme, 
les  dents  toutes  gâtés ,  les  yeux  chassieux,  et  cepen- 
dant le  pauvre  homme  se  désespère  parce  qu'elle, est 
morte  depuis  huit  jours;  mais,  parmi  les  gens' de 
qualité,  je  ne  connais  pas  un  seul  exemple  d'affection 
réciproque  et  de  fidélité. 

Toutes  les  filles  de  M.  Gaston  '  avaient  la  main 
prompte  et  étaient  fort  disposées  à  battre  leurs  gens, 
hommes  et  femmes  ;  ce  n'est  pas  sans  exemple  en 


premier  duc  d'Orléans,  frère  de  Louis  XIII. 
11. 


»  Le  . 

II.  29 


338  CORRESPONDANCE 

France  :  la  princesse  d'Harcourt,  sœur  de  la  duchesse 
de  Brancas,  logeait  au-dessus  de  moi  à  Versailles,  et 
je  l'entendais  souvent  battre  ses  domestiques;  par- 
fois, le  bâton  dont  elle  se  servait  lui  échappait  des 
mains  et  roulait  par  terre.  Elle  voulait  un  jour  mal- 
traiter une  femme  de  chambre  qui  lui  dit  de  prendre 
garde ,  qu'elle  n'était  pas  habituée  à  être  frappée  et 
qu'elle  saurait  riposter  ;  la  princesse  n'en  voulut  pas 
moins  aller  son  train,  mais  la  femme  de  chambre 
était  plus  forte  qu'elle;  elle  lui  arracha  le  bâton  et 
la  frappa  rudement.  Depuis,  la  princesse  n'osa  plus 
battre  un  seul  de  ses  gens;  cela  divertit  toute  la 
cour. 

Paris,  11  septembre  1721. 

On  m'a  raconté  l'histoire  d'un  garçon  de  l'apothi- 
caire du  roi  ;  lorsque  le  roi  était  encore  jeune,  on  le 
chargea  d'aller  porter  des  lettres  à  Lyon;  lorsqu'il 
passait  dans  la  rue  d'Enfer,  un  homme  l'accoste  et 
lui  demande  où  il  va;  il  répond  qu'il  se  rend  à  Lyon; 
l'autre  lui  demande  combien  il  faut  de  jours  pour  faire 
ce  voyage;  le  garçon  dit  qu'il  en  faut  dix;  l'homme 
lui  demande  s'il  voudrait  y  être  rendu  le  soir  même; 
le  garçon  répond  :  «  Bien  volontiers ,  pourvu  que  la 
chose  fut  possible.  »  Alois  l'homme  lui  donne  un  bas 
et  lui  dit  de  se  l'attacher  autour  d'une  de  ses  jambes. 
Aussitôt  que  le  garçon  l'a  fait,  il  se  sent  transporté  à 
travers  les  airs,  et,  le  soir,  il  descend  dans  une  grande 
ville  ;  il  demande  où  il  est  ;  on  lui  répond  qu'il  est  à 
Lyon.  11  remet  toutes  ses  lettres;  mais  il  fut  ensuite 
malade  jusqu'à  la  mort  do  la  peur  qu'il  avait  eue;  ses 


DE  MADAME  LA   DUCHESSE  d'ORLÉANS.  339 

couleurs  ne  lui  sont  jamais  revenues.  Je  crois  qu'il  est 
encore  en  vie  ' . 

Paris,  Il  septembre  1721. 

En  Suède,  on  prétend  que  les  noyés  ne  sont  pas 
réellement  morts;  lorsqu'on  on  retire  de  l'eau,  on  les 
met  dans  une  barrique,  dans  une  chambre  bien  chauf- 
fée, et  on  roule  la  barrique  en  tout  sens  jusqu'à  ce  que 
le  noyé  ait  rendu,  par  haut  et  par  bas,  toute  l'eau  qui 
est  entrée  dans  son  corps.  Quand  il  s'en  est  délivré 
et  qu'il  a  été  réchauffé,  il  revient  à  lui;  mais  il  faut 
qu'aucun  de  ses  parents  ne  se  trouve  parmi  les  assis- 
tants, autrement  il  ne  peut  guérir.  Si  un  de  ses  pa- 
rents vient  à  entrer  dans  la  chambre ,  le  sang  coule 
par  le  nez,  les  oreilles  et  la  bouche  du  patient.  Des 
personnes  qui  ont  vu  tout  cela  de  leurs  yeux  me  l'ont 
assuré. 

Il  est  très-vrai  qu'il  vaut  mieux  être  bon  que  mé- 
cliant  ;  mais  la  justice  consiste  à  punir  aussi  bien  qu'à 
récompenser,  et  il  est  sûr  que  celui  qui  ne  se  fait  pas 
redouter  des  Français  a  bientôt  sujet  de  les  craindre , 
car  ils  méprisent  bientôt  celui  qui  ne  les  intimide  pas; 
voilà  pourquoi  je  voudrais  que  mon  fils  ne  fût  pas  aussi 
bon  qu'il  l'est. 

Paris,  25  septembre  1721. 

Nous  sommes  tous  ici  en  grand  habit,  car  j'ai  une 

*  Nous  ne  savons  où  Madame  a  puisé  un  pareil  conte  ;  mais 
nous  trouvons  dans  un  des  ouvrages  de  Cyrano  de  Bergerac  ces 
paroles,  que  cet  écrivain  original  met  dans  la  bouche  du  diable  : 
«  Je  donne  aux  laquais  ces  bagues  qui  les  font  aller  et  revenir 
de  Paris  à  Orléans  en  un  jour.  • 


3iO  CORRESPONDANCE 

cérémonie  préparée  à  trois  heures,  la  réception  de  ce 
maudit  cardinal  Dubois  auquel  le  pape  a  envoyé  la 
baretle;  il  faut  que  je  le  salue,  que  je  le  fasse  asseoir, 
et  que  je  m'entretienne  un  moment  avec  lui  ;  ce  ne 
sera  pas  sans  peine,  mais  la  peine  et  la  vexation  sont 
le  pain  de  chaque  jour  ;  mais  voici  notre  cardinal  qui 
arrive ,  il  faut  ici  que  je  fasse  une  pause.  —  Le  cardi- 
nal m'a  priée  d'oublier  le  passé;  il  m'a  adressé  la  plus 
belle  harangue  qu'on  puisse  entendre  ;  il  a  beaucoup 
de  moyens,  c'est  incontestable,  et,  s'il  était  aussi 
honnête  homme  qu'il  est  capable,  il  ne  laisserait  rien 
à  désirer  ' . 

29  septembre  1721. 

Madame  Douairière'  avait  été  fort  agréable,  à  ce 
qu'on  dit,  et  si  leste,  que  lorsqu'elle  se  sauva  de  Nancy 
pour  suivre  son  mari ,  elle  était  habillée  en  page,  et 
portait  un  flambeau  ;  mais  comme  elle  ne  savait  pas 
comment  elle  devait  le  tenir,  M.  de  Beauveau  lui 
donna  un  coup  de  pied  au  derrière,  en  disant  :  «  11  faut 
que  ce  coquin  nouveau  soit  ivre  ;  voyez  comme  il 
marche,  et  comme  il  porte  son  flambeau.  »  Elle  s'é- 
chappa, sans  que  personne  remarquât  qui  elle  était. 
Mais,  quand  elle  commença  à  vieillir,  elle  devint  souf- 
frante, malingre  et  comme  hébétée.  Elle  avait  l'habi- 
tude d'aller  aux  lieux  d'aisance  dès  que  le  maître 

'  Dubois  n'alla  jamais  à  son  archcvèchô  de  Cambrai  ;  il  avait 
un  revenu  de  un  million  cinq  cont  trentc-fiuatre  mille  livres. 
Saint-Simon  en  donne  le  détail. 

'  Il  s'agit  de  la  iirincessc  de  Lorraine,  veuve  de  Gaston,  frère 
de  Louis  Xlll. 


DE  MADAME  LA  DUCHESSE  u'oULÉANS,     341 

d'hôtel ,  avec  sa  baguette,  venait  pour  annoncer  que 
Ton  avait  servi.  Un  jour,  Madame  avait  M.  Gaston  à 
table,  et  elle  courut  ainsi  dès  que  le  maître  d'hôtel 
entra.  Celui-ci  s'arrêta,  et  examina  sa  baguette  par 
tous  les  bouts.  M.  Gaston  dit  :  «  Sainl-Remi ,  que 
cherchez-vous  à  votre  bâton?  »  11  répondit  :  «  Je  vois 
que  mon  bâton  a  la  faculté  de  purger;  je  cherchais 
s'il  était  fait  de  rhuijarbe  ou  de  séné  ;  car  aussitôt 
qu'il  paraît  devant  Madame,  je  vois  qu'il  purge.  » 

Qiiand  le  mariage  de  Monsieur  fut  déclaré,  il  de- 
manda à  Saint-Remi  :  «  Savez-vous  bien  que  j'étais  ma- 
rié avec  la  princesse  de  Lorraine?  —  INon,  répondit 
celui-ci;  je  savais  bien,  Monsieur,  que  vous  couchiez 
toutes  les  miits  avec  la  princesse  de  Lorraine,  mais  je 
ne  me  doutais  pas  que  vous  l'eussiez  épousée.  » 

Paris,  2  oclobre  1721. 

Il  faut,  ma  chère  Louise ,  que  je  ne  vous  écrive  ce 
matin  que  deux  mots  et  en  toute  hâte,  car  je  vais  à 
Paris  pour  faire  compliment  à  mon  fds  et  à  sa  femme 
d'une  bonne  nouvelle  qu'ils  viennent  de  recevoir  et 
qu'on  m'a  transmise  aussitôt.  Le  roi  d'Espagne  a  fait 
demander  leur  fille  pour  son  fils  aîné ,  le  prince  des 
Âsturies  ;  M"*  de  Montpensier  n'a  pas  encore  de  nom; 
avant  (pi'elle  n'aille  en  Espagne ,  on  fera  la  cérémo- 
nie; le  roi  et  moi,  nous  la  nommerons;  elle  fera  en- 
suite sa  première  communion  et  elle  sera  confirmée; 
c'est  ce  qu'on  peut  appeler  recevoir  trois  sacrements 
à  la  fois  ' . 

1  Nous  avons  dit  dans  noire  préface  que,  devenue  reine  d'Es- 

29. 


342  CORRESPONDANCE 

Paris,  4  octobre  1721. 

On  ne  me  laisse  aucun  repos  ;  à  chaque  instant  ve- 
naient des  visites  ;  il  me  fallait  me  lever  et  faire  la 
conversation.  D'abord  est  venu  le  comte  de  Clermont, 
troisième  frère  de  M.  le  Duc  ;  ensuite  la  duchesse  de 
Ventadour  et  sa  sœur,  la  duchesse  de  La  Ferté  ;  nous 
étions  douze  à  table  :  il  y  avait  le  duc  de  Chartres, 
ses  trois  sœurs  et  leur  gouvernante,  mes  deux  dames, 
M™*  de  Ségur,  qui  est  fille  de  mon  fils,  mais  du  côté 
gauche,  et  qu'il  n'a  pas  légitimée.  11  y  avait  aussi  la 
maréchale  de  Clérembault  et  M'"^  de  Pourpris,  femme 
de  mon  grand-écuyer  ;  le  cardinal  de  Gèvres  vint  en- 
suite ;  il  fallut  me  lever  pour  le  recevoir  et  l'entrete- 
nir ;  cela  n'est  pas  encore  comparable  à  ce  qui  m'at- 
tendait après  dîner,  depuis  deux  heures  jusqu'à  six  et 
demie.  Je  trouvai  dans  ma  chambre  M™^  la  Princesse 
avec  notre  duchesse  de  Hanovre ,  la  grande  princesse 
de  Conti  et  M"^  de  Clermont  avec  toutes  leurs  dames; 
quand  elles  se  furent  en  allées,  vinrent  la  petite  prin- 
cesse de  Conti  avec  sa  tille,  M''^  de  la  Roche-Saint- 
Yon  ',  M""  du  Maine,  M""=  la  Duchesse  avec  M"«  de 

pagne  en  1724,  deux  ans  après  son  mariage,  et  veuve  six  mois 
après  être  montée  sur  le  tronc,  cette  princesse  revint  à  Paris  et 
s'éteignit  dans  l'obscurité  en  17  42.  Elle  ne  montra  en  Espagne, 
selon  l'expression  de  Dudos,  que  «  l'humeur  sombre  et  maussade 
d'un  sot  et  plat  enfant,  »  et  elle  resta  la  même  après  son  re- 
tour en  France.  —  Un  petit  voiiuiie  imprime  à  Bordeaux,  en 
17  22,  sous  le  titre  de  J{oiitc  de  M'^^'^  d'Orléans,  princesse  des 
Asturies,  rend  compte  de  son  voyage  lorsciu'ellc  alla  rejoindre 
son  mari. 

'  Louise-Adélaïde,  née  en  1600,  morte  en  1754,  sans  avoir 
été  mariée, 


DE  MADAME   LA    DUCHESSE   d'ORLÉANS.  343 

Charolais  '  et  toutes  leurs  dames.  Il  vint  aussi  beau- 
coup d'autres  dames  qui  ne  sont  pas  de  la  famille 
royale,  comme  la  princesse  d'Espinoy  et  M"e  d'Arma- 
gnac, sa  nièce,  la  duchesse  de  Valenlinois,  la  prin- 
cesse de  Montauban,  et  je  ne  sais  plus  qui  encore;  des 
duchesses  en  quantité  innombrable ,  les  maréchales 
de  Noailles  et  de  Boufflers,  les  duchesses  de  Lesdi- 
guières,  de  Nevers,  d'Humières,  de  Grammont,  de 
Roquelaure ,  de  Villars  ;  la  duchesse  d'Orléans  vint 
aussi  ;  les  dames  qui  ne  s'asseyaient  pas  étaient  innom- 
brables, et  je  suis  sûre  que  j'oublie  bien  des  tabou- 
rets. Il  faisait  dans  ma  chambre  une  chaleur  telle  que 
je  me  serais  trouvée  mal  si ,  par  moments ,  je  n'étais 
passée  dans  ma  garde-robe  pour  respirer  un  peu  ;  mais 
ce  qui  me  faisait  le  plus  souffrir,  c'étaient  mes  genoux; 

*  Mlle  de  Charolais  était  sœur  du  duc  de  Bourbon  ;  le  bruit 
courut  que  le  Régent  en  était  amoureux  ;  une  lettre  du  duc  de 
Bourbon  à  Dubois  dans  laquelle  il  prévient  le  cardinal  que  sa 
sœur  est  au  milieu  d'une  cabale  acharnée  contre  eux,  est  in- 
sérée dans  l'ouvrage  de  M.  Capefigue  sur  le  Régent,  p.  406.  Le 
cardinal  répond  que  le  bruit  qui  est  venu  jusqu'à  Son  Altesse 
n'a  absolument  aucun  fondement.  Les  chansons  du  temps  font 
allusion  à  d'autres  intrigues  attribuées  à  cette  princesse;  voici 
un  couplet  pris  entre  plusieurs  autres  : 

Que  dirons-uoiis  de  Charolois 
Avec  son  humeur  sombre? 
Elle  est  éprise  d'un  minois 

liai  de  tout  le  monde  ; 
Qu'il  est  fier  et  qu'il  est  poltron! 
La,  la, 
Tout  le  monde  l'admire 
A  la  façon  de  Biribi, 
Barbari, 
M9B  ami. 


"T^^ 


P''^ 


'^^f^a- 


344  CORRESPUNDANCK 

à  force  de  me  lever  et  de  m'incliiier,  j o  croyais  vrai- 
ment que  j'allais  me  trouver  mal. 

J'ai  auprès  de  moi  un  abbé  que  j'ai  bien  souvent 
appelé  un  drôle;  il  me  casse  tellement  la  tête  avec 
son  bavardage  que  je  ne  sais  plus  ce  que  je  dis  ; 
d'après  cela,  vous  pouvez  bien  penser  qu'il  s'agit  de 
mon  abbé  de  Sainl-Albin ,  qui  sera  bientôt  évoque  de 
Laon  ',  et  duc  et  pair  de  France;  cela  me  fait  grand 
plaisir,  car  j'ai  eu  plus  d'attachement  pour  ce  pauvre 
garçon ,  dès  sa  plus  tendre  enfance ,  que  pour  toutes 
ses  sœurs;  car  je  suis  persuadée  que,  de  tous  les  en- 
fants légitimes  ou  illégitimes  de  mon  fils ,  c'est  celui 
qui  m'aime  le  mieux. 

7  octobre  1721. 

Le  duc  de  Saxe-Weimar,  dont  je  vous  ai  déjà  parlé, 
a  fait  beaucoup  de  jolies  reparties  ^  Un  jour,  un 

*  Il  eut  rarchevcché  de  Cambrai  nprès  la  mort  de  Dubois. 
Madame  a  fait  l'éloge  de  son  esprit,  et  Ducios  assure  toutefois 
que  ci't  élève  des  jésuites  «  étoit  le  plus  zélé  ignorant  qui  fût  sorti 
de  leur  école.  »  On  lit  dans  les  Mémoires  de  Maurepas  :  «  Ma- 
«  dame  aimoit  beaucoup  l'abbé  de  Saint-Albin,  par  ra:  port  au 
«  Père  Ligniéres  à  qui  il  faisoit  régulièrement  sa  cour.  Il  lui 
«  arriva  une  aventure  assez  plaisante  du  temps  qu'il  n'étoit 
«  encore  qu'abbé.  Il  aimoit  fort  les  femmes,  ce  qui  engagea 
«  SI.  Languet,  évéquc;  de  Soisson-,  à  parler  de  sa  conduite  au 
«  duc  d'Orléans.  Ce  prince  fit  sur-le-champ  venir  son  fils,  lui 
«  lit  unesévèic  réprimande  devant  cet  évéquc,  cl  finit  par  lui 
«  dire  qu'il  ne  convenoil  point  à  un  petit  abbé  conune  lui  de 
«  m(!ner  une  vie  pareille  à  celle  des  grands  prélats,  ajoutant 
«  qu'il  devoit  attendre  du  moins  qu'il  fût  évéque  pour  avoir  une 
«  conduite  aussi  mauvaise  que  la  leur.  » 

«  T.  II,  p.  3. 


Dli   MADAME    LA    UlCIlliSSE    d'OIILÉANS.  345 

jeune  Français  lui  demanda  ;  «  Comment  avez-vous 
fait  pour  perdre  la  bataille  ?»  —  Le  duc  lui  répondit 
tranquillement  :  «  Je  croyais  la  gagner,  et  je  la  per- 
dis. »  Puis  il  se  retourna,  et  dit  ;  «  Qui  est  le  sot  qui 
me  fait  cette  question  ?  » 

10  octobre  1721. 

Je  n'ai  vu  le  roi  battre  que  deux  hommes,  et  ils  l'a- 
vaient bien  mérité  :  le  premier  était  un  valet ,  qui  ne 
voulait  pas  le  laisser  entrer  au  jardin  pendant  une 
fête  donnée  par  le  roi  ;  il  lui  appliqua  deux  bons  coups  : 
l'autre  était  un  voleur,  que  le  roi  vit  fouiller  dans  la 
poche  de  M.  de  Yillars.  Le  roi  était  à  cheval,  il  courut 
sur  le  voleur  et  le  frappa  rudement  avec  sa  canne  ;  le 
voleur  cria  :  «  Au  meurtre,  on  m'assojume  !  »  Cela  nous 
lit  rire  tous,  et  le  roi  aussi  en  rit  ;  il  lit  arrêter  le  co- 
quin, et  le  força  de  rendre  la  bourse,  mais  il  ne  le  fit 

pas  pendre On  a  beaucoup  ri  ici  de  la  princesse 

de  Schomberg  ',  parce  qu'elle  faisait  au  roi  plus  de 
cent  questions,  ce  qui  n'est  pas  l'usage  ici  ;  le  roi  était 
mécontent  qu'on  lui  adressât  la  parole,  mais  jamais  il 
n'a  ri  en  face  de  quel(|u"un 

15  octobre  1721. 

Après  la  mort  de  M'"^  la  Duchesse  la  jeune,  la  pe- 
tite princesse  de  Conti,  sa  mère,  a  écrit  à  un  cavalier 
qui  se  nomme  M.  de  Challar,  et  qui  était  l'amant  de 
sa  fille,  et  en  l'assurant  qu'il  pourrait  compter  sur 

*  Marie  d'Hautefort ,  ancienne  dame  d'atour  d'Anne  d'Au- 
triche, veuve  de  Charles  de  Schomberg,  maréchal  de  France.  Elle 
avait  été  aimée  de  Louis  XIII, 


346  CORRESPONDANCE 

elle,  et  qu'elle  le  servirait  dans  tout  ce  qui  dépendrait 
d'elle.  C'était  M"'^  la  Duchesse  la  jeune,  qui  avait  eu 
tant  d'attachement  pour  Lassay,  et  qui  avait  été  si 
familière  avec  lui  au  bal  masqué. 

18  octobre  172J. 

11  ne  faut  pas  s'étonner  si  la  Dauphine,  lorsqu'elle 
était  duchesse  de  Bourgogne,  était  coquette.  D'abord, 
une  des  maximes  de  la  Maint(Mion ,  c'est  que  la  co- 
quetterie n'est  pas  du  tout  un  mal,  et  qu'une  grande 
passion  seule  est  un  péché.  En  second  lieu,  elle  n'a 
pas  eu  soin  que  la  duchesse  de  Bourgogne  se  tînt 
conformément  à  son  rang  ;  celle-ci  était  souvent  toute 
seule  dans  son  château,  sans  ses  gens;  prenant  une 
des  jeunes  dames  sous  le  bias,  elle  courait  sans  ses 
écuyers,  et  sans  ses  dames  d'honneur  et  sa  dame  d'a- 
tour.  A  MaiJy  et  à  Versailles,  elle  allait  à  pied  ,  sans 
corset,  entrait  à  l'église,  et  s'asseyait  auprès  de  toutes 
les  femmes  de  chambre.  Chez  M'"^  tle  Maintenon,  on 
n'observait  point  de  rang,  et  tout  le  monde  s'y  as- 
seyait ;  elle  faisait  cela  à  dessein  pour  qu'on  ne  pût 
remarquer  son  propre  rang.  A  Marly,  la  Dauphine 
courait  la  nuit  avec  tous  les  jeunes  gens  dans  le  jardin 
jusqu'à  tiois  ou  quatre  heures  du  matin.  Le  roi  n'a 
pas  su  un  mot  de  ces  courses  nocturnes.  La  Mainte- 
non  avait  aussi  défendu  à  la  duchesse  de  Lude  de  dire 
un  seul  mot  à  la  duchesse  de  Bourgogne,  pour  ne  pas 
la(à('her,aMen(ln(iuesila  Duchesse  devenait  triste, elle 
ne  pourrait  plus  divertir  le  roi.  Elle  avait  menacé  de 
ne  jamais  pardonner  à  quieon(]ue  serait  assez  témé- 
raire pour  dénoncer  la  Dauphine  auprès  du  roi.  Voilà 


DE  MADAME   LA   DUCHESSE  d'orLÉANS.  347 

pourquoi  personne  n'a  eu  le  cœur  de  dire  au  roi  un 
seul  mot  à  cet  égard  :  il  n'en  a  rien  su,  en  effet,  quoique 
la  cour  et  tous  les  éliangers  en  fussent  instruits.  La 
Dauphine  se  faisait  traîner  par  terre  par  des  laquais 
qui  la  prenaient  par  les  pieds  ;  ils  disaient  entre  eux  : 
«  Allons-nous  bientôt  nous  divertir  chez  la  duchesse 
de  Bourgogne  ?  »  car  elle  l'était  encore  à  cette  époque. 

Paris,  23  oitobre  1721. 

Je  vous  envoie  la  lettre  que  je  vous  ai  promise  du 
roi  de  Bohème  '  à  sa  femme  ;  c'est  un  morceau  cu- 
rieux. 

De  Strabiich,  ce  21/31  de  marce  1632. 

«  Mon  trés-cher  cœur.  Jay  répondue  à  vos  chères 
«  lettres,  du  4, 14  de  mars,  le  25deKitiingen;  depuis 
«  je  nay  point  eu  de  vos  lettres  ny  commodité  de  vous 
«  Escrire  ce  qui  me  fâche  le  plus  Est  ce  que  nos  let- 
«  très  sont  si  souvent  intercepté,  ce  qui  fait  craindre 
«  dEcrire  et  ne  faut  rien  dire  que  ce  qu'on  se  soucie 
«  que  tout  le  monde  sache,  jl  me  tarde  Extrêmement 

'  Frédéric  V,  électeur  palatin,  marié  en  1618  à  Elisabeth, 
fille  de  Jacques  I*"",  roi  d'Angleterre.  Les  habitants  du  royaume 
du  Bohême  où  le  protestantisme  avait  fait  de  grands  progrès, 
s'élant  révoltés  contre  l'empereur  Ferdinand  II,  te  choisirent 
pourlein-  roi,  mais  le  8  novembre  1020,  il  fut  complètement 
battu  par  les  Autrichiens;  ses  Étals  héréditaires  et  la  dignité 
électorale  furent  donnés  au  roi  de  Bavière,  et  Frédéric,  réduit  à 
chercher  avec  sa  famille  un  asile  en  divers  pays,  mourut  à 
Majcnce  le  29  novembre  1632.  11  était  grand-père  de  Madame. 
Nous  rcproduiàons  sa  lettre  avec  toutes  les  incorrections  du 
texle. 


348  CORRESPONDANCE 

«  dauoir  de  vos  lettres  et  désire  assuré  de  votre  santé, 
«  pour  moy,  je  me  porte  fort  bien  je  suis  tout  le  long 
«  du  jour  En  Campagne  avec  le  Roy  qui  est  fort  hon- 
«  neste  Enuer  moy  :  le  26  Nous  sommes  venue  à 
a  Pfrum,  le  27  a  Wjnlen  qui  est  Situé  en  vue  fort  belle 
a  Campagne,  le  28  Le  Roy  fit  mettre  toutte  son  in- 
«  fanterie  En  bataille  près  de  la  ville  elle  est  fort  belle 
«  le  29  nous  avons  logée  à  wjlgorstorf  En  la  maison 
«  dvn  baron  de  Milmzingen  c'est  celuy  qui  a  épouzô 
«  une  Contesse  Dorlimbourg,  elle  y  estoit  auec  sa 
«  Sœur  vne  barone  de  Wolfestein  Et  Sa  belle-fdle,  je 
a  croy  qu'aués  bien  ouy  parler  deux  à  leur  feu  Cousin 
«  Le  comte  hanry  Dortemb.  Elle  a  vn  bien  deplesant 
«  mary  qui  est  30  ans  plus  vieux  qu'elle,  Elle  ne  se- 
«  roit  laides  sielles  estoreni  bien  coiffées,  Et  habillées, 
«  Elles  portent  des  chapeaux  auec  des  fort  grand  hors 
«  et  tout  deriere  sa  teste  et  des  cheueux  qui  leurs  ca- 
«  che  presque  tout  le  visage  Ivne  auoit  un  pourpoint 
«  d'homme  de  couppé  a  la  chemise  auec  vn  cotillon 
«  Elles  esloienl  fort  bizarrement  accommodées,  hier 
«  le  Roy  est  venu  à  Fort  El  le  malin  jl  est  allé  à  INii- 
«  remberg  jl  dit  n'auoir  jamais  veu  vne  plus  belle 
Œ  ville  aussi  l'estelle  extraimment  et  fort  peuplée.  Le 
«  majislrat  la  trosté  fort  bien  en  la  maison  ou  jay  été 
«  logé  aulrc  fois,  je  suis  allé  noir  la  contesse  de  Ho- 
«  loch  Schillingsfurs.  Elle  a  esté  fort  aise  de  me  uoir 
«  Et  souheltc  Un\  de  vous  venir  Scniir  En  ce  pays, 
«  nous  y  eûmes  les  nouvelles  de  la  mort  du  bon  comte 
«  henry  de  Solmcs  qui  est  mort  de  Sablessure  iy  ay 
«  bien  {>erdn  car  jl  m'csioil  foit  alffcliouné,  après  le 
«  disner  le  Pioy  a  fait  le  tour  de  la  ville  a  pied  j(.'  me- 


DE   MADAME   LA   Dl'CflESSE    D'oRLÉANS.  M9 

«  tonne  qu'il  peut  faire  tant  dexercice  card  jl  est  bien 
«  gras,  Se  soir  nous  sommes  arriués  issy  ou  nous 
«  avions  trouvé  les  deux  fils  du  marquis  DAnspach  et 
«  le  Snrager  qui  est  aussi  surt  qu  aveugle  je  voudrois 
«  qu'il  eust  excusé  son  frère  le  Roy  attend  le  duc  Guil- 
«  launie  de  Weinmar  demain  jl  aura  alors  po.lemoin 
«  24000  homes  a  pied  et  12000  a  cheval  jl  souhete  de 
«  uoir  207  mais  Tilly  seretire  jl  est  venu  hier  auec 
«  son  armée  à  Neumarc,  jl  y  apparence  qu'il  prendra 
«  Son  Chemin  Vers  le  Danuble  je  croy  que  1 20  (  Ro) 
«  vistera  (132  R.  Ba)  SU  est  possible  le  marquis  Chri- 
«  solle  de  Badin  et  le  duc  Jean  de  Holstein  sont  arrive 
0  icy  ainsy  que  je  nay  faute  de  compagnie  de  toutte 
«  sorte  Je  crains  que  pour  quelque  temps  les  affaires 
«  en  158  (bas  Palatinat)  niront  trop  bien  maispourueu 
«  que  cette  marche  succède  bien  cela  se  raccommo- 
«  dera  bien  Ledit  Duc  de  Holstein  dit  que  les  pierre- 
«  ries  et  argent  de  notre  grand  mère  doiuent  estre 
«  bien  tost  partagée  en  cinq  parties  Et  qu'on  parle  de 
«  remettre  toutte  la  partie  de  la  reine  votre  mcre  au 
a  roy  d'Angleterre  qui  seroitbien  jnjuste  et  le  123  re- 
«  tiendroit  par  ce  moyen  tout  pour  luy  a  cause  de  ce 
«  que  1 16  luy  doit,  je  croy  que  luy  deveriez  escrire  et 
«  le  prier  de  vous  faire  tenir  la  moitié  qui  vous  est  deu 
«  et  luy  remontrer  que  cela  na  rien  de  commun  avec 
«  ce  que  116  luy  doit,  je  melonne  que  personne  ne 
«  me  mande  ce  que  Percka  vous  aporté  en  cest  af- 
«  faircs  ni  ce  que  123  (Rven)  vous  a  escrit  jay  peure 
«  ([uc  seres  aussi  peut  heureux  En  cette  Succession 
«  quand  celle  de  feu  la  reine  Votre  mère,  pour  mes 
«  affaires  je  ne  Say  que  vous  En  dire  Dieu  veillie 

l!.  30 


350  CORRESPONDANCE 

«  quelles  aillent  bien  et  que  je  puisse  auoir  bientost 
«  le  Contentement  de  vous  voir  et  de  nous  pouuoir 
«  témoigner  Combien  parfaitement  je  Suis 
«  Mon  chère  vnique  cœur 
«  Votre  très  fidelle  amyet  très  affectionné  seruiteur. 

«  Fridéric. 

«  Ceux  de  Nuremberg  ont  fait  praisant  au  Roy  deux 
«  grouppes  en  formes  de  globes  tereste  et  celleste 
«  curieusement  fait.  » 

Pari?,  30  octobre  1721. 

La  princesse  Ragotzi  s'exprime  avec  politesse  et  bon 
sens.  Je  connais  bien  sa  vie  et  je  dois  convenir  que 
j'ai  un  peu  honte  d'elle,  car  tout  le  monde  ici  connaît 
son  histoire  ;  j'ai  fait  rire  mon  fils  ce  matin  en  lui  di- 
sant qu'il  ne  fallait  pas  qu'il  restât  seul  avec  elle,  car 
elle  serait  très-capable  de  vouloir  le  violer.  On  prétend 
qu'elle  a  voulu  en  agir  ainsi  avec  le  czar. 

i"  novembre  1721. 
La  Crande-Duchesse  {de  Toscane)  dit  que  du  temps 
de  la  régence  de  la  reine  (mère),  lorsqu'on  mena  M.  le 
Prince  et  son  frère,  M.  le  prince  do  Conti ,  à  la  Bas- 
tille, on  leur  demanda  quels  livres  ils  désiraient  pour 
se  distraire.  Le  prince  de  Conti  demanda  V Imitation 
de  Jésus-Christ.  Le  prince  de  Condé  demanda  Vlmi- 
tation  du  duc  de  Beaujort,  qui  venait  de  s'échapper 
de  la  Bastille,  et  je  crois,  dit  la  Grande-Duchesse,  que 
la  princesse  de  Modène  demandera  V Imitation  de  la 
(jrande- Duchesse  '. 

^  Le  grande-duchesse  de  Toscane,  lille  du  premier  lit  de 


DE  MADAME   LA   DUCHESSE   d'ORLÉANS.  351 

Paris,  5  novembre  1721, 

La  princesse  de  Siegen  sVst  tout  à  fait  gâtée  en 
France;  lorsqu'elle  y  arriva,  chacun  louait  sa  modestie, 
mais  elle  est  tombée  dans  la  mauvaise  compagnie, 
s'est  livrée  au  jeu ,  et  s'est  mise  à  courir  les  bals;  cela 
l'a  entièrement  pervertie  comme  bien  d'autres,  et  l'a 
jetée  dans  une  conduite  scandaleuse  et  désordonnée 
qu'elle  mène  encore,  à  ce  que  j'entends  dire.  Je  ne 
comprends  pas  ce  qui  a  pris  à  mon  cousin ,  le  land- 
grave de  Cassel,  pour  devenir  aussi  galant  sur  ses 
vieux  jours  ;  dans  sa  jeunesse  il  n'avait  jamais  fait  par- 
ler de  lui  sous  ce  rapport.  La  façon  dont  vit  la  prin- 
cesse de  Siegen  montre  qu'il  n'y  a  chez  elle  aucun 
principe  de  la  foi  chrétienne;  je  crois  qu'elle  est  tout 
à  fait  sans  religion.  On  dit  ici  que  le  landgrave  a  con- 
tracté un  mariage  de  conscience,  et  épousé  une  de- 
moiselle de  Bernholdt;  si  la  chose  est  vraie,  c'est  sans 
doute  parce  qu'elle  le  réchaulle,  comme  on  faisait  au 
roi  David,  car  je  ne  puis  croire  qu'un  homme  de 
soixante-six  ans  soit  tellement  ami  des  dames  qu'il  ait 
un  si  grand  besoin  du  mariage;  mais  l'âge  ne  préserve 
pas  de  la  folie,  comme  dit  le  proverbe  allemand. 

Vous  me  dites  que  les  biens  du  prince  d'Istein  seront 
partagés  entre  le  comte  de  Nassau-Ottweiller  et  le 
comte  de  Saarbruck;  cela  me  fait  peur;  quelle  diffé- 
rence il  y  avait  entre  les  deux  frères  de  Saarbruck! 
Celui  qui  est  mort  était  un  honnne  charmant,  plein 

Monsieur,  avait  quitté  son  mari  qui  lui  déplaisait,  et  l'Italie 
qu'elle  n'aimait  pas,  afin  de  revenir  à  Paris.  11  en  a  déjà  été  ques- 


352  CORRESPO.NUANCE 

de  politesse  et  de  vertu ,  mais  celui  qui  existe  est  un 
nigaud  qui  fait  peine  à  voir;  il  ne  peut  ni  se  tenir,  ni 
parler. 

Paris,  22  novembre  172». 

Ce  que  vous  me  dites  de  l'époque  actuelle  et  de  ma 
situation  me  montre  bien  que  vous  ne  connaissez  ni 
cette  cour  ni  ce  pays.  Plût  à  Dieu  que  le  feu  roi  vécût 
encore,  j'avais  alors  plus  de  plaisir  et  de  contentement 
en  un  jour  que  je  n'en  ai  eu  durant  les  six  années  de 
la  régence  de  mon  fils  !  Il  y  avait  alors  réellement  une 
cour,  et  ce  n'était  pas  cette  vie  bourgeoise  à  laquelle 
je  ne  puis  mhabituer,  moi  qui  ai  été  élevé  à  la  cour, 
et  qui  y  ai  passé  toute  ma  vie.  Du  temps  du  roi ,  mon 
tîls  était  toute  la  journée  avec  moi  ;  maintenant  je  le 
vois  à  peine  une  heure  en  un  mois.  A  Paris,  où  nous 
avons  une  antichambre  en  commun,  je  suis  souvent 
trois  jours  sans  l'apercevoir;  sa  régence  ne  me  donne 
([ue  soucis  et  inquiétude,  car  je  suis  toujours  dans  les 
transes  qu'on  ne  l'assassine  par  suite  de  la  haine  ef- 
froyable qu'on  lui  porte  ;  il  ne  se  gène  nullement  dans 
ses  galanteries  et  il  court  toutes  les  nuits,  ce  qu'il  ne 
pouvait  faire  du  temps  du  roi.  Par  là ,  je  crois  aussi 
que  sa  santé  est  en  grand  péril. 

Paris,  29  novembre  1721. 

En  sortant  de  la  chapelle,  j'ai  rencontré  le  comte 
d'IIoïm  et  le  chevalier  de  Schaub  ;  ils  m'ont  raconté 
que  Cartouche  avait  été  roué  hier;  cela  m'a  retenue 
longtemps  ' . 

'  Le  procès  et  la  mort  de  ce  personnage  célèbre  dana  les  an» 


DE   MADAME    LA    UIXHKSSE    u'OKLÉA.NS.  353 

Les  gens  de  petite  taille  dansent  toujours  mieux 
que  les  grands.  Si  M"'^  de  Genimingen  est  aussi  grande 
que  son  frère,  je  ne  crois  pas  qu'elle  danse  bien.  On 
n'a  vu  aucune  personne  de  grande  taille  danser  par- 
faitement, si  ce  n'est  la  grande  princesse  de  Conti  ', 

nales  du  vol,  et  sur  lequel  le  Journal  de  Barbier,  t.  1,  contient 
de  lungs  détails,  donnèrent  lieu  à  un  certain  nombre  d'écrits 
devenus  aujourd'hui  difficiles  à  rencontrer  ;  nous  citerons  entre 
autres  : 

Recueil  des  arrêts  du  Parlement,  rendus  au  procès  contre 
Louis-Dominique  Cartouche  et  ses  complices,  Paris,  17  22; 
Histoire  du  procès  du  fameux  Cartouche  et  de  ses  complices, 
Paris,  17  23. 

Cartouche  ou  les  Voleurs,  comédie,  17  21  (par  Le  Grand). 
Le  permis  d'imprimer  e^t  du  IG  octcbre  1721;  Cartouche  fut 
roué  le  28  du  même  mois.  Celait  là  une  étrange  exploitation 
de  l'a- propos. 

Cflr/o!<cAc,  poème,  par  Grandval,  1723,  172C,  réimprimé  en 
1827.  On  trouve  à  la  suite  un  dictionnaire  de  l'argot. 

Mentionnons  à  cet  égard  un  fait  qui  s'est  reproduit  dans  d'au- , 
très  circonstances. 

Lorqu'en  17  21,  éclata  le  procès  de  Cartouche,  toute  la  France 
fut  en  émoi;  des  portraits  étaient  demandés  à  cor  et  à  cri; 
deux  bonnes  gens,  Aubert,  dessinateur,  et  Le  Gallois,  qui  a  écrit 
sur  les  plus  belles  bibliothèques  de  France,  avaient  été  gravés 
fort  ressemblant;.  On  se  iiàta  d'écrire  le  nom  de  Cartouche  au 
bas  de  leurs  tctcs,  et  l'impatience  du  public  fut  satisfaite. 

Ce  malfaiteur  célèbre  se  trouva  enrôlé  parmi  les  adversaires 
du  jansénisme  ,  en  servant  de  prétexte  à  un  écrit  intitulé  : 
Apologie  de  Cartouche,  ou  le  scélérat  justifié  par  les  pré- 
ceptes du  Père  Quesnel,  Avignon,  in-8. 

*  Cette  princesse  fut  célèbre  par  la  majesté  de  son  port  et  la 
beauté  de  ses  traits;  c'est  elle-même  qui,  par  la  grâce  et  la  lé- 
gèreté de  sa  danse,  troublait  le  sommeil  du  poëte. 

L'herbe  l'auroit  portée,  une  fleur  n'auroit  pas 
Reçu  l'empreinte  de  ses  pas. 
<Î.A  FoNTii>E,  le  Sonrjc,  dans  SCS  OEuvres,  18  27,  t.  VI,  p.  )  S 0.) 

30. 


354  CORRESPONDANCE 

mais  personne  au  monde  ne  dansait  aussi  bien  qu'elle. 
J'ai  vu  bien  des  gens  qui  étaient  gros  être  de  bons 
danseurs  :  le  duc  de  Sully  est  fort  gros  et  il  danse 
fort  bien;  mon  fds  aussi. 

3  décembre  1721.        i 

On  voit  à  Fontainebleau,  dans  le  cabinet  de  la 
reine,  le  portrait  de  la  belle  Féronnière,  qui  avait  tant 
plu  à  François  I".  Il  la  fît  peindre  en  profil.  Elle  a  été 
la  cause  innocente  de  sa  mort.  Son  mari,  voulant  se 
venger  du  roi ,  fit  venir  une  femme  de  mauvaise  vie 
très-malsaine,  et  dès  qu'il  se  fut  infecté,  il  infecta  de 
cette  vilaine  maladie  sa  femme  ;  à  son  tour,  elle  la 
communiqua  au  roi ,  et  il  en  mourut.  On  a  fait  à  ce 
sujet  les  vers  suivants  : 

Le  roi  François,  mort  à  Rambouillet, 

De  la  V qu'il  avait  '  , 

L'an  rail  cinq  cent  quarante-sept. 

5  décembre  1721. 

Mon  fils  ne  peut  et  ne  ^eut  croire  que  le  duc  du 
Maine  soit  le  fils  du  roi.  Cet  liomme  a  toujours  été 
faux,  il  a  rendu  de  mauvais  services  à  tout  le  monde, 
aussi  était-il  haï  comme  un  archi-rapporteur.  Sa 
femme,  la  petite  grenouille,  est  beaucoup  plus  vio- 
lente que  lui;  comme  il  est  très-peureux,  la  peur  le 
retient  souvent,  mais  la  femme  mêle  de  l'héroïque 
dans  ses  comédies. 

Je  crois  bien  que  le  comte  de  Toulouse  est  fils  du 
roi,  mais  j'ai  toujours  cru  que  le  duc  du  Maine  est  fils 

'  Selon  son  usage  invariable,  Madame  écrit  les  mots  en 
toutes  lettres. 


DE  MADAME  LA  DUCHESSE   d'ORLÉANS.  355 

de  Terme,  qui  était  un  faux  coquin ,  et  le  plus  grand 
rapporteur  de  toute  la  cour  ' .  La  vieille  guenipe  avait 
persuadé  au  roi  qu'il  n'y  avait,  dans  le  duc  du  Maine, 
que  piété  et  vertu ,  et  lorsqu'il  rapportait  du  mal  de 
quelqu'un,  elle  disait  que  c'était  pour  son  bien  ,  afm 
que  le  roi  le  corrigeât;  le  roi  trouvait  ainsi  tout  admi- 
rable venant  du  duc,  et  il  le  regardait  comme  un 
saint.  Ce  à  quoi  le  confesseur,  le  P.  Letellier,  a  beau- 
coup contribué,  afin  de  plaire  à  la  vieille;  feu  le 
chancelier,  M.  Voisin ,  a  aussi  parlé  au  roi  en  faveur 
du  duc,  d'après  l'ordre  de  la  vieille. 

Pari*,  G  décembre  1721. 

On  ne  peut  pas  dire  que  M"'  de  Montpensier  soit 
laide;  elle  a  de  .jolis  yeux,  la  peau  fine  et  blanche,  le 
nez  bien  fait  quoique  un  peu  mince,  la  l)ouche  fort 
petite;  avec  tout  cela,  c'est  la  personne  la  plus  désa- 
gréable que  j'aie  vue  de  ma  vie  ;  dans  toutes  ses  fa- 
çons d'agir,  qu'elle  parle,  qu'elle  mange,  qu'elle 
boive,  elle  est  insupportable;  elle  n'a  pas  versé  une 
larme  en  nous  quittant,  et  c'est  à  peine  si  elle  nous 
a  dit  adieu  '.  J'ai  vu  successivement  deux  de  mes 

«  Voir  dans  Saint-Simon  des  détails  sur  ce  personnage  que 
personne  ne  voulait  voir  à  la  cour,  et  qui  passait  pour  espion. 

*  La  conduite  de  cette  princesse,  en  Kspagne,  justifia  le  ju- 
gement qu'en  porte  Madame.  Llle  portait  sa  maussaderie  fan- 
tasque et  revéche  jusqu'à  refuser  de  paraître  aux  fêtes  qu'on 
donnait  en  son  honneur.  «  Devenue  reine,  elle  resta  enfermée 
«  dans  ses  appartements,  livrée  exclusivement  à  la  société  de 
«  ses  jeunes  caméristes  ;  leur  liaison  re(;ut  une  interprétation 
«  si  scandaleuse  que  le  roi  son  époux  les  chassa  du  palais  et  lit 
■  enjerqier  la  reine  au  château  de  Buen-Retiro,  Peu  de  tempà 


356  CORKESl'ONDANÇE 

parentes,  et  maintenant  ma  petite-fille,  devenir  reines 
d'Espagne.  Celle  que  j'ai  le  plus  aimée  était  ma 
belle-fille;  j'avais  pour  elle  l'afl'ection  la  plus  sincère, 
et  comme  si  elle  était  ma  sœur,  car  elle  n'aurait  pu 
être  ma  fille,  puisque  je  n'avais  que  neuf  ans  de  plus 
qu'elle.  J'étais  encore  tout  enfant  lorsque  j'arrivai 
ici  ;  nous  jouions  ensemble  avec  Charlçs-Louis  et  le 

«  après  ils  se  réconcilièrent  »  (  De  Tocqueville).  Lemonley,  dans 
son  fragment  déjà  cité  sur  les  filles  du  Régent,  est  entré  dans 
des  détails  curieux.  Voici  la  lettre  que  la  princesse  écrivait  à 
son  père  dans  l'occasion  la  plus  solennelle  de  sa  vie,  le  lende- 
main de  son  mariage.  Elle  couvre  dans  l'original  quatre  pages 
de  cnraclères  infirmes.  On  apiiréciera  par  le  style  et  l'orlho- 
graplie  l'instruction  que  recevait  une  princesse  au  Palais-Royal: 

«  Mon  chère  papa  avant  Jere  le  roy  la  reine  et  le  prince  me 
«  vinre  voire  je  netait  pas  encore  arriver  ici  le  lendemein  gi 
a  arriveret  je  fut  marie  le  même  jour  cependant  ili  a  eu  au- 
«  jourd'huit  encore  des  ceremoni  a  faire  le  roy  et  la  reine  me 
«  traite  fort  Lien  pour  le  prince  vous  en  avez  ace  oui  dire  je  suis 
«  avec  un  très  profond  respec  votre  1res  heumble  et  très  obi- 
■  santé  file  » 

Cette  lettre  est  du  21  janvier  17  22.  Pendant  la  roule,  la 
princesse  en  avait  adressé  à  son  père  une  autre  qui  commence 
dinsi  : 

«  A  Rasacc  ce  22  décembre  Permete  mon  dicre  papa  que 
«  jail  Ihonncur  en  vous  souhaitent  davence  une  bonne  ane  de 
«  prendre  encore  congé  de  vous  et  de  vous  asurcr  nuls  terme 
«  ne  pouvant  esprimer  ma  vive  reconnessance  de  toust  ce  que 
«  vous  aves  fait  jiour  moy  que  je  vous  la  marquerez  toute  ma 
«  vie  par  ma  bonne  conduite  et  mon  aplicalion  à  playre.  Trouve 
«  bon  ausi  que  rendent  justice  à  la  maison  du  roy  je  m'en  loue 
«  infiniment.  Le  cierge  qui  est  très  bien  composer  a  eu  toute 
«  lexattiide  possible.  » 

Le  maréchal  de  Tessé,  ambassadeur  à  Madrid,  après  l'avoir 
représentée  connue  plus  négligée  et  plus  maljjropre  qu'une  ser- 
vante de  cabaret,  ajoute  avec  raison,  ce  semble:  «  La  jeune 


DE  MADAME   LA   DL'CHKSSE   D'okLKANS.  357 

petit  prince  d'Eisenach  ;  nous  avons  souvent  t'ait  un 
tel  vacarme  qu'on  n'aurait  pas  entendu  tomber  le 
tonnerre. 

S'il  avait  été  question  de  faire  épouser  à  l'infant 
d'Espagne  une  archiduchesse,  et  si  le  comte  de  ManS' 
feld  vivait  encore,  je  ne  donnerais  pas  un  cheveu  df? 
la  vie  de  la  princesse  des  Âsturies,  car  il  a  empoi- 
sonné notre  chère  et  pauvre  reine ,  aussi  sûr  que  je 
suis  à  vous  écrire  ' .  On  n'est  pas  scrupuleux  à  cet 

«  reine  est  un  papier  blanc  mal  plié,  »  indiquant  ainsi  que  sa 
réputation  équivoque  était  la  suite  d'une  enfance  mal  dirigée 
plutôt  que  de  vices  réels,  La  Place  (Pu'ces  intéressantes  et  peu 
connues,  t.  I,  p.  34)  raconte  comment  le  comte  de  Bonneval 
releva  à  Bruxelles  des  bruits  calomnieux  relatifs  à  un  gentil- 
homme français  qu'on  disait  avoir  été  assassiné  à  Madrid  pour 
avoir  été  trouvé  chez  la  reine.  Après  la  mort  de  son  mari  elle 
revint  en  France;  Barbier  [Journal,  t.  I,  p.  2CC)  la  dit  bien 
faite,  blanche,  grasse,  mais  sans  plus  de  résolution  et  de  senti- 
ment qu'un  enfant  de  sept  ans.  Il  raconte  comment,  en  1727, 
elle  se  retira  dans  un  couvent  avec  une  camériste^  un  chien  et 
deux  chats. 

•  Celte  accusation,  qui  n'est  nullement  prouvée,  se  retrouve 
dans  les  Mémoires  de  Saint-Simon,  qui  attribue  en  outre  la 
mort  du  prince  électoral  de  Bavière  au  poison  que  lui  fit  admi- 
nistrer la  cour  de  Vienne  (voir  t.  lll,  p.  95;  t.  IV,  p.  81,  et 
t.  XIV,  p.  27  ).  On  lit  dans  les  Mémoires  de  Louville  :  «  Il  n'est 
«  pas  douteux  que  la  reine  d'Espagne,  nièce  de  Louis  XIV,  n'ait 
«  été  empoisonnée  en  1689,  et  qu'elle  n'ait  payé  de  sa  vie 
«  l'inutile  empire  qu'elle  avoit  su  prendre  sur  son  époux.  » 
M.Vatout  [le  Palais-Royal,  1838,  in-8,  p.  87)  s'exprime  ainsi: 
«  Les  mémoires  du  temps  font  entendre  que  M'ie  d'Orléans, 
femme  de  Charles  II,  mourut  empoisonnée  par  la  comtesse  de 
Soissons.  Des  documents  particuliers  donneraient  à  penser 
qu'elle  périt  victime  d'une  singulière  intrigue  de  cour.  Dans  la 
crainte  de  voir  la  couronne  d'Espagne  passer  sur  une  tête 
étrangère,  des  personnes  qui  étaient  dans  le  secret  de  l'impuis- 


358  CORRESPONDANCE 

égard  dans  le  conseil  impérial,  et,  sans  que  Tem- 
pereiir  le  sache,  on  expédie  les  gens  dans  l'autre 
monde  ' . 

Paris,  !9  février  1722. 

Je  tus  hier  voir  notre  duchesse  de  Hanovre  pour 
lui  l'aire  compliment  de  condoléance,  au  sujet  de  la 
mort  de  la  duchesse  de  Zell,  qui  est  décédée  le  4  de 
ce  mois  ;  plut  à  Dieu  que  ce  fût  survenu  soixante  ans 
plus  tôt! 

Paris,  21  février  1722. 

Les  gens  gros,  grands  et  forts  ne  vivent  pas  plus 
longtemps  que  les  autres  ;  nous  le  voyons  bien  par  la 
pauvre  princesse  de  Ragotzi;  dimanche,  elle  était 
fraîche  et  bien  portante  ;  lundi ,  après  qu'elle  se  fut 
fait  arracher  une  dent,  il  lui  vint  un  abcès  dans  la 
bouche  et  de  la  fièvre  ;  on  l'a  saignée  deux  fois  au 

sance  de  Charles  II,  avaient  conseillé  à  la  reine  d'admettre  en 
secret  un  autre  que  son  mari  dans  la  couche  royale;  elle  re- 
poussa ce  conseil  avec  une  vertueuse  indignation  ;  mais  pres- 
sentant le  danger  dont  elle  était  menacée,  elle  écrivit  à  son 
père  pour  demander  du  contre-poison.  Il  arriva  trop  tard.  » 
On  lit  dans  le  Journal  de  Dangeau,  18  août  IC9C  :  «  Monsieur 
manda  à  Madame  royale,  sa  fille ,  qu'elle  se  défiât  de  M.  de 
Mansfeid,  contre  qui  il  y  avait  eu  de  grands  soupesons  à  la  mort 
de  la  reine  d'Espagne,  sa  sœur.  »  D'autres  écrivains  du  temps 
ne  doutent  pas  de  la  réalité  de  ce  crime,  et  M.  Monmerqué, 
dans  une  note  de  son  édition  des  Lettres  de  Mme  de  Sévigné, 
a  réuni  des  conjectures  tellement  fortifiées  les  unes  par  les  au- 
tres, qu'elles  équivalent,  on  peut  le  dire,  à  une  certitude. 

'  Saint-Simon  parle  de  «  la  facilité  de  la  maison  d'Autriche 
à  s'aider  du  poison  pour  se  dclairc  de  ce  qui  l'embarrasse  » 
l.  X.XIX,  p.  2G. 


DE  MADAME   LA  DUCHESSE   d'oRLÉANS.  359 

bras  et  une  fois  au  pied  ;  elle  se  Irouva  mieux  nu 
moment  après  cette  saignée,  mais  ensuite  elle  dit  : 
«  Je  me  sens  plus  mal,  »  et  elle  a  rendu  l'esprit.  On 
l'a  enterrée  hier  dans  son  couvent.  Ses  gens  m'ont 
raconté  à  son  égard  une  chose  tout  à  fait  extraordi- 
naire :  lorsqu'elle  était  à  Varsovie,  elle  rêva  une  nuit 
qu'un  étranger  venait  lui   parler   dans   une  petite 
chambre  qu'elle  n'avait  jamais  vue;  il  lui  présenta 
un  verre  et  lui  dit  de  boire  ;  elle  n'avait  pas  du  tout 
soif  et  elle  s'y  refusa;  il  insista  et  lui  dit  que  c'était 
pour  la  dernière  fois  de  sa  vie  qu'elle  buvait;  là- 
dessus  elle  s'éveilla.  Ce  rêve  lui  resta  toujours  dans 
la  tête;  lorsqu'elle  vint  ici,  elle  logea  d'abord  dans 
un  hôtel,  et,  s'étant  trouvée  incommodée,  elle  de- 
manda un  médecin;  on  lui  amena  le  docteur  Helvé- 
tius,  qui  est  un  des  médecins  du  roi  par  quartier;  son 
père  est  un  Hollandais;  c'est  un  habile  homme  et 
fort  estimé.  Aussitôt  qu'elle  l'aperçoit,  elle  manifeste 
un  grand  trouble.  Le  comte  Schlieben  lui  en  demande 
la  cause;  elle  répond  que  le  docteur  Helvétius  repro- 
duit trait  pour  trait,  à  ses  yeux,  l'homme  qu'elle  a  vu 
en  songe  à  Varsovie,  puis  elle  se  mit  à  rire  et  dit  :  «  Je 
ne  mourrai  pas  de  cette  maladie ,  car  cette  chambre 
n'est  pas  celle  que  j'ai  vue  à  Varsovie.  »  Lorsqu'elle 
vint  dans  le  couvent  de  Chaillot,  et  qu'elle  vit  l'ap- 
partement qu'on  lui  avait  préparé  à  l'avance,  elle  dit 
à  ses  gens  :  «  Je  ne  sortirai  pas  en  vie  d'ici ,  car  c'est 
la  chambre  que  j'ai  vue  en  songe  en  Pologne,  et  où 
j'ai  bu  pour  la  dernière  fois.  »  La  chose  s'est  en  effet 
réalisée;  c'est  vraiment  fort  étrange,  mais  il  me 
semble  que  ces  choses-là  arrivent  aux  princes  de  lu 


360  noRrj-spoxDANCE 

maison  de  Hcsse  plus  qu'à  toutes  autres  personnes. 
Quelle  en  est  la  raison?  Dieu  le  sait.  Nous  autres, 
gens  du  Palatinat,  nous  sommes  tout  différents;  nous 
n'avons  jamais  ni  apparitions  ni  rêves. 

3  mars  1722. 

La  vieille  (  Mainte  non)  éloignait  le  roi  de  moi  tant 
qu'elle  pouvait;  elle  avait  fait  de  manière  que  loiilcs 
les  personnes  de  la  maison  royale  ne  pouvaient  entrer 
dans  le  cabinet  de  Sa  Majesté  ;  ma  demande  à  cet  égard 
ne  me  fut  pas  refusée  formellement,  mais  elle  ne  me 
fut  accordée  qu'ai)rès  la  mort  du  Dauphin  et  de  la 
Dauphine.  Colle-ci  accom[)agnait  le  roi  en  beaucoup 
d'endroits  où  je  n'allais  point,  et  où  je  n'aurais  pas 
voulu  aller,  car  elle  allait  avec  lui  lorsqu'il  était  assis 
sur  un  sale  trône,  ce  que  la  vieille  faisait  aussi ,  afin 
d'avoir  toujours  ce  moyen  de  parler  au  roi  en  secret. 

10  mars  1722. 

L'histoire  du  prince  Emmanuel  de  Portugal  est 
comme  un  roman.  On  dit  que  son  frère,  le  roi,  voulut 
d'abord  le  faire  prêtre  et  évoque;  cela  ne  lui  conve- 
nait pas,  et  il  voulait  s"on  dispenser,  car  on  prétond 
(pi'il  était  amoureux  dans  son  pays.  Le  roi  le  fit  venir, 
lui  demanda  s'il  était  vrai  qu'il  ne  voulût  pas  être  ec- 
clésiastique. Le  prince  ayant  répondu  que  c'était  vrai, 
le  roi  donna,  dit-on,  un  soufflet  à  son  frère;  là-dessus 
l'infant  répondit  :  «  Vous  êtes  mon  frère  et  mon  roi, 
je  ne  puis  ni  ne  dois  me  venger  de  vous  ;  mais  comme 
vous  m'avez  fait  un  alViout,  vous  ne  me  reverrez  pas 


DE   MADAMF.    i.\   mCHRSSE   d'ORLÉANS.  361 

de  toute  votre  vie  » .  On  dit  qu'il  partit  la  nuit  même. 
Le  roi  lui  avait  ordonné  de  s'en  retourner  de  Paris  en 
Hollande  ;  l'infant  n"a  rien  répondu  à  cet  égard  ;  aussi 
ni  le  gouverneur,  ni  l'ambassadeur  ne  doutèrent  qu'il 
n'eût  la  volonté  d'obéir  à  son  frère.  Il  dit  à  l'ambas- 
sadeur qu'il  avait  envie  de  voir  Versailles  et  Marly. 
L'ambassadeur  fit  tout  préparer,  et  lui  et  sa  femme 
partirent  avec  le  prince;  le  gouverneur  et  un  gentil- 
homme du  prince  furent  de  la  partie.  Lorsqu'ils  re- 
vinrent de  Versailles  et  qu'ils  furent  arrivés  au  milieu 
du  cours,  le  prince  fit  arrêter  et  s'écria  :  «  N'est-il  pas 
venu  ici  une  chaise  de  poste?  »  Une  voix  répondit  : 
«  Oui,  monseigneur,  en  voici  quatre.  —  C'est  assez, 
dit  le  prince.  »  Il  se  tourna  vers  l'ambassadeur,  le  re- 
mercia extrêmement  des  grandes  preuves  d'amitié 
qu'il  lui  avait  données,  et  il  ajouta  :  «  Je  ne  désire 
rien  plus  que  de  trouver  une  occasion  de  vous  témoi- 
gner ma  reconnaissance;  je  pars  en  ce  moment  pour 
me  rendre  à  Vienne  chez  l'empereur,  il  est  mon  cou- 
sin, et  me  recevra  bien,  je  l'espère.  Je  veux  apprendre 
dans  SCS  troupes,  et  contrôles  Turcs,  à  faire  mon  mé- 
tier. y>  H  adressa  aussi  ses  remerciments  à  son  gouver- 
neur de  la  peine  qu'il  avait  eue  de  l'élever,  et  lui 
protesta  que  si  Dieu  lui  accordait  du  bonheur,  son 
gouverneur  le  partagerait  certainement.  11  fit  aussi  un 
compliment  au  gentilhomme,  et  il  descendit  ensuite, 
appela  les  chaises  de  poste  et  §e  mit  dans  l'une;  son 
favori,  un  petit  jeune  qui  est  un  drôle  assez  laid , 
mais  qui,  dit-on,  a  beaucoup  d'esprit,  se  mit  dans 
l'autre,  et  ses  deux  valets  de  chambre  dans  la  troi- 
sième et  la  quatrième.  D'autres  disent  (et  c'est  ce  qui 


3G2  CORRESPONDANCE 

rend  le  roman  encore  plus  parfait)  qu'il  aurait  été 
amoureux,  en  Portugal,  de  M"'^  je  Ribeira,  avant 
qu'elle  ne  fût  mariée,  et  qu'il  avait  voulu  l'épouser, 
que  le  roi  son  frère  n'avait  pas  voulu  le  permettre,  et 
que,  peu  de  temps  avant  son  départ,  le  mari  l'avait 
surpris  aux  genoux  de  sa  femme,  et  ce  mari  est  terri- 
blement jaloux,  et  cela  hâta  le  départ  du  prince.  Le 
roman  est  ainsi  accompli. 

Paris,  26  mars  1722. 

Je  ne  crois  pas  qu'on  puisse  dans  le  monde  entier 
trouver  une  enfant  plus  aimable  et  plus  jolie  que 
notre  jolie  infante  ';  elle  fait  des  réflexions  qui  se- 
raient dignes  d'une  personne  de  trente  ans  :  «  On  dit 
que  quand  on  meurt  à  mon  âge  on  est  sauvé,  et  on 
va  droit  en  paradis;  je  serais  donc  bien  heureuse  si 
le  bon  Dieu  voulait  me  prendre.  »  Je  crains  qu'elle 
n'ait  trop  de  moyens  et  qu'elle  ne  vive  pas;  elle  a  les 
plus  gentilles  façons  du  monde;  elle  m'a  tout  à  fait 
prise  en  amitié,  et  elle  court  au-devant  de  moi,  dans 
son  antichambre,  les  bras  grand -ouverts  et  m'em- 
brasse avec  affection.  Je  ne  suis  pas  mal  avec  le  roi; 
j'ai  joué  hier  à  son  gouverneur  un  tour  qui  m'a  bien 

'  L'infante  d'Espagne  amenée  en  France  pour  y  être  élevée  et 
(îpouser  Louis  XV  ;  ceUe  union  n'eut  pas  lieu,  mais  ce  projet,  qui  se 
liait  avec  le  inariiii,'c  de  deux  filles  du  Régenl  avec  deux  infants, 
termina  la  querelle  entre  Pliilippe  V  et  la  maison  d'OrUans. 
Tcttc  négociation  fut  menée  à  bonne  lin  par  le  père  Daubentoii, 
confesseur  du  roi  d'Espagne,  qui  obtint,  en  écliançic  de  son 
/(•le,  deux  stipulations  secrètes  favorables  à  son  ordre,  la  dé- 
siynalion  d'un  jésuite  pour  confesseur  du  roi,  et  l'exil  du  chan- 
c(li( r d'Ayuesfceau (  voir  les  Mimoties  de  Maurepns,  1. 1,  p.  223  j. 


DE  MADAME  LA  DUCHESSE  d'OULÉANS.  3G3 

divertie.  Ils  sont  tous  extrêmement  jaloux  du  roi, 
dans  la  crainte  qu'on  ne  lui  dise  quelque  chose  con- 
tre eux;  je  les  ai  bien  attrapés.  Avant-hier,  le  roi 
avait  soullert  d'une  colique  venteuse  ;  je  m'approche 
de  lui  avec  em[)ressement  tenant  un  billet  à  la  main  ; 
le  maréchal  de  Villeroi  fut  extrêmement  embarrassé, 
il  me  dit  de  l'air  le  plus  sérieux  :  «  Quel  billet  don- 
nez-vous là  au  roi?  »  Je  répondis  avec  non  moins  de 
gravité  :  «  C'est  un  remède  contre  la  colique  des 
vents.  »  Le  maréchal  répliqua  :  «  Il  n'y  a  que  le  pre- 
mier médecin  du  roi  qui  puisse  lui  proposeï-  des  re- 
mèdes. »  Je  répondis  :  «  Pour  celui-ci ,  je  suis  sûre 
que  M.  Dodart  l'approuvera  '  ;  il  est  même  écrit  en 
vers.  »  Le  roi  était  aussi  fort  embarrassé  ;  il  ouvrit 
le  papier  et  se  mit  à  rire.  Le  maréchal,  n'y  tenant 
plus,  demanda  :  «  Peut-on  le  voir?  »  Je  répondis  : 
«  Oh,  oui,  ce  n'est  pas  un  secret;  »  il  se  mit  à  lire  : 

Vous  qui,  dans  le  mésentère, 
Avez  des  vents  impétueux. 
Ils  sont  dangereux. 
Et  pour  vous  en  défaire. 
Pétez  : 
Pétez,  vous  ne  sauriez  mieux  faire. 

Pétez, 
Trop  heureux  de  vous  défaire  d'eux. 

A  ces  malheureux 
Pour  donner  liberté  tout  entière, 

Pétez, 
Vous  ne  Sfiuriez  mieux  faire  ; 

Trop  heureux, 
De  vous  délivrer  d'eux  ■*. 

•  Claude-Jean-Baptiste  Dodart,  nommé  en  1718  prcmii'r  mé- 
decin de  Louis  XV,  et  mort  en  17  30,  âgé  de  soixante-six  ans, 
sans  avoir  laissé  aucun  écrit. 

*  Les  vers  de  Madame  sont  parfaitement  dignes  de  figurer 


364  CORRESPONDANCE 

11  s'éleva  un  tel  éclat  de  rire  que  je  ne  fus  pas  sans 
me  repentir  d'avoir  fait  cette  farce,  car  le  maréclial 
paraissait  réellement  fâché;  c'est  encore  un  Irait  qui 
me  rappelle  ma  jeunesse.  Nous  avons  ici  d'étranges 
anecdotes.  Une  demoiselle  a  montré  uïie  résolution 
étonnante  :  Un  gentilhomme,  après  avoir  séduit  et 
rendu  enceinte  une  de  ses  sœurs  ,  ne  voulait  pas 
l'épouser  ;  il  avait  tué  en  duel  un  de  ses  frères  et 
balafié  le  visage  à  un  autre,  et,  pour  déshonorer 
toute  la  famille,  il  prétendait  qu'il  avait  eu  commerce 
avec  la  mère,  de  sorte  qu'il  ne  pouvait  épouser  la 
fdle.  M"^  de  Saint-Étienne,  voyant  que  celui  de  ses 
frères  qui  vivait  encore  n'avait  pas  assez  de  cœur 

dans  la  Crép'ifonomie,  Paris,  1815;  clans  le  Dieu  des  Vents, 
La  Haye,  1776;  dans  le  Guide  du  Prussien,  1825,  et  dans  les 
nombreux  ouvrages  du  même  genre,  mentionnés  dans  le  cu- 
rieux répertoire  spécial  qui  fait  partie  de  la  Bibliotheca  sccito- 
lofjicu,  Scatopolis,  chez  les  marchands  d'aniterges,  l'année  sca- 
lo^ine,  58 'lO  (Paris,  Jannet,  1850).  Pareilles  plaisanteries,  qui 
paraîtraient  aujourd'hui  de  hicn  mauvais  goût ,  étaient  alors 
vues  avec  plus  d'indulgence  ;  Tallemant  des  Rénux  parle  dans 
ses  Hislovieltes  (t.  IV,  p.  63  de  l'édition  in-12)  d'un  membre 
de  la  famille  des  Arnauid,  qu'on  appelait  Arnauld  le  l'éleux, 
«  parce  que,  dès  sa  jeunesse,  il  étoit  accoutumé  à  péter  par- 
tout, w  Ou  rencontre  dans  un  recueil  de  vers  publié  par  le  li- 
braire Sorcy,  sous  le  règne  de  Louis  XIV,  une  pièce  adressée 
A  une  demoiselle  tourmentée  des  vents,  que  nous  ne  voulons 
pas  citer.  Cela  s'iuiprimait  avec  privilège  royal,  et  se  dédiait  î"! 
un  aumônier  de  Sa  Majesté.  D'après  Saint-Simon,  on  fit  à  la 
cour  mille  plaisanteries  sur  la  duchesse  de  Montfort  atteinte 
d'une  fort  désagréable  infirmité  de  ce  genre.  Benserade,  en 
composant  les  vers  d'un  ballet  où  figurait  Louis  XiV  lui-nicnic, 
s'était  permis  de  dire  : 

Cnr  riuu  u'cbl  ilaiiyiTcus  djuiiiiL'  les  vents  coulis. 


DE  MADAME  LA  DUCHESSE  d'ORLÉANS.  365 

pour  laver  la  honte  de  celte  famille,  est  allée  trouver 
M.  des  Escart  et  lui  a  dit  :  «  Vous  avez  déshonoré 
ma  famille  tout  entière;  vous  pouvez  le  réparer  en 
épousant  ma  sœur.  Prenez  garde  à  ce  que  vous  me 
répondrez,  car  si  vous  ne  répondez  pas  bien,  vous 
pourrez  vous  en  repentir  ;  regardez-moi  bien  ;  me 
reconnaissez-vous?  »  11  répondit  :  «  Oui,  je  vous  re- 
connais bien  ;  vous  êtes  M'"'  de  Saint-Étienne,  mais 
je  n'épouserai  pas  votre  sœur,  quoiqu'elle  soit  grosse 
de  moi.  »  Alors  la  demoiselle  saisit  un  pistolet  chargé 
qu'elle  avait  dans  sa  poché  et  lui  casse  la  tête;  il  a 
vécu  encore  quelques  heures  et  a  déclaré  qu'il  lui 
pardonnait  sa  mort.  On  sollicite  en  sa  faveur,  et  je 
trouve  qu'elle  mérite  bien  sa  grâce  '.  —  L'autre  his- 
toire étrange  est  celle  d'un  jeune  prêtre  de  vingt  et 
un  ans,  qui  était  fort  instruit  et  qui  avait  été  chargé 
de  donner  des  leçons  de  latin  à  M""  de  Vermandois. 
Il  est  devenu  fou  d'amour  pour  elle,  et  il  a  écrit  à 
M™»  la  Duchesse  qu'il  voulait  l'épouser  ;  il  a  écrit  à 
la  jeune  princesse  une  foule  de  lettres  où  il  exprime 
sa  passion.  L'abbesse  n'a  pas  voulu  que  ces  lettres 
fussent  remises ,  mais  elle  a  envoyé  à  ce  prêtre  le 
confesseur  du  couvent,  afin  de  lui  dire  qu'il  eût  à 
s'abstenir  d'écrire  et  de  venir  au  couvent.  Le  jeune 
prêtre  a  répondu  :  «  Je  vois  bien  que  tu  es  mon  rival 
et  que  tu  veux  m'enlever  la  princesse;  il  est  permis 
de  tuer  son  rival  ;  »  et  là-dessus,  il  prend  un  pistolet 
qu'il  avait  dans  sa  poche,  brûle  la  cervelle  au  pauvre 

'  Cette  (lemoiseUc  se  nommait  Du  Chéron,  et  le  fait  se  passa 
à  Muntpellier.  Voir  le  Journal  de  Marais,  Revue  rétrospeetive, 
t.  Vlll,  p.  210. 

31. 


366  CORRESPONDANCE 

confesseur,  et  l'étend  roide  mort.  On  l'a  condamné 
à  être  roué,  mais  M™»  la  princesse  sollicite  fort  la 
grâce  de  ce  pauvre  fou. 

Il  arrive  ici  des  choses  qui  montrent,  selon  moi,  que 
Salomon  a  eu  tort  de  dire  qu'il  n'y  avait  rien  de  neuf 
sous  le  soleil  ;  c'est  ainsi  que  M™^  de  Polignac  a  dit  à 
son  mari  :  «  Je  suis  grosse  ;  vous  savez  bien  que  ce 
n'est  pas  de  vous,  mais  je  ne  vous  conseille  pas  de  faire 
de  bruit,  car,  s'il  y  a  un  procès  à  cet  égard,  vous  per- 
drez, et  vous  savez  bien  quelle  est  la  loi  dans  ce  pays- 
ci  :  Tout  enfant  né  dans  le  mariage  appartient  au 
mari  ;  ainsi  cet  enfant  est  à  vous;  d'ailleurs,  je  vous 
le  donne.  »  Je  crois  qu'il  ne  s'est  jamais  rien  vu  de 
pareil. 

Paris.   16  avril  «722. 

Les  jeunes  gens,  à  l'époque  où  nous  sommes,  n'ont 
que  deux  objets  en  vue,  la  débauche  et  l'intérêt;  la 
préoccupation  qu'ils  ont  toujours  de  se  procurer  de 
l'argent,  n'importe  pnr  quel  moyen,  les  rend  pensifs 
et  désagréables;  pour  être  aimable,  il  faut  avoir  l'es- 
prit débarrassé  de  soucis,  et  il  faut  avoir  la  volonté 
de  se  livrer  à  l'amusement  dans  d'honnclos  compa- 
gnies, mais  ce  sont  des  choses  dont  on  est  bien  éloi- 
gné aujourd'hui. 

Il  n'est  que  trop  vrai  que  chacun  a  ses  peines  et  ses 
soucis;  j'ai  vu  hier  des  personnes  sincèrement  affli- 
gées et  dont  je  partage  sincèrement  les  chagrins,  M™* 
la  Princesse  et  sa  petite-fille,  la  jeune  princesse  de 
Conli;  elle  a  entamé  un  procès  contre  son  mari;  il 
veut  absolument  la  ravoir  cl  elle  a  éprouvé  de  sa  part 


DE   MADAME    LA    DUCHESSE   O'ORLÉANS.  367 

des  traitements  si  affreux ,  qu'elle  veut  également  à 
toute  force  se  séparer  de  lui;  cela  fait  un  bruit  ter- 
rible '. 

20  avril  1722. 

Les  moines  du  couvent  d'Ibourg  voulurent  se  ven- 
ger de  ce  que  je  les  avais  dénoncés,  sans  m'en  douter, 
en  disant  à  Tabbé  qu'ils  avaient  péché  dans  un  étang 
sous  ma  fenêtre,  chose  que  l'abbé  avait  défendue  ;  ils 
s'avisèrent  de  me  verser  du  vin  blanc  à  la  place  d'eau. 
Je  disais  :  «  Je  ne  sais  ce  que  c'est  que  cette  eau-là, 
plus  j'en  mets  dans  mon  vin,  plus  il  devient  fort.  » 
Les  moines  disaient  :  «  Nous  avons  de  bien  bon  vin.  » 
En  sortant  de  table,  je  voulus  aller  au  jardin  ;  mais 
si  l'on  ne  m'avait  retenue,  je  serais  tombée  dans  l'é- 
tang :  je  me  jetai  par  terre  et  je  m'endormis  aussitôt. 
On  me  porta  dans  ma  chambre  et  je  me  mis  au  lit.  Je 
ne  me  réveillai  que  le  soir  à  neuf  heures;  je  me  sou- 
vins de  tout  ce  qui  s'était  passé;  c'était  le  jeudi  saint; 
je  portai  plainte  à  l'abbé  de  ce  que  ses  moines  m'a- 
vaient fait  :  ils  furent  mis  en  prison.  On  m'a  souvent 
plaisantée  au  sujet  de  ce  jeudi  saint. 

8  mai  1722. 

On  avait  fait  au  roi  une  telle  peur  de  l'enfer,  qii'il 
croyait  que  tous  ceux  qui  n'avaient  pas  été  instruits 
par  les  jésuites  étaient  damnés,  et  qu'il  craignait  d'ê- 
tre damné  aussi  s'il  les  fréquentait.  Quand  on  voulait 
perdre  quelqu'un ,  on  n'avait  qu'à  dire  :  //  esl  hugue- 

•  Le  Journal  de  Barbier,  t.  I,  contient  des  détails  fort  éten- 
dus sur  cette  affaire. 


368  CORRESPONDANCE 

not  OU  janséniste;  alors  l'affaire  était  faite.  Mon  fils 
voulut  prendre  à  son  service  un  gentilhomme  dont  la 
mère  était  une  janséniste  déclarée.  Les  jésuites,  pour 
faire  une  affaire  à  mon  fils  auprès  du  roi,  lui  dirent 
que  le  prince  voulait  prendre  un  janséniste  à  son  ser- 
vice. Le  roi  fit  appeler  mon  fils  et  lui  dit  :  «  Comment, 
mon  neveu,  de  quoi  vous  avisez-vous,  de  prendre  un 
janséniste  à  votre  service? —  Moi!  répondit  mon  fils; 
je  n'y  pense  pas.  »  Le  roi  dit  :  «  Vous  prenez  un  tel, 
dont  la  mère  l'est.  »  Mon  fils  se  mit  à  rire  et  répondit  ' 
a  Je  puis  assurer  Votre  Majesté  qu'il  n'est  sûrement  pas 
janséniste;  il  est  même  plus  à  craindre  qu'il  ne  croie 
pas  en  Dieu.  —  Oh  !  dit  le  roi,  si  ce  n'est  que  cela,  et 
que  vous  m'assuriez  bien  qu'il  n'est  pas  janséniste, 
vous  pouvez  le  prendre.  » 

Paris,  14  mai  1722. 

Je  ne  sais  pas  si  je  vous  ai  fait  part  du  beau  dialo- 
gue qui  a  eu  lieu,  il  y  a  quelques  mois,  entre  M'"°'  de 
Polignac  et  de  Sabran  '  et  doux  duchesses;  les  du- 
chesses n'étaient  pas  de  si  bonne  maison  que  ces  deux- 
dames  ;  les  dames  ne  voulaient  pas  qu'au  bal  de  l'Hô- 
tel-dc-Villc  les  duchesses  se  missent  au-dessus  d'elles: 
«  Vous  voulez  vous  mettre  au-dessus  de  nous  pour 
montrer  vos  beaux  habits  qui  sortent  de  la  bouli(pic 
de  votre  père  »  ;  les  duchesses  piquées  de  ce  discours, 
répondirent  :  «  Si  nous  ne  sommes  pas  d'aussi  bonnes 

'  Fille  (le  la  duchesse  de  Foix  et  l'une  des  maitrcsscs  du  ré- 
gent (voir  Saint-Siinou,  t.  XXIX,  p.  251).  «Rien  de  si  beau 
qu'elle,  de  plus  régulier,  de  plus  agréable  ;  elle  cloit  insinuante, 
déijaueliée.  charmante  surtout  à  table.  » 


W.   MADAME    LA    1)1  CHtSSE   J)'oiU,EANS.  369 

maisons  que  vous,  au  moins  nous  ne  sommes  pas  des 
putains  comme  vous  »  ;  les  dames  répondirent  ;  «  Oui, 
nous  sommes  des  putains  et  nous  voulons  l'être,  car 
cela  nous  divertit.  »  Ne  sont-ce  pas  là  de  beaux  propos 
chez  des  dames  de  qualité  '  ?  La  princesse  de  Sicgen 
pourrait  bien  en  dire  autant  ;  j'approuve  fort  qu'à 
Francfort  on  ne  veuille  pas  la  voir  ;  si  on  en  faisait 
de  même  ici,  les  femmes  seraient  plus  réservées  et  ne 
s'exprimeraient  pas  avec  l'effronterie  dont  elles  don- 
nent des  preuves,  comme  vous  voyez. 

Je  ne  crois  pas  qu'il  existe  une  nation  plus  ingrate 
et  plus  intéressée  que  les  Français;  si  je  ne  l'avais  pas 
vu  de  mes  yeux,  je  ne  pourrais  le  croire. 

Paris,  16  mai  1722. 

Je  vous  remercie  bien  de  prier  pour  moi;  je  n'ai 
plus  rien  à  demander  pour  mon  bonheur  en  ce  monde; 
pourvu  que  Dieu  protège  mes  enfants ,  je  suis  con- 
tente ,  mais  j'ai  grand  besoin  qu'on  l'intercédé  pour 
mon  bonheur  dans  l'autre  vie,  ainsi  que  pour  mon 
nis.  Dieu  veuille  le  convertir,  c'est  la  seule  grâce  que 
je  lui  demande.  Je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  dans  Paris, 
tant  parmi  les  ecclésiastiques  que  parmi  les  gens  du 
monde,  cent  personnes  qui  aient  la  véritable  foi  chré- 
tienne et  même  qui  croient  en  notre  Sauveur  ;  cela 
me  fait  frémir. 

21  mai  1722. 

Après  le  décès  de  Monsieur,  le  roi  me  fit  demander 

1  Voir  le  Journal  de  Barbier,  t.  1,  p.  341.  La  duchesse  de 
Biron  et  Mme  de  Rupelmonde  se  traitent  de  p....ns  cl  s'envoient 
faire  f. 


370  CORRESPONDANCE 

OÙ  je  voulais  aller,  si  c'était  dans  un  couvent  de  Paris, 
ou  à  Maubuisson,  ou  ailleurs.  Je  répondis  que  puisque 
j'avais  l'honneur  d'être  de  la  maison  royale,  je  ne  pou- 
vais avoir  d'autre  demeure  que  là  où  était  le  roi,  et 
que  je  voulais  ainsi  aller  droit  à  Versailles.  Cela  plut 
au  roi  ;  il  vint  me  trouver  ;  cependant  il  me  piqua  un 
peu,  car  il  me  dit  qu'il  m'avait  fait  demander  où  je 
voulais  me  retirer,  parce  qu'il  n'avait  pas  pensé  que  je 
voulusse  rester  au  même  endroit  où  il  était.  Je  dis  que 
je  ne  savais  point  qui  avait  pu  faire  à  Sa  Majesté 
d'aussi  faux  rapports  contre  moi,  et  que  j'avais  plus 
de  respect  et  d'attachement  pour  Sa  Majesté  que  tous 
ceux  qui  m'avaient  accusé  à  faux.  Alors  le  roi  fit  sortir 
tout  le  monde,  et  nous  eûmes  un  grand  éclaircissement 
dans  lequel  le  roi  me  reprocha  de  haïr  M^^^  ^q  Main- 
tenon.  Je  dis  qu'il  était  vrai  que  je  la  haïssais ,  mais 
seulement  par  attachement  pour  lui,  et  parce  qu'elle 
me  rendait  de  mauvais  oftlccs  auprès  de  Sa  Majesté; 
cependant  j'ajoutai  que  s'il  lui  était  agréable  que  je 
me  réconciliasse  avec  elle,  j'étais  prête  à  le  faire.  La 
bonne  dame  n'avait  pas  prévu  cela,  autrement  elle 
n'aurait  pas  laissé  approcher  le  roi  de  moi  ;  il  fut  de 
si  bonne  foi  qu'il  me  resta  favorable  jusqu'au  dernier 
moment.  Il  fit  venir  la  vieille  et  lui  dit  :  «  Madame  se 
veut  bien  raccommoder  avec  vous  ;  »  il  nous  fit  em- 
brasser, et  cela  se  termina  de  la  sorte.  Il  voulut  en- 
suite qu'elle  vécût  bien  avec  moi  ;  c'est  ce  qu'elle  fit 
aussi  en  apparence,  mais  sous  main  elle  me  joua  toutes 
sortes  de  tours.  Une  me  répugnait  pas  d'aller  faire  un 
voyage  à  Montargis,  mais  je  ne  voulais  pas  que  cela 
eût  Tair  d'une  disgrâce,  et  comme  si  j'eusse  conmiis 


DE  MADAMK   L.\   DICHESSE   D'oRLÉANS.  371 

quelque  délit  qui  m'eût  fait  chasser  de  la  cour.  Il  était 
à  craindre  d'ailleurs  qu'à  deux  journées  d'ici  on  ne 
me  laissât  mourir  de  faim,  et  cela  ne  faisait  pas  mon 
affaire,  j'aimai  mieux  me  réconcilier  avec  le  roi.  Quant 
à  la  retraite  dans  un  couvent,  je  n'y  trouvais  pas  du 
tout  mon  compte;  mais  c'était  justement  là  ce  que  la 
vieille  aurait  désiré.  Le  château  de  Montargis  est  mon 
douaire  ;  à  Orléans  il  n'y  a  pas  de  maison  ;  Saint-Cloud 
n'est  pas  un  apanage,  c'est  une  propriété  que  feu  Mon- 
sieur avait  achetée  de  son  propre  argent.  Or,  mon 
douaire  n'est  rien  ;  tout  ce  que  j'ai  pour  vivre  vient  du 
roi  et  de  mon  fds  ;  on  m"a  laissée  au  commencement 
de  mon  veuvage  sans  rien  me  payer  ;  on  me  devait  à 
la  fin  trois  cent  mille  francs,  qu'on  ne  m'a  payés  qu'a- 
près la  mort  du  roi  ;  qu"eùt-ce  donc  été  si  j'avais  choisi 
ma  retraite  à  Montargis  '  ? 

Paris,  4  juin  1722. 

I^e  savant  de  Halle  qui  a  amené  le  margrave  de 
Dourlach  à  renoncer  à  sa  conduite  scandaleuse  et  à 
renvoyer  son  sérail,  mérite  sûrement  une  place  dans 
le  ciel;  mais  quant  au  maudit  prêtre  qui,  assurément 
par  intérêt ,  a  si  fort  égaré  le  margrave ,  il  est  digne 
de  la  punition  la  plus  sévère  ;  il  ne  suffit  pas  de  le  dé- 
poser, il  faudrait  le  condamner  à  une  prison  perpé- 
tuelle ;  les  autres  y  regarderaient  davantage  avant  de 
donner  de  mauvais  conseils. 

1  Voir  à  ce  sujet  les  Mémoires  de  Choisy,  1727,  t.  II,  p.  72. 
«  Lorsque  Monsieur  eut  reçu  ce  qui  revenoit  de  sa  femme  pour 
a  la  succession  de  l'électeur  palatin ,  il  acheta  des  pendants 
«  d'oreilles  de  quarante  mille  écus,  et  se  fit  un  grand  plaisir  de 
t  meubler  sa  galerie  du  Palais-Royal,  u 


372  CORnESPONDANCE 

Les  mendiants  qui  parcourent  le  pays  sont  ordi- 
nairement de  grands  coquins.  Il  y  a  quelques  années 
on  en  tua  un  qui  avait  la  coutimie  de  suivre  la  cour 
monté  sur  un  âne  :  c'était  un  assassin;  il  faisait  sem- 
blant d'être  tombé  de  son  âne ,  il  suppliait  les  gens 
de  venir,  par  charité,  l'aider  à  se  relever.  Il  avait  un 
couteau  et  un  sifflet,  et  ceux  qui  venaient  l'aider  dans 
des  endroits  écartés,  avec  son  couteau  il  leur  coupait 
le  cou ,  et  avec  son  sifflet,  il  appelait  ses  camarades 
qui  venaient  dépouiller  les  pauvres  victimes. 

1 j juin  1722. 

Le  Dauphin  {le  chic  de  Bourgogne)  avait  beaucoup 
de  moyens;  sa  piélé  était  du  fond  de  l'âme,  mais  il 
avait  une  faiblesse,  il  se  laissait  mener  par  sa  femme 
comme  un  enfant;  elle  lui  faisait,  malgré  tout  son 
esprit,  croire  tout  ce  qu'elle  voulait.  Il  a  bien  montré 
que  son  amour  pour  elle  était  grand,  car  le  bon  sire 
est  certainement  mort  de  chagrin  de  la  perte  de  son 
épouse,  et  il  avait  toujours  dit  (pi'il  en  serait  ainsi.  Un 
savant  astrologue  de  Turin  avait  fait  à  M"""  la  Dau- 
phine  son  horoscope,  où  elle  a  trouvé  tout  ce  qui  de- 
vait lui  arriver  en  sa  vie,  et  qu'elle  mourrait  dans  sa 
vingt-septième  année.  Elle  en  parlait  souvent  ;  un  jour 
elle  dit  à  son  mari  :  «  Voici  le  temps  qui  approche  où 
je  dois  mourir;  vous  ne  pouvez  pas  rester  sans  femme 
à  cause  de  votre  rang  et  de  votre  dévotion  ;  dites-moi, 
je  vous  prie,  qui  épouscrez-vous '/  »  Il  répondit  :  «  J'es- 
père que  Dieu  ne  me  punira  jamais  assez  pour  vous 
voir  mourir;  et,  si  ce  malheur  devait  m'arriver,  je  ne 
me  remarierais  jamais,  car  dans  huit  jours  je  vous 


DE  MADAME   LA   DUCHF.SSR   b'OHLÉANS.  ^73 

suivrais  au  tombeau.  »  Cela  ost  arrive  justement 
comme  il  l'avait  dit;  en  eiïet,  le  septième  jour  après 
la  mort  de  son  épouse,  il  est  mort  aussi.  Ce  que  je  dis 
là  n'est  pas  un  conte,  c'est  la  pure  vérité.  Pendant  que 
la  Dauphine  était  encore  bien  portante ,  fraîche  et 
gaie,  elle  disait  souvent  :  «  Il  faut  bien  que  je  me  ré- 
jouisse, puisque  je  ne  me  réjouirai  pas  longtemps,  car 
je  mourrai  cette  année.  »  Je  croyais  que  c'était  une 
plaisanterie,  mais  la  chose  n'a  été  que  trop  réelle. 
Lorsqu'elle  tomba  malade,  elle  dit  de  suite  qu'elle 
n'en  réchapperait  point. 

2  juillet  1722'. 

La  reine-mère  était  fort  tranquille  au  sujet  du  car- 
dinal Mazavin;  il  n'était  pas  prêtre,  il  |)0uvait  donc 
bien  se  marier.  On  en  connaît  maintenant  toutes  les 
circonstances;  le  chemin  secret  qu'il  prenait  toutes 
les  nuits  pour  aller  la  trouver  est  encore  au  Palais- 
Royal. 

Saint-CIoud,  30  juillet  1722. 

On  n'entend  parler  que  de  meurtres  et  de  vols.  On 
a  trouvé  dans  une  chapelle,  affichés  sur  les  murs  et 
jusque  sur  l'autel,  des  placards  annonçant  que,  si  on 
ne  cesse  pas  de  rouer  et  de  pendre ,  le  feu  sera  mis 
aux  quatre  coins  de  Paris. 

Sainl-Clond,  G  août  1722. 

J'ai  vu  aujourd'hui  un  homme  qui  est  tellement 
malheureux ,  et  qui  m'a  fait  tant  de  peine  ,  que  les 

1  Colle  lettre  porte  à  tort  la  date  de  17  20  dans  l'édition  alle- 
mande de  1789. 

II.  33 


374  CORRESPONDANCE 

larmes  m'en  sont  venues  aux  yeux.  Il  y  a  quatre  ans 
que  le  petit-fils  du  duc  de  Villeroi,  le  duc  de  Rais, 
a  épousé  la  fille  du  duc  de  Luxembourg,  qui  s'est  si 
fort  plongée  dans  la  débauche ,  que  pour  plaire  au 
duc  de  Richelieu  elle  a  soupe  nue  avec  lui  et  ses 
bons  amis.  Il  y  a  quelques  mois,  elle  s'est  mise  avec 
ce  coquin  de  Riom  qui  a  l'air  d'un  esprit  malin  ;  elle 
ne  s'est  pas  contentée  de  lui,  mais  elle  a  pris  aussi 
son  beau-frère  le  chevalier  Dédie  ;  comme  Riom  lui 
en  faisait  des  reproches,  elle  lui  a  demandé  s'il  s'é- 
tait figuré  qu'elle  dût  se  contenter  de  lui  avec  le  tem- 
pérament qu'elle  avait,  et  elle  ajouta  qu'il  devait  lui 
avoir  de  la  reconnaissance  si  elle  l'épargnait  et  en 
prenait  d'autres  avec  lui,  car  elle  ne  pouvait  s'endor- 
mir si  elle  n'avait  été  caressée  huit  fois  '  ;  n'est-ce 
pas  là  une  belle  personne?  L'envie  lui  prit  ensuite  de 
se  remettre  avec  le  duc  de  Richelieu ,  mais  celui-ci 
persistant  dans  sa  ferme  résolution  d'avoir  toutes  les 
jeunes  dames ,  a  déclaré  à  son  amie  que  si  elle  vou- 
lait renouer  avec  lui,  il  fallait  d'abord  qu'elle  lui  li- 
vrât sa  belle-sœur,  la  marquise  de  d'Alincourt.  Elle 
s'y  est  engagée  et ,  vendredi  dernier,  la  duchesse  de 
Rais  mena  avec  elle  la  marquise  se  promener  dans 
les  jardins.  Lorsqu'on  fut  dans  le  petit  bois,  Riom 
survint  avec  Richelieu;  la  duchesse  voulut  se  saisir 
des  mains  de  sa  belle-sœur,  mais  celle-ci  poussa  des 
cris  si  elTroyables  et  résista  tellement ,  que  dos  pro- 
meneurs vinrent  à  son  secours.  Elle  courut  aussitôt 
trouver  sa  mère ,  la  maréchale  de  Boufllers ,  et  lui 

'  Dcn  sic  konle   uicht  eiiischlallen    sic  heUe  tien  8   mahl 
wiJslcreyii  grtliun. 


DE  MADAME   LA  DUCHESSE   DORLÉANS.  375 

porta  plainte.  La  maréchale  la  mena  dans  la  nuit 
chez  le  maréchal  de  Villeroi  qui ,  de  grand  matin ,  fit 
mettre  la  duchesse  de  Rais  dans  un  carrosse  ;  elle  a 
été  conduite  à  Paris  et,  de  là,  on  doit  la  mener  dans 
un  couvent  de  province'  ;  mais  ce  n'est  pas  le  seul 
malheur  qui  soit  arrivé  au  maréchal ,  car,  presque 
aussitôt,  on  apprit  une  horrible  orgie  à  laquelle  avaient 
pris  part,  sans  y  mettre  le  moindre  mystère,  un  gentil- 
homme nommé  M.deRamhure,  qui  s'est  marié  cette 
année,  et  qui  est  neveu  du  premier  président,  le  jeune 
Boufflers ,  qui  n'a  que  dix-sept  ans ,  le  marquis  d'A- 
lincourt,  le  marquis  de  Même  qui  a  plus  de  quarante 
ans.  La  chose  est  trop  horrible  pour  que  je  l'écrive. 
Le  maréchal  s'est  empressé  d'écrire  à  mon  fils  et  il  a 
obtenu  une  lettre  de  cachet  qui  exile  son  petit-fds,  le 
marquis  d'Alincourt  ;  le  marquis  de  Rambure  a  été 
mis  à  la  Bastille ,  le  marquis  de  Même  exilé  en  Lor- 
raine, et  le  petit  Boufflers  dans  une  de  ses  terres  ^ 
Sa  mère  est  bien  à  plaindre.  C'est  une  digne  et  brave 
femme  qui  a  élevé  ses  enfants  avec  beaucoup  de  soin. 
Je  la  connais  très-bien  ;  elle  a  été  élevée  avec  mes 
enfants.  Lorsqu'elle  vint  trouver  mon  fds,  il  ne  la 
reconnut  pas,  tant  elle  était  changée  ;  elle  ne  fait  que 
pleurer  nuit  et  jour  ;  je  la  plains  de  toute  mon  âme. 
On  ne  parle  pas  ici  d'autre  chose. 

*  Voir  le  Journal  de  Marais,  Hevue  rétrospective,  t.  VIH, 
p.  220. 

2  Voir  le  Journal  do  Marais,  t.  VIH,  p.  221  et  222.  «  Quand 
le  roi  a  demandé  pouniuoi  tous  ces  exils  contre  ces  jeunes  sei- 
gneurs, on  lui  a  dit  que  c'éloit  parce  qu'ils  avoicnt  arraché  des 
palissades  dans  le  jardin.  • 


37(i  <:(>iuifc;spoNUA.\(:K 

lo  août  1722. 

Lorsque  la  princesse  de  Siegen  vint  ici,  elle  n'était 
pas  ce  qu'elle  est  devenue  depuis,  mais  elle  s'est  tout 
à  fait  corrompue  :  lorsqu'on  a  pris  une  fois  l'habitude 
de  la  débauche,  il  est  fort  rare  qu'on  s'en  corrige.  Je 
dois  vous  dire  que  le  vieux  maréchal  de  Villeroi  s'é- 
tait mis  dans  la  tête,  depuis  quelques  jours,  l'idée  de 
ne  pas  vouloir  que  mon  fils  parlât  au  roi  en  particu- 
lier, ce  qui  a  si  fort  irrité  mon  fils  qu'il  l'a  fait  arrê- 
ter et  mener  à  Villeroi;  le  duc  d'Escars  est  gouver» 
neur  du  roi  en  remplacement  du  maréchal. 

30  août  1722. 
11  n'y  a  pas  au  monde  un  meilleur  air  que  celui 
d'Heidelberg  et  surtout  celui  du  château  où  est  mon 
appartement  ;  rien  de  mieux  ne  saurait  se  rencontrer. 
Personne  mieux  que  moi  ne  peut  comprendre,  ma 
chère  Louise,  ce  que  vous  avez  dû  sentir  à  Heidel- 
berg  ;  je  ne  peux  pas  y  songer  sans  la  plus  vive  émo- 
tion, mais  je  ne  veux  pas  en  parler  ce  soir,  cela  me 
rend  trop  triste  et  m'empêcherait  de  dormir. 

A   M.    DE   HARLING. 

29  septembre  1722. 

Je  fais  ce  que  mon  docteur  ordonne,  afin  de  ne  pas 
être  tourmentée,  et  j'attends  de  la  main  de  Dieu  tout 
puissant  tout  ce  (pi'il  décidera  à  mon  égard;  je  suis 
entièrement  résignée  à  sa  volonté. 

AU   MKMK. 

3  octobre  1722. 

Depuis  uvaul-hier  (pie  je  vous  ui  écrit,  il  n'est  sur- 


DE   MADAME    LA    DUCHESSE    d'OULEANS.  377 

venu  aucun  changement  en  ce  qui  me  concerne;  cela 
ira  comme  Dieu  voudra  ;  je  me  prépare  donc  à  mon 
voyage  à  Reims;  le  temps  montrera  ce  qui  en  résul- 
tera. Je  vous  envoie  une  lettre  de  votre  neveu,  et  je 
vous  assure  qu'en  quelque  situation  que  je  sois,  je  se- 
rai et  resterai  toujours  votre  véritable  amie. 

A   LA   COMTESSE    LOUISE. 

Paris,  5  novembre  1722. 

Depuis  avant  hier  je  suis  revenue  ici,  mais  dans  un 
triste  état. 

Durant  mon  voyage  '  j'ai  reçu  cinq  de  vos  bonnes 
lettres,  je  vous  en  remercie  bien  sincèrement,  car  elles 
m'ont  fait  le  plus  grand  plaisir.  Je  n'ai  pu  y  répondre 
tant  à  cause  de  ma  faiblesse  que  du  tracas  continuel 
où  j'ai  été;  mon  temps  était  tout  pris  par  les  cérémo- 
nies, par  mes  enfants  que  j'ai  eus  constamment  autour 
de  moi  et  par  une  foule  de  gens  distingués,  princes, 
ducs,  cardinaux,  archevêques,  évoques  qui  viennent 
me  voir.  Je  ne  crois  pas  que  dans  le  monde  entier  on 
puisse  imaginer  quelque  chose  de  plus  magnifique  que 
le  couronnement  du  roi  ;  si  Dieu  me  laisse  un  peu  de 
santé,  je  vous  en  ferai  la  description  ^  Ma  fille  a  été 
émue  en  me  voyant;  elle  ne  croyait  guère  à  ma  ma- 
ladie et  elle  s'était  imaginée  que  cétait  seulement  un 

'  Le  voyage  de  Reims  pour  assister  au  sacre  de  Louis  XV. 

2  Cette  description,  que  Madame  ne  put  faire,  se  trouve  dans 
l'ouvrage  rédigé  par  Danchet,  intitulé  :  Le  Sacre  de.  Louis  XV 
datis  l'église  de  Reims,  le  2b  octobre  1722;  ce  volume,  très- 
grand  in-folio,  se  rencontre  facilement,  mais  il  y  a  des  exem- 
plaires en  papier  de  HjUande,  avec  les  figures  enluminées,  qui 
sont  fort  précieux. 

32. 


378  CORRESPONDANCE 

peu  de  fatigue  ;  mais  lorsqu'elle  m'a  vue  à  Reims,  elle 
a  été  si  fort  choquée  que  les  larmes  lui  sont  venues 
aux  yeux;  elle  m'a  fait  de  la  peine;  ses  enfants  sont 
bien  venus;  je  crains  que  l'aîné  ne  soit  un  géant,  il 
n'a  encore  que  quinze  ans  et  sa  taille  est  extraordi- 
naire; les  quatre  autres  ne  sont  ni  grands  ni  petits; 
le  plus  jeune,  Charles,  est  extrêmement  drôle;  il  se 
divertit  avec  ses  sœurs  et  fait  une  foule  de  tours  plai- 
sants; on  peut  dire  de  lui,  selon  une  expression  de 
notre  père,  que  sa  langue  ne  moisit  pas  dans  sa  bou- 
che; le  plus  joli  des  trois  garçons,  selon  moi,  c'est  le 
second.  Quant  aux  filles,  la  cadette  est  sans  contredit 
la  plus  jolie,  mais  l'aînée  a  si  bonne  mine  qu'on  ne 
peut  la  trouver  laide.  Je  voudrais  bien  causer  davan- 
tage avec  vous,  mais  je  me  sens  trop  faible. 

l'aiis,   12  novembre  1722. 

J'espère  vous  envoyer  après-demain  la  grande  rela- 
tion du  sacre;  je  ne  sais  rien  de  nouveau,  si  ce  n'est 
qu'on  m'a  dit  une  chose  qui  me  cause  la  plus  grande 
joie,  c'est  que  mon  fils  a  rompu  avec  ses  maîtresses, 
et  qu'il  trouve  qu'il  ne  peut  plus  continuer  un  genre 
de  vie  qui  serait  un  très -mauvais  exemple  pour  le  roi 
et  qui  lui  attirerait  de  justes  reproches;  que  Dieu  le 
maintienne  en  ces  bonnes  dispositions  et  dispose  tout 
pour  son  bonheur;  c'est  la  seule  chose  qui  me  tra- 
casse ;  je  suis  sans  aucune  inquiétude  pour  ce  que  Dieu 
décidera  de  moi. 

I*aris,  21  novembre  1722. 

Je  baisse  d'heure  en  heure  cl  je  souffre  nuit  et  jour; 


DE   MADAME   LA   DLCHESSE    D'ORLÈANS.  379 

tout  ce  qu'on  me  fait  ne  me  soulage  en  rien.  J'ai 
grand  besoin  que  Dieu  m'inspire  de  la  patience  ;  il  me 
ferait  une  grande  grâce  s'il  me  délivrait  de  mes  souf- 
frances; ne  vous  affligez  donc  pas  si  vous  veniez  à  me 
perdre,  car  ce  serait  un  grand  bonheur  pour  moi. 

Paris,  26  novembre  1722. 

En  sus  de  ma  maladie,  j'ai  autre  chose  qui  me  va  au 
cœur,  la  pauvre  vieille  maréchale  de  Clérambaut' 
est  fort  malade. 

Paris,  29  novembre  1722. 

Vous  ne  recevrez  aujourd'hui  qu'une  bien  courte 

'  Lire  dans  les  Mémoires  de  Saint-Simon  le  portrait  qu'il 
fait  de  cette  dame,  qui  avait  été  gouvernante  de  Mademoiselle: 
«  Elle  étoit  très-singniière,  et  quand  elle  étnit  en  liberté  et 
qu'il  lui  plaisoit  de  parler,  pleine  de  traits  et  de  sel  :  hors  de  là 
elle  restoit  des  jours  entiers  sans  dire  une  parole;  elle  avoit 
pensé  mourir  de  la  poitrine,  et  elle  avoit  eu  la  constance  de 
rester  un  an  sans  proférer  un  mot.  Elle  prétendoit  deviner 
l'avenir  par  des  calculs  et  de  petits  points,  et  cela  l'avoit  fort 
attachée  à  Madame  qui  aimoit  fort  ces  curiosités.  »  Dans  ses 
notes  sur  le  Journal  de  Dangeau,  Saint-Simon,  revenant  sur 
le  même  sujet,  représente  la  maréchale  comme  «  riche,  avare, 
bijoutière,  ne  se  souciant  de  personne,  et  toutefois  considérée. 
Elle  jouoit,  sans  mot  dire,  le  jour  et  une  partie  des  nuits.  Elle 
avoit  une  sœur  qu'elle  aimoit  passionnément  et  qui  tomba  ma- 
lade. Elle  y  envoyoit  à  tous  moments,  puis  quand  elle  sut  qu'elle 
étoit  au  plus  mal,  elle  dit  :  «  Jla  pauvre  sœur,  qu'on  ne  m'en 
parle  plus  !  et  elle  n'en  parla  de  sa  vie.  »  Il  est  quelquefois  ques- 
tion d'elle  dans  les  chansonniers  manuscrits;  bornons-nous  à 
uue  citation  : 

De  vous  à  moi,  maréchale  ma  mie, 

Vous  scntez-Tous  dame  d'honneur  ou  uou? 

Vous  affectez  beaucoup  de  pruderie, 

Mais  vous  avez  un  pelit  air  fripon, 
Lon,  reloa  toulou. 


380  COF.HKSPO.NDANCE 

lettre;  je  suis  plus  mal  que  je  n'ai  jamais  été  et  je  n'ai 
pu  fermer  l'œil  de  toute  la  nuit.  Hier  malin,  nous 
avons  perdu  notre  pauvre  maréchale;  elle  n'a  éprouvé 
aucune  attaque,  mais  la  vie  l'a  comme  abandonnée. 
Cela  me  fait  une  peine  sincère ,  car  c'était  une  dame 
d'une  grande  capacité  et  de  beaucoup  de  mérite;  elle 
était  fort  iniîtruite,  mais  elle  ne  le  faisait  pas  paraître. 
On  dit  qu'elle  a  choisi  pour  héritier  le  fils  de  son 
frère  aîné.  Il  n'est  pas  surprenant  de  voir  s'en  aller 
une  personne  âgée  de  quatre-vingt-huit  ans.  Il  est 
toutefois  pénible  de  perdre  une  amie  avec  laquelle  on 
a  passé  cinquante-un  ans  ;  mais  il  faut  que  je  m'ar- 
rête, ma  chère  Louise;  je  suis  trop  souffrante  pour 
pouvoir  en  dire  davantage  aujourd'hui.  Si  vous  voyiez 
en  quel  triste  état  je  suis,  vous  comprendriez  bien  que 
je  dois  désirer  que  cela  finisse  '. 

'  Madame  mourut  neuf  jours  après  avoir  écrit  cette  dernière 
lettre;  elle  fut  perlée  sans  pompe  à  Saint-Denis  (voir  Saint- 
Simon,  l.  XXXVIII,  p.  115,  123).  Nous  trouvons  ilans  le  Journal 
de  Marais,  en  date  du  3  décembre  17  22  :  «  Madame  est  très- 
malade;  on  n'en  espère  rien;  les  médecins  empiriques  viennent 
de  tous  côtés  qui  lui  promettent  beaucoup,  mais  elle  leur  dit  à 
tous  qu'ils  sont  des  charlatans,  et  qu'elle  en  mourra.  KIlc  a  bien 
du  courage  et  de  la  force  d'esprit.  Elle  ne  s'est  point  embarrassée 
du  voyage  de  Reims,  et  a  dit  qu'on  mourait  fort  bien  partout. 
Elle  a  dit  à  son  Uls  :  «  Pourquoi  pleiirez-vousi*  Ne  faut-il  pas 
mourir?  »  A  une  daine  de  sa  cour  <iui  lui  voulait  baiser  la  main, 
elle  a  dit  :  «  Vous  pouvez  m'embrasser;  je  vais  dans  un  pays  où 
tout  est  égal.  »  — On  perd  une  bonne  princesse,  et  c'est  cliosc 
rare.  • 


APPENDICE. 


A   M""   DE   MAINTENON. 

Cette  lettre  nous  a  été  communiquée  par  M.  Théophile  La- 
vallée,  qui  s'occupe  depuis  plusieurs  années  à  réunir  tous  les 
écrits  de  Mme  de  Maintendn,  et  qui  en  a  commencé  la  publica- 
tion dans  la  Bibliothèque  Charpentier.  {Note  de  V éditeur.  ) 

23  octobre  170T. 

La  reine  douairière  d'Espagne  est  cause,  Madame, 
qu'il  faut  que  je  vous  importune  encore  d'une  assez 
mauvaise  lecture,  et  vous  prie  de  faire  lire  au  Roy  ma 
lettre  pour  voir  si  Sa  Majesté  approuve  ma  réponse; 
ayez  la  bonté,  je  vous  en  prie,  en  cas  que  le  Roy  y 
trouve  quelque  chose  à  retrancher  ou  à  augmenter,  de 
me  le  mander.  11  faut  aussi,  Madame,  que  je  vous  dise 
la  joye  que  j'ay  eiie  d'une  nouvelle  bonté  que  le  Roy 
m'a  témoignée  de  trouver  bon  que  je  l'ayc  vu  avant- 
hier  dans  son  cabinet,  après  le  soupe;  comme  toutes 
ses  bontés  me  viennent  de  vous,  en  ce  que  vous  m'a- 
vez rapprochée  du  Roy,  je  vous  prie  de  croire  que  je 
n'en  reçois  aucunes  marques  que  ma  reconnoissance 
pour  vous  n'augmente  dans  mon  cœur,  et  je  vous  as- 
sure que  mon  amitié  pour  vous,  Madame,  va  bientôt 
égaler  l'estime  qui  vous  est  due  '. 

Elisabeth-Charlotte. 

»  Celte  lettre  et  celle  du  t"  juin  1701  (t.  I,  p.  60)  ne  s'ac- 
cordent guère,  on  en  conviendra,  avec  les  invectives  que  la 
princesse  prodigue  si  souvent  à  M^c  de  Maintenon.  11  y  avait 
entre  ces  deux  femmes  une  telle  disparité  de  goûts  et  d'éduca- 


382  CORRESPONDANCE 

On  lit  dans  les  Mémoires  des  Dames  de  Saint-Cyr , 
rhap.  XXIX ,  que  dès  le  jour  même  de  la  mort  de 
Louis  XIV,  le  duc  d'Orléans  (régent)  et  sa  mère  vinrent 
faire  visite  à  Mme  de  Mainlenon,  qui  était  à  Saint-Cyr  : 

«  Mme  la  douairière,  disent  les  Mémoires,  vint  quelques 
heures  après  le  duc  d'Orléans;  elle  étoit  en  grand  habit, 
ce  qui  marquoit  bien  sur  quel  pied  elle  regardoit  Mme  de 
Maintenon.  Elle  fut  quelque  temps  avec  elle,  oîi  elle  lui 
donna  beaucoup  de  marques  d'estime  et  d'amitié;  aussi 
avoil-elle  dit  après  la  mort  du  roy,  que  Mme  de  Maintenon 
étoit  un  ange  par  la  manière  dont  elle  avoit  usé  de  sa  fa- 
veur ,  et  celle  dont  elle  avoit  parlé  au  roy  dans  ses  der- 
niers moments,  aussy  bien  que  par  son  désintéressement.  » 


Nous  joignons  à  la  correspondance  de  Madame  les  deux 
lettres  suivantes,  qui  nous  ont  été  communiquées  trop  tard 
pour  être  mises  à  leur  place  chronologique.  Que  MM.  Ra- 
thery  et  Payen,  qui  ont  bien  voulu  les  porter  à  notre  con- 
naissance, reçoivent  ici  l'expression  de  nos  remerciements*. 

Versailles,  ce  mercredi  17  de  décembre  1710. 

Mons.  l'cvêque  d'Avranche,  mes  5  tomes  d'Âstré 
esloit  déjà  partis  avec  Mons.  de  Montaigne,  lorsque 

tiun,  une  opposition  si  complète  sur  tons  les  points  qu'on  n'est 
i^uère  surpris  de  la  haine  sauvage  de  la  duchesse  d'Orléans,  sur- 
tout en  songeant  que  Mme  de  Maintenon  était  pour  elle  presque 
une  rivale.  Eu  cU'et,  cette  princesse  si  complètement  dépourvue 
des  charmes  qui  pouvaient  séduire  Louis  XIV,  avait  pour  ce  der- 
nier un  sentiment  très-tendre,  qui  était  connu  de  tout  le  monde 
à  la  cour,  et  qui,  bien  entendu,  est  resté  vierge  dans  son  cœur. 
Mme  (Je  Maintenon  y  fait  allusion  dans  une  de  ses  lettres  ;  en 
parlant  d'un  entretien  que  la  duchesse  d'Orléans  avait  obtenu 
de  Louis  XIV,  et  qui  avait  duré  trois  heures,  elle  ajoute  avec 
malice  :  Vous  jugez  si  elle  a  été  contente  l  C'est  la  seule  rail- 
lerie qu'on  trouve  sur  la  princesse  dans  la  correspondance  de 
Mme  de  Mainlenon  [Note  de  l'éditeur). 

*  Nous  rencontrons  sur  divers  catalosues  de  ventes  d'auto- 


DE  MADAME  LA   DUCHESSE  d'oRLÉANS.  383 

j*ay  receu  vostre  lettre  ;  je  n'ay  jamais  reçu  les  deux 
autres  tomes,  et  je  ne  vois  personnes  ici  qui  les  ait 
reçus.  Quand  vous  aurez  vous  les  personnages  que  je 
vous  ay  marqués  dans  ma  dernière  lettres,  vous  vous 
en  resouvienderez  peut  estre.  Car  Polemas  fait  un  trop 
grand  personnage  dans  toulte  les  4  tomes  pour  estre 
simplement  imaginés.  11  faut  que  le  père  de  Trévous 
vous  ait  rendu  conte  du  sermon  du  père  Poisson,  cor- 
dellier,  mais  je  ne  Tay  pas  ouy  presclier  qu'à  la  Tous- 
saint de  despuis  mon  entorse  m'a  empeschez  d'aller 
au  sermon,  je  n'en  say  les  belles  citations  que  par  ouy 
dire.  J'advoue  que  de  tels  propo  sont  trop  extraordi- 
naire en  chaire  de  prédicateur  pour  donner  envie  de 
dormir. 

Je  vous  prie  de  me  croire,  Mons.  Tévêque  d'Avrange, 
votre  bien  bonne  amie, 

Elisabeth-Charlotte  '. 

Fonlainel)lpau,  10aofitl7l2. 

...Je  suis  très-aise  que  M'^^^  de  Maintenon  soit 
contente  de  moi,  ainsi  que  le  roi  ;  mes  intentions  sont 
bonnes;  vous  savez  quels  sentiments  j'ai  eu  toute  ma 
vie  pour  le  roi  ;  mais  si  je  suis  timide,  vous  en  savez 

graphes  faites  à  Paris,  l'indication  de  diverses  lettres  de  Ma- 
dame dont  nous  n'avons  point  de  copie.  Voici  la  note  de  quel- 
ques-unes :  autographes  réunis  par  l'Alliance  des  Arts,  !«'  avril 
1844,noi«9,  lettre adiesséeô7a&e«eZ>0Hrfr»n, ainsi  qu'uneautre 
portée  au  catalogue  Lalande,  8  avril  1844,  n<'422;  catalogue 
Laroche-Lacarelle,  4  février  1847,  n°  498.  Cabinet  d'un  ama- 
teur, 22  mars  184T.  Idem,  tOmai  1847,  n°  181. 

'  Cette  lettre  ligure  sur  un  catalogue  d'autographes;  7  dé- 
cembre 1864  (ChasbiionJ,n°  CSG. 


384  CORRESPONDANCE 

la  raison.  Aussi,  hélas  !  piiis-je  me  flatter  qu'étant  en 
tout  devenue  plus  désagréable  que  jamais ,  que  je  ne 
soye  pas  de  trop ,  partout  où  je  me  trouve,  surtout 
ayant  déplu  si  longtemps  ' 


Nous  avons  hésité  à  reproduire  les  deux  lettres  suivantes, 
qui  se  trouvent  en  français  dans  le  volume  allemand  publié 
en  t789,  et  qui  sont  sans  doute  le  résultat  de  quelque  ga- 
geure entre  Madame  et  l'électrice  de  Hanovre.  Celle  étrange 
plaisanterie  ne  trouvera  pas  en  nous  des  apologistes,  mais 
elle  pourra  s'expliquer  si  on  ne  perd  point  de  vue  des  circon- 
stances bien  connues  de  toutes  les  personnes  qui  ont  étudié 
la  vie  intime  à  des  époques  dont  la  nôtre  diffère  grandement 
sous  le  rapport  des  bienséances. 

Au  commencement  du  dix-septième  siècle,  les  expressions 
les  plus  ordurières,  les  images  les  plus  triviales,  et  parfois 
les  plus  indécentes ,  se  produisaient  dans  la  chaire;  elles 
n'échappaient  point  à  la  chaleur  de  l'improvisation;  elles 
étaient  recueillies  et  imprimées  dans  des  volumes  qui  pa- 
raissaient avec  approbation  et  privilège  des  hauts  fonction- 
naires ecclésiastiques.  Nous  pourrions  citer  de  nombreux 
exemples,  nous  nous  bornerons  à  un  seul.  Que  l'on  ouvre 
les  Sermons  du  Père  Philippe  Bosquier  sur  la  parabole  du 
prodigue  apostolique,  réimprimés  au  moins  trois  fois,  et 
toujours  avec  de  nouveaux  développements,  à  Arras,  à 
Douai  cl  à  Paris;  les  mots  tels  que  put...,  maq y  re- 
viennent sans  cosse,  ainsi  que  ceux  que  s'amusa  à  tracer  la 
plume  de  Madame.  Nous  ])ermeltra-t-on  d'en  transcrire  un 
bien  petit  nombre  de  lignes?  Dans  son  courroux  contre  un 
hérésiarque,  le  bon  Père  n'hésilail  point  à  s'écrier: 

«  Abat  Luther  comme  le  vautour  de  charoigne  en  cha- 
«  roigne,  abiit  comme  l'escarbol  de  merde  en  merde  (avec 
«  congé  de  vos  révérences,  le  puis-je  dire)....  » 

>  Celte  lettre  provient  de  la  vente  Villenavo,  n°  G50  ;  elle  a 
pasàc  (l;ms  la  belle  collection  de  M.  Feuillet  de  Oonchcs. 


DE   MADAME   I.A   DUCHESSE   D'ORi.ÉANS.  385 

Et  plus  loin  : 

«  Le  bec,  la  bouche  et  la  plume  de  Luther  sont  toujours 
«  en  privés,  en  merde  et  en  fiente.  » 

A  la  cour  de  Louis  XIII,  on  représentait  devant  toutes 
les  dames  des  ballets  dont  les  rôles  étaient  remplis  par  les 
plus  brillants  seigneurs,  et  qui  n'offraient  que  des  plaisan- 
teries d'une  licence  extrême  et  des  équivoques  grossières. 
Avec  le  règne  de  Louis  XIV,  ces  incroyables  représenta- 
tions s'épurèrent;  il  resta  toutefois  dans  les  pièces  compo- 
sées pour  faire  briller  les  talents  chorégraphiques  du  jeune 
monarque  bien  des  hardiesses  qui  seraient  intolérables  au- 
jourd'hui. Parcourez  les  œuvres  de  Scarron  ,  le  premier 
époux  de  la  femme  à  laquelle  Louis  XIV  unit  sa  destinée; 
voyez  les  Stances  pour  M"^o  de  Hauiofort,  et  VÉpithalame 
pour  le  comte  de  Tessé  et  m^^  de.  Laverdin  \  quel  ton  in- 
croyable, quelles  sales  images  dans  des  vers  adressés,  en 
manière  de  compliments,  à  des  femmes  de  haut  parage! 
Ajoutons  que  le  poète  ne  se  gène  nullement  pour  employer 
à  diverses  leprises  -  les  mots  grossiers  que  Madame  ,  dans 
un  accès  de  folle  gaieté,  s'amuse  à  répéter. 

LA   DUCHESSE   d'oRLÉANS   A   l'ÉLECTKICE   DU   HANOVRE. 

Fontainebleau,  le  9  octobre  1G94. 

Vous  êtes  bien  heureuse  d'aller  chier  quand  vous 
voulez;  chiez  donc  tout  votre  chien  de  soûl.  Nous 
n'en  sommes  pas  de  même  ici ,  où  je  suis  obligée  de 
garder  mon  êtron  pour  le  soir  ;  il  n'y  a  point  de  froloir 
aux  maisons  du  côté  de  la  forêt.  J'ai  le  malheur  d'en 
habiter  une,  et  par  conséquent  le  chagrin  d'aller  chier 
dehors,  ce  qui  nie  fâche,  parce  que  j'aime  à  chier  à 
mon  aise,  et  je  ne  chie  pas  à  mon  aise  quand  mon  cul 

*  Édit  d'Amsterdam,  1695,  t.  I,  p.  113  et  182;  de  Paris, 
1783,  t.  VU,  p.  20Get237. 

'  Éplgramme  contre  une  chicaneuse,  t.  I,  p.  02,  édit.  d'Ams- 
trrdaiii;  de  Paris,  1783,  t.  Vil,  p.  3  if). 

"•  33 


386  CORRESPONDANCE 

ne  porte  sur  rien.  Hem ,  tout  le  monde  nous  voit 
chier;  il  y  passe  des  hommes,  des  femmes,  des  filles, 
des  garçons,  des  abbés  et  des  suisses  ;  vous  voyez  par 
là  que  nul  plaisir  sans  peine,  et  que  si  on  ne  chiait 
point,  je  serais  à  Fontainebleau  comme  le  poisson  dans 
l'eau.  Il  est  très-chagrinant  que  mes  plaisirs  soient 
traversés  par  des  étrons  ;  je  voudrais  que  celui  qui  a 
le  premier  inventé  de  chier,  ne  pût  chier,  lui  et  toute 
sa  race,  qu'à  coups  de  bâton.  Comment,  mordi!  qu'il 
faille  qu'on  ne  puisse  vivre  sans  chier  ?  Soyez  à  table 
avec  la  meilleure  compagnie  du  monde,  qu'il  vous 
prenne  envie  de  chier,  il  vous  faut  aller  chier.  Soyez 
avec  une  jolie  fille,  une  femme  qui  vous  plaise  ;  qu'il 
vous  prenne  envie  de  chier,  il  faut  aller  chier  ou 
crever.  Ah  !  maudit  chier,  je  ne  sache  point  de  plus 
vilaine  chose  que  de  chier.  Voyez  passer  une  jolie 
personne,  bien  mignonne,  bien  propre,  vous  vous 
récriez  :  ah  !  que  cela  serait  joli  si  cela  ne  chiait  pas  ! 
Je  le  pardonne  à  des  crocheteurs,  à  des  soldats  aux 
gardes,  à  des  porteurs  de  chaises  et  à  des  gens  de  ce 
calibre-là.  Mais  les  empereurs  chient,  les  impératrices 
chienl,  le  pape  chie,  les  cardinaux  cliienl,  les  princes 
chient ,  les  archevêques  et  les  évoques  chient ,  les 
généraux  d'ordres  chient,  les  curés  et  les  vicaires 
chient.  Avouez  donc  que  le  monde  est  rempli  de 
vilaines  gens,  car  enfin,  on  chie  en  l'air,  on  chie  sur 
la  terre,  on  chic  dans  la  mer,  tout  l'univers  est  rempli 
de  chicurs  et  les  rues  de  Fontainebleau  de  merde,  car 
ils  font  des  étrons  gros  conime  vous,  madame.  Si  vous 
croyez  baiser  une  belle  petite  bouche  avec  des  dents 
bien  blanches,  vous  baisez  un  moulin  à  merde;  tous 


DE   MADAME    LA    DUCHESSE   d'ORLÉANS.  387 

les  mets  les  pins  délicats,  les  biscuits,  les  pâtés,  les 
tourtes,  les  perdrix,  les  jaml)ons,  les  faisans,  tout 
n'est  que  pour  faire  de  la  merde  mâchée,  etc. 

REPONSE   DE    l'ÉLECTRICE. 

Hanovre,  31  octobre  1694. 

C'est  un  plaisant  raisonnement  de  merde  que  celui 
que  vous  faites  sur  le  sujet  de  chier,  et  il  paraît  bien 
que  vous  ne  connaissez  guère  les  plaisirs,  puisque 
vous  ignorez  celui  qu'il  y  a  à  chier  ;  c'est  le  plus  grand 
de  vos  malheurs.  Il  faut  n'avoir  chié  de  sa  vie,  pour 
n'avoir  senti  le  plaisir  qu'il  y  a  de  chier;  car  l'on  peut 
dire  que  de  toutes  les  nécessités  à  quoi  la  nature  nous 
a  assujettis ,  celle  de  chier  est  la  plus  agréable.  On 
voit  peu  de  personnes  qui  chient  qui  ne  trouvent  que 
leur  étron  sent  bon  ;  la  plupart  des  maladies  ne  nous 
viennent  que  par  faute  de  chier,  et  les  médecins  ne 
nous  guérissent  qu'à  force  de  nous  faire  chier,  et  qui 
mieux  chie,  plutôt  guérit.  On  peut  dire  même  qu'on 
ne  mange  que  pour  chier,  et  tout  de  même  qu'on  ne 
chie  que  pour  manger,  et  si  la  viande  fait  la  merde, 
il  est  vrai  de  dire  que  la  merde  fait  la  viande,  puisque 
les  cochons  les  plus  délicats  sont  ceux  qui  mangent  le 
plus  de  merde.  Est-ce  que  dans  les  tables  les  plus 
délicates,  la  merde  n'est  pas  servie  en  ragoût?  Ne 
fait-on  pas  des  rôties  de  la  merde  des  bécasses ,  des 
bécassines,  d'alouettes  et  d'autres  oiseaux,  laquelle 
merde  on  sert  à  l'entremets  pour  réveiller  l'appétit? 
Les  boudins,  les  andouilles  et  les  saucisses,  ne  sont-ce 
pas  des  ragoûts  dans  des  sacs  à  merde?  La  terre  ne 


388  CORRESPONDANCE 

deviendrait-elle  pas  stérile  si  on  ne  chiait  pas  ,  ne 
produisant  les  mets  les  plus  nécessaires  et  les  plus 
délicats  qu'à  force  d'étrons  et  de  merde?  étant  encore 
vrai  que  quiconque  peut  chier  sur  son  champ  ne  va 
point  chier  sur  celui  d'autrui.  Les  plus  belles  femmes 
sont  celles  qui  chient  le  mieux  ;  celles  qui  ne  chient 
pas  deviennent  sèches  et  maigres ,  et  par  conséquent 
laides.  Les  beaux  teints  ne  s'entretiennent  que  par  de 
fréquents  lavements  qui  font  chier;  c'est  donc  à  la 
merde  que  nous  avons  l'obligation  de  la  beauté.  Les 
médecins  ne  font  point  de  plus  savantes  dissertations 
que  sur  la  merde  des  malades  ;  n'ont-ils  pas  fait  venir 
des  Indes  une  infinité  de  drogues  qui  ne  servent  qu'à 
faire  de  la  merde  ?  Il  entre  de  lu  merde  dans  les 
pommades  ou  les  fards  les  plus  exquis.  Sans  la  merde 
des  fouines,  des  civettes  et  des  autres  animaux,  ne 
serions-nous  pas  privés  des  plus  fortes  et  meilleures 
odeurs  ?  Les  enfants  qui  chient  le  plus  dans  leurs 
maillots  sont  les  plus  blancs  et  les  plus  potelés.  La 
merde  entre  dans  quantité  de  remèdes  et  particuliè- 
rement pour  la  bridure.  Demeurez  donc  d'accord  que 
chier  est  la  plus  belle,  la  plus  utile  et  la  plus  agréable 
chose  du  monde.  Quand  vous  ne  chiez  pas,  vous  vous 
sentez  pesante,  dégoûtée  et  de  mauvaise  humeur.  Si 
vous  chiez,  vous  devenez  légère,  gaie  et  de  bon  appétit. 
Manger  et  chier,  chier  et  manger,  ce  sont  des  actions 
qui  se  suivent  et  se  succèdent  les  uns  aux  autres,  et 
l'on  peut  dire  qu'on  ne.  mange  que  pour  chier,  comme 
on  ne  chie  que  pour  manger.  Vous  étiez  de  bien 
mauvaise  humeur  quand  vous  avez  tant  déclamé 
contre  le  chier;  je  n'en  saurais  donner  la  raison,  sinon 


DE   MADAMK    LA    DUCHESSE    d'oRLÉANS.  389 

qu'assurément  votre  aiguillette  s'étant  nouée  à  deux 
nœuds,  vous  aviez  chié  dans  vos  chausses.  Enfln, 
vous  avez  la  liberté  de  chier  partout  quand  l'envie 
vous  en  prend,  vous  n'avez  d'égard  pour  personne;  le 
plaisir  qu'on  se  procure  en  cliiant  vous  chatouille  si 
fort  que,  sans  égard  au  lieu  où  vous  vous  trouvez,  vous 
chiez  dans  les  rues ,  vous  chiez  dans  les  allées ,  vous 
chiez  dans  les  places  publiques,  vous  cliiez  devant  la 
porte  d'autrui  sans  vous  mettre  en  peine  s'il  le  trouve 
bon  ou  non ,  et ,  marque  que  ce  plaisir  est  pour  le 
chieur  moins  honteux  que  pour  ceux  qui  le  voient 
chier,  c'est  qu'en  effet  la  commodité  et  le  plaisir  ne 
sont  que  pour  le  chieur.  J'espère  qu'à  présent  vous 
vous  dédirez  d'avoir  voulu  mettre  le  chier  en  si  mau- 
vaise odeur,  et  que  vous  demeurerez  d'accord  qu'on 
aimerait  autant  ne  point  vivre  que  ne  point  chier. 


FIN   DU   DEUXIÈME  VOLUME. 


33. 


NOTES  ET  ÉCLAIRCISSEMENTS. 


PROSOPOPÉE  SUR  LE  RÉGENT,  LA  DL'CHE«SE  DE  BERRI  ET  LE 

CARDINAL  DUBOIS,  p.  lo7. 

Cette  composition  dramatique  en  trois  actes  est  une  satire 
parfois  fort  ordurière.  Nous  en  avons  vu  une  copie  exécutée 
avec  le  plus  grand  soin,  et  ornée  de  dessins  à  la  gouache,  qui 
faisait  partie  du  cabinet  de  M.  Bourdillon;  l'ouvrage  se  trouve 
dans  des  recueils  manuscrits  de  l'époque;  nous  en  donnerons 
quelques  extraits  en  choisissant  ce  qu'on  peut  reproduire.  L'au- 
teur débute  par  mettre  en  scène  Pluton  avouant  aux  trois  juges 
infernaux  qu'il  est  épris  de  la  duchesse  de  Berri. 

Pluton  (Air  :  Vous  m'entendez  bien^. 
Je  ne  crains  point  de  m'expliquer, 
Mais  je  redoute  de  risquer 
S'il  faut  que  je  l'approche. 

MiNOS. 

Hé  bien  ! 

Pluton. 

Quelque  chaude  anicroche, 
Vous  m'entendez  bien. 

Radamanthe  (Air  du  Mirliton). 

Quelle  est  donc  cette  maîtresse 
Dont  vous  craignez  l'action? 
Serait-ce  pas  quelque  Lucrèce, 
Ëlève  de  la  Fillon, 
Pour  le  mirliton,  mirliton',  mirlitaine, 
Pour  le  mirliton,  don  don? 
Expliquez-vous  sans  hésiter. 

'  On  trouve  duns  les  recueils  manuscrits  de  nombreuses  ^)i^çes  de 
vers  sur  le  mirliton,  mot  qui  fui  alors  à  la  mode,  et  qui  était  pris  dans 
une  signification  enjouée.  11  termine  chaque  couplet  d'une  parodie 
(\I)iè$  de  Castro,  tragédie  bien  connue  de  La  Motte.  La  Place  a  inséré 
cette  composition  singulière  duns  son  Recueil  de  j,ièces  peu  connues. 


NOTES  ET  ÉCLAIRCISSEMENTS.  391 

Pluton. 
Hé  bien,  je  vais  vous  contenter. 

Ml  NOS. 

Est-elle  d'un  sang? 
Radamanthe. 

Est-elle  d'un  rang? 
Pluton. 
Elle  est  (lu  sang  de  France, 
Son  père  y  tient  depuis  huit  ans 
Une  auguste  régence, 
Lan  la. 

Rauamamhe  [en  ricanant). 
Une  auguste  régenco. 
Mi.Nos  à  Pluton  (Air  des  Rocfielois). 
Que  dites- vous?  C'est  la  Berri, 
Aimée  mille  fois  par  Rirry  (5/c), 
Par  Rochefoucauld,  par  Falvère, 
Par  ses  pages  et  ses  laquais, 
Même  à  leur  défaut  par  son  père. 
Et  ses  gardes  les  plus  épais. 

Rauamanthe  (Air  :  Voici  le  jour  solennel). 
Oubliez  cette  p...n. 
Pour  certain. 

Pluton. 
Hélas!  je  ne  puis  le  faire. 

Arrive  ensuite  Caron,  qui  dit  qu'un  étranger  entend  payer 
d'une  façon  nouvelle  le  prix  de  son  passage  à  travers  le  Styx  : 

Il  veut  m'offrir  des  billets. 
Et  dit  que  l'or  lui  manque, 
Mais  ici  tous  nos  sujets 

Ne  veulent  plus  de  billets 

De  banque,  de  banque... 

Il  ressemble  à  Cerbère, 
Et  porte  sur  son  front 


3D2  NOTES   ET    ECLAIUGISSEMENTS. 

L'inceste,  Tadultère, 
Le  fer  et  le  poison. 

Madame  de  Berri. 

Je  reconnais  mon  père  ; 
Ce  sont  là  tous  ses  traits, 
Son  plus  beau  caractère, 
Et  ses  moindres  forfaits.... 

Il  vous  vaincra  par  quelque  trahison  ; 
On  a  beau,  quelque  chose  qu'on  fasse, 
Fuir  à  son  fer,  on  trouve  son  poison. 

Proserpine,  irritée  de  voir  son  mari  amoureux  de  la  duchesse, 
en  trace  un  portrait  peu  flatté  : 

Non,  Messaline,  ni  Julie, 
N'en  firent  tant  pendant  leur  vie, 
Que  Berri  dont  les  appas 
Furent  le  rebut  des  goujats. 

La  pièce  finit  par  la  description  des  supplices  auxquels  sont 
condamnés  les  trois  coupables.  Pluton  décide  qu'il  faut  garrotter 
Cet  insatiable  régent 
Avec  des  chaînes  d'argent, 
De  feu  et  de  poison  brûlantes. 

Quant  aux  châtiments  infligés  à  la  duchesse  et  au  cardinal, 
il  faut  laisser  aux  curieux  le  soin  d'aller  les  chercher  dans  le 
texte  original  de  ce  libelle  qui  n'est  pas  à  dédaigner,  puisqu'il 
est  l'expression  de  la  colère  publique  contre  de  grands  scan- 
dales. 


DIVERS  OUVRAGES   SATIRIQUES  CONTRE  LOUIS  XIV  ET  SA  COUR. 

Nous  avions  le  projet  de  joindre  aux  lettres  de  Madame  une 
notice  sur  les  ouvrages  satiriques  relatifs  au  règne  de  Louis  XIV 
et  à  la  Ilégence,  ouvrages  qui ,  pour  la  plupart,  n'ont  pas  été 
ouverts  une  seule  fois  par  les  historiens,  et  qui  renferment  ce- 
pendant, au  milieu  de  beaucoup  d'anecdotes  sans  doute  con- 
trouvées,  des  faits  diuncs  d'attention.  Un  pareil  travail  aurait 
confirmé  ou  rcctilic  sur  bien  des  points  les  a!^scrtions  contenues 


NOTES   ET   ÉCLAIUCISSEMKNTS.  393 

dans  la  correspondance  de  la  duchesse  d'Orléans,  mais  il  de- 
manderait plus  de  place  que  nous  ne  pouvons  lui  en  accorder, 
toutefois,  afin  d'en  donner  au  moins  une  idée,  nous  placerons 
Ici  quelques  notes  sur  plusieurs  de  ces  livrets  peu  connus,  et  que 
nous  nous  sommes  attachés  à  réunir  : 

Almanach  royal  commençant  avec  la  guerre  de  l'an  t1 01, 
où  est  exactement  observé  le  cours  du  soleil  d'injustice,  avec 
ses  éclipses,  ou  la  juste  punition  du  Ciel,  démonstré  dans  dix- 
huit  emblèmes  graves  en  taille-douce  ;  à  Paris,  à  l'Imprimerie 
royale  du  petit  Louis,  in-folio.  Ce  volume,  imprimé  en  Hol- 
lande, est  un  recueil  de  planches  accompagnées  de  vers  fran- 
çais et  hollandais.  La  première  figure  montre  Louis  entouré  de 
vingt-quatre  rayons  qui  marquent  parfaitement  le  cours  du 
soleil.  Voici  l'explication  de  quelques-uns  de  ces  rayons  : 
Vendre  des  offices  avec  fausse  promesse  de  succession  aux  héri- 
tiers.—  Inceste  avec  la  femme  du  Dauphin,  en  1680.  — Porter 
de  fausses  armoiries,  trois  fleurs  de  lys  au  lieu  de  trois  crapauds. 
—  Promettre  au  roy  de  Portugal  quarante  navires  et  n'en  don- 
ner que  quatre.  —  Empoisonner  le  fils  dv.  duc  de  Bavière,  hé- 
ritier d'Espagne.  —  Massacrer,  en  1G73,  dans  les  villages  do 
Hollande,  à  Bodegrave  et  Zwammerdam  '. 

Parmi  les  figures  les  plus  piquantes  contenues  dansée  recueil, 
on  distingue  : 

Philippe  le  Petit  demandant  à  son  grand-père,  plein  de  mi- 
sère, la  permission  de  revenir  en  France,  car  les  Espagnols  le 
haïssent  comme  la  peste. 

Louis  avec  l'Électeur  de  Bavière  et  Villeroi  ;  le  monarque 
tient  un  édit  :  «  Tous  ceux  qui  pourront  me  livrer  de  nouveaux 
soldats  âgés  depuis  treize  jusqu'à  soixante-seize  ans,  recevront 
un  faux  louis  d'or,  car  tel  est  mon  plaisir.  » 

Le  vacarme  à  Trianon,  ou  le  nouvel  hôtel  des  filles  et  fils  na- 
turels de  Louis  le  Solelller  pour  le  consoler  à  l'égard  de  son  Mars 
infortuné  en  Europe. 

*  11  existe,  au  sujet  des  scènes  de  dévastations  commises  daus  ces 
villages  pendant  la  guerre  de  1072,  un  ouvrage  de  Wicquefort,  auquel 
des  figures  gravées  par  Romain  de  Hoogo  donnent  de  la  valeur  :  Advis 
fidel  aux.  céritabli's  Hollan.lais,  in-!.  Ce  livre,  composé  dans  le  but  de 
stimuler  l'esprit  public,  est  écrit  avec  un  calme  mêlé  de  noble  amer- 
tume, qui  le  distingue  des  libelles  ordinaires  des  réfugiés;  mais  le  gra- 
veur n'a  pas  imité  l'écrivain  ;  il  représente,  sous  les  formes  les  plus  hi- 
deuses, les  e.\cès  do  la  guerre. 


394  NOTES   ET   ÉCLAIRCISSEMENTS. 

La  reine  d'Angleterre  tenant  de?  ciseaux  et  coupant  les  ailes 
du  coq  gaulois,  «  afin  qu'il  ne  vole  pas  si  haut  et  qu'il  ne  s'éloi- 
yne  pas  tant  de  son  territoire.  » 

La  boite  de  Pandore,  ou  les  Lamentations  de  M^e  de  Mainte- 
non  (vers  détestables  en  français  d'Amsterdam). 

Le  roi  de  papier  quittant  la  cour  d'Espagne. 

Louis  XIV  et  Philippe  essayant  de  scier  le  monde  pour  se  le 
]>artager  ;  M"'«  de  Maintenon  arrose  la  sci«  d'une  fa^on  qu'il  est 
fcuperflu  de  décrire,  mais,  malgré  ses  rayons  aquatiques  (expres- 
sion du  graveur),  la  scie  se  brise  et  se  rompt  '. 

L'idée  de  faire  du  calendrier  une  satire  de  Louis  XIV  est 
précisément  la  contre-partie  de  celle  qui,  en  1G89,  avait  inspiré 
un  singulier  monument  d'adulation.  Le  sujet,  ou  plutôt  le  cadre 
de  celte  espèce  d'apothéose,  consiste  dans  une  image  orhiciilaire 
et  très-ornée  du  calendrier  romain,  où  sont  représentés  les 
douze  Travaux  d'Hercule,  mis  en  parallèle  avec  les  principaux 
établissements  de  Louis.  Les  deux  LL  entrelacés  dans  un  soleil, 
douze  fois  répétés,  occupent  le  centre  de  chaque  tableau  double 
comme  un  emblème  commun  aux  deux  héros;  l'auteur  eût  dit 
peut-être  aux  deux  demi-dieux  (Catalogue  Leber,  n°  6020). 

l'Almanach  dont  il  s'agit  n'offre  d'ailleurs  qu'une  faible 
partie  des  caricatures  que  la  Hollande  fabriqua  contre  Louis  XIV. 
On  peut  citer  en  ce  genre  :  Le  Mariage  du  don  Quichotte  de 
la  France  avec  Espagnolette  infante.  —  Le  Scéiératisme  de 
Louis  XIV  (en  vers),  Louis  dort  près  de  ges  louis.  —  Les  trois 
faux  rois  en  France.  —  Louis  badin  meurt  de  chagrin. 

Caractères  de  la  famille  royale,  des  ministres  et  des  prin- 
cipales personnes  de  la  cour  de  France,  à  Viilefranche,  chez 

*  Cette  estampe  est  i-eproduite  dans  le  Musée  de  la  Caricature;  le 
rédacteur  du  icxle  l'apprécie  en  ces  leinies  :  «  En  ce  temps- là  le  suc- 
«  cesseur  de  Charles  11  n'était  pas  bien  affermi  sur  son  iiône;  la  ma- 
11  lice  s'égayant  sur  le  projet  d'une  dynastie  universelle,  divisée  entre 
"  le  (,'rand-pèie^  soutenu  dans  ses  rêves  de  doniinuiiun  par  M"»t  de 
«  Mdintenun,  et  le  peiit-tils,  prêt  à  laisser  choir  le  sceptre  des  Espugnes 
«  et  des  Indes;  la  malice,  disons-nous,  imagina  de  rcpiéseiucr  les  deux 
"  rois  usant  en  vain  les  dents  d'une  scie  sur  le  globe  qu'ils  convoitent. 
"  L'àme  des  conseils  de  Versailles,  la  veuve  de  Scarron,  faisant  l'œuvre 
«  du  sabot  du  rémouleur,  aide  au  partage  par  un  effort  de  nature  que 
«1  la  décence  peut  condatnner,  mais  que  l'esprit  doit  ad.'nettre  comme 
«  l'allégorie  la  plus  juste  de  son  influence  sur  les  entreprises  du  roi. 
«  Celte  traduction  grotesque  d'un  trop  vaste  projet  parut  sans  doute 
«  plaisante  à  ceux-là  mômes  qu'elle  attaquait  persunnellemeut.  » 


NOTES   ET    ÉCLAtl'.f.FSSEMENTS.  395 

Paul  Pinceau»,  I703,petit  in-J2de  57  pages.  Il  en  fut  fait  une 
réimpression  l'année  suivante,  et  une  autre  en  1706,  avec  des 
augmentations  assez  étendues,  sous  le  titre  de  Nouveaux  por- 
traits et  caractères  de  la  famille  royale. 

On  ignore  le  nom  de  l'auteur  de  cet  écrit ,  il  n'en  est  pas 
question  dans  le  Dictionnaire  des  Anonymes  de  Barbier.  L'édi- 
tion de  17  03  est  mal  imprimée  et  fort  incorrecte.  L'écrivain, 
quel  qu'il  soit,  ne  brille  point  par  le  style  ;  il  assure,  dans  son 
avertissement,  qu'il  a  bdti  son  ouvrage  sur  des  matériaux  mo- 
ralement vrais,  et  il  ajoute  qu'il  n'a  pour  but  que  le  naïf. 
M.  du  Roure  a  parlé  de  ces  Portraits  dans  son  Analecta- 
biblion,  t.  II,  p.  418;  mais  nous  sommes  étonné  de  le  voir  re- 
garder cette  satire  comme  «  du  petit  nombre  des  productions 
de  son  espèce,  imprimées  en  France  à  cette  date.  »  II  est  évi- 
dent que  Villefranche  est  là  un  nom  supposé  ^,  tout  comme  le 
nom  de  l'imprimeur.  On  n'aurait  jamais  pu  publier  dans  les 
États  de  Louis  XIV  un  écrit  qui  exprime  franchement  des 
vérités  parfois  fort  dures  ou  des  critiques  amères.  Le  portrait 
de  Mme  de  Maintenon  n'est  pas  flatté  :  «  Elle  est  partiale  et  in- 
«  téressée  dans  son  crédit,  vaine  et  ambitieuse  au  dernier  point, 
«  haïe  beaucoup,  et  encore  plus  crainte.  On  parle  diversement 
«  de  ses  aventures  avant  son  mariage  avec  M.  Scarron.  Que  sa 
«  dévotion  soit  sincère  ou  masquée,  il  est  toujours  certain  qu'elle 
•  se  maintient  avec  son  prince  par  une  étroite  liaison  avec  le 
■  confesseur.  » 

Le  Dauphin  est  représenté  comme  «  un  bon  prince,  mis  jus- 
«  qu'ici  hors  d'état  d'entrer  dans  les  alTalres,  insensible  à  tout 
n  autre  plaisir  que  la  chasse,  quoiqu'il  ne  se  donne  cet  exercice 
«  que  pour  prévenir  les  méchants  effets  de  sa  trop  grande  ré- 
n  plétion.  » 

ï  Paul  Pinceau  est  un  imprimeur  imaginaire  de  la  même  famille  que 
Pierre  Marteau  et  ses  gendres  Adrien  Lencaime  et  Paul  de  la  Tenaille 
Charles  de  la  Vérité,  F.  Gaillard,  Robert  le  Turc,  Jean  l'Ingénu,  Jacques 
le  Sincère,  Jean  pleyn  de  Courage,  Boccafranca,  Simon  l'Africain,  et 
bien  d'autres  typographes  tout  aussi  fantastiques,  étaient  des  masques 
sous  lesquels  se  cachaient  les  éditeurs  ho:iandais. 

*  11  serait  facile  d'indiquer  bien  d'autres  ouvrages  publiés  sous  cette 
rubrique  de  Villefranche;  en  voici  quelques-uns  qui  s'offrent  à  nous  .- 
Traité  sur  l'enlèvement  du  prince  de  Funlemberg,  Charles  de  la  Vé- 
rité, I67G;  l'Enfant  sans  souci,  Nicolas  l'Enjoué,  I6S2;  le  Justin  mo- 
derne, Pierre  le  Petit,  1667;  il  ilercurio  postiglione,  Villafranca, 
Claudio  del  Monte,  1667. 


396  NOTES  ET   ÉCLAIRCISSEMENTS. 

Le  caractère  de  l'illustre  archevêque  de  Cambray,  Féneîon,  a 
été  ratifié  par  la  postérité  :  a  C'est  en  tout  sens  ce  qu'on  appelle 

«  un  honnête  homme Je  ne  connais  point  d'ecclésiastique 

«  d'une  dévotion  plus  aisée  ni  plus  sincère...  Son  grand  atta- 
•'.  chemcnt  à  li  probité  lui  a  attiré  tout  le  venin  des  dévols  qui 
«  ont  voulu  le  perdre  à  roceasion  d'un  livre  où  il  dément  lui- 
o  même  son  bon  tour  d'esprit  {V Explication  des  Maximes 
n  des  saints).  Son  Télémaque  a  fait  rougir  le  despotisuie,  et 

"  immortalisera  l'auteur Il  sait  se  passer  de  la  cour,  et  je  ne 

«  crois  pas  qu'il  sente  son  exil.  » 
On  remarque  quelque  sévérité  à  l'égard  de  Bossuet  : 
«  C'est  un  des  plus  savants  ecclésiastiques  et  des  plus  raffinez 
«  courtisans,  défenseur  infatigable  des  sentiments  de  la  cour... 
«  Créature  dévouée  à  une  personne  qui  est  maintenant  l'arbitre 
«  de  la  France  (  iV"ie  de  Maintenon).  Son  acharnement  contre 
«  M.  l'archevêque  de  Cambray,  le  rare  et  presque  singulier 
«  advocat  des  hommes,  a  gâté  toute  sa  controverse  et  l'a  rendu 
«  méprisable  parmi  les  honnêtes  gens.  » 

Nous  observerons,  à  ce  propos,  que  des  accusations  bien  au- 
trement vives  contre  Bossuet  se  rencontrent  dans  un  livre  peu 
commun  et  avidement  recherché  des  bibliophiles  :  Mémoires, 
Anecdotes  de  la  cour  et  du  clergé  de  France,  par  J.-B.  Denis, 
Londres,  17 12,  in-12.  C'est  là  qu'on  trouve,  pour  la  première 
fois  (page  108),  l'histoire  du  mariage  de  Bossuet  avec  mademoi- 
selle *'^*  (Desvieux  de  Mauléon).  On  y  vuit  aussi  ce  prélat  fai- 
sant faire  la  fraude  pour  ne  pas  payer  lés  droits  d'entrée  des 
étoffes  avec  lesquelles  il  meuble  ses  maisons  de  Mcaux  et  de 
Germigny,  et  doublant  ses  revenus  d'une  manière  illicite.  Mais 
le  mépris  public  a  fait  justice  de  toutes  ces  calomnies. 

Esquissons  rapidement,  d'après  l'auteur  de  ces  Caractères, 
le  portrait  de  quelques  autres  personnages  importants  de  la  cour 
de  Louis  XIV. 

Monsieur.  Idolâtre  de  sa  personne  et  ne  connaissant  que  lui 
seul  d'aimable,  toujours  avide  d'argent  et  presque  toujours 
brouillé  avec  ce  précieux  métal,  jouant  avec  beaucoup  d'attache- 
ment, perdant  pourtant  en  prince,  mais  gagnant  en  bourgeois  ; 
l'oracle  de  l'étiquette. 

Le  dcc  oe  Bouhgogne.  Air  grave,  sombre,  atrabilaire,  vif  jI 
n'être  jamais  coulent  de  ceux  qui  l'approchent;  la  fierté  l'em- 
porte et  tiès-souvcnt  mal  à  prop(  s. 


NOTES  ET   ÉCLAIRCISSEMENTS  397 

Le  prince  de  Condé  *.  D'un  caractère  difficile  et  turbulent; 
emporté  et  prenant  les  choses  par  le  mauvais  endroit;  capable 
néanmoins  de  faire  beaucoup,  mais  très-peu  disposé  à  faire  quel- 
que chose  ;  la  faiblesse  de  son  tempérament  va  jusqu'à  la  manie  ; 
s'échappant  quelquefois  en  présence  du  roi  qui  ne  s'étonne  point 
de  ses  écarts  ;  extrêmement  avare ,  excepté  pour  les  repas  et 
pour  les  parties  de  plaisir,  dont  il  entend  parfaitement  l'ordon- 
nence;  libéral  en  ce  point  jusqu'à  la  prodigalité  ;  incommode  à 
ceux  qui  le  servent;  pour  tout  dire,  un  grand  chez  qui  le  faible 
l'emporte  infiniment. 

Le  duc  de  Bourbon.  On  l'a  vu  dans  les  champs  de  Mars  ; 
mais  là,  comme  ailleurs,  a-t-il  fait  parler  de  lui?  Son  carac- 
tère approfondi,  je  craindrais  qu'on  ne  trouvât  plus  de  mal  que 
de  bien  ;  il  ne  semble  être  né  que  pour  de  petites  choses. 

Le  duc  du  Maine.  Fort  peu  de  mérite,  mais  beaucoup  de 
vanité;  il  voudrait  bien  qu'on  le  jugeât  digne  de  son  père.  Heu- 
reux d'être  le  fils  de  Louis  XIV,  car,  s'il  était  obligé  d'être  lui- 
même  l'artisan  de  sa  fortune,  on  peut  assurer  qu'elle  serait  fort 
mince.  Sa  valeur  est  fort  équivoque,  mais  on  le  croit  encore 
plus  espion  que  soldat.  Très-fier  et  d'une  délicatesse  outrée  à 
soutenir  son  rang;  supérieur  au  plaisir  du  vin  et  des  femmes; 
ne  vivant  pas  trop  mal  avec  la  sienne,  et  gardant  passablement 
le  décorum. 

L'archevêque  de  Reims  {Le  Tellier).  Savant,  de  la  disci- 
pline la  plus  sévère,  cherchant  pour  ses  fonctions  des  hommes 
qui  n'aient  jamais  bronché,  lui-même  étant  le  prélat  du  monde 
le  plus  irrégulier;  indomptable  sur  l'article  de  ses  intérêts; 
souverainement  brutal ,  et  cependant  assez  bien  en  cour,  où 
il  ne  laisse  pas  de  se  faire  souvent  des  affaires  par  son  impru- 
dence. 

ViLLEROi.  Sa  valeur  paraît  médiocre  ;  il  a  besoin  de  secours 
même  pour  les  petites  choses,  et  quand  il  a  le  courage  d'y  en- 
trer, il  voudrait  qu'on  les  crût  importantes  ;  il  est  plus  propre 
pour  une  fête  que  pour  une  campagne.  Il  ne  fut  pas  plutôt  géné- 
ral qu'il  se  regarda  dans  l'armée  comme  dans  son  hôtel  ;  tous 
les  officiers  ne  lui  paraissaient  dignes  que  de  la  seconde  table  , 
et  il  croyait  faire  beaucoup  d'honneur  aux  princes  de  les  ad- 

*  Il  s'agit  du  fils  du  grand  Condé  ;  il  fut  le  dernier  de  sa  race  qui 
porta  exclusivement  le  titre  de  Monsieur  le  Prince.  «  Jamais  tant  de  la- 
lents  inutiles,  de  génie  sans  usage  »  (Saint-Simon;. 

1).  z\ 


398  NOTES  ET  ÉCLAIRCISSEMENTS, 

mettre  à  la  première.  Infiniment  ambitieux  ;  tonjours  hors  de 
son  chemin,  et  se  donnant  des  airs  avec  ceux  mêmes  auxquels 
il  doit  le  plus  de  respect;  fou  de  la  magnificence;  nuit  et  jour 
occupé  de  son  luxe  ;  l'ombre  de  sa  faveur  et  de  ses  richesses  lui 
procurent  une  foule  de  courtisans  qui  le  méprisent. 

Le  Tellier,  marquis  de  Courtenvaux.  C'est  un  pygmée  en 
matière  de  grandeur  ;  sa  famille  n'en  retire  aucun  lustre  *. 

Le  kuc  de  Lauzun.  Aventurier  étourdi ,  ballotté  par  la  for- 
tune qui  lui  a  joué  les  meilleurs  et  les  plus  mauvais  tours  ,  il  a 
pleuré  dans  une  longue  prison  ses  rodomontades  envers  son 
roi  ;  le  bonheur  qu'il  a  eu  de  faciliter  la  fuite  d'une  grande 
princesse  {la  reine  (i Angleterre,  femme  de  Jacques  II)  et  de 
contribuer  à  la  sûreté  d'un  petit  prince  équivoque  l'a  remis  en 
grâce,  et  si  depuis  il  n'a\ait  point  paru  sur  la  scène  des  ar- 
mées, peut-être  l'eùt-on  jugé  capable  d'y  f;iire  quelque  figure*. 

Le  duc  de  la  Ferté.  C'est  le  Silène  des  courtisans  et  le  père 
du  cabaret  qui  lui  lient  presque  lieu  de  domicile;  ratlinaut  sur 
la  déhanche  ;  très-jaloux  de  sa  Messaline^  avec  laquelle  il  est 

'  «  Polit  homme,  méprisé  et  compte  pour  rien  "(Saint-Simon).  Un 
couplet  du  lomps  représente  Louvois  examinant  ce  qu'il  fera  de  ses 
quatre  enfants,  et  songeant  qu'il  faut  modérer  ses  désirs;  aussi  se 
borne-t-il  à  taire  réyler  l'État  par  un  de  ses  lils;  un  autre  remplacera 
Turenne;  l'abbé  sera  cardinal: 

Pour  Courtenvaux,  j'en  suis  en  peine; 

Il  est  sot  et  de  mauvais  air; 

Nous  n'en  ferons  qu'un  duc  et  pair. 

2  Pour  bien  connaitre  ce  personnage  celèbio,  il  faut  recourir  à  Saint- 
Simon  ei  aux  Mémoires  de  M.  ^\■alcUenacr  sur  Mme  ^g  Sévigné,  t.  Jll. 
La  Kruyère  en  a  trace  le  portrait  de  main  de  maître,  sous  le  nom  de 
Straton.  11  existe  un  livret  peu  facile  à  trouver:  Les  Amours  de  Mada- 
moiselle  {s\c)  avec  M.  de  Lauzun,  Cologne,  Michel  Baur,  1673;  [il  est 
d'ailleurs  réimprimé  sous  le  titre  de  :  Le  Perroquet  ou  les  Amours  de 
Mademoiselle,  dans  le  recueil  iniilulé  :  Amours  des  Dames  illustres  ; 
on  le  retrouve  dans  l'Histoire  amoureuse  des  Gaules,  et  dans  les  Mé- 
moires de  Ml'";  de  Montpensier,  t.  VU. 

3  Elle  était  sœur  de  la  comtesse  d'Olonne,  fameuse  par  son  incon- 
duitc  et  que  les  Mémoires  de  Uetz,  ainsi  que  VlJistoire  amoureuse  des 
Gaules,  font  trop  bien  connaitre.  La  Hruyérc  a  tr.xé  le  portrait  des  doux 
sœurs,  sous  les  noms  de  Claudic  et  do  Messaline,  dans  un  caractère 
([u'il  lit  paraître,  pour  la  piomière  fois,  dans  ht  septième  édition  (  1092  ) 
de  son  immortel  ouvrage.  «  Le  débordement  (1(^  leur  vie  lit  grand  bruit; 
aucune  femme,  même  des  plus  décriées,  n'osoit  les  voir  ni  ))aroitrc  avec 
elles  »  (Saint-Simon).  La  duchesse  de  La  t'cité  se  convertit  vers  lu  lin 
de  sa  vie,  et  mourut  prcsipie  ociogeuairo,  en  I7ij,  laissant  deux  lils, 
dont  l'un  entra  dans  l'ordre  des  Jésuites. 


NOTES   ET    ÉCLAIRCISSEMMNTS.  399 

toujours  brouillé;  piquant  et  emporté  jusqu'à  la  dernière  vio- 
lence ,  en  opprobre  à  la  cour  par  son  travers  d'esprit  et  de  con- 
duite ;  avec  cela  i)on  ofllcier,  ce  qui  lui  procure  du  commande- 
ment. 

Le  comte  d'âi'bigné.  C'est  un  fat  dans  toutes  les  règles  ;  il  se 
persuade,  à  cause  du  règne  de  sa  sœur  (  3/"'«  de  Maintcnon  ), 
qu'il  est  la  troisième  perscmne  du  royaume.  Il  a  passé  sa  vie 
dans  la  débauche.  On  l'a  contraint  d"embrasser  le  parti  de  la 
dévotion  dont  il  purte  le  masque  d'assez  mauvaise  grâce  '. 

Le  duc  de  Bouillon.  C'est  un  seigneur  de  bonne  trempe  ;  peut- 
être  aurait-il  été  moins  malheureux  si,  dans  son  mariage,  il 
avait  plus  cherche  l'assortiment  que  la  fortune  ;  il  n'a  jamais  pu 
parvenir  à  la  faveur,  quoique,  dans  le  fond,  le  roi  ne  le  méses- 
time pas;  il  est  d'une  tournure  à  s'attirer  de  grands  chagrins 
domestiques,  assez  éclairé  pour  voir  ce  qui  se  passe  et  trop  bon 
pour  y  remédier  -. 

Le  duc  d'Aumont.  U  doit  tout  à  sa  bonne  fortune;  il  n'est  en 
place  que  pour  montrer  sa  petitesse;  emporté,  fier,  infiniment 
éloigné  du  mérite  qu'il  croit  avoir  et  ne  promettant  rien'. 

Le  duc  de  Gesvres.  C'est  une  vieille  béte,  de  service  incom- 
mode à  la  cour  ;  sa  bêtise  lui  fait  du  bien  ;  un  plus  habile  homme 
que  lui  ne  se  serait  pas  soutenu  si  longtemps  *. 

Le  maréchal  de  Boufflers.  Il  a  surpris  le  monde  et  s'est  fait 
une  fausse  réputation  de  bravoure;  il  doit  le  commencement  de 

1  11  faut  lire  dans  Saint-Simon  le  portrait  de  ce  dissipateur  fou  à  en- 
fermer, et  qui  ne  se  gênait  pas,  même  dans  la  galerie  de  Versailles, 
pour  dire  le  beau-frère,  en  parlant  Ju  roi.  Sa  sœur  redoutait  exirème- 
mént  cette  intempérie  de  langue.  Elle  le  fit  jusqu'à  1  époque  de  sa  mort, 
en  ni3,  garder  à  vue  par  un  prêtre  de  Saint-Sulpice,  nomme  Madot. 

*  Les  Mémoires  du  cardinal  de  Ketz  et  ceux  de  Saint-Simon  font 
assez  connaître  ce  personnage  qui,  après  avoir  été  mêlé  à  beaucoup  d'in- 
trigues, mourut  en  1721,  à  quatre-vingt-deux  ans.  La  duchesse  de 
Bouillon,  fameuse  pour  avoir  été  l'amie  de  La  Fontaine,  «  éloit  dans 
«  Faris^  malgré  sa  conduite  peu  régulière,  une  espèce  de  reine  avec  la- 
«  quelle  il  falloit  compter  «  (Saint-Simon  ). 

8  11  était  cité  comme  gastronome.  Saint-Simon  dépeint  la  duchesse 
comme  une  grande  et  grosse  femme,  impérieuse,  méchante,  grande 
joueuse,  grande  dévote  à  directeur. 

*  Cet  original  se  minait  en  équipages  et  en  dépenses  folles  pour  ne 
pas  laisser,  disait-il,  son  bien  à  ses  enfants  ;  à  quatre-vingts  ans,  il 
épousa,  en  secondes  noces,  une  demoiselle  de  La  Chenelaye,  belle  et 
riclie,  que  l'anil)ition  d'un  tabouret  à  la  cour  fit  consentir.  Voir  une  note 
de  M.  Walckenaér  dans  son  édition  de  La  Bruyère,  1845,  p.  T17. 


400  NOTES  ET  ÉCLAIRCISSEMENTS, 

sa  fortune  à  la  haine  de  M.  de  Louvois,  qu'un  parti  jaloux  vou- 
lait mortifier  ;  il  a  eu  l'esprit  de  se  ruiner  deux  ou  trois  fois  pour 
s'enrichir  des  bienfaits  de  son  prince  ;  il  affecte  le  mystère  pour 
se  faire  croire  pénétrant ,  mais  les  gens  d'esprit  ne  sont  point 
ses  dupes  ;  fils  du  bailli  de  Beauvoisis,  il  se  figure  que  Hugues 
Capet  l'a  créé  duc  et  pair  ;  esclave  de  la  faveur  jusqu'à  la  res- 
pecter dans  le  dernier  laquais  d'un  ministre*. 

Nous  arrêtons  ici  nos  extraits  de  ces  Caractères;  nous  en 
avons  parlé  avec  quelque  détail ,  parce  que,  selon  l'observation 
de  M.  Walckenaër,  ils  paraissent  un  écho  fidèle  de  l'opinion  pu- 
blique sur  les  personnages  du  temps.  Nous  regrettons  de  ne  pas 
y  trouver  un  portrait  de  Madame;  mais  la  vie  retirée  de  cette 
princesse  et  son  éloignement  des  intrigues  de  la  cour  font  qu'il 
est  rarement  question  d'elle  dans  les  écrits  de  l'époque.  Le  cé- 
lèbre philosophe  Locke,  qui  assista,  le  26  septembre  1G77,  à  un 
opéra  à  Fontainebleau,  consigne  dans  une  note  du  journal  de 
son  voyage  en  France,  que  Madame,  coiffée  d'une  perruque 
d'homme  et  habillée  comme  un  homme  jusqu'à  la  ceinture,  lui 
parut  fort  singulière.  Voir  Dfe  0/  /.  Locke^  ivith  extracts.,,  by 
lord  King.  Londres,  1829,  4°,  p.  271. 

La  Confession  réciproque,  ou  Dialogues  du  temps ,  entre 
Louis  XIV  et  le  Père  La  Chaise,  Cologne,  1 G94. 

Il  existe  une  autre  édition  de  cet  écrit,  169  (le  dernier  chiffre 
manque).  Un  avis  du  libraire  signale  comme  auteur  Pierre  Le- 
noble,  et  lui  attribue  quelques  ouvrages  du  même  genre,  tels 
que  les  Amours  d'Anne  d'Autriche  et  VOmbre  de  Louvois.  Cet 
avis  indique  aussi  comme  étant  imprimés  plusieurs  autres  li- 
vres : 

Le  Bouleversement  de  la  France,  prédit  par  Nostradamus  ; 

—  le  Traité  d'alliance  offensive  et  défensive  du  Turc  d'Orient  et 
du'Turc  d'Occident;  —  l'Établissement  du  sérail  de  Louis  le 
Grand  avec  le  portrait  des  dames  ;  —  l'Horoscope  des  Jésuites; 

—  la  Cour  de  sainte  Maintenon  ;  —  Le  Pèlerinage  de  Louis  XIV 
ù  Saint-Cyr,  etc.  Ces  ouvrages  sont  supposés  2.  h' Avis  annonce 

1  L'ouvrage  imprimé  en  Iluliande,  sous  la  rubrique  de  Paris,  Ilis~ 
toire  des  Amours  du  maréchal  de  Boujilcrs,  IC9C,  n'esl  qu'un  roman 
fort  peu  digne  de  foi. 

*  Un  pamphlet  do  Lenoble,  la  Pierre  de  louche  politique,  H90,  ren- 
ferme une  liste  de  livres  supposés,  relatifs  aux  affaires  d'Angleterre. 
A  l'égard  des  ouvrages  imaginaires,  souvent  inventés  jiar  l'esprit  de  la 
Balirc,  il  faut  consulter  deux  articles  fort  curieux  dus  à  MM.  Uacnscl 


NOTES  ET  ÉCLAIRCISSEMENTS.  401 

de  plus  que  Pierre  Lenoble,  vendant  ses  manuscrits  fort  clicr, 
la  Confession  sera  le  dernier  ouvrage  qu'on  donnera  de  lui.  11 
est  vraisemblable  que  tout  ceci  n'est  qu'une  plaisanterie  de  l'é- 
diteur, dans  le  but  de  donner  le  change  au  public  ;  on  ne  connaît 
pas  d'écrivain  du  nom  de  Pierre  Lenoble,  et  il  ne  faut  pas  le 
confondre  avec  Eustache  Le  Noble  de  Saint-Georges.  Celui-ci 
était  un  pamphlétaire  qui  ne  manquait  ni  d'esprit,  ni  de  verve, 
mais  c'était  contre  les  adversaires  de  Louis  XIV,  et  surtout  con- 
tre Guillaume  111,  qu'il  faisait  courir  sa  plume.  Sa  conduite  fort 
déréglée  lui  valut  des  désagréments,  même  à  Paris  ;  arrêté  en 
1G90  eten  1691,  et  ses  papiers  saisis,  il  fut,  en  JC98,  condamné 
au  bannissement  ;  mais  il  ne  sortit  pas  de  France,  et ,  quand 
vint  la  guerre  de  la  succession,  il  reprit,  avec  privilège  royal, 
son  rôle  de  libelliste.  H  donne  à  entendre  qu'il  recevait  des  mi- 
nistres des  communications  officieuses.  Les  bibliographes  ont 
fort  peu  parlé  de  ses  nombreux  écrits  qu'ils  ont  à  peine  connus 
et  dont  la  collection  complète  n'existe  sans  doute  nulle  part. 
On  trouve  à  ce  sujet  de  curieux  détails  dans  le  catalogue  des  li- 
vres de  M.  M.  (Moreau),  1846,  n°  319. 

La  Confession  réciproque  se  termine  par  les  mots  :  Fin  de  la 
première  partie  {\a  suite  n'a  point  paru);  elle  se  compose  de 
trois  dialogues,  dont  voici  le  résumé  succinct  : 

Louis  convient  qu'il  ne  s'est  jamais  exposé  à  aucun  péril  ;  il 
donnerait  toutes  ses  conquêtes  pour  qu'on  put  dire  qu'il  a  été 
blessé  ;  lorsqu'il  parle  du  prince  d'Orange,  la  fièvre  le  saisit  si 
bien  qu'il  doit  en  hâte  recourir  au  quinquina.  De  son  côté,  le 
confesseur  lui  déclare  qu'il  peut,  en  sûreté  de  conscience,  violer 
tous  les  traités,  brûler  des  villes,  faire  périr  ses  ennemis,  car  les 
casuistes  sont  tous  d'accord  sur  ce  point  qu'on  peut  tuer  son  ad- 
versaire. —  «  Je  vous  absous,  dit-il,  de  tout  péché  passé,  présent 

(P.  Jannet)  et  Ed.  Fournier,  dans  le  Journal  de  l'Amateur  de  livres, 
\8iS,  no  17,  t.  1,  p.  237-271,  et  t.  111,  p.  6-19. 

Le  catalogue  de  la  Bibliothèque  (\m&g\nairo)  du  comte  de  Forlsas 
(facétie  très-piquante  qui  lit,  en  1840,  du  bruit  dans  le  monde  des  bi- 
bliophiles) mentionne  deux  ouvrages  relatifs  à  Louis  XIV,  mais  que  nul 
bibliophile  ne  possède,  et  pour  cause. 

Le  Sarrianapale  de  ce  temps,  IC99. 

Les  Suites  du  plaisir,  ou  Desconlitures  du  grand  roi  dans  les  Pays- 
Bas.  Au  Ponent  (Hollande),  168G. —Libelle  d'un  cynisme  dégoûtant,  à 
l'occasion  de  la  fistule  de  Louis  XIV.  Une  des  figures  représente  k« 
derrière  royal  sous  la  forme  d'un  soleil  entouré  de  rayons,  avec  la  fa- 
meuse devise,  Neo  pluribus  impar, 

34. 


402  NOTES  ET  ÉCLAIRCISSEMENTS. 

«  et  futur,  et  vous  donne  pour  pénitence  de  dire  votre  Credo 
o  tous  les  jours,  de  vous  sevrer  de  vos  plaisirs  ordinaires  deux 
«  fois  la  semaine,  et  de  faire  un  fonds  de  300,000  livres,  pour 
«  assassiner  trois  ou  quatre  grands  que  je  vous  nommerai.  » 

Histoire  des  Amoui's  du  maréchal  de  Luxembourg,  Colo- 
gne, 1694,  in-12. 

Ce  roman  mal  écrit  représente  le  maréchal  sous  un  aspect 
odieux  et  ridicule.  On  donne  pour  motif  de  son  exil  de  la  cour 
«  la  mort  du  duc  de  Soissons,  dont  on  l'accusait,  et  que  l'on 
«  croyait  avoir  Qni  ses  jours  par  le  poison,  et  l'art  magique  dont 
<f  il  se  servait  pour  enchanter  les  personnes  à  qui  il  voulait 
«  plaire,  particulièrement  aux  dames  les  plus  aimables  et  qu'il 
«  trouvait  à  son  goût.  » 

L'auteur  raconte  les  passions  successives  du  maréchal  pour 
M"es  de  Chevreuse  et  de  Tilladet;  il  le  montre  consultant  un 
sorcier  qui  lui  apprend  que  chez  les  femmes  un  nez  long  est 
l'indice  de  la  constance,  et  un  nez  arrondi  le  signe  d'une  hu- 
meur volage  et  changeante.  On  voit  l'illustre  guerrier  se  dégui- 
ser en  femme,  courtiser  une  bergère  qu'il  rencontre  à  la  cam- 
pagne, et  se  trouver  en  danger  d'être  fort  maltraité  par  des 
paysans  armés  de  faux.  A  tout  ceci,  l'écrivain  mêle  le  récit 
d'autres  intrigues  ;  le  Dauphin  est  «  fortement  charmé  despuis- 
«  sauts  attraits  de  la  duchesse  de  Verneuil  »,  et  le  roi  est  épris, 
au  siège  de  Namur,  de  M™<'  de  Castello,  femme  d'un  colonel 
ennemi. 

Nous  avons  déjà  mentionné  un  pamphlet  satirique  contre  le 
maréchal  ;  en  voici  un  autre  :  Luxembourg  apparu  à  Louis  XIV, 
la  veille  des  Rois;  Cologne,  Ifi!).').  On  trouve  des  détails  curieux 
dans  les  Mémoires  pour  servir  à  l'hisloire  du  maréchal  de 
Luxembourg,  La  Haye,  17  58,  in-4'*. 

Histoire  secrète  des  moijms  injustes  et  perfides  dont 
Louis  XIV  s'est  servi  pour  arriver  à  la  monarchie  universelle, 
Cologne,  1G91,  I  GO  pages. 

Vol  urne  que  nous  ne  rencontrons  pas  sur  les  catalogues  des  col- 
lections les  plus  riches  en  livres  de  celle  espèce,  celle  de  M.  Le- 
Ler  entre  autres. 

Après  avoir  annoncé  que  le  roi  déclare  la  guerre  h  tout  l'u- 
nivers et  que,  de  toute  évidence,  son  projet  est  de  s'emparer  de 
l'Allemagne  entière  pour  la  joindre  à  la  France,  l'auteur  entre 
Uuns  de  longues  considérations  sur  la  conduite  ambitieuse  des 


NOTES   ET   ÉCLAIRCISSEMENTS.  403 

rois  de  France  depuis  des  époques  fort  éloignées,  et  sur  les  pré- 
tentions de  Louis  XIV  an  sujet  des  provinces  qu'il  a  déjà  réu- 
nies à  la  France  ou  qu'il  revendique  à  divers  titres.  11  y  a  beau- 
coup d'acrimonie  dans  cet  écrit,  mais  il  est  d'un  bout  à  l'autre 
du  ton  le  plus  sérieux. 

Comme  modèle  de  contraste,  on  peut  placer  à  côté  de  quel- 
ques-uns des  libelles  composés  en  Hollande,  certains  ouvrages 
français  où  Louis  est  exalté  de  la  faqon  la  plus  ridicule.  Nous 
citerons  comme  des  chefs-d'œuvre  en  ce  genre  deux  volumes 
fort  peu  connus  : 

Les  heureux  augures  du  triomphe  de  Louis  XIV  sur  tous 
les  rois  du  inonde,  par  J.-B.  de  Ciissillac,  capucin.  Paris,  1665, 
in-4**.  En  décomposant  vingt-quatre  fois  le  nom  du  roi,  l'auteur 
y  trouve  autant  d'augures  de  sa  grandeur  future. 

L'Apollon  français,  ou  le  Parallèle  des  vertus  héroïques  du 
très-auguste,  très-puissant  et  très-invincible  roi  de  France  et 
de  Navarre,  Louis  le  Grand,  avec  les  propriétés  et  les  qualités 
du  soleil,  par  Brice  Bauderon,  seigneur  de  Senecey,  lieutenant 
général  au  bailliage  de  Maçonnais,  Màcon,  lG81,in-12. 

Louis  XIII  avait  été  l'objet  d'adulations  non  moins  bizarres; 
dans  un  opuscule  imprimé  vers  tG18,  \' Horoscope  dit  Roy,  la 
ville  de  Lyon  est  introduite  pour  revendiquer  ridiculement 
l'honneur  d'être  le  lieu  où  le  monarque  a  été  conçu  ! 

Sommaire  des  chapitres  contenus  en  la  chronique  du  che- 
valier Sotermelec. 

Cette  chroniiiue,  imitation  du  style  de  Rabelais ,  est  dirigée 
contre  le  Régent;  elle  se  trouve  à  la  suite  des  Aventures  de 
PompUius,  chevalier  romain,  1724  (autres  éditions,  1725  et 
1728),  roman  satirique  et  parfois  licencieux  ,  dont  une  partie 
(chapitres  xxiv  et  suiv.)  porte  sur  le  duc  d'Orléans;  ce  prince 
est  très-facile  à  reconnaître  sous  l'anagramme  de  Relosan^  et 
ses  actions  n'y  sont  presque  pas  déguisées.  Les  chapitres  les 
plus  intéressants  de  cette  prétendue  chronique  devaient  être 
ceux-ci  : 

Comment  Sotermelec  (sauveur  du  roi;  le  Régent)  fut  mis 
entre  les  mains  des  précepteurs  à  cette  fin  d'être  élevé  en  tout 
honneur  et  vertu.  De  ses  ébats  et  passe-temps  ,  et  comment  il 
donnoit  bon  témoignage  de  sa  sufllsance. 

Comment  Soteimelec,  devenu  grand,  commençoit  à  se  con- 
fesser à  Dieu,  à  la  Sainte  Vierge  et  à  tous  les  saints,  et  leur 


404  NOTES  ET  ÉCLAIRCISSEMENTS. 

détailloît  par  le  menu  ses  péchés,  puis  ne  s'en  challoit  et  re- 

tournoit  pécher. 

Comment  Sotermelec  trop  dévotement  ne  comptoit  ses  pate- 
nôtres et  commençoit  à  pécher  aux  huîtres. 

Comment  une  nuit  il  vit  en  songe  une  couronne  et  cuidoit 
que  régner  pourroit,  puis  s'éveillant  ne  trouva  que  bran. 

Comment  après  le  décès  du  roi  don  Sadik  (  Louis  XIV) ,  son 
oncle,  il  amadoua  les  bonnets-ronds  [  le  Parlement)  et  les  sup- 
plia dolenternent  de  vouloir  dérompre  les  tables  testamentaires 
dudit  roi. 

Comment  de  prime  abord  furent  chassés  certains  gouverneurs 
et  anciens  Solipses  (jésuites),  lesquels,  par  conseils  précipités, 
auroient  mis  l'État  en  péril. 

Comment  Sotermelec  requit  les  bonnets-ronds  de  lui  octroyer 
la  gouverne  des  Gaules,  sous  tel  pacte  qu'il  feroit  tout  bien, 
qu'oncques  en  nul  rien  mal  ne  feroit,  ce  qu'en  son  cœur  nepen- 
soit,  si  qu'au  partir  de  là  n'en  tint  cure. 

Comment  il  fit  démolir  la  citadelle  de  Damur  (Dunkerque 
pour  complaire  au  roi  d'Albion. 

Comment  il  humoit  le  piot  et  donnoit  gourmades  à  ses  com- 
.  pagnons  de  plaisir,  puis  se  repatrioit  avec  eux. 

Comment  il  alloit  en  pèlerinage  à  l'abbaye  de  Tetemu  {le 
Château  de  la  Muette  à  la  duchesse  de  Berry,  ou  l'abbaye  de 
Chelles),  et  là  faisoit  longues  retraites,  puis  y  consoloit  abbesse 
et  nonnains. 

Comme  étoient  réglées  les  nonnains  de  Tetemu. 

Comment  la  règle  étoit  que  feroient  tout  le  rebours  de  ce  que 
autres  religieux  et  nonnains  doivent  faire. 

Comment  Sotermelec  inventa  un  grand  creuset  (  la  Banque) 
pour  y  fondre  or  et  argent. 

Comment  il  fit  nombre  de  detteurs  et  d'emprunteurs. 

Comment  Sotermelec  et  les  detteurs  payoient  leurs  dettes 
avec  son  et  donnoient  fumée  pour  or. 

Comment,  malgré  misère,  il  menoit  bombance  et  joyeuseté, 
marchandoit  filles,  achetoit  femmes,  consoloit  veuves  et  se  so- 
lacioit. 

Comment  il  étoit  entouré  de  vaticins ,  aruspiccs  et  autres 
telles  gens  qui  elfaçoicnt  le  passé,  et  lui  faisoient  voir  un  bel 
avenir  par  le  pertuis  d'une  bouteille. 

Comment  il  créa  la  charge  de  grand  calculateur  es  marches 


NOTES  ET  ÉCLAIRCISSEMENTS.  405 

des  Gaules  et  en  accoutra  un  certain  charlatan,  transfuge  calé- 
donien {l'Écossais  Lato). 

Comment  princes  et  autres  grands  seigneurs  se  firent  mar- 
chands de  papiers  et  baillèrent  torche-c...  pour  monnaies;  au- 
cuns vendirent  épices,  autres  vendirent  joyaux,  etc. 
!  Comment  un  beau  jour  le  pontife  de  Cambrav  (Dubois)  voulut 
se  faire  cardinal,  et  supplia  Sotermelec  de  l'assister  auprès  du 
pape  de  Rome. 

Comment  fut  conclu  par  le  pontife  de  Cambray  qu'il  falloit 
honorer  la  dive  pancarte  du  pape  romain  (la  bulle  Unigenilns). 

Des  choses  étranges  qu'aucuns  théologiens  gallicans  décou- 
vrirent en  ladite  pancarte. 

Comment  ceux  qui  ne  voulurent  honorer  la  dive  pancarte 
furent  relégués  en  l'île  des  Papefigues  [la  Hollande). 

Comment  le  pape  romain  fit  le  pontife  de  Cambray  cardinal, 
et  lui  octroya  dix-huit  quarantaines  de  pardons  pour  les  péchés 
à  venir,  avec  rémission  des  passés. 

Comment  le  pontife  de  Cambray  ne  disoit  messe  et  juroit 
comme  un  payen. 

Comment  Sotermelec  trépassa  et  ne  fut  dans  son  mal  secouru 
à  temps,  et  comment  d'aucuns  fut  interprété  cettui  défaut  de 
remède  et  médecins. 

L'Histoire  du  prince  Papyrius,  surnommé  Pille-argent ,  gou- 
verneur des  Francs -Sots.  Le  nom  de  Papyrius  s'explique  de 
lui-même  par  les  billets  de  banque  qui,  émis  outre  mesure, 
avaient  fait  disparaître  le  numéraire.  Cette  facétie,  qui  est  citée 
dans  la  Bibliothèque  historique  de  la  France,  n°  24,5G5,  n'a- 
vait pas,  à  ce  que  nous  croyons,  été  imprimée  avant  M.  Peignot 
qui  l'a  insérée  dans  son  Précis  historique  de  la  maison  d'Or~ 
léans;  elle  ne  renferme  que  les  titres  détaillés  de  dix-sept  cha- 
pitres; nous  nous  bornerons  à  quelques  extraits  : 

Comme  quoi  le  prince  Papyrius  fit  patte  de  velours  aux  Druides 
[aux  membres  du  Parlement)  pour  être  gouverneur  des  îles  des 
Francs-Sots,  et  leur  fit  entendre  par  biaux  semblants  qu'il  vouloit 
qu'on  lui  rognât  les  griffes  pour  l'empêcher  de  prendre  ni  faire 
mal,  et  que  même  son  vouloir  étoit  que  les  Druides  pussent  ou- 
vrir la  bouche  quand  il  leur  plairoit  pour  crier  au  chat,  et  comme 
quoi,  après  maintes  harangues  et  maints  biaux  sermonages  mis 
en  paroles  et  écritures,  le  prince  Papyrius  entra  dans  l'isle  pour 
icelle  gouverner. 


40G  NOTES   ET   ÉCLAIRCISSEMENTS. 

Comme  quoi  Papyrins,  à  son  entrée,  fit  moult  bonne  mine  aux 
Francs-Sots  et  prenoit  consultation  des  Druides  qui  lui  firent 
remonstrations  que  plusieurs  harpies  du  temps  avoient  mangé 
ce  qu'il  y  avoit  de  bon  dans  les  isles  ;  sur  quoi  tant  fut  procédé 
que  lesdites  harpies  furent  pourchassées.  Mais  leurs  plumes  fu- 
rent mises  dans  les  poches  de  plusieurs  p et  maq dont 

se  servoit  souvent  ledit  Papyrius  pour  s'ébaudir,  si  bien  que 
toute  la  chevance  s'en  alla. à  rien  du  tout,  comme  si  de  rien  n'a- 
voitété,  mais  au  contraire  arriva  pis  que  devant. 

Comme  quoi  Papyrius,  prenant  si  s  éhîits  avec  gentes  donzelles, 
passoit  les  nuits  à  moult  manger  et  grandement  boire  et  d'autant 
dormir  la  grasse  matinée. 

Comme  quoi  le  prince  Papyrius  fut  grandement  courroucé 
contre  le  soudan  d'iljérie  qui  lui  mandoit  par  ses  écrits  que  son 
cheval  n'étoit  qu'une  béte  et  qu'il  auroit  affaire  à  lui  s'il  tou- 
choit  tant  seulement  du  bout  du  doigt  au  petit  Ascagne  {le 
jeune  Louis  XV).  Sur  quoi  Papyrius  prit  une  hallebarde  et 
envoya  une  grosse  troupe  de  Francs-Sots  pour  guerroyer  le  Sou- 
dan d'ibérie. 

Comme  quoi  Papyrius  retint  bien  joyeusement  en  ses  isles  le 
fameux  droguiste  et  grand  charlatan  Pille-Avoine,  pour  lui  aider 
à  duper  et  piper  les  Francs-Sols,  et  faisoit  ledit  Pille-Avoine  de 
jolis  tours  de  souplesse  et  des  boîtes  de  papier  dans  lesquelles  il 
disoity  avoir  de  bonnes  drogues  et  recettes  admirables  pour  bien 
manger,  boire  et  dormir,  puis  quand  on  les  ouvroit,  n'y  trouvoit- 
on  souventes  fois  rien  du  tout. 

Les  Amours  de  Louis  le  Grandet  de  M"«  dti  Tron,  Rotter- 
dam, sans  date  (vers  1G'J8). 

Ce  volume,  recherché  des  bibliophiles,  quoiqu'il  soit  mal  écrit 
et  assez  plat,  reproduit,  avec  quelques  différences,  un  pamphlet 
imprimé  en  IG'JO  :  Nouvelles  Amours  de  Louis  XI W  Cette 
satire  est  fondée  sar  un  fait  que  relate  Saint-Simon  ;  M'Ie  du 
Tron  est  la  nièce  de  Bontomps,  valet  de  chambre  du  roi,  M^c  de 
Maintenon  figure  dans  l'ouvrage  et  elle  adresse  au  monarque 
des  remontrances  qui  lui  déplaisent  fort  :  «  0  sens  rebelles  et 
désobéissants,  quand  triompherons-nous  de  vous?  Je  veux,  sire, 
qu'un  ange  m'emporte  si  vous  ne  perdez  pas  le  peu  de  santé 
qui  vous  reste.  »  Les  finances  royales  se  trouvent  dans  un  état 
désastreux;  Pontchartrain  propose  de  mettre  un  impôt  sur  le 
vent;  les  bateliers,  mariniers,  meuniers,  etc.,  ne  pourront  s'en 


NOTES  ET   ÉCLAIRCISSEMENTS.  407 

servir  qu'en  payant  des  droits  qui  rapporteront  beaucoup  d'ar- 
gent. Louis  pense  qu'il  y  aurait  plus  de  profit  à  taxer  les  heures 
et  surtout  l'heure  du  berger.  Un  autre  émet  l'avis  d'une  contri- 
bution qui  rendrait  bien  plus  que  toutes  celles  dont  on  pourrait 
s'aviser,  ce  serait  une  taxe  perçue  sur  les  femmes  galantes. 

Abaissement  de  la  France  présagé  par  le  songe  de  son  roi, 
par  le  sieur  G.  R.  P.  A.  de  Prague;  Jacques  le  Roy  (Hollande), 
1G90,  in-4°,  12  pages. 

Cherchant  tous  les  moyens  possibles  d'exprimer  la  haine  qui 
les  animait,  les  ennemis  de  Louis  XIV  s'avisèrent  de  demander 
compte  à  ce  prince  des  idées  qui  pouvaient  traverser  son  cerveau 
durant  son  sommeil.  Us  supposèrent  qu'il  faisait  des  rêves  où 
il  voyait  la  France  humiliée,  ruinée,  presque  conquise,  et  ils 
joignirent  au  récit  de  ces  visions  prétendues  des  commentaires 
où  l'injure  était  versée  à  flots.  Cette  idée  parut  si  inuénieuse  que 
ce  fut  à  qui  l'exploiterait.  On  vit  paraitre  les  Remarques  curieuses 
sur  plusieurs  songes  de  quelques  personnes  de  qualité  et  spé- 
cialement sur  ceux  de  Louis  XIV  et  de  .V««  de  La  Vallière, 
Amsterdam,  1690;  les  Brièves  remarques  sur  le  songe  de  la 
reine  d'Angleterre  et  sur  celui  de  Mme  de  la  Vallière,  1690; 
le  Songe  de  Louis  XIV  le  jour  de  la  prise  de  Menin,  Cologne, 
sans  date  (vers  1706);  les  Explications  de  quelques  songes 
prophétiques  qu'il  a  plu  à  Dieu  d'envoyer  à  des  dames  réju- 
giées,  par  J.  Massard,  D.-M.  Ce  Massard,  médecin  réfugié,  avait 
quitté  la  France  avant  la  revocation  de  l'éJit  de  Nantes  ;  il  était 
préoccupé  de  la  divination  de  l'avenir,  au  moyen  des  prophéties 
et  des  songes;  on  le  crut  fou,  on  n'avait  pas  absolument  tort. 
11  annonçait  le  massacre  général,  en  1 691,  de  tous  les  protes- 
tants résidant  en  France,  la  disparition  du  catholicisme  et  l'a- 
vénement  du  Millenium  pour  17  59.  Au  milieu  de  toutes  ces  ex- 
travagances, il  eut  pourtant  une  de  ces  rencontres  que  le  hasard 
se  plait  à  accorder  de  loin  en  loin.  11  trouva,  en  168G,  dans  les 
prophéties  de  Nostradamus,  que  le  prince  d'Orange  triomphe- 
rait, en  1 089,  de  la  ligue  papiste.  Quant  au  songe  qu'expliquaient 
les  Remarques  curieuses  et  le  soi-disant  astrologue  de  Prague, 
il  fut  également  le  but  des  travaux  de  Vau-Bennigen  [Explica- 
tion du  songe  du  Roy,  1G9G).  Mme  du  Noyer  raconte,  dans  ses 
Lettres  galantes  et  historiques,  t.  IV,  p.  151,  que  le  Songe 
fut  réimprimé  à  Londres,  en  1710,  avec  les  explications  de  l'un 
des  martvrs  de  la  Réforme,  nommé  Brousson,  et  qu'il  se  vendit 


409>  NOTES  ET   ÉCLAIRCISSEMENTS, 

fort  Lien.  Elle  ajoute  qu'on  lui  fit  voir  une  ancienne  gazette 
dans  laquelle  il  était  raconté  tout  au  long.  Cette  gazette  est  l'His- 
toire journalière  du  17  novembre  1689,  qui,  la  première,  en 
a  donné  le  récit,  ou  la  Gazette  de  Harlem  du  12  janvier  1690, 
qui  y  a  ajouté  le  songe  de  la  reine,  femme  de  Jacques  II.  (Nous 
devons  ces  renseignements  à  M.  Moreau,  le  savant  auteur  de  la 
Bibliographie  des  Mazarinades ,  et  qui  a  fait  une  étude  spé- 
ciale des  livrets  relatifs  à  l'histoire  de  Louis  XIV.) 

Ajoutons  que  Louis  XIV  n'est  pas  le  seul  monarque  auquel  on 
ait  prêté  des  songes  dans  une  intention  satirique.  L'avocat  Bar- 
bier raconte  [Journal  historique  et  anecdotique,  1849,  t.  II, 
p.  289)  que  le  roi  Louis  XV,  alors  fort  jeune,  eut  un  rêve  dans 
lequel  il  vit  quatre  chats,  l'un  aveugle,  l'autre  borgne,  un  gras 
et  un  maigre.  Il  demanda  à  son  valet  de  chambre  ce  que  cela 
signifiait.  Le  valet  convint  de  bonne  foi  qu'il  n'en  savait  rien, 
mais  il  indiqua  un  soldat  des  gardes  françaises  fort  habile  en  ce 
genre.  On  le  fit  venir,  et,  après  bien  des  instances  et  la  parole 
du  roi  donnée  pour  sa  sûreté,  il  expliqua  que  le  chat  aveugle 
c'était  le  roi  lui-même,  qui  ne  voyait  rien  de  ce  qui  se  passait; 
le  chat  borgne,  le  cardinal  de  Fleury,  qui  ne  voyait  les  choses 
qu'à  demi  ;  le  chat  maigre,  le  peuple,  et  le  chat  gras,  les  gens 
d'affaires. 

Dans  rOrient,  l'usage  s'est  conservé  de  prendre  fort  au  sé- 
rieux les  songes  des  souverains.  Tippoo-Saëb  laissa  un  manuscrit 
qu'il  cachait  à  tous  les  yeux,  et  dans  lequel  il  inscrivait  tousses 
rêves  avec  autant  d'exactitude  que  de  mystère.  Ce  manuscrit 
fut  traduit  en  anglais,  et  M.  Barchou  de  Penhoën  (Histoire  de 
l'empire  anglais  dans  l'Inde,  t.  IV,  p.  370)  rapporte  cinq  de 
ces  songes.  Du  reste,  la  grande  et  curieuse  théorie  des  phéno- 
mènes du  sommeil  mérite  d'être  envisagée  sous  un  aspect  qui 
échappait  nécessairement  aux  libcUisles  de  1690,  tout  comme  au 
despote  du  Mysore.  Selon  un  penseur  profond,  «  il  n'y  a  rien 
«  de  plas  instructif  pour  l'homme  éveillé  que  l'histoire  des  son- 
«  ges,  comme  rien  de  plus  utile  pour  l'homme  raisonnable 
«  que  l'histoire  de  la  folie  »  (Maine  de  Biran,  Œuvres,  t.  II, 
p.  250). 

Les  Heures  françoises,  ou  les  Vêpres  de  Sicile  et  les  Mati- 
nées de  la  Saint-Darthélemy.  Amsterdam,  1690,  in-12. 

Ce  livret,  dont  on  ne  connaît  (pie  quelques  exemplaires,  s'est 
payé  cent  cinquante  à  cent  soixante-dix  francs  dans  certaines 


NOTES   ET  ÉCLAIRCISSEMENTS.  4C9 

ventes  ;  il  a  dû  sa  célébrité  à  son  titre  qui  le  faisait  regarder 
comme  une  menace  adressée  à  Louis  XIV,  à  l'occasion  de  ses 
envahissements  et  des  rigueurs  exercées  contre  les  protestants. 
L'auteur  dit  dans  sa  préface  que  la  France,  en  1G7 8,  trouva  bon 
d'abandonner  honteusement  la  Sicile;  il  souhaite  qu'elle  ait  la 
consolation  de  chanter  indéflniment  le  cantique  des  trois  nour- 
rissons de  Daniel  au  milieu  de  l'incendie  universel  qu'elle  a  al- 
lumé. On  peut  tout  au  plus  déduire  de  ces  expressions  vagues, 
que  les  descendants  des  victimes  de  la  Saint-Barthélémy,  en 
butte  à  des  persécutions  nouvelles,  menacent  la  France  d'une 
revanche  terrible.  Quant  au  corps  de  l'ouvrage,  il  ne  serait  pas 
déplacé  dans  l'histoire  positive  du  treizième  ou  du  seizième  siè- 
cle; c'est  un  récit  des  événements  accomplis  en  Sicile  depuis  le 
couronnement  de  l'empereur  Henri  V  jusqu'à  la  mort  de  Pierre 
d'Aragon,  et  une  relation  du  massacre  de  la  Saint-Barthélémy. 
—  Il  a  été  fait,  en  1852,  à  la  librairie  Panckoucke,  une  élé- 
gante réimpression  de  ces  Heures  à  cent  dix  exemplaires  seule- 
ment. 

Bibliothèque  satirique;  elle  se  trouve  dans  le  Journal  de 
Paris,  par  Mathieu  Marais ,  publié  par  extraits  dans  la  Revxie 
rétrospective.  Les  lecteurs  au  fait  de  la  chronique  scandaleuse 
de  la  Régence  comprendront  sans  peine  ce  qu'il  y  a  de  malice 
dans  les  titres  de  quelques-uns  de  ces  livres  supposés  : 

L'Art  de  diviser  les  ho)nmes  à  l'infini  et  de  profiter  de  leur 
division,  par  le  duc  d'Orléans; 

L'Art  de  mener  les  maris  par  le  nez,  dédié  à  la  reine  d'Es- 
pagne; 

Nouveau  traité  des  infiniment  petits,  dédié  aux  grands  de  la 
cour  de  France,  par  un  auteur  anonyme  ; 

Traité  des  Jubilés  et  des  indulgences  plénièrcs,  par  la  prési- 
dente Fillon,  dédié  au  cardinal  Dubois. 


FIN. 


n.  35 


INDEX. 


A. 


Acteur  qui  laisse  écliapper  un  mot 
pour  un  autre.  T,  BO. 

AlUÉHOM.  Ses  perfidies.  I,  50,  451 
et  noie.  II,  46  9.  —  Comment  il 
gagne  la  faveur  du  duc  de  Ven- 
dôiiie.  Il,  31.  —  Lettre  de  lui  in- 
terceptée. H,  46.  —  Complote  la 
mort  de  l'empereur.  II,  ns.  —  Est 
arrêté  par  ordre  du  pape.  II,  220. 

Albret  (duc  d').  Son  mariage  avec 
M"»  de  Barbezieux.  I,  42  4. 

Ambassadeur  persan.  Ses  bizarre- 
ries. I,  16  0.  —  De  Portugal,  ma- 
gnificence de  son  entn'e.  I,  I8i.  — 
CiTémonial  à  l'entrée  des  ambas- 
sadeurs.  I,    272. 

Ancre  f marquis  d').  Calembour 
fait  sur  son  nom  au  sujet  de  la 
grossesse  de  la  reine.  I,  416. 

Angleterre  (la  reine  d'),  épouse  de 
Jacques  II.  —  Refuse  de  se  réjouir 
de  la  mort  du  roi  Guillaume,  l, 
6  5,  —  Doutes  sur  la  réalité  de  sa 
grossesse.  I,  8  5.  —  Prétendue  ga- 
lanterie avec  le  père  La  Chaise,  l, 
a32.  —  Sa  mort  chrétienne.  1,  401, 
406.  —  Son  portrait.  I,  407,  412. 

AniiALT  (prince  d'),  trcs-laiJ  ;  son 
portrait    I,  171. 

Anuault-Dessau  (prince  d'),  épouse 
la  fille  d'un  apothicaire.  I,  66. 


An\at  (le  Père),  confessenr  de 
Louis  XIV.  I,  334. 

Anne  d'Autriche  (reine-mère). 
Causes  de  sa  mort.  —  I,  3  9  3.  — 
Son  ignorance.  I,  440.  —  Ses 
amoureux.  I,  426,  447.  —  Son 
mariage  secret  avec  Mazarin,  I,  287. 

II,  3,   373,   396. 

Anne  (reine  d'Angleterre).  Ses  vices. 

I,    222. 

Anspacu  (le  margrave  d').  Tour 
qu'il  joue  à  Madame.  I,  43.  — 
Amoureux  de  M"«  d'Armagnac. 
I,  228.   . —  Sa   conduite  ridicule. 

I,  324. 

Antin  (duc  d').  Sa  belle  habitation 
de  Petit-Bourg.  I,  124  elnote.  — 
S'est  enrichi  à  la  banque  de  Law. 

II,  197. 

Arco  (comte).  A  quelle  condition  il 
épouse  la  Popel,  maîtresse  de  l'é- 
lecteur de  Bavière.  I,  283. 

Arpajon.  Privilège  accordé  à  cette 
maison  par  l'ordre  de  Malte.  II,  6  8. 

ArCHON,  curé  de  Versailles,  fait  un 
sermon  ridicule.  II,  53. 

AliMALE  (mademoiselle  d').  Plait  au 
roi  ;  M'""  de  Maintenon  veut  la  faire 
renvoyer.  II,  7  8. 

AVAUX  (comte  d').  Son  intrigue  avec 
la  reine  d'Angleterre.  II,  436. 


B. 

Bade  (Louis,  prince  de).  Sa  mort.  Bavière  (l'électeur  de).  Va  h  Marly, 

r,  98.  i>  vieilli.  I,   132.  —  Son  goùt  pour 

Barcelone.  Siège  de  cette  ville.  1,  les  grisettes.  I,   î84  et  363.  — A 

143  et  147.  pour  maîtresse  la  Dcsmares.  I,  8î2. 

Baudeuot,  antiquaire,  entretient  le  BAVii:RE  (le  chevalier  de).  Amant  do 

maréchal  <le  Villars  des  cornes  sur  M""  de  Polignac.  II,  14. 

les  médailles.  I,  320.  —  Son  aven-  BliAllVAIS  (maciamc).  Kst  la  première 

tiire  a\ec    la    ducliessc   douairière  femme  avec  laquelle  Louis  XIV  ait 

d'Orléaiib.  11,  21.  eu  dos  rapports.  1,  ï60  et  nolv.— 


INDEX.  411 

BoisnOBEiiT.  Di'plaisail  à  la  reine- 
mère  h  cause  de  son  iinpiét»'.  Plai- 
sant acte  (le  contrilion  qu'il  fait. 

I,    460. 

BOLii-LON  (cardinal   de).   Sa   mort, 

ses  vices.  I,  160. 
BORSTEL,  pris  pour  Law,  faillit  être 

tui'.  H,  273. 
BOYEH.  S'occupe  de  la   di'couvcrio 
du  niovivcrncnt  perpéluel.  I,  368. 
Bl!\>c\y.  'M.  dei.  Oublie  sa  femme 
!e  jour  de  ses  noces;  autres  distrac- 
tions. II,  166  et  note 
BiiA\DEi!OLiiG    Charles,  prince  de). 

Son  niariiijic.  I,  16  et  note. 
Bkégï  (uiadame  de),  list  aim^e  du 
cardinal  Mazarin.  I,  3  53  et  note. — 
Piise  de  force  par  la  reine  Chris- 
tine. II,  1  86. 
Brigailt  (l'abbé).  Etait  de  la  con- 
spiration de  Celiamare.  Est  un  mi- 
sôrablc  intrij^ant.  II,  29. 
Bkiou  (de^,  fils  d'un  conseiller  au 
parlement.  Ses  aventures  avec  M"» 
de  la  Force.  I.  401. 
Bhogme.  Détails  sur  cette  famille. 
11.  1  86. — Le  Régent  aimait  le  frère 
cadet  pour  sa  conversation  licen- 
cieuse. II,   186,  221 . 
BoiiiBON  (duc  de).  Louis  HI,  venje 
M""  de  Nesie  du  marquis  de  Ville- 
quier.  I,  293.  —  Est  amoureux  de 
W"''  de  Prie,  l,   423  ;   II,  36.  — 
Est  trompe  par  M"'^^  de  Polignac. 
lit   14.  —  Se  range  du    côté   de 
Law,  grâce  à  quatre  millions.  II, 

243. 

Bourbon  (duchesse  de),  fille  natu- 
relie  de  Louis  XIV.  Compose  des 
vers  fort  mordants,  l,  101,  232. 
—  Est  amusante  et  gourmande.  I, 

132.  —  Aime  H  boire.  I,  238.  

Son  porli;iil.  I,  304  ;  II,  318. 

BouunoN  (duchesse  de),  Marie-Anne 
deConti.  Sa  mort.  II,  22  4.  —  Ses 
défauts.  Il,  232,  Î37. 


Avait  le  secret  clu  mariage  de  la 

reine-mère.  I,  2  8  7. 
Be\i  VEiiNOis.  Sa  réponse  au  prince 

de  Vaudemont.  II,  6 . 
BÉJON  (madamel.  Ce  qui  lui  arrive 

il  l'Opéra.  II,  196. 
BELLEG.4RDE  fducde),  rival  d'Hen- 
ri IV.  I,  16.5. 
Bki.mont  (madame de).  Trompée  par 

le  prince  Rupert.  I,  7  5. 
Bi:\DENRiTTER,  ambassadeur  autri- 

cliien.  Sa  haute  taille.  I,  3  47. 
Bernholdt  (madame  de).  Fait  des 

faux.  I.  379. 
Beiînstorf   (de) ,  intrigant  et    in- 

!;iat.  I,  420,  437. 
BEiiHi  (duc  de),  petit-fils  de  Louis 

XIV.  Sa  mort.  I,  384.  —  Mal  éle- 
vé, sert  l\l">i;  de  Maintenon  comme 

nn  domestique,  II,  223  et  noie. 
Beiiri  (duchesse  de).    Son  mariage. 

I,  126.  —  Ses  revenus.  I,  143.  — 

Sa  gourmandise  et  son  goût  pour 

les  divertissements.  1,  27 S.  —  Son 

portrait.  I,  31  8. —  Fait  un  présenta 

la  duchesse  de  Lorraine.  I,  3  8  5. — 

Sa  maladie.  II,  85,  92,  112,   122, 

181.  —  Sa  mort.  Il,  132  etsuiv. — 

Vers  faits  contre  elle.  II,  135. — 
Ses  dettes.  II,  139. — Causes  de  sa 
mort,  II,  143.  — A  été  mariée  se- 
crètement à  Riom.  II,  153,  175. 
BessOLA,  femme  de  confiance  de  la 
première  Dauphine.  I,  253.  —  La 
trahit.  I,  312.  —  Aigrit  sa  mai- 
tresse  contre  son  mari.  li,  142. 

Est  vendue  à   M""  de  Maintenon. 

Il,  182  ;  II,  273,  275,  291. 

Beuvhon  (comte  de).   Son  aventure 

avecM'n'deGordon.  I,  217  ctnole. 

Bei  VRO>I  (comtesse  de),  favorite   de 

Madame.  Sa  mort.  1,  1O8. 
BiKCKENFELDT  (prince  de).    Amant 
de  Fanchon  Moreau.  I,  43. 
B1S.SY   (cardinal  de).    Faux  et   mé- 
chant. I,  214. 

c. 

Café.  Rend  chaste.  I,  83.  —  Cause    Catiiehine  de  Médîcis.  Femme mé- 

de  grandes  maladies.  I,  129.  chante  et  débauchée.  Il,  273 

UliroicuE.  Sa  mort.  Il,  ssï.  Cella.mare,  ambassadeur  d'Espagne. 


412  INDEX. 

Convorsation  singulière  avec  lord  COLONNE(laconn<5taLle(lc).LonisXIV 

Stairs,  1,470  .—Est  arrêté  pouravoir  l'aurait  épousée  sans  l'opposition  de 

trempé  dans  un  complot,  II,  39.  Mazarin.  I,  2S7;  II,  i44ctno<e. 

CiuisE  (le  père  La)  ressemblait  à  un  Comédiens  italiens.  Sont  renvoyés 

âne.  I,  3  53.  —  Est  cause  des  per-  de  Paris  pour  avoir  joué  la  Fausse 

sécutions  contre  les  réformés.    I,  Prude.  II,  27 s 

231  ;  II,  110,  171,  252  et  nofp.  Co.ndé  (princesse  de),  Lelle-fille  du 

Chamillard,  ministre  de  la  guerre.  grand  Condé;  ses  vertus.  II,  225. 

Lauzun  se  moque  de  lui.  I,  248.  COiVDÉ  (le  grand).  Ses  vices.  II,  241 

Chajmilly  (maréchal  de).  Sa  mort.  etnote.  —  Inconduite  de  sa  femme. 

I,  157  etnote.  I,  369  et  noie.  —  Perd  une  partie 

C|1ARLES-MAIIR1CE,  frère  de  Madame,  d'échecs.  I,  344. 

nieurtvictime  de  son  intempérance.  COMI  (la  grande  princesse  de).  Le 

Ij  66.  roi  de  Maroc  la  demande  en  nia- 

CiUKOLAis(mademoiselle  de),  petite-  riage.  I,  4  5.  —  Danse  avec  beau- 

fille  du  prince  de  Condé.  Son  in-  coup  de  grâce.  II,  353. 

triguc avec  Richelieu.  II, 112,  1S2,  Conti  (la  princesse  de),  femme  de 

103,  343.  —  Demande  à  le  voir  en  François-Louis. Son  portrait.  11,1*. 

prison,  réponse  du  régent.  II,  162.  Co.Ml   (François-Louis,  prince  de). 

COARTBES  (duc  de),  fils  du   régent.  Meurt  de  débauche.  1,  308. 

Son'portrait.  I,  4S4. — Va  au  bal  Co.nti  (Louis-Armand,  prince  de), 

del'Ôpéra.  II,   199.  Sa  lâcheté.  I,  132. — Ses  folies  et 

CUATILLON  (de).  Histoire  de  ce  gen-  ses  ridicules.  I,  227  ;  II,   19  4.  — 

tilhomme.  —  A  voulu  susciter  la  Tourmente  sa  femme.  I,  3  43.  — 

noblesse  contre  le  régent.  I,  245.  Sa  repartie  à  un  bal  masqué.  I,  876. 

Chirac.  Anecdote  touchant  ce  mé-  Est  malade.  II,  148.  —  Ne  quitte 

decin.  II,   170.  — Traite  la  Dau-  paslarueQuincampoix.il,  158.^ 

phine.  1,266.  Trait  de  brutalité  au  bal  de  l'Opéra. 

CuoiSEï  L  (mademoiselle  de).  Epouse  II,  217. 

un  jardinier.  I,  203  Cordelier.  Anecdote  relative  ii  un 

Chouin  (mademoiselle), maîtresse  du  prétendu  cordelier.  I,  389. 

premier  Dauphin.  I,  176.  —  Son  Cormiel  (madame).  Ses  bons  mots, 

portrait.   Il,  98,   223.  I,  229. 

CURiSTiNE  (reine  de  Suède).  Licence  COSTUME  des  princes  au  parlement, 

de  ses  propos.  I,  279  ;  11,  i  90.  —  I,  322. 

Anecdote  h  son  égard.  Il,  185.  —  COURLANDE  (duc  do).  Mariage  pro- 

Son  libertinage.  Il,  186.  jeté  entre  Madame  et  lui.  I,  373. 

ClÉREMBAULT  (la  maréchale  de). Etait  CraON  (marquis  de),  favori  du  duc 

attachée  à  Madame.  11,  367.  —  Sa  do  Lorraine.  S'enrichit  aux  dépens 

mort.  II,  379.  du  duc.  Achète  une  terre.  11,  82. 

Clermont,  capitaine  des  Suisses  du  Crao.N  (raadamede),niaitresseduduo 

régent,  est  préféré  à  Noce  par  M'""  de  Lorraine.  I,  31 4,  395  ;  11,  79. — 

de  Parabère.  Il,  1  47  et  noie.  Son  portrait.  I,  374. — Ceque  Ma- 

ClI'HMONT  (mademoiselle  de).  Très-  dame  dit  d'elle  à  un  jésuite.  II,  78. 

jolie.  I,  148.  CitÉQri  (le  duc  de).  Mot  au  sujctdcs 

Cochon  mitre  (le),  libelle.  I,  31C  IVinnus  légères.  I,  328. 

cl  noie.  C.ZMi   (le)   Pierre  1"  rond   visite  ii 

COETyiKN   (madame  de),   maîtresse  Mad.iuu".  I,  397  et  note.  —  Con- 

duchcvalier  de  Lorraine.  —  Sonin-  damne  son  fils  à  mort.   1,  455  et 

trigue  avec  M.  de  Turcnnc.  I,  243  ;  noir.  —  Le  fait  cmpoisonucr.  II, 

11,208,  170  ctno<e. 


INDEX. 

D. 


413 


Danemark  (le  roi  de).  Sa  niaiserie. I, 
Î09.  321.  —  Ses  défauts,  II,  32  5. 

Dangbau  (madame  dcj.  A  son  fils 
Liesse  à  la  bataille  de  Malplaquct. 

I,  119  et  noie.  —  Son  portrait. 

II,  279. 

Dangeaij  (le  marquis).  Son  Journal. 
Ij   70   et  note. 

Dabmstadt  (prince  héréditaire  de). 
Fort  débauché.  I,  403. 

Dauphin  (le  premier),  fils  de 
Louis  XIV.  Sa  mort  1,  130  et 
note.  —  Son  caractère.  I,  175  et 
881.  —  Sa  maîtresse,  mademoi- 
selle Chouin.  I,  176;  II,  98. — 
Son  caprice  sur  la  chaise  percée.  I, 
S31  et  note.  —  Ne  veut  pas  se 
mêler  des  affaires  publiques.  II, 
16.  —  Est  aimé  du  peuple  de 
Paris.  II,  67.  —  Fait  jeûner  une 
actrice,  sa  maîtresse.  Il,  52. — Son 
indifférence  pour  ses  enfants.  II, 
558  —  S'imaf;inc  voir  l'onibrc  de 
la  première  Madame.  Il,  2  8  5. 

Dauphin  (le  second),  duc  de  Bour- 
gof;ne.  Son  portrait.  I,  224,  314. 
— Se  laisse  (jouvernor  par  sa  femme. 

I,  314.  —  Meurt  huit  jours  après 
elle.  II,  372. 

Daupuine  (la   première).  Sa  mort. 

II.  86  et  117.  —  Est  calomniée 
par  !\I">e  de  Maintenon.  II,  118.  — 
Service  funèbre  ;  les  moines  de 
Saint-Denis;  scène  bouffonne.  II, 
141.  —  Madame  soutient  la  Dau- 
phine.  II,  181. 

Dauphine  (la  seconde).  Grande  amé- 
lioration dans  sa  conduite.  I,  2SS, 
318.  — Causes  de  sa  mort.  I,  26  6. 
—  Gouverne  son  mari.  I,  314.— 
Passepour  avoir  des  goûts  dépraves. 


Il,  JS.  —  Aime  Nangis.  II,  105. 
—  Manière  dont  elle  prenait  un 
lavement.  Il,  1J6.  — Ses  étourdc- 
ries.  II,  346, 

DiîSCAliTES.  Propos  qui  lui  est  attri- 
bué. H,  257. 

Deschamps  (la),  actrice.  Est  cause 
de  la  mort  du  duc  de  Wurtemberg. 

II,    190. 

Desmahes  (la),  comédienne.  A  une 
fllle  du  duc  d'Orléans.  I,  321.  — 
Ne  la  revoit  qu'une  seule  fois.  II,  67. 

Deux-Ponts  (duc  de).  Personnage 
désagréable.  II,  76. 

Deux-Ponts  (la  princesse  de).  A 
épousé  son  écuyer.  I,  3  4  6. 

Douglas  (lord).  Plaisant  conseil 
qu'il  donne  au  prétendant  pour 
plaire  aux  Anglais.  I,  200. 

Dot  RLACU  ^le  margrave  de).  A  un 
sérail.  Il,  42.  —  Change  de  con- 
duite. H,  37  1. 

Dubois  (l'abbé).  Comment  il  devint 
précepteur  dn  duc  d'Orléans.  I, 
2  7  4.  —  Ses  défauts.  I,  ?S1.  — 
Menteur.  II,  42.  —  Tolère  tous 
les  vices  de  son  élève.  II,  183  — 
Mot  de  son  laquais.  Il,  304.  —Vers 
faits  contrelui.  11,  269,  281,  283. 

Duchesses  (deux).  Stratagème  qu'in- 
ventent deux  duchesses  pour  voir 
leurs  amants.  I,  3  00. 

DuFHESNOV  (madame) ,  maîtresse  do 
Louvois.  Il,  2  22  et  note. 

DuNKEitQUE.  Aventure  au  spectacle 
de  cette  ville.  II,  121. 

Duras  (la  duchesse  de).  Le  duc  de 
Brancas  prend  son  tablier  pour  un 
mur:  ce  qui  s'ensuit.  Il,   166. 

DuiiFORT  (madame  de).  Anecdote  à 
son  égard.  II,  26  7. 


E. 

EcROUELLES. Prétendu  privilège  des  rictle.  I,  2S1.  —  Sa  mort.  II,  115 

rois  de  France.  II,  123  et  note.  et  noie. 

El'FlAT  (le  marquis  d').  Complice  du  Eisenach  (le  prince  de).  Le  prince 

chevalier   do  Lorraine   dans  l'em-  do  Wolfonbuttcl  veut  lui  faire  vio- 

poisonncmcnt    de    Madame    Ucu-  leuce.  1,  108  et  12S. —  Vcutfaite 

3ô. 


414  i\r)EX. 

donner  clos  coups  tle  bâton  au  nia- 
rctlial  do  Villais.  Il,  21. 
Elisabeth  -  Ciiarloite  (  dutlicsse 
d'Orléans,  Madame),  l'auteur  de 
ces  lettres.  Ses  couches.  I,  6.  — 
Ne  joue  pas.  1,15,  loi. — N'aime 
pas  le  séjour  de  Paris    I,  22,  13  5. 

—  Se  démet  un  bras  en  tojiibant  de 
cheval.  I,  27.  —  Son  porvrait.  I, 
33.  — Recommande  la  tolérance. 
I,  24,  49,  151.  —  Activité  de  sa 
correspondance.  I,  31,  3  9.  —  Com- 
pose des  chansons.  I,  3  9.  —  Sa 
douleur  à  la  mort  de  Monsieur.  I, 
S2.  —  Lit  la  Bible.  1,37,78,  145, 
152,  451  ;  II,  95.  —  Ne  peut  sup- 
porter le  jeune.  1,  7  3.  —  Dort  a 
i'éjfli.se.  I,  80,  333;  II,  78.  — 
N'aime  pas  la  cuisine  française.  I, 
83.  —  S'expose  au  soleil  I,  88.  — 
Eût  voulu  ne  pas  se  marier.  I,  93. 

—  Aime  la  solitude. M,  98.  —  Fait 
collection  de  niéiluillcs.  I,  s»9.  — 
Est  volée  par  son  trésorier,  l,  1 1  5 

—  Tombe  vingt-six  l'ois  de  cheval. 
1,  122.  —  Ses  occupations  de 
chaque  jour.  I,  I43.  —  Aveniure 
désagréable  qui  lui  arrive  a  la 
chasse.  I,  15  2.  —  Aime  les  ani- 
maux ctsuitout  les  chiens.  I,  iss. 

—  Aime  le  séjour  de  Sainl-Clond. 
I,  180. —  Soilicile  pour  les  réfor- 
més. 1,  193.  —  Ciimuiuiiiquc  au 
roi  les  nouvelles  qu'on  lui  mande 
de  Hollande.  I,  2  47.  —  A  de  vi- 
laines mains.  I,  2  87.  —  Se  con- 
sole d'avoir  perdu  son  procès  il 
Rome,  l,  295.  —  Aime  ie.-i  gens 
sérieux.  I,  300.  —  Faii  lil  à  part. 
I,  300.  —  Sa  réponse  à  M""  de 
Muintenon,  qui  lui  reproche  de  ne 
pas  avoir  d'ambition.  I,  3  12.  — . 
Adresse  nu  margrave  d'Aiispach  des 
obseivalions  qui  sont  prises  en 
mauvaise  part.  1,32  9.  —  Se  moque 
du  duc  de  Saint-Simon.  1,  338.  — 
Conserve  les  habiludes  allemandes. 
I,  340.  —  IMals  qu'elle  ainu'.  1, 
340.  —  Son  opinion  sur  Luther. 
I,  34  4.  —  Ses  lillis  d'honneur. 
1,  36  5  et  380.  —  ^e  s'occupe  pas 


du  pape.  I.  367;  II,  106.  —  On 
avait  \oulu  la  marier  au  duc  de 
Courlande.  1,  373.  —  Sa  repartie 
à  la  comtesse  de  Soissons.  I,  88  4. 

—  l'ose    la    première    pierre    do 

1  église  de  l'Abbaye-aux-Bois.  I, 
410.  —  Ce  qu'elle  pense  du  ma- 
riage. I,  416.  —  Se  désole  de  l'in- 
cendie du  Palatinat.  I.  418.  —  As- 
siste à  la  représeulalion  d'une  co- 
médie au  collège  des  Jésuites.  I, 
419.  —  Sa  laideur.  I,  443.  —  Est 
marraine  d'un  juif,  I,  463. — Son 
goût  pour  le  théâtre.  I,  464.  — 
Aime  la  nature.  II,  66.  —  Sa  haine 
coiilie  le  ducde  Hiclielieu.  Il,  lio. 

—  Ses  confesseurs.  11,  128.  —  Ne 
cioit  pas  aux  sorciers.  II,  79.  — 
.Ass'ste  il  l'installation  de  l'abbesse 
de  Chelles.  Il,  135.  —  Aimait  à 
faire  peur  étant  enfant.  H,    159. 

—  Le  roi  augmente  sa  pension.  II, 
ifil.  —  Plats  qu'elle  aime.  II.  172. 

—  Egards  de  son  iils  pour  elle.  II, 
17  2.  —  Prend  le  parti  de  la  (pre- 
mière) Dauphine.  II,  I8i.  —  Perd 
son  argent  au  jeu.  II,  18  6.  —  Sa 
conversation  avec  M""  de  Fiennes. 
Il,  201.  —  Espiègleries  dans  son 
enfance.  II,  212.  —  Romans  qu'elle 
a  lus.  11,243. — Cliantait  les  canti- 
ques des  lléformés.  Il,  239.  — 
Traite  rudement  deux  fausses  com- 
tesses palatines  11,  279.  —  Aven- 
ture avec  un  moine  qui  était  fou. 
Il,  328  —  Vers  badins  qu'elle 
présente  à  Louis  X.V.  II,  363.  — 
Les  moines  du  couvent  d'ibouru 
l'enivrent.  II,  367.  —  Refuse, 
après  la  mort  de  Monsieur,  de  se 
retirei'  dans  un  couvent.  II.  370. 

—  Se  rcnil  à  ISeims  ii  l'occasion  du 
sacre  de  Louis  XV.  II,  380. — 
Letlres  adressées  à  M"";  de  Mainte- 
non.  Il,  3S1.  — Correspondance 
d'un  génie  fort  étrange  avec  la  Ju- 
chossede  Hanovre.  38G. 

E>ii;t,Tii  au    Palais-Royal.  Il,  159, 

2  3  4. 
E.ilMAM'KL  (le  prince).  Son  histoire. 

Il,  360. 


INDEX.  415 


ExTRiGiiKS(l'al)l)t'cl').  Ses  escapades. 

II,  209,  212,  214,   220. 

E^TREMO^T.  Aventure  nocturne  ar- 
rivée h  la  femme  de  cet  aiubussa- 
dcur.  II,  1  29. 

EpernON  (duc  d').  Soupçonné  il'a- 
voirtrenipé  dans  l'assassinat  d'Hen- 
ri IV.  I,  376. 

Épermon  (mademoiselle  d').  Se  fait 
religieuse.  I,  2  40. 

Espagne  (la  reine  d').  Sa  corres- 


pondance avec  Madame.   I,    177. 
EspiNOl  (la  prince.sse  d').  Sa  mort. 

I,  32.  —  Arrête  un  voleur.  II,  3.3  1. 
Esprit,  médec   de  Madame.  Estcausc 

delà  moi  td  lin  desos  enfants. 1,3S3. 

EsTRÉES  (le  maréchal  d').  Son  aven- 
ture à  l'Opéra,  l,  208. 

Et:Gi!\E  (le  prince'),  laid  et  mal- 
pro|)re.  I,  324.  — Paye  ses  dettes. 

II,  187.   —    Soupçons   contre  ses 
mœurs.  II,  282. 


Façon,  médecin  de  Louis  XIV.  Adu- 
lateur outré  de  M'"*  de  Maintcnon. 
1,  285.  —  Hàtc  la  mort  du  roi.  II, 
109.  —  Fait  mourir  la  reine.  II, 
114  et  201  . 

Fancho.m  Moreau,  actrice.  Ses  in- 
trifjues.  I,  4  4  et  noie. 

FÉ^ULO!^i.   Sa    mort.    I,  157 
dij(jrâce.  II,  2  48  et  nn(e. 

FerroiviÈre  (la  belle).  Cause  inno- 
cente de  la  mort  de  François  I". 
Vers  à  ce  sujet.  II, 

Ferté  (la  duchesse  de  la').  Est  amou- 
reuse de  Louis  XIV.  Son  exil.  I, 


Ferté  (la  maréchale  de  la).  Preuve 
qu'elle  donne  à  un  amant  de  la  vio- 
lence de  son  amour.   I,   444. 


sur   les   affaires  du    temps.    II,    4, 
FONTA^iGE   (madame   dcl,    maîtresse 

do  Louis  \1V.  Ktalt  belle  et  bête. 

I,  190,   3^8.  —  Est  empoisonnée 

parM'nfdcMontespaii.  1,2  00,  47  2. 

—    Explication    d'un   rè\e  qu'elle 

fait.  11,  221. 
Sa    Force  (mademoiselle  de  La).    Ses 

nvcnliircs    I,  401  et  408. 
Fok(E  ^leduc  de  La).  Se  fait  mar- 

cliaml  de  chandelles;  couplets  à  ce 

sujet    II,   2S0,  299,    301,   SOS. 
Foii.  Mot  d'un  fou   à  Louis  XIII. 

I,   212. 

François  I".  Vers  sur  la  cause  de 

sa  mort.  II,   3  52. 
Frédéric,  électeur  palatin.   Lettre 

qu'il  écrit  à  sa  femme.  II,  347. 


FiEMVES  (madame  de).  Le  loquet.  I,  Frise  (le    prince).    Très-laid.    Son 

259.  —  Ce  qu'elle  dit  de  la  reine-  portrait.  I,  171. 

mère.  Il,  43.  —  Conversation  qu'a  FuRSTEMUERGfie  princeévêque  Egon 

Madame  avec  elle.  Il,  201.  de,.  Cause  une  heure  avec  la  reine 

FiTZ-MOBiTZ.    Auteur    d'un    livre  sans  rien  comprendre.  II,  lis. 

G. 

Galles  (la  princesse  de).  Ses  démè-  dant.  I,  2  9  4.  —  Puni  de  mort.  II 

lésavcc  le  roi  son  beau-père.  I,  362,  77  et  note. 

370,   395,    398.    —  Mettait   mal  Gordon  (madame  de),  dame  d'hon- 

l'orlhojrraphe   II,  U9.  neur  de  Madame.  Ses  distractions. 

Gendhon,  médecin  du  Régent.  Lui  I,  217.  —  Calomnie  Madame.  I, 

défenilail  les  petits-soupers.  1,349.  252. 

Georges  I"^  roi  d'Angleterre.  Son  Gram.mont  (Philibert,  comte  de).  Le 

mauvais  caractère.  I,  65,  100,  379.  roi  se  divertissait  beaucoup  de  son 

GÈVRES  (le  marquis  de).  Diiie  avec  esprit   II,  96  cl  noie. 

le  duc  de  Bourbon.  I,  292  et  note.  Ghancev  (l'abbé).  Avait  un  petit  sé- 

Goektz  (le  comte  de),    ministre  de  rail,  I,  125. 

Suède.  Intriguait  pour  le  prctcn-  Ghanceï  (madame  de).  Maîtresse  du 


416 


INDEX. 


chevalier  (le  Lorraine.  IIj  lis.  — 
Avait  eu  un  enfant.  I,  403.  —  De- 
vient affreuse;  son  désespoir.  II, 
lï4.  —  Passait  les  nuits  à  fumer 
et  à  boire.  II,  i  !  4.  — Violente  dis- 
pute avec  madame  de  Bouillon,  II, 

125. 

GLEMEPiÉ  (le  chevalier  de).  Son  aven- 


turc  avec  deux  duchesses.  I,  301. 
Gliche   (le  comte    de).   Favori  de 

Monsieur  et  amant  de  Madame.  Est 

surpris  dans  un  rendez-vous.  II,  6. 
Gl'illaime   III,   roi   d'Angleterre. 

N'aime  pas  les  femmes.  I,  35  et  58. 
Gl'ise  (la  duchesse  de).  Sa  mort. 

I,  23. 


H. 


HammèR,  cavalier  anglais.  Son  opi- 
nion sur  Louis  XIV.  II,  123,266. 

Hanovre  (  Télecleur  de).  Voyez 
Georges  l". 

HA>OVRE(rélectricede).II,i23,!9  0. 
—  Correspondance  fort  étrange 
qu'elle  a  avec  Madame.  II,  386. 

Harcolrt  princesse  d').  Battait  ses 
gens.  II,  338. 

Uarling,  page  de  Madame.  I,  3. — 
Ses  prétentions  ambitieuses  et  dé- 
placées. Il,   233. 

HaltmONT.  Fait  des  vers  contre 
lyiazarin.  qui  le  fait  mettre  à  la 
Bastille.  I,  261. 

Hknhiette  (d'Angleterre),  première 
foiiiinc  do  Monsieur  ,  frère  de 
Louis  >kIV.  Intrigue  où  figurent  le 
chevalier  de  Lorraine,  M'oedeCoct- 
quen  et  le  maréchal  de  Turenne. 
I,  244.  —  A  été  empoisonnée.  I, 
231.  —  Le  prétendu  revenant.  I, 
282.  —  Proteste  en  mourant  do 


son  innocence.  I,  421.  —  Son  in- 
trigue avec  le  comte  de  Guiche;  les 
amants  sont  surpris  par  Monsieur; 
stratagème  d'un  valet.  H,  6.  — 
Surprise  dans  une  scène  de  dé- 
bauche avec  AI""  de  Monaco.  II,  15. 
—  Accusée  d'un  attachement  inces- 
tueux pour  le  duc  de  Monmoulh. 

I,    417, 

llEMii  IV.  Comment  il  se  venge  d'une 
maîtresse  infidèle.  I,   26  5. 

llEliVOnD  (l'abbcsse  d').  Ses  distrac- 
tions et  ses  méprises,  I,  213  ;  II, 
12,  8  4  et  note. 

Hesse-Uueinfels  (le  landgrave  de). 
Ses  sottises.  II,  i  6  4. 

HOMBOLRG  (la  princesse  de).  Se  mé- 
sallie. I,  381. 

HoRN  (le  comte  de).  Son  crime  et 
son  supplice.  II,  226,  227,  234  et 
noie. 

lIovM  (le  comte),  ministre  du  roi  de 
Pologne.  I,  185  et  note. 


I. 

Incendie  de  l'Opéra.  I,  206.  —  Du   Intempérance  des  femmes.  I,  75. 
château  de  Lunéville;  à  qui  il  doit    Jacoi  ES  II,  roi  d'Angleterre.  Ne  veut 


être  attribué.  II,  50. 
Inde.    Anecdote  de  deux  ministres 

rivaux  de  ce  pays.  I,  2  8  8. 
Infante    d'Fspagne,     promise     à 

Louis  XV;  sa  gentillesse.  II,  362, 


pas  qu'on  porte  le  deuil  de  sa  fille. 
1 ,  13.  —  Grossesse  de  sa  femme  ré- 
voquée en  doute.  I,  5  5  et  noie.  — 
MotdcM"«Cornuelsurson  compte. 
I,  229.  —  Sa  mort,  II,  127. 


J. 

Jehmyn  (lord)    Epouse  en  secret  la  53.  —  Détestés.  I,  331.  —  Vcu- 

veuvc  de  Charles  I".  I,  296.  lent  faire  passer  leur  ordre  pour 

JÉsriTES.  Soupçonnés  délie  do  la  parfait.  Il,  82. 

coDspiraliou  de  CcUaniarc.  11,  51,  JoNyi;iÈRE,  colonel  réformé.  Veut 


INDEX. 


417 


so  saisir  du  n'fjcnt.  Il,  9  4. —  Com-  tour  sur  la  vallée  de).  II,    272. 

ment  le  régent   le    fait    enlever.  JosErn    (le  père).    Tropos  que  lui 

II    9  7.  a.liTsse  le   duc  Bernard  do  Saic- 

JOSAPUAT  (remarque  d'un  pr^Mica-  ^Vel|lU1r,  II,  8. 


K. 


KOENICSMARK  (Ic  couitc  de)  se  fait 
accompagner  par  une  Anglaise  dé- 
guisée en  page.  Il,  23  3 

KOENIGSMABK  (l'hilippe  de),  amant 
de   Sophie-Dorothée,    électrite   de 


Hanovre.  Sa  mort  mystérieuse.  I, 
1G3,  noie. 
La  Fayette  (madame  de).  Amie  in- 
time  de  M.   do  Larocbcfoucault. 

Il,  280. 


LakGALLEBIE (marquis  de).  Sa  mort. 

I,  310,  337,  338.  —  Sa  femme. 

II,  325. 

Lassay  (le  marquis  de),  amant  de 
M™<i  la  duchesse  la  jeune.  II,  371 
et  noie. —  Gagne  beaucoup  au  sys- 
tème de  Law.  II,  196. 

Laquais  (trois).  Pourquoi  ils  se  dis- 
putent. II,  218.  —  Vers  au  sujet 
de  cette  aventure.  Il,  219. 

Laii.VAY  (mademoiselle  de),  compro- 
mise dans  la  conspiration  de  Cella- 
mare,  est  enfermée  à  la  Bastille.  Il, 
A6,  6  5.  —  Refuse  de  répondre. 
II,  Î13. 

LaUiNOIS,  valet  de  chambre  de  Ma- 
dame. Stratagème  qu'il  imagine 
pour  faire  évader  le  comte  de  Gui- 
che.  II,  6. 

Lau/.CN  est  envoyé  à  la  Bastille  par 
jalousie  envers  sa  cousine.  I,  254. 
—  Ses  saillies  spirituelles.  I,  2  48. 

Laval  (comte  de).  Est  arrêté  pour 
un  complot.  II,  9  9  et  loi,  109  et 
note. 

Law.Scs  talents.  I,  iî7  et nofe;  II, 
163.  —  Une  duchesse  lui  baise  la 
main.  II,  164.  —  Tombe  malaJe. 
II,  17  4.  — Quiproquo  d'une  dame; 
repartiedeLaw.il,  189. — Chan- 
sons faites  contre  lui.  Il,  17  4,  251, 
297,  511.  —  Est  dépouillé  de  sa 
charge.11,2  40,2  43,  251,263,264. 

Leibmtz.  Sesbellesqualités.  I,  2"7. 
LÉOPOLD  I^'',  empereur.  Sa  galan- 
terie. I,  7  9. 
Lincoln  (lord).  Fajon   équivoque 


dont  un  garde  de  Monsieur  pro- 
nonce son  nom.  I,  34. 
LiON>E(M.  de),  ministre  d'Etat.  Fait 
commencer  une  guerre  par  jalou- 
sie. I,  3o6,  389. 

Lo.NGÉviTÉ  (exemples  de)  dans  le Pa- 
latinat.  I,  70. 

LONGLEVILLE  (madame  la  duchesse 
de).  N'aimait  pas  les  plaisirs  inno- 
cents. I,  409  ;  II,  87. 

LonBAnE(le  chevalier  de),  favori  de 
Monsie.ir.  Ne  veut  pas  entrer  chez 
Madame  parce  qu'il  y  a  trop  d'Al- 
lemands. I,  210.  —  Empoisonne 
.Madame  Henriette.  I,  2  51.  — 
Meurt  misérablement.  I,  225;  11, 
22.  —  A  initié  le  duc  de  Verman- 
doisàde  honteux  désordres.  I,  302. 

LOBBAI^E  (duc  de).  Est  amoureux 
fou  dcM"i«  de  Craon.  1,314,  39  5  ; 
11,  39.  — Est  empêché  par  des  mo- 
tifs d'étiquette  de  venir  il  la  cour  do 
France.  I,  42. 

LOBBAI NE  (la duchesse  douairière  de). 
Aventure  de  sa  jeunesse.  Il,   3  40. 

LOBRAIN  E  (duchesse  de) , fille  de  Mada- 
me). Son  portrait  1,2  5,3  1,200.— 
Perd  un  de  ses  fils.  I,  43.  —  A  huit 
enfants  en  huit  ans.  l,  90.  —  Aime 
son  mari  malgré  ses  torts.  I,  2i9. 
—  Témoi(;ne  à  sa  mère  sa  surprise 
des  mœurs  de  l'époque,  l,  381.  — 
Cadeau  que  lui  fait  la  duchesse  do 
Berri.  l,  385.  —  Son  château  de 
Lunéville  est  incendié.  II,  50. 

LORBAIME  (Charles,  priocc  de).  Se 
sépare  de  sa  femme.  11,  300, 


418  INDEX. 

LOUBE  (Françoise  de),  fille  d'hon- 
neur de  Madame.  I,  380  et  noie. 

Louis  XIV.  Causes  de  la  mauvaise 
santé desesenfants  légitimes.  I,  79. 

—  Ne  craignait  pas  la  poussière.  I, 
88.  — Prophéties  sur  la  durée  de 
sa  vie.  I,  9  6  et  noie.  —  Médailles 
saliriques  contrclui.  I,  99  cl  nnle. 

—  Chansons   faites  contre   lui.  1, 

1  15,  note.  —  Son  i;;iioiaiicc  dans 
les  choses  de  la  religion.  I,  IIV, 
130.  —  Prenait  souvent  n)édecine. 
I,  135  et  noie.  —  l£nip!oi  de  ses 
soirées.  1,  146.  — Sa  mort.  I,  181, 
189.  —  l)ominé  parM'"'^  de  Main- 
tenon  et  par  son  confesseur.  I,  187. 

—  Exile  la  duchesse  de  la  l'eité.  I, 
236.  —  Aime  M""^  de  Uoquelaure, 
1,  236.  — Ses  niaitressrs.  l,  234. 

—  Ses  paroles  h  son  lit  de  mort.  I, 

2  37.  —  Etait  atlaché  aux  vieux 
usages.  I,  259.  — Etait  impérieux. 
I,  260.  — •  Ne  voulait  pas  d'éti- 
quette il  Marly.  I,  262.  —  Ce  qu'il 
ditdeson  testament.  I,  272.  — Son 
éducation.  I,  273  et  note.  — Son 
goût  pour  les  femmes.  I,  2  86  et 
noie.  —  Etait  tourmenté  par  M"* 
de  Maintcnon.  I,  29  3.  —  Ne  re- 
grette pas  le  comte  de  Vernuindois. 
1,  306.  —  N'a  point  voulu  rra|incr 
Louvois.  I,  326.  —  Un  astiologue 
prédit  son  mariage  avec  la  Main- 
tenon.  I,  326.  —  Ses  dettes.  1, 
334,  351.  — Voulait  être  admiré 
et  obéi.  I,  3  45  et  note.  —  Pour- 


quoi il  renonce  à  la  conijiiète  delà 
llollandc.  ï,  356.  —  Meurt  avec 
fermeté.  1,  4il.  —  Son  mariage 
avec  M""'  de  Maintenon.  Il,  2  6  et 
noie.  —  liésiste  à  l'animosité  de 
M'">'  di' .Maintcnon  conlrc  Madame. 
Il,  t  60.  —  Augnienle  la  pension  de 
.M.iilameon  dépit  de  M"'*^  de  Main- 
teiiun.  II,  16  1. —  l'itiquette  de  SCS 
iep:is.  II,  168. — Sa  dernière  ma- 
hidie.  II,  169.  —  Se  laisse  guider 
par  le  ['ère  La  Chaise  et  par  M""  de 
M.iinteudii  H,  171.  —  II  est  faux 
qu'il  poi  l;U  un  ciliée  II,  219.  — 
|]j  doux  hommes  11,  345.  — Pré- 
fère un  athée  à  un  janséniste.  II, 
368.  —  Ouvrages  contre  lui  et  sa 
sa  cour.  Il,  397. 

Loris  XV.  Son  portrait  dans  sa  pre- 
mière enfance.  I,  152,  284,  305. 
-  Espièglerie.  I,  312.  —  Invente 
un  ordre  de  chevalerie.  I,  315. 

LOLVOIS.  A  été  empoisonné.  I,  227  ; 
II,  2  4.  —  Etait  bien  servi  par  ses 
espions.  I,  248. — Sa  méchanceté. 
1,  307,  326,  363.  —  Ouvrait  les 
lettres  de  Madame.  I,  424.  —  Fait 
nommer  sa  maîtresse  dame  du  lit 
de  la  reine.  II,  2  22. 

LuDiiES  (madame  dc^,  maîtresse  du 
roi.  Son  portrait.  1,  437. 

LuTiiiiit.  O  qu'en  pense  Madame. 
I,  3U. 

LuxiiMIlOUllG  (le  maréchal  de).  Rcs- 
semhlaità  un  perro<|uct.  II,  184.— 
Libelles  contre  lui.  Il,  264. 


M. 


Madame  (petite).  Détails  sur  cet  en- 
fant. H,  188. 

Maine  (le  duc  du).  Projet  de  mariage 
entre  lui  et  la  lille  de  .Madame.  I, 
2  5  8.  — Sa  fausseté.  I,  335.  —  l'^st 
déj;radé  du  laug  de  prince  du  sang. 

I,   154. 

M,\i>iE  (la  duchesse  du).  A  de  nom- 
breux amants.  I,  422.  —  Son  en- 
tretien avec  le  régent.  I,  448.  — 
Parle  de  le  tuer.  1,  47  0.  —  Son 
portrait.  11,  13,  15. —  l",sl  airélée 
il  Puris  et  conduite  ii  Dijon.  II,  4!>. 


—  Est  conduite  ii  Cliûlons.  U,  86. 

—  Ses  folles  dépenses.  11,  161.— 
Une  lie  ses  lettres  d'amour  au  car- 
dinal d.'  Puliguae    II,  299. 

Maimknon  (madame  de).  Ilaino 
(|u'elle  a  contre  Madame  et  contre 
son  (ils.  1,  C6,  208,  442.  —  Part 
pour  l'Amérique.  1,  856  et  note. 

—  Recevait  beaucoup  de  lettres.  I, 
2  (1  '.  —  Ses  torts.  1 ,  2  6  9.  —  'l'our- 
nieiile  le  roi.  1,  29  5.  —  Enlretiea 
aveelell'gent  1,278.  — lù'proche 
il  Mudume  du  ne  j)as  avoir  d'umhi- 


INDEX.  419 


tîon.  î,  31Î.  —  Chansons  contre 
elle.  I,  33fi,  note,  466  ;  H,  60. — 
Fait  jouer  la  conir'dic  ilans  les  ap- 
partements du  roi.  I,  415.  — 
Son  pouvoir.  1,  4  40.  —  Son  ma- 
riage avec  Louis  XIV.  II,  2  6  et 
noie.  —  Libelles  dont  elle  rst 
l'objet.  II.  60  —  Origine  de  ses 
relations  avec  le  roi.  Il,  7  4.  —  Sa 
mort.  II,  92.  —  Rt'pand  le  bruit 
que  le  rôgcnt  est  un  empoisonneur. 

II,  lli.   —    Sa  cupidité.    II,    8S. 

—  Laisse  un  iinnicnse  lu'ritagc.  II, 

III.  —  Calomnie  la  preniière  Diiu- 
phine.  II,  118.  —  Veut  animir  le 
roi  contre  Madame.  H,  160.  —  Sa 
colère  quand  le  roi  augmente  la 
pension  de  Madame.  li,  I6i.  — 
Se  fait  servir  par  le  Dauphin  et  les 
princesses.  Il,  240.  —  Motifs  de 
son  animosité  contre  Madame.  II, 
289.  — Accompagnait  le  roi  ù  la 
chaise  percée.  II,  3  50. 

MvLEZiEiiX.  IM  enfermé  à  la  Bas- 
tille. II,  53.  —  Pourquoi  on  ne 
lui  fait  pas  son  procès.  H,  "3. 

Mansard.  Empoisonné,  dit-on,  par 
M""  de  Maintenon.  I,  230. 

Mansfeld  [le  comte  de).  A  fait  em- 
poisonner la  reine  d'iispagnc.  II, 

Ï92,  357. 

Mahie-Thkbèse,  reine  de'  France. 
iS'a  eu  qu'un  jour  Iiourcux.  I,  276. 

—  Son  portrait.  I,  280.  —  Son 
attacliemeut  pour  le  roi.  II,  81.  — 
Il  n'est  pas  vrai  qu'elle  ait  mis  au 
monde  une  négresse.  II,  10  5.  — 
Son  médecin  Fagou  l'a  tuée.  II,  2ûl 

Maroc  (roi  de).  Demande  en  ma- 
riage la  princesse  de  Conti.  I,  45 
et  noie. 

Marsan  (le  comte  de),  amant  de  la 
maréchale  de  la  Ferté.  I,  44  3. 

MArBUlS.SO\  (l'abbesse  de),  tante  de 
Madame.  Détails  sur  son  compte. 
I,  39,  414.— Sa  belle  vieilless.'.  I, 
90.  —  Sa  moi  t.  I,  111. 

Mazarin  (le  cardinal).  iNc  voulait 
auprès  de  lui  que  des  gens  heu- 
reux. I,  219.  —  Empêche  le  ma- 
riage de  sa  nièce  avec  le  roi,  1,  2  38 


et  noie;  II,  144  et  noie.  —  Fait 
élever  dans  l'ignorance  le  roi  et 
son  frère.  I,  273.  —  Ecrits  dirigés 
contre  lui.  I.  47S  et  suiv. —  Avait 
épousé  en  secret  Anne  d'Autriche." 
II,  3  et  note,  3 7 s.  —  Fait  saisir 
des  libelles  dirigés  contre  lui  et  les 
revend.  11,  ?37. 

Meckle.iibourg  (le  duc  de).  Ses  bi- 
zarreries. II,  2  66. 

Mekcï  'le  comte  de).  A  trompé  le 
duc  de  Lorraine.  I,  276. 

iiIODÈ.NE  ()e  prince  de).  Epouse 
Mii»^^  do  Valois.  H,  207. 

Moi.\E[histoirc  d'un)  attaqué  par  un 
voleur.  I,  311. 

Mo.XACO  (madame  de).  Ses  intrigues 
avec  Lauzun  et  Louis  XIV.  I,  ïs*. 

—  Suiprise  avec  Madame  Hen- 
riette. Il,  15. 

Mo.N.iiotTii  (le  duc  de).  Amant  in- 
cestueux de  Madame,  première 
femme  de  Monsieur.  1,  417. 

Moxtchevrelil  (madame  de),  gou- 
vernante des  lilies  d'honneur  de 
la  Djuiihine,  créature  <le  M":'' di; 
-Maiiilcnon.  I,  235  ;  II,  251,  274. 

.M'JllIif,,  gentilhomme  provenjaî, 
Complice  de  l'empoisonnement  de 
Madame  Henriette.  Ses  vices.  1,2  Si. 

Mo.XTESPAX  (madame  de).  Injures 
allemandes;!  une  revue.  I,  249.  — 
Etait  tiès-joucuse.  I,  26  7  et  note. 

—  Son  intrigue  avec  le  maréchal 
de  Noailles.  I,  30  4.  —  Buvait 
beaucoup,  l,  357.  — Empoisonne 
l\Jme  iig  Fontanges  et  d'autres  per- 
sonnes. I,  î'uo,  472.  —Avait  des 
gardes-du-corps,  I,  443.  — ,  A  été 
cause  do  l'amour  du  roi  pour 
M'"»  de  Maintenon.  II,  74.  — Est 
supplantée  par  cette  dernière.  II, 
7  5.  —  Sa  beauté.  II,  90  et  noie. 

—  Mène  à  la  cour  sa  parente, 
M"-^  Aubrv.  II,  101. 

AIo.XTi'ExsiER  (Mlle  de),  fille  du  ré- 
gcnt  ;  son  portrait.  II,  3SS  et  note, 

MoTiiE  (La)  Levaycr.  Son  costuoie 
bizarre.  I,  2  6  5. 

MoLCiiï  (madame  de),  favorite  de  la 
duchesse   de    Berri.  A  volé   cette 


420 


INDEX. 


princesse.  II,  139.  —  Ebt  exilée. 
II,    144.  — Son  origine  et  motifs 


(le  son  asccnJant  sur  la  duchesse. 

II,  153,  139. 


N. 

NA\crs  ;ie  comle  de),  amant  de  la  slijjation    d'Albéroni ,   faire  périr 

ducliesse de  Bourgogne.  II,  104. —  rcmpcreur.  II,  17S,  18O. 

Jouit  d'une  {;ranilc  faveur  auprès  Noailles  (le  cardinal).  Ses  vertus. 

du  duc.  II,   105.  I,  813. 

Nassal  (le  prince  Maurice  de).  Com-  NOAlLLES(le  maréchal  dcl.  Est  soup- 

nient  il  se  fait  peindre  pour  une  çonné  d'être  le  père  de  Madame  la 

vieille  princesse.  II,  62.  Uuchcssc.  I,  303.  —  Amoureuide 

Nassau  (madame  de).  Ses  intrigues.  M"";  de  Monicspan.  II,  4  4  4. 

Il  366  NocÉ,  un  des  roués  de  la  société  du 

NKfiiiE  assassin  et  pendu.  I,  411.  régent.  Détails  sur  sa  vie  et  sa  per- 

NEMOins   (madame   de).    Mot  sur  sonne.  II,  148,  224. 

l'honneur  des  cours.  II,  i7  4. —  Ce  Nesle  (madame  de).  Ses  galanteries. 

que  lui  disait  une  petite-fille  pau-  I,  301  ;  II,  228. 

\re.  II,  874.  Neiuoff  (de),  page  de  Madame.  Ses 

NlMTSCB  (le  comte  de).  Veut,  à  l'in-  friponneries.  II,  279. 

0. 

Orléans   (Philippe  I",  duc  d' 


Monsieur,  frère  du  roi  Louis  XIV. 
Ses  défauts.  I,  48  et  noie.  —  Sa 
mort.  I,  52,  42  8.  —  Ne  savait  pas 
lire  son  écriture.  I,  257.  —  No 
voulait  pas  être  dérangé  en  dor- 
mant. I,  300. —  A  quelle  occasion 
il  prit  des  gants.  1,  402.  —  Sa 
conversation  avec  un  chanoine.  II, 
1  7*.  —  Trait  singulier  de  supersti- 
tion. II,  2  7  6. 
Orléans  (Philippe  II,  duc  d'\  Ré- 
gent. Prononce  un  proverbe  alle- 
mand d'une  façon  ridicule.  I,  87. 

—  Est  blessé  à  la  bataille  de  Tu- 
rin. I,  91.  —  Prend  la  ville  de 
Lérida.  I,  lOG.  —  Ne  reçoit  du  roi 
aucun  argent  pendant  ses  campa- 
gnes. I,  121.  —  Fait  une  chute  à 
la  chasse  et  se  démet  le  bras.  I, 
128.  —  Donne  des  médailles  à  sa 
mère.  I,  160.  —  Travaille  beau- 
coup. I,  19  1  et  note. — Sa  pré- 
vention en  faveur  des  Français. 
I,  20s.  —  Aime  M""  de  Para- 
Iière.  I,  2'.o;  II,  177  vi  nule. — 
Aime  le  vin  de  ('.hampagne.  I,  240. 

—  Ses  eiifanls  naturels.  I,  2  39  et 
560;  II,    177.  —  Dialogue  avec 


la  vue  basse.  I ,  î83,  —  Son  por- 
trait ,  ses  qualités ,  ses  défauts. 
I,  294,  328  ;  II,  22. —  Appelle  sa 
femme  madame  Lucifer.  I,  303. — 
Est  fort  instruit.  I,  306.  —  Com- 
jiose  des  ofiéras.  I,  317,  3  4  9.— 
Ne  veut  pas  reconnaître  la  fille  de 
la  comédienne  Desmares.  I,  321. — 
Son  mariage.  I.  3  43.  —  A  mal  aux 
veux.  I.^  3  49.  —  Savait  faire  la 
cuisine.  I,  3  49.  —  N'est  nulle- 
ment jaloux.  I,  3  59.  —  Ses  désor- 
dres. I,  36  1  ;  H,  101.  —  Propos 
sur  le  compte  de  M""^  de  Main- 
tenon.  II,  73.  —  Est  un  homme  à 
treize  ans.  Il,  121.  —  Saint-Si- 
nmn  le  blime  d'être  trop  débon- 
naire. II,  126.  —  Est  au  desespoir 
de  la  mort  de  la  duchesse  de  Bcrri. 
II  ,  123  ,  13  9.  —  Exile  M"»  de 
Mouchy.  II,  1  4  4.  —Manque  de  déli- 
catesse en  amour.  I,  22»;  II,  16  4. 
— Ses  égards  pour  sa  mère.  II,  17». 

—  Son  précepteur  Dubois  tolèro 
tous  ses  vices.  II,  183.  —  Motifs 
de  la  haine  que  lui  portent  M""  do 
Maintenon  et  des  LUsins.  Il,  20*. 

—  Vers  faits  contre  lui.  II,  255, 

161. 


M""  de  Maintenon.   I,  27'8,  —  A    Om.ÉAM.s  (ducUcsso  J'),  femme  du 


INDEX. 


421 


Ri<gent.  A  un  perroquet  qui  dit  dos 
inconvenances.  1,  177.  —  Ses  six 
filles.  I,  S 02.  — Sa  paresse.  I,  2  42, 
893,  411;  II,  33.  —  Met  beau- 
coup de  rouge.  I,  2  83.  —  Est  su- 
perstitieuse. I,  883.  —  Son  or- 
gueil. I,  303;  II,  1  et  îs.  —  Elève 
mal  ses  enfants.  I,  355.  —  Ses 
migraines.  II,  44.  —  Sa  brouille 
avec  sa  fille,  l'abbesse  de  Chelles. 
II,  80  et  107. 
Obléans  (Louise-Adélaïde  à'),  fille 
du  Rt'gent ,  abbesse  de  Chelles.  Son 


portrait.  I,  Î6S;  II,  89,  ilî,  soi. 

—  Motifs  qui  l'ont  décidée  à  se 
faire  religieuse.  Il,  lî.  —  So 
brouille  avec  sa  mère.  II,  80  et  107. 

—  Sa  confession.  Il,  ll2,«o(e. — 
Récit  des  cérémonies  de  son  instal- 
lation. II,  15  5.  — Vers  faits  sur 
son  compte.  Il,  i  57. 

OhlÉANS  jlc  chevalier  d'I,  bâtard  du 
Régent.  Son  portrait.  I,  l'O,  327, 
26  1  et  noie. 

OsSLXK  (le  duc  d').  Repartie  pi- 
quante do  sa  femme.  Il,  6  7. 


Parabère  (madame  de),  maîtresse 
du  Régent.  Trompe  son  mari  et  se 
fait  donner  de  l'argent  pour  des 
bijoux.  I,  221.  — Son  portrait,  I, 
J40.  —  Son  ivrognerie.  H,  145' 
—  Son  intrigue  avec  Clerniont.  II, 
14  7.  —  Divertit  le  régent.  II,  2  57. 

Paiiis.    Saleté    de    cette    ville.    I, 

449. 

Peuse  (détails  sur  le  prétendu  am- 
bassadeur de)  à  Paris.  I,  325. 

PETEBBOUOLGH  (lord).  Ses  bizarre- 
ries. I,  146.  — Mot  sur  les  rois 
d'Espagne.  I,  218.  —  Est  arrêté  ii 
liouîogne.  I,  333  et  noie. 

Philippe  V,  roi  d'Espagne.  Détails 
sur  sa  personne.  I,  283.  —  Moyen 
qu'emploie  sa  feninie  pour  lui  faire 
faire  ce  qu'elle  désire;  le  lit  îi  rou- 
lettes. I,  372.  —  Son  opinillretd. 
II,  64.  —  Sa  gaucherie.  II,  203. 

PolicnaC  (madame  de).  Son  intri- 
gue avec  le  chevalier  de  Bavière  et 
le  duc  de  Bourbon.  II,  14.  — 
Aventure  avec  le  fils  de  l'ambassa- 
deur turc.  II,  270. —  A  voulu  sé- 
duire le  duc  de  Chartres  ,  comme 
le  grand  Prieur.  II,  231 . — Etrange 
propos  qu'elle  adresse  à  son  mari. 
Il,  36  6.  —  Singulière  conversation 
à  un  bal.  II,  268. 

POLIGNAC  (\e  cardinal  de).  Son  por- 
trait. I,  214  ;  II,  46.  —  Amant  de 
M""'  du  Maine.  1,  422.  —  Va  au 
bal  masqué  par  jalousie.  Ij  4  56, — 

II. 


Est  exilé  dans  une  de  ses  abbayes. 
II ,  46.  — Singulière  lettre  que  lui 
écrit  M"»»  du  Maine.  II,  2  9  9. 

POMKAt  (madame  de).  A  une  vision. 
II,  92. 

POPEL  (madame),  maîtresse  de 
l'électeur,  mère  du  chevalier  de  Ba- 
vière. Sou  mariage.  I,  î8  3. 

PoHTLAiVD  (comtesse  de).  Méchante 
et  ennemie  de  la  princesse  de  Gal- 
les. I,  450. 

PonTOCAREBO  (l'abbé  de),  neveu  de 
Cellamare,  est  arrêté  en  portant  le 
plan  d'un  complot.  II,   48. 

PoiiTSMOLTU  (duchesse  dt).  Détails 
sur  son  compte.  I,  165  et  note. 

POIITIGAISES.  Nubiles  dès  l'âge  do 
neuf  ans.  I;  14  5. 

Portugal  (le  roi  de).  Ses  vices.  I, 

40. 

Prédicatei'R  (  réponse  d'un)  au  su- 
jet des  noces  de  Cana.  Il,  332. 

PhÉtemiant  (le),  liis  de  Jacques  II. 
Est  vraiment  fils  de  la  reine  d'An- 
gleterre. I,  85  et  noie.  —  S'évade 
de  chez  le  prince  de  Vaudemont.  I, 

198. 

Prie  (madame  de),  maîtresse  du  duc 
de  Bourbon.  Est  battue  par  son 
mari.  I,  423  et  note;  II,  86.  — 
Trompe  son  amant.  II,  229. 

PniiSSE  (reine  de).  Sa  mort.  I,  76, 

Pi^AiSES.  Incommodent  la  reine 
d'Espagne.  I,  54  ;  11,  1S8. 

3G 


422 


INDEX. 


QuA^DT  (madame  de).  Première  (;ou-  Ql'incampoix  (rue^  Devient  famense 

vernante  de  Madamcj  (jui  la  bat,  à  IVpninic  du  système  de  Law.  II, 

n,  3  4.  197  et  note. 

R. 

Racotzi    (  le  prince  )   se  trouve  à  Retz  (cardinal  de).  Ses  mémoires.  I, 

Marly.  Son  portrait.  I,  137  et  3  58.  S72. 

—  Nf  souffle  pas  qu'où  lui  parle  RiCHELiEU  (cardinal  de).  Sujet  à  des 

mal  de  sa  femme,  qui  lui  a  sauvé  accès  de  folie.  I,  2  40. 


la  vif.  I,  332 

liAGOTZi  (la  princesse  de).  Son  in- 
conduite. II,  3  50.  — Sa  mort.  II, 
358. 

R.VlSIiV ,  comédienne.  Maîtresse  du 
premier  Uaupliin  I,  416. —  En 
a  un  enfant.  I,  428.  —  Coiimient 
elle  passe  tout  un  jour  à  jeûner  en- 
fermée dans  un  moulin.  Il 


RicuELiEU  (duc  de).  Son  aventure 
avec  deux  duchesses.  I  .  300.  — 
Ses  perlidies.  II,  83.  —  Fait  pein- 
dre ses  maîtresses  en  religieuses. 
Il  ,  83.  —  Ses  vices.  II  ,  toi.  — 
Son  intrigue  avec  Ml'»  de  Charolais. 
II,  103,  112,  1S3.  —  Madame  le 
déteste.  Il,  110.  —  Aventure  scan 
duleuseoù  il  joue  un  rôle.  H,  3  7 


UaIZ  (duchesse  de).  Siandalesqu'elle  Richelieu  (marquise  de;.  Ses  déré- 

donne.  Il,  374.  î;lements.  I,  60. 

Rahibuiies  (mademoiselle  de).   Fille  RlOil.  l'ortrait  decet  amant  delà  du- 

d'Iionneur  de  la  Dauphine  et  mai-  chcsscdelierri.  II,  1  VO.~A  élé  marié 

tresse  du  Dauphin.  II,  275  et  note.  socrètemcntavecciie.  II,  t  53,  17S. 

Ratzemiausen  (madame  de).  Une  de  HocilEPOlCAULI)  (madame  de  la).  Sa 

ses  filles  commet  des  escroqueries,  réponse  naïve   au   sujet  d'un  hu- 

I,  379.  ffuenot.  II,  31  0. 

Ratzemiadsen  (mademoiselle  Léo-  RoiiA>  (cardinal  de).  Ses  défauts.  I, 

noie  ou  Lénore)  avait  accompagné  2  14. 

Madame  en  France.  I  ,  26.  —  Sa  Rooi  elauiie  (Gaston,  duc  de)  entre 

gaieté.  I,  39  9.  au  Louvre  en  carrosse;  plaisanterie 

Ravaillag.  Motifs  du  meurtre  qu'il  à  ce  sujet.  11,  1  41  et  note 


a  commis.   1,  37  5. 
RaymOM>    (madame).  Maîtresse  de 

lord  Staiis.  U,  28  et  note,  230. 
RebenaC  (le  comte  de),  ambassadeur 


ROQI  ELAl'BE  (duchesse  de).  Est  ai- 
mée de  Louis  XIV.  I,  236. 

RoiiliK  (madame  du) ,  maîtresse  du 
Dauphin.  Il,  274. 


en    EspafTiie.     Avait    une    passion  RtPEllT,  oncle  de  Madame.  Son  pré- 

mallieuri'iise  pour  la  reine.  U,  292.  tendu   mariage  avec    M"''  do  I5el- 

Reim.s  (archevêque  de),  l'erd  2,000  mont     1,    76. —  Passe  pour  un 

louis  au  hoca.  I,  S16  ut  note.  sorcier.  I,  291. 

S. 

Saura?»  (madame  de).   Conversation  moque  de  lui.  I,    338.  —  Kepro- 

siiigulière  à  un  hal.  Il,  ^r,<^.  che  au  llégent  d'être  trop  déhon- 

Saint-Ai.iii>.   l'Alaid  du   U.'i;ent   et  naiie.  Il,  126. 

de  Floivnce,  danseuse  de  r(>,MTa.  Saim-Si  i.riCE  (madame  de)     Ancc- 

Son  père  ne  veut  pas  lereronnaitie.  dolc  la  concernant.  Il,  307,  317. 

1     3'.i;  11,  187. — Est  fait  évêque.  Sai.es  (saint  François  de).  Trichait 

11,  3'.'.  et  nnle.  au  jeu,  selon  le  iiiai'cchal  de  Nillc- 

Saivi-Sujo>  (duc  de).  Madame  se  roi.  11,  »13. 


INDEX. 


423 


Salvatico  ,  envoyé  de  Modène.  Ses 

folies.  Il,   857,  S63. 

Sa\DIUZKY, biigaJ'ur  allemand.  Im- 
pliqué dans  un  complot.  U,  1 12. 

SA^TEKUE,  peintre.  Détails  sur  sa 
vie.  II,  1S4. 

Sauvage.  Qui  voit  de  Paris  ce  qui  se 
passe  en  Canada.  1,  113. 

Savoie  ^leduc  de).  Insuccès  de  son 
invasion  de  la  Provence.  I,  105. 

Savoie  Philippe  de),  frèredu  prince 
Eujjène.  Son  portrait.  I,  324. 

Savoie  (nicsdemoiscUes  de).  Leurs 
aventures.  I,  32  4. 

Saxe  (prince  électoral  de).  Sa  niai- 
serie. Il,  130. 

Saxe-NVeymau  (le  duc  Bernard  de). 
Ses  reparties.  II,  345. 

SCHAl'B  (le  chevalier).  Aventure  qui 
arrive  à  son  secrétaire.  Il,  31  S. 

SCULIEKEN  (le  comte).  Impliqué  dans 
la  conspiration  île  Celliiniarc.  Il, 
2».  —  EstinisalaBaslille.il,  47. 

SÉGIR  (le  marquis  de).  l'pouse  une 
fille  bûtaidc  de  la  cométliciiue  Dos- 
mares  et  du  Uégcnt.  11,  6  6. 


SÉnv  (mademoiselle  de).   Maîtresse 

du  Réjjent.  1,  169. 
SiAM  (roide).SaréponscàI,ouis\lV, 

qui  l'cngajje  à  embrasser  le  chris-. 

tianisme.  1,  94. 
Siecen  (princesse  de).  Ses  intrigues. 

Il,    19,  351,  376. 

SniOM,  médecin.  Passe  pour  le  vé- 
ritable père  des  prinocs  bavarois. 
Il,  21. 

S0ISS()^S  (comte  de).  Son  portrait. 
I,  323. 

SoissoiNS  (comtesse  de).  Détails  sur 
son  compte.  I,  323,  384,  etno(e. — 
Amitié  du  roi  pour  elle.  Il,  144. 

SoimsE  (madame  ie).  L'une  des 
maiircsses  de  Louis  XIV  ;  ses  dé- 
fauts, l,  3  02. 

Staihs  (lord).  Conversation  singu- 
lière avec  l'ambassadeur  d'Espa- 
gne Cellamare.  l,  4:0.  —  Sa  pas- 
sion pour  M""=  Kaynioud.  Il,  28. 
—  Se  brouille  avec  le  Uégcnt.  Il, 
221. 

StLi-V  (duc  de).  Ses  distractions,  II. 
171. 


Tabac.  Chose  dégoûtante.  I,  139  et 

179. 

Tekme.  De  même  maison  que  mon- 
sieur de  Montcspan,  est  soupçonné 
d'être  le  père  du  duc  du  Maine.  Il, 
325. 

Tbiange  (madame  de).  Entremet- 
teuse des  amours  du  duc  de  iMon- 
mouth  et  de  Madame ,  première 
femme  de  Monsieur.  I,  417. — Ses 
défauts.  U,  2  37  et  noie. 

TiQLET  (madame).  Son  supplice.  I, 

37. 

Toscane  ( la  grande-ducbcsse  de). 


Déteste    l'Italie.    I,    237,     403. 
TOKCï  (de).  Ouvrait  les  lettres  de 

Madame.  I,   53,  77,  424  ;  II,  177, 

304. 

Tueville  (comte  de).  Se  jette  dans 
la  dévotion  après  la  mort  de  la 
première  Madame.  Il,  7. 

TliitC  (fils  de  l'ambassadeur).  Enlevé 
par  trois  dames  do  qualité;  mot 
qu'il  adresse  à  M""  de  Polignac.  II, 
7,    270. 

TiiHE.\NE  (maréchal  de).  Sa  faiblesse 
pour  M">e  de  CoctqucD.  I,  2  4  4;  II, 

265. 


Uhsins  (  princesse  des  ).  Est  chassée 
d'Espagne,  l,  1S6.  —  Louis  XIV 
lui  donne  une  pension  1,  162.  — 
Ennemie  du  Régeut.  U,  IS. — Mo- 
tifs de  sa  haine    contre    lui.   11 , 


UxELLES  (le  maréchal).  Se  conduit 
avec  bassesse.  1,  432. 

UzÉ  (mademoiselle),  actrice.  Mai- 
tresse  du  Régent.  I,  262. 

UzÈs  ['duchesse  de).  Meurt  d'unemala- 
dic  quclui  adonnée  son  mari.  1, 47, 


42i 


INDEX. 


V.  w. 


Tallière (madame  cle  La),  maîtresse 
(lu  roi.  Sa  doureur  et  sa  bonté;  ses 
bonnes  qualit('s.  Il,  16.  —  Est 
inaltraiU'e  par  Louis  XIV.  —  Sou 
désespoir  quand  ses  enfants  furent 
légitimés.  I,  90.  —  Entre  au  cou- 
vent ;  cérémonie  loucbantc.  I!,  1 1  9 . 
—  Son  repentir.  I,  ;i  4. 

VALOis(niadem"i^^Cbarlottc-Aglaéde) 
fille  du  Réjjcnt.  Sa  fausseté.  1,  298. 
— Ses  défauts.  I,  387. —  Son  por- 
trait. II,  11.  —  Est  fiancée  au  duc 
de  Modène.  II,  193. — Détails  sin- 
guliers sur  son  compte.  II,  2  43  et 
noie  — S'ennuicàModènc.  Il,  2S4. 

Valois  (duc  de).  Premier  fils  de 
Madame.  I,  32?. 

Vendôme  (duc  de).  Son  cynisme.  I, 
89  et  note. —  Empoisonné,  dit-on, 
par  Albcroni.  I,  469.  —  Ce  qu'il 
montre  à  un  évêque.  II,  31. 

VE^DOME  (madame  de).  Se  blesse  en 
versant  dans  sa  voiture.  I,  14  4. — 
Sa  mort.  I,  399. 

Yentadoir  (madame  do),  dame 
d'honneur  de  Madame.  1,298  et 
note — Gouvernante  de  Louis  XV. 
11 ,   9  et  note. 

Veb.'HANDOIS  (comte    de).    Fils  de 


Louis  XIV  et  de  M""  de  La  Val- 
lièrc.  Est  corrompu  par  le  cheva- 
lier de  Lorraine.  1,  302.  —  N'est 
point  ref;rctté  du  roi.  I,  306. 

VeutOT  (l'abbé).  Fait,  sans  le  vou- 
loir, une  allusion  offensante  pour 
M">o  de  Maintenon.  I,  2  48. 

Vebiue  (la  comtesse  de),  maîtresse 
du  roi  de  Sicile.  Se  dispute  avec 
lui.  l,  243. 

ViLLABÉAL  ,  gouverneur  de  Barce- 
lone. Sa  fanfaronaile.  I,  143. 

ViLLARS  (le  maréchal  de).  Son  aven- 
ture à  l'Opéra.  I,  20  8. — Passionné 
pour    le    prince  d'Eisenacb.   II , 

21. 

Villeqlieb (le  ma^q'lT^  le). Réponse 
qu'il  fit  à  la  marquioC  de  Nesle.  I, 

289. 

ViLLEROi  (maréchal  de).  Chansons 
contre  lui.  1,  i".  —  Tour  que  lui 
joue  Madame.  II,  363. 

XVARTEMnEiiC  (romtesse  de).  Son  in- 
conduite. I,   174  et  179. 

WOLFENDITTEL  (duc  de).  Scs  viccs. 
I,  48,    lOS,   125. 

WlutemberG  (prince  de).  Reçjit 
d'une  danseuse  un  cadeau  qui  lui 
coûte  la  vie.  II,  190. 


z. 


Zei.t,  (duchesse  de).  Haïede  Madame. 

Il,  57,  246. 

Z 1 N  Z  Ë>  DO  UF  (comte  de) ,  ambassadeur 


d'Autriche.  Ses  goûts  déréglés    I, 
60,   347. 


FIN. 


Paris.  —  Imj  tinicric  de  GrsTivE  CnATlOT,  rue  Mazarine,  39. 


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