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CORRESPONDANCE
COMPLÈTE
DE MADAME
DUCHESSE D'ORLÉANS
l'iiiis, — Ini|)rinicrie P. -A. «OIIUDIKU cl C'», ruo M.i/fuiiic, 30.
■^ or
CORRESPONDANCE
COMPLÈTE
DE MADAME
DUCHESSE D'ORLÉA]\S
NÉE PRINCESSE PALATINE, MÈKE DU KÉGENT
TKADUCTION ENTIÈKEMENT NOUVELLE
PAR M. G. BRUNET
Accompagnée d'une Annotation
HISTORIQUE, BIOC. RAPHIQCE ET LITTÉnAIHB
Du Traducteur
TOME SECOND
PARIS
CHARPENTIER, LIER AI RE- ÉDITEUR,
28, QUAI DE l'École,
\B^7
■0? ^qiH
GORRESPOiNDANCE
DE
M" LA DUCHESSE D'ORLEANS
Paris, 25 septembre 1718.
M""* du Maine est aussi méchante que la vieille
(Maintenon), mais il ne faut pas s'en étonner. Tous
les enfants du roi et de la Montespan (à l'exception du
comte de Toulouse) ont été élevés dans de tels senti-
ments de fierté qu'ils se croient fort supérieurs à nous.
Mme d'Orléans croit avoir fait à mon fils une grâce in-
signe et beaucoup d'honneur en consentant à l'épou-
ser ' ; ses femmes de chambre et ses domestiques n'en
parlent pas différemment; ils regardent tout le bien
que mon fils leur a fait comme leur étant dû. M"" du
Maine est très -loin de demander gi'àce. Tout cela
' a La duchesse d'Orléans était charmante; des yeux adrai-
tt râbles, de belles dents, la bouche jolie, une chevelure su-
■ perbe. On retrouvait en elle cette finesse d'esprit particulière
« à Mme de Montespan. Elle avait delà vertu et une grande no-
« blesse de caractère, mais ces éminentes qualités étaient ob-
« scurcies par une fierté excessive. » (Vatout).
Elle mourut le 1er février 17 49. Le Journal de Barbier donne
des détails sur la querelle entre ses aumôniers et le curé de
Saint-Eustache pour savoir qui lui administrerait les sacrements,
sur la réconciliation (qui ne fut sincère de part ni d'autre)
entre son fi!s et son pelit-fds, sur ses funérailles qui, d'après
SCS ordres, eurent lieu san:j éclat.
2 CORRESPONDANCE
m'exaspère, et je crains que la colère ne m'emporte et
ne me fasse dire ce qu'il vaut mieux taire. J'ai toujours
délesté d'être l'occasion de nouvelles scènes.
26 septembre 1718.
Le duc du Maine et son parti ont fait savoir à sa
sœur {la duchesse d'Orléans) que si mon fils venait à
mourir, elle serait faite régente; qu'en toutes choses,
on agirait d'après ses avis et qu'elle ferait la plus
grande figure qu'il y ait au monde ; qu'on ne voulait
Taire aucun mal à mon fils, mais qu'il ne pouvait vivre
longtemps, parce qu'il menait une vie trop désordon-
née; qu'il ne pouvait donc manquer de mourir ou de
devenir aveugle, et qu'il consentirait à ce qu'elle exer-
çât la régence. Je tiens tout cela de quelqu'un à qui
le duc du Maine lui-même l'a dit, et quand on est au
fait, on ne s'étonne pas si M^^e d'Orléans a voulu forcer
sa fille à épouser le fils du duc du Maine... Mon fils a
fait un grand changement; au lieu des divers conseils,
il a' placé des secrétaires d'État. M. d'Armenonville
est secrétaire d'État de la marine, M. Leblanc de la
guerre, M. de Vrillière du dedans du royaume, l'abbé
Dubois des affaires étrangères, M. de Maurepas de la
maison du roi, et un évêque a la feuille des bénéfices.
2G septembre 1718.
' Le père Joseph ' était en grande faveur auprès du
* t'iaiirois Lcclerc du Tremblay, connu sous le nom du Père
Joseph, né en 1577, entra à vingt-deux ans dans l'ordre des
capucins. 11 se trouva en rapport avec Richelieu, alors évcquc
de Luçon ; devenu tout-puissant, le premier ministre le chargea
i
DE MADAME LA DUCHESSE D ORLEANS. à
cardinal de Richelieu, et on le consultait dans toutes
les aiïaires. Un jour on appela au conseil le duc Ber-
nard ', et le père Joseph, promenant le doigt sur une
carte géographique, disait : « Monsieur, vous pren-
drez cette ville, ensuite vous prendrez celle-ci, puis
celle-là. » Le duc l'écouta longtemps et dit enfin :
« Monsieur Joseph, on ne prend pas les villes avec le.
doigt. » Cela faisait rire de bon cœur le feu roi.
27 septembre 1718.
La reine-mère, veuve de Louis XIII, a fait encore'
bien pis que d'aimer le cardinal Mazarin; elle l'a
épousé ; il n'était pas prêtre et n'avait pas les ordres
qui pussent l'empêcher de se marier ^
des affaires d'État les plus épineuses, tant au dedans qu'au de-,
hors du royaume. Agent adroit et sûr, le capucin était consulté
par le cardinal dans toutes les diflicultés, et les principaux per- .
sonnages de la cour s'inclinaient devant l'éminence grise (on
l'appelait ainsi). 11 mourut en 1638, et Richelieu s'écria : « J'ai
perdu mon bras droit. » Sa vie, écrite par l'abbé Richard, Pa-
ris, 1702, 2 vol. in-12, est un panégyrique continuel, et, cir-
constance assez curieuse, c'est au même auteur qu'on attribue '
le Vcriiable Père Joseph, 1704 (autre édition, 1760), livre qui
rassemble tous les reproches, fondés ou non, adressés à ce per-
sonnage.
' De Saxe-Weimar, l'un des plus grands capitaines du dix-
septième siècle ; il prit part aux campagnes de Gustave- Adolphe,
et mourut en 1639, âgé de trente-six ans.
2 De tous les libelles publiés à l'époque de la Fronde, je n'ex-
trairai que le passage suivant, qui a trait au mariage de la reine
avec le cardinal, opinion établie dès 1647, et dont la princesse
palatine s'est faite le complaisant écho; la pièce est intitulée :
Suite du silence au bout du doigt ; « Pourquoy tant blasmer la
ie\nc de ce qu'elle ayme le cardinal? n'y est-elle pas obliàéei
4 COIIHESI'O.NDANCE
27 septembre 17 i6.
Le portrait de l'abbé Dubois est celui d'un renard
qui s'accroupit sur la terre et qui guette un poule.
Malezieux et le cardinal de Polignac ont travaillé
autant que la duchesse du Maine à la réponse au livre
de Filz-Moritz ' . . . Mon fils est forcé à des ménagements
envers ses parents; mais si j'avais autant de cent écus
qu'il a de motifs de se repentir de s'être allié à tous
ces gens-là, je pourrais demander au roi de me vendre
la France, la payer comptant, et acquitter toutes ses
dettes.
Paris, 28 septembre 1718.
Le maréchal de Tessé est fort dévoué à l'Espagne
ainsi que tous les maréchaux qui sont les créatures de
la vieille. Tous les Français préfèrent Paris à tout;
j'aime les Parisiens, mais je n'aime pas à résider dans
leur ville ; c'est un séjour auquel je ne puis m'habituer ;
tout ce qu'on voit et entend est intolérable; il faut y
s'il est vray qu'ils soient mariés, et que le Père Vincent ait ap-
prouvé et ratifié le mariage? »
Voir aussi \ARequeste clville contre la conclusion de la paix.
Dans une autre pièce , VArresfadon du duc de Deaufort , on
suppose que l'arrestation du duc est due à ce qu'il avait sur-
pris Mazarin dans la ruelle de la reine, lui faisant des protesta-
tions d'amour (De Laliorde, Vahiis-Mazarin , p. 158).
' Lettres de M. t'itz-Moritz sur les affaires du temps (par
l'abbé Margon ) ; Amsterdam ,1718; ouvrage composé d'après les
instructions du régent, et dans lequel l'auteur discute les droits
de la branche d'Orléans à la couronne de France , par préfé-
rence à la brandie espagnole. La réponse qui y fut faite, et dont
parle Madame, a pour titre : Conférences d'un Anglais et d'un
Allemand sur les Lettres de FHz-Moritz , Cambray, 1722,
in-12.
DE MADAME LA DUCHESSE D ORLEANS. 5
faire ce qu'on ne veut pas, et on n'y a de repos ni nuit
ni jour. Il n'est que trop vrai que des femmes se font
peindre des veines bleues afin de faire croire qu'elles
ont la peau si fine qu'on distingue leurs veines à tra-
vers.
Je suis sûre que lorsque l'électeur se sera accoutumé
au bon air d'Heidelberg, il s'en trouvera très-bien.
J'aime ce prince parce qu'il aime le Palatinat; je puis
facilement imaginer combien il a été peiné quand il
a vu qu'à peine restait -il des ruines d'Heidelberg.
■Quand j'y songe, les larmes me viennent aux yeux et
je suis toute triste.
30 septembre 1718.
Monsieur a été lui-même la cause de l'intrigue 'de
Madame avec le comte de Guicbe ' . On a dit qu'il a été
' Fils du duc de Granimont et l'un des plus aimables sei-
gneurs de la cour. Nous n'aborderons pas les questions délicates
que soulève cette lettre de Madame ; il y a sans doute de l'exa-
gération, mais probablement aussi des vérités dans le pamphlet
intitulé Histoire galante de M. (Madame 'ï et du comte de G.
(Guiche), pamphlet qui se trouve dans le recueil intitulé : His-
toires galantes, Cologne, Jean Leblanc (Hollande), sans date,
p. 424-464 ; dans les Dames ilhistres de notre siècle, Cologne,
1G82, p. 135-176; dans diverses éditions de l'Histoire amou-
reuse des Gaules. L'évéque de Valence, Cosnac , se rendit en
Hollande pour acheter en totalité et détruire l'édition de ce li-
belle ; Saint-Simon raconte (t. V, p. 207) de quelle singulière
façon ce prélat, arrêté dans son lit, s'y prit pour sauver des pa-
piers qui pouvaient conipromettie Madame. On peut consulter,
dans les recueils que nous venons d'indiquer, l'Histoire de l'a-
mour feinte du roi pour Madame, à la suite de l'Histoire du
Palais- lîoijal ( 1007 ) ; La Beaumellc (notes sur les Lettres de
Matlanie de Maintenon ) dit que le fond de cet ouvrage mal écrit
est vrai.
D'après M. WakKcnaër, l'article consacré au comte de Guiche
1.
6 CORRESPONDANCE
jadis très-joli garçon, et il était un des favoris de feu
Monsieur; Monsieur avait vivement recommandé à
Madame d'avoir de l'attachement pour le comte et de
trouver bon qu'il pût être à toute heure auprès d'elle.
Le comte, qui était fort brutal avec tous les hommes,
s'appliqua extrêmement à plaire à Madame; il était
plein de vanité; il voulut se faire aimer d'elle, et
cela arriva'. Sa tante, M™e de Saint-Chaumond, qui
dans le Dictionnaire historique de Prosper Marchand est excel-
lent et très-complet.
^ Les recueils de chansons manuscrites contiennent des vers
qui, s'ils étaient authentiques, donneraient une terrible idée des
mœurs et du stjle de la malheureuse Henriette.
C'est d'abord le comte de Guiche qui adresse à Madame une
que;^lion passablement hasardée :
Pour occuper la place
De votre époux.
Si l'on avait l'audace
D'entrer chez vous,
Y seriez-vous, Madame ? y seriez-vous?
La réponse attribuée à la princesse, et faite sur les mêmes
rimes, ne peut se transcrire d'aucune façon.
Voici deux couplets que nous prenons dans ces mêmes recueils
manuscrits, si bien qualifiés de sottisiers; ils portent la date
de 1G63; nous les croyons inédits :
Dans mon amour plus d'une chose blesse
Mon bon petit époux ;
Je suis pourtant une bonne princesse ;
J'ai des attraits si doux.
Que si j'osais, je n'en serais pas chiche
Au comte d<! Guiche, moi,
Au conilc de Guiche.
La bergère d'Angleterre
Dans Saint-CIoud s'en va chantant:
Est-ce une grande .ifT.iire
Qui' d'avoir fait ini amant?
Vous souvient-il bien, ma mère,
DE MADAME LA DUCHESSE D OKLÈANS. 7
était gouvernante des enfants de Madame, le seconda
fidèlement. Une fois, Madame vint «hez M""" de Saint-
Çhaumond sous prétexte de voir ses enfants, mais, au
fait, pour s'entretenir avec le comte de Guiche. Elle
avait ini valet de chambre nommé Launois, que j'ai
vu encore auprès de Monsieur; on le plaça sur l'esca-
lier pour avertir au cas que Monsieur survînt. Tout
d'un coup voilà Launois qui accourt et qui dit : « Voilà
Monsieur qui descend le degré. » Ils furent tous épou-
vantés, le comte de Guiche ne pouvait se sauver dans
l'antichambre; les gens de Monsieur y étaient déjà.
Launois dit : « Je ne vois quim moyen, et je vais y avoir
recours ; » il dit au comte : « Tenez-vous ici derrière
la porte; » il court au devant de Monsieur et le. frappe
si fort de la tête au milieu de la figure, que le sang
coulait en abondance du nez de Monsieur; il s'écria :
Du comte de Saint-Alban,
Et vous, ô ma belle-mère.
De Jule et de Buckingham?
Jules, c'est-à-dire Mazavin.
Parmi les amoureux (platoniques sans doute) de Madame, il
faut citer le comte de TréviUe, personnage très-spirituel, très-
instruit et qui brilla à la cour de Louis XIV. Saint-Simon dit
qu'il fut « du grand et du meilleur monde, » et « plus que très-
bien » avec des dames du plus haut parage. Témoin de la mort
affreuse de Madame, en proie à la plus violente douleur, il fut
ramené de Saint-Cloud par La Fare (voir les Mémoires de ce
dernier dans la coUccUon de Pelitot, t. LXV, p. 180), et il se
jeta dans la dévotion.
La petite cour du duc d'Orléans était d'ailleurs un foyer d'in-
trigues honteuses. Le comte de Tonnerre, premier gentilhomme
du prince, perdit sa place pour avoir dit un jour que Monsieur
était la plus sotte femme du monde, et Madame le plus sot houiiuc'
qu'il eût jamais vu.
8 CORRESPONDANCE
« Monsieur, je vous demande grâce et pardon ; je ne
vous croyais pas si près; je voulais vile courir pour
ouvrir la porte. » Madame et M'"" de Saint-Chaumond
vinrent tout épouvantées avec des serviettes qu'elles
tinrent si longtemps sur le nez de Monsieur, en l'en^
tourant, que le comte de Guiche eut le temps de s'é-
lancer au dehors et de gagner l'escalier avant que
Monsieur ne pût l'apercevoir; il crut que c'était Laii-
nois qui se sauvait de peur, et de sa vie il n'a su la
vérité ' .
INIadame était la confidente du roi ; on avait toujours
voulu animer le roi contre IMonsieur; on disait que
Monsieur était tellement aimé à la cour et à Paris, que
la politique exigeait ([ue Monsieur eût quelque chose
qui le préoccupât, afm qu'il ne songeât pas aux affaires
d'État; c'est pourquoi le roi a soutenu Madame dans
ses galanteries afin de tracasser Monsieur; je le tiens
du roi lui-même. Madame était très-bien avec son frère
le roi Charles lï, que le roi voulait gagner au moyen
de sa sœur; il fallait donc qu'il fût de son parti, aussi
a-t-elle été traitée beaucoup mieux que moi.
* Pareille ruse, dont les récits sont fort nombreux, se trouve
àansVn'dopadcsa, sixième fable du premier livre; dans la Dis-
clpUna clericalis (p. ■iS, édit. Schmidt); dans les Fabliaux
de Legrand d'Aussy, 1820, t. IV, p. 188 ; dans les Gcsla Ro-
manornm, eh. cxxi et r.xxui ; dans Vllcptconcron , nouv. VI;
dans les Cent Nouvelles nouvelles (seizième); dans les iN'oî<-
t>e?Zf'idcIJandello,part. I,nov.25;deMaIcspini,^art. I,nov. 44;
de Sabadino, nov. 4 ; dans les Nu'ils de Straparole, 172G, t. I,
p. 400, cinquième nuit, quatrième conte; dans les Contes de
d'Ouvilic, t. II, p. 215, etc.
(Voir Loisclcur des Longchamps, Fables indiennes^ p. 7C).
DE MADAME LA DUCHEïiSE D ORLEANS. 9
Fr octobre 1718.
Le roi n'avait de superstition que dans les choses
religieuses, dans les miracles de la mère de Dieu, et
autres objets semblables. On lui a fait croire que c'était
un grand trait de politique que d'embrasser son frère,
un vrai coup d'État, et que cela pouvait s'appeler gou-
verner... De son temps, on avait appris aux dames à
ne pas parler des affaires d'État ; ce n'était pas l'usage.
T^orsque le roi apprenait que quelqu'un s'était avisé
de mal parler de lui , il lui parlait avec beaucoup de
fierté, mais autrement on ne pouvait s'exprimer avec
plus de politesse ni être plus civil que lui,
Paris, 2 oclobre 1718.
Je ne suis pas comme le petit roi, je déteste les cé-
rémonies. 11 serait fort gentil s'il voulait parler un peu
plus, mais on a de la peine à lui arracher des paroles;
il garde volontiers le silence et il semble n'aimer per-
sonne , si ce n'est peut-être sa gouvernante, M'n^ de
Ventadour '.
Mon fils est, grâce à Dieu, en parfaite santé ; il vint
hier soir ici , il y a couché et soupe , et retourne ce
* I.a duchesse de Ventadour était une demoiselle de La Mothe-
Houdancourt, et elle joua un grand rôle à la cour. La médi-
sance s'occupa souvent d'elle (voir Saint-Simon, t. VII, p. 36
et IST) : " Son plus que très-intime ami dès leur jeunesse, le
duc deVilleroi, l'avoit servie auprès de Mn^e de Maintenon, qui,
par raison de ressemblance, aimoit bien mieux les repenties que
celles qui n'avoient pas fait de quoi se repentir. » Leduc de Ven-
tadour, fort laid, fort contrefait, mourut en 1717, séparé d'elle
depuis nombre d'années. Avec beaucoup d'esprit, il mena tou-
jours la vie la plus obscure et la plus débauchée. 11 ne pouvait
10 CORRESPONDANCE
matin à Paris; il a été fort gai. Il nous a dit qu en
Espagne il y avait des raisins énormes et qui enivrent
comme du vin, et qu'une fois, ai)rès avoir mangé une
seule grappe, il s'était senti la tête toute troublée; il
était allé dans un couvent, ne savait plus ce qu'il
être oublié dans les chansons de l'époque ; en voici une que
nous prenons dans le recueil de Maurepas :
De l'objet le plus bizarre,
Du corps le plus contrefait,
J'entreprendrai le portrait,
si mon pinceau ne s'égare ;
Je n'eu dirai pas le nom,
Sa bosse nous le déclare ;
Je n'en dirai pas le nom.
Or, écoutez ma chanson.
De la bouche de ce faune.
D'un gnome le rejeton.
Il coule sur son menton
Une bave épaisse et jaune ;
Je n'en dirai pas le nom.
Sa maison est à Charonne,
Je n'en dirai pas le nom.
Il est parent d'un grand prince;
Son père jusqu'à sa fin,
Quoique d'un esprit fort mince,
Gouverna le Limousin;
Je n'en dirai pas le nom,
Son titre est dans la province,
Je n'en dirai pas le nom.
Sa femme, par sa prudence.
L'a quitté depuis vingt ans,
N'a souffert que trop longtemps
Son iuiporluue présence ;
Je n'eu dirai pas le nom.
Elle a soin des fils de France,
Je n'en dirai pas le nom.
« Madame de Ventadour était fort belle et fort agréable ; son
mari très-laid et très-contrefait; ils étaient fort mal ensemble,
et les clioscs éluicut souvent allées fort loin. Sur la démission
DE MADAME LA DUCHESSE o'ORLÉANS. H
disait, et avait dit aux religieuses toutes sortes de
folies.
4 octobre 1718.
Le duc du Maine sait bien qui a été sa mère; mais
il n'a aimé que sa gouvernante, et il ne lui a jamais
témoigné de mécontentement povu^ le mauvais service
qu'elle a rendu à sa mère, qu'elle a jetée à bas et dont
elle a pris la place '.
6 octobre 1718.
M"* de Valois est Ijrune, elle a de fort beaux yeux,
mais son nez est vilain et trop gros... Selon moi, elle
n'est pas belle ; il y a pourtant des jours où elle n'est
pas laide, car elle a de belles couleurs et une belle
peau; lorsqu'elle rit, une grande dent qu'elle a à la
mâchoire d'en haut fait un vilain eflet. Sa taille est
courte et laide; sa tête enfoncée dans ses épaules; et
ce qu'elle a de pire, à mon avis, c'est la mauvaise
de Mme de Cléranibault , Monsieur donna gratis la charge de
dame d'honneur de Madame à Mme de Ventadour ; cela parut si
éU'ange au roi, qu'il demanda à Monsieur si sa famille y con-
sentait; on se soucia peu du mari, dont la débauche et une ab-
sence continuelle de la cour ne lui donnaient pas grande con-
sidération » {note de Saint-Simon sur le Journal de Dangeau).
1 La bibliothèque impériale du Louvre renferme (t. III de la
seconde sério de la Correspondance des Noailles) vingt-sept let-
tres de Mme de Montespan écrites de 1691 à 1707. Quelques-
unes sont fort intéressantes, car elles témoignent des elïorts inu-
tiles que lit , à diverses reprises , la maîtresse délaissée pour
entretenir des relations avec celle qui l'avait supplantée dans le
cœur du roi. Des lettres et documents relatifs à Mme de Màin-
tenon se trouvent dans cette bibliothèque et dans celle de la
rue Richelieu (voir V Al hcnœum français, 10 décembre 1854,
p. 1185).
12 CORRESPONDANCE
grâce qu'elle met en tout ce qu'elle fait; elle va comme
une femme de quatre-vingts ans.
8 octobre 1718.
Ma tante Elisabeth, abbesse d'Hervord, avait les
cheveux très-noirs. Un jour, sortant du bain et s'en-
veloppant d'un peignoir qui avait un grand trou sur
le devant, elle se mit à gronder sa femme de chambre :
« N'êtes-vous pas les gens les plus négligents et les plus
malpropres du monde de me donner un peignoir avec
une si horrible tache noire? » La femme de chambre se
mit à rire et pria ma tante de mettre la main sur celte
tache afin de s'assurer de ce que c'était. Ma tante
suivit le conseil de sa femme de chambre, et courut
toute honteuse se cacher dans son lit.
9 octobre 1718.
Ce qui a porté la pauvre demoiselle d'Orléans à se
faire religieuse, c'est tout simplement le peu d'affec-
tion qu'elle a trouvée auprès de sa mère et la peur
qu'elle a eue qu'on ne la tourmentât afin de la forcer
à épouser le fils ahié du duc du Maine; elle a mieux
aime se retirer du monde que s'exposer à attirer sur
elle toute la haine de sa mère '. C'est une bien mau-
vaise mère qu'elle a là, et Dieu le sait bien, mais il ne
faut pas confier des choses de ce genre à la poste.
M'«etle Dangeau n'a pas lieu de s'inquiéter que j'aille
dîner chez elle; en dix ans il ne m'est arrivé qu'une
' Un passage curieux et touchant dos Mémoires de la ba-
ronne d'Oberk'iveh prétend faire connaître la véritable cause de
la dét(!rniination de M"c d'Oriéans, mais nous avons des doutes
sur l'aullienticité de ces Mémoires.
DE MADAME I.A DUCHESSE d'oRLÉANS. . 13
seule fois de diner chez quelqu'un, et c'était chez
jf me (Je Venladour. Le fait est que M™^ de Dangeau est
fort réservée et ne veut pas se répandre beaucoup
dans le monde. M"* de Valois n'a pas du tout été de
son goût ; elle ne veut plus voir personne de la maison
royale, si ce n'est moi; elle évite la duchesse de Berri
tout autant que sa sœur. Son seul défaut c'est qu'elle
regarde la vieille sorcière [Maintenon] comme une
personne respectable et pieuse, tandis que c'est un
véritable diable; mais ceci fait l'éloge de ses bons
sentiments, puisqu'elle ne peut penser du mal d'une
personne qu'elle aime. J'ai regretté souvent qu'elle ne
fût pas duchesse , et en voyant tant de duchesses as-
sises, je souffrais de voir debout M"'^ de Dangeau, qui
est d'une si bonne famille de comtes.
Je parlerai à mon fils du colonel Sclnvartz, mais je
crains de ne pas réussir ; l'argent est chose rare à la
cour, et il est plus difficile de trouver mille livres que
deux fois autant du temps du feu roi. Les finances sont
dans un état déplorable , et on peut dire avec raison
de notre roi qu'il est un pauvre roi.
11 octobre 1718.
M""* du Maine n'est pas plus grande qu'un enfant de
dix ans. Quand elle ferme la bouche, elle n'est pas
laide. Elle a de vilaines dents mal rangées. Elle n'est
pas très-grosse, elle met horriblement de rouge, elle
a de johs yeux, elle est blanche et blonde ; si elle était
aussi bonne ([u'clle est méclianle, il n'y aurait rien à
dire contre elle, mais sa méchanceté est intolérable...
Elle est Iranquille durant toute la journée, et elle la
!.. 2
14 CORRESPONDANCE
passe à jouer aux cartes; mais lorsque le jour esl fini,
alors commencent les colères et les extravagances;
elle tourmente son mari, ses enfants, ses domestiques
au point qu'ils ne savent que devenir.
La Polignac faisait croire à M. le Duc qu'elle l'ai-
mait. Lui, qui sait bien le train qu'elle mène, la fit
espionner et apprit qu'elle avait une intrigue cachée
avec le chevalier de Bavière. Il lui en fit des repro-
ches; elle nia la chose. M. le Duc l'avertit de ne pas
s'imaginer qu'elle pût le tromper; elle jura qu'il était
mal informé, et dès qu'il l'eut quittée, elle se rendit
chez le chevalier. M. le Duc, qui l'avait fait suivre,
l'apprit aussitôt. Le lendemain, il lui donna rendez-
vous chez lui ; elle se rendit dans la chambre à cou-?
cher, elle croyait qu'il ne savait rien. Cependant M. le
Duc ouvrit grandement la porte, en sorte qu'on pou-
vait la voir du cabinet qui était tout rempli d'hommes ;
il appela le chevalier de Bavière, et lui dit : « Monsieur !
venez prendre votre compagne, elle n'aura pas besoin
d'aller si loin pour vous trouver... » Quoique M. le Duc
et le prince de Conti soient doublement beaux-frères,
ils n'ont de leur vie pu se souflrir mutuellement.
14 octobre m 8, _
M™« la princesse {de Conti) est fort petite et elle est
contrefaite, sans être cependant bossue. Elle a de
beaux yeux comme en avait son père, mais autrement
elle n'est pas du tout belle; mais elle a beaucoup de
vertu et de piété.
Mon fils aime le comte de Toulouse; il le trouve
fort raisonnable en toute circonstance ; et si le duc du
DE MADAMK LA niCIll.SSE D'ORLÉANS. 15
Maine avait suivi le conseil de son frère, il n'aurait
pas ce qui lui est arrivé ; malheureusement pour lui,
il a mieux aimé agir d'après les avis de sa femme.
•jyinie (jij Maine n'est pas une beauté, mais elle a
beaucoup d'esprit, elle est fort instruite, elle peut
parler de toutes sortes de sujets ; cela attire auprès
d'elle tous les savants; elle sait tlatler tous les mécon-
tents et les animer contre mon fils. Elle est seigneur
et maître de son mari. Il a beaucoup de charges et
peut donner des places à beaucoup de monde, dans le
régiment des gardes, dont il est général ; dans l'artil-
lerie, dont il est grand-maitre, dans les carabiniers,
où il nomme tous les ofliciers; il a aussi son régiment ;
cela rallie à lui beaucoup de monde.
Quelqu'un m'a raconté qu'il avait surpris Madame
et Mnie de Monaco se livrant ensemble à la débauche.
15 octobre 1718.
L'affaire du duc du Maine n'est pas de ces choses
qu'on puisse oublier, du moins tant que les deux
vieilles drôlesses (zoten) seront en vie {M^^ de Main-
tenon et la princesse des Ursins), car elles excitent le
duc du Maine ' et sa petite diablesse de femme à ma-
nigancer toutes sortes de choses contre mon fils.
M^^e (les Ursins a du moins cela de bon qu'elle ne fait
pas intervenir le bon Dieu dans ses intrigues ^
' « Le duc du Maine, comblé de dignités, n'avait su mériter
« aucun respect; il était affligé d'une maladie mortelle en
« France, même pour les vertus ; il était sans courage. » (Le-
montey. )
* Lsi Revue d'Edimbourg, n'88; sej)teinbre 182G, renferme,
16 CORRESPONDANCE
Mon fils n'est pas en sûreté, et cela m'inquiète ex-
trêmement. Je fais de mon mieux pour me résigner à
la volonté divine, et pour accepter tout ce qu'elle dé'
cidera ; mais le cœur d'une mère est trop tendre à
l'égard d'un fds unique.
On attendrirait des lions, des tigres et toutes sortes
de bêtes féroces plutôt que de méchantes gens, sur-
tout lorsque l'ambition et la cupidité sont la cause de
leur inimitié. Tous les raisonneurs ne savent pas dans
quel état déplorable mon fds a trouvé le royaume;
lorsque survient un changement, chacun s'imagine
qu'il va devenir riche, on loue celui qui gouverne et
on attend de lui des merveilles ; mais comme elles ne
se réalisent pas, car elles sont impossibles, alors le
blâme se substitue à l'éloge. 11 n'y aurait pas de mal
si ces plaintes s'exhalaient seulement en paroles, mais
les mécontents forment des intrigues et des complots ;
les Français ne se gênent en rien et ne savent pas ce
que c'est que la reconnaissance.
IG oclobre 1718.
Le roi a oublié La Vallière aussi bien que si de sa
vie il ne l'avait ni vue ni connue... Elle avait autant
de vertus que la Montcspan avait de vices. La seule
faiblesse qu'elle ait eue pour le roi était bien excu-
sable; le roi était jeuiu;, galant, beau ; elle-même était
fort jeune; tout le monde l'a poussée et amenée à sa
faute; au fond, elle était modeste et vertueuse, et elle
avait un très-bon cœur. Je lui disais quelquefois qu'elle
au sujet des lettres de M"ic je Maiulcnon ù la princesse des Ur-
sins, une appréciation judicieuse do ces deux femmes célèbres.
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 17
avait fait une transposition de son amour, et qu'elle
avait rapporté à Dieu tout ce qu'elle avait eu dans
son cœur pour le roi.
On a fait à La Vallière la plus grande injustice en
l'accusant d'aimer quelque autre personne que le roi ;
mais les mensonges ne donnaient nul souci à la Mon-
tespan. Le comte de Vermandois était un très-bon en-
fant ; le pauvre jeune homme m'a aimée comme si
j'avais été sa mère. Lorsque tout fut découvert au
sujet de ses débauches, je fus avec raison très-fàchée
contre lui , car je l'avais fait avertir sérieusement que
s'il se comportait ainsi, je cesserais de l'aimer. Cela
lui tint au cœur; il envoya tous les jours chez moi, et
me fit prier de lui permettre de me dire seulement un
couple de mots. Je tins bon pendant quatre semaines ;
à la fin, je le fis venir : il tomba à genoux devant moi,
en pleurant beaucoup, et me demanda pardon en me
promettant de se corriger, et me suppliant de lui
rendre mon amitié , sans laquelle il ne pouvait pas
vivre, disait-il, et de l'assister de nouveau de mes
conseils. 11 me raconta toute son histoire. Il a été
horriblement séduit. Lorsque madame la Dauphine
accoucha du duc de Bourgogne, je dis au roi : «Votre
Majesté ne me refusera pas à présent, je l'espère, une
humble prière que j'ai à lui faire. » Le roi se mit à rire,
et dit : « Que demandez-vous donc? » Je répondis : « Mon-
sieur, la grâce du pauvre M. de Vermandois. » 11 rit de
nouveau, et dit : « Vous êtes bonne amie; mais pour
M. de Vermandois, il n'a pas encore été assez puni
pour ses crimes. » Je dis : « Le pauvre garçon est si re-
pentant de ses fautes ! » Le roi répondit : « Je ne me
2.
18 CORRESPONDANCE
sens pas encore en disposition de pouvoir le voir; je
suis encore trop en colère contre lui. » Il s'est écoulé
encore quelques mois avant que le roi ait voulu le
voir; mais le pauvre enfant m'a su beaucoup de gré
d'avoir parlé pour lui; et mes propres enfants n'au-
raient pu m'êlre plus attachés qu'il ne l'était. 11 était
i)ien fait ; mais sa figure, sans être cependant désa-
gréable, n'était pas jolie : il louchait un peu.
18 octobre 1718.
Plût à Dieu que mon fils eût aussi peu de confiance
en l'abbé Dubois que j'en ai moi-même ; ce qu'il y d'é-
tonnant, c'est qu'il le connaît mieux que qui que ce
soit au monde, et que cependant il se fie à lui comme
il fait, mais il en est ainsi de tous les gens de sa fa-
mille; il faut qu'ils fassent ce dont ils ont contracté
l'habitude. Cet abbé a été son précepteur, mon fils
s'est accoutumé à tout lui dire, et les choses doivent
continuer à marcher de la sorte.
19 Oflolne 1718.
La cour craignait horriblement le duc du Maine,
d'abord à cause de la Maintenon, ensuite parce qu'il
disait au roi du mal de tout le monde ; ceux qu'il avait
promis de servir étaient ceux auxquels il jouait les
plus mauvais tours... Le premier président de Mesmes
n'a pas tort d'être l'ami du duc du Maine, qui lui a
fait avoir sa place, et qui conserve encore toutes ses
charges. On ne peut lui ôter celle de grand-mailre de
l'artillerie sans faire tomber sa tête à ses pieds.
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 19
Paris, 20 octobre H 18.
Pour dire la vérité, il faut convenir que les femmes
galantes sont plus amusantes que les femmes ver-
tueuses, mais il faut moins s'y fier. La princesse de
Siegen prétend que parce qu'elle ne fait aucun mys-
tère des visites et des rapports qu'elle entretient avec
le jeune Dornberg, rien de mal ne se passe entre eux ;
cela s'appelle une finesse cousue de fil blanc. Toutes
les coquettes prétendent que leurs amants se bornent
à les admirer et qu'il n'y a là que de la plaisanterie ;
mais c'est un jeu périlleux, et les femmes qui ont
contracté l'habitude de la coquetterie trouvent diffi-
cile d'y renoncer.
Paris, 23 octobre 1718.
11 est facile de se rendre compte pourquoi mon fils
est haï dans toute la France; la vieille, et le duc du
Maine et sa femme, ainsi que tout le parti espagnol,
ont leurs agents qui vont de maison en maison, dé-
peignant mon fils comme un monstre, comme un em-
poisonneur, comme un voleur, tandis qu'il est le plus
désintéressé des hommes et qu'il ne saurait faire de
mal à un animal ; mais ils ont leurs raisons pour agir
ainsi; ces choses se voient de tout temps. En atten-
dant, on répand contre lui des écrits atroces, et on
l'injurie de la façon la plus mensongère et la plus
horrible '.
1 M. Capeflgue a publié des vers jusqu'alors inédits de Vol-
taire, alors très-jeune, contre le Régent, et enfouis dans la col-
leclion Maurepas, t. XllI.
De l'État sujet inutile.
Plus que feu ton père imbécile.
20 COIlHESI'ONDANCl£
28 oclobre 1718.
Il faut qu'on ait dispensé le fils de l'électeur de
Bavière de fournir des preuves pour le faire évèqiie de
Cologne et de Munster ; on sait bien que le roi Sobiesky
Plus que Ion oucle détesté,
îlauvais donneur de faux breuvage,
Non, tu ne l'a jamais été ;
Il faut pour cela du courage.
Une éplfaphe où était contenue une allusion aux projets prêtés
au duc sur la couronne de Philippe V fut faite d'avance :
Philippe est mort à la sourdine.
Il est descendu dans l'enfer;
C'est pour enlever Proserpine,
Ou pour détrôner Lucifer.
On connait les fameuses PhiVppiqiies de La Grange-Chanccl.
fjlles sont divisées en quatre odes ; le poêle accuse sans ména-
gement le réu'cnt d'avoir empoisonné plusieurs membres de la
famille royale, et d'inceste avec sa fille.
Nocher des ondes infernales,
Prépare-toi, sans t'cffE-ayer,
A passer les ombres royales
Que Philippe va t'envoyer.,,.
11 apostrophe en ces termes la duchesse de Berri :
Toi qui joins, au nœud qui vous lie,
Des nœuds dont tu n'as pas d'effroi,
Ni Mtssaliue, ni Julie,
Ne sont plus rien auprès de toi ;
De ton père amante et rivale.
Avec une fureur égale,
Tu poursuis les mêmes plaisirs.
Et toujours plus insatiable,
Quand le nombre même t'accable,
11 n'assouvit point tes désirs.
La première édition des Philippiques vit le jour en Hollande
en 17 23; il en existe plusieurs autres, notamment celle impri-
mée ù Paris, chez Didot, 179S, de 132 pages dont C5 pour les
notes, et celle de Bordeaux, 1797. M. Pcignot (Dictionnaire
DE MADAME LA DLCHESSl-: d'oKLÉANS. 21
était un simple gentilhomme polonais, et sa lemme
était fille de Darquin, qui a été capitaine dos Suisses
de feu iMonsieur. On soupçonne i'ort un docteur ita-
lien, nommé Simoni, d'avoir fait tous les princes ba-
varois, savoir l'électeur et ses frères et sœurs; on dit
seulement à la cour qu'il a donné à l'électeur et"à sa
femme des drogues si fortifiantes que les enfants en
sont survenus; à en juger par la physionomie, ils ap-
partiennent au docteur.
Le maréchal de Villars était excessivement pas-
sionné pour un prince d'Kiscnach ; il lui fit une décla-
ration d'amour; celui-ci n'entendit pas raillerie; il
voulait faire donner des coups de bâton au maréchal,
Baudelot dit un jour des douceurs à M'"* la douai-
rière, qui était masquée et qu'il ne connaissait pas.
Elle lui donna rendez-vous au Palais-Royal, il y vint,
et, quand il la reconnut, il fut saisi d'effroi; elle faillit
6C rendre malade à force de rire.
29 oclobre 1718.
Monsieur aimait si fort le son dos cloches qu'il ve-
nait exprès à Paris passer la nuit de la Toussaint, car
toutes les cloches sonnent pendant cette nuit. Il n'ai-
mait aucune autre musique. Il en riait lui-même, mais
il convenait que cette sonnerie lui faisait un plaisir
extrême... Je ne l'ai jamais laissé aller seul quelque
part sans son ordre exprès...
des livres condamnés, ISOfi, t. I, p. 209) a donné des extraits
de ces odes. (Voir aussi son Précis historique de la maison
d'Orléans, 18-30, p. 48.) Elles ont été insérées, mais avec beau-
coup de fautes et de contre-sens, dans l'ouvrage de Moullle-
d'Argcnville, Vie privée de Louis XV, 1772, 4 vol. in-12.
22 CORRESPONDANCE
Monsieur a toujours fait le dévot. Les soldats di-
saient de lui à l'armée : 11 craint plus la poussière et
le soleil que les coups de fusil. Et c'était bien vrai.
Le chevalier de Lorraine était un méchant homme,
mais tous ses bons amis ne valaient pas mieux que
lui. Ses dernières paroles ont été des infamies ; il a
perdu soudain toute connaissance, et il est mort une
heure après. Quelques années avant la mort de feu
Monsieur, il m'avait demandé pardon.
30 octobre 1T18.
M. le Duc et le prince {de Conti) ont travaillé avec
beaucoup de véhémence à la chute du duc du Maine.
Mon fds ne pouvait s'y résoudre, jusqu'à ce qu'on lui
eût fait voir si clairement toutes ses trahisons qu'il a
bien compris qu'il serait lui-même la victime s'il ne
prévenait pas ses ennemis.
l<^'" novembre 1718.
Mon fils ne nie point qu'il soit indiscret et incon-
stant. Nous voyions dans une comédie Valère qui est
fatigué de sa maîtresse ; il me dit : « Voilà comme je
me suis très-souvent trouvé... » 11 a très-vivement re-
commandé à milord Slanhopc de parler au roi d'An-
gleterre en faveur de Votre Altesse ( la princesse de
Galles). Il dit qu'il n'a pas de désir plus vif que de
voir Votre Altesse rentrer dans les bonnes grâces de
Sa Majesté, et qu'il ne laissera échapper nulle occa-
sion pour y contribuer de son mieux ; car il est per-
suadé que ce qu'il y a de i)lus favorable pour les inté-
rêts do Votre Altesse et pour ceux du roi, c'est de vivre
ensemble en bonne harmonie.
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS, 23
Il est certain que mon fils est à plaindre à cause de
sa femme, et, n'y eût-il que cette raison, je ne puis
comprendre qu'il puisse si fort aimer l'abbé Dubois ;
car c'est cet abbé qui l'a persuadé de consentir à ce
mariage et qui l'a plongé dans ce malbeur. .. Mon fds
voit sa femme tous les jours ; si elle est de bonne hu-
meur, il reste longtemps avec elle ; si elle est de mau-
vaise humeur, ce qui arrive souvent , il s'en va et ne
dit rien.
Paris, 1" novembre 1718.
jyjme ^'Orléans ne croit pas avoir sa pareille au monde
sous le rapport de la beauté, de l'esprit et de toutes
les perfections. Je la compare toujours à Narcisse,
tant elle se regarde constamment dans son miroir.
Elle joint à son ambition un caractère fort vindicatif;
elle ne pardonne ni à M"" de Valois, ni à la religieuse
de Chelles , de n'avoir pas voulu épouser son neveu
aux longues lèvres ( le fils du duc du Maine). Je lui
pardonnerais tout cela, si elle n'était pas aussi fausse;
par exemple, elle me (latte, et sous main elle fait tout
pour exciter M"" de Berri contre moi; elle lui dit
qu'elle croit peut-être que j'ai de l'attachement pour
elle, mais que je ne m'en soucie plus depuis que j'ai
sa sœur avec moi.
; 2 novembre 1718.
! 11 est certain que W de Berri vit avec magnificence,
mais elle le peut, car elle a six cent mille livres de
revenu... Elle a pris Meudon pour son douaiie au
lieu d'Amboise... Si elle avait eu auprès d'elle des
gens bien intentionnés, qui auraient eu plus de souci
24 correspondancf:
(lo riionnonr de leur [)rincesse que de leurs propres
intérêts, elle serait digne d'admiration, car d'elle-
même elle a de bons sentiments ; mais, comme dit le
proverbe, les mauvaises compagnies gâtent les bonnes
mœurs.
3 novembre 1718.
J'éprouve une douleur amère quand je pense à tout
ce que M. Louvois a fait brûler dans le Palatinat ; je
crois qu'il brûle terriblement dans l'autre monde, car
il est mort si brusquement qu'il n'a pas eu le temps
de se repentir. Il a été empoisonné par son médecin,
que l'on a ensuite empoisonné ' ; mais avant de mou-
rir, il a fait l'aveu de son crime, avec des détails si
circonstanciés, qu'il n'y avait pas moyen d'en douter.
Comme il était l'ami de la vieille, on a prétendu qu'il
avait un transport de fièvre chaude : on voit ainsi ,
quand on examine bien les choses, la justice de Dieu
en tout , et ordinairement on est en ce monde puni
par où l'on a péché. L'électeur palatin s'est toute sa
' Nous lisons dans le Journal de Dangeau : « On a fait cm-
« prisonner un fioUeur savoyard qu'on soupçonne avoir mis du
• poison dans une aiguière, qui était dans la chambre de M. de
0 Louvois, dans laquelle il buvait souvent; il y avait même bu
«( après son dîner, le jour qu'il mourut. » Saint-Simon et divers
autres écrivains de l'époque parient de ces circonstances, et tous
les médecins, un seul excepté, déclarèrent qu'il y avait indica-
tion de poison; mais, d'après le témoignage du docteur Dionis,
qui assista Louvois à ses derniers moments, et qui en parle avec
grands détails dans son Tiailc des vioiis subites ( 1720), on ne
saurait douter que le célèjjre minisire n'ait succombé à une at-
taque d'appnpk'xic pulmonaire ( voir la nouvelle édition dcDail-
geau, à la (in du tome III).
DE MADAME LA ni'CHKSSF: d'oRLKANS. '15
vie fait aimer à cause de son cuiuilé ; mais les minis-
tres ne se piquent pas d'être justes ; ils ne voient que
leur propre intérêt; ils le prélèrent à l'honneur et à
la gloire de leur maître, et plus celui-ci est bon, plus
les ministres sont insolents.
4 novembre 1718.
11 n'est pas étonnant que le roi n'ait pas été affligé
de la famine. D'abord il n'a rien vu , ensuite on lui a
fait croire que les nouvelles qu'on répandait étaient
fausses, et que ces bruits n'étaient pas vrais. La gue-
nipe a agi de la sorte afin de gagner énormément
d'argent ; elle a acheté du blé bon marché et l'a re-
vendu extrêmement cher. On avait recommandé à
tout le monde de ne pas parler de la disette , afin de
ne pas causer au roi une peine mortelle.
Le roi aimait mon fils et mon petit-fils; mais il s'est
peu soucié de mes petites-filles... 11 a sincèrement
aimé feu Monsieur, et il avait raison , car un enfant
ne saurait avoir pour ses parents ime obéissance plus
aveugle que n'était celle de Monsieur pour le roi.
C'était de l'idolâtrie.
La Dauphine passait fortement pour aimer les
femmes.
Mon fils dit qu'il prend toutes les précautions pos-
sibles ; mais si Dieu a décidé qu'il devait passer par
les mains de ses ennemis, il ne saurait l'en empêcher;
il va donc de l'avant.
Il a trop de penchant pour les femmes; il ne le nie
pas, et il convient qu'il a couché avec des femmes
(pril IIP roiuiaissait pas (hi tout.
.n. 3
26 CORRESPONDANCE
4 novembre 1718.
La guenipe voulait bien faire déclarer son maudit
mariage , mais le roi n'a pas voulu y consentir "... 11
y a longtemps qu'on l'a accusée d'aimer les femmes.
8 novembre 1718.
Le Dauphin n'aimait pas qu'on lui témoignât beau-
coup de respect; il aimait qu'on fût libre avec lui. 11
était plus partial que juste, comme le montre-ce qu'il
a fait au sujet de la régularisation du rang de la femme
de mon fds. S'il l'avait voulu, il aurait eu le plus grand
crédit du monde auprès du roi son père. Le roi lui
avait oflert, s'il voulait faire du bien à quelqu'un à la
1 Lemontey [Essai siir le gouvernement de Louis XfV , 1820,
p. 418) apprécie jnclicieiisement ce mariage secret : « Mme de
Maintenon ne put jamais parvenir à être déclarée après en avoir
frisé le moment de bien près par deux fois » (Saint-Simon, t. XX,
p. 173). M. Th. Lavallée, dans son Histoire.de la maison de
Saint-Cyr, démontre, autant qu'il est possible d'établir un fait
si bien caché, que le mariage date des derniers mois de 1684. On
sait que le curé de Versailles, François Hébert, fut nommé
évéque d'Agen en remplacement de Mascaron. On a toujours
supposé que cet évéché fut le prix de la bénédiction nuptiale
donnée par le curé de Versailles à ses illustres paroissiens, Louis
le Grand et la Scarron. Quoi qu'il en soit, Hébert avait laissé
des Mémoires dont La Beaumellc connaissait l'existence, mais
qui paraissent aujourd'hui perdus; l'intimité de l'auteur avec
Mme de Maintenon leur donnerait sans doute de l'intérêt. Un cour-
tisan, qui avait épousé une aventurière sans naissance et sans
mœurs, imagina qu'il donnerait au roi un exemple agréable et
encourageant en publiant cette alliance. Il le fit hardiment; le
roi fut choqué de l'intenlion , M'>'p de Maintenon très-blessée du
parallèle, et une disgrâce complète fut le prix de ce dévouement
maladroit.
DE MADAME LA DL'CÏIESSE d'oRLÉANS. 27
cour, de prendre au trésor ce qu'il voudrait, et il
avait donné l'ordre de lui compter tout ce qu'il deman-
derait. Mais le Dauphin lui répondit que cela lui don-
nerait trop d'embarras ; il ne voulut pas se mêler des
affaires publiques, de peur d'être obligé d'assister aux
conseils secrets et de n'avoir pas le temps d'aller à la
chasse ' . Quelques personnes ont pensé qu'il agissait
ainsi par politique, pour ne pas donner au roi sujet
de soupçonner qu'il était ambitieux ; moi, je suis per-
suadée que ce n'était chez lui que paresse et indo-
lence, afin de mener la vie d'un fainéant et de n'avoir
à se tracasser de rien ^
9 novembre 1718.
Avant que le parlement ne se fût mis en vacance,
ses membres ont eu une conférence avec mon fils ; ils
l'ont prié de leur rendre de bons offices auprès du roi
et de permettre que leurs camarades fussent relâchés ;
ils voulaient, s'ils étaient coupables, les punir eux-
mêmes. Mon fils a répondu qu'ils ne devaient pas
douter qu'il ne conseillât toujours au roi d'user de
clémence ; que le roi se montrerait gracieux pour leur
* « Le roi paya les dettes de Monseigneur qui allaient à cin-
quante mille livres, se chargea de payer ses bâtiments de Meu-
don, et, au lieu de quinze cents pistoles qu'il avait par mois, le
mita cinquante mille écus. Pontchartrain , en habile homme,
fit sa cour de cette affaire-là, et combla par ce présent un fils
accoutumé à trembler devant son père, et que le père n'avait
pas envie d'en désaccoutumer » (Saint-Simon, t. IV, p. 108).
* Bossuet a dit en parlant de ce prince maussade : <( Repré-
sentons-nous ce jeune prince que les Grâces sembloient elles-
mêmes avoir formé de leurs mains. « (Oraison funèbre de Marie-
Thérèse d'Autriche). La fiction était un peu forte.
28 CORHESPONDAXCE
corps, s'il en était cligne, et que, de plus, chacun
d'eux pourrait en particulier avoir espoir en ses fa-
veurs. Quant aux prisonniers, on les relâcherait lors-
que le moment serait venu.
Paris, 10 novembe 1718.
Lord Stairs ' est derechef frais et bien portant ; sa
femme voudrait beaucoup qu'il revînt en Angleterre ,
car elle meurt ici de jalousie ; son mari a une vivo
passion pour une jolie femme qu'on appelle M"'* Ray-
mond*, et qui, en outre de sa gentillesse, est spiri-
tuelle, l)ien élevée, instruite ; l'électeur de Bavière en
a été fort épris. A son air modeste, on la prendrait
pour une vestale, ce qu'elle n'est certes pas, à ce que
dit la médisance, et à ce que pense M™^ Stairs. Je n'ai
pas encore vu celle-ci , car son mari n'a pas fait son
entrée, et jusquc-lù les ambassadrices n'ont aucun
rang à la cour. 11 n'est point exact que la femme d'un
envoyé ait eu le tabouret en ma présence ; la femme
de l'envoyé de l'empereur ne l'a jamais eu, et même
1 John Dalrymplc, comte de Stairs, mort en 17 47, après avoir,
comme militaire et comme diplomate , joué un rôle distingué.
2 Nous trouvons dans le recueil Maurepas une chanson très-
vive sur cette dame, et une note qui nous apprend que son mari,
bourgeois d'Angoulème, fut assassiné d'un coup de pistolet par
le sieur Arnold, lieutenant-général de rAngoumois. Voici un
couplet que nous empruntons à une autre chanson :
La maîtresse d'un électeur
rrofcre ces paroles: (
Je suis une feiTiine d'honneur,
Mais si quelque jeune enjôleur
Me dit des fariboles,
Peut-on lui refuser son cœur
S'il a mille pislolcs?
I)K iMAUAMK L\ Dl.CIlKSSE U'OI'.LÉANS. 20
il y a i)lus, c'est que toutes les dames de bonnes mai-
sons qui peuvent dîner avec moi, ne le peuvent plus
aussitôt que leurs maris deviennent envoyés; mais
les ambassadrices sont traitées comme les duchesses
et placées au même rang ; je les salue et elles peuvent
s'asseoir devant moi. Ce qui a pu faire croire que
M"ie de Zachmann avait eu le tabouret, c'est que,
lorsqu'il y a jeu dans ma chambre et qu'il y vient des
dames qui n'ont pas le tabouret, je leur dis, pour
leur faire faveur : « Mesdames, soyez du jeu ; » alors
on leur avance un siège auprès de la table ; mais , le
jeu fini, elles se tiennent debout ; le jeu est de si peu
de conséquence que mes femmes de chambre elles-
mêmes pourraient s'asseoir.
Je n'ai de ma vie vu de plus belles dents que celles
de notre religieuse de Chelles ; ce sont comme des
perles qu'on vient de tirer d'un écrin.
11 novembre 1718.
C'est par pure paresse que M'"'= d'Orléans ne dine
pas avec nous à Paris; si elle mangeait avec moi, elle
aurait à se contenter d'un tabouret, tandis que lors-
qu'elle mange dans sa chambre , avec son fils et ses
favorites, elle est couchée sur un canapé ou sur un
grand fauteuil; ce qu'elle trouve bien plus agréable...
Selon moi, elle n'est pas du tout séduisante; ses mines
ne me plaisent pas du tout, et sa démarche est toute
vacillante. M'"" de Ratzenhausen appelle cela aller
sur une oreille. Je ne sais pas si mon fils aime fort
sa femme, mais elle fait de lui tout ce qu'elle veut.
La populace et toutes les femmes de chambre aiment
3.
30 CORRESrONDANCE
M"»» d'Orléans, mais autrement elle n'est pas fort
aimée. Elle est inconstante dans ses amitiés.
Quand je suis venue en France, j'y ai vu des gens
comme on n'en retrouvera plus dans beaucoup de
siècles. C'étaient LuUi, pour la musique; Beauchamp,
pour les ballets; Corneille et Racine, pour la tra-
gédie; Molière, pour la comédie; la Chamelle et la
Beauval, actrices ; Baron, Lafleur, Torilière et Guérin,
acteurs. Tous ces gens ont excellé dans leur genre.
La Ducloset la Raisin étaient également très-bonnes;
la dernière avait beaucoup d'agrément. Son mari
était excellent dans les rôles comiques. 11 y avait aussi
un bon arlequin et un excellent scaramouche. Il y
avait de bons acteurs à l'Opéra, Clédière, Pomereuil,
Godenarche, Duménil, La Rochechouard, Mauvry, la
Saint-Christophe, la Brigogne, la Beaucreux. Tout ce
qu'on voit et entend maintenant n'approche pas de
ceux-là.
Ce que j'ai trouvé de plus joli dans la vie de Beau-
vernois, c'est sa réponse au prince de Vaudemont.
S'étant enfui d'ici , et étant arrivé à Bruxelles, il s'y
faisait passer pour un prince de Lorraine. M. de Vau-
demont le fît venir, et lui dit en le voyant : « Je con-
nais tous les princes de Lorraine, mais je ne vous
connais pas. — Je vous assure, Monsieur, répondit
Beauvernois, que je suis prince de Lorraine, tout
comme vous. »
A M. DE HAULING.
1'» novembre 1718.
■ Albçroni est un mauvais drôle qui ne cherche qu'à
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 31
mettre du désordre partout. 11 vaudrait mieux qu'il
lut resté, comme son père, un garçon jardinier, et
qu'il vendit des choux et des herbes plutôt que de
soulever toutes les puissances de la chrétienté , l'une
contre l'autre, comme il le fait à présent. Certes, on
peut bien dire de lui que c'est de la mauvaise herbe.
M. Law est digne d'éloge, à cause de ses talents;
mais il faut avouer qu'il est détesté en ce pays. Mon
fils est charmé de son habileté en affaires... Mon fils
est comme toutes les personnes de sa famille; il faut
que les choses auxquelles ils ont été habituées dès
leur jeunesse aillent leur train ordinaire : voilà pour-
quoi il ne peut se séparer de l'abbé Dubois, dont il
connaît cependant toute la fourberie. Cet abbé a voulu
me persuader à moi-même que le mariage de mon
fils était très-avantageux pour lui. J'ai répondu :
« L'honneur, qui est-ce qui peut le réparer? » La
Maintenon lui avait en secret fait de grandes pro-
messes, ainsi qu'à mon fils; mais, grâce à Dieu, elle
n'a tenu parole ni à l'un ni à l'autre.
17 novembre 1718.
Ce n'est nullement à son mérite que ce scélérat
d'Albéroni a dû sa fortune ; l'histoire est un peu sale;
mais comme elle est plaisante et comme elle vous fera
rire, je vais vous la raconter exactement. Dans le
temps que M. de Vendôme commandait l'armée en
Italie, le duc de Parme envoya auprès de lui l'évêque
de sa résidence pour traiter avec lui. M. de Vendôme '
• M. de Laborde, Palais-Muzarin, p. 37 4, observe que Saint-
Simon abuse de la sévérité et du talent de bien écrire, en traçant
32 CORRESPONDANCi;
avait beaucoup de bonnes qualités, mais elles étaient
mêlées de défauts, comme chez la plupart des gens.
Il en avait deux énormes : c'étaient ses débauches
avec des hommes, et son horrible et dégoûtante sa-
leté; il n'a jamais donné à l'armée audience que sur
sa chaise percée. Aussi ne fit-il pas plus de façon
avec l'évoque de Parme qu'avec tous les autres grands
officiers. L'évêque vint avec un grand train de clergé;
il fut introduit dans la chambre du duc de Vendôme, et
le trouva sur son beau trône. On donna une chaise à
l'évêque, afin qu'il pût parler avec lui. L'évêque vit
que le visage de M. de Vendôme était très-bour-
geonné, et il dit : « Il me semble, Monsieur, que vous
êtes échauffé ; il faut que l'air de ce pays-ci ne soit
pas bon. » M. de Vendôme répondit : « C'est bien
pis à mon corps qu'à mon visage... Voyez. » En même
temps il se lève, et montre son derrière au bon évê-
que. Celui-ci se dispose aussitôt à s'en aller , en di-
le portrait de ce grand général. Chanlieu, La Fare, La Bruyère
et autres contemporains font allusion aux travers honteux
des deux frères. On appelait riiùtcl Vendôme l'hôtel Sodome
(Brienne, Mémoires, t. II, p. 295). Les recueils de chansons
sont remplis de vers faisant allusion à la bravoure, aux vices, à
la saleté du duc; nous mentionnerons seulement celle qui com-
mence par :
Qu'on pi'cpai'C sur nos musctles
Pour Yciidosiuc des chaiisouucltes.
M. Morcl [Quinze ans du rl-.gnc de Louis XfV, t. I, p. 241)
a tracé un portrait bien fait de Vendôme, « mélange do cra-
pule et de grandeur; il y avait en lui du César et du Vitel-
lius. »
Quant à l'anecdote ci-dessus, Madame la raconte aussi dans
une Iciire adressée â la princesse de Galles; nous ne reprodui-
rons pas ce nouveau itcit.
DE MADAME LA DtCHESSE DORLÉANS. 33
sant : « Je vois bien , Monsieur, que je ne suis pas
propre à traiter avec vous. Vos manières et votre rang
ne s'accordent pas ensemble; mais je vous enverrai
un de mes aumôniers qui sera bien votre fait. » Et il
lui envoya Âlbéroni. Celui-ci fut introduit chez le
duc de Vendôme, au moment il se torchait le der-
rière. Aussitôt il accourt, se jette à genoux, et s'é-
crie : « Ah! quel cul d'ange! » Cela charma le duc de
Vendôme au point qu'il le voulut garder toujours au-
près de lui, et qu'il en fit son favori. Âlbéroni trahit
son maître le duc de Parme pour le duc de Vendôme;
puis quand M. de Vendôme fut en Espagne, il le sa-
crifia à la princesse des Ursins, et trahit celle-ci au-
près de la reine d'Espagne. Voilà comme cet honnête
homme a fait sa fortune. Ce que je viens de raconter
a été tout son mérite et le seul fondement de son
élévation ' .
18 novembre 1718.
J'ai obéi à feu Monsieur en ne l'importunant plus
de mes embrassements, et j'ai vécu avec lui avec
beaucoup de respect et de soumission.
La première Dauphine parlait bien l'italien; elle
parlait le patois des paysans de la Bavière. Au com-
mencement, lorsqu'elle parlait vite avec Bessola, je
ne pouvais comprendre un seul mot.
La vieille était extrêmement redoutée à la cour;
i Tout ceci se retrouve dans les Mémoires de Duclos. Saint-
Simon, qui raconte les mêmes détails, t. IX, p. 40, expose com-
ment \il)éroni se rendit cher au duc de Vendôme en l'amusant
par des contes orduricrs , et en lui faisant préparer des soupes
au fromage et des ragoûts que le duc trouvait excellents.
34 CORRESPONDANCE
on aurait mieux aimé offenser Dieu qu'elle... Ses
amants lui disaient autrefois qu'on voyait bien qu'elle
n'avait pas couché seule , car elle avait les yeux
battus et était fatiguée.
Mon fils n'est pas beau et ne se pique pas de l'être ;
il a une vilaine démarche; mais lorsqu'il danse, il sait
se tenir de bonne grâce, et il ne danse pas mal.
^me d'Orléans se pique d'être dévote, mais elle ne
considère pas que mentir et tromper sont des œuvres
du diable et non de Notre-Seigneur Dieu. L'ambi-
tion , l'orgueil et l'amour-propre l'ont complètement
gâtée ; je crains que tout cela ne finisse mal ; afin de
vivie en paix, je fais comme si je ne savais rien... Il
est impossible de trouver une personne plus pares-
seuse qu'elle; elle en convient elle-même, mais elle
ne se corrige pas.
Paris, 24 novembre 1718.
Je vous prie , si vous pouvez me procurer un plan
d'Heidelberg, de le faire coller sur toile pour qu'il ne
se déchire pas et de me l'envoyer. Je vous en rem-
bourserai volontiers la valeur.
Nous savons maintenant qu'il n'y a rien de vrai
dans la nouvelle que le prince Eugène était mort
empoisonné, et comme on passe à Paris d'une extré-
mité à l'autre, on affirme maintenant qu'il va se
marier.
M"« do Quadt a été ma première gouvernante et
celle de mon frère; elle était déjà vieille : elle voulut
une fois me donner le fouet, car j'étais un peu volon-
taire dans mon enfance ; mais je me débattis si fort
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 35
et je lui donnai avec mes jeunes pieds tant de coups
dans son vieux ventre qu'elle tom])a tout de son long
avec moi et faillit se tuer. Depuis elle ne voulut plus
rester avec moi; on me donna alors pour gouver-
nante M'»'^ d'Oflen , qui , depuis , a épousé à Hanovre
M. Harling.
Chez les méchantes gens comme Louvois, tout n'est
que vice et perfidie. On croit généralement en ce
pays que Louvois, la Montespan et la vieille [Main-
tenon) encore vivante, avaient tous trois appris l'art
de la Brinvilliers ; cette dernière le connaît parfaite-
ment. Dieu veuille qu'il périsse avec eux. Cette mode
est venue aussi à la cour de Berlin, car l'électeur et
son frère ont été empoisonnés; le plus jeune est
mort tout de suite, et lorsqu'on l'a ouvert, on a
trouvé de la poudre de diamant dans ses entrailles.
25 novembre 1718.
M"* d'Orléans ne se couche pas tard; elle est telle-
ment paresseuse qu'elle ne saurait rester au lit assez
longtemps; elle ne lit pas; ses femmes de chambre
lui font la lecture, surtout lorsqu'elle a sa migraine ;
elle fait lire pour s'endormir. Elle va souvent au
salut aux Quinze-Vingts, et ses femmes de chambre
vont répétant qu'elle est une sainte et qu'elle a de
grands chagrins, parce que mon fils a des maîtresses.
Cela attendrit le peuple, et la fait passer pour la meil-
leure et la plus estimable des femmes. Au fait, elle
est pleine d'artifice comme son frère aîné [le duc du
Maine).
M. le Duc est fort poli, c'est vrai ; mais il est inca-
36 CORRESPONDANCE
pable de s'occuper strrieusement d'affaires : d'abord
il est fort ignorant, ensuite il n'aime pas à s'appli-
quer, enfin il n'a [»as de patience; il est donc dé-
pourvu des diverses qualités qu'exigent les affaires...
11 est fort épris de M""= de Prie, qui a déjà, pour ce
motif, reçu quelques coups de bâton de son mari,
mais cela ne fait rien.
Mon fils n'a pas tenu la parole qu'il m'avait donnée;
il a été au bal, quoiqu'il n'en convienne pas... Lors-
qu'il n'avait rien à faire, il a fait orner un petit ca-
binet de M™« d'Orléans avec des sujets d'un petit
roman pastoral qu'on appelle Daph7iis et Chloé, et il
les a gravés sur cuivre '.
1 Ce fut en 1 7 1 4 que le duc d'Orléans fit ces dessins, au nom-
bre de vingt-huit; Ils furent gravés par l'habile Benoît Audran,
et ils parurent en 1718, accompagnant la traduction faite par
Aniyot du célèbre roman de Longus. L'intention du prince était
que ce livre fût tiré à petit nombre ; mais, ainsi que le remarque
M. Nodier, « on sait comment les grands seigneurs suivent les
« volontés des princes et comment les imprimeurs exécutent les
« ordres des grands seigneurs qui font imprimer. C'est un vo-
« lume assez commun. »
A la vente des livres de M. de Pixérécourt, en 1829, il s'est
trouvé (n" 1 17 1 ) un exemplaire renfermant, entre autres objets
précieux, un dessin à la plume de la main du Régent et un
feuillet autographe contenant le premier projet des gravures
qu'il voulait ajouter à celte édition, et qu'il n'a pas exécutées
toutes. Ce volume unique a été adjugé au prix modique de
'.'C2 francs.
Le duc s'occupait aussi de peinture. 11 fit un portrait de la
duchesse de lîirri avant son mariage. Il l'avait peinte , dit
Mme lie Caylus, sans beaucoup de draperies, ce qui fut trop enve-
nimé.
Les planches, gravées par Audran, ont reparu, niirùs avoir
élé retouchées, dans une édition nouvelle de 17 4 6.
DE MADAME I.A DUCHESSE d'oRLÉANS. 37
A M. DR BEAUSOBRE, CAPITAINE AU RÉGIMENT SUISSE DE
COURTEN, A MORGES EN SUISSE '.
25 novembre 1718.
Je VOUS suis bien obligée du compliment que vous
me faites sur ma fête et des vœux que vous renou-
velez pour ma conservation ; je vous prie aussi d'être
bien persuadé de Testimc que j'ai pour vous, et que
je suis, monsieur de Beausol)ro, votre bien bonne
amie.
5 décembre 17 IS.
Le roi, feu Monsieur, M'' le Dauphin et M. le duc de
Berri étaient de grands mangeurs'. J'ai vu souvent le
roi manger quatre pleines assiettes de soupes diverses,
un faisan entier, une perdrix, une grande assiette do
salade, deux grandes tranches de jambon, du mouton
au jus et à l'ail, une assiette de pâtisserie, et puis en-
core du fruit et des œufs durs. Le roi et feu Monsieur
aimaient beaucoup les œufs durs.
1 Cette lettre, de même que celle en date du 15 septembre
1715, que nous avons publiée ci-dessus, se trouve dans la col-
lection de M. le docteur J. -F. Payen.
2 La dissertation de M. Paul Lacroix, que nous avons déjà
citée, donne des extraits du Journal des médecins de Louis XIV,
extraits qui montrent souvent le roi incommodé par suite d'excès
de nourriture, « alïeclé d'une tension de ventre pour avoir trop
mangé de fruits. » Quand on connaît son menu, tel que le retrace
Madame, on ne s'étonne pas qu'il eût souvent recours aux
purgations et aux lavements qui excitaient davantage cette invin-
cible faim, capable de surpasser les exploits gastronomiques de
Gargantua. Saint-Simon rapporte qu'à l'ouverture du corps de
Louis XIV, « on lui trouva la c-ipacité de l'estomac et des intes-
tins double au moins dot» hommes de sa taille. »
38 CORRESPONDANCE
6 décembre 1718.
[^es frères et sœurs de M'"" d'Orléans ont dit ce prin-
temps que l'on avait, à mon insu et à celui de mon
fds, donné du contre-poison à M'"'' d'Orléans, et qu'au-
trement elle serait morte. Je ne veux me mêler en rien
de ce qui regarde M'^'^ d'Orléans, mais j'ai eu la conso-
lation de dire un peu à Mo^<= du Maine ma façon de voir ;
je lui ai dil ; « Ma nièce (car c'est ainsi que je l'ap-
pelle), je vous prie de me dire qui vous a dit que
]\fme d'Orléans avait pris du contre-poison à notre
insu. C'est la plus grande fausseté du monde, et vous
pouvez le dire de ma part à tous ceux qui vous l'ont
dit. » Elle devint rouge comme du feu et dit : « Il n'est
pas vrai que j'en ai parlé. » Je répondis : « J'en suis
bien aise; ce serait bien infâme à vous si vous teniez
de pareils propos, et vous ne devriez pas souflrir qu'on
vous donne de tels paquets. » Elle s'en alla bien vite
aussitôt que je lui eus parlé ainsi.
9 décembre 1713.
Toute ma vie, et depuis ma première jeunesse, je
me suis trouvée si laide que je n'ai jamais été tentée
de faire beaucoup de parure; les bijoux et la toilette
ne font qu'attirer les yeux snr les gens qui les portent.
Il était heureux que je fusse de celle humeur, car feu
Monsieur, qui aimait extrêmement la parure, aurait
vn mille quorollos avec moi, pour savoir qui porterait
les diamants les plus beaux... Jamais on ne m'a parée
sans qu(! lui-même n'ordonnât ma toilette entière; il
me m(;(lail liii-niêmo le rouge sur les joues.
Lu yrand Goerz que j'ai vu ici a l'air poli, mais il a
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 39
une physionomie qui ne prévient pas en sa faveur; je
ne crois pas qu'il meure d'une belle fm.
9 décembre 1718.
Mon fils s'est vu obligé de faire arrêter l'ambassa-
deur d'Espagne, le prince de Cellamare ', parce qu'on
a trouvé sur son courrier, qui était l'abbé Porto-Carrero
et qui a été arrêté, des lettres de cet ambassadeur qui
ont fait découvrir une conspiration contre le roi et
contre mon fds. On a fait arrêter l'ambassadeur par
deux conseillers d'État.
Paris, 11 décembre 17/8.
Je m'empresse de vous dire à quel point je suis in-
quiète et agitée au sujet d'une affreuse manigance qu'on
vient de découvrir et qui était dirigée contre mon fils.
Un banquier anglais, ou soi-disant tel, se rendant en
Espagne, on a donné avis à mon fils qu'il convenait
de l'arrêter; on a couru après lui et on l'a saisi a Poi-
tiers; il avait des dépêches secrètes de l'ambassadeur
espagnol à Paris; vous pouvez croire qu'on les a sai-
sies aussi; l'ambassadeur mandait à Âlbérom qu'il
fallait bien se garder de se mettre d'accord avec mon
fils parce qu'aussitôt qu'un traité serait signé, il em-
poisonnerait le petit roi; cet ambassadeur ajoutait
qu'il donnerait à mon fils trop de besogne pour qu il
pût songer à la guerre, ajoutant qu'il travaillait a
1 Le tome 11 des Mémoires de la Régence, par le chevalier
de Piusseins. renferme de nombreux documents officiels sur celle
affaire, connue sous le nom de conjuration de Cel amare Voir
aussi l.cmontey, Histoire de la Régence, Pans, 1832, 2 vol.
in-8,t. 11, p. 39'Jetsuiv.
40 CORRESPONDANCE
amener plusieurs provinces à se révoIl(!r, que leur
parti était puissant à Paris, qu'il n'y avait qu'à envoyer
de l'argent sans l'épargner. Je crois bien que le frère
de ma belle-fille, le boiteux [le clvc du Maine), se trou-
vera dans cette affaire. L'ambassadeur a été interrogé
par deux conseillers d'Étal; il est convenu en riant
qu'il avait écrit ces lettres a(in d'écarter les maux de
la guerre, et avait voulu faire peur à mon fils. Quand
on lui a demandé pourquoi il disait de telles liorreurs
du régent, il a répondu qu'il devait convenir qu'il y
avait bien un peu de poison dans cette correspondance,
mais que du poison était nécessaire pour composer
le contre-poison. Ce qu'il y a d'étrange, c'est que le
beau-père du fils de M"™^ de Dangeau, le maréchal de
Noailles, second gouverneur de mon fils, est impliqué
dans ce complot; cela vient de ce qu'il est parent de
ce diable incarné, la princesse des Ursins, qui pour-
suivra mon pauvre fils jusqu'à sa mort, et le seul motif
de sa haine, c'est qu'il l'a trouvée trop vieille pour
vouloir être son amoureux ' .
La iM'incesse de Galles m'écrit que le duc de Saxe-
Zcitz est mort; ce n'est pas une grande perte; il était
livré aux plus affreuses débauches, s'imaginant peut-
être par là qu'il se conformait à la mode.
' L'iiisloire ne dit pas jusqu'à quel point cette assertion est
exacte. M'»e des Ursins avait « des mœurs à l'cscarpoleUe, » se-
lon l'élrani-'e expression de Louville, mais tlle était d'une ving-
taine d'années plus ;ii;ée que le duc d'Orléans. A soixante ans
et plus, elle avait encore des auianls. « La galanterie et l'enlé-
tt-menl de sa personne fut en elle la foildesse dominante et sur-
nageante à tout, jusque dans sa dernière vieillesse w (Saint-
Siinon).
DE MADAMK i-A DLCUKSSE i/oKLÉANS. 4l
Paris, 13 décembre 1718.
Il faut que M"" des Ursins soit un vrai diable pour
exciter contre mon fils M. de Ponipadour; quoiqu'il
ne soit pas un grand personnage, sa femme est fille
du duc de Noailles, qui a été gouverneur de mon fils,
et M"* de Pompadour elle-même était gouvernante du
petit duc d'Alençon, l'enfant du duc de Berri. Je con-
nais bien l'abbé Brigau; M'"° de Ventadour l'a tenu
avec le premier Daupbin sur les fonts de baptême où
il a reçu le nom de Philippe. Il a de l'esprit, mais c'est
un drôle d'intrigant et un vaurien; il a longtemps fait
le dévot et il voulait se faire père de l'Oratoire. Il s'est
ensuite fatigué de cette vie, et il s'est fait entremet-
teur (Kupler); il a attiré auprès de lui déjeunes filles
qu'il vendait en secret, puis il est devenu le factotum
de M""" du Maine dont il a été serviteur, et il a pris
part à tous les libelles, vers et chansons, dirigés contre
mon fils.... M'"e d'Orléans a un grand crédit sur l'es-
})rit de mon fils; il a vivement aimé tous ses enfants,
mais par-dessus tout sa fille aînée. Lorsqu'elle était
encore toute petite, elle fut extrêmement malade et
abandonnée de tous les médecins. Mon fils, désolé de
voir mourir cette enfant, entreprit de la guérir; il la
traita lui-même et si bien qu'il la sauva; depuis il u
eu plus d'affection pour elle que pour ses autres en-
fants. Quant à sa femme, on peut dire qu'il aime toutes
les femmes avec lesquelles il a couché; car, soit dit
enft-e nous, ce n'est }>as un homme à la mode, mais un
vrai fou à l'égard des fouîmes.
L'abbé Dubois est le plus insinuant de tous les
. 4.
42 CORRESPONDANCE
hommes, et cela lui assure un grand empire surtout
sur un homme qu'il a dirigé dès l'enfance.
15 décemlire 1718.
Il est vrai que j'ai présenté au roi le prince de Dour-
lach; il est vrai que j'ai failli épouser son frère; mais
il n'est pas vrai du tout qu'il fût de mon goût, c'est le
plus grand mensonge qu'il y ait au monde : le hon sire
était Irop aflecté et trop peu agréahle pour avoir pu
me plaire.
J'ai entendu parler du ridicule sérail qu'entretient
le margrave de Dourlach. D'après co que j'apprends
des princes et des seigneurs de l'Allemagne, il paraît
qu'ils sont tous aussi fous que s'ils sortaient de petites-
maisons. J'en ai vraiment de la honte.
i
Paris, 16 clL'cemlire 1718.
Doux Allemands sont iuiplicjués dans l'affaire du duc
du Maine; il y en a un qui m'a causé bien de l'élon-
nement, le brigadier Sandrasky, qui était tous les jours
avec moi et en faveur duquel jai souvent parlé, parce
que son père avait servi mon frère et avait été com-
mandant à Frankenlhal ; il est mort celte année. L'au-
tre est le comte de Schiicben, qui n'a qu'un bras. Je
n'ai pas été surprise de celui-ci, qui était l'ami et le
serviteur de M'''^ des IJrsins, et je savais aussi com-
ment il avait perdu son bras. On l'a arrêté à Lyon.
Sandrasky était encore avant-hier à ma toilette; il avait
mauvaise mine. Je lui demandai : « Qui est-ce qui vous
donne ainsi un air tout troublé? y H nie répondit: «Je
suis malade tant j'ai de souci; j'aime beaucoup ma
DE MADAME LA Ul CHESSE o'ORLÉANS. 43
femme qui est une Anglaise ; elle m'aime aussi, mais
nous n'avons pas les moyens de soutenir un ménage;
il faut qu'elle se retire dans un couvent ; cela me préoc-
cupe tellement que j'en suis malade. » Je fus vrai-
ment affligée de ce qu'il me disait, et je formai le
projet de parler pour lui à mon fds.
23 décembre 1718.
Si l'abbé Dubois en était à son premier mensonge,
il serait mort depuis longtemps; il est passé maître
dans l'art de mentir, surtout lorsque c'est pour son
avantage personnel; si j'écrivais là-dessus tout ce que
je sais, ce serait une longue litanie. C'est lui qui a
clandestinement fait savoir au roi ce qu'il fallait dire
et faire à l'époque du mariage de mon tlls, pour amener
la chose à une conclusion ; il a aussi eu pour cela des
conférences secrètes avec la Maint enon.
Tout ce que j'ai pour vivre dci)end du roi et de mon
fils; mon douaire n'est rien. Quant à ce qui m'était dû
pour mes pensions, je n'ai été payée qu'après la mort
du roi; on me devait trois cent mille francs....
Feu la Daupliine de Bavière me disait: « Ma pauvre
chère maman (c'est ainsi qu'elle m'appelait), oîi prends-
tu toutes les sottises que tu fais? »
23 liécembre 1718.
Mme de Fiennes, qui a été dans sa première jeunesse
auprès de la reine {Anne d'Autriche), disait à feu
Monsieur : « La reine votre mère était une sotte femme ;
Dieu veuille avoir son àine. » Ma tante, l'abbesse de
Maubuisson, m'a raconté que la reine Marie avait au-
44 COKKKSl'ONDANCt;
près d'elle un homme que l'on appelait le raccommo-
(leur du visage de la reine; la reine et toutes ses dames
et demoiselles, jusqu'aux plus vieilles, étaient toutes
lardées de rouge et de blanc.
Le roi était bien bâti : il avait de belles jambes, de
jolis pieds, une figure agréable et toute naturelle, sans
la moindre affectation, une voix charmante, ni trop
forlc ni trop faible. On trouverait difficilement son
pareil ; il est resté agréable jusqu'à sa mort. Mes
dames, qui l'ont vu après sa mort, m'ont dit qu'il ne
lui restait rien alors qui pût le faire reconnaître.
27 décembre 1718.
Mme d'Orléans a une vraie et une fausse migraine;
mon fils et moi, nous l'avons souvent plaisantée à cet
égard lorsqu'elle se met à se plaindre. On voit chez elle
plus d'attachement pour son frère que pour ses en-
fants. Son frère aîné lui a mis dans la tète qu'elle
devait être régente et, comme elle est très-ambitieuse,
elle ne peut et ne veut plus dès lors aimer un autre
que lui.
Paris, 27 décembre 1718.
On peut saisir le fil de toute la conspiration en li-
sant les lettres de Cellamare qui ont été imprimées.
l>'abbé Brigau commence aussi à jaser joliment. Tout
cela me cause tant d'inquiétude que je ne dors que par
suite de mon accablement. J'ai le cœur toujours brisé;
mon (ils ne se préoccupe absolument de rien. Je l'ai
sujtplié, pour l'amour de Dieu, de ne pas courir la nuit
eu voiture; il m'a fait de belles promesses, mais il ne
les tiendra pas jibis qu'il ne l'a fait la première fois.
DE MADAMK LA DLCllKSSK d'oULÉANS. 45
Paris, 29 décembre 1718.
Je suis tellement troublée que la main me tremble:
mon fils est venu me dire qu'il avait été obligé de se
décider à faire arrêter son beattfrère, le duc du Maine
et la duchesse. Ils sont les chefs de l'affreux complot
espagnol ; tout a été découvert ; on a saisi des pièces
de la main de l'ambassadeur d'Espagne, et les gens
arrêtés ont tout avoué; on a fait arrêter la duchesse,
comme princesse du sang, par un des quatre capitaines
des gardes, et son mari, qui était à la campagne, par
un lieutenant. Cela fait une grande dilTérence entre
eux : la duchesse a été envoyée à Dijon ' , et son mari
à Doulens, qui est une petite citadelle. Tous ceux de
leurs gens qui étaient du complot ont été mis à la
Bastille.
>lrae d'Orléans est fort troublée, mais beaucoup plus
raisonnable que M"^*^ la Duchesse; elle dit que puisque
son mari a adopté à l'égard de son beau-frère des me-
sures aussi rigoureuses, il fallait qu'il eût de bien fortes
raisons.
1 Le réijent conçut l'adroite combinaison de donner pour geô-
lier à la duchesse du Maine son neveu, le duc de Bourbon. D'une
part, on la croirait bien coupable, puisque sa propre famille
consentait à sa punition; de l'autre, on avilirait le duc et on
lui t'itérait cette puissance de l'opinion qui, un jour peut-être,
en eût fait un rival dangereux. Après quelques diflicuités de
forme, le duc consentit à une mesure qui flattait la haine qu'il
nourrissait contre sa tante, haine qui avait pour cause un procès
entre la duchpsse et la maison de C.ondé pour le iiaitagc de la
succession du dernier prince deCondé. Le duc de Bourbon était
i:ouverncur di^ la Bourgogne, ce qui fit choisir la ville de Dijon
pour séjour forcé de la duchesse.
46 CORRESPONDANCE
Il y a panni le clergé la plus grande discorde : tous
les évêques sont désunis : les uns sont pour le pape
et pour la doctrine des jésuites; les autres appuient
les opinions des jansénistes. Je voudrais que les uns
et les autres eussent souci de vivre chrétiennement et
de bien mourir, laissant les disputes à ceux qui les
trouvent de leur goût. Je ne me préoccupe ni de l'un
ni de l'autre parti.
30 décembre 1718.
On ne peut arrêter les cardinaux, mais on peut les
exiler. Le cardinal de Polignac a donc reçu l'ordre de
se retirer dans une de ses abbayes et d'y rester. L'amour
lui a fait tourner la tête. Il était autrefois le bon ami
de mon fils; mais il avait changé depuis qu'il s'était
attaché à cette grenouille {la duchesse du Maine).
Magny n'est pas encore arrêté; il se cache de couvent
en couvent; il est longtemps resté avec les jésuites.
|c>- janvier 1719.
On a intercepté une lettre d'AlItéroni, écrite au
bâtard boiteux, et dans laquelle il dit: .< Dès qu'on
déclarera la guerre en France, mettez le feu à toutes
les mines. » Ce qui me fait bondir d'impatience, c'est
que M™'' d'Orléans et IM'"*^ la Princesse veulent encore
faire croire que le duc et lu duchesse du Maine sont
entièrement innocents , quoique leur crime se montre
de pins en [jIus au grand jour. .M'"^ la Piincesse vint
me prier de parler pour sa fille, afin qu'on lui envoyât
ses gens, ses dames d'honneur, sa femme de chambre
et son chirurgien. Je mi; mis à rire et je dis : « Ml'<" de
Launay est une des plus dangereuses intrigantes qui
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 47
aient conduit toute cette affaire. » M'"^ la Princesse lY'-
pondit : « Elle est à la Bastille. » Je dis : « Je le sais,
et elle l'a bien mérité. » Cela a fortement offensé
^me la Princesse.
3 janvier 1719.
On assure que la duchesse du Maine a engagé de
toutes ses forces son mari à s'enfuir ; mais qu'il a ré-
pondu que , puisque' ni lui ni elle n'avaient rien écrit
de leur propre main, on ne pourrait lion [irouver contre
eux, et qu'en s'évadant, ils paraîtraient coupables. Ils
n'ont pas pensé que M. de Pompadour a pu dire tout
ce qu'il fallait pour les faire arrêter.
Dès qu'on arrêté Schlieben , il a dit : « Si M. le ré-
gent n'a point pitié de moi, je suis perdu. » Schlieben
a été longtemps à la cour d'Espagne, où il a joui de
la faveur de la princesse des Ursins. Il a de l'esprit,
sait bien jaser, et est un excellent espion pour une
pareille dame. Ceux qui l'avaient arrêté le condui-
sirent par la diligence à Paris sans faire semblant de
rien. Arrivé à Paris, la diligence fut menée à la Bas-
tille; les autres voyageurs, ne sachant pas pourquoi,
puisqu'on ne leur avait rien dit de Schlieben, crurent
mourir de peur, et s'attendirent à être tous enfermés;
aussi, lorsqu'on les fit sortir, ils furent bien contents.
Sandraski a peu d'esprit; c'est un Silésien. Il a épousé
une Anglaise, dont il a dissipé tout le bien ; c'était un
grand joueur.
Paris, 5 janvier 1719.
Je vous ai mandé que le duc et la duchesse du Maine
étaient les meneurs du complot ; on a depuis trouvé
48 CORRESPONDANCE
la preuve de la culpabilité du duc ; c'est une lettre
que lui écrivait Âlbéroni et où se trouvent ces mots :
« Dès que la guerre sera déclarée , mettez le feu à
toutes vos mines. » Il n'y a rien de plus clair. Ce sont
de grands misérables. On vient de m'annoncer une
nouvelle qui m'afllige fort, que le roi de Suède avait
péri dans une tempête '. Je m'en consolerais, si mon
cousin, le prince héréditaire de Hesse-Cassel, lui suc-
cédait.
6 janvier 1719.
Quoique la trahison soit découverte, tous les traîtres
ne sont pas encore découverts. Mon fils a dit en plai-
santant : « Je liens la tète et la queue de ce monstre,
mais je ne tiens pas encore le corps. » Je n'ai pas de
peine à comprendre pourquoi des marchands ont écrit
que mon ills devait être arrêté ; c'était en effet le projet
des conspirateurs , et il devait s'effectuer deux jours
après celui où tout a été découvert ; c'est ce que des
gens de leur parti avaient mandé en Angleterre.
Paris, G janvier 1719.
11 était temps que la trahison de l'ambassadeur d'Es-
pagne- fût mise au jour. Un valet de l'abbé Portoca-
rero avait un mauvais cheval, et ne put suivre son
maître; il resta eu arrière de deux relais, et rencontra
le courrier ordinaire de Poitiers. Le valet demanda à
* Cette nouvelle était fausse.
' Voir dans les Mémoires de Saint-Simon, t. XXXII, de longs
détails sur celte allaite ; l'auiliassadcur fut conduit à la fron-
tière ; le roi d'Espagne, pour lui témoigner sa satisfaction , le
nomma vice-roi de Navarre.
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉAXS. 49
celui-ci : « Quelle nouvelle? » Le postillon répondit :
« Je n'en sais point, sinon qu'on a arrêté à Poitiers un
Anglais banqueroutier, et un abbé espagnol qui por-
tait un paquet. » Quand le valet entend cela, il prend
un cheval frais, et, au lieu de suivre son maître, il
revient le plus vite qu'il peut à Paris. 11 y mit tant de
hâte, qu'il en a été malade à la mort; il devança de
douze heures le courrier de mon fils ; il eut donc le
temps d'avertir le prince de Cellamare douze heures
avant qu'il ne fût arrêté, ce qui laissa à l'ambassadeur
le temps de brûler les lettres et autres papiers les plus
importants. Les ennemis de mon fils prétendent par-
tout que c'est la dernière bagatelle du monde ; mais
je ne puis comprendre comment on peut regarder
comme une bagatelle, qu'un ambassadeur cherche à
soulever tout le royaume et tous les parlements contre
mon fils, et médite le projet de l'assassiner, lui, son
fils et sa fille; on ne voulait laisser vivre que moi
seule.
Paris, 7 janvier 1719.
Le duc et la duchesse du Maine ont écrit de tous
côtés pour se justifier : il y a tant de fausseté et de
scélératesse dans tout ce qu'ils ont imaginé, que je ne
puis en supporter l'idée. On ne s'imagine pas les
libelles qu'ils ont répandus dans les provinces contre
mon pauvre fils ; ils en ont envoyé aussi à l'étranger ' .
» La duchesse du Maine écrivait ou faisait écrire des pam-
phlets, on les envoyait en Espagne. Je trouve dans une dépêche
d'Albé'roni : « La reine a fort agréé la satire que vous savez; Leurs
Majestés s'en sont diverties deux jours entiers; 25 mai 1718 »
(Capefiguc).
â
50 CORRESPONDANCR
Paris, 8 janvier 1719.
Un nouveau malheur est survenu : le château de
Luncville est entièrement brûlé, avec tout le mobilier.
C'est le 3 de ce mois que c'est arrivé ; tout le garde-
meuble a été consumé. On a voulu sauver les archives
et les papiers; mais cent personnes ont péri. La cha-
pelle, qui venait d'être rebâtie et qui était magnifique,
est réduite en cendres. On évalue la perte de 15 à 20
millions. On a emporté les enfants en chemise. Ma
fille s'était mise dans une chaise , les jambes nues ;
mais les porteurs tremblaient si fort qu'ils ne pouvaient
avancer; ma pauvre fille a donc été forcée de traverser
tout le jardin, pieds nus, dans la neige, qui était haute
de deux pouces. Vous pensez quelles ont été ses an-
goisses, jusqu'à ce qu'elle a su que ses chers enfants
étaient retrouvés.
Je vous envoie le manifeste de la déclaration de
guerre à l'Espagne et .la copie d'une lettre que l'am-
bassadeur adressait au nonce ; il n'y a pas une ligne
qui ne soit une atrocité et un mensonge.
10 janvier 1719.
On a voulu arrêter à Painpelune le duc de Saint-
Aignan, mais il a changé de vêtements avec sa femme
et il s'est sauvé... Lorsqu'on a arrêté le duc du Maine,
il a dit : « Je ne suis pas inquiet, car je reviendrai
bientôt, puisque mon innocence ne peut tarder k être
reconnue ; mais je ne réponds que de moi et non de
ma femme. » Celle-ci pensait bien ne pas revenir de
sitôt. M""î d'Orléans ne peut croire que son frère eût
conspiré ; elle dit que c'est sa femme qui a agi en son
DE MADAME LA DUCHESSE D'oRLEANS. 51
nom. D'autre part, M-^e la Princesse croit que sa fille
est exempte de tout blâme, et que c'est le duc du
Maine seul qui a conspiré.
11 janvier 1719.
Mon fils charge trop son estomac à table ; il s'ima-
gine qu'il est bon de ne faire qu'un seul repas ; au lieu
de dîner, il ne prend qu'une tasse de chocolat; quand
vient ensuite Iheure du souper, il a grand'faim et soif.
Quelque chose qu'on lui dise contre un tel régime , il
prétend qu'il ne peut travailler après avoir mangé.
12 janvier 1719,
Toutes les intrigues du duc et de la duchesse du
Maine viennent de la vieille Maintenon et de la prin-
cesse desUrsins; ce sont deux démons incarnés'. Les
jésuites pourraient bien être mêlés dans tout cela;
mais on ne peut les accuser, on n'a rien trouvé contre
eux.
> A l'égard de ces attaques perpétiienes contre Mme de Main-
tenon, nous pensons, comme M. Walckenaêr, qu'elles sont de
même que celles de Saint-Simon, le résultat d'une haine aveugle
et de la plus injuste paitialilé. « 11 en est de même de presque
« tous ceux qui ont écrit sur cette femme célèbre dans le temps
« de sa faveur. Pendant tout le dix-huitième siècle, les philo-
« sophes. a cause de sa dévotion, lui ont attribué sur les alfaires
• une influence qu'elle n'avait pas, afin de pouvoir rejeter sur
« elle les malheurs et les désastres du règne de Louis XIV. Ce
• n'est que de nos jours que l'on a commencé à la juger impar-
« tialement » (Mémoires sur Mme de sévigné, t. 11^ p. 46o).
Elle est défendue avec habileté et talent dans VHis/oire qu'a
publiée M. de Nuailles ( 1848, grand in-8), et dont il n'a paru
encore que les deux premiers volumes ; M. Ampère en a rendu
compte dans la nevue des Deux-Mondes, 1848, t. XXIV p. 538-
52 CORRESPONDANCE
13 janvier 1719.
Un jour, le Dauphin lit venir la Raisin à Clioisy, et
la cacha clans un moulin sans manger ni boire, car
c'était jour de jeune; il pensait que le i)lus grand de
tous les péchés était de manger de la viande un jour
maigre. Après le départ de la cour, il lui donna pour
tout souper de la salade et du pain rôti dans l'huile.
La Raisin en a bien ri elle-même et l'a raconté à plu-
sieurs personnes. L'ayant appris , je demandai au
Dauphin à quoi il avait pensé en faisant jeûner ainsi
sa maîtresse ; il me dit : « Je voulais bien faire un
péché, mais pas deux, » et il rit lui-même de bon
cœur.
15 janvier 1719.
La Mainlenon se piquant de dévotion , on la crai-
gnait tellement à la cour, qu'on aurait plutôt oflensé
le bon Dieu qu'elle. A Versailles , elle avait cliaque
semaine une assemblée oîi toutes les dames étaient
655- Ajoutons que cette même Revue renferme ( 1849, t. IV)
un article sur les apocryphes de la peinture, dû à M. Feuillet
de Conciles, et dans leiiuel ce judicieux auteur d'autographes
cite un i)as&ai,'e extrait d'une lettre inédite de Ninon de Lenclos
à Saint-Évremoud, lettre qui fait partie de son cabinet, et qui
est de nature à elVraycr les défenseurs de M"ie de Maintenon.
« Scarron était mon ami; sa fennne m'adonne mille plaisirs
« par sa conversation , et dans le temps je l'ai trouvée trop
« gauche pour l'amour. Quant aux détails, je ne sais rien , je
« n'ai rien vu, mais je lui ai prêté souvent ma chambre jaune
« à elle et à Villarceaux. » Remarquons que « Mn^e de Mainte-
non avait été plus que très-amie de Villarceaux, » selon Saint-
Simon (t. XIX, p. 35), et on a dit avec raison que Villarceaux
était un fort grand débauché de corps, de cœur et d'esprit.
DE MAUAJIH LA Ut CHESSt; l) OKLEANS. 53
obligées de se rendre pour faire la charité aux pau-
vres. Le curé, appelé M. Âuclion, leur adressait cha-
que fois une exhortation pour les engager à faire
l'aumône. A la sortie d'une des dernières réunions,
où on leur avait fait une exhortation , elles pouf-
faient toutes de rire. Le curé leur avait dit ces mots :
u Mesdames, je sais que vous êtes bien bas percées
(c'est une expression triviale des gens du commun,
pour dire que la bourse est mal garnie); mais nos
besoins sont grands ; attendrissez-vous ; ouvrez-vous
pour recevoir les membres de Jésus - Christ , tout
roides de froid et de misère! » C'était pour attendrir
ces dames que le curé leur avait adressé ce discours
de la manière la plus sérieuse du monde.
17 janvier 1719.
Le manifeste n'est pas mal écrit; notre petit pres-
tolet (Dubois) n'écrit pas mal quand il veut; il a com-
posé ce document et mon fils l'a corrigé. Plus on
examine la chose, plus on voit que le duc et la du-
chesse du Maine sont coupables; il y a trois jours que
Malézieux, qui est à la Bastille, a livré sa cassette'.
La première chose qu'on y a trouvée est un projet que
Malézieux a écrit à côté du lit de la duchesse et que
le cardinal de Polignac a corrigé de sa propre main.
Malézieux disait que c'était une lettre adressée d'Es-
pagne, et qu'elle l'avait chargé de traduire avec l'aide
' « Malézieux rassemblait dans son état servile les avantages
d'une médiocrité universelle; à quelque conspiration qu'on l'em-
plojàt, il ne pouvait craindre que d'en être le valet et jamais le
complice » (Lemontey).
6.
54 CORRESPONDANCE
du cardinal; mais les lettres d'Albcroni au prince de
Cellamare se rapportent si clairement à ce projet,
qu'il est facile de voir que tout cela vient de la même
boutique. M'"'^ du Maine a fait savoir à M™« la Prin-
cesse que M. le Duc est la cause de tout; il n'ose pas
venir devant M""* la Princesse, quoiqu'elle ait tou-
jours vécu avec elle avec beaucoup d'amitié et de
respect, tandis que M. et M™'" du Maine ne l'ont pas
vue pendant quatre ans, par suite d'un procès qu'ils
soutenaient contre elle ; mais depuis que M™« la Prin-
cesse a recueilli le grand héritage de M'"« de Vendôme,
ils se sont réconciliés.
19 janvier 1719.
Chez mon fils et chez ses maîtresses, tout va tam-
bour battant, sans la moindre galanterie. Cela me
rappelle les vieux patriarches qui avaient beaucoup
de femmes. Mon fils a beaucoup du roi David; il a
du courage et de l'esprit ; il est musicien, petit, brave,
et il couche volonlieis avec toutes les femmes. Il n'est
pas difficile à cet égard; pourvu iju'elles soient de
bonne humeur, bien elTrontécs et qu'elles boivent et
mangent beaucoup, il s'inquiète peu de leur figure '.
Paris, 21 janvier 1119.
Le duc du Maine avait bien fait de ne pas se mettre
dans le complot, non plus que sa diablesse de naine ^
' On trouve d'étranges détails sur les orgies du régont dans
les pièces jointes par Soulavie à s-on édilion des Mrmoircs de
Saint-Simon, 1791,1. Vil, p. 240. et dans la Vie privée du ma-
réchal de iiichduu, 1791, trois vol. in-8.
* « Lu duchcbac du Maine, ainsi que ses sujurs, était presque
DE iMADAME LA DUCHESSE D'oKLÉANS. 55
Mme d'Orléans ne mérite pas de grands éloges dans
cette circonstance, car elle n'a pas longtemps été rai-
sonnable. M"» la Princesse (de Condé) n"a pas grand
motif d'aimer la duchesse du Maine; elle lui a fait un
procès terrible durant cinq ans, et elle n'a voulu la
voir, non plus que ses enfants; mais sitôt que M"" de
Vendôme est morte et que M™« la Princesse a fait un
riche héritage, ils se sont tous mis à lui courir après.
26 janvier 1719.
Le parlement est derechef en bonne amitié avec
mon fils ; il a rendu un arrêt tout en sa faveur : cela
montre bien que la du Maine les avaient excités
contre lui. Les jésuites pourraient bien en secret ma-
chiner contre mon fils , car tous les partisans de la
Constitution sont ses adversaires ; mais ils se tien-
nent tranquilles et on ne découvre rien qui les com-
promette. Ce sont d'habiles gens. M™^ d'Orléans re-
commence à montrer de la satisfaction et à rire; cela
me tracasse bien , d'autant plus que j'ai su qu'elle
avait consulté le premier président et d'autres per-
sonnages pour savoir si, en cas de mort de mon fils,
elle ne pourrait pas être nommée régente et son lils
régent. Le premier président a répondu que ce n'é-
tait pas possible, et que la régence reviendrait à M. le
« naine ; elle qui étnit une des plus grandes do la famille, ne
« paraissait pas plus (lu'un enfant de dix ans. Quaud le duc du
« Maine l'épousa et qu'il eut à choisir entre les lilles non encore
« mariées de M. le Prince, il se décida pour celle-ci, sur ce
« qu'elle avait peut-étie quelques lignes de plus que son aînée.
« On ne les appelait pas k's princesses du sang, mais les pou-
« pécs du saiiy » (Saint:,-Deu\c).
56 CORUESPO.NDANCt:
Duc. Cette réponse paraît lui avoir cause une con-
trariété extrême.
Paris, 2T janvier 1719.
Si mon fils avait voulu acheter un peu cher le car-
dinal de Polignac ', il aurait trahi tous ses complices.
11 est maintenant dans son abhaye, et il se console
en traduisant Lucrèce. Le manifeste du roi d'Espagne
a servi mon tils au lieu de lui nuire, car il était troj»
partial et trop violent. Il faut qu'Albéroni soit un
violent meneur d'ours. Comment un garçon jardi-
nier pourrait-il savoir le langage que doivent tenir
des personnes royales? On a envoyé à Paris un mil-
lier d'exemplaires imprimés de ce document; on en
a adressé à tous les gens de la cour, h tous les évo-
ques, à tous les membres du parlement; et ceux-ci,
h Paris et à Bordeaux, ont bien pris la chose, comme
le montrent les arrêts qu'ils ont rendus. J'avais cru
qu'au lieu de laisser distribuer ce manifeste, il fallait
brûler tous les exemplaires saisis à la poste, mais
mon fils a dit qu'on l'avait fait ainsi à dessein et pour
connaître les partis, car on avait à la poste note des
noms de ceux qui avaient reçu des paquets. Les gens
de bien rapi)Oitent eux-mêmes les paquets qui leur
ont été envoyés, les autres les gardent et ils sont cou-
chés par écrit à la poste, sans (lue le public ait con-
naissance de tout cela. On a crié dans la ville un
arrêt contre les poules d Inde. Quand on regarda de
près ce que c'était, il se trouvait que c'était un arrêt
» Voir le portrait que Saint-Simon, t. VIII, p. 239, U-acc do
re prélat.
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 57
rendu contre les jésuites qui uni [)erdu un procès au
sujet d'un prieuré qu'ils s'étaient appliqué. Tout le
monde achète cet arrêt, excepté les partisans de la
Constitution et de l'Espagne.
Mon fds aime ses fdles légitimes et illégitimes beau-
coup plus que son fds.
Paris, 31 janvier 1711».
L'incendie de Lunéville n'est pas arrivé par acci-
dent ; on sait que des gens ont fermé la bouche à une
femme qui voulait appeler au secours; on a entendu
un homme crier : « Ce n'est ])as moi qui ai mis le
feu ! » Ma fille écrit que c'est la vieille guenipc qui
voulait tous les faire brûler, car Thomme auquel
celui-ci parlait a servi chez le duc de Noailles. Je
crois plutôt que la jeune drôlesse, la Craon, a part là
dedans, car Lunéville est l'habitation de ma fille,
comme on dit ici, et son douaire.
30 janvier 1719.
La duchesse de Zell sortait d'une famille tout à fait
commune ' ; elle aurait regardé comme un bien grand
bonheur d'épouser le père d'un des premiers valets
de chambre de Monsieur, qui rem{)lissait alors celle
charge. Dans cette position, on peut apprendre à être
' Éléonore Desmicrs, dame d'Olbreusc , devint duchesse de
Zell de simple demoiselle de compagnie qu'elle était près de la
duchesse de la Trciiioilic. Née en 1C38, elle séduisit, par les
charmes de sa ligure et les agréments de son esprit, le prince
Georges-Guillaume de Dnmswick, ducde Zeli, qui l'épousa et en
Ut, par sa fille Sophie-Dorothée, la souche des familles royales
de Prusse et d'Angleterre.
58 COKRESPONDANCE
charitable, mais non à s'associer avec des familles
princières... Le feu roi était capable de reconnais-
sance, mais aucun de ses enfants ou petits-enfants
ne l'était. Il ne pouvait souffrir qu'on se fit attendre...
Le reversi était le seul jeu qu'il jouait et qu'il ai-
mail... Dans les cabinets, après souper, il n'y avait
(|ue M"'" la Duchesse [de Bourbon) et moi qui lui par-
lassions; je ne sais pas si M'^^f^ la Dauphine parlait
dans les cabinets avec le roi , car, tant qu'elle vécut,
on ne m'y laissa jamais entrer; la Maintenon avait
fait si bien que la Dauphine s'y était opposée ; le roi
le voulait bien , mais il n'osait commander, dans la
crainte de déplaire à la Dauphine et à la vieille. Ce
n'est donc quaprès la mort de la Dauphine, qu'on
m'a laissé entrer, parce que le roi était tellement
affligé de cette mort, qu'il voulait avoir une personne
qui causât avec lui le soir pour le distraire de ses
tristes pensées; c'est ce que j'ai fait de mon mieux.
Il était mécontent de ses filles de droite et de gau-
che , qui , au lieu de chercher à le consoler de ses
chagrins, ne pensaient qu'à leurs amusements, et
le bon roi eût été souvent tout seul le soir si je ne
fusse toujours entrée dans son cabinet. Il s'en aper-
çut bien, et il dit à la vieille : a 11 n'y a que Madame
qui ne m'abandonne pas. »
Paris, 2 février 1119.
J'ai eu ce matin à écrire à ma pauvre fille, qui a
grand besoin de consolations. C'est une bien détestable
chose (jue ces maîtresses; elles tiaîiuîiit à leur suite
toute sorte de maux et se conduisent comme des diu-
DE MADAME LA DUCHESSE D'ORLÉANS. 59
bles incarnés. Celle à laquelle ma fille à affaire est une
méchante femme, qui fait tout son possible pour lui
enlever entièrement son mari. Je ne voudrais pas jurer
qu'elle n'a point fait mettre le feu au château de Lu-
néville, car la haine qu'elle a contre ma fille est bien
plus forte que l'attachement qu'elle porte au duc. Il
s'est trouvé un homme qui a menacé une femme qui,
au début de lincendie, voulait donner l'alarme; il lui
a mis la main sur la bouche, en lui disant : « Si vous
a criez au feu, vous êtes morte. » Un autre a dit : « Ce
« n'est pas moi qui ai mis le feu au château. » Ma fille
pense que la vieille i^Maintenon) est la cause de tout
cela, et qu'elle voulait la l'aire brûler, afin de se ven-
ger sur moi et sur mon fils de ce qui est survenu au
duc du Maine et à sa femme. Je ne jurerais point qu'elle
n'ait pas assez de malice pour agir de la sorte. On peut
s'attendre à tout de sa part, après sa méchanceté et
après la conduite qu'elle a toujours menée '.
* Nous ne savons si Madame eut jamais le plaisir de lire les
écrits imprimés en Hullaude contre Mme de Mainienon, mais, à
coup sûr, elle se serait singulièrement délectée à les parcourir.
11 existe en ce genre un libelle fort plat, qui flgurc dans le re-
cueil intitulé: Amours des Dames illnslres, imprimé à di-
verses reprises, 1(;80, IGSI, 1694, sans date (vers 1737), etc.,
(voir le Manuel du Libraire de M. Brunet, t. I, p. 91); il en
existe des étilliono séparées; la première porte au frontispice:
La Cassette ouverte de l'illustre crude (créole}, ou les Amours
de 3/me de ilaintenon , épouse de Louis XIV; ce libelle re-
parut une troi.-iiènic l'ois uwc suppreàsion de quelijues potsies
peu édifiantes qui accompagnaient les premières impressions, et
avec un titre nouveau : Le Passe-temps royal de Versailles,
ou les Amours secrètes de iVrae de Maintenon, Cologne, 1704.
Il il d'ailleurs été inséré sous le titre des Derniers dérégie-'
luents de lu cour, dans les éditions de Vllistoirc amoureuse
60 CORRESPONDANCE
Tout se découvre et tout vient au jour : les scéléra-
tesses dont j'entends parler depuis quelque temps ne
peuvent avoir été inventées que dans l'enfer; il est
des Gaules. Dans celle qui porte la dnte de 1777 et la ru-
brique de F.ondres (5 vol. in-18), il remplit les pages l-liO
du tome IV.
En lG9i, le libraire Chavance, accusé de distribution de pa-
reils libelles, fut mis à la torture, et deux garçons imprimeurs
furent pendus après avoir subi la question ordinaire et ex-
traordinaire ( Depping , Correspondance administrative sous
Louis XIV, t. H, elBrunei, Manuel du Libraire^ t . IV, p. 217).
Les deux écrits suivants n'ont pas été réimprimés et sont
assez rares : Scarron apparu à Mme de Maintenon, et les rC'
proches qu'il lui fait sur ses amours avec Louis-le- Grand,
Cologne, 1694.
Entretien entre Louis XIV et 3i™e de Maintenon pour la
conclusion de leur mariage. Marseille (Hollande), 1710, in-12
de 94 pages.
Ajoutons qu'en Angleterre on se déchaîna aussi contre la
vieille que détestait Madame. Voici le titre d'un écrit qui n'est
sans doute pas facile à trouver sur le continent, et que nul bi-
bliogr;iphe français n'a connu : The frenck king's loedding, or
the royal froUck, being a pleasant account of the intrigues,
comical cour/ship, catlerwauling and surprising marriage cé-
rémonies 0/ Lctiùs the XIV wilh Madame de Maintenon, wifh
a comical wcdding song sung to his Mojesty, 1708.
Voici encore quelques étliantillons des couplets satiriques que
nous olfre la collection Maurepas :
Louis le Grand aime la gloire ;
Il a commandé son histoire
Pour immortaliser son nom.
De quoi scra-t-elle remplie?
De la noce de Maintenon,
De la fin de la monarchie.
On dit que c'est la Mainteuou
Qui renverse le trône.
Et que cette vieille guenon
.N'iMis réduit h Paium'ine ;
DE MADAME LA DlCtlF.SSF. It'or.LÉANS. 6l
affreux que des clirétiens agissent de la sorte, et si je
pouvais tout vous dire, ma chère Louise, vous seriez
hors de vous-même et vos ciieveux se hérisseraient
d'horreur ; vous ne pourriez croire ce qui n'est pour-
tant que la vérité pure. Je puis aimer mes parents aussi
bien qu'un autre; mais lorsque je les reconnais pour
indignes de mon amitié, alors je les repousse encore
plus que des étrangers. Par exemple, j'ai su que le duc
Max s'était réjoui de la mort de sa mère, notre chère
électrice, et que, par motifs d'intérêts, il l'avait accu-
sée auprès de l'empereur; depuis ce temps, je ne puis
plus le souffrir, ni en entendre parler. Si j'avais un
frère qui eût commis des méfaits tels que ceux du duc
du Maine, certes, je voudrais, non-seulement ne pas
prononcer son nom de tout le reste de sa vie, mais je
ne le reconnaîtrais même plus pour mon frère.
Louis le Grand soutient que non^
Et que tout se règle par lui,
Blribi,
A ia façon de Barbari,
Mon ami.
Pour bien défendre le royaume,
Il nous faudrait un roi Guillaume.
Louis ne fait que radoter,
Et quoi que l'on en puisse dire.
Le plus court est de l'onftTmer,
Avec sa mégère, à Saint-Cjr,
Maintenon a beau se targuer ' '
D'instruire la jeunesse ;
Dès lors qu'où ne peut plus pécher
On prêche la sagesse ;
Mais nous savons qu'au Canada
Elle avait fait plus de fracas,
Qu> J.'an de Vert.
.62 CORRESPONDANCE
Quant à ce qu'on dit des projets du roi de Prusse,
c'est complètement invraisemblable, car on assure qu'à
la suite de maux de tête très-violenls, il est devenu
tout à fait fou; cela m'afflige, surtout à cause de la
reine, qui est une princesse pleine de vertu.
3 février 1T19.
A Berlin, il y avait jadis une vieille princesse de
Schœningen qui s'était éprise du prince Maurice de
IVassau. Elle ne pouvait plus marcher, mais elle avait
des porteurs qui la transportaient partout après lui.
11 en fut impatienté, et comme elle le tourmentait un
jour pour qu'il lui donnât son portrait, il lui demanda
ce qui donc la charmait si fort en sa personne. Elle
dit que c'était sa belle taille, son dos arrondi et ses
belles jambes. Il répondit : « Puisque vous voulez à
toute force avoir mon portrait en pied, je me ferai
peindre dès que je serai de retour en Hollande. » Quel-
que temps après qu'il fut parti, son portrait arriva.
Tout le mond accourut pour voir s'il était ressemblant,
mais, quand on l'eut déroulé, on vit qu'il s'était fait
peindre par derrière, et il écrivait qu'il envoyait le
portrait de ce qui, en sa personne, avait le plus charmé
la princesse.
Pari», 4 févripr 1719.
Ce n'était pas assez pour ma pauvre fille de l'incendie
du château de Lunéville; son mari est tombé très-
gravement malade, à la suite de cette nuit fatale où
il a été saisi par le froid. Il a eu une fluxion de poi-
trine; il a été saigné trois fois, et il a été saisi d'une
forte fièvre continuelle. Vous imaginez aisément les
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 63
angoisses de ma fille; elle aime son mari de toute son
âme et nullement comme les dames françaises amieni
les leurs. 11 faut vraiment que M">e de Craon ait ensor-
celé le duc, car lorsqu'il ne la voit pas, il est dans une
telle agitalion, qu'il est tout en sueur. Il y a la quelque
chose qui n'est pas naturel, et elle se conduit avec
beaucoup d'adresse. Elle n'a d'attachement pour lui
que par cupidité, et elle serait enchantée de l'exaspérer
contre ma fille; mais celle-ci se conduit avec tant de
sagesse et de prudence, qu'elle n'a jamais fourni de
prétexte à ce qu'on irritât son mari contre elle. Le feu
a certainement été mis à dessein, car on empêchait
d'apporter des secours et de donner l'alarme. Tout ce
qui se passe en Lorraine est bien fait pour me donner
les plus grands soucis, car les Craon y dirigent tout;
et comme ils ne pensent qu'à placer leurs créatures et
à prendre de l'argent de tout côté, les choses vont de
mal en pis, et mes pauvres petits-enfants se trouvent
ruinés. Je doute que les sujets du duc de Deux-Ponts
aient lieu d'être satisfaits de leur souverain, car, entre
nous c'est un singulier original; il voulait épouser
M'"*^ de Vendôme, et quand il vit qu'il n'y réussirait
pas et qu'on se moquait de lui, il s'en retourna a
Strasbourg, et manifesta son mécontentement de la
façon la plus ridicule. Vous le connaissez bien d'ail-
leurs. , , •
Le roi Philippe n'est pas mort, mais il est tres-serieu-
sement malade'; ce n'est pas un méchant homme,
1 11 ivc mourut que furt loiislcmiis après, en 17 46. Porté na-
turellement à la mélancoUe, scrupuleux à rcxcés, faible et ti-
mide, paresseux d'esprit, comeul de la vie la plus triste, la plus
64 CORRESPONDANCE
mais il est extrêmement opiniâtre; quand il s'est mis
une fois quelque chose dans lu tète, le diable ne k lui
sortirait pas. La princesse des Ursins lui avait fait
croire que mon fils en voulait à sa vie; rien n"a pu le
faire revenir de cette idée, aussi a-t-il pour mon fils
une haine implacable.
Paris, 9 février 1719.
J'ai eu des nouvelles de la maladie du duc de Lor-
raine; il est, Dieu merci, hors de danger; il n'y a pas
de doute que le feu n'ait été mis à dessein; ma fille
soupçonne la vieille qui est à Saint-Cyr et qui aura
voulu se venger de ce qu'on a fait contre son duc du
Maine; on a reconnu, comme il s'échappait des ap-
partements où l'incendie avait commencé, un homme
qui est au service de la nièce de la vieille. Il serait bien
temps que cette vieille femme se convertit, si elle veut
éviter l'enfer que depuis sa jeunesse jusqu'à présent
elle a bien mérité.
14 février 1719.
Quand la vieille gnenipc vit que la récolte avait
manqué, elle fit acheter sur tous les marchés tout le
blé (jui s'y trouvait. Elle a ainsi gagné horriblement
isolée, n'ayant d'autre iiasse-temps que tle tirer sur des bêles
fju'on faisait défiler devant lui, ce prince éprouva toule sa vie le
besoin de se laisser dominer. Ses successeurs ne furent guère
plus sensés que lui. Ferdinand VI, mort en 1759, devint aliéné
vers la fin de sa vie. « il ne veut pas se laisser raser, va sans
autre vêtement qu'une clieuiise, dont il n'a pas voulu clianger
depuis très-longtemps et une robe de chambre » (dépêche de l'am-
bassadeur anglais citée par lord Mahon , Histoire de l'Europe
depuis In paix d'Utrevfif, cliap. xxxvi).
M-; MADAMH, LA DLCilKSSI-. ij'ohLbA.N :. Go
d'argent, mais tout le monde mourait de l'aim. Elle
n'avait pas fait faire assez de greniers, aussi i)canconp
de blé s'est-il gâté dans les bateaux; il a fallu le jeter
à la Seine ; le peuple criait que c'était un cbâtiment
de Dieu.
15 février 1719.
M"e de Montauban et M"e de Launay ', qui est une
personne spirituelle et qui a toujours été en correspon-
dance avec Fontenelle, et qui était femme de chambre
de M""* du Maine, ont toutes deux été mises à la Bas-
tille.... Le duc du Maine est bien fâché d'avoir suivi
le conseil de sa femme; il semble qu'il n'a voulu le
suivre que dans ce qu'il y a de pire,
Paris, 16 février 1719.
Depuis huit à dix jours, il y a un vent effroyal^le, et
cet ouragan a occasionné des choses incroyables. Il a
enlevé le plomb de dessus des clochers et l'a jeté bien
an loin par delà la rivière ; il a arraché deux grandes
portes dans une église, brise des arbres par le milieu,
renversé des murailles. Si cela se passait dans la
• Connue plus tard sous le nom de Mme de Staal. Ses Mé-
moires, qui font si i)ien connaître la petite cour de Sceaux, sont
entre les mains dé tout le monde. M. Sainte-Beuve a fait sur
cette femme remarquable une notice des plus intéressantes ( Der-
niers portraits Utléraires, 1852, p. 427-441.) I.e catalogue des
autographes du bibliophile Jacob (M. Paul Lacroix) indique
(1840, p. 45) un manuscrit de ces Mémoires, corrigé et aug-
menté par l'auteur, contenant un grand nombre d'additions qui
n'ont jamais été recueillies, et de beaucoup de suppressions qui
mériteraient de Télre sous les ratures oîi elles sont cachées.
M. le comte IÎ(Pdcrcr a composé une comédie inlltuléc : Mcidc-
inoiselle de Launay à la Bastille.
6.
66 COUHESPONDANCK •
Westphalie, on y veiruil l'œuvre des sorciers, mais à
Paris on ne croit plus aux magiciens et on ne les brûle
plus.
Les divertissements qui ont lieu à Heidelberg me
rappellent qu'un Italien disait une fois à Versailles, à
M^^e la Duchesse : « Je vois à la cour de France beau-
coup de fêles, mais je n'y aperçois pas de gaieté. » 11
me semble qu'aujourd'hui la mode n'est plus nulle
part de se réjouir et de se livrer à une joie réelle. L'élec-
trice palatine fait bien de ne pas songer à se remarier ;
sa fille est bien en état de faire assez de princes pour
gouverner 1 eleclorat. Le bruit court que cette prin-
cesse est brouillée avec son mari et qu'il a raison d'être
jaloux, mais on ne dit pas de qui; il paraît, toutefois,
que sa fennne ne veut plus le souffrir ; c'est pourtant
un bel homme, mais d'une beauté trop délicate et troj)
féminine; il ressemble à deux de nos dames à la mode
ici : M"e de Clermont, sœur de M. le Ikic, et M°>e de
Flamarin.
J'aime mieux voir des arbres et des prairies que les
plus beaux palais; j'aimemieuxun jardin potager que
des jardins ornés de statues et de jets d'eau; un ruis-
seau me plaît davantage que de somptueuses cascades;
en un mot, tout ce (|ui est naturel est infiniment plus
de mon goût que les œuvres de l'art et de la magnifi-
cence; elles ne f)luisont qu'au premier aspect, et, aussi-
tôt qu'on y est habitué, elles inspirent la fatigue et on
ne s'en soucie plus.
17 Icvricr 1719.
Mon fils a marié au marquis de Ségur la fille qu'il
DE MADAME LA DUCHESSE D'oRLÉANS. 67
a eue de la Desmares ' . La mère n'a pu voir cette en-
fant qu'une seule fois depuis qu'elle l'a mise au monde ;
c'est celte année qu'elle la vit dans mie loge; les
larmes lui vinrent aux \eux dans l'excès de sa joie.
La fille est fort gentille, mais pas de beaucoup aussi
jolie que sa mère.
17 février 1719.
Feu le duc d'Ossune ' avait, dit-on, une femme très-
belle et très-vive, qui était jalouse d'une comédienne.
Elle apprit que son mari avait choisi une très-belle
étoile pour un habillement qu'il donnait à sa maîtresse.
Elle alla chez le marchand et se la fit donner, car le
duc n'avait pas confié au marchand pour qui était cette
emplette. Elle s'en fit faire un costume et alla ensuite
ainsi vêtue vers son mari et lui dit : « Ne trouvez-vous
pas cette étoffe admirable? » 11 fut piqué et répondit :
a Oui, l'étoflé est belle, mais elle est mal emplo}ée. »
La duchesse dit : « Tout le monde dit la même chose
de moi. »
* Entre autres couplets que les recueils manuscrits consa-
crèrent à cette actrice, nous citerons, comme l'un des plus vifs,
celui-ci où nous ferons une suppression nécessaire.
Oq vit de la même façou,
Chez la Desmares que chez Fillon,
Plus qu'uue louve.
Elle en preud par où elle eu trouve.
La Desmares , après avoir eu pour amant le fils de l'acteur
Baron et un banquier suisse, se maria avec le fils aîné du co-
médien Poijson. Voir les Mélanges de Boisjourdain, 1807, t. 1,
p. 209.
* Pedro Tcllcz y Giron, duc d'Ossune, né en 1579, mort en
1624. Voir son hislorictle daus Tallcinant, t. I.
t)8 CORKESl'ONDANCE
Connue les ancêtres de la maison d'j^rpajon, en
France, ont rendu à l'ordre de Malte de grands ser-
vices, elle a obti'iui le privilège que le second fds de
la maison est chevalier de Malte, dès qu'il est né, sans
avoir besoin de faire de preuves et s^ns qu'on s'occupe
de sa mère.
20 février 1719.
Quant à M™^ d'Orléans, je ne pnis empêcher son
étrange conduite; j'ai entendu feu le bon roi à son lit
de mort lui en faire des reproches, mais il ne pouvait
rien em[)èclier. Il lui adressa alors des conseils tres-
sages et pieux ; mais, comme dit le proverbe : on a
beau prêcher à qui n'a cœur de bien faire.... Elle est
souvent malade, ce qui, je crois, joint à ce qu'elle a
de si longues dents, la fait paraître plus vieille qu'elle
ne l'est. Elle est un peu marquée de la petite vérole.
Il est certain que nous avons peu de sympathie l'une
pour l'autre, mais nous vivons ensemble avec beau-
coup de politesse.... Elle croit qu'il n'y avait rien au
monde de plus parfait que sa mère, qu'elle ne peut
cependant regarder comme ayant été reine, car elle a
fort bien connu la reine, qui l'appelait toujours ma
fille et la traitait avec beaucoup de bonté, mieux que
toutes ses sœurs, je ne sais jiourquoi, car elle n'élait
pas la plus agréable de toutes.... Elle aime beaucoup
les jiierreries; elle aune fois i)leuré pendant vingt-
quatre heures parce que mon (ils avait donné de belles
pendeloques à la duchesse de IJcrri.
21 rôvricr H 10.
La colère a rendu M'"^' (hi .Maine malade Ea vieille
DE MADAME LA DUCHESSE d'oULEANS. 69
doit s'être terriblement emportée; elle doit avoir plus
de dépit que personne au monde, car c'est elle seule
qui a jeté ce couple dans le malheur, en leur mettant
en tête que s'ils ne régnaient pas, c'était le résultat
d'une grande injustice, et que ce royaume leur ap|)ar-
tenait aussi bien qu'au roi Salomon.
23 février 1719.
Aucun des deux Dauphins et aucune des Dauphines
ne s'est jamais inquiété de leurs enfants; le roi les a fait
élever sans leur avis et leur a désigné tous leurs gens;
il n'aurait pas trouvé bon qu'ils s'en fussent mêlés.
Le Dauiihin ne savait pas vivre; lui et son tlls étaient de
grossiers personnages.... 11 est certain que les femmes
des halles ont eu pour le premier Dauphin une véritable
passion ' ; on leur avait fait croire qu'il prenait le parti
du peuple de Paris, et il n'y avait pas un mot de vrai
là dedans. Le peuple le croyait meilleur et plus com-
patissant qu'il ne l'était ; il n'aurait pas été méchant
en ellct, mais le maréchal d'Uxelles, la Chouin et la
Montespan, auprès desquels il avait été fourré dans sa
jeunesse, ainsi que M'"« la Duchesse {de Bourbon),
l'avaient tout à fait gâté et lui avaient fait croire que la
jnéchanceté était une manpie d'esprit.
23 février 1719.
Je ne puis être en repos tant que je vois mon fils
l'objet de la haine des plus grands seigneurs de ce
))ays. Lorsqu'ils sont en sa présence, ce n'est de leur
jiartque protestations de dévouement; mais ensuite ils
' Voir Saint-Simon, t. V, p. 190, et t. XVI, p. 227.
70 COIUIKSI'ONUANCË
vont dans leurs assemblées el ils disent de lui des hor-
reurs et font tous leurs efforts pour exciter contre lui la
colère publique. Tant de fausseté m'exaspère. Connue
l'on ne se gène pas pour exprimer des souhaits à l'égard
de sa mort, j'ai peur que quelque enrage ne se mette
dans la tête de faire un mauvais coup, afin de gagner
ime grande récompense. Dieu soit loué de ce que le
carnaval est fini, car, en dépit des promesses qu'il
avait faites, il avait recommencé à aller au bal. 11 a les
meilleures intentions du monde ; il aime sa patrie
plus que sa propre vie; il travaille tout le jour et y
consume sa vie et sa santé, et il voudrait voir tout le
monde content.
Je ne puis comprendre toutes ces brouilleries qu'il
y a dans la famille royale [d'Anyleterrc')', si le roi
croit que le prince de Galles n'est pas son fds, pour-
quoi l'îi-t-il mené à Londres? Pourquoi l'a-t-il fait
élever, l'a-t-il marié et ne s'est-il brouillé avec lui
que depuis deux ansï il faut qu'il y ait là-dessous des
choses que l'on ne sait pas. A mon sens , c'est le roi
qui a tort '.
1 Georges l*^' était en effet un personnage fort peu aimable.
On connaît ses scandaleux débats avec sa femme légitime, la
Itrincesic Soiiliic Durotliée, qu'il tenait reufcrnu'c dans une for-
teresse du Hanovre. 11 avait deux ni;iî!re?scs, loutcsdeux vieilles
et laides, mais il y avait entre elles une différence notable :
l'une, la comtesse de Schulembuurg, créée duchesse de Keudall,
était d'une maigreur cllV;i\aiite; l'autre, la baronne de Kielman-
seck, qui fut éle\ée au rang de comtesse d'Ailiuglon, ollVait un
cmboniioinl mouiitrueux. Les railleurs les avaient surnonunées
la Perche et Vf:i('i)h(mt. Ce roi n'avait aucun goût pour les An-
glais; il ignorait leur langue et passait la majeure partie de son
temps u fumer dans sa pipe cl à boire do la bière. Ses querelles
DE MADAME LA DICHRSSE d'ORLÉANS. ^l
Quoique l'on sache bien que la Maintenon est mêlée
dans toutes ces aiïaires, on ne peut cependant rirn
lui dire, car son nom ne se trouve nulle part... Quand
on nomme à mon fils les gens qui le haïssent et qui
en veulent à sa vie, il ne fait qu'en rire, et il dit : « Ils
n'oseraient; je ne suis pas si faible que je ne puisse
me défendre. » Cela me fait trépigner d'impatience...
Sa femme croit qu'elle a fait grand honneur à mon
fils en l'épousant, puisqu'il n'est que le neveu d'un
roi, tandis qu'elle est fille d'un roi ; elle ne veut pas
comprendre qu'elle est l'enfant d'une p....n '.
25 février 1719.
J'ai causé hier avec mon fils et j'ai voulu savoir s'il
était vrai que sa femme lui ait conseillé de sortir la
nuit et d'aller au bal masqué. Il en est convenu, et il
a ajouté que AW de Berri avait dit que je voulais être
la seule à le gouverner, et qu'il levait tort à sa répu-
tation s'il montrait de la crainte pour sa vie. Dites-
moi s'il peut y avoir dans l'enfer un diable pire que
cette femme; elle commence bien à marcher sur les
traces de sa mère. Vous comprenez bien combien
mes angoisses augmentent, quand je vois que mon
fils ne trouve chez sa femmme nul souci de sa sûreté.
C'est pour moi un plaisir que de penser que j'ai tou-
jours regardé ce mariage comme un fléau, mais il est
bien pénible pour moi d'avoir chaque jour devant les
avec son fils vinrent au point qu'un de ses courtisans put un
jour lui pruposer sérieusement de le débarrasser du prince royal
en l'emmenant de force au fond de l'Amérique.
^ Ein huretikmd.
72 CORRESPONDANCR
yciix cette maudite femme ; elle ne peut souffrir que
ses enfants aient de l'affection pour moi.
Je reviens à ce mécliant duc Max; ne vous étonnez
pas si le père Wolf a voulu vous persuader que le
duc avait mené une bonne conduite à l'égard de sa
mère l'électrice, et qu'il était exempt de reproches;
tous les jésuites sont de la sorte ; mon confesseur s'est
donné toutes les peines du monde pour me faire
croire qu'il ne se passe pas le moindre mal entre le
duc de Lorraine et M™* de Craon ; je lui ai répondu :
« Mon père, tenez ces discours dans vostre couvent,
« à vos moines, qui ne voyent le monde que par le
« trou d'une bouteille , mais ne dittes jamais ces
« choses-là aux gens de la cour; nous savons trop
« que quand un jeune prince , très-amoureux , est
« dans une cour où il est le maistre, quand il est avec
« une famé jeune et belle 24 heure qu'il n'y est pas
« pour cnliler des perles, sur tout quand le mary ce
« lève et s'en va si tost que le prince arive, et pour
« les tesmoin qui sont dans la chambre cela n'est
« pas vray , mais quand cela seroit, ce sont tous do-
« mestique à qui le maistre n'a (ju'a faiie un clin
« d'œil pour le faire partir, ainsi si vous croyes sau-
« ver vos i)ere jessuwiste qui sont les confesseur vous
« vous trompes beaucoup, car tout le monde voit
« qu'ils toUercnt de double adulterre '. » Le père de
Liguière se tut et ne m'en a [ilus [)arlé. Vous voyez
ainsi, ma chère Louise, ce que sonl les jésuites, et
' Ce passage est en fianrais dans la Icllic de Madame ; nous
le ropi-dduisonf avec son orlhoi-'vafilie f.t sa i>onctiialion.
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 73
VOUS ne devez pas être surprise de ce que vous a dit
le père Wolf.
Le duc de Lorraine ruine ses enfants pour enrichir
la Craon et son mari ; ma fille fait assurément son
purgatoire en ce monde.
28 février 1919.
J'ai fait avant-hier rire mon fils. Je lui demandais
comment se portait la Maiutenon, il me répondit:
« Elle se porte à merveille. » Je lui dis : « Connnent
cela se peut-il à son âge? » Il me dit : « Ne savez-vous
pas que le bon Dieu, pour punir le diable, le fait de-
meurer longtemps dans un si vilain corps? »
3 mars 1719.
Si les preuves contre Malezieux ' ne sont pas mises
au Jour, et si l'on ne fait son procès à ce coquin, c'est
que ses délits sont tellement entremêlés avec ceux de
M me tin Maine qu'il faudrait qu'elle comparût et qu'elle
fût jugée par le parlement, mais le parlement est
mieux disposé pour le duc et la duchesse du Maine
que pour mon fds, de sorte qu'il pourrait bien les dé-
clarer innocents et les retirer des mains de mon fils ,
ce qui mettrait toutes choses dans un état pire qu'à
1 Malezieux avait été le fondateur de l'ordre des Chevaliers
de la mouche-à-miel, ordre joyeux et burlesque imaginé par la
duchesse du Maine, et qui couvrait peut-être une pensée plus
sérieuse que celle d'un divertissement frivole. On en trouve les
statuts dans les Divertissements de Sceaux, Trévoux, 1712,
in-1 2. Des pièces inédites, relatives à cette association et aux af-
faircb du temps, figurent au numéro 5S08 du Catalogue de la
Liiiiiolliètiue de M. Leber, appartenant aujourd'hui à la ville de
Uoui n.
74 CORRESPONnANCE
présent. Orl dierche donc à se procurer une évidence
telle que, daus le parlement, il ne puisse y avoir de
contradiction ni de justification.
5 mars 1719.
La Montespan est cause que le roi s'est épris de la
vieille guenipe. D'abord, afin de l'avoir auprès de ses
enfants, elle a caché au roi que cette bête ' avait mené
une vie fort désordonnée ; elle a recommandé à tous
ceux qui approchaient le roi de louer cette femme et
de vanter sa vertu et sa piété; on a persuadé de la
sorte au roi que tout ce qu'on disait de mal et de dé-
favorable sur son compte n'était que .mensonge, et il
ne s'est plus écarté de cette opinion fort erronée. La
Montespan était une créature pleine de caprices, qui
ne pouvait se contraindre en rien, aimait toute espèce
de divertissements, s'ennuyait d'être seule avec le roi;
elle ne l'aimait que par intérêt et par ambition, et se
souciait fort peu de sa personne. Pour l'amuser, elle
avait imaginé de faire venir la Maintenon, afin qu'il
ne s'aperçût pas qu'elle {la Montespan) jouait et se
divertissait. Cependant le roi , qui aimait fort la vie
retirée, aurait volontiers passé son temps auprès de
celle-ci; il lui reprochait souvent de ne pas l'aimer
assez; il en résultait des brouilleries; ils se querel-
laient fort. Alors paraissait la Scarron, et elle mettait
la paix et consolait le pauvre roi. Elle lui faisait re-
maifpicr de plus en i)lus la mauvaise humeur de la
Montespan, jouait la dévote, et faisait entendre au roi
que Dieu lui envoyait cette aflliction à cause du péché
' Cet animal, ce Ijétail, dièses vleh.
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 75
qu'il commettait avec la Montespan ; cette femme est
éloquente et a de fort beaux yeux. Le roi s'habitua
ainsi à elle, et crut qu'elle ferait de lui un saint. 11 la
poursuivit ; mais elle tint bon, et lui lit entendre quf
bien qu'elle lui portât la plus grande inclination du
monde, elle ne voulait pourtant pas offenser Dieu.
Cela donna au roi une si grande admiration pour cette
femme, et un tel dégoût pour la vie dissipée de la
Montespan, qu'il songea à se convertir. La vieille em-
ploya son duc du Maine pour persuader à s'a mère que,
puisque le. roi avait pris d'autres maîtresses, comme
la Ludre et la Fontanges, elle n'aurait plus d'autorité,
et serait un objet de mépris pour toute la cour. Cela
l'irrita ; elle était de mauvaise humeur quand le roi
venait chez elle. La Maintenon au contraire ne cessait
de plaindre le roi ; elle lui disait qu'il se damnerait,
s'il ne vivait pas mieux avec la reine. Le roi redisait
cela à la reine , qui , étant la meilleure femme du
monde, croyait avoir de très-grandes obligations en-
vers la Maintenon; elle la distinguait, et consentit à
ce qu'elle fût nommée deuxième dame d'atour de la
dauphine de Bavière ; en sorte que la Maintenon n'avait
plus rien de commun avec la Montespan. Celle-ci en
devint si furieuse, qu'elle raconta au roi toute la vie
de la Scarron. Mais le roi, qui savait bien que c'était
un méchant diable, et que, dans sa colère, elle n'é-
pargnait personne, n'en voulut rien croire, quelque
chose qu'elle pût lui dire. Le duc du Maine persuada
à sa mère de se retirer de la cour pour quelque temps,
et que cela engagerait le roi à la rappeler. Elle aimait
son fils, elle croyait qu'il lui voulait du bien, clic alla
76 CORRESPONDANCE
à Paris, et écrivit au roi qu'elle ne reviendrait plus.
Le duc du Maine fit bien vite expédier pour Paris tous
les bagages de sa mère, sans qu'elle en fût instruite.
Quant à ses meubles, il les fit tous jeter par la fenêtre,
en sorte qu'elle ne pouvait plus revenir à Versailles.
Le roi avait été traité si mal et si durement par la
Montespan , qu'il fut cordialement satisfait d'en être
débarrassé , n'importe de quelle manière. S'il l'eût
gardée plus longtemps, excédé comme il l'était, il
n'y aurait plus eu de sûreté pour lui auprès d'elle,
tant elle était emportée quand elle était en. colère. La
reine crut avoir à la Mainlenon les plus grandes obli-
gations du monde d'avoir chassé la Montespan, et
d'être cause que le roi revenait coucher avec elle; car,
en bonne Espagnole, elle ne haïssait point ce métier.
Comme elle avait un bon cœur, elle pensa que la re-
connaissance l'obligeait à tout faire pour la Main-
tenon ; ainsi elle ne s'opposa point à ce que cette
femme fût nommée dame d'atour. Ce n'est que fort
peu de temps avant sa fin qu'elle a appris que la
Maintcnon l'avait trompée. Après la mort de la reine,
Louis XIV crut triompher de la vertu même en cou-
chant avec la vieille {Miltterchen) ; cela avait lieu
toutes les après-midi : elle le gagna au point de l'ame-
ner enfin à l'épouser, ce qui eut lieu'.
6 mars 1719.
Le duc de Deux-Ponts est un bien triste sire, et
' M. Cousin (Jeunesse de M"'<^ de Longitevllle, p. 31), en
[inilanl do Mme do Maintcnon , signale « les laleuls sans lin de
n sa I nuii nef mondaine et les scrnimlcs tardifs d'une piété qui
« vint toujours à l'appui de sa fortune. »
DE MADAME LA DUCHESSE d'ûRLÉANS, 77
pour la figure comme pour les manières, c'est assuré-
ment l'ctrc le plus désagréable que Dieu ait jamais
fabriqué. 11 s'imagine que lui et moi nous nous res-
semblons comme deux gouttes d'eau : je me Hattc .
d'être moins désagréable que lui et d'avoir un peu
plus de bon sens. Sa femme est contrefaite ; c'est un
couple de vilains êtres très-déplaisants. Je me réjouis
de ce qu'ils n'aient pas d'enfants ; c'aurait été des
fous, et j'ai déjà assez de fous parmi mes parents d'Al-
lemagne.
9 mars 1719.
Chacun veut surpasser son voisin par le luxe des
équipages, de la table, de la toilette; et comme pour
cela il faut beaucoup d'argent, on s'efforce de s'en
procurer, n'importe par quels moyens. Si tous les mé-
chants étaient enlevés par une attaque d'apoplexie, le
monde n'en irait que mieux.
Je ne connais pas l'affaire du baron de Goertz, qui
été arrêté en Suède ', car j'ai la tête tellement rem-
1 Ministre de Charles Xll; après la mort de ce monarque tué
(ou assassiné) au siège d'une ville de Norwége, il fut arrêté,
conduit à Stockholm, traduit devant un tribunal extraordinaire,
et condamné à avoir la tète tranchée. Il demanda à se justifier, ■
mais il ne put l'obtenir, et la sentence fut exécutée le 2 mars
>719 Voir la Bmjraphie universelle, t. XVll, p. 68G ; Samt-
Simon, t. XXXII, p. 235, etc. Au dire de Voltaire, jamais
hompe ne fut si souple et si audacieux à la fois, si vaste dans
ses desseins, si actif dans ses démarches ; nul projet ne l'ef-
frayait, nul moyen ne lui coûtait; il eût été capable d ébranler
l'Europe, et il en avait conçu l'idée.
Il marcha au supplice avec pompe, dans une voiture à six che-
vaux paré de tous ?es ordres, et entouré des gens de sa mai-
son. Arrivé sur l'écliafaud, il se lit déshabiller par ses valets de
chambre, cl livra intrépidement sa tète au bourreau.
T,
78 CORRESPONDANCE
plie de ce qui se passe ici, que je ne m'occupe guère
de l'étranger. Si le baron a commis les crimes qu'on
lui impute, il mérite les châtiments les plus sévères;
aussi je voudrais, à cause de sa famille, qui est très-
honorable, qu'il ne passât pas par les mains du bour-
reau, mais qu'il fût condamné à une prison perpé-
tuelle; mon fils a écrit à cet égard, mais il ne pense
pas que son intervention ait grand résultat. On dit
que les Impériaux ont voulu arrêter, à Milan, le che-
valier de Saint-Georges, mais ils n'ont pris que milord
Mar et milord Pertli ; le chevalier s'est rendu par mer
en Espagne, où Albéroni lui équipe une flotte pour se
rendre en Irlande.
Après dîner, je ne peux jamais aller au sermon, car
je m'endors aussitôt; et comme ici on n'est pas à
l'église dans une tribune, mais en face de la chaire et
dans une chaise à bras où tout le monde vous voit,
ce serait un vrai scandale; de plus, depuis que je suis
devenue vieille, je ronfle très-fort en dormant; ce se-
rait un sujet de risée, et le prédicateur lui-même en
serait déconcerté.
10 mars «719.
La maréchale de Schomberg avait une nièce qui
s'appelait M"' d'Aumale; ses parents la mirent à Saint-
Cyrdu temps du roi. Cette créature est laide, mais elle
a beaucoup d'esprit , et elle sut si bien amuser le roi
que cela donna du souci à la vieille guenipe. Elle cher-
cha à susciter une querelle, et à la faire entrer dans
un couvent. Mais le roi ne voulut pas le soulfrir, et il
fallut que la vieille la laissât revenir. 0>i<ind le roi
mourut, elle ne voulut plus rester auprès do lu vieille.
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 79
Le duc du Maine a écrit à sa sœur : « Ce n'est pas
en prison qu'on devrait me mettre, mais m'ôter mes
habits et me mettre en jaquette pour m'ôtrc ainsi
laissé mener par ma femme. » Et il a écrit à M""' de
Langeron qu'il éprouvait maintenant une tranquillité
telle qu'il la regardait comme une grâce de Dieu, qu'il
ne s'occupait plus que de ses enfants, et qu'il ne dési-
rerait rien s'ils étaient auprès de lui.
Le duc [de Lorraine) a pour la Craon la plus grande
passion que j'ai vue de ma vie; quand elle entre dans
la chambre, sa figure change; tant qu'elle n'y est pas,
il est inquiet et regarde toujours du côté de la porte;
quand elle est venue, il rit et .il est tranquille ; c'est
un drôle de spectacle.
Mon fils m'a donné, comme à toute la famille royale,
deux millions de livres que j'ai partagées dans ma
maison.
Feu Monsieur était bon au fond ; les faiblesses qu'il
avait m'ont plus affligée qu'irritée. Parfois, j'ai témoi-
gné de l'impatience, mais lorsqu'il est venu me prier
de le pardonner, je lui ai toujours accordé son pardon.
Paris, n. mars 1719.
A Paris on ne croit plus aux sorciers, et vous ne
seriez pas la fille de notre père si vous ajoutiez foi à la
sorcellerie, car il était bien au-dessus de ces supersti-
tions; mais lorsque le poison se glisse sous le masque
de la sorcellerie, ou lorsqu'il y a du sacrilège, alors on
ne saurait punir trop rigoureusement, et je ferais,
sans aucun scrupule, brûler de pareils coupables;
mais on ne doit pas brûler les gens sous prétexte qu'ils
SO CORRESPONDANCE
vont au sabbat en passant par la cheminée, qu'ils
chevauchent à travers les airs et qu'ils se changent
en chats.
Paris, 15 mars 1719.
J'ai, sans le vouloir, brouillé la religieuse de Chelles
avec sa mère, M™^ d'Orléans. Je reçus au commence-
ment de l'affaire du duc du Maine une lettre de ma
fille; je lus dessus le nom de M^ii^ d'Orléans, je ne
pensais pas à celle qui est au couvent et qui a aussi
maintenant le titre de Madame; je l'envoyai de suite
à la femme de mon fds. Or, cette lettre était précisé-
ment la réponse à une lettre de notre religieuse, qui
avait dit à l'allemande sa façon de penser sur le duc
et la duchesse du Maine, et qui avait fini par plaindre
son père d'être le beau-frère du duc du Maine, et d'avoir
contracté un mariage insensé et qui était aussi nui-
sible en tout point. On peut facilement deviner que
la réponse de ma fille a causé un grand vacarme. Je
suis l)ien fâchée d'avoir commis cette étourderie.
Pourquoi aussi la femme de mon fils a-t-elle ouvert
une lettre qui n'était pas pour elle '/
17 mars 1719.
Le roi d'Espagne et Albéroni haïssent personnelle-
ment mon fils ; c'est l'œuvre de la princesse des Ur-
sins... Mon fils est naturellement brave, cela fait qu'il
ne peut se résoudre à rien craindre; il ne s'inquiète
nullement de la mort.
21 mars 1719.
On a Yoproché au roi de ne pas être bien propor-
tionné pour sa taille et d'être trop [)etit à cet égard,
DE MADAME LA DUCHESSE D'OULÉANS. 81
tandis que Monsieur était trop grand ; on disait en
plaisantant à la cour que le roi et son frère étaient
mal partagés, et que l'un avait ce que l'autre aurait
dû avoir.
24 mars 1719.
La reine avait une telle passion pour le roi qu'elle
cherchait à lire dans ses yeux tout ce qui pouvait lui
faire plaisir; pourvu qu'il la regardât avec amitié,
elle était gaie toute la journée. Elle était bien aise que
le roi couchât avec elle ; car, en bonne Espagnole,
elle ne haïssait pas ce métier ; elle était si gaie lorsque
cela était arrivé qu'on le voyait tout de suite. Elle
aimait à ce qu'on la plaisantât là-dessus; elle "riait,
clignait les yeux et frottait ses petites mains.
Paris, 25 mars 1719.
Lord Stairs m'a bien troublée hier; il m'a dit que le
bruit avait couru en Angleterre que mon fds avait été
assassiné ; cela me prouve que le parti qui s'est formé
contre lui roule toujours dans sa tête le projet de l'as-
sassiner, et d'avance on en répand la nouvelle, afin
de voir comment elle sera accueillie et quel effet elle
produira. J'ai appris, de plus, que la duchesse de
Berri donne à souper à son père dans une maison
près de Versailles ; on n'en revient qu'à trois heures
du matin : en sus du danger qui en résulte pour la
vie de mon (ils , cela fait le plus grand tort à sou
honneur et à sa réputation. Mais il vaut mieux parler
d'autre chose, car plus j'y pense, plus je suis triste
et irritée.
El) Fiance, rien ne peut se passer tranquillement;
82 CORRESPONDANCE
les princes ont le malheur de ne pouvoir faire un pas
sans que tout le monde en soit instruit, leurs gens
sont leurs plus redoutables ennemis.
Paris, 30 mars 1719.
Tous les jésuites veulent qu'on regarde leur ordre
comme parfait et exempt du moindre reproche; aussi
excusent-ils tout ce qui se passe oîi se trouve le
confesseur ; j'ai dit nettement au mien qu'il ne pou-
vait y avoir aucune excuse sur ce qui se fait à Luné-
ville.
Il n'y a pas longtemps que Craon a acheté une
terre qu'il a payée onze cent mille francs ; et l'on sait
qu'il était naguère pauvre comme Job ','
Je ne puis croire qu'avec tous les embarras qu'il a
sur le corps, le roi d'Angleterre ait l'intention de se
rendre en Hanovre; ainsi, les dames hanovriennes
ne gagneraient rien à se faire faire de belles toilettes ;
ce serait, comme on dit, jeter sa poudre aux moi-
neaux. Je reçois en ce moment votre lettre du 14; je
vous remercie des deux belles histoires de revenants
que vous me racontez; elles m'amusent et me four-
nissent un sujet de conversation avec M™» d'Orléans,
à hupielle je n'ai pas grand'chose à dire.
Tout est ici d'un prix excessif; depuis un an, la
valeur des objets de tout genre, meubles, vêtements,
comestibles, a doublé.
On apprend cha([uo jour de nouvelles perfidies.
' Il s'agit de Marc do iJeauveau , qui acheta la terre d'Hau-
donvillers , et qui obtint qu'elle fût érigée en marquisat de'
Craon par lettres-patentes du 21 août 1712.
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉAXS. 83
Avant-hier, le duc de Richelieu va trouver le marquis
de Biron, qui est fort attaché à mon fils; il lui fait
mille protestations de dévouement, et lui demande
avec instance la permission de partir pour rejoindre
son régiment ; en même temps on intercepte une
lettre d'Albéroni à ce duc, qui rend sa trahison plus
claire que le jour ; mon fds l'a fait arrêter dans son
lit , et mener immédiatement à la Bastille. Ce duc
fera verser beaucoup de larmes à Paris, car toutes
les dames sont amoureuses de lui ; je ne comprends
pas pourquoi , car c'est un petit crapaud en qui je ne
trouve rien d'agréable; il a encore moins de courage;
il est impertinent , infidèle , indiscret ; il dit du mal
de toutes ses maîtresses, et cependant une princesse;
du sang royal est tellement éprise de lui, que lors-
qu'il devint veuf, elle voulait absolument l'épouser :
sa grand'mère et son frère s'y sont formellement op-
posés, et avec beaucoup de raison ; car, indépendam-
ment de la mésalliance, elle aurait été toute sa vie
très-malheureuse.
31 mars 1719.
Le duc de Richelieu a fait peindre toutes ses maî-
tresses revêtues des costumes de divers ordres reli-
gieux. M"' de Charolais est peinte en récollette et on
la dit parfaitement ressemblante; les maréchales de
Villars et d'Eslrccs ont l'habit de capucines '... Aus-
* Que sont devenus ces portraits ? Ils doivent subsister en-
core cachés dans quelque collection peu connue, ainsi que le fa-
meux livre dans lequel Bussy-Rabutin avait fait peindre les
sainlcs de la cour.
Des lettres galantes autographes de Richelieu se trouvent
84 CORRESPONDANCE
sitôt qu'on a montré au duc de Richelieu sa lettre à
Albéroni, il a avoué tout ce qui le regarde personnel-
lement, mais il n'a rien dit au sujet de ses com-
plices.
31 mars 1719.
Avant-hier le jeune duc de Richelieu a été conduit
à la Bastille, ce qui a fait couler bien des larmes, car
toutes les femmes lui courent après et sont amou-
reuses de lui. Il a été en correspondance avec Albé-
roni, et il avait fait envoyer son régiment, avec celui
de son bon ami, M. de Seiilant, à Rayonne, afin de
livrer cette ville aux Espagnols. Dernièrement, il était
allé chez M. de Biron, et lui avait dit qu'il lui fau-
drait bientôt partir, afin de rejoindre son régiment à
Rayonne , et cela dans le but de montrer son zèle et
de prouver combien il était attaché à mon fils. Son
camarade, qui passe pour un poltron, un escroc et
un filou au jeu, a aussi été mis à la Bastille.
2 avril 1719.
Je deviens si distraite en vieillissant, que je crois
que je finirai ])ar tomber en enfance , ou par devenir
comme notre tante, la princesse Elisabeth '. Un jour,
dans la bibliotlièqne de M. Lcher ( achetée par la ville de Rouenj,
et le catalujj'iie, n" .'.815, ajoute qu'une des lettres du duc ré-
vèle une particularité de sa vie libertine ; il recevait de l'argent
de SCS maîtresses, et, ne fùt-cc que douze louis, il ne les déclai-
j^nait pas. On a imprimé, à la suite du tome I"'' de la Vie privée
de Richelieu, 1791, 3 vol. in-8°, p. 38.5-408, des lettres d'a-
mour de M"*^ de Cliarolais, de M'"" d'Averne, de Villeroi , etc.
' Kiisabelh, princes.<;(' palatine, fille de Frédéric V,roi de Bd-
liénie, était née en ICI 8. Elle cultiva les sciences avec un zélc
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 85
voulant aller ù un bal masqué, elle prit un pot de
chambre pour un masque , et elle dit : « Mais com-
ment se fail-il que ce masque n'ait pas d'yeux, et qu'il
sente mauvais ? » Quand elle mourut, elle n'avait que
soixante-deux ans ; moi, j'en ai près de soixante-sept.
Il n'est pas vrai que le chevalier de Saint-Georges
ait été pris à Milan, mais on a arrêté lord Mar, lord
Perth et un autre encore que je crois fds de lord Mar;
ils ont été relâchés ; leur maître est en Espagne ; le
pape et les Espagnols le soutiennent fort, et l'on assure
qu'il a beaucoup de partisans en Angleterre, en Ecosse
et en Irlande ; la princesse de Galles affirme que , de
ce côté , il n'y a rien à craindre.
La duchesse de Berri est malade ; elle a la fièvre et
des vapeurs; c'est l'effet des parfums horriblement
forts qu'elle a toujours dans son appartement, et qui
font beaucoup de mal; j'en ai prévenu, mais on ne
m'a pas écoutée ; il est , d'ailleurs , impossible de se
bien porter avec son affreuse gloutonnerie; chaque
soir, elle se met à table à huit ou neuf heures, et elle
mange jusqu'à trois heures du matin. S'il lui arrivait
quelque chose de fâcheux, mon fils en serait inconso-
lable , car c'est au monde la personne qu'il aime le
mieux.
remarquable et reçut des leçons de Descartes qui affirme, dans
la dédicace de ses Principes de philosophie , qu'il n'avait trouvé
personne, si ce n'est elle, qui fût parvenu à l'intelligonce par-
faite de ses ouvrages. Elisabeth fut demandée en mariage par
Wladislas IV, roi de Pologne ; mais elle refusa d'écouter aucune
proposition d'établisscmeut, dans la crainte d'être détournée par
là de sa passion pour l'étude. Elle obtint l'abbaye luthérienne
d'Hervorden, et y mourut en IGâO.
n. 8
86 CORRESPONDANCE
4 avril 1Î19, •
]^Ime la Princesse a fort engagé mon fils à laisser
M™^ du Maine quitter Dijon ; elle dit que l'air y est
fort malsain. Mon fils a consenti à ce qu'elle se rendît
dans son carrosse de Dijon à Châlons-sur-Saône, escor-
tée par des gardes de Sa Majesté. Elle s'était imaginée
qu'elle y aurait plus de liberté, et qu'elle aurait seule-
ment la ville pour prison ; elle a été fort étonnée qu'on
la tînt d'aussi près à Châlons qu'à Dijon. Quand elle
en a demandé la raison, on lui a dit que tout était
découvert maintenant, et que tous les détenus avaient
jasé. Elle a d'abord été fort troublée, mais ensuite
elle s'est remise et elle a dit : « M. le duc d'Orléans
croit que je le hais ; s'il voulait suivre mes conseils ,
je le conseillerais mieux que personne. » Son mari se
tient fort tranquille.
8 avril 171!).
En accouchant du duc de Berri , la Dauphine fut si
mal traitée qu'elle est devenue contrefaite; aupara-
vant, elle avait une jolie taille. Depuis ce temps, elle
n'a pas eu une heure de bonne santé. La veille de sa
mort, pendant que le petit duc de Béni était assis sur
son lit, elle dit : « Mon cher Berri, je t'-aime bien, mais
tu me coûtes bien cher. » M. le Dauphin n'était point
afflige ; la Monlchevreuil lui avait dit tant de mal de
sa femme, qu'il ne pouvait l'aimer. La vieille guenipe
espérait, comme cela est arrivé, gouverner le Dauphiii
par le moyen de ses maîtresses, ce qu'elle n'aurait pu
faire , s'il avait continué d'ainior la Dauphine. La
vieille avait conçu une haine d oH'royable contre cette
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉAXS. 87
pauvre princesse, que j'ai cru (lu'elle avait donné ordre
à Clément, l'accoucheur, de la traiter si mal ; ce qui
m'a confirmée dans cette idée, c'est qu'elle a failli
faire mourir la Dauphine en venant chez elle avec des
gants parfumés ; elle disait que c'était moi qui en por-
tais, ce qui n'était pas vrai '.
Saint-Cloud, 8 avril 1719.
De grandes pei sonnes s'amusent ici , comme des
enfants, à faire des châteaux de cartes.
Mi'e de Chasteautier se divertit fort de cette ma-
nière, car elle aime les plaisirs innocents ; mais il y a
beaucoup de personnes qui pensent, à cet égard,
comme la dernière duchesse de Longueville , qui est
morte dans la plus haute dévotion, mais qui, dans sa
jeunesse, avait été très-coquette et très-galante % Son
mari était gouverneur de Normandie ; il fallait qu'elle
allât le rejoindre, mais elle ne se souciait nullement
de quitter la. cour, car elle y laissait des gens qu'elle
aimait bien mieux que son mari; et, comme on la
voyait fort triste, et qu'on lui proposait déjouer, de
chasser ou de se promener pour se distraire, elle ré-
pondit : « Je n'aime pas les plaisirs innocents. » Cette
' Saint-Simon, dans ses notes sur le journal de Dangeau, s'ex-
prime ainsi à cet égard : « On a toujours cru que Clément, son
0 accoucheur, l'avait blessée en sa dernière couche. iM™« la
« princesse de Conti fut aussi fort accusée d'avoir approché
« d'elle aussitôt après avec des senteurs dont elle n'est pas re-
« venue. »
' Voir, au sujet de cette femme célèbre, une série d'articles
de M. Cousin, dans la Revue des Deux-Mondes, 1851 , et dans
le Journal des Savants.
88 CORRESPONDANCE
duchesse de Longueville était la sœur du prince de
Condé ; elle avait mené une vie fort irrégulière, mais
elle s'en était repentie, avait fait pénitence, et n'avait
fait que jeûner et prier le reste de sa vie ; elle était
tellement changée qu'on ne pouvait plus se douter
qu'elle eût été belle ; sa taille seule avait conservé
de la grâce ; mais ce sont de vieilles histoires.
9 avril 1719.
Ni le roi," ni la première dauphine, ni moi, n'avons
de notre vie pris un liard ; mais la vieille guenipe a
pris de toutes mains, et la seconde dauphine a appris
à prendre de l'argent ; les autres ont suivi cet exem"
pie ; voilà la vérité.
11 avril 1719,.
Le roi a sincèrement aimé M. le Dauphin, et ce
n'est pas sans motif, car jamais un fils n'a pu avoir
pour son père plus de vénération, d'amour et de sou-
mission que M. le Dauphin n'en avait pour le roi ;
aussi le roi a-t-il été inconsolable lorsque son fils est
mort. Le roi n'avait jamais eu beaucoup d'inclination
pour le duc de Bourgogne , la vieille sorcière l'a des-
servi auprès du roi , le faisant passer pour un ambi-
tieux, qui trouvait que le roi vivait trop longtemps.
Elle agissait ainsi de crainte que, si ce prince venait
un jour à ouvrir les yeux et à voir comme sa femme
avait été mal dirigée par la vieille, le roi ne l'écoatât
point, en cas qu'il vînt se plaindre à Sa Majesté ; c'est
en effet ce qui est arrivé.
12 avril 1719.
Le roi a toutes les nuits dormi dans le lit de la
DE MADAME LA DLCIIESSE d'ORLÉANS. 89
reine, mais pas toujours comme elle, avec son tempé-
rament espagnol, l'aurait souhaité. La reine remar-
quait bien ainsi quand il avait été courir par-ci par-là.
Le roi a toujours eu de la considération pour elle , et
il a voulu que ses maîtresses la respectassent fort. 11 l'a
aimée à cause de sa vertu et de l'attachement sincère
qu'elle a toujours eu pour lui , malgré ses infidélités.
Il a été sincèrement affligé lorsqu'elle est morte.
Paris, 13 avril 1719.
J'ai un chagrin sincère de savoir l'affliction que
vous cause la perte de votre petite-nièce. Mon Dieu !
ma chère Louise, le sort des femmes est si malheu-
reux, qu'on doit promptoment se consoler de la mort
d'ijne petite fille, car c'est de moins une créature
destinée à souffrir. Je suis aujourd'hui, et avec raison,
plus contrariée que jamais ; mais cela ne peut s'écrire.
Je m'étonne de ce que la France entière ne soit pas
engloutie comme Sodome et Gomorrhe; car on ne
peut se faire une idée de toutes les horreurs qui se
commettent ici. Des femmes expérimentées en savent
plus, pour soigner des enfants malades, que les doc-
teurs en médecine ; car elles ont été à même d'obser-
ver ce que les autres n'ont pu étudier. Je suis bien
peinée d'apprendre que votre nièce est malade; si
vous pouvez la sortir d'Angleterre et la conduire dans
notre bon air allemand, elle sera bientôt guérie ; c'est
l'air de Londres qui la rend malade.
14 avril 1719.
La Montespan était plus blanche que La Vallière ;
elle avait une belle bouche, de belles dents, mais elle
8.
90 CORRESPONDANCE
avait l'air effronté; on voyait sur sa figure qu'elle
avait quelque projet en vue. Elle avait de beaux che-
veux blonds, de belles mains, de beaux bras ', ce que
La Yallière n'avait pas , mais celle-ci était fort pro-
pre, et la Montespan une sale personne.
Ce que le duc de Bourgogne avait de bon, il le
tenait de son précepteur ; ce qu'il avait de mauvais
lui venait de lui-même... Il était fort dévot et n'a
jamais eu daltachemcnl que pour sa femme, mais
cet amour était le partage de Montgommery : tout
d'un côté , rien de l'autre , car elle n'aimait pas son
mari.
14 avril 1719.
C'est à l'instigation de la Montespan que le roi ^ si
mal traité La Yallière; elle en avait le cœur percé;
mais la pauvre créature s'imaginait qu'elle ne pouvait
faire un plus grand sacrifice à Dieu, qu'en lui sacrifiant
la source de ses péchés , et elle croyait être d'autant
plus agréable à Di(Hi , que la [lénilence viendrait du
même lieu où elle avait péché. Aussi restait-elle, par
pénitence, chez la Montespan ^ Celle-ci, qui avait
* « La nature avait prodigué tous s^es don» à M^c de Muntcs-
pan ; des flots de cheveux Ijlonds, des yeux Ideus ravissants avec
des sourci» plus foncés, qui unissaient la vivacité à la langueur,
un teint d'une biaiu-liour éblouissante, une de ces ligures enfin
qui éclairent les lieux où elles paraissent. » [Histoire de M'^e de
Mnmicnon, par M. de NoaiUes, t. I, p. -450.) Elle cultivait la
poésie, et il existe d'elle des lettres en vers écrites dans les der-
nières années de sa vie au savant II net, qu'elle voyait beaucoup.
' Voici un des couplets que l'on lit à cette époque :
L'on dil que La Valliùrc
S'en va sur goii dcclin ;
DE MADAME LA DUCHESSE DORLÉANS. 91
plus d'esprit, se moquait d'elle publiquement, la trai-
tait fort mal, et obligeait le roi à en agir de même.
Il fallait que le roi traversât la chambre de La Yal-
lière lorsqu'il voulait aller chez la Montespan. Le roi
avait un bel épagneul appelé Malice : à l'instigation
de la Montespan, il prenait ce petit chien, et le jetait
à la duchesse de LaVallière, en disant : «Tenez, Ma-
dame, voilà votre compagnie, c'est assez. » Cela était
d'autant plus dur, qu'il ne restait pas chez elle, mais
qu'il allait chez la Montespan. Cependant elle a souf-
fert tout cela en patience. Elle avait autant de vertus
que la Montespan avait de vices. La fail)lesse qu'elle
avait eue pour le roi était bien pardonnable : tout le
monde le lui avait conseillé et y avait contribué. Le
roi était jeune, galant et beau; elle-même était encore
très-jeune, mais dans le fond elle était modeste et
vertueuse, et avait un très-bon cœur. Lorsqu'on la fit
duchesse et qu'on légitima ses enfants, elle fut déses-
pérée , car elle avait cm que personne ne saurait
qu'elle avait eu des enfants. Ses regards avaient un
charme qu'on ne peut décrire ; elle avait une taille
fine, mais de vilaines dents ; ses yeux me paraissaient
bien plus beaux que ceux de M""* de Montespan ; tout
son maintien était modeste. Elle boitait légèrement,
mais cela ne lui allait pas mal.
Paris. 15 avril 1719.
Mon fils ne peut se résoudre à se faire craindre, et
Ce n'est que par manière
Que le roi va son train ;
Montespan prend sa place ;
Il faut que tout y passe
Ainsi de main en main.
92 CORRESPONDANCE
c'est ce que ses ennemis ne savent que trop bien. Le
jour où il envoya à la Bastille le jeune duc de Riche-
lieu , il était troublé tout comme s'il lui était arrivé
un grand malheur; et pourtant il ne devait guère
avoir d'égard pour ce petit drôle , qui lui a souvent
manqué de respect , et qui a parlé de lui et de ses
fdles d'une façon qui, à elle seule, aurait mérité la
Bastille; mais mon fds ne fait qu'en rire.
M'»^ de Montpensier n'a pas eu la petite vérole ; les
deux petites, qui l'ont eue, viennent à présent me
voir chaque jour ; la petite Beaujolais est plus jolie et
plus gentille que jamais '. La maladie de M™* la du-
chesse {de Berri) vient d'avoir bu trop d'eau-de-vie,
et d'avoir énormément mangé; dès qu'elle est un peu
mieux , elle se remet à boire et à faire de nouveaux
excès, et elle éprouve une réduite ^
18 avril 1719.
Aujourd'hui il faut que je commence ma lettre
comme M™« de Ponikau en Saxe. Étant une fois en
couches et se trouvant seule, elle vit venir à elle une
petite femme vêtue à l'ancienne mode fi ançaise, qui
la pria de permettre qu'une compagnie put faire une
noce dans son appartement ; (lu'on prendrait bien
1 Cette jeune princesse avait reçu de la nature une âme ten-
dre et un naturel charmant; elle mourut avant la fin de sa ving-
tième année, de douleur de voir rompre le mariayc qui avait
été convenu entre elle et l'infant Don (larlos.
2 Saint-Simon raconte un Irait assez i)i(iuaul relatif à la d :-
cliessc de Berrl : Kllc accoucha d'un prince qui vint à sept
mois; la llaUerie fut telle, que presque toute la cour se trouva
avoir des enfants àccternic (t. XXI, p. 1 1}.
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 93
garde que ce fût dans un temps où Madame serait
seule. M™* de Ponikau y ayant consenti , il vint un
jour dans la chambre une grande compagnie de nains
et de naines; on apporta une petite table, on y mit
le couvert et un grand nombre de plats, et toute la
compagnie et la noce se placèrent à cette table. Au
milieu du festin, une de leurs petites femmes accou-
rut en s'écriant : « Dieu merci, nous voilà sauvés
d'un grand embarras, la vieille g.... est morte! » 11
en est de même ici aujourd'hui, la vieille g.... est
crevée à Saint-Cyr samedi passé, 15 avril, entre qua-
tre et cinq heures du soir. La nouvelle de l'arresta-
tion du duc du Maine et de sa femme l'a fait tomber
évanouie, et cela peut avoir été la cause de sa mort,
car depuis ce temps elle n'a plus eu un seul moment
de repos et de contentement. La colère et la perte de
l'espoir qu'elle avait de régner avec lui, lui ont tourné
le sang et lui ont donné la rougeole, puis elle a eu
durant vingt jours une fièvre continuelle. Un orage
qui est survenu a fait rentrer la maladie ; ce qui l'a
étoufiée. Elle devait avoir quatre-vingt-six ans. J'ai
dans la tête que ce qui lui a fait le plus de chagrin
lors de sa mort, c'est de laisser derrière elle mon fds
et moi en bonne santé ' .
A M. DE HARLING.
20 avril 1719.
Samedi soir nous avons perdu une pieuse âme à
' « Si Mme de Maintenon était inorto avant le roi , c'eût été
un événement dans rEurope entière ; deux lignes dans la ga-
zette apprirent sa mort à ceux qui ignoraient si elle vivait en-
core. » (Duclos.)
94 CORRESPONDANCE
Saint-Cyr, la vieille Maintenoii. C'est à un orage qu'il
faut s'en prendre de sa mort, car il a fait rentrer la
rougeole qu'elle avait. Elle est morte comme une jeune
personne ; elle a caché quatre années de son âge, car
elle ne se donnait que quatre-vingt-deux ans, et elle
en avait quatre-vingt-six. Si elle était morte vingt
ans plus tôt, je m'en serais cordialement- réjouie;
mais maintenant cela ne me fait ni plaisir ni peine.
11 n'y a pas tant à s'étonner que la Maintenon soit
morte que de ce qu'elle est morte comme une jeune
personne. Si dans l'autre monde, où tout est égal et
où il n'y a aucune différence de rang , on pouvait dé-
cider si elle resterait avec le roi ou avec son premier
mari, le paralytique Scarron , et si le roi savait tout
ce qu'on lui a caché, il n'y a pas de doute qu'il ne la
rejidit bien volontiers à Scarron.
A LA COMTESSE LOUISE.
Paris, 20 avril 1719.
Feu Monsieur ne voulait pas que l'épouse de son
fils fût coquette, Je ne désapprouvai point cela, mais
je ne voulais point qu'il avertit le mari et qu'il fit de
l'éclat 5 ce qui n'aurait eu d'autre résultat que de
forcer mon fils à garder une femme déshonorée.
Voyez , ma chère Louise , si je n'ai pas lieu d'être
inquiète ; avant-hier, on a arrêté un homme, nommé
La Jonckère, qui s'était engagé à enlever mon fils et
à le livrer, vivant ou mort, dans les mains d'Alhé-
roni. 11 ne l'a manqué, au bois de Boulogne, que d'un
quart d'heure.
DE MADAME I-A DUCHESSE d'oRLÉANS. 95
Paris, 22 avril 1719.
J'ai lu, ce matin, mes doaze chapitres de la Bible,
les 37, 38, 39 et 40^ psaumes, les quatre premiers
de l'Ecclésiaste, les 22, 23 et 24« de saint Luc, et le
4* de saint Jean; je vais ni'entretenir une demi-heure
avec vous, et j'irai ensuite au couvent du Val-de-Grâce
où ma petite-fille va arriver en venant de Chelles,
qu'elle quitte momentanément, tandis que l'abbesse
actuelle se retire et rend ses comptes à ses religieuses.
On lui fait une pension de 12,000 francs, jusqu'à ce
qu'il y ait quelque autre abbaye vacante à laquelle
on puisse la transférer. Je ne crois pas qu'il y ait ja-
mais eu une abbesse aussi jeune que ma petite-fdle ;
elle aura vingt et un ans au mois d'août prochain.
Lundi, j'irai chez le prince de Conti, qui m'a in-
vitée à venir à son château de Choisy, à deux heures
d'ici. C'est une belle résidence que la grande Demoi-
selle fit bâtir, et qu'elle légua à M. le Dauphin ; mais
le feu roi la trouva trop loin de Versailles, et il voulut
que le Dauphin l'échangeât contre Meudon , qui ap-
partenait à M'°^ de Louvois, dont les héritiers ont
vendu Choisy au prince de Conti. C'est un endroit
fort agréable , situé le long de la Seine ; les jardins
sont si près de l'eau, qu'on peut prendre le plaisir de
la pêche. Mercredi étant mon grand jour de corres-
pondance, je n'irai que le soir prendre congé du roi,
et assister au spectacle ; jeudi matin je serai de re-
tour à Paris ; je vous écrirai deux lignes ; et , après
avoir été à l'église, je partirai à midi pour mon cher
Saint-Cloud, afin d'y passer tout l'été, si Dieu le per-
met. Vous connaissez ainsi tout mon plan.
96 CORRESPONDANCE
Ce qu'a dit lord Stairs m'a choquée, sans m'ef-
frayer, car je savais bien que mon fils était sain et
sauf; ce pauvre lord est lui-même fort malade; les
dames françaises lui ont appris trop de français; sa
vertueuse femme me l'ait éprouver une compassion
réelle.
22 avril 1719.
Le feu roi n'était pas aussi brave que Monsieur,
mais il n'était pas poltron... Il se plaisait beaucoup
avec le comte de Grammont, qui était, en effet, fort
amusant ' ; il lui a accordé beaucoup de grâces et
l'admettait à tous les voyages de Marly; ce qui a tou-
jours été une faveur marquée.... Le roi s'est plaint
souvent de ce que, dans sa jeunesse, on ne l'avait pas
assez laissé s'entretenir avec le monde ; mais c'est
dans le naturel, car Monsieur, qui avait été élevé avec
le roi, était toujours disposé à parler avec toute sorte
de gens. Le roi disait en riant que le bavardage de
Monsieur l'avait dégoùlé de parler : « Ah! mon Dieu,
* Tout le monde connaît les Mémoires du comte de Gram-
mont, si spirituellement rédigés par Ilamilton; les éditions pu-
bliées en Angleterre, en 1792 et 1802, renferment de nombreux
portraits qui leur donnent un prix tout particulier. L'édition
mise au jour en 17 7 2, par les soins d'Horace Walpole, est
la première oii il y ait des notes. Celle imprimée chez Didot en
1783, 3 vol. in-18, est un bijou typographique d'une netteté
admirable ; le texte a malheureusement été l'objet de quelques
corrections peu heureuses.
« Grammont fut riiomme le plus à la mode de son temps,
l'idéal du courtisan fran(;ais à une époque où la cour était tout,
le type de ce personnage léger, brillant, souple, alerte, infatiga-
ble, réparant toutes les fautes cl les folies par un coup d'épéc ou
par un bon mot. » (Sainle-Ueuvc,)
DE MADAME LA blîCHESSE d'oRLÉANS. 97
disait-il, faut-il que, pour plaire au monde , je dise
autant de pauvretés et de sottes choses que mon
frère ? »
25 avril 1719.
Le 17 avril, on a amené un drôle qui, l'an passé, a
failli surprendre mon fils au bois de Boulogne. C'est
un colonel réformé, nommé LaJonckère; il avait écrit
à mon fils, en faisant des demandes exorbitantes de
pensions et de cliarges , ayant été refusé, il va en Es-
pagne, et promet à Albéroni de livrer mon fils mort
ou vif, et de l'enlever. Il vient avec deux cents hom-
mes qu'il met en embuscade aux environs de Paris.
Il n'a manqué mon fils que d'un quart d'heure au
bois de Boulogne , que celui-ci avait traversé pour
aller dîner chez sa fille à la Muette. Cet homme en a
été désespéré, et s'est sauvé dans les Pays-Bas. Là il
a dit avec jactance que puisqu'il avait manqué mon
fils une fois, il prendrait désormais si bien ses me-
sures , qu'on entendrait bientôt parler d'un grand
coup. Par bonheur, on a rapporté cela à mon fils, et
on a ajouté que l'homme était à Liège. Mon fils y a
envoyé un rusé compère qui a attrapé l'homme en le
conduisant hors de la porte; là, il lui a mis un pistolet
sur la gorge, et l'a menacé de le tuer sur-le-champ
s'il ne le suivait pas et s'il faisait du bruit. Saisi de
frayeur, le coquin s'est laissé conduire au bateau;
mais quand il a vu qu'on le conduisait sur le territoire
français, il n'a pas voulu aller plus loin, et il a dit : « Je
suis perdu, et je serai écartelé. » On l'a lié, et on l'a
conduit à la P.aslille.
li. 0
98 CORRESPONDANCE
26 avril 1719.
Le premier Dauphin avait suivi l'exemple de son
père , et pris une vilame et puante créature , qui
avait été fille d'honneur auprès de la grande prin-
cesse de Conti; elle s'appelait M'" Chouin; elle vit
encore à Paris. On a pensé qu'il l'avait épousée clan-
destinement ; je jurerais que cela n'a pas eu liéii.
Elle avait l'air d'un carlin. Elle était petite; elle avait
de petites jambes, un visage rond, un nez court et
relevé, une grande bouche remplie de dents pourries
qui avaient une puanteur telle qu'on pouvait la sen-
tir à l'autre bout de la chambre. Elle avait une gorge
horriblement grosse; cela charmait Monseigneur, car
il frappait dessus comme sur des timbales. Mais cette
créature courte et grosse avait beaucoup d'esprit. Je
crois que le Dauphin s'était habitué au tabac pour
ne pas sentir Thorrible odeur des dents pourries de
la Chouin. Il faisait beaucoup de cas du maréchal
d'Uxelles , parce que celui-ci feignait d'être ami in-
time de cette femme; mais dès que le Dauphin eut
fermé les yeux, le maréchal a cessé de la voir, et n'a
pas remis le pied chez elle, tandis que, tant que le
Dauphin a vécu , il passait toutes les journées chez
elle.
25 avril )7li).
On a trouvé dans la cassette du duc de Richelieu
d'autres lettres que des billets doux. Albéroni s'est lié
à un drôle qui l'avait précédemment servi et qui est
un espion de mon fils. Celui-ci a apporté à mon fils
la lettre d'Albéroni; on l'a ouvorlr, lue, copiée, pro-
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 99
prement recachetée et envoyée au petit duc (de Ri-
chelieu), qui y a répondu. Mon fils a celte réponse;
mais il ne peut en faire usage, parce qu'elle parle en
termes cachés... J'ai bien recommandé à mon fds
de faire attention à lui; il m'a promis de ne plus sor-
tir la nuit, mais je ne me fie nullement à lui... On
vient d'arrêter M. de Laval, le frère de la duchesse
de Roquelaure.
Saint-Cloud, 27 avril 1719.
Vous dites que vous n'êtes pas fatiguée d'entendre
vos deux prédicateurs : je dois avouer, à ma honte,
que je ne connais rien de plus ennuyeux qu'un ser-
mon; nul opium ne m'endormirait aussi bien, surtout
le soir.
J'ai trois belles bibles : celle de Mérian, que ma
tante, l'abbesse de Maubuisson, m'a laissée; une édi-
tion de Lunebourg, qui est fort belle, et une autre
que la princesse d'Oldenbourg, fille de la princesse
de Tarente, m'a envoyée l'an passé. Elle est comme
ma personne, petite et grosse ; mais ni l'impression
ni les gravures ne sont aussi belles que chez les deux
autres. Quand je vins en France, il était défendu à
tout le monde, si ce n'est à moi, de lire la Bible ';
depuis une couple d'années, c'était permis , mais la
constitution ' au sujet de laquelle on fait tant de
' Cette assertion n'est pas fort exacte ; il parut, sous le rè-
gne de Louis XIV, diverses traductions de la Biltle ; celle de Le
JMaistre de Sacy surtout fut souvent réimprimée (Paris, 17 07,
8 vol. in-12; 1716, .'5 vol.in-fol., etc.).
* La constitution Vn'igenïhis, qui condamna cent une propo-
eitions extraites du livre du père Qucsnel. Cette querelle Ihéo-
100 CORRESPONDANCE
bruit, l'a derechef défendu ; il est vrai qu'on ne veut
pas s'y soumettre; moi, j'ai dit en riant que j'étais
toute disposée à obéir à la constitution et à m' enga-
ger à ne lire aucune bible française; de fait, je n'ou-
vre que mes bibles allemandes. La Bible est une
bonne et salutaire nourriture, et, de plus, fort agréa-
ble ; mais les catholiques allemands n'y recourent
pas, et sont enclins à la superstition; de ce nombre
est la margrave de Bade, la femme du prince Louis;
au lieu de faire faire de l'exercice à son fds et de le
faire voyager, elle le conduit en pèlerinage à Notre-
Dame-de-Lorette, mais on ne peut se figurer combien
chacun en rit. Je partage votie affliction pour la perte
de votre nièce, mais on a tort de tant regretter une
petite fdle. Mon Dieu! quel bonheur c'eût été pour
mon fils s'il avait perdu ses trois premières fdles
dans leur enfance! Je ne veux pas en dire davan-
tage ' .
logique enfanta des milliers de volumes parfaitement oubliés
aujourd'hui ; nous n'en citerons qu'un seul, à cause de la singu-
larité de l'idùe qui l'a dicté : Virç/ilii Maronh Sibijlla capilo-
Vna, pocmalion intcrprcla/um et nol'ts illaslralian a S. L,
(P. Daude), Oxonii, (lloJlandc), 1Î2G, in-8. C'est un centon
composé de vers ou de fragments empruntés à l'auteur de i'É-
néide.
On ne s'attendait guère
A voir Virgile en cette affaire.
* La duchesse ne ferait-elle pas allusion aux bruits qui cou-
raient à l'égard do l'atlachcmcnt incestueux qu'on prétendait
exister de la part du Uégcnt pour deux de ses fdles!' Quant à
M"" de Valois, Lemontcy fait judicieusement observer que des
lettres nombreuses , échangées entre son père et elle, existent
aux archivcodcsalVaires étrangères, et que cette corrospondanco,
, ^
DE MAUA)JE LA DUCHESSE d'oIîLEANS. lOl
Le duc de Richelieu est lui arcliidébaiiché ' et un
poltron ; il ne croit ni en Dieu ni en sa parole ; de sa
vie il n'a rien fait et ne fera jamais rien qui vaille; il
est ambitieux et faux comme le diable. Il n'a pas
encore vingt-quatre ans. Je ne le trouve pas aussi
bien que toutes les dames qui sont folles de lui. Il a
une fort jolie taille et de beaux cheveux, le visage
ovale et des yeux très-brillanls , mais tout, dans sa
figure, indique le drôle; il est gracieux et ne manque pas
d'esprit, mais il est d'une insolence rare; c'est le pire
des enfants gâtés. La première fois qu'il fut mis à la
Bastille, ce fut pour avoir dit qu'il avait été au mieux
avec M»'" la Dauphine [la diœhcsse de Bourgogne) et
avec toutes ses jeunes dames, ce qui était le plus hor-
rible des mensonges ; la seconde fois , ce fut parce
qu'il fit lui-même savoir que le chevalier de Bavière
souvent tracée dans des circonstances orageuses, mais toujours
empreinte de dignité paternelle et de respect filial, ne permet
pas le plus léger soupçon. On ne saurait élre aussi afTiimatif au
sujet de la duchesse de Derri. Les chansonniers du temps nel'c-
pargnèrent pas ; l'un deux lui disait :
Un nouveau Loth vous sert d'époux ;
Reine des Moabites,
Faites bientôt sortir de vous
Un peuple d'Ammonites.
Il faut d'ailleurs reconnaître que la conduite du Régent jus-
tifiait les suppositions peu charitables de ses ennemis. 11 pro-
fessait et alTichait l'irréligion la plus efïrontée. Les jours consa-
crés à la dévotion étaient ceux qu'il choisissait de préférence
pour quelques débauches d'éclat. Le chilfrc dont il se servait
dans sa correspondance pour ks afl'iiircs étrangères était com-
posé des mots les plus orduriers qu'il y ait dans la langue fran-
çaise.
* Ein crlz desbeaiichitler.
9.
102 CORRESPONDANCE
voulait se battre avec lui. 11 y a deux jours qu'on a
mis à la Bastille un autre homme de qualité de la
maison de Laval , qui trempait dans les manigances
du duc et de la duchesse du Maine.
28 avril 17 J 8.
Le Dauphin avait de bonnes qualités et aussi beau-
coup de mauvaises. Ce qu'il avait de mauvais venait
de M"-* de Montespan , chez laquelle il était toujours
fourré, et ensuite chez M'^^ la Duchesse; le roi l'ai-
mait beaucoup , mais le connaissait bien. Il était plu-
tôt petit que grand et loin d'avoir la taille du roi. Sa
maxime éiait de ne pas montrer qu'il fit plus de cas
d'un homme de la cour que d'un autre.
29 avril 17)9.
Il est certain que M^e de Montespan se moquait de
la reine , mais elle se moquait de tout le monde. Elle
n'avait d'ailleurs aucune impertinence de hauteur
avec la reine ; c'est ce que le roi n'aurait point souf-
fert.
Elle avait marié un de ses cousins, M. de Moulpi-
peau, avec la fille d'un simple bourgeois, M''^ Aubry,
qui élait très-riche. Pour lui montrer qu'elle avait fait
un bon mariage, elle la fit venir un jour dans le petit
particulier. Cette jeune personne ne savait pas du
tout vivre; elle sauta sur le coin d'une table, croisa
les jambes, et se mit h se balancer tout comme si
elle eût été dans sa cliamlne. On j)ei.it s'imaginer quel
rire cela causa et r,omni(> M™" d(! M()nles|)aii raconta
plaisamment la chose pour divertir le roi. La petite
DE MADAME LA DUCHESSE O'ORLÉAXS. 103
créature s'imagina qu'elle prenait son parti et lui fit
compliment sur compliment.
Saint-Cloud. 30 avril 1719.
Le tluc de Richelieu n'est pas dans la conspiration
du duc et de la duchesse du Maine; il avait ourdi
une intrigue de son côte; il s'était mis dans la télé
de se rendre un personnage tellement considérable,
qu'on ne pourrait lui refuser un mariage très-au-
dessus de tout ce qu'il pourrait prétendre '; lorsqu'il
a vu que cet espoir s'évanouissait, il s'est, par dépit,
jeté dans un complot'. Ce n'est pas pour lui que deux
dames ont voulu se battre en duel , mais pour le
prince de Soubise, fils du prince de Rohan; il n'est
* Ceci se rapporte à une intrigue qu'avait Richelieu avec
M"e (le Charolais, de la maison de Condé; il s'était flaUé de l'é-
pouser. Les chansons du temps font parfois allusion à ces
amours :
Que Charolais jeiine et fringante
Pour Richelieu soit complaisante,
N'est-ce pas le sort de son sang?
Mais pour un seul, c'est bien la peine,
Quand, à son âge, sa maman
En avait plus de deux douzaines.
Vingt ans plus tard, les faiseurs de couplets continuaient leurs
attaques. Voici ce que nous trouvons dans le recueil Maurepas,
sous la date de 1737.
Princesse, en vain, aux amours.
Tous les jourS;
Vous offrez votre prière;
Apprenez qu'à quarante ans.
Les enfants
Vous prennent pour leur grand'raère;
Vos yeux ne sont plus louchants,
Et vos dents
Sont noires comme votre âme...
104 CORRESPONDANCE
pas mal, mais il ressemble à un veau qui tette encore;
le duc, les oubliant bien vite, s'est mis à se distraire
avec une troisième dame , mais le mari de celle-ci a
découvert ce qui se passait, et il a battu sa femme au
point de la rendre toute noirç et bleue. Le gouver-
neur de Metz, M. de Saillant, est arrivé à Paris de-
puis quelques jours pour disculper son neveu; je
donlc qu'il y réussisse, mais je crains que le drôle ne
soit pas puni comme il le mérite; mon fds ne peut
se résoudre à verser le sang; je pense qu'il se repen-
tira de sa clémence , car lorsqu'on ne se fait pas
craindre des Français, on n'a aucune prise sur eux.
Je dois convenir que je suis étonnée que Paris soit
encore debout et n'ait pas été englouti , car tout ce
qui s'y fait d'affreux, le jour et la nuit, fait dresser
les cheveux sur la tète.
2 mai 1719.
M"'^ la Dauphine {la duchesse de Bourgogne) ne s'est
jamais souciée du duc de Richelieu, quoiqu'il s'en
soit vanté, et il est allé pour cela à la Bastille. M'"« la
Dauphine était un peu coquette; elle bavard.iit avec
tous les jeunes gens; mais si elle a vraiment aimé
quelqu'un, ce n'a été que Nangis '. Elle lui avait re-
commandé de se poser comme s'il était amoureux de
1 Voir Saint-Simon, t. Ylll, p. 35. Nangis avait un visaij;e
gracieux sans rien de rare ; il était élevé dans l'intrigue et la
galanterie 11 était le favori des dames, t. VII, p. 109. — 11
est fort question , dans les inênics Mcmoires, t. IX, p. 60, du
comte (le Mauievrier, qui lit beaucoup piiricr de lui à cause de
sa passion pour la Dauphine et qui liuit par se suicider, circon-
stance fort rare à celle époque.
DE MADAME LA DUCHESSE D'oRLÉANS. 105
M""® de la Vrillicre , qui n'avait pas une aussi belle
taille ni de si bonnes manières que M™* la Daiipliine,
mais qui avait une figure beaucoup plus jolie et qui
était d'une coquetterie inouïe. On croit que de ce jeu
il est résulté quelque chose de sérieux. Le bon Dau-
phin était comme les maris de toutes les femmes ga-
lantes, qui sont toujours les derniers à remarquer
pareilles choses. Le duc de Bourgogne n'a jamais
pensé que sa femme songeât à Nangis, ce qui était
pourtant très-visible et ce que tout le monde voyait.
Il aimait sincèrement Nangis, et il croyait que c'était
pour lui plaire que sa femme parlait à Nangis; il
était bien persuadé que son favori avait une intrigue
avec M"'« de la Vrillière.
3 mai 1710.
Mon fds s'est toujours si bien disculpé des accusa-
tions que la Mainlenon et le duc du Maine dirigeaient
contre lui, que le roi l'a cru et qu'il lui a rendu jus-
tice après avoir tout examiné avec soin. M™'= d'Or-
léans ne s'est pas bien conduite dans cette circon-
stance; elle a laissé ses créatures mal parler de mon
fds et aller jusqu'à dire qu'il avait voulu l'empoi-
sonner ; pat là elle a fait la paix avec la vieille gue-
nipe, qui précédemment ne pouvait la souffrir. J'ai
souvent admiré la patience de mon fds, car il sait
tout cela tout aussi bien (jue moi.
Saint-Cloud, 4 mai 1119.
La cérémonie de rendre le pain bénit ne se fait
nulle part ailleurs qu'en France; elle est d'une ori-
106 COKUESI'ONDANCE
gine fort ancienne et vient de la distribution du pain
qu'on faisait, dans la primitive Église, pour la com-
munion ; il y a, parfois, de grandes querelles ici, au
sujet de savoir qui le rendra ou non, mais l'Église
n'y perd pas , car l'on donne des cierges avec de l'ar-
gent ; la maison royale présente treize écus d'or, avec
le cierge qu'offre le grand-aumônier.
Je ne me mêle nullement de ce qui se passe à
Rome ; le pape et moi n'avons aucun rapport ensem-
ble; il ne faut donc pas songer à s'adresser à moi
pour avoir quelque dispense.
Il n'est pas vrai que j'aie changé de nom; je n'ai
jamais pu avoir en France aucun autre titre que celui
de Madame, car mon mari était le frère du roi, et la
femme du frère du roi ne porte pas d'autre nom ; les
filles du roi l'ont aussi, mais, pour les distinguer, on
ajoute le nom de baptême; ainsi, les trois filles de
Henri IV se nommaient : Madame Élisabetii , qui fut
reine d'Espagne; Madame Henriette, qui fut reine
d'Angleterre, et Madame Christine, qui fut duchesse
de Savoie; les filles du frère du roi se nomment Made-
moiselle; la première porte ce titre, sans rien n'y
ajouter; les autres y ajoutent le nom de leurs apa-
nages ; c'est ainsi qu'il y a Mademoiselle de Chartres,
Mademoiselle de Valois , Mademoiselle de Monlpen-
sier; il en est de même des fils du roi : l'ainé s'ap-
pelle Monsieur, les autres prennent le titre de leurs
apanages; c'est par abus qu'on a dit le duc de Bour-
gogne , le duc de Berri ; il fallait dire Monsieur de
Bourgogne, Monsieur de Borri.
J'ai clé hier ù Paris rendre visite à notre abbesse,
DE MADAME LA DVCHESSE d'oRLÉANS. 107
qui est au Val-de-Grâce ; sa mère et elle sont fort mal
ensemble, et c'est la mère qui a tort. C'est une mé-
chante femme, qui n'aime ni son mari ni ses enfants ;
elle n'a d'attachement que pour son frère, et elle veut
faire regarder son arrestation comme un acte très-
injuste; elle dit que c'est un homme d'une piété fer-
vente, un véritable saint, et que la conspiration était
uniquement l'œuvre de sa femme, où il n'avait aucune
part.
J'admire la patience de mon fils, et, à sa place, je
ne l'aurais pas. Je me réjouis d'être hors de Paris,
afin de ne plus voir et entendre tant de choses pé-
nibles.
5 mai 1719.
La nouvelle abbesse de Chelles a une grande que-
relle avec madame sa mère ; M""^ d'Orléans dit qu'elle
ne pardonnera jamais à sa fille d'être convenue à son
insu, avec le père, de se faire abbesse; la fille a ré-
pondu que , puisque sa mère avait toujours pris le
parti de l'ancienne abbesse contre elle, on ne lui avait
pas confié ce secret, car elle s'y serait opposée; alors
la mère s'est mise à pleurer amèrement ; elle a dit
qu'elle était bien malheureuse avec son mari et ses
enfants, que son mari était l'homme le plus injuste
du monde, puisqu'il tenait captif son beau-frère,
l'homme le meilleur et le plus pieux du monde, un
saint, et que Dieu l'en punirait. La fille ayant ré-
pondu qu'elle se taisait par respect, la mère est deve-
nue encore plus furieuse ; cela montre que cette
femme nous hait tous comme le diable, et qu'elle
108 CORRF.SPONDANCR
n'aime personne que son frère^ le boiteux et ceux qui
l'aiment ou qui lui louchent de près.
6 mai 1717.
Au commencement, la vieille Maintenon n'était pas
aussi mt3cliante , mais elle l'est toujours devenue de
plus en plus. Pour nous, il eût suffi qu'elle eût crevé
il y a vingt ans; mais, pour l'honneur du feu roi, cela
aurait dû arriver depuis trente-trois ans, car elle a,
à ce que je crois, épousé le roi deux ans après la mort
de la reine, et il y a bien trente-cinq ans que la reine
est morte '.
7 mai 1717.
Le cousin de la vieille, qu'elle avait fait archevêque
de Rouen, et qui s'était donné beaucoup de mouve-
ment au sujet de la constitution, a suivi sa chère pa-
rente dans l'autre monde, huit jours après, jour pour
jour et heure pour heure.
10 mai 1717.
La grande princesse de Conti n'était pas mal avec
la Maintenon; celle-ci voulait se faire honneur de
distinguer cette princesse, qui avait mené une vie ré-
1 Les Mémoires de l'abbé deChoisy expluiuent les motifs du
mariage secret île Louis XIV :
« Le roi ne vouluit point se remarier par tendresse pour son
0 peuple ; il se voyoit trois petils-fils otjiiecoit prudemment que
« des princes d'un second lil pourroicnt, dans la suite des temps,
« cauM'r des guerres civiles. I)";uilrc colc, il no pouvoit se pas-
« ser de fenmies; M""-- de Maintenon étoit encore aimable; ses
« yeux étoient vifs et per(;ants, et son ;\gc la nieltoil hors d'état
« d'evoir des enfants. »
l
DE MADAME LA DICIIF.SSE D'oRLÉANS. 109
gulière et renoneù aux bagatelles... Lorsqu'on lui
annonça la mort comme prochaine, elle dit : « Mourir
est le moindre événement de ma vie. »
12 mai 1717.
Le nonce est fourré dans toutes les trames contre mon
fils; c'est un méchant prêtre et un mauvais diable...
M. de Pompadour a accusé le comte de Laval d'avoir
été en rapport avec le prince de Cellamare, et de lui
avoir servi de cocher pour le mener la nuil chez
M""* du Maine à TArsenal... Ce comte est toujours
malade, couvert de blessures; il a un bandeau qui lui
entoure le menton et va d'une oreille à l'autre; il
boite et il a souvent un bras en écharpe, et, avec tout
cela, c'est un intrigant infatigable ' ; il écrit nuit et
jour contre mon fds... On dit que M""' de Maintenon
a envoyé beaucoup d'argent dans les provinces pour
exciter des révoltes en faveur du duc du Maine; mais,
grâce à Dieu, cela n'a pas réussi.
Sainl-Cloud, 13 mai 1719
Vous me demandez ce qui m'a récemment mise
fort en colère; je ne puis le raconter en détail, mais
en gros; c'est l'effroyable coquetterie de M"" de Valois
avec ce maudit duc de Richelieu , qui a montré les
' C'était un gentilhomme ruiné, défiguré par une blessure,
bilieux, haineux et farouche (Sismondi). Pour s'entretenir des
relations au dehors, il s'aidait du chirurgien, qui faisait aussi les
fonctions d'apothicaire. 11 prétendit, afin d'avoir plus d'occasions
de le voir plus souvent, qu'd lui fallait deux lavements par jour,
i.'abbé Dubois se récria sur cette quantité de lavements; le duc
d'Orléans lui dit : « L'îibbé, puisqu'ils n'ont que ce divertisse-
ment, ne le leur ôtons pas. » [Mémoire de Sfaal.)
n. 10
110 CORRESPONDANCR
lettres qu'il avait d'elle, car il ne l'aime que par va-
nité '. Tous les jeunes seigneurs de la cour ont pu
voir les lettres où elle lui assigne des rendez-vous.
Sa mère voulait que je la reprisse avec moi , ce que
j'ai refusé tout net; mais on ne cesse de revenir à la
charge, et je suis horriblement vexée ; l'espèce hu-
maine me fait horreur. Je ne peux supporter l'idée
de revoir M"^ de Valois, et il faut cependant le faire,
afin d'éviter un bien fâcheux éclat ; la vue de cette
étourdie me fera mal. Tout cela est la suite de l'apa-
thie et de la nullité de la mère; que Dieu lui par-
donne ! mais elle a bien mal élevé ses filles.
Le duc est hardi et plein d'impertinence; il connaît
la bonté de mon fils et il en abuse; si on lui rendait
justice, il payerait de sa tête toutes ses témérités et
ses manœuvres; il l'a triplement mérité. Je ne suis
pas cruelle, mais je verrais, sans répandre une larme,
ce drôle accroché à un gibet. Je suis vraiment irritée
contre lui, et je le déteste de tout mon cœur. Notre
religieuse a été élue abbesse de Chelles; on a envoyé
hier un courier à Rome pour obtenir la confirmation
de cette élection. Je crains que la Maintenon ne
meure que comme la Gorgone, et qu'après sa mort
elle ne produise encore beaucoup de monstres. Si elle
était morte il y a trente ans , tous les pauvres réfor-
més seraient encore en France, et leur temple de
Charcnton n'aurait pas été rasé. La vieille sorcière a
été , avec le jésuite le père La Chaise , la cause de
tout cela; à eux deux ils ont produit tout le mal.
' Les Mémoires de Richclinu parlent avec impertinence de
euii iiiliiuuc uvcc M"<-" de Valois.
DE MADAME LA DICHF.SSR D'ORLKAXS. 111
16 mai 17 19.
La vieille gucnipe a fait répandre rto maison en
maison que mon fils avait empoisonné tontes les per-
sonnes de la famille royale qui sont mortes. Elle avait
gagné nn des médecins du roi pour disséminer ce
bruit. Si ISIaréchal, chirurgien du roi, avec tous les
autres honnêtes gens qui ont été présents à l'ouver-
ture des cadavres, n'avait pas affirmé qu'il n'y a pas
eu de poison, et s'il n'eût confirmé cela au roi , cette
méchante créature eût jeté dans le plus grand mal-
heur mon fils innocent.
17 mai 1719.
Les sommes dont les Noailles, neveu et nièce de la
Maintenon, héritent d'elle, sont immenses; mais on
ne sait pas tout ce qu'elle avait caché.
1G mai 1719.
W" d'Orléans en a voulu longtemps à sa fille, parce
que c'est à cause d'elle qu'on a fait sortir de son cou-
vent l'abbesse, sœur de Villars ; c'est que le maré-
chal est dans les intérêts du duc du Maine. Je trouve
cependant que cette abbesse n'est pas fort à plaindre,
puisqu'on lui donne 12,000 livres de pension, en
attendant la première abbaye vacante ; mais M">e d'Or-
léans ne peut soulïrir l'idée que la sœur du maré-
chal de Villars soit obligée de céder à la fille de mon
fils ; ce qui pourtant , selon moi , n'est pas incon-
venant'.
< Voir à ce sujet Saint-Simon , qui ne blâme point Mme de
Villars, et qui trace un portrait assez curieux de la nouvelle ab-
112 COHUESPONUAKCE
19 mai 1719.
M"' de Charolais dit que l'affaire de Bayonne ne
peut être vraie , parce que le duc de Richelieu ne lui
en a pas parlé, et qu'il n'avait rien de caché pour
elle. Elle dit aussi qu'elle ne veut pas voir mon fils,
puisqu'il a fait mettre le duc à la Bastille. Ce duc se
promenait sur la terrasse, frisé et paré, et toutes les
dames se tenaient dans la rue pour voir cette belle
image.
23 mai 1719.
J'allais voir M™» de Berri dimanche dernier; je la
trouvai dans un triste état; elle avait des douleurs si
affreuses aux plantes et aux doigts des deux pieds
que les larmes lui en venaient aux yeux. Je vis que
ma présence l'empêchait de crier, et là-dessus je par-
bessc : « tantôt austère à l'excès, tantôt n'ayant de la religieuse
o que l'habit, musicienne, chivuruienne, théologienne, et tout
'( cela de saut et par bonds, mais avec beaucoup d'esprit ; tou-
« jours fatiguée et dégoûtée de ses diverses situations et inca-
« pablc d'eu prendre une ; clic obtint enfin la permission de se
« déineltre. » 11 existe un petit volume intitulé : Lettre d'un
ecclcsiastiquc sur la vocation et la profession de Mme d'Or-
léans, ubbcsse deC/iclhs, Dijon, 17 19.
Le quatrièuie volume, réccuinient publié, du Catalogue de la
Bililiollièque de M. Leber, fait connaître (page 127) un manus-
crit remarquable ; c'est un examen de consciente de l'abbesse
de dii'Ues , fait par elle-mcuic, et dans lequel celte princesse,
conslanmient partagée entre les joies du monde et les austérités
du cit. ilrc, rappelle sans ménageuiçut les circonstances les plus
curieuses et les moins connues de sa vie intérieure, et des in-
lluencis secrètes qu'elle a subies. Voici un extrait qui ne laisse
auciui doute sur la sincérité de la pénitente, qui s'accuse en pré-
sciici' de Dieu :
« Mon père mourut. Je rcQus ce coup si sensible à mon cœur
DE MADAME LA ULCHESSE u'oilLÉANS. 113
lis. Je lui trouvai très-mauvaise mine; on a fait tenir
une consultation par trois docteurs : ils ont résolu
de la saigner au pied. On a eu de la peine à l'y déci'
der, car sa douleur aux pieds était si insupportable,
qu'elle jetait les hauts cris lorsque les draps du lit ne
faisaient que la froisser. La saignée lui a bien réussi ;
elle a moins souffert ensuite. C'était la goutte aux
deux pieds.
Saiot-^loud, 28 mai 1719.
Ma petite-filie ne pouvait plus supporter la hauteur
de son abbesse, qui est sœur du maréchal de Villars,
et qu'elle a remplacée. Je ne trouve pas l'ancienne
abbesse fort à plaindre, car on lui donne 18,000 li-
vres de pension par an, et elle a la promesse de la
première abbaye de son ordre qui deviendra vacante ;
« avec soumission à votre volonté. Le dirai-je? J'eus un moment
« de consolation que vous fussiez vengé d'un pécheur qui vous
« avoit tant offensé. Que je revins promptement au déchirement
« que cette perte faisoit à mon cœur ! L'autorité que son amitié
« pour moi me donnoit fut anéantie avec lui. Ses ministres, ja-
« dis si soumis à mes ordres, si assidus à me faire leur cour,
« reprirent leur orgueil naturel. Ma famille elle-même m'aban-
« donna sur un léger prétexte... J'arrivai au Val-de-Gràce :
« quelle dilférence pour une âme aussi vaine que la mienne !
« Mes chambres qui , du temps de mon père , ne désemplis-
« soient point de monde, étoient vides. Ces milliers de placets
« et de mémoires que mon amour-propre s'amusoit à recevoir,
« se changèrent en demandes ordinaires de pauvres. Je m'en
« retournay dans mon abbaye, la rage dans le cœur, et bien dé-
« terminée à m'en consoler par tout ce que je pourrois. Cette
n malheureuse aventure a été la source de toutes les fautes que
« j'ai faites dans la suite , et qui ont duré depuis l'âge de
n vingt-cinq ans jusqu'à' celui de trente-trois » (de 1125 à
« nai ).
10.
114 CORRESPONDANCE
cependant elle crie , ainsi que son frère , comme si
mon fils leur avait fait la plus grande injustice du
monde. 11 y a en France une insolence extrême, sur-
tout parmi les ducs et pairs; ils se figurent être les
égaux du roi, et le grand-père de ce Villars était un
simple procureur de village.
31 mai 1719.
Le roi fut fort touché de la mort de la reine , mais
ce vieux et méchant diable de Fagon l'avait amenée
à dessein, dans le but d'assurer par là la fortune de
la vieille.
La reine ne pouvait renier son pays; elle avait
beaucoup de manières espagnoles... On dit que c'é-
tait le grand usage de prendre du chocolat, qui avait
rendu ses dents noires et cassées ' .
!«' juin 1719.
Un jour, la reine, après avoir causé une demi-heure
avec le prince Kgon de Furstenberg % me prit à part et
me dit: « Âvcz-vous entendu M. de Strasbourg? Je ne
l'ai pas compris. » Un moment après, l'évoque me dit :
« Votre Altesse a-t-ellc entendu ce que la reine m'a
' ('cite reine, dont le riMe fut si insicnifiant, est l'objet d'un
panégyrique inséré dans un volume peu commun : Abn'gé de
la vie de frh-aiiguste et très-vertueuse princesse , Marie-
Thérèse d'Autriche, reine de France et de Navarre, par le R.
P. Bonaventure de Soria, sou conIVssour, Paris, 1083. L'ouvrago
fut réimprimé en Hollande la même année, augmenté de VO-
raison funèbre prononcée par llossuet.
» Cardinal et évcque de Slraslioiirg. Voir ce que Saint-Simon
(t. IV, p. 23») dit do ce prélat et do sa délresse au milieu d'im-
niiiiâCà revenus.
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. Il5
dit? Je n'en ai pas compris un mot. » Je lui dis :
« Pourquoi avez-vous doue répondu? » 11 dit : « Je
pensais qu'il serait impoli de faire voir que je ne com-
prenais pas la reine. » Le rire me prit si fort qu'il me
fallut m'en aller promptement.
4 juin ni9.
Hier est mort à Paris, à l'âge de quatre-vingts ans,
un homme qui, durant les trente années que j'ai passées
avec mon mari, m'a fait bien du mal; Dieu veuille le
lui pardonner! C'est le marquis d'Effiat, qui était
grand-écuyer et grand-veneur de Monsieur, et qiii
avait gardé ces fonctions auprès de mon fds. Il lui a
légué une belle maison d'une valeur de cent mille
livres; mon fds n'a pas voulu l'accepter, il l'a rendue
aux héritiers. C'était un homme extrêmement riche;
il avait des caisses pleines d'or et d'argent, et, le feu
ayant pris dans son appartement, six hommes ne pu-
rent les emporter, tant elles étaient lourdes. Il n'a pas
laissé d'enfants, et ses héritiers sont dans l'allégresse ' .
Ce matin, en allant à Paris, je suis descendue chez
les Carmélites , et j'y ai trouvé la bonne duchesse du
Lude, qui était à son dîner. Elle souffre nuit et jour
de la goutte, et elle est encore tranquille et gaie ; elle
a soixante-seize ans, et ne parait pas en avoir plus de
cinquante. J'y trouvai aussi une cousine, la nièce de
5[me la Princesse. Elle a épousé le comte d'Ourches,
» Voir Saint-Simon, t. XIX, p. 25 : « D'Efflat étoit un homme
de beaucoup d'esprit et de manège, qui n'avoit ni âme, ni prin-
cipes; qui vivoil dans un désordre public de mœurs et de religion,
également riche et avare; avec le chevalier de Lorraine, dont
il étoit l'àme damnée, il gouvernoit Monsieur et sa cour. »
116 COUKESPONDANCE
qui a été élevé au rang des comtes de l'empire, mais
qui n'a ici aucun rang, de sorte qu'elle ne peut s'as-
seoir à la cour; aussi ne vient-elle jamais me voir au
Palais-Royal, mais seulement dans un couvent où l'on
reste constamment debout. La sœur de son père , la
princesse Christine de Salm, déteste mortellement sa
nièce , parce qu'elle n'a pas voulu se faire religieuse ,
et elle l'a si bien brouillée avec M"'* la Princesse,
qu'elles ne se voient pas. Cette pauvre comtesse vou-
drait que j'amenasse une réconciliation avec sa tante ;
mais ce n'est pas chose facile , car M""® la Princesse
aime trop la princesse Christine pour ne pas prendre
son parti. La comtesse est si petite qu'elle me vient
à peine à la hauteur du nez ; elle est blanche et a de
grands yeux bleus, de sorte qu'elle n'est point laide;
elle a du jugement, parle avec une grande vivacité,
s'exprime bien en français , mais pas si bien en alle-
mand; on finit par s'habituer à sa figure, mais le pre-
mier aspect surprend et effraye tout net.
11 fait à Paris une chaleur épouvantable. Il est mort
hier une femme d'une façon vraiment étonnante; elle
était en peu de temps devenue si énormément grosse
qu'on pensait qu'elle était hydropique et on lui avait
fait force remèdes à cet égard ; mais comme elle ne
faisait qu'enfler davantage , on l'a menée de Flandre
à Paris pour consulter le docteur llelvétius, qui jouit
d'une grande réputation et qui est un homme d'un
grand talent. Il a dit qu'il fallait qu'il observât la na-
ture de la maladie. Deux jours après, on a trouvé la
femme morte dans son lit; la graisse s'était fondue
tout à coup et l'avait éloun'éc : n'est-ce pas une chose
DE MADAMK LA DLCHKSSE d'oULÉANS. 117
étrange? Elle se nommait M""" Doujat. J'ai bien connu
son père, car il était intendant de la grande Mademoi-
selle; je ne sais pas s'il vil encore ; il se nommait Ro-
linde; c'était un homme fort capable, mais méchant.
J'ai toujours aimé les gens sérieux, posés ; la pauvre
Dauphine de Bavière s'amusait à m'adresser tous les
jeunes freluquets de la cour , sachant bien qu'ils me
déplairaient, puis elle riait aux larmes de l'air vexé
qui se voyait sur ma figure.
6 juin 1719.
On a envoyé la Dauphine dans l'autre monde comme
si on lui avait tiré un coup de pistolet dans la tête...
Elle m'a dit souvent : « Nous sommes toutes deux
malheureuses; mais la différence entre nous c'est que
Votre Excellence s'est défendue contre son sort au-
tant qu'il lui a été possible, tandis que moi j'ai tra-
vaillé de mon mieux pour venir ici ; je mérite donc
bien ce qui m'arrive... » Elle aimait M. le Dauphin non
comme un mari , mais plutôt comme s'il eût été son
fils... On voulait la faire passer pour folle lorsqu'elle
se plaignait'. Une couple d'heures avant sa mort,
elle me dit : « Je montrerai aujourd'hui que je n'étais
• La Dauphine fut peu regreUée ; elle avait beaucoup d'es-
prit, mais les mœurs allemandes s'y laissèrent trop sentir dans
une cour qui n'était occupée qu'à adorer les volontés et les in-
clinaisons du roi. Le joug de Mn^e de Maintenon parut lui peser,
et celle-ci ne lui pardonna pas. Ses grossesses et ses couches dif-
ficiles altérèrent souvent sa santé. Le roi, qui mesurait à sa pro-
pre santé celle des autres, lui en sut mauvais gré, et il lui a
fallu mourir pnur qu'on crût à ses maladies. Elle n'avait jamais
élé belle, ni rien d'approchant (Saint-Simon, notes sur le/owr-
nal de Dangeau).
118 CORRESPONDANCE
pas folle lorsque je me plaignais et que je disais que
j'étais malade... » La vieille guenipe a envoyé de ses
gens parmi le peuple pour faire répandre le bruit que
la Dauphine haïssaitla France et qu'elle voulait créer
de nouvelles taxes et surcharger le peuple d'impôts.
8 juin 1719.
M"ie de Berri n'est pas dévote et n'en joue nulle-
ment le rôle ; M"« de Valois ne signifie rien et restera
toute sa vie parfaitement insignifiante; elle ne mérite
pas que nous parlions d'elle. Il faut reconnaître la
vérité ; là où les jésuites gouvernent, il en résulte ra-
rement de bonnes choses : personnellement, ce sont
des gens dignes d'estime, mais en corps ils sont fort
dangereux. L'électeur a le tort de se laisser gouverner
par des moines et des prêtres ; mais j'espère que lors-
qu'il reconnaîtra qu'il s'attire ainsi la haine de ses
sujets , il changera de sjstème et ne suivra plus ses
mauvais conseillers. J'ai appris avec peine que la
princesse de Sulzbach s'était blessée pour avoir trop
dansé pendant ce carnaval.
12. juin 1719.
J'étais indignée que la Graucey fût si insolente avec
moi, et qu'elle me brouillât toujours avec Monsieur.
Je lui ai souvent dit ce que j'en pensais; ceux qui n'en
savaient pas davantage prenaient cela pour de la ja-
lousie. A son retour de Rome, le chevalier de Lorraine
est devenu son amant déclaré; lui et d'Effiat l'ont fait
demeurer chez Monsieur, qui ne se serait pas le moins
du monde soucié d'elle : les sollicitations continuelles
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 119
de cette femme , et la lassitude du chevalier de Lor-
raine en avaient même tellement dégoûte Monsieur
que, s'il n'était pas mort, il l'aurait chassée de la
maison. 11 s'était lassé aussi du chevalier de Lorraine,
parce qu'il vit que celui-ci ne lui était attaché que par
intérêt. Quand Monsieur, trompé par ses favoris, fai-
sait quelque chose qui n'était pas convenable ou juste,
j'avais l'habitude de lui dire : « Vous mettez, par com-
plaisance pour le chevalier de Lorraine , votre bon
esprit dans la poche , et vous renfermez si bien qu'il
ne peut se montrer. »
13 juin 1719.
j^roe la Princesse est assurément fort malheureuse
avec ses enfants. La princesse de Conli, mère du prince
de Conli, n'est pas une étourdie, c'est au contraire une
personne vertueuse, mais une petite folle et une es-
pèce de comtesse de Pimbêche, car elle veut toujours
avoir des procès avec sa mère, qui a cherché tous les
moyens de s'arranger avec elle, mais cela n'a servi
de rien.
14 juin 1719.
La Vallière n'était pas encore au couvent quand je
suis venue en France ; elle est restée encore deux ans
à la cour. Nous fîmes une connaissance intime lors-
qu'elle prit l'habit de religieuse. Je fus bien touchée
de voir cette charmante créature prendre une pareille
résolution ; et, lorsqu'on la mit sous le drap mortuaire,
je me mis à pleurer si amèrement que je ne pus me
laisser voir davantage. Quand la cérémonie fut faite,
elle vint me liouvcr poui' ine consoler, et elle me dit
1 20 CORRESPONDANCE
qu'il fallait la féliciter et non la plaindre, puisqu'elle
commençait, dès ce moment, à être heureuse ; elle dit
qu'elle n'oublierait de sa vie la grâce et l'amitié que
je lui avais témoignée et qu'elle n'avait jamais méritée
de ma part '. Peu de temps après je retournai la voir,
j'étais curieuse de savoir pourquoi elle était restée si
longtemps comme une suivante chez la Montespan.
Dieu, me dit-elle, avait touché son cœur, lui avait
donné à connaître son péché ; elle avait aussi pensé
qu'il fallait faire pénitence et souflrir ainsi ce qui était
le plus douloureux pour elle, partager le cœur du roi
et se voir méprisée de lui. Dans les trois années après
l'amour du roi, elle avait souffert comme une âme
damnée, et elle avait offert à Dieu toutes ses peines en
expiation de ses péchés passés; car, puisque ses pé-
chés avaient été publics, il fallait aussi que sa péni-
tence fût publique. On la prenait pour une sotte qui
ne remarquait rien, et c'était précisément alors qu'elle
avait le plus souffert, jusqu'à ce que Dieu lui eût ainsi
mis dans l'esprit de tout quitter et de ne servir que
lui, ce qu'elle avait fait; mais qu'à cause de ses vices
elle n'était pas digne de vivre auprès d'âmes aussi
* 11 n'a rien été écrit de mieux sur M-^'' de La Vallière que
la notice de M. Sainte-Deuve injéréc au Constituliounel ,
10 mars 1851, et icinoduile dans les Causeries du lundi,
t. 111, p. 3't!)-;iOC ; nous y renvoyons volontiers nos lecteurs.
L'habile critique parle, p. 35C, d'un exemplaire des Ii('Jlexions
sur la miséricorde de Dieu qui est h la liitiliollièquc du Louvre;
il offre de nombreuses corrections manuscrites qui ont été attri-
buées à Bossuet. M. Damas-Hinard les a publiées avec soin ,
1853, In- 18, et M. Komain-Curnul après avoir donné, à cet
égard, une notice intéressauledans la Revue de Paris, octobre
1863, en a fait l'objet d'un volume mis au jour en 1854.
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 121
pieuses et aussi pures que l'étaient les autres carmé-
lites. On voyait que cela venait du fond de son âme.
15 juin 1719.
A treize ans, mon fils était déjà un homme; une
dame de qualité l'avait instruit.
16 juin 17i9.
Je ne me suis de ma vie aussi divertie que dans le
voyage que j'ai fait avec le roi en Flandre-, la reine et
la Dauphine vivaient encore. Dès que nous arrivions
dans une ville, chacun se relirait d'abord chez soi,
puis on allait à la comédie, qui était souvent si mau-
vaise que nous riions à nous en rendre malades. Entre
autres choses, je me souviens qu'à Dunkerque il y
avait une troupe qui jouait Mithridate. En parlant à
Monime, Mithridate laissa échapper je ne sais quel
mot grossier. Aussitôt il se tourna vers M"i^ la Dau-
phine, et lui dit : « Madame, je vous demande très-
humblement pardon ; la langue m'a fourché. » On peut
juger des éclats de rire que cela occasionna. Ce fut
encore pis lorsque le prince de Conli', mari de la
grande princesse , qui était assis au-dessus de l'or-
chestre, tomba dans cet orchestre à force de riro; et
comme il voulut s'accrocher à la corde du rideau , le
rideau tomba sur les lampes et prit feu; on l'éteignit
aussitôt, mais il resta un grand trou. Les comédiens
ne firent semblant de rien, ils continuèrent de jouer,
* Louis-Armand de Bourbon , prince de Conti , marié en
1680 à Marip.-Aiine légitimée de Fiance, dite mademoiselle de
Blois, liile de Louis XIV et de M'"' de La Vallière. On l'appelait
à la cour hf (jrnnde princesse à cause de sa haute taille.
u. 11
122 CORRESPONDANCE
quoiqu'on ne les vît qu'au travers de ce trou. Le jour
où il n'y avait pas de comédie , nous avions des pro-
menades et de bonnes collations ; en somme, il y avait
presque chaque jour quelque chose de nouveau. Après
le souper du roi, il y avait de superbes feux d'artifice
que donnaient les villes de Flandre, et qui étaient
magnifiques. Tout le monde était gai , la cour était
toujours réunie, et chacun ne songeait qu'à rire et à
se divertir.
18 juin 1719.
J'ai rendu hier visite à la duchesse de Berri ; elle
va mieux, grâce à Dieu, mais elle ne peut encore mar-
cher. 11 lui est venu à la plante des pieds de grosses
ampoules qui lui font éprouver des brûlures, comme
si l'on appliquait uu fer rouge ; c'est une maladie bien
singulière. Deux fois par semaine on lui donne une
médecine et, à jour passé, un clystère ; cela lui fait
du bien ; il parait ainsi que son mal vient de l'aflieuse
gloutonnerie à laquelle elle s'est livrée l'an dernier.
Je vous ai dit que mon fils avait eu la fièvre; il est
rétabli maintenant, mais je crains lort qu'il ne rechute,
car il est, pour le moins, tout aussi glouton que sa
fille, et il n'écoute aucun conseil.
La iiatiun anglaise est une nation inéchanle, fausse
et ingrate. La plupart des gens de qualité qui étaient
à Saiut-Germain et que la feue reine soutenait, en
«'imposant personnelleniont les plus grandes priva-
tions, se déchaînent contre elle et disent mille men-
songes de celte i eine, qui était si vertueuse et si pieuse.
Cela me remplit de courroux.
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 123
26 juin ni9.
On attachait autrefois en ce pays tant d'importance
à la naissance d'un septième garçon , que les rois
donnaient une pension au père; cela a tout à fait
cessé, car on a reconnu que ce n'était qu'une super-
stition ; quant à ce qu'on dit du pouvoir qu'a un sep-
tième garçon de guérir les écrouelles, je crois qu'il en
est de celte faculté comme de celle dont se vante le
roi de France ' . Si l'on suivait mon avis, tous les sou-
verains donneraient ordre que parmi tous les chré-
tiens, sans distinction de religion, on eût à s'abstenir
d'expressions injurieuses, et que chacun croirait et
pratiquerait selon sa volonté; toutes les lois qui pu-
nissent avec tant de rigueur les différences d'opinions
entre chrétiens, seraient abolies, et on se conformerait
ainsi à l'Évangile qui recommande à tant d'endroits
la charité, et qui dit : « Qui aime Dieu de toute son âme
et son prochain comme soi-même , c'est la loi et les
prophètes. » Regarder un autre comme damné, c'est
agir directement contre la charité, et cela fait qu'on
hait le prochain au lieu de l'aimer ; cela serait donc
sévèrement défendu, mais je crains qu'on n'écoutera
ni ne suivra mon conseil.
27 juin 1719.
Si le roi avait bien connu la duchesse de Hanovre,
" On voit que Madame ne croyait guère au vieux privilège
que les rois dft France ont longtemps passé pour posséder, et
sur lequel il a été écrit divers ouvrages, parmi lesquels on dis-
tingue celui de Iju Laurent , premier médecin d'Henri IV : De
nirabili strumas sanandi vi solis Gallix rerj\bx(s divinitus
concessa. Paris, 1009, 2 vol. in-8.
124 COIUtESPOXDANCt;
il n'eût pas été fâché de ce qu'elle l'avait appelé
M<jnsieur; mais comme elle était une souveraine, il
a pensé (juc c'était par orgueil qu'elle ne voulait pas
lui donner le titre de Sire, et cela l'a olfensé. 11 était
susceptible pour de pareilles choses.
4 juillet 1719.
Après la mort de mon mari, je n'ai revu la Grancey
qu'une seule fois; elle me rencontra au jardin. Quand
elle devint laide , elle fut désespérée ; il s'était opéré
chez elle un changement si affreux que personne ne
pouvait la reconnaître. Son beau nez était devenu
très-gros , long et couvert de bourgeons ; sur chacun
de ces bourgeons, elle mettait une mouche; cela fai-
sait un effet étrange : le blanc et le rouge, ne tenant
plus sur sa figure, s'écaillaient. Ses yeux étaient creux
et battus; on peut se figurer l'alléralion que cela pro-
duisait sur son visage. En Espagne, on enferme la
nuit jusqu'aux femmes de chambre de soixante-dix
ans. Quand la Grancey suivit notre reine en Espagne,
comme dame d'atour, on l'enferma aussi le soir; elle
en fut désolée. Quand elle mourut, elle s'écria : « Ah!
mon Dieu, faut-il que je meure, et je n'ai de la vie
songé à la mort! » Elle n'avait jamais rien fait que jouer
avec ses amants juscju'cà trois ou six heures du matin,
se régaler, fumer du tabac, et puis faire ce qui était
son métier oïdinaire. Lorsqu'elle perdit son temps cri-
tique, elle se désespéra et s'écria : « Je deviens vieille,
et ne pourrai plus avoir d'enfants! » Cela a fait rire
tout le monde, ses amis et ses ennemis. Elle avait eu
une fois une dispute avec M"'* de Bouillon ' ; le soir
' Une des nièces de Mazariii. On liome de Ioiiias dclails sur
DE MADAME LA DLCIIESSE d'oHLEANS. 125
il prit envie à la Grancey de se cacher dans l'embra-
sure d'une croisée de celle dame, qui, ne croyanl pas
être écoutée, s'enlrelenait libremenl avec la marquise
d'Alluye ' de la vie déréglée de la Grancey, dont, en
effet, il n'y avait pas grand éloge à faire; elle dit que
la Grancey avait eu tort de donner la v....e à ce pauvre
Contade , et autres choses semblables. Aussitôt la
Grancey se précipite dans la chambre, et se met à in-
jurier M™* de Bouillon , comme une poissarde. Celle-
ci , qui ne garda pas le silence , répliqua , et l'on en-
tendit de belles choses. M'"^ de Bouillon alla se
plaindre ensuite de la Grancey, d'abord pour s'être
introduite la nuit dans son embrasure, et, en second
lieu, pour l'avoir insultée chez elle. Monsieur gronda
la Grancey, lui dit que c'était de sa faute si elle s'é-
tait attiré ce désagrément, et lui enjoignit de se rac-
commoder. La Grancey dit : (c Puis-je me raccommoder
avec M^^de Bouillon après tout le mal qu'elle a dit de
moi? » Après avoir réfléchi un peu, elle ajouta : « Oui,
je le puis, car elle n'ajamais dit que j'étais laide. » Elles
se sont ensuite embrassées, et ont fait la paix.
Saiiit-CIoud, 6 juillet 1719.
M. Fesch est veuf; il a un fils et il déplore chaque
son compte dans l'ouvrage de M. de Laborde, le Palais Mazarin,
p. 36 4 et suiv. Saint-Simon en parle souvent et n'oublie pas son
orgueil , sa naissance, sa beauté ( Mémoires, t. XX, p. 215,
222). Elle mourut d'apoplexie à soixante-huit ans.
» Compronuse dans l'allaire des poisons en IGSO, elle quitta
la France avec la comtesse de Soissons, sœur de la duchesse de
Bouillon. Sa conduite avait été fort peu régulière ; elle mourut
à l'âge de plus de quatre-vingts ans. Voir Saint-Simon, t. XXXIV,
p. 79.
11.
126 CORRESPONDANCE
jour la mort de sa femme ; je crois que M"** de Zach-
mann l'aurait consolé si elle l'avait voulu, et il a rai-
son , car on ne peut voir une petite femme plus gra-
cieuse et charmante pour la figure comme pour les
manières. Lui est un Suisse, et il a beaucoup de ca-
pacité.
7 juillet 1719.
Entre mon fils et ses maîtresses tout va tambour
battant et sans la moindre galanterie; cela me fait
l'eflet des anciens patriarches qui avaient beaucoup
de femmes ' ... Le duc de Saint-Simon s'impatienta une
fois de la bonté demonfds, et il lui dit en colère: «Ah!
vous voilà bien débonnaire ; depuis Louis le Débon-
naire on n'a rien vu d'aussi débonnaire que vous. »
Mon fds faillit se rendre malade à force de rire.
8 juillet 1719.
La dernière Dauphine était horriblement sale; par-
fois elle s'est fait donner un clystère dans le cabinet
du roi DÛ il y avait beaucoup de monde; elle se te-
nait debout devant le feu , derrière un petit écran ,
et la femme qui le lui donnait se tenait à genoux
' On trouve dans les Mélanges Ae Bolgjourdan, t. 1, p. 210,
quelques détails sur Mmes Leve^que, Dorvanx, Hnuël, inaitressfs
peu corinneb du Hégent. Voir aussi les Mémoires de Maurepas,
t. I, p. loa et suiv. La duchesse de Falari, auprès de laquelle il
mourut, était petite-fille d'un traitant dont boileau a placé le
nom dans ses satires. Son mari, persimnaye des plus currompua,
escroc et habituellement en prison, parcourut en aventurier une
partie de l'Kurope et termina se» jours en Russie, en 1740, au
fund d'uu cuchut.
DE MADAME LA DLCHKSSE D'ORLÉANS. 127
après s'être avancée en rampant sur les pieds et sur
les mains; cela passait pour une gentillesse'!
Le roi Jacques est mort ' avec beaucoup de réso-
lution et de fermeté, sans bigoterie et pas du tout
comme il avait vécu. Je l'ai vu et je lui ai parlé vingt-
quatre heures avant sa mort ; je lui dis : « J'espère
que Votre Majesté se trouvera bientôt mieux. » Il se
mit à rire et dit : « Et quand je mourrais ? n'ai-je pas
assez vécu? »
Le roi et Monsieur avaient été, dès l'enfance, ha-
bitués à voir des maisons sales, de sorte qu'ils regar-
daient la chose comme toute simple, mais sur leurs
personnes il étaient fort propres.
La Montespan avait, avec une taille épaisse et
laide, un éclat extraordinaire et beaucoup d'esprit
dans les yeux, une très-jolie bouche et un rire char-
mant. Elle était bien drôle et bien amusante; on ne
pouvait s'ennuyer auprès d'elle.
Sainl-Cloiid, 9 jiiillfif 1719.
Les mauvais prêtres sont de méchants personnages ;
* Saint-Simon, qui confirme ces singuliers détails , dit aussi
qne la Dauphine avait d'autres étranges habitudes : « Elle cau-
soit sur sa chaise percée avec M^es je Nogaret et du Chastelet,
qui me le contèrent le lendemain, et c'étoit là où elle s'ouvroit
le plus volontiers. » (Mémoires, t. X, p. 185.) Cet auteur prouve
en maint passage ce que nous avons déjà dit au sujet de l'im-
portance du rôle de la chaise percée à cette époque ; il montre
le duc de Noailles allant trouver le Régent comme il sortoit de
son lit et allait se mettre sur sa chaise peicëe (t. XXVII, p. 1 15),
et Tallard mettant comble la chaise percée de Vill8roi(t. XXVIII,
p. 203).
' Voir le ré<;it que fait Saint-Simon, t. IV, p. 47, du trépas
de ce monarque.
128 CORRESPONDANCE
quand ils se sont mis dans la tête de tourmenter les
gens, ils n'ont aucun repos jusqu'à ce qu'ils aient
accompli leurs projets; j'en ai vu assez pour être bien
iixée à cet égard. C'est pitié que de voir les gens qui
veulent être dévots et qui croient aveuglément tout
ce que les prêtres leur disent; le feu roi était ainsi; il
ne connaissait pas un seul mot de la sainte Écriture;
on ne la lui avait jamais laissé lire; il croyait que
pourvu qu'il écoutât son confesseur et qu'il marmot-
tât ses patenôtres, il était dans la bonne voie et il
craignait sincèrement Dieu. Cela me faisait bien de
la peine, car ses intentions ont toujours été excel-
lentes; mais la vieille { Main(enon) et les jésuites lui
ont persuadé que s'il persécutait les réformés , il ef-
facerait ainsi devant Dieu et devant le monde le scan-
dale qui résultait du double adultère dans lequel il
vivait avec la Montespan; c'est ainsi qu'il a été
trompé ' . J'ai souvent dit mou opinion à cet égard à
mes deux confesseurs % le père Jourdan et le père de
* D'après M. Walckenacr, qui a fait une élude si approfondie
du siècle de Louis XIV, M*"" de Mainteuon rédigea, en eiïct, un
mémoire sur la révocation de l'édit de Nantc» ; elle y fut ame-
née par tout le clergé et par les ministres eux-mêmes. Ou peut
consulter sur cette grande affaiic V Histoire de M"'^ de Main-
tenon, par M. de Noailles, t. 11. Ajoulons que M. Wakkcnaër
consacre à M"'" de Maintenon des pngcs nombreuses du tome V
de ses Mémoires sur M"^" de Sévigné (p. 209, 2\'o et noies,
427 et suiv.j. Très-opposé au point de vue de Madame, il célè-
bre la beauté el la ponté de l'ànie de Kninçoise d'Aidiigné.
* Louis XIV a&siguait lui-même aux personnes de la famille
royale les eoulesseurs qu'il voulait leor donner. « MouHeiuneiu'
n'a jamais eu d'autre confesseur (|uc ceiiii du roi. La dochesse
de lîouryoyue, élevée à Turin , dans l'éliiiincuiijnt des jésuites,
DE MADAME LA DUCHBSSK d'OULKÂNS. 120
Saint-Piene ; ils me donnaient raison, de sorte qu'il
n'y avait à ce sujet aucune dispute entre nous. Les
capucins sont des gens fort simples; la religion est
pour eux pleine de petites pratiques superstitieuses,
mais en somme, ce sont de bonnes gens.
14 juillet 1719.
M. d'Entremont , dernier ambassadeur de Sicile,
étant sur le point de partir, avait déjà eu son audience
de congé; mais il lui survint des affaires qui l'obli-
gèrent de rester encore quelque temps à Paris. Il se
trouva sans logement , attendu que son hôtel avait
déjà été loué. Une dame , voyant madame d'Entre-
mont dans l'embarras, lui dit : « Madame, je vous
offre ma maison, ma chambre et mon lit. » L'ambas-
sadrice, qui ne savait comment faire, accepta cette
offre avec beaucoup de plaisir ; elle se rendit chez la
dame, et se mit tout de suite au lit, car la pauvre
femme est vieille et malade. Vers minuit, elle enten-
dit un bruit, comme si on montait un escalier dérobé.
Quelqu'un ouvrit une porte donnant dans la ruelle,
en eut un pour confesseur en arrivant, lequel lui ayant été ôté
pour les affaires de la Chine, le roi lui en nomma d'autres dont
elle ne s'accommoda pas, et le père de La Rue, enfin, qu'il lui
fallut bien accepter, a demeuré. Sa belle-mère ne s'en était
sauvée qu'à la faveur du langage et, de ce qu'ayant amené de
Bavière un jésuite allemand , b s jésuites la laissèrent faire »
{Journal de Dangeau). Le confe.-seur de Madame n'était, se-
lon Duclos, qu'un domestique de plus dans sa maison. L'abbé
de Saint-Pierre, frère du jésuite, fait, dans ses Annales politi-
ques, l'éloge de la princesse, dont il fut le premier aumônier
durant plus de vingt-cinq ans.
130 CORRESPONDANCE
entra, et se mit à se déshabiller. L'ambassadrice
commence à crier : « Qui est là? » On lui répond :
« Taisez-vous donc, c'est moi. » — « Qui ôtes-vous?»
reprit l'ambassadrice. L'inconnu répondit : « Depuis
quand êles-vous si farouche? vous n'avez pas coutume
d'être si sauvage avec moi ; je vais me coucher tout à
l'heure. » A ces mots, l'ambassadrice se mit à crier
au voleur. Le monsieur se rhabilla en toute hâte et
s'enfuit.
Quand le prince électoral de Saxe vint ici, il fit au
roi un joli compliment sans hésiter : nous crûmes que
cela venait de lui, et nous pensions qu'il avait beau-
coup d'esprit ; mais il n'a pas soutenu cette opinion ;
apparemment que le compUment avait été fait par l'é-
lecteur palatin. Le roi ordonna à la duchesse de Berri
de montrer au prince électeur tout Marly. Il se pro-
mena une grande heure avec elle, sans lui offrir la
main et sans lui dire un seul mot. Pendant qu'ils gra-
vissaient un monticule, le palatin, son gouverneur, le
poussa dans le côté ; et comme le prince ne compre-
nait pas ce qu'il voulait, il fut obligé de crier : « Pré-
sentez donc la main à M"^^ la duchesse de Berri ! » Le
prince le fit sans dire une seule parole. Quand ils fu-
rent arrivés en haut, M'"*-' de Berri dit en plaisantant :
« Voici une belle place pour jouer au colin-maillard ; »
alors sa bouche s'ouvrit, et il dit : « Oui , j'y jouerai
volontiers. » M'"*' de Berri était si fatiguée qu'elle ne
put jouer; mais le prince joua toute la journée sans
faire la moindre honnêteté à M™«> de Berri, qui s'était
fatiguée pour lui. On voit par là combien ce prince est
puéril.
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. I3l
«5 juillet 1719.
11 faut avouer la vérité : là où les jésuites gouver-
nent, il en résulte rarement quelque chose de bien ;
en particulier ce sont des gens honnêtes et estimables;
mais en général ils sont bien dangereux. Je croyais cet
électeur trop habile pour se laisser mener par des
moines et des prêtres, mais j'espère qu'on lui fera voir
que ces gens qui le tourmentent le feront haïr de ses
sujets, et qu'il comprendra mieux ce qui est à propos,
ce qui fera qu'il ne suivra plus de pernicieux conseils.'
J'ai appris que la princesse de Sultzbach s'était blessée
parce qu'elle avait trop dansé dans le carnaval, et
qu'elle ne s'était pas ménagée; c'est à leurs dépens
que les jeunes gens deviennent sages; si c'avait été sa
première grossesse, ce serait fort dangereux, mais à la
seconde cela ne peut nuire; elle se trouvera bientôt
enceinte derechef.
16 juillet 1719.
Je crois que les excès de la duchesse de Berri pour
le manger et pour le boire la mettront en terre. Elle
a des fièvres continuelles et deux redoublements par
jour. La fièvre ne la quitte jamais. Elle ne montre ni
impatience, ni colère ; elle éprouve de grandes dou-
leurs par suite de fémétique qu'on lui a donné hier.
Elle est devenue aussi maigi-e et aussi sèche qu'elle
était grasse; elle s'est confessée hier et elle a com-
munié.
17 juillet 1719.
Le prince de Conti croyait être guéri, mais il a eu
une rechute en Espagne, et quoiqu'il soit général de
132 CORRESPONDANCE
cavalerie, il ne peut pas du tout montera cheval. Je
dis mardi dernier à la jeune princesse que j'avais ap-
pris que son mari n'était pas entièrement rétabli. Elle
se mit à rire, et me dit à l'oreille : « Bon! bon ! il est
guéri; mais il fait semblant de ne pas l'être de peur
d'être obligé d'aller à la tranchée et d'y être tué, car
il est poltron comme un singe. » Il me semble que si
je me trouvais aussi pen propre à la guerre, je ne vou-
drais pas entrer en campagne, car rien ne l'y oblige.
On doit aller à la guerre pour acquérir de l'honneur
et non de la honte. Ses meilleurs amis, comme Lanoue
et Clermont, le lui ont représenté; cela les a brouillés
avec lui ; c'est une chose triste lorsqu'on ne se connaît
pas soi-même.
17 juillet 1719.
Cette nuit la duchesse de Berri est morte entre deux
et trois heures ; sa fin a été très-douce; on dit qu'elle
est morte comme si elle s'était endormie '. Mon fils est
resté auprès d'elle jusqu'à ce qu'elle ait entièrement
perdu connaissance. C'était son enfant chéri.
18 juillet 1719.
La pauvre duchesse de Berri s'est ôté la vie à elle-
même, comme si elle s'était tiré un coup de pistolet
dans la tête, car elle a mangé on secret des melons,
des figues et du lait ; elle inc l'a avoué elle-même, et
' D'après Saint-Simon, le docteur Chirac donna A la du-
chesse un purgatif qui doiruisil le hon cITet qu'avait produit
l'rlixir do Garus ; le caustique duc et pair s'emporte fort cmilre
rauilacr, l'impudence, la scélératesse du docteur (t. XWIll,
p. 80.)
DE MADAME LA DUCHESSE D'oRLÉANS. 133
mon docteui' m'a r.iconté qu'elle lui avait fermé sa
chambre ainsi qu'à tous autres docteurs pendant qua-
torze jours, pour accomplir celle belle œuvre. Dès
que l'orage est venu, elle a tourné à la mort. Elle me
disait hier soir : « Ah! madame, voilà un coup de
tonnerre qui me fait bien du mal. » Cela était bien
visible ' .
19 juillet 1719.
Elle a reçu les derniers sacrements avec une telle
fermeté, que chacun en avait le cœur navré.
20 juillet 1719.
Mon fils a perdu le sommeil ; la pauvre duchesse de
Berri ne pouvait être sauvée; sa tête était toute pleine
d'eau; elle avait un ulcère dans l'estomac, un autre
dans la hanche; le reste était comme delà bouillie et
le foie attaqué. On l'a conduite, la nuit, en secret, avec
toute sa maison, à Saint-Denis. On a été tellement em-
barrassé pour faire son oraison funèbre qu'on a jugé
à propos de n'en point faire du tout ^ Elle a dit
qu'elle mourrait sans regret, puisqu'elle était récon-
ciliée avec Dieu, et que, si sa vie se prolongeait, elle
pourrait bien l'offenser de nouveau; cela nous^a si fort
touchés que je ne saurais l'exprimer. Au fond c'était
* Dès le commencement de sa maladie, la duchesse voua au
blanc, pour six mois , elle et sa maison ; pour accomplir son
vœu, elle ordonna un carrosse dont les harnais étaient en argent.
{Mànoires de Duclos.)
- CeUe princesse fut un prodige d'esprit, d'orgueil, d'ingra-
titude, de folie, de débauche, et d'entclement. » (Saint-Simon,
t. XVII, p. 20;.
"• 12
134 CORRESPONDANCE
une bonne personne, et si sa mère en avait pris plus
de soin et l'avait mieux élevée, il n'y aurait en que du
bien à en dire. J'avoue que sa perte me va au cœur.
Mais parlons d'autre chose, car celle-là est trop
triste.
Ce que vous n'avez pu lire dans ma dernière lettre
vient de ce qu'elle a été en partie déchirée par un de
mes chiens qui la saisit au moment où je venais de la
terminer. Je vois que vous n'aimez pas les chiens, car
si vous les aimiez comme moi, vous leur passeriez
tous leurs petits défauts. J'ai une chienne nommée
Reine inconnue, qui comprend tout aussi bien qu'un
homme et qui ne me quitte pas un moment sans se
mettre à pleurer et à hurler aussitôt qu'elle ne me
voit plus.
Dans les commencements que je vins en France, je
voulus une nuit me promener dans le jardin de Ver-
sailles ; le Suisse qui était de garde refusa de me lais-
ser passer; je lui dis : « Mon bon Suisse, laissez-moi
me promener; je suis la femme du (rère du roi. » —
« Est-ce que le roi a un frèrcï » me répondit-il. Je ré-
pliquai : « Comment, est-ce que vous ne le savez pas?
Depuis combien de temps servez-vous le roi'/ » —
« Depuis trente ans. » — « Vous devez alors bien sa-
voir que le roi a un frère, car chaque fois qu'il passe
on vous fait prendre les armes. » — « Oui, répondit le
Suisse, lorsqu'on bat le tambour je prends les armes,
mais je ne me suis jamais informé pour qui c'était, et
si le roi avait un frère ou dos cjifants, car cela m'est
bien égal. » J'ai l'ait rire le roi en lui racontant ce dia-
logue.
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 135
Saint-CIoud, 22 juillet 1719.
Ce que je craignais si fort est arrivé; la pauvre du-
chesse de Berri est morte ' jeudi à quatre heures du
* Voir Saint-Simon (t. XXXII, p. 7 7), sur la mort de la du-
chesse de Berri et sur sa conduite scandaleuse. Les recueils
manuscrits renferment nombre de pièces de vers relatives à
cette princesse, mais la plupart sont d'un genre qui rend toute
citation impossible. Nous pouvons à peine nous permettre quel-
ques extraits. Un 77oél nous présente d'abord un couplet passa-
blement mordant :
Grosse à pleine ceinture,
La féconde Berri
Dit d'une humble posture
Et le cœur bien marri :
Seigneur, je n'aurai plus l'humeur aussi gaillarde ;
Je ne veux qu,^ Uiom, don, don,
Quelquefois mon papa, la, la.
Par-ci, par-là, mes gardes.
Une autre composition, dont le début seul se laisse transcrire,
commence ainsi ;
Celle de qui j'écris l'histoire
Est la Messaline du temps ;
J'en veux éterniser la gloire
Par des hommages éclatants.
Prenons encore quelques passages dans ce que nous trouvons
de moins choquant.
Que le régent avec sa fille
Commette quelque peccadille,
Je le croirai facilement ;
Mais que de lui elle soit mère,
Se pout-il que du même enfant
On soit le grand-père et le père T
Or, écoutez, petits et grands,
Le très-sinistre événement,
0 reguingué,
0 Ion Ion la,
A l'endroit d'une jeune dame
Qui en a la douleur dans l'àme.
136 CORRESPONDANCE
matin; il y avait juste un mois qu'elle avait accompli
sa vingt-quatrième année. De suite après mon diner,
j'ai été à Paris; j'ai trouvé mon pauvre fils dans un
état qui aurait attendri un rocher. Nous n'aurons que
Dans le Luxembourg, se dit-on,
Elle a fait un petit poupon,
Et quoique tout le monde en cause.
Tous les jours fait la même chose.
Depuis la mort de sou mari,
Cet aimable duc de Berri,
Pour ne point éteindre sa race,
Elle épouse la populace.
Nous laissons de côté une chanson ordurière, faite à l'occasion
de la fermeture des portes du jardin du Luxembourg, le soir. La
duchesse s'y promenant avec trois de ses dames, fut insultée par
des jeunes gens ; cette anecdote donna lieu à des vers très-acer-
hes (ini , d'ailleurs, ont été imprimés. Voici quelques couplets
d'un noël qui fut composé à la même époque :
Toute la cour de France,
Les grands et les petits,
Apprenant la naissance
Du Dieu du paradis,
S'en vont à Bethléem, le régent à leur tète,
Pourquoi tant de façon? don, don.
Serait-ce pour cela, la, la,
Qu'on fait si grande fête?
Apercevant Marie,
Si gracieuse à voir,
Il lui dit : Je vous prie
A souper pour ce soir ;
Venez chez la Berri, rous ferez bonne chère;
Nous nous enivrerons, don, don,
Et Noce y sera, la, la.
Avec la Parabèrc.
Plein d'audace et de zèle.
Prélat contre les lois,
En vrai Polichinelle
Parut l'ahbé Dubois ;
DE MADAME LA DtCHESSK It'oiU EANS. 137
trois mois de deuil au lieu de six, car un usage tout
récent a abrégé de moitié la durée des deuils.
25 juillet 1719.
Le roi trouvait gentil tout ce que faisait la duchesse
de Bourgogne; il pensait que ce n'était que pour le
divertir, et c'est ainsi que la vieille guenipe présentait
la chose; la vieille était la loi et les prophètes; ce
qu'elle approuvait était bien , ce qu'elle condamnait
était mal, quelque bien que ce pût être d'ailleurs. On
présentait comme des crimes les actions les plus inno-
centes de la première Dauphine, et l'on admirait toutes
les impertinences de la seconde.
27 juillet 1719.
Il est vrai que feu Monsieur était à Paris plus aimé
que le roi, à. cause de son alïabilité; mais quand le roi
voulait plaire à quelqu'un , il avait les manières du
monde les plus séduisantes, et il gagnait les cœurs
bien mieux que mou mari. Monsieur, de même que
mon fils, était fort bien pour tout le monde, mais il ne
distinguait pas assez les gens, et il ne faisait grand
cas que des personnes qu'aimaient le chevalier de Lor-
raine et ses favoris.
Le bœuf s'épouvanta, l'âne effrayé recule;
Dès qu'il eut dit son nom, dou, don,
Uu chacun s'écria, la, la,
C'est Dubois, qu'on le brûle.
11 existe un vaudeville furl ciiiiciix, on trois actes et en vers,
intitulé : Pioxopopce sur le duc ciOrlnnis, Mme de Bernj et le
cardinal Dubois, ou le Jirtjcnl aux enfers. Il Ctt rc-té manus-
crit, et pour cau-c. Nous en donnerons une analyse à la fin de
ce volume, si l'espace dont nous jjouvons disposer le permet.
12.
138 CORRESPONDANCE
Sainl-Cloiid, 30 jnillet 1719.
Dans l'almanach qu'on appelle le Liégeois \ de
grands incendies sont annoncés pour cette année, et
de fait qu'avait fait le comte de Salm à ce coquin de
paysan, pour que celui-ci, par esprit de vengeance, ait
mis le feu au village? Au mois d'avril, nous avons eu
ici à Paris des signes dans le ciel ; je crois vous l'avoir
écrit; c'était pendant la nuit comme un soleil, cela
dura presque le temps de réciter un Pater; dans d'au-
tres endroits on a vu comme une boule de feu. Quant
au pauvre duc de Scliomberg, vous aurez su par mes
lettres précédentes que je savais qu'il était mort; on
dit que c'est un grand bonheur pour sa fille qu'il soit
mort aussi subitement, car il paraît que son intention
était de reconnaître sa maîtresse pour sa femme, de
déshériter sa tille et de déclarer pour son héritier un
bâtard qu'il a eu de sa maîtresse. C'aurait été une
chose horrible.
Je ne savais pas que la princesse de Galles ne pou-
' C'est-à-dire le Liégeois, VAlmanach de Liège, si connu
BOUS le nom de son auteur supposé, Mathieu Laensbcrg. C'est à
coup sur le plus ancien des almanaclis connus, car le volume de
1861 j)orto le chiIVre ■22V>'' aniicc. Si celte indication est exacte,
la puijiication de l'alnianuch de Liéye remonterait ù l'année
1C28. Cependant le volume le plus ancien connu des bililinphi-
les liégeois est de 1G3G, et dans le volume de 1811, l'éditeur
disait : « C'est en 1G3G que IMathicu La-nsberg commença ses
* prédictions, en aniiout,'ant au monde entier les biens et les
« maux qui seml)!aient devoir leur ariixer, mais avec celte scru-
« puleuse attention d'éviter toute pertonnalité. » (Voir d'ailleurs
les lU'c/wnhcs bibliogruplinjuis de M. B. Warzce svr Us al-
munachs belges, dans le Uullvlin du Bibliophile belge, t. Mil
(1851), p. 08.
DE MADAME LÀ DUCHESSE D'ORLÉANS. 139
vait souffrir l'odeur de la fleur d'oranger; l'électeur de
Bavière tombe en défaillance lorsqu'il voit des oranges
et des citrons.
Sainl-Cloud, 1er août 1719.
Avec tous ses revenus, la duchesse de Berri laisse à
mon fils 400,000 livres de dettes. On a hoiTiblement
volé et pillé cette pauvre princesse; c'est ainsi que
vont les choses avec cette engeance de favoris. La
Mouchy, qui dominait tout, n'a pas été affligée un seul
moment ; elle a joué de la flûte à sa fenêtre, et le jour
où cette pauvre princesse a été conduite à Saint-Denis,
elle a été dîner à Paris en grande compagnie; elle a
bu du Champagne, et elle a bu et mangé aussi goulû-
ment que si de rien n'était ; elle a tenu aussi des dis-
cours impertinents qui ont choqué tous les assistants.
Mon fils l'a fait prier, elle et son monde , de quitter
Paris.
Mon fils est affligé dans l'âme, et d'autant plus
qu'il voit bien que s'il n'avait pas eu une complaisance
excessive pour sa chère fille, et s'il avait plus agi en
père, sa fille serait encore en vie et bien portante.
2 août 1719.
Le roi d'Espagne ne peut jamais pardonner, et
M^"^ des Ursins lui a persuadé trop de mensonges sur
le compte de mon fils pour que le roi puisse l'aimer
de sa vie*.
* Le duc d'Orléans avait, durant son séjour en Espagne,
trempé dans des intrigues qui étaient de nature à déplaire à
Philippe V. Voyant la résistance acharnée que les puissances
coaUsées opposuicut à Philippe V, il a\ait conçu le projet de se
140 COl'.KKSPONUANCE
5 août 1719.
Avant que le duc de Roquelaure ' ne fût fait duc,
un jour qu'il pleuvait très-fort, il dit à son cocher de
substilupr à ce prince et de se faire accepter par les Anglais et
les Hollandais comme un moyen terme. L'afl'aire fut étouffée.
Voir les Œuvres de Louis XIV, t. VI, p. 202 ; les Mémoires de
Noailles, 1744, p. 217.
• Antoinc-Gaston-Jean-Baptiste, duc de Roquelaure, maré-
chal de France en 1724, mort le 6 mai 1 738 i\ 82 ans. 11 n'est
certainement point l'auteur d'un recueil de plates et souvent
indécentes bouffonneries publiées pour la première fois en Hol-
lande, en 1718, sous le titre de Momus français, ou les Aven-
tures divertissantes du duc de Roquelaure. 11 en a été fait
des réimpressions fort nombreuses. Celle de Versailles, 1787,
est (itéc dans le Manuel du Libraire comme préférable, parce
qu'elle est d'un tiers moins ample que les précédentes. En 1845,
(in a publié à Paris de prétendus Mémoires secrets du duc de
Ihquelaure, 2 vol. in-8°. « C'étoit un plaisant de profession
qui, avec force bas comique, en disoit quelquefois d'assez bon-
nes. M (Saint-Simon, t. VIII, p. 221.) Ou n'oiibliera guère le
bon mot qui lui échappa en nomlireuse compagnie à la nais-
sance de sa fille : « Madem()i.selle,soj'ezlabien-venue, je ne vous
atlendois pas de sitôt. » En clfet, elle ne s'était pas fait attendre.
Dans le ballet royal des i\oces de Pelée et de Thétis, dansé par
le roi en iG54, Roquelaure représentait une dryade, et Bense-
radefit pour lui ces vers étranges :
Il n'est point de foièt qui ne soit indignée
Du fracas cniiuyimx que; j'ai fait tant de fois.
Et sitôt que je liante une souolic de liuis,
Il vaudrait tout autant qu'on y mît la cognée.
M. Barrière, qui cite ce quatrain dans ses notes sur les Mé-
moires de Brieune, fournil d'autres exemples des singulièrea
allusions que Uenserade se permettait et qui étaient déhitées de-
vant le roi, iinpriniées avec privilège. « Quand on souj;e que
« ces vers se récitaient en présence des (iaïu.'s de la fo: r, on
« est forcé de [lenser que le [)oëte leur accordait beaucoup do
« candeur et bien peu de pénétration. >»
DE MADAME LA DUCHESSE D'oRLÉANS. 141
le conduire au Louvre où personne ne pouvait entrer
en voiture, si ce n'est les ambassadeurs, les princes
et les ducs. Lorsqu'il vint à la porte , on demanda :
« Qu'est-ce? » Il répondit : « C'est un duc. — Quel
duc? demanda la sentinelle. — Celui d'Épernon, ré-
pondit-il. — Lequel? — Le dernier mort, dit-il. »
Alors on le laissa passer. Afin qu'on ne lui fit pas
quelque affaire à cet égard, il alla droit au roi et il
dit : « Sire, il pleut si fort que je suis entré en carrosse
jusqu'à votre degré. » Le roi se fâcha et dit : « Quel
est le sot qui vous a laissé entrer ? » Il dit : « Encore
plus sot que vous ne pouvez penser. Sire , car il m'a
laissé entrer sous le nom du duc d'Épernon, dernier
mort. » Cela dissipa la colère du roi et le fit rire de
bon cœur.
Saint-Cloud, 5 août 1719.
Au service funèbre de la Dauphine, quand j'allais à
l'offrande, je portai le cierge, nota benè avec des pièces
d'or, à l'évêque qui chantait la grand'messe, et qui
était assis dans une chaise à bras auprès de l'autel.
Il voulut donner le cierge à ceux qui servaient la messe
et qui étaient des prêtres de la chapelle du roi ; mais
les moines de Saint-Denis accoururent à bride abattue,
prétendant que le cierge et les pièces d'or leur reve-
naient. Ils se jetèrent sur l'évêque , dont le fauteuil
commença à chanceler, et la mitre lui tomba de la
tête. Si j'étais restée encore un moment, l'évêque avec
tous ses moines seraient tombés sur moi ; aussi je sau-
tais à la hâte les quatre marches de l'autel, car j'étais
encore leste, et je regardai la bataille; il me futim-
142 CORRESPONDANCE
possible de ne pas me mettre à rire, et tout le monde
rit aussi.
Je ne voudrais pas jurer que la Dauphine n'eût aimé
Bessola plus que son mari; celle fille ne méritait sûre-
ment pas une pareille afTection ; elle a chaque jour
trahi et vendu la princesse à la Maintenon. J'ai pré-
venu souvent sa maîtresse de sa perfidie ; mais elle
n'a jamais voulu me croire.
C août 1719.
M"* du Maine a dit publiquement chez elle qu'elle
n'aurait aucun repos jusqu'à ce qu'elle eût fait passer
à mon fils le goût du pain. Sa mère lui ayant reproché
ce propos, elle ne l'a pas nié; mais elle a dit : « On
dit bien des choses dans la colère qu'on n'exécutera
jamais. »
G août 1719.
Je n'ai aucune ambition : je ne veux point gouver-
ner ; je n'y trouverais aucun plaisir. 11 n'en est pas de
même des Françaises; la moindre servante se croit
très-propre à diriger l'État; je trouve cela tellement
ridicule que j'ai été guérie de toute manie de ce genre.
Quoique je ne sois pas riche pour ma situation, je ne
voudrais pas me donner la moindre peine pour avoir
autant de fortune qu'en avait la duchesse de Berri;
elle jouissait d'im revenu double du mien, et toutefois
elle laisse 400,000 livres de dettes ; c'est du moins ce
qu'on ne trouveia pas après ma mort.
Siiinl-Cloiid, 10 août 1719.
<^uant à la mort de la pauvre duchesse de Berri, jo
DE MADAME LA DUCHESSE D*ORLÉAXS. 143
sais bien à qui il faut s'en prendre de ce malheur ' ;
c'est la maudite Mouchy, la favorite de la pauvre du-
chesse, qui est cause de sa mort ; elle l'a tuée comme
si elle lui avait enfoncé un couteau dans la gorge ' ;
la duchesse était consumée d'une fièvre lente ; sa fa-
vorite lui apportait dans la nuit à manger toutes sortes
de choses, des fricassées, des petits pàlés, des melons,
de la salade, du lait, des prunes, des figues; elle lui
' Voici comment s'exprime l'auteur de V Histoire philosophi-
que du règne de Louis XV :
« Une grossesse survient. Les veilles et les excès ne pouvoient
« en rendre le terme heureux. A peine accouchée, la princesse
o tombe danKcreusement malade ; le curé de Saint-Sulpice ae-
« court, mais elle venoit, lui dit-on, de se confesser à un cor-
« délier, et il ne reste \Aus qu'à lui apporter les sacrements. Le
« curé exige, comme couilition indispensable, l'éloignement de
« Riom et de M'"* de Jloucliy , seconde dame d'atour de la
« princesse, confidente et complice de ses désordres. En appre-
« nant l'exigence du curé, la duchesse se met en fureur, et crie
« qu'on jette ces cafards à la porte. Le régent tache de l'apai-
« ser et de vaincre la résolution du curé. Le refus des sacre-
« mcnts entraînait le refus de la sépulture, et le régent crai-
€ gnait un pareil scandale. U fait appeler le cardinal de Ni ailles,
« archevêque de Paris, espérant de lui plus de condescendance;
« mais le prélat approuve hautement la conduite du curé. La
« princesse guérit , mais sa santé avoit reçu une atteinte irré-
« parai)!e, et elle mourut quelques mois après. »
* Consulter les Mémoires de Saint-Simon (t. XIX, p. 173)
au sujet de M'"e de Mouchy « qui fut une étrange poulette, u
Elle est fort maltraitée dans les chansons du temps; nous ne
leur emprunterons qu'un seul pass;ige :
Belle Mouchy, par tes minières.
Au graud prieur tu ue peux plaire,
Quant il le voit tromper Couti ;
Ne lui vante plus ta tendresse,
Car il est plus fidèle ami
Que tu u'es fidèle mûtresse.
144 CORRESPONDANCE
donnait à boire de la bière à la glace. Pendant qua-
torze jours, elle n'a voulu faire venir aucun médecin;
aussi la lièvre a toujours été en redoublant, et la ma-
lade n'a pu y résister.
Mon fils a exilé cette méchante sorcière , ainsi que
son mari. Je crois que s'ils étaient restés à Paris, les
gens de la duchesse les auraient lapidés.
Il est très-rare que les Françaises soient bien éle-
vées ; on en fait des coquettes ou des bigotes.
11 août 1719.
Le cardinal (Mazarin) renvoya en Italie sa nièce '.
Lorsqu'elle partit, le roi pleura abondamment. M*"* de
Calonne lui dit : « Vous êtes roi, vous pleurez, et je
pars. » C'était beaucoup de choses dites en peu de
mots. Quant à sa sœur, la comtesse de Soissons, le
roi a toujours eu pour elle une grande amitié, sans en
être amoureux ; il lui a toujours beaucoup donné ; le
moindre présent était deux mille louis d'or 2.
* Madame a déjà parlé de ce sujet ; voir la lettre du 24 juillet
11 IG. 11 fiiut purlout lire une lettre de Maznrin à Louis XIV,
datée de Saint-Jcan-dc-Luz, le ÏS août )C69. Publiée avec peu
d'exactiUide dans le recueil des Lettres de Mazarin (Amsterdam,
1745, t. 1, p. 203-321), elle a été reproduite, d'apn'^s l'original
autographe, dans les Documents historiques, jjints au Bulletin
(le la Société de V Histoire de France, 1835, t. I, p. 17C.
" M. Dc'pping [Correspond, administrative sous Louis XIV,
t. III, p. 15) cite, d'après des registres secrets, de curieux
exemples des libéralités du roi ; une pension de 80,000 livres à
la duchesse de Fontange; une somme de 300,000 hvres don-
née à M""- de Brégy ; une de 200,000 à Ml|o de La Muthe ( IIou-
dancourt), « cette fille des plus aimables et qui dansoil mieux
que personne. » (Mémoires de La Fare.)
DE MADAME LA DUCHESSE D'ORLÉANS. 145
12 août 1719.
La Mainlenoii a toujours conservé du feu dans les
yeux, mais elle pinçait la bouche et fronçait les na-
rines, ce qui lui donnait un air désagréable qu'elle
prenait surtout lorsqu'elle voyait quelqu'un qui lui
déplaisait, mon Excellence, par exemple; alors elle
relevait la bouche en arrière et laissait pendre la
lèvre ' .
15 août 1719.
Mme d'Orléans a tout à fait ramené à elle son mari ^ ;
d'après son conseil, il court la nuit; mercredi, dans
la nuit, il alla à Âsnières, où la Parabère a une mai-
son; il y soupa; lorsqu'il voulut, après minuit, re-
monter dans son carrosse, il tomba dans un Irou et
se foula un pied... Mon fils dit qu'il s'était attaché à
la Parabère, parce qu'elle ne songe à rien, si ce n'est
à se divertir et qu'elle ne se mêle d'aucune alTaire.
Ce serait très-bien si elle n'était pas aussi ivrognesse,
et si elle ne faisait pas que mon fils bût et mangeât
autant et courût la nuit à Asnières.
' M. Ueppinga publié [Correspondance adm'mistrative sous
Louis XIV, t. 111) un acte fort curieux par lequel Louis XIY ac-
corde (le 30 septembre lG7i) à Françoise d'Aubigné [sic],
veuve Scarron , le privilège de faire faire des àtres :\ des four-
neaux, fours et cheminées d'une nouvelle invention. La pauvre
veuve exploita-t-elle ce brevet;' qu'advint-il de cette invention?
Personne n'en a parlé. On prévoyait si peu alors la haute for-
tune qui l'attendait.
2 Avant la mort de son père, le duc, mécontent du roi qui
l'éloignait des armées et le tenait en disgrâce, « se précipita
" dans une conduite fort licencieuse, qu'il se piqua de porter au
« plus loin pour marquer le mépris qu'il faisoit de son épouse et
« de la colère que le roi lui témoignoit. » (Sainl-Simon.)
II. 13
146 CORRESPONDANCE
IG août 1719.
La reine mangeait souvent et longtemps ; mais elle
ne mangeait pas plus qu'une autre, car elle ne pre-
nait que de tout petits morceaux, comme on aurait
pu en donner à un serin ' .
Une dame blâmait son amie d'aimer un homme fort
laid ; celle-ci lui dit : « Vous a-t-il parlé tendrement
et passionnément? — Non, répondit la première. —
Vous ne pouvez donc pas juger, répliqua la seconde,
s'il est aimable ou non. »
Sainl-Cloud, 22 août 1719.
^ La Mouchy avait les clefs de tout ; elle et son amant
Riom ont fait de jolis coups : ils avaient de doubles
clefs, et ils ont laissé la pauvre duchesse sans un
sou ni un liard. Je ne puis comprendre qu'on puisse
aimer ce drôle : il n'a ni figure ni taille ; il a l'air
d'un fantôme des eaux , car il est vert et jaune de
visage; il a la bouche, le nez et les yeux comme les
Chinois; on pourrait le prendre pour un magot plu-
tôt que pour un Gascon qu'il est; il est fat et n'a pas
du tout d'esprit; une grosse tête enfoncée entre de
larges épaules ; on voit dans ses yeux qu'il n'y voit
pas bien; en somme, c'est un drôle fort laid; mais
on dit qu'il est très-vigoureux % cela charme toutes
' « La reine étoit jalouse de tout le monde ; quand on dinoit ,
elle ne vouloit jias que l'on mangrât ; elle disoit : « On mangera
« tout, on ne laissera rien. » Le roi s'en nioquoit. » (Mémoires
de Montpcnsier.)
* Soll icie ein Escl gcschaffvn sojn. On trouvera des détails
ëtendus sur Uioni dans la G aie f le de. l'ancienne cour, l78«,
t. II). l)'u|>rèô les Mcinoircs de Mauicpas, il menait fort dure-
DE MADAME LA DUCHESSE D'orLÉANS. 147
les femmes débauchées; aussi la Polignac l'a-t-elle
une fois enfermé deux jours avec elle.
23 août 1719.
Je crains fort la petite vérole pour mou fils. Il
soupe longuement et mange beaucoup; il est court
et rouge : la petite vérole s'attaque volontiers à ces
gens-là.
25 août 1718.
Mon fils est insupportable de se promener la nuit
avec le méchant et imperlhient Noce. Je hais Noce
comme le diable. Lui et Broglie risquent tout, parce
que cela leur donne l'occasion de tirer beaucoup d'ar-
gent de mon fils. On dit que Noce est jaloux "de la
Parabère, qui a pris un autre amant que lui. On
voit par là que mon fils n'est pas du tout jaloux.
Celui dont elle est devenue amoureuse est un per-
sonnage qui a déjà bien couru le monde; c'est Cler-,
mont, capitaine des Suisses de mon fils, le même qui
a préféré la Chouin à la grande duchesse de Conti ' .
On dit que Noce dit tout ce qui lui passe par la tête,
ment la duchesse, et elle fit une fausse couche à la suite de
coups qu'il lui donna.
* Madame fait allusion à une intrigue qui fut ourdie afin de
s'emparer de l'esprit du Dauphin ; le prince de Conti la dirigeait ;
Clermont-Chatte.parentdu maréchal de Luxembourg et amant de
la princesse douairière de Conti (M"« de Blois), y fut mêlé, ainsi
que Mlle Chouin. Des lettres interceptées dévoilèrent tous ces se-
crets à Louis XIV, qui en fut fort irrité. Voir les Mémoires de
Saint-Simon; Anquetil, Louis XIV, sa Cour et le Régent, 17 89,
t. 11, p. 248-257; les Lc/</-<?sdeMme(ieSévigné, 27 août 1G94;
Walckenaër, Hislolre de La Fontaine, 1820, p. 273 et 470.
148 COUHKSl'UNDANCE
el qu'il aniuso ainsi mon lils et ie fait rire; il a de
l'esprit et sait plaisamment présenter les choses. Son
père a été sons-gouverneur de mon fds, qui s'est at-
taché, dès l'enfance, à ce méchant dial)le, et qui l'a
pris en affection. Je ne sais comment on peut aimer
ce drôle ; il est vert, noir et jaune foncé ; il a dix ans
de plus que mon fils ; on ne saurait croire combien de
millions cet homme avide a tirés de mon fils.
2G août 1719.
Le prince [de Conti) souffre encore beaucoup de sa
dyssenteric ; on a voulu le conduire à Bayonne, mais
il a une fièvre si forte qu'on n'a pu lui faire entre-
prendre le voyage, et il a été obligé de rester à
l'armée.
Paris, 27 août 1719.
11 faisait vendredi dernier une chaleur excessive. Je
restai à mon balcon jusqu'à neuf heures et je vis le
feu d'artifice des Tuileries, que l'on tire chaque année
le jour de la fête du roi ; mais cette fois-ci , la chose
s'est mal passée, car on dit que sept personnes ont été
étouffées dans la foule , entre autres une femme en-
ceinte et un abbé ; ce sont des filous qui ont occa-
sionné le tumulte, el pour commencer le désordre, ils
ont arraché à une pauvre fille sa coiffure de dessus lu
tête. Je n'ai pas dormi de toute la nuit à cause de la
chaleur et des maudites punaises. A propos de ces
bètes-là, la princesse de Galles m'écrit qu'on s'en plaint
dans toute la ville de Londres, et la reine de Sicile
écrit qu'on a trouvé son lit tout plein de punaises.
M'"" de Bcni avait l'apanage tout entier de son
DE MADAME LA DLCHESSE D'oKLÉANS. H9
mari ; il revient au roi ainsi que la pension de six cent
soixante mille livres par an ; les dettes retombent sur
mon fils ; depuis deux ou trois ans elle n'avait pas payé
les gages de tous ses gens; mon fils aura à payer plus
de quatre cent mille livres. Les alTaires de la duchesse
sont dans un désordre complet ; il y a eu des vols
épouvantables. Tous les gens au service de la duchesse
paraissent enlièroment consolés de sa perte; moi aussi
j'en suis consolée, à cause de bien des choses que j'ai
apprises depuis sa mort, et qui ne peuvent s'écrire.
Notre chère princesse de Galles met très-mal l'or-
thographe ', c'est elle-même qui s'est appris à écrire;
il n'est donc pas étonnant qu'elle s'en tire fort mal ;
je m'y suis habituée avec le temps , et maintenant je
* 11 en était de même alors d'une foule de personnes de pre-
mier rang; mais, ainsi que le remarque très-bien M. Léon de
Laborde, « combien de grands seigneurs et des plus importants,
« combien de superbes dames et des plus distinguées, n'écri-
re valent pas plus correctement! L'esprit alors et le talent écla-
« talent en dépit des règles de la grammaire ou des lois de l'é-
« cole, et ils ne s'en croyaient pas de plus mauvais aloi pour
« cela. » Les exemples d'une orthographe vicieuse abondent
dans les écrits de l'époque. En ouvrant le premier qui nous vient
sous la main, les Mémoires de Louville, nous trouvons des let-
tres de Louis XIV fidèlement reproduites ; on y lit : « Jay apris...
plésir... traittement... » La reine douairière d'Espagne écrit :
« La manière dont Madame de Dénie s'est servit pour demander
les catre atelages qui me restent. » Au lieu de hier, la reine,
femme de Philippe V, écrivait yer.
Mlle de Montpensier traçait de son côté ces lignes, que nous
reproduisons exactement :
« J'ay cru que Votre Altesse seret bien ése de savoir sete is-
toire; je m'enqueteré de toute nouvelle pour luy mander, m'es-
timent hureusc si je puis luy donner (luelque divertisement. »
13.
150 CORRESPONDANCE
la lis sans difficulté; mais au commencement j'avais
de la peine; elle écrit d'ailleurs avec agrément.
Saint-Cloud, 31 août 1719.
Lundi dernier je voulais, comme à l'ordinaire, aller
au bois de Boulogne; mais tous mes cochers, écuyers,
palefreniers, étaient si malades que je fus obligée de
rester à Saint-Cloud, où je crois qu'il y aura bientôt
plus de morts que de vivants; la rougeole et la fièvre
font de terribles ravages; c'est affreux de voir com-
bien il meurt de monde. De tous côtés on n'apprend
que des malheurs; un pauvre jardinier d'ici a perdu
à la fois son père et sa mèie, et sa femme est devenue
subitement folle; il faut la veiller sans cesse, autre-
ment elle s'empresserait d'aller se noyer. On ne voit
partout que des figures désolées, et il n'y a que mon
petit-fils , le duc de Chartres , qui soit toujours gai et
content. Je ne me souviens plus (car j'ai toujours eu
une mauvaise mémoire, et elle va en s'affaiblissant)
si je vous ai mandé que mon fils a acheté, pour le duc
de Chartres, le gouvernement du Dauphinéau duc de
La Feuillado, moyennant la somme de huit cent mille
livres; cinq cent mille livres pour le gouvernement,
et cent mille écus pour le brevet de retenue qu'avait
le duc ; tous les gouverneurs do province ont un capi-
taine des gardes; mon petit-fils en a donc aussi un, et
il me l'a présenté hier avec une extrême satisfaction.
C'est le marquis d'O, dont la fille était au[)iès de la
duchesse de Bcrrl, et qui était tombée en disgrâce par
suite des intrigues de la méchante Mouchy ; M"'o d'Or-
léans l'a placée parmi ses darnes. C'est là tout ce quo
DE MADAME LA DUCHESSE d'OKLEANS. 151
je sais de neuf; depuis six jours il n'est rien survenu,
si ce n'est beaucoup de mesures relatives aux finances
où je ne comprends rien ; je sais seulement que mon
fds, d'accord avec un Anglais nommé Law, mais que
les Français appellent Lass , a trouvé le moyen d'ac-
quitter cette année toutes les dettes du feu roi, qui se
montent à deux fois cent mille millions '; le jeune roi
va donc, au lieu d'un monarque pauvre, se trouver un
souverain fort riche.
l*'' septembre 1719.
Je n'ai pas douté un seul instant que le mariage de
mon fils ne fût funeste sous tous les rapports, mais
mes conseils n'ont servi de rien; si la chose avait pu
aboutir à quelque chose de bon, la vieille guenipe n'y
aurait pas poussé comme elle l'a fait... La Montespan
était fort belle et avait infiniment d'esprit, mais c'était
un vrai diable pour la méchanceté '.
2 septembre 1719.
M''« de Charolais a fait demander en secret à mon
fils comment il fallait s'y prendre pour voir le duc de
Richelieu et pour lui parler avant qu'il partît pour
* Nous transcrivons le chiffre qu'indique Madame, sans pré-
tendre rectifier l'erreur évidente qu'il renferme.
' Mme de Montespan partageait l'oubli de son époque pour les.
règles de l'orthographe; un catalogue d'autographes (L.***. 1844,
n° 34 1 ) renferme un extrait d'une lettre à Mme de Lauzun, nous
le reproduisons : « 11 lia sy lontant que je n'ay antandu parler
« de vous que je ne puis m'anpescher de vous demander des
« nouvelles delà disposition de votre esprit, car pour vos afaire
« ce seret à moy a vous en instruire. M. Colbcrt promet di;3
a merveilles sur les mémoires que Ion luy a donnes... »
152 CUIUŒSPONDANCK
Richelieu. Mon lils a répondu qu'elle pouvait s'adres-
ser au cardinal de Noailles, car, puisque celui-ci l'avait
conduit chez lui à Conflans, il saurait mieux que per-
sonne comment on pourrait voir le duc. Comme elle
a appris ensuite que le duc était arrivé à Samt-Ger-
main, elle s'y est rendue tout de suite.
3 septembre 1719.
Il ne faut i)as s'étonner si la duchesse de Berri a
laissé beaucoup de dettes; elle avait auprès d'elle un
Jeune impertinent et une femme sans honneur, qui
s'entendaient ensemble pour lui faire contracter dettes
sur dettes; ils avaient pris sur elle un tel empire,
qu'elle ne pouvait rien leur refuser.
J'ai appris ce soir que mon fils avait fait sortir
de la Bastille ce maudit duc de Richelieu, et lui a
rendu la liberté; c'est la duchesse d'Orléans qui l'a
voulu. On peut dire qu'elle a la cervelle à l'envers;
elle en fera tant, qu'un de ces matins elle fera aussi
relâcher son frère et la duchesse du Maine.
Sainl-Cloiul, 8 sciitcnibre 1719.
Mon fils est venu me voir vendiedi dernier, et il m'a
rendue riche ; il a trouvé que mon revenu était insuf-
fisant, et il l'a augmenté de 150,000 francs. Comme,
grâce à Dieu, je n'ai aucune dette, cela vient à propos
et de manière à me mettre à même de passer le reste
de ma vie à l'aise, comme on dit ici.
La Mouchy était bien la plus indigue favorite que
l'on ait jamais vue; elle a trahi, trompé et volé sa
princesse; elle était d'une maison tout à fait obscure;
DK iMADAMi: LA DICIIESSL l)'lJlU.i:ANS. 153
son grand-père du côté maternel était contrôleur gé-
néral de la maison de mon maii, ce qui est une charge
fort médiocre; il se nommait Forcadel. La mère n'é-
tait non plus rien de bon ; devenue veuve, elle a long-
temps fait ménage avec un homme marié. On peut
dire que tout cela c'est du beurre puant et des œufs
pourris ' . Ce que cette Moucliy a fait de plus drôle, c'a
été de voler son amant, le comte de Riom , auquel la
duchesse de Berri avait donné de fortes sommes en
numéraire et en pierreries; il avait tout mis dans une
caisse qu'il a laissée à Meudon ; sa chère amie a dérobé
la cassette et s'en est allée avec. Je trouve cela fort
drôle.
Quant à Langallerie dont vous me parlez, je vous
ai déjà dit comment il était mort^
8 septembre 1719.
Le mariage de la Duchesse {de Berri) avec la tête
de crapaud {Riom) n'est malheureusement que trop
vrai; ce n'est point d'ailleurs un mauvais gentilhomme;
il est allié aux meilleures maisons : le duc de Lauzun
est son oncle et Biron son neveu ; mais avec tout cela
il n'était pas digne des honneurs qui lui sont surve-
nus. 11 n'était que capitaine au régiment du roi. Toutes
les femmes courent après lui. Je le trouve laid et re-
poussant ; il a l'air aussi malade que s'il avait le mal
français.
• Proverbe allemand.
' Voir la lettre du 20 octobre 1717. Le niarqtiis de Langal-
lerie est une des figures les plus originales de son temps, mais
les Mnnoiirs qui portent son nom (La Haye, 1753) ne sont
pas de lui i ils ont été écrits et publiés par Gautier de Faget.
154 CORRESPONDANCE
9 septembre 1719.
Il faut dire la vérité, Law est un homme admirable
pour les finances.
12 septembre 1719.
Lorsque la nouvelle de la mort de M™« de Berri vint
à l'armée, le prince de Conti alla trouver Riom et lui
chanta une sotte chanson : « Elle est morte, la vache
aux paniers, il n'en faut plus parler. » Mon fils en a
été un peu piqué, mais il n'a pas voulu avoir eu l'air
de le savoir.
14 septembre 1719.
Jl est déplorable que la débauche se soit développée
comme elle l'a fait; autrefois on n'entendait pas par-
ler d'histoires aussi horribles qu'à présent. J'ai appris
la vie scandaleuse du margrave de Dourlach ; c'est
vraiment trop fort ; je crains que ce seigneur ne soit
tout à fait devenu fou ; on n'a rien vu de plus insensé
et je n'ai jamais rien appris de pareil, si ce n'est d'un
peintre, à Paris, qui s'appelait Santerre; il n'avait
point de valets, mais il se faisait servir par de jeunes
filles qui l'habillaient et le déshabillaient. 11 n'était
pas marié.
17 Roptembrc 1719.
Je vous ai promis de vous raconter mon voyage à
Chelles. Je partis jeudi, à sept heures, avec la duchesse
de Brancas, M"" de Chasteautier et M"* de Ratzam-
haussen; nous arrivâmes à dix heures et deniic. Mon
petit-lils, le duc de Chartres, était déjà arrivé; mon
fils arriva un quart d'heure après, et puis M"« de Vu-
lois. M""« d'Orléans s'était fait saigner tout exprès pour
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 155
ne pas venir ; elle et l'abbesse ne sont pas très-bonnes
amies, et d'ailleurs son extrême paresse l'aurait em-
pêchée de se déplacer et de se lever un peu de bonne
heure. Nous allâmes à l'église , le prie-Dieu de l'ab-
besse était placé dans le chœur des religieuses ; il était
en velours violet tout couvert de fleurs de lis d'or ;
mon prie-Dieu était contre la balustrade; mon fils et
sa fdle étaient derrière ma chaise, car les princes do
sang ne peuvent s'agenouiller sur mon tapis, c'est un
droit réservé aux petits-fils de France; toute la musi-
que du roi était dans la tribune ; le cardinal de Noaiiles
dit la messe. L'autel est fort beau ; il est formé de
marbre noir et blanc, avec quatre grosses colonnes
de marbre noir; il y a quatre belles statues de marbre
blanc représentant de saintes abbesses ; une ressemble
si fort à notre abbesse , qu'on croirait que c'est son
portrait; elle a cependant été faite bien avant que ma
petite-fille fût née, car elle n'a que vingt-un ans. Douze
moines de son ordre, revêtus de superbes chasubles,
vinrent pour servir la messe ; après que le cardinal
eut lu l'épître, le maître des cérémonies entra dans le
chœur des religieuses et ramena l'abbesse ; elle vint
de fort bon air, suivie de deux abbesses et d'une demi-
douzaine de religieuses de son couvent ; elle fit une
grande révérence à l'autel et à moi, et s'agenouilla de-
vant le cardinal, qui était assis dans une grande chaise
à bras devant l'autel ; on apporta en cérémonie la con-
fession de foi, qu'elle lut, et ajjrès que le cardinal eut
récité beaucoup de prières, il lui donna un livre qui
contenait la règle de son couvent. Elle revint ensuite
à sa place, et après qu'on eut lu le Credo et l'ofler-
156 CORRESPONDANCE
toire, elle vint à roffrande, accompagnée de l'abbesse
et de ses religieuses; on apporta, pour ofl'rande, deux
grands cierges et deux pains , dont l'un était doré et
l'autre argenté ; après que le cardinal eut communié,
elle revint s'agenouiller devant lui, et il lui donna la
crosse ; il la reconduisit à son siège , non pas à son
prie-Dieu, mais à son siège d'abbesse, qui était une
espèce de trône surmonté d'un dais de princesse du
sang, avec des fleurs de lis; aussitôt qu'elle s'y fut
placée, les trompettes et les hautbois se firent enten-
dre, et le cardinal, suivi de tous ses prêtres, se plaça
auprès de l'autel, du côté gauche, sa crosse dans la
main, et on chanta le Te Deiim. Toutes les religieuses
du couvent arrivèrent ensuite deux à deux, et elles
vinrent témoigner leur soumission à leur abbesse, en
lui faisant une grande révérence; cela me fit souvenir
des honneurs qu'on rend à Athys lorsqu'on le fait grand
prêtre de Cybèle, car on vient aussi deux à deux le
saluer; je croyais qu'on allait chanter, comme dans
l'opéra :
Que devant vous toiil sabaise et tout tremble;
Vives heureux, vos jours sont iioslre Espoir ;
Rien n'est si beau que de voir Ensemble
Un grand méritle avec un grand pouvoir.
Oue Ion bénisse
I
I.e Ciel propisse, 5
Qui dans vos mains '
Met les sort dus humaiir.
Après le Te Deujû, nous entrâmes dans le couvent, cl,
à midi et demi, nous nous mîmes à table, mon fils,
mon pctit-lilsle duc tic (lliarlrcs, la princesse Victoire
do Soissons, la jcinio dcnioisclle d'Auvergne, fille du
iliic d'Alhict, et les Irois daiiu^s (jui étaient avec moi;
DE MADAMT. LA DUCllKSSE D'oRLÉANS. 157
l'abbesse se mit de son côlé, dans son réfectoire, à une
table de quarante couverfs, avec sa sœur, M'i^ de Va-
lois, les deux dames qui l'accompagnaient, douze ab-
besses et toutes les autres religieuses du couvent.
C'était drôle de voir toutes ces robes noires autour de
la table. Les gens de mon fils servirent un très-beau
repas ; on laissa le peuple piller le dessert et les con-
fitures après que le dîner fut fini. A quatre heures
trois quarts ma voiture arriva, et je revins ici '.
* La nouvelle abbesse de Chelles prit le nom de sœur Ba-
lliildc. Racine le fils composa une pièce de vers sur sa profession
religieuse :
• Plaisir, beauté, jeunesse, honneurs, gloire, puissance,
• Ambitieux espoir que permet la naissance,
• Tout au pied de l'Agneau fut par elle immolé i
D'autres poètes prirent la chose d'une tout autre façon ; nous
trouvons dans les recueils manuscrits une description de la ma-
nière dont on passe la vie à l"abbaye de Chelles :
De l'abbaye
Où réside Vénus,
Nonne jolie.
Disant peu A'oremus,
Loin des soins superflus,
Ne songeant tout au pins
Qu'à bien passer sa vie,
Fait bon les revenus
Do l'abbaye.
Pour tout office,
On goûte tous les jours
Mille délices
Qu'assaisonne l'amour ;
Chaque instant sur les cœurs,
11 répand ses faveurs;
A ce Dieu si propice
Elles livrent leurs cœurs,
Pour tout office.
Il est que^iion dans les 7l/mo«ra de Maurrpas (t. I, p. 12!)-
II. 14
158 CORRESPONDANCE
19 septembre 1719.
Le feu roi aurait volontiers employé M. Law pour
les finances ; mais comme il n'est pas catholique, le
roi disait qu'il ne fallait pas se fier à lui.
23 septembre 1719.
Je n'ai que 456,000 livres, et si Dieu veut, je ne
laisserai pas un liard de dettes '. Mon fils vient de me
rendre plus riche en augmentant ma pension de
150,000 livres. La cause de presque tout le malheur
ici, c'est la fureur des dames pour le jeu. On m'a sou-
vent dit en face : « Vous n'êtes bonne à rien , vous
n'aimez pas le jeu. »
26 septembre 1719.
Le prince de Conti est enfin venu me voir; appa-
remment il n'y avait pas ce jour-là autant à agioter
dans la rue Quincampoix qu'à l'ordinaire, car il y a
été fourré tout le temps depuis son retour. Son cou-
sin, M. le Duc, n'agit pas mieux. Le prince de Conti a
remporté fort peu d'honneur de la campagne, il est
trop débauché sous tous les rapports ; je doute qu'il
s'habitue à la guerre... Ses méchancetés me rappcllout
145) de cette abbesse; ils n'en disent pas de bien et prétendent
que le duc de Richelieu, déguisé en niu.sicien, fut admis quel-
quefois dans son couvent.
* Madame avait pour chef de son conseil un homme éclairé,
Nicolas-Joseph Foucault, qnï a laissé des Mémoires dont la pu-
blication olfrirait de l'intérêt pour l'histoire de l'administration
française. Le manuscrit existe à la bibliothèque impériale.
M. A. Bernier en a publié queUiucs extraits à la suite des Mé-
jnoiresdti marquis de Hoiirchcs, 1840, 2 vol. in-S".
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 159
les miennes. Quand j'étais enfant, je prenais du bois
pourri, j'en plaçais des morceaux sur les yeux et sur
la bouche, et je me cachais le soir dans l'escalier pour
faire peur aux gens; mais j'avais moi-même tant peur
de rencontrer des revenants que je tremblais la pre-
mière. Voilà ce que fait aussi ce prince, il veut se faire
craindre et il meurt presque de peur.
28 septembre 1719.
L'homme à la tête de crapaud n'était pas ici lorsque
M"" de Berri est morte; il était à l'armée, il comman-
dait le régiment qu'on a acheté pour lui... La Mouchy
est petite-fille du chirurgien de feu Monsieur. Mon fils
a fait sa mère, la Forcadèle, gouvernante de sa fille
aînée et de son fds; la petite Forcadèle a été ainsi
élevée avec M'"' de Berri, qui la maria à M. de Mou-
chy, son maître de garde-robe, et qui lui donna beau-
coup d'argent pour sa dot. Tant que le roi a vécu, la
duchesse ne put la fréquenter beaucoup; mais, après
la mort du roi, elle la déclara pleinement sa favorite,
et lui donna la charge de seconde dame d'atour.
29 septembre 1119.
Un homme qui, pendant de longues années, a cons-
tamment été auprès du roi, et a travaillé avec lui tous
les soirs chez la Maintenon, qui a ainsi tout entendu,
et qui est mon bon ami, m'a avoué que, tant que la
vieille a été en vie, il n'a rien voulu me dire, mais que
depuis qu'elle est morte, il pouvait m'assurer que le
roi avait eu une véritable amitié pour moi; il a en-
tendu plusieurs fois, de ses propres oreilles, qu'elle
160 CORRESPONDANCE
lourmciitait le roi, et qu'elle disait toute sorte de mal
de moi, afin de me rendre odieuse à ses yeux, mais
que le roi avait toujours pris mon parti. C'est sans
doute pour cela que le roi m'avait dit sur son lit de
mort : « On a fait tout ce qu'on a pu pour que je vous
haïsse, Madame, mais ils n'ont pas réussi; » il ajouta
qu'il m'avait trop bien connue pour ajouter foi à ces
calomnies. Pendant que le roi me disait cela , la
vieille avait un air si coupable, que je ne pus douter
que cela ne vînt d'elle,
1" octobre 1719.
J'allai à quatre heures au Palais-Royal, et je montai
chez M™« d'Orléans, que je trouvai très-contente, car
elle venait de recevoir des nouvelles de son frère aîné
{le duc (lu Maine) ; il était hors de danger et comme
guéri d'une atteinte de choléra-morbus qu'il a eue. Je
ne dis rien, comme vous pouvez croire; mais je son-
geai combien était vrai le provcr])e qui dit que mau-
vaise herbe croit toujours. J'allai, avec la duchesse,
son fils et trois de ses filles, au spectacle; nous eûmes
deux pièces, une ancienne, les Horace^, et une nou-
velle, les ISoces de Vulcain '. L'idée en est originale;
' Ou Momus fabuliste, par Fuzclier (et Lei;rand); la pre-
mière édition de cette comédie, en un acte, est de I*aris, 17 19.
Fuzelier, auteur spirituel et fécond, composa un très-grand
nombre de pièces pour les tbéàtres de la foire, mais il fut tou-
jours éclipsé par son collatioratcur Le Sage, et aujourd'hui il est
à peine connu de nom. Kntre autres preuves du goût bien connu
de Madame pour la comédie, on peut citer la dédicace qui lui
fut faite du Thcàtrc itaUcn , publié par E. Gherardi. Il s'est
trouvé diins la riche bibliothèque dramatique de M. de Soleinne
un recueil fort curieux (n" 32 42) d'anciens ballets en sept vo-
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 161
on suppose que Momus se moque des dieux et leur
récite des fables qui sont des allusions à leurs défauts;
c'est une satire de tous les travers de Paris ; cela nio
fit rire.
L'augmentation de pension que m'a accordée mon
fils est venue fort à propos, car après la mort de mon
mari je m'étais trouvée fort gênée ; la vieille ( Main-
tenon), qui me détestait, ainsi que mon fils, préten-
dait que l'intention expresse du roi était de ne rien
faire pour nous; c'était un horrible mensonge, et la
preuve, c'est qu'ayant été trouver le roi et lui ayant
exposé que je ne pouvais soutenir mon rang, il aug-
menta aussitôt de quarante mille livres ma pension ' ;
la vieille faillit en crever de dépit. Ce qui me fit bien
rire, c'est que le duc et la duchesse du Maine deman-
dèrent à mon intendant comment il se faisait qu'avec
le peu de revenu que j'avais, je parvenais à vivre
selon mon rang et à ne pas contracter de dettes.
Lagarde (c'est ainsi que se nomme mon intendant)
répondit : « C'est que Madame se modère et ne fait
jamais de folles dépenses; » c'était une bonne leçon
donnée à ce beau couple, car lem's dettes venaient de
fêles nocturnes qu'ils donnaient à Sceaux, et qui du-
raient depuis le soir jusqu'au grand jour * ; feux d'ar-
lumes in-é", reliés aux armes de Madame, et provenant de son
cabinet.
' Saint Simon (t. XX , p. 4 ) : « Madame, qui avait peine à
fournir à la dépense de son grand élat avec 400, ooo livres de
vente, demanda des secours au roi qui, avec excuse du peu, lui
donna 40,000 livres d'augmentation. »
- Les h^ùts de Sceaux^ ou NuHs blanches de ce manoir
somptueux , étaient des fêtes magnili(iucs. La duchesse aimait
14i
162 CORRESPONDANCE
tifice, spectacles, opéras, festins, bals, rien n'y man-
quait. Si mon fils n'avait pas perdu sa fille, et si le
roi n'avait pas recueilli sa riche succession , je n'au-
rais pas eu cet accroissement dans ma pension , car
mon fils ne veut pas qu'on puisse dire qu'il enrichit
sa famille aux dépens du roi.
Mon fils n'est que trop bon ; le petit duc de Riche-
lieu lui ayant affirmé que son intention avait été de
tout lui révéler, il l'a cru et l'a fait relâcher, il est
vrai que la maîtresse du duc, M"*-' de Charolais, ne
laissait pas, à cet égard, une minute de repos à son
père. C'est cependant une chose horrible qu'une prin-
cesse du sang déclare, à la face de tout le monde,
qu'elle est amoureuse comme une chatte, et que celte
passion est pour un drôle qui est d'un rang si au-des-
sous du sien, qu'elle ne peut l'épouser, et qui de plus
lui est infidèle, car il a une demi-douzaine d'autres
maîtresses. Quand on lui expose cela, elle répond :
« Bon ! il n'a des maîtresses que pour me les sacrifier
« et pour me conter ce qui se passe entre eux. » C'est
vraiment une chose aflieuse.
Si je croyais à la sorcellerie, je dirais qu'il faut que
ce duc possède quelque secret surnaturel , car il n'a
pas trouvé une femme qui lui ait opposé la moindre
beaucoup la comédie et la jouait foit mal, à ce que dit Voltaire;
on la vit sur le théâtre avec Daron. Sa cour était charmante; ou
s'y divertissait autant qu'on s'ennuyait alors à Versailles ; elle
animait tous les plaisirs par son esprit, par son imagination,
par SCS fantaisies ; on ne pouvait ruiner son mari plus gaiement.
On faisait une loterie des vingt-(iiiatre lettres de l'alpiiabct ; celui
qui tirait le (i était tenu de donner une comédie, l'O désignait
un petit opéra, le U evigeail uu ballet.
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 163
résistance; toutes courent après lui, que c'est vrai-
ment une honte. 11 n'est pas, après tout, plus beau
qu'un autre, et il est tellement indiscret et bavard,
qu'il a déclaré lui-même que si une impératrice, belle
comme un ange, était éprise de lui et voulait coucher
avec lui, à condition qu'il n'en dirait rien, il aimerait
mieux la planter là et ne pas la voir de sa vie. C'est
un grand poltron, fort insolent, sans cœur et sans
âme ; je me révolte contre l'idée qu'il est la coque-
luche de toutes ces dames, et je suis sûre qu'il n'aura
que de l'ingratitude pour les bontés de mon fils; mais
je ne veux plus parler de ce personnage, il me fait
perdre patience. Le mal qu'on dit de M. Law et de sa
banque est l'effet de la jalousie, car on ne saurait rien
voir de mieux; il paye les effroyables dettes du feu roi
et diminue les impôts, allégeant ainsi le fardeau qui
pesait sur le peuple ; le bois ne coûte que la moitié
de ce qu'il coûtait ; les droits d'entrée sur le vin, la
viande et tout ce qui se consomme à Paris, ont été
supprimés; cela inspire une grande joie parmi le
peuple, comme vous pouvez bien croire. M. Law est
fort poli ; je fais grand cas de lui ; il fait ce qu'il
peut pour m'être agréable; il ne veut pas agir en
secret , comme ceux qui ont eu précédemment la
direction des finances , mais en public et avec hon-
neur. Il est complètement faux qu'il ait acheté un palais
de la duchesse de Berri ; elle n'en avait pas ; il était
donc impossible qu'elle en vendît ; toutes les maisons
qu'elle avait, c'est-à-dire Meudon, Chaville et La
Muette, sont retournées au roi, qui a établi sa ména-
gerie à La Muette ; il y aura là des vaches, des mou
164 CORRESPONDANCE
tons et autres animaux. Des maladies terribles,
telles que la petite vérole, la rougeole et la fièvre
chaude, font beaucoup de mal à Paris; mais de tous
les coins de l'Europe on n'entend pas parler d'autre
chose. On dit que la peste est à Manheim et qu'elle
y fait beaucoup de mal.
J'ai vu mon oncle à la mode de Bretagne, le land-
grave Charles de Hesse-Rheinfeis : il est impossible de
dire plus de sottises qu'il n'en dit ; il parle toujours
de son cocher, qui est de si bonne compagnie qu'il le
fait coucher auprès de lui et qu'il veut le charger d'é-
lever son fds cadet. Je lui ai dit très-sérieusement
qu'il devrait bien se garder de dire toutes ces bêtises
qui faisaient que tout le monde se moquait de lui. Il
a pris la chose fort mal ; il a répondu qu'il voyait bien
que je désirais qu'il s'en allât, puisque j'avais honte
de mes parents. Je me fâchai, et lui répliquai crû-
ment que lorsque mes parenis parlaient de la sorte,
j'avais sujet d'avoir honte pour eux. Nous nous sommes
quittés fort mal ensemble.
6 octobre 1719.
Lavv est tellement pourchassé, qu'il n'a de repos ni
jour ni nuit; une duchesse lui a baisé les mains de-
vant tout le monde ; et si les duchesses lui baisent les
mains, qu'est-ce que les autres dames ne devront jias
lui baiser?
Mon fils a toujours eu un grand faible pour les
amants dont il a été le conlident... Il n'est pas dé-
licat; pourvu que les dames soient de bonne humeur,
qu'elles boivent et mangent goulùnient, et qu'elles
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 165
soient fraîches, elles n'ont pas besoin d'avoir de la
beanté. Je lui ai souvent reproché d'en avoir de très*
laides.
7 octobre 1719.
On voit bien que l'on est plus que jamais irrite
contre mon fils, car on apprend chaque jour des sou-
lèvements en Bretagne, et je ne sais pas si ce qu'on
raconte d'une conspiration à La Rochelle est vrai ; le
gouverneur de celte place voulait la livrer aux Espa-
gnols. Dix officiers étaient du complot ; on en a arrêté
quelques-uns; les autres se sont sauvés en Espagne...
J'avais regardé l'évcque de Soissons comme un fort
brave homme ; je l'ai connu lorsqu'il était encore
abbé et aumônier de la duchesse de Bourgogne , mais
l'ambition de devenir cardinal rend fous la plupart
des évêques; il n'en est aucun qui ne pense que, plus
il fera d'impertinences à l'égard de mon fils et en fa-
veur de la constitution , plus il se mettra dans les
bonnes grâces de la cour de Rome et deviendra ainsi
cardinal.
8 oclobre 1719.
11 est faux que la reine ait mis au monde une né-
gresse. Feu Monsieur, qui avait été présent, disait que
la petite princesse était laide, mais point noire. On ne
peut ôter de la tête du peuple que l'enfant ne vive
encore, qu'elle ne soit dans un couvent, à Moret près
de Fontainebleau ; cependant il est certain que l'en-
fant laide est morte : toute la cour l'a vue mourir '.
• Voir les Mémoires de Maurepas, 1. 1, p, 101 , et de Saint-
Simon, 1. 111, p, 12G. Ou disait tout bas à la cour que la mau-
166 CORRESPONDANCE
M. de Brancas ' était très-amoureux de sa fiancée.
Le jour où devait se célébrer la noce, il fut au bain
comme à son ordinaire, et se mit au lit. Son valet de
chambre lui demanda: «D'où vient, monsieur, que vous
couchez encore ici, et que vous n'allez pas coucher
avec madame votre femme?» Il dit: «Je l'avais ou-
blié. » Il se leva et alla trouver sa femme, qui l'avait
longtemps attendu au lit. Il était chevalier d'hon-
neur de la reine -mère. Un jour, lorsqu'elle était
à l'église, Brancas oublie que c'est la reine qui est age-
nouillée. Comme elle avait le dos voûté, lorsqu'elle
baissait la tête on ne pouvait guère la reconnaître. Il
la prend pour un prie-Dieu ; il s'agenouille sur ses ta-
lons, et appuie ses deux coudes sur les épaules de la
reine. Elle fut très-étonnée de voir son chevalier d'hon-
neur se mettre à genoux sur elle, et chacun se mit à
rire. Jadis les dames portaient dans leurs déshabillés
des tabliers de drap fin. La duchesse de Duras était
dans la cour de son hôtel ; elle avait reconduit une
dame à son carrosse. M. de Brancas entre dans la
ressc du couvent de Moret étnit fille d'un cocher du roi dont la
femme était fort jolie (Anquctil, Louis XfV, t. 111, p. 430).
' Mort en 1681. Voir les Historiettes de Tallemant des Uéaux,
t. 111, p. 135. A cet égard, ftl. Monmerqué cite une lettre de
Bussy, qui dit : « Il est assez distrait, et comme il a vu que ses
« rêveries ont fait rire le roi quelquefois, il les a outrées pour
« se faire un mérite d'une imperfection qui faisait parler de lui,
« n'y pouvant réussir par de meilleures voies. » La Bruyrre l'a
immortalisé sous le nom de Ménal(|ue (voir l'édition des Caroc-'
^èr('5 doiméepar M. Walckeuaér, 1845, p. 4')4. M"iedeScvit!né,
avec laquelle il était fort lié, donne beaucoup de détails sur cet
étraiitic pcrsoimai^c, cl raconte plusieurs de ses singulières dis-
truilious. Consultez aussi Saint-Simon.
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 167
cour pour rendre visite à la duchesse et prend son ta-
blier pour un mur; il va pour pisser contre, et il e^st
tout saisi lorsque la duchesse se met à crier: (.Oh fi.
cela ne se fait point ! » U dit : « Je vous demande mille
pardons, j'ai pris votre tablier pour un mur. »
10 octobre 1719.
Le duc de Lorraine n'entend plus que par Craon,
sa femme ou ses créatures.
Je ne crois pas que la passion de ma fille {pour son
mari) soit aussi vive qu'elle a été, mais elle l'aime
encore sincèrement; et, s'il lui témoigne la moindre
amitié, elle est hors d'elle-même à force de joie, et
elle me l'écrit bien vite.
14 oclobre 1719.
Le roi d'Angleterre et le roi de Prusse ont résolu, à
ce qu'on m'annonce, de défendre vivement la cause
des réformés; les prêtres ne pourront donc plus les
tourmenter, ce qui me réjouit cordialement, car je
souhaite toute espèce de bien et de bonheur a nos
braves compatriotes; et quant aux maudits prêtres
qui les persécutent, je voudrais leur voir une corde
au cou ; ils l'ont bien méritée à cause de leur fausseté
et de leur perfidie.
16 oclobre 1719.
Le Dauphin ne s'est pas affiigé un quart d'heure de
la mort de sa femme ni de celle de sa mère ; quand il
s'alïubla de son grand manteau de deuil, il faillit
éloulïer de rire... Quelqu'un voulut un jour le plai-
168 CORRESPONDANCE
santer sur son inclination pour les hommes; le Dau-
phin s'emporta comme je ne l'ai jamais vu faire, et
dit : « Si quelqu'un est assez impertinent pour se
vanter de celte infamie, qu'on me le nomme, et je
ferai voir par mes traitements combien je le méprise
et combien je hais sa vue. »
Le roi ne voulait ordinairement avoir personne à
sa table, si ce n'est les membres de la famille du sang.
Il y avait tant de princesses du sang que la table or-
dinaire n'aurait pas été suffisante ; elle était déjà tout
occupée quand nous étions réunies. Le roi, assis au
milieu, avait à sa droite M. le Dauphin et le duc de
Bourgogne, et à sa gauche la Dauphine et le duc de
Berri ; dans un des retours étaient assis feu Monsieur
et moi, et dans l'autre mon fds et sa femme ; le reste
de la table restait réservé pour les gentilshommes ser-
vants qui nous servaient à table, car ceux qui servent
le roi ne se placent pas derrière le siège du roi, mais
en face de lui. Lorsque les princesses du sang ou
d'autres dames mangeaient à la table du roi, c'étaient
non pas les gentilshommes servants mais d'autres offi-
ciers de la maison du roi qui nous servaient, et ceux-
ci se trouvaient derrière nous comme des pages. Dans
ce cas, le roi était servi par son jnemier maUre-d'hôtel.
Les pages ne servaient à la lalile du roi que lorsqu'il
était en voyage, et ils ne servaient pas la famille
royale; elle était servie par des gens qui n'étaient pas
gentilshommes. Anciennement, tous les officiers du
roi, tels (|ue ceux de l'échansonncrie, du gobelet, du
fruit, clc, étaient geiitilshoiiiines ; mais depuis que
la noblesse est deverau! pauvre, et que toutes les
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 169
charges se sont payées cher, il a falhi prendre de bons
bourgeois qui eussent de l'argent.
16 octobre 1719.
M. Law est un homme habile et honorable ; il est
extraordinairement civil et poli à l'égard de tout le
monde; il sait fort bien vivre. 11 ne parle pas mal le
français, mieux que les Anglais ne le font habituel-
lement.
A M. DE HARLING.
19 octobre 1719.
Dieu tout-puissant a délivré la France entière d'une
méchante bête sauvage, car il a emporté la Scarron;
je ne peux pas dire qu'il l'ait appelée à lui , la chose
me semble trop douteuse.
A LA COMTESSE LOUISE.
20 octobre 1719.
Huit ou dix jours avant la mort du roi, il lui vint
un mal à une jambe et la gangrène s'y mit, dont il est
mort. Mais il avait eu durant plus de trois mois une
fièvre lente qui l'avait fait dépérir à vue d'œil , et il
était aussi maigre qu'un éclat de bois. Le vieux co-
quin de Fagon l'avait mis dans cet état, il le faisait
toutes les trois semaines purger jusqu'au sang, et tous
les jours il le faisait horriblement suer. De plus, le
roi s'était, îi l'instigation du père Le TcUicr, aflreuse-
nicnt tourmenté au sujet de la maudite constitution
{Unigeniti(s), au point qu'il n'en avait de repos ni jour
ni nuit; c'est ce qui lui a ôté la vie. Fagon était un
mauvais drôle et plus altaclié à la guenipe qu'au roi.
u. li
170 CORRESPONDANCE
Aussi, lorsque je vis qu'on voulait si fort élever le duc
du Maine, et que la vieille giienipe se souciait si peu
de la mort du roi, j'ai eu de mauvaises pensées sur ce
vieux coquin.
20 octobre 1719.
Le docteur Chirac ' fut aj^pelé auprès d'une dame
qui était malade. Pendant qu'il était dans l'anticham-
bre , on y dit que les actions (de la banque de Law)
avaient beaucoup diminué. Le docteur, qui avait beau-
coup de papiers sur le Mississipi, fut saisi de cette nou-
velle, et, s'étant assis auprès de la malade pour lui
tâter le pouls, il se dit à lui-même : « Ah ! mon Dieu !
cela diminue, cela diminue, cela diminue. » En l'en-
tendant parler ainsi, la malade se mit à crier; ses
gens accoururent; elle dit : « Je vais mourir, M. Chirac
vient de crier trois fois en làtant mon pouls : Il dimi-
nue! » Le docteur revint à lui, et dit : « Vous rêvez,
votre pouls bat à merveille, et vous vous portez bien.
Je m'occupais des actions du Mississipi, sur lesquelles
je perds, puisqu'elles baissent. » La dame malade fut
ainsi rassurée.
20 octobre 1719.
Le duc de Sully " avait parfois de grandes distrac-
1 Chirac, né en 1660, mort en 1732; il suivit le duc d'Or-
léans dans ses campagnes d'Italie et d'Espagne, et fut nommé
son premier médecin en 17 15 j les favcms, les dignités s'accu-
mulèrent sur lui; un an avant sa mort il devint premier méde-
cin de Louis XV. Malgré sa grande réputation, il n'a laissé que
des écrits sans mérite.
« Saint-Simon, t. XIX, p. 167, parle de ce personnage, fort
peu régulier en sa conduite, et qui fut trouvé mort dans son lit
à l'âge de quaruntc-huit ans.
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 171
lions ; s'habillant un jour pour se rendre à l'église, il
n'oublia rien que son haut-de-chausse. C'était en hiver;
entrant à l'église, il dit : « Mon Dieu! qu'il fait froid
aujourd'hui ! » On lui répondit : « Pas plus froid qu'à
l'ordinaire. — J'ai donc la fièvre, » dit-il. Quelqu'un
demanda : « Ne serait-ce pas parce que vous n'êtes
pas habillé assez chaudement? » Et il leva son habit;
on vit alors ce qui lui manquait.
2J octobre 1719.
La vieille guenipe et le père La Chaise ' ont per-
suadé au roi que tous les péchés que Sa Majesté avait
commis avec la Montespan seraient pardonnes s'il per-
sécutait et expulsait les rélormés, et qu'il prendrait
ainsi le cliemin du ciel. Le pauvre roi les a crus fer-
mement, car il n'a de sa vie lu un seul mot de la Bible;
et telle est l'origine des persécutions que nous avons
vues... Le roi ne savait pas faire consister la religion
en autre chose qu'à accomplir ce que ses confesseurs
lui prescrivaient. Ils lui ont fait croire qu'il n'était pas
permis de raisonner dans les choses religieuses, et qu'il
fallait, pour faire son salut, tenir la raison captive.
22 oclobie 1719.
Personne ne s'étonne de ce que je mange avec plai-
sir des boudins, j'ai aussi mis à la mode ici les jam-
1 II existe un pamphlet intitulé : Prévarications du père
La Chaise, confesseur du roi, au préjudice des droits et des
intérêts de Sa Majesté; Cologne (Hollande), 1685. L'auteur
8'eftbrce d'établir que ce Père sacrifie à sa compagnie et à son
ambition personnelle le roi et la l^'rance.
172 COnRESl'ONUANCE
bons crus; tout le monde on mange maintenant; on
mange aussi beaucoup de nos plats allemands, comme
la eboucroûte et les cboux au sucre, ainsi que du lard
salé accommode aux choux ; mais il est rare qu'on s'en
procure de bonne qualité ' . On ne mangeait guère de
gibier avant, j'ai mis tout cela à la mode, ainsi que les
harengs saurs; j'ai appris au feu roi à en manger, et il
les trouvait fort de son goût. J'ai tellement affriandé
ma gueule allemande ^ à des plats allemands, que je
ne puis ni souffrir ni manger un seul ragoût fran-
çais : je ne mange que du bœuf, du veau rôti, et ra-
rement du mouton, des perdrix, ou bien des poules
rôties, et jamais de faisan.
24 octobre 1719.
Il y a quarante ans que le mois d'octobre ne se
passe jamais sans que , vers le 22 , mon fils ne se
trouve souffrant, soit d'une manière, soit d'une autre,
et cela depuis son grand accident... Quoiqu'il soit ré-
gent, il ne paraît jamais devant moi et ne me quitte
jamais sans venir me baiser la main avant que je ne
l'ombiasse; il ne prend point de chaise devant moi;
mais d'ailleurs il no fait pas de façons et il bavarde ron-
dement avec moi. Nous rions et plaisantons comme de
bons amis \
' La lUichcsse se faisait envoyer d'AUcniagne des graines de
ces clioiix qu'elle aimait tant.
* Mein leutschcr mnul.
3 Le duc d'Orléans avait pour Madame des attentions pleines
de respect ; tous les soirs il se rendait chez elle à huit heures, et
jouait aux échecs jusqu'à l'heure du souper du roi (Saint-Simon,
t. I, p. n?}.
2G oclobre H 10.
J'apprends avec grand plaisir que les envoyés an-
dais, prnssiens et hollandais, sont à Heidolberg, car
j'espère qn'en dépit du pape et des Barbanns, comme
disait le pauvre duc de Créqui, ils réussn<ont a sou-
lager les pauvres habitants du Palatinat, en depit de
la malice des prêtres autrichiens. C'est une chose
bien terrible que de voir que chacun de nous veut
vivTB heureux, et qu'il travaille cependant à rendre
la vie des autres aussi dure que possible. Je me flatte
toutefois que l'électeur est trop sensé pour se laisser
mener par les ecclésiastiques ; toutes les sottises qu ils
font faire à sa sœur l'impératrice, qui est entièrement
soumise à leur direction, devraient lui servir de leçon.
Un prince doit comprendre que la véritable piété con-
sisle pour lui à tenir sa parole et à gouverner avec
justice et sagesse; quiconque lui donne des avis con-
traires est un mauvais conseiller. Cela me fait sou-
venir d'un dialogue (pie j'entendis une fois à Saint-
Cloud, et qui me fil bien rire. Un chanoine, qui était
un homme très-respectable, mais sévère ', entra dans
' Comme témoisnase de la sévérité de faLbé Feuillet, on
peut citer son RccU de la mort de Madame (Henrietle d'An-
gleterre), publié dans le Bulletin du biblioph'le, mars 1853,
p 107 d'après le manuscrit autographe qui appartient à la bi-
bliothèque impériale. Cet etclésiastique se montre peu touc'é
du spectacle de douleur qu'il eut sous les yeux ; on cherche les
émotions qu'il a dû éprouver comme homme, et on ne trouve
qu'une censure amère des faiblesses qu'il a condamnées comme
prêtre Sa rigueur donna lieu à un opuscule devenu fort rare :
Lettre écrite de la campagne par un docteur en théologie a
une dame de qualité [iux la mort de Madame], 107 0.
16.
174 CORRESPONDANCE
le cabinet de Monsieur, et Monsieur, qui s'amusait
quelquefois à faire l'Iiypocrite, lui dit : « J'ai grand
soif; serait-ce rompre le jeûne que de prendre un jus
d'orange? » M. Feuillet (ainsi s'appelait ce chanoine)
lui répondit : « Oh ! Monsieur, mangez un bœuf, et
soyez bon chrétien, et payez vos dettes. » On en pour-
rait dire autant à l'électeur. Le bon M. Law est tombé
sérieusement malade, il y a quelques jours, par suite
du tracas et du travail dont il est accablé; on ne lui
laisse pas un instant de repos ni jour ni nuit. On ne
peut imaginer une race d'hommes plus intéressés
que les Français.
28 octobre 1719.
On ne peut avoir plus de capacité que M. Law,
mais je ne voudrais pas, pour tout l'or du monde,
être à sa place; car il est tourmenté comme une âme
damnée, et ses ennemis ré[)andcnt toutes sortes de
méchancetés sur son compte ' .
* On rencontre dans les recueils manuscrits une foule de vers
dirigés contre Law et le système. En voici quelques échantillons :
Lundi je pi-is des aclions ,
Mardi je gagnai des millions,
Mercredi je pris équipage,
Jeudi j'arrangeai mou ménage,
Vendredi je m'en fus au bal,
, Et samedi à l'hôpital.
Voir dans les Mélanges de Cois-Jourdau, t. II, p. 317, d'au-
tres vers du même genre.
Depuis qu'un juif venu d'Ecusse
S'est euriclii de notre argfut,
Tous les gredins roulent carrosse,
Et qui fut riche est indigent.
Un cou est un ëcu ;
Un billet de baucjuc,
Î)E MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉA.NS. 175
J'ai reçu une lettre de ma fille qui me mande qu'Al-
béroni a voulu faire assassiner ou empoisonner l'em-
pereur ; il avait chargé de ce coup un comte silésien,
nommé Kimtsch, et deux abbés italiens. Je ne sais
comment la chose a été découverte, mais elle s'éclair-
ciia, car tous ces scélérats ont été arrêtés. Vous aurez
peut-être à cet égard des nouvelles à Francfort; je
vous prie de me les transmettre : elles m'intéressent
vivement, car Albéroni en veut à mon fils encore plus
qu'à l'empereur.
29 octobre 1719.
La duchesse de Berri avait été fort mal élevée et
toujours fourrée avec les femmes de chambre; elle
n'était pas très-capricieuse, mais hautaine et absolue
dans toutes ses volontés... J'avais entendu parler de
son mariage [avec Rio?7i), et je lui en fis des représen-
tations; elle répondit en riant : « Ah! Madame, n'ai-je
pas assez l'honneur d'être connue de vous pour que
vous puissiez croire une telle sottise de moi, à qui on
reproche tant d'orgueil?» Elle m'endormit ainsi, de
sorte que je ne voulais pas croire la chose ; son père
et sa mère n'y ont consenti de leur vie '. Non, je ne
Un billet de banque,
Un écu est un écu,
Un billet de bainque
Est un torche-cu.
1 La duchesse, avec sa violence habituelle , tourmenta son
père pour que son mariage fut déclaré; c'était aussi ce que vou-
lait Hioni, qui s'était marié par ambition. Le régent voulut ga-
gner du temps et fit partir pour l'armée son gendre, qu'il aurait
voulu voir à tous les diables. Après la mort de la duchesse,
Riom vendit son résiuient et son gouvernement, et rentra dans
l'obscurilc.
176 COHIŒSl'ONOANCb;
consentirais de l'éternité à une pareille impertinence,
lors même que son père et sa mère l'auraient fait. La
tête de crapaud fit croire à sa princesse qu'il était
prince de la maison d'Aragon, et que le roi d'Espagne,
en dépit de tout droit, lui retenait son royaume, mais
que, lorsqu'elle l'aurait épousé, il pourrait réclamer
ses États dans les traités de paix; la Moucliy reutre-
lenait de cela du matin jusqu'à la nuit; voilà pourquoi
elle était si fort en faveur.
30 octobre 1719.
Le czar n'est pas un fou ; il a beaucoup de capacité,
mais il est bien donunage qu'il ait été élevé d'une
façon aussi sauvage et brutale. Je le trouve cruel au
delà de toute expression dans ce qu'il a fait à l'égard
du cz-arowitz, : il donne à son lîls sa parole qu'il peut
venir et qu'U ne lui fera rien, et, lorsque son fils est
venu, il le fait empoisonner dans le saint sacrement.
C'est quelque cliose de si impie et de si abominable que
je ne puis le lui pardonner '.
' 11 n'y a point" de preuves du fait horrible que raconte Ma-
dame, et qui n'est qu'une de ces rumeurs qu'elle accueillait trop
aviilcmcnt. La mort du czarowitz présente un vériluble problème
liistorique; on a i)rélen(lu qu'il avait été empoisonné, (pj'il avait
été décapité, qu'il était morl d'apoplexie. Voir l'édition de Saint-
Simon donnée par Suulavie, ITJI, t. XI, p. 170 ; ïllisloircde
lUis.sic, par Lévesque, t. Y; celle de Lcclerc, t. 111; la Vie (en
allemand) de Pierre le Grand, par Von-lialem, cte. On con-
sultera aussi les Mémoires, en forme de manifeste, sur le procès
criminel jui;é et publié à Saint-Pétersbourg, le 25 juin 17 18,
contre le czarowilch Alcxci, convaincu de factions, rébellion et
désobéissance envers son père et soigneur souverain, Nancy,
ni«,in-l2.
DE MADAMh: LA UliCIIKSSK u'oULÉANS. 177
Paris, 2 novembre 1719.
H ne peut exister un plus mauvais service que celui
de la poste en France; elle est toujours sous la direc-
tion de M. de Torcy, qui n"a jamais manqué d'ouvrir
et de lire toutes mes lettres ; je ne m'en serais pas tra-
cassée, mais ce que je ne pouvais souffrir, c'est que,
pour obéir à la vieille [Maintenon], il faisait là-dessus
des commentaires afin de me brouiller avec le feu roi,
et cela était par trop fort. Aujourd'hui, il peut faire
tous les commentaires qu'il voudra , je ne crains pas
qu'il me brouille avec mon fils; l'abbé Dubois et lui
sont ennemis acharnés; ils ont eu des querelles ter-
ribles où ils se sont dit mutuellement leurs vérités ; on
pourrait leur dire, comme en pareils cas, faisait notre
cousin l'électeur ; « Accordez-vous, canailles. » 11 faut
se réjouir lorsque les lettres ne sont pas entièrement
perdues, et lorsqu'elles arrivent enfin.
Il est vrai qu'il y a eu de grands désordres en Bre-
tagne, et M"i« du Mai)ie y a autant de part qu'Albé-
roni ; M""^ la Princesse est allée trouver sa fille afin de
la ramener au bon sens, ce à quoi je doute qu'elle
réussisse; la petite naine est trop méchante.
Vous me demandez si mon abbé de Saint-Albin et
son frère le chevalier, qui est à présent grand-prieur
de France, ont eu la même mère ; le chevalier est lé-
gitimé, mais le pauvre abbé n'est pas reconnu ; il a un
air de famille; il ressemble fort à feu Monsieur; il a
quelque chose de son père et beaucoup de M"^ de
Valois ; il a quelques années de plus que le chevalier,
et il est bien fùrhé de voir son frère cadet i)lacé si fort
au-dessus de lui. Le chevalier, qui est, depuis peu de
178 CORRESPONDANCE
temps, grand-prieur de France dans l'ordre de Malte,
est le fils de M''^ de Sery, qui a été ma fille d'honneur,
et qui se nomme aujourdluii M"'^ d Arginton ; la mère
de l'abbé était une danseuse de l'Opéra, qui s'appelait
Florence '. Mon fils a encore une fille du côté gauche
qui n'est pas reconnue; il Ta mariée à un marquis de
Ségur; elle est fille de la Desmare, une des meilleures
actrices de la troupe du roi. 11 y a encore deux ou trois
enfants que je n'ai jamais vus, et qu'il a eus d'une
femme de qualité; leur grand-père a été gouverneur
de mon fils, et il était précédemment chevalier d'hon-
neur de la reine. Cette femme est veuve depuis deux
ans ; sa mère a été dame d'atours de la duchesse de
Berri, et elle est morte dans cette charge. Je ne crois
]jas que mon fils puisse être bien sûr que ces enfants
soient de lui, car cette femme est une terrible déver-
gondée. Elle boit nuit et jour-, et ne se gêne en rien ,
mais mon fils n'est pas du tout jaloux; les tours que
lui jouent ses maîtresses ne le chagrinent ni ne le met-
' On trouve diverses chansons sur elle dans les recueils ma-
nuscrits, mais elles ne peuvent être transcrites. Une note d'un
de ces recueils fournit des détails sur les {iremiers pas du régent
dans la carrière qu'il devait parcourir d'une façon tristement
célèbre : « Sa première maîtresse fut la petite Léonore, fille du
« concierge du garde-meuLle du Palais-Rojal; il en eut, âgé
« de quatorze ans, un enfant, ce qui fit grand bruit. Monsieur
0 s'en fàcba fort; Madame n'en parut point mécontente, elle
0 prit même beaucoup de soins de la mère et de l'enfant. Celte
« fille a dejiuis été mariée à M. de Charencey, fils d'un con-
« scillcr à Riom. »
Kc prince de Léon avait été l'amant de la Florence; elle fut
enlevée par ordre du roi en 17 07, et mibc dans un couvent
(voir tJuiut-Siiiion, t. XI, p. X'U).
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 179
tent en colère; cela le divertit, et il ne fait qu'en rire;
je ne puis le comprendre. Une de ses maîtresses qui a
le mieux réussi à le captiver est une femme de qualité,
elle se nomme M°»^ de Parabère '.
Paris, 6 novembre 1719.
Si ma tante, la princesse de Tarente, vivait encore,
elle aurait sans doute un vif chagrin de la mort de son
petit-fils; mais il n'en serait pas digne, car c'était un
personnage fort mal élevé. J'ai fait de mon mieux pour
le remettre dans une meilleure voie, mais je n'ai point
réussi. Je l'ai souvent rudement tancé, surtout lorsque
je le surprenais à mentir, ce à quoi il était horrible-
1 « Mme de Parabère était vive, légère, capricieuse, hautaine,
« emportée ; le séjour de la cour et la société du régent eurent
« bientôt développé cet heureux naturel. L'originalité de son
a esprit éclata sans retenue ; ses traits malins atteignaient tout
« le monde, sans même excepter le prince. Ajoutons qu'aucun
« vil intérêt, aucune idée d'ambition n'entrait dans la conduite
« de la comtesse. Elle aimait le régent pour lui, elle recher-
« chait en lui le convive charmant, l'homme aimable. » D'après
une anecdote racontée un peu crûment par Duclos, ce fut elle
qui força le régent à assister au sacre de l'abbé Dubois ; le duc
de Saint-Simon, qui se vantait d'être le seul homme titré que
Dubois eût assez respecté pour l'excepter de l'invitation, avait
offert au prince de s'y trouver, si le prince voulait assez se
respecter lui-même pour n'y point aller (voir les Tableaux de
genre et d'histoire, p. U). Le régent ayant appris un beau jour
que Mme de Parabère désirait des porcelaines, en fit chercher
de tous côtés, à quelque prix que ce fut, et en acheta pour dix-
huit cent mille hvres. On lit, sous la date du 2 juin 1721, dans
le Journal de Darbier : « Le régent a congédié Mme de Para-
bère, et lui a conté tout doucement le mot de Mahomet II, qui
dit à sa maîtresse : Voilà une belle tête, je la ferai couper quand
je voudrai. Co trait historique ne plut point à la dame. »
180 CORRESPONDANCE
ment porté; il faisait toujours des contes, il ne voyait
que de la très-mauvaise compagnie, il était livré à une
affreuse débauche ; en un mot, ce n'est pas du tout un
mal qu'il soit mort. Je l'avais tenu sur les fonts de
baptême avec les États de Bretagne, de sorte qu'il
s'appelait Charles de Bretagne. 11 n'a laissé qu'un
petit garçon, qui est aussi joli et aussi agréable que le
père était laid et repoussant. Dieu veuille qu'il lui
ressemble aussi peu à l'intérieur qu'à l'extérieur. Je
souhaite aussi qu'au moral il ne ressemble pas à sa
mère, car elle ne valait rien du tout; elle est morte
de la v...le ^ Toute la famille voulait la faire séparer
de son mari, qui l'avait surprise avec son valet de
chambre ; mais elle était fine et adroite ; elle savait
qu'il avait des dettes, et elle agit si bien auprès de lui,
que, lorsqu'on voulut les séparer, il dit : « Nous nous
sommes raccommodés. » Vous voyez ainsi , ma chère
Louise, quel couple cela faisait, et si j'ai eu motif de
regretter cette créature.
Je ne vois pas pourquoi on veut, à Vienne, tenir tel-
lement secret le complot tramé par Albéroni ; tout le
monde sait bien que c'est un scélérat fini; il a vendu
son premier maître, le duc de Parme, au duc de Ven-
dôme, le duc de Vendôme à la princesse des Ursins, la
princesse des Ursins à la reine d'Espagne; c'est un
misérable intrigant qui n'a ni foi ni loi.
Le comte d'Altheim et sa sœur me font de la peine;
car c'est une terrible chose que d'avoir pour parent un
homme tel que le comte de Nimtsch, qui mérite bien
(l'êlrc roue tout vif.
* MiKliimc écrit les niolr? en touiee letlrc!*-.
DE MADAME LA DUCHESSE D'ORLÉANS. 181
7 novembre 1719.
Je trouvais une fois la {première) Daupliine au
désespoir et fondant on larmes, parce que la vieille
l'avait menacée de la rendre malheureuse, de lui faire
préférer M'"* du Maine, et de la faire haïr de toute la
cour et même du roi. Je me m.is à rire quand elle me
conta cela , et je lui dis : « Est-il possible qu'avec au-
tant d'esprit et de courage qu'en a Voire Altesse, elle
puisse se laisser intimider par cette vieille sorcière ?
Votre Altesse n'a rien à craindre; elle est Dauphine,
la première dans la France entière ; sans les motifs
les plus graves, l'on ne saurait lui faire du mal. Ainsi,
lorsque la vieille menace Votre Altesse de la sorte ,
qu'elle réponde avec fermeté : « Je ne crains point vos
menaces ; M"'* de Maintcnon est trop loin de moi ; le
roi est trop juste pour me condamner sans m'entendra.
Si vous me pressez, je le lui dirai moi-même, et nous
verrons s'il n'osera pas me soutenir. »
La Dauphine ne resta pas en arrière; elle redit mot
pour mot ce que je lui avais dit. La vieille lui répon-
dit : « Ce discours ne vient point de vous ; ce sont les
mauvais raisonnements de Madame ; vous n'avez pas
assez de courage pour le penser, mais nous verrons
si cette amitié pour Madame vous sera profitable. »
Depuis ce temps, elle n'a pourtant plus menacé la prin-
cesse. Elle avait fort à propos fait intervenir le nom de
M™^ du Maine dans ses menaces envers la Dauphine,
parce que, comme elle avait élevé le duc du Maine,
elle se croyait toute-puissante à la cour, et voulait
montrer que son influence était telle qu'elle pouvait
u. \Q
182 CORRESPONDANCE
faire préférer la dernière princesse du sang à la pre-
mière personne de France, et que par cette raison il
fallait la redouter et lui obéir en tout; mais la Bessola,
qui était très-jalouse de moi et qui ne pouvait souffrir
que la Dauphine eût de la confiance en moi, qui,
d'ailleurs, avait été gagnée et payée par la vieille,
nous trahissait auprès de la Maintenon, et lui rappor-
tait tout ce que j'avais dit pour consoler la princesse ;
elle avait ordre de la vieille de tourmenter et d'inti-
mider la pauvre Dauphine. Elle s'acquittait à mer-
veille de cette commission , et faisait peur sur peur à
la princesse, sous prétexte de n'agir que par attache-
ment pour elle , et de lui être entièrement dévouée et
fidèle. La pauvre Dauphine ne se défiait point de cette
Bessola , qui avait été élevée avec elle et qu'elle avait
amenée; elle n'imaginait pas qu'on pût pousser la
fausseté aussi loin que le faisait cette maudite créa-
ture. Je ne pus le souffrir; je contredis la Bessola, et
j'employai tout pour consoler la Dauphine et soulager
son chagrin. Elle me dit aussi, en mourant, que j'avais
prolongé sa vie de deux années, par le courage que je
lui avais toujours inspiré. Mais par là, je me suis attiré
la haine complète de la vieille, qui a duré jusqu'à sa
fin. Quand même la Dauphine eût eu quelque petit
reproche à se faire, ce n'était point à la vieille à y
trouver à redire ; car qui a mené une vie plus légère
qu'elle? En puhlic et en face, elle ne m'a de ma vie
rien tlit de désagréable; car elle savait bien que je lui
aurais vertement répondu, car je connaissais toute sa
vie. Villarceaux m'en a plus raconté que je n'aurais
voulu en savoir.
DE MADAME LA DUCHESSE d'oHLÉANS. 183
7 novembre 1711).
L'abbé de Mauleuvrier et M'" de Langeron avaient
persuadé à M™^ la Princesse que M"i« du Maine était
à la mort, et qu'elle ne demandait qu'à voir encore
sa chère mère avant sa fin, afin de recevoir d'elle la
dernière bénédiction, car elle mourait innocente.
M™e la Princesse s'est mise en route avec de vives
inquiétudes et en versant des larmes ; mais elle a été
bien surprise, en arrivant à la demeure de sa fille, de
voir celle-ci, fraîche et bien portante, venir au-devant
d'elle. M"^ de Langeron disait que M"^^ du Maine ca-
chait son mal, pour ôter toute inquiétude à M"^^ la
Princesse.
s novembre 1719.
J'avais eu d'abord de l'attachement pour l'abbé
Dubois, parce que je croyais qu'il aimait tendrement
mon fils, et qu'il ne cherchait en tout que son bien et
son avantage ; mais quand j'ai vu que c'était un chien
perfide qui ne cherche que ses propres intérêts , qui
ne songe nullement à soigner l'honneur de mon fils ,
mais qui le précipitait dans la perte éternelle , en le
laissant se plonger dans la débauche , sans faire sem-
blant de s'en apercevoir, toute mon estime pour ce
petit prêtre s'est changée en mépris. Je tiens de mon
fils lui-même que l'ayant rencontré un jour tout seul
dans la rue au moment oîi son élève se disposait à
entrer dans un mauvais lieu ' , il ne fit qu'en rire avec
lui , au lieu de le prendre par le bras et le ramener à
la maison. Par cette indulgence, et par le mariage de
' Madame écrit nettement et tout au long : Im Bordel gieng.
184 CORRESPONDANCE
mon fils, il a bien prouvé qu'il n'y a en lui ni foi, ni
fidélité , ni honnêteté. Ce n'est pas à tort que je le
soupçonnai de s'être mêlé du mariage de mon fils ; ce
que j'en sais, je le liens de mon fils lui-même et des
gens qui étaient chez la vieille vilaine, dans le temps
où l'abbé se rendait chez elle la nuit pour arranger
ses intrigues, et pour trahir son maître qu'il a vendu '.
Il se trompe s'il croit que je ne sais pas tout cela.
D'abord, il s'était prononcé pour moi; mais après que
la vieille vilaine l'eut fait venir trois ou quatre fois, il
a promptement changé. Cependant ce n'est pas pour
cette affaire que le roi l'a pris ensuite en haine, mais
pour un tripotage qu'il avait fait avec le P. La Chaise.
Monsieur en fut aussi fâché que moi. Le roi et la vieille
vilaine le firent menacer de chasser tous ses favoris ;
cela le fit consentir à tout ; il s'en est repenti ensuite,
mais il était trop tard.
9 novembre 17 19.
Nous n'avons ici rien de neuf, si ce n'est que M"^ de
Valois a été, lundi dernier, au moment de se tuer ; elle
a voulu par enfantillage, en faisant une promenade à
cheval, passer au galop par une petite porte; elle ne
s'est pas assez baissée; sa tête a porté contre la pierre,
et elle s'est frappée si fort, qu'elle est tombée de che-
val. On l'a saignée aussitôt, et on espère qu'il n'en
résultera rien de fâcheux.
10 novembre 1719.
Notre feu roi m'a raconté une histoire de la reine
• Saint-Simon confirme la part que l'abbé eut à ce mariage :
« Il lit pcMir au prince du roi et de Monsieur; d'un autre côté il
lui m voir les cicux ouverts » (t. I, p. 43}.
UE MADAME LA UlCHESSE D'ORLÉANS. 185
Christine de Suède : elle ne meltait jamais de bonnet
de nuit, mais elle attachait seulement une serviette
autour de sa tête. Une fois , comme elle ne pouvait
dormir, elle fît venir de la musique devant son lit. Elle
avait'fait tirer les rideaux ; mais la musique lui faisant
plaisir, elle se leva sur son lit et avança tout d'un coup
la tête en s'écriant : Mort du diable ! qu'ils chantent
bien ! Les castrats et les Italiens, qui ne sont pas des
plus braves, eurent une telle peur à l'aspect de cette
figure étrange, qu'ils restèrent muets, et il fallut que la
musique cessât.
On voit encore dans la grande salle de Fontainebleau
le sang d'un homme qu'elle a fait assassiner ' . Elle ne
voulait pas que l'on connût ce qu'il savait d'elle , et
elle pensait qu'il le divulguerait si elle ne lui ôtait pas
la vie. Il avait déjà commencé à parler par pure jalou-
sie, parce qu'un autre était devenu plus en faveur que
lui. Elle était très-vindicative^ et livrée à tous les genres
* Le père Lebel, religieux qui fut appelé pour préparer Mo-
nadelschi à la mort, a rédigé une relation de ce tragique événe-
ment; elle a été insérée dans les Archives curieuses de l'histoire
de France, 2" série, t. Vlll, p. 287 ; voir aussi La^\ace, Pièces
intéressantes et peu connues, t. IV, p. 139.
^ « La reine de Suède n'est ni bcle, ni bigote ; elle entend
« bien le latin et en sait plus que beaucoup de gen s qui en font
« profession. Je sais de bonne source qu'à vingt-trois ans elle
« savait tout le Martial par cœur w (Gui-Patiu, Lettres, t. III,
p. 60).
Cette femme orgueilleuse et violente a été beaucoup trop
vantée. Mme de Motleville la peint arrivant à Compiègne « avec
sa perruque défrisée, sa chemise d'homme, sa taille un peu
bossue, ses mains assez bien faites, mais si crasseuses qu'il était
impossible d'y apercevoir quelque beauté. »
IG,
186 CORRESPONDANCE
de débauche, même avec les, femmes. Si elle n'avait
pas eu autant d'esprit, personne n'aurait pu la souf-
frir. Elle était redevable de ses vices aux Français, et
surtout au vieux Bourquelot, qui avait été docteur du
grand Condé; c'est lui qui l'avait fortifiée dans toute
son inconduite. Elle pouvait parler de choses aux-
quelles les plus grands débauchés seuls peuvent son-
ger. Elle a pris de force M^'^ de Bregy ' , qui n'a
presque pu se défendre. On a pensé que cette reine
était un hermaphrodite. Les Français qu'elle a eus
auprès d'elle à Stockholm étaient des gens bien dan-
gereux. Ce sont eux qui ont poussé la reine à de si
grands désordres.
12 novembre 1719.
Les Broglie sont d'origine italienne, mais il y a long-
temps qu'ils sont établis en France ; ils étaient trois
frères; l'aîné a péri à l'armée, le second était abbé,
mais il a jeté le froc aux orties : c'est celui-là qui est
un franc vaurien ; le troisième , qui sert encore à l'ar-
mée, est, sous tous les rapports, un des cavaliers les
plus estimables qu'on puisse voir ; mon fils ne l'aime
pas autant que son polisson de frère, parce qu'il est
sérieux et nullement boud'on. Mon 111s dit que lorsqu'il
sort du travail, il a besoin de quelque chose qui le fasse
rire, et que le cadet Broglie est trop sérieux pour cela;
qu'il lui donnerait la préférence quand il s'agirait d'une
affaire de confiance ou d'une expédition de guerre,
mais que l'aîné convient mieux pour rire à table et
bavarder à tort et à travers.
* Sic hat die Madame de /Irc/ie zur imzticht mit Uir for-
ciret.
DE MADAME r A DUCHESSE d'ORLÉANS. 187
Paris, 13 novembre 1719.
Je suis extrêmement vexée, car hier au soir j'ai
appris que mon fils et M™* d'Orléans ont permis à leur
fils d'aller à ce maudit bal de l'Opéra ; c'est le moyen
de perdre, corps et âme, un garçon qui était si pieux ;
car, aller au bal de l'Opéra ou dans un mauvais lieu,
c'est tout un. En revenant de l'église, j'ai trouvé le
jeune grand- prieur qu'on appelle le chevalier d'Or-
léans ; il vient de Malte, où il a fait ses caravanes et
prononcé ses derniers vœux. Il ne peut plus se marier:
la race de mon fils du côté gauche n'aura donc pas de
rejeton, car l'abbé sera fait prêtre, ce pour quoi il n'a
pas grande inclination. 11 me fait vraiment de la peine,
car c'est un charmant et très-honnête garçon ; il res-
semble à feu Monsieur, mais il a une plus belle taille;
il a la tête de plus que son père.
Paris, Ifi novembre 1719,
Je vous remercie de m'avoir envoyé la Gazette de
Vienne; je l'ai lue avec intérêt. Le prince Eugène a
bien raison de ne pas vouloir laisser tomber par terre
une accusation aussi horrible , et de poursuivre à ou-
trance ce comte de Nimtsch. Je fais grand cas du
prince Eugène, car il n'est pas intéressé. 11 a fait une
belle action : il avait laissé ici beaucoup de dettes;
après être entré au service de l'empereur et avoir ac-
quis de la fortune, il a payé jusqu'au dernier liard tout
ce qu'il devait, et il s'est acquitté à l'égard de tous
ceux qui n'avaient aucun billet ni engagement de lui,
et qui n'y pensaient plus. U est donc impossible (pi'un
188 CORRESPONUANCE
homme qui agit avec tant de loyauté puisse trahir son
maître [)Our de l'argent; toutes les accusations de ce
traître de INimtsch sont des mensonges, et c'est l'œuvre
de ce diable d'Albcroni,
21 novembre 1719.
Un cautère qu'on posa mal à la nuque à la petite
Madame ' lui avait tiré la bouche tout de travers, au
point qu'elle l'avait presque au milieu de la joue
gauche; elle avait ainsi beaucoup de peine à bien
parler, et elle parlait fort peu. J'étais là lorsqu'elle
mourut; elle ne dit pas un mot à son père, quoiqu'une
convulsion lui eût remis la bouche en place. Le roi,
qui avait bon cœur et qui aimait sincèrement ses en-
fants, pleurait de tout son cœur, et il me fît pleurer.
La reine n'y était pas ; on ne lui avait pas permis d'y
venir parce qu'elle était enceinte.
Paris, 21 novembre 1719.
Je suis si fatigué de n'entendre parler que d'actions
et de millions, que je ne puis cacher mon humeur...
Il vient ici des gens de tous les coins de l'Europe;
dc[Mii3 un mois on a observé qu'il y avait à Paris deux
' Fille de Louis XIV, morte fort jeune. Cette princesse avait
eu deux sœurs, mortes également en bas âge; Gui-Patin parle
d'elles dans sa conesponiianre : « Les princes sont malheureux
en médecins. Cette petite Madame n'est morte que d'un coup
qu'elle avait eu à la tête, qui avait fait un éi)r;inlemcnt du cer-
veau, et qui lui a causé les convulsions et la mort. Donc, elle
n'avait pas besoin de saignée » (Ciui-Patin, lettre du 19 janvier
K)(i3, t. III, p. ■in). « La petite Madame a eu des convuloions
cl e.-t morte ce matin ; elle était fluette et délicate sans avoir
janiuii lu de santé » (8 décembre 1CC4, t. lil, p. i97).
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 189
cent cinquante mille personnes de plus que précédem-
ment; il a fallu construire des chambres au-dessus
des greniers, et Paris est tellement rempli de carrosses,
quïl y a de grands embarras dans les rues, et beaucoup
de gens écrasés. Une dame voulait dire à M. Law :
a Faites-moi une concession; » elle s'écria tout haut :
« Ah ! monsieur! faites-moi une conception. » M. Law
répondit : « Madame , vous venez trop tard ; il n'y a
« pas moyen à présent. »
23 novembre 1719.
Au premier voyage que je fis à Fontainebleau , le
roi voulait me donner deux mille pistoles, mais Mon-
sieur pria Sa Majesté d'en réserver mille pour les
donner à Madame, qui depuis est devenue reine d'Es-
pagne '.Je m'en tracassai peu, et je n'en fis pas moins
le voyage de Fontainebleau, où je perdis tout mon ar-
gent au hoca ^ Monsieur, pour me piquer, me raconta
lui-même ce qu'il avait fait contre moi; je ne fis qu'en
rire, et je dis que si Madame avait voulu prendre les
' Marie-Louise d'Orléans, fille de Monsieur et d'Henriette
d'Angleterre, mariée en 1G7 9 à Charles II, roi d'Espagne.
^ Le Hoca, ou le hoc, ou beau jeu de trente et quarante,
comme dit Scarron, fut, selon une supposition fort douteuse,
inventé par le cardinal Mazarin. Voir les notes de M. L. de La-
liorde, Palais Mazarin, p. 235. Nous lisons dans une mazari-
nade assez curieuse :
Et le jeune frondeur, aussi ferme qu'un roc.
Sanglera la croupière à ce joueur de hoc.
[Ballade servant à l'Insloire, 16S1, in-4. )
Une locution tirée de ce jeu se trouve dans La Fontaine et
dans Molitre; voir le Lexique de la langue de Molière, par
M. Gcnin, ISiG, p. 204.
190 CORRESPONDANCE
mille pistoles de ma main , je les lui aurais données
de bien bon cœur. Cela fit que Monsieur fut tout con-
fus ; pour réparer la chose , il se chargea de six cents
louis d'or que j'avais perdus en sus des mille pistoles,
de sorte que je ne fus tenue de rien payer. ,
24 novembre 1719.
La vieille guenipe fut très-piquée quand elle vit que
la Dauphine voulait tenir sa cour comme elle le de-
vait... On l'avait si mal (raitée durant ses couches
qu'elle en devint contrefaile; avant elle avait une
très-jolie taille. Je me suis bien moquée de ses dévo-
tions bavaroises, et je l'ai désabusée de bien des su-
perstitions.
26 novembre 1719.
La Deschamps, danseuse de l'Opéra, a fait à Paris,
au prince Charles-Frédéric de Wurtemberg un présent
dont il est mort; ce prince a ainsi payé bien cher ses
grandes débauches.
28 novembre 1719.
Le duc Frédéric- Auguste de Brunswick était charmé
de la reine Christine; il disait que de sa vie il n'avait
pas vu de femme qui eût autant d'esprit et qui fût
aussi agréable et aussi divertissante; il n'y avait pas
moyen do s'ennuyer avec elle. Je dis que j'avais en-
tendu dire qu'elle parlait d'une façon fort ordurière '.
* C'est ce que conflrme Biienne [Mémoires, t. H, p. 142).
Christine, en parlant à la reine-mère, se servit de ternies obs-
cènes que Brienne n'ose citer, mais qu'il redit tout crûment à
Mn»e (le I.oncuevillc, a et cette princesse, avec toute sa dévotion,
qui était fort sincère, ne put s'cuipcchei* de rire. »
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. Î91
0 C'est vrai, répondit-il, mais elle sait tourner les choses
de manière qu'elles ne causent aucun dégoût. » Elle ne
pouvait être agréable aux femmes, car elle les mépri-
sait toutes en général.
Autrefois on jurait beaucoup en France; le roi a fait
cesser celte habitudequ'il ne pouvait souffrir... Hélait
de bonne foi; ce n'était donc pas sa faute si la cour
était devenue hypocrite ; la vieille guenipe y avait forcé
les gens... La bonne princesse de Bavière perdit
promptement la familiarité du roi, et ne la recouvra
jamais ; elle n'a pas une seule fois dans sa vie éié ad-
mise dans les cabinets, après le souper. Je n'y suis
entrée qu'après la mort de la seconde Dauphine.
29 novembre 1719.
L'histoire du cocher de M. Law est très-vraie; il a
présenté deux autres cochers à son maître, et celui-ci
lui demandant s'ils étaient bons , il a répondu : « Ils
sont si bons, que celui que vous ne jirendrez pas, je
le prends pour moi. » On fait cent autres histoires du
même genre, et il n'est plus question d'autre chose
que de la banque de M. Lav^. Une dame, qui n'avait pu
arriver jusqu'à lui, s'est servie d'un moyen fort singu-
lier pour réussir à lui parler; elle a donné ordre à son
cocher de verser devant la porte de M. Law, lequel
est accouru aux cris que l'on poussait, en s'imaginant
que la dame avait le cou ou la jambe cassée , mais elle
s'empressa de lui dire que c'était un stratagème qu'elle
avait inventé. Une autre dame, qui se nomme M""* de
Bouchu , a imaginé un autre moyen ; elle avait des
espions qui l'instruisaient de ce que faisait M. Law,
192 CORRESPONDANCE
et ayant appris qu'il devait dîner chez M*"* de Simiane
(une des dames d'honneur de la duchesse d'Orléans),
elle a aposlé des gens pour crier au feu pendant le
repas; tous les convives sont sortis de table; M. Law
étant descendu dans la cour pour voir où était le feu,
cette M"'^ de Bouchu lui a sauté dessus, pour ainsi
dire, et lui a dit que c'était une ruse de sa part, afin
de réussir à lui parler et à lui demander des actions.
Ce qu'ont fait six autres dames de qualité est vraiment
scandaleux; elles avaient saisi M. Law au moment oîi
il était dans son appartement, et comme il les suppliait
de le laisser aller et qu'elles s'y refusèrent opiniâtre-
ment, il leur dit enfin : « Mesdames, je vous demande
mille pardons, mais si vous ne me laissez pas aller, il
faut que je crève, car j'ai un tel besoin de pisser qu'il
m'est impossible d'y tenir davantage. » Elles lui ré-
pondirent : « Eh bien ! monsieur, pissez , pourvu que
vous nous écoutiez. » Il le fit tandis qu'elles restaient
autour de lui. C'est une chose affreuse, et lui-même en
a ri à se rendre malade '. Vous voyez ainsi à quel point
' Un couplet que nous demandons permission de prendre
dans un des noëis de l'époque, fait allusion aux bassesses dont
parle Madame :
Avec maintes duchesses
Parut madame Law ;
Viilais léciioit SOS fesses,
Guiclie baisoit ses pas; )
La Roquelaure oiifiii, ce n'est pas un mensonge, '
Décrottait son jupon, don, don;
Brissac et la Brancas, la, la,
Nettoyoient son éponge.
On trouve, dans les Mélanges do Boisjourdan, t. I , p. .309 et
suiv., diverses pièces de vers écriles contre le système. Il yen
a de fort piquantes, mais trop vives pour être reproduites ici.
DE MADAME LA DL'LHESSR d'oRLKANS. 193
la cupidité est venue en France ; à part M"»" de Chas-
teautier, je ne connais personne qui ne soit horrible-
ment intéressé et avide, et je connais bien des gens
qui le sont à un point qui fait frémir. Voilà quarante-
huit ans que je suis en France, et c'est toujours, pour
moi, chose nouvelle que de voir et d'entendre pareilles
choses.
30 novembre 1719.
J'ai à vous mander une nouvelle qui me fait grand
plaisir, le mariage de M"* de Valois et du prince de
Modène; le courrier est parti hier pour Rome, pour
demander les dispenses , car ils sont parents au
deuxième degré. La fiancée se désole ; elle aurait voulu
épouser son cousin, le comte de Charolais, mais il
ne l'a pas voulu , car tous les parents dans la famille
royale se détestent comme le diable ; les deux sœurs,
c'est-à-dire M^^^ la Duchesse et la femme de mon fils,
sont loin de s'aimer et ont tenu réciproquement sur
leur compte mutuel de méchants propos ' ; les princes
légitimes du sang n'ont pas voulu soulîrir que les bâ-
tards du roi fussent mis avec eux sur le pied d'égalité;
* « Le roi et Monsieur veulent que Mme la duchesse de Char-
« très appelle Mme la Duchesse et Mme la princesse de Conti,
■ ma sœur, quoique les autres l'appellent Madame. Cet oidre
« vint de ce que les deux princesses du sang , piquées de voir
« leur cadette au-dessus d'elles, et n'osant pourtant l'appeler
« ma sœur, l'appelaient ma mignonne, par un air de familiarité
« aigre-douce, d'autant que l'air, le visage et la taille de la
« petite-fille de France n'avaient rien de mignon. Cela à la fin
« ofl'cnsa Monsieur qui attira cet ordre, dont Mme la Duchesse
« et la princesse de Conti eurent un extrême dépit » {Journal
deDangeauj.
n. 17
194 CORRESPONDANCE
M'"^ la Duchesse s'est déclarée pour ses fils contre son
frère [le duc du Maine), tandis que M^e d'Orléans, au
contraire, a pris le parti de son frère contre les princes
du sang; cela a, comme vous pouvez le croire, pro-
duit une haine terrible, qui, à ce que je pense, durera
toute leur vie ; quoique M. le Duc et le prince de Conti
soient doublement beaux-frères, puisque chacun d'eux
a épousé la sœur de l'autre, ils se détestent à un point
qui est véritablement scandaleux. Mon fds a fait toute
sorte de bien à ces princes du sang ; il a augmenté
leurs pensions, et ils n'ont pour lui aucune reconnais-
sance ; au contraire, ils le haïssent à la mort ; ce sont
de méchants et faux personnages. Le prince de Conti
peut passer pour avoir la tête un peu dérangée; il est
plein de caprices, et la raison n'a aucun empire sur
lui ; tantôt il dit à sa femme qu'il veut la tuer, tantôt
il se prend pour elle d'une amitié si forte, qu'il ne
veut pas la laisser s'écarter d'un seul pas '. Un jour il
vint, un pistolet chargé à la main, trouver sa femme
qui était couchée, et il lui dit qu'elle ne lui échappe-
rait pas et qu'il allait lui brûler la cervelle. Comme
elle connaît ses manies, elle avait, elle aussi, des pis-
tolets sous son chevet; elle en saisit un, et lui dit :
« Prenez bien garde de ne pas me manquer, car si
vous ne me tuez pas tout raide, vous êtes mort! tirez
le premier. » C'est une femme extrêmement résolue
et courageuse. Le prince, qui n'est pas fort brave,
' Louis-Armand, prince de Conti, était fort contrefait, bossu
par devant et par derrière, et fort d('i)auclic. Sa femme, Louisc-
Éli8at)elh deCondé, eut une conduite des plus légères (voir lea
Mémoires de Maurcpas, t. I, p. 2!j;j).
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 195
comme il l'a montre dans la dernière campagne, eut
peur et se retira. La princesse de Conti est jolie, gaicr
et originale : nn jour elle voulut accompagner son
mari à une chasse au sanglier; elle se munit d'une
grande et forte épée. Le prince lui demanda : « l*our-
quoi faire cette épée? » Elle répondit avec beaucoup
de sang-froid : « Il y a dans les forèls tant de bêtes
méchantes et farouches; je veux au moins avoir quel-
que chose pour me défendre, et je m'en servirai bien. »
Mais si'je racontais toutes ces folies, ce serait un livre
que j'écrirais et non une lettre '.
l<;i- décembre 1719.
Le cardinal a tourmenté mon fils au sujet du duc
de Richelieu ; on ne peut faire autrement que l'exiler à
Conflans pour six mois... J'ai fait tout ce qui était en
mon pouvoir pour empêcher le mariage de mon tîls ;
mais puisqu'il a eu lieu, et que mon fils l'a voulu mal-
gré moi, je souhaite maintenant qu'il soit tranquille.
3 décembre 17 li).
M"* de Valois commence un peu à se consoler de-
puis qu'elle voit les belles toilettes qu'on lui fait. On
lui donne quarante habits différents ^ ; on a aussi en-
1 II y eut dans cette famille des exemples bien caractérisés
de folie ; le diic de Bourbon, fils du grand Condé, s'imagina sur
la fin de sa vie qu'il était devenu lièvre; une autre fois il crut
être plante, et comme tel il voulut se faire arroser ; cette manie
fit place à une autre, celle de se croire mort; il se figurait sou-
vent devenir cliauve-souris ( voir les Mémoires de Maurepas,
t. I,p. 2GG).
^ Le roi lui fit pour quatre millions de cadeaux.
196 CORRESPONDANCE
voyé de Modène de beaux diamants ; c'est une c<)nso-
■lation.
Tout est ici horriblement clier, et les prix ont aug-
menté du double ; on envoie d'Angleterre à Paris une
masse de diamants et de bijoux : les gens qui ont si
efTroyablement gagné sur les actions achètent tout
sans marchander. On raconte des histoires plaisantes.
Il y a quelques jours, une dame, nommée M"'^ Bégon,
était à l'Opéra ; elle vit entrer dans une loge une
dame extrêmement laide, mais vêtue des plus belles
étoffes qu'on puisse imaginer et couverte de dia-
mants; la fille de M""" Bégon lui dit: « Ma mère, re-
gardez donc celte dame si parée; il me semble que
c'est notre cuisinière Marie. » — La mère lui ré-
pondit : « Taisez-vous, ma fille , cela n'est pas pos-
sible. » — La fille répliqua : « Mais, ma mère, regardez-
la bien. — Je ne sais qu'en penser, répondit la mère ;
« elle lui ressemble extraordinairement. — Eh bien?
« quoi '/ je suis Marie, la cuisinière de M"'" Bégon ; je
« suis devenue riche, je me pare de mon bien; je ne
« dois rien à personne; j'aime à me parer et je me
« pare ; cela ne fait tort à personne ; qu'est-ce qu'on
« a donc à redire à cela? » Vous pouvez pensera quel
point on éclata de rire; il existe des centaines d'anec-
dotes semblables.
6 décembre ni 9.
M. le Duc {de Bourbon) et Madame sa mère, ainsi
que son bon ami Lassay, ont gagné plusieurs mil-
lions; le prince de Conti a gagné moins; cependant
on prétend que son gain se monte à des millions. Les
DE MADAMK LA ULCHF.SSE d'ORLÉANS. 197
deux cousins ne bougent pas de la rue Quincampoix ' ,
ce qui a donné lieu à l'épigramme suivante:
Prince, dites-uous vos exploits,
Que failes-vous pour votre gloire ?
— Taisez-vous, sols ! Lisez l'histoire
De la rue Quiucanipoix.
Mais celui qui a gagné le plus d'argent, c'est ce
d'Antin, qui est si terriblement intéressé*.
7 décembre 1719.
J'ai appris une nouvelle qui m'a causé une peine
sensible : le marquis de La Varenne, que je connais
depuis longtemps, est venu me voir ce matin, et m'a
annoncé un malheur qui est survenu à sa fille, que je
connais également bien, ainsi que son mari, qui est
un homme l'oit capable, 11 se nomme M. du Boury;
M"^ de La Varenne l'a épousé malgré la volonté de ses
parents, qui ont fini par y consentir. Cette dame était
àGênes, je ne sais pour quels motifs; elle voidait aller
en Espagne pour rejoindre son mari. M. de La Va-
' Cette rue, qui devint tout d'un coup rélèbre, avait reçu son
nom des seigneurs de Quincampoix ; voir l'armoriai du Père Pe-
tau et celui du Père Laldje. Les autres étymologies de ce nom
singulier sont ridicules. Dans lo Livre de la taille de Paris pour
12'J2, elle est appelée rue Quinqucmpoist. Diverses estampes de
l'époque de la Régence représentèrent les scènes dont elle fut
le tiiéàtie ; dans V AUnanach de la Fortune, ou agenda de la
nieQnineompoix , on la voit encombrée de voitures, de chaises
à porteur, de gens allai rés. Il existe aussi le Véritable Portrait
du trèsfamcitjc seigneur Quinquampoix, avec trente vers fran-
çais ; voir les Mémoires de la Régence, t. H, p. 329.
- Saint-Simon le représente comme un joueur furieux, fort
soupi^onné d'aider la fortune.
17.
198 CORRESPONDANCE
renne eut un pressentiment qu'il arriverait quelque
malheur; il écrivit à sa fille de ne pas s'embarquer,
sous quelque prétexte que ce fût, quoique le trajet
soit tellement court, qu'on peut le faire en vingt-
quatre heures, tandis que par terre il prend beaucoup
plus de temps. La pauvre M'''^ du Boury désobéit à
son père, et, quoiqu'elle lui eût promis de faire le
voyage par terre avec ses deux enfants, elle s'est em-
barquée ; mais mal lui en a pris, car le navire génois
sur lequel elle était a été pris par des Algériens, (^es
Turcs sont en paix avec tout le monde, si ce n'est
avec les Génois; c'est une fatalité affreuse, et j'en suis
désolée. Il est arrivé à la marquise de Foy, cpii a été
une de mes fdles d'honneur, une aventure comme
celle qui survint à M'"" de La Houssaye : elle tomba
malade à Maëslricht, et fut dans une si alfreuse lé-
thargie, qu'elle ne pouvait ni ouvrir les yeux, ni faire
un mouvement, de sorte qu'on la croyait morte;
elle pouvait cependant entendre et voir tout ce qui se
faisait autour d'elle, mais elle était hors d'état do
faire le moindre signe. Elle vit mettre au pied de sou
lit un grand crucifix et des cierges allumés, comme
cela se pratique parmi les catholiques; on tendit dans
toute la chambre des étoffes noires; enfin on donna
l'ordre d'apporter le cercueil où elle devait être pla-
cée. Ce dernier coup la mit hors d'elle-même; elle
fit un effort si violent, que sa langue se délia, et elle
s'écria de toutes ses forces ; « Enlevez tout cela, et
donnez-moi à boire et à manger. » Tous ceux qui étaient
dans l'apiiarlement furent Icllument saisis de frayeur,
qu'ils se précipitèrent dehors eu tumulte, se culbu-
DE MADAME LA DUCHESSE D'ORLÉANS. 199
tant les uns sur les autres. Elle a vécu plusieurs
années depuis.
C'est une chose inconcevable que l'immense richesse
qu'il y a maintenant en France. On n'entend parler que
par millions. Je n'y comprends rien , mais je vois que
le dieu Mammon règne à Paris d'une manière absolue.
9 décembre 1719.
Ce que je craignais au sujet de mon pelit-fils est
justement arrivé. 11 est, dans ce maudit bal de l'Opéra,
tombé dans les mains des filles de l'Opéra; vous pou-
vez facilement imaginer ce qu'elles lui ont appris; d
est maintenant comme un animal échappé. Lorsque
sa mère s'en plaint à son père, d rit à s'en rendre ma-
lade'. La chose n'est cependant pas du tout risible;
car, avec ce genre de vie, ce garçon, qui est délicat,
se tuera le corps et l'àme ; ce n'est que trop certain.
11 y a d'autres choses qui ne valent pas mieux, mais
qui ne peuvent s'écrire; vous voyez ainsi, ma chère
Louise, si j'ai sujet d'être chagrine et tracassée. Le
sous-gouverneur de mon pctit-fds, qui est un homme
1 Les Mémoires deMauvepas (t. 1, p. 255) confirment ceci en
disant que le Régent « voulut donner à son fils l'amour des plai-
sirs et chargea de son éducation en libertinage plusieurs femmes
très-connues. La plus célèbre de ces demoiselles du Palais-Royal
ne put jamais parvenir à lui donner aucune sorte d'intelligence,
mais elle en eut nn enfant. » On lit dans le Journal de Bar-
bier (janvier 1722) : « Le duc de Chartres a dix-neuf ans, et a
déjà eu plusieurs galanteries. 11 a maintenant une maîtresse en
forme, la petite Quinault. Ce prince n'est point aimé ; il a l'es-
prit petit et mauvais. » Et plus loin, l'auteur rapporte que le
Régent disait de son lils : « 11 a aussi peu d esprit (^ue M. le Duc,
il est aussi brutal que le comte de Charolais, et aussi fou que le
prince do Conti. »
200 CORRESPONDANCE
fort vertueux, est tellement affecté que je crains qu'il
n'en perde la vie. Il n'y a que trop de gens sans reli-
gion qui contribuent à plonger la jeunesse dans toutes
sortes de vices. La France a horriblement gâté l'élec-
teur de Saxe: mon bon ami, M. d'IIaxthaussen, m'a
souvent dit, en versant des larmes, que son prince
s'était tellement corrompu à Paris qu'il n'avait plus
l'espoir de le ramener au bien. C'est ainsi que les
jeunes gens tombent dans la débauche ; il n'y a plus
aucun vice auquel ils ne s'abandonnent, et ils de-
viennent de véritables brutes.
Rien au monde n'est pire que cette manie qu'ont
les moines et les prêtres de tout gouverner. Tous les
ecclésiastiques, de quelque religion qu'ils soient, sont
ambitieux et prétendent partout à la domination. Si
l'électeur n'obéit pas aux traités conclus avec l'An-
gleterre, la Prusse et les Étals généraux, et s'il n'é-
coute pas la voix de la raison, comment puis-jc es-
pérer qu'il m'écouteracn faveur des pauvres habitants
du Palatinat? Je ne puis que les plaindre du fond de
mon cœur, mais je n'ai pas les moyens di; leur rendre
service. Je ne vois que trop maintenant (pie Dieu n'a
pas voulu que je pusse accom|)lir quehpie bien en
France, car, en dépit de mes efi'orls, je n'ai jamais pu
être utile à mon pays. Il est vrai (pie, si je suis venue
en France, c'est par pure obéissance pour mon père,
l)Our mon onde et pour ma tante, l'éleelrice de Ha-
novre: mon inclination ne m'y [tortait millement,
12 décembre m !).
Notre reine {Marie-Thérèse) est morte il'un abcès
DE MADAME LA DLCHESSE d'ORLÉANS. 201
qu'elle avait sous le bras. Au lieu de le tirer au dehors,
Fagon, qui, par grand malheur, était alors son méde-
cin, la fit saigner; cela lit crever Tabccs dans rinlcrieur:
tout tomba sur le cœur, et l'émétique qu'il lui donna
là-dessus étouffa la reine. Le chirurgien cjui saigna la
reine dit: «Monsieur, y songez-vous bien? ce sera la
mort de ma maîtresse. » Fagon dit : « Faites ce que je
vous ordonne, Gervais. » Le chirurgien pleurait amè-
rement, et disait à Fagon : «Vous voulez donc que ce
soit moi qui tue la reine, ma maîtresse? » A onze
heures il la fit saigner, à midi il lui donna l'émé-
tique, et à trois heures du soir elle était morte. Après
la saignée, il lui donna une grande prise d'émétique,
et, dans cette opération, la reine partit pour l'autre
monde. On peut bien dire que tout le bonheur de la
France est mort avec elle. Le roi fut très-touché, mais
le vieux méchant diable de Fagon l'avait fait à des-
sein, afin d'assurer par là la fortune de la vieille giie-
nipe.
12 décembre 1719.
M. Law n'est pas le seul qui ait acheté de beaux
bijoux et des biens, M. le Duc devient énormément
riche, ainsi que tous ceux qui ont des actions.
13 décembre 1719.
M"* de Fiennes avait beaucoup d'esprit > et aimait
la raillerie; sa langue n'épargnait personne que moi.
' D'apiès les Mémoires du temps, M me de Fiennes exerçait
une grande inllueiice sur Mimsieur; spiiiluelle, caustique, arro-
gante, ambitieuse et avare, clic était liée avec M"ic de Sévisné,
qui en parle quelquefois.
202 CORRESPONDANCE
Comme je vis qu'elle ne ménageait nullement dans
ses propos ni le roi, ni Monsieur, ni qui que ce fût, je
la pris un jour par la main et, la conduisant dans un
coin, je lui dis : « Madame, vous êtes aimable, vous
avez beaucoup d'esprit , mais vous avez une manière
de parler dont le roi et Monsieur s'accommodent parce
qu'ils y sont accoutumés; pour moi, qui ne fais que
d'arriver, je n'y suis point faite ; je me fâche quand
on se moque de moi ; c'est pourquoi j'ai voulu vous
donner un petit avis. Si vous m'épargnez, nous serons
très-bien ensemble; mais si vous me traitez comme
les autres, je ne vous dirai rien : cependant je m'en
plaindrai à votre mari, et, s'il ne vous corrige pas, je
le chasserai. » 11 était mon écuyer ordinaire. Elle me
promit de ne jamais parler de moi, et elle a tenu pa-
role. Monsieur disait souvent : « Mais comment faites-
vous pour que madame de Fiennes ne vous dise rien
de fâcheux? » Je répondais : « C'est qu'elle m'aime. »
Je ne voulais pas lui dire ce que j'avais fait, car il.
l'aurait excitée contre moi.
A M. DE HARLING.
l4 décembre 1710.
Le roi d'Auglcterre est heureusement arrivé à Lon-
dres en bonne santé; mais le prince de Galles m'af-
llige jusqu'au fond de l'àme; il a cru faire quel()ue
chose de fort beau en envoyant im page auprès du roi
son père, pour le féliciter de son heureuse arrivée dans
les termes les plus soumis; non-seulement le roi n'a
pas voulu recevoir son message, mais encore il a con-
gédié le jeune gentilhonnneuvec des paroles fort dures,
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 203
et il a donné des ordres pour retirer la permission
que le prince avait eue, avant le voyage du roi, de
voir sa tille, que le prince aime tendrement. Cela me
parait par trop dur, et l'on croirait que le roi est plutôt
de la race du czar que de colle de Brunswick et du
Palatinat. Cela ne peut tourner bien pour le roi.
A LA COMTESSE LOUISE.
17 décembre 1719. »
La princesse de Galles m'a fait part du malheur
survenu à la comtesse d'Holderness;.il y avait un
vieux duc de Bellegarde qui disait : « Je n'ai que les
peurs que l'honneur permet », et assurément l'épou-
vante qu'a eue votre nièce est de ces peurs-là , car il
est permis de s'eflrayer lorsqu'on voit trois coquins
escalader votre fenêtre ; je ne m'étonne pas que la
comtesse en ait fait une fausse couche, et elles sont
pires qu'un accouchement naturel. On dit que de
bonnes couches réparent les fausses, et qu'il est bon
de se retrouver enceinte de suite après une fausse
couche; selon moi, ce qu'il y a de mieux en ce genre
ne vaut pas grand'chose.
Il n'y a pas un mot de -sTai dans ce que disent les
journaux, que le chevalier de Saint-George m'a écrit;
mais le fait est qu'il me cause une peine que je ne
puis exprimer, car c'est le meilleur homme du monde,
doux et poli, et il ne mérite pas tous les malheurs qui
l'accablent.
Je ne crois pas qu'on ait jamais vu autant de malice
et de méchanceté qu'il s'en montre à présent ; c'est
une preuve de la vérité du vieux proverbe allemand :
204 CORRESPONDANCE
« OÙ le diable ne peut aller lui-même, il envoie une
vieille femme, » car tout le mal vient de la vieille Main-
tenon, qui vient de mourir à quatre-vingt-quatre ans,
et de la princesse des Ursins, qui en a soixante-dix-
sept ; ces deux vieilles sorcières, comme les appelle la
gi'ande-duchesse, avaient juré la perte de mon fds; la
première à cause de son affection pour le duc du Maine,
qu'elle voulait placer sur le trône; la seconde n'a
aucun motif pour haïr mon fils, si ce n'est qu'il l'a
trouvée trop vieille pour faire le galant auprès d'elle;
voilà pourquoi elle lui a voué une haine implacable.
M"e de Valois est certainement plus belle que sa
sœur l'abbesse de Chelles, mais celle-ci est incompara-
blement plus agi^éable; elle a un rire charmant et les
plus belles dents du monde; on peut, sans exagéra-
tion , les comparer à une rangée de perles ; elle est
bien faite et pas trop petite; elle bégaye un peu, mais
cela ne lui sied point mal. Elle parle et elle rit tout
naturellement, sans affectation et sans effort; elle est
franche et naturelle ; elle dit ce qu'elle pense , tandis
que sa sœur est dissimulée et sans franchise ; je ne
peux supporter cela, et j'avoue que je voudrais qu'elle
fût déjà à Modènc. 11 est très-vrai que le comte de
Charolais doit épouser une piincesse de Modène ; si
c'est une pécheresse , elle fera une rude pénitence,
car je connais le personnage, et je me trompe fort,
ou bien elle sera la plus malheureuse qu'il y ait au
monde ' ; j'ai donc de la compassion pour elle. On met
' Le comte de Charolais devint un des plus vils scélérats
dont l'hisloire ait çiardé le souvenir. 11 débuta par assassiner un
de ses valets dont il n'avait pu séduire la femaie. 11 ensanglan-
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 2Ô5
dans les gazettes un tas de choses qui ne sont pas
vraies; ce qu'on dit au sujet du duc de Chartres est
tout à fait faux; M"ede Valois, pour ne pas le voir,
s'enfuirait jusqu'aux antipodes, comme l'on dit; c'est
son demi-frère, le grand-prieur et général des galères,
qui la conduira à Modène, sur les galères du roi.
Paris, 24 décembre 1719.
M. Marion m'a remis votre lettre du 9 de ce mois ;
elle n'est pas venue bien vite, puisqu'elle a déjà quinze
jours de date ; il m'a aussi remis le livre des Dialo-
gues des morts. Je l'ai aussitôt envoyé à mon relieur,
et je vous en remercie sincèrement. Il ne peut être
médiocre; il faut qu'il soit très-joli ou très-plat; un
m'a fait rire, c'est le dialogue entre M. de Turenne
et M""^ de LaVallière; si on avait mis M"^ de Coetquen,
on aurait pu raconter toute l'histoire du traité que
Madame avait négocié entre son frère, le roi d'Angle-
terre, et le feu roi, secret qui fut divulgué par l'indiscré-
tion de Turenne. Malgré son âge, il était éperdument
tait ses débauches par d'ignobles barbaries sur les courtisanes
qu'on lui amenait; il lirait sur des couvreurs pour se donner le
plaisir de les voir tomber du haut des toits. 11 eût dix fois pour
une porté sa tête sur l'érhafaud, s'il eût pu exister, sous la mo-
narchie, une justice contre les princes (voir Lacretelle, Histoire
de France pendant le dix-fiuilième siècle, 1. 11, p. 59, H. Mar-
tin, Hist. de France). Marais raconte dans son Journal, Revue
rétrospective, t. IX, p. 309, des traits de la brutalité de ce per-
sonnage.
Les Mémoires du Genevois Franqois de Bonivard offriraient,
au seizième siècle, des traits du même genre : « De mon temps,
« un comte de Nevers, ayant une épée nouvelle, pour icclle
« essayer, coupoit par derrière le col à quelqu'un qu'il croyoit
« avoir long. » Mais pareils récits sont-ils bien authentiques?
II. 18
206 CORRESPONDANCE
épris de M"'^ de Coetquen, qui était toujours auprès de
Madame et très-fort dans ses bonnes grâces, quoi-
qu'elle n'en fût pas digne , puisqu'elle aimait le che-
valier de Lorraine, qui était l'ennemi le plus acharné
de Madame, et qui, pour pénétrer ses secrets, souffrait
que sa maîtresse flattât son vieil adorateur. Ils n'a-
vaient pu tirer de Madame le secret du traité, mais
Turenne était trop amoureux de M""* de Coetquen '
poiu' rien lui cacher; il lui révéla le secret ; elle en fit
part au chevalier et celui-ci à Monsieur, qui fut très-
irrité contre sa femme et contre le roi , et qui s'em-
porta contre eux. Madame dit au roi que le chevalier
de Lorraine l'avait brouillée avec son mari, et le che-
valier fut chassé, mais Madame paya tout cela de sa
vie ; ils ne voulurent pas mettre Monsieur dans leur
secret; ils dirent : « 11 ne sauroit rien taire au roy si
nous luy avouons que nous voulions empoissener Ma-
dame ou jl ne le souffrira pas ou bien jl nous dénon-
cera au roy et nous fera tout pendre -. » On a donc
fait grand tort à Monsieur lorsqu'on a prétendu qu'il
avait laissé empoisonner sa femme; il était incapable
d'un pareil crime; c'est une vieille histoire, mais très-
vraie, quoiqu'elle ait l'air d'un roman. Vous voyez
donc que si, au lieu de M"^" de La Vallière, on avait
> M'"e Je Coetquen mourut à Rennes dans un cou vent, le 17 juin
1720. « Elle étoit sœur cadette de Mme Je Soubise, belle, encore
« plus agréable, et de grande mine, avec de l'esprit et fort faite
« pour la cour et le grand monde, où elle figura longtemps.
« Son aventure avec M. de Turenne lui donna beaucoup de re-
« licf. » Ainsi s'exprime Saint-Simon.
' Ce passage est en français dans la lettre de Madame ; nous
le reproduisons textuellement.
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 207
supposé un dialogue entre M™^ de Coetquen et Tu-
renne, on aurait pu mettre quelque chose de piquant
et de curieux, mais peu de gens connaissent bien tous
ces détails ; je les sais de bonne source, car je les tiens
du roi et de INIonsieur , si ce n'est ce qui regarde la
mort de Madame, que j'ai appris d'autre part.
26 décembre 1719.
Le cardinal Mazarin envoya un jour Boisrobert com-
plimenter un envoyé anglais; lorsqu'il fut arrivé à
l'hôtel, il dit : « M. le cardinal m'envoie ici pour voir
M. l'ambassadeur et M"^^ l'ambassadrice, et leur faire
des compliments. » Un Anglais qui l'avait introduit
répondit : « Mylord il est prêt, Myledy il n'est pas
prêt, friselire ses cheveux, prendre patience. »
28 décembre 1719.
On dit beaucoup de bien du prince de Modène ; il a
de la capacité et de bons sentiments ; il n'est pas beau,
mais il est bien élevé et très-raisonnable. Ce prince a
dû être tout à fait épris du portrait de sa future épouse;
il me fait vraiment bien de la peine. Les bons mé-
nages sont extrêmement rares, et j'ai vu des gens qui
s'étaient épousés par amour, et qui ensuite se sont
mis à se détester comme le diable, et qui se haïssent
encore. Heureux qui ne s'est pas marié ! que j'eusse
été contente si l'on m'avait permis de ne pas me ma-
rier, et de vivre dans le célibat! Si vous voulez que je
vous dise la véritable raison pourquoi les princes et
princesses se détestent tellement, c'est qu'ils ne valent
rien du tout.
r
208 CORRESPONDANCE
29 décembre 1719.
C'est une drôle de chose de voir comment tout le
monde court après M. Law et se bouscule rien que
pour l'apercevoir, lui ou son fils.
2 janvier 1720.
Il faut que le roi d'Espagne connaisse bien les gens
pour leur dire une couple de mots ; si voulez qu'il vous
parle, il faut l'agacer et le tourmenter un peu ; autre-
ment, il ne dit absolument rien. J'ai vu Monsieur très-
impatienté de ce que ce roi ne parlait point et ne lui
adressait une seule parole. Monsieur n'avait pas pris la
peine de s'entretenir avec lui avant qu'il fût roi ; ensuite
il voulut que ce prince lui adressât la parole; cela ne
convenait pas à ce sire. Avec moi, c'était autre chose.
Dans l'appartement, à table, à la comédie, nous étions
toujours assis ensemble ; il aimait à entendre des
contes; je lui en faisais pendant des soirées entières;
c'est \h surtout ce qui l'a accoutumé à moi, et voilà
pourquoi il a toujours eu quelque chose à me deman-
der. J'ai ri souvent de la réponse qu'il me faisait quand
je lui disais : « Eh, Monsieur, parlez un peu à votre
grand-oncle, qui est tout peiné de ce que vous ne lui
parlez pas. » 11 répondait : « Que voulez-vous que je
lui dise? je ne le connais presque pas. »
Paris, 4 janvier 1720.
Je n'ai ici qu'ennui et désagrément : il n'est pas
jusqu'au spectacle, le seul plaisir qui me restât à mon
âge, qu'on n'ait gâté, car la scène est à présont en-
combrée de monde, de sorte ([ue les acteurs n'ont pas
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 2C9
de place pour jouer ; c'est extrêmement désagréable.
Un abbé, qui est de mes amis, et qui appartient à
une des meilleures maisons de Franco, qui a beaucoup
d'esprit, mais la tète un peu exaltée, s'est imaginé
qu'il n'appartenait pas à la vraie religion, puisque l'on
persécutait si fort les pauvres réformés ; cela lui a fait
prendre le parti de se mettre lui-même parmi les ré-
formés; il est allé trouver le chapelain de l'ambassa-
deur de Hollande, et il abjuré entre ses mains la foi
catholique ; il est ensuite allé , la veille de la Noël ,
rendre une visite à une dame, qui lui a dit : « L'abbé,
voici un vrai temps pour vous qui aimez à veiller, car
vous irez à la messe de minuit. » Le pauvre abbé
d'Entrague ' a répondu : « Moi, je n'irai plus de ma
vie à la messe. » Cela a fort surpris tous les assistants,
et quelqu'un lui ayant demandé : « Pourquoi n'allez-
vous plus à la messe? » il a répondu avec le plus grand
sang-froid : « Depuis que j'ai eu le bonheur de com-
munier sous les deux espèces avec six cents de mes
frères , je suis bien résolu à ne plus jamais aller à la
messe. » Cela a mis tout Paris en rumeur ; les évêques
et tous les prêtres se sont réunis, et ont résolu d'aller
1 Saint-Simon (t. XXXIIl, p. 250) donne de curieux détails
sur ce personnage : « C'était un grand lioninie, trcs-l)ien fait,
« d'une pâleur singulière, qu'il entretcnoit exprès à force de
n saignées, qu'il appeloit sa friandise, et qui dormoit les bras
« attachés en liaut pour avoir de plus belles mains. Il étoit
« méchant, se plaisait aux tracasseries et à brouiller les gens.
« On ne pouvoit rien imaginer de sérieux d'un homme si fri-
« vole. Il ne laissa pas, avec tous les fruits et la glace qu'il
« avaloit, de passer quatre-vingts ans sans infirmité, et il Unit
n fort clirétienncment une vie fort peu chrétienne. «
18.
210 CORRESPONDANCE
trouver mon fils et de lui demander de faire mettre
l'abbé à la Bastille. Le pauvre homme est venu la nuit
me trouver, et m'a demandé conseil sur ce qu'il devait
faire. Je l'ai bien grondé pour son imprudence, et je
lui ai dit que la seule chose qu'il eût à faire, c'était de
s'échapjier au plus tôt. 11 a suivi mon avis, et, Dieu
merci, il s'est sauvé. On l'a bien cherché pour le mettre
à la Bastille, mais on ne l'a pas trouvé. Je ne sais où
il est ; mais j'espère qu'il est en lieu de sûreté, et j'en
suis bien aise. Vous ne connaîtriez pas les Français, si
vous pensiez qu'ils peuvent se retenir de parler.
5 janvier 1720.
A|)rès les aveux que M"^ du Maine a faits au sujet
de sa conspiration, et qu'elle a mis par écrit, mon fils
l'a fait mettre en liberté et l'a laissée revenir à Sceaux.
Elle est très-irrilée de ce qu'on a fait lecture de ses
lettres en plein conseil. Comme elle a déclaré, dans
sa déposition, qu'elle a tout fait à l'insu de son mari,
quoiqu'en son nom, on le laisse revenir dans sa terre
de Chavigny, auprès de Versailles.
Paris, 7 janvier 1720.
Si l'abbé d'Entrague arrivait à Erancfurt, dites-lui
que j'ai écrit du bien de lui. Vous pouvez le voir sans
crainte du scandale; car lorsqu'il était encore un tout
petit enfant, des poules qu'il trouva dans une basse-
cour où il était à jouer, le niulilèicnt d'une étrange
façon ' ; cela lui a donné une telle horreur pour les
• Alleseine sieben Sachen abge/ressen : liUéralcment , mangé
toutes SCS sept choses j ceci rappelle la mcÊavciUurc do boilcau,
DE MADAME LA DLCHESSE D OULÉANS. 211
poules, que lorsqu'il en aperçoit, il est au moment de
se trouver mal.
Sjanvier 1720.
Le grand-prieur, qui est général des galères , doit
mener M""* sa sœur en Italie. Les galères doivent être
élégamment meublées; cela seul coûte 100,000 livres.
9 janvier ITiO.
Je me suis souvent promenée la nuit dans la galerie
du château de Fontainebleau, où l'on disait que l'es-
prit du feu roi François I" revenait, mais le bon roi
ne m'a jamais fait l'honneur de se montrer ù moi ;
peut-être il ne regardait pas nos prières comme assez
efficaces pour le sortir du purgatoire , et , en cela , il
pourrait bien avoir raison.
J'étais très-gaie dans ma jeunesse; c'est pourquoi
on m'appelait en allemand Rinischen petten Knedit.
Je me souviens de la naissance du roi d'Angleterre
comme si c'était d'aujourd'hui ; j'étais un enfant
curieux et espiègle. On avait mis une poupée dans
un buisson de romarin, et on voulait me faire croire
que c'était l'enfant dont ma tante venait d'accou-
cher ; au même moment, je l'entendis crier horrible-
ment, car l'électrice était en mal d'enfant ; cela ne
s'accordait pas avec l'enfant dans le buisson de roma-
mutilé à grands coups de bec par un dindon; d'où, suivant
Helvélius, la haine du poëte pour les jétuites importateurs des
dindons (voir les éditions de Boileau, données par >1M. Daunou,
1825, t. I, iiii, et de Saint-Surin, 1821, t" I, p. 85: mais
M. Berriat Saint-Prix (Essai sur Boileau, en tète de son édi-
tion, 1831, 4 vol. in-8, t. 1, chap. xxxiv) montre que celte
anecdote est dépourvue de toute vraisemblance.
212 CORRESPONDANCE
rin; je fis comme si je le croyais, mais je me glissai
dans la chambre de ma tante, comme si je jouais à la
cachette avec le jeune Bulau et avec Haxthausen, et
je me lapis derrière un grand paravent qu'on avait
placé devant la porte auprès de la cheminée. On apporta
l'enfant auprès de la cheminée pour le baigner; je
sortis de ma cachette. Je devais avoir le fouet, mais
en l'honneur de l'heureux événement, je ne fus que
bien grondée.
9 janvier 1720.
M. le Duc et M^^ sa mère ont, dit-on, gagné 250
millions '.
11 janvier 1720.
Je crois que l'abbé d'Entrague est tout à fait devenu
fou. Comme je vous l'ai écrit, il avait pris la fuite,
selon le conseil que je lui avais donné, et il était arrivé
en Flandre; il était tout près de Tournai, où il aurait
été en sûreté ; au lieu de cela, il va à Lille, où il passe
quelques jours à se reposer. Comme personne ne ly
connaissait, il ne courait aucun risque s'il était resté
tranquille, mais, au contraire, il va sur la place pu-
Itliquo ; il veut, comme un juif, négocier des billets de
l»anque ; il déclame contre mon fds et contre le gou-
vernement : on prévient le commandant de Lille, qui
le fait aussitôt arrêter, et on découvre qu'il est l'abbé
(rLnlrague. A-t-on jamais vu un pareil extravagant'/
Mon fils a fait tout ce qu'il a pu pour le sauver ; il lui
a laissé le temps de s'enfuir; il ne l'a pas fait pour-
' u L'avidité liistoriqiic de la maison de Condc se gorgea de
millions par le dévouement de Law » (Saint-Simon , t. VII,
I). 20 1).
DE MADAME LA DUCIIIÎSSE D'oKLÉANS. 213
suivre , et voilà cet imbécile qui va déclamer contre
lui sur la place publique.
Je ne veux rien dire des millions actuels; j'en suis
tellement fatiguée, que je ne puis plus en entendre
parler. J'ai honte de voir une princesse du sang entrer
à la Banque, et se faire battre par cupidité pour amas-
ser de l'argent ; c'est vraiment ignoble.
23 janvier l';20.
M"" du Maine avait écrit à mon fils que dans le cas
où elle aurait oublié quelque chose dans sa déclara-
tion, il n'y aurait qu'à le demander à M"" de Launay,
qui savait tout. En conséquence, il envoya chez cette
demoiselle pour lui adresser des questions. Elle répon-
dit : « Je ne sais si la prison a tourné la tète à ma
maîtresse, mais la même chose n'est point arrivée à
moi. Je ne sais rien et je ne veux rien dire. »
M"^^ du Maine avait gagné dans toutes les provinces
des gentilshommes et leur avait fait faire des tournées
pour provoquer à la révolte , mais nulle part on n'a
voulu mordre à la grappe, si ce n'est en Bretagne.
24 janvier n20.
M. Law a fait abjuration à Melun, et il est devenu
catholique ainsi que ses enfants ; sa femme en a été
désespérée... 11 n'est point avare; il fait, sans qu'on
en entende parler, beaucoup d'aumônes et donne de
grosses sommes ; il assiste aussi beaucoup de pauvres
gens.
25 janvier 1720.
Le présent attendu de Modcne est arrivé; il ne se
214 CORRESPONDANCE
compose pas de beaucoup d'objets ; il y a un très-gros
joyau que la fiancée doit porter sur elle avec de fort
beaux diamants, et le portrait du duc, mais bien mal
fait ; on donnera tout cela quand les promesses auront
été faites en présence du roi et après la signature du
contrat... La grande-duchesse (fZe Toscane) dit qu'elle
ne veut pas voir Mademoiselle; elle sait ce que c'est
que l'Italie, et combien peu W^ de Valois pourra s'y
accoutumer, et elle dit qu'elle craint, si Mademoiselle
venait à s'en retourner, qu'on ne dit : « Voilà le se-
cond tome delà duchesse de Toscane; » à chaque sot-
tise qu'elle ferait à l'égard de son beau-père et de son
mari, on s'écrierait : « « Ah ! voilà les instructions que
lui a données sa tante la grande -duchesse. » Ainsi,
elle ne veut ni la voir ni lui parler.
Paris, 2G janvier 1720.
Mme (Ju Maine a disculpé complètement son mari et
déclaré que c'était elle qui avait ourdi toute la cons-
piration, et qu'elle avait abusé de son nom pour cela,
mais qu'il n'en savait pas un seul mot. Tous les autres
conspirateurs qui sont à la Bastille en disent de inême.
11 est possible que ce soit vrai, quoique ce soit diflicile
à croire. Le duc , pour confirmer cette façon de pré-
senter la chose, ne veut ni voir sa femme ni en enten-
dre parler. Elle est désespérée que mon lils ait fait lire
au Conseil toutes les pièces qui établissaient l'exis-
tence du complot; mais cette méchante bête a bien
dû comprendre que, si mon iils n'avait pas agi de la
sorte, on n'eût pas manqué de dire (pie la conspira-
lictu n'était pas vraie, mais seulement une invention
de su paii.
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 215
Albéroni a écrit à mon fils pour solliciter son par-
don; il lui a déclaré que tous les libelles répandus
contre lui en Espagne étaient envoyés de Paris; il of-
fre de tout découvrir et de procurer à mon fils les
moyens de s'emparer de toute l'Espagne, car il con-
naît le fort et le faible du royaume. N'est-ce pas là un
trait d'un coquin insigne?
Le pauvre abbé d'Entrague s'est fait arrêter à Lille
comme un sot ; sa voiture était devant la porte, il n'a-
vait qu'à s'en aller, et son valet le pressait de le faire;
mais il a perdu son temps à s'occuper de sa toilette,
et lorsqu'on lui a demandé : « Que faites-vous ici? »
il a répondu : « Je me suis fait huguenot. » C'était une
belle réponse à faire en Flandre, où l'on est papiste
très-zélé. Mon fils a ordonné de le bien traiter et de
lui donner tout ce qu'il demande, jusqu'à des poupées,
avec lesquelles il joue comme un enfant. Il a cepen-
dant de la capacité; je ne puis comprendre qu'avec
des moyens on puisse agir d'une façon aussi puérile.
D'après ce qu'on nous mande sur l'Espagne, il faut
croire que les gens n'y valent pas mieux qu'ici ' .
27 janvier 1720.
Mon fils demandait une duchesse qui accompagnât
' Nous lisons dans une lettre du marquis de Villars, ambas-
sadeur de France à Madrid, en date du 17 août 1671 : « Il est
« aussi familier d'assassiner ici que de se désaltérer quand oa
« a soif; et il n'y a jamais de châtiment » (Mignet, Négociations,
t. IV, p. IGU). Louville assure aussi, dans sl's Mémoires, qu'il
n'y avait pas d'homme un peu riche qui n'eût au moins cent
coupe-jarrets à sa solde, et que des milliers de gens, dans la
capitale, ne vivaient que de ce vilain métier.
216 CORRESPONDANCE
sa fille jusqu'à Gênes; quelqu'un qui se trouvait près
de lui , dit : « Monsieur, si vous voulez avoir le choix
des duchesses, envoyez chez M"^^ l^w, vous les y li-ou-
verez toutes rassemblées... » Milord Stairs ne peut
s'empêcher de témoigner sa haine contre Law ; il ga-
gne cependant là dedans trois bons miihons.
27 janvier" 1720.
Le roi fut très-affligé de la mort de la reine, mais
la vieille guenipe fit tant par son bavardage, que dans
quatre jours il en fut consolé. Peu de jours après, fai-
sant le voyage de Fontainebleau, nous craignîmes
qu'en voiture le roi ne fût de mauvaise humeur, et
qu'il ne nous grondât toutes, mais nous le trouvâmes
très-gai... Feu Monsieur aimait beaucoup les bals et
les mascarades; il dansait bien, mais c'était à la ma-
nière des femmes; il ne pouvait danser comme un
homme, parce qu'il portait des souliers trop hauts '.
1 Dans les ballets dont Benserade fit les vers, et qui sont
imprimés dans le recueil de ses œuvres, on voit souvent figurer
le duc d'Orléans avec ses favoris, le comte de Guiclie, Mani-
eamp, etc. Un petit ouvrage écrit vers IGGl et intitulé : les
PortraUs de la cour, a été inséré dans les Archives curieuses
de l'Ilisloirc de France, seconde série, t. VIII; on y trouve,
p. 384, le portrait de Monsieur; mais il est peint en beau;
Saint-Simon le montre sous un aspect plus vrai (t. V, p. 230}.
M. Cousin qualifie Monsieur de «prince médiocre, mais dont
« une triste politique se plut à cultiver les goûts frivoles qui
« finirent par être bonleux. Il n'était né sans esprit ni sans
« courage, et, si son frère l'eiit bien voulu, il en aurait pu faire
'( l'égal de bien des arcbiiincs. » — M""^ de La Fayette dit, de
son cùté : " Monsieur était beau et bien l'ait, mais d'une beauté
« et d'une taille plus convenable à une princesse qu'à un prince ;
« ausîi avait-il plus songé ù faire admirer sa beauté de tout le
DE MADAME LA DUCHESSE D'oRLÉANS. 217
A M. DE HARLING.
28 janvier 1720.
C'est un grand malheur lorsque de grands seigneurs
comme l'électeur ' se laissent mener par des prêtres;
il ne peut en résulter que des malheurs. 11 devrait
plutôt suivre le conseil de gens sages, laisser ses su-
jets en repos et attacher gentiment une bonne pierre
au cou de ses maudits prêtres, pour les jeter dans le
Necker ou dans le Rhin ; c'est le conseil que je lui
doimerais, et il ne serait pas mauvais.
A LA PRLNGESSE DE GALLES.
2 février 1120.
Quoique le prince de Conti puisse être poli quand
il le veut, personne n'est plus brutal que lui, et il de-
vient plus fou chaque jour... A l'un des derniers bals
de l'Opéra, il prit de force une pauvre petite fille ré-
cemment arrivée de la province et toute jeune ; il l'ar-
racha d'à côté de sa mère, la plaça entre ses jambes,
et tandis qu'il la tenait d'un bras, il lui appliqua cent
soufflets et des chiquenaudes, qui lui firent sortir le
sang du nez et de la bouche. La créatru^e, qui ne lui
avait jamais fait de mal, et qui ne le connaissait même
pas, pleura à chaudes larmes ; mais il se mil à rire et
dit : « Ne sais-je pas bien donner des chiquenaudes'/ »
Tous ceux qui ont vu cela en ont pitié, cependant on
« monde qu'à s'en servir pour se faire aimer des femmes, quoi-
« qu'il fût continuellement avec elles. »
' L'électeur palatin, Ican-GuiUaumc.
i:. 19
218 CORRESPOND A NfiE
n'a pas osé venir au seconis de la pauvre petite fille,
car on craint d'avoir affaire à ce fou, il est si violent;
il fait les grimaces les plus affreuses et il parle tout
seul ; moi qui redoute horriblement les fous, je tremble
quand je me trouve avec lui.
4 février 1720.
Nous avons reçu aujourd'hui une bonne nouvelle,
celle de la conclusion de la paix avec l'Espagne.
6 février 1720.
Dimanche prochain, on célébrera les fiançailles, et
le contrat sera signé en présence du roi; lundi matin
les épousailles auront lieu, et, mardi, la mariée se met-
tra en route.
Un jour, trois laquais se disputaient; deux d'entre
eux refusaient de laisser dîner le troisième avec eux,
en disant : « Fi donc 1 il ne sert avec son maître qu'une
présidente, cela ne peut être comparé à nous, qui ser-
vons tous les jours des princesses et des duchesses. »
Le laquais rebuté fut tellement en colère, qu'il appela
des camarades à son secours , et il y eut une grande
rixe. On appela le commissaire. Il se trouva alors qu'ils
servaient trois frères , fils d'un riche marchand de
Rouen ; deux d'entre eux avaient acheté des compa-
gnies aux gardes-françaises; l'un d'entre eux avait
une intrigue avec la femme du duc d'Âlbret ; l'autre
avec la duchesse de Luxembourg, et le troisième avec
une présidente. Les deux premiers s'appellent Colande
ot Miiigremoiit; et comme dans le mémo temps le due
d'Albret, fils du duc de Bouillon, était amoiueux do
DE MAPAIir, (.A DrCHF^SK l)'(»lîl,KANS. 219
la présidente Savari , qiu étail (.■lueiule ainsi (juc la
duchesse, on a fait là-dessus le couplet suivant :
Colande a fait un Bouillon ,
Luxeuiliouig un Jlai^'rtmout;
Et du duc d'.\lbr(!t, peut être,
Un petit Savari va naître :
Lampous, lampous 1
Il février 1720.
- Paris n'est plus aussi peuplé qu'il l'était; le haut
prix de toutes les denrées en a chassé bien du monde.
Aujourd'hui l'or et l'argent sont défendus, les louis
d'or et les écus ne valent plus rien ; il n'y a que des
billets de banque et des pièces de vingt sous. Je ne
peux pas soulîrir d'entendre parler de millions, d'ac-
tions, de primes et de souscriptions ; je n'y comprends
rien, et ce sujet m'est intolérable. Je ne connais per-
sonne en France qui soit franchement désintéressé, si
ce n'est mon fds et Mn^^ de Chasteautier ; tous les au-
tres sont d'une âpreté honteuse, surtout les princes et
princesses du sang, qui se sont battus à la Banque
avec des commis, et ont eu à essuyer les propos les
plus injurieux. L'argent gouverne le monde, dit-on;
mais je ne crois pas qu'il y ait sur la terre un endroit
où il règne plus complètement qu'ici.
18 février 1720,
Il n'est pas vrai que le feu roi portât un ciliée et
qu'il l'eût reçu des mains d'un cordelier ; il avait trop
de raison pour cela , et ce n'est point l'usage parmi
les gens du siècle. On a dit à tort beaucoup de choses
de ce genre sur le compte du roi. Il est également
faux que la reine portât un cilice; je l'ai vue nue plus
220 CORRKSPONDANCK
de cent lois, loisquc je donnais la chemise à Sa Ma-
jesté, comme c'est la coutume. La première femme de
chambre donnait la chemise à la dame d'honneur, qui
me la donnait ensuite, et moi à la reine. Lorsque je
n'étais pas là, la première femme de chambre donnait
directement la chemise à une princesse du sang, sans
qu'elle passât par les mains de la dame d'honneur.
Nous avons beaucoup de différences de ce genre dans
le cérémonial. L'abbé d'Entrague est toujours à la ci-
tadelle de Lille; on ne le tourmente pas, et on le laisse
vivre à sa fantaisie. Il a beaucoup d'esprit, mais il a
été élevé pitoyablement par sa mère, qui voulait une
fille et qui n'en eut pas, de sorte qu'il a reçu l'éduca-
tion d'une petite fdle. Il est devenu, on peut le dire,
une franche coquette, et il en a pris tous les dé-
fauts.
Je craignais que la détention d'Albéroni ne fût un
jeu combiné entre lui et le pape, mais il parait qu'elle
est sérieuse. Ses papiers ayant été saisis en Espagne,
on y a trouvé la preuve des machinations qu'il avait
ourdies contre le pape, auquel on en a fait pour; le
pape en a été fort courroucé et a fait arrêter Albéroni,
qui a été enfermé à Rome, où il recevra le châtiment
dû à toute sa scélératesse.
19 février 1720.
J'avais une fdle d'honneur nommée Beauvais ; c'é-
tait \mc fort honnête créature : le roi en devint amou-
reux ; mais elle tint bon ; alors il se tourna vers sa
compagne, laFontange, qui était aussi fort belle, mais
elle n'avait pas du tout d'esprit. D'abord il dit en
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 221
riant : « Voilà un loup qui ne me mangera point, )>
et il en devint ensuite amoureux. Avant de venir chez
moi, elle avait rêvé tout ce qui devait lui arriver en sa
vie, et un pieux capucin lui avait expliqué son rêve.
Elle me l'a raconté elle-même avant qu'elle ne devînt
la maîtresse du roi. Elle rêva une fois qu'elle était
montée sur une haute montagne, et qu'étant sur le
sommet, elle fut éblouie par un nuage resplendissant;
ensuite il vint une si grande obscurité qu'elle se ré-
veilla saisie de frayeur. Elle raconta ce rêve à son
confesseur, qui lui dit : « Prenez garde à vous; cette
montagne est la cour, où il vous arrivera un grand
éclat; cet éclat sera de très-peu de durée; si vous
abandonnez Dieu, il vous abandonnera, et vous tom-
berez dans d'éternelles ténèbres. »
20 février 1720.
Je ne crois pas que milord Stairs continue à faire
l'éloge de mon fds comme il avait commencé; car ils
ne paraissent nullement bons amis ' . Après que mon
fds eut tout fait pour le satisfaire, après l'avoir rendu
plus riche qu'il n'avait pu de sa vie en avoir l'espoir,
il lui a tourné le dos, lui a donné tous les embarras
possibles, et l'a tellement tourmenté que mon fds est
fort content d'en être débarrassé... M"^^ de Berri m'a
raconté que les plaisanteries deBroglie consistent à dire
grossièrement les plus grandes ordures en employant
les mots les plus sales; cela fait rire mon fils. Il est in-
solent, hardi, débauché avec les femmes et ivrogne.
*. Saint-Simon parle bcaiJÇoup de iorrt Stairs, de ses airs in-
Bolents, de ses propos audacieux, de ses intrigues.
td.
222 CORRESPONDANCE
22 février 1720.
Lorsque M. de Louvois proposa pour la première
fois au roi de nommer M"^ Dufresnoy, sa maîtresse,
dame du lit de la reine, le roi dit : « Vous voulez donc
qu'on se moque de vous et de moi. » Cependant Lou-
vois pria avec tant d'instance que le roi lui accorda
sa demande '.
25 février 1720.
M. le Duc a été maltraité du peuple, qui voit en
lui un bon ami de Law; on lui a dit toutes les injures
du monde et on l'a traité de chien ; on a couru après
son petit-frère, le comte de Clermont, sur le pont
Royal, en lui disant : « Va, chien, tu ne vaudras pas
mieux que tes frères. » Le gouverneur descendit de
voiture et voulut haranguer le peuple , mais on lui jeta
des pierres; il fut oblige de remonter dans le carrosse
et de s'en aller au plus vite.
2G février 1720.
J'ai d'abord parlé longtemps avec mon fds au sujet
des affaires de Lorraine; ensuite j'ai eu à lui parler au
sujet d'une montre qui m'a été volée dans mon cabi-
net; il se trouve qu'il y a un gentilhomme dans cette
affaire; cela a fait grand bruit comme vous pouvez
croire.
' Élise Dufrcsnoy, femme d'un premier commis de la guerre,
fut nommée à la place dont parle Madame en novemlirc 167 3.
La Fare dit, dans ?:C.-^ Mémoires, qu'elle était la plus belle femme
du temps, insolente, avec fort peu d'esprit, et qu'elle fit faire
bien des sottises à Louvois. « C'est ffiie nymphe, une divinilQ, »
éciivail Miiu de Sévigné, le 29 janvier 1G7 2,
DE MADAME LA DUCHESSK d'ORLÉANS. 223
1er mars I72(X.
Le Dauphin n'était pas grand, mais il avait bonne
mine. Le roi avait coutume de dire: «Monseigneur
(c'est ainsi qu'il l'appelait) a une bonne mine d'un
fermier allemand.» Il avait, en effet, l'arr allemand,
mais ce n'était qu'à l'extérieur ; à l'intérieur il n'a-
vait rien d'allemand... Je sais qu'il s'était habitué an'
tabac pour ne pas sentir l'odeur de la Chouin, dont les
dents gâtées puaient horriblement'.
3 mars 1720. ,
Il n'est pas étonnant que le duc de Berri ^ n'ait pas
eu des manières distinguées; il avait été élevé par
M™* de Maintenon et par la Dauphine comme un valet
de chambre. A table il était obligé de servir la vieille
vilaine, et le reste du temps les dames de M*"^ la Dau-
phine, chez lesquelles il était jour et nuit. Celles-ci
l'avaient dressé comme un domestique; elles le tu-
toyaient, lui disant : « Berri, va me chercher mon ou-
vrage, approche la table, apporte-moi les ciseaux ; » en
• <T Chonin n'a jamais éîé qu'une grosse camarde, brune,
qui avec toute la physionomie et le jeu d'esprit n'avait l'air que
d'une servante , et qui étoit devenue excessivement grosse et
puante. » (Sainl-Simon).
* Le Biillcdn des comités historiques, 1853, p. 9G, renferme
un document singulier, qui donne une triste idée de l'éduca-
tion de ce prince ; c'est une lettre qu'il écrivit (âgé de moins de
quinze ans) à la maréchale de Noailles, et datée de Bayonne le
15 janvier îTOl : « J'ai connu, petit cochon, la dammequi vous
« a chargée de me faire réponse. J'avais attendu à lui écrire
■ jusques ici, car je lui avois promis. Dittes-lui de ma part
« qu'elle ne boive pas tant qu'elle a accoutumée. Au reste, dilte
« lui d'ctre assurée de mon amitié... Adieu, petit cucUon. •
224 CORRESPONDANCE
un mot, tout ce dont elles avaient besoin et sans
nulle façon. C'était une honte que leur manière de le
traiter. Par là elles l'ont tout à fait abruti et lui ont
donné de basses inclinations; il n'est donc pas sur-
prenant qu'il ait eu un amour violent pour une femme
de chambre laide. Le bon sire était un peu brutal de
son naturel.
C mars 1720.
Mon fds dansait bien dans sa jeunesse, mais il n'a
jamais aimé la danse, et il y a renoncé contre ma vo-
lonté... Le père de Noce a été sous-gouverneur de
mon fds. Dès son enfance, mon iîls s'est habitué à ce
méchant diable, et l'a sincèrement aimé. Il a de l'es-
prit, mais il n'y a absolument rien de bon chez lui '.
11 parle toujours contre Dieu et les hommes ; il est
vert, noir et jaune foncé ; il paraît avoir dix ans de
plus que mon fds. Je ne comprends pas qu'on puisse
aimer un pareil drôle. C'est une chose incroyable
tous les millions que cet homme intéressé a tirés de
mon fds.
18 mars 1720.
Noce dit sur le compte de tout le monde tout ce qui
lui passe par la bouche; cela amuse mon fils et
le fait rire, car Noce a de l'esprit, et sait présenter
les choses sous un aspect plaisant... Je soutiens à mon
fils que de sa vie il n'a été amoureux, et que son
amour ne consiste que dans la débauche ; il répond :
« 11 est vrai que je ne saurais être comme un héros de
roman ou passionné comme Céladon , mais j'aime à
* Isl kcin (jut lluar an ihm.
DE MADAME LA DUCHESSE d'oULÉANS. 225
ma mode. » Je réponds : « Votre mode est d'aller
comme à votre chaise percée. » 11 rit lorsque je lui
dis cela.
20 mars 1720.
M™» la Princesse est la seule de la maison qui vaille
quelque chose ; je crois qu'elle sent encore le bon
sang allemand dans ses veines ' .
22 mars 1720.
M™« la Duchesse est morte hier ' ; elle ne sera guère
regrettée.
Mon fds a fait avertir l'électeur de ne rien faire
contre les stipulations du traité de Westphalie ; l'em-
pereur, qui est un homme judicieux, et qui n'est pas
porté pour les prêtres comme l'était son oncle, s'est
exprimé dans le même sens; il faut donc espérer que
tous les troubles seront apaisés dans le pauvre Pa-
latinat.
23 mars 1720.
11 est arrivé hier une chose terrible : un jeune homme
' La princesse de Condé, Anne de Bavière, fille d'Edouard,
prince pahttin, née en 1C48, mariée en IGG3 à Henri-Jules de
Bourbon, prince de Condé. Saint-Simon la dépeint comme « laide,
vertueuse et sotte, un peu bossue ; elle n'avoit ni lumières, ni
volonté, fut toujours comptée pour rien, et n'eut jamais de sens
et d'esprit que pour prier Dieu» (t. XIX, p. ll;t. XX, p. 64, etc.).
* Marie-Anne de BourLon-Conti. Elle avait épousé le duc de
Bourbon, qui fut premier ministre après le Régent; elle ne lui
donna point d'enfant. D'après les Mémoires de Maurepas, elle
aimait fort la table, buvait beaucoup de liqueurs et s'échauffait
le sang, de sorte qu'elle ne put revenir de la petite vérole. La
médisance ne l'épargna pas. Les Mcmoires que nous venons de
citer représentent sous un jour très-peu avantageux les mœurs
du duc qui, né en 1C92, mourut en 1740.
226 CORRESPONDANCE
de bonne mine et bien élevé, appartenant à la famille
des comtes de Horn, en Flandre, avait perdu quatre
mille écus à la foire de Saint-Germain; ne. sachant
comment faire pour payer cette dette, il prit avec
lui trois coquins, et alla arrêter, dans la rue Quin-
campoix, une maison par la croisée de laquelle on
pût sauter; le lendemain il va dans cette rue, il
trouve un commis de la Banque, il lui demande s'il a
des billets et s'il veut en vendre ; le commis demande
le prix qu'il veut y mettre ; le comte lui promet tout
ce qu'il veut pour terminer Taflaire; ils se rendent
dans une chambre du cabaret de VEpée de bois, dans
la rue Quincampoix, et là ils ont assassiné le commis.
Ils se sont ensuite tous quatre sauvés par la croisée,
mais le comte de Horn voulait donner le change sur
son crime ; il courut tout sanglant chez le commis-
saire du quartier, et se plaignit qu'on avait voulu
l'assassiner. Le commissaire le regarde, et lui dit :
« Monsieur, vous vous plaignez d'un assassmat; vous
arrivez tout en sang, et vous n'êtes pas blessé; sur
ce, trouvez bon que je vous arrête. » Au même mo-
ment arrive le second coquin ; il entend le comte qui
dit : « Tenez, demandez à monsieur qui entre, et qui
est témoin de l'assassinat. » Il croit, tourmenté par
sa conscience, que le comte a fait l'aveu du crime, et
il s'empresse de racîonter comment la chose s'est pas-
sée. Us ont été arrêtés et mis sous bonne garde, et
l'on croit qu'ils seront jugés lundi. Tous les seigneurs
de la maison de Lorraine qui sont ici, les Noailles, les
d'Arcmberg, les Issenghien et bien d'autres encore,
se sont réunis, et ont présenté des suppliques à mou
DE MADAME LA DUr.IÎF.SSE d'oP.LÉANS. 227
fils; ils ne demandent pas la vie de leur parent, mais
ils sollicitent pour qu'il ne soit pas exécuté en public,
mais seulement décapité dans l'enceinte de la prison.
Ils sont venus me parler; je leur ai dit que je les plai-
gnais bien sincèrement, mais que je ne pouvais rien
pour eux, car ils devaient savoir que je n'avais à me
mêler en rien des choses du gouvernement.
30 mars 1720.
Le comte de Horn était perdu de débauche et livré
aux vices les plus infâmes; le jeu et l'inconduite la
plus horrible perdent tous les jeunes gens et en font
des fripons; il ne faudrait jamais les envoyer à Paris;
ils n'y apprennent que des désordres affreux; cette
ville est un abîme de corruption, et elle serait entiè-
rement engloutie si Dieu n'avait, à ce que je crois,
égard aux gens honnêtes et pieux qui y sont encore.
L'autre jour on a brûlé vifs deux jeunes gens; l'un
était le fils d'une femme qui fournit à ma maison des
étoffes et du linge; ils étaient en prison pour vol, et,
comme on leur avait envoyé un prêtre , ils ont voulu
le forcer à renier Jésus-Christ; il n'a pas voulu, et ils
lui ont arraché les ongles, enlevé la peau de la tête,
et l'ont tellement maltraité, qu'il est mort quelques
jours après.
Vous voyez que l'électeur donne de belles paroles,
et rien de plus ; on m'a dit en confidence qu'on lui
avait persuadé que les réformés voulaient se soulever
contre lui ; je crois que les pauvres gens n'en ont au-
cune envie.
On entend tous les jouis raconter des histoires au
228 CORRESPONDANCE
sujet des billets de banque ; je trouve très-dur de ce
qu'on ne voit plus d'or, car il y a quarante-huit ans
que j'avais toujours quelques belles pièces d'or dans
ma poche , et maintenant on ne voit plus que des
pièces d'argent de très-peu de valeur.
Il est sûr que M . Law est horriblement détesté ;
mon fils m'a dit aujourd'hui en voiture quelque chose
qui m'a tellement émue, que les larmes m'en sont
venues aux yeux ; il m'a dit: « Le peuple a dit quelque
chose qui m'a tout à fait touché le cœur, et j'y suis
bien sensible. » Je lui ai demandé ce que c'était, et il
m'a dit que, lorsque le comte a été roué, le peuple di-
sait : « Quand on fait quelque chose personnellement
contre le régent, il pardonne tout ; mais quand on fait
quelque chose contre nous, il n'entend point raillerie
et nous rend justice.» M. Law n'a aucune mauvaise
intention ; il achète des terres, et montre ainsi qu'il
compte rester dans le pays. Je ne crois pas qu'il en-
voie de l'argent en Angleterre, en Hollande et à Ham-
bourg.
Je crois vous avoir déjà dit que ce qui se passait
entre le pape et Albéroni était un jeu convenu entre
eux ; ainsi que je l'avais prévu , il a été remis en li-
berté.
avril 1720.
M. le Duc a des passions violentes. Lorsque M"'* de
Nesle lui donna son congé, il faillit mourir de cha-
grin '; il avait l'air d'un agonisant; il fut plus de six
' Des écrits du temps racontent que Mme de Nçsle, après
avoir longtemps vécu dans l'inliniité du prince de Souliise, s'é-
prit d'une si violente passion pour le duc de Hiclielien, qu'elle
DE MADAME LA BUCHESSK d'oRLÉANS. 229
mois sans pouvoir prendre son parti. M""* de Prie • l'a
consolé; on dit qu'elle ne lui est pas du tout fidèle,
mais qu'elle le trompe avec deux autres : l'un est
le prince de Carignan , l'autre est Livri , le premier
maître d'hôtel du roi; celui-ci est le plus gentil des
trois.
AU ROY d'ESPAGNE *.
Paris, ce samedy C avril 1120.
J'ai receue hier avec respect et joye la lettre que
V. M. m'a fait l'honneur de m'escrire du 15 de mars;
et quoy que j'eusse eu grand envie de marquer à
V. M. la part que j'ay prise à la perte qu'elle a faitte
de l'infant don Philipe dont j'avais eue l'honneur
d'estre marraine, je n'ay osés escrire sans la permis-
sion de V. M. Je n'en veux plus parler, de crainte de
renouveller ce triste souvenir; j'aime mieux me ré-
jouir avec V. M. de la naissance du prince dont la
Reine d'Espagne vient d'accoucher. Le bon Dieu
veuille conserver Vos Majestés et toute sa royale fa-
mille et la bénir de plus en plus. Je snplie V. M. de
me continuer ces bontés, et d'estre bien persuadés
voulut le disputer les armes à la main à l'une de ses rivales,
Mme de Polignac. Ces deux dames se battirent au pistolet dans
le bois de Boiilognc, et Mme de ÎN'esle fut blessée i l'épaule. Cette
dame eut six filles, et cinq d'entre elles eurent, dit-on, l'hon-
neur de fiver les regards du Louis XV ; Mmes de MaiUy, de Yin-
timille, de la Tournelle, de Lauraguais et de Flavacourt.
1 Voir le portrait que trace Saint-Simon (t. XX, p. 119 ) de
cette dame « extraordiuaireiaenl jolie et bien faite, avec beau-
coup d'esprit et une lecture surprenante. »
2 CcUe lettre autogrui-he fait partie de la collection du doc-
teur i.'V- l'tiycn, à Paris.
II. 20
230 CORRESPONDANCE
que l'interuplion de l'esciiture n'a rien changés en
moy de mon respect et attachement pour V. M., qui
durera autant que ma vie.
A LA PRINCESSE DE GALLES.
14 avril 1720.
Lord Stairs est extrêmement épris d'une maîtresse
qu'on appelle M™» Raymond ; elle est plus agréable
que belle , et elle a été la maîtresse de l'électeur de
Bavière ' ; elle a aujourd'hui un autre amant qui
donne beaucoup de souci à milord; cet amant, c'est
le comte Maurice de Saxe , qui n'est pas beau, mais
qui est jeune, séduisant et de bonne mine; lady Stairs
se trouve ainsi vengée de l'infidélité de son mari.
Âlbéroni est allé en Suisse , dans l'abbaye de Saint-
Gall ; le temps fera bien voir si ce n'est pas pour re-
commencer ses tours diaboliques ; cette petite mé-
chante sorcière, la duchesse du Maine, doit venir me
voir demain ; je l'en aurais bien dispensée , mais je
ne puis faire différemment que de la recevoir, mon
fils l'ayant vue.
19 avril 1720.
Cette grande p....n la Polignac ' a voulu séduire
aussi le duc de Chartres, comme son frère de la
• Voir, au sujet des galanteries et des prodigalités de cet
électeur, les Lellres de Mme Dunoycr, 17 39, t. III, p. 119.
* 11 ne faut pas trop s'cfonner de la crudité de l'expression
dont Madame fait usage. On voit, d:ins les Mémoires de la du-
chesse de Nemours, que Mazarin se servit à l'égard de Mi"e de
Chevreuse d'un mot tout à fait injurieux qui exprimait fort
bien ce qu'il pensait d'elle. S'il faut s'en rapporter à Saint-
Simon, l'épouse de Louis XIV ne choisissait pas davantage ses
expressions pour désigner Mme de Montespan.
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 231
main gauche, le grand-prieur. Celui-ci allant avec
son gouverneur à Versailles, s'était esquivé pour aller
trouver cette dame; au moment de son arrivée, elle
était couchée avec un autre polisson, mais elle se
leva, et alla coucher avec le nouveau venu. Mon
fils ayant appris cela, voulut faire arrêter le petit
jdrôle, et le conduire à la Bastille ; mais averti par un
de ses amis qui était accouru la nuit, le jeune homme
avait déjà pris la poste pour s'enfuir. Il a écrit à
mon fils une lettre très-humble pour implorer son
pardon.
Je n'ai plus de cercle, parce qu'il est fort rare que
des dames à tabouret viennent chez moi, ne pouvant
se résoudre à aller autrement qu'en robes battantes.
Je les avais fait pi ier, comme à l'ordinaire, d'assister
à l'audience que je donnerai aux ambassadeurs de
Malte, mais il n'en est pas venue une seule. Lorsque
le feu roi et Monsieur vivaient encore, elles venaient
avec empressement à mon audience; elles n'étaient
pas encore accoutumées alors au grand habit, et
quand il n'en venait pas assez. Monsieur menaçait de
le dire au roi.
Pourquoi tourmenterai-je inutilement mon fils pour
qu'il reconnût son abbé' ? Cela lui attirerait de grands
tourments, car il a beaucoup d'enfants de la Para-
bère. Elle voudrait aussi qu'ils fussent reconnus ;
ce motif m'a retenue.
20 avril 1720.
Je n'ai connu dans la feue duchesse {de Bourbon)
* C'est-à-dire son tils, l'abbc de Saiut-A'biii,
232 COURKSPONDANCE
que deux bonnes qualités , le respect et l'amour
qu'elle avait pour sa grand'mère, M'"» la Princesse, et
qu'elle a eu la raison de reconnaître ses torts. Pour
le reste, elle ne valait absolument rien. Elle n'a ni
aime ni détesté son mari ; ils ont vécu ensemble
comme frère et sœur plutôt que comme des gens
mariés. Elle était fausse, c'est chose sûre, et c'est
par sa mauvaise conduite qu'elle s'est fait perdre la
vie à elle-même.... La princesse de Modène ne perd
rien à la mort de M""' la Duchesse ; M. le Duc a dé-
claré qu'il ne se remarierait pas.
A M. DE HARLING.
21 avril 1720.
J'ai reçu votre lettre du 17 avril, et j'ai droit d'être
surprise que votre cousin, pendant le long séjour qu'il
a fait en France , n'ait pas appris les choses que je
vois qu'il ignore. Est-il possible qu'il prétende que
je prenne pour mon chevalier d'honneur un Allemand
que j'ai élevé , tandis que huit personnes de qualité
et des meilleures familles de France sollicitent cette
charge? On ne fait pas ici attention aux ancêtres,
mais beaucoup à la nation.
Je me serais , dans ma vieillesse , attiré beaucoup
d'inimitié si j'avais voulu faire un passe-droit en fa-
veur de votre neveu, au détriment du premier écuyer,
qui est de la maison de Simiane ; c'est une chose qui
n'aurait pas d'exemple. M. de Mortaigne, qui était mon
premier écuyer, et qui a été chevalier d'honneur, n'est
pas d'une aussi bonne maison que les Simiane. On ne
connaît i)as du tout les Français, si on croit qu'il soit
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 233
possible de leur préférer des étrangers. Il faut que
quelqu'un ait mis, par jalousie, cette idée dans la
tète de Harling. 11 y a h la cour des gens dangereux
qui , lorsqu'ils veulent nuire à quelqu'un , se présen-
tent à lui comme ses meilleurs amis et lui mettent de
mauvais conseils dans la tète. Je n'ai pas voulu moi-
même lui dire qu'il avait tort; j'ai chargé un de ses
amis de lui faire comprendre qu'on l'avait mal con-
seillé, car les choses ne vont pas comme il l'imagine.
J'aime Harling , je l'ai élevé , et il n'a pas à se
plaindre de moi , car tout le monde est témoin que je
l'ai toujours parfaitement traité et que je n'ai, à cet
égard , rien à me reprocher. Mais le mettre au-dessus
de toute ma maison , c'est ce qui n'est pas possible ;
je connais trop les usages d'ici. J'ai fait dire, en con-
fidence, la vérité à votre cousin, mais au lieu de
prendre en bonne part mes bonnes recommandations,
il s'est fâché comme un enfant de six ou sept ans ;
personne au monde ne peut regarder comme une
disgrâce que je ne fasse pas passer mon capitaine des
gardes avant mon premier écuyer dont la mère a été
à mon service et qui était gouvernante de mes filles
d'honneur. Si Harling s'en plaignait, il ferait rire tout
le monde à ses dépens; quant à devenir chevalier do
l'ordre du Saint-Esprit, il n'a pas besoin pour cela
d'être mon chevalier d'honneur; beaucoup d'officiers
font partie de cet ordre. Quand une promotion aura
lieu, je serai depuis longtemps dans l'autre monde,
car mon fils , comme régent , ne peut faire aucune
promotion avant que le roi ne soit majeur; lui seul
peut en faire. M. Harling voit donc bien que l'on a
20.
234 CORRESPONDANCE
mis en tête à son cousin des choses qui n'ont pas de
sens. Je ne saurais jamais promellre ce qui n'est pas
en mon pouvoir; je suis irop franclie et trop sincère
pour ne pas vous dire toute ma pensée, mais l'on a
cherché à monter Harling contre moi. Je connais
bien ces manigances; elles sont chose habituelle ici,
mais je ne croyais pas Harling assez simple pour tom-
ber dans ce panneau.
A LA COMTESSE LOUISE,
21 avril 1720.
Le comte de Horn s'était lié avec tous les fdous de
Paris; il ne faut donc pas s'étonner s'il a si mal
fini ; c'était un vaurien accompli sous tous les rap-
ports, un sodomiste; en somme, il n'avait rien pour
luif si ce n'est une jolie figure ; la naissance ne doit
pas entrer en ligne de compte lorsqu'on n'y joint au-
cune vertu. Il a toutefois fait une bonne fin, et il a ma-
nifesté un grand repentir de ses fautes '. J'espère que
Dieu lui aura fait miséricorde. 11 est certain qu'autre-
* Le comte de Horn, petit-ûls du prince de Ligne, duc d'A-
remberg, était allié à l'empereur d'Allemagne et au régent; son
exécution eut lieu le 2G mars 1720, quatre jours après son
crime. Les lois de l'époque confisquaient les biens du Condamné,
le régent les donna à son frère aîné, Maxiniilien de Horn; ce-
lui-ci les refusa par une lettre qui circula alors, mais qu'on re-
garde généralement comme apocryphe ; elle se terminait ainsi :
« J'espère que Dieu et le roi vous rendront un jour une justice
u aussi exacte que celle que vous avez rendue à mon malheu-
« reu\ frère. » Saint-Simon (t. XXXIV, p. 48) donne de.^ dé-
tails sur cette aiTaire célèbre; il opina pour une commutation de
peine, c'est-à-dire pour la décapitation ; mais le régent et Law
crurent que le supplice de la roue était nécessaire à la sûreté
des ayiotcurs (voir le Journal de Uarbier, t. 1, p. 2a).
DE MADAME LA DUCHESSE d'OULÉANS. 235
fois les Allemands étaient bien plus verlueux qu'à
présent ; ils ont reçu de la France toutes sortes de
dérèglements, et surtout le vice contre nature, qui est
effroyable à Paris.
26 avril 1720.
M. le Duc [de Bourbon) ne savourera guère la joie que
lui avait causée la mort de sa femme ; elle a tout légué
à sa sœur, M"^ de la Roche-sur-Yon, et, d'après la
coutume de Paris, le mari et la femme sont en com-
munauté; M. le Duc doit donc rapporter la moitié de
tout ce qu'il a gagné à la Banque.
27 avril 1720.
L'histoire du corberest arrivée l'an dernier en An-
gleterre; la princesse de Galles l'a également raconlée.
Ce cocher ne devait pas avoir une longue barbe comme
en portent ceux d'ici, et l'anecdote de son accouche-
ment me fait souvenir du comte de Kœnigsmark, frère
cadet de celui qui eutunefin tragique à Hanovre. Une
jeune fille anglaise le suivait, habillée en page'; je
* Ce page était la belle comtesse de Southampton que Charles-
Jean de Kœnigsmark avait rencontrée à Venise. On trouve des
détails intéressants sur cet aventurier plein de charmes et
de la plus brillante valeur, dans la Revue des Deux-Mondes
(octobre 1852). Après avoir couru toute l'Europe, se montrant
avec éclat sur tous les champs de bataille, reçu chevalier de
Malte, quoique protestant (circonstance sans exemple), il périt
en 1686 , à l'âge de vingt six ans, au siège de Négrepont. Il
avait soutenu à Londres un procès criminel d'étrange espèce.
Pour épouser la plus riche héritière de la Grande-Bretagne, lady
Élizabeth Percy, il n'avait p:is trouvé de meilleur moyen que de
faire assassiner par trois spadassins son second mari, le célèbre
Thomas Thyun, Thomas aux millions. Le mari ne mourut pas,
236 CORRESPONDANCE
l'ai vue; elle avait le visage rond, de longs cheveux
bruns et frisés en grosses boucles, de vives couleurs,
de belles dents et une jolie bouche, mais elle était
petite et grosse. Comme nous revenions de la chasse,
le comte m'ayant raconté toute l'histoire, je me plaçai
comme si j'étais curieuse de voir son pavillon turc; il
appela le page, et lui dit de descendre de cheval; celui-ci
obéit promptement et aida son maître à descendre
aussi ; j'eus de cette façon toute facilité pour le voir
de très-près. Le comte étant plus tard à voyager en
Italie, on lui dit un jour dans une auberge: «Monsieur,
votre page est fort malade d'une colique », et un mo-
ment après : « Monsieur le comte, votre page accou-
che » ; elle mit au monde une fille. Ce prétendu page
s'est retiré depuis dans un couvent, où elle ne s'est
point faite religieuse, mais où elle a vécu honorable-
ment et pieusement jusqu'à sa mort. M. le marquis
de Thiange , qui était un grand ami du comte , a ,
après sa mort, pris soin de la petite fille et lui a fait
obtenir une pension du roi, qui lui donne les moyens
de vivre. M. de Thiange est mort aussi; c'était un
brave et digne homme, quoi(|u'il eût une mère bien
méchante, un vrai diable aussi bien que sa sœur, la
Montcspan, mais elle était encore pire. Elle ne pouvait
soiifliir son fils pour deux raisons : la première, c'est
qu'il n'était pas débauché et qu'il aimait sincèrement
sa femme; la seconde, c'est qu'il craignait Dieu et se
livrait ù la prière; aussi disait-elle souvent : «Mon
fils n'est qu'un sot.» Le roi riait de bon cœur de voir
les trois assassins fiirciil prndiis, cl, ^làceà rintcrvonlion per-
sonnelle du roi Cliarlcs 11, le comle pul aller batulller en G:ccc.
UE MADAME LA DUCIIES'^E D'ORLÉANS. 237
mon étonnement au sujet des étranges propos de ces
dames ' .
Le cardinal Mazarin disait • « La nation française
est la plus folle du monde; ils crient et chantent
contre moi, et me laissent faire; moi, je les laisse
crier et chanter, et je fais ce que je veux. » Voici un
tour plaisant dont il s'avisa ; il faisait parfois recher-
cher et saisir les libelles et les chansons qu'on faisait
contre lui, et il les faisait vendre en secret ; il a de
cette manière gagné dix mille écus.
Il n'est pas étonnant que M°''= la duchesse de Bour-
bon soit morte ' ; il faut plutôt être surpris qu'elle ait
pu vivre si longtemps. Je ne parle pas de sa vie extra-
ordinaire; elle était, en outre, horriblement contre-
faite. Tous ceux qui connaissent M. le Duc aflirment
qu'il est bien dégoûté du mariage, et qu'il se gardera
bien de se remarier.
' Mme de Thiange est vivement attaquée dans les chansons
du temps, d'une façon qui rend les citations impossibles; voici,
du moins, un couplet qu'on peut transcrire :
0 vous dont les vers odieux
Disent qu'on aime la Thiange,
Médisants, connaissez-la mieux,
Elle est aussi chaste qu'un ange ;
Que diable voulez-vous qu'elle puisse charmer.
Cette masse de chair?
Cette marquise eut pour fille aînée la duchesse de Nevers, que
Saint-Simon représente comme ayant une « beauté de toutes les
sortes, » et comme s'étant, à défaut du roi, contentée de mon-
sieur le Duc, fils du prince de Condé (voir La Bruyère, édition
de Walckenaër, p. 057 ).
* Marie-Anne de Bourbon-Conti, morte sans enfants le 2 1 mars
1720, épouse du duc de Bourbon, qui fut premier ministre après
la mort du régent.
238 CORRESPONDANCE
M™« de Verrue, qui a été la maîtresse déclarée du
roi de Sicile ', avait de lui une fille qu'il avait donnée
au prince de Carignan, qui est aujourd'hui à Paris. Ce
prince s'en est allé, plantant là sa femme.
On ne sait plus ce que c'est que la cour; aucune
dame ne veut plus venir me voir, parce que je ne veux
pas souffrir qu'on se présente devant moi comme de-
vant M^'^ d'Orléans, sans corps d'habit, en écharpe et
eji robe battante ; c'est ce que je ne puis ni ne veux
tolérer. J'aime mieux ne voir personne que [jermettre
ces familiarités.
J'ai écrit à l'abbé Dubois, aujourd'hui archevêque
de Cambrai, pour le remercier de m'avoir envoyé, par
exprès, la nouvelle qu'une réconciliation était opérée
entre le roi d'Angleterre et ses enfants, et que tous
ceux du parti du prince avaient été admis à baiser la
main du roi.
30 avril 1720.
Aucune femme ne pourrait avoir de l'amour pour
M. le Duc; il est très-grand, maigre comme un éclat
de bois ; il marche voûté , il a des jambes longues
comme une cigogne, le corps très-court, point de mol-
lets, les deux yeux si rouges qu'on ne saurait distinguer
quel est le mauvais et lequel est le bon, des joues
creuses, un menton si long qu'on ne croirait pas qu'il
appartient au visage, de grosses lèvres ; en somme, il
est très-laid, et je n'en ai guère vu de pareil. On pré-
tend que sa maîtresse, M""= de Prie, lui est infidèle;
• Il a déjà été question de cette daine; voir aussi lu nouvelle
édition du Journal de Dangeau, t. 111, p. 268.
nE MADAME I.A mifJIF.SSR o'ORLÉANS. 239
cela Tafflige prolondénient et fait grand tort à sa santé.
Il est vrai que la reine d'Espagne ' avait aime par-
dessus tout la princesse des Ursins, et qu'elle a été au
désespoir lorsqu'on l'a chassée pour la première fois.
Ce que l'on a raconté du confesseur est vrai aussi ; il
n'y manque qu'une circonstance, c'est que le duc de
Grammont , qui était alors ambassadeur, a parlé
comme le confesseur, et c'est pour cela qu'il a été
renvoyé.
17 mai 1720.
Feu Monsieur était lui-même cause que mes enfants
me craignaient, car il leur faisait toujours des me-
naces de ma sévérité... Il n'était pas d'ailleurs d'hu-
meur à s'affliger longtemps. Il aimait beaucoup ses
enfants, ne pouvait les gronder, et venait toujours me
porter ses plaintes; je disais : « Mais, Monsieur, ne
sont-ils pas vos enfants comme les miens ; que ne les
corrigez-vous? » 11 répondait : « Je ne saurais gronder
et ils ne me craignent pas, il ne craignent que vous. »
23 mai 1720.
jjme d'Orléans gâte ici toutes les dames , elle ne se
fait pas respecter et ne sait pas ce que c'est que le
rang; M^'^s^e Montesson et de Maintenon, qui l'ont
élevée, ne le savaient pas non plus; elle est trop fière
pour vouloir apjjrcnJre quelque chose de moi : elle
croit que ce serait au-dessous d'elle, et elle se croit
bien supérieure à moi , lorsqu'elle voit sa chambre
reniplie de luonuc; elle ne veut point m'imiler, et jo
* La première lemmo de l'iiilippe V.
240 CORRESPONDANCE
ne veux pas l'imiter davantage ; chacune de nous reste
donc de son côté.
Il n'y a plus de cour en France, et c'est la faute de
la Maintenon qui , voyant que le roi ne voulait pas la
déclarer reine , ne voulut plus qu'il y eût de grandes
réceptions, et persuada à la jeune Dauphine {la du-
chesse de Bourgogne) de se tenir dans sa chambre à
elle, oîi il n'y avait plus de distinction de rang ni de
dignité. Sous prétexte que co n'était qu'un jeu, la
vieille amena la Dauphine et les princesses à la servir
à sa toilette et à table ; elle leur persuada de lui pré-
senter les plats, de changer ses assiettes, de lui verser
à boire. Tout fut donc mis sens dessus dessous, et per-
sonne ne savait plus quelle était sa place ni ce qu'il
était. Je ne me suis jamais mêlée à tout cela; mais,
lorsque j'allais voir la dame, je me mettais près de sa
niche sur un fauteuil , et je ne l'ai jamais servie ni à
table ni à la toilette. Quelques personnes me conseil-
laient de faire comme la Dauphine et les princesses ;
je répondis : « Je n'ai jamais été élevée à faire des
bassesses, et je suis trop vieille pour me livrer à des
jeux d'enfants. » Depuis on ne m'en a plus reparlé.
31 mai 1720.
Mon fils a été obligé de dépouiller de sa charge Law,
que l'on avait ici adoré comme un Dieu. 11 faut qu'on
lui donne des gardes; sa vie n'est pas en sûreté, et
c'est effroyable de voir combien grande est la peur de
cet homme... On continue de répandre des satires de
toute sorte ' ,
' Nous citerons un cchanlillon de ces satires : les Vins de la
DE MADAME LA DUCHESSE D'oRLÉAXS. 241
4 juin 1720.
Law n'est plus contrôleur-général, mais il est encore
directeur-général de la Banque et de la Compagnie des
Indes... On a mis auprès de lui des conseillers au par-
lement devant lesquels se règle tout ce qui se fait à
la Banque.
4 juin J720.
Madame du Maine n'a pas encore paru à la Comédie,
ce qui signifie qu'elle est encore affligée do vivre dans
la disgrâce de son mari. On prétend qu'elle lui a écrit,
mais qu'il a renvoyé la lettre sans l'ouvrir.
Elle vint, il y a quelques jours, trouver mon fils,
pour le prier de ne pas s'opposer à ce que son mari se
raccommodât avec elle. Mon fils se mit à rire et ré-
cour en 1720, pièce que nous trouvons dans le recueil Maure-
pas, et dont voici quelques traits :
Du Roi. — 11 est de bonne espérance.
Du Régent. — Diabolique.
De Madame. — Il sent la vieille futaille, i
De M. le Duc. — Rude et plat.
Du maréclial de Villars. — Il monte à la tête.
De la Duchesse. — Il tourne à la graisse.
De Law. — Empoisonné.
Du peuple. — Vin de pressoir.
Un autre écrit du même genre, les Logements des seigneurs
de la cour, est souvent d'une insolence extrême.
Le duc du Maine, au Diable boiteux, vallée de Misère.
M. de Nesle, à la Précaution inutile, rue du Croissant.
T.e marquis de Gèvres, à la Poupée, rue Chapon,
jime jg Polignac, au Cœur volant, rue Perdue.
M"'^' de Parabère, à la Sultane, rue Putinière.
M'"'= de la Vrillière, au Champ-de-Mars, rue de la Petite-Vertu.
Nous en passons, et des plus vifs.
II. 31
242 CORRESPONDANCE
pondit : « Je ne m'en mêlerai pas; car j'ai appris de
Sganarelle qu'entre l'arbre et Técorce il ne faut pas
mettre le doigt. » On dit à Paris qu'ils se raccommode-
ront. Si cela a lieu, je dirai comme Son Altesse mon
père avait toujours coutume de dire : « Accordez-vous,
'^anailles. »
11 juin 1720.
Les orfèvres ne veulent plus travailler, car ils éva-
luent leurs marchandises trois fois plus cher qu'elles
ne valent maintenant à cause des billets de banque.
J'ai souvent désiré que le feu de l'enfer brûlât tous ces
billets. Ils donnent à mon fils plus de peine que de
consolation. Il n'y a pas moyen de décrire tous les ré-
sultats qu'ils ont amenés. Mon fils n'épargne aucune
peine, mais, après avoir travaillé du matin jusqu'au
soir, il aime à s'amuser, à souper avec son petit cor-
beau brun '... Personne en France n'a plus un sou ni
un liard , mais avec votre permission , et en bon lan-
gage palatin, on a des torche-culs de papier à foison.
12 juin 1720.
D'après la clameur universelle, il paraît que tout va
horriblement mal. Je voudrais que l.aw fût au diable
avec son système, et qu'il n'eût jamais mis le pied ea
France. On me fait trop d'honneur en disant que, si
mes conseils avaient été suivis, les choses auraient été
mieux; je n'ai aucun avis à émettre en ce qui touche
le gouvernement et je ne m'en mêle en rion ; mais les
Français sont tellement habitiH''s à voir des femmes se
• Nom (lue le Uégriit iloiiiittit à W"^ de Parabère.
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 243
mêler de tout, qu'il leur paraît impossible que je reste
étrangère à ce qui se passe; les bons Parisiens, auprès
desquels je suis en faveur, veulent m'attribuer toute
sorte de bien ; je suis fort obligée à ces pauvres gens
de l'affection qu'ils ont pour moi, mais je ne la mérite
nullement.
14 juin 1720.
Le bon ami de Law, le duc d'Ântin, a voulu avoir
sa charge de directeur de la Banque... M. le Duc avait
d'abord parlé contre Law ; quatre millions l'ont amené
à se déclarer en sa faveur ; il y a eu trois millions pour
lui et un pour M"" de Prie... On ne saurait être plus
effrayé que n'est M. Law; mon fils, qui n'est point
intimidé, malgré les menaces qu'on lui adresse, rit à
se rendre malade de la lâcheté de Law.
16 juin 1T20.
Tant que j'ai été à Heidelberg, je n'ai jamais lu de
roman, mais depuis que je suis ici, je m'en suis bien
dédommagée, car il n'en est pas que je n'aie lu,
Astrée, Cleopatre', Alefie, Cassandre, Poliscan-
dre\ Son Altesse, mon père, m'avait permis de les
» Ce roman de la Calprenède parut en 1 648, en douze volumes
petit in-8. M. Pieters {Annales de Vimprhnerie des Elzévirs,
V 294) indique une édition donnée à Leyde en 1648; il en
existe une autre, Leyde, h Sambix, 1657, également en douze
volumes, qui est jolie, et que les bibliophiles recherchent. Il a
paru à Paris, en 17 89, un abrégé de Cléopâtre en trois vol. in-
12, fait par M. Benoist. Cassandre est aussi sorti de la plume
féconde de La Calprenède, et forme dix volumes.
« Polixandre, par Le Roy de Gomberville, Paris, 1637, trois
volumes.
244 CORRESPONDANCE
lire ; j'en ai lu bien d'autres petits, Tarcis et Celte ' ,
Lissandre et Caliste ', Caloandro -, Endimiro, Ama~
dis, mais de celui-ci je n'ai été que jusqu'au dix-sep-
tième tome, et il y en a vingt-quatre % le Eommi des
romans^ Théagène et Clariclée, dont il y a des pein-
tures à Fontainebleau, au cabinet du roi.
La duchesse de Hanovre n'a pas besoin de se presser
devoir sa nouvelle petite-fdle, notre demoiselle de
Valois, qui n'est nullement pressée de se rendre à
^lodène. C'est une personne singulièrement fantasque
et têtue; sans tenir compte des pressantes recomman-
dations de son père, elle veut se promener dans toute
la Provence et visiter Toulon , qui est tout à fait en
dehors de sa route ; elle veut aussi aller à la Sainte-
* Par !e Vayer de Boutigny ; l'édition originale est de Paris,
1CG5, en six volumes. On a pris la peine assez inutile de réim-
primer avec un certain luxe, en 1774, cette production que
personne ne lit.
2 Histoire des Amours de Lysandrc et de Caliste, par Henry
Daudignier. Ce roman avait vu le jour sans nom d'auteur, à
Paris, en 1CG5, sous le titre A' Histoire tragi-comique de notre
temps, et 11 obtint dans le cours du diK-septiùme siècle l'hon-
neur de réimpressions nombreuses. 11 en existe des éditions cl-
zéviiicnncs qui ont de la valeur.
3 II s'aj-'it du Caloandrc écrit en italien par J.-.\. Marini, très-
souvent réimprimé, traduit en français par Scudéry, Paris, 1GG8,
;} vol. in-8,' et depuis par (>a\lus (voir le Manuel du libr.,
t. 111, p. 282). On trouve dans la Bibliothèque des romans,
octobre 1779, p. 1 à 1.36, un extrait de cet ouvrage qui serait
parfaitement oublié si Boileau n'avait placé son nom dans le
poëme du Lutrin.
* La suite complète des Amadis, en petit format, se compose
de 2G volumes, à l'égard desquels le Manuel du libraire entre
dans de minutieux détails.
DE MADAME LA DUCHESSE D'ORLÉANS. 'i4.'>
Baume; elle n'a pas le moindre souci de toute la dé-
pense que cela entraîne et qui retombe sur son père ;
cela me met de très-mauvaise humeur, quoique le
père et la mère aient bien mérité de n'avoir de cette
fille que du chagrin, tant ils l'ont gâtée '. J'ai vu bien
des femmes qui avaient la tête à l'envers, mais je n'en
ai jamais trouvé de cette force ; le sang de la Montes-
* On trouve des particularités piquantes au sujet de cette
princesse dans une notice de Lemontey sur les filles du Régent,
insérée au t. 1 de la Revue rétrospective.
La duchesse de Villars, chargée d'accompagner Ml'o de Valois
jusqu'à la fronUère, lui était devenue odieuse. Elle prétendait,
par son titre, partager avec elle les hor.neurs de la soucoupe,
c'est-à-dire Loire dans un \erre à pied présenté sur une sou-
coupe. La princesse hautaine refusa d'y consentir ; afin d'humi-
lier la vanité de cette dame, elle cessa de manger avec elle, et
lorsqu'elle y fut obligée, elle s'abstint de boire pendant tout le
repas. Mme de Villars l'imita , décidée à mourir de soif plutôt
que de compromeUre pour une goutte d'eau le corps des du-
chesses.
La princesse une fois à Modène, les choses prirent une tour-
nure des plus originales. Le prince héréditaire était un jeune
homme de vingt-deux ans, faible, timide, avare et sans esprit.
On le crut impuissant ou peu s'en faut. Lemontey rapporte de
très-singuliers passages des lettres de l'abbé CoUbeaux, confes-
seur de la princesse, conservées aux archives des affaires étran-
gères. Tout ceci roulait sur une intrigue très-compliquée ; le duc
de Modène détestait son fils aine et fomentait avec joie un procès
d'impuissance qui lui permettrait de donner sa succession à son
fils cadet. Enfin, après deux ans d'hésitation, la princesse de-
vint enceinte. Sa vie fut fort agitée ; elle détestait l'Italie et
n'aspirait qu'à revenir en France, mais on craignait son carac-
tère indomptable et on était bien aise de la tenir éloignée.
En septembre 17 37, le parlement prononça sur un procès que
cette princcs.^e intenta, au sujet du payement de sa dot, à son
frère le duc d'Orléans. Voirie Journal de Barbier (t. 11, p. 166),
qui était un des conseils de la princesse.
21.
246 CORRESPONDANCE
pan se montre en plein chez elle; mais ce n'est pa3
ma faute, et je puis dire à mon fils, comme dans la
comédie : « Tu l'as voulu, George Dandin. » Le duc de
Modène s'est montré très-peu convenable à l'égard de
sa parente, la duchesse de Hanovre, comme s'il était
d'un rang supérieur, tandis qu'elle a droit à toute
sorte de respect, car elle a élevé ses enfants avec le
plus grand zèle et le plus grand soin. Quant à trouver
au monde une Française qui ne mette pas au-dessus
de tout les manières de France, qui n'en parle sans
cesse et qui ne veuille se mêler de tout ', c'est impos-
sible; de[iuis la plus éminente jusqu'à la servante de
cuisine, on n'en trouvera pas.
Je ra'éionne que la princesse de Galles ne m'ait pas
écrit la mort de la duchesse de Zell ; cela me fait
croire que cette nouvelle est fausse; je voudrais qu'elle
fût moite depuis quarante ans; elle aurait échappé à
beaucoup de malheurs et de chagrins ; elle n'était pas
toujours d'humeur accommodante, mais comme toutes
les Françaises qui sont capricieuses, pleines d'ambi-
tion, et qui veulent que tout leur soit soumis; plût à
Dieu qu'elle fût restée dans sa petite noblesse du Poi-
tou ! il' fut un temps où elle aurait regardé comme un
grand honneur d'épouser le premier valet de chambre
de mon mari, feu Monsieur.
' Longtemps avant Madame , le cardinal Mnzarin tenait le
même langage : il disait au premier ministre d'Espagne : a Les
Fraii'jaisys, soit prudes, soit galantes, soit vieilles ou jeunes.
Belles ou habiles, veulent se mêler de toutes choses. Elles veu-
lent tout voir, tout connaître, tout savoir, et, qui pis est, tout
faire et tout brouiller » ( voir les Causeries du lundi de M. SaiatO'
I3eu\e, t. Y, p. 519y.
DE MADAME LA DUCHESSE D'ORLÉANS. 247
18 juin 1720.
Mon fils m'a raconté que la petite duchesse (du
Maine) l'a prié de la raccommoder avec son mari. Il
lui a répondu que cela dépendait d'elle plutôt que de
lui. Je ne sais si elle a pris cela pour un compliment
ou ce qui lui a passé par la tête, mais tout à coup elle
s'est levée de dessus le canapé, elle a sauté au cou de
mon fils et l'a embrassé plusieurs fois.
A M. DE HARLIXG.
23 juia 1720.
Je suis fermement persuadée que mes heures sont
comptées et je ne m'en préoccupe pas un instant. Je
remets tout aux mains de Dieu tout-puissant et je ne
me donne plus aucun souci sur ce qui en résultera,
car ce serait une grande folie aux hommes et aux
femmes de s'imaginer que tous les hommes ne sont
pas égaux devant Dieu et qu'il doit faire pour eux
quelque chose de spécial ; je n'ai point, grâce à Dieu,
pareille présomption, ni autant d'orgueil ; je sais qui
je suis, et je ne m'abuse point à cet égard.
AU MEME.
25 juin 1720
Une de mes anciennes connaissances durant mon
séjour à Hano\Te, un nommé Hortencans, homme
éclairé d'ailleurs et bon catholique , s'était figuré
que l'absolution donnée par un évêque était d'une
plus grande valeur que celle donnée par un sim-
ple prêtre quelconque. Je ne peux comprendre qu'un
homme d'autant de raison ait vécu aussi longtemps
248 CORRESPONDANCE
sans reconnaître la sottise de son opinion. Aucune
absolution ne peut avoir d'effet lorsqu'il y manque
les conditions nécessaires et le repentir de ses péchés,
et tous les prêtres sont alors aussi bons que le Pape
lui-même.
L'archevêque de Cambrai , dont vous me parlez ,
était très-habile et très-pieux, mais il était tombé dans
la disgrâce du roi, de sorte qu'il est mort sans repa-
raître à la cour *.
* Il est permis de croire que la disgrâce de Fénelon fut la
suite moins du Télémaque (dont l'impression , commencée en
1699, fut suspendue par ordre supérieur) que d'une lettre bien
hardie qu'il adressa à Louis XIV, et qui forme un contraste écla-
tant avec les écrits de l'époque, où toutes les formes de l'idolâ-
trie étaient épuisées lorsqu'il s'agissait du monarque.
Cette lettre, dont l'origine avait été contestée, et au sujet de
laquelle il n'existait que des données assez vagues, a été retrou-
vée, en 1825, par M. Renouard, qui l'a publiée d'après la mi-
nute originale (adjugée à sept cents francs à la vente de la
bibliothèque de cet amateur, en novembre 1854). Cette pièce
importante n'est pas fort connue, et nous croyons pouvoir en
reproduire ici le début :
« Vous êtes né. Sire, avec un cœur droit et équitable, mais
a ceux qui vous ont élevé ne vous ont donné pour science de
« gouverner que la défiance, la jalousie, réloigncmcnt de la
« vertu, la crainte de tout mérite éclatant, le goût des hommes
o souples et rampants , la hauteur et l'attention à votre seul
« intérêt.
« Depuis environ trente ans, vos principaux ministres ont
« ébranle et renversé toutes les anciennes maximes de l'État
« pour faire montfr jusqu'au comble votre autorité, qui était la
« leur, parce qu'elle était dans leurs mains. Ou n'a plus parlé
« de l'Ktat et des règles, on n'a parlé que du roi et de son bon
a plaisir. Ou a poussé vos revenus et vos dépenses à l'inlini.
« On vous a élevé jusqu'au ciel pour avoir cll'acé, disait-on, la
« t;randeur de vos prcdécesseurs cuocmble, c'est-à-dire pour
DE MADAME LA DUCHESSE D'oULÉANS. 2i9
27 juin 1720.
La Daiipliine ' avait de la capacité, mais elle faisait
tout ce que voulait la vieille femme [la Maintenon)^
afin de se mettre dans les bonnes grâces du roi ; si le
pauvre homme avait encore pu vivre une couple d'an-
nées, elle se serait délivrée de son esclavage, et elle
n'aurait plus eu besoin de la vieille, car elle avait en-
tièrement gagné le cœur du roi. La vieille, qui avait
élevé le duc du Maine, comptait gouverner avec lui, et
quand elle a vu que son coup manquait, elle a été au
moment d'en mourir de douleur; jamais elle n'a pu se
relever de ce chagrin.
Trois ducs, qui appartiennent aux premières mai'
sons, ont fait, selon moi, des choses indignes : le duc
« avoir appauvri la France entière, afin d'Introduire à la cour
« un luxe monstrueux et incurable. Ils ont voulu vous élever
« sur les ruines de toutes les conditions de l'État, comme si
« vous pouviez être grand en ruinant tous vos sujets sur qui
« votre grandeur est fondée...
« On a rendu votre nom odieux, et toute la nation française
« insupportable à tous nos voisins. On n'a conservé aucun allié,
« parce qu'on n'a voulu que des esclaves. La guerre de Hollande,
«I en 1672, n'a eu pour fondement qu'un motif de gloire et de
a vengeance, ce qui ne peut jamais rendre une guerre juste,
« d'où il s'ensuit que toutes les frontières que vous avez élen-
«! dues par cette guerre sont injustement acquises dans l'ori-
• gine. »
Cette lettre est d'ailleurs dans le genre des Instnictions que
Fénelon donna à Mme de Maintenon sur sa demande, et qui sont
insérées dans les lettres de Maintenon, 175G, in-12, t. 111. H
s'y abandonne un peu trop à ses rancunes contre Louis XIV, et
il dit durement à la marquise que le roi (son mari alors) ne
pratique pas ses devoirs et qu'il n'en a aucune idée (p. 224.)
* C'est-à-dire la duchesse de Bourgogne,
250 CORRESPONDANCE
d'Antin , qui est fils de la Moatespan ' , et par consé-
quent frère de ma belle-fille et de M"* la Duchesse, le
duc maréchal d'Estrées et le duc de La Force; le pre-
mier a acheté toutes les étoffes, afin de les revendre
plus cher; le second tout le café et le ciiocolat; le
troisième a fait pire, car il a acheté toutes les chan-
delles, et il les a mises à l'enchère. L'autre jour,
comme il sortait de l'Opéra, des jeunes gens se sont
mis à le suivre en chantant le chœur de Topera de
Phaëton^.
• Allez, allez répandre la lumière;
« Puisse un heureux destin
• Vous conduire à la fin
€ De votre brillante carrière.
• Allez, allez répandre la lumière. »
Vous pouvez vous imaginer à quel point on a ri.
30 juin 1720.
Je pense que les princes allemands ne consentiront
pas à ce que le fils ou le petit-fils du czar épouse une
archiduchesse; ce serait trop dangereux pour toute
l'Allemagne.
La confession de la princesse de Nassau-Siegen m'a
fait rire. On appelle missionnaires les gens qui vont
prêcher; il y en a maintenant en Lorraine; ils prê-
chent quatre fois par jour, et le duc de Lorraine as-
siste deux fois par jour à leurs prédications. Je crains
* Une curieuse notice sur ce duc, véritable type du courtisan,
se rencontre dans les Causeries du lundi {i. V), de M. Sainte-
Ik'iive. 11 est peint sous de vilains traits dans les Mémoires de
Saint-Simon.
* L'opéra de /VifléVon, paroles de 0"'iiault. •nu'''<iue de Lulli,
représenté pour la première fois le 27 avril 1G83.
DE MADAME LA DUCHESSE D'oRLÉANS. 251
qu'avec sa couronne d'épines , celte pauvre princesse
ne soit devenue encore plus folle que son mari ; vous
verrez comme on l'attachera avec la chaîne qu'elle
s'est mise au cou. Quant à la discipline qu'elle s'est
laissé donner publiquement dans les rues, c'est ce
qu'on ne souffrirait pas ici , et ce qui passerait pour
une indécence; je ne peux tolérer des choses aussi
ridicules. Le cardinal de Noailles a défendu les pèle-
rinages qu'on faisait le vendredi saint au mont Valé-
rien, pieds nus et en se donnant la discipline , et on
ne permettrait pas à des femmes de s'infliger pareil
traitement.
2 juillet 1720.
La Montchevreuil élait une méchante diablesse,
mais la Maintenon avait bien raison de l'aimer ' et de
lui faire du bien, car cette dame l'avait nourrie et
vêtue lorsqu'elle vivait encore dans la détresse et dans
la plus grande pauvretés
» M™e de Montchevreuil était, d'après Saint-Simon, le cœur,
l'âme, la confiance totale et sans appel de M^e de Maintenon.
Son mari devint gouverneur du duc du Maine, et fut l'un dea
témoins du mariage de Louis XIV avec Mme de Maintenon.
* Un catalogue d'autographes que nous avons déjà cité ( L. en
1844, n° 301; offre un extrait d'une lettre importante de
Mme de Maintenon au marquis de Montchevreuil, lettre relative
à l'éducation du jeune duc du Maine. « Je vous diray que quoy
que l'on face, mon mignon sera un ignorant, et que si on luy
aprenl quelque chose malgré luy, il l'oubliera ou fera semblant
de l'avoir oublié, quand il n'agira plus par la crainte. Cependant
comme Mme de Montespan a d'autres vues, il faut aller son
chemin, mais altachés-vous aux maximes de l'honneur, de la
probité, du christianisme, et inspirés-luy de l'élévation et un
désir ardent d'estre estimé; voilà ce qui luy demeuiera, et qui
252 CORRESPONOANCE
14 juillet 1720.
J'ai chaque jour de nouveaux désagréments : un
jour on vient me dire que je n'aurai plus à manger,
car mon intendant ne pouvait se procurer d'argent et
n'avait que des billets ; un autre jour ce sont des mar-
chands qui refusent de livrer des étoffes si on ne les
paye en espèces ; une autre fois on annonce que les
Parisiens veulent se soulever.
IG juillet 1720.
Le feu roi disait que par des chaînes d'or on obte-
nait des ministres de Vienne tout ce qu'on voulait...
Il ne pouvait pardonner aux dames françaises de sui-
vre les modes anglaises; il parlait très- plaisamment à
cet égard, et dans la conversation il s'adressait à moi,
car il espérait que je broderais là-dessus et que je fe-
rais enrager les princesses; pour divertir Sa Majesté,
souvent je ne mettois aucun frein à ma langue et je
disais tout ce qui me venait dans la tête, ce qui fai-
sait beaucoup rire le roi.
Le roi a gâté les jésuites ; tout ce qui venait d'eux
était digne d'admiration, que cela fût raisonnable ou
non, et il se laissait mener par le père La Chaise, qui
est cause de bien du mal '.
est meilleur que le latin de Chevreau » ( Il s'agit d'Urbain Che-
vreau, nommé en 1678 précepteur du duc du Maine, écrivain
fécond, en grande réputation do son temps et fort oublié aujour-
d'hui).
> Parmi les écrits dirigés contre le pi'^rc La Chaise, nous in-
di(liierons son Histoire, Cologne (Hollande), 1C!)3, in-12, plu-
sieurs fois réimprimée ; dans VfivisoH IccU'ur.nousTcmiwiiiiona
ce passage ; « On a enlevé des écrivains qui pourrissent encore
DE MADAME LA DUCHESSE D'oRLÉANS. 253
18 juillet 1720.
Il faut, ma chère Louise, avant de répondre à votre
bonne lettre, que je vous dise quelle horrible frayeur
j'aie eue hier; je me rendis en voiture, comme à l'or-
dinaire, chez les Carmélites, et j'y trouvai M""" du
Lude'. Nous étions fort tranquilles, lorsqu'arrive
« aujourd'hui dans les cachots du Mont-Saint-Michel; d'autres
« ont été assassinés jusque dans la cour de Hanovre, et le père
« La Chaise n'a-t-il pas forcé les Genevois à lui rendre un mal-
« heureux qui avait écrit quelque chose contre lui ? »
Entre autres assertions calomnieuses, l'auteur raconte qu'en
1683, le Père avait extorqué du roi un ordre pour massacrer
tous les réformés; quatre-vingts régiments devaient se rendre
danstousles lieux où étaient les huguenots, les ordres de massaa'e
étaient envoyés à tous les évéques.M. le Prince {de Condé) em-
pêcha l'exécution de cette entreprise. Nous ne croyons rien de
tout cela, mais nous regardons comme vraisemblable qu'il
y avait en effet les jeudis et vendredis, jours d'audience du
confesseur de Sa Majesté, plus de deux cents personnes dans son
antichambre. Le biographe raconte que « le prince de Condé ,
« qui donnait souvent des mortifications au père La Chaise,
« ordonna à Molière de faire une pièce qui représenta si naive-
« ment ce jésuite qu'on ne put faillir à le reconnaître, et lui
« promit une récompense de deux mille pistoles. Néanmoins
« cet illustre comédien se contenta d'y dépeindre son génie et
« sa morale fort au naturel, et déguisa la figure. » Il nous
semble que les biographes et les commentateurs de Molière ont
négligé cette anecdote plus ou moins authentique.
' Le duc de Lude, mort en i685, fut marié deux fois. La
première de ses femmes était de la famille de Bouille; dans les
annotations de Saint-Simon sur le journal de Dangeau, on lit
à son égard quelques détails singuliers : « Toujours dans ses
« terres, elle ne se plaisoit qu'aux chevaux qu'elle piquoit mieux
« qu'un homme, et chasseuse à outrance. Elle faisoit sa toi-
« lette dans son écurie, et faisoit trembler le pays. Vertueuse
« pour elle, et trop pour les autres, elle lit châtrer un clerc en
11. 22
254 CORBESPONDANCE
M'"" de Chasteauthicr, pâle comme une morte, et elle
me (lit : « Madame, on ne saurait vous cacher ce qui
« se passe ; vous trouverez toutes les cours du Palais-
« Royal remplies de peuple; ils y ont porté des corps
« morts écrasés à la Banque ' ; Law a été obligé de se
« sauver au Palais-Royal ; on a brisé son carrosse en
« mille pièces et on a enfoncé les portes. » Je vous
laisse imaginer quelle impression fit sur moi une pa-«
reille nouvelle ; je ne la laissai pourtant pas paraître,
car en pareil cas il ne faut pas manquer de résolu-
tion. Je me fis conduire chez le roi, comme à l'ordi-
naire; il y avait dans la rue Saint-Honoré un tel em-
barras que je fus une demi-heure sans pouvoir passer;
j'entendis les gens du peuple s'emporter contre Law,
mais ils ne disaient rien au sujet de mon fils et ils m'a-
dressèrent des bénédictions; j'arrivai enfin au palais,
mais tout y était fort tranquille et le peuple s'était re-
tiré. Mon fils vint me voir et m'assura que tout ce tu-
multe avait été occasionné par quelques ivrognes ; les
gens qui avaient été étouffés ne s'étaient pas soulevés
pour demander le remboursement des billets par suite
d'une extrême détresse; l'un d'eux avait cent écus
dans sa poche, et aucun de ceux qui avaient été ar-
rêtés n'étaient sans argent; l'invasion du Palais-Royal
« sa prpscncc, pour avoir abusé, dans son château, d'une de
« ses demoiselles, le fit guérir, lui donna dans une boîte ce
« qu'on lui avoit ôté, et le renvoya. »
' Trois personnes avaient été étouffées dans la colnie qui se
pressait aux portes de la Banque pour le remboursement des
billets. Un plaisant lit courir un placard sur lequel était cet
engagement d'un nouveau genre : « La Banque promet d'é-
toiilïer à vue le porteur du présent billet. »
DE MADAME LA DUCHESSE O'ORLÉANS. 255
était l'ouvrage de quelques malintentionnés qui dé-
testent mortellement mon pauvre fils '.
Paris, 21 juillet 1720.
L'argent est ici plus rare que jamais; mais, ce qui
n'est pas rare , c'est la fausseté , la malice , la per-
fidie et l'ambition ; elles ne peuvent atteindre un degré
* Cette émeute inspira à un satirique, qui eut soin de earder
l'anonyme, l'idée de parodier la dernière scène de MUhridute,
et de représenter le régent mourant d'une blessure reçue dans
une sédition. Nous transcrivons le début de ce petit écrit, qui
n'est pas mal tourné :
LAW.
Ah! que vois-je, seigneur? et quel sort est le TÔtre?
LE RÉGE7IT.
Cessez et retenez vos larmes l'un et l'autre ;
Mon cœur de sa fureur et de tous ses forfaits
Veut d'autres sentiments que de tristes regrets.
Ma régence, plutôt digne d'être abhorrée.
Par des pleurs aujourd'hui doit-elle être honorée?
J'ai désolé la France autant que je l'ai pu;
La mort dans mes projets m'a seule interrompu ;
Le Ciel n'a pas touIu qu'achevant mon dessein
Je versasse à mon roi un poison de ma main.
Mais au moins quelque chose en mourant me console ;
J'expire environné des rentiers que j'immole....
C'est à la même époque qu'il faut rapporter une autre pièce
de vers, le Rcgcnt malade, que nous trouvons dans les manu-
scrits :
Lorsque tu livres à la Parque
Trois dauphins et notre monarque.
Crois-tu le faire impunément?
Leurs ombres demandent vengeance.
Tremble, car tu touches au moment
Qui, par ta mort, sauve la France.
l'n rimeuT, non moins acharné, s'écriait :
Je Tois tous nos malheurs finir.
Le Ciel nous est propice,
256 CORHKSPONDANCI-:
plus clcvc que celui auquel elles sont iei; pareil spec-
tacle dégoûte de la vie. Les femmes qui sont ici ja-
louses de leurs maris le sont par ambition plutôt que
par amour, car elles veulent toutes gouverner, et il
n'est pas de cuisinière qui ne se croie capable de gou-
verner l'État; de sorte que si elles n'ont pas d'empire
sur leurs maris, elles sont furieuses. Le mieux est
Que le Tout-Puissaut soit béni,
Honorons sa justice.
Fléaux vomis de l'enfer,
Abandonnez la France;
Il meurt, et va chez Lucifer
Exercer la régence.
On allait jusqu'à reprocher au Régent des épidémies qui exer-
çaient de cruels ravages :
Après avoir pris notre argent
Par un conseil inique,
Chassé le parlement
Pour être despotique,
Fait publier impunément
Cent arrêts qu'on déleste,
Il te manquait, maudit Régent,
De nous donner la peste.
De nombreuses estampes satiriques furent dirigées contre le
système. M. L. de Laborde, PnlaisMazarm, notes, p. 390,
en énumère soixante-dix, presque toutes d'origine hollandaise.
Du reste, en opposition à toutes ces satires, il se trouva quel-
ques flatteries. On sait que dans certains exemplaires du Dic-
tionnaire de Bayle, édition de 1720, dédiée au Régent, on ren-
contre, au bas du portrait de ce prince, dix-neuf vers qui font
l'éloge du système de Law ; il fallut les supprimer après la dé-
conlilure (voir M. L. Laborde, Palais-Mazarin, p. 39G). L'é-
pilre dédicatoire, rédigée par La Motte, est fort ridicule; elle
s'exprime ainsi : « Les plus grands hommes regardent les
louanges comme la récompense de la vertu, mais il semble que
pour vous elle n'en soit que l'incouvéuicnt. » Tout le reste est
de tcUe force.
DE MADAME LA DICHESSE D'om.ÉANS. 257
d'aimer son mari par devoir, et non par passion, de
vivre avec lui en paix et amicalement, mais de ne pas
se fracasser du cours qu'il donne à ses passions. De
celte manière, on reste toujours bons amis, et la paix
et l'harmonie se maintiennent dans le ménage.
30 juillet 1720.
Salvatico avait déjà commencé ses folies ici; il vou-
lait à tout instant entrer dans la chambre de la prin-
cesse, et il en était même très-jaloux ; elle s'en est plaint
à son mari, et celui-ci l'a dit à son père en le priant
de renvoyer ce méchant diable. C'est ce que le père
ne veut pas l'aire ; il veut même faire de Salvatico son
majordome.
30 juillet 1720.
Quand mon fils donne du désagrément à quelqu'un,
il est certainement plus i)ciné que celui qui tombe
ainsi en disgrâce. 11 ne se soucie nullement des bijoux
et il aime peu la toilette. Le petit corbeau noir {la Pa-
rahère) n'est pas désagréable, mais elle passe pour
sotte. Elle est capable de beaucoup manger et boire
et de débiter des étourderics ; cela divertit mon fds et
lui fait oublier tous ses travaux.
A M. DE HARLING.
1«'- août 1720,
Je connais quelqu'un à Paris qui a été l'ami intime
d'un savant abbé. Cet abbé avait connu très-particu-
lièrement Descartes, et il a souvent dit que Descartes
avait ri avec lui de son système, et qu'il disait : « Je
2Z
258 CORRESPONDANCE
leur ai taillé de la besogne ; nous verrons qui sera as-
sez sot pour y donner. »
A LA PRINCESSE DE GALLES.
2 août 1720.
Le prince et la princesse {de Modène) s'aiment beau-
coup, mais on dit qu'ils se moquent ensemble du vieux
père.
3 août 1720.
Lorsque le roi d'Espagne partit ' , notre roi pleura
amèrement, M. le Dauphin pleura beaucoup aussi, et
précédemment il n'avait jamais donné à aucun de ses
fds la moindre marque qu'il eût de rattachement pour
eux; on ne les avait jamais vus dans son apparte-
ment, ni le malin, ni le soir^ quand le Dauphin n'é-
tait pas à la chasse, il était toujours chez la grande
princesse de Conti, et ensuite chez W^^ la Duchesse.
On n'aurait pu deviner que ses enfants fussent à lui,
car il vivait avec eux comme s'ils avaient été des
• Le Bulletin des comités historiques {iSbZ, p. 94 et suiv.)
renferme des lettres de Louis XIV et du maréchal de Noailles, pen-
dant le voyage des ducs de Bourgogne et de Bcrri aux frontières
d'Espagne, 1 7 00-17 0 1 . Les originaux de ces lettres font partie de
la bibliothèque du Louvre. Parmi beaucoup de détails minu-
tieux relatifs à l'étiquette, au régime et à la santé des princes,
détails dans lesquels se complaît la courtisanerie déliée du ma-
réchal et la gravité oflicielle du monarque, on retrouve des élé-
ments et des traces de grandeur. Voir aussi l'écrit intitulé :
o Journal du voyage où j'accompagnai le roi d'Espagne dans ses
Etals. »Ce document se trouve au t. II, p. 93 à 250 des Cîirio-
sili's historiques, oit recueil de iiièccs utiles à l'histoire de
l'rancc, 17 5y, 2 vol. in-12.
DE MADAME LA DUCHESSE D'oRLÉANS. 259
étrangers; il ne les appelait pas mon fils, mais M. le
duc de Bourgogne, M. le duc d'Anjou, M. le duc de
Berri, et ils l'appelaient monseigneur.
Saint-Cloud, 4 août 1720.
Vous auriez tort de croire que je ne chante jamais
les psaumes ou les cantiques luthériens; je les chante
souvent et je les trouve fort consolants. Il faut que je
vous raconte ce qui m'est arrivé à cet égard, il y a
plus de vingt-cinq ans. Je ne savais pas que M. Rous-
seau, qui a peint l'orangerie, était un réformé : il était
à travailler sur un échafaudage, et moi, me croyant
toute seule dans la galerie, je me mis à chanter le
sixième psaume. J'avais à peine achevé le premier
verset, que je vois quelqu'un descendre en toute hâte
de l'échafaudage, et tomber à mes pieds : c'était Rous-
seau; je crus qu'il était devenu fou. « Bon Dieu! lui
dis-je, qu'avez -vous, Rousseau? » Il me répondit :
« Est-il possible, madame, que vous vous souveniez
encore de nos psaumes, et que vous les chantiez? Que
le bon Dieu vous bénisse et vous maintienne dans ces
bons sentiments. » Il avait les larmes aux yeux; il
partit quelques jours après; je ne sais ce qu'il est de-
venu; mais, en quelque lieu qu'il se trouve, je lui
souhaite toute espèce de prospérité et de bonheur;
c'était un homme très-estimable et excellent peintre à
fresque.
Il y a peu de médailles antiques que je n'aie déjà,
car j'en ai déjà près de neuf cents. J'ai commencé par
deux cent soixante, que j'ai achetées, et qui avaient
été volées au duc de Savoie , j'écrivis à la reine ac-
260 CORRESl'ONDANCE
tuelle de Sardaigne, et j'offris de les renvoyer au roi.
La reine me répondit qu'elle était enchantée de pou-
voir m'engager à garder celles que j'avais acquises; je
les avais eues à bon marché, rien que pour le poids,
et il y en avait de rares parmi elles.
C août 1720.
Personne n'a entendu ce que le roi a dit à la vieille ;
elle s'était sauvée à Saint-Cyr avant qu'il ne fût morl.
On l'a ramenée, mais elle n'est pas restée jusqu'à la
fin. Je crois que le roi s'est repenti d'avoir fait la folie
de l'épouser. En effet, quoi qu'elle ait fait, il n'a pas
voulu publiquement déclarer le mariage. Elle a pleuré
à la mort du roi, cependant elle n'a pas été aussi affli-
gée qu'elle aurait dû l'être. Elle s'est toujours flattée
de régner avec le duc du Maine.
Saiiit-Cloud, 8 août 1720.
Je ne peux dire ni bien ni mal du système de M. Law,
car il est complètement incompréhensible pour moi;
mais je vois qu'il en résulte pour mon fils toutes sortes
de tracas et de soucis ; je voudrais donc qu'il n'en eût
jamais été question. Avec des gens aussi intéressés
que les Français, depuis M. le Duc jusqu'au dernier
laquais, on n'est jamais en sûreté lorsqu'ils pensent
qu'ils ont quelque chose à gagner à votre mort; cela
m'inquiète fort, car cela me romi)lit de crainte pour
la vie de mon fils , quant à moi, je n'ai rien à crain-
dre, car ma mort ne profiterait à personne. Plût à Dieu
(jue j<! n'eusse à m'inquiéter que pour moi ; cola ne me
donnerait pas une minute de préoccuitation! 11 y a
DE MADAME LA DUCHESSE it'OF'.LÉANS. !2(jl
encore beaucoup d'argent en France, mais chacun U»
cache par malice, et ne veut pas le mettre clans le com-
merce; on ne s'inquiète pas des lois de M. Law à ce
sujet. Personne n'a de goût ici pour la guerre, mais
bien pour le luxe, qui n'a jamais été porté au point
auquel il est à présent; le tenq)s montrera ce qui en
résultera.
13 août 1720.
Law est dans de telles angoisses qu'il n'a pu se ré-
soudre à se rendre à Saint-Cloud auprès de mon fils,
qui lui avait cependant envoyé son carrosse ' . La ma-
lice des ennemis de mon fils ne diminue pas; on ré-
pand sans cesse contre lui des écrits horribles où il est
attaqué avec acharnement '. Je ne comprends pas qu'il
* Donnons ici un échantillon des vers que les recueils ma-
nuscrits nous présentent comme circulant alors à Paris,
Puisque nous u'avous plus d'argent,
Le diable emporte et Lass et le Kegent,
Le premier est un animal.
Fripon, ignorant et brutal.
Qui nous réduit à l'iiôpilal ;
Le second rit de voir le mal;
Dieu nous fasse
Bientôt la grâce
De voir déconfit
Ce couple maudit.
Condé, Dubois et le Régent
Sout, ma fol, bien faits l'un pour l'autre;
L'un bruta' et l'autre méchant.
Le tiers en crapule se vautre ;
Tous trois le fléau des iiuniaiiis ;
Pauvres Français, que je vous plains !
' Il y aurait un curieux travail à faire sur les livres dont le
Régent est le sujet; parmi beaucoup de faussetés et d'exagéra-
tions, ils ne renferment que trop de vérités. On trouve dans le
^H2 CORRESPONDANCE
ne punisse sévèrement de pareilles insolences, mais il
est le meilleur des hommes.
Paris, 15 août 1120.
Les Parisiens sont les meilleures gens du monde, et
si le parlement ne les avait pas excités, ils ne se seraient
jamais soulevés de leur vie. Les pauvres gens m'ont
fort touchée, car ils criaient contre Law, et nullement
contre mon fils; et lorsque j'ai passé en voiture à tra-
vers le peuple, on m'a adressé tout haut des bénédic-
tions ; cela m'a si fort émue, que je n'ai pu m'empê-
cher d'en pleurer. Il n'est pas étonnant qu'on n'aime
pas mon fds autant que moi, car ses ennemis n'épar-
gnent rien pour le décrier, et pour le faire passer pour
un impie et pour un tyran, tandis que c'est le meilleur
homme du monde, et qu'il n'est que trop bon. Je n'ai
jamais rien compris au système de M. Law, mais j'ai
toujours cru fermement qu'il ne pouvait en rien ré-
sulter de bon; je ne saurais déguiser ma pensée, et
j'ai dit tout crûment à mon fils ce que j'en pensais. Il
m'a dit que j'étais dans l'erreur, cl il a voulu m'expli-
Précis historique de la maison d'Orléans, par un membre de
l'Université [G. Peignot, l'aris, 1830, p. 38-68), une notice sur
dix-sept ouvrages divers de ce genre ; les Pkiitppiqucs de La
Grange-Chancel, V Histoire du prince Papyrms, les Aventures
de Pomponius, y sont indiquées avec quelque détail. On peut y
joindre ;
La Chronique de don Philippe d'Aurélie, manuscrit indiqué
au ratalngnc de la bibliothc^que de M. Leber, n" 5811 .
Mahmoud le Gasvénide, histoire orientale (par Melon), Rot-
terdam, 1720, in-S". C'est une histoire allégorique de la Ré-
gente.
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 263
quer la chose; mais, plus il s'efforçait de me la faire
comprendre, moins j'y entendais quoi que ce soit.
16 aofit 1120.
Je trouve que c'est un bonheur pour notre princesse
de Modène que Salvatico eût été amoureux d'elle, car,
comme il a appris ici tout ce qui s'est passé ' , il aurait
pu en faire des rapports ; maintenant il aura beau dire,
le prince ne le croira pas. Salvatico est un fou des plus
grands. Pendant qu'il était ici, il disait à toute hem'e :
« Oui, j'aime tant ma princesse, que, sans dégoût, je
mangerais sa m.. de. » C'est le favori déclaré du duc
de Modène. Cela prouve la vérité de notre proverbe
allemand : Ce qui se ressemble sassemble , disait le
diable au charbonnier '.
17 août 1720.
Law est comme un homme mort et pâle comme un
linge; il n'a pu se remettre des dernières peurs qu'il
a éprouvées... Si le peuple déteste M. le Duc, c'est seu-
lement parce qu'il était bon ami de Law, dont il me-
nait les enfants se promener à Saint-Maur, et il les y
logeait.
* Mlle de Valois avait une intrigue avec le duc de Richelieu,
et elle ne consentit, dit-on, à épouser le prince de Modène qu'à
la condition que son père rendrait la liberté à son amant.
' On lit dans des écrits de l'époque que le comte Salvatico,
chargé de demander, pour le prince de Modène, la main de
M'ie de Valois, s'était d'abord adressé au maréchal de Villeroy ,
Dubois s'opposa ù ce mariage; le comte comprit sa faute j l'a-
vide ministre tut gagné pur le dun de cinq tableaux.
264 CORRESPONDANCE
Saint-CIoud, 18 août 1720.
Tout est encore calme ici, mais M. Law n'ose pas
sortir; les femmes de la halle ont placé des petits gar-
çons comme espions autour de sa maison, afin de sa-
voir quand est-c e qu'il sortira ; cela n'indique rien de
bon pour lui, et je crains quelque nouvelle émeute.
Vous me parlez de vers où feu le maréchal de Luxem-
bourg était maltraité ; je ne les connais pas, mais je
sais qu'on a fait des livres qui lui adressent toutes
sortes d'injures '.
Saint-Cloud, 21 août 1720.
Je n'ai jamais de ma vie vu aucun Anglais ni Écos-
sais aussi poltron que Law ; c'est la fortune qui ôte le
courage ; on ne quitte pas volontiers ce qu'on possède.
Je crois qu'il y a des moments où il voudrait se trou-
ver au Mississipi ou à la Souciane {Louisiane).
Il y a ici du tonnerre tous les jours, mais il ne fait
' Madame fait sans doute allusion aux libelles suivants :
Histoire des amours du maréchal de Luxembourg, dont il
existe deux éditions imprimées en Hollande, sous la rubrique de
Culogiu', 1G'J4 et 1G'J5.
Le maréchal de Luxembourg au lit de la mort, tragi-
cdmédie en cinq actes et en prose, Cologne (Hollande), 1G95.
On connaît quatre éditions différentes, sous cette date, de cette
satire, qui fut accueillie avec cnipressemenf. En l'enregistrant
au catalogue Soleiune, n° 37 64, M. Paul Lacroix observe « qu'elle
« offre des particularités curieuses pour rhist!)ire du temps,
« quoicpi'il faille les admettre avec précaution; ainsi nous n'a-
« vous pas vu ailleurs que le maréchal mourut des suites d'une
« déliautlie avec M"*^ de.... — iM.iis, monsieur le médecin, qui
« l'a donc fait mourir:' dit le duc dn Maine. — Ce n'est pas
« moi, réjiond naïvement le docteur. »
DE MADAME LA DUCHESSE D ORLÉANS. 265
que se divertir; il a enlevé à un homme tout le poil
quil avait sur le corps, sans lui faire le moindre mal;
il a brisé le pommeau de l'épée qu'un cavalier avait au
côté, et le cavalier n'a pas été blessé le moins du
monde. Un officier des Invalides portait un habit bleu
avec une boucle et des boutons d'argent ; la foudre a
enlevé la boucle et les boutons sans causer du tout de
dommage à l'étoffe. Les paysans ici croient qu'il y a
des sorciers qui sont maîtres du tonnerre '.
'^7 août n20.
La jeune princesse de Conti m'a raconté qu'elle
avait fait examiner son fds, dans son enfance, par Clé-
ment, pour savoir s'il était bien conformé. Clément
trouva l'enfant bien constitué; il se rendit choZ le
prince de Conti et lui dit : « Monseigneur, j'ai examiné
la taille du prince qui vient de naître; il est droit;
faites-le coucher sans chevet pour qu'il reste ainsi;
songez quel chagrin ce serait pour la princesse de Conti,
q\ii a fait ce prince droit, si vous le rendiez tortu et
bossu. » Le prince de Conti voulut parler d'autre
chose, mais Clément revenait toujours à son sujet, et
disait : « Songez qu'il est droit comme un jonc; ne le
rendez pas tortu et bossu. Monseigneur. » Le prince
de Conti ne put plus y tenir, et il s'enfuit.
' « L'étrange et ridicule aventure » de la duchesse d'Es-
trées, occasionnée par le tonnerre, est consignée dans les no-
tes dé Saint-Simon sur le Journal de Dangeau publiées dans les
Œuvres de Lemontey ^Œuvres, t. IV, p. 33). Un bénédictin ju-
dicieux, Dom Lamy, mit au jour, en 1G89, un traité pour expli-
quer un fait dont il avait été tûmoin oculaire ; la foudre, tombant
ùLagny, avait imprimé le canon de lamesse suvune nappe d'autel.
23
266 CORRESPONDANCE
28 août 1720.
Lorsque le duc de Mecklembourg était à réfléchir,
et qu'on lui demandait à quoi il pensait, il répondait :
« Je donne audience à mes pensées; » sa seconde
femme s'en serait mieux acquittée, car elle avait plus
de moyens que lui. C'était un singulier personnage que
ce prince : il était bien élevé, il appréciait fort bien les
affaires, il raisonnait avec justesse, mais dans tout ce
qu'il faisait, il était plus simple qu'un enfant de six
ans. Il se plaignait un jour à moi; je ne lui répondis
pas. Il me demanda pourquoi je me taisais; je lui ré-
pondis crûment qu'il parlait fort bien, mais que ses
actions ne correspondaient nullement à ses discours,
et que toute sa conduite était si pitoyable qu'on en
riait dans toute la France. Il se fâcha et s'en alla de
très-mauvaise humeur. Il avait demandé une audience
au roi; le roi croyait qu'il voulait l'entretenir d'affaires,
et il l'admit seul dans son cabinet. Sitôt qu'il vit le
roi, il lui dit : « Sire, je vous trouve grandi depuis que
je n'ai eu le plaisir de vous voir. » Le roi répondit :
« Je ne crois pas être en âge de grandir » (il avait
trente-cinq ans) ; le duc répliqua : « Eh ! Sire ! vous
avez bien bonne mine , tout le monde trouve que je
vous ressemble, mais que j'ai encore meilleure mine
que vous. » Le roi se mit à rire, et répondit : « Cela
peut bien être. » Là-dessus l'autre s'en alla. Ne fût-ce
pas une belle audience ?
Un cavalier anglais, M. Ilammer, avait comparé le
roi à un maître d'escrime '.
* Le ciiovalicr ùo. Hammcr avait épouBé la veuve du duc de
DE MADAME LA DLCIIESSE d' ORLÉANS. 267
r
Paris, 5 septembre 1720.
On est tranquille ici, mais l'on murmure beaucoup,
et d'un moment à l'autre il peut éclater des désordres
sérieux. Il y a quelques jours, des laquais se sont per-
mis une grande insolence ; je ne puis comprendre
qu'on tolère de pareils excès : ils ont accablé d'inpires
la fdlede M. Law, une pauvre enfant qui revenait de
la promenade, et lui ont jeté des pierres. Je ^ois bien
la cause de tous ces désordres ; les jeunes gens d'au-
jourd'hui se sont trop mêlés avec leurs laquais; ils les
ont pour complices dans toutes sortes d'infamies; les
laquais imitent leurs maîtres, et ceux-ci n'osent se
plaindre ' .
La reine de Prusse m'a annoncé l'explosion du ma-
gasin à poudre, mais elle ne dit pas du tout qu'elle
en ait été elïrayée ; le fait est pourtant que toutes les
fenêtres du château ont été brisées. Cela me fait sou-
venir d'une aventure qui arriva à M"« de Durfort, qui
a été ma dame d'atours. Elle était sœur du maréchal
de Duras, qui était gouverneur de Besançon, et, chez
son frère, il y avait un jardin décoré de statues, parmi
lesquelles il y en avait une représentant Jupiter qui
était si belle, que le roi l'a achetée, et elle est main-
tenant à Versailles. M°« de Durfort, se trouvant seule
Grafton ; il fut très-bien accueilli à Versailles ; voir Saint-Simon,
t. XIX, p. 148.
1 La correspondannce administrative sotis le règne de
Louis XIV, publiée par M. Depping, fournit(t. II, 1851, in-4
des détails sur les troubles causés par les laquais, sur les vols et
et assassinats commis clans les rues de Paris, sur la fureur du
jeu, etc.
268 CORRESPONDANCE
un jour dans le jardin de son frère, s'arrêta un mo-
ment devant cette statue, et lui dit: «Or çà, mon-
sieur Jupiter, on dit que vous avez parlé autrefois;
nous voilà seuls, parlez-moi donc, aussi bien avez-
vous la bouche entr'ouverte. » Au moment oîi elle ache-
vait ces mots, im moulin à pondre vint à sauter avec
un fracas épouvantable. M"'« de Durfort croit que c'est
Jupiter qui lui répond ; elle a une telle frayeur qu'elle
tombe par terre sans connaissance, et qu'il fallut l'em-
porter du jardin.
Saint-Clond, C septembre 1720.
J'ai reçu depuis huit jours plusieurs lettres où l'on
me menace de me brûler à Saint-Cloud, et de brûler mon
fds au Palais-Royal. Mon fils ne m'a jamais dit un mot
de ce qui se passe ici ; il suit en cela l'exemple de son
père, qui disait : «Tout est bien, pourvu que Madame
ne le sache pas.» Voici des vers qu'on fait courir'
Si tu veux de ton parlement
Clianger l'humeur hautaine,
De Pontoise, sire Régent,
Fais-le passer à Fresne ;
C'est un lieu de correction,
La faridondaine , la faridondon.
Où d'Aguesseau s'est converti,
Birihi,
A la façon de Barbari,
Mon ami.
On a fait aussi ce couplet :
Accablés de malheurs, menaocs de la pcsto,
Grand saint Hoch, notre unique bien,
Ecoutez un peuple chrétien :
Nous ne craindrons rien de funcstc,
Venez nous secourir, soyez notre soutien,
Détournez de sur nous la colère céleste,
Mais n'amenez pas votre chien ;
Nous n'avons pas de pain de reste.
DE MADAME LA DUCHESSE d'oULÉANS. 269
20 septembre 1720.
J'ai reçu, il y a trois jours, une autre lettre ano-
nyme ; celle-là m'a fait bien rire : on me conseille de
faire enfermer mon lils comme fou, et que ce serait le
moyen de lui sauver la vie... Mon fils a déjà couché
plusieurs fois aux Tuileries ; je crains cependant que
le roi ne puisse s'habituer à lui, car mon fils n'a jamais
pu jouer avec des enfants ; il ne les aime pas. Voici de
nouveaux vers qu'on fait courir :
Je ne trouve pas étonnant
Que l'on fasse un -.ninistre,
Et même un prélat important
D'un maquereau, d'un cuistre ;
Rien ne me surprend en cela.
Et ne sait-on pas comme
De son cheval Caligula
Fit un consul de Rome ?
A M. DE HARLING.
21 septembre 1720.
On n'entend parler que d'aventures tragiques, d'em-
poisonnements, de meurtres, de vols; la mode, à Paris,
est maintenant de se débarrasser de la vie : la plupart
se noient, beaucoup se jettent par les fenêtres et se
cassent le cou; d'autres se poignardent, et tout cela
à cause de ce maudit argent. S'imaginent-ils qu'ils
seront plus riches quand ils seront morts? Les gens
deviennent ici horriblement barbares ; on a trouvé, il
y a trois jours, une femme mise à la broche, que l'on
avait voiUu faire rôtir; des parents tuent leurs enfants,
des enfants tuent leurs parents; on n'entend parler
chaque jour que de pareilles horreurs.
2?;
270 CORRESPONDANCE
A LA COMTESSE LOUISE.
26 septembre 1720.
Notre abbesse de Chellcs n'envie pas à sa sœur son
mariage; elle se trouve plus heureuse, et elle a bien
raison.
A M. DE HARLING.
27 septembre 1720.
La vie déréglée et folle à Paris devient chaque jour
plus détestable et plus horrible : toutes les fois qu'il
tonne, j'ai peur pour cette ville. Trois femmes de qua-
lité ont fait des choses vraiment affreuses : elles ont
suivi à Paris l'ambassadeur turc, elles ont attiré à
elles son fils, l'ont bel et bien enivré, et ont passé
deux jours avec ce drôle à grande barbe dans le laby-
rinthe [de Versailles). A présent qu'elles s'y sont ha-
bituées, je crois qu'aucun capucin ne sera en sûreté
auprès de ces dames; cela fera une belle réputation à
Constantinople aux chrétiennes et aux dames de qua-
lité. Le jeune Turc a dit à M"'* de Polignac', une de
ces trois dames (il a parfaitement appris le français) :
«Madame, votre réputation était venue jusqu'à Cons-
tantinople, et je vois bien, madame, qu'on nous a dit
la vérité.» L'ambassadeur a été extrêmement tracassé
de tout ceci', et il a dit à son (ils qu'il fallait tenir la
' Les Mémoires de Maurcpas, t. Il, donnent de trop longs dé-
lails sur les écarts de cette dame; elle fut, en 17 32, enfermée
dans un couvent.
' Il existe, parmi les manuscrits de la bibliotli^que de l'Ar-
senal, une relation de l'ambassiule de Turquie ; on en trouve des
extraits dans ['Iliiloire de la diplomatie française, par Flassan,
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 271
chose fort secrète, car si l'on savait à Constanlinople
qu'il s'était enivré et qu'il avait eu affaire à des chré-
tiennes, on lui ferait tomber la tête. N'est-ce pas une
chose horrible? il est fort à craindre pour ce jeune
homme qu'il ne sorte pas de France en bonne santé, car
la Polignac a infecté presque tous les jeunes gens de
qualité. Je ne comprends pas comment ses parents
et ceux de son mari ne s'occupent pas d'arrêter une
conduite aussi désordonnée, mais toute honte est
bannie de ce pays-ci; on ne sait plus en France ce
que c'est qu'une vie régulière, et tout va à la déban-
dade.
A LA COMTESSE LOL'ISE.
Paris, 3 octobre 1720.
L'irrégularité de la poste vient seulement, ma chère
T.ouise, de l'animosité de M. de Torcy ' et de l'arche-
vêque de Cambrai, qui veulent savoir tout ce que
j'écris; et comme ils ne peuvent me brouiller avec
mon fds, ils s'efforcent de me mettre mal avec d'au-
tres personnes. Us ont dit au maréchal de Villeroi que
j'avais écrit à ma fille que ce maréchal et tout ce qu'on
appelle les hommes de la vieille cour étaient les en-
t. IV, p. 422 ; voir aussi Lemontey, 1. 1, p. 445, et Henri Martin,
Histoire de France, t. XVII, p. 275.
' J.-B. Colbert, marquis de Torcy, ministre des affaires étran-
gères depuis 1G88; SOUS la régence il fut remplacé par le car-
dinal Dubois. Il est de fait, comme Madame le répète souvent,
qu'à cette époque rien n'était moins respecté que le secret des
correspondances, et Barbier observe dans son Journal {t. II,
p. 21 ) que a les jésuites ne s'écrivent aucune nouvelle d'une
province à l'autre, parce que depuis longtemps toutes les lettres
sont décachetées. »
272 CORRESPONDANCE
nemis de mon fils; j'ai répondu fioidement : « 11 est
vrai que je l'ai écrit à ma fille, et je l'ai écrit parce
que c'est vrai, et les lettres de l'ambassadeur d'Espagne
en ont assez fait foi. »
4 octobre 1720,
Mon fils a été aimé, mais depuis l'arrivée de ce
maudit Law, il a été de plus en plus haï; il n'y a pas
de semaines où je ne reçoive par la poste des lettres
remplies d'adreuses menaces, où mon fils est traité
comme le plus scélérat des tyrans.
Un prédicateur disait en chaire que le jugement der-
nier aurait lieu dans la vallée de Josaphat. Quelqu'un
qui avait entendu le sermon voulut prouver au prédi-
cateur qu'il n'y aurait pas assez de place; il répondit :
« Pas du tout ; ceux qui ne pourront pas entrer reste-
ront dehors. »
8 octobre 1720.
Lorsque la dauphine de Bavière arriva, la cour, qui
avait été si belle, avait commencé à tomber en déca-
dence, car c'était le ronuncncement de la domination
de la Maintenon qui a tout gâté, et depuis ce moment
tout est allé en décadence. Il n'y a rien d'étonnant ù
ce que la pauvre Dauphine désirât se retrouver chez
elle, car la vieille guenipe l'a fait soudrir immédiate-
ment après son mariage, au point cpie cela faisait com-
passion. La pauvre Dau[>hine avait fait elle-même son
mariage; elle avait espéré être sa maîtresse, et voler
de ses propres ailes. On la mit d(^ suite entre les mains
de la vieille guenipe, (|ui voulut la gouverner counne
une cillant île sept ans, quoiqu'elle eu eût i>liis de dix-
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 273
neuf. La vieille, piquée de voir que la Dauphinc vou-
lait tenir une cour comme elle le devait, a détourne
le roi de cette princesse. La Bessola l'a vendue et
trahie ; on peut croire que cela fit une vie bien mal-
heureuse à la Dauphino. En me prenant en amitié, elle
mit le comble à la colère de la vieille , qu'échauiTait
d'ailleurs la Bessola , qui était jalouse contre moi , et
qui était irritée de ce que j'avais averti la Dauphine
de se méfier de cette fille, car je savais qu'elle avait eu
des conférences secrètes avec la vieille.
11 octobre 1720.
La reine Catherine é'ait une méchante femme. Son
oncle, le pape, avait bien raison quand il disait qu'il
avait fait un méchant cadeau à la France. On dit
qu'elle a empoisonné son fils le plus jeune, i)arce qu'il
l'a trouvée une fois dans un mauvais lieu, où elle allait
incognito se divertir '. Aussi n'est-il pas étonnant
qu'elle ait bu dans une coupe où étaient ciselées les
figures de l'Ai'étin \
' Voir le Discours merveilleux de la vie, actions et dcpor-
temenls de Catherine de Médicis, 157 5, attribué à Ilenii Es-
tienne, et qui est peut-ctie sorti de la plume de P. Pitliou. II
existe plusieurs éditions de cette diatribe, et elle a été réimprimée
dans les Archives curieuses de l'histoire de France, fe série,
t. IX.
' Nous ne savons si ce fait est vrai, mais il rappelle ce que
dit Brantôme (Dames rjalantcs, premier discours) « d'un prince
« qui avoit une très-belle coupe d'argent doré, où estoient taii-
« lées bien gentiment et subtilement plusieurs figures de l'A-
« rélin, et quand il fcstinoit les dames et filles de la cour, ses
« sommeliers ne failloient jamais par son commandement de
« leur bailler à buire dedans. » Le naïf chroniqueur entre avec
une complaisance extrême dans d'étranges détails à cet és:ard.
274 CORRESPONDANCE
Madame de Nemours avait coutume de dire : « J'ai
remarqué une chose dans ce pays : l'honneur y recroit
comme les cheveux. »
12 octobre 1720.
La Maintenon avait recommandé à sa créature,
M™" de Montchevreuil , gouvernante des filles d'hon-
neur de M™* la Dauphine, d'attirer constamment le
Dauphin dans la société de ces demoiselles et dans
des parties de plaisir avec elles , jusqu'à ce qu'il fût
entièrement détaché de sa femme. Quand la Dauphine
était enceinte (ce qui arrivait souvent , et elle avait
des couches très-pénibles), elle était fort malade et ne
pouvait sortir; la Montchevreuil amenait .alors les
filles d'honneur auprès du Dauphin pour chasser et
jouer avec lui. Il devint amoureux à sa manière de la
sœur de La Force, que l'on donna ensuite au jeune
Du Roure. Leur amour dura malgré ce mariage; elle
se fit donner par le Dauphin une promesse de mariage
écrite, portant qu'il l'épouserait dans le cas où son
mari et la Dauphine viendraient à mourir. Je ne sais
comment le feu roi apprit tout cela, mais il s'en fàciia
très-sérieusement, et il a exilé la Du Uoure en (las-
cogne, sa patrie '. Le Dauphin eut aussi une galanle-
' C'est au siijpf de ceUe intriiinc que parut un petit roman
intitulé : La Chasse au loup de Monseigneur le Dauphin, oti la
Renconlre du comle bu liouie dans les plaines d'Anel,{\o\oane,
P. Marteau (Uoilaudej, 1G9S. Ce livret, peu commun, est re-
dierclié des bibliopliiles ; un bel exemplaire s'est payé quarante-
cinq francs à l'une des ventes de Ch. Nodier ; une relation des
amours du Dauphin avec la comtesse Du Uoure se trouve dans
le louie V de V Histoire amoureuse des Gaules. On lit dans lea
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 275
rie avec une autre fille d'honneur de sa femme, appe-
lée Rambures '. Il n'avait point de fausseté avec la
Dauphine ; tout allait tambour battant ; cette méchante
et perfide sorcière de Bessola, qui était toute façonnée
par la vieille guenipe, et qui suivait ses ordres, déta-
chait de plus en plus la Dauphine de son mari. Celle-
ci n'était pas amoureuse du Dauphin, mais ce qui lui
déplaisait dans les intrigues de son mari, c'est qu'elles
étaient cause qu'on se moquait d'elle ouvertement
toute la journée, et qu'on la tournait en ridicule. La
Montchevreuil attirait son attention sur tout ce qui
se passait, et la Bessola l'aigrissait contre son mari.
18 octobre 1720.
Monsieur a toujours fait le dévot. Il m'a fait rire
une fois de bon cœur. Il apportait toujours au lit un
chapelet d'où pendait une quantité de médailles, et
(pii lui servait à faire ses prières avant de s'endormir.
Quand cela était fini, j'entendais un gros fracas causé
Mémoires de la cour de France , par Mme de La Fayette :
« M. le Duc donna un bal à Monseigneur ; la comtesse Du Roure
s'y trouva, mais Monseigneur est un amant si peu dangereux
que l'on ne parla pas seulcnunt de lui. » Le marquis de Créquy
succéda au Dauphin (voir Saint-Simon, t. I, p. 254).
1 Madame a déjà parlé de Mlle de Rambures; elle se maria
avec le marquis de Polignac ; elle n'était pas fort riche, mais
elle avait de bons amis ; Monseigneur pressa fort le roi de la
marier, et lui fil donner cinquante mille écus [Mémoires Aq
Choisy); elle fut chassée de la cour, se ruina au jeu et mourut
au Puy.dans les leries de son mari (Saint-Simon, t. IX, p. 110).
Il ne faut [jus la confondre avec une autre dame de Polignac,
dont MadaUiC fait austi mcnlion, et dont la conduite fit scan-
dale, même aux temps de la régence (voir p. 270).
27G CORRESPONDANCE
par les médailles, comme s'il les promenait sous ia
couverture. Je lui dis : « Dieu me le pardonne, mais je
soupçonne que vous faites promener vos reliques et vos
images de la Vierge dans un pays qui leur est in-
connu. » Monsieur répondit : « Taisez-vous, dormez;
vous ne savez ce que vous dites. » Une nuit, je me
levai tout doucement, je plaçai la lumière de manière
à éclairer tout le lit, et au moment où il promenait
ses médailles sous la couverture, je le saisis par le
bras, et lui dis en riant : « Pour le coup, vous ne sau-
riez plus le nier. » Monsieur se mit aussi à rire, et dit :
« Vous qui avez été huguenote, vous ne savez pas le
pouvoir des reliques et des images de la Sainte Vierge.
Elles garantissent de tout mal les parties qu'on en
frotte. » Je répondis : « Je vous demande pardon ,
Monsieur, mais vous ne me persuaderez point que
c'est honorer la Vierge , que de promener son image
sur les parties destinées à ôter la virginité. » Monsieur
ne put s'empêcher de rire, et dit : « Je vous prie, ne
le dites à personne, »
Paris, 20 octobre 1720.
Une pauvre femme, qui lait partie de ma maison el
qui est la fille de mon dernier médecin, et qui a épousé
un nommé Borstcl, a failli po: dr(! hier son mari par un
accident bien cxtraordinaiie. 11 passait hier dans la rue
Saint-Antoine, conduit [)ar un cocher de fiacre, et vous
savez que ces gens-là sont tort insolents. Un embarras
empêche le cocher d'avancer, lîorstel lui crie de con-
tinuer son chemin , le cocher lui répond avec gros-
sièreté; Uorstoi se facile et veut le frapper; le cocher
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRI.ÉANS. 277
appelle à lui le peuple et crie : « Au secours ! au se-
cours ! voilà Law qui veut me tuer. » Le peuple s'as-
semble, s'arme do pierres et de bâtons, et tombe sur
Borslcl; il se réfugie dans une église; on le poursuit
jusqu'au pied de l'autel; heureusement qu'il trouve
devant lui une petite porte par laquelle il réussit
à se sauver; autrement il aurait été lapidé ou as-
sommé.
J'ai appris que ce Rousseau, dont je vous ai parlé,
et qui m'avait entendu chanter des psaumes dans
l'Orangerie, est mort en Hollande; cela m'a fait de la
peine. Je ne crois pas que Law ait été assez méchant
pour tout perdre de dessein prémédité, mais il n'en a
pas moins tout plongé dans une bien fâcheuse situa-
tion; il n'avait pas pu prévoir que tous les Français,
y compris les princes de la famille royale, fussent aussi
intéressés qu'ils le sont; mais parlons d'autre chose.
J'avais autrefois pour page un jeune gentilhomme du
nom de Neuhofl", qui s'était toujours bien conduit à
mon senice; je l'avais recommandé à l'électeur de
Bavière , qui lui avait donné le grade de capitaine et
une bonne compagnie, mais , en Bavière, il s'est livré
au jeu et il est devenu un fripon ; il avait emprunté de
l'argent, et pour ne pas le rendre, il dit à un chevalier
de Malle : « J'ai un oncle et une tante au service de
Madame; mon oncle est M. de Wendt, et ma tante
M"'" de llatzenhaussen ; je vous donnerai des lettres
pour eux, et ils s'empresseront de vous payer ce que
je vous dois. » 11 lui remet en elTet un paquet cacheté;
quand le chevalier arrive ici et qu'il parle à M. de
Wendt et à M'^'^ de Ratzenhaussen de leur neveu
II. 24
278 CORRESPONDANCE
Neuhoff, ils lui répondent qu'ils le connaissent bien ,
qu'il a été page de Madame, mais qu'il n'est nullement
leur parent. On ouvre le paquet; il n'y avait que du
papier blanc; le pauvre chevalier comprit bien qu'il
avait été volé. On s'adresse à moi, je réponds que ce
drôle n'est plus à mon service, et qu'on peut en faire
ce qu'on voudra, que cela m'est bien égal. Il revint
ensuite à Paris, et comme son beau -frère voulait le
tancer, il essaya de l'assassiner; instruit qu'on le
cherchait pour l'arrêter, il se sauva et passa en Angle-
terre. Il était joli garçon, insinuant et spirituel, il
trouva une femme qui devint éprise de lui et qui l'é-
pousa. Aussitôt qu'ils furent mariés, il lui prit tout,
et il revint à Paris; mais se souciant peu de la re-
trouver, il passa en Espagne, où il épousa une autre
femme. Je ne sais pas si déjà il ne s'était point marié
en Bavière; en tout cas, c'est bien assez d'être bigame;
d'Espagne il a l'audace de m'écrire une grande lettre ,
où il me demande de le reprendre à mon service; il
revient encore à Paris, et s'adresse derechef à moi; je
lui fais dire que je ne veux pas le voir et que je lui dé-
fends de se présenter devant moi de toute sa vie. Je
le rencontrai une fois dans une voiture, lorsque j'allais
aux Carmélites ; je dis : « Voilà cet honnête garçon de
Neuholl ; » il baissa les yeux et devint pâle comme un
linge. 11 finit par s'efibrccr de rentrer en grâce auprès
de sa famille; il demande pardon, il promet de s'a-
mender, et, durant quelques mois, il mène en effet une
conduite tellement régulière qu'on le croyait corrigé
et qu'on avait de la conliauce en lui; voi(à qu'un jour
il dit (pTil a reçu d'Espagne des lettres qui lui annon-
DE MADAME LA DLCFIESSE d'ORLÉANS. 279
cent que sa femme vient à Paris, et il prétexte la con-
venance d'aller au devant d'elle ; il part dans la nuit,
et le matin on découvre qu'il a tout enlevé à sa sœur
et à son beau-père; il leur a pris deux cent mille
livres. Personne ne sait de quel côté il a passé. Sa
vSœur, M"» de Trévoux, est désespérée; il ne lui a abso-
lument rien laissé. N'est-ce pas une belle histoiie?
25 octobre 1720.
Je crois que la vieille guenipe n'a pas voulu pro-
curer un tabouret à M"* Dangeau ' , parce qu'elle était
Allemande et de bonne naissance; elle s'est fait un
plaisir de l'opprimer. Elle avait aussi fait venir une
fois deux filles de Strasbourg, et les faisait passer pour
des comtesses palatines; elle les avait placées comme
suivantes chez ses nièces. Je n'en savais pas un mot;
AW la Dauphine s'en plaignit à moi en pleurant. Je
lui dis : « Que Votre Altesse me laisse faire ; j'arran-
gerai la chose promplement; car lorsque j'ai raison,
je me moque de la vieille sorcière. » Ayant vu un jour
' Sophie de Lowestein, nièce du cardinal de Furstemberg.
L'abbé de Choisy dit d'elle dans ses Mémoires : « Elle étoit belle
« comme les anges, une taille fine, les yeux brillants, le teint
« admirable, les chevei.x du plus beau blond du monde, un
« air engageant, modeste et spirituel ; elle avoit une fort bonne
o conduite dans une place fort glissante » ( 1728, t. II, p. 3).
Elle fut sur son contrat de mariage nommée Sophie de Bavière,
ce qui mil la Dauphine fort en colère, et il fallut effacer ce
nom. Nous lisons dans les Lettres de la comtesse de Rivière,
t. I, p. 140, que Mme ^q Dangeau était « belle conmie Vénus, la
taille fine, les yeux vifs, un teint éclatant, les cheveux d'un
beau blond, un air doux, un regard modeste et une conversa-
tion spii'iluelle. »
280 CORRESPONDANCE
par mes croisées la nièce de la vieille se promener avec
les filles allemandes, je descendis au jardin et je fis en
sorte de les rencontrer. J'appelai Tune des filles, et
lui demandai qui elle était. Elle me dit en face qu'elle
était une comtesse palatine de Lutzelslein. « Allons
donc ! — Non, répondit-elle ; je ne suis point bâtarde ;
le jeune comte palatin a épousé ma mère, qui est de
la maison de Gehlcn. » Je dis : « En ce cas, vous ne
pouvez être comtesse palatine; car chez nous autres,
comtes palatins , les mésalliances ne sont d'aucune
valeur; je dirai encore plus : tu mens en disant que
le comte palatin a épousé ta mère; c'est une archi-
p....n avec laquelle le comte palatin peut bien avoir
couché comme tant d'autres; je sais qui est son véri-
table mari, c'est un liaut-bois (et c'est la vérité). Si
à l'avenir tu te fais passer pour une comtesse palatine,
je te ferai couper les jupes sur le derrière ; que je n'en-
tende plus parler de cela de ma vie ; mais si tu suis
mon conseil et que tu reprennes ton véritable nom, je
ne te reprocherai jamais ta naissance; ainsi, vois ce
que tu as à faire. » La fille prit cela si vivement à cœur
qu'elle en mourut quelques jours après. On envoya la
seconde en pension <à Paris; elle est devenue aussi
grande p....n que sa mère, mais elle a changé de
nom; aussi je l'ai laissée courir. J'allai trouver notre
Dauphine et lui racontai ce qui s'était passé; elle me
dit qu'elle en était bien aise, et que de sa vie elle
n'aurait pas eu le cœur «l'agir ainsi. Elle crut que le
roi me gronderait, mais il ne m'en dit pas un mot;
seulement, en i)laisaiitanl, il me disait quelquefois :
« Il ne fait pas bon se jouer à vous sur le chapitre de
DE jMadamk la duchesse d'orléans. 281
votre maison ; la vie en dépend. » Je dis : « Je n'aime
pas les menterics. »
Paris, 26 octobre 1720.
Je veux vous envoyer un couplet assez drôle , que
l'on a fait sur un homme que je n'estime guère , sur
Dubois, l'ancien précepteur de mon fils, qui a été
nommé archevêque de l'endroit où la paix s'est con-
clue; il inspire à tout le monde les mêmes sentiments
qu'à moi , et personne ne l'aime davantage ; cela se
chante, je crois, sur l'air de Joconde :
Je ne trouve pas étonnant ' ...
On a fait aussi ces vers •
Je suis du bois dont ou fait les cuistres,
Et cuistre je fus autrefois,
Mais, à présent, je suis du bois
Dont on fait les ministres.
* Ce couplet a déjà été inséré dans une lettre de Madame à
un autre de ses correspondants (page 2C9 ).
On ferait sans peine un recueil assez volumineux des pièces
de vers lancées contre Dubois; en voici quelques échantillons.
Un noël de l'époque oll're lo couplet suivant:
Revenant d'Angleterre,
L'anibassaileur Duljois,
En mettant pied à terre,
Aperçut les trois rois :
Faisons vite un traité, dit-il, avec ces princes;
t OlTrons des millions, don, don;
I S'ils ne suffisent pas, la, la,
* Lâchons quelques provinces.
(
Pour avilir l'éclat de la pourpre romaine,
Et lui faire porter l'opprobre de la croix.
Le Saiut-Père n'a vu de route plus certaine
Que de l'enchâsser dans du bois.
Voir aussi dans le recueil connu sous le nom de Mémoires
de la cfl/o/^c (édition de 1732, t. ÎI, p. 170), la Milamor-
24.
282 COr.RESPONDANCE
30 octobre 1720.
Je n'aurais pas reconnu le prince Eugène dans le
portrait qu'on en a gravé, car il avait un nez court et
plat, et dans l'estampe on lui a fait un grand nez
pointu. Je le connais bien, je l'ai souvent tapé lorsqu'il
était enfant; on voulait qu'il entrât dans l'Église; il
était vêtu en abbé; je lui ai toujours dit qu'il ne por-
terait pas constamment ce costume ; les jeunes gens
l'appelaient M^^e Simoni ou M'"^ Putana, à cause du
rôle qu'on prétend qu'il jouait souvent dans des par-
ties de débauche. J'ai connu toute sa famille, père,
mère, sœur, oncle et tantes.
Je ris en pensant que M. de Lutzenberger est au-
jourd'hui comte; il a été page de feu le prince de
Conti;on a trouvé ici fort drôle qu'on l'ait donné pour
gouverneur à l'électeur de Saxe, mais les Allemands
trouvent aujourd'hui parfait tout ce qui arrive de
France. 11 a de la capacité , mais ses mœurs ne
conviennent pas du tout au gouverneur d'un jeime
prince.
2)hosc du C. du B. Madame manifesta constammrnt un cloigne-
mont iiroiioncé pour Dubois; nous lisouo dans SainlSiuion :
« Wailame, ravie de joie, embrassa le régent [lorsqu'il fut
nommé), et lui dit qu'elle ne lui demanderoit jamais qu'une
seule chose, mais qu'elle lui den)andoit sa parole précise, c'é-
loil de n'employer jamais en rien du tout l'abbé Dubois, qui
cloit le plus grand coquiri et le plus insigne l'ripon qu'il y eut
au monde » (t. XXV, p. 51 ).
Les derniers restes de la collégiale de Saint-Honoré, où avait
été inhumé Dubois, ont été détruits récemment; on assure que le
raxenii sé|iiiliT!il du (•■■irdiiial élait converli en fosse d'aisance
[Dulti'loi des sociclcs suvuiilcs, 18i)i,l. 1, p. 2VJ).
DE MADAME LA DUCHESSE D'ORLÉANS. 283
Paris, 9 novembre 1720.
Le Mississipi cause à Paris autant de malheurs que
la mer du Sud en Angleterre. La semaine dernière,
un homme s'est jeté par la croisée et s'est cassé le cou.
Je ne voudrais pas être dans la peau de M. Law; il a
trop à répondre devant Dieu pour avoir amené tant
de calamités. Si les Français se mettent dans la tète
d'imiter les Anglais et de se détruire, il en mourra
autant par là que de la peste, car tout est mode dans
ce pays.
Le baron Gorz m'a écrit, il y a quelques semaines,
que les rois d'Angleterre et de Prusse avaient pris les
résolutions les plus favorables pour les pauvres habi-
tants du Palatinat, mais je ne crois pas qu'il en soit
encore rien résulté. Un souverain ne doit pas haïr ses
sujets, mais les aimer comme un père, ou bien il en
répond devant Dieu.
J'ai vu une prophétie qui est venue de Gênes, et qui
dit que, dans l'an 1727, le monde sora entièrement
détruit et calciné, au point d'être changé en un globe
de verre. Cela m'a fait rire.
Je ne sais pas si je vous ai envoyé une chanson
faite sur l'archevêque de Cambrai', mais Ce que je
' Les chansonniers avaient en effet beau jeu lorsqu'il s'agis-
sait de lancer leurs traits contre Dubois ; sa promotion au car-
dinalat fut le signal d'une foule de satires restées, et pour cause,
dans les recueils manuscrits ; nous citerons seulement quelques
vers :
Que chacun se réjouisse ;
Admirons Sa Saiulelé,
Qui U-ansforme en ocrevisse
Un -vilain crapaud crotté,
1.
284 CORRESPOXDAXCE
peux VOUS affirmer en parfaite assurance, c'est que je
ne connais pas de plus grand coquin et d'homme plus
faux; il n'a pas son pareil en France. Ce qui me dé-
sole, cest que mon fils, qui le connaît aussi bien que
moi, n'écoule et ne croit que ce petit diable.
12 novembre 1720.
La princesse [de 31orIène) va toute la journée d'une
chambre à l'autre, et s'écrie tout haut : « Ah ! que je
m'ennuie! ah ! que je m'ennuie ici' ! » Elle estcepen-
Après un si beau miracle,
Son infaillibilité
Ne trouvera plus d'obstacle
Dans une autre faculté.
Admirons Sou Eminence ;
Son esprit, sa sainteté.
Sont aussi connus en France
Que sa grande qualité ;
On sait d'ailleurs les services
Qu'il a rendus au Régent ;
Aussi, pour le même office,
Fillon au chapeau prétend.
On sait que la Fillon était une entremetîeu«e de l'cpoquc.
Dans une chronique satirique à la suite des Aventures de Pom-
ponnes, 17 24, on lit : « Comme quoi le pontife de Cainljray ne
« disoit messe et juroit comme un payen. » On peut consulter,
mais non sans méfiance, la Vie privée du cardinal Dubois (ré-
digée d'après des Mémoires contemporains, par A. Mongez),
178!), in-8. N'oublions par les Mémoires secrets et Correspon-
dance inédile du cardinal Dubois, publiés par Scvelingcs, 1815,
2 vol. in-8, ouvraj^e qu'il ne faut pas confondre avec dos mé-
moires apocryphes qui n'ont point de valeur historique.
* La vie de la cour de Modènc est une vie de communauté;
on s'y lève de grand malin, on va à la messe, on dîne de bonne
heure, on fait un lour de promenade, on soupe à huit heures,
et .'i dix on est couché ( iVcmo/rfs de Pocllnitz, 17 47, t. 1,
p. Vdo).
DE MADAME LA DUCHESSE d'oULÉANS. 285
dant un peu mieux avec son mari qu'au commence-
ment.
A M. DE HARLING.
14 novembre 1720.
La reine-mère avait fait faire pour elle un apparte-
ment au-dessus de la galerie de Fontainebleau; ses
femmes de chambre étaient forcées de passer la nuit
dans cette longue galerie; elles disent qu'elles ont vu
le roi François se promener couvert d'une robe de
chambre verte et à Heurs , mais il ne m'a jamais fait
l'honneur de se montrer à moi ; il faut que je ne sois
pas en faveur auprès des esprits. J'ai dormi dix ans
dans la chambre où feue Madame est morte, et je n'ai
jamais rien pu voir. La première fois que M. le Dau-
phin y dormit, sa tante, feue Madame, lui apparut; c'est
lui-même qui me l'a raconté. 11 lui vint un besoin tan-
dis qu'il était couché : il se leva, se mit sur sa chaise
percée qui était auprès de son lit, et commença, sauf
respect, à satisfaire son envie. Comme il était en pleine
opération , il entendit ouvrir la porte qui menait au
salon; le même soir un grand bal avait été donné dans
ce salon. 11 vit arriver une dame bien parée, ayant un
vêtement bleu, une belle jupe jaune, et sur la tête
beaucoup de rubans jaunes; elle avait la tête tournée
vers la fenêtre. M. le Dauphin trouva que c'était la
jeune duchesse de Foix ; il se mit à rire, et pensa en
lui-même combien cette dame serait effrayée lors-
qu'elle le verrait assis en chemise; il commença ainsi
à tousser, alni de lui faire tourner la tête et les yeux
de ce côté, ce que fit cette dame; mais au lieu de la
286 CORRESPONDANCE
duchesse de Foix, ce fut feue Madame qu'il vit devant
lui, telle qu'il l'avait vue la dernière fois : au lieu
d'effrayer la dame, ce fut lui qui fut tellement épou-
vanté, qu'il s'élança de toute sa force dans le lit où
dormait M™^ la Dauphine ; ce brusque mouvement la
réveilla, et elle dit : « Qu'avez-vous donc, monsieur,
de sauter ainsi?» Il répondit: «Dormez, je vous le
dirai demain. » M. le Dauphin a soutenu toute sa vie
que cette histoire était vraie. Ce que j'en ai cru, c'est
que M. le Dauphin, qui avait l'habitude de rester
longtemps sur la chaise percée, s'y est endormi, et
qu'il a vu en rêve seulement tout ce qu'il a raconté.
19 novembre 1720.
M"* La Fayette, qui a écrit la vie de feue Madame',
était son amie intime, mais elle était amie plus intime
encore de M. de Larochefoucauld , qui, jusqu'à sa
mort, est toujours reste auprès d'elle. On dit que ces
deux amis ont fait ensemble le roman de la Princesse
deClèves^.
^ Vifisioire de Henriette d'Angleterre, publiée en Hollande
en 1720, a été réimpriméo plusieurs fois, et toujours d'une fa-
çon très-incorrecte, jusqu'à l'édition très-soignée que M. Bazin a
juise au jour en 1862 (l'aris, Tecliener, in-IG); consulter un ar-
licle de iVI. deSacy dans IcJiuUclïn du UiOliophile,(é\ïm 1863,
et un autre de M. L. EnauU dans VAthcnxum, tC avril 1863.
« Ce livre est digne de celle qui l'a écrit et de celle qui en est
riiéroïne. »
A l'égard de M'^e de La Fayette, on lira avec plaisir les
pages intéressantes de M. Sainte-Beuve, Portraits de J'ciumes,
1S4'i, p. 221-268, et la notice érudite de Petilot (ro//('c//o«
de M(^moires relatifs à l'Histoire de France, drnxiènio série,
t. LXIV ).
* L'édiiiou originale de ce joli roman est de 1G78; un cxem-
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉâNS. 2S7
20 noïtnilire 1*20.
La princesse de Siegen doit être plus agréable que
son mari, qui est un bien ennuyeux personnage; je ne
l'ai point, grâce à Dieu, vu depuis longtemps. 11 vint
une fois me trouver, et me dit que je devais le secon-
der et l'appuyer de mon mieux; je lui demandai pour-
quoi; il me dit que c'était parce qu'il était catholique,
et qu'il devait ainsi avoir plus d'avantage que tous les
autres princes et comtes de la maison de Nassau, qui
étaient huguenots. Je me mis à rire, et je lui dis que
sa religion était son affaire et non la mienne; que j'a-
vais toute ma vie eu la plus grande estime pour la
maison de Nassau ; que j'avais appris qu'il fallait aimer
mon prochain, et non le haïr ou lui faire tort, sous
prétexte de religion ; qu'il ne pouvait donc pas s'a-
dresser plus mal qu'à moi, s'il me supposait capai le do
me laisser entraîner par quelipie considération de
parti, et que j'estimerais également tous les Nassau,
quelle que fût leur religion, s'ils étaient dignes d'es-
time. Il devint rouge connue le leu, et s'en alla tout
honteux.
23 novembre 1*20.
Ma tante, notre chère éleclrice (d'Hanovre), étant
à La Haye, n'alla pas chez la princesse royale', mais
plaire s'est payé quatre-vingt-douze francs en 1853 à la vente
Debure. Le livre avait été ébauclié dès 1672, comme le montre
une lettre de Mme de Sévlgné ; durant l'iiiver de 167 7 à le'îS,
Mme de La Fayette l'acheva, aidée du goût de La Rocliefou-
cauld.
* Élisabeth-Stuart , fille de Jacques I", roi d'Angleterre,
veuve de Frédéric V, duc de Bavière, comte palatin du Htiin,
288 CORRESPONDANCE
la reine de Bohême ' y alla , et me prit avec elle.
Avant que je partisse, ma tante me dit :« Lisette ,
prenez garde de ne pas faire comme à votre ordinaire,
et ne vous égarez pas de manière qu'on ne puisse
vous retrouver; suivez la reine pas à pas, afin qu'elle
n'ait pas besoin de vous attendre.» Je dis : «Oli, ma
tante apprendra que je me serai comportée bien gen-
timent. » J'arrivai chez la princesse royale, que je ne
connaissais pas, et j'y trouvai son fils, avec lequel
j'avais souvent joué; après avoir regarde longtemps
sa mère sans savoir qui c'était, je me retournai pour
voir s'il n'y avait personne qui pût me dire qui était
cette dame. Ne voyant que le prince d'Orange, j'allai à
lui, et lui dis : « Dites-moi, je vous prie, qui est cette
femme qui a un si furieux nez?» Il se mit à rire, et
répondit : « C'est la princesse royale, ma mère. » Je
fus toute épouvantée et restai stupéfaite. Pour me re-
mettre, M"^ Hcyde me conduisit avec le prince dans
la chambre à coucher de la princesse, où nous jouâmes
encore à toutes sortes de jeux. J'avais demandé que
l'on m'appelât quand la reine voudrait partir : nous
nous roulions sur un tajiis deTurquit; quand on m'ap-
pela; je ne fis qu'un saut et courus dans la salle,
mais la reine était déjà dans l'antichambre. Je ne m'in-
timide pas et je tire la princesse royale par la robe,
lui fais une jolie révérence, me place devant elle, et
roi (le Dolième jusqu'en 1G21, mère de l'électrice de Hanovre.
' Marie-Henriette Stuart, fille de Ctiarlesl*", roi d'Angle-
terre; iniiriéc en lGôO,!iGuilIainiie de Nassau, prince d'Orange ;
elle devint veuve en 1G50, cl dcim'ura enceinte do CJiiillaiime-
llenri de iSassau, prince d'Oranf^c, depuis roi d'AiiBlcterre par
l'ellVt de la révolution de IG88.
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 289
suis la reine pas à pas jusqu'au carrosse; tout le
monde riait, je ne savais pas pour(iuoi. Lorsque nous
fûmes de retoin", la reine alla trouver ma tante, s'as-
sit sur son lit, se mit à rire aux éclats, et dit : « Lisette
a fait un beau voyage ! » et lui raconta tout ce que j'a-
vais fait ; notre chère électrice rit alors encore plus
que la reine. ¥A\e m'appela et me dit : « Lisette, vous
avez bien fait; vous nous avez vengées de cette fière
princesse. »
26 novembre 1720.
Si la vieille gueuse n'avait pas été si affreusement
déchaînée contre moi, elle aurait pu me nuire davan-
tage auprès du roi , mais elle y allait avec trop de
violence; c'est ce qui faisait voir au roi que ce n'était
que de la haine toute pure ; et cela ne pouvait pro-
duire aucun effet. Il y avait trois motifs pour lesquels
cette femme me haïssait si honiblement : le premier,
c'est que le roi me traitait favorablement; j'avais déjà
plus de vingt-cinq ans quand elle entra en faveur ;
elle prévit qu'au lieu de me laisser gouverner par elle,
je ferais à ma tête, et, puisque le roi avait de la bonté
pour moi, que je le désabuserais et l'avertirais de ne
pas se laisser conduire aussi aveuglément par celte
méchante bête. Le second motif, c'est qu'elle savait
bien que je désapprouverais son mariage avec le roi ;
elle s'imaginait que cela serait un obstacle à ce qu'elle
fût déclarée reine. Le troisième motif était que j'avais
toujours consolé la dauphine de Bavière, quand la
Maintenon l'avait jetée dans le désespoir. • La bonne
Dauphine ne savait rien faire contre la Maintenon,
11. 25
290 CORRESPONDANCE
qui possédait seule le cœur du roi, et était maîtresse
de toutes ses pensées et volontés. Cependant, malgré
la faveur dont elle jouissait, la vieille était peureuse ;
si la Dauphine eût eu le courage, comme je le lui con-
seillais, de menacer la Maintenon et de lui faire com-
prendre que sa vie antérieure était connue, et que,
dans le cas où elle ne vivrait pas mieux avec la Dau-
phine, on la démasquerait auprès du roi , mais que,
si elle se comportait mieux, on se tairait, et qu'on vi-
vrait en bonne intelligence, la Maintenon aurait tenu
une conduite bien différente. La méchante Bessola
n'a jamais permis cela, parce qu'alors elle n'aurait
plus eu rien à rapporter.
28 novembre 1720.
La duchesse de Hanovre ' restera au Luxembourg
jusqu'à ce qu'elle ait une maison à elle ; je voudrais
qu'elle en trouvât une où elle fût aussi bien et aussi
commodément. 11 ne faut pas s'étonner si cette du-
chesse aime la France, car elle y est née, y a été éle-
vée, et elle y a une sœur ; elle ne peut cependant ap-
peler Paris sa patrie, car sa mère était une Italienne,
une princesse de Manloue.
Paris, 30 novembre 1720.
La duchesse de Hanovre est si peu changée, dans
les vingt-sept ans qui viennent de se passer, qu'on a
le droit d'en être surpris. L'impératrice aurait voulu
* C'était une princesse palatine delà Lranclie de Simnicrn;
elle avait épousé Jean-Frédéric de Hanovre, frère du mari de
l'élcctrirc Soiihle, cette tante iini avait élevé M;iilanic.
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 291
qu'elle restât à Vienne ; mais je ne peux la blâmer de
n'y pas avoir consenti, car on dit qu'on voulait la
mettre dans un couvent, et les couvents ne font pas
l'affaire de tout le monde ; il me serait impossible d'y
exister. N'est-il pas plus naturel qu'on veuille vivre
dans sa patrie où l'on est né, où l'on a été élevé, et
où Ton a une sœur que l'on a toujours chérie plus qiie
toute autre chose ? Notre duchesse n'est pas assez folle
pour se laisser enfermer dans un couvent ; mais je n'ai
pas de peine à deviner quel a été le motif de ce bruit ;
il s'est répandu une rumeur qu'elle avait contracté un
mariage de conscience avec son secrétaire italien.
C'est pour contredire cette nouvelle qu'on prétendait
qu'elle voulait entrer dans un couvent; vous devez
connaître celui qu'on accuse d'être son mari, car elle
l'a eu longtemps à Hanovre auprès d'elle, et, si je ne
me trompe, il se nomme Marcelli.
3 décembre 1720.
Je ne me souciais nullement des favoris de Mon-
sieur; pourvu qu'ils vécussent avec moi d'une façon
respectueuse, je les traitais bien ; mais si l'un d'eux
s'avisait de se moquer de moi ou de me rendre de
mauvais services, alors je menais rudement ce drôle,
quel qu'il fût.
Bessola m'a souvent mise en colère ; elle m'impa-
tientait au point que je ne voulais plus lui dire un seul
mot de bonté, et j'aurais souvent exprimé ma façon
de penser, si je n'avais pas remarqué que cela tracas-
sait fort la pauvre Dauphine. Je l'ai donc ménagée, et
je disais à la Dauphine : « Je puis me taire, par corn
292 CORRESPONDANCE
plaisance pour Voire Altesse, mais faites que Bessola
ne m'échauffe pas la tête ; car je ne réponds pas alors
qu'il ne m'échappe quelque chose de désagréable pour
elle. » La Dauphine me remercia cordialement, ce qui
m'engagea encore plus à me taire.
A l'exception du comte de Toulouse, tous les en-
fants que M"'" de Montespan a eus du roi sont disgra-
ciés de la nature ; le duc du Maine est estropié ,
M"» d'Orléans contrefaite, et M™» la Duchesse boi-
teuse.
Montespan n'était pas quelque chose de bon ; il ne
faisait rien que jouer; il était fort intéressé; je crois
que si le roi avait voulu donner beaucoup , il se serait
apaisé. C'était une drôle de chose à voir, lorsque lui
et son fils d'Antin jouaient avec M™* d'Orléans et
M"^*' la Duchesse, et qu'il donnait très-respectueuse-
ment et avec des baisements de mains les cartes à ces
princesses, qui passaient pour ses enfants. 11 trouvait
lui-même cela plaisant; il se retournait et riait tou-
jours un peu.
La passion de Rebenac ' n'a fait aucun tort h feu
notre reine d'Espagne; elle ne faisait que s'en moquer
et ne se souciait nullement de lui. Celui qui l'a em-
jioisotmée est le comte de Mansf(;ld, au nez pointu.
Il gagna deux de ses femmes de chambre françaises,
' Franrris de Fcuquières, comte de Rebenac, ambassadeur
m Espagne. 11 existe au ministère des alTaircs étrangères d'assez
nombreux documents relatifs à sa mission en Espagne. Voir
aussi les t. IV et V ( Introduction) des Lcltrcs huditcs des Fcu-
qitihrs, Paris, Leleux, 1840. II mourut ;i Madrid en IG88.O11
rrniiirquc dans sa correspondance de l'habiloté, de la patience,
du dévouement, une étonnante activité.
DE MADAMR LA DUCHESSE D'ORLÉANS. 293
qui lui donnèrent du poison dans des huîtres crues,
et elles ne voulurent pas ensuite donner le contre-
poison qui était confié à leur garde ' .
G décembre 1720.
Lorsque le roi revenait d'un voyage, nous étions
obligés de nous trouver tous auprès de la voiture au
moment de son arrivée, afin de l'accompagner dans
son appartement.
Pari?, 14 décembre 1720.
C'est un triste compliment que celui d'avoir à rece-
voir le titre de bisaïeule ; j'ai été bisaïeule, car la du-
« M"ie de Sévigné écrivait le 21 février 1689 : « On a appris
la mort de la reine d'Espagne en deux jours par de grands vo-
missements; cela sent bien le fagot. >> Dangeau prétend que la
reine fut empoisonnée par une Iourte d'anguilles ; Mme je La
Fayette dit que ce fut dans une tasse de chocolat, et elle ajoute
que la reine avait ttilement peur d'une entreprise de ce genre,
qu'elle le mandait à son père par presque tous les courriers.
Saint-Simon affirme que le conseil de Vienne ne se fit pas scru-
pule de faire empoisonner la reine d'Espagne, et fit exécuter
ce crime par la comtesse de Soissons, sous la direction du comte
de Mansfeld(t. III, p. 95). Il répète la même assertion, t. IV,
p. 81, et il ajoute que ce fui par un moyen semblable que l'on
se défit du prince électoral de Bavière, héritier de Charles II.
En dépit d'accusations aussi formelles, rien n'est moins prouvé
que de pareils crimes. L'histoire du temps offre une foule d'in-
culpations pareilles que la postérité n'a point admises. On a pré-
tendu que Richelieu avait fait empoisonner le cardinal de Bé-
ruUe. La mort du duc de Vendôme a été attribuée au poison.
Nous avons déjà cité d'autres exemples. Quant aux contre-
poisons dont parle souvent Madame, et auxquels on ajoutait en-
core foi à celle époque, on sait bien qu'il n'en existe guère.
25.
294 CORRESPONDANCE
cliesse de Berri avait eu deux filles et un fils ; ils sont
tous morts extrêmement jeunes ; le premier avait le
titre de duc d'Alençon : c'était un bel enfant, mais il
ne vécut que trois jours ; je n'ai pas vu la seconde
fille, car elle mourut à Rambouillet , où sa mère était
accoucbée, et où elle était avec le roi. Si ce qu'on dit
de la princesse de Modène est vrai , elle ne sera pas
enceinte de sitôt ; on dit qu'elle ne veut pas coucher
avec son mari. Elle a une tête singulièrement opiniâ-
tre; elle ne suit aucun conseil, et n'agit que d'après
ses caprices.
17 décembre 1720.
M. Law est à une de ses terres, à six lieues de Pa-
ns. M. le Duc, voulant aller le voir, a pris la chaise
de poste de M'"'' de Prie et a fait revêtir à ses laquais
des capotes grises, autrement le peuple l'aurait mal
reçu.
18 décembre 1720.
J'ai reçu une autre lettre qui menace mon fils du
poison. Quand je lui ai montré cette belle épître, il
n'a fait qu'en rire, et il m'a dit que le poison persan
ne pouvait lui être administré, et que ce qu'on en di-
sait était un conte... Le parlement reviendra demain
à Paris, ce qui cause à la ville autant de joie que le
dcpai t de Law.
La mère de l'abbé de Saint-Albin était fort belle,
mais elle n'avait nul esprit; c'était une sotte ; lorsqu'on
la voyait , on aurait pensé, avec ses jolies mines, que
pcrbonne n'était plus lin qu'elle.
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 295
20 décembre 1720.
II y avait ici une troupe de comédiens italiens qui
voulaient jouer une comédie intitulée : La fausse luj-
pocrite. Lorsque j'appris ce qu'ils faisaient, je les lis
mander et je les avertis de ne pas jouer cette pièce;
cela ne servit à rien. Ils la jouèrent et gagnèrent ainsi
beaucoup d'argent, mais ils furent bientôt cbassés ; ils
revinrent vers moi, et ils voulaient que j'intercédasse
pour eux ; mais je dis : « Non ! pourquoi n'avez-vous
pas suivi mon conseil? » Ils avaient, disait-on, repré-
senté la vieille guenipe de la façon la plus drôle '. J'au-
rais bien voulu voir jouer cette comédie, mais je n'y
allai pas de peur que la vieille ne dit au roi que c'était
moi qui avais mis la chose en train , afin de lui faire
pièce.
24 décembre 1720.
M. Law est à Bruxelles ; M"'" de Prie lui a prêté sa
chaise de poste ; en la lui renvoyant, il lui a écrit pour
la remercier, et il lui a envoyé une bague de cent
mille livres. M. le Duc lui a donné des relais et l'a fait
accompagner de quatre de ses gens.
27 décembre 1720.
En prenant congé de mon fils, Law lui a dit :
1 « Tant qu'ils n'avoient fait que se déborder en ordures,
et quelquefois en impiétés, on n'avoil fait qu'en rire Celle
qui les avoit fait chasser n'y gagna pas par la licence avec la-
quelle ce ridicule événement donna lieu d'en parler x (Saint-
Siuion. t. 111, p. aCj.
296 CORRESPONDANCE
« Monseigneur, j'ai fait de grandes fautes ; je les ai
faites parce que je suis homme, mais vous ne trouve-
rez ni malice, ni friponnerie dans ma conduite. » Sa
femme ne veut pas quitter Paris que toutes ses dettes
ne soient payées ; il doit au rôtisseur seul dix mille li-
vres'.
Pari3, 28 décembre 1720.
On élève si mal les princesses dans ce pays, et sur-
tout dans la maison royale, que c'est une honte criante ;
ce serait toute autre chose si on en prenait soin ; car
vous voyez que mes fdles, pour lesquelles je n'ai rien
négligé, sont tout ce qu'il est possible d'imaginer de
convenable. On ne peut mieux vivre avec leurs maris
que ne le font la reine de Sardaigne et la duchesse de
Lorraine ; mais quand on laisse les enfants agir com-
plètement à leur guise depuis sept jusqu'à vingt ans,
et qu'on ne leur fait jamais aucune observation, il ne
peut rien en résulter que de très-fàcheux. Pour moi ,
j'ai rempli mon rôle ; je ne veux plus me tracasser au
sujet de mes petits-enfants ; qu'ils fassent ce qu'ils
voudront. Le mariage de mon iils s'est fait contre ma
volonté, je serais bien folle, si j'allais m'affliger de
tout ce qui s'en est suivi ; je veux, tout le reste de ma
vie, vivre en paix et poliment avec tous ces gens, mais
ne pas me mêler de ce qu'ils font.
Je ne conçois pas pourquoi votre cousin, M. de De-
' Law se relira à Venise, et il y mourut en 1729, dans un
^tal asspz voisin do l'indigcnre. D'après quelques mémoires du
temps, il n'était pas marié avec l'Anglaise qui passait pour sa
fcomic.
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 297
genfelt, ne reste pas avec le roi de Suède, auprès du-
quel il est si fort en faveur; il faut que les Suédois ne
veuillent souffrir aucun étranger. J'avoue que je
n'aime pas que les cadets des maisons princières se
marient ; cela fait des maisons divisées à l'infini, et des
princes très-misérables. Le landgrave a bien fait de
racheter ce prince indien et cette princesse dont vous
me pariez, et de les renvoyer dans leur pays ; mais il
faut que vous sachiez que, parmi ces sauvages de l'A-
mérique , il n'y a ni princes ni nobles ; tous sont
égaux ; ils reconnaissent seulement des chefs qui les
mènent à la guerre, et auxquels ils cessent d'obéir
aussitôt que la guerre est finie. Je connais parfaite-
ment tout ce qui regarde les sauvages, car j'ai une
femme de chambre qui avait épousé un Français dont
les biens étaient au Canada, et qui y a passé de longues
années; elle m'a mis entièrement au fait de toutes les
coutumes des gens de ce pays, et aucun capitaine de
navire n'aurait quelque chose à m'apprendre.
Voici d'autres vers qu'on avait faits contre M. Law :
Aussitôt que Law arriva
Dans notre grande ville,
Monsieur le Rcgent publia
Qu'il serait fort utile.
Pour rétabJir la nation,
La faridondaine, la faridondon
Mais, hclas '. il nous enrichit,
Biribi,
A la façon de Barbari,
Mon ami.
Jamais de si barbares lois
N'ont gouverné les hommes;
Qu'il est fàchcut d'être François
Dans le temps où nous sommes;
Tout est confusion,
298 CORRESPONDANCE
La faridondaine, la faridondon
Chaque jour un nouvel édit,
Biribi... '
Law, ce fils aîné de Satan,
Nous met tous à rauraône ;
Il r.ous a pris tout notre argent,
nt n'en rend à personne ;
Mais le Régent, humain et bon,
La faridondaine, la faridondon
Nous rendr:! ce qu'on nous a pris,
Biribi,
A la façon de Barbari,
Mon ami.
Paris, 1" février 1721.
Je m'affaiblis beaucoup et je puis à peine tenir ma
plume, mais qu'y faire? Il faut se remettre clans les
mains de Dieu et s'en rapporter à sa volonté. Je crois
que je finirai pas me dessécher tout comme la tortue
que j'avais à Heidelherg dans ma chambre; tant que
je vivrai, soyez sûre, chère Louise, que je vous chéri-
rai de cœur.
Hier, le prince Charles de Hesse-Philipsthal m'a été
présenté : il a fort bonne mine, une jolie figure et il
s'exprime d'une manière fort raisonnable. Il désirerait
certainement entrer au service de la France ; je lui ai
conseillé de commencer par bien examiner les choses,
et je crois que, lorsqu'il aura vu combien les étrangers
sont peu goûtés ici, cette envie lui passera. Croire
qu'un homme de mérite doit réussir est une grande
erreur; ceux qui ont du mérite sont sûrs d'être l'objet
de la jalousie et de la persécution : je ne peux donc
rien attendre à cet égard que des désagréments, mais
c'est mon pain quotidien. On ne parle ici que do l'in-
famie du duc de la Force, et comme quoi il s'est fait
DE MADAME LA DTJriIESSR d'oRLÉANS. 299
marchand : c'est aujourd'hui que son afïaire sera ju-
gée au parlement, et l'on croit que mal lui en viendra ;
il l'a bien mérité ; on fait contre lui une foule de
chansons. Son frère lui a joué un vilain tour ; il lui a
compté sa légitime en billets de banque, sachant l)ien
que ces billets ne valaient rien. C'est une chose atîreuse
de voir combien les gens de la plus haute qualité sont
âpres et résolus de s'enrichir n'importe par quels
moyens '.
Mon fils m'a montré une lettre que M™^ du Maine
avait écrite au cardinal de Polignac, et qui fut saisie
dans ses papiers. C'est à coup sûr une personne bien ver-
tueuse et bien estimable. Dans une de ces belles lettres
il y a ceci : « Nous allons demain à la campagne ; je
rangerai les appartements de façon que votre chambre
sera près de la mienne; tâchez de faire aussi bien que
la dernière fois, et nous nous en donnerons à cœur
joie. »
Paris, 20 février 1721.
Jai reçu avant-hier une grande visite. On m'a
amené le jeune roi; il y avait parmi les personnes de
sa suite le grand-écuyer, le prince Charles de Lorraine,
et le capitaine des gardes, le duc de Noailles, qui n'a-
vaient pas l'air de se regarder de bon œil ; je n'en sa-
vais pas la raison, que j'ai apprise hier; le prince
Charles avait épousé, il y a deux ans, la fille du duc ;
* Sainl-Simon raconte (t. XX, p. 407) que l'hôtel d'un am-
bassadeur fran(;ais ayant été brù!é, presque tout le monde crut
qu'il avait été l'incendiaire, pour gagner ce qu'il en tirerait du
roi, et pour couvrir une contrebande monslrueusc.
300 CORRESPONDANCE
elle n'était encore qn'unc enfant et avait à peine douze
ans ; on l'a empêchée, pendant un an entier, de cou-
cher avec son mari; mais , depuis un an, ils étaient
ensemble : c'est une personne très-vertueuse, fort at-
tachée à son mari, ce qui n'est pas étonnant, car c'est
un très-bel homme ; mais ce qui est surprenant, c'est
qu'elle n'est point devenue coquette, comme le sont
toutes les jeunes femmes, et qu'elle a toujours mené
une conduite parfaite, quoiqu'elle vît bien que son
mari n'avait aucune inclination pour elle, bien qu'elle
fût jolie et bien élevée. Avant-hier, au matin, le prince
Charles va la trouver et lui dit : « Madame, il faut
nous séparer, je ne me trouve pas assez de bien pour
vous entretenir. » La pauvre petite femme, tout ef-
frayée, lui répondit : « Vous ai-je déplu dans ma con-
duite? dites-moi ce que c'est et je m'en corrigerai;
quant au bien , mettez -moi dans une chambre, ne me
donnez que du pain et de l'eau , et que je puisse vous
voir, je serai contente. » Il répliqua : « Je suis très-
content de votre conduite ; je n'ai pas la moindre
plainte à faire contre vous; mais, en un mot comme
en mille, vous êtes mon aversion , je ne puis vous
souflrir, je veux ainsi (jue vous retourniez chez votre
père. » Klle se mit à i)leurer amèrement, sur quoi il
dit : « A quoi bon ces i)leiu'S !* ils ne m'allcndriront
pas; allez- vous-en. » Klle réijondit : « l*uis(}ue je suis
si mal avec vous, il n'est pas juste que j'aille dans la
maison de mon père ; il faut me cacher à jamais. »
Klle fit venir tous ses domestiques , les paya tous , ils
fondaient en larmes ; elle monta en voiture et se fit
conduire au couvent des Filles de Sainte-Marie où elle
DE MADAME LA DUCHESSE D'oRLÉANS, 301
a une tante. Tout le monde la plaint ; je n'ai pu en-
tendre celte histoire sans pleurer; personne ne sait ce
qui a pu déterminer le prince à agir ainsi ; il parais-
sait fort convenable avant son mariage, mais il avait
été fort épris d'une dame qui est à présent devenue
veuve ; quelques personnes pensent que c'est le motif
de ses procédés ' .
Dans sa jeunesse, le roi {Louis XI V) avait joué la co-
médie du Visionnaire ■; il la savait fort bien, et il la
jouait mieuxqueles comédiens. Il ne connaissait aucune
note de musique, mais il avait l'oreille juste et il jouait
de la guitare mieux qu'un maître, arrangeant sur cet
instrument tout ce qu'il voulait.
Paris, 22 février 1721.
Le duc de la Force a eu hier un grand affront ; il
voulait prendre au parlement la place de duc et pair ;
le premier président l'en a empêché, lui a dit qu'il ne
souffrirait pas qu'il s'assit, et a dit à un huissier:
« Huissier, faites sortir la Force ! » Lorsqu'il est remonté
en voiture, le peuple l'a poursuivi de huées en criant :
^ Nous lisons dans le Journal de Marais : « Tout le monde
cherche la raison de la Lrouillerie du prince Charles ; on devine
quelque galanterie avec le chevalier de Lorraine ou le duc de
Richelieu. »
* Les Visionnaires, comédie en cinq actes el en vers, par
Jean Desmarest; Paris, 1G47 ; in-4°. Celte pièce singulière obtint
beaucoup de succès ; le cardinal de Richelieu lui accorda une
protection déclarée; on dit môme qu'il y avait travaillé. Oa
tronve une analyse assez détaillée de cette comédie dans la Bi-
bliothèquc du Théâtre-Français, 1768, 1. 11, p. 574-581. Elle
a été reproduite dans le tome II du Recueil des pièces choisies,
La Haye, 1714.
u. 26
302 CORRESPONDANCE
Il a chic au lit. On dit qu'il doit être dégradé do son
duché. C'est un juste châtiment que Dieu lui inflige,
car il a préféré Mammon à son Dieu, il a laissé pres-
que mourir de faim sa pauvre mère, et il a horrible-
ment persécuté les pauvres réformés, ce qui lui fit ob-
tenir une pension, grâce à l'appui du père La Chaise et
de la Maintenon ' .
Pari?, 27 février 1721.
Les gens de qualité sont en ce temps beaucoup plus
corrompus que les gens du commun ; chez ceux-ci, il
n'y a que galanterie ou passion vive mais sincère; mais
chez les autres, c'est pure débauche, et il n'y a plus
de honte nulle part; les femmes s'expriment d'une fa-
çon encore plus dévergondée que les hommes ^
l^e 17 de ce mois, il y a eu une chose terrible à un
bal masqué. Six masques sont arrivés; deux portaient
des flambeaux et quatre un brancard sur lequel était
un homme masqué et couvert d'un domino ; ils l'ont
posé au milieu de la salle et se sont retirés ; ou a de-
mandé au masque qui était sur le brancard s'il vou-
lait danser, mais il n'a pas répondu ; on lui a ôté le
* On trouve, dans les écrits du temps, que le duc de la Force
avait loué plusieurs charnières dans le couvent des Augustins
pour y déposer des marcliandiscs, et qu'on y trouva, entre au-
tres objets, quarante caisses de thé, beaucoup de myroboians,
une cai^se de sucre candi et plus de cinquante mille pièces de
porcelaine du Japon.
* Marais confirme dans son Journal les assertions de Ma-
dame sur la corruption du temps : « On sait peu de nouvelles
de Versailles, sinon qu'on y joue un jeu affreux, qu'on y fait
l'amour partout » (juillet 1722). « On vit en débauche ouverlo
à Versailles n (idcuij.
DE MADAME LA DL'CHESSE d'ORLÉANS. 303
masque de dessus la figure, et on a trouvé que c'était
un cadavre.
Paris, 1" niais 1721.
11 faut espérer qu'avec ce beau temps tous les mala-
des se trouveront guéris ; c'est ce que je désire de tout
mon cœur pour vous et pour la princesse d'Ussingen.
Il ne faut pas s'étonner si celte princesse n'est pas
bien avec sa nièce ; elle serait encore plus mal si elle
savait de quelle façon en parlent les officiers français
qui ont été à Strasbourg ; elle y a mené une drôle de
vie et ne se vantait-elle pas d'être ma cousine ? Elle
aurait dû ne pas le dire ou changer de conduite. Elle
m'a une fois écrit ; mais je lui fis répondre par mon
secrétaire. Depuis j'ai reçu plusieurs lettres d'elle,
mais , comme dit le proverbe : « A sotte demande,
point de réponse. » Il n'y aurait que demi-mal si elle
n'était que sotte, mais elle est débauchée et intéressée,
et c'en est trop ; pourquoi veut-elle que je lui donne
de l'argent ? Je ne lui dois rien et je ne suis pas assez
riche pour faire des présents inutiles, à des princesses
surtout, lorsque j'ai lieu d'avoir honte qu'elles soient
mes parentes.
Quant à M"-^ d'Aligre, dont vous me parlez, j'en ai
entendu parler dans le temps; je crois qu'elle est
morte '.
' Mme d'Aligre, riche héritière d'un président de Toulouse.
C'était une dévote à triple carat et folle au centuple, que le
cardinal de Coislin Qt arrêter une fois proche d'Orléans, ivre de
la lecture des Pères du Désert, et allant seule, de pied, cher-
cher les déserts, tandis qu'on la cherchait à Paris, d'où elle
6'était échappée. Elle acheta, pendant une absence de son
304 COHRESPONDANCK
Paris, 6 mars 172 (.
M. de Louvois lisait toutes les lettres ', mais il avait
de bons traducteurs, et les lettres arrivaient toujours à
l'époque juste ; cela couvrait un peu l'insolence de
faire ouvrir mes lettres ; mais le Torcy n'y met pas
tant de soin; je crois qu"il veut dénaturer ce que je
dis, et faire des mensonges à cet égard, ainsi qu'il l'a
fait souvent auprès du feu roi; l'abbé Dubois l'imitait,
agissant ainsi de la façon qu'exprime le proverbe :
« Il est comme les petits cbiens qui font comme les
grands ; il pisse contre les murs parce qu'il les y voit
pisser » ; je ne m'en soucie pas le moins du monde; il
ne peut ouidir aucune intrigue auprès de mon fils
contre moi , quelle que soit sa mauvaise volonté, car
mon fds me connaît et l'abbé me connaît aussi : c'est
le plus mécbant et le plus avide personnage qu'on
puisse voir ; que Dieu veuille le punir aujourd'hui ou
demain comme il mérite -.
mari, assez sot pour lui avoir laissé sa procuration, pour cent
cinquante mille livres de tableaux de dévotion, tous plus tristes
les uns que les autres (Saint-Simon, Notes sur le Journal de
Dangeiu, 25 janvier 1708).
1 11 serait facile de citer de nombreux exemples de lettres
ouvertes à cette époque ; Saint-Simcm (t. IV, p. 2C9 ) parle entre
autres de la correspondance de M'"*^ de Nemours, où se trou-
vèrent des choses qui déplurent au roi et qui la fa*ent exiler;
il prenait lui-même ses précautions à cet égard : « J'écrivois en
chiffres au duc d'Orléans, mais par ses propres courriers quand
ils s'en retournoient, et par-ti par-l;\ quelques lettres de paille
et au clair pour amuser par la poste ou par les courriers de la
cour » (t. XI, p. lOli).
' Malgré l'éclat de ses vices, Dubois a trouvé des panégy-
ristes ; le chevalier de Piossens, dans ses Mémoires de la Rd-
ME MADAME LA DUCHKSSE u'ORLÉANS. 305
Paris, 8 mars 1721.
Mon fils \'it lies-bien avec moi, il me témoigne beau-
coup d'amitié et serait désolé de me perdre. Ses visites
me font meilleur eiïet rpic le quinquina ; elles me ré-
jouissent le cœur et ne me causent pas de souffrances
dans l'estomac ; il me dit toujours quelque chose de
drôle, qui me fait rire ; il a de l'esprit et s'exprime
avec beaucoup d'agrément ; je serais une mère déna-
turée si je ne l'aimais pas du fond du cœur; si vous le
connaissiez bien, vous verriez qu'il n'y a chez lui au-
cune ambition et aucune malice. Ah ! mon Dieu , il
n'est que trop bon, il pardonne tout ce qu'on fait con-
tre lui et ne fait qu'en rire; s'il montrait un peu plus
les dents à ses méchants parents, ceux-ci appren-
draient à le craindre et à ne pas entreprendre contre
lui leurs horribles machinations. On ne peut imaginer
tout ce qu'il y a de méchanceté et d'ambition dans le
troisième des princes du sang. Aussi longtemps que
M. le Duc a espéré tirer de l'argent de mon fils, il
l'accablait de protestations d'atlachemeiit et de dé-
vouement ; maintenant qu'il n'a plus rien à gagner
avec lui, il s'est mis entièrement contre lui, et il s'est
gence de S. A. R. le duc d'Orléans (La Haye, 17 29 ou 17 37,
3 vol.), est allé jusqu'à dire : « L'archevêque de Cambrai fut
« élevé au cardinalat avec des applaudissements qui lui firent
« autant d'honneur que les satires violentes qu'on répandit
« dans le public durent faire honte à ceux qui en cloient les
« auteurs. » Ces Mnnoiics importants à consuiler et renfer-
mant de nombreux documents olliciels, sont un éloge continuel
du Régent et de son administration. Lemontey parle d'un abbé
La Rivière, espion de Dubois, qui commençait toutes ses lettres
par demander à genoux, au cardinal, sa sainte bénédiction.
27*
306 CORRESPONDANCE
réuni à son ennemi le plus inhumain, son beau-frère,
le prince de Conti, ainsi qu'à son frère, le comte de
Charolais ' ; mais pour ce dernier, ce n'est pas une
chose étonnante, après le commerce infâme qu'il en-
tretient continuellement et sans aucune honte avec le
prince de Conti, qui est cependant son beau-frère, ce
prince ayant épousé la sœur du comte ; c'est une chose
horrible et inouïe; je m'étonne que Paris n'ait pas été
encore englouti, en punition des choses aflreuses qui
s'y commettent chaque jour. 11 est mort la semaine
dernière un honnête homme de la cour; il a suc-
combé au chagrin que lui a causé la mort de son fils :
il l'avait uni à la fille du premier président, M. de
Mesmes % mais il se sont bientôt séparés, car il était
horriblement débauché et ne pouvair souflrir aucune
femme ; il se nomme M. de Lautrec, et son pauvre
l)cre s'appelle le marquis d'Ambre. Je l'ai bien connu ;
il a toujours été à la cour ; il a demandé pardon au
premier président et à sa belle-fille; il a dit qu'il ne
connaissait pas bien son fils et que, s'il l'avait connu,
1 Charles, comte de Cliaiolais, né le 19 juin 1700, mort sans
alliance en 17 50.
2 Ce magistrat, qui joua un grand rôle sous la Régence, mou-
rut en 1723, âgé de soixante-un ans. Saint-Simon en a tracé
le portrait avec cette tuiiclie firme et caustique qui lui est fa-
milière : « C'étoit un gros homme , de ligure colossale , dont
« les manières avolent beaucouii de grâce, et avec l'âge, quel-
u. que chose de majestueux. Touti^ son étude fut celle du grand
« monde auquel il plut ; il fut mêlé dans les meilleures cuni-
<( pagnies et dans les plus gaillardes. D'ailleurs, il n'aïqtrit
« rien ; il voulait à toute force élre un hoiume de qualité, et
i< se faisoit souvent moquer de lui par ceux qui l'éloieiit en
« eifct. «
DE MADAME LA DL'CHESSE D'oRLÉANS. 307
il n'aurait jamais songé à ce mariage, et il est mort
de chagrin.
On m'a raconté qu'un laquais de rarclicvcque de
Reims disait à un laquais de l'archevêque de Cam-
brai : « Quand même mon maître ne serait pas car-
dinal, il est toujours plus grand seigneur que le tien,
car il sacre le roi. » Le laquais de Didjois répondit :
« Oui, mais mon maître sacre tous les jours le bon
Dieu, qui est bien plus que les rois. »
Je crois que je ne vous ai pas envoyé encore la
chanson qu'on a faite sur l'aventure arrivée à M™^ de
Saint-Sulpice '.
Le grand portail de Saint-Siilpice,
Où l'on faisoit si bien l'ofHce ,
Esl brûlé jusqu'au foiideiiient.
Quelle rigueur ! quelle injustice î
Les Condé, par amuseiueut,
Ont brûlé ce saiut éditice.
* Femme de Vezet de Saint-Sulpice, inspecteur général de la
marine. Les chansons du temps lui donnent pour amant le che-
valier de Bouillon. D'autres vers sur la même aventure se li-
sent dans les Mélanges de Boisjourdain, t. 11, p. 10. Cette
anecdote est aussi racontée dans le manuscrit du Joiutial de
l'avocat Barbier; l'éditeur n'a pas cru pouvoir la livrer à l'im-
pression. Diverses pièces de vers à l'égard de cette dame se pré-
sentent dans le recueil Maurepas; nous nous abstenons de les
citer. Voir aussi le Journal de Marais, Revue rétrospective,
deuxième série, t. VII, p. 356, 3C9, 371, 373; t. VIII, p. 69 et
17 9. Cet avocat traite de calomnies les récits qui circulèrent
dans tout Paris . « L'histoire de celte brûlure, qu'on dit avoir
été faite exprès par les princes, est très-fausse ; Mn^e de Saint-
Sulpice a été confessée le 5 mars et a reçu le viatique. » Elle
guérit fort bien.
« Le duc de Bourgogne accommodoit un pétard sous le siège
de la princesse d'Harcourt, comme elle jouoit au piquet. Comme
il alloit y mettre le feu, quelque âme charitable l'avisa que ce
308 CORRESPONDANCE
On croit qu'elle en mourra, mais elle l'aura bien
mérité ; car, en soupant avec le comte de Charolais,
ill'enivra complètement, la déshabilla, lui appliqua
un pétard tout enflammé sur un endroit qu'il ne faut
pas nommer, en disant : « 11 faut que petit Bichon
mange aussi. )^ Elle fut horriblement brûlée; il l'en-
veloppa dans un drap de lit et la renvoya chez elle
dans un fiacre. Après cela, on ne peut la plaindre.
Il n'est pas permis non-seulement à un duc et pair,
mais même à un gentilhomme, de se faire marchand;
le duc de la Force a été cause de la ruine d'une foule
de gens, car il avait acheté à bas prix , et il préten-
dait revendre si cher ' , que tous les marchands ont été
pétard l'est ropieroit, et l'empcclia «(Saint Simon, t, VI, p. 233).
Cet écrivain, dans ses notes sur le Journal de Dangeau (voir
Lemontey, Œuvres, t. IV, p. 310) , raconte la même anecdote,
mais le nom de la princesse est laissé en blanc et le duc n'est
pas nommé. Le caustique duc et pair trace de la princesse un por-
trait des moins flattés : « Sa liardie,-sc à voler au jeu était in-
concevable, et ce'a publiquement; on l'y surprenait, elle chantait
pouiUc et empochait; il n'en était jamais autre chose. »
• On peut lire à ce sujet de longs détails dans Saint-Simon,
ainsi que dans les Mémoires de la Régence, par le chevalier de
Piossens(t. 111, p. 82-105); les chansonniers de l'époque ne
manquèrent pas d'exercer leur verve sur cette aiïjire qui fit
{.-rand bruit. Voici un échantillon des vers qui circulèrent alors :
Le duc de la Force,
Marctiand de savon,
N'aura que l'ccoici;
D'un assez grand nom ;
Tout le long do la rivière,
Chez les AngustiTis,
11 fit pour les lavandières,
Un grand magasin.
Il a, sans roproclic,
Aussi pris le soin
DE MADAME LA DUCHKSSE D'ORLÉANS. 309
forcés de tripler le prix de leurs marchandises, ce qui
aurait amené une disette terrible, si la chose avait
duré. Vous demanderez pourquoi le duc seul est puni,
lorsqu'il y a bien d'autres seigneurs qui ont agi comme
lui : la raison est que les autres ont été plus adroits
que lui, et qu'ils ont opéré en secret, de sorte qu'on
ne peut les connaître. Son malheur est un châtiment
de la main de Dieu, qui le punit d'avoir horriblement
persécuté les pauvres réformés. On avait caché tout
cela à sa mère, mais il lui est tombé dans les mains
une gazette de Hollande où elle a lu l'histoire complète
de son fds; la pauvre femme est inconsolable, elle
est bien malheureuse avec ses enfants ; tous deux sont
De fournir les coches
De fort bon \ieu\-oiiig.
Partout on le trouve digne
Que les magistrats
Changent s)n manteau il'herniiiio
En tablier gras.
On trouve dans le Journal de Barbier que le duc de la Force
avait mis pour un million de café, de chandelle et d'eau-de-vie
dans de grandes chambres que les Âugustins lui avaient louées
dans leur couvent, et qu'il en avait rempli la bibliothèque. Une
caricature de l'époque représente un marchand soulevant d'une
seule main un très-gros ballot qu'il va placer sur les épaules
d'un crocheteur; au-dessous est écrit : « Admirez la force. »
Le Journal de Marais entre aussi dans bien des particularités;
la chose ne méritait pas tant de bruit, et le déchaînement contre
le duc était inique. Le parlement et le public, irrités contre
Law qui avait pris la fuite, s'acharnèrent contre un des confi-
dents du célèbre Écossais. On érigea en crime de monopole la
conversion faite très-légitimement par le duc de la Force de ses
billets de banque en marchandises d'épicerie. Ce procès causa
autant de bruit par la ridicule injustice du fond que par les obsta-
cles dont les privilèges de la pairie embarrassèrent sa poursuite.
310 CORRESPONDANCE
non-seulement laids et désagréables, mais encore ils
n'ont rien de noble; M. de Caumont n'est pas non plus
en bonne réputation ; il vaudrait bien mieux ne pas
avoir d'enfants, qu'en avoir de ce genre. La princesse
de Galles sait bien quelle répugnance j'ai pour toutes
les actions du Mississipi ici, et pour celles de la mer
du Sud en Angleterre.
L'envoyé de Holstein, M. Dumont, était éperdument
épris de M™e de La Rochefoucauld, une des dames du
palais de M"^ de Berri; c'est une belle personne, mais
qui n'est pas très-spirituelle. On la plaisantait à cet
égard, en disant qu'elle l'avait bien traité : « Oh non,
dit-elle, cela est impossible, mais je vous dis entière-
ment impossible; » et comme on la pressait fort de
dire en quoi consistait cette impossibilité, elle répon-
dit : « Dès que je vous l'aurai dit, vous verrez bien que
cela est impossible; » enfin, pressée derechef, elle dit
d'un air très-sérieux : « Il est huguenot. »
A M. DE HARLING.
9 mars 1721.
Je sens bien que je m'approche du terme de ma
soixante-dixième année ; et s'il me vient encore un
coup comme celui qui m'a si rudement frappé l'an
dernier, j'irai bientôt apprendre comment les choses
se passent en l'autre monde. Mon tempérament est
resté fort bon, ce qui se montre bien, puisque j'ai ré-
sisté à tout ce qui m'est arrivé; mais, comme dit le
l)roverbe français : «Tant va la cruche à l'eau qu'à la
iin elle se casse. » Et c'est enlin ce qui m'arrivera.
Mais ces pensées ne me troublent pas, car on sait bien
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLIUNS. 311
qu'on ne vient en ce monde que pour mourir. Je ne
trouve pas qu'une bien grande vieillesse soit quelque
chose d'agréable ; on a trop à souffrir, et, sous le rap-
port de la souffrance, je suis un grand poltron.
A LA COMTESSE LOUISE.
15 mars 1721.
J'ai appris non-seulement la mort de lord Stanhope,
qui m'afflige à cause de mon fils dont il était le grand
ami, mais encore celle de deux autres personnages, lord
Kreyts, qui était secrétaire d'État, et le duc de Rut-
land ; ils sont morts de la petite vérole. Lord Stan-
hope est mort ' d'une horrible orgie qu'il a faite avec
quatre autres lords; tous ont été à la mort; deux ont
été sauvés : l'un, parce que le sang lui est sorti par
les oreilles; l'autre, parce qu'une veine s'est rompue
pendant qu'il dormait. Je ne puis comprendre quel
plaisir on trouve dans des excès qui tiennent vraiment
de la bête.
On s'est trompé en vous disant que la duchesse de
la Force n'est pas la mère de ce duc qui vit en Angle-
terre : c'est elle positivement. Je connais toute sa fa-
mille; j'ai connu son père, sa mère et sa sœur, qui
avait été fille d'honneur auprès de M"« la Dauphine
de Bavière, et qui fut ensuite la maîtresse du Dau-
phin; mais elle était si débauchée, si infidèle, qu'il la
quitta ; elle vit encore dans la misère ; tous, tant qu'ils
' Jacques, premier comte de Stanhope, né en 1073. D'après
divers historiens, ce fut à la suite d'une vive discussion per-
sonnelle avec le duc de Wharton, dans la Chambre des Lords,
que le comte fut saisi d'un mal de tête si violent, qu'on fut
312 CORRESPONDANCE
étaient, ne valaient rien. La mère seule était une brave
et digne femme dont j'ai aussi connu la mère : c'était
une Hollandaise et de très-braves gens. Le comte de
Toulouse a acheté une maison qu'elle avait à Fontai-
nebleau, et qu'on appelait la Rivière. Elle avait en-
core une fille qui ne s'est pas si noblement mariée,
mais qui a épousé un conseiller au parlement, nommé
M. Lecoq '. n
Paris, 20 mars 1721,
J'ai connu une femme de bonne famille qu'on appe-
lait la Persilie, et qui avait perdu la raison. Elle avait
été bien élevée et jouait fort bien de la guitare : lors-
qu'elle avait des accès de fureur et qu'elle voidait tout
détruire, on n'avait qu'à lui donner sa guitare ; aussi-
tôt elle redevenait calme. C'était par suite de chagrin
que la pauvre femme était devenue folle. Elle avait
éprouvé d'affreux malheurs : deux frères qu'elle aimait
tendrement avaient été assassinés sous ses yeux; son
mari l'avait quittée pour s'en aller avec une drôlesse:
elle l'avait suivi jusqu'à Copenhague ; il l'avait chassée
en la reniant pour sa femme et en la faisant passer
pour folle. Tous ces malheurs l'avaient rendue telle en
elfet, tant ils l'avaient frappée. J'avais une sincère
compassion pour elle ; elle se plaisait beaucoup avec
obligé de l'emporter chez lui ; il fut saigné sur-Ic-champ, mais
il expira le lendemain. « Il avoit beaucoup d'esprit, de génie et
de ressource » (Saint-Simon).
• « Les Lecoq, une des plus vieilles familles d'échevinage h
« Paris, au temiis de la révolte des boucliers, sous les Aniia-
« giiacs » (Capeligue).
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 313
moi et m'appelait son aimable; mais toutes les fois
qu'elle venait, j'avais constanmient une guitare toute
prèle. Elle éprouvait de grands maux de tête, et se
figurait qu'ils venaient de ce que sa tête était devenue
celle d'un veau, de sorte qu'elle s'écriait : «Ah! que
cette tête de veau me fait mal et me fait tant de ca-
quets en l'air! » de sorte que nous disions en façon de
proverbe : « Elle entend des caquets en l'air comme la
Persilie. »
Paris. 22 mars 1721.
Le chevalier d'Hackeberg, dont vous me parliez,
doit être le parent de l'ancien précepteur du duc de
Deux-Ponls, et je ne sais s'il avait beaucoup d'agré-
ment au service de son élève, car le père de ce duc,
le comte palatin Adolphe et sa mère battaient tous
les jours leurs gens. Lorsqu'on entendait un vacarme
chez eux, on disait : « Oh ! ce n'est rien d'extraordi-
naire : le duc Adolphe court après son maréchal et la
duchesse après sa gouvernante pour les rosser. »
24 mars 1721.
Saint François de Sales , qui a fondé l'ordre des
filles de Sainte-Marie, avait été, dans sa jeunesse, l'ami
du maréchal de Villeroi, père du maréchal actuel; ce
maréchal ne put jamais s'habituer à lui donner le nom
de saint, et quand on lui parlait de son ami, il disait :
« J'ai été ravi quand j'ai vu M. de Sales un saint; il
aimait à dire des gravelures et trompait au jeu. Le
meilleur genlilhommc du monde au reslc, mais le plus
sot. »
". 2?
314 CORRESPONDANCE
Paris, 27 mars 1721.
Il n'est pas étonnant que la comtesse d'Hohenlohe
soit mécontente de sa fille, M™^ de Nassau-Siegen, et
qu^elle l'ait déshéritée après la vie qu'elle a menée.
Les chagrins détruisent la santé, mais ceux que nous
donnent nos enfants sont les plus sensibles de tous, et
ils nous font un mal affreux; je pourrais en dire quel-
que chose.
Paris, 29 mars 1721.
Hier matin est arrivé un courrier annonçant que le
pape est mort le 19 de ce mois ' ; cela contrarie beau-
coup nos cardinaux, parce qu'il faut qu'ils aillent à
Rome afin d'élire un nouveau pape. Ce voyage leur
coûte fort cher, et les éloigne de Paris dont le séjour
leur convient; mais pourquoi tous les prélats veu-
lent-ils être cardinaux et se désolent-ils ensuite lors-
qu'il faut aller à Rome?
Le chevalier Schaub est arrivé ici il y a huit jours.
Ce n'est point un Anglais, mais bien un bon Suisse de
Bàle; il est habitué aux grandes affaires; il a beau-
coup de capacité, et c'est d'ailleurs un homme fort
estimable. Je lui parle toujours en allemand, langue
dans laquelle il s'exprime volontiers; il a avec lui
pour secrétaire un autre Bùlois, mais celui-là est bien
moins intelligent; il lui est arrivé une chose étrange.
Le frère de M. Iltcn, qui est en Angleterre, lui avait
confié 250 guinées avec une lettre pour remettre à
* CU-ment XI ; il cul pour successeur Innocent XIII.
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 315
son frère. A son arrivée, le secrétaire s'informe à
l'ambassade anglaise où demeurait M. Ilten; on lui
indique l'adresse et on ajoute qu'il loge au second
étage; il y va et demande M. Ilten ; un individu vient
et dit : « C'est moi , que voulez-vous ? » Le secrétaire
répond tout bonnement qu'il est cliargé de lui re-
mettre une lettre et de l'argent; l'homme prend le
tout et demande au secrétaire s'il ne veut pas lui faire
l'honneur de souper avec lui; le secrétaire accepte,
et bientôt il se trouve tout endormi, car on avait mis
de l'opium dans ce qu'on lui avait donné à boire; le
prétendu Ilten lui dit alors : « Vous êtes trop fatigué
pour retourner chez vous; il y a ici un bon lit; dor-
mez une couple d'heures et puis vous vous retirerez;
je vais serrer ce que vous avez sur vous. » Il avait
cinquante guinées dans sa poche et deux montres,
l'une d'or, et l'autre d'argent. M. Schaub était extrê-
mement inquiet de ne pas voir revenir son secrétaire;
il craignait qu'on ne l'eût assassiné, mais ce secré-
taire avait pour domestique un nègre, qui lui était ex-
trêmement attaché et qui savait qu'il avait été chez
M. Ilten; il s'y rend et demande ce qu'est devenu son
maître. On lui répond qu'il s'est mis au lit et qu'il
dort depuis plusieurs heures. Le nègre va le trouver
et l'éveille; ses habits avaient été mis dans un coin,
mais il n'y avait plus rien de ce qu'ils contenaient de
précieux. On cherche le cavalier qui logeait dans la
maison , mais , sitôt que le secrétaire avait été cou-
ché, il avait disparu, emportant les trois cents guinées
et les deux montres. On va chez l'ambassadeur an-
glais, qui se doute aussitôt de la fraude, et il demande
316 CORRESPONDANCE
comment était l'individu qui s'était fait passer pour
M. Ilten. — « C'est un petit homme brun et d'une
figure agréable. » — Ce filou est un Anglais, qui était
tous les jours auprès de l'ambassadeur et qui devait
l'accompagner à Cambrai; il se nomme Day; son tour
est ingénieux, mais c'est l'œuvre d'un escroc fini.
3 avril 1721.
Manheim est un endroit chaud; je me souviens
qu'une fois, nous y soupàmes la nuit du l^'" mai; tout
était vert; il vint un orage tellement violent, qu'on
eût dit que le ciel et la terre allaient s'abîmer; ma
mère avait grand'peur, mais cependant elle ne pou-
vait s'empêcher de rire en voyant les grimaces hor-
ribles que la frayeur arrachait à mon gouverneur
ColLin ; je fus au point de me rendre malade, à force
de rire.
Le luxe et le gros jeu ' qui régnent ici sont la cause
' Une foule d'exemples aUcàtent la fureur du jeu qui sévis-
sait à la cour de Louis XIV, et le peu de loyauté qui se mon-
trait parfuis. M. L. de I.aliorde, Palais-Mazaiin, p. 233, en a
cité quolc|ucs traits. Fouquet, dans une partie avec Gourville,
perdit cinquante-cinq mille livres en une demi-heure; un altbé
de (Jordès, en 1000, perdit avec le roi cent cinquante mille li-
vres en une seule séance ( il faut doubler ces sommes pour avoir
le montant de ces pertes en valeur actuelle). Gui-Patin (lettre
du 0 mars 1050} dit que M. de Garguat, intendant des fi-
nances, est mort de regret d'avoir perdu tout d'un coup un
million au jeu. Des femmes d'un rang élevé, la marécliale d'Ks-
trades entre autres, tenaient chez elles un jeu public (Uepping,
Correspondance administrative sous Louis A/l ). N'ius lisons
dans le Journal de Marais (août 1722; : « La comtesse de Li-
vry a gagné trois cent mille livres au vicomte de Turcnne, en
DE MADAME l\ Ul'CMESSE U ORLÉANS. 317
de bien des mines; la débauche y contribue de son
côté, car les maîtresses et les favorites veulent être
payées, et cela absorbe de grosses sommes. La Saint-
Sulpice n'est pas morte, mais elle restera estropiée
toute sa vie; on espère qu'elle se convertira. Les
princes de la maison de Condé ont perdu leur père
étant jeunes ; leur mère n'a jamais songé à l'éducation
de ses enfants; elle n'a pensé qu'à s'amuser, à jouer
jusqu'à cinq heures du matin, à beaucoup manger, à
aller au spectacle; elle n'a jamais eu l'idée de veiller à
leur instruction, mais ils se chargent de l'en punir, car
im jour qu'elle grondait le comte de Charolais sur sa
vie déréglée, il lui répondit : « Il faut que le jeune
Lassay ' n'ait pas bien fait son devoir cette nuit, puis-
jouant avec lui tcte-à-tcte au pharaon. « Même fureur à la cour
d'Analeterre. Charles II tenait lui-nicrae le cornet, et, sous
George I^r, une dame perdit en une fois trois mille guinéesau loo.
' Armand Jladaillan de Lcsparre, marquis de Lass;iy. Sur
son compte et sur l'hôtel qu'il fit hàtir, et qui est devenu le
palais de la présidence de la Chambre des députes, de l'Assem-
blée nationale et du Corps iéuislatif, on peut consulter un pi-
quant article de M. Paulin Paris, inséré dans le Moniteur, et
reproduit, un peu modifié, dans le Bulletin du Bibliophile
(Paris, Tcchcncr, 1848, p. 719). La vie du marquis de Lassay
fut semée d'aventures assez romanesques pour former la ma-
tière d'un roman très-invraisemblable. Il fut marié pour le moins
trois fois en bonne forme, et dans l'intervalle de la mort de ses
femmes , il ne tint pus à lui d'être remarié trois autres fois.
Urave, intelligent, spirituel, il mourut à quatre-vingt-sept ans,
sans avoir été mis à l'épreuve des alfaircs, et, comme il l'a dit
assez heureusement, sans avoir déballé sa marchandise. Il servit
avec distinction dans l'armée de l'empereur contre les Turcs ;
il voyagea ensuite en Italie, et il rencontra à Rome la prin-
cesse de Hanovre, femme de George I*""", depuis roi d'Angleterre ;
36.
318 CORRESPONDANCE
que vous êtes de si mauvaise humeur ; si vous nous
donniez de meilleurs exemples, nous vivrions mieux.»
N'est-ce pas affreux qu'un fils parle ainsi à sa mère ,
mais elle l'a bien mérité '.
Je craignais que le margrave de Dourlach ne fût
devenu tout à fait fou. J'avais déjà entendu parler de
il obtint dans le cœur très-sensible de cette femme la place qu'y
devait plus tard occuper le malheureux Koenigsmarck, mais on
découvrit leur intimité, et il eut le bon esprit de s'éloigner à
temps. 11 passa ses dernières années dans son château de Lassay,
dans le Maine, ety fit imprimer sous ses yeux, de 1730 à 1738,
trois volumes in-8, intitulés : Recueil de différentes choses.
Au milieu de beaucoup de bagatelles et de détails insiguiûants,
ce recueil renferme quelques morceaux curieux , tels qu'une
lettre contre Mnie de La Fayette adressée à M^ie de Maintenon,
et des lettres sur la campagne de Hongrie. Cette édition origi-
nale est fort rare, il en existe quelques exemplaires avec des
cartons et des additions manuscrites ( voir les catalogues Pixc-
récourt, 1838, n» 1635, et Aimé-Martin, 1847, n° 910). Une
réimpression donnée par l'abbé Pérau, Lausanne ( Paris), 1767,
4 vol. in-12, est incomplète (voir l'Année littéraire, 1767,
t. 1"). M. Sainte-Beuve a consacré à Lassay une notice intéres-
sante {Causeries du hindi , t. IX).
' C'était Louise-Françoise, dite Mademoiselle de Nantes,
fille de Louis XIV et de M^ede Montespan. Ou l'avait mariée
à peine à^iée de onze ans, à Louis III, Monsieur le Duc. «A
trente-six ans elle était, sans trop de regrets, demeurée veuve,
nmitresse d'ellc-ménic et de revenus énormes que les tripotages
du fameux système venaient encore d'augmenter. Elle était
vive, enjouée, désordonnée ; elle avait le parler leste, la riposte
ci'uellc; elle se mêlait de faire des couplets. Cette àme, si su-
]/érieure aux séductions de l'amour, finit pourtant par être sub-
juguée; le marquis de Lassay trouva le secret de gouverner
celte imagination capricieuse. » C'est par dérision que le comte
de Cliarolais donnait à Lassay l'épilhèle de jeune; en 1720, lo
marquis avait soixante-sept ans (voir l'article (juc lui a cou-
DE MADAME LA DUCHESSE D'ORLÉAN'S. 319
son sérail ' ; il n'est jamais venu en France , mais son
fils y est venu ; celui-là n'avait pas de barbe et avait
l'air d'une jeune fille; on le disait hors d'état de se
marier, mais il a prouvé que cela n'était pas, puisqu'il
a eu un fils. Fouetter ses maîtresses et les battre à
coups de verge est un raffinement de débauche dont
il y a de nombreux exemples.
Les débauchés contractent trop l'habitude de l'in-
conduite pour pouvoir se corriger; la violence du
tempérament et la force de l'usage continuent de les
maîtriser ; ils regardent la vertu comme une niai-
serie et ils ne voient pas qu'ils s'assurent dans ce
monde le mépris général , et dans l'autre la damna-
tion éternelle.
Paris, 12 avril 1721.
Je ne suis les modes que de loin, et il en est que je
mets tout à fait de côté, comme les paniers que je ne
porte pas, et les robes ballantes, que je ne puis souf-
sacréM. WeL-sdans \<i. Biographie universelle, t.XXlll.p. 412).
Les recueils manuscrits renferment divers couplets dirigés contre
la duchesse, nous n'en transcrivons qu'un seul :
La Bourbon dans son boucan
Etale sa marchandise;
Des vieux bijoux qu'elle prise
Elle veut faire un encan,
Mais à ce bel inventaire
Personne n'est empressé,
Et pour adjudicataire
On n'v trouve que Lassay.
* Le comte de Clcrmont s'était formé une espèce de sérail à
Paris (voir les Mémoires de Richelieu, noo, t. VI, deuxième par-
tie, p. 18).
320 CORRESPONDANCE
frir et que je n'admets pas en ma présence ; il me
semble que c'est une indécence ' ; on a l'air de sortir
du lit. 11 n'y a ici aucune règle pour les modes. Les
tailleurs, les faiseuses de robes et les coiffeurs les in-
ventent à leur gré; je n'ai jamais suivi à l'excès la
mode des hautes coilfurcs.
Je ne sais ce que vous voulez dire au sujet de vos
voisines les cigognes, qui ne laissent passer aucune
année sans venir. On n'en voit pas en France, je
vous prie de me dire si on en voit en Angleterre,
car on prétend qu'elles ne séjournent dans aucun
royaume.
Nous avons appris la mort de la reine de Dane-
mark - ; demain je prendrai le deuil , mais je ne le
porterai qu'un mois. On dit que le roi a été très-ému
et qu'il a perdu connaissance après que la reine lui
eût parlé, mais cet attendrissement vient un peu trop
tard. Il est possible que la pauvre reine ait eu sujet
^ « C'est M'ne de Montcspan qui a inventé les robes bal-
« lantes, pour cacher sa grossesse, parce qu'on ne peut distin-
« gner la taille sous ces rohes; mais lorsqu'elle les mettait,
o c'était précisément comme si clic eût écrit au front qu'elle
« était grosse; en elfet, tout le monde à la cour disait : M'nedc
« Montespan met sa robe ballante, donc elle est grosse. »
* Louise de Meckleuibourg, épouse de Frédéric iV. Le roi
épousa la même année Anne-Sopbie, fille du grand chancelier,
comte de Rewentlau, à laquelle il était attaché depuis long-
temps, et qu'il avait créée, dés 1711, comtesse de Slcswig. Il
ne lui accorda d'abord que le titre d'altesse royale, mais bien-
tôt il la couronna lui-même sans employer le ministère d'aucun
ecclésiastique, et il fit avec elle une entrée pompeuse dans la
capitale. Il mourut en 1730, n'ayant poiat eu d'enfants de sa
seconde fcniuic.
DE MADAME LA DUCIIKSSK d'oULÉAXS. 321
d'être jalouse de son mari ; h sa place, j'eusse été fort
satisfaite s'il eût consenti à me laisser tranquille; il
était impossible qu'elle l'aimât beaucoup; il était trop
laid et trop sot. Je le vois encore lorsqu'il dansait à
Versailles avec ma fdle; il ne savait ce qu'il faisait; il
resta au milieu de la salle, regardant le ciel, tournant
la bouche et les yeux ; le roi me dit : « Allez au se-
cours de votre pauvre neveu , il ne sait plus où il en
est. » J'allai le chercher et je le ramenai à sa place;
j'avais honte de lui.
Pari?, 23 avril 1721.
Il est arrivé au prince de Hesse une chose désa-
gréable , qu'il aurait pu éviter s'il avait pris la peine
de me dire ce qu'il voulait entreprendre ; je lui aurais
donné conseil sur ce qu'il devait faire, mais, au lieu
de me dire un seul mot, il va à la chapelle et il entre
durant la messe; il reste debout au moment où le
monde s'agenouille; les gardes lui disent de se mettre
à genoux, il s'y refuse ; les gardes le prennent au
collet; le maréchal de Villeroy s'en mêle et il lui
ordonne de s'en aller; tous ces désagréments ne se-
raient pas survenus s'il avait daigné me consulter;
j'aurais pu le mener dans une tribune; mais, lors-
qu'on ne veut agir qu'à sa tête, on finit par s'en trou-
ver mal . Je crois qu'il se repentira bien avec le temps
de n'avoir pas écouté mes avis ' .
Paris, 26 avril 1721.
Tout ce qu'on lit dans la lîible sur les excès que
* Marais dans son Journal raconte le même trait.
322 CORRESPONDANCE
punit le déluge, el sur les débordements de Sodome
et de Gomorrhe, n'approche pas de la vie qu'on mène
à Paris '. Sur neuf jeunes gens de qualité qui dînaient
l'autre jour avec mon petit-fds le duc de Chartres, il
y en avait sept qui avaient le mal français ; n'est-ce
pas une chose horrible? La plupart des gens ici ne
s'occupent que de leurs plaisirs et de leurs débau-
ches ; hors de cela ils ne veulent rien savoir ni rien
écouter; ils ne croient pas à la vie future et ils s'ima-
ginent que tout finit avec la mort.
Paris, 3 mai 1721.
Je suis toute Allemande pour ce qui regarde le boire
et le manger, et je l'ai été toute ma vie. On ne peut
pas faire ici de bonnes fritures ; le lait et le beurre ne
sont pas aussi bons que chez nous ; ils n'ont pas de
saveur et sont comme de l'eau ; les choux ne sont pas
bons non plus, car la terre n'est pas grasse , mais lé-
gère et sablonneuse , de sorte que les légumes n'ont
' Voici sur ce point délicat une appréciation de M. Paulin
Paris qui nous semble fort exacte : « Il me semble qu'on se
'< trompe en faisant dater les mauvaises mœurs et les disposi-
« lions irréligieuses de la mort de Louis XIV. 11 serait plus juste
« d'avancer que les vices de tout genre funnt plus nouibrcux,
« plus énormes dans les vingt dernières années du grand règne.
« La raison en est facile à saisir; quand le duc d'Orléans prit
« en main la conduite de l'État , ses roués comuicuçuient à
« vieillir; en 1C9C, ils étaient jeunes et leur impalience de
« toute espèce de répression trouv;iit dans les princes du sang,
o les Orléans, les Conti, les Vendôme, autant d'illustres paraton-
u nerrcs, comme on dirait aujourd'hui. A la mort de Louis XIV,
«. le désordre moral, déjà mailre de Paris et de la plupart des
u ( lialcauv de France, rentra dans Versailles on triomphe. »
DE MADAME LA DUCHESSE D'ORLÉANS. 323
pas de force, et que le bétail ne peut donner de bon
lait. Mon Dieu ! que je voudrais pouvoir manger les
plats que vous fait votre cuisinière ! ils seraient plus
de mon goût que tout ce que m'apprête mon maitrc
d'hôtel'.
On dit à Paris que la maladie de M™» de Schleunilz
vient du chagrin qu'elle éprouve d'avoir tout perdu
sur les actions du Mississipi , tandis qu'elle espérait y
gagner beaucoup'. J'avoue que je n'ai pas le cœur
* On trouve quelques détails sur la table de Madame dans l'ou-
vrage de M. Monteil {Matériaux hicdils pour l'histoire, 1838,
t. I, p. 138) ; il s'agit du compte des dépenses de la Duchesse
en 1693; tout est fixé, compté, pesé, apprécié :
Disné : un potage d'un chapon et un jarret de veau, x livres
IX sols ;
Un potage de deux poulets au veimiehel, xx sols ;
Un autre potage d'un canard aux choux, xxiv sols.
■■' Les établi.^sements qu'on devait former au Mississipi et sur
lesquels ou comptait réaliser de grands bénéfices furent, avec
raison, l'objet des railleries de l'époque j les recueils manuscrits
renferment bien des pièces de vers, assez plats en général, à ce
sujet. Nous en citerons peu de chose :
Pour policer ce grand pays
On va faire bien des édits.
On en défera bien aussi.
Pour premier établissement,
Envoyons-y le parlement
Qui ne sert de rien à Paris.
Mississipi n'est pas habité,
11 sera bientôt fréquenté.
Peut-être dans cent ans et plus.
Des filles on y envcrrii,
Et d'abord on les mariera,
t .
Si rou trouve des maris.
Les mines on y fouillera.
324 CORRESPONDANCE
assez compatissant pour m'affliger de pareilles intor-
lunes ; au contraire , je serais tentée d'en rire : la
pauvre dame est horriblement laide ; je ne puis com-
prendre qu'elle ait pu trouver deux amoureux l'un
après l'autre, car, avec ses longues dents, elle res-
semble à un cheval qui veut mordre. Je m'étonne
qu'elle ne m'ait pas parlé de vous.
8 mai 1721.
11 est impossible d'avoir plus d'impertinence que
M"" de Langallerie ; je ne puis la souffrir, et je regar-
Car, sans doute, on en trouvera,
Si la nature en a mis.
Nos billets vont êtrj payés,
Car les fonds en sont assurés
Sur l'or qu'elles auront produit.
La compagnie (lu Mississipi partageait elle-même les étranges
illusions qu'elle cherchait à propager; elle dépensa beaucoup
d'argent pour la recherche d'un prétendu rocher d'énieraude.
Un des chansonniers de l'époque donnait au Régent le conseil
que voici :
Si tu veux réformer l'Etat,
yuc l'on pende Law et Noailles,
Auï flatteurs donne éclicc et mat,
Ue la cour chasse la canaille,
El qu'on enlève la Berri
Pour peupler le Mississipi.
Dans un poëme sans nul mérite, intitulé : Système des bil-
lets de /Jft/iywe, Amsterdam, 1" 17, les pays dont les agents du
gouverucinent traçaient un tableau llattour, sont représentés
cunune un assemblage
Di' spacieux déserts et de plaines arides,
Redoutable séjour des sauvages prrlîdcs, •
Cfiii, tenant de la brute un goût du:it je frémis,
Aluugcnt avec plaisir lu chair d'un cnuenii.
DR MADAME I.A niT.HF.SSF. I>'nRM'ANS. 325
dorais mon cousin le landgrave comme fort heureux
s'il pouvait se débarrasser de celte folle; ce n'est au
f.iit qu'une campagnarde imbécile qui ne sait nulle-
ment vivre, mais qui se met h rire sans savoir ce qu'elle
dit, et, lorsqu'elle a dit cent sottises, elle est tout
étonnée de ce qu'on ne l'admire pas; elle ne doit
m'avoir aucune obligation de ne pas l'avoir chassée
de ma chambre, mais je n'ai pas voulu tracasser mon
cousin le landgrave au sujet de son cher objet ; car,
lorsqu'on a été attaché à quelqu'un comme il l'a été
à celte folle, on éprouve une peine violente en le
voyant maltraiter.
Il parait que les choses continuent d'aller étrange-
ment à Modène, et je m'attends à ce qu'un jour la
princesse revienne en France ' .
Je ne regarde pas du tout comme un malheur pour
la princesse Anne de ne pas épouser le roi de Dane-
mark, et il pourrait bien dire comme le chevalier
à la mode : « Celle qui ne m'aura point ne sera pas
la plus malheureuse. » Non-seulement il n'est pas bien
fait du tout et il est très-laid de visage , mais il est
encore désagréable dans toutes ses façons. Son envoyé,
M. de Warnick, assure qu'il ne fera point reine sa prin-
* La princesse de Modène revint en effet, mais bien après la
mort de Madame, en 1734 ; elle fut mal accueillie de sa famille.
Voici, à cet égard, un des couplets de l'époque :
Que la grosse princesse Églé
Traîne sa pesante figure,
Qu'elle ait parents malenconlré . '
Et vive ici à l'aventure.
Ah ! le voilà et le voici
Celui qui n'en a nul souoil
il. 21
3â6 CORRESPONDANCE
cesse de Schleswig ; mais on voit bien comment pa-
reilles créatures mènent partout leurs maîtres et elles
en font tout ce qu'elles veulent ; il est donc difficile
de croire qu'elle ne sera pas reine. Ce que je trouve
de plus affreux chez ce roi, c'est sa fausseté ; car il fait
comme s'il était accablé de chagrin par suite de la
mort de sa femme, et, trois jours après, il se livre à
des liaisons très-peu morales : c'est ce qui me semble
horrible. Dieu veuille que le prince héréditaire soit
l>lus raisonnable et plus sensé que son père; notre
princesse Anne échappera ainsi au malheur, qui est
ordinairement le |)arluge des reines, et elle peut chan-
ter comme dans l'opéra de Tliésén :
Ce n'est point dans le rang suprême
Qu'on trouve les plus doux appas,
Et souvent un bonheur extrême
Est plus sûr dans un rang plus bas.
La sœur du roi a fait une chose héroïque et belle
en se retirant de la cour et en écrivant à son frère une
lettre aussi ferme : si elle soutient ce qu'elle a com-
mencé, elle s'attirera des louanges unanimes. On m'a
(lit que ce roi a si mal vécu avec sa mère que cela a
été une des causes de la mort de cette pauvre femme.
Si c'est vrai, il ne saurait plus, de toute sa vie, goûter
aucun bonheur. M."^^ de Maintenon disait parfois :
« Depuis quelques années il règne un esprit de vertige
(pii se répand partout, » et en cela elle avait bien
raison.
Le margrave de Bayreuth et sa femme sont aussi
un singidier coiqjlc; l'ciSj^it de vertige règne égale-
nit iil dans celte cour avec toute sa force; il est aisé
■ DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 327
de croire qu'il n'y a que misère dans un État où il n'y
a ni droit ni justice, et où le maître n'agit que d'après
SCS passions et ses caprices. On peut dire que ce sont
des fous accomplis et qu'ils ne savent ce qu'ils font.
Pari?. 12 juin 1721.
Ma fille s'est fait mal au pied et elle a eu beaucoup
à soufliir ; il est venu un gros abcès qui a crevé et qui
a donné beaucoup de matière ; j'ai reçu une lettre
d'elle; elle a horriblement souffert, car il a fallu lui
faire une opération très-douloureuse. La pauvre femme
vit dans des peines continuelles, car il ne peut lui
convenir de voir une de ses dames être plus aimée
qu'elle, et avoir plus de considération et d'égards. Le
mari de cette femme est le plus coquin qu'il y ait au
monde; il ruine entièrement le duc de Lorraine. Ma
fille chérit ses enfants et ne peut se faire à l'idée de
les voir ruinés par ces misérables Craon ; elle est bien
malheureuse , et je la plains de tout mon cœur.
Je sais bien qu'on paye le port des lettres qu'on
reçoit de la poste ; mais payer pour celles que l'on met
à la poste, c'est quelque chose de neuf, et dont je
n'avais pas entendu parler de toute ma vie.
14 juin 1721.
Feu la duchesse de Nemours avait, par charité, élevé
une petite fdle pauvre, et celle-ci, étant âgée de neuf
ans environ, dit à la duchesse : « Madame, on ne peut
avoir plus de reconnaissance de vos chantés que moi.
Je ne puis mieux les reconnaître qu'en disant à tout le
328 CORRESPONUANCE
inonde «lue je suis votre fille; mais ne vous fâchez pas,
je ne dis point que je suis votre fille légitime ; je dis
seulement que je suis votre bâtarde. »
Paris, 19 juin 1721.
L'abbé Dubois m'a fait dire qu'il ne se mêlait nul-
lement de la poste, et qu'elle regardait exclusivement
M. de Torcy ; mais ils sont tous deux des œufs pourris
et du beurre gâté ' ; ils ne valent pas mieux l'un que
l'autre, et ils seraient tous deux mieux à leur place à
la potence qu'à la cour, car ils ne valent pas le diable,
et ils sont plus faux que le bois du gibet, comme dit
Lenore ^ S'il a la curiosité de lire cette lettre, il verra
l'éloge que je fais de lui, et il reconnaîtra la vérité de
notre proverbe allemand : « Celui qui écoute aux portes
entend dire bien du mal de lui. »
21 juin 1721.
Comme je n'ai rien de nouveau à vous mander au-
jourd'hui, je veux vous raconter une ancienne histoire
qin' m'est arrivée la première fois que j'ai été à Bonne-
fontaine. J'étais encore jeune, n'ayant que vingt-trois
ans, et assez étourdie; j'entrai avec la pauvre Théo-
bon ' dans le couvent ; je trouvai une porte où la clef
était dans la serrure ; je l'ouvris et je me trouvai dans
une cellule; il y avait un moine de grande taille, qui
avait les yeux tout égarés; dès qu'il me vit, il se jeta
' Proverbe allemand.
* M'"* de Uathsenliaiisscn, dame d'iionncur de la duchesse.
' Fille d'Iionneur de Madame; elle fut depuis comtesse de
IJcuvron; vuii Saint-Simon, t. Ml, p. 9!).
DE MADAME LA DICHESSE D'oHLÉANS. 329
par terre, il saisit mes deux pieds et les tint avec tant,
de force que je ne pouvais remuer ; il n'y a rien au
monde que je craigne autant que les tous; vous pouvez
donc vous figurer à quel point je fus elTraycc. Je m'ar-
mai cependant de résolution et je dis au fou : « Levez-
vous, je vous l'ordonne; » j'étais en habit de chasse,
venant de descendre de cheval ; il me prit pour un
homme. Théobon était trcs-elTarée ; elle me dit que
c'était un aliéné, et qu'il fallait appeler au secours;
mais je jugeai plus à propos de réitérer mes ordres;
le moine làclia mes pieds, et je m'empressai de sortir.
Je ne fis que rire ensuite de cette aventure. Six ans
après, j'allai de nouveau à Villers-Cotterets ; on vint
me prévenir un matin que le procureur de la Char-
treuse demandait à m'ètre présenté, afin de me pré-
senter, selon l'usage, les hommages du couvent. Dès
qu'il entra, je le reconnus de suite, quoiqu'il fût de-
venu plus gros; il n'avait plus les yeux égarés et avait
l'air foit raisonnable. Après qu'il m'eut fait son com-
pliment, il se mit à sourire et dit: «J'ai peur que
Votre Altesse Royale ne me trouve bien effronté d'oser
reparaître devant elle après l'horrible état où elle m'a
vu et où je lui ai fait si grand'peur ; mais il est de ma
charge de venir, et cette mortification m'est bien due,
pourvu que je ne fasse pas encore peur à Madame. »
Je lui répondis : « Non , mon père , quand vous me
parlerez aussi raisonnablement que vous le faites à
présent, je ne pourrai avoir peur de vous; mais il est
vrai que je vous ai vu bien malade. » Il rit et répliqua :
« Madame a trop de bonté de vouloir m'épargner la
honte d'avoir paru si fou devant ses yeux. » Je lui dis ;
330 CORRESPONDANCE
« Qui est-ce qui vous a guéri ? — La charité de notre
supérieur, qui, voyant que j'étais devenu fou faute de
société, m'a permis de m'entretenir avec le monde;
et, petit à petit, voyant que cela faisait un bon etïet
sur mon esprit, m'a chargé des affaires de la maison,
où il a fallu parler tous les jours à divers gens ; cela,
par la grâce de Dieu , tout indigne que j'en suis , m'a
rendu le bon esprit que j'avais ; au lieu donc de cacher
le malheur que j'ai eu, je dois le publier partout pour
rendre grâce à Dieu de m'avoir remis dans mon bon
sens. » Je le trouvai si raisonnable que je causai long-
temps avec lui; il avait beaucoup de moyens, et je ne
pouvais comprendre comment il avait jadis été tout à
fait fou. Je lui demandai poinquoi il avait saisi mes
pieds ; il me dit que sa folie était de se croire dans un
royaume étranger, et, qu'en me voyant, il avait cru
voir son souverain auquel il s'était empressé de rendre
hommage. Après avoir ri avec lui de sa folie, je lui
dis que la règle de son ordre était tiop sévère ; il ne
voulut pas en convenir, mais il remua les épaules et
baissa les yeux ; je vis bien qu'il était de mon avis.
P;iri!=, 25 juin 1721.
Il n'a pas dépendu du duc, ni de la duchesse de
Simmern, que je n'aie été à Creutznach, car ils avaient
demandé que j'y fisse un voyage , mais rélcctcur,
notre père , ne voulut pas le permettre , disant qu'il
ne convenait pas qu'une jeune princesse non mariée,
comme j'étais alors, fit des voyages et allai visiter des
cours étrangères. Telle fut sa réponse; mais j'ai su
que c'était surtout parce que la duchesse de Sinuncrn
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 331
menait une conduite trop peu régulière pour que je
dusse aller la voir. Quand j'ai connu le duc de Sim-
mern, il avait épousé depuis longtemps la princesse
Marie d'Orange; il n'était donc pas à marier. Je l'ai
aimé comme un cousin et un ami, mais je n'aurais eu
aucune envie de l'épouser, car il ne me plaisait pas du
tout; il était petit et laid; ce mariage aurait pu se
faire cependant si la politique de la France n'avait fait
prévaloir d'autres projets. J'étais alors bien en âge de
me marier, car il y a quarante-trois ans que le duc est
mort; Dieu sait quand je dois le suivre; mais pourvu
que Notre Seigneur protège mes enfants, je suis tran-
quille.
Feu la princesse d'Espinoy était ime femme fort
originale ; une nuit, un voleur pénétra dans son ap-
partement, et, la menaçant d'un poignard, il lui dit
qu'il fallait qu'elle lui remit tout son argent ou qu'il
allait la tuer. Elle n'hésite pas, elle lui saute au cou,
le saisit par sa cravate, et le serre si fort qu'il était
au moment d'être étranglé ; en même temps elle ap-
pelle ses gens; on lui ôte son poignard, on le conduit
dans les écuries et on se met à le battre : « Autant de
coups qu'il vous plaira, dit-il, mais faites-moi grâce
de la vie. » Elle lui fit donner en sa présence cent
coups de bâton, et elle ordonna ensuite de le lâcher
et de le laisser aller ; il ne se le fit pas dire deux
fois.
4 juillet 1721.
Un prédicateur, à Rouen, déclama fortement contre
ceux (jui vont à des noces et qui s'y divertissent ; quel-
332 COUKESl'OXDANCK
qu'un qui avait entendu ce sermon dit au prédicateur :
« Vous avez prêché contre ceux qui vont aux noces,
mais Notre Seigneur y alla bien lui-même à Cana en
Galilée. » Le prédicateur répondit brusquement : « Il
est vrai qu'il y allait , mais il aurait mieux fait de ne
pas y aller. »
Paris, 10 juillet 1721.
Vous saurez déjà, ma clière Louise, combien vous
aviez raison d'être inquiète au sujet de vos parents;
ils ont couru les plus grands dangers dans leur voyage
sur mer; le vent a jeté sur le navire où ils étaient, et
qui a perdu ses mâts, un autre bâtiment qui arrivait
de la Virginie. Une barque où il y avait six personnes
s'est trouvée entre et a détourné un choc qui devait
engloutir leur navire , mais elle a été coulée à fond
avec les personnes qu'elle contenait. Je crains que
toute la frayeur qu'a éprouvée votre nièce ne lui ait
fait grand mal; comme vous devez savoir, elle est
encore enceinte. Dieu veuille que tout se termine
bien.
Il me semble que le comte de Dcgenfelt aurait bien
fait de différer de faire des enfants jusqu'à ce qu'il
fût établi chez lui ; il n'aurait pas exposé sa femme à
d'aussi grands périls , mais les hommes sont de telle
.sorte qu'ils s'imaginent que faire des enfants est la
plus grande preuve d'affection qu'ils puissent nous
donner; tandis que la confiance, l'estime et la dou-
ceur sont cent fois plus piopres à produire l'atlachc-
ment et la bonne intelligence (pii sont si fort à désirer
en ménage.
DE MADAME LA DUCHESSE d'oULÉANS. 333
Paris, 17 juillet 1721.
Il y a une grande diflërence entre être né dans un
pays et en connaître la langue, ou y arriver déjà
grand et formé. Si la comtesse de Degenfelt, votre
nièce, aime son mari, elle trouvera tout bel et bon,
car c'est une sauce qui fait aimer tous les plats , et
comme dit le prologue , dans la pièce de Pourceau-
gnac :
Quand deux cœurs s'aimeut bien,
Tout if reste n'est rien.
Ainsi, si elle aime son mari, elle ne regrettera point
sa patrie, et tout ce qu'elle trouvera dans le nouveau
pays où elle va vivre sera de son goût. J'approuve fort
votre résolution de ne pas vivre avec elle ; vous serez
ainsi mieux ensemble, et rien n'est plus vrai que le
proverbe qui dit que « Jeunes et vieux ne peuvent
s'accorder, » même quand les jeunes sont raisonna-
bles; d'ailleurs, les domestiques ne vivent pas en
bonne intelligence; il y a entre eux des querelles qui
amènent entre les maîtres des scènes et de la froi-
deur.
D'après ce que j'ai entendu dire de feu le landgrave
de Pliilipstlial, mon bon cousin, c'était un des per-
sonnages les plus simples qu'il y eût au monde, Paris
plaît beaucoup au prince Charles ; je ne crois pas qu'il
ait envie de quitter le service de France, et je ne crois
pas non plus qu'il soit en position de faire un bon
mariage; s'il suivait mes conseils, il ne se marierait
point, car tous ces princes sans fortune, lorsqu'ils ont
des enfants, se trouvent avoir une famille de nien-
334 CORRESPONDANCE
diants, ce qui est une vilaine chose; il n'y a déjà que
trop de princes pauvres. Sa mère ne veut pas se sé-
parer de son Français, quoiqu'elle dût le faire pour
éviter le scandale, car on tient des propos sur elle et
sur ce drôle. Ceux qui en jugent le plus charitable-
ment disent qu'il y a im mariage de conscience; ce
n'en est pas moins une chose aflreuse pour cette prin-
cesse de faire un tel éclat dans ses vieux jours , car
elle est loin d'être jeune, puisque son fds aîné a qua-
rante ans.
Paris, 24 juillet 1721.
On m'a dit que nos bons Allemands s'étaient cruel-
lement gâtés, et qu'ils avaient répudié les vieilles
qualités de leurs ancêtres afin de prendre les vices
des nations étrangères; cela m'at'lligc sincèrement; il
convient aux Allemands moins qu'à tout autre d'être
faux, méchants et débauchés, car leur naturel ne les
y porte pas.
La peste diminue en Provence, mais les gens n'en
deviennent pas meilleurs; et ce qu'il y a d'étonnant,
c'est qu'il a fallu mettre à l'hôpital de Toulon dix-
huit personnes qui, au milieu des ravages de la peste,
avaient mené une vie déréglée.
Il est positif que ceux qui ont visité la Hollande
trouvent les Allemands sales; mais pour trouver l'Al-
lemagne propre et agréable , il n'y a qu'à venir en
France, car rien n'est [)lus sale et plus dégoûtant que
Paris.
Ma fille est, grâce à Dieu, complètement remise; il
y a eu un mariage à sa cour ; un prince de celle
DE JIADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 335
maison (qui s'appelle le chevalier de Lorraine et qui
est fils du comte de Nassau) a épousé la seconde fdle
de M""' de Craon; je parle exactement, car il est sûr
qu'elle est bien la fille de sa mère.
Je voudrais que ma fille n'eût pas aimé son mari
autant qu'elle l'a fait; le duc ne songe qu'à faire du
bien à ses favoris les Craon , il ne s'inquiète pas de
ses propres enfants; cela cause à ma fille un chagrin
extrême.
Lorsque le prince Charles de Hesse s'est imaginé
voir la reine, sa tante, il ne savait pas qu'elle fût
morte, et il ignorait même qu'elle fût malade ; il ve-
nait de recevoir une lettre d'elle. Dans les endroits
où l'on croit aux revenants, comme à la cour de
Cassel, on en voit sans cesse; chez nous où l'on n'y
croit pas, il n'en est jamais question. Ici, dire de
quelqu'un qu'il est trop pieux pour se livrer à la dé-
bauche la plus outrée, serait regardé comme un af-
front ; on se fait honneur et gloire d'être en relation
avec des femmes mariées, et l'on n'y attache aucune
houle. Très-peu de personnes connaissent la sainte
Écriture, et il y en a bien moins encore qui y croient
et qui en suivent les préceptes.
2G juillet 1721.
L'archevêque de Cambrai vint hier et me fit part
de son élévation au cardinalat; Albéroni a ainsi un
camarade ' .
* M. Capefigue a voulu montrer dans son ouvrage sur Phi-
lippe d'Orléans, réycnt de France, qu'à certains égards Dubois
avait été fort mal apprécié; les écrivains satiriques de l'époque
336 CORRESPONDANCE
Paris, 7 août 172/.
Personne ne peut bien juger de l'état des femmes
enceintes, parce que les grossesses sont bien diffé-
rentes. J'ai eu trois enfants, et mes trois grossesses
ont offert de telles différences que moi-même je n'y
pouvais rien comprendre.
Je sais bien quelqu'un que je ne puis aimer, mais
auquel je ne voudrais cependant faire aucun mal,
c'est le nouveau cardinal Dubois; il a empoisonné
toute ma vie ^ Dieu veuille lui pardonner, mais il
pourrait bien en souffrir en ce monde.
et les compilateurs qui les ont copiés, n'ont vu en lui que
l'homme corrompu ; Dubois fut autre chose ; il se montra diplo-
mate du premier ordre et ministre des plus laborieux; toute sa
correspondance est marquée d'un cachet de finesse et de pré-
voyance incontestable. Voir p. 383 de l'ouvrage cité (édition de
1845), l'ordre de travail du cardinal écrit de sa main. Chaque
jour le travail commençait à cinq heures du matin et se pro-
longeait sans interruption jusqu'à la nuit. Saint-Simon, qui dé-
testait le cardinal et qu'il ne faut pas toujours croire sur parole,
prétend qu'à la mort de ce premier ministre, il se trouva des
milliers de dépêches toutes cachetées, et il ajoute : « Son esprit
était fort ordinaire , sa capacité nulle , il voulait tout faire en
tout genre, et se comptait lui seul pour tout » (t. XXXIX,
p. 135). Les artifices de Dubois pour obtenir le chapeau sont
choses des plus curieuses. Il se fit appuyer par des adversaires
qui n'étaient d'accord que sur ce seul point; il eut pour lui
l'empereur et le roi d'Kspague , le prétendant et le roi Georges;
il acheta la misère de l'un avec les guinées de l'autre. Dana
son àmc insatiable, à la fureur du chapeau succéda la rabbia
papale.
* C'est sans doute une allusion à la part active qu'eut Dubois
au mariage du Uégcnt (alors duc de Chartres) avec une fille na-
turelle de Louis XIV.
DE MADAME LA DL1CHK?SF. d'ORLÉANS. 337
On ne saurait, lors même qu'on le voudrait par
plaisanterie, imaginer des modes plus vilaines et plus
ridicules que celles qu'il y a maintenant pour les hom-
mes comme pour les founnes ; j'en suis effrayée quand
je les vois; on dirait que les gens sortent d'une maison
de fous, ou tout au moins d'un bal masqué. Vous
avez bien raison de trouver horribles les modes fran-
çaises d'aujourd'hui.
Paris, JG août 1721.
Aimer ses enfants comme le fait le comte de Degen-
felt est une chose fort ordinaire, mais aimer sa femme
est une chose tout à fait passée de mode; on n'en
trouve ici aucun exemple, c'est une habitude entière-
ment perdue; mais, à bon chat, bon rat; les femmes
en font bien autant pour leurs maris. On trouve bien
encore, parmi les gens d'une condition inférieure, de
bons ménages; par exemple, un de mes valets de
chambre avait une femme qui était bien la plus laide
créature qu'on pût rencontrer dans le monde entier;
elle était plus laige que longue, la bouche énorme,
les dents toutes gâtés , les yeux chassieux, et cepen-
dant le pauvre homme se désespère parce qu'elle, est
morte depuis huit jours; mais, parmi les gens' de
qualité, je ne connais pas un seul exemple d'affection
réciproque et de fidélité.
Toutes les filles de M. Gaston ' avaient la main
prompte et étaient fort disposées à battre leurs gens,
hommes et femmes ; ce n'est pas sans exemple en
premier duc d'Orléans, frère de Louis XIII.
11.
» Le .
II. 29
338 CORRESPONDANCE
France : la princesse d'Harcourt, sœur de la duchesse
de Brancas, logeait au-dessus de moi à Versailles, et
je l'entendais souvent battre ses domestiques; par-
fois, le bâton dont elle se servait lui échappait des
mains et roulait par terre. Elle voulait un jour mal-
traiter une femme de chambre qui lui dit de prendre
garde , qu'elle n'était pas habituée à être frappée et
qu'elle saurait riposter ; la princesse n'en voulut pas
moins aller son train, mais la femme de chambre
était plus forte qu'elle; elle lui arracha le bâton et
la frappa rudement. Depuis, la princesse n'osa plus
battre un seul de ses gens; cela divertit toute la
cour.
Paris, 11 septembre 1721.
On m'a raconté l'histoire d'un garçon de l'apothi-
caire du roi ; lorsque le roi était encore jeune, on le
chargea d'aller porter des lettres à Lyon; lorsqu'il
passait dans la rue d'Enfer, un homme l'accoste et
lui demande où il va; il répond qu'il se rend à Lyon;
l'autre lui demande combien il faut de jours pour faire
ce voyage; le garçon dit qu'il en faut dix; l'homme
lui demande s'il voudrait y être rendu le soir même;
le garçon répond : « Bien volontiers , pourvu que la
chose fut possible. » Alois l'homme lui donne un bas
et lui dit de se l'attacher autour d'une de ses jambes.
Aussitôt que le garçon l'a fait, il se sent transporté à
travers les airs, et, le soir, il descend dans une grande
ville ; il demande où il est ; on lui répond qu'il est à
Lyon. 11 remet toutes ses lettres; mais il fut ensuite
malade jusqu'à la mort do la peur qu'il avait eue; ses
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 339
couleurs ne lui sont jamais revenues. Je crois qu'il est
encore en vie ' .
Paris, Il septembre 1721.
En Suède, on prétend que les noyés ne sont pas
réellement morts; lorsqu'on on retire de l'eau, on les
met dans une barrique, dans une chambre bien chauf-
fée, et on roule la barrique en tout sens jusqu'à ce que
le noyé ait rendu, par haut et par bas, toute l'eau qui
est entrée dans son corps. Quand il s'en est délivré
et qu'il a été réchauffé, il revient à lui; mais il faut
qu'aucun de ses parents ne se trouve parmi les assis-
tants, autrement il ne peut guérir. Si un de ses pa-
rents vient à entrer dans la chambre , le sang coule
par le nez, les oreilles et la bouche du patient. Des
personnes qui ont vu tout cela de leurs yeux me l'ont
assuré.
Il est très-vrai qu'il vaut mieux être bon que mé-
cliant ; mais la justice consiste à punir aussi bien qu'à
récompenser, et il est sûr que celui qui ne se fait pas
redouter des Français a bientôt sujet de les craindre ,
car ils méprisent bientôt celui qui ne les intimide pas;
voilà pourquoi je voudrais que mon fils ne fût pas aussi
bon qu'il l'est.
Paris, 25 septembre 1721.
Nous sommes tous ici en grand habit, car j'ai une
* Nous ne savons où Madame a puisé un pareil conte ; mais
nous trouvons dans un des ouvrages de Cyrano de Bergerac ces
paroles, que cet écrivain original met dans la bouche du diable :
« Je donne aux laquais ces bagues qui les font aller et revenir
de Paris à Orléans en un jour. •
3iO CORRESPONDANCE
cérémonie préparée à trois heures, la réception de ce
maudit cardinal Dubois auquel le pape a envoyé la
baretle; il faut que je le salue, que je le fasse asseoir,
et que je m'entretienne un moment avec lui ; ce ne
sera pas sans peine, mais la peine et la vexation sont
le pain de chaque jour ; mais voici notre cardinal qui
arrive , il faut ici que je fasse une pause. — Le cardi-
nal m'a priée d'oublier le passé; il m'a adressé la plus
belle harangue qu'on puisse entendre ; il a beaucoup
de moyens, c'est incontestable, et, s'il était aussi
honnête homme qu'il est capable, il ne laisserait rien
à désirer ' .
29 septembre 1721.
Madame Douairière' avait été fort agréable, à ce
qu'on dit, et si leste, que lorsqu'elle se sauva de Nancy
pour suivre son mari , elle était habillée en page, et
portait un flambeau ; mais comme elle ne savait pas
comment elle devait le tenir, M. de Beauveau lui
donna un coup de pied au derrière, en disant : « 11 faut
que ce coquin nouveau soit ivre ; voyez comme il
marche, et comme il porte son flambeau. » Elle s'é-
chappa, sans que personne remarquât qui elle était.
Mais, quand elle commença à vieillir, elle devint souf-
frante, malingre et comme hébétée. Elle avait l'habi-
tude d'aller aux lieux d'aisance dès que le maître
' Dubois n'alla jamais à son archcvèchô de Cambrai ; il avait
un revenu de un million cinq cont trentc-fiuatre mille livres.
Saint-Simon en donne le détail.
' Il s'agit de la iirincessc de Lorraine, veuve de Gaston, frère
de Louis Xlll.
DE MADAME LA DUCHESSE u'oULÉANS, 341
d'hôtel , avec sa baguette, venait pour annoncer que
Ton avait servi. Un jour, Madame avait M. Gaston à
table, et elle courut ainsi dès que le maître d'hôtel
entra. Celui-ci s'arrêta, et examina sa baguette par
tous les bouts. M. Gaston dit : « Sainl-Remi , que
cherchez-vous à votre bâton? » 11 répondit : « Je vois
que mon bâton a la faculté de purger; je cherchais
s'il était fait de rhuijarbe ou de séné ; car aussitôt
qu'il paraît devant Madame, je vois qu'il purge. »
Qiiand le mariage de Monsieur fut déclaré, il de-
manda à Saint-Remi : « Savez-vous bien que j'étais ma-
rié avec la princesse de Lorraine? — INon, répondit
celui-ci; je savais bien, Monsieur, que vous couchiez
toutes les miits avec la princesse de Lorraine, mais je
ne me doutais pas que vous l'eussiez épousée. »
Paris, 2 oclobre 1721.
Il faut, ma chère Louise , que je ne vous écrive ce
matin que deux mots et en toute hâte, car je vais à
Paris pour faire compliment à mon fds et à sa femme
d'une bonne nouvelle qu'ils viennent de recevoir et
qu'on m'a transmise aussitôt. Le roi d'Espagne a fait
demander leur fille pour son fils aîné , le prince des
Âsturies ; M"* de Montpensier n'a pas encore de nom;
avant (pi'elle n'aille en Espagne , on fera la cérémo-
nie; le roi et moi, nous la nommerons; elle fera en-
suite sa première communion et elle sera confirmée;
c'est ce qu'on peut appeler recevoir trois sacrements
à la fois ' .
1 Nous avons dit dans noire préface que, devenue reine d'Es-
29.
342 CORRESPONDANCE
Paris, 4 octobre 1721.
On ne me laisse aucun repos ; à chaque instant ve-
naient des visites ; il me fallait me lever et faire la
conversation. D'abord est venu le comte de Clermont,
troisième frère de M. le Duc ; ensuite la duchesse de
Ventadour et sa sœur, la duchesse de La Ferté ; nous
étions douze à table : il y avait le duc de Chartres,
ses trois sœurs et leur gouvernante, mes deux dames,
M™* de Ségur, qui est fille de mon fils, mais du côté
gauche, et qu'il n'a pas légitimée. 11 y avait aussi la
maréchale de Clérembault et M'"^ de Pourpris, femme
de mon grand-écuyer ; le cardinal de Gèvres vint en-
suite ; il fallut me lever pour le recevoir et l'entrete-
nir ; cela n'est pas encore comparable à ce qui m'at-
tendait après dîner, depuis deux heures jusqu'à six et
demie. Je trouvai dans ma chambre M™^ la Princesse
avec notre duchesse de Hanovre , la grande princesse
de Conti et M"^ de Clermont avec toutes leurs dames;
quand elles se furent en allées, vinrent la petite prin-
cesse de Conti avec sa tille, M''^ de la Roche-Saint-
Yon ', M"" du Maine, M""= la Duchesse avec M"« de
pagne en 1724, deux ans après son mariage, et veuve six mois
après être montée sur le tronc, cette princesse revint à Paris et
s'éteignit dans l'obscurité en 17 42. Elle ne montra en Espagne,
selon l'expression de Dudos, que « l'humeur sombre et maussade
d'un sot et plat enfant, » et elle resta la même après son re-
tour en France. — Un petit voiiuiie imprime à Bordeaux, en
17 22, sous le titre de J{oiitc de M'^^'^ d'Orléans, princesse des
Asturies, rend compte de son voyage lorsciu'ellc alla rejoindre
son mari.
' Louise-Adélaïde, née en 1600, morte en 1754, sans avoir
été mariée,
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 343
Charolais ' et toutes leurs dames. Il vint aussi beau-
coup d'autres dames qui ne sont pas de la famille
royale, comme la princesse d'Espinoy et M"e d'Arma-
gnac, sa nièce, la duchesse de Valenlinois, la prin-
cesse de Montauban, et je ne sais plus qui encore; des
duchesses en quantité innombrable , les maréchales
de Noailles et de Boufflers, les duchesses de Lesdi-
guières, de Nevers, d'Humières, de Grammont, de
Roquelaure , de Villars ; la duchesse d'Orléans vint
aussi ; les dames qui ne s'asseyaient pas étaient innom-
brables, et je suis sûre que j'oublie bien des tabou-
rets. Il faisait dans ma chambre une chaleur telle que
je me serais trouvée mal si , par moments , je n'étais
passée dans ma garde-robe pour respirer un peu ; mais
ce qui me faisait le plus souffrir, c'étaient mes genoux;
* Mlle de Charolais était sœur du duc de Bourbon ; le bruit
courut que le Régent en était amoureux ; une lettre du duc de
Bourbon à Dubois dans laquelle il prévient le cardinal que sa
sœur est au milieu d'une cabale acharnée contre eux, est in-
sérée dans l'ouvrage de M. Capefigue sur le Régent, p. 406. Le
cardinal répond que le bruit qui est venu jusqu'à Son Altesse
n'a absolument aucun fondement. Les chansons du temps font
allusion à d'autres intrigues attribuées à cette princesse; voici
un couplet pris entre plusieurs autres :
Que dirons-uoiis de Charolois
Avec son humeur sombre?
Elle est éprise d'un minois
liai de tout le monde ;
Qu'il est fier et qu'il est poltron!
La, la,
Tout le monde l'admire
A la façon de Biribi,
Barbari,
M9B ami.
"T^^
P''^
'^^f^a-
344 CORRESPUNDANCK
à force de me lever et de m'incliiier, j o croyais vrai-
ment que j'allais me trouver mal.
J'ai auprès de moi un abbé que j'ai bien souvent
appelé un drôle; il me casse tellement la tête avec
son bavardage que je ne sais plus ce que je dis ;
d'après cela, vous pouvez bien penser qu'il s'agit de
mon abbé de Sainl-Albin , qui sera bientôt évoque de
Laon ', et duc et pair de France; cela me fait grand
plaisir, car j'ai eu plus d'attachement pour ce pauvre
garçon , dès sa plus tendre enfance , que pour toutes
ses sœurs; car je suis persuadée que, de tous les en-
fants légitimes ou illégitimes de mon fils , c'est celui
qui m'aime le mieux.
7 octobre 1721.
Le duc de Saxe-Weimar, dont je vous ai déjà parlé,
a fait beaucoup de jolies reparties ^ Un jour, un
* Il eut rarchevcché de Cambrai nprès la mort de Dubois.
Madame a fait l'éloge de son esprit, et Ducios assure toutefois
que ci't élève des jésuites « étoit le plus zélé ignorant qui fût sorti
de leur école. » On lit dans les Mémoires de Maurepas : « Ma-
« dame aimoit beaucoup l'abbé de Saint-Albin, par ra: port au
« Père Ligniéres à qui il faisoit régulièrement sa cour. Il lui
« arriva une aventure assez plaisante du temps qu'il n'étoit
« encore qu'abbé. Il aimoit fort les femmes, ce qui engagea
« SI. Languet, évéquc; de Soisson-, à parler de sa conduite au
« duc d'Orléans. Ce prince fit sur-le-champ venir son fils, lui
« lit unesévèic réprimande devant cet évéquc, cl finit par lui
« dire qu'il ne convenoil point à un petit abbé conune lui de
« m(!ner une vie pareille à celle des grands prélats, ajoutant
« qu'il devoit attendre du moins qu'il fût évéque pour avoir une
« conduite aussi mauvaise que la leur. »
« T. II, p. 3.
Dli MADAME LA UlCIlliSSE d'OIILÉANS. 345
jeune Français lui demanda ; « Comment avez-vous
fait pour perdre la bataille ?» — Le duc lui répondit
tranquillement : « Je croyais la gagner, et je la per-
dis. » Puis il se retourna, et dit ; « Qui est le sot qui
me fait cette question ? »
10 octobre 1721.
Je n'ai vu le roi battre que deux hommes, et ils l'a-
vaient bien mérité : le premier était un valet , qui ne
voulait pas le laisser entrer au jardin pendant une
fête donnée par le roi ; il lui appliqua deux bons coups :
l'autre était un voleur, que le roi vit fouiller dans la
poche de M. de Yillars. Le roi était à cheval, il courut
sur le voleur et le frappa rudement avec sa canne ; le
voleur cria : « Au meurtre, on m'assojume ! » Cela nous
lit rire tous, et le roi aussi en rit ; il lit arrêter le co-
quin, et le força de rendre la bourse, mais il ne le fit
pas pendre On a beaucoup ri ici de la princesse
de Schomberg ', parce qu'elle faisait au roi plus de
cent questions, ce qui n'est pas l'usage ici ; le roi était
mécontent qu'on lui adressât la parole, mais jamais il
n'a ri en face de quel(|u"un
15 octobre 1721.
Après la mort de M'"^ la Duchesse la jeune, la pe-
tite princesse de Conti, sa mère, a écrit à un cavalier
qui se nomme M. de Challar, et qui était l'amant de
sa fille, et en l'assurant qu'il pourrait compter sur
* Marie d'Hautefort , ancienne dame d'atour d'Anne d'Au-
triche, veuve de Charles de Schomberg, maréchal de France. Elle
avait été aimée de Louis XIII,
346 CORRESPONDANCE
elle, et qu'elle le servirait dans tout ce qui dépendrait
d'elle. C'était M"'^ la Duchesse la jeune, qui avait eu
tant d'attachement pour Lassay, et qui avait été si
familière avec lui au bal masqué.
18 octobre 172J.
11 ne faut pas s'étonner si la Dauphine, lorsqu'elle
était duchesse de Bourgogne, était coquette. D'abord,
une des maximes de la Maint(Mion , c'est que la co-
quetterie n'est pas du tout un mal, et qu'une grande
passion seule est un péché. En second lieu, elle n'a
pas eu soin que la duchesse de Bourgogne se tînt
conformément à son rang ; celle-ci était souvent toute
seule dans son château, sans ses gens; prenant une
des jeunes dames sous le bias, elle courait sans ses
écuyers, et sans ses dames d'honneur et sa dame d'a-
tour. A MaiJy et à Versailles, elle allait à pied , sans
corset, entrait à l'église, et s'asseyait auprès de toutes
les femmes de chambre. Chez M'"^ tle Maintenon, on
n'observait point de rang, et tout le monde s'y as-
seyait ; elle faisait cela à dessein pour qu'on ne pût
remarquer son propre rang. A Marly, la Dauphine
courait la nuit avec tous les jeunes gens dans le jardin
jusqu'à tiois ou quatre heures du matin. Le roi n'a
pas su un mot de ces courses nocturnes. La Mainte-
non avait aussi défendu à la duchesse de Lude de dire
un seul mot à la duchesse de Bourgogne, pour ne pas
la(à('her,aMen(ln(iuesila Duchesse devenait triste, elle
ne pourrait plus divertir le roi. Elle avait menacé de
ne jamais pardonner à quieon(]ue serait assez témé-
raire pour dénoncer la Dauphine auprès du roi. Voilà
DE MADAME LA DUCHESSE d'orLÉANS. 347
pourquoi personne n'a eu le cœur de dire au roi un
seul mot à cet égard : il n'en a rien su, en effet, quoique
la cour et tous les éliangers en fussent instruits. La
Dauphine se faisait traîner par terre par des laquais
qui la prenaient par les pieds ; ils disaient entre eux :
« Allons-nous bientôt nous divertir chez la duchesse
de Bourgogne ? » car elle l'était encore à cette époque.
Paris, 23 oitobre 1721.
Je vous envoie la lettre que je vous ai promise du
roi de Bohème ' à sa femme ; c'est un morceau cu-
rieux.
De Strabiich, ce 21/31 de marce 1632.
« Mon trés-cher cœur. Jay répondue à vos chères
« lettres, du 4, 14 de mars, le 25deKitiingen; depuis
« je nay point eu de vos lettres ny commodité de vous
« Escrire ce qui me fâche le plus Est ce que nos let-
« très sont si souvent intercepté, ce qui fait craindre
« dEcrire et ne faut rien dire que ce qu'on se soucie
« que tout le monde sache, jl me tarde Extrêmement
' Frédéric V, électeur palatin, marié en 1618 à Elisabeth,
fille de Jacques I*"", roi d'Angleterre. Les habitants du royaume
du Bohême où le protestantisme avait fait de grands progrès,
s'élant révoltés contre l'empereur Ferdinand II, te choisirent
pourlein- roi, mais le 8 novembre 1020, il fut complètement
battu par les Autrichiens; ses Étals héréditaires et la dignité
électorale furent donnés au roi de Bavière, et Frédéric, réduit à
chercher avec sa famille un asile en divers pays, mourut à
Majcnce le 29 novembre 1632. 11 était grand-père de Madame.
Nous rcproduiàons sa lettre avec toutes les incorrections du
texle.
348 CORRESPONDANCE
« dauoir de vos lettres et désire assuré de votre santé,
« pour moy, je me porte fort bien je suis tout le long
« du jour En Campagne avec le Roy qui est fort hon-
« neste Enuer moy : le 26 Nous sommes venue à
a Pfrum, le 27 a Wjnlen qui est Situé en vue fort belle
a Campagne, le 28 Le Roy fit mettre toutte son in-
« fanterie En bataille près de la ville elle est fort belle
« le 29 nous avons logée à wjlgorstorf En la maison
« dvn baron de Milmzingen c'est celuy qui a épouzô
« une Contesse Dorlimbourg, elle y estoit auec sa
« Sœur vne barone de Wolfestein Et Sa belle-fdle, je
a croy qu'aués bien ouy parler deux à leur feu Cousin
« Le comte hanry Dortemb. Elle a vn bien deplesant
« mary qui est 30 ans plus vieux qu'elle, Elle ne se-
« roit laides sielles estoreni bien coiffées, Et habillées,
« Elles portent des chapeaux auec des fort grand hors
« et tout deriere sa teste et des cheueux qui leurs ca-
« che presque tout le visage Ivne auoit un pourpoint
« d'homme de couppé a la chemise auec vn cotillon
« Elles esloienl fort bizarrement accommodées, hier
« le Roy est venu à Fort El le malin jl est allé à INii-
« remberg jl dit n'auoir jamais veu vne plus belle
Œ ville aussi l'estelle extraimment et fort peuplée. Le
« majislrat la trosté fort bien en la maison ou jay été
« logé aulrc fois, je suis allé noir la contesse de Ho-
« loch Schillingsfurs. Elle a esté fort aise de me uoir
« Et souheltc Un\ de vous venir Scniir En ce pays,
« nous y eûmes les nouvelles de la mort du bon comte
« henry de Solmcs qui est mort de Sablessure iy ay
« bien {>erdn car jl m'csioil foit alffcliouné, après le
« disner le Pioy a fait le tour de la ville a pied j(.' me-
DE MADAME LA Dl'CflESSE D'oRLÉANS. M9
« tonne qu'il peut faire tant dexercice card jl est bien
« gras, Se soir nous sommes arriués issy ou nous
« avions trouvé les deux fils du marquis DAnspach et
« le Snrager qui est aussi surt qu aveugle je voudrois
« qu'il eust excusé son frère le Roy attend le duc Guil-
« launie de Weinmar demain jl aura alors po.lemoin
« 24000 homes a pied et 12000 a cheval jl souhete de
« uoir 207 mais Tilly seretire jl est venu hier auec
« son armée à Neumarc, jl y apparence qu'il prendra
« Son Chemin Vers le Danuble je croy que 1 20 ( Ro)
« vistera (132 R. Ba) SU est possible le marquis Chri-
« solle de Badin et le duc Jean de Holstein sont arrive
0 icy ainsy que je nay faute de compagnie de toutte
« sorte Je crains que pour quelque temps les affaires
« en 158 (bas Palatinat) niront trop bien maispourueu
« que cette marche succède bien cela se raccommo-
« dera bien Ledit Duc de Holstein dit que les pierre-
« ries et argent de notre grand mère doiuent estre
« bien tost partagée en cinq parties Et qu'on parle de
« remettre toutte la partie de la reine votre mcre au
a roy d'Angleterre qui seroitbien jnjuste et le 123 re-
« tiendroit par ce moyen tout pour luy a cause de ce
« que 1 16 luy doit, je croy que luy deveriez escrire et
« le prier de vous faire tenir la moitié qui vous est deu
« et luy remontrer que cela na rien de commun avec
« ce que 116 luy doit, je melonne que personne ne
« me mande ce que Percka vous aporté en cest af-
« faircs ni ce que 123 (Rven) vous a escrit jay peure
« ([uc seres aussi peut heureux En cette Succession
« quand celle de feu la reine Votre mère, pour mes
« affaires je ne Say que vous En dire Dieu veillie
l!. 30
350 CORRESPONDANCE
« quelles aillent bien et que je puisse auoir bientost
« le Contentement de vous voir et de nous pouuoir
« témoigner Combien parfaitement je Suis
« Mon chère vnique cœur
« Votre très fidelle amyet très affectionné seruiteur.
« Fridéric.
« Ceux de Nuremberg ont fait praisant au Roy deux
« grouppes en formes de globes tereste et celleste
« curieusement fait. »
Pari?, 30 octobre 1721.
La princesse Ragotzi s'exprime avec politesse et bon
sens. Je connais bien sa vie et je dois convenir que
j'ai un peu honte d'elle, car tout le monde ici connaît
son histoire ; j'ai fait rire mon fils ce matin en lui di-
sant qu'il ne fallait pas qu'il restât seul avec elle, car
elle serait très-capable de vouloir le violer. On prétend
qu'elle a voulu en agir ainsi avec le czar.
i" novembre 1721.
La Crande-Duchesse {de Toscane) dit que du temps
de la régence de la reine (mère), lorsqu'on mena M. le
Prince et son frère, M. le prince do Conti , à la Bas-
tille, on leur demanda quels livres ils désiraient pour
se distraire. Le prince de Conti demanda V Imitation
de Jésus-Christ. Le prince de Condé demanda Vlmi-
tation du duc de Beaujort, qui venait de s'échapper
de la Bastille, et je crois, dit la Grande-Duchesse, que
la princesse de Modène demandera V Imitation de la
(jrande- Duchesse '.
^ Le grande-duchesse de Toscane, lille du premier lit de
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 351
Paris, 5 novembre 1721,
La princesse de Siegen sVst tout à fait gâtée en
France; lorsqu'elle y arriva, chacun louait sa modestie,
mais elle est tombée dans la mauvaise compagnie,
s'est livrée au jeu , et s'est mise à courir les bals; cela
l'a entièrement pervertie comme bien d'autres, et l'a
jetée dans une conduite scandaleuse et désordonnée
qu'elle mène encore, à ce que j'entends dire. Je ne
comprends pas ce qui a pris à mon cousin , le land-
grave de Cassel, pour devenir aussi galant sur ses
vieux jours ; dans sa jeunesse il n'avait jamais fait par-
ler de lui sous ce rapport. La façon dont vit la prin-
cesse de Siegen montre qu'il n'y a chez elle aucun
principe de la foi chrétienne; je crois qu'elle est tout
à fait sans religion. On dit ici que le landgrave a con-
tracté un mariage de conscience, et épousé une de-
moiselle de Bernholdt; si la chose est vraie, c'est sans
doute parce qu'elle le réchaulle, comme on faisait au
roi David, car je ne puis croire qu'un homme de
soixante-six ans soit tellement ami des dames qu'il ait
un si grand besoin du mariage; mais l'âge ne préserve
pas de la folie, comme dit le proverbe allemand.
Vous me dites que les biens du prince d'Istein seront
partagés entre le comte de Nassau-Ottweiller et le
comte de Saarbruck; cela me fait peur; quelle diffé-
rence il y avait entre les deux frères de Saarbruck!
Celui qui est mort était un honnne charmant, plein
Monsieur, avait quitté son mari qui lui déplaisait, et l'Italie
qu'elle n'aimait pas, afin de revenir à Paris. 11 en a déjà été ques-
352 CORRESPO.NUANCE
de politesse et de vertu , mais celui qui existe est un
nigaud qui fait peine à voir; il ne peut ni se tenir, ni
parler.
Paris, 22 novembre 172».
Ce que vous me dites de l'époque actuelle et de ma
situation me montre bien que vous ne connaissez ni
cette cour ni ce pays. Plût à Dieu que le feu roi vécût
encore, j'avais alors plus de plaisir et de contentement
en un jour que je n'en ai eu durant les six années de
la régence de mon fils ! Il y avait alors réellement une
cour, et ce n'était pas cette vie bourgeoise à laquelle
je ne puis mhabituer, moi qui ai été élevé à la cour,
et qui y ai passé toute ma vie. Du temps du roi , mon
tîls était toute la journée avec moi ; maintenant je le
vois à peine une heure en un mois. A Paris, où nous
avons une antichambre en commun, je suis souvent
trois jours sans l'apercevoir; sa régence ne me donne
([ue soucis et inquiétude, car je suis toujours dans les
transes qu'on ne l'assassine par suite de la haine ef-
froyable qu'on lui porte ; il ne se gène nullement dans
ses galanteries et il court toutes les nuits, ce qu'il ne
pouvait faire du temps du roi. Par là , je crois aussi
que sa santé est en grand péril.
Paris, 29 novembre 1721.
En sortant de la chapelle, j'ai rencontré le comte
d'IIoïm et le chevalier de Schaub ; ils m'ont raconté
que Cartouche avait été roué hier; cela m'a retenue
longtemps ' .
' Le procès et la mort de ce personnage célèbre dana les an»
DE MADAME LA UIXHKSSE u'OKLÉA.NS. 353
Les gens de petite taille dansent toujours mieux
que les grands. Si M"'^ de Genimingen est aussi grande
que son frère, je ne crois pas qu'elle danse bien. On
n'a vu aucune personne de grande taille danser par-
faitement, si ce n'est la grande princesse de Conti ',
nales du vol, et sur lequel le Journal de Barbier, t. 1, contient
de lungs détails, donnèrent lieu à un certain nombre d'écrits
devenus aujourd'hui difficiles à rencontrer ; nous citerons entre
autres :
Recueil des arrêts du Parlement, rendus au procès contre
Louis-Dominique Cartouche et ses complices, Paris, 17 22;
Histoire du procès du fameux Cartouche et de ses complices,
Paris, 17 23.
Cartouche ou les Voleurs, comédie, 17 21 (par Le Grand).
Le permis d'imprimer e^t du IG octcbre 1721; Cartouche fut
roué le 28 du même mois. Celait là une étrange exploitation
de l'a- propos.
Cflr/o!<cAc, poème, par Grandval, 1723, 172C, réimprimé en
1827. On trouve à la suite un dictionnaire de l'argot.
Mentionnons à cet égard un fait qui s'est reproduit dans d'au- ,
très circonstances.
Lorqu'en 17 21, éclata le procès de Cartouche, toute la France
fut en émoi; des portraits étaient demandés à cor et à cri;
deux bonnes gens, Aubert, dessinateur, et Le Gallois, qui a écrit
sur les plus belles bibliothèques de France, avaient été gravés
fort ressemblant;. On se iiàta d'écrire le nom de Cartouche au
bas de leurs tctcs, et l'impatience du public fut satisfaite.
Ce malfaiteur célèbre se trouva enrôlé parmi les adversaires
du jansénisme , en servant de prétexte à un écrit intitulé :
Apologie de Cartouche, ou le scélérat justifié par les pré-
ceptes du Père Quesnel, Avignon, in-8.
* Cette princesse fut célèbre par la majesté de son port et la
beauté de ses traits; c'est elle-même qui, par la grâce et la lé-
gèreté de sa danse, troublait le sommeil du poëte.
L'herbe l'auroit portée, une fleur n'auroit pas
Reçu l'empreinte de ses pas.
<Î.A FoNTii>E, le Sonrjc, dans SCS OEuvres, 18 27, t. VI, p. ) S 0.)
30.
354 CORRESPONDANCE
mais personne au monde ne dansait aussi bien qu'elle.
J'ai vu bien des gens qui étaient gros être de bons
danseurs : le duc de Sully est fort gros et il danse
fort bien; mon fds aussi.
3 décembre 1721. i
On voit à Fontainebleau, dans le cabinet de la
reine, le portrait de la belle Féronnière, qui avait tant
plu à François I". Il la fît peindre en profil. Elle a été
la cause innocente de sa mort. Son mari, voulant se
venger du roi , fit venir une femme de mauvaise vie
très-malsaine, et dès qu'il se fut infecté, il infecta de
cette vilaine maladie sa femme ; à son tour, elle la
communiqua au roi , et il en mourut. On a fait à ce
sujet les vers suivants :
Le roi François, mort à Rambouillet,
De la V qu'il avait ' ,
L'an rail cinq cent quarante-sept.
5 décembre 1721.
Mon fils ne peut et ne ^eut croire que le duc du
Maine soit le fils du roi. Cet liomme a toujours été
faux, il a rendu de mauvais services à tout le monde,
aussi était-il haï comme un archi-rapporteur. Sa
femme, la petite grenouille, est beaucoup plus vio-
lente que lui; comme il est très-peureux, la peur le
retient souvent, mais la femme mêle de l'héroïque
dans ses comédies.
Je crois bien que le comte de Toulouse est fils du
roi, mais j'ai toujours cru que le duc du Maine est fils
' Selon son usage invariable, Madame écrit les mots en
toutes lettres.
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 355
de Terme, qui était un faux coquin , et le plus grand
rapporteur de toute la cour ' . La vieille guenipe avait
persuadé au roi qu'il n'y avait, dans le duc du Maine,
que piété et vertu , et lorsqu'il rapportait du mal de
quelqu'un, elle disait que c'était pour son bien , afm
que le roi le corrigeât; le roi trouvait ainsi tout admi-
rable venant du duc, et il le regardait comme un
saint. Ce à quoi le confesseur, le P. Letellier, a beau-
coup contribué, afin de plaire à la vieille; feu le
chancelier, M. Voisin , a aussi parlé au roi en faveur
du duc, d'après l'ordre de la vieille.
Pari*, G décembre 1721.
On ne peut pas dire que M"' de Montpensier soit
laide; elle a de .jolis yeux, la peau fine et blanche, le
nez bien fait quoique un peu mince, la l)ouche fort
petite; avec tout cela, c'est la personne la plus désa-
gréable que j'aie vue de ma vie ; dans toutes ses fa-
çons d'agir, qu'elle parle, qu'elle mange, qu'elle
boive, elle est insupportable; elle n'a pas versé une
larme en nous quittant, et c'est à peine si elle nous
a dit adieu '. J'ai vu successivement deux de mes
« Voir dans Saint-Simon des détails sur ce personnage que
personne ne voulait voir à la cour, et qui passait pour espion.
* La conduite de cette princesse, en Kspagne, justifia le ju-
gement qu'en porte Madame. Llle portait sa maussaderie fan-
tasque et revéche jusqu'à refuser de paraître aux fêtes qu'on
donnait en son honneur. « Devenue reine, elle resta enfermée
« dans ses appartements, livrée exclusivement à la société de
« ses jeunes caméristes ; leur liaison re(;ut une interprétation
« si scandaleuse que le roi son époux les chassa du palais et lit
■ enjerqier la reine au château de Buen-Retiro, Peu de tempà
356 CORKESl'ONDANÇE
parentes, et maintenant ma petite-fille, devenir reines
d'Espagne. Celle que j'ai le plus aimée était ma
belle-fille; j'avais pour elle l'afl'ection la plus sincère,
et comme si elle était ma sœur, car elle n'aurait pu
être ma fille, puisque je n'avais que neuf ans de plus
qu'elle. J'étais encore tout enfant lorsque j'arrivai
ici ; nous jouions ensemble avec Charlçs-Louis et le
« après ils se réconcilièrent » ( De Tocqueville). Lemonley, dans
son fragment déjà cité sur les filles du Régent, est entré dans
des détails curieux. Voici la lettre que la princesse écrivait à
son père dans l'occasion la plus solennelle de sa vie, le lende-
main de son mariage. Elle couvre dans l'original quatre pages
de cnraclères infirmes. On apiiréciera par le style et l'orlho-
graplie l'instruction que recevait une princesse au Palais-Royal:
« Mon chère papa avant Jere le roy la reine et le prince me
« vinre voire je netait pas encore arriver ici le lendemein gi
a arriveret je fut marie le même jour cependant ili a eu au-
« jourd'huit encore des ceremoni a faire le roy et la reine me
« traite fort Lien pour le prince vous en avez ace oui dire je suis
« avec un très profond respec votre 1res heumble et très obi-
■ santé file »
Cette lettre est du 21 janvier 17 22. Pendant la roule, la
princesse en avait adressé à son père une autre qui commence
dinsi :
« A Rasacc ce 22 décembre Permete mon dicre papa que
« jail Ihonncur en vous souhaitent davence une bonne ane de
« prendre encore congé de vous et de vous asurcr nuls terme
« ne pouvant esprimer ma vive reconnessance de toust ce que
« vous aves fait jiour moy que je vous la marquerez toute ma
« vie par ma bonne conduite et mon aplicalion à playre. Trouve
« bon ausi que rendent justice à la maison du roy je m'en loue
« infiniment. Le cierge qui est très bien composer a eu toute
« lexattiide possible. »
Le maréchal de Tessé, ambassadeur à Madrid, après l'avoir
représentée connue plus négligée et plus maljjropre qu'une ser-
vante de cabaret, ajoute avec raison, ce semble: « La jeune
DE MADAME LA DL'CHKSSE D'okLKANS. 357
petit prince d'Eisenach ; nous avons souvent t'ait un
tel vacarme qu'on n'aurait pas entendu tomber le
tonnerre.
S'il avait été question de faire épouser à l'infant
d'Espagne une archiduchesse, et si le comte de ManS'
feld vivait encore, je ne donnerais pas un cheveu df?
la vie de la princesse des Âsturies, car il a empoi-
sonné notre chère et pauvre reine , aussi sûr que je
suis à vous écrire ' . On n'est pas scrupuleux à cet
« reine est un papier blanc mal plié, » indiquant ainsi que sa
réputation équivoque était la suite d'une enfance mal dirigée
plutôt que de vices réels, La Place (Pu'ces intéressantes et peu
connues, t. I, p. 34) raconte comment le comte de Bonneval
releva à Bruxelles des bruits calomnieux relatifs à un gentil-
homme français qu'on disait avoir été assassiné à Madrid pour
avoir été trouvé chez la reine. Après la mort de son mari elle
revint en France; Barbier [Journal, t. I, p. 2CC) la dit bien
faite, blanche, grasse, mais sans plus de résolution et de senti-
ment qu'un enfant de sept ans. Il raconte comment, en 1727,
elle se retira dans un couvent avec une camériste^ un chien et
deux chats.
• Celte accusation, qui n'est nullement prouvée, se retrouve
dans les Mémoires de Saint-Simon, qui attribue en outre la
mort du prince électoral de Bavière au poison que lui fit admi-
nistrer la cour de Vienne (voir t. lll, p. 95; t. IV, p. 81, et
t. XIV, p. 27 ). On lit dans les Mémoires de Louville : « Il n'est
« pas douteux que la reine d'Espagne, nièce de Louis XIV, n'ait
« été empoisonnée en 1689, et qu'elle n'ait payé de sa vie
« l'inutile empire qu'elle avoit su prendre sur son époux. »
M.Vatout [le Palais-Royal, 1838, in-8, p. 87) s'exprime ainsi:
« Les mémoires du temps font entendre que M'ie d'Orléans,
femme de Charles II, mourut empoisonnée par la comtesse de
Soissons. Des documents particuliers donneraient à penser
qu'elle périt victime d'une singulière intrigue de cour. Dans la
crainte de voir la couronne d'Espagne passer sur une tête
étrangère, des personnes qui étaient dans le secret de l'impuis-
358 CORRESPONDANCE
égard dans le conseil impérial, et, sans que Tem-
pereiir le sache, on expédie les gens dans l'autre
monde ' .
Paris, !9 février 1722.
Je tus hier voir notre duchesse de Hanovre pour
lui l'aire compliment de condoléance, au sujet de la
mort de la duchesse de Zell, qui est décédée le 4 de
ce mois ; plut à Dieu que ce fût survenu soixante ans
plus tôt!
Paris, 21 février 1722.
Les gens gros, grands et forts ne vivent pas plus
longtemps que les autres ; nous le voyons bien par la
pauvre princesse de Ragotzi; dimanche, elle était
fraîche et bien portante ; lundi , après qu'elle se fut
fait arracher une dent, il lui vint un abcès dans la
bouche et de la fièvre ; on l'a saignée deux fois au
sance de Charles II, avaient conseillé à la reine d'admettre en
secret un autre que son mari dans la couche royale; elle re-
poussa ce conseil avec une vertueuse indignation ; mais pres-
sentant le danger dont elle était menacée, elle écrivit à son
père pour demander du contre-poison. Il arriva trop tard. »
On lit dans le Journal de Dangeau, 18 août IC9C : « Monsieur
manda à Madame royale, sa fille , qu'elle se défiât de M. de
Mansfeid, contre qui il y avait eu de grands soupesons à la mort
de la reine d'Espagne, sa sœur. » D'autres écrivains du temps
ne doutent pas de la réalité de ce crime, et M. Monmerqué,
dans une note de son édition des Lettres de Mme de Sévigné,
a réuni des conjectures tellement fortifiées les unes par les au-
tres, qu'elles équivalent, on peut le dire, à une certitude.
' Saint-Simon parle de « la facilité de la maison d'Autriche
à s'aider du poison pour se dclairc de ce qui l'embarrasse »
l. X.XIX, p. 2G.
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 359
bras et une fois au pied ; elle se Irouva mieux nu
moment après cette saignée, mais ensuite elle dit :
« Je me sens plus mal, » et elle a rendu l'esprit. On
l'a enterrée hier dans son couvent. Ses gens m'ont
raconté à son égard une chose tout à fait extraordi-
naire : lorsqu'elle était à Varsovie, elle rêva une nuit
qu'un étranger venait lui parler dans une petite
chambre qu'elle n'avait jamais vue; il lui présenta
un verre et lui dit de boire ; elle n'avait pas du tout
soif et elle s'y refusa; il insista et lui dit que c'était
pour la dernière fois de sa vie qu'elle buvait; là-
dessus elle s'éveilla. Ce rêve lui resta toujours dans
la tête; lorsqu'elle vint ici, elle logea d'abord dans
un hôtel, et, s'étant trouvée incommodée, elle de-
manda un médecin; on lui amena le docteur Helvé-
tius, qui est un des médecins du roi par quartier; son
père est un Hollandais; c'est un habile homme et
fort estimé. Aussitôt qu'elle l'aperçoit, elle manifeste
un grand trouble. Le comte Schlieben lui en demande
la cause; elle répond que le docteur Helvétius repro-
duit trait pour trait, à ses yeux, l'homme qu'elle a vu
en songe à Varsovie, puis elle se mit à rire et dit : « Je
ne mourrai pas de cette maladie , car cette chambre
n'est pas celle que j'ai vue à Varsovie. » Lorsqu'elle
vint dans le couvent de Chaillot, et qu'elle vit l'ap-
partement qu'on lui avait préparé à l'avance, elle dit
à ses gens : « Je ne sortirai pas en vie d'ici , car c'est
la chambre que j'ai vue en songe en Pologne, et où
j'ai bu pour la dernière fois. » La chose s'est en effet
réalisée; c'est vraiment fort étrange, mais il me
semble que ces choses-là arrivent aux princes de lu
360 noRrj-spoxDANCE
maison de Hcsse plus qu'à toutes autres personnes.
Quelle en est la raison? Dieu le sait. Nous autres,
gens du Palatinat, nous sommes tout différents; nous
n'avons jamais ni apparitions ni rêves.
3 mars 1722.
La vieille ( Mainte non) éloignait le roi de moi tant
qu'elle pouvait; elle avait fait de manière que loiilcs
les personnes de la maison royale ne pouvaient entrer
dans le cabinet de Sa Majesté ; ma demande à cet égard
ne me fut pas refusée formellement, mais elle ne me
fut accordée qu'ai)rès la mort du Dauphin et de la
Dauphine. Colle-ci accom[)agnait le roi en beaucoup
d'endroits où je n'allais point, et où je n'aurais pas
voulu aller, car elle allait avec lui lorsqu'il était assis
sur un sale trône, ce que la vieille faisait aussi , afin
d'avoir toujours ce moyen de parler au roi en secret.
10 mars 1722.
L'histoire du prince Emmanuel de Portugal est
comme un roman. On dit que son frère, le roi, voulut
d'abord le faire prêtre et évoque; cela ne lui conve-
nait pas, et il voulait s"on dispenser, car on prétond
(pi'il était amoureux dans son pays. Le roi le fit venir,
lui demanda s'il était vrai qu'il ne voulût pas être ec-
clésiastique. Le prince ayant répondu que c'était vrai,
le roi donna, dit-on, un soufflet à son frère; là-dessus
l'infant répondit : « Vous êtes mon frère et mon roi,
je ne puis ni ne dois me venger de vous ; mais comme
vous m'avez fait un alViout, vous ne me reverrez pas
DE MADAMF. i.\ mCHRSSE d'ORLÉANS. 361
de toute votre vie » . On dit qu'il partit la nuit même.
Le roi lui avait ordonné de s'en retourner de Paris en
Hollande ; l'infant n"a rien répondu à cet égard ; aussi
ni le gouverneur, ni l'ambassadeur ne doutèrent qu'il
n'eût la volonté d'obéir à son frère. Il dit à l'ambas-
sadeur qu'il avait envie de voir Versailles et Marly.
L'ambassadeur fit tout préparer, et lui et sa femme
partirent avec le prince; le gouverneur et un gentil-
homme du prince furent de la partie. Lorsqu'ils re-
vinrent de Versailles et qu'ils furent arrivés au milieu
du cours, le prince fit arrêter et s'écria : « N'est-il pas
venu ici une chaise de poste? » Une voix répondit :
« Oui, monseigneur, en voici quatre. — C'est assez,
dit le prince. » Il se tourna vers l'ambassadeur, le re-
mercia extrêmement des grandes preuves d'amitié
qu'il lui avait données, et il ajouta : « Je ne désire
rien plus que de trouver une occasion de vous témoi-
gner ma reconnaissance; je pars en ce moment pour
me rendre à Vienne chez l'empereur, il est mon cou-
sin, et me recevra bien, je l'espère. Je veux apprendre
dans SCS troupes, et contrôles Turcs, à faire mon mé-
tier. y> H adressa aussi ses remerciments à son gouver-
neur de la peine qu'il avait eue de l'élever, et lui
protesta que si Dieu lui accordait du bonheur, son
gouverneur le partagerait certainement. 11 fit aussi un
compliment au gentilhomme, et il descendit ensuite,
appela les chaises de poste et §e mit dans l'une; son
favori, un petit jeune qui est un drôle assez laid ,
mais qui, dit-on, a beaucoup d'esprit, se mit dans
l'autre, et ses deux valets de chambre dans la troi-
sième et la quatrième. D'autres disent (et c'est ce qui
3G2 CORRESPONDANCE
rend le roman encore plus parfait) qu'il aurait été
amoureux, en Portugal, de M"'^ je Ribeira, avant
qu'elle ne fût mariée, et qu'il avait voulu l'épouser,
que le roi son frère n'avait pas voulu le permettre, et
que, peu de temps avant son départ, le mari l'avait
surpris aux genoux de sa femme, et ce mari est terri-
blement jaloux, et cela hâta le départ du prince. Le
roman est ainsi accompli.
Paris, 26 mars 1722.
Je ne crois pas qu'on puisse dans le monde entier
trouver une enfant plus aimable et plus jolie que
notre jolie infante '; elle fait des réflexions qui se-
raient dignes d'une personne de trente ans : « On dit
que quand on meurt à mon âge on est sauvé, et on
va droit en paradis; je serais donc bien heureuse si
le bon Dieu voulait me prendre. » Je crains qu'elle
n'ait trop de moyens et qu'elle ne vive pas; elle a les
plus gentilles façons du monde; elle m'a tout à fait
prise en amitié, et elle court au-devant de moi, dans
son antichambre, les bras grand -ouverts et m'em-
brasse avec affection. Je ne suis pas mal avec le roi;
j'ai joué hier à son gouverneur un tour qui m'a bien
' L'infante d'Espagne amenée en France pour y être élevée et
(îpouser Louis XV ; ceUe union n'eut pas lieu, mais ce projet, qui se
liait avec le inariiii,'c de deux filles du Régenl avec deux infants,
termina la querelle entre Pliilippe V et la maison d'OrUans.
Tcttc négociation fut menée à bonne lin par le père Daubentoii,
confesseur du roi d'Espagne, qui obtint, en écliançic de son
/(•le, deux stipulations secrètes favorables à son ordre, la dé-
siynalion d'un jésuite pour confesseur du roi, et l'exil du chan-
c(li( r d'Ayuesfceau ( voir les Mimoties de Maurepns, 1. 1, p. 223 j.
DE MADAME LA DUCHESSE d'OULÉANS. 3G3
divertie. Ils sont tous extrêmement jaloux du roi,
dans la crainte qu'on ne lui dise quelque chose con-
tre eux; je les ai bien attrapés. Avant-hier, le roi
avait soullert d'une colique venteuse ; je m'approche
de lui avec em[)ressement tenant un billet à la main ;
le maréchal de Villeroi fut extrêmement embarrassé,
il me dit de l'air le plus sérieux : « Quel billet don-
nez-vous là au roi? » Je répondis avec non moins de
gravité : « C'est un remède contre la colique des
vents. » Le maréchal répliqua : « Il n'y a que le pre-
mier médecin du roi qui puisse lui proposeï- des re-
mèdes. » Je répondis : « Pour celui-ci , je suis sûre
que M. Dodart l'approuvera ' ; il est même écrit en
vers. » Le roi était aussi fort embarrassé ; il ouvrit
le papier et se mit à rire. Le maréchal, n'y tenant
plus, demanda : « Peut-on le voir? » Je répondis :
« Oh, oui, ce n'est pas un secret; » il se mit à lire :
Vous qui, dans le mésentère,
Avez des vents impétueux.
Ils sont dangereux.
Et pour vous en défaire.
Pétez :
Pétez, vous ne sauriez mieux faire.
Pétez,
Trop heureux de vous défaire d'eux.
A ces malheureux
Pour donner liberté tout entière,
Pétez,
Vous ne Sfiuriez mieux faire ;
Trop heureux,
De vous délivrer d'eux ■*.
• Claude-Jean-Baptiste Dodart, nommé en 1718 prcmii'r mé-
decin de Louis XV, et mort en 17 30, âgé de soixante-six ans,
sans avoir laissé aucun écrit.
* Les vers de Madame sont parfaitement dignes de figurer
364 CORRESPONDANCE
11 s'éleva un tel éclat de rire que je ne fus pas sans
me repentir d'avoir fait cette farce, car le maréclial
paraissait réellement fâché; c'est encore un Irait qui
me rappelle ma jeunesse. Nous avons ici d'étranges
anecdotes. Une demoiselle a montré uïie résolution
étonnante : Un gentilhomme, après avoir séduit et
rendu enceinte une de ses sœurs , ne voulait pas
l'épouser ; il avait tué en duel un de ses frères et
balafié le visage à un autre, et, pour déshonorer
toute la famille, il prétendait qu'il avait eu commerce
avec la mère, de sorte qu'il ne pouvait épouser la
fdle. M"^ de Saint-Étienne, voyant que celui de ses
frères qui vivait encore n'avait pas assez de cœur
dans la Crép'ifonomie, Paris, 1815; clans le Dieu des Vents,
La Haye, 1776; dans le Guide du Prussien, 1825, et dans les
nombreux ouvrages du même genre, mentionnés dans le cu-
rieux répertoire spécial qui fait partie de la Bibliotheca sccito-
lofjicu, Scatopolis, chez les marchands d'aniterges, l'année sca-
lo^ine, 58 'lO (Paris, Jannet, 1850). Pareilles plaisanteries, qui
paraîtraient aujourd'hui de hicn mauvais goût , étaient alors
vues avec plus d'indulgence ; Tallemant des Rénux parle dans
ses Hislovieltes (t. IV, p. 63 de l'édition in-12) d'un membre
de la famille des Arnauid, qu'on appelait Arnauld le l'éleux,
« parce que, dès sa jeunesse, il étoit accoutumé à péter par-
tout, w Ou rencontre dans un recueil de vers publié par le li-
braire Sorcy, sous le règne de Louis XIV, une pièce adressée
A une demoiselle tourmentée des vents, que nous ne voulons
pas citer. Cela s'iuiprimait avec privilège royal, et se dédiait î"!
un aumônier de Sa Majesté. D'après Saint-Simon, on fit à la
cour mille plaisanteries sur la duchesse de Montfort atteinte
d'une fort désagréable infirmité de ce genre. Benserade, en
composant les vers d'un ballet où figurait Louis XiV lui-nicnic,
s'était permis de dire :
Cnr riuu u'cbl ilaiiyiTcus djuiiiiL' les vents coulis.
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 365
pour laver la honte de celte famille, est allée trouver
M. des Escart et lui a dit : « Vous avez déshonoré
ma famille tout entière; vous pouvez le réparer en
épousant ma sœur. Prenez garde à ce que vous me
répondrez, car si vous ne répondez pas bien, vous
pourrez vous en repentir ; regardez-moi bien ; me
reconnaissez-vous? » 11 répondit : « Oui, je vous re-
connais bien ; vous êtes M'"' de Saint-Étienne, mais
je n'épouserai pas votre sœur, quoiqu'elle soit grosse
de moi. » Alors la demoiselle saisit un pistolet chargé
qu'elle avait dans sa poché et lui casse la tête; il a
vécu encore quelques heures et a déclaré qu'il lui
pardonnait sa mort. On sollicite en sa faveur, et je
trouve qu'elle mérite bien sa grâce '. — L'autre his-
toire étrange est celle d'un jeune prêtre de vingt et
un ans, qui était fort instruit et qui avait été chargé
de donner des leçons de latin à M"" de Vermandois.
Il est devenu fou d'amour pour elle, et il a écrit à
M™» la Duchesse qu'il voulait l'épouser ; il a écrit à
la jeune princesse une foule de lettres où il exprime
sa passion. L'abbesse n'a pas voulu que ces lettres
fussent remises , mais elle a envoyé à ce prêtre le
confesseur du couvent, afin de lui dire qu'il eût à
s'abstenir d'écrire et de venir au couvent. Le jeune
prêtre a répondu : « Je vois bien que tu es mon rival
et que tu veux m'enlever la princesse; il est permis
de tuer son rival ; » et là-dessus, il prend un pistolet
qu'il avait dans sa poche, brûle la cervelle au pauvre
' Cette (lemoiseUc se nommait Du Chéron, et le fait se passa
à Muntpellier. Voir le Journal de Marais, Revue rétrospeetive,
t. Vlll, p. 210.
31.
366 CORRESPONDANCE
confesseur, et l'étend roide mort. On l'a condamné
à être roué, mais M™» la princesse sollicite fort la
grâce de ce pauvre fou.
Il arrive ici des choses qui montrent, selon moi, que
Salomon a eu tort de dire qu'il n'y avait rien de neuf
sous le soleil ; c'est ainsi que M™^ de Polignac a dit à
son mari : « Je suis grosse ; vous savez bien que ce
n'est pas de vous, mais je ne vous conseille pas de faire
de bruit, car, s'il y a un procès à cet égard, vous per-
drez, et vous savez bien quelle est la loi dans ce pays-
ci : Tout enfant né dans le mariage appartient au
mari ; ainsi cet enfant est à vous; d'ailleurs, je vous
le donne. » Je crois qu'il ne s'est jamais rien vu de
pareil.
Paris. 16 avril «722.
Les jeunes gens, à l'époque où nous sommes, n'ont
que deux objets en vue, la débauche et l'intérêt; la
préoccupation qu'ils ont toujours de se procurer de
l'argent, n'importe pnr quel moyen, les rend pensifs
et désagréables; pour être aimable, il faut avoir l'es-
prit débarrassé de soucis, et il faut avoir la volonté
de se livrer à l'amusement dans d'honnclos compa-
gnies, mais ce sont des choses dont on est bien éloi-
gné aujourd'hui.
Il n'est que trop vrai que chacun a ses peines et ses
soucis; j'ai vu hier des personnes sincèrement affli-
gées et dont je partage sincèrement les chagrins, M™*
la Princesse et sa petite-fille, la jeune princesse de
Conli; elle a entamé un procès contre son mari; il
veut absolument la ravoir cl elle a éprouvé de sa part
DE MADAME LA DUCHESSE O'ORLÉANS. 367
des traitements si affreux , qu'elle veut également à
toute force se séparer de lui; cela fait un bruit ter-
rible '.
20 avril 1722.
Les moines du couvent d'Ibourg voulurent se ven-
ger de ce que je les avais dénoncés, sans m'en douter,
en disant à Tabbé qu'ils avaient péché dans un étang
sous ma fenêtre, chose que l'abbé avait défendue ; ils
s'avisèrent de me verser du vin blanc à la place d'eau.
Je disais : « Je ne sais ce que c'est que cette eau-là,
plus j'en mets dans mon vin, plus il devient fort. »
Les moines disaient : « Nous avons de bien bon vin. »
En sortant de table, je voulus aller au jardin ; mais
si l'on ne m'avait retenue, je serais tombée dans l'é-
tang : je me jetai par terre et je m'endormis aussitôt.
On me porta dans ma chambre et je me mis au lit. Je
ne me réveillai que le soir à neuf heures; je me sou-
vins de tout ce qui s'était passé; c'était le jeudi saint;
je portai plainte à l'abbé de ce que ses moines m'a-
vaient fait : ils furent mis en prison. On m'a souvent
plaisantée au sujet de ce jeudi saint.
8 mai 1722.
On avait fait au roi une telle peur de l'enfer, qii'il
croyait que tous ceux qui n'avaient pas été instruits
par les jésuites étaient damnés, et qu'il craignait d'ê-
tre damné aussi s'il les fréquentait. Quand on voulait
perdre quelqu'un , on n'avait qu'à dire : // esl hugue-
• Le Journal de Barbier, t. I, contient des détails fort éten-
dus sur cette affaire.
368 CORRESPONDANCE
not OU janséniste; alors l'affaire était faite. Mon fils
voulut prendre à son service un gentilhomme dont la
mère était une janséniste déclarée. Les jésuites, pour
faire une affaire à mon fils auprès du roi, lui dirent
que le prince voulait prendre un janséniste à son ser-
vice. Le roi fit appeler mon fils et lui dit : « Comment,
mon neveu, de quoi vous avisez-vous, de prendre un
janséniste à votre service? — Moi! répondit mon fils;
je n'y pense pas. » Le roi dit : « Vous prenez un tel,
dont la mère l'est. » Mon fils se mit à rire et répondit '
a Je puis assurer Votre Majesté qu'il n'est sûrement pas
janséniste; il est même plus à craindre qu'il ne croie
pas en Dieu. — Oh ! dit le roi, si ce n'est que cela, et
que vous m'assuriez bien qu'il n'est pas janséniste,
vous pouvez le prendre. »
Paris, 14 mai 1722.
Je ne sais pas si je vous ai fait part du beau dialo-
gue qui a eu lieu, il y a quelques mois, entre M'"°' de
Polignac et de Sabran ' et doux duchesses; les du-
chesses n'étaient pas de si bonne maison que ces deux-
dames ; les dames ne voulaient pas qu'au bal de l'Hô-
tel-dc-Villc les duchesses se missent au-dessus d'elles:
« Vous voulez vous mettre au-dessus de nous pour
montrer vos beaux habits qui sortent de la bouli(pic
de votre père » ; les duchesses piquées de ce discours,
répondirent : « Si nous ne sommes pas d'aussi bonnes
' Fille (le la duchesse de Foix et l'une des maitrcsscs du ré-
gent (voir Saint-Siinou, t. XXIX, p. 251). «Rien de si beau
qu'elle, de plus régulier, de plus agréable ; elle cloit insinuante,
déijaueliée. charmante surtout à table. »
W. MADAME LA 1)1 CHtSSE J)'oiU,EANS. 369
maisons que vous, au moins nous ne sommes pas des
putains comme vous » ; les dames répondirent ; « Oui,
nous sommes des putains et nous voulons l'être, car
cela nous divertit. » Ne sont-ce pas là de beaux propos
chez des dames de qualité ' ? La princesse de Sicgen
pourrait bien en dire autant ; j'approuve fort qu'à
Francfort on ne veuille pas la voir ; si on en faisait
de même ici, les femmes seraient plus réservées et ne
s'exprimeraient pas avec l'effronterie dont elles don-
nent des preuves, comme vous voyez.
Je ne crois pas qu'il existe une nation plus ingrate
et plus intéressée que les Français; si je ne l'avais pas
vu de mes yeux, je ne pourrais le croire.
Paris, 16 mai 1722.
Je vous remercie bien de prier pour moi; je n'ai
plus rien à demander pour mon bonheur en ce monde;
pourvu que Dieu protège mes enfants , je suis con-
tente , mais j'ai grand besoin qu'on l'intercédé pour
mon bonheur dans l'autre vie, ainsi que pour mon
nis. Dieu veuille le convertir, c'est la seule grâce que
je lui demande. Je ne crois pas qu'il y ait dans Paris,
tant parmi les ecclésiastiques que parmi les gens du
monde, cent personnes qui aient la véritable foi chré-
tienne et même qui croient en notre Sauveur ; cela
me fait frémir.
21 mai 1722.
Après le décès de Monsieur, le roi me fit demander
1 Voir le Journal de Barbier, t. 1, p. 341. La duchesse de
Biron et Mme de Rupelmonde se traitent de p....ns cl s'envoient
faire f.
370 CORRESPONDANCE
OÙ je voulais aller, si c'était dans un couvent de Paris,
ou à Maubuisson, ou ailleurs. Je répondis que puisque
j'avais l'honneur d'être de la maison royale, je ne pou-
vais avoir d'autre demeure que là où était le roi, et
que je voulais ainsi aller droit à Versailles. Cela plut
au roi ; il vint me trouver ; cependant il me piqua un
peu, car il me dit qu'il m'avait fait demander où je
voulais me retirer, parce qu'il n'avait pas pensé que je
voulusse rester au même endroit où il était. Je dis que
je ne savais point qui avait pu faire à Sa Majesté
d'aussi faux rapports contre moi, et que j'avais plus
de respect et d'attachement pour Sa Majesté que tous
ceux qui m'avaient accusé à faux. Alors le roi fit sortir
tout le monde, et nous eûmes un grand éclaircissement
dans lequel le roi me reprocha de haïr M^^^ ^q Main-
tenon. Je dis qu'il était vrai que je la haïssais , mais
seulement par attachement pour lui, et parce qu'elle
me rendait de mauvais oftlccs auprès de Sa Majesté;
cependant j'ajoutai que s'il lui était agréable que je
me réconciliasse avec elle, j'étais prête à le faire. La
bonne dame n'avait pas prévu cela, autrement elle
n'aurait pas laissé approcher le roi de moi ; il fut de
si bonne foi qu'il me resta favorable jusqu'au dernier
moment. Il fit venir la vieille et lui dit : « Madame se
veut bien raccommoder avec vous ; » il nous fit em-
brasser, et cela se termina de la sorte. Il voulut en-
suite qu'elle vécût bien avec moi ; c'est ce qu'elle fit
aussi en apparence, mais sous main elle me joua toutes
sortes de tours. Une me répugnait pas d'aller faire un
voyage à Montargis, mais je ne voulais pas que cela
eût Tair d'une disgrâce, et comme si j'eusse conmiis
DE MADAMK L.\ DICHESSE D'oRLÉANS. 371
quelque délit qui m'eût fait chasser de la cour. Il était
à craindre d'ailleurs qu'à deux journées d'ici on ne
me laissât mourir de faim, et cela ne faisait pas mon
affaire, j'aimai mieux me réconcilier avec le roi. Quant
à la retraite dans un couvent, je n'y trouvais pas du
tout mon compte; mais c'était justement là ce que la
vieille aurait désiré. Le château de Montargis est mon
douaire ; à Orléans il n'y a pas de maison ; Saint-Cloud
n'est pas un apanage, c'est une propriété que feu Mon-
sieur avait achetée de son propre argent. Or, mon
douaire n'est rien ; tout ce que j'ai pour vivre vient du
roi et de mon fds ; on m"a laissée au commencement
de mon veuvage sans rien me payer ; on me devait à
la fin trois cent mille francs, qu'on ne m'a payés qu'a-
près la mort du roi ; qu"eùt-ce donc été si j'avais choisi
ma retraite à Montargis ' ?
Paris, 4 juin 1722.
I^e savant de Halle qui a amené le margrave de
Dourlach à renoncer à sa conduite scandaleuse et à
renvoyer son sérail, mérite sûrement une place dans
le ciel; mais quant au maudit prêtre qui, assurément
par intérêt , a si fort égaré le margrave , il est digne
de la punition la plus sévère ; il ne suffit pas de le dé-
poser, il faudrait le condamner à une prison perpé-
tuelle ; les autres y regarderaient davantage avant de
donner de mauvais conseils.
1 Voir à ce sujet les Mémoires de Choisy, 1727, t. II, p. 72.
« Lorsque Monsieur eut reçu ce qui revenoit de sa femme pour
a la succession de l'électeur palatin , il acheta des pendants
« d'oreilles de quarante mille écus, et se fit un grand plaisir de
t meubler sa galerie du Palais-Royal, u
372 CORnESPONDANCE
Les mendiants qui parcourent le pays sont ordi-
nairement de grands coquins. Il y a quelques années
on en tua un qui avait la coutimie de suivre la cour
monté sur un âne : c'était un assassin; il faisait sem-
blant d'être tombé de son âne , il suppliait les gens
de venir, par charité, l'aider à se relever. Il avait un
couteau et un sifflet, et ceux qui venaient l'aider dans
des endroits écartés, avec son couteau il leur coupait
le cou , et avec son sifflet, il appelait ses camarades
qui venaient dépouiller les pauvres victimes.
1 j juin 1722.
Le Dauphin {le chic de Bourgogne) avait beaucoup
de moyens; sa piélé était du fond de l'âme, mais il
avait une faiblesse, il se laissait mener par sa femme
comme un enfant; elle lui faisait, malgré tout son
esprit, croire tout ce qu'elle voulait. Il a bien montré
que son amour pour elle était grand, car le bon sire
est certainement mort de chagrin de la perte de son
épouse, et il avait toujours dit (pi'il en serait ainsi. Un
savant astrologue de Turin avait fait à M""" la Dau-
phine son horoscope, où elle a trouvé tout ce qui de-
vait lui arriver en sa vie, et qu'elle mourrait dans sa
vingt-septième année. Elle en parlait souvent ; un jour
elle dit à son mari : « Voici le temps qui approche où
je dois mourir; vous ne pouvez pas rester sans femme
à cause de votre rang et de votre dévotion ; dites-moi,
je vous prie, qui épouscrez-vous '/ » Il répondit : « J'es-
père que Dieu ne me punira jamais assez pour vous
voir mourir; et, si ce malheur devait m'arriver, je ne
me remarierais jamais, car dans huit jours je vous
DE MADAME LA DUCHF.SSR b'OHLÉANS. ^73
suivrais au tombeau. » Cela ost arrive justement
comme il l'avait dit; en eiïet, le septième jour après
la mort de son épouse, il est mort aussi. Ce que je dis
là n'est pas un conte, c'est la pure vérité. Pendant que
la Dauphine était encore bien portante , fraîche et
gaie, elle disait souvent : « Il faut bien que je me ré-
jouisse, puisque je ne me réjouirai pas longtemps, car
je mourrai cette année. » Je croyais que c'était une
plaisanterie, mais la chose n'a été que trop réelle.
Lorsqu'elle tomba malade, elle dit de suite qu'elle
n'en réchapperait point.
2 juillet 1722'.
La reine-mère était fort tranquille au sujet du car-
dinal Mazavin; il n'était pas prêtre, il |)0uvait donc
bien se marier. On en connaît maintenant toutes les
circonstances; le chemin secret qu'il prenait toutes
les nuits pour aller la trouver est encore au Palais-
Royal.
Saint-CIoud, 30 juillet 1722.
On n'entend parler que de meurtres et de vols. On
a trouvé dans une chapelle, affichés sur les murs et
jusque sur l'autel, des placards annonçant que, si on
ne cesse pas de rouer et de pendre , le feu sera mis
aux quatre coins de Paris.
Sainl-Clond, G août 1722.
J'ai vu aujourd'hui un homme qui est tellement
malheureux , et qui m'a fait tant de peine , que les
1 Colle lettre porte à tort la date de 17 20 dans l'édition alle-
mande de 1789.
II. 33
374 CORRESPONDANCE
larmes m'en sont venues aux yeux. Il y a quatre ans
que le petit-fils du duc de Villeroi, le duc de Rais,
a épousé la fille du duc de Luxembourg, qui s'est si
fort plongée dans la débauche , que pour plaire au
duc de Richelieu elle a soupe nue avec lui et ses
bons amis. Il y a quelques mois, elle s'est mise avec
ce coquin de Riom qui a l'air d'un esprit malin ; elle
ne s'est pas contentée de lui, mais elle a pris aussi
son beau-frère le chevalier Dédie ; comme Riom lui
en faisait des reproches, elle lui a demandé s'il s'é-
tait figuré qu'elle dût se contenter de lui avec le tem-
pérament qu'elle avait, et elle ajouta qu'il devait lui
avoir de la reconnaissance si elle l'épargnait et en
prenait d'autres avec lui, car elle ne pouvait s'endor-
mir si elle n'avait été caressée huit fois ' ; n'est-ce
pas là une belle personne? L'envie lui prit ensuite de
se remettre avec le duc de Richelieu , mais celui-ci
persistant dans sa ferme résolution d'avoir toutes les
jeunes dames , a déclaré à son amie que si elle vou-
lait renouer avec lui, il fallait d'abord qu'elle lui li-
vrât sa belle-sœur, la marquise de d'Alincourt. Elle
s'y est engagée et , vendredi dernier, la duchesse de
Rais mena avec elle la marquise se promener dans
les jardins. Lorsqu'on fut dans le petit bois, Riom
survint avec Richelieu; la duchesse voulut se saisir
des mains de sa belle-sœur, mais celle-ci poussa des
cris si elTroyables et résista tellement , que dos pro-
meneurs vinrent à son secours. Elle courut aussitôt
trouver sa mère , la maréchale de Boufllers , et lui
' Dcn sic konle uicht eiiischlallen sic heUe tien 8 mahl
wiJslcreyii grtliun.
DE MADAME LA DUCHESSE DORLÉANS. 375
porta plainte. La maréchale la mena dans la nuit
chez le maréchal de Villeroi qui , de grand matin , fit
mettre la duchesse de Rais dans un carrosse ; elle a
été conduite à Paris et, de là, on doit la mener dans
un couvent de province' ; mais ce n'est pas le seul
malheur qui soit arrivé au maréchal , car, presque
aussitôt, on apprit une horrible orgie à laquelle avaient
pris part, sans y mettre le moindre mystère, un gentil-
homme nommé M.deRamhure, qui s'est marié cette
année, et qui est neveu du premier président, le jeune
Boufflers , qui n'a que dix-sept ans , le marquis d'A-
lincourt, le marquis de Même qui a plus de quarante
ans. La chose est trop horrible pour que je l'écrive.
Le maréchal s'est empressé d'écrire à mon fils et il a
obtenu une lettre de cachet qui exile son petit-fds, le
marquis d'Alincourt ; le marquis de Rambure a été
mis à la Bastille , le marquis de Même exilé en Lor-
raine, et le petit Boufflers dans une de ses terres ^
Sa mère est bien à plaindre. C'est une digne et brave
femme qui a élevé ses enfants avec beaucoup de soin.
Je la connais très-bien ; elle a été élevée avec mes
enfants. Lorsqu'elle vint trouver mon fds, il ne la
reconnut pas, tant elle était changée ; elle ne fait que
pleurer nuit et jour ; je la plains de toute mon âme.
On ne parle pas ici d'autre chose.
* Voir le Journal de Marais, Hevue rétrospective, t. VIH,
p. 220.
2 Voir le Journal do Marais, t. VIH, p. 221 et 222. « Quand
le roi a demandé pouniuoi tous ces exils contre ces jeunes sei-
gneurs, on lui a dit que c'éloit parce qu'ils avoicnt arraché des
palissades dans le jardin. •
37(i <:(>iuifc;spoNUA.\(:K
lo août 1722.
Lorsque la princesse de Siegen vint ici, elle n'était
pas ce qu'elle est devenue depuis, mais elle s'est tout
à fait corrompue : lorsqu'on a pris une fois l'habitude
de la débauche, il est fort rare qu'on s'en corrige. Je
dois vous dire que le vieux maréchal de Villeroi s'é-
tait mis dans la tête, depuis quelques jours, l'idée de
ne pas vouloir que mon fils parlât au roi en particu-
lier, ce qui a si fort irrité mon fils qu'il l'a fait arrê-
ter et mener à Villeroi; le duc d'Escars est gouver»
neur du roi en remplacement du maréchal.
30 août 1722.
11 n'y a pas au monde un meilleur air que celui
d'Heidelberg et surtout celui du château où est mon
appartement ; rien de mieux ne saurait se rencontrer.
Personne mieux que moi ne peut comprendre, ma
chère Louise, ce que vous avez dû sentir à Heidel-
berg ; je ne peux pas y songer sans la plus vive émo-
tion, mais je ne veux pas en parler ce soir, cela me
rend trop triste et m'empêcherait de dormir.
A M. DE HARLING.
29 septembre 1722.
Je fais ce que mon docteur ordonne, afin de ne pas
être tourmentée, et j'attends de la main de Dieu tout
puissant tout ce (pi'il décidera à mon égard; je suis
entièrement résignée à sa volonté.
AU MKMK.
3 octobre 1722.
Depuis uvaul-hier (pie je vous ui écrit, il n'est sur-
DE MADAME LA DUCHESSE d'OULEANS. 377
venu aucun changement en ce qui me concerne; cela
ira comme Dieu voudra ; je me prépare donc à mon
voyage à Reims; le temps montrera ce qui en résul-
tera. Je vous envoie une lettre de votre neveu, et je
vous assure qu'en quelque situation que je sois, je se-
rai et resterai toujours votre véritable amie.
A LA COMTESSE LOUISE.
Paris, 5 novembre 1722.
Depuis avant hier je suis revenue ici, mais dans un
triste état.
Durant mon voyage ' j'ai reçu cinq de vos bonnes
lettres, je vous en remercie bien sincèrement, car elles
m'ont fait le plus grand plaisir. Je n'ai pu y répondre
tant à cause de ma faiblesse que du tracas continuel
où j'ai été; mon temps était tout pris par les cérémo-
nies, par mes enfants que j'ai eus constamment autour
de moi et par une foule de gens distingués, princes,
ducs, cardinaux, archevêques, évoques qui viennent
me voir. Je ne crois pas que dans le monde entier on
puisse imaginer quelque chose de plus magnifique que
le couronnement du roi ; si Dieu me laisse un peu de
santé, je vous en ferai la description ^ Ma fille a été
émue en me voyant; elle ne croyait guère à ma ma-
ladie et elle s'était imaginée que cétait seulement un
' Le voyage de Reims pour assister au sacre de Louis XV.
2 Cette description, que Madame ne put faire, se trouve dans
l'ouvrage rédigé par Danchet, intitulé : Le Sacre de. Louis XV
datis l'église de Reims, le 2b octobre 1722; ce volume, très-
grand in-folio, se rencontre facilement, mais il y a des exem-
plaires en papier de HjUande, avec les figures enluminées, qui
sont fort précieux.
32.
378 CORRESPONDANCE
peu de fatigue ; mais lorsqu'elle m'a vue à Reims, elle
a été si fort choquée que les larmes lui sont venues
aux yeux; elle m'a fait de la peine; ses enfants sont
bien venus; je crains que l'aîné ne soit un géant, il
n'a encore que quinze ans et sa taille est extraordi-
naire; les quatre autres ne sont ni grands ni petits;
le plus jeune, Charles, est extrêmement drôle; il se
divertit avec ses sœurs et fait une foule de tours plai-
sants; on peut dire de lui, selon une expression de
notre père, que sa langue ne moisit pas dans sa bou-
che; le plus joli des trois garçons, selon moi, c'est le
second. Quant aux filles, la cadette est sans contredit
la plus jolie, mais l'aînée a si bonne mine qu'on ne
peut la trouver laide. Je voudrais bien causer davan-
tage avec vous, mais je me sens trop faible.
l'aiis, 12 novembre 1722.
J'espère vous envoyer après-demain la grande rela-
tion du sacre; je ne sais rien de nouveau, si ce n'est
qu'on m'a dit une chose qui me cause la plus grande
joie, c'est que mon fils a rompu avec ses maîtresses,
et qu'il trouve qu'il ne peut plus continuer un genre
de vie qui serait un très -mauvais exemple pour le roi
et qui lui attirerait de justes reproches; que Dieu le
maintienne en ces bonnes dispositions et dispose tout
pour son bonheur; c'est la seule chose qui me tra-
casse ; je suis sans aucune inquiétude pour ce que Dieu
décidera de moi.
I*aris, 21 novembre 1722.
Je baisse d'heure en heure cl je souffre nuit et jour;
DE MADAME LA DLCHESSE D'ORLÈANS. 379
tout ce qu'on me fait ne me soulage en rien. J'ai
grand besoin que Dieu m'inspire de la patience ; il me
ferait une grande grâce s'il me délivrait de mes souf-
frances; ne vous affligez donc pas si vous veniez à me
perdre, car ce serait un grand bonheur pour moi.
Paris, 26 novembre 1722.
En sus de ma maladie, j'ai autre chose qui me va au
cœur, la pauvre vieille maréchale de Clérambaut'
est fort malade.
Paris, 29 novembre 1722.
Vous ne recevrez aujourd'hui qu'une bien courte
' Lire dans les Mémoires de Saint-Simon le portrait qu'il
fait de cette dame, qui avait été gouvernante de Mademoiselle:
« Elle étoit très-singniière, et quand elle étnit en liberté et
qu'il lui plaisoit de parler, pleine de traits et de sel : hors de là
elle restoit des jours entiers sans dire une parole; elle avoit
pensé mourir de la poitrine, et elle avoit eu la constance de
rester un an sans proférer un mot. Elle prétendoit deviner
l'avenir par des calculs et de petits points, et cela l'avoit fort
attachée à Madame qui aimoit fort ces curiosités. » Dans ses
notes sur le Journal de Dangeau, Saint-Simon, revenant sur
le même sujet, représente la maréchale comme « riche, avare,
bijoutière, ne se souciant de personne, et toutefois considérée.
Elle jouoit, sans mot dire, le jour et une partie des nuits. Elle
avoit une sœur qu'elle aimoit passionnément et qui tomba ma-
lade. Elle y envoyoit à tous moments, puis quand elle sut qu'elle
étoit au plus mal, elle dit : « Jla pauvre sœur, qu'on ne m'en
parle plus ! et elle n'en parla de sa vie. » Il est quelquefois ques-
tion d'elle dans les chansonniers manuscrits; bornons-nous à
uue citation :
De vous à moi, maréchale ma mie,
Vous scntez-Tous dame d'honneur ou uou?
Vous affectez beaucoup de pruderie,
Mais vous avez un pelit air fripon,
Lon, reloa toulou.
380 COF.HKSPO.NDANCE
lettre; je suis plus mal que je n'ai jamais été et je n'ai
pu fermer l'œil de toute la nuit. Hier malin, nous
avons perdu notre pauvre maréchale; elle n'a éprouvé
aucune attaque, mais la vie l'a comme abandonnée.
Cela me fait une peine sincère , car c'était une dame
d'une grande capacité et de beaucoup de mérite; elle
était fort iniîtruite, mais elle ne le faisait pas paraître.
On dit qu'elle a choisi pour héritier le fils de son
frère aîné. Il n'est pas surprenant de voir s'en aller
une personne âgée de quatre-vingt-huit ans. Il est
toutefois pénible de perdre une amie avec laquelle on
a passé cinquante-un ans ; mais il faut que je m'ar-
rête, ma chère Louise; je suis trop souffrante pour
pouvoir en dire davantage aujourd'hui. Si vous voyiez
en quel triste état je suis, vous comprendriez bien que
je dois désirer que cela finisse '.
' Madame mourut neuf jours après avoir écrit cette dernière
lettre; elle fut perlée sans pompe à Saint-Denis (voir Saint-
Simon, l. XXXVIII, p. 115, 123). Nous trouvons ilans le Journal
de Marais, en date du 3 décembre 17 22 : « Madame est très-
malade; on n'en espère rien; les médecins empiriques viennent
de tous côtés qui lui promettent beaucoup, mais elle leur dit à
tous qu'ils sont des charlatans, et qu'elle en mourra. KIlc a bien
du courage et de la force d'esprit. Elle ne s'est point embarrassée
du voyage de Reims, et a dit qu'on mourait fort bien partout.
Elle a dit à son Uls : « Pourquoi pleiirez-vousi* Ne faut-il pas
mourir? » A une daine de sa cour <iui lui voulait baiser la main,
elle a dit : « Vous pouvez m'embrasser; je vais dans un pays où
tout est égal. » — On perd une bonne princesse, et c'est cliosc
rare. •
APPENDICE.
A M"" DE MAINTENON.
Cette lettre nous a été communiquée par M. Théophile La-
vallée, qui s'occupe depuis plusieurs années à réunir tous les
écrits de Mme de Maintendn, et qui en a commencé la publica-
tion dans la Bibliothèque Charpentier. {Note de V éditeur. )
23 octobre 170T.
La reine douairière d'Espagne est cause, Madame,
qu'il faut que je vous importune encore d'une assez
mauvaise lecture, et vous prie de faire lire au Roy ma
lettre pour voir si Sa Majesté approuve ma réponse;
ayez la bonté, je vous en prie, en cas que le Roy y
trouve quelque chose à retrancher ou à augmenter, de
me le mander. 11 faut aussi, Madame, que je vous dise
la joye que j'ay eiie d'une nouvelle bonté que le Roy
m'a témoignée de trouver bon que je l'ayc vu avant-
hier dans son cabinet, après le soupe; comme toutes
ses bontés me viennent de vous, en ce que vous m'a-
vez rapprochée du Roy, je vous prie de croire que je
n'en reçois aucunes marques que ma reconnoissance
pour vous n'augmente dans mon cœur, et je vous as-
sure que mon amitié pour vous, Madame, va bientôt
égaler l'estime qui vous est due '.
Elisabeth-Charlotte.
» Celte lettre et celle du t" juin 1701 (t. I, p. 60) ne s'ac-
cordent guère, on en conviendra, avec les invectives que la
princesse prodigue si souvent à M^c de Maintenon. 11 y avait
entre ces deux femmes une telle disparité de goûts et d'éduca-
382 CORRESPONDANCE
On lit dans les Mémoires des Dames de Saint-Cyr ,
rhap. XXIX , que dès le jour même de la mort de
Louis XIV, le duc d'Orléans (régent) et sa mère vinrent
faire visite à Mme de Mainlenon, qui était à Saint-Cyr :
« Mme la douairière, disent les Mémoires, vint quelques
heures après le duc d'Orléans; elle étoit en grand habit,
ce qui marquoit bien sur quel pied elle regardoit Mme de
Maintenon. Elle fut quelque temps avec elle, oîi elle lui
donna beaucoup de marques d'estime et d'amitié; aussi
avoil-elle dit après la mort du roy, que Mme de Maintenon
étoit un ange par la manière dont elle avoit usé de sa fa-
veur , et celle dont elle avoit parlé au roy dans ses der-
niers moments, aussy bien que par son désintéressement. »
Nous joignons à la correspondance de Madame les deux
lettres suivantes, qui nous ont été communiquées trop tard
pour être mises à leur place chronologique. Que MM. Ra-
thery et Payen, qui ont bien voulu les porter à notre con-
naissance, reçoivent ici l'expression de nos remerciements*.
Versailles, ce mercredi 17 de décembre 1710.
Mons. l'cvêque d'Avranche, mes 5 tomes d'Âstré
esloit déjà partis avec Mons. de Montaigne, lorsque
tiun, une opposition si complète sur tons les points qu'on n'est
i^uère surpris de la haine sauvage de la duchesse d'Orléans, sur-
tout en songeant que Mme de Maintenon était pour elle presque
une rivale. Eu cU'et, cette princesse si complètement dépourvue
des charmes qui pouvaient séduire Louis XIV, avait pour ce der-
nier un sentiment très-tendre, qui était connu de tout le monde
à la cour, et qui, bien entendu, est resté vierge dans son cœur.
Mme (Je Maintenon y fait allusion dans une de ses lettres ; en
parlant d'un entretien que la duchesse d'Orléans avait obtenu
de Louis XIV, et qui avait duré trois heures, elle ajoute avec
malice : Vous jugez si elle a été contente l C'est la seule rail-
lerie qu'on trouve sur la princesse dans la correspondance de
Mme de Mainlenon [Note de l'éditeur).
* Nous rencontrons sur divers catalosues de ventes d'auto-
DE MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 383
j*ay receu vostre lettre ; je n'ay jamais reçu les deux
autres tomes, et je ne vois personnes ici qui les ait
reçus. Quand vous aurez vous les personnages que je
vous ay marqués dans ma dernière lettres, vous vous
en resouvienderez peut estre. Car Polemas fait un trop
grand personnage dans toulte les 4 tomes pour estre
simplement imaginés. 11 faut que le père de Trévous
vous ait rendu conte du sermon du père Poisson, cor-
dellier, mais je ne Tay pas ouy presclier qu'à la Tous-
saint de despuis mon entorse m'a empeschez d'aller
au sermon, je n'en say les belles citations que par ouy
dire. J'advoue que de tels propo sont trop extraordi-
naire en chaire de prédicateur pour donner envie de
dormir.
Je vous prie de me croire, Mons. Tévêque d'Avrange,
votre bien bonne amie,
Elisabeth-Charlotte '.
Fonlainel)lpau, 10aofitl7l2.
...Je suis très-aise que M'^^^ de Maintenon soit
contente de moi, ainsi que le roi ; mes intentions sont
bonnes; vous savez quels sentiments j'ai eu toute ma
vie pour le roi ; mais si je suis timide, vous en savez
graphes faites à Paris, l'indication de diverses lettres de Ma-
dame dont nous n'avons point de copie. Voici la note de quel-
ques-unes : autographes réunis par l'Alliance des Arts, !«' avril
1844,noi«9, lettre adiesséeô7a&e«eZ>0Hrfr»n, ainsi qu'uneautre
portée au catalogue Lalande, 8 avril 1844, n<'422; catalogue
Laroche-Lacarelle, 4 février 1847, n° 498. Cabinet d'un ama-
teur, 22 mars 184T. Idem, tOmai 1847, n° 181.
' Cette lettre ligure sur un catalogue d'autographes; 7 dé-
cembre 1864 (ChasbiionJ,n° CSG.
384 CORRESPONDANCE
la raison. Aussi, hélas ! piiis-je me flatter qu'étant en
tout devenue plus désagréable que jamais , que je ne
soye pas de trop , partout où je me trouve, surtout
ayant déplu si longtemps '
Nous avons hésité à reproduire les deux lettres suivantes,
qui se trouvent en français dans le volume allemand publié
en t789, et qui sont sans doute le résultat de quelque ga-
geure entre Madame et l'électrice de Hanovre. Celle étrange
plaisanterie ne trouvera pas en nous des apologistes, mais
elle pourra s'expliquer si on ne perd point de vue des circon-
stances bien connues de toutes les personnes qui ont étudié
la vie intime à des époques dont la nôtre diffère grandement
sous le rapport des bienséances.
Au commencement du dix-septième siècle, les expressions
les plus ordurières, les images les plus triviales, et parfois
les plus indécentes , se produisaient dans la chaire; elles
n'échappaient point à la chaleur de l'improvisation; elles
étaient recueillies et imprimées dans des volumes qui pa-
raissaient avec approbation et privilège des hauts fonction-
naires ecclésiastiques. Nous pourrions citer de nombreux
exemples, nous nous bornerons à un seul. Que l'on ouvre
les Sermons du Père Philippe Bosquier sur la parabole du
prodigue apostolique, réimprimés au moins trois fois, et
toujours avec de nouveaux développements, à Arras, à
Douai cl à Paris; les mots tels que put..., maq y re-
viennent sans cosse, ainsi que ceux que s'amusa à tracer la
plume de Madame. Nous ])ermeltra-t-on d'en transcrire un
bien petit nombre de lignes? Dans son courroux contre un
hérésiarque, le bon Père n'hésilail point à s'écrier:
« Abat Luther comme le vautour de charoigne en cha-
« roigne, abiit comme l'escarbol de merde en merde (avec
« congé de vos révérences, le puis-je dire).... »
> Celte lettre provient de la vente Villenavo, n° G50 ; elle a
pasàc (l;ms la belle collection de M. Feuillet de Oonchcs.
DE MADAME I.A DUCHESSE D'ORi.ÉANS. 385
Et plus loin :
« Le bec, la bouche et la plume de Luther sont toujours
« en privés, en merde et en fiente. »
A la cour de Louis XIII, on représentait devant toutes
les dames des ballets dont les rôles étaient remplis par les
plus brillants seigneurs, et qui n'offraient que des plaisan-
teries d'une licence extrême et des équivoques grossières.
Avec le règne de Louis XIV, ces incroyables représenta-
tions s'épurèrent; il resta toutefois dans les pièces compo-
sées pour faire briller les talents chorégraphiques du jeune
monarque bien des hardiesses qui seraient intolérables au-
jourd'hui. Parcourez les œuvres de Scarron , le premier
époux de la femme à laquelle Louis XIV unit sa destinée;
voyez les Stances pour M"^o de Hauiofort, et VÉpithalame
pour le comte de Tessé et m^^ de. Laverdin \ quel ton in-
croyable, quelles sales images dans des vers adressés, en
manière de compliments, à des femmes de haut parage!
Ajoutons que le poète ne se gène nullement pour employer
à diverses leprises - les mots grossiers que Madame , dans
un accès de folle gaieté, s'amuse à répéter.
LA DUCHESSE d'oRLÉANS A l'ÉLECTKICE DU HANOVRE.
Fontainebleau, le 9 octobre 1G94.
Vous êtes bien heureuse d'aller chier quand vous
voulez; chiez donc tout votre chien de soûl. Nous
n'en sommes pas de même ici , où je suis obligée de
garder mon êtron pour le soir ; il n'y a point de froloir
aux maisons du côté de la forêt. J'ai le malheur d'en
habiter une, et par conséquent le chagrin d'aller chier
dehors, ce qui nie fâche, parce que j'aime à chier à
mon aise, et je ne chie pas à mon aise quand mon cul
* Édit d'Amsterdam, 1695, t. I, p. 113 et 182; de Paris,
1783, t. VU, p. 20Get237.
' Éplgramme contre une chicaneuse, t. I, p. 02, édit. d'Ams-
trrdaiii; de Paris, 1783, t. Vil, p. 3 if).
"• 33
386 CORRESPONDANCE
ne porte sur rien. Hem , tout le monde nous voit
chier; il y passe des hommes, des femmes, des filles,
des garçons, des abbés et des suisses ; vous voyez par
là que nul plaisir sans peine, et que si on ne chiait
point, je serais à Fontainebleau comme le poisson dans
l'eau. Il est très-chagrinant que mes plaisirs soient
traversés par des étrons ; je voudrais que celui qui a
le premier inventé de chier, ne pût chier, lui et toute
sa race, qu'à coups de bâton. Comment, mordi! qu'il
faille qu'on ne puisse vivre sans chier ? Soyez à table
avec la meilleure compagnie du monde, qu'il vous
prenne envie de chier, il vous faut aller chier. Soyez
avec une jolie fille, une femme qui vous plaise ; qu'il
vous prenne envie de chier, il faut aller chier ou
crever. Ah ! maudit chier, je ne sache point de plus
vilaine chose que de chier. Voyez passer une jolie
personne, bien mignonne, bien propre, vous vous
récriez : ah ! que cela serait joli si cela ne chiait pas !
Je le pardonne à des crocheteurs, à des soldats aux
gardes, à des porteurs de chaises et à des gens de ce
calibre-là. Mais les empereurs chient, les impératrices
chienl, le pape chie, les cardinaux cliienl, les princes
chient , les archevêques et les évoques chient , les
généraux d'ordres chient, les curés et les vicaires
chient. Avouez donc que le monde est rempli de
vilaines gens, car enfin, on chie en l'air, on chie sur
la terre, on chic dans la mer, tout l'univers est rempli
de chicurs et les rues de Fontainebleau de merde, car
ils font des étrons gros conime vous, madame. Si vous
croyez baiser une belle petite bouche avec des dents
bien blanches, vous baisez un moulin à merde; tous
DE MADAME LA DUCHESSE d'ORLÉANS. 387
les mets les pins délicats, les biscuits, les pâtés, les
tourtes, les perdrix, les jaml)ons, les faisans, tout
n'est que pour faire de la merde mâchée, etc.
REPONSE DE l'ÉLECTRICE.
Hanovre, 31 octobre 1694.
C'est un plaisant raisonnement de merde que celui
que vous faites sur le sujet de chier, et il paraît bien
que vous ne connaissez guère les plaisirs, puisque
vous ignorez celui qu'il y a à chier ; c'est le plus grand
de vos malheurs. Il faut n'avoir chié de sa vie, pour
n'avoir senti le plaisir qu'il y a de chier; car l'on peut
dire que de toutes les nécessités à quoi la nature nous
a assujettis , celle de chier est la plus agréable. On
voit peu de personnes qui chient qui ne trouvent que
leur étron sent bon ; la plupart des maladies ne nous
viennent que par faute de chier, et les médecins ne
nous guérissent qu'à force de nous faire chier, et qui
mieux chie, plutôt guérit. On peut dire même qu'on
ne mange que pour chier, et tout de même qu'on ne
chie que pour manger, et si la viande fait la merde,
il est vrai de dire que la merde fait la viande, puisque
les cochons les plus délicats sont ceux qui mangent le
plus de merde. Est-ce que dans les tables les plus
délicates, la merde n'est pas servie en ragoût? Ne
fait-on pas des rôties de la merde des bécasses , des
bécassines, d'alouettes et d'autres oiseaux, laquelle
merde on sert à l'entremets pour réveiller l'appétit?
Les boudins, les andouilles et les saucisses, ne sont-ce
pas des ragoûts dans des sacs à merde? La terre ne
388 CORRESPONDANCE
deviendrait-elle pas stérile si on ne chiait pas , ne
produisant les mets les plus nécessaires et les plus
délicats qu'à force d'étrons et de merde? étant encore
vrai que quiconque peut chier sur son champ ne va
point chier sur celui d'autrui. Les plus belles femmes
sont celles qui chient le mieux ; celles qui ne chient
pas deviennent sèches et maigres , et par conséquent
laides. Les beaux teints ne s'entretiennent que par de
fréquents lavements qui font chier; c'est donc à la
merde que nous avons l'obligation de la beauté. Les
médecins ne font point de plus savantes dissertations
que sur la merde des malades ; n'ont-ils pas fait venir
des Indes une infinité de drogues qui ne servent qu'à
faire de la merde ? Il entre de lu merde dans les
pommades ou les fards les plus exquis. Sans la merde
des fouines, des civettes et des autres animaux, ne
serions-nous pas privés des plus fortes et meilleures
odeurs ? Les enfants qui chient le plus dans leurs
maillots sont les plus blancs et les plus potelés. La
merde entre dans quantité de remèdes et particuliè-
rement pour la bridure. Demeurez donc d'accord que
chier est la plus belle, la plus utile et la plus agréable
chose du monde. Quand vous ne chiez pas, vous vous
sentez pesante, dégoûtée et de mauvaise humeur. Si
vous chiez, vous devenez légère, gaie et de bon appétit.
Manger et chier, chier et manger, ce sont des actions
qui se suivent et se succèdent les uns aux autres, et
l'on peut dire qu'on ne. mange que pour chier, comme
on ne chie que pour manger. Vous étiez de bien
mauvaise humeur quand vous avez tant déclamé
contre le chier; je n'en saurais donner la raison, sinon
DE MADAMK LA DUCHESSE d'oRLÉANS. 389
qu'assurément votre aiguillette s'étant nouée à deux
nœuds, vous aviez chié dans vos chausses. Enfln,
vous avez la liberté de chier partout quand l'envie
vous en prend, vous n'avez d'égard pour personne; le
plaisir qu'on se procure en cliiant vous chatouille si
fort que, sans égard au lieu où vous vous trouvez, vous
chiez dans les rues , vous chiez dans les allées , vous
chiez dans les places publiques, vous cliiez devant la
porte d'autrui sans vous mettre en peine s'il le trouve
bon ou non , et , marque que ce plaisir est pour le
chieur moins honteux que pour ceux qui le voient
chier, c'est qu'en effet la commodité et le plaisir ne
sont que pour le chieur. J'espère qu'à présent vous
vous dédirez d'avoir voulu mettre le chier en si mau-
vaise odeur, et que vous demeurerez d'accord qu'on
aimerait autant ne point vivre que ne point chier.
FIN DU DEUXIÈME VOLUME.
33.
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
PROSOPOPÉE SUR LE RÉGENT, LA DL'CHE«SE DE BERRI ET LE
CARDINAL DUBOIS, p. lo7.
Cette composition dramatique en trois actes est une satire
parfois fort ordurière. Nous en avons vu une copie exécutée
avec le plus grand soin, et ornée de dessins à la gouache, qui
faisait partie du cabinet de M. Bourdillon; l'ouvrage se trouve
dans des recueils manuscrits de l'époque; nous en donnerons
quelques extraits en choisissant ce qu'on peut reproduire. L'au-
teur débute par mettre en scène Pluton avouant aux trois juges
infernaux qu'il est épris de la duchesse de Berri.
Pluton (Air : Vous m'entendez bien^.
Je ne crains point de m'expliquer,
Mais je redoute de risquer
S'il faut que je l'approche.
MiNOS.
Hé bien !
Pluton.
Quelque chaude anicroche,
Vous m'entendez bien.
Radamanthe (Air du Mirliton).
Quelle est donc cette maîtresse
Dont vous craignez l'action?
Serait-ce pas quelque Lucrèce,
Ëlève de la Fillon,
Pour le mirliton, mirliton', mirlitaine,
Pour le mirliton, don don?
Expliquez-vous sans hésiter.
' On trouve duns les recueils manuscrits de nombreuses ^)i^çes de
vers sur le mirliton, mot qui fui alors à la mode, et qui était pris dans
une signification enjouée. 11 termine chaque couplet d'une parodie
(\I)iè$ de Castro, tragédie bien connue de La Motte. La Place a inséré
cette composition singulière duns son Recueil de j,ièces peu connues.
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 391
Pluton.
Hé bien, je vais vous contenter.
Ml NOS.
Est-elle d'un sang?
Radamanthe.
Est-elle d'un rang?
Pluton.
Elle est (lu sang de France,
Son père y tient depuis huit ans
Une auguste régence,
Lan la.
Rauamamhe [en ricanant).
Une auguste régenco.
Mi.Nos à Pluton (Air des Rocfielois).
Que dites- vous? C'est la Berri,
Aimée mille fois par Rirry (5/c),
Par Rochefoucauld, par Falvère,
Par ses pages et ses laquais,
Même à leur défaut par son père.
Et ses gardes les plus épais.
Rauamanthe (Air : Voici le jour solennel).
Oubliez cette p...n.
Pour certain.
Pluton.
Hélas! je ne puis le faire.
Arrive ensuite Caron, qui dit qu'un étranger entend payer
d'une façon nouvelle le prix de son passage à travers le Styx :
Il veut m'offrir des billets.
Et dit que l'or lui manque,
Mais ici tous nos sujets
Ne veulent plus de billets
De banque, de banque...
Il ressemble à Cerbère,
Et porte sur son front
3D2 NOTES ET ECLAIUGISSEMENTS.
L'inceste, Tadultère,
Le fer et le poison.
Madame de Berri.
Je reconnais mon père ;
Ce sont là tous ses traits,
Son plus beau caractère,
Et ses moindres forfaits....
Il vous vaincra par quelque trahison ;
On a beau, quelque chose qu'on fasse,
Fuir à son fer, on trouve son poison.
Proserpine, irritée de voir son mari amoureux de la duchesse,
en trace un portrait peu flatté :
Non, Messaline, ni Julie,
N'en firent tant pendant leur vie,
Que Berri dont les appas
Furent le rebut des goujats.
La pièce finit par la description des supplices auxquels sont
condamnés les trois coupables. Pluton décide qu'il faut garrotter
Cet insatiable régent
Avec des chaînes d'argent,
De feu et de poison brûlantes.
Quant aux châtiments infligés à la duchesse et au cardinal,
il faut laisser aux curieux le soin d'aller les chercher dans le
texte original de ce libelle qui n'est pas à dédaigner, puisqu'il
est l'expression de la colère publique contre de grands scan-
dales.
DIVERS OUVRAGES SATIRIQUES CONTRE LOUIS XIV ET SA COUR.
Nous avions le projet de joindre aux lettres de Madame une
notice sur les ouvrages satiriques relatifs au règne de Louis XIV
et à la Ilégence, ouvrages qui , pour la plupart, n'ont pas été
ouverts une seule fois par les historiens, et qui renferment ce-
pendant, au milieu de beaucoup d'anecdotes sans doute con-
trouvées, des faits diuncs d'attention. Un pareil travail aurait
confirmé ou rcctilic sur bien des points les a!^scrtions contenues
NOTES ET ÉCLAIUCISSEMKNTS. 393
dans la correspondance de la duchesse d'Orléans, mais il de-
manderait plus de place que nous ne pouvons lui en accorder,
toutefois, afin d'en donner au moins une idée, nous placerons
Ici quelques notes sur plusieurs de ces livrets peu connus, et que
nous nous sommes attachés à réunir :
Almanach royal commençant avec la guerre de l'an t1 01,
où est exactement observé le cours du soleil d'injustice, avec
ses éclipses, ou la juste punition du Ciel, démonstré dans dix-
huit emblèmes graves en taille-douce ; à Paris, à l'Imprimerie
royale du petit Louis, in-folio. Ce volume, imprimé en Hol-
lande, est un recueil de planches accompagnées de vers fran-
çais et hollandais. La première figure montre Louis entouré de
vingt-quatre rayons qui marquent parfaitement le cours du
soleil. Voici l'explication de quelques-uns de ces rayons :
Vendre des offices avec fausse promesse de succession aux héri-
tiers.— Inceste avec la femme du Dauphin, en 1680. — Porter
de fausses armoiries, trois fleurs de lys au lieu de trois crapauds.
— Promettre au roy de Portugal quarante navires et n'en don-
ner que quatre. — Empoisonner le fils dv. duc de Bavière, hé-
ritier d'Espagne. — Massacrer, en 1G73, dans les villages do
Hollande, à Bodegrave et Zwammerdam '.
Parmi les figures les plus piquantes contenues dansée recueil,
on distingue :
Philippe le Petit demandant à son grand-père, plein de mi-
sère, la permission de revenir en France, car les Espagnols le
haïssent comme la peste.
Louis avec l'Électeur de Bavière et Villeroi ; le monarque
tient un édit : « Tous ceux qui pourront me livrer de nouveaux
soldats âgés depuis treize jusqu'à soixante-seize ans, recevront
un faux louis d'or, car tel est mon plaisir. »
Le vacarme à Trianon, ou le nouvel hôtel des filles et fils na-
turels de Louis le Solelller pour le consoler à l'égard de son Mars
infortuné en Europe.
* 11 existe, au sujet des scènes de dévastations commises daus ces
villages pendant la guerre de 1072, un ouvrage de Wicquefort, auquel
des figures gravées par Romain de Hoogo donnent de la valeur : Advis
fidel aux. céritabli's Hollan.lais, in-!. Ce livre, composé dans le but de
stimuler l'esprit public, est écrit avec un calme mêlé de noble amer-
tume, qui le distingue des libelles ordinaires des réfugiés; mais le gra-
veur n'a pas imité l'écrivain ; il représente, sous les formes les plus hi-
deuses, les e.\cès do la guerre.
394 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
La reine d'Angleterre tenant de? ciseaux et coupant les ailes
du coq gaulois, « afin qu'il ne vole pas si haut et qu'il ne s'éloi-
yne pas tant de son territoire. »
La boite de Pandore, ou les Lamentations de M^e de Mainte-
non (vers détestables en français d'Amsterdam).
Le roi de papier quittant la cour d'Espagne.
Louis XIV et Philippe essayant de scier le monde pour se le
]>artager ; M"'« de Maintenon arrose la sci« d'une fa^on qu'il est
fcuperflu de décrire, mais, malgré ses rayons aquatiques (expres-
sion du graveur), la scie se brise et se rompt '.
L'idée de faire du calendrier une satire de Louis XIV est
précisément la contre-partie de celle qui, en 1G89, avait inspiré
un singulier monument d'adulation. Le sujet, ou plutôt le cadre
de celte espèce d'apothéose, consiste dans une image orhiciilaire
et très-ornée du calendrier romain, où sont représentés les
douze Travaux d'Hercule, mis en parallèle avec les principaux
établissements de Louis. Les deux LL entrelacés dans un soleil,
douze fois répétés, occupent le centre de chaque tableau double
comme un emblème commun aux deux héros; l'auteur eût dit
peut-être aux deux demi-dieux (Catalogue Leber, n° 6020).
l'Almanach dont il s'agit n'offre d'ailleurs qu'une faible
partie des caricatures que la Hollande fabriqua contre Louis XIV.
On peut citer en ce genre : Le Mariage du don Quichotte de
la France avec Espagnolette infante. — Le Scéiératisme de
Louis XIV (en vers), Louis dort près de ges louis. — Les trois
faux rois en France. — Louis badin meurt de chagrin.
Caractères de la famille royale, des ministres et des prin-
cipales personnes de la cour de France, à Viilefranche, chez
* Cette estampe est i-eproduite dans le Musée de la Caricature; le
rédacteur du icxle l'apprécie en ces leinies : « En ce temps- là le suc-
« cesseur de Charles 11 n'était pas bien affermi sur son iiône; la ma-
11 lice s'égayant sur le projet d'une dynastie universelle, divisée entre
" le (,'rand-pèie^ soutenu dans ses rêves de doniinuiiun par M"»t de
« Mdintenun, et le peiit-tils, prêt à laisser choir le sceptre des Espugnes
« et des Indes; la malice, disons-nous, imagina de rcpiéseiucr les deux
" rois usant en vain les dents d'une scie sur le globe qu'ils convoitent.
" L'àme des conseils de Versailles, la veuve de Scarron, faisant l'œuvre
« du sabot du rémouleur, aide au partage par un effort de nature que
«1 la décence peut condatnner, mais que l'esprit doit ad.'nettre comme
« l'allégorie la plus juste de son influence sur les entreprises du roi.
« Celte traduction grotesque d'un trop vaste projet parut sans doute
« plaisante à ceux-là mômes qu'elle attaquait persunnellemeut. »
NOTES ET ÉCLAtl'.f.FSSEMENTS. 395
Paul Pinceau», I703,petit in-J2de 57 pages. Il en fut fait une
réimpression l'année suivante, et une autre en 1706, avec des
augmentations assez étendues, sous le titre de Nouveaux por-
traits et caractères de la famille royale.
On ignore le nom de l'auteur de cet écrit , il n'en est pas
question dans le Dictionnaire des Anonymes de Barbier. L'édi-
tion de 17 03 est mal imprimée et fort incorrecte. L'écrivain,
quel qu'il soit, ne brille point par le style ; il assure, dans son
avertissement, qu'il a bdti son ouvrage sur des matériaux mo-
ralement vrais, et il ajoute qu'il n'a pour but que le naïf.
M. du Roure a parlé de ces Portraits dans son Analecta-
biblion, t. II, p. 418; mais nous sommes étonné de le voir re-
garder cette satire comme « du petit nombre des productions
de son espèce, imprimées en France à cette date. » II est évi-
dent que Villefranche est là un nom supposé ^, tout comme le
nom de l'imprimeur. On n'aurait jamais pu publier dans les
États de Louis XIV un écrit qui exprime franchement des
vérités parfois fort dures ou des critiques amères. Le portrait
de Mme de Maintenon n'est pas flatté : « Elle est partiale et in-
« téressée dans son crédit, vaine et ambitieuse au dernier point,
« haïe beaucoup, et encore plus crainte. On parle diversement
« de ses aventures avant son mariage avec M. Scarron. Que sa
« dévotion soit sincère ou masquée, il est toujours certain qu'elle
• se maintient avec son prince par une étroite liaison avec le
■ confesseur. »
Le Dauphin est représenté comme « un bon prince, mis jus-
« qu'ici hors d'état d'entrer dans les alTalres, insensible à tout
n autre plaisir que la chasse, quoiqu'il ne se donne cet exercice
« que pour prévenir les méchants effets de sa trop grande ré-
n plétion. »
ï Paul Pinceau est un imprimeur imaginaire de la même famille que
Pierre Marteau et ses gendres Adrien Lencaime et Paul de la Tenaille
Charles de la Vérité, F. Gaillard, Robert le Turc, Jean l'Ingénu, Jacques
le Sincère, Jean pleyn de Courage, Boccafranca, Simon l'Africain, et
bien d'autres typographes tout aussi fantastiques, étaient des masques
sous lesquels se cachaient les éditeurs ho:iandais.
* 11 serait facile d'indiquer bien d'autres ouvrages publiés sous cette
rubrique de Villefranche; en voici quelques-uns qui s'offrent à nous .-
Traité sur l'enlèvement du prince de Funlemberg, Charles de la Vé-
rité, I67G; l'Enfant sans souci, Nicolas l'Enjoué, I6S2; le Justin mo-
derne, Pierre le Petit, 1667; il ilercurio postiglione, Villafranca,
Claudio del Monte, 1667.
396 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
Le caractère de l'illustre archevêque de Cambray, Féneîon, a
été ratifié par la postérité : a C'est en tout sens ce qu'on appelle
« un honnête homme Je ne connais point d'ecclésiastique
« d'une dévotion plus aisée ni plus sincère... Son grand atta-
•'. chemcnt à li probité lui a attiré tout le venin des dévols qui
« ont voulu le perdre à roceasion d'un livre où il dément lui-
o même son bon tour d'esprit {V Explication des Maximes
n des saints). Son Télémaque a fait rougir le despotisuie, et
" immortalisera l'auteur Il sait se passer de la cour, et je ne
« crois pas qu'il sente son exil. »
On remarque quelque sévérité à l'égard de Bossuet :
« C'est un des plus savants ecclésiastiques et des plus raffinez
« courtisans, défenseur infatigable des sentiments de la cour...
« Créature dévouée à une personne qui est maintenant l'arbitre
« de la France ( iV"ie de Maintenon). Son acharnement contre
« M. l'archevêque de Cambray, le rare et presque singulier
« advocat des hommes, a gâté toute sa controverse et l'a rendu
« méprisable parmi les honnêtes gens. »
Nous observerons, à ce propos, que des accusations bien au-
trement vives contre Bossuet se rencontrent dans un livre peu
commun et avidement recherché des bibliophiles : Mémoires,
Anecdotes de la cour et du clergé de France, par J.-B. Denis,
Londres, 17 12, in-12. C'est là qu'on trouve, pour la première
fois (page 108), l'histoire du mariage de Bossuet avec mademoi-
selle *'^* (Desvieux de Mauléon). On y vuit aussi ce prélat fai-
sant faire la fraude pour ne pas payer lés droits d'entrée des
étoffes avec lesquelles il meuble ses maisons de Mcaux et de
Germigny, et doublant ses revenus d'une manière illicite. Mais
le mépris public a fait justice de toutes ces calomnies.
Esquissons rapidement, d'après l'auteur de ces Caractères,
le portrait de quelques autres personnages importants de la cour
de Louis XIV.
Monsieur. Idolâtre de sa personne et ne connaissant que lui
seul d'aimable, toujours avide d'argent et presque toujours
brouillé avec ce précieux métal, jouant avec beaucoup d'attache-
ment, perdant pourtant en prince, mais gagnant en bourgeois ;
l'oracle de l'étiquette.
Le dcc oe Bouhgogne. Air grave, sombre, atrabilaire, vif jI
n'être jamais coulent de ceux qui l'approchent; la fierté l'em-
porte et tiès-souvcnt mal à prop( s.
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS 397
Le prince de Condé *. D'un caractère difficile et turbulent;
emporté et prenant les choses par le mauvais endroit; capable
néanmoins de faire beaucoup, mais très-peu disposé à faire quel-
que chose ; la faiblesse de son tempérament va jusqu'à la manie ;
s'échappant quelquefois en présence du roi qui ne s'étonne point
de ses écarts ; extrêmement avare , excepté pour les repas et
pour les parties de plaisir, dont il entend parfaitement l'ordon-
nence; libéral en ce point jusqu'à la prodigalité ; incommode à
ceux qui le servent; pour tout dire, un grand chez qui le faible
l'emporte infiniment.
Le duc de Bourbon. On l'a vu dans les champs de Mars ;
mais là, comme ailleurs, a-t-il fait parler de lui? Son carac-
tère approfondi, je craindrais qu'on ne trouvât plus de mal que
de bien ; il ne semble être né que pour de petites choses.
Le duc du Maine. Fort peu de mérite, mais beaucoup de
vanité; il voudrait bien qu'on le jugeât digne de son père. Heu-
reux d'être le fils de Louis XIV, car, s'il était obligé d'être lui-
même l'artisan de sa fortune, on peut assurer qu'elle serait fort
mince. Sa valeur est fort équivoque, mais on le croit encore
plus espion que soldat. Très-fier et d'une délicatesse outrée à
soutenir son rang; supérieur au plaisir du vin et des femmes;
ne vivant pas trop mal avec la sienne, et gardant passablement
le décorum.
L'archevêque de Reims {Le Tellier). Savant, de la disci-
pline la plus sévère, cherchant pour ses fonctions des hommes
qui n'aient jamais bronché, lui-même étant le prélat du monde
le plus irrégulier; indomptable sur l'article de ses intérêts;
souverainement brutal , et cependant assez bien en cour, où
il ne laisse pas de se faire souvent des affaires par son impru-
dence.
ViLLEROi. Sa valeur paraît médiocre ; il a besoin de secours
même pour les petites choses, et quand il a le courage d'y en-
trer, il voudrait qu'on les crût importantes ; il est plus propre
pour une fête que pour une campagne. Il ne fut pas plutôt géné-
ral qu'il se regarda dans l'armée comme dans son hôtel ; tous
les officiers ne lui paraissaient dignes que de la seconde table ,
et il croyait faire beaucoup d'honneur aux princes de les ad-
* Il s'agit du fils du grand Condé ; il fut le dernier de sa race qui
porta exclusivement le titre de Monsieur le Prince. « Jamais tant de la-
lents inutiles, de génie sans usage » (Saint-Simon;.
1). z\
398 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS,
mettre à la première. Infiniment ambitieux ; tonjours hors de
son chemin, et se donnant des airs avec ceux mêmes auxquels
il doit le plus de respect; fou de la magnificence; nuit et jour
occupé de son luxe ; l'ombre de sa faveur et de ses richesses lui
procurent une foule de courtisans qui le méprisent.
Le Tellier, marquis de Courtenvaux. C'est un pygmée en
matière de grandeur ; sa famille n'en retire aucun lustre *.
Le kuc de Lauzun. Aventurier étourdi , ballotté par la for-
tune qui lui a joué les meilleurs et les plus mauvais tours , il a
pleuré dans une longue prison ses rodomontades envers son
roi ; le bonheur qu'il a eu de faciliter la fuite d'une grande
princesse {la reine (i Angleterre, femme de Jacques II) et de
contribuer à la sûreté d'un petit prince équivoque l'a remis en
grâce, et si depuis il n'a\ait point paru sur la scène des ar-
mées, peut-être l'eùt-on jugé capable d'y f;iire quelque figure*.
Le duc de la Ferté. C'est le Silène des courtisans et le père
du cabaret qui lui lient presque lieu de domicile; ratlinaut sur
la déhanche ; très-jaloux de sa Messaline^ avec laquelle il est
' « Polit homme, méprisé et compte pour rien "(Saint-Simon). Un
couplet du lomps représente Louvois examinant ce qu'il fera de ses
quatre enfants, et songeant qu'il faut modérer ses désirs; aussi se
borne-t-il à taire réyler l'État par un de ses lils; un autre remplacera
Turenne; l'abbé sera cardinal:
Pour Courtenvaux, j'en suis en peine;
Il est sot et de mauvais air;
Nous n'en ferons qu'un duc et pair.
2 Pour bien connaitre ce personnage celèbio, il faut recourir à Saint-
Simon ei aux Mémoires de M. ^\■alcUenacr sur Mme ^g Sévigné, t. Jll.
La Kruyère en a trace le portrait de main de maître, sous le nom de
Straton. 11 existe un livret peu facile à trouver: Les Amours de Mada-
moiselle {s\c) avec M. de Lauzun, Cologne, Michel Baur, 1673; [il est
d'ailleurs réimprimé sous le titre de : Le Perroquet ou les Amours de
Mademoiselle, dans le recueil iniilulé : Amours des Dames illustres ;
on le retrouve dans l'Histoire amoureuse des Gaules, et dans les Mé-
moires de Ml'"; de Montpensier, t. VU.
3 Elle était sœur de la comtesse d'Olonne, fameuse par son incon-
duitc et que les Mémoires de Uetz, ainsi que VlJistoire amoureuse des
Gaules, font trop bien connaitre. La Hruyérc a tr.xé le portrait des doux
sœurs, sous les noms de Claudic et do Messaline, dans un caractère
([u'il lit paraître, pour la piomière fois, dans ht septième édition ( 1092 )
de son immortel ouvrage. « Le débordement (1(^ leur vie lit grand bruit;
aucune femme, même des plus décriées, n'osoit les voir ni ))aroitrc avec
elles » (Saint-Simon). La duchesse de La t'cité se convertit vers lu lin
de sa vie, et mourut prcsipie ociogeuairo, en I7ij, laissant deux lils,
dont l'un entra dans l'ordre des Jésuites.
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMMNTS. 399
toujours brouillé; piquant et emporté jusqu'à la dernière vio-
lence , en opprobre à la cour par son travers d'esprit et de con-
duite ; avec cela i)on ofllcier, ce qui lui procure du commande-
ment.
Le comte d'âi'bigné. C'est un fat dans toutes les règles ; il se
persuade, à cause du règne de sa sœur ( 3/"'« de Maintcnon ),
qu'il est la troisième perscmne du royaume. Il a passé sa vie
dans la débauche. On l'a contraint d"embrasser le parti de la
dévotion dont il purte le masque d'assez mauvaise grâce '.
Le duc de Bouillon. C'est un seigneur de bonne trempe ; peut-
être aurait-il été moins malheureux si, dans son mariage, il
avait plus cherche l'assortiment que la fortune ; il n'a jamais pu
parvenir à la faveur, quoique, dans le fond, le roi ne le méses-
time pas; il est d'une tournure à s'attirer de grands chagrins
domestiques, assez éclairé pour voir ce qui se passe et trop bon
pour y remédier -.
Le duc d'Aumont. U doit tout à sa bonne fortune; il n'est en
place que pour montrer sa petitesse; emporté, fier, infiniment
éloigné du mérite qu'il croit avoir et ne promettant rien'.
Le duc de Gesvres. C'est une vieille béte, de service incom-
mode à la cour ; sa bêtise lui fait du bien ; un plus habile homme
que lui ne se serait pas soutenu si longtemps *.
Le maréchal de Boufflers. Il a surpris le monde et s'est fait
une fausse réputation de bravoure; il doit le commencement de
1 11 faut lire dans Saint-Simon le portrait de ce dissipateur fou à en-
fermer, et qui ne se gênait pas, même dans la galerie de Versailles,
pour dire le beau-frère, en parlant Ju roi. Sa sœur redoutait exirème-
mént cette intempérie de langue. Elle le fit jusqu'à 1 époque de sa mort,
en ni3, garder à vue par un prêtre de Saint-Sulpice, nomme Madot.
* Les Mémoires du cardinal de Ketz et ceux de Saint-Simon font
assez connaître ce personnage qui, après avoir été mêlé à beaucoup d'in-
trigues, mourut en 1721, à quatre-vingt-deux ans. La duchesse de
Bouillon, fameuse pour avoir été l'amie de La Fontaine, « éloit dans
« Faris^ malgré sa conduite peu régulière, une espèce de reine avec la-
« quelle il falloit compter « (Saint-Simon ).
8 11 était cité comme gastronome. Saint-Simon dépeint la duchesse
comme une grande et grosse femme, impérieuse, méchante, grande
joueuse, grande dévote à directeur.
* Cet original se minait en équipages et en dépenses folles pour ne
pas laisser, disait-il, son bien à ses enfants ; à quatre-vingts ans, il
épousa, en secondes noces, une demoiselle de La Chenelaye, belle et
riclie, que l'anil)ition d'un tabouret à la cour fit consentir. Voir une note
de M. Walckenaér dans son édition de La Bruyère, 1845, p. T17.
400 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS,
sa fortune à la haine de M. de Louvois, qu'un parti jaloux vou-
lait mortifier ; il a eu l'esprit de se ruiner deux ou trois fois pour
s'enrichir des bienfaits de son prince ; il affecte le mystère pour
se faire croire pénétrant , mais les gens d'esprit ne sont point
ses dupes ; fils du bailli de Beauvoisis, il se figure que Hugues
Capet l'a créé duc et pair ; esclave de la faveur jusqu'à la res-
pecter dans le dernier laquais d'un ministre*.
Nous arrêtons ici nos extraits de ces Caractères; nous en
avons parlé avec quelque détail , parce que, selon l'observation
de M. Walckenaër, ils paraissent un écho fidèle de l'opinion pu-
blique sur les personnages du temps. Nous regrettons de ne pas
y trouver un portrait de Madame; mais la vie retirée de cette
princesse et son éloignement des intrigues de la cour font qu'il
est rarement question d'elle dans les écrits de l'époque. Le cé-
lèbre philosophe Locke, qui assista, le 26 septembre 1G77, à un
opéra à Fontainebleau, consigne dans une note du journal de
son voyage en France, que Madame, coiffée d'une perruque
d'homme et habillée comme un homme jusqu'à la ceinture, lui
parut fort singulière. Voir Dfe 0/ /. Locke^ ivith extracts.,, by
lord King. Londres, 1829, 4°, p. 271.
La Confession réciproque, ou Dialogues du temps , entre
Louis XIV et le Père La Chaise, Cologne, 1 G94.
Il existe une autre édition de cet écrit, 169 (le dernier chiffre
manque). Un avis du libraire signale comme auteur Pierre Le-
noble, et lui attribue quelques ouvrages du même genre, tels
que les Amours d'Anne d'Autriche et VOmbre de Louvois. Cet
avis indique aussi comme étant imprimés plusieurs autres li-
vres :
Le Bouleversement de la France, prédit par Nostradamus ;
— le Traité d'alliance offensive et défensive du Turc d'Orient et
du'Turc d'Occident; — l'Établissement du sérail de Louis le
Grand avec le portrait des dames ; — l'Horoscope des Jésuites;
— la Cour de sainte Maintenon ; — Le Pèlerinage de Louis XIV
ù Saint-Cyr, etc. Ces ouvrages sont supposés 2. h' Avis annonce
1 L'ouvrage imprimé en Iluliande, sous la rubrique de Paris, Ilis~
toire des Amours du maréchal de Boujilcrs, IC9C, n'esl qu'un roman
fort peu digne de foi.
* Un pamphlet do Lenoble, la Pierre de louche politique, H90, ren-
ferme une liste de livres supposés, relatifs aux affaires d'Angleterre.
A l'égard des ouvrages imaginaires, souvent inventés jiar l'esprit de la
Balirc, il faut consulter deux articles fort curieux dus à MM. Uacnscl
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 401
de plus que Pierre Lenoble, vendant ses manuscrits fort clicr,
la Confession sera le dernier ouvrage qu'on donnera de lui. 11
est vraisemblable que tout ceci n'est qu'une plaisanterie de l'é-
diteur, dans le but de donner le change au public ; on ne connaît
pas d'écrivain du nom de Pierre Lenoble, et il ne faut pas le
confondre avec Eustache Le Noble de Saint-Georges. Celui-ci
était un pamphlétaire qui ne manquait ni d'esprit, ni de verve,
mais c'était contre les adversaires de Louis XIV, et surtout con-
tre Guillaume 111, qu'il faisait courir sa plume. Sa conduite fort
déréglée lui valut des désagréments, même à Paris ; arrêté en
1G90 eten 1691, et ses papiers saisis, il fut, en JC98, condamné
au bannissement ; mais il ne sortit pas de France, et , quand
vint la guerre de la succession, il reprit, avec privilège royal,
son rôle de libelliste. H donne à entendre qu'il recevait des mi-
nistres des communications officieuses. Les bibliographes ont
fort peu parlé de ses nombreux écrits qu'ils ont à peine connus
et dont la collection complète n'existe sans doute nulle part.
On trouve à ce sujet de curieux détails dans le catalogue des li-
vres de M. M. (Moreau), 1846, n° 319.
La Confession réciproque se termine par les mots : Fin de la
première partie {\a suite n'a point paru); elle se compose de
trois dialogues, dont voici le résumé succinct :
Louis convient qu'il ne s'est jamais exposé à aucun péril ; il
donnerait toutes ses conquêtes pour qu'on put dire qu'il a été
blessé ; lorsqu'il parle du prince d'Orange, la fièvre le saisit si
bien qu'il doit en hâte recourir au quinquina. De son côté, le
confesseur lui déclare qu'il peut, en sûreté de conscience, violer
tous les traités, brûler des villes, faire périr ses ennemis, car les
casuistes sont tous d'accord sur ce point qu'on peut tuer son ad-
versaire. — « Je vous absous, dit-il, de tout péché passé, présent
(P. Jannet) et Ed. Fournier, dans le Journal de l'Amateur de livres,
\8iS, no 17, t. 1, p. 237-271, et t. 111, p. 6-19.
Le catalogue de la Bibliothèque (\m&g\nairo) du comte de Forlsas
(facétie très-piquante qui lit, en 1840, du bruit dans le monde des bi-
bliophiles) mentionne deux ouvrages relatifs à Louis XIV, mais que nul
bibliophile ne possède, et pour cause.
Le Sarrianapale de ce temps, IC99.
Les Suites du plaisir, ou Desconlitures du grand roi dans les Pays-
Bas. Au Ponent (Hollande), 168G. —Libelle d'un cynisme dégoûtant, à
l'occasion de la fistule de Louis XIV. Une des figures représente k«
derrière royal sous la forme d'un soleil entouré de rayons, avec la fa-
meuse devise, Neo pluribus impar,
34.
402 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
« et futur, et vous donne pour pénitence de dire votre Credo
o tous les jours, de vous sevrer de vos plaisirs ordinaires deux
« fois la semaine, et de faire un fonds de 300,000 livres, pour
« assassiner trois ou quatre grands que je vous nommerai. »
Histoire des Amoui's du maréchal de Luxembourg, Colo-
gne, 1694, in-12.
Ce roman mal écrit représente le maréchal sous un aspect
odieux et ridicule. On donne pour motif de son exil de la cour
« la mort du duc de Soissons, dont on l'accusait, et que l'on
« croyait avoir Qni ses jours par le poison, et l'art magique dont
<f il se servait pour enchanter les personnes à qui il voulait
« plaire, particulièrement aux dames les plus aimables et qu'il
« trouvait à son goût. »
L'auteur raconte les passions successives du maréchal pour
M"es de Chevreuse et de Tilladet; il le montre consultant un
sorcier qui lui apprend que chez les femmes un nez long est
l'indice de la constance, et un nez arrondi le signe d'une hu-
meur volage et changeante. On voit l'illustre guerrier se dégui-
ser en femme, courtiser une bergère qu'il rencontre à la cam-
pagne, et se trouver en danger d'être fort maltraité par des
paysans armés de faux. A tout ceci, l'écrivain mêle le récit
d'autres intrigues ; le Dauphin est « fortement charmé despuis-
« sauts attraits de la duchesse de Verneuil », et le roi est épris,
au siège de Namur, de M™<' de Castello, femme d'un colonel
ennemi.
Nous avons déjà mentionné un pamphlet satirique contre le
maréchal ; en voici un autre : Luxembourg apparu à Louis XIV,
la veille des Rois; Cologne, Ifi!).'). On trouve des détails curieux
dans les Mémoires pour servir à l'hisloire du maréchal de
Luxembourg, La Haye, 17 58, in-4'*.
Histoire secrète des moijms injustes et perfides dont
Louis XIV s'est servi pour arriver à la monarchie universelle,
Cologne, 1G91, I GO pages.
Vol urne que nous ne rencontrons pas sur les catalogues des col-
lections les plus riches en livres de celle espèce, celle de M. Le-
Ler entre autres.
Après avoir annoncé que le roi déclare la guerre h tout l'u-
nivers et que, de toute évidence, son projet est de s'emparer de
l'Allemagne entière pour la joindre à la France, l'auteur entre
Uuns de longues considérations sur la conduite ambitieuse des
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 403
rois de France depuis des époques fort éloignées, et sur les pré-
tentions de Louis XIV an sujet des provinces qu'il a déjà réu-
nies à la France ou qu'il revendique à divers titres. 11 y a beau-
coup d'acrimonie dans cet écrit, mais il est d'un bout à l'autre
du ton le plus sérieux.
Comme modèle de contraste, on peut placer à côté de quel-
ques-uns des libelles composés en Hollande, certains ouvrages
français où Louis est exalté de la faqon la plus ridicule. Nous
citerons comme des chefs-d'œuvre en ce genre deux volumes
fort peu connus :
Les heureux augures du triomphe de Louis XIV sur tous
les rois du inonde, par J.-B. de Ciissillac, capucin. Paris, 1665,
in-4**. En décomposant vingt-quatre fois le nom du roi, l'auteur
y trouve autant d'augures de sa grandeur future.
L'Apollon français, ou le Parallèle des vertus héroïques du
très-auguste, très-puissant et très-invincible roi de France et
de Navarre, Louis le Grand, avec les propriétés et les qualités
du soleil, par Brice Bauderon, seigneur de Senecey, lieutenant
général au bailliage de Maçonnais, Màcon, lG81,in-12.
Louis XIII avait été l'objet d'adulations non moins bizarres;
dans un opuscule imprimé vers tG18, \' Horoscope dit Roy, la
ville de Lyon est introduite pour revendiquer ridiculement
l'honneur d'être le lieu où le monarque a été conçu !
Sommaire des chapitres contenus en la chronique du che-
valier Sotermelec.
Cette chroniiiue, imitation du style de Rabelais , est dirigée
contre le Régent; elle se trouve à la suite des Aventures de
PompUius, chevalier romain, 1724 (autres éditions, 1725 et
1728), roman satirique et parfois licencieux , dont une partie
(chapitres xxiv et suiv.) porte sur le duc d'Orléans; ce prince
est très-facile à reconnaître sous l'anagramme de Relosan^ et
ses actions n'y sont presque pas déguisées. Les chapitres les
plus intéressants de cette prétendue chronique devaient être
ceux-ci :
Comment Sotermelec (sauveur du roi; le Régent) fut mis
entre les mains des précepteurs à cette fin d'être élevé en tout
honneur et vertu. De ses ébats et passe-temps , et comment il
donnoit bon témoignage de sa sufllsance.
Comment Soteimelec, devenu grand, commençoit à se con-
fesser à Dieu, à la Sainte Vierge et à tous les saints, et leur
404 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
détailloît par le menu ses péchés, puis ne s'en challoit et re-
tournoit pécher.
Comment Sotermelec trop dévotement ne comptoit ses pate-
nôtres et commençoit à pécher aux huîtres.
Comment une nuit il vit en songe une couronne et cuidoit
que régner pourroit, puis s'éveillant ne trouva que bran.
Comment après le décès du roi don Sadik ( Louis XIV) , son
oncle, il amadoua les bonnets-ronds [ le Parlement) et les sup-
plia dolenternent de vouloir dérompre les tables testamentaires
dudit roi.
Comment de prime abord furent chassés certains gouverneurs
et anciens Solipses (jésuites), lesquels, par conseils précipités,
auroient mis l'État en péril.
Comment Sotermelec requit les bonnets-ronds de lui octroyer
la gouverne des Gaules, sous tel pacte qu'il feroit tout bien,
qu'oncques en nul rien mal ne feroit, ce qu'en son cœur nepen-
soit, si qu'au partir de là n'en tint cure.
Comment il fit démolir la citadelle de Damur (Dunkerque
pour complaire au roi d'Albion.
Comment il humoit le piot et donnoit gourmades à ses com-
. pagnons de plaisir, puis se repatrioit avec eux.
Comment il alloit en pèlerinage à l'abbaye de Tetemu {le
Château de la Muette à la duchesse de Berry, ou l'abbaye de
Chelles), et là faisoit longues retraites, puis y consoloit abbesse
et nonnains.
Comme étoient réglées les nonnains de Tetemu.
Comment la règle étoit que feroient tout le rebours de ce que
autres religieux et nonnains doivent faire.
Comment Sotermelec inventa un grand creuset ( la Banque)
pour y fondre or et argent.
Comment il fit nombre de detteurs et d'emprunteurs.
Comment Sotermelec et les detteurs payoient leurs dettes
avec son et donnoient fumée pour or.
Comment, malgré misère, il menoit bombance et joyeuseté,
marchandoit filles, achetoit femmes, consoloit veuves et se so-
lacioit.
Comment il étoit entouré de vaticins , aruspiccs et autres
telles gens qui elfaçoicnt le passé, et lui faisoient voir un bel
avenir par le pertuis d'une bouteille.
Comment il créa la charge de grand calculateur es marches
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 405
des Gaules et en accoutra un certain charlatan, transfuge calé-
donien {l'Écossais Lato).
Comment princes et autres grands seigneurs se firent mar-
chands de papiers et baillèrent torche-c... pour monnaies; au-
cuns vendirent épices, autres vendirent joyaux, etc.
! Comment un beau jour le pontife de Cambrav (Dubois) voulut
se faire cardinal, et supplia Sotermelec de l'assister auprès du
pape de Rome.
Comment fut conclu par le pontife de Cambray qu'il falloit
honorer la dive pancarte du pape romain (la bulle Unigenilns).
Des choses étranges qu'aucuns théologiens gallicans décou-
vrirent en ladite pancarte.
Comment ceux qui ne voulurent honorer la dive pancarte
furent relégués en l'île des Papefigues [la Hollande).
Comment le pape romain fit le pontife de Cambray cardinal,
et lui octroya dix-huit quarantaines de pardons pour les péchés
à venir, avec rémission des passés.
Comment le pontife de Cambray ne disoit messe et juroit
comme un payen.
Comment Sotermelec trépassa et ne fut dans son mal secouru
à temps, et comment d'aucuns fut interprété cettui défaut de
remède et médecins.
L'Histoire du prince Papyrius, surnommé Pille-argent , gou-
verneur des Francs -Sots. Le nom de Papyrius s'explique de
lui-même par les billets de banque qui, émis outre mesure,
avaient fait disparaître le numéraire. Cette facétie, qui est citée
dans la Bibliothèque historique de la France, n° 24,5G5, n'a-
vait pas, à ce que nous croyons, été imprimée avant M. Peignot
qui l'a insérée dans son Précis historique de la maison d'Or~
léans; elle ne renferme que les titres détaillés de dix-sept cha-
pitres; nous nous bornerons à quelques extraits :
Comme quoi le prince Papyrius fit patte de velours aux Druides
[aux membres du Parlement) pour être gouverneur des îles des
Francs-Sots, et leur fit entendre par biaux semblants qu'il vouloit
qu'on lui rognât les griffes pour l'empêcher de prendre ni faire
mal, et que même son vouloir étoit que les Druides pussent ou-
vrir la bouche quand il leur plairoit pour crier au chat, et comme
quoi, après maintes harangues et maints biaux sermonages mis
en paroles et écritures, le prince Papyrius entra dans l'isle pour
icelle gouverner.
40G NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
Comme quoi Papyrins, à son entrée, fit moult bonne mine aux
Francs-Sots et prenoit consultation des Druides qui lui firent
remonstrations que plusieurs harpies du temps avoient mangé
ce qu'il y avoit de bon dans les isles ; sur quoi tant fut procédé
que lesdites harpies furent pourchassées. Mais leurs plumes fu-
rent mises dans les poches de plusieurs p et maq dont
se servoit souvent ledit Papyrius pour s'ébaudir, si bien que
toute la chevance s'en alla. à rien du tout, comme si de rien n'a-
voitété, mais au contraire arriva pis que devant.
Comme quoi Papyrius, prenant si s éhîits avec gentes donzelles,
passoit les nuits à moult manger et grandement boire et d'autant
dormir la grasse matinée.
Comme quoi le prince Papyrius fut grandement courroucé
contre le soudan d'iljérie qui lui mandoit par ses écrits que son
cheval n'étoit qu'une béte et qu'il auroit affaire à lui s'il tou-
choit tant seulement du bout du doigt au petit Ascagne {le
jeune Louis XV). Sur quoi Papyrius prit une hallebarde et
envoya une grosse troupe de Francs-Sots pour guerroyer le Sou-
dan d'ibérie.
Comme quoi Papyrius retint bien joyeusement en ses isles le
fameux droguiste et grand charlatan Pille-Avoine, pour lui aider
à duper et piper les Francs-Sols, et faisoit ledit Pille-Avoine de
jolis tours de souplesse et des boîtes de papier dans lesquelles il
disoity avoir de bonnes drogues et recettes admirables pour bien
manger, boire et dormir, puis quand on les ouvroit, n'y trouvoit-
on souventes fois rien du tout.
Les Amours de Louis le Grandet de M"« dti Tron, Rotter-
dam, sans date (vers 1G'J8).
Ce volume, recherché des bibliophiles, quoiqu'il soit mal écrit
et assez plat, reproduit, avec quelques différences, un pamphlet
imprimé en IG'JO : Nouvelles Amours de Louis XI W Cette
satire est fondée sar un fait que relate Saint-Simon ; M'Ie du
Tron est la nièce de Bontomps, valet de chambre du roi, M^c de
Maintenon figure dans l'ouvrage et elle adresse au monarque
des remontrances qui lui déplaisent fort : « 0 sens rebelles et
désobéissants, quand triompherons-nous de vous? Je veux, sire,
qu'un ange m'emporte si vous ne perdez pas le peu de santé
qui vous reste. » Les finances royales se trouvent dans un état
désastreux; Pontchartrain propose de mettre un impôt sur le
vent; les bateliers, mariniers, meuniers, etc., ne pourront s'en
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 407
servir qu'en payant des droits qui rapporteront beaucoup d'ar-
gent. Louis pense qu'il y aurait plus de profit à taxer les heures
et surtout l'heure du berger. Un autre émet l'avis d'une contri-
bution qui rendrait bien plus que toutes celles dont on pourrait
s'aviser, ce serait une taxe perçue sur les femmes galantes.
Abaissement de la France présagé par le songe de son roi,
par le sieur G. R. P. A. de Prague; Jacques le Roy (Hollande),
1G90, in-4°, 12 pages.
Cherchant tous les moyens possibles d'exprimer la haine qui
les animait, les ennemis de Louis XIV s'avisèrent de demander
compte à ce prince des idées qui pouvaient traverser son cerveau
durant son sommeil. Us supposèrent qu'il faisait des rêves où
il voyait la France humiliée, ruinée, presque conquise, et ils
joignirent au récit de ces visions prétendues des commentaires
où l'injure était versée à flots. Cette idée parut si inuénieuse que
ce fut à qui l'exploiterait. On vit paraitre les Remarques curieuses
sur plusieurs songes de quelques personnes de qualité et spé-
cialement sur ceux de Louis XIV et de .V«« de La Vallière,
Amsterdam, 1690; les Brièves remarques sur le songe de la
reine d'Angleterre et sur celui de Mme de la Vallière, 1690;
le Songe de Louis XIV le jour de la prise de Menin, Cologne,
sans date (vers 1706); les Explications de quelques songes
prophétiques qu'il a plu à Dieu d'envoyer à des dames réju-
giées, par J. Massard, D.-M. Ce Massard, médecin réfugié, avait
quitté la France avant la revocation de l'éJit de Nantes ; il était
préoccupé de la divination de l'avenir, au moyen des prophéties
et des songes; on le crut fou, on n'avait pas absolument tort.
11 annonçait le massacre général, en 1 691, de tous les protes-
tants résidant en France, la disparition du catholicisme et l'a-
vénement du Millenium pour 17 59. Au milieu de toutes ces ex-
travagances, il eut pourtant une de ces rencontres que le hasard
se plait à accorder de loin en loin. 11 trouva, en 168G, dans les
prophéties de Nostradamus, que le prince d'Orange triomphe-
rait, en 1 089, de la ligue papiste. Quant au songe qu'expliquaient
les Remarques curieuses et le soi-disant astrologue de Prague,
il fut également le but des travaux de Vau-Bennigen [Explica-
tion du songe du Roy, 1G9G). Mme du Noyer raconte, dans ses
Lettres galantes et historiques, t. IV, p. 151, que le Songe
fut réimprimé à Londres, en 1710, avec les explications de l'un
des martvrs de la Réforme, nommé Brousson, et qu'il se vendit
409> NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS,
fort Lien. Elle ajoute qu'on lui fit voir une ancienne gazette
dans laquelle il était raconté tout au long. Cette gazette est l'His-
toire journalière du 17 novembre 1689, qui, la première, en
a donné le récit, ou la Gazette de Harlem du 12 janvier 1690,
qui y a ajouté le songe de la reine, femme de Jacques II. (Nous
devons ces renseignements à M. Moreau, le savant auteur de la
Bibliographie des Mazarinades , et qui a fait une étude spé-
ciale des livrets relatifs à l'histoire de Louis XIV.)
Ajoutons que Louis XIV n'est pas le seul monarque auquel on
ait prêté des songes dans une intention satirique. L'avocat Bar-
bier raconte [Journal historique et anecdotique, 1849, t. II,
p. 289) que le roi Louis XV, alors fort jeune, eut un rêve dans
lequel il vit quatre chats, l'un aveugle, l'autre borgne, un gras
et un maigre. Il demanda à son valet de chambre ce que cela
signifiait. Le valet convint de bonne foi qu'il n'en savait rien,
mais il indiqua un soldat des gardes françaises fort habile en ce
genre. On le fit venir, et, après bien des instances et la parole
du roi donnée pour sa sûreté, il expliqua que le chat aveugle
c'était le roi lui-même, qui ne voyait rien de ce qui se passait;
le chat borgne, le cardinal de Fleury, qui ne voyait les choses
qu'à demi ; le chat maigre, le peuple, et le chat gras, les gens
d'affaires.
Dans rOrient, l'usage s'est conservé de prendre fort au sé-
rieux les songes des souverains. Tippoo-Saëb laissa un manuscrit
qu'il cachait à tous les yeux, et dans lequel il inscrivait tousses
rêves avec autant d'exactitude que de mystère. Ce manuscrit
fut traduit en anglais, et M. Barchou de Penhoën (Histoire de
l'empire anglais dans l'Inde, t. IV, p. 370) rapporte cinq de
ces songes. Du reste, la grande et curieuse théorie des phéno-
mènes du sommeil mérite d'être envisagée sous un aspect qui
échappait nécessairement aux libcUisles de 1690, tout comme au
despote du Mysore. Selon un penseur profond, « il n'y a rien
« de plas instructif pour l'homme éveillé que l'histoire des son-
« ges, comme rien de plus utile pour l'homme raisonnable
« que l'histoire de la folie » (Maine de Biran, Œuvres, t. II,
p. 250).
Les Heures françoises, ou les Vêpres de Sicile et les Mati-
nées de la Saint-Darthélemy. Amsterdam, 1690, in-12.
Ce livret, dont on ne connaît (pie quelques exemplaires, s'est
payé cent cinquante à cent soixante-dix francs dans certaines
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 4C9
ventes ; il a dû sa célébrité à son titre qui le faisait regarder
comme une menace adressée à Louis XIV, à l'occasion de ses
envahissements et des rigueurs exercées contre les protestants.
L'auteur dit dans sa préface que la France, en 1G7 8, trouva bon
d'abandonner honteusement la Sicile; il souhaite qu'elle ait la
consolation de chanter indéflniment le cantique des trois nour-
rissons de Daniel au milieu de l'incendie universel qu'elle a al-
lumé. On peut tout au plus déduire de ces expressions vagues,
que les descendants des victimes de la Saint-Barthélémy, en
butte à des persécutions nouvelles, menacent la France d'une
revanche terrible. Quant au corps de l'ouvrage, il ne serait pas
déplacé dans l'histoire positive du treizième ou du seizième siè-
cle; c'est un récit des événements accomplis en Sicile depuis le
couronnement de l'empereur Henri V jusqu'à la mort de Pierre
d'Aragon, et une relation du massacre de la Saint-Barthélémy.
— Il a été fait, en 1852, à la librairie Panckoucke, une élé-
gante réimpression de ces Heures à cent dix exemplaires seule-
ment.
Bibliothèque satirique; elle se trouve dans le Journal de
Paris, par Mathieu Marais , publié par extraits dans la Revxie
rétrospective. Les lecteurs au fait de la chronique scandaleuse
de la Régence comprendront sans peine ce qu'il y a de malice
dans les titres de quelques-uns de ces livres supposés :
L'Art de diviser les ho)nmes à l'infini et de profiter de leur
division, par le duc d'Orléans;
L'Art de mener les maris par le nez, dédié à la reine d'Es-
pagne;
Nouveau traité des infiniment petits, dédié aux grands de la
cour de France, par un auteur anonyme ;
Traité des Jubilés et des indulgences plénièrcs, par la prési-
dente Fillon, dédié au cardinal Dubois.
FIN.
n. 35
INDEX.
A.
Acteur qui laisse écliapper un mot
pour un autre. T, BO.
AlUÉHOM. Ses perfidies. I, 50, 451
et noie. II, 46 9. — Comment il
gagne la faveur du duc de Ven-
dôiiie. Il, 31. — Lettre de lui in-
terceptée. H, 46. — Complote la
mort de l'empereur. II, ns. — Est
arrêté par ordre du pape. II, 220.
Albret (duc d'). Son mariage avec
M"» de Barbezieux. I, 42 4.
Ambassadeur persan. Ses bizarre-
ries. I, 16 0. — De Portugal, ma-
gnificence de son entn'e. I, I8i. —
CiTémonial à l'entrée des ambas-
sadeurs. I, 272.
Ancre f marquis d'). Calembour
fait sur son nom au sujet de la
grossesse de la reine. I, 416.
Angleterre (la reine d'), épouse de
Jacques II. — Refuse de se réjouir
de la mort du roi Guillaume, l,
6 5, — Doutes sur la réalité de sa
grossesse. I, 8 5. — Prétendue ga-
lanterie avec le père La Chaise, l,
a32. — Sa mort chrétienne. 1, 401,
406. — Son portrait. I, 407, 412.
AniiALT (prince d'), trcs-laiJ ; son
portrait I, 171.
Anuault-Dessau (prince d'), épouse
la fille d'un apothicaire. I, 66.
An\at (le Père), confessenr de
Louis XIV. I, 334.
Anne d'Autriche (reine-mère).
Causes de sa mort. — I, 3 9 3. —
Son ignorance. I, 440. — Ses
amoureux. I, 426, 447. — Son
mariage secret avec Mazarin, I, 287.
II, 3, 373, 396.
Anne (reine d'Angleterre). Ses vices.
I, 222.
Anspacu (le margrave d'). Tour
qu'il joue à Madame. I, 43. —
Amoureux de M"« d'Armagnac.
I, 228. . — Sa conduite ridicule.
I, 324.
Antin (duc d'). Sa belle habitation
de Petit-Bourg. I, 124 elnote. —
S'est enrichi à la banque de Law.
II, 197.
Arco (comte). A quelle condition il
épouse la Popel, maîtresse de l'é-
lecteur de Bavière. I, 283.
Arpajon. Privilège accordé à cette
maison par l'ordre de Malte. II, 6 8.
ArCHON, curé de Versailles, fait un
sermon ridicule. II, 53.
AliMALE (mademoiselle d'). Plait au
roi ; M'"" de Maintenon veut la faire
renvoyer. II, 7 8.
AVAUX (comte d'). Son intrigue avec
la reine d'Angleterre. II, 436.
B.
Bade (Louis, prince de). Sa mort. Bavière (l'électeur de). Va h Marly,
r, 98. i> vieilli. I, 132. — Son goùt pour
Barcelone. Siège de cette ville. 1, les grisettes. I, î84 et 363. — A
143 et 147. pour maîtresse la Dcsmares. I, 8î2.
Baudeuot, antiquaire, entretient le BAVii:RE (le chevalier de). Amant do
maréchal <le Villars des cornes sur M"" de Polignac. II, 14.
les médailles. I, 320. — Son aven- BliAllVAIS (maciamc). Kst la première
tiire a\ec la ducliessc douairière femme avec laquelle Louis XIV ait
d'Orléaiib. 11, 21. eu dos rapports. 1, ï60 et nolv.—
INDEX. 411
BoisnOBEiiT. Di'plaisail à la reine-
mère h cause de son iinpiét»'. Plai-
sant acte (le contrilion qu'il fait.
I, 460.
BOLii-LON (cardinal de). Sa mort,
ses vices. I, 160.
BORSTEL, pris pour Law, faillit être
tui'. H, 273.
BOYEH. S'occupe de la di'couvcrio
du niovivcrncnt perpéluel. I, 368.
Bl!\>c\y. 'M. dei. Oublie sa femme
!e jour de ses noces; autres distrac-
tions. II, 166 et note
BiiA\DEi!OLiiG Charles, prince de).
Son niariiijic. I, 16 et note.
Bkégï (uiadame de), list aim^e du
cardinal Mazarin. I, 3 53 et note. —
Piise de force par la reine Chris-
tine. II, 1 86.
Brigailt (l'abbé). Etait de la con-
spiration de Celiamare. Est un mi-
sôrablc intrij^ant. II, 29.
Bkiou (de^, fils d'un conseiller au
parlement. Ses aventures avec M"»
de la Force. I. 401.
Bhogme. Détails sur cette famille.
11. 1 86. — Le Régent aimait le frère
cadet pour sa conversation licen-
cieuse. II, 186, 221 .
BoiiiBON (duc de). Louis HI, venje
M"" de Nesie du marquis de Ville-
quier. I, 293. — Est amoureux de
W"'' de Prie, l, 423 ; II, 36. —
Est trompe par M"'^^ de Polignac.
lit 14. — Se range du côté de
Law, grâce à quatre millions. II,
243.
Bourbon (duchesse de), fille natu-
relie de Louis XIV. Compose des
vers fort mordants, l, 101, 232.
— Est amusante et gourmande. I,
132. — Aime H boire. I, 238.
Son porli;iil. I, 304 ; II, 318.
BouunoN (duchesse de), Marie-Anne
deConti. Sa mort. II, 22 4. — Ses
défauts. Il, 232, Î37.
Avait le secret clu mariage de la
reine-mère. I, 2 8 7.
Be\i VEiiNOis. Sa réponse au prince
de Vaudemont. II, 6 .
BÉJON (madamel. Ce qui lui arrive
il l'Opéra. II, 196.
BELLEG.4RDE fducde), rival d'Hen-
ri IV. I, 16.5.
Bki.mont (madame de). Trompée par
le prince Rupert. I, 7 5.
Bi:\DENRiTTER, ambassadeur autri-
cliien. Sa haute taille. I, 3 47.
Bernholdt (madame de). Fait des
faux. I. 379.
Beiînstorf (de) , intrigant et in-
!;iat. I, 420, 437.
BEiiHi (duc de), petit-fils de Louis
XIV. Sa mort. I, 384. — Mal éle-
vé, sert l\l">i; de Maintenon comme
nn domestique, II, 223 et noie.
Beiiri (duchesse de). Son mariage.
I, 126. — Ses revenus. I, 143. —
Sa gourmandise et son goût pour
les divertissements. 1, 27 S. — Son
portrait. I, 31 8. — Fait un présenta
la duchesse de Lorraine. I, 3 8 5. —
Sa maladie. II, 85, 92, 112, 122,
181. — Sa mort. Il, 132 etsuiv. —
Vers faits contre elle. II, 135. —
Ses dettes. II, 139. — Causes de sa
mort, II, 143. — A été mariée se-
crètement à Riom. II, 153, 175.
BessOLA, femme de confiance de la
première Dauphine. I, 253. — La
trahit. I, 312. — Aigrit sa mai-
tresse contre son mari. li, 142.
Est vendue à M"" de Maintenon.
Il, 182 ; II, 273, 275, 291.
Beuvhon (comte de). Son aventure
avecM'n'deGordon. I, 217 ctnole.
Bei VRO>I (comtesse de), favorite de
Madame. Sa mort. 1, 1O8.
BiKCKENFELDT (prince de). Amant
de Fanchon Moreau. I, 43.
B1S.SY (cardinal de). Faux et mé-
chant. I, 214.
c.
Café. Rend chaste. I, 83. — Cause Catiiehine de Médîcis. Femme mé-
de grandes maladies. I, 129. chante et débauchée. Il, 273
UliroicuE. Sa mort. Il, ssï. Cella.mare, ambassadeur d'Espagne.
412 INDEX.
Convorsation singulière avec lord COLONNE(laconn<5taLle(lc).LonisXIV
Stairs, 1,470 .—Est arrêté pouravoir l'aurait épousée sans l'opposition de
trempé dans un complot, II, 39. Mazarin. I, 2S7; II, i44ctno<e.
CiuisE (le père La) ressemblait à un Comédiens italiens. Sont renvoyés
âne. I, 3 53. — Est cause des per- de Paris pour avoir joué la Fausse
sécutions contre les réformés. I, Prude. II, 27 s
231 ; II, 110, 171, 252 et nofp. Co.ndé (princesse de), Lelle-fille du
Chamillard, ministre de la guerre. grand Condé; ses vertus. II, 225.
Lauzun se moque de lui. I, 248. COiVDÉ (le grand). Ses vices. II, 241
Chajmilly (maréchal de). Sa mort. etnote. — Inconduite de sa femme.
I, 157 etnote. I, 369 et noie. — Perd une partie
C|1ARLES-MAIIR1CE, frère de Madame, d'échecs. I, 344.
nieurtvictime de son intempérance. COMI (la grande princesse de). Le
Ij 66. roi de Maroc la demande en nia-
CiUKOLAis(mademoiselle de), petite- riage. I, 4 5. — Danse avec beau-
fille du prince de Condé. Son in- coup de grâce. II, 353.
triguc avec Richelieu. II, 112, 1S2, Conti (la princesse de), femme de
103, 343. — Demande à le voir en François-Louis. Son portrait. 11,1*.
prison, réponse du régent. II, 162. Co.Ml (François-Louis, prince de).
COARTBES (duc de), fils du régent. Meurt de débauche. 1, 308.
Son'portrait. I, 4S4. — Va au bal Co.nti (Louis-Armand, prince de),
del'Ôpéra. II, 199. Sa lâcheté. I, 132. — Ses folies et
CUATILLON (de). Histoire de ce gen- ses ridicules. I, 227 ; II, 19 4. —
tilhomme. — A voulu susciter la Tourmente sa femme. I, 3 43. —
noblesse contre le régent. I, 245. Sa repartie à un bal masqué. I, 876.
Chirac. Anecdote touchant ce mé- Est malade. II, 148. — Ne quitte
decin. II, 170. — Traite la Dau- paslarueQuincampoix.il, 158.^
phine. 1,266. Trait de brutalité au bal de l'Opéra.
CuoiSEï L (mademoiselle de). Epouse II, 217.
un jardinier. I, 203 Cordelier. Anecdote relative ii un
Chouin (mademoiselle), maîtresse du prétendu cordelier. I, 389.
premier Dauphin. I, 176. — Son Cormiel (madame). Ses bons mots,
portrait. Il, 98, 223. I, 229.
CURiSTiNE (reine de Suède). Licence COSTUME des princes au parlement,
de ses propos. I, 279 ; 11, i 90. — I, 322.
Anecdote h son égard. Il, 185. — COURLANDE (duc do). Mariage pro-
Son libertinage. Il, 186. jeté entre Madame et lui. I, 373.
ClÉREMBAULT (la maréchale de). Etait CraON (marquis de), favori du duc
attachée à Madame. 11, 367. — Sa do Lorraine. S'enrichit aux dépens
mort. II, 379. du duc. Achète une terre. 11, 82.
Clermont, capitaine des Suisses du Crao.N (raadamede),niaitresseduduo
régent, est préféré à Noce par M'"" de Lorraine. I, 31 4, 395 ; 11, 79. —
de Parabère. Il, 1 47 et noie. Son portrait. I, 374. — Ceque Ma-
ClI'HMONT (mademoiselle de). Très- dame dit d'elle à un jésuite. II, 78.
jolie. I, 148. CitÉQri (le duc de). Mot au sujctdcs
Cochon mitre (le), libelle. I, 31C IVinnus légères. I, 328.
cl noie. C.ZMi (le) Pierre 1" rond visite ii
COETyiKN (madame de), maîtresse Mad.iuu". I, 397 et note. — Con-
duchcvalier de Lorraine. — Sonin- damne son fils à mort. 1, 455 et
trigue avec M. de Turcnnc. I, 243 ; noir. — Le fait cmpoisonucr. II,
11,208, 170 ctno<e.
INDEX.
D.
413
Danemark (le roi de). Sa niaiserie. I,
Î09. 321. — Ses défauts, II, 32 5.
Dangbau (madame dcj. A son fils
Liesse à la bataille de Malplaquct.
I, 119 et noie. — Son portrait.
II, 279.
Dangeaij (le marquis). Son Journal.
Ij 70 et note.
Dabmstadt (prince héréditaire de).
Fort débauché. I, 403.
Dauphin (le premier), fils de
Louis XIV. Sa mort 1, 130 et
note. — Son caractère. I, 175 et
881. — Sa maîtresse, mademoi-
selle Chouin. I, 176; II, 98. —
Son caprice sur la chaise percée. I,
S31 et note. — Ne veut pas se
mêler des affaires publiques. II,
16. — Est aimé du peuple de
Paris. II, 67. — Fait jeûner une
actrice, sa maîtresse. Il, 52. — Son
indifférence pour ses enfants. II,
558 — S'imaf;inc voir l'onibrc de
la première Madame. Il, 2 8 5.
Dauphin (le second), duc de Bour-
gof;ne. Son portrait. I, 224, 314.
— Se laisse (jouvernor par sa femme.
I, 314. — Meurt huit jours après
elle. II, 372.
Daupuine (la première). Sa mort.
II. 86 et 117. — Est calomniée
par !\I">e de Maintenon. II, 118. —
Service funèbre ; les moines de
Saint-Denis; scène bouffonne. II,
141. — Madame soutient la Dau-
phine. II, 181.
Dauphine (la seconde). Grande amé-
lioration dans sa conduite. I, 2SS,
318. — Causes de sa mort. I, 26 6.
— Gouverne son mari. I, 314.—
Passepour avoir des goûts dépraves.
Il, JS. — Aime Nangis. II, 105.
— Manière dont elle prenait un
lavement. Il, 1J6. — Ses étourdc-
ries. II, 346,
DiîSCAliTES. Propos qui lui est attri-
bué. H, 257.
Deschamps (la), actrice. Est cause
de la mort du duc de Wurtemberg.
II, 190.
Desmahes (la), comédienne. A une
fllle du duc d'Orléans. I, 321. —
Ne la revoit qu'une seule fois. II, 67.
Deux-Ponts (duc de). Personnage
désagréable. II, 76.
Deux-Ponts (la princesse de). A
épousé son écuyer. I, 3 4 6.
Douglas (lord). Plaisant conseil
qu'il donne au prétendant pour
plaire aux Anglais. I, 200.
Dot RLACU ^le margrave de). A un
sérail. Il, 42. — Change de con-
duite. H, 37 1.
Dubois (l'abbé). Comment il devint
précepteur dn duc d'Orléans. I,
2 7 4. — Ses défauts. I, ?S1. —
Menteur. II, 42. — Tolère tous
les vices de son élève. II, 183 —
Mot de son laquais. Il, 304. —Vers
faits contrelui. 11, 269, 281, 283.
Duchesses (deux). Stratagème qu'in-
ventent deux duchesses pour voir
leurs amants. I, 3 00.
DuFHESNOV (madame) , maîtresse do
Louvois. Il, 2 22 et note.
DuNKEitQUE. Aventure au spectacle
de cette ville. II, 121.
Duras (la duchesse de). Le duc de
Brancas prend son tablier pour un
mur: ce qui s'ensuit. Il, 166.
DuiiFORT (madame de). Anecdote à
son égard. II, 26 7.
E.
EcROUELLES. Prétendu privilège des rictle. I, 2S1. — Sa mort. II, 115
rois de France. II, 123 et note. et noie.
El'FlAT (le marquis d'). Complice du Eisenach (le prince de). Le prince
chevalier do Lorraine dans l'em- do Wolfonbuttcl veut lui faire vio-
poisonncmcnt de Madame Ucu- leuce. 1, 108 et 12S. — Vcutfaite
3ô.
414 i\r)EX.
donner clos coups tle bâton au nia-
rctlial do Villais. Il, 21.
Elisabeth - Ciiarloite ( dutlicsse
d'Orléans, Madame), l'auteur de
ces lettres. Ses couches. I, 6. —
Ne joue pas. 1,15, loi. — N'aime
pas le séjour de Paris I, 22, 13 5.
— Se démet un bras en tojiibant de
cheval. I, 27. — Son porvrait. I,
33. — Recommande la tolérance.
I, 24, 49, 151. — Activité de sa
correspondance. I, 31, 3 9. — Com-
pose des chansons. I, 3 9. — Sa
douleur à la mort de Monsieur. I,
S2. — Lit la Bible. 1,37,78, 145,
152, 451 ; II, 95. — Ne peut sup-
porter le jeune. 1, 7 3. — Dort a
i'éjfli.se. I, 80, 333; II, 78. —
N'aime pas la cuisine française. I,
83. — S'expose au soleil I, 88. —
Eût voulu ne pas se marier. I, 93.
— Aime la solitude. M, 98. — Fait
collection de niéiluillcs. I, s»9. —
Est volée par son trésorier, l, 1 1 5
— Tombe vingt-six l'ois de cheval.
1, 122. — Ses occupations de
chaque jour. I, I43. — Aveniure
désagréable qui lui arrive a la
chasse. I, 15 2. — Aime les ani-
maux ctsuitout les chiens. I, iss.
— Aime le séjour de Sainl-Clond.
I, 180. — Soilicile pour les réfor-
més. 1, 193. — Ciimuiuiiiquc au
roi les nouvelles qu'on lui mande
de Hollande. I, 2 47. — A de vi-
laines mains. I, 2 87. — Se con-
sole d'avoir perdu son procès il
Rome, l, 295. — Aime ie.-i gens
sérieux. I, 300. — Faii lil à part.
I, 300. — Sa réponse à M"" de
Muintenon, qui lui reproche de ne
pas avoir d'ambition. I, 3 12. — .
Adresse nu margrave d'Aiispach des
obseivalions qui sont prises en
mauvaise part. 1,32 9. — Se moque
du duc de Saint-Simon. 1, 338. —
Conserve les habiludes allemandes.
I, 340. — IMals qu'elle ainu'. 1,
340. — Son opinion sur Luther.
I, 34 4. — Ses lillis d'honneur.
1, 36 5 et 380. — ^e s'occupe pas
du pape. I. 367; II, 106. — On
avait \oulu la marier au duc de
Courlande. 1, 373. — Sa repartie
à la comtesse de Soissons. I, 88 4.
— l'ose la première pierre do
1 église de l'Abbaye-aux-Bois. I,
410. — Ce qu'elle pense du ma-
riage. I, 416. — Se désole de l'in-
cendie du Palatinat. I. 418. — As-
siste à la représeulalion d'une co-
médie au collège des Jésuites. I,
419. — Sa laideur. I, 443. — Est
marraine d'un juif, I, 463. — Son
goût pour le théâtre. I, 464. —
Aime la nature. II, 66. — Sa haine
coiilie le ducde Hiclielieu. Il, lio.
— Ses confesseurs. 11, 128. — Ne
cioit pas aux sorciers. II, 79. —
.Ass'ste il l'installation de l'abbesse
de Chelles. Il, 135. — Aimait à
faire peur étant enfant. H, 159.
— Le roi augmente sa pension. II,
ifil. — Plats qu'elle aime. II. 172.
— Egards de son iils pour elle. II,
17 2. — Prend le parti de la (pre-
mière) Dauphine. II, I8i. — Perd
son argent au jeu. II, 18 6. — Sa
conversation avec M"" de Fiennes.
Il, 201. — Espiègleries dans son
enfance. II, 212. — Romans qu'elle
a lus. 11,243. — Cliantait les canti-
ques des lléformés. Il, 239. —
Traite rudement deux fausses com-
tesses palatines 11, 279. — Aven-
ture avec un moine qui était fou.
Il, 328 — Vers badins qu'elle
présente à Louis X.V. II, 363. —
Les moines du couvent d'ibouru
l'enivrent. II, 367. — Refuse,
après la mort de Monsieur, de se
retirei' dans un couvent. II. 370.
— Se rcnil à ISeims ii l'occasion du
sacre de Louis XV. II, 380. —
Letlres adressées à M""; de Mainte-
non. Il, 3S1. — Correspondance
d'un génie fort étrange avec la Ju-
chossede Hanovre. 38G.
E>ii;t,Tii au Palais-Royal. Il, 159,
2 3 4.
E.ilMAM'KL (le prince). Son histoire.
Il, 360.
INDEX. 415
ExTRiGiiKS(l'al)l)t'cl'). Ses escapades.
II, 209, 212, 214, 220.
E^TREMO^T. Aventure nocturne ar-
rivée h la femme de cet aiubussa-
dcur. II, 1 29.
EpernON (duc d'). Soupçonné il'a-
voirtrenipé dans l'assassinat d'Hen-
ri IV. I, 376.
Épermon (mademoiselle d'). Se fait
religieuse. I, 2 40.
Espagne (la reine d'). Sa corres-
pondance avec Madame. I, 177.
EspiNOl (la prince.sse d'). Sa mort.
I, 32. — Arrête un voleur. II, 3.3 1.
Esprit, médec de Madame. Estcausc
delà moi td lin desos enfants. 1,3S3.
EsTRÉES (le maréchal d'). Son aven-
ture à l'Opéra, l, 208.
Et:Gi!\E (le prince'), laid et mal-
pro|)re. I, 324. — Paye ses dettes.
II, 187. — Soupçons contre ses
mœurs. II, 282.
Façon, médecin de Louis XIV. Adu-
lateur outré de M'"* de Maintcnon.
1, 285. — Hàtc la mort du roi. II,
109. — Fait mourir la reine. II,
114 et 201 .
Fancho.m Moreau, actrice. Ses in-
trifjues. I, 4 4 et noie.
FÉ^ULO!^i. Sa mort. I, 157
dij(jrâce. II, 2 48 et nn(e.
FerroiviÈre (la belle). Cause inno-
cente de la mort de François I".
Vers à ce sujet. II,
Ferté (la duchesse de la'). Est amou-
reuse de Louis XIV. Son exil. I,
Ferté (la maréchale de la). Preuve
qu'elle donne à un amant de la vio-
lence de son amour. I, 444.
sur les affaires du temps. II, 4,
FONTA^iGE (madame dcl, maîtresse
do Louis \1V. Ktalt belle et bête.
I, 190, 3^8. — Est empoisonnée
parM'nfdcMontespaii. 1,2 00, 47 2.
— Explication d'un rè\e qu'elle
fait. 11, 221.
Sa Force (mademoiselle de La). Ses
nvcnliircs I, 401 et 408.
Fok(E ^leduc de La). Se fait mar-
cliaml de chandelles; couplets à ce
sujet II, 2S0, 299, 301, SOS.
Foii. Mot d'un fou à Louis XIII.
I, 212.
François I". Vers sur la cause de
sa mort. II, 3 52.
Frédéric, électeur palatin. Lettre
qu'il écrit à sa femme. II, 347.
FiEMVES (madame de). Le loquet. I, Frise (le prince). Très-laid. Son
259. — Ce qu'elle dit de la reine- portrait. I, 171.
mère. Il, 43. — Conversation qu'a FuRSTEMUERGfie princeévêque Egon
Madame avec elle. Il, 201. de,. Cause une heure avec la reine
FiTZ-MOBiTZ. Auteur d'un livre sans rien comprendre. II, lis.
G.
Galles (la princesse de). Ses démè- dant. I, 2 9 4. — Puni de mort. II
lésavcc le roi son beau-père. I, 362, 77 et note.
370, 395, 398. — Mettait mal Gordon (madame de), dame d'hon-
l'orlhojrraphe II, U9. neur de Madame. Ses distractions.
Gendhon, médecin du Régent. Lui I, 217. — Calomnie Madame. I,
défenilail les petits-soupers. 1,349. 252.
Georges I"^ roi d'Angleterre. Son Gram.mont (Philibert, comte de). Le
mauvais caractère. I, 65, 100, 379. roi se divertissait beaucoup de son
GÈVRES (le marquis de). Diiie avec esprit II, 96 cl noie.
le duc de Bourbon. I, 292 et note. Ghancev (l'abbé). Avait un petit sé-
Goektz (le comte de), ministre de rail, I, 125.
Suède. Intriguait pour le prctcn- Ghanceï (madame de). Maîtresse du
416
INDEX.
chevalier (le Lorraine. IIj lis. —
Avait eu un enfant. I, 403. — De-
vient affreuse; son désespoir. II,
lï4. — Passait les nuits à fumer
et à boire. II, i ! 4. — Violente dis-
pute avec madame de Bouillon, II,
125.
GLEMEPiÉ (le chevalier de). Son aven-
turc avec deux duchesses. I, 301.
Gliche (le comte de). Favori de
Monsieur et amant de Madame. Est
surpris dans un rendez-vous. II, 6.
Gl'illaime III, roi d'Angleterre.
N'aime pas les femmes. I, 35 et 58.
Gl'ise (la duchesse de). Sa mort.
I, 23.
H.
HammèR, cavalier anglais. Son opi-
nion sur Louis XIV. II, 123,266.
Hanovre ( Télecleur de). Voyez
Georges l".
HA>OVRE(rélectricede).II,i23,!9 0.
— Correspondance fort étrange
qu'elle a avec Madame. II, 386.
Harcolrt princesse d'). Battait ses
gens. II, 338.
Uarling, page de Madame. I, 3. —
Ses prétentions ambitieuses et dé-
placées. Il, 233.
HaltmONT. Fait des vers contre
lyiazarin. qui le fait mettre à la
Bastille. I, 261.
Hknhiette (d'Angleterre), première
foiiiinc do Monsieur , frère de
Louis >kIV. Intrigue où figurent le
chevalier de Lorraine, M'oedeCoct-
quen et le maréchal de Turenne.
I, 244. — A été empoisonnée. I,
231. — Le prétendu revenant. I,
282. — Proteste en mourant do
son innocence. I, 421. — Son in-
trigue avec le comte de Guiche; les
amants sont surpris par Monsieur;
stratagème d'un valet. H, 6. —
Surprise dans une scène de dé-
bauche avec AI"" de Monaco. II, 15.
— Accusée d'un attachement inces-
tueux pour le duc de Monmoulh.
I, 417,
llEMii IV. Comment il se venge d'une
maîtresse infidèle. I, 26 5.
llEliVOnD (l'abbcsse d'). Ses distrac-
tions et ses méprises, I, 213 ; II,
12, 8 4 et note.
Hesse-Uueinfels (le landgrave de).
Ses sottises. II, i 6 4.
HOMBOLRG (la princesse de). Se mé-
sallie. I, 381.
HoRN (le comte de). Son crime et
son supplice. II, 226, 227, 234 et
noie.
lIovM (le comte), ministre du roi de
Pologne. I, 185 et note.
I.
Incendie de l'Opéra. I, 206. — Du Intempérance des femmes. I, 75.
château de Lunéville; à qui il doit Jacoi ES II, roi d'Angleterre. Ne veut
être attribué. II, 50.
Inde. Anecdote de deux ministres
rivaux de ce pays. I, 2 8 8.
Infante d'Fspagne, promise à
Louis XV; sa gentillesse. II, 362,
pas qu'on porte le deuil de sa fille.
1 , 13. — Grossesse de sa femme ré-
voquée en doute. I, 5 5 et noie. —
MotdcM"«Cornuelsurson compte.
I, 229. — Sa mort, II, 127.
J.
Jehmyn (lord) Epouse en secret la 53. — Détestés. I, 331. — Vcu-
veuvc de Charles I". I, 296. lent faire passer leur ordre pour
JÉsriTES. Soupçonnés délie do la parfait. Il, 82.
coDspiraliou de CcUaniarc. 11, 51, JoNyi;iÈRE, colonel réformé. Veut
INDEX.
417
so saisir du n'fjcnt. Il, 9 4. — Com- tour sur la vallée de). II, 272.
ment le régent le fait enlever. JosErn (le père). Tropos que lui
II 9 7. a.liTsse le duc Bernard do Saic-
JOSAPUAT (remarque d'un pr^Mica- ^Vel|lU1r, II, 8.
K.
KOENICSMARK (Ic couitc de) se fait
accompagner par une Anglaise dé-
guisée en page. Il, 23 3
KOENIGSMABK (l'hilippe de), amant
de Sophie-Dorothée, électrite de
Hanovre. Sa mort mystérieuse. I,
1G3, noie.
La Fayette (madame de). Amie in-
time de M. do Larocbcfoucault.
Il, 280.
LakGALLEBIE (marquis de). Sa mort.
I, 310, 337, 338. — Sa femme.
II, 325.
Lassay (le marquis de), amant de
M™<i la duchesse la jeune. II, 371
et noie. — Gagne beaucoup au sys-
tème de Law. II, 196.
Laquais (trois). Pourquoi ils se dis-
putent. II, 218. — Vers au sujet
de cette aventure. Il, 219.
Laii.VAY (mademoiselle de), compro-
mise dans la conspiration de Cella-
mare, est enfermée à la Bastille. Il,
A6, 6 5. — Refuse de répondre.
II, Î13.
LaUiNOIS, valet de chambre de Ma-
dame. Stratagème qu'il imagine
pour faire évader le comte de Gui-
che. II, 6.
Lau/.CN est envoyé à la Bastille par
jalousie envers sa cousine. I, 254.
— Ses saillies spirituelles. I, 2 48.
Laval (comte de). Est arrêté pour
un complot. II, 9 9 et loi, 109 et
note.
Law.Scs talents. I, iî7 et nofe; II,
163. — Une duchesse lui baise la
main. II, 164. — Tombe malaJe.
II, 17 4. — Quiproquo d'une dame;
repartiedeLaw.il, 189. — Chan-
sons faites contre lui. Il, 17 4, 251,
297, 511. — Est dépouillé de sa
charge.11,2 40,2 43, 251,263,264.
Leibmtz. Sesbellesqualités. I, 2"7.
LÉOPOLD I^'', empereur. Sa galan-
terie. I, 7 9.
Lincoln (lord). Fajon équivoque
dont un garde de Monsieur pro-
nonce son nom. I, 34.
LiON>E(M. de), ministre d'Etat. Fait
commencer une guerre par jalou-
sie. I, 3o6, 389.
Lo.NGÉviTÉ (exemples de) dans le Pa-
latinat. I, 70.
LONGLEVILLE (madame la duchesse
de). N'aimait pas les plaisirs inno-
cents. I, 409 ; II, 87.
LonBAnE(le chevalier de), favori de
Monsie.ir. Ne veut pas entrer chez
Madame parce qu'il y a trop d'Al-
lemands. I, 210. — Empoisonne
.Madame Henriette. I, 2 51. —
Meurt misérablement. I, 225; 11,
22. — A initié le duc de Verman-
doisàde honteux désordres. I, 302.
LOBBAI^E (duc de). Est amoureux
fou dcM"i« de Craon. 1,314, 39 5 ;
11, 39. — Est empêché par des mo-
tifs d'étiquette de venir il la cour do
France. I, 42.
LOBBAI NE (la duchesse douairière de).
Aventure de sa jeunesse. Il, 3 40.
LOBRAIN E (duchesse de) , fille de Mada-
me). Son portrait 1,2 5,3 1,200.—
Perd un de ses fils. I, 43. — A huit
enfants en huit ans. l, 90. — Aime
son mari malgré ses torts. I, 2i9.
— Témoi(;ne à sa mère sa surprise
des mœurs de l'époque, l, 381. —
Cadeau que lui fait la duchesse do
Berri. l, 385. — Son château de
Lunéville est incendié. II, 50.
LORBAIME (Charles, priocc de). Se
sépare de sa femme. 11, 300,
418 INDEX.
LOUBE (Françoise de), fille d'hon-
neur de Madame. I, 380 et noie.
Louis XIV. Causes de la mauvaise
santé desesenfants légitimes. I, 79.
— Ne craignait pas la poussière. I,
88. — Prophéties sur la durée de
sa vie. I, 9 6 et noie. — Médailles
saliriques contrclui. I, 99 cl nnle.
— Chansons faites contre lui. 1,
1 15, note. — Son i;;iioiaiicc dans
les choses de la religion. I, IIV,
130. — Prenait souvent n)édecine.
I, 135 et noie. — l£nip!oi de ses
soirées. 1, 146. — Sa mort. I, 181,
189. — l)ominé parM'"'^ de Main-
tenon et par son confesseur. I, 187.
— Exile la duchesse de la l'eité. I,
236. — Aime M""^ de Uoquelaure,
1, 236. — Ses niaitressrs. l, 234.
— Ses paroles h son lit de mort. I,
2 37. — Etait atlaché aux vieux
usages. I, 259. — Etait impérieux.
I, 260. — • Ne voulait pas d'éti-
quette il Marly. I, 262. — Ce qu'il
ditdeson testament. I, 272. — Son
éducation. I, 273 et note. — Son
goût pour les femmes. I, 2 86 et
noie. — Etait tourmenté par M"*
de Maintcnon. I, 29 3. — Ne re-
grette pas le comte de Vernuindois.
1, 306. — N'a point voulu rra|incr
Louvois. I, 326. — Un astiologue
prédit son mariage avec la Main-
tenon. I, 326. — Ses dettes. 1,
334, 351. — Voulait être admiré
et obéi. I, 3 45 et note. — Pour-
quoi il renonce à la conijiiète delà
llollandc. ï, 356. — Meurt avec
fermeté. 1, 4il. — Son mariage
avec M""' de Maintenon. Il, 2 6 et
noie. — liésiste à l'animosité de
M'">' di' .Maintcnon conlrc Madame.
Il, t 60. — Augnienle la pension de
.M.iilameon dépit de M"'*^ de Main-
teiiun. II, 16 1. — l'itiquette de SCS
iep:is. II, 168. — Sa dernière ma-
hidie. II, 169. — Se laisse guider
par le ['ère La Chaise et par M"" de
M.iinteudii H, 171. — II est faux
qu'il poi l;U un ciliée II, 219. —
|]j doux hommes 11, 345. — Pré-
fère un athée à un janséniste. II,
368. — Ouvrages contre lui et sa
sa cour. Il, 397.
Loris XV. Son portrait dans sa pre-
mière enfance. I, 152, 284, 305.
- Espièglerie. I, 312. — Invente
un ordre de chevalerie. I, 315.
LOLVOIS. A été empoisonné. I, 227 ;
II, 2 4. — Etait bien servi par ses
espions. I, 248. — Sa méchanceté.
1, 307, 326, 363. — Ouvrait les
lettres de Madame. I, 424. — Fait
nommer sa maîtresse dame du lit
de la reine. II, 2 22.
LuDiiES (madame dc^, maîtresse du
roi. Son portrait. 1, 437.
LuTiiiiit. O qu'en pense Madame.
I, 3U.
LuxiiMIlOUllG (le maréchal de). Rcs-
semhlaità un perro<|uct. II, 184.—
Libelles contre lui. Il, 264.
M.
Madame (petite). Détails sur cet en-
fant. H, 188.
Maine (le duc du). Projet de mariage
entre lui et la lille de .Madame. I,
2 5 8. — Sa fausseté. I, 335. — l'^st
déj;radé du laug de prince du sang.
I, 154.
M,\i>iE (la duchesse du). A de nom-
breux amants. I, 422. — Son en-
tretien avec le régent. I, 448. —
Parle de le tuer. 1, 47 0. — Son
portrait. 11, 13, 15. — l",sl airélée
il Puris et conduite ii Dijon. II, 4!>.
— Est conduite ii Cliûlons. U, 86.
— Ses folles dépenses. 11, 161.—
Une lie ses lettres d'amour au car-
dinal d.' Puliguae II, 299.
Maimknon (madame de). Ilaino
(|u'elle a contre Madame et contre
son (ils. 1, C6, 208, 442. — Part
pour l'Amérique. 1, 856 et note.
— Recevait beaucoup de lettres. I,
2 (1 '. — Ses torts. 1 , 2 6 9. — 'l'our-
nieiile le roi. 1, 29 5. — Enlretiea
aveelell'gent 1,278. — lù'proche
il Mudume du ne j)as avoir d'umhi-
INDEX. 419
tîon. î, 31Î. — Chansons contre
elle. I, 33fi, note, 466 ; H, 60. —
Fait jouer la conir'dic ilans les ap-
partements du roi. I, 415. —
Son pouvoir. 1, 4 40. — Son ma-
riage avec Louis XIV. II, 2 6 et
noie. — Libelles dont elle rst
l'objet. II. 60 — Origine de ses
relations avec le roi. Il, 7 4. — Sa
mort. II, 92. — Rt'pand le bruit
que le rôgcnt est un empoisonneur.
II, lli. — Sa cupidité. II, 8S.
— Laisse un iinnicnse lu'ritagc. II,
III. — Calomnie la preniière Diiu-
phine. II, 118. — Veut animir le
roi contre Madame. H, 160. — Sa
colère quand le roi augmente la
pension de Madame. li, I6i. —
Se fait servir par le Dauphin et les
princesses. Il, 240. — Motifs de
son animosité contre Madame. II,
289. — Accompagnait le roi ù la
chaise percée. II, 3 50.
MvLEZiEiiX. IM enfermé à la Bas-
tille. II, 53. — Pourquoi on ne
lui fait pas son procès. H, "3.
Mansard. Empoisonné, dit-on, par
M"" de Maintenon. I, 230.
Mansfeld [le comte de). A fait em-
poisonner la reine d'iispagnc. II,
Ï92, 357.
Mahie-Thkbèse, reine de' France.
iS'a eu qu'un jour Iiourcux. I, 276.
— Son portrait. I, 280. — Son
attacliemeut pour le roi. II, 81. —
Il n'est pas vrai qu'elle ait mis au
monde une négresse. II, 10 5. —
Son médecin Fagou l'a tuée. II, 2ûl
Maroc (roi de). Demande en ma-
riage la princesse de Conti. I, 45
et noie.
Marsan (le comte de), amant de la
maréchale de la Ferté. I, 44 3.
MArBUlS.SO\ (l'abbesse de), tante de
Madame. Détails sur son compte.
I, 39, 414.— Sa belle vieilless.'. I,
90. — Sa moi t. I, 111.
Mazarin (le cardinal). iNc voulait
auprès de lui que des gens heu-
reux. I, 219. — Empêche le ma-
riage de sa nièce avec le roi, 1, 2 38
et noie; II, 144 et noie. — Fait
élever dans l'ignorance le roi et
son frère. I, 273. — Ecrits dirigés
contre lui. I. 47S et suiv. — Avait
épousé en secret Anne d'Autriche."
II, 3 et note, 3 7 s. — Fait saisir
des libelles dirigés contre lui et les
revend. 11, ?37.
Meckle.iibourg (le duc de). Ses bi-
zarreries. II, 2 66.
Mekcï 'le comte de). A trompé le
duc de Lorraine. I, 276.
iiIODÈ.NE ()e prince de). Epouse
Mii»^^ do Valois. H, 207.
Moi.\E[histoirc d'un) attaqué par un
voleur. I, 311.
Mo.XACO (madame de). Ses intrigues
avec Lauzun et Louis XIV. I, ïs*.
— Suiprise avec Madame Hen-
riette. Il, 15.
Mo.N.iiotTii (le duc de). Amant in-
cestueux de Madame, première
femme de Monsieur. 1, 417.
Moxtchevrelil (madame de), gou-
vernante des lilies d'honneur de
la Djuiihine, créature <le M":'' di;
-Maiiilcnon. I, 235 ; II, 251, 274.
.M'JllIif,, gentilhomme provenjaî,
Complice de l'empoisonnement de
Madame Henriette. Ses vices. 1,2 Si.
Mo.XTESPAX (madame de). Injures
allemandes;! une revue. I, 249. —
Etait tiès-joucuse. I, 26 7 et note.
— Son intrigue avec le maréchal
de Noailles. I, 30 4. — Buvait
beaucoup, l, 357. — Empoisonne
l\Jme iig Fontanges et d'autres per-
sonnes. I, î'uo, 472. —Avait des
gardes-du-corps, I, 443. — , A été
cause do l'amour du roi pour
M'"» de Maintenon. II, 74. — Est
supplantée par cette dernière. II,
7 5. — Sa beauté. II, 90 et noie.
— Mène à la cour sa parente,
M"-^ Aubrv. II, 101.
AIo.XTi'ExsiER (Mlle de), fille du ré-
gcnt ; son portrait. II, 3SS et note,
MoTiiE (La) Levaycr. Son costuoie
bizarre. I, 2 6 5.
MoLCiiï (madame de), favorite de la
duchesse de Berri. A volé cette
420
INDEX.
princesse. II, 139. — Ebt exilée.
II, 144. — Son origine et motifs
(le son asccnJant sur la duchesse.
II, 153, 139.
N.
NA\crs ;ie comle de), amant de la slijjation d'Albéroni , faire périr
ducliesse de Bourgogne. II, 104. — rcmpcreur. II, 17S, 18O.
Jouit d'une {;ranilc faveur auprès Noailles (le cardinal). Ses vertus.
du duc. II, 105. I, 813.
Nassal (le prince Maurice de). Com- NOAlLLES(le maréchal dcl. Est soup-
nient il se fait peindre pour une çonné d'être le père de Madame la
vieille princesse. II, 62. Uuchcssc. I, 303. — Amoureuide
Nassau (madame de). Ses intrigues. M""; de Monicspan. II, 4 4 4.
Il 366 NocÉ, un des roués de la société du
NKfiiiE assassin et pendu. I, 411. régent. Détails sur sa vie et sa per-
NEMOins (madame de). Mot sur sonne. II, 148, 224.
l'honneur des cours. II, i7 4. — Ce Nesle (madame de). Ses galanteries.
que lui disait une petite-fille pau- I, 301 ; II, 228.
\re. II, 874. Neiuoff (de), page de Madame. Ses
NlMTSCB (le comte de). Veut, à l'in- friponneries. II, 279.
0.
Orléans (Philippe I", duc d'
Monsieur, frère du roi Louis XIV.
Ses défauts. I, 48 et noie. — Sa
mort. I, 52, 42 8. — Ne savait pas
lire son écriture. I, 257. — No
voulait pas être dérangé en dor-
mant. I, 300. — A quelle occasion
il prit des gants. 1, 402. — Sa
conversation avec un chanoine. II,
1 7*. — Trait singulier de supersti-
tion. II, 2 7 6.
Orléans (Philippe II, duc d'\ Ré-
gent. Prononce un proverbe alle-
mand d'une façon ridicule. I, 87.
— Est blessé à la bataille de Tu-
rin. I, 91. — Prend la ville de
Lérida. I, lOG. — Ne reçoit du roi
aucun argent pendant ses campa-
gnes. I, 121. — Fait une chute à
la chasse et se démet le bras. I,
128. — Donne des médailles à sa
mère. I, 160. — Travaille beau-
coup. I, 19 1 et note. — Sa pré-
vention en faveur des Français.
I, 20s. — Aime M"" de Para-
Iière. I, 2'.o; II, 177 vi nule. —
Aime le vin de ('.hampagne. I, 240.
— Ses eiifanls naturels. I, 2 39 et
560; II, 177. — Dialogue avec
la vue basse. I , î83, — Son por-
trait , ses qualités , ses défauts.
I, 294, 328 ; II, 22. — Appelle sa
femme madame Lucifer. I, 303. —
Est fort instruit. I, 306. — Com-
jiose des ofiéras. I, 317, 3 4 9.—
Ne veut pas reconnaître la fille de
la comédienne Desmares. I, 321. —
Son mariage. I. 3 43. — A mal aux
veux. I.^ 3 49. — Savait faire la
cuisine. I, 3 49. — N'est nulle-
ment jaloux. I, 3 59. — Ses désor-
dres. I, 36 1 ; H, 101. — Propos
sur le compte de M""^ de Main-
tenon. II, 73. — Est un homme à
treize ans. Il, 121. — Saint-Si-
nmn le blime d'être trop débon-
naire. II, 126. — Est au desespoir
de la mort de la duchesse de Bcrri.
II , 123 , 13 9. — Exile M"» de
Mouchy. II, 1 4 4. —Manque de déli-
catesse en amour. I, 22»; II, 16 4.
— Ses égards pour sa mère. II, 17».
— Son précepteur Dubois tolèro
tous ses vices. II, 183. — Motifs
de la haine que lui portent M"" do
Maintenon et des LUsins. Il, 20*.
— Vers faits contre lui. II, 255,
161.
M"" de Maintenon. I, 27'8, — A Om.ÉAM.s (ducUcsso J'), femme du
INDEX.
421
Ri<gent. A un perroquet qui dit dos
inconvenances. 1, 177. — Ses six
filles. I, S 02. — Sa paresse. I, 2 42,
893, 411; II, 33. — Met beau-
coup de rouge. I, 2 83. — Est su-
perstitieuse. I, 883. — Son or-
gueil. I, 303; II, 1 et îs. — Elève
mal ses enfants. I, 355. — Ses
migraines. II, 44. — Sa brouille
avec sa fille, l'abbesse de Chelles.
II, 80 et 107.
Obléans (Louise-Adélaïde à'), fille
du Rt'gent , abbesse de Chelles. Son
portrait. I, Î6S; II, 89, ilî, soi.
— Motifs qui l'ont décidée à se
faire religieuse. Il, lî. — So
brouille avec sa mère. II, 80 et 107.
— Sa confession. Il, ll2,«o(e. —
Récit des cérémonies de son instal-
lation. II, 15 5. — Vers faits sur
son compte. Il, i 57.
OhlÉANS jlc chevalier d'I, bâtard du
Régent. Son portrait. I, l'O, 327,
26 1 et noie.
OsSLXK (le duc d'). Repartie pi-
quante do sa femme. Il, 6 7.
Parabère (madame de), maîtresse
du Régent. Trompe son mari et se
fait donner de l'argent pour des
bijoux. I, 221. — Son portrait, I,
J40. — Son ivrognerie. H, 145'
— Son intrigue avec Clerniont. II,
14 7. — Divertit le régent. II, 2 57.
Paiiis. Saleté de cette ville. I,
449.
Peuse (détails sur le prétendu am-
bassadeur de) à Paris. I, 325.
PETEBBOUOLGH (lord). Ses bizarre-
ries. I, 146. — Mot sur les rois
d'Espagne. I, 218. — Est arrêté ii
liouîogne. I, 333 et noie.
Philippe V, roi d'Espagne. Détails
sur sa personne. I, 283. — Moyen
qu'emploie sa feninie pour lui faire
faire ce qu'elle désire; le lit îi rou-
lettes. I, 372. — Son opinillretd.
II, 64. — Sa gaucherie. II, 203.
PolicnaC (madame de). Son intri-
gue avec le chevalier de Bavière et
le duc de Bourbon. II, 14. —
Aventure avec le fils de l'ambassa-
deur turc. II, 270. — A voulu sé-
duire le duc de Chartres , comme
le grand Prieur. II, 231 . — Etrange
propos qu'elle adresse à son mari.
Il, 36 6. — Singulière conversation
à un bal. II, 268.
POLIGNAC (\e cardinal de). Son por-
trait. I, 214 ; II, 46. — Amant de
M""' du Maine. 1, 422. — Va au
bal masqué par jalousie. Ij 4 56, —
II.
Est exilé dans une de ses abbayes.
II , 46. — Singulière lettre que lui
écrit M"»» du Maine. II, 2 9 9.
POMKAt (madame de). A une vision.
II, 92.
POPEL (madame), maîtresse de
l'électeur, mère du chevalier de Ba-
vière. Sou mariage. I, î8 3.
PoHTLAiVD (comtesse de). Méchante
et ennemie de la princesse de Gal-
les. I, 450.
PonTOCAREBO (l'abbé de), neveu de
Cellamare, est arrêté en portant le
plan d'un complot. II, 48.
PoiiTSMOLTU (duchesse dt). Détails
sur son compte. I, 165 et note.
POIITIGAISES. Nubiles dès l'âge do
neuf ans. I; 14 5.
Portugal (le roi de). Ses vices. I,
40.
Prédicatei'R ( réponse d'un) au su-
jet des noces de Cana. Il, 332.
PhÉtemiant (le), liis de Jacques II.
Est vraiment fils de la reine d'An-
gleterre. I, 85 et noie. — S'évade
de chez le prince de Vaudemont. I,
198.
Prie (madame de), maîtresse du duc
de Bourbon. Est battue par son
mari. I, 423 et note; II, 86. —
Trompe son amant. II, 229.
PniiSSE (reine de). Sa mort. I, 76,
Pi^AiSES. Incommodent la reine
d'Espagne. I, 54 ; 11, 1S8.
3G
422
INDEX.
QuA^DT (madame de). Première (;ou- Ql'incampoix (rue^ Devient famense
vernante de Madamcj (jui la bat, à IVpninic du système de Law. II,
n, 3 4. 197 et note.
R.
Racotzi ( le prince ) se trouve à Retz (cardinal de). Ses mémoires. I,
Marly. Son portrait. I, 137 et 3 58. S72.
— Nf souffle pas qu'où lui parle RiCHELiEU (cardinal de). Sujet à des
mal de sa femme, qui lui a sauvé accès de folie. I, 2 40.
la vif. I, 332
liAGOTZi (la princesse de). Son in-
conduite. II, 3 50. — Sa mort. II,
358.
R.VlSIiV , comédienne. Maîtresse du
premier Uaupliin I, 416. — En
a un enfant. I, 428. — Coiimient
elle passe tout un jour à jeûner en-
fermée dans un moulin. Il
RicuELiEU (duc de). Son aventure
avec deux duchesses. I . 300. —
Ses perlidies. II, 83. — Fait pein-
dre ses maîtresses en religieuses.
Il , 83. — Ses vices. II , toi. —
Son intrigue avec Ml'» de Charolais.
II, 103, 112, 1S3. — Madame le
déteste. Il, 110. — Aventure scan
duleuseoù il joue un rôle. H, 3 7
UaIZ (duchesse de). Siandalesqu'elle Richelieu (marquise de;. Ses déré-
donne. Il, 374. î;lements. I, 60.
Rahibuiies (mademoiselle de). Fille RlOil. l'ortrait decet amant delà du-
d'Iionneur de la Dauphine et mai- chcsscdelierri. II, 1 VO.~A élé marié
tresse du Dauphin. II, 275 et note. socrètemcntavecciie. II, t 53, 17S.
Ratzemiausen (madame de). Une de HocilEPOlCAULI) (madame de la). Sa
ses filles commet des escroqueries, réponse naïve au sujet d'un hu-
I, 379. ffuenot. II, 31 0.
Ratzemiadsen (mademoiselle Léo- RoiiA> (cardinal de). Ses défauts. I,
noie ou Lénore) avait accompagné 2 14.
Madame en France. I , 26. — Sa Rooi elauiie (Gaston, duc de) entre
gaieté. I, 39 9. au Louvre en carrosse; plaisanterie
Ravaillag. Motifs du meurtre qu'il à ce sujet. 11, 1 41 et note
a commis. 1, 37 5.
RaymOM> (madame). Maîtresse de
lord Staiis. U, 28 et note, 230.
RebenaC (le comte de), ambassadeur
ROQI ELAl'BE (duchesse de). Est ai-
mée de Louis XIV. I, 236.
RoiiliK (madame du) , maîtresse du
Dauphin. Il, 274.
en EspafTiie. Avait une passion RtPEllT, oncle de Madame. Son pré-
mallieuri'iise pour la reine. U, 292. tendu mariage avec M"'' do I5el-
Reim.s (archevêque de), l'erd 2,000 mont 1, 76. — Passe pour un
louis au hoca. I, S16 ut note. sorcier. I, 291.
S.
Saura?» (madame de). Conversation moque de lui. I, 338. — Kepro-
siiigulière à un hal. Il, ^r,<^. che au llégent d'être trop déhon-
Saint-Ai.iii>. l'Alaid du U.'i;ent et naiie. Il, 126.
de Floivnce, danseuse de r(>,MTa. Saim-Si i.riCE (madame de) Ancc-
Son père ne veut pas lereronnaitie. dolc la concernant. Il, 307, 317.
1 3'.i; 11, 187. — Est fait évêque. Sai.es (saint François de). Trichait
11, 3'.'. et nnle. au jeu, selon le iiiai'cchal de Nillc-
Saivi-Sujo> (duc de). Madame se roi. 11, »13.
INDEX.
423
Salvatico , envoyé de Modène. Ses
folies. Il, 857, S63.
Sa\DIUZKY, biigaJ'ur allemand. Im-
pliqué dans un complot. U, 1 12.
SA^TEKUE, peintre. Détails sur sa
vie. II, 1S4.
Sauvage. Qui voit de Paris ce qui se
passe en Canada. 1, 113.
Savoie ^leduc de). Insuccès de son
invasion de la Provence. I, 105.
Savoie Philippe de), frèredu prince
Eujjène. Son portrait. I, 324.
Savoie (nicsdemoiscUes de). Leurs
aventures. I, 32 4.
Saxe (prince électoral de). Sa niai-
serie. Il, 130.
Saxe-NVeymau (le duc Bernard de).
Ses reparties. II, 345.
SCHAl'B (le chevalier). Aventure qui
arrive à son secrétaire. Il, 31 S.
SCULIEKEN (le comte). Impliqué dans
la conspiration île Celliiniarc. Il,
2». — EstinisalaBaslille.il, 47.
SÉGIR (le marquis de). l'pouse une
fille bûtaidc de la cométliciiue Dos-
mares et du Uégcnt. 11, 6 6.
SÉnv (mademoiselle de). Maîtresse
du Réjjent. 1, 169.
SiAM (roide).SaréponscàI,ouis\lV,
qui l'cngajje à embrasser le chris-.
tianisme. 1, 94.
Siecen (princesse de). Ses intrigues.
Il, 19, 351, 376.
SniOM, médecin. Passe pour le vé-
ritable père des prinocs bavarois.
Il, 21.
S0ISS()^S (comte de). Son portrait.
I, 323.
SoissoiNS (comtesse de). Détails sur
son compte. I, 323, 384, etno(e. —
Amitié du roi pour elle. Il, 144.
SoimsE (madame ie). L'une des
maiircsses de Louis XIV ; ses dé-
fauts, l, 3 02.
Staihs (lord). Conversation singu-
lière avec l'ambassadeur d'Espa-
gne Cellamare. l, 4:0. — Sa pas-
sion pour M""= Kaynioud. Il, 28.
— Se brouille avec le Uégcnt. Il,
221.
StLi-V (duc de). Ses distractions, II.
171.
Tabac. Chose dégoûtante. I, 139 et
179.
Tekme. De même maison que mon-
sieur de Montcspan, est soupçonné
d'être le père du duc du Maine. Il,
325.
Tbiange (madame de). Entremet-
teuse des amours du duc de iMon-
mouth et de Madame , première
femme de Monsieur. I, 417. — Ses
défauts. U, 2 37 et noie.
TiQLET (madame). Son supplice. I,
37.
Toscane ( la grande-ducbcsse de).
Déteste l'Italie. I, 237, 403.
TOKCï (de). Ouvrait les lettres de
Madame. I, 53, 77, 424 ; II, 177,
304.
Tueville (comte de). Se jette dans
la dévotion après la mort de la
première Madame. Il, 7.
TliitC (fils de l'ambassadeur). Enlevé
par trois dames do qualité; mot
qu'il adresse à M"" de Polignac. II,
7, 270.
TiiHE.\NE (maréchal de). Sa faiblesse
pour M">e de CoctqucD. I, 2 4 4; II,
265.
Uhsins ( princesse des ). Est chassée
d'Espagne, l, 1S6. — Louis XIV
lui donne une pension 1, 162. —
Ennemie du Régeut. U, IS. — Mo-
tifs de sa haine contre lui. 11 ,
UxELLES (le maréchal). Se conduit
avec bassesse. 1, 432.
UzÉ (mademoiselle), actrice. Mai-
tresse du Régent. I, 262.
UzÈs ['duchesse de). Meurt d'unemala-
dic quclui adonnée son mari. 1, 47,
42i
INDEX.
V. w.
Tallière (madame cle La), maîtresse
(lu roi. Sa doureur et sa bonté; ses
bonnes qualit('s. Il, 16. — Est
inaltraiU'e par Louis XIV. — Sou
désespoir quand ses enfants furent
légitimés. I, 90. — Entre au cou-
vent ; cérémonie loucbantc. I!, 1 1 9 .
— Son repentir. I, ;i 4.
VALOis(niadem"i^^Cbarlottc-Aglaéde)
fille du Réjjcnt. Sa fausseté. 1, 298.
— Ses défauts. I, 387. — Son por-
trait. II, 11. — Est fiancée au duc
de Modène. II, 193. — Détails sin-
guliers sur son compte. II, 2 43 et
noie — S'ennuicàModènc. Il, 2S4.
Valois (duc de). Premier fils de
Madame. I, 32?.
Vendôme (duc de). Son cynisme. I,
89 et note. — Empoisonné, dit-on,
par Albcroni. I, 469. — Ce qu'il
montre à un évêque. II, 31.
VE^DOME (madame de). Se blesse en
versant dans sa voiture. I, 14 4. —
Sa mort. I, 399.
Yentadoir (madame do), dame
d'honneur de Madame. 1,298 et
note — Gouvernante de Louis XV.
11 , 9 et note.
Veb.'HANDOIS (comte de). Fils de
Louis XIV et de M"" de La Val-
lièrc. Est corrompu par le cheva-
lier de Lorraine. 1, 302. — N'est
point ref;rctté du roi. I, 306.
VeutOT (l'abbé). Fait, sans le vou-
loir, une allusion offensante pour
M">o de Maintenon. I, 2 48.
Vebiue (la comtesse de), maîtresse
du roi de Sicile. Se dispute avec
lui. l, 243.
ViLLABÉAL , gouverneur de Barce-
lone. Sa fanfaronaile. I, 143.
ViLLARS (le maréchal de). Son aven-
ture à l'Opéra. I, 20 8. — Passionné
pour le prince d'Eisenacb. II ,
21.
Villeqlieb (le ma^q'lT^ le). Réponse
qu'il fit à la marquioC de Nesle. I,
289.
ViLLEROi (maréchal de). Chansons
contre lui. 1, i". — Tour que lui
joue Madame. II, 363.
XVARTEMnEiiC (romtesse de). Son in-
conduite. I, 174 et 179.
WOLFENDITTEL (duc de). Scs viccs.
I, 48, lOS, 125.
WlutemberG (prince de). Reçjit
d'une danseuse un cadeau qui lui
coûte la vie. II, 190.
z.
Zei.t, (duchesse de). Haïede Madame.
Il, 57, 246.
Z 1 N Z Ë> DO UF (comte de) , ambassadeur
d'Autriche. Ses goûts déréglés I,
60, 347.
FIN.
Paris. — Imj tinicric de GrsTivE CnATlOT, rue Mazarine, 39.
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