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Full text of "Cours analytique de Code civil"

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COURS   ANALYTIQUE 


DE 


CODE    CIVIL 


PARIS.  TYPOGRAPHIE  E.  PLON,  NOURRIT  et  O 

RDE   GARANCIÈRE.    8. 


COURS    ANALYTIQUE 


DE 


CODE  CIVIL 

PAR 

A.  M.  DEMANTE, 

AVOCAT    A    LA    COUR    d'aPPFL,   PROFESSEUR    A    LA    FACULTÉ    DE    DROIT    DE    PARIS, 
ANCIEN    MEMHRE    DES    ASSEMBLÉES    NATIONALES, 

CONTINUÉ  DEPUIS  L'ARTICLE  980 

PAR 

E.  COLMET  DE  SANTERRE, 

AVOCAT, 
PROFE8SEUR    DE  CODE    CIVIL    A    LA    FACULTÉ    Dr.    DROIT    DE    PARIS. 


TOME     HUITIEME 


ART.  1832-2091  —  2219-2281 


PARIS 

LIBRAIRIE     PLON 
E.  PLON,  NOURRIT  et  Cie,  IMPRIMEURS-ÉDITEURS 

10,    RUE   GARANCIÈRE 

1884  /%*«*» 


■dm  t. 


SOMMAIRES. 


LIVRE  III. 

TITRE   IX. 

DU    CONTFiAT    DE    SOCIÉTÉ. 


CHAPITRE  PREMIER. 

DISPOSITIONS    GÉNÉRALES. 


-  a<jes , 


1.  Caractères  du  contrat  de  société.  Art.  183%  (I).  \ 

2.  Ses  conditions  essentielles.  Art.  1833.  2 
2  bis.  I.  Énumération  des  conditions.  ib. 
2  bis.  II.  Consentement.  ib. 
%  bis.  III-IV.  Apport.  ib. 
2  bis.  V.  Objet  de  la  société.  ib. 
2  bis.  VI.  Société  dont  l'objet  est  illicite.  3 
2  bis.  VII.  But  de  la  société.  ib. 
2  bis.  VIII.  Les  bénéfices  à  pôrîager  doivent  être  pécuniaires  ou 

appréciables  en  argent.  4 

2  bis.  IX.  Ils  doivent  provenir  de  la  communauté  des  apporta.  ib. 

3.  Preuve  du  contrat  de  société.  Art.  1831.  ib. 

3  bis.  I.  Anciennes  sociétés  taisibles.  o 
3  bis.  II.  Il  faut  appliquer  à  la  société  toutes  les  règles  qui  ré- 
gissent l'admission  de  la  preuve  testimoniale.  ib. 

3  bis.  III.  Pour  appliquer  l'article  1341  il  faut  considérer  la  va- 
leur des  apports  réunis.  6 

CHAPITRE  II. 

DES    DIVERSES    ESPÈCES    DE    SOCIÉTÉS. 

4.  Énumération  des  diverses  sociétés.  Art.  1835.  ib. 


(1)  Les  paragraphes  imprimés  en  gros  caractères  sont  la  reproduction  du  Pro- 
gramme du  cours  de  Droit  civil  de  M.  Deïiaxte;  les  paragraphes  portant  les  n°*  bis 
sont  l'œuvre  ds  M.  Colmet  dk  Santerbe. 

viii.  a 


u  SOMMAIRES. 

SECTION    I. 

Des  sociétés  universelles. 

6.  Deux  espèces  de  sociétés  universelles.  Art.  1836.  7 

5  6is.  Troisième  espèce  de  sociétés  universel  les.  »&. 

6.  Société  de  tous  biens  présents.  Art.  183».  8 

7.  Société  universelle  de.  gains.  Art.  1838.  ib. 
7  bis.  I-IH.  Développements  sur  ces  trois  espèces  de  sociétés  uni- 
verselles. *"' 

8-10.  Passif  des  sociétés  universelles. 

10  bis.  Passif  des  sociétés  de  gains.  f  0 

41-3.  Dettes  nées  pendant  la  société.  ">• 

13  bis.  Dettes  résultant  de  délits.  ** 

14.  Interprétation  des  conventions  de  sociétés  universelles.  Art. 

183».  *■ 

15.  Capacité  spéciale  pour  faire  ces  convoitions.  Art.  1840.       ib. 

15  bis.  Les  contractants  ne  sont  pas  incapables  par  cette  seule 

raison  qu'ils  auraient  des  héritiers  à  réserve.  ib. 

SECTION    II. 

De  la  société  particulière. 

16.  Définitions.  Art.  1841.  184«.  12 

16  bis.  Exemples  de  sociétés  civiles.  ib. 

CHAPITRE  III. 

DES  ENGAGEMENTS   D::S   ASSOCIÉS  ENTRE   EUX   ET    A    l/ÉGARD    DES   TIERS- 
SECTION    I. 

Des  enyagements  des  associés  entre  eux. 
17.  Division  do  la  section.  13 

§  1". 
Du  commencement  et  de  la  durée  de  la  société. 

18-19.  Commencement  de  la  société.  Art.  1843.  4  4 

20.  Durée  de  la  société.  Art.  1844.  ib. 

§2. 
Des  obligations  de  chaque  associé  envers  la  société. 

21 .  Énumération  des  obligations.  ib. 
21  bis.  Réserve  sur  la  question  de  la  personnalité  des  sociétés.  1 4 


SOMMAIRES.  III 

22-23.  Obligation  de  fournir  l'apport.  Art.  1845.  15 

23  bis.  I.  L'associé  n'est  quelquefois  obligé  que  comme  le  sérail 

un  bailleur.  ib. 

23  bis.  II.  Il  duit  la  garantie  des  défauts  cachés.  ib. 

24.  Apport  en  argent.  Art.  18  1«.  16 

24  bis.  I.  Double  dérogation  à  l'article  1 153.  j'6. 
24  bis.  II.  Quand  l'apport  n'est  pas  promis  en  argent,  le  débiteur 

doit  être  mis  en  demeure.  ib. 

25.  Obligation  résultant  de  la  promesse  d'apport  en  industrie. 

Art.  a  84».  17 

26-27.  Cas  eu  l'associé  est  créancier  d'un  débiteur  de  la  société. 

Arî.  1848.  ib. 

27  bis.  I-III.  Conciliation  t  ntre  l'article  1848  et  les  articles  1 253  - 

1256.  ib. 

27  bis.  IV.  Au  cas  prévu  par  l'article  1848,  la  règle  de  cet  article 

régit  les  rapports  de  l'associé  avec  le  débiieur.  18 

28.  L'associé  reçoit  sa  part  d'une  créance  commune.  Art.  1849.     19 

28  bis.  I.  La  règle  dérive  de  l'obligation  de  veiller  aux  affaires  so- 

ciales, ib. 

28  bis.  IL  La  règle  ne  s'applique  pas  au  cas  de  compensation.  ib. 

29.  Associé  responsable  de  ses  négligences.  Art.  1850.  20 

29  bis.  I.  L'associé  doit  apporter  tous  les  soins  d'un  bon  père  de 

famille.  t'6. 

29  bis.  IL  II  ne  suffirait  pas  qu'il  apportât  aux  affaires  sociales  le 

soin  qu'il  apporte  aux  siennes.  ib. 

29  bis.  III.  On  doit  se  contenter  de  la  diligence  d'un  bon  père  de 

famille.  21 

§  3. 
Des  obligations  de  la  société  envers  chaque  associé. 

30.  Deux  obligations.  ib. 

31.  Restitution  de  l'apport  en  jouissance.  Art.  1851.  ib. 

31  bis.  Développement.  22 

32.  Indemnités  due:  à  l'associé.  Art.  1859.  23 

32  bis.  I.  Indemnités  des  risques  éprouvés.  ib. 
32  bis.  IL  Indemnités  des  déboursés.  ib. 

33.  Les  obligations  de  la  société  envers  les  associés  se  divisent.       24 

§4. 
Des  parts  des  associés  dans  les  gains  et  les  pertes  de  la  société. 

34.  La  loi  ne  règle  la  participation  aux  pertes  et  gains  qu'à  défaut 

de  convention.  $6. 

35.  La  part  dans  les  pertes  est  la  même  que  la  part  dans  les  gains. 

Art.  1853.  al.  1 .  24 

a. 


1V  SOMMAIRES. 

36.  Cas  où  l'apporl  d'un  aisocié  est  en  industrie.  Art.  1853,al  2.  25. 
36  bis.  I.  Apport  composé  en  valeurs  et  en  industrie.  ib. 
36  bis.  IL  Cas  où  l'apport  étant  promis  en  industtie,  la  société  est 

dissoute  prématurément.  26 

37.  Règlement  des  parts  par  un  tiers.  Art.  1854.  »6. 
38-39.  Convention  qui  priverait  un  associé  de  toute  part  dans  les 

gains,  ou  qui  affranchirait  l'apport  d'un  associé  de  toute  paît 

dans  les  pertes.  Art.  1855.  27 

39  bis.  1.  Motifs  de  l'article.  *'&• 

39  bis.  II.  Convention  qui  tendrait  a  éluder  la  règle.  28 
39  bis.  III.  La  convention  peut  soustraire  aux  pertes  l'associé  qui 

f.iit  son  apport  en  industrie.  ib. 
39  bis.  IV.  Les  clauses  prohibées  par  l'article  annulent  toute  la  con- 
vention. **■ 

40.  Les  bénéfices  se  calculent  pertes  déduites.  29 

§  5. 
De  l'administration  de  la  société  et  des  pouvoirs  de  chaque  associé. 

41.  Ordre  des  dispositions  de  la  loi.  s6. 

42.  Cas  où  un  associé  est  chargé  d'administrer.  Art.  1856.  ib. 
42  bis.  I.  Mandat  d'administrer  conféré  par  l'acte  de  société.  30 
42  bis.  11-111.  Étendue  des  pouvoirs.  ib. 
42  bis.  IV.  Mandat  postérieur  à  l'acte  de  société.  31 

43.  Administration  confiée  à  plusieurs  associés.  Art.  1859.  32 

44.  Suite.  Art.  1858.  ib. 

45.  En  l'absence  de  convention,  l'administration  appartient  à  tous. 

Art.  1859-1°.  ib. 

45  bis.  I.  Les  associés  se  sont  donné  mutuellement  pouvoir  d'agir,  ib. 

45  bis.  II.  Opposition  de  l'un  des  associés  à  l'acte  de  l'autre.  ib. 

46.  Les  associés  peuventse  servir  des  r.hoses  sociales.  Art.  1859- 

2°.  33 

47.  Dépenses  de  conservation.  Art.  1859-3°.  34 

48.  Innovations,  travaux.  Art.  1859-4°.  ib. 
4S  bis.  Obligation  do  celui  qui  fait  des  travaux  sans  le  consentement 

des  autres.   -  ib. 

49.  Aliénation  des  choses  sociales.  A  rt.  1860.  t'6. 
49  bis.  I.  Quand  il  existe  un  administrateur,  les  autres  ne  peuvent 

pas  aliéner.  ib. 

49  bis.  IL  L'associé  ne  peat  même  pas  aliéner  sa  part  d'une  chose 

sociale.  35 

50.  Association  d'un  tiers  soit  à  la  société,  soit  à  la  part  d'un  associé. 

Art.  1861.  36 

50  bis.  I.  Impossibilité  d'associer  un  tiers  à  la  société.  ib. 
50  bis.  II.  L'associé  peut  assurer  un  tiers  à  sa  part.  —  Effets  de 

cette  convention.  37 


SOMMAIRES.  V 

50  bis.  III.  Le  sous-a?socié  reste  étranger  aux  choses  sociales.  37 

50  bis.  IV.  Immixtion  du  scus-3Ssocié  dans  les  affaires  fociales.  38 

50  bis.  V.  Bénéfices  qu'il  a  pu  retirer  des  choses  sociales.  ib. 
50  bis.  VI-VII.  Le  sous-associé  est  cessionnaire  des  créances  de 

son  cédant  contre  les  autres  associés.  ib. 
50  bis.  VIII.  Droit  du  sous-associé  sur  la  propriété  des  choses  so- 
ciales. 39 
50  bis.  IX.  Rapports  du  sous-associé  et  de  son  auteur.  ib. 


SECTION    II. 

Des  engagements  des  associés  à  l'égard  des  tiers. 

51.  Les  associés  n'ont  p^s  mandat  de  s'obliger  les  uns  les  autres, 

et  il  n'existe  pas  de  solidarité  entre  eux.  Art.  186%.  ib. 

52.  L's  associés  sont  tenis  des  dettes  contractée*  conjointement 

pour  leurs  parts  viriles.  Art.  18G3.  40 

52  bis.  III.  Dettes  contractées  conjointement  par  les  associés.  ib. 

52  bis.  III.  Dettes  contractées  par  un  seul  des  associés.  ib. 

52  bis.  IV.  Associé  mandataire  exprès  ou  tacite.  ib. 

52  bis.  V-VI.  Mandataire  contractant  en  soi;  i  om  personnel.  41 

53.  Dettes  contractées  par  un  associé  sans  mandat.  Art.  Ï8G4.  ib. 

53  bis.  1.  Associé  gérant  d'affaires  des  autres.  2*6. 
53  bis.  II-XIV.  Apjendiee  sur  la  personnalité  dts  sociétés.  42 


CHAPITRE  IV 

DES    DIFFÉRENTES    MANIÈRES    DONT    FINIT    LA    SOCIÉTÉ. 

54-58.  É'îumération.  Art.  1§C».  47 

58  bis.  Complément  de  cette  énumération.  48 

59.  Idées  générales  sur  les  cas  de  d's-olution.  ib. 

60.  Expiration  du  temps  fixé.  Art.  S8GG.  49 
60  bis.  I-1I.  Prorogation.  — Preuve  delà  prorogation.  ib. 

60  bis.  III.  La  continuation  de  l'état  de  fait  créé  par  la  société  ne 

vaut  pas  prorogation.  50 

61.  Extinction  de  la  chose.  Art.  18G9.  ib. 

61  bis.  I.  Perte  du  fonds  social.  ib. 
61  bis.  H.  Cas  où  le  fonds  social  est  en  argent.  t'6. 
61  bis.  III.  Perte  partielle.  52 
61  bis.  IV.  Perte  total'5  de  l'apport  d'un  associé.  ib. 
61  bis.  V.  Cas  où  l'apport  a  été  promis  en  propriété.  ib. 
61  bis.  VI- VIII.  Conciliation  des  alinéas  1  et  3  de  l'artic'e  1867.  53 
61  bis.  1X-X.  Cas  où  l'associé  est  en  demeure  d'effectuer  son  apport,  ib. 
61  bis.  XI.  Apport  en  jouissance.  —  Deux  hypothèses.  54 
61  bis.  XII.  Promesse  de  faire  jouir  de  l'apport.  ib. 


M  SOMMAIRES. 

61  bis.  XIII.  Apport  d'un  droit  réel  do  jouissance.  55 

61  ois.  XIV.  Consommation  de  la  négociation.  ib. 

62.  Mol  d'un  associé.  Art.  18«8.  ib. 

62  bis.  I.  Convention  sur  la  conti  iuation  de  h  société  après  la  mort 

d'un  associé.  56 

62  bis.  H.  Absence  de  convention  sur  ce  point.  ib. 

63.  Dissolution  parla  volonté  d'un  associa.  Art.  1869.  57 

63  bis.  Nullité  de  la  renonciation  qui  n'a  pas  été  notifiée  à  tous.  ib. 
64-65.  Renonciation  faite  soit  de  mauvaise  foi,  soit  à  contre  temp*. 

Art.  1890.  ib. 

65  bis.  Exemples.  58 

66.  Conséquences  d'une  renonciation  qui  ne  réunit  pas  les  con- 

ditions requises.  ib. 

66  bis.  Développement.  ib. 

67.  Dissolution  avant  le  terme  pour  justes  motifs.  Art.  1891.  t'6. 

67  bis.  I.  L'article  815  n'est  pas  applicable  aux  conventions  de 

société.  59 

68.  Partage  des  sociétés.  Arl.  189«.  60 

68  bis.  I.  L'article  883  est  applicable  au  partage  des  sociétés.  61 
68  bis.  11.  A  quelle  époque  remonte  l'effet  du  partage?  62 
68  bis.  III.  Droits  créés  sur  les  choses  sociales  pendant  la  société,  t'6. 
68  liis.  IV.  L'article  841  est  applicable  <n  matière  de  sotiété.  ib. 

69.  Renvoi  au  Droit  commercial.  Art.  1893.  63 


TITRE  X. 

DU    PRÊT. 


70.  Deux  sortes  de  prêt.  Art.  1  894.  64 

70  bis.  Commodat  de  choses  qui  se  consomment  par  l'usage.  ib. 

71.  Division  du  titre.  65 


CHAPITRE  PREMIER. 

DU    PRÊT    A    USAGE    OU    COMMODAT. 

72.  Division  du  chapitre.  j5# 

section  ir«. 
De  la  nature  du  prêt  à  usage. 

73.  Conditions  du  prêt  à  usage.  Art.  1895,  1896.  t'6. 
73  bis.  Disiinction  entre  le  prêt  à  usage  et  le  louage.  66 


SOMMAIRES.  VI] 

74.  Le  prêt  à  usage  est  synallagmatique  imparfait.  66 

75.  Distinction  entre  le  commodat  et  le  précaire.  ib, 
75  bis.  Développement.  Autres  conventions  voisines  du  commodat.  67 

76.  Le  prêteur  reste  propriétaire.  Art.  189  9.  68 

77.  Quelles  choses  peuvent  être  prêtées  à  usage.  Art.  1898.  ib. 

78.  Droit  des  héritiers  de  l'emprunteur.  Art.  189».  ib. 


SECTION    II. 

Des  engagements  de  l'emprunteur. 

79.  Obligation  de  restituer  et  de  veiller  sur  la  chose.  Arl.  1 88©.  ib. 

80.  L'emprunteur  ne  répond  pas  des  cas  fortuits.  69 

81.  Cas  où  il  en  répondrait.  Art.  1881.  ib. 
Si  bis.  I.  Motif  de  l'article.  ib. 
81  bis.  II.  Application  de  l'article  1302.  70 

81  bis.  III.  L'emprunteur  en  demeure  ne  doitpasètre  traité  comme 

le  voleur.  ib. 

82.  Responsabilité  exceptionnelle  du  commodataire.  Art.  188«.  71 

82  bis.  I— III .  Tempérament  à  la  première  décision  de  l'article.  ib. 
82  bis.  IV-VI.  Explication  de  la  deuxième  décision.  72 

83.  Convention  sur  la  responsabilité  du  commodataire.  Art.  1883.  73 

83.  bis.  Résultat  de  la  clause  d'estimation.  ib. 

84.  L'emprunteur  ne  répond  pas  de  la  détérioration  résultant  de 

l'usage.  Art.  1884.  74 
84  bis.  I.  Effet  de  la  clause  par  laquelle  l'emprunteur  se  charge  de 

cas  fortuits.  ib. 

84  bis.  II.  Au  cas  de  perte  partielle  de  la  chose  estimée,  il  faut  pro- 

céder à  une  ventilation.  «6. 

85.  La  chose  prêtée  n'entre  pas  en  compensation.  Art.  1885.  ib. 

85  bis.  Mil.  Renvoi  à  l'article  1293.  75 
85  bis.  IV.  Droit  de  rétention.  ib. 

86.  Personne  qui  doit  recevoir  la  restitution,  lieu  où  doit  se  faire 

la  restitution.  76 

87.  Dépenses  que  l'emprunteur  supporte.  Art.  1886.  ib. 
87  bis.  Obligation  de  faire  ces  dépenses.  ib. 

88.  Solidarité  des  coemprunteurs.  Art.  1881.  ib. 

SECTION    III. 

Des  engagements  de  celui  qui  prête  à  usage. 

89.  Le  prêteur  n'est  obligé  qu'implicitement  ou  incidemment.  77 

90.  Obligation  de  ne  pas  troubler  le  commodataire.  Art.  1888.  t'6. 

91 .  Cas  où  le  prêteur  peut  reprendre  sa  chose  avant  le  temps  fixé 

expressément  ou  tacitement.  Art.  1889.  ib. 

91  bis.  Observation  sur  la  disposition  de  l'article.  ib. 


Vin  SOMMAIRES. 

92.  Dépenses  que  d-nt  supporter  le  prêt  ur.  Art.  189©.  78 

93.  Responsabilité  des  défauts  cachas.  Art.  18  91.  ib. 

CHAPITRE   II. 

DU    PI\KT    DE    CONSOMMATION    OU    SIMPLE    PRÊT. 

91.  Notion  du  con'rat.  ib* 

SECTION    Ire. 

De  la  nature  du  prêt  de  consommation. 

95.  Quelles  choses  sont  l'objet  de  ce  contrat.  Art.  189%.  79 

96.  L'emprunteur  devient  propriétaire.  Art.  1893.  ib. 

96  bis.  MI.  Observations  sur  la  définition  du  contrat.  80 

96  bis.  III.  Prêt  de  la  chose  d'autrui.  t'6. 

96  bis.  IV.  Application  de  l'article  227  9.  81 

96  bis.  V.  Cas  où  l'emprunteur  de  la  chose  d'autrui  l'a  consommée,  ib. 

96  bis.  VI.  Cas  où  la  chose  prêtée  aurait  été  volée  ou  perdue.  82 

97.  Les  risques  sont  à  la  charge  de  l'emprunteur.  t'6. 

97  bis.  Application  des  règles  sur  les  dettes  de  genre.  t'6. 

98.  Nature  des  choses  prêtées.  Art.  1894.  t'6. 

98  bis.  L'article  ne  contient  qu'une  règle  d'interprétation.  83 

99.  Diverses  hypothèses  de  prêt.  84 
100.  Prêt  d'argent  monnayé.  Art.  1895.  t'6. 
4  00  bis.  I.  Le  débiteur  doit  rendre  le  même  nombre  d'unités  mo- 
nétaires. 85 

400  bis.  IL  Le  Code  ne  tient  pas  compte  des  changements  survenus 

dans  la  valeur  commerciale  de  la  monnaie.  t'6. 

100  bis.  IH-IV.  Changement  dans  le  titre  de  la  monnaie.  86 

400  bis.  V.  Convention  sur  la  restitution  en  monnaie  au  même  titre.  87 

4  04-4  02.  Prêt  en  lingols.  Art.  189G,  189».  t'6. 

4  03.  Le  contrat  de  prêt  de  consommation  est  unilatéral.  t'6. 

SECTION    II. 

Des  obligations  du  préteur. 

404.  Obligation  de  garantie  des  défauts;  nécessité  de  ne  pas  de- 
mander la  restitution  avant  le  terme.  88 

4  04  bis.  L'une  de  ces  prétendues  obligations  n'exi-te  p  s,  l'autre  ne 

naît  pas  de  la  convention.  t'6. 

405-106.  Art.  1898,  1899.  t'6. 

406  bis.  L'articbj  1889  n'est  pas  applicable  au  mutuum.  89 

407.  Terme  tacite.  Art.  1900.  t'6. 

408.  Intervention  du  juge  dans  la  fixation  du  terme.  Art.  1901.  t6. 


SOMMAIRES.  IX 
SECTION    III. 

Des  engagements  de  l'emprunteur. 

109.  Restitution.  Art.  I0O9.  89 

409  bis.  Lieu  du  paiement.  90 

110.  Paiement  de  l'estimation  au  cas  où  la  livraison  de  la  chose  est 

impossible.  Art.  19©3.  ib. 

110  bis.  Il  ne  s'agit  pas  de  l'impossibilité  absolue.  91 
441.  Retard  du  débiteur.  Art.  1004.  ib. 

111  bis.  Dérogation  aux  règles  générales  sur  les  dommages-intérêts,  ib. 

CHAPITRE   III. 

DU    PRÊT    A    INTÉRÊT. 

112.  Le  prêteur  peut  s'ipu'er  un  dédommagement  pour  la  privation 

du  capital  prèt'\  Art.  19G5.  92 

112  bis.  Analyse  de  la  convention  d'intérêt.  93 
4I3.  Les  intérêts  payés  t-ont  réputésavoirétéslipulés.  Art.  1906.  94 

114.  Taux  de  l'intérêt.  Art.  ISO?,  ib. 

114  bis.  Intérêt  légal.  —  Intérêt  conventionnel.  95 

115.  Loi  du  3  septembre  1807.  ib. 

115  bis.  I.  Motifs  de  la  loi.  96 
115  bis.  II-IV.  Distinction  entre  les  matières  civiles  et  commerciales,  ib. 
115  bis.  V-VI.  Jurisprudence.  97 
115  bis.  VIL  Explication  des  mots  :  sans  retenue.  99 
115  bis.  VIII.  Sanction  civile  de  la  loi  du  3  septembre  4807.  400 
115  bis.  IX.  Aggravation  résultant  de  la  loi  du  19  septembre  1850.  ib. 
4  45  bis.  X.  Sanction  pénale.  ib. 
4  45  bis.  XL  La  règle  finale  de  l'article  1907  n'est  pas  abrogée.  ib. 
1 15  bis.  XII-XI1I.  Quelle  est  la  portée  de  cet'e  règ'e.  101 

116.  Paiement  du  capital  sons  réserve  des  intérêts.  Art.  1908.  ib. 

417.  Contrat  de  constitution  de  rente.  Art.  1999.  102 

418.  Deux  espèces  de  rentes.  Art.  1910.  ib. 

419.  Rente  constituée  à  titre  gratuit.  ib. 

420.  Les  arrérages  de  1 1  rente  perpétuelle  sont  l'intérêt  du  capital,  ib. 
420  bis.  I.  Notion  de  U  rente.  403 
4  20  bis.  II.  L'ancienne  rente  foncière  n'existe  plus.  ib. 

420  bis.  III.  Les  arrérages  sont  soumis  à  la  loi  de  4  807.  ib. 
424.  Rachat  de  la  rente.  Art.  191 1.  ib. 
4  24  bis.  I.  Origine  du  mot  rachat.  4  04 

421  bis.  IL  La  faculté  de  rachat  est  de  l'ersence  du  contrat.  105 
421  bis.  III.  Interdiction  convent  onneile  du  rachat  pendant  dix  ans.  ib. 
121  bis.  IV.  Le  droit  de  rachat  se  divise  entre  les  héritiers  du  dé-  ib. 

biteur.  «'6. 


X  SOMMAIRES. 

122.  Cas  où  le  créancier  peut  exiger  le  r.  mboursement  du  capital. 

Art.  1919.  103 

123.  Autres  cas.  Art.  IW13.  106 
123  bis.  1.  Dans  les  hypothèses  prévues,  le  Code  applique  les  articles 

1184  et  1188.  ib. 

123  bit.  Il-III.  Interprétation  commute  de  la  première  règle  contenue 

dans  l'article  1912.  ib. 

123  bis.  1V-X.  Discussion  de  cette  doctrine.  107 

123  bis.  XI.  Les  juges  peuvent  accorder  des  délais.  109 

123  bis.  X1I-X1I1.  Comment  comprendre  la  cessation  des  paiements 

d'arrérages  pendant  deux  années.  ib. 

123  bis.  XIV.  La  règle  de  l'artic'e  11tl  s'applique  aux  rentes  con- 
stituées à  i'occasion  de  la  cession  d'un  immeuble.  110 
123  bis.  XV.  Elle  ne  s'applique  pas  aux  rentes  constituées  à  titre 

gratuit.  141 

123  bis.  XVI.  Mais  il  faut  appliquer  l'article  1188.  ib. 

121.  Renvoi.  Art.  1914.  112 

125.  Transition.  113 


TITRE  XI. 

DU    DÉPÔT    ET    DU    SÉQUESTRE. 

CHAPITRE  PREMIER. 
nu  dépôt  en  général  et  de  ses  diverses  espèces. 

126.  Définitions.  Art.  1015-1916.  ib. 

126  bis.  Le  séquestre  n'est  pas  toujours  un  contrat.  ib. 

CHAPITRE  II. 

DU    DEPOT    PROPREMENT    DIT. 

127.  Division  du  chapitre.  <H4 

SECTION   irc. 
De  la  nature  et  de  l'essence  du  contrat  du  dépôt. 

128.  Le  dépôt  est  gratuit.  Art.  191 7.  ib. 

128  bis.  MIL  Cas  où  un  salaire  est  stipule.  ib. 

129.  Le  dépôt  a  pour  objet  des  meubles.  Art.  1919.  115 

129  bis.  I.  Dépôt  de  titres  au  porteur.  ib. 
1 29  bis.  H.  Convention  semblable  au  dépôt  quant  aux  immeubles.  1 1 6 


SOMMAIRES.  XI 

129  bis.  III.  Dépôt  des  choses  qui  se  consomment.  116 

130.  Le  dépôt  implique  la  détention  par  le  dépositaire.  Art.  19  J  9.  117 

130  bis.  I.  Le  dépôt  est  un  contrat  réel.  ib. 

130  bis.  IL  La  tradition  n'est  pas  nécessaire.  ib. 

131.  Le  dépôt  n'est  pas  un  contrat  synallagmalique.  118 

131  bis.  Renvoi.  ib. 

132.  Dépôt  nécessaire.  Art.  9  990.  ib. 

SECTION    II. 

Du  dépôt  volontaire. 

133.  Division  de  la  section.  ib. 

134.  Formation  du  contrat  du  dépôt  volontaire.  Art.  1921.  ib. 

134  bis.  Distinction  avec  le  dépôt  nécessaire.  119 

135.  Régulièrement  le  dépôt  doit  être  fait  par  le  propriétaire.  Art. 

193^8.  ib. 

135  bis.  I— II.  Dépôt  de  la  chose  d'autrui.  ib. 

135  bis.  III.  Effets  du  dépôt  de  la  chose  d'autrui  en're  le  déposant 

et  le  dépositaire.  I20 

136.  Preuve  du  contrat.  Art.  1933,  19%4.  121 

136  bis.  I.  Application  des  règles  générales  sur  la  preuve.  ib. 
136  bis.  II.  Aveu.  122 
136  bis.  III.  Serment  décisoire.  ib. 

136  bis.  IV.  Serment  ^upplétoire.  ib. 

137.  Capacité  en  matière  de  d^pôt.  Art.  1995,  1996.  ib. 

137  bis.  I.  Nullité  absolue  du  dépôt.  123 
137  bis.  IL  Incapacité  du  dépositaire.  ib. 
137  bis  III.  Le  dépositaire  incapable  a  tiré  quelque  profit  de  la 

chose.  1 24 

137  6fs  IV.  Il  l'a  détruite.  ib. 
137  bis.  V.  L'incapable  abusant  du  dépôt  n'est  pas  coupable  d'abus 

de  confiance.  ib. 

section  m. 
Des  obligations  du  dépositaire. 

138.  Deux  chefs  d'obligation.  ib. 

§«. 

De  l'obligation  de  garder  la  chose. 

139.  Obligation  de  veiller  à  la  conservation  de  la  chose.  Art.  19*?.  ib. 
139  bis.  I.  Motif  de  l'article.  4  25 
139  bis.  IL  II  ne  faut  pas  prendre  l'article  dans  un  sens  défavorable 

au  dépositaire.  ib. 

140.  Cas  où  la  responsabilité  est  plus  rigoureuse.  Art.  1928.  ib. 


XII  SOMMAIRES. 

4*4.  Perlo  par  cas  fortuits.  Art.  ■O'îO.  4  26 

444  bis.  Incendie.  »&• 
442.  Le  dépositaire  ne  peut  pas  se  servir  do  la  chose  ni  chercher  à 

la  connaître  si  elle  est  enfermée  sous  clef  ou  scus  cachet. 

Arl.  1930,  1931.  127 

4  42  bis.  Choses  dont  le  dépositaire  peut  se  servir.  H>. 

§2. 
De  l'obligation  de  restituer. 

4  43.  Division  du  paragraphe.  «6. 

4  44.  Rpst  tution  de  la  chose  in  specie.  Arl.  1939.  428 

445.  Détériorations  fortuites.  Art.  B 933.  ib. 

4  46.  Enlèvement  de  la  chose  par  force  majeure.  Art.  193  i.  ib. 

447.  Vente  de  la  chose  déposée  par  l'héritier  du  dépositaire.  Art. 

1935.  ib. 

4  47  bis.  I.  Application  de  l'article  1 94*5  au  cas  de  destruction  de  la 

chose.  I 29 

4  47  bis.  IL  Et  au  cas  de  donation.  i"6. 

4  48.  Fruits  et  intérêts  de  la  chose  déposée.  Art.  1936.  ib. 

4  48  bis.  I.  L'aticle  ne  s'applique  pss  aux  intérêts  des  sommes  dé- 
posées, ib. 

4  48  bis.  II— III.  La  disposition  sur  la  demeure  suppose  un  dépôt  ir- 
régulier. 430 

4  49.  La  chose  doit  ê're  rendre  au  déposant.  Arl.  1939.  434 

450.  Droit  du  déposant  qui  a  déposé  la  chose  d'autrui.  Art.  1938.  ib. 

450  bis.  I.  Les  choses  perdues  doivent  être  assimilées  aux  choses 

volées.  4  32 

450  bis.  II.  Sanction  de  la  règle.  ib. 

450  bis.  III.  Les  juges  auront  à  apprécier  la  sincérité  de  l'allégation 

que  la  chose  a  été  volée  ou  perdue.  ib. 

450  bis.  IV-V.  Ca-;  où  le  propriétaire  a  revendiqué  sa  chose.  4  33 

184.  Mort  du  déposant.  Arl.  B939.  ib. 

454  bis.  Cas  où  les  héritiers  ne  s'accordent  pas  pour  recevoir  la  res- 
titution. 434 

152-453.  Changement  d'état  du  déposant.  Art.  1910-1941.  ib. 

4  54.  Lieu  où  se  fait  la  restitution.  Art.  191^-19  83.  t'6. 

454  bis.  I.  Sens  de  l'expression  :  lieu  du  dépô'.  435 

454  bis.  II.  Observation  critique  sur  la  décision  de  la  loi.  436 
4  55.  Époque  de  la  restitution.  Art.  1944.  ib. 
4  55  bis.  I.  Cas  où  la  restitution  peut  être  refusée  par  la  dépositaire.  137 

455  bis.  II.  Autre  cas.  —  Saisie-arrêt  faite  par  le  dépositaire  entre 

ses  propres  mains.  i5. 


SOMMAliiES.  X1U 

§3. 
Dispositions  communes  aux  deux  obligations  du  dépositaire. 

1 06.  Deux  dispositions.  138 
157.  Le  dépositaire  infidèle  est  privé  du  bénéfice  de  cession.  Arl. 

1945.  ib. 

157  bis.  I.  L'infidélité  suppose  la  mauvaise  foi.  ib. 

157  bis.  II.  Renvoi.  ib. 
!58.  Situation  du  dépositaire  qui  découvre  qu'il  est  propriétaire  de 

la  chose  déposée.  Art.  19  JG.  ib. 

SECTION    IV. 

Des  obligations  de  la  personne  par  laquelle  le  dépôt  a  été  fait. 

159.  Obligations  accidentelles  du  déposant.  Art.  1947.  139 

159  bis.  I.  Exemples.  ib. 

159  bis.  II.  Différence  entre  les  dejx  obligations.  ib. 

159  bis.  ÎII.  Le  dépositaire  peut  avoir  le  privilège  de  l'article  21 02-3°  140 

160.  Droit  de  rétention  du  dépositaire.  Art.  194S.  ib. 

SECTION    V. 

Du  dépôt  nécessaire. 

:G1.  Définition.  Art.  194».  ib 

162.  Règ'e  sur  la  preuve.  Art.  1950.  14 1 

163.  Application  des  règles  ordinaires  du  dé;  ôt.  Art.  1951.  ib. 

163  bis.  I— II.  Développement.  ib. 

1 64.  Dépôt  d  hôtellerie.  Art.  195%.  1 42 

1 64  bis.  Règle  sur  la  preuve.  1 43 

165.  Responsabilité  dy  l'aubergiste.  Art.  1953.  ib. 

165  bis.  Cas  où  cesse  cette  responsabilité.  Art.  E954.  ib. 

166.  Étendue  de  cette  responsabilité.  ib. 

CHAPITRE  III. 

DU    SÉQUESTRE. 
SECTION    Ire. 

Des  diverses  espèces  de  séquestres. 

167.  Deux  e-pèces  de  séquestres.  Art.  1955.  144 


\IV  SOMMAI  H  ES. 

SECTION     II. 

Du  séquestre  conventionnel. 

168.  Notion  du  séquestre  conventionnel.  Art.  165(5.  444 

468  6/s.  I— II .  Le  dépôt  à  litre  de  séquestre  peut  cire  fait  par  une 

seule  des  parties  contendantes.  4  45 
168  bis.  III.  Effet  de  cette  convention  à  l'égard  du  contendant  qui 

y  a  été  étrangt  r.  146 

169.  Séquestre  salarié.  ib. 

469  bis.  Pas  de  solidarité  entre  les  séquestres.  Art.  1959»  1958.  ib. 

170.  Séquestre  des  immeubles.  Art.  1959.  ib. 

170  bis.  Cis  où  la  possession  est  conférée  au  séquestre.  147 

171.  Restitution  de  la  chose.  Art.  i960.  ib. 

171  bis.  1.  Causes  légitimes  de  restitution  du  séquestre.  ib. 

171  bis.  II.  Restitution  par  la  volonté  des  deux  parties  en  cause.  ib. 

SECTION     III. 

Du  séquestre  ou  dépôt  judiciaire. 

172.  Notion  du  dépôt  judiciaire.  Art.  1961.  148 

172  bis.  I.  Espèces  diverses.  ib. 
172  bis.  II.  Étiumération  de  l'article  complétée.  149 

172  bis.  III.  Pouvoir  des  tribunaux  en  celte  matière.  ib. 

173.  Gardien  des  objets  saisis.  Ar(.  196%.  150 

173  bis.  I-1II.  Entre  quelle  personne  a  lieu  le  contrat  de  dépôt  au 

cas  de  saisie.  ib. 

4  73  bis.  IV.  Cas  où  le  saisi  est  gardien.  151 

174.  Autre  cas  de  séquestre  judiciaire.  Art.  1963.  152 

174  bis.  I.  Qui  nomme  ie  séquestre.  ib. 
174  bis.  II.  Le  séquestre  judiciaire  est  salarié.  ib. 
174  bis.  III.  Les  deux  parties  en  cause  ne  sont  pas  solidaires  quant 

au  salaire.  ib. 


TITRE  XII. 

DES    CONTRATS   ALÉATOIRES. 

175.  Transition  et  division  de  la  matière.  154 

176.  Notion  du  contrat  aléatoire.  —  Énumération.  Art.  1961.       ib. 

176  bis.  Renvoi.  455 

177.  Assurance.  —  Prêt  à  la  grosse.  ib. 

177  bis.  Caractères  du  prêt  à  la  grosse.  156 


SOMMAIRES.  XV 

CHAPITRE  PREMIER. 

DU  JEU   ET   DU    PARI. 

478.  Définitions.  —  Effet*.  Art.  1965.  156 

178  bis.  I.  Le  jeu  et  le  pari  engendrent  des  obligations  naturelles 

soumises  à  quelques  régit  s  spéciales.  157 

178  bis.  II.  L'article  ne  s'applique  qu'à  la  dette  contractée  directe- 
ment par  le  perdant  envers  le  gagnant.  ib. 

479.  Exception  à  la  règle.  Art.  1966.  ib. 

479  bis.  Cas  où  la  somme  perdue  dans  un  jeu  autorisé  est  exces- 

sive. 4  58 

480.  La  dette  du  jeu  acquittée  volontairement  ne  peut  être  répétée. 

Art.  1969.  ib, 

480  bis.  I-1II.  Dans  quel  sens  le  paiement  doit-il  avoir  été  volon- 

taire, ib. 

4  80  bis.  IV.  Cïs  où  les  enjeux  ont  été  mis  sur  table.  459 

CHAPITRE   II. 

DU  CONTRAT  DE  RENTE  VIAGÈRE. 

48t.  Objet  et  division  du  chapitre.  4  60 

SECTION    ire. 
Des  conditions  requises  pou?-  la  validité  du  contrat. 

482.  Constitution  à  titre  onéreux.  Art.  196$.  ib. 

4  82  bis.  I.  Caractères  du  contrat  de  rente  viagère  à  titre  onéreux.     464 
482  bis.  II.  Promesse  de  constitution  de  rente  viagère.  ib. 

182  bis.  III.  Arrérages  promis  à  partir  de  celte  convention.  462 

4  83.  Constitution  à  titra  gratuit.  Art.  1969.  ib. 

484.  Cette  constitution  est  soumise  aux  règles  sur  la  quoité  dis- 
ponible. Art.  199©.  ib. 
484  bis.  I-1II.  Conciliation  de  l'article  1570  avec  l'article  917.          163 
4  85.  La  rente  viagère  est  constituée  sur  la  tête  d'une  personne.  Art. 

1991.  464 

4  85  bis.  I.  Cette  personne  peut  être  le  rentier  ou  un  tiers.  ib. 

4  85  bis.  II.  Ordinairement  ces  deux  personnes  se  confondent.  ib. 

4  85  bis.  I1I-IV.  Utilité  de  la  constitution  sur  la  tête  d'un  tiers.  4  65 

486.  CoDSlitution  sur  plusieurs  tètes.  Art.  1999.  166 

486  bis.  I.  Utilité  de  cette  convention.  ib. 

486  bis.  IL  Hypothèses  diverses  régies  par  l'article.  ib. 

186  bis.  III.  Plusieurs  créanciers  d'une  rente  constituée  sur  une 

tête  unique.  467 


XVI  SOMMAIHES. 

18G  bis.  IV.  Un  seul  créancier  d'une  rente  constituée  sur  plusieurs 

tètes.  <67 

186  bis.  V-Vll.  Plusieurs  créanciers  d'une  rente  constituée  sur  leurs 

propres  têtes.  ib. 

187.  Rente  constituée  au  pro5t  d'un  tiers.  Art.  1993.  168 

187  bis.  I— 111 .  Application  de  l'article  1121.  169 

188.  Rente  constituée  sur  la  tèle  d'une  personne  décédée.  Art. 

1994.  170 

188  bis.  I.  L'obligation  manque  d'objet.  ib. 

189.  Rente  constituée  sur  la  tète  d'une  personne  atteinte  d'une 

nuladie  dot  t  elle  décède  dars  les  vingt  jours.  Art.  199  5.    171 

189  bis.  I-1V.  L'obligation  manque  d'un  objet  sérieux.  ib. 
189  bis.  V.  Importance  de  cette  décision.  173 
189  bis.  VI.  Cas  où  la  rente  est  constituée  sur  plusieurs  tètes.  174 
189  bis.  VIL  Conditions  d'application  de  l'article  1975.  ib. 
189  bis.  VIII.  Pour  échapper  à  la  règl<3  de  l'article  1975,  il  n'est 

pas  nécessaire  que  \i  constitution  ait  date  certaine.  "   ib. 

189  bis.  IX.  L'art  cle  n'est  pas  applicable  aux  constitutions  qui 

sont  des  charges  d'une  donation.  175 

190.  Taux  des  arrérages.  Art.  1976.  ib* 

190  bis.  MIL  Cas  où  les  arrérages  sont  inférieurs  à  l'intérêt  légal.  176 
190  bis.  1V-VL  Cas  où  les  arrérages  sont  inférieurs  au  revenu  de 

l'immeuble  aliéné  à  charge  de  rente  viagère.  178 

SECTION  II. 

Des  effets  du  contrat  entre  les  parties  contractantes. 

191.  Sous  quels  rapports  ces  eftVts  sont  envisagés.  179 

192.  Résolution  du  contrat  faite  p?r  le  débiteur  de  fournir  Ls 

sùreiés  promises.  Art.  199  9.  ib. 

192  bis.  l-II.  Application  de  l'article  1184.  ib. 

192  bis.  III.  Le  rentier  ne  restitue  pas  les  arrérages  reçus.  180 

193.  Le  contrat  n'est  pas  résolu  pour  non-paiement  des  arrérages. 

Art.  I99m.  181 

193  bis.  I.  Application  tempérée  de  l'article  1 184.  ib. 
193  bis.  IL  Motifs  de  l'article.  182 
1 93  bis.  1II-V.  Résultat  des  poursuites  du  créancier.  ib. 
193  bis.  VI.  L'article  n'est  pas  applicable,  quand  la  rente  viagère 

a  été  constituée  à  lit; e  gratuit.  184 

193  bis.  VIL  La  convention  peut  déroger  à  l'article.  ib. 

194.  La  rente  viagère  n'est  pas  rachetable.  Art.  l'J99.  185 

194  bis.  Convention  contraire.  H. 

195.  Les  articles  1978  et  1979  règlent  les  effets  du  contrat  entre  les 

parties.  î-^> 

195  bis.  I.  Droi  s  du  créancier  de  la  reate  dans  ses  rapports  avec 

des  créanciers,  soit  chirographyires,  soit  hypothécaires,  ou 
avec  un  tiers  détenteur.  ih 


SOMMAIRES.  XVII 

4  96.  Les  arrérages  s'acquièrent  comme  fruits  civils.  Art.  19SO.    186 

197.  La  rente  à  titre  gratuit  peut  être  insaisissable.  Art.  li)§i.    187 

198.  Mort  civile  de  la  personne  sur  la  tète  de  laquelle  la  rente  est 

établie.  Art.  1989.  t'6. 

199.  Art.  1983.  188 


TITRE  XIII. 
du  mv:<dàt. 

200.  Transition  —  Division.  1 89 

CHAPITRE  PREMIER. 

DE  LA  NATURE  ET  DE  LA  FORME  DU  MANDAT. 

201.  Art.  1984.  t'6. 
201  bis.  I.  Définition  du  mandat.  190 
201  bis.  II.  Le  Code  définit  la  procuration.  ib. 
201  bis.  III.  Le  Code  ne  définit  pas  le  mandat.  t'6. 
201  IV-VII.  On  a  essayé  à  tort  de  faire  la  définition  du  mandat 

avec  celle  de  la  procuration. 

201  bis.  VIII.  Gratuité  du  mandat.  193 

201  bis.  IX.  Utilité  restreinte  de  la  procuration.  t'6. 

202.  Preuve  du  mandat.  Art.  1985.  194 

202  bis.  I.  Développement.  t'6. 

202  bis.  II.  Mandat  tacite.  195 

203.  Mandat  dans  l'intérêt  d'un  tiers.  t'6. 

203  bis.  Application  des  principes  généraux.  t'6. 

204.  Le  mandat  est  gratuit,  sauf  convention  contraire.  Art.  1986.  1 96 

204  bis.  I.  Difficulté  de  distinguer  le  mandat  salarié  du  louage  d'ou- 

vrage. t'6. 

204  bis.  II-III.  Cas  où  il  ne  peut  y  avoir  doute.  t'6. 

204  bis.  IV-X.  Contrats  relatifs  à  un  travail  intellectuel.  197 

204  bis.  XI.  Contrat  fait  avec  des  commis  ou  préposés.  200 

20  i  bis.  XII-XVI.  Intérêt  de  la  question.  t'6. 

204  bis.  XVII-XVIII.  Pouvoir  interprétatif  des  tribunaux.  204 

205.  Le  mandat  est  unilatéral.  202 

205  bis.  Distinction.  t'6. 

206.  Étendue  du  maniât.  Art.  1989-1989.  t'6. 

207.  Mandat  conféré  à  des  incapables.  Art.  1990.  203 
207  bis.  I.  Motif  de  l'article.  204 
207  bis.  II.  Étendue  du  principe.  t'6. 
207  bis.  III.  Le  mandataire  incapable  ne  s'oblige  pas.  t'6. 
207  bis.  IV.  Capacité  du  mandant.  205 

vin.  6 


XVm  SOMMAMES. 

CHAPITRE  II. 

DBS    OBLIGATIONS    DU    MANDATAIRE. 

208.  Trois  ohlL-ations. 

209.  Art.  1991.  -,f>6 

210.  Responsabilité.  Art.  199«.  ib. 

210  bis.  Développement.  ib. 

2H.  Obligation  de  rendre  compte.  Art.  1993.  207 

•21  !  bis.  I.  Dispense  de  rendre  compte.  208 

21  I  bis.  II.  Droit  de  rétention.  ib. 

212.  Responsabilité  du  mandataire  qui  s'est  substitué  un  tiers  dans 

-tion.  Art.  1994.  209 

212  bis.  I-1II.  Le  mandat  n'emporte  pas  toujours  pouvoir  de  substi- 
tuer un  sous-mandataire.  ib. 
212  bis.  IV.  La  responsabilité  du  mandant  diffère,  selon  qu'il  avait 

oi  non  pouvoir  de  substituer.  21 1 

212  bis.  V-VI.  Pourquoi  le  mandant  a-t-il  action  contre  le  sous- 
mandataire?  21*2 

212  bis.  VII.  Avantages  de  cette  action  directe.  ib. 

213.  Les  mandataires  conjoints  ne  sont  pas  solidaires.  Art.  1995.  213 

213  bis.  I.  La  règle  s'applique  aux  mandataires  constitués  par  des 

actes  séparés.  ib. 

213  6»'s.  II  Le  concours  de  tous  les  mandataires  est-il  nécessaire 

pour  faire  un  acte  ?  ib. 

214.  Intérêts  des  sommes  dues  par  le  mandataire.  Art.  1996.       214 

214  bis.  I.  Exception  à  l'article  1 1 53  pour  les  intérêts  du  reliquat,    ib. 

214  bis.  1T— III.  Autres  cas  où   il  ne  faut  pas  appliquer  l'article 

115?.  215 

215.  Cas    où   le  mandataire  est  obligé   envers  les  tiers.  Art. 

199».  ib. 

2 1 5  bis.  Application  de  l'article  au  cas  prévu  par  l'article  1 560.         21 6 

CHAPITRE  III. 

DES    OBLIGATIONS    DU    MANDANT. 

216.  Objet  du  chapitre.  t&# 

217.  Le  mandataire  oblige  le  mandant.  Art.  1998.  217 
217  bis.  I-1II.  Deux  hypothèses.  218 
217  bis.  IV.  Créances  résultant  des  conventions  faites  par  le 

mandataire.  219 

217  bis.  V-VI.  Cas  où  le  mandataire  qui  oromet  excède  ses  pouvoirs,  ib. 
217  bis.  VII-XV.  Cas  où  il  a  des  pouvoirs,  mais  où  il  contracte  sous 
des  conditions  plus  onéreuses  que  celles  qui  étaient  pres- 
crites par  son  mandat.  220 


SOMMAIRES.  XIX 

218.  Le  mandant  doit  indemniser  le  mandataire  du  préjudice  que  le 

mandat  lui  a  causé.  222 

219.  Avances  faites  par  le  mandataire.  Art.  1999,  1er  aliéna.  ib. 
219  bis.  I.  Obligations  contractées  par  le  mandataire.  ib. 

219  bis.  II.  Cas  (ù  le  mandataire  s'est  engagé  proprio  nomine  en 

dépas>anl  ses  pouvoirs.  224 

220.  Dépendes  excessives.  Art,  1999,  2e  aliéna.  ib. 

220  bis.  I.  Insuccès  de  l'affaire  pour  laquelle  des  avances  ont  été 

faites.  225 

220  bis.  II-1II.  Application  de  l'article  1137  au  cas  où  les  dépenses 

aurai- nt  pu  être  moindres.  ib. 

221.  Perles  éprouvées  par  le  mandataire.  Art.  3000.  2^6 

221  bis.  I.  Le  Code  ne  dislingue  pas  entre  la  perte  qui  a  pour  cause 

la  gestion  et  celle  qui  e&t  survenue  à  l'occasion  de  la  gestion,  ib. 
281  bis.  II.  Le  manJataire  n'est  pas  indemnisé  du  préjudice  qu'il 

s'est  causé  en  négligeant  ses  propres  affaires.  227 

222.  Intérêts  des  avances  faites  par  le  mandataire.  Art.  9001.  ib. 

222  bis.  L'article  ne  parle  pas  des  intérêts  des  indemnités.  i'6. 

223.  Solidarité  des  coraandants.  Art.  200».  ib. 

223  bis.  Observations  sur  le  cautionnement   de  divers  débiteurs 

conjoints.  ib. 

CHAPITRE  IV. 

COMMENT    FINIT    LE    MANDAT. 

224.  Fin  du  mandat.  228 
225-227.  Énumération.  Art.  «OOS.  ib. 

227  bis.  Mandat  survivant  au  mandant.  229 

228.  Révocation.  Art.  «004.  ib. 

228  bis.  Le  mandataire  révoqué  ne  peut  pas  retenir  la  procuration.  230 

229.  Nécessité  de  notifier  aux  tiers  la  révocation.  Art.  3005.  ib. 

230.  Révocation  tacite.  Art.  SOOG.  23 1 
230  bis.  Nullité  de  la  seconde  procuration.  ib. 

231.  Renonciation  du  mandataire  au  mandat.  Art.  «OO*.  «6. 
232-233.  Cas  où  le  mandataire  ignore  la  fin  du   mandat.  Ar?. 

9008-9009.  ib. 

233  bis.  Développement.  232 

234-235.  Obligation  des  héritiers  du  mandataire.  ib. 

TITRE  XIV. 

DO   CAUTIONNEMENT. 

236.  Notions  générales  sur  le  cautionnement.  Art.  %01C,  233 

237.  Le  cautionnement,  opération  complexe.  ib. 

238.  Division  du  titre.  234 

b. 


SX  SOMMAIUES. 

CHAPITRE   PREMIER. 
i.      la      '.m   iB   f.t  dr  l'étendue  du  cautionnement. 

Définition.  Art.  ton,  234 

•239  bis.  I.  Ce  contrat  met  en  relation  trois  personnes.  t'6. 

239  bis.  II.  Caractères  du  cautionnement  entre  le  créancier  et  la 

caution.  ib. 

239  bis.  III.  Caractères  entre  la  caution  et  le  débiteur.  ib. 

239  bis.  IV.  Intérêt  de  la  recherche  du  caractère  gratuit  ou  onéreux 

du  cautionnement.  236 

239  bis.  V.  Caractère  accessoire.  ib. 

239  bis.  VI.  Le  débiteur  principal  doit  être  mis  en  demeure  avant 

que  la  caution  soit  poursuivie.  ib. 

240.  L'ob'igation  principale  doit  être  valable.  Art.  %01%,  1er  al.  237 

240  bis.  I.  Exemples.  ib. 
2i0  bis.  II.  L'obligation  naturelle  peut  ôtre  cautionnée.  ib. 

241.  Cautionnement  des  obligations  annulables  Art.  lOl*.  2e  al.  238 
2  il  bis.  I.  Le  2e  alinéa  de  l'article  consacre  la  solution  précédente 

sur  les  obligations  naturelles.  ib. 

241  11-111.  Ce  qu'd  faut  entendre  par  exception  personnelle.  ib. 
241  bis.  IV.  Obligation  rescindable  pour  cause  de  lésion.                  239 

241  bis.  V.  Le  cautionnement  doit  être  dans  certaia  cas  donné  en 

connaissance  du  vice  qui  entache  l'obligation.  ib. 

i>  *  1  bis.  VI-XI.  Quelquefois  la  caution  d'une  obligation  annulable 

n'aura  pas  de  recours  contre  le  débiteur.  240 

242.  Le  cautionnement  ne  peut  être  plus  onéreux  que  l'obligation 

principale.  Art.  SOI 3.  242 

242  bis.  MI.  Le  cautionnement  ne  peut  avoir  un  objet  autre  que 

celui  de  l'obligation  principale.;  t'6. 

2  42  III-1V.  Effet  d'une  convention  de  cette  nature.  243 

242  bis.  V.  Règle  sur  le  cautionnement  sous  des  conditions  plus 

onéreuses  que  celle  de  l'obligation  principale.  244 

242  bis.  VI.  Réduction  de  l'engagement  de  la  caution.  245 

is.  V1I-X.  Difficulté  d'opérer  cette  réduction  dans  certain  cas.  ib. 

243.  La  caution  peut  s'obliger  sans  le  consentement  du  débiteur. 

Art.  «0 14, 1er  al.  246 

243  bis.  Opposition  du  débiteur.  247 
Ji  i.  Caution  de  caution.  Art.  "SOI 4,  2e  al.  ib. 

244  bis.  Nom  de  cette  caution.  ib. 
-i.'i.  Interprétation  de   la   convention  du   cautionnement.    Art. 

»015.  ib. 

2i6.  Le  caut'onnement  comprend  les  accessoires  de  la  créance. 

Art.  «0 16.  ib. 

s.  Intérêts  de  la  créance.  248 

-57.  Hôr.tiers  delà  caution.  Art.  «019.  ib. 


SOMMAIRES.  XXI 

247  bis.  L'ariicle  est  la  conséquence  des  principes  généraux.  249 
248.  Obligation  de  fournir  cauiion.  Art.  %01§.  ib. 

248  bis.  I— II.  Qualités  que  doit  avoir  une  caution  promise.  250 
248  bis.  III-V.  Dans  quel  ressort  de  Cour  d'appel  doit  être  domici- 
liée la  caution.  ib. 

249-250.  Comment  t'apprécie  la  solvabilité  de  la  caution.  Art. 

%019.  252 

250  bis.  I.  Dans  quel  sens  les  immeubles  ne  doivent-ils  pas  être 

litigieux?  ib. 

250  bis.  IL  Les  immeubles  hypothéqués  peuvent  servir  de  base  à 

la  solvabilité.  ib. 

250  bis.   III.    Quand   peut-on   considérer  un   immeuble  comme 

éloigné?  ib. 

250  bis.  IV-V.  Le  créancier  n'a  pas  d'hypothèque  sur  les  im- 

meubles du  débiteur.  253 

251.  Insolvabilité  postérieure  de  la  caution.  Art.  90%0.  254 

251  bis.  I.  Motif  de  l'article.  ib. 
251  bis.  IL  Diverses  hypothèses  comprises  dans  l'article.  ib. 
251  bis.  III.  Comment  démontrer  que  la  caution  a  été  exigée  par 

le  créancier.  255 

251  bis.  IV-V.  L'article  doit  s'appliquer  aux  cautions  données  dans 

l'acte  même  d'obligation.  ib. 


CHAPITRE   IL 
de  l'effet  du  cautionnement. 

SECTION    Ire. 

De  l'effet  du  cautionnement  entre  le  créancier  et  la  caution. 

252.  Obligation  de  la  caution.  —  Bénéfice  de  discussion.  Art. 

*0%1.  256 

252  bis.  I.  Sens  du  mot  bénéfice.  257 

252  bis.  IL  Motif  du  bénéfice  de  discussion.  ib. 

252  bis.  III.  En  quoi  il  consiste  exactement.  t&. 

252  bis.  IV.  Renvoi.  ib. 

252  bis.  V.  Exception  à  la  règle  sur  le  bénéfice  de  discussion.         258 

253.  A  queile   époque  doit  être  demandée  la  discussion.  Art. 

%OZt.  ib. 

253  bis.  [-III.  Avant  les  premières  poursuites.  ib. 

254.  Indication  des  biens  à  discuter.  Art.  3093.  259 

254  bis.  I.  Motif  de  l'article.  260 
254  bis.  II-IU.  Quels  biens  peuvent  être  indiqués.  ib. 
254  bis.  IV.  Les  biens  doivent  appartenir  au  débiteur.  ib. 
254  bis.  V.  Biens  d'un  codébiteur  solidaire.  261 
254  bis.  VI.  La  cauiion  doit  avancer  les  frais.  »&• 


XXII  SOMMAIRES. 

2i>i  bis.  VII.  I!  n'est  pas  nécessaire  que  les  biens  indiqués  soient 

suffisants.  261 

tri.  «Otl.  262 

s.  Le  créancier  devient  responsable  de  l'insolvabilité  du  dé- 
biteur survenue  après  que  la  discussion  a  été  demandée.  ib. 

256.  L"S  différents  cofidéjusseurs  sont  tenus  pour  le  tout.  Art. 

«<»'«;».  263 

257.  Bénéfice  de  division.  Art.  «O«0.  ib. 
257  bis.  I.  Fondement  de  ce  bénéfice.  264 
257  bis.  II.  En  quoi  il  consiste.  265 
-2;i7  bis.  111.  Entre  quelles  cautions  a  lieu  la  division.  ib. 
257  bis.  IV-V.  Cautions  engagées  à  des  dates  différentes.  266 
257  bis.  VI.  Cas  où  l'une  des  cautions  n'est  pas  valablement  engagée.  267 
257  bis.  VII-VIIl.  Cas  où  l'une  d'elles  est  obligée  à  terme  ou  sous 

condition.  ib. 
257  bis.  IX-X.  Conditions  du  bénéfice  de  division.  268 
257  bis.  XI.  La  division  s'opère  entre  les  cautions  solvables.  269 
257  bis.  X1I-XI1I.  Qui  doit  faire  la  preuve  sur  la  question  de  solva- 
bilité? ib. 
257  bis.  XIV-XV.  Effet  de  la  demande  de  division  faite  par  une 

caution  par  r  ;pport  aux  autres.  271 

257  bis.  XVI-XVII.  Conséquences  de  l'effet  relatif  de  cette  demande.  272 

258.  Art.  «0*9.  ib. 

258  bis.  I.  Division  volontaire  de  l'action  par  le  créancier.  273 
258  6/s.  II.  Cas  où  il  n'a  demandé  qu'une  part.  ib. 
258  bis.  III.  Effet  re'a'if  de  la  division  volontaire.  ib. 


SECTION    II. 

De  l'effet  du  cautionnement  entre  le  débiteur  et  la  caution. 

259.  Recours  de  la  caution  contre  le  débiteur.  Ari.  <SO%8, 1er  alin.  274 
259  bis.  I.  Le  recours  est  fondé  sur  le  mandat  ou  la  gestion  d'af- 
faire, ib. 
259  bis.  II.  Événements  qui  donnent  lieu  au  recours.  ib. 
259  bis.  III-IV.  Remise  de  dette.  275 
260-261 .  Montant  de  l'indemnité  due  à  la  caution.  Art.  %02$, 

2e-3e  alin.  276 

261  bis.  I.  La  caution  ne  doit  ni  perdre  ni  gagner.  ib. 

261  6w.  II-III.  Intérêts.  ib. 

261  bis.  IV.  Frais  de  poursuite.  277 

261  bis.  V.  Dommages -intérêts.  ib. 

261  bi*.  VI.  Caution  qui  s'est  engagée  malgré  le  débiteur.  278 
262.  Subrogation  de  la  caution.  Art.  t029.  ib. 

262  bis.  MI.  Utilité  de  la  subrogation.  279 
262  bis.  III.  Subrogation  en  faveur  de  la  caution  qui  s'est  obligée 

malgré  le  débiteur.  t'6. 


SOMMAIHES.  XXilî 

262  bis.  IV.  Effet  de  la  subrogation  à  l'égard  des  tiers.  279 

263.  Recours  contre  des  débiteurs   principaux  solidaires.  Art. 

3030.  280 

263  bis.  Cas  où  la  caution  n'a  cautionné  qu'un  des  codébiteurs  soli- 

daires, ib. 

264.  Cas  où  la  caution  n'a  pas  de  recours.  Art.  %03 1.  281 

264  bis.  I-II.  Quelles  sont  les  poursuites  prévues  par  le  2e  alinéa  de 

l'article.  282 

265.  Cas  où  la  caution  a  un  recours  sans  avoir  payé.  Art.  90S%.  28o 

265  bis.  I.  Fondement  du  recours.  284 
265  bis.  II.  Ce  que  le  Code  entend  par  l'indimcité  due  à  la  caution,  ib. 
265  bis.  III.  icr  et  2e  cas  prévus  par  l'article.  285 
265  bis.  IV.  3e  cas.  286 
265  bis.  V.  4e  cas.  ib. 
265  bis.  VI.  5e  cas.  t'6. 
265  bis.  Vil.  Dans  cette  hypothèse,  rentre  celle  où  la  dette  princi- 
pale est  une  rente  perpétuelle.  ib. 

265  bis.  VIII.  Exception  a  la  lègie  contenue  dans  l'artcle  2032-5°.  287 

SECTION    III. 

De  l'effet  du  cautionnement  entra  les  cofidéjusseurs. 

266.  Recours  des  cofidéjusseurs  entre  eux.  Art.  2033.  t'6. 

266  bis.  I.  Doctrine  romaine  et  doctrine  de  Potbier.  288 
266  bis.  IL  Double  aciion.  289 
266  bis.  III.  Recours  fondé  sur  l'article  2033.  ib. 
266  bis.  IV.  Esamen  des  justes  causes  de  paiement.  ib. 
266  bis.  V.  Action  funuée  sur  la  subrogation,  —  ses  avantages.  290 
266  bis.  VI.  Ses  désavantages.  ib 
266  bis.  VII.  La  caution  qui  invoque  la  subrogation  ne  peut  pas 

bénéficier  des  dispositions  de  l'article  2033.  291 

266  bis.  VIII.  Résumé  de  la  doctrine.  ib. 
266  bis.  IX.  Droits  du  cofidéjusseur  contre  ses  cofidéjusseurs  alors 

qu'il  n'a  pas  payé.  ib. 

266  bis.  X.  application  de  l'article  1214.  292 

CHAPITRE  III. 

DE    L'EXTINCTION    DU    CAUTIONNEMENT. 

267.  Extinction  du  cautionnement  par  les  causes  ordinaires  d'extinc- 
tion des  obligation.-.  Art.  «OS  fi.  t'6. 

267  bis.  I.  Examen  des  causes  d'extinction.  —  Paiement.  t'6. 
267  6ts.  II.  Movation.  293 
267  bis.  III.  Remise.  Compensation.  t6. 
26"i  bis.  IV.  Confusion.  Perte  de  ia  chose.  294 


XX'.  V  SOM.MAUŒS. 

267  bis.  V.  Prescription.  294 

267  bis.  VI- VIII.  Distinction  sur  les  effets  de  la  prescription.  i  b. 

268.  Confusion.  Art.  «035.  295 

268  bis.  I.  Réunion  des  qualités  de  créancier  et  de  caution.  ib. 
268  bis.  II.  De  caution  et  débiteur  principal.  296 
268  bis.  III.  Cas  où  la  caution  a  un  certificateur.  ib. 
268  bis.  IV.  Explication.  297 

268  bis.  V.  Généralisation.  ib. 

269.  Moyens  que  la  caution  peut  opposer  au  créancier.  Art.  %03«.     ib. 

269  bis.  I.  Nullité.  298 
269  bis.  II.  Causes  d'extinction,  ib. 
269  bis.  111.  Perte  de  la  chose.  —  Faute  du  débiteur.  ib. 
269  bis.  IV.  Faute  de  la  caution.  299 
269  bis.  V.  Intérêt  de  la  solution.  300 

269  bis.  VI.  Chose  jugée.  ib. 
270.Ari.aO3».                                                                                 301 

270  bis.  I.  La  caution  a  eu  juste  stjet  de  compter  sur  les  acces- 

soires de  la  créance.  ib. 

270  bis  II.  L'article  s'applique  même  au  fait  négatif.  ib. 

270  6/s.  III.  Il  n'y  a  pas  à  distinguer  entre  les  accessoires  antérieurs 

ou  postérieurs  au  cautionnement.  302 

270  bis.  IV.  La  caution  qui  ne  souffre  pas  un  préjudice  ne  peut  pas 

invoquer  l'article  2037.  ibt 

270  bis.  V.  L'abandon  d'un  droit  personnel  pourrait-il  permettre 

d'invoquer  l'article  2037?  ib. 

270  bis.  VI.  Cas  cù  le  créancier  a  laissé  périr  ses  droits  contre  un 

des  coûdéjusseurs.  304 

271.  Dation  en  paiement.  Art.  <B038.  ib. 

271  bis.  I.  Motifs  de  l'article.  ib. 

271  bis.  IL  Paiement  d'une  dette  de  genre.  305 

272.  Prorogation  du  terme.  Art.  9030. 

272  bis.  I.  Application  de  l'article  2032.  ib. 
272  bis.  IL  Appendice  sur  le  cautionnement  solidaire.  ib. 
272  bis.  III.  La  caution  solidaire  n'est  pas  un  débiteur  solidaire.  306 
272  bis.  IV.  Dttte  principale  pure  et  simple.  Cautionnement  condi- 
tionnel, ib. 

272  bis.  V.  La  caution  solidaire  peut  opjoser  la  compensation  con- 
trairement à  l'article  1294.  ib. 

272  bis.  VI.  Le  débiteur  principal  bénéficiera  de  ce  que  la  caution 

solidaire  n'est  pas  un  codébiteur.  307 

272  bis.  VII.  Causes  de  nullité  ou  de  rescision.  ib. 

272  bis.  VIII.  Application  de  l'article  2037  à  la  caution  solidaire.  ib. 

272  bis.  IX-X.  Cet  article  ne  s'applique  pas  au  débiteur  solidaire.  308 


SOMMAMES.  XXV 

CHAPITRE  IV. 

DE    LA    CAUTION    LEGALE    FT    DE    LA    CAUTION    JUDICIAIRE. 

273.  Division  des  cautions.  309 

274.  Renvoi.  Art.  «©4©.  ib. 

275.  Obligation  de  fournir  caution  pouvant  s'exécuter  par  équiva- 

lent. Art.  <5041.  t'6. 

275  bis.  I.  L'équivalent  ne  peut  consister  en  une  hypothèque.  ib. 

275  bis.  II.  Ni  en  un  droit  d'antichrèse.  ib. 

276.  Rigueur  particulière  à  la  caution  judiciaire.  Art*  «©43- 

S043.  310 

276  bis,  Motif  des  articles  2042-2043.  ib. 


TITRE  XV. 

DES   TRANSACTIONS. 

277.  Notion  de  la  transaction.  Art.  9044.  Ier  alin.  311 
277  bis.  I.  Définition  du  Code  complétée.  ib. 
277  bis.  II.  La  transaction  suppose  un  différend.  ib. 
211  bis.  III.  Il  suffit  que  les  parties  aient  eu  intérêt  à  éviter  la  con- 
testation judiciaire.  312 

277  6ts.  IV.  La  transaction  suppose  des  sacrifices  réciproques.  313 

277  bis.  V.  Différence  avec  quelques  autres  actes.  ib. 

278.  Règle  de  preuve.  Art.  Q044,  alin.  dern.  314 

278  bis.  I.  La  transaction  n'est  pas  un  contrat  solennel.  t'6. 
278  bis.  H.  Elle  f  st  sounvse  à  l'article  1325.  315 
878  &ïs.  III.  Et  à  l'art  4348.  ib. 

278  bis.  IV.  Doutes  sur  l'application  de  l'article  1347.  ib. 

279.  Capacité  de  transiger.  Art.  %045.  316 

279  bis.  I.  L'article  parle  à  la  fois  des  capacités  et  des  pouvoirs.  317 
279  bis.  IL  II  faut  la  capacité  de  disposer.  ib. 
279  bis.  III-V.  Mineur  émancipé.  ib. 
279  bis.  VI.  Femme  séparée  de  biens.  ib. 

279  bis.  VIL  Tuteur.  ib. 

280.  Objet  de  la  transaction.  Art.  304C.  320 

280  bis.  I.  Renvoi  aux  règles  générales.  ib. 
280  bis.  IL  Les  choses  doivent  être  dans  le  commerce.  ib. 
280  bis.  III.  État  des  personnes.  ib. 
280  bis.  IV.  Droits  de  puissance  paternelle  ou  maritale.  321 
280  bis.  V.  Transactions  sir  les  délits.  ib. 
280  bis.  VI.  Application  de  l'article  2046  aux  procès  concernant 

l'état  des  personnes.  ib. 


XXVI  SOMMAir.ES. 

280  bis.  VII-IX.  Aliments.  328 

281.  Clause  pénale.  Art.  «O-l».  323 

281  bis.  I.  Effet  principal  de  la  transaction.  ib. 
2S|  bis.  II.  Domm.ges-inlérôls.  Clause  pénale.  324 
281  bis.  III.  Effet  confirimitif  de  la  transaction.  ib. 
281  bis.  IV.  Transaction  sur  dos  droits  réels.  325 
281  bis.  V.  Obligation  quant  aux  choses  promises  et  qui  n'étaient 

point  litigieuses.  ib. 

28 1  bis.  VI.  Obligation  de  garantie.  Quant  à  la  chose  litigieuse,  elle 

ne  découle  pas  de  la  transaction.  326 

281  6m.  VII.  La  transaction  est-elle  translative  de  droits  quant  à  la 

chose  litigieuse?  Distinction.  327 

281  bis.  VIII.  Est-elle  trans'ative  quant  les  parties  ne  se  sont  pas 

expliquées?  ib. 

281  bis.  IX.  Objections  dans  le  sens  de  la  négative.  328 

28!  bis.  X-XII.  Réfutation  de  ces  objections.  ib. 

281  bis.  XI1I-XIV.  Conséquences  de  la  solution.  330 

282.  Interprétation  do  la  transaction.  Art.  3048-2049.  331 

282  bis.  Développement.  332 

283.  Suite.  Art.  %050.  ib. 

283  bis.  I.  Cas  où  il  n'y  a  pac  identité  de  chose.  333 

283  bis.  II.  Transaction  ayant  le  caractère  de  confirmation,  ib. 

284.  Effet  relatif  de  la  transaction.  Art.  -«051.  334 

284  bis.  I.  Application  do  l'article  1165.  ib. 
284  bis.  II.  Créanciers  solidaires.  ib. 
284  6m  III.  Codébiteurs  solidaires.  ib. 
284  bis.  IV.  Cocréanciers  ou  codébiteurs  de  choses  indivisibles.  335 
284  bis.  V-VI.  Débiteur  principal,  caution.  ib. 
28  i  6w.  VII.  Propriétaire  sous  condition  résolutoire.  336 

284  6m.  VIII.  Héritier  apparent.  ib. 

285.  Force  de  la  transaction.  Art.  905%,  1er  alin.  337 

285  bis.  I.  La  disposition  de  l'aride  est-elle  inutile?  ib. 

285  6m.  Il-UI.  Elle  signifie  que  la  transaction  équivaut  à  un  juge- 

ment en  dernier  ressort.  338 

286.  Nullités  de  la  transaction.  Art.  «Oot.  alin.  dern.,  et  24>53.  339 
886  bis.  I.  Diverses  causes  de  nullité.  ib. 

286  6m.  11.  Lésion,  erreur  de  droit  ne  peut  pas  causer  de  nullité.  »6. 
286  6m.  III.  Dol.  —  Violence.  340 
28'i  bis.  IV-V.  Erreur  sur  la  personne.  ib. 
286  bis.  VI.  Erreur  sur  l'objet.  —  Distinction.  341 
286  6m.  VII.  Erreur  sur  la  substance.  ib. 

286  6m.  VIII.  Cas  où  l'erreur  n'est  pas  préjudiciable.  342 

287.  Transaction  sur  l'exécution  d'un  titre  nul.  Art.  S054.  *6. 

287  bis.  1.  L'article  est  une  application  de  l'article  2048.  343 
287  6m.  IL  Conséquence  de  la  doctrine.  »6. 
287  6m.  III.  Quant  la  nullité  du  titre  est  reconnue,  la  transaction 

est  radicalement  nulle.  344 


SOMMAIRES.  XXVli 

287  bis.  IV.  Cas  où  le  titre  n'était  qu'annulable.  344 

287  bis.  V.  Explication  do  l'inexactilude  de  l'expression  employée 

par  le  Code.  345 

288.  Transaction  sur  pièces  fausses.  Art.  <SG55.  ib. 

288  bis.  I.  L'erreur  en  ce  cas  porte  sur  la  cause.  346 
288  bis.  IL  Objection  réfutée.  ib. 

288  bis.  III.  La  convention  tou»  entière  est  nulle.  347 

289.  Transaction  sur  un  procès  terminé  par  un  jugement.  Art. 

%056.  ib. 

289  bis.  I.  Sens  des  expressions  du  Code.  ib. 
289  bis.  IL  La  convention  manque  de  cause.  348 
289  bis.  III.  Développement.  ib. 
289  bit.  IV.  Conséquence.  349 

289  bis   V.  Suite.  ib. 

290.  Titres  postérieurement  découverts.  Art.  %059.  ib. 

290  bis.  I.  Cas  où  la  transaction  n'a  qu'un  objet.  350 
290  bis.  IL  Explication  sur  l'ensemble  de  la  théorie  des  nullités.       351 

290  bis  III.  Cas  où  la  transaction  a  plusieurs  objets.  ib. 
200  bis.  IV.  Cas  de  dol.  352 

291.  Erreur  de  calcul.  Art.  %Oô8.  ib. 

291  bis.  I  il.  En  quoi  consiste  l'erreur  de  calcul.  ib. 

292.  Observation  sur  la  théorie  des  nullités.  353 

292  bis.  Renvoi.  ib. 


TITRE  XVI. 

DE    LA    CONTRAINTE    PAR    CORPS   EN    MATIÈRE    CIVILE. 

293.  Notion  de  la  contrainte  par  corps.  354 

294.  La  contrainte  par  corps  est  une  atteinte  à  la  liberté  de  la  per- 

sonne, ib. 

294  bis.  I.  Historique,  abrogation  par  la  loi  du  22  juillet  1867.  ib. 

294  bis.  IL  Cas  où  la  contrainte  par  corps  est  maintenue.  355 


TITRE  XVII. 

DU    NANTISSEMENT. 

295.  Notion  du  nantissement.  Art.  $091-309%.  356 

295  bis.  I.  Développement.  ib. 

295  bis.  IL  Le  nantissement  est  un  contrat  réel.  357 

295  bis.  III.  Gage.  —  Antkhrèse.  ib. 

295  bis.  IV.  Liberté  des  conventions.  35S 


X\VI!l  SOMMAIRES. 

293  bis.  V.  La  convention  do  gage  relative  à  un  immeuble  ne  peut 

engi  ndrer  Je  droit  de  préférence.  338 

295.  VI.  Pourrait  engendrer  le  droit  de  rétention.  359 

CHAPITRE   PREMIER. 

DU  GAGE. 


296.  Division  du  chapitre. 


SECTION    Ve. 

Du  droit  de  gage. 


297.  Notion  du  droit  de  gage.  36Û 

298.  Privilège  du  gagiste.  Art.  %093.  ib. 

298  bis.  Le  gagisse  n'a  pas  le  droit  de  suite.  361 

299.  Condition  de  forme  au  point  de  vue  du  droit  de  préférence. 

Art.  <S094,  1er  alin.  «6. 

299  bis.  I.  Preuves  du  contrat  de  gage  dans  les  rapports  entre  les 

deux  parties.  362 

299  bis.  IL  Pieuses  par  rapport  aux  autres  créanciers.  ib. 

300.  Gage  ne  dépassant  pas  450  francs.  Art*  %0?4»  alinéa 

dern.  363 

300  bis.  I.  Si  le  contrat  est  prouvé  par  écrit,  il  faut  que  l'acte  ait 

date  certaine.  ib. 

300  bis.  IL  Qu'entend-on  prir  matière  excédant  150  francs?  ib. 

300  bis.  III.  La  règle  de  l'article  2074  n'est  pas  soumise  aux  excep- 

tions des  articles  1347  et  1348.  364 

30 1.  Gage  des  meubles  incorporels.  Art.  209  5.  365 

301  bis.  I.  Il  n'y  a  pas  lieu  de  distinguer  si  la  matière  excède  ou  non 

1 50  francs.  ib. 

301  bis.  IL  Engagement  des  droits  mobiliers  qui  ne  sont  pas  des 

créances.  366 

301  bis.  III.  Acceptation  par  le  débiteur.  367 

301  bis.  IV.  Renvoi  à  l'article  92,  C.  Com.  ib. 

301  bis.  V-VI.  Effets  de  l'engagement  d'un  droit  mobilier.  ib. 

302.  Le  créancier  doit  être  mis  en  possession  de  l'objet  engagé. 

Art.  %096.  368 

302  bis.  I.  Utilité  de  la  règle.  ib. 
302  bis.  IL  Convention  contraire.  ib. 
302  bis.  1II-1V.  Personnes  dans  l'intérêt  de  qui  est  exigée  la  dépos- 

session  du  débiteur.  369 

302  bis.  V-VII.  La  mise  en  possession  n'est  pas  exigée  quand  il  s'agit 

de  choses  incorporelles.  ib. 

302  bis.  VIII.  Conséquences  de  la  restitution  du  gage  au  débi- 
teur. 374 


SOMMAIRES.  XXIX 

302  bis.  IX.  Gage  confié  à  une  tierce  personne.  372 

303.  Gage  fourni  par  un  tiers.  Art.  909  9.  t'6. 

303  bis.  I.  Utilité  de  cette  convention.  t'6, 
303  bis.  IL  Engagement  de  la  chose  d'autrui.  373 

303  bis.  III-IV".  Influence  de  l'article  2279.  ib. 

304.  Droits  du  créancier  non  payé.  Art.  %0?8,  1er  alin.  374 

304  bis.  I.  Droit  de  retenir  ia  chose,  de  la  faire  vendre.  375 
304  bis.  II.  Droit  de  la  garder  sur  estimation.  t"6. 
304  bis.  III-IV.  A  qui  appartient  l'oplion?  376 
304  bis.  V.  Effet  du  jugement  qui  autorise  le  créancier  à  conserver 

la  chose.  377 

304  bis.  VI.  Conséquences.  t'6. 

304  bis.  VII-VIII.  Décisions  de  Polhier,  combattues.  378 

305.  Convention  interdite.  Art.  %099,  2e  alin.  379 

305  bis.  I.  Dangers  de  la  clause.  t'6. 
305  bis.  II.  Différence  avec  la  vente  de  réméré.  ib. 

306.  Le  gag'Ste  ressemble  à  un  dépositaire.  380 


SECTION    II. 

Des  obligations  qui  naissent  du  contrat  du  gage. 

307.  Obligations  n«'es  du  contrat.  381 

308.  Obligations  de  restituer.  Art.  %OSO.  1er  alin.  t'6. 

309.  Obligations  du  déb;teur  gagiste.  Arf.  %OSO,  2e  alin.  ib. 
309  bis.  I.  Il  ne  doit  pas  rembourser  les  dépenses  d'amé  ioration.  382 
309  bis.  II.  Argument  tiré  au  texte.  ib. 

310.  Obligation  de  garantir  des  troubles  et  éviction.  383 
3M  .  Intérêts  de  la  créance  engagée.  Art.  3081 .  384 
311  bis.  I.  Imputation  sur  le  capital  et  les  intérêts.  t'6. 
314  bis.  II.  Dérogation  à  l'arlicle  1244.  t'6. 
311  bis.  III.  Intérêts  de  la  créance  engagée.  385 
311  bis.  IV.  Le  créancier  gagiste  n'a  pas  le  droit  de  toucher  le  ca- 
pital de  la  créance  engagée.  t'6. 

311  bis.  V-VI.  Fruits  des  animaux  donnés  en  gage.  386 

312.  Époque  de  la  restitution  du  gaze.  Art.  tOSI,  al.  1.  387 

31 2  bis.  I.  C'est  l'époque  de  l'extinction  de  la  dette.  t'6. 
312  bis.  IL  Examen  des  différents  cas  d'extinction.  Prescription.  ib. 
312  bis.  III-VII.  La  possession  du  gage  par  le  créancier  ne  fait  pas 

obstacle  à  la  prescription  de  la  dette.  388 

312  bis.  VIII.  Cas  où  le  créancier  n'est  plus  en  possession  du  gage.  391 

313.  Affectation  du  gage  à  une  nouvelle  créance.  Art.  3089»  al. 

dern.  392 

313  bis.  I.  Hypothèse  prévue  par  l'article.  ib. 
313  bis.  II-IIL   Conditions  auxquelles  est  subordonné  le  droit  du 

créancier.  ib. 

343  bis.  IV.  Ce  droit  n'implique  pas  un  privilège.  393 


xxx  S0MMA1KES. 

34  i.  Indivisibilité  du  gage.  Art.  «©83.  394 

31  i  bis.  Renvoi.  *&• 

DISPOSITIONS    PARTICULIÈRES. 

31  5.  Renvoi  au  Code  de  commerce  et  aux  règlements  administratifs. 

Art.  «084.  395 

315  bis.  Résumé  des  dispositions  des  articles  91,  92  et  93  C.  Com. 


CHAPITRE  II. 

DE    l'ANTICHRÈSE. 

316.  Sens  du  mot  antichrèse.  396 
3*6  bis.  I.  Notion  do  l'antichrèse  d'après  le  Code  civil.  ib. 
316  bis.  II.  Convention  qui  attribuerait  tous  les  fruits  au  créancier 

comme  équivalent  des  intérêts  seulement.  —  Nullité.  397 

317.  Division  du  sujet.  398 
348.  Nécessité  de  constater  l'antichrèse  par  écrit.  Art.  %085*  al. 

-1 er.  ib. 

318  bis.  I.  L'écriture  n'est  exigée  que  comme  moyen  de  preuve.  399 

318  bis.  II.  Il  ne  faut  pas  faire  de  distinction  fondée  sur  l'impor- 
tance de  l'intérêt  engagé.  ib. 

318  bis.  III.  La  règle  existe  même  entre  les  parties.  ib. 

318  bis.  IV.  A  l'égard  des  tiers  l'acte  doit  avoir  da'e  certaine.  400 

318  bis.  V.  Quels  sont  ces  tiers.  ib. 

319.  Droits  de  1\  nlichrésiste.  Art.  SOS5.  alin.  dern.  ib. 

319  bis.  I.  Droit  de  rétention.  —  Droit  d'administration  et  de  per- 

ception dts  fruits.  401 

319  bis.  II.  Étendue  de  la  jouissance.  ib. 

320.  Contributions  et  charges  annuelles.  Art.  &086.  ib. 

320  bis.  I-1I.  L'antichrésiste  ne  supporte  ces  charges  que  provi- 

soirement. 402 

320  bis.  III— V-  Les  dépenses  que  doit  avancer  l'dntichrésiste  sont 

seulement  les  dépenses  de  réparation.  ib. 

320  bis.  VI.  L'antichrésiste  n'a  pas  d'action  à  l'occasion  des  dé- 

penses de  réparation  qui  excèdent  le  produit  d'une  année;  il 
prélèvera  sur  les  années  suivantes.  404 

321.  L'antichrésiste  peut  renoncer  à  son  droit  pour  se  soustraire 

aux  charges.  Art.  %OS9.  405 

321  bis.  I-III.  La  dette  n'est  pas  imprescriptible  tant  que  dure  la 

possession  de  l'antichrésiste.  ib. 

321  bis.  IV-V.  La  renonciation  au  droit  d'abandonner  l'antichrèse 

suppose  des  actes  accomplis  pendant  la  durée  du  droit.  407 

32I  Mg.  VI.  L'article  2082  n'est  pas  applicable  en  mesure  d'anti- 

chrèse.  408 


SOMMAIRES.  XXXI 

322.  Le  créancier  ne  peut  pas  devenir  de  plein  droit  propriétaire  de 

l'immeuble.  Art.  %OS8.  409 

322  bis.  I.  Les  parties  peuvent  établir  par  convention  le  droit  con- 
sacré par  l'article  2078.  ib. 

322  bis.  II.  Interdiction  de  la  clause  qui  permettrait  de  faire  vendre 

l'immeuble  sans  formalités.  ib. 

323.  Convention  qui  établit  la  compensation  pure  et  simple  des 

fruits  de  l'immeuble  et  des  intérêts  de  la  dette.  Art.  %OS9.    ib. 

323  bis.  Nullité  de  cette  convention.  410 

324.  Renvoi  au  chapitre  du  gage.  Art.  *090.  ib. 

325.  Effets  de  l'antichrèse  à  l'égard  des  tiers.  Art.  %091.  ib. 
325  bis.  I.  Conflit  avec  des  créanciers  hypothécaires  ayant  un  rang 

antérieur  à  la  constitution  de  l'antichrèse.  41 1 

325  bis.  II.  Conflit  avec  des  tiers  ayant  des  droits  postérieurs  à  cette 

constitution.  41 2 

325  bis.  III.  Le  droit  de  l'antichrésiste  est  réel.  —  Il  est  soumis  à  la 

transcription.  ib. 


TITRE  XX. 

DE    LA    PRESCRIPTION  \ 
CHAPITRE   PREMIER. 

DISPOSITIONS    GÉNÉRALES, 

326.  Notion  de  la  prescription.  Art.  9919*.  414 

326  bis.  I.  Définition.  ib. 

326  bis.  II.  Observation  sur  la  définition  légale,  415 

326  bis.  III.  Double  prescription.  .6. 

326  bis.  IV.  Troisième  espèce  de  prescription.  416 

326  bis.  V-VI.  Fondement  de  la  prescription.  ib. 

326  bis.  VII.  La  prescription  est  une  institution  du  droit  des  gens.  4I7 

327.  Renonciation  à  la  prescription.  Art.  «««©.  4I8 

327  bis.  I.  Deux  règles  posées  par  l'article.  ib. 
327  bis.  II.  Renonciation  faite  d'avance  en  matière  de  prescription 

acquisitive.  41 9 

327  bis.  III.  Différence  avec  la  reconnaissance.  ib. 

327  bis.  IV-V.  Renonciation  à  la  prescription  acquise.  420 

327  bis.  VI.  La  renonciation  n'est  pas  une  donation.  424 

327  bis.  VIL  Renonciation  au  bénéfice  du  temps  écoulé.  ib. 

328.  Modes  de  renonciation.  Art,  %%91.  ib. 

328  bis.  I.  Faits  qui  constituent  la  renonciation  tacite.  ib. 

1  Les  titres  XVIII  et  XIX  sont  l'objet  du  tome  IX. 


KXXj]  SOMMATES. 

32»  bis.  II.  Moyens  do  défense  qui  n'impliquent  pas  renonciation.  422 

329.  Capacité  pour  renoncer.  Art.  2222.  423 
32')  bis.  I.  La  renonciation  n'est  pas  une  aliénation.  t"6. 

329  bis.  II    Distinction  quant  à  la  prescription  libératoire.  ib. 

330.  Le  juge  no  peut  suppléer  le  moyen  résultant  de  la  prescription. 

Art.  «223.  ib. 

330  bis.  I.  Le  moyen  tiré  de  la  prescription  dépend  delà  conscience 

de  celui  qui  l'invoque.  421 

330  bis.  IL  L«  ministère  public  peut  l'invoquer  pour  les  incapables 

dont  les  affaires  lui  sont  communiquées.  ib. 

331.  Jusqu'à  quand  peut  être  invoquée  la  presciiption.  Art.  2224.  ib. 

331  bis.  I.  Motif  de  l'article.  425 

331  bis.  IL  Resriction  à  la  règle.  ib. 

332.  Prescription  invoquée  par  des  ayants  cause  de  la  partie.  Art. 

2225.  ib. 

332  bis.  I.  Modification  aux  droits  de  la  partie  qui  renonce.  426 
332  bis.  IL  Personnes  ayant  un  droit  propre  à  invoquer  la  pres- 
cription à  laquelle  renonce  le  principal  intéressé.  ib. 

332  bis.  III.  Créanciers  chirographaires  du  renonçant.  ib. 

332  bis.  1V-V.  Cas  où  la  renonciation  est  consommée.  427 

333.  La  prescription  à  fin  d'acquérir  ne  s'applique  qu'aux  choses 

qui  sont  dans  le  commerce.  Art.  2226.  429 

334.  La  prescription  en  général  court  contre  l'État,  les  communes  et 

les  établissements  publics.  Art.  2229.  ib. 
334  bis.  Distinction  entre  le  domaine  public  et  le  domaine  privé,  de 

l'État,  des  départements  et  des  communes.  «6. 


CHAPITRE  IL 

DE    LA    POSSESSION. 

335.  Notion  de  la  possession.  Art.  222S.  430 

335  bis.  I.  Division  du  chapitre.  ib. 

335  bis.  IL  Analyse  de  la  possession.  431 

336.  Conditions  que  doit  réunir  la  possession.  Art.  2229.  432 

336  bis.  I.  Rapport  entre  la  possession  et  la  propriété.  ib. 
336  bis.  IL  La  possession  doit  être  continue.  433 
336  bis.  III-1V.  Non  interrompue.  434 
336  bis.  V.  Paisible.  ib. 
336  bis.  VI.  La  possession  est  paisible  bien  qu'elle  ait  été  troublée 

par  des  actes  de  violence.  435 

336  bis.  VIL  La  possession  doit  être  publique.  436 

336  bis.  VIII.  A  titre  de  propriétaire.  437 

336  bit.  IX.  Non  équivoque.  438 

337.  Présomption  relative  au  titre  de  la  possession.  Art.  2230- 

»»31.  439 


SOMMAIRES.  XXXI11 

337  bis.  Fondement  de  ces  présomptions.  439 

338.  Actes  de  faculté  et  de  tolérance.  Art.  flit*.  440 

338  bis.  I.  Actes  de  pure  faculté.  ib. 
338  bis.  IL  La  règle  s'applique  à  l'acquisition  de  certaines  servi- 
tudes. 441 

338  bis.  III.  Elle  ne  s'applique  pas  en  matière  d'extinction  de  ser- 
vitudes. 443 
338  bis.  IV.  Actes  de  simple  tolérance.  ib. 

338  bis.  V-VI.  La  règle  s'applique  à  l'acquisition  des  servitudes.  ib. 

339.  Possession  violente.  Art.  9933.  445 

339  bis.  I.  L'article  prouve  que  le  vice  de  violence  suppose  des  actes 

émanés  du  possesseur.  ib. 
339  bis.  II.  La  possession  cesse  d'être  vicieuse  quand  la  violence  a 

cessé.  446 
339  bis.  III.  Il  n'est  pas  nécessaire  que  le  titre  fondé  sur  la  violence 

ait  été  interverti.  ib. 
339  bis.  IV.  Les  vices  de  la  possession  sont-ils  absolus  ou  relatifs. 

—  Discontinuité.  447 

339  bis.  V.  Interruption.  ib. 

339  bis.  VI.  Violence.  448 

339  bis.  VII.  Clandestinité.  449 

339  bis.  VIII.  Précarité.  450 

339  bis.  IX.  Équivoque.  ib. 

340.  Le  possesseur  actuel  est  présumé  avoir  possédé  d'une  manière 

continue  depuis  le  commencement  de  sa  possession.  Art. 

3«34.  451 

340  bis.  Nécessité  d'établir  cette  présomption.  ib. 

341.  Accession  des  possessions.  Art.  %%35.  ib. 

341  bis.  I.  Notion  de  l'accession  des  possessions.  452 
341  bis.  IL  Qu'est-ce  qu'un  auteur  et  un  ayant  cause.  ib. 
341  eus.  III.  Ayant  causa  quant  à  la  possession.  ib. 
341  bis.  IV.  Le  possesseur  évincé  par  une  action  en  revendication 

est  l'auteur  de  celui  qui  l'évincé.  453 
341  bis.  V.  Possesseur  dépossédé  par  une  action  en  rescision  ou  en 

résolution.  455 
341  bis.  VI-VIL  Différence  entre  les  ayants  cause  à  titre  particulier 

et  les  ayants  cause  universels.  ih. 


CHAPITRE  III. 

DES    CAUSES    QUI    EMPÊCHENT    LA    PRESCR I PTION. 

342.  Art.  «330.  456 

342  bis.  I.  La  précarité  empêche  à  tout  jamais  la  prescription.  ib. 

342  bis.  II.  Le  possesseur  précaire  pos-ède  pour  celui  de  qui  il  tient 

la  possession.  457 

VIII.  c 


X\x  IV  SOMNAUtUS. 

34  2  bis.  III.  La  précarité  est  un  vice  même  quand  elle  a  cessé.  457 

3  13  Ins.  IV.  Le  posse-seur  de  l'usufruit  n'est  pas  possesseur  précaire 

quant  à  l'usufruit.  ib. 

343  bis,  V.  Le  possesseur  précaire  peut  prescrire  contre  l'action  per- 
sonnelle dont  il  est  tenu.  ib. 

313.  Héritiers  du  possesseur  précaire.  Art.  ««39.  458 

343  bis.  I.  La  règle  s'applique  aux  héritiers  de  l'usufruitier.  ib. 

343  bis.  II.  Le  vendeur  qui  conserve  le  bien  vendu  est  un  détenteur 

précaire.  ib, 

343  bis,  III-IV.  Possesseur  qui  a  reconnu  le  droit  d'autrui.  159 

343  bis.  V.  Possesseur  condamné  par  jugement  à  livrer  la  chose.  4G1 

344.  Interversion  du  titre.  Art.  "ÏZ3H,  ib. 
:H4  bis.  I.  Deux  hypothèses  d'interversion.  4G2 
354  bis.  II.  Contradiction  opposée  au  droit  du  propriétaire.  ib. 
34  i  bis.  III.  Preuve  de  la  contradiction  opposée.  463 

344  bis.  IV.  L'interversion  du  titre  a  un  effet  absolu.  464 
3i4  bis.  V.  Interversion  par  le  fait  venant  d'un  tiers.  465 

345.  Art.  ««39.  466 

345  bis.  Application  des  principes  à  la  possession  des  successeurs 

particuliers.  ib. 

346.  On  ne  peut  prescrire  contre  son  titre.  Art.  ««  lO.  ib. 

346  bis.  Origine  de  cette  formule.  ib. 

347.  Art.  ««-11.  467 

347  bis.  L'article  est  étranger  à  la  matière  de  la  prescription  acqui- 

sitive.  ib. 

CHAPITRE  IV. 

DES   CAUSES  QD(   INTERROMPENT   OU  SUSPENDENT   LE   COURS   DE   LA 
PRESCRIPTION. 

348.  Interruptions.  —  Suspensions.  468 
3i8  bis.  I.  Notion  de  l'interruption.  ib. 

348  bis.  II.  Notion  de  la  suspension.  ib. 
3  48  bis.  III.  Ces  deux  théories  sont  communes  aux  deux   pres- 
criptions. 469 

SECTION    Ire. 

Des  causes  qui  interrompent  la  prescription. 

349.  Interruption  civile  ou  naturelle.  Art.  ««  1«.  ib. 

349  bis.  Développement.  470 
JoO.  Interruption  naturelle.  Art.  ««43.  ib. 

350  bis.  I.  Elle  résulte  de  la  cessation  de  la  possession.  ib. 
350  bis.  II.  Quel  que  soit  celui  qui  a  dépossédé  le  possesseur.  471 
350  bis.  III-IV.  Cas  où  le  possesseur  a  abandonné  la  possession  sans 

être  dépouillé  par  un  tiers.  ib. 


SOMMAIRES.  XXXV 

350  bis.  V.  Cas  où  personne  ne  s'est  emparé  de  la  chose  abandonnée.  i72 

350  bis.  VI.  Cas  où  la  possession  a  été  entravée  par  des  événemenls 

naturels  de  force  majeure.  473 

351.  Interruption  civile.  Art.  £344.  ib, 

351  bis.  I.  Actes  interruptifs.  474 
351  bis.  II.  Observations  sur  la  saisie.  ib. 
351  bis.  1II-V.  Observation  sur  les  actes  interruptifs  de  la  pres- 
cription acquisitive.  475 

351  bis.  VI.  C'est  la  signification  de  la  saisie  qui  a  l'effet  interruptif.  476 

351  bis.  VII.  Signification  du  transport.  477 

351  bis.  VIII.  Commandement  en  vertu  de  l'article  819  C.  Pr.            ib. 

351  bis.  IX.  Sommation  en  vertu  de  l'article  2167.  478 

351  bis.  X.  Citation  en  justice.  ib. 

351  bis.  XL  Demandes  incidentes  et  en  intervention.  ib. 

351  bis.  XII.  Demandes  en  collocation,  479 

352.  Citation  en  conciliation.  Art.  3345.  480 

352  bis.  I.  Motifs  de  l'article.  ib. 
352  bis.  II.  Citation  en  conciliation  hors  des  cas  où  cette  formalité 

est  nécessaire.  ib. 

352  bis.  III.  Comparution  volontaire  en  conciliation.  481 

353.  Citation  devant  un  juge  incompétent.  Art.  2946.  482 

353  bis.  Motifs  de  la  règle.  ib. 

354.  Demande  nulle,  périmée  ou  rejetée.  Désistement.  Art.  234 1»  ib. 

354  bis.  I-II.  Nullité  pour  vice  de  forme.  ib. 
354  bis.  III.  Désistement.  —  Péremption.  483 
354  bis.  IV.  Demande  rejetée.  ib. 
354  bis.  V.  Utilité  de  la  règle  sur  la  demande  rejetée.  484 
354  fus.  VI.  Défaut-congé.  ib. 
354  bis.  VII.  Demande  formée  contre  un  codébiteur  d9  chose  indi- 
visible, ib. 

354  bis.  VIII.  Contre  un  codébiteur  solidaire.  48b 

354  bis.  IX.  Demande  formée  par  un  cocréancier  solidaire,  ou  par 

un  créancier  de  chose  indivisible.  ib. 

355.  Reconnaissance  du  possesseur  ou  du  débiteur.  Art.  334S.     486 

355  bis.  I.  Motif  de  l'article.  ib. 
355  bis.  II.  Qui  peut  faire  cette  reconnaissance?  487 
355  bis.  III-IV.  Reconnaissance  d'une  dette.  ib. 
355  bis.  V.  Reconnaissance  en  matière  de  prescription  acquisitive.  488 

355  bis.  VI-VI1I.  Elle  peut  donner  à  la  possession  le  caractère  de 

précarité.  ib. 

356.  Art.  «34».  490 

356  bis.  Renvoi.  491 

357.  Art.  3350.  ib. 

357  bis.  Renvoi.  ib, 


XXXVI  SOMMAIRES. 

SECTION    II. 
Des  causes  qui  suspendent  le  cours  de  la  prescription. 

858.  La  suspension  est  une  exception.  Art.  2251.  491 

358  bis.  I.  lïffet  de  la  suspension.  492 

358  bis.  Il-Ill.  Le  Code  n'a  pas  reproduit  la  maxime  :  Contra  non 

valenlem  agere  non  currit  prœscriptio.  ib. 

359.  Suspension  en  faveur  des  mineurs  et  des  interdits.  Art.  2252.  493 

359  bis.  I.  Le  fondement  de  la  règle  est  dans  une  sorte  de  restilutio 

inintegrum.  ib. 

359  bis.  II.  Interdit  légalement.  494 

359  bis.  111.  Exception  à  la  règle.  ib. 

359  bis.  1V-XV.  Examen  de  la  règle  au  point  de  vue  de  certains 

délais  spéciaux.  ib. 

360.  Suspension  entre  époux.  Art.  2253.  501 

360  bis  I-II.  Elle  existe  même  en  faveur  du  mari.  »6. 

361 .  La  prescription  court  en  principe  contre  la  femme  mariée. 

Art.  2254.  502 

361  bis.  I.  Responsabilité  du  mari.  ib. 

361  bis.  IMII.  Cas  où  la  femme  peut  interrompre  la  prescription.      503 

362.  Imprescriptibilité  de  l'immeuble  dotal.  Art.  2255.  504 

362  bis.  I-I1I.  Renvoi  au  tome  VI.  —  Résumé  de  la  doctrine.  ib. 

363.  Cas  spéciaux  où  la  prescription  ne  court  pas  contre  la  femme 

mariée.  Art.  2256.  505 

363  bis.  I-II.  Exposé  de  la  première  hypothèse.  506 
363  bis.  I1I-YI.  Application  de  la  règle.  ib. 
363  bis.  VIL  Cas  où  la  femme  a  ameubli  un  immeuble  en  se  réser- 
vant le  droit  de  le  reprendre  si  elle  renonce.                          508 

363  bis.  VIII.  Le  2e  cas  prévu  par  l'article  se  rattache  à  l'article  2253.    il. 

363  bis.  IX.  Celte  seconde  exception  n'existe  pas  en  faveur  du  rnari.  509 

364.  Créances  conditionnelles  ou  à  iemie.  Art.  2259.  510 

364  bis.  I.  Motif.  ib. 
364  bis.  IL  Créances  sous  condition  résolutoire.  ib. 
364  bis.  11I-1V.  L'article  ne  s'applique  pas  à  la  prescription  acqui- 

sitive.  ib. 

364  bis.  V.  Examen  de  la  jurisprudence  sur  ce  point.  51 1 

365.  La  prescription  ne  court  pas  contre  l'héritier  bénéficiaire  créan- 

cier de  la  succession.  Art.  225».  513 

305  bis.  I.  Motif  de  l'article.  ib. 

365  bis.  IL  Cas  où  l'héritier  bénéficiaire  a  des  cohéritiers.  ib. 
365  bis.  III.  Discussion.                                                                         344 
365  bis.  IV.  L'article  n'est  pas  applicable  dans  ses  termes  à  la  pres- 
cription acquisitive.                                                                 515 

365  bis.  V.  Quand  cesse  la  suspension  établie  par  l'arlicie  2258.        516 
365  bis.  VI.  Prescription  qui  court  en  faveur  de  l'héritier  béné- 
ficiaire. ibm 


SOMMAIRES.  XXXVII 

365  bis.  VIL  Successions  vacantes.  517 

366.  Art.  22ô!>.  ib. 


CHAPITRE  V. 

DU    TEMPS    REQUIS    POUR    PRESCRIRE. 
SECTION    Ire. 

Dispositions  générales. 

367.  La  prescription  ne  se  compte  pas  par  heures.  Art.  3360.       ib. 

367  bis.  I.  Objet  et  division  du  chapitre.  ib. 

367  bis.  II.  Sens  de  l'article.  518 

3b7  bis.  III.  Les  prescriplions  par  mois  et  par  année  se  calculent 

de  quantième  à  quantième.  ib. 

367  bis.  IV.  Démonstration.  519 

367  bis.  V.  Il  ne  faut  pas  tenir  compte  de  l'inégalité  des  mois  ou  des 

années.  ib. 

367  bis.  VI.  11  ne  laut  pas  chercher  à  composer  le  délai  avec  des 

mois  complets  ou  des  années  complètes.  520 

368.  Arl.  236  i.  ib. 

368  bis.  Sens  et  utilité  de  l'article.  ib. 

SECTION    II. 

De  la  prescription  Irentenaire. 

369.  La  plus  longue  prescription  dure  trente  ans.  Arl.  2ï0ï.      5.1 

369  bis.  I.  La  loi  confond  la  prescription  des  actions  avec  celle  des 

droits.  ib. 

369  bis.  II.  Il  existe  des  prescriptions  plus  courtes.  522 

369  bis.  II!.  L'article  réserve  les  règles  précédemment  établies,  et 

notamment  celles  qui  exigent  la  possession  pour  acquérir.  ib. 
369  bis.  IV.  Quelques  droits  s'éteignent  par  le  non-usage.  i'>. 

369  bis.  V.  La  propriété  ne  se  perd  pas  pir  non-usage,  et  l'action 

en  revendication  ne  s'éteint  pas  par  le  simple  laps  de  temps,  ib. 
369  bis.  VI.  Conséquences  de  la  doctrine  contraire.  523 

369  bis.  VII.  Observation  préalable  contre  cette  doctrine.  ib. 

369  bis.  VIII-1X.  L'action  est-elle  un  droit  distinct?  524 

369  bis.  X.  Action  personnelle.  ib. 

369  bis.  XI.  Action  réelle.  ib. 

369  bis.  XII.  L'action  réelle  ne  peut  pas  être  exercée  tant  que  le 

droit  n'a  reçu  aucune  atteinte.  525 

369  bis.  XIII.  Démonstration  tirée  de  la  définition  de  l'action  en 

revendication.  526 

369  bis.  XIV.  Le  législateur  n'a  pas  compris  une  prescription  de 


WWIII  SOMMAIRES. 

cette  action,  il  s'en  est  référé  aux  principes  sur  la  prescription 

acquisitive.  516 

370.  Débiteur  do  renie.  Titre  nouvel.  Art.  9263.  527 
370  bis.  I.  Utiliié  pratique  de  l'article.  ib. 
370  bis.  11.  L'article  ne  s'applique  pas  aux  dettes  de  sommes  exigi- 
bles. 528 

370  bis.  III.  Point  de  départ  du  délai  do  vingt-huit  ans.  5Î9 

370  bis.  IV.  Point  de  départ  de  la  prescription  de  la  rente.  ib. 

370  bis.  V.  Le  délai  de  vingt-huit  ans  sera  prolongé  quand  la  pres- 

cription de  la  rente  était  suspendue.  530 

371.  Renvoi.  Art.  ««Cl.  534 

371  bis.  Portée  restreinte  de  l'article.  ib. 


SECTION    III. 

De  la  prescription  de  dix  et  vingt  ans. 

372.  Prescription  par  dix  ou  vingt  ans.  Art.  ««65.  ib. 

372  bis.  I.  Deux  conditions.  532 

372  bis.  II.  Idée  générale  de  l'article.  ib. 

372  bis.  III.  Juste  titre.  —  Titres  divers  533 

372  6*8.  IV.  Un  jugement  n'est  pas  un  titre.  ib. 

372  bis.  V.  Partage  de  succession.  534 

372  6m.  VI-V1II.  Partage  de  communauté.  535 

372  bis.  IX.  Partage  de  société.  530 

372  bis.  X-XI.  Transaction.  i6. 

37  2  bis.  XII-XIII.  Bonne  foi.  537 

372  bis.  XIV.  Fixation  alternative  du  délai  de  prescription.  538 

372  bis.  XV.  La  longueur  du  délai  dépend  de  la  situation  du  pro- 
priétaire par  rapport  à  l'immeuble.  339 
372  bis.  XVI.  C'est  la  résidence  du  propriétaire  qu'il  faut  consi- 
dérer. 540 
372  6m.  XVII.  Quels  sont  les  droits  qui  peuvent  être  acquis  par  dix 

ou  vingt  ans.  Propriété.  —  Usufruit.  541 

372  6m.  XV11I.  Servitudes,  ib. 

Mi  bis.  XIX.  La  propriété  est  acquise  franche  de  charges  réelles.  542 
372  bis.  XX.  Règle  donnée  par  rapport  à  l'hypothèque.  ib. 

372  6m.  XXI.  Objection  quant  aux  servitudes  réfutée.  543 

372  6m.  XXII.  La  prescription  de  la  propriété  et  celle  de  la  fran- 
chise ne  se  confondent  pas.  -.1. 
37  2  6m.  XXIII.  Quelques  conditions  sont  cependant  communes.  t'6. 
372  6(s.  XXIV.  Cas  où  il  peut  ^exister  un  titre  spécial  quant  au 

droit  réel  qui  grève  l'immeuble.  544 

372  bis.  XXV.  La  bonne  foi  est  une  condition  relative.  S45 

372  bis.  XXVI.  Les  règles  sur  la  durée  de  la  prescription  sont  rela- 
tives. ib> 
372  6m.  XXVII.  Il  en  est  de  même  de»  règUs  sur  les  suspensions.  546 


SOMMAIRES.  XXXIX 

372  bis.  XXVIII.  La  franchise  peut  être  prescrite  par  celui  qui  a 

reç  i  l'immeuble  a  vero  domino.  546 

372  bis.  XXIX.  Discussion.  547 

372  bis.  XXX.  Argument  tiré  de  l'article  2180.  ib. 

373.  Art.  3366.  548 

373  bis.  I.  Combinaison  du  (etnps  d'absence  avec  le  temps  de  pré- 

sence, ib. 

373  bis.  II.  Correction  à  faire  subir  au  texte.  ib. 

373  bis.  IIL  Observation  sur  la  dénomination  de  cette  prescription.  549 

374.  Tilre  nul  en  la  forme.  Art.  23G9.  ib. 

374  bis.  I.  Espèce  prévue  par  le  texte.  ib. 
374  bis.  II.  Nullités  relatives  du  titre.  ib. 

375.  Art.  226S.  550 

376.  Art.  S2«B».  ib, 
376  bis.  I.  L'acheteur  de  mauvaise  foi  ne  peut  arguer  de  la  bonne 

foi  de  ?on  vendeur.  ib. 

376  bis.  II.  Examen  d'une  hypothèse  douteuse.  551 

377.  Prescription  en  faveur  des  architectes  et  entrepreneurs.  Art. 

S2»0.  ib. 

377  bis.  I.  Renvoi  à  l'article  1792.  552 
377  bis.  II.  Doctrine  exposée  au  titre  du  louage.  ib. 
377  bis.  III.  Jurisprudence.  553 
377  bis.  IV.  Arrêt  de  la  Chambre  civile  conforme  à  noire  doctrine,  ib. 
377  bis.  V.  Arrêt  contraire  des  Chambres  réunies.  ib. 
377  bis.  VI-VII.  Observations  sur  l'arrêt.  554 
377  bis.  VIII.  Conclusion.  555 


SECTION    IV. 

De  quelques  prescriptions  particulières. 

378.  Objet  de  la  section.  ib. 

379.  Prescription  de  six  mois.  Art.  2371.  556 

379  bis.  I.  Leçons  au  cachet.  ib. 

379  bis.  IL  Sens  du  mot  gens  de  travail.  ib. 

380.  Prescription  d'un  an.  Art.  23'ÏS.  557 

380  bis.  I.  Marchands  achetant  pour  leur  consommation.  ib. 
380  bis.  IL  Le  Code  ne  distingue  pas  entre  les  marchands  en  gros 

et  les  marchands  en  détail.  ib. 

380  bis.  III.  Maîtres  de  pension.  558 

380  bis.  IV-VI.  Point  de  départ  de  la  prescription.  ib. 

381.  Prescription  de  deux  ou  de  cinq  ans.  Art.  3293.  560 

381  bis.  Frais  d'une  affaire  terminée  remontant  à  plus  de  cinq  ans.  ib. 

382.  Circonstances  qui  font  obstacle  à  ces  prescriptions.    Art. 

««74.  ib. 

382  bis.  I.  Dans  quel  sens  la  prescription  cesse-t-el'e  de  courir?  ib. 
382  bis.  II.  Distinction  suivant  la  nature  des  actes.  561 


XL  SOMMAIRES. 

383  bis.  III.  Distinction  appuyée  sur  les  décisions  de  Pothier.  564 

383.  Serment  déféré  au  créancier.  Art.  ttVZ.  56-2 

383  6 is .  Motif  de  l'artcle.  16. 

384.  Prescription  relative  aux  pièces  de  procédure.  Art.  9??<t.  ib. 

384  bis.  I.  Développement.  ib, 

384  bis.  II.  Avocats,  notaires,  greffier?.  5S3 

385.  Prescription  des  intérêts,  arrérages,  loyers.  Art.  ««»».  ib. 

385  bis.  I.  Motif  de  l'article.  ib. 

385  6ïs.  II.  Étendue  de  sa  disposition.  ib. 

386.  Les  courtes  prescriptions  courent  contre  les  mineurs.  Art. 

«S*  S.  564 

386  bis.  I.  Motif  de  l'article.  ib. 

386  6*».  11.  Autres  causes  de  suspension.  565 

387.  En  fait  de  meubles  la  possession  vaut  titre.  Art.  3999.  ib. 

387  bis.  I.  Pourquoi  cette  règle  se  trouve  dans  le  titre  de  la  pres- 

cription. 566 

387  bis.  II.  Traduction  de  la  maxime.  ib. 

287  bis.  III.  Personnes  qui  ne  sauraient  se  préva'oir  de  la  règle.  567 

387  bis.  IV.  Deux  conditions  :  1°  Possession.  ib. 

387  bis.  V.  Possesseur  précaire.  ib. 

337  bis.  VI.  Q"i  doit  prouver  en  ce  qui  concerne  la  précarité.  568 

387  bis.  Vil.  2°  Bonne  foi.  569 

387  bis.  VlII-X.  Cette  condition  seule  justifie  la  maxime.  ib. 

387  bis.  XI.  Opinon  qui  n'exige  pas  la  tnnne  foi.  570 

3S7  bis.  XII.  La  bonne  foi  doit  exister  au  moment  du  contrat.  ib. 
387  bis.  XI II.  La  bonne  foi  n'est  pas  exigée  chez  celui  qui  a  reçu 

a  vero  domino.  ib. 

387  bis.  XIV.  Cas  d^  perte  ou  de  vol.  572 

387  bis.  XV.  Qu'entend-on  par  vol?  ib. 

387  bis.  XVI.  Revendication.  573 

387  bis.  XVII.  Contre  le  possesseur  de  mauvaise  foi  la  revendication 

dure  toujours  (rente  ans.  t'6. 

388.  Cas  où  le  revendiquant  doit  indemniser  le  possesseur.  Art. 

«98©.  574 

388  bis.  Ml.  Motifs  de  la  règle.  ib. 
388  bis.  III.  La  maïiine  ne  s'applique  pas  aux  meubles  incorporels.  575 
388  bis.  IV.  Titres  au  porteur.  576 
388  bis.  V  VI.  Loi  du  15  juin  1872  dérogeant  à  l'article   2279 

quant  aux  titres  au  porteur.  ib. 
388  bis.  VII.  Elle  ne  s'applique  ni  aux  billets  de  la  Banque  de 

France,  ni  aux  rentes  sur  l'État.  577 

388  bis.  VIIl-IX.  Successions  mobilières.  ib. 

389.  Questions  transitoires.  Art.  *«8I.  579 


FIN    DES   SOMMAIRES. 


COURS 

ANALYTIQUE 


DE  CODE  CIVIL. 


LIVRE  III. 


TITRE   NEUVIEME. 

DU  CONTRAT  DE  SOCIÉTÉ. 


CHAPITRE   PREMIER. 

DISPOSITIONS   GÉNÉKALES. 

\.  La  société,  comme  les  trois  contrats  précédents,  est 
un  contrat  consensuel,  synallagmatique  et  commutatif;  cha- 
cune des  parties  s'y  oblige  à  une  mise  en  commun  dans  la 
vue  d'un  bénéfice  à  partager.  V.  art.  1832. 

2.  Le  contrat  serait  absolument  nul  si  le  profit  espéré  et  les 
moyens  de  se  le  procurer  n'étaient  honnêtes  :  il  est  clair 
qu'alors  il  y  aurait  obligation  sur  cause  illicite.  Le  contrat  ne 
serait  plus  commutatif,  et  cesserait  par  la  même  d'être  une 
société,  s'il  n'avait  lieu  dans  l'intérêt  commun,  et  si  chacun 
n'y  apportait  quelque  chose.  Ainsi  trois  conditions  sont  essen- 
tielles :  un  objet  licite,  un  intérêt  commun  et  un  apport 
réciproque.  On  tient  généralement  que  cet  apport,  qui  sert  a 
fixer  la  part  de  chacun  dans  les  bénéfices,  doit  consister  en 
choses  appréciables;  mais  il  n'importe  que  ce  soit  de  l'argent, 
des  biens  en  nature,  ou  la  simple  industrie.  V.  art.  1833. 
▼m.  i 


2  COUItS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    II!. 

2  bis.  I.  Les  conditions  essentielles  du  contrat  de  société  apparais- 
sent à  la  lecture  des  deux  articles  1832  et  1833.  Elles  sont  au 
nombre  de  quatre  :  1°  le  consentement;  2°  l'apport  de  chaque 
contractant,  ce  quelque  chose  que  les  parties  mettent  en  commun 
d'après  l'article  1832;  3"  un  objet  licite;  4°  une  utilité  commune. 

2  bis.  II.  Rien  à  dire  sur  le  consentement,  si  ce  n'est  à  renvoyer 
aux  règles  générales  du  Code,  qui  sont  exposées  au  titre  des  Con- 
trats, en  rappelant  que  le  consentement  doit  émaner  de  personnes 
capables  et  n'être  infecté  d'aucun  vice. 

2  bis.  III.  L'apport,  c'est  la  mise  de  chaque  associé,  le  contingent 
de  chacun  dans  la  société.  Tout  ce  qui  peut  être  l'objet  d'une  con- 
vention peut  être  apporté  :  de  l'argent,  des  marchandises,  des 
créances,  des  droits  de  propriété  littéraire  ou  industrielle,  la  clientèle 
d'un  fonds  de  commerce;  l'industrie,  c'est-à-dire  le  travail  per- 
sonnel de  la  partie ,  travail  manuel  ou  intellectuel  ;  le  crédit  com- 
mercial même,  c'est-à-dire  la  réputation  de  solvabilité  et  de 
régularité  qui  inspire  confiance  aux  tiers  et  qui  peut  être  très-utile 
à  des  associés  encore  inconnus  du  public  avec  qui  la  société  doit 
entrer  en  relation  d'affaires. 

2  bis.  IV.  Chaque  associé  doit  faire  un  apport,  art.  1833  in  fine. 
La  société  ne  saurait  exister  sans  cet  apport  de  tous,  elle  cesserait 
en  effet  d'être  un  contrat  à  titre  onéreux  par  rapport  à  l'associé  qui 
n'apporte  rien,  elle  serait  une  donation,  et  serait  soumise  aux 
règles  qui  régissent  les  actes  à  titre  gratuit  :  règles  sur  la  forme 
(art.  931),  sur  le  rapport  (art.  843),  sur  la  réduction  (art.  920). 
sur  la  capacité  de  donner  et  de  recevoir  (art.  911),  etc. 

2  bis.  V.  La  loi  entend  par  objet  de  la  société,  la  série  des  opéra- 
tions que  les  associés  ont  l'intention  de  faire  pour  réaliser  des  béné- 
fices. Ces  opérations  doivent  être  licites,  c'est  la  règle  générale  en 
matière  de  convention.  Les  Romains  disaient  :  Nulla  societas  male- 
ficiorum;  mais  il  est  certain  qu'on  verra  rarement  une  convention 
revêtant  les  apparences  et  aspirant  aux  effets  d'un  acte  régulier, 
qui  aura  pour  objet  de  commettre  des  crimes  ou  des  délits.  Il  est 
au  contraire  certains  faits  interdits  par  les  lois  qui  ne  sont  pas 
condamnés  par  les  principes  fondamentaux  de  la  morale,  et  c'est  en 
vue  de  ces  faits  qu'il  est  nécessaire  d'insister  sur  la  règle  que  nous 
étudions.  Ainsi,  il  est  interdit  de  mettre  en  société  des  offices 
publics,  à  l'exception  des  offices  d'agent  de  change. 

A  plus  forte  raison  considérons-nous  comme  prohibée  toute 


TIT.  IX.  DU  CONTRAT  DE  SOCIÉTÉ.  ART.  1832,  1833.   3 

société  qui  avait  pour  objet  l'organisation  de  la  contrebande,  alors 
même  qu'il  s'agirait  uniquement  de  porter  préjudice  à  des 
douanes  étrangères. 

2  bis.  VI.  La  nullité  de  la  société  qui  a  un  objet  illicite  a  pour 
conséquence  que  chaque  associé  peut  refuser  d'effectuer  son  apport, 
ou  peut  en  exiger  la  restitution  s'il  l'a  opéré,  car  cet  apport  a  été 
effectué  sine  causa.  Nous  n'admettons  pas  que  cette  demande  en 
restitution  de  l'apport  puisse  être  repoussée  parce  qu'elle  s'appuie 
sur  le  caractère  illicite  de  l'opération  faite  par  le  demandeur  (i), 
mais  nous  pensons  que  ce  caractère  illicite  de  la  société  aura  pour 
conséquence  de  faire  obstacle  à  toute  demande  en  partage  des  béné- 
fices, ou  en  répartition  des  pertes.  Celui  des  associés  qui  voudrait 
réclamer  d'un  autre  une  part  des  bénéfices  encaissés  par  celui-ci, 
ne  pourrait  justifier  son  droit  qu'en  se  fondant  sur  la  convention 
sociale  qui  est  nulle,  et  il  en  serait  de  même  de  l'associé  qui  pré- 
tendrait faire  supportera  l'autre  une  part  des  pertes  par  lui  subies. 
Nous  ne  ferons  pas  de  différence,  en  ce  qui  concerne  les  pertes,  entre 
le  cas  où  la  répartition  des  pertes  serait  demandée  par  voie  d'action  et 
celui  où  elle  se  présenterait  sous  forme  d'exception.  Exemple  : 
l'associé  redemande  son  apport,  le  défendeur  détenteur  de  l'apport 
voudrait  déduire  de  cet  apport  une  part  des  pertes;  la  situation  est 
toujours  la  même,  il  invoque  la  convention  de  société  qui  est  nulle, 
il  ne  peut  y  trouver  le  principe  d'une  créance,  et  s'il  n'est  pas  créan- 
cier ,  il  ne  peut  pas  refuser  de  restituer  intégralement  la  valeur 
appartenant  à  autrui  et  qu'il  détient  sans  cause  légitime  (2). 

2  bis.  VII.  Le  but  de  la  société  doit  être  une  utilité  commune,  ou, 
comme  dit  l'article  1832,  un  bénéfice  à  partager  entre  les  associés. 

La  loi  n'ajoute  pas  dans  sa  définition  que  le  but  serait  de  subir 
en  commun  les  pertes  ;  en  effet ,  les  pertes  sont  des  accidents  qu'il 
faut  bien  prévoir,  mais  la  société  n'est  pas  formée  en  vue  des  pertes. 

Ajoutons  que  la  répartition  des  pertes  entre  tous  les  associés 
n'est  pas  de  l'essence  de  la  société;  on  verra,  il  est  vrai,  dans 
l'article  1855  que  l'on  ne  peut  pas  affranchir  des  pertes  les 
sommes  ou  effets  mis  dans  le  fonds  de  la  société  par  un  ou  plusieurs 
des  associés,  mais  il  résulte  de  cette  formule  que  celui  qui  aurait 
fait  son  apport  autrement  qu'en  sommes  et  effets,  c'est-à-dire  en 


(1)  V.  t.  V,  n°49iw.  IV. 

(2)  V.  cependank  Aubry  et  Rau,  t.  III,  p.  398.  Edit.  1856. 


4  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

industrie,  pourrait  être  dispensé  par  la  convention  de  la  contribution 

aux  pertes. 

Le  partage  des  bénéfices  est  au  contraire  de  l'essence  du  contrat, 
et  l'article  1155  annule  la  convention  qui  donne  à  l'un  des  associés 
la  totalité  du  bénéfice.  C'est  la  société  qu'on  appelle  Léonine. 

2  bis.  VIII.  Les  bénéfices  doivent  être  pécuniaires  ou  appréciables 
en  argent;  il  ne  suffirait  pas  qu'ils  consistassent  en  un  certain 
agrément  dans  les  relations  de  la  vie,  comme  celui  qu'on  trouverait 
dans  le  fait  d'occuper  le  même  logement  et  de  s'asseoir  quoti- 
diennement à  la  même  table  ;  ou  dans  certaines  jouissances  intel- 
lectuelles, comme  l'usage  commun  d'une  bibliothèque  ou  d'une 
galerie  de  tableaux. 

2  bis.  IX.  Les  bénéfices  doivent  provenir  de  la  communauté  des 
apports  (art.  1832  in  fine).  Ainsi,  on  ne  verrait  pas  une  société  dans 
le  contrat  par  lequel  deux  personnes  constitueraient  un  fonds  de 
10,000  francs  composé  de  deux  mises  de  5,000  francs  pour  jouir 
chacune  à  son  tour  des  10,000  francs  pendant  un  temps  déter- 
miné, faisant  chacune  des  opérations  avec  la  somme  pendant  son 
temps  de  jouissance,  et  gardant  tout  entiers  les  profits  résultant  de 
ces  opérations.  , 

De  même  on  ne  considère  pas  comme  sociétés  les  tontines,  ou 
associations  de  rentiers,  qui  conviennent  que  les  parts  des  pré- 
mourants profiteront  aux  survivants.  Le  profit  advenant  aux 
survivants  ne  provient  pas  de  la  mise  en  commun,  la  réunion  des 
mises  n'est  pas  une  cause  d'augmentation  de  fonds  commun, 
ce  fonds  reste  le  même,  sa  répartition  seule  varie  au  hasard  des 
événements. 

3.  Le  contrat  de  société  est,  comme  on  l'a  dit,  purement 
consensuel,  mais  il  est  d'ailleurs  soumis  aux  règles  ordinaires 
sur  l'admission  a  la  preuve  testimoniale.  Ici  donc,  comme 
partout,  s'applique  l'obligation  de  passer  acte  de  toutes  choses 
excédant  la  somme  ou  valeur  de  150  francs  :  la  société  consé- 
quemment  doit  être  rédigée  par  écrit  lorsque  son  objet  est  d'une 
valeur  supérieure  à  cette  somme.  Ici  s'applique  également  la 
défense  de  recevoir  aucune  preuve  par  témoins  contre  et  outre 
le  contenu  aux  actes,  ou  sur  ce  qui  serait  allégué  avoir  été  dit 
avant,  lors  ou  depuis.  V.  art.  1834 \  et  remarquez  que  cet 


TIT.    IX.    DU    CONTRAT    DE    SOCIÉTÉ.    AKT.    1833,    1834.       S 

article  ne  fait  que  reproduire,  en  les  appliquant  au  contrat  de 
société,  les  dispositions  générales  de  l'article  1341.  Peut-être 
cette  reproduction,  au  moins  en  ce  qui  concerne  la  disposition 
principale,  a-t-elle  été  jugée  utile  pour  exclure  positivement 
l'usage  des  sociétés  taisibles,  admises  dans  certaines  cou- 
tumes; peut-être  aussi  a-t-on  voulu  marquer  une  différence 
entre  les  sociétés  ordinaires  et  les  sociétés  commerciales, 
qui  doivent  toujours  être  constatées  par  actes  (C.  comm.,  art. 
39  et  40). 

3  bis.  I.  Les  sociétés  taisibles  dont  parle  M.  Demante  étaient  des 
sociétés  tacites  qui  se  formaient  par  le  fait  d'une  vie  en  commun 
entre  plusieurs  personnes  et  d'où  résultait  une  mise  en  commun  à 
titre  universel  d'une  partie  des  biens  des  associés.  La  coutume  de 
Troyes  disait  :  «  Vivant  ensemble  à  un  commun  pot,  sel  et  dépense, 
«  en  mélange  de  biens  par  an  et  jour,  ils  sont  réputés  unis  et  com- 
«  muns  en  biens  meubles  et  conquêts,  s'il  n'appert  du  contraire.  » 
On  discutait  déjà  dans  l'ancien  droit  sur  la  validité  de  ces  contrats 
tacites  dans  les  provinces  où  la  coutume  ne  les  avait  pas  autorisés 
expressément.  Pothier  invoquait  contre  elles  l'ordonnance  de  Mou- 
lins de  1566  fart.  54),  qui  ordonnait  que  toute  convention  dont  l'objet 
excéderait  cent  livres  fût  rédigée  par  écrit,  et  il  invoquait  un 
article  de  l'ancienne  coutume  d'Orléans,  rédigée  en  1509  et  par 
oonséquent  antérieure  à  l'ordonnance  de  Moulins,  qui  disait  :  «  So- 
ciété ne  se  contracte  entre  aucuns  qu'ils  ne  soient  conjoints  par 
mariage,  sinon  qu'il  y  ait  entre  eux  convention  expresse.  »  Les 
rapports  faits  au  nom  du  Tribunat  montrent  clairement  que  le  Gode 
civil  a  voulu  abolir  cette  institution  partout  où  elle  était  encore  en 
vigueur  (1). 

3  bis.  II.  C'est  donc  un  renvoi  aux  règles  générales  sur  les  preuves 
qui  est  contenu  dans  l'article  1834;  par  conséquent  il  ne  suffit  pas 
d'appliquer  aux  sociétés  la  disposition  de  l'article  1341,  mais  il 
faut  aussi  les  soumettre  aux  autres  dispositions  qui  complètent  la 
théorie  en  restreignant  l'application  de  la  règle  dans  des  limites 
raisonnables.  Il  faudra  donc  permettre  la  preuve  testimoniale  quand  il 
existera  un  commencement  de  preuve  par  écrit  (art.  1347)  et  quand 
il  aura  été  impossible  de  se  procurer  une  preuve  écrite,  surtout 

(1)  Voir  Pothier,  Du  contrat  de  tociiti,  n°  79. 


6  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.  LIV.    III. 

quand  la  preuve  écrite  aura  été  perdue  par  cas  fortuit.  (Art.  1348.) 

3  bis.  III.  L'objet  de  la  société  dont  la  valeur  est  à  considérer  quand 
il  s'agit  de  savoir  si  une  preuve  écrite  est  nécessaire,  c'est  le 
montant  des  apports  réunis. 

Il  n'y  a  pas  à  tenir  compte  de  la  valeur  du  fonds  social  au  moment 
où  une  contestation  s'élève;  si  les  associés  ont  mis  en  commun  de 
modiques  valeurs  ne  dépassant  pas  ISO  francs,  ils  n'avaient  pas  à 
rédiger  un  écrit,  car  les  frais  de  cet  écrit  eussent  peut-être  été  hors 
de  proportion  avec  les  sommes  dont  il  s'agissait  de  constater 
l'apport.  Qu'importe  que  plus  tard,  par  le  travail  et  l'économie  des 
associés  ou  par  une  chance  heureuse,  le  fonds  social  soit  devenu 
considérable?  Les  associés  n'étaient  point  en  faute  lors  de  la 
formation  du  contrat,  et  les  rigueurs  de  l'article  1341  ne  s'adres- 
sent qu'à  des  contractants  qui  ont  commis  une  faute  (1). 

Nous  venons  de  dire  qu'il  faut  tenir  compte  du  montant  des 
apports  réunis.  L'intérêt  engagé  en  vue  duquel  un  acte  est  rédigé 
est  en  effet  un  intérêt  collectif.  C'est  le  fonds  social ,  composé  des 
apports,  qui  se  trouve  grevé  des  frais  de  rédaction  de  l'écrit  ;  dès  lors 
il  importe  peu  que  chaque  associé  fasse  un  apport  ne  dépassant  pas 
150  francs  si  l'ensemble  des  apports  constitue  un  total  supérieur  à 
ce  chiffre  (2). 

L'apport  peut  consister  en  industrie,  et  sa  valeur  n'apparaît  pas 
aussi  facilement  que  lorsqu'il  consiste  en  argent,  ou  même  en 
immeubles  ou  en  meubles  corporels.  Le  juge  aura  alors  un  pouvoir" 
discrétionnaire  pour  déterminer  ce  que  valait  en  argent,  au  moment 
du  contrat,  l'apport  en  industrie  (3). 


CHAPITRE  fi. 

DES  DIVERSES  ESPÈCES   DE   SOCIÉTÉS. 

4.  La  société  peut  comprendre  l'universalité ,  soit  des  biens 
des  associés,  soit  de  leurs  gains  et  économies;  elle  peut 

(1  )  V.  t.  V,  n°  315  bis.  X,  XI  et  XII,  où  se  trouve  discutée  en  détail  la  question 
que  nous  agitons. 

(2)  V.t.  V,  n°315&ù.  XIII. 
(S)  V.  t.  V,  n«315fci*.  XIV. 


TIT.    IX.    DU    CONTRAT   DE   SOCIÉTÉ.    ÀtlT.    1834-1837.        7 

comprendre  seulement  un  ou  plusieurs  objets,  ou  s'appliquer 
a  une  entreprise  déterminée  :  sous  ce  rapport  les  sociétés  sont 
universelles  ou  particulières.  (V.  art.  1835.) 


SECTION  I. 
Des  sociétés  universelles. 

o.  Les  Romains  distinguaient  deux  sortes  de  sociétés 
universelles  :  la  société  universorum  bonorum,  et  la  société 
omnium  quœ  ex  quœstu  veniunl.  La  première  comprenait 
tous  les  biens  présents  et  à  venir,  de  quelque  cause  qu'ils 
pussent  procéder;  la  seconde  se  bornait  a  ce  que  les  associés 
acquéraient  pendant  la  société ,  a  quelque  titre  de  commerce. 
Notre  ancien  droit  français  admettait  ces  deux  espèces  de 
sociétés  universelles;  les  coutumes  avaient  même  étendu  la 
société  de  gains,  en  y  comprenant  les  meubles  que  les  associés 
possédaient  au  jour  du  contrat. 

Notre  législateur  a  été  frappé  des  inconvénients  que  pjé- 
sentent  les  sociétés  universelles  ;•  il  a  craint  les  fraudes  qu'elles 
peuvent  couvrir  et  les  surprises  qu'elles  peuvent  entraîner. 
Toutefois,  ces  inconvénients  étant  surtout  à  craindre  dans  la 
mise  en  commun  des  biens  a  venir ,  ils  n'ont  pas  empêché 
d'admettre  la  société  de  tous  biens  présents,  et  la  société 
universelle  de  gains.  V.art.  1836. 

5  bis.  Le  Code  permet  aussi  une  troisième  espèce  de  société 
universelle,  qui  est  la  réunion  des  deux  sociétés  autorisées  par 
l'article  1836,  c'est  la  société  de  biens  présents  et  de  gains  (art.  1837, 
deuxième  alinéa). 

Quand  la  société  universelle  a  été  contractée  sans  autre  explica- 
tion, le  Code  interprète  la  convention  dans  son  sens  le  moins  grave, 
au  point  de  vue  du  dépouillement  qu'elle  produit  pour  chaque 
associé;  elle  ne  donne  naissance  qu'à  la  société  universelle  de 
gains.  (Art.  1839.) 

6.  Qui  dit  tous  les  biens  présents  dit  évidemment  tous  les 
biens  meubles  et  immeubles  qui  appartiennent  aux  associés 


8  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

au  jour  (lu  contrat.  Mettre  ces  biens  en  commun,  c'est  y 
mettre  par  Ta  même  tous  les  profits  qu'on  en  pourra  tirer,  par 
échange,  usage  ou  perception  de  fruits.  Toute  autre  espèce 
de  gains,  puta  les  traitements,  salaires  ou  honoraires,  ne  sont 
pas  de  plein  droit  compris  dans  celte  société  ;  mais  la  loi  permet 
aux  parties  de  les  y  comprendre.  Au  nombre  de  ces  gains  se 
place  naturellement  la  jouissance  des  biens  qui  peuvent 
advenir  par  succession ,  donation  ou  legs.  Quant  à  ces  biens 
eux-mêmes,  la  loi  défend  de  les  faire  entrer  dans  une  société 
ordinaire;  mais  la  faveur  dont  jouit  l'association  conjugale 
permet  de  les  comprendre  dans  la  communauté.  (V.  art. 
1837,  et  a  ce  sujet  art.  1401,  1505,  1526.) 

7.  La  société  universelle  de  gains  renferme  tout  ce  qui 
s'acquiert  par  l'industrie,  par  conséquent  tous  les  produits 
du  travail  et  de  l'économie.  Il  est  tout  simple,  d'après  cette 
vue ,  qu'elle  comprenne  la  jouissance  de  tous  les  biens  pré- 
sents et  à  venir.  Bien  plus,  la  loi,  comme  les  anciennes  cou- 
tumes, y  fait  entrer  la  propriété  des  meubles  présents.  Quant 
aux  immeubles  autres  que  les  conquêts,  la  propriété  en  reste 
a  chaque  associé  en  particulier.  (V.  art.  1838.) 

7  bis.  I.  Quand  la  société  est  purement  la  société  universelle  des 
biens  présents,  sa  composition  n'est  pas  difficile  à  déterminer;  elle 
comprend  tous  les  biens  meubles  et  immeubles  qui  appartiennent 
aux  associés  lors  du  contrat,  et  elle  ne  comprend  que  cela;  car  les 
profits  à  tirer  de  ces  biens  reviennent  tout  naturellement  à  la 
société.  La  loi  n'avait  pas  besoin  de  s'exprimer  sur  ce  point,  c'est  la 
conséquence  nécessaire  de  la  mise  des  biens  en  société,  et  l'on  ne 
pourrait  pas  comprendre  quelle  utilité  aurait  pour  la  société  la 
mise  en  commun  de  biens  dont  elle  ne  retirerait  pas  les  profits. 

7  bis.  II.  La  société  universelle  de  gains  comprend  trois  groupes 
de  choses  :  i°  les  biens  que  les  parties  acquerront  par  leur  industrie 
pendant  le  cours  de  la  société;  2°  les  meubles  que  chacun  des 
associés  possède  au  temps  du  contrat;  3°  la  jouissance  des  immeubles 
personnels. 

i°  Les  expressions  dont  la  loi  se  sert  pour  paraphraser  le  mot  gains 
tendent  à  exclure  d'abord  ce  qui  adviendrait  à  l'associé  par  un  simple 
hasard,  prosçerfifortuna,  par  exemple  la  part  d'un  trésor  attribuée 


T1T.  IX.  DU  CONTRAT  DE  SOCIÉTÉ.  ART.  1837,  1838.   9 

à  l'inventeur,  et  secondement  tout  ce  qui  serait  acquis  avec  des 
deniers  propres  ou  en  échange  d'un  bien  propre. 

2°  Les  meubles  présents  paraîtraient  devoir  être  exclus  d'une 
société  de  gains;  ils  n'y  sont  compris  qu'en  vertu  d'une  tradition 
qui  nous  vient  du  droit  coutumier  (1)  et  qui  se  justifiait  autrefois  par 
le  peu  d'importance  que  les  coutumes  accordaient  aux  biens 
mobiliers.  La  règle  s'explique  mieux  aujourd'hui  par  la  nécessité 
de  constituer  à  la  charge  de  tous  les  associés  le  premier  fonds  so- 
cial, et  par  l'embarras  que  pourrait  causer  aux  parties  la  confection 
d'un  inventaire  pour  réserver  les  droits  de  chacun  sur  le  mobilier 
qu'il  a  au  moment  de  la  formation  du  contrat  de  société. 

3°  Si  les  revenus  des  immeubles  restaient  propres,  le  but  de  la 
société  ne  serait  pas  atteint  la  plupart  du  temps,  parce  que  les 
associés  ne  trouveraient  nulle  part  des  valeurs  sur  lesquelles  ils 
pussent  faire  des  économies  pour  créer  un  fonds  social.  A  cette 
considération  se  joint  celle-ci  :  faire  fructifier  des  immeubles,  les 
rendre  productifs,  c'est  un  acte  de  l'activité  humaine,  par  conséquent 
un  acte  d'industrie,  et  sous  ce  rapport  on  peut  dire  que  la  règle  sur 
les  fruits  se  confond  avec  celle  qui  place  dans  la  société  tous  les 
biens  que  les  parties  acquerront  par  leur  industrie. 

7  bis.  III.  La  troisième,  espèce  de  société  universelle,  est  la  réunion 
des  deux  autres,  elle  comprend  les  biens  présents,  meubles  et 
immeubles,  les  biens  acquis  par  l'industrie  et  la  jouissance  des 
biens  personnels,  qui  ne  peuvent  être  en  ce  cas  que  les  biens  acquis 
pendant  la  société  à  titre  de  donation  ou  de  succession.  C'est  de 
cette  société  que  parle  le  deuxième  alinéa  de  l'article  1837. 

8.  La  loi  ne  s'est  pas  expliquée  sur  le  passif  des  sociétés 
universelles,  soit  de  tous  biens  présents,  soit  de  gains  seu- 
lement. C'est  dans  les  principes  généraux  qu'il  faut  chercher 
les  règles  a  cet  égard. 

9.  Il  est  évident  d'abord  que  toutes  les  dettes  existant  au 
jour  du  contrat  sont  de  plein  droit  à  la  charge  de  la  société 
de  tous  biens  présents. 

10.  Il  n'est  pas  moins  clair  que  tout  ou  partie  des  dettes 
actuelles  doit  tomber  à  la  charge  de  la  société  universelle  de 
gains,  dans  laquelle  entre  le  mobilier  présent. 

(1)  V.  Pothier,  Du  contrat  de  tocièti,  n°  44. 


10  COURS   ANALYTIQUE   DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

10  bis.  La  société  de  gains  comprend  tous  les  meubles  dans  son 
actif,  il  est  donc  naturel  qu'elle  soit  grevée  d'une  part  correspon- 
dante du  passif.  On  pourrait,  à  l'exemple  de  Pothier,  appliquer  ici 
la  même  règle  qu'en  matière  de  communauté  entre  époux,  et  mettre 
toutes  les  dettes  mobilières  à  la  charge  de  la  société.  Mais  nous 
savons  qui;  cette  attribution,  qui  paraît  contre-balancer  équitable- 
ment  l'attribution  du  mobilier  actif,  n'est  pas  aujourd'hui  aussi 
acceptable  que  dans  l'ancien  droit,  parce  qu'il  n'y  a  plus,  en  quel- 
que sorte,  de  dettes  immobilières,  ce  qui  fait  que  la  société,  ne 
profitant  que  d'une  partie  de  l'actif,  supporterait  cependant  toutes 
les  dettes.  Mieux  vaut  suivre,  dans  le  silence  de  la  loi,  la  règle  qui 
régit  le  passif  des  successions  échues  à  des  époux  communs  en 
biens;  diviser  le  passif  dans  la  même  proportion  que  l'actif  et 
mettre  à  la  charge  de  la  société  une  part  de  dettes  correspondant 
à  la  valeur  du  mobilier  qu'elle  acquiert  comparée  à  celle  des  im- 
meubles qui  restent  propres. 

1 1.  A  l'égard  des  charges  futures,  et  notamment  des  dettes 
qui  seront  contractées  pendant  la  durée  de  l'association  uni- 
verselle de  l'une  ou  de  l'autre  espèce,  il  est  naturel  que  la 
société  en  soit  ou  non  tenue,  suivant  qu'elles  seront  ou  non 
relatives  aux  biens  qui  lui  appartiennent  et  aux  profils  qui 
tombent  dans  son  actif. 

12.  Ainsi  la  société  de  tous  biens  présents  sera  évidemment 
tenue  des  charges,  telles  que  grosses  réparations,  qui  pourront 
survenir  relativement  aux  biens  présents.  Elle  supportera  éga- 
lement les  charges  de  fruits,  telles  que  contributions,  répara- 
tions d'entretien,  qui  grèveront  la  jouissance  des  mêmes  biens. 

Si  elle  comprend  toute  espèce  de  gains,  elle  supportera 
sans  distinction  toute  charge  de  fruits,  et  sous  ce  nom  il 
faudra  comprendre  les  dépenses  d'entretien,  nourriture, 
éducation  des  associés  et  de  leur  famille. 

Quant  aux  dettes  de  capitaux,  la  société,  soit  qu'elle  com- 
prenne ou  non  toute  espèce  de  gains,  devra  les  supporter, 
quand  elles  auront  été  valablement  contractées  pour  lui  pro- 
curer un  profil  ;  elle  en  sera  tenue  de  in  rem  verso  lorsqu'elles 
auront  été  contractées  sans  pouvoirs  suffisants. 

13.  Il  est  facile  maintenant  de  faire  à  la  société  universelle 


T1T.    IX.    DU    CONTRAT    DE    SOCIÉTÉ.    ART.    1838-1840.       11 

de  gains  l'application  de  ce  que  l'on  a  dit  de  la  société  de 
tous  biens  présents,  en  ce  qui  concerne  les  dettes  ou  charges 
futures.  Ici,  évidemment,  comme  dans  tous  les  cas  où  elle 
embrasse  tous  les  gains,  la  société  doit  supporter  toutes  les 
charges  de  fruits.  Mais,  comme  au  cas  dont  il  s'agit  elle  se 
borne  à  ces  gains ,  elle  n'est  nullement  tenue  des  charges 
relatives  à  la  propriété  des  biens,  soit  présents,  soit  futurs, 
autres  que  conquêts.  Du  reste,  elle  est  tenue,  in  solidum  ou 
de  in  rem  verso,  des  dettes  contractées  pendant  sa  durée, 
suivant  la  distinction  ci-dessus  indiquée;  enfin  pour  juger  si 
les  dettes  contractées  sont  ou  non  relatives  à  ses  affaires,  les 
principes  sont  nécessairement  les  mêmes  que  dans  la  société 
de  tous  biens  présents  comprenant  tous  les  gains. 

13  bis.  La  société  universelle  qui  comprend  les  gains,  qu'il 
s'agisse  soit  de  la  société  de  biens  présents  et  de  gains,  soit  de  la 
pure  société  de  gains,  ne  doit  pas  être  tenue  de  supporter  les 
dettes  résultant  d'un  délit  commis  par  un  associé  parce  que  le 
contrat  de  société  ne  peut  pas  contenir  un  mandat  de  commettre 
des  délits  ;  il  faudra  seulement  reconnaître  que  si  le  délit  a  procuré 
à  son  auteur  un  bénéfice  dont  la  société  a  profité,  la  société  sera 
tenue  à  la  réparation  envers  la  victime  du  délit,  mais  dans  les 
limites  de  ce  dont  elle  s'est  enrichie. 

14.  Les  sociétés  universelles,  quoique  permises,  ne  sont 
pas  vues  par  la  loi  d'un  œil  favorable.  Toutefois  la  défaveur 
est  moindre  pour  la  société  de  gains,  qui  laisse  à  chaque 
associé  la  propriété  de  ses  immeubles  :  aussi,  à  défaut  d'ex- 
plication, la  convention  de  société  universelle  s'entend-elle 
d'une  simple  société  de  gains.  V.  art.  1839. 

15.  Au  reste,  les  sociétés  universelles  de  l'une  ou  de 
l'autre  espèce  pouvant  toujours  couvrir  aisément  des  avantages 
indirects,  la  loi  ne  les  autorise  qu'entre  personnes  non-seule- 
ment capables  l'une  envers  l'autre  de  faire  et  de  recevoir  des 
donations,  mais  auxquelles  il  n'est  point  défendu  de  s'avan- 
tager au  préjudice  d'autres  personnes.  V.  1840. 

15  bis.  L'article  1840  interdit  certainement  le  contrat  de  société 
universelle  entre  personnes  atteintes  d'une  des  incapacités  relatives 


12  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

de  donner  et  de  recevoir  (art.  907-909),  mais  là  se  borne  la  dis- 
position de  la  loi.  Ce  serait  l'exagérer  que  d'interdire  le  contrat 
de  société  universelle  quand  l'une  des  parties  a  des  héritiers  à 
réserve;  outre  que  les  travaux  préparatoires  indiquent  chez  les 
auteurs  de  la  loi  une  pensée  contraire,  il  faut  reconnaître  que  le  texte 
n'impose  pas  cette  solution,  car  on  ne  peut  pas  dire  que  celui  qui  a 
des  héritiers  à  réserve  ne  peut  pas  avantager  un  étranger,  puis- 
qu'il a  toujours  une  portion  disponible  et  que  l'attribution  de  cette 
partie  de  biens  peut  constituer  un  avantage  sérieux  et  légitime  en 
faveur  d'un  donataire. 


SECTION  II. 
De  la  société  particulière. 

16.  La  société  particulière  est  celle  qui  n'a  pour  objet  que 
des  choses  déterminées. 

Cet  objet  peut  consister  dans  certains  biens  que  l'on  met 
en  commun,  soit  quant  a  la  propriété,  soit  seulement  quant 
à  l'usage  ou  a  la  jouissance.  V.  art.  1811 . 

Il  peut  également  consister  dans  une  entreprise  à  exécuter 
en  commun ,  ou  dans  l'exercice  en  commun  d'un  métier  ou 
d'une  profession.  V.  art.  1842. 

16  bis.  La  définition  contenue  dans  l'article  1842  embrasse  les 
sociétés  commerciales;  celles-ci  sont  les  plus  nombreuses,  nous 
n'avons  pas  à  nous  occuper,  mais  la  société  civile  existe  cependant, 
car  on  peut  concevoir  que  plusieurs  personnes  mettent  des  biens 
en  commun  pour  en  retirer  des  bénéfices  sans  cependant  se  livrer 
à  des  opérations  commerciales.  Exemples  :  Plusieurs  cultivateurs 
prennent  ensemble  une  ferme  à  bail,  pour  l'exploiter  ;  des  auteurs 
s'unissent  pour  publier  à  frais  communs  un  ouvrage,  des  professeurs 
pour  donner  un  enseignement  commun  ;  enfin  des  capitalistes  s'as- 
socient pour  l'exploitation  d'une  mine  (loi  du21  avril  1810,  art.  32). 


TIT.    IX.    DU    CONTRAT    DE    SOCIÉTÉ.    ART.    4841-1843.        13 


CHAPITRE  III. 

DES    ENGAGEMENTS   DES   ASSOCIÉS   ENTRE    EUX   ET    A    L'ÉGARD 
DES    TIERS. 


SECTION  I. 

Des  engagements  des  associés  entre  eux. 

17.  Les  règles  contenues  dans  cette  section  concernent  : 

1°  Le  commencement  et  la  durée  de  la  société  (art.  1843, 
1845); 

2°  Les  obligations  de  chaque  associé  envers  la  société 
(art.  1845-11-50); 

3°  Celles  de  la  société  envers  chaque  associé  (art.  1851, 
1852)  (1); 

4°  La  détermination  des  parts  (art.  1853-1855); 

5°  Enfin,  l'administration  de  la  société,  et  les  pouvoirs  de 
chaque  associé,  relativement  aux  affaires  communes  (articles 
1856-1861). 


(1)  C'est  figurément,  et  pour  rendre  plus  sensible  l'expression  des  rapports  des 
associés  entre  eux,  que  je  personnifie  ici  la  société,  en  la  présentant  comme  créan- 
cière ou  débitrice  de  chaque  associé.  Du  reste,  je  n'admets  pas  la  théorie  nouvelle 
qui  considère  toute  société  comme  une  véritable  personne  civile  distincte  de  la  per- 
sonne des  associés.  Ce  système,  qui  entraîne  les  plus  graves  conséquences  parti- 
culièrement sous  le  rapport  du  privilège  qu'il  constitue,  en  faveur  des  créanciers 
de  la  société,  sur  les  biens  composant  le  fonds  social,  n'est  nullement  fondé  sur  les 
anciens  principes;  et  dès  lors  je  ne  pourrais  l'admettre  qu'autant  que  je  lui  trou- 
verais une  base  dans  la  loi.  Cette  base,  je  la  trouve  pour  les  sociétés  commerciales, 
antres  qne  l'association  en  participation,  dans  l'article  529  du  Code  civil,  et  dans 
les  articles  26,  30,  39-45  du  Code  de  commerce;  v.  aussi  C  Pr. ,  art.  69-6'.  Mais 
rien  n'autorise  à  étendre  cette  idée  aux  cas  si  multipliés  de  société  civile  et  d'asso- 
ciation en  participation.  Bien  plus,  on  ne  pourrait  le  faire  sans  enlever  toute  appli- 
cation directe  à  la  définition  légale  de  la  société.  V.  art.  1832;  v.  à  ce  sujet  art. 
1849,  1859-1°.  On  sent,  au  surplus,  combien  il  serait  exorbitant,  et  surtout  com- 
bien il  serait  dangereux,  d'attribuer  à  la  simple  volonté  des  associés  la  puissance  de 
faire  ainsi  naître  et  mourir  une  personne  nouvelle,  dont  rien  ne  révélerait  l'exis- 
tence aux  tiers,  et  qu'ils  se  donneraient  temporairement  pour  successeur  à  certains 
biens,  à  l'effet  de  lui  succéder  ensuite.  (  Note  de  M.  Deuantb.  ) 


14  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V      111. 

Si. 

Du  commencement  et  de  la  durée  de  la  société. 

18.  Formée  par  la  volonté  des  parties,  c'est  naturellement 
dans  cette  volonté  que  la  société  doit  trouver  la  règle  de  son 
commencement  et  de  sa  durée. 

19.  A  moins  d'une  clause  contraire,  la  loi  suppose  que  la 
volonté  commune  a  été  de  la  faire  commencer  immédiate- 
ment. V.  art.  1843. 

20.  Quant  à  la  durée,  si  elle  n'est  pas  limitée  soit  par  un 
terme  fixe ,  soit  par  le  genre  même  de  l'affaire  pour  laquelle 
la  société  est  contractée,  elle  embrasse  toute  la  vie  des 
associés,  sans  préjudice  du  droit  qui  reste  a  chacun  de  re- 
noncer auparavant,  sous  les  conditions  que  la  loi  détermine. 
V.  art.  1844,  et  à  ce  sujet  article  1869. 

§  H- 

Des  obligations  de  chaque  associé  envers  la  société. 

21.  Chaque  associé  est  obligé  envers  la  société  : 
1*  A  fournir  son  apport  (art.  1845,  1846,  1847)  -, 

2°  A  tenir  compte  de  ce  qu'il  percevrait  du  fonds  commun, 
et  même  à  communiquer  les  profits  qu'il  se  procurerait  en 
préférant  son  propre  intérêt  a  celui  de  la  société  (art.  1846- 
1849)-, 

3°  A  indemniser  la  société  du  tort  qu'il  lui  causerait  par  sa 
faute  (art.  1850). 

21  bis.  Nous  ne  préjugeons  rien  sur  ce  que  nous  déciderons 
plus  tard  relativement  à  la  personnalité  de  la  société  civile,  quand 
nous  disons  que  l'associé  est  débiteur  envers  la  société.  Si  l'on  n'ad- 
met pas  que  la  société  soit  en  personne,  il  n'y  a  là  qu'une  forme 
de  langage  ;  comme  celle  que  la  loi  emploie  si  souvent  quand  elle 
parle  de  la  communauté  entre  époux  qui  n'est  pas,  selon  nous, 
une  personne  distincte  (1).  Dire  qu'une  dette  existe  envers  la  société, 

(l)  V.  t.  VI,  n*  18  bis.  X. 


TIT.    IX.    DU    CONTRAT    DE    SOCIÉTÉ.    ART.    1843-1846.         15 

c'est  dire  simplement  qu'elle  existe  envers  l'ensemble  des  associés, 
et  que  son  objet  est  destiné  à  grossir  le  fonds  commun. 

22.  A  l'égard  de  l'apport,  il  suffit  de  dire  que  l'associé  en 
est  débiteur,  pour  amener  l'application  des  principes  généraux 
qui  règlent  l'effet  des  obligations  de  donner  ou  de  faire  (art. 
1136-1145).  V.  art.  1845,  al.  1. 

23.  Si  l'apport  consiste  en  un  corps  certain,  il  est  con- 
forme à  la  nature  du  contrat  commutatif  que  l'associé  soit, 
comme  un  vendeur,  garant  de  l'éviction.  V.  art.  1845,  al.  2. 

23  bis.  I.  L'assimilation  de  l'associé  qui  a  promis  un  corps  certain 
à  un  vendeur  n'est  exacte  qu'autant  que  l'apport  doit  consister 
dans  la  propriété  du  corps  certain  ou  dans  un  droit  réel  de  jouis- 
sance sur  cet  objet;  mais  la  convention  des  parties  sainement 
interprétée  conduit  à  traiter  l'associé  comme  un  bailleur  quand  il 
a  promis  seulement  de  faire  jouir  la  société  d'un  certain  objet,  par 
exemple  d'un  immeuble. 

L'observation  n'est  pas  sans  intérêt,  d'abord  au  point  de  vue  des 
risques,  c'est  un  point  qui  sera  traité  sur  l'article  1867  ;  ensuite,  au 
point  de  vue  des  charges  de  fruits,  comme  les  réparations  usu- 
fructuaires.  Si  l'associé  est  considéré  comme  un  vendeur,  il  n'est  pas 
tenu  de  réparer  la  cbose  sur  laquelle  il  a  vendu  le  droit  réel  de 
jouissance;  s'il  est  bailleur,  il  doit  entretenir  la  chose  en  bon 
état.  On  a  cependant  objecté  qu'il  ne  pouvait  pas  sous  ce  rapport 
être  assimilé  à  un  bailleur  qui  perçoit  des  loyers  et  qui  sur  ces 
loyers  peut  prélever  le  montant  des  réparations  ;  à  cette  objection 
on  répond  victorieusement  que  si  l'associé  ne  perçoit  pas  des  loyers 
d'une  façon  apparente  et  distincte,  au  fond  il  recueille  un  bénéfice 
en  échange  de  la  jouissance  qu'il  procure,  c'est  sa  part  dans  les 
bénéfices  sociaux  accrus  nécessairement  par  la  jouissance  même 
que  l'associé  procure  à  la  société. 

23  bis.  IL  Pour  compléter  l'assimilation  entre  l'associé  et  le 
vendeur  ou  le  bailleur,  nous  ajouterons  que  cet  associé  devra  la 
garantie  des  défauts  cachés  de  la  chose  qu'il  avait  apportée  (art. 
1641  et  1721). 

24.  Si  l'apport  consiste  en  argent,  la  loi,  toujours  eu  égard 
à  la  nature  de  ce  contrat,  essentiellement  commutatif,  con- 
sacre ici  deux  dérogations  aux  règles  ordinaires  :  1°  les  inté- 


16  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

rets  courenl  de  plein  droit,  par  conséquent  sans  demande, 
ajoutons  et  sans  sommation,  du  jour  de  l'échéance  ;  2°  leur 
prestation  ne  dispense  pas  de  plus  amples  dommages-inté- 
rêts, s'il  y  a  lieu. 

Les  mêmes  motifs  et  les  mêmes  décisions  s'appliquent  au 
cas  où  l'associé  aurait  tiré  des  sommes  de  la  caisse  sociale  pour 
son  profit  particulier  :  cas  compris  du  reste  dans  l'obligation 
générale  de  tenir  compte  à  la  société  de  tout  ce  qui  se  perçoit 
du  fonds  commun.  V.  art.  1846;  v.  a  ce  sujet  art.  1153,  et 
remarquez  que  la  faculté  d'obtenir  d'autres  dommages-intérêts 
en  sus  de  l'intérêt  légal  est  bornée  par  ce  dernier  article  aux 
cas  de  commerce  et  de  cautionnement. 

24  bis.  I.  L'article  1846  contient  une  double  exception  à  l'article 
1153  :  les  intérêts  sont  dus  de  plein  droit,  de  plus  la  société  peut 
obtenir  des  dommages  et  intérêts  dépassant  l'intérêt  légal  aussi  bien 
dans  le  cas  de  retard  que  dans  la  seconde  hypothèse  prévue,  c'est- 
à-dire  quand  l'associé  s'est  servi  de  sommes  qu'il  a  tirées  de  la 
caisse  sociale. 

Cette  double  exception  s'applique  aussi  bien  en  matière  de  société 
civile  qu'en  matière  de  société  commerciale.  Il  est  vrai  qu'en  ce  qui 
concerne  les  dommages  et  intérêts,  l'article  1153  n'annonce  d'excep- 
tion à  sa  règle  qu'en  matière  de  commerce  ou  de  cautionnement. 
Mais  ce  n'est  pas  une  raison  pour  restreindre  l'application  de  l'article 
1846.  Une  règle  générale  peut  toujours  subir  une  dérogation  en 
vertu  d'une  disposition  spéciale;  l'article  1153  a  prévu  deux  déro- 
gations, l'une  qui  a  trait  au  cas  de  rechange,  l'autre  au  cas  de 
fidéjussion;  le  législateur  en  a  plus  tard  introduit  une  troisième;  il 
n'y  a  rien  là  que  de  très-normal  et  de  très-ordinaire. 

24  bis.  IL  Une  exception  cependant  ne  doit  pas  en  faire  présumer 
une  autre.  Il  existe  une  règle  sur  les  dommages  et  intérêts  lorsque 
l'obligation  n'a  pas  pour  objet  une  somme  d'argent ,  elle  ne  se 
trouve  pas  dans  l'article  1153,  mais  dans  l'article  1146.  La  mise 
en  demeure  est  nécessaire  pour  que  les  dommages  et  intérêts  soient 
dus,  cette  règle  n'est  pas  atteinte  par  l'article  1846  qui  suppose 
une  dette  de  somme  d'argent;  il  faudra  donc,  pour  les  apports  qui 
ne  consistent  pas  en  argent,  rentrer  dans  la  règle  générale  du  titre 
des  obligations. 


TIT.  IX.  DU  CONTRAT  DE  SOCIÉTÉ.  ART.  1847,  1848.   17 

25.  Il  est  clair  que  la  double  obligation,  de  réaliser  l'apport 
promis,  et  de  tenir  compte  de  tout  ce  qui  est  perçu  du  fonds 
commun,  emporte,  pour  l'associé  qui  a  promis  son  industrie, 
celle  de  compter  de  tous  les  gains  provenant  de  l'espèce 
d'industrie  que  les  contractants  ont  eue  en  vue.  V.  art.  1847. 

26.  Tout  ce  qu'un  des  associés  reçoit  d'un  débiteur  de  la 
société  n'est  pas  par  cela  même  et  nécessairement  perçu  du 
fonds  commun.  L'associé  en  effet  peut  être,  pour  son  propre 
compte,  créancier  du  même  débiteur  à  un  autre  titre-,  en 
outre,  l'associé  a  dans  la  créance  même  de  la  société  une  part 
personnelle  essentiellement  divise.  Mais  la  bonne  foi  ne  per- 
met pas  à  l'associé  de  préférer  son  intérêt  a  celui  de  ses  asso- 
ciés, en  se  faisant  payer,  soit  de  sa  créance  personnelle,  soit 
de  sa  part  dans  la  créance  sociale,  et  laissant  les  autres  exposés 
aux  retards,  et  surtout  au  risque  de  l'insolvabilité  du  débiteur. 

27.  Si  donc  un  associé,  créancier  pour  son  propre  compte 
d'un  débiteur  social ,  reçoit  de  lui  une  somme  qui ,  d'après 
les  principes  généraux,  pouvait  également  s'imputer  sur  l'une 
ou  sur  l'autre  des  créances,  supposées  toutes  deux  exigibles 
(v.  art.  1256,  al.  1),  non-seulement  la  loi,  à  défaut  d'expli- 
cation, l'imputera  proportionnellement  sur  toutes  deux ,  mais 
elle  n'aura  aucun  égard  à  l'imputation  que  l'associé  aurait 
exclusivement  dirigée  sur  la  sienne.  Bien  entendu ,  au  con- 
traire, que  l'associé  pouvant  préférer  l'intérêt  des  autres  au 
sien  propre,  l'imputation  qu'il  ferait  sur  la  créance  de  la  so- 
ciété devrait  être  suivie.  V.  art.  1848  $  et  remarquez  que 
notre  article  ne  déroge  pourtant  pas  à  la  faculté  accordée  au 
débiteur  par  l'article  1253. 

27  bis.  I.  En  appliquant  au  cas  d'imputation  des  paiements  la 
règle  que  l'associé  doit  veiller  aux  intérêts  sociaux  comme  aux  siens 
propres,  l'article  1848  semble  faire  subir  une  dérogation  aux  prin- 
cipes posés  par  le  titre  des  obligations  dans  la  section  qui  traite 
de  l'imputation  des  paiements.  Il  n'en  est  rien  toutefois;  si,  tenant 
compte  du  motif  de  l'article  1848,  on  restreint  cet  article  dans  des 
limites  raisonnables,  on  arrive  à  respecter  à  la  fois  l'article  1848  et 
les  articles  1253-1256. 

vin.  2 


18  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

27  bis.  II.  Ainsi,  il  n'est  pas  possible  d'admettre  que  le  débiteur 
soit  privé  du  droit  de  déclarer  quelle  dette  il  entend  acquitter,  à 
raison  de  ce  fait  qu'il  a  pour  créanciers  l'associé  et  la  société.  La 
règle  sur  les  devoirs  des  associés  les  uns  envers  les  autres  ne  peut 
avoir  aucune  influence  sur  la  situation  du  débiteur,  il  faut  donc  ré- 
server l'application  de  l'article  1253.  Le  débiteur  pourra  déclarer 
quelle  dette  il  entend  acquitter.  Il  est  vrai  que  peut-être  il  fera 
cette  déclaration  sous  l'influence  de  l'associé  son  créancier,  et  qu'a- 
lors on  arrive  à  éluder  l'article  1848.  Mais,  outre  que  cette  entente 
cordiale  entre  un  créancier  et  son  débiteur  n'est  pas  très-ordinaire, 
nous  dirons  que,  si  l'intention  frauduleuse  apparaît,  les  tribunaux 
auront  toujours  le  droit  de  réprimer  la  fraude.  Mais  la  possibilité  de 
cette  fraude  un  peu  rare  ne  suffit  pas  pour  annuler  préventivement, 
et  par  une  sorte  de  présomption,  l'acte  accompli  par  le  débiteur  en 
vertu  d'un  droit  très-précieux  pour  lui  et  qui  est  consacré  par  un 
article  du  Code  civil. 

27  bis.  III.  Puisque  nous  réservons  l'application  de  l'article  1253, 
à  fortiori  nous  réserverons  aussi  l'effet  de  l'article  1256.  Ici  la  fraude 
n'est  plus  même  possible,  l'imputation  est  légale,  et  elle  se  fait  dans 
l'intérêt  du  débiteur.  L'article  attribue  donc  à  celui-ci  un  droit  dont 
il  serait  injuste  de  le  dépouiller  en  raison  des  rapports  qui  existent 
enlre  ses  deux  créanciers. 

La  double  réserve  que  nous  venons  de  faire,  quant  aux  articles 
1253  et  1256,  n'est  pas  condamnée  par  l'article  1848,  car  cette 
dernière  disposition  suppose  que  l'associé  a  dirigé  l'imputation  dans 
la  quittance,  ce  qui  nous  place  dans  l'espèce  régie  parl'article  1255. 
C'est  alors  seulement,  l'imputation  ayant  été  indifférente  au  débi- 
teur, qu'elle  peut  être  faite  sans  injustice  dans  un  autre  sens  que 
celui  qui  est  indiqué  par  la  quittance. 

27  bis.  IV.  Mais  dans  le  cas  prévu  par  l'article  1848,  il  nous 
semble  qu'il  faut  prendre  sa  décision  à  la  lettre,  et  ne  pas  se  con- 
tenter de  dire  qu'il  s'agit  de  régler  les  rapports  de  l'associé  avec  la 
société  ;  que  la  dette  éteinte  sera  bien  celle  qui  est  désignée  par  la  quit- 
tance; mais  que  l'associé  devra  tenir  compte  à  la  société  de  la  somme 
par  lui  perçue,  et  établir  un  compte  proportionnel  entre  sa  créance 
et  celle  de  la  société.  Ce  n'est  pas  là  ce  que  dit  l'article  1848;  il 
donne  une  règle  d'imputation,  c'est-à-dire  une  règle  ayant  ses 
effets  par  rapport  au  débiteur;  par  conséquent,  il  ne  faudra  pas 
traiter  l'une  des  dettes  comme  existante  et  l'autre  comme  éteinte; 


TIT.  IX.  DU  CONTRAT  DE  SOCIÉTÉ.  ART.  1848,  1819.   49 

il  faudra,  pour  appliquer  l'article,  les  traiter  toutes  deux  comme 
éteintes  en  partie  par  le  paiement  qui  s'est  réparti  proportionnel- 
lement sur  chacune  d'elles  (1). 

28.  Pareillement,  ce  qu'un  des  associés  reçoit  du  débiteur 
social  ne  doit  point  s'imputer  sur  la  part  que  cet  associé  avait 
dans  la  créance,  mais  appartient  à  la  masse  commune. 
Du  moins  la  loi  veut-elle  que  si  l'insolvabilité  du  débiteur 
empêche  ensuite  les  autres  associés  d'être  payés  intégrale- 
ment, celui  qui  a  reçu  sa  part  entière  fasse  le  rapport  de  ce 
qu'il  a  reçu,  de  manière  que  tous  les  associés  soient  trai- 
tés également ,  c'est-a-dire  que  chacun  reçoive  un  divi- 
dende proportionné  à  son  intérêt.  Cette  règle  s'applique  au 
cas  même  où  l'associé  qui  a  reçu  aurait  spécialement  donné 
quittance  pour  sa  part.  V.  art.  1849;  et  a  ce  sujet  Ulp.,  L*.  63, 
§  5,  D.  pro  soc;  v.  pourtant  Paul,  L.  38,  D.fam.  ercise. 

28  bis.  I.  La  règle  de  l'article  1849  découle,  comme  celle  de  l'ar- 
ticle précédent,  de  cette  idée  que  l'associé  doit  veiller  sur  les  affaires 
communes  comme  sur  les  siennes  propres.  Il  encaisse  sa  part  d'une 
créance  commune;  dans  le  système  qui  n'admet  pas  la  personnalité 
de  la  société,  il  touche  ce  qui  lui  est  dû,  car  la  créance  est  divisée 
de  plein  droit,  cependant  il  ne  peut  pas  conserver  ce  qu'il  a 
encaissé,  parce  que,  ayant  mandat  de  recevoir  les  parts  de  ses  co- 
associés, il  aurait  dû  exiger  le  paiement  de  ces  parts,  il  a  eu 
tort  de  ne  songer  qu'à  lui-même,  et  il  s'est  placé  dans  la  situation 
d'un  associé  qui  recevrait  un  acompte  pour  la  caisse  sociale. 

28  bis.  11.  L'hypothèse  propre  de  l'article  est  celle  où  la  part  de 
dette  est  éteinte  par  un  paiement,  et  il  ne  faut  pas  étendre  sans 
distinction  sa  décision  au  cas  de  compensation.  On  a  dit  :  la  com- 
pensation produit  ses  effets  de  plein  droit,  et  l'associé  n'a  pas  man- 
qué à  son  devoir  lorsque  s'est  produit  l'événement  qui  a  éteint 
sa  part  de  la  créance.  Ce  raisonnement  ne  nous  paraît  acceptable 
qu'autant  que  la  cause  de  compensation  est  antérieure  à  la  nais- 
sance de  la  créance  sociale,  ou  que,  si  elle  est  postérieure,,  l'associé 
est  devenu  débiteur  du  débiteur  social  par  un  fait  indépendant  de 
sa  volonté,  par  exemple  en  devenant  héritier  d'un  débiteur  du 

(1)  V.t.  V,  n°201  bis.  V. 

2. 


20  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

débiteur  social.  Si  l'on  n'admet  pas  ces  réserves,  il  dépendra  de  l'as- 
socié de  se  rendre  débiteur  du  débiteur  social  pour  arriver  par  une 
compensation  aux  résultats  qu'il  ne  peut  pas  atteindre  par  un 
paiement,  c'est-à-dire  à  éluder  l'article  1849  en  sauvant  sa  part  de 
la  créance  sociale  sans  se  préoccuper  de  la  part  de  son  coassocié. 
29.  Chaque  associé  doit  ses  soins  aux  affaires  communes  5  ce 
qui,  d'une  part,  le  rend  responsable  du  tort  provenant  de  sa 
faute,  et,  d'autre  part,  exclut  la  compensation  entre  les  dom- 
mages qu'il  aurait  causés  et  les  profits  qu'il  aurait  procurés. 
V.  art.  1850;  et  à  ce  sujet  Paul,  L.  25-,  Ulp.,  L.  26,  D.  pro 
soc.  Du  reste,  on  peut  tenir  pour  règle  que  les  soins  dus  par 
l'associé  sont  en  général  ceux  d'un  bon  père  de  famille  (v.  art. 
1137),  sans  pouvoir  jamais  être  moindres  que  ceux  qu'il  donne 
à  ses  propres  affaires. 

29  bis.  I.  Pothier  disait,  au  numéro  124  du  Traité  de  la  société  : 
On  ne  peut  exiger  de  l'associé  que  le  soin  dont  il  est  capable  et 
qu'il  apporte  à  ses  propres  affaires  ;  il  justifiait  cette  décision  par  la 
raison  qu'alléguaient  les  jurisconsultes  romains  :  les  associés  doivent 
s'imputer  à  eux-mêmes  de  s'être  associés  avec  lui  (1.  72,  D.  p ro  tocio). 
Cette  doctrine  ne  saurait  être  admise  sous  l'empire  du  Code  civil 
qui  a  donné,  dans  l'article  1137,  une  règle  unique  sur  la  respon- 
sabilité du  débiteur.  Le  débiteur,  quel  que  soit  le  contrat,  doit 
apporter  aux  choses  dont  il  est  chargé  tous  les  soins  d'un  bon  père 
de  famille. 

C'est  certainement  pour  rester  fidèles  à  la  théorie  de  l'article  1137 
que  les  rédacteurs  du  Code  civil,  qui  empruntent  à  Pothier  presque 
toutes  les  règles  formulées  par  les  articles  de  notre  section,  et 
notamment  celle  qui  termine  l'article  1850,  où  il  est  question  de 
la  faute,  ne  reproduisent  pas  dans  ce  même  article  l'observation  si 
importante  de  Pothier  touchant  la  manière  d'apprécier  la  faute 
dont  l'associé  sera  tenu  (1). 

29  bis.  II.  Un  auteur  a  cependant  essayé  de  faire  revivre  la  doc- 
trine ancienne  sur  la  faute  appréciée  tn  concreto  pour  permettre  aux 
tribunaux  de  modérer  la  responsabilité  du  débiteur  dans  certains 
contrats.  Mais  nous  avons  essayé  de  démontrer  au  titre  des  contrats 
que  cette  doctrine  est  absolument  contraire  au  texte  de  l'ar- 

(1)  V.  Pothier,  Traité  de  la  société,  n°  124. 


TIT.  IX.  DU  CONTRAT  DE  SOCIÉTÉ.  ART.  4850,  1851.        21 

ticle  1137  qui,  dans  sa  disposition  principale,  n'admet  qu'une  seule 
mesure  de  la  responsabilité,  celle  qui  prend  pour  type  le  bon  père 
de  famille.  Il  est  vrai  que  le  deuxième  paragraphe  de  l'article  laisse 
aux  juges  une  certaine  latitude  quant  a  la  détermination  du  type, 
à  l'estimation  de  ce  qu'est  un  bon  père  de  famille,  mais  le  principe 
n'est  pas  abandonné  pour  cela,  et  la  loi  n'admet  pas  qu'on  prenne 
pour  modèle,  pour  terme  de  comparaison  le  débiteur  lui-même  (1). 
29  bis.  III.  Il  faut  s'arrêter  un  instant  sur  la  dernière  observation 
de  M.  Demante  :  les  soins  ne  peuvent  jamais  être  moindres  que 
ceux  qu'il  donne  à  ses  propres  affaires.  Certes,  quand  l'associé  sera 
lui-même  un  propriétaire  donnant  à  ses  affaires  la  moyenne  des  soins 
que  donne  un  bon  père  de  famille,  l'indulgence  du  juge  ne  pourra 
pas  se  contenter  d'une  diligence  moindre;  mais  si  par  hasard  il  était 
un  propriétaire  au-dessus  de  la  moyenne,  exagérant  le  soin  quant 
à  ses  propres  affaires,  on  ne  pourrait  pas  lui  demander  cette  dili- 
gence exceptionnelle,  parce  qu'on  sortirait  des  termes  de  l'article 
1137,  qui  se  contente  des  soins  d'un  bon  père  de  famille. 

§  ni. 

Des  obligations  de  la  société  envers  chaque  associé. 

30.  Les  obligations  de  la  société  euvers  chaque  associé  sont 
relatives  :  1°  a  la  restitution  de  l'apport,  si  la  jouissance  seule- 
ment en  a  été  mise  clans  la  société  (art.  1851);  2°  aux  diverses 
indemnités  qui  peuvent  être  dues  à  l'associé  (art.  1852). 

31 .  On  aperçoit  d'abord  que  la  restitution  de  l'apport  n'est 
due  que  dans  la  supposition  que  c'est  la  jouissance  et  non  la 
propriété  qui  a  été  mise  en  commun.  Mais,  dans  ce  cas  même, 
la  société  peut  avoir  acquis  la  propriété  des  corps,  à  la  charge 
d'en  rendre  l'équivalent.  A  cet  égard,  il  est  évident  que  pour 
les  objets  dont  la  société  n'est  pas  devenue  propriétaire,  elle 
est  débitrice  de  corps  certains  ;  conséquemment,  que  ces  objets 
sont  aux  risques  de  l'associé  créancier.  Au  contraire,  les  objets 
dont  la  société  est  devenue  propriétaire,  sont  a  ses  risques, 
car  alors  elle  est  débitrice  de  quantité.  Dans  cette  dernière 

(1)  V,  t.  V,  n'bibis.  I-IV. 


22  COUHS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

catégorie  sont  placées  ici  non-seulement  les  choses  qui  se 
consomment  par  l'usage,  mais  aussi  celles  qui  se  détériorent 
en  les  gardant.  Il  en  est  de  même  naturellement  de  celles  qui 
sont  destinées  à  être  vendues  ou  de  celles  qui  sont  livrées  sur 
estimation.  Observons  seulement  que  la  loi  suppose  l'estima- 
tion portée  par  un  inventaire,  ce  qui  ne  peut  s'appliquer  qu'a 
des  effets  mobiliers. 

Il  suit  au  surplus  de  ces  principes  que  la  chose  estimée  ne 
peut  être  répétée  en  nature,  et  que  l'estimation  seule  en  est 
due.  V.  art.  1851. 

31  bis.  I.  En  principe,  l'associé  ne  peut  pas  reprendre  son  apport, 
Même  à  la  dissolution  de  la  société;  cet  apport  est  compris  dans  le 
k>nds  social  qui  doit  être  partagé.  Mais  ceci  suppose  un  apport  en 
propriété;  si  l'apport  consiste  en  jouissance,  il  est  clair  que  le  droit 
de  reprise  appartient  à  l'associé  lorsque  la  société  prend  fin,  soit 
qu'on  ait  apporté  le  droit  réel  de  jouissance,  soit  que  l'associé  ait 
seulement  promis  de  faire  jouir  la  société,  ce  qui  entraîne  toujours 
pour  l'exécution  de  cette  obligation  une  mise  en  possession  de  la 
société  créancière  de  l'apport. 

Le  Code  n'a  pas  mis  en  doute  le  droit  de  reprise  de  l'associé  qui 
a  effectué  un  apport  en  jouissance,  il  a  seulement  réglementé  cette 
reprise. 

Les  décisions  de  l'article  sont  en  parfaite  harmonie  avec  les  prin- 
cipes généraux,  les  corps  certains  doivent  être  rendus  en  nature,  et  les 
quantités  par  équivalent;  de  plus,  il  pourra  arriver  que  des  corps 
certains  aient  été  assimilés  par  la  convention  à  des  quantités,  et 
que  la  restitution  soit  due  en  équivalent.  Cette  convention  peut  être 
expresse,  elle  sera  tacite  lorsqu'on  aura  estimé  les  choses  mises 
en  société.  Il  est  probable  toutefois  que  cette  dernière  règle  ne 
s'applique  qu'aux  meubles,  la  loi  n'admettant  pas  d  ordinaire,  quant 
aux  immeubles,  la  règle  romaine,  qui  disait  :  l'estimation  vaut 
vente  (art.  1551,  1552). 

On  voit  quel  intérêt  il  y  a  à  distinguer;  au  point  de  vue  de  la  res- 
titution, l'apport  en  propriété  et  l'apport  en  jouissance;  il  reste  à 
donner  une  règle  pour  interpréter  la  convention  d'apport  dans  un 
sens  ou  dans  l'autre  lorsqu'elle  n'est  pas  suffisamment  explicative. 
C'est  une  pure  question  d'intention,  les  juges  doivent  chercher 
dans  les  faits  des  renseignements  sur  la  volonté  des  parties;  mais 


T1T.    IX.    DU    CONTRAT    DE   SOCIÉTÉ.    ART.    1851,    4852.       23 

dans  le  doute  il  nous  semble  que  la  promesse  doit  s'entendre  dans 
son  sens  simple  et  naturel ,  et  que  dès  lors  la  promesse  d'apporter 
10,000  francs,  mille  balles  de  coton,  ou  un  immeuble,  doit  être 
considérée  comme  une  promesse  de  propriété. 

32.  L'indemnité  due  à  un  associé  par  la  société  s'applique 
d'abord  évidemment  aux  déboursés  qu'il  aurait  faits  pour  elle; 
elle  s'applique  même  aux  simples  obligations  qu'il  aurait  per- 
sonnellement contractées  pour  les  affaires  communes;  la  loi 
y  met  seulement  cette  condition  qu'elles  aient  été  contractées 
de  bonne  foi.  Enfin  l'indemnité  comprend  les  risques  et  hasards 
courus  par  l'associé;  mais  pour  cela  il  faut  qu'ils  soient  insé- 
parables de  sa  gestion.  V.  art.  1852;  et  remarquez  :  1°  que  la 
condition  de  bonne  foi  paraît  applicable  aux  dépenses  comme 
aux  obligations  de  l'associé-,  2°  que  la  bonne  foi  dans  laquelle 
l'associé  aurait  agi  ne  suffirait  pas  pour  lui  assurer  une  entière 
indemnité;  il  faudrait  de  plus  que  sa  conduite  ne  constituât 
pas  une  faute  (v.  art.  1850);  3°  qu'on  ne  doit  pas  considérer 
comme  risques  de  la  gestion,  donnant  lieu  à  indemnité,  toute 
perte  éprouvée  par  l'associé  à  l'occasion  de  la  société  (v.  à  ce 
sujet  Pomp.,  L.  60,  §  1  ;  Ulp.f  L.  91,  L.  52,  §  4,  D.  pro 
soc). 

32  bis.  I.  En  parlant  des  risques  inséparables  de  la  gestion,  l'article 
manifeste  clairement  cette  pensée  que  toute  perte  éprouvée  par 
l'associé  en  faisant  les  affaires  de  la  société  ne  doit  pas  être  l'objet 
d'une  indemnité.  Exemple  :  l'associé  a  emporté  dans  un  voyage,  qu'il 
faisait  pour  les  affaires  sociales,  une  somme  importante  hors  de  pro- 
portion avec  ce  qui  était  nécessaire,  des  bijoux  précieux,  il  en  a  été 
dépouillé  par  des  voleurs;  on  peut  dire  qu'il  s'est  exposé  volon- 
tairement au  risque,  et  que  les  affaires  de  la  société  ne  sont  pas  la 
cause  directe  du  préjudice  qu'il  a  éprouvé  (1). 

32  bis.  II.  L'associé  a  droit  au  remboursement  de  ses  déboursés.; 
le  Code  ne  dit  pas  s'il  faut  lui  attribuer  les  intérêts  de  plein  droit, 
comme  il  a  dit,  à  l'article  1846,  que  l'associé  débiteur  de  son  apport 
était  de  plein  droit  débiteur  des  intérêts.  On  peut  être  tenté  d'appliquer 
ici  l'article  2001,  en  présentant  l'associé  comme  mandataire  de  ses 

(1)  V.  Pothier,  n°  129. 


24  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.   III. 

coassociés  ;  mais  si  l'on  considère  que  le  contrat  de  société  se  suffit 
à  lui-même,  que  les  obligations  des  associés  sont  réglées  spécialement 
dans  notre  titre,  on  pensera  qu'il  est  difficile  de  dire  qu'en  droit  un 
associé  est  un  mandataire;  d'un  autre  côté,  comme  l'article  2001 
contient  une  exception  à  une  règle  générale,  celle  de  l'article  1 153, 
nous  déciderons  que  cet  article  2001  ne  peut  pas  être  étendu  à  un 
cas  qui  n'est  pas  compris  dans  son  texte. 

33.  Observons  ici  que  les  obligations  de  la  société  envers 
chacun  de  ses  membres,  comme  en  général  toutes  les  obligations 
de  la  société,  se  divisent  entre  les  associés,  et  que  chacun  en 
est  tenu  pour  sa  part.  Si  pourtant  il  s'en  trouvait  quelqu'un 
d'insolvable,  les  principes  de  la  matière  ne  permettraient  pas 
de  laisser  à  la  charge  exclusive  de  l'associé  créancier  la  perte 
qui  en  résulte;  cette  perte  serait  contributoirement  répartie 
entre  tous  (v.  Paul,  L.  67,  D.  pro  soc;  et  à  ce  sujet  article 
876,  1215). 

S  IV. 

Des  parts  de  chaque  associé  dans  les  gains  et  les  pertes  de  la  société. 

34.  C'est  à  la  convention  à  régler  en  général  les  parts  de 
chaque  associé.  Toutefois  la  loi  elle-même  fait  ce  règlement, 
d'après  l'intention  présumée  des  parties,  lorsqu'elles  ne  se 
sont  pas  expliquées  $  elle  proscrit  d'ailleurs  certaines  clauses, 
trop  contraires  à  l'égalité,  qui  fait  la  base  de  ce  contrat,  pour 
que  les  obligations  qui  en  résulteraient  fussent  réputées  avoir 
une  cause  licite. 

35.  A  défaut  d'explication,  la  loi  admet  d'abord  une  sup- 
position bien  naturelle,  c'est  que  la  part  dans  les  pertes  doit 
être  la  même  que  la  part  dans  les  bénéfices.  Quant  a  cette  part, 
la  loi  la  règle  en  raison  de  la  valeur  comparée  des  apports 
respectifs.  V.  art.  1853,  al.  1  (v.  pourtant  £%,  L.  29,  D.  pro 
soc;  Just.,  Inst.,  §  1,  de  societ.;  v.  aussi  Ulp.,  L.  5,  §  1,  D. 
pro  soc).  Observons,  au  reste,  que  s'il  n'apparaissait  du  con- 
traire, les  apports  respectifs  seraient  facilement  supposés  être 


TIT.    IX.    DU    CONTRAT   DE    SOCIÉTÉ.    ART.    4852,    1853.       25 

tous  de  la  même  valeur-,  ce  qui  attribuerait  à  chaque  associé 
une  part  égale. 

36.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'application  de  la  règle  est  simple 
si  tous  les  apports  consistent  en  sommes  ou  effets.  Que  si  l'un 
ou  quelques-uns  des  apports  ne  consistent  que  dans  l'industrie, 
dont  la  valeur  est  nécessairement  incertaine,  on  peut  bien 
encore,  lorsque  tous  les  autres  apports  sont  égaux,  supposer 
que  l'apport  en  industrie  a  été  jugé  de  la  même  valeur  que  les 
autres,  et  attribuer  en  conséquence  à  tous  les  associés  des  parts 
égales.  Mais  la  loi  a  dû  s'expliquer  sur  la  valeur  présumée  de 
l'apport  en  industrie,  quand  les  autres  apports  sont  d'une  valeur 
inégale;  il  est  censé  alors  équivaloir  à  la  plus  faible  des  mises. 
V.  art.  1853,  al.  2. 

36  bis.  I.  L'article  donne  une  règle  très-simple  en  ce  qui  concerne 
l'appréciation  de  l'apport  en  industrie,  quand  l'un  des  associés 
n'apporte  que  son  industrie  ;  il  faut  bien  alors  assigner  une  valeur 
à  cet  apport,  sinon  l'associé  n'aurait  aucune  part  dans  les  bénéfices, 
et  la  société  serait  nulle. 

Mais  il  est  une  hypothèse  bien  fréquente  et  sur  laquelle  la  loi  ne 
nous  renseigne  pas  nettement;  l'associé  apporte,  et  son  industrie,  et 
de  l'argent  ou  d'autres  valeurs.  Faudra-t-il  alors  ne  tenir  compte 
que  de  l'apport  en  argent  et  assimiler  l'associé  qui  fait  ce  double 
apport  à  un  autre  qui  aurait  mis  en  société  la  même  somme  sans 
promettre  son  industrie?  Cette  solution  pourrait  s  appuyer  sur  le 
texte  de  l'article,  qui  paraît  ne  prendre  en  considération  l'apport  en 
industrie  que  dans  l'hypothèse  où  c'est  l'unique  mise  de  l'un  des 
associés.  Cette  solution  nous  paraîtrait  injuste  ;  puisque  la  loi  con- 
sidère en  un  cas  l'apport  en  industrie  comme  ayant  une  valeur 
égale  à  celle  du  plus  faible  apport  en  argent,  comment  dans  un 
autre  cas  tenir  cet  apport  pour  insignifiant  et  sans  valeur?  Non-seu- 
lement la  solution  est  injuste,  mais  elle  ne  nous  est  pas  imposée  par 
l'article  ;  nous  n'y  lisons  pas  que  l'apport  en  industrie  n'est  tenu 
pour  une  valeur  que  dans  le  cas  où  il  n'est  pas  augmenté  d'un  autre 
apport.  L'hypothèse  de  l'apport  double  est  simplement  omise  par  la 
loi;  nous  pouvons  donc  la  régir  en  nous  inspirant  de  la  solution 
donnée  à  l'hypothèse  prévue.  Ce  faisant,  nous  ne  violons  pas  le  texte, 
qui  fixe  uniquement  le  droit  afférent  à  l'apport  simple  en  industrie, 


26  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

et  qui  nous  laisse  la  liberté  de  régler  par  interprétation  ce  qui 
revient  à  un  apport  composé  de  deux  éléments;  cet  apport  n'aura 
pas  une  part  égale  à  celle  du  moindre  apport  en  argent,  voilà  tout 
ce  que  dit  l'article  quand  on  y  cherche  un  raisonnement  à  con- 
trario; il  n'aura  pas  cette  part,  il  en  aura  une  supérieure  ou 
inférieure,  c'est  ce  que  la  loi  ne  dit  pas  et  ce  que  le  juriconsulte 
est  libre  de  décider  en  s'inspirant  de  l'esprit  même  de  l'article. 

36  bis.  II.  Si  nous  rentrons  maintenant  dans  le  cas  prévu,  il  y  a 
encore  un  point  qui  reste  douteux;  lorsque  la  société  a  été  con- 
tractée pour  un  certain  temps  et  qu'elle  est  dissoute  prématurément, 
pourra-t-on  donner  à  l'apport  en  industrie  toute  l'importance  que 
lui  assigne  l'article?  On  l'a  considéré  comme  égal  à  un  apport  en 
argent  parce  qu'on  a  envisagé  la  durée  qu'on  donnait  à  la  société; 
l'un  apportait  100,000  francs,  l'autre  son  industrie  pour  dix  ans; 
on  pouvait  trouver  ces  deux  apports  égaux  ;  mais  si  la  société  n'a 
duré  que  deux  ans,  le  premier  associé  a  effectué  son  apport  com- 
plet, l'autre  n'en  a  fourni  que  les  deux  dixièmes,  ils  ne  peuvent 
pas  être  traités  également.  11  faudra  donc  en  pareil  cas  que  les  tri- 
bunaux évaluent  ce  que  représentait  dans  l'apport  total  en  industrie 
l'apport  partiel  qui  a  été  effectué,  et  la  proportion  s'établira  en 
prenant  pour  base  cette  évaluation. 

37.  Les  associés  peuvent,  au  lieu  de  régler  eux-mêmes  les 
parts,  s'en  rapporter  sur  ce  point  soit  a  l'un  d'eux,  soit  à  un 
tiers.  Ce  règlement,  qui  tire  alors  sa  force  des  pouvoirs  donnés 
par  tous,  devrait  naturellement  être  inattaquable.  Toutefois, 
les  pouvoirs  n'étant  donnés  que  sous  la  condition  tacite  que 
l'opération  sera  faite  de  bonne  foi,  l'iniquité  évidente  donne- 
rait lieu  a  réparation.  Mais  les  plaintes  à  cet  égard  ne  seraient 
admises  que  dans  un  délai  dont  la  brièveté  s'explique  par  la 
condition  d'évidence,  et  que  la  loi  tixe  pour  chacun  a  trois 
mois,  à  partir  de  la  connaissance  qu'il  a  eue  du  règlement. 
Il  est  clair,  en  outre,  que  l'attaque  serait  interdite  a  celui 
qui  aurait  approuvé  le  règlement,  en  commençant  a  l'exé- 
cuter. V.  art.  1854. 

38.  La  détermination  des  parts  en  raison  de  la  valeur  des 
apports  respectifs,  et  leur  égalité  dans  le  gain  et  dans  la  perle, 
ne  sont,  comme  on  l'a  dit,  établies  par  la  loi  que  sauf  con- 


T1T.    IX.    DU    CONTRAT    DE    SOCIÉTÉ.    ART.     1853-1855.        27 

vendons  contraires.  Ces  conventions,  qui  ne  seraient  pas 
nécessairement  illicites,  par  cela  seul  qu'elles  constitueraient 
pour  un  ou  plusieurs  des  associés  quelque  avantage  (nonobstant 
Ulp.j  L.5,  §2,  D.  pro  soc;  \.  Ulp.,  L.  38,  D.  de  contr.  emp.), 
ne  seraient  même  le  plus  souvent,  vu  la  diversité  des  industries, 
qu'un  moyen  d'établir  une  égalité  plus  parfaite. 

Mais  on  détruirait  l'essence  de  la  société,  où  chacun  n'entre 
que  pour  gagner  (art.  1832),  si  l'on  attribuait  a  un  seul,  ajou- 
tons, ou  a  quelques-uns  des  associés,  la  totalité  des  bénéfices 
(v.  Ulp.,  L.  29,  §  2,  D.  pro  soc).  Aussi  pareille  convention 
serait-elle  nulle.  V.  art.  1855,  al.  1. 

39.  Quoiqu'il  ne  paraisse  pas  également  contraire  à  l'essence 
de  la  société  d'affranchir  des  perles,  en  le  laissant  participer 
aux  gains,  un  associé  qui  pourrait  compenser  cet  avantage 
par  la  supériorité  de  son  industrie  (v.  Ulp.,  L.  29,  §  1 ,  D.  pro 
soc,  Jus  t.,  §  2,  Inst.,  de  societ.),  la  loi  néanmoins,  dans  la 
crainte  de  l'usure,  réprouve  et  annule  la  convention  qui  affran- 
chirait ainsi  les  sommes  ou  effets  mis  dans  la  société.  V.  art. 
1855,  al.  dernier. 

39  bis.  I.  La  loi  réprouve  un  certain  nombre  de  conventions  qui 
seraient  destructives  du  contrat  de  société. 

D'abord  la  clause  dont  nous  avons  déjà  parlé,  qui  priverait  un 
ou  plusieurs  des  associés  de  toute  participation  aux  bénéfices. 

Ensuite  elle  s'occupe  des  clauses  relatives  aux  pertes;  bien  qu'elle 
ait  établi  en  principe  l'identité  des  parts  de  gain  et  des  parts  de  perte, 
elle  ne  fait  pas  de  cette  règle  une  prescription  imposée  aux  parties. 
Elle  comprend  qu'il  peut  être  utile  d'avantager,  au  point  de  vue  des 
pertes,  un  certain  associé  qui  consacrerait  peut-être  aux  affaires  de 
la  société  un  plus  grand  talent  ou  plus  de  temps  que  les  autres. 

Mais  ce  qu'elle  ne  permet  pas,  c'est  de  soustraire  à  toute  contri- 
bution aux  pertes  les  sommes  ou  effets  mis  dans  le  fonds  social  par 
un  ou  plusieurs  des  associés.  On  aurait  pu,  pour  justifier  cette  clause, 
présenter  la  considération  que  nous  venons  d'indiquer,  alléguer  que 
cet  avantage  est  compensé  par  l'industrie  de  l'associé  ;  mais  la  loi 
a  craint  que  ce  ne  fût  là  un  prétexte,  et  qu'en  réalité  il  ne  s'agît  pour 
l'une  des  parties  de  tirer  de  son  argent  un  profit  usuraire.  L'associé 
en  effet  qui  fournit  de  l'argent  et  qui,  ne  devant  pas  subir  le  contre- 


28  COURS   ANALYTIQUE    DE   CODE   CIVIL.    LIV.    III. 

coup  des  pertes,  est  sûr,  sauf  le  cas  d'insolvabilité  des  autres,  de 
rentrer  dans  son  capital,  est  un  prêteur  déguisé  en  associé,  et  la 
convention  qu'il  fait  lui  assure  une  part  dans  les  bénéfices  qu'on 
suppose  devoir  dépasser  l'intérêt  légal.  Dans  la  doctrine  de  nos  lois 
actuelles  sur  l'intérêt  de  l'argent,  ce  qui  légitime  en  faveur  d'un 
associé  la  perception  de  dividendes  dépassant  5  ou  6  pour  100,  c'est 
que  son  capital  est  exposé  à  des  diminutions  par  suite  des  pertes 
possibles.  Dès  que  vous  supprimez  la  chance  de  pertes,  on  se  trouve 
dans  l'hypothèse  où  la  loi  de  1807  ne  permet  pas  de  percevoir  plus 
de  5  ou  6  pour  100. 

39  bis.  II.  Il  résulte  de  ce  que  nous  venons  de  dire  que  si  la 
fixation  de  la  contribution  aux  pertes  était  tellement  avantageuse 
à  l'un  des  associés  qu'il  n'en  dût  supporter  qu'une  très-faible 
partie,  la  convention  pourrait  encore  être  attaquée  comme  violant 
l'article  1855,  parce  qu'elle  permettrait  des  perceptions  usuraires. 
Il  y  a  là  une  question  d'appréciation  et  de  calcul  proportionnel  qu'il 
appartiendrait  aux  tribunaux  d'examiner. 

39  bis.  III.  Nous  l'avons  dit  plus  haut,  l'associé  qui  n'apporte 
que  son  industrie  peut  être  soustrait  aux  perles;  l'article  ne  défend 
pas  cette  convention,  et  le  motif  que  nous  lui  attribuons  démontre 
l'intention  du  législateur;  celui  qui  apporte  son  industrie  seule  ne 
peut  pas  être  assimilé  à  un  prêteur,  l'usure  n'est  pas  possible  de  sa 
part,  et  une  stipulation  qui  lui  serait  trop  avantageuse  ne  saurait 
tomber  sous  le  coup  de  la  loi  du  3  septembre  1807.  Aussi  bien, 
l'homme  qui  aura  consacré  plusieurs  années  à  travailler  pour  la 
société,  et  qui  se  trouvera,  à  la  dissolution,  en  présence  d'une  société 
en  déficit,  aura  peut-être  perdu  autant  que  les  autres  associés, 
puisque  son  temps  et  son  industrie  auront  été  fournis  pour  rien  à 
la  société.  Time  is  money. 

39  bis.  IV.  Dans  les  hypothèses  où  l'article  1855  prononce  la 
nullité  de  la  convention,  ce  n'est  pas  seulement  la  clause  qui  est 
nulle,  mais  la  convention  de  société  tout  entière.  S'il  en  était 
autrement,  la  loi  substituerait  sa  volonté  à  celle  des  parties,  car  un 
contrat  est  un  ensemble  dont  les  diverses  stipulations  s'enchaînent 
et  s'équilibrent  les  unes  les  autres.  Tel  des  contractants  n'aurait  pas 
consenti  à  former  la  société  s'il  n'avait  compté  sur  l'effet  de  la  clause 
que  la  loi  interdit,  et  il  est  profondément  raisonnable  d'appliquer 
aux  clauses  des  contrats  quand  elles  sont  illicites,  ce  que  dit  la  loi 
des  conditions  proprement  dites  quand  elles  sont  contraires  aux  lois. 


TIT.    IX.    DU    CONTRAT    DE    SOCIÉTÉ.    ART.    1855,    1856.       29 

40.  Remarquons,  au  reste,  que,  dans  tous  les  cas  où  la 
part  dans  les  pertes  n'est  pas  égale  a  la  part  des  bénéfices,  les 
bénéfices  ne  se  calculent  que  déduction  faite  de  la  perte  (v. 
Paul,  L.  30,  D.  pro  soc,  Just.,  Inslit.,  §  2,  de  societ.). 

§  v. 

De  l'administration  de  la  société,  et  des  pouvoirs  de  chaque  associé. 

41.  Ce  n'est  aussi  qu'à  défaut  de  stipulations  spéciales  que 
la  loi  règle  le  mode  d'administration  et  les  pouvoirs  de  chaque 
associé.  A  cet  égard,  elle  fixe  d'abord  l'effet  des  clauses  les 
plus  usitées  (art.  1857-1858).  Elleentre  ensuite  dans  quelques 
détails  sur  les  pouvoirs  que  les  parties  sont  censées,  en  l'absence 
de  toute  clause,  s'être  mutuellement  conférés-,  plus  générale- 
ment elle  détermine  le  droit  qu'a  chacun  des  associés  sur 
les  choses  dépendant  de  la  société  (art.  1859-1861). 

42.  Souvent  un  des  associés  est  chargé  de  l'administration 
par  une  clause  spéciale  du  contrat  de  société.  La  loi  ne  s'oc- 
cupe pas  de  l'étendue  de  ses  pouvoirs  :  sur  ce  point,  il  faut 
évidemment  se  référer  au  titre  qui  les  constitue,  et,  dans  le 
silence  du  titre,  appliquer  les  règles  concernant  le  mandat 
conçu  en  termes  généraux  (v.  art.  1988, 1989).  Mais  le  pou- 
voir conféré  à  l'associé,  étant  une  des  conditions  de  l'associa- 
tion, ne  peut  en  général,  tant  qu'elle  dure,  être  restreint 
dans  son  exercice ,  ni  davantage  être  retiré  sans  la  volonté  de 
ceux  qui  se  sont  associés  sous  cette  condition. 

Ainsi ,  lorsque  l'associé  agit  dans  les  limites  de  son  admi- 
nistration, il  ne  peut  être  arrêté  par  l'opposition  des  autres; 
seulement  il  faut  qu'il  agisse  sans  fraude. 

Pareillement,  la  volonté  des  autres  ne  suffit  point  pour  le 
révoquer  de  ses  fonctions  ;  toutefois  il  peut  être  révoqué  pour 
cause  légitime. 

Il  en  est  autrement  quand  le  pouvoir  n'a  été  donné  que 
postérieurement  au  contrat  5  c'est  alors  un  simple  mandat, 
susceptible  conséquemment  de  révocation.  V.  art.  1856. 


30  COUKS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

42  bis.  I.  Le  Code  examine  trois  hypothèses  en  ce  qui  concerne 
l'administration  de  la  société  :  !•  il  existe  un  mandat  donné  a  l'un 
des  associés  par  l'acte  de  société;  28  un  mandat  conféré  par  un  acte 
postérieur  à  l'acte  de  société;  3°  il  n'y  a  pas  eu  de  convention 
spéciale  touchant  l'administration. 

1°  Mandat  donné  par  l'acte  de  société.  Ce  qui  caractérise  ce  mandat, 
c'est  qu'il  est  irrévocable;  c'est  une  des  conditions  auxquelles  les 
parties  ont  subordonné  leur  consentement. 

Il  faudrait  une  cause  légitime,  par  exemple  l'accomplissement 
par  le  mandataire  d'actes  frauduleux,  ou  des  négligences  graves 
et  dommageables  dans  l'administration.  La  révocation  serait  judi- 
ciaire, car  l'associé  administrateur  ne  peut  pas,  même  par  la  vo- 
lonté unanime  de  ses  coassociés,  être  dépouillé  d'un  droit  qu'il 
tient  de  l'acte  de  société.  La  société  alors  prendra  fin,  car  nul  n'au- 
rait le  droit  d'imposer  au  gérant  destitué  un  autre  gérant. 

42  bis.  IL  Les  pouvoirs  de  l'administrateur  peuvent  avoir  été 
déterminés  et  délimités  par  l'acte  de  société;  il  faut  dans  ce  cas 
appliquer  purement  et  simplement  la  convention. 

Si  l'acte  est  muet,  l'étendue  des  pouvoirs  dépend  du  mot  même 
que  les  associés  ont  employé  en  conférant  le  mandat.  Le  mot 
administration  a  un  sens  technique;  il  est  clair  qu'en  nommant  un 
administrateur,  on  a  voulu  lui  donner  le  droit  de  faire,  mais  de  faire 
uniquement,  ce  qu'on  appelle  des  actes  d'administration,  en  tenant 
compte,  bien  entendu,  de  ce  qui  a  dû  entrer  dans  les  prévisions  des 
parties  eu  égard  à  la  nature  de  l'objet  de  la  société. 

Dans  les  limites  de  ces  pouvoirs,  l'administrateur  est  libre,  son 
droit  est  exclusif  de  celui  des  autres  associés  qui  d'abord  ne  peuvent 
pas  agir  par  eux-mêmes,  et  qui  secondement  ne  peuvent  pas  faire 
opposition  aux  actes  que  veut  accomplir  l'administrateur.  Une  oppo- 
sition serait  la  révocation  partielle  du  mandat,  et  le  mandat  est 
irrévocable  dans  le  cas  que  nous  examinons.  La  loi  réserve  toute- 
fois le  cas  de  fraude.  Il  faudrait  en  effet,  en  pareilles  circon- 
stances, reconnaître  aux  associés  le  droit  de  s'opposer,  mais  leur 
opposition  devait  nécessairement  prendre  un  caractère  judiciaire 
et  aboutirait  probablement  à  une  véritable  révocation. 

42  bis.  III.  Reste  à  savoir  quelles  sont  les  limites  des  pouvoirs 
de  l'administrateur. 

Il  résulte  clairement  de  l'article  1988  comme  de  beaucoup  d'autres 
articles  du  Code  civil  (v.  notamment  art  450-481)  que  le  pouvoir 


TIT.    IX.    DU    CONTRAT    DE    SOCIÉTÉ.    AlîT.    l856.  31 

d'administrer  n'implique  pas  celui  d'aliéner.  Cependant,  il  est 
certain  que  l'associé  administrateur  pourrait  aliéner  les  choses 
périssables  et  les  récoltes,  et  généralement  toutes  les  choses  dont 
l'aliénation  est  précisément  l'objet  de  la  société  et  le  moyen  de  faire 
prospérer  le  fond  social. 

L'administrateur  peut  acheter  ce  qui  est  nécessaire  à  l'exploitation, 
par  exemple  des  engrais,  des  chevaux,  des  charrues,  s'il  s'agit 
d'une  exploitation  agricole.  Il  peut  payer,  recevoir,  faire  des  baux. 

Pourra-t-il  emprunter?  Ce  n'est  pas  l'article  1862  qui  nous 
conduira  à  une  réponse  négative,  car  cet  article  réserve  le  cas 
où  l'associé  a  des  pouvoirs,  et  c'est  ce  que  nous  cherchons  :  l'ad- 
ministrateur a-t-il  reçu  ce  pouvoir?  Il  paraît  difficile  de  refuser  à 
l'administrateur  d'une  société  le  pouvoir  d'emprunter;  la  société  n'a 
pas  pour  but  uniquement  de  laisser  inertes  les  valeurs  sociales,  elle 
doit  les  accroître  par  des  opérations  qui  nécessitent  des  engage- 
ments envers  des  tiers.  Nous  avons  dit  qu'il  peut  acheter;  ne 
pourrait-il  donc  acheter  qu'au  comptant?  Nous  avons  vu,  dans 
l'article  1852,  qu'un  associé  a  recours  contre  ses  associés  pour  les 
déboursés  qu'il  a  faits  et  pour  les  obligations  qu'il  a  contractées  de 
bonne  foi.  Ce  que  la  loi  dit  là  de  tous  les  associés,  alors  qu'il  n'y  a 
pas  d'administration  organisée,  doit  être  certainement  étendu  à 
fortiori  à  un  administrateur  nommé  spécialement,  et  s'il  a  eu  recours 
contre  ses  coassociés,  n'en  faut-il  pas  conclure  qu'il  les  engage? 

L'administrateur  n'a  pas  le  pouvoir  d'hypothéquer,  la  règle  étant 
que  la  constitution  d'hypothèque  exige  la  même  capacité  que  l'aliéna- 
tion des  immeubles  ;  il  ne  peut  pas  davantage  donner,  si  ce  n'est  à  titre 
de  gratification,  faire  remise  de  dettes,  transiger  ni  compromettre. 

Quant  à  l'état  matériel  des  biens  immeubles,  l'administrateur  n'a 
pas  le  pouvoir  de  le  transformer,  il  peut  bien  faire  des  réparations, 
mais  non  des  constructions  ou  des  destructions. 

42  bis.  IV.  2°  Mandat  postérieur  à  Y  acte  de  société.  Il  faut  que  ce 
mandat  soit  donné  à  l'unanimité,  car  c'est  une  dérogation  au  contrat 
primitif  qui  avait  soumis  tacitement  i'administration  à  l'article  1859. 

Ce  mandat  est  révocable  ;  mais  s'il  a  fallu  la  volonté  de  tous  pour 
constituer  le  mandat,  il  suffira  de  la  volonté  d'un  seul  pour  le  dé- 
truire. En  effet,  chaque  associé  avait,  d'après  l'article  1859,  le  droit 
de  gérer,  chacun  a  délégué  ce  droit,  l'administrateur  a  donc  reçu 
autant  de  mandats  qu'il  a  de  coassociés;  chaque  mandant  peut 
révoquer  pour  sa  part,  et  de  cette  révocation  partielle  résultera  une 


32  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    111. 

révocation  totale,  parce  que  les  autres  mandants  avaient  eu  en  vue 
l'unité  d'administration,  et  que  le  mandat  qu'ils  ont  donné  n'a  plus 
sa  raison  d'être  du  moment  que  l'unité  n'existe  plus. 

43.  L'administration  est  quelquefois  confiée  à  plusieurs.  Si 
l'on  a  divisé  leurs  fonctions,  il  est  clair  que  chacun  est  tenu 
de  se  renfermer  dans  les  siennes.  Autrement  on  suppose,  si 
le  contraire  n'est  exprimé,  que  la  volonté  commune  a  été, 
pour  faciliter  l'expédition  des  affaires,  d'établir  entre  eux 
la  concurrence  :  chacun  dès  lors  peut  agir  séparément  dans 
les  limites  des  pouvoirs  communs.  V.  art.  1857. 

44.  Mais  si  l'on  a  stipulé  que  l'un  ne  pourrait  agir  sans 
l'autre,  cette  clause  s'observe  a  la  rigueur.  Quand  bien  même 
donc  l'un  se  trouverait  dans  l'impossibilité  d'agir,  cela  n'au- 
toriserait pas  l'autre  à  opérer  seul.  Il  lui  faudrait  pour  cela  de 
nouveaux  pouvoirs.  V.  art.  1858. 

45.  L'administration,  lorsqu'elle  n'a  pas  été  spécialement 
déléguée,  appartient  en  commun  a  tous  les  associés.  Chacun, 
en  conséquence,  a  droit  d'agir  en  son  nom  pour  sa  part,  et 
ne  peut  agir  pour  les  paris  des  autres  qu'en  vertu  des  pouvoirs 
que  ceux-ci  lui  confèrent.  Mais  cette  délégation  de  pouvoirs 
étant  dans  l'intérêt  de  tous,  la  loi  la  suppose  réciproquement 
intervenue  entre  tous  les  associés.  Du  reste,  comme,  en 
conférant  aux  autres  le  pouvoir  d'administrer,  aucun  ne  s'est 
départi  de  l'exercice  du  même  pouvoir ,  chacun  reste  maître 
de  s'opposer  a  l'opération  projetée  par  son  associé,  et  dans  le 
conflit  qui  résulte  de  cette  opposition ,  on  suit  la  règle  in  re 
pari  potiorem  causant  esse  prohibentis  constat  (Papin.,  L. 
28,  D.  comm.  div.).  V.  art.  1859-1°. 

45  bis.  I.  Cas  où  il  n'a  pas  été  fait  de  convention  sur  l'administra- 
tion. Puisque  l'administration  n'a  été  confiée  à  personne,  elle  appar- 
tient à  tous,  c'est  la  conséquence  de  l'égalité  des  associés. 

Les  actes  accomplis  par  un  des  associés  dans  les  limites  de  l'admi- 
nistration obligent  les  autres  ;  la  loi  montre  à  la  fois  la  règle  et  le 
principe  d'où  elle  découle.  Les  associés  se  sont  donné  mutuellement 
le  mandat  d'administrer,  donc  ils  ont  les  pouvoirs  de  mandataires. 

45  bis.  II.  Cependant,  le  mandant  peut  s'opposer  à  l'accomplis- 


TIT.    IX.    DU    CONTRAT    DE    SOCIÉTÉ.    ART.    18o7-18o9.       33 

sèment  d'un  acte  qu'il  désapprouve.  Il  a  ainsi  un  moyen  préventif  à 
sa  disposition.  Mais  la  loi,  qui  consacre  cette  faculté  d'opposition,  ne 
nous  montre  pas  très-clairement  comment  se  dénouera  le  conflit 
auquel  cette  opposition  aura  donné  naissance.  On  a  dit  que  l'effet 
de  l'opposition  était  de  mettre  l'acte  en  discussion  et  de  faire  dépendre 
la  décision  de  la  majorité.  Nous  ne  pensons  pas  qu'il  faille  résoudre 
ainsi  la  difficulté;  nous  croyons  que  l'opposition  rendra  l'acte 
impossible.  C'est  bien  ce  qui  paraît  d'abord  résulter  du  texte,  où 
nous  lisons  que  ce  que  chacun  fait  pour  la  part  des  autres  est 
valable,  sauf  le  droit  qu'a  chacun  d'eux  de  s'opposer  à  l'opération. 
L'opposition  apparaît  ainsi  comme  un  obstacle  à  la  validité  de  l'acte. 
Rien  d'ailleurs  n'est  plus  conforme  aux  principes;  chaque  associé 
a  conservé  le  droit  de  diriger  lui-même  les  affaires  sociales,  les  actes 
doivent  donc  émaner  de  la  volonté  de  tous  ;  cette  volonté  se  présume  en 
vertu  d'un  mandat  tacite  quand  il  n'y  a  pas  d'opposition,  mais  l'op- 
position montre  que  l'une  des  parties  refuse  de  consentir,  l'acte 
devient  impossible,  car  nul  ne  peut  m'obliger  ou  disposer  de  ma 
chose  sans  ma  volonté,  et  quand  je  ne  consens  pas,  il  est  inadmis- 
sible qu'un  acte  qui  m'intéresse  s'accomplisse  parce  que  la  majorité 
de  mes  cointéressés  pensera  autrement  que  moi  (1). 

On  reprochera  à  ce  système  de  nuire  aux  affaires  sociales  en 
imposant  quelquefois  une  inaction  dangereuse.  Le  remède  est  dans 
les  conventions  qui  réglementeront  d'ordinaire  la  question  d'admi- 
nistration et  dans  une  sage  application  de  l'article  1382  qui  per- 
mettra de  demander  des  dommages  et  intérêts  à  celui  qui,  abusant 
de  son  droit  individuel,  aura  de  mauvaise  foi,  et  pour  nuire  à  ses 
coassociés,  formé  des  oppositions  au  détriment  des  intérêts  bien 
entendus  de  la  société. 

46.  Le  droit  qu'a  chaque  associé  dans  les  choses  communes, 
l'autorise  a  s'en  servir.  Mais  bien  entendu  que  n'en  ayant  pas 
la  libre  disposition,  il  ne  peut  les  employer  que  suivant  leur 
destination,  laquelle  au  surplus  est  fixée  par  l'usage.  En  outre, 
comme  il  ne  lui  est  pas  permis  de  préférer  son  propre  avantage  a 
celui  de  ses  associés,  il  ne  peut,  ni  en  faire  un  emploi  contraire 
a  l'intérêt  général  de  la  société,  ni  s'en  servir  de  manière  à 
empêcher  les  autres  d'en  user  également.  V.  art.  1859-2°. 

(1)  V.  Pothier,  n«90. 

VIII.  3 


34  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.     III. 

47.  Chacun  ayant  intérêt  à  la  conservation  des  choses  com- 
munes, et,  d'un  autre  côté,  chacun  étant  tenu  d'y  pourvoir 
pour  sa  part,  un  des  associés  peut  toujours  forcer  les  autres 
a  faire  avec  lui  les  dépenses  nécessaires  à  cette  conservation. 
V.  art.  1859-3°. 

48.  Quant  aux  innovations,  elles  ne  doivent  avoir  lieu,  en 
principe,  que  du  consentement  de  tous,  car  c'est  là  un  acte 
de  disposition.  Cela  s'appliquerait  particulièrement  aux  tra- 
vaux, tels  que  constructions,  qu'un  des  associés  voudrait 
faire  sur  les  immeubles  de  la  société  :  quelque  avantageux 
qu'il  les  soutienne,  il  ne  peut  se  constituer  juge  de  cet  avan- 
tage. V.  art.  1859-4°. 

48  bis.  Si  l'associé  a  fait  des  travaux  sans  avoir  été  empêché  par 
les  autres,  ceux-ci  ne  peuvent  pas  l'obliger  à  démolir,  à  moins 
qu'il  ne  soit  démontré  que  les  opérations  de  la  société  deviendront 
impossibles  par  suite  de  ces  travaux.  Seulement  l'associé  peut  être 
condamné  à  indemniser  ses  coassociés  du  tort  qu'il  leur  a  causé 
en  faisant  des  travaux  que  l'article  1859  ne  lui  permettait  pas  de 
faire  sans  le  consentement  de  ses  coassociés  (I). 

49.  Ce  que  l'on  a  dit  des  innovations  s'applique  à  plus 
forte  raison  a  l'aliénation  ou  a  l'engagement  des  choses  de  la 
société,  que  chacun  ne  peut  valablement  consentir  que  pour 
sa  part  (v.  Gaius,  L.  68,  D.  pro  soc).  Les  choses  mobi- 
lières mêmes  sont  comprises  dans  cette  règle,  qui,  du  reste, 
n'est  établie  que  pour  l'associé  qui  n'est  pas  administrateur. 
V.  art.  1860. 

49  bis.  I.  Après  avoir  déterminé  les  pouvoirs  des  associés  qui  sont 
administrateurs,  la  loi  procède  négativement  par  rapport  à  celui 
qui  ne  l'est  pas  (art.  1S60). 

Si  l'article  signifie  que  dans  le  cas  de  l'article  1859  les  associés 
ne  peuvent  rien  aliéner,  il  donne  une  idée  qui  n'est  pas  exacte,  car 
il  est  des  choses  dont  l'aliénation  dépend  de  l'administration,  et 
dans  l'hypothèse  de  l'article  1859  chaque  associé  peut  les  aliéner. 
Il  est  vrai  qu'on  doit  dire  que  dans  cette  hypothèse  chaque  associé 

(1)  V.  Potbier,n»87. 


TIT.  IX.  DU  CONTRAT  DE  SOCIÉTÉ.  ART.  1859,  1860.   35 

est  administrateur,  et  que  par  conséquent  l'article  1860  n'a  pas 
trait  à  ses  pouvoirs. 

II  s'agit  donc  plutôt  dans  l'article  de  constater  que  s'il  existe  un 
administrateur  investi  d'un  mandat  spécial,  les  autres  n'ont  pas  de 
pouvoirs  sur  les  choses  sociales. 

Il  s'agit  en  outre  des  choses  qu'un  administrateur  n'a  pas  le  droit 
d'aliéner,  et  qui  sont  par  conséquent  hors  des  pouvoirs  de  l'admi- 
nistrateur choisi  ou  de  tous  les  associés  ayant  l'administration 
d'après  l'article  1859. 

Le  texte  implique  que  l'associé,  qui  ne  trouve  pas  dans  le  droit 
d'administrer  le  pouvoir  d'aliéner  les  choses  sociales,  n'a  pas  per- 
sonnellement et  comme  propriétaire  le  droit  de  les  aliéner. 

49  bis.  II.  M.  Demante,  reproduisant  à  peu  près  le  texte  de  l'article 
1 860,  y  ajoute  cependant  une  idée  bien  importante  :  l'associé  pourrait 
aliéner  sa  part  des  choses  sociales;  c'était  ce  que  disait  Pothier,  qui 
s'appuyait  sur  la  loi  du  titre  pro  socio  citée  par  M.  Demante.  Il  nous 
faut  cependant  faire  remarquer  que  les  rédacteurs  du  Code  civil, 
en  reproduisant  littéralement  le  n°  89  de  Pothier,  ont  supprimé  la 
fin  de  sa  phrase  :  si  ce  n'est  pour  la  part  qu'il  y  a;  suppression 
très-significative  qui  montre  l'intention  de  ne  pas  suivre  jus- 
qu'au bout  la  doctrine  ancienne  et  d'interdire  l'aliénation  de  la  part. 
Cette  interdiction  s'explique  de  soi  quand  on  pense  que  la  société 
est  une  personne  morale  distincte  des  associés,  qu'elle  seule  est 
propriétaire  du  fonds  social;  elle  s'explique  aussi,  et  très-simplement, 
même  dans  la  doctrine  qui  n'admet  pas  la  personnalité,  car  les 
autres  associés  ont  le  droit  de  compter  que  le  fonds  social  ne  sera 
pas  incessamment  diminué  par  la  volonté  de  l'un  d'eux.  Il  a  été 
fait  entre  eux  une  convention  d'indivision,  les  associés  s'étant  taci- 
tement engagés  à  laisser  complètes  les  propriétés  sociales  tant  que 
durera  la  société.  Une  telle  convention,  sans  produire  un  droit  réel, 
peu  t  bien  protéger  les  associés  les  uns  contre  les  autres,  comme  la  con- 
vention de  bail  protège  le  preneur,  bien  que  celui-ci  n'ait  pas  mn 
droit  réel  (1).  A  ce  point  de  vue,  la  convention  de  mise  en  société, 
même  quand  elle  a  pour  objet  des  immeubles,  n'a  pas  plus  besoin 
d'être  transcrite  que  les  baux  qui,  en  principe,  ne  sont  pas  soumis 
à  la  transcription. 

(1)  Nous  empruntons  cet  aperçu  à  nos  collègues  MM.  Lyon-Caen  et  Renault, 
Précis  du  droit  commercial,  p.  112. 

3. 


36  COURS  ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

Tout  ce  qu'on  peut  dire  dans  le  système  de  la  non-personnalité,  c'est 
que  l'associé  propriétaire  d'un  ensemble  de  choses  communes  peut 
faire  des  actes  dont  les  résultats  dépendront  de  l'éventualité  du  par- 
tage qui  aura  lieu  à  la  fin  de  la  société  (art.  883). 

50.  Chacun  n'ayant  la  disposition  des  effets  de  la  société 
que  pour  sa  part,  c'est  une  conséquence  de  ce  principe,  que 
chacun  puisse  bien  s'associer  une  tierce  personne  pour  cette 
part,  mais  qu'il  ne  puisse  sans  le  consentement  des  autres 
l'associer  à  la  société.  Ce  dernier  droit  serait  refusé  même  à 
l'associé  administrateur;  car  ce  n'est  pas  un  acte  d'adminis- 
tration. V.  art  1861  ;  et  remarquez  :  1°  qu'à  l'égard  de  la  société, 
le  fait  du  tiers  associé  à  la  part  d'un  associé,  et  mêlé  par 
celui-ci  dans  les  affaires  communes,  doit  être  regardé  comme 
le  sien  propre,  soit  pour  la  perte,  soit  pour  le  profit;  2°  que 
réciproquement  l'associé  doit  compte  a  ce  tiers  du  fait  de  ses 
associés,  en  tant  qu'il  augmente  ou  diminue  la  part  à  laquelle 
il  l'a  associé.  Toutefois,  l'action  pour  la  communication  des 
bénéfices  ou  pour  la  réparation  des  dommages  n'existe  régu- 
lièrement, et  sauf  l'application  de  l'article  1166,  qu'entre 
ceux  qui  sont  associés  ensemble.  V.  à  ce  sujet  Ulp.,  LL. 
19,  20,  21  ;  Gains,  L.  22 ;  Ulp.,  L.  23,  D.  pro  soc. 

50  bis.  I.  Nous  avons  dit,  contrairement  à  l'opinion  de  M.  Demante, 
que  l'associé  ne  peut  pas  aliéner  sa  part  des  choses  qui  font  partie 
de  la  société,  ou  tout  au  moins  que  l'aliénation  qu'il  en  a  consentie 
ne  peut  pas  avoir  d'effet  immédiat,  l'acquéreur  devant  attendre  la 
dissolution  et  le  partage  de  la  communauté,  et  le  sort  de  l'aliénation 
dépendant  de  l'événement  de  partage  (art.  883).  Ge  n'est  donc  pas 
parce  que  l'aliénation  de  la  part  serait  seule  permise  qu'il  est  inter- 
dit d'associer  une  tierce  personne  à  la  société  primitive.  Il  y  a  une 
immense  différence  entre  l'aliénation  d'une  part  de  la  propriété 
d'une  ou  de  plusieurs  choses  sociales,  et  l'introduction  d'un  nou- 
veau membre  dans  la  société.  La  société  implique,  il  est  vrai,  une 
mise  de  biens  en  commun,  mais  elle  est  par-dessus  tout  une  union 
de  personnes,  elle  crée  des  relations  et  des  obligations  d'associé  à 
associé.  Voilà  pourquoi  il  est  inadmissible  qu'une  des  parties  donne 
à  ses  associés  un  nouvel  associé,  à  leur  insu  ou  malgré  eux.  C'est, 
il  nous  semble,  la  véritable  raison  de  la  règle,  aussi  bien  dans 


TIT.    IX.    DU    CONTRAT   DE    SOCIÉTÉ.    ART.    1861.  37 

l'ancien  droit,  qu'aujourd'hui,  et  quelque  idée  qu'on  se  fasse  sur 
la  possibilité  d'aliéner  une  part  des  biens  sociaux.  La  raison  que 
M.  Demante  emprunte  à  Pothier  (1)  n'expliquerait  pas  d'une  façon 
satisfaisante  la  disposition  de  l'article  1861. 

50  bis.  II.  Telle  est  donc  la  règle  :  l'associé  ne  peut  pas  faire  d'un 
étranger  un  associé.  Mais  il  peut  former  avec  cet  étranger  une 
société  particulière  qui  aura  pour  objet  sa  part.  Il  reste  à  déterminer 
les  effets  de  cette  convention. 

Il  nous  semble  que  cette  mise  en  société  de  la  part  d'un  associé 
ne  doit  avoir  aucun  effet  par  rapport  aux  membres  de  la  société 
primitive,  à  l'égard  desquels  la  société  doit  rester  régie  par  la  con- 
vention primitive.  La  nouvelle  convention  de  société  ne  doit  être 
qu'une  sorte  de  promesse  mutuelle  de  participer  aux  avantages  et 
aux  désavantages  résultant  pour  l'associé  qui  a  pris  un  sous-associé, 
de  sa  qualité  de  membre  de  la  société  primitive.  Nous  assimilons 
cette  convention  à  celles  que  les  Romains  pratiquaient  en  la  revêtant 
des  formes  de  la  stipulation,  quand  un  héritier  avait  vendu  l'hérédité. 
A  l'égard  des  tiers,  il  restait  créancier  et  débiteur  des  dettes  hérédi- 
taires ;  mais  par  les  stipulations  emptœ  et  venditœ  hœreditatis,  le  ven- 
deur et  l'acheteur  s'obligeaient  réciproquement,  celui-là  à  remettre  à 
l'autre  tout  ce  que  l'hérédité  pouvait  lui  procurer  d'avantageux, 
celui-ci  à  rembourser  tout  ce  que  le  premier  aurait  payé  comme 
héritier. 

50  bis.  III.  C'est  ainsi  que  doit  être  interprétée  la  convention 
entre  l'associé  et  le  sous-associé.  Elle  ne  produit  d'effet  qu'entre 
eux,  et  dès  lors  le  sous-associé  n'a  pas  qualité  pour  agir  personnel- 
lement sur  les  choses  sociales,  il  ne  peut  pas  administrer,  il  ne  peut 
pas  se  servir  des  choses  sociales.  Les  associés  pourraient  s'opposer 
à  son  immixtion  comme  à  celle  d'un  usurpateur.  Il  est  clair  en  effet 
que  ceux  qui  ont  consenti  à  donner  des  pouvoirs  à  Pierre  à  raison 
de  son  habileté,  de  son  honnêteté  et  de  la  facilité  de  son  commerce, 
n'ont  pas  entendu  donner  ces  mêmes  pouvoirs  à  Paul  ou  à  Jean. 
Qu'on  ne  dise  pas  que  l'associé  peut  avoir  un  mandataire  et  qu'il 
est  responsable.  Nous  nierions  le  droit  de  donner  mandat  pour  les 
affaires  sociales  et  encore  bien  plus  le  droit  d'augmenter  dans  des 
proportions  illimitées  le  nombre  des  personnes  se  servant  des  choses 
sociales.  La  responsabilité  de  l'associé  ne  suffît  pas  pour  satisfaire 

(1)  V-  Pothier,  n«  91. 


38  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

les  autres,  d'abord  au  point  de  vue  de  l'usage  des  choses  sociales, 
et  même  au  point  de  vue  de  l'administration,  car  ils  ont  droit  de 
prévenir  le  mal  que  ferait  un  tiers,  au  lieu  d'attendre  que  le  mal  soit 
fait  pour  en  poursuivre  la  réparation. 

50  bis.  IV.  Nous  admettons  cependant  que  si  le  sous-associé  s'est 
immiscé  en  fait  et  à  l'insu  des  autres  dans  les  affaires  sociales,  son 
auteur  sera  responsable,  mais  cette  responsabilité  pèserait  égale- 
ment sur  celui-ci  s'il  permettait  à  un  étranger,  qu'il  n'aurait  pas 
associé,  de  s'occuper  des  affaires  de  la  société.  Sa  responsabilité 
n'est  donc  pas  une  conséquence  particulière  du  contrat  de  sous- 
société  qu'il  a  fait  aux  termes  de  l'article  1861  (1). 

50  bis.  V.  Nous  en  dirons  autant  du  cas  où  le  sous-associé  a  fait 
quelques  gains  provenant  des  choses  sociales  ;  nous  le  traiterons 
comme  un  étranger,  et  tous  les  associés  auront  contre  lui  une  action 
en  répétition ,  comme  ils  l'auraient  contre  un  usurpateur  (2)  ;  de 
plus,  ils  auraient  action  contre  l'auteur  du  sous-associé  coupable 
d'avoir  laissé  cet  étranger  se  mêler  des  affaires  communes  et  y 
trouver  une  occasion  de  bénéfices. 

50  bis  VI.  Si  le  contrat  de  sous-association  ne  constitue  pas  par 
lui-même  le  sous-associé  débiteur  des  associés,  il  ne  le  fait  pas 
non  plus  leur  créancier.  Seulement,  comme  ce  sous-associé 
devient  créancier  de  celui  des  associés  avec  qui  il  a  traité,  il  pourrait 
exercer  contre  les  autres  les  droits  de  celui-ci,  en  vertu  de 
l'article  1166.  Nous  irons  même  plus  loin,  le  contrat  de  sous- 
association  contient  bien  un  contrat  de  cession  d'une  partie  des 
créances  de  l'associé  contre  ses  associés.  Nous  dirons  donc  que  le 
sous-associé  pourra  agir  comme  cessionnaire  contre  les  associés 
pour  réclamer  d'eux  une  part  de  tout  ce  que  son  cédant  aurait  pu 
demander.  Il  faudra  du  reste  qu'il  ait  accompli  l'une  des  formalités 
imposées  aux  cessionnaires  par  l'article  1690. 

50  bis.  VII.  Exerçant  comme  cessionnaire  les  droits  de  l'associé 
qui  a  traité  avec  lui,  il  ne  pourra  agir  qu'autant  que  celui-ci  en 
aurait  le  droit  ;  il  ne  pourra  pas  donc  agir  avant  l'époque  normale 
où  les  créances  auraient  pu  être  exigées,  il  obtiendra  une  part  des 
bénéfices  si  les  bénéfices  se  distribuent  au  cours  de  la  société;  mais 
s'il  est  des  comptes  qui  ne  doivent  être  liquidés  qu'à  la  fin  de  la 

(1)  V.  Pothier,  n»  93. 

(2)  En  sens  contraire,  v.  Pothier,  n°  92. 


TIT.    IX.    DU    CONTRAT    DE    SOCIÉTÉ.    ART.    1861,    1862.       39 

société,  il  faudra  qu'il  attende  aussi  longtemps  que  son  auteur  aurait 
attendu. 

50  bis.  VIII.  Quant  aux  propriétés  sociales,  on  doit  admettre, 
dans  le  système  qui  nie  la  personnalité  des  sociétés,  que  le  sous- 
associé  a  acquis  une  fraction  de  la  part  indivise  de  son  auteur  dans 
chacun  des  objets  appartenant  à  la  société.  Mais,  comme  nous  l'avons 
dit  au  numéro  précédent,  il  ne  peut  pas  réclamer  sa  part  en  nature 
avant  la  dissolution  de  la  société,  et  alors  ses  droits  dépendront  de 
ce  que  le  partage  attribuera  à  son  auteur;  il  pourra  du  reste  assis- 
ter au  partage  pour  la  conservation  de  ses  droits  (1). 

50  bis.  IX.  Dans  ses  rapports  avec  l'associé  qui  a  traité  avec  lui, 
le  sous-associé  est  créancier  d'une  partie  de  tout  ce  que  l'associé 
acquiert  comme  associé  et  débiteur  d'une  partie  de  tout  ce  dont  cet 
associé  devient  débiteur,  c'est  un  compte  à  régler  entre  eux.  Il 
résulte  de  cette  formule  que  si  un  des  associés  a  nui  aux  choses 
sociales  et  est  devenu  débiteur  de  dommages-intérêts,  le  sous-asso- 
cié peut  exiger  de  son  auteur  une  part  de  cette  indemnité,  car 
cette  indemnité  fait  partie  des  valeurs  provenant  de  la  société  et 
qui  adviennent  à  l'associé  qui  s'est  donné  un  sous-associé,  et  toutes 
ces  valeurs  doivent  être  partagées  entre  les  membres  de  la  sous- 
association  (2). 

SECTION   II. 

Des  engagements  des  associés  à  l'égard  des  tiers. 

51.  En  principe,  les  rapports  que  le  contrat  de  société 
établit  entre  les  parties  sont  étrangers  aux  tiers;  par  consé- 
quent les  engagements  des  associés  envers  les  créanciers  sont 
réglés  par  le  droit  commun.  Si  donc  les  associés  contractent 
conjointement  une  obligation,  il  n'y  a  pas  solidarité  sans 
stipulation  (v.  art.  1202),  et  si  l'un  d'eux  contracte  seul,  il 
n'oblige  pas  les  autres,  a  moins  que  ceux-ci  ne  lui  en  aient 
donné  le  pouvoir.  Toutefois  cette  règle,  sous  l'un  et  sous 
l'autre  rapport,  reçoit  exception  dans  les  sociétés  de  com- 
merce (C.  comm.,  art.  22).  V.  art.  1862. 

(1)  V.  t.  III,  n°  225  bis.  V. 

(2)  V.  Pothier,  n°  94. 


40  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

52.  Par  suite  du  même  principe,  les  associés  qui  con- 
tractent conjointement  sont  tenus  envers  le  créancier  pour 
leur  part  virile,  sans  égard  à  l'inégalité  des  parts  sociales, 
inégalité  que  le  créancier  n'est  pas  même  censé  connaître-, 
le  contraire  ne  pourrait  résulter  que  d'une  convention  spéciale. 
V.  art.  1863-,  mais  remarquez  que  cette  règle,  établie  dans 
l'intérêt  du  créancier,  ne  priverait  pas  celui-ci  du  droit  d'at- 
taquer pour  sa  part  sociale  l'associé  intéressé  pour  une  part 
plus  forte. 

52  bis.  I.  Il  faut  examiner  successivement  deux  hypothèses  : 
i°  une  dette  a  été  contractée  conjointement  par  tous  les  associés  ; 
2°  elle  a  été  contractée  par  un  seul  d'entre  eux. 

Dette  contractée  conjointement  par  tous  les  associés.  Tous  les  associés 
sont  obligés,  mais,  suivant  les  principes  généraux  de  la  matière  des 
obligations,  ils  ne  sont  tenus  chacun  que  pour  sa  part.  C'est  l'ap- 
plication de  l'article  1202  ;  la  solidarité  conventionnelle  ne  le  présume 
pas,  et  la  solidarité  légale  ne  peut  exister  qu'en  vertu  d'un  texte 
précis.  Le  texte  ici  est  formellement  contraire  à  la  solidarité. 

52  bis.  II.  La  division  de  la  dette  s'opère  par  parts  viriles,  c'est- 
à-dire  égales,  entre  les  débiteurs,  le  créancier  pouvant  ignorer  dans 
quelle  proportion  les  divers  débiteurs  sont  intéressés  à  l'affaire; 
seulement,  il  est  clair  que  si  les  parts  que  les  associés  doivent  sup- 
porter dans  les  dettes  en  vertu  du  contrat  de  société  ne  sont  pas 
égales,  celui  qui  aura  payé  trop  en  payant  la  part  virile  au  créancier 
aura  un  recours  contre  ses  coassociés. 

52  bis.  III.  Dette  contractée  par  un  seul  des  associés.  Il  faut,  par 
rapport  à  cette  dette,  distinguer  selon  que  l'associé  est  ou  n'est  pas 
le  mandataire  des  autres. 

Si  l'associé  qui  a  contracté  avait  reçu  mandat  spécial  de  con- 
tracter l'obligation  ouun  mandat  général  de  contracter  des  obligations, 
il  oblige  ses  coassociés,  puisque  dans  le  droit  français  le  mandataire 
oblige  le  mandant.  L'hypothèse  alors  se  confond  avec  la  précédente, 
le  mandataire  a  représenté  tous  les  associés,  et  le  contrat  est  consi- 
déré comme  fait  par  eux  tous;  il  en  résulte  que  chacun  est  obligé 
pour  sa  part,  le  mandataire  comme  les  autres. 

52  bis.  IV.  Le  mandat  d'obliger  les  coassociés  est  tacite  quand  il 
s'agit  d'engagements  rentrant  dans  les  pouvoirs  d'un  administra- 
teur, et  qu'il  n  existe  pas  de  conventions  spéciales  sur  le  mode  d'ad- 


T1T.    IX.    DU    CONTRAT    DE  SOCIÉTÉ.    ART.    1863,    1864.      41 

ministration  de  la  société.  Les  associés  se  sont  alors  donné  récipro- 
quement le  pouvoir  d'administrer,  et  ce  que  chacun  fait  est  valable, 
même  pour  la  part  de  ses  associés  (art.  1819-1°).  Donc  les  engage- 
ments contractés  pour  l'administration  lient  tous  les  associés. 

52  bis.  V.  Nous  venons  de  supposer  que  l'associé  mandataire 
agissait  en  cette  qualité,  c'est-à-dire  que  le  tiers  savait  qu'il  con- 
tractait non-seulement  avec  lui,  mais  avec  d'autres  personnes  dont 
il  était  le  représentant.  Si  ce  mandataire  avait  agi  en  son  nom  per- 
sonnel, si  le  créancier  avait  cru  qu'il  traitait  avec  cet  unique  débi- 
teur, il  faudrait  bien  que  ce  créancier  eût  une  action  pour  le  tout 
contre  ce  débiteur  dont  il  a  suivi  la  foi  parce  que  sa  solvabilité  lui 
inspirait  confiance.  On  ne  peut  pas  le  contraindre  à  diviser  son 
action  à  poursuivre  d'autres  débiteurs  moins  solvables  peut-être  et 
qu'il  n'a  pas  acceptés. 

Le  mandataire  alors  sera  comme  le  mandataire  romain,  obligé 
seul,  et  garanti  seulement  par  un  recours  contre  ses  mandants. 

52  bis.  VI.  On  peut  même  ajouter  que  non-seulement  le  tiers 
n'est  pas  forcé  d'agir  contre  les  mandants,  mais  qu'il  n'en  a  pas  le 
droit.  N'ayant  pas  traité  avec  eux,  il  ne  peut  pas  les  avoir  pour 
débiteurs.  Il  faudrait  seulement  lui  réserver  l'action  fondée  sur 
l'article  1166,  comme  créancier  de  l'associé  mandataire;  il  pourrait 
exercer  les  droits  de  celui-ci,  mais  il  subirait  alors  un  concours 
avec  les  autres  créanciers  de  son  débiteur  et  serait  exposé  à  ce  que 
les  associés  qu'il  poursuivrait  lui  opposassent  des  causes  de  compen- 
sation résultant  de  leurs  rapports  avec  l'associé,  dont  le  tiers  exerce- 
rait les  droits. 

53.  Un  associé  n'ayant  point  en  général  le  pouvoir  d'obliger 
les  autres  (art.  1862),  il  est  clair  que  la  société  n'est  point 
liée  par  la  stipulation  que  l'obligation  est  contractée  pour  son 
compte.  Bien  entendu  qu'il  en  est  autrement  quand  il  y  a  un 
mandat.  En  outre,  le  simple  gérant  d'affaires  pouvant  obliger 
le  maître  au  nom  duquel  il  contracte,  lorsque  l'affaire  est 
utilement  gérée  (art.  1373),  la  société  sera  tenue  quand  la 
chose  aura  tourné  a  son  profit.  Voy.  art.  1864. 

53  bis.  I.  Si  l'associé  qui  a  contracté  seul  une  dette  pour  les 
affaires  sociales  n'a  pas  de  mandat,  il  est  certain  qu'il  ne  peut 
pas  lier  ses  coassociés,  et  la  situation  ne  serait  pas  changée  par  ce 
fait  qu'il  aurait  déclaré  dans  le  contrat  agir  pour  le  compte  de  la 


42  COUKS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

société.  Dédater  qu'on  agit  pour  un  tiers,  ce  n'est  pas  en  effet  ac- 
quérir le  pouvoir  de  l'obliger. 

Cette  déclaration  qu'on  a  contracté  pour  la  société  aura  cependant 
une  conséquence,  elle  montrera  que  l'associé,  s'il  n'agissait  pas 
comme  mandataire,  agissait  au  moins  comme  gérant  d'affaires,  et 
donnera  au  créancier  une  action  contre  les  associés  dans  les  conditions 
de  l'article  1375.  C'est  à  ces  conditions  que  fait  allusion  l'article 
1864,  quand  il  suppose  que  la  chose  a  tourné  au  profit  de  la  société. 

Quand,  au  contraire,  l'associé  a  traité  sans  mandat  et  sans  mani- 
fester qu'il  agissait  pour  le  compte  de  la  société,  le  tiers  n'a  pas  d'action 
contre  les  autres  associés,  car  on  ne  peut  plus  rattacher  l'espèce  à 
la  théorie  de  la  gestion  d'affaires,  et  il  ne  suffirait  pas  de  dire  que 
les  associés  ont  profité  du  contrat,  car  ils  en  auraient  retiré  un  pro- 
fit indirect  qui  ne  peut  pas  devenir  la  cause  d'une  action.  Il  en  est 
de  cette  hypothèse  comme  de  celle  où  Pierre,  qui  a  emprunté  une 
somme  d'argent,  la  donne  à  Paul;  celui-ci  a  certes  profité  indirec- 
tement de  l'emprunt,  mais  il  n'y  a  pas  là  un  fait  d'où  puisse  résul- 
ter une  action  de  l'emprunteur  contre  lui. 

53  bis.  II.  Appendice  sur  la  personnalité  des  sociétés.  Nous  avons 
réservé,  jusqu'au  moment  où  nous  aurions  expliqué  le  fonc- 
tionnement de  la  société,  l'examen  d'une  question  fort  importante 
sur  le  caractère  même  de  la  société  ;  on  en  saisira  mieux  maintenant  le 
sens  et  l'on  appréciera  plus  facilement  les  arguments  sur  lesquels 
doit  s'appuyer  sa  solution.  Cette  question  se  pose  habituellement 
ainsi  :  les  sociétés  sont-elles  des  personnes?  ont-elles  une  person- 
nalité? Il  s'agit,  bien  entendu,  d'une  personnalité  fictive,  autrement 
dit  morale  ou  civile,  car  si  la  société  est  un  être,  c'est  un  être  de 
raison,  elle  n'a  certainement  pas  une  personnalité  physique. 

53  bis.  III.  Il  faut  tout  d'abord  comprendre  quel  est  l'intérêt  de 
la  question  posée.  Les  personnes  sont  des  êtres  juridiques  capables 
d'avoir  des  droits  et  d'être  soumis  à  des  obligations.  Si  donc  la 
société  est  une  personne  morale ,  elle  ne  se  confond  pas  avec  les 
associés,  elle  a  un  patrimoine  distinct  de  ceux  des  associés,  elle  a 
des  biens  à  elle,  biens  corporels,  créances;  elle  a  des  dettes;  en  un 
mot,  elle  a  un  actif  propre  et  un  passif  propre,  qui  ne  se  confondent 
pas  avec  l'actif  et  le  passif  des  associés. 

De  là  découlent  des  conséquences  d'un  grand  intérêt  pratique  : 

1°  Les  associés  ne  sont  pas  propriétaires  du  fonds  social,  et  leur 
droit  se  bornant,  tant  que  dure  la  société,  à  un  partage  de  bénéfices, 


TIT.    IX.    DU    CONTiîAT    DE    SOCIÉTÉ.    ART.    1864.  43 

est  un  droit  mobilier  alors  même  que  la  société  serait  propriétaire 
d'immeubles. 

28  Le  patrimoine  de  la  société  est  spécialement  affecté  à  l'acquitte- 
ment de  son  passif,  c'est-à-dire  que  les  créanciers  personnels  des 
associés  n'auront  aucun  droit  sur  le  fonds  social  pendant  la  durée 
de  la  société,  et  qu'après  la  dissolution  ils  seraient  primés  par  les 
créanciers  sociaux. 

3°  Les  débiteurs  de  la  société  ne  peuvent  pas  invoquer  la  com- 
pensation de  ce  qu'ils  lui  doivent  avec  ce  qui  leur  serait  dû  par  un 
associé  personnellement.  Cette  décision,  au  reste ,  rentre  dans  la 
précédente ,  car  elle  n'est  qu'une  conséquence  de  la  formule  que 
nous  avons  donnée. 

4*  Toute  personne ,  par  cela  qu'elle  a  un  patrimoine,  a  un  siège 
légal,  un  centre  légal  de  ses  intérêts,  un  lieu  où  elle  exerce  princi- 
palement ses  droits,  c'est  le  domicile;  la  société,  personne  morale, 
aura  un  domicile. 

53  bis.  IV.  Voilà  les  intérêts  principaux  de  la  question  qui  se  pose 
sur  la  personnalité  des  sociétés. 

Il  n'y  a  pas  de  difficulté  quant  aux  sociétés  de  commerce.  Suivant 
une  tradition  fort  ancienne,  elles  sont  reconnues  universellement 
comme  personnes  morales,  quoiqu'il  n'existe  pas  de  texte  précis 
qui  leur  attribue  ce  caractère.  On  peut  cependant  appuyer  la  solution 
sur  l'article  529  du  Gode  civil  qui,  déclarant  mobiliers  les  droits  des 
associés  alors  même  que  des  immeubles  appartiennent  aux  compa- 
gnies, nous  montre  que  dans  sa  pensée  les  associés  ne  sont  pas 
propriétaires,  et  c'est  là,  nous  l'avons  dit,  une  des  conséquences 
caractéristiques  de  la  personnalité  des  sociétés.  Il  faut  citer  aussi 
l'article  69-6°  du  Code  de  procédure,  qui  reconnaît  une  maison 
sociale  aux  sociétés  de  commerce,  et  qui  traite  cette  maison  sociale 
comme  un  domicile. 

53  bis.  V.  La  question  est  plus  délicate  en  ce  qui  concerne  les 
sociétés  civiles;  ici  la  tradition  est  contraire  à  la  personnalité.  Il 
suffit  de  lire  Pothier  pour  voir  qu'il  traite  le  fonds  social  comme  un 
ensemble  de  choses  communes  entre  les  associés,  et  de  se  rappeler 
qu'il  permet  l'aliénation  par  chaque  associé  de  sa  part  dans  les 
choses  qui  dépendent  de  la  société  (1). 

Au  moment  de  la  rédaction  du  Code  civil,  la  société  civile  n'était 

(  1)  V.  Pothier,  n»  3  in  fine  et  n»  89. 


44  COUKS   ANALYTIQUE   DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

donc  pas  considérée  comme  une  personne.  Il  serait  par  conséquent 
nécessaire,  pour  admettre  la  personnalité,  de  trouver  sur  ce  point 
des  textes  précis.  Or,  rien  n'est  moins  décisif  que  les  textes  qui 
peuvent  être  invoqués  en  ce  sens. 

53  bis.  VI.  On  cite  les  articles  1845,  1846,  1847,  1850,  1852, 
qui  paraissent  traiter  la  société  comme  un  véritable  créancier  ou  un 
véritable  débiteur,  par  conséquent  comme  une  personne,  et  l'ar- 
ticle 1859-2°,  3°  et  4°,  où  la  société  est  présentée  comme  propriétaire. 

Il  est  facile  de  faire  observer  que  ces  diverses  formules  sont 
textuellement  empruntées  à  Pothier  (1);  or,  Pothier  n'admettait  pas, 
nous  l'avons  dit,  la  personnalité  de  la  société.  Il  est  donc  certain 
qu'il  employait  l'expression  collective  société  uniquement  parce 
qu'elle  est  plus  brève  et  plus  commode;  il  personnifiait  l'ensemble 
des  associés,  non  pas  au  point  de  vue  juridique,  mais  seulement  au 
point  de  vue  du  langage;  c'était  une  figure  dont  il  se  servait,  et  non 
pas  une  vérité  de  droit  qu'il  entendait  affirmer.  Aussi  bien  il  est  à 
remarquer  que  Pothier  et  le  Code  civil  ont  généralement  évité  de 
se  servir  de  l'expression  collective  là  où  elle  aurait  eu  le  plus  d'impor- 
tance, c'est-à-dire  quand  il  se  serait  agi  de  mettre  la  société  en 
relation  avec  des  tiers.  C'est  là  que  la  question  de  personnalité  a  son 
intérêt,  et  non  pas  dans  les  rapports  des  associés,  parce  que,  dans  les 
rapports  d'associé  à  associé,  il  est  certain  qu'il  est  nécessaire  de  dis- 
tinguer ce  qui  appartient  à  chacun  en  propre  ou  ce  qui  lui  appartient 
par  indivis  entre  ses  coassociés.  Les  pouvoirs  du  propriétaire 
ne  sont  pas  aussi  étendus  sur  une  des  classes  de  biens  que  sur 
l'autre. 

53  bis.  VII.  On  trouve  encore  un  argument  en  faveur  de  la 
personnalité  dans  l'article  59  du  Code  de  procédure,  qui  attribue 
compétence  en  matière  de  société  (sans  distinction)  au  juge  du  lieu 
où  la  société  est  établie.  Mais  ce  n'est  pas  encore  un  texte  imposant 
la  doctrine  de  la  personnalité,  car  sa  décision  s'explique  trop  com- 
plètement par  des  raisons  toutes  pratiques  pour  qu'on  puisse  y 
trouver  l'affirmation  d'une  solution  sur  une  question  de  pur  droit 
civil.  Le  Code  de  procédure  a  considéré  que  dans  le  lieu  où  est 
établie  la  société  se  trouveront  les  papiers,  les  titres,  les  docu- 
ments, les  registres  de  la  société,  et  que  là  se  trouveront  plus  faci- 

(1)  V.  pour  l'article  1845  :  Pothier,  n°  110;  pour  l'article  1846,  n°«  116, 
118,  119;  pour  l'article  1847,  a"  180;  pour  l'article  1859,  n<" 84,  86,  87. 


TIT.    IX    DU    CONTRAT    DE    SOCIÉTÉ.    ART.    1864.  45 

lement  les  moyens  de  vérification  que  les  parties  et  le  tribunal 
auront  l'occasion  et  le  désir  d'employer  (i). 

Faut-il  citer  l'article  529  du  Code  civil?  Ses  expressions  mêmes 
excluent  de  sa  décision  les  sociétés  civiles,  puisqu'il  parle  des  com- 
pagnies et  que  cette  expression  n'est  pas  usitée  à  propos  des  sociétés 
civiles,  et  qu'il  ajoute  pour  bien  acentuer  le  sens  de  ce  mot  ceux 
de  finance,  commerce  et  industrie. 

53  bis.  VIII.  La  personnalité  des  sociétés  civiles  n'est  donc  pas 
plus  consacrée  par  les  textes  qu'elle  n'est  rendue  probable  par  des 
traditions  anciennes.  Dès  lors,  comment  admettre  cette  fiction  ? 
Comment  accepter  que  des  particuliers  pourraient,  de  leur  volonté 
privée,  presque  sans  y  songer,  créer  une  personne,  établir  une 
séparation  dans  leur  patrimoine,  et  faire  naître  sur  certains  de 
leurs  biens  une  cause  de  préférence  en  faveur  de  certains  créanciers, 
contrairement  aux  dispositions  de  l'article  2093?  Comment  ne  pas 
voir  le  danger  d'une  semblable  création  que  rien  n'annoncerait  aux 
tiers,  ni  les  procédés  de  publicité  imposés  par  la  loi  aux  sociétés 
commerciales  (loi  de  juillet  1867,  art.  00-60),  ni  la  notoriété  de  fait 
qu'acquiert  une  entreprise  du  commerce  et  que  n'auront  pas  les 
trois  quarts  des  sociétés  civiles?  Comment  ceux  qui  traiteraient 
avec  un  associé  personnellement  pourraient-ils  savoir  que  sur 
quelques-uns  de  ses  biens  ils  se  trouveront  primés  par  d'autres 
créanciers  qui  ne  seront  ni  des  gagistes,  ni  des  créanciers  hypothé- 
caires ? 

53  bis.  IX.  Il  suffit  de  regarder  les  dispositions  du  Code  civil  que 
nous  avons  déjà  étudiées,  non  pas  dans  leurs  expressions,  mais  dans 
le  fond  même  de  la  doctrine  qu'elles  consacrent,  dans  l'ensemble 
des  règles  sur  les  sociétés  civiles,  pour  se  convaincre  que  le  Code 
n'a  pas  entendu  innover  quant  au  caractère  des  sociétés  civiles,  et 
qu'il  ne  les  a  pas  traitées  comme  des  personnes  morales. 

53  bis.  X.  Le  point  capital  est  celui-ci,  la  société  civile  n'a  pas 
de  nom,  elle  ne  se  présente  donc  pas  au  public  comme  une  personne, 
car  toute  personne  a  un  nom.  Les  sociétés  commerciales  ont  une 
désignation  spéciale  qui  est  la  représentation  d'une  individualité 
propre,  la  société  en  nom  collectif  et  la  société  en  commandite  ont 
pour  nom  uue  raison  sociale,  la  société  anonyme  est  qualifiée  par  la 
désignation  de  l'objet  de  son  entreprise  (art.  30,  C.  corn.).   C'est 

(1)  V.  Boitard  et  Colmet-Daage,  Procédure  civile,  t.  V,  p.  104.  Édit.  1879. 


40  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

l'affirmation  d'une  personnalité,  mais  le  Code  civil  n'impose  pas 
aux  sociétés  la  nécessité  de  porter  un  nom  distinct,  donc  il  ne  voit 
pas  en  elles  des  personnes. 

53  bis.  XI.  Ceci  n'a  trait  qu'à  l'apparence  extérieure  de  la  société, 
mais  au  fond  il  résulte  des  règles  du  Code  sur  les  dettes  de  la 
société,  (jue  la  société  n'existe  pas  comme  débitrice,  que  les  associés 
seuls  sont  débiteurs.  Supposez  une  dette  contractée  par  tous  les 
associés  ou  par  un  administrateur  ayant  pouvoirs  de  tous.  Nous 
avons  vu  que  cette  dette  se  divise  entre  tous  les  associés,  le  Code 
l'appelle  une  dette  sociale,  et  cependant  elle  ne  peut  être  exigée 
pour  le  tout  sur  l'actif  social,  et  le  créancier  ne  peut  pas  re- 
fuser le  paiement  partiel  qu'offrirait  un  des  associés.  C'est  qu'il 
n'y  a  pas  vraiment  de  créancier  social  ni  de  dette  sociale  parce  qu'il 
n'existe  pas  de  personnalité  sociale.  C'est  là  un  fait  juridique  qui 
ne  peut  pas  s'expliquer  autrement,  il  ne  se  rattache  pas  aux  prin- 
cipes sur  les  pouvoirs  des  associés,  car  si  l'on  peut  expliquer  parles 
principes  la  règle  finale  de  l'article  1862  :  l'un  des  associés  ne  peut 
pas  obliger  les  autres,  on  ne  saurait  expliquer  de  la  même  manière 
les  décisions  de  la  loi  sur  les  hypothèses  que  nous  avons  choisies. 
Quand  on  admet  que  la  société  est  une  personne,  on  ne  peut  pas 
trouver  d'autres  cas  que  ceux-là  dans  lesquels  la  société  serait 
engagée,  et  puisqu'elle  n'est  pas  tenue  dans  ces  hypothèses,  c'est 
qu'elle  n'existe  pas. 

53  bit.  XII.  Quand  on  s'occupe  des  créances  sociales  et  non  plus 
des  dettes,  on  voit  dans  l'article  1849  la  preuve  que  ces  créances 
se  divisent  comme  les  dettes.  L'article  1849  serait  inutile,  si  la 
créance  appartenait  à  la  société,  car  ce  que  l'associé  aurait  touché 
serait  un  à-compte  sur  la  créance  sociale  et  non  pas  un  paiement 
de  sa  part,  la  créance  ne  se  divisant  pas  en  parts. 

53  bis.  XIII.  Pour  corroborer  les  arguments  tirés  du  fond  même 
des  dispositions  du  Code  sur  l'organisation  des  sociétés,  il  faut  citer 
les  articles  529  C.  c.  et  69-6°  C.  Pr.,  qui  démontrent  a  contrario 
que  la  société  civile  n'est  pas  une  personne,  puisque  le  premier  de 
ces  articles  ne  donne  pas  à  la  part  des  associés  le  caractère  mobi- 
lier, quand  la  société  a  des  immeubles,  et  le  second  n'attribue  pas 
un  domicile  à  la  société  civile.  On  remarquera  qu'ici  l'argument  a 
contrario  n'est  pas  suspect,  car  il  conclut  à  l'application  d'un  prin- 
cipe général  :  dans  la  réalité,  les  personnes  ayant  une  existence  phy- 
sique, les  hommes,  peuvent  seuls  avoir  un  patrimoine  et  un  domicile. 


TIT.    IX.    DU    CONTRAT    DE    SOCIÉTÉ.    ART.     1864-,    \  865.       M 

Qu'il  existe  des  personnes  fictives  ayant  ces  droits,  cela  n'est  pas 
douteux,  mais  elles  n'existent  qu'à  titre  d'exception  et  en  vertu  de 
dispositions  précises  des  lois.  Nous  ne  rencontrons  pas  ces  disposi- 
tions quant  aux  sociétés  civiles,  et  nous  ne  devons  pas  interpréter 
d'une  manière  extensive  celles  qui  traitent  d'autres  sociétés  (1). 
53  bis.  XIV.  On  admet  aujourd'hui  que  les  sociétés  civiles  peuvent 
adopter  une  des  formes  établies  par  le  Code  de  commerce  pour 
les  sociétés  commerciales.  On  déduit  de  cette  circonstance  qu'on 
doit  se  référer  au  Gode  de  commerce  pour  déterminer  l'étendue 
des  obligations  des  associés  envers  les  tiers,  et  que  de  plus  elles 
sont  soumises  aux  conditions  de  publicité  exigées  par  les  lois  et  qui 
rendent  leur  existence  notoire  (2).  Ceci  étant,  il  n'y  a  plus  de 
raison  pour  refuser  à  ces  sociétés  la  personnalité  civile  (3).  La 
jurisprudence  a  même  été  plus  loin,  elle  attribue  ce  caractère  de 
personnalité  à  des  sociétés  civiles  se  présentant  sous  la  forme  ordi- 
naire, mais  qui  sont  constituées  avec  l'autorisation  du  gouverne- 
ment. Cette  idée  a  été  émise  par  M.  Demante;  il  l'appuie  sur  la 
décision  de  la  loi  du  21  avril  1810,  art.  8,  qui  déclare  mobilières 
les  actions  des  sociétés  formées  pour  l'exploitation  des  mines,  appli- 
quant ainsi  l'article  529  à  des  sociétés  qui  n'ont  pas  le  caractère 
commercial  (art.  32,  loi  de  1810)  (4). 


v 


CHAPITRE  IV. 

DES    DIFFÉRENTES    MANIÈRES    DONT    FINIT    LA    SOCIÉTÉ. 

54.  1°  La  société,  ayant  son  fondement  unique  daDS  la 
olonté  des  parties,  a  naturellement  pour  limite  le  temps 

que  cette  volonté  a  fixé.  V.  art.  1865-1°. 

55.  2°  Toute  société  suppose  un  fonds  commun  ;  elle  ne 

(1)  Sur  toute  cette  question,  v.  jValette,  De  la  propriété,  p.  51,  52  ;  M.  Boistel, 
Précis  du  droit  commercial,  p.  124,  édit.  1878;  M.M.  Lyon-Caen  et  Renault, 
Précis  du  droit  commercial,  p.  142-144.  En  sens  contraire  :  Troplong,  Sociétés, 
1. 1,  p.  58  ;  M.  Molinier,  Traité  du  droit  commercial,  t  I",  p.  217-220. 

(2)  V.  MM.  Lyon-Caen  et  Renault,  Précis  de  droit  commercial,  p.  288. 

(3)  V.  C.  C,  3  février  1868,  1-185. 

(4)  V.  t.  Il,  n°  357  bis.  IV. 


48  COURS    ANALYTIQUE   DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III, 

peul  donc  survivre  à  l'extinction  de  la  chose  qui  constituait  ce 
fonds  commun. Pareillement,  si  elle  n'avait  pour  objet  qu'une 
affaire  ou  négociation,  elle  finirait  par  sa  consommation. 
V.  art.  1865-2°. 

56.  3°  La  société  se  contractant  en  vue  des  qualités  per- 
sonnelles de  chacun  des  associés,  il  est  naturel  que  la  mort 
de  l'un  d'eux  en  entraîne  la  dissolution.  V.  art.  1865-3°,  et 
remarquez  qu'en  principe  celte  dissolution  doit  avoir  lieu  à 
l'égard  de  tous. 

57.  4°  La  même  raison  s'appliquait  au  cas  de  mort  civile  et 
s'applique  a  ceux  d'interdiction  et  de  déconfiture  de  l'un  des 
associés.  Dans  tous  ces  cas,  en  effet,  la  société,  d'une  part, 
ne  peut  se  continuer  avec  la  personne  qui  se  trouve  ainsi 
dépouillée  de  ses  droits,  ou  au  moins  de  leur  exercice,  et  qui 
n'offre  plus  aucune  garantie;  de  l'autre,  les  héritiers  ou  re- 
présentants de  cette  personne  n'ont  pas  qualité  pour  entrer 
dans  la  société  en  son  lieu  et  place.  V.  art.  1865-4°. 

58.  5°  Enfin  les  inconvénients  d'une  communauté  forcée  ont 
fait  admettre  ici  que  la  volonté  d'une  seule  partie  ou  de  quel- 
ques-unes d'entre  elles  pourrait,  en  général,  dissoudre  pour 
l'avenir  le  contrat  formé  par  la  volonté  de  toutes.  V.  art. 
1865-5°. 

58  bis.  L'énumération  des  causes  de  dissolution  de  la  société  par 
l'article  1865  ne  comprend  que  des  cas  de  dissolution  de  plein  droit;  à 
l'article  1871,  on  trouvera  des  hypothèses  où  la  dissolution  peut  être 
prononcée  par  les  tribunaux  en  connaissance  de  cause,  et  où  par 
conséquent  elle  ne  date  que  du  jugement. 

Dans  cette  énumération,  la  loi  ne  parle  pas  du  consentement 
mutuel,  mais  il  va  de  soi  que  le  consentement  de  tous  les  associés 
peut  détruire  le  contrat  formé  par  ce  consentement;  il  faudra 
toutefois  respecter  les  faits  accomplis  et  ne  pas  inspirer  aux  tiers 
la  croyance  à  l'existence  d'une  société  dissoute. 

59.  Après  cet  énoncé  général,  la  loi  reprend  en  particulier 
les  différentes  manières  dont  finit  la  société,  et  donne  à  ce 
sujet  les  explications  nécessaires  (art.  18664871). 

Mais  avant  d'entrer  à  cet  égard  dans  aucun  détail,  il  con- 


TIT.    IX.    DU    CONTRAT    DE    SOCIÉTÉ.    ART.    1865,    1866.       49 

vient  de  remarquer  que  la  dissolution ,  de  quelque  manière 
qu'elle  arrive,  ne  détruit  la  société  que  pour  l'avenir.  Con- 
séquemment  les  droits  et  obligations  que  pendant  sa  durée 
elle  a  respectivement  produits  dans  la  personne  des  associés, 
s'exercent  ou  s'exécutent  par  eux-mêmes  ou  par  leurs  re- 
présentants, après  la  dissolution. 

Ces  droits  et  obligations  s'appliquent  même  a  la  suite  des 
opérations  commencées,  pourvu  que  cette  suite  soit  directe 
et  nécessaire  (v.  à  ce  sujet  art.  1868). 

Bien  plus,  ils  pourraient  s'appliquer  aux  opérations  com- 
mencées depuis  la  dissolution ,  si  elles  l'avaient  été  dans  l'igno- 
rance de  l'événement  qui  produit  cette  dissolution  (v.  a  ce  sujet 
art.  2005,  2008,  2009,  et  Ulp.,  L.  65,  §  10,  D.  pro  soc). 

60.  La  société  a  temps  limité  cesse  de  plein  droit  a  l'ex- 
piration du  temps  fixé  5  mais  rien  n'empêche  qu'elle  soit 
prolongée  par  la  volonté  commune.  Seulement,  comme  c'est 
la  vraiment  un  nouveau  contrat  de  société,  !a  loi  exige  pour 
sa  preuve  un  écrit  revêtu  des  mêmes  formes  que  l'acte  même 
de  société.  V.  art.  1866. 

60  bis.  I.  La  dissolution  par  l'expiration  du  temps  suppose  que 
l'affaire  n'est  pas  terminée  ;  autrement  cette  cause  d'extinction  se 
confondrait  avec  la  suivante  (art.  1865-2°). 

La  prorogation  de  la  société  est  un  nouveau  contrat  qui  est  sou- 
mis, quant  à  sa  preuve,  aux  règles  qui  régissent  tout  contrat  de 
société  (art.  1834  et  1341),  c'est  ce  que  signifie  l'article  1866;  il 
parle  du  contrat  de  société  en  général  («'«  rem),  et  non  pas  du  con- 
trat intervenu  entre  les  parties  qui  font  une  convention  de  proro- 
gation. Si,  par  exemple,  le  premier  contrat  a  été  constaté  par  acte 
authentique,  le  second  pourra  être  constaté  par  acte  sous  seings 
privés,  ou  bien  celui-ci  ne  sera  pas  constaté  par  écrit,  alors  qu'un 
écrit  a  été  fait  pour  celui-là.  Dans  ce  cas,  la  prorogation  pourra  être 
prouvée  par  témoins  avec  commencement  de  preuve  par  écrit  ou 
sans  commencement  de  preuve,  si  l'objet  de  la  société,  lors  de  la 
prorogation,  n'a  pas  une  valeur  supérieure  à  150  francs.  Récipro- 
quement il  faudra  un  écrit  on  un  commencement  de  preuve  écrite 
alors  même  que  l'objet  de  la  première  convention  ne  valait  pas 
150  francs,  si,  lors  de  la  seconde,  il  a  acquis  une  valeur  supérieure. 
vm.  i 


50  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

Il  serait  déraisonnable  d'exiger  un  écrit  dans  le  premier  cas,  alors 
que  la  valeur  actuelle  de  l'objet  serait  trop  modique  pour  mériter 
les  frais  d'un  acte  écrit,  et  à  l'inverse  il  ne  serait  pas  plus  sensé  de 
dispenser  d'un  écrit  des  parties  qui  traitent  pour  une  valeur  consi- 
dérable, sous  le  prétexte  que  cette  valeur  a  été  produite  par  une 
valeur  modique  mise  en  société  il  y  a  dix  ou  vingt  ans. 

60  bis.  II.  Qu'on  ne  dise  pas,  dans  le  cas  où  le  premier  acte  était 
écrit,  que  la  prorogation  ne  peut  pas  être  prouvée  par  témoins, 
parce  que  ce  serait  prouver  contre  le  contenu  à  l'acte  primitif.  Cette 
observation  serait  absolument  erronée  ;  il  ne  s'agit  pas  de  prouver 
que  la  société  primitive  n'a  pas  existé  ou  que  ses  conditions  n'étaient 
pas  indiquées  dans  l'écrit,  on  reconnaît  qu'elle  a  existé,  que  l'acte 
était  exact;  mais  la  convention  ayant  perdu  ses  effets  lapsu  temporis, 
on  en  fait  une  seconde,  c'est  un  fait  nouveau,  et  ce  fait  nouveau  peut 
être  prouvé  par  témoins,  comme  peut  être  prouvé,  par  exemple,  le 
paiement  d'une  dette  de  100  francs  qui  avait  été  constatée  par  écrit. 

60  bis.  III.  Le  but  principal  de  l'article  1866  est  d'établir  que  la 
convention  de  société  doit  être  prouvée  par  la  démonstration  d'un 
fait  précis,  et  non  pas  seulement  par  une  présomption,  autrement 
dit  qu'il  n'y  a  pas,  dans  la  continuation  de  l'état  de  fait  créé  par  la 
société,  quelque  chose  qui  prouve  une  convention  tacite,  comme 
on  voit  en  matière  de  louage  la  tacite  reconduction  résulter  de  la 
continuation  de  l'état  de  fait  créé  par  le  bail  primitif  (art.  1738). 

61.  Il  n'est  pas  nécessaire,  pour  opérer  la  dissolution  de 
la  société  par  l'extinction  de  la  chose,  que  la  perte  porte  sur 
celle  qui  forme  a  elle  seule,  ou  sur  toutes  celles  qui  forment 
ensemble,  le  fonds  commun.  Il  peut  suffire  qu'elle  tombe  sur 
la  chose  dont  se  constitue  l'apport  de  l'un  des  associés.  C'est 
ce  qui  arrive,  a  quelque  époque  que  la  perte  survienne,  quand 
elle  porte  sur  une  chose  dont  la  jouissance  seulement  avait 
éternise  en  commun.  L'associé,  en  effet,  ne  pouvant  plus 
faire  jouir  la  société ,  doit  perdre  le  droit  réciproque ,  qui  lui 
appartenait  comme  équivalent  de  la  jouissance  qu'il  était  tenue 
de  procurer.  Il  cesse  donc  d'être  associé-,  ce  qui  emporte  na- 
turellement dissolution  de  la  société  a  l'égard  de  tous. 

Cette  règle  évidemment  ne  peut  s'appliquer  au  cas  où, 
l'apport  consistant  en  propriété,  la  perte  ne  survient  qu'après 


TIT.    IX.    DU    CONTRAT    DE    SOCIÉTÉ.    AKT.     1866,   1867.       51 

que  la  propriété  a  déjà  été  apportée  a  la  société.  Alors,  en 
effet,  l'associé  a  rempli  son  obligation,  et  la  perte  éprouvée 
en  commun  ne  peut  rompre  les  obligations  réciproques,  qui 
doivent  durer  tant  qu'il  reste  une  partie  du  fonds  commun. 

Mais  lorsque  la  propriété  de  la  chose  n'est  encore  que 
promise  et  non  apportée  à  la  société,  ce  qui,  selon  nous, 
suppose  nécessairement  qu'il  n'y  a  pas  eu  promesse  pure  et 
simple  d'apporter  un  corps  certain  (v.  art.  711,  1138,  d302), 
la  chose,  tant  que  la  mise  n'est  pas  effectuée,  demeure  aux 
risques  du  promettant.  Dans  ce  cas  donc,  comme  dans  celui 
où  l'apport  consiste  en  jouissance,  la  perle  de  la  chose  em- 
pêchera, faute  d'objet  ou  de  cause,  la  naissance  des  obligations 
respectives ^  la  société  par  conséquent  sera  dissoute,  ou,  pour 
mieux  dire,  elle  sera  réputée  n'avoir  jamais  existé.  V.  article 
1867;  à  ce  sujet,  v.  Ulp.,  L.  58,  pr.  et  §  1,  D.  pro  soc. 

61  bis.  I.  La  définition  du  contrat  de  société  suppose  qu'on  met 
quelque  chose  en  commun  en  vue  de  partager  le  bénéfice  qui  pourra 
un  résulter.  Si  la  chose  mise  en  commun,  ou  l'ensemble  des  choses 
mises  en  commun  périt,  il  n'est  plus  possible  d'en  tirer  de  bénéfice, 
et  la  société  ne  peut  plus  subsister.  Exemples  :  Plusieurs  ont  mis 
en  commun  le  droit  au  bail  d'une  ferme,  et  le  contrat  de  louage 
est  annulé,  ou  bien  plusieurs  ont  mis  en  commun  un  brevet  d'in- 
tention qui  est  déclaré  nul.  Dans  les  deux  cas,  la  société  ne  peut 
plus  fonctionner. 

61  bis.  II.  Nous  venons  de  citer  des  hypothèses  où  la  chose  mise 
en  commun  était  certaine  et  déterminée  dans  son  individualité.  Il 
faudrait  faire  une  distinction,  si  l'on  avait  mis  en  société  des  quan- 
tités, de  l'argent,  et  si  les  quantités  de  choses  fongibles  appartenant 
à  la  société  avaient  péri.  La  société  ne  serait  dissoute  que  dans  le 
cas  où  les  associés  ayant  limité  leurs  mises  en  argent  ou  en  denrées 
la  perte  aurait  porté  sur  la  totalité  ou  sur  le  dernier  reste  des 
apports  promis.  Il  en  serait  autrement  si  les  mises  n'avaient  point 
été  limitées;  seulement  un  des  associés  pourrait  demander  la  disso- 
lution en  invoquant  l'article  1871  et  en  faisant  admettre  par  les 
juges,  comme  juste  motif  de  dissolution,  l'événement  qui  prive  l'un 
ou  plusieurs  des  associés  des  ressources  nécessaires  pour  reconsti- 
tuer un  capital  social. 

4. 


52  COUIIS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

61  bis.  III.  La  perte  partielle  des  choses  mises  en  société  ne  dis- 
sout pas  la  société,  à  moins  que  cette  perte  ne  rende  impossibles  les 
opérations  sociales,  ce  qui  constituerait  une  cause  légitime  de  dis- 
solution (art.  1871). 

61  bis.  IV.  Il  faudra  cependant  donner  des  solutions  particulières 
quand  la  perte  partielle  du  fonds  social  constituera  la  perte  totale  de 
l'apport  de  l'un  des  associés.  Dans  ce  cas,  des  distinctions  sont  indi- 
quées d'une  manière  assez  obscure  par  l'article  1867.  Pour  les 
comprendre,  il  faut  examiner  séparément  le  cas  où  l'associé  dont 
l'apport  a  péri  avait  promis  un  apport  en  propriété,  et  le  cas  où 
il  avait  promis  un  apport  en  jouissance. 

61  bis.  V.  Apport  en  propriété.  Quand  l'un  des  associés  a  promis 
d'apporter  un  corps  certain,  et  que  ce  corps  certain  vient  à  périr 
par  cas  fortuit,  les  règles  générales  du  titre  des  contrats  ne  le 
rendent  pas  responsable  de  cet  accident;  les  risques  sont  pour  le 
créancier,  c'est-à-dire  ici  pour  la  société,  et  pour  parler  plus  exacte- 
ment, quand  la  société  est  civile,  il  y  a  plusieurs  créanciers  :  les  co- 
associés. Dire  que  la  perte  est  à  leur  charge,  c'est  dire  qu'ils  doivent 
remplir  leurs  engagements,  bien  que  l'associé  débiteur  de  l'apport 
n'ait  pas  exécuté  les  siens.  Par  conséquent,  la  société  subsiste,  et 
l'associé  dont  l'apport  a  péri  y  conserve  ses  droits.  Il  est  dans 
la  position  d'un  vendeur  qui  ne  livre  pas  la  chose  vendue  parce 
qu'elle  a  péri  par  cas  fortuit,  et  qui  cependant  a  droit  au  prix. 
(Art.  1624  et  1138.  Inst.  de  Justinien,  §  3,  deemptione  et  venditione.) 
L'article  1845  l'a  précisément  comparé  à  un  vendeur.  Cette  solution, 
que  l'ancienne  doctrine  appuyait  sur  la  règle  debitor  rei  certœ  rei 
interitu  liberatur,  est  en  outre  conforme  à  l'opinion  des  auteurs 
modernes,  qui  pensent  que  d'après  le  Code  civil  les  risques  sont  à  la 
charge  du  propriétaire  (i  ).  En  effet,  d'après  l'article  1138,  la  société 
ou  les  associés  sont  devenus  propriétaires  des  corps  certains  promis 
du  moment  même  où  a  été  faite  la  promesse  d'apport.  De  plus,  en  tenant 
compte  de  cet  article  1138,  le  dernier  paragraphe  de  l'article  1867 
est  en  parfaite  harmonie  avec  les  principes  du  titre  des  contrats  sur 
la  perte  de  la  chose,  puisqu'd  dit  que  la  société  n'est  pas  rompue 
quand  la  perte  survient  après  l'apport  effectué;  l'apport  est  effectué 
quand  la  société  ou  les  associés  sont  propriétaires,  c'est-à-dire  par 
la  promesse  d'apport,  donc  de  ce  moment  les  risques  sont  pour  la 

(1)  V.  L  V,  n°  58  bit.  II-IV. 


TIT.    IX.    DU    CONTRAT    DE    SOCIÉTÉ.    AKT.    1867.  53 

société,  puisqu'elle  continue  de  subsister,  quoiqu'elle  ne  bénéficie 
plus  de  Tapport  promis  par  l'un  des  associés. 

61  bis.  VI.  Il  résulte  de  ces  explications  qu'il  n'y  a  aucune  opposi- 
tion dans  leurs  termes  entre  le  premier  et  le  troisième  alinéa  de 
l'article  1867,  parce  que  ordinairement  l'expression  mise  effectuât 
exprime  la  même  pensée  que  les  mots  :  propriété  apportée  à  la 
société. 

61  bis.  VII.  Il  faut  cependant  ajouter  quelques  explications  sur  le 
premier  alinéa  de  l'article,  car,  d'après  ce  que  nous  venons  de 
dire,  il  semblerait  que  sa  disposition  principale  suppose  une  hypothèse 
impossible,  et  que  par  conséquent  l'ensemb|,e  de  l'article  annonce 
une  distinction  dont  on  ne  trouverait  jamais  l'application.  Voici  ce 
qui  peut  faire  naître  cette  pensée.  Si  la  promesse  d'apport  effectue 
par  elle-même  l'apport,  comment  la  loi  peut-elle  parler  du  cas  où  la 
perte  survient  avant  que  la  mise  soit  effectuée?  Le  contrat  de 
société  n'est  pas  fait,  alors  l'associé  n'est  pas  débiteur  et  la  société 
ne  peut  pas  se  dissoudre;  ou  le  contrat  est  fait,  les  obligations  sont 
nées,  et  la  propriété  des  apports  est  transférée,  les  mises  effectuées 
ipso  facto. 

61  bis.  VIII.  La  réponse  à  cette  objection  critique  se  tire  des 
principes  mômes  de  la  matière.  Il  y  a  des  cas  où  les  risques  d'un  corps 
certain  promis  ne  sont  pas  à  la  charge  du  créancier.  C'est  quand 
l'obligation  a  été  contractée  sous  une  condition  suspensive  (art. 
1182).  Un  vendeur  alors  subirait  les  conséquences  de  la  perte;  il 
en  sera  de  même  de  l'associé  qui  aura  promis  l'apport,  le  risque 
sera  pour  lui  en  ce  sens  qu'il  n'aura  pas  fait  d'apport,  qu'il 
ne  deviendra  pas  associé,  par  suite  la  société  sera  dissoute.  Cette 
hypothèse  pourra  se  rencontrer  assez  fréquemment  dans  la  pratique, 
car  on  peut  concevoir  qu'on  subordonne  l'apport  d'un  associé  à 
une  condition.  Exemples,  l'apport  d'un  navire  à  la  condition  qu'il 
reviendra  d'un  voyage,  l'apport  d'un  cheval  de  courses,  à  la  condi- 
tion qu'il  sera  vainqueur  dans  telle  course  préparatoire. 

61  bis.  IX.  Il  y  a  une  autre  règle  en  vertu  de  laquelle  la 
responsabilité  du  risque  retombe  sur  le  débiteur,  c'est  la  règle  sur 
la  demeure  (art.  1138  in  fine  et  1302).  On  peut  dire  que  l'ar- 
ticle 1867,  combiné  avec  la  1"  partie  de  l'article  1138,  déroge  à 
cette  règle  en  matière  de  société.  L'article  en  effet  n'admet  la  dis- 
solution de  la  société  au  cas  de  perte  qu'après  la  mise  effectuée.  Or, 
le  transport  de  la  propriété  qui  s'opère  de  plein  droit  est  indépendant 


54  C0DK8   ANALYTIQUR    DE   CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

du  retard  dans  la  livraison,  il  en  résulte  que,  quant  à  notre  question 
spéciale,  la  dissolution  de  la  société,  la  loi  déroge  aux  règles  ordi- 
naires de  la  demeure.  Aussi  bien  dans  un  grand  nombre  d'hypo- 
thèses la  règle  considérée  dans  son  ensemble  serait  inapplicable.  Le 
débiteur  en  demeure  peut  se  décharger  de  la  responsabilité  en  prou- 
vant que  la  chose  aurait  péri  chez  le  créancier;  ici  le  débiteur  est 
•en  même  temps  l'un  des  créanciers;  il  a  le  droit  de  se  servir  de  la 
chose;  quand  elle  est  chez  lui,  elle  peut  souvent  être  considérée 
comme  livrée  à  la  société.  Voilà  ce  qui  ne  permettrait  pas  d'ap- 
pliquer les  dispositions  de  l'article  1302. 

61  bis.  X.  Nous  dirons  qu'ici  la  règle  est  renversée,  parce  que 
les  principes  de  la  société  ne  permettent  pas  d'exonérer  complète- 
ment l'associé  des  suites  de  sa  demeure.  Il  est  toujours  responsable 
envers  la  société  des  dommages  qu'il  lui  a  causés  par  sa  faute  art. 
1830);  quand  l'apport  aura  péri  pendant  sa  demeure,  on  pourra  dé- 
montrer que  la  chose,  d'après  la  convention  des  parties,  ne  devait 
pas  être  chez  lui,  et  que  si  l'accident  n'eut  pas  dû  l'atteindre  là  où 
elle  aurait  dû  être,  il  y  a  faute  de  l'associé  débiteur,  partant 
obligation  à  des  dommages  et  intérêts.  La  société  ne  sera  pas  dis- 
soute, puisque  la  société  était  devenue  propriétaire  de  l'apport;  le 
débiteur  devra  une  indemnité,  mais  la  preuve  de  la  faute  sera  à  la 
charge  de  la  société,  tandis  que,  d'après  l'article  1302,  c'est  le  débi- 
teur qui  doit  prouver  le  fait  à  sa  décharge. 

61  bis.  XL  Apport  en  jouissance.  Ce  genre  d'apport  peut  se  con- 
cevoir de  deux  manières  :  ou  l'associé  aura  promis  de  faire  jouir  la 
société  d'un  certain  bien,  comme  un  bailleur  promet  de  faire  jouir 
le  preneur;  ou  l'associé  aura  apporté  le  droit  réel  de  jouissance,  soit 
en  constituant  le  droit  d'usufruit  en  faveur  de  la  société  personne 
morale,  ou  des  associés  si  la  société  n'a  pas  de  personnalité,  soit  en 
cédant  à  la  société  un  droit  réel  d'usufruit  qui  lui  appartenait  sur 
un  certain  bien. 

61  bis.  XII.  L'hypothèse  prévue  par  la  loi  est  la  première,  c'est 
évidemment  celle  qui  se  présentera  le  plus  souvent.  C'est  l'hypo- 
thèse de  Pothier  qui  suppose  qu'on  a  mis  en  commun  les  fruits  qui 
proviendraient  de  certaines  choses  (1).  Étant  donné  que  le  Code 
songe  à  un  associé  qui  a  promis  de  faire  jouir  la  société  d'un  certain 
bien,  la  solution  de  l'article  est  imposée  par  les  principes.  L'apport 

(1)  V.  Polhier,  n°  191. 


TIT.     IX.    DU    CONTRAT    DE    SOCIÉTÉ.    AÏIT.    1867,    1868.       55 

est  alors  successif,  il  ne  s'effectue  pas  en  une  seule  fois,  il  s'effectue 
d'une  manière  continue.  Le  jour  où  l'associé  ne  peut  plus  faire 
jouir  la  société,  il  n'a  plus  d'apport,  et  la  société  est  dissoute.  Tandis 
que  celui  qui  a  promis  la  propriété  ressemble  à  un  vendeur  qui 
n'est  pas  responsable  de  la  perte,  celui  qui  a  promis  de  faire  jouir 
ressemble  à  un  bailleur  qui  ne  peut  plus  percevoir  les  loyers  quand 
la  chose  a  péri  (art.  1741).  Il  ne  s'agit  pas  de  loyers  pour  un  associé, 
mais  il  s'agit  des  bénéfices  que  la  société  pouvait  lui  procurer,  sa 
participation  à  ces  bénéfices  n'aurait  plus  de  cause. 

61  bis.  XIII.  Nous  avons  dit  que  l'hypothèse  d'un  apport  ayant 
pour  objet  le  droit  réel  d'usufruit  serait  rare.  Si  cependant  l'apport 
a  été  ainsi  promis,  il  n'y  avait  pas  de  raison  pour  distinguer  cette 
hypothèse  de  celle  où  l'apport  se  fait  en  propriété.  Le  droit  d'usu- 
fruit étant  de  même  nature  que  le  droit  de  propriété,  l'apport  est 
complètement  effectué  par  l'acquisition  du  droit  d'usufruit.  Ce  droit 
est  périssable,  il  est  vrai,  mais  l'objet  apporté  en  propriété  est 
quelquefois  plus  périssable  encore,  donc  la  loi  n'a  pas  dû  distinguer 
entre  ces  deux  apports.  Xous  dirons  dès  lors  de  l'apport  en  usufruit 
ce  que  nous  avons  dit  de  l'apport  en  propriété.  Il  est  régi  par  le 
premier  et  le  troisième  alinéa  de  l'art.  1867.  Le  droit  est  acquis  à 
la  société  par  le  seul  effet  de  la  promesse  d'apport;  donc,  dès  que  la 
société  est  constituée,  il  n'y  a  plus  à  craindre  qu'elle  soit  dissoute 
par  la  perte  de  l'apport,  à  moins  toutefois  que  cet  apport  ait  été  fait 
sous  condition  suspensive,  parce  qu'il  faudrait  appliquer  l'article  1182. 

61  bis.  XIV.  La  loi  dans  l'article  1865  a  rapproché  de  l'extinction 
de  la  chose  la  consommation  de  la  négociation.  Ceci  suppose  que  la 
société  a  été  contractée  pour  des  opérations  limitées,  comme  la  con- 
struction d'un  pont  ou  l'établissement  d'un  canal.  Que  s'il  s'agit 
d'opérations  illimitées,  comme  la  vente  de  vins  par  divers  proprié- 
taires de  vignobles  vendant  uniquement  les  vins  de  leurs  crus  (nous 
choisissons  un  cas  de  société  civile),  la  négociation,  l'affaire  n'a  pas 
une  fin  nécessaire,  elle  peut  durer  indéfiniment;  mais  la  dissolution 
alors  sera  toujours  possible  en  vertu  de  l'article  1865-5*,  s'il  n'a  pas 
été  fixé  un  terme  par  la  convention. 

62.  Quoique  la  mort  de  l'un  des  associés  ait  en  général,  et 
d'après  la  nature  particulière  du  contrat,  l'effet  d'opérer 
une  dissolution  complète,  on  n'a  pourtant  jamais  douté  ni  pu 
douter  que  la  société  dût,  si  l'on  en  était  ainsi  convenu, 


56  COUliS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

se  continuer  entre  les  survivants  (v.  Paul,  L.  65,  §  9,  D.  pro 
soc).  Mais  il  paraissait  contraire  aux  principes  d'autoriser, 
même  par  Tellet  d'une  convention  expresse,  la  continuation 
de  la  société  avec  les  héritiers.  Ceux-ci,  en  effet,  ne  pouvant 
être  certainement  connus  a  l'avance,  il  est  impossible  de 
savoir,  au  moment  de  la  convention,  s'ils  auront  les  qualités 
requises  (v.  Ulp.,  L.  35-,  Ulp.  et  Pap.,  L.  52,  §  9;  Pomp., 
L.  59,  D.  pro  soc;  v.  pourtant  la  même  loi  59,  et  Ulp.,  L.  63, 
§  8,  eod.).  Quoi  qu'il  en  soit,  notre  Code,  faisant  prévaloir 
le  principe  de  la  liberté  des  conventions,  autorise  également 
Tune  et  l'autre  clause. 

Du  reste,  les  héritiers,  qui  eu  l'absence  d'une  clause 
expresse  ne  succèdent  point  a  la  qualité  d'associé,  n'en  suc- 
cèdent pas  moins  aux  droits  et  obligations  que  la  société  a 
produits  dans  la  personne  de  leur  auteur. 

Il  est  clair  qu'ils  peuvent,  si  la  société  ne  se  continue 
qu'entre  les  survivants,  en  demander  le  partage  en  ce  qui  les 
concerne.  Mais  leur  part  se  règle  naturellement  sur  la  situa- 
lion  au  moment  du  décès,  ce  qui  pourtant  n'exclut  pas  leur 
participation  aux  droits  ultérieurs,  en  tant  seulement  que  ces 
droits  seraient  une  suite  nécessaire  des  opérations  antérieures 
au  décès.  V.  art.  1868. 

62  bis.  1.  Lorsqu'il  a  été  convenu  que  la  société  continuerait  avec 
les  héritiers  de  l'associé  décédé,  il  est  bien  certain  que  la  clause  a 
pour  effet  d'autoriser  l'héritier  à  entrer  dans  la  société,  mais  elle 
produit  un  effet  plus  complet,  elle  lie  les  héritiers  envers  la  société, 
et  à  moins  de  renoncer  à  la  succession,  ils  sont  forcés  de  devenir 
associés.  Tout  cela  est  logique;  dès  que  la  loi  permet  à  l'héritier  de 
bénéficier  de  la  convention  faite  par  son  auteur,  c'est  qu'elle  ne 
le  considère  pas  comme  un  tiers,  d'où  cette  conséquence  qu'il  peut 
être  lié  par  la  même  convention.  La  règle  qui  déclare  les  conven- 
tions sans  effets  à  l'égard  des  tiers  est  commune  aux  conventions 
qui  engendrent  des  créances  et  à  celles  qui  font  naître  des  obligations. 
Voilà  pourquoi  l'article  1868  ne  fait  pas  de  distinction  quant  aux 
effets  de  la  convention  sur  la  continuation  de  la  société  avec  les  héri- 
tiers de  l'associé  prédécédé. 

62  bis.  il.  En  l'absence  de  la  clause  dont  nous  venons  de  parler, 


T1T.    IX.    DU    COKTUAT    DE    SOCIÉTÉ.    ART.    1868.    1869.       57 

les  héritiers  ne  sont  pas  associés,  ils  sont  cependant  tenus  de  cer- 
taines obligations  envers  la  société;  ils  doivent,  en  cas  d'urgence, 
continuer  l'affaire  commencée  par  l'associé  défunt,  et  dans  tous 
les  cas  ils  sont  tenus  d'avertir  les  autres  associés  du  décès  de  leur 
auteur  pour  que  ceux-ci  puissent  aviser. 

63.  Le  principe  qui  attribue  a  la  volonté  d'une  seule  des 
parties  le  pouvoir  d'opérer  la  dissolution  de  la  société  est 
sujet  à  plusieurs  exceptions  et  modifications. 

Ainsi  :  1°  il  n'est  applicable  en  général  qu'aux  sociétés  dont 
la  durée  est  illimitée,  car  lorsqu'il  y  a  un  terme  fixé,  soit 
par  l'expression  d'un  temps  déterminé,  soit  par  la  nature  de 
l'affaire  (art.  1844),  les  parties  sont  naturellement  censées 
s'être  réciproquement  obligées,  dans  l'intérêt  commun,  a 
rester  en  société  jusqu'à  l'expiration  du  terme. 

2°  Dans  le  cas  même  où  aucun  terme  n'a  été  fixé,  les  parties 
sont  toujours  censées  s'être  obligées  a  ne  point  se  retirer  de 
la  société  sans  se  prévenir  mutuellement,  et  a  ne  point  la 
rompre  dans  leur  intérêt  particulier  contre  l'intérêt  commun. 
Il  faut  donc  une  renonciation,  laquelle  doit  être  notifiée  a 
tous  ;  cette  renonciation  doit  être  de  bonne  foi  ;  elle  doit  n'être 
pas  faite  à  contre-temps.  V.  art.  1869. 

63  bis.  La  société  est  une,  elle  ne  peut  pas  exister  à  la  fois  et  ne 
pas  exister;  nous  dirons  donc  que  si  la  renonciation  a  été  notifiée 
à  quelques-uns  et  non  à  tous,  elle  n'aura  effet  à  l'égard  de  per- 
sonne, car  elle  ne  peut  pas  avoir  effet  par  rapport  à  ceux  à  qui  elle 
n'a  pas  été  notifiée  ;  ceux-ci  restent  donc  en  société,  ce  qui  entraîne 
le  maintien  de  la  société  tout  entière. 

64.  Il  est  évident  qu'il  n'y  a  pas  bonne  foi  de  la  part  de 
l'associé  qui,  après  avoir  couru  la  chance  de  participer  aux 
bénéfices  procurés  par  les  autres,  se  retirerait  pour  s'appro- 
prier seul  un  bénéfice  sur  lequel  ceux-ci  avaient  dû  compter. 
V.  art.  1870,  al.  1,  et  à  sujet  Paul,  L.  65,  §§  3  et  4,  D.  pro 
soc;  Just.,  Insl.,  §  4,  de  societ. 

65.  Il  n'est  pas  même  besoin  d'examiner  s'il  y  a  bonne  ou 
mauvaise  foi,  pour  refuser  effet  à  la  renonciation,  lorsqu'elle 
est  faite  à  contre-temps,  c'est-à-dire  à  une  époque  où  il  est 


58  COUKS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

de  l'intérêt  commun  de  différer  la  dissolution  de  la  société;  du 
reste,  cet  intérêt  n'existe  que  quand  les  choses  ne  sont  plus 
entières.  V.  art.  1870,  al.  dernier-,  et  a  ce  sujet,  Paul, 
L.  65,  5,  D.  pro  soc. 

65  bis.  Pothier  donne  comme  exemple  d'une  renonciation  intem- 
pestive, celle  qui  aurait  pour  résultat  de  dissoudre  la  société  et  de 
nécessiter  la  vente  du  fonds  social  dans  un  moment  où  les  choses 
composant  ce  fonds  auraient  subi  une  baisse  considérable  (i). 

66.  Une  observation  commune  à  tous  les  cas  où  la  renon- 
ciation ne  réunit  pas  les  conditions  requises,  c'est  que  l'ab- 
sence de  ces  conditions  peut  bien  autoriser  les  associés  du 
renonçant  à  faire  valoir  contre  lui  la  continuation  de  la  société, 
à  l'effet  de  partager  avec  lui  les  bénéfices  qu'il  a  pu  faire,  ou  de 
lui  faire  supporter  sa  part  dans  les  perles  par  eux  éprouvées-, 
mais  celui-ci  ne  pouvant  argumenter  des  vices  de  sa  renon- 
ciation ,  il  n'est  pas  réciproquement  admis  à  faite  valoir  à  son 
profit  la  continuation  de  la  société  (v.  Paul,  L.  17,  §  t; 
L.  65,  §6,  D.  pro  soc). 

Bien  plus,  lorsque  la  renonciation,  qui  réunit  d'ailleurs  les 
conditions  requises,  ne  pêche  que  par  le  défaut  de  bonne  foi 
(art.  1870,  al.  1),  la  nullité  consiste  uniquement  a  faire 
attribuer  à  la  société  le  profit  que  le  renonçant  avait  en  vue 
de  lui  soustraire.  Sous  tous  les  rapports ,  il  peut  lui-même 
argumenter  de  la  dissolution  opérée  par  sa  volonté  (v.  Jus/., 
Inst.,  §  4,  de  societ.). 

66  bis.  Il  faut  bien  comprendre  le  sens  qui  doit  être  donné  dans 
notre  droit  à  la  formule  que  M.  Demante  emprunte  aux  deux  textes  de 
Paul  qu'il  a  cités.  On  suppose  une  renonciation  faite  à  contre-temps, 
et  l'on  décide  qu'elle  ne  lie  pas  les  coassociés  du  renonçant,  mais 
qu'elle  le  lie  lui-même.  Libérât  a  se  socios,  se  a  sociis  non  libérât.  Il 
y  aurait  iniquité  à  exagérer  la  portée  de  cette  formule  et  à  dire  que 
les  associés  auront  contre  le  renonçant  le  droit  de  bénéficier  des 
opérations  par  lui  faites,  et  de  lui  imposer  sa  part  des  pertes,  mais 
que  le  renonçant  ne  pourra  plus  rien  demander  à  ses  coassociés. 
Il  n'est  pas  admissible  qu'une  personne  soit  à  la  fois  associée  et  non 

(1)  V.  Pothier,  n°  151. 


TIT.    IX.    DU    CONTRAT    DE    SOCIÉTÉ.    ART.    1870,    1871.       59 

associée.  Tout  ce  qu'on  peut  admettre,  c'est  que  le  renonçant  s'est 
mis  à  la  discrétion  de  ses  coassociés,  qui  peuvent  exiger  que  la 
société  soit  réputée  toujours  existante  avec  ses  effets  à  l'égard  de 
tous,  ou  qu'elle  soit  teuue  pour  inexistante  à  l'égard  de  tous  depuis 
la  renonciation  faite. 

Dans  le  cas  de  renonciation  faite  de  mauvaise  foi,  il  faut  tenir 
compte  du  droit  qui  appartient  à  l'associé  de  sortir  de  la  société; 
seulement  il  faut  attribuer  aux  associés  le  bénéfice  que  le  renonçant 
avait  voulu  injustement  s'approprier,  en  lui  attribuant  toutefois  les 
avantages  de  même  nature  que  la  société  aurait  dû  lui  procurer 
du  chef  de  ses  coassociés,  si  elle  avait  duré  jusqu'à  l'époque  où  le 
bénéfice  qu'il  voulait  se  réserver  lui  est  .ndvcnu.  Sous  cette  double 
réserve,  la  société  ne  produit  plus  d'effet  depuis  la  renonciation1. 

67.  Ainsi  qu'on  l'a  dit,  la  dissolution  par  la  volonté  d'un 
seul  ne  s'applique  pas  aux  sociétés  a  terme.  11  en  résulte  que 
celte  dissolution  ne  peut  en  principe  être  demandée  avant 
l'expiration  du  terme.  Ce  principe,  toutefois,  n'empêche  pas 
qu'elle  ne  puisse  l'être  pour  de  justes  motifs.  A  cet  égard,  la 
légitimité  et  la  gravité  des  cas  sont  laissées  a  l'arhilrage  des 
juges.  La  loi  mentionne  seulement  en  particulier  deux  causes 
de  dissolution,  dont  Pune,  l'inexécution  des  engagements, 
n'est  que  l'application  de  la  règle  commune  à  tout  contrat 
synallagmatique  (v.  art.  1184).  L'autre  cause  se  ratlache  aux 
principes  particuliers  de  la  société  :  chacun  devant  en  général 
y  apporter,  pendant  toute  sa  durée,  son  tribut  d'industrie, 
il  est  naturel  qu'elle  puisse  être  rompue  lorsqu'une  infirmité 
habituelle  rend  l'un  des  associés  inhabile  aux  affaires.  Ces 
deux  causes,  au  reste,  citées  par  l'orme  d'exemple,  doivent 
servir  de  règle  aux  juges  qui  ne  peuvent  en  admettre  d'autres 
qu'autant  qu'elles  sont  semblables  à  celles-là.  V.  art.  1871, 
et  à  ce  sujet  Ulp.,  L.  14;  Pomp.,  L.  15;  Ulp. ,  L.  1(3,  D. 
pro  soc. 

67  bis.  L'article  1851  consacre  dans  ses  premiers  mots  une 
décision  très-importante  :  la  société  à  terme  fixe  doit  durer  jusqu'à 
l'expiration  du  terme,  sans  qu'il  soit  fait  aucune  distinction  fondée 
sur  la  longue  durée  du  temps  convenu.  Rien  ne  rappelle  la  règle 
de  l'article  815,  qui  ne  permet  pas  de  faire  pour  plus  de  cinq  ans  la 


60  COL:îS  analytique  de  code  civil.   LIV.    III. 

convention  de  rester  dans  l'indivision.  Cette  règle  de  notre  article 
n'a  rien  que  de  très-naturel  quand  on  admet  la  personnalité  de 
toutes  les  sociétés.  L'article  815  est  alors  inapplicable,  parce  qu'il 
n'existe  pas  d'indivision  dans  l'hypothèse  prévue.  Mais  quand  on 
pense  comme  nous  que  les  sociétés  civiles  ne  sont  pas  des  personnes 
morales,  il  faut  voir  dans  l'article  1871  une  exception  à  la  règle  de 
l'article  815.  Comme  la  disposition  de  l'article  815  sur  laquelle  nous 
raisonnons  est  elle-même  une  exception  à  un  principe  fondamental, 
celui  de  la  liberté  des  conventions,  il  n'est  pas  difficile  d'admettre 
que  cette  disposition  n'est  pas  absolue,  et  il  est  bien  permis  d'in- 
terpréter dans  le  sens  d'une  dérogation  à  cette  disposition  un  texte 
aussi  clair  que  celui  de  l'article  1871.  Aussi  bien,  les  raisons  qui 
ont  dicté  la  règle  de  l'article  815  in  fine  perdent  une  grande  partie 
de  leur  force  quand  il  s'agit  d'une  indivision  entre  associés  pendant 
la  durée  de  la  société.  Les  copropriétaires  ne  sont  pas  unis, 
presque  malgré  eux,  par  le  hasard  d'une  vocation  commune  à  une 
succession.  Ils  se  sont  choisis,  et  c'est  là  une  chance  que  l'indivision 
n'engendrera  pas  entre  eux  des  dissensions.  Secondement,  l'indivi- 
sion a  été  considérée  dans  l'article  815  comme  un  mal,  au  point  de 
vue  économique,  parce  qu'elle  empêchera  souvent  l'amélioration  des 
biens,  elle  les  rendra  improductifs.  La  société,  au  contraire,  est  con- 
sidérée comme  un  puissant  agent  de  production;  elle  n'a  pas  pour 
but  la  simple  conservation,  la  stagnation,  elle  a  été  contractée  pour 
faire  prospérer  le  fonds  commun,  et  elle  arrive  souvent  à  ce 
résultat;  c'est  bien  assez  pour  légitimer  l'exception  que  notre  article 
a  faite  en  sa  faveur  à  la  règle  un  peu  tyrannique  de  l'article  815 
in  fine. 

68.  La  dissolution  de  la  société  a  pour  effet,  en  laissant  in- 
divis entre  les  associés  les  biens  composant  le  fonds  commun, 
d'ouvrir  pour  chacun  le  droit  de  sortir  d'indivision  par  un  par- 
tage. La  loi  applique  naturellement  a  ce  partage  les  règles 
établies  pour  celui  des  successions,  notamment  en  ce  qui 
concerne  sa  forme  et  les  obligations  qui  en  résultent  entre 
les  cohéritiers.  V.  art.  1872. 

68  bis.  I.  L'article,  dans  sa  disposition  première  qu'on  peut 
considérer  comme  principale,  renvoie  aux  règles  concernant  le 
partage  des  successions,  et  s'il  s'était  borné  à  cette  simple  for- 
mule, on  ne  saurait  élever  aucune  difficulté  sur  la  portée  qu'il 


T1T.    IX.    DU    CONTRAT    DE    SOCIÉTÉ.    ART.    1872.  61 

doit  avoir.  Malheureusement  le  texte,  en  développant  sa  première 
expression,  paraît  en  diminuer  la  compréhension.  Il  parle  de  la 
forme  du  partage  et  des  obligations  entre  les  cohéritiers,  mais  il  ne 
dit  pas  qu'il -faudra  appliquer  les  règles  sur  les  effets  du  partage; 
delà  naît  une  question  sur  l'application  de  l'article  883,  c'est-à-dire 
sur  le  point  de  savoir  si  l'effet  du  partage  de  société  est  déclaratif 
ou  translatif  de  propriété. 

Les  raisons  pratiques  et  économiques  qui  expliquent  dans  le  droit 
moderne  la  disposition  de  l'article  883,  ne  rendent  guère  acceptable 
l'idée  que  le  Code  civil  ait  voulu  attribuer  au  partage  de  société 
l'effet  translatif  quand  tous  les  autres  actes  faisant  cesser  une  indi- 
vision quelconque  ont  l'effet  déclaratif.  Quand  l'article  1872  ren- 
voie d'une  manière  générale  aux  règles  sur  le  partage,  il  ne  peut 
pas  avoir  immédiatement  amoindri  l'effet  de  ce  renvoi.  Si  telle  avait 
été  son  intention,  il  l'aurait  manifestée  bien  simplement  par  l'addi- 
tion d'un  seul  mot,  en  disant  :  les  règles  concernant  le  partage  des 
successions  sur  la  forme  de  ce  partage  et  les  obligations  qui  en 

résultent Au  contraire,  la  rédaction  n'indique  pas  une  intention 

restrictive,  le  membre  de  phrase  ajouté  a  plutôt  une  portée  expli- 
cative; cela  est  facile  à  démontrer  si  l'on  examine  de  près  comment 
est  distribué  le  chapitre  du  titre  des  successions  qui  traite  du  par- 
tage. Il  comprend  cinq  sections,  sur  lesquelles  la  2e  et  la  3e,  qui 
traitent  des  rapports  et  du  paiement  des  dettes,  donnent  des  règles 
étrangères  à  la  théorie  proprement  dite  de  l'indivision ,  règles 
régissant  spécialement  des  relations  entre  cohéritiers;  il  est  clair 
que  l'article  1872  n'a  pas  voulu  renvoyer  à  ces  deux  sections.  La 
1"  section  traite  de  l'action  en  partage  et  de  sa  forme,  l'article  1871 
ne  rappelle  que  la  2*  partie  de  cet  intitulé,  mais  il  est  bien  certain 
qu'il  vise  aussi  l'action  en  partage.  La  section  IV  a  pour  rubrique  : 
Des  effets  du  partage  et  de  la  garantie  des  lots.  C'est  à  celui-là  que 
fait  allusion  l'article  1872,  quand  il  parle  des  obligations  entre  co- 
héritiers. Rien  ne  rappelle  la  section  V  :  De  la  rescision  en  matière 
de  partage,  et  cependant  on  a  toujours  reconnu  que  le  partage  des 
sociétés  était  soumis  aux  causes  de  rescision  qui  menacent  le 
partage  des  successions.  Une  observation  du  Tribunat  a  même 
fait  supprimer  du  projet  d'article  une  disposition  qui  refusait  aux 
associés  la  rescision  pour  cause  de  lésion,  seul  cas  de  rescision  qui 
ait  un  caractère  exceptionnel.  De  tout  cela  résulte  bien  la  preuve 
qu'on  n'a  pas  voulu  soustraire  le  partage  des  sociétés  à  la  règle  de 


62  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

l'article  883,  qui  est  la  règle  dominante  de  la  matière  des  par- 
tages. 

68  bis.  II.  La  propriété  du  copartageant  remonte  donc  à  une 
époque  antérieure  au  partage,  à  l'époque  où  a  commencé  l'indi- 
vision. En  matière  de  succession,  l'indivision  commence  au  décès 
de  l'auteur  des  copartageants;  en  matière  de  société,  il  faudra  dis- 
tinguer :  pour  les  cas  où  la  société  est  une  personne,  l'indivision  ne 
commence  qu'à  la  dissolution  de  la  société;  quand  la  société  n'a  pas 
de  personnalité,  l'indivision  a  existé  pendant  la  société,  c'est-à-dire 
depuis  le  moment  où  l'objet  est  entré  dans  le  fonds  social. 

68  bis.  III.  Nous  ferons  toutefois  observer  que  pendant  la  société 
il  a  pu  être  créé  sur  les  biens  sociaux  des  droits  réels  du  chef  de  la 
société  ;  s'ils  ont  été  constitués  par  quelqu'un  qui  en  avait  le  droit,  par 
exemple  par  un  administrateur  investi  du  pouvoir  d'aliéner,  ou 
par  l'unanimité  des  associés  quand  il  n'existe  pas  d'administrateur, 
ces  droits  réels  ne  tomberont  pas  par  l'effet  du  partage,  car  le  co- 
partageant loti  aura  été,  soit  par  lui-même,  soit  par  son  représentant, 
un  des  constituants  de  ce  droit. 

68  bis.  IV.  Parmi  les  règles  en  matière  de  partage,  il  en  est 
une  que  nous  appliquerons  au  partage  des  sociétés ,  c'est  celle  de 
l'article  841,  qui  établit  un  droit  de  retrait  dans  le  cas  où  l'héritier 
a  cédé  à  un  étranger  ses  droits  successifs.  Notre  solution  s'appuie 
d'abord  sur  les  raisons  générales  que  nous  avons  données  à  propos 
de  l'article  883;  le  renvoi  de  l'article  1872  est  général;  de  plus,  en 
renvoyant  aux  dispositions  sur  les  formes  du  partage,  on  peut  dire 
qu'il  renvoie  expressément  à  la  section  lre  du  chapitre,  et  c'est  dans 
cette  section  que  se  trouve  l'article  841.  Nous  considérons  en  outre 
l'article  qui  consacre  le  droit  de  retrait,  non  pas  comme  une  dis- 
position introduite  dans  l'intérêt  des  familles,  mais  comme  une 
règle  inspirée  par  l'esprit  qui  a  dicté  l'article  1699  sur  le  retrait 
litigieux;  le  retrait  dit  successoral  nous  paraît  une  variété  du  retrait 
litigieux.  Le  partage  est  toujours  envisagé  par  le  législateur  comme 
une  sorte  de  litige  donnant  lieu  à  une  action;  et  à  cette  opération 
peut  très-bien  s'appliquer  le  motif  de  paix  publique  qui  a  produit  l'ar- 
ticle 1699  destiné  à  éteindre  des  contestations. 

Nous  ajouterons  que  les  associés  peuvent  avoir,  dans  bien  des 
cas,  un  intérêt  capital  à  écarter  du  partage  les  étrangers,  car,  lors- 
que la  société  aura  fait  des  opérations  commerciales  ou  industrielles, 
il  sera  dangereux  de  laisser  un  étranger,  un  concurrent  peut-être, 


T1T.    IX.    DU    CONTRAT    DE    SOCIÉTÉ.    AHT.    1872,    1873.       63 

s'immiscer  dans  le  secret  des  affaires  de  la  société,  de  ses  relations 
commerciales  et  de  ses  procédés  de  fabrication. 

Disposition  relative  aux  sociétés  de  commerce. 

69.  Les  principes  du  droit  civil  sur  le  contrat  de  société, 
quoique  généralement  applicables  aux  sociétés  de  commerce, 
ne  s'y  appliquent  cependant  que  sous  certaines  modifications 
ou  dérogations,  introduites,  soit  par  des  lois  spéciales,  soit 
simplement  par  les  usagesdu  commerce.  Notre  Code  lui-même 
subordonne  expressément  a  ces  lois  ou  usages  les  règles  qu'il 
a  ici  établies.  V.  1873,  et  a  ce  sujet  C.  comm.,  art.  18-64,  et 
loi  du  24  juillet  1867. 


TITRE  DIXIEME. 

DU    PRÊT. 

70.  Le  mot  prêt,  formé  du  htinpr  ces  tare,  indique  la  remise 
ou  tradition  d'une  chose  sans  translation  de  propriété.  Ce  mot 
est  spécialement  appliqué  dans  notre  langue  à  la  communication 
officieuse  qu'une  personne  fait  de  sa  chose  à  une  autre  per- 
sonne, pour  que  celle-ci  l'emploie  temporairement  à  son  usage 
et  la  rende  ensuite.  Bien  plus,  comme  l'aliénation  des  choses 
qui  consistent  en  nombre,  poids  ou  mesure,  lorsqu'elle  est 
f  aite  à  la  charge  de  restituer  pareille  quantité  et  qualité,  équi- 
vaut réellement  à  la  concession  du  simple  usage,  on  a  étendu 
également  à  ce  cas  le  nom  de  prêt,  que  notre  Code  semble 
même  lui  appliquer  plus  particulièrement. 

Ainsi  l'on  confond  chez  nous,  sous  cette  dénomination, 
deux  contrats  bien  distincts,  entre  lesquels  le  droit  romain 
n'établit  de  rapport  que  dans  la  manière  de  les  former. 

L'un  (commodatum) ,  que  nous  appelons  aussi  en  français 
commodat,  n'ayant  vraiment  pour  objet  que  l'usage  proprement 
dit,  reçoit  le  nom  de  prêt  à  usage.  Il  est  du  reste  évident  qu'il 
ne  peut  s'appliquer  qu'aux  choses  susceptibles  d'usage  sans 
consommation. 

Quant  a  l'autre,  seul  applicable,  mais  non,  comme  la  loi  le 
donnerait  à  entendre,  exclusivement  borné  aux  choses  qui  se 
consomment  par  l'usage,  c'est  le  contrat  appelé  en  latin  mu- 
tuum,  que  notre  Code,  d'après  nos  anciens  auteurs,  désigne 
sous  le  nom  de  prêt  de  consommation,  ou  qu'il  appelle  sim- 
plement prêt.  V.  art.  1874. 

70  bis.  Les  choses  qui  se  consomment  habituellement  par  le 
premier  usage  peuvent  être  l'objet  d'un  commodat  lorsque,  d'après 
la  convention  des  parties,  l'usage  que  l'emprunteur  doit  en  faire  ne 


T1T.    X.    DU    PRÊT.    AKT.     1874.  65 

les  détruira  pas.  Exemples  :  un  peintre  emprunte  un  fruit  ou  une 
fleur  pour  la  peindre,  un  changeur  emprunte  une  pièce  de  monnaie 
étrangère  pour  l'exposer  aux  regards  des  passants.  L'obligation  de 
l'emprunteur  ne  porte  plus  alors  sur  une  quantité,  c'est-à-dire  sur 
une  chose  considérée  seulement  quant  à  la  classe  d'êtres  à  laquelle 
elle  appartient,  mais  sur  un  corps  certain,  une  chose  envisagée 
individuellement,  comme  ne  se  confondant  avec  aucune  autre  de 
la  même  espèce.  L'emprunt  est  fait  ad  pompam  et  ostentationem. 

La  distinction  entre  le  commodat  et  le  prêt  de  consommation  ou 
mutuum  ne  tient  donc  pas  tant  à  la  nature  même  des  choses  prêtées 
qu'à  la  volonté  des  parties.  L'article  1874  peut  être  considéré  comme 
exprimant  cette  pensée,  si  l'on  sous-entend  dans  les  deux  phrases  qui 
caractérisent  les  deux  contrats  de  prêt  les  mots  :  d'après  la  volonté 
des  parties. 

71.  Chacune  des  deux  espèces  de  prêt  fait  l'objet  d'un 
chapitre  spécial.  En  outre,  la  stipulation  d'intérêts  soumettant 
le  prêt  de  consommation  a  des  règles  particulières,  le  prêt  à 
intérêt  forme  une  sorte  de  contrat  a  part,  auquel  le  Code  con- 
sacre un  troisième  chapitre. 


CHAPITRE  PREMIER. 

DU    PiiÉT    A    USAGE    OU    COMMODAT. 

72.  Ce  chapitre  et  le  suivant  sont  divisés  en  trois  sections  : 
la  première  contient  les  principes  qui,  en  constituant  la  nature 
du  contrat,  servent  a  le  distinguer  des  autres;  les  deux  der- 
nières comprennent  en  détail  les  engagements  qui  en  résultent, 
soit  de  la  part  de  l'emprunteur,  soit  de  la  part  du  prêteur. 

SECTION  I. 

De  la  nature  du  prêt  à  usage. 

73.  Pour  constituer  le  prêt  a  usage  ou  commodat,  il  faut: 
1°  qu'une  des  parties  livre  une  chose  a  l'autre,  car  il  n'y  a  pas 

vin.  5 


66  COUKS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

encore  prêt  tant  que  la  chose  n'est  pas  au  pouvoir  de  l'em- 
prunteur; c'est  ce  qui  range  le  prêt  dans  la  classe  des  contrats 
réels  (1). 

2°  Il  faut  qu'on  livre  la  chose  pour  s'en  servir,  ce  qui  dis- 
tingue particulièrement  le  commodat  du  dépôt. 

3°  Il  faut  que  la  tradition  soit  faite  a  la  charge  de  restitution, 
sans  quoi  il  n'y  aurait  point  prêt,  mais  donation. 

4°  La  charge  de  restitution  doit  porter  sur  la  chose  même  5 
ce  qui  distingue  essentiellement  le  commodat  du  prêt  de  con- 
sommation. 

Ces  quatre  conditions  ressortent  de  la  définition  donnée  par 
la  loi.  V.  art.  1875. 

5°  Il  faut  que  l'usage  de  la  chose  soit  accordé  gratuitement, 
car  le  commodat  est  essentiellement  un  contrat  de  bienfai- 
sance-, autrement  il  y  aurait  louage,  ou,  en  tout  cas,  il  n'y 
aurait  plus  commodat.  V.  art.  1876. 

73  lis.  Le  contrat  sera  un  louage  si  celui  qui  se  sert  de  la  chose 
paie  un  prix  en  argent;  dans  le  cas  contraire,  ce  sera  un  contrat 
innomé,  ce  qui  n'a  pas  d'importance  dans  notre  droit,  puisque 
ces  contrats  se  forment  comme  les  autres,  par  le  seul  consentement, 
et  qu'ils  produisent  les  effets  des  contrats  nommés  avec  lesquels 
ils  ont  le  plus  d'affinité. 

74.  Des  principes  ci-dessus  il  résulte  que  le  commodat  est 
un  contrat  réel  et  de  bienfaisance,  qui  produit  de  la  part  de 
l'emprunteur  une  obligation,  non  pas  unique,  mais  principale, 
celle  de  restituer.  Nous  verrons  qu'il  en  naît  aussi  des  enga- 
gements pour  le  prêteur;  mais  les  obligations  de  celui-ci, 
n'étant  qu'implicites  ou  incidentes,  ne  suffisent  point  pour 
attribuer  au  contrat  le  caractère  de  synallagmatique.  Toutefois, 
il  est  de  ceux  que  les  auteurs  appellent  synallagmatiques  im- 
parfaits (2). 

75.  Remarquons  ici  que  la  loi  n'indique  pas  comme  con- 
dition essentielle  du  commodat,  qu'il  soit  fait  pour  un  temps 


(1)  V.  t.  V,  n«  9  bis.  11. 

(2)  V.  t.  V,n°5fcù.  II. 


TIT.    X.    DU    PRÊT.    AKT.    1876.  67 

fixe  ou  pour  un  usage  déterminé.  Cette  condition  cependant 
est  indiquée  par  la  doctrine  comme  caractère  distinctif  du 
commodatet  de  la  convention  appelée  précaire  (v.  à  ce  sujet 
Ulp.,  L.  1  ;  Paul,  L.  14,  D.  deprec).  Mais  cette  convention 
paraît  comprise  par  le  Code  sous  le  nom  général  de  prêt 
à  usage,  et  avec  raison,  car  les  différences  substantielles  que 
les  principes  du  droit  romain  établissaient  entre  elle  et  le 
contrat  de  commodat  n'ont  aucune  application  à  notre  droit 
français. 

A  l'égard  de  diverses  autres  conventions,  qui,  en  l'absence 
de  quelqu'une  des  conditions  constitutives  du  commodat,  tien- 
nent pourtant  plus  ou  moins  de  sa  nature,  voyez,  notamment 
Papin.,  L.  1,  §  2;  L.  47,  §  2,  D.  de  prœscr.  verb.;  Ulp., 
L.  10,  §  1,  D.  commod. 

75  bis.  La  convention  de  précaire  se  présentait  en  droit  romain 
comme  différente  du  contrat  de  commodat  en  ce  que  celui  qui 
laissait  sa  chose  entre  les  mains  d'autrui  se  réservait  la  faculté  de 
la  reprendre  à  son  caprice,  à  une  époque  quelconque.  Sous  ce  rap- 
port-là, il  ne  nous  est  pas  difficile  de  confondre  en  droit  français  cette 
convention  avec  le  contrat  de  commodat,  c'est  un  commodat  dans 
lequel  les  parties  ont  conventionnellement  dérogé  à  l'article  1888. 

D'autres  différences  existaient  en  droit  romain  entre  le  commodat 
et  le  précaire.  La  plus  saillante  consistait  en  ce  que  celui  qui  avait 
reçu  la  possession  précaire  avait  la  possession  de  la  chose.  Nous 
ne  pouvons  pas  admettre  qu'il  en  soit  ainsi  dans  notre  droit,  qui 
n'admet  pas  la  possession  sans  Yanimus  domini. 

Pothier  indique,  dans  son  chapitre  IV,  d'autres  conventions  voisines 
du  contrat  de  prêt  et  dans  lesquelles  il  refuse  de  voir  des  commodats. 
Exemple  :  la  convention  avec  une  personne  qui  reçoit  une  chose 
pour  l'apprécier  ou  pour  l'essayer.  Il  avoue  que  ces  conventions 
produisent  des  obligations  semblables  à  celles  qui  naissent  du  prêt 
à  usage,  mais  il  les  en  distingue  au  point  de  vue  de  la  responsa- 
bilité des  fautes  commises  par  l'emprunteur.  Il  nous  est  indifférent 
de  faire  ces  distinctions,  puisque  aujourd'hui  tous  les  débiteurs  de 
corps  certains  sont  soumis  à  une  règle  uniforme  en  ce  qui  touche 
leur  responsabilité  ;  ils  doivent  tous  donner  à  la  chose  les  soins  d'un 
bon  père  de  famille  (art.  1137). 


(i«S  COUKS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

76.  La  tradition  de  la  chose  prêtée  n'ayant  pour  objet  que 
de  procurer  la  (acuité  d'en  user,  il  est  certain  que  le  prêteur 
demeure  propriétaire.  V.  art.  1877.  Ajoutons  qu'il  ne  confère 
même  pas  à  l'emprunteur  le  droit  réel  d'usage  :  il  est  seule- 
ment obligé  a  le  laisser  user. 

77.  Toute  espèce  de  biens,  par  conséquent  les  immeubles 
comme  les  meubles  {Ulp.,  L.  1,  §  1,  D.  commod.),  peuvent 
êlre  prêtés.  Seulement,  ici  comme  dans  tout  contrat,  l'objet 
doit  être  dans  le  commerce  (v.  art.  1128);  ce  qui  du  reste 
n'exclurait  pas  le  prêt  de  la  chose  d'autrui  [Paul,  L.  15;  Mar- 
celle L.  16,  D.  commod.;  v.ace  sujet  art.  1938).  En  outre,  la 
nature  particulière  du  commodat  ne  permet  pas  de  lui  donner 
pour  objet  une  chose  qui  se  consomme  par  l'usage.  V.  art. 
1878-,  et  remarquez  que  par  choses  qui  se  consomment  on 
doit  entendre,  non  pas  toutes  celles  dont  c'est  la  destination 
ordinaire,  mais  seulement  celles  qui,  dans  l'espèce,  n'auraient 
pas  effectivement  une  autre  destination  (v.  Ulp.,  L.  3,  §  6; 
Gaius,  L.  4,  D.  commod.)  (1). 

78.  On  contracte  en  général  pour  soi  et  pour  ses  héritiers 
(art.  1122).  Celte  règle  s'applique  au  commodat,  en  ce  sens 
même  que  les  héritiers  de  l'emprunteur  peuvent  continuer 
d'user  de  la  chose. 

Toutefois  ce  droit  des  héritiers,  que  la  nature  même  du 
contrat  de  bienfaisance  suffisait  peut-être  pour  exclure  d'une 
manière  générale  (v.  Cels.,  L.  12,  §  1,  de  prec),  est  avec 
grande  raison  refusé  par  la  loi,  si  l'on  n'a  prêté  qu'en  consi- 
dération de  l'emprunteur,  et  à  lui  personnellement.  V.  art. 
{879. 

SECTION  II. 

Des  engagements  de  l'emprunteur. 

79.  La  principale  obligation  de  l'emprunteur  est  celle  de 
restituer;  elle  suffirait  pour  lui  imposer  celle  de  veiller  à  la 

(1)  V.  tupra,  n»  70  Ai*. 


T1T.  X.  DU  PRÊT.  ART.  4880,  1881.         69 

garde  et  à  la  conservation  de  la  chose  (v.  art.  1136),  et  d'y 
apporter  les  soins  d'un  bon  père  de  famille  (v.  art.  1137).  Cette 
dernière  obligation  doit  s'appliquer  ici  d'autant  plus  rigoureuse- 
ment, que  le  contrat  intervient  dans  le  seul  intérêt  de  l'obligé 
(v.  Gaius,  L.  1,  §  4,  D.  de  oblig.  et  act.;  Ulp.,  L.  5,  §  2,  D. 
commod.;  v.  pourtant  Ulp.,  L.  5,  §  10;  Gains,  L.  18,  D. 
commod.). 

En  outre ,  l'emprunteur,  n'ayant  d'autre  droit  que  celui  qu'il 
tient  de  la  bienveillance  du  prêteur,  doit  renfermer  strictement 
l'usage  qu'il  fait  de  la  chose  dans  les  limites  qui  lui  sont  tra- 
cées, soit  par  la  convention  expresse,  soit  par  la  convention 
tacite  résultant  à  cet  égard  de  la  nature  de  la  chose. 

Il  est  clair  que  la  négligence  ou  l'abus  le  rendrait  passible 
de  dommages-intérêts.  V.  art.  1880. 

80.  Toutefois  l'emprunteur  ne  répond  point  en  général 
des  cas  fortuits  ou  de  la  force  majeure-,  ce  qui  est  sans  diffi- 
culté, lorsque  l'accident  qui  détruit  ou  détériore  la  chose 
serait  arrivé  également  chez  le  prêteur,  et  n'a  point  consé- 
quemment  le  prêt  pour  cause.  Mais  l'application  du  principe 
n'est  point  bornée  là  :  en  effet,  la  faveur  due  au  prêteur  ne 
doit  pas  aller  jusqu'à  le  soustraire  aux  risques  auxquels  il  s'est 
volontairement  exposé  en  prêtant  la  chose.  Il  ne  peut  donc,  a 
moins  d'une  convention  particulière,  que  rien  n'autorise  à 
supposer,  se  faire  indemniser  par  l'emprunteur  du  tort  que  le 
prêt  lui  a  occasionné ,  lorsque  ce  tort  ne  provient  pas  d'un  fait 
imputable  à  celui-ci  (v.  art.  1147, 1 148,  1302). 

81 .  Les  motifs  indiqués  pour  soustraire  l'emprunteur  a  la 
responsabilité  ne  subsistent  plus  lorsque  c'est  contre  la  volonté 
du  prêteur  qu'il  employait  la  chose  au  moment  où  l'accident 
est  survenu  :  soit  qu'il  en  fît  un  usage  contraire  à  la  convention 
expresse  ou  tacite,  soit  qu'il  continuât  a  s'en  servir  après 
l'expiration  du  temps  accordé.  Alors  donc  il  répondrait  même 
du  cas  fortuit.  V.  art.  1881  ;  Gains,  L.  18,  D.  commod. 

81  bis.  I.  La  disposition  rigoureuse  de  l'article  1881  nous  paraît 
inspirée  par  une  appréciation  que  Pothier  emprunte  au  droit  romain 
sur  le  caractère  de  l'acte  commis  par  le  commodataire,  lorsqu'il 


70  COl'HS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.     III. 

se  sert  de  la  chose  pour  un  autre  usage  que  celui  pour  lequel  elle 
avait  été  prêtée  ou  lorsqu'il  garde  la  chose  pendant  un  temps  plus 
long  qu'il  n'était  convenu.  Cet  acte,  d'après  Pothier,  est  un  vol  (1),  et 
c'est  à  cause  de  cela  que  l'article  1881  soumet  son  auteur  à  la  res- 
ponsabilité du  cas  fortuit. 

Pothier,  toutefois,  ne  tirait  pas  cette  conséquence  de  l'idée  qu'il 
avait  émise,  car  lorsqu'il  impose  au  commodataire  la  responsabilité, 
parce  qu'il  a  fait  de  la  chose  un  usage  non  autorisé,  il  suppose 
avec  la  loi  romaine  que  l'accident  ne  serait  pas  survenu  si  l'on  avait 
fait  de  la  chose  l'usage  convenu  (2).  Pour  ce  qui  est  de  l'usage  trop 
prolongé  et  de  ses  conséquences  au  point  de  vue  des  risques, 
Pothier  est  moins  rigoureux  que  le  Code  civil,  il  fait  dériver  la 
responsabilité  du  fait  de  la  demeure,  ce  qui  est  la  pure  application 
des  principes  généraux  (3). 

81  bis.  II.  Le  Code  est  donc  plus  sévère  que  Pothier,  en  ce  qu'il 
considère  l'emprunteur  comme  en  demeure  dès  qu'il  change  l'usage 
de  la  chose  et  dès  qu'il  conserve  cet  usage  après  le  terme  fixé. 
C'est  une  raison  pour  ne  pas  exagérer  encore  cette  rigueur  et  pour 
traiter  dans  les  deux  cas  le  commodataire  comme  un  débiteur  en 
demeure.  Nous  lui  réserverons  par  conséquent  le  droit  de  prouver, 
dans  les  deux  hypothèses,  que  la  chose  aurait  également  péri  chez 
le  créancier  (art.  1302).  La  perte  alors  ne  résulte  pas  même  indi- 
rectement de  la  faute  du  débiteur. 

81  bis.  III.  La  solution  équitable  que  nous  donnons  n'est  pas  en 
contradiction  avec  l'origine  que  nous  avons  assignée  à  l'article 
1881.  Si  les  rédacteurs  du  Code  ont  subi  l'influence  de  la  doctrine 
ancienne  qui,  dans  les  faits  supposés  par  l'article  1881,  trouvait 
les  caractères  du  furtum,  au  moins  n'ont-ils  pas  formulé  positivement 
cette  doctrine.  Or,  elle  serait  aujourd'hui  inexacte  ;  ces  actes  peu- 
vent constituer  des  abus  de  confiance,  ils  ne  sont  pas  des  vols  (art. 
408,  Code  pénal].  D'où  il  faut  conclure  qu'on  ne  pourrait  pas  leur 
appliquer  la  dernière  disposition  de  l'article  1302,  qui  n'admet  pas 
que  le  voleur  puisse  se  décharger  du  cas  fortuit  même  en  prouvant 
que  la  chose  eût  dû  périr  chez  le  créancier.  Nous  avons,  sur  l'article 
1302  justifié  la  disposition  édictée  contre  le  voleur,  nous  appuyant 
sur  celte  idée  que  la  loi  a  dû  protéger  le  propriétaire  qui  est  devenu 

(1)  Pothier,  Traité  du  prêt  à  usage,  n°  21. 

(2)  Id.,  Ont.,  n°58. 

(3)  ld.,  ibid.,  n°  60. 


TIT.    X.    DU    PRÊT.    ART.    1881,    1882.  71 

créancier  malgré  lui,  sans  avoir  consenti  à  entrer  en  rapport  d'obli- 
gation avec  son  débiteur  (1),  et  la  situation  n'est  pas  du  tout  la 
même  entre  un  prêteur  et  un  emprunteur. 

82.  C'est  vraiment  faire  de  la  chose  empruntée  un  usage 
contraire  à  la  convention,  que  de  s'en  servir,  même  suivant 
sa  destination,  quand  on  pouvait  employer  la  sienne-,  c'en  est 
assez  pour  que  l'emprunteur  réponde  alors  du  cas  fortuit;  car 
c'est  par  sa  faute  que  la  chose  n'en  a  pas  été  préservée.  Bien 
plus,  et  quoiqu'il  n'y  ait  pas  indistinctement  faute  à  sauver  sa 
propre  chose  de  préférence  à  la  chose  prêtée,  quand  on  ne 
pouvait  les  sauver  toutes  deux,  il  suflii  que  l'emprunteur  ait 
pu  sauver  la  chose  prêtée  en  sacrifiant  la  sienne,  pour  que  le 
cas  fortuit  qui  détruit  celle-là,  lui  soit  imputable,  et  consé- 
quemment  ne  le  libère  pas  (art.  1147).  V.  art.  1882;  Ulp., 
L.  5,  §  4,  D.  commod. 

82  bis.  I.  Il  faut  examiner  séparément  les  deux  hypothèses  pré- 
vues par  l'article  1882.  La  première  surtout  ne  peut  être  soumise 
à  la  décision  de  l'article  qu'avec  quelques  distinctions. 

On  suppose  que  l'emprunteur  est  propriétaire  d'une  chose  propre 
au  même  usage  que  la  chose  empruntée,  il  emploie  cette  dernière, 
qui  périt  par  accident  pendant  qu'il  s'en  sert,  Les  principes  ne  per- 
mettent pas  de  le  soumettre  dans  tous  les  cas  à  la  responsabilité  de 
l'événement. 

Quelle  est  en  effet  la  règle  dominante  dont  nos  articles  font  des 
applications?  Le  commodataire  est  responsable  de  sa  faute,  il  est 
en  faute  quand  il  mésuse  de  la  chose,  quand  il  s'en  sert  hors  des 
termes  de  la  convention. 

Si  donc  le  commodataire  a  un  cheval  et  s'il  en  emprunte  un 
autre,  ce  ne  peut  pas  être  pour  se  servir  toujours  du  sien;  c'est 
probablement  pour  les  employer  tour  à  tour,  comme  ferait  un  bon 
père  de  famille  (art.  1137).  S'il  se  sert  dans  ces  conditions  de  l'ani- 
mal prêté,  il  ne  sort  pas  des  termes  du  contrat  et  ne  peut  pas  être 
soumis  à  la  responsabilité  du  cas  fortuit. 

82  bis.  II.  La  règle  du  Code  se  présente  sous  une  forme  trop 
générale,  elle  a  cependant  été  écrite  en  vue  d'hypothèses  particu- 
lières, par  exemple  :  1°  le  cas  où  l'emprunteur  a  laissé  ignorer  au 

(1)  V.  t.  V,  n°259  bis. 


72  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

prêteur  qu'il  possédait  une  chose  pareille  à  celle  qu'il  empruntait 
et  où  par  conséquent  son  but  a  été  d'exposer  aux  périls  la  chose 
de  son  ami  au  lieu  de  la  sienne  propre  (i);  2°  le  cas  où  ayant  em- 
prunté une  chose  pour  s'en  servir  alternativement  avec  une  autre 
qui  lui  appartient,  le  commodataire  aurait  toujours  employé  celle 
du  prêteur,  l'exposant  ainsi  à  des  risques  plus  fréquents. 

82  bis.  III.  Dans  ces  hypothèses  et  d'autres  semblables,  la  res- 
ponsabilité de  l'emprunteur  dérive  de  sa  faute,  et  la  règle  ne  peut 
s'appliquer  que  sous  cette  condition.  Il  faut  donc  lire  la  première 
partie  de  l'article  comme  si  elle  était  ainsi  conçue  :  si  la  chose 
prêtée  périt  par  un  cas  fortuit  dont  l'emprunteur  aurait  dû  la 
garantir  en  employant  la  sienne  propre. 

82  bis.  IV.  La  seconde  espèce  prévue  par  l'article  1882  est 
celle-ci  :  la  chose  prêtée  a  péri  par  cas  fortuit  dans  un  événement 
qui  mettait  également  en  danger  des  choses  appartenant  à  l'emprun- 
teur; celui-ci  a  sauvé  les  choses  qui  lui  appartenaient,  et  la  chose 
empruntée  a  été  laissée  exposée  au  danger. 

82  bis.  V.  Certes,  si  l'emprunteur  avait  eu  le  temps  de  sauver 
aussi  la  chose  prêtée  et  s'il  avait  négligé  de  le  faire,  il  y  aurait  de  sa  part 
une  faute  caractérisée  qui  le  rendrait  responsable  en  vertu  des  principes 
précédemment  posés.  Ce  n'est  pas  l'hypothèse  de  l'article;  l'emprun- 
teur n'avait  pas  le  temps  de  sauver  toutes  les  choses  en  danger,  il 
a  sauvé  les  siennes;  celle  du  prêteur  a  péri;  voilà  le  fait  sur  lequel 
la  loi  statue  :  elle  décide  que  le  commodataire  est  tenu  de  la  perte 
de  la  chose  prêtée.  C'est  une  obligation  particulière  que  l'article 
impose  au  commodataire;  les  principes  n'exigent  de  lui  que  les  soins 
d'un  bon  père  de  famille  (art.  1137),  il  ne  devrait  donc  être  en  faute 
que  si  un  père  de  famille  pouvait  être  considéré  comme  négligent 
parce  qu'il  aurait  sauvé  telle  chose  plutôt  qui  telle  autre,  celle  qui 
ne  vaut  pas  grand'chose  plutôt  que  celle  qui  a  une  certaine  valeur. 
L'article  déroge  à  l'article  11 37,  premier  alinéa;  il  étend  l'obligation 
du  commodataire  conformément  à  l'article  1137,  deuxième  aliéna, 
en  lui  impoant  l'obligation  de  préférer  le  salut  de  la  chose  em- 
pruntée au  salut  des  choses  qui  lui  appartiennent;  c'est  la  rému- 
nération du  service  amical  que  le  commodant  rend  au  commo- 
dataire. 

82  bis.  VI.  Cette  solution,  du  reste,  se  rattache  aux  règles  générales 

(1)  Pothier,  ne  59. 


TIT.   X.   DU   P!!ÊT.   ART.    1882,    1883.  73 

que  nous  avons  déjà  données  :  le  commodataire  répond  du  cas  fortuit 
quand  il  est  en  faute,  et  il  n'y  a  dans  l'article  qu'un  côté  exception- 
nel, c'est  que  le  commodataire  est  en  faute  là  où  le  bon  père  de 
famille  n'aurait  pas  à  s'imputer  une  négligence;  en  effet,  la  loi  lui 
impose  une  diligence  toute  particulière. 

De  ce  que  la  responsabilité  est  fondée  sur  une  faute,  il  faut  dé- 
duire que  si  le  commodataire  n'a  pas  eu  le  temps  nécessaire  pour 
choisir  les  choses  qu'il  sauvait,  s'il  a  retiré  des  flammes  les  premiers 
objets  qui  se  trouvaient  sous  sa  main,  il  n'est  pas  responsable  de 
l'accident  qui  a  détruit  la  chose  prêtée  (1).  Le  texte  du  Code 
confirme  cette  manière  de  voir,  car  il  suppose  que  l'emprunteur  a 
agi  dans  un  esprit  de  préférence  pour  sa  chose,  ce  qui  implique 
qu'il  a  eu  la  liberté  du  choix  entre  une  chose  ou  une  autre. 

83.  Indépendamment  de  toute  faute  de  l'emprunteur,  il 
est  tout  simple  qu'il  réponde  du  cas  fortuit,  quand  il  s'est 
soumis  a  cette  obligation  (v.  Diocl.  et  Max.,  L.  1,  Cod.,  de 
commod.).  Mais  on  se  demandait  autrefois  si  cette  soumission 
ne  résultait  point  tacitement  de  ce  que  la  chose  aurait  été 
estimée  en  la  prêtant.  La  loi,  dans  le  doute,  admet  celte  sup- 
position favorable  au  prêteur,  mais  bien  entendu  sauf  conven- 
tion contraire.  V.  art.  1883;  Ulp.,  L.  5,  §  3,  D.  commod.; 
L.  1 ,  §  1 ,  D.  de  œstimator. 

83  bis.  Le  code  interprète  la  clause  d'estimation  dans  le  sens 
d'une  convention  mettant  les  risques  à  la  charge  de  l'emprunteur. 
Ce  n'était  pas  l'interprétation  de  Pothier  (2).  Il  faut  remarquer  sur 
ce  point  que  si  le  Code  tranche  la  question  dans  le  sens  des  juriscon- 
sultes, qui  s'appuyaient  sur  l'idée  romaine  que  l'estimation  vaut 
vente,  il  ne  donne  cependant  point  cette  formule,  à  laquelle  il  fait 
allusion  dans  l'article  1551.  Dès  lors,  il  ne  faut  point  attribuer  à 
l'article  1883  plus  de  portée  qu'il  ne  doit  en  avoir.  Le  contrat  de 
prêt  avec  estimation  ne  rend  pas  l'emprunteur  propriétaire  de  la 
chose,  il  ne  l'autorise  pas  à  restituer  le  prix  d'estimation  au  lieu  de 
la  chose  même,  il  prévoit  seulement  le  cas  de  perte,  et,  mettant  cette 
perte  à  la  charge  de  l'emprunteur,  il  fixe  le  montant  de  l'indemnité 
qui  sera  due  en  pareil  cas. 

(1)  V.  Pothier,  n°  56  in  fine. 

(2)  Id.,  u°63. 


7i  COUKS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

84.  Nous  avons  reconnu  que  le  prêt  n'oblige  pas  à  réparer 
généralement  tout  le  tort  qu'il  peut  occasionner.  Ainsi  l'em- 
prunteur, s'il  ne  s'y  est  pas  soumis,  ne  répond  de  la  perte 
arrivée  par  cas  fortuit,  qu'autant  que  l'accident  est  précédé  ou 
accompagné  d'une  faute  de  sa  part.  A  plus  forte  raison  n'est- 
il  pas  tenu  de  la  détérioration  survenue  sans  sa  faute,  par  le 
seul  effet  de  l'usage  pour  lequel  la  chose  a  été  empruntée; 
car  le  prêteur,  en  permettant  l'usage,  a  virtuellement  con- 
senti h  cette  détérioration.  V.  arl.  1884-,  Pomp.,  L.  23,  D. 
commod. 

84  bis.  I.  Quand  le  commodataire  a  accepté  par  convention  les 
risques  de  la  chose,  la  perte  partielle  est  à  sa  charge  comme  la  perte 
totale,  sauf  la  perte  qui  ne  serait  qu'une  détérioration  résultant  na- 
turellement de  l'usage  conforme  à  la  convention  de  prêt. 

84  bis.  II.  Parmi  les  cas  où  le  commodataire  s'est  chargé  de  la 
responsabilité  du  cas  fortuit,  nous  avons  placé  celui  où  la  chose  a 
été  estimée.  De  là  nous  tirons  cette  conséquence  que  les  pertes  par- 
tielles ou  détériorations  seront  subies  par  le  commodataire;  mais 
pour  observer  jusqu'au  bout  la  convention  d'estimation,  nous  dirons 
que  l'estimation  ayant  fixé  le  chiffre  de  l'indemnité  due  en  cas  de 
perte  totale,  la  perte  partielle  devra  être  appréciée  en  proportion 
du  chiffre  qui  représentait,  d'après  la  convention,  le  prix  total;  l'in- 
demnité pour  une  perte  partielle  sera  fixée  proportionnellement  à  l'in- 
demnité fixée  pour  le  cas  de  perte  totale,  et  non  pas  proportionnelle- 
ment à  la  valeur  qu'une  expertise  pourrait  fixer  comme  étant  celle 
de  la  chose  entière  au  moment  de  la  perte.  En  un  mot,  c'est  une 
ventilation  qu'il  faudra  faire. 

85.  La  principale  obligation  de  l'emprunteur  est,  comme  on 
l'a  dit,  celle  de  restituer.  Il  abuserait  d'un  bienfait  s'il  retenait 
la  chose,  sous  quelque  prétexte,  après  l'expiration  du  temps 
fixé.  Il  ne  peut  par  conséquent  la  retenir  par  compensation  de 
ce  que  le  prêteur  lui  doit.  V.  art.  1885,  et  a  ce  sujet  art. 
1293-2°. 

Remarquons,  au  surplus,  qu'il  n'était  pas  besoin  d'une  dis- 
position particulière  pour  exclure  ici  la  compensation  légale, 
qui  ne  s'applique  point  aux  dettes  de  corps  certains  (art.  1291). 


T1T.    X.    DU    PRÊT.    ART.    1885.  75 

La  loi  a  donc  probablement  une  autre  intention,  celle  de  re- 
fuser en  général  le  droit  de  retenir  en  nantissement  jusqu'au 
paiement. 

85  bis.  I.  L'article  1885  répète  sous  une  autre  forme  ce  que  le 
législateur  a  déjà  dit  au  titre  des  contrats  (1293-2°),  et  nous  avons 
déjà  montré  sur  cet  article  1293  (1)  que  la  règle  du  Code  n'avait  pas 
un  caractère  exceptionnel,  qu'elle  était  la  conséquence  nécessaire 
du  principe  qui  n'admet  la  compensation  qu'entre  deux  dettes  de 
quantité.  Le  commodataire  est  toujours  un  débiteur  de  corps  certain , 
c'est  ainsi  que  Pothier  justifie,  dans  son  traité  du  prêt,  la  décision 
qu'a  reproduite  l'art.  1885  (2). 

85  bis.  IL  11  ne  faut  donc  pas  chercher  un  sens  particulier  à 
l'article  1885,  il  contient  la  répétition  d'une  solution  déjà  donnée 
par  le  législateur.  Il  ne  cache  pas,  par  exemple,  comme  le  suppose 
M.  Demante  ,  la  prohibition  de  retenir  la  chose  prêtée  en  nantisse- 
ment de  quelque  dette  du  prêteur  envers  l'emprunteur.  Ce  serait  bien 
encore  une  disposition  inutile,  car  le  nantissement  est  un  contrat, 
il  ne  peut  pas  se  former  à  l'insu  des  parties,  et  il  ne  pourrait  être 
tacite  que  s'il  existait  sur  ce  point  une  décision  spéciale  de  la  loi, 
comme  celle  de  l'article  2082. 

85  bis.  III.  Nous  avons  dit  également  sur  l'article  1293  que  la  loi 
n'interdit  pas  la  compensation  de  l'obligation  de  l'emprunteur  quand 
elle  est  convertie  en  obligation  des  dommages  et  intérêts.  C'est 
également  ce  que  dit  Pothier  ;  seulement,  comme  il  faut  tenir  compte 
de  la  règle  qui  interdit  la  compensation  légale  quand  les  deux 
dettes  ne  sont  pas  liquides,  il  faut  admettre  que  la  dette  de  l'em- 
prunteur ne  devient  susceptible  de  compensation  qu'à  partir  du  juge- 
ment qui  prononce  la  condamnation  (3). 

85  bis.  IV.  Notre  théorie  sur  le  droit  de  rétention  nous  conduit  à 
accorder  ce  droit  au  commodataire  pour  la  garantie  des  créances 
qu'il  a  contre  le  prêteur  s'il  a  fait  des  dépenses  dans  l'intérêt  de 
celui-ci  et  à  l'occasion  de  la  chose  prêtée.  Il  ne  s'agit  pas  de  la 
compensation,  et  le  fondement  du  droit  de  rétention  n'est  ni  dans 
l'article  1293,  ni  dans  l'article  1885  (4). 

(1)  V.  t.  V,  n°  244  iis.  III  et  s. 

(2)  Pothier,  n°  44. 

(3)  V.  l.  V,  n°  244  bit.  V. 

(4)  V.  sur  le  droit  de  rétention,  t.  IX,  n°  5  bis.  II-VI. 


76  COUIIS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

86.  La  loi  se  tait  sur  la  personne  a  laquelle  la  chose  doit 
être  restituée,  et  sur  le  lieu  où  la  restitution  doit  s'opérer.  Il 
est  évident  que  la  question  dès  lors  est  entièrement  régie  par 
les  principes  généraux.  Toutefois,  il  est  naturel  de  se  guider 
dans  l'application  de  ces  principes  par  les  dispositions  ana- 
logues du  titre  du  dépôt,  en  ayant  seulement  égard  a  la  diverse 
nature  des  deux  contrats. 

Quant  a  la  personne,  on  ne  voit  aucune  raison  pour  ne  pas 
appliquer  les  articles  1937-1941. 

Quant  au  lieu,  il  faut  s'en  tenir  uniquement  aux  articles 
1247  et  1248;  l'application  en  est  faite  au  dépôt  par  les 
articles  1942  et  1943;  mais  appliqués  au  prêt,  ils  doivent  ame- 
ner un  résultat  tout  opposé. 

87.  En  permettant  à  l'emprunteur  l'usage  de  sa  chose,  le 
prêteur  ne  s'oblige  pas  a  la  mettre  en  état  de  servir;  si  donc, 
pour  en  user,  l'emprunteur  est  forcé  à  quelque  dépense,  il 
doit  en  supporter  la  charge  sans  répétition.  V.  art.  1886. 
Cette  charge,  au  reste,  quoique  énoncée  ici  parmi  les  enga- 
gements de  l'emprunteur,  ne  doit  pas  se  confondre  avec  une 
obligation  ou  engagement  proprement  dit. 

87  bis.  Il  est  certain,  comme  le  dit  M.  Demante,  que  l'article  1886 
n'impose  pas  une  obligation  au  commodataire  au  profit  du  prêteur, 
il  lui  refuse  un  droit.  Cependant,  il  faut  bien  comprendre  que  le 
commodataire,  tenu  de  veiller  à  la  conservation  de  la  chose  comme 
un  bon  père  de  famille,  est  par  là  même  obligé  envers  le  prêteur  à 
faire  les  dépenses  ordinaires  de  conservation,  et  s'il  laissait  l'animal 
mourir  de  faim,  il  serait  obligé  à  des  dommages  et  intérêts,  parce 
que  la  perte  lui  serait  imputable. 

88.  Le  prêt  peut  être  fait  à  plusieurs  personnes  conjoin- 
tement; chacune  alors  contracte  les  engagements  qui  vien- 
nent d'être  expliqués.  Quoique  ces  engagements  ne  soient  pas 
de  leur  nature  indivisibles  (v.  Ulp.,  L.  3,  §  3,  D.  commod.), 
la  loi  suppose,  dans  l'intérêt  du  prêteur,  qu'il  n'a  point  en- 
tendu diviser  la  responsabilité  entre  ceux  auxquels  il  confie 
sa  chose;  il  impose  donc  a  tous  solidairement  cette  responsa- 
bilité. V.  art.  1887,  v.  à  ce  sujet  Ulp.,  L.  5,  §  15,  D.  corn- 


T1T.    ».    DU    PRÊT.    ART.    1885-1889.  77 

mod.;  Papin.,  I.  9,   D.  de  duob.   rets;  v.  pourtant  Afr., 
L.  21,  §  1,  D.  commod.  (1). 

SECTION  III. 

Des  engagements  de  celui  qui  prête  à  usage 

89.  Nous  avons  déjà  dit  que  les  obligations  du  prêteur  ne 
sont  qu'implicites  ou  incidentes.  Les  unes  s'induisent  du 
consentement  qui  accompagne  la  tradition  (art.  1888,  1889); 
les  autres  naissent  de  l'équité,  qui  ne  permet  pas  de  s'enri- 
chir aux  dépens  d'autrui  (art.  1890),  et  qui  prescrit  de 
réparer  le  tort  que  l'on  a  causé  (art.  1891  ). 

90.  Le  prêteur,  en  remettant  volontairement  sa  chose  à 
l'emprunteur  pour  qu'il  s'en  serve,  s'interdit  par  la  même  la 
faculté  de  trouhler  par  son  propre  fait  l'usage  qu'il  a  permis. 
Conséquemment,  lorsque  le  prétest  fait  pour  un  certain  temps, 
ou  pour  un  usage  déterminé,  le  prêteur  ne  peut  réclamer  la 
chose  avant  le  temps  fixé,  ou,  s'il  n'y  en  a  pas,  avant  que  le 
besoin  pour  lequel  l'emprunt  a  eu  lieu  ait  cessé.  V.  art.  1888; 
Ulp.,  L.  5,  §  8}  Paul,  L.  17,  §  3,  D.  commod. 

91.  Le  besoin  même  que  le  prêteur  aurait  de  sa  chose  ne 
l'autoriserait  pas,  en  général ,  à  la  réclamer  avant  le  temps. 
Et  toutefois,  comme  il  est  naturellement  censé  ne  l'avoir  prê- 
tée que  dans  la  supposition  qu'il  pourrait  s'en  passer,  si  le 
besoin  qui  lui  survient  est  un  besoin  pressant  et  imprévu ,  il 
peut  en  obtenir  la  restitution.  A  cet  égard,  au  reste,  le  juge 
doit  se  déterminer  d'après  les  circonstances-,  ce  qui  autorise 
à  prendre  aussi  en  considération  le  préjudice  que  ferait  éprou- 
ver a  l'emprunteur  une  restitution  immédiate.  V.  art.  1889. 

91  bis.  Les  dispositions  des  articles  1888  et  1889  appartiennent 
plutôt  à  la  section  qui  traite  des  obligations  de  l'emprunteur ,  car 
elles  déterminent  dans  quels  cas  le  prêteur  peut  agir,  et  ce  n'est  que 
par  un  artifice  de  langage  qu'on  peut  dire  :  le  créancier  est  obligea 

(I)  V.t.  V,  q»135  6«#.  IL 


78  COURS   ANALYTIQUE    DE    GODE    CIVIL.    LIV.   III. 

ne  pas  agir  avant  le  terme;  l'absence  d'un  droit  ne  constitue  pas 
une  obligation. 

92.  Le  prêteur,  qui  demeure  propriétaire  de  la  chose, 
doit  naturellement  supporter  les  dépenses  relatives  a  sa  con- 
servation. Ainsi,  lorsque  les  dépenses  de  ce  genre  ont  été 
faites  par  l'emprunteur,  il  est  juste  de  lui  en  accorder  la  répéti- 
tion. Toutefois,  il  est  évident  que  la  règle  ne  s'applique  pas 
aux  dépenses  ordinaires,  qui  sont  une  charge  naturelle  du  ser- 
vice que  l'emprunteur  tire  de  la  chose  (v.  art.  1886).  Quant 
aux  dépenses  extraordinaires,  c'est  au  propriétaire  a  juger  de 
leur  utilité,  suivant  sa  convenance  particulière-,  et  l'emprun- 
teur ne  peut  en  général  se  permettre  de  les  faire  ou  de  les 
ordonner  pour  lui.  Il  n'y  a  que  la  nécessité  qui  exclue  la  ques- 
tion de  convenance-,  et  cette  nécessité  même,  un  tiers  ne  doit 
point  s'en  rendre  juge,  lorsqu'il  a  le  temps  d'en  référer  au 
propriétaire.  Cela  posé,  quatre  conditions  sont  requises  pour 
que  l'emprunteur  puisse,  en  cette  qualité,  répéter  ses  dé- 
penses. Il  faut  :  1°  qu'elles  tendent  a  la  conservation  de  la 
chose-,  2°  qu'elles  soient  extraordinaires-,  3°  qu'elles  soient 
nécessaires-,  4°  qu'elles  soient  urgentes.  V.  art.  1890. 

93.  Un  service  ne  doit  point  cacher  un  piège.  Si  donc  le 
prêteur  connaît  quelque  danger  auquel  l'usage  de  la  chose 
puisse  exposer  l'emprunteur,  il  est  tenu  de  l'en  avertir,  à 
peine  de  demeurer  responsable  du  préjudice.  La  loi  applique 
particulièrement  cette  responsabilité  aux  défauts  de  la  chose 
prêtée.  V.  art.  1891;  Gaius,  L.  18,  §  4,  D.  commod. 


CHAPITRE   IL 

DU    PRÊT    DE    CONSOMMATION    OU    SIMPLE    PRÊT. 

94.  Les  choses  qui  se  consomment  par  l'usage  n'étant  pas 
susceptibles  d'être  prêtées  pour  être  rendues  en  espèces ,  et 
ne  pouvant  conséquemment  faire  l'objet  d'un  commodat,  il  a 


TIT.    X.    DU    Pi<ÉT.    AttT.    1892.  79 

bien  fallu,  pour  réaliser  a  leur  égard  l'intention  bienveillante 
qui  porte  une  personne  a  se  priver  temporairement  de  sa 
chose  au  profit  d'un  autre,  avoir  recours  a  une  autre  espèce 
de  contrat,  où  la  concession  temporaire  du  simple  usage  est 
remplacée  par  l'aliénation,  a  la  charge  de  restituer  en  équiva- 
lent. Telle  a  été  probablement  l'origine  du  contrat  appelé  par 
les  Romains  mutuum;  telle  est  certainement,  du  moins,  l'idée 
que  fait  naître  le  nom  de  prêt  de  consommation,  sous  lequel 
cette  convention  est  désignée  dans  notre  droit. 


SECTION  1. 

De  la  nature  du  prêt  de  consommation, 

9o.  De  même  que  le  commodat,  le  prêt  de  consommation 
consiste  dans  une  tradition  faite  a  la  charge  de  rendre;  mais 
la  tradition  et  la  restitution,  au  lieu  de  porter  sur  une  ou  plu- 
sieurs choses  individuellement  déterminées,  ont  pour  objet 
une  certaine  quantité,  c'est-à-dire  un  certain  nombre,  un  cer- 
tain poids  ou  une  certaine  mesure  de  choses  déterminées 
seulement  quant  à  leur  espèce  et  leur  qualité;  ce  sont,  au 
moins  en  général,  des  choses  qui  se  consomment  par  l'usage, 
c'est- a-dire  des  choses  dont  l'emprunteur  ne  pourrait  faire 
l'usage  qui  lui  est  permis,  sans  les  détruire,  sans  les  dépenser, 
ou  sans  les  mettre,  à  certains  égards,  hors  de  service.  V.  art. 
1892. 

96.  Les  choses  ainsi  prêtées  n'étant  point  destinées  a  être 
rendues  in  specie,  l'emprunteur  acquiert  naturellement  le 
droit  d'en  disposer  comme  bon  lui  semble,  sous  la  condition 
d'en  rendre  l'équivalent.  Ainsi  il  devient  propriétaire  (art. 
1893).  Bien  plus,  il  faut  en  principe  qu'il  le  devienne  pour 
contracter  obligation-,  autrement,  le  but  qu'on  se  propose  dans 
le  contrat  ne  pourrait  être  rempli,  et  l'obligation  n'aurait  pas 
de  cause.  V.  Paul,  L.  2,  §  2,  D.  de  reb  .  cred.;  et  à  ce  sujet 
le  même  Paul,  L.^,  §4,eod./  Just.,  Inst.,§  2,  quib.  al.  lie; 
v.  pourtant  le  même  Just.,  d.  §  2,  versic.  sed  si;   Jul., 


80  COUHS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.   III. 

L.  19,  §  1,  D.  de  reb.  cred.;  v.  aussi  art.  1238,  al.  dern., 
2279.  ' 

96  bis.  I.  La  définition  du  prêt  de  consommation  que  le  Code 
emprunte  à  Potliier  (n°  1),  en  la  modifiant  quelque  peu,  mérite 
certaines  observations.  En  premier  lieu,  on  peut  regretter  que  le 
Code  n'ait  pas  accentué  comme  Potliier  le  caractère  principal  du 
contrat,  il  transfère  la  propriété;  le  Code  a  employé  une  expression 
moins  précise  en  disant  que  le  prêteur  livre  la  chose,  c'est  la  consé- 
quence de  la  confusion  qui  apparaît  dans  le  chapitre  sur  l'obli- 
gation de  donner,  entre  cette  obligation  et  celle  de  livrer,  qui  en 
est  la  conséquence  (art.  1138-1140).  Mais  la  pensée  de  la  loi 
n'est  pas  douteuse;  car  l'article  1893  dit  que  l'emprunteur  devient 
propriétaire  de  la  chose  prêtée. 

96  bis.  II.  La  seconde  observation  est  plus  sérieuse;  dans  la  dé- 
finition du  Code,  comme  dans  celle  de  Pothier,  on  trouve  que  le  prêt 
de  consommation  a  pour  objet  des  choses  qui  se  consomment  par 
l'usage.  Ce  n'est  là  que  la  constatation  d'un  fait  qui  se  produit  le 
plus  souvent,  c'est  pour  cette  espèce  de  choses  qu'apparaît  la  né- 
cessité d'un  prêt  translatif  de  propriété;  si  le  contrat  n'avait  pas 
cet  effet,  il  ne  procurerait  pas  à  l'emprunteur  l'utilité  qu'il  prétend 
retirer  de  la  chose.  Toutefois,  il  ne  faut  pas  prendre  à  la  lettre  la 
définition  légale.  On  peut  supposer  que  des  parties  conviennent,  à 
propos  d'un  objet  qui  ne  se  consomme  pas  primo  usu,  que  l'em- 
prunteur en  devient  propriétaire  et  qu'il  rendra  un  objet  pareil; 
c'est  par  exemple  un  meuble  meublant,  une  table,  un  fauteuil,  ou 
bien  un  livre,  toutes  choses  qui  se  détériorent  par  l'usage,  mais  ne 
se  détruisent  pas  primo  usu.  La  convention  a  certes  sa  raison  d'être 
à  cause  des  détériorations  possibles,  elle  est  incontestablement  licite, 
et  il  faut  y  voir  un  mutuum,  car  c'est  un  prêt,  et  un  prêt  qui  n'a 
aucun  des  caractères  du  commodat. 

C'est  ici  le  lieu  de  répéter  ce  que  nous  avons  dit  au  n°  70  bis  : 
la  distinction  entre  le  commodat  et  le  prêt  de  consommation  ne 
tient  pas  tant  à  la  nature  même  des  choses  prêtées  qu'à  la  volonté 
des  parties,  et  qu'à  la  manière  dont  la  convention  considère  l'usage 
qui  peut  ou  doit  être  fait  de  la  chose. 

96  6m.  III.  Puisque  le  contrat  de  mutuum  suppose  une  translation 
de  propriété  de  la  chose  prêtée,  il  est  clair  qu'il  n'est  pas  formé  quand 
le  prêteur  a  livré  des  choses  appartenant  à  autrui  ou  quand  il  était 


TiT.    X.    DU    PRÊT.    ART.    1892.  81 

incapable  d'aliéner.  Dès  lors ,  en  principe,  le  prétendu  emprunteur 
n'est  qu'un  détenteur  d'une  chose  d'autrui  qui  a  conservé  son 
caractère  de  corps  certain,  et  il  est  exposé  à  une  revendication  de  la 
part  du  vrai  propriétaire. 

Il  faut  toutefois  tenir  compte,  d'abord  des  effets  du  principe 
moderne  qu'en  fait  de  meubles  la  possession  vaut  titre,  et  secon- 
dement des  conséquences  d'un  fait  qui  se  produira  très-fréquem- 
ment, la  consommation  des  choses  qui  ont  été  l'objet  de  la  con- 
vention. 

96  bis.  IV.  L'application  de  la  règle  :  en  fait  de  meubles  possession 
vaut  titre  (art.  2279),  aura  pour  conséquence  que  l'emprunteur 
qui  aura  reçu  de  bonne  foi  des  choses  prêtées  a  non  domino  en 
sera  devenu  propriétaire  et  ne  craindra  pas  l'action  en  revendi- 
cation, à  moins  qu'il  ne  s'agisse  de  choses  perdues  ou  volées,  qu'il 
retirera  donc  du  contrat  tous  les  avantages  qu'il  en  attendait.  On 
peut  dire  dès  lors  que  le  contrat  de  prêt  a  été  valablement  formé, 
car,  par  la  combinaison  des  principes  du  droit,  il  a  rendu  l'emprunteur 
propriétaire,  bien  que  le  prêteur  n'eût  pas  cette  qualité,  et  l'article 
1893  n'exige  pas  autre  chose  que  cette  condition  :  l'emprunteur 
doit  devenir  propriétaire. 

Si  le  contrat  est  valablement  formé,  le  prêteur  est  devenu  créan- 
cier, et  l'ancien  propriétaire,  dépouillé  par  l'application  de  l'article 
2279,  n'a  pas  d'action  contre  l'emprunteur,  puisqu'il  n'a  plus 
l'action  en  revendication  et  qu'il  ne  saurait  avoir  l'action  per- 
sonnelle, ayant  été  étranger  au  contrat  qui  a  fait  naître  cette 
action. 

96  bis.  V.  D'après  ce  que  nous  venons  de  dire  sur  l'hypothèse  où 
l'emprunteur  a  reçu  de  bonne  foi  la  chose  d'autrui,  nous  n'avons 
pas  à  nous  occuper  dans  ce  cas  du  fait  de  la  consommation  des 
objets  ;  puisque  la  mise  en  possession  garantissait  l'emprunteur  contre 
l'action  du  vrai  propriétaire,  le  fait  de  la  consommation  n'a  pas 
changé  sa  situation. 

Mais  quand  l'emprunteur  a  reçu  de  mauvaise  foi,  c'est-à-dire 
sachant  que  la  chose  n'appartenait  pas  au  prêteur,  il  n'est  pas 
protégé  par  la  règle  de  l'article  2279,  et,  nous  l'avons  dit,  il  est  exposé 
à  une  action  en  revendication.  Cette  action  devient  impossible 
quand  les  choses  ont  été  consommées,  extinctœ  tes  vindicari  non 
possunt;  alors  naîtra  une  action  personnelle.  Les  Romains  la  quali- 
fiaient de  condictio;  elle  était  fondée  sur  l'enrichissement  advenu  sans 
vm.  6 


82  COUKS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

cau>e  à  l'emprunteur  (1);  nous  l'appuierons  tout  simplement  sur 
l'article  1382  :  en  recevant  sciemment  et  en  consommant  la  chose 
d'autrui,  l'emprunteur  a  causé  par  sa  faute  un  dommage  dont  il 
doit  la  réparation;  l'action  nous  paraît  être  une  action  en  dommages 
et  intérêts. 

96  bis.  VI.  Il  reste  une  hypothèse  à  examiner.  La  chose  prêtée  était 
une  chose  perdue  ou  volée,  d'où  il  résulte  que  la  possession  de  bonne 
foi  ne  protégeait  pas  l'emprunteur  contre  la  revendication,  mais 
elle  a  été  consommée  de  bonne  foi  par  cet  emprunteur  :  la  revendi- 
cation devient  impossible,  et  l'action  en  dommages  et  intérêts  n'a  plus 
de  base;  il  faut  alors  décider  que  le  vrai  propriétaire  n'a  de  recours 
que  contre  le  prêteur,  et  que  celui-ci  peut  agir  en  vertu  du  contrat 
contre  l'emprunteur,  puisque  la  convention  viciée  dans  son  principe 
a  procuré  à  l'emprunteur  le  même  avantage  que  si  elle  avait  été 
pure  de  tout  vice. 

97.  L'emprunteur  devenant  propriétaire  des  choses  prêtées, 
et  n'en  devenant  pas  débiteur  in  specie,  il  est  évident  que  ces 
choses  sont  entièrement  à  ses  risques.  V.  art.  1893. 

97  bis.  C'est  parce  que  l'emprunteur  est  débiteur  de  quantité 
que  les  risques  de  la  chose  qu'il  a  reçue  sont  à  sa  charge.  A  bien 
dire,  la  chose  due  ne  peut  pas  périr,  gênera  non  pereunt.  La  question 
de  risques  ne  peut  donc  pas  s'élever,  car  cette  question  ne  se  pose 
pas  sur  le  point  de  savoir  d'une  façon  abstraite  qui  souffre  quand 
un  objet  vient  à  périr,  mais  elle  suppose  qu'un  objet  est  dû  puis- 
qu'il périt,  et  elle  porte  sur  le  point  de  savoir  qui  du  débiteur  ou 
du  créancier  subira  les  conséquences  de  cette  perte.  Dans  l'hypo- 
thèse de  l'article,  les  objets  reçus  par  l'emprunteur  ont  péri,  mais 
ils  ne  sont  pas  la  chose  due,  donc  il  n'y  a  pas  à  se  préoccuper  de  la 
théorie  des  risques  (2). 

98.  Les  choses  prêtées  étant  en  général  destinées  a  être 
consommées-,  et,  d'un  autre  côté,  les  choses  a  restituer  devant 
être  prises  dans  le  même  genre,  et  les  représenter  exactement, 
on  conçoit  que  s'il  existait  dans  la  nature  un  genre  dont  les 
individus  ne  fussent  nullement  susceptibles  de  se  remplacer 
les  uns  par  les  autres,  les  choses  de  ce  genre  ne  pourraient 

(1)  V.  M.  Accarias,  Précis  du  droit  romain,  t.  II,  p.  483.  Édit.  1880. 

(2)  V.  t.  V,  n°  58  bis.  II-IV. 


TIT.   X.   DU   PRÊT.   ART.    1 892-189  k  83 

être  l'objet  du  mutuum,  et  que  le  coramoclat  serait  alors  la  seule 
espèce  de  prêi  qui  pût  leur  être  expliquée.  V.  art.  1894,  qui 
consacre  toutes  ces  conséquences  avouées  par  la  raison,  mais 
dont  au  reste  il  faut  bien  se  garder  de  prendre  les  termes  a  la 
lettre. 

Ainsi,  c'est  mal  à  propos,  selon  nous,  que  l'on  voudrait 
trouver  dans  la  nature  des  choses  une  règle  invariable  sur 
leur  fongibilité,  qui  dépend  principalement  de  l.eur  destination. 
Mal  a  propos,  surtout,  voudrait-on,  par  application  de  cette 
règle,  et  parce  que  la  loi  cite  les  animaux  pour  exemple  de 
choses  qui  diffèrent  dans  l'individu,  déclarer  tous  les  animaux- 
non  fongibles.  Enfin  il  serait  aussi  contraire  aux  principes 
qu'a  la  droite  raison  ,  qu'une  chose,  fongible  ou  non,  donnée  à 
titre  de  prêt  de  consommation,  pût,  contre  l'intention  des 
parties,  devenir  l'objet  d'un  prêt  à  usage. 

Tout  ce  qu'il  est  permis  de  conclure  des  termes  de  la  loi , 
c'est  :  1°  qu'il  y  a  en  effet  dans  la  nature  des  espèces  dont  les 
individus  sont  entre  eux  fort  différents 5  2°  qu'à  ces  espèces, 
qui  comprennent  a  peu  près  tout  ce  qui  ne  se  consomme  pas 
par  l'usage,  appartiennent  en  général  les  animaux  ;  3°  que  si 
des  choses  appartenant  à  ces  espèces  sont  données  à  titre  de 
prêt,  on  devra  facilement  supposer  aux  parties  l'intention  de 
faire  un  prêt  de  consommation. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  grande  règle  a  cet  égard  sera  toujours 
de  considérer  si  les  choses  prêtées  l'ont  été  individuellement, 
ou  si,  au  contraire,  elles  l'ont  été  au  poids,  au  compte  ou  a  la 
mesure. 

98  bis.  La  disposition  de  l'article  J  894  se  lie  intimement  à  celle 
de  l'article  1892.  Elle  doit  être  comprise  sous  la  réserve  des  prin- 
cipes que  nous  avons  posés  en  donnant  la  définition  du  mutuum. 
Ainsi,  bien  que  l'article  apparaisse  sous  une  forme  prohibitive,  on 
ne  doit  pas  lui  attribuer  la  vertu  d'interdire  tout  prêt  de  con- 
sommation ayant  pour  objet  des  animaux.  La  volonté  est  souveraine, 
nous  l'avons  dit,  et  s'il  plaît  aux  parties  de  convenir  que  celui  qui 
a  reçu  un  objet  ne  se  consommant  pas  par  l'usage  rendra  un  autre 
objet  de  la  même  espèce,  il  n'y  a  aucune  raison,  soit  morale,  soit 

6. 


&i  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

économique,  soit  politique,  de  traiter  la  convention  comme  illi- 
cite. Interdire  des  conventions  semblables,  ce  serait  empêcher  des 
opérations  essentiellement  pratiques  et  usuelles.  Pourquoi  des 
marchands  de  moutons  ne  se  prêteraient-ils  pas  en  mutuum  cin- 
quante ou  cent  moutons?  et  les  marchands  de  volailles,  et  les  mar- 
chands d'huîtres?  Ne  voit-on  pas,  par  ces  exemples,  que  s'il  est  des 
animaux  qui  sont  nécessairement  envisagés  comme  des  individus, 
des  corps  certains,  parce  qu'on  considère  avant  tout  leurs  qualités 
individuelles,  il  en  est  d'autres  qui  sont  traités  tout  simplement, 
comme  des  unités  appartenant  à  une  certaine  classe  d'êtres?  on  les 
apprécie  numéro,  au  cent  ou  même  à  la  douzaine. 

Comprenons  donc  l'article  dans  un  sens  raisonnable,  il  ne  porte 
pas  atteinte  à  la  liberté  des  conventions,  il  donne  une  règle  d'in- 
terprétation ;  lorsque  le  prêt  a  pour  objet  des  animaux,  on  présume 
le  commodat.  Voilà  toute  la  règle,  mais  nous  y  ajoutons,  en  vertu 
des  principes,  qu'on  pourra  démontrer  que  la  volonté  était  de  faire 
un  mutuum. 

99.  L'obligation  qui  résulte  du  prêt  consiste  bien  toujours 
à  rendre  une  même  quantité  de  choses  de  la  même  espèce  ;  mais 
cette  obligation  s'applique  diversement  suivant  que  le  prêt  a 
pour  objet  de  l'argent  monnayé,  ou  toute  autre  espèce  de  chose 
fongible  (ai  ticles°1895-1897). 

100.  Quoique  la  valeur  nominale  de  l'argent  monnayé  doive 
en  général  être  en  rapport  avec  le  poids  et  le  titre  du  métal 
dont  il  est  formé,  la  loi,  considérant  la  monnaie  plutôt  comme 
le  signe  public  de  la  valeur  qui  y  est  attachée  par  le  souverain, 
que  comme  ayant  en  elle-même  sa  valeur,  eu  égard  au  poids 
et  au  titre,  suppose  que  le  prêt  en  argent  n'a  pour  objet  que  la 
somme  numérique  portée  au  contrat. 

ïl  s'ensuit  naturellement  que  la  restitution  ne  peut  être  exigée 
en  mêmes  espèces,  mais  en  espèces  quelconques  produisant 
la  même  somme. 

Bien  plus,  quelque  iniquité  qui  puisse  résulter  del'application 
de  cette  règle  en  cas  d'augmentation  ou  de  diminution  d'es- 
pèces, a  cause  de  l'augmentation  ou  diminution  proportionnelle 
qui  pourrait  alors  se  faire  sentir  dans  le  prix  de  tout  ce  qui  est 
dans  le  commerce,  la  loi  veut  que  nonobstant  cette  variation 


TIT.    X.    DU    PKÊT.    ART.     1895.  85 

l'obligation  soit  toujours  de  la  somme  numérique  prêtée,  et 
qu'elle  s'acquitte  en  espèces  ayant  cours  au  jour  du  paiement. 
V.  art.  1895,  et  a  ce  sujet  Papin.,  L.  94,  §  1,  D.  de  soluté- 
Paul,  L.  1,  D.  decontr.  empt. 

100  bis.  I.  La  monnaie,  dans  la  constitution  économique  actuelle 
de  notre  société,  n'a  pas  seulement  une  valeur  commerciale 
dépendant  des  conditions  de  l'offre  et  de  la  demande  sur  les  métaux 
précieux,  elle  a  une  valeur  légale,  puisqu'elle  a  cours  forcé  dans 
les  paiements  (art.  475-11°  G.  pénal).  Notre  article  1895  con- 
tient une  application  de  cette  idée  (Ij.  Il  interprète  la  convention 
des  parties  en  ce  sens  que  l'emprunteur,  ayant  reçu  en  espèces 
monnayées  un  certain  nombre  d'unités  monétaires  (francs),  doit 
rendre  le  même  nombre  d'unités  monétaires  en  espèces,  d'après 
leur  valeur  légale.  C'est  ce  qu'exprime  l'article  quand  il  parle  de  la 
somme  numérique  énoncée  au  contrat,  il  oppose  certainement  la 
somme  composée  d'un  certain  nombre  d'unités  monétaires,  repré- 
senté par  des  espèces, à  la  masse  d'or  ou  d'argent  appréciée  d'après 
son  poids. 

100  bis.  II.  Le  deuxième  paragraphe  de  l'article  montre  les  con- 
séquences du  principe  posé  dans  le  premier.  Il  suppose  que  les 
espèces  ont  diminué  ou  augmenté  entre  l'époque  du  contrat  et 
celle  du  paiement.  C'est-à-dire  que  la  quantité  de  pièces  de 
monnaie  représentant  légalement  un  certain  nombre  d'unités 
monétaires  peut  avoir,  à  un  jour  donné,  une  puissance  plus 
grande  ou  moins  grande  que  celle  qu'elle  avait  à  une  autre  époque. 

Cet  événement  peut  résulter  de  la  rareté  ou  de  l'abondance  du 
métal  ou  des  métaux  dont  se  composent  les  pièces  de  monnaie. 
Quand  le  numéraire  est  rare,  il  est  demandé;  quand  il  est  abondant, 
il  est  offert;  dans  le  premier  cas,  une  pièce  d'or  ou  d'argent 
s'échangera  contre  une  plus  grande  quantité  de  marchandise;  dans 
le  second,  contre  une  moindre  ;  c'est  la  valeur  commerciale  de  la 
monnaie  qui  augmente  ou  qui  diminue. 

Le  Code  ne  tient  pas  compte  de  ces  oscillations  dans  la  valeur 
commerciale  de  la  monnaie;  l'emprunteur  doit  rendre  la  somme 
numérique  prêtée,  et  il  ne  doit  que  cela.  C'est  la  règle  qui  régit 
les  rapports  entre  tous  les  créanciers  et  débiteurs  de  quantités;  si 

(1)  V.  M.  Cauwes,  Précis  du  cours  d'économie  politique,  t.  Ier,  p.  460,  461. 
Édit.  187S. 


86  COimS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

vous  avez  promis  cent  hectolitres  de  blé  ou  de  charbon  de  terre, 
la  hausse  ou  la  baisse  qui  se  produit  sur  ces  marchandises,  par 
l'effet  de  leur  rareté  ou  de  leur  abondance,  ne  modifie  en  rien 
l'obligation,  la  quantité  à  fournir  reste  la  même.  Il  y  a  là  une  aléa 
dans  les  rapports  entre  créanciers  et  débiteurs,  comme  il  en  existe 
une  entre  les  créanciers  et  débiteurs  de  corps  certains,  soumis 
d'abord  aux  chances  d'amélioration  ou  de  détérioration  de  l'objet 
dû  et  courant  aussi  les  chances  de  hausse  ou  de  baisse.  Le 
débiteur  de  somme  d'argent  a  promis  une  certaine  quantité  de 
pièces  de  monnaie,  il  doit  la  fournir,  mais  il  ne  doit  que  cela, 
quelle  que  soit  la  rareté  ou  l'abondance  du  numéraire,  comme 
celui  qui  a  promis  un  certain  nombre  d'hectolitres  de  charbon  doit 
les  livrer  à  tout  événement. 

100  bis.  III.  Il  y  a  une  autre  cause  d'augmentation  ou  de  dimi- 
nution des  espèces  monétaires.  C'est  la  volonté  du  législateur,  qui 
peut  modifier  la  composition  des  pièces  de  monnaie  en  augmentant  la 
quantité  de  métal  précieux  que  contient  une  pièce  ou  en  diminuant 
cette  quantité,  tout  en  lui  laissant  la  même  valeur  légale.  De  ces 
deux  opérations,  la  dernière  a  été  pratiquée  assez  souvent  dans  les 
temps  anciens. 

Il  est  clair  qu'une  altération  de  la  monnaie  ne  peut  pas  avoir 
un  effet  sérieux  en  ce  qui  touche  les  affaires  nouvelles  qui  se 
feront  postérieurement  à  la  transformation  de  la  monnaie.  Quand 
elle  contiendra  plus  de  métal  précieux,  le  détenteur  de  la  pièce, 
quel  que  soit  son  nom,  demandera  plus  de  marchandise,  et  si  elle 
contient  moins  de  métal,  les  détenteurs  de  marchandises  deman- 
deront plus  de  pièces  nouvelles  qu'ils  ne  demandaient  de  pièces 
anciennes  pour  la  même  quantité  de  marchandises. 

Néanmoins,  la  transformation  de  la  monnaie  aura  un  effet,  et  un 
effet  désastreux,  par  rapport  aux  affaires  déjà  engagées.  Si  l'on  avait 
augmenté  la  quantité  de  métal  fin,  les  débiteurs  auraient  à  donner 
plus  qu'ils  n'avaient  compté  payer,  et  si  l'on  a  diminué  cette 
quantité,  les  créanciers  recevraient  moins  que  ce  qu'ils  avaient 
juste  sujet  d'attendre.  Il  y  aurait,  dans  l'un  et  dans  l'autre  cas, 
spoliation;  mais  ce  n'est  pas  au  Code  civil  qu'il  faudrait  reprocher 
cette  iniquité,  elle  serait  l'œuvre  du  législateur  qui  aurait  trans- 
formé la  monnaie,  et  la  transformation  n'aurait  pas  eu  d'autre  but. 
Par  conséquent,  alors  même  que  le  Code  civil  serait  resté  muet 
sur  ce  point,  le  législateur  qui  aurait  altéré  les  monnaies  n'aurait  pas 


TIT.   X.   DU  PRÊT.  art.    1895- 1897.  87 

manqué  de  déclarer  que  les  nouvelles  pièces  avaient  cours  forcé 
à  leur  valeur  nominale. 

100  bis.  IV.  Les  rédacteurs  du  Code  civil  ont  bien  pu  penser  à 
des  dispositions  législatives  d'une  époque  bien  rapprochée  de  la 
leur,  où,  sans  altérer  les  monnaies  proprement  dites,  on  avait  créé 
du  papier-monnaie,  donné  aux  assignats  un  cours  forcé  sur  le 
pied  de  leur  valeur  nominale,  et  ils  savaient  bien  par  expérience 
que  quand  des  mesures  financières  de  cette  nature  sont  jugées 
nécessaires,  il  n'est  pas  de  loi  antérieure  qui  puisse  gêner  la  toute- 
puissance  du  législateur. 

100  bis.  V.  Nous  avons  toujours  réservé  les  effets  des  con- 
ventions formelles,  nous  dirons  donc  que  les  parties  pourraient 
stipuler  la  restitution  d'un  certain  nombre  de  pièces  du  même 
poids  et  au  même  titre  que  les  pièces  prêtées,  le  prêt  serait  alors 
considéré  comme  un  prêt  en  lingots. 

Le  même  principe  conduit  à  autoriser  la  clause  par  laquelle  l'em- 
prunteur renoncerait  à  se  prévaloir  de  toute  loi  qui  donnerait  cours 
forcé  à  des  billets  de  banque.  Seulement,  le  législateur  prudent 
pourrait  édicter  que  le  cours  est  forcé,  nonobstant  toute  convention 
contraire,  et  la  clause  du  contrat  perdrait  toute  sa  valeur,  sinon 
en  conscience,  au  moins  au  point  de  vue  légal. 

1  01 .  Le  motif  qui  a  dicté  la  règle  ci-dessus  ne  s'appliquant 
point  au  métal  en  lingots,  le  prêt  fait  en  lingots  n'y  serait  évi- 
demment pas  compris.  V.  art.  1896. 

102.  A  l'égard  donc  des  lingots,  et  généralement  à  l'égard 
des  denrées,  c'est-à-dire  de  toutes  choses  fongibles  autres  que 
l'argent  monnayé,  l'objet  de  l'obligation,  ce  sont  des  choses 
égales  en  quantité  et  qualité  a  celles  qui  ont  été  prêtées.  Ainsi, 
quelque  changement  qui  survienne  dans  leur  valeur  estimative, 
on  doit  toujours  et  uniquement  rendre  la  même  quantité  et 
qualité.  V.  art.  1897. 

103.  Des  principes  exposés  il  résulte  que  le  prêt  de  con- 
sommation est  un  contrat  réel,  qui  n'est  parfait  que  par  la 
tradition,  bien  plus,  que  par  une  tradition  translative  de  pro- 
priété. Ce  contrat  est  de  bienfaisance,  car  a  moins  d'une  stipu- 
lation d'intérêt,  qui  en  changerait  le  but  et  la  nature,  le  prêteur 
ne  recouvre,  après  un  certain  temps,  que  l'équivalent  exact 


88  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

de  ce  qu'il  a  donné,  sans  indemnité  pour  la  privation  temporaire 
qu'il  a  subie.  Enfin  il  est  unilatéral,  car  il  ne  produit  qu'une 
obligation  principale,  celle  de  la  restitution  imposée  à  l'em- 
prunteur. Toutefois  il  impose  au  prêteur  quelques  obligations 
implicites  auxquelles  le  Code  a  même  consacré  une  section; 
mais  comme  il  ne  peut,  en  raison  même  de  la  translation  de 
propriété  de  la  chose  prêtée,  donner  lieu  aux  obligations  in- 
cidentes qui,  dans  le  commodat  et  dans  beaucoup  d'autres 
contrats,  ont  plus  particulièrement  donné  lieu  a  l'introduction 
des  actions  contraires,  il  n'a  jamais  été  considéré  comme 
synallagmatique  imparfait. 

SECTION  II. 

Des  obligations  du  prêteur. 

104.  Les  obligations  du  prêteur  sont  ici  absolument  du 
même  genre,  et  reposent  sur  les  mêmes  principes  que  celle 
que  contracte  implicitement  le  prêteur  à  usage.  Elles  sont 
relatives  a  la  garantie  des  défauts  cachés  (art.  1898)  et  au  délai 
de  la  restitution  (art.  1899-1901). 

104  bis.  Le  Code,  en  consacrant  une  section  aux  obligations  du 
prêteur,  sembleconsidérerle  prêt  comme  un  contrat  synallagmatique. 
Cet  aperçu  serait  inexact;  le  contrat,  n'existant  comme  prêt  qu'après 
la  dation,  n'impose  pas  par  lui-même  d'obligation  au  prêteur.  Des 
deux  obligations  dont  parle  la  section,  l'une,  celle  qui  consiste  à  ne 
pas  pouvoir  agir  avant  le  terme,  n'est  qu'une  restriction  con- 
ventionnelle du  droit  du  prêteur;  l'amoindrissement  ou  la  néga- 
tion d'un  droit  ne  constitue  pas  une  obligation;  l'autre  obligation, 
qui  est  consacrée  par  l'article  1898,  ne  résulte  pas  du  contrat, 
mais  d'un  dol  ou  au  moins  d'une  faute,  et  s'appuie  sur  l'article  1382. 

105.  Quant  à  la  garantie,  la  règle  est  absolument  la  même 
que  dans  le  commodat.  Voy.  art.  1898,  et  à  ce  sujet  art.  1891 . 

106.  Pareillement,  le  prêteur  est  obligé  d'observer  le  délai 
qu'il  a  accordé  à  l'emprunteur  pour  la  restitution.  V.  art. 
4899. 


TIT.    X.    DU  PRÊT.    ART.    1898-1902.  89 

106  bis.  Il  n'y  a  pas  lieu  d'appliquer  en  matière  de  mutuum  la 
règle  écrite  dans  l'article  1889  pour  le  cas  de  commodat.  Les 
situations  sont  bien  différentes,  le  commodataire  doit  avoir  la  chose 
à  sa  disposition,  il  n'a  que  le  droit  de  s'en  servir,  la  restitution 
anticipée  ne  lui  est  donc  pas  impossible;  mais  l'emprunteur  à  titre 
de  mutuum  a  reçu  du  contrat  le  droit  de  consommer  la  chose; 
c'est  de  l'argent,  par  exemple,  il  l'a  employé,  il  n'en  a  plus  à  sa 
disposition,  et  il  a  dû  compter  sur  le  délai  accordé  pour  économiser 
ou  gagner  par  son  travail  la  somme  promise.  Le  préjudice  que 
lui  causerait  la  nécessité  d'un  remboursement  anticipé  serait  hors 
de  proportion  avec  celui  qu'impose  au  commodataire  la  restitution 
prématurée  de  la  chose  empruntée. 

107.  En  l'absence  d'un  terme,  il  est  clair  que  la  restitution 
est  en  général  exigible  a  la  volonté  du  prêteur  5  et  néanmoins, 
comme  celui-ci  est  toujours  censé  avoir  tacitement  accordé 
un  temps  suffisant  pour  que  l'emprunteur  puisse,  après  la  con- 
sommation qui  lui  est  permise,  se  procurer  les  choses  qu'il 
devra  rendre,  le  juge  est  ici  spécialement  autorisé  à  accorder 
un  délai  plus  ou  moins  long,  suivant  les  circonstances.  V.  art. 
1900,  dont  la  disposition  ne  doit  pas  être  confondue  avec  celle 
de  l'article  1244. 

108.  Si  la  nature  du  contrat  ne  permet  pas  de  soumettre 
à  une  restitution  immédiate  l'emprunteur  qui  n'a  stipulé  aucun 
délai,  elle  ne  permet  pas  davantage  d'abandonner  entièrement 
à  sa  discrétion  l'accomplissement  de  son  obligation.  Aussi, 
dans  le  cas  même  où  la  convention  porterait  uniquement  pour 
terme  qu'il  payera,  quand  il  pourra,  ou  quand  il  en  aura  les 
moyens,  le  juge  doit  lui  fixer  un  terme  suivant  lescircontances. 
V.  art.  1901. 


SECTION  III. 

Des  engagements  de  l'emprunteur. 

109.  Nous  savons  déjà  que  le  prêt  a  pour  effet  nécessaire 
d'obliger  l'emprunteur  a  rendre  les  choses  prêtées  en  même 
quantité  et  qualité  (art.  1892,  1893,  1897).  Cette  restitution 


90  COUKS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

doit,  comme  de  raison,  se  faire  au  terme  convenu  ;  ajoutons, 
ou  s'il  n'y  a  pas  a  cet  égard  de  convention  expresse,  a  la 
première  réquisition  du  prêteur;  sauf,  bien  entendu,  l'applica- 
tion des  articles  1900  et  1901.  V.  art.  1902. 

109  bis.  L'article  néglige  de  dire  en  quel  lieu  le  paiement  doit 
être  fait.  Il  n'est  touché  à  cette  question  que  dans  l'article  suivant, 
où  elle  n'est  traitée  qu'incidemment.  Nous  devons  en  chercher 
d'abord  la  solution  au  titre  des  obligations.  L'article  1247  contient 
sur  ce  point  un  principe  :  le  paiement  doit  être  exécuté  dans  le 
lieu  désigné  par  la  convention,  nulle  difficulté  à  appliquer  cette 
règle  au  cas  de  prêt  de  consommation.  Mais  on  doit  hésiter  à  sou- 
mettre ce  prêt  à  la  dernière  disposition  de  l'article  1247,  qui 
permet  au  débiteur  de  quantité  de  payer  à  son  domicile  lors- 
qu'il n'a  pas  été  désigné  dans  la  convention  un  lieu  de  paiement. 
L'article  1903  statue  sur  l'hypothèse  où  les  parties  n'ont  pas  fait 
de  convention  relativement  au  lieu  de  paiement,  et  décide  que 
l'évaluation  de  la  chose  prêtée  qui  n'est  pas  rendue  en  nature,  doit 
être  faite  d'après  le  prix  de  la  chose  au  lieu  où  l'emprunt  a  été 
fait.  Il  nous  semble  que  cette  décision  sous-entend  celle-ci  :  le 
paiement  doit  se  faire  au  lieu  où  a  été  fait  l'emprunt,  puisque 
l'indemnité  qui  représente  le  paiement  tient  compte  de  la  valeur 
des  choses  au  lieu  où  l'emprunt  a  été  fait.  C'est  une  dérogation  à 
l'article  1247,  qui  peut  se  justifier  par  la  faveur  que  mérite  le  prê- 
teur de  qui  l'emprunteur  reçoit  un  service  gratuit.  Cette  con- 
sidération nous  déterminerait  à  maintenir  l'application  de  l'ar- 
ticle 1247  au  cas  de  prêt  à  intérêt,  en  faisant  observer  que  le  Code, 
dans  sa  section  III,  chapitre  du  prêt  de  consommation,  a  songé  plus 
particulièrement  au  prêt  gratuit,  puisqu'il  traitait  ensuite  dans 
une  section  distincte  du  prêt  à  intérêt. 

110.  A  défaut  de  choses  du  même  genre,  en  même  quan- 
tité et  qualité,  l'emprunteur  est  naturellement  tenu  d'en 
payer  l'estimation.  La  loi,  appliquant  ce  principe  au  cas  où 
l'emprunteur  est  dans  l'impossibilité  de  satisfaire  à  son 
obligation,  établit  diversement  la  base  de  l'estimation,  sui- 
vant que  le  contrat  règle  ou  non  le  temps  et  le  lieu  où  la  res- 
titution devait  s'opérer.  Dans  le  premier  cas,  la  valeur  se  fixe 
eu  égard  à  ce  temps  et  à  ce  lieu 5  dans  le  second,  elle  se  dé- 


TIT.  X.  DU  PKÈT.  ART.  1903,  1904.         91 

termine  par  le  temps  et  le  lieu  où  l'emprunt  a  été  fait.  V.  art. 
1903,  et  à  ce  sujet,  d'une  part,  Jul.,L.  22,  D.  de  reb.  cred.; 
Gaius,  L.  4,  de  cond.  tritic;  d'autre  part,  Ulp.,  L.  3,  de 
cond.  tritic.,  et  remarquez  que  le  législateur  a  entièrement 
abandonné  l'ancienne  doctrine,  pour  le  cas  où  le  temps  et  le 
lieu  ne  sont  pas  réglés  par  la  convention. 

110  bis.  On  ne  voit  pas  très-clairement  ce  que  le  législateur 
entend  par  l'impossibilité  de  satisfaire  à  l'obligation.  Il  ne  peut  pas 
être  question  dans  l'article  de  l'impossibilité  absolue.  Car  il  faudrait, 
pour  que  cette  impossibilité  existât,  que  le  genre  promis  eût  péri,  et  les 
genres  ne  périssent  pas.  Dans  une  hypothèse  seulement  la  perte  du 
genre  aura  pu  se  produire.  C'est  quand  cette  sorte  de  choses  aura 
été  mise  hors  du  commerce.  Mais  alors  l'obligation  sera  éteinte 
conformément  à  ce  que  nous  avons  dit  sur  l'article  1302,  et  il  ne 
pourra  pas  être  question  d'obliger  le  débiteur  à  indemniser  le 
créancier. 

L'article  n'a  donc  dû  parler  que  de  l'impossibilité  de  fait,  le 
débiteur  ne  peut  pas  mettre  à  la  disposition  du  créancier  les  objets 
promis,  peut-être  même  ne  le  veut-il  pas,  car  s'il  lui  est  facile  de  se 
les  procurer,  encore  faut-il  qu'il  consente  à  les  acheter,  et  la  loi  ni  la 
justice  ne  peuvent  le  contraindre  à  les  acheter.  Dans  les  deux  cas, 
l'obligation  ne  s'exécutera  que  par  équivalent,  et  il  y  aura  lieu  d'ap- 
pliquer l'article  1903,  sauf  à  tenir  compte  de  la  mauvaise  volonté 
du  débiteur  pour  le  condamner  à  de  plus  amples  dommages  et 
intérêts  s'il  y  a  lieu. 

111.  En  outre,  l'emprunteur  qui  ne  satisfait  pas  à  son  en- 
gagement doit,  comme  tout  débiteur  en  demeure,  être  pas- 
sible de  dommages-intérêts.  Mais  l'obligation  ayant  ici  di- 
rectement ou  indirectement  pour  objet  une  somme  d'argent, 
on  applique  la  règle  générale  qui  fait  consister  les  dommages- 
intérêts  dans  l'intérêt  de  la  somme  ou  valeur  due,  et  qui  fait 
courir  cet  intérêt  du  jour  de  la  demande.  V.  art.  1904,  et  à 
ce  sujet  art.  1153. 

111  bis.  Quand  l'objet  prêté  est  une  somme  d'argent;  la  règle  de 
l'article  est  chose  toute  simple,  elle  n'est  qu'une  application  de  l'article 
1153.  Mais  quand  on  a  prêté  autre  chose  que  de  l'argent,  il  est  plus 
difficile  de  s'en  tenir  à  l'article  1904,  parce  qu'il  faudrait  admettre 


92  COURS   A.NALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

que  cet  article  a  voulu  déroger  aux  règles  générales  sur  les  dom- 
mages et  intérêts.  La  volonté  de  déroger  à  ces  règles  paraît  cepen- 
dant se  manifester  par  ces  mots  de  l'article  :  ou  leur  valeur,  expres- 
sion qui  prouve  que  les  rédacteurs  de  l'article  n'en  restreignaient 
pas  l'effet  aux  obligations  de  sommes  d'argent.  Alors,  il  faut  sup- 
poser que  le  prêt  de  consommation  ayant  ordinairement  pour  objets 
des  choses  faciles  à  convertir  en  argent,  le  législateur  a  voulu 
soumettre  ce  prêt  à  peu  près  aux  mêmes  règles  que  le  prêt  de 
sommes  d'argent. 


CHAPITRE  III. 

DU    PKÉT    A    INTÉRÊT. 

112.  Le  prêt  gratuit  est  un  acte  de  bienfaisance.  En  effet, 
quoique  le  prêteur  doive  recouvrer  après  un  certain  temps 
l'équivalent  de  ce  qu'il  a  donné,  toujours  est-il  vrai  qu'il  se 
prive,  pour  rendre  service  a  l'emprunteur,  de  l'avantage 
qu'aurait  pu  lui  procurer,  dans  l'intervalle,  la  somme  ou  la 
chose  prêtée.  Stipuler  un  dédommagement  pour  celte  pri- 
vation, c'est,  si  l'on  veut,  enlever  a  l'acte  le  caractère  de  bien- 
fait; mais  de  là  ne  résulte  pas  qu'il  y  ait  iniquité  dans  cette 
convention.  Aussi  n'hésite-t-on  pas  à  dire  qu'elle  est  avouée 
par  la  morale,  toutes  les  fois  que  le  dédommagement  est 
calculé  exactement  sur  la  perte  que  le  prêteur  s'impose  et  sur 
le  gain  dont  il  se  prive. 

De  là,  sans  doute,  il  n'y  a  pas  loin  à  conclure  que  le  prêt  est 
un  moyen  licite  de  faire  valoir  son  argent,  pourvu  que  l'in- 
térêt stipulé  soit  en  rapport  avec  le  profit  probable  qu'on 
aurait  pu  en  tirer  en  ne  le  prêtant  pas.  Toutefois,  celte  consé- 
quence repoussée  par  le  grand  nombre  des  théologiens,  l'était 
autrefois  par  nos  meilleurs  jurisconsultes,  et  notamment  par 
Pothier  (1),  qui,  tout  en  déclarant  valable  dans  le  for  de  la 

(1)  Traité  de  l'usure.  V.  aussi  Domat,  Lois  civiles,  liv.  I,  lit.  6. 


TIT.    X.    DU    PRÊT.    ART.     1904,    1905.  93 

conscience  la  stipulation  d'intérêts  compensatoires,  ne  recon- 
naissait ce  caractère  a  l'intérêt  conventionnel,  qu'autant  que 
le  prêteur,  dans  la  vue  de  rendre  service  à  l'emprunteur, 
s'était  réellement  soumis  a  une  perte,  ou  s'était  privé  en  sa 
faveur  d'un  profit  qui  lui  était  offert  et  qu'il  avait  effectivement 
l'intention  de  réaliser. 

C'est  conformément  a  ces  principes  que  les  ordonnances 
du  royaume,  vu  l'impossibilité  où  l'on  eût  été,  dans  la  pra- 
tique, de  distinguer  si  l'intérêt  stipulé  était  ou  non  compensa- 
toire, défendaient  absolument  toute  stipulation  d'intérêt  pour 
prêt. 

Sans  entrer  ici  dans  l'examen  de  cette  doctrine,  qui  paraît 
avoir  eu  pour  principal  fondement  la  haine  des  usuriers,  il 
suffit  de  dire  que  sa  sévérité  ne  serait  plus  en  harmonie  avec  la 
constitution  actuelle  de  la  société  :  car  une  foule  de  circon- 
stances, et  notamment  ia  facilité  de  placements  sûrs  et  com- 
modes offerts  par  l'État  aux  particuliers,  ayant  détruit  généra- 
lement l'habitude  de  laisser  ses  capitaux  oisifs,  aujourd'hui 
l'intérêt  stipulé  pour  un  prêt  doit  naturellement  être  réputé 
compensatoire. 

Aussi  le  Code  civil,  adoptant  a  cet  égard  les  vues  de  l'As- 
semblée constituante  (1),  autorise-t-il  en  général  la  stipulation 
d'intérêts  pour  simple  prêt.  Du  reste,  il  accorde  cette  faculté, 
quel  que  soit  l'objet  du  prêt,  argent,  denrées  ou  autres  choses 
mobilières  (pourvu,  bien  entendu,  que  ces  choses  consistent 
en  nombre,  poids  et  mesure,  puisqu'il  ne  peut  s'agir  ici  que 
d'un  prêt  de  consommation).  V.  article  1905. 

112  bis.  La  légitimité  de  la  stipulation  d'intérêts  est  universelle- 
ment admise  aujourd'hui,  non  pas  seulement  par  une  raison  de  fait 
tirée  de  la  facilité  que  les  capitalistes  trouvent  à  employer  leurs 
capitaux,  même  les  plus  petits,  mais  par  une  saine  appréciation 
théorique  de  la  convention  d'intérêts. 

On  reconnaît,  en  effet,  que  le  capitaliste  qui  se  dessaisit  pour  un 
temps  plus  ou  moins  long  d'un  capital  en  argent  ou  en  denrées,  se 
prive  d'une  jouissance,  qu'il  rend  impossible  pour  lui  tout  acte 

(1)  V.  L.  3  —  12  octobre  1789. 


9i  COUKS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

de  disposition  par  lequel  il  ferait  fructifier  ce  capital,  et  qu'il  a  juste 
sujet  de  stipuler  un  avantage  pécuniaire  compensant  la  perte  que 
lui  impose  le  prêt.  Comme  le  bailleur  d'une  maison  qui  reçoit  un 
lover  parce  qu'il  ne  peut  plus  habiter  sa  maison,  le  prêteur  d'argent 
reçoit  les  intérêts  parce  qu'il  ne  peut  plus  disposer  de  la  somme 
prêtée. 

On  trouve  encore  un  second  élément  quand  on  décompose  l'intérêt. 
Le  prêteur  court  risque  de  perdre  son  capital  si  le  débiteur  devient 
insolvable  ;  ce  risque  est  bien  plus  menaçant  que  celui  auquel 
s'expose  un  bailleur  d'immeuble  ou  un  locateur  de  meubles.  Ceux- 
ci  conservent  la  propriété  de  la  chose  louée;  l'immeuble  ne  peut  pas 
disparaître,  et  le  bailleur  le  revendiquera,  il  ne  peut  souffrir  que  des 
détériorations;  le  meuble  peut  disparaître,  il  est  vrai,  son  proprié- 
taire qui  l'a  donné  en  location  peut  redouter  des  aliénations  qui 
l'exposeraient  aux  conséquences  de  l'article  2279;  il  est  cependant 
dans  une  meilleure  condition  que  le  prêteur  d'argent  ou  de  denrées; 
d'abord,  si  le  meuble  n'a  pas  été  aliéné,  son  droit  de  propriété  lui 
assure  la  préférence  sur  les  autres  créanciers  de  l'emprunteur 
insolvable;  secondement,  l'aliénation  n'est  pas  aussi  menaçante 
qu'elle  le  paraît,  elle  sera  rare,  car  elle  constituerait  un  délit  d'abus 
de  confiance  (art.  408  Code  pénal),  et  les  débiteurs  embarassés  ne 
s'exposeront  pas  facilement  à  des  poursuites  correctionnelles. 

En  résumé,  l'intérêt  de  l'argent  représente  :  1°  une  indemnité  à 
raison  de  l'indisponibilité  du  capital  jusqu'à  l'échéance;  2°  une  prime 
d'assurance  pour  le  risque  auquel  le  capitaliste  est  exposé  (1). 

4 13.  La  convention  d'intérêts  paraît  même  si  naturelle,  que 
le  paiement  d'intérêts  non  stipulés  n'est  pas  réputé  fait  in- 
dûment, et  ne  donne  conséquemment  lieu  ni  a  répétition  ni  à 
imputation  sur  le  capital.  V.  art.  1906-,  v.,  a  ce  sujet,  Sev.  et 
L.  3,  Cod.,  de  usur. 

414.  D'accord  pour  consacrer  la  faculté  de  stipuler  des 
intérêts,  les  auteurs  du  Code  ne  s'accordaient  pas  également 
sur  la  question  de  savoir  si  le  taux  de  l'intérêt  devait  être  fixé 
par  la  loi.  On  convint  cependant  que  ce  règlement,  déjà  en 
vigueur  dans  la  législation  alors  existante,  était  nécessaire 

(1)  V.  M.  Cauwes,  Economie  politique,  t.  II,  p.  46  et  s.Édit.  1880,  et  M.  Balbie, 
Cours  d'économie  politique,  t.  Ier,  p.  298  et  s. 


T1T.   X.    DU  PRÊT.   ART.    1906,    1907.  95 

pour  l'intérêt  légal,  et  sous  ce  nom,  il  faut  comprendre  tout 
intérêt  qui  n'est  pas  conventionnel  (v.  art.  1153).  Mais  à 
l'égard  de  l'intérêt  conventionnel,  l'avis  qui  prévalut  fut  que 
sa  fixation  devait  en  général  d'être  abandonnée  a  la  convention 
des  parties,  qui  pourraient  en  conséquence  l'élever  au  delà 
du  taux  légal.  Toutefois  on  reconnut  que  la  loi  pourrait  ulté- 
rieurement porter  une  prohibition  a  cet  égard.  En  attendant, 
on  se  borna  à  établir  comme  correctif  de  la  grande  latitude 
laissée  aux  usuriers,  la  nécessité  de  fixer  par  écrit  le  taux  de 
l'intérêt  conventionnel.  V.  art.  1907. 

114  bis.  L'article  1907'commence  par  une  distinction  étrangère 
au  sujet  que  nous  étudions.  Il  n'y  a  pas  en  matière  de  prêt  deux 
espèces  d'intérêts,  qui  seraient,  l'un  légal,  l'autre  conventionnel. 
L'intérêt  légal  est  celui  qui  court  de  plein  droit  en  vertu  des  dis- 
positions spéciales  delà  loi  (art.  455,  456,  474,  1440,  1473,  1846, 
1996,  2001,  2028),  ou  celui  qui  est  dû  en  vertu  de  jugements  et 
qu'on  appelle  l'intérêt  moratoire  (art.  1153).  L'ancien  droit  admet- 
tait ces  deux  espèces  d'intérêts,  et  le  taux  en  était  fixé  par  des  ordon- 
nances royales. 

Quant  à  l'intérêt  conventionnel,  l'article  n'en  limitait  pas  le  taux, 
mais  le  législateur  semblait  se  promettre  de  le  limiter  plus  tard.  Il 
exigeait  seulement  que  le  taux  fût  constaté  par  écrit.  C'était  une 
précaution  contre  les  usuriers;  on  avait  pensé,  n'était-ce  pas  une 
illusion?  que  les  prêteurs  n'auraient  pas  l'impudeur  de  constater 
par  écrit  des  conventions  trop  onéreuses  pour  les  emprunteurs,  et 
que  cette  crainte  modérerait  leurs  prétentions. 

115.  La  prohibition  annoncée  comme  possible  par  le  Code 
civil  a  été  réalisée  par  la  loi  du  3  septembre  1807.  Cette  loi 
réduit  l'intérêt  conventionnel  à  la  mesure  de  l'intérêt  lésai, 
dont  elle  fixe  le  taux  a  cinq  pour  cent  en  matière  civile,  et  à 
six  pour  cent  en  matière  de  commerce  (art.  1  et  2).  Dès  lors 
la  perception  d'un  intérêt  supérieur,  devenant  illicite,  donne 
lieu  à  restitution,  ou  ce  qui  revient  au  même,  à  imputation  sur 
le  capital,  sans  préjudice  des  peines  à  prononcer  par  les  tri- 
bunaux correctionnels,  s'il  y  a  habitude  d'usure  ou  escroquerie 
(art.  3  et  4).  Cette  loi,  au  surplus,  ne  devant  pas  avoir  d'effet 
rétroactif,  laisse,  comme  de  raison,  dans  toute  leur  force  les 


96  COUnS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

stipulations  d'intérêts  faites  avant  sa  publication  (art.  5). 
V.  aussi  loi  du  19  décembre  1850. 

115  bis.  I.  La  loi  du  3  septembre  1807  est  loin  d'avoir  mis  fin  à  une 
controverse  sur  le  point  de  savoir  si  le  taux  maximun  de  l'intérêt 
conventionnel  doit  être  fixé  par  la  loi.  Un  nombre  considérable 
d'économistes,  et  des  plus  autorisés,  soutiennent  aujourd'hui  ce  que 
Turgot  a  mis  en  lumière  au  siècle  dernier,  c'est-à-dire  que  le  légis- 
lateur doit  respecter  la  liberté  en  matière  de  taux  de  l'intérêt  con- 
ventionnel. 

Leur  doctrine  se  résume  ainsi  :  l'argent  est  une  marchandise;  son 
détenteur,  comme  celui  de  toute  autre  marchandise,  doit  être  libre 
de  fixer  les  conditions  de  son  aliénation.  Lui  seul  peut  apprécier 
quelle  perte  il  s'impose  en  se  privant  d'un  capital,  et  quel  risque 
d'insolvabilité  lui  fait  courir,  soit  la  situation  financière  du  débiteur, 
soit  l'état  politique  ou  économique  du  pays.  D'un  autre  côté,  l'em- 
prunteur peut  seul  mesurer  les  sacrifices  qu'il  est  utile  de  faire 
d'après  ses  besoins  d'argent.  La  loi  qui  le  protégerait  malgré  lui 
contre  des  stipulations  d'intérêt  un  peu  élevé  n'aurait  pour  résultat 
que  de  le  priver  de  tout  crédit  (1). 

La  doctrine  restrictive  de  la  liberté  des  conventions  a  la  prétention 
de  protéger  les  faibles  et  les  ignorants  contre  une  sorte  d'oppression 
que  leur  feraient  subir  les  capitalistes;  elle  considère  l'emprunteur 
qui  promet  des  intérêts  élevés  comme  un  homme  qui,  sous  l'empire 
du  besoin  d'argent,  n:a  pas  eu  la  liberté  de  sa  volonté,  et  elle  traite 
la  convention  comme  le  Code  civil  a  traité  certains  contrats  dont  il 
permet  la  rescision  pour  cause  de  lésion  (2).  La  législation  actuelle 
de  la  France,  telle  qu'elle  résulte  de  la  loi  du  3  septembre  1807, 
s'inspire  de  ces  considérations  pratiques.  C'est  elle  qu'il  nous  faut 
étudier  dans  son  application. 

115  bis.  II.  La  loi  du  3  septembre  1807  commence  par  déterminer 
le  taux  maximum  de  l'intérêt  conventionnel  :  cinq  pour  cent  en 
matière  civile,  six  pour  cent  en  matière  commerciale.  Mais  sur  ce 
point  la  formule  de  la  loi  manque  de  précision,  et  il  est  difficile  de 
savoir  dans  quel  cas  exactement  on  se  trouve  en  matière  com- 
merciale. Certes,  il  n'y  a  pas  de  difficulté  quand  le  contrat  est  com- 
mercial (art.  632,  633,  C.  commerce)  ou  quand  l'argent  est  em- 

(1)  V.  M.  Batbie,  Cours  d'économie  politique,  t.   l«r,  p.  301  et  s. 

(2)  V.  M.  Cauwes,  Économie  politique,  t.  2%  p.  186-194.  Édit.  1880. 


T1T.    X.    DU    PRÊT.    ART.    1907.  97 

prunté  pour  faire  des  actes  de  commerce,  ce  qui  se  présume  quand 
l'emprunteur  est  commerçant  (art.  638).  De  même  il  n'y  aura  pas 
à  hésiter  quand  aucune  des  deux  parties  ne  sera  commerçante  et 
que  l'opération  ne  sera  pas  commerciale  par  sa  nature;  mais  le 
doute  naît  lorsque  le  prêteur  seul  est  commerçant  et  que  l'opération 
n'a  pas  le  caractère  commercial. 

115  bis.  III.  On  a  soutenu  qu'en  pareil  cas  le  prêteur  ne  peut 
pas  stipuler  l'intérêt  commercial,  parce  que  la  loi  de  1807  n'a  pas 
déterminé  le  taux  d'après  la  qualité  des  personnes,  mais  d'après 
la  qualité  de  la  matière,  ce  qui  signifie  la  nature  du  contrat.  Or 
le  contrat,  sous  sa  double  face  d'emprunt  et  de  prêt,  n'a  rien  de 
commercial;  l'emprunteur,  nous  l'avons  supposé,  n'a  point  en  vue 
une  affaire  commerciale,  et  quant  au  prêteur,  il  fait  un  contrat  qui 
n'a  rien  en  soi  de  commercial,  comme  lorsqu'il  achète  des  vête- 
ments à  son  usage  ou  des  objets  nécessaires  à  sa  consommation. 
Il  est  vrai  qu'il  eût  pu,  en  laissant  son  argent  dans  le  commerce,  le 
faire  fructifier  d'une  façon  plus  avantageuse;  mais  on  peut  dire  que 
la  loi  de  1807,  loi  de  protection  pour  les  emprunteurs,  a  surtout 
pris  en  considération  l'emploi  que  ceux-ci  peuvent  faire  de  l'argent 
emprunté,  et  non  pas  ce  que  les  prêteurs  en  auraient  fait. 

115  bis.  IV.  L'opinion  contraire  profite  du  vague  des  expressions 
du  législateur  pour  dire  qu'il  faut  considérer  l'usage  que  le  com- 
merçant prêteur  aurait  fait  de  son  capital.  Dans  le  commerce,  ce 
capital  aurait  produit  plus  de  cinq  pour  cent,  la  stipulation  de  l'in- 
térêt supérieur  est  donc  légitime  de  la  part  du  prêteur  commerçant 
qui  se  prive  d'une  jouissance  plus  fructueuse  que  la  jouissance  d'un 
particulier  non  commerçant  ;  dans  ce  système  on  considère  le  carac- 
tère qu'avaient  les  capitaux  prêtés,  matière  ou  objet  du  contrat,  et 
l'on  applique  une  formule  ancienne  qui  dit  que  les  capitaux  com- 
merciaux ont  plus  de  valeur  que  les  capitaux  non  commerciaux  : 
plus  valet  pecunia  mercatoris  quant  pecunia  non  mercaloris. 

115  bis.  V.  La  jurisprudence  a  longtemps  hésité  sur  la  question. 
Elle  nous  paraît  maintenant  l'avoir  résolue  par  une  distinction,  qui 
ne  se  trouve  peut-être  qu'à  l'état  latent  dans  ses  décisions,  mais  qui 
nous  semble  parfaitement  exacte  au  point  de  vue  juridique. 

Il  ne  faut  pas  poser  en  principe  que  tout  prêt  fait  par  un  com- 
merçant est  un  prêt  en  matière  commerciale,  mais  que  le  prêt  fait 
par  une  personne  qui  fait  le  commerce  d'argent,  un  banquier,  est 
un  prêt  commercial,  alors  même  que  du  côté  de  l'emprunteur  l'em- 
viii.  7 


98  COURS    ANALYTIQUE   DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

prunt  serait  civil.  La  conséquence  sera  qu'un  banquier  peut  prêter 
à  un  non  commerçant  au  taux  de  six  pour  cent,  mais  qu'un  mar- 
rliand  de  toiles  ou  de  blé  ne  pourra  prêter  à  un  non  commerçant 
qu'au  taux  de  cinq  pour  cent.  Nous  faisons  sortir  cette  distinction 
des  arrêts  de  la  cour  de  cassation.  Il  faut  d'abord  remarquer  que 
tous  les  arrêts  rendus  au  civil,  depuis  que  la  cour  de  cassation 
admet  la  doctrine  qui  autorise  l'intérêt  à  six  pour  cent,  ont  été  ren- 
dus en  faveur  de  banquiers.  Le  premier  de  tous  ces  arrêts,  qui  a 
engendré  les  autres,  l'arrêt  de  cassation  du  29  avril  1868  (1),  recon- 
naît  qu'il  n'est  pas  nécessaire  pour  que  la  matière  soit  commerciale 
qu'elle  le  soit  du  côté  des  deux  parties  ;  c'est  une  vérité  incontestée 
dans  la  théorie  de  la  compétence  commerciale;  et  l'arrêt  ajoute  que 
de  même  que  le  billet  souscrit  par  un  négociant  est  censé  fait  pour 
son  commerce,  de  même  le  prêt  fait  par  un  banquier  avec  les  fonds 
qui  servent  d'aliment  à  son  industrie  est  réputé  commercial. 

Dans  des  arrêts  postérieurs  (2),  on  voit  bien  apparaître  une  formule 
un  peu  large  où  il  s'agit  des  commerçants  en  général,  mais  on  re- 
trouve cette  idée  dominante  que  le  banquier  a  le  droit  de  réclamer 
l'intérêt  commercial,  parce  qu'il  fait,  en  prêtant,  un  acte  de  son 
commerce. 

La  cour  n'a  donc  statué  que  sur  des  prêts  faits  par  des  banquiers, 
et  elle  a  très-justement  et  très-strictement  appliqué  la  loi  de  1807, 
en  considérant  qu'on  est  en  matière  commerciale  quand  le  prêt  est 
de  la  part  d'une  des  parties  un  acte  de  son  commerce. 

115  bis.  VI.  Mais  il  ne  faut  pas  exagérer  la  portée  des  arrêts  et  y  voir 
la  règle  que  tout  prêt  fait  par  un  commerçant  est  un  acte  de  commerce. 
Si  un  négociant,  qui  ne  fait  pas  comme  le  banquier  le  commerce 
d'argent,  fait  un  prêt  à  un  non  commerçant,  où  trouver  le  caractère 
commercial  de  l'affaire  ?  Il  n'existe  ni  d'un  côté  ni  de  l'autre,  car 
il  est  inexact  de  dire,  avec  quelques  arrêts,  que  toute  opération  faite 
par  un  commerçant  est  présumée  faite  dans  l'intérêt  de  son  com- 
merce et  doit  être  réputée  commerciale.  Le  contraire  résulte  très- 
clairement  des  articles  632  et  633  du  Code  de  commerce.  Il  faut  en 
outre  remarquer  que  les  arrêts  ne  s'appuient  pas  sur  l'adage  :  plus 
valet  pecunia  mercatoris,  et  c'est  avec  raison,  car  la  loi  de  1807  ne 
se  préoccupe  pas  de  l'emploi  que  le  prêteur  aurait  pu  faire  de  son 

OX  Sirey,  1868,  I,  281. 
(2)  C.  C,  28  avril  1869.  Sirey,  1869,  I,  306.  C.  C,  10  janvier  1S70.  Sircv, 
1870,  1,  157.  V.  aussi  C.  Douai,  24  janvier  1873.  Sirey,  1873,  II,  244. 


T1T.    X.    DU    PRÊT.    ART.    1907.  99 

argent,  puisqu'elle  ne  tient  pas  compte  de  ce  fait  que  le  capitaliste 
non  commerçant  aurait  pu  faire  un  emploi  commercial  de  son  argent 
en  le  plaçant  dans  des  sociétés  de  commerce  ou  en  faisant  un  acte 
de  commerce;  elle  considère  seulement  si  la  matière  est  commer- 
ciale, c'est-à-dire  si  l'opération  est  commerciale  ;  mais  alors  il  ne 
suffît  pas  qu'elle  soit  faite  par  un  commerçant,  car  les  commer- 
çants font  un  grand  nombre  d'opérations  non  commerciales,  et 
quand  un  commerçant  fait  un  placement,  lorsqu'il  achète  un  im- 
meuble pour  le  louer,  c'est  qu'il  consent  à  soustraire  une  partie 
de  son  capital  aux  chances  du  commerce  en  se  contentant  du  pro- 
duit moindre  qu'il  pourra  donner.  Son  acte  alors  n'a  rien  de  com- 
mercial. Il  en  est  de  même  quand  un  marchand  fait  un  prêt  à  un 
ami  ou  un  placement  sous  forme  de  prêt,  c'est  l'hypothèse  que 
nous  examinons,  et  nous  pouvons  dire  que  ce  n'est  pas  celle  où  la 
loi  de  1807  autorise  le  taux  de  six  pour  cent. 

115  bis.  VII.  L'article  1er  de  la  loi  de  1807  contient  une  expression 
qui  demande  une  explication  :  le  tout  sans  retenue.  Non  pas  que  le 
sens  n'en  soit  très-clair,  le  débiteur  paiera  cinq  ou  six  pour  cent 
sans  aucune  diminution  ou  défalcation,  c'est  en  ce  sens  qu'il  ne 
retiendra  rien. 

Mais  est-il  nécessaire  de  dire  qu'un  débiteur  est  tenu  de  payer 
ce  qu'il  doit,  sans  en  déduire  ou  retenir  quoi  que  ce  soit?  Gela 
n'était  nécessaire  que  parce  qu'il  fallait  déclarer  aboli  un  ancien 
usage  en  vertu  duquel  les  débiteurs  de  rentes  constituées  retenaient 
une  fraction  des  arrérages  promis,  c'est-à-dire  ne  payaient  pas  la 
totalité  du  chiffre  nominal  des  arrérages  ;  cette  retenue  était  consi- 
dérée comme  destinée  à  faire  subir  aux  créanciers  de  rentes  le  con- 
tre-coup de  la  nécessité  où  le  débiteur  se  trouvait  de  payer  au  roi  une 
certaine  portion  du  revenu  de  ses  biens;  son  patrimoine  réel  se 
composant  de  l'actif  diminué  de  passif,  il  n'était  pas  juste  qu'il  sup- 
portât sans  recours  les  charges  afférentes  à  la  partie  de  ses  biens 
qui  correspondait  aux  rentes  dont  il  était  débiteur  (1).  Les  rédac- 
teurs de  la  loi  de  1807  ont  pensé  avec  raison  que  les  parties  sauraient 
apprécier  au  moment  de  la  convention  la  charge  que  l'existence 
des  impôts  ferait  subir  au  débiteur,  et  que  celui-ci  devait  débattre 
ses  intérêts  sur  ce  point;  en  réalité  ils  ont  un  peu  élevé  le  maximum 
du  taux  de  l'intérêt  conventionnel,  puisqu'avec  la  pratique  ancienne 

(1)  V.Polhier.  Constitution  de  renie  n°  125.  V.  1.  3  frimaire  an  VII,  art.  98et99. 

7. 


100  COLT.S    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

de  la  retenue  le  créancier  stipulant  cinq  pour  cent  n'aurait  touché 
que  quatre  et  demi  ou  quatre  trois  quarts,  et  le  taux  maximum 
se  trouve  augmenté  de  cette  différence. 

115  bit.  VIII.  La  règle  qui  fixe  le  maximum  de  l'intérêt  conven- 
tionnel est  doublement  garantie  par  une  sanction  civile  et  une 
sanction  pénale. 

La  sanction  civile  apparaît  dans  l'article  3  de  la  loi.  La  prestation 
de  l'excédent  d'intérêts  donne  lieu  à  une  répétition,  parce  qu'elle  a 
eu  une  cause  illicite,  et  le  débiteur  pourra  se  faire  rsetituer  le  mon- 
tant de  cet  excédent.  Si  le  capital  n'est  pas  entièrement  payé  au 
moment  de  la  répétition,  la  restitution  consistera  en  une  diminution 
du  capital  restant  dû. 

115  bis.  IX.  Cette  sanction  a  été  rendue  plus  rigoureuse  par  la 
loi  du  19  septembre  1850.  L'article  1er  de  cette  loi  établit  une  im- 
putation de  plein  droit  qui  se  fait  au  fur  et  à  mesure  des  paiements 
d'intérêts  excessifs.  Les  sommes  payées  pour  intérêt  au-dessus  de 
l'intérêt  licite  diminuent  de  plein  droit  la  dette  en^intérêts  légitimes 
et  capital  ensuite,  et  s'il  se  trouve  que,  par  l'accumulation  des  pres- 
tations d'intérêts  exagérés,  le  prêteur  ait  reçu  plus  que  les  intérêts 
légitimes  et  le  capital  entier,  non-seulement  l'excédent  peut  être  ré- 
pété, mais  il  aura  produit  lui-même  de  plein  droit  des  intérêts  à  partir 
du  jour  de  chaque  paiement  fait  depuis  que  la  dette  a  été  éteinte. 

115  bis.  X.  La  sanction  pénale  est  écrite  dans  l'article  4  de  la  loi 
de  1807,  et  dans  l'article  2  de  la  loi  de  1850;  l'habitude  d'usure  est 
un  délit  puni  correctionnellement  d'une  amende  qui  peut  s'élever  à  la 
moitié  des  capitaux  prêtés  et  d'un  emprisonnement  de  six  jours  à 
six  mois. 

La  loi  de  1850  (art.  3)  augmente  la  pénalité  au  cas  de  nouveau 
délit  d'usure,  et  établit  qu'après  une  première  condamnation  pour 
habitude  d'usure  le  nouveau  délit  n'a  pas  besoin  de  présenter  un 
nouveau  caractère  d'habitude,  qu'il  résultera  d'un  fait  même  unique 
postérieur  à  la  condamnation,  pourvu  que  ce  fait  s'accomplisse  dans 
les  cinq  ans  à  partir  du  jugement  ou  de  l'arrêt  de  condamnation. 

115  bis.  XL  La  disposition  de  la  loi  de  1807  qui  fixe  le  maximum 
du  taux  de  l'intérêt  conventionnel  a  fait  naître  l'idée  que  la  règle 
finale  de  l'article  1907  était  abrogée  tacitement  comme  n'ayant  plus 
d'objet.  Nous  avons  dit,  en  effet,  que  son  but  était  de  réprimer 
l'usure  en  forçant  l'usurier  à  constater  par  écrit  à  quel  taux  exagéré 
il  prêtait  son  argent.  Certes,  la  loi  de  1807  a  pris  un  procédé  qui  doit 


TIT.    X.    DU    PKÉT.    ART.    1907,    1908.  101 

avoir  un  effet  plus  certain.  Mais  ce  n'est  pas  une  raison  pour  sup- 
poser une  abrogation  que  la  loi  n'a  pas  prononcée.  N'est-il  pas  bon 
que  le  débiteur  sacbe  bien  qu'il  devra  des  intérêts  et  quels  intérêts,  et 
quel  meilleur  moyen  de  ne  laisser  aucun  doute  dans  son  esprit  que 
de  le  forcer  à  signer  une  convention  sur  ce  point?  Il  y  a  là  une 
mesure  de  protection  que  la  loi  de  1807  ne  rend  pas  inutile,  et  l'on 
s'explique  qu'une  règle  inspirée  en  1804  par  le  désir  d'agir  sur  le 
prêteur  ait  été  maintenue  en  1807,  parce  qu'elle  peut  avoir  une 
influence  salutaire  sur  la  volonté  de  l'emprunteur. 

115  bis.  XII.  Reste  à  savoir  quelle  est  exactement  la  portée  de 
cette  règle.  Elle  est  conçue  dans  des  termes  analogues  à  celle  de 
l'article  1326,  qui  ne  permet  pas  de  se  prévaloir  d'un  écrit  sous 
seing  privé  constatant  une  obligation  de  somme  d'argent,  si  l'écrit 
n'est  pas  tout  entier  de  la  main  du  débiteur,  ou  si  au  moins  sa 
signature  n'est  pas  précédée  d'un  bon  ou  approuvé  portant  indi- 
cation de  la  somme  due.  Donc  l'article  1907  ne  permet  pas  d'invo- 
quer une  convention,  même  constatée  par  écrit,  si  le  taux  de  l'in- 
térêt n'est  pas  fixé  par  écrit. 

115  bis.  XIII.  Mais  le  motif  que  nous  assignons  à  la  règle  nous  per- 
met de  déclarer  valable  l'écrit  qui,  sans  prononcer  le  mot  intérêt, 
constaterait  l'obligation  de  payer  une  somme  supérieure  à  celle  que  le 
prêteur  aurait  réellement  versée,  l'excédent  représentant  dans  la 
pensée  des  parties  les  intérêts  à  courir  jusqu'à  l'échéance.  Ici,  le 
débiteur  ne  peut  pas  être  trompé,  il  voit  bien  qu'il  touche  mille  francs 
et  qu'il  promet  mille  cinquante  francs,  et  il  serait  bien  rigoureux  de 
rendre  inutile  la  convention  des  parties,  parce  qu'elle  ne  décompose- 
rait pas  en  deux  la  somme  promise.  Bien  entendu,  il  faut  faire  des  ré- 
serves pour  le  cas  de  fraude,  c'est-à-dire  pour  le  cas  où  cette  con- 
fusion du  capital  et  des  intérêts  dissimulerait  une  perception  d'in- 
térêts usuraires;  l'emprunteur  prouverait  la  fraude  par  tous  les 
moyens  possibles,  et  obtiendrait  la  diminution  du  chiffre  de  l'obliga- 
tion ou  la  restitution  de  ce  qu'il  aurait  payé  en  trop,  dans  les 
termes  de  la  loi  de  1850. 

116.  Il  est  naturel  que  les  intérêts  soient  acquittés  avant  le 
capital  -,  comme  il  importe  au  créancier  de  faire  observer  cet 
ordre,  et  qu'il  en  a  toujours  le  droit  (art.  1254),  on  ne  peut 
supposer  qu'il  l'ait  laissé  intervertir.  Ainsi,  à  moins  d'une 
réserve  expresse,  la  quittance  du  capital  établit  à  l'égard  des 


102  COUltS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

intérêts  une  présomption  légale  de  paiement,  qui  en  opère  la 
libération.  V.  art.  1908;  et  remarquez  que  cette  règle,  placée 
ici  à  l'occasion  du  prêt  à  intérêt,  paraît  applicable  à  toute  dette 
qui  porte  intérêt  ou  qui  produit  des  arrérages. 

117.  A  l'époque  où  la  sévérité  des  lois  proscrivait  le  prêt 
a  intérêt,  il  avait  fallu  chercher  un  moyen  de  procurera  ceux 
qui,  ayant  besoin  d'argent,  ne  voulaient  point  vendre  leurs 
biens,  les  ressources  qui  leur  étaient  nécessaires,  et  qu'ils  ne 
pouvaient  se  flatter  d'obtenir  toujours  de  la  bienfaisance.  On 
y  parvenait  par  la  constitution  de  rente. 

Dans  ce  contrat,  comme  dans  le  véritable  prêt  a  intérêt,  le 
bailleur  de  fonds  doit  recevoir  pour  le  capital  qu'il  fournit  une 
prestation  annuelle,  qu'on  désigne  sous  le  nom  d'arrérages; 
mais  il  s'interdit  d'exiger  jamais  ce  capital  qui,  dès  lors,  ne 
peut  plus  être  considéré  comme  prêté;  c'est  plutôt,  en  quelque 
sorte,  le  prix  d'une  vente,  dont  la  rente  constituée  est  l'objet. 

Le  contrat  de  constitution  de  rente,  inconnu  aux  Romains, 
et  qui  n'a  commencé  à  être  usité  que  vers  le  quatorzième 
siècle,  est  devenu  d'usage  moins  fréquent  depuis  la  levée  de 
la  prohibition  qui  l'avait  rendu  nécessaire.  Toutefois  le  Code 
civil  ne  le  rejette  pas,  et  l'autorise  même  expressément. 
V.  art.  1909. 

118.  La  rente  peut  être  constituée  en  perpétuel  ou  en 
viager.  V.  art.  1910.  Cette  différence  dans  la  durée  entraîne 
d'autres  différences  essentielles  dans  la  nature  et  les  effets  du 
contrat  de  constitution. 

1 19.  Une  observation  commune  a  l'une  et  à  l'autre  espèce, 
c'est  que  la  constitution  de  rente  n'a  pas  toujours  lieu,  comme 
le  suppose  l'article  1909,  moyennant  un  capital  fourni  par  le 
stipulant.  La  rente  peut  également  être  créée  pour  toute  autre 
cause,  soit  à  titre  onéreux  (v.  art.  530,  1968),  soit  a  titre 
gratuit  (v.  art.  1969, 1973).  Mais,  évidemment,  dans  ces  di- 
vers cas,  elle  n'a  plus  rien  de  commun  avec  le  prêt,  dont  la 
loi  semble  ici  lui  reconnaître  le  caractère. 

120.  Une  autre  observation  particulière  à  la  constitution 


TIT.    X.    DU    PRÊT.    ART.    1909-1911.  103 

en  perpétuel,  c'est  que  les  arrérages  de  la  rente  ne  sont,  au 
fond,  que  l'intérêt  du  capital.  D'où  il  suit  qu'on  doit  leur 
appliquer,  en  général,  les  principes  et  les  dispositions  relatifs 
à  l'intérêt  conventionnel,  notamment  en  ce  qui  concerne  le 
taux  fixé  par  la  loi. 

120  bis.  I.  Du  prêt,  le  Code  passe  à  la  constitution  de  rente, 
qu'il  considère  comme  une  variété  du  prêt  à  intérêt. 

Il  n'est  pas  nécessaire  de  revenir  sur  ce  qui  a  été  dit  de  la  rente  au 
tome  II.  Rappelons  seulement  que  la  rente  est  le  droit  de  recevoir 
une  certaine  prestation  périodique  représentant  un  capital  qui  ne 
peut  jamais  être  exigé  par  le  créancier. 

120  bis.  II.  Les  anciens  distinguaient  la  reste  foncière  et  la  rente 
constituée.  La  rente  foncière  n'existe  plus  avec  les  caractères  parti- 
culiers qu'elle  avait  dans  l'ancien  droit,  mais  le  Code  a  fait  une 
distinction  entre  les  rentes  établies  à  perpétuité  pour  prix  de  la 
vente  d'un  immeuble  ou  comme  condition  delacessionàtitreonéreux 
ou  gratuit  d'un  fonds  immobilier  et  les  rentes  créées  à  l'occasion 
de  l'aliénation  d'un  capital  mobilier.  Au  fond,  les  deux  rentes  ont 
la  même  nature,  mais  elles  sont  soumises  sur  quelques  points  de 
détail  à  des  règles  particulières.  Notre  titre  ne  parle  que  de  ces 
dernières  rentes,  parce  que  le  contrat  qui  leur  donne  naissance 
peut  seul  se  rapprocher  du  contrat  de  prêt  à  intérêts. 

120  bis.  III.  Débarrassés  des  difficultés  anciennes  auxquelles  avait 
donné  naissance  la  prohibition  de  prêt  à  intérêt,  les  rédacteurs  du 
Code  ne  craignent  pas  de  dire  que  la  constitution  de  rente  à  prix 
d'argent  ou  moyennant  un  autre  capital  mobilier  est  un  prêt. 

Cette  nouvelle  façon  de  dénommer  le  contrat  de  rente  a  certaine- 
ment son  importance,  elle  nous  autorise  à  traiter  le  contrat  de  rente 
comme  le  contrat  de  prêt,  au  point  de  vue  du  taux  des  arrérages. 
Dans  l'article  1909,  les  arrérages  sont  présentés  comme  une  va- 
riété des  intérêts,  d'où  cette  conséquence  que  la  loi  de  1807  est 
applicable  aux  constitutions  de  rente  à  prix  d'argent;  sa  rubrique 
indique  qu'elle  traite  de  l'intérêt  de  l'argent,  et  son  article  premier 
limite  sans  distinction  l'intérêt  conventionnel. 

121.  La  rente  constituée  en  perpétuel  doit,  comme  le  mot 
lui-même  l'indique,  se  prolonger  indéfiniment,  c'est-à-dire 
que  l'obligation  de  la  servir  ne  cessera  pas  tant  que  le  débiteur 
ne  remboursera  pas  le  capital,  que  le  créancier  s'est  interdit 


104  COl'RS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

d'exiger.  Mais  il  serait  trop  contraire  au  principe  de  liberté 
naturelle  qu'une  personne  pûl  rester  à  perpétuité,  par  elle- 
même,  ou  par  ses  héritiers  et  ayant  cause,  assujettie  envers 
une  autre  personne  ou  ses  représentants  au  paiement  d'une 
redevance  périodique,  sans  aucun  moyen  de  s'en  affranchir. 
La  rente  constituée  en  perpétuel  est  donc  essentiellement  ra- 
chetable. 

Celte  l'acuité  de  rachat  étendue  par  l'Assemblée  consti- 
tuante (1),  même  aux  anciennes  rentes  foncières,  et  que  notre 
Code  a  déjà  consacrée  ailleurs,  a  l'égard  des  rentes  constituées 
pour  prix  de  la  vente  d'un  immeuble  ou  comme  condition  de 
son  aliénation  (v.  art.  530),  devait  a  plus  forte  raison  être 
appliquée  aux  renies  constituées  à  prix  d'argent.  V.  art.  19H, 
al.  1. 

Moins  rigoureux  toutefois  a  cet  égard  que  les  anciennes 
lois,  qui  n'avaient  permis  le  contrat  de  constitution  que  sous 
la  condition  que  le  débiteur  jouirait  de  la  faculté  indéfinie  de 
racheter,  notre  Code  permet  de  modifier  celte  faculté  par  la 
convention,  soit  en  fixant  un  délai  avant  lequel  elle  ne  pourra 
être  exercée,  soit  en  assujettissant  le  débiteur  a  prévenir  le 
créancier  un  certain  temps  d'avance.  Du  reste,  le  délai,  qui 
pour  les  rentes  comprises  dans  l'article  530  peut  aller  jusqu'à 
trente  ans,  est  borné  ici  pour  loules  les  autres  rentes  perpé- 
tuelles à  dix  ans.  En  outre,  il  est  bien  a  remarquer  que  la  loi 
ne  consacre  pas  ici  d'une  manière  générale,  comme  dans 
l'article  530,  la  faculté  de  régler  les  clauses  et  conditions  du 
rachat.  V.  art.  1911 ,  al.  dernier. 

121  bis.  I.  On  a  vu,  dans  notre  deuxième  volume,  pourquoi  le  rem- 
boursement du  capital  de  la  rente  est  appelé  rachat;  c'est  parce  que 
les  anciens,  par  les  raisons  que  nous  avons  dites,  voyaient  dans 
la  constitution  de  rente  non  pas  un  prêt,  mais  une  vente  du  droit 
de  demander  au  constituant  une  certaine  prestation  périodique; 
lors  donc  que  ce  constituant  rendait  le  capital  reçu  pour  être 
libéré,  on  pouvait  dire  qu'il  rachetait  le  droit  qu'il  avait  vendu. 

(1)  V.  L.  18-29  décembre  1790. 


TIT.  X.  DU  PHÉT.  ART.  1911,  1912.        SOo 

Aujourd'hui  que  la  constitution  est  considérée  comme  un  prêt,  les 
mots  paiement  ou  remboursement  peuvent  être  correctement 
employés. 

121  bis.  II.  La  faculté  du  rachat  est  de  l'essence  du  contrat  de 
rente,  donc  toute  convention  qui  la  détruirait  serait  nulle.  L'ar- 
ticle 1911  ne  s'exprime  sur  ce  point  qu'à  propos  de  la  rente  qui  a 
les  caractères  de  prêt,  mais  nous  avons  déjà  trouvé  la  même  règle 
appliquée,  par  l'article  530,  aux  rentes  établies  à  l'occasion  de  la 
cession  d'un  immeuble. 

121  bis.  III.  Le  deuxième  paragraphe  de  l'article  autorise  une 
convention  qui  ferait  obstacle  au  rachat  pendant  dix  ans.  Cette 
clause  n'a  pas  les  inconvénients  de  celle  qui  interdirait  le  rachat, 
et  elle  est  très-légitime  de  la  part  du  créancier,  qui,  ayant  fait  un 
emploi  de  son  capital,  veut  compter  sur  une  certaine  stabilité  de 
son  placement.  De  même,  la  loi  permet  de  stipuler  que  le  débiteur 
devra  avertir  le  créancier  un  certain  temps  avant  le  rachat,  pour 
que  ce  créancier  puisse  prendre  ses  précautions  et  chercher  un 
autre  emploi  de  ses  fonds. 

121  bis.  IV.  Nous  avons  dit  que  l'opération  du  rachat  est  un 
véritable  paiement,  puisque  la  constitution  du  rente  est  considérée 
par  le  Code  comme  un  contrat  de  prêt.  De  cette  observation  nous 
tirerons  une  conséquence  importante  quant  à  l'exercice  du  droit  de 
rachat.  Si  le  débiteur  est  mort  laissant  plusieurs  héritiers,  la  dette 
se  divise  (art.  1220);  chaque  héritier  n'est  débiteur  que  de  sa  part 
des  arrérages,  la  rente  se  fractionne  en  plusieurs  rentes,  et  chaque 
héritier  peut  se  libérer  en  remboursant  sa  part  du  capital.  C'est 
la  règle  générale  en  matière  de  paiement  des  dettes  après  la 
mort  du  débiteur,  le  créancier  d'une  dette  divisible  ne  peut  pas 
refuser  des  paiements  partiels.  Dans  l'hypothèse,  il  serait  anti- 
juridique de  se  servir  du  vieux  mot  rachat,  que  le  Code  a  conservé, 
pour  appliquer  la  règle  de  l'article  1670  sur  la  faculté  de  réméré. 
La  situation  est  toute  différente,  puisque  dans  le  cas  de  réméré 
l'acheteur  qui  refuse  le  remboursement  partiel  a  un  intérêt  à  con- 
server entière  la  propriété  d'un  corps  certain,  tandis  que  le  créancier 
de  rente  n'a  pas  plus  d'intérêt  que  le  créancier  d'une  somme  exigible 
à  protester  contre  la  division  de  sa  créance. 

122.   Le  créancier  lui-même,  quoiqu'il  se  soit  interdit 
d'exiger  le  capital  de  la  rente,  peut  dans  certains  cas  être 


106  COUKS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

relevé  de  cette  interdiction.  Et  d'abord,  l'aliénation  de  son 
capital  n'ayant  été  par  lui  consentie  que  sous  la  condition 
tacite  que  le  débiteur  accomplira  ses  engagements,  il  est 
conforme  aux  principes  que  l'aliénation  ne  tienne  pas  si  la 
condition  n'est  pas  exécutée.  Ce  raisonnement  s'applique  au 
cas  où  le  débiteur  cesse  de  remplir  ses  obligations,  c'est-à- 
dire  de  payer  les  arrérages  pendant  un  certain  temps,  que  la 
loi  fixe  à  deux  ans-,  le  même  raisonnement  s'applique  encore 
au  cas  où,  des  sûretés  particulières  ayant  été  promises,  le 
débiteur  manque  à  les  fournir.  Dans  les  deux  cas  il  peut  être 
contraint  au  rachat.  V.  art.  1912. 

423,  En  outre ,  les  motifs  qui  font  priver  un  débiteur  quel- 
conque du  bénéfice  du  terme  en  cas  de  faillite  (art.  1188), 
ajoutons  ou  en  cas  de  déconfiture,  rendent  exigible  dans  ces 
deux  cas  le  capital  de  la  rente  constituée.  V.  art.  1913. 

123  bis.  I.  Le  code  énumère  quatre  cas  dans  lesquels  le  rachat  est 
forcé,  c'est-à-dire  dans  lesquels  le  créancier  peut  exiger  le  rembour- 
sement du  capital  de  la  rente.  Il  ne  fait  pas  autre  chose  que  d'appli- 
quer, au  moins  en  principe,  les  règles  générales  du  titre  des  contrats. 
Dans  les  deux  hypothèses  prévues  par  l'article  1912,  les  décisions 
de  la  loi  découlent  de  l'article  1184,  appliqué  à  un  contrat  qui,  s'il 
n'est  pas  synallagmatique,  est  au  moins  intéressé  de  part  et  d'autre. 
L'article  1913  s'inspire  de  l'article  1188,  qui  prononce  la  déchéance 
du  terme  au  cas  de  faillite  du  débiteur. 

123  bis.  II.  La  disposition  première  de  l'article  1912  mérite  par- 
ticulièrement notre  attention,  parce  que,  bien  que  se  rattachant 
dans  son  principe  à  une  règle  générale,  elle  applique  cette  règle  au 
contrat  de  rente  dans  des  conditions  toutes  spéciales. 

D'abord,  il  ne  suffit  pas  que  le  débiteur  ait  manqué  une  fois 
à  ses  obligations  pour  que  le  contrat  puisse  être  résolu,  il  faut  qu'il 
ait  cessé  de  remplir  ses  obligations  pendant  deux  années.  Deux 
années  représentent  au  moins  deux  termes  de  la  rente,  peut-être 
quatre,  peut-être  huit  ;  le  débiteur  en  retard  de  sept  termes,  dans 
cette  dernière  hypothèse,  ne  serait  pas  encore  exposé  à  la  nécessité 
du  rachat. 

On  décide  assez  généralement  que  le  créancier  n'est  pas  dans  la 
nécessité  de  constituer  le  débiteur  en  demeure.  Le  seul  fait  d'avoir 


TIT.    X.    DU    PRÊT.    ART.    1913.  107 

cessé  de  remplir  ses  obligations  pendant  deux  années,  autorise,  dit- 
on,  la  demande  du  remboursement,  et  les  tribunaux  n'ont  pas  le 
droit  d'accorder  au  débiteur  un  délai  pour  payer  les  arrérages  en 
retard. 

123  bis.  III.  On  fait  cependant  une  distinction  entre  le  cas  où  la 
rente  est  portable  et  le  cas  où  elle  est  quêrable  (1).  C'est  uniquement 
au  premier  cas  qu'on  applique  l'article;  on  reconnaît,  quand  la 
rente  est  quêrable,  c'est-à-dire  quand  le  créancier  doit  aller  chercher 
le  paiement  au  domicile  du  débiteur,  que  le  simple  fait  de  non- 
paiement  ne  crée  pas  pour  le  créancier  le  droit  au  remboursement, 
et  qu'il  est  nécessaire  que  ce  créancier  ait  fait  régulièrement  con- 
stater qu'il  s'est  présenté  pour  recevoir  les  arrérages,  constatation 
qui  certes  équivaut  bien  à  une  sommation  (2). 

123  bis.  IV.  Telle  est  la  doctrine  généralement  admise,  et  depuis 
bien  longtemps;  nous  croyons  devoir  la  contester.  Nous  pensons  que 
pour  la  rente  portable  comme  pour  la  rente  quêrable,  la  résolution 
du  contrat  n'a  pas  lieu  de  plein  droit,  et  que  la  nécessité  d'une  mise 
en  demeure  est  imposée  par  les  principes  de  la  matière  des  contrats, 
principes  auxquels  l'article  1912  n'a  pas  manifesté  la  volonté  de 
déroger. 

123  bis.  V.  Les  principes  généraux  ne  sont  pas  douteux.  Quand 
un  débiteur  est-il  réputé  n'avoir  point  exécuté  son  obligation? 
Lorsqu'il  est  en  demeure.  Et  quand  est-il  en  demeure  ?  Quand  il  a 
reçu  une  sommation  ou  autre  acte  équivalent  (art.  1146  et  1139). 
Jusque-là  on  peut  supposer  que  le  créancier  n'a  pas  désiré  ce  paie- 
ment, on  peut  craindre  qu'il  n'ait  abusé  le  débiteur  par  de  bonnes 
paroles,  pour  user  plus  tard  des  voies  de  rigueur.  Le  débiteur  croit 
peut-être  que  le  créancier  consent  tacitement  à  un  retard  dans  le 
paiement,  et  l'inaction  de  celui-ci  est  peut-être  un  piège  tendu  à  la 
négligence  ou  même  à  la  confiance  du  débiteur. 

Voilà  les  raisons  pratiques  de  la  règle  sur  la  mise  en  demeure  ; 
elles  ont  inspiré  une  disposition  bien  remarquable  du  Code,  l'article 
1656,  qui,  dans  un  cas  particulier,  exige  une  sommation,  bien  que 
le  contrat  contienne  stipulation  de  résolution  de  plein  droit  au  cas 
d'inexécution  de  l'obligation. 

123  bis.  VI.  Ces  raisons  subsistent  avec  toute  leur  force  dans 

(1)  V.  Aubry  et  Rau,  t.  III,  p.  443,  Édit.  1856;  et  trib.  de  Vannes.  Sirey, 
1880,  II,   198.' 

(2)  V.  t,  V.n°  186  bis. 


108  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

l'hypothèse  que  nous  examinons.  Un  contrat  dont  les  effets  doivent 
être  perpétuels  serait  plus  fragile,  au  point  de  vue  de  la  résolution 
pour  inexécution,  que  tous  les  autres.  Le  créancier  pourrait  chercher 
le  moyen  de  recouvrer  un  capital  qu'il  a  aliéné  à  toujours,  en  in- 
spirant confiance  au  débiteur,  en  l'autorisant  tacitement  à  ne  pas 
payer,  et  subitement  après  deux  années,  en  réclamant  le  capital 
avant  d'avoir  envoyé  une  injonction  de  payer  les  arrérages. 

123  bis.  VII.  Est-ce  que  le  texte  de  la  loi  nous  contraint  à  subir 
des  résultats  aussi  fâcheux?  Le  fait  prévu  par  ce  texte,  c'est  que  le 
débiteur  a  cessé  pendant  un  certain  temps  de  remplir  ses  obli- 
gations. Quelle  différence  y  a-t-il  donc  entre  ces  expressions  et 
celles  de  l'article  1184  (la  partie  ne  satisfait  point  à  ses  engagements), 
de  l'article  1654  (si  l'acheteur  ne  paie  pas  le  prix),  de  l'article 
1741  (le  défaut  du  preneur  de  remplir  ses  engagements),  de  l'ar- 
ticle 1871  (l'associé  manque  à  ses  engagements)?  Où  trouve-t-on 
que  la  cessation  des  prestations  par  un  débiteur  de  rente  ne  doit 
pas  être  constatée  par  une  mise  en  demeure,  comme  le  manque 
d'exécution  de  la  part  d'un  acheteur,  d'un  associé,  d'un  locataire 
ou  d'un  débiteur  quelconque? 

123  bis.  VIII.  Il  y  a  plus  :  si  l'on  prend  à  la  lettre  le  mot  cessé, 
l'article  ne  paraît  s'appliquer  qu'au  débiteur  qui,  après  avoir  payé 
un  ou  plusieurs  termes,  ne  continue  plus  à  remplir  ses  obligations. 
Il  faudrait  donc  soumettre  aux  règles  générales  celui  qui,  dès  le 
premier  jour,  n'ayant  payé  aucun  terme,  laisse  passer  les  deux  pre- 
mières années  depuis  la  constitution  de  la  rente  sans  payer  le  créan- 
cier. Certes  c'est  là  une  distinction  inacceptable.  Le  Code  n'a  pas 
bien  formulé  sa  décision,  il  a  voulu  parler  de  tout  débiteur  de  rente 
manquant  à  ses  obligations  un  peu  plus  tôt,  un  peu  plus  tard:  la 
phrase  du  Code  n'exprime  pas  sur  ce  point  la  pensée  des  rédac- 
teurs; mais,  s'il  en  est  ainsi,  ce  que  personne  n'a  songé  à  nier, 
pourquoi  admettre  qu'à  un  autre  point  de  vue  le  texte  doit  être 
pris  à  la  lettre  comme  manifestant  une  pensée  de  déroger  aux 
principes  ordinaires  de  la  matière? 

123  bis.  IX.  Nous  ne  voyons  pas,  d'un  autre  côté,  soutenir 
que  le  débiteur  de  rente  qui  ne  fournit  pas  les  sûretés  promises 
par  le  contrat  est  exposé  au  remboursement  immédiat  sans  avoir 
été  mis  en  demeure.;  le  texte  cependant  ne  s'exprime  pas  sur  ce 
point,  et  l'interprétation  qu'on  donne  au  second  paragraphe  entraîne 
bien,  ce  semble,  la  même  interprétation  du  premier. 


TIT.    X.    DU    PRÉ!-.    ART.    1913.  109 

123  bis.  X.  On  objecte,  il  est  vrai,  que  l'article  1912  n'a  pas  de 
raison  d'être  s'il  ne  déroge  pas  quelque  peu  à  l'article  1184.  Nous 
avons  déjà  répondu  à  cette  objection  en  montrant  que  le  Code  a 
bien  souvent,  dans  les  traités  spéciaux  des  divers  contrats,  rappelé 
des  règles  générales  écrites  au  titre  des  contrats  et  obligations,  et 
qu'il  aurait  pu  passer  sous  silence.  Nous  dirons  en  outre  que  les 
rédacteurs  du  Code  avaient  une  raison  particulière  de  revenir  sur 
la  règle  de  l'article  1184,  c'est  qu'ils  voulaient  expliquer  qu'un 
seul  paiement  oublié  ou  même  refusé  ne  constituerait  pas  l'inexé- 
cution qui  entraîne  la  résolution. 

La  loi,  muette  sur  ce  point,  aurait  dû  être  interprétée  en  ce  sens, 
et  ses  auteurs  ont  pensé  qu'elle  eût  été  trop  rigoureuse;  ils  sont 
revenus  sur  l'article  1184  pour  le  modérer  dans  son  application  à 
la  rente.  Cette  observation  a  une  double  portée  :  d'abord  elle  répond 
à  l'objection  tirée  de  ce  que  l'article  pourrait  faire  double  emploi 
avec  un  autre;  ensuite  elle  nous  montre  que  l'esprit  général  de 
l'article  est  un  esprit  d'adoucissement  et  non  de  rigueur,  grande 
raison  pour  ne  pas  lui  attribuer  une  sévérité  ailleurs  inconnue  en 
considérant  l'inaction  du  débiteur  que  rien  n'a  mis  en  demeure 
comme  constituant  l'inexécution  de  l'obligation. 

123  bis.  XI.  Puisque  nous  appliquons  à  la  rente  perpétuelle  les 
règles  générales  sur  l'inexécution  des  obligations,  avec  ce  tempéra- 
ment que  l'inexécution  consiste  dans  la  cessation  de  l'accomplisse- 
ment des  obligations  du  débiteur  pendant  deux  années,  nous  devons 
ne  pas  hésiter  à  reconnaître  aux  juges  le  droit  d'accorder  des  délais 
au  débiteur,  et  par  conséquent  le  droit  de  ne  pas  prononcer  la 
résolution  si  le  débiteur  fait  des  offres  antérieurement  au  jugement 
(art.  1184).  Les  juges  apprécieront  les  circonstances,  et  il  rentrera 
certainement  dans  leur  devoir  de  se  rendre  compte  de  la  solva- 
bilité à  venir  du  débiteur  pour  ne  pas  exposer  le  créancier  à  une 
irrégularité  habituelle  dans  le  versement  des  arrérages.  La  régularité 
de  la  perception  des  revenus  est  en  effet  un  des  avantages  aux- 
quels attache  une  grande  importance  le  capitaliste  qui  place  ses 
fonds  en  constituant  une  rente  perpétuelle. 

123  bis.  XII.  On  a  quelque  peine  à  comprendre  exactement  quel 
est  l'événement  qui  permet  au  créancier  de  provoquer  le  rachat 
forcé.  Il  faut  que  le  débiteur  ait  cessé  de  remplir  ses  obligations 
pendant  deux  années.  L'interprétation  la  pius  simple  et  la  plus 
naturelle  de  cette  formule,  c'est  qu'il  faut  que  deux  années  d'ar- 


HO  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

rérages  n'aient  pas  été  payées,  et  dans  notre  système,  que  le  débiteur 
soit  en  demeure  pour  deux  années  d'arrérages.  Il  n'est  pas 
nécessaire  d'attendre  qu'un  terme  d'arrérages  soit  dû  depuis  la  fin 
de  la  deuxième  année,  pour  qu'il  se  soit  écoulé  deux  ans  depuis 
l'expiration  du  premier  terme  non  payé,  comme  si  la  loi  avait  dit 
que  le  débiteur,  pour  être  contraint  au  rachat,  doit  être  en  demeure, 
en  faute  depuis  deux  ans,  ce  qui  ne  ferait  remonter  le  délai  qu'au 
premier  retard,  c'est-à-dire  au  premier  terme  échu  et  non  payé. 

123  bis.  XIII.  Cette  dernière  interprétation  de  l'article  abuse  un 
peu  de  l'expression  pendant  qu'a  employée  l'article;  elle  raisonne 
comme  si  l'obligation  du  débiteur  de  rente  avait  un  caractère 
de  continuité  dans  son  exécution;  on  pourrait  alors  exiger  une 
certaine  durée  dans  l'inexécution,  mais  il  n'en  est  pas  ainsi,  l'obli- 
gation s'exécute  par  le  paiement,  par  un  fait  isolé  qui  ne  dure  pas; 
seulement  le  paiement  d'un  terme  d'arrérages  correspond  à  une 
certaine  période  écoulée  depuis  la  constitution  ;  quand  deux  années 
se  sont  écoulées  et  que  les  paiements  correspondants  n'ont  pas  eu 
lieu,  on  peut  dire  que  le  débiteur  n'a  pas  rempli  ses  obligations 
pendant  deux  années  (1). 

123  bis.  XIV.  L'article  1912  fait  partie  d'un  chapitre  sur  le  prêt 
à  intérêts,  il  parle  de  la  rente  constituée;  dans  le  langage  du  Code, 
c'est  la  rente  créée  moyennant  l'aliénation  d'une  somme  d'argent 
on  de  denrées.  La  rente  établie  à  l'occasion  de  l'aliénation  d'un 
immeuble,  qu'on  appelle  improprement  rente  foncière,  n'est  pas 
née  d'un  contrat  de  prêt,  et  les  dispositions  de  notre  chapitre,  en 
tant  qu'elles  ont  un  caractère  spécial,  ne  lui  sont  point  applicables. 
C'est  ainsi  que  pour  étendre  à  ces  rentes  la  faculté  de  rachat,  il  a 
fallu  une  loi  spéciale  (30  ventôse  an  XII,  devenue  l'article  530  du 
Code  civil  —  le  titre  du  prêt  est  du  18  ventôse  XII).  Si  l'article  1912 
contenait  une  règle  exceptionnelle,  il  ne  faudrait  pas  soumettre  au 
rachat  forcé  les  rentes  créées  à  l'occasion  de  la  cession  d'un  immeu- 
ble, mais  nous  n'avons  vu  dans  l'article  1912  qu'une  application  de 
l'article  1184.  Dès  lors  la  rente  établie  à  l'occasion  de  la  cession  à 
titre  onéreux  d'un  immeuble  sera  soumise  au  rachat  forcé  au  cas 
de  non-paiement  des  arrérages,  puisque  ce  rachat  forcé  n'est 
qu'une  résolution,  et  que  le  contrat  dont  nous  parlons  est  un  con- 
trat intéressé  de  part  et  d'autre. 

(1)  V.  C.  C,  12  novembre  1822.  Sirey,  Rec,  chronologique. 


TIT.    X.    DU    PRÊT.    AHT.    1913.  111 

C'est  l'article  1184  que  nous  appliquons  et  non  l'article  1912, 
par  conséquent  il  ne  sera  pas  nécessaire  que  deux  années  d'ar- 
rérages soient  restées  non  payées.  Au  premier  manquement,  les 
juges  pourraient  prononcer  la  résolution  ;  peut-être,  puisque  la  loi 
leur  accorde  le  droit  d'accorder  des  délais,  seront-ils  entraînés  à 
imiter  la  disposition  de  l'article  1912;  mais  ils  n'y  seront  pas  con- 
traints. 

Nous  ajoutons  que,  dans  le  système  qui  n'exige  pas  une  mise  en 
demeure  du  débiteur  au  cas  de  l'article  1912,  cette  rigueur  ne 
devra  pas  atteindre  les  débiteurs  des  rentes  improprement  appelées 
foncières ,  parce  que  leur  obligation  n'est  sanctionnée  que  par  les 
règles  générales  du  titre  des  contrats  et  obligations. 

123  bis.  XV.  Nous  tirons  une  autre  conséquence  de  ce  que  l'ar- 
ticle 1912  n'est  pas  autre  chose  qu'une  application  du  principe  de 
l'article  1184.  C'est  qu'il  ne  régit  pas  les  rentes  perpétuelles  con- 
stituées à  titre  de  donation.  En  effet,  le  contrat  n'ayant  pas  le  carac- 
tère onéreux,  on  ne  voit  pas  sur  quel  fondement  s'appuierait  l'action 
du  créancier.  L'article  1184  suppose  un  contrat  synallagmatique  ou 
au  moins  un  contrat  intéressé  de  part  et  d'autre.  La  résolution  n'a 
pas  sa  raison  d'être  dans  le  contrat  gratuit,  car  l'effet  de  la  con- 
dition résolutoire  est  de  remettre  les  choses  au  même  état  que  si  le 
contrat  n'avait  pas  été  fait.  On  comprend  qu'une  partie  qui  a  aliéné 
un  capital  fasse  résoudre  le  contrat  de  rente  pour  obtenir  la  resti- 
tution de  son  capital,  mais  un  donataire  qui  ferait  résoudre  la  dona- 
tion perdrait  tout,  car  il  n'aurait  pas  de  restitution  à  demander. 
A  cette  raison  théorique  se  joint  celle-ci  :  le  donateur  n'a  pas  en- 
tendu s'obliger  à  payer  un  capital,  et  c'est  dénaturer  la  convention 
que  de  demander  une  prestation  unique  au  lieu  de  prestations 
annuelles  bien  moins  lourdes  pour  le  débiteur.  L'article  1912  n'im- 
pose pas  cette  solution,  puisqu'il  traite  de  la  rente  constituée,  c'est- 
à-dire  d'une  certaine  variété  du  prêt,  et  la  donation  n'est  pas  un 
prêt. 

123  bis.  XVI.  Il  faut  cependant  faire  une  observation,  le  donataire 
ne  pourra  en  général  poursuivre  que  le  paiement  des  arrérages 
échus  ;  cependant  si  le  donateur  débiteur  est  en  faillite  ou  en  décon- 
fiture, le  bénéfice  du  terme  se  trouve  perdu  (art.  1188),  et  le  capital 
représentant  la  rente  peut  être  exigé,  sinon  le  créancier  n'aurait  plus 
aucune  chance  d'être  payé,  même  des  arrérages,  puisque  tout 
l'actif  du  débiteur  serait  réparti  entre  tous  les  créanciers. 


442  COURS  ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

424.  La  constitution  en  viager,  au  moins  lorsqu'elle  est 
faite  à  titre  onéreux,  donne  au  contrat  le  caractère  aléatoire. 
Les  contrats  aléatoires  sont  l'objet  d'un  litre  particulier,  dans 
lequel  les  règles  concernant  les  rentes  viagères  trouvent 
naturellement  leur  place  (w/r.,  tit.  42).  V.  art.  1944. 


TITRE   ONZIEME. 

DU    DÉPÔT   ET   DU    SÉQUESTRE. 


125.  L'analogie  de  principes  entre  le  contrat  de  dépôt  et  le 
commodat  marquait  ici  la  place  de  ce  titre,  qui,  embrassant 
d'ailleurs  le  dépôt  dans  toute  sa  généralité,  comprend  aussi 
le  séquestre. 


CHAPITRE  PREMIER. 

DU    DÉPÔT    EN    GÉNÉRAL    ET    DE    SES    DIVERSES   ESPÈCES. 

126.  Le  mot  dépôt,  formé  (\eponere,  avec  l'augmentatif  de 
(v.  Ulp.,  L.  I,  D.  deposit.),  indique  le  placement  d'une  chose 
sous  la  garde  d'une  personne  pour  être  ensuite  restituée  en 
nature  a  une  autre.  Cette  remise  a  la  garde  d'autrui  ne 
s'opère  pas  toujours  par  convention;  c'est  pour  cela  sans 
doute  que  la  loi ,  dans  la  définition  qu'elle  donne  du  dépôt  en 
général,  emploie  le  moi  acte  de  préférence  à  celui  de  contrat. 
V.  art.  1915. 

Le  dépôt  ainsi  généralisé  est  de  deux  espèces  :  1°  le  dépôt 
proprement  dit,  où  la  chose  est  confiée  par  une  ou  plusieurs 
personnes,  pour  être  restituée,  sur  la  première  réquisition, 
soit  au  déposant  unique,  soit  à  tous  les  déposants;  2°  le  sé- 
questre ,  où  une  chose  contentieuse  est  placée  sous  la  garde 
d'un  tiers,  pour  être  restituée  à  qui  de  droit,  après  l'événe- 
ment de  la  contestation.  V.  1916. 

126  bis.  Le  séquestre  a  souvent  lieu  par  autorité  de  justice;  ce 
n'est  point  alors  un  contrat,  puisqu'il  n'est  pas  intervenu  de  c. inven- 
tion entre  le  dépositaire  et  les  parties  qui  ont  intérêt  à  la  conservation 
de  la  chose.  C'est  donc  à  cause  du  caractère  particulier  de  ce  ?enre 
vm.  8 


111  COLHS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

de  dépôt  que  la  définition  du  Code  emploie  le  mot  acte  au  lieu  de 
l'expression  contrat. 


CHAPITRE  II. 

DU    DÉPÔT    PKOPP.EMENT    DIT. 

127.  Le  dépôt  proprement  dit  est  un  contrat-,  la  loi  en  dé- 
termine la  nature  et  l'essence,  eu  égard  à  ses  diverses  espèces 
(sect.  1 ,  2  et  5)  ;  elle  explique  en  détail  les  obligations  qui  en 
résultent  (sect.  3  et  4). 

SECTION   l. 

De  la  nature  et  de  l'essence  du  contrat  de  dépôt. 

128.  Le  dépôt  proprement  dit  est  un  acte  de  confiance  de 
la  part  de  l'un  des  contractants,  et  un  bon  office  de  la  part 
de  l'autre.  Il  perdrait  ce  caractère,  pour  se  rapprocher  plus 
ou  moins  du  louage,  si  celui  qui  se  charge  de  garder  la  chose 
se  taisait  payer  de  ce  service.  Ce  contrat  est  donc  essentiellement 
gratuit.  V.  art.  1917;  v.  pourtant  art.  1938-2°. 

128  bis.  I.  C'est  au  point  de  vue  de  la  qualification  à  donner  au 
contrat  et  non  pas  en  ce  qui  touche  sa  validité  que  le  caractère  de 
gratuité  est  considéré  comme  essentiel  au  dépôt.  Le  contrat  non  gra- 
tuit change  de  nature,  il  devient  un  louage  de  services,  mais  il  faut 
reconnaître  que  ce  changement  de  nom  est  assez  indifférent  au  fond. 
Lorsqu'il  s'agira,  en  effet,  de  rechercher  quelles  sont  au  juste  les 
obligations  du  dépositaire,  c'est,  d'après  une  règle  générale,  l'in- 
tention des  parties  qu'il  faudra  consulter;  si  donc  il  existe  quelques 
différences  entre  la  situation  d'un  dépositaire  et  celle  d'un  locateur 
de  services,  il  faudra  appliquer  à  l'hypothèse  les  règles  du  dépôt, 
tacitement  introduites  dans  la  matière  du  louage  par  la  convention 
des  parties  que  manifeste  l'emploi  qu'elles  ont  fait  du  terme  juri- 
diquement inexact  de  dépôt.  On  ne  pourrait  pas,  par  exemple,  sou- 
tenir que  le  dépositaire  salarié  a  droit  à  conserver  la  garde,  et  par 


TITRE  XI.  DV  DÉPÔT  ET  DU  SÉQUESTRE.  ART.    1917,  1918.     115 

conséquent  à  percevoir  le  salaire  pendant  un  certain  temps  car  il 
est  certain  qu'en  appelant  le  contrat  un  dépôt,  on  a  entendu 'que  la 
chose  serait  rendue  à  la  première  réquisition. 

128  bis.  II.  Il  est  un  point  toutefois  sur  lequel  la  loi  s'est  exprimé 
et  a  formellement  interdit  d'étendre  au  dépôt  salarié  la  règle  du 
dépôt  (art.  1918-2°,  déclarant  inapplicable  la  règle  de  l'article  1927) 
Cette  exception  confirme  clairement  la  règle  d'interprétation  que 
nous  venons  de  donner,  car  elle  était  inutile  si  l'on  n'avait  jamais  dû 
soumettre  le  dépôt  salarié  aux  principes  du  dépôt  proprement  dit. 
128  bu  m  H  est  vrai  que  l'article  1928-2»  soulève  une  objection 
contre  notre  doctrine  envisagée  sous  un  autre  aspect.  On  y  parle  de 
dépôt  salarié,  et  par  là  on  semble  reconnaître  que  la  gratuité  n'est 
pas  un  caractère  essentiel  du  contrat  de  dépôt.  Mais  il  ne  faut 
pas  croire  que  les  rédacteurs  du  Code  aient  songé,  dans  l'article 
1928,  au  sens  rigoureusement  juridique  du  mot  dépôt;  ils  suivaient 
Poth.er;   reproduisant  une  hypothèse  que  ce  jurisconsulte  avait 
examinée,  ils  employaient  les  mêmes  termes  que  lui,  et  sous-enten- 
daient  par  conséquent  les  observations  qui  les  expliquaient.  Pothier 
avait  parlé  du  dépositaire  qui  s'est  fait  payer  la  garde,  et  il  avait 
ajouté  :  En  ce  cas,  le  contrat  n'est  pas  un  vrai  contrat  de  dépôt 
n  étant  pas  gratuit.  Pothier  et  les  rédacteurs  du  Code  ont  donc  en! 
visage  1  hypothèse  du  côté  pratique,  se  préoccupant  plutôt  de  la 
qualification  inexactement  donnée  au  contrat  par  les  parties  que  de 
celle  qu  ,1  devrait  recevoir  dans  un  langage  correctement  juridique. 
129.  Le  dépôt,  consistant  dans  le  placement  d'une  chose 
sous  la  garde  d'autrui,  ne  s'applique  naturellement  qu'à  ce  oui 
est  susceptible  de  garde  et  de  changement  de  place  :  il  ne  peut 
donc  avoir  pour  objet  que  des  choses  mubilières,  c'est-à-dire 
ici  des  meubles  corporels.  V.  art.  1918.  Ce  n'est  pas  qu'on 
ne  puisse  confier  des  immeubles  à  la  garde  d'autrui;  mais  hors 
le  cas  de  séquestre,  qui  est  une  sorte  de  dépôt  applicable  même 
aux  immeubles  (art.  1959),  la  charge  de  garder  un  immeuble 
rentrerait  dans  la  catégorie  générale  du  mandat. 

129  bis  I.  Parmi  les  choses  corporelles  qui  peuvent  être  l'objet 
d  un  dépôt,  il  faut  placer  les  titres  au  porteur,  et  même  les  autres 
titres  constatant  l'existence  de  droits  de  toute  nature  'créances 
rentes,  actions,  etc.).  Ces  derniers  titres  ne  se  confondent  pas  avec" 
le  droit,  chose  incorporelle,  qui  n'est  pas  susceptible  de  détention 


M  6  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

physique  et  qui  n'a  pas  besoin  d'être  gardé.  Mais  les  écrits  consta- 
tant l'existence  de  ces  droits  sont  des  choses  matérielles,  importantes 
à  conserver,  dont  la  perte  est  très-préjudiciable,  et  le  contrat  de 
dépôt  a,  par  rapport  à  ces  titres,  de  grandes  raisons  d'être. 

129  bis.  II.  Si  la  loi  ne  considère  pas  les  immeubles  comme  pou- 
vant être  les  objets  du  contrat  de  dépôt,  c'est  qu'elle  reste  fidèle  à 
la  définition  qu'elle  a  donnée  de  ce  contrat,  acte  par  lequel  une 
personne  reçoit  la  chose  d'autrui.  Le  gardien,  le  surveillant  d'un 
immeuble  ne  reçoit  pas  cette  chose,  il  ne  la  place  pas  chez  lui 
parmi  les  siennes  propres  comme  fait  le  vrai  dépositaire;  au  con- 
traire, il  la  surveille  bien  souvent  à  distance.  Si  c'est  un  champ,  il 
ne  peut  pas  l'occuper  d'une  manière  continue;  si  c'est  une  maison, 
et  qu'il  consente  à  l'habiter  pour  la  mieux  garder,  c'est  la  maison 
qui  l'abrite,  et  non  pas  lui  qui  abrite  la  maison.  Le  but  principal  du 
contrat  est  donc  la  surveillance  même,  c'est-à-dire  l'accomplis- 
sement de  certains  actes,  une  sorte  de  gestion;  nous  sommes  alors 
bien  plus  près  du  mandat  que  du  dépôt.  On  fait  observer,  il  est  vrai, 
que  le  dépositaire  de  meubles  doit  quelquefois  aussi  accomplir  des 
actes  positifs  ;  que  s'il  garde  un  animal,  il  faut  bien  qu'il  le  nourrisse. 
Ceci  est  exact,  mais  cette  nécessité  de  prendre  certains  soins  est 
accessoire  et  secondaire  dans  le  dépôt  qui  a  pour  but  principal  de 
déplacer  l'objet  pour  lui  procurer  un  abri  chez  le  dépositaire,  tandis 
que  l'accomplissement  d'actes  de  surveillance  est  le  but  direct  et 
unique  du  contrat  de  garde  d'un  immeuble  (1). 

129  bis.  III.  Les  choses  dont  l'usage  auquel  elles  sont  destinées 
entraîne  la  destruction  ne  peuvent  être  l'objet  d'un  dépôt  pro- 
prement dit  qu'autant  que  la  convention  expresse  ou  tacite  leur 
assigne  un  caractère  qu'elles  n'ont  pas  d'ordinaire  en  les  convertis- 
sant en  corps  certains.  Des  pièces  de  monnaie,  par  exemple,  seront 
déposées  pour  être  restituées  dans  leur  identité  individuelle,  les 
mêmes  pièces  et  non  pas  seulement  d'autres  semblables  (art.  1932). 
Si  les  objets  remis  conservent  dans  la  pensée  des  parties  leur  carac- 
tère de  choses  se  consommant  par  l'usage,  celui  qui  les  reçoit  peut 
restituer  des  choses  pareilles,  le  contrat  a  pour  objet  une  quantité, 
mais  alors  le  contrat  est  dénaturé,  c'est  un  contrat  fort  usuel 
aujourd'hui  sous  forme  de  dépôt  d'argent  jpes  jurisconsultes  l'ap- 
pellent dépôt  irrégulier.  Il  se  rapproche  du  prêt,  mais  il  en  diffère 

(1)  V.  Pothier,  Dépôt  n°  3. 


TITRE  XI.      DU  DÉPÔT  ET  DU  SÉQUESTRE.  ART.   1918,  1919.      117 

en  ce  que  le  déposant  peut  exiger  la  restitution  à  sa  première  réqui- 
sition (1). 

130.  Il  n'y  a  vraiment  dépôt  que  lorsque  la  chose  est  déjà 
remise  sous  la  garde  de  celui  qui  s'en  charge.  On  peut  bien, 
en  vue  d'un  dépôt  comme  en  vue  d'un  prêt  a  effectuer,  faire 
valablement,  dans  notre  droit,  toute  espèce  de  convention; 
mais  le  contrat  de  dépôt  comme  celui  de  prêt  ne  sera  parfait, 
et  ne  produira  les  effets  déterminés  par  la  loi,  que  lorsque  la 
chose  sera  possédée  à  ce  titre  par  le  dépositaire.  Pour  cela  il 
y  aura  lieu  ordinairement  à  lui  en  faire  tradition-,  celte  tradition, 
cependant,  ne  sera  pas  nécessaire  quand  il  se  trouvera  déjà 
nanti  de  la  chose  a  quelque  autre  litre,  car  la  volonté  suffira 
alors  pour  changer  son  titre;  c'est  ce  que  veut  dire  la  loi  quand 
elle  indique,  comme  moyen  de  parfaire  le  dépôt,  la  tradition 
réelle  ou  feinte.  V.  art.  1919. 

Remarquons  ici  que  la  iradilion  ne  constitue  un  dépôt  que 
lorsqu'elle  a  pour  but  principal  de  confier  la  chose  a  la  garde 
de  celui  qui  la  reçoit.  Si  c'est  dans  un  autre  but  qu'elle  a  lieu, 
quand  même  la  garde  de  la  chose  entrerait  secondairement 
dans  l'intention  des  contraclants,  c'est  la  fin  principale  qui 
déterminerait  la  nature  du  contrat;  en  conséquence,  il  n'y  aurait 
pas  dépôt (v.  Ulp._,  L.  8,  D.  mand.L.  1,  §  12  et  13,  D.  depos.). 
Par  la  même  raison,  la  tradition  qui  aurait  pour  fin  principale 
la  garde  de  la  chose  ne  constituerait  pas  moins  un  dépôt, 
quoique  les  parties  se  proposassent  secondairement  une  autre 
fin  (v.  Ulp.j  L.  1,  §  3i,  D.  depos.). 

130  bis.  I.  Nous  avons  expliqué  au  tome  V,  n°  9  bis.  II,  com- 
ment il  y  a  encore  aujourd'hui  des  contrats  réels,  le  dépôt  est 
l'un  de  ces  contrats;  l'obligation  qu'il  fait  naître  est  une  obligation 
de  restituer,  elle  ne  peut  se  comprendre  qu'autant  que  la  chose  a 
été  remise  au  dépositaire.  Avant  cet  événement,  il  peut  y  avoir 
une  convention  sur  un  dépôt  futur,  obligation  d'accepter  le  dépôt, 
mais  le  dépôt  n'existe  pas.  Voilà  ce  que  dit  l'article  1919. 

1 30  bis.  II.  A  bien  dire,  ce  n'est  pas  la  tradition  qui  est  la  condition 
sine  qua  non  du  dépôt,  c'est  la  détention  de  la  chose  par  celui  qui 

(1)  V.  Polhier,  n°'  82  et  83. 


118  COUHS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

devient  dépositaire.  C'est  là  ce  que  veut  dire  l'article,  quand  il  parle 
de  tradition  feinte.  L'explication  qui  complète  l'article  ne  laisse 
aucun  doute  sur  ce  point;  dès  que  celui  qui  devient  dépositaire 
était  déjà  délenteur  de  l'objet,  nanti  à  un  titre  quelconque,  par 
exemple  il  l'avait  trouvé  dans  la  rue,  il  l'avait  emprunté  ou  reçu 
en  gage,  il  n'est  pas  nécessaire  d'opérer  matériellement  une  tradi- 
tion, une  sorte  de  cérémonial  de  remise;  la  volonté  du  propriétaire 
autorisant  le  détenteur  à  conserver  la  détention  qu'il  a  déjà,  moyen- 
nant que  celui-ci  s'oblige  à  restituer,  suffit  bien  pour  former  le 
contrat  de  dépôt,  puisque  le  détenteur  accepte  la  garde  et  devient 
débiteur  d'une  restitution.  L'idée  de  tradition  feinte  est  un  vestige 
des  anciennes  explications  que  donnaient  à  quelques  textes  les 
interprètes  des  lois  romaines  (1).  Mais  on  peut  dire  qu'il  n'y  a  rien 
de  fictif  dans  l'opération,  parce  que  la  tradition  n'est  pas  une  solen- 
nité qu'il  soit  nécessaire  d'accomplir  ou  de  supposer  accomplie 
pour  créer  l'obligation  d'un  dépositaire. 

131.  Des  principes  ci-dessus  il  résulte  que  le  dépôt  est  un 
contrat  de  bienfaisance  et  un  contrat  réel.  Ce  contrat,  du  reste, 
quoiqu'il  produise  des  obligations  de  part  et  d'autre,  ne  peut, 
pas  plus  que  le  prêt,  être  rangé  dans  la  classe  des  contrats 
synallagmatiques  proprement  dits. 

131  bis.  La  distinction  entre  les  contrats  synallagmatiques  par- 
faits et  imparfaits  est  établie  au  tome  V,  n08  5  et  5  bis.  I  et  II. 

132.  Point  de  contrat  sans  consentement;  ce  principe 
s'applique  au  contrat  de  dépôt  comme  a  tous  les  autres-,  mais 
le  consentement,  toujours  essentiel  pour  former  le  dépôt,  est 
quelquefois  déterminé  par  une  sorte  de  nécessité,  qui  soumet 
le  contrat  à  des  règles  particulières.  Sous  ce  rapport,  le  dépôt 
se  divise  en  volontaire  et  nécessaire.  V.  art.  1920. 

SECTION   II. 

Du  dépôt  volontaire. 

133.  Cette  section,  toujours  relative  à  la  nature  et  à  l'es- 
sence du  contrat  de  dépôt,  contient  sur  ce  point  les  règles  qui 

(1)  V.  Du  Caurroy.  Institutes.  t.  I",  n°296.  M.  Accarias,  Précis  du  droit  romain, 
t.  1",  p.  537  et  538.  Édit.  1879. 


TITÎŒ  XI.     DU  DEPOT  ET  DU  SÉQUESTRE.  ART.  1920-1922.      119 

n'ont  pas  d'application  au  dépôt  nécessaire.  Ces  règles  concer- 
nent :  1°  le  consentement  des  parties  (art.  1921);  2°  la  pro- 
priété de  la  chose  déposée  (art.  1922);  3°  la  preuve  du  contrat 
(art.  1923,  1924)-,  4°  la  capacité  des  contractants  (art.  1925, 
1926). 

134.  Le  dépôt  volontaire  se  forme  par  le  consentement,  en 
ce  sens,  que  c'est  la  volonté  libre  qui  seule  détermine  a  faire, 
à  ce  titre,  la  tradition  constitutive  du  contrat.  Cette  volonté, 
qui  au  surplus  n'a  pas  toujours  besoin  d'être  expresse,  doit 
exister  également  et  simultanément  chez  celui  qui  fait  le  dépôt 
et  chez  celui  qui  le  reçoit.  V.  art.  1921. 

134  bis.  Ce  qui  caractérise  le  dépôt  volontaire  et  le  distingue  du 
dépôt  nécessaire,  c'est  que  la  volonté  du  déposant  n'est  pas  déter- 
minée par  des  événements  graves  et  menaçants  imposant  une 
prompte  décision,  ne  permettant  pas  de  choisir  un  dépositaire, 
obligeant  de  s'adresser  en  quelque  sorte  au  premier  venu;  c'est 
en  ce  sens  que  M.  Demante  dit  que  la  volonté  libre  détermine  seule  à 
le  faire.  L'article  1931  conviendrait  à  la  définition  générale  du  dépôt 
s'il  n'était  pas  éclairé  par  sa  comparaison  avec  l'article  1940.  De  ce 
dernier  article,  il  résulte  que  le  dépôt  nécessaire  est  forcé  par 
quelque  accident,  l'autre  dépôt  est  celui  qui  n'est  pas  forcé,  c'est- 
à-dire  qui  se  fait  spontanément  et  qui  permet  une  mûre  réflexion. 

13o.  Il  n'y  a  régulièrement  que  le  propriétaire  qui,  ayant 
la  libre  disposition  de  sa  chose,  soit  en  droit  d'en  confier  lui- 
même  la  garde  a  autrui,  ou  d'autoriser  un  autre  a  le  faire. 
Sous  ce  rapport,  il  est  vrai  de  dire  que  le  dépôt  volontaire  ne 
peut  être  fait  que  par  le  propriétaire  ou  de  son  consentement. 
Peu  importe  d'ailleurs  que  le  consentement  soit  exprès  ou 
tacite.  V.  art.  1922;  et  remarquez  que  ce  principe,  proclamé 
ici  par  opposition,  sans  doute,  au  dépôt  nécessaire,  n'autorise 
pointa  conclure  que  le  dépôt,  sous  certain  rapport,  ne  puisse, 
aussi  bien  que  le  commodat  (1),  avoir  pour  objet  la  chose 
d'autrui  (v.  art.  1938). 

i35  bis.  I.  Le  dépôt  delà  chose  d'autrui  n'a  pas  les  conséquences 
graves  de  la  vente,  de  la  location  ou  du  legs  de  la  chose  d'autrui. 

(1)  V.  ci-dessus,  n"  77. 


120  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

Voilà  pourquoi  le  Code,  envisageant  le  dépôt  au  point  de  vue  du 
droit  que  peut  avoir  le  déposant  sur  l'objet  déposé,  ne  déclare  pas 
que  le  dépôt  de  la  chose  d'autrui  est  nul.  Il  se  contente  de  con- 
stater que  dans  un  état  de  choses  normal,  régulièrement,  le  dépôt 
doit  être  fait  par  le  propriétaire.  Il  corrige  au  surplus  ce  que  sa 
formule  pourrait  avoir  de  trop  exclusif,  en  ajoutant  que  le  consente- 
ment exprès  ou  tacite  du  propriétaire  suffira  pour  la  régularité  du 
dépôt.  Or,  le  consentement  tacite  sera  supposé  dans  la  grande  ma- 
jorité des  hypothèses.  En  effet,  les  cas  les  plus  nombreux  dans  les- 
quels un  meuble  sera  détenu  par  un  autre  que  son  propriétaire 
seront  ceux  où  le  détenteur  tiendra  le  meuble  en  vertu  d'un  contrat 
qui  l'oblige  à  restituer.  Dans  ces  cas,  le  créancier  de  la  restitution, 
propriétaire  du  meuble,  aura  toujours  intérêt  à  sa  conservation,  et 
l'on  devra  facilement  supposer  qu'en  chargeant  le  débiteur  de  veiller  à 
la  conservation  de  la  chose  (art.  1137),  il  a  autorisé  les  procédés  de 
garde  nécessaires,  par  conséquent  le  dépôt  si  le  débiteur  est  momen- 
tanément dans  l'impossibilité  de  conserver  la  chose.  Dans  ces  cir- 
constances, la  question  ne  se  posera  pas  sur  la  régularité  du  contrat 
de  dépôt,  mais  sur  la  responsabilité  du  débiteur  déposant  à  raison 
du  contrat  qui  l'a  constitué  débiteur;  il  s'agira  de  savoir  si  le  dépôt 
a  été  ou  non  un  acte  de  bon  père  de  famille. 

135  bis.  II.  Dans  les  circonstances  où  le  détenteur  n'est  pas  lié 
envers  le  propriétaire  par  un  contrat,  quand  il  aura  par  exemple 
trouvé  la  chose,  quand  il  la  tiendra  d'un  autre  que  le  propriétaire 
et  qu'on  sera  en  dehors  de  la  sphère  d'application  de  l'article  2279, 
on  ne  pourra  pas  croire  à  une  autorisation  tacite  du  propriétaire. 
Mais  qu'importera  quant  à  lui  la  régularité  de  dépôt?  Il  pourra 
agir  en  revendication  contre  le  dépositaire  détenteur,  le  dépôt  n'aura 
donc  pas  porté  atteinte  à  ses  droits,  et  il  n'auia  pas  d'action  contre 
le  déposant. 

135  bis.  III.  Il  reste  à  savoir  si  la  circonstance  que  le  déposant 
n'était  pas  propriétaire  de  l'objet  a  des  conséquences  entre  le  dépo- 
sant et  le  dépositaire.  L'article  1922  ne  dit  pas  que  le  contrat  soit 
nul  pour  cela.  Dès  lors  le  principe  de  la  liberté  des  conventions 
doit  conduire  à  la  validité  du  contrat.  La  nature  des  choses  ne 
s'oppose  pas  à  ce  qu'un  simple  détenteur  cherche  à  faire  conserver 
la  chose  qu'il  détient;  puisque  le  contrat  n'a  pas  pour  objet  de 
transférer  la  propriété  de  la  chose,  où  trouver  la  nécessité  que  le 
déposant  soit  propriétaire?  Ce  déposant  a  un  intérêt  à  la  conservation 


TITRE  XI.     DU  DÉPÔT  ET  DU  SÉQUESTRE.  ART.  1922-1924.       121 

de  la  chose,  ne  fût-ce  qu'à  cause  de  l'éventualité  de  la  prescription 
de  trois  ans  (art.  2279  et  2280)  ou  de  celle  de  trente  ans  ;  il  agit  lici- 
tement en  vue  de  cet  intérêt,  lorsqu'il  donne  cette  chose  en  garde,  et  il 
serait  contraire  à  la  bonne  foi  de  traiter  la  convention  comme  non 
avenue.  Le  Code  montre  très-nettement  sa  pensée  sur  ce  point  dans 
l'article  1938,  lorsqu'il  oblige  le  dépositaire  à  restituer  sans  exiger 
du  déposant  la  preuve  qu'il  est  propriétaire. 

136.  Le  dépôt  est  un  contrat  de  pur  droit  naturel,  que  le 
droit  civil  n'assujettit  pour  son  existence  a  aucune  formalité. 
Bien  plus,  la  position  respective  des  parties  au  moment  du 
contrat  eût  peut-être  paru  un  motif  suffisant  de  ne  jamais 
exiger  un  écrit  pour  la  preuve.  Et  toutefois,  comme  l'impos- 
sibilité de  faire  un  écrit  n'existe  réellement  qu'en  cas  de  dépôt 
nécessaire,  le  dépôt  volontaire  reste,  sous  ce  rapport,  soumis 
à  la  règle  générale  (v.  art.  1341). 

De  cette  règle,  combinée  avec  l'indivisibilité  de  l'aveu  (art. 
1356),  il  résulte  que  si  le  dépôt  excédant  150  francs,  et  soumis 
conséquemmenta  l'obligation  de  passer  acte,  n'est  point  prouvé 
par  écrit,  le  prétendu  dépositaire  en  est  cru  sur  sa  déclaration; 
non-seulement  pour  le  fait  de  dépôt  par  lui  dénié,  mais  aussi 
pour  la  chose  faisant  l'objet  du  dépôt  par  lui  avoué,  ou  pour 
le  fait  de  la  restitution.  V.  art.  1923  et  1924. 

136  bis.  I.  La  véritable  formule  de  la  règle  sur  la  preuve  du 
dépôt  est  dans  la  seconde  partie  de  l'article.  La  preuve  testimoniale 
du  dépôt  n'est  point  reçue  pour  valeur  excédant  150  francs. 
Comme  la  véritable  règle  de  l'article  1341  est  qu'en  principe,  la 
preuve  testimoniale  n'est  pas  admise  quand  il  s'agit  de  plus  de 
150  francs.  L'article  1341  et  l'article  1928  n'annulent  pas  les  con- 
trats en  général  et  le  contrat  de  dépôt  en  particulier  à  raison  de  ce 
qu'ils  n'ont  pas  été  constatés  par  écrit.  Le  doute  n'est  pas  possible 
pour  les  contrats  en  général;  l'article  1347  autorise  la  preuve  testi- 
moniale au  cas  de  commencement  de  preuve  par  écrit;  l'article 
1348,  au  cas  où  il  n'a  pas  été  possible  au  créancier  de  se  procurer 
une  preuve  littérale.  Ces  deux  exceptions  doivent  être  appliquées 
même  au  cas  du  dépôt.  Il  est  vrai  que  l'article  1924  n'en  parle  pas, 
mais  cet  article  n'est  qu'un  rappel  de  l'article  1341,  car  ce  dernier 
article  avait  expressément  montré  qu'il  plaçait  le  dépôt  sous  l'em- 


1 2W2  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE  CIVIL.    LIV.    III. 

pire  de  sa  règle  générale,  ce  qui  le  place  aussi  sous  l'empire  des 
règles  exceptionnelles,  puisque  les  articles  1347  et  1348  commen- 
cent par  ces  mots  :  les  règles  précédentes  reçoivent  exception,  et 
dans  les  règles  précédentes  se  trouve  écrite  la  règle  sur  le  dépôt. 

136  bis.  II.  Ceci  étant,  le  dépôt  n'est  pas  un  contrat  solennel,  et 
nous  devons  admettre  qu'il  peut  être  prouvé  par  l'aveu;  l'article 
1924  le  suppose,  puisqu'il  applique  la  règle  sur  l'indivisabilité  de 
l'aveu  (1). 

136  bis.  III.  La  délation  du  serment  décisoire  est  également  pos- 
sible, puisqu'elle  est  admise  en  toute  espèce  de  contestation  pourvu 
que  la  contestation  soit  de  nature  à  être  terminée  par  une  trans- 
action (art.  1358  et  1360)  (2),  et  il  ne  faut  pas  refuser  d'admettre 
cette  décision,  parce  que  l'article  dit  que  la  partie  est  crue  sur  sa 
déclaration,  car  il  n'est  pas  dit  que  cette  foi  résiste  à  la  preuve 
contraire;  or  nous  voyons  très-bien  qu'une  partie  peut  combattre, 
par  la  délation  du  serment,  une  preuve  légale,  même  celle  qui  ré- 
sulte d'un  acte  écrit  (3). 

136  bis.  IV.  Nous  ne  parlons  que  du  serment  décisoire,  les  règles 
sur  le  serment  déféré  par  le  juge  sont  différentes.  Il  ne  peut  être 
déféré  que  si  la  demande  n'est  pas  entièrement  dénuée  de  preuve, 
et  nous  raisonnons  dans  l'hypothèse  où  le  prétendu  déposant  n'a 
aucun  moyen  légal  d'établir  le  dépôt  (art.  1367). 

137.  Le  dépôt  volontaire,  ne  tirant  que  du  consentement 
sa  force  obligatoire,  reste  entièrement  soumis  aux  règles  sur 
la  capacité  de  contracter,  mais  la  capacité  n'étant  jamais  requise 
que  dans  la  partie  qui  s'oblige  (art.  1108),  et  les  personnes 
capables  ne  pouvant  opposer  l'incapacité  de  la  partie  avec  la- 
quelle elles  contractent  (art.  1125),  il  en  résulte  que  le  dépo- 
sitaire capable  est  tenu,  comme  a  l'ordinaire,  malgré  l'inca- 
pacité du  déposant.  Bien  entendu  alors  que  c'est  au  repré- 
sentant légal  du  déposant  incapable  qu'appartient  la  poursuite. 
V.  art.  1925. 

Il  en  est  tout  autrement  quand  c'est  le  dépositaire  qui  est 
incapable.  Évidemment  alors  il  n'est  point  obligé  par  le  con- 
trat (en  ce  sens  du  moins  qu'il  lui  est  loisible  de  le  faire  res- 

(1)  V.  t.  V,  a^Ubit.  III. 

(2)  V.  t.  V,  n°  337  bit.  II. 

(3)  V.  t.  V,  ne  337  bit.  VI. 


TITRE  XI.     DU   DÉPÔT  ET  DU  SÉQUESTRE.  ART.    1924-1926.     123 

cinder);  mais  si  la  chose  déposée  existe  dans  sa  main,  il 
est,  comme  détenteur  de  la  chose  d'autrui,  soumis  a  la  reven- 
dication. Bien  plus,  l'incapacité  n'autorisant  jamais  à  s'en- 
richir aux  dépens  d'autrui,  il  est  dans  tous  les  cas  personnel- 
lement tenu  à  restitution  quatenus  locupletior  factus  est. 
V.  art.  1926. 

137  bis.  I.  La  disposition  de  l'article  1925  est  la  conséquence 
des  règles  sur  le  caractère  relatif  de  la  nullité  fondée  sur  l'incapa- 
cité; aussi  ne  saurions-nous  l'appliquer  au  cas  où  le  contrat  serait 
entaché  d'un  vice  produisant  la  nullité  absolue.  Il  pourrait  arriver, 
par  exemple,  que  le  contrat  fût  absolument  nul,  faute  de  consente- 
ment, ie  prétendu  déposant  n'ayant  pas  concouru  par  sa  volonté  au 
dépôt.  Ce  ne  serait  plus  alors  en  vertu  du  contrat  que  le  dépositaire 
pourrait  être  poursuivi,  il  serait  exposé  à  une  action  en  revendica- 
tion et  à  une  action  de  gestion  d'affaires,  s'il  avait  agi  dans  l'in- 
térêt du  propriétaire;  au  cas  de  mauvaise  foi,  il  pourrait  arriver 
que  le  fait  par  lui  commis  fût  un  vol  (art.  379,  C.  pénal).  Ce  ne 
serait  pas  en  tout  un  abus  de  confiance  (art.  408,  C.  pénal),  puis- 
que le  contrat  de  dépôt  n'aurait  eu  aucune  existence. 

137  bis.  II.  Quand  c'est  le  dépositaire  qui  est  incapable,  la  nullité 
du  contrat  peut  être  invoquée  par  lui  pour  se  soustraire  aux  obli- 
gations que  cette  qualité  impose,  par  exemple  à  celle  de  donner  des 
soinsà  la  conservation  de  la  chose  (art.  1927).  Il  faudrait  cependant 
restituer  l'objet,  et  le  déposant  aurait  une  action  à  cet  effet  :  l'article 
1926  reconnaît  l'existence  de  cette  action  qu'il  appelle  une  reven- 
dication. Elle  aura  en  effet  le  plus  souvent  ce  caractère,  parce 
que  ordinairement  le  déposant  est  le  propriétaire  de  la  chose  ;  mais 
le  contraire  est  possible ,  et  quand  le  déposant  ne  sera  pas  propriétaire, 
il  faudra  bien  qu'il  ait  une  action  en  restitution.  Cette  action,  que 
quelques-uns  appuient  seulement  sur  une  raison  d'équité,  nous 
paraît  être  l'action  de  dépôt  produisant  les  conséquences  décrites 
par  l'article  1312.  Le  contrat,  en  effet,  n'est  pas  nul;  il  est  annu- 
lable, le  déposant  l'invoque  et  demande  l'exécution  des  promesses 
du  dépositaire,  celui-ci  demande  la  nullité,  mais  le  demandeur  ré- 
pond qu'on  doit  lui  rendre  ce  qui  a  tourné  au  profit  de  l'incapable, 
et  puisque  la  chose  existe  dans  les  mains  dudit  incapable,  il  n'est 
guère  possible  de  soutenir  qu'elle  ne  constitue  pas  pour  lui  un  gain 
qu'il  n'a  pas  le  droit  de  conserver. 


124  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE   CIVIL.    L1V.    III. 

137  bis.  III.  Les  mêmes  principes  nous  fournissent  la  solution 
pour  le  cas  où  la  chose  n'est  plus  dans  la  possession  de  l'incapa- 
ble, si  à  l'occasion  de  cette  chose  il  a  fait  quelque  bénéfice.  Le 
déposant  pourra  le  poursuivre  dans  les  limites  de  ce  dont  il  a  profité. 

137  bis.  IV.  Enfin,  il  pourrait  arriver  que  l'incapable  n'eût  pas 
profité  de  la  chose  déposée,  qu'il  l'eût  détruite,  consommée  sans 
utilité,  alors  il  faudra  distinguer  :  le  dépositaire  était-il  doué  de 
discernement,  capax  doit,  a-t-il  pu  comprendre  le  caractère  immo- 
ral de  l'acte  qu'il  accomplissait,  il  devra  des  dommages  et  intérêts 
en  vertu  de  l'article  1382,  il  aura  par  sa  faute  causé  un  préjudice, 
il  sera  tenu  quasi  ex  delicto,  et  l'article  1310  reconnaît  que  le  mineur 
n'est  pas  restituable  contre  les  obligations  résultant  de  son  délit  ou 
quasi-délit. 

137  bis.  V.  On  voit  que  nous  ne  considérons  pas  l'acte  de  l'inca- 
pable comme  un  véritable  délit,  surtout  comme  un  délit  d'abus  de 
confiance  puni  par  l'article  408  du  Code  pénal.  C'est  que  ce  délit 
suppose  la  préexistence  du  contrat  de  dépôt,  et  que  l'incapable,  ayant 
toujours  le  droit  d'invoquer  la  nullité  de  ce  contrat,  détruirait  par 
son  action  en  nullité  la  condition  essentielle  de  ce  genre  de  délit. 


SECTION  III. 
Des  obligations  du  dépositaire. 

138.  C'est  le  dépositaire  seul  qui,  dans  ce  contrat,  est 
obligé  principalement  et  immédiatement.  Son  obligation  a 
deux  chefs  :  la  garde  de  la  chose  (art.  1927-1931) ,  et  sa  resti- 
tution (art.  1932-1944). 

§1- 

De  l'obligation  de  garder  la  chose. 

139.  L'obligation  de  garder,  commune  à  tout  débiteur  de 
corps  certain  (v.  art.  1136),  s'applique  plus  particulièrement 
au  dépôt,  qui  se  contracte  précisément  en  vue  de  cette  garde. 
Toutefois,  le  contrat  intervenant  dans  l'intérêt  unique  du  dé- 
posant, qui  d'ailleurs  aurait  à  s'imputer  le  choix  d'un  déposi- 


TITRE  XI.     DU  DÉPÔT  FT  DU  SÉQUESTRE.  ART.  1926-1928.        125 

taire  négligent,  l'obligation  de  veiller  a  la  conservation  ne 
doit  pas  être  appliquée  ici  a  la  rigueur;  aussi  s'est-on  toujours 
borné  a  exiger  du  dépositaire,  non  de  la  diligence,  mais  de  la 
fidélité  (v.  Just.,  Inst.,  §  3,  quib.  mod.  re  contr.  obi.;  Ulp.; 
L.  o,  2,  D.  commod.  ;  L.  23,  D.  de  reg.jur.).  Il  est  clair  du 
reste  que  ce  serait  manquer  a  cette  fidélité  que  de  donner  à  la 
chose  déposée  moins  de  soin  qu'a  ses  propres  choses.  V.  art. 
1927;  v.  aussi  Cels.,  L.  32,  D.  depos.;  v.  pourtant  art. 
1137. 

139  bis.  I.  La  responsabilité  du  dépositaire  est  moins  lourde  que 
celle  de  tout  autre  débiteur  de  corps  certain.  Nous  en  avons  dit  la 
raison  au  tome  V  (n°  64  bis.  I).  Le  dépositaire  ne  promet  pas  de 
jouer  un  rôle  actif,  il  permet  de  placer  la  chose  déposée  parmi  les 
siennes,  et  dès  lors  les  parties  ne  doivent  pas  avoir  entendu  qu'il 
promet  autre  chose  que  de  veiller  sur  la  cbose  comme  sur  les 
siennes. 

139  bis.  II.  C'est  là  un  tempérament  à  la  règle  de  l'article  1137, 
et  il  faut  conserver  à  la  règle  ce  caractère  d'exception  favorable. 
On  ne  devrait  pas  se  servir  de  l'article  1927  pour  obliger  le  déposi- 
taire à  des  soins  qui  dépasseraient  ceux  d'un  bon  père  de  famille, 
s'il  était  pour  ses  propres  affaires  plus  soigneux  que  le  type  du  bon 
père  de  famille.  Ce  serait  abuser  de  l'article  1927  en  l'interprétant 
dans  un  sens  absolument  contraire  à  la  pensée  qui  l'a  inspiré. 

140.  Le  déposant  n'a  plus  précisément  a  s'imputer  le  choix 
d'un  dépositaire  négligent  lorsque  c'est  celui-ci  qui  s'est  offert 
à  lui  (v.  Ulp.,  L.  1  ,§35,  D.  depos.).  D'un  autre  côté,  le  con- 
trat perd  le  caractère  de  gratuité  qui  restreint  la  responsabilité 
du  dépositaire ,  si  l'intérêt  est  commun  aux  deux  parties ,  ce  qui 
arriverait  par  la  stipulation  d'un  salaire  (v.  Ulp.,  L.  5,  §  2,  D. 
commod.);  ou  a  plus  forte  raison,  si  c'est  uniquement  dans 
l'intérêt  du  dépositaire  que  le  contrat  est  intervenu,  puta,  si 
de  l'argent  avait  été  remis  entre  ses  mains  pour  lui  faciliter  le 
moyen  de  l'emprunter  en  cas  de  besoin  (v.  Ulp.,  L.  4,  D.  de 
reb.  cred.).  Enfin  les  conventions  tenant  lieu  de  loi,  il  est  évi- 
dent que  le  dépositaire  pourrait  valablement  s'obliger  a  ré- 
pondre de  toute  espèce  de  faute  (v.  Ulp.,  L.  1 ,  §  6  et  35,  D. 


126  COUKS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

depos.).  Dans  ces  quatre  cas  donc,  la  responsabilité  du  dépo- 
sitaire est  plus  rigoureuse.  V.  art.  1928. 

141.  La  loi,  du  reste,  appliquant  au  dépositaire  la  règle 
commune  a  tout  débiteur  de  corps  certain,  veut  qu'il  ne  ré- 
ponde en  aucun  cas  des  accidents  de  force  majeure,  sauf  tou- 
tefois l'effet  ordinaire  de  la  demeure.  V.  art.  1929,  et  a  ce 
sujet  art.  1147,  1148,1302. 

141  bis.  Parmi  les  événements  graves  qui  peuvent  détruire  la 
chose  déposée,  il  est  difficile  de  ne  pas  songer  à  l'incendie.  S'il  s'agit 
de  la  destruction  de  l'objet  déposé  par  un  accident  qui  l'aurait  détruit 
seul,  il  n'y  a  pas  de  doute  que  le  dépositaire  ne  soit  obligé  à  prouver 
que  l'incendie  ne  provient  pas  de  son  fait.  Le  débiteur  de  corps 
certain  doit  toujours  démontrer  le  cas  fortuit  qu'il  allègue  et  par 
conséquent  démontrer  le  caractère  fortuit  de  l'événement  qui  a 
détruit  la  chose. 

Ce  cas  est  assez  rare,  mais  il  arrive  plus  fréquemment  que  la 
chose  déposée  périt  dans  l'incendie  de  la  maison  où  le  dépositaire 
l'avait  placée.  L'événement  deviendrait-il  alors  fortuit  parce  qu'il 
ferait  partie  d'un  sinistre  plus  complet?  Pour  qu'il  en  fût  ainsi,  il 
faudrait  que  l'incendie  d'une  maison  fût  présumée  légalement  ne 
pas  provenir  de  la  faute  de  celui  qui  habite  la  maison;  or  cette  pré- 
somption n'existe  pas,  loin  de  là.  Nous  avons  expliqué  sur  l'article 
1733  que  le  locataire  est  responsable  de  l'incendie  parce  qu'il  est 
débiteur  de  la  maison  et  qu'il  ne  peut  se  libérer  qu'en  démontrant  le 
caractère  fortuit  de  l'événement  qui  l'a  détruite  (1).  Si  telle  est  la 
situation  de  locataire  comme  débiteur  de  l'immeuble,  telle  doit-elle 
être  lorsqu'on  l'envisage  comme  débiteur  de  l'objet  que  l'immeuble 
renfermait. 

Que  si  le  dépositaire  n'est  pas  locataire,  mais  propriétaire  de  la 
maison,  il  n'est  tenu  envers  personne  pour  la  destruction  de  l'édi- 
fice, mais  sa  situation  reste  la  même  dans  ses  rapports  avec  le  dé- 
posant son  créancier. 

Il  ne  faut  pas  toutefois  oublier  l'article  1 927  ;  il  modérera  certaine- 
ment la  rigueur  des  décisions  précédentes,  parce  que  les  juges,  en 
examinant  les  preuves  tendant  à  établir  le  cas  fortuit,  se  trouveront 
en  présence  de  questions  de  négligence;  ils  devront  alors  prendre 
pour  critérium  la  diligence  que  le  dépositaire  apporte  à  ses  propres 

(1).  V.  t.  VII,  a"  179  bit.  II. 


TITKE  XI.      DU    DÉPÔT  ET  DU  SEQUESTRE.   ART.  1929-1932.     127 

affaires,  et  il  pourra  résulter  de  là  qu'on  le  décharge  de  la  responsa- 
bilité de  la  chose  déposée  plus  facilement  qu'on  ne  le  déchargerait 
de  celle  de  la  maison  louée  où  avait  été  conservée  cette  chose. 

142.  La  fidélité  que  le  dépositaire  doit  apporter  à  la  garde 
de  la  chose,  l'oblige  à  ne  point  s'en  servir  sans  la  permission 
du  déposant;  cette  permission,  du  reste,  n'a  pas  besoin  d'être 
expresse,  il  suffit  qu'elle  soit  présumée.  V.  art.  1930.  Mais 
comme  elle  ne  résulte  point  en  général  de  la  remise  a  titre 
de  dépôt,  il  faut  qu'il  y  ait  juste  raison  de  la  présumer. 

Ce  serait  également  contrevenir  à  la  fidélité  d'un  dépositaire 
que  de  chercher  à  connaître  la  chose  destinée  à  demeurer 
secrète.  Cette  destination  est  évidente  quand  la  chose  a  été 
confiée  sous  clé  ou  sous  cachet.  V.  art.  1931.  Ajoutons  que 
la  connaissance  de  la  chose,  donnée  par  le  déposant  au  dé- 
positaire, n'autoriserait  point  celui-ci  à  transmettre  à  d'autres 
cette  connaissance. 

142  bis.  Les  choses  qui  se  consomment  par  l'usage  ne  font  pas 
partie  de  celles  dont  on  présumera  que  le  déposant  a  autorisé  l'usage 
par  le  dépositaire.  Car  la  consommation  substituant  une  dette  de 
quantité  à  une  dette  de  corps  certain,  le  contrat  serait  dénaturé,  et  il 
n'est  pas  présumable  que  l'intention  du  déposant  a  été  de  faire  un 
contrat  qui  pourrait  changer  de  nature  à  la  volonté  de  l'autre  partie. 

Pour  les  meubles  qui  se  détériorent  quand  on  s'en  sert,  on  ne 
présumera  pas  non  plus  que  le  dépôt  implique  un  droit  à  l'usage. 
Au  contraire,  il  y  a  des  choses  qui  se  détérioreraient  si  on  ne  les 
employait  pas  selon  leur  destination,  un  cheval,  par  exemple,  qui 
souffrirait  grandement  à  rester  inactif  dans  l'écurie,  et  pour  citer 
l'exemple  de  Pothier,  un  chien  de  chasse  qui  perdrait  l'habitude 
d'arrêter  le  gibier  s'il  restait  longtemps  sans  chasser  fl). 

§  « 

De  l'obligation  de  restituer. 

143.  La  seconde  obligation  du  dépositaire  est,  comme  on 
l'a  dit,  celle  de  restituer.  A  cet  égard,  la  loi  règle  successi- 

(1)  V.  Pothier,  n»  37. 


128  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    111. 

vcment  :  1°  ce  qui  doit  être  restitué  (art.  1932-1936)-,  2°  a 
qui  doit  êîre  faite  la  restitution  (art.  1937-1941)-,  3°  dans  quel 
lieu  (art.  1912,  1913)  ;  4"  dans  quel  temps  (art.  1644). 

144.  L'obligation  de  restituer  a  évidemment  pour  objet  la 
chose  même  que  le  dépositaire  a  reçue;  c'est  celle-là  qui  doit 
être  identiquement  rendue;  cette  règle  s'applique  au  cas 
même  où  les  choses  déposées  seraient  de  leur  nature  fongibles; 
elle  s'appliquerait  conséquemment  au  dépôt  d'une  somme 
d'argent  monnayé  -,  la  diminution  ou  augmentation  survenue 
dans  la  valeur  des  espèces  déposées  ne  modifierait  donc  en  rien 
l'obligation  de  rendre  les  mêmes  espèces.  V.  art.  1932. 

145.  La  chose  demeurant  aux  risques  du  déposant,  qui  en 
est  créancier,  il  est  clair  qu'elle  ne  doit  être  rendue  que  dans 
l'état  où  elle  se  trouve  au  moment  de  la  restitution.  Par  con- 
séquent, les  détériorations  restent  à  la  charge  du  déposant 
lorsqu'elles  ne  sont  pas  survenues  par  le  fait  du  dépositaire, 
c'est-à-dire,  sans  doute,  lorsqu'elles  ne  proviennent  pas  d'une 
faute  dont  il  doive  répondre.  V.  art.  1933. 

146.  Toujours  par  suite  des  mêmes  principes,  le  dépositaire 
ne  répond  point  de  l'enlèvement  par  force  majeure.  Mais  s'il 
a  reçu  quelque  chose  en  remplacement,  il  doit  rendre  ce 
qu'il  a  ainsi  reçu ,  comme  il  rendrait  ce  qui  resterait  de  la 
chose  perdue.  V.  art.  1934,  et  à  ce  sujet,  art.  1302,  1303. 

147.  Bien  plus,  on  assimile  au  cas  d'enlèvement  par  force 
majeure  le  cas  de  vente  faite  de  bonne  foi  par  l'héritier  du 
dépositaire  dans  l'ignorance  du  dépôt.  Cet  héritier  donc,  quoi- 
qu'il succède  a  l'obligation  de  son  auteur,  et  qu'il  ne  dût  pas, 
en  principe,  pouvoir  s'en  libérer  par  son  propre  fait,  en  sera 
quitte  alors  pour  rendre  le  prix,  ou  pour  céder  son  action 
contre  l'acheteur  (1).  V.  art.  1935;  Ulp.,  L.  1,  §  47;  et 
Paul,  L.  2,  D.  depos. 

A  l'égard  du  dépositaire  lui-même,  il  est  certain  que  la 
vente  qu'il  ferait  de  la  chose  ne  pourrait  jamais  le  soustraire 

^l)  Quant  au  droit  accordé  autrefois  au  déposaot  de  reveudiquer  la  chose  vendue 
soit  par  le  dépositaire  lui-même,  s  jit  par  son  héritier,  voyez  art.  2279. 


T1T.  XI.  DU  DÉPÔT  ET  DU  SÉQUESTKE.  AKT.   1935,  193G.     129 

aux  effets  de  l'obligation  de  restituer,  qui  se  résoudrait  alors 
en  dommages-intérêts,  sans  préjudice  des  peines  encourues 
pour  l'abus  de  confiance  (C.  pép.,  art.  408). 

147  bis.  I.  La  raison  d'équité  qui  inspire  la  décision  de  l'article 
1936  au  cas  où  l'héritier  du  dépositaire  a  vendu  la  chose  ignorant 
qu'elle  était  déposée ,  conduit  à  étendre  cette  décision  au  cas  où 
lorsqu'il  l'a  détruite  il  s'est  cru  propriétaire.  Si  la  chose  a  péri,  ce 
n'est  pas  par  sa  faute,  on  ne  saurait  exiger  de  lui  que  la  valeur 
dont  il  s'est  enrichi. 

147  bis.  II.  Nous  assimilons  au  cas  de  destruction  celui  de  dona- 
tion. Le  donataire  peut  résister  à  la  revendication  en  s'appuyant, 
s'il  est  de  bonne  foi,  sur  l'article  2279;  la  chose  est  donc  perdue  et 
pour  le  déposant  et  pour  l'héritier  du  dépositaire,  celui-ci  n'est  pas 
en  faute,  il  ne  s'est  pas  enrichi,  ce  nous  paraîtrait  une  rigueur  con- 
traire à  l'article  de  lui  imposer  le  paiement  du  prix  que  pouvait 
valoir  la  chose  au  moment  de  la  donation  (1). 

Dans  cette  hypothèse  de  donation,  tout  ne  serait  pas  perdu  pour 
le  déposant,  car  il  aurait  droit  à  se  faire  céder  toutes  les  actions 
qui  pourraient  appartenir  au  donateur  pour  recouvrer  la  chose 
contre  le  donataire,  par  exemple  l'action  en  révocation  pour  cause 
d'inexécution  des  charges  ou  pour  survenance  d'enfant. 

148.  Le  dépositaire  ne  devant  aucunement  profiter  du 
dépôt,  il  est  clair  que  s'il  perçoit  quelques  fruits,  il  est  obligé 
à  les  rendre  comme  la  chose  elle-même.  Cette  règle  semble 
s'appliquer  sans  difficulté  aux  intérêts  que,  par  événement, 
le  dépositaire  aurait  tirés  des  sommes  déposées.  Du  reste, 
comme  il  n'est  pas  tenu  de  placer  ces  sommes,  puisqu'il  n'en 
a  pas  le  même  le  droit, il  ne  doit  naturellement  aucun  intérêt, 
si  ce  n'est  qu'il  ait  été  mis  en  demeure  de  restituer.  V.  art. 
1936. 

148  bis.  I.  Il  ne  faut  pas  supposer  que  le  dépositaire  a  fait  pro- 
duire des  intérêts  par  les  sommes  déposées,  car  d'après  l'article 
1932  il  doit  rendre  identiquement  les  pièces  de  monnaie  qu'il  a 
reçues  en  dépôt,  et  la  production  d'intérêts  par  les  sommes  déposées 
supposerait  une  violation  du  dépôt.  Les  intérêts  ne  seraient  pas 
dus  comme  fruits  produits  par  la  chose;  la  question  deviendrait  une 

(1)  V.,  en  sens  inverse,  Aubry  el  Rau,  t.  III,  p.  443.  Édit.  1856. 
vin.  9 


130  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

question  de  dommages  et  intérêts  réclamés  pour  la  destruction  des 
corps  certains  déposés,  et  les  tribunaux  auraient  le  droit  d'allouer 
une  indemnité  supérieure  aux  intérêts  légaux,  car  l'article  1153 
serait  inapplicable,  puisqu'il  ne  concerne  que  les  débiteurs  de  sommes 
d'argent. 

Il  ne  serait  pas  dû  non  plus  d'intérêts  au  cas  du  dépôt  irrégulier, 
parce  que  le  dépositaire  est  débiteur  d'une  somme  sans  stipulation 
d'intérêts  et  que,  lorsqu'il  fait  valoir  un  capital  quelconque,  on  ne 
peut  pas  dire  que  c'est  la  somme  déposée,  puisqu'elle  n'a  pas  d'in- 
dividualité, de  sorte  que  jamais  on  ne  pourra  démontrer  que  cette 
somme  déposée  a  été  employée  au  profit  du  dépositaire. 

148  bis.  II.  L'article  a  donc,  avec  raison,  envisagé  seulement 
l'hypothèse  de  la  mise  en  demeure.  Dans  ce  cas,  il  consacre  une 
exception  aux  règles  qui  régissent  les  débiteurs  de  sommes  d'ar- 
gent. D'après  l'article  1153,  les  intérêts  ne  courent  pas  en  vertu 
d'une  simple  mise  en  demeure,  c'est-à-dire  d'une  sommation  ou 
autre  acte  équivalent,  il  faut  une  demande  en  justice.  Dans  le  cas 
spécial  qui  nous  occupe,  une  simple  mise  en  demeure  suffit. 

L'expression  de  l'article  :  l'argent  déposé,  ne  montre  pas  claire- 
ment l'hypothèse  précise  que  le  législateur  a  en  vue.  S'agit-il  d'un 
dépôt  d'argent  fait  dans  les  conditions  de  l'article  1932?  S'agit-il 
d'un  dépôt  irrégulier? 

Nous  croyons  d'abord  que  l'article  vise  cette  dernière  hypothèse. 
Du  moment,  en  effet,  qu'on  admet  que  le  dépôt  d'une  somme  qui 
sera  restituée  en  quantité  conserve  les  caractères  du  dépôt,  c'est 
apparemment  pour  le  soumettre  à  celles  des  règles  de  la  matière  qui 
ne  sont  pas  absolument  antipathiques  avec  sa  nature  propre.  Or, 
l'exception  que  l'article  1936  fait  à  l'article  1153  dérive  non  pas 
de  ce  que  le  dépôt  a  pour  objet  des  corps  certains,  mais  de  ce  que 
le  dépositaire  doit  rendre  à  la  première  réquisition,  et  qu'il  doit 
avoir  toujours  à  sa  disposition  ce  qu'il  doit  restituer.  Ceci  est  vrai 
du  dépôt  irrégulier  comme  du  dépôt  régulier,  et  c'est  une  raison 
pour  appliquer  l'article  1936  au  premier  de  ces  deux  contrats. 

148  bis.  III.  Il  nous  paraît  même  qu'il  ne  doit  être  appliqué  que 
dans  ce  cas.  Quand  le  dépôt  d'une  somme  d'argent  est  régulier, 
l'argent  déposé  devient  un  corps  certain,  et  par  conséquent  la  règle 
de  l'article  1153  sur  la  mise  en  demeure  n'est  pas  applicable,  il 
n'était  pas  besoin  que  l'article  1936  y  dérogeât,  c'est  l'article  1139 
qui  est  naturellement  en  jeu. 


TIT.  XI.  DU  DÉPÔT  ET  DU  SÉQUESTRE.  ART.   1936-1938.        131 

L'article  1153  contient  une  autre  dérogation  aux  règles  générales; 
il  fixe  les  dommages  et  intérêts  qui  doivent  consister  dans  les 
intérêts  de  la  somme  due.  Nous  n'admettons  pas  que  cette  règle 
s'applique  au  dépôt  régulier  d'une  somme  d'argent,  parce  que,  nous 
l'avons  dit  plus  haut,  le  dépositaire  n'est  pas  débiteur  d'une  somme, 
d'une  quantité,  mais  de  corps  certains.  Les  tribunaux  seraient 
donc  maîtres  de  fixer  les  dommages  et  intérêts  soit  au-dessus, 
soit  au-dessous  de  l'intérêt  légal,  comme  si  l'on  avait  déposé  des 
diamants,  des  médailles  ou  des  tableaux.  Cette  solution  que  les 
principes  imposent  ne  nous  paraît  pas  contraire  à  l'article  1926, 
qui  peut  avoir  statué  sur  l'hypothèse  assez  fréquente  du  dépôt  irré- 
gulier ou  qui,  s'il  a  songé  à  l'autre  hypothèse,  peut  avoir  voulu 
reconnaître  aux  juges  le  droit  de  condamner  le  dépositaire  aux 
intérêts  sans  pour  cela  le  contraindre  à  punir  ainsi  la  demeure  de 
ce  débiteur. 

149.  L'obligation  de  restituer  naissant  du  contrat  de  dépôt, 
dont  l'effet  se  produit  et  se  concentre,  comme  de  raison, 
entre  les  parties  contractantes,  ce  n'est,  en  principe,  qu'au 
déposant  que  la  chose  doit  être  rendue.  Bien  entendu,  au 
reste,  que,  si  un  tiers  a  déposé  la  chose  au  nom  d'autrui,  le 
véritable  déposant  est  celui  au  nom  duquel  la  remise  a  été 
faite.  C'est  donc  a  lui  que  la  chose  doit  être  rendue.  Il  n'est 
pas  moins  clair  que  la  restitution  est  censée  faite  au  déposant 
lui-même,  lorsqu'elle  l'est  a  une  personne  indiquée  par  lui 
pour  la  recevoir.  V.  art.  1937. 

150.  Le  droit  de  réclamer  la  restitution  étant  attaché  à  ia 
qualité  de  déposant,  et  la  règle  qui  veut  que  le  dépôt  soit  fait 
par  le  propriétaire  (art.  1922)  n'empêchant  pas  la  validité  du 
dépôt  de  la  chose  d'autrui,  il  en  résulte  naturellement  que  le 
dépositaire  ne  peut  exiger  du  déposant,  qui  réclame  la  resti- 
tution, la  preuve  de  sa  propriété. 

Ajoutons  qu'il  ne  pourrait  davantage,  pour  se  dispenser  de 
rendre  au  déposant,  offrir  la  preuve  de  la  propriété  d'autrui. 
Mais  si  le  propriétaire,  contre  lequel  le  déposant  ne  serait  pas 
en  droit  de  retenir  la  possession,  réclame  sa  chose,  il  est 
juste  qu'il  ait  la  préférence  sur  celui-ci.  Bien  plus,  l'équité 
de  la  restitution  au  véritable  maître  étant  évidente,  la  loi  fait 

9. 


1*2  COUKS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

un  devoir  au  dépositaire  qui  découvre  que  la  chose  a  été  volée, 
et  quel  en  est  le  propriétaire,  d'avertir  celui-ci,  avec  somma- 
tion de  réclamer  dans  un  délai,  que  la  loi  ne  fixe  pas,  mais 
qui  doit  être  déterminé  et  suffisant.  Le  délai  passé,  si  le 
propriétaire  ne  réclame  pas,  c'est  a  lui  à  s'imputer  sa  négli- 
gence, et  il  ne  peut  inquiéter  le  dépositaire  qui  a  restitué  au 
déposant.  V.  art.  1938-,  v.,  a  ce  sujet,  Ulp.,  L.  1,  §  39; 
Tryphon.,  L.  31,  §  1,  D.  depos. 

150  bis.  1.  Les  choses  perdues  peuvent  être  revendiquées  comme 
les  choses  volées  (art.  2279);  il  est  raisonnable,  par  conséquent, 
d'appliquer  à  celles-là  ce  que  le  Gode  dit  de  celles-ci.  Le  but  de 
l'article  est  d'empêcher  le  détenteur  d'une  chose  volée  de  mettre 
des  entraves  à  la  revendication  de  la  chose  en  la  cachant  chez  un 
dépositaire.  La  revendication  de  la  chose  perdue,  rapprochée  par 
l'article  2279  de  la  revendication  de  la  chose  volée,  mérite  d'être 
facilitée  comme  elle  parla  disposition  de  l'article  1938. 

150  bis,  IL  L'obligation  imposée  au  dépositaire  de  la  chose  volée, 
et  nous  ajoutons  ou  perdue,  n'est  pas  dépourvue  de  sanction,  car 
le  dépositaire  qui  a  négligé  de  la  remplir  aura  souvent  causé  un 
préjudice  au  propriétaire;  la  revendication  sera  peut-être  devenue 
impossible;  le  déposant  resté  en  possession  aura  détruit  ou  aliéné  la 
chose;  ce  préjudice  résultera  de  la  faute  du  dépositaire,  et  il  sera 
tenu  à  la  réparer  (art.  1382).  C'est  à  cette  obligation  de  réparer  le 
préjudice  que  songe  l'article  1938  quand  il  déclare  que  le  déposi- 
taire qui  a  observé  sa  prescription  sera  déchargé.  Il  n'est  pas,  à  pro- 
prement parler,  déchargé;  car  la  seule  obligation  qui  pesait  sur  lui 
le  liait  au  déposant  et  non  au  propriétaire,  seulement  libéré  envers 
le  déposant,  il  ne  devient  pas  débiteur  de  dommages  et  intérêts 
envers  le  propriétaire. 

150  bis.  III.  Il  résultera  quelquefois  de  l'article  1938  que  le 
dépositaire  trouvera  le  moyen  d'éviter  la  restitution  immédiate  de 
la  chose  déposée,  en  alléguant  qu'il  a  découvert  que  la  chose 
était  volée  ou  perdue;  peut-être  même  aura-t-il  fait  dénonciation 
à  un  prétendu  propriétaire  avant  la  demande  en  restitution  du 
dépôt.  Les  juges  devront  apprécier  la  sincérité  et  la  probabilité  des 
assertions  du  dépositaire,  ils  pourront  autoriser  celui-ci  à  garder  la 
chose;  mais  si  plus  tard  il  est  démontré  que  le  dépositaire  avait 
allégué  légèrement  ou  par  dol  que  la  chose  était  chose  perdue 


T1T.  XI.  DU  DÉPÔT  ET  DU  SÉQUESTRE.  ART.  1938,  1939.       133 

ou  volée,  il  serait  condamné  à  des  dommages  et  intérêts  envers 
le  déposant. 

150  bis.  IV.  Nous  venons  de  supposer  que  le  propriétaire  n'a  pas 
encore  manifesté  sa  prétention  quand  le  dépositaire  refuse  de 
livrer  la  chose  au  déposant.  Il  peut  en  être  autrement  ;  si  le  dépositaire 
a  reçu  une  demande  en  revendication  il  commettrait  une  impru- 
dence en  restituant  la  chose  au  déposant;  sa  position  est  analogue  à 
celle  d'un  débiteur  qui  a  reçu  la  signification  d'une  saisie-arrêt. 
L'hypothèse  est  prévue  par  l'article  1944,  car  cette  revendication 
implique  une  opposition  à  la  restitution  ou  au  déplacement  de  la 
chose  déposée. 

150  bis.  V.  Il  serait  également  imprudent  d'acquiescer  à  la  de- 
mande en  revendication  alors  même  que  le  déposant  n'aurait  pas 
encore  demandé  la  restitution ,  ou  même  de  défendre  à  l'action  en 
revendication  sans  appeler  en  cause  le  déposant,  car  le  jugement 
qui  interviendrait  entre  le  dépositaire  et  le  revendiquant  n'aurait  pas 
force  de  chose  jugée  par  rapport  au  déposant  qui  pourrait  soutenir 
et  faire  juger  contre  le  dépositaire  que  le  tiers  revendiquant  n'était 
pas  propriétaire. 

151.  Les  principes  du  droit  commun  sur  la  transmission 
des  créances  amènent  naturellement  cette  conséquence, 
qu'après  la  mort  du  déposant,  c'est  a  ses  héritiers,  ajoutons 
ou  autres  successeurs,  qu'est  due  la  restitution.  Ce  principe 
s'appliquait  aussi  bien  au  cas  de  mort  civile  qu'au  cas  de  mort 
naturelle  (v.,  à  ce  sujet,  Tryphon.,  L.  31,  D.  dep.). 

Il  est  clair,  du  reste,  que  la  chose  doit  être  rendue  en  en- 
tier à  l'héritier  s'il  est  unique-,  mais  lorsqu'il  y  en  a  plusieurs, 
chacun  n'y  ayant  droit  que  pour  sa  part,  il  faut  nécessairement 
distinguer  si  la  chose  est  divisible  ou  indivisible ,  disons 
mieux,  si  elle  est  ou  non  susceptible  de  parties  réelles.  Au 
premier  cas,  nulle  difhculté;  chacun  peut  réclamer  et  recevoir 
sa  part  sans  le  concours  des  autres.  Au  second  cas,  qu'il  ne 
faut  pas  confondre  avec  celui  d'indivisibilité  proprement  dite, 
puisque  la  chose  déposée  est  toujours  susceptible  d'une 
division  au  moins  intellectuelle,  la  loi  n'accorde  ni  a  chacun 
en  particulier  (v,  art.  1224),  ni  a  la  majorité  des  intéressés 
(v.  Gaius,  L.  14,  D.  depos.),  le  droit  de  réclamer  et  de  rece- 


134  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE  CIVIL.    LIV.    III. 

voir  la  chose  en  totalité;  elle  veut  qu'ils  s'accordent  tous  pour 
la  recevoir.  V.  art.  1939. 

151  bis.  Il  est  un  point  qui  n'est  pas  réglé  par  l'article  :  quand  la 
chose  ne  peut  pas  se  diviser  en  parties  matérielles  distinctes,  si  les 
héritiers  du  déposant  ne  s'accordent  pas  pour  recevoir  la  chose, 
comment  le  dépositaire  pourra-t-il  se  décharger  du  dépôt?  La 
situation  nous  paraît  simple,  et  la  solution  découle  des  principes; 
c'est  probablement  pour  cela  que  le  Code  n'a  pas  jugé  nécessaire 
de  l'indiquer.  Le  dépositaire  est  débiteur,  il  a  droit  de  se  libérer;  si 
les  créanciers  ne  reçoivent  pas  tous  à  l'amiable  la  restitution,  il 
leur  fait  des  offres  réelles ,  sous  la  condition  que  tous  accepteront 
les  offres,  et  si  cette  acceptation  unanime  n'a  pas  lieu,  il  fait  une 
consignation  de  la  chose  due;  après  qu'il  aura  fait  valider  ses  offres 
et  sa  consignation,  il  sera  déchargé.  Ce  sera  l'affaire  des  héritiers 
de  retirer  l'objet  consigné,  et  la  fin  de  leur  désaccord  sera  une 
licitation  provoquée  par  l'un  d'eux. 

152.  Lors  même  que  le  droit  du  déposant  continue  a  résider 
dans  sa  personne,  l'exercice  de  ce  droit  peut  passer  a  un 
autre.  Ainsi  quand,  par  l'effet  d'un  changement  d'état,  puta, 
par  mariage  ou  interdiction,  l'administration  de  ses  droits  et 
de  ses  biens  se  trouve  confiée  à  une  autre  personne,  c'est 
entre  les  mains  de  cette  personne  que  la  restitution  devra 
avoir  lieu.  V.  art.  1940. 

153.  De  même,  au  reste,  que  le  dépôt  opéré  par  une  per- 
sonne doit,  en  cas  d'incapacité  survenue,  être  restitué  à  son 
représentant  légal,  il  est  évident,  a  l'inverse,  que  le  dépôt 
opéré  par  le  représentant,  au  nom  de  l'incapable,  doit  être 
restitué  à  la  personne  elle-même  lorsqu'elle  a  recouvré  l'ad- 
ministration de  ses  biens  et  de  ses  droits.  V.  article  1941. 

15i.  Quant  au  lieu  où  doit  être  fait  la  restitution,  la  pre- 
mière règle  ici,  comme  pour  tout  autre  cas  de  paiement,  c'est 
de  s'en  tenir  à  la  convention  des  parties,  s'il  y  en  a  uue  à  ce 
sujet.  Mais  tandis  qu'ordinairement  la  convention  de  payer 
en  certain  lieu  met  a  la  charge  du  débiteur  les  frais  du  trans- 
port dans  ce  lieu,  l'équité,  qui  ne  permet  pas  que  le  service 
rendu  par  le  dépositaire  le  constitue  en  dépense,  met  nalu- 


T1T.  XI.  DU  DÉPÔT  ET  DU  SÉQUESTRE.  ART.  1939-1943.       135 

rellemeni  à  la  charge  du  déposant  les  frais  du  transport, 
dont  le  soin  seulement  reste  imposé  au  dépositaire.  V.  art. 
1942,  Pomp.,  L.  12,  D.  depos. 

Au  moyen  de  ce  tempérament  d'équité,  l'obligation  de 
faire  tranporter  la  chose  d'un  lieu  dans  un  autre  n'ayant  rien 
de  contraire  à  la  nature  du  contrat  de  dépôt,  le  Code,  plus 
sévère  que  l'ancien  droit,  laisse  subsister,  conire  le  déposi- 
taire, la  règle  générale  qui,  a  défaut  de  désignation,  déter- 
mine le  lieu  du  paiement  par  celui  où  se  trouvait,  au  temps 
de  l'obligation,  le  corps  certain  qui  en  est  l'objet.  En  consé- 
quence, la  restitution  doit  être  faite  au  lieu  même  du  dépôt. 
V.  art.  1943,  et  à  ce  sujet  art.  1247-,  v.  au  contraire  Pomp., 
L.  2,  §  1,  D.  depos. 

154  bis.  I.  L'expression  dont  se  sert  la  loi  pour  déterminer  le  lieu 
où  doit  se  faire  la  restitution  du  dépôt  ne  laisse  pas  d'être  obscure. 
Qu'entendre  par  le  lieu  du  dépôt?  Le  sens  naturel  de  l'expression 
paraît  être  le  lieu  où  a  été  fait  le  contrat,  c'est  alors  l'application 
de  l'article  1247,  car  il  s'agit  d'une  obligation  de  corps  certain, 
le  dépôt  régulier  ne  pouvant  pas  en  faire  naître  une  autre  ;  de 
plus,  le  lieu  où  le  contrat  a  été  fait  se  confond  en  matière  de 
dépôt  avec  le  lieu  où  était,  au  temps  de  l'obligation,  la  chose 
qui  en  fait  l'objet  (art.  1247).  Puisque  le  dépôt  est  un  contrat  réel 
naissant  de  la  remise  de  la  chose,  le  contrat  s'est  nécessairement 
formé  dans  le  lieu  même  où  se  trouvait  la  chose  lors  de  sa 
formation. 

La  solution  se  rattache  donc  à  un  principe,  et  cependant  elle 
paraît  n'être  pas  à  l'abri  des  critiques.  Tient-elle  un  compte  suffi- 
sant de  la  volonté  des  parties  ?  Comment  croire  que  le  dépositaire 
qui  rend  un  service  gratuit  a  pu  accepter  la  charge  de  transporter 
la  chose  déposée  ?  N'a-t-il  pas  dû  penser  qu'il  s'obligeait  seulement 
à  tenir  la  chose  à  la  disposition  du  déposant  ?  Souvent  il  sera  im- 
possible de  croire  que  les  parties  ont  entendu  régler  ainsi  la  resti- 
tution; si  la  chose  a  été  remise  au  dépositaire  soit  chez  le  déposant, 
soit  dans  une  localité  où  n'habite  ni  l'un  ni  l'autre  des  contractants, 
la  convention  a  pour  résultat  prévu  que  le  dépositaire  emportera 
l'objet  et  le  gardera  chez  lui.  Il  n'est  pas  venu  dans  la  pensée  des 
parties,  surtout  dans  la  seconde  hypothèse,  que  la  chose  sera  trans- 


13G  COl'IiS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    Ll\.    Ul. 

portée,  sans  utilité  pour  le  déposant,  dans  le  lieu  où  il  se  trouvait 
accidentellement  lors  du  dépôt. 

Dans  ce  cas  au  moins,  nous  nous  croirons  autorisé  à  décider  que 
la  convention  tacite  a  fixé  le  domicile  du  débiteur  comme  lieu  du 
paiement. 

151  bis.  II.  Mais  en  dehors  de  cette  hypothèse  et  en  examinant  le 
éasmème  où  le  contrat  a  été  fait  chez  le  débiteur,  nous  considérons 
la  solution  de  la  loi  comme  regrettable.  Elle  applique  une  règle 
générale  sur  la  valeur  de  laquelle  nous  avons  déjà  fait  des  réserves  (1). 
Nous  avons  montré  que  cette  règle,  écrite  dans  l'intérêt  du  débiteur 
et  en  songeant  aux  choses  encombrantes  et  difficilement  transpor- 
tables, ne  devait  pas  être  étendue  aux  espèces  dans  lesquelles  l'objet 
dû  n'aurait  aucun  de  ces  caractères.  Si  l'on  admet  cette  distinction 
sur  l'article  1247,  il  faut  l'appliquer  à  l'article  1943,  qui  se  trouve 
ainsi  à  l'abri  des  critiques;  si  l'on  rejette  la  distinction,  on  arrive 
à  ce  résultat  que  le  dépositaire  qui  a  changé  de  domicile  a  aggravé 
son  obligation  de  restituer,  alors  certes  qu'il  ne  s'est  pas  in- 
terdit ce  changement  et  qu'il  a  été  contraint  par  son  obligation 
même  d'emporter  avec  lui  la  chose  déposée  (2).  Pour  tout  dire 
cependant  à  la  décharge  de  la  loi,  en  appliquant,  ce  qui  paraît  aller 
de  soi,  la  fin  de  l'article  1942  au  cas  de  l'article  1943,  la  charge 
de  transport  est  moins  lourde  qu'elle  ne  paraît  l'être  au  premier 
abord;  néanmoins  elle  impose  au  dépositaire  des  soins  et  par  con- 
séquent une  responsabilité  qu'il  a  le  droit  de  redouter. 

155.  Le  dépôt  n'élant  fait  que  dans  l'intérêt  du  déposant, 
il  doit  naturellement  lui  être  remis  aussitôt  qu'il  le  réclame. 
Le  terme  même  qui  serait  fixé  par  le  contrat  ne  ferait  point 
obstacle  a  cette  règle,  car  il  ne  serait  censé  stipulé  qu'en 
faveur  du  déposant.  Toutefois,  la  règle  souffre  quelques  limi- 
tations :  ainsi  la  saisie-arrêt  ou  opposition  faite  par  un  tiers 
aurait  ici  son  effet  ordinaire.  V.  art.  19-44,  et  a  ce  sujet,  art. 
1242-,  C.  Pr.,  art.  557.  11  est  certain,  du  reste,  qu'a  cette 
exception  il  faut  joindre  celle  de  l'article  1948.  Il  n'est  pas 
moins  évident  qu'on  ne  pourrait  refuser  au  dépositaire  le 
temps  nécessaire  pour  faire  venir  la  chose,  si  elle  ne  se  trouve 

(1)  V.  t.  V,  n«  186  bis. 

(2)  V.  Pothier,  oni.lrat  de  drpôl,  n»  57, 


T1T.    XI.  DU  DÉPÔT  ET  DD  SÉQUESTRE.  ART.  1943,  1944.       137 

pas  au  lieu  où  elle  doit  être  rendue.  Voyez,  en  outre,  art. 
1946. 

155  bis.  I.  Pothier  ajoute  aux  cas  énumérés  dans  lesquels  le  dé- 
positaire peut  retarder  la  restitution  :  1°  celui  où  il  a  fait  des  im- 
penses pour  la  conservation  de  la  chose  (art.  1948);  2°  celui  où  la 
restitution  est  demandée  par  un  héritier  qui  n'a  pas  encore  justifié 
de  sa  qualité  (1). 

155  bis.  II.  Nous  indiquerons  un  autre  cas,  celui  où  le  déposi- 
taire, créancier  du  déposant  pour  une  cause  étrangère  au  dépôt,  a 
formé  une  saisie-arrêt  entre  ses  propres  mains.  Nous  avons  expli- 
qué et  justifié  au  tome  V  la  saisie-arrêt  qu'un  débiteur,  créancier 
de  son  créancier,  fait  sur  lui-même  (2),  et  nous  ne  voyons  rien  qui 
puisse  dépouiller  le  dépositaire  du  droit  que  nous  reconnaissons  à 
un  créancier  quelconque.  Ce  n'est  pas  l'article  1293-2°,  qui  a  trait 
à  la  compensation  légale  et  qui ,  quelque  explication  qu'on  en  donne, 
ne  saurait  s'appliquer  à  l'hypothèse  toute  différente  de  la  saisie- 
arrêt  (3).  Ce  n'est  pas  non  plus  l'article  1948  qui  en  accordant 
spécialement  le  droit  de  rétention  en  faveur  des  créances  résultant 
du  dépôt,  doit  être  considéré  comme  refusant  le  droit  de  saisir  pour 
toute  autre  créance.  Certes,  nous  n'attribuerons  pas  le  droit  de  ré- 
tention pour  les  créances  étrangères  au  dépôt,  mais  autre  chose  est 
le  droit  de  rétention,  autre  chose  le  droit  de  saisir-arrèter.  Le  droit 
de  rétention  est  une  cause  légitime  de  préférence  (4),  et  ces  causes 
n'existent  que  dans  les  cas  spécialement  déterminés  par  la  loi 
(art.  2093,  2094).  C'est  lace  qui  explique  l'utilité  de  l'article  1948 
et  ne  permet  pas  de  tirer  de  cet  article  un  argument  a  contrario; 
mais  le  droit  de  saisie-arrèter  est  le  droit  de  tout  créancier,  il  s'ap- 
puie sur  les  articles  2092,  2093  et  1166,  et  il  n'est  pas  besoin  d'un 
texte  spécial  pour  le  reconnaître  existant  au  profit  d'un  créancier, 
il  faudrait  au  contraire  un  texte  clair  et  précis  pour  le  lui  dénier.  La 
situation  du  créancier  diffère  du  reste  essentiellement,  selon  qu'il  a 
le  droit  de  rétention  ou  simplement  le  droit  de  saisir;  au  premier 
cas,  il  est  préféré  à  tous  autres,  au  moins  en  tant  qu'il  s'agit  de  con- 
server la  chose  et  de  faire  obstacle  à  toute  vente  qui  le  priverait 

(1)  V.  Pothier,  ne  59. 

(2)  T.  V,  n°251  bis.  IX  et  X. 

(3)  V.  t.  V.  n"  244  bis.  V-VII. 

(4)  V.  t.  IX,  n«  5  bis.  II. 


138  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

de  sa  détention  ;  au  second  cas,  il  est  en  concurrence  avec  tous  les 
autres  créanciers  sur  la  valeur  qu'il  a  saisie-arrètée,  et  l'ancienneté 
de  la  saisie  ne  lui  donne  aucune  priorité  sur  ceux  qui  saisiraient 
après  lui. 

§  III. 
Dispositions  communes  aux  deux  obligations  du  dépositaire. 

156.  Ces  dispositions  sont  relatives  :  1°  à  la  sanction  de  ces 
obligations  (art.  1945)-,  2°  a  la  cause  particulière  qui  les  fait 
cesser  (art.  1946). 

157.  Tout  débiteur  qui  contrevient  a  la  loi  de  son  contrat 
manque,  sous  certain  rapport,  a  la  confiance  qui  lui  a  été 
accordée  5  mais  cette  proposition  s'applique  surtout  au  contrat 
de  dépôt,  qui  est  essentiellement  un  acte  de  confiance.  De  la 
une  défaveur  particulière  qui  s'attache  au  dépositaire  infidèle. 
Il  est  clair  qu'il  ne  peut  mériter  l'indulgence  qu'on  accorde 
au  malheur  joint  à  la  bonne  foi.  Aussi  la  loi  proclame-t-elle 
comme  principe  de  la  matière  son  exclusion  du  bénéfice  de 
cession,  exclusion  qui  du  reste  est  commune  a  tout  débiteur 
de  mauvaise  foi.  V.  art.  1945,  et  à  ce  sujet,  art.  1268; 
C.  Pr.,art.  905. 

157  bis.  I.  Il  ne  s'agit  dans  l'article  que  du  dépositaire  infidèle  et 
non  pas  de  tout  dépositaire  condamné  pour  faits  relatifs  au  dépôt  ; 
l'infidélité  suppose  la  mauvaise  foi,  et  le  dépositaire  peut  être  con- 
damné pour  de  simples  négligences. 

157  bis.  II.  Voir,  sur  l'utilité  du  bénéfice  de  cession  depuis 
l'abolition  de  la  contrainte  par  corps  en  matière  civile,  tome  Y, 
n°  213  bis. 

158.  On  ne  peut  évidemment  se  constituer  gardien,  pour 
autrui,  d'une  chose  dont  on  est  soi-même  propriétaire,  et 
dont,  à  ce  litre,  on  a  l'entière  faculté  de  disposer.  Celui  donc 
qui,  par  erreur,  recevrait  en  dépôt  sa  propre  chose,  ne  con- 
tracterait point  valablement  les  obligations  d'un  dépositaire  ; 
seulement,  le  fait  matériel  du  dépôt  mettant  la  présomption 
contre  lui,  ce  serait  a  lui  a  prouver  sa  propriété;  mais  cette 


T1T.  XI.   DU  DÉPÔT  ET  DU  SÉQUESTRE.  ART.  1945-1947.       439 

preuve  faite,  toutes  les  obligations  cesseraient.  V.  art.  1946; 
Julien,  L.  15,  D.  depos. 


SECTION  IV. 

Des  obligations  de  la  personne  par  laquelle  le  dépôt 
a  été  fait. 

159.  Le  déposant  ne  contracte,  ni  implicitement,  ni  expli- 
citement, aucune  obligation  immédiate.  Mais  il  peut  inci- 
demment se  trouver  obligé,  ex  œquitate,  a  raison  du  dépôt 
qu'il  a  fait.  Ses  obligations  peuvent  avoir  pour  sujet  :  1°  le 
remboursement  des  dépenses  faites  par  le  dépositaire  pour  la 
conservation  de  la  chose;  2°  l'indemnité  des  pertes  que  le 
dépôt  peut  lui  avoir  occasionnées.  Y.  art.  1947. 

159  bit.  I.  Les  dépenses  de  conservation  consisteront,  par  exem- 
ple, dans  les  frais  de  nourriture  de  l'animal  déposé,  les  médicaments 
s'il  a  été  malade.  Quant  aux  pertes  occasionnées  par  le  dépôt,  on 
peut  supposer  que  l'animal  était  atteint  d'une  maladie  contagieuse, 
ou  que  des  liquides  corrosifs  étaient  contenus  dans  des  vases  mal 
clos,  et  qu'ils  ont  endommagé  des  objets  appartenant  au  déposi- 
taire. 

159  bis.  II.  Entre  ces  deux  genres  de  créances,  nous  signalerons 
une  différence  importante.  La  première  est  protégée  non  seulement 
par  le  droit  de  rétention  (art.  1948),  mais  par  un  privilège  (art. 
2102-3°)  ;  la  seconde  n'est  garantie  que  par  le  droit  de  rétention. 

La  raison  de  cette  différence  est  très-facile  à  saisir.  Le  déposant 
qui  a  fait  des  frais  pour  la  conservation  de  la  chose,  a  agi,  sinon 
en  vue  des  autres  créanciers,  au  moins  dans  leur  intérêt,  il  leur  a 
conservé  une  chose  qui  est  leur  gage,  et  il  serait  inique  que  ceux- 
ci  fussent  payés  sur  ce  gage,  avant  qu'il  fût  intégralement  rem- 
boursé. C'est  la  raison  très-équitable  d'un  très-grand  nombre  de 
privilèges  (1).  Au  contraire,  la  créance  du  dépositaire  qui  a  subi  un 
préjudice  est  certes  très-justifiée,  mais  elle  n'est  pas  fondée  sur  un 
enrichissement  du  déposant,  sur  une  augmentation  du  gage  de 
ses  créanciers,  il  n'y  a  pas  là  une  base  pour  un  privilège. 

(1)  V.  t.  IX,  a'-  21  bit  el  30  bit.  I. 


140  COUKS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

159  bis.  III.  Des  auteurs  ont  contesté  ce  que  nous  disons  sur  le 
privilège,  ils  le  refusent  au  dépositaire.  Nous  ne  voyons  pas  biçn 
leur  raison.  L'article  2102-3°  ne  fait  pas  de  distinction,  il  n'attribue 
pas  le  privilège  à  telle  ou  telle  personne,  mais  impersonnellement 
aux  frais  faits  pour  la  conservation  de  la  chose.  Voilà  le  texte  néces- 
saire pour  asseoir  un  privilège.  La  raison  de  ce  texte  s'applique  par- 
faitement à  un  dépositaire,  et  nous  ne  comprenons  pas  pourquoi  cet 
homme  ne  serait  pas  traité  comme  toute  autre  personne  ayant 
conservé  la  chose.  Serait-ce  parce  qu'il  a  rendu  un  double  service 
au  débiteur,  l'un  en  qualité  de  dépositaire,  l'autre  comme  conser- 
vateur de  la  chose  ? 

Si  l'on  dit  que  l'existence  du  droit  de  rétention  implique  la  non- 
existence  du  privilège,  nous  répondrons  que  rien  dans  la  loi  n'in- 
terdit le  cumul  de  ces  deux  droits,  et  qu'on  voit,  par  exemple,  le  ven- 
deur de  meubles  jouir  d'un  droit  de  privilège  en  vertu  de  l'article 
même  qui  nous  occupe,  l'article  2102,  tandis  qu'il  peut  avoir  un 
droit  de  rétention  en  vertu  de  l'article  1612  (1). 

160.  Les  obligations  incidentes  du  déposant  ayant  toujours 
leur  principe  dans  le  contrat  de  dépôt,  il  est  juste  que  leur 
accomplissement  devienne  la  condition  de  l'obligation  princi- 
pale du  dépositaire.  De  la  le  droit  de  rétention  accordé  à  celui- 
ci  jusqu'à  l'entier  paiement  de  ce  qui  est  dû  à  raison  du 
dépôt.  V.  art.  1948-,  v.  aussi  art.  2102-3°. 


SECTION  V. 
Du  dépôt  nécessaire. 

161.  Le  dépôt  nécessaire  est  ainsi  appelé  parce  qu'il  ne 
procède  pas  de  la  volonté  libre  du  déposant,  mais  d'une 
volonté  forcée  par  quelque  accident,  qui,  menaçant  ses  effets 
d'une  destruction  imminente,  l'oblige,  pour  les  préserver, 
de  les  remettre  instantanément  aux  mains  de  la  première 
personne  qui  peut  s'en  charger.  V.  art.  1919. 

(1)  V.  C.  C,  10  décembre  1850.  Sirey,  1851-1,  143.  V.  cependant  Aubry  et 
Rau,  t.  III,  p.  452.  Édit.  1856. 


T1T.  XI.   DU  DÉPÔT  ET  DU  SÉQUESTRE.  AKT.   1917-1951.       141 

162.  L'urgence  des  circonstances  ne  permettant  pas  en 
pareil  cas  de  se  procurer  une  reconnaissance  par  écrit,  il  eût 
été  injuste  d'appliquer  au  dépôt  nécessaire  les  règles  ordi- 
naires sur  la  preuve  testimoniale.  Aussi,  dans  ce  cas,  cette 
preuve  est-elle  admise,  quelle  que  soit  la  valeur  de  la  chose. 
V.  art.  1930,  1348. 

163.  Cette  dérogation  est  la  seule  qui  soit  ici  consacrée, 
et  les  règles  ordinaires  du  dépôt  sont  expressément  décla- 
rées toutes  applicables  d'ailleurs  au  dépôt  nécessaire.  Voy. 
art.  1951. 

Toutefois,  le  déposant  n'ayant  point  alors  à  s'imputer  le 
choix  d'un  dépositaire  négligent,  il  semble  juste  que  la 
responsabilité  de  celui-ci  puisse  être,  suivant  les  cas,  plus 
rigoureusement  appliquée.  La  loi  elle-même  déployait  contre 
lui  cette  rigueur  en  le  soumettant  à  la  contrainte  par  corps 
(art.  2060-1°).  Celte  voie  d'exécution  est  aujourd'hui  abolie 
en  matière  civile  (1.  du  22  juillet  1867,  art.  1er). 

En  outre,  il  paraît  conforme  a  la  nature  des  choses  et  à 
l'intention  du  législateur,  manifestée  par  l'économie  des 
articles  du  Code,  de  modifier  dans  leur  applicatiou  au  dépôt 
nécessaire  les  règles  relatives  à  la  propriété  du  déposant 
(art.  1922)  et  à  la  capacité  des  parties  contractantes  (art.  1925 
et  1926). 

163  bis.  I.  En  examinant  ce  que  nous  avons  dit  sur  les  articles 
1922,  1925  et  1926,  on  verra  que  les  dispositions  de  ces  articles 
sont  applicables  sans  tempérament  au  dépôt  nécessaire. 

Le  premier  de  ces  articles,  en  effet,  admet  la  validité  du  dépôt 
fait  par  un  autre  que  le  propriétaire,  pourvu  que  le  déposant  ait  au 
moins  reçu  un  mandat  tacite  de  faire  le  dépôt.  Or,  il  est  bien  certain 
que  quiconque  tient  la  chose  d'autrui,  du  consentement  du  proprié- 
taire, a  tacitement  la  charge  et  le  pouvoir  de  garantir  cette  chose 
des  conséquences  de  tout  accident  grave  de  la  nature  de  ceux  qui 
amènent  le  dépôt  nécessaire. 

Que  si  le  déposant  ne  tenait  pas  la  chose  de  la  volonté  du  pro- 
priétaire, il  n'aurait  pas  agi  pour  celui-ci,  et  nous  ne  pourrions  pas 
plus  dans  ce  cas  que  dans  celui  du  dépôt  volontaire,  faire  produire 


142  COURS  ANALYTIQUE   DE  CODE   CIVIL.    LIV.    III. 

au  contrat  des  effets  dans  les  rapports  entre  le  dépositaire  et  le 
propriétaire.  Mais  le  contrat  produira  ces  effets  entre  les  contrac- 
tants (1). 

163  bis.  IL  L'article  1925,  dans  son  premier  alinéa,  contient  une 
formule  dont  nous  n'avons  pas  à  restreindre  la  rigueur  à  propos  du 
dépôt  nécessaire,  parce  que  la  suite  de  l'article  1925  et  l'article  1926 
y  apportent  des  restrictions  indispensables,  même  en  matière  du 
dépôt  volontaire. 

On  ne  peut  certes  pas  refuser  d'appliquer  au  dépôt  nécessaire 
l'article  1925,  deuxième  alinéa,  qui  contient  une  application  pure  et 
simple  des  principes  sur  les  obligations  annulables. 

Quant  à  l'article  1926,  qui  suppose  un  dépositaire  incapable,  ses 
solutions  sont  trop  raisonnables  et  trop  juridiques  pour  les  modifier, 
quand  il  s'agit  du  dépôt  nécessaire.  Quand  l'urgence  du  danger  aura 
contraint  le  déposant  à  recoudra  un  dépositaire  incapable,  ne  faut- 
il  pas  toujours  tenir  compte  de  l'incapacité?  Le  mineur  ou  l'interdit 
doit-il  être  moins  protégé?  La  loi  ne  l'a  pas  dépouillé  du  privilège 
de  son  incapacité.  Dès  lors  il  faut  régir  sa  situation  par  l'article 
1926  et  les  différents  articles  du  titre  des  contrats  qui  l'expliquent 
et  le  complètent  (2). 

164.  Lorsqu'un  voyageur  logeant  dans  une  auberge  ou 
hôtellerie  y  apporte  avec  lui  des  effets,  l'aubergiste  ou  hôte- 
lier n'en  devient  pas  proprement  dépositaire;  car  ces  effets 
peuvent  n'avoir  pas  été  spécialement  confiés  à  sa  garde;  et 
quand  ils  l'auraient  été,  cette  remise  serait  plutôt  considérée 
comme  un  accident  du  contrat  de  louage,  que  comme  for- 
mant un  contrat  à  part.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  n'a  jamais  été 
douteux  dans  le  second  cas,  appelé  dépôt  d'hôtellerie,  que 
Yhôtelier  ne  fût  tenu  de  la  garde,  et  plus  rigoureusement 
même  qu'un  dépositaire  ordinaire.  Notre  Code  consacre 
cette  doctrine,  pour  l'un  comme  pour  l'autre  cas,  en  décla- 
rant les  aubergistes  ou  hôteliers  responsables  comme  dé- 
positaires, par  cela  seul  que  les  effets  ont  été  apportés  par  le 
voyageur.  Du  reste,  la  remise  chez  l'aubergiste  étant,  sous 
certain  rapport,  forcée,  cette  remise,  une  fois  qualifiée  dépôt, 

(1)  V.  tupra,  n°  135  bis.  I-III. 

(2)  V.  ci-dessus,  n»  137  bit.  I-V. 


TIT.  XI.  DU  DEPOT  ET  DU  SÉQUESTRE.  ART.   1951-1954.       143 

est  à  juste  titre  considérée  comme  dépôt  nécessaire.  V.  art. 
1952;  et  a  ce  sujet,  art.  1950  et  2060-1°;  v.  aussi  Ulp.,  L.  1, 
D.  naut.  caup. 

164  bis.  L'article  1348  tire  une  conséquence  très-importante  du 
caractère  nécessaire  attribué  au  dépôt  d'hôtellerie.  Ce  dépôt  peut 
être  prouvé  par  témoins,  même  quand  il  s'agit  d'une  valeur  au-dessus 
de  150  francs.  Seulement  les  tribunaux  ont  le  droit  de  tenir  compte  de 
la  condition  des  personnes  et  des  circonstances  de  fait,  c'est-à-dire 
qu'ils  ne  sont  pas  esclaves  des  témoignages  apportés  et  qu'ils  ont  en 
cette  matière,  comme  toutes  les  fois  que  la  preuve  testimoniale  est 
admise,  le  droit  de  tenir  compte  de  présomptions  abandonnées  à  leur 
sagesse  (art.  1353). 

165.  La  responsabilité  de  l'aubergiste  s'applique  même  au 
fait  des  tiers.  D'abord  il  est  évident,  quand  on  ne  le  considé- 
rerait pas  comme  dépositaire,  qu'il  répondrait  toujours  du 
fait  de  ses  domestiques  et  préposés  (v.  art.  1384).  La  même 
raison  pourrait  encore  le  faire  répondre  du  fait  de  ses  pen- 
sionnaires. Mais  pour  donner  aux  voyageurs  une  sûreté 
complète,  la  loi,  tranchant  a  cet  égard  toute  incertitude, 
déclare  l'aubergiste  responsable,  même  du  fait  des  allants 
et  venants.  Cette  responsabilité,  du  reste,  comprend  égale- 
ment le  cas  de  vol  et  celui  de  dommage.  V.  art.  1953,  et  a  ce 
sujet,  Ulp.,  L.  1,  §  8;  Gaius,  L.  2,  D.  naut.  caup.;  v.  pour- 
tant Ulp.,  L.  unique,  §  6,  D.furt.  adv.  naut.;  Paul.,  L.  6, 
§  3,  D.  naut.  caup. 

166.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  loi,  ne  rendant  l'aubergiste  res- 
ponsable du  vol  que  parce  qu'elle  le  présume  imputable  à  un 
défaut  de  soin,  sa  responsabilité  cesse  dans  les  cas  de  force 
majeure,  dans  lesquels  rentrent  naturellement  les  vols  faits 
avec  force  armée.  V.  art.  1954.  Il  est  évident  qu'il  en  faut 
dire  autant  de  tout  accident  autre  que  le  vol,  résultant  égale- 
ment d'une  force  majeure. 

166  bis.  L'aubergiste  serait  également  déchargé  de  sa  responsa- 
bilité s'il  prouvait  que  la  perte  est  le  résultat  d'une  négligence 
imputable  au  voyageur. 

Ajoutons  que,  par  les  raisons  que  nous  avons  exposées  à  propos 


LU  COURS   ANALYTIQUE    DE    GODE   CIVIL.    LIV.    III. 

du  contrat  de  transport,  la  responsabilité  de  l'aubergiste  ne  pour- 
rait pas  être  supprimée  ou  limitée  sans  une  convention  expresse,  et 
que  cette  convention  ne  serait  pas  prouvée  par  le  simple  fait  d'un 
avis  imprimé  ou  manuscrit  placardé  dans  telle  ou  telle  partie  de 
l'hôtel  (1). 


CHAPITRE   III. 

DU    SÉQUESTRE. 

SECTION  I. 

Des  diverses  espèces  de  séquestre. 

167.  Le  mot  séquestre  s'applique  plus  particulièrement  au 
cas  où  une  chose,  dont  la  propriété  ou  la  possession  est  liti- 
gieuse, est  remise  a  la  garde  d'un  tiers  jusqu'à  l'événement 
du  litige,  pour  être  alors  restituée  a  qui  de  droit.  Mais  la 
loi  comprend,  sous  le  nom  de  séquestre,  tous  les  cas  ou, 
par  ordre  ou  mandat  de  justice,  une  chose  est  confiée  a  la 
garde  d'un  tiers,  pour  la  conservation  des  droits  divers  des 
intéressés.  Ce  point  de  vue,  qui  multiplie  les  espèces  de 
séquestre,  n'empêche  pas  cependant  de  les  ramener  toutes  à 
deux  principales  :  1°  le  séquestre  conventionnel;  2°  le 
séquestre  judiciaire,  qui,  dans  le  langage  du  Code  civil,  com- 
prend tous  les  cas  de  dépôts  judiciaires.  V.  art.  1955. 

•» 
SECTION  IL 

Du  séquestre  conventionnel, 

168.  Le  séquestre  conventionnel  est  une  sorte  de  contrat 
de  dépôt,  puisqu'il  consiste  dans  la  remise,  volontairement 

(1)  V.  t.  VII,  a»233  6«. 


T1T.    XI.    DU    DÉPÔT    ET    DO    SÉQUESTRE.    ART.    1956.       145 

faite,  d'une  chose,  sous  la  garde  de  l'un  des  contractants, 
qui  s'oblige  a  la  rendre;  mais  le  caractère  distinctif  de  ce 
dépôt,  c'est  qu'ayant  pour  objet  une  chose  conlentieuse,  la 
restitution  n'en  doit  être  faite  qu'après  la  contestation  ter- 
minée, et  à  celui  des  contendants  qui  sera  jugé  devoir  l'ob- 
tenir. De  là,  au  reste,  il  résulte  certainement  que  ce  dépôt 
doit  régulièrement  être  opéré  par  deux  personnes  au  moins 
(v.  Florent.,  L.  17,  D.  h.  t.  );  cependant,  à  s'attacher  aux 
termes  de  la  loi,  il  peut  être  fait  même  par  une  seule. 
V.  art.  1956. 

168  bis.  I.  Le  Code  reconnaît  avec  raison  que  le  contrat  de  sé- 
questre peut  être  fait  entre  le  dépositaire  (appelé  aussi  séquestre) 
et  un  ou  plusieurs  déposants.  Cependant  il  semble,  au  premier  abord, 
que  le  dépôt  doit  être  fait  par  les  deux  parties  contendantes,  c'est  bien 
l'hypothèse  normale,  et  c'est  alors  seulement  que  le  contrat  pro- 
duira toutes  les  conséquences  qu'il  peut  produire,  alors  seulement 
que  le  dépositaire  sera  lié  envers  les  deux  parties  et  ne  pourra  pas 
se  libérer  en  remettant  l'objet  à  l'une  d'elles  avant  le  jugement  de 
la  contestation.  Aussi  Pothier,  dans  sa  définition,  suppose-t-il  que  le 
dépôt  a  été  fait  par  deux  ou  plusieurs  personnes. 

168  bis.  II.  L'hypothèse  du  Code,  le  dépôt  fait  par  une  seule 
partie,  est  cependant  possible,  et  le  contrat,  s'il  ne  produit  pas  la 
plénitude  des  effets  du  contrat  fait  par  les  deux  parties  conten- 
dantes, donnera  cependant  naissance  aux  obligations  du  séquestre 
envers  la  partie  déposante.  On  ne  peut  donc  pas  reprocher  aux  ré- 
dacteurs du  Code  d'avoir  donné  à  leur  définition  une  largeur  que 
Pothier  ne  donnait  pas  à  la  sienne. 

Le  contrat  du  dépôt  fait  par  une  seule  des  parties  contendantes 
sera  valable,  et  il  en  résultera  entre  le  déposant  et  le  dépositaire  les 
relations  que  crée  le  séquestre.  Seulement  cette  convention,  à  la- 
quelle l'autre  partie  est  étrangère,  ne  peut  pas  conférer  à  celle-ci  de 
droit  contre  le  dépositaire;  celui-ci  n'est  pas  tenu  envers  la  partie  qui 
n'a  pas  joué  un  rôle  dans  le  contrat,  et  notamment  il  n'est  pas  forcé 
de  respecter  la  clause  par  laquelle  il  a  été  stipulé  que  la  restitution 
dépendrait  de  l'événement  du  procès.  Si  le  déposant  unique  re- 
demande la  chose,  le  dépositaire  ne  peut  pas  refuser  de  la  rendre, 
puisqu'il  n'est  pas  exposé  à  des  réclamations  de  la  part  de  l'autre 
partie  envers  laquelle  il  n'est  pas  engagé. 

vhi.  10 


116  COURS   ANALYTIQUE   DE    CODE   CIVIL.    LIV.    III. 

168  bis.  III.  Le  contrat  cependant  n'est  pas  dénué  de  tout  effet 
à  l'égard  du  contendant  qui  y  a  été  étranger.  Il  contient  en  effet 
une  stipulation  en  faveur  d'un  tiers.  Dans  la  pensée  du  déposant,  la 
chose  devait  être  conservée  par  le  dépositaire  dans  l'intérêt  de  qui 
de  droit.  La  convention  doit  donc  valoir  ce  que  vaut  une  stipulation  au 
profit  d'un  tiers;  elle  peut,  il  est  vrai,  être  révoquée,  c'est  pourquoi 
nous  avons  dit  que  le  déposant  pourrait  exiger  la  restitution,  mais 
cette  faculté  de  révocation  n'existe  plus  quand  le  tiers  a  déclaré 
vouloir  profiter  de  la  stipulation  (art.  1121).  Le  contrat  se  com- 
plète alors  et  produit  tous  les  effets  d'un  séquestre  constitué  par  les 
deux  parties  intéressées. 

169.  La  remise  d'une  chose  à  un  tiers,  dans  le  but  qui  vient 
d'êlre  indiqué,  forme  l'élément  subslantiel  du  séquestre,  qui 
dès  lors  ne  perdra  point  son  caractère,  soit  que  la  garde  doive 
être  ou  non  salariée.  Seulement  le  séquestre  non  gratuit 
tiendra  plus  du  louage  que  du  dépôt-,  tandis  que  le  séquestre 
gratuit  restera,  sauf  les  différences  déjà  marquées  et  celles 
qui  vont  suivre,  soumis  aux  règles  du  dépôt  proprement  dit. 
V.  art.  1957,  1958.  Il  est  clair,  d'après  cela,  que  le  sé- 
questre gratuit  produit,  en  général,  entre  les  contractants, 
les  mêmes  obligations  que  le  dépôt. 

169  bis.  Le  séquestre  est  une  variété  du  dépôt,  la  loi  ne  le  consi- 
dère pas  comme  un  mandat;  il  ne  faut  donc  pas  lui  appliquer  la 
règle  de  l'article  2002,  qui  établit  la  solidarité  légale  des  mandants, 
lorsqu'ils  sont  plusieurs,  envers  le  mandataire.  La  solidarité  légale 
ne  se  présume  pas,  elle  est  de  droit  étroit,  elle  ne  peut  être  appuyée 
que  sur  un  texte  spécial. 

Le  séquestre  sera  cependant  protégé  par  un  droit  de  rétention 
(art.  1948),  en  vertu  duquel  il  refusera  à  la  partie  qui  aura  gagné 
le  procès  la  restitution  de  la  chose,  tant  qu'il  n'aura  pas  été  intégra- 
lement payé  des  dépenses  faites  pour  la  conservation  de  cette  chose. 

170.  Le  dépôt  proprement  dit  n'ayant  point  pour  but  de 
déplacer  la  possession,  que  le  déposant  au  contraire  doit 
retenir  par  le  dépositaire,  son  utilité  n'existe  réellement  que 
pour  les  meubles  ;  car,  à  l'égard  des  immeubles  que  l'on 
voudrait  confier  aux  soins  d'autrui,  il  suffit  du  mandat.  Aussi 
avons-nous  vu  que  le  dépôt  ne  s'applique  point  aux  immeubles 


TIT.    II.    DU   DÉPÔT   ET    DU   SÉQUESTRE.   AHT.    1959-1960.        1  17 

(art.  1918).  lien  est  autrement  du  séquestre,  qui  souvent 
aura  précisément  pour  but  de  transférer  temporairement  à 
un  tiers  la  possession,  qui  est  peut-être  le  principal  ou 
l'unique  objet  du  litige  (v.  Florent.,  L.  17,  §  1,  D.  depos.; 
v.  aussi  Julien,  L.  39,  D.  de  acq.  vel  am.  poss.).  L'utilité  de 
ce  transport  de  possession  pouvant  s'appliquer  aux  biens  de 
toute  nature,  le  séquestre  peut  avoir  pour  objet  même  des 
immeubles.  \.  art.  1959. 

170  bis.  Dans  l'hypothèse  prévue  par  M.  Demante,  le  but  des 
parties  qui  consentent  à  transférer  temporairement  la  possession  au 
séquestre  est  de  dépouiller  chacune  d'elles  de  la  possession  qu'elle  peut 
avoir,  pour  que  le  temps  de  cette  possession  intérimaire  ne  puisse 
être  compté  au  profit  d'aucune  des  deux  parties  contre  l'autre. 

171.  Le  dépositaire  proprement  dit  doit  restituer  la  chose 
à  la  première  réquisition  du  déposant  (art.  1944);  ajoutons 
qu'il  peut  en  général  se  décharger,  a  sa  volonté,  de  la  garde 
de  la  chose  en  la  restituant.  Il  en  est  tout  autrement  du  sé- 
questre. Celui-ci,  en  recevant  la  chose,  s'oblige  à  la  garder 
jusqu'à  l'événement  de  la  contestation  ;  et  cette  obligation 
étant  contractée  par  lui  envers  toutes  les  parties  intéressées, 
il  ne  peut,  en  principe,  se  décharger  auparavant  que  du  con- 
sentement de  toutes.  Néanmoins,  il  le  peut  sans  ce  consente- 
ment pour  certaines  causes,  dont  la  légitimité  est  laissée  à 
l'appréciation  des  juges.  V.  art.  1960  ;  v. ,  à  ce  sujet,  Ulp.,  L. 
2,  D.  depos. 

171  bis.  I.  Pothier  donne  comme  exemples  de  causes  légitimes 
pouvant  être  invoquées  par  le  séquestre,  une  maladie  grave  qui 
l'aurait  mis  hors  d'état  de  remplir  sa  mission,  ou  un  voyage  lointain 
et  nécessaire  (1). 

171  bis.  II.  Une  discussion  longue  et  embarrassée  s'est  élevée  dans 
le  sein  du  conseil  d'État  sur  le  sens  des  mots  parties  intéressées  em- 
ployés par  l'article  1960  (2).  Il  s'agissait  de  savoir  si,  le  séquestre 
ayant  été  constitué  par  deux  parties  en  procès,  la  restitution  pou- 
vait être  obtenue  lorsque  ces  deux  parties  étaient  d'accord  pour 

(1)  V.  Polhier,  n°  87. 

(2)  Séance  du  28  nivôse  au  XII. 

10. 


148  C0UKS   ANALYTIQUE    Dli    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

la  demander  avant  le  jugement  du  procès,  bien  qu'un  tiers  fût  inter- 
venu dans  ce  procès,  ou  pût  y  intervenir  dans  la  suite.  Les  principes 
conduisent  à  répondre  affirmativement,  car  le  séquestre  dont  nous 
parlons  est  un  contrat,  et  de  ce  contrat  il  ne  peut  résulter  des  droits  en 
faveur  de  tiers.  On  a,  ce  nous  semble,  trop  confondu  dans  la  dis- 
cussion le  séquestre  conventionnel  avec  le  séquestre  judiciaire; 
l'ordre  du  juge  peut  avoir  été  donné  dans  l'intérêt  de  quiconque 
pourrait  élever  des  prétentions.  Mais  les  parties,  quelque  expression 
qu'elles  ont  employée,  n'ont  du  songer  qu'à  elles-mêmes.  Cette 
dernière  considération  nous  empêche  de  traiter  leur  convention 
comme  une  stipulation  en  faveur  d'un  tiers  (art.  i  121),  et  nous 
conduit  à  autoriser  la  restitution,  à  moins  que  le  tiers  n'ait  direc- 
tement fait  opposition  entre  les  mains  du  séquestre,  cas  où  nous 
appliquons  tout  simplement  l'article  1944. 

SECTION  III. 

Du  séquestre  ou  dépôt  judiciaire. 

172.  Le  dépôt  judiciaire  est  celui  qui  est  ordonné  par  la 
justice,  ou  qui  du  moins  procède  de  son  autorité.  Ce  dépôt, 
n'ayant  jamais  pour  but  que  la  conservation  des  droits  res- 
pectifs de  plusieurs  intéressés,  participe  toujours,  sous  ce 
rapport,  de  la  nature  du  séquestre.  Aussi  la  loi  lui  donne- 
t-elle  indifféremment  le  nom  de  dépôt  et  celui  de  séquestre. 
Elle  indique  ici  trois  cas  où  ce  séquestre  peut  avoir  lieu  : 

1°  A  l'égard  des  meubles  saisis  (v.  C.  Pr.,  art.  596,  597)-, 

2°  A  l'égard  d'un  meuble  ou  d'un  immeuble,  dont  la  pro- 
priété ou  la  possession  est  litigieuse; 

3°  A  l'égard  des  choses  qu'un  débiteur  offre  pour  sa  libé- 
ration (art.  1257,  1259,  12(54),  v.  art.  1961 ,  et  remarquez 
que  le  séquestre  étant  une  mesure  conservatoire,  dont  l'utilité 
peut  se  faire  sentir  dans  une  foule  d'autres  cas,  le  pouvoir  de 
l'ordonner  n'est  pas  limité  à  ceu\  qui  sont  ici  énoncés.  La  loi 
elle-même  en  indique  quelques  autres  (art.  602-,  C.  Pr., 
art.  688;  v.  aussi  C.  instr.  crim.,  art.  465). 

172  bit.  I.  Les  différents  dépôts  énumérés  dans  l'article  1961 


T!T.    X!.    DU    DÉPÔT    ET    DU    SÉQUESTRE.    ART.    1961.       149 

n'ont  pas  tous  le  même  caractère.  Au  premier  cas  indiqué,  la  justice 
n'intervient  pas;  l'huissier,  procédant  à  une  saisie,  est  autorisé  par 
le  Code  de  procédure  à  constituer  un  gardien  (art.  596,  597,  628, 
821,  823,  830,  C.  Pr.).  Dans  la  seconde  hypothèse,  la  chose  est 
litigieuse,  et  son  dépôt  est  ordonné  au  cours  du  litige  par  le  tribu- 
nal saisi  de  la  contestation.  Dans  la  troisième,  il  faut  distinguer: 
s'il  s'agit  de  somme  d'argent,  la  consignation,  c'est-à-dire  le  dépôt, 
est  une  condition  de  la  validité  des  offres,  et  le  dépositaire  est 
désigné  par  la  loi  (art  1258-1249).  S'il  s'agit  au  contraire  d'un 
corps  certain,  il  faut  l'intervention  de  la  justice  pour  que  le  débiteur 
soit  autorisé  à  le  mettre  en  dépôt  hors  de  chez  lui  (art  1264). 

Pour  les  dettes  de  quantités  autres  que  de  l'argent,  nous  avons 
établi  au  tome  V,  n°  208  bis.  III,  qu'elles  sont  soumises  aux 
règles  générales  sur  les  offres;  cependant  la  consignation  ne  peut 
pas  se  faire  comme  pour  les  dettes  d'argent,  les  caisses  publiques 
ne  la  recevraient  pas  ;  il  faudra  donc  obtenir  de  la  justice  la  désigna- 
tion du  lieu  où  se  fera  le  dépôt. 

172  bis.  II.  L'énumération  de  l'article  1961  veut  être  complétée. 
Dans  quelques  autres  cas,    le  législateur  a  autorisé  la  mesure  du 
séquestre.  Ainsi  l'article  602  du  Code  civil  indique  cette  mesure 
comme  possible  à  l'égard  d'immeubles  sujets  à  un  droit  d'usufruit, 
lorsque  l'usufruitier  ne  fournit  pas  caution;  l'article  681  du  Code 
de  procédure  constitue  le  saisi  séquestre  de  l'immeuble  saisi,  mais 
permet  au  président  du  tribunal  de  nommer  un  autre  séquestre  à 
la  demande  d'un  ou  de  plusieurs  créanciers.  On  trouve  également  un 
cas  de  séquestre  dans  l'article  465  du  Code  d'instruction  criminelle. 
172  bis.  III.  Indépendamment  de  ces  hypothèses,  qui  sont  réglées 
par  des  textes,  il  est  difficile  d'attribuer  aux  tribunaux  le  pouvoir 
d'ordonner  un  séquestre.  Il  est  vrai  que  les  hypothèses  prévues 
donnent  au  pouvoir  judiciaire  une  assez  grande  latitude.  En  effet, 
l'article  1961-2°  ne  restreint  pas  les  pouvoirs  au  cas  de  revendication 
d'un  meuble  ou  d'un  immeuble,  mais  comprend  toutes  les  hypo- 
thèses dans  lesquelles  la  propriété  ou  la  possession  estligitieuse.  C'est 
pourquoi  il  n'est  pas  nécessaire  d'examiner  si  l'article  1961  est  limi- 
tatif pour  décider  que  le  séquestre  peut  être  ordonné,  quand  l'action 
a  pour  objet  la  rescision  ou  la  résolution  de  la  vente.  Ce  ne  sont  pas 
là  des  cas  de  revendication  proprement  dite,    mais   la  propriété 
est  bien  litigieuse,  puisque  le  demandeur  tend  à  la  faire  rescinder 
ou  résoudre. 


150  COUKS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

Il  est  au  contraire  des  circonstances  où  nous  nous  trouverions 
absolument  en  dehors  des  termes  de  l'article  1961  et  où  par  consé- 
quent le  pouvoir  attribué  au  juge  manquerait  d'une  base  légale. 
S'il  s'agissait  par  exemple  de  dessaisir  une  personne  de  sa  propriété 
pour  y  faire  faire,  sous  la  direction  d'un  séquestre,  des  travaux 
ordonnés  par  justice  dans  l'intérêt  du  voisin,  ou  bien  si  la  justice 
ordonnait  le  séquestre  des  biens  d'un  débiteur  en  déconfiture  à 
l'effet  de  constituer  une  administration  analogue  à  celle  des  biens 
de  faillis. 

173.  A  l'égard  des  meubles  saisis,  ce  que  la  loi  appelle  ici 
séquestre  ou  dépôt  judiciaire,  c'est  l'établissement  d'un  gar- 
dien, au  soin  duquel  les  effets  saisis  sont  confiés  sans  déplace- 
ment. L'établissement  de  ce  gardien  est,  sous  certain  rapport, 
ordonné  par  justice,  puisqu'il  est  fait  par  l'huissier  qui  procède 
au  nom  de  justice.  L'buissier  l'établit  sur  la  présentation  du 
saisi  ou  à  son  propre  choix  (C.  Pr.,  art.  596,  597)  ^  mais 
comme,  dans  tous  les  cas,  c'est  a  la  requête  du  saisissant,  cet 
établissement  produit,  entre  celui-ci  et  le  gardien,  des  obli- 
gations réciproques,  qui  participent  de  la  nature  du  dépôt  et 
de  celle  du  louage  de  services.  Ainsi,  le  gardien  doit  :  1°  veiller 
à  la  conservation  des  effets  en  bon  père  de  famille;  2°  les 
représenter,  à  la  décharge  du  saisissant  (I),  pour  la  vente,  si 
la  saisie  est  suivie  de  vente;  autrement,  c'est-a-dire  s'il  est 
donné  mainlevée  de  la  saisie,  c'est  au  saisi  que  le  gardien 
doit  les  représenter. 

Quant  au  saisissant,  son  obligation,  sinon  unique  (v.  art. 
1947),  au  moins  principale,  consiste  à  payer  au  gardien 
son  salaire,  car  celte  espèce  de  dépôt  n'est  pas  gratuit. 
Le  salaire  au  surplus  est  fixé  par  la  loi  {Tarif,  art.  34). 
V.  art.  .1962. 


(1)  Si  l'on  enlend  par  là  que  la  remise  des  effets  par  le  gardien  déchargera 
le  saisissant  envers  le  saisi,  c'est  surtout  au  cas  de  remise  au  saisi  après  la  main- 
levée que  la  proposition  devait  tire  appliquée.  (V.  Poth..  Dépôt,  n°  91.) 

Mais  telle  n'est  pas  apparemment  la  pensée  du  législateur,  qui  applique  au  con- 
traire, exclusivement,  au  cas  de  représentation  pour  la  vente  ces  mots  :  à  la 
décharge  du  saisissant.  La  loi  veut  dire  sans  doute  que,  dans  ce  cas,  c'est  le  sai- 
siisant  qui  donnera  décharge  an  gardien.  (Note  de  M.  Deiiante.) 


TIT.    XI.    DU    DÉPÔT    ET    DU    SÉQUESTRE.    ART.    1962.       151 

173  bis.  I.  Le  contrat  de  dépôt  se  forme  dans  l'hypothèse  de  la 
saisie  entre  le  saisissant  et  le  gardien;  il  en  résulte  des  obligations 
réciproques,  mais  le  saisi  est  également  intéressé  à  la  garde,  et  de 
cette  garde  résultent  aussi  pour  lui  des  droits  et  des  obligations. 
Il  faut  du  reste,  quant  au  saisi,  faire  une  distinction  :  ou  il  aura 
présenté  le  gardien,  ou  celui-ci  aura  été  établi  par  l'huissier  sans 
présentation  du  saisi  (art.  596  et  597,  C.  Pr.).  Au  premier  cas,  le 
saisi  est  partie  au  contrat  de  dépôt,  concurremment  avec  le  saisis- 
sant, et  par  conséquent  le  contrat  produit  les  effets  pour  et  contre 
le  saisi  aussi  bien  que  pour  et  contre  le  saisissant.  Il  ne  faudra  pas 
toutefois  que  le  gardien  soit  plus  mal  traité  quand  il  aura  deux 
débiteurs  que  quand  il  n'en  a  qu'un  seul,  l'article  1962  lui  donne 
une  action  pour  le  tout  contre  le  saisissant,  il  peut  avoir  intérêt  à 
préférer  ce  débiteur  plus  solvable,  et  nous  ne  devons  pas  le  dé- 
pouiller du  droit  d'agir  dans  les  termes  mêmes  de  l'article  qui  a 
constitué  son  droit. 

173  bis.  II.  Si  le  saisi  n'a  pas  présenté  le  gardien,  il  est  étranger 
au  contrat  de  dépôt  et  n'a  pas  d'action  directe  contre  le  gardien. 
Mais  il  subit  indirectement  les  conséquences  de  la  garde,  quant  au 
salaire  notamment;  s'il  n'en  est  pas  débiteur  envers  le  gardien,  il 
est  tenu  envers  le  saisissant,  qui,  après  avoir  payé  ce  salaire,  agira 
contre  lui  par  voie  de  recours,  puisque  cette  dépense  a  été  nécessitée 
par  la  faute  du  débiteur  qui  n'acquittait  pas  sa  dette. 

173  bis.  III.  Le  motif  que  nous  venons  d'assigner  à  notre  solution 
nous  conduit  à  une  certaine  restriction.  Nous  avons  supposé  que 
la  saisie  était  régulière,  que  le  saisi  était  vraiment  débiteur;  mais 
si  la  saisie  était  nulle  ou  si  le  saisi  n'était  pas  débiteur  (1),  il  ne 
faudrait  pas  soumettre  le  saisi  étranger  à  la  constitution  de  la  garde, 
au  paiement  des  frais.  Ces  frais  n'auraient  pas  pour  cause  une 
faute  de  sa  part. 

173  bis.  IV.  Le  gardien  peut  être  le  saisi  lui-même  (art.  598,  C. 
Pr.).  Le  contrat  se  forme  alors  entre  lui  et  le  saisissant,  et  il  devient 
responsable  des  négli  gences  qu'il  commettrait  quant  à  sa  propre  chose. 
Le  gardien  se  trouve  alors  avoir  plus  et  moins  de  droits  qu'un 
gardien  ordinaire  ;  ainsi  il  conserve  le  droit  de  se  servir  des  choses 
saisies,  il  n'est  privé  que  du  droit  d'en  disposer,  tandis  que 
l'usage  même  est  interdit  au  gardien  étranger;  on  soutient  aussi 

(1)  V.  M.  Colmet  Daâge,  Procédure  tivile,  t.  II,  d°  861. 


152  COUKS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

qu'il  profite  du  croît  des  animaux,  du  lait,  de  la  laine,  qu'il  peut 
louer  les  choses  qu'il  était  dans  l'habitude  de  louer.  Voilà  Jes  avan- 
tages qu'il  a  sur  le  dépositaire  étranger,  mais  il  n'a  pas  droit  à  un 
salaire,  voilà  en  quoi  la  position  est  moins  avantageuse  que  celle 
des  autres  gardiens  (1). 

174.  Pour  tous  les  autres  cas  de  séquestre  judiciaire,  la  loi 
se  borne  à  poser  deux  règles  :  l'une  relative  au  choix  du  dé- 
positaire, l'autre  concernant  ses  obligations. 

Le  choix  du  dépositaire  appartient,  soit  aux  parties  d'ac- 
cord, soit  au  juge  d'office.  V.  art.  1963,  al.  1;  v.  pourtant 
art.  1259. 

Dans  le  premier  cas  il  y  a  contrat,  et  non  dans  l'autre;  mais 
cette  circonstance  ne  doit  rien  changer  aux  obligations  de 
celui  a  qui  la  chose  est  confiée,  lesquelles  sont  toujours  les 
mêmes  qu'au  cas  de  séquestre  conventionnel.  V.  art.  1963, 
al.  dern. 

174  bis.  I.  L'article  1963,  premier  alinéa,  ne  dit  pas  clairement  à 
qui  appartient  le  droit  de  nommer  le  séquestre  judiciaire.  Ce  ne 
peut  être  le  hasard  ou  le  caprice  du  juge  qui  décidera  si  la  nomi- 
nation sera  faite  par  les  parties  ou  par  le  juge  lui-même.  On  voit 
toutefois  dans  l'article  que  la  nomination  par  les  parties  s'est  pré- 
sentée la  première  à  l'esprit  du  législateur,  d'où  il  y  a  lieu  de  con- 
clure que  le  juge  n'interviendra  qu'autant  que  les  parties  n'auront 
pas  pu  s'entendre;  c'est  ce  qui  se  passe  pour  la  nomination  d'experts 
(art.  304,  305,  C.  Pr.),  et  c'est  la  règle  que  posait  Pothier  dans  le 
passage  qui  a  inspiré  les  rédacteurs  du  Code  civil  (2). 

174  bis.  II.  Le  séquestre  judiciaire  est  de  sa  nature  salarié.  On 
peut,  en  effet,  supposer  que  celui  qui  se  charge  d'une  responsabilité 
imposée  par  justice  a  entendu  que  ses  soins  seraient  payés,  comme 
le  sont  ceux  des  experts  ou  autres  personnes  chargées  de  missions 
judiciaires.  Cette  stipulation  tacite  d'un  salaire  est  d'autant  plus 
présumable  qu'elle  s'appuie  sur  l'analogie  entre  le  séquestre  constitué 
en  vertu  de  l'article  1963  et  le  gardien  établi  dans  l'hypothèse  de 
l'article  1962. 

174  bis.  III.  Resterait  à  savoir  si  le  salaire  est  dû  solidairement 

(1)  V.  M.  Colmet  Daâge,  Procédure  civile,  t.  II,  n"  859. 

(2)  V.  Pothier,  n°  98. 


TIT.    XI.    DU    DEPOT    ET    DU    SÉQUESTRE.    ART.    1963.       153 

par  les  deux  parties.  Nous  ne  le  pensons  pas,  puisque  la  solidarité 
ne  s'appuierait  pas  sur  un  texte,  mais  nous  donnons  au  séquestre  un 
droit  de  rétention  qui,  dans  ses  rapports  avec  la  partie  gagnante, 
lui  fournira  le  moyen  d'être  payé  intégralement. 


TITRE  DOUZIEME. 

DES    CONTRATS    ALÉATOIRES^ 

175.  Ce  titre,  consacré  en  grande  partie  à  la  rente  viagère, 
se  rattache  sous  ce  rapport  a  la  matière  du  prêt.  Le  législa- 
teur, qui  du  prêt  a  usage  s'est  trouvé  conduit  par  analogie  a 
traiter  immédiatement  du  dépôt,  revient  ensuite  a  compléter 
ses  dispositions  sur  la  constitution  de  rente,  qu'il  a  présentée 
comme  une  espèce  de  prêt  a  intérêt  (art.  1909),  et  dont  la 
constitution  en  viager  est  elle-même  une  des  branches,  dif- 
férant surtout  de  l'autre  par  son  caractère  de  contrat  aléatoire. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  loi  embrasse  ici  d'une  manière  géné- 
rale toute  la  classe  des  contrats  aléatoires-,  elle  les  définit, 
énumère  les  principaux,  et  se  borne,  pour  deux  d'entre  eux, 
qui  sont  surtout  d'un  fréquent  usage  dans  le  commerce  mari- 
time, à  renvoyer  aux  lois  de  la  matière  (art.  1964.)  Puis,  après 
avoir  très-succinctement,  dans  un  premier  chapitre,  traité  de 
deux  autres  qui  méritent  a  peine  le  nom  de  contrat,  elle 
traite  avec  détail,  dans  le  chapitre  2,  de  la  rente  viagère,  qui 
au  surplus,  comme  on  le  verra  bientôt,  n'est  pas  toujours 
créée  par  un  contrat  aléatoire,  et  qui  peut  même  ne  pas  l'être 
par  un  contrat. 

176.  Le  contrat  aléatoire  est  une  convention  réciproque; 
entendez  par  la  une  convention  faite  dans  l'intérêt  réciproque 
des  contractants,  en  d'autres  termes,  un  contrat  à  titre  oné- 
reux. Ainsi  l'une  des  parties  n'y  procure  pas  a  l'autre  un  avan- 
tage purement  gratuit-,  car  s'il  y  a  espoir  d'un  avantage,  cet 
espoir  est  balancé  par  la  possibilité  d'une  perte.  Sous  ce  rap- 
port, mais  sous  ce  rapport  seulement,  l'effet  du  contrat  dépend 
d'un  événement  incertain.  Du  reste,  l'avantage  incertain  de 
l'un  ne  pouvant  se  réaliser  qu'aux  dépens  de  l'autre,  et  pa- 
reillement la  perte  de  l'un  devant  toujours,  à  certains  égards, 


TIT.  III.  DES  CONTRATS  ALÉATOIRES.  ART.  1961.   155 

profiter  a  l'autre,  on  peut  dire,  avec  la  loi  elle-même  (art. 
1104),  qu'il  y  a,  dans  tous  les  cas,  pour  chacune  des  parties, 
chance  de  gain  ou  de  perte.  D'un  autre  côté  cependant,  il  est 
certains  contrais  aléatoires  où  les  chances  sont  réciproque- 
ment les  mômes-,  tandis  qu'il  en  est  d'autres  dont  le  but,  au 
contraire,  est,  pour  une  ou  plusieurs  des  parties,  de  se  sous- 
traire, moyennant  un  sacrifice  une  fois  fait,  aux  chances  de 
l'avenir,  en  les  faisant  uniquement  peser  sur  l'autre  ou  sur  les 
autres.  On  peut  donc,  pour  marquer  celte  différence,  distin- 
guer ici,  avec  la  loi,  des  contrats  où  c'est  pour  toutes  les 
parties  que  les  effets  dépendent  d'un  événement  incertain,  et 
d'autres  où  c'est  seulement  pour  l'une  ou  plusieurs  d'entre 
elles.  V.  art.  1964,  al.  1. 

La  définition  du  conlral  aléatoire  est  susceptible  d'une 
application  très- générale,  et  l'on  sent,  par  exemple,  qu'il 
n'est  guère  de  contrat  commulalif  que  Ton  ne  puisse  convertir 
en  aléatoire,  en  substituant  une  chance  à  l'équivalent  que 
l'une  des  parties  doit  donner  ou  recevoir.  La  loi  se  borne  a 
en  énoncer  cinq  principaux  :  l'assurance,  le  prêt  a  grosse 
aventure,  le  jeu,  le  pari,  et  le  contrat  de  rente  viagère.  V.  art. 
1964,  al.  2-6. 

176  bis.  Nous  nous  sommes  expliqué  au  tome  V,  n°  6  bis,  sur 
la  définition  des  contrats  aléatoires  en  comparant  l'article  1964  et 
l'article  1104,  et  nous  avons  montré  sous  l'influence  de  quelles 
idées  les  rédacteurs  de  Code  civil  avaient  pu  donner  de  ces  contrats 
deux  définitions  différentes. 

177.  L'assurance  est  un  conlrat  consensuel,  synallagma- 
tique,  par  lequel  l'un  des  contractants,  appelé  assureur,  se 
charge,  moyennant  une  somme  ou  prestation  fixée  à  tout 
événement,  et  qu'on  nomme  prime,  des  risques  auxquels  est 
exposée  la  chose  de  l'autre  contractant,  désigné  sous  le  nom 
d'assuré.  Ce  contrat,  qui  longtemps  n'a  élé  usité  que  dans  e 
commerce  maritime,  est  devenu,  d'une  application  bien  plus 
étendue. 

Le  prêt  a  grosse  aventure,  ou  contrat  a  la  grosse,  est  un 
prêt,  par  conséquent  un  contrat  réel,  unilatéral,  dans  lequel 


156  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.   III. 

les  sommes  prêtées,  avec  affectation  d'objets  faisant  partie 
d'une  expédition  maritime,  ne  doivent  être  restituées  qu'en 
cas  d'heureuse  arrivée,  mais  doivent  l'être  alors  avec  un 
profit  maritime  supérieur  à  l'intérêt  légal. 

Les  règles  sur  l'assurance,  considérée  uniquement  comme 
contrat  maritime,  et  celles  sur  le  prêt  a  la  grosse,  se  trouvent 
dans  les  lois  maritimes,  qui  aujourd'hui  font  partie  du  Code 
de  commerce  (V.  C.  Comm.,  art.  311-396).  V.  art.  1964,  al. 
dernier. 

177  bis.  C'est  au  remboursement  du  prêt  à  la  grosse  que  les 
objets  exposés  aux  risques  de  mer  sont  affectés.  Il  en  résulte  :  que 
sur  ces  objets  existe  une  sorte  de  privilège  analogue  au  droit  de 
gage,  ou  d'hypothèque:  et  secondement  :  que  si  ces  objets  périssent 
par  un  accident  de  mer,  l'emprunteur  est  libéré  et  ne  restitue  pas 
les  sommes  prêtées  (I). 


CHAPITRE   PREMIER. 

DU    JEU    ET    DU    PARI. 

178.  Ce  que  l'on  appelle  contrat  de  jeu  est  la  convention 
par  laquelle  deux  ou  plusieurs  personnes  s'engagent  récipro- 
quement a  se  payer  une  certaine  somme,  suivant  le  succès 
d'une  partie  de  jeu  liée  entre  elles.  Le  pari  en  diffère  en  ce 
point  seulement,  qu'au  lieu  de  dépendre  du  succès  d'une 
partie  jouée  entre  les  adversaires,  le  gain  ou  la  perte  y  dé- 
pend, pour  chacun,  de  la  conformité  ou  non-conformité  d'un 
événement  ou  d'un  fait  a  sa  prévision  ou  a  son  assertion. 

Ces  conventions,  dans  lesquelles  le  hasard  ou  le  bien  joué 
doivent,  indépendamment  de  toute  autre  cause  d'obligation, 
enrichir  l'un  aux  dépens  de  l'autre,  ne  sauraient  être  vues 
d'un  œil  favorable.  Aussi  la  loi,  sans  méconnaître  absolu- 
ment l'existence  de  la  dette  du  perdant,  refuse-t-elle  en 
général  toute  action  au  gagnant.  V.  art.  196o. 

(1)  V.  II.  Boislel,  Précis  du  droit  commercial,  p.  1053.  Édit.  1878. 


UT.  XII.  DES  CONTRATS  ALÉATOIRES.  ART.  1965.   i  57 

178  bis.  I.  La  théorie  que  nous  avons  exposée  sur  les  obligations 
naturelles  (ij  nous  a  conduit  à  reconnaître  aux  dettes  résultant  du 
jeu  ou  du  pari  le  caractère  d'obligation  naturelle.  Rien  n'explique 
mieux  les  dispositions  des  articles  1965'  et  1967.  Seulement,  la  règle 
de  l'article  1965  a  des  conséquences  que  n'aurait  pas  la  simple  attri- 
bution à  une  dette  du  caractère  d'obligationn  aturelle.  En  principe, 
ces  obligations  peuvent  être  l'objet  d'un  cautionnement  ou  d'une 
novation,  cela  ne  fait  pas  doute  pour  les  dettes  contractées  par  les 
mineurs.  La  dette  de  jeu  ne  peut  être  l'objet  d'aucune  de  ces  deux 
conventions,  puisque  la  loi,  par  des  raisons  d'utilité  sociale,  a  déclaré 
qu'elle  ne  pouvait  donner  lieu  à  aucune  action.  La  novation  ou  le 
cautionnement,  s'il  était  valable,  engendrerait  une  action  qui  aurait 
son  principe  dans  le  contrat  du  jeu  ou  du  pari,  et  l'article  1965  fait 
obstacle  à  ce  qu'il  en  soit  ainsi.  La  dette  qui  nous  occupe  est  donc 
une  dette  naturelle  traitée  par  la  loi  plus  rigoureusement  encore 
que  les  autres,  mais  ce  n'est  pas  une  raison  pour  soutenir  que  ce 
n'est  point  une  dette. 

178  bis.  IL  La  dette  résultant  du  jeu  ou  du  pari,  c'est  la  dette 
contractée  directement  par  le  perdant  envers  le  gagnant.  On  sorti- 
rait des  termes  de  la  loi,  si  l'on  soumettait  à  l'article  1965  la  dette 
née  d'un  emprunt  qui  aurait  été  fait  pour  procurer  à  l'emprunteur 
les  moyens  de  jouer.  De  même,  on  doit  reconnaître  une  action  au 
mandataire  qui  s'est  chargé  de  payer  une  dette  ayant  pour  cause  une 
perte  au  jeu  ou  dans  un  pari.  Dans  ces  deux  hypothèses,  le  contrat 
est  un  contrat  distinct,  un  prêt  ou  un  mandat,  et  l'action  du  prêteur 
ou  du  mandataire  est  fondée  sur  un  fait  indépendant  du  jeu  ou  du 
pari,  elle  s'appuie  sur  une  numération  de  deniers  qui  n'a  pas  pour 
cause  le  jeu  ou  le  pari.  Ces  deux  faits  ont  pu  être  les  motifs  en 
vue  desquels  le  débiteur  a  emprunté  ou  donné  mandat,  ce  ne  sont 
pas  des  causes  de  son  obligation,  et  quant  au  fait  du  créancier,  il 
a  dans  les  deux  cas  une  cause  très-légitime,  l'intention  de  rendre 
service  a  l'autre  partie,  et,  s'il  a  prêté  â  intérêts,  le  bénéfice  que 
ces  intérêts  lui  procureront. 

179.  Cependant  les  jeux  qui  tiennent  à  l'adresse  ou  a 
l'exercice  du  corps  ayant  sous  ce  rapport  un  but  d'utilité 
sociale,  la  convention  qui  tend  à  les  intéresser  dans  une  juste 
mesure  est  exceptée  delà  défaveur  qui  s'attache  en  général 

(1)  V.  t.  V,  a3  174  bit.  VIII. 


158  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE   CIVIL.    LIV.    III. 

au  jeu;  et  la  loi  alors  ne  refuse  plus  l'action.  Mais  la  défaveur 
ne  devant  cesser  qu'autant  que  l'intérêt  de  la  partie  du  jeu  est 
en  proportion  de  la  forlune  des  joueurs  et  de  l'utilité  du  jeu , 
il  est  laissé  a  la  prudence  des  juges  de  rejeter  la  demande, 
quand  la  somme  leur  paraît  excessive.  V.  art.  1966. 

179  bis.  On  lit  dans  le  discours  de  Portalis  au  Corps  législatif  que 
la  stipulation  d'un  gain  excessif  est  immorale  et  illicite,  d'où  il 
faut  tenir  cette  conséquence  qu'elle  est  nulle  pour  le  tout,  c'est-à- 
dire  que  les  tribunaux  ne  pourraient  pas  se  contenter  de  réduire  la 
somme  première.  L'article,  du  reste,  consacre  la  faculté  d'annuler 
l'engagement,  et  non  pas  celle  de  le  diminuer. 

180.  Dans  tous  les  cas,  l'inefficacité  de  la  dette  de  jeu 
n'est  pas  entière;  elle  produit  un  effet  important,  celui 
d'exclure  la  répétition.  Mais  remarquons  :  1°  que  cette  pro- 
position n'est  appliquée  par  la  loi  qu'au  cas  d'un  paiement 
volontaire  ;  2°  que  la  loi  y  fait  exception  formelle  lorsqu'il  y 
a  eu  de  la  part  du  gagnant  dol,  supercherie  ou  escroquerie. 
V.  art.  1967,  et  à  ce  sujet,  art.  1235. 

Remarquons,  au  surplus,  que  l'effet  d'exclure  la  répé- 
tition, attribué  a  la  dette  de  jeu  comme  l'obligation  natu- 
relle, n'autorise  point  à  reconnaître  a  la  dette  de  jeu  le 
caractère  d'obligation  naturelle.  Ainsi,  selon  nous,  celte 
dette  ne  pourrait  être  valablement  cautionnée.  Ainsi,  encore 
bien  qu'elle  soit  reconnue  cause  suffisante  de  paiement,  elle 
ne  serait  pas  considérée  comme  cause  suffisante  d'une  nou- 
velle obligation.  Nous  pensons,  en  conséquence,  que  la 
nouvelle  obligation  que  le  perdant  contracterait  envers  le 
gagnant,  sans  autre  cause,  ne  donnerait  pas  plus  d'action 
que  la  dette  primitive. 

180  bis.  I.  Le  paiement  de  la  dette  du  jeu  doit  avoir  été  volon- 
taire pour  que  la  loi  refuse  la  répétition  ;  cela  ne  signifie  pas  seule- 
ment que  le  fait  du  paiement  ne  doit  pas  être  lui-même  entaché 
des  vices  de  dol  ou  de  violence,  il  eût  été  inutile  de  le  dire,  mais  que 
ce  paiement  doit  avoir  été  fait  en  connaissance  de  cause.  Il  faut 
que  celui  qui  paie  sache  qu'il  acquitte  une  dette  de  jeu.  L'exécution 
volontaire  joue  le  rôle  d'une  confirmation  d'obligation  annulable,  et  la 


T1T.    XII.    DES    CONTRATS   ALÉATOIRES.    ART.    1967.       159 

confirmation  ne  peut  être  faite  que  par  une  personne  qui  connaît 
le  vice  de  l'obligation.  Nous  avons  expliqué  de  cette  façon  le  même 
mot,  volontairement,  écrit  dans  l'article  1135,  à  propos  du  paiement 
des  obligations  naturelles  (1);  et  l'emploi  de  la  même  expression 
dans  l'article  1967  nous  confirme  dans  la  pensée  que  les  rédac- 
teurs du  Code  civil  ont  envisagé  la  dette  du  jeu  comme  l'une  de 
ces  obligations. 

180  bis.  II.  La  théorie  se  complète  par  la  réserve  que  fait  l'article 
du  cas  de  dol,  supercherie  ou  escroquerie,  de  la  part  du  gagnant. 
L'obligation  était  alors  entachée  d'un  double  vice  :  d'abord  le  vice 
résultant  de  la  disposition  légale  de  l'article  1965,  ce  vice-là  est 
purgé  par  le  paiement  fait  dans  les  conditions  que  nous  venons  de 
dire;  le  second  vice  consistant  en  ce  que  la  partie  du  jeu  n'avait 
pas  été  loyale,  il  faudrait  pour  qu'il  fût  purgé,  que  le  perdant  l'eût 
connu  lors  du  paiement,  sinon  le  fait  d'avoir  renoncé  à  se  prévaloir 
de  l'article  1965  n'implique  pas  la  renonciation  au  droit  d'opposer  t 
la  nullité  résultant  des  actes  frauduleux  accomplis  par  le  gagnant. 

180  bis.  III.  L'annulation  du  paiement  pourra  aussi  être  deman- 
dée si  celui  qui  payait  était  un  incapable.  Gela  va  de  soi,  et  le  Code 
n'avait  pas  besoin  d'en  parler,  puisque  c'est  une  application  de  prin- 
cipes généraux. 

180  bis.  IV.  L'article  1967  suppose  que  le  paiement  a  été  fait 
après  la  partie,  peut-être  même  lorsqu'il  s'est  écoulé  un  assez  long 
espace  de  temps.  11  y  a  une  autre  hypothèse  fréquente  qu'il  faut 
examiner.  Les  enjeux  ont  été  mis  sur  1»  table.  Si  à  la  fin  de  la 
partie  le  gagnant  en  a  pris  possession  du  consentement  du  perdant, 
l'hypothèse  se  confond  avec  la  précédente.  Mais  si,  la  partie  ter- 
minée, le  perdant  s'oppose  à  la  prise  de  possession  du  gagnant, 
la  situation  n'est  plus  la  même,  et  il  y  a  lieu  de  se  demander  s'il 
faut  appliquer  l'article  1965  ou  l'article  1967.  Nous  pensons  que 
l'article  1967  est  inapplicable.  En  effet,  en  déposant  les  enjeux, 
chacun  des  deux  joueurs  a  consenti  à  transférer  la  propriété  de  sa 
mise  à  l'autre  sous  la  condition  que  celui-ci  gagnerait  la  partie  (2). 
Cette  partie  terminée,  la  condition  suspensive  à  laquelle  était  subor- 
donnée la  propriété  du  gagnant  s'est  réalisée,  il  est  propriétaire, 
et  s'il  s'élève  quelque  difficulté  à  sa  prise  de  possession,  il  agit 
comme  propriétaire,  l'action  est  la  revendication  et  non  pas  une 

(1)  V.  t.  V,  n*  17 i  bit.  XI  et  XII. 

(2)  Cette  condition  n'est  point  illicite,  car  le  jeu  en  soi  n'est  pas  défendue 


160  COUKS   ANALYTIQUE    DE    CODE   CIVIL.    LIV.    III. 

action  personnelle  fondée  sur  le  contrat  du  jeu  :  le  perdant  qui 
aurait  repris  l'enjeu  ne  pourrait  pas  invoquer  la  règle  :  en  fait  de 
meubles,  la  possession  vaut  titre,  parce  qu'il  ne  serait  pas  de 
bonne  foi. 

Nous  assimilons  à  cette  espèce  celle  qui  suppose  que  les  enjeux 
ont  été  remis  à  une  tierce  personne  ;  la  remise  étant  un  dépôt,  les 
objets  déposés,  fussent-ils  de  l'argent,  sont  devenus  des  corps  cer- 
tains, et  contre  ce  dépositaire  l'action  en  revendication  existera 
aussi  bien  que  contre  le  joueur  lui-même  dans  l'espèce  précédente. 


CHAPITRE  II. 

DU    CONTRAT    DE    RENTE    VIAGÈRE. 

181.  Toute  rente  est  un  droit  a  une  prestation  périodique, 
et  la  rente  viagère,  comme  le  mot  lui-même  l'indique,  est  ce 
droit,  borné  à  la  durée  toujours  incertaine  de  la  vie  d'une  ou 
plusieurs  personnes.  La  convention  par  laquelle  une  personne 
acquiert  ce  droit  incertain  dans  sa  durée,  soit  pour  une 
somme  d'argent  qu'elle  fournit,  soit  comme  prix  ou  condi- 
tion d'une  aliénation  qu'elle  consent,  est  essentiellement  un 
contrat  aléatoire.  C'est  ce  contrat  que  la  loi  a  ici  princi- 
palement en  vue  et  dont  elle  règle  :  l8  les  conditions  ;  2°  les 
effets.  Du  reste,  quoique  l'intitulé  du  chapitre  et  celui  des 
deux  sections  qui  le  composent  ne  se  réfèrent  qu'au  contrat 
de  rente  viagère,  il  est  bien  a  remarquer  que  ce  contrat  n'est 
pas  h  seule  manière  d'acquérir  cette  rente,  et  que  les  règles 
ici  posées  ne  sont  pas  toutes  exclusivement  bornées  à  la 
rente  ainsi  constituée. 

SECTION  I. 

Des  conditions  requises  pour  la  validité  du  contrat  (ou,  plus 
exactement ,  de  la  constitution  de  rente  viagère). 

182.  La  rente  viagère,  comme  tout  autre  droit,  peut  se 
constituer  soit  à  titre  onéreux,  soit  à  titre  gratuit. 


TiT.    XII.    DES    CONTRATS    ALÉATOIRES.    ART.     1968.       161 

La  constitution  à  titre  onéreux  a  lieu,  soit  moyennant  une 
somme  d'argent  fournie  h  cette  partie  qui  devra  servir  la 
rente,  soit  pour  une  chose  mobilière  appréciable,  ce  qui 
comprend  tous  les  biens  meubles  autres  que  l'argent  comp- 
tant, soit  pour  un  immeuble.  V.  art.  1968. 

182  bis.  I.  La  constitution  de  rente  viagère  à  titre  onéreux  est 
un  contrat.  De  sa  nature,  ce  contrat  est  réel,  c'est-à-dire  que  l'obli- 
gation du  débiteur  de  la  rente  naît  de  l'aliénation  du  capital  par 
lui  reçu,  que  ce  capital  consiste  en  argent  ou  en  tout  autre  objet. 
Dans  le  droit  moderne,  les  constitutions  de  rentes  en  général  sont  des 
variétés  du  contrat  de  prêt,  et  ce  contrat  impliquant  une  obligation 
de  restitution  ne  peut  se  former  que  par  la  livraison  d'une  chose  à 
restituer.  Telle  est  du  reste  la  véritable  nature  de  ce  contrat,  car 
Pothier  lui-même,  qui  caractérisait  ce  contrat  en  l'appelant  une 
vente,  ajoutait  qu'il  n'est  pas  du  nombre  des  contrats  consensuels, 
car  il  n'est  parfait  que  lorsque  l'acquéreur  de  la  rente  en  a  payé  le 
prix  (1). 

C'est  bien  la  doctrine  du  Code  civil,  les  arrérages  sont  considérés 
comme  des  intérêts  (art.  1909),  et  dès  lors  ils  ne  sont  dus  qu'à 
raison  de  la  jouissance  acquise  par  le  débiteur  de  la  rente.  Il  ne 
nous  semble  même  pas  qu'il  y  ait  lieu  de  faire  sur  ce  point  une  dis- 
tinction selon  que  les  rentes  sont  constituées  pour  une  somme  d'argent 
ou  pour  une  autre  chose.  Dans  la  pensée  du  législateur,  les  choses 
mobilières  ou  même  les  immeubles,  dont  il  est  question  dans  l'ar- 
ticle 1968,  représentent  le  capital  en  argent,  et  l'opération  est  tou- 
jours un  prêt,  c'est-à-dire  l'aliénation  d'une  valeur  qui  ne  sera  pas 
rendue  in  specie.  Ce  n'est  pas  certainement  la  différence  entre  les 
mots  moyennant  et  pour  employés  par  l'article  1968,  qui  peut  accen- 
tuer une  différence  de  nature  entre  les  diverses  conventions  dont 
nous  nous  occupons,  car  on  substituerait  facilement,  sans  altérer  le 
sens  de  la  phrase,  le  mot  pour  au  mot  moyennant,  et  réciproquement. 

182  bis.  II.  Il  faut  néanmoins  tenir  compte  du  principe  de  la 
liberté  des  conventions.  Pothier  lui-même  le  reconnaissait.  Si  une 
personne  s'oblige  à  donner  dans  un  temps  déterminé  une  certaine 
chose  moyennant  que  l'acquéreur  deviendra  débiteur  d'une  rente 
viagère,  il  y  a  là  un  contrat  valable  et  qui  oblige  les  deux  parties  : 

(1)    Traité  du  contrat  de  eonttitution  de  rente,  a'  2. 

VIII  1  1 


162  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

l'une  à  donner  la  valeur  promise,  l'autre  à  la  recevoir  en  devenant 
débitrice  de  la  rente.  C'est  une  promesse  synallagmatique  de  con- 
stitution de  rente  viagère  plutôt  qu'une  constitution  à  proprement 
parler. 

i82  bis.  III.  Jusqu'ici  nous  ne  rencontrons  pas  de  difficulté.  Mais 
la  question  devient  plus  délicate  quand,  dans  une  pareille  convention, 
tas  arrérages  de  la  rente  viagère  sont  stipulés  payables  dès  le  jour  de 
la  convention  sans  attendre  l'exécution  de  la  promesse  de  livrer  le 
capital.  Exemple  :  le  capital  (argent,  autres  meubles  ou  immeubles) 
sera  payable  dans  trois  ans,  mais  les  arrérages  de  la  rente  courront 
immédiatement.  Cette  convention  ne  nous  paraît  pas  en  elle-même 
illicite.  Quand  le  capital  promis  consiste  en  objets  autres  que  de 
l'argent,  elle  ressemble  à  la  clause  très-ordinaire  par  laquelle  un 
acheteur  payerait  d'avance  quelques  fractions  du  prix.  Quand  le 
capital  est  en  argent,  les  paiements  d'annuités  faits  avant  la  per- 
ception du  capital  aliéné  par  le  créancier  de  la  rente  sont  la  représen- 
tation du  risque  que  court  à  tout  événement  ce  créancier,  puisqu'il 
versera  certainement  ce  capital  et  ne  touchera  les  annuités  que 
pendant  un  temps  qui  peut  être  fort  court.  S'il  s'agissait  d'une  rente 
perpétuelle,  on  pourrait  objecter  que  ces  paiements  anticipés  con- 
stituent peut-être  des  augmentations  illicites  du  taux  de  l'intérêt  ;  mais 
comme  nous  raisonnons  sur  une  constitution  de  rente  viagère,  cette 
observation  ne  peut  avoir  aucune  influence  quant  à  la  solution  de 
la  question  que  nous  avons  posée  (art.  1976). 

183.  La  constitution  a  titre  purement  gratuit  est  une 
libéralité  à  laquelle  il  faut  naturellement  appliquer  les  règles 
ordinaires  -,  ainsi  elle  doit  être  faite  par  donation  entre-vifs 
ou  par  testament,  dans  les  formes  établies  pour  ces  sortes 
d'actes.  V.  art.  1969,  893. 

181.  Il  est  clair,  d'après  cela,  que  la  rente  ainsi  con- 
stituée doit  se  renfermer  dans  les  limites  de  la  quotité  dis- 
ponible, et  que  cette  constitution  ne  peut  avoir  lieu  au  profit 
d'une  personne  incapable  de  recevoir.  Ainsi,  la  rente  qui  excé- 
derait la  quotité  disponible  serait,  sous  certain  rapport,  ré- 
ductible (art.  920;  v.  pourtant  art.  917)-,  quant  à  celle  qui 
serait  constituée  a  un  incapable,  elle  serait  entièrement  nulb 
(art.  911).  V.  art.  1970. 


TIT.  XII.  DES  CONTRATS  ALÉATOIRES.  ART.  1968-1970.       163 

184  bis.  I.  M.  Demante  a  expliqué,  au  tome  IV,  n°  55  bis,  IV  et  V, 
comment  l'article  1970  n'est  pas  en  contradiction  avec  l'article  917, 
D'après  ce  dernier  article,  les  héritiers  à  réserve  ont  l'option  ou  de 
payer  la  rente  viagère  ou  de  faire  l'abandon  de  la  propriété  de  la 
quotité  disponible.  L'existence  de  cette  faculté  n'est  pas  exclusive  du 
droit  de  réduction,  car  c'est  là  un  procédé  tendant  à  faire  rentrer 
la  libéralité  dans  les  limites  prescrites,  c'est  un  mode  spécial  de 
réduction.  Donc  l'article  1970  n'a  pas  voulu  dire  autre  chose  que 
ceci  :  la  libéralité  en  rente  viagère  sera  soumise  aux  règles  posées 
dans  le  chapitre  intitulé  :  De  la  portion  de  biens  disponible  et  de  la 
réduction. 

184  6».  II.  Il  faut,  au  surplus,  remarquer  que  l'estimation  de  la 
valeur  de  la  rente  est  indispensable  pour  fixer  les  droits  des  dona- 
taires ou  des  légataires  qui  auraient  des  droits  après  le  donataire 
de  rente  viagère  ou  concurremment  avec  lui.  Si  l'on  abandonnait  en 
effet  toute  la  quotité  disponible  au  rentier,  donataire  le  plus  ancien 
on  commettrait  bien  souvent  une  injustice  au  détriment  du  do- 
nataire postérieur.  Exemple  :  La  rente  viagère  donnée  est  de 
600  francs,  la  deuxième  donation  de  10,000  francs  en  propriété, 
la  quotité  disponible  de  10,000  francs.  En  abandonnant  toute  la 
quotité  disponible  au  rentier,  on  ne  laisse  rien  pour  le  deuxième 
donataire  qui  devrait  recueillir  3,000  ou  2,000  francs  si  la  première 
donation  ne  représentait  en  effet  que  7,000  ou  8,000  francs.  Or, 
d'après  l'âge  du  rentier,  il  est  bien  possible  que  la  rente  n'ait  pas 
une  valeur  supérieure  à  ces  chiffres. 

Au  cas  d'un  concours  entre  un  légataire  de  rente  viagère  et 
d'autres  légataires,  si  l'on  abandonnait  tout  le  disponible  au  rentier 
les  autres  n'auraient  rien,  tandis  qu'ils  ont  droit  de  venir  à  contri- 
bution avec  leur  colégataire.  Or,  la  proportionnalité  ne  peut  être 
établie  qu'entre  valeurs  de  même  nature;  il  faut  donc  estimer  la 
rente  en  capital  pour  établir  la  proportion  entre  le  droit  du  rentier 
et  celui  des  autres  légataires  qui  ont  droit  à  des  capitaux. 

Les  estimations  qui  sont  nécessaires  dans  ces  hypothèses  ne  pri- 
veront pas  du  reste  les  héritiers  du  droit  de  servir  la  rente  intégrale 
s'ils  ne  veulent  pas  laisser  prendre  par  le  légataire  la  part  de  capital 
qui  lui  revient  à  la  suite  des  opérations  d'estimation  et  de  calcul 
que  nous  venons  de  supposer  (1). 

(1)  V.  t.  IV,  n°  55  bis.  IV. 

11. 


161  COURS   ANALYTIQUE   DE   CODE   CIVIL.    LiV.    Mi. 

184  bis.  III.  Dans  un  cas  seulement,  l'estimation  qui  sera  néces- 
saire ne  laissera  pas  place  à  l'application  de  l'article  917,  c'est 
quand  les  héritiers  auront,  en  vertu  de  l'article  802,  abandonné 
l'actif  de  la  succession  aux  créanciers  et  légataires;  comme  ils  se 
seront  désintéressés  de  la  répartition  à  faire,  le  conflit  existera  seu- 
lement entre  les  légataires,  et  le  droit  d'option  établi  en  faveur  des 
héritiers  à  réserve  ne  pourra  pas  être  invoqué  par  des  colégataires  (1). 

185.  Il  est  de  l'essence  de  la  rente  viagère  d'être  établie 
pour  un  temps  calculé  sur  la  durée  de  la  vie-,  c'est  l'a  ce  qui 
lui  donne  le  caractère  d'incertitude  qui  la  distingue  :  mais 
pour  cela  il  n'est  pas  nécessaire  qu'elle  soit  établie  plutôt 
sur  la  tête  d'une  personne  que  sur  celle  d'une  autre.  Ainsi, 
quoique  le  plus  souvent  la  rente  soit  créée  sur  la  têle  du 
rentier  lui-même  (ordinairement  la  personne  qui  en  fournit  le 
prix),  et  quoique  ce  soit  surtout  dans  cette  supposition  que 
ce  genre  de  marché,  peu  favorable  aux  yeux  de  la  morale,  se 
justifie  par  son  utilité,  la  loi  permet  également  de  la  créer 
sur  la  tête  d'un  tiers,  c'est-à-dire  d'une  personne  quelconque, 
sans  l'établir  pour  cela  au  profit  de  cette  personne.  V.  art. 
1971  -,  et  remarquez  que  le  tiers  n'acquerra  pas  même  par  la 
le  droit  de  toucher  pour  le  compte  du  rentier. 

185  bis.  I.  Il  faut  absolument  distinguer,  à  propos  de  la  rente  via- 
gère, la  personne  sur  la  tète  de  laquelle  la  rente  est  constituée  ou 
établie  et  celle  au  profit  de  laquelle  cette  constitution  est  faite.  Celle- 
ci  est  le  créancier  de  la  rente,  celle-là  n'acquiert  aucun  droit  par  le 
fait  de  la  création  de  la  rente.  De  sa  vie  ou  de  sa  mort  dépend 
l'existence  ou  l'extinction  du  droit  du  rentier,  c'est-à-dire  bien 
souvent  du  droit  d'autrui.  La  rente  existe  sous  une  condition,  et  la 
personne  dont  la  mort  entraînera  l'extinction  du  droit  est  aussi 
étrangère  à  ce  droit  que  le  navire  est  étranger  à  la  créance  subor- 
donnée à  la  condition  si  navis  ex  Asia  venerit. 

185  bis.  II.  Le  plus  souvent,  les  deux  personnes  que  nous  venons 
de  distinguer  se  confondront,  le  créancier  aura  stipulé  une  rente 
viagère  sur  sa  propre  tète,  mais  cette  confusion  sera  le  résultat  de 
la  convention  des  parties  et  non  pas  une  conséquence  naturelle  et 
nécessaire  de  la  nature  du  droit  de  rente  viagère.  Il  faut  cependant 

(1)  V.  t.  IV,  a°  55  bis.  V. 


TIT.  XII.  DES  CONTRATS  ALÉATOIRES.  ART.  1970,  1971.       165 

le  reconnaître,  c'est  là  une  convention  usuelle,  parce  que  le  plus 
souvent  la  rente  viagère  est  créée  en  vue  de  procurer  au  rentier  des 
ressources,  des  revenus  qui  lui  sont  nécessaires  pendant  toute  sa  vie. 
Par  la  constitution  de  la  rente  sur  la  tète  d'autrui ,  le  rentier  risquerait, 
s'il  survivait  au  tiers  désigné,  de  manquer  pendant  ses  dernières 
années  d'un  revenu  indispensable,  tandis  que  s'il  prédécédait,  la  rente 
qui  ne  serait  pas  éteinte  profiterait  pendant  de  longues  années 
peut-être  à  des  héritiers  qui  n'en  auraient  pas  besoin.  Cela  étant, 
on  peut  dire  que,  si  le  titre  constitutif  de  la  rente  viagère  n'a  pas 
déterminé  sur  quelle  tête  elle  est  constituée,  on  doit  supposer  qu'il 
s'agit  de  celle  du  rentier  lui-même.  C'est  l'application  de  cette  règle 
d'interprétation  écrite  dans  l'article  1160,  en  vertu  de  laquelle  on 
doit  suppléer  dans  le  contrat  les  clauses  qui  y  sont  d'usage,  quoi- 
qu'elles n'y  soient  pas  exprimées. 

185  bis.  III.  L'établissement  d'une  rente  viagère  sur  la  tète  d'au- 
trui n'est  cependant  pas  quelque  chose  de  bizarre  et  d'anormal, 
résultat  d'un  simple  caprice  du  stipulant;  on  en  comprend  l'utilité 
pratique.  Il  peut  arriver  en  effet  que  le  stipulant  cherche  par  le 
contrat  de  rente  viagère  à  s'assurer  les  moyens  de  subvenir  aux 
besoins  d'une  personne  envers  laquelle  il  est  tenu  d'une  obliga- 
tion légale,  judiciaire  ou  morale  d'assistance. 

185  bis.  IV.  Ce  sera  quelquefois  dans  une  pensée  de  spéculation 
que  le  rentier  constituera  la  rente  sur  la  tète  d'autrui,  il  voudra 
courir  les  chances  d'une  opération  conditionnelle,  et  il  fera  dépendre 
l'existence  de  son  droit  de  la  vie  d'une  personne  qui  lui  paraîtra,  par 
son  âge  et  sa  constitution  physique,  présenter  des  garanties  de  lon- 
gévité. C'est  cette  idée  de  spéculation  qui  inspirait  autrefois  les 
constitutions  de  rentes  viagères  au  profit  d'un  particulier  sur  la  tète 
d'un  souverain  français  ou  étranger  dont  la  vie  et  la  mort  étaient 
choses  notoires,  ce  qui  dispensait  les  parties  des  formalités  à  remplir 
à  chaque  échéance  pour  constater  l'existence  de  celui  sur  la  tète  de 
qui  la  rente  est  établie. 

On  comprend  plus  facilement  la  convention  qui  subordonnera  l'exis- 
tence de  la  rente  à  la  vie  du  débiteur.  Elle  sera  le  résultat  d'une 
appréciation  faite  par  celui-ci  des  ressources  qu'il  peut  avoir  pour 
l'acquittement  de  l'obligation  qu'il  contracte,  s'il  compte  sur  le  pro- 
duit de  son  travail  personnel  ou  sur  les  fruits  de  droits  viagers  ré- 
sidant sur  sa  propre  tète,  il  agit  prudemment  en  refusant  de  grever 
sa  succession  d'une  charge  que  ses  héritiers  ne  pourraient  pas  porter. 


166  COUltS   ANALYTIQUE    DE    CODE   CIVIL.    L1V.    III. 

186.  Pareillement,  il  n'est  pas  essentiel  a  la  rente  viagère 
de  reposer  sur  une  tête  unique,  elle  peut  donc  être  indiffé- 
remment constituée  sur  une  ou  plusieurs.  V.  art.  1972;  et 
remarquez  que,  lorsque  la  rente  constituée  sur  la  tête  de 
plusieurs  personnes  le  sera  au  profit  de  ces  personnes,  c'est 
a  la  convention  a  régler  si  elles  en  jouiront  conjointement  ou 
successivement,  en  tout  ou  en  partie. 

186  bis.  I.  Nous  avons  supposé  jusqu'à  présent  la  rente  viagère 
constituée  sur  une  seule  tète,  c'est-à-dire  subordonnée  à  l'existence 
d'une  seule  personne,  le  créancier,  le  débiteur  ou  un  tiers.  On  peut 
comprendre  qu'elle  soit  établie  sur  plusieurs  tètes,  c'est-à-dire  des- 
tinée à  durer  tant  que  toutes  les  personnes  désignées  ne  seront  pas 
mortes,  la  vie  d'une  seule  d'entre  elles  suffisant  pour  faire  vivre 
le  droit  de  rente.  La  convention,  dans  ce  cas,  sera  le  résultat  d'une 
combinaison  de  chances,  le  rentier  aura  stipulé  un  droit  plus  solide, 
moins  exposé  à  une  extinction  rapide  que  s'il  reposait  sur  une  seule 
tète;  de  son  côté,  le  débiteur  aura  promis  des  arrérages  moindres  à 
raison  de  la  plus  longue  durée  probable  de  son  obligation.  Peut-être 
dans  l'hypothèse  que  nous  avons  présentée  au  n°  18o  bis.  III,  le 
stipulant  a-t-il  tenu  compte  de  ce  fait  que  les  nécessités  précuniaires 
auxquelles  il  obéissait  en  constituant  la  rente  ne  devaient  prendre  fin 
qu'après  la  mort  de  toutes  les  personnes  sur  les  tètes  desquelles  il  a 
voulu  l'asseoir. 

186  bis.  II.  L'article  1972  ne  constate  pas  seulement  le  droit  de 
faire  dépendre  la  rente  viagère  de  la  vie  et  de  la  mort  de  plusieurs 
personnes,  il  confond  évidemment  dans  sa  formule  un  peu  vague  et 
cette  règle-là  et  celle-ci  :  on  peut  stipuler  que  plusieurs  personnes 
seront  créancières  de  la  rente. 

Ce  qu'il  suppose,  c'est  l'hypothèse  ordinaire,  celle  où  la  rente 
dépend  de  la  vie  et  de  la  mort  du  créancier  lui-même,  et  sa  pensée 
est  de  dire  :  la  rente  peut  appartenir  à  plusieurs  créanciers  sur  les 
têtes  desquels  elle  sera  assise.  Nous  examinerons  cette  hypothèse, 
mais  il  n'en  est  pas  moins  nécessaire  de  faire  remarquer  qu'on  peut 
supposer  en  dehors  de  cette  espèce  deux  autres  cas,  celui  où  une 
rente  établie  sur  plusieurs  tètes  sera  due  à  un  créancier  unique,  et 
celui  où  plusieurs  personnes  seront  créancières  d'une  rente  consti- 
tuée sur  une  tète  unique.  Il  faut  étudier  d'abord  ces  différentes 
espèces  où  les  principes  se  détacheront  plus  facilement,  puisqu'elles 


TIT.    XII.    DES   CONTRATS   ALÉA.TOIKES.    ART.     1972.       167 

ne  confondent  pas  la  personne  du  rentier  avec  celle  sur  la  tète  de 
laquelle  la  rente  est  établie. 

186  bis.  III.  Si  la  rente  a  été  créée  au  profit  de  plusieurs  per- 
sonnes, il  est  facile  d'apercevoir  deux  combinaisons  possibles  :  ou 
bien  les  créanciers  seront  créanciers  ensemble,  créancier*  conjoints 
de  la  rente,  ou  bien  on  aura  établi  entre  eux  une  certaine  hiérarchie, 
ils  ne  seront  rentiers  que  successivement,  les  uns  à  défaut  des  autres, 
au  fur  et  à  mesure  que  les  premiers  appelés  à  exercer  le  droit 
viendront  à  décéder. 

Ces  deux  combinaisons  sont  licites;  la  première  réalise  une  situa- 
tion que  nous  avons  bien  souvent  étudiée,  celle  de  créanciers  con- 
joints; la  créance  se  partage  entre  eux,  et  la  part  de  chacun  passe 
à  ses  héritiers,  le  droit  subsistant  jusqu'à  la  mort  du  tiers  sur  la  tête 
de  qui  la  rente  repose.  La  seconde  donne  naissance  à  plusieurs 
créances,  la  première  affectée  simplement  d'un  terme  extinctif  incer- 
tain, créance  pure  et  simple,  mais  s'éteignant  à  la  mort;  les  autres 
sous  la  condition  suspensive  de  la  survie  du  créancier  à  ceux  qui 
lui  sont  préférables  et  en  même  temps  soumise  au  terme  incertain 
dont  nous  venons  de  parler,  et  la  dernière  affectée  de  la  même  con- 
dition suspensive  que  les  précédentes,  mais  non  du  même  terme 
incertain,  car  elle  doit  durer  jusqu'à  l'extinction  même  du  droit  de 
rente,  événement  qui  dépend,  dans  l'hypothèse,  non  de  la  mort  des 
rentiers,  mais  de  la  mort  d'une  personne  tierce. 

186  bis.  IV.  Dans  le  cas  opposé,  un  seul  rentier,  plusieurs  tètes 
sur  lesquelles  la  rente  est  constituée,  nous  n'avons  pas  de  diffi- 
culté, le  droit  appartient  au  rentier  ou  à  ses  héritiers  jusqu'à  la 
mort  de  toutes  les  personnes  sur  les  têtes  desquelles  la  rente  est 
assise. 

186  bis.  V.  Revenons  à  l'hypothèse  que  l'article  1972  a  probable- 
ment comprise  dans  ses  prévisions.  Plusieurs  créanciers  de  la  rente 
qui  sont  en  même  temps  les  personnes  sur  les  tètes  desquelles  la 
rente  est  constituée,  on  peut  également  supposer  les  deux  combi- 
naisons que  nous  avons  déjà  étudiées  :  ou  la  rente  se  partage  entre 
tous  dès  le  jour  de  sa  création,  ou  elle  doit  profiter  successivement 
aux  différents  créanciers  dans  un  ordre  déterminé. 

Dans  cette  dernière  hypothèse,  les  choses  se  passent  ainsi  que 
nous  l'avons  dit  plus  haut;  la  rente  dure  tant  que  vit  une  des  per- 
sonnes sur  les  tètes  desquelles  elle  est  constituée,  chacun  des  sti- 
pulants profite  de  la  rente  à  son  tour,  et  la  rente  s'éteint  à  la  mort 


108  COimS   ANALYTIQUE    DE   CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

du  dernier  créancier,  puisque  celui-ci  est  en  même  temps  la  dernière 
des  tètes  sur  lesquelles  reposait  la  rente. 

186  bis.  VI.  Si  la  rente  a  été  stipulée  conjointement  par  les  dif- 
férents rentiers,  elle  se  divise  immédiatement  entre  eux,  et  chacun 
d'eux  profite  de  sa  part  tant  qu'il  est  vivant.  Mais  qu'arrive-t-il  à  la 
mort  de  l'un  d'eux?  La  rente  est-elle  éteinte  pour  sa  part,  ou  cette 
part  ne  va-t-elle  pas  plutôt  accroître  la  part  des  autres,  de  telle  sorte 
que  le  dernier  survivant  touchera  jusqu'à  sa  mort  la  totalité  des 
arrérages?  Certes,  il  y  a  là  une  question  d'intention,  les  parties 
peuvent  avoir  admis  l'une  ou  l'autre  des  solutions,  et  si  elles  s'en 
sont  expliquées,  il  faut  tenir  compte  de  leur  volonté,  qui  est  sou- 
veraine; mais  quand  leur  volonté  n'apparaît  pas  expressément,  c'est 
par  les  principes  précédemment  exposés  et  appliqués  qu'il  faut 
résoudre  la  question. 

186  bis.  VII.  Nous  avons  dit  qu'une  rente  constituée  en  faveur 
d'un  créancier  sur  les  tètes  de  plusieurs  tierces  personnes  ne  s'éteint 
pas  partiellement  par  la  mort  de  chacun  de  ces  tiers,  et  qu'elle 
dure  dans  son  intégralité  jusqu'à  la  mort  du  dernier.  Il  doit  en 
être  ainsi,   car  la  circonstance  qu'il  y  a  plusieurs  créanciers  ne 
change  rien  quant  à  la  mort  de  ceux  sur  les  tètes  desquelles  la  rente 
est  établie.  La  mort  d'un  des  créanciers  est  sans  influence  sur  le 
fond  même  du  droit,  ordinairement  le  créancier  décédé  est  remplacé 
par  ses  héritiers;  il  ne  peut  en  être  ainsi  dans  notre  hypothèse,  le 
droit  des  prédécédés  ne  peut  pas  passer  à  leurs  héritiers,  puisque  leur 
droit  était  viager  sur  leurs  tètes;  mais  la  rente  n'en  est  pas  moins 
une  rente  sur  la  tète  de  plusieurs  personnes,  qui  ne  doit  s'éteindre 
qu'à  la  mort  de  la  dernière;  pour  chacun  des  créanciers,  la  rente 
repose  sur  sa  tête  et  sur  celle  d'autrui;  tant  qu'il  reste  une  des  têtes 
désignées,  la  rente  subsiste  seulement  au  lieu  de  se  diviser  entre 
tous  les  stipulants  primitifs,  elle  se  divise  entre  ceux  qui  ont  con- 
servé le  droit  de  toucher  les  arrérages,  c'est-à-dire  entre  les  survi- 
vants. On  peut  dire  que  c'est  bien  là  l'intention  des  parties,  car  la 
stipulation  conjointe  montre  assez  sa  volonté  de  considérer  la  rente 
comme  une;   s'ils  l'avaient  considérée  comme  une  collection  de 
plusieurs  petites  rentes  existant  séparément  au  profit  et  sur  la  tête 
de  chacun  d'eux,  ils  auraient  agi  plus  naturellement  en  faisant 
autant  de  constitutions  qu'il  y  avait  de  créanciers. 

i87.  C'est  ordinairement  à  son  profit  que  celui  qui  four- 
nit le  prix  de  la  rente  la  fait  constituer,  sur  sa  tête  ou  sur 


T1T.  Xil.  DES  CONTRATS  ALÉATOIRES.  ART.   1975,  1973.       i6b* 

celle  d'une  ou  plusieurs  autres  personnes.  Toutefois,  comme 
il  n'est  pas  indistinctement  interdit  de  stipuler  pour  autrui 
(arl.  1121  ),  rien  n'empêche  celui  qui  fournit  le  prix  de  faire 
constituer  la  rente  au  profil  d'un  tiers.  Voy.  art.  1973,  al.  1. 

La  constitution  ainsi  faite  est  vraiment  à  litre  onéreux  à 
l'égard  des  deux  contractants-,  mais,  entre  celui  qui  fournit  le 
prix  et  le  tiers  qui  doit  en  profiler,  elle  a  les  caractères  d'une 
libéralité.  Toutefois  celle  libéralité,  n'étant  qu'une  des  clauses 
du  contrat  principal,  n'est  point  assujettie  aux  formes  des 
donations.  Au  reste,  celle  voie  indirecte  ne  devant  pas  êlre 
un  moyen  d'éluder  les  règles  sur  la  capacité  de  recevoir  ou 
sur  la  disponibilité,  la  rente  est  ici,  comme  au  cas  de  consti- 
tution à  litre  purement  gratuit,  soumise,  s'il  y  a  lieu,  à  ré- 
duction ou  à  nullité.  V.  art.  1973,  al.  dernier-,  v.  aussi 
art.  843. 

Observons,  au  reste,  que  la  nullité  ou  réduction  ne  saurait 
décharger  le  constituant,  qui  devrait  alors  servir  la  rente  au 
profit  du  stipulant  ou  de  ses  héritiers. 

187  bis.  I.  Nous  avons  expliqué,  au  tome  V,  comment  l'article  1121 
ne  fait  point  obstacle  à  la  validité  d'une  convention  par  laquelle 
Pierre  transférant  à  Paul  la  propriété  d'une  somme  d'argent,  charge 
celui-ci  de  payer  quelque  chose  et  notamment  une  rente  viagère  à 
Jacques.  Nous  avons  dit  que  la  convention  au  profit  d'un  tiers  n'est 
dénuée  d'effet  qu'autant  qu'elle  est  destituée  de  sanction,  et  les 
exceptions  auxquelles  l'article  1121  soumet  sa  règle%nous  montrent 
la  convention  valable  dans  des  cas  où  le  promettant  peut  être 
atteint  d'une  certaine  manière,  s'il  n'exécute  pas  la  convention.  Au 
cas  de  donation,  le  promettant  est  exposé  à  la  révocation  pour 
cause  d'inexécution  des  charges;  dans  le  cas  qui  nous  occupe,  le 
moyen  de  coercition  est  analogue ,  car  il  s'agit  d'un  contrat  à  titre 
onéreux,  et  celui  qui  a  fourni  l'argent  trouve  dans  l'article  1184 
une  arme  contre  le  promettant  qui  ne  ferait  pas  les  prestations  pro- 
mises (1). 

187  bis.  II.  Quant  à  la  question  de  forme,  elle  a  été  également 
traitée  sur  l'article  1121.  Le  contrat  principal  entre  Pierre  et  Paul 

(1)  V.  t.  V,  n°  33  bis.  1. 


170  COUKS   ANALYTIQUE    DE    CODE   CIVIL.    LIV.    III. 

est  à  titre  onéreux,  il  se  trouve  que  l'exécution  de  la  promesse  faite 
par  Paul  procurera  à  Jacques  un  avantage  gratuit,  ceci  est  un  acci- 
dent qui  ne  change  pas  les  caractères  du  contrat  passé  entre  Pierre 
et  Paul;  donc  ce  contrat  n'est  pas  soumis  aux  règles  particulières 
qui  régissent  la  forme  des  donations  (1). 

Quant  au  fond,  la  clause  qui  concerne  le  tiers  a  bien  les  caractères 
d'une  libéralité,  et  c'est  pour  cela  que  l'article  1973  la  déclare  sou- 
mise aux  règles  sur  la  capacité  et  la  réduction  ;  nous  pouvons  dire 
d'une  façon  plus  générale,  aux  règles  de  la  matière  des  donations, 
par  exemple  à  la  révocation  pour  ingratitude  ou  pour  survenance 
d'enfant. 

187  bis.  III.  Tant  que  le  tiers  n'a  pas  accepté  l'offre  qui  résulte 
de  la  stipulation  à  son  profit,  cette  offre  peut  être  rétractée.  Nous 
avons  examiné,  au  tome  V,  n°  33  bis.  VI  et  VII,  les  questions  que 
soulève  ce  droit  de  révocation,  et  au  n°  33  bis.  VIII,  les  conséquences 
de  la  mort  du  stipulant  survenue  avant  que  le  tiers  ait  accepté  l'offre. 

188.  L'existence  d'une  personne  sur  la  tête  de  laquelle  la 
rente  soit  établie  est  évidemment  de  l'essence  du  contrat  de 
rente  viagère;  car  autrement  l'obligation  du  constituant 
n'aurait  point  d'objet,  et  le  prix  serait  fourni  sans  cause.  Si 
donc,  par  erreur,  la  rente  était  créée  sur  la  tête  d'une  per- 
sonne déjà  morte,  il  est  clair  que  le  contrat  ne  produirait 
aucun  effet.  V.  art.  1974. 

188  bis.  Il  faut  bien  comprendre  comment  on  dit  que  la  rente, 
constituée  sur  la  tète  d'une  personne  décédée,  manque  d'objet.  Ce 
n'est  pas  que  la  personne  dont  il  s'agit  soit  l'objet  du  contrat  ou 
de  l'obligation,  ce  n'est  pas  non  plus  que  le  droit  soit  établi  sur  cette 
personne  comme  une  hypothèque  sur  un  immeuble  ;  c'est  par  un 
tout  autre  raisonnement  qu'on  arrive  à  la  formule  employée  par 
M.  Demante.  Toute  obligation  doit  avoir  un  objet;  l'objet,  c'est  ce 
que  le  débiteur  s'oblige  à  donner,  à  faire  ou  à  ne  pas  faire.  Il  n'y  a 
pas  d'obligation  quand  il  n'est  astreint  à  rien  donner  ni  à  rien  faire. 
Or,  promettre  de  payer  100  francs  par  an  pendant  la  vie  de  Pierre, 
c'est  ne  rien  promettre  si  Pierre  est  mort  au  moment  de  la  promesse, 
car  il  est  certain  qu'aux  termes  mêmes  de  la  convention ,  le  pro- 
mettant n'a  et  n'aura  jamais  rien  à  payer,  la  vie  de  Pierre  ayant 

(1)  V.  t.  V,  n°33  6ù.  V. 


TH.  XII.  DES  COiNTKATS  ALÉATOIRES.  AhT.  1^73-1975         171 

cessé  avant  la  promesse  et  ne  pouvant  plus  recommencer  dans 
l'avenir.  Donc,  la  promesse  manque  d'objet  en  ce  sens  qu'il  n'est 
rien  que  le  promettant  se  soit  engagé  à  donner  ou  à  faire.  Ce  dé- 
faut d'objet  annule  non-seulement  l'obligation  du  promettant,  mais 
celle  de  l'autre  partie,  puisque  celle-ci  a  pour  cause  l'obligation  de 
son  cocontractant.  Si  cette  seconde  partie  ne  s'est  pas  obligée,  mais 
a  payé  comptant,  c'est  le  paiement  fait  qui  manque  de  cause  et  qui 
peut  être  répété. 

189.  La  cause,  sans  être  entièrement  fausse,  serait  cepen- 
dant entachée  d'une  erreur  substantielle,  si  la  personne, 
quoique  vivante,  était  déjà  atteinte  de  la  maladie  qui  devait 
certainement  et  prochainement  la  conduire  au  tombeau.  On 
a  donc  toujours  assimilé  ce  cas  a  celui  de  mort  au  temps  du 
contrat;  mais  l'application  du  principe  pouvant  donner  lieu  a 
beaucoup  de  difficultés,  la  loi,  pour  simplifier,  a  fixé  un  délai 
dans  lequel  la  mort  survenue  depuis  le  contrat  l'annulera, 
pourvu  qu'elle  provienne  de  la  maladie  dès  lors  existante  :  ce 
délai  est  de  vingt  jours.  V.  art.  1975. 

189  bis.  I.  L'explication  que  M.  Demante  donne  de  l'article  i  975, 
et  qu'il  emprunte  à  Pothier  (1),  a  pour  résultat  de  traiter  la  nullité 
fondée  sur  cet  article,  comme  une  annulabilité,  tandis  que  la  nullité 
qui  résulte  de  l'article  précédent  constitue,  de  l'aveu  de  tous,  une 
nullité  pour  absence  de  cause,  c'est-à-dire  une  nullité  radicale.  Ce 
résultat  de  la  doctrine  est,  il  faut  l'avouer,  quelque  peu  bizarre, 
car  les  deux  articles  qui  traitent  des  deux  hypothèses  paraissent 
inspirés  de  la  même  pensée,  et  leurs  termes  ne  permettent  guère  de 
voir,  dans  leurs  dispositions,  la  consécration  de  deux  nullités  de 
nature  différente.  L'article  1974  dit  :  le  contrat  ne  produit  aucun 
effet,  et  l'article  suivant  commence  par  ces  mots  :  //  en  est  de  même 
du  contrat  par  lequel,  etc.  C'est  bien  à  dire  :  Le  second  contrat, 
comme  le  premier,  ne  produit  aucun  effet. 

189  bis.  II.  Cette  comparaison  des  textes  n'établit  qu'un  préjqgé 
contre  la  doctrine  de  Pothier  et  de  M.  Demante.  Mais  quand  on 
examine  cette  doctrine  au  fond,  on  doit  arriver  à  cette  conclusion 
qu'elle  est  inadmissible.  C'est  la  théorie  de  la  substance  qui  est 
ici  intéressée,  donc  il  faut  remonter  aux  principes  qui  régissent 

(1)  V.  Polhier,  n°  223,  Traité  de  la  constitution  de  rente. 


172  COURS   ANALYTIQUE    LE   CODE   CIVIL.    LIV.    III. 

l'erreur  sur  la  substance  de  la  chose.  Ces  principes,  tels  qu'ils  sont 
appliqués  par  Pothier  lui-même,  condamnent  le  système.  L'erreur, 
d'après  l'article  1110,  doit,  pour  être  une  cause  de  nullité,  porter 
sur  la  substance  même  de  la  chose  qui  fait  l'objet  de  l'obligation. 
L'objet  de  l'obligation  du  débiteur,  c'est  une  rente  viagère,  un 
droit  qui  doit  durer  pendant  toute  la  vie  d'une  personne  détermi- 
née. Une  vie  menacée  par  une  maladie  grave  est-elle  une  vie? 
Un  malade,  un  moribond,  est-il  un  mort?  La  réponse,  affirmative  à 
la  première  question,  négative  à  la  seconde,  n'est  pas  douteuse. 
Donc  un  droit  naît  de  la  convention,  et  c'est  bien  un  droit  subordonné 
à  la  vie  et  à  la  mort  de  la  personne  déterminée,  c'est  en  substance 
le  droit  que  voulait  acquérir  le  stipulant,  ce  droit-là  et  non  pas  un 
autre.  L'erreur  porte  sur  une  qualité,  le  droit  n'a  pas  grandes 
chances  de  durée,  mais  cette  qualité  n'est  pas  substantielle,  puis- 
qu'il est  de  l'essence  de  la  rente  viagère  d'être  soumise  à  des  éven- 
tualités d'extinction  très-dangereuses  pour  le  rentier.  L'erreur  est 
semblable  à  celle  d'un  acheteur  qui  se  trompe  sur  l'âge  d'un  cheval 
et  qui  est  exposé  à  voir  ce  cheval  mourir  beaucoup  plus  tôt  qu'il 
ne  le  pensait.  L'objet  vendu  est  toujours  un  cheval,  seulement  il  est 
de  mauvaise  qualité,  ainsi  que  le  dit  Potbier  à  propos  d'un  cheval 
qui  ne  peut  pas  marcher,  d'une  montre  dont  les  rouages  ne  fonc- 
tionnent pas,  ou  d'un  livre  d'un  mérite  au-dessous  du  médiocre  (1). 
L'exemple  que  cite  Pothier  au  numéro  précité  du  Traité  de  la  con- 
stitution de  rente  ne  peut  pas  servir  à  trancher  la  question  parce 
qu'il  est  lui-même  sujet  à  controverse.  On  n'annulera  pas  toujours 
la  vente  de  chandeliers  argentés  pour  des  chandeliers  d'argent  ;  cela 
dépendra  de  la  question  de  savoir  si  l'on  a  vendu  et  acheté  ces 
chandeliers  comme  de  l'argent,  n'ayant  pas  d'autre  valeur  que  celle 
du  métal;  les  chandeliers  alors  sont  comme  des  lingots;  ou  si  on 
les  a  vendus  pour  leur  forme,  leur  ciselure,  leur  style,  leur  anti- 
quité; alors  ils  ont  été  présentés  comme  un  objet  tout  autre  qu'un 
simple  morceau  de  métal,  et  l'erreur  sur  la  matière  première  n'est 
plus  une  erreur  sur  la  substance  (2).  En  est-il  de  même  de  la  rente 
dont  nous  parlons?  a-t-elle  pu  être  considérée  comme  autre  chose 
qu'une  rente  viagère,  et  l'erreur  ne  porte-t-elle  pas  seulement  sur 
les  chances  de  durée  du  droit,  c'est-à-dire  sur  une  simple  qualité 
dont  l'absence  ne  change  pas  la  nature  de  la  chose  ? 

(1)  V.  Pothier,  Obligations,  nos  19,  20. 

(2)  V.  t.  V,  n8  1G  bit.  II. 


TIT.    XII.'   DES   CONTRATS   ALÉATOIRES.    ART.    1975.       173 

189  bis.  III.  Ce  n'est  donc  pas  sur  la  théorie  de  l'erreur  qu'il  faut 
appuyer  l'article  1G79;  il  dérive  des  mêmes  idées  que  l'article  pré- 
cédent; seulement,  il  se  rattache  à  la  théorie  de  la  cause  par  une 
décision  arbitraire  de  la  loi.  Le  législateur,  par  des  considérations 
faciles  à  comprendre,  a  considéré  la  cause  comme  inexistante,  parce 
que  l'objet  de  l'obligation  du  débiteur  de  la  rente  existe  si  peu 
qu'on  doit  l'assimiler  à  un  objet  qui  n'existe  pas. 

C'est  une  règle  générale  de  la  matière  de  l'objet  des  obligations 
que  l'objet  de  l'obligation  soit  de  nature  à  être  de  quelque  utilité 
au  stipulant,  que  l'obligation  n'existe  pas  quand  le  prétendu  dé- 
biteur n'est  pas  lié,  et  qu'il  n'est  pas  lié  quand  il  a  relativement  à 
l'objet  dû  une  liberté  telle  qu'il  peut,  sans  sortir  des  termes  de  la 
convention,  livrer  une  chose  inutile  et  sans  valeur;  c'est  ainsi  qu'il 
n'est  pas  lié  par  la  promesse  de  donner  un  animal,  une  pierre,  sans 
autre  désignation  (1). 

189  bis.  IV.  Les  rédacteurs  du  Code  ont  considéré  la  rente  viagère, 
dans  l'hypothèse  qui  nous  occupe,  comme  n'étant  pas  un  objet 
sérieux  d'obligation,  ne  procurant  aucune  utilité  au  créancier,  n'im- 
posant aucun  sacrifice  réel  au  débiteur;  cette  appréciation,  qu'un 
interprète  ou  un  juge  n'aurait  peut-être  pas  eu  le  pouvoir  de  faire, 
leur  est  imposée  par  une  décision  formelle  de  la  loi,  fondée  sur  des 
raisons  d'utilité  pratique  et  d'équité  incontestables. 

Donc  il  s'agit  d'une  nullité  du  contrat  fondée  sur  ce  que  l'une 
des  obligations  a  un  objet  qui,  d'après  une  disposition  légale,  ne  peut 
pas  être  l'objet  d'une  obligation;  l'autre,  par  conséquent,  manque 
de  cause. 

189  bis.  V.  La  discussion  à  laquelle  nous  venons  de  nous  livrer  n'a 
pas  seulement  un  intérêt  théorique,  et  la  solution  que  nous  avons 
donnée  entraîne  des  conséquences  pratiques  importantes.  D'abord 
l'action  en  nullité  existera  alors  même  que  le  stipulant  aurait  su  que 
la  personne  sur  la  tète  de  laquelle  la  rente  est  établie  était  atteinte 
d'une  maladie  mortelle,  l'article  1975  ne  parle  pas,  en  effet,  de  la  con- 
dition d'erreur  que  Pothier  supposait  dans  l'espèce  qu'il  examinait; 
secondement,  cette  action  ne  s'appuie  pas  sur  l'article  1304. 
Enfin,  il  ne  sera  pas  possible  de  renoncer  dans  le  contrat  à  l'appli- 
cation de  l'article  197o,  ce  qu'on  devrait  considérer  comme  licite  si 
l'on  fondait  la  nullité  sur  l'erreur,  car  l'allégation  d'erreur  ne  pour- 

(î)  V.  t.  V,u°'41  et  43  bis.  I 


174  COUHS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

rait  pas  se  produire  en  présence  d'une  pareille  convention.  Nous 
ferons  remarquer  l'avantage  pratique  de  notre  décision,  car  elle 
prévient  le  danger  de  clauses  qui  pourraient  devenir  fréquentes, 
et  dont  l'usage  anéantirait  en  fait  les  pages  dispositions  de  l'article 
1975. 

189  bis.  VI.  Nous  trouvons  aussi  dans  notre  doctrine  la  raison  de 
décider  une  question  que  l'article  1975  a  laissée  dans  l'ombre.  Si  la 
rente  viagère  a  été  constituée  sur  plusieurs  tètes,  et  que  l'une  des 
personnes  désignées  soit  morte  dans  les  vingt  jours,  d'une  maladie 
dont  elle  était  atteinte  au  moment  du  contrat,  nous  pensons  que 
cette  circonstance  sera  sans  influence  sur  la  validité  de  la  constitu- 
tion ;  en  effet,  on  ne  peut  pas  dire  que  l'obligation  du  débiteur  man- 
quait d'objet,  puisqu'il  s'obligeait  pour  toute  la  vie  d'une  ou  plusieurs 
personnes  autres  que  le  décédé,  et  que  par  conséquent  il  se  liait 
par  le  contrat,  il  promettait  quelque  chose  de  sérieux,  une  prestation 
onéreuse  pour  lui  et  utile  pour  le  créancier;  la  circonstance  que 
l'objet  promis  a  perdu  quelque  peu  de  sa  valeur  n'est  pas  destruc- 
tive de  l'objet  lui-même;  elle  ne  doit  pas  entraîner  la  nullité  de 
l'obligation  (1). 

189  bis.  VII.  Il  faut  bien  préciser  les  conditions  de  la  nullité  dont 
s'occupe  l'article  1975.  Elles  sont  au  nombre  de  trois  :  1°  l'exis- 
tence de  maladie;  2°  le  décès  dans  les  vingt  jours  du  contrat;  3°  le 
décès  étant  la  conséquence  de  la  maladie.  Par  conséquent,  dès  qu'il 
s'est  écoulé  plus  de  vingt  jours  depuis  le  contrat,  le  contrat  est 
valable;  mais  il  ne  suffit,  pour  qu'il  soit  nul,  que  le  décès  se  pro- 
duise dans  les  vingt  jours;  il  faut,  en  outre,  qu'il  résulte  d'une 
maladie  existant  au  jour  du  contrat.  SI  donc  la  personne  sur  la  tète 
de  laquelle  la  rente  est  constituée  était  atteinte  d'une  maladie  pré- 
sumée mortelle  au  jour  du  contrat,  le  contrat  ne  serait  pas  nul, 
alors  même  qu'elle  mourrait  dans  les  vingt  jours,  dans  le  cas  où  la 
mort  serait  occasionnée  par  un  accident  indépendant  de  la  maladie. 

189  bis.  VIII.  Les  dispositions  de  Code  civil,  en  subordonnant  dans 
certaines  circonstances  la  validité  du  contrat  de  rente  viagère  à  la 
relation  entre  la  date  de  la  constitution  et  celle  d'un  événement  dé- 
terminé, la  mort  d'une  personne  (art.  1974),  l'existence  chez  une 
personne  d'une  maladie  ou  sa  mort  (art.  1975),  ont  négligé  de  s'ex- 


(1)  V.  C.  C,  6  février  1866.  Sirey,  1866.  1-192.  C.  Bordeaux,  15  août  1872. 
Sirey,  1873,  1,15. 


TIT.  III.  DES  CONTRATS  ALÉATOIRES.  ART.  1075,  1976.   175 

pliquer  sur  le  point  de  savoir  si,  pour  échapper  aux  nullités  qui  ré- 
sultent de  ces  deux  articles,  il  faut  que  l'acte  de  constitution  de 
rente  ait  une  date  certaine  antérieure  aux  deux  faits  prévus. 

On  comprend  les  fraudes  qui  pourraient  être  commises  au  moyen 
d'antidatés,  et  cette  possibilité  de  fraudes  a  dû  avoir  une  grande  in- 
fluence sur  la  pensée  des  auteurs  et  de  quelques  tribunaux  qui  ont 
exigé,  pour  la  validité  de  l'acte,  qu'il  eût  date  certaine.  Les  principes 
ne  commandent  pas  cette  solution,  et  nous  ne  devons  pas  ajouter 
aux  exigences  de  la  loi  :  l'existence  du  contrat  de  rente  viagère 
n'intéresse  que  les  parties  elles-mêmes,  le  stipulant  et  le  promet- 
tant, le  rentier  et  celui  qui  a  reçu  une  valeur  pour  s'obliger  à  payer 
la  rente.  C'est  cette  dernière  partie  qui  a  intérêt,  dans  les  hypothèses 
prévues,  à  demander  la  nullité  du  contrat.  Si  l'adversaire  oppose  un 
acte  sous  seings  privés  antérieur  au  décès  dans  le  cas  de  l'article 
1974,  ou  antérieur  soit  au  commencement  de  la  maladie,  soit  au 
vingtième  jour  avant  le  décès,  dans  le  cas  de  l'article  1975,  le  de- 
mandeur en  nullité  ne  peut  pas  invoquer  ce  fait  que  la  date  n'est 
pas  certaine,  car  il  est  partie  à  l'acte,  et  par  conséquent  l'acte 
même  sous  seings  privés  fait  foi  de  sa  date  à  son  égard  (art.  1322). 
C'est  uniquement  par  rapport  aux  tiers  que  les  actes  sous  seings 
privés  ont  besoin  d'acquérir  date  certaine  par  un  des  événements 
énumérés  dans  l'article  1328. 

189  bis.  IX.  En  rattachant  les  articles  1974  et  1975  à  la  théorie 
de  la  cause,  nous  avons  soustrait  à  l'application  de  ces  articles  les 
constitutions  de  rentes  viagères,  qui  n'ont  pas  le  caractère  du  contrat 
à  titre  onéreux,  mais  qui  sont  imposées  comme  charges  à  des  dona- 
taires. L'exécution  à  venir  des  charges  de  la  donation  n'est  pas  la 
cause  de  la  donation,  par  conséquent  le  fait  que  la  rente  ne  peut 
pas  prendre  naissance  ne  peut  annuler  la  donation,  c'est  un  événe- 
ment qui  augmente  plus  ou  moins  le  bienfait  conféré  au  donataire 
mais  la  donation  tout  entière  avait  pour  cause  la  libéralité  à  faire, 
et  l'accident  qui  rend  impossible  l'exécution  de  la  charge  ne  détruit 
pas  l'intention  généreuse  du  donateur. 

190.  Le  caractère  aléatoire  du  contrat  de  rente  viagère  ne 
permettait  pas  de  fixer,  comme  pour  la  rente  perpétuelle,  un 
taux  légal  a  sa  constitution.  Tout  ce  que  l'équité  demande, 
c'est  que  la  rente  soit  en  proportion  du  prix  fourni,  eu  égard 
à  la  prolongation  probable  de  la  vie  qui  doit  en  borner  la 


176  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

durée.  Mais  celte  probabilité  dépendant  d'une  foule  de  cir- 
constances, la  loi  a  dû  en  laisser  la  libre  appréciation  aux 
parties,  qui  peuvent  dès  lors  établir  la  rente  au  taux  qu'il 
leur  plaît  de  fixer.  V.  art.  1976. 

190  bis.  I.  S'il  ne  peut  pas  s'élever  de  difficultés  dans  l'hypothèse 
où  les  arrérages  de  la  rente  dépassent  l'intérêt  légal  de  l'argent,  il 
peut  au  contraire  naître  des  doutes  dans  le  cas  où  les  arrérages 
représentent  une  somme  inférieure  ou  égale  aux  intérêts  légaux. 
Pothier  le  faisait  déjà  remarquer,  le  contrat  n'est  plus  à  titre  oné- 
reux, il  procure  à  celui  qui  reçoit  le  capital,  moyennant  la  promesse 
de  payer  la  prestation  périodique,  un  avantage  purement  gratuit  ; 
jusqu'à  l'extinction  de  la  rente,  il  détient  un  capital  en  en  payant 
l'intérêt  légal;  mais  après  l'extinction  de  la  rente,  il  conserve  le 
capital  sans  avoir  rien  donné  en  échange,  puisque  ce  qu'il  a  donné 
jusque-là  n'est  que  la  représentation  de  la  jo'.iissonce  qu'il  avait. 
Le  contrat,  d'après  Pothier,  s'analyse  en  une  donation  de  la  pro- 
priété du  capital,  avec  réstrve  pour  le  donateur  de  l'usufruit  de 
ce  capital  sur  sa  tête  ou  sur  celle  d'un  tiers  (1).  Nous  ne  pensons  pas 
que  cet  aperçu  soit  juridiquement  exact,  bien  que  nous  acceptions 
les  conclusions  de  Pothier.  En  effet,  il  est  contraire  à  la  notion  de 
l'usufruit  des  choses  qui  se  consomment  de  considérer  comme 
usufruitière  la  partie  qui  a  aliéné  le  capital  et  qui  en  perçoit  en 
argent  les  intérêts.  D'après  l'article  587  du  Code  civil,  qui  reproduit, 
les  règles  du  droit  romain  sur  l'usufruit  earum  rerum  quœ  usu 
consumuntur,  l'usufruitier  acquiert  la  propriété  des  choses  et  devient 
débiteur  de  choses  pareilles  à  la  fin  de  l'usufruit.  Dans  notre  hypo- 
thèse, il  n'en  est  pas  ainsi  ;  le  contrat  transfère  la  propriété  à  celui 
qu'on  considère  comme  nu-propriétaire,  et  à  l'extinction  de  l'usu- 
fruit il  n'a  rien  à  restituer.  Nous  pensons  qu'il  est  plus  juridique  de 
présenter  le  contrat  que  nous  examinons  comme  un  prêt  à  intérêts, 
ayant  pour  terme  la  mort  d'une  certaine  personne  (ordinairement 
l'emprunteur),  accompagné  d'une  donation  du  capital  pour  l'époque 
de  l'échéance  du  prêt. 

190  bis.  II.  Il  n'est  pas  indifférent  d'analyser  le  contrat  comme  l'a 
fait  Pothier  ou  comme  nous  le  faisons  nous-même,  et  le  résultat 
pratique  auquel  conduisent  les  deux  doctrines  nous  paraît  confirmer 
celle  que  nous  venons  d'exposer.  Si  l'on  dit  en  effet  que  la  partie 

(!)  V.  Pothier,  n°  219. 


TIT.    XII.    DES   CONTRATS   ALÉATOIRES.    ART.    1976.       177 

qui  a  aliéné  le  capital  s'est  réservé  l'usufruit  de  ce  capital  pendant 
le  temps  que  doit  durer  la  rente,  on  sera  forcé  de  considérer  la  rente 
comme  éteinte  par  la  mort  de  cette  partie,  alors  même  qu'elle  serait 
assise  sur  la  tète  d'un  tiers,  car  il  est  de  l'essence  de  l'usufruit  de 
s'éteindre  par  la  mort  de  l'usufruitier.  Le  droit  du  stipulant  serait 
donc  exposé  à  deux  éventualités  :  la  mort  du  tiers,  qui  éteindrait 
la  rente,  et  sa  propre  mort,  qui  éteindrait  l'usufruit.  Telle  n'a  pas 
dû  être  évidemment  l'intention  des  parties  quand  on  aura  stipulé 
le  paiement  des  arrérages  jusqu'à  la  mort  d'un  tiers.  Dans  notre 
doctrine,  comme  nous  voyons  là  un  prêta  intérêts  jusqu'à  l'époque 
fixée  pour  l'extinction  de  la  prétendue  rente,  c'est-à-dire  jusqu'à  la 
mort  du  tiers,  il  ne  sera  pas  douteux  que  les  héritiers  du  stipulant 
puissent  toucher  jusqu'à  cette  mort  les  intérêts  d'un  capital  prêté. 

Nous  sommes  convaincu  que  c'est  faute  d'avoir  songé  à  cette 
hypothèse  rare,  et  pour  avoir  pensé  au  cas  habituel  où  le  rentier  se 
confond  avec  la  personne  sur  la  tète  de  qui  la  rente  est  assise,  que 
Pothier  s'est  contenté  de  la  raison  par  laquelle  il  justifie  sa  décision 
sur  le  caractère  gratuit  de  l'acte  dont  nous  venons  de  nous  occuper. 

190  bis.  III.  Pothier  tirait  de  sa  doctrine  une  autre  conséquence. 
L'acte  était  pour  lui  une  donation  manuelle,  et  il  le  validait  en  cette 
qualité  sans  aucune  condition  de  forme.  Nous  éprouvons  quelque 
scrupule  à  raisonner  ainsi,  car  la  donation  étant,  selon  nous,  une 
donation  à  terme,  n'a  pas  pu  être  faite  sous  forme  de  don  manuel; 
donnera  terme,  c'est  promettre;  promettre  une  somme  d'argent,  ce 
n'est  pas  effectuer  immédiatement  la  translation  de  propriété  de 
cette  somme.  Il  est  vrai  que  la  somme  est  remise  au  donataire  au 
moment  du  contrat,  mais  ce  n'est  pas  à  titre  de  donation,  c'est  à  titre 
de  prêt;  ce  qui  est  donné,  c'est  la  créance  née  du  prêt  et  qui  serait, 
sans  cette  donation,  exigible  à  une  certaine  époque;  or  une  créance 
ne  peut  pas  être  l'objet  d'un  don  manuel.  Il  nous  faut  donc,  pour 
dispenser  des  formes  de  la  donation  l'acte  que  nous  étudions,  nous 
appuyer  uniquement  sur  la  validité ,  admise  par  la  jurisprudence, 
des  donations  déguisées  sous  la  forme  de  contrats  onéreux.  Si  l'on 
rejetait  l'opinion  qui  soutient  cette  validité,  il  faudrait  annuler  le 
contrat  de  rente  viagère  dont  nous  parlons  en  tant  qu'il  attribue 
au  débiteur  de  la  rente  la  propriété  du  capital  après  l'extinction 
de  la  rente,  ce  qui  conduirait  à  annuler  l'acte  tout  entier,  parce  qu'il 
serait  difficile  de  le  scinder. 

1 90  bis.  IV.  On  peut  avoir  aussi  constitué  une  rente  viagère  moyen- 
vni.  12 


178  COURS  ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

liant  l'aliénation  d'un  immeuble,  et  le  taux  des  arrérages  est  peut-être 
manifestement  inférieur  au  revenu  de  l'immeuble.  Il  s'agira,  comme 
dans  l'hypothèse  précédente,  de  savoir  si  le  contrat  esta  titre  oné- 
reux ou  à  titre  gratuit. 

Nous  ferons  d'abord  remarquer  que  les  faits  n'apparaissent  pas 
ici  aussi  clairs  que  dans  l'autre  espèce,  car  si  l'on  peut  comparer 
avec  une  exactitude  mathématique  les  arrérages  d'une  rente  avec 
l'intérêt  légal  d'un  capital  en  argent,  il  est  bien  moins  sûr  de  com- 
parer les  arrérages,  c'est-à-dire  une  somme  fixe,  avec  le  revenu 
d'un  immouble,  chose  essentiellement  variable  et  aléatoire.  Une 
maison  peut  rester  longtemps  sans  locataire,  une  terre  est  exposée 
à  des  causes  d'infécondité  qui  durent  quelquefois  pendant  de  lon- 
gues années.  Au  temps  où  nous  vivons,  les  terres  cultivées  en 
vignes  ont  été  atteintes  par  un  fléau  dont  on  ne  peut  encore  aper- 
cevoir la  Gn.  Donc,  le  revenu  d'un  immeuble  est  profondément  in- 
stable. On  ne  peut  raisonner  que  sur  des  moyennes,  et  le  calcul 
des  moyennes  ne  donne  pas  toujours  la  vérité  vraie.  Par  ces  raisons, 
il  faudra,  dans  la  plupart  des  cas,  laisser  à  l'acte  son  caractère  appa- 
rent; il  sera  doublement  aléatoire,  d'abord  parce  que  les  arrérages 
ne  seront  payés  que  pendant  la  vie  d'une  certaine  personne,  ensuite 
parce  que  le  débiteur  de  la  rente  sera  exposé  à  payer  ces  arré- 
rages pendant  des  années  où  le  fonds  sera  improductif. 

190  bis.  V.  Oii  doit  cependant  reconnaître  que  dans  certaines 
hypothèses  la  disproportion  entre  le  revenu  probable  et  les  arré- 
rages sera  trop  grande  pour  que  nous  ne  nous  rapprochions  pas  de 
l'hypothèse  examinée  à  propos  des  rentes  constituées  à  prix  d'argent. 
Alors,  il  faudra  bien  traiter  le  contrat  comme  une  convention  à 
titre  gratuit,  et  nous  l'analyserons  à  peu  près  comme  Pothier  a  ana- 
lysé la  convention  qu'il  étudiait.  Nous  ne  pouvons  pas  élever  ici 
ies  objections  que  nous  présentions  contre  sa  doctrine  et  que  nous 
imposaient  les  principes  sur  l'usufruit  des  choses  qui  se  consom- 
ment primo  usu.  Nous  pouvons  donc  considérer  l'opération  comme 
une  donation  de  l'immeuble  soumise  à  la  condition  de  payer  une 
rente  viagère;  ce  qui  entraînera  cette  conséquence  que  l'acquéreur 
sera  soumis  aux  règles  sur  le  rapport  et  la  réduction,  dans  les  con- 
ditions où  elles  s'appliquent  aux  donations  avec  charges. 

On  comprend  pourquoi  nous  ne  voyons  pas  dans  l'acte  une 
aliénation  de  la  nue- propriété  avec  réserve  de  la  jouissance  en 
faveur  du  donateur,  c'est  que  le  donateur  n'a  pas  la  jouissance  en 


T1T.  XII.  DES  CONTRATS  ALÉATOIRES.  ART.  197(3,  19/7.   179 

nature  et  que  sur  ce  point  nous  nous  éloignons  de  l'idée  émise  par 
Pothier  à  propos  de  la  rente  constituée  moyennant  l'aliénation  d'un 
capital  en  argent.  De  là  découlera  la  conséquence  que  nous  avons 
tirée  de  notre  doctrine  au  n°  190  bis.  II,  pour  le  cas  où  la  rente 
viagère  est  constituée  sur  la  tète  d'un  tiers. 

190  bis.  VI.  La  validité  de  l'acte  que  nous  examinons,  lorsqu'il 
n'a  pas  été  fait  dans  les  formes  des  donations  entre- vifs,  ne  pourra 
résulter  que  de  la  doctrine  qui  valide  les  donations  déguisées,  car, 
puisqu'il  s'agit  d'immeubles,  nous  sommes  tout  à  fait  en  dehors  de 
la  théorie  des  dons  manuels. 

SECTION   IT. 

Des  effets  du  contrat  entre  les  parties  contractantes. 

19! .  Ces  effets  sont  envisagés  ici  sous  trois  rapports  : 

1*  Quant  à  l'aliénation  du  capital  fourni  au  constituant 
(art.  1977,1978)-, 

2°  Quant  aux  arrérages  que  le  rentier  doit  percevoir  (art. 
1979-1981); 

3°  Quant  a  la  durée  de  la  rente  (art.  1981). 

192.  L'aliénation  du  capital  formant  le  prix  de  la  rente  via- 
gère est  plus  complète  encore  que  dans  la  constitution  de  rente 
perpétuelle-,  car  elle  a  lieu  sans  aucun  espoir  de  recouvre- 
ment. Toutefois  cette  aliénation  n'étant  point  pure  et  simple, 
il  est  conforme  aux  principes  qu'elle  puisse  être  révoquée 
pour  inexécution  des  conditions  sous  lesquelles  elle  a  élé 
consentie.  La  loi  applique  celte  règle  au  cas  où  le  constituant 
ne  donne  pas  a  celui  qui  a  fourni  le  prix  les  sûretés  stipu- 
lées par  le  contrat  :  elle  autorise  en  conséquence  celui-ci  à 
demander  la  résiliation.  Y.  art.  1977. 

192  bis.  I.  L'article  1977  contient  une  application  de  l'article 
1184.  La  condition  résolutoire,  au  cas  d'inexécution  par  l'une  des 
parties  de  ses  engagements,  est  sous-entendue  dans  les  contrats 
synallagmatiques  et  dans  ceux  qui  sont  à  titre  onéreux  sans  être 
synallagmatiques.  Voici  pourquoi  l'aliénateur  du  capital  qui  a  sti- 
pulé des  garanties  peut  redemander  son  capital  quand  les  garan- 

12. 


180  COURS   ANALYTIQUE  DE    CODE    CIVIL.    L1V.    11!. 

ties  ne  sont  pas  fournies.  La  restitution  de  ce  capital  est  la  consé- 
quence de  la  résolution  du  contrat. 

Les  questions  de  détail  qui  peuvent  s'élever  à  l'occasion  de  cette 
demande  en  résolution,  par  exemple,  celles  de  savoir  si  les  sûretés 
peuvent  èlre  fournies  pendant  l'instance,  si  la  mort  de  celui  sur  la 
tète  de  qui  la  rente  est  constituée  éteint  l'action  en  résolution,  et 
d'autres  semblables,  doivent  être  résolues  comme  elles  l'ont  été 
,  sur  l'article  1184.  Leur  solution  est  imposée  par  le  principe  que  la 
condition  résolutoire  tacite  n'opère  pas  de  plein  droit  et  qu'elle  a 
besoin  d'être  prononcée  par  le  juge  (1). 

192  bis.  IL  II  faudrait  assimiler  celui  qui  détruit  les  sûretés  don- 
nées à  celui  qui  ne  fournit  pas  les  sûretés  promises.  Le  fait  qu'il 
commet  est  certainement  un  manquement  à  son  engagement,  car 
promettre  de  donner  une  sûreté,  c'est  également  promettre  de  la 
laisser  subsister,  c'est-à-dire  de  ne  rien  faire  pour  la  détruire.  Il 
est  bon  de  citera  l'appui  de  cette  solution  l'article  1188;  non  pas 
qu'il  soit  applicable  dans  son  texte,  car  il  traite  d'un  débiteur  à 
terme,  et  le  débiteur  d'une  rente  n'est  aucunement  débiteur  du 
capital,  mais  il  existe  une  analogie  frappante  entre  le  cas  de  l'ar- 
ticle 1188  et  celui  que  nous  examinons;  cette  analogie  confirme 
le  raisonnement  que  nous  appuyons  sur  l'article  1184. 

192  bis,  III.  11  arrive  ordinairement,  quand  un  contrat  est  résolu 
pour  inexécution  des  obligations  de  l'une  des  parties,  que  le  con- 
tractant qui  obtient  cette  résolution  doit  restituer  ce  qu'il  a  reçu, 
les  acomptes  payés,  puisque  la  condition  accomplie  doit  remettre 
les  cboses  au  même  état  que  si  le  contrat  n'avait  pas  été  fait.  Il  en 
sera  autrement  ici,  à  cause  du  caractère  particulier  du  contrat  de 
rente  viagère.  Si  le  rentier  a  reçu  des  arrérages  échus  avant  le 
jugement  qui  prononce  la  résolution,  il  ne  devra  pas  les  rendre, 
parce  qu'ils  sont  la  représentation  du  risque  qu'il  a  couru  pendant 
le  temps  qui  s'est  écoulé  depuis  la  convention  jusqu'à  la  résolution. 
Il  risquait  de  perdre  le  capital  aliéné  s'il  mourait  ou  si  le  tiers  sur 
la  tète  de  qui  la  rente  était  constituée  mourait.  Il  n'est  pas  par  con- 
séquent dans  la  position  d'un  vendeur  qui,  ayant  reçu  des  acomptes, 
reprend  néanmoins  et  à  tout  événement  l'immeuble  vendu  :  celui- 
ci  garderait  les  acomptes  sine  causa,  tandis  que  l'acquisition  des 
arrérages  par  celui-là  a  une  cause. 

(1)  V.  t.  V,n«104et  104i«* 


TIT.  XII.  DES  CONTRATS  ALÉATOIRES.  ART.  1977,  1978.   181 

193.  Le  même  principe  semblerait  autoriser  la  résiliation, 
à  défaut  de  paiement  de&arrérages  (v.  à  ce  sujet  art.  1184, 
1912).  Mais,  eu  égard  aux  graves  inconvénients  qu'entraîne 
en  cette  matière  la  résiliation,  par  la  difficulté  de  régler  équi- 
lablement  les  droits  des  parties,  la  loi  ne  veut  pas  qu'elle  soit 
appliquée  pour  cette  cause,  moins  favorable  en  effet  que  la 
précédente,  puisqu'on  peut  alors  imputer  au  stipulant  d'avoir 
trop  légèrement  suivi  la  foi  du  constituant.  Ces  motifs,  au 
surplus,  élant  communs  à  la  constitution  de  rente  à  prix  d'ar- 
gent et  a  la  constitution  pour  une  aliénation,  les  deux  cas, 
sous  ce  rapport,  sont  assimilés  (nonobstant  article  16oi). 
Dans  l'un  comme  dans  l'autre,  il  ne  reste  doue  au  rentier 
que  la  ressource  de  forcer  a  l'exécution  de  la  convention.  A 
cet  effet,  il  peut,  comme  de  raison,  faire  saisir  et  vendre  les 
biens  de  son  débiteur,  et  faire  ensuite  ordonner  ou  consentir 
l'emploi  d'une  somme  suffisante  pour  le  service  des  arré- 
rages. V.  art.  1978. 

193  bis.  I.  L'article  1878  se  lie,  comme  l'article  précédent,  à  la 
théorie  de  l'article  1184;  seulement  il  ne  l'applique  qu'avec  une 
certaine  réserve.  Il  paraît  d'abord  soustraire  complètement  le  con- 
trat de  rente  viagère  à  la  règle  sur  la  condition  résolutoire  tacite, 
mais  ce  n'est  là  qu'une  apparence.  En  effet,  il  dit  bien  que  le  défaut 
de  paiement  des  arrérages,  c'est-à-dire  l'inexécution  de  l'obligation 
du  débiteur,  n'entraînera  pas  la  restitution  du  capital  ou  du  fonds 
aliéné,  mais  il  ne  se  borne  pas  à  cette  décision,  il  permet  de  faire 
saisir  et  vendre  les  biens  du  débiteur  pour  fournir  au  créancier 
non  pas  seulement  les  sommes  dues  par  arrérages  échus,  mais  un 
capital  qui  sera  employé  pour  assurer  le  paiement  des  arrérages. 
Cette  seconde  décision  de  l'article  s'inspire  bien  du  principe  de  la 
résolution,  car  elle  détruit  le  contrat  en  ceci  que,  ne  laissant  plus 
le  débiteur  maître  de  payer  petit  à  petit  des  annuités,  elle  lui 
impose  la  prestation  immédiate  d'un  capital  considérable.  Ce  n'est 
pas  toutefois  la  résolution  véritable,  car  ce  capital  ne  devient  pas 
la  propriété  du  créancier  de  la  rente,  il  est  placé  de  manière 
que  le  débiteur  poursuivi  en  reste  nu-propriétaire,  en  sorte  qu'il 
n'est  pas  perdu  pour  lui.  L'article  consacre  donc  une  sorte  de  trans- 
action entre  le  droit  que  le  créancier  puiserait  dans  l'article  1184 


182  COURS  ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

et  le  droit  qu'aurait  le  débiteur  si  l'on  avait  absolument  répudié  la 
théorie  de  la  résolution. 

193  bis.  II.  11  faut  maintenant  se  demander  pourquoi  le  législa- 
teur n'a  pas  fait  ici  une  application  pure  et  simple  de  l'article  1184. 
Il  a  été  impressionné  par  le  caractère  aléatoire  du  contrat,  et  il  n'a 
pas  cru  qu'il  fût  possible  de  remettre,  par  une  résolution,  les  choses 
au  même  et  semblable  état  que  si  le  contrat  n'avait  pas  eu  lieu.  Le 
créancier  a  touché  pendant  un  certain  temps  les  arrérages;  les  ren- 
drait-il en  reprenantson  capital?  Il  ne  peut  en  être  ainsi,  card'abord 
il  pourrait  être  ruiné  par  la  restitution  d'arrérages  qu'il  a  légitime- 
ment consommés,  et  de  plus,  s'il  les  conserve ,  il  ne  les  conserve 
pas  sans  cause,  puisqu'il  a  couru  le  risque  de  perdre  son  capital  par 
une  mort,  survenue  peu  de  temps  après  le  contrat,  alors  que  peu  de 
termes  d'arrérages  avaient  été  payés.  S'il  ne  restitue  pas  les  arré- 
rages qui,  remarquons-le  bien,  sont  supérieurs  à  l'intérêt  légal,  il 
est  injuste  de  priver  le  débiteur  de  la  rente  du  droit  qu'il  a  de  con- 
server le  capital  intact  lorsque  survient  l'extinction  normale  de  la 
rente  viagère.  Rendre  le  capital  au  rentier  quand  il  a  vieilli,  c'est 
lui  rendre  en  un  sens  beaucoup  plus  qu'il  n'a  donné,  puisqu'il 
pourrait  placer  ce  capital  à  un  taux  beaucoup  plus  élevé  que  lors 
du  premier  contrat,  c'est-à-dire  il  y  a  dix  ou  vingt  ans  peut-être. 
Voilà  ce  qui  empêche  le  législateur  d'appliquer  ici  dans  sa  rigueur 
le  principe  de  la  résolution  du  contrat  au  cas  d'inexécution  des 
obligations. 

193  bis.  III.  il  ne  l'a  pas  cependant  toutà  fait  abandonné,  puisqu'il 
permet  au  créancier  de  poursuivre  autre  chose  que  le  paiement  des 
arrérages  échus.  Reste  à  dire  quel  doit  être  le  résultat  de  ces 
poursuites.  Le  créancier  saisit  et  fait  vendre  les  biens  de  son  débi- 
teur; mais  comme  il  n'est  pas  créancier  d'un  capital,  il  ne  peut  pas 
être  directement  payé  sur  le  prix  de  vente  de  ces  biens.  Ce  prix 
doit  être  employé  pour  assurer  à  l'avenir  le  paiement  exact  des 
arrérages.  Le  but  auquel  tend  l'article  s'aperçoit  très-facilement,  il 
est  double,  assurer  le  paiement  des  arrérages  au  profit  du  créancier 
et  conserver  le  capital  au  débiteur,  pour  qu'il  le  retrouve  à  l'extinc- 
tion de  la  rente.  Ce  double  but  sera  ordinairement  atteint  par  un 
emploi  perpétuel;  par  exemple,  l'achat  d'une  rente  sur  l'État  pro- 
duisant annuellement  la  somme  à  laquelle  s'élevaient  les  arrérages 
de  la  rente  viagère.  Cette  rente  sera  affectée  en  nue  propriété  au 
débiteur  de  la  rente  viagère  et  en  jouissance  au  rentier  viager, 


TIT.  XII.  DES  CONTRATS  ALÉATOIRES.  ART.  1978.   183 

jusqu'au  décès  de  la  personne  sur  la  tète  de  laquelle  reposait  la 
rente  viagère. 

Ce  procédé  peut  n'être  pas  praticable,  car  il  demande  un  capital 
considérable,  et  les  biens  vendus  ont  peut-être  produit  une  somme 
inférieure;  par  exemple  si  la  rente  viagère  étant  de  450  francs,  les 
biens  ont  été  vendus  8,000  francs,  alors  qu'il  faudrait  10, 700  francs 
pour  acheter  450  francs  de  rente  4  1/2  pour  100  surlÉtat,  au  cours 
du  jour  (107  francs);  il  s'en  faut  de  2,700  francs  que  l'opération 
puisse  être  réalisée  dans  les  conditions  que  nous  avons  indiquées. 

Faudra-t-il  alors  employer  les  8,000  francs  en  rente  au  cours 
de  107  francs,  ce  qui  réduira  singulièrement  la  rente  viagère? Évi- 
demment non;  le  texte  de  l'article  1978  n'impose  pas  cette  solution. 
Ce  qu'il  ordonne,  c'est  l'emploi  d'une  somme  suffisante  pour  assurer 
le  service  des  arrérages;  donc  ce  qu'il  veut  avant  tout,  c'est  le  ser- 
vice des  arrérages,  c'est-à-dire  l'exécution  de  l'obligation  du  débi- 
teur. Que  l'emploi  se  fasse  en  perpétuel,  quand  il  est  possible,  pour 
sauvegarder  à  la  fois  les  intérêts  du  créancier  et  du  débiteur,  c'est 
le  vœu  de  la  loi;  mais  quand  les  deux  intérêts  sont  inconciliables, 
il  est  clair  que  l'intérêt  du  créancier  prédomine  en  ce  sens  qu'il  peut 
exiger  l'exécution  de  l'obligation,  alors  même  que  cette  exécution 
est  onéreuse  pour  le  débiteur  qui  a  manqué  à  ses  engagements.  On 
devra  donc,  en  pareil  cas,  faire  l'emploi  en  viager  pour  faire  autant 
que  possible  produire,  par  le  prix  de  vente  des  biens,  une  somme 
égale  aux  arrérages  de  la  rente  viagère. 

193  bis.  IV.  Quelquefois  le  créancier  et  le  débiteur  s'entendront 
pour  que  celui-ci  abandonne  à  celui-là,  en  propriété,  un  capital 
représentant  la  valeur  du  droit  de  rente  viagère.  Les  conventions 
sont  libres,  mais  cette  combinaison  ne  peut  être  imposée  ni  au 
débiteur  ni  au  créancier.  Elle  ne  peut  l'être  au  débiteur,  qu'elle 
prive  de  son  capital,  tandis  qu'il  ne  doit  que  des  arrérages,  ni  au 
créancier,  qui  a  le  droit  de  préférer  ce  qu'on  lui  a  promis,  une  pres- 
tation périodique,  à  un  capital  dont  le  placement  au  taux  nécessaire 
pour  reconstituer  la  rente  ne  lui  sera  peut-être  pas  facile. 

193  bis.  V.  On  a  quelquefois  admis  une  combinaison  qui  consiste 
à  ordonner  que  le  créancier  de  rente  viagère  aura  l'hypothèque 
judiciaire,  non-seulement  pour  les  arrérages  échus,  ce  qui  va  de 
soi,  mais  pour  les  arrérages  à  venir.  Nous  pensons  que  la  légiti- 
mité de  cette  mesure  résulte  de  ce  que  nous  avons  rattaché  l'ar- 
ticle 1978  à  la  théorie  de  l'article  1184.  Si  la  décision  de  notre 


184  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

article  est  une  application  mitigée  de  la  règle  sur  la  condition  réso- 
lutoire tacite ,  les  tribunaux  ne  sont  pas  forcés  de  prononcer  cette 
résolution,  ils  peuvent  par  conséquent  accorder  des  délais  au  débi- 
teur ;  quand  ils  accordent  ces  délais,  ils  n'en  condamnent  pas  moins 
le  débiteur  à  l'exécution,  et  dès  lors  l'hypothèque  judiciaire  garantit 
cette  exécution.  C'est  ce  qu'ils  font  dans  l'hypothèse  que  nous  exa- 
minons, ils  constatent  l'existence  de  l'obligation  de  payer  des 
arrérages,  sans  exiger  immédiatement  le  placement  d'un  capital 
pour  en  assurer  le  paiement,  mais,  par  cette  constatation  de  l'obli- 
gation, ils  créent  l'hypothèque  judiciaire  destinée  à  la  garantir. 
Le  jugement  ressemble  à  une  décision  qui,  d'après  l'article  1184 
et  l'article  1244,  accorderait  au  débiteur  des  délais  pour  le  paie- 
ment (1). 

193  bis.  VI.  Nous  venons  de  tirer  une  conséquence  de  ce  fait, 
que  notre  article  dérive  de  l'article  1184;  en  voici  une  autre  très- 
importante.  Notre  article  n'est  pas  applicable  quand  la  rente  viagère 
a  été  constituée  à  titre  gratuit.  La  résolution  pour  inexécution  des 
engagements  suppose  un  contrat  à  titre  onéreux.  Rien  de  sem- 
blable ne  pourrait  se  présenter  au  cas  de  donation.  Il  s'agit,  bien 
entendu,  non  pas  d'une  donation  à  charge  de  rente  viagère,  mais 
d'une  donation  de  rente  viagère.  Le  donateur  a  donné  la  rente,  en 
promettant  de  payer  des  arrérages.  Il  ne  paie  pas,  on  a  certes  le 
droit  de  le  poursuivre,  mais  il  ne  peut  être  question  de  faire  résoudre 
la  donation,  car  cette  résolution  ne  saurait  aboutir  à  la  restitu- 
tion d'un  capital  qu'il  n'a  pas  reçu.  Quant  à  lui  demander  le  capi- 
tal comme  chose  due,  alors  même  que  ce  capital  devrait  être  placé, 
ce  serait  complètement  sortir  des  termes  de  la  convention,  car  le 
donateur  débiteur  n'a  jamais  promis  que  des  prestations  périodiques , 
et  les  juges  n'ont  pas  le  pouvoir  de  transformer  une  obligation 
alors  qu'elle  n'est  pas  exécutée.  Nous  ne  donnerions  même  pas  alors 
l'hypothèque  judiciaire  pour  les  arrérages  à  échoir,  car  ils  n'ont 
pas  pu  être  demandés,  à  moins  que,  sur  la  demande  d'arrérages 
échus,  le  donateur  n'ait  contesté  l'existence  de  la  dette,  ce  qui 
entraînerait  une  condamnation  portant  sur  la  rente  elle-même,  con- 
sidérée comme  dette  éventuelle,  et  légitimerait  l'hypothèque  judi- 
ciaire pour  les  arrérages  à  venir  (2). 

193  bis.  VII.  Une  convention  spéciale  pourrait  déroger  à  l'article 

(1)  V.  C.  Lyon,  28  avril  1875,  Sirey,  1875,  2-322. 

(2)  V.  C.  I.  Nancy,  22  février  1867,~Sirey,  1868,  2-50. 


T1T.  XII.  DES  CONTRATS  ALÉATOIRES.  ART.  1978,  1979.   185 

1978,  et  le  capital  de  la  rente  constituée  à  titre  onéreux  pourrait 
être  redemandé,  au  cas  de  non-paiement  des  arrérages,  si  les  parties 
en  étaient  convenues.  Aucune  des  expressions  de  l'article  ne  fait 
croire  que  cette  stipulation  soit  interdite,  et  il  ne  paraît  pas  qu'elle 
blesse  en  quoi  que  ce  soit  l'ordre  public  ou  les  bonnes  mœurs. 

194.  Le  but  qu'on  se  propose  dans  un  placement  en  viager 
serait  tout  a  fait  manqué,  si  l'acquisition  de  la  rente  n'était 
pas  aussi  irrévocable  que  l'aliénation  du  capital.  Ajoutons 
que  la  charge  de  la  servir  devant  nécessairement  cesser  dans  un 
temps  plus  ou  moins  rapproché,  il  n'y  avait  pas  lieu  d'appli- 
quer ici  le  principe  qui  a  fait  déclarer  la  rente  perpétuelle 
essentiellement  rachetable.  Sous  aucun  prétexte  donc,  ni  a  la 
faveur  d'aucune  condition,  le  constituant  ne  peut  s'affranchir 
du  service  des  arrérages,  tant  que  dure  la  vie  de  la  personne 
ou  des  personnes  sur  la  tête  desquelles  la  rente  est  établie. 
V.  art.  1979. 

194  bis.  Il  faut  réserver  sur  cet  article,  comme  nous  l'avons  fait 
sur  le  précédent,  l'effet  d'une  convention  contraire.  Le  débiteur 
pourrait  avoir  stipulé  le  droit  de  rachat,  et  cette  clause,  tout  à  son 
avantage,  ne  saurait  être  iuvalidée. 

19o.  De  ce  qui  précède  il  résulte  que  le  contrat  de  rente 
viagère  a  un  caractère  d'irrévocabilité  qui  lui  est  propre,  et 
qui  s'attache  également  a  l'aliénation  de  la  somme  ou  de  la 
chose  fournie  pour  prix  de  la  rente,  et  a  l'acquisition  du  droit 
à  la  renie  ;  du  reste,  il  est  bien  a  remarquer  que  la  loi,  en 
consacrant  particulièrement  ce  caractère  dans  les  articles 
1978  et  1979,  n'a  en  vue  que  les  effets  du  contrat  entre  les 
parties  contractantes. 

195  bis.  I.  Les  solutions  que  nous  avons  données  sur  les  articles 
précédents  ne  peuvent  pas  être  admises  dans  leur  rigueur,  si  le 
créancier  de  la  rente  se  trouve  en  conflit  non  plus  avec  le  débiteur 
lui-même,  mais  avec  des  tiers,  créanciers  ou  acquéreurs. 

195  fez*.  II.  Envisageons  les  différentes  hypothèses  qui  peuvent  se 
produire.  Mettons  d'abord  le  créancier  chirographaire  d'une  rente 
viagère  en  présence  d'autres  créanciers  chirographaires.  Le  débi- 
teur est  en  faillite  ou  en  déconfiture  ;  il  est  alors  plus  que  probable 


186  COUKS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

en  fait  que  les  créanciers  sont  réduits  à  toucher  un  dividende,  par 
conséquent  le  créancier  de  rente  n'arrive  jamais  à  obtenir  un  capi- 
tal suffisant  pour  produire,  par  un  placement  en  perpétuel,  des  inté- 
rêts annuels  égaux  aux  arrérages  de  la  rente;  il  faudra  donc 
alors  estimer  ce  que  Aaudrait  en  capital  la  rente  viagère  qui  lui 
est  due  et  le  colloquer  pour  cette  somme,  dont  il  sera  payé  au  marc 
le  franc  comme  les  autres  créanciers. 

195  bis.  III.  Si  nous  supposons  maintenant  la  rente  garantie  par 
une  hypothèque  et  un  conflit  entre  le  créancier  et  d'autres  créan- 
ciers hypothécaires,  la  rente  sera  colloquée  au  rang  que  lui  assigne 
la  date  de  son  inscription,  et  le  montant  de  cette  collocation  sera 
déterminé  par  la  règle  de  l'article  1978.  S'il  est  possible- de  trou- 
ver une  somme  suffisante  pour  faire  un  placement  en  perpétuel 
produisant  les  arrérages  de  la  rente  viagère,  le  créancier  de  la  rente 
sera  colloque  pour  cette  somme,  sous  la  condition  que  le  placement 
sera  fait  et  que  le  capital  de  la  rente  achetée  en  placement 
reviendra,  lors  de  l'extinction  de  la  rente,  aux  créanciers  postérieurs, 
au  profit  desquels  il  sera  fait  une  collocation  éventuelle,  ou  pour 
mieux  dire,  future  (1). 

195  bis.  IV.  Que  si  la  difficulté  s'élève  entre  le  créancier  de  la 
rente  et  un  tiers  acquéreur  qui  veut  purger,  la  solution  sera  la  même, 
car  celui  qui  purge  n'a  pas  d'offre  spéciale  à  faire  à  chaque  créan- 
cier, il  offre  à  tous  collectivement  un  certain  prix.  S'il  n'y  a  pas  de 
surenchère,  le  prix  est  distribué  aux  créanciers  dans  l'ordre  de  leurs 
hypothèques,  et  par  conséquent  nous  retrouvons  l'hypothèse  de  la 
collocation  dans  un  ordre,  hypothèse  sur  laquelle  nous  venons  de 
nous  expliquer. 

196.  Les  arrérages  de  la  rente  viagère,  aussi  bien  que  ceux 
de  la  rente  perpétuelle,  sont  considérés  comme  fruits  de 
l'être  de  raison  appelé  rente  (v.  art.  584,  588).  Ce  sont  des 
fruits  civils  (art.  584-),  auxquels  s'applique  conséquemment  le 
principe  de  l'acquisition  jour  par  jour  (art.  586).  C'est  donc 
mal  a  propos  que  quelques-uns  voulaient  attribuer  a  la  vie,  au 
commencement  du  terme,  l'effet  de  donner  droit  au  terme 
entier-,  le  Code  décide,  avec  raison,  au  contraire,  que  la  renie 
n'est  acquise  au  propriétaire  qu'en  proportion  du  nombre  de 

(1)  V.  C.  C,  5  novembre  1862,  Sirey,  1863,  1,  261. 


TIT.    XII.    DES    CONTRATS    ALÉATOIRES.    ART.   1979-1982.       187 

jours  qu'il  a  vécu-,  disons  mieux,  que  les  arrérages  ne  sont 
acquis  au  propriétaire  qu'en  proportion  du  nombre  de  jours 
qu'a  vécu  la  personne  sur  la  tête  de  laquelle  la  rente  est  éta- 
blie. V.  art.  1980,  al.  1. 

Celte  règle  cependant  reçoit  exception  lorsqu'il  a  été  con- 
venu (ou,  plus  exactement,  lorsqu'il  est  établi  par  le  titre)  que 
la  rente  sera  payée  d'avance.  On  suppose  alors  favorablement 
que  la  volonté  qui  conférait  le  droit  d'exiger  entendait  con- 
férer par  là  même  le  droit  d'acquérir  irrévocablement.  Il  suffit 
donc  que  le  terme  ait  dû  être  payé,  et  ce  quand  même  il  ne 
l'aurait  pas  été  effectivement,  pour  qu'il  soit  acquis  en  entier. 
V.  art.  1980,  al.  dernier. 

197.  Sous  quelque  point  de  vue  qu'on  considère  les  arréra- 
ges de  rente,  ils  font  partie  des  biens  du  rentier,  et  sont 
comme  tels,  en  principe,  saisissables  par  ses  créanciers  (ar- 
ticle 2092).  Toutefois,  comme  les  renies  viagères  peuvent 
souvent  être  réputées  alimentaires,  la  faveur  des  aliments 
avait  fait  élever  quelques  doutes  sur  ce  point.  Quoi  qu'il  en 
soit,  le  Code  décide  avec  raison  que  la  rente  constituée  a  titre 
onéreux  ne  doit  pas,  plus  que  le  pris  pour  lequel  elle  est 
constituée,  échapper  au  droit  de  gage  des  créanciers.  Mais  si 
elle  est  constituée  à  titre  gratuit,  la  clause  qui  la  déclarerait 
insaisissable,  ne  faisant  véritablement  aucun  tort  aux  créan- 
ciers, est  autorisée  par  la  loi.  V.  art.  1981.  Bien  plus,  celle 
clause  ne  sera  pas  même  nécessaire,  si  c'est  a  titre  d'aliments 
que  la  rente  est  ainsi  constiluée  (C.  Pr. ,  article  581 -1°);  v.  au 
surplus  C.  Pr.,  art.  582. 

198.  La  rente  viagère  s'éteint  évidemment  par  la  mort  de  la 
personne  ou  des  personnes  sur  la  tête  desquelles  elle  a  été 
constituée.  Mais  le  cas  de  mort  civile  n'ayant  pas  dû  entrer 
dans  la  pensée  des  parties,  cette  mort  n'empêchait  pas  que  le 
paiement  en  dût  être  continué  a  qui  de  droit,  tant  que  durait 
la  vie  naturelle.  La  règle  s'appliquait  au  cas  même  où  c'était 
sur  la  tête  dn  propriétaire  que  la  rente  avait  été  créée.  V.  art. 
1982  et  loi  du  31  mai  1854,  abolitive  de  la  mort  civile. 


188  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

199.  Au  reste,  le  droit  a  la  rente  viagère  n'étant  que  con- 
ditionnel et  subordonné  a  la  vie  de  la  personne  sur  la  tête  de 
laquelle  elle  a  été  constituée,  c'est  a  celui  qui  réclame  les 
arrérages  a  justifier  de  cette  existence.  V.  art.  1983. 


TITRE  TREIZIEME. 

DU    MANDAT. 

200.  Le  mandat  se  rapproche  du  dépôt  par  le  but  que  les 
contractants  s'y  proposent;  c'est  aussi,  du  moins  dans  son 
principe,  un  acte  de  confiance  et  d'amitié;  mais  son  objet  est 
bien  plus  général;  ce  qui  entraîne  de  grandes  différences 
dans  la  manière  de  le  former  et  dans  ses  effets.  La  loi  règle 
successivement  :  1°  sa  nature  et  sa  forme  (ch.  4)-,  2°  les  obli- 
gations qui  en  naissent  (ch.  2  el  3);  3°  comment  il  finit 
(ch.4). 


CHAPITRE  PREMIER. 

DE  LA  NATURE  ET  DE  LA  FORME  DU  MANDAT. 

201.  Donner  mandat,  c'est  charger  une  personne  de  faire 
quelque  chose,  et  conséquemment  l'y  autoriser  s'il  en  est 
besoin.  Cette  charge,  dans  notre  droit,  renferme  le  pouvoir 
d'agir  pour  le  mandant  et  en  son  nom.  Le  mandat  peut  s'en- 
visager sous  deux  points  de  vue  différents  :  4°  comme  simple 
acte  de  la  volonté  de  celui  qui  le  donne-,  2°  comme  contrat, 
dépendant  en  cette  qualité,  pour  sa  formation,  du  concours 
de  deux  volontés.  Sous  le  premier  rapport,  le  mandat  se  con- 
fond presque  avec  la  procuration  ;  sous  le  second,  il  peut  être 
le  résultat  d'une  procuration  acceptée. 

La  loi  semble  ne  reconnaître  à  la  procuration  d'autre  but 
que  celui  de  donner  pouvoir;  c'est  en  effet  le  seul  que  l'on 
exprime  ordinairement  dans  une  procuration ,  et  c'est  aussi 
le  seul  résultat  que  la  procuration  produise  immédiatement. 


190  COUKS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ce  pouvoir  est  presque  toujours  donné  dans 
l'intention  de  charger  celui  qu'on  en  investit  de  l'opération 
à  laquelle  on  le  rend  habile.  Sous  ce  point  de  vue,  la  procu- 
ration est  un  acheminement  au  contrat  de  mindat,  qui  sera 
parfait  lorsque  la  procuration  sera  acceptée,  mais  qui  ne  le 
sera  que  par  cette  acceptation.  V.  art.  1984. 

201  bis.  I.  Le  mandat  est  défini  par  Pothier  :  un  contrat  par 
lequel  l'un  des  contractants  confie  la  gestion  d'une  ou  de  plusieurs 
aiïaires,  pour  la  faire  à  sa  place  et  à  ses  risques,  à  l'autre  contrac- 
tant qui  s'en  charge  gratuitement  et  s'oblige  à  lui  en  rendre  compte  (1). 
Cette  définition  conserve  au  mandat  la  physionnomie  qu'il  avait  dans 
le  droit  romain,  elle  met  en  relief  la  nature  du  mandat  :  c'est  un 
contrat,  un  accord  de  volonté  produisant  des  obligations,  et  quand 
nous  le  rencontrons  dans  une  œuvre  du  grand  jurisconsulte  qui  a 
inspiré  les  rédacteurs  du  Code  civil,  nous  pouvons  à  priori  sup- 
poser qu'elle  est  en  harmonie  avec  leurs  idées.  La  place  qu'occupe 
le  titre  du  mandat  au  milieu  des  traités  sur  les  divers  contrats  con- 
firme cette  supposition;  le  Gode  a  voulu  traiter  du  contrat  de  mandat. 

201  bis.  II.  Or,  il  n'en  donne  pas  la  définition,  car  il  commence  par 
expliquer  ce  que  c'est  que  la  procuration,  qui  s'appelle  quelquefois 
aussi,  mais  improprement,  mandat.  Il  nous  la  montre  comme  un  acte 
unilatéral,  comme  l'œuvre  de  celui  qui  autorise  une  autre  personne 
à  faire  quelque  chose  pour  lui  et  en  son  nom;  mais,  après  avoir  ainsi 
traduit  le  mot  mandat  ou  procuration,  le  Code  ajoute  :  le  mandat  se 
forme  par  l'acceptation  du  mandataire.  Donc  le  mandat-contrat  est 
distinct  de  la  procuration,  et,  ce  qu'il  est  important  de  constater,  le 
contrat  peut  se  former  à  la  suite  d'une  procuration,  mais  il  n'est 
pas  nécessairement  subordonné  à  la  préexistence  de  la  procuration. 

201  lis.  III.  Si  le  Code  lui-même  reconnaît  au  début  delà  matière 
que  le  contrat  est  indépendant  de  la  procuration,  nous  pouvons  en 
conclure  que  la  définition  de  la  procuration  n'est  pas  destinée  à 
déterminer  les  caractères  distinctifs  du  contrat  du  mandat.  La  défi- 
nition du  mandat  est  sous-entendue;  l'idée  que  cette  expression 
évoque  chez  les  rédacteurs  de  Code  civil,  c'est  l'idée  du  contrat  de 
mandat,  telle  que  les  Romains  la  concevaient  et  telle  que  Pothier  la 
présentait  dans  la  définition  que  nous  avons  citée. 

{\\  V.  Polhier,  Traité  du  contrat  de  mandai,  n°  1. 


TIT.    XIII.    DU    MANDAT.    AHT.    1984.  191 

201  bis.  IV.  Quand  on  veut  trouver  la  définition  du  mandat 
dans  l'article  1984,  on  arrive  à  penser  que  le  Gode  civil  a  abandonné 
l'idée  romaine,  et  a  admis  sur  la  nature  de  ce  contrat  une  idée 
tiut  à  fait  nouvelle.  On  fait  remarquer  que  le  mandataire  doit  agir 
non-seulement  pour  le  mandant,  mais  en  son  nom,  et  de  ces  derniers 
mois  on  conclut  qu'il  doit  le  représenter.  Par  conséquent,  le  mandat 
supposerait  la  mission  de  faire  des  actes  juridiques,  et  de  les  faire 
comme  le  remplaçant,  le  représentant  de  celui  qui  a  donné  Je 
mandat.  Tout  contrat  par  lequel  une  personne  se  chargerait  de 
faire  pour  autrui  quelque  chose  qui  ne  serait  pas  la  représentation 
dans  un  acte  juridique,  ne  serait  pas  un  mandat  (1). 

201  bis.  V.  Cette  doctrine  a  le  tort,  à  notre  sens,  de  faire  sortir 
du  cercle  qu'embrasse  le  contrat  de  mandat  des  conventions  qui  y  ont 
toujours  été  comprises  et  qu'on  ne  saurait  juridiquement  faire 
rentrer  dans  d'autres  espèces  de  conventions. 

Ainsi,  il  se  présente  des  cas  dans  lesquels  l'acte  à  accomplir  n'est 
pas  un  acte  juridique,  et  cependant  la  mission  de  l'accomplir  a  tou- 
jours été  considérée  comme  un  mandat.  Exemples  :  Je  vous  charge 
de  surveiller  ma  maison  pendant  mon  absence  (2)  ou  de  cultiver  mon 
jardin,  ma  vigne,  d'arroser  mes  fleurs,  le  tout  gratuitement;  vous 
acceptez  cette  charge  pour  me  rendre  service.  Je  vous  charge  de 
faire  pour  moi  un  voyage,  de  surveiller  mes  ouvriers,  etc.  Tout  cela 
a  toujours  été  compris  dans  le  mandat  donné,  ut  mandatarius  ne- 
goiia  gérai  (3),  et  tout  cela,  même  cette  dernière  formule,  ne  suppose 
pas  qu'il  s'agisse  nécessairement  d'accomplir  certains  actes  juridiques. 
Les  textes  du  droit  romain  supposent  encore,  dans  cet  ordre  d'idées, 
le  mandat  d'examiner  les  forces  d'une  succession,  et  celui  de  tuer 
ou  de  blesser  quelqu'un,  ils  annulent  ce  dernier,  propter  twpùudinem, 
mais  sans  alléguer  qu'il  n'y  a  pas  mandat  (4);  enfin,  dans  les  In- 
stitues de  Justinien,  il  est  question  du  mandat  de  nettoyer  ou  de 
réparer  des  vêtements  (5). 

201  bis.  VI.  Voilà  des  exemples  qui  démontrent  que  le  fait  à 
accomplir  n'est  pas  toujours  un  acte  juridique;  aussi  bien  l'article 
1984  lui-même,  dans  la  définition  de  la  procuration,  parle  très- 
Ci)  V.  Aub.y  et  Rau,  t.  III,  p.  458.  Kdit.  1856. 

(2)  V.  Pothier,  Traité  du  dépôt,  n°  3  in  fine. 

(3)  V.  D.  L.  2,  §  3,  Mandati. 

(4)  Y.  D.  L.  42  Mandati.  et  L.  22,  §  G,  cod.  lit. 

(5)  Instit.,  L  III,  t.  XXVI,  §13. 


192  COURS   ANALYTIQUE   DE   CODE   CIVIL.    LIV.    III. 

vaguement  de  faire  quelque  chose.  Nous  allons  trouver  maintenant 
des  faits  qui  seront  juridiques,  mais  qui  ne  supposeront  pas  une 
représentation  de  la  personne  du  mandant  par  celle  du  mandataire, 
et  qui  cependant  sont  considérés  sans  difficulté  comme  étant  la  base 
d'un  mandat  quand  une  personne  a  chargé  une  autre  de  les  accom- 
plir. Nous  avons  en  vue  les  hypothèses  où  une  personne,  sur  l'ordre 
d'une  autre,  s'engage  comme  caution  envers  un  créancier,  ou  prête 
de  l'argent  à  un  emprunteur.  Dans  les  deux  cas,  le  fait  à  accomplir 
est  bien  un  acte  juridique,  s'obliger  dans  le  premier  cas,  faire  un 
contrat  du  prêt  dans  le  second.  Mais  ni  dans  l'une,  ni  dans  l'autre 
hypothèse,  celui  qui  a  reçu  l'ordre  ne  fait  l'acte  juridique  au  nom 
et  comme  représentant  de  l'autre  partie.  Quand  je  me  porte  caution 
sur  votre  ordre  ou  votre  prière,  c'est  bien  proprio  nomine  que  je 
m'engage;  quand  je  prête  de  l'argent  à  la  personne  que  vous  m'a- 
vez indiquée,  c'est  personnellement  que  je  fais  le  contrat,  et  c'est 
à  mon  profit  que  naît  l'action  en  restitution  de  la  somme  prêtée  ; 
j'ai  agi  sous  votre  impulsion,  pour  vous  rendre  service,  mais  je 
ne  vous  ai  pas  représenté  dans  l'acte  juridique  accompli.  Or,  ces 
deux  hypothèses  ont  toujours  été  considérées  en  droit  romain  et  en 
droit  français  comme  des  cas  de  mandat;  l'une  des  deux  conventions, 
la  seconde,  constitue  le  mandatum pecunice  credendœ  [{).  Dans  l'autre, 
il  a  toujours  été  admis  que  la  caution,  si  elle  était  contrainte  de 
payer,  avait  contre  le  débiteur  l'action  mandati  (2).  Le  Code  civil 
a  certainement  consacré  la  dernière  de  ces  deux  solutions  par  les 
décisions  qu'il  donne  dans  l'article  2028,  et  il  est  intéressant  de 
faire  remarquer  qu'elle  est  également  admise  par  les  auteurs 
modernes,  qui  nous  ont  fourni  la  définition  du  mandat  à  laquelle 
nous  résistons  et  qui  ont  écrit  :  «  Les  caractères  essentiels  et  dis- 

tinctifs  du   mandat  consistent 2°  en  ce  que  le  mandataire 

reçoit  le  pouvoir  de  représenter  le  mandant  à  l'effet  de  l'obliger 
envers  des  tiers  ou  d'obliger  des  tiers  envers  lui.  »  Nous  trouvons 
eu  effet,  dans  leur  explication  du  titre  du  cautionnement,  que  la 
caution  qui  s'est  engagée  à  la  prière  du  débiteur  principal  jouit, 
après  avoir  acquitté  la  dette,  indépendamment  du  recours  fondé 
sur  la  subrogation,  d'une  action  de  mandat  contre  ce  débiteur  (3). 
201  bis.  VII.  Nous  concluons  de  cette  discussion  que  le  fait  qui 

(1)  V.  Instit.,  1.  m,  t.  XXVI,  §  5. 

(2)  V.  Instit.,  1.  III,  t.  XX,  §  6. 

(3)  V.  Aubry  et  Rau,  t.  III,  p.  503,  teite  et  n°  5.  Édit.  1856. 


TIT.   XIII.    DU   MANDAT.    ART.    1984.  193 

constitue  l'objet  de  l'obligation  du  mandataire  ne  doit  pas  être 
nécessairement  un  fait  juridique  ni  un  acte  de  représentation  de  la 
personne  du  mandant,  c'est  un  fait  quelconque.  Comme  le  dit 
M.  Demante  au  n°  201 ,  en  reproduisant  certaines  expressions  de 
l'article  1984  et  en  dégageant  le  texte  de  cet  article  de  ce  qui  est 
particulier  à  la  définition  de  la  procuration  :  donner  mandat,  c'est 
charger  quelqu'un  de  faire  quelque  chose.  D'où  cette  conséquence 
qu'il  faut  retrancher  de  la  définition  de  Pothier  les  mots  :  en  sa 
place,  qui  présentent  le  mandataire  comme  remplaçant  le  mandant, 
ce  qui  est  vrai  assez  ordinairement,  mais  ce  qui  n'est  pas  un  des 
caractères  essentiels  du  contrat. 

201  bis.  VIII.  Nous  trouvons  encore  dans  la  définition  de  Pothier 
un  autre  caractère,  la  gratuité;  c'est  aussi  un  caractère  naturel  au 
mandant;  quand  nous  le  rencontrerons  dans  un  contrat,  il  nous  ser- 
vira pour  reconnaître  le  mandat,  mais  ce  n'est  pas  un  caractère 
essentiel,  ainsi  que  cela  résulte  des  n0*  23  et  26  de  Pothier  et  de 
l'article  1986  du  Code  civil,  à  propos  duquel  nous  examinerons 
quelle  influence  la  stipulation  d'un  salaire  peut  exercer  sur  la  nature 
même  du  contrat  par  lequel  une  personne  charge  une  autre  de 
faire  pour  elle  quelque  chose. 

201  bis.  IX.  Nous  venons  de  donner  la  notion  du  mandat  consi- 
déré comme  contrat;  il  faut  parler  maintenant  de  la  procuration. 
C'est  l'acte  qui  donne  au  mandataire  pouvoir  de  faire  une  certaine 
chose.  Nous  prenons  ici  le  mot  acte  dans  son  double  sens  :  1°  fait 
juridique,  c'est  l'autorisation  d'agir;  cette  autorisation,  considérée 
elle-même  comme  acte  juridique,  est  indépendante  de  toute  for- 
malité, elle  consiste  dans  une  manifestation  de  la  volonté;  2°  écrit, 
instrumentera;  écrit  dressé  pour  constater  le  fait  qui  donne  au 
mandataire  pouvoir  d'agir. 

La  procuration,  en  tant  que  pouvoir,  est  surtout  utile  quand  le 
mandataire  doit  représenter  le  mandant  dans  les  rapports  avec  les 
tiers;  elle  prouve  à  ceux-ci  que  celui  qui  traite  avec  eux  au  nom 
d'un  autre  est  autorisé,  a  pouvoir  d'agir  ainsi.  Mais  quand  le  man- 
dat ne  tend  pas  à  mettre  le  mandataire  en  rapport  avec  les  tiers,  la 
procuration  proprement  dite  devient  inutile.  Entre  les  deux  parties 
il  se  forme  un  eontrat  ordinaire,  et  la  preuve  n'en  deviendra  néces- 
saire que  lorsqu'il  s'agira  d'exiger  de  l'une  ou  l'autre  partie  l'exé- 
cution de  ses  obligations.  M.  Demante  a  parfaitement  accentué  la 
différence  entre  le  mandat  et  la  procuration,  et  accusé  la  possibilité 
Y.u.  13 


191  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE   CIVIL.    LIV.    III. 

d'un  mandat  existant  sans  procuration,  quand  il  a  dit  :  «  Donner 
mandat,  c'est  charger  une  personne  de  faire  quelque  chose  et 
conséquemment  l'y  autoriser  s'il  en  est  besoin.  » 

202.  La  procuration  consiste  dans  le  fait  de  la  volonté  du 
constituant,  et  le  mandat  est  parfait  par  le  seul  consentement 
des  parties;  l'écriture, conséquemment,  n'est  requise  en  cette 
matière  que  pour  la  preuve;  et,  sous  ce  rapport  même,  elle 
ne  l'est  que  suivant  les  principes  et  les  distinctions  posés  au 
titre  des  contrats  ou  des  obligations  conventionnelles  en 
général  (1). 

Cela  posé,  la  volonté  de  donner  mandat  est  ordinairement 
expresse  (2)-,  mais  elle  peut  également  s'exprimer,  soit  par 
un  écrit,  de  quelque  nature  qu'il  soit,  même  une  lettre  mis- 
sive, soit  verbalement. 

Quant  à  l'acceptation  du  mandat,  non-seulement  elle  peut 
s'exprimer  de  toutes  ces  manières,  mais  elle  peut  même  n'être 
que  tacite  -,  il  est  clair,  par  exemple,  que  l'exécution  donnée  au 
mandai  par  celui  qui  en  est  chargé  constituerait  une  accepta- 
tion tacite.  V.  art.  1985. 

202  bit.  I.  La  note  de  M.  Demante  sur  la  preuve  de  la  procuration 
ou  du  contrat  du  mandat  n'a  besoin  d'être  complétée  ou  expliquée 


(1)  Remarquons,  à  ce  sujet,  qu'il  De  faut  pas  confondre  la  preuve  du  pouvoir 
et  celle  du  contrat.  La  preuve  du  pouvoir  intéresse  surtout  les  liers  avec  lesquels 
le  fondé  de  pouvoir  traitera  au  nom  du  constituant;  celle  du  contrat  intéresse  les 
parties  elles-mêmes,  qui  sans  cette  preuve  ne  pourraient  se  contraindre  à  l'accom- 
plissement de  leurs  obligations  respectives.  Comme  c'est  principalement  pour  la 
preuve  du  pouvoir  que  l'on  rédige  un  acte  authentique  ou  sous  seing  privé,  il  n'est 
pas  étonnant  que  l'acte  authentique  se  dresse  souvent  en  brevet  (v.  L.  25  ventôse 
an  XI,  art  20),  que  l'acte  sous  seing  privé  se  rédige  en  un  seul  original,  et  que 
dans  les  deux  cas  l'acte  soit  remis  aux  mains  du  mandataire.  Il  est  de  toute  évi- 
dence que  la  validité  de  l'acte  sous  ce  rapport  ne  peut  nullement  dépendre  de 
l'observation  de  la  règle  établie  par  l'article  1325.  Quant  à  la  preuve  du  contrat 
entre  les  parties,  il  y  a  une  autre  raison  pour  que  I  article  1325  n'y  ait  pas  non 
plus  d'application;  c'est  que,  comme  on  le  verra  bientôt,  le  contrat  de  mandat  n'est 
pas  proprement  un  contrat  synallagmatique.  (Note  de  M.  Demante.) 

(2)  Cependant  les  anciens  principes  reconnaissaient  un  mandat  tacite  en  cas  de 
gestion  par  un  tiers  au  vu  et  su  du  mattre.  Cette  doctrine,  tout  à  fait  conforme  à 
la  nature  des  choses,  me  paraît  encore  susceptible  d'application  (nonobstant  article 
1372).  J'en  conclus  que  dans  ce  cas  les  obligations  du  maître  seraient  régies, 
non  par  l'article  1375,  irais  par  les  articles  1998-2002.   (Note  de  M.  Deuantb.) 


TIT.    XIII.    DU    MANDAT.    ART.    1985.  195 

que  sur  un  point.  Il  est  vrai  que  le  contrat  étant  synallagmatique 
imparfait,  c'est-à-dire  unilatéral,  il  n'est  pas  nécessaire  de  le  ré- 
diger en  double  original,  mais  il  faut  se  garder  de  croire  que  la  pro- 
curation en  brevet  ou  sous  seing  privé  suffira,  parce  qu'elle  est 
remise  au  mandataire  et  que  le  mandant  se  trouve  alors  dépourvu 
de  moyen  de  preuve;  s'il  veut  demander  l'exécution  du  mandat,  il 
lui  faudrait  une  preuve  écrite,  sinon  du  pouvoir  qu'il  a  donné,  au 
moins  de  l'acceptation  de  ce  pouvoir  par  le  mandataire.  Nous  sup- 
posons, bien  entendu,  que  la  matière  ne  comporte  pas  la  preuve 
testimoniale. 

202  bis.  IL  Nous  avons  examiné  au  tome  V,  n°  349  bis.  II  et  III, 
la  question  de  savoir  si  le  Code  admet  le  mandat  tacite  qu'admet- 
tait l'ancien  droit,  ainsi  que  le  constate  Pothier  (n°  29).  La  difficulté 
vient  du  texte  de  l'article  1372,  qui  voit  le  quasi-contrat  de  gestion 
d'affaire  dans  le  cas  même  où  le  maître  connaît  les  actes  du  gérant. 
Il  est  clair  que  le  Gode  n'a  pas  voulu  attacher  au  simple  silence  du 
maître,  à  sa  non-opposition,  la  force  de  l'obliger  comme  mandant, 
quelles  que  fussent  d'ailleurs  les  circonstances  du  fait.  Mais  il  faut 
reconnaître  que,  le  mandat  étant  un  contrat  purement  consensuel, 
on  pourra  reconnaître  l'existence  d'un  mandat  tacite  quand  des 
circonstances  du' fait  donneront  une  signification  particulière  au 
silence  du  maître  de  l'affaire. 

203.  Tout  affaire  honnête  peut  être  l'objet  du  mandat  -,  il 
n'est  pas  nécessaire  que^cette  affaire  concerne  le  mandant, 
ni  même  qu'elle  l'intéresse  aucunement,  pourvu  qu'elle  ne 
soit  pas  dans  l'intérêt  unique  du  man  lataire  (v.  Just.,  Insl., 
pr.,  de  mand.;  v.  pourtant  art.  1119).  Quoi  qu'il  en  soit,  il 
est  probable  que  ce  contrat,  dans  son  but  primitif,  n'a  tendu 
qu'à  mettre  une  personne  a  même  de  se  décharger  sur  une 
autre  du  soin  de  sa  propre  affaire.  C'est  particulièrement  sous 
ce  point  de  vue  que  notre  Code  l'a  envisagé. 

203  bis.  Quand  le  mandat  jaura  été  donné  exclusivement  dans 
l'intérêt  d'un  tiers,  le  mandant  ne  saurait  avoir  l'action  pour  con- 
traindre le  mandataire  à  exécuter,  car  il  n'a  pas  d'intérêt;  quant  au 
tiers,  il  ne  pourrait  agir  lui-même,  n'ayant  pas  fait  le  contrat  (art. 
1119),  sous  la  réserve  toutefois  des  observations  que  nous  avons 
faites  sur  cet  article  et  en  vertu  desquelles  la  stipulation  se  trou- 
verait validée  parce  qu'on  devrait  considérer  celui  qui  a  donné 

13. 


196  COURS  ANALYTIQUE   DE   CODE   CIVIL.    LIV.    III. 

mandat  comme  ayant  agi  en  qualité  de  gérant  d'affaire  pour  le  tiers 
intéressé  à  l'exécution  du  mandat  (1). 

204.  Ce  qui  distingue  principalement  ce  contrat  du  louage, 
c'est  la  gratuité  des  services  du  mandataire,  gratuité  long- 
temps considérée  comme  de  l'essence  du  mandat  (v.  Paul, 
L.  1,  §  4,  D.  mand.).  Toutefois,  les  Romains  eux-mêmes 
avaient  commencé  à  s'éloigner  de  ce  principe,  sans  l'aban- 
donner entièrement  (v.  Ulp.,  L.  6-,  Papin.,  L.  7,  D.  mand.; 
Sever.  et  Ant.y  L.  1,  Cod.,  eod.).  Notre  Code  va  plus  loin, 
puisqu'en  déclarant  le  mandat  gratuit  de  sa  nature,  il  autorise 
Ibrmellement  la  convention  contraire.  V.  art.  1986;  et  remar- 
quez que  cette  convention  devrait  même,  suivant  les  cas,  se 
présumer,  eu  égard  au  genre  de  services  et  a  la  profession 
de  celui  qui  s'en  charge.  D'après  celte  doctrine,  d'accord  au 
surplus  avec  les  mœurs,  c'est  uniquement  la  nature  du  service 
qui  doit  servir  a  distinguer  le  mandat  non  gratuit  du  louage, 
avec  lequel  il  importe  toujours  de  ne  pas  le  confondre. 

204  bis.  I.  L'article  1986  établit  nettement  la  théorie  du  Code 
civil  sur  la  gratuité  du  mandat;  elle  est  de  la  nature  de  ce  contrat 
et  non  pas  de  son  essence.  Ceci  constaté,  on  comprend  que  dans 
un  certain  nombre  d'hypothèses,  on  puisse  être  embarrassé  pour 
qualifier  un  contrat  par  lequel  une  personne  aura  chargé  une 
autre  de  faire  quelque  chose  moyennant  un  certain  salaire.  S'a- 
gira-t-il  d'un  mandat  salarié  ou  d'un  louage  d'ouvrage  (art. 
1710)? 

204  6m.  II.  Quand  on  cherche  à  reconnaître  si  un  contrat  est  un 
mandat  ou  un  louage  d'ouvrage,  il  y  a  d'abord  un  point  absolu- 
ment certain,  c'est  que  si  le  contrat  est  gratuit,  il  ne  saurait  être 
uu  louage,  puisque  ce  contrat  est  essentiellement  intéressé  de  part 
et  d'autre.  Voilà  un  premier  trait  caractéristique. 

En  voici  un  second  :  toutes  les  fois  que  la  chose  à  faire  impli- 
quera le  pouvoir  de  faire  un  acte  juridique,  le  contrat  sera  un 
mandat,  parce  qu'il  contiendra  en  soi  une  procuration  et  que, 
d'après  l'article  1984,  l'acceptation  de  la  procuration  forme  le 
mandat. 

(1)  V.  ».  V,  n°  29  bis  et  33  bis.  I-III. 


TIT.    XIII.    DU   MANDAT.    ART.    1986.  197 

Enfin,  quand  il  s'agit  d'accomplir  un  acte  juridique  qui  n'exige  pas 
un  pouvoir  donné  à  «elui  qui  l'accomplit,  comme  dans  le  cas  où 
une  personne  prie  une  autre  de  se  porter  caution  pour  elle  ou  de 
prêter  de  l'argent  à  une  autre.  Le  contrat  sera  encore  un  mandat, 
car  l'acte  à  accomplir  ne  consiste  pas  dans  un  certain  travail  maté- 
riel ou  intellectuel,  ce  n'est  pas  un  ouvrage  qu'on  demande,  et  le 
louage  que  nous  rapprochons  du  mandat  est  exclusivement  un 
louage  d'ouvrage  (art.  1708,  1710,  1711  et  1779). 

204  bis.  III.  La  difficulté  se  concentre  donc  sur  les  conventions 
relatives  à  un  certain  travail  salarié,  n'impliquant  pas  l'idée  d'un 
pouvoir  donné  à  celui  qui  fait  le  travail.  Dans  cette  catégorie 
d'actes,  il  en  est  encore  un  grand  nombre  qu'il  faut  mettre  hors  de 
discussion.  Ce  sont  les  actes  accomplis,  moyennant  un  salaire,  par 
les  personnes  que  la  loi  appelle  domestiques  et  ouvriers  (art.  1 780), 
voituriers  par  terre  et  par  eau  (art.  1782),  entrepreneurs  d'ouvrages 
(art.  1779-3°,  1787  et  s.),  capitaines  de  navires  et  matelots  (art. 
250,  C.  Com.).  Les  salaires  de  ces  diverses  personnes  sont  expres- 
sément qualifiés  de  loyers. 

204  bis.  IV.  Le  champ  de  la  difficulté  se  restreint  donc  beaucoup, 
puisqu'il  ne  comprend  plus  les  contrats  qui  auront  pour  objet  des 
travaux  matériels.  Restent  donc  ceux  dans  lesquels  une  personne 
s'oblige  à  faire  un  certain  travail  intellectuel.  En  principe,  nous 
admettrons  que  l'obligation  contractée  de  faire,  moyennant  une 
rémunération,  un  certain  travail  littéraire,  scientifique  ou  artistique, 
et  généralement  tout  travail  intellectuel,  est  une  obligation  résultant 
d'un  contrat  de  louage;  l'article  1710  donne  en  effet,  du  contrat  de 
louage  d'ouvrage,  la  définition  la  plus  compréhensive;  il  s'agit  de 
faire  quelque  chose,  et  rien  n'y  indique,  dans  la  pensée  du  législateur, 
l'intention  de  distinguer  selon  la  nature  du  travail  à  accomplir. 

204  bis.  V.  Où  serait  d'ailleurs  la  base  d'une  distinction?  Dans  le 
caractère  matériel  ou  intellectuel  de  l'œuvre  à  faire?  la  délimitation 
présenterait  des  difficultés;  le  travail  le  plus  vulgairement  matériel 
demande  toujours  une  certaine  intelligence,  et  il  est  bien  peu  de 
travaux  intellectuels  qui  ne  supposent  un  acte  matériel.  L'ouvrier 
proprement  dit,  pour  lequel  nous  n'avons  pas  admis  de  doute  à  cause 
des  textes  du  Code  civil,  est  souvent  presque  un  artiste  ou  un  savant; 
il  fait  des  œuvres  de  goût  qui  rappellent  le  dessinateur;  il  dirige 
et  répare  des  machines,  il  sait  la  mécanique;  il  fait  des  teintures, 
c'est  un  chimiste.  Le  matelot  n'est  pas  seulement  un  homme  de 


198  COUItS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

peine,  il  connaît  l'art  difficile  de  la  navigation  ;  le  capitaine  a  besoin 
d'une  véritable  science,  et  dans  certaines  circonstances,  il  montre 
un  courage  et  un  dévouement  égal  à  ceux  des  plus  courageux  et 
des  plus  dévoués. 

204  bis.  VI.  Dans  une  situation  intermédiaire,  les  commis,  les 
clercs,  les  secrétaires,  peuvent  être  de  simples  travailleurs  manuels 
rangeant  des  marchandises,  les  pesant  et  les  enveloppant,  ou  faisant 
des  courses  et  des  copies;  mais  l'intelligence  n'a-t-elle  pas  toujours 
une  place  nécessaire,  surtout  si  le  commis  ou  le  clerc  est  en  rapport 
avec  le  public,  s'il  tient  la  comptabilité,  si  le  secrétaire  prépare  et 
quelquefois  accomplit  lui-même  des  travaux  littéraires  ou  scienti- 
fiques? 

En  sens  inverse,  le  travail  matériel  a  une  certaine  part  dans 
l'œuvre  de  l'artiste;  peintre,  sculpteur,  comédien;  du  savant,  chi- 
miste, calculateur,  astronome;  du  professeur;  de  l'homme  de  lettres 
lui-même,  surtout  quand,  descendant  de  plusieurs  degrés  dans 
l'échelle  des  littérateurs,  il  deviendra  compilaiteur. 

204  bis.  VII.  La  distinction  ne  peut  donc  pas  avoir  pour  base 
le  caractère  matériel  ou  intellectuel  du  travail,  elle  ne  peut  pas  non 
plus  se  rattacher  à  une  différence  que  signale  Pothier,  entre  les 
travaux  qui  ont  une  valeur  inestimable  ou  inappréciable  en 
argent  (I),  si  bien  qu'après  le  paiement  de  l'honoraire  promis,  celui 
qui  a  payé  n'est  pas  encore  quitte  de  la  reconnaissance  qu'il  doit 
pour  le  service.  Pothier  cite  les  services  rendus  par  des  avocats, 
des  médecins,  des  maîtres  de  grammaire,  de  philosophie,  de 
mathématiques. 

204  bis.  VIII.  Cette  distinction  est  encore  moins  nette  que  la 
précédente,  car  elle  pose  en  principe  que,  dans  les  cas  cités,  une 
reconnaissance  spéciale  est  toujours  due  par  celui  qui  a  reçu  les 
services.  Or,  n'est-il  pas  clair  que  c'est  là  une  question  de  fait  et 
de  circonstances?  Si  le  médecin  ou  le  professeur  n'a  pas  eu  l'occasion 
de  faire  preuve  d'un  dévouement  exceptionnel,  si  ayant  eu  cette 
occasion  il  ne  s'est  pas  montré  particulièrement  dévoué,  où  est  le 
devoir  de  reconnaissance?  Le  médecin  a  fait  quelques  visites  à  pro- 
pos d'une  légère  indisposition,  le  professeur  a  donné  les  leçons  pro- 
mises, peut-être  sans  zèle,  sans  intérêt,  sans  affection.  Les  visites 
du  médecin  et  les  leçons  du  professeur  doivent  être  payées,  mais 

(1)  V.  Pothier,  Jïandat,  n<«  23,  25,  27. 


TIT.    XIII.    DO   MANDAT.    ART.    1986.  199 

pourquoi  la  partie  ne  serait-elle  pas  complètement  libérée  par 
ce  paiement  ? 

Le  dévouement,  l'affection,  le  courage,  peuvent  se  rencontrer 
chez  d'autres  personnes,  chez  de  véritables  locateurs  d'ouvrages, 
comme  l'ouvrier,  le  matelot,  le  serviteur;  nous  avons  déjà  parlé  du 
capitaine  de  navire.  Pothier  reconnaît  ce  fait  qui  fait  brèche  à  son 
système  (1),  et  il  essaie  vainement  de  nier  son  importance.  Il  dit 
qu'en  pareil  cas  la  reconnaissance  est  due  non  pour  les  services, 
mais  pour  l'affection  avec  lequel  ils  ont  été  rendus;  or  il  est  certain 
qu'on  peut  dire  la  même  chose  des  services  de  l'avocat,  du  médecin 
ou  du  professeur,  en  substituant  le  mot  dévouement  au  mot  affec- 
tion, qui  se  rencontre  dans  Pothier  et  qui  signifie  certainement  une 
affection  dévouée. 

204  bis.  IX.  Ce  raisonnement  détruit,  comment  accepter  comme 
base  d'une  distinction  que  certains  services  sont  inestimables  en 
argent  ?  Le  prix  de  l'affection  ou  du  dévouement  est  bien  inappréciable, 
mais  le  prix  du  service  envisagé  en  lui-même  est  si  bien  appréciable, 
que  les  personnes  dont  nous  parlons  font  habituellement  profession 
de  les  rendre,  qu'il  existe  sur  ce  point  une  sorte  de  prix  courant, 
que  des  conventions  fixant  la  rémunération  sont  fréquentes,  que 
les  tribunaux  condamnent  les  débiteurs  et  fixent  le  montant  des 
condamnations. 

204  bis.  X.  Ces  distinctions  n'étant  pas  admises,  il  faut  recon- 
naître que  tout  contrat  qui  a  pour  objet  de  faire  faire  un  certain 
travail  moyennant  un  certain  prix,  est  un  contrat  de  louage,  sauf 
à  tenir  compte  de  l'observation  que  nous  avons  faite  plus  haut, 
quant  aux  actes  qui  supposent  un  certain  pouvoir  donné,  observation 
qui  fait  apparaître  les  cas  où  un  contrat,  qui  suppose  un  travail 
salarié,  reste  néanmoins  un  mandat.  Nous  considérerons  donc 
comme  mandataires  l'avoué,  l'huissier,  l'agréé  près  les  tribunaux  de 
commerce,  l'agent  de  change,  le  courtier,  l'homme  d'affaires;  nous 
dirons  le  contraire  des  médecins  et  des  professeurs.  Des  doutes 
peuvent  s'élever  quant  à  l'avocat  et  au  notaire.  Nous  admettrons 
toutefois  que  l'avocat  est  un  mandataire,  parce  que,  bien  qu'il  ne 
soit  pas  à  proprement  parler  mandataire  ad  liiem,  qu'il  n'ait  pas 
comme  l'avoué  mission  de  faire  des  aveux  et  des  offres,  il  n'en  est 
pas  moins  le  porte-paroles  de  la  partie,  il  tient  sa  place  dans  un 

(1)  V.  Pothier,  n°  27. 


200  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

acte  juridique,  puisqu'il  fait  ce  que  la  partie  pourrait  faire  elle-même 
en  exposant  ses  moyens  de  défense,  et  que  certainement  il  ne  peut 
paraître  ainsi  devant  la  justice  qu'en  vertu  d'une  invitation  de  la 
partie  qu'on  peut  bien  appeler  le  pouvoir  de  parler  pour  elle. 

Le  notaire,  quoique  rédacteur  d'actes,  n'est  pas  un  simple  secré- 
taire ou  copiste;  comme  dépositaire  des  minutes,  il  est  substitué  aux 
parties  dans  la  mission  de  conserver  des  titres  que  celles-ci  auraient 
intérêt  à  détenir  elles-mêmes  ;  comme  rédacteur  de  l'acte,  il  reçoit 
souvent  de  la  volonté  des  contractants  le  pouvoir  de  substituer  en 
quelque  sorte  sa  signature  à  la  leur,  puisque  l'acte  sera  valable 
sans  la  signature  de  la  partie  si  le  notaire  certifie  que  celle-ci  a  dé- 
claré ne  pas  savoir  ou  ne  pas  pouvoir  signer. 

204  bis.  XI.  Nous  devons  en  terminant  faire  remarquer  que 
quelquefois  il  se  fera  une  certaine  fusion  des  deux  contrats  et  qu'une 
convention  participera  à  la  fois  du  louage  et  du  mandat.  C'est  ce  qui 
arrive  par  rapport  aux  commis  et  préposés,  qui  sont  liés  certaine- 
ment par  un  contrat  de  louage,  mais  qui  reçoivent  expressément  ou 
tacitement  le  pouvoir  d'engager  le  maître. 

Il  ne  sera  pas  ordinairement  difficile  de  distinguer  quel  est  le 
contrat  qui  domine  dans  la  convention  mixte  dont  nous  parlons. 

204  bis.  XII.  Nous  n'avons  pas,  comme  nous  le  faisons  d'ordi- 
naire, indiqué  l'intérêt  de  la  question  que  nous  venons  d'examiner 
avant  de  la  discuter.  Nous  aurions  craint  de  décourager  nos  lecteurs 
en  leur  montrant  d'avance  quel  mince  intérêt  pratique  présente  une 
question  que  les  habitudes  traditionnelles  de  la  doctrine  nous  obli- 
geaient à  traiter  avec  un  certain  développement. 

204  bis.  XIII.  Ce  n'est  pas,  il  est  vrai,  une  simple  question  de 
mots,  ce  n'est  pas  non  plus  une  question  de  validité,  car  aujour- 
d'hui les  qualifications  des  contrats  sont  indifférentes,  quant  à  leur 
formation,  à  leur  force  obligatoire  et  aux  actions  qui  les  sanc- 
tionnent. C'est  une  question  de  régime;  il  est  certaines  règles 
spéciales  au  mandat  qu'il  ne  faut  pas  appliquer  au  louage,  d'autres, 
peut-être,  relatives  au  louage  qu'on  ne  doit  pas  étendre  au  mandat. 
Mais  ces  règles  ne  sont  pas  nombreuses. 

204  bis.  XIV.  Ainsi  nous  trouvons  dans  le  titre  du  mandat  les 
articles  2001  et  2002,  l'un  qui  fait  courir  de  plein  droit  les  intérêts 
des  avances  faites  par  le  mandataire,  l'autre  qui  établit  la  solidarité 
légale  entre  les  personnes  qui  ont  constitué  un  même  mandataire 
pour  une   affaire   commune.   Ces  deux  règles  sont  spéciales  au 


T1T.    XIII.    DU   MANDAT.    ART.    1986.  201 

mandat,  et  comme  elles  dérogent  à  des  principes  généraux  posés 
dans  les  articles  1153  et  1202,  elles  ne  régissent  certainement  pas 
le  contrat  de  louage. 

204  bis.  XV.  D'autres  dispositions  du  titre  du  mandat  paraissent 
avoir  aussi  un  caractère  spécial,  mais  il  est  moins  accentué,  puisque 
ce  ne  sont  pas  des  exceptions  à  des  règles  générales,  mais  plutôt 
de  simples  interprétations  de  conventions.  Ainsi  le  mandat  est  ré- 
vocable (art.  2004),  il  cesse  par  une  renonciation  du  mandataire 
(art.  2003-2007),  il  cesse  par  la  mort  du  mandant  ou  du  mandataire 
(art.  2003).  Toutes  ces  règles  sont  fondées  sur  la  volonté  probable 
des  parties,  rien  n'empêche  d'y  déroger,  au  moins  à  la  plupart 
d'entre  elles,  à  celles  qui  permettent  la  révocation  ou  la  renonciation, 
et  à  celle  qui  met  fin  au  maadat  par  la  mort  du  mandant.  D'un 
autre  côté,  si  nous  nous  plaçons  en  face  d'un  contrat  de  louage  de 
service,  nous  voyons  que  la  mort  de  celui  qui  a  promis  les  services 
met  fin  au  contrat  (i),  et  qu'il  en  est  quelquefois  de  même  au  cas  de 
mort  du  stipulant  (2).  Quant  à  la  faculté  de  renoncer  au  contrat 
soit  d'un  côté,  soit  de  l'autre,  on  ne  voit  pas  quelle  disposition  de 
la  loi  la  déclarerait  illicite. 

204  bis.  XVI.  En  dehors  des  conventions  spéciales,  on  rencontre 
encore  dans  l'article  1794  une  règle  qui  peut  paraître  particulière 
au  contrat  de  louage  :  celui  qui  a  traité  à  forfait  avec  un  entre- 
preneur peut  résilier  le  contrat  par  sa  seule  volonté,  mais  il  doit 
indemniser  l'entrepreneur  de  tout  ce  que  celui-ci  aurait  gagné 
dans  l'entreprise.  Le  mandant  révoque  un  mandat  sans  être  tenu 
à  rendre  autre  chose  que  les  déboursés  (art.  1999  et  2000).  Ce 
n'est  là  cependant  qu'une  différence  accidentelle  et  non  essentielle 
entre  le  louage  d'ouvrage  et  le  mandat,  car  on  pourrait  com- 
prendre que  le  mandataire  salarié  se  fît  assurer  le  montant  de  son 
salaire  pour  le  cas  même  où  le  mandant  ne  donnerait  pas  suite  à 
l'affaire. 

204  bis.  XVII.  Une  dernière  remarque  :  avec  les  larges  pouvoirs 
d'interprétation  qui  appartiennent  à  nos  juges  en  vertu  de  l'article 
1156,  les  quelques  différences  qu'on  peut  signaler  entre  le  mandat 
et  le  louage  d'ouvrage  disparaissent,  puisque  les  tribunaux  peuvent 
toujours  décider  que  la  volonté  souveraine  des  parties  a  emprunté 
telle  ou  telle  règle  à  l'un  des  contrats  pour  l'appliquer  à  l'autre,  et 

(1)  V.  art.  1795  et  t.  VII,  n°  248.  I  et  II. 

(2)  V.  t.  VII,  n«  231  bit.  II-VIII. 


202  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

que  les  contractants  ont  ainsi  formé  une  convention  d'une  nature 
mixte,  et  par  conséquent  nous  voyons  ainsi  diminuer,  dans  une 
grande  proportion,  l'intérêt  qu'il  peut  y  avoir  à  décider  si  tel  contrat 
intervenu  entre  deux  parties  est  un  louage  ou  un  mandat. 

204  bit.  XVIII.  Il  reste  cependant  les  deux  différences  que  nous 
avons  d'abord  signalées,  et  qui  résultent  de  la  comparaison  des 
articles  2001  et  2002  avec  les  articles  1150  et  1202.  Comme  la 
stipulation  des  intérêts  et  celle  de  la  solidarité  doivent  être  expresses, 
comme  la  solidarité  légale  ne  peut  être  étendue  et  que  les  intérêts 
légaux  ne  courent  que  dans  les  cas  déterminés,  nous  trouvons  là 
deux  effets  du  mandat  qui  ne  peuvent  être  étendus  au  louage  par 
une  simple  interprétation  d'une  volonté  tacite. 

20o.  Le  but  principal  du  mandat  étant  de  charger  une 
personne  d'une  affaire,  c'est  cette  personne  seule  qui,  au 
moins  dans  le  mandat  gratuit,  contracte  immédiatement 
une  obligation.  On  ne  peut  donc  reconnaître  au  mandat  le 
caractère  de  contrat  synallagmatique  dans  le  sens  du  Code 
civil. 

205  bis.  Il  importe  surtout  de  savoir  si  le  contrat  est  synallagma- 
tique à  raison  de  la  règle  édictée  par  l'article  1325.  Le  mandat  ne 
doit  pas  être  constaté  par  un  acte  double  lorsque  l'écrit  est  sous 
seing  privé,  parce  que  ce  contrat  ne  donne  régulièrement  naissance 
qu'à  une  seule  obligation,  celle  du  mandataire  ;  les  obligations  du 
mandant  ne  naissent  qu'ex  post  facto,  et  le  mandataire  peut  alors 
n'être  pas  en  faute  de  n'avoir  pas  fait  constater  par  écrit  le  contrat 
de  mandat.  Mais  il  nous  semble  que  dans  un  cas  spécial,  celui  où  le 
mandat  est  salarié,  le  contrat  produit  nécessairement,  et  dès  le  mo- 
ment de  sa  naissance,  une  double  obligation  et  par  conséquent  il 
faut  que  chacune  des  parties  garde  une  preuve  de  la  créance  qui 
est  née  en  sa  faveur ,  d'où  nous  conclurons  que  l'écrit  sous  seings 
privés  doit  être  rédigé  en  double  original. 

206.  L'étendue  du  mandat  et  des  pouvoirs  qu'il  confère 
est  entièrement  abandonnée  a  la  volonté  des  parties  contrac- 
tantes ;  ce  n'est  que  par  interprétation  de  la  volonté  commune 
que  la  loi  règle,  pour  certains  cas,  cette  étendue  (art.  1987- 
1989). 

Ainsi  le  mandat  peut  être  donné  spécialement  pour  une  ou 


TIT.   XIII.    DU    MANDAT.    ART.    1986-1989.  203 

plusieurs  affaires,  ou  généralement  pour  toutes  les  affaires  du 
mandant.  V.  art.  1987. 

Mais  quelque  illimitée  que  soit  la  faculté  de  confier  ses 
affaires  a  un  autre,  lorsque  la  loi  ou  la  nature  des  choses  ne 
s'y  oppose  point,  ce  n'est  pas  une  raison  pour  qu'on  soit  faci- 
lement supposé  avoir  voulu  tout  ce  que  1  on  pouvait  faire. 
Ainsi  la  loi,  qui  suppose  diflicilement  qu'un  propriétaire  ait 
voulu  remettre  a  autrui  la  faculté  de  disposer  de  sa  chose,  ne 
fait  pas  résulter  ce  pouvoir  d'un  mandat  conçu  en  termes 
généraux.  Elle  juge  avec  raison  que  la  généralité  des  termes 
ne  s'appliquait,  dans  la  pensée  des  parties,  qu'aux  actes 
d'administration;  quant  a  l'aliénation,  l'hypothèque  ou  tout 
autre  acte  de  propriété,  elle  veut  un  pouvoir  exprès.  V.  art. 
1988. 

A  plus  forte  raison,  quand  le  mandat  est  spécial,  n'est-il 
pas  permis  de  conclure  à  pari  de  la  collation  d'un  pouvoir  à  la 
collation  d'un  autre  \  la  loi  ne  veut  pas  même  que  l'on  conclue 
à  fortiori  du  pouvoir  de  transiger  celui  de  compromettre. 
V.  art.  1989.  Remarquons  toutefois  que  ce  qui  est  dépendance 
de  l'affaire  confiée  au  mandataire  entre  nécessairement  dans 
son  mandat  (v.,  a  sujet,  art.  1372). 

207.  La  latitude  accordée  par  la  loi  pour  l'étendue  a 
donner  au  mandat  n'est  pas  moindre  pour  le  choix  du  man- 
dataire. L'incapacité  de  celui-ci  doit  bien  avoir  pour  effet  de 
le  soustraire,  plus  ou  moins  complètement,  aux  obligations 
du  contrat  de  mandat-,  mais  elle  ne  peut  nullement  influer 
sur  la  validité  des  pouvoirs  que  la  volonté  du  mandat,  juge 
de  son  propre  intérêt,  lui  a  confiés.  Appliquant  celte  double 
proposition,  la  loi  déclare,  d'abord,  que  les  femmes  et  les 
mineurs  émancipés  peuvent  être  choisis  pour  mandataires-, 
quanta  l'action  du  mandat  contre  eux,  elle  en  subordonne  l'effet 
au  droit  commun  sur  les  engagements  de  ces  personnes  :  à 
cet  égard,  elle  renvoie,  pour  les  mineurs,  aux  règles  générales 
relatives  a  leurs  obligations  (v.  art.  1124,  1125,  1305  et 
suivants);  en  ce  qui  concerne  les  femmes  mariées  non  auto- 


204  COURS  ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

risées,  la  loi,  reconnaissant  apparemment  que  la  validité  de 
leurs  engagements  peut  dépendre  du  régime  sous  lequel 
elles  sont  mariées,  se  réfère  au  litre  du  contrat  de  mariage, 
qui  contient  les  règles  particulières  aux  divers  régimes. 
V.  art.  1990. 

207  bis.  I.  Le  mandant  est  certainement  maître  de  charger  de  son 
affaire  une  personne  incapable.  Il  le  fait  à  ses  risques  et  périls,  et 
il  ne  peut  s'en  prendre  qu'à  lui-même  si  le  mandataire  ne  défend 
pas  bien  ses  intérêts.  Telle  est  la  raison  de  l'article  1990,  et  cette 
raison  nous  montre  quelle  latitude  il  faut  donner  à  la  disposition 
de  cet  article.  Au  point  de  vue  de  la  représentation  du  mandant  par 
le  mandataire,  dans  les  rapports,  notamment,  avec  les  tiers,  tout  inca- 
pable peut  recevoir  un  mandat;  pourvu  que  les  actes  qu'il  accomplit 
émane  d'une  volonté  intelligente,  ces  actes  doivent  être  valables 
nonobstant  l'incapacité  de  leur  auteur,  car  cette  incapacité  est  une 
protection  pour  l'incapable  et  non  pas  pour  les  tiers;  or,  le  mandant 
qui  supporte  seul  les  conséquences  de  l'acte  de  son  mandataire  est 
un  de  ces  tiers  que  ne  protège  pas  la  règle  d'incapacité.  Ces  consi- 
dérations sont  tirées  de  principes  qui  n'ont  rien  de  spécial  aux 
mineurs  émancipés  et  aux  femmes  mariées;  dès  lors  la  disposition 
de  l'article  doit  être  généralisée  et  appliquée  par  exemple  à  tous  les 
mineurs. 

207  bis.  II.  On  peut  alors  s'étonner  de  voir  le  Code  civil  restrein- 
dre en  apparence  une  règle  qui  a  une  raison  d'être  aussi  générale. 
La  raison  de  cette  restriction  est  peut-être  la  rareté  probable  des 
mandats  donnés  aux  incapables  dont  nous  parlons,  mineurs  non 
émancipés  et  interdits.  La  loi  n'a  vu  que  les  hypothèses  pratiques. 
On  peut  ajouter  que  le  but  de  l'article  n'a  pas  été  de  proclamer 
l'aptitude  des  incapables  à  recevoir  un  mandat,  mais  d'éviter  quant 
aux  incapables  qui  jouissent  d'une  capacité  relative,  au  point  de  vue 
par  exemple  de  l'administration,  qu'on  pût  jamais  considérer  l'ac- 
ceptation d'un  mandat  comme  un  acte  d'administration,  valable 
par  conséquent  à  tout  événement.  L'article  n'aurait  donc  pas  eu 
en  vue  la  théorie  générale,  mais  un  point  spécial  de  cette  théorie 
en  tant  qu'elle  s'applique  aux  deux  incapables  auxquels  ses  rédac- 
teurs ont  songé. 

207  bis.  III.  Si  le  mandataire  incapable  peut  engager  son  man- 
dant envers  des  tiers,  il  ne  peut  pas  au  contraire  s'obliger  lui-même 


TIT.    XIII.    DU   MANDAT.    ART.    1990,    1991.  205 

soit  envers  le  mandant,  soit  envers  les  tiers.  En  ce  qui  le  concerne, 
les  engagements  qu'il  aurait  pris  seraient  nuls  dans  les  conditions 
où  le  Code  civil  établit  la  nullité  de  ses  actes.  Ainsi,  quand  le  manda- 
taire est  un  interdit,  ses  engagements  sont  nuls  de  droit  (art.  502); 
si  c'est  une  femme  non  autorisée,  ils  sont  annulables,  alors  même 
que  le  contrat  de  mariage  lui  donnerait  le  pouvoir  d'administration 
car  les  actes  accomplis  pour  un  mandat  ne  sont  pas  des  actes 
d'administration  de  la  fortune  du  mandataire.  Pour  le  mineur  éman- 
cipé, nous  ferons  la  même  observation;  alors  même  qu'il  s'agirait 
d'actes  qui  de  leur  nature  sont  actes  d'administration,  ils  seraient 
annulables  parce  que  la  capacité  du  mineur  émancipé  est  restreinte 
aux  actes  d'administration  de  son  patrimoine.  Pour  ceux-là,  comme 
pour  tous  les  autres  actes,  et  pour  tous  les  actes  du  mineur  non 
émancipé,  il  y  aura  lieu  à  les  annuler,  pourvu  qu'on  démontre  la 
lésion.  Or  la  lésion  résultera  toujours  nécessairement  des  actes  du 
mandataire  incapable,  puisqu'il  se  sera  engagé  sans  avoir  intérêt  à 
l'affaire,  et  quand  il  aura  donné  ses  soins  à  une  administration  sans 
contracter  d'engagements,  il  serait  lésé  si  l'on  prétendait  le  pour- 
suivre en  dommages  et  intérêts  à  l'occasion  de  quelque  faute  ou  né- 
gligence dans  cette  administration. 

Il  faudrait  toujours,  cependant,  réserver  les  cas  de  dol,  car  l'in- 
capable est  toujours  responsable  du  dol;  il  faudra  aussi  l'obliger  à 
restituer  tout  ce  dont  il  se  sera  enrichi  (art.  1310  et  1312). 

207  bis.  IV.  La  loi  ne  s'est  pas  expliquée  sur  la  capacité  requise 
en  la  personne  du  mandant,  mais  il  est  clair  que  le  mandant  doit 
être  capable  de  faire  les  actes  dont  il  charge  le  mandataire.  La 
capacité  de  donner  mandat  sera  soumise  aux  règles  régissant  la 
capacité  de  faire  les  actes  qui  seront  l'objet  du  mandat. 


CHAPITRE  II. 

DES   OBLIGATIONS    DU    MANDATAIRE. 

208.  Le  mandataire  est  tenu  de  trois  obligations  principales  : 
il  doit  :  i°  accomplir  le  mandat 5  2°  y  donner  le  soin  conve- 
nable; 3°  rendre  compte  de  sa  gestion  et  remettre  au  man- 
dant tout  ce  qu'il  en  retient. 


200  COUKS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

209.  La  première  obligation  du  mandataire,  c'est  d'accom- 
plir le  mandai,  c'est-à-dire  de  terminer  entièrement  l'affaire 
qui  en  l'ait  l'objet,  avec  toutes  ses  dépendances  nécessaires-, 
faute  de  quoi  il  est,  comme  de  raison,  passible  de  dommages- 
intérêts  (bien  entendu  s'il  y  a  lieu).  Au  reste,  cette  obligation 
ne  dure  que  tant  qu'il  demeure  chargé  du  mandat,  qui  peut, 
comme  nous  le  verrons,  finir  de  diverses  manières,  et  no- 
tamment, sous  certaines  conditions,  par  la  renonciation  du 
mandataire  (art.  2007).  V.  art.  1991,  al.  1  ;  et  à  ce  sujet, 
art.  1372. 

Quoique  la  mort  du  mandant  soit  une  des  manières  dont 
finit  le  mandai  (art.  2003),  elle  ne  fait  pourtant  pas  cesser 
l'obligation  d'achever  la  chose  commencée-,  c'est  là,  au  sur- 
plus, un  devoir  imposé  au  mandataire  par  un  principe  d'équité, 
plutôt  qu'une  obligation  dérivant  directement  du  contrat. 
Aussi  le  devoir  se  borne-t-il  au  cas  de  péril  en  la  demeure. 
V.  art.  1991,  al.  dernier;  et  a  ce  sujet,  art.  1373. 

210.  La  seconde  obligation  du  mandataire,  c'est  de  donner 
à  l'affaire  qui  lui  est  confiée  le  soin  convenable.  A  cet  égard, 
il  est  tenu  plus  strictement  que  le  dépositaire,  qui  ne  doit 
que  de  la  fidélité,  parce  que  la  garde  dont  il  est  chargé 
n'exige  pas  autre  chose.  Mais  la  gestion  d'une  affaire  demande 
une  certaine  diligence  que  le  mandataire  est  censé  promettre 
en  se  chargeant  de  cette  gestion.  Le  mandataire  répond 
donc  non-seulement  de  son  dol,  mais  même  de  ses  fautes, 
qui  consisteraient  en  général  a  ne  pas  donner  les  soins  d'un 
bon  père  de  famille.  Cette  règle  s'appliquera  également  au 
mandat  gratuit  et  au  mandat  salarié-,  mais,  conformément  à 
la  théorie  reçue  (v.  Ulp.,  L.  5,  §  2,  D.  commod.),  elle  s'ap- 
pliquera plus  rigoureusement  au  mandat  salarié  qu'au  mandat 
gratuit.  V.  art.  1992. 

210  bis.  La  responsabilité  du  mandataire  à  raison  des  fautes  par 
lui  commises  ne  saurait  être  amoindrie  parce  qu'il  aurait,  par  son 
habileté  et  sa  diligence,  procuré  des  bénéfices  au  mandant.  Il  y  a 
lieu  d'appliquer  ici  la  règle  contenue  dans  l'article  1850  en  matière 
de  société.  De  même  que  l'associé  doit  procurer  par  son  industrie 


TH.    XIII.    DU    MANDAT.    ART.    1991-1993.  207 

tous  les  bénéfices  possibles  à  la  société,  de  même  le  mandataire  pour 
les  affaires  qui  rentrent  dans  son  mandat,  et  nous  ne  parlons  que 
de  celles-là,  doit  donner  tous  ses  soins  pour  que  le  mandant  réalise 
des  bénéfices,  et  ce  n'est  pas  en  accomplissant  ce  devoir  par  rapport 
à  une  certaine  affaire  qu'il  peut  se  dégager  de  la  faute  qu'il  a  com- 
mise en  en  négligeant  une  autre.  Il  devait  faire  ses  efforts  pour  faire 
réussir  les  deux  opérations;  le  succès  de  l'une  ne  l'excuse  pas 
d'avoir  négligé  l'autre  (1). 

211.  La  troisième  obligation  du  mandataire  est  celle  de 
rendre  compte  de  sa  gestion;  ce  qui  emporte  ensuite  obliga- 
tion de  payer  ou  restituer  tout  ce  qui  lui  est  parvenu  par  suite 
du  mandai,  et  généralement  tout  ce  qu'il  peut  devoir,  à  ce 
titre,  au  mandat,  sous  la  déduction  de  ses  dépenses  ou  autres 
causes  de  répétition. 

L'obligation  de  rendre  compte,  généralement  applicable  a 
ceux  qui  administrent  pour  autrui ,  est  imposée,  comme  de 
raison,  a  tout  mandataire. 

Dans  ce  compte,  le  mandataire  doit  surtout  faire  raison, 
c'est-à-dire  se  charger  en  recette,  de  tout  ce  qu'il  a  reçu  en 
vertu  de  sa  procuration.  A  cet  égard,  il  n'y  a  pas  même  lieu 
d'examiner  si  ce  qui  a  été  reçu  était  ou  non  dû  au  mandant 
(v.  à  ce  sujet  Paul,  L.  23.  D.  de  negot.  gest.);  en  effet,  le 
mandataire  qui  a  reçu  pour  lui  n'a  nullement  qualité  pour 
soulever  celte  question,  qui,  s'il  y  a  lieu,  s'agitera  entre  le 
mandant  et  la  personne  qui  a  fait  le  paiement.  V.  art.  1993;  et 
remarquez  qu'en  consacrant  d'une  manière  plus  spéciale 
l'obligation  de  faire  raison  de  toutes  les  receltes  effectives,  le 
législateur  n'entend  point  exclure  celle  de  faire  également 
raison  des  recettes  que  le  mandataire  aurait  manqué  de  faire, 
et  de  toutes  les  indemnités  qu'il  peut  devoir. 

21  i  bis.  I.  L'obligation  de  rendre  compte  n'est  pas  de  l'essence  du 
mandat.  La  convention  des  parties  pourrait  en  dispenser  le  man- 
dataire. Le  mandant,  maître  de  ses  droits,  peut  bien  les  compromettre 
en  s'abandonnant  absolument  à  la  bonne  foi  du  mandataire.  Il 
n'en  aura  pas  moins  du  reste  l'action  de  mandat,  pour  exiger 

(1  )  V*  Potbier,  n°  52. 


208  COURS   ANALYTIQUE   DE    CODE    CIVIL.    LIV.    I». 

l'exécution.  De  plus,  la  dispense  du  compte  n'implique  pas  donation 
des  choses  que  le  mandataire  a  reçues  du  mandant  et  des  valeurs 
qu'il  a  perçues  pour  lui  ;  par  conséquent  le  mandant  pourra  toujours 
revendiquer  les  choses  qui  lui  appartiennent,  et  l'article  2279  n'y 
fera  point  obstacle,  car  le  mandataire  ne  sera  pas  possesseur 
de  ces  choses;  et  pour  les  quantités  qui  ont  passé  par  les  mains 
du  mandataire,  le  mandant  pourra  toujours,  sinon  demander  un 
compte,  c'est-à-dire  une  justification  des  dépenses  faites,  mettre  le 
mandataire  en  demeure  de  déclarer  quel  est  l'excédent  des  recettes 
sur  les  dépenses  et  exiger  la  restitution  de  l'excédent  reconnu  par 
le  mandataire. 

Si,  au  cas  de  dispense  du  compte,  le  mandataire  se  prétend 
créancier,  les  dépenses  ayant  excédé  les  recettes,  il  faudra  bien, 
après  que  le  mandant  aura  prouvé  qu'il  a  mis  telles  ou  telles  valeurs 
entre  les  mains  du  mandataire,  que  celui-ci  justifie  qu'il  a  fait  des 
dépenses  supérieures,  car  la  dispense  du  compte  n'est  pas  l'abandon 
de  cette  règle  que  celui  qui  se  prétend  créancier  doit  prouver  sa 
créance,  c'est  seulement  une  garantie,  une  assurance  de  tranquillité 
donnée  au  mandataire.  Elle  vise  le  mandataire  défendeur  et  non 
pas  demandeur.  S'il  en  était  autrement,  il  arriverait  qu'un  manda- 
taire dispensé  de  rendre  compte  pourrait,  par  sa  seule  déclaration,  se 
constituer  créancier  de  sommes  énormes,  hors  de  proportion  avec 
celles  qu'il  peut  être  supposé  avoir  avancées. 

Notre  solution  sur  la  dispense  de  rendre  compte  ne  présente,  il 
faut  le  remarquer,  de  danger  que  pour  le  mandant  seul;  ses  héri- 
tiers n'ont  rien  à  craindre  pour  des  actes  de  gestion  postérieurs 
au  décès  de  leur  auteur,  puisque  le  mandat  finit  par  la  mort  du 
mandant. 

211  bis.  II.  Quand  l'article  1994  dit  que  le  mandataire  doit  faire 
raison  de  ce  qu'il  a  reçu,  cela  implique  que  pour  les  sommes  ou 
généralement  pour  les  quantités  reçues,  il  doit  les  porter  en  recettes, 
et  que  naturellement  elles  se  compensent  par  une  balance  avec  les 
dépenses.  Il  n'en  est  pas  ainsi  quand  ces  choses  reçues  sont  des 
corps  certains,  le  mandant  en  est  propriétaire,  il  a  droit  d'en  exiger 
la  restitution  en  nature,  et  il  ne  peut  être  question  de  compensation. 
Seulement  le  mandant  est  exposé  à  voir  le  mandataire  conserver  la 
détention  de  ces  objets  jusqu'au  paiement  de  ce  qui  peut  lui  être 
dû  pour  ses  avances.  Ce  droit,  qu'on  appelle  droit  de  rétention, 
l'article  1948  l'accorde  spécialement  au  dépositaire,  et  nous*l'attri- 


TIT.    XIII.    DU   MANDAT.    ART.    1993,    1994.  209 

buons  au  mandataire,  par  application  d'une  théorie  générale  que 
nous  avons  exposée  au  tome  IX  (I). 

212.  Le  compte  du  mandataire  n'embrasse  pas  seulement 
sa  propre  gestion,  il  s'applique  également  à  celle  du  tiers  qu'il 
se  serait  substitué  sous  sa  responsablité. 

Cette  responsabilité,  au  reste,  s'applique  diversement  à 
deux  cas  :  1°  lorsque  le  mandataire  n'a  pas  reçu  le  pouvoir 
général  de  se  substituer  quelqu'un;  il  est  clair  que  s'il  le  fait, 
c'est  entièrement  à  ses  risques  et  périls,  et  qu'il  doit  répondre 
du  fait  du  substitué  comme  du  sien  propre  $  2°  lorsqu'il  a  reçu 
ce  pouvoir  général,  mais  sans  désignation  de  personne-,  il  ne 
doit  alors  répondre  que  du  mauvais  choix  qu'il  aura  fait,  et  ce 
choix  n'engage  sa  responsabilité  qu'autant  qu'il  aurait  porté 
sur  une  personne  notoirement  incapable  ou  insolvable.  V.  art. 
1994,  al.  1. 

Dans  le  cas  où  le  mandataire  est  responsable  du  fait  du 
substitué,  c'est  contre  lui  seul  que  le  mandant  semblerait 
avoir  action,  sauf  a  lui  a  intenter  la  sienne  contre  le  substitué, 
son  propre  mandataire  ;  mais  le  motif  qui,  dans  d'autres  cas 
déjà  expliqués,  autorise  certains  créanciers  a  agir  directement 
contre  le  débiteur  de  leur  débiteur,  s'appliquant  ici,  la  loi 
permet  toujours  au  mandant  d'agir  directement  contre  le  sub- 
stitué. V.  art.  1994,  al.  dernier,  et  à  ce  sujet,  art.  1753, 
1798;  C.  Pr.,art.  820. 

212  bis.  I.  En  décidant  que  dans  certains  cas  le  mandataire  sera 
responsable  de  la  personne  qu'il  se  sera  substituée  dans  sa  gestion, 
le  Gode  civil  néglige  d'examiner  en  principe  le  point  de  savoir  si  le 
mandataire  a  le  droit  de  se  substituer  un  sous-mandataire. 

Dire,  en  eiïet,  que  le  mandataire  répond  du  substitué  quand  il 
n'avait  pas  reçu  le  pouvoir  de  se  substituer  quelqu'un,  ce  n'est  pas 
reconnaître  que  le  mandataire  avait  le  droit  de  faire  ce  qu'il  a  fait  ;  on 
l'a  prétendu  toutefois,  en  interprétant  l'article  1994,  leralin.,  comme 
s'il  déclarait  que  le  sous-mandataire  oblige  le  mandant  dans  l'hypo- 
thèse qu'il  prévoit,  et,  partant  de  cette  décision  qu'en  prête  à  l'article, 
on  a  conclu  que  le  mandataire  n'avait  pas  excédé  les  bornes  de  son 


(1)  V.  t.  IX,  n"  2  bit.  I-VI. 

vni.  14 


510  COU!  S    ANALYTIQUE    DK    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

mandat  en  conférant  un  sous-mandat ,  ce  qui  implique  que  le 
mandat  donné  sans  explication  comprend  tacitement  le  pouvoir  de 
donner  un  sous-mandat  (1). 

212  bis.  II.  Cette  argumentation  repose,  il  nous  semble,  sur  une 
confusion.  Rien,  dans  l'article,  n'a  trait  aux  pouvoirs  du  sous-man- 
dataire. Il  n'y  est  question  que  de  la  responsabilité  du  mandataire 
par  rapport  aux  actes  de  son  substitué,  qui  causeraient  préjudice  au 
mandant.  Or,  les  actes  par  lesquels  le  mandataire  peut  nuire  au  man- 
dant sont  de  deux  natures  :  actes  portant  un  préjudice  matériel;  actes 
entraînant  un  préjudice  juridique.  Les  premiers  sont,  par  exemple, 
des  actes  de  négligence  dans  l'administration  de  la  chose  confiée  au 
mandataire,  on  aura  mal  entretenu  les  biens  qu'il  s'agissait  d'admi- 
nistré, mal  fermé  une  maison,  et  des  voleurs  l'auront  pillée  ;  les  autres 
sont  des  opérations  juridiques,  des  contrats  faits  au  nom  du  mandant 
et  qui  lui  sontdésavantageux.  Quelle  que  soit  l'opinion  qu'on  adopte 
sur  la  valeur  du  sous-mandat,  les  préjudices  matériels  sont  des  faits 
accomplis,  et  la  loi  a  dû  donner  une  solution  sur  le  point  de  savoir 
à  qui  en  incomberait  la  responsabilité.  Alors  même  qu'elle  admet- 
trait que  le  sous-mandat  n'a  pas  de  valeur,  il  est  tout  naturel 
qu'elle  songe  à  la  responsabilité  d'un  préjudice  qui  en  est  résulté  en 
fait.  Mais  cette  solution  n'implique  pas  que  le  sous-mandataire  a  pu 
obliger  le  mandant,  parce  que  si  les  actes  juridiques  par  lui  accom- 
plis n'ont  pas  d'effets  contre  le  mandant,  il  n'y  a  pas  préjudice 
causé  et  pas  de  responsabilité  pour  le  mandataire.  L'argument  tiré 
de  l'article  1994-1°  ne  pourrait  avoir  de  force  que  si  l'on  ne  pou- 
vait pas  concevoir  d'autre  préjudice  que  celui  qui  résulterait  des 
contrats  faits  par  le  sous-mandataire.  Si  au  contraire  ses  actes 
matériels  peuvent  avoir  nui  au  mandant,  cela  suffit  pour  expliquer 
l'article,  sans  qu'on  soit  obligé  d'y  trouver  une  décision  relative  à  des 
obligations  que  le  substitué  du  mandataire  imposerait  au  mandant. 
Ce  qui  prouve  surabondamment  que  le  Code  n'a  pas  entendu  donner 
par  l'article  1994  pouvoir  au  mandataire  de  se  substituer  quelqu'un, 
c'est  que  cet  article  n'a  pas  réservé  le  cas  où  le  mandat  contiendrait 
une  défense  expresse  de  déléguer  un  sous-mandataire.  Or,  il  paraît 
bien  impossible  d'admettre  qu'en  pareil  cas  le  sous-mandataire 
obligera  le  mandant  envers  les  tiers.  Mais  ce  qu'on  reconnaîtra 
certainement,  c'est  que  dans  ce  cas  le  mandataire  répondra  des  pré- 

(î)  t.  Aubry  ei  Rau,  t.  lil    p.  4j7,  u°  15.  É  lit.  1836. 


TIT.    X11I.    DU    MANDAT.    ART.    1991.  21 1 

judices  matériels  causés  par  son  substitué.  Ce  cas  se  trouve  compris 
dans  le  texte  de  l'article,  car  il  est  certainement  un  de  ceux  où  le 
mandataire  n'a  pas  reçu  le  pouvoir  de  se  substituer  quelqu'un.  En 
écrivant  une  formule  qui  embrasse  ces  deux  hypothèses  si  dissem- 
blables au  point  de  vue  de  l'obligation  envers  les  tiers,  la  loi  n'a-t-elle 
pas  montré  qu'elle  n'envisageait  qu'une  autre  face  de  la  question, 
celle  qui  est  relative  à  la  responsabilité  des  dommages  matériels  ? 

212  bis.  III.  Quant  à  la  question  des  pouvoirs,  il  semble  qu'elle 
est  facilement  résolue ,  quand  on  recherche  quelle  doit  avoir  été 
l'intention  du  mandant.  Nous  laissons,  bien  entendu,  le  cas  où  le 
mandat  défend  expressément  la  substitution  d'un  sous-mandataire 
au  mandataire.  Nous  raisonnons  sur  le  cas  où  le  mandat  est  muet 
sur  cette  question.  Alors  il  nous  paraît  évident,  comme  il  le  paraissait 
à  Pothier,  que  tout  dépend  de  la  nature  de  l'a  Ha  ire  dont  le  mandant 
a  chargé  son  mandataire.  Si  elle  suppose  une  habileté,  un  talent, 
une  science  personnelle,  il  faut  bien  admettre  que  le  mandant  a 
choisi  son  mandataire  pour  sa  personne,  son  caractère  et  son  talent, 
que  le  mandataire  de  son  côté  a  promis  son  action  propre,  que  dès 
lors  la  faculté  pour  le  mandataire  de  se  substituer  quelqu'un  n'a 
pas  été  admise  dans  la  convention.  Pothier  cite  pour  exemple  le 
cas  où  une  personne  donne  à  un  jurisconsulte  renommé  le  pou- 
voir de  la  représenter  dans  une  transaction.  N'est-il  pas  clair  que 
le  mandant  a  compté  sur  la  connaissance  des  affaires,  sur  la  science 
du  droit,  sur  le  talent  de  discussion  de  la  personne  qu'il  choisis- 
sait, et  que  c'est  sortir  des  termes  du  contrat  et  compromettre  les 
intérêts  de  ce  mandant  que  de  confier  à  une  autre  personne  le 
droit  de  prendre  part  à  la  transaction?  Mais  si  l'affaire  ne  demande 
pas  une  habileté  particulière,  si  l'on  ne  peut  supposer  que  le  mandant 
aurait  pu  choisir  toute  autre  personne,  il  n'y  a  plus  de  raison  pour 
refuser  au  mandataire  le  droit  de  se  faire  remplacer.  L'exemple  de 
Pothier  suppose  une  personne  chargée  d'acheter  un  livre  chez  un 
libraire,  nous  pourrions  supposer  une  opération  plus  importante, 
comme  l'achat  dans  une  adjudication  aux  enchères,  moyennant  que 
le  maximum  du  prix  d'achat  a  été  fixé  dans  le  mandat  (1). 

212  bis.  IV.  Le  mandat  n'emporte  donc  pas  par  lui-même,  et  dans 
tous  les  cas,  autorisation  pour  le  mandataire  de  choisir  un  sous-man- 
dataire, mais  ce  choix,  s'il  a  eu  lieu,  est  toujours  pour  ce  mandataire 

(1)  V.  Pothier,  M-inda/,  n9£9. 

li. 


212  COURS  ANALYTIQUE   DE   CODE   CIVIL.    LIV.    III. 

une  source  de  responsabilité.  S'il  n'avait  pas  le  pouroir  de  le  faire,  la 
responsabilité  découle  de  la  faute  qu'il  a  commise  en  sortant  des 
limites  de  son  mandat,  et  elle  pèse  sur  lui,  quelle  que  soit  la  per- 
sonne choisie;  s'il  avait  le  pouvoir,  la  responsabilité  n'existe  pas, 
quand  il  a  sagement  choisi  son  représentant,  ou  quand  ce  représentant 
éventuel  a  été  spécialement  indiqué  dans  la  convention  de  mandat. 
Elle  existe  au  contraire  quand  il  a  fait  un  mauvais  choix,  quand 
il  s'est  substitué  une  personne  notoirement  incapable  de  faire 
l'affaire  ou  notoirement  insolvable.  Dans  ces  cas,  il  n'est  pas  sorti 
des  limites  de  ses  pouvoirs,  mais  il  en  a  mal  usé,  il  a  commis  une 
de  ces  fautes  dans  la  gestion  dont  l'article  1992  le  déclare  respon- 
sable. 

212  bis.  V.  Quand  le  mandataire  est  responsable  des  faits  de  son 
substitué,  le  mandant  peut  poursuivre  indifféremment  le  manda- 
taire ou  le  substitué.  C'est  la  décision  de  l'article  1994,  2°  al.  Elle 
peut  tout  d'abord  paraître  quelque  peu  exceptionnelle,  car  il  sem- 
blerait que  le  mandant  ne  doive  avoir  d'action  que  contre  le  manda- 
taire, ia  seule  personne  avec  qui  il  a  contracté,  et  que  le  substitué 
ne  soit  exposé  qu'à  un  recours  de  la  part  du  mandataire.  Cet 
aperçu  nous  semble  inexact,  au  moins  dans  tous  les  cas  où  nous 
trouvons  que  le  mandataire  avait  un  pouvoir  exprès  ou  tacite  de 
choisir  un  sous-mandataire.  Dans  ces  hypothèses,  le  mandataire  a 
mandat  de  donner  mandat  au  substitué,  il  lui  donne  ce  mandat  au 
nom  du  mandant  primitif,  et  par  conséquent  c'est  comme  si 
celui-ci  faisait  directement  un  contrat  du  mandat  avec  celui  que 
nous  appelons  le  substitué. 

212  bis.  VI.  Nous  ne  pouvons  pas  faire  ce  raisonnement  quand 
le  mandataire  a  outre-passé  ses  pouvoirs  en  les  déléguant  à  un 
substitué.  Mais  nous  n'en  reconnaîtrons  pas  moins  un  rapport  de 
droit  direct  entre  le  mandant  primitif  et  le  substitué.  Celui-ci  devait 
connaître  le  vice  de  ses  pouvoirs,  savoir  que  le  mandataire  n'avait 
pas  le  droit  de  le  prendre  pour  remplaçant;  en  s'immisçant  sans 
droit  dans  les  affaires  du  mandant,  il  s'est  rendu  coupable  d'une 
faute  envers  lui,  et  l'action  de  celui-ci  est  une  action  directe 
fondée  sur  l'article  1382  du  Code  civil. 

212  bis.  VU.  Dans  les  deux  hypothèses  que  nous  venons  d'exa- 
miner, le  mandant  a  l'avantage  d'exercer  un  droit  propre,  ce  qui 
ne  l'exposera  pas  aux  exceptions  qu'on  pourrait  lui  opposer  du 
chef  du  mandataire,  s'il  exerçait  simplement,  en  vertu  de  l'article 


TIT.    XIII.    DU    MANDAT.    ART.    1994,    1993.  213 

1166,  le  recours  appartenant  à  celui-ci,  et  ce  qui  le  met  hors  du 
concours  qui  s'établirait  entre  lui  et  les  créanciers  du  mandataire, 
s'il  ne  s'appuyait  que  sur  ce  dernier  article. 

213.  De  même  que  le  mandataire  répond  du  fait  de  son 
substitué  parce  que  ce  fait  lui  est  imputable,  il  semble  éga- 
lement qu'au  cas  où  plusieurs  mandataires  sont  chargés  de  la 
même  affaire,  ils  devraient  répondre  du  fait  les  uns  des  autres, 
en  tant  que  le  fait  de  l'un  pourrait  être  imputé  au  défaut  de 
surveillance  de  l'autre.  Aussi  tenait-on  autrefois  qu'il  y  avait 
solidarité  entre  eux  (v.  Scœv.,  L.  60,  §  2,  D.  mand.).  Quoi 
qu'il  en  soit,  la  loi  rejette  cette  doctrine,  et  n'admet  la  soli- 
darité entre  les  fondés  de  pouvoir  ou  mandataires  con- 
stitués par  le  même  acte  qu'autant  qu'elle  serait  exprimée. 
V.  art.  1995. 

213  bis.  I.  Pothier  admettait  la  solidarité  des  mandataires  (1);  le 
Code  civil  la  repousse  par  application  de  son  article  1202.  Il  semble 
exiger,  pour  qu'il  en  soit  ainsi,  que  les  mandataires  aient  été  con- 
stitués par  le  même  acte.  Cependant,  la  non-solidarité  est  encore 
plus  évidente  au  cas  où  les  divers  mandats  ont  été  donnés  dans  des 
actes  distincts,  et  la  pensée  de  l'article  doit  être  que  sa  décision 
s'applique  même  au  cas  où  les  mandataires  ont  été  établis  par  le 
même  acte. 

213  bis.  II  Un  point  peut  paraître  douteux  sur  la  réglementation 
de  l'espèce  supposée  par  l'article  1995;  plusieurs  mandataires  ont 
été  constitués  pour  la  même  affaire  sans  que  les  attributions  aient 
été  réparties  entre  eux;  faut-il  entendre  que  leur  concours  sera 
nécessaire  pour  faire  un  acte  quelconque,  ou  bien  chacun  d'eux 
pourra-t-il  agir  à  défaut  des  autres?  C'est  une  question  qui  est 
tranchée  par  l'article  1033,  à  propos  du  mandat  spécial  qu'on 
appelle  l'exécution  testamentaire;  un  seul  peut  agir  à  défaut  des 
autres.  Mais  il  est  difficile  de  généraliser  d'une  manière  absolue 
l'article  1033,  il  faudra  considérer  la  nature  de  l'affaire,  et  d'après 
cette  nature,  il  faut  découvrir  la  pensée  du  mandant.  Il  y  a  telle 
affaire  difficile  pour  laquelle  le  mandant  aura  entendu  que  les 
mandataires  devaient  se  concerter  pour  décider  avec  plus  de  ma- 

(1)  V.  Pother,  Mandat,  ti»  63. 


21-4  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE   CIVIL.    LIV.    III. 

turité;  telle  autre  sera  par  exemple  une  administration,  une  sur- 
veillance, et  la  pluralité  des  mandataires  montre  seulement  que  le 
mandant  a  pris  des  précautions  pour  que  rien  ne  fût  oublié  ni  né- 
gligé, sans  que  chacune  des  opérations  à  accomplir  demandât  une 
Véritable  délibération  (1). 

2\A.  L'obligation  de  faire  raison  de  tout  ce  que  le  manda- 
taire a  reçu  en  vertu  de  sa  procuration ,  comprend  évidem- 
ment les  intérêts  des  sommes  placées  par  lui  pour  le  mandant-, 
la  loi  n'a  pas  eu  besoin  de  s'en  expliquer-,  mais,  en  outre,  le 
mandataire  ne  pouvant,  sans  les  détourner  de  leur  destina- 
lion  ,  employer  a  son  profit  personnel  les  sommes  appartenant 
au  mandant,  la  loi  le  rend  également  débiteur,  c'est-à-dire 
comptable,  des  intérêts,  à  dater  de  cet  emploi.  Hors  ces  cas, 
il  ne  doit  pas,  en  général,  d'intérêts  jusqu'à  la  reddition  du 
compte.  Mais  si  par  l'événement  du  compte  il  est  reliqua- 
taire,  les  sommes  qui  composent  ce  reliquat  deviennent, 
quelle  que  soit  leur  origine  (v.  à  ce  sujet  art.  \  154,  H55), 
susceptibles  d'en  produire.  Toutefois  la  loi  ne  les  fait  courir 
que  du  jour  de  la  mise  en  demeure.  V.  article  1996. 

214  bis.  I.  Les  sommes  qui  constituen-t  le  reliquat  du  compte 
produisent  des  intérêts  à  partir  de  la  mise  en  demeure.  On  serait 
tenté  de  croire  qu'il  s'agit  là  de  la  mise  en  demeure  spéciale  aux 
obligations  de  sommes  d'argent,  c'est-à-dire  la  demande  en  justice 
(art.  1153).  Cependant,  cette  interprétation  s'éloignerait  un  peu 
trop  du  texte,  car  l'expression  mise  en  demeure  a  un  sens  précis 
déterminé  par  l'article  1139,  de  plus  l'article  1153  ne  qualifie  pas 
ainsi  la  citation  en  justice.  Il  vaut  donc  mieux  s'en  tenir  à  la  dis- 
position littérale  de  la  loi  et  voir  ici  une  exception  à  la  règle  de 
l'article  1153.  Cette  exception  n'est  pas  la  seule,  nous  en  avons 
trouvé  une  dans  l'article  1652  (2);  celle  de  l'article  1996  se  justi- 
fierait par  une  sorte  de  présomption;  le  législateur  suppose  que  le 
mandataire  qui  n'obéit  pas  à  l'acte  de  mise  en  demeure  n'a  pas 
les  fonds  à  sa  disposition,  donc  qu'il  les  a  employés  à  son  usage,  et 
par  application  de  la  première  disposition  de  l'article,  elle  le  soumet 
au  paiement  des  intérêts. 

(1)  V.  Pothier.  Mandat,  n»  99. 

(2)  V.  t.  VII,  n°  97  bis.  IV. 


TIT.    XIII.    DU    MANDAT.    ART.    1996,    1997.  215 

214  bis.  II.  Les  principes  du  mandat  nous  conduisent  encore  à 
des  solutions  qui  ne  découleraient  pas  de  l'article  1153.  Ainsi,  nous 
dirons  que  le  mandataire  général  chargé  de  régir  l'ensemble  d'un 
patrimoine,  pourra  être  condamné,  sans  mise  en  demeure,  aux 
intérêts  des  sommes  qu'il  aurait  dû  placer  et  qu'il  a  conservées 
improductives,  alors  même  qu'il  serait  certain  qu'il  ne  les  a  pas 
employées  à  son  usage  personnel  :  par  exemple,  s'il  les  a  déposées 
à  la  Banque  de  France  ou  chez  un  notaire.  Sa  faute  alors  n'est  pas 
celle  d'un  débiteur  de  somme  d'argent  qui  tarde  trop  à  se  libérer, 
c'est  une  faute  d'administration,  c'est  un  des  griefs  sur  lesquels 
s'appuie  l'action  en  responsabilité  pour  mauvaise  gestion.  Il  serait 
certainement  responsable  s'il  n'exigeait  pas  les  sommes  dues  au 
mandant,  et  le  préjudice  éprouvé  consisterait,  en  admettant  la  sol- 
vabilité du  débiteur,  dans  la  privation  de  la  jouissance  de  ces 
sommes;  en  quoi  cette  hypothèse  diffère-t-elle  sensiblement  de 
celle  que  nous  examinons? 

214  bis.  El.  Nous  raisonnerons  de  même  sur  une  hypothèse  voisine. 
Le  mandataire  néglige  d'employer  les  sommes  qu'il  a  à  sa  dis- 
position pour  payer  une  dette  du  mandant,  celui-ci  est  poursuivi 
et  saisi  à  la  requête  du  créancier.  Le  préjudice  résultant  de  la  saisie 
peut  être  supérieur  à  l'intérêt  légal  de  la  somme  retenue  par  le 
mandataire.  Nous  admettons  que  celui-ci  doit  des  dommages  et 
intérêts  supérieurs  à  l'intérêt  légal.  Les  motifs  de  notre  décision 
sont  les  mêmes  que  dans  l'hypothèse  précédente.  Il  ne  s'agit  pas 
simplement  d'un  retard,  ni  du  fait  d'un  mandataire  qui  se  procure 
injustement  la  jouissance  d'un  capital,  il  s'agit  d'une  faute  dans  la 
gestion,  et  l'action  en  indemnité  est  fondée  non  sur  l'article  1153 
ou  sur  l'article  1996,  mais  sur  l'article  1992. 

215.  Quoiqu'il  n'y  ait  vraiment  rien  de  commun  entre  les 
obligations  que  le  contrat  de  mandai  impose  au  mandataire 
envers  son  mandant,  et  celles  qui  peuvent  résulter  des  con- 
trats passés  par  lui  avec  les  tiers,  en  exécution  du  mandat, 
la  loi  cependant  place  ici  une  disposition  tendant  à  déterminer 
les  cas  où  ces  contrats  obligeront  le  mandataire  envers  les 
tiers.  Pour  bien  comprendre  cette  disposition,  il  faut  savoir 
d'abord  que,  dans  notre  droit,  le  mandataire  qui  contracte 
en  cette  qualité,  au  nom  du  mandant,  oblige  celui-ci,  et  ne 
s'oblige  lui-même  qu'autant  qu'il  s'y  soumet  spécialement', 


216  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

mais  bien  entendu  que,  pour  obliger  ainsi  le  mandant,  il  faut 
que  le  mandataire  se  soit  renfermé  dans  les  limites  de  ses 
pouvoirs.  S'il  les  excède  à  l'insu  du  tiers,  qui  contracte  avec 
lui  dans  la  confiance  inspirée  par  la  qualité  qu'il  prend,  il  est 
juste  qu'il  demeure  garant  envers  celui-ci.  Mais  cette  raison 
ne  s'applique  plus  lorsque  le  mandataire  a  donné  suffisante 
connaissance  de  ses  pouvoirs  :  le  tiers,  alors,  doit  s'imputer 
d'avoir  contracté  avec  un  représentant  sans  pouvoirs;  et 
comme  ce  n'est  toujours  qu'en  cette  qualité  de  représentant 
que  le  mandataire  a  contracté,  il  ne  sera  garant,  pour  ce  qui 
a  été  fait  au  delà  des  pouvoirs,  comme  pour  ce  qui  aurait 
été  fait  dans  leurs  limites,  qu'autant  qu'il  se  serait  personnel- 
lement soumis  à  cette  garantie.  V.  art.  1997. 

215  bis.  Nous  avons  appliqué,  au  titre  du  contrat  de  mariage  sur 
l'article  1560,  la  règle  de  l'article  1997,  au  mari  qui  aliène  le  bien 
dotal  de  sa  femme  ne  le  présentant  pas  comme  sien,  mais  comme 
bien  de  sa  femme.  Il  agit  alors  comme  mandataire,  il  outre-passe  ses 
pouvoirs,  mais  il  ne  doit  pas  garantie  au  tiers  acquéreur,  parce  que 
celui-ci  avait  une  connaissance  suffisante  de  l'étendue  des  pouvoirs 
du  mari,  ces  pouvoirs  étaient  délimités  par  la  loi  elle-même  (1). 
Cette  décision  veut  être  généralisée  et  étendue  aux  actes  de  tous 
les  administrateurs  dont  les  pouvoirs  sont  déterminés  par  la  loi. 


CHAPITRE  III. 

DES   OBLIGATIONS   DU   MANDANT. 

216.  Sous  cet  intitulé  la  loi  comprend  deux  idées  fort  dis- 
tinctes, et  qui  se  rattachent  a  des  principes  entièrement  dif- 
férents, savoir  :  les  obligations  du  mandant  envers  le  man- 
dataire ;  et  celles  dont  il  est  tenu  envers  les  tiers,  par  l'effet 
du  mandat  qu'il  a  donné. 

(1)  V.  t.  VI,  n°  222  bit.  XVIII. 


TIT.    XIII.    DU    MANDAT.    ART.    4997,    1998.  217 

217.  Quoique  les  contrats  n'aient,  en  général,  d'effet 
qu'entre  les  parties  contractantes  (art.  1165),  le  mandat,  à 
cause  des  pouvoirs  qu'il  renferme,  a  pour  effet  particulier 
d'obliger  le  mandant  envers  les  tiers  a  l'exécution  des  enga- 
gements contractés  par  le  mandataire,  pourvu  qu'ils  l'aient 
été  conformément  au  pouvoir  qui  a  été  donné.  Alors,  en  effet, 
si  c'est  au  nom  du  mandant  que  le  contrat  a  été  fait,  c'est  lui- 
même  qui  est  censé  avoir  contracté  par  le  ministère  d'un 
autre,  ce  que  notre  droit  ne  défend  pas;  et  quand  le  manda- 
taire aurait  contracté  en  son  nom  propre,  il  suffît  qu'il  l'ait  fait 
par  l'ordre  du  mandant  et  pour  son  compte,  pour  que,  ban- 
nissant toute  subtilité,  on  autorise  a  agir  directement  contre 
celui-ci  (v.  à  ce  sujet  Just.,  Inst.,  §  8,  quod  cum  eo).  V.  art. 
1998,  al.  1  :  et  remarquez  que  si  le  mandataire  a  contracté 
en  son  propre  nom,  c'est  lui  qui  est  alors  principalement 
tenu,  sauf  son  recours  contre  son  mandant.  Sous  ce  rapport, 
il  est  lui-même  intéressé  a  ce  que  les  engagements  qu'il  a 
pris  soient  exécutés  par  celui-ci  à  sa  décharge-,  alors  le  man- 
dant est  tenu,  envers  lui  aussi,  a  celle  exécution.  Ce  résultat, 
comme  le  précédent,  est  compris  dans  les  expressions  géné- 
rales de  notre  article. 

Sous  quelque  point  de  vue  qu'on  envisage  la  chose,  ce 
n'est  toujours  que  dans  les  limites  du  pouvoir  donné  que  le 
mandant  est  tenu  a  l'exécution;  car  pour  l'excédant,  il  n'y  a 
pas  mandat.  Toutefois,  la  volonté  postérieure  réparant  par- 
faitement le  défaut  de  volonté  au  moment  de  l'acte,  et  la 
ratification  dès  lors  équivalant  a  mandat,  celte  ratification 
couvrirait  l'excès  de  pouvoir;  mais  ce  n'est  qu'a  elle  qu'est 
attribué  cet  effet  (v.  pourtant  art.  1375).  Du  reste,  la  ratifi- 
cation peut  être  expresse  ou  tacite.  V.  art.  1998,  al.  2. 

217  bis.  I.  La  loi  envisage  d'abord  la  situation  du  mandant  dans 
ses  rapports  avec  les  tiers  ;  il  s'agit  évidemment  des  tiers  qui  ont 
contracté  ou  fait  quelque  autre  acte  juridique  avec  le  mandataire 
agissant  pour  le  mandant.  Quels  sont  les  effets  de  ces  actes  par 
rapport  au  mandant,  et  notamment,  s'il  s'agit  de  contrats,  le  mandant 
est-il  obligé  par  le  fait  de  son  mandataire? 


218  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

217  bis.  II.  La  loi  suppose  que  le  mandataire  a  agi  conformément 
au  pouvoir  qu'il  avait  reçu,  mais  il  peut  avoir  agi  de  deux  façons  : 
1°  il  peut  avoir  contracté  au  nom  du  mandant;  2°  il  peut  avoir  agi 
en  son  nom  propre. 

Dans  le  premier  cas,  le  mandataire  s'est  présenté  comme  le  rem- 
plaçant du  mandant,  il  agissait  en  son  lieu,  il  n'indiquait  pas  qu'il 
consentait  s'engager  lui-même,  il  a  engagé  le  mandant,  et  il  n'a 
engagé  que  celui-ci.  Le  tiers  ne  peut  pas  se  plaindre,  on  ne  lui  a 
pas  offert  un  autre  débiteur  que  le  mandant,  et  il  i'a  accepté. 

217  bis.  III.  Dans  le  second  cas,  le  mandataire  s'est  présenté  per- 
sonnellement comme  contractant;  si  le  contrat  entraîne  de  son  côté 
une  obligation,  il  a  joué  le  rôle  d'un  promettant,  le  tiers  peut 
même  avoir  ignoré  qu'il  faisait  l'affaire  dans  l'intérêt  et  sur  l'ordre 
d'autrui,  donc  le  madataire  est  devenu  débiteur.  Seulement,  comme 
il  a  l'action  de  mandat  pour  être  indemnisé  de  l'obligation  qu'il 
a  contractée,  la  pratique  ancienne,  qui  remonte  jusqu'aux  Romains, 
a  admis  dans  l'intérêt  même  du  mandataire  et  pour  simplifier  la 
situation,  que  le  créancier  pourrait  agir  recta  via  contre  le  mandant. 
Pothier  explique  que  le  mandataire  est  devenu  débiteur  principal, 
mais  qu'il  oblige  conjointement  avec  lui  son  mandant,  qui  est  censé 
accéder  à  l'obligation.  Nous  pouvons  expliquer  ainsi  la  décision 
que  nous  donnons,  en  faisant  remarquer  toutefois  que  Pothier 
emploie  dans  un  sens  non  juridique  le  mot  conjointement,  car 
l'obligation  conjointe  ne  lie  chaque  débiteur  que  pour  sa  part,  et 
certainement  dans  l'espèce  que  nous  examinons  le  mandant  et  le 
mandataire  pourraient  être  poursuivis  chacun  pour  le  tort.  Ce  que 
Pothier  fait  du  reste  remarquer,  en  rapprochant  l'action  du  tiers  de 
celle  que  les  Romains  appelaient  institoria,  et  en  citant  un  texte  de 
Paul  qui  donne  au  créancier  une  action  in  solidum  contre  le 
mandant  (I). 

Cette  théorie  si  pratique  est  certainement  celle  du  Code  civil,  car 
l'article  1998  déclare  le  mandant  tenu  de  tous  les  engagements 
contractés  par  le  mandataire,  sans  distinguer  si  celui-ci  a  agi  en 
son  nom  propre  ou  au  nom  du  mandant,  et  ce  texte  formel,  appuyé 
sur  la  tradition,  suffit  pour  combattre  l'opinion  de  ceux  qui  refu- 
sent au  tiers  toute  autre  action  que  celle  qui  s'appuierait  sur 
l'article  1166(2). 

(1)  V.  Polhier,  Mandat,  n0' 87,  88. 

(2)  V.  Aubry  et  Rau,  t.  III,  édit.  1856. 


T1T.    XIII.    DU    MANDAT.    ART.    1998.  2\\) 

217  bis.  IV.  Ce  que  nous  venons  de  dire  relativement  aux  dettes 
contractées  par  le  mandataire  est  également  vrai  des  créances  qui 
auraient  pu  naître  des  conventions  par  lui  faites.  Si  le  mandataire  a 
stipulé  au  nom  du  mandant,  il  l'a  représenté,  et  celui-ci  a  acquis  la 
créance;  s'il  a  stipulé  proprio  nomine,  il  est  devenu  créancier,  mais 
le  mandant  pourrait  agir  directement  et  n'aurait  pas  besoin  d'avoir 
recours  à  l'action  qui  appartient  à  tous  les  créanciers  en  vertu  de 
l'article  1166. 

217  bis.  V.  Tout  ce  qui  précède  suppose  que  le  mandataire  agis- 
sait dans  les  limites  de  ses  pouvoirs,  c'est  l'hypothèse  de  l'article 
1998.  S'il  n'avait  pas  de  pouvoir  ou  s'il  est  sorti  des  limites  qui 
lui  étaient  assignées,  il  ne  peut  pas  avoir  compromis  en  rien  les 
intérêts  de  celui  pour  qui  il  a  agi.  Les  actes  d'ailleurs  ne  sont  pas 
nuls,  ils  ne  sont  pas  entachés  d'un  vice,  ils  sont  tout  simplement 
pour  le  mandant  vrai  ou  prétendu,  res  inter  alios  acta.  Le  manda- 
taire prétendu,  qui  a  agi  au  nom  du  prétendu  mandant,  n'a  pas  pu 
l'obliger,  l'acte  n'est  pas  opposable  à  celui-ci  qui  est  un  tiers.  Si  le 
mandataire  a  contracté  lui-même  des  obligations,  elles  sont  cer- 
tainement valables,  mais  elles  ne  lient  le  mandant  ni  envers  le 
créancier  ni  envers  le  soi-disant  mandataire. 

217  bis.  VI.  Ces  engagements,  du  reste,  peuvent  produire  des 
effets  par  rapport  au  maîlre  de  l'affaire,  s'il  donne  son  adhésion 
aux  actes,  après  qu'ils  ont  été  faits.  Cette  adhésion  postérieure,  qui 
ressemble  à  la  confirmation  des  actes  annulables,  bien  qu'elle  en 
soit  absolument  distincte,  porte  spécialement  le  nom  de  ratification 
et  peut  avoir  lieu  soit  expressément,  soit  tacitement,  c'est-à-dire 
par  tout  fait  qui  manifestera  chez  le  maître  la  volonté  d'adhérer 
à  l'acte  accompli. 

L'acte  ratifié  produit  par  rapport  à  celui  qui  a  fait  la  ratification 
les  mêmes  effets  que  l'acte  émané  d'un  mandataire;  c'est  en  ce  sens 
qu'on  dit  ratihabitio  mandato  œquiparatur. 

Il  existe  cependant  une  différence  importante  entre  les  effets 
du  mandat  et  ceux  de  la  ratification;  les  actes  du  mandataire, 
accomplis  dans  la  limite  de  ses  pouvoirs,  confèrent  au  tiers  des 
droits  irrévocables,  tandis  que  ceux  qui  ont  acquis  des  droits  qui 
ne  seraient  validés  que  par  une  ratification,  seraient  dépouillés 
par  tout  acte  du  maître  conférant  à  une  autre  personne,  entre 
le  premier  acte  et  la  ratification,  le  droit  constitué  par  l'acte 
qui    a    besoin    d'être    ratifié.    Cela   s'exprime  ordinairement  en 


220  COUKS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

ces  termes  :  la  ratification  n'a  pas  d'effet  rétroactif,  c'est-à-dire 
elle  ne  peut  consolider  le  droit  qui  avait  besoin  d'être  ratifié  au 
détriment  de  droits  légitimement  acquis  par  d'autres  avant  la 
ratification. 

Nous  côtoyons  ici  la  théorie  de  la  confirmation  des  actes  annula- 
bles, et  les  raisons  de  notre  décision  sont  celles  que  justifient  les 
derniers  mots  de  l'article  1338.  Le  maître,  en  conférant  un  droit  à 
une  personne  avant  d'avoir  ratifié  l'acte  de  son  prétendu  manda- 
taire, s'interdisait  tout  acte  pouvant  porter  atteinte  au  droit  qu'il 
constituait  et  par  conséquent  renonçait,  à  son  insu  peut-être,  au 
droit  de  ratifier  tout  acte  dont  la  validité  aurait  nui  au  droit  de 
celui  avec  qui  il  traitait. 

%  17  bis.  VII.  Le  mandataire  oblige  le  mandant  quand  il  agit  dans 
les  limites  de  son  mandat  et  ne  l'oblige  pas  quand  il  fait  autre 
chose  que  ce  qu'il  a  reçu  le  pouvoir  de  faire.  Voilà  deux  espèces 
très-nettement  distinctes  et  sur  lesquelles  la  décision  du  Code  civil 
n'est  pas  douteuse.  Mais,  entre  ces  deux  espèces,  il  y  en  a  une 
troisième  que  discutaient  les  jurisconsultes  romains  (1),  et  sur 
laquelle  il  faut  nous  fixer.  Le  mandataire  a  fait  ce  qu'il  avait 
charge  de  faire,  mais  il  a  dépassé  les  bornes  de  son  mandat  en  ce 
sens  qu'il  a  contracté  dans  des  conditions  plus  onéreuses  que  celles 
qu'il  avait  été  chargé  d'accepter.  Il  a  acheté  pour  110,000  francs 
ce  qu'il  avait  pouvoir  d'acheter  100,000;  il  a  vendu  100,000  francs 
ce  qu'il  avait  pouvoir  de  vendre  pour  110,000.  Il  a  cautionné  une 
dette  de  100,000  francs  quand  il  avait  reçu  pouvoir  de  cautionner 
80,000  francs.  Tous  ces  actes  ont  été  accomplis  par  lui  en  qualité 
de  mandataire  et  par  conséquent  au  nom  du  mandant,  il  n'a  pas 
pris  d'engagement  personnel.  Quel  est  l'effet  de  ces  actes  par 
rapport  au  mandant? 

217  bis.  VIII.  Nous  ferons  remarquer  que  poser  ainsi  la  question, 
c'est  la  présenter  sous  une  physionomie  qu'elle  n'avait  pas  en 
droit  romain.  Le  mandataire  romain  contractait  lui-même,  il  s'obli- 
geait, et  dans  les  principes  anciens,  il  n'obligeait  pas  le  mandant. 
Donc  la  question  qui  nous  occupe  ne  pouvait  pas  s'élever  dans  les 
rapports  du  mandant  et  du  tiers;  celui-ci  avait  certainement  acquis 
la  créance  résultant  du  contrat,  et  pour  son  exécution  il  avait  action 
contre  le  mandataire,  il  n'avait  pas  affaire  au  mandant.  La  difficulté 

(1)  V.Imtit.,1  m,  t.  XXVI,  §8. 


TIT.    XIII.    DU   MANDAT.    ART.    1998.  221 

concernait  les  rapports  du  mandant  et  du  mandataire,  elle  naissait 
sur  l'action  mandati  contraria,  il  s'agissait  de  savoir  si  le  manda- 
taire pouvait  se  faire  indemniser,  au  moins  dans  les  limites  du 
mandat,  de  l'obligation  qu'il  avait  prise.  Le  texte  du  §  8  du  titre  du 
mandat,  aux  Institutes,  est  formel  sur  ce  point,  il  examine  si  le 
mandataire  peut  agir  contre  le  mandant.  Nous  n'examinons  pas 
encore  ce  point,  nous  nous  sommes  placés  dans  le  cas  où  le  manda- 
taire a  eu  la  prétention  d'obliger  le  mandant,  et  nous  recherchons 
si  en  effet  ce  mandant  est  tenu  envers  celui  qui  a  traité  avec  son 
mandataire.  Il  est  certain  qu'il  n'est  pas  tenu  au  delà  du  chiffre 
qu'il  a  fixé  lui-même,  mais  sera-t-il  tenu  au  moins  jusqu'à  concur- 
rence de  ce  chiffre? 

217  bis.  IX.  Il  y  a  un  cas  où  la  solution  est  très-simple,  c'est  celui 
où  la  convention  peut  produire  un  résultat  partiel  sans  que  sa 
nature  en  soit  altérée.  Il  s'est  agi  d'un  cautionnement,  le  mandataire 
a  cautionné  une  dette  de  10,000  francs  alors  qu'on  l'avait  autorisé 
à  cautionner  pour  6,000.  La  réduction  de  l'engagement  dans  les 
limites  du  pouvoir,  est  chose  très-facile,  et  l'on  ne  voit  pas  quel  prin- 
cipe de  droit  conduirait  à  l'annulation  complète  de  l'engagement,  car 
le  mandataire  avait  le  droit  de  représenter  le  mandat  jusqu'à  concur- 
rence de  cette  somme,  qui  est  comprise  dans  la  somme  plus  consi  - 
dérable  pour  laquelle  il  a  contracté. 

217  bis.  X.  La  question  est  plus  difficile  à  résoudre  quand  on  ne 
saurait  sans  injustice  altérer  l'obligation  d'une  des  parties  alors  que 
l'autre  obligation  resterait  la  même.  Si  le  mandataire  a  acheté  pour 
un  prix  supérieur  au  chiffre  fixé  par  le  mandant  ou  si,  chargé  de 
vendre,  il  a  vendu  pour  un  prix  inférieur  au  prix  indiqué  dans  le 
mandat,  peut-on  dire  que  la  partie  adverse  sera  tenue  de  livrer  tout 
l'immeuble  alors  qu'on  réduira  sa  créance,  ou  d'augmenter  le  prix 
qu'elle  a  promis  alors  qu'on  lui  livrera  seulement  la  chose  pour 
laquelle  elle  n'avait  consenti  à  payer  qu'un  prix  inférieur  ? 

217  bis.  XI.  L'acte  accompli  a  une  unité,  on  ne  peut  pas  le  dé- 
composer, il  faut  qu'il  s'exécute  tel  qu'il  a  été  fait  ou  qu'il  soit 
tenu  pour  non  avenu.  Il  faudra  donc,  au  cas  du  mandat  d'acheter, 
que  le  mandant  consente  à  payer  le  prix  convenu  par  son  manda- 
taire, et  au  cas  du  mandat  de  vendre,  qu'il  se  contente  du  prix  fixé 
parle  contrat  de  vente.  Sinon  l'opération  sera  nulle,  comme  faite  par 
le  mandataire  sans  pouvoir. 

217  bis.  XII.  Nous  ne  disons  pas  que  l'acte  soit  absolument  dénué 


222  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

d'effet,  il  rentre  dans  la  catégorie  de  ceux  qui  ont  besoin,  pour 
valoir,  d'une  ratification.  Le  mandataire  a  traité  sans  pouvoir,  il  n'a 
pu  engager  le  mandant,  à  moins  que  eelui-ci  ne  ratifie  expressément 
ou  ta«itement  (art.  1998).  L'acte  du  mandataire  s'explique  parfaite- 
ment; ne  pouvant  pas  obtenir  les  conditions  que  le  mandant  avait 
désirées,  il  a  fait  une  convention  comme  l'eût  faite  un  gérant  d'af- 
faires, une  sorte  de  vente  ou  d'achat  conditionnel  subordjnné  à 
l'éventualité  de  la  ratification  par  le  mandant. 

217  bis.  XIII.  Quant  au  mandataire,  il  est  clair  qu'il  n'est  pas 
engagé  envers  le  tiers,  parce  qu'il  faut  supposer  qu'il  a  donné  con- 
naissance de  ses  pouvoirs,  qui  étaient  limités  (art.  1997).  S'il  avait 
au  contraire  laissé  croire  qu'il  avait  des  pouvoirs  illimités,  il  serait 
tenu  à  la  garantie  envers  le  tiers. 

217  bis.  XIV.  Le  vendeur  ou  l'acheteur  qui  a  traité  avec  le  man- 
dataire connaissant  la  restriction  imposée  au  mandat,  n'est  pas  lésé 
dans  ses  droits  par  la  solution  que  nous  venons  de  donner,  puisque, 
connaissant  les  termes  du  mandat,  il  n'a  pas  pu  croire  qu'il  faisait 
un  contrat  pur  et  simple,  et  a  dû  savoir  que  les  effets  du  contrat 
étaient  subordonnés  à  la  ratification  du  mandat. 

217  bis.  XV.  Reste  à  examiner  si  le  tiers  peut,  après  le  contrat, 
déclarer  qu'il  accepte  les  conditions  fixées  par  le  mandat  et  obliger 
ainsi  le  mandant  à  subir  les  conséquences  de  l'acte  de  son  manda- 
taire. Ainsi  l'acheteur  consent  à  donner  100,000  francs  au  lieu  de 
80,  000  francs  qu'il  a  promis;  le  vendeur  consent  à  se  contenter  de 
80,000  francs  au  lieu  des  100,000  qu'il  a  stipulés.  Nous  pensons  que 
jusqu'à  ce  que  le  mandant  ait  révoqué  son  mandat,  au  su  du  tiers, 
ce  tiers  peut  valider  l'acte  en  acceptant,  d'accord  avec  le  mandataire, 
les  conditions  fixées  par  le  mandat,  parce  que  son  acceptation  équi- 
vaut à  Ja  formation  d'un  nouveau  contrat  qui  pourrait  alors  être 
valablement  fait  dans  les  conditions  de  la  procuration.  Mais  si  le 
mandant  a  signifié  qu'il  révoquait  son  mandat,  comme  le  mandataire 
ne  pourrait  plus  alors  faire  le  contrat  même  dans  les  conditions 
primitives  de  la  procuration,  le  consentement  du  tiers,  joint  à  celui 
du  mandataire,  ne  constituerait  pas  un  nouveau  contrat  valable 
et  par  conséquent  ne  validerait  pas  l'ancien.  Nous  assimilons,  bieq 
entendu,  à  la  révocation  du  mandat  le  fait  du  mandant  qui 
demande  expressément  la  nullité  du  contrat;  nous  aurions  plus  de 
doute  sur  le  simple  refus  d'exécuter  le  contrat  tel  qu'il  a  été  fait, 
les    circonstances   de    fait   pourraient  seules  prouver  si   le  refus 


TIT.    XIII.    DU    MANDAT.    A5iT.    1998,     1999.  223 

d'exécution  implique  la  volonté  de  retirer  au  mandataire  les  pou- 
voirs qui  lui  ont  été  donnés. 

218.  Envers  le  mandataire,  l'obligation  générale  du  man- 
dant consiste  a  l'indemniser  de  tout  ce  que  lui  a  coûté  l'exé- 
cution du  mandat,  et  de  plus  a  lui  payer  ses  salaires  s'il  y  a 
lieu.  L'indemnité  du  mandataire  s'applique  aux  avances  et 
aux  frais  qu'il  a  pu  faire,  et  aux  dommages  ou  pertes  qu'il  a 
pu  éprouver  (art.  1999,  2000). 

219.  Les  avances  et  Irais  sont  dus  à  tout  mandataire,  sous 
cette  seule  condition  qu'ils  soient  relatifs  à  l'exécution  du 
mandat.  Quant  aux  salaires,  ils  ne  sont  dus  en  général  qu'au- 
tant qu'ils  ont  été  promis.  V.  art.  1999,  al.  1. 

Remarquons  ici  : 

1°  Que  le  mol  avance  doit  se  prendre  lato  sensu  pour  tout 
sacrifice  que  le  mandataire  a  fait  dans  sa  fortune  (v.,  à  ce 
sujet,  Gord.,  L.  6,  Cod.;  Afr.,  L.  31  ;  Paul.,  L.  26,  §  2,  D, 
maria1.),  même  pour  la  privation  volontaire  du  bénéfice  d'une 
libéralité  qui  lui  était  destinée  (v.  Ulp.,  L.  10,  §  13$ 
L.  12,  §  1  ^  v.  pourtant  Ulp.,  L.  12,  pr.,  D.  mand.). 

Remarquons  2°  que  l'avance  ne  peut  être  réputée  faite 
pour  l'exécution  du  mandat,  si  le  mandataire  ne  s'est  ren- 
fermé dans  les  limites  qui  lui  étaient  tracées. 

219  6m.  I.  L'obligation  du  mandant  ne  se  borne  pas  à  restituer 
au  mandataire  les  sommes  que  celui-ci  a  avancées,  c'est-à-dire 
déboursées  pour  l'exécution  du  mandat.  Elle  consiste  aussi  à  in- 
demniser le  mandataire  des  obligations  par  lui  contractées;  c'est 
l'obligation  qui  pèse  sur  le  maître  au  cas  de  gestion  d'affaires  (art. 
137S),  et  que  le  droit  romain  imposait  au  mandant  envers  le 
mandataire  qui  en  principe  s'obligeait  proprio  nomine  pour  l'exécu- 
tion du  mandat.  Dans  notre  droit,  elle  suppose  que  le  mandataire  a 
consenti  à  s'obliger  lui-même  au  lieu  d'agir  comme  représentant 
du  mandant.  Le  résultat  de  cette  obiigaiion  doit  être  de  rembourser 
ce  que  le  mandataire  aura  payé  eu  vertu  des  engagements  qu'il 
aura  contractés,  cela  pourra  bien  s'appeler  des  avances,  mais  en 
outre  le  mandant  est  tenu,  quand  le  mandataire  n'a  pas  encore 
acquitté  ses  obligations,  à  l'en  tenir  indemne,  par  conséquent  à  s'ar- 


224  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

ranger  pour  que  les  créanciers  ne  le  poursuivent  pas.  Il  y  parvien- 
dra surtout  en  payant  lui-même,  sue»  faisant,  avec  le  créancier,  le 
contrat  ô'expromissio  par  lequel  il  s'obligera  à  la  place  du  mandataire 
débiteur  primitif. 

219  bis.  II.  Dans  les  hypothèses  que  nous  avons  examinées  au 
numéro  précédent,  le  mandataire  a  dépassé  les  limites  que  lui 
assignaient  ses  pouvoirs;  s'il  s'est  engagé  proprio  nomine,  il  est  clair 
qu'il  s'est  valablement  engagé  ;  mais  apparaît  alors  la  question  qui 
s'agitait  dans  le  droit  romain  sur  les  rapports  du  mandant  ou  du 
mandataire.  Il  a  acheté  une  chose  à  un  prix  supérieur  à  celui  qui 
était  fixé;  il  a  fait  un  contrat  qui  n'est  pas,  par  rapport  au  tiers, 
subordonné  à  une  ratification,  il  peut  alors  transférer  la  propriété 
de  la  chose  au  mandant,  pourvu  qu'il  ne  lui  réclame  que  le  prix 
déterminé;  s'il  a  vendu  à  trop  bas  prix,  il  peut  contraindre  le 
mandant  à  livrer  la  chose  en  lui  payant  de  suo  la  différence  entre 
les  deux  prix.  Les  Romains  admettaient  cette  solution  en  la  fondant 
sur  l'équité,  et  nous  devons  l'accepter  à  leur  exemple,  puisque  le 
Code  civil  nous  fait  une  règle  d'interpréter  les  conventions  d'après 
la  bonne  foi.  N'est-il  pas  clair  que  la  plupart  du  temps  le  manda- 
taire aura  cru  bien  faire  en  dépassant  quelque  peu  les  limites  de 
son  mandat,  pour  ne  pas  manquer  une  occasion  favorable  ?  Il  a 
espéré  que  le  mandant  approuverait  cette  transgression  du  mandat, 
et  il  a  calculé  qu'au  pis  aller  il  risquait  de  perdre  l'excédant  du 
prix  d'achat  ou  le  déficit  du  prix  de  vente.  Ne  serait-il  pas  bien  dur 
de  le  contraindre  à  prendre  à  son  compte  une  opération  qui,  bien 
que  raisonnablement  faite,  serait  infiniment  trop  lourde  pour  sa 
position  pécuniaire? 

220.  Le  droit  au  recouvrement  des  déboursés  et  au  paie- 
ment des  salaires  peut  évidemment  se  perdre  ou  se  modifier 
à  raison  des  fautes  imputables  au  mandataire  ;  mais  le  mau- 
vais succès  ne  constitue  pas  par  lui-même  une  faute,  et  ne 
fait  conséquemment  nul  obstacle  à  ce  remboursement  ou  à  ce 
paiement.  Bien  plus,  quoiqu'il  y  ait  certainement  faute  dans 
une  dépense  excessive,  cet  excès  ne  résultant  pas  nécessaire- 
ment du  seul  fait  que  la  dépense  eût  pu  être  moindre,  ce  seul 
fait  ne  peut  servir  de  prétexte  pour  dispenser  du  rembour- 
sement intégral  des  frais  et  avances  (v.,  à  ce  sujet,  Javol., 
L.  52;  Gains,  L.  27,  §  4,  D.  mand.).  V.  art.  1999,  al.  2. 


TIT.    XIII.    DU    MANDAT.    AHT.    1999.  225 

220  bis.  I.  L'insuccès  de  l'affaire  dont  le  mandataire  a  été  chargé 
ne  décharge  pas  le  mandant  de  son  obligation,  parce  que  l'action 
du  mandataire  n'est  pas,  comme  celle  du  gérant  d'affaires,  fondée 
sur  l'utilité  de  l'acte  accompli,  elle  dérive  de  l'ordre  donné  par  le 
mandant,  et  tant  que  le  mandataire  reste  fidèle  à  cet  ordre,  il  ne 
peut  être  garant  du  succès  ou  de  l'utilité  de  l'opération.  Tout  ce 
qu'on  peut  exiger  de  lui,  c'est  la  responsabilité  ordinaire  de  celui 
qui  est  chargé  par  contrat  des  intérêts  d'autrui,  c'est-à-dire  la  res- 
ponsabilité de  sa  faute,  et  sa  faute  consisterait  à  n'avoir  pas  donné 
à  l'affaire  tous  les  soins  qu'aurait  donnés  un  bon  père  de  famille 
(art.  1137). 

220  bis.  II.  C'est  en  se  reportant  à  ce  même  article  1137  que  la 
fin  de  l'article  1999  impose  au  mandant  l'obligation  de  payer  les 
frais  et  avances  que  le  mandataire  a  fait  sans  commettre  de  faute, 
alors  même  qu'ils  auraient  pu  être  moindres.  En  effet,  le  bon  père 
de  famille,  dont  la  diligence  sert  d'unité  de  mesure  en  matière  de 
responsabilité  des  fautes,  n'est  pas  le  diligentissimus  pater/amilias, 
le  plus  méticuleux  et  le  plus  parcimonieux  ;  il  ne  fait  pas  de  dépenses 
folles,  il  ne  cherche  pas  les  plus  hauts  prix,  mais  il  n'est  pas  non 
plus  comme  l'avare  qui  emploie  tous  les  moyens  pour  faire  toute 
chose  au  plus  bas  prix  possible.  Il  ne  serait  guère  juste  d'obliger 
le  mandataire  à  faire  des  démarches  et  des  recherches  pour  trouver 
le  fournisseur  ou  l'ouvrier  qui  consentira  à  vendre  ou  à  travailler 
au-dessous  du  prix  communément  accepté. 

220  bis.  III.  En  rattachant  ainsi  la  décision  de  l'article  1999  i» 
fine  à  la  théorie  des  fautes,  nous  lui  donnons  une  largeur  qu'elle  ne 
paraît  pas  avoir  dans  la  doctrine  de  Pothier,  parce  que  ce  juris- 
consulte raisonne  sur  deux  hypothèses  empruntées  à  des  textes  du 
droit  romain  et  qui  ont  un  caractère  par  trop  spécial.  Il  suppose 
d'abord  que  le  mandataire  est  un  fidéjusseur  qui  a  cautionné  une 
obligation  de  genre,  cent  mesures  de  froment,  il  paie  au  créancier 
du  froment  de  première  qualité;  alors,  dit-il,  il  ne  peut  pas  exiger 
du  mandant  la  restitution  du  blé  en  cette  qualité.  Puis  il  oppose  à 
cette  hypothèse  celle  où  la  caution  n'aurait  pas  eu  la  possibilité  de 
se  procurer  du  blé  moins  cher,  et  il  oblige  le  mandant  à  le  lui  res- 
tituer tel  qu'il  l'a  livré  (1).  Les  deux  solutions  ne  peuvent  pas  faire 
de  doute,  mais  le  vice  de  la  seconde  espèce,  qui  semble  l'application 

(1)  V.  Pothier,  Mandat,  n°  78. 

VIII.  15 


226        coims  analytique  de  code  civil,  liv.   m. 

du  principe  posé  par  l'article  1999,  est  de  ne  pas  bien  mettre  en 
relief  ce  principe,  puisque  l'on  suppose  que  le  mandataire  a  été 
personnellement  dans  l'impossibilité  de  faire  des  frais  moindres. 
Or,  la  décision  du  Code  civil,  parfaitement  conforme  à  l'article  1137. 
n'exige  pas  cette  condition  d'impossibilité  et  reconnaît  le  droit  du 
mandataire,  pourvu  qu'il  ne  soit  pas  en  faute,  alors  même  que  les 
frais  auraient  pu  être  moindres.  Ceci  est  dit  impersonaliter  et  par 
conséquent  comprend,  dans  la  restriction  que  fait  la  loi,  le  cas  où 
il  aurait  été  possible  au  mandataire  lui-même  de  faire  des  frais 
moindres. 

221.  L'indemnité  du  mandataire  doit  être  complète,  et 
comprendre  conséquemment  les  pertes  de  tout  genre  que  son 
mandat  lui  a  fait  essuyer;  la  loi  n'exige  pas  même  que  l'exé- 
cution du  mandat  ait  été  la  cause  directe  de  ces  pertes-,  il 
suffit  qu'elle  en  ait  été  l'occasion.  Mais  bien  entendu  que  la 
règle  ne  s'applique  pas  aux  pertes  résultant  d'une  imprudence 
à  lui  imputable.  V.  art.  2000;  v.,àce  sujet,  Afr.,  L.6I,  §§5 
et  7,  D.  de  furt.;  Ulp.j  L.  52,  §  4,  pro  soc;  v.  pourtant 
Paul,  L.  26,  §  6,  D.  mand. 

221  bis.  I.  Pothier  distinguait  si  la  perte  éprouvée  par  le  manda- 
taire avait  pour  cause  sa  gestion  ou  si  elle  était  simplement  survenue 
à  Y  occasion  de  cette  gestion  ;  dans  ce  dernier  cas,  l'indemnité  n'était 
pas  due;  il  avait  en  vue  le  cas  où  le  mandataire  avait  été  dépouillé 
par  des  voleurs,  ou  avait  perdu  quelque  chose  dans  un  naufrage, 
pendant  qu'il  voyageait  pour  l'exécution  du  mandat  (1).  Le  Code 
civil  a  certainement  voulu  rejeter  cette  distinction  essentiellement 
subtile,  puisqu'il  a  précisément  inséré  dans  son  texte  le  mot 
occasion;  en  choisissant,  des  deux  expressions  que  Pothier  opposait 
l'une  à  l'autre,  la  plus  large,  il  a  montré  qu'il  entendait  donner  au 
juge  une  grande  latitude  pour  apprécier  si  le  dommage  éprouvé 
est  une  conséquence  du  mandat  et  pour  en  ordonner  la  réparation. 
à  moins  que  le  sinistre  ne  résulte  en  même  temps  d'une  imprudence 
du  mandataire. 

221  bis.  II.  Les  pertes  essuyées  par  le  mandataire  et  dont  il  lui 
est  dû  indemnité  sont  des  pertes  accidentelles,  il  ne  faudrait  pas 
y  comprendre  le  tort  que  le  mandataire  a  pu  se  causer  à  lui-même 

(î)  V.  Pothier,  a'  76. 


T1T.    XIII.    DU   MANDAT.    ART.    2000-2002.  227 

en  négligeant  ses  propres  affaires,  pendant  qu'il  soignait  celles  du 
mandant.  Ces  pertes  auraient  dû  être  prévues  par  lui,  et  il  a  commis 
une  imprudence  en  se  chargeant  du  mandat  alors  que  ses  propre? 
affaires  exigeaient  tout  son  temps;  peut-être  aussi,  en  proportionnant 
son  travail  à  la  double  tâche  qu'il  s'était  imposée,  aurait-il  satisfait 
à  toutes  les  nécessités?  Le  mandant  d'ailleurs  aurait  pu  trouver  un 
autre  mandataire  qui  aurait  eu  plus  de  loisir.  Enfin,  il  semble  que 
cette  demande  d'indemnité  soit  une  sorte  de  demande  d'un  salaire, 
or  le  mandat  peut  être  salarié,  mais  encore  faut-il  qu'il  soit  inter- 
venu une  convention  sur  ce  point  ou  que  la  profession  du  manda- 
taire donne  lieu  de  présumer  une  convention  tacite? 

222.  La  faveur  due  à  l'indemnité  du  mandataire  fait  dé- 
roger pour  lui  à  la  règle  générale  sur  le  cours  des  intérêts 
{v.  art.  1153).  Si  donc  il  a  fait  des  avances,  il  a  droit  aux 
intérêts,  du  jour  même  des  avances;  bien  entendu  que  c'est 
a  lui  a  constater  ce  jour.  V.  art.  2001  -,  Ulp.,  L.  12,  §  9, 
D.  mand. 

222  bis.  Le  Code  a  nettement  distingué,  dans  les  articles  1999  et 
2000,  les  avances  faites  et  les  pertes  éprouvées  par  le  mandataire; 
par  conséquent  lorsqu'il  parle  dans  l'article  2001  de  l'intérêt  des 
avances,  il  n'a  en  vue  que  les  sommes  réellement  déboursées  par 
le  mandataire,  mais  il  ne  fait  pas  courir  de  plein  droit  l'intérêt 
des  indemnités  qui  peuvent  être  dues  pour  les  pertes  survenues 
Il  eût  été  inutile  d'étendre  à  ces  indemnités  la  règle  de  l'article, 
car  les  tribunaux,  maîtres  de  fixer  les  dommages  et  intérêts  pour  une 
perte  éprouvée,  ont  pour  mission  de  faire  entrer  dans  le  calcul  de 
la  perte  le  dommage  résultant  de  la  privation  de  jouissance  du 
capital  perdu,  tandis  que,  n'était  l'article  2001,  ils  auraient  été 
empêchés  de  faire  la  même  appréciation  à  propos  de  dettes  de 
sommes  d'argent,  l'article  110*3  ayant  sur  ce  point  absolument 
détruit  leur  pouvoir  d'appréciation. 

223.  La  même  faveur  fait  admettre  sans  stipulation  la  soli- 
darité au  profit  du  mandataire  constitué  par  plusieurs  man- 
dants pour  une  affaire  commune.  Cette  solidarité  s'applique 
a  tous  les  effets  du  mandat.  Y.  art.  2002  j  Paul,  L.  59,  §  3, 
D.  mandat. 

223  bis.  Il  ne  faudrait  pas  considérer  comme  affaire  commune  le 
cautionnement  de  la  dette  de  plusieurs  débiteurs  conjoints.  Le 

lo. 


2128  COURS  ANALYTIQUE    DE    GODE   CIVIL.    LIV.    III. 

principe  de  la  division  des  dettes  a  pour  résultat  que  chacun  des 
débiteurs  ne  doit  qu'une  part,  et  que  par  conséquent  il  y  a  autant 
de  dettes  et  d'affaires  que  de  débiteurs.  On  peut  tirer  en  ce  sens 
argument  de  l'article  2030,  qui  admet  le  recours  de  la  caution  pour 
le  tout  contre  chaque  débiteur,  mais  qui  vise  seulement  le  cas  où 
les  débiteurs  étaient  solidaires  entre  eux. 


CHAPITRE  IV. 

COMMENT    FINIT    LE    MANDAT. 

224.  Le  mandat,  contracté  uniquement  ou  principalement 
dans  l'intérêt  du  mandant,  et  reposant  sur  des  senliments  tout 
personnels  de  confiance  et  d'amitié,  finit  par  plusieurs  causes 
qui  ne  font  nullement  cesser  l'effet  des  contrats  ordinaires. 

225.  Et  d'abord  il  est  nature)  que  le  mandat  cesse  par  la 
seule  volonté  du  mandant,  puisqu'il  n'est  établi  qu'en  sa  faveur; 
il  finit  donc,  4°  par  la  révocation.  V.  art.  2003,  al.  \  et  2. 

226.  Par  la  raison  contraire,  la  volonté  du  mandataire  ne 
devrait  point  faire  cesser  les  obligations  qu'il  a  contractées 
par  sa  promesse-,  mais  l'équité  ne  permettant  point  de  sur- 
charger un  bienfaiteur,  celui-ci  peut,  suivant  les  cas,  être 
admis  a  se  débarrasser  du  fardeau-,  ainsi  le  mandat  peut 
finir,  2°  parla  renonciation.  V.  art.  2003,  al.  3. 

227.  Enfin  le  mandat,  reposant,  comme  on  l'a  dit,  sur  des 
sentiments  tout  personnels  et  non  transmissibles,  ne  peut 
survivre  aux  personnes  qui  s'inspirent  mutuellement  ces  sen- 
timents; bien  plus,  si  ces  personnes  subissent  quelque  chan- 
gement d'état  qui  les  dépouille  de  leur  patrimoine,  ou  leur 
enlève  la  direction  de  leurs  affaires,  il  est  certain  qu'un  pareil 
changement  survenu  dans  la  personne  du  mandant  ne  doit 
point  laisser  d'efficacité  a  sa  volonté  pour  confier  à  un  autre 
une  direction  qu'il  n'a  plus;  que  si  c'est  dans  la  personne  du 
mandataire,  la  position  où  celui-ci  se  trouve  réduit  n'inspire 


TIT.    XIII.    DU    MANDAT.    ART.    2003,    2004.  229 

plus  assez  de  confiance  pour  qu'on  puisse  supposer  la  conti- 
nuation de  celle  dont  il  a  été  l'objet.  D'après  ces  motifs,  le 
mandat  finit,  3°  non-seulement  par  la  mort,  mais  par  l'inter- 
diction ou  la  déconfiture,  soit  du  mandant,  soit  du  manda- 
taire. V.  art.  2003,  al.  dernier.  Il  est  évident,  par  les  mêmes 
raisons,  que  le  mandat  finirait  encore  par  l'absence  de  l'une 
des  parties-,  il  n'est  pas  moins  clair  qu'il  finirait  aussi  par  la 
cessation  des  fonctions  dans  lesquelles  le  mandant  l'aurait 
conféré. 

227  bis.  Les  textes  du  droit  romain  donnent  quelques  exemples 
de  mandats  qui  survivent  au  mandant,  parce  qu'ils  ont  été  donnés 
précisément  en  vue  de  la  mort  du  mandant  et  pour  être  exécutés 
après  cet  événement  (1).  Il  s'agit,  par  exemple,  du  mandat  de  faire 
construire  un  tombeau  au  mandant;  c'est  une  disposition  qu'il  faut 
respecter,  parce  qu'elle  a  un  motif  parfaitement  légitime.  Nous 
ferons  remarquer  du  reste  que  le  Code  civil,  en  validant  la  dispo- 
sition qui  nomme  un  exécuteur  testamentaire,  reconnaît  la  validité 
de  certains  mandats  à  accomplir  après  la  mort  du  mandant;  car  si 
la  désignation  de  l'exécuteur  n'est  pas  faite  par  contrat,  au  fond 
l'exécuteur  reçoit  une  mission  qui  le  place  dans  la  situation  d'un 
mandataire,  et  il  serait  difficile  de  voir  pourquoi  ce  que  le  futur 
défunt  peut  faire  par  un  testament  ne  pourrait  pas  être  fait  par  une 
convention  qu'il  aurait  du  reste  toujours  le  droit  de  révoquer. 

228.  La  révocation  du  mandat  consiste  dans  un  acte  de  la 
volonté  du  mandant;  cet  acte  est  essentiellement  libre  et 
instantané,  quoique  son  effet  soit  naturellement  subordonné  à 
la  connaissance  qu'en  acquerront  les  diverses  personnes  que 
le  mandat  intéresse.  Il  est  clair  que  le  mandataire,  aussitôt 
qu'il  en  est  informé,  n'a  plus  aucune  raison  pour  retenir 
l'écrit  qui  constatait  son  pouvoir  aux  yeux  des  tiers.  Aussi 
peut-il  être  contraint,  s'il  y  a  lieu,  à  s'en  dessaisir.  Il  n'im- 
porte d'ailleurs  que  cet  écrit  soit  sous  signature  privée  ou  en 
forme  authentique:  si  l'acte  authentique  est  délivré  en  brevet, 
le  mandataire  remettra  ce  brevet,  comme  il  remettrait  l'écrit 

(1)  V.  I.  12,  §  17  et  13.  D.  Mandait. 


230  COUIIS   ANALYTIQUE   DE    CODE    CIVIL.    L1V.    ||f. 

sous  seing  privé;  s'il  en  a  élé  gardé  minute,  il  remettra 
l'expédition  qui  lui  avait  été  délivrée.  V.  art.  2004. 

228  bis.  Le  mandataire  révoqué  élèverait  peut-être  la  prétention 
de  conserver  sa  procuration  jusqu'au  paiement  des  avances  et 
indemnités  qui  pourraient  lui  être  dues,  il  prétendrait  à  un  droit 
de  rétention  que  nous  lui  avons  déjà  reconnu  sur  les  choses  qui  lui 
ont  été  confiées  par  les  suites  du  mandat.  Nous  pensons  qu'il  n'est 
pas  dans  l'hypothèse  où  le  droit  de  rétention  existe,  car  l'écrit 
constatant  le  mandat  n'est  pas  la  chose  même  dont  le  mandat 
l'a  constitué  débiteur,  ce  n'est  pas  la  chose  qu'il  devait  administrer 
et  soigner,  bien  plus,  ce  n'est  pas  un  objet  susceptible  d'être  vendu 
et  qu'on  puisse  considérer  comme  lui  servant  de  gage.  Le  droit  de 
rétention  est  fondé  sur  le  principe  de  l'article  1184,  une  partie  ne 
peut  pas  exiger  de  l'autre  l'exécution  de  son  obligation  sans  exécuter 
elle-même  la  sienne  propre.  Or,  l'obligation  du  mandataire  n'a  pas 
pour  objet  le  titre  constatant  le  mandat.  Ce  titre  restant  dans  les 
mains  du  mandataire  révoqué  est  un  danger  pour  le  mandant, 
puisqu'il  autoriserait  les  tiers  à  se  fier  à  un  mandataire  peut-être 
infidèle;  le  laisser  dans  les  mains  de  ce  mandataire  jusqu'à  ce  que 
les  comptes  du  mandat  soient  faits  et  le  reliquat  payé,  c'est  com- 
promettre les  intérêts  du  mandant  sans  donner  un  véritable  gage 
au  mandataire;  donc  nous  pensons  que  la  restitution  en  est  due  à 
tout  événement. 

Cette  restitution,  au  reste,  n'aurait  pas  l'inconvénient  de  priver 
le  mandataire  du  moyen  de  prouver  l'existence  du  mandat,  car 
il  aurait  bien  le  droit  d'exiger  un  récépissé  détaillé  de  ce  titre,  et 
s'il  ne  l'obtenait  pas,  il  serait  alors  en  droit  de  le  conserver. 

229.  La  révocation  du  mandat  anéantit  les  pouvoirs,  et  sa 
notification  au  mandataire  fait  cesser  pour  l'avenir  les  rap- 
ports qu'établissait  entre  les  parties  le  contrat  de  mandat. 
Mais  l'intérêt  des  tiers,  qui,  dans  l'ignorance  de  la  révocation, 
traiteraient  avec  le  mandataire,  doit  prévaloir  sur  celui  du 
mandant,  auteur  indirect  de  leur  erreur-,  aussi  la  révocation 
ne  pouvait-elle  alors  leur  être  opposée;  il  resterait  seulement 
au  manJant  un  recours  contre  le  mandataire,  pour  l'abus  qu'il 
a  fait  du  pouvoir  révoqué.  V.  art.  2005;  et  remarquez  l'intérêt 
qu'a  dès  lors  le  mandant  a  se  faire  remettre  sans  délai  l'écrit 
qui  constatait  le  pouvoir. 


TIT.    XIII.    DU    MANDAT.    ART.    2004-2008.  231 

230.  La  révocation  peut  être  tacite,  et  la  loi  voit  une  ré- 
vocation tacite  dans  la  constitution  d'un  nouveau  mandataire, 
pourvu  que  ce  soit  pour  la  même  affaire.  Bien  entendu  que 
cette  révocation  ne  produira  d'effet,  à  l'égard  du  premier 
mandataire,  que  du  jour  où  il  en  aura  eu  connaissance,  et  il 
ne  sera  censé,  en  général,  avoir  cette  connaissance  que  par 
une  notification.  V.  art.  2006. 

â30  bis.  La  nullité  de  la  seconde  procuration  ne  détruirait  pas 
sa  force  révocatoire,  car  l'intention  de  faire  cesser  le  premier  man- 
dat est  manifestée,  bien  que  le  second  ne  puisse  conférer  de  pou- 
Aoirs.  Il  faudrait  toutefois  réserver  le  cas  où  la  nullité  serait  fondée 
sur  un  vice  de  la  volonté,  car  le  vice  infecterait  l'acte  tout  entier 
et  ne  laisserait  pas  plus  subsister  la  volonté  de  révoquer  le  premier 
mandat  que  celle  de  conférer  le  second. 

231.  Tout  obligé  qu'est  le  mandataire,  par  son  acceptation, 
à  l'exécution  du  mandat,  la  loi  proclame  cependant  pour  lui, 
d'une  manière  générale,  la  faculté  d'y  renoncer,  sous  la  seule 
condition  de  notifier  sa  renonciation.  V.  art.  2007,  al.  1. 

Cette  faculté  de  s'affranchir  par  son  propre  fait  d'une  obli- 
gation une  fois  coniractée,  tient  a  la  faveur  qui  doit  entourer 
le  mandataire  considéré  comme  bienfaiteur.  Il  y  eût  eu  ini- 
quité a  la  lui  refuser  lorsqu'il  n'y  a  pas  préjudice  pour  le  man- 
dant; mais  s'il  y  a  préjudice,  la  faveur  ne  va  pas  jusqu'à  le 
dispenser  de  réparer  le  tort  qu'il  cause. 

Cependant,  il  est  un  cas  où  la  faveur  l'emporte  sur  toute 
considération,  et  où  la  faculté  de  renoncer  impunément  est 
indépendante  de  la  question  de  préjudice  causé  au  mandant; 
ce  cas,  qui,  au  surplus,  en  renferme  un  grand  nombre,  c'est 
lorsque  le  mandataire  se  trouve  dans  l'impossiblilité  de  con- 
tinuer le  mandat  sans  en  éprouver  lui-même  un  préjudice 
considérable.  V.  art.  2007,  al.  dernier;  et,  à  ce  sujet,  Her- 
mog.;  L.  23  et  25;  Gains,  L.  27,  §  2,  D.  mand. 

232.  Nous  avons  déjà  vu  que  la  révocation  du  mandat  en 
laisse  subsister  les  effets  tant  qu'elle  est  ignorée  des  intéres- 
sés-, la  même  règle  s'applique  au  cas  de  mort  du  mandant, 
ou  des  autres  causes  qui  font  cesser  le  mandat.  Ce  que  fait  le 


232  COURS   ANALYTIQUE    DE   CODE    CIVIL.    L1V     111. 

mandataire  dans  l'ignorance  est  donc  valide,  pour  obliger 
envers  lui,  s'il  y  a  lieu,  les  héritiers  ou  représentants  du  man- 
dant. V.  art.  2008-,  Paul,  L.  29,  D.  mand. 

233.  A  plus  forte  raison,  les  engagements  pris  dans  ces 
cas  par  le  mandataire  envers  les  tiers  doivent-ils  être  exé- 
cutés si  ceux-ci  sont  de  bonne  Coi.  V.  art.  2009. 

233  W*.  Ce  n'est  pas  seulement  quand  le  mandataire  ignore  la 
mort  du  mandant  ou  la  révocation  que  les  engagements  sont  main- 
tenus dans  l'intérêt  des  tiers  de  bonne  foi,  c'est  dans  tous  les  cas 
ci-dessus,  c'est-à-dire  toutes  les  fois  que  le  mandat  a  pris  fin  et 
que  le  tiers  a  ignoré  cet  événement  sans  qu'on  puisse  lui  imputer  son 
ignorance.  C'est  la  bonne  foi  du  tiers  qu'il  faut  considérer  et  non 
la  bonne  ou  la  mauvaise  foi  du  mandataire. 

234.  Quoique  le  mandat  finisse  de  plein  droit  par  la  mort 
du  mandataire,  dont  la  charge  ni  les  pouvoirs  ne  passent  pas 
à  ses  héritiers,  la  loi,  par  un  motif  d'humanité,  oblige  ceux-ci 
a  donner  au  mandant  avis  du  décès;  et,  en  attendant  qu'il 
puisse  prendre  la  direction  de  son  affaire,  ils  doivent  pour- 
voir, dans  son  intérêt,  à  ce  que  les  circonstances  exigent. 
V.  art.  2010-,  v.  à  ce  sujet  art.  419.  Il  est  clair,  au  surplus, 
que,  pour  ce  que  les  héritiers  auront  ainsi  fait,  l'espèce  de 
mandat  légal  dont  ils  sont  ici  investis  produirait  nécessaire- 
ment les  mêmes  effets  qu'un  mandat  véritable  (v.  Ulp., 
L.  14,  D.  mand.;  Pomp.,  L.  40,  pro  soc). 

235.  Observons,  en  terminant,  que  la  fin  du  mandat,  de 
quelque  cause  qu'elle  procède,  laisse  subsister  tous  ses  effets 
accomplis.  Sous  ce  rapport,  les  droits  et  obligations  du  man- 
dant et  du  mandataire  se  transmettent  à  leurs  héritiers  ou 
représentants. 


TITRE  QUATORZIEME. 

DU    CAUTIONNEMENT. 

236.  La  matière  du  cautionnement  se  rattache  sous  un 
double  point  de  vue  a  celle  du  mandat  :  1*  le  cautionnement 
n'est  quelquefois  que  l'effet  d'un  mandat,  donné  au  créancier 
par  la  personne  qui  se  rend  ainsi  caution;  2° presque  toujours, 
le  cautionnement  se  contracte  par  suite  du  mandat  donné  à 
cet  effet  par  le  débiteur  à  la  caution.  Ainsi  s'explique  la  liai- 
son de  ce  titre  avec  le  précédent. 

Au  surplus,  le  cautionnement,  de  quelque  manière  qu'il 
s'établisse,  peut  être  envisagé  comme  un  contrat  a  part,  dont 
l'objet  est  d'assurer  l'exécution  d'une  obligation  par  l'engage- 
ment d'une  tierce  personne. 

Ce  contrat,  qui  peut  comme  tout  autre  procéder  directe- 
ment de  la  volonté  libre  des  parties,  a  lieu  le  plus  ordinaire- 
ment en  exécution  d'une  obligation  de  fournir  caution,  obliga- 
tion qui  peut  naître,  soit  de  la  convention,  soit  de  la  loi,  soit 
d'un  jugement  :  de  la  la  distinction  des  cautions  en  conven- 
tionnelles, légales  et  judiciaires. 

237.  Dans  tous  les  cas,  le  cautionnement  est  une  opération 
complexe,  qui  renferme  plusieurs  contrats  ou  quasi-contrats 
entre  les  diverses  personnes  qu'elle  concerne  ;  ces  personnes 
sont  un  créancier,  un  débiteur,  et  une  ou  plusieurs  cautions. 

Entre  le  créancier  et  le  débiteur,  il  existe  ou  doit  exister 
un  contrat  principal  ou  quelque  autre  cause  d'obligation,  dont 
le  cautionnement  tend  a  garantir  l'effet.  C'est  a  cette  cause 
d'obligation  principale  que  se  rattache  immédiatement  l'obli- 
gation de  fournir  caution. 

Entre  le  créancier  et  la  caution  intervient  le  contrat  de 
cautionnement  proprement  dit,  ou  hjidéjussion. 


231  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

Entre  le  débiteur  principal  et  les  cautions,  il  y  a  contrat  de 
mandat  ou  quasi-contrat  de  gestion  d'affaires. 

Enfin,  entre  les  cautions  du  même  débiteur,  l'acquittement 
par  un  seul,  de  la  dette  dont  ils  étaient  tous  tenus,  forme  une 
sorte  de  quasi-contrat  de  gestion  d'affaires. 

238.  Le  Code  règle  successivement  :  1°  la  nature  et  l'éten- 
due du  cautionnement;  a  ce  sujet,  la  loi  détermine  l'effet 
de  l'obligation  de  fournir  caution-,  2°  l'effet  du  cautionnement 
entre  les  divers  intéressés;  3°  son  extinction.  C'est  l'objet  des 
trois  premiers  chapitres. 

D:ins  un  quatrième  chapitre,  le  législateur  a  rassemblé 
quelques  règles,  spécialement  relatives  à  la  caution  légale  et  à 
la  caution  judiciaire. 


CHAPITRE  PREMIER. 

BE    LA    NATUKE    ET    DE    L'ÉTENDUK    DU    CAUTIONNEMENT. 

239.  Le  cautionnement  proprement  dit,  ou  la  fidéjussion, 
est  un  contrat,  par  lequel  une  personne,  appelée  caution  ou 
fidéjusseur,  s'oblige  envers  le  créancier  d'un  autre  à  satisfaire 
à  l'obligation  de  celui-ci,  pour  le  cas  où  il  n'y  satisferait  pas 
lui-même.  V.  art.  20 H.  C'est,  comme  on  voit,  un  contrat 
consensuel,  unilatéral,  et  nécessairement  accessoire. 

239  bis.  I.  La  définition  du  cautionnement  se  trouve  dans  l'article 
2011  ;  c'est  un  contrat  par  lequel  une  personne  promet  d'acquitter 
l'obligation  d'une  autre  dans  le  cas  où  celle-ci  ne  l'acquitterait  pas 
elle-même. 

Ce  contrat,  œuvre  de  deux  personnes,  le  créancier  et  la  caution, 
met  en  relation  trois  personnes,  le  créancier,  le  débiteur  et  la  cau- 
tion. 

239&JS.  II.  En  étudiant  la  définition  du  cautionnement,  nous 
trouvons  les  caractères  de  ce  contrat  :  il  est  consensuel,  comme  la 
grande  généralité  de  nos  contrats  en  droit  français;  il  est  unilatéral, 
car  la  caution  seule  contracte  une  obligation,  le  créancier  stipule, 


TIT.    XIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    ART.    2011.  235 

mais  ne  promet  rien.  Est-il  à  titre  onéreux  ou  à  titre  gratuit? 
Quand  nous  l'étudions  dans  les  rapports  du  créancier  et  de  la  caution, 
et  le  contrat  n'existe  qu'entre  ces  deux  personnes,  il  est  générale- 
ment à  titre  onéreux,  c'est-à-dire  qu'il  impose  des  sacrifices  aux 
deux  parties;  à  la  caution,  cela  n'est  pas  douteux,  au  créancier,  en 
ce  sens  qu'il  consent  à  accepter  le  débiteur  à  cause  de  la  garantie 
que  lui  donne  la  caution,  ou  bien,  si  la  dette  existe  déjà,  cette  sé- 
curité l'engage  à  se  montrer  moins  rigoureux  envers  son  débiteur 
et  notamment  à  lui  accorder  des  délais. 

Quelquefois,  cependant,  le  cautionnement  aura  le  caractère 
gratuit  dans  les  rapports  entre  le  créancier  et  la  caution.  Si  la  dette 
existe  déjà  et  si  la  caution,  sans  s'intéresser  au  débiteur,  sans 
essayer  d'obtenir  pour  lui  des  facilités,  s'oblige  en  vue  du  créancier 
et  pour  lui  être  utile  en  le  protégeant  contre  l'insolvabilité  possible 
de  son  débiteur. 

239  bis.  III.  Entre  la  caution  et  le  débiteur,  il  ne  s'agit  pas  de 
déterminer  le  caractère  du  contrat  de  cautionnement,  puisqu'il 
n'existe  pas  entre  eux.  Mais  l'opération  que  fait  la  caution  réagit 
sur  la  situation  du  débiteur,  et  il  est  bon  desavoir  si  cette  opération 
est  un  acte  à  titre  onéreux  ou  à  titre  gratuit.  De  sa  nature,  'c'est 
un  acte  à  titre  gratuit,  la  caution  cherche  à  rendre  service  au  dé- 
biteur, en  lui  procurant  du  temps  pour  payer  ou  au  futur  débiteur 
en  lui  faisant  trouver  du  crédit.  Ce  service  est  ordinairement  gratuit  ; 
il  ne  serait  pas  impossible,  toutefois,  que  la  caution  se  fut  fait  pro- 
mettre quelque  avantage.  Cette  stipulation  est  valable  en  vertu  du 
principe  de  la  liberté  des  conventions ,  et  dans  ce  cas  les  rapports 
entre  le  débiteur  et  la  caution  sont  régis  par  les  règles  sur  les  actes 
à  titre  onéreux. 

239  bis.  IV.  Cette  étude  sur  le  caractère  gratuit  ou  onéreux  du 
contrat  et  de  l'opération  de  cautionnement  n'est  pas  dénuée  d'in- 
térêt. Non  pas  que  le  cautionnement,  même  gratuit,  puisse  être  sou- 
mis aux  règles  de  formes  imposées  aux  donations  ;  il  fera  partie  de 
cette  classe  d'actes  gratuits  qui,  par  leur  nature,  échappent  à 
l'article  931,  parce  que  ce  ne  sont  pas  des  actes  de  donation.  Dans 
cette  classe  se  rangent  la  remise  de  dette,  le  paiement  de  la  dette 
d'autrui  fait  donandi  animo,  et  il  y  a  place  pour  le  cautionnement. 

L'intérêt  de  la  question  n'en  existe  pas  moins,  car  si  le  caution- 
nement est  un  acte  à  titre  gratuit,  il  sera  plus  facilement  annulé 
pour  erreur  sur  la  personne.  Il  sera  soumis  à  l'action  révocatoire 


236  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

pour  cause  de  fraude  sans  qu'on  exige  la  mauvaise  foi  du  cocon- 
tractant  (art.  1167),  et  il  faudra,  au  cas  de  faillite,  lui  appliquer  les 
dispositions  rigoureuses  de  l'article  446  C.  Corn. 

239  bis.  V.  De  la  définition  que  nous  avons  donnée,  d'après  l'ar- 
ticle 2011,  ressort  un  troisième  caractère  de  cautionnement;  c'est 
un  contrat  accessoire,  c'est-à-dire  qu'il  suppose  une  obligation 
principale  dont  il  garantit  l'exécution.  Il  n'est  pas  du  reste  néces- 
saire que  cette  obligation  soit  préexistante.  La  caution  peut  s'obliger 
d'avance  pour  garantir  l'obligation  que  contractera  une  certaine  per- 
sonne. C'est  même  ainsi  que  les  choses  se  passeront  bien  souvent, 
car  celui  qui  exige  une  caution  parce  qu'il  n'a  pas  confiance  dans 
le  futur  débiteur  serait  imprudent  s'il  commençait  par  traiter  avec 
celui-ci,  par  exemple  à  lui  prêter  de  l'argent,  pour  être  exposé  en- 
suite à  ce  qu'on  ne  lui  donnât  pas  de  caution. 

239  bis.  VI.  Nous  tirons  encore  une  autre  conséquence  de  la 
définition  que  nous  a  fournie  l'article  2011.  C'est  que  le  créancier 
doit,  avant  de  poursuivre  la  caution,  mettre  en  demeure  le  débiteur 
principal.  En  effet,  si  l'on  ne  peut  pas  dire  que  la  caution  soit  un 
débiteur  conditionnel,  c'est  en  tout  cas  un  débiteur  subsidiaire;  il 
doit  satisfaire  à  l'obligation  si  le  débiteur  n'y  satisfait  pas  lui- 
même;  donc  le  débiteur  cautionné  est  le  véritable  débiteur,  et  il  est 
logique  que  le  créancier  s'adresse  d'abord  à  lui.  Quelle  nécessité  y 
a-t-il  de  tourmenter  la  caution  quand  le  débiteur  est  peut-être  en 
mesure  de  payer,  quand  il  ne  paie  pas  uniquement  parce  qu'on  ne 
lui  demande  rien?  Nous  n'appuyons  pas  cette  solution  sur  les 
premiers  mots  de  l'article  2021,  où  nous  lisons  que  la  caution  n'est 
obligée  qu'à  défaut  du  débiteur  ;  parce  que  la  suite  de  l'article  prouve 
que  ses  rédacteurs  ont  songé  exclusivement  à  constater  l'existence 
du  bénéfice  de  discussion,  et  nous  raisonnons  sur  les  cautions 
en  général,  même  sur  celles  qui  sont  privées  de  bénéfice  de  dis- 
cussion. C'est  donc  uniquement  l'article  2011  que  nous  invoquons, 
et  le  caractère  subsidiaire  de  l'obligation  du  fidéjusseur;  faisant 
en  outre  remarquer  que  cette  obligation  imposée  au  créancier 
n'entraînera  ni  frais  considérables,  ni  lenteurs  regrettables,  ce 
que  nous  prouvons  en  rappelant  que  la  législation  commerciale, 
si  amie  des  économies  de  temps  et  d'argent,  soumet  le  porteur 
d'une  lettre  de  change  ou  d'un  billet  à  la  nécessité  de  mettre  le 
tiers  ou  le  souscripteur  en  demeure  par  un  protêt  avant  d'agir 
contre  les  endosseurs  garants  du  paiement  à  l'échéance.  L'acte  que 


TIT.  XIV.  DU  CAUTIONNEMENT.  ART.  2011,  2012.   237 

nous  voulons,  c'est  une  sommation  qui  jouera,  en  matière  civile, 
le  rôle  qui  appartient  au  protêt  en  matière  commerciale.  Il  ne  s'agit 
pas  de  poursuivie  le  débiteur  comme  au  cas  de  discussion,  mais 
simplement  de  constater  que,  requis  de  payer,  il  n'a  pas  satisfait  à 
son  obligation. 

240.  Le  cautionnement  étant  un  contrat  accessoire,  l'obliga- 
tion qui  en  résulte  nécessairement  a  sa  cause  dans  l'obligation 
principale,  et  se  trouve  ainsi  subordonnée  à  son  existence.  Le 
cautionnement  ne  peut  donc  exister  avec  effet  que  sur  une 
obligation  valable.  V.  art.  2012,  al.  1,  mais  bien  entendu 
qu'on  doit  voir  une  obligation  valable  même  dans  une  simple 
obligation  naturelle. 

240  bis.  I.  Le  Code  commence,  dans  l'article  2012,  à  indiquer 
les  principales  conséquences  du  caractère  d'obligation  accessoire 
que  nous  avons  reconnu  à  l'obligation  de  la  caution. 

Il  n'est  pas  besoin  d'explication  sur  la  règle  même  qui  est  posée 
par  l'article  2012,  elle  se  justifie  d'elle-même,  et  les  exemples 
abondent  d'obligations  qui  ne  peuvent  être  garanties  par  un  cau- 
tionnement parce  qu'elles  ne  sont  pas  valables.  Nous  citerons  les 
obligations  sans  cause,  celles  qui  ont  un  objet  illicite,  une  chose 
hors  de  commerce,  les  dettes  de  jeu,  pour  lesquelles  la  loi  refuse 
toute  action  en  justice. 

Ce  qui  présente  une  certaine  difficulté,  c'est  la  détermination  pré- 
cise de  ce  que  la  loi  entend  par  une  dette  valable,  puis  ensuite 
l'intelligence  de  l'exception  que  contient  le  second  paragraphe  de 
l'article. 

240  bis.  II.  D'abord,  qu'entendre  par  obligation  valable,  et  quelles 
obligations  sont  exclues  par  cette  expression? 

Sans  contredit,  la  loi  exclut  celles  que  nous  venons  de  citer. 
Mais  doit-on  y  joindre  les  obligations  naturelles?  Dans  un  sens, 
elles  sont  valables  ;  le  droit  civil  leur  reconnaît  un  effet  ;  elles  peuvent 
être  valablement  payées;  pourquoi  ne  pourrait-on  pas  prendre 
l'engagement  de  les  payer?  Les  Romains  admettaient  le  cau- 
tionnement des  obligations  naturelles,  et  rien  n'indique  que  le  Code 
civil  ait  modifié  sur  ce  point  la  théorie.  Le  cautionnement  de  ces 
obligations  aura  un  but  qu'il  n'a  pas  d'ordinaire,  non-seulement 
il  protégera  le  créancier  contre  le  risque  résultant  de  l'insolvabilité 
du  débiteur,  mais  il  le  garantira  en  outre  contre  le  préjudice 


238  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

que  lui  causerait  la  disposition  de  la  loi  qui  le  prive  d'une  action 
en  justice,  tout  en  reconnaissant  qu'il  est  réellement  créancier. 

241.  La  validité  du  cautionnement  dépendant  de  celle  de  la 
dette  principale,  il  s'ensuit  qu'en  principe,  les  causes  de  nul- 
lité ou  de  rescision  qui  s'appliquent  à  l'obligation  principale 
s'appliquent  par  la  même  a  celle  de  la  caution. 

Si  pourtant  la  cause  de  nullité  de  l'obligation  principale  est 
purement  personnelle,  c'est-à-dire  uniquement  fondée  sur  le 
privilège  ou  l'incapacité  de  la  personne,  comme  en  cas  de 
minorité,  il  est  possible  que  ce  soit  précisément  en  vue  de 
l'incapacité,  et  pour  mettre  le  créancier  à  l'abri  de  l'excep- 
tion qu'elle  devait  fournir,  que  la  caution  soit  intervenue. 
Bien  plus,  comme  la  caution  n'a  pas  dû  ignorer  l'incapacité 
du  débiteur,  il  est  naturel  de  lui  présumer  cette  intention. 

De  la  on  doit  conclure  que  l'engagement  de  la  caution  est 
en  général  valable.  C'est  sans  doute  ce  que  la  loi  a  voulu 
dire,  en  déclarant  que  l'on  peut  en  pareil  cas  cautionner 
l'obligation.  V.  art.  2012,  al.  der.,  et  à  ce  sujet,  art.  1 124. 

Voyez  au  sur  plus  Ulp.,L.  13,  D.  de  min.;  Sever.  et  Ant., 
L.  1  et  2,  Cod.,  defidej.  min.;  v.  pourtant  Scœvol.;  L.  89, 
D.  de  acq.  vel  om.  her.  Voyez  aussi  Ulp.,  L.  25,  D.  de 
Jidej.;  L.  6,  de  verb.  obi.;  Gaius,  L.  70,  §  4,  dejidej.,  et  a 
ce  sujet  Paul,  L.  46,  D.  de  obi.  et  act. 

241  bis.  I.  La  disposition  du  second  paragraphe  de  l'article  2012 
se  rattache  à  la  solution  que  nous  venons  de  donner  sur  les  obli- 
gations naturelles.  Quand  le  débiteur  peut  faire  annuler  la  dette  pour 
cause  de  minorité,  il  est,  nous  l'avons  dit  au  tome  V,  n°  174  bis.  IV, 
engagé  dans  les  liens  d'une  obligation  naturelle;  il  n'est  tenu  que  s'il 
reconnaît  lui-même  la  validité  de  son  engagement  ;  il  peut,  en  un 
mot,  ratifier  son  obligation;  or,  que  fait  celui  qui  cautionne  une 
semblable  obligation?  il  la  ratifie  en  ce  qui  le  concerne,  il  autorise 
le  créancier  à  agir  contre  lui  s'il  ne  peut  obtenir  le  paiement  du 
débiteur,  pour  une  raison  quelconque,  notamment  parce  que  et 
débiteur  invoquerait  la  règle  sur  les  obligations  naturelles  pour 
arrêter  toute  action  en  justice. 

241  bis.  II.  L'exemple  que  nous  fournit  l'article  2012  nous  fait 


TIT.    XIV.    DU   CAUTIONNEMENT.    ART.    2012.  239 

voir  dans  quel  sens  il  a  pris  les  termes  exception  personnelle.  Il 
oppose  les  moyens  de  défense  qui  dépendent  de  l'appréciation 
propre  du  débiteur,  et  ceux  qui  dérivent  de  la  nature  du  contrat 
ou  de  l'objet  dû,  ou  même  d'une  cause  d'extinction  de  la  dette. 
Ces  moyens  existent  en  faveur  de  tout  débiteur,  tandis  que  ceux 
dont  parle  la  loi  supposent  que  le  débiteur  se  trouve  dans  une  con- 
dition particulière. 

Le  cas  de  minorité  n'est  pas  le  seul  que  la  loi  ait  eu  en  vue, 
elle  a  certainement  compris  q  ue  les  moyens  tirés  des  autres  incapacités 
auraient  le  même  caractère  de  personnalité.  Il  faut  dire  de  l'obli- 
gation contractée  par  une  femme  mariée  non  autorisée,  ou  par  un 
interdit  dans  un  intervalle  lucide,  ce  que  l'article  2012  dit  de  l'obli- 
gation du  mineur. 

241  bis.  III.  Mais  il  faut  aller  plus  loin  ;  toutes  les  fois  que  le  con- 
trat aura  été  vicié  par  l'erreur,  le  dol  ou  la  violence,  on  doit 
reconnaître  que  son  existence  dépend  de  la  libre  et  consciencieuse 
appréciation  de  la  partie,  qu'invoquer  la  nullité,  c'est  se  servir  d'un 
moyen  personnel,  et  que,  puisque  le  débiteur  peut  ratifier  l'obli- 
gation, un  tiers  peut  la  cautionner,  ce  qui  n'est  pas  faire  autre 
chose  que  la  ratifier  en  ce  qui  le  concerne. 

241  bis.  IV.  Dans  les  cas  exceptionnels  où  la  lésion  vicie  les  con- 
trats faits  par  des  personnes  capables,  il  faut  encore  dire  qu'on  se 
trouve  en  présence  d'un  vice  de  la  volonté.  Nous  avons  développé 
cette  idée  à  propos  de  la  rescision  de  la  vente  (I);  et  nous  avons 
admis  que  la  vente  rescindable  pour  lésion  peut  être  confirmée 
dans  certaines  conditions  qui  constituent  la  cessation  du  vice;  nous 
avons  exigé  notamment  que  la  confirmation  fut  faite  gratuitement, 
La  conséquence  de  notre  doctrine  sur  ce  point  doit  être  que  l'obli- 
gation du  vendeur  peut  être  cautionnée,  car  c'est  une  ratification  en 
ce  qui  concerne  la  caution,  et  comme  elle  est  gratuite,  il  n'y  a  pas 
moyen  d'y  rencontrer  le  vice  qui  infecte  la  vente  et  qui  n'est  autre 
que  la  violence  morale  que  le  vendeur  est  présumé  subir  quand 
il  agit  sous  l'empire  d'un  absolu  besoin  d'argent. 

241  bis.  V.  Dans  les  différents  cas  que  nous  venons  d'examiner, 
c'est-à-dire  toutes  les  fois  que  le  cautionnement  sera  comme  une 
confirmation  d'un  acte,  il  faudra  bien  supposer  que  le  cautionnement 
a  été  consenti  par  la  caution  en  connaissance  de  cause.  D'abord 

(1)  V.  t.  VII,  n»  120  bis.  V  et  VI. 


240  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

c'est  là  une  des  conditions  essentielles  de  la  confirmation  (art.  1338), 
la  partie  doit  connaître  le  vice  de  l'acte  qu'elle  confirme;  en  outre, 
si  la  caution  ignorait  l'existence  de  ce  vice,  elle  aurait  commis  une 
erreur  des  plus  graves  sur  l'objet  de  son  obligation,  car,  nous 
l'avons  dit,  dans  ces  diverses  hypothèses,  elle  subit  une  double 
chance  d'être  poursuivie;  elle  ajoute  au  risque  ordinaire  de  l'insol- 
vabilité du  débiteur  principal  un  risque  plus  grand  encore,  celui 
de  la  non-confirmation  du  contrat  par  le  débiteur  principal  ;  elle 
accepte  d'être  débitrice  si  le  débiteur  ne  veut  pas  l'être. 

241  bis.  VI.  Ce  danger,  d'ailleurs,  sera  aggravé  dans  un  certain 
nombre  de  cas  par  cette  circonstance  que  la  caution,  après  avoir 
payé,  n'aura  pas  de  recours  contre  le  débiteur.  Nous  ne  disons  pas 
dans  toutes  les  hypothèses,  parce  qu'il  nous  faut  faire  des  distinctions 
suivant  les  espèces.  Nous  pouvons  tout  d'abord  dégager  un  nombre 
considérable  d'hypothèses  dans  lesquelles  le  recours  n'existe  pas. 
Ce  fait  se  produira  quand  la  caution  se  sera  obligée  sans  l'ordre  du 
débiteur  principal  ;  son  recours,  en  effet,  ne  peut  être  fondé  que 
sur  la  gestion  d'affaires;  or,  l'affaire  n'a  pas  été  gérée  utilement, 
puisque  le  débiteur  avait  un  moyen  légal  pour  ne  pas  payer  la  dette. 
Par  la  même  raison,  la  caution  ne  pouvait  pas  se  prétendre  subrogée 
dans  les  droits  du  créancier;  celui-ci  n'avait  pas  d'action  ou  n'avait 
qu'une  action  que  le  défendeur  pouvait  repousser  en  invoquant  la 
nullité  du  contrat. 

241  bis.  Vil.  Si  nous  songeons  maintenant  aux  cas  où  le  débiteur 
aura  donné  à  la  caution  mandat  de  le  cautionner,  nous  pourrons 
trouver  quelques  cas  où  le  recours  existera,  mais  bien  d'autres  où 
il  ne  pourra  être  exercé.  En  effet,  la  plupart  du  temps,  le  mandat 
sera  infecté  du  même  vice  que  le  contrat  qui  a  donné  naissance  à 
l'obligation  annulable.  C'est  ce  qui  se  produira  quand  une  femme 
mariée,  un  mineur,  un  interdit  auront,  pendant  que  leur  incapacité 
durait  encore,  prié  la  caution  de  s'obliger. 

241  bis.  VIII.  Mais  si  l'incapacité  a  cessé  quand  le  mandat  de 
cautionner  a  été  donné,  ce  mandat  est  valable,  et  l'action  mandati 
contraria  en  pourra  résulter.  Quand  l'obligation  est  annulable  à 
raison  d'un  vice  du  consentement,  des  distinctions  sont  nécessaires 
selon  la  nature  du  vice.  S'agit-il  de  l'erreur  sur  la  substance,  tant 
que  cette  erreur  subsiste,  le  mandat  de  cautionner  ne  peut  pas  être 
donné  sans  être  entaché  du  même  vice;  il  en  est  de  même  du  vice 
de  violence;  quant  au  vice  de  dol,  nous  n'en  dirons  pas  autant,  parce 


TIT.    XIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    ART.    2012.  241 

que  le  dol  est  un  vice  relatif  et  non  pas  absolu,  il  produit  des  effets 
in  personam  et  non  pas  «î  rem;  autrement  dit,  il  faut  que  les 
manœuvres  qui  constituent  le  dol  aient  été  pratiquées  par  le 
cocontractant.  Or,  il  y  a  ici  deux  contrats,  partant  deux  parties 
adverses  différentes;  le  contrat  principal  est  annulable  pour  cause 
de  dol,  mais  le  mandat  ne  saurait  être  annulé,  parce  que  ce  n'est 
pas  le  mandataire  qui  a  commis  le  dol  pratiqué  par  le  créancier 
principal. 

241  bis.  IX.  Il  faut  faire  une  observation  analogue  pour  tem- 
pérer notre  solution  à  l'égard  de  la  violence.  Il  est  vrai  que  la  vio- 
lence est  un  vice  in  rem,  mais  encore  faut-il  que  les  actes  de 
violence  aient  été  commis  dans  le  but  de  déterminer  la  partie  à  con- 
tracter (1).  Dans  un  certain  nombre  d'hypothèses,  les  actes  n'auront 
pas  eu  pour  but  de  déterminer  la  partie  violentée  à  donner  mandat 
à  une  caution,  alors  le  mandat  serait  valable.  Souvent,  au  contraire, 
la  personne  qui  aura  commis  ces  actes  aura  imposé  à  la  victime  de 
la  violence  la  nécessité  de  fournir  caution,  alors  le  mandat  sera 
infecté  du  même  vice  que  le  contrat  principal,  et  le  mandataire 
n'aurait  pas  l'action  en  recours. 

11  faut  reconnaître,  du  reste,  qu'on  trouvera  rarement  une  caution 
obligée  valablement,  mais  privée  du  recours,  à  raison  de  ce  que  le 
mandat  qu'elle  a  reçu  est  entaché  du  vice  de  violence  ou  de  dol, 
puisque,  d'après  ce  que  nous  avons  dit  plus  haut,  il  faut  pour  que 
le  cautionnement  soit  valable  qu'il  ait  été  donné  par  une  personne 
qui  connaissait  le  vice  de  l'acte  principal. 

241  bis.  X.  Dans  l'hypothèse  de  la  lésion,  le  vice  pourra  s'étendre 
jusqu'au  contrat  de  mandat  dans  les  cas  où  nous  avons  dit 
que  les  parties  ne  pourraient  pas  confirmer  l'acte,  parce  que  cette 
confirmation  aurait  été  inspirée  par  la  nécessité  pressante  d'être  en 
possession  d'une  somme  d'argent  (2).  Alors  la  caution  sera  tenue 
si  elle  a  connu  le  vice  de  l'acte  principal,  mais  elle  n'aura  pas  de 
recours. 

241  bis.  XI.  Nous  avons  cité  au  tome  V  des  cas  d'obligations 
naturelles  (3)  qui  ne  se  rattachent  pas  à  la  théorie  des  obligations 
annulables;  ainsi  l'obligation  prescrite,  celle  qui  a  été  déclarée  inexis- 
tante par  un  jugement  ayant  autorité  de  chose  jugée;  dans  ces 

(1)  V.  t.  V,  no  20  bis. 

(2)  V.  t.  III,  n°  120  bis.  V  et  VI 

(3)  V.  t  V,  n»  174  bis,  IV. 

VIII.  16 


2*2  COUFïS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

hypothèses  la  caution  qui  aura  contracté  eu  connaissance  de  cause 
sera  lice  et  elle  aura  recours  contre  la  partie  qui  lui  aura  donné  man- 
dat de  cautionner;  car  le  m;mdat  n'est  pas  entaché  d'un  vice  qui 
n'atteint  même  pas  l'obligation  principale  que  le  débiteur  pour- 
rait lui-même  reconnaître  ou  payer  valablement.  Il  reste  entendu 
que  ce  mandat,  qui  produit  des  effets  entre  le  débiteur  et  la  caution, 
n'en  produit  pas  quant  au  créancier  qui  est  un  tiers  par  rapport 
à  ce  contrat,  que  par  conséquent  ce  créancier  n'a  pas  acquis  une 
action  contre  le  débiteur. 

242.  Le  même  principe  qui  subordonne  à  l'existence  de 
l'obligation  principale  celle  de  l'obligation  de  la  caution,  ne 
permet  pas  davantage  que  le  cautionnement  excède  la  mesure 
de  la  dette.  Il  est  évident,  en  effet,  que,  pour  cet  excédent, 
l'obligation  de  la  caution  serait  sans  cause.  L'excès,  au  reste, 
existerait,  soit  que  la  caution  promît  une  somme  plus  forte, 
soit  qu'elle  s'engageât  sous  des  conditions  plus  onéreuses. 

Rien  ne  s'oppose,  au  contraire,  a  ce  que  la  caution,  qui 
pouvait  ne  pas  s'obliger  du  tout,  s'oblige  à  moins  que  le 
débiteur  principal,  ou  s'oblige  sous  des  conditions  moins 
onéreuses. 

On  doutait  autrefois  si,  au  cas  d'excès,  l'obligation  de  la 
caution  ne  devait  pas  être  entièrement  nulle  (v.  Ulp.,  L.  8, 
§  7,  D.  de  Jidej.).  Mais  comme  l'obligation  n'est  vraiment 
sans  cause  que  pour  l'excédent,  le  Code  décide,  avec  raison, 
que  le  cautionnement  est  seulement  réductible  a  la  mesure 
de  l'obligation  principale.  V.  art.  2013;  et  remarquez  que  le 
cautionnement  serait  absolument  sans  cause,  et  devrait  dès 
lors  être  entièrement  nul,  si  la  caution  promettait,  non  pas 
plus,  mais  autre  chose  que  le  débiteur  principal  (v.  JavoL, 
L.  42.  D.  de  Jidej.). 

242  bis.  I.  L'article  2013  tire  une  nouvelle  conséquence  du 
caractère  accessoire  de  l'obligation  contractée  par  la  caution,  et  il  en 
sous-entend  une  autre,  que  nous  devons  présenter  sous  forme 
d'observation  préliminaire. 

Le  cautionnement  ne  peut  avoir  pour  objet  une  prestation  dif- 
férente de  celle  qui  forme  l'objet  de  l'obligation  principale.  Par 


T1T.    XIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    ART.    2013.  "243 

exemple,  le  débiteur  doit  un  cheval  déterminé,  et  la  caution  s'engage, 
en  cas  de  non-paiement  par  le  débiteur,  à  donner  un  autre  cheval. 
Les  Romains,  qui  raisonnaient  sur  un  contrat  de  fidéjussion  formé 
verbis,  et  qui  ne  pouvaient  le  valider  que  s'il  était  vraiment  une 
Cdéjussion,  déclaraient  nulle  la  promesse  faite  dans  de  telles  condi- 
tions. Nous  ne  devons  pas  les  suivre  sur  ce  terrain.  Certes,  le  con- 
trat que  nous  venons  de  supposer  n'est  pas  un  cautionnement, 
parce  que  ce  dernier  contrat  ne  se  conçoit  que  comme  imposant 
subsidiairement  à  une  personne  la  nécessité  d'exécuter  l'obligation 
d'une  autre.  Or,  dans  l'exemple  sur  lequel  nous  raisonnons,  ce  que 
le  fidéjusseur  paiera  ne  sera  pas  l'objet  dû  par  le  débiteur,  donc  en 
réalité  il  n'exécutera  pas  l'obligation  de  ce  débiteur.  Le  contrat 
n'est  donc  pas  un  cautionnement,  mais  dans  notre  droit,  où  les 
parties  peuvent  inventer  telle  convention  que  bon  leur  semble,  où 
la  volonté  est  souveraine,  où  les  contrats  non  classés  n'en  sont  pas 
moins  valables,  il  ne  faut  pas  mettre  en  doute  la  validité  de  celui-là. 
C'est  une  promesse  faite  par  Pierre  de  livrer  le  cheval  Éclair  si  Paul 
ne  livre  pas  le  cheval  Espérance.  Convention  qui  crée  une  obligation 
principale  conditionnelle  subordonnée  à  la  condition;  si  Paul  n'exé- 
cute pas  son  obligation. 

242  bis.  II.  Ce  n'est  pas  une  pure  question  de  mots  que  nous 
venons  d'agiter,  car  si  le  contrat  qui  nous  occupe  n'est  pas  un 
cautionnement,  nous  ne  pouvons  pas  trouver  au  profit  du  débiteur 
subsidiaire  Pierre,  la  base  d'une  subrogation  légale  contre  l'autre 
débiteur.  On  ne  peut  pas  dire,  en  effet,  que  Pierre  était  tenu  avec 
Paul  ou  pour  Paul,  puisque  les  deux  obligations  étaient  essentielle- 
ment distinctes  l'une  de  l'autre.  Par  la  même  raison  le  paiement 
fait  par  Pierre  n'éteindrait  pas  la  dette  de  Paul,  celui-ci  pourrait 
toujours  être  poursuivi;  mais  alors,  quand  il  aurait  acquitté  son 
obligation,  Pierre  aurait  recours  contre  le  créancier  pour  répéter 
ce  qu'il  lui  aurait  payé  lui-même  et  qu  il  se  trouverait  maintenant 
avoir  payé  sans  cause. 

242  bis.  III.  Telles  sont  les  conséquences  qu'on  peut  rigoureuse- 
ment tirer  de  l'analyse  que  nous  avons  faite  de  la  convention  par  la- 
quelle une  personne  s'oblige  à  payer  une  chose  si  tel  débiteur  d'une 
autre  chose  n'acquitte  pas  son  obligation.  Il  nous  paraît  cependant 
que  cette  déduction  des  principes  ne  tient  pas  assez  compte  de  la 
volonté  des  parties.  De  ce  qu'un  contrat  est  innomé,  il  ne  faut  pas 
conclure,  en  droit  français,  qu'il  ne  peut  pas  produire  les  effets  d'un 

16. 


214  COUKS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    11]. 

contrat  nommé  avec  lequel  il  a  une  grande  affinité  dans  la  pensée 
des  parties.  Or,  si  les  solutions  auxquelles  nous  venons  d'arriver 
peuvent  se  justifier  en  présence  d'une  convention  qui  ne  montre 
aucunement  le  lien  qui  rattache  la  promesse  du  second  débiteur  à 
celle  du  premier,  elles  nous  paraissent  inadmissibles  dans  le  plus 
grand  nombre  des  hypothèses.  Si  la  partie  qui  contracte  la  seconde 
obligation  a  exprimé  la  volonté  de  se  porter  caution,  mais  en 
promettant  que  pour  l'exécution  de  son  obligation  de  caution  elle 
fournirait  une  chose  autre  que  celle  qui  est  due  par  le  débiteur 
principal,  n'est-il  pas  clair  que  cette  partie  n'a  cherché  qu'une 
facilité  d'exécution ,  mais  qu'elle  a  entendu  que  si  elle  livrait  la 
chose  qu'elle  promettait,  elle  libérerait  le  débiteur  principal,  que 
partant  elle  aurait  un  recours  contre  celui-ci,  et  que  tenue  pour 
lui,  elle  aurait  contre  lui  le  bénéfice  de  l'article  1251-3? 

242  bis.  IV.  Refuser  à  la  convention  ces  différents  effets,  c'est  la 
dénaturer  complètement,  c'est  l'interpréter  tout  autrement  que  selon 
la  commune  intention  des  parties.  Par  conséquent,  c'est  violer  la 
principale  règle  du  Gode  civil  sur  l'interprétation  des  conventions. 
On  dit,  il  est  vrai,  que  le  contrat  de  cautionnement  est  essentielle- 
ment accessoire  du  contrat  principal  et  qu'il  perd  ce  caractère  si  les 
deux  obligations  sont  distinctes.  N'est-il  pas  clair  cependant  que  les 
parties  sont  maîtresses  de  donner  plus  ou  moins  de  force  au  lien 
qui  unit  les  deux  obligations,  et  ne  voit-on  pas  que  dans  la  conven- 
tion interprétée  comme  nous  l'avons  fait,  il  y  a  tout  simplement  une 
convention  annexée  au  cautionnement  par  laquelle  la  caution  et  le 
créancier  tombent  d'accord  sur  ce  point  que  le  paiement  à  faire  par 
le  caution  se  résoudra  en  une  dation  en  paiement?  Or,  la  dation  en 
paiement  est  autorisée  par  l'article  1243,  lorsqu'il  y  a  accord  entre 
le  créancier  et  le  débiteur.  Nous  concluons  de  notre  doctrine  que  le 
débiteur  subsidiaire  sera  toujours  libéré  par  les  causes  qui  libére- 
ront le  débiteur  principal,  par  exemple  par  la  perte  de  la  chose  que 
doit  celui-ci,  mais  nous  concédons  qu'il  n'aurait  pas  le  bénéfice  de 
discussion,  qui  nous  paraît  accordé  comme  une  faveur  exception- 
nelle aux  seuls  débiteurs  qui  ont  contracté  dans  les  conditions 
strictes  dans  lesquelles  la  loi  conçoit  le  contrat  de  cautionnement. 
242  bis.  V.  En  revenant  à  la  disposition  même  de  l'article  2019, 
nous  trouvons  cette  règle,  que  le  cautionnement  ne  peut  excéder 
ce  qui  est  dû  par  le  débiteur,  ni  être  contracté  sous  des  conditions 
plus  onéreuses.  C'est  la  conséquence  du  caractère  comparé  des  deux 


T1T.    XIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    ART.    2013.  245 

dettes,  non  plus  in  accessionc  potest  esse  quam  in  principali  re  (1).  On 
peut  voir,  dans  le  paragraphe  des  Institutes  qui  nous  fournit  cette 
formule  explicative  de  la  règle,  des  exemples  de  stipulations  par  les- 
quelles le  cautionnement  excéderait  ce  qui  est  du.  ou  serait  con- 
tracté sous  des  conditions  plus  onéreuses  que  celles  de  l'obligation 
principale;  ainsi  la  caution  promet  10,000  francs,  tandis  que  le  débi- 
biteur  n'en  doit  que  5,000  francs,  ou  bien  elle  promet  à  un  terme 
plus  rapproché,  elle  promet  purement  quand  le  débiteur  doit  sous 
condition. 

242  bis.  VI.  Dans  ces  divers  cas  ou  d'autres  semblables,  on  aura 
violé  la  règle  de  l'article  2013,  1er  alinéa,  dont  la  sanction  est 
indiquée  par  le  3e  alinéa.  L'obligation  de  la  caution  est  réductible 
dans  la  mesure  de  l'obligation  principale.  C'est  une  décision  con- 
traire au  droit  romain,  qui  annulait  pour  le  tout  l'obligation  du  fidé- 
jusseur  (2).  Cette  solution  se  rattachait  au  caractère  striai  juris 
de  l'action  ex  stipulant  qui  naissait  de  la  fidéjussion;  elle  doit  être 
abandonnée  dans  notre  droit  où  les  conventions  sont  interprétées 
ex  œquo  et  bono  et  plutôt  dans  le  sens  de  leur  validité  que  de  leur 
nullité. 

242  bis.  VII.  Le  principe  de  la  réduction  des  engagements  con- 
tractés à  titre  de  cautionnement  et  qui  excèdent  l'obligation  prin- 
cipale, est  donc  des  plus  raisonnables.  Mais  il  présente  des  diffi- 
cultés dans  son  application  aux  divers  cas  d'excès. 

Il  y  a  des  cas  où  la  réduction  de  l'obligation  s'opérera  facilement  : 
si  l'excès  porte  sur  le  chiffre  de  la  quantité  promise,  rien  de  plus 
simple,  la  caution  ne  devra  que  la  somme  ou  la  quantité  due  par 
le  débiteur;  si  elle  a  un  terme  plus  court,  elle  bénéficiera  du  terme 
plus  long;  si  elle  a  promis  purement  et  le  débiteur  sous  condition, 
l'obligation  de  la  caution  sera  soumise  à  la  même  condition  que 
celle  du  débiteur. 

242  bis.  VIII.  Mais  on  peut  être  plus  embarrassé  quand  la  dif- 
férence entre  les  deux  obligations  porte  sur  ce  que  l'une  d'elles  est 
alternative  et  l'autre  pure.  En  examinant  les  diverses  hypothèses 
possibles,  nous  allons  voir  ce  qai  fait  la  difficulté  et  comment  il  faut 
la  résoudre. 

1°  Le  débiteur  doit  une  seule  chose,  et  la  caution  a  promis  cette 

(!)  Inttit..l  m,  t  XX,  §  5. 

(2)  V.  I.  8,  §  7,  D.  de  Jidejutsoribus,  et  M.  Accarias,  Précis  du  droit  romain, 
U  II,  p.  361. 


246  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    111. 

chose  ou  une  autre  sous  l'alternative.  Cette  caution  doit  alors  sous 
un  certain  point  de  vue  plus  et  sous  un  autre  moins  que  le  débiteur 
principal.  Elle  doit  plus  en  ce  qu'elle  a  moins  de  chance  d'être 
libérée  par  la  destruction  fortuite  de  l'objet  de  son  obligation;  elle 
doit  moins  puisque,  ayant  le  choix  entre  deux  choses  (art.  1190), 
elle  pourra  payer  une  chose  ayant  moins  de  valeur  que  celle  qui 
est  due  principalement. 

On  ne  peut  donc  pas  ramener  l'obligation  de  la  caution  à  une 
obligation  pure  et  simple,  parce  qu'il  en  résulterait  la  perte  du 
droit  de  choisir.  Il  faut  supprimer  ce  que  son  obligation  a  de 
plus  onéreux  que  celle  du  débiteur,  tout  en  laissant  substituer  ce 
qu'elle  a  de  plus  avantageux.  On  atteindra  ce  double  but  en  conver- 
tissant l'obligation  alternative  en  une  obligation  facultative  (1),  la 
caution  ne  sera  toujours  débitrice  que  de  la  chose  due  principale- 
ment, mais  elle  aura  la  faculté  de  se  libérer  en  donnant  l'autre. 

242  bis.  IX.  Nous  avons  supposé  que  le  choix  avait  été  réservé  à 
la  caution;  si  dans  la  même  hypothèse  le  choix  avait  été  donné  au 
créancier,  l'application  de  l'article  1013  aurait  pour  conséquence 
de  supprimer  l'alternative  et  de  rendre  l'obligation  de  la  caution 
pure  et  simple  comme  celle  du  débiteur. 

242  bis.  X.  Examinons  le  cas  inverse  :  le  débiteur  a  promis  deux 
choses  sous  l'alternative,  et  la  caution  une  des  deux  choses  seule- 
ment. La  caution  a  l'avantage  de  la  chance  de  libération  par  la 
perte  de  la  chose  unique  qu'elle  a  promise,  mais  au  cas  où  le 
débiteur  a  le  choix,  il  a  sur  elle  l'avantage  de  pouvoir  donner  la  moin- 
dre des  deux  choses  qui  n'est  peut-être  pas  celle  qu'a  promise  la  cau- 
tion. Pour  assurer  à  la  caution  cet  avantage,  tout  en  laissant  son 
obligation  porter  exclusivement  sur  la  chose  qu'elle  a  promise,  il 
faut  rendre  facultative  son  obligation  en  lui  donnant  la  faculté  de 
payer  la  seconde  chose  comprise  dans  l'alternative  par  rapport  au 
débiteur  principal.  Nous  dirons  dans  cette  hypothèse  comme  dans  la 
précédente  que  si  le  choix  appartient  au  créancier,  il  n'y  a  pas  lieu 
de  dénaturer  l'obligation  de  la  caution,  qui  en  elle-même  est  moins 
onéreuse  que  celle  du  débiteur  principal. 

243.  Si  le  cautionnement  suppose  nécessairement  l'exis- 
tence d'un  débiteur  principal,  ce  n'est  pas  a  dire  pour  cela  que 

(1)  V.  t.  V,  n»115  Mi.  II. 


TIT.    XIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    ART.    2013-2016.      247 

le  consentement  de  ce  débiteur  soit  exigé  pour  la  perfection 
du  contrat  qui  doit  lier  la  caution  envers  le  créancier.  Bien 
plus,  ce  consentement  n'est  pas  môme  nécessaire  pour  assurer 
à  la  caution  son  recours  contre  le  débiteur,  auquel  le  caution- 
nement ne  peut  que  profiter.  Sous  l'un  comme  sous  l'autre 
point  de  vue,  il  est  donc  vrai  de  dire  qu'on  peut  se  rendre 
caution  sans  l'ordre  du  débiteur  principal,  et  même  a  son 
insu.  V.  art.  2011,  al.  1.  Nul  doute  même  qu'on  puisse, 
malgré  le  débiteur,  el  contre  sa  défense,  s'engager  comme  cau- 
tion envers  le  créancier. 

243  bis.  Nous  l'avons  déjà  dit,  la  caution  peut  s'être  engagée  en 
vertu  d'un  mandat  reçu  du  débiteur,  ou  comme  gérant  d'affaires, 
elle  peut  même  avoir  promis  malgré  lui,  car  elle  aurait  pu  payer 
dans  les  mêmes  conditions,  ce  fait  n'aura  pas  d'influence  sur  la 
valeur  du  cautionnement  dans  les  rapports  avec  le  créancier,  il  ne 
sera  pas  du  reste  sans  influence  sur  les  rapports  de  la  caution  avec 
le  débiteur  principal;  c'est  ce  que  nous  expliquerons  quand  nous 
traiterons  du  recours  de  la  caution  (1). 

244.  La  dette  même  d'une  caution  peut  être  considérée 
comme  obligation  principale  par  rapport  au  tiers  qui  consen- 
tirait à  la  cautionner.  Ainsi  l'on  peut  se  rendre  caution  non- 
seulement  du  débiteur  principal,  mais  encore  de  la  caution. 
V.  art.  2014,  al.  dernier. 

244  bis.  Cette  caution  de  caution  [Jidejussor  Jidejussoris)  porte, 
dans  la  pratique  française,  le  nom  de  certificateur  (art.  135,  G.  Pr.). 

245.  Le  cautionnement  est,  en  général,  un  acte  de  bien- 
faisance, au  moins  envers  le  débiteur;  pas  plus  donc  qu'une 
libéralité  proprement  dite,  il  ne  doit  se  présumer,  ni  par 
conséquent  s'étendre  au  delà  des  limites  dans  lesquelles  il  a 
été  contracté.  V.  art.  2015;  v.  à  ce  sujet  Paul,  I,  68,  §  1, 
D.  de  Jidej. 

246.  Cette  règle  toutefois  n'empêcbe  pas  d'attribuer  au  cau- 
tionnement l'étendue  que  comportent  les  termes  employés, 
et  que  les  parties  ont  dû  raisonnablement  vouloir  lui  attribuer. 

(1)  V.n»259  bi$. 


248  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

Ainsi  les  accessoires,  comme  le  principal,  étant  en  général 
compris  dans  une  obligation,  celui  qui  la  cautionne  indéfini- 
ment, c'est-à-dire  sans  limitation  spéciale,  doit  être  censé 
avoir  voulu  cautionner  aussi  les  accessoires.  Les  frais  que  le 
créancier  est  obligé  de  faire  pour  obtenir  son  paiement  se 
rangent  naturellement  parmi  ces  accessoires;  et  comme  il  est 
naturel  qu'il  s'adresse  d'abord  au  débiteur  principal,  les  frais 
mêmes  de  la  demande  formée  contre  celui-ci  peuvent  être 
exigés  de  la  caution.  Quant  aux  frais  postérieurs,  que  la  cau- 
tion aurait  peut-être  évités  en  payant  si  elle  eût  été  prévenue, 
elle  ne  les  doit  pas  si  la  demande  ne  lui  a  pas  été  dénoncée; 
mais  elle  doit  naturellement  ceux  qu'elle  a  laissé  faire  depuis 
la  dénonciation.  V.  art.  2016. 

246  bis.  Parmi  les  accessoires  de  l'obligation  principale  qui  sont 
mis  à  la  charge  de  celui  qui  a  cautionné  une  dette  d'une  façon 
indéfinie,  c'est-à-dire  sans  limitation  spéciale  de  la  somme  à 
payer,  il  faut  placer  certainement  les  intérêts  conventionnels  de  la 
somme  principale.  Quant  aux  intérêts  moratoires,  ils  ne  sont  pas 
l'objet  direct  de  la  convention,  ils  ne  sont  pas  dus  uniquement  par 
le  fait  de  cette  convention  ;  ce  sont  des  dommages  et  intérêts  fondés 
sur  le  retard  ;  or  le  retard  nous  paraît  un  fait  personnel,  par  consé- 
quent nous  pensons  que  le  simple  fait  d'avoir  mis  le  débiteur  en 
demeure  par  une  citation  en  justice  (art.  1153)  ne  produit  pas  le 
même  effet  à  l'égard  de  la  caution,  que  par  conséquent  les  intérêts 
ne  courent  pas  contre  elle  tant  qu'on  ne  l'a  pas  personnellement 
assignée.  Cette  décision  nous  paraît  absolument  conforme  à  l'esprit 
de  l'article  1153,  qui  ne  veut  pas  que  la  dette  s'accroisse  d'une 
dette  d'intérêts  à  l'insu  du  débiteur.  La  caution  souffrirait  de 
l'ignorance  dans  laquelle  elle  aurait  été  tenue  sur  les  intentions  du 
créancier.  Nous  n'apercevons  contre  cette  décision  qu'une  objection 
qui  pourrait  être  fondée  sur  l'article  1207,  mais  il  s'agit  dans  cet 
article  des  codébiteurs  solidaires  plus  rigourement  liés  ensemble  que 
le  débiteur  et  la  caution,  et  l'exception  qui  les  régit  ne  saurait 
être  étendue. 

247.  Quoique  le  cautionnement  soit,  sous  certains  rap- 
ports, un  acte  de  bienfaisance,  on  ne  peut  considérer  comme 
telle  l'exécution  de  l'engagement  une  fois  pris  envers  le  créan- 


TIT.    XIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    ART.    2016-2018.      249 

cier;  on  applique  donc  ici  la  règle  générale  qui  fait  suc- 
céder les  hériliers  aux  engagements  de  leur  auteur.  Cette  règle 
cependant  recevait  exception  pour  la  contrainte  par  corps,  à 
laquelle  la  caution  était  quelquefois  soumise  (v.  2010,  al.  der- 
nier; 2060-5°)}  car  la  liberté  de  la  personne  ne  peut  jamais 
être  engagée  par  le  fait  d'autrui.  V.  art.  2017;  Jusl,,  Inst., 
§  2,  dejidej. 

247  bis.  La  contrainte  par  corps  est  abolie  en  matière  civile  par 
la  loi  de  1867;  l'exception  à  laquelle  l'article  2017  soumettait  sa 
règle  n'existe  donc  plus.  Quant  à  la  règle  en  elle-même,  elle  est 
l'application  du  principe  très-large  en  vertu  duquel  les  héritiers 
succèdent  aux  obligations  de  leurs  auteurs;  et  il  faut  bien  convenir 
que  la  sûreté  fondée  sur  le  cautionnement  serait  bien  illusoire  si 
l'engagement  du  fidéjusseur  s'éteignait  à  sa  mort.  Le  Code  ne  s'est 
exprimé  sur  ce  point  qu'à  l'imitation  de  Pothier,  qui  imitait  les 
Institutes  de  Justinien,  et  Justinien  lui-même  avait  transcrit  une 
partie  du  texte  de  Gaïus,  où  cette  remarque  faisait  partie  d'une 
comparaison  entre  l'obligation  des  Jidejussores  et  celle  des  sponsores 
ou  àesjldepromissores,  qui  étaient  libérés  par  leur  mort  (1). 

248.  A  l'occasion  de  l'étendue  du  cautionnement,  la  loi 
règle  ici  celle  de  l'obligation  de  fournir  caution.  Cette  obliga- 
tion consiste  a  procurer  au  créancier  l'engagement  d'une  tierce 
personne,  que  le  débiteur  doit  a  cet  effet  présenter,  pour  être 
reçue,  soit  volontairement,  soit  en  justice  (v.  a  ce  sujet  C.  Pr., 
art.  517-522).  Le  but  qu'on  se  propose  dans  l'établissement 
de  cette  obligation  ne  serait  évidemment  pas  rempli,  et  la  cau- 
tion offerte  pourrait  être  refusée,  si  l'engagement  de  cette 
caution  n'était  de  nature  à  produire  certitude  et  facilité  du 
paiement.  A  cet  effet,  la  caution  doit  être  capable  de  contrac- 
ter, et  solvable,  eu  égard  à  l'objet  de  l'obligation  principale. 
Il  faut,  de  plus,  pour  la  facilité  des  poursuites,  que  le  domicile 
de  la  caution  ne  soit  pas  trop  éloigné  ;  la  loi  exige  en  consé- 
quence qu'il  soit  dans  le  ressort  de  la  cour  d'appel  où  la  cau- 
tion doit  être  donnée.  V.  art.  2018. 

(1)  V.  Ins'iL,  liv,  III,  t.  XX,  §  1.  Gains,  Corn.  III,  §  120. 


250  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

248  bis.  I.  Ici  se  termine  ce  qui  concerne  la  formation  du  contrat 
de  cautionnement.  Cependant  tout  n'est  pas  dit  sur  les  difficultés 
qui  peuvent  naître  à  propos  de  la  constitution  d'un  cautionnement. 
La  fin  du  chapitre  traite  des  qualités  que  doit  réunir  une  per- 
sonne, non  pas  pour  donner  un  cautionnement  valable,  mais  pour 
que  son  engagement  satisfasse  à  l'obligation  de  fournir  caution. 

Le  cautionnement  en  effet  n'est  pas  toujours  donné  spontanément, 
et  par  une  convention  exécutée  au  moment  même  où  elle  vient 
d'être  faite.  Il  est  souvent  l'exécution  d'une  obligation  préexistante, 
l'obligation  de  donner  caution;  soit  qu'un  débiteur  ait  pris  un  tel 
engagement  en  contractant,  soit  que  la  loi  ou  la  justice  oblige  une 
personne  à  donner  caution.  Nos  articles  supposent  une  caution  pro- 
mise. Nous  trouverons  plus  tard  des  règles  analogues  sur  les 
cautions  légales  ou  judiciaires. 

248  bis.  IL  Les  règles  sur  les  qualités  que  doit  réunir  la  cau- 
tion offerte  en  exécution  de  l'obligation  de  fournir  caution  se  ré- 
duisent à  ceci  :  il  faut  que  le  cautionnement  donne  au  créancier 
une  garantie  sérieuse.  Pour  qu'il  en  soit  ainsi ,  il  est  nécessaire  que 
la  caution  soit  capable  et  solvable;  la  loi  veut  en  outre  que  les  pour- 
suites contre  elles  puissent  être  facilement  exercées.  C'est  pour  cela 
que  la  loi  autorise  à  refuser  une  caution  qui  serait  domiciliée  hors 
du  ressort  de  la  Cour  d'appel,  la  garantie  paraît  alors  moins  sérieuse 
à  cause  de  la  difficulté  pratique  de  poursuivre  résultant  de  l'éloi- 
gnement. 

248  bis.  III.  Ce  qui  n'apparaît  pas  très-clairement  dans  le  texte 
de  l'article  2018,  c'est  la  détermination  de  la  Cour  d'appel  dans  le 
ressort  de  laquelle  doit  être  domiciliée  la  caution  offerte.  On  lit  en 
effet  que  c'est  le  ressort  de  la  Cour  où  la  caution  doit  être  donnée. 
Mais  où  doit- elle  être  donnée?  La  réponse  est  simple  quand  il  s'agit 
d'une  caution  qui  est  fournie  en  vertu  d'un  jugement,  ce  qui  se 
produira  d'abord  quand  la  caution  est  judiciaire,  et  ensuite  quand 
il  s'agit  d'une  caution  légale  ou  d'une  caution  promise  par  convention 
qui  n'aura  pas  été  fournie  spontanément  et  que  la  justice  condam- 
nera la  partie  à  fournir  (1).  Dans  ces  cas,  il  y  a  un  lieu  déterminé 
où  l'engagement  de  la  caution  doit  être  pris  ou  par  conséquence  la 
caution  est  donnée.  C'est  le  greffe  du  tribunal  qui  a  rendu  le  jugement 
ordonnant  de  fournir  caution  (art.  517,  519,  C.  Pr.).  Le  plus  ordinai- 

(1)  V.  M.  Colœet  Daâge,  Procédure  civile,  t.  II,  p.  152.  Édit.  1879. 


TIT.    XIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    ART.    2018.  251 

rement  ce  tribunal  sera  celui  du  domicile  du  débiteur,  puisque  c'est 
lui  qui  aura  promis  de  donner  caution  et  qu'actionné  en  exécution 
de  cette  obligation,  il  sera  cité  devant  son  tribunal  (actor  sequitur 
forum  reï)  ;  de  même  quand  une  personne  qui  doit  une  caution  légale 
ne  l'aura  pas  donnée,  il  faudra  bien  la  poursuivre,  en  vertu  de  cette 
obligation,  devant  le  juge  de  son  domicile.  Cependant,  il  pourra  bien 
arriver  que  le  tribunal  saisi  ne  soit  pas  celui  du  domicile  de  la 
personne  qui  doit  donner  caution;  quand  il  s'agira  d'une  caution 
judiciaire,  c'est  quelquefois  un  demandeur  qui  donne  caution  en 
vue  d'exécuter  provisoirement  le  jugement  (art.  135,  C.  Pr.);  le 
tribunal,  en  pareil  cas,  sera  celui  du  domicile  du  défendeur  au 
profit  de  qui  la  caution  est  fournie.  Dans  tous  ces  cas,  la  dation  de 
caution  est  considérée  comme  faisant  partie  des  actes  d'exécution 
du  jugement,  et  c'est  pour  cela  que  les  procédures  auxquelles 
elle  donne  lieu  sont  faites  devant  le  tribunal  qui  a  rendu  le 
jugement. 

248  bis.  IV.  Ce  sont  évidemment  ces  hypothèses  qui  se  sont  pré- 
sentées à  l'esprit  du  législateur,  quand  il  a,  par  les  termes  de  l'arti- 
cle 2013,  en  quelque  sorte  localisé  l'opération  conventionnelle  par 
laquelle  une  caution  s'engage.  En  principe,  le  lieu  où  se  passe  un 
contrat  est  indifférent,  et  il  n'est  pas  exact  de  dire  qu'une  convention 
ait  besoin  d'être  faite  plutôt  dans  un  lieu  que  dans  un  autre.  Le 
cautionnement,  en  particulier,  n'aura  ni  plus  ni  moins  d'effet  pour 
avoir  été  donné,  c'est-à-dire  contracté,  à  Paris  plutôt  qu'à  Marseille. 
H  n'y  a  donc  pas,  en  dehors  des  cas  que  nous  avons  examinés,  de 
lieu  où  le  cautionnement  doit  être  donné.  Quand  une  caution  promise 
conventionneHement  ou  une  caution  légale  se  sera  engagé  dans  un 
pays  quelconque  envers  le  créancier,  il  est  clair  que  l'obligation  de 
donner  caution  aura  été  remplie.  Seulement,  il  faut  remarquer  que 
le  cautionnement,  étant  un  contrat,  ne  peut  résulter  que  de  l'accord 
des  volontés  de  celui  qui  s'oblige  comme  caution  et  du  créancier. 
Alors,  si  le  contrat  a  été  formé,  la  question  de  savoir  dans  quel  res- 
sort de  Cour  d'appel  doit  être  domiciliée  la  caution  ne  se  présentera 
pas,  puisque  le  créancier  aura  accepté  celle  avec  qui  il  contractait. 
248  bis.  V.  Si  cet  accord  ne  s'est  pas  produit,  peut-être  à  cause 
du  domicile  de  la  caution  offerte,  il  faudra  que  le  créancier  agisse 
contre  celui  qui  doit  fournir  la  caution  pour  le  faire  condamner  à 
présenter  une  caution  réunissant  les  conditions  exigées  par  l'article 
2018,  alors  il  agira  forcément  devant  le  tribunal  du  défendeur, 


252  COUKS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

et  nous  nous  retrouverons  dans  les  hypothèses  que  nous  avons 
examinées  au  n°  248  bis. 

249.  Un  débiteur  est  solvable  quand  ses  biens,  de  quelque 
nature  qu'ils  soient,  sont  suffisants  pour  l'acquittement  de  ses 
dettes;  mais  la  fortune  mobilière  étant  en  général  facile  à  dis- 
siper, la  loi,  qui  interprète  toujours  l'obligation  de  fournir 
caution  dans  le  sens  le  plus  favorable  au  créancier,  veut  que 
la  solvabilité  de  la  caution  s'estime  uniquement  eu  égard  à 
ses  propriétés  foncières.  Toutefois,  le  crédit  des  commerçants 
ne  consistant  point  ordinairement  en  immeubles,  la  règle 
reçoit  exception  en  matière  de  commerce.  En  outre,  dans 
tous  les  cas,  la  modicité  de  la  dette  autorise  à  s'en  éloigner. 
V.  art.  2019,  al.  1. 

250.  Toujours  dans  le  même  esprit,  les  immeubles  mêmes 
ne  pourraient  être  pris  pour  base  de  la  solvabilité  :  4°  s'ils 
étaient  litigieux,  car  alors  la  sûreté  exigée  serait  subordon- 
née aux  lenteurs  et  aux  incertitudes  d'un  procès-,  2°  si  leur 
situation,  qui  détermine  le  tribunal  où  l'expropriation  serait 
poursuivie,  devait,  par  son  éloignement,  rendre  la  discussion 
trop  difficile.  V.  art.  2019,  al.  dernier. 

250  6m.  I.  Quand  l'article  exclut  les  immeubles  litigieux  du  nom- 
bre de  ceux  d'après  lesquels  pourra  être  appréciée  la  solvabilité, 
elle  ne  détermine  pas  d'une  manière  limitative  le  sens  du  mot  liti- 
gieux; par  conséquent,  quelle  que  soit  l'opinion  qu'on  admette  sur 
l'article  1700,  qui  semble  exiger  pour  qu'un  droit  soit  litigeux  qu'il 
y  ait  procès  et  contestation  sur  le  fond  du  droit,  il  faut  reconnaître 
au  tribunal,  juge  de  la  solvabilité  d'une  caution,  le  pouvoir  de  ne 
pas  tenir  compte  du  droit  sur  un  immeuble  à  l'égard  duquel  il  exis- 
terait un  juste  sujet  de  crainte  d'être  troublé  (v.  art.  1653). 

250  bis.  II.  Quant  aux  immeubles  grevés  d'hypothèques  ou  de 
droits  d'usufruit,  ils  ne  sont  pas  exclus  en  principe  du  calcul  que 
doit  faire  le  juge.  Mais  il  appartient  à  celui-ci  d'apprécier  si  mal- 
gré les  charges  qui  les  grèvent  ils  constituent  un  élément  suffisant 
de  solvabilité.  Cela  dépend  évidemment  de  l'importance  des  créances 
hypothécaires  et  des  chances  plus  ou  moins  grandes  d'extinction 
prochaine  de  l'usufruit. 

250  bis.  III.  La  loi  exige  en  outre  que  les  immeubles  ne  soient  pas 


TIT.    XIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    ART.    2019.  253 

situés  au  loin  ;  ceci  se  rattache  à  la  nécessité  d'assurer  au  créancier 
une  assez  grande  facilité  de  poursuites.  Il  n'y  a  pas,  du  reste,  de 
règle  fixée  pour  déterminer  ce  qu'il  faut  entendre  par  une  situation 
trop  éloignée.  C'est  affaire  d'appréciation.  L'article  ne  détermine 
pas  comme  le  précédent  une  certaine  circonscription,  le  ressort  de 
Cour  d'appel,  hors  de  laquelle  la  situation  serait  trop  éloignée;  elle 
n'exige  pas  que  le  bien  soit  situé  à  l'étranger  pour  être  réputé 
situé  trop  loin;  elle  s'en  remet  à  la  décision  des  tribunaux  qui 
auront  à  prendre  en  considération  toutes  les  circonstances,  par 
exemple  la  facilité  ou  la  difficulté  des  communications. 

2o0  bis.  IV.  Si  le  Code  veut  que  la  caution  offerte  soit  proprié- 
taire d'immeubles,  c'est  uniquement  qu'elle  voit  dans  ce  fait  le 
signe  de  la  solvabilité,  mais  ce  n'est  pas  qu'elle  veuille  accorder  au 
créancier  un  droit  réel  immobilier  à  côté  du  droit  personnel  qui 
naît  du  contrat  de  fidéjussion,  le  seul  que  le  créancier  se  soit  fait 
promettre.  Les  immeubles  de  la  caution  ne  doivent  donc  pas  être 
hypothéqués  par  elle,  à  moins  qu'il  ne  soit  intervenu  sur  ce  point 
une  convention  particulière. 

250  bis.  V.  Il  ne  faudrait  même  pas  croire  que  dans  le  cas  où  la 
caution  s'oblige  par  une  soumission  au  greffe  (art.  319  et  522  C.  Pr.), 
cet  acte  entraîne  par  lui-môme  hypothèque  sur  les  biens  de  la 
caution.  On  ne  se  trouve  pas  en  effet  dans  les  hypothèses  où  l'ar- 
ticle 2123  établit  l'hypothèque  judiciaire,  car  elle  ne  résulterait  pas 
d'un  jugement  de  condamnation;  le  jugement,  s'il  en  a  été  rendu 
un,  condamne  le  débiteur  à  donner  caution  et  non  pas  la  caution 
à  s'obliger  ou  à  payer.  Quant  à  la  soumission  elle-même,  si,  parce 
qu'elle  est  faite  au  greffe,  on  peut  la  qualifier  d'acte  judiciaire,  ce 
n'est  pas  une  raison  pour  qu'elle  entraîne  hypothèque,  car,  s'il 
ressort  bien  de  l'article  2117  que  l'hypothèque  peut  résulter  des 
actes  judiciaires,  il  n'est  pas  dit  dans  cet  article  que  tous  les  actes 
judiciaires  emportent  hypothèque;  c'est  un  point  que  nous  avons 
traité  au  titre  des  hypothèques  sur  l'article  2123  (1). 

Nous  ferons  remarquer  que  si  notre  solution  expose  le  créancier 
à  n'avoir  pas  de  recours  utile  contre  la  caution,  lorsque  posté- 
rieurement à  son  admission,  celle-ci  créerait  des  hypothèques  sur 
ses  immeubles,  c'est  un  accident  que  la  loi  prévoit  et  auquel  elle 
essaye  de  porter  remède  dans  l'article  2020. 

(1)  V.  t.  IX,  n»  87  bit.  I  et  II. 


2£)i  COUKS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

251.  La  sûrclé  qui  doit  résulter  du  cautionnement  étant 
considérée,  en  général,  comme  condition  essentielle  du  cré- 
dit ou  des  avantages  quelconques  accordés  au  débiteur  tenu 
de  fournir  caution,  celui-ci  n'est  pas  même  entièrement  quitte 
de  son  obligation,  lorsqu'il  en  a  fourni  une  ayant  les  quali- 
tés requises,  si  elle  vient  à  les  perdre  avant  l'acquittement 
de  l'obligation  principale.  Ainsi,  l'insolvabilité  postérieure  de 
la  caution  oblige  le  débiteur  a  en  fournir  une  autre.  Cette  règle 
s'applique  également  au  cas  d'acceptation  volontaire  et  à  celui 
d'acceptation  en  justice;  car,  dans  l'un  comme  dans  l'autre,  le 
débiteur  ayant  eu  la  présentation  de  cette  caution,  que  le 
créancier  ne  pouvait  refuser  si  elle  avait  alors  les  qualités 
requises,  on  ne  peut  dire  que  celui-ci  ail  librement  restreint  à 
l'engagement  de  cette  caution  la  sûreté  qui  lui  était  due.  Mais 
il  en  est  autrement,  lorsque  c'est  le  créancier  lui-même  qui, 
dans  le  principe,  avait  exigé  telle  personne  pour  caution.  Dans 
ce  cas  donc,  mais  dans  ce  cas  seulement,  l'insolvabilité  de  la 
caution  n'obligerait  pas  a  en  fournir  une  autre.  V.  art.  2020. 

251  bis.  I.  L'article  2020  doit  d'abord  être  étudié  comme  une 
disposition  se  rattachant  aux  articles  qui  le  précèdent  immédiate- 
ment; c'est-à-dire  qu'il  a  d'abord  et  certainement  en  vue  le  cas  où 
la  caution  a  été  fournie  en  exécution  d'une  obligation  convention- 
nelle légale  ou  judiciaire  de  donner  caution. 

Dans  ce  cas,  l'article  2020  ne  présente  pas  de  difficultés,  le  débi- 
teur devait  procurer  une  garantie  permanente  et  non  pas  une 
garantie  existant  seulement  au  moment  de  contrat  du  fidéjussion. 
Quand  la  caution  devient  insolvable,  la  garantie  n'existe  plus  et 
l'obligation  de  fournir  caution  n'est  pas  exécutée.  Voilà  pourquoi 
le  débiteur  doit  fournir  une  autre  caution. 

251  bis.  IL  Cette  obligation  pèse  sur  le  débiteur,  soit  que  la 
caution  ait  été  reçue  volontairement,  soit  qu'elle  ait  été  reçue  en 
justice.  Cette  alternative  vise  toujours  le  cas  d'une  caution  donnée 
en  vertu  d'une  promesse,  ou  de  la  loi  ou  d'un  jugement.  Elle  a  été 
reçue  volontairement,  lorsque  la  partie  obligée  est  tombée  d'accord 
avec  le  créancier  sur  la  personne  qu'elle  lui  présentait;  en  justice 
quand  il  y  a  eu  contestation  soit  sur  l'obligation  de  fournir  caution, 
soit  sur  les  qualités  de  la  caution  présentée.  Ces  diverses  circon- 


TIT.    XIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    ART.    2020.  255 

stances,  dans  lesquelles  la  caution  s'est  engagée,  ne  changent  rien 
aux  droits  du  créancier,  parce  que  la  caution  a  toujours  été  donnée 
en  vertu  d'une  obligation  préexistante  de  fournir  caution. 

Même  dans  ce  cas  d'obligation  préexistante,  la  règle  de  l'article 
ne  s'appliquera  pas,  et  une  nouvelle  caution  ne  devra  pas  être 
fournie,  si  l'obligation  de  donner  caution  avait  porté  sur  une  per- 
sonne déterminée  dont  le  créancier  avait  exigé  qu'on  lui  promît 
l'accession. 

251  bis.  III.  Il  sera  toujours  difficile  de  se  placer  dans  l'exception 
prévue  par  l'article  2020.  Comment  démontrer  que  le  créancier  a 
exigé  le  cautionnement  de  telle  personne  déterminée?  Si  le  débiteur 
s'est  obligé  à  donner  son  père  pour  caution,  le  créancier  a-t-il 
accepté  une  proposition  ou  imposé  sa  volonté  ?  L'acte  ne  constatera 
presque  jamais  cette  circonstance,  et  il  sera  impossible  de  démontrer 
l'exigence  du  créancier;  car  faire  cette  preuve,  ce  serait  prouver 
outre  le  contenu  à  l'acte  passé  entre  les  deux  parties.  La  distinction 
que  la  loi  a  faite  et  qu'elle  a  en  effet  voulu  faire,  ainsi  que  l'atteste  la 
discussion  au  conseil  d'État,  est  bien  peu  pratique,  et  dans  la  presque 
unanimité  des  hypothèses,  le  débiteur  sera  forcé  de  donner  une 
nouvelle  caution,  car  il  faudrait,  pour  qu'il  en  fût  autrement,  que 
dans  l'acte  qui  constate  l'obligation  de  fournir  caution,  on  eût  eu 
le  soin  d'indiquer  que  le  créancier  a  exigé  l'engagement  de  telle 
personne  déterminée.  Cette  mention  ne  se  rencontrera  jamais  dans 
l'acte,  parce  que  le  créancier,  qui  en  comprendra  la  portée,  refusera 
toujours  de  la  laisser  insérer. 

251  bis.  IV.  L'article  a  particulièrement  en  vue  les  cautions  pro- 
mises ou  dues  en  vertu  de  la  loi  ou  d'un  jugement;  cependant  sa 
solution  peut  être  étendue  aux  cautions  données  par  la  convention 
même  qui  crée  la  dette  principale.  En  effet,  on  n'aperçoit  pas  de 
différence  entre  la  promesse  de  donner  pour  caution  une  personne 
déterminée  et  le  fait  de  donner  une  personne  déterminée  pour 
caution  dans  l'acte  même  qui  crée  la  dette  principale;  la  différence 
que  la  loi  fait  entre  la  caution  acceptée  et  la  caution  exigée  se 
conçoit  aussi  bien  dans  les  deux  cas,  et  c'est  à  cette  distinction  que 
les  rédacteurs  du  Code  ont  manifesté  l'intention  de  subordonner  la 
décision  qu'ils  donnaient  sur  le  droit  de  demander  dans  certaine 
éventualité  une  nouvelle  caution. 

251  bis.  V.  Au  reste,  en  réservant  l'observation  critique  que 
nous  avons  faite  sur  le  peu  de  valeur  pratique  de  la  faveur  qu'ac- 


256  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODK    CIVIL.    LIV.    111. 

corde  le  texte  au  débiteur  quand  la  caution  a  été  exigée,  nous 
devons  faire  remarquer  que  sa  décision  principale,  contenue  dans 
le  i,r  alinéa  de  l'article,  est  en  harmonie  avec  une  autre  décision 
donnée  en  un  cas  analogue,  lorsque  la  garantie  consiste  dans  une 
hypothèque  et  que  l'immeuble  hypothéqué  vient  à  périr  (v.  art. 
2131)  (1). 


CHAPITRE  II. 

de  l'effet  du  cautionnement. 

SECTION  I. 

De  l'effet  du  cautionnement  entre  le  créancier  et  la  caution. 

252.  L'effet  du  contrat  de  fidéjussion  qui  intervient  entre  le 
créancier  et  la  caution  est,  comme  on  l'a  vu  dès  le  principe, 
d'obliger  la  caution  à  satisfaire  a  l'obligation  du  débiteur  : 
mais  comme  cet  engagement,  qui  ne  tend  nullement  a  dé- 
charger celui-ci ,  n'est  contracté  qu'en  vue  du  cas  où  il  n'y 
satisferait  pas  lui-même,  il  semble  naturel  de  n'astreindre  le 
fidéjusseurau  paiement  qu'après  discusion  du  principal  obligé. 
Tel  est  l'objet  du  bénéfice,  appelé  de  discussion,  en  vue 
duquel  on  peut  dire,  avec  la  loi,  que  la  caution  n'est  obligée 
qu'à  défaut  du  débiteur,  et  que  celui-ci  doit  être  préalable- 
ment discuté  dans  ses  biens.  Toutefois,  cette  discussion  ne 
constitue  pas  une  condition  suspensive  de  l'action  du  créan- 
cier; c'est  seulement  l'objet  d'un  moyen  de  défense  que  la  loi 
accorde  en  général  a  la  caution,  sous  certaines  conditions. 
Bien  plus,  ce  bénéfice  lui-même  n'est  pas  de  l'essence  du 
cautionnement,  et  la  caution  peut  y  renoncer.  C'est  notam- 
ment ce  qu'elle  est  censée  faire  quand  elle  s'engage  solidaire- 
ment avec  le  débiteur  ;  auquel  cas  elle  ne  diffère  aucune- 

(1)  V.  t.  IX,  n*  98  bu.  I. 


TIT.    XIV.    DU    CALTIONNEME.NT.    ART.    2021.  257 

ment,  dans  ses  rapports  avec  le  crémcier,  d'un  véritable 
débiteur  solidaire.  Y.  ait  2021 ,  et  à  ce  sujet,  Just.,  Nov.  4, 
ch.  1. 

252  bis.  I.  L'effet  du  cautionnement  entre  le  créancier  et  la 
caution  est  de  lier  la  caution  envers  le  créancier,  et  dès  lors  il  sem- 
blerait qu'il  suffit  de  s'en  référer  aux  principes  généraux  de  la  ma- 
tière des  obligations. 

On  ne  trouverait  pas  ainsi  la  véritable  situation  que  la  loi  fait 
aux  cautions;  leur  obligation  est  moins  rigoureuse  que  celle  des 
débiteurs  proprement  dits.  La  loi  d'abord  apporte  à  la  rigueur  de 
leur  obligation  deux  tempéraments  qu'on  qualifie  habituellement 
de  bénéfices,  pour  indiquer  que  ce  sont  des  dérogations  favo- 
rables aux  règles  générales  qui  régissent  les  obligations.  Ce  sont  : 
le  bénéfice  de  discussion  et  le  bénéfice  de  division. 

252  bis.  IL  Le  bénéfice  de  discussion  est  une  conséquence  du 
caractère  accessoire  de  l'obligation  du  fiJéjusseur.  Il  consiste  dans 
le  droit  d'exiger  que  le  créancier  fasse  au  préalable,  avant  de  con- 
traindre la  caution  à  payer,  procéder  a  la  saisie  et  a  la  vente  des 
biens  du  débiteur  principal.  Puisque  la  caution  a  seulement  promis 
de  satisfaire  à  l'obligation  si  le  débiteur  n'y  satisfait  pas,  il  est 
naturel  que  le  créancier  épuise  tous  les  moyens  qui  lui  appartiennent 
contre  le  débiteur  avant  d'agir  contre  la  caution. 

252  bis.  III.  L'article  2021  pourrait  du  reste  induire  en  erreur 
sur  l'importance  du  droit  à  la  discussion.  Le  texte  tendrait  à  faire 
croire  que  la  discussion  est  une  nécessité  pour  le  créancier  et  non 
pas  un  bénéfice  pour  le  fidéjusseur,  car  on  lit  que  le  débiteur  doit 
être  préalablement  discuté;  c'est  la  une  exagération  d'expression, 
l'article  suivant  nous  le  démontre  clairement.  Il  faut  que  la  caution 
requière  la  discussion,  et  les  conditions  auxquelles  l'article  2023 
subordonne  le  droit  de  cette  caution,  rendent  nécessaire  cette  réqui- 
sition en  même  temps  qu'elles  donneront  quelquefois  à  la  caution 
intérêt  à  ne  pas  exiger  cette  discussion.  Ainsi  apparaît  très-nette- 
ment le  caractère  exceptionnel  du  droit  de  la  caution,  ce  qui  fait 
qu'il  est  un  tempérament,  un  bénéfice.  La  caution  est  un  débiteur,  elle 
peut  être  poursuivie  ;  mais  elle  a  le  droit  de  détourner  les  poursuites 
sur  le  débiteur  principal,  quand  elle  trouve  son  intérêt  à  le  faire. 

252  bis.  IV.  La  question  que  nous  venons  d'examiner  ne  se  con- 
fond pas  avec  celle  que  nous  avons  agitée  plus  haut,  qui  a  trait 
vin.  17 


258  COCUS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.     III 

au  point  de  savoir  si  le  débiteur  doit  mettre  en  demeure  le  débiteur 
avant  de  poursuivre  la  caution.  Autre  chose  est,  en  effet,  discuter 
le  débiteur,  autre  chose  lui  adresser  une  simple  mise  en  demeure  (1). 

252  bis.  V.  Le  principe  qui  attribue  au  fidéjusseur  le  bénéfice 
de  discussion  reçoit  quelques  exceptions  :  1°  si  la  caution  y  a 
renoncé;  2°  si  c'est  une  caution  judiciaire;  3°  si  elle  s'est  engagée 
solidairement  avec  le  débiteur  principal.  Nous  établirons  plus  tard, 
quand  nous  aurons  étudié  tous  les  effets  du  cautionnement,  en 
quoi  la  caution  solidaire  diffère  de  la  caution  ordinaire,  et  en  même 
temps  ce  qui  la  distingue  du  débiteur  solidaire. 

253.  Le  créancier  n'étant  pas  tenu  de  plein  droit  a  la  dis- 
cussion du  débiteur,  et  la  caution  pouvant  toujours  renoncer 
au  bénéfice  établi  en  sa  faveur,  la  négligence  à  l'opposer  en 
emporterait  naturellement  déchéance.  Cette  déchéance  serait 
encourue  si  la  discussion  n'était  pas  requise  sur  les  premières 
poursuites,  c'est-à-dire  avant  toutes  défenses  au  fond.  V.  art. 
2022-,  v.,  au  surplus,  C.  Pr.,  art.  166, 469,  173,  186. 

253  bis.  I.  L'exercice  du  droit  de  demander  la  discussion  est 
subordonné  à  plusieurs  conditions  :  1°  la  discussion  doit  être  de- 
mandée avant  les  premières  poursuites;  2°  la  caution  doit  indiquer 
les  biens  à  discuter;  3°  elle  doit  faire  l'avance  des  frais.  Il  faut 
examiner  successivement  ces  trois  conditions. 

La  première  est  exigée  parce  que,  le  fidéjusseur  pouvant  renoncer 
au  bénéfice  de  discussion,  on  est  en  droit  de  supposer  cette  renon- 
ciation quand  il  s'est  laissé  poursuivre  sans  se  prévaloir  du  droit  qu'il 
a  de  détourner  les  poursuites.  Ce  qu'on  entend  par  poursuites,  ce 
n'est  pas  certes  le  commencement  d'une  procédure,  par  exemple 
l'exploit  d'ajournement,  car  le  droit  n'existerait  pas  si  la  première 
manifestation  de  la  prétention  du  créancier  en  rendait  l'exercice 
impossible.  Pour  que  le  fidéjusseur  soit  réputé  avoir  renoncé, 
il  faut  qu'il  ait  laissé  le  procès  s'engager,  et  l'article  186  du  Code 
de  procédure  nous  montre  que  le  fait  qui  le  privera  de  son  droit, 
c'est  le  fait  d'avoir  défendu  au  fond.  On  peut  dire,  en  effet,  qu'en 
procédure,  ce  droit  s'exerce  par  une  exception  dilatoire,  et  l'exception 
dilatoire  doit  être  opposée  avant  toute  défense  au  fond. 

253  bis.  II.  Il  ne  faut  pas,  du  reste,  appliquer  la  disposition  de 

(1)  V.  ci-dessus,  n^  239  bi$.  VII. 


TIT.    XIV.    DU   CAUTIONNEMENT.    ART.    2021,    2022.        259 

l'article  186,  C.  Pr.,  sans  tenir  compte  des  faits,  et  les  motifs  qui  ont 
dicté  l'article  2022  nous  inspirent  quelques  distinctions.  Le  Tribunat, 
dont  une  observation  a  provoqué  la  rédaction  de  l'article,  disait  :  Le 
créancier  ne  doit  pas  être  le  jouet  du  caprice  de  la  caution,  il  doit 
pouvoir  achever  la  route  dans  laquelle  le  silence  de  la  caution  l'a 
laissé  s'avancer.  Voilàlebutdelaloi,  il  ne  faut  pasquelefîdéjusseur, 
par  des  lenteurs  calculées,  arrive  injustement  à  gagner  du  temps. 
D'après  le  but  avoué  de  l'article,  il  s'agit,  quand  on  cherche  si  le 
droit  est  perdu,  de  voir  si  la  caution  a  renoncé  au  bénéfice  de 
division.  Dès  lors,  si  la  caution  avait  nié  le  cautionnement,  si  elle 
avait  prétendu  que  l'assignation  était  nulle,  on  ne  pourrait  pas  lui 
refuser  le  bénéfice  de  discussion,  car  dans  l'ordre  logique  des 
moyens  de  défense,  ceux-là  devaient  être  invoqués  les  premiers,  et 
ce  n'était  pas  l'occasion  d'invoquer  le  bénéfice  de  discussion  quand 
on  prétendait  n'être  pas  caution.  Ce  que  la  loi  a  eu  en  vue,  ce  sont 
les  hypothèses  où  la  caution  aura  laissé  valider  une  saisie-arrêt 
faite  sur  elle,  ou  vendre  ses  meubles,  ceux  où  elle  aura  contesté 
le  montant  de  la  dette  ou  demandé  un  délai.  Il  est  clair  que  dans 
ces  hypothèses  il  était  naturel  de  demander  d'abord  la  discussion,  et 
que  ne  pas  la  demander,  c'était  y  renoncer. 

253  bis.  III.  Il  y  a  une  autre  circonstance  qui  peut  inspirer  des 
doutes,  c'est  celle  où  la  caution  a  réellement  montré  par  sa  défense 
qu'elle  renonçait  au  bénéfice  de  discussion,  mais  où  il  survient 
au  débiteur  insolvable  des  biens'qu'il  n'avait  pas  lorsque  la  caution 
a  renoncé  à  son  bénéfice.  Nous  pensons  alors  qu'il  n'y  a  à  lui 
reprocher  ni  fraude  ni  caprice,  et  que  les  motifs  attribués  à  la  loi 
par  l'observation  du  Tribunat  que  nous  avons  citée,  doivent  autoriser 
la  demande  de  discussion  formée  par  la  caution  aussitôt  que  les 
faits  auront  changé  la  situation  pécuniaire  du  débiteur  principal. 

254.  Le  bénéfice  de  discussion  n'étant  qu'une  faveur  d'é- 
quité dont  la  loi  fait  jouir  la  caution,  il  ne  faut  pas  que  cette 
faveur  devienne  trop  préjudiciable  au  créancier,  en  l'induisant 
dans  des  lenteurs,  des  embarras  et  des  frais.  De  là,  l'obliga- 
tion d'indiquer  les  biens  a  discuter,  et  d'avancer  les  deniers 
suffisants  à  cet  effet.  De  la  encore,  la  restriction  de  la  discus- 
sion aux  biens  situés  dans  ie  ressort  de  la  cour  où  le  paie- 
ment doit  être  fait,  et  aux  biens  non  litigieux  (v.  à  ce  sujet 
art.  2019).  Il  faut  en  outre  que  les  biens  soient  en  la  pos- 

17. 


260  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

session  du  débiteur,  ajoutons,  ou  de  ses  ayant  cause  à  titre 
universel.  Du  reste,  le  droit  qu'aurait  le  créancier  de  suivre, 
entre  les  mains  des  tiers  détenteurs,  les  biens  hypothéqués  a 
la  dette,  n'est  pas  une  raison  pour  que  la  caution,  qui  est 
personnellement  obligée,  puisse  en  requérir  la  discussion  au 
préjudice  du  tiers  détenteur,  qui,  lui,  n'est  pas  débiteur  per- 
sonnel. V.  art.  2023. 

254  bis.  I.  La  seconde  condition  consiste  en  ce  que  la  caution 
doit  indiquer  les  biens  à  discuter,  et  ne  doit  indiquer  que  certains 
biens  déterminés  par  la  loi. 

La  prétention  de  la  caution  est  que  le  débiteur  est  en  état  de  payer; 
la  preuve  de  ce  fait  doit  être  fournie  par  celui  qui  l'allègue.  Il 
serait  difficile  au  créancier  de  prouver  que  le  débiteur  n'a  pas 
de  biens,  ce  serait  non-seulement  la  preuve  d'une  négation, 
mais  d'une  négation  indéfinie,  et  cette  preuve  impossible  n'est 
jamais  exigée  par  la  loi.  Voilà  pourquoi  la  caution  ne  peut  pas  se 
contenter  d'alléguer  vaguement  que  le  débiteur  est  solvable,  mais 
doit  au  contraire  préciser  et  indiquer  au  créancier  les  biens  sur  les- 
quels celui-ci  pourra  agir. 

254  bis.  II.  La  caution  ne  peut  pas  indiquer  toute  espèce  de 
biens.  Il  ne  faut  pas  que  ces  biens  soient  trop  éloignés,  la  discussion 
en  serait  difficile;  ni  que  ces  biens  soient  litigieux,  parce  que  la 
discussion  exposerait  le  créancier  à  des  lenteurs  et  à  des  conflits 
avec  les  tiers  qui  prétendraient  avoir  droit  sur  ces  biens. 

254  bis.  III.  Au  reste,  la  loi  n'exige  pas  que  les  biens  indiqués 
soient  des  immeubles  Elle  imposait  cette  condition  dans  l'article 
2019,  quand  il  s'agissait  d'apprécier  la  solvabilité  d'une  caution, 
parce  que  cette  solvabilité  intéresse  le  créancier  non-seulement 
dans  le  présent,  mais  dans  l'avenir,  et  que  la  fortune  immobilière 
paraît  plus  solide  et  plus  durable  que  la  fortune  mobilière.  Mais 
quand  il  s'agit  de  biens  à  discuter,  la  question  est  présente  et  non 
pas  future,  le  créancier  est  mis  en  demeure  d'agir  immédiatement, 
et  s'il  agit,  le  caractère  mobile  des  biens  meubles  lui  importe  peu, 
puisqu'une  fois  qu'il  les  a  saisis,  il  ne  peut  pas  craindre  qu'ils 
disparaissent. 

254  bis.  IV.  Il  est  bien  certain  que  la  question  étant  de  savoir  si 
le  débiteur  peut  payer,  l'indication  des  biens  à  discuter  doit  porter 
sur  des  biens  appartenant  à  ce  débiteur  ;  le  texte  de  l'article  est 


TIT.    XIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    ART.    2023.  261 

précis  sur  ce  point.  Cependant,  on  aurait  pu  avoir  des  doutes 
quant  aux  immeubles  affectés  hypothécairement  à  l'acquittement 
de  la  dette  et  qui  ne  seraient  pas  la  propriété  du  débiteur.  L'hypothèse 
la  plus  ordinaire  est  celle  où  le  débiteur  a  aliéné  le  bien  qu'il  avait 
hypothéqué  pour  garantir  l'exécution  de  son  obligation.  Le  nouveau 
propriétaire  est  ce  qu'on  appelle  un  tiers  détenteur  d'immeuble 
hypothéqué,  et  comme  il  peut  être  poursuivi  en  cette  qualité  par 
le  créancier,  en  vertu  du  droit  de  suite  qui  est  un  des  éléments  du 
droit  d'hypothèque,  il  ne  serait  pas  absurde  que  la  caution  eût  la 
prétention  de  diriger  les  poursuites  sur  le  bien  hypothéqué.  La  loi, 
cependant,  décide  que  cela  n'est  pas  possible,  et  c'est  le  résultat 
d'une  comparaison  entre  la  situation  du  tiers  détenteur,  étranger 
à  la  dette,  tenu  à  l'occasion  de  la  chose  qu'il  détient,  et  celle  de  la 
caution  qui  est  un  débiteur  personnel,  par  conséquent  qui  est 
liée  directement  envers  le  créancier  par  un  contrat  qu'elle  a  fait 
avec  lui. 

254  bis.  V.  Une  question  analogue  peut  se  présenter  par  rapport 
aux  codébiteurs  solidaires  du  débiteur  cautionné.  Ce  qui  suppose 
que  le  fidéjusseur  n'a  cautionné  qu'un  seul  des  codébiteurs 
solidaires.  Ce  fidéjusseur  pourrait-il  demander  la  discussion  des 
autres  codébiteurs  solidaires?  Le  texte  s'oppose  à  cette  prétention, 
puisqu'il  parle  du  débiteur  principal;  or  il  n'est  de  débiteur 
principal  que  celui  qui  a  à  côté  de  lui  un  débiteur  accessoire,  et 
telle  n'est  pas  la  situation  des  autres  codébiteurs.  Les  principes 
conduisent  au  même  résultat,  car  le  cautionnement  n'a  établi  de 
relation  qu'entre  la  caution  et  celui  qu'elle  a  cautionné;  contre  les 
autres  celle-ci  ne  peut  avoir  des  droits  que  son  mandant  n'aurait  pas. 

254  bis.  VI.  La  caution  doit  faire  l'avance  des  frais  de  discussion, 
c'est  la  troisième  condition,  à  laquelle  est  assujetti  l'exercice  du 
bénéfice  de  discussion.  Hlle  se  justifie  d'abord  par  cette  raison  que 
la  discussion  est  toute  dans  l'intérêt  du  fidéjusseur  et  qu'elle  ne 
profite  pas  au  créancier,  ensuite  parce  que  cette  exigence  de  la  loi 
est  une  garantie  contre  les  demandes  de  discussion  faites  à  la 
légère  et  pour  gagner  du  temps. 

254  bis.  VIL  II  ne  faut  pas,  à  ces  trois  conditions,  en  ajouter  une 
autre  qui  serait  que  les  biens  indiqués  fussent  suffisants  pour 
l'acquittement  de  l'obligation.  La  loi  ne  dit  rien  de  cette  condition, 
au  contraire,  l'article  2024  suppose  que  les  biens  indiqués  ont  pu 
être  insuffisants.  Et  il  est  juste  qu'il  en  soit  ainsi,  car  l'intention 


262  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

probable  de  la  caution  a  été  de  s'engager  seulement  pour  ce  que  le 
débiteur  ne  pourrait  pas  payer. 

11  faudrait  cependant  que  cette  faculté,  donnée  à  la  caution,  ne 
dépouillât  pas  le  créancier  du  droit  qu'il  a  de  ne  pas  recevoir  un 
paiement  partiel;  pour  cela,  dans  les  cas  rares  où  le  créancier 
refuserait  de  recevoir  les  sommes  produites  par  la  vente  des  biens 
discutés,  il  faudrait  les  faire  déposer,  afin  que  la  caution  n'eût  plus 
qu'à  compléter  le  montant  de  la  dette. 

Nous  devons,  en  outre,  faire  observer  que  sous  prétexte  d'une 
suffisance  partielle  des  biens  indiqués,  on  ne  pourrait  pas  renvoyer 
le  créancier  à  discuter  des  biens  d'une  valeur  hors  de  proportion 
avec  le  montant  de  la  dette;  la  caution  n'aurait  pas  alors  un  intérêt 
légitime  à  la  discussion,  et  elle  ne  chercherait  qu'à  retarder  sans 
raison  l'action  que  le  créancier  dirigerait  contre  elle. 

255.  Mais  quand  la  caution  a  rempli  les  conditions  sous  les- 
quelles le  bénéfice  lui  est  accordé,  c'est  au  créancier  à  s'im- 
puter si,  par  l'effet  de  sa  négligence  à  poursuivre,  il  ne  retire 
pas  des  biens  indiqués  la  somme  qu'ils  devaient  produire  : 
non-seulement  donc  la  caution  serait  libérée  envers  lui,  jus- 
qu'à concurrence  de  cette  somme-,  mais  lui-même  devrait, 
jusqu'à  cette  concurrence,  répondre  envers  la  caution  de  l'in- 
solvabilité du  débiteur,  qui  l'empêcherait  de  recouvrer  ses 
avances.  V.  art.  2024. 

255  bis.  Quand  la  caution  a  valablement  demandé  la  discussion, 
cette  demande  produit  un  effet  important  indiqué  par  l'article  2024. 
Non-seulement  elle  arrête  les  poursuites  contre  le  fidéjusseur, 
mais  elle  contraint  le  créancier  à  poursuivre  le  débiteur  principal, 
et  le  rend  responsable  jusqu'à  concurrence  des  biens  indiqués  de 
l'insolvabilité  postérieurement  survenue  de  ce  débiteur.  Il  faut,  du 
reste,  que  cette  insolvabilité  ne  provienne  pas  de  cas  fortuits,  car 
c'est  évidemment  la  négligence  du  créancier  qui  seule  légitime  sa 
responsabilité. 

Parmi  les  conditions  que  doit  avoir  remplies  la  caution  pour  que 
le  créancier  subisse  les  chances  de  l'insolvabilité  du  débiteur,  l'ar- 
ticle dit  que  cette  caution  doit  avoir  fourni  les  frais  de  discussion. 
On  remarquera  que  cette  expression  n'implique  pas  que  le  créancier 
a  consenti  à  les  recevoir  ;    si  cela  était  nécessaire ,  ce  créancier 


TIT.    XIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    AKT.    2024-202o.        263 

pourrait  anéantir  par  sa  volonté  le  bénéfice  de  discussion.  Il  est 
donc  bien  certain  que  la  caution  peut  offrir  et  déposer  les  fonds 
nécessaires,  et  que  ce  dépôt  équivaudrait  à  l'avance  des  frais,  comme 
l'offre  et  le  dépôt  d'une  somme  due  équivalent  au  paiement. 

256.  Plusieurs  cautions  peuvent  s'obliger  pour  la  même 
dette;  et  dans  ce  cas,  la  nature  de  l'engagement  devant  faire 
supposer  que  leurnombreaeu  pour  objet  d'augmenter  la  sûreté 
du  créancier,  on  n'applique  point  la  règle  ordinaire  relative 
aux  débiteurs  qui  s'engagent  conjointement;  chacune  des 
cautions  est  donc  tenue  pour  toute  la  dette.  V.  art.  2025; 
Just .,  Inst.,  §  4,  dejidej. 

Remarquons,  au  reste,  que  la  loi  n'ayant  point  prononcé  le 
mot  de  solidarité,  on  est  fondé  à  en  conclure  que  les  cautions 
qui  s'engagent,  ensemble  ou  séparément,  ne  répondent  point 
du  fait  les  unes  des  autres,  et  que  l'on  ne  doit  point  dès  lors 
leur  appliquer  les  articles  1205,  1206,  1207. 

257.  En  outre,  le  principe  qui  oblige  chacune  à  toute  la 
dette  reçoit  une  modification  importante  par  l'effet  du  bénéfice 
de  division,  introduit  dans  la  législation  romaine  par  l'em- 
pereur Adrien,  et  qui,  ayant  passé  de  là  dans  notre  droit, 
avec  les  changements  que  comporte  la  marche  différente  de 
notre  procédure,  est  également  consacré  par  le  Code. 

Ce  bénéfice,  uniquement  introduit  en  faveur  des  cautions, 
qui  peuvent  conséquemment  y  renoncer,  a  pour  objet,  en  dé- 
finitive, de  faire  répartir  le  paiement  de  la  dette  entre  toutes 
les  cautions  solvables,  et  de  procurer  ainsi  à  chacune  le  moyen 
de  se  libérer,  en  payant  la  portion  que  cette  répartition  met 
a  sa  charge.  Du  reste,  il  n'est  point  entièrement  destructif  de 
l'obligation  in  solidum. 

La  division,  en  effet,  ne  s'opère  pas  de  plein  droit  entre  les 
cautions-,  seulement,  chacune  d'elles,  quoique  valablement 
actionnée  pour  le  tout,  peut  exiger  que  le  créancier  préalable- 
ment, c'est-à-dire  avant  de  la  faire  condamner  pour  le  tout, 
divise  son  action,  et  la  réduise  à  la  portion  virile  de  chacune. 

En  outre,  comme  la  division  ne  doit,  en  définitive,  s'opérer 


26i  COI  RS   ANAL1TIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

qu'entre  les  cautions  solvables,  au  moment  où  on  l'a  fait  pro- 
noncer, les  insolvabilités  antérieures  restent  naturellement 
à  la  charge  des  cautions  solvables;  par  conséquent,  celle  qui 
a  fait  prononcer  la  division  est,  comme  les  autres,  tenue 
proportionnellement  de  ces  insolvabilités.  Mais  comme  les 
insolvabilités  survenues  depuis  peuvent  être  imputées  a  la 
négligence  du  créancier,  elles  ne  donnent  nullement  lieu  à 
rechercher  cette  caution.  V.  art.  2026. 

257  bis.  I.  Le  second  bénéfice  accordé  aux  cautions  est  le  béné- 
fice de  division.  C'est  encore  une  dérogation  à  la  rigueur  des  prin- 
cipes en  vertu  desquels  la  caution  devrait  être  tenue.  Il  s'agit,  le 
nom  du  bénéfice  l'indique,  de  répartir  la  dette  entre  les  différentes 
cautions.  Par  conséquent,  l'hypothèse  réglée  par  la  loi  change. 
Quand  nous  parlions  du  précédent  bénéfice,  on  pouvait  supposer  un 
débiteur  et  une  caution;  maintenant  il  nous  faut  supposer  qu'il 
existe  un  débiteur  et  plusieurs  cautions  de  ce  même  débiteur,  ce 
que  la  loi  appelle  quelquefois  des  cofidéjusseurs. 

Pour  mieux  faire  ressortir  le  caractère  de  tempérament  équitable 
qui  appartient  à  tout  ce  qu'elle  appelle  des  bénéfices,  la  loi  commence 
par  poser  le  principe  (art.  2025)  :  chacune  des  cautions  est  obligée 
à  toute  la  dette.  On  serait  tenté  de  dire  cependant  que  ce  principe  peut 
paraître  une  lettre  morte  à  cause  de  l'article  suivant,  qui  établit  le 
bénéfice  de  division,  et  qu'il  eût  mieux  valu  proclamer  le  principe 
de  la  divisibilité  de  plein  droit  de  l'obligation  entre  toutes  les 
cautions. 

Il  n'en  est  rien  toutefois,  car,  dans  le  système  de  divisibilité,  le 
créancier  aurait  vu  ses  garanties  singulièrement  diminuées,  ses 
chances  d'être  payé  intégralement  eussent  été  en  raison  inverse  du 
nombre  des  cautions,  et  le  luxe  de  garanties  qu'il  aurait  cherché 
lui  aurait  souvent  été  préjudiciable;  car  les  obligations  des  cautions 
devenant  distinctes,  il  eût  suffi  de  l'insolvabilité  de  l'une  d'elles 
pour  que  le  créancier  perdît  une  part  de  sa  créance,  alors  même 
que  dix  autres  cofidéjusseurs  eussent  été  en  élat  de  payer.  La  con- 
vention, du  reste,  que  fait  chacune  des  cautions,  implique  qu'elle 
s'oblige  pour  le  tout,  car  chacune  d'elles  promet  de  satisfaire  à 
l'obligation  si  le  débiteur  n'y  satisfait;  or  satisfaire,  c'est  bien 
acquitter  complètement  la  dette. 

Le  texte  de  l'article  2025  n'est  donc  pas  une  lettre  morte,  parce 


T1T.    XIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    ART.    2026.  265 

que  sa  conséquence  est  que,  malgré  le  bénéfice  de  division,  les  cofidé- 
jusseurs  répondent  de  l'insolvabilité  les  uns  des  autres,  et  que  le 
bénéfice  de  division  a  seulement  pour  effet  d'éviter  des  embarras, 
des  avances  d'argent  et  des  recours. 

257  bis.  II.  La  règle  est  donc  que  les  cautions  sont  tenues  pour 
le  tout,  mais  elles  jouissent  d'un  droit  spécial  établi  en  Droit  romain 
par  un  rescrit  d'Adrien,  qui  s'inspirait  des  règles  du  Droit  ancien 
sur  les  sponsores  et  les  Jîdepromissores. 

Ce  droit  de  la  caution  consiste  à  n'être  poursuivie,  lorsqu'elle  l'exige, 
que  pour  sa  part  virile.  Elle  n'est  pas  tenue  au  reste  d'invoquer 
ce  bénéfice,  comme  le  bénéfice  de  division,  in  limine  litis;  l'article 
2026  ne  reproduit  pas  sur  ce  point  la  disposition  de  l'article  2022, 
et  il  n'était  pas  nécessaire  de  la  reproduire,  parce  que  l'admission 
de  ce  bénéfice  n'entraînera  pas  de  lenteur  dans  la  poursuite  du 
créancier  contre  la  caution,  à  laquelle  il  s'est  d'abord  adressé;  il 
continuera  à  la  poursuivre  au  moins  pour  partie,  et  de  plus  la  cau- 
tion a  intérêt  à  ne  pas  retarder  sa  demande  de  division  pour  se 
décharger  au  plus  tôt  du  risque  de  l'insolvabilité  des  autres  cautions, 
ainsi  que  nous  le  verrons  bientôt  sur  le  second  alinéa  de  l'article 
2026. 

257  bis.  III.  La  combinaison  des  articles  2025  et  2026  nous 
montre  entre  quelles  cautions  a  lieu  la  division.  Nous  rencontrons 
sur  ce  point  trois  règles  :  1°  elle  a  lieu  entre  les  cautions  du  même 
débiteur;  2"  entre  les  cautions  solvables;  3°  elle  n'a  pas  lieu  au 
profit  de  celles  qui  ont  renoncé  au  bénéfice  de  division. 

Il  résulte  de  la  première  règle  que  la  division  est  impossible 
entre  une  caution  et  son  certificateur  (fidejussor  Jidejussoris).  La 
dette,  en  effet,  n'est  pas  la  même;  par  rapporta  la  caution,  la  dette 
principale,  c'est  la  dette  d'une  troisième  personne,  le  débiteur  cau- 
tionné par  elle;  à  l'égard  du  certificateur,  la  dette  principale,  c'est 
la  dette  de  la  caution;  la  division  ne  saurait  donc  pas  plus  avoir 
lieu  entre  eux  qu'entre  l'emprunteur  d'une  somme  et  celui  qui  l'a 
cautionné.  La  même  raison  exclura  la  division  entre  les  différents 
fidéjusseurs  de  plusieurs  débiteurs  solidaires;  l'un  a  cautionné 
Pierre,  l'autre  a  cautionné  Paul,  \h  ne  sont  donc  pas  cautions  du 
même  débiteur,  quel  que  soit  le  lien  qui  puisse  unir  entre  eux 
Pierre  et  Paul. 

Le  certificateur  que  nous  venons  de  présenter  comme  privé  du 
droit  de  demander  la  division  avec  la  caution  qu'il  a  cautionnée 


266  COURS   ANALYTIQUE   DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

pourrait  invoquer  le  bénéfice  par  rapport  aux  cofidéjusseurs  de 
cette  caution,  parce  que,  garantissant  l'obligation  de  celle-ci,  il  ne 
la  garantit  que  telle  qu'elle  est,  c'est-à-dire  qu'il  doit  bénéficier 
des  règles  de  droit  qui  en  atténuent  la  rigueur. 

257  bis.  IV.  Entre  cautions  du  même  débiteur  et  de  la  même  dette, 
la  division  a  lieu  alors  même  que  les  engagements  des  cautions 
auraient  été  contractés  à  des  dates  différentes.  Le  texte  semble  bien 
ne  pas  faire  de  distinction,  et  cependant  la  division  se  comprend 
mieux  quand  les  cautions  se  sont  engagées  par  le  même  acte, 
parce  que  alors  elles  ont  toutes  compté  les  unes  sur  les  autres, 
sachant  qu'elles  contractaient  toutes  l'obligation  de  garantir  une 
même  dette.  Quand  les  cautionnements  résultent  d'actes  séparés, 
accomplis  à  des  dates  diverses,  on  peut  prétendre  que  la  première 
en  date  n'a  pas  compté  sur  la  participation  des  autres  à  la  charge 
du  cautionnement,  que  la  seconde  a  compté  sur  la  première  et  non 
sur  la  troisième.  Néanmoins,  nous  l'avons  dit,  la  loi  ne  dislingue 
pas;  c'est  qu'en  effet  le  bénéfice  de  division  n'a  pas  été  créé  seule- 
ment pour  l'avantage  des  cautions,  il  a  eu  pour  but  de  diminuer  les 
procès  en  recours,  de  simplifier  les  paiements  en  faisant  directe- 
ment avancer  par  chacun  la  somme  qui  doit  définitivement  rester 
à  sa  charge.  C'est  là  un  intérêt  social  que  le  législateur  ménage 
d'ordinaire  et  qui  le  justifie  de  n'avoir  pas  admis  la  distinction  dont 
nous  venons  de  parler. 

Comment  d'ailleurs  le  Code  civil,  ami  de  la  simplicité,  aurait-il 
admis  une  solution  qui  demandait  autant  de  calculs  de  répartition 
qu'il  y  a  de  fidéjusseurs,  puisque  par  rapport  au  deuxième  fidéjus- 
seur  il  fallait  faire  une  division  enlre  deux,  par  rapport  au  troisième 
une  division  entre  trois,  par  rapport  au  quatrième  une  division 
entre  quatre,  etc.  ?  Sans  compter  que  le  premier,  qui  ne  peut  pas 
demander  la  division,  est  compris  cependant  dans  la  fixation  des 
parts  des  quatre  autres;  le  second,  qui  ne  peut  que  diviser  avec 
le  premier,  est  compris  dans  les  répartitions  des  trois  autres,  et 
ainsi  de  suite.  Il  y  avait  là  des  difficultés  graves  que  la  solution  du 
Code  civil  a  su  éviter. 

257  bis.  V.  Elle  n'a  pas  du  reste  d'inconvénient  sérieux,  elle  ne 
nuit  pas  au  créancier,  car  s'il  est  exposé  à  une  demande  de  division 
de  la  part  du  fidéjusseur  qu'il  avait  d'abord  eu  pour  fidéjusseur 
unique,  cela  ne  peut  pas  lui  préjudicier  à  cause  de  la  règle  qui 
répartit  la  perte  résultant  d'une  insolvabilité  entre  tous  les  fidé- 


tit.  xiv.  du  cautionnement,  akt.  2026.  267 

jusseurs  solvables,  de  sorte  que  tant  qu'il  en  reste  un  qui  est  sol- 
vable,  le  créancier  est  sûr  de  recevoir  son  paiement  intégral. 

257  bis.  VI.  Si  les  cofidéjusseurs  ne  sont  pas  tous  valablement 
engagés,  si  l'un  d'eux  par  exemple  est  un  mineur,  la  division  ne 
devra  tenir  compte  que  des  fidéjusseurs  dont  les  engagements  sont 
valables;  car  le  droit  de  demander  la  division  est  un  bénéfice 
fondé  sur  ce  que  le  créancier  ne  souffrira  pas  du  fractionnement, 
et  dans  l'hypothèse,  ce  fractionnement  exposerait  le  créancier  à 
perdre  une  partie  de  sa  créance;  puisqu'en  principe  les  cautions 
doivent  chacune  tout,  elles  ne  doivent  obtenir  la  division  que  si 
l'intérêt  du  créancier  n'est  pas  compromis.  Il  arrivera  en  pareil  cas 
à  la  caution  ce  qui  lui  arrive  au  cas  d'insolvabilité  de  son  cofidé- 
jusseur  (1). 

257  bis.  VIL  La  situation  ne  sera  pas  la  même  quand,  parmi  les 
cautions  valablement  engagées,  il  en  existera  quelqu'une  dont 
l'obligation  sera  affectée  d'un  terme  ou  d'une  condition.  La  caution 
qui  jouit  d'un  terme  est  certainement  obligée,  cellle  qui  est  tenue 
sous  condition,  si  la  condition  suspensive  se  réalise,  sera  considérée 
comme  ayant  toujours  été  tenue;  il  en  sera  de  même  de  la  caution 
sous  condition  résolutoire,  si  la  condition  vient  à  défaillir;  donc  il 
y  a  là  des  cautionnements  valables  et  dont  il  faut  tenir  compte 
quand  on  opère  la  division.  Seulement,  il  ne  faut  pas  que  ces 
diverses  cautions  soient  traitées  comme  des  cautions  pures  et  simples, 
et  il  ne  faut  pas  non  plus  que  le  créancier  soit  privé  pendant  un 
certain  temps  d'exercer  son  droit  en  entier,  car  il  a  en  principe  le 
droit  d'agir  pour  le  tout  contre  chaque  fidéjusseur,  et  ce  droit  ne 
cède  devant  le  bénéfice  de  division  que  quand  il  n'en  éprouve  pas 
de  préjudice  sérieux.  La  caution  poursuivie  obtiendra  donc  la  divi- 
sion entre  elle  et  les  autres  cautions,  en  y  comprenant  celle  qui  est 
obligée  à  terme  ou  sous  condition  suspensive,  le  créancier  ne  tou- 
chera pas  immédiatement  la  part  qui  est  due  par  cette  dernière 
caution,  c'est  le  résultat  d'une  certaine  imprudence  qu'il  a  commise 
en  acceptant  parmi  les  cautions  un  débiteur  à  terme  ou  sous  con- 
dition. Seulement,  si  cette  caution  est  insolvable  à  l'échéance  du 
terme  ou  à  l'arrivée  de  la  condition,  les  autres  cautions  pourront 
être  poursuivies  pour  la  part  de  celle-ci.  C'est  la  solution  que 
donne  Potbier  (2),  et  qui  nous  paraît  très-acceptable  en  ce  qui 

(1)  V.  Pothier,  Obligations,  n«  424. 

(2)  Id.,  ibid.,  n°  421  in  fine. 


268         cours  analytique  de  code  civil,  liv.  m. 

concerne  la  caution  sous  condition;  elle  a  été  à  tort  comprise  dans 
le  calcul,  puisque,  d'après  l'article  1179,  elle  est  censée  n'avoir 
jamais  été  obligée.  Mais  il  nous  semble  qu'on  devrait  faire  une 
distinction  en  ce  qui  concerne  la  caution  obligée  à  terme.  Si  l'on 
admet  qu'elle  entre  dans  le  calcul  de  la  division,  sa  solvabilité  doit 
s'apprécier  au  moment  où  ce  calcul  se  fait;  on  l'a  comprise  comme 
caution,  et  elle  l'était  en  effet,  et  par  conséquent  les  autres  cautions 
ne  doivent  pas  souffrir  de  la  confiance  que  le  créancier  avait  eue 
en  ce  fidéjusseur  lorsqu'il  lui  a  accordé  un  terme. 

257  bis.  VIII.  Nous  avons  réservé  le  cas  où  la  caution  est  obligée 
sous  condition  résolutoire.  Il  est  clair  qu'elle  est  débitrice,  comme 
les  autres  cautions,  tant  que  la  condition  est  in  pendenti.  Donc,  on  la 
comprend  dans  le  calcul,  et  le  créancier  peut  exiger  d'elle  sa  part; 
tout  se  passe  comme  si  l'obligation  était  pure  et  simple;  mais  si  la 
condition  se  réalise,  le  cautionnement  de  ce  fidéjusseur  n'a  jamais 
existé,  il  répète  ce  qu'il  a  payé,  et  alors  le  créancier  a  une  répétition 
à  exercer  contre  les  autres  cautions  qui  ont  été  chargées  d'une  part 
de  dette  inférieure  à  celle  qu'ils  devaient  supporter  d'après  le 
nombre  réel  des  cautions.  Ce  recours  pourra  n'être  pas  toujours 
fructueux  pour  le  créancier,  si  les  cautions  sont  devenues  insol- 
vables, mais  il  s'est  sciemment  exposé  à  ce  danger  en  admettant  au 
nombre  des  cautionnements  un  engagement  sous  condition  résolu- 
toire. 

257  bis.  IX.  Il  faut  maintenant  nous  occuper  des  conditions  aux- 
quelles est  subordonné  l'exercice  du  droit  de  demander  la  division. 

Nous  avons  déjà  dit  qu'il  n'était  pas  nécessaire  d'invoquer  le 
bénéfice  de  division  in  limine  litis,  l'article  2026  n  indique  pas  le 
moment  à  partir  duquel  le  bénéfice  serait  perdu,  donc  il  peut  être 
invoqué  en  tout  état  de  cause,  et  en  effet,  c'est  sur  le  montant 
de  la  condamnation  que  l'admission  du  bénéfice  doit  exercer  une 
influence,  et  tant  que  la  condamnation  n'est  pas  prononcée,  la  division 
peut  être  demandée.  Bien  plus,  la  condamnation  n'étant  pas  dé- 
finitive quand  le  jugement  est  susceptible  d'appel,  il  serait  encore 
temps  de  demander  la  division  tant  que  la  condamnation  n'est  pas 
prononcée  par  le  tribunal  d'appel  (1). 

257  bis.  X.  Quand  nous  disons  que  la  division  peut  être  deman- 
dée en  tout  état  de  cause,  nous  semblons  exiger  qu'il  existe  une 

(1)  V.  Polhier,  Obligations,  n°  425. 


TIT.    IIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    ART.    2026.  269 

contestation  judiciaire,  un  procès  commencé  par  le  créancier.  C'est 
l'hypothèse  ordinaire;  la  caution  ne  va  pas  au-devant  des  pour- 
suites. Cependant  on  peut  comprendre  qu'elle  cherche  elle-même  à 
régulariser  sa  position,  qu'elle  redoute  l'insolvabilité  future  de  ses 
cofidéjusseurs,  qu'elle  demande  au  créancier  qui  n'agit  pas  d'ac- 
cepter en  principe  la  division  qu'il  serait  obligé  de  subir  s'il  agis- 
sait. Nous  pensons  que  tel  est  son  droit,  toutes  les  fois  qu'elle 
peut  payer  malgré  le  créancier,  c'est-à-dire  quand  la  dette  est  échue 
ou  quand  le  terme  n'existe  que  dans  l'intérêt  des  débiteurs.  La 
caution  a  certes  dans  ces  hypothèses  le  droit  de  se  libérer,  et  elle 
doit  pouvoir  se  libérer  en  payant  ce  que  le  créancier  pourrait  exiger 
d'elle  et  pas  davantage.  Or,  si  le  créancier  demandait  son  paiement, 
il  n'obtiendrait  qu'un  paiement  divisé,  la  caution  a  donc  le  droit  de 
faire  spontanément  un  paiement  divisé.  Voici  alors  comment  elle  invo- 
quera le  bénéfice  de  division  :  elle  fera  des  offres,  et  si  elles  sont 
refusées  parce  que  la  somme  entière  n'est  pas  offerte,  elle  appuiera 
sa  demande  en  validité  d'offres  sur  son  droit  au  bénéfice  de  divi- 
sion. 

257  bis.  XI.  D'après  la  tradition  ancienne,  la  division  doit  s'opérer 
en  tenant  compte  seulement  des  cautions  qui  sont  solvables  au 
temps  où  elle  est  prononcée.  C'est  la  doctrine  de  Pothier,  qui  dit  au 
n°  415  [Traité  des  obligations)  que  le  créancier  est  tenu,  s'il  en  est 
requis,  de  partager  sa  demande  entre  le  fidéjusseur  poursuivi  et  ses 
cofidéjusseurs,  lorsqu'ils  sont  solvables;  c'est  aussi  ce  que  nous 
trouvons  dans  les  Institutes  de  Justinien  :  Compellitur  creditor  a  sin- 
gulis,  qui  modo  solvendo  sunt  litis  contestatœ  tempore,  partes  petere  (I). 
De  ce  que  la  solvabilité  des  codébiteurs  est  une  des  conditions  du 
droit  de  la  caution,  nous  devons  conclure  qu'elle  doit  prouver  au 
tribunal  l'existence  de  cette  solvabilité  quand  elle  demande  le  béné- 
fice de  division.  C'est  encore  la  doctrine  romaine;  le  bénéfice  est 
ordinairement  invoqué  par  le  moyen  de  l'exception  si  non  et  Mi 
solvendo  sint;  le  défendeur  doit  prouver  son  exception  (2),  donc  il 
doit  prouver  la  solvabilité  de  ses  cofidéjusseurs. 

257  bis.  XII.  Peut-être  que  les  rédacteurs  du  Code  civil  ont  aban- 
donné cette  doctrine,  car  le  texte  de  l'article  2026  est  beaucoup 
moins  précis  que  les  textes  du  droit  romain  sur  la  solvabilité  consi- 
dérée comme  condition  du  bénéfice  de  division. 

(1)  V.  Instit.,  1.  III,  t.  XX,  §4. 

(2)  V,  II.  Accarias,  t.  II,  p.  373.  ÉdiL  1880. 


270  COUHS   ANALYTIQUE    DE    CODE   CIVIL.    LIV.    III. 

Le  premier  paragraphe  de  l'article  parle  d'une  division  qui  ré- 
duira l'action  à  la  part  et  portion  de  chaque  caution.  La  condition 
de  solvabilité  n'apparaît  pas  encore,  et  si  nous  n'avions  que  ce  texte, 
nous  serions  autorisé  à  dire  qu'on  ne  tient  aucun  compte,  et  que  la 
division  est  faite  pro  numéro  Jidejussorum. 

Le  second  paragraphe  songe  aux  insolvabilités  possibles,  il  ne  dit 
pas  qu'elles  aient  quelque  influence  sur  la  division  ordonnée 
par  le  juge,  mais  il  en  fait  le  principe  d'un  recours,  le  créancier 
aura  une  action  en  supplément  contre  les  cautions  solvables.  Mais 
alors,  évidemment,  devenu  demandeur  en  garantie  du  dommage 
causé  par  une  insolvabilité,  il  sera  obligé  de  prouver  que  cette 
insolvabilité  existait. 

Si  telle  est  l'interprétation  qu'on  peut  donner  de  l'article  2026, 
il  faut  reconnaître  que  le  Code  civil  a  abandonné  la  théorie  romaine 
dans  un  intérêt  de  simplicité.  Il  n'a  pas  voulu  qu'une  discussion 
sur  la  solvabilité  des  différentes  cautions  s'élevât  dans  le  principe. 
Il  les  présume  solvables,  et  la  caution  obtient  la  division  sans 
autre  preuve  que  cette  présomption,  puis  la  preuve  contraire  est 
admise  contre  cette  présomption,  mais  cette  preuve  est  a  la  charge 
du  créancier,  parce  qu'il  n'est  pas  probable  que  des  cautions  qu'il 
a  dû  accepter  comme  solvables  aient  été  insolvables. 

Nous  inclinons  à  croire  que  c'est  bien  là  le  système  du  Gode 
civil,  car  s'il  en  était  autrement,  l'article  2026,  2e  alinéa,  ne  pour- 
rait pas  s'expliquer.  Il  suppose  que  la  division  a  été  prononcée,  donc 
il  y  a  eu  jugement;  si  ce  jugement  a  dû  statuer  sur  la  solvabilité 
des  diverses  cautions  au  moment  du  jugement,  comment  pourrait- 
on  alléguer  qu'une  des  cautions  était  insolvable  à  cette  même 
époque,  sans  méconnaître  le  principe  sur  l'autorité  de  la  chose 
jugée? 

257  bis.  XIII.  Il  est  évident  que  si  l'on  admet  ce  système,  il  faut 
reconnaître  au  créancier  le  droit  de  répondre  à  la  demande  de  divi- 
sion par  l'allégation  d'insolvabilité  d'un  ou  de  plusieurs  des  fidé- 
jusseurs.  Alors  le  jugement  statuera  sur  cette  question.  Mais  quand 
il  n'aura  pas  été  statué  sur  ce  point,  le  recours  fondé  sur  une  insol- 
vabilité pourra  avoir  pour  cause  toute  insolvabilité  survenue  jus- 
qu'au jugement  qui  a  prononcé  la  division,  car  jusqu'à  ce  moment, 
si  la  question  s'était  posée,  le  tribunal  aurait  dû  tenir  compte  de 
l'insolvabilité  d'une  des  cautions.  Le  texte  est  clair  sur  ce  point,  car 
il  parle  des  insolvabilités  survenues  depuis  la  division  et  non  pas 


TIT.    XIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    ART.    2026.  271 

depuis  la  demande  de  division.  Le  moment  de  la  demande  est  ici 
sans  influence,  puisque  le  jugement  ne  reconnaît  pas  un  droit  pré- 
existant dont  on  peut  ainsi  faire  rétroagir  les  effets,  mais  con- 
stitue un  état  nouveau  ou  une  situation  nouvelle  des  diverses 
parties. 

257  bis.  XIV.  Nous  avons  toujours  supposé  que  le  bénéfice  de 
division  était  invoqué  par  une  des  cautions,  et  nous  avons  dit  que 
son  effet  était  de  contraindre  le  créancier  à  ne  demander  à  cette 
caution  qu'une  certaine  part  de  la  dette.  Nous  n'avons  toujours 
parlé  des  autres  cautions  que  pour  les  faire  entrer  dans  l'opération 
arithmétique  qui  déterminera  la  part  à  exiger  de  la  caution  qui  a 
invoqué  le  bénéfice.  Cette  opération  est  une  division  dans  laquelle 
le  dividende  est  la  somme  due  au  créancier  et  le  diviseur  est  le 
nombre  total  des  cautions. 

257  bis.  XV.  Il  faut  maintenant  examiner  quel  est,  par  rapport 
aux  diverses  cautions,  le  résultat  de  la  division  demandée  et  obte- 
nue par  l'une  d'elles.  Nous  pouvons  d'abord  répondre  avec  certi- 
tude que  le  résultat  du  jugement  qui  admet  le  bénéfice  de  division 
n'est  pas  un  véritable  fractionnement  de  la  dette  entre  tous  les  co- 
fidéjusseurs.  Ce  jugement  est  sans  effet  par  rapport  aux  fidéjusseurs 
qui  n'ont  pas  été  parties  dans  l'instance.  La  règle  de  l'autorité  de 
la  chose  jugée  impose  cette  décision,  et  l'article  2026  la  confirme; 
car  il  indique  comme  conséquence  du  bénéfice  que  chaque  caution 
peut  exiger  que  le  créancier  réduise  son  action  à  la  part  et  portion 
de  chaque  caution.  Une  réduction  est  quelque  chose  de  relatif,  c'est 
la  diminution  de  la  somme  demandée  à  celui  qui  est  poursuivi. 
Quant  aux  autres,  ils  sont  tenus  pour  le  tout  (art.  2025),  s'ils  n'in- 
voquent pas  le  bénéfice  de  division,  on  a  le  droit  de  les  poursuivre 
pour  le  tout.  Il  est  vrai  que  ce  droit  peut  paraître  un  peu  fictif, 
puisque  la  caution  a  le  droit  d'invoquer  elle-même  le  bénéfice  de 
division  en  tout  état  de  cause,  et  qu'il  lui  sera  plus  facile  de  se  dé- 
fendre ainsi  que  de  prétendre  se  prévaloir  du  bénéfice  obtenu  par 
son  cofidéjusseur.  Cependant,  il  n'est  pas  indifférent  de  décider 
que  ce  fidéjusseur  demande  pour  son  compte  le  bénéfice  ou  qu'il 
profite  du  bénéfice  invoqué  par  son  cofidéjusseur. 

257  bis.  XVI.  D'abord,  si  le  bénéfice  obtenu  par  Pierre  divisait 
la  dette  entre  Pierre  et  Paul,  son  cofidéjusseur,  on  devrait  dire  que 
quand  Paul  payera  la  totalité  de  la  dette  dans  l'ignorance  de  la  division 
opérée,  il  aura  la  condictio  indebiti;  ce  qu'il  n'aura  certes  pas  dans 


272  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

la  doctrine  qui  reconnaît  au  créancier  le  droit  de  lui  demander  le 
tout,  sauf  à  réduire  sa  demande,  si  Paul  demande  la  division. 

Secondement,  quand  il  s'agira  d'appliquer  le  second  alinéa  de 
l'article  2026,  c'est-à-dire  de  répartir  la  perte  résultant  des  insol- 
vabilités, il  n'est  pas  indifférent  que  le  bénéfice  invoqué  par  l'une 
des  cautions  profite  ou  ne  profite  pas  aux  autres.  Exemple  :  trois 
cautions  :  au  moment  où  la  première  est  poursuivie,  elles  sont 
toutes  les  trois  solvables;  la  division  est  demandée  par  la  caution 
poursuivie,  elle  s'opère  en  prenant  pour  base  le  nombre  de  trois, 
cette  caution  doit  payer  un  tiers  :  quand  on  poursuit  la  seconde,  la 
troisième  est  devenue  insolvable.  Si  l'on  admet  que  la  division  opérée 
à  la  demande  du  premier  fidéjusseur  poursuivi  a  un  effet  erga  omnes, 
le  second  ne  devra  qu'un  tiers,  et  le  créancier  supportera  le  risque 
de  l'insolvabilité  du  troisième.  Mais  si  le  second  fidéjusseur  doit, 
quand  on  le  poursuit,  demander  et  obtenir  un  bénéfice  de  division 
spécial,  comme  l'insolvabilité  du  troisième  est  survenue  avant  cette 
division,  le  calcul  se  fait  d'après  le  nombre  de  deux  fidéjusseurs, 
le  troisième  ne  comptant  pas,  comme  insolvable.  Le  second  est  donc 
condamné  à  payer  moitié  de  la  dette.  Le  créancier  a  touché  d'un 
côté  un  tiers,  de  l'autre  une  moitié,  il  n'a  pas  de  recours  contre  le 
premier  fidéjusseur,  par  conséquent  il  perd  la  différence  entre  le 
tiers  qu'il  a  reçu  du  premier  et  la  moitié  qu'il  devrait  avoir  reçue 
de  lui  pour  que  son  paiement  fût  intégral,  il  perd  un  sixième,  au 
lieu  de  perdre  la  part  tout  entière  de  troisième  fidéjusseur,  qu'il 
perdrait,  si  la  division  opérée  la  première  fois  avec  le  premier  avait 
un  effet  par  rapport  au  second. 

257  bis.  XVII.  Cette  espèce,  que  nous  venons  d'examiner,  et  le 
calcul  qu'elle  nous  a  conduit  à  faire,  démontrent  surabondamment 
l'exactitude  de  notre  doctrine  sur  l'effet  purement  relatif  de  la 
division.  Car  c'est  évidemment  en  faisant  les  calculs  que  nous 
venons  de  faire  que  l'article  2026  a  dit  dans  son  deuxième  alinéa  : 
Cette  caution  (celle  qui  a  fait  prononcer  la  division)  ne  peut 
pas  être  recherchée  à  raison  des  insolvabilités  survenues  depuis 
cette  division.  Texte  bien  clair,  qui  n'attribue  pas  aux  autres  cau- 
tions le  bénéfice  de  la  division  opérée. 

258.  De  ce  qui  précède,  il  résulte  que  la  division  ne  peut, 
au  préjudice  du  créancier,  et  malgré  lui ,  s'opérer  avec  une 
caution  actuellement  insolvable-,  mais  lorsque  c'est  lui-même 


TIT.  XIV.  DU  CAUTIONNEMENT.  ART.  2026,  2027.   273 

qui,  volontairement,  divise  son  action,  cette  conduite  de  sa 
part  équivalant  a  une  remise  de  solidarité,  il  doit  en  subir  les 
conséquences,  et  ne  peut,  conséquemment,  sous  le  prétexte 
des  insolvabilités,  même  antérieures,  revenir  contre  la  divi- 
sion une  fois  consentie.  V.  art.  2027. 

258  bis.  I.  On  peut  concevoir  de  deux  manières  la  division 
volontaire  de  l'action  du  créancier.  Il  peut  avoir  reçu  d'une  des 
cautions  le  paiement  d'une  part  de  la  dette  correspondant  à  la 
part  que  cette  caution  doit  supporter  d'après  l'article  2026; 
encore  faut-il  qu'il  ait  reçu  cette  somme  avec  cette  mention  que 
c'est  la  part  de  la  caution,  sinon  on  pourrait  croire  qu'il  a  consenti 
à  recevoir  un  à-compte.  Il  peut  aussi  avoir  actionné  l'une  des  cau- 
tions en  ne  lui  demandant  que  sa  part  au  lieu  de  la  totalité  qu'il 
aurait  pu  demander. 

258  bis.  II.  Dans  cette  seconde  hypothèse,  on  pourrait  être  tenté 
d'appliquer  la  disposition  de  l'article  1211,  3e  alinéa,  et  de  permettre 
au  créancier  de  rectifier  sa  demande  tant  qu'il  n'y  a  pas  eu  acquies- 
cement ou  jugement  de  condamnation.  Ce  serait  l'application  de 
la  règle  générale  qui  permet  à  toute  personne  de  revenir  sur  une 
manifestation  de  volonté  qui  n'a  pas  été  acceptée  par  la  volonté 
d'une  autre  personne  ou  confirmée  par  un  jugement,  parce  qu'il 
est  naturel  que  ce  qui  a  été  fait  par  la  volonté  d'un  seul  puisse  être 
défait  par  la  même  volonté.  Cependant,  l'article  2027  semble  dé- 
roger à  cette  règle,  car  il  n'exige  pas  que  la  division  volontaire  de 
l'action  ait  été  suivie  de  l'un  des  actes  dont  parle  l'article  1211. 
On  comprend,  du  reste,  qu'il  en  soit  ainsi,  la  division  de  l'action 
contre  la  caution  n'a  pas  le  caractère  d'abandon  d'un  droit  qui 
appartient  à  la  renonciation  du  créancier  à  la  solidarité;  en  divisant 
son  action,  le  créancier  ne  fait  pas  autre  chose  que  ce  qu'on  le 
forcera  très-probablement  à  faire  en  vertu  de  l'article  2026.  Pour 
gagner  du  temps,  il  prévient  la  demande  presque  certaine  du 
défendeur;  le  créancier  qui  renonce  à  la  solidarité  abandonne  un 
droit  dont  il  est  le  maître  absolu,  il  se  dépouille  véritablement,  et 
voilà  pourquoi  l'on  est  plus  exigeant  quand  il  s'agit  de  traiter  son 
acte  comme  devenu  irrévocable. 

258  bis.  III.  Cette  division  volontaire,  au  reste,  définitive  dans 
les  rapports  entre  le  créancier  et  la  caution  qu'il  a  poursuivie 
n'aura  pas  plus  d'effet  que  n'en  aurait  eu  la  division  prononcée  par 
vin.  18 


274  COURS    ANALYTIQUE    DR    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

jugement.  Elle  ne  vaut  pas  par  rapport  aux  autres  cautions,  elle  est 
non  avenue  par  rapport  aux  autres.  Il  serait  antijuridique  qu'un 
acte  de  procédure  dirigé  contre  Pierre  eût  quelque  conséquence 
pour  ou  contre  Paul.  Cette  décision  est  d'ailleurs  en  harmonie  avec 
la  manière  dont  nous  considérons  le  fait  du  créancier;  par  son 
action  divisée  il  n'a  pas  voulu  faire  autre  chose  que  ce  qu'on  l'aurait 
contraint  à  faire  s'il  avait  demandé  le  tout  à  une  caution  qui  lui 
aurait  ensuite  opposé  le  bénéfice  de  division. 

SECTION  II. 

De  l'effet  du  cautionnement  entre  le  débiteur  et  la  caution. 

259.  Le  fait  de  l'engagement  contracté  par  la  caution  pour 
le  débiteur  est,  ou  l'accomplissement  d'un  mandat  reçu  à  cet 
effet,  ou  un  acte  qui  constitue  le  quasi-contrat  de  gestion 
d'affaires.  Mandataire  ou  gérant,  la  caution  a  évidemment 
droit  au  remboursement  de  ses  avances  (art.  1375,  -1999)  5 
ainsi  la  caution  qui  a  payé  a  son  recours  contre  le  débiteur, 
qu'elle  se  soit  engagée  au  su  ou  a  l'insu  de  celui-ci.  V.  art. 
2028,  al.  1. 

259  bis.  I.  Quand  nous  avons  décomposé  l'opération  complexe 
qui  établit  des  rapports  entre  un  créancier,  un  débiteur  et  une 
caution,  nous  avons  trouvé  que  la  relation  juridique  qui  existe 
entre  le  débiteur  et  la  caution  résulte  d'un  contrat  de  mandat  ou 
d'un  quasi-contrat  de  gestion  d'affaires;  elle  doit  donc  être  régie  par 
les  règles  qui  gouvernent  ce  contrat  ou  ce  quasi-contrat. 

L'affaire,  objet  du  mandat  ou  de  la  gestion,  est  un  paiement; 
quand  elle  a  été  faite,  il  naît  un  recours  de  celui  qui  l'a  faite  contre 
le  mandant  ou  le  dominus  negotii,  c'est  Yactio  contraria.  L'article 
2028  établit  le  droit  à  ce  recours  et  donne  quelques  développements 
sur  son  étendue. 

259  bis.  IL  Ce  recours  a  pour  cause  un  paiement  (art.  2028), 
nous  ajouterons  ou  tout  autre  acte  équivalent.  Ainsi  une  compensa- 
tion invoquée  par  le  fidéjusseur  lorsqu'il  était  poursuivi,  une 
dation  en  paiement  acceptée  par  le  créancier  (i).  On  s'est  même 

(1)  V.  C.  C,  18  juin  1876.  Sirey,  1876,  I,  448. 


TIT.    XIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    ART.    2028.  275 

demandé  si  une  remise  de  dette  faite  avec  l'intention  de  gratifier 
la  caution  pourrait  avoir  la  même  force  qu'une  compensation  et 
autonser  un  recours.  Nous  pensons  qu'on  ne  peut  pas  trancher 
cette  question  sans  lavoir  d'abord  bien  dégagée  de  toute  ambiguïté 
et  que,  quand  on  aura  réduit  l'hypothèse  à  sa  plus  simple  expres- 
sion,  la  solution  ne  paraîtra  pas  difficile. 

259  bis  m.  Il  est  bien  certain  d'abord  qu'il  ne  peut  pas  être 
question  d  une  rem.se  accordée  à  la  caution;  elle  ne  libère  pas  le 
débiteur  principal  (art.  1287),  et  celui-ci,  n'en  ayant  pas  profité 
ne  peut  être  tenu  à  indemniser  de  ce  chef  la  caution.  Quant  à  là 
remise  accordée  au  débiteur,  elle  libère  bien  les  cautions  mais  les 
libérant  gratuitement,  elle  paraît  une  libéralité  adressée'  à  la 'fois 
aux  débiteurs  et  aux  cautions,  et  l'on  ne  voit  pas  encore  le  germe 
d  une  action  en  recours.  Les  principes  du  mandat  et.  ceux  de  la 
gestion  d  affaire  s'opposent  à  l'admission  d'un  recours  En  effet 
1  action  contraria  mandait  a  pour  but  de  faire  recouvrer  par  lé 
mandataire  les  avances  qu'il  a  faites  (art.  1999);  l'action  contraria 
negotiomm  gestorum  impose  le  remboursement  des  dépenses  utiles 

7  îlTlT  qUl  °nt  été  fait6S'  mais  Ces  artic,es>  P«  P'us  que 
1  article  2028,  ne  supposent  la  possibilité  d'une  action  en  répétition 
de  ce  qui  aurait  pu  être  payé  si  le  créancier  l'avait  exigé 

259  bis    IV.  Il  est  vrai  qu'on  suppose  l'intention  formelle  du 
créancier  de  gratifier  la  caution  du  montant  de  la  créance,  en  l'au- 
torisant a  poursuivre  le  débiteur.  Mais  alors  il  nous  paraît  que  tout 
simplement  le  créancier  et  la  caution  ont  mal  qualifié  leur  acte 
Ce  n'était  pas  une  remise  faite  in  rem,  car  une  remise  in  rem  libère 
ie  débiteur;  le  créancier  n'a  pas  pu  le  libérer  et  céder  ses  actions 
contre  lui;  ce  n'était  pas,  nous  l'avons  dit,  une  remise  en  faveur 
de  la  caution  seule.  C'était  une  cess.on  de  créance  faite  à  titre  de 
remise.  Si  l'intention  qu'on  suppose  est  clairement  démontrée  l'acte 
ne  saurait  être  qu'une  cession  de  créance.  La  qualification  inexacte 
qu'on  lui  a  donnée  est  indifférente,  il  faut  le  juger  d'après  ce  qu'il 
est  et  non  d'après  ce  que  les  parties  en  ont  dit.  La  conséquence  de 
cela,  c'est  que  l'article  2028  n'est  plus  applicable,  et  que  l'action  de 
la  caution  est  l'action  même  qui  appartenait  au  créancier  cédant 
Mais  aussi  il  faut  bien  remarquer  que  l'acte   dont  nous  parlons 
ne  peut  résulter  valablement  d'une  convention  entre  le  créancier 
et  le  débiteur  principal;  l'accord  de  ces  deux  volontés  suffirait  pour 
une  vraie  remise  qui  profiterait  indirectement  à  la  caution,  mais 

18. 


276  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

une  donation  faite  à  la  caution  ne  peut  résulter  que  d'une  conven- 
tion entre  le  créancier  donateur  et  la  caution  donataire.  Nous  ne 
parlons  pas  des  formalités  auxquelles  un  pareil  acte  pourrait  être 
assujetti,  ni  des  règles  sur  la  capacité,  sur  le  rapport  et  sur  la 
réduction  dont  il  faut  tenir  compte,  puisqu'il  s'agirait  d'une  libé- 
ralité. 

260.  L'indemnité  du  mandataire  ou  du  gérant  devant 
comprendre  toutes  les  espèces  de  dépenses  qui  concernent 
l'affaire  dont  il  a  été  chargé,  il  est  clair  que  le  recours  a  lieu 
pour  le  principal,  les  intérêts  et  les  frais  5  et  toutefois,  le 
principe  ne  s'appliquant  pas  aux  dépenses  provenant  de  la 
faute  du  mandataire  ou  gérant  (art.  1374,  1375,  1999),  le 
recours  ne  doit  point  comprendre  les  frais  que  la  caution 
aurait  pu  éviter;  la  loi  considère  comme  tels  ceux  qu'elle 
aurait  faits  avant  de  dénoncer  au  débiteur  les  poursuites  diri- 
gées contre  elle,  poursuites  que  le  débiteur  aurait  peut-être 
fait  cesser,  s'il  en  eût  été  informé.  V.  art.  2028,  al.  2. 

261.  Le  mandataire,  d'ailleurs,  ayant  droit  a  indemnité 
pour  les  perles  qu'il  a  essuyées  à  l'occasion  de  sa  gestion  (art. 
2000),  et  ce  principe  étant  nécessairement  commun  au  gérant, 
la  caution  a  aussi  recours  pour  les  dommages-intérêts  s'il  y  a 
lieu.  V.  art.  2028,  al.  3-,  v.,  à  ce  sujet,  art.  1153. 

26i  bis.  I.  Le  montant  des  réclamations  de  la  caution  est  indiqué 
en  détail  par  l'article  2028,  dont  l'idée  dominante  est  que  la  cau- 
tion qui  a  payé  ne  doit  ni  rien  perdre  ni  rien  gagner. 

Elle  obtiendra  donc  la  restitution  du  capital  qu'elle  a  payé  et 
aussi  des  intérêts  qu'elle  a  acquittés  à  la  décharge  du  débiteur, 
c'est-à-dire  des  intérêts  échus  de  ce  capital  dont  on  a  pu  exiger 
d'elle  le  paiement  dans  les  circonstances  que  nous  avons  énumérées 
plus  haut. 

261  bis.  II.  Si  la  caution  n'a  payé  que  le  principal.  Elle  aura  le 
droit  d'exiger  les  intérêts  de  cette  somme  à  partir  du  jour  du  paie- 
ment, au  moins  quand  elle  a  cautionné  en  vertu  d'un  mandat  du 
débiteur,  l'article  2001  lui  confère  certainement  ce  droit.  Mais,  si 
elle  n'a  agi  qu'en  qualité  de  gérant  d'affaires,  elle  ne  trouvera  pas 
ce  droit-là  dans  les  principes  qui  régissent  le  quasi-contrat  de 
gestion  d'affaires.  L'article  2001  n'est  pas  applicable  au  gérant  d'af- 


TIT.    XIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    ART.    2028.  277 

faires  (1).  Peut-être  peut-on  dire  que  notre  article  2028  a  étendu 
exceptionnellement  les  règles  du  mandat  à  la  gestion  d'affaire, 
quand  l'affaire  est  un  cautionnement.  Mais  le  texte  de  l'article  2028 
ne  nous  paraît  pas  bien  précis  sur  ce  point,  d'abord  parce  que  les 
intérêts  dont  il  parle  peuvent  être  ceux  que  la  caution  a  payés, 
et  secondement  parce  que  s'il  vise  les  intérêts  futurs,  il  peut  subor- 
donner leur  cours  aux  règles  générales  de  la  matière  (art.  1153), 
d'où  il  résulterait  que  la  caution  aurait  droit  aux  intérêts,  sauf  à  les 
faire  courir  par  une  demande,  à  moins  de  se  trouver  dans  un  de 
ces  cas  prévus  par  l'article  1153  où  les  intérêts  courent  de  plein 
droit,  c'est  le  cas  réglé  par  l'article  200J. 

261  bis.  III.  Quant  aux  intérêts  payés  par  la  caution  en  l'acquit 
du  débiteur,  ils  produiront  des  intérêts  ou  de  plein  droit  ou  en 
vertu  d'une  demande,  suivant  la  distinction  que  nous  venons  de 
faire  entre  le  cas  de  mandat  et  celui  de  gestion  d'affaires,  car  ils 
sont  pour  la  caution  un  capital  payé,  par  conséquent  une  avance  qui 
doit  ou  peut  produire  des  intérêts.  Il  n'y  aurait  pas  ici  à  se  préoc- 
cuper des  règles  qui  prohibent  l'anatocisme,  car  l'article  1155  a 
précisément  mis  hors  de  ces  prohibitions  les  intérêts  d'intérêts  payés 
par  un  tiers  au  créancier  en  l'acquit  du  débiteur. 

261  bis.  IV.  L'article  s'occupe  ensuite  des  frais  payés  par  la  cau- 
tion ;  en  principe  elle  doit  les  recouvrer,  puisqu'elle  doit  être  tenue 
indemne;  seulement  il  faut  qu'elle  ne  les  ait  pas  occasionnés  par 
sa  faute,  par  conséquent  elle  ne  peut  pas  demander  les  frais  qu'elle 
a  faits  ou  que  le  créancier  a  faits  contre  elle  avant  qu'elle  ait  pré- 
venu le  débiteur  par  une  dénonciation  des  poursuites.  Le  débiteur 
pourrait  en  effet  alléguer  que,  prévenu  à  temps,  il  aurait  trouvé 
moyen  d'arrêter  les  poursuites  et  d'éviter  des  frais. 

Si  telle  est  la  raison  de  l'article,  il  est  bien  clair  que  la  caution  peut 
également  répéter  les  frais  de  la  première  poursuite  dirigée  contre 
elle,  car  elle  ne  pouvait  pas  les  éviter,  et  elle  ne  pouvait  pas  en  avertir 
la  caution  avant  qu'elle  fût  faite.  Elle  répétera  aussi,  parles  mêmes 
raisons,  les  frais  delà  dénonciation.  Si  l'on  faisait  difficulté  d'admettre 
ces  décisions,  la  caution  rentrerait  toujours  dans  les  déboursés  qu'elle 
aurait  faits  pour  ces  deux  causes,  en  vertu  de  la  décision  finale 
de  l'article  qui  lui  reconnaît  le  droit  à  des  dommages  et  intérêts. 

261  bis.  V.  La  loi  attribue  en  effet  à  la  caution  qui  a  payé,  le 

(1)  V.  t.  V,  n°354i«.  II. 


278  COUKS   ANALYTIQUE    DE    CODE  CIVIL.    LIV.    III. 

droit  de  demander  au  débiteur  des  dommages  et  intérêts,  s'il  y  a 
lieu,  c'est-à-dire  si  elle  a  éprouvé  des  dommages  en  dehors  de 
ceux  que  prévoient  les  deux  premiers  alinéas  de  l'article  2028. 
On  citait  autrefois,  comme  exemple  très-notable  de  dommage  subi 
par  la  caution,  le  préjudice  résultant  de  la  contrainte  par  corps 
exercée  contre  elle.  La  contrainte  par  corps  est  abolie  en  matière 
civile  depuis  1867.  Il  nous  faut  prévoir  d'autres  événements; 
la  caution,  par  exemple,  aura  été  saisie  et  ses  biens  vendus  dans 
de  mauvaises  conditions,  ou  bien  cette  saisie  aura  nui  à  son 
crédit.  Dans  ces  cas  et  d'autres  semblables,  elle  aura  droit  à  des 
dommages  et  intérêts  alors  même  que  la  créance  principale  est  une 
créance  de  somme  d'argent;  car  l'article  1153  a  annoncé  sur  ce 
point  une  exception  établie  par  le  titre  du  cautionnement  à  sa  règle 
la  plus  importante,  c'est-à-dire  à  la  réduction  aux  intérêts  légaux 
des  dommages  et  intérêts  en  matière  de  somme  d'argent  (1). 

261  bis.  VI.  Dans  un  cas  particulier,  la  caution  n'aurait  pas  le 
recours  contre  le  débiteur  accordé  par  l'article  2028;  c'est  quand 
elle  aura  cautionné  malgré  le  débiteur,  hypothèse  peu  probable, 
qu'on  ne  doit  pas  par  conséquent  supposer,  mais  qui  peut  se 
présenter,  quand  le  débiteur  aura  expressément  manifesté  son 
opposition.  Nous  dirons  alors  qu'il  n'y  a  ni  mandat,  ni  gestion  d'af- 
faire, et  c'est  pour  cela  que  l'article  ne  sera  pas  applicable.  Cependant 
il  ne  faudra  pas  que  le  débiteur  s'enrichisse  au  détriment  de  la 
caution,  dès  lors  celle-ci  aura  une  action  fondée  sur  le  profit  qu'elle 
aura  procuré  à  ce  débiteur.  Elle  pourra  donc  répéter  ce  qu'elle  aura 
payé,  soit  comme  capital,  soit  comme  intérêts  échus,  mais  elle 
n'aura  pas  droit  aux  intérêts  de  ses  avances  tant  qu'elle  n'aura  pas 
formé  une  demande  en  justice  (art.  1 153),  elle  n'aura  pas  droit  à 
des  dommages-intérêts,  et  elle  ne  pourra  pas  réclamer  les  frais  faits 
contre  elle-même,  car  ils  sont  la  conséquence  de  la  fidéjussion,  et  la 
fidéjussion  a  eu  lieu  malgré  le  débiteur,  donc  le  fidéjusseur  s'est 
volontairement  exposé  à  cette  perte  sans  profit  pour  le  débiteur  (2). 

262.  Outre  ce  recours,  la  caution  jouit  naturellement  de  la 
subrogation  légale  accordée  à  tous  ceux  qui,  étant  tenus 
avec  d'autres  ou  pour  d'autres  au  paiement  de  la  dette,  avaient 
intérêt  de  l'acquitter  (art.  1251-3°).  V.  art.  2029. 

(1)  V.  t.  V,  n°  70  lit.  III. 

(2)  V.  t.  V,  n°  349  bit.  IV. 


TIT.  XIV.  DU  CAUTIONNEMENT.  AKT.  2028,  2029.   279 

262  bis.  I.  L'action  fondée  sur  la  subrogation  ne  fait  pas  double 
emploi  avec  l'action  mandali  ou  negotiorum  gestorum  contraria.  Elle  est 
plus  et  moins  avantageuse  que  celle-ci.  Plus  avantageuse  en  ce  qu'elle 
donne  au  fidéjusseur  les  garanties,  gage,  antichrèse,  hypothèque 
qu'avait  le  créancier.  Elle  est  moins  avantageuse,  car  elle  ne  pro- 
cure à  la  caution  que  ce  qu'elle  a  déboursé  et  ne  comprend  ni  les 
intérêts  à  partir  du  paiement,  ni  les  frais,  ni  les  dommages  et  intérêts. 
De  plus,  la  créance  de  la  caution  subrogée  se  prescrira  par  le  même 
dél.ii  que  la  créance  principale,  tandis  que  l'action  de  mandat  ou 
de  gestion  d'affaire  sera  soumise  à  une  prescription  propre,  qui 
commencera  seulement  à  courir  de  jour  où  soit  le  mandataire,  soit 
le  gérant  aura  fait  des  avances. 

262  bis.  H.  Les  deux  actions  qui  appartiennent  à  la  caution 
contre  le  débiteur  principal  peuvent  être  intentées  en  même  temps, 
et  dès  lors  il  peut  paraître  puéril  de  les  distinguer  avec  autant  de 
soin  et  de  répartir  entre  chacune  d'elles  les  effets  qu'elles  produiront 
par  leur  réunion.  Ce  n'est  là  qu'une  apparence.  Ce  cumul  des  deux 
actions  n'est  possible  que  contre  le  débiteur;  mais  dès  qu'on  agit 
contre  des  tiers,  ce  n'est  plus  l'action  mandati  ou  negotiorum  ges- 
torum  qui  peut  être  intentée,  ce  n'est  que  l'action  fondée  sur  la  subro- 
gation, et  la  conséquence  de  la  distinction  est  que,  contre  ces  tiers, 
la  caution  ne  peut  pas  demander  les  intérêts,  les  frais,  les  dommages 
et  intérêts,  ni  profiter  de  la  prolongation  du  délai  de  prescription 
que  lui  procure  l'action  mandati  ou  negotiorum  gestorum  quand  elle 
l'exerce. 

262  bis.  III.  C'est  aussi  parce  que  les  deux  actions  ne  se  con- 
fondent pas  que  nous  pouvons  donner  action  contre  les  tiers  au  fidé- 
jusseur qui  s'est  obligé  malgré  le  débiteur.  Obligé  avec  celui-ci,  il  se 
trouve  dans  la  catégorie  des  personnes  à  qui  l'article  1250-3°  donne 
la  subrogation  légale,  il  peut  donc  agir  même  contre  les  tiers, 
mais  dans  les  limites  que  nous  venons  d'assigner  à  celui  qui  s'ap- 
puie sur  la  subrogation. 

262  bis.  IV.  La  caution  subrogée  en  vertu  de  l'article  1231-3°  et 
de  l'article  2029  est  substituée  aux  droits  du  créancier,  non-seule- 
ment contre  le  débiteur,  mais  contre  les  tiers.  Elle  aura  donc 
incontestablement,  si  la  dette  est  garantie  par  une  hypothèque,  le 
droit  de  préférence  qui  appartenait  au  créancier,  c'est-à-dire  le  droit 
de  se  faire  colloquer  hypothécairement  au  rang  qui  appartenait  à 
ce  créancier.  Mais  l'hypothèque  comprend  virtuellement  un  autre 


280  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE   CIVIL.    L1V.    111. 

droit,  le  droit  de  suite,  le  droit  d'agir  hypothécairement  contre  les 
tiers  détenteurs  de  l'immeuble  ou  des  immeubles  hypothéqués  à  la 
dette.  Sur  le  point  de  savoir  si  ce  droit  de  suite  appartient  à  la  cau- 
tion, il  est  né  des  doutes  résultant  de  la  comparaison  qu'on  est 
tenté  de  faire  entre  ces  deux  personnes,  le  tiers  détenteur  et  la  cau- 
tion, toutes  deux  tenues  d'une  dette  qui  leur  est  étrangère,  toutes 
deux  subrogées,  quand  elles  ont  payé,  dans  les  droits  du  créancier, 
c'est-à-dire  le  tiers  détenteur  subrogé  contre  la  caution,  si  c'est  lui 
qui  a  payé,  la  caution  subrogée  contre  le  tiers  détenteur,  si  le  paie- 
ment a  été  fait  par  elle  (art.  1251-3°;.  La  difficulté  qui  naît  de  la 
coexistence  de  ces  deux  droits  qui  se  combattent  l'un  l'autre,  a  été 
examinée  sur  l'article  1251,  où  nous  avons  donné  les  raisons  qui 
nous  conduisent  à  préférer  la  caution  au  tiers  détenteur  (1). 

263.  Si  le  cautionnement  a  eu  lieu  pour  plusieurs  débiteurs, 
la  caution  a  naturellement  son  recours  contre  chacun  d'eux; 
et  si  ces  débiteurs  sont  solidaires,  le  recours  a  lieu  contre 
chacun  pour  le  tout.  Cette  décision  qui,  au  cas  de  mandat, 
s'expliquerait  par  le  principe  de  solidarité  légale  entre  les 
mandants  (v.  art.  2002),  se  justifie  dans  tous  les  cas  par  ce 
molif,  que  chaque  débiteur  solidaire  a  été  libéré  pour  le  tout 
par  le  paiement  que  la  caution  a  fait.  Du  reste,  comme  c'est 
uniquement  de  la  personne  qu'elle  a  cautionnée  que  la  cau- 
tion est  mandataire  ou  gérant  d'affaires,  la  décision  ne  s'ap- 
plique qu'au  cas  où  la  caution  est  intervenue  pour  tous  les 
débiteurs.  V.  art.  2030. 

263  bis.  Dans  l'hypothèse  contraire  à  celle  de  l'article,  c'est-à- 
dire  quand  le  fidéjusseur  n'a  cautionné  qu'un  des  codébiteurs  soli- 
daires, il  aura  certes  recours  pour  le  tout  contre  celui-ci,  mais  il 
ne  pourra  agir  contre  les  autres  que  pour  leur  part,  car  il  n'est  ni 
leur  mandataire  ni  leur  gérant  d'affaires;  de  plus,  il  n'est  pas  subrogé 
dans  les  droits  du  créancier,  puisqu'il  n'était  pas  tenu  avec  eux, 
mais  seulement  avec  l'un  d'entre  eux.  Serait-il  subrogé  légalement 
dans  les  droits  qu'aurait  eus  le  débiteur  qu'il  a  cautionné  s'il  avait 
payé?  Non,  par  deux  raisons  :  la  première,  c'est  que  cette  caution 
n'ayant  pas  payé  n'a  pas  de  droits  dans  lesquels  quelqu'un  puisse  être 
subrogé  de  son  chef;  la  seconde,  c'est  que  la  subrogation  légale 

(1)  V.L  V,  n°  197  bis.  X. 


T1T.  XIV.  DU  CAUTIONNEMENT.  ART.  2030,  2031.   281 

consiste  dans  la  substitution  de  celui  qui  paie  dans  les  droits  du  créan- 
cier qui  est  payé,  et  le  codébiteur  solidaire  n'est  pas  un  créancier 
payé.  Tout  ce  que  nous  pouvons  dire,  c'est  que  le  débiteur  pour 
qui  la  caution  s'est  obligée,  ayant  procuré  au  prix  d'un  engagement 
qu'il  a  contracté  la  libération  des  autres  codébiteurs,  a  contre  ceux- 
ci  un  recours  divisé  en  vertu  de  l'article  1214,  et  dans  ces  limites 
garanti  par  la  subrogation,  article  1251,  que  dès  lors  ce  recours 
pourra  être  exercé  par  la  caution  en  vertu  de  l'article  1166.  Mais 
on  peut  voir  comme  ce  recours  diffère  de  celui  qui  serait  protégé 
par  la  subrogation,  puisqu'il  expose  la  caution  à  un  concours  avec 
tous  les  autres  créanciers  du  codébiteur  cautionné  par  elle. 

264.  Le  droit  du  mandataire  au  remboursement  de  ses  dé- 
penses n'étant  indépendant  de  l'utilité  effective  de  la  dépense, 
que  lorsqu'il  n'y  a  aucune  faute  a  lui  imputable  (art.  1999, 
al.  2),  et  la  bonne  administration  étant  plus  particulièrement 
encore  la  condition  de  l'indemnité  du  gérant  (art.  1375),  tout 
paiement  fait  par  la  caution  ne  lui  assure  pas  son  recours. 

Ainsi,  comme  il  y  aurai i,  en  général,  faute  de  la  part  de 

la  caution  qui  n'avertirait  pas  le  débiteur  du  paiement  par 

elle  l'ait,  et  l'exposerait  ainsi  a  payer  une  seconde  fois,  cette 

faute,  si  elle  a  eu  ce  résultat,  doit  faire  refuser  a  la  caution 

la  répétition  d'une   dépense  qui   se  trouve   par  événement 

n'être  pas  utile,  ou  dont  l'utilité  du  moins  se  borne  a  l'action 

en  répétition  contre  le  créancier.  Le  recours  de  la  caution  ne 

pourrait  donc  tendre  qu'a  se  faire  céder  celte  action,  qui, 

dans  la  rigueur  des  principes,  compète  au  débiteur  (v.  Ulp., 

L.  29,  §  3,  D.  mand.).  Mais  notre  loi  arrive  plus  directement 

a  ce  résultat,  en  privant  la  caution  de  tout  recours,  et  lui 

accordant  à  elle-même  l'action  en  répétition.  V.  article  2031, 

al.  1. 

Pareillement,  la  caution  doit  évidemment  être  privée  de 
recours,  lorsque,  par  sa  faute,  elle  a  payé  une  dette  déjà 
éteinte h  mais  la  caution  peut  n'être  pas  en  faute,  si  dans 
l'ignorance  des  moyens  que  le  débiteur  avait  pour  faire  dé- 
clarer cette  extinction,  elle  avait  payé  pour  se  soustraire  à  des 
poursuites  dirigées  contre  elle  (v.  pourtant  art.  2028,  al.  2). 


282  COUHS   ANALYTIQUE    DE    CODE   CIVIL.    L1V.    III. 

Elle  ne  serait  certainement  pas  en  faute,  si,  payant  même 
volontairement,  elle  en  avait  donné  'préalablement  avis  au 
débiteur,  qui  aurait  pu  alors  lui  faire  connaître  ces  moyens. 
Ce  n'est  donc  qu'autant  qu'elle  a  payé  sans  être  poursuivie  et 
sans  avoir  averti  le  débiteur,  que  le  recours  lui  est  en  général 
refusé.  Il  est  évident,  du  reste,  que  dans  ce  cas,  il  lui  reste 
une  action  en  répétition  contre  le  créancier.  V.  art.  2031,  al. 
dernier. 

264  bis.  I.  Dans  l'Iiypothèse  prévue  par  le  2*  alinéa  de  l'article,  la 
faute  de  la  caution  consiste  à  avoir  payé  sans  être  poursuivie  et 
sans  donner  avis  du  projet  de  paiement  au  débiteur  principal.  Si 
des  poursuites  avaient  été  commencées  contre  la  caution,  il  paraît 
bien  résulter  a  contrario  de  la  décision  donnée  par  la  loi  que  la  cau- 
tion n'a  pas  à  prévenir  le  débiteur.  Elle  est  pressée  de  se  soustraire 
aux  poursuites  et  elle  a  hâte  de  satisfaire  le  créancier,  le  temps  lui 
manque  pour  donner  avis  au  débiteur.  Il  faudrait  toutefois  se 
garder  de  généraliser  cette  décision  et  de  l'appliquer  à  toutes  les 
hypothèses  possibles.  Ainsi,  quand  la  poursuite  consiste  en  une 
citation  en  justice,  appliquer  la  disposition  de  la  loi,  c'est  se  mettre 
en  opposition  avec  la  théorie  sur  la  garantie,  telle  qu'elle  nous  est 
montrée  par  l'article  1640.  L'acheteur  garanti  qui  se  défend  sans 
appeler  son  garant  s'expose  à  ne  pas  triompher  ensuite  dans  l'action 
en  garantie,  si  le  vendeur  démontre  qu'il  existait  des  moyens  suffi- 
sants pour  faire  repousser  la  demande.  Le  fidéjusseur  aussi  est  un 
garanti,  pourquoi  pourrait-il  en  défendant  seul  et  surtout  en  cédant 
à  l'action,  priver  le  garant  du  droit  de  faire  valoir  les  moyens  qui  lui 
appartiennent  pour  repousser  la  demande?  La  caution  doit  appeler 
en  cause  le  débiteur  principal,  c'est  pour  ces  hypothèses  qu'est 
créée  l'exception  dilatoire  de  garantie  (art.  175,  C.  Pr.);  en  l'oppo- 
sant, le  fidéjusseur  obtiendra  le  temps  nécessaire  pour  appeler  son 
garant,  et  il  est  vraiment  coupable  de  renoncer  à  ce  bénéfice  qui 
protégerait  le  débiteur. 

264  bis.  II.  Au  contraire,  la  poursuite  peut  être  plus  menaçante 
qu'une  citation  en  justice,  et  c'est  probablement  à  ce  genre  de  pour- 
suites qu'a  songé  l'article  2031.  Si  la  caution  est  poursuivie  en 
vertu  d'un  titre  exécutoire,  soit  qu'elle  ait  contracté  son  engagement 
par  acte  notarié,  soit  qu'elle  ait  déjà  été  condamnée  peut-être  con- 
jointement avec  le  débiteur  principal  et  qu'on  la  poursuive  en  vertu 


TIT.    XIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    AiiT.    203!,    2032.       283 

de  ce  jugement,  il  n'y  a  pas  de  temps  à  perdre,  pas  d'exception 
dilatoire;  à  peine  de  saisie  dans  un  délai  très-bref,  il  faut  s'exécuter. 
Alors  on  comprend  que  la  caution  effrayée  n'avertisse  pas  le  créan- 
cier, et  que  le  Gode  ne  lui  impute  pas  à  faute  ce  défaut  d'avertisse- 
ment. 

265.  Si  le  recours  est  quelquefois  refusé  a  la  caution  qui  a 
payé,  il  peut,  au  contraire,  être  quelquefois  accordé  a  celle 
qui  n'a  pas  encore  payé.  En  etlet,  pour  que  le  mandataire  ou 
le  gérant  ait  droit  à  indemnité,  il  n'est  point  toujours  néces- 
saire qu'il  y  ail  eu  de  sa  part  avance  consommée  (v.  art.  1375, 
1998). 

A  cet  égard,  il  faut  d'abord  reconnaître  que  rengagement 
de  payer  pour  le  débiteur  n'est  contracté  par  la  caution 
qu'envers  le  créancier.  Au  contraire,  entre  la  caution  et  le 
débiteur,  il  est  tacitement  entendu  que  la  caution  n'intervient 
que  pour  rassurer  le  créancier,  et  que  le  débiteur  ne  la  lais- 
sera pas  contraindre  au  paiement.  Aussi  a-t-on  toujours  tenu 
qu'il  sulïisait  a  la  caution  d'être  condamnée  pour  agir  en  re- 
cours (Diocl.  et  Max.,  L.  10,  Cod.;  MarcelL,  L.  38,  §  1,  D. 
mand.).  Bien  plus,  dans  la  pratique  française,  que  notre  Code 
a  consacrée,  la  caution  pour  agir  n'a  pas  besoin  d'attendre  la 
condamnation;  il  lui  suffit  d'être  poursuivie.  V.  art.  2032-1°. 

La  caution,  dans  tous  les  cas,  ne  s'engageanl  que  dans 
l'espoir  d'un  recours  utile,  ne  peut  être  tenue  d'en  différer 
l'exercice,  lorsque  l'état  de  faillite  ou  de  déconfiture  du  débi- 
teur la  menacerait  de  le  perdre,  si  elle  n'agissait  actuelle- 
ment. V.  art.  2032-2°-,  L.  10,  Cod.;  38,  §  1,  D.  mand. 

En  outre,  la  convention  tenant  lieu  de  loi,  il  est  clair  que 
le  recours  doit  être  ouvert  lorsqu'il  a  été,  expressément  ou 
tacitement,  convenu  que  la  caution  ne  demeurerait  pas  obligée 
au  delà  d'un  certain  temps,  et  que  ce  temps  est  arrivé  (art. 
2032-3°  et  4°-,  L.  10,  Cod  ,  mand.). 

Il  y  a  convention  expresse,  lorsque  le  débiteur  s'est  for- 
mellement obligé  a  rapporter  la  décharge  au  bout  d'un  cer- 
tain temps.  V.  art.  2032-3°. 

Il  y  a  convention  tacite,  par  cela  seul  que  la  dette  prin- 


284  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

cipale  a  été  contractée  à  terme;  car  la  caution  doit  avoir 
entendu  qu'elle  ne  demeurerait  pas  obligée  au  delà  de  ce 
terme.  V.  art.  2032-4°. 

Enfin,  en  l'absence  même  de  toute  convention,  on  ne  sup- 
pose pas  que  la  caution  ait  voulu  demeurer  indéfiniment 
obligée  :  ainsi,  après  un  long  espace  de  temps,  le  recours 
doit  lui  être  ouvert  (L.  38,  §  1,  D.  mand.);  le  Code  fixe  à 
dix  ans  ce  long  espace  de  temps.  Mais  bien  entendu  que 
cette  règle  ne  s'applique  qu'au  cas  où  l'obligation  principale 
n'avait  pas  de  terme  fixe  d'échéance;  car  la  caution  serait 
toujours  censée  avoir  consenti  à  s'obliger  jusqu'à  l'échéance. 
Par  la  même  raison,  la  règle  cesse  encore  lorsque,  indépen- 
damment de  tout  terme  stipulé,  l'obligation  principale  est  de 
nature  a  ne  pouvoir  être  éteinte  avant  un  temps  déterminé. 
V.  an.  2032-5°. 

265  bis.  I.  Si  la  caution  peut  agir  quelquefois  avant  d'avoir  payé, 
c'est  la  conséquence  du  mandat  ou  de  la  gestion  d'affaires  qui  a 
été  le  point  de  départ  du  contrat  de  cautionnement.  La  caution  n'a 
pas  entendu  s'obliger  à  titre  principal,  le  débiteur  devait  payer. 
Il  doit  donc  non-seulement  l'indemniser  quand  elle  a  souffert  un 
préjudice  comme  lorsqu'elle  a  elle-même  acquitté  l'obligation  ou 
lorsqu'elle  a  été  saisie,  mais  encore  il  doit  la  protéger  contre 
toute  inquiétude,  contre  tout  danger  imminent.  Le  paragraphe  4 
de  notre  article  ne  laisse  pas  de  doute  sur  cette  obligation  du  débi- 
teur, puisqu'il  le  considère  comme  obligé  envers  la  caution  unique- 
ment parce  que  la  dette  est  échue.  Certes  la  caution  n'a  rien  encore 
déboursé,  elle  n'est  pas  poursuivie,  mais  le  terme  étant  arrivé,  elle 
peut  craindre  les  exigences  du  créancier,  il  y  a  pour  elle  péril 
imminent,  et  contre  cette  éventualité  elle  a  droit  à  une  protection. 

265  bis.  II.  L'action  qui  lui  appartient  en  pareil  cas  est  nommée 
par  Pothier  action  en  indemnité,  et  le  Gode  s'approprie  cette  manière 
de  parler  quand  il  écrit  :  la  caution  peut  agir  contre  le  débiteur 
pour  être  par  lui  indemnisée.  Cette  expression  est  certainement 
détournée  de  son  sens  habituel,  puisqu'on  entend  ordinairement 
par  indemnité  la  réparation  d'un  dommage  éprouvé,  tandis  que  nous 
songeons  ici  à  un  dommage  futur  et  incertain  (damnum  in/ectum). 
Le  tidéjusseur  demande  une  protection  contre  ce  dommage  possi- 


TIT.    XIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    ART.    2032.  285 

ble,  il  agit  préventivement,  ce  qu'il  demande  en  réalité,  c'est  d'être 
libéré  de  son  obligation,  il  veut  que  le  débiteur  trouve  un  moyen 
de  le  dégager  et  de  le  soustraire  par  là  au  péril  des  poursuites 

futures. 

L'indemnité  que  le  débiteur  doit  procurer  à  la  caution  consiste  à 
prendre  des  mesures  pour  que  le  fidéjusseur  soit  sur  d'être  in- 
demne, c'est-à-dire  de  ne  pas  subir  un  dommage.  Ce  résultat  sera 
obtenu  si  le  débiteur  paye,  ou  bien  s'il  obtient  conventionuellement 
du  créancier  la  libération  de  la  caution,  enfin  s'il  dépose  les  fonds 
nécessaires  au  paiement  à  la  caisse  des  consignations.  Il  ne  peut 
être  question  de  lui  imposer  le  dépôt  de  ces  fonds  entre  les  mains 
de  la  caution,  car  il  pourrait  arriver,  si  la  caution  devient  insol- 
vable, sans  avoir  payé,  que  le  débiteur  se  trouvât  contraint  à  faire 
un  double  déboursé. 

26o  bis.  III.  L'article  énumère  cinq  cas  dans  lesquels  la  caution 
peut  agir  contre  le  débiteur  principal,  bien  qu'elle  n'ait  pas  payé. 
Dans  le  1er  cas  le  danger  est  évident  et  imminent. 

Dans  le  2e  cas  on  comprend  bien  que  la  caution,  quoiqu'elle  n'ait 
pas  perdu  le  bénéfice  du  terme  à  raison  de  la  faillite  ou  de  la  décon- 
fiture du  débiteur,  ait  intérêt  à  agir,  puisque  son  recours  pour  le 
cas  où  elle  paierait  est  singulièrement  compromis  par  la  situation 
notoire  du  débiteur  principal.  Mais  ce  qui  n'apparaît  pas  aussi  faci- 
lement, c'est  ce  que  la  caution  pourra  obtenir  par  son  action  en 
indemnité.  Elle  ne  saurait  en  effet,  sous  prétexte  d'assurer  sa  créance 
éventuelle  contre  le  débiteur,  se  présenter  à  la  répartition   des 
valeurs  appartenant  au  débiteur  failli  ou  en  déconfiture  concurrem- 
ment avec  le  créancier;  celui-ci  demande  probablement  son  paie- 
ment,  il  est  colloque  pour  un  dividende,  et  si  la  caution  était 
également  colloquée,  le  même  créancier  serait  compris  deux  fois 
dans  les  répartitions  au  grand  détriment  des  autres  créanciers. 
Tout  ce  que  la  loi  a  voulu  dire,  c'est  que  la  caution,  si  le  créan- 
cier ne  se   présente  pas  aux   répartitions,  pourra  se  présenter 
elle-même  et  être  colloquée,  sauf  évidemment  à  ne  pas  toucher 
le  montant  de  cette  collocation  tant  que  le  créancier  n'est  pas  payé. 
N'oublions  pas,  en  effet,  que  l'action  de  la  caution  a  pour  but  non 
de  lui  faire  toucher  une  somme  d'argent,  mais  de  lui  procurer 
autant  que  possible  une  assurance  contre  l'attaque  future  que  le 
créancier  dirigera  contre  elle.  Elle  est  garantie  suffisamment  par 
le  dépôt  à  la  caisse  des  consignations,  et  elle  n'a  pas  plus  qu'elle 


286  COUKS    ANALYTIQUE    DE    CODK    CIVIL.     LIV.    III. 

ne  doit  avoir,  puisqu'elle  ne  touche  pas  le  montant  de  sa  collocation. 
Il  est  clair,  du  reste,  qu'elle  n'est  pas  complètement  assurée  contre 
les  poursuites,  mais  cela  tient  à  la  faillite  ou  à  la  déconfiture  du 
débiteur  contre  qui,  exerçant  une  action  pour  obtenir  une  somme 
qui  la  garantisse  complètement,  elle  ne  peut  effectivement  pré- 
tendre à  autre  chose  qu'à  un  dividende. 

265  bis.  IV.  Le  danger,  dans  le  3e  cas  prévu,  n'est  peut-être  pas 
aussi  grave  que  dans  les  deux  premiers,  car  le  créancier  n'agit  pas 
et  le  débiteur  est  solvable,  mais  il  y  a  une  promesse  spéciale  sur 
ce  point,  le  débiteur  a  promis  que  le  fîdéjusseur  serait  libéré  à  une 
certaine  époque.  Cet  engagement  a  engendré  une  obligation  de 
faire  dont  l'exécution  peut  être  exigée. 

263  bis.  V.  La  quatrième  hypothèse  se  rapproche  de  la  précé- 
dente, l'engagement  de  libérer  à  une  certaine  époque  n'a  pas  été 
contracté  expressément,  mais  tacitement,  car  on  peut  facilement 
supposer,  la  dette  principale  étant  à  terme,  que  le  débiteur  a 
manifesté  l'intention  de  payer  au  terme  et  que  la  caution  a  entendu 
qu'il  en  serait  ainsi. 

Nous  verrons  du  reste,  à  l'article  2039,  que  la  volonté  du  créancier 
qui  donnerait  un  nouveau  délai  ne  détruirait  pas  le  droit  qu'a  la 
caution  d'être  libérée  à  l'époque  fixée  par  la  convention  première. 

265  bis.  VI.  Le  5e  paragraphe  de  l'article  suppose  que  l'obligation 
n'a  pas  de  terme  fixe  d'échéance.  Elle  résulte  par  exemple  d'un 
prêt  sans  terme,  le  créancier,  par  conséquent,  ne  peut  pas  inquiéter 
le  débiteur.  Quant  à  la  caution,  il  est  difficile  d'admettre  qu'elle  ait 
consenti  à  rester  liée  à  l'obligation  d'autrui  pendant  un  temps 
indéfini.  On  peut  bien  présumer  qu'il  est  intervenu  une  convention 
tacite  entre  elle  et  le  débiteur,  par  laquelle  celui-ci  s'est  engagé  à 
lui  procurer  sa  libération  après  un  certain  temps.  Par  là,  notre 
5e  paragraphe  se  rattache  au  précédent  et  se  présente  comme  une 
conséquence  du  troisième.  La  loi  fixe  à  dix  ans  le  terme  que  le  dé- 
biteur et  le  fîdéjusseur  ont  dû  assigner  à  l'engagement  de  celui-ci. 

265  bis.  VIL  Nous  javons  présenté  comme  exemple  du  fait  prévu 
par  l'article  2132,  5%  le  cas  d'un  prêt  sans  terme,  nous  pouvons 
assimiler  à  cette  espèce  celle  où  l'obligation  principale  serait  l'obli- 
gation d'un  débiteur  de  rente  perpétuelle.  On  discutait  autrefois 
sur  ce  point,  mais  Pothier  concluait,  en  s'appuyant  sur  la  pratique, 
à  l'application  du  principe  au  cas  de  rente,  parce  que,  bien  que  la 
rente  soit  perpétuelle  et  que  le  débiteur,  dans  ses  rapports  avec  le 


TIT.  XIV.  DU  CAUTIONNEMENT.  ART.  2032,  2033.   287 

créancier,  ne  soit  jamais  tenu  au  remboursement  du  capital,  on 
peut  bien  admettre,  puisqu'il  a  toujours  la  faculté  de  racheter,  qu'il 
s'est  engagé  envers  la  caution  à  en  user  dans  un  certain  délai 
pour  la  libérer  (1). 

265  bis.  VIII.  L'obligation  principale  a  peut-être  une  durée  défi- 
nie, elle  ne  peut  pas  s'éteindre  avant  un  certain  temps,  mais  elle 
doit  s'éteindre  à  cette  époque;  alors  la  caution  n'est  pas  obligée  in 
perpetuum,  et  par  conséquent  il  n'y  a  pas  de  raison  pour  venir  à 
son  secours  par  la  détermination  arbitraire  d'un  délai  comme  le 
délai  de  dix  ans.  Secondement,  elle  est  dans  la  position  d'une  caution 
qui  a  cautionné  une  obligation  dont  le  terme  est  supérieur  à  dix  ans 
et  qui  a  accepté  ainsi  d'être  liée  pendant  quinze  ou  vingt  ans. 
Enfin,  l'obligation  principale  ne  pouvant  pas  être  exécutée  par  le 
débiteur  avant  l'époque  fixée,  il  serait  impossible  à  ce  débiteur  de 
procurer  à  la  caution  sa  libération.  Voilà  les  raisons  de  l'exception 
que  l'article  2132  5°  fait  à  la  règle  qu'il  a  d'abord  posée. 

Cette  exception  embrasse,  par  exemple,  le  cas  du  cautionnement 
d'une  tutelle.  Cas  rare  de  nos  jours,  puisque  la  loi  n'impose  pas 
aux  tuteurs  l'obligation  de  donner  caution;  on  peut  toutefois  sup- 
poser que  le  tuteur  a  consenti  à  fournir  cette  garantie.  La  tutelle  a 
une  fin  naturelle,  c'est  la  majorité  du  mineur,  de  plus  elle  ne  peut 
pas  finir  plus  tôt  par  la  volonté  du  débiteur,  par  conséquent  il  serait 
injuste  de  donner  à  la  caution  le  droit  de  demander  que  le  tuteur 
lui  procure  sa  libération. 

Nous  dirons  la  même  chose  de  la  caution  du  débiteur  dune  rente 
viagère,  de  celle  d'un  usufruitier,  d'un  mari  pour  la  restitution  de 
la  dot.  Enfin  on  appliquera  la  règle  de  l'article  2032  in  fine  à  la 
caution  du  débiteur  d'une  rente  qu'on  aura  déclarée  irrachetable 
pendant  un  temps  qui  peut  être  de  trente  ans  au  plus,  d'après  l'ar- 
ticle 5*30  du  Code  civil. 

SECTION  III. 

De  l'effet  du  cautionnement  entre  les  cofidéjusseurs. 

266.  Le  cautionnement  de  la  même  dette  par  plusieurs  ne 
constitue  immédiatement  entre  les  cofidéjusseurs  ni  contrat 

(!)  V.  Pothier,  Obligations,  n°  443. 


288  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

ni  quasi-contrat-,  mais  l'acquittement  par  un  seul  de  la  dette 
dont  ils  étaient  tous  tenus,  forme,  dans  notre  droit,  une  sorte 
de  quasi -contrat,  reposant  sur  le  principe  d'équité  qui  ne 
permet  a  personne  de  s'enrichir  aux  dépens  d'autrui.  De  ce 
quasi-contrat  naît  une  action  en  recours,  dont  chaque  caution 
est  naturellement  tenue  pour  sa  part. 

Ce  recours  de  la  caution  contre  ses  cofidéjusseurs  n'étant 
fondé  que  sur  l'avantage  qu'elle  leur  a  procuré  a  ses  dépens, 
il  faut,  pour  y  donner  lieu,  non-seulement  qu'il  y  ait  eu  paie- 
ment, mais  que  ce  paiement  ait  été  fait  en  temps  opportun. 
Le  paiement,  au  reste,  est  censé  fait  en  temps  opportun, 
lorsque  la  caution  était  poursuivie,  ou  lorsque,  ayant  juste 
sujet  de  prétendre  à  sa  décharge,  elle  a  pu,  si  le  débiteur  ne 
la  lui  fournissait  pas,  chercher  a  se  la  procurer  en  payant;  ce 
qui  comprend  exclusivement  les  cas  où  nous  avons  vu  la 
caution  autorisée  par  la  loi  à  agir  contre  le  débiteur  avant 
d'avoir  payé.  V.  art.  2033,  et  à  ce  sujet,  art.  1214-,  voyez,  au 
surplus,  art.  1251-3»  et  1252. 

266  bis.  I.  Nous  avons  jusqu'ici  supposé  une  caution  unique 
garantissant  la  dette  principale.  Les  rapports  se  compliquent  quand 
il  y  en  a  plusieurs.  Existe-t-il  entre  elles  un  lien  de  droit  qui  les 
associe  en  quelque  sorte  à  une  affaire  commune  qui  serait  le  paie- 
ment de  la  dette?  Le  droit  romain  n'admettait  pas  l'existence  de 
ce  lien  entre  personnes  qui  n'avaient  pas  contracté  les  unes  avec 
les  autres,  et  qui  n'étaient  même  pas  dans  les  rapports  de  nego- 
tiorum  gestor  et  de  dominus,  quand  l'une  d'elles  avait  payé  la  dette, 
parce  que  celle-ci  avait  agi  pour  elle  à  raison  de  l'obligation  dont 
elle  était  tenue  et  non  pas  pour  l'autre  fidéjusseur.  Ils  donnaient 
seulement  au  fidéjusseur  qui  payait  le  droit  de  se  faire  céder  les 
actions  du  créancier,  et  par  suite  de  la  cession  il  avait  action  contre 
ses  cofidéjusseurs. 

Pothier  constate  que  dans  l'ancien  droit  le  fidéjusseur  qui  a  payé 
a  un  recours  contre  ses  cofidéjusseurs,  et  il  fonde  ce  recours  sur 
l'équité  qui  ne  permet  pas  que  ceux  qui  étaient  tenus  comme  lui 
de  la  dette  profitent  à  ses  dépens  du  paiement  qu'il  en  a  fait.  C'est, 
dit-il,  la  même  raison  d'équité  qui  a  fait  admettre  le  bénéfice  de 
division,  et  qui,  une  fois  la  dette  payée,  sera  la  cause  d'un  recours. 


TIT.    XIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    ART.    2033.  289 

alors  même  que  la  caution  n'aurait  pas  eu  droit  au  bénéfice  de 
division  (1). 

266  bis.  II.  Le  Code  civil  admet  certainement  la  doctrine  de 
Pothier,  puisqu'il  établit  nettement  le  droit  de  recours  de  la  caution 
qui  a  payé  contre  les  autres.  D'un  autre  côté,  il  a  reconnu  dans  les 
articles  12ol-3°  et  1252  que  la  subrogation  légale  existe  en  faveur 
des  cautions  contre  leurs  cofidéjusseurs.  Or,  l'article  2033  est  abso- 
lument indépendant  de  l'article  1251,  il  ne  le  rappelle  pas  dans  ses 
termes,  il  laisse  de  côté  les  effets  spéciaux  de  la  subrogation,  par 
conséquent  il  n'est  pas  une  pure  application  de  cet  article,  il  con- 
sacre un  droit  distinct  de  celui  qui  résulte  de  la  subrogation.  Nous 
avons  donc  ici,  comme  sur  l'article  2028,  à  distinguer  deux  actions, 
l'une  qui  est  l'action  ncgotiorum  gestorum  utilis,  dont  parle  Pothier, 
l'autre  l'action  du  créancier  qui  passe  par  la  subrogation  légale  au 
fidéjusseur  comme  elle  lui  passait  en  droit  romain  par  la  cession 
d'actions. 

266  bis.  III.  Parlons  d'abord  de  l'action  qui  résulte  du  texte  de 
l'article  2033.  Elle  ne  peut  être  intentée  que  dans  les  cinq  cas 
prévus  par  l'article  2032,  c'est-à-dire  quand  la  caution  qui  a  payé 
a  eu  juste  sujet  d'acquitter  l'obligation.  La  loi  qui  lui  donne  une 
action  fondée  sur  l'équité  ne  veut  pas  qu'elle  puisse,  par  sa  préci- 
pitation, hâter  le  moment  où  les  autres  cautions  auraient  été 
obligées  de  payer  à  la  requête  du  créancier.  La  juste  cause  du 
paiement  n'est  pas  la  même  dans  les  diverses  hypothèses,  et  il 
nous  faut  les  examiner  successivement  pour  apprécier  le  motif 
spécial  qui  a  déterminé  dans  chaque  cas  les  décisions  du  législateur. 

266  bis.  IV.  Dans  le  1"  cas,  la  chose  est  claire,  le  fidéjusseur 
était  poursuivi,  il  ne  pouvait  pas  éviter  de  payer.  Dans  le  4e,  quand 
la  dette  est  échue,  il  est  exposé  à  des  poursuites,  et  l'on  comprend 
qu'il  les  prévienne  pour  ne  pas  se  trouver  dépendant  du  caprice  du 
créancier.  Dans  le  2%  on  ne  suppose  pas  qu'il  soit  poursuivi,  mais 
les  poursuites  sont  imminentes,  et  dans  tous  les  cas  il  agit  au  mieux 
des  intérêts  de  tous  les  liJéjusseur»,  car  il  paie  pour  produire  à  la 
faillite  et  diminuer,  en  recevant  un  dividende,  le  chiffre  de  la  dette 
à  répartir  entre  eux.  Dans  la  3*  et  dans  la  5*  hypothèse,  la  raison  de 
la  loi  apparaît  moins  facilement;  car  ces  deux  dispositions  tiennent 
compte  d'un  engagement  exprès  ou  tacite  qu'a  pris  le  débiteur  de 

(1)  V.  Pothier,  Obligation,  n°  445. 

vm.  19 


2:90  COURS   ANALYTIQUE   DE   CODE   CIVIL.    L1V.    III. 

dégager  la  caution  après  un  certain  temps.  On  comprend  qu'il 
en  résulte  pour  la  caution  le  droit  de  poursuivre  le  débiteur  pour 
qu'il  lui  procure  sa  libération,  on  comprend  aussi  qu'il  se  libère  en 
payant  et  qu'il  ait  action  contre  le  débiteur;  mais  dans  ses  rapports 
avec  les  cofidéjusseurs,  il  est  plus  difficile  d'expliquer  comment  le 
paiement  d'une  dette  qui  n'est  pas  exigible  peut  lui  donner  une 
action  contre  eux  en  vertu  d'une  convention  à  laquelle  ils  sont 
étrangers.  Le  texte,  pourtant,  est  formel,  et  il  nous  paraît  qu'en  ne 
distinguant  pas  entre  ces  deux  hypothèses  et  les  trois  autres,  le 
Code  s'est  tout  particulièrement  occupé  de  chercher  si  la  caution 
qui  payait  avait  eu  une  cause  légitime  de  payer,  au  lieu  d'envisager 
si  le  paiement  qu'elle  faisait  profitait  aux  autres  cautions,  ce  qui 
était  cependant  le  point  principal  à  considérer,  puisqu'on  réglait 
les  conditions  d'un  recours  exclusivement  fondé  sur  l'équité. 

266  bis.  V.  Nous  venons  de  parler  du  recours  fondé  sur  l'article 
2033.  Si  la  caution  qui  a  payé  agit  en  vertu  de  la  subrogation  légale, 
elle  aura  quelques  avantages  que  ne  lui  procure  pas  cet  article,  elle 
pourra  notamment  poursuivre  le  certificateur  qui  a  cautionné  un 
de  ses  cofidéjusseurs,  bien  que  T'article  2033  ne  lui  donne  pas 
action  contre  lui,  puisque  le  certificateur  n'est  pas  caution  de  la 
dette  que  cautionne  celui  dont  nous  nous  occupons.  Son  action  sera 
garantie  par  une  hypothèque  impliquant  droit  de  préférence  et 
droit  de  suite,  si  l'un  de  ses  cofidéjusseurs  a  donné  une  hypothèque 
pour  garantir  l'obligation  qu'il  contractait  comme  fidéjusseur.  Elle 
pourra  demander  des  intérêts  si  la  créance  principale  était  produc- 
tive d'intérêts.  Elle  aura  un  titre  exécutoire  si  le  titre  du  créancier 
avait  cette  qualité,  tandis  que  sa  créance  de  recours  fondée  sur 
l'article  2033  ne  produirait  pas  d'intérêts,  puisqu'elle  n'a  pas  pour 
base  un  contrat  de  mandat  et  qu'elle  ne  peut  être  exécutoire  comme 
l'ancienne  créance,  puisque  c'est  une  créance  nouvelle. 

266  bis.  VI.  Voilà  les  principaux  avantages  que  la  caution  trou- 
vera dans  l'action  fondée  sur  l'article  1251.  Cette  action  aura 
pourtant  quelques  désavantages;  ainsi  elle  se  prescrira  plus  vite  que 
l'action  propre  qui  résulte  de  l'article  2033.  Celle-ci,  action  nou- 
velle née  du  fait  du  paiement,  ne  sera  prescrite  que  par  trente  ans 
à  partir  de  ce  paiement;  l'autre,  action  du  créancier  passant  au 
fidéjusseur  par  une  sorte  de  cession  tacite,  sera  prescrite  à  l'expi- 
ration du  délai  qui  appartenait  encore  à  ce  créancier  pour  l'exercer 
utilement. 


TIT.    XIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    ART.    2033.  291 

266  bis.  VII.  On  voit  que  quelquefois  la  caution  qui  a  payé  aura 
intérêt  à  s'appuyer  sur  l'article  1251  plutôt  que  sur  l'article  2033, 
mais  alors  elle  ne  pourra  pas  bénéficier  des  dispositions  spéciales 
de  ce  dernier  article.  Ainsi,  que  la  dette  principale  soit  échue,  que 
la  caution  ait  été  poursuivie  en  justice,  que  le  débiteur  ait  fait 
faillite  ou  soit  en  déconfiture,  peu  importera  si  la  caution  conire 
laquelle  il  s'agit  de  diriger  des  poursuites  a  stipulé  un  terme 
plus  long  que  celui  qui  est  accordé  au  débiteur  principal,  et  si  le 
terme  n'est  pas  arrivé,  ou  si  elle  est  engagée  sous  une  condition 
qui  ne  s'est  pas  encore  réalisée.  De  même,  quand  la  caution  qui 
poursuit  son  cofidéjusseur  s'appuie  sur  ce  qu'elle  avait  stipulé 
qu'on  lui  apporterait  sa  décharge,  ou  ce  qui  revient  au  même,  si 
elle  agit  au  bout  de  dix  ans,  parce  que  l'obligation  n'avait  pas  de 
terme  fixe,  elle  ne  peut  pas  invoquer  la  subrogation  et  bénéficier 
des  droits  spéciaux  qui  en  découlent,  puisqu'elle  ne  saurait  avoir 
plus  de  droit  que  le  créancier  auquel  elle  se  prétend  substituée,  et 
que  le  créancier  ne  pouvait  pas  agir  contre  une  caution  avant  le 
terme  ou  avant  la  condition  qu'elle  avait  assignée  à  son  engagement. 
Nous  avons  en  effet  constaté  que  les  différentes  cautions  pouvaient 
être  engagées  sous  des  modalités  diverses,  d'où  il  résulte  que  le 
créancier  n'a  pas  toujours  le  droit  de  les  poursuivre  toutes  au 
même  moment.  Le  cofidéjusseur  subrogé  n'aurait  pas  plus  de  droit 
que  lui. 

266  bis.  VIII.  Notre  doctrine  sur  l'article  2033  se  résume  donc  en 
ceci  :  quand  la  caution  qui  a  payé  agit  contre  ses  cofidéjusseurs 
par  une  simple  action  negotiorum  gestorum  utilis,  elle  peut  intenter 
son  action  dans  les  cinq  hypothèses  prévues  par  l'article  2033  : 
mais  quand  elle  veut  invoquer  contre  son  cofidéjusseur  ou  contre 
un  tiers,  comme  un  eerlifuateur  ou  un  tiers  détenteur  d'immeuble 
hypothéqué,  la  subrogation  légale  résultant  de  l'article  1251,  les 
dispositions  un  peu  exceptionnelles  et  arbitraires  des  articles 
2033  et  2032  ne  sont  pas  applicables,  et  la  caution  qui  a  payé  ne 
peut  agir  que  tout  et  autant  que  le  créancier  aurait  pu  agir  lui- 
même. 

266  bis.  IX.  Dans  toutes  les  hypothèses  que  nous  avons  exami- 
nées et  qui  sont  réglées  soit  par  l'article  2033,  soit  par  l'article 
1251,1a  caution  agit  parce  qu'elle  a  payé.  N'aurait-elle  pas  quelques 
droits  contre  ses  cofidéjusseurs  avant  même  d'avoir  payé?  Ce  ne 
peuvent  pas  être  les  droits  fondés  sur  la  subrogation,  puisque  la 

19. 


292  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

subrogation  suppose  nécessairement  la  préexistence  d'un  paiement. 
Mais  ce  pourrait  être  en  vertu  de  l'article  2033  que  la  cau- 
tion agirait  contre  ses  cofidéjusseurs.  Il  résulte  en  effet  de  cet 
article  que  les  cofidéjusseurs  se  doivent  mutuellement  une  sorte  de 
garantie  quand  ils  ont  payé  la  dette  commune,  donc  le  fidéjusseur 
poursuivi  par  le  créancier  a  intérêt  à  appeler  en  cause  ses  cofidé- 
jusseurs non  pas  pour  faire  diviser  entre  eux  l'action  s'il  n'a  pas 
droit  au  bénéfice  de  division,  mais  pour  faire  déclarer  commun 
entre  eux  et  lui  le  jugement  qui  le  condamnera  au  tout  envers  le 
créancier,  ce  qui  lui  assurera  un  recours  contre  lequel  les  autres 
cautions  ne  pourraient  pas  alléguer  qu'il  a  eu  tort  de  payer  (art. 
1640). 

266  bis.  X.  Nous  avons  une  dernière  observation  à  faire.  Dans  le 
cas  même  où  la  caution  qui  a  payé  s'appuie  sur  la  subrogation,  elle 
ne  peut  demander  à  chacun  des  cofidéjusseurs  que  sa  part  de  la 
dette,  bien  que  le  créancier  ait  eu  le  droit  de  demander  à  chacun 
le  tout.  Cette  solution  nous  est  imposée  par  celle  que  la  loi  a 
donnée  au  cas  de  solidarité  (art.  1214),  et  elle  doit  être  complétée 
par  une  décision  semblable  à  celle  du  môme  article  1214,  deuxième 
alinéa,  pour  le  cas  où  parmi  les  cofidéjusseurs  il  en  existerait  un 
ou  plusieurs  qui  seraient  insolvables. 


CHAPITRE  III. 

DE    L'EXTINCTION    DU    CAUTIONNEMENT. 

267.  Il  n'y  a  nulle  raison  pour  ne  pas  appliquer,  eu  géné- 
ral, à  l'obligation  qui  résulte  du  cautionnement,  les  causes 
ordinaires  d'extinction.  V.  ait.  2031,  et  à  ce  sujet,  art.  1234. 
Toutefois  cette  proposition  se  modifie  dans  son  application  à 
la  perte  de  la  chose  due  et  a  la  prescription,  par  suite  du 
principe  qui  rend  la  caution  responsable  du  fait  du  débiteur 
(v.  Paul.,  L.  58,  §  I,  D.  de  fidej.;  C.  civ.,  art.  2250; 
v.  aussi  art.  1205  et  1206). 

267  bis.  I.  L'obligation  de  la  caution  s'éteint  quelquefois  direc- 
tement, c'est-à-dire  en  vertu  d'un  fait  accompli  par  la  caution, 


TIT.  XIV.  DU  CAUTIONNEMENT.  ART.  2033,  2034.   293 

quelquefois  indirectement,  par  contre-coup  de  l'extinction  de  l'obli- 
gation principale. 

C'est  des  causes  directes  d'extinction  du  cautionnement  que  parle 
l'article  2034,  qui  contient  une  sorte  de  renvoi  à  l'article  1234.  Il 
faut  donc  reprendre  l'énumération  contenue  dans  ce  dernier  article 
et  voir  l'influence  qu'exerceront  sur  le  cautionnement  les  divers 
événements  qu'il  prévoit. 

Le  paiement,  nous  parlons  de  celui  qui  est  elîectué  par  la  caution, 
la  litière  certainement,  il  libère  aussi  le  débiteur  principal,  mais 
par  rapport  à  la  caution  il  produit  un  effet  direct. 

267  bis.  IL  La  novation  opérée  par  la  volonté  de  la  caution  peut 
porter  sur  le  cautionnement  et  non  sur  la  dette  elle-même.  S'il  s'agit 
de  nover  le  cautionnement,  ce  peut  être  une  substitution  d'un 
débiteur  à  un  autre,  c'est-à-dire  d'une  caution  à  une  autre,  certai- 
nement l'ancienne  caution  se  trouvera  dégagée.  Si  l'on  a  changé 
quelque  chose  à  l'obligation  de  la  caution,  par  exemple  une  condi- 
tion, elle  est  dégagée  de  l'obligation  précédente  et  n'est  plus  cau- 
tion que  dans  les  termes  de  son  nouvel  engagement.  Si  l'objet  de 
la  dette  de  la  caution  a  été  changé,  l'ancienne  obligation  cessera 
également  d'exister,  et  quant  à  la  nouvelle,  elle  sera  valable  dans 
les  termes  où  nous  avons  plus  haut  validé  le  cautionnement  par 
lequel  le  fidéjusseur  promet  autre  chose  que  la  chose  due  par  le 
débiteur  principal. 

Pour  la  novation  du  cautionnement  par  le  changement  de  créan- 
cier, elle  n'est  pas  possible  tant  que  la  créance  principale  ne  subit 
pas  la  même  tranformation,  car  la  créance  née  de  la  fidéjussion 
n'a  plus  de  cause  quand  elle  existe  en  fa\eur  d'une  personne  qui 
n'est  pas  créancière  de  la  dette  qu'il  s'agit  de  garantir. 

267  bis.  III.  La  remise  volontaire  peut  être  faite  par  une  con- 
vention entre  le  créancier  et  la  caution,  et  alors  elle  éteint  l'obliga- 
tion accessoire  en  laissant  subsister  l'obligation  principale  (art. 
1287). 

La  compensation  peut  produire  des  effets  entre  la  caution  et  le 
créancier  quand  celui-ci  est  devenu  débiteur  de  celle-là.  Mais  elle 
n'aura  pas  lieu  de  plein  droit  aussitôt  que  deux  dettes,  réunis- 
sant les  conditions  de  la  compensation  légale,  coexisteront  en  sens 
inverse  (art.  1294-2*).  Si  cette  extinction  réciproque  des  deux 
dettes  se  produisait,  la  caution  se  trouverait  forcée  de  faire  ainsi 
en  quelque  sorte  l'avance  de  la  somme  due  et  en  serait  réduite  à  un 


294  COURS  ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

recours  contre  le  débiteur,  tandis  qu'elle  ue  doit,  dans  l'ordre  nor- 
mal des  faits,  être  tenue  de  payer  qu'autant  que  le  débiteur  ne 
paie  pas(l).  La  caution  poursuivie  pourrait  cependant  se  prévaloir 
de  la  compensation  pour  ne  pas  payer,  et  alors  la  compensation, 
opérant  comme  un  paiement,  libérerait  le  débiteur,  qui  serait  exposé 
au  même  recours  que  si  la  caution  avait  payé. 

267  bis.  IV.  Les  effets  de  la  confusion  sont  réglés  par  l'article 
2035,  nous  les  étudierons  sur  le  n°  268. 

La  perte  de  la  cbose  due  est  un  événement  qui  n'éteint  l'obliga- 
tion qu'autant  qu'il  est  fortuit,  par  conséquent  nous  n'avons  pas  à 
nous  en  occuper  quand  nous  traitons  de  l'effet  des  actes  extinctifs 
d'obligation  accomplis  par  la  caution. 

267  bis.  V.  On  pourrait  doctrinalement  concevoir  une  prescription 
spéciale  du  cautionnement  qui  aurait  ses  conditions  propres,  par 
exemple  qui  s'accomplirait  par  des  délais  dont  le  point  de  départ  ne 
serait  pas  le  même  que  celui  du  délai  par  lequel  se  prescrirait  la 
dette  principale.  Cependant,  l'article  2250  établit  une  grande  con- 
nexité  entre  la  prescription  de  la  dette  principale  et  celle  de  la  dette 
accessoire,  puisque  l'interruption  qui  se  produit  quant  à  la  dette 
principale  a  des  effets  par  rapport  à  la  dette  accessoire,  et  que 
l'interruption  qui  aurait  eu  lieu  dans  les  rapports  avec  la  caution 
ne  saurait  constituer  cette  caution  débitrice  alors  que  le  débiteur 
principal  aurait  cessé  de  l'être. 

267  bis.  VI.  Nous  remarquerons  cependant  que  le  lien  intime 
établi  entre  les  deux  prescriptions  ne  constitue  pas  leur  unification; 
car  ce  que  la  loi  dit  des  causes  d'interruption,  elle  ne  le  dit  pas  des 
causes  de  suspension,  et  par  conséquent  on  pourrait  concevoir  que 
la  prescription  ne  fût  pas  suspendue  par  rapport  à  la  caution,  bien 
qu'elle  le  fût  par  rapport  au  débiteur.  Ceci,  du  reste,  sera  rare,  et 
l'espèce  que  nous  avons  en  vue  demande  à  être  soigneusement 
précisée  dans  ses  détails. 

Nous  songeons  à  une  application  de  l'article  2253.  Un  mari  est 
créancier  de  sa  femme,  et  la  dette  est  garantie  par  un  cautionne- 
ment; la  prescription  ne  courant  point  entre  époux,  la  femme  débi- 
trice principale  ne  prescrit  pas  la  dette,  tant  que  dure  le  mariage, 
mais  la  prescription  courra  en  faveur  du  tiers  fidéjusseur. 

267  bis.  VII.  Nous  avons  avec  intention  supposé  que  le  créancier 

(1)  V.  t.  V,  n»246  bit.  II. 


TIT.    XiV.    DU    CAUTIONiVEMENT.    ART.    2034,    2035        295 

était  !e  mari  ;  si  nous  renversions  l'hypothèse,  et  si  la  femme  était 
créancière  de  son  mari,  notre  solution  ne  devrait  plus  être  la  même; 
la  prescription  serait  suspendue  même  par  rapport  à  la  caution, 
ce  ne  serait  pas  en  vertu  de  l'article  2253  maison  vertu  de  l'article 
22ofi-2°.  Si,  en  effet,  la  femme  poursuivait  la  caution,  celle-ci  action- 
nerait le  mari  en  garantie  ou  en  recours,  donc  l'action  de  la  femme 
refléchirait  contre  le  mari,  et  c'est  un  cas  où  la  prescription  est 
suspendue. 

Enfin,  il  est  certain  que  la  nullité  ou  la  rescision  du  contrat  de 
cautionnement  éteindra  l'obligation  de  la  caution,  comme  aussi 
l'arrivée  de  la  condition  résolutoire  ou  du  terme  extinctif  qui. aura 
affecté  son  engagement. 

268.  Au  nombre  des  manières  d'éteindre  les  obligations, 
se  trouve  la  confusion,  qui  recevrait  ici  son  application  ordi- 
naire, si  elle  s'opérait  entre  le  créancier  et  la  caution  ^  mais  les 
Romains  reconnaissaienten  outre,  comme  manière  d'éteindre 
l'obligation  qui  résulte  du  cautionnement,  une  autre  espèce 
de  confusion,  celle  qui  s'opérerait  entre  le  débiteur  et  la  cau- 
tion devenus  héritiers  l'un  de  l'autre  (v.  Scœv  ,L.  93,  §  2  et 
3,  D.  de  sol.  ;  v.  pourtant  Papin.,  L.  V»5,  §  3,  eocL;  L.  3,  D. 
de  separ.);  et  de  là  ils  tiraient  la  conséquence,  que  cette 
confusion  éteindrait,  sinon  tous  les  accessoires  particuliers  à 
l'obligation  du  fidéjusseur,  au  moins  l'obligation  accessoire 
d'un  sous- fidéjusseur  (v.  Afr.,  L.  38,  §  5,  D.  de  sol.).  Cette 
décision,  plus  subtile  qu'équitable,  est  avec  raison  rejelée  par 
le  Code.  V.  art.  2035 5  et  concluez  affirmativement  que  la 
confusion  dont  il  s'agit  laisse  subsister  dans  leur  entier  tous 
les  effets  de  l'obligation  uMéjussoire  que  le  créancier  a  intérêt 
de  conserver. 

268  bis.  I.  La  confusion  consistera  ordinairement  dans  la  réu- 
nion des  deux  qualités  incompatibles  de  créancier  et  de  caution. 
Nous  ne  parlons  pas  de  la  confusion  opérée  en  la  personne  du 
débiteur  principal,  puisque  nous  traitons  seulement  en  ce  moment 
des  événements  juridiques  survenus  du  côté  de  la  caution.  Celte 
réunion  de  qualités  de  caution  et  de  créancier  produit  en  vertu  des 
principes  un  effet  très-simple.  L'obligation  de  la  caution  est  éteinte, 
car  elle  a  pour  effet  de  lier  la  caution  envers  le  créancier,  et  il  est 


296  COUKS    ANALYTIQUE   DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

impossible  que  cette  caution  soit  liée  envers  elle-même.  Mais  cette 
confusion  n'a  pas  d'effet  par  rapport  au  débiteur,  qui  reste  tenu 
envers  le  créancier  (i).  Ce  n'est  pas  parce  que  celui-ci  ne  peut  pas 
se  poursuivre  comme  caution  qu'il  perdra  son  action  contre  le 
débiteur  principal.  La  confusion,  du  reste,  aura  un  elle!  important, 
elle  libérera  le  certificateur,  car  l'obligation  de  la  caution  est  par 
rapport  à  ce  certificateur  une  obligation  principale,  et  son  extinction 
doit  entraîner  celle  de  l'obligation  accessoire.  Comment,  d'ailleurs, 
l'ancienne  caution  pourrait-elle  agir  contre  sa  propre  caution 
envers  qui  elle  est  débitrice  d'une  indemnité  toutes  les  fois  que 
celle-ci  a  payé  la  dette? 

268  bis  II.  La  confusion  peut  se  produire  autrement  en  matière 
de  cautionnement.  Elle  peut  résulter  de  la  réunion  sur  la  même  tète 
des  deux  qualités  de  caution  et  de  débiteur  principal.  C'est  l'hypo- 
thèse qu'a  en  vue  l'article  2035.  Les  deux  qualités  ne  sont  pas 
alors  aussi  incompatibles  que  celles  de  créancier  et  de  débiteur. 
Cependant,  il  y  a  entre  elles  une  certaine  iuconriliabilité;  car  en 
quoi  peut-il  être  ordinairement  utile  au  créancier  que  son  débiteur 
soit  tenu  envers  lui  à  deux  titres,  comme  débiteur  et  comme  cau- 
tion? Ou  ce  débiteur  est  solvable,  ou  il  ne  l'est  pas;  dans  le  premier 
cas  une  seule  action  suffira  contre  lui,  dans  le  second  cas  le  créan- 
cier ne  sera  pas  plus  payé  en  exerçant  deux  actions  qu'en  en  exerçant 
une  seule.  Voilà  ce  qui  fait  considérer  l'engagement  ex  fidejussoria 
causa  comme  faisant  double  emploi  avec  l'engagement  principal,  et 
ce  qui  a  conduit  à  dire  que  le  cautionnement  disparaît.  C'est  bien 
la  pensée  du  Code  qui  appelle  cet  événement  une  confusion  et  qui 
limite  son  effet  extinctif,  ce  qui  implique  qu'il  éteint  jusqu'à  un 
certain  point  le  cautionnement. 

268  bis.  III.  La  restriction  que  la  loi  apporte  à  l'effet  extinctif  de 
la  confusion  va  nous  montrer  complètement  quelle  est  la  théorie 
de  la  loi.  Elle  suppose  que  la  caution  avait  donné  un  certificateur, 
et  elle  décide  que  la  réunion  des  deux  qualités  de  caution  et  de 
débiteur  principal  n'a  pas  pour  conséquence  l'extinction  de  l'obliga- 
tion du  certificateur  qui  a  cautionné  la  caution.  Cependant  celui-ci 
étant  caution  d'une  dette  principale  qui  était  l'obligation  de  la  caution, 
quand  cette  dernière  obligation  s'éteint,  il  devrait  eu  résulter  l'ex- 
tinction de  son  accessoire,  c'est-à-dire  de  l'obligation  du  certificateur. 

{I)  V.  t.  V,  n»  253  bis.  IL 


T1T.  XIV.  DU  CAUTIONNEMENT.  ART.  2035,  2036.   297 

268  bis.  IV.  Si  la  loi  n'arrive  pas  à  cette  conséquence,  qui  paraît 
logique,  c'est  qu'elle  n'a  pas  précisément  foi  en  son  principe.  Elle 
appelle  bien  confusion  la  réunion  des  qualités  de  caution  et  de  dé- 
biteur, et  elle  sous-entend  que  le  cautionnement  s'éteint,  mais  c'est 
uniquement,  nous  l'avons  dit,  parce  que  cet  engagement  ferait 
double  emploi  avec  celui  du  débiteur  principal,  autrement  dit  parce 
que  le  créancier  n'a  pas  intérêt  à  conserver  deux  actions  contre  la 
même  personne.  Si  l'intérêt  se  montre,  la  loi  n'est  pas  esclave  de 
l'expression  qu'elle  a  employée  et  ne  permet  pas  d'invoquer  la  con- 
fusion. Or,  le  créancier  a  intérêt  à  ce  que  l'obligation  de  la  caution 
ne  soit  pas  considérée  comme  éteinte,  puisqu'elle  soutient  l'obliga- 
tion  du  certificateur;  dès  qu'il  a  intérêt,  les  deux  actions  ne  font 
plus  double  emploi,  et  la  prétendue  extinction  par  confusion  n'a  plus 
de  raison  d'être. 

268  bis.  V.  Les  raisons  qui  ont  inspiré  le  législateur  montrent 
que  sa  décision  doit  èt<e  généralisée  et  qu'on  doit  refuser  tout  effet 
extinctif  à  l'espèce  de  confusion  dont  nous  parlons,  toutes  les  fois 
que  le  créancier  aura  intérêt  à  ce  que  le  cautionnement  ne  soit  pas 
éteint,  par  exemple  si  la  caution  avait  donné  une  hypothèque  (1), 
ou  si  elle  était  plus  énergiquement  liée  par  son  obligation  que  le 
débiteur  par  la  sienne;  si  celui-ci,  par  exemple,  était  tenu  d'une  obli- 
gation naturelle,  tandis  que  la  caution  avait  contracté  une  obligation 
civile  valable. 

269.  L'obligation  principale  étant  la  cause  unique  de  celle 
de  la  caution,  il  est  clair  que  son  extinciion  doit  entraîner 
l'extinction  du  cautionnement,  comme  sa  nullité  en  entraî- 
nerait la  nullité  (art.  2042).  Et  toutefois  sur  l'un  et  l'autre 
point  il  existe,  comme  on  l'a  déjà  vu  pour  la  nullité,  une 
modification  importante  :  c'est  qu'il  ne  faut  pas  étendre  à 
l'obligation  de  la  caution  les  privilèges  purement  personnels 
aux  débiteurs  qui  détruisent  ou  atténuent  l'effet  de  l'obligation 
principale.  Telle  serait,  par  exemple,  l'exception  résultant  du 
concordat  (C.  comm.,  art.  545).  Sous  cette  limitation,  toutes 
les  exceptions,  c'est-à-dire,  ici,  tous  les  moyens  de  défense 
qui  compétent  au  débiteur  pour  repou;>ser  l'action  du  créan- 

(1)  V.  C.  Rouen,  19  novembre  1874.  Sirey,  1876,  2,  324. 


298  COURS  ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.   III. 

cier,  peuvent  être  invoquées  par  la  caution.  V.  art.  2036; 
v.  a  ce  sujet  an.  1208.  Remarquez,  au  reste,  qu'il  ne  suffirait 
pas  pour  faire  réputer  l'exception  purement  personnelle,  que 
sa  cause  lût  née  dans  la  personne  du  débiteur  sans  le  con- 
cours de  la  caution,  ni  même  qu'elle  eût  été  constituée  nom- 
mément en  faveur  du  débiteur  dans  l'intention  de  le  gratifier-, 
car  lui-même  est  intéressé  à  la  libération  de  la  caution  (voy. 
Paul,  L.  21,  §  5,  D.  de  pact.;  voy.  pourtant  Ulp.,  L.  22; 
Paul,  L.  32,  D.  eod.;  voyez,  sur  le  tout,  articles  1287  et 
2037). 

269  bis.  I.  La  caution  est  libérée  indirectement  quand  l'extinction 
de  sa  dette  résulte  de  l'extinction  de  l'obligation  principale.  La  loi 
parle  de  ces  cas  d'extinction  en  les  comprenant  dans  une  même  for- 
mule avec  tous  les  moyens  de  défense  qui  peuvent  être  opposés  à 
l'action  du  créancier. 

Parmi  ces  moyens  se  trouvent  tous  ceux  qui  s'appuieraient  soit 
sur  une  nullité  radicale,  soit  sur  une  annulabilité  de  l'obligation  cau- 
tionnée. Nous  avons  déjà  expliqué,  sur  l'article  2012,  quels  étaient 
de  ces  moyens  ceux  que  la  caution  pourrait  invoquer  et  ceux  qui, 
n'appartenant  qu'au  débiteur  lui-même,  sont  qualifiés  par  le  Code 
d'exceptions  purement  personnelles  au  débiteur.  Nous  n'avons  pas 
à  y  revenir  (1). 

269  bis.  II,  Sur  les  causes  d'extinction  proprement  dites,  nous 
n'avons  que  quelques  observations  à  faire.  Car,  en  principe,  il  est 
clair  que  si  l'obligation  principale  n'existe  plus,  on  ne  peut  guère 
concevoir  l'existence  de  l'obligation  accessoire  qui  la  garantissait. 
Ceci  n'est  pas  douteux  dans  les  cas  de  paiement,  de  compensation 
(art.  1294),  de  novation(art.  1281),  de  remise  de  la  dette  (art.  1287), 
de  confusion  quand  il  s'agit  de  la  réunion  des  deux  qualités  de 
créancier  et  de  débiteur  principal  (art.  1301),  enfin,  de  prescrip- 
tion accomplie  par  le  débiteur  principal. 

269  bis.  III.  Il  faut  s'arrêter  un  instant  sur  la  perte  de  la  chose 
due.  Si  elle  survient  par  un  cas  absolument  fortuit  et  sans  que  le 
débiteur  principal  ni  la  caution  aient  été  en  demeure,  il  est  certain 
que  l'obligation  principale  s'éteint,  et  par  suite  le  cautionnement. 
Mais  si  le  débiteur  principal  a  causé  la  perte  par  son  fait  ou  par  sa 

(1)  V.  ci-dei$ui,  n»  141  bit.  I-XI. 


TIT.    XIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    ART.    2036.  299 

faute,  ou  bien  s'il  était  en  demeure,  l'obligation  principale  ne 
périt  pas  et  celle  du  fidéjusseur  n'est  pas  éteinte,  car.  bien  qu'il  soit 
étranger  au  fait  qui  a  détruit  la  chose  ou  qu'il  n'ait  pas  été  mis  en 
demeure,  il  doit  être  considéré  comme  ayant  accepté  la  responsa- 
bilité des  actes  de  celui  dont  il  s'est  fait  le  répondant.  En  cau- 
tionnant une  obligation  de  corps  certain,  il  a  cautionné  non-seu- 
lement l'obligation  de  rendre  la  chose,  mais  aussi  l'obligation 
secondaire  de  la  veiller  et  de  la  conserver  (art.  1137),  et  de  la  rendre 
exactement  sine  mora  (1). 

269  bis.  IV.  L'hypothèse  inverse  est  plus  délicate,  c'est  la  caution 
qui  a  causé  la  perte  ou  qui  était  en  demeure  tandis  que  le  débiteur 
n'y  était  pas.  Quant  au  débiteur,  il  est  libéré,  car  le  fait  de  la  cau- 
tion est  pour  lui  le  fait  d'un  tiers,  la  demeure  du  débiteur  est  le 
résultat  d'un  acte  inter  alios  actum,  donc  ce  fait  et  cet  acte  ne  peu- 
vent pas  avoir  d'effet  par  rapport  à  lui.  Il  ne  faudrait  pas  tenter  de 
le  déclarer  lié  par  les  actes  de  la  caution  quand  celle-ci  l'a  cautionné 
en  vertu  d'un  mandat.  La  caution,  en  effet,  a  reçu  un  mandat  pour 
un  objet  spécial,  mandat  de  s'obliger;  mais  elle  n'a  pas  mandat  de 
conserver  la  chose  due  ni  de  recevoir  des  exploits  pour  le  débiteur  : 
donc  elle  ne  représente  pas  celui-ci  quant  aux  actes  par  lesquels 
elle  pourrait  avoir  perpétué  l'obligation. 

La  caution  n'a  donc  pas  perpétué  l'obligation  du  débiteur,  mais 
a-t-elle  perpétué  la  sienne?  On  pourrait* en  douter,  puisque  l'obliga- 
tion principale  étant  éteinte,  on  ne  voit  guère  la  place  de  l'obligation 
accessoire.  Telle  a  été  la  doctrine  la  plus  ancienne  des  jurisconsultes 
romains.  Ils  en  corrigeaient  l'iniquité  en  donnant  contre  le  fidé- 
jusseur l'action  de  dolo,  puis  par  le  progrès  du  droit,  on  est  arrivé 
à  donner  l'action  ex  stipulatu  utile,  et  enfin  l'action  ex  stipulant 
directe  (2).  Pothier  n'hésite  pas  à  donner  l'action  contre  la  caution, 
et  puisqu'il  ne  s'explique  pas,  c'est  l'action  née  du  contrat  de  cau- 
tionnement qu'il  entend  donner  (3).  Peut-être  vaudrait-il  mieux 
reconnaître  que  l'ancienne  doctrine  romaine  était  dans  la  vérité  des 
principes  et  dire  que  la  caution,  libérée  de  son  obligation  contrac- 
tuelle, sera  seulement  tenue  à  des  dommages  et  intérêts  en  vertu  de 
l'article  1382.  Sa  faute  consistera  dans  le  cas  de  demeure  à  n'avoir 
pas  mis  la  chose  entre  les  mains  du  créancier,  quand  elle  devait  le 

(1)  V.  Pothier,  Obligations,  n»  629. 

(2)  V.  M.  Accarias,  Précis  du  droit  romain,  t.  II,  p.  377.  Édit.   1880. 

(3)  V.  Pothier,  Obligations,  n°  630. 


300  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

faire  et  à  avoir  ainsi  été  cause  de  la  perte  qui  ne  serait  pas  sur- 
venue si  la  chose  avait  été  dans  la  possession  du  créancier. 

269  bis.  V.  L'intérêt  de  la  solution  existe  par  rapport  aux  certi- 
ficateurs  de  la  caution  et  aux  tiers  à  qui  nuirait  l'hypothèque 
donnée  par  cette  caution.  Si  le  créancier  n'agit  pas  en  vertu  de 
l'ancienne  créance,  mais  en  s'appuyant  sur  l'article  1382,  il  n'a 
plus  ni  de  certifioateur  ni  d'hypothèque,  et  ce  résultat  nous  paraît 
justifier  précisément  la  solution  que  nous  proposons.  Nous  disions 
tout  à  l'heure  que  la  caution  du  débiteur  principal  n'était  pas  libérée 
par  la  perte  que  celui-ci  avait  occasionnée  parce  qu'elle  avait  garanti 
son  obligation  de  veiller  à  la  conservation  de  la  chose.  Mais  peut-on 
croire  que  tel  a  été  l'engagement  du  certificateur  qui  a  cautionné  la 
caution?  N'oublions  pas  que  la  dette  principale  a  pour  objet  un 
corps  certain;  dans  les  probabilités,  il  appartient  au  débiteur  prin- 
cipal et  est  possédé  par  lui,  il  contracte  donc  l'obligation  de  conserver 
la  chose,  et  sa  caution  garantit  cette  obligation;  mais  la  caution  ne 
détient  pas  la  chose,  elle  ne  doit  pas  personnellement  veiller  à  sa 
conservation,  donc  la  caution  de  la  caution  n'a  pas  songé  à  caution- 
ner une  pareille  obligation.  De  même  quand  la  caution  a  donné  une 
hypothèque,  ce  ne  peut  pas  avoir  été  fait  en  vue  de  garantir  une 
obligation  qu'elle  ne  contractait  pas.  La  doctrine  qui,  par  des  raisons 
de  pure  équité,  donne  au  créancier  son  action  contre  la  caution  n'a 
donc  plus  de  raison  d'être  là  où  elle  peut  avoir  quelque  conséquence 
juridique,  elle  est  inique  en  tant  qu'elle  produit  ces  conséquences 
contre  le  certificateur,  contre  les  créanciers  hypothécaires  de  la 
caution  ou  contre  les  tiers  détenteurs  de  l'immeuble  hypothéqué. 

269  bis.  VI.  Il  est  un  événement  qui  joue  à  peu  près  le  rôle  d'une 
cause  d'extinction  d'obligation,  c'est  le  jugement  ayant  force  de 
chose  jugée  qui  déclare  qu'un  défendeur  n'est  pas  débiteur. 
Quand  un  débiteur  principal  a  fait  ainsi  juger  que  la  dette  n'existe 
pas,  il  est  assez  difficile  de  dire  si  ce  jugement  peut  être  invoqué 
par  la  caution,  de  même  que  si  ce  débiteur  a  perdu  son  procès,  on 
est  incertain  sur  le  point  de  savoir  si  ce  jugement  est  opposable  à  la 
caution.  Nous  avons  étudié  cette  double  question  sur  l'article  1351, 
et  nous  avons  d'abord  décidé,  en  vertu  des  principes  sur  le  carac- 
tère relatif  de  la  chose  jugée,  que  le  jugement  rendu  contre  le  dé- 
biteur n'est  pas  opposable  à  la  caution,  mais  en  sens  inverse  nous 
avons  admis  que  la  caution  peut  se  prévaloir  du  jugement  favo- 
rable, non  pas  en  vertu  des  principes  sur  la  chose  jugée  tels  que 


TIT.    XIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    ART.    2036,    2037.       301 

nous  les  entendons,  mais  à  raison  d'une  règle  particulière  delà  ma- 
tière du  cautionnement,  l'article  2037,  qui  prive  de  toute  action  le 
créancier  qui  par  son  fait  a  rendu  impossible  la  subrogation  de  la 
caution  dans  les  droits  contre  le  débiteur  (1). 

270.  Non  seulement  l'extinction  de  la  dette  principale 
éteint,  en  la  rendant  sans  cause,  l'obligation  de  la  caution, 
mais,  sous  un  auire  rapport  encore,  la  perte  de  la  créance 
principale  ou  des  droits  qui  y  sont  relatifs  peut  motiver  la 
perte  des  droits  du  créancier  contre  la  caution;  car  celle-ci 
n'ayant  contracté  son  engagement  qu'en  vue  de  l'indemnité 
qui  lui  était  assurée,  et  la  subrogation  a*ux  droits  du  créancier 
étant  un  des  moyens  de  la  lui  assurer,  le  créancier  qui  se  met 
hors  d'être  de  procurer  cette  subrogation  peut  être,  jusqu'à 
un  certain  point,  assimilé  a  la  partie  qui,  dans  un  contrat 
synallagmatique,  manque  a  remplir  son  engagement,  et  qui, 
par  ce  motif,  n'est  pas  admise  à  exiger  l'accomplissemet  de 
l'engagement  réciproque  de  l'autre  partie.  De  Ta  la  décharge 
accordée  à  la  caution  lorsque,  par  le  fait  du  créancier,  la 
subrogation  est  devenue  impossible.  V.  art.  2037. 

270  bis.  I.  La  loi  considère  la  caution  comme  s'étant  obligée  en 
vue  des  accessoires  de  la  créance  principale,  tels  que  les  privilèges, 
les  hypothèques,  les  droits  de  gage  qui  appartenaient  au  créancier 
et  dans  lesquels  elle  pouvait  légitimement  compter  être  subrogée. 
Le  créancier  nuirait  à  la  caution  s'il  délruisait  ou  laissait  périr  ces 
sûretés  et  s'il  la  poursuivait  néanmoins. 

270  bis.  II.  Le  motif  de  l'article  prouve  qu'il  ne  faut  pas  équivoquer 
sur  le  mot  fait  qui  s'y  trouve  employé.  Pothier  distinguait  le  fait  de 
commission  et  le  fait  d'omission;  le  premier  consistait,  par  exemple, 
dans  une  renonciation  à  l'hypothèque  ou  une  restitution  du  gage,  le 
second  dans  la  négligence  à  interrompre  une  prescription  ;  nous  pour- 
rions «jouter  aujourd'hui  le  défaut  d'inscription  hypothécaire  ou  de 
renouvellement  d'une  inscription  existante.  Le  fait  de  commission 
seul  entraînait  l'extinction  du  cautionnement  (2).  Mais  les  rédac- 
teurs du  Gode  civil,  en  ne  reproduisant  pas  l'expression  fait  positif 
par  laquelle  Pothier  accentuait  sa  distinction,  semblent  bien  l'avoir 

(1)  V.  t.  V,  n°  328  bis.  XXIX  et  XXX. 

(2)  V.  Pothier,  Obligations,  n°  520  in  fine. 


302  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE   CIVIL.    LIV.    III. 

abandonnée.  Leur  idée  paraît  être  que  le  créancier,  en  acceptant 
la  caution,  a  contracté  envers  elle  l'obligation  de  donner  ses  soins 
à  la  conservation  des  droits  dans  lesquels  celle-ci  doit  être  su- 
brogée (1). 

270  bis.  III.  En  rattachant  ainsi  l'article  2037  à  l'article  2028  et 
à  l'article  1251-3°,  en  l'expliquant  par  une  obligation  de  conserver 
pour  le  fidéjusseur  les  garanties  accessoires  de  la  créance,  nous 
montrons  qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  faire  une  distinction,  qui  du  reste 
n'est  pas  dans  l'article,  entre  les  droits  accessoires  constitués  avant 
le  cautionnement  ou  au  moins  en  même  temps  et  ceux  qui  auraient 
été  constitués  depuis  le  contrat  de  cautionnement.  La  subrogation 
légale  confère  tous  ces  droits  à  la  caution  sans  distinction  de  date, 
par  conséquent  la  caution  a  pu  en  s'obligeant  compter  aussi  bien 
sur  les  garanties  futures  de  la  créance  que  sur  ses  garanties  actuel- 
les, et  la  constitution  d'bypothèque  postérieure  à  la  fidéjussion  a 
pu  lui  inspirer  une  confiance  dangereuse  qui  l'a  empêchée  de  veiller 
sur  la  situation  pécuniaire  du  débiteur  principal  (2). 

270  bis.  IV.  Il  faut  tirer  une  autre  conséquence  de  ce  que  le 
droit  conféré  par  l'article  2037  à  la  caution  est  un  droit  d'indemnité 
pour  le  tort  causé,  c'est  que  quand  le  fidéjusseur  ne  souffrira  pas  de 
préjudice,  il  ne  pourra  pas  se  prétendre  déchargé.  Si  par  exemple 
le  créancier  a  laissé  périr  une  hypothèque  qui  ne  serait  pas  venue 
en  ordre  utile,  il  serait  injuste  qu'il  fût  privé  de  son  action  contre 
la  caution  (3).  De  même  si  le  préjudice  n'était  pas  égal  au  montant 
de  la  dette,  la  caution  ne  devrait  pas  être  déchargée  pour  le  tout, 
mais  seulement  jusqu'à  concurrence  du  préjudice  éprouvé.  Exemple: 
on  n'a  pas  renouvelé  une  inscription,  il  se  trouve  qu'elle  aurait  été 
colloquée  la  dernière  et  que  les  fonds  auraient  manqué  sur  elle, 
la  créance  était  de  10,000  francs  et  elle  n'aurait  été  colloquée  que 
pour  6,000  francs,  il  n'y  a  pas  de  raison  pour  que  la  caution  soit 
libérée  de  toute  la  dette.  Elle  devra  la  dette  moins  les  6,000  francs 
qu'elle  perdrait  par  la  négligence  du  créancier. 

270  bis.  V.  L'article  2037  régit  le  cas  où  le  créancier  par  son  fait 
a  rendu  impossible  la  subrogation  de  la  caution  dans  les  droits,  pri- 
vilèges et  hypothèques.  Nous  avons  toujours  raisonné  en  vue  de 
l'abandon  des  droits  réels  garantissant  la  créance;  il  est,  en  effet, 

(1)  V.  C.  C,  7  juillet  1882.  Sirey,  1882,  I,  799. 

(2)  V.,  en  sens  inverse,  C.  C,  27  novembre  1861.  Sirey,  1862,  I,  130. 

(3)  V.  C.  C,  18  janvier  1863.  Sirey,  1863,  I,  187. 


TIT.    XIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    ART.    2037.  303 

difficile  de  comprendre  comment  le  débiteur  pourrait  abandonner 
ou  laisser  périr  au  détriment  de  la  caution  des  droits  personnels 
dans  lesquels  le  fidéjusseur  aurait  intérêt  à  être  subrogé.  Ces  droits, 
en  effet,  ne  sauraient  être  les  droits  contre  le  débiteur,  car,  nous 
l'avons  dit,  la  prescription  de  l'obligation  principale  ou  la  remise  de 
cette  obligation  éteint  nécessairement  le  cautionnement.  S'agi- 
rait-il de  la  créance  contre  un  des  débiteurs  solidaires;  s'il  a  fait 
remise  à  l'un  d'eux,  il  a  libéré  tous  les  autres  et  par  conséquent 
la  caution  (art.  1285).  Il  pourrait,  il  est  vrai,  avoir  libéré  un  des 
débiteurs  en  réservant  ses  droits  contre  les  autres.  Dans  cette  hypo- 
thèse il  n'aurait  pas  nui  à  la  caution,  car,  indépendamment  de  ce 
que  la  dette  nexiste  plus  que  déductien  faite  de  la  part  du  débiteur 
qui  a  reçu  la  remise,  on  ne  pourrait  pas  dire  que  la  remise  nuit  à 
la  caution,  car  si  elle  avait  un  recours  contre  ce  débiteur,  elle  n'a 
pas  pu  le  perdre  par  le  fait  du  créancier,  et  lorsqu'elle  aura  payé  le 
tout,  elle  aura  encore  intact  le  droit  qui  lui  appartenait  de  pour- 
suivre le  codébiteur  déchargé  par  le  créancier.  Dans  le  cas  de 
prescription,  il  sera  bien  rare  que  tous  les  débiteurs  ne  soient  pas 
libérés  en  même  temps,  d'où  résulterait  la  libération  de  la  caution. 
Il  peut  arriver  toutefois  que  le  créancier  se  trouve  le  conjoint  de 
l'un  des  débiteurs,  et  que  par  suite  la  prescription  soit  suspendue 
entre  eux  deux  tandis  qu'elle  courrait  au  profit  des  autres.  Il  nous 
paraît  qu'alors  la  caution  serait  dégagée  pour  les  parts  des  débiteurs 
libérés  et  resterait  tenue  pour  la  part  du  conjoint  débiteur.  Elle 
serait  traitée  comme  s'il  y  avait  eu  remise  faite  à  tous  les  débiteurs 
moins  un,  la  dette  se  trouverait  réduite  à  la  part  du  débiteur  non  dé- 
chargé; donc  la  caution  ne  souffrirait  pas  ordinairement  de  la  négli- 
gence du  créancier.  Cependant,  si  le  débiteur  non  libéré  était  insol- 
vable, il  serait  nuisible  à  la  caution  de  ne  pas  pouvoir  exercer  son 
recours  contre  les  autres,  et  à  moins  de  lui  donner  un  recours 
contre  des  débiteurs  libérés  par  prescription,  ce  qui  nous  paraît 
impossible,  il  faudrait  bien  lui  accorder  le  bénéfice  de  l'article  2037. 

Il  faudrait  du  reste  supposer  que  la  prescription  a  été  inter- 
rompue contre  la  caution  spécialement,  car  nous  ne  pensons  pas 
que  la  cause  de  suspension  qui  existe  entre  le  créancier  et  le  dé- 
biteur puisse  produire  des  effets  par  rapport  à  la  caution. 

270  bis.  VI.  Si  de  l'hypothèse  où  le  créancier  a  laissé  périr  son 
droit  contre  des  débiteurs  solidaires,  nous  passons  à  celle  où  il  a 
laissé  éteindre  ses  droits  contre  une  autre  caution,  nous  dirons  que 


30  i  COUKS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

dans  certaines  circonstances  l'extinction  de  l'obligation  d'une  des 
cautions  nuisant  aux  autres,  celles-ci  pourraient  invoquer  l'anicle 
2037  dans  les  limites  du  préjudice  qu'elles  éprouvent. 

La  caution  pourrait  donc  d'abord  invoquer  le  bénéfice  de  division 
dans  les  mêmes  conditions  qtie  si  la  caution  déchargée  était  encore 
débitrice,  à  moins  qu'il  ne  soit  prouvé  qu'elle  est  devenue  insol- 
vable. Même  au  cas  où  le  bénéfice  de  division  ne  pourrait  être 
invoqué,  la  caution,  qui  aurait  eu  un  recours  pro  parte  après  avoir 
payé,  pourrait  faire  diminuer  la  part  de  la  caution  libérée  sur 
le  montant  de  l'obligation;  bien  plus,  si  parmi  les  autres  cau- 
tions il  s'en  trouvait  d'insolvables,  elle  pourrait  faire  subir  une 
autre  réduction  à  la  demande  du  créancier  qui  aurait  pour  objet  de 
mettre  à  sa  charge  la  part  que  la  caution  libérée  devait  supporter 
dans  la  perte  résultant  de  l'insolvabilité  d'un  ou  de  plusieurs  cofidé- 
jusseurs. 

271.  Il  n'est  pas  même  toujours  nécessaire  qu'il  y  ait  libé- 
ration parfaite  du  débiteur  pour  que  l'acte  intervenu  dans  ce 
but,  entre  lui  et  le  créancier,  opère  la  libération  de  la  caution. 
Ainsi  au  cas  de  dation  en  paiement,  quoique  la  libération 
du  débiteur  soit  en  général  subordonnée  à  la  translation  de 
propriété  (v.  art.  1238),  et  que  son  obligation,  qui  avait  paru 
éteinte,  subsiste  au  contraire  en  cas  d'éviction  (voy.  Marcien, 
L.  4(3,  D.  de  sol.;  voy.  pourtant  Ulp.,  L.  24,  de  pign., 
ac/.),  la  caution  néanmoins  est  déchargée  par  le  seul  fait 
de  l'acceptation  volontaire  du  créancier.  Dès  ce  moment, 
elle  est  fondée  a  se  croire  libérée,  et  ne  doit  plus  rester 
exposée  à  souffrir  de  l'insolvabilité  future  de  débiteur, 
contre  laquelle  elle  ne  peut  plus  se  mettre  en  garde.  V.  art. 
2038. 

271  bis.  I.  La  décision  de  l'article  2038  sur  l'effet  de  la  dation 
en  paiement  se  justifie  de  deux  manières  différentes,  suivant  l'idée 
qu'on  adopte  sur  la  nature  de  cette  opération.  Si  ou  la  considère 
comme  éteignant  définitivement  l'obligation  et  engendrant  seule- 
ment une  obligation  de  garantie  à  la  charge  de  celui  qui  a  donné 
autre  chose  que  la  chose  due,  il  est  tout  simple  que  la  caution  ne 
soit  pas  liée  à  cette  obligation  nouvelle;  si,  au  contraire,  on  pense 
que  l'obligation  primitive  n'est  éteinte  que  sous  condition,  si  la 


TIT.    XIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    ART.    2037-2039.        305 

propriété  a  été  transférée,  ce  qui  fait  qu'elle  subsiste  lorsque 
l'éviction  a  prouvé  que  la  condition  ne  s'est  pas  réalisée,  alors  on 
ne  peut  expliquer  l'article  qu'en  le  rattachant  comme  une  consé- 
quence indirecte  à  l'article  2037;  la  caution  a  eu  ju>te  sujet  de  se 
croire  libérée,  elle  n'a  plus  surveillé  le  débiteur  principal,  et  il  ne 
faut  pas  qu'elle  soit  victime  de  la  faute  du  créancier  qui  a  impru- 
demment accepté  en  paiement  la  chose  d'autrui. 

271  bis.  II.  Cette  dernière  considération  servirait  d'ailleurs,  quel- 
que théorie  qu'on  accepte  sur  la  dation  en  paiement,  à  faire  appliquer 
l'article  2038  dans  une  hypothèse  qui  n'est  pas  exactement  celle 
de  la  dation  en  paiement.  Si  la  dette  était  une  dette  de  genre, 
le  débiteur  devait  un  cheval  m  génère,  il  a  livré  un  cheval  qui  n'était 
pas  à  lui,  le  paiement  n'est  pas  valable  d'après  l'article  1238,  mais 
la  caution  a  eu  juste  sujet  de  se  croire  libérée,  et  nous  pensons 
qu'elle  ne  pourrait  pas  être  poursuivie  par  le  créancier  évincé.  Ce 
fait,  au  surplus,  ne  se  produira  pas  souvent  à  cause  de  l'application 
fréquente  de  l'article  2279  en  matière  des  meubles  et  de  l'extrême 
rareté  des  obligations  d'immeubles  in  génère. 

272.  Au  contraire ,  la  simple  prorogation  du  terme  ac- 
cordé au  débiteur  principal  ne  prolongeant  point  néces- 
sairement les  risques  de  la  caution,  puisqu'elle  peut  agir  en 
indemnité  contre  le  débiteur  principal,  a  l'échéance  du  terme 
primitif  (art.  2032-4°),  cette  prorogation  ne  le  décharge  pas 
envers  le  créancier.  Seulement  il  est  a  remarquer  que  la  cau- 
tion alors  pourra  empêcher  le  débiteur  de  profiter  de  la 
prorogation,  puisque  pour  obtenir  sa  décharge,  elle  pourra 
le  forcer  au  paiement.  V.  art.  2039. 

272  6is.  I.  Il  ne  s'agit  dans  l'article  que  d'une  application  de 
l'article  2032,  la  caution  ne  peut  pas  être  privée  par  le  créancier 
du  droit  qu'elle  a  d'agir  contre  le  débiteur  une  fois  l'échéance 
arrivée.  Seulement  il  est  bien  clair  que  l'article  ne  dit  pas  autre 
chose,  et  que  si  la  prolongation  du  délai  était  accordée  avant  l'é- 
chéance, la  caution  ne  pourrait  pas  agir  immédiatement  contre 
le  débiteur;  son  droit  ne  commence  qu'à  l'époque  fixée  par  l'ar- 
ticle 2032. 

272  bis.  II.  Appendice  sur  le  cautionnement  solidaire.  Après  avoir 
étudié  l'ensemble  des  règles  sur  le  cautionnement,  il  est  nécessaire 
de  nous  occuper  d'un  cautionnement  exceptionnel  dont  la  loi  n'a 
vm.  J0 


306  COURS   ANALYTIQUE   DE   CODE   CIVIL.    LIV.    III. 

parlé  que  par  allusion.  Nous  songeons  au  cautionnement  solidaire. 
Il  faut  voir  en  quoi  la  situation  de  la  caution  sera  modifiée,  quand 
elle  se  sera  obligée  solidairement  avec  le  débiteur.  Nous  pou- 
vons immédiatement  constater  qu'il  ne  faut  pas  la  traiter  comme 
un  débiteur  solidaire,  car  autre  chose  est  s'obliger  solidairement, 
autre  chose  s'obliger  comme  caution  solidaire.  Les  expressions  sont 
assez  différentes  pour  accuser  des  contrats  différents. 

272  6i5.HI.  On  serait  d'abord  tenté  de  dire  que  la  caution  solidaire 
est,  par  rapport  au  créancier,  un  débiteur  solidaire,  et  par  rapport 
au  débiteur  principal,  une  caution;  comme  la  femme  commune 
en  biens  qui  s'oblige  solidairement  avec  son  mari  pour  les  affaires 
de  la  communauté  ou  du  mari  (art.  1431).  On  ajouterait  que  c'est 
là  le  contrat  prévu  par  l'article  1216,  au  chapitre  de  la  solidarité. 
Seulement,  cette  manière  de  considérer  le  contrat  ne  tient  aucun 
compte  de  la  façon  dont  les  parties  ont  formulé  leur  convention. 
Le  promettant  n'a  pas  dit,  comme  dans  l'article  1431  ou  dans  l'arti- 
cle 1216,  qu'il  s'obligeait  solidairement;  dans  sa  convention  même 
avec  le  créancier,  il  a  cautionné  solidairement,  l'idée  de  cautionnement 
domine,  et  le  contrat  doit  garderies  caractères  distinctifs  du  caution- 
nement. Il  doit  notamment  rester  un  contrat  accessoire,  et  ne  pas 
faire  de  la  caution  un  codébiteur  du  débiteur  principal.  Il  est  vrai 
que  l'article  2021  in  fine  semble  assimiler  la  caution  solidaire  au 
débiteur  solidaire,  mais  cette  assimilation  n'est  présentée  par  la 
loi  qu'incidemment  et  en  vue  d'une  question  spéciale,  la  seule  que 
traite  l'article  2021,  la  question  du  bénéfice  de  discussion;  il 
serait  donc  dangereux  de  voir  dans  ce  membre  de  phrase  l'expres- 
sion d'une  théorie  générale  sur  le  cautionnement  solidaire. 

272  bis.  IV.  L'effet  de  la  solidarité  du  cautionnement  est  donc 
de  priver  la  caution  des  bénéfices  de  discussion  et  de  division; 
mais,  en  dehors  de  cela,  il  faut  lui  appliquer  les  règles  du  caution- 
nement. Ainsi,  si  l'on  supposait  que  la  dette  principale  est  condi- 
tionnelle et  le  cautionnement  pur  et  simple,  on  ne  pourrait  pas 
tenir  la  caution  pour  obligée  après  la  défaillance  de  la  condition 
qui  affecte  l'autre  obligation,  et  certes,  s'il  s'agissait  de  deux 
véritables  débiteurs  solidaires,  l'engagement  pur  et  simple  survivrait 
à  l'engagement  dont  la  condition  a  défailli. 

272  bis.  V.  Au  point  de  vue  des  modes  d'extinction  de  l'obliga- 
tion du  fidéjusseur,  il  sera  encore  intéressant  de  lui  conserver  son 
caractère  de  caution,  car  il  pourra  opposer  au  créancier  certains 


TIT.    XIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    ART.    ^039.  307 

faits  extinctifs  qu'il  n'opposerait  pas  utilement  s'il  était  codébiteur, 
par  exemple  la  compensation  (1). 

272  bis.  VI.  Le  débiteur  principal  lui-même  bénéficiera  de  ce  que 
son  coobligé  est  caution  et  non  codébiteur  solidaire;  d'abord  il 
sera  libéré  par  la  perte  de  la  chose  survenue  par  le  fait  ou  pendant 
la  demeure  de  la  caution,  ce  qui  n'aurait  pas  lieu  si  ce  coobligé 
était  un  débiteur  solidaire.  Secondement,  il  prescrira  sa  libération 
malgré  les  actes  interruptifs  que  le  créancier  aura  faits  contre  la 
caution,  et  de  ce  droit  reconnu  au  débiteur  résultera  pour  la  caution 
elle-même  un  avantage,  c'est  qu'elle  sera  libérée  aussi,  bien  que  la 
prescription  ait  été  interrompue  à  son  égard,  parce  qu'elle  ne  peut 
pas  être  tenue  quand  l'obligation  principale  a  cessé  d'exister.  Si,  au 
contraire,  nous  parlons  de  codébiteurs  solidaires,  tout  exploit  inter- 
rompant la  prescription  à  l'égard  de  l'un  des  débiteurs  produit 
ses  effets  à  l'égard  des  autres. 

272  bis.  VII.  A  côté  des  modes  d'extinction,  on  doit  parler  des 
causes  de  nullité  des  conventions.  Il  est  certain  qu'un  débiteur 
solidaire  ne  peut  pas  opposer  les  causes  de  nullité  qui  entachent  le 
consentement  de  son  codébiteur,  comme  le  dol  ou  la  violence;  mais 
la  caution  qui  ne  s'engage  que  pour  garantir  1  obligation  d'autrui 
peut  se  prévaloir  de  la  nullité  de  cette  obligation ,  alors  même 
qu'elle  est  caution  solidaire,  puisque,  pour  être  solidaire,  elle  n'en 
est  pas  moins  caution.  Nous  parlons,  bien  entendu,  de  la  caution 
qui  n'a  pas  entendu  garantir  le  créancier  contre  les  chances  de 
rescision  de  l'obligation  principale  (2). 

272  bis.  VIII.  Il  est  encore  une  différence  importante  à  signaler 
entre  la  caution  solidaire  et  le  débiteur  solidaire,  elle  se  rattache  à 
un  point  controversé  sur  lequel  il  faut  d'abord  être  fixé.  Elle  a  trait 
à  l'application  de  .l'article  2037.  La  caution  solidaire  sera,  d'après 
ce  que  nous  avons  dit  jusqu'à  présent,  libérée  dans  les  conditions 
indiquées  par  cet  article,  puisqu'elle  reste  caution  même  dans  ses 
rapports  avec  le  créancier;  ce  qui  constitue  une  différence  entre  elle 
et  le  codébiteur  solidaire,  si  l'on  décide  que  le  débiteur  reste  engagé 
bien  que  le  créancier  ait  laissé  périr  les  sûretés  accessoires  de  la 
créance.  La  différence  n'existe  pas  si  l'on  généralise  l'article  2037 
et  si  on  l'applique  toutes  les  fois  qu'une  personne  a  droit  à  la  subro- 


(1)  V.  Celte  question,  envisagée  à  un  point  de  vue  spécial,  t.  V,  n°  246  bis.  IV, 

(2)  V.  t.  V,  n»  134  bis.  I,  et  n°  142  bis.  I. 

20. 


308  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    111. 

gation  légale  et  que  le  créancier  n'a  pas  conservé  les  droits  qui 
assuraient  le  paiement  de  la  créance. 

272  bis.  IX.  Nous  pensons  que  l'article  2037  n'est  pas  l'expression 
d'une  règle  générale,  et  la  place  qu'il  occupe  dans  le  Code  constitue 
un  préjugé  bien  puissant  dans  ce  sens.  Si  c'était  une  des  conséquences 
de  l'article  1251  que  le  créancier  doit  veiller  à  la  conservation  des 
sûretés,  comment  le  principe  n'a-t-il  pas  été  consacré  dans  le 
chapitre  même  de  la  subrogation?  Pourquoi  se  cache-t-il  au  milieu 
de  dispositions  particulières  à  un  contrat  spécial,  révélant  ainsi  les 
apparences  de  ces  bénéfices  que  la  législation  a  toujours  réservés 
aux  cautions?  D'un  autre  côté,  si  l'article  12oi,  en  accordant  à  cer- 
taines personnes  le  droit  à  la  subrogation,  sous-entend  que  le  créan- 
cier est  obligé  à  conserver  les  sûretés  de  sa  créance  ;  si  cette  obli- 
gation résulte  nécessairement  du  droit  qu'une  autre  personne  a 
d'être  subrogée,  on  ne  voit  plus  l'utilité  de  l'article  2037  en  matière 
de  cautionnement  ;  puisque  la  caution  est  déclarée  subrogée  par  l'ar- 
ticle 2029,  ce  dernier  article  rendait  inutile  l'article  2037. 

272  bis.  X.  Voilà  les  raisons  de  texte;  quant  au  fond  de  la 
doctrine,  il  n'est  pas  difficile  de  justifier  la  différence  qui  ressort 
des  textes  en  faveur  de  la  caution,  quand  on  la  compare  au  codébiteur 
solidaire.  Celui-ci  a  traité  avec  le  créancier  parce  qu'il  trouvait  un 
intérêt  dans  le  contrat,  il  empruntait  solidairement,  ou  il  vendait, 
ou  il  achetait  solidairement,  le  contrat  lui  procurait  un  capital  dont 
il  avait  besoin,  ou  un  bien  dont  il  désirait  devenir  propriétaire. 
Alors  même  qu'on  le  placerait  dans  l'hypothèse  de  l'article  1216, 
en  se  présentant  comme  codébiteur  solidaire,  il  a  autorisé  le  créancier 
à  le  croire  intéressé  dans  l'affaire.  La  caution,  au  contraire,  même 
la  caution  solidaire  est  acceptée  par  le  créancier  comme  répondant 
de  la  dette  d'autrui,  elle  rend  un  service  ordinairement  gratuit  au 
créancier  en  même  temps  qu'au  débiteur,  et  l'on  comprend  alors  que 
la  loi  suppose,  plus  légitimement  que  dans  l'hypothèse  opposée,  un 
engagement  pris  par  le  créancier  de  conserver  les  sûretés  qu'il  a 
ou  qu'il  aura,  pour  que  la  caution  bénéficie  de  la  subrogation  (1). 


(1)  V.  Aubry  et  Rau,  t.  III,  p.  26,  n°  56.  Édit.  1856. 


T1T.    XIV.    DU    CAUTIONNEMENT.    ART.    2039-2041.        309 

CHAPITRE  IV. 

DE    LA    CAUTION    LÉGALE    ET    LA    CAUTION    JUDICIAIRE. 

273.  La  division  des  cautions,  en  conventionnelles,  légales 
et  judiciaires,  ne  tient  pas  a  la  manière  de  former  et  de  rece- 
voir l'engagement  de  la  caution,  mais  à  l'origine  de  l'obliga- 
tion de  fournir  caution.  Quand  c'est  la  loi  qui  l'impose,  la 
caution  est  légale  (v.  notamment  art.  120,  601);  elle  est 
judiciaire,  si  celte  obligation  résulte  d'une  condamnation,  dont 
l'opportunité,  au  reste,  est  plus  ou  moins  laissée  a  l'arbi- 
trage des  juges  (v.,  a  ce  sujet,  C.  Pr.,  art.  135,  155). 

274.  Les  règles  ci-dessus  établies  sur  l'étendue  de  l'obli- 
gation (art.  2018-2020)  sont  générales,  et  s'appliquent  con- 
séquemment  au  cas  de  cautionnement  légal  ou  judiciaire, 
comme  au  cas  de  cautionnement  conventionnel;  la  loi  s'en 
explique  ici  formellement  quant  aux  conditions  que  doit  rem- 
plir la  caution  offerte  (art.  2018,  2019).  V.  art.  2040. 

275.  L'obligation  de  fournir  caution,  lorsqu'elle  résulte  de 
la  loi  ou  d'un  jugement,  a  cela  de  particulier,  qu'elle  peut 
être  accomplie  par  équivalent.  En  effet,  l'objet  de  la  loi  ou  de 
la  condamnation  étant  uniquement  de  procurer  au  créancier 
une  sûreté,  il  a  paru  juste,  eu  égard  surtout  a  la  difliculté  de 
trouver  une  caution,  d'admettre  a  la  place  un  gage  en  nantis- 
sement, pourvu,  bien  entendu,  qu'il  soit  suffisant.  V.  art. 
20 il,  et  remarquez  que  la  considération  de  la  difficulté  ne 
pouvait  être  aussi  forte  pour  le  cautionnement  conventionnel, 
le  débiteur  s'étant  volontairement  soumis  à  celte  difficulté. 

275  bis.  I.  L'artii  le  parle  du  gage,  mais  il  n'admet  pas  que  le 
débiter  puisse  offrir  toute  sorte  de  sûretés  réelles,  l'hypothèque 
notamment,  qui,  à  cause  des  lenteurs  nécessaires  des  procé- 
dures de  saisie  immobilière  et  d'ordre,  ne  donnerait  pas  toutes  les 
facilités  d'obtenir  paiement  que  la  loi  ou  la  justice  entend  assurer  à 
ceux  au  bénéfice  de  qui  elle  exige  une  caution  légale  ou  judicaire. 

27o  bit.  II.  Peut-être  pourrait-on  hésiter  en  ce  qui  touche  l'an- 


310  COURS   ANALYTIQUE   DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

tichrèse  à  cause  du  mot  nantissement  qui  se  trouve  dans  notre 
texte,  mais  son  sens  est  précisé  par  le  mot  gage,  qui  implique  un 
nantissement  mobilier,  car  il  faut  remarquer  que  la  loi  dit  gage 
en  nantissement  et  non  pas  gage  ou  nantissement  ;  la  première  for- 
mule est  certes  bien  exclusive  de  tout  nantissement  qui  ne  serait 
pas  un  gage. 

D'ailleurs,  si  l'on  a  craint  les  lenteurs  de  la  procédure  hypothé- 
caire, comment  comprendrait- on  qu'on  se  contentât  de  1  anti- 
chrèse,  qui  ne  permet  au  créancier  de  se  payer  que  petit  à  petit  sur 
les  fruits  à  venir  de  l'immeuble  affecté  à  la  créance  (ait.  2085)? 

276.  A  part  cette  faveur,  commune  au  cautionnement 
judiciaire  et  au  cautionnement  légal,  le  cautionnement  judi- 
ciaire est  soumis  à  des  rigueurs  particulières.  Ainsi,  confor- 
mément aux  anciens  principes,  la  caution  judiciaire  est  privée 
du  bénéfice  de  discussion.  Bien  plus,  notre  Code,  tranchant 
à  cet  égard  toute  incertitude,  étend  cette  privation  a  celui 
qui  a  simplement  caulionné  la  caution  judiciaire.  V.  article 
2042,  2043. 

276  bis.  La  doctrine  ancienne,  qui  prive  la  caution  judiciaire  du 
bénéfice  de  discussion,  se  justifie  par  le  respect  dû  aux  jugements 
dont  l'exécution  ne  doit  être  retardée  pas  aucun  moyen  dilatoire. 


TITRE  QUINZIEME. 

DES    TRANSACTIONS. 

277.  A  la  suite  du  cautionnement,  sembleraient  devoir  se 
placer  immédiatement  les  autres  contrats  ou  droits  acces- 
soires, ayant  comme  lui  pour  objet  d'assurer  l'accomplisse- 
ment d'une  obligation  principale.  Toutefois,  les  rédacteurs 
du  Code  ont  intercalé  ici  la  matière  des  transactions,  qui  a 
cela  de  commun  avec  la  précédente,  que  sans  être  comme  le 
cautionnement  un  contrat  accessoire,  la  transaction  au  moins 
est  un  contrat  secondaire,  car  elle  présuppose  toujours  l'exis- 
tence d'une  autre  affaire  sur  laquelle  elle  intervient. 

Le  sujet  de  la  transaction  est  essentiellement  une  affaire 
douteuse  entre  les  parties;  son  but  est  de  prévenir  la  con- 
testation que  cette  affaire  pourrait  faire  naître,  ou  de  terminer 
celle  qui  serait  déjà  née  ;  le  moyen,  c'est  toute  espèce  de  con- 
ventions légales,  qui,  réunies  dans  ce  but,  forment  le  contrat 
de  transaction.  V.  art.  2044,  al.  1. 

277  bis.  I.  Le  mot  transaction  n'a  pas  dans  ce  litre  le  sens  qu'on  lui 
donne  assez  souvent  dans  la  langue  usuelle,  et  que  lui  attribue  excep- 
tionnellement l'article  631  du  Code  de  commerce;  il  présente  alors 
à  l'esprit  à  peu  près  la  même  idée  que  le  mot  convention.  Employé 
dans  son  sens  technique  et  restreint,  par  ce  titre  et  par  beaucoup 
d'autres  dispositions  de  nos  lois,  il  désigne  une  convention  d'une 
nature  particulière,  dont  la  définition  est  tentée  par  l'article  2044. 

Voici  la  notion  que  nous  pouvons  donner  de  la  transaction  en 
complétant  quelque  peu  la  définition  du  Code.  C'est  une  conven- 
tion par  laquelle  deux  ou  plusieurs  personnes  terminent  une  Con- 
testation née  ou  préviennent  une  contestation  future  entre  elles, 
moyennant  des  sacrifices  réciproques. 

277.  bis.  IL  On  voit,  d'après  cette  définition,  que  la  transaction 
suppose  un  différend  existant  ou  possible  entre  les  deux  parties.  La 
définition  du  Code  est  précise  sur  ce  point,  elle  est  d'accord  avec 
le  sens  étymologique  du  mot  transaction,  qui  vient  du  latin  trans- 


312  COl'liS   ANALYTIQUE    DE   CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

igere  (passer  outre,  terminer).  Ce  qui  n'est  pas  aussi  clair,  c'est 
le  point  de  savoir  à  quel  degré  exact  doit  exister  la  difficulté  qui 
constitue  le  différend,  ou  comme  dit  la  loi,  la  contestation,  pour 
que  la  convention  qui  la  termine  ou  la  prévient  soit  une  transaction. 
Il  est  certain  que  nous  n'exigerons  pas  ici,  comme  l'exige  peut- 
être  l'article  1700  en  matière  de  retrait  litigieux,  qu'il  y  ait  procès 
sur  le  fond  du  droit.  Le  Code  parle  d'une  contestation  à  naître,  et 
cette  expression  est  exclusive  de  l'idée  d'un  procès  déjà  enxagé.  Il 
faut  cependant  que  la  chose  présente  un  caractère  litigieux,  sinon  le 
contrat  n'aurait  pas  reçu  correctement  le  nom  de  transaction,  et  il  ne 
serait  pas  soumis  aux  règles  spéciales  qui  régissent  cette  convention. 
277  bis.  111.  H  faudra  donc  que  la  justice  décide  si  en  effet  le 
contrat  est  intervenu  sur  une  contestation  née  ou  à  naître.  Non  pas 
qu'elle  ait  à  juger  en  quelque  sorte  le  procès  qu'on  a  voulu  étein- 
dre, pour  décider  s'il  était  sérieux,  s'il  présentait  pour  chacune  des 
parties   des   chances  de   succès    devant  la  justice.   Cet   examen, 
quelque  peu  rétrospectif,  du  mérite  de  prétentions  sur  lesquelles 
il  n'y  a  pas  à  statuer,  ne  rentre  pas  dans  la  mission  des  tribunaux. 
Us  auront  à  découvrir  le  caractère  de  l'acte  en  recherchant  si  cha- 
cune des  deux  parties  a  pu  avoir  intérêt  à  terminer,  sans  l'interven- 
tion de  la  justice,  une  affaire  dont  l'obstination  de  l'autre  pouvait 
toujours  faire  un  procès.  On  peut  comprendre  en  eflVt  très-bien 
que  l'affaire  la  plus  claire,  la  plus  certaine  aux  yeux  déjuges  éclai- 
rés, n'en  inspire  pas  moins  quelques  craintes  à  la  partie  que  les 
juges  feraient  triompher.  Eile  redoutera,  par  exemple,  le  temps  qui 
pourra  se  perdre  en  procès,  elle  songera  aux  frais  qu'elle  aura  à 
payer,  au  moins  ceux  de  son  propre  avoué,   alors  même  qu'elle 
gagnerait,  aux  honoraires  de  son  avocat,  aux  soucis  d'un  procès,  au 
temps  perdu,  quelquefois  elle  craindra  que  la  publicité  de  certains 
faits  ne  nuise  à  son  crédit,  a  sa  réputation  même.  Voilà  ce  qui  fera 
que  très-souvent,  en  présence  du  droit  le  plus  certain,  une  partie 
aura  intérêt  à  s'entendre  avec  l'adversaire.  La  question  donc,  pour 
les  tribunaux  qui   recherchent  si  la  prétendue  transaction  a  bien 
eu  pour  objet  un  différend  né  ou  à  naître,  sera  de  savoir  non  pas 
si  le  droit  était  contestable,   mais  si  les  parties  ont  eu  intérêt  à 
éviter  la  contestation  judiciaire,  et  si  ce  n'est  pas  cet  intérêt  qui  a 
dicté  la  convention  (1). 

(1)  V.  M.  Accaria»,  Des  transaction».  Thèse  de  doctorat,  1863,  p.  170,171. 


T1T.    XV.    DES   TRANSACTIONS.    ART.    2044.  313 

277  bis.  IV.  Nous  avons  ajouté  à  la  définition  du  Code  que 
la  convention  éteint  ou  prévient  la  contestation  au  moyen  de 
sacrifices  réciproques.  Le  discours  de  Bigot-Préameneu  au  Corps 
législatif  semble  cependant  ne  pas  exiger  cette  condition.  Mais  la 
doctrine  moderne  n'a  pas  suivi  l'orateur  du  gouvernement.  Si  en 
effet  on  supprime  ce  canctèrede  la  transaction,  on  détruit  la  ligne 
de  démarcation  qui  la  sépare  d'un  certain  nombre  d'actes,  dont 
nous  allons  nous  occuper,  et  qui  sont  soumis  à  des  conditions 
d'existence  et  de  validité  tout  autres  que  celles  auxquelles  est  subor- 
donnée la  transaction.  Les  rédacteurs  du  Code  ont  sous-entendu 
cette  condition  de  la  transaction  parce  qu'elle  était  admise  dans  le 
droit  français  par  une  tradition  qui  remontait  jusqu'au  droit 
romain  :  transactio  nullo  dato  tel  relento  seu  promisso  non  procedit. 
(Const.  38,  Cod.  de  transactionibus.) 

111  bis.  V.  C'est  ce  caractère  de  la  transaction  qui  sert  à  la  dis- 
tinguer de  certaines  autres  opérations  juridiques  qu'on  pourrait 
confondre  avec  elle  :  le  désistement,  l'acquiescement,  la  confir- 
mation. Le  désistement  proprement  dit  termine  l'instance  sans 
impliquer  abandon  du  droit  ou  de  la  prétention,  par  conséquent 
il  ne  re* semble  en  rien  à  la  transaction.  Mais  le  désistement  du 
droit  lui-même  ressemble  à  la  transaction,  puisqu'il  détruit  abso- 
lument la  contestation  née  ou  à  naître.  Il  n'est  point  cependant  une 
transaction,  puisqu'il  n'implique  pas  des  sacrifices  réciproques;  on 
peut  donc  soutenir  que  ce  n'est  point  un  contrat,  qu'il  n'a  pas 
besoin  de  résulter  de  la  double  volonté  des  parties  intéressées,  et 
en  tout  cas  il  ne  demanderait  pas  à  être  prouvé  par  un  acte  fait 
double  lorsque  l'écrit  qui  le  constate  est  un  écr.t  privé.  L'acquies- 
cement, c'est-à-dire  l'adhésion  de  celui  contre  qui  existe  une  pré- 
tention, est  l'inverse  du  désistement  du  droit;  c'est  aussi  un  acte 
qui  émane  d'une  seule  partie,  et  le  Code  nous  montre  dans  la 
matière  de  la  tutelle  que  cet  acte  et  la  transaction  sont  soumis  à 
des  règles  différentes  (art.  464-467). 

La  confirmation  est  également  un  acte  qui  ne  suppose  pas  des 
sacrifices  mutuels,  mais  qui  est  soumis  à  des  règles  tout  autres 
que  celles  qui  régissent  les  transactions.  D'abord  elle  n'a  pour  objet 
que  des  obligations  annulables,  puis  elle  résulte  de  la  volonté  d'une 
seule  des  parties,  enfin  elle  est  soumise  à  des  conditions  parti- 
culières que  la  loi  n'exige  pas  en  matière  de  transaction.  Il  faut 
que  le  vice  ait  cessé,  que  la  partie  en  ait  connaissance,  et  que  dans 


314  COURS  ANALYTIQUE   DE    CODE   CIVIL.    LIV.    III. 

l'écrit  appelé  acte  confirmatif  on  relate  le  montant  de  l'obligation 
et  le  vice  même  dont  elle  était  entachée.  Toutes  conditions  que 
nous  ne  retrouvons  pas  en  matière  de  transaction. 

278.  Ce  contrat  est  évidemment  consensuel,  et  la  faveur 
dont  il  doit  jouir  ne  permettait  de  l'assujettir  à  aucune  solen- 
nité (v.  Alex.,  L.  5,  Diocl.  et  Max.,  L.  28,  Cod.,  de  trans- 
act.).  Toutefois,  la  loi,  pour  que  l'existence  même  de  la 
transaction  ne  devienne  pas  un  sujet  de  conteslation,  veut 
qu'elle  soit  rédigée  par  écrit;  ce  qui,  du  reste,  ne  paraît  avoir 
d'autre  effet  que  d'exclure  la  preuve  testimoniale,  quelle  que 
soit  la  valeur.  V.  art.  2044,  al.  dernier,  et  a  ce  sujet,  art. 
1341. 

278  bis.  I.  Le  paragraphe  final  de  l'article  2044  parle  de  la 
preuve  de  la  transaction.  Il  déclare  qu'elle  doit  être  rédigée  par 
écrit.  Nous  faisons  immédiatement  remarquer  que  le  Code  n'at- 
tache pas  à  cette  prescription  la  sanction  de  la  nullité,  comme  il  le 
fait  pour  la  donation,  dans  l'article  931.  C'est  ce  qui  nous  auto- 
rise à  dire  qu'il  s'agit  là  d'une  règle  de  preuve.  La  validité  de 
la  convention  n'est  pas  en  jeu,  autrement  dit  l'écriture  n'est  pas 
exigée  ad  solemnitatem,  la  transaction  n'est  pas  un  contrat  solennel. 
L'article  a  posé  une  règle  qui  est,  dans  les  mêmes  termes,  la  repro- 
duction légèrement  aggravée  de  l'article  1341.  Ce  dernier  article 
dit  qu'il  doit  être  passé  acte  de  toute  chose  excédant  la  somme  ou 
valeur  de  150  francs.  La  conclusion  qu'on  en  tire  n'est  pas  la 
nullité  de  la  convention,  mais  l'impossibilité  de  prouver  par  témoins 
ou  par  présomptions.  L'article  2044  dit  que  la  transaction  doit  être 
rédigée  par  écrit;  c'est  la  même  formule,  moins  l'exception  en 
faveur  des  conventions  dont  l'intérêt  ne  dépasse  pas  150  francs. 
La  même  formule  doit  représenter  la  même  idée,  c'est-à-dire  que 
la  transaction  ne  pourra  être  prouvée  ni  par  témoins  ni  par  pré- 
somptions abandonnées  à  la  sagesse  du  juge,  et  cela  même  quand 
l'intérêt  engagé  ne  dépassera  pas  150  francs.  Mais  la  convention 
reste  valable,  sauf  à  être  prouvée  par  des  moyens  autres  que  ceux 
qui  ont  été  interdits  par  la  loi. 

Ces  moyens  seront  naturellement  l'aveu  de  la  partie  et  le  ser- 
ment décisoire. 

11  est  facile  de  comprendre  la  raison  de  la  loi.  Elle  ne  veut  pas 
un  procès  nécessitant  une  enquête,  c'est-à-dire  une  procédure  plus 


TIT.    XV.    DES   TRANSACTIONS.    ART.    2044.  315 

coûteuse  peut-être  que  celle  que  les  parties  ont  voulu  éviter.  En 
outre  elle  craint,  dans  cette  matière  plus  qu'en  toute  autre,  l'in- 
certitude des  témoignages,  parce  qu'il  ne  s'agit  pas  seulement  de 
faire  constater  par  des  témoins  le  fait  d'une  entente  entre  les 
parties,  mais  d'obtenir- de  ces  témoins  des  renseignements  précis 
et  détaillés  sur  les  clauses  quelquefois  compliquées,  et  cependant 
étroitement  liées  les  unes  aux  autres,  de  l'acte  qui  met  fin  à  un 
différend. 

278  bis.  II.  La  preuve  par  écrit  est  donc  la  preuve  normale; 
ajoutons  que  si  l'écrit  est  sous  seings  privés,  il  devra  être  rédigé  en 
double  original,  conformément  à  l'article  1325,  car  le  contrat  est 
synallagmatique  en  ce  sens  que  chacune  des  parties  renonce  à 
plaider  et  que  chacune  d'elle  a  besoin  pour  sa  sécurité  d'être  nantie 
de  la  preuve  de  l'engagement  pris  en  ce  sens  par  l'adversaire. 

278  bis.  III.  Dans  la  section  du  titre  des  obligations  où  se  trouve 
l'article  1341,  nous  rencontrons  deux  exceptions  à  la  règle  de  cet 
article  (art.  1347,  1348),  et  il  est  nécessaire  de  nous  demander  si 
l'article  2044  doit  subir  les  deux  mêmes  exceptions. 

On  s'accorde  généralement  à  admettre,  en  matière  de  transaction, 
l'exception  établie  par  l'article  1348.  H  s'agit  d'hypothèses  où  la  par- 
tie n'est  pas  en  faute  de  n'avoir  point  de  preuve  écrite,  soit  que  la 
rédaction  en  ait  été  impossible,  soit  que  la  preuve  ait  péri  par  cas 
fortuit.  Dans  ces  hypothèses  il  paraît  bien  difficile  de  traiter  les 
contractants  comme  on  traite  ceux  qui  n'ont  pas  tenu  compte  des 
prescriptions  du  législateur. 

278  bis.  IV.  Mais  on  admet  moins  facilement  l'application  de  l'ar- 
ticle 1347.  On  repousse  par  conséquent  la  preuve  testimoniale 
appuyée  sur  un  commencement  de  preuve  par  écrit.  On  allègue  que 
les  raisons  de  la  règle  existent  avec  la  même  force,  bien  que  la  partie 
produise  un  commencement  de  preuve  par  écrit.  L'enquête  sera  coû- 
teuse et  son  résultat  incertain,  à  cause  du  défaut  probable  de  préci- 
sion des  témoignages.  Nous  qui  voyons  dans  l'article  2044  la  repro- 
duction de  l'article  1341,  nous  ne  croyons  pas  devoir  nous  ranger 
à  cette  opinion.  La  même  formule  ne  doit-elle  pas  être  interprétée 
delà  même  façon?  Or,  dans  l'article  1341,  la  généralité  delà  règle  : 
il  doit  être  passé  acte  de  toute  chose  excédant  150  francs,  entendue 
en  ce  sens  que  la  preuve  testimoniale  est  inadmissible,  est  cepen- 
dant modifiée  par  l'article  1347.  La  sanction  de  la  règle  n'est  donc 
pas,  à  vrai  dire,  le  refus  de  la  preuve  testimoniale,  c'est  le  refus  de 


316  COUKS    ANALYTIQUE    DE    CODK    CIVIL.    L1V.    III. 

cette  preuve  sans  commencement  de  preuve  par  écrit.  Or,  l'article 
2044  n'en  dit  pas  plus  long  que  l'article  1341.  La  transaction  doit 
être  rédigée  par  écrit,  la  sanction  sous-entendue  ne  doit-elle  pas 
être  celle  que  sous-entend  l'article  1341  :  impossibilité  de  prouver 
par  témoins  sans  commencement  de  preuve  par  écrit? 

Certes  les  motifs  pour  repousser  cette  preuve  sont  aussi  puissants 
quand  il  existe  un  commencement  de  preuve  que  quand  il  n'en  existe 
pas;  mais  cette  observation  peut  également  être  présentée  quand 
on  raisonne  sur  l'article  1341,  au-dessus  de  150  francs,  que  quand 
on  cherche  le  sens  de  l'article  20ii,  et  malgré  cela  le  Code  s'est 
départi  de  sa  rigueur  dans  l'article  1347;  qui  peut  affirmer  qu'il 
n'entendait  pas  avec  le  même  tempérament  la  règle  qu'il  édictait 
dans  l'article  2044?  On  croit,  il  est  vrai,  apercevoir  son  intention 
dans  le  rapport  d'un  tribun  qui  expliquait  l'article  2044  par  les 
motifs  que  nous  lui  avons  attribués,  mais  nous  venons  de  répondre 
par  avance  à  la  conclusion  qu'on  tire  de  ce  rapport  (1). 

279.  Transiger,  c'est  réellement  disposer  des  choses  qui 
étaient  ou  devaient  être  l'objet  de  la  contestation  ainsi  pré- 
venue ou  terminée.  Il  faut  donc,  pour  le  faire  valablement, 
avoir  la  capacité  de  disposer  de  ces  choses.  V.  art.  2045,  al. 
1  ;  v.,  a  ce  sujet,  art.  1121,  217,  483,  502,  155-4. 

Conséquemment,  les  administrateurs  de  la  chose  d'aulrui 
n'ont  point,  en  général,  le  pouvoir  de  transiger.  Celte  règle, 
qui  recevrait  son  application  en  cas  d'absence  et  de  succession 
bénéficiaire  ou  vacante  est,  comme  on  l'a  déjà  vu,  parti- 
culièrement appliquée  au  tuteur,  qui  ne  peut  transiger  pour 
l'incapable  qu'il  représente,  qu'en  observant  des  formes  et 
des  conditions  spéciales  (art.  467).  Nous  savons  aussi  que,  par 
une  autre  raison,  tirée  de  la  crainie  des  surprises,  le  tuleur 
ne  peut,  sans  remplir  certaines  conditions,  transiger  avec  le 
mineur  devenu  majeur,  sur  le  compte  de  tutelle  (art.  472). 
V.  art.  2045,  al.  2. 

Quant  aux  communes  et  établissements  publics,  il  est 
clair  que  les  administrateurs  qui  les  représentent  n'ont  pas 
plus  que  les  tuteurs  le  pouvoir  général  de  transiger  en  leur 

(1)  V.  Anbry  et  Rau,  t.  III,  p.  480,  n°  7.  ÉdiL  1856.  C.  C,  8  janvier  1879. 
Sirey,  1879,  I,  216. 


T1T.    XV.    DES   TRANSACTIONS.    AI'.T.    204-O.  317 

nom.  Il  faut  pour  cela  une  autorisation  expresse  du  gouverne- 
ment. V.  art.  2045,  al.  dernier. 

279  bis  I.  Dans  le  n°  279,  M.  Demante  met  en  relief  une  distinc- 
tion qui  n'est  pas  assez  nettement  accentuée  par  l'article  2045.  Le 
premier  paragraphe  de  cet  l'article  parle  de  la  capacité  de  tran- 
siger; le  deuxième  traite  du  pouvoir  de  transiger.  Le  premier  pose 
une  règle  applicable  à  quiconque  fait  par  soi-même  et  pour  soi-même 
une  transaction,  il  nous  dit  quelles  sont  les  conditions  de  son  apti- 
tude à  transiger;  le  second  suppose  une  transaction  faite  pour 
autrui  par  un  représentant  et  détermine  dans  quelles  limites  un 
représentant  peut  transiger  pour  celui  qu'il  représente.  La  règle 
première  s'applique  uniquement  à  la  capacité;  les  pouvoirs  des  re- 
présentants sont  réglementés  par  des  dispositions  éparses  çà  et  là 
dans  le  Code. 

279  bis.  II.  La  règle  sur  la  capacité  est  présentée  sous  une  forme 
brève  et  générale.  Il  faut  la  capacité  de  disposer,  c'est-à-dire  de 
faire  des  actes  de  maître,  d'aliéner,  et  nous  ajoutons  immédiatement 
d'aliéner  à  titre  onéreux,  car  nous  avons  reconnu  que  la  transac- 
tion est  un  acte  à  titre  onéreux ,  la  loi  a  du  employer  le  mot  dis- 
poser avec  l'acception  que  lui  assigne  la  matière  même  à  propos  de 
laquelle  elle  l'emploie.  Ne  serait-il  pas  étrange  de  priver  du  droit 
de  faire  un  acte  si  important,  si  utile  même  au  point  de  vue  de  la 
paix  sociale,  celui  qui  ne  peut  faire  une  donation,  par  exemple  le 
condamné  à  une  peine  afflictive  et  infamante  perpétuelle? 

279  bis.  III.  Quelques  personnes  jouissent  d'une  capacité  limitée, 
et  il  est  nécessaire  de  rechercher  si  elles  peuvent  transiger.  Ainsi, 
le  mineur  émancipé  qui  peut,  sans  l'assistance  de  son  curateur, 
faire  les  actes  de  pure  administration,  trouve-t-il  dans  cette 
capacité  celle  de  transiger  sur  certains  droits  et  sur  certains  biens, 
sur  ses  revenus  qu'il  a  le  droit  de  percevoir  seul  et  sans  assistance. 
On  lui  a  refusé  ce  droit  en  faisant  remarquer  qu'il  n'a  que  la 
pure  administration,  moins  étendue  par  conséquent  que  celle  d'un 
tuteur  qui  ne  peut  pas  transiger.  Nous  ne  croyons  pas  l'argument 
décisif,  car  il  y  a  une  différence  essentielle  au  point  de  vue  des 
revenus  entre  le  tuteur  et  le  mineur  émancipé;  celui-ci  en  est 
maître,  il  peut  les  dissiper;  celui-là  les  recueille  pour  un  autre,  il 
est  tenu  de  les  employer  à  des  usages  déterminés  et  d'économiser 
l'excédent  des  revenus  sur  les  dépenses  nécessaires.  On  nie  que  le 
mineur  émancipé  ait  le  droit  de  disposer,  et  l'on  allègue  qu'il  ne  peut 


318  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

ni  compromettre  sur  ses  revenus,  ni  les  prêter,  ni  les  employer  en 
achat  d'immeubles.  Nous  n'admettons  pas  l'exactitude  de  ces  affir- 
mations, au  moins  en  ce  qui  concerne  le  prêt  et  l'achat  d'immeublis  ; 
pour  le  compromis,  il  est  soumis  à  des  règles  spéciales.  Interdire  au 
mineur  émancipé  le  prêt  de  sommes  venant  de  ses  revenus  et 
l'achat  au  comptant  d'immeubles  qu'il  paie  avec  ses  revenus,  c'est 
le  priver  du  droit  de  faire  des  placements,  autrement  dit  lui  inlerdire 
les  économies,  le  pousser  aux  dissipations;  nous  ne  voyons  pas  que 
la  loi  consacre  une  pareille  prohibition.  En  tout  cas,  qu;md  on  s'ap- 
puie sur  ces  prétendues  défenses  pour  établir  la  défense  de  tran- 
siger, on  s'appuie  sur  une  décision  controversable  afin  de  décider 
une  question  controvesrée. 

279  bis.  IV.  Ce  n'est  donc  pas  sur  le  sens  du  mot  disposer  qu'il 
faut  étayer  une  théorie  qui  priverait  le  mineur  émancipé  de  la 
capacité  de  transiger  sur  ses  revenus;  cette  expression,  au  con- 
traire, prise  dans  son  sens  naturel,  est  favorable  à  la  capacité  du 
mineur,  car  celui  qui  peut  aliéner  une  chose  sans  autorisation  ni 
formalités,  la  dissiper  sans  en  rendre  compte,  paraît  bien  être  au 
plus  haut  degré  celui  qui  peut  disposer.  Trouvera-  t-on  un  argu- 
ment plus  fort  dans  la  partie  de  l'article  484  qui  restreint  la  capa- 
cité aux  actes  de  pure  administration?  L'expression  est  large  et 
vague,  elle  a  certainement  pour  portée  d'exclure  les  actes  d'aliéna- 
tion d'immeubles  ou  de  consitution  de  droits  réels  sur  les  immeu- 
bles, les  baux  d'une  durée  supérieure  à  neuf  ans,  peut-être  les 
ventes  de  meubles  qui  ne  sont  pas  des  fruits,  mais  elle  n'est  pas 
assez  précise  pour  exclure  toutes  les  transactions,  puisqu'elle  n'exclut 
pas  toutes  les  aliénations,  et  il  ne  suffit  pas,  nous  l'avons  vu,  de 
comparer  la  capacité  du  mineur  émancipé  aux  pouvoirs  du  tuteur 
pour  en  induire  que  celui-là  n'a  pas  le  pouvoir  de  transiger  sur  ses 
revenus.  On  n'a  pas  dit  d'ailleurs,  dans  l'article  484,  que  le  mineur 
émancipé  devrait  observer  dans  tous  les  cas  les  formes  prescrites  au 
mineur  non  émancipé,  on  n'a  posé  cette  règle  que  pour  les  actes 
autres  que  ceux  de  pure  administration,  or  la  question  que  nous 
agitons  est  précisément  celle  de  savoir  si  l'acte  qui  nous  occupe 
rentre  ou  ne  rentre  pas  dans  la  libre  administration. 

279  bis.  V.  Aussi  bien,  n'est-ce  pas  exagérer  la  protection  que 
d'exiger  les  formalités  très-coûteuses  prescrites  par  l'article  467, 
lorsqu'il  s'agit  d'une  de  ces  contestations  journalières  entre  pro- 
priétaires et  locataires  sur  des  loyers  échus?  n'est-ce  pas  même 


TIT.    XV.    DES   TRANSACTIONS.    ART.    2045.  319 

priver  le  propriétaire  de  l'occasion  de  sauver  une  partie  d'une 
créance  compromise  que  de  la  soumettre  aux  lenteurs  que  ces  for- 
malités entraîneront?  N'est-il  pas  dérisoire  de  réunir  trois  savants 
jurisconsultes  dans  un  cas  pareil  et  d'obtenir  un  jugement  d'homo- 
logation? Ne  vaudra-t-il  pas  bien  souvent  mieux  abandonner  la 
créance?  Nous  sommes  convaincu  qu'en  écrivant  l'article  467  les 
rédacteurs  du  Code  n'ont  pas  songé  à  ces  petits  procès  et  à  ces 
petits  arrangements,  et  ainsi  s'explique  le  caractère  général  de  la 
règle.  Nous  sommes  contraints  de  l'appliquer  dans  sa  généralité 
quand  il  s'agit  des  pouvoirs  du  tuteur,  puisqu'il  y  a  un  texte,  mais 
nous  sommes  heureux  de  profiter  de  l'absence  de  ce  texte  pour  ne 
pas  étendre  la  règle  à  la  capacité  du  mineur  émancipé  (1). 

279  bis.  VI.  La  même  question  se  présente  en  ce  qui  concerne  la 
capacité  de  la  femme  séparée  de  biens.  Nous  l'avons  tranchée, 
quanta  elle,  au  titre  du  contrat  de  mariage  (2).  Puisqu'elle  peut 
disposer  de  son  mobilier,  elle  trouve  dans  l'article  2045  la  capacité 
de  transiger  sur  ce  mobilier,  et  le  texte  de  l'article  1449  lui  est 
plus  favorable  que  ne  l'est,  pour  les  mineurs  émancipés,  l'article  484, 
car  pour  caractériser  l'administration  conférée  à  la  femme  séparée, 
la  loi  la  qualifie  de  libre  et  non  de  pure  administration.  Les  raisons 
que  nous  avons  invoquées  en  ce  qui  touche  le  mineur  sont  encore 
plus  fortes  dès  qu'il  s'agit  de  la  femme  séparée,  et  la  seule  objection 
qu'on  peut  tirer  de  l'importance  qu'a  aujourd'hui  la  fortune  mo- 
bilière est  une  objection  qui  a  trop  de  portée,  car  elle  ne  s'applique- 
rait pas  seulement  à  la  capacité  de  transiger,  mais  à  la  capacité 
générale  d'aliéner  le  mobilier.  Il  serait  peut-être  utile  qu'une 
réforme  législative  mît  l'article  1449  en  harmonie  avec  la  situa- 
tion économique  actuelle,  mais  jusqu'à  cette  réforme  l'article  doit 
être  appliqué  tel  qu'il  est,  et  nous  devons  tirer  toutes  les  consé- 
quences logiques  du  principe  qu'il  pose. 

279  bis.  VIL  Si  nous  ne  parlons  plus  des  questions  de  capacité, 
mais  des  questions  de  pouvoir  eh  matière  de  transaction,  nous 
trouvons  des  dispositions  formelles  de  nos  lois  auxquelles  il  suffit 
de  renvoyer.  L'article  467  règle  les  pouvoirs  des  tuteurs  de 
mineurs  et  d'interdits.  Les  lois  administratives  statuent  sur  les 

(1)  M.  Demante  a  résolu  cetle  question  en  sens  contraire,  t.  II,  253  bis.  V. 
Voyez  aussi,  dans  le  sens  contraire  à  notre  opinion,  M.  Accarias  :  Transactions , 
p.  226,  et  dans  notre  sens,  Aubry  et  Rau,  t.  III,  p.  478.  Édit.  1856. 

(2;  V.  t.  VI,  n»  101  bit.  V. 


320  COUKS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

pouvoirs  des  administrateurs  des  départements,  des  communes  et 
des  établissements  publics,  le  Code  de  commerce  (art.  487  et  535), 
sur  les  pouvoirs  des  syndics  de  faillites,  et  enfin  le  Code  civil  déter- 
mine l'étendue  des  pouvoirs  des  mandataires  conventionnels  suivant 
les  expressions  employées  dans  la  convention  de  mandat  (art.  1988, 
1989). 

280.  Les  particuliers  ne  pouvant  disposer  que  de  ce  qui 
leur  appartient  et  des  droits  établis  en  leur  laveur,  il  est  claii 
que  les  transactions  ne  peuvent  porter  que  sur  des  objets  d'in- 
térêt privé.  Cette  règle,  qui  défend  évidemment  de  les  appli- 
quer a  l'état  des  personnes,  aux  tutelles  et  autres  droits  du 
même  genre,  sert  aussi  à  décider  jusqu'à  quel  point  les  délits 
peuvent  en  être  la  matière.  Rien  n'empêche  de  transiger  sur 
l'intérêt  civil  (v.  pourtant  C  Pr.,  art.  2i9),  mais  sauf  bien 
entendu  la  poursuite  du  ministère  public.  V.  art.  2046,  et  a 
ce  sujet,  art.  6-,  v.  aussi  C.  inst.  crim.,  art.  1  et  4. 

280  bis.  I.  L'article  2046  règle  un  point  spécial  qui  se  rattache  à 
la  théorie  générale  de  l'objet  des  transactions.  Le  Code  ne  s'est 
pas  expliqué  sur  cette  théorie;  apparemment  qu'il  s'en  réfère 
aux  règles  qu'il  a  écrites  au  titre  des  contrats  sur  les  choses  qui 
peuvent  être  l'objet  des  contrats.  Il  faut  cependant  préciser  un  peu 
et  montrer  l'application  des  principes  posés  par  le  titre  des  contrats  a 
la  matière  des  transactions. 

280  bis.  II,  La  règle  est  posée  dans  l'article  1128  :  il  n'y  a  que 
les  choses  qui  sont  dans  le  commerce  qui  puissent  être  l'objet  d'une 
convention.  Il  n'y  a  donc  pas  de  transaction  valable  sur  des  choses 
qui  ne  sont  pas  susceptibles  de  propriété  privée  :  sur  les  droits 
politiques,  sur  les  fonctions  publiques;  sont  également  hors  du  com- 
merce, en  ce  sens  que  les  conventions  sur  ces  objets  sont  interdites  : 
les  successions  futures,  les  droits  résultant  d'un  contrat  de  mariage 
pendant  la  durée  du  mariage,  car  toute  convention  sur  ce  point,  et 
notamment  une  transaction,  ne  serait  pas  autre  chose  qu'une  dé- 
rogation au  contrat  de  mariage  (art.  1395)  :  les  droits  résultant 
d'un  traité  secret  en  matière  de  vente  d'offices. 

280  bis.  III.  Les  droits  qui  constituent  l'état  des  personnes  sont 
également  hors  du  commerce,  parce  que  ces  droits  sont  établis 
par  la  loi  dans  un  intérêt  général,  et  à  raison  de  faits  que  la 


TIT.    XV.    DES    TRANSACTIONS.    ART.    2046.  321 

convention  est,  in  natura  rerum,  impuissante  à  détruire.  Les  consé- 
quences que  la  loi  tire  de  ces  faits,  les  droits  et  les  obligations  qui 
en  dérivent,  se  rattachent  à  des  considérations  de  morale  et  d'uti- 
lité sociale,  elles  sont  la  base  de  l'organisation  de  la  société  tout 
entière,  donc  toute  cette  matière  est  d'ordre  public,  de  sorte  que 
les  conventions  en  général  et  les  transactions  en  particulier  ne 
peuvent  pas  changer  les  règles  de  la  loi.  Partant  pas  de  transaction  sur 
la  nationalité  oulafdiation.  Pas  davantage  sur  le  mariage  dont  l'exi- 
stence ou  l'inexistence  ne  saurait  dépendre  de  la  volonté  des  parties. 
Bien  plus,  s'il  s'agissait  d'un  mariage  annulable,  la  transaction  ne 
serait  pas  possible,  quoique  quelquefois  la  renonciation  à  l'action  en 
nullité  soit  .admise,  parce  qu'il  y  a  une  grande  différence  entre  la 
renonciation,  qui  est  l'acceptation  volontaire  et  désintéressée  d'une 
situation  qu'on  régularise,  et  la  transaction,  qui,  étant  nécessairement 
à  titre  onéreux,  pourrait  être  déterminée  par  des  considérations 
intéressées  et  par  conséquent  ne  serait  pas  consentie  en  toute 
liberté. 

280  bis.  IV.  Dans  le  même  ordre  d'idées,  nous  dirons  que  la 
transaction  ne  peut  avoir  pour  objet  les  droits  résultant  de  la  puis- 
sance paternelle  ou  de  la  puissance  maritale,  ni  ceux  qui  dérivent  des 
régies  de  la  loi  relatives  à  la  tutelle  ;  dans  ces  hypothèses,  la  raison 
générale  que  nous  avons  donnée  se  corrobore  d'une  raison  spéciale 
tirée  de  ce  que  le  droit  dont  on  disposerait  n'est  pas  établi  en 
faveur  de  celui  à  qui  il  appartient,  mais  au  profit  de  l'incapable  à 
qui  il  assure  une  protection. 

280  bis.  V.  C'est  parce  qu'il  s'agit  de  règles  d'ordre  public  que  la 
loi  interdit  les  transactions  sur  les  délits  en  tant  que  la  transaction 
aurait  pour  but  d'entraver  l'action  du  ministère  public,  c'est-à-dire 
du  représentant  de  la  société  chargé  de  poursuivre  les  infractions  à 
la  loi  pénale. 

Mais  comme  du  délit  naît  une  action  civile  en  réparation  du 
dommage  causé  à  la  partie  contre  qui  le  délit  a  été  commis,  la  loi 
permet  la  transaction  quant  à  cette  action;  la  question  alors  est 
toute  d'intérêt  privé,  le  droit  sur  lequel  on  transige  résulte  non 
pas  des  dispositions  des  lois  répressives,  mais  de  l'article  1382  du 
Gode  civil. 

280  bis.  VI.  La  distinction  que  fait  la  loi,  à  propos  des  délits, 
entre  l'intérêt  privé  et  l'intérêt  public,  inspire  une  distinction  ana- 
logue, quand  il  s'agit  de  procès  relatifs  à  l'état  des  personnes.  Nous 
vin.  ,       2i 


322  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE   CIVIL.    LIV.    III. 

l'avons  déjà  dit,  tout  ce  qui  touche  à  l'état  des  personnes  intéresse 
l'or-anisation  de  la  société,  mais  de  la  situation  des  personnes  dans 
la  famille  dérivent  des  droits  pécuniaires  qui  ne  se  confondent  pas 
plus  avec  l'état  que  l'action  civile  résultant  d'un  délit  ne  se  confond 
avec  l'action  publique.  Sur  ces  intérêts  pécuniaires,  on  pourra 
transiger  Ainsi,  un  enfant  légitime  ou  naturel  pourra  transiger  sur 
ses  droits  dans  la  succession,  pourvu  que  la  convention  ne  porte 
pas  sur  sa  qualité  d'enfant  légitime  ou  naturel. 

280  bis  VII   H  est  un  ordre  de  questions  qui  paraît  aussi  se  rat- 
tacher à  des  principes  d'ordre  public  et  d'intérêt  social,  ce  sont 
les  questions  qui  peuvent  s'élever  à  propos  de  dettes  d'aliments. 
Elles  ne  peuvent  être  l'objet  d'un  compromis  (articles  1002,  100*. 
C   Pr  )  d'où  l'on  a  conclu  qu'elles  ne  peuvent  être  non  plus  1  objet 
d'une  transaction.  Nous  n'admettons  pas  cette  assimilation  entre 
le  compromis  et  la  transaction,  et  nous  trouvons  la  preuve  que  la 
loi  considère  la  transaction  comme  moins  dangereuse  que  le  com- 
promis dans  les  règles  sur  les  pouvoirs  du  tuteur,  qui  ne  peut  jamais 
compromettre,  mais  qui  peut  transiger  sous  certaines  conditions. 
280  bis  VIII.  H  faut  donc  examiner  la  question  de  plus  haut,  le 
droit  aux  aliments  existe-t-il  en  vertu  de  dispositions  d'ordre  public? 
Aussitôt  cette  question  posée,  une  distinction  apparaît  nécessaire,  si 
l'on  peut  parler  d'ordre  public  et  d'intérêt  social,  ce  ne  peut  être  qu  a 
propos  des  aliments  dus  en  vertu  de  la  loi,  au  cas  de  parente  ou 
d'alliance.  Mais,  quant  à  ceux  qui  sont  dus  en  vertu  de  conventions 
entre  particuliers,  conventions  à  titre  onéreux  ou  à  titre  gratuit,  ou 
même  en  vertu  de  legs,  il  est  impossible  d'admettre  que  l'obliga- 
tion existe  dans  un  intérêt  public.  Sous  le  nom  de  pension  alimen- 
taire  les  parties  ont  créé  une  rente  viagère,  et  l'on  ne  comprend 
guère  pourquoi  cette  rente  ne  pourrait  pas  être  l'objet  d'une  trans- 
action   Il  est  vrai  que  la  rente  viagère  constituée  à  titre  gratuit 
peut  être  déclarée  insaisissable,  et  que  celle  qui  a  le  caractère  ali- 
mentaire est  protégée  par  l'insaisissabilité  (art.  581  C.  Pr.).  Mais 
il  n'en  résulte  pas  qu'elle  soit  incessible,  et  par  conséquent  de  ce 
fait  ne  résultera  pas  l'impossibilité  d'en  faire  l'objet  d'une  trans- 
action, .ii.i 

280  bis.  IX.  Quant  aux  aliments  dus  en  vertu  de  la  loi,  les  con- 
sidérations d'ordrepublic,  qui  d'abord  paraissent  les  protéger,  ne  nous 
déterminent  pas,  et  nous  admettrons  la  validité  de  hi  transaction; 
car  il  ne  faut  pas  l'oublier,  le  droit  aux  aliments  n'est  pas  épuisé 


TIT.  XV.  DES  TRANSACTIONS.  ART.  2046,  2047.   323 

par  une  première  demande  et  un  premier  jugement  qui  en  déter- 
minent la  quotité.  Si  de  nouveaux  besoins  se  produisent,  si  la  pension 
allouée  devient  insuffisante,  le  créancier  peut  de  nouveau  avoir  re- 
cours à  la  justice  On  peut  donc  valider  la  transaction  sans  craindre 
d'exposer  le  créancier  à  mourir  de  faim,  c'est  dans  ce  cas  seule- 
ment qu'il  y  aurait  une  atteinte  portée  à  l'ordre  public,  et  dans  ce  cas 
précisément,  la  transaction  ne  fera  pas  plus  obstacle  que  ne  le  ferait 
un  jugement  à  la  demande  d'un  supplément  de  pension  alimen- 
taire. Cette  considération  arrêtera  sans  doute,  et  fort  heureusement, 
les  transactions  qui  convertiraient  en  argent  comptant  la  créance 
d'aliments,  car  le  débiteur  ne  serait  pas  protégé  contre  une  action 
ultérieure.  Au  cas  où  la  transaction  aurait  porté  sur  le  chiffre  de  la 
pension,  elle  aurait  au  moins  cet  avantage  que  les  tribunaux,  juges 
de  la  demande  en  supplément,  devraient  non-seulement  constater 
la  situation  financière  actuelle  du  créancier,  mais  rechercher  si  cette 
position  s'est  aggravée  depuis  la  transaction. 

281.  La  transaction  faite  entre  personnes  capables,  sur  des 
objets  qui  en  sont  susceptibles,  et  sous  des  conditions  non 
contraires  aux  lois,  a  pour  effet  naturel  d'établir  une  fin  de 
non-recevoir  contre  les  prétentions  ainsi  abandonnées;  et  si 
les  conditions  ne  sont  déjà  remplies,  de  constituer  les  parties 
respectivement  créancières  pour  leur  accomplissement.  Mais 
on  peut  encore,  pour  mieux  assurer  ce  double  résultat,  forti- 
fier la  transaction,  comme  tout  autre  contrat,  par  l'insertion 
d'une  clause  pénale.  V.  art.  2047. 

281  bis.  I.  Depuis  l'article  2047  jusqu'à  l'article  2052-1»  inclusi- 
vement, le  Code  traite,  un  peu  en  désordre  et  en  sous-entendant 
bien  des  idées  importantes,  des  effets  de  la  transaction. 

L'effet  premier  et  principal  de  la  transaction,  comme  de  toutes  les 
conventions  légalement  formées,  c'est  de  tenir  lieu  de  loi  à  ceux 
qui  l'ont  faite.  Elle  lie  les  parties,  et  puisque  celles-ci  ont  entendu 
prévenir  une  contestation  à  naître  ou  éteindre  une  contestation 
déjà  née,  elle  leur  impose  l'obligation  de  ne  pas  ressusciter  les  pré- 
tentions contraires  auxquelles  elles  ont  respectivement  renoncé  El'e 
fournit  donc  à  chacune  des  parties  contre  l'autre  un  moyen  de 
défense,  une  exception,  comme  dit  quelquefois  le  Gode  civil  pour 
repousser  les  «prétentions  de  celle-ci,  en  tant  qu'elles  auraient  été 
comprises  dans  la  transaction. 

21. 


324  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    111. 

Une  action  naîtrait  aussi  du  contrat  :  1°  si,  par  quelque  acte  de 
fait  contraire  à  la  transaction,  une  partie  avait  porté  préjudice  à 
l'autre;  2°  si  la  transaction  imposait  à  l'une  ou  à  toutes  deux  l'obli- 
gation de  faire  ou  de  donner  quelque  chose,  et  que  cette  obliga- 
tion ne  fût  pas  exécutée. 

281  bis.  II.  Dans  ces  deux  hypothèses,  on  aperçoit  le  fondement 
d'une  action  en  dommages  et  intérêts,  et  par  conséquent  d'une 
stipulation  de  clause  pénale.  La  peine  sera  alors  ce  qu'elle  est  d'or- 
dinaire, la  représentation  des  dommages  et  intérêts;  mais  on  peut 
concevoir  une  clause  pénale  ayant  un  autre  caractère,  nous  l'avons 
dit  sur  l'article  1229  (1).  C'est  la  clause  pénale  stipulée  rato 
manente  facto,  c'est-à-dire  qui  se  cumule  avec  l'exécution  même  de 
l'obligation.  Si  la  contravention  commise  consiste  dans  le  fait  de 
soulever  de  nouveau  la  prétention  éteinte,  on  peut  comprendre  que 
l'adversaire,  tout  en  opposant  l'exception  qui  lui  procurera  le 
bénéfice  effectif  de  la  transaction,  puisse  demander  la  clause  pénale, 
comme  indemnité  du  dérangement  que  lui  cause  le  procès. 
De  même  s'il  s'agit  d'une  contravention  de  fait  à  la  transaction,  si 
par  exemple  la  partie  a  fait  un  travail  qui  lui  était  interdit  par  la 
transaction,  le  cocontractant  peut,  tout  en  faisant  détruire  l'ou- 
vrage, demander  le  montant  de  la  clause  pénale  pour  l'indem- 
niser du  tort  que  cet  ouvrage  lui  a  causé  tant  qu'il  a  existé. 
En  fin  de  compte,  il  n'y  a  rien  là  de  particulier  à  la  transaction 
ni  à  la  clause  pénale,  les  parties  ayant  toujours  le  droit  de  de- 
mander des  dommages  et  intérêts  à  l'occasion  d'un  procès  intenté 
à  tort,  ou  d'un  travail  qui  a  été  nuisible  jusqu'au  moment  où  son 
auteur  a  été  forcé  de  le  détruire. 

Le  seul  point  délicat  sera  l'appréciation  du  caractère  de  la  clause 
pénale.  Comment  distinguer  si  elle  a  été  stipulée  pour  être  cumulée 
avec  l'exécution  ;  c'est  une  affaire  d'interprétation  de  volonté,  par- 
tant affaire  de  fait,  l'importance  de  la  somme  stipulée  donnera  sur 
ce  point  d'utiles  indications  (2). 

281  bis.  III.  Il  est  rare  que  la  transaction  ait  pour  effet  unique  celui 
que  nous  avons  présenté  comme  son  premier  effet,  c'est-à-dire  l'ex- 
tinction des  prétentions  des  parties.  Il  n'en  sera  ainsi  que  quand  les 
deux  contractants  se  prétendraient  mutuellement  créancier  et  débi- 
teur l'un  de  l'autre  de  deux  dettes  différentes,  également  contestées 

(1)  V.  t.  V,  n°  166  bit.  III. 

(2)  V.,  sur  uDe  question  analogue,  t.  V,  n°  166  bis.  II,  injine. 


TIT.    XV.    DES    TRANSACTIONS.    ART.    2047.  325 

par  eux;  le  sacrifice  mutuel,  qui  est  au  fond  de  toute  transaction, 
consiste  alors  dans  l'abandon  pur  et  simple  des  prétentions  réci- 
proques, chacun  renonçant  à  sa  prétendue  créance.  Dès  lors  l'unique 
effet  de  la  transaction  est  de  protéger  chacune  des  parties  contre 
les  poursuites  que  l'autre  voudrait  diriger  contre  elle.  Mais  l'hypo- 
thèse n'apparaît  pas  toujours  aussi  simple  ;  si  la  convention  est  inter- 
venue entre  un  prétendu  débiteur  qui  niait  la  dette  et  le  prétendu 
créancier,  si  elle  a  eu  pour  résultat  une  diminution  du  chiffre  de  la 
prétendue  créance,  elle  produit  certes  un  effet  extinctif  quant  à 
la  partie  de  la  somme  que  le  créancier  a  consenti  à  ne  pas  réclamer; 
mais  pour  la  partie  que  le  débiteur  a  consenti  à  payer,  la  conven- 
tion produit  une  sorte  d'effet  confirmatif;  le  débiteur  qui  niait  la 
dette  a  promis  d'en  payer  une  partie,  et  en  se  dépouillant  pour  cette 
partie  du  droit  de  repousser  l'action  de  son  adversaire,  il  s'est  fait 
débiteur,  s'il  ne  l'était  pas  déjà.  Que  s'il  avait  consenti  à  payer 
autre  chose  que  ce  dont  il  était  prétendu  débiteur,  on  voit  encore 
plus  clairement  qu'il  a  contracté  une  nouvelle  obligation. 

281  bis.  IV.  Si  de  la  transaction  sur  des  droits  personnels  on 
passe  à  la  transaction  qui  a  pour  objet  des  droits  réels,  la  question 
prend  une  autre  physionomie  et  devient  bien  plus  délicate.  Celui,  par 
exemple,  coutre  qui  une  revendication  est  ou  pourrait  être  intentée 
abandonne  la  chose  ou  la  garde,  moyennant  une  somme  d'argent;  il 
reçoit  ou  il  donne  un  autre  corps  certain  ;  ou  bien  deux  parties  qui 
ont  une  contestation  relativement  à  la  propriété  de  plusieurs  biens 
conviennent  qu'elles  se  contentent  chacune  de  quelques-uns  des 
biens  litigieux. 

D'abord,  dans  ces  hypothèses,  la  transaction  engendre  des  obli- 
gations; celui  à  la  charge  de  qui  est  mis  le  paiement  d'une  somme 
promet  cette  somme  et  en  devient  débiteur,  celui  qui  détient  un 
bien  que  la  transaction  attribue  à  l'autre  partie  devient  débiteur 
de  la  livraison  de  cet  objet,  celui  qui  est  chargé  de  donner  un  corps 
certain  en  devient  débiteur  comme  celui  qui  a  promis  de  l'argent 
ou  une  quantité. 

281  bis.  V.  Jusque-là  pas  de  difficultés,  mais  il  reste  deux  points 
très-importants  qu'il  faut  examiner.  En  quoi  consiste  au  juste  l'obli- 
gation de  celui  qui  a  promis  une  chose  déterminée?  a-t-il  promis  la 
propriété  de  cette  chose?  en  doit-il  la  garantie  si  la  partie  à  qui  la 
chose  a  été  livrée  en  est  plus  tard  évincée?  Cette  double  question 
n'est  pas  susceptible  de  controverse  en  ce  qui  touche  les  choses  sur 


326      .      COURS   ANALYTIQUE    DE   CODE   CIVIL.    LIV.  III. 

lesquelles  il  n'existait  pas  de  litige,  et  que  l'une  des  parties  à  pro- 
mises à  l'autre  pour  contre-balancer  les  concessions  que  celle-ci  faisait 
sur  les  choses  litigieuses.  L'une  des  parties  conserve  l'objet  litigieux 
en  promettant  à  l'autre  une  maison  qui  n'était  pas  l'objet  du  pro- 
cès, elle  est  devenue  débitrice  de  cette  maison,  elle  ne  peut  pas 
s'acquitter  valablement  de  son  obligation  si  elle  n'en  transfère  pas 
la  propriété  (art.  1238).  L'autre  partie  a  reçu  ce  bien  en  échange 
de  ses  droits  plus  ou  moins  contestables  sur  la  chose  litigieuse, 
cette  autre  partie  a  donc,  au  cas  d'éviction,  droit  à  la  garantie  (art. 
1705). 

281  bis.  VI.  Mais  la  double  question  que  nous  avons  posée  ne 
peut  pas  être  aussi  facilement  tranchée  quand  il  s'agit  de  la  chose 
ou  des  choses  qui  étaient  l'objet  de  la  prétention.  La  partie  qui  a 
conservé  cette  chose,  moyennant  certains  sacrifices,  a-  t-elle  droit  à 
la  garantie  au  cas  d'éviction?  a- t-elle  acquis  les  droits  du  cocon- 
tractant  qui  a  renoncé  à  ses  prétentions  ? 

Sur  le  premier  point,  nous  pensons  que  le  droit  à  la  garantie 
n'existe  pas.  C'était  l'opinion  de  Pothier  (1),  qui  se  justifie  par 
des  raisons  tirées  de  la  nature  même  de  la  transaction.  Ce  contrat 
a  pour  but  essentiel  d'assurer  la  tranquillité  de  l'une  des  parties  ou 
de  toutes  deux.  Dans  l'hypothèse  où  il  s'agit  de  transiger  sur  un 
droit  réel,  l'intérêt  de  la  transaction  est  de  donner  de  la  sécurité  à 
la  situation  acquise  d'un  possesseur.  Il  avait  la  prétention  d'être 
propriétaire;  survient  un  revendiquant,  il  se  sent  exposé  à  une  évic- 
tion; il  fait  un  sacrifice  pour  éteindre  cette  prétention  rivale,  il  ter- 
mine le  différend.  Voilà  ce  que  nous  dit  l'article  2044,  qui  définit  la 
transaction.  Certes,  c'est  donner  au  contrat  un  effet  absolument  en 
dehors  des  termes  de  cet  article,  que  de  traiter  celui  qui  a  aban- 
donné sa  demande  comme  un  vendeur  du  bien  revendiqué.  Où 
trouve-t-on  dans  la  convention  la  promesse  de  transférer  la  propriété? 
Il  n'y  a  qu'une  promesse  de  s'abstenir  d'attaquer.  Si  l'on  tient  abso- 
lument à  rencontrer  dans  la  convention  une  sorte  de  cession,  ce  qui 
à  notre  avis  est  un  point  de  vue  faux,  on  ne  peut  arriver  qu'à  une 
cession  de  la  prétention,  c'est-à-dire  d'un  droit  litigieux,  d'une  aléa, 
et  cette  cession  ne  saurait  engendrer  une  obligation  de  garantir 
le  succès  de  cette  poursuite  chanceuse  qu'on  appelle  un  procès.  Il 
est  à  remarquer  que  le  Code  est  tout  à  fait  muet  sur  cette  question 

(!)  V.  Pothier,  Contrat  de  vente,  n05  645,  646, 


TIT.    XV.    DES   TRANSACTIONS.    ART.    2047.  327 

de  garantie,  et  qu'une  pareille  obligation  a  bien  besoin  d'être  écrite 
dans  la  loi.  On  a  allégué,  il  est  vrai,  qu'un  article  formel  éta- 
blissant cette  obligation  n'a  été  repoussé  dans  la  discussion  au  Con- 
seil d'État  que  sur  des  observations  obscures  et  fort  contestables 
qui  permettent  de  supposer  que  l'article  a  paru  inutile.  Nous  consi- 
dérons cette  supposition  comme  arbitraire,  et  nous  interprétons  le 
silence  de  la  loi  comme  un  refus  de  la  garantie. 

La  conséquence  de  notre  doctrine,  c'est  que  le  possesseur  évincé 
n'a  pas  d'action  en  dommages  et  intérêts,  et  qu'il  n'aurait  pas  même 
le  droit  de  répéter  ce  qu'il  a  donné  en  vertu  de  la  transaction,  car 
ces  prestations  ont  une  cause  suffisante  dans  l'abandon  des  droits 
tels  quels,  qui  étaient  invoqués  par  son  adversaire. 

281  bis.  VIL  L'autre  question  est  plus  douteuse.  La  transaction 
est-elle  translative  de  droits?  L'une  des  parties  conserve  le  bien 
litigieux  ou  en  reçoit  la  possession  en  vertu  de  la  transaction, 
acquiert-elle  par  cette  transaction  un  droit  nouveau,  ou  reste-t-elle 
par  rapport  à  ce  bien  ce  qu'elle  était  avant  la  transaction,  avec  le 
titre  qu'elle  prétendait  avoir,  et  pas  davantage?  Cette  question,  plus 
ancienne  que  le  Code  civil,  nous  paraît  avant  tout  une  question 
d'intention.  Les  parties  peuvent  certainement  convenir  que  celle 
qui  renonce  à  sa  prétention  cède  par  là  même  à  l'autre  ses  droits 
sur  la  chose  litigieuse,  celle-ci  devient  alors  ayant  cause  de  celle-là, 
et  elle  cumule  désormais  avec  son  droit  propre  celui  de  l'autre,  ou 
pour  mieux  dire,  elle  acquiert  le  droit  d'invoquer  le  titre  de  son 
cocontractant,  si  le  sien  peut  paraître  insuffisant.  Elles  peuvent 
aussi  s'expliquer  en  sens  inverse,  et  déclarer  que  la  renonciation  à 
la  prétention  n'est  pas  autre  chose  qu'une  abdication,  une  sorte  de 
déclaration  de  neutralité  n'impliquant  aucun  transport  de  droit  à 
celui  qui  reste  ou  devient  possesseur  de  la  chose  litigieuse.  Ces 
deux  conventions  si  diverses  seraient  toutes  deux  des  transactions, 
car  la  définition  de  l'article  2045  est  assez  large  pour  les  embrasser. 
On  a,  dans  les  deux  cas,  éteint  ou  prévenu  un  différend  par  des  sacri- 
fices que  nous  supposons  réciproques;  dans  le  premier  cas,  le  sacri- 
fice fait  par  lune  des  parties  consiste  dans  la  cession  de  ses  droits; 
dans  l'autre,  il  en  est  le  simple  abandon;  deux  sacrifices  d'inégale 
importance,  mais  dont  le  moindre  suffit  pour  que  la  convention  ait 
les  caractères  légaux  de  la  transaction. 

281  bis.  VIII.  La  difficulté  n'est  pas  là,  elle  naît  quand  la  conven- 
tion n'est  pas  explicative  et  qu'il  s'agit  de  savoir  laquelle  des  deux 


328  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

a  été  dans  la  pensée  des  parties.  Il  faut  alors  interpréter  d'après  les 
règles  générales  du  titre  des  contrats,  c'est-à-dire  qu'il  faut  recher- 
cher quelle  a  été  la  commune  intention  des  parties.  L'intention  de 
celle  qui  prend  ou  garde  la  chose  litigieuse  est  hien  certaine,  elle  a 
dû  vouloir  acquérir  le  plus  de  moyens  possible  de  conserver  la 
chose  litigieuse;  or,  il  est  vrai  qu'elle  s'en  prétendait  propriétaire, 
mais  sa  croyance  a  dû  être  quelque  peu  ébranlée  par  le  procès  ou 
la  menace  du  procès,  puisqu'elle  a  cru  prudent  de  transiger;  elle 
doit  donc  songer  à  d'autres  prétentions  possibles  dans  l'avenir,  et 
chercher  à  s'armer  aussi  énergiquement  qu'elle  le  pourra  en  vue 
des  luttes  futures,  elle  doit  désirer  joindre  à  son  titre  celui  de  l'ad- 
versaire dont  elle  se  débarrasse  par  un  sacrifice.  L'autre  partie  n'a 
pas  le  même  intérêt,  mais  elle  n'a  pas  non  plus  d'intérêt  à  ne  pas 
céder  ses  droits  prétendus,  car  ils  lui  deviennent  inutiles;  pourrait- 
elle  essayer  de  les  exercer  contre  des  tiers  devenus  possesseurs  de 
la  chose?  Si  elle  réussissait  à  les  évincer,  elle  serait  alors  attaquée 
en  revendication  par  celui  avec  qui  elle  a  autrefois  transigé,  et 
appuyé  sur  la  transaction,  celui-ci  lui  reprendrait  le  bien  disputé. 
Si  cette  partie  n'a  pas  d'intérêt  à  conserver  son  droit,  ne  doit-on 
pas  facilement  supposer  qu'elle  le  cède?  Entre  ces  deux  contrac- 
tants dont  l'un  a  intérêt  à  acquérir  les  droits  de  l'autre,  et  dont  cet 
autre  n'a  aucun  intérêt  à  ne  pas  les  céder,  la  présomption  n'est- 
eile  pas  que  la  convention  intervenue  est  une  cession?  Il  est  vrai 
que  peut-être  les  parties  ont  parlé  d'une  renonciation,  mais  ce  mot 
lui-même  manque  de  précision,  car  il  y  a  des  renonciations  in/avo- 
rem  (v.  art.  780,  2e  alin.),  dès  lors  il  doit  être  interprété  dans  le 
sens  qui  convient  mieux  à  la  matière  du  contrat  (art.  1158),  et 
nous  venons  de  montrer  que  d'après  la  volonté  probable  des  parties, 
le  contrat  de  transaction  implique  plutôt  une  cession  qu'un  simple 
abandon  du  droit. 

281  bis.  IX.  On  élève  des  objections  sérieuses  contre  cette  manière 
d'interpréter  le  contrat  de  transaction.  On  allègue  surtout  que  la 
doctrine  presque  universellement  admise  dans  l'ancien  droit  est 
contraire,  que  la  loi  du  22  frimaire  an  VII,  sur  l'enregistrement, 
la  condamne,  et  que  l'article  2052  du  Code  civil  confirme  cette 
condamnation.  Nous  examinerons  successivement  ces  trois  objections. 

281  bis.  X.  D'abord  il  faut  remarquer  que  la  doctrine  ancienne 
qui  remonte  à  Dumoulin  a  surtout  été  inspirée  par  l'esprit  anti- 
féodal qui  animait  les  anciens  jurisconsultes  :  il  s'agissait  avant  tout 


TiT.    XV.    DES    TRANSACTIONS.    AKT.    2047.  329 

pour  eux  de  soustraire  la  transaction  aux  droits  seigneuriaux 
atteignant  les  mutations  de  propriété,  et  la  doctrine  de  la  transaction 
déclarative  de  propriété  a  été  préconisée  dans  le  même  but  que  la 
doctrine  du  partage  déclaratif.  Mais  cette  dernière  doctrine  présente 
des  avantages  pratiques  considérables  au  point  de  vue  des  divers 
copartageants  et  du  crédit  public,  elle  a  été  expressément  conservée 
par  le  Code  ;  l'autre  n'a  pas  été  reproduite  par  le  Gode,  parce  qu'elle 
était  devenue  inutile  au  point  de  vue  fiscal  depuis  qu'elle  avait  été 
réglée  plus  ou  moins  clairement  par  une  loi  spéciale,  et  parce  que, 
au  point  de  vue  civil,  elle  sacrifiait  les  intérêts  des  parties  con- 
tractantes sans  profit  pour  le  crédit  public,  en  laissant  subsister  des 
causes  d'incertitude  de  la  propriété  qui  disparaissent  quand  on  con- 
sidère la  transaction  comme  translative  de  droit. 

281  bis.  XL  Est-ce  la  loi  du  22  frimaire  an  VII  sur  l'enregistre- 
ment qui  a  tranché  la  question  dans  le  sens  de  la  jurisprudence 
ancienne?  L'eût- elle  tranchée,  nous  pourrions  dire  qu'elle  n'a  traité 
que  la  question  fiscale,  et  qu'elle  a  laissé  intacte  la  question  civile, 
comme  elle  a  fait  pour  la  licitation  entre  copropriétaires  qui,  entraî- 
nant des  droits  de  mutation  proportionnels  d'après  l'article  (69-5°  et 
§  7-4°),  n'en  est  pas  moins  traitée  comme  déclarative  par  l'arti- 
cle 883  du  Gode  civil.  A  l'inverse,  elle  peut  avoir  dispensé  du  droit 
de  mutation  proportionnel  la  transaction  que  le  Code  civil  aurait 
ensuite  considérée  comme  ayant  un  effet  translatif. 

Au  surplus,  l'article  68,  §  lcr-45°  de  la  loi  de  frimaire,  en  sou- 
mettant à  un  droit  fixe  la  transaction,  ajoute  :  pourvu  qu'elle  ne 
contienne  aucune  stipulation  de  somme  ou  de  valeur,  ni  dispo- 
sitions soumises  par  la  présente  à  un  plus  fort  droit  d'enregistre- 
ment. On  peut  donc  dire  qu'elle  laisse  intacte  la  question  d'inter- 
prétation, et  que  la  transaction  pourra  être  considérée  comme  un 
acte  translatif,  suivant  l'interprétation  qu'on  lui  donnera.  C'est 
ainsi  que  l'a  entendu  la  Cour  de  cassation  dans  un  arrêt  rendu 
Chambres  réunies,  le  12  décembre  1865  (1),  où  nous  rencontrons 
ce  motif  :  «  Attendu  que  la  transaction,  intervenue  entre  les  parties, 
a  été  un  contrat  commutatif  par  lequel  l'une  des  parties  s'est 
volontairement  dessaisie  d'une  portion  des  biens  de  la  succession 
dont  elle  était  également  investie,  et  qu'en  stipulant  de  la  part 
de  la  légataire  universelle  l'abandon  d'une  partie  des  biens  légués, 

(1)  Sirey,  1866, 1,  73. 


330  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

elle  a  été  essentiellement  translative  de  propriété.  »  Ces  raison- 
nements, par  lesquels  la  jurisprudence  introduit  des  distinctions 
sur  l'article  68,  §  1-45°,  de  la  loi  du  22  frimaire,  dépouillent  de 
toute  force  cette  disposition  de  la  loi  fiscale  en  ce  qui  concerne  la 
difficulté  de  droit  civil  que  nous  examinons. 

281  bis.  XII.  L'article  2052  du  Gode  civil  n'est  pas  plus  dé- 
monstratif dans  le  sens  de  la  doctrine  ancienne  :  il  tente  une  assi- 
milation entre  l'autorité  de  la  transaction  et  celle  de  la  chose  jugée, 
d'où  l'on  conclut  que  puisque  les  jugements  n'ont  qu'un  effet  décla- 
ratif des  droits  préexistants,  il  doit  en  être  de  même  de  la  trans- 
action. Mais  il  faut  se  garder  de  confondre  le  mot  autorité  et  l'expres- 
sion effet.  Quand  on  parle  de  l'autorité  de  la  chose  jugée,  on  entend 
traiter  de  la  valeur  qu'a  le  jugement  en  ce  qui  concerne  le  point 
litigieux.  Le  jugement  supprime  le  litige  entre  les  parties,  il  de- 
vient une  vérité,  voilà  en  quel  sens  il  a  autorité,  c'est-à-dire  qu'il 
s'impose  et  que  la  contestation  ne  peut  pas  renaître  ;  la  transaction 
aussi  impose  aux  parties  la  nécessité  de  ne  pas  reprendre  le  diffé- 
rend, en  ce  sens  elle  a  une  autorité  semblable  à  celle  du  jugement. 
Mais  elle  a  certes  des  effets  que  ne  produirait  pas  le  jugement,  elle 
crée  certainement  des  obligations  quand  l'une  des  parties  promet 
une  chose  qui  n'est  pas  la  chose  litigieuse  ;  les  jugements  n'ont  pas 
cet  effet,  car  alors  même  qu'ils  condamnent  à  des  dommages  et 
intérêts,  ils  ne  créent  pas  l'obligation,  ils  constatent  qu'elle  préexiste 
en  vertu  d'un  dommage  causé,  et  ils  en  fixent  le  montant.  Si  la 
transaction  diffère  certainement  du  jugement  en  ce  qu'elle  peut 
avoir  pour  effet  de  créer  une  obligation,  on  peut  bien  dire  aussi 
qu'elle  en  diffère  en  ce  qu'elle  peut  transférer  la  propriété,  l'auto- 
rité des  deux  actes  est  la  même  en  tant  qu'ils  ne  permettent  plus 
aux  parties  de  recommencer  le  procès,  les  effets  sont  différents, 
parce  que  la  volonté  souveraine  des  parties  peut  engendrer  des 
droits  que  les  juges  ne  pourraient  pas  créer  (1). 

281  6m.  XIII.  Des  conséquences  fort  graves  dérivent  de  la  solu- 
tion que  nous  venons  de  donner. 

1°  La  transaction,  lorsqu'elle  ne  contiendra  pas  une  simple  abdi- 
cation de  droit,  pourra  constituer  un  juste  titre  que  le  possesseur 

(1)  V.  M.  Accarias,  Transactions,  p.  282  et  suiv.,  et  Consultation  de  MM.  Va- 
lette, Duverger  et  G.  Demante,  reproduite  par  M.  Gabriel  Déniante  Principes  de 
l'Enregistrement,  t.  I°r.  Appendice,  p.  544.  Édit.  187S.  En  sens  inverse,  Aubry  et 
Rau.t.  III,  p.  485,  édit.   1856,  et  C.  C,  3  janvier  1882.  Sirey,  1883,  I,  349. 


T1T.  XV.  DES  TRANSACTIONS.  ART.  2047,  2048.   331 

invoquera  pour  arriver  à  la  prescription  par  dix  ou  vingt  ans.  Elle 
lui  sera  utile  quand  il  était  lui-même  possesseur  sans  juste  titre. 

2°  La  transaction  devra  être  transcrite  dans  les  conditions  de  la 
loi  de  185o,  toutes  les  fois  que  le  possesseur  jugera  utile  d'invoquer 
les  droits  de  son  cotransigeant  contre  des  tiers  qui  auraient  acquis 
des  droits  sur  l'immeuble  du  chef  de  celui-ci  ou  du  chef  de  ses 
auteurs. 

3°  S'il  s'agit  de  meubles  corporels,  la  transaction  changera  le 
caractère  de  la  possession  et  lui  fera  produire  les  effets  qui 
résultent  de  l'article  2279. 

281  bis.  XIV.  4°  Enfin  on  pourrait  croire  que  si  un  époux  con- 
serve, pendant  le  mariage,  par  une  transaction,  un  immeuble  sur 
lequel  il  avait  des  prétentions  antérieures  au  mariage  et  dont  il 
avait  peut-être  même  la  possession  légale,  cette  opération,  consti- 
tuant une  acquisition  à  titre  onéreux,  doit  donner  à  l'immeuble  le 
caractère  d'acquêt.  On  abuserait  alors  de  notre  doctrine,  car  l'ar- 
ticle 1402  est  formel;  il  fait  propres  tous  les  biens  sur  lesquels 
l'époux  avait  des  droits  antérieurs  au  mariage.  Or,  la  transac- 
tion, tout  en  étant  dans  notre  opinion  translative  de  droit,  en  ce 
sens  que  la  partie  peut  invoquer  les  droits  que  prétendait  avoir 
son  adversaire,  n'est  pas  moins  pour  cette  partie  un  acte  conso- 
lidant des  droits  contestés.  Elle  considérait,  au  moment  du  mariage, 
l'immeuble  comme  sa  propriété,  elle  a  fait  plus  tard  un  sacri- 
fice pour  le  garder,  comme  un  tiers  détenteur  en  fait  pour  conserver 
le  bien  hypothéqué;  mais  dans  sa  pensée,  lors  du  mariage,  elle  avait 
un  immeuble,  et  tacitement  elle  en  faisait  un  propre;  or,  c'est  l'in- 
tention des  parties  qu'il  faut  considérer,  car  l'adoption  du  régime 
de  communauté  légale  est  une  convention  tacite  de  contrat  de 
mariage.  L'immeuble  reste  propre  ;  mais  si  des  sacrifices  ont  été 
faits  au  détriment  de  la  communauté  pour  en  assurer  la  conserva- 
tion, une  indemnité  est  due  (art.  1437)  (1). 

282.  Quelque  illimitée  que  soit  la  faculté  de  transiger  sur 
les  objets  dont  la  nature  n'est  pas  exclusive  de  cette  faculté-, 
quelque  disposé  d'ailleurs  qu'on  puisse  être  à  favoriser  l'effet 
d'un  acte  qui  tend  a  étouffer  les  procès,  toujours  est-il  vrai 
que  la  transaction,  tirant  uniquement  sa  force  de  la  volonté 

(1)  V.  sur  toute  cette  théorie  11  Accarias,  Transactions,  p.  286  et  suiv. 


332  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV .    III. 

des  contractants,  ne  peut  s'appliquer  qu'aux  objets  que  cette 
volonté  a  embrassés;  elle  ne  règle  donc  que  le  différend  qui 
y  a  donné  lieu-,  et  si  elle  contient  renonciation  à  tous  droits, 
actions  et  prétentions,  cette  clause  ne  doit  s'entendre  que  de 
ce  qui  est  relatif  a  ce  différend.  V.  art.  2048-,  v.  a  ce  sujet 
1156,  1163  :  v.  aussi  Ulp.,  L,  9,  §  1,  D.  de  transact.;  Diocl. 
et  Max.,  L.  31 ,  Cod.,  eody  Sans  préjudice,  bien  entendu,  de 
la  faculté  de  comprendre  plusieurs  différends  dans  la  même 
transaction. 

Quant  a  l'intention  de  comprendre  dans  la  transaction  un 
ou  plusieurs  différends,  il  faut  évidemment,  pour  en  juger, 
appliquer  les  règles  ordinaires  d'interprétation,  soit  en  Ratta- 
chant aux  expressions  spéciales  ou  générales  qui  manifestent 
l'intention ,  soit  en  reconnaissant  celte  intention  par  une  suite 
nécessaire  de  ce  qui  est  exprimé.  V.  art.  12049. 

282  bis.  L'effet  de  la  transaction,  qui  consiste  principalement 
dans  l'extinction  d'un  droit  litigieux,  est  limité  au  droit  même  que 
les  parties  ont  eu  en  vue.  C'est  l'application  pure  et  simple  de  l'ar- 
ticle 1163  sur  l'interprétation  des  conventions,  par  conséquent 
l'effet  n'est  produit  que  par  rapport  à  l'objet  sur  lequel  les  parties 
ont  entendu  transiger,  et  encore  relativement  à  cet  objet,  la  trans- 
action ne  produit  son  effet  que  par  rapport  au  différend  que  les 
parties  ont  voulu  terminer.  Il  est  clair,  par  exemple,  que  celui  qui 
a  transigé  sur  une  succession,  n'a  pas  renoncé  a  réclamer  par  une 
action  en  revendication  un  des  biens  compris  dans  la  succession. 
La  chose  sur  laquelle  on  a  transigé  était  la  succession,  celle  qui 
est  l'objet  de  la  revendication,  c'est  un  immeuble  déterminé,  les 
deux  prétentions  ne  portent  pas  sur  la  même  chose. 

Alors  que  la  chose  est  la  même,  il  peut  arriver  que  le  droit  pré- 
tendu ne  soit  pas  celui  sur  lequel  on  a  entendu  transiger.  Exemple  : 
la  transaction  portant  sur  la  nullité  d'un  testament,  la  nouvelle 
prétention  consiste  à  demander  la  réduction  des  legs  contenus  dans 
le  testament  et  qui  dépassent  le  disponible;  la  chose  est  la  même, 
c'est  la  succession,  la  prétention  est  bien  différente. 

283.  Les  transactions  se  renfermant  dans  leur  objet,  et  ne 
pouvant,  par  analogie,  s'appliquer  à  un  différend  qui  n'y  a  pas 
été  compris,  il  en  résulte  qu'on  ne  doit  pas  les  étendre  à  un 


TIT.    XV.    DES   TRANSACTIONS.    ART.    2048-2050.         333 

droit  postérieurement  acquis,  quelle  que  soit  sa  similitude 
avec  celui  qui  en  a  fait  la  matière.  La  loi  applique  ce  principe 
au  cas  où  une  partie,  ayant  transigé  sur  un  droit  qu'elle  avait 
de  son  chef,  en  acquerrait  un  semblable  du  chef  d'une  autre 
personne.  Elle  déclare  en  conséquence  que  cette  partie,  quant 
au  droit  nouvellement  acquis,  n'est  pas  liée  par  la  transaction. 
V.  art.  2050-,  Ulp.,  L.  9,  D.  de  transact. 

283  bis.  I.  Il  n'y  a  pas  identité  de  chose  dans  le  cas  prévu  par 
l'article  20o0.  Pierre  a  transigé  sur  ses  droits  dans  la  succession 
de  Paul,  dont  il  se  prétendait  héritier  pour  moitié,  après  la  trans- 
action, il  hérite  de  Jean,  son  cohéritier;  et  par  conséquent  il  a,  pour 
cette  seconde  moitié  de  la  succession,  la  même  prétention  que  celle 
qu'il  avait  sur  la  première  moitié.  Mais  ces  deux  moitiés  de  la  suc- 
cession sont  choses  différentes,  et  la  transaction  faite  par  rapport 
à  l'une  ne  peut  pas  lier  le  contractant  par  rapport  à  l'autre. 

283  bis.  II.  On  a  pu  soutenir  toutefois  que  quand  la  transaction 
avait  eu  le  caractère  d'une  confirmation  d'acte  annulable,  il  était 
difficile  d'admettre  que  cette  confirmation  fût  sans  influence  sur 
une  moitié  de  l'acte  quand  elle  a  validé  l'autre  moitié.  Exemple  : 
une  donation  nulle  en  la  forme  a  été  confirmée  par  un  des  héritiers 
du  donateur  (art.  1340).  Cet  héritier  devient  héritier  de  son 
cohéritier,  qui  avait  conservé  intact  le  droit  de  faire  annuler  la 
donation.  Est-ce  que  la  confirmation  n'est  pas  une  reconnaissance 
de  la  validité  de  la  donation?  est-ce  qu'elle  n'avoue  pas  que  le 
donateur  l'a  faite  en  toute  liberté?  Sera-t-il  possible  de  diviser  cet 
aveu  et  de  permettre  à  celui  qui  l'a  fait  de  faire  annuler  la  dona- 
tion pour  moitié,  en  s'appuyant  sur  la  présomption  du  défaut  de 
liberté  dans  le  consentement,  qui  est  la  base  d'une  action  en  nullité 
de  donation  pour  vice  de  forme?  Nous  n'hésitons  pas  à  dire  que  cette 
prétention  de  la  partie  qui  a  transigé  est  admissible.  En  effet,  si 
l'on  s'appuie  sur  l'article  2050,  cela  n'est  pas  douteux,  et  si  l'on 
invoque  les  principes  de  la  confirmation,  on  arrive  au  même  résultat  ; 
car,  d'après  le  Code  civil,  la  confirmation  n'est  valable  qu'autant 
qu'elle  indique  non-seulement  le  vice  qui  entachait  l'acte  ratifié, 
mais  la  substance  de  l'obligation  ratifiée,  autrement  dit  il  faut  que 
l'acte  prouve,  chez  celui  qui  confirme,  la  connaissance  exacte  de 
ce  à  quoi  il  s'oblige  en  confirmant  une  obligation.  Cette  théorie  est 
générale,  l'article  1338  s'applique  aux  actes  translatifs  de  propriété,  il 


334  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

signifie  donc  que  le  confirmant  doit  savoir  quelle  est  l'importance 
de  l'aliénation  qu'il  renonce  à  attaquer.  Or,  dans  l'hypothèse  que 
nous  examinons,  c'est  la  donation  d'une  moitié  et  non  pas  la 
donation  totale  que  l'héritier  confirmait,  peut-être  aurait-il  hésité 
à  renoncer  au  droit  que  lui  confère  l'article  1339,  s'il  avait  su  toute 
la  valeur  de  ce  droit. 

284.  A  plus  forte  raison,  la  transaction  faite  par  un  inté- 
ressé ne  peut-elle  être  appliquée  à  un  autre,  pour  lequel 
celui-là  n'avait  pas  pouvoir  d'agir.  Il  est  clair  donc  que  l'au- 
tre ne  pourra  ni  être  lié  par  la  transaction ,  ni  l'opposer  en  sa 
faveur.  V.  art.  20ol  ;  Scœv._,  L.  3,  pr.  et  §  2,  D.  detransact. 

284  bis.  I.  L'effet  de  la  transaction,  comme  celui  de  toutes  les 
conventions,  est  relatif,  c'est-à-dire  qu'il  ne  se  produit  qu'entre  les 
parties  contractantes;  cela  avait  à  peine  besoin  d'être  dit,  c'est 
l'application  de  l'article  1165.  Seulement,  la  partie  peut  avoir  été 
représentée  par  un  mandataire,  et  dès  lors  il  est  certaines  personnes 
entre  lesquelles  il  existe  une  relation  juridique  qui  peut  être  quelque- 
fois celle  qui  résulte  du  mandat,  et  il  est  bon  d'examiner  si  ce 
mandat  implique  le  pouvoir  de  transiger. 

La  question  se  présente  à  propos  des  créanciers  et  débiteurs 
solidaires,  des  cocréanciers  et  codébiteurs  de  choses  indivisibles, 
et  aussi  par  rapport  aux  débiteurs  principaux  et  aux  cautions. 

284  bis.  H.  Parlons  d'abord  des  cocréanciers  solidaires.  Nous 
avons  examiné  la  question  sur  le  titre  des  contrats,  et  nous  avons  dit 
que  le  créancier  solidaire  ne  peut  éteindre  la  prétention,  si  ce  n'est 
pour  sa  part,  qu'il  n'a  pas  mandat  de  disposer  du  droit  des  autres, 
et  que  logiquement,  ne  les  représentant  pas  pour  les  lier,  il  ne  peut 
pas  les  représenter  pour  leur  acquérir  un  droit,  d'où  il  résulterait 
que  ses  cocréanciers  ne  peuvent  pas  invoquer  la  transaction  dont 
on  ne  pourrait  pas  se  prévaloir  contre  eux  (1). 

284  bis.  III.  En  ce  qui  concerne  les  codébiteurs  solidaires,  la 
solution  doit  être  la  même,  car  s'ils  ont  un  mandat  mutuel  de  se 
représenter  en  ce  qui  concerne  les  interruptions  de  prescription  et 
les  actes  qui  font  courir  les  intérêts,  on  ne  pourrait  pas  soutenir 
qu'ils  ont  un  mandat  de  reconnaître,  même  au  prix  de  concessions 
réciproques,  l'existence  de  la  dette  solidaire  ou  l'existence  même  de 

(1)  V.  t.  V,  n»  130  bis.  III. 


TIT.    XV.    DES   TRANSACTIONS.    ART.    2051 .  335 

la  solidarité;  ils  ne  peuvent  pas  aggraver  la  situation  de  leurs  pré- 
tendus codébiteurs ,  donc  la  transaction  ne  doit  pas  produire  d'effet 
contre  ceux  qui  n'y  ont  pas  pris  part.  De  là  nous  concluons  qu'elle 
ne  peut  pas  non  plus  leur  profiter,  car  s'ils  ne  sont  pas  mandataires 
pour  consentir  aux  abandons  de  droit  que  suppose  la  transaction, 
ils  ne  doivent  pas  l'être  davantage  pour  stipuler  les  avantages 
qu'elle  contient.  La  transaction  est  un  tout,  et  le  mandat  de  transiger 
doit  être  un  pouvoir  de  consentir  à  l'ensemble  des  clauses  que  ce 
tout  comporte;  on  ne  doit  pas  interpréter  en  sens  différent  un 
mandat,  surtout  un  mandat  tacite. 

Il  est  vrai  que  l'article  1285  établit  que  la  remise  de  dette  con- 
venue avec  un  des  codébiteurs  solidaires  profite  aux  autres,  mais 
c'est  là  une  disposition  que  nous  avons  critiquée  et  qui  n'est  pas  en 
harmonie  avec  d'autres  décisions  de  la  loi,  notamment  avec  celle 
qui  concerne  la  remise  de  solidarité;  il  ne  faut  pas  s'en  faire  un 
argument.  D'ailleurs,  on  pourrait  comprendre  que  la  loi  eût  facile- 
ment présumé  le  mandat  tacite  d'accepter  une  remise  de  dette, 
c'est-à-dire  de  consentir  à  un  acte  simple  et  essentiellement  avan- 
tageux, sans  présumer  le  mandat  de  faire  un  acte  aussi  com- 
plexe et  aussi  dangereux  qu'une  transaction. 

284  bis.  IV.  Ce  que  nous  venons  de  dire  des  cocréanciers  et  des 
codébiteurs  solidaires  est  vrai  à  fortiori  des  cocréanciers  et  codé- 
biteurs de  choses  indivisibles,  car  dans  le  cas  d'indivisibilité  on 
n'aperçoit  même  pas  le  mandat  limité  qui  produit  certains  effets 
quand  les  créances  ou  les  dettes  sont  solidaires.  Nous  n'avons  donc 
pas  à  mesurer  l'étendue  des  pouvoirs  résultant  d'un  mandat  qui 
n'existe  pas. 

284  bis.  V.  Restent  le  débiteur  principal  et  la  caution.  Il  est  clair 
que  la  caution  n'est  pas  mandataire  du  débiteur  principal,  qu'elle 
ne  peut  pas  par  conséquent  abandonner  la  prétention  que  celui-ci 
aurait  d'être  libéré,  par  exemple  par  un  paiement,  d'où  cette  consé- 
quence logique  que  le  débiteur  principal  ne  pourrait  pas  argumenter 
de  ce  que  la  transaction  pourrait  avoir  d'avantageux,  par  exemple 
d'une  réduction  du  chiffre  de  la  dette.  Seulement,  si  la  caution 
avait  ainsi  transigé  moyennant  une  certaine  somme,  l'article  1288 
imposerait  au  créancier  la  nécessité  d'imputer  cette  somme  sur  la 
dette  principale.  Ce  ne  serait  pas  alors  la  transaction  qu'invoquerait 
le  débiteur,  mais  ce  serait  le  paiement  partiel  accompli  parla  caution, 
comme  il  aurait  pu  être  effectué  par  un  tiers  à  la  décharge  du  débiteur. 


336  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

284  bis.  VI.  Le  débiteur  principal  n'est  pas  non  plus  mandataire 
de  la  caution;  mais  comme  la  dette  de  celle-ci  n'est  qu'accessoire, 
elle  cesse  d'exister  dès  que  le  principal  disparaît,  partant  la  trans- 
action qui  diminuera  la  dette  principale  profitera  à  la  caution, 
comme  profiterait  une  remise  (art.  1287),  et  la  transaction  qui 
changerait  l'objet  de  la  dette  principale  entraînerait  extinction  com- 
plète du  cautionnement. 

284  bis.  VII.  La  transaction  peut  être  intervenue  en  matière  de 
droit  réel,  et  des  difficultés  analogues  à  celle  que  nous  venons 
d'examiner  peuvent  se  présenter.  Si  par  exemple  on  songe  à  une 
transaction  conclue  entre  un  grevé  de  substitution  et  un  tiers  qui 
revendique  un  bien  faisant  partie  de  la  substitution,  quel  sera 
l'effet  de  la  convention  par  rapport  aux  appelés?  Le  grevé  n'est  pas 
le  représentant  des  appelés,  et  d'un  autre  côté  ceux-ci  ne  sont  pas 
ses  ayants  cause,  donc  la  transaction  est,  par  rapport  à  eux,  res  inter 
aîios  acta.  On  pourrait  peut-être,  si  la  transaction  était  nécessaire, 
la  faire  dans  les  conditions  requises  par  les  transactions  intéressant 
les  mineurs,  c'était  la  disposition  de  l'ordonnance  de  1747  sur  les 
substitutions;  mais  dans  le  silence  du  Code,  on  peut  hésiter  très- 
sérieusement  à  admettre  cette  solution  (1). 

Il  faut  étendre  ce  que  nous  venons  de  dire  à  toutes  les  hypothèses 
où  le  contractant  sera  un  propriétaire  sous  condition  résolutoire, 
il  n'aura  pas  eu  le  pouvoir  de  faire  une  transaction  opposable  au 
propriétaire  sous  condition  suspensive  ou  par  lui. 

284  bis  VIII.  L'héritier  apparent  ressemble  en  fait,  sinon  en  droit, 
à  un  propriétaire  sous  condition  résolutoire.  Aussi  les  transactions 
qu'il  aurait  consenties  pourraient  être  traitées  comme  nulles  par 
rapport  à  l'héritier  véritable.  Elles  sont  faites  a  non  domino.  Mais 
une  jurisprudence  constante  valide  les  aliénations  consenties  par 
l'héritier  apparent,  et  en  admettant  cette  jurisprudence,  on  doit 
valider  les  transactions. 

C'est  au  possesseur  d'une  hérédité  que  la  jurisprudence  reconnaît 
le  droit  d'aliéner,  d'où  nous  concluons  au  droit  de  transiger.  Nous 
n'en  dirons  pas  autant  du  possesseur  d'une  chose  singulière.  Quant 
à  lui,  nous  rentrons  sous  l'application  des  principes  généraux 
auxquels,  quand  il  s'agit  de  l'héritier  apparent,  la  jurisprudence 
fait  brèche  par  des  raisons  dérivées  de  la  nature  spéciale  de  la  chose 

(1)  V.  t.  IV,  n»  213  bis.  V. 


TIT.  XV.  DES  TRANSACTIONS.  ART.  20ol,  2052    337 

possédée,  qui  est  une  universalité.  Le  possesseur  d'un  bien  à  titre 
singulier  n'a  pas  mandat  du  vrai  propriétaire,  donc  il  ne  peut  com- 
promettre ses  droits  par  une  transaction,  partant  il  ne  pourra  pas 
non  plus  acquérir  les  droits  résultant  d'une  convention  avanta- 
geuse. La  convention  est,  par  rapport  au  vrai  propriétaire,  res  inter 
altos  acta.  Il  n'est  pas  d'ailleurs  possible  de  considérer  le  possesseur 
comme  un  gérant  d'affaire,  car  puisqu'il  possède  avec  Yanimus 
domini,  cet  animus  est  exclusif  de  l'idée  qu'il  songerait  au  vrai  pro- 
priétaire quand  il  transige.  Lorsqu'il  est  de  bonne  foi,  cette  pensée 
ne  peut  lui  être  attribuée,  et  quand  il  est  de  mauvaise  foi,  il  agit 
dans  son  intérêt  propre,  et  c'est  lui  prêter  une  intention  bien  scru- 
puleuse qui  s'accorde  mal  avec  sa  volonté  de  s'approprier  la  chose 
d'autrui,  que  de  dire  qu'il  a  stipulé,  au  besoin,  pour  le  vrai  proprié- 
taire en  vue  du  cas  où  la  revendication  de  celui-ci  ne  lui  permettrait 
pas  à  lui-même  de  profiter  de  la  transaction. 

28o.  La  force  de  la  transaction  est  celle  des  conventions 
légalement  formées,  qui  tiennent  lieu  de  loi  entre  les  parties. 
Mais  le  principe,  dans  son  application  a  celte  matière,  a 
une  puissance  toute  particulière  :  c'est  pour  exprimer  la 
plénitude  de  cette  puissance,  qu'on  assimile  la  force  de  la 
transaction  à  celle  de  la  chose  jugée  en  dernier  ressort;  la 
transaction,  en  effet,  est  une  sorte  de  jugement  porté  par  les 
parties  elles-mêmes.  V.  art.  2052,  al.  1;  Diocl.  et  Max., 
L.  20,  Cod.,  de  transact. 

Observons  toutefois  que  cette  assimilation  manque  d'exac- 
titude sous  plusieurs  rapports;  car  la  transaction  est,  s'il  y  a 
lieu,  susceptible  de  rescision  dans  la  forme  ordinaire.  Bien 
plus,  il  est  a  remarquer  que  c'est  moins  sur  les  principes 
en  matière  de  chose  jugée  que  sur  les  principes  généraux  des 
contrats  que  sont  fondées  les  causes  de  rescision  admises. 

285  bis.  I.  La  formule  de  l'article  2052,  1er  alin.,  qui  reconnaît  à 
la  transaction  l'autorité  de  la  chose  jugée  en  dernier  ressort,  a 
donné  lieu  à  des  discussions  et  à  des  interprétations  diverses;  on 
reconnaît  qu'il  existe  des  différences  entre  la  transaction  et  le  juge- 
ment, on  constate  des  ressemblances,  mais  on  fait  remarquer  que 
les  règles  qui  établissent  l'analogie  entre  la  transaction  et  le  juge- 
ment, par  exemple  celles  qui  ne  font  obstacle  à  une  nouvelle  instance 
vin.  22 


338  COUKS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

qu'autant  qu'elle  mettrait  eu  présence  les  mêmes  parties  sur  la 
même  question,  sont  des  règles  de  la  matière  des  contrats,  tout 
naturellement  applicables  à  la  transaction,  qui  est  un  contrat.  De 
cette  remarque  on  conclut  que  la  disposition  de  l'article  2052, 
ior  alin.,  est  inutile,  parce  qu'elle  est  dénuée  de  conséquences  (1). 

285  bis.  IL  Nous  ne  pensons  pas  que  cette  conclusion  soit  exacte. 
L'article  tranche  une  question  que  le  Code  n'a  pas  encore  touchée 
dans  les  articles  précédents,  et  sur  laquelle  il  était  nécessaire  de 
s'expliquer.  La  transaction,  en  effet,  dans  la  pensée  des  parties, 
termine  le  différend  comme  le  ferait  un  jugement.  Mais  à  quel  juge- 
ment l'assimiler?  est-ce  à  un  jugement  en  dernier  ressort?  De  même 
qu'un  compromis  peut  nommer  des  arbitres  qui  remplaceraient 
seulement  le  tribunal  du  premier  degré  (art.  1010,  C.  Pr.),  de 
même  la  transaction  aurait  pu  être  considérée  comme  remplaçant 
un  jugement  de  première  instance,  susceptible  d'appel,  c'est- 
à-dire  de  révision.  Le  Code  s'explique  sur  ce  point,  il  n'inter- 
prète pas  ainsi  la  convention  des  parties,  il  entend  que  la  transac- 
tion représente  une  décision  en  dernier  ressort.  On  voit  que  les 
règles  sur  la  matière  des  conventions  ne  rendaient  pas  cet  article 
inutile,  car  c'est  une  question  d'interprétation  que  résout  ici  la  loi, 
et  quelque  naturelle  que  puisse  paraître  l'interprétation  légale,  on 
comprend  qu'elle  ait  cet  avantage  d'éviter  toute  difficulté  sur  la 
portée  même  de  l'intention  des  parties. 

L'ensemble  de  l'article  2052  et  les  articles  suivants  montrent  clai- 
rement la  direction  de  la  pensée  des  rédacteurs  du  Code.  Ils  abor- 
dent immédiatement  la  matière  des  nullités,  c'est-à-dire  qu'ils  se 
préoccupent  des  divers  moyens  par  lesquels  on  pourra  attaquer  la 
transaction,  et  dans  le  premier  des  articles  de  la  série  ils  parlent 
des  moyens  que  les  parties  ne  pourront  pas  employer,  en  première 
ligne  ils  excluent  par  leur  formule  le  droit  d'appel;  en  seconde 
ligne,  et  par  la  deuxième  partie  de  l'article,  ils  excluent  l'action  en 
nullité  pour  erreur  de  droit  et  pour  lésion. 

285  bis.  III.  L'explication  que  nous  donnons  de  l'article  2052, 
1er  alinéa,  nous  dispense  de  faire  une  comparaison  entre  la  chose 
jugée  et  la  chose  décidée  par  une  transaction.  Entre  une  convention 
et  un  jugement,  il  y  a  une  foule  de  différences  essentielles  qu'il 
est  absolument  inutile  d'énumérer. 

(1)  V.  M.  Accarias,  Transactions,  p.  302. 


TIT.  XV.  DES  TRANSACTIONS.  ART.  2052  ,  2053.   339 

286.  Quoi  qu'il  en  soit,  eu  égard  a  la  force  particulière 
attribuée  a  la  transaction,  l'erreur  de  droit,  qui,  suivant  les 
cas,  pourrait  certainement  annuler  pour  fausse  cause  les  obli- 
gations ordinaires  (art.  1131),  et  la  lésion,  que  la  loi  elle- 
même  déclare  vicier  les  conventions  dans  certains  contrats  ou 
a  l'égard  de  certaines  personnes  (art.  1118),  ne  peuvent 
jamais  être  un  motif  pour  attaquer  une  transaction.  V.  art. 
2052,  al.  dernier. 

Mais  l'erreur  de  fait  produit  ici  le  même  effet  que  dans  les 
contrats  ordinaires;  et  comme  la  transaction  doit  toujours  être 
censée  faite  intuitu  personœ,  l'erreur  sur  la  personne  est, 
comme  l'erreur  sur  l'objet  de  la  contestation,  une  cause  de 
rescision.  V.  art.  2053,  al.  1,  et  à  ce  sujet,  art.  1110. 

Le  dpi  et  la  violence  produisent  également  ici  leur  effet 
ordinaire.  V.  art.  2053,  al.  2,  et  a  ce  sujet,  art.  1111-1116. 

286  bis.  I.  Au  second  paragraphe  de  l'article  2052  commence  la 
théorie  des  nullités  de  la  transaction.  La  loi  parle  principalement 
dans  cet  article  et  dans  les  suivants,  des  cas  d'annulabilité,  c'est- 
à-dire  de  ceux  qui  donnent  naissance  à  ce  que  le  Gode  civil  appelle 
l'action  en  nullité  ou  en  rescision.  Il  faut  bien  admettre  cepen- 
dant que  la  transaction  sera  exposée  à  d'autres  attaques  dans  les 
hypothèses  où  les  conventions  eu  général  sont  radicalement  nulles, 
c'est-à-dire  manquent  d'une  des  conditions  essentielles  à  leur  exis- 
tence. Par  exemple,  quand  le  consentement  de  l'une  des  parties 
aura  complètement  manqué,  quand  la  transaction  n'aura  pas 
d'objet  ou  que  l'objet  sera  illicite. 

286  bis.  II.  Traitant  des  causes  de  rescision,  la  loi  commence  par 
se  débarrasser  de  deux  d'entre  elles,  elle  n'admet  pas  la  rescision 
pour  lésion,  ce  qui  est  l'application  pure  et  simple  de  l'article  1118, 
elle  repousse  aussi  la  rescision  pour  cause  d'erreur  de  droit.  En  prin- 
cipe, toute  erreur  sur  la  substance  de  la  chose  est  une  cause  de 
nullité,  et  l'on  peut  concevoir  telles  hypothèses  où  cette  erreur  serait 
une  erreur  de  droit.  Si  par  exemple  nous  raisonnons  sur  la  vente 
d'une  créance,  l'acheteur  pouvait  croire  que  l'obligation  était  civile 
alors  qu'elle  n'était  que  naturelle,  il  a  pu  être  induit  dans  cette 
croyance  par  une  erreur  de  droit,  il  aurait  l'action  en  rescision  pour 
cause  d'erreur.  Il  n'en  sera  pas  ainsi  dans  la  transaction.  Cet  acte, 

22. 


310  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

pour  atteindre  son  but,  qui  est  l'extinction  des  contestations,  doit 
n'être  attaquable  que  dans  des  cas  absolument  exceptionnels,  et 
l'allégation  d'une  erreur  de  droit  pourrait  presque  toujours  être 
produite,  ce  qui  remettrait  en  question  toutes  les  transactions.  La 
loi,  d'ailleurs,  a  pensé  que  l'attention  des  parties  avait  dû,  dans  un 
pareil  contrat,  être  particulièrement  appelée  sur  le  côté  juridique  de 
l'affaire,  sur  le  point  du  droit;  les  parties  l'ont  étudié  ou  fait  exami- 
ner par  des  conseils,  et  l'erreur  fondée  sur  la  surprise  est  presque 
improbable. 

286  bis.  III.  Après  avoir  rejeté  deux  causes  de  rescision,  la  loi 
consacre  le  droit  de  faire  rescinder  la  convention  dans  les  cas  de 
dol  et  de  violence.  Ce  sont  des  causes  ordinaires  de  rescision,  pour 
lesquels  il  faut  renvoyer  aux  règles  générales. 

286  bis.  IV.  Puis  elle  parle  du  troisième  vice,  considéré  comme 
cause  de  nullité  par  l'article  1109,  le  vice  d'erreur.  Sur  ce  point, 
des  dictinctions  sont  nécessaires,  parce  que  l'erreur  peut  porter  sur 
des  points  divers.  La  loi  traite  d'abord  de  l'erreur  sur  la  personne. 
Elle  déclare  que  de  cette  erreur  résulte  une  action  en  rescision.  En 
cela  l'article  2053  semble  déroger  à  la  théorie  générale,  car  l'ar- 
ticle 1110  pose  en  règle  que  l'erreur  sur  la  personne  n'est  point 
une  cause  de  nullité,  à  moins  que  la  considération  de  la  personne 
ne  soit  la  cause  principale  de  la  convention.  Nous  avons  cependant 
décidé,  sur  l'article  1110,  qu'il  faut  entendre  l'article  2053  en  le 
mettant  en  harmonie  avec  l'article  1110.  Il  nous  a  paru  que  l'ar- 
ticle 2053,  1er  alinéa,  fait  simplement  un  renvoi  aux  règles  géné- 
rales, comme  son  second  alinéa,  qui  parle  du  dol  et  de  la  violence, 
sans  préciser  dans  quelles  conditions  ces  faits  vicieraient  le  consen- 
tement. Cela  étant,  l'erreur  sur  la  personne  viciera  la  transaction 
comme  elle  vicierait  une  vente,  pourvu  qu'on  puisse  voir  que  la 
considération  de  la  personne  a  été  déterminante,  par  exemple  si 
l'on  a  cru  traiter  avec  un  parent,  ce  qui  justifie  certaines  con- 
cessions un  peu  larges.  Sinon,  pourquoi  annuler  un  acte  qui,  nous 
le  supposons,  éteint  un  procès,  et  que  la  partie  avait  autant 
d'intérêt  à  faire  avec  Pierre  qu'avec  Paul  (1)? 

286  bis.  V.  On  voit  que  nous  ne  raisonnons  pas  en  vue  d'une 
erreur  sur  l'identité  de  la  personne.  Si,  ayant  une  difficulté  avec 
Pierre,  je  transige  avec  Paul,  que  je  crois  être  Pierre    nous  ne 

(1)  V.  t.  V,  n3  12  bit.  II. 


TIT.    XV.    DES    TRANSACTIONS.    AF.T.    2053.  311 

sommes  plus  dans  l'hypothèse  prévue,  et  je  n'ai  certes  pas  besoin 
de  demander  la  nullité  de  la  transaction  par  rapport  à  Pierre,  puis- 
qu'il ne  peut  s'en  prévaloir,  c'est  res  inter  alios  acta. 

Reste  à  savoir  si  je  suis  lié  envers  Paul,  et  si  je  dois  exécuter 
envers  lui  les  obligations  que  m'a  imposées  la  transaction.  Nous  ne 
le  pensons  pas  ;  mais  nous  ne  nous  appuyons  pas  sur  la  théorie  de 
l'erreur  quanta  la  personne,  nous  voyons  dans  cette  hypothèse  une 
erreur  sur  !a  cause  de  l'obligation;  celui  qui  transigeait  avec  Paul 
croyait  en  réalité  obtenir  la  renonciation  aux  droits  de  Pierre,  il 
ne  soupçonnait  pas  une  autre  prétention  fondée  sur  les  droits  par- 
ticuliers à  Paul;  puisqu'il  n'obtient  pas  l'extinction  des  droits  de 
Pierre,  son  obligation  manque  de  cause.  Il  en  résulte  qu'elle  est 
radicalement  nulle,  article  1131,  et  c'est  à  cause  du  caractère  de  la 
nullité  produite  par  cette  erreur  que  nous  mettons  notre  hypo- 
thèse hors  de  l'article  2053,  qui  règle  l'action  en  rescision. 

286  bis.  VI.  Après  avoir  parlé  de  l'erreur  sur  la  personne,  l'article 
indique  l'erreur  sur  l'objet  comme  donnant  ouverture  à  l'action  en 
rescision.  Mais  ici  nous  devons  encore  faire  la  distinction  que  nous 
venons  d'indiquer  sur  la  question  précédente.  Il  ne  s'agit  dans 
l'article  que  des  causes  de  rescision;  donc  il  faut  laisser  de  côté 
les  erreurs  qui,  d'après  les  principes  généraux,  entraînent  une  nul- 
lité radicale,  ce  sont  lorsqu'il  s'agit  de  l'objet,  des  erreurs  in  ipso 
corpore  rei  (1)  J'ai  cru  transiger  sur  la  propriété  d'une  terre  en 
Normandie,  et  l'autre  partie  transigeait  sur  une  terre  en  Bretagne. 
On  a  toujours  reconnu  que  cette  erreur  capitale  empêche  le  con- 
trat de  se  former,  elle  est  exclusive  de  l'accord  des  volontés,  il 
n'y  pas  convention  (duarum  voluntatum  in  idem  placitum  consensus). 
Cette  doctrine  est  tellement  évidente,  que  dans  le  titre  des  contrats 
le  Code  ne  l'a  pas  même  formulée;  elle  est  admise  cependant  par 
tous;  au  titre  de  la  transaction  la  loi  garde  le  même  silence, 
pourquoi  l'interpréterait-on  autrement  et  chercherait-on  à  faire 
rentrer  cette  hypothèse  dans  les  cas  de  rescision? 

286  bis.  VII.  Quand  la  loi  parle  d'erreur  sur  l'objet,  elle  se  réfère 
donc  aux  erreurs  dont  il  est  traité  à  l'article  1110,  c'est-à-dire  à 
l'erreur  sur  la  substance  de  la  chose.  Quelle  est  ici  véritablement 
la  chose  objet  de  la  convention,  et  qu'allons-nous  considérer  comme 
erreur  sur  la  substance? 

(1)  V.  t.  V,  n°  16  bit.  I. 


342  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    I!I. 

Il  faut  d'abord  appliquer  l'article  2053  aux  erreurs  que  nous 
avons  reconnues  en  expliquant  l'article  1110  comme  des  erreurs 
sur  la  substance.  Elles  sont  relatives  à  la  nature  de  l'objet  sur  lequel 
porte  les  prétentions  opposées  des  deux  parties.  Ainsi,  on  a  transigé 
sur  la  propriété  de  lingots  de  métal  qui1  lune  des  parties  croyait 
en  or  et  que  l'autre  savait  être  de  l'argent  doré,  ou  bien  sur  un 
tableau  qu'une  des  parties  croyait  faussement  être  un  original 
tandis  qu'il  n'était  qu'une  copie  (1).  Ces  hypothèses  ont  dû  certaine- 
ment se  présenter  les  premières  à  l'esprit  du  législateur,  puisque 
ce  sont  celles  pour  lesquelles  il  a  écrit  l'article  1110  et  parce  qu'il 
n'y  a  aucune  raison  pour  valider  en  pareil  cas  une  transaction 
quand  on  annule  une  vente. 

286  bis.  VIII.  Nous  ferons  cependant  une  observation,  l'action  en 
rescision  ne  doit  être  admise  qu'à  propos  d'une  erreur  préjudiciable. 
Si  donc  la  transaction  avait  uniquement  consisté  dans  une  division 
de  la  propriété  des  lingots  ou  des  tableaux  dans  une  proportion 
quelconque  entre  les  parties,  il  n'y  aurait  pas  lieu  de  rescinder 
l'acte;  car  la  partie  qui  a  consenti  à  se  contenter  d'une  moitié  ou 
d'un  quart  de  la  chose,  ne  souffre  pas  un  dommage  véritable  lors- 
qu'elle a  la  moitié  d'un  lingot  d'or  ou  d'un  tableau  précieux  au  lieu 
de  la  moitié  d'un  lingot  d'argent  ou  d'une  copie;  les  proportions 
assignées  aux  droits  des  parties  par  la  transaction  sont  observées 
malgré  la  découverte  d  un  changement  dans  la  nature  de  cette 
chose. 

287.  Il  y  a  vrainement  erreur  substantielle  sur  l'objet 
de  la  contestation,  et  la  transaction,  en  conséquence,  est 
sujette  a  rescision,  lorqu'elle  est  faite  en  exécution  d'un  titre 
nul;  car  on  doit  croire  que  si  la  nullité  eût  été  connue,  le 
consentement  n'eût  pas  été  donné.  Ce  n'est  pas  qu'on  ne 
puisse  valablement  transiger  sur  la  nullité  elle-même;  mais 
la  loi  ne  suppose  pas  cette  intention-,  elle  ne  la  reconnaît 
qu'autant  qu'elle  est  expresse.  V.  art.  2054;  v.  a  ce  sujet 
art.  1338. 

287  bis.  I.  L'article  précédent  renvoyait  tacitement  aux  règles 
générales  du  titre  des  contrats  en  ce  qui  concerne  l'erreur  sur 
l'objet.  Les  articles  qui  suivent  l'article  2053  envisagent  diverses 

(1)  V.  t.  V,  n»  16  bis.  II. 


TIT.    XV.    DES    TRANSACTIONS.    ART.    2053,    205  k       343 

hypothèses  d'erreur,  et  sur  chacune  d'elles  nous  allons  avoir  à 
examiner  si  les  solutions  de  la  loi  découlent  de  ces  principes  ou  y 
consacrent  au  contraire  une  dérogation. 

Le  premier  article  suppose  une  transaction  faite  en  exécution 
d'un  titre  nul  ;  les  parties  n'ayant  pas  expressément  traité  sur  la 
nullité,  les  contractants  n'ont  pas  envisagé  la  question  qui  pouvait 
s'élever  sur  la  nullité  du  titre,  ils  discutaient  sur  son  interprétation 
ou  sur  la  validité  des  clauses  de  l'acte  considérées  en  elles-mêmes. 
Si  on  suppose  qu'il  s'agit  d'un  testament,  on  voit  quelles  ques- 
tions d'interprétation  peuvent  s'élever  :  le  testateur  a-t-il  donné  tout 
le  domaine  ou  seulement  une  partie,  la  propriété  ou  l'usufruit?  ou 
quelles  questions  de  validité  :  le  légataire  est-il  incapable  (art.  909)? 
la  disposition  est-elle  une  substitution  prohibée  ou  un  legs  condi- 
tionnel? Il  y  a  place  à  bien  des  procès  en  dehors  même  de  toute 
contestation  sur  la  validité  du  testament.  La  loi  décide  que  la  trans- 
action est  attaquable  en  pareil  cas,  et  elle  n'exige  pas,  pour  que 
la  convention  soit  annulée,  qu'il  y  ait  eu  erreur  de  la  part  de  la 
partie  qui  demande  la  nullité. 

287  bis.  II.  Cette  observation  que  nous  faisons  sur  le  silence  de 
la  loi  en  ce  qui  concerne  l'erreur,  a  une  grande  importance  pour 
déterminer  la  cause  de  la  nullité.  Elle  ne  se  rattache  pas,  selon  nous, 
à  la  théorie  de  l'erreur.  Quand  on  veut  l'y  rattacher,  il  faut  ou 
distinguer  là  où  la  loi  ne  distingue  pas,  ou  admettre  l'existence 
d'une  présomption  juris  et  de  jure ,  servant  de  preuve  à  l'erreur  (i). 
Les  deux  idées  nous  paraissent  également  inadmissibles  :  la  distinc- 
tion a  contre  elle  le  silence  du  Code,  et  la  présomption,  qui  ne  peut 
être  acceptée  qu'en  présence  d'un  texte  formel  (art.  1350),  n'a  pas 
plus  de  texte  sur  lequel  elle  puisse  s'appuyer. 

L'article  2054  nous  paraît  donc  être  tout  simplement  l'application 
de  l'article  2048.  Sur  quoi  portait  le  différend?  sur  l'exécution  de 
l'acte  ou  sur  sa  validité  au  point  de  vue  de  la  forme?  Pour  qu'il  soit 
certain  qu'on  a  transigé  sur  la  validité  de  l'acte,  il  faut  que  les 
parties  l'aient  expressément  déclaré.  Voilà  tout  ce  que  l'article 
2054  ajoute  à  l'article  2048. 

287  bis.  III.  Ceci  étant,  nous  arrivons  facilement  à  la  solution  d'une 
question  fort  controversée  :  le  fait,  cause  de  la  nullité,  était  connu 
de  la  partie,  mais  par  une  erreur  de  droit  elle  en  ignorait  les  con- 

(1)  V.  M.  Accarias,  Transactions,  p.  312. 


344        couns  analytique  de  code  civil,  liv.  m. 

séquences.  On  comprend  une  discussion  sur  ce  point  quand  on 
fait  dériver  l'article  2054  de  la  théorie  sur  l'erreur;  faut-il,  par 
application  de  l'article  2052,  refuser  l'action  en  nullité,  ce  qui,  il 
faut  le  remarquer,  introduirait  encore  une  autre  distinction  dans  l'ar- 
ticle 2048,  qui  cependant  n'en  fait  aucune?  Dès  que  l'action  en  nullité 
du  titre  peut  être  intentée  parce  que  la  transaction  est  restée  étran- 
gère à  la  question  de  validité,  il  n'y  a  pas  à  se  préoccuper  du  point 
de  savoir  si  la  partie  connaissait  ou  non  la  cause  de  nullité  et  en 
ignorait  ou  non  la  valeur  juridique  (1). 

287  bis.  IV.  Il  ne  suffit  pas  du  reste  d'avoir  constaté  que  l'article 
2054  applique  la  règle  de  l'article  2048,  et  que  la  partie  ou  les 
parties  peuvent  faire  déclarer  la  nullité  du  titre;  il  reste  à  dire  ce 
que  devient  la  transaction  quand  l'acte,  dont  elle  réglait  l'exécu- 
tion, est  reconnu  nul.  A  notre  sens,  elle  manque  d'objet,  car  il  n'y 
a  pas  à  régler  l'exécution  d'un  acte  qui  n'existe  pas,  et  c'était  pré- 
cisément la  réglementation  de  cette  exécution  qui  était  l'objet  de  la 
transaction.  Nous  pensons  donc  que  la  nullité  est  radicale,  et  que 
l'article  2054  a  employé  improprement  l'expression  action  en  resci- 
sion. Il  résultera  de  cette  doctrine  une  conséquence  pratique  qui 
nous  paraît  fournir  par  elle-même  un  argument  dans  notre  sens; 
si  la  nullité  du  titre  était  une  nullité  radicale  comme  celle  qui  résulte 
d'un  vice  de  forme  dans  une  donation  ou  un  testament,  la  durée 
de  la  prescription  ne  serait  pas  réduite  à  dix  ans,  comme  cela  paraî- 
trait ressortir  de  l'article  2054.  Or,  il  paraît  inadmissible  qu'en 
transigeant  sur  l'exécution  d'un  acte  sans  transiger  sur  la  nullité, 
ce  qui  est  la  supposition  de  la  loi,  on  ait  diminué  considérablement 
le  temps  pendant  lequel  les  parties  peuvent  utilement  se  prévaloir 
de  la  nullité  (2). 

287  bis.  V.  Nous  avons  raisonné  sur  un  vice  du  titre  qui  entraî- 
nait une  nullité  radicale,  mais  il  n'y  a  pas  de  motif  pour  ne  pas 
appliquer  l'article,  lorsque  le  titre  est  simplement  annulable.  Si  l'on 
n'a  pas  transigé  quant  à  l'action  en  nullité,  l'article  2054  s'appli- 
quera, et  l'anéantissement  du  titre  obtenu  par  voie  d'action  en  res- 
cision proprement  dite  fera  défaillir  l'objet  de  la  transaction,  qui 
deviendra  alors  radicalement  nulle.  Il  faut  toutefois  prendre  garde 
que  dans  certaines  hypothèses  la  transaction  sur  l'exécution  du  titre 

(1)  V.  cependant  C.  Poitiers,  10  juin  1878.  Sirey,  1878,  2,  109. 

(2)  M.  Demante,  dans  le  n°  187,  énonce  une  opinion  contraire  à  celle  que 
nous  soutenons.  V.  aussi  M.  Accarias,  Transactions,  p.  311  et  suiv. 


TIT.  XV.  DES  TRANSACTIONS.  AUT.  205 4,  2055.   345 

annulable  devra  être  considérée  comme  une  exécution  impliquant 
confirmation  tacite,  d'où  il  résultera  que  l'annulation  ne  pourra  plus 
être  demandée  et  que  la  transaction,  ayant  un  objet,  sera  valable. 
Il  restera  néanmoins  des  cas  où  la  transaction  ne  vaudra  pas  con- 
firmation, c'est  quand  la  partie  ignorera  le  vice  de  l'acte,  objet  de 
la  transaction;  l'exécution  volontaire  ne  vaut  confirmation  que 
quand  elle  est  faite  en  parfaite  connaissance  du  vice  qui  rend  le 
contrat  annulable  (1). 

287  bis.  VI.  Cette  hypothèse  que  nous  examinons  la  dernière, 
dans  laquelle  le  titre  n'est  pas  radicalement  nul,  mais  seulement 
rescindable,  nous  fournit  peut-être  l'explication  de  l'incorrection 
que  notre  opinion  sur  l'article  2054  impute  au  législateur.  Où  il  a 
écrit  le  mot  rescision,  nous  traduisons  par  nullité  radicale;  cette 
confusion,  qui  a  été  quelquefois  commise  surtout  dans  les  discussions 
qui  ont  préparé  le  Gode  civil,  pourrait  résulter  dans  l'article  2054 
de  l'espèce  que  les  rédacteurs  avaient  particulièrement  en  vue.  S'ils 
songeaient  à  un  titre  annulable,  ils  voyaient  le  procès  sur  la  trans- 
action commencer  par  une  action  en  nullité  en  rescision,  et  comme 
ia  nullité  de  la  transaction  résultant  de  l'annulation  du  titre  ne  se 
produit  que  par  voie  de  conséquence,  ils  n'ont  caractérisé  que  la 
première  action  intentée,  sans  chercher  à  donner  la  dénomination 
exacte  de  la  seconde  action,  qui  ordinairement  ne  sera  pas  intentée 
spécialement  et  qui  se  produira  sous  la  forme  de  conclusions  com- 
plétant les  conclusions  à  fin  de  nullité  du  titre,  et  tendant  en  quel- 
que sorte  à  faire  régler  l'exécution  du  jugement  qui  aura  prononcé 
la  rescision  de  ce  titre. 

288.  Le  cas  de  faux  rentre  réellement  dans  celui  de  nul- 
lité ;  ainsi  la  transaction  sur  pièces  fausses  doit  être  nulle,  à 
moins  qu'on  n'ait  traité  sur  la  fausseté  (Léon  et  Anth.j  L.  43, 
Cod.,  de  transact.).  Toutefois,  il  esta  remarquer  que  pour 
maintenir  la  transaction  sur  pièces  fausses,  la  loi  ne  semble 
pas  exiger,  comme  au  cas  de  nullité ,  qu'on  ait  traité  expres- 
sément sur  la  fausseté}  il  paraît  suffire  que  le  vice  du  titre  ait 
été  connu^  en  effet,  la  nullité  n'est  prononcée  que  dans  la 
supposition  que  les  pièces  ont  été  depuis  reconnues  fausses. 
Au  reste,  la  transaction  est  sur  pièces  fausses  par  cela  seul 

(1)  V.  t.  V,  n°  310  bit. 


346  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

que  quelqu'un  de  ses  articles  est  basé  sur  ces  pièces-,  et  vu  la 
corrélation  nécessaire  de  toutes  ses  parties,  notre  législateur 
veut  qu'elle  soit  alors  entièrement  nulle.  V.  art.  2055. 

288  bis.  I.  L'article  2055  prévoit  un  cas  d'erreur,  et  sa  rédaction 
accentue  bien  la  différence  d'espèce  qui  le  sépare  de  l'article  pré- 
cédent. Une  des  parties  a  produit  à  l'autre,  à  l'appui  de  ses  préten- 
tions, des  pièces  qui  depuis  ont  été  reconnues  fausses,  donc  alors  elles 
étaient  crues  vraies,  il  y  avait  erreur  ;  nous  avons  fait  remarquer 
au  contraire  que  dans  l'article  2054  il  n'est  pas  dit  que  les  parties 
ignoraient  la  nullité  du  titre  sur  l'exécution  duquel  elles  traitaient. 

L'erreur  commise  dans  le  cas  de  l'article  2055  n'est  pas  une 
erreur  sur  l'objet,  car  l'objet,  c'est  d'abord  la  chose  matérielle  ou 
immatérielle  sur  laquelle  on  prétend  des  droits,  c'est  peut-être  aussi, 
en  matière  de  transaction,  le  droit  prétendu  par  chacune  des  parties  ; 
ici  l'erreur  porte  sur  un  moyen  de  preuve  produit  par  une  partie, 
ce  n'est  pas  une  erreur  prévue  par  l'article  11 10.  Ce  ne  peut  être 
qu'une  erreur  sur  la  cause.  L'une  des  parties  a  consenti  à  faire  des 
sacrifices  pour  obtenir  la  renonciation  à  une  prétention  qu'elle 
croyait  appuyée  sur  un  acte  écrit,  cet  acte  est  faux,  et  il  en  résulte 
qu'elle  a  obtenu  la  renonciation  à  une  prétention  qui  n'a  pas  cet 
appui  solide,  ce  pour  quoi  la  partie  s'est  obligée  ou  a  donné  quelque 
chose  n'existe  pas,  la  cause  manque.  Donc  la  transaction  est  radi- 
calement nulle.  Le  texte  de  notre  article  ne  contredit  pas  cette 
doctrine,  car  ici  nous  ne  retrouvons  pas  l'expression  rescision. 

288  bis.  II.  On  objectera  peut-être  qu'il  est  grave  de  reconnaître 
à  cette  nullité  le  caractère  de  nullité  absolue,  parce  qu'il  en  résulte 
que  celui  qui  a  produit  la  pièce  fausse  pourra  demander  la  nullité. 
Nous  répondrons  qu'il  n'y  aura  pas  probablement  intérêt,  mais  qu'il 
a  juste  sujet  de  ne  pas  rester  très -longtemps  à  la  discrétion  de 
l'adversaire  qui,  quand  il  voudra,  fera  annuler  la  transaction.  Nous 
ajouterons  que,  responsable  de  la  faute  qu'il  a  commise  en  se  servant 
d'une  pièce  fausse,  il  devra  des  dommages  et  intérêts  à  l'autre 
partie,  si  la  rupture  de  la  transaction  nuit  à  celle-ci,  et  que  le 
maintien  de  cette  transaction  pourrait  alors  être  imposée  comme 
réparation  du  dommage.  Pour  être  complet,  disons  que  la  partie  qui 
a  produit  le  titre  de  bonne  foi  n'en  serait  pas  moins  responsable, 
parce  qu'elle  a  au  moins  commis  une  imprudence  en  se  servant 
d'une  pièce  sans  s'être  assurée  de  sa  sincérité. 


T1T.    XV.    DES   TRANSACTIONS.    ART.    2055,    2056.        3i7 

288  bis.  III.  Il  faut  remarquer  que  Ja  transaction  sur  pièces  fausses 
est  entièrement  nulle.  Ce  qui  signifie  qu'elle  ne  vaut  en  aucune  de 
ses  parties,  qu'on  ne  se  contente  pas  d'invalider  la  convention 
quant  à  celle  des  prétentions  opposées  sur  laquelle  la  pièce  fausse 
a  été  produite,  à  la  différence  de  ce  qui  se  passe  en  matière  de 
requête  civile  (art.  482,  C.  Pr.).  Il  est  en  effet  bien  plus  difficile  dans 
une  transaction  que  dans  un  jugement  de  discerner  si  l'influence 
de  la  pièce  fausse  a  été  absolue  ou  relative,  la  transaction  étant  bien 
souvent,  dans  la  pensée  des  parties,  comme  une  compensation  des 
différentes  prétentions  les  unes  avec  les  autres,  et  le  sacrifice 
que  l'une  des  parties  fait  sur  un  point  peut  être  déterminé  par  la 
crainte  de  celles  des  prétentions  adverses  que  paraissait  justifier  la 
pièce  fausse.  La  transaction  est  un  ensemble  de  conventions  qui  s'en- 
chaînent et  s'entremêlent  les  unes  dans  les  autres;  en  faisant 
tomber  l'une,  on  les  fait  tomber  toutes. 

289.  11  y  a  encore  erreur  sur  l'objet  de  la  contestation,  si  la 
transaction  est  faite  sur  un  procès  terminé  par  un  jugement, 
dont  l'existence  était  ignorée,  soit  par  les  deux  parties,  soit 
par  l'une  d'elles  seulement.  Mais  cette  erreur,  condition  né- 
cessaire, dans  les  principes  du  Code,  pour  que  le  jugement 
fasse  obstacle  à  la  validité  delà  transaction,  n'est  réputée 
substantielle,  et  ne  produit  nullité,  qu'autant  que  le  jugement 
ignoré  était  passé  en  force  de  chose  jugée.  Secus  quand  l'ap- 
pel est  possible;  car  alors  il  y  a  encore  matière  a  litige,  et 
l'on  n'est  pas  sûr  que  la  connaissance  du  jugement  eût  empê- 
ché de  transiger.  V.  art  2056,  et  à  ce  sujet,  Ulp.,  L.  7,  L.  \i, 
D.  de  transact.;  L.  23,  §  1,  de  cond.  ind.;  Diocl.  et  Max., 
L.  32,  Cod.,  de  transact. 

289  bis.  I.  L'erreur  prévue  par  l'article  2056  consiste  dans  l'igno- 
rance de  ce  fait  que  la  prétention  comprise  dans  la  transaction  avait 
été  l'objet  d'un  procès  et  que  ce  procès  avait  été  terminé  par  un 
jugement  ayant  force  de  chose  jugée.  La  loi  a  exprimé  sa  pensée 
autrement,  elle  a  dit  :  jugement  passé  en  force  de  chose  jugée  ; 
mais  nous  savons  qu'elle  n'attache  pas  habituellement  d'importance  à 
la  différence  de  ces  deux  expressions,  qu'elle  entend,  soit  par  l'une, 
soit  par  l'autre,  désigner  un  jugement  qui  ne  peut  pas  être  attaqué 
soit  par  l'opposition,  soit  par  l'appel,  que  ce  soit  d'ailleurs  un  juge- 


318  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V      III 

ment  en  premier  et  dernier  ressort  ou  un  jugement  rendu  en 
premier  ressort,  mais  qui  a  acquis  une  force  définitive  par  l'expira- 
tion des  délais  d'opposition  ou  d'appel  (1). 

289  bis.  II.  Nous  voyons  l'article  2056  indiquer  expressément 
que  dans  l'hypothèse  qu'il  régit  il  y  a  eu  erreur  des  deux  parties 
ou  de  l'une  d'elles;  de  même  que  l'article  précédent  la  loi  a,  par 
certaines  de  ses  expressions,  montré  qu'elle  supposait  une  erreur. 
Mais  nous  devons  nous  demander  quelle  est  la  nullité  qui  produit 
cette  erreur.  Sur  l'article  2055,  il  nous  était  facile  de  dire  :  l'erreur 
n'a  pas  porté  sur  l'objet  de  la  convention,  donc  nous  ne  sommes 
pas  en  présence  d'une  obligation  rescindable  aux  termes  de  l'article 
1110.  Sur  l'article  2056,  nous  devons  bien  reconnaître  que  l'erreur 
porte  sur  l'objet  ou  l'un  des  objets  de  la  convention.  Néanmoins, 
ce  n'est  pas  l'erreur  que  prévoit  l'article  1110,  parce  qu'il  ne  s'agit 
pas  d'une  erreur  sur  la  substance,  c'est-à-dire  sur  la  qualité  carac- 
téristique de  la  chose,  c'est  une  erreur  sur  l'existence  même  de 
l'objet.  La  convention  a  pour  objet  des  prétentions  qui  ont  occasionné 
ou  qui  peuvent  occasionner  un  procès;  or,  si  l'affaire  a  déjà  été 
jugée,  il  n'y  a  plus  litige,  droit  litigieux;  la  transaction  manque 
d'objet,  au  moins  l'obligation  de  la  partie  qui  renonçait  à  la  préten- 
tion condamnée  par  les  tribunaux  manque  d'objet,  et  partant  l'autre 
manque  de  cause.  La  convention  doit  être  nulle,  d'une  nullité 
absolue. 

289  bis.  III.  Ceci  étant,  on  peut  être  étonné  que  la  loi  subordonne 
cette  nullité  à  la  condition  d'erreur,  car  il  est  certain  qu'une 
vente  qui  a  pour  objet  un  animal  mort  est  radicalement  nulle, 
quand  bien  même  l'une  des  parties  ou  même  toutes  les  deux 
auraient  connaissance  de  l'événement  qui  a  détruit  la  chose  vendue 
(art.  1601).  Mais  nous  apercevons  une  grande  raison  de  différence 
entre  les  deux  hypothèses  :  quand  l'animal  est  mort,  il  n'en  reste 
plus  absolument  rien  qui  puisse  être  l'objet  de  la  convention; 
quand  un  droit  litigieux  est  éteint  par  un  jugement,  il  reste  encore 
quelque  chose,  une  obligation  naturelle,  ce  quelque  chose  n'est  pas 
suffisant  pour  servir  d'objet  à  une  transaction,  parce  que,  cette  obli- 
gation n'étant  pas  protégée  par  une  action,  un  procès  est  impossible. 
Mais  l'obligation  naturelle  peut  acquérir  une  force  véritable  par  la 
reconnaissance  consciente  de  l'obligé;  or,  celui  qui  transigera  sciem- 

(1)V.  t.  V,  n-  207  bis.  IV. 


TIT.    XV.    DES   TRANSACTIONS.    ART.    20  j6,    2057.        349 

ment  sur  un  droit  éteint  par  un  jugement  ayant  force  de  chose 
jugée,  peut  être  considéré  comme  ayant  reconnu  l'existence  de 
l'obligation  naturelle,  et  consenti  à  transiger  sur  cette  obligation. 
Voilà  pourquoi  l'espèce  sur  laquelle  notre  article  raisonne,  suppose 
nécessairement  une  erreur,  bien  que,  si  cette  erreur  a  existé,  on 
arrive  à  une  nullité  non  pas  pour  erreur,  mais  pour  absence  d'objet. 

289  bis.  IV.  La  conséquence  de  notre  doctrine,  qui  fait  de  la 
nullité  une  nullité  absolue,  c'est  que  la  partie  qui  a  connu  l'exis- 
tence du  jugement  ayant  force  de  chose  jugée,  aura  le  droit  d'at- 
taquer la  transaction,  mais  il  faudra  pour  cela  que  ce  ne  soit  pas  la 
partie  que  le  jugement  déchargeait  de  son  obligation  prétendue, 
parce  que  nous  venons  de  dire  que  la  transaction  équivalait  alors  à 
une  reconnaissance  de  l'obligation  naturelle  qui  survit  au  jugement, 
d'où  il  résulte  qu'on  n'est  plus  dans  le  cas  prévu  par  l'article  2057 
et  que  la  transaction,  ne  manquant  plus  d'objet,  est  valable. 

289  bis.  V.  Si  la  partie  qui  a  ignoré  le  jugement  était  celle  en 
faveur  de  qui  ce  jugement  reconnaissait  l'existence  d'un  droit, 
l'autre  partie,  condamnée  à  accomplir  une  certaine  prestation,  par 
un  jugement  qu'elle  connaissait,  n'a  pas,  en  consentant  à  la  trans- 
action, reconnu  l'existence  d'une  obligation  naturelle  donnant  un 
objet  à  la  transaction,  par  conséquent  nous  sommes  bien  dans 
l'hypothèse  prévue  et  réglée  par  l'article;  Tact',  est  nul  absolument, 
et  les  deux  parties  peuvent  invoquer  la  nullité,  aussi  bien  celle 
qui  a  connu  le  jugement  que  celle  qui  en  a  ignoré  l'existence,  etl'on 
comprend  que  la  première  ait  intérêt  à  cette  nullité  pour  ne  pas 
rester  indéfiniment  à  la  discrétion  de  l'autre  partie,  qui  pourrait  à 
son  gré  se  prévaloir  de  la  transaction  ou  en  invoquer  la  nullité. 

290.  Non  seulement  l'ignorance  d'un  jugement,  mais  celle 
d'un  titre  décisif,  constitue  aussi  une  erreur  grave,  qui  peut 
influer  sur  le  sort  de  la  transaction,  pas  au  même  degré  pour- 
tant que  la  production  d'une  pièce  fausse. 

Ainsi,  lorsque  la  transaction  est  générale  sur  toutes  les 
affaires  que  les  parties  pouvaient  avoir  ensemble,  l'igno- 
rance de  quelques  titres  n'est  pas  réputée  produire  une  erreur 
substantielle  j  par  conséquent  leur  découverte  ne  suffit,  pour 
la  rescision,  qu'autant  qu'ils  ont  été  retenus  par  le  fait  de 
l'une  des  parues  ;  auquel  cas  il  y  a  dol. 

Au  contraire,  l'erreur  est  substantielle,  et  la  transaction  est 


350  COUIiS   ANALYTIQUE    DK    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

nulle,  si  elle  n'a  qu'un  objel,  el  que  les  titres  nouvellement 
découverts  démontrent  l'absence  entière  de  droit  pour  l'une 
des  parties.  V.  art.  2057;  v.  a  ce  sujet  Diocl.  et  Max., 
L.  19  et  29,  Cod.,  de  transact. 

290  bis.  I.  L'article  2057  suppose  des  faits  assez  semblables  à 
ceux  sur  lesquels  statue  l'article  2056.  Il  raisonne  en  vue  d'une 
découverte,  postérieure  à  la  transaction,  de  pièces  décisives  consta- 
tant que  l'une  des  parties  n'avait  aucun  droit;  à  cette  différence 
près  qu'il  ne  s'agit  pas  de  la  découverte  d'un  jugement,  les  deux 
hypothèses  se  confondent,  mais  nous  allons  voir  qu'elles  ne 
doivent  pas  être  réglées  par  les  mêmes  principes. 

Des  deux  parties  de  l'article,  la  seconde  seule  fait  apparaître 
nettement  la  solution  de  la  loi,  parce  qu'elle  traite  d'un  cas  où  la 
difficulté  se  présente  dans  toute  sa  pureté,  sans  mélange  étranger 
d'une  difficulté  secondaire.  Nous  examinerons  d'abord  cette  hypo- 
thèse; la  transaction  n'avait  qu'un  objet,  et  c'est  sur  cet  objet 
qu'il  a  été  découvert  des  titres  décisifs  établissant  que  l'une  des 
parties  était  sans  droit. 

Dans  ce  cas,  nous  ne  pouvons  pas  soutenir,  comme  nous  l'avons 
fait  sur  l'article  2056,  que  la  transaction  manque  d'objet,  qu'il 
n'existait  pas  deux  prétentions  contraires;  car  si  l'on  peut  dire  cela 
quand  un  jugement,  tenu  par  la  loi  pour  la  vérité  même,  ferme  en 
quelque  sorte  à  l'une  des  parties  l'accès  des  tribunaux,  il  n'en  est 
pas  de  même  quand  une  des  parties  possède  une  pièce  qu'on 
qualifie  décisive,  mais  que  l'autre  peut  toujours  contester  et  sur 
laquelle  il  faudra  bien  que  les  juges  décident.  Il  y  a  un  procès 
possible,  donc  il  y  a  matière  à  transaction.  L'article  2057  ne  peut 
pas  prononcer  en  pareil  cas  une  nullité  absolue  fondée  sur  l'absence 
d'objet.  Il  faut  bien  qu'il  s'agisse  de  la  nullité  pour  erreur,  c'est-à- 
dire  d'une  annulabilité.  L'erreur  ici  a  bien  les  caractères  exigés  par 
l'article  11 10.  Elle  porte  sur  la  prétention  de  l'une  des  parties,  et 
l'on  peut  dire  qu'elle  est  substantielle,  car  une  prétention  appuyée 
sur  un  titre  précis  et  régulier  n'a  plus,  dans  la  pensée  même  de 
celui  qui  le  produit,  le  caractère  d'un  droit  douteux,  litigieux;  elle 
croyait  avoir  une  chance,  elle  avait  une  certitude,  un  droit;  voilà 
pourquoi  l'on  peut  dire  qu'en  faisant  un  sacrifice  pour  consolider 
son  droit,  elle  a  agi  sous  l'influence  d'une  erreur  sur  la  substance. 
Cette  partie  pourra  donc  seule  demander  la  nullité,  elle  devra  agir 


TIT.    XV.    DES    TRAINSACTIOiNS.    AïiT.    2057.  351 

dans  le  délai  de  dix  ans,  et  elle  pourra,  si  elle  le  veut,  confirmer 
la  transaction. 

290  bis.  II.  Il  ne  faut  pas  trouver  étrange  le  résultat  auquel 
nous  conduit  l'étude  séparée  des  divers  cas  de  nullité  énumérés 
par  la  loi;  le  Code  n'a  pas  tenté  une  théorie,  rien  n'indique  qu'il 
ait  cherché  à  soumettre  à  une  idée  commune  ses  solutions,  il 
examinait  des  hypothèses  variées,  il  a  hien  pu  les  régler  diversement. 
Il  est  vrai  qu'ii  a  employé  le  mot  rescision  dans  deux  articles,  et 
que  dans  trois  autres  il  a  parlé  de  transactions  nulles.  Sur  ces  trois 
hypothèses  il  y  en  a  deux  où  la  nullité  nous  paraît  absolue  et  une 
troisième  où  elle  nous  semble  être  une  annulabilité,  de  même  que 
des  deux  articles  qui  parlent  de  la  rescision,  il  en  est  un  qui,  selon 
nous,  consacre  un  cas  de  nullité  absolue.  La  liberté  que  nous  avons 
prise  de  traduire  les  expressions  de  la  loi  d'après  les  données  que 
nous  fournissaient  les  principes,  nous  paraît  justifiée  parles  appré- 
ciations que  nous  rencontrons  dans  l'ouvrage  de  l'auteur  qui  a 
développé  avec  le  plus  d'énergie  la  doctrine  qui  voit  dans  tous  les 
articles  depuis  2053  jusqu'à  2057  l'enumération  de  cas  d'annu- 
labilité,  ou  pour  parler  comme  la  loi,  de  rescision.  D'après  cet 
auteur,  «  il  n'y  a  qu'à  lire  un  peu  attentivement  et  d'un  bout  à 
«  l'autre  les  discours  des  orateurs  du  gouvernement  et  du  Tribunat 
«  pour  reconnaître  que  leurs  idées  sur  la  matière  des  nullités  sont 
«  souvent  fausses,  presque  toujours  mal  digérées  et  confuses,  et 
«  qu'ils  sont  loin  de  s'accorder  entre  eux,  soit  avec  eux-mêmes... 
«  Ainsi,  dans  l'exposé  des  motifs,  la  transaction  sur  chose  jugée  est 
«  d'abord  considérée  comme  simplement  entachée  d'erreur,  et 
«  quelques  lignes  plus  bas  elle  est  déclarée  manquer  d'objet  (1).  » 

290  bis.  III.  La  première  partie  de  l'article  prévoit  une  hypothèse 
dans  laquelle  la  production  tardive  d'un  titre  inconnu  lors  de  la 
transaction  n'entraînera  pas  la  nullité.  Les  parties  ont  transigé  sur 
toutes  les  affaires  qu'elles  pouvaient  avoir  ensemble.  Elles  se  con- 
sidéraient comme  étant  en  différend  sur  un  grand  nombre  d'affaires, 
elles  les  ont  terminées  par  un  seul  arrangement.  Le  titre  découvert 
postérieurement  n'est  relatif  qu'à  l'une  des  affaires.  Peut-on  dire 
que  l'erreur  était  substantielle?  Non  certes,  car  en  faisant  abstraction 
du  litige  tranché  par  le  titre  découvert,  il  reste  encore  plusieurs 
autres  points  litigieux,  la  nature  de  l'objet  de  la  transaction  ne 

(1)  M.  Accarias,  Transactions,  n°  327. 


352  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

change  pas,  il  diminue  d'importance,  vo'li  tout;  or,  on  n'a  jamais 
considéré  l'erreur  sur  l'importance  de  l'objet  comme  étant  une 
erreur  sur  la  substance. 

La  décision  de  l'article  2057,  1er  alinéa,  est  fondée  en  réalité  sur 
une  interprétation  de  volonté,  par  conséquent  on  pourra  l'appli- 
quer toutes  les  fois  que  les  parties  auront  transigé  sur  un  ensemble 
d'affaires,  sur  plusieurs  litiges,  alors  même  qu'elles  n'auraient  pas 
compris  dans  leur  convention  toutes  les  affaires  qu'elles  pouvaient 
avoir  ensemble. 

290  bis.  IV.  L'article  réserve  avec  raison  le  cas  où  les  pièces 
auraient  été  retenues  par  le  fait  de  l'une  des  parties,  alors  il  y 
aurait  dol.  et  la  transaction  serait  rescindable,  d'après  l'article 
2053.  Nous  posons  en  règle  que  le  cas  prévu  par  l'article  2057 
est  un  cas  de  dol,  parce  que  cet  article  parle  de  pièces  retenues. 
Or,  cette  expression  implique  bien  l'idét  d'un  acte  volontaire  ou 
au  moins  conscient,  et  l'on  peut  bien  dire  que  celui  qui  sciemment 
retient,  c'est-à-dire  conserve  avec  un  soin  jaloux  la  pièce  décisive 
en  faveur  de  son  adversaire,  commet  un  dol.  S'il  avait  détenu 
inconsciemment  cette  pièce,  on  ne  pourrait  pas  alléguer  le  dol,  seu- 
lement il  faut  reconnaître  que  le  fait  de  la  détention  fera  facilement 
présumer  la  rétention,  autrement  dit  que  la  partie  devra  prouver 
sa  bonne  foi  en  démontrant  les  circonstances  qui  établissent  qu'elle 
ne  savait  pas  posséder  ce  titre. 

291.  La  simple  erreur  de  calcul,  lorsque  les  parties  étaient 
d'accord  sur  les  bases  du  traité  ,ne  doit  point  suffire  pour  ren- 
verser l'œuvre  de  la  volonté  commune 5  seulement  le  résultat 
en  étant  faussé,  il  est  juste  de  le  rétablir.  Aussi  la  loi  veut- 
elle  que  cette  erreur  soit  réparée.  V.  art.  2058;  v.  aussi  C. 
Pi\,  art.  541;  v.  pourtant  Diocl.  et  Max.,  L.  un.,  Cod.,  de 
err.  cale. 

291  bis.  I.  L'erreur  de  calcul  ne  vicie  pas  la  transaction,  voilà  la 
règle;  mais  pour  qu'il  en  soit  ainsi,  il  faut  qu'il  apparaisse  par  la 
transaction  elle-même  que  l'erreur  résulte  d'opérations  arithmétiques 
mal  faites,  et  qui  ont  par  suite  donné  un  résultat  contraire  aux 
dispositions  mêmes  de  la  transaction.  Exemple  :  dans  une  trans- 
action sur  des  droits  héréditaires,  il  est  dit  que  Pierre  supportera 
un  tiers  des  dettes  et  Paul  deux  tiers,  puis  on  énumère  les  dettes 
déjà  payées,  qui  se  montent  à  36,000  francs,  d'où  l'on  conclut  que 


TIT.    XV.    DES   TRANSACTIONS.    ART.    2057,   2058.         353 

Pierre  payera  9,000  francs  et  Paul  27,000.  La  disposition  principale 
de  la  transaction  est  celle  qui  détermine  la  fraction  mise  à  la  charge 
de  chaque  héritier.  L'autre  n'en  est  que  l'exécution.  Or,  il  est  clair 
qu'on  s'est  trompé  dans  l'exécution,  et  qu'on  a  divisé  la  somme  à 
payer  par  i  au  lieu  de  la  diviser  par  3.  Le  fond  de  la  transaction 
doit  rester  intact,  le  calcul  seul  est  à  refaire. 

291  bis.  IL  Mais  on  ne  pourrait  pas  revenir  sur  une  transaction 
sous  prétexte  d'erreur  de  calcul,  quand  on  ne  trouverait  pas  dans 
la  transaction  même  les  bases  du  calcul  dont  la  convention  n'indi- 
querait que  les  résultats.  Exemple  :  dans  la  même  hypothèse,  au  lieu 
d'établir  d'abord  dans  quelle  proportion  les  dettes  seront  suppor- 
tées, ou  aurait  dit  que  les  36,000  francs  payés  par  la  succession 
seraient  supportés  par  Pierre  pour  9,000  francs  et  par  Paul  pour 
27,000.  Il  serait  inadmissible  qu'on  prétendît  changer  ces  chiffres 
sous  prétexte  d'erreur  de  calcul.  Comment  pourrait-on  savoir  que 
les  parties  avaient  voulu  diviser  la  somme  par  3?  Il  ne  se  produira 
sur  ce  point  que  des  allégations  d'où  il  résulterait  peut-être  que 
pendant  les  pourparlers  précédant  la  transaction  il  avait  été  question 
de  diviser  en  tiers,  mais  ces  pourparlers  pourraient  avoir  abouti 
au  dernier  moment,  lors  de  la  convention,  à  une  division  par 
quarts.  La  question  ne  se  présente  plus  comme  une  simple  question 
d'erreur  arithmétique;  on  prétend  qu'une  erreur  s'est  produite  sur 
la  somme  que  chacune  des  parties  s'engageait  à  payer,  et  cette 
erreur  n'est  pas  une  cause  de  rescision  de  la  convention. 

292.  Observons,  en  terminant,  que  c'est  a  l'erreur  sur 
l'objet  de  la  transaction  que  nous  ont  paru  se  rattacher  toutes 
les  diverses  causes  de  nullité  énumérées  dans  les  articles 
2054-2057.  Nous  n'hésitons  pas  a  en  conclure,  sans  égard 
aux  expressions  différentes  employées  par  la  loi,  qu'elle  n'en- 
tend, dans  aucun  de  ces  cas,  prononcer  une  nullité  de  plein 
droit,  mais  autoriser  simplement  une  action  en  rescision 
(v.  ait.  1117,2053). 

292  bis.  Cette  dernière  observation  de  M.  Devante  est  le  résumé 
de  la  doctrine  qu'il  a  admise  dans  les  numéros  précédents,  et  que 
nous  avons  essayé  de  combattre. 


23 


TITRE   SEIZIEME. 

DE    LA    COXTRAINTE    PAR    CORPS    EN    MATIÈRE    CIVILE. 

293.  La  contrainte  par  corps  est  une  voie  d'exécution,  qui 
consiste  dans  l'emprisonnement  du  débiteur  pour  le  forcer  a 
s'acquitter. 

La  soumission  a  la  contrainte  par  corps  est,  comme  on  voit, 
une  manière  d'assurer  l'exécution  des  obligations;  ce  qui,  a 
certains  égards,  rattache  celte  matière  à  celle  du  cautionne- 
ment, déjà  expliquée,  aussi  bien  qu'à  celle  du  nantissement  et 
à  celle  des  privilèges  et  hypothèques,  qui  seront  successive- 
ment traitées. 

294.  La  contrainte  par  corps  est  un  attentat  a  la  liberté 
de  la  personne.  Cette  liberté  est  trop  précieuse  pour  que  la 
faculté  d'y  attenter  ainsi  doive  être,  comme  celle  de  saisir  les 
biens,  accordée  de  droit  commun  aux  créanciers.  Bien  plus, 
le  respect  du  principe  va  jusqu'à  faire  considérer  la  volonté 
même  du  débiteur  comme  impuissante  en  soi  pour  le  sou- 
mettre à  cette  rigueur.  A  la  loi  seule  il  appartenait  d'appré- 
cier les  considérations  d'intérêt  public  ou  privé  qui,  récla- 
mant pour  certaines  obligations  un  nerf  tout  spécial,  pouvaient 
commander  jusqu'à  un  certain  point  le  sacrifice  du  premier 
des  biens. 

294  bis.  I.  Le  Code  civil  avait  énuméré  les  divers  cas  dans  les- 
quels la  contrainte  par  corps  était  admise  en  matière  civile,  et 
indiqué  un  certain  nombre  de  règles  sur  l'exercice  de  cette  voie 
rigoureuse  de  coercition.  Une  loi  du  17  avril  1832,  en  modifiant 
sur  certains  points  le  Code  civil,  avait  en  outre  réglementé  la 
contrainte  par  corps  en  matière  de  commerce  et  en  matière  de 
deniers  et  effets  mobiliers  publics,  elle  avait  aussi  fixé  les  règles 
sur  la  contrainte  par  corps  contre  les  étrangers,  en  admettant 
contre  eux  cette  voie  de  rigueur  en  toutes  matières,  pourvu  que 
la  condamnation  excédât  150  francs. 


HT.  XVI.  DE  LA  CONTRAINTE  PAR  CORPS.  ART.    2059-2070.       35 

Une  loi  du  13  décembre  1848  avait  apporté  des  tempéraments 
aux  règles  résultant  du  Gode  civil  et  de  la  loi  de  1832. 

Mais  toute  cette  législation  est  aujourd'hui  abrogée.  La  contrainte 
par  corps  a  été  abolie  par  la  loi  du  22  juillet  1867  en  matière  civile 
et  commerciale.  Elle  n'est  plus  maintenant  autorisée  qu'en  matière 
criminelle,  correctionnelle  et  de  simple  police. 

294  bis.  II.  Cette  abrogation  rend  inutile  l'explication  des  dis- 
positions du  titre  de  la  contrainte  par  corps  au  Code  civil.  Quanta 
la  loi  de  1867,  ses  principales  règles  appartiennent  à  la  matière  de 
la  procédure  ou  au  droit  criminel. 

Nous  avons  seulement  à  faire  remarquer,  parce  que  ceci  tient 
par  un  côté  au  droit  civil,  que  la  contrainte  par  corps  peut  résulter 
des  arrêts  et  jugements  contenant  des  condamnations  en  faveur  des 
particuliers  pour  réparation  de  crimes,  délits  ou  contraventions 
commis  à  leur  préjudice  (art.  4  et  5),  que  la  durée  de  la  contrainte 
est  fixée  par  la  loi  d'après  l'importance  de  la  somme  due  (art.  9), 
que  les  particuliers  créanciers  doivent  pourvoir  aux  aliments  des 
débiteurs  détenus  (art.  7),  que  le  débiteur  peut  faire  cesser  la  con- 
trainte en  fournissant  une  caution  bonne  et  valable  (art.  11),  que 
le  contrainte  ne  peut  pas  être  exercée  contre  un  débiteur  au  profit 
de  son  conjoint,  de  ses  descendants  ou  ascendants,  frères  ou  sœurs, 
oncles,  tantes,  grands-oncles,  grand'tantes,  neveux,  nièces,  petits- 
neveux  ou  petites-nièces,  ni  de  ses  alliés  au  même  degré  (art.  13). 


23. 


TITRE   DIX-SEPTIEME. 

DU    NANTISSEMENT. 

295.  Comme  le  cautionnement  et  la  contrainte  par  corps, 
le  contrat  de  nantissement  a  pour  but  d'assurer  l'exécution 
d'une  obligation.  La  sûreté  consiste  ici  dans  la  remise  d'une 
chose  en  la  possession  du  créancier.  Cette  remise,  qui  a  pour 
effet  d'affecter,  diversement  suivant  les  cas,  la  chose  au  paie- 
ment de  la  dette,  est  naturellement  supposée  devoir  être  faite 
par  le  débiteur  lui-même.  V.  art.  2071;  v.  au  surplus  art. 
2077  et  2090. 

On  aperçoit  par  ce  simple  exposé  que  le  contrat  de  nantis- 
sement est  réel,  aussi  bien  que  le  prêt  et  le  dépôt.  Comme 
eux,  il  ne  produit  qu'une  obligation  principale,  celle  du 
créancier,  qui,  en  recevant  la  chose,  s'engage  a  la  restituer 
après  le  paiement  ou  a  rendre  compte  de  son  emploi.  C'est 
donc  un  contrat  unilatéral  dans  le  sens  du  Code  civil.  Toute- 
fois il  emporte  aussi  pour  celui  qui  livre  la  chose  des  obliga- 
tions implicites,  et  peut  en  faire  naître  d'incidentes  qui  lui 
donnent  le  caractère  de  synallagmatique  imparfait.  Le  nantis- 
sement, du  reste,  diffère  essentiellement  du  prêt  et  du  dépôt 
par  le  but  de  la  remise,  qui  en  fait  évidemment  un  contrat 
intéressé  de  part  et  d'autre. 

Les  meubles  et  les  immeubles  peuvent  être  l'objet  du  nan- 
tissement; la  loi  appelle  gage  le  nantissement  des  choses 
mobilières,  et  antichrèse  celui  des  choses  immobilières. 
V.  art.  2072. 

295  bis.  I.  Pothier  donne  la  définition  suivante  du  contrat  de 
nantissement  :  un  contrat  par  lequel  un  débiteur,  ou  un  autre  pour 
lui,  donne  au  créancier  une  chose  pour  la  détenir  par  devers  lui 
pour  la  sûreté  de  sa  créance,  et  le  créancier  s'oblige  de  la  lui 
rendre,  après  que  sa  créance  aura  été  acquittée  (1). 

(1)  V.  Pothier,  Contrat  de  nantissement. 


TIT.    XVII.    DU    NANTISSEMENT.    ART.    2071,    2072.       357 

Dans  cette  définition,  Pothier  met  en  relief  cette  idée  que  celui 
qui  constitue  le  nantissement  peut  être  un  tiers  qui  cherche  à 
rendre  service  au  débiteur  en  lui  procurant  du  crédit;  de  plus,  il 
précise  l'avantage  que  le  créancier  retire  quand  on  lui  donne,  ou 
mieux  quand  on  lui  remet  une  chose  en  nantissement.  Ce  créancier 
acquiert  le  droit  de  la  détenir  pour  la  sûreté  de  sa  créance  et 
de  ne  la  rendre  qu'après  l'acquittement  de  l'obligation.  C'est  en 
quoi  la  remise  de  la  chose  procure  une  sûreté  au  créancier,  parce 
que  le  propriétaire,  privé  de  la  jouissance  de  sa  chose,  ne  pou- 
vant pas  l'aliéner  facilement  et  dans  de  bonnes  conditions,  a  intérêt. à 
l'extinction  de  la  dette;  si  ce  propriétaire  est  le  débiteur  lui-même, 
ce  qui  est  le  cas  le  plus  fréquent,  il  résulte  de  b  privation  de  sa 
chose  une  sorte  de  contrainte  qui  le  détermine  à  payer;  si  le  nan- 
tissement a  été  fourni  par  un  tiers,  celui-ci  usera  certainement 
de  l'influence  que  lui  donne  le  service  rendu  pour  pousser  le 
débiteur  au  paiement.  De  plus,  comme  il  aura  d'ordinaire  fait  le 
contrat  de  nantissement  sur  la  demande  du  débiteur,  il  aura 
comme  mandataire  l'action  mandati  contraria  pour  le  contraindre 
à  payer,  quand  on  pourra  raisonnablement  supposer  qu'on  est 
arrivé  à  l'époque  où  le  mandataire  avait  entendu  qu'il  rentrerait 
en  possession  de  la  chose  donnée  en  nantissement. 

295  bis.  II.  Le  nantissement  étant  un  contrat  ne  peut  naître  sans 
une  convention,  mais  par  Je  but  que  se  propose  le  créancier,  par 
l'utilité  qu'il  espère  retirer  de  la  privation  de  jouissance  imposée 
au  débiteur,  comme  aussi  par  le  caractère  de  l'obligation  de  ce 
créancier,  obligation  de  restituer,  ce  contrat  ne  se  formera  pas 
nudo  consensu.  La  mise  en  possession  du  créancier  est  essentielle  : 
le  contrat  est  donc  réel,  comme  le  prêt,  comme  le  dépôt,  en  ce  sens 
que  la  convention  est  impuissante  à  produire  les  conséquences  de 
fait  sans  lesquelles  il  n'y  a  pas  de  nantissement.  On  pourra  bien 
faire  valablement  une  promesse  de  nantissement,  mais  cette  pro- 
messe ne  donne  pas  au  créancier  la  détention  qui  fait  sa  sûreté  et 
ne  l'oblige  certes  pas  à  rendre  ce  qu'il  n'a  pas  reçu.  C'est  pour 
montrer  le  caractère  réel  du  contrat  que  le  Code  a  écrit  :  le  nantis- 
sement est  un  contrat  par  lequel  un  débiteur  remet  une  chose; 
c'est  un  contrat,  donc  il  faut  un  accord  de  volonté,  mais  il  faut 
qu'avec  la  convention  coïncide  un  fait  matériel,  la  remise  de  la 
chose. 

295  bis.  III.  La  notion  du  nantissement  telle  que  nous  venons 


358  COURS  ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

de  la  donner  est  assez  peu  précise  pour  embrasser  deux  contrats 
bien  différents  l'un  de  l'autre,  le  gage  et  l'antichrèse. 

Le  gage  est  un  nantissement  qui,  à  l'avantage  de  la  détention, 
joint  le  droit  pour  le  créancier  d'être  payé  sur  le  prix  de  l'objet 
par  préférence  à  tous  autres  créanciers. 

L'antichrèse,  autre  contrat  de  nantissement,  ne  donne  pas  de 
droit  de  préférence  sur  le  prix  de  vente,  mais  elle  donne  au  créancier 
le  droit  de  percevoir  les  fruits  de  la  chose  et  de  les  imputer  sur  les 
intérêts  et  le  capital  de  sa  créance,  sauf  à  restituer  la  chose  quand 
ces  imputations  successives  auront  éteint  complètement  la  dette. 

295  bis.  IV.  D'après  l'article  2072,  le  gage  est  le  nantissement 
des  meubles  et  l'antichrèse  le  nantissement  des  immeubles.  Ceci 
est  plutôt  la  constatation  d'un  fait  de  pratique  que  l'établissement 
d'une  règle  restrictive. 

Les  conventions  sont  libres;  comment  donc  et  pourquoi  interdire 
le  contrat  qui,  sans  donner  au  créancier  qui  a  reçu  un  meuble  en 
nantissement,  un  droit  de  préférence  sur  le  prix,  lui  permettrait 
de  profiter  des  fruits  de  la  chose,  si  elle  en  produit,  et  de  les 
imputer  sur  sa  créance?  La  loi  n'a  pas  prévu  cette  convention, 
parce  que  les  meubles  ne  sont  pas  ordinairement  frugifères  ;  mais  on 
ne  comprendrait  pas  que  celui  qui  peut  donner  un  droit  de  pré- 
férence sur  un  bien,  ou  créer  sur  ce  bien  un  droit  réel  de  jouissance, 
à  titre  d'usage  ou  d'usufruit,  ne  pût  pas  constituer  un  droit  souvent 
moins  important.  Le  Code,  au  reste,  présume  une  convention 
semblable  quand  la  chose  donnée  en  gage  est  une  créance  pro- 
duisant des  intérêts  (art.  2081),  et  Pothier  généralisait  cette  idée 
en  l'appliquant  au  gage  ayant  pour  objet  tout  meuble  frugifère  (i). 
Nous  n'irons  pas  si  loin  que  Pothier  sur  ce  point,  le  Code  n'ayant 
pas  reproduit  sa  doctrine,  mais  nous  pouvons  nous  appuyer  sur  sa 
décision  pour  autoriser  une  convention  formelle  qui  donnerait  ce 
droit  au  créancier. 

295  bis.  V.  Nous  ferons  une  observation  en  ce  qui  concerne  le 
gage.  La  convention  pourrait  créer  un  droit  de  gage  proprement 
dit  sur  un  immeuble.  Seulement  le  droit  du  créancier  sera  néces- 
sairement fort  restreint,  à  cause  des  règles  un  peu  strictes  qui 
régissent  les  droits  sur  les  immeubles.  Certes,  dans  les  rapports 
entre  le  créancier  et  le  débiteur,  il  n'y  a  pas  de  raison  pour 

(1)  V.  Pothier,  A'antissement,  n*  36. 


TIT.    XVII.    DU    NANTISSEMENT.    ART.    2072,    2073.       359 

interdire  la  convention  qui  mettrait  le  créancier  en  possession  de 
l'immeuble  afin  que  le  débiteur  fût  privé  de  la  jouissance  jusqu'au 
paiement.  Mais  ce  qui  ne  pourra  pas  résulter  de  cette  convention, 
ce  sera  le  droit  d'être  payé  sur  le  prix  avant  les  autres  créances, 
parce  que  le  droit  de  préférence  sur  les  immeubles  ne  peut  exister 
que  comme  hypothèque  ou  comme  privilège.  Comme  hypothèque, 
il  est  soumis  à  des  conditions  de  forme  dans  sa  constitution  et  de 
conservation  que  nous  ne  supposons  pas  remplies.  Comme  privilège, 
il  est  impossible,  parce  que  les  privilèges  sont  déterminés  limi- 
tativement  par  la  loi,  et  que  le  gagiste  n'a  reçu  de  privilège  que 
dans  l'article  2102,  qui  énumère  les  privilèges  sur  les  meubles. 
295  bis.  VI.  Reste  la  question  de  rétention.  Ce  droit  pourra-t-il 
être  invoqué  à  l'égard  des  tiers,  créanciers  ou  acquéreurs?  Nous 
voyons  bien  dans  la  loi  des  cas  où  certaines  personnes  ont  le  droit  de 
rétention  et  peuvent  le  faire  valoir  ergo  omnes.  Mais  ce  droit  est 
alors  fondé  sur  des  dispositions  plus  ou  moins  expresses  de  la  loi. 
Il  s'agirait  ici  d'un  droit  conventionnel,  et  il  nous  paraît  certain 
qu'un  droit  conventionnel  si  préjudiciable  aux  tiers  ne  peut  s'exercer 
à  leur  égard  en  dehors  des  conditions  de  publicité  auxquelles  la  loi 
assujettit  les  droits  réels  sur  les  immeubles.  Mais  à  cela  près,  nous 
ne  pensons  pas  qu'on  puisse  gêner  la  liberté  de  la  convention 
quant  à  la  création  de  ce  droit.  Ce  n'est  en  réalité  qu'un  dimi- 
nutif de  l'antichrèse;  l'antichrésiste  a  la  détention  et  les  fruits, 
le  créancier  dont  nous  parlons  aurait  la  détention  sans  les  fruits, 
le  plus  ordinairement  en  fait,  l'immeuble,  objet  d'une  telle  con- 
vention, sera  improductif.  Le  créancier  devra  donc  être  traité 
comme  un  créancier  antichrésiste,  c'est-à-dire  que  moyennant  qu'il 
aura  fait  transcrire  son  titre  conformément  à  la  loi  de  1835  (art.  2), 
il  pourra  exercer  son  droit  ergo  omnes.  Bien  plus,  il  pourra,  alors 
même  qu'il  n'aura  pas  fait  transcrire,  opposer  son  droit  à  tout  tiers 
qui  ne  sera  pas  protégé  par  l'article  3  de  la  loi  de  1855. 


CHAPITRE   PREMIER. 

DU    GAGE. 

296.  La  loi  s'occupe  ici  du  gage  sous  deux  points  de  vue 
bien  distincts  :  1°  sous  le  rapport  du  droit  du  créancier  sur  la 


360  COURS   ANALYTIQUE   DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

chose  qui  lui  est  remise  en  nantissement  (art.  2073-2079); 
2°  sous  le  rapport  des  obligations  ou  engagements  qui  naissent 
directement,  ou  qui  résultent  incidemment,  du  contrat  formé 
par  cette  remise  (art.  2080-2083). 

SECTION  ï. 

Du  droit  de  gage. 

297.  Lato  sensu,  le  droit  de  gage  consiste  dans  l'affecta- 
tion d'une  chose  au  paiement  d'une  dette,  en  telle  sorte  que 
le  créancier  puisse,  pour  obtenir  son  paiement,  la  faire 
vendre  et  s'en  attribuer  le  prix  jusqu'à  due  concurrence.  Sous 
ce  rapport,  tous  les  biens  du  débiteur  sont  le  gage  de  tous 
ses  créanciers,  tant  qu'ils  continuent  a  lui  appartenir  (v.  art. 
2092,  2093). 

Dans  un  sens  plus  exact,  le  droit  de  gage  consiste  dans  une 
affectation  spéciale  et  entière  qui  survivrait  à  l'aliénation  de 
la  chose,  et  qui  non-seulement  autorise  le  créancier  h  la  faire 
vendre,  mais  qui  lui  confère  le  droit  d'être  payé  sur  le  prix, 
par  préférence  aux  autres  créanciers  du  même  débiteur. 

Ce  droit  qui,  originairement  a  Rome,  ne  pouvait  résulter 
que  de  la  tradition  constitutive  du  contrat  de  gage,  put  dans 
la  suite  être  conféré  par  la  simple  convention  d'hypoihèque. 
ïl  s'établissait  même  dans  certains  cas  par  la  seule  autorité 
de  la  loi  ou  par  celle  du  Préteur. 

Le  même  droit  existe  chez  nous,  soit  sous  le  nom  spécial 
de  gage,  par  suite  du  contrat  de  nantissement,  quand  ce 
contrat  a  pour  objet  une  chose  mobilière,  soit  sous  le  nom  de 
privilège  ou  d'hypothèque. 

298.  Cela  posé,  il  est  bien  entendu  que  le  contrat  de  gage 
confère  au  créancier,  sur  la  chose  qui  en  est  l'objet,  le  droit 
de  gage  proprement  dit,  par  conséquent  le  droit  d'être  payé 
par  préférence  aux  autres  créanciers.  Cette  cause  de  préfé- 
rence, essentiellement  différente  dans  son  principe  des  véri- 
tables privilèges  (v.  art.  2095),  reçoit  cependant  de  la  loi  elle- 


TiT.    XVII.    DU    NANTISSEMENT.    ART.    2073,    207 i.        361 

même  la  qualification  de  privilège,  parce  que  son  résultat  est 
le  mê  ne.  V.  art.  2073  ;  v.  aussi  art.  2102-2°. 

298  bis.  Il  faut  remarquer  que  le  droit  de  gage  tel  qu'il  est 
organisé  par  le  Code  civil  et  qui  s'applique  seulement  aux  meubles, 
confère  au  créancier  le  droit  de  préférence,  mais  qu'il  est  subor- 
donné à  la  possession  du  meuble  par  le  créancier,  en  sorte  que,  si 
cette  possession  cessait  et  si  le  meuble  était  aliéné  par  le  débiteur, 
le  créancier  perdrait  son  droit,  car  son  droit  ne  comprend  pas  le 
droit  de  suite.  C'est  une  règle  générale  posée  en  matière  de  meubles 
par  l'article  2119.  C'est  pourquoi  M.  Demante,  dans  le  n°  297,  a 
présenté  sous  une  forme  conditionnelle  la  survie  possible  du  droit 
de  gage  au  cas  d'aliénation.  Il  ne  s'occupait  pas  encore  du  droit  de 
gage  réglementé  par  le  Code  civil,  il  examinait  le  droit  de  gage  au 
point  de  vue  purement  théorique,  et  il  constatait  qu'on  peut  con- 
cevoir un  droit  de  gage  sur  les  meubles  survivant  à  l'aliénation, 
il  rappelait  sur  ce  point  le  droit  romain,  qui  admettait  la  reven- 
dication des  meubles  en  principe  et  qui,  par  l'action  quasi  servienne 
ou  hypothécaire,  donnait  un  droit  de  suite  aussi  bien  sur  les 
meubles  que  sur  les  immeubles. 

299.  Le  gage,  considéré  comme  contrat,  sous  le  rapport 
des  engagements  qu'il  produit  entre  les  contractants,  ne  peut 
être  assujetti  a  aucune  forme  particulière-,  mais  la  constitu- 
tion du  droit  de  gage  intéresse  les  tiers,  qui  seraient  facile- 
ment fraudés  si  l'on  pouvait  les  tromper  sur  le  fait  même  de 
la  constitution,  sur  son  époque,  sur  le  montant  de  la  créance 
privilégiée,  ou  sur  l'identité  des  objets  affectés  au  paiement. 
La  loi  pourvoit  a  ce  danger  en  exigeant  comme  condition  de 
l'existence  du  privilige  : 

1°  La  rédaction  d'un  acte  par  écrit; 

2°  L'authenticité  de  cet  acte ,  ou  du  moins  son  enregistre- 
ment; 

3°  La  déclaration  dans  l'acte  de  la  somme  due  ; 

4°  La  désignation,  également  dans  l'acte,  de  l'espèce  et  de 
la  nature  des  choses  remises  en  gage.  Que  si  ces  choses  ne 
sont  pas  Jes  corps  certains  et  déterminés,  la  désignation  doit 
consister  dans  un  état  des  qualité,  poids  et  mesure  :  cet  état, 
s'il  n'est  pas  compris  dans  le  corps  de  l'acte,  doit  au  moins  y 


362        cours  analytique  de  code  civil,  liv.  m. 

être  annexe.  V.  art.  2074, ,al.  1;  et  a  ce  sujet,  Ordonn.  de 
1673,  lit.  6,  art.  8  et  9. 

299  bis.  I.  Le  contrat  de  gage,  en  tant  qu'il  peut  produire  des 
effets  entre  les  deux  parties  seulement,  n'est  soumis  à  aucune 
règle  particulière  concernant  la  preuve.  Il  peut  être  prouvé  par 
l'aveu,  par  le  serment  décisoire  ou  le  refus  de  serment,  enfin  par 
la  preuve  testimoniale  lorsque  l'objet  engagé  n'a  pas  une  valeur 
supérieure  à  150  francs,  et  dans  les  hypothèses  exceptionnelles  des 
articles  1347  et  1348. 

L'acte  écrit,  quand  il  en  a  été  dressé  un,  peut  être  sous  seing 
privé,  il  n'a  pas  besoin  d'être  enregistré.  En  somme,  il  ne  s'agit 
que  d'établir  contre  chacune  des  parties  l'existence  des  obligations 
qu'elle  a  contractées,  ces  obligations  sont  prouvées  conformément 
aux  règles  ordinaires. 

L'écrit  sous  seing  privé  peut  même,  en  vertu  de  ces  règles 
ordinaires,  avoir  été  rédigé  en  un  simple  original;  l'article  1325  ne 
lui  est  pas  applicable,  car  le  contrat  de  gage  n'est  pas  un  véritable 
contrat  synallagmatique,  il  n'engendre  tout  d'abord  qu'une  seule 
obligation,  celle  de  restituer  à  la  charge  du  créancier,  les  obligations 
du  débiteur  envers  le  créancier  gagiste  ont  un  caractère  accidentel, 
elles  dérivent  de  faits  postérieurs  au  contrat  ;  le  gage  est  donc  un 
contrat  synallagmatique  imparfait,  le  débiteur  gagiste  a,  dès  l'abord, 
seul  intérêt  à  posséder  une  preuve  de  la  convention  (1). 

299  bis.  II.  Le  Code  a  sous-entendu  toutes  ces  règles,  qui  sont 
écrites  dans  le  titre  des  contrats.  Il  ne  s'occupe  de  la  preuve  du 
'  contrat  de  gage  qu'en  tant  que  ce  contrat  engendre  un  droit  réel, 
par  conséquent  met  le  créancier  gagiste  en  conflit  avec  les  tiers. 
Il  restreint  en  effet  la  portée  de  son  article  2074,  en  commençant 
par  dire  que  le  but  de  cet  article  est  de  régler  non  pas  les  con- 
ditions d'exercice  du  droit  de  gage  envisagé  sous  toutes  ses  faces, 
mais  les  conditions  d'exercice  du  privilège,  c'est-à-dire  du  droit  de 
préférence  en  vertu  duquel  le  créancier  est  payé  sur  le  prix  de 
l'objet  engagé  avant  tous  les  autres  créanciers. 

Il  ne  faut  pas  que  les  créanciers  d'une  personne  soient  primés 
par  un  d'entre  eux  qui  n'aurait  pas  exigé  de  gage  lors  de  la  nais- 
sance de  son  droit,  mais  qui,  voyant  venir  l'insolvabilité  du  débiteur 
commun,  profiterait  des  embarras  de  celui-ci  pour  obtenir  de  lui 

(1)  V.  t.  V,  n"  288  bis.  VIII. 


TIT.    XVII.    DU    NANTISSEMENT.    ART.    2074.  363 

un  droit  de   préférence  n'ayant  pas  d'autre  raison  d'être  que  la 
faiblesse  ou  la  faveur  du  débiteur. 

300.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  motifs  qui  dispensent  en  géné- 
ral de  passer  un  acte  pour  choses  qui  n'excèdent  pas  la 
somme  ou  valeur  de  cent  cinquante  francs  (v.  art.  13ii), 
étant  également  applicables  ici,  c'est  uniquement  en  matière 
excédant  cette  valeur,  que  la  loi  prescrit  la  rédaction  de  l'acte 
par  écrit  et  son  enregistrement.  V.  art.  2074,  al.  dern.  Au- 
dessous  de  celte  valeur,  il  est  clair  que  la  constitution  et 
l'étendue  du  privilège  pourront  s'établir  par  témoins  ou  par 
présomptions. 

300  bis.  I.  Ces  conditions,  au  reste,  ne  sont  exigées  qu'en  ma- 
tière excédant  1S0  francs.  C'est  ce  qu'a  décidé  le  2e  aliéna  de  l'article, 
qui  signifie  certainement  que,  lorsqu'il  s'agit  d'une  valeur  inférieure 
à  ce  chiffre,  le  contrat  pourra  être  prouvé,  même  au  regard  des 
tiers,  et  en  ce  qui  concerne  le  privilège,  par  tous  les  moyens  qu'au- 
torisent les  dispositions  générales  du  chapitre  des  preuves. 

L'écrit,  cependant,  s'il  en  avait  été  dressé  un,  n'aurait  pas  date 
certaine  à  l'égard  des  tiers,  et  la  sincérité  de  sa  date  devrait  être 
prouvée  par  le  créancier  gagiste;  les  règles  générales  conduisent  à 
ce  résultat,  car  jamais  un  acte  sous  seing  privé  ne  fait  foi  de  sa 
date  à  l'égard  des  tiers,  alors  même  qu'il  s'agit  d'une  valeur  qui 
n'est  pas  supérieure  à  150  francs.  Quand  l'article  2074  parle  des 
conventions  en  matière  n'excédant  pas  150  francs,  il  dit  seulement 
qu'il  n'est  pas  nécessaire  pour  qu'elles  soient  prouvées,  qu'elles 
aient  été  rédigées  par  écrit  et  enregistrées,  mais  il  n'établit  pas 
que  l'enregistrement  soit  indifférent,  quand  le  contrat  est  prouvé 
par  écrit,  c'est-à-dire  qu'il  oppose  le  cas  où  la  double  formalité 
requise  par  l'article  1er  alinéa  a  été  remplie  et  le  cas  où  elle  ne  l'a 
pas  été;  mais  rien  n'indique  qu'à  partir  de  150  francs  et  au-dessous 
il  se  contente  de  l'une  des  formalités  sans  l'autre.  Toute  la  portée  de 
l'article  est  celle-ci  :  la  double  formalité  est  requise  au-dessus  de 
150  francs.  Au-dessous,  comment  se  fait  la  preuve?  La  loi  est 
muette,  donc  ce  sont  les  règles  générales  qu'il  faut  appliquer. 

300  bis.  II.  Il  y  a  un  point  obscur  dans  l'article  2074;  quel  est 
l'objet  dont  la  valeur  doit  être  considérée  pour  savoir  si  elle  dépasse 
ou  non  150  francs?  Est-ce  l'objet  donné  en  gage?  est-ce  la  somme 
due  pour  la  garantie  de  laquelle  le  gage  est  donné?  Au  premier 


361  COUHS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

abord,  il  semble  que  le  gage  étant  donné  par  un  contrat  particulier, 
l'objet  de  ce  contrat,  c'est  la  chose  engagée,  et  que  de  la  valeur  de 
cette  chose  doit  dépendre  le  genre  de  preuve  admise  par  la  loi.  Il 
est  ainsi,  certainement,  quand  cet  objet  engagé  a  une  valeur  infé- 
rieure au  chiffre  de  la  dette.  Il  est  clair  qu'alors  l'intérêt  des  parties 
dans  le  contrat  du  gage  ne  dépasse  pas  la  valeur  du  gage  lui-même, 
et  que  les  tiers,  à  l'encontre  de  qui  s'exercera  le  privilège,  n'ont  pas 
un  intérêt  supérieur  à  la  valeur  de  ce  gage.  Mais  le  contraire  est 
possible,  la  chose  engagée  vaut  200  francs,  et  la  créance  n'est  que 
de  140  francs.  Si  la  règle  de  l'article  2074  était  applicable  dans  les 
rapports  du  créancier  gagiste  et  du  débiteur,  il  faudrait  tenir 
compte  de  l'objet  de  l'obligation  née  du  contrat  de  gage;  or,  cette 
obligation  est  celle  de  restituer  qui  pèse  sur  le  créancier,  elle  a  pour 
objet  la  chose  engagée,  soit  200  francs,  donc  il  faudrait  exiger 
l'écrit  enregistré.  Mais  si  l'on  regarde  de  près  l'espèce,  on  s'aperçoit 
que  l'intérêt  engagé  entre  le  créancier  gagiste  et  les  tiers  n'est  que 
de  140  francs.  Il  s'agit  du  droit  de  préférence  du  gagiste,  il  veut 
l'exercer  contre  d'autres  créanciers;  qu'importe  que  le  gage  vaille 
200  francs  ?  le  gagiste  n'aura  jamais  privilège  que  pour  sa  créance, 
soit  140  francs,  donc  il  se  trouve  dans  l'hypothèse  prévue  par 
l'article  2074,  2e  alinéa.  Les  termes  de  cet  article  sont  assez  vagues, 
en  matière  excédant  la  valeur  de  loO  Jrancs,  pour  qu'on  puisse  prêter 
au  législateur  l'intention  de  laisser  aux  juges  toute  latitude  pour 
tenir  compte,  suivant  les  espèces,  de  la  valeur  de  la  chose  engagée 
ou  de  celle  de  l'objet  dû. 

300  bis.  III.  La  restriction  contenue  dans  le  2e  aliéna  de  l'article 
a  paru  à  quelques-uns  établir  l'identité  entre  la  règle  de  l'article 
2074  1°  et  celle  de  l'article  1341,  d'où  il  résulterait  que  l'article 
2074  devrait  subir  toutes  les  exceptions  que  subit  l'article  1341, 
preuve  par  témoins  au  cas  des  articles  1347  et  1348,  enregistre- 
ment remplacé  par  les  autres  événements  que  prévoit  l'article  1328. 
Ces  décisions  s'appuient  sur  un  raisonnement  qui  nous  paraît 
vicieux;  car  on  conclut  de  l'identité  d'exception  à  l'identité  de 
règle;  or,  on  peut  très- bien  comprendre  que  des  règles  analogues 
subissent  la  même  exception  sans  être  pour  cela  la  même  règle, 
c'est-à-dire  sans  se  ressembler  absolument  dans  tous  leurs  détails. 
300  bis.  IV.  Or,  nous  sommes  en  présence  de  deux  règles  que  la  loi 
formule  de  deux  manières  absolument  différentes.  Dans  l'article  1341, 
il  s'agit  de  savoir  quand  la  preuve  testimoniale  sera  admise,  on  éta- 


TIT.    XVII.    DU    NANTISSEMENT.    ART.    2074,    2075.       365 

blit  que,  dans  certains  cas,  il  doit  être  passé  acte,  et  la  sanction 
donnée  à  cette  obligation,  c'est  le  refus  du  droit  de  prouver  par 
témoins;  comme  la  sanction  est  restreinte  à  ce  déni  de  la  preuve 
testimoniale,  beaucoup  d'autres  preuves,  notamment  l'aveu  et  le  ser- 
ment, peuvent  être  employées.  Dans  l'article  2074,  c'est  l'existence 
même  du  droit,  du  privilège,  qui  est  subordonnée  à  la  rédaction  de 
l'acte  et  à  son  enregistrement.  Voilà  une  différence  capitale  entre 
les  deux  dispositions;  que  toutes  deux  subissent  exception  pour  les 
matières  qui  n'excèdent  pas  loO  francs,  il  n'y  a  rien  d'étonnant, 
puisque,  dans  un  cas  comme  dans  l'autre,  le  législateur  peut  juger 
la  rédaction  d'un  écrit  trop  coûteuse.  Les  deux  règles  se  ressemblent 
en  cela,  mais  elles  n'en  diffèrent  pas  moins  grandement  entre  elles. 
Dès  lors,  on  comprend  que  celle  des  règles  (art.  1341)  qui  n'exclut 
pas  les  preuves  autres  que  la  preuve  testimoniale  admette  excep- 
tionnellement cette  preuve  testimoniale  appuyée  sur  un  commence- 
ment de  preuve;  mais  ce  n'est  pas  une  raison  pour  être  aussi  tolé- 
rant quand  il  s'agit  d'une  disposition  bien  plus  énergiquement 
sanctionnée  (art.  2074). 

301.  Le  gage  peut  avoir  pour  objet  même  des  meubles 
incorporels.  Dans  ce  cas  encore,  la  loi  prescrit,  comme  de 
raison,  l'acte  écrit  et  l'enregistrement  5  mais,  en  outre,  l'ana- 
logie qui  existe  entre  le  droit  du  gagiste  et  celui  d'un  cession- 
naire  fait  exiger,  comme  au  cas  de  transport-cession,  la  signi- 
fication au  débiteur.  V.  art.  2075,  et  a  ce  sujet  article  1690. 

301  bis.  I.  Les  créances  et  autres  choses  mobilières  incorporelles 
pouvant  être  données  en  gage,  il  n'y  avait  pas  de  raison  pour  ne 
pas  soumettre  la  preuve  du  contrat  de  gage  aux  conditions  de 
l'article  2074.  La  loi  semble  même  aller  plus  loin,  car  elle  demande 
un  acte  public  ou  sous  seing  privé  enregistré,  sans  distinguer  s'il 
s'agit  de  150  francs  ou  d'une  somme  supérieure.  Telle  doit  être, 
en  effet,  la  pensée  du  législateur,  car  il  avait  présent  à  l'esprit  ce 
qu'il  avait  écrit  dans  l'article  voisin,  et  ce  n'est  pas  par  omission 
qu'il  n'a  pas  indiqué  l'exception  comprise  dans  cet  article.  Il  a 
d'ailleurs  rapproché  de  la  formalité  de  l'écrit  celle  de  la  notification 
qui  n'est  certainement  pas  soumise  à  la  distinction  fondée  sur  la 
valeur  de  l'objet,  et  il  est  difficile  d'admettre  que,  traitant  de  deux 
formalités  dans  la  même  phrase,  il  les  ait  soumises  à  deux  régimes 
différents.  On  aperçoit  d'ailleurs  aisément  pourquoi  l'article  2075 


366  COURS  ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    ni. 

ne  pouvait  pas  reproduire  la  distinction  finale  de  l'article  2074. 
Le  Code  songeait  à  l'engagement  des  créances,  il  soumettait  cet  acte 
à  la  nécessité  d'une  signification,  c'est-à-dire  à  la  règle  de  l'article 
1690;  or,  ce  dernier  article  dérive  de  la  coutume  de  Paris  (art. 
108)  qui  disait  :  Il  faut  signifier  le  transport  à  la  partie  et  en  bailler 
copie.  Pour  donner  copie  d'un  acte,  il  faut  que  cet  acte  soit  écrit. 
Il  est  vrai  que  peut-être  l'article  1690  n'exige  pas  qu'il  soit  baillé 
copie  (1),  mais  les  rédacteurs  de  l'article  2075  ont  pu  songera 
la  règle  ancienne  appliquée  ordinairement  par  la  pratique  moderne, 
et  ne  pas  croire  qu'il  fût  possible  de  signifier  un  acte  juridique 
sans  donner  copie  d'un  écrit  qui  en  contînt  la  constatation. 

301  bis.  II.  La  première  formule  de  l'article  est  générale,  elle 
vise  tous  les  meubles  incorporels,  puis  survient  un  exemple, 
on  parle  des  créances,  et  la  fin  de  l'article,  c'est-à-dire  la  règle  de 
procédure,  ne  vise  plus  que  les  créances,  puisqu'elle  parle  du  débi- 
teur de  la  créance  donnée  en  gage.  Tous  les  droits  mobiliers  ne 
sont  cependant  pas  des  créances,  et  quand  nous  supposerons  la  mise 
en  gage  d'un  de  ces  droits  qui  ne  sont  pas  des  créances,  nous  aurons 
peine  à  trouver  la  personne  à  qui  doit  être  faite  la  signification, 
car,  quand  il  n'y  a  pas  de  créance,  il  n'y  a  pas  de  débiteur.  L'objet 
du  contrat  de  gage  peut  être,  en  effet,  l'usufruit  d'un  meuble,  ce 
peut  être  une  part  dans  une  société  civile,  si  l'on  admet  que  l'article 
529  s'applique  ces  sociétés,  ce  peut  être  les  droits  d'un  héritier 
dans  une  succession  ouverte  et  qui  ne  comprend  que  des  meubles. 
Dans  toutes  ces  hypothèses,  on  voit  bien  qu'il  sera  nécessaire  et 
possible  de  rédiger  un  acte  public  ou  sous  seing  privé  enregistré, 
mais  il  n'y  a  personne  qui  soit  désigné  par  la  loi  pour  recevoir  une 
signification.  Nous  dirons  que  la  signification  n'est  pas  nécessaire, 
car,  d'après  la  construction  de  l'article  2075,  on  peut  admettre 
qu'il  comprend  une  partie  générale  et  une  partie  spéciale;  la  partie 
générale  est  celle  où  ne  se  trouve  pas  le  mot  créance;  elle  est  ainsi 
composée  :  Le  privilège  ne  s'établit  sur  les  meubles  incorporels  que  par 
acte  public  ou  sous  seing  privé,  aussi  enregistré.  La  partie  spéciale 
se  compose  des  mots  :  Tels  que  les  créances  mobilières,  et  elle  se 
complète  par  cette  fin  de  l'article  :  et  signifié  au  débiteur  de  la  créance 
donnée  en  gage  :  c'est-à-dire  qu'on  a  d'abord  établi  une  règle  pour 
tous  les  actes,  en  y  comprenant  les  engagements  de  créances,  et 

(1)  V.  t.  VII,  n»  136  6i>,II. 


T1T.    XYII.    DU    NANTISSEMENT.    ART.    2075,  3(57 

qu'on  termine  par  cette  idée  :  il  faut  en  plus,  quand  l'objet  du 
contrat  est  une  créance,  que  l'acte  soit  signifié  au  débiteur  de  la 
créance  donnée  en  gage. 

301  bis.  III.  En  constatant  le  lien  qui  rattache  l'article  2075  à 
l'article  1690,  nous  avons  en  quelque  sorte  décidé  d'avance  que  le 
contrat  d'engagement  d'une  créance  pourrait  être  complété  par  une 
acceptation  authentique  du  débiteur  cédé,  aussi  bien  que  par  une 
signification  à  ce  débiteur.  Les  deux  formalités  se  valent  aux  termes 
de  l'article,  et  s'il  en  est  une  qui  atteint  mieux  que  l'autre  le  but 
que  le  législateur  s'est  proposé,  c'est  l'acceptation  qui  ne  laisse 
aucun  doute  sur  la  parfaite  connaissance  que  le  débiteur  a  eue  de 
l'acte  dont  il  faut  qu'il  soit  prévenu. 

301  bis.  IV.  Quand  nous  avons  cité  des  droits  mobiliers  qui  ne 
sont  pas  des  créances  et  qui  cependant  peuvent  être  l'objet  d'un 
contrat  de  gage,  nous  sommes  volontairement  resté  sur  le  terrain 
du  droit  civil.  Il  y  a  certains  droits  qui  ont  un  caractère  commer- 
cial, il  y  a  certains  contrats  de  gage  qui  ont  aussi  ce  caractère; 
nous  devons  quant  à  ces  droits  et  à  ces  contrats  renvoyer  à  l'article 
92  du  Gode  de  commerce  (1.  du  23  mai  1863),  auquel  le  Code  civil 
renvoie  dans  l'article  2084. 

301  bis.  V.  L'effet  de  l'engagement  d'une  créance  est  tout  d'abord 
d'empêcher  le  créancier  qui  l'a  engagée  d'en  toucher  le  montant. 
S'il  n'en  était  pas  ainsi,  le  contrat  ne  donnerait  aucune  sûreté  au 
créancier,  et  c'est  particulièrement  pour  mettre  obstacle  à  tout 
paiement  à  faire  par  le  débiteur  de  la  créance  engagée  à  son 
créancier,  que  l'article  1690  est  appliqué  à  la  matière  du  gage. 

Mais  il  ne  résulte  pas  du  contrat  de  gage  que  le  créancier  gagiste 
est  substitué  au  débiteur  gagiste,  et  qu'il  peut  toucher  directement 
le  montant  de  la  dette.  L'article  2081  I  autorise  bien  à  toucher  les 
intérêts,  mais  il  n'autorise  pas  davantage,  et  il  nous  semble  que  le 
Code  a  dû  considérer  l'encaissement  de  la  somme  due  par  le  créan- 
cier gagiste,  sans  formalité  de  justice,  comme  ayant  une  grande  ana- 
logie avec  l'appropriation  du  gage  corporel  qu'il  a  absolument 
interdite  même  en  présence  d'une  convention  formelle. 

Le  droit  du  créancier  gagiste  restera  donc  ce  qu'il  est  en  règle 
générale  :  il  pourra  faire  ordonner  en  justice  que  le  gage  lui 
demeurera  en, paiement  et  jusqu'à  due  concurrence,  d'après  une 
estimation  faite  par  experts,  ou  qu'il  sera  vendu  aux  enchères  (art. 
2078). 


368         coims  analytique  de  code  civil,  liv.  m. 

301  bis.  VI.  C'est  en  cela  seulement  que  consistera  le  droit  du 
créancier  qui  aura  reçu  en  gage  un  autre  droit  mobilier,  car  il  ne 
peut  être  question  de  lui  attribuer  les  fruits  que  ce  droit  peut  pro- 
duire, puisque  l'article  2081  ne  parle  que  des  créances  et  des 
intérêts  de  ces  créances. 

302.  Dans  tous  les  cas,  pour  que  les  tiers  qui  traiteraient 
avec  le  débiteur  ne  soient  point  trompés  sur  l'existence  du 
privilège,  il  est  nécessaire  que  la  chose  mobilière  qui  en  est 
l'objet  ne  demeure  pes  en  la  possession  de  celui-ci.  Non- 
seulement  donc  ce  privilège,  qui  n'est  qu'une  suite  du  contrat 
réel  de  nantissement,  n'existera  pas  sans  tradition,  c'est-à- 
dire,  sans  mise  en  possession,  mais  il  ne  se  conservera  pas  si 
la  chose  ne  reste  en  la  possession  de  celui  qui  l'a  reçue.  Ce- 
pendant la  loi  n'exige  pas  absolument  que  ce  soit  le  créancier 
lui-même  qui  possède  ;  son  but  est  également  rempli  lorsque 
le  gage  a  été  mis  et  est  resté  en  la  possession  d'un  tiers  con- 
venu entre  les  parties.  V.  art.  207(5. 

302  bis,  I.  La  possession  du  gage  par  le  créancier  ou  par  un  tiers 
accepté  par  les  parties  est  une  condition  essentielle  du  contrat  de 
gage.  D'abord,  entre  les  parties,  le  gage  perdrait  son  principal  intérêt 
si  le  débiteur  conservait  la  possession  de  la  chose  engagée.  La  pri- 
vation de  la  détention  de  la  chose  est  le  fait  qui  donne  au  débiteur 
intérêt  à  acquitter  l'obligation,  soit  qu'il  ait  besoin  de  se  servir  de 
cette  chose,  soit  qu'il  songe  à  une  aliénation  qui  ne  sera  guère  pos- 
sible en  fait,  s'il  n'est  pas  à  même  d'en  faire  la  livraison  à  un 
acquéreur.  Pour  le  créancier  gagiste,  le  gage  serait  une  garantie 
illusoire,  si  le  débiteur  resté  en  possession  pouvait  faire  disparaître 
l'objet,  soit  en  le  détruisant,  soit  en  l'aliénant  au  profit  de  tiers  que 
leur  bonne  foi  présumée  protégerait  en  vertu  de  l'article  2279. 

30-  bis.  II.  Il  est  vrai  qu'une  convention  contraire  pourrait  avoir 
lieu,  elle  n'est  pas  interdite,  mais  alors  le  contrat  sera  plutôt  une 
promesse  de  gage  qu'un  contrat  de  gage.  De  même  on  peut  conce- 
voir que  la  tradition  ayant  eu  lieu,  le  créancier  consente  à  rendre 
la  chose  au  débiteur  sans  cependant  détruire  absolument  le  contrat 
de  gage.  Dans  ces  deux  hypothèses,  il  faut  supposer  qu'il  a  été  sti- 
pulé un  terme  exprès  ou  tacite  pour  la  restitution  delà  détention  au 
créancier  gagiste,  sinon  le  contrat  serait  véritablement  annihilé.  En 


T1T.    XVII.    DU    NANTISSEMENT.    ART.    2075,    2076.       369 

effet,  nous  verrons  bientôt  que  le  privilège  est  perdu  quand  le 
créancier  a  perdu  la  possession,  et  quant  aux  rapports  des  parties 
entre  elles,  comme  tout  l'avantage  que  le  créancier  peut  retirer  du 
gage,  c'est  d'agir  sur  le  débiteur  en  le  privant  de  sa  chose  ou 
d'empêcher  des  aliénations  préjudiciables,  si  le  créancier  a  renoncé 
pour  toujours  à  la  possession,  il  a  consenti  à  anéantir  absolument 
la  convention  de  gage. 

302  bis.  III.  C'est  dans  les  rapports  avec  les  tiers  que  le  Code  a 
envisagé  l'utilité  de  la  possession  du  gage  par  le  créancier  gagiste. 
L'article  2076  s'exprime  comme  l'article  2074,  il  examine  dans  quel 
cas  le  privilège  subsiste  ;  or  la  question  de  privilège  ne  s'agite  pas 
entre  les  contractants,  mais  entre  le  créancier  gagiste  et  les  tiers. 

Ces  tiers,  ce  sont  d'abord  les  autres  créanciers  du  débiteur  qui  a 
donné  le  gage,  et  c'est  tout  particulièrement  dans  leur  intérêt  que 
la  remise  matérielle  du  gage  au  créancier  a  été  exigée.  La  déposses- 
sion du  débiteur  joue  le  rôle  d'une  formalité  de  publicité;  elle 
avertit  les  tiers  qui  veulent  traiter  avec  le  débiteur  ou  qui  ont  déjà 
traité  avec  lui  avant  le  contrat  de  gage,  qu'il  ne  faut  pas,  ou  qu'il 
ne  faut  plus  compter  sur  la  valeur  de  la  chose,  comme  faisant  partie 
du  gage  commun  et  imparfait  qui  appartient  à  tous  les  créanciers 
sur  l'ensemble  des  biens  de  leur  débiteur  (art.  2093). 

302  Us.  IV.  Les  tiers  pourraient  être  aussi  des  acquéreurs,  des 
acheteurs,  par  exemple,  qui  voudraient  traiter  avec  le  débiteur 
gagiste,  ils  ne  pourraient  pas  espérer  sérieusement  acquérir  la  pro- 
priété de  l'objet,  puisque  le  vendeur  ne  le  détient  pas  et  que  très- 
ordinairement,  s'il  ne  le  détient  pas,  c'est  qu'il  l'a  vendu  et  livré  à 
un  autre,  double  fait  qui  détruit  par  avance  le  droit  d'un  second 
acheteur.  Si  l'acheteur  sait  qu'il  n'a  pas  été  fait  une  vente  de  la 
chose,  ce  ne  peut  être  que  parce  qu'il  a  connaissance  du  contrat  du 
gage,  et  alors  il  ne  peut  pas  se  plaindre  qu'on  s'obligea  respecter  le 
droit  du  gagiste,  moins  préjudiciable  pour  lui  que  ne  l'aurait  été  celui 
d'un  acheteur  antérieur;  nous  pouvons  donc  dire  que  la  déposses- 
sion du  débiteur  gagiste  est  nécessaire  pour  prévenir  de  futurs 
acheteurs,  comme  elle  l'est  pour  avertir  de  futurs  créanciers  (1). 

302  bis.  V.  La  condition  de  possession  du  gage  par  le  créancier  ne 
peut  être  exigée  qu'autant  que  la  chose  engagée  est  une  chose  cor- 
porelle. Les  droits,  en  effet,  choses  incorporelles,  ne  peuvent  pas 

(1)  V.  C.  C,  19  mars  1878.  Sirey,  1878,  I,  261.  G.C.,  11  mars  1879.  Sirey, 
1880,  I,  53-  C.C.,  23  décembre  1879.  Sirey,  1881,  I,  149. 

VIII.  24 


370  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

être  l'objet  d'une  tradition,  ou  comme  dit  l'article,  d'une  mise  en 
possession.  Nous  admettons  bien,  dans  le  droit  actuel,  la  possession 
d'un  droit  consistant  dans  son  exercice  (art.  2228),  mais  cette 
manière  de  posséder  n'est  pas  à  la  portée  du  créancier  gagiste,  puis- 
qu'il n'a  pas  le  droit  d'exercer  le  droit  engagé.  La  possession  dont 
parle  l'article  2076,  c'est  la  détention  matérielle,  or  comment 
détenir  matériellement  une  chose  immatérielle?  C'est  un  point  re- 
connu par  tous  les  jurisconsultes  que  la  possession  d'une  créance 
per  se,  c'est-à-dire  isolément,  ne  peut  pas  se  concevoir,  et  notam- 
ment que  la  détention  matérielle  des  titres  de  créance  n'est  pas  la 
possession  de  la  créance.  Or  que  dit  l'article  2076?  que  le  gage  doit 
avoir  été  mis  en  la  possession  du  créancier.  Est-ce  que  le  titre  prou- 
vant la  créance  est  le  gage?  engage-t-on  la  feuille  de  papier  écrit 
que  nous  appelons  un  titre?  engage-t-on  la  créance  chose  incor- 
porelle? Si  le  papier  n'est  pas  l'objet  du  droit  de  gage,  comment 
peut-on  dire  que  l'article  2076  exige  la  remise  de  ce  papier  au 
créancier,  alors  qu'il  ne  parle  que  de  la  remise  du  gage?  Le  texte 
donc,  malgré  sa  généralité  apparente,  ne  comprend  que  les  choses 
dont  la  nature  ne  répugne  pas  à  son  application.  S'il  avait  voulu  la 
remise  des  titres,  il  s'en  serait  expliqué  comme  il  le  fait  dans 
l'article  1689.  Mais  l'article  1689  règle  les  rapports  d'un  acheteur 
et  d'un  vendeur,  et  il  établit  que  le  vendeur  doit  livrer  à  l'acheteur 
tous  les  accessoires  delà  chose.  Dans  l'article  1690  au  contraire,  qui 
regarde  les  tiers,  on  ne  voit  pas  qu'il  soit  nécessaire  que  l'acheteur 
ait  reçu  les  titres,  il  suffit  qu'il  les  signifie.  Or,  l'article  2074  est 
une  application  de  l'article  1690,  d'où  il  résulte  que  la  signification 
doit  suffire  à  ensaisiner  le  gagiste  à  l'égard  des  tiers,  comme  elle 
suffit  à  ensaisiner  le  cessionnaire  à  l'égard  des  mêmes  tiers. 

Pourquoi  donc,  du  reste,  exiger  la  remise  des  titres  au  gagiste? 
Dans  son  intérêt,  nous  le  comprenons;  mais  l'article  que  nous  étu- 
dions n'envisage  que  l'exercice  du  droit  de  privilège.  Les  tiers 
ont-ils  intérêt?  Dans  le  cas  prévu  certainement  par  l'article,  la  dé- 
possession du  débiteur  prévient  les  tiers,  il  n'y  a  pas  d'autre  publi- 
cité donnée  à  l'engagement;  mais  quand  l'objet  engagé  est  une 
créance,  la  loi  a  organisé  un  moyen  de  publicité  préférable  (art. 
2074).  Les  tiers,  en  se  renseignant  auprès  du  débiteur  de  la  créance 
engagée,  connaîtront  le  contrat  de  gage,  et  comme  ils  ont  tout  inté- 
rêt à  prendre  des  informations  par  crainte  même  des  cessions  pos- 
sibles, il  n'est  pas  besoin  d'exiger  une  prétendue  mise  en  posses- 


TIT.    XVlI.     DU   NANTISSEMENT.    ART.    2076.  371 

sion  du  gage  qui  aurait  pour  objet  toute  autre  chose  que  le  gage. 
L'engagement  d'une  créance  ne  saurait  être  soumise  à  plus  de  for- 
malités que  la  cession,  tout  aussi  dangereux  pour  les  tiers  qui 
traitent  avec  le  cédant. 

302  bis.  VI.  Nous  devons  cependant  reconnaître  la  force  d'une 
objection  de  texte  qu'on  élève  contre  notre  décision.  L'article  2076 
commence  par  ces  mots  :  Dans  tous  les  cas,  qui  paraissent  se  référer 
à  toutes  les  hypothèses  prévues  par  les  deux  articles  précédents  et 
par  conséquent  soumettre  le  cas  de  l'article  2075  à  la  règle  de 
l'article  2076.  Cette  objection  ne  nous  a  pas  arrêté  parce  que,  pour 
que  la  règle  de  l'article  2076  soit  applicable  à  un  certain  cas,  il  faut 
avant  tout  qu'il  n'y  ait  pas  impossibilité  de  l'appliquer;  en  outre,  à 
un  texte,  nous  en  opposons  un  autre  :  ce  que  l'article  2076  exige, 
c'est  que  le  gage  soit  mis  en  possession  du  créancier;  or,  on  dis- 
cute non  pas  sur  le  gage,  mais  sur  l'écrit  qui  constate  l'engagement; 
donc  l'article  2076,  par  ses  termes,  met  l'hypothèse  que  nous  exa- 
minons en  dehors  des  cas  dont  il  parle  dans  sa  première  ligne.  Il 
reste  malgré  cela  des  cas  divers  auxquels  l'article  a  dû  vouloir  faire 
allusion  par  les  expressions  qui  donnent  naissance  à  la  difficulté.  Il  a 
voulu  dire  que  la  remise  du  gage  était  nécessaire,  soit  en  matière 
excédant  150  francs,  soit  en  matière  n'excédant  pas  cette  somme. 
C'est-à-dire  qu'il  a  fait  allusion  aux  distinctions  faites  par  l'article 
2074,  et  qu'il  a  voulu  les  proscrire  en  ce  qui  touche  la  règle  sur  la 
possession  du  gage. 

302  bis.  VII.  Quand  le  droit  engagé  ne  sera  pas  une  créance, 
nous  trouvons  la  même  difficulté  d'appliquer  l'article  qui  exige  la 
livraison  du  droit  lui-même,  mais  il  devient  difficile  de  justifier  le 
législateur  qui  n'impose  pas  la  livraison  des  titres,  parce  que  l'ar- 
ticle 2075  n'étant  pas  applicable,  les  tiers  ne  sont  pas  prévenus. 
Mais  nous  ferons  observer  que  ces  tiers  sont  également  menacés 
par  des  actes  d'aliénation,  et  que  si  la  loi  ne  s'est  pas  préoccupée  de  la 
publicité  à  donner  aux  actes  de  disposition  de  ces  droits,  c'est  que 
ces  droits  sont  assez  rares,  que  leur  aliénation,  et  surtout  leur  mise 
en  gage,  ne  sont  pas  des  opérations  d'une  pratique  usuelle,  et  que 
la  loi  ne  s'inquiète  pas  toujours  de  prévenir  des  dangers  qui  ne  se 
présentent  pas  souvent. 

302  bis.  VIII.  Le  gage  doit  être  resté  en  la  possession  du  créan- 
cier, cela  signifie  simplement  que  si  ce  créancier  l'a  remis  au  dé- 
biteur volontairement,  il  a  renoncé  au  droit  de  préférence  qu'il  a  sur 

24. 


372  COUKS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

l'objet  engagé.  D'abord,  cette  restitution  du  gage  peut  être  une 
renonciation  complète  au  bénéfice  du  contrat,  même  dans  les  rap- 
ports avec  le  débiteur;  mais  alors  même  qu'elle  n'impliquerait  pas 
cette  renonciation,  si  par  exemple  le  créancier  avait  prêté  la  chose 
au  débiteur  pour  un  certain  temps  déterminé,  le  privilège  serait 
perdu.  Les  tiers,  en  effet,  auraient  eu  juste  sujet  de  croire  que 
l'objet  détenu  par  son  propriétaire  n'était  pas  ou  n'était  plus  engagé, 
ce  qui  n'empêcherait  pas  le  débiteur  d'être  tenu,  en  vertu  de  l'an- 
cien contrat  et  en  vertu  de  la  convention  de  quasi-commodat  faite 
avec  le  créancier,  de  remettre  la  chose  entre  les  mains  de  celui-ci. 
Lors  de  cette  restitution  de  gage  au  créancier,  il  nous  paraît  même 
que  pour  faire  revivre  le  droit  de  préférence  il  faudrait  rédiger  un 
nouvel  acte  conformément  à  l'article  2074;  car  au  point  de  vue  des 
tiers,  la  résurrection  du  droit  de  gage  est  la  naissance  d'un  droit 
nouveau,  et  les  fraudes  que  la  loi  a  prévues  au  cas  de  formation 
d'un  contrat  de  gage  sont  également  à  craindre  lorsqu'il  s'agit  de 
faire  revivre  un  droit  éteint. 

302  bis.  IX.  Mais  il  faut  bien  faire  attention  que  le  créancier 
n'aura  pas  perdu  la  possession  du  gage  quand  il  l'aura  confiée  à  une 
tierce  personne.  Celle-ci  est  un  mandataire  qui  exerce  le  droit  pour 
lui,  qui  possède  en  son  nom,  et  si  l'on  peut  posséder  pour  autrui  à 
titre  de  propriétaire,  on  doit  àfortiori  pouvoir  posséder  pour  autrui 
à  titre  de  gagiste. 

Enfin,  il  pourrait  arriver  que  le  gagiste  eût  perdu  la  chose  ou 
qu'on  la  lui  eût  volée,  il  n'a  pas  alors  abdiqué  son  droit  de  pos- 
session, et  son  droit  de  préférence  n'est  pas  éteint.  Les  tiers,  créan- 
ciers ou  acquéreurs  du  chef  du  débiteur  gagiste,  n'ont  pas  eu  dans 
ces  hypothèses  juste  sujet  de  croire  que  le  débiteur  avait  reconquis 
la  libre  disposition  de  la  chose. 

303.  En  principe,  le  droit  de  gage  ne  peut  être  établi  que 
par  le  propriétaire  capable  d'aliéner  la  chose  qu'il  y  soumet 
(v.  art.  2124-,  v.  pourtant  art.  2279)-,  mais  il  n'est  pas  néces- 
saire que  ce  soit  pour  sa  propre  dette  que  le  propriétaire 
donne  sa  chose  en  gage.  Le  gage  peut  donc  être  donné  par  un 
tiers  pour  le  débiteur.  V.  art.  2077. 

303  bis.  I.  Le  gage  donné  par  un  autre  que  le  débiteur  est  une 
opération  qui,  dans  ses  motifs,  rappelle  le  cautionnement.  Celui  qui 
donne  le  gage  cherche  à  rendre  service  à  une  personne  en  lui  procu- 


TIT.    ÏTIF.    DU    NANTISSEMENT.    ART.    2076,    2077.       373 

rant  du  crédit.  Soit  que  cette  personne  cherche  à  emprunter  et 
ait  besoin  de  fournir  des  garanties  réelles  pour  trouver  un  prê- 
teur, soit  qu'elle  ait  déjà  contracté  et  que  le  gage  donné  serve,  en 
rassurant  le  créancier,  à  procurer  au  débiteur  sa  tranquillité, 
c'est-à-dire  à  lui  obtenir  des  délais.  Comme  la  caution,  le  tiers  qui 
a  donné  un  gage  aura,  le  cas  échéant,  un  recours  contre  le  débi- 
teur. C'est  lorsque  le  gage  aura  été  vendu  ou  aura  été  attribué  au 
créancier  aux  termes  de  l'article  2078;  la  dette  aura  été  alors 
éteinte  au  moins  en  partie,  et  le  propriétaire  du  gage,  dont  la  chose 
aura  servi  à  procurer  la  libération  du  débiteur,  pourra  agir  contre 
lui  soit  comme  mandataire,  soit  comme  gérant  d'affaires,  suivant 
les  hypothèses. 

303  bis.  H.  A  propos  du  gage  donné  par  un  propriétaire  sur  sa 
propre  chose  pour  la  dette  d'autrui,  M.  Demante  pose  un  principe 
que  le  Code  a  sous-entendu  et  qui  aurait  peut-être  dû  être  placé  en 
tète  du  titre.  Le  gage  ne  peut  être  régulièrement  constitué  sur  une 
chose  que  par  le  propriétaire  de  cette  chose.  Nul  ne  peut  valablement 
aliéner  la  chose  d'autrui  ou  la  grever  de  droits  réels.  Ce  principe 
est  formellement  reconnu  par  Pothier,  mais  ce  jurisconsulte  fait 
immédiatement  une  distinction.  Le  contrat  fait  sur  la  chose  d'au- 
trui ne  peut  certes  créer  le  droit  réel  de  gage,  il  est  non  avenu 
par  rapport  au  vrai  propriétaire  et  à  ses  ayants  cause,  mais  il  pro- 
duit des  effets  entre  les  deux  contractants  :  le  créancier  gagiste  et 
celui  qui  donne  le  gage.  Entre  eux,  les  obligations  qui  découlent 
du  contrat  de  gage  subsistent.  Ainsi,  le  débiteur  ou  le  tiers  qui  a 
donné  le  gage  ne  pourra  pas  le  reprendre,  le  retirer  des  mains  du 
créancier,  avant  l'acquittement  de  la  dette,  et  il  sera  obligé  de 
tenir  compte  au  créancier  gagiste  des  dépenses  que  celui-ci  aura 
été  dans  la  nécessité  de  faire  à  l'occasion  de  la  chose.  De  l'autre 
côté,  le  créancier  sera  tenu  de  veiller  à  la  conservation  de  la  chose 
et  de  la  restituer  à  celui  qui  la  lui  a  remise,  lors  de  l'extinction  de 
l'obligation. 

303  bis.  III.  L'observation  que  nous  venons  de  faire  sur  l'ineffi- 
cacité au  regard  des  tiers  et  notamment  du  véritable  propriétaire, 
de  l'engagement  de  la  chose  d'autrui,  n'a  pas  autant  d'importance 
pratique  qu'on  peut  le  croire  au  premier  abord.  Il  ne  faut  pas 
raisonner  ici  comme  on  l'aurait  fait  en  droit  romain,  où  la  propriété 
des  meubles  ne  se  perdait  pas  beaucoup  plus  facilement  que  celle 
des  immeubles,  en  ce  sens  que  l'aliénation  et  la  tradition  a  non 


'Al\  COURS   ANALYTIQUE    DE   CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

domino  ne  compromettait  pas  immédiatement  le  droit  du  vrai  pro- 
priétaire. Il  faut  tenir  compte  dans  notre  droit  de  la  règle  :  en  fait 
de  meubles,  possessio?i  vaut  titre.  De  cette  règle,  il  résulte  que  l'alié- 
nation d'un  meuble  corporel  a  non  domino  dépouille  le  vrai  pro- 
priétaire de  sa  propriété,  si  la  chose  a  été  livrée  à  un  acquéreur  de 
bonne  foi  (art.  2279  et  1141).  Si  la  convention  de  transférer  la 
propriété  détruit  le  droit  du  vrai  propriétaire  quand  elle  est  com- 
plétée par  une  prise  de  possession  de  bonne  foi,  à  fortiori,  la  con- 
vention de  gage  suivie  d'une  mise  en  possession  de  bonne  foi  doit 
produire  ses  effets  au  détriment  du  propriétaire,  car  cette  mise  en 
gage  est  chose  moins  grave  que  l'aliénation,  moins  nuisible  au 
propriétaire,  et  de  plus,  les  raisons  qui  justifient  l'article  2279,  con- 
sidéré comme  une  protection  pour  celui  qui  a  reçu  la  possession  à 
titre  de  propriétaire,  existent  avec  la  même  énergie  pour  justifier 
une  pareille  protection  en  faveur  du  créancier  gagiste. 

303  bis.  IV.  La  conséquence  de  l'application  à  faire  de  l'article 
2279,  c'est  qu'on  ne  trouvera  que  rarement  à  profiter  de  la  règle 
que  nous  avons  posée  comme  principe  général.  Rarement  le  gage 
de  la  chose  d'autrui  sera  dépourvu  d'effet  dans  les  rapports  entre 
le  créancier  gagiste  et  le  vrai  propriétaire.  Pour  que  notre  principe 
général  produise  ses  effets,  il  faudra  :  ou  que  la  chose  engagée  ne 
soit  pas  corporelle,  parce  que  l'article  2279  ne  s'applique  pas  aux 
choses  incorporelles,  ou  que  le  créancier  gagiste  soit  de  mauvaise 
foi,  et  que  cette  mauvaise  foi  soit  démontrée. 

Puis,  on  pourra  se  trouver  dans  un  des  cas  d'exception  prévus 
par  l'article  2279,  les  cas  de  vol  ou  de  perte;  le  propriétaire  qui 
peut  alors  revendiquer  pendant  trois  ans  contre  un  possesseur  à 
titre  de  maître,  aura  le  même  droit  contre  le  détenteur  à  titre  de 
créancier  gagiste,  sauf,  bien  entendu,  la  restriction  contenue  dans 
l'article  2280;  mais  le  fait  prévu  par  cet  article  sera  rare,  car  il 
faudra  supposer  qu'un  marchand  aura  donné  en  gage  une  des 
marchandises  de  son  magasin. 

304.  Le  droit  qu'acquiert  le  créancier,  de  se  faire  payer 
sur  la  chose  engagée,  n'emporte  pas  celui  d'en  disposer  de  sa 
propre  autorité.  Il  paraît  même  qu'autrefois,  à  moins  d'une 
clause  particulière  qui  l'autorisât  a  se  l'attribuer  en  paiement 
sur  l'estimation  qui  en  serait  faite  (v.  Marcien,  L.  16,  §  9, 
D.  de  pign.  et  hyp.),  il  ne  pouvait  que  la  faire  vendre  par 


TIT.   XVII.    DU   NANTISSEMENT.    ART.    2077,    2078.        375 

autorité  de  justice.  Mais,  indépendamment  de  toute  clause, 
notre  Code  lui  permet  de  faire  ordonner  en  justice,  ou  qu'elle 
lui  demeurera  en  paiement,  ou  qu'elle  sera  vendue  aux  en- 
chères. Bien  entendu,  au  reste,  que  l'attribution  en  paiement 
ne  peut  avoir  lieu  que  jusqu'à  due  concurrence,  d'après  une 
estimation  qui  sera  faite  par  experts.  V.  article  2078,  al.  1. 

304  bis.  I.  Le  Gode  commence,  à  l'article  2078,  à  traiter  des  droits 
du  créancier  sur  le  gage  dans  ses  rapports  avec  le  débiteur,  jus- 
qu'ici il  ne  s'était  inquiété  que  des  conditions  de  droit  de  préférence 
accordé  au  créancier  gagiste  sur  les  autres  créanciers  du  même 
débiteur. 

Nous  l'avons  déjà  dit,  le  contrat  de  gage  procure  pour  premier 
avantage  au  créancier  le  droit  de  retenir  la  chose  jusqu'au  paiement. 
C'est  un  moyen  coercitif  indirect  qui  peut  donner  quelquefois  des 
résultats,  mais  le  créancier  a  besoin  d'un  moyen  plus  énergique 
quand  il  veut  et  qu'il  a  droit  de  vouloir  toucher  effectivement  le 
montant  de  sa  créance.  Ce  moyen,  c'est  celui  qui  est  à  la  disposi- 
tion de  tout  créancier,  il  peut  faire  vendre  le  gage  comme  il  pour- 
rait faire  vendre  tout  autre  bien  de  son  débiteur.  Seulement,  il  n'a 
pas  besoin  de  pratiquer  une  saisie,  puisqu'il  a  la  chose  entre  ses 
mains  et  qu'il  n'a  pas  à  craindre  que  le  débiteur  la  détourne,  il 
s'adresse  directement  à  la  justice  pour  faire  ordonner  la  vente.  Il  a 
perdu  l'avantage  que  lui  reconnaissait  le  droit  romain  de  vendre 
lui-même  à  l'amiable  l'objet  engagé  (i),  mais  la  vente  aux  enchères 
par  autorité  de  justice  présente  au  débiteur  plus  de  garanties  que 
cette  vente  amiable. 

304  bis.  II.  Si  le  droit  de  faire  vendre  qui  appartient  au  créancier 
gagiste  est  le  droit  qui  appartient  à  tout  créancier,  il  en  est  un 
autre  qui  lui  est  particulièrement  attribué  par  l'article  2078,  le 
droit  de  conserver  la  chose  engagée  en  paiement  jusqu'à  due  con- 
currence, d'après  une  estimation  faite  par  experts.  Les  créanciers 
ordinaires  n'ont  pas  ainsi  le  droit  de  se  payer  en  nature  sur  les 
biens  de  leurs  débiteurs ,  et  la  loi  ne  déroge  à  la  règle  générale  en 
faveur  du  gagiste  que  parce  qu'elle  considère  la  chose  engagée  comme 
affectée  spécialement  par  la  convention  même  de  gage,  c'est-à- 
dire  par  la  volonté  même  du  débiteur,  à  l'acquittement  de  la  dette. 

(l)V.  Institut.,  1.  il,  t.  VIII,  §  1. 


37G  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE   CIVIL.    LIV.    III. 

304  bis.  III.  Entre  les  deux  droits  accordés  au  créancier  gagiste, 
qui  aura  le  droit  de  choisir?  Les  principes  de  l'alternative  donne- 
raient le  choix  au  débiteur,  mais  cette  solution  est  condamnée  par 
des  principes  supérieurs  à  ceux  qui  inspirent  la  décision  de  l'article 
1190.  Cet  article  interprète  une  convention  qui  laisse  une  option  à 
exercer  entre  deux  choses  qui  sont  également  dues.  Mais,  dans 
l'article  2078,  l'option  tend  à  substituer  une  chose  à  celle  qui  est  le 
véritable  objet  de  l'obligation ,  et  cette  substitution  ne  s'appuie  pas 
sur  une  convention  à  interpréter.  La  même  raison  s'oppose  à  ce  que 
le  choix  dépende  du  créancier,  car  il  n'a  pas  le  droit  de  demander 
autre  chose  que  ce  qu'on  lui  doit,  plus  que  le  débiteur  n'a  le  droit 
de  lui  payer  autre  chose  que  ce  qu'il  doit.  Si  le  choix  n'appartient 
ni  au  créancier,  ni  au  débiteur,  il  faut  bien  qu'il  appartienne  aux 
tribunaux.  Il  s'agit,  en  effet,  d'une  question  d'exécution  d'une 
obligation,  et  le  tribunal  qui  ordonne  cette  exécution  est  naturelle- 
ment appelé  à  en  déterminer  le  mode,  suivant  les  circonstances  et 
au  mieux  des  intérêts  des  deux  parties.  C'est  bien  ce  qui  résulte  du 
texte  de  l'article  2078,  car,  après  avoir  dit  que  le  créancier  ne 
peut  pas  disposer  du  gage,  cet  article  ajoute  qu'il  fait  ordonner 
par  la  justice  que  le  gage  demeurera  en  paiement  ou  sera  vendu; 
si  c'est  la  justice  qui  ordonne,  il  paraît  bien  que  c'est  elle  qui  im- 
pose son  choix,  sinon  elle  ne  ferait  qu'enregistrer  les  volontés  du 
créancier,  qui  serait  réellement  celui  de  qui  émanerait  l'ordre. 

304  bis.  IV.  Il  nous  faut  cependant  faire  deux  observations  qui 
restreindront  quelque  peu  la  généralité  de  notre  décision.  D'abord, 
il  nous  paraît  certain  que  si  le  créancier  est  muni  d'un  titre  exécu- 
toire, il  peut  faire  vendre  l'objet  engagé,  car  il  n'a  pas  besoin  de 
s'adresser  aux  tribunaux,  et  ceux-ci  n'étant  pas  saisis  n'ont  pas  à 
déterminer  le  mode  d'exécution  de  l'obligation. 

Secondement,  quand  le  créancier  n'a  pas  de  titre  exécutoire  et 
qu'il  est  obligé  de  s'adresser  à  la  justice  pour  obtenir  le  droit  de 
faire  vendre,  il  peut  s'opposer  à  une  décision  qui,  lui  refusant  le 
droit  de  faire  vendre,  lui  imposerait  la  nécessité  de  prendre  en 
paiement  la  chose  engagée.  Ce  serait  alors  une  dation  en  paiement 
qu:  se  ferait  malgré  lui,  et  rien  ne  serait  plus  contraire  aux  prin- 
cipes, le  créancier  ne  peut  pas  être  contraint  à  recevoir  autre  chose 
que  ce  qui  est  dû;  en  outre,  la  dation  en  paiement  est  ou  une  vente 
ou  un  échange,  et  il  serait  étrange  qu'on  devînt  acheteur  ou 
échangiste  malgré  soi.  Le  droit  de  faire  vendre  appartient  à  tout 


TIT.    XVil.    DU    NANTISSEMENT.    ART.    2078.  377 

créancier,  le  gagiste  ne  peut  pas,  parce  qu'il  a  un  droit  mieux 
garanti,  être  plus  mal  traité  qu'un  créancier  ordinaire. 

Cette  seconde  observation  ne  détruit  pas  ce  que  nous  avons 
d'abord  établi,  c'est-à-dire  qu'elle  ne  donne  pas  au  créancier  le 
droit  d'option,  il  ne  peut  pas,  il  est  vrai,  garder  le  gage  en  paie- 
ment sans  son  consentement,  mais  il  ne  peut  pas,  s'il  désire  cette 
solution,  forcer  le  tribunal  à  l'adopter,  et  c'est  en  quoi  consisterait 
la  véritable  option.  Le  tribunal  reste  toujours  maître  d'ordonner 
la  vente  aux  enchères,  malgré  la  volonté  du  créancier  manifestée 
par  des  conclusions  qui  tendraient  exclusivement  à  l'attribution  du 
gage  d'après  estimation. 

304  bis.  V.  Il  reste  à  examiner  les  conséquences  du  jugement  qui 
autorise  le  créancier  à  conserver  en  paiement  la  chose  engagée. 
Il  est  clair  que  ce  jugement  transfère  la  propriété  au  créancier 
gagiste;  il  remplace  une  convention  de  dation  en  paiement,  et 
remarquez-le ,  une  convention  de  dation  en  paiement  pure  et  simple. 
Puisqu'il  est  bien  certain  qu'on  trouvera  toujours  des  experts,  le 
contrat  n'est  pas  conditionnel  comme  celui  qui  dépend  de  l'arbitrage 
d'un  tiers  nommément  désigné  par  les  parties;  ce  tiers  peut  refuser 
la  mission  qu'on  lui  veut  confier,  il  peut  mourir,  donc  le  contrat 
est  soumis  à  une  éventualité;  celui  dont  nous  nous  occupons,  ou 
pour  mieux  dire,  le  jugement  qui  le  remplace  transfère  une  pro- 
priété pure  et  simple  (1). 

304  bis.  VI.  De  là  nous  tirerons  plusieurs  conséquences;  c'est  : 
1°  qu'une  fois  le  jugement  rendu,  le  débiteur  gagiste  ne  pourrait 
plus,  en  acquittant  la  dette,  reprendre  l'objet  engagé;  certes,  il 
avait  ce  droit  jusqu'au  jugement,  la  demande  en  justice  ne  l'en 
dépouillait  pas,  parce  que  ce  jugement  ne  saurait  avoir  d'effet 
rétroactif,  attendu  qu'il  n'est  pas  déclaratif  d'un  droit  préexistant, 
mais  constitutif  d'un  droit  nouveau.  Mais  ce  droit  constitué,  la  vo- 
lonté du  débiteur  est  impuissante  à  le  détruire.  2°  Quand  l'estimation 
sera  supérieure  à  la  somme  due,  le  créancier  deviendra  débiteur 
de  l'excédent.  Mais  cette  circonstance  ne  modifiera  en  rien  le  carac- 
tère définitif  que  nous  venons  de  reconnaître  à  la  translation  de 
propriété,  le  créancier  gagiste  sera  comme  un  acheteur,  propriétaire 
de  la  chose  et  débiteur  d'un  prix,  le  paiement  de  ce  prix  sera 
garanti  par  le  privilège  du  vendeur  (art.  2102)  et  aussi  par  l'action 

(1)  V.  t.  VII,  n*  12  bis.  II. 


378  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

en  résolution  faute  de  paiement  du  prix  dont  nous  reconnaissons 
l'existence,  aussi  bien  en  matière  de  meubles  qu'en  matière  d'im- 
meubles (1).  Mais  il  ne  pourrait  pas  être  question  de  la  revendication 
spéciale  que  donne  au  vendeur  de  meubles  l'article  2102,  3°  parce 
que  cette  revendication  n'est  autre  chose  que  la  revendication  du 
droit  de  retenir  la  chose  jusqu'au  paiement,  et  que  dans  notre 
hypothèse  le  vendeur,  débiteur  gagiste,  ne  pouvait  pas  prétendre  à 
cette  rétention  sur  une  chose  qu'il  avait  donnée  en  gage  à  celui  qui 
est  devenu  acheteur. 

304  bis.  VII.  Ces  décisions  ne  sont  pas  conformes  à  celles  que  donne 
Pothier  (2),  mais  il  nous  paraît  que,  sur  les  deux  points  que  nous 
venons  d'examiner,  Pothier  a  méconnu  les  principes.  Sur  le  premier 
point,  il  nous  semble  attacher  trop  d'importance  à  un  détail  de 
procédure  :  selon  lui,  le  jugement  qui  attribue  la  chose  au  créancier 
ne  produit  son  effet  qu'autant  qu'il  est  intervenu  un  second  juge- 
ment homologuant  le  rapport  des  experts.  Peut-être  la  pratique 
était-elle  dans  ce  sens  au  temps  de  Pothier  et  les  juges  ne  pro- 
nonçaient-ils, en  effet,  l'attribution  de  la  chose  au  créancier  qu'après 
que  les  experts  avaient  statué,  probablement  qu'alors  le  premier 
jugement  n'était  qu'un  jugement  préparatoire  nommant  les  experts 
et  réservant  la  décision  sur  le  fond.  Mais  aujourd'hui,  en  présence 
d'un  texte  du  Code  civil  qui  donne  formellement  aux  juges  le  droit 
d'ordonner  que  le  gage  demeurera  en  paiement  au  créancier  et 
jusqu'à  due  concurrence  d'après  une  estimation,  il  nous  paraît 
bien  que  la  décision  principale,  c'est-à-dire  l'attribution  de  propriété, 
doit  être  prise  dans  le  premier  jugement,  que  la  nomination  des 
experts  n'est  qu'une  mesure  d'exécution  et  que  le  jugement  qui 
homologuera  leur  rapport  fixe  le  montant  de  la  charge  imposée  au 
créancier.  Il  se  passe  alors  ce  qui  arrive,  lorsqu'un  jugement 
ordonne  des  dommages  et  intérêts  à  donner  par  état;  le  droit  aux 
dommages  et  intérêts  naît  certainement  du  jugement,  la  quotité 
seule  reste  à  déterminer;  nous  pouvons  également  comparer  le 
jugement  qui  nous  occupe  au  jugement  d'expropriation  pour  cause 
d'utilité  publique,  il  transfère  la  propriété,  et  le  prix  reste  à  déter- 
miner par  une  décision  judiciaire  ultérieure. 

304  bis.  VIII.  Sur  le  second  point,  pourquoi  faire  du  paiement  de  la 
différence  entre  l'estimation  et  la  dette  une  condition  suspensive  de 

(1)  V.  t.  IX,  n°  33  ii's. 

(2)  V.  Pothier,  Nantissement,  n°  19. 


T1T.    XVII.    DU   NANTISSEMENT.    ART.    2078.  379 

l'acquisition  du  gage  par  le  créancier?  Le  Code  ne  s'exprime-t-il 
pas  d'une  manière  positive?  le  gage  demeure  au  créancier  jusqu'à 
due  concurrence,  d'où  cette  conséquence  que  si  la  valeur  dépasse 
le  chiffre  de  la  dette,  le  créancier  aura  un  retour  à  payer.  Mais  où 
trouver  cette  idée  que  le  paiement  du  retour  est  un  événement  qui 
suspend  l'effet  du  jugement?  Est-ce  qu'il  en  est  ainsi  dans  les  échanges 
ou  dans  les  partages  avec  soultes?  Pothier,  en  déclarant  que  le  ju- 
gement ne  dépouille  pas  le  débiteur  du  droit  de  reprendre  le  gage 
en  payant  la  dette,  nous  paraît  avoir  subi  l'influence  de  l'ancienne 
doctrine  romaine,  qui  n'admettait  au  cas  de  vente  la  translation  de 
propriété  qu'après  le  paiement  du  prix  (i);  c'est  là  une  idée  tout  à 
fait  étrangère  à  notre  droit,  et  voilà  pourquoi  nous  ne  suivons  pas 
la  doctrine  de  Pothier. 

305.  La  convention  même  des  parties  ne  pourrait,  a  cet 
égard,  augmenter  le  droit  du  créancier.  Toute  clause  qui  l'au- 
toriserait, soit  a  s'approprier  le  gage,  soit  a  en  disposer,  sans 
les  formalités  que  la  loi  a  prescrites,  ouvrirait  une  voie  trop 
facile  aux  fraudes  des  usuriers,  et  serait  en  conséquence  frap- 
pée de  nullité.  V.  art.  2078,  al.  2. 

305  bis.  I.  La  clause  que  la  loi  proscrit  dans  le  2e  paragraphe  de 
l'article  2078  porte,  dans  la  doctrine,  le  nom  de  pacte  commissoire. 
Elle  a  pour  objet  d'établir  que  si  le  créancier  n'est  pas  payé  à  une 
certaine  époque,  il  deviendra  de  plein  droit  propriétaire  de  la  chose 
engagée,  qui  lui  sera  acquise  en  paiement  de  sa  créance. 

Cette  clause  est  interdite  depuis  le  droit  romain,  parce  qu'elle 
favorise  les  fraudes.  Le  débiteur  engageant  une  chose  d'une  valeur 
considérable  pour  une  dette  relativement  minime,  puis  se  trouvant 
dépouillé  de  cette  chose  par  suite  de  sa  négligence  à  payer  la  dette 
et  de  la  complaisance  trompeuse  du  créancier,  qui  n'aura  pas  pressé 
le  paiement  afin  d'acquérir  une  propriété  importante  en  paiement 
d'une  dette  modique,  cette  convention  est  plus  dangereuse  que  les 
stipulations  d'intérêts  excessifs,  parce  que  celles-ci  ne  cachent  le 
danger  qu'elles  font  courir  au  débiteur. 

305  bis.  IL  Les  parties  ont  quelquefois  essayé  de  cacher  un  gage 
avec  pacte  commissoire  sous  les  apparences  d'une  vente  à  réméré, 
et  il  est  assez  difficile  de  distinguer  les  deux  contrats,  car  l'acheteur 

(1)  Instit.,  1.  II,  t.  I.  n°  41.  —  Pothier  l'a  reproduit.  Traité  du  contrat  de  vente, 
n°  318. 


380  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

à  réméré  fournit  une  somme  d'argent;  comme  le  créancier  gagiste 
et  comme  lui,  il  peut  être  privé  de  la  chose  si  l'autre  partie  lui 
rend  la  somme  reçue,  sinon  il  devient  propriétaire  incommutable. 
Nous  avons  montré,  au  tome  VII  (1),  la  différence  caractéristique  entre 
ces  deux  contrats,  elle  consiste  en  ce  que  le  vendeur  à  réméré 
n'est  pas  débiteur  de  la  somme,  qu'il  a  simplement  la  faculté  de 
payer  pour  recouvrer  sa  chose,  tandis  que  l'emprunteur  sur  gage  est 
débiteur,  et  n'est  pas  maître  d'abandonner  sa  chose  pour  ne  pas  payer 
la  somme  qu'il  a  empruntée.  On  comprend  donc  que  l'acheteur  à 
réméré  puisse  conserver  la  chose  quand  il  ne  recouvre  pas  l'argent, 
parce  qu'il  a  accepté  une  position  désavantageuse  et  aléatoire;  si 
la  chose  augmente  de  valeur,  il  est  certain  qu'on  la  lui  reprendra  ; 
si  elle  diminue,  le  contraire  est  certain,  le  réméré  ne  sera  pas 
exercé.  Le  créancier  gagiste  n'aurait  que  les  bonnes  chances,  il 
pourrait  conserver  la  chose,  quand  elle  augmente,  si  on  ne  le  paie 
pas;  et  d'un  autre  côté,  quand  elle  diminue,  il  contraindrait  le 
débiteur  à  payer  et  à  reprendre  son  gage.  Le  contrat  serait  inégal. 
Voilà  pourquoi  la  loi  le  défend.  Quand  on  recherchera  si  une  vente 
à  réméré  apparente  est  un  contrat  de  prêt,  le  point  de  fait  qu'il 
faudra  élucider  est  donc  celui-ci  :  la  partie  qui  a  reçu  une  somme 
d'argent  est-elle,  oui  ou  non,  obligée  à  la  restituer? 

30(3.  Des  principes  ci-dessus  il  suit  que  la  mise  en  gage  ne 
confère  pas  au  créancier  la  propriété  de  la  chose  et  ne  peut 
même  l'y  conduire  directement.  Le  débiteur,  ou,  pour  mieux 
dire,  celui  qui  a  donné  la  chose,  demeure  donc  propriétaire 
jusqu'à  l'expropriation  consommée  par  l'une  des  deux  voies 
indiquées.  Jusque-là  le  créancier  n'a  que  la  possession  a  la 
charge  de  restitution;  ce  que  la  loi  exprime  en  disant  que  le 
gage  n'est  dans  sa  main  qu'un  dépôt.  Mais  a  la  différence  du 
dépôt  proprement  dit,  qui  n'a  pour  objet  que  la  garde  de  la 
chose  dans  l'intérêt  du  déposant,  ici,  au  contraire,  ce  dépôt 

tend  a  assurer  le  privilège  du  créancier.  V.  art.  2079. 

« 

(1)  V.  t.  VII,  n°  104  bis.  II. 


T1T.    XVII.    DU   NANTISSEMENT.    ART.    2079,    2080.       381 

SECTION  II. 

Des  obligations  qui  naissent  du  contrat  du  gage. 

307.  Jusqu'ici  l'on  s'est  occupé  du  contrat  de  gage  sous  le 
rapport  du  droit  réel  dont  il  contient  virtuellement  la  consti- 
tution, comme  les  contrats  de  vente  et  d'échange  contiennent 
virtuellement,  dans  notre  droit,  la  translation  de  propriété. 
Mais  indépendamment  de  cet  effet,  subordonné  d'ailleurs  a 
certaines  conditions  qui  ne  sont  pas  essentielles  a  la  formation 
du  contrat,  le  gage  produit  entre  les  parties  des  obligations 
qui  font  l'objet  de  celte  section. 

A  cet  égard,  il  est  a  remarquer  que  ces  obligations  naî- 
traient dans  le  cas  même  où  quelque  obstacle  s'opposerait  à 
la  naissance  du  droit  réel.  C'est  ce  qui  arriverait  naturelle- 
ment si  les  formalités  constitutives  du  privilège  n'avaient  point 
été  observées  (v.  art.  2074,  2075),  ou  si  le  constituant 
n'avait  pas  pouvoir  pour  engager  la  chose,  puta,  si  c'est  la 
chose  d'aulrui  (v.  Ulp.,  L.  9,  §  4-,  L.  22,  §  2,  D.  de  pign, 
act.)-,  ou  enfin  s'il  n'existait  pas  réellement  de  créance  a 
laquelle  la  chose  pût  être  affectée  (v.  Ulp.,  L.  11.  §  2,  D.  de 
pign.  act.). 

308.  Comme  le  commodataire  ou  le  dépositaire,  le  créan- 
cier qui  reçoit  une  chose  en  gage  est  obligé  par  la  tradition 
même  a  restituer  la  chose  en  temps  et  lieu.  Débiteur  de  corps 
certain,  il  est  tenu  de  veiller  à  la  conservation  et  répond 
conséquemmenl  de  la  perte  ou  détérioration  provenant  de  sa 
négligence.  V.  art.  2080,  al.  1. 

309.  De  son  côté,  le  débiteur  auquel  la  chose  doit  être 
restituée,  ou  qui  dans  tous  les  cas  profitera  du  prix  de  vente, 
s'enrichirait  aux  dépens  d'autrui  s'il  s'appropriait  ainsi,  sans 
indemnité,  le  produit  des  dépenses  que  le  créancier  aurait 
faites  pour  la  chose.  Il  y  a  donc  à  cet  égard  obligation  de 
sa  part,  mais  cette  obligation  se  borne  à  tenir  compte  des 
dépenses  utiles  et  nécessaires  faites  pour  la  conservation  du 


382  COURS  ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

gage.  V.  art.  2080,  al.  dernier,  et  a  ce  sujet,  art.  1890  et 
1947. 

309  bis.  I.  Le  Code,  en  qualifiant  les  dépenses  dont  le  débiteur 
doit  tenir  compte  au  créancier,  laisse  subsister  une  certaine  obscu- 
rité sur  sa  pensée,  parce  qu'il  emploie  cumulativement  deux  mots 
qui  sont  ordinairement  opposés  l'un  à  l'autre.  Que  le  débiteur 
doive  rembourser  les  dépenses  nécessaires,  cela  n'est  pas  douteux  ; 
mais  qu'il  doive  supporter  les  dépenses  simplement  utiles,  les 
dépenses  d'amélioration,  cela  n'est  pas  admissible  sans  difficulté. 
Puisque  le  créancier  n'a  pas  le  droit  d'user  de  la  chose,  comment 
l'autoriser  à  l'améliorer,  c'est-à-dire  à  la  transformer,  à  lui  donner 
une  manière  d'être  différente  de  celle  à  laquelle  le  propriétaire  était 
habitué?  N'oublions  pas  que  nous  parlons  de  choses  mobilières,  sou- 
vent de  choses  d'une  utilité  quotidienne  pour  le  propriétaire,  celui- 
ci,  qui  emploie  la  chose  à  un  certain  usage,  souffrira  peut-être  de  la 
prétendue  amélioration  accomplie.  Si  l'on  a  fait  relier  un  livre  bro- 
ché, il  le  trouvera  moins  commode;  si  l'on  a  appliqué  à  un  fusil  un 
système  nouveau,  le  chasseur  l'emploiera-t-il  avec  le  même  succès? 
Si  d'un  cheval  de  selle  on  a  fait  un  cheval  de  cirque,  dansant  en  me- 
sure et  tournant  sur  lui-même,  dès  qu'il  entend  le  son  de  la  musique, 
serait-il  raisonnable  que  le  propriétaire  payât  les  frais  de  trans- 
formation, alors  même  que  cette  transformation  augmenterait  la 
valeur  vénale  de  la  chose?  Si  le  débiteur,  pressé  d'argent,  a  engagé 
sa  chose  au  lieu  de  la  vendre,  c'est  qu'il  tenait  à  la  chose  elle- 
même,  pour  ses  qualités  propres,  et  non  pas  pour  sa  valeur  vénale. 
11  faut  donc,  pour  contraindre  le  créancier  gagiste  au  respect  du 
contrat,  lui  donner  intérêt  à  ne  pas  empiéter  sur  le  droit  du  pro- 
priétaire; le  moyen  est  très-simple,  il  consiste  à  lui  dénier  le  droit 
de  se  faire  restituer  les  dépenses  faites,  quand  ce  seront  de  simples 
dépenses  d'amélioration. 

309  bis.  II.  Le  Code  nous  paraît  avoir  employé  ce  moyen,  car  si 
l'on  regarde  de  près  son  texte,  on  s'aperçoit  qu'il  n'a  pas  dit, 
comme  il  le  fait  bien  souvent,  les  dépenses  utiles  et  nécessaires, 
employant  ces  deux  expressions  dans  un  sens  absolu  et  par  consé- 
quent opposé.  Il  a  ajouté  ces  mots  :  que  celui-ci  a  faites  pour  la 
conservation  de  la  chose.  D'après  la  construction  de  la  phrase,  cette 
proposition  ne  se  rattache  pas  seulement  au  mot  nécessaire,  mais 
au  mot  dépenses,  elle  détermine  nettement  l'idée  principale  :  il 


T1T.    XVII.    DU   NANTISSEMENT.    ART.    2080.  383 

s'agit  des  dépenses  que  le  créancier  a  faites  pour  la  conservation 
de  la  chose.  Qu'on  puisse  les  qualifier  utiles  on  nécessaires,  il  faut, 
pour  appliquer  l'article,  qu'elles  soient  des  dépenses  de  conservation. 
Alors  pourquoi  ces  deux  qualificatifs  différents?  Ils  sont  employés 
pour  prévoir  deux  hypothèses  diverses,  celle  où  les  dépenses  étaient 
urgentes  et  celle  où  elles  étaient  moins  pressées.  On  comprend  en 
effet  des  dépenses  de  conservation  qui  ne  peuvent  souffrir  aucun 
retard,  celles-là  sont  nécessaires  ;  d'autres  qu'on  peut  différer,  mais 
qui  n'en  sont  pas  moins  des  dépenses  de  conservation,  celles-là  sont 
utiles.  Il  faudra  toujours  qu'il  s'agisse  de  conservation,  mais  il  suf- 
fira que  la  dépense  soit  utile  sans  être  nécessaire  au  point  de 
vue  de  la  conservation.  Voilà,  ce  nous  semble,  la  pensée  du  législa- 
teur; elle  nous  apparaît  plus  claire  par  la  comparaison  du  Code 
civil  avec  le  paragraphe  de  Pothier  qui  traite  la  question.  Pothier 
pose  en  règle  que  le  débiteur  doit  rembourser  les  dépenses  néces- 
saires que  le  créancier  a  faites  pour  la  conservation  de  la  chose. 
C'est  le  texte  du  Code,  moins  le  mot  utiles.  Puis,  arrivant  aux  dé- 
penses utiles,  il  n'oblige  le  débiteur  à  les  payer  que  quand  elles 
sont  modiques,  et  il  laisse  la  question  à  la  prudence  et  à  l'arbitrage 
du  juge.  Le  Code  a  voulu  donner  une  règle  plus  précise,  soustraire 
la  question  à  l'arbitraire,  et,  en  élargissant  un  peu  le  cercle  des  dé- 
penses de  conservation,  puisqu'il  y  comprend  celles  qui  n'étaient  pas 
nécessaires,  il  ne  parle  plus  des  dépenses  d'amélioration,  ce  qui  nous 
autorise  à  dire  a  contrario  que  ces  dépenses  ne  peuvent  être  répé- 
tées (1). 

310.  Remarquons  ici  que  l'obligation  incidente  d'indem- 
niser le  créancier  de  ses  dépenses  n'est  pas  la  seule  que  le 
contrat  de  gage  impose  au  débiteur.  En  remettant  la  chose 
à  ce  titre,  il  contracte  implicitement  l'obligation  de  lui  faire 
avoir  sur  cette  chose  le  droit  de  gage,  dont  les  effets  ont 
été  ci-dessus  expliqués;  par  conséquent  il  serait  garant  des 
troubles  et  évictions,  et,  comme  tel,  non  recevable  a  évincer 
lui-même  le  gagiste  avant  le  temps  fixé  pour  la  restitution. 
Il  serait  également  garant  des  défauts  cachés  qui  rendraient 
!a  chose  insuffisante  pour  assurer  les  droits  du  créancier. 
V.  au  surplus  Paul,  L.   16,  §  1;  Martien,  L.  32;   Ulp., 

(1)  V.  Pothier,  Nantissement,  nos  CO,  61. 


384  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

L.  36,  D.  depign.  act.;  v.  aussi  Paul,  L.  41 ,  eod.;  Modest., 
L.  22,  D.  depign.  et  hypoth. 

311.  L'obligation  de  restituer  la  chose  comprend  celle  de 
tenir  compte  au  débiteur  de  tout  ce  qui  en  est  provenu  pen- 
dant la  possession  du  créancier.  Celte  règle  s'applique  notam- 
ment aux  intérêts  d'une  créance  donnée  en  gage.  Le  trans- 
port a  titre  de  nantissement  autorise  incontestablement  le 
créancier  a  les  toucher;  mais  il  doit  les  recevoir  en  l'acquit 
de  son  débiteur,  par  conséquent  les  imputer  sur  ce  qui  lui 
est  dû.  Bien  entendu  que  cette  imputation  se  fait  d'abord  sur 
les  intérêts,  si  la  créance  garantie  par  le  gage  en  produit; 
sinon  elle  se  fait  sur  le  capital.  V.  art.  2081,  et  a  ce  sujet, 
art.  1254. 

311  bis.  I.  L'engagement  d'une  créance  produisant  des  intérêts, 
implique  pour  le  créancier  le  pouvoir  de  percevoir  ces  intérêts. 
C'est  la  conséquence  d'un  mandat  tacite  qui  s'appuie  sur  ce  que 
le  créancier  qui  a  engagé  sa  créance  a  perdu,  par  la  signification 
qui  a  été  faite  de  l'engagement  au  débiteur,  le  droit  de  toucher 
périodiquement  les  intérêts,  et  qu'il  importe  à  tous,  au  créancier  dé- 
biteur comme  au  créancier  gagiste,  que  les  intérêts  de  la  créance 
soient  payés  exactement. 

Les  intérêts  ainsi  perçus  sont  appliqués  à  la  libération  du  dé- 
biteur gagiste  et  imputés  sur  sa  dette  conformément  aux  règles  sur 
l'imputation  du  paiement,  c'est-à-dire  d'abord  sur  les  intérêts  qu'il 
doit  lui-même,  ensuite  sur  le  principal  de  sa  dette.  La  loi  ajoute 
même  que  si  la  dette  du  débiteur  gagiste  ne  produit  pas  d'intérêts, 
les  intérêts  de  la  dette  engagée  s'imputeront  sur  le  capital. 

311  bis.  IL  De  cette  dernière  partie  de  l'article  2081  résulte  net- 
tement une  dérogation  à  l'article  1244.  Cette  imputation  des  inté- 
rêts d'une  créance  sur  le  capital  d'une  autre  créance  n'éteindra  pas 
ordinairement  toute  cette  dernière  créance,  elle  n'en  éteindra 
qu'une  partie.  Le  créancier  subira  donc  comme  une  sorte  de  paie- 
ment partiel,  et  par  extraordinaire  il  n'aura  pas  le  droit  de  le  refu- 
ser. Au  reste,  la  dérogation  à  l'article  1244  n'est  ici  qu'apparente, 
car  la  décision  de  la  loi  est  certainement  fondée  sur  la  convention 
des  parties  qui  peut  toujours  déroger  à  la  règle  de  l'article  1244.  Le 
créancier,  en  consentant  à  recevoir  en  gage  une  créance  produisant 


Tiï.    XVII.    DU    NANTISSEMENT.    AUT.    2081.  385 

des  intérêts  et  à  devenir  mandataire  à  l'effet  de  toucher  ces  intérêts, 
donne  son  consentement  à  l'extinction  partielle  de  sa  créance, 
car  il  devient  débiteur  des  intérêts  qu'il  reçoit,  et  il  se  fait  une 
compensation  de  ces  intérêts  avec  le  capital  qui  lui  est  dû.  Or, 
nous  avons  vu  que  la  règle  de  la  loi  sur  la  compensation  légale 
consacre  une  véritable  exception  à  l'article  1244. 

311  bis.  III.  Les  raisons  qui  justifient  l'article  2081,  2e  alinéa,  im- 
posent une  addition  au  premier  paragraphe  du  même  article.  Quand 
une  créance  produisant  intérêts  a  été  engagée  pour  garantir  une 
autre  créance  qui  en  produit  aussi,  les  intérêts  de  la  créance  engagée 
s'imputent  sur  les  intérêts,  et,  nous  l'avons  déjà  dit,  sur  le  capital. 
Ceci  ne  résulte  pas  du  texte  mais  est  une  conséquence  tirée  à  for- 
tiori du  2e  paragraphe  de  l'article  et  commandée  par  les  principes 
sur  la  compensation  légale  qui  nous  ont  paru  expliquer  ce  deuxième 
paragraphe. 

311  bis.  IV.  Le  Code  n'a  parlé  que  des  intérêts  de  la  créance 
donnée  en  gage,  il  n'admet  donc  pas  que  le  créancier  gagiste  ait  le 
droit  de  toucher  le  capital;  car  s'il  avait  ce  pouvoir,  il  faudrait  bien 
dire  aussi  que  ce  capital,  encaissé  par  lui,  s'imputera  sur  la  dette 
garantie  par  le  gage.  En  principe,  le  créancier  seul  ou  son  manda- 
taire peut  toucher;  le  mandat,  même  tacite,  n'apparaît  pas  ici  aussi 
clairement  que  quand  il  s'agit  des  intérêts,  parce  qu'il  n'est  pas 
aussi  nécessaire,  le  capital  ne  devant  être  payé  qu'en  une  fois,  tandis 
que  les  intérêts  sont  payables  assez  souvent.  On  comprend  que  si 
l'échéance  est  arrivée,  le  débiteur  gagiste  créancier  de  la  créance 
engagée,  ne  pourra  pas  toucher,  puisque  l'engagement  signifié  vau- 
dra comme  une  opposition,  et  qu'il  aura  tout  intérêt  à  s'entendre 
avec  le  créancier  gagiste,  qui  ne  pourra  pas  non  plus  toucher  sans 
le  consentement  de  l'autre  partie.  De  leur  intérêt  mutuel  naîtra  un 
accord;  ils  toucheront  conjointement.  Que  si  l'accord  ne  se  fait 
pas,  le  créancier  gagiste  se  fera  attribuer  par  justice  la  créance  aux 
termes  de  l'article  2078,  ou  en  fera  ordonner  la  vente  aux  enchères. 
Ces  tentatives  d'accord,  ces  procédures  auraient  toutes  sortes  d'in- 
convénients, s'il  fallait  les  renouveler  à  chaque  échéance  d'inté- 
rêts de  la  créance  engagée;  elles  n'en  ont  pas  dès  qu'il  n'y  aura 
lieu  qu'une  seule  fois  pour  l'encaissement  du  capital. 

Non-seulement  le  mandat  tacite  de  toucher  n'est  pas  aussi  néces- 
saire quand  il  s'agit  du  capital  que  s'il  a  pour  objet  les  intérêts, 
mais  il  serait  très-sérieusement  dangereux  dans  des  hypothèses 
▼m.  25 


386  COURS   ANALYTIQUE    DE   CODE    CIVIL.    L1V.    m. 

très-fréquentes.  Que  la  créance  engagée  soit  supérieure  en  chiffre 
à  la  créance  que  garantit  le  gage,  ce  qui  arrivera  Lion  souvent,  et 
la  loi  serait  imprudente  si  elle  reconnaissait  au  créancier  gagiste  le 
pouvoir  de  toucher  le  montant  de  la  créance  engagée.  Ce  créancier 
deviendrait  débiteur  de  son  ancien  débiteur  pour  l'excédent  de  ce 
qu'il  a  encaissé  sur  ce  qui  lui  était  dû.  Comme;,!  serait  garantie 
cette  dette  peut-être  considérable?  Le  droit  de  toucher  les  intérêts 
s'explique,  parce  que  dans  les  probabilités  ils  sont  minimes  par  rap- 
port à  la  'dette  garantie  par  le  gage,  le  créancier  de  ces  intérêts 
ne  risque  pas  de  les  perdre,  puisqu'ils  sont  forcément  utilisés  à 
éteindre  sa  propre  dette.  Mais  le  capital  encaissé  dépassant  le  capital 
du  l'excédent  se  trouve  à  la  discrétion  de  l'ancien  créancier,  qui 
n'inspire  peut-être  aucune  confiance  à  son  ancien  débiteur. 

311  bis.  V.  Les  créances  ne  sont  pas  les  seules  choses  engagées 
qui  puissent  produire  des  fruits.  Il  y  a  certains  meubles  corporels 
qui  sont  frugifères,  un  très-grand  nombre  d'animaux  entre  autres. 
Nous  ne  dirons  pas  des  fruits  de  ces  choses,  ce  que  la  loi  dit  des 
ntérêls  des  créances.  Nous  pouvons  bien  admettre,  avec  Pothier, 
que  le  créancier  gagiste  doit  compte  de  ces  fruits.  S'il  naît  un  petit 
de  l'animal  mis  en  gage,  le  créancier  en  est  débiteur  envers  le  pro- 
priétaire, mais  nous  n'admettons  pas,  malgré  l'opinion  de  Pothier, 
que  ces  fruits  doivent  venir  en  déduction  et  paiement  de  la  dette. 
Telle  est  certainement  la  pensée  du  Code  qui,  loin  de  parler  avec 
Pothier  des  fruits  en  général,  n'a  parlé  que  des  intérêts,  et  telle  est 
en  effet  la  conséquence  logique  des  principes.  Les  petits  d'un  ani- 
mal ne  sont  pas  de  l'argent;  en  admettant  qu'ils  soient  engagés 
comme  l'animal  lui-même,  ils  sont  régis  par  l'article  2078,  ils  ne 
sont  pas  la  propriété  du  créancier  gagiste,  il  doit  se  les  faire  attribuer 
par  justice  ou  se  faire  autoriser  à  les  vendre.  Autrement,  comment 
pourrait-on  savoir  quelle  valeur  avaient  ces  petits  animaux:?  et  ne 
devrait-on  pas  craindre  les  fraudes  que  les  deux  parties  de  l'article 
2078  ont  voulu  prévenir? 

311  bis.  VI.  Reste  à  savoir  si  ces  petits  animaux  sont  eux-mêmes 
engagés,  et  si  le  créancier  gagiste  peut  :  1°  les  retenir;  2»  exercer 
sur  leur  valeur  son  privilège.  La  solution  nous  paraît  moins  claire, 
parce  que  l'animal,  dès  qu'il  est  né,  devient  un  objet  distinct,  une 
individualité  séparée  de  celle  de  l'animal,  objet  du  gage.  Nous 
pensons  toutefois  que  la  théorie  du  Code  civil  est  que  le  croît 
des  animaux  est  l'accessoire  de  ces  animaux,  car  c'est  par  l'idée 


TIT.    XVII.    DU    NANTISSEMENT.    ART      208 J ,    2082.        387 

d'accession  que  le  Gode  explique  l'acquisition  de  ce  genre  de  fruits 
parie  propriétaire,  comme  celle  des  fruits  de  la  terre  par  le  pro- 
priétaire de  l'immeuble.  Cette  théorie  doit  avoir  pour  conséquence 
que  le  croît  est  engagé  comme  accessoire  de  l'animal,  principal 
objet  du  contrat  de  gage. 

312.  Le  but  que  se  proposent  les  parties  dans  le  nantisse- 
ment, et  l'obligation  implicite  de  garantie  que  contracte 
celui  qui  le  fournit,  diffèrent  naturellement  jusqu'au  paiement 
de  la  dette  la  restitution  du  gage-,  ce  paiement  doit  être  inté- 
gral et  comprendre  conséquemment  le  principal,  les  intérêts 
et  les  frais.  Toutefois,  le  droit  conféré  au  créancier  ne  l'étant 
que  sous  la  condition  tacite  qu'il  n'abusera  pas  de  la  chose, 
l'abus  donnerait  lieu  h  restitution  anticipée.  V.  art.  ^82' 
al.  i.  ' 

312  Ut.  I.  Le  principal  droit  du  débiteur  gagiste,  celui  qu'il 
exerce  par  l'action  pigneratitia  directa,  c'est  le  droit  de  se  faire 
restituer  le  gage.  Seulement,  comme  le  gage  a  été  donné  pour  garantir 
l'exécution  de  l'obligation,  il  est  clair  que  le  droit  à  la  restitution 
ne  peut  naître  tant  que  la  dette  n'est  pas  éteinte,  sauf  le  cas  excep- 
tionnel où  le  créancier  manque  à  l'obligation  qui  lui  est  imposée 
de  veiller  à  la  conservation  de  la  chose:  c'est  le  cas  que  le  Code 
suppose,  quand  il  parle  du  détenteur  qui  abuse  du  gage. 

312  bis.  H.  Nous  avons  subtitué  aux  expressions  du  Code  des 
termes  plus  larges,  quand  nous  venons  de  déterminer  à  quelle 
époque  naîtrait  le  droit  de  demander  la  restitution  du  gage.  Ce 
n'est  pas  à  l'époque  du  paiement,  c'est  à  l'époque  où,  pour  quelque 
cause  que  ce  soit,  l'obligation  garantie  par  le  gage  a  été  éteinte  •  le 
droit  accessoire  doit  périr  quand  périt  le  droit  principal.  Ceci  ne 
peut  pas  faire  de  doute  quand  il  s'agit  des  modes  extinctifs  ordinaires 
de  l'obligation,  la  compensation,  la  novation,  la  remise  de  la  dette  et 
tout  le  monde  admet,  quant  à  ces  modes,  l'extension  que  nous  donnons 
a  l'article  2080.  Mais  un  très-grand  nombre  de  jurisconsultes  re- 
fusent dupliquer  la  même  règle  au  cas  de  prescription,  ou  pour 
mieux  dire,  ils  pensent  que  la  prescription  de  la  dette  garantie  est 
impossible  tant  que  le  gage  reste  dans  Jes  mains  du  créancier 
gagiste,  d'où  i!  résulte  que  le  droit  à  la  restitution  ne  pourra  jamais 
naître  de  l'extinction  de  la  dette  par  prescription. 

25. 


388  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

Cette  doctrine  est  ainsi  justifiée  par  quelques  auteurs  :  d'après 
les  principes  du  Code  de  Justinien,  la  seule  possession  du  gage  par 
le  créancier  opérait  une  reconnaissance  continue  de  l'obligation,  et 
par  suite  la  libération  par  prescription  ne  pouvait  pas  se  produire  (1). 
D'autres  reproduisent  cette  idée  sans  invoquer  l'autorité  de  Justi- 
nien et  voient,  dans  le  fait  de  laisser  le  gage  entre  les  mains  du 
créancier,  une  reconnaissance  permanente  du  droit  de  ce  dernier  (2). 

312  bis.  III.  Nous  ne  pouvons  pas  admettre  cette  doctrine,  elle 
nous  paraît  contraire  aux  dispositions  de  la  loi  sur  les  effets  de  la 
reconnaissance  en  matière  de  prescription  libératoire. 

On  raisonne  sur  une  prescription  libératoire,  il  s'agit  de  savoir  si 
le  débiteur  a  pu  ou  non  prescrire  sa  dette.  Il  s'est  écoulé  trente 
ans  depuis  que  cette  dette  est  exigible,  est-elle  éteinte  par  ce  laps 
de  temps,  ou  au  contraire  la  possession  de  gage  par  le  créancier 
n'a-t-elle  pas  créé  un  obstacle  à  cette  extinction  par  prescription? 
Quand  on  dit  que  la  possession  du  gage  par  le  créancier  constitue 
une  reconnaissance  permanente  empêchant  la  prescription,  ou 
dénature  absolument  les  dispositions  de  l'article  2248  sur  l'effet  des 
reconnaissances.  Ces  actes  ne  constituent  que  des  interruptions  de 
prescription,  c'est-à-dire  qu'il  faut  considérer  comme  non  avenu  le 
temps  écoulé  avant  qu'ils  aient  eu  lieu,  mais  ils  permettent  une 
prescription  qui  recommence  aussitôt  la  reconnaissance  accomplie. 
Donc  il  n'est  rien  de  plus  contraire  à  l'idée  de  reconnaissance  que 
l'idée  de  permanence  ou  de  continuité;  s'il  existait  des  reconnais- 
sances permanentes,  elles  constitueraient  non  pas  des  causes  d'inter- 
ruption, mais  des  causes  de  suspension.  On  peut  peut-être  soutenir, 
c'est  un  point  à  examiner  sur  l'article  2248,  que  la  reconnaissance 
par  un  possesseur  du  droit  d'un  propriétaire  rend  la  prescription 
impossible,  mais  c'est  qu'on  voit  alors  dans  cette  possession  le  vice 
de  précarité,  et  si  la  prescription  devient  impossible,  c'est  qu'il 
s'agit  d'une  prescription  afin  d'acquérir.  Or,  ce  serait  faire  une 
étrange  confusion  que  de  résoudre  notre  question  par  les  principes 
de  la  prescription  acquisitive.  Les  règles  sur  la  possession  sont 
indifférentes  ici,  et  d'ailleurs  on  ne  s'appuie  pas  sur  un  vice  de  la 
possession,  c'est  le  fait  même  de  cette  possession  qui  donne  une 
arme  contre  le  non  possesseur. 

312  bis.  IV.  Comment  arrive-t-on  à  ce  résultat,  c'est  en  disant  : 

(1)  V.  M.  Thézard,  Traité  du  nantissement,  des  privilèges  et  hypothèques,  n°  15. 

(2)  V.  Aubry  et  Rau,  t.  III,  p.  520,  n»  11,  édiU  1856. 


TIT.    XVII.    DU    NANTISSEMENT.    AKT.    2082.  389 

le  débiteur  gagiste  reconnaît  l'existence  de  sa  dette  par  ce  fait 
qu'il  laisse  le  gage  aux  mains  du  créancier.  Rien  de  moins  certain, 
car  le  débiteur  peut  ignorer  qu'il  existe  un  gage  en  possession  de 
ce  créancier  ;  supposez  que  le  débiteur  primitif  est  mort,  qu'il  a  laissé 
un  héritier,  celui-ci  qui  ignore  peut-être  la  dette  peut  à  fortiori 
ignorer  la  constitution  d'un  gage,  et  dès  lors  où  est  le  fondement 
de  la  reconnaissance  permanente  ou  continue,  qui  interromprait  à 
chaque  instant  la  prescription?  Quant  au  débiteur  lui-même,  qui, 
négligent  de  ses  intérêts,  ne  redemande  pas  le  gage,  est-il  certain 
qu'il  a  par  son  inaction  fait  une  reconnaissance  de  la  dette?  Une 
reconnaissance  tacite,  en  quelque  sorte  négative,  ne  vaut  pas  l'acte 
positif  auquel  la  loi  a  certainement  fait  allusion,  quand  elle  a  dit 
dans  l'article  2248  :  la  reconnaissance  que  le  débiteur/«t7  du  droit 
de  celui  contre  qui  il  prescrit.  N'oublions  pas  que  le  débiteur  qui 
prescrit  est  supposé  avoir  perdu  la  preuve  de  sa  libération;  s'il 
l'a  perdue,  il  a  lout  intérêt  à  ne  pas  révéler  cette  perte  au  créancier, 
qui  pourrait  être  tenté  de  demander  un  second  paiement;  pour  se 
faire  restituer  le  gage,  il  faudrait  montrer  la  quittance  perdue,  et 
c'est  pour  ne  pas  manifester  cette  perte  que  le  débiteur  ne 
redemande  pas  son  gage.  Si  ces  faits  sont  possibles,  il  ne  faut  pas 
poser  en  règle  que  l'inaction  du  débiteur  libéré  implique  de  sa  part 
reconnaissance  de  la  dette. 

312  bis.  V.  Nous  refuserions  de  voir  cette  idée  dans  le  Code  civil, 
alors  même  qu'elle  serait  consacrée  par  le  Code  de  Justinien.  Mais 
le  texte  qu'on  invoque  nous  paraît  avoir  un  tout  autre  sens;  c'est 
la  constitution  7,  §  5,  au  titre  de  prœscriptione  xxx  rel  xl  annorum. 
Elle  traite  d'une  véritable  interruption,  c'est-à-dire  d'un  fait  qui 
n'a  pas  un  effet  continu  ou  permanent,  per  hanc  detentionem  interrup- 
tio  est  prœteriti  temporis .  Le  temps  passé  ne  compte  plus,  mais  on 
ne  dit  pas  que  la  prescription  soit  impossible  dans  l'avenir;  or,  quel 
est  le  fait  qui  produit  ce  résultat,  c'est  le  fait  d'avoir  pris  possession 
des  choses  engagées,  res  sibi  suppositas  sine  violentia  tenuerit  (le  verbe 
tenere  signifie  aussi  bien  occuper,  prendre  possession,  que  garder). 
Ainsi  entendu,  le  texte  de  Justinien  nous  paraît  très-acceptable,  le 
fait  de  donner  un  gage  constitue  une  interruption  de  prescription, 
c'est  un  fait  positif  du  débiteur  qui  ne  laisse  aucun  doute  sur  son 
intention  de  reconnaître  la  dette,  mais  nous  avons  vu  qu'il  en 
était  tout  autrement  du  fait  de  laisser  le  gage  en  la  possession  du 
créancier. 


390  COUKS  ANALYTIQUE    DE    CODE   CIVIL.    L1V.    IL. 

312  bis.  VI.  Nous  avons  en  outre,  dans  le  Code  civil,  une  disposi- 
tion formelle  qui  nous  semble  absolument  décisive,  quant  à  la  ques- 
tion que  nous  examinons.  Le  Code  admet,  article  2180,  qu'une 
créance  peut  s'éteindre  par  prescription  en  faveur  du  débiteur,  bien 
qu'elle  soit  garantie  par  une  hypothèque  sur  les  biens  de  ce  débi- 
teur. N'est-ce  pas  la  question  même  que  nous  agitons,  avec  cette 
différence  qu'il  s'agit  ici  de  gage  et  là  d'hypothèque?  Le  débiteur 
libéré  n'a-t-il  pas  le  droit  d'exiger  la  radiation  de  l'inscription,  et 
n'a-t-il  pas  intérêt  à  l'exiger?  Comme  le  débiteur  gagiste  a  droit 
et  intérêt  à  demander  la  restitution  du  gage.  Il  ne  demande  pas 
la  radiation,  et  la  prescription  court  néanmoins  contre  lui;  c'est 
apparemment  qu'on  ne  voit  pas  dans  son  inaction  une  reconnais- 
sance permanente  et  continue  de  la  dette,  car  une  reconnaissance 
interromprait  la  prescription,  et  si  elle  était  continue,  c'est-à-dire 
se  renouvelant  sans  cesse,  elle  la  rendrait  impossible.  Cette  obser- 
vation nous  paraît  capitale,  car  elle  montre  dans  la  loi  même  la 
condamnation  de  la  supposition,  qui  est  la  base  de  la  doctrine  que 
nous  combattons. 

312  bis.  VIL  On  oppose,  il  est  vrai,  un  autre  argument  qui  con- 
siste à  signaler  l'étrangeté  du  résultat  auquel  nous  arrivons  :  le 
débiteur  dont  l'action  en  retrait  du  gage  est  imprescriptible  jusqu'à 
l'extinction  de  la  dette,  pourrait  au  bout  de  trente  ans  réclamer  la 
restitution  du  gage  sans  offrir  de  désintéresser  le  créancier  (1). 
Nous  admettons  en  effet  que  telle  est  la  conséquence  de  la  doctrine, 
mais  nous  ne  reconnaissons  pas  que  cette  conséquence  soit  étrange, 
et  qu'on  puisse  s'en  prévaloir  contre  la  doctrine  elle-même.  La 
prescription  est,  d'après  le  Code  civil,  un  mode  d'extinction  de  l'obli- 
gation, comment  comprendre  que  le  gage  subsiste  quand  la  dette 
est  éteinte?  Il  n'y  a  plus  rien  à  garantir.  Le  débiteur  gagiste 
redemande  le  gage  devenu  inutile.  Quant  au  créancier  gagiste,  en 
décidant  qu'il  ne  peut  pas  invoquer  en  sa  faveur  une  prescription 
libératoire  puisque  jusqu'à  la  prescription  de  la  créance  accomplie, 
la  restitution  n'avait  pas  pu  être  exigée  de  lui,  on  ne  lui  cause  pas 
un  véritable  préjudice.  Si,  ce  qui  nous  semble  impossible,  on  lui 
permettait  d'invoquer  la  prescription  libératoire,  il  n'en  retirerait 
aucun  avantage.  Aurait-il  en  effet  acquis  la  propriété?  Non  certes, 
puisque  nous  parlons  d'une  prescription  libératoire;  il  aurait  donc 

(1)  V.  Aubry  et  Rau,  loc.  cit. 


TiT.    XVI!.    DU    NANTISSEMENT.    AKT.    2082.  361 

le  droit  de  conserver  !e  gage,  comme  il  le  tenait  avant  la  prescrip- 
tion, c'est-à-dire  pour  ne  pas  s'en  servir,  pour  ne  pas  s'en 
approprier  les  fruits.  Il  ne  pourrait  pas  en  disposer,  obtiendrait-il 
de  la  justice,  aux  termes  de  l'article  2078.  le  droit  de  la  conserver 
comme  propriétaire  ou  de  la  faire  vendre,  ce  serait  impossible 
puisque  la  justice  ne  doit  autoriser  cette  appropriation  en  cette 
vente  aux  enchères  que  pour  aboutir  à  un  paiement.  Or,  comme  le 
paiement  n'est  plus  exigible,  ces  décisions  de  la  justice  ne  sauraient 
intervenir.  On  le  voit,  le  créancier  gagiste  ne  perd  pas  grand'chose 
à  ne  pas  pouvoir  invoquer  la  prescription  contre  l'action  en  resti- 
tution du  gage. 

Nous  n'avons  parlé  que  de  cette  prescription  afin  de  se  libérer, 
il  est  clair  que  le  gagiste  ne  pourrait  pas  invoquer  une  prescription 
acquisitive,  même  après  trente  ans  écoulés  depuis  la  constitution 
du  gage,  car  sa  possession,  précaire  dans  l'origine,  aura  toujours 
conservé  ce  caractère  (art.  2236,  2237).  Nous  supposons  au  inoins 
qu'il  n'est  pas  intervenu  un  des  événements  qui  rendraient  possible 
la  prescription  (art.  2238;,  parce  qu'alors  nous  ne  serions  plus 
dans  l'hypothèse  sur  laquelle  nous  raisonnons. 

312  bis.  VIII.  Nous  avons  supposé  que  le  créancier  gagiste  était 
encore  en  possession  du  gage  et  qu'il  lui  était  matériellement  pos- 
sible de  rendre  un  gage  désormais  inutile.  Il  peut  arriver  qu'il 
n'ait  plus  à  sa  disposition  l'objet  qu'il  a  reçu  en  gage  et  que, 
poursuivi  comme  débiteur  de  la  restitution,  il  soit,  en  effet,  exposé 
à  une  perte,  puisqu'il  devrait  donner  des  dommages  et  intérêts. 
Il  évitera  cette  condamnation  s'il  démontre  que  la  perte  provient 
d'un  cas  fortuit  (art.  130:2),  sinon  il  subira  les  conséquences 
d'une  faute  qu'il  a  commise  en  ne  conservant  pas  en  nature,  comme 
il  le  devait,  la  chose  remise  en  gage.  Il  aurait,  du  reste,  encore 
une  autre  ressource,  ce  serait  de  prouver  que  la  dette  a  été  éteinte 
par  un  paiement,  une  compensation  ou  une  remise  à  une  époque 
antérieure  à  celle  où  la  prescription  s'est  accomplie.  La  chose  est 
possible,  puisque  la  prescription  cache  souvent  une  véritable 
extinction  d'obligation  dont  le  débiteur  a  perdu  la  preuve.  Si  le 
créancier  fournit  cette  preuve,  il  fait  remonter  à  une  époque  an- 
térieure à  celle  où  la  dette  a  été  prescrite,  le  commencement  de 
la  prescription  libératoire  qui  a  couru  à  son  profit  en  ce  qui  concerne 
la  restitution  du  gage,  et  ainsi  il  pourra  se  trouver  libéré.  S'il  ne 
peut  pas  faire  cette  preuve,  ou  bien  c'est  parce  que  la  dette  n'a 


392  COURS  ANALYTIQUE    DE    CODE   CIVIL.    L1V.    III. 

réellement  été  éteinte  que  par  la  prescription,  et  alors  il  est  logique 
que  l'action  en  restitution  du  gage  ne  soit  prescriptible  que  depuis 
cette  époque,  ou  bien  c'est  parce  qu'il  a  négligé  de  conserver  la 
preuve  d'un  acte  juridique  qui  l'intéressait,  et  sur  lequel  il  veut 
aujourd'hui  fonder  un  droit;  il  ne  faut  pas  alors  s'étonner  que 
le  manque  de  preuve  lui  porte  un  préjudice. 

313.  Le  paiement  de  la  délie  pour  laquelle  eut  lieu  la  mise 
en  gage  n'autoriserait  pas  toujours  a  exiger  la  restitution  de 
la  chose  engagée.  En  effet,  si  à  un  autre  titre  il  existe  encore 
une  dette  entre  les  mêmes  parties,  l'affectation  générale  des 
biens  du  débiteur  au  paiement  de  celte  dette,  comme  de 
toute  autre,  peut  aisément  faire  supposer,  indépendamment 
d'une  affectation  spéciale,  la  convention  tacite  de  ne  pas  re- 
tirer le  gage  avant  qu'elle  soit  acquittée  (v.  Gord.,  L.  un., 
Cod.,  etiam  ob  chirogr.).  Ajoutons  qu'il  est  naturel  que  le 
créancier  qui  pourrait  saisir-arrêter  entre  les  mains  d'un  tiers 
les  effets  de  son  débiteur,  soit  autorisé  a  ne  pas  se  dessaisir 
de  la  chose  qu'il  tient.  Mais  pour  que  ces  motifs  soient  appli- 
cables, et  pour  que  la  loi  autorise  la  rétention,  il  faut  :  1°  que 
la  dette  a  laquelle  le  gage  n'est  pas  spécialement  affecté  soit 
contractée  postérieurement  a  la  mise  en  gage;  2°  que  cette 
dette  soit  exigible  avant  le  paiement  de  la  première.  V.  art. 
2082,  al.  dernier. 

313  bis.  I.  Le  débiteur  qui  a  donné  un  gage  emprunte  du  même 
créancier  une  autre  somme.  La  loi  suppose  une  convention  tacite 
affectant  le  gage  à  cette  nouvelle  dette  et  permet  au  créancier  de 
retenir  le  gage  tant  que  les  deux  dettes  ne  sont  pas  acquittées. 
Voilà  la  décision  de  l'article  2083,  2e  alinéa.  Il  faut  maintenant 
comprendre  les  conditions  auxquelles  elle  est  subordonnée. 

313  bis.  II.  D'abord,  pour  que  la  créance  à  l'égard  de  laquelle  il 
n'a  pas  été  fait  de  convention  spéciale  du  gage  bénéficie  du  gage 
de  l'autre  créance,  il  faut  qu'elle  soit  née  postérieurement  à  l'autre, 
sinon  la  convention  tacite  du  gage  n'apparaîtrait  pas;  car  il  est 
évident  que,  lors  de  la  première  convention,  le  créancier  s'était  con- 
tenté d'une  créance  chirographaire.  Secondement,  la  loi  exige  que 
la  seconde  dette  soit  exigible  avant  le  paiement  de  la  première. 
Cette  condition  ne  nous  paraît  pas  respecter  l'idée  fondamentale  de 


TIT.    XVII.    DU    NANTISSEMENT.    ART.    2082.  393 

l'article  2082.  Si,  en  effet,  l'article  suppose  une  convention  tacite 
de  gage,  pourquoi  cette  constitution  pour  une  nouvelle  dette  ne 
pourrait-elle  pas  garantir  un  paiement  à  faire  après  le  paiement  de 
la  dette  la  plus  ancienne?  Il  y  aurait  là  un  ordre  fort  logique  assi- 
gné aux  différents  paiements,  et  dès  lors  on  pourrait  facilement  pré- 
sumer une  convention  en  ce  sens.  Mais  les  rédacteurs  du  Code  civil 
ont  probablement  laissé  de  côté  cette  idée  qui  donne  une  base  très- 
juridique  à  l'article,  et  ils  se  sont  préoccupés  des  motifs  que  Pothier 
assignait  à  la  règle.  On  trouve,  en  effet,  dans  le  traité  du  nantisse- 
ment :  1°  que  le  créancier  gagiste,  qui  a  reçu  le  paiement  de  la 
dette  garantie  par  le  gage,  oppose  l'exception  de  dol  à  l'action  par 
laquelle  le  débiteur  qui  lui  doit  une  autre  somme  demande  la  resti- 
tution du  gage;  2°  que  ce  créancier  aurait  eu  le  droit  de  former  une 
saisie-airêt  sur  lui-même  pour  arrêter  le  gage  de  la  créance  éteinte 
par  un  paiement.  Ces  deux  raisons  expliquent  la  décision  du  Code; 
il  est  certain  que  soit  pour  opposer  l'exception  du  dol,  soit  pour 
pratiquer  une  saisie-arrêt,  il  faut  que  ce  créancier  ait  un  droit 
exigible,  il  ne  peut  pas,  en  vertu  d'une  créance  dont  le  terme  n'est 
pas  arrivé,  paralyser  le  droit  de  son  ancien  débiteur  qui  redemande 
son  gage. 

313  bis.  III.  Voilà  où  conduit  l'interprétation  littérale  de  l'article, 
on  substitue  des  raisons  d'équité  à  la  raison  de  droit,  sur  laquelle 
on  pourrait  l'appuyer;  cette  interprétation  se  justifie  d'ailleurs  par 
une  observation  précédemment  faite  :  s'il  s'agissait  d'une  convention 
de  gage,  on  ne  comprendrait  pas  pourquoi  les  effets  en  seraient 
restreints  au  cas  où  la  seconde  dette  est  échue  soit  avant  le  paiement, 
soit  même,  comme  quelques  jurisconsultes  l'ont  soutenu,  avant 
l'échéance  de  la  première.  Mais  alors  nous  constatons  une  sorte 
d'incohérence  dans  les  décisions,  parce  que  s'il  s'agit  simplement 
d'une  considération  d'équité  donnant  naissance  à  une  exception  de 
dol,  on  a  une  sorte  de  saisie-arrêt,  il  n'était  pas  nécessaire  de  dis- 
tinguer entre  les  dettes  antérieures  et  les  dettes  postérieures  au 
contrat  de  gage.  Les  deux  conditions  auxquelles  l'article  2082 
subordonne  sa  règle  sont  donc  inspirées  par  deux  idées  divergentes 
sur  le  principe  même  de  cette  règle. 

313  bis.  IV.  Quel  que  soit  en  réalité  le  principe  de  l'article  2082, 
2*  alinéa,  il  faut  ne  pas  exagérer  la  portée  de  sa  disposition  et  la 
maintenir  dans  les  termes  stricts  que  le  législateur  a  employés.  Le 
droit  que  l'article  confère  au  créancier  pour  la  sûreté  de  sa  seconde 


«J91  LOCHS   ANALYTIQUE    DE   CODE    CIVIL.    LIV.    MI. 

créance  n'est  pas  le  droit  de  gage  dans  toute  sa  plénitude,  il 
n'implique  pas  un  droit  de  préférence  sur  les  autres  créanciers.  Le 
texte,  en  effet,  ne  vise  que  le  droit  de  retenir  le  gage;  le  créancier 
n'est  pas  tenu  de  s'en  dessaisir,  c'est  une  exception  au  1er  alinéa 
de  l'article,  qui  confère  au  débiteur  le  droit  de  redemander  la  pos- 
session effective  de  l'objet  engagé.  Mais  la  loi  évite  bien  de  parler 
du  privilège  du  gagiste,  tandis  qu'elle  précise  très-nettement,  dans  le 
cours  du  titre,  les  cas  où  elle  entend  s'en  occuper  (art.  2074,  2075', 
2076).  Son  système  général  en  ce  qui  concerne  ce  privilège  est  tout 
à  fait  contraire  à  l'existence  de  ce  droit  dans  le  cas  qui  nous  occupe. 
Alors  même  qu'on  admettrait  qu'il  y  a  eu  constitution  tacite  de  gage, 
les  conditions  essentielles  à  l'existence  du  privilège  de  gagiste  font 
absolument  défaut,  car  il  n'existe  pas  d'acte  public  ou  au  moins 
enregistré  contenant  déclaration  de  la  somme  due,  et  les  fraudes 
que  la  loi  a  voulu  prévenir  par  cette  exigence  pourraient  être  faci- 
lement commises;  que  si  l'on  appuie  la  décision  de  l'article  sur  une 
sorte  de  saisie-arrèt  faite  par  le  créancier  sur  lui-même,  il  est  encore 
plus  évident  qu'il  n'a  pas  de  droit  de  préférence,  puisque  ce  droit 
n'appartient  pas  au  saisissant,  d'après  les  dispositions  du  Code 
civil. 

314.  La  règle  qui  subordonne  au  paiement  intégral  la  res- 
titution du  gage  ne  tient  pas  seulement  a  l'indivisibilité  de 
paiement  qui  existe  en  général  entre  le  créancier  et  le  débi- 
teur (art.  1220  et  1244);  elle  repose  sur  l'indivisibilité  du 
gage,  laquelle  est  entièrement  indépendante  de  celle  de  la 
créance.  L'effet  de  cette  indivisibilité  est  que  la  totalité  et 
chaque  portion  de  la  chose  engagée  est  affectée  au  paiement 
de  la  totalité  et  de  chaque  portion  de  la  créance.  Il  est  évident 
d'après  cela  que  la  division  de  la  dette  entre  les  héritiers  du 
débiteur  n'autorise  aucun  d'eux  a  retirer  une  portion  du  gage 
en  payant  sa  part  de  la  dette-,  pareillement,  la  division  de 
la  créance  entre  les  héritiers  du  créancier  non-seulement 
n'oblige  pas,  mais  n'autorise  même  pas  celui  qui  reçoit  sa 
portion  à  remettre,  au  préjudice  des  autres,  tout  ou  partie  du 
gage.  V.  art.  2083  ^  v.  à  ce  sujet  art.  2114. 

314  bis.  Le  gage  est  indivisible  comme  l'hypothèque;  les  consé- 
quences de  cette  indivisibilité  sont  indiquées  par  l'article  2083. 


TIT.    XVU.    DU    NANTISSEMENT.    ART.    2083,    2î084.       395 

Nous  nous  contentons  de  renvoyer  sur  ce  point  à  ce  que  nous 
avons  dit  de  l'indivisibilité  de  l'hypothèque  sur  l'article  2114  (1). 


Disposition  particulière, 

315.  Les  principes  généraux  sur  la  nature  et  les  effets  du 
gage,  considéré  comme  contrat  ou  comme  droit  réel,  sont 
toujours  et  partout  les  mêmes.  Mais  les  règles  strictes  éta- 
blies par  le  droit  civil  pour  l'application  de  ces  principes 
contrarieraient  en  plusieurs  poinls  les  usages  et  les  besoins 
du  commerce.  D'un  autre  côté,  la  loi  devait  une  faveur  parti- 
culière à  ces  élablissemenîs  créés  dans  des  vues  d'humanité, 
qui,  sous  la  surveillance  de  l'administration  publique,  sont 
autorisés  à  prêter  sur  gage;  en  conséquence,  notre  Code 
déclare  ici  ses  dispositions  non  applicables,  soit  aux  matières 
de  commerce  (v.  a  ce  sujet  C.  comm.,  art.  91-93,  1.  du 
23  mars  1863),  soit  aux  maisons  de  prêt  sur  gage  autorisées; 
ces  maisons,  au  reste,  sont  soumises  à  des  règlements  parti- 
culiers. V.  art.  2084. 

315  bis.  Le  gage  commercial  est  organisé  par  les  articles  91,  92 
et  93  du  Code  de  commerce.  Ces  articles  ont  été  intercalés  dans  ce 
Code  en  1863  pour  combler  la  lacune  que  laissait  sur  ce  point  le  Code 
de  1807.  Nous  renvoyons  aux  explications  que  les  traités  de  Droit 
commercial  donnent  sur  ces  articles  (2),  nous  contentant  d'en  in- 
diquer sommairement  les  principales  dispositions  :  1*  on  a  déterminé 
ce  qu'il  faut  entendre  par  un  gage  en  matière  commerciale,  c'est  le 
gage  donné  pour  un  acte  de  commerce,  soit  par  un  commerçant, 
soit  par  une  personne  non  commerçante;  2°  pour  les  contrats  de 
gage  commerciaux  on  abandonne  la  règle  de  l'article  2074,  et  soit 
entre  les  parties,  soit  par  rapport  aux  tiers,  on  admet  tous  les  modes 
de  preuve  autorisés  par  l'article  109,  C.  corn.  ;  3°  le  gage  qui  a  pour 
objet  des  créances  civiles  reste  soumis  à  l'article  2075;  4°  quand  le 
gage  a  pour  objet  des  droits  transmissibles  par  voie  d'endossement, 
le  gage  peut  être  constitué  par  un  endossement  régulier,  indiquant 
que  les  valeurs  ont  été  remises  en  garantie;  5°  pour  les  droits  qui 

(1)  V.t.  IX,  n°74  bis.  IX  et  V. 

(2)  V.  M.  Boiste!,  Précis  de  droit  commercial,  p.  333.  Édit.   18S4. 


396        couns  analytique  de  code  civfl.  liv.  m. 

se  transmettent  par  un  transfert  sur  des  registres,  le  gage  est  con- 
stitué par  un  transfert  à  titre  de  garantie;  G0  à  défaut  de  paiement, 
la  vente  publique  du  gage  a  lieu  sans  autorisation  préalable  de  la 
justice. 


CHAPITRE  II. 

DE    l'àNTICHP.ÈSE. 

316.  Le  mot  antichrèse  signifie  jouissance  en  i  emplace- 
ment. On  doit  donc  entendre  par  antichrèse  proprement 
dite  la  convention  par  laquelle  la  jouissance  de  la  chose 
donnée  en  nantissement  est  abandonnée  au  créancier  en 
remplacement  de  l'intérêt  de  son  argent  (v.  Martien,  L.  11, 
§  1,  D.  de  pign.  et  hyp.).  Mais,  improprement,  on  a  étendu 
la  signification  du  mot  antichrèse  au  cas  où  la  faculté  de  jouir 
de  la  chose  n'appartient  au  créancier  que  sous  la  condition 
d'imputer  jusqu'à  due  concurrence  la  valeur  de  cette  jouis- 
sance sur  les  intérêts  ou  sur  le  capital. 

Depuis  que  l'introduction  de  l'hypothèque  a  permis  de 
conférer  au  créancier  le  droit  de  gage  sans  dépossession  du 
débiteur,  il  est  évident  que  le  contrat  de  nantissement  appli- 
qué aux  immeubles  n'a  plus  conservé  de  véritable  utilité 
que  sous  le  rapport  de  l'antichrèse,  proprement  ou  impro- 
prement dite,  qui  pouvait  y  être  jointe.  On  conçoit  donc  que 
l'antichrèse  en  soit  devenue  l'objet  principal  et  bientôt  l'objet 
unique.  Aussi  est-ce  sous  ce  nom  que  le  Code  désigne  le 
nantissement  des  choses  immobilières  (art.  2072).  C'est  en 
effet  uniquement  a  l'antichrèse  que  tend  aujourd'hui  la  remise 
d'un  immeuble  en  nantissement-,  car  loin  que  cette  remise 
soit,  comme  dans  l'origine,  le  seul  moyen  de  conférer  le  droit 
de  gage,  elle  a  même  cessé  de  produire  cet  effet  (v.  art.  2085, 
2091,  2093,  2094). 

316  bis.  I.  La  définition  de  l'antichrèse,  telle  qu'elle  résulte  du 
Code  civil,  doit  être  ainsi  formulée  :  un  contrat  par  lequel  la  jouis- 


TIT.    XVII.    DU    NANTISSEMENT.    ART.    2085.  397 

sance  d'un  immeuble  est  abandonnée  à  un  créancier  sous  la  condi- 
tion d'imputer  jusqu'à  due  concurrence  la  valeur  de  cette  jouis- 
sance, c'est-à-dire  les  fruits  de  l'immeuble,  sur  les  intérêts  de  la 
dette  d'abord  et  ensuite  sur  le  capital. 

Si  M.  Demante  ap;  elle  cette  convention  un  contrat  d'antichrèse 
improprement  dite,  c'est  qu'il  se  place  au  point  de  vue  historique, 
comme  l'indique  la  citation  qu'il  fait  d'un  texte  du  Digeste,  et  aussi 
toute  la  suite  de  son  explication.  3Iais  il  ne  faut  pas  s'y  méprendre,  sa 
doctrine,  comme  la  doctrine  générale,  est  que  dans  le  Code  civil  le 
mot  antichrèse  n'a  qu'un  sens,  celui  que  nous  lui  attribuons 
d'après  l'article  2085. 

316  bis.  II.  Reste  la  question  de  savoir  si  les  parties  pourraient 
faire  expressément  la  convention  dont  31.  Demante  a  dabord  parlé. 
Celle  qui  attribuerait  au  créancier  tous  les  fruits  de  l'immeuble  pour 
représenter  les  intérêts  de  la  somme  due  sans  imputer  quelque 
partie  que  ce  soit  de  ces  fruits  sur  le  capital. 

On  a  dit  que  cette  convention  était  licite  avant  la  loi  de  1807  sur 
le  taux  maximum  de  l'intérêt  conventionnel  (v.  art.  2089)  ;  tandis 
que  la  loi,  pour  être  conséquente,  aurait  dû  la  déclarer  nulle  pour 
violation  de  l'article  1907,  2e  alinéa,  le  taux  de  l'intérêt  n'étant 
pas  alors  fixé  par  écrit;  c'est  un  point  sur  lequel  nous  reviendrons 
plus  tard.  Aujourd'hui  que  les  parties  ne  sont  pas  libres  de  fixer 
tel  intérêt  que  bon  leur  semble,  la  convention  ne  pourrait  être  validée 
qu'en  vertu  d'une  estimation  des  fruits  démontrant  que  les  parties 
n'ont  pas  dépassé  la  limite.  Mais  nous  préférons  la  déclarer  illicite 
pour  violation  de  l'article  1907,  2e  alinéa.  Nous  avons  en  effet 
admis  que  cette  seconde  partie  de  l'article  1907  n'est  pas  implici- 
tement abrogée  par  la  loi  de  1807,  qu'elle  constitue  encore  une 
protection  pour  l'emprunteur  en  le  forçant  à  se  rendre  compte  du 
taux  de  l'intérêt  qu'il  promet  (1).  S'il  est  utile  qu'il  en  soit  ainsi, 
c'est  surtout  lorsque  la  convention  ne  montre  pas  clairement  la  pro- 
portion existant  entre  le  bénéfice  annuel  perçu  par  le  créancier  et 
le  capital  dû  par  le  débiteur.  L'emprunteur  peut  ne  pas  se  rendre 
un  compte  exact  de  ce  que  doitproduire  l'immeuble,  et  il  consentira 
ainsi  à  abandonner  tous  les  fruits  sans  comprendre  qu'il  accepte 
de  payer  des  intérêts  excessifs.  La  convention  d'antichrèse  dans 
ces  conditions  fournirait  aux  usuriers  un  moyen  très-commode 

(1)  V.  ci-dessus,  q°  115  bis.  XI. 


398  COUliS   ANALYTIQUE   DE    GODE    CIVIL.    LIV.    III. 

d'éluder  les  dispositions  de  la  loi  de  1807,  et  il  nous  semble  heureux 
que  l'article  1907  nous  fournisse  le  moyen  de  prévenir  de  semblables 
contrats.  Il  est  vrai  qu'en  interdisant  cette  convention,  nous  empê- 
chons les  emprunteurs  de  profiter  de  la  bonne  volonté  d'un  prêteur 
qui  se  contenterait  de  la  chance  que  lui  promettraient  les  fruits  de 
l'immeuble,  et  qui  consentirait  à  perce\oir  quelquefois  une  valeur 
inférieure  à  l'intérêt  légal.  3Iais  on  peut  craindre  que  ce  ne  soit 
pas  là  l'hypothèse  ordinaire,  et  d'ailleurs  quand  la  loi  interdit  des 
conventions  parce  qu'elle  redoute  qu'une  partie  mal  éclairée  fasse 
des  sacrifices  irréfléchis,  elle  prive,  par  son  interdiction,  d'un  bénéfice 
possible  les  quelques  contractants  qui  auraient  par  hasard  fait  une 
convention  avantageuse  malgré  le  danger  contre  lequel  la  loi  cher- 
chait à  les  protéger.  Ainsi,  la  vente  d'une  succession  future  est 
interdite,  la  loi  craint  que  l'héritier  présomptif  ne  vende  à  vil  prix 
un  droit  incertain  dans  son  existence  et  dans  son  chiffre,  peut-être 
cependant  laurait-il  quelquefois  vendu  avantageusement,  néan- 
moins, pour  atteindre  le  but  qu'elle  se  propose,  elle  prohibe  dans 
tous  les  cas  le  contrat  en  question.  De  même,  pour  protéger  la 
majorité  des  emprunteurs  qui  abandonnerait  trop  facilement  une 
jouissance  considérable  en  paiement  du  loyer  d'un  capital  peu  im- 
portant, elle  se  trouve  contrainte  à  empêcher  la  convention  qui 
aurait  lieu  quelquefois  à  l'avantage  de  l'emprunteur  contre  le 
prêteur. 

317.  Cela  posé,  il  reste  a  établir  en  détail  la  nature  et  les 
effets  du  contrat  d'antichrèse  (art.  2085-2090);  nous  verrons 
ensuite  si,  et  jusqu'à  quel  point,  ces  eifels,  qui  s'opèrent 
incontestablement  entre  les  parties  contractantes,  peuvent 
être  opposés  aux  tiers  (art.  2091). 

318.  En  appliquant  a  l'antichrèse  l'idée  générale  que  nous 
avons  prise  du  nantissement,  on  voit  que  c'est  un  contrat  réel, 
intéressé  de  part  et  d'autre,  et  synallagmatique  imparfait. 
Qui  dit  contrat  réel,  dit  contrat  parfait  par  la  simple  tradition, 
et  dont  l'existence  dès  lors  n'est  assujettie  a  aucune  forme. 
Toutefois  la  loi  veut  que  l'antichrèse  ne  puisse  s'établir  que 
par  écrit;  ce  qui,  selon  nous,  ne  tend  qu'à  exclure  absolu- 
ment la  preuve  testimoniale,  quelle  que  soit  la  valeur. 
V.  art.  2085,  al.  1. 


TIT.    XVli.    DU    NANTISSEMENT.    ART.    2085.  399 

318  bis.  I.  La  première  disposition  de  l'article  2085  rappelle  la 
règle  que  l'article  2074  a  édictée  en  ce  qui  concerne  le  gage.  Il  ne 
s'agit  certes  pas  de  faire  de  l'antichrèse  un  contrat  solennel  comme 
la  donation  ;  l'écriture  est  considérée  ici  comme  moyen  de  preuve. 
La  loi  n'a  pas  dit  que  l'antichrèse  résulterait  d'un  acte  écrit  à  peine 
de  nullité,  elle  dit  que  ce  contrat  ne  s'établit  que  par  écrit,  ce  qui 
peut  se  traduire  facilement  par  ces  mots  :  l'antichrèse  ne  se  prouve 
que  par  écrit,  car  le  mol  établir  a  souvent  le  sens  de  prouver. 

La  règle  est  donc  analogue  à  celle  qui  régit  le  gage,  si  le  contrat 
n'est  pas  nul  en  la  forme,  il  peut  au  moins  être  avoué  par  la  partie, 
et  la  délation  du  serment  décisoire  est  possible. 

318  bis.  IL  Seulement  nous  ne  rencontrons  pas  ici  l'exception 
admise  par  l'article  2074,  2e  alinéa,  et  par  l'article  1341.  Il  n'y  a 
plus  lieu  de  considérer  si  l'intérêt  engagé  est  supérieur  ou  infé- 
rieur à  150  francs.  La  loi  n'a  pas  restreint  la  portée  de  sa  formule; 
nous  pensons  qu'elle  n'a  pas  cru  que  l'engagement  d'un  immeuble 
eût  souvent  pour  objet  une  chose  d'une  valeur  ne  dépassant  pas 
io0  francs;  de  plus,  on  peut  supposer  que  les  rédacteurs  du  Code, 
qui  d'auord  n'avaient  pas  fait  cette  distinction  sur  l'article  2074  et 
qui  l'ont  ajoutée  dans  une  rédaction  ultérieure,  ont  négligé  un 
peu  inconsciemment  de  faire  subir  la  même  modification  à  l'ar- 
ticle 2085.  Il  faut,  quoi  qu'il  en  soit,  appliquer  cet  article  tel  qu'il 
est  écrit. 

318  bis.  III.  Nous  disons  que  l'article  2085  donne  une  règle  ana- 
logue à  celle  qui  résulte  de  l'article  2074.  Les  deux  règles  ne  sont 
pas  en  effet  identiques.  Il  faut  se  rappeler  que  l'article  2074  régit 
les  rapports  du  créancier  gagiste  et  des  tiers  à  qui  peut  être  opposé 
le  privilège  du  gagiste;  entre  les  parties  qui  ont  fait  le  contrat  de 
gage  nous  ne  voyons  pas  de  règle  spéciale  sur  la  preuve,  et  les 
dispositions  générales  de  la  loi  sur  les  preuves  restent  applicables. 
Dans  la  matière  de  l'antichrèse  la  loi  ne  fait  pas  cette  distinction,  et 
d'une  façon  générale  elle  exige  la  preuve  écrite.  Il  faut  donc  en 
conclure  que,  même  entre  les  parties,  la  preuve  testimoniale  est 
interdite  dans  toutes  les  hypothèses,  ce  qui  comprend  le  cas  où  il  y 
aurait  commencement  de  preuve  par  écrit  et  celui  où  l'on  alléguerait 
la  perte  d'un  acte  écrit.  C'est  une  rigueur  excessive  qui  tient  à  ce 
que  la  loi  n'a  pas  distingué  la  situation  des  parties  et  celle  des  tiers, 
et  qu'elle  a  écrit  un  article  général  là  où  elle  songeait  surtout  à 
prévenir  des    fraudes  préjudiciables  aux  tiers,  par  exemple  aux 


400  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

autres  créanciers,  au  détriment  desquels  on  créerait  tardivement  un 
droit  d'antichrèse  alors  que  l'état  des  affaires  du  débiteur  commun 
demande  qu'une  parfaite  égalité  soit  maintenue  entre  les  créanciers. 

318  bis.  IV.  Il  est  bien  clair  que  lorsqu'il  s'agira  d'opposer  le 
contrat  d'antichrèse  à  des  tiers,  il  sera  nécessaire  que  l'acte  écrit 
ait  date  certaine  à  leur  égard  dans  les  conditions  de  l'article  1328, 
si  c'est  un  acte  sous  seing  privé;  il  n'était  pas  nécessaire  que  le  texte 
s'expliquât  sur  ce  point,  puisque  c'est  là  une  règle  générale  de  la 
matière  des  preuves. 

318  bis.  V.  11  faut  seulement  bien  faire  attention  à  ce  que  nous 
devons  entendre  par  des  tiers;  s'il  s'agit  de  personnes  ayant  acquis 
des  droits  réels  sur  l'immeuble,  par  exemple  une  hypothèque,  la  cer- 
titude de  la  date  de  l'acte  est  absolument  imposée  par  l'article  1328, 
et  nous  dirons  bientôt  qu'une  autre  formalité  protectrice  est  néces- 
saire. Mais  les  créanciers  cbirographaires  du  débiteur  qui  a  consti- 
tué l'antichrèse  ne  sont  pas  des  tiers,  ils  le  représentent  à  titre 
universel;  devant  subir  toutes  les  conséquences  des  actes  qui 
diminuent  le  patrimoine  de  leur  débiteur,  ils  sont  indirectement 
atteints,  quelle  que  soit  la  date  de  ces  actes,  et  comme  nous  ne 
trouvons  pas  ici  la  règle  formelle  qui,  dans  l'article  2074,  soumet 
le  privilège  du  gagiste  à  la  condition  que  l'acte  constitutif  aura  date 
certaine,  nous  rentrons  dans  la  règle  générale  et  nous  admettons 
que  tout  acte  écrit,  même  sous  seing  privé  non  enregistré,  sera 
opposable  aux  créanciers  chirographaires.  Sauf  le  cas  de  fraude, 
fraus  omnia  corrumpit.  La  preuve  de  la  fraude  résultera  de  la  date 
même  que  portera  l'acte,  si  elle  est  très-voisine  de  l'époque  où  le 
débiteur  est  devenu  insolvable,  et  de  plus  elle  pourra  être  faite 
spécialement,  même  par  témoin  (art.  1348),  quand  les  créanciers 
prétendront  qu'un  acte  sous  seing  privé  a  été  antidaté.  Voilà  les 
seules  armes  que  la  loi  ait  données  aux  créanciers  chirographaires  ; 
on  doit  regretter  qu'elle  n'ait  pas  régi  la  constitution  d'antichrèse 
comme  celle  du  gage,  mais  on  ne  peut  pas  combler  une  lacune  de 
la  loi  par  voie  d'interprétation  (1). 

319.  L'antichrèse  est  un  nantissement;  il  est  clair  donc  que 
la  chose  remise  a  ce  titre  l'est,  comme  le  gage,  pour  sûreté  de 
la  dette  ;  mais  notre  Code  fait  consister  uniquement  cette 

(1)  V.  Cependant  Aubry  et  Rau,  t.  III,  \\  522.  Édit.  1856. 


TiT.    XVII.    DU    NANTISSEMENT.    ART.    2085.  i0 1 

sûreté  dans  la  faculté  de  percevoir  les  fruits,  lesquels,  en 
général,  doivent  être  imputés  annuellement,  d'abord  sur 
les  intérêts  si  la  dette  en  produit,  et  ensuite  sur  le  capital. 
V.  art.  2085,  al.  dern. 

319  bis  I.  Le  droit  du  créancier  antichrésiste  consiste  d'abord 
dans  le  droit  de  retenir  l'immeuble  jusqu'au  paiement  de  la  dette; 
ce  droit  résulte  de  ce  que  le  contrat  d'antichrèse  est  un  contrat  de 
nantissement. 

Il  consiste  ensuite  en  ce  que  le  créancier  peut  percevoir  les  fruits. 
Il  faut  donc  qu'il  administre  les  biens  puisqu'il  les  possède,  et 
il  doit  les  faire  produire  puisqu'il  s'est  soumis  à  la  charge  d'im- 
puter les  fruits  sur  les  intérêts  et  sur  le  capital,  ce  qui  implique 
bien  qu'il  a  pris  l'engagement  de  retirer  de  la  chose  tous  les 
fruits  qu'elle  peut  produire.  Le  débiteur,  n'obtenant  sa  libération 
qu'au  fur  et  à  mesure  que  la  chose  donne  des  fruits,  ne  peut  pas 
être  considéré  comme  ayant  consenti  à  ce  que  son  créancier  laissât 
la  chose  improductive. 

319  bis.  IL  Comment  le  créancier  traitera-t-il  la  chose  pour  en 
retirer  des  fruits?  Il  devra  administrer  comme  un  bon  père  de  famille, 
c'est-à-dire  employer  un  des  procédés  ordinaires  d'usage  produisant 
des  fruits,  il  pourra  cultiver  lui-même  une  terre,  sans  en  altérer  la 
substance,  ou  il  pourra  l'affermer;  s'il  s'agit  d'une  maison,  il  aura 
le  droit  de  la  louer  pour  en  retirer  des  fruits  civils,  ou  de  l'habiter 
lui-même,  sauf  à  faire  fixer  par  convention  ou  par  jugement  la 
valeur  Iocative  de  l'immeuble.  Puisqu'il  est  certain  qu'il  peut  cul- 
tiver une  terre,  on  ne  voit  pas  pourquoi  il  ne  pourrait  pas  aussi 
bien  exercer  lui-même  le  droit  de  jouir  d'une  maison. 

320.  Les  contributions,  ou  autres  prestations  annuelles, 
sont  des  charges  de  fruits  qui  diminuent  de  plein  droit  la 
jouissance  :  a  moins  donc  de  convention  contraire,  ce  n'est  que 
déduction  faite  de  ces  charges  que  les  fruits  doivent  être 
censés  affectés  au  paiement  du  créancier.  La  même  règle 
s'applique  naturellement  aux  réparations  d'enlretien.  Bien 
plus,  le  créancier  obligé  a  restituer  la  chose,  et  tenu,  comme 
tel,  de  veiller  à  sa  conservation,  doit,  à  peine  de  dommages- 
intérêts,  pourvoir  a  l'entretien  et  aux  réparations  utiles  et 
nécessaires.  Mais,  suivant  le  principe  ci-dessus,  toutes  les 
Tin.  26 


402  COURS  ANALYTIQUE   DE   CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

dépenses  qu'il  fait  pour  acquitter  ces  diverses  charges  sont 
par  lui  prélevées  sur  les  fruits,  dont  l'excédent  seulement  est 
alors  appliqué  a  la  libération  du  débiteur.  V.  art.  2086. 

320  bis.  I.  Les  charges  qui  pèsent  sur  l'antichrésiste  en  vertu  des 
deux  alinéas  de  l'article  2086  ne  lui  sont  pas  imposées  à  titre  dé- 
finitif. L'article  l'autorise  à  les  prélever  sur  les  fruits;  par  consé- 
quent il  peut  être  obligé  d'en  faire  l'avance,  mais  il  les  recouvrera 
quand  il  aura  fait  des  perceptions  de  fruits.  Il  est  clair  en  effet  que 
le  contrat  ayant  pour  but  de  fournir  au  créancier  le  moyen  de  se 
payer  de  ce  qui  lui  est  dû  par  la  perception  successive  des  fruits, 
ce  créancier  ne  peut  être  contraint  à  imputer  sur  sa  créance  que  le 
produit  net  de  ces  fruits.  S'il  faisait  par  exemple  une  récolte  d'une 
valeur  de  i,000  francs  ou  s'il  a  perçu  1,000  francs  pour  loyer  d'une 
maison  et  qu'il  fallût  diminuer  la  créance  de  pareille  somme,  sans 
tenir  compte  de   50  francs  avancés  pour  les   contributions   ou 
pour  travaux  nécessaires  de  conservation,  il  se  trouverait  ne  rece- 
voir que  950  francs  en  paiement  de  i,000  francs,  et  la  garantie 
qu'il  aurait  cru  trouver  dans  l'antichrèse  l'empêcherait  de  toucher 
le  montant  intégral  de  sa  créance. 

320  bis.  II.  Nous  comprendrons  les  frais  de  culture  dans  les 
charges  annuelles  d'une  terre,  le  salaire  d'un  concierge  dans  les 
charges  annuelles  d'une  maison.  Ces  dépenses  sont  ordinairement 
supportées  par  celui  qui  a  droit  aux  fruits  (art.  548),  l'usufruitier 
par  exemple  ou  le  fermier  supporte  les  frais  de  culture  de  la  terre 
dont  il  récolte  les  fruits  (sauf  en  ce  qui  concerne  l'usufruitier,  pour 
les  frais  faits  dans  la  dernière  année,  la  règle  spéciale  de  l'article 
585),  mais  la  situation  d'un  usufruitier  ou  d'un  fermier  n'est  pas 
celle' d'un  antichrésiste,  celui-ci  n'a  pas  la  chance  de  faire  un  béné- 
fice sur  les  fruits;  tout  ce  qu'il  récolte,  il  l'impute  sur  sa  créance, 
ceux-là  ont  un  droit  qui  leur  donne  des  chances  de  véritable  gain, 
les  frais  de  culture  qu'ils  font  sont  une  mise  qu'ils  exposent  pour 
gagner  ;  pour  l'antichrésiste  au  contraire  les  frais  de  culture  sont 
une  sorte  d'avance  qu'il  fait  pour  le  propriétaire  dont  il  est  manda- 
taire, et  le  bénéfice  possible  sur  les  récoltes  advient  tout  entier  au 
propriétaire  qui  est  libéré  de  sa  dette,  jusqu'à  concurrence  du 
produit  net  de  l'immeuble. 

320  bis.  III.  Le  Gode  n'a  parlé  que  de  l'entretien  et  des  réparations 
utiles  ou  nécessaires  de  l'immeuble.  Nous  ferons  immédiatement 


TIT.    XVII.    DU    NANTISSEMENT.    ART.    2086.  403 

remarquer  que  sa  formule  ne  comprend  pas  ce  qu'on  entend  d'or- 
dinaire par  des  dépenses  utiles,  c'est-à-dire  des  dépenses  d'amélio- 
ration; pour  que  l'antichrésiste  ait  le  droit  de  prélever  des  dépenses 
faites,  il  faut  qu'elles  aient  le  caractère  de  dépenses  d'entretien  ou 
de  dépenses  de  réparation,  le  sens  du  mot  utiles  est  précisé  et 
limité  par  le  mot  dont  il  est  le  qualificatif.  Il  sert  à  indiquer  qu'il 
ne  faut  pas  absolument  que  les  réparations  aient  été  indispensables, 
mais  qu'il  suffit  qu'elles  aient  été  opportunes. 

320  bis.  IV.  Dans  les  réparations  nécessaires,  nous  comprendrons 
les  grosses  réparations.  La  loi  n'a  pas  fait  ici,  en  effet,  la  distinction 
qu'elle  a  établie  en  matière  d'usufruit,  divisant  les  réparations  en 
réparations  d'entretien  et  grosses  réparations  pour  n'imposera  l'usu- 
fruitier que  les  réparations  d'entretien.  Elle  a,  il  est  vrai,  parlé  de 
l'entretien,  mais  avant  de  parler  des  réparations;  l'entretien,  dans  ce 
sens-là,  c'est  le  soin  de  la  chose,  le  soin  préventif  qui,  par  certaines 
dépenses,  empêche  les  dégradations,  et  par  conséquent  rend  inutiles 
les  réparations.  Ainsi  faire  curer  des  tuyaux  ou  des  canaux  pour 
empêcher  des  engorgements,  visiter  des  toitures  pour  prévenir  l'en- 
lèvement des  ardoises  ou  du  zinc  par  les  grands  vents,  tailler  les 
arbres  d'un  parc  pour  maintenir  la  perspective  des  avenues,  faire 
placer  un  paratonnerre  sur  un  édifice,  c'est  chercher  à  prévenir  les 
dégradations,  ce  n'est  pas  encore  réparer. 

320  bis.  V.  Quand  la  loi  traite  des  réparations,  elle  les  divise  en 
réparations  utiles  et  réparations  nécessaires.  Quoi  de  plus  nécessaire 
que  ce  que  la  loi  appelle  les  grosses  réparations  (art.  606)  ?  Donc  ces 
réparations  sont  au  nombre  de  celles  que  doit  faire  l'antichrésiste. 
Il  ne  faut  pas  s'en  étonner  ni  signaler  une  antinomie  entre  cette 
décision  et  celle  de  l'article  605.  L'antichrésiste,  s'il  fait  ces  dépenses, 
en  prélèvera  le  montant  sur  les  fruits  pendant  le  nombre  d'années 
nécessaire  ;  certes,  il  résultera  de  ce  prélèvement  un  retard  en  ce 
qui  concerne  l'acquittement  de  la  créance  première;  mais  comme 
son  droit  de  jouissance  ne  finit  que  lors  de  l'acquittement  total  de 
cette  créance,  il  est  sûr  de  recouvrer  tôt  ou  tard  les  frais  qu'il  aura 
laits;  tandis  que  l'usufruitier  dont  le  droit  est  viager  n'aurait 
aucune  certitude  quant  au  recouvrement  des  dépenses  considé- 
rables qu'il  aurait  pu  faire.  Si  d'ailleurs  la  charge  de  l'avance 
parait  trop  lourde  au  créancier  antichrésiste,  l'article  suivant  lui 
fournira  le  droit  de  s'y  soustraire,  en  renonçant  à  l'antichrèse.  Au 
fond,  notre  décision  est  inspirée  par  les  principes  qui  régissent  la 

26. 


404  COURS   ANALYTIQUE   DE    CODE    CIVIL.    L1V.    lit . 

matière  de  l'usufruit.  Le  propriétaire,  n'ayant  pas  promis  de  faire 
jouir  l'antichrésiste,  n'est  pas  tenu  de  remettre  en  bon  état  la  chose 
qui  dépérit,  l'antichrésiste  n'en  est  pas  tenu  non  plus,  puisqu'il 
peut  abandonner  la  jouissance;  sous  ce  double  rapport,  sa  position 
se  rapproche  de  celle  de  l'usufruitier,  la  seule  différence,  entre  eux, 
porte  sur  un  détail.  Si  l'antichrésiste  ne  manifeste  pas  qu'il  veut  re- 
noncer à  son  droit,  la  loi  suppose  qu'il  accepte  la  charge  d'avancer 
les  sommes  nécessaires  aux  grosses  réparations,  supposition  plus 
admissible  quant  à  lui,  que  quant  à  l'usufruitier,  puisque  nous 
avons  démontré  qu'il  a  devant  lui  un  avenir  certain  qui  manque 
complètement  à  l'usufruitier. 

320  bis.  VI.  Les  dépenses  d'une  année  pour  les  contributions  ou 
autres  charges  annuelles,  comme  aussi  pour  l'entretien  ou  les  ré- 
parations, peuvent  dépasser  la  somme  produite  par  les  fruits  de  cette 
année  ;  en  pareil  cas,  le  droit  de  prélèvement  sur  les  fruits  de 
l'année  ne  suffit  pas  pour  couvrir  l'antichrésiste  de  ses  avances,  on 
a  écrit  et  jugé  qu'alors  l'antichrésiste  aurait  une  action  contre  le 
propriétaire  de  l'immeuble  (1).  Nous  ne  pensons  pas  qu'il  en  soit  ainsi. 
Nous  voyons  d'abord  un  préjugé  contre  la  décision  qui  donne  l'action 
dans  le  silence  du  Gode  sur  ce  point.  De  plus,  le  refus  de  cette  action 
peut  bien  s'appuyer  sur  une  saine  interprétation  de  la  convention 
des  parties.  Celui  qui  a  constitué  l'antichrèse  n'a  pas  donné  pure- 
ment et  simplement  un  mandat  d'administrer  la  chose,  d'où  résul- 
terait l'action  tnandati  contraria  pour  la  répétition  des  dépenses 
faites  en  exécution  du  mandat.  Il  a  autorisé  à  faire  ces  dépenses, 
mais  à  la  condition  qu'elles  seraient  couvertes  par  des  prélèvements 
sur  les  revenus  affectés  pour  une  durée  indéfinie  au  paiement  de 
la  dette  primitive  et  de  ses  accessoires.  Le  constituant,  qui  appa- 
remment n'a  pas  de  ressources  pécuniaires  abondantes  puisqu'il 
emprunte  sur  nantissement,  n'entend  pas  se  charger  de  fournir  des 
fonds,  même  dans  Tintérèt  de  sa  propriété.  Toute  avance  faite  par 
l'antichrésiste  se  remboursera  sous  forme  de  prélèvement  ;  si  l'anti- 
chrésiste trouve  dangereux  de  faire  ces  avances  en  vue  d'un  rem- 
boursement futur,  mais  lointain,  il  est  maître  de  renoncer  à  sa 
jouissance  lorsque  vient  le  moment  de  faire  la  dépense  qui  lui 
paraît  excessive.  Pourvu  qu'il  ne  laisse  pas  aggraver  la  situation  en 
ne  faisant  sa  renonciation  que  lorsque  la  dépense  aurait  dû  être  faite 

(1)  V.  Aubry  et  Rau,  t.  III,  p.  525.  Édit.  1856. 


TIT.    XVII.    DU    NANTISSEMENT.    ART.    2086,    2087.      405 

depuis  longtemps,  il  échappe  à  l'obligation  que  lui  impose,  sous 
peine  de  dommages  et  intérêts,  l'article  2086. 

321.  L'antichrèse  étant  un  nantissement  autorise  évidem- 
ment le  créancier  a  conserver  jusqu'au  paiement  intégral  la 
chose  remise  a  ce  titre.  Mais  comme  ce  n'est  qu'un  nantisse- 
ment, par  conséquent  un  droit  établi  dans  l'intérêt  du  créan- 
cier, celui-ci  peut  y  renoncer.  Ainsi,  à  moins  de  convention 
contraire,  il  peut  sans  difficulté,  pour  se  dispenser  des  charges 
qui  accompagnent  la  jouissance,  remettre,  quand  bon  lui 
semble,  celle  jouissance  au  débiteur.  V.  art.  2087. 

321  bis.  I.  Le  droit  de  retenir  la  chose  soumise  au  droit  d'anti- 
chrèse  jusqu'à  l'entier  acquittement  de  la  dette,  implique  le  droit 
de  la  retenir  jusqu'au  remboursement  des  dépenses  faites  d'après 
l'article  précédent,  puisque  ce  remboursement  doit  s'effectuer  par 
des  prélèvements  sur  les  fruits,  d'où  il  résulte  que  le  paiement 
de  la  dette  primitive  ne  peut  commencer  qu'après  que  toutes  les 
sommes  dues,  en  vertu  de  l'article  2086,  ont  été  recouvrées. 

321  bis.  II.  Nous  retrouvons  ici  la  difficulté  que  nous  avons  étu- 
diée à  propos  du  gage  :  l'action  en  restitution  de  l'immeuble  ne 
devient  prescriptible  qu'à  partir  du  jour  où  la  dette  a  été  éteinte, 
mais  nous  n'en  concluons  pas  que  la  dette  elle-même  soit  impres- 
criptible, tant  que  l'immeuble  reste  en  la  possession  du  créancier 
antichrésiste.  Les  raisonnements  que  nous  avons  faits  au  n°  312  bis. 
II- Vil  peuvent  être  reproduits  ici  avec  la  même  force.  Le  fait  de  laisser 
l'immeuble  en  la  possession  du  créancier  ne  ressemble  en  rien  à  ce 
que  la  loi  appelle  une  reconnaissance  de  la  dette  qui  interromprait 
la  prescription.  Il  n'a  pas,  quant  à  la  dette,  le  caractère  de  précision 
et  de  certitude  que  demande  la  loi,  pour  qu'un  acte  interrompe  la 
prescription.  On  peut  hésiter  sur  la  pensée  du  propriétaire  qui  ne 
redemande  pas  sa  chose,  peut-être  même  ne  pense-t-il  pas  à  cette 
chose  dont  il  ignore  qu'il  est  propriétaire.  Ce  n'est  pas  là  l'acte  de 
reconnaissance  d'une  dette  dont  parle  l'article  2248  et  qui  équivaut 
à  une  citation  en  justice,  à  un  commandement  ou  à  une  saisie.  L'inac- 
tion du  propriétaire  ressemble  si  peu  à  une  interruption  qu'on  arrive 
à  lui  donner  les  effets  d'une  suspension,  puisqu'on  y  voit  une  inter- 
ruption continue,  c'est-à-dire  qui  se  renouvelle  à  tous  les  instants 
pendant  une  longue  période  de  temps.  On  a  dit,  il  est  vrai,  qu'il  y 
avait  une  raison  spéciale  qui  rendait  évidente,  en  cas  d'antichrèse,  la 


406  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

solution  que  nous  combattons  :  la  perception  des  fruits  de  l'immeu- 
ble constituerait  un  exercice  successif  du  droit  de  créance  s'op- 
posait au  cours  de  la  prescription  (1).  Cet  argument,  selon  nous,  est 
fondé  sur  une  appréciation  erronée  du  fait  qui  constitue  l'exercice 
du  droit  de  créance.  Certes,  quand  on  parle  d'un  droit  réel  qui  peut 
périr  par  non  usage,  l'exercice  de  ce  droit  qui  empêche  qu'il  ne  se 
perde  non  utendo  consistera  en  des  actes  matériels  sur  la  chose 
grevée  du  droit,  actes  qui  ne  mettront  pas  celui  qui  exerce  le  droit  en 
rapport  avec  la  partie  qui  a  intérêt  à  l'extinction  de  ce  droit.  De 
même,  quand  il  s'agira  d'une  prescription  à  fin  d'acquérir,  les 
actes  d'exercice  du  droit  de  propriété  ne  mettront  pas  celui  qui 
prescrit  en  rapport  direct  avec  le  propriétaire  contre  qui  il  prescrit; 
dans  le  premier  cas,  je  passe  sur  votre  champ;  dans  le  deuxième 
cas,  je  le  cultive  sans  aucun  contact  avec  vous.  Mais  il  s'agit,  dans 
ces  diverses  hypothèses,  d'exercer  des  droits  réels,  c'est-à-dire  des 
droits  qui  existent  indépendamment  de  la  personne  contre  qui  l'on  peut 
avoir  un  jour  intérêt  de  les  invoquer,  l'exercice  du  droit  se  fait  t» 
rem  comme  le  droit  existe  in  rem.  Mais,  dans  l'hypothèse  que  nous 
examinons,  il  s'agit  de  la  prescription  libératoire  d'une  obligation, 
de  l'extinction  d'un  droit  personnel.  La  théorie  alors  est  tout  autre  : 
la  prescription  a  lieu  par  le  simple  laps  de  temps  sans  possession, 
c'est-à-dire  sans  exercice  d'un  droit  contraire  au  droit  qu'il  s'agit 
d'éteindre,  et  comment  se  conserve  le  droit,  non  pas  par  des  actes 
quelconques  d'exercice,  mais  par  des  actes  énumérés  restrictivement 
au  chapitre  des  interruptions  de  prescription.  La  reconnaissance  de 
la  dette  est  un  de  ces  actes,  nous  avons  déjà  montré  qu'il  était  dif- 
ficile de  voir  une  reconnaissance  dans  l'inaction  du  propriétaire  de 
l'objet  donné  en  antichrèse. 

32i  bis.  III.  Cette  inaction,  qui  n'est  pas  une  reconnaissance,  n'im- 
plique pas  de  la  part  du  créancier  un  exercice  du  droit  ;  nous  allons  le 
démontrer  pour  ceux  qui  seraient  tentés  d'admettre  que  tout  acte 
d'exercice  du  droit  interrompra  une  prescription  libératoire.  Le  droit 
de  créance,  comme  droit  personnel,  ne  peut  être  exercé  que  par  un 
fait  qui  met  en  rapport  le  créancier  et  le  débiteur,  il  faut  que  le 
créancier  contraigne  le  débiteur  à  exécuter  l'obligation,  ou  au 
moins  qu'il  essaye  de  le  contraindre;  lorsque  ce  créancier  agit  ma- 
tériellement sur  une  chose  qu  il  détient,  il  ne  se  met  pas  en  rap- 

(1)  V.  Aubry  et  Rau,  t.  III,  p.  520,  n#  11.  Édit.  1856. 


TIT.    XVI!.    DU   NANTISSEMENT.    ART.    2087.  407 

port  avec  son  débiteur,  par  conséquent  il  n'exerce  pas  le  droit  de 
créance,  et  c'est  certes  commettre  un  abus  de  mot  que  de  dire  :  la 
perception  des  fruits  constitue  un  exercice  successif  du  droit  de 
créance,  puisque  le  droit  de  créance  en  lui-même  ne  donne  pas  le 
droit  de  percevoir  directement  les  fruits  d'un  bien  appartenant  au 
débiteur. 

La  solution  que  nous  proposons  a  cet  avantage  de  ne  pas  empê- 
cher une  prescription  en  vertu  de  faits  que  le  débiteur  peut  ignorer, 
alors  que  le  système  général  du  Code  sur  les  interruptions  est  de 
vouloir  qu'elles  soient  nécessairement  connues  du  débiteur. 

321  bis.  IV.  Le  droit  de  renoncer  au  nantissement,  soit  pour 
ne  pas  supporter  les  charges  trop  onéreuses  de  la  jouissance,  soit 
pour  ne  pas  rester  gardien  de  la  chose  d'autrui ,  appartient  si 
naturellement  au  créancier  antichrésiste  nanti,  qu'on  ne  voit 
même  pas  comment  le  créancier  aurait  pu  se  dépouiller  de  ce 
droit  par  une  clause  du  contrat  d'antichrèse.  Comment  un  créancier 
qui  cherche  des  garanties  de  paiement  aurait-il  eu  la  pensée  de 
s'obliger  à  faire  des  dépenses  qui  excéderaient  les  revenus  de  la 
chose  dont  il  est  nanti,  de  telle  sorte  que  le  nantissement  deviendrait 
une  cause  d'augmentation  de  la  dette,  loin  d'être  un  moyen  d'ex- 
tinction, ce  qu'il  est  nécessairement  dans  la  pensée  des  deux  parties? 

Cette  renonciation  ne  doit  donc  pas  se  présumer,  cependant  la 
loi  en  parle  et  elle  respecte,  à  propos  d'une  convention  improbable, 
la  liberté  de  la  volonté  des  contractants.  Le  contrat  d'antichrèse 
sera  alors  absolument  dénaturé,  car  il  impliquera  de  la  part  du  pré- 
tendu créancier  l'obligation  de  faire  des  dépenses  sur  la  chose 
d'autrui  pendant  un  temps  indéterminé,  puisque  les  effets  du  con- 
trat d'antichrèse  ne  cesseront  qu'à  l'extinction  de  la  dette  primitive, 
qui  n'aura  pas  chance  d'être  éteinte  promptement,  alors  que  les  dé- 
penses annuelles  nécessitées  par  l'état  de  l'immeuble  dépassent  les 
revenus. 

La  situation  deviendrait  alors  si  onéreuse  que  le  créancier  aurait 
intérêt  à  faire  remise  de  la  dette  pour  mettre  fin  à  l'antichrèse,  et 
encore  le  débiteur  pourrait-il  refuser  cette  remise  de  dette  en  s'ap- 
puyant  sur  l'obligation  contractée  par  le  créancier  de  subvenir  aux 
dépenses  annuelles. 

321  bis.  Y.  Tout  cela  est  bien  étrange,  et  nous  avons  peine  à  croire 
que  le  législateur  a  eu  en  vue  la  renonciation  dont  nous  parlons  en 
ce  moment,  c'est-à-dire  la  renonciation  faite  dans  le  contrat  au  droit 


408  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

d'user  jamais  de  la  faculté  consacrée  par  le  2e  alinéa  de  l'article  2087. 
Nous  pensons  que  la  loi  a  surtout  songé  aux  renonciations  expresses 
ou  tacites  qui  se  produisent  pendant  la  jouissance  de  l'antichrésiste. 
Une  dépense  est  devenue  nécessaire,  le  créancier  ne  l'a  pas  faite,  il 
a  continué  à  jouir  pendant  un  temps  assez  long  pour  faire  supposer 
qu'il  acceptait  la  charge  de  cette  dépense,  alors  on  peut  dire  que 
pour  cette  dépense  il  a  renoncé  au  droit  de  restituer  l'immeuble;  ou 
bien  il  a  perçu  les  fruits  d'une  année;  par  là  même  il  consent  à 
payer  les  contributions  de  cette  année.  Mais  admettre  qu'il  ne  peut 
pas  d'avance  renoncer  à  son  droit  de  nantissement  en  vue  des 
charges  de  l'avenir,  abandonner  la  maison  en  bon  état  pour  ne  pas 
être  obligé  plus  tard  de  la  réparer,  la  restituer  le  1er  janvier  pour 
ne  pas  payer  les  contributions  de  l'année  qui  commence,  c'est,  il 
nous  semble,  exagérer  la  portée  d'une  disposition  qui  n'est  pas  bien 
claire  et  que  le  législateur  a  pu  écrire  à  toute  autre  intention,  en 
vue  de  faits  absolument  différents;  et  nous  aimerions  à  restreindre 
l'effet  de  l'article  2087. 

321  bis.  VI.  La  règle  principale  de  l'article  2087,  celle  qui  accorde 
au  débiteur  le  droit  de  reprendre  l'immeuble  engagé  lorsqu'il  a 
payé  toute  la  dette,  n'a  pas  été  soumise  par  la  loi  à  l'exception  que 
l'article  2082,  2e  alinéa,  apporte  au  droit  du  débiteur  gagiste  qui 
a  payé.  L'immeuble  donné  en  antichrèse  n'est  pas  affecté  à  l'acquit- 
tement d'autres  obligations,  quand  même  elles  seraient  nées  depuis 
la  constitution  de  l'antichrèse.  Cette  sorte  d'engagement  tacite, 
-résultant  de  l'article  2082,  est  quelque  chose  d'assez  exceptionnel, 
d'assez  contraire  aux  principes  du  gage,  pour  que  le  silence  de  la 
loi,  en  matière  d'antichrèse  ne  permette  pas  d'étendre  à  ce  contrat 
la  règle  édictée  pour  le  gage.  Une  exception  ne  s'étend  pas  même 
en  s'appuyant  sur  l'analogie  des  situations;  et  d'ailleurs  les  situa- 
tions ne  sont  pas  analogues;  ce  n'est  pas  par  oubli,  c'est  probable- 
ment avec  intention  que  le  chapitre  de  l'antichrèse  ne  dit  rien  sur 
ce  point.  Il  y  a  là  une  question  de  crédit;  et  le  crédit  immobilier 
intéresse  plus  la  société  et  par  conséquent  le  législateur  que  le 
crédit  mobilier.  Le  propriétaire  sera  plus  gêné  dans  la  disposition 
de  sa  chose,  si  celle-ci  est  grevée  d'un  droit  d'antichrèse  garantissant 
plusieurs  dettes,  dès  lors,  la  loi  ne  consent  pas  à  supposer  une  con- 
stitution tacite  d'antichrèse.  Elle  attache  moins  d'importance  au 
crédit  que  peut  donner  la  propriété  d'un  meuble,  et  voilà  pour- 
quoi elle  a  écrit  l'article  2082,  2°  alinéa. 


T1T.    XVII.    DU   NANTISSEMENT.    ART.    2087,   2088.       409 

322.  L'antichrèse,  pas  plus  que  le  gage,  ne  peut,  ni  de 
plein  droit,  ni  par  l'effet  d'aucune  clause,  rendre  le  créancier 
propriétaire  à  défaut  de  paiement,  au  terme  convenu.  Il  ne 
paraît  pas  même  que  celui-ci  puisse  faire  ordonner  en  justice 
que  l'immeuble  lui  demeurera  en  paiement  sur  l'estimation. 
La  loi  lui  réserve  seulement,  comme  à  tout  autre  créancier, 
le  droit  de  poursuivre  l'expropriation.  V.  art.  2088. 

322  bis.  I.  Il  est  vrai  que  la  loi  n'accorde  pas  aux  tribunaux 
le  droit  d'opter  entre  la  vente  du  bien  ou  son  attribution  au  créan- 
cier à  dire  d'experts,  mais  rien  n'interdit  une  convention  qui 
créerait  cette  alternative  admise  en  matière  de  gage  par  l'article 
2078;  l'intervention  nécessaire  de  la  justice  ôte  à  cette  clause 
toute  ressemblance  avec  la  convention  qui  rendrait  le  créancier 
propriétaire  de  l'immeuble  par  le  seul  fait  du  défaut  de  paiement. 

322  bis.  II.  Ce  qui  serait  interdit,  non  pas  par  le  Code  civil,  mais 
par  le  Code  de  procédure  (loi  de  1841,  art.  742),  c'est  la  clause 
qui  permettrait  au  créancier  de  faire  vendre  le  gage  sans  remplir 
les  formalités  prescrites  pour  la  saisie  immobilière,  cette  convention 
n'est  autre  chose  que  la  clause  d'exécution  parée,  proscrite  par 
la  loi  de  1841.  Dans  le  même  esprit  et  à  raison  de  l'intention 
manifestée  dans  la  discussion  de  cette  loi,  il  faut  déclarer  nulle 
la  convention  qui  autoriserait  le  créancier  à  devenir  propriétaire 
faute  de  paiement  à  la  charge  de  faire  estimer  le  prix  par  experts. 
On  échappe  ainsi  aux  formalités  de  la  saisie  et  de  la  vente,  ce  qui 
donne  à  la  clause  un  caractère  plus  dangereux  encore  qu'à  la  clause 
d'exécution  parée,  et  le  débiteur  n'est  même  pas  protégé  par  l'in- 
tervention de  la  justice,  comme  dans  une  des  hypothèses  que  nous 
venons  d'examiner. 

323.  Au  nombre  des  clauses  réprouvées  dans  le  contrat  de 
nantissement,  la  jurisprudence  de  la  plupart  des  parlements 
plaçait  autrefois  l'antichrèse  proprement  dite,  qui  consiste 
dans  la  compensation  pure  et  simple  de  tout  ou  partie  des 
fruits  avec  les  intérêts.  Celle  clause,  sans  doute,  est  très- 
propre  à  couvrir  une  usure  illicite-,  et  toutefois  on  conçoit  que 
dans  le  cas  même  où  les  fruits  se  trouveraient  par  événement 
excéder  le  montant  de  l'intérêt  légitime,  la  compensation 
peut  n'avoir  rien  d'inique,  a  cause  de  l'incertitude  de  Tac- 


410  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

quisition  des  fruits.  A  plus  forte  raison  notre  Code,  qui  ne 
limitait  point  le  taux  de  l'intérêt  conventionnel,  devait-il  a 
cet  égard  ratifier  la  convention  des  parties.  V.  art.  2089. 
Mais  depuis  que  le  taux  de  l'intérêt  a  été  fixé,  il  est  évident 
que  cette  convention  ne  peut  plus  être  maintenue  comme 
non  prohibée  par  les  lois,  s'il  n'existe  une  certaine  proportion 
entre  le  revenu  probable  du  bien  concédé  a  tiire  d'anti- 
chrèse,  et  l'intérêt  au  taux  légal. 

323  bis.  Nous  avons  parlé  de  cette  clause  au  n°  316  bis.  II,  et 
nous  l'avons  déclarée  illicite.  En  effet,  le  Code  civil,  dans  l'article 
2089,  ne  la  valide  qu'en  apparence,  il  semble  douter  de  son 
caractère  licite,  et  remettre  aux  jurisconsultes  le  soin  de  vérifier  si 
elle  est  ou  non  conforme  aux  lois;  avant  la  loi  du  3  septembre  1807, 
elle  n'était  pas  condamnée  à  raison  du  taux  peut-être  excessif  de 
l'intérêt,  et  c'est  pour  cela  qu'on  a  paru  la  valider,  par  une  phrase 
analogue  à  celle  de  l'article  1907  qui  reconnaît  la  liberté  du  taux 
en  matière  d'intérêt,  tout  en  laissant  deviner  une  future  prohibition. 
Néanmoins,  cette  phrase  ambiguë  permettait  de  rechercher  et  de 
trouver  dans  l'article  1907,  2*  aliéna,  la  cause  de  nullité.  Aujour- 
d'hui que  la  convention  est  d'autant  plus  dangereuse  que  le  taux 
de  l'intérêt  n'est  plus  illimité,  nous  pouvons  d'autant  mieux  nous 
servir  de  ce  deuxième  alinéa  de  l'article  1907  pour  annuler  une  con- 
vention interdite  autrefois  et  que  le  Code  civil  n'a  déclarée  exécutable 
qu'avec  des  restrictions  qui  annihilent  sa  disposition  apparente. 

324.  La  nature  du  contrat  de  nantissement,  commune  a 
l'antichrèse  et  au  gage,  rend  évidemment  applicable  à  l'an- 
tichrèse,  et  la  disposition  qui  permet  à  un  tiers  de  fournir  le 
gage  pour  le  débiteur  (art.  2077),  et  celle  qui  consacre  l'in- 
divisibilité de  gage  (art.  2083).  V.  art.  2090. 

32o.  De  tout  ce  qui  précède  il  résulte  que  l'antichrèse  im- 
pose virtuellement  au  débiteur  l'obligation  de  laisser  jouir 
le  créancier,  sous  les  conditions  convenues,  jusqu'à  parfait 
paiement.  Il  ne  paraît  même  pas  douteux  qu'à  cette  obliga- 
tion ne  se  joigne  celle  de  garantir  des  troubles  et  évictions. 
Mais  l'antichrèse  produit-elle  quelque  effet  à  l'égard  des 
tiers?  Il  est  certain  d'abord  qu'elle  ne  peut  préjudicier  aux 
droits  antérieurement  acquis,  droits  que  l'aliénation  même 


T1T.    XVII.    DO    NANTISSEMENT.    AKT.    2089-2091.         411 

du  fonds  ne  ferait  pas  évanouir;  il  n'est  pas  moins  certain 
qu'elle  ne  confère  point  par  elle-même  un  droit  de  préfé- 
rence, car  ce  droit  n'est  attaché  qu'aux  privilèges  et  hypo- 
thèques légalement  établis.  Seulement  elle  ne  fait  point 
obstacle  à  l'exercice  des  privilèges  ou  hypothèques  qui  pour- 
raient appartenir  d'ailleurs  au  créancier  muni  a  ce  titre,  c'est- 
à-dire  à  l'antichrésisie.  V.  art.  2091.  Du  reste,  ce  créancier 
acquérant  la  faculté  de  percevoir  les  fruits  sous  les  conditions 
exprimées  par  la  loi  (art.  2085),  on  ne  peut,  selon  moi,  sans 
dépouiller  l'antichrèse  du  caractère  de  nantissement,  s'empê- 
cher devoir  danscelteyàcw^'un  véritable  droit  de  jouissance 
au  préjudice  duquel  il  ne  peut  être  consenti  ni  aliénation,  ni 
hypothèque,  et  qui  doit  à  plus  forte  raison  être  respecté  par 
les  simples  créanciers  chirographaires.  Ainsi,  dans  ce  système, 
l'antichrèse  confère  un  droit  réel,  différent  sans  doute  du  droit 
de  gage,  mais  qui  peut  comme  lui  être  opposé  aux  tiers;  on 
ne  verrait  même  pas  pourquoi,  s'il  en  était  autrement,  la  loi 
exigerait  d'une  manière  spéciale  que  l'antichrèse  fût  établie 
par  écrit  (art.  2085);  v.  aussi  C.  comm.,  art.  44-6,  al.  dern. 

325  bis.  I.  La  loi  s'occupe,  dans  l'article  2091,  de  la  situation  du 
créancier  antichrésiste  à  l'égard  des  tiers;  elle  n'envisage,  au  reste, 
qu'une  des  faces  de  la  question  ;  elle  suppose  que  les  tiers  avaient 
des  droits  sur  l'immeuble  remis  à  titre  d'antichrèse,  et  par  ces 
expressions  elle  montre  qu'elle  songe  à  des  droits  antérieurs  à  la 
constitution  de  l'antichrèse. 

Ces  tiers  sont  des  créanciers  hypothécaires  inscrits  avant  la  con- 
stitution de  l'antichrèse  ou  ayant  un  rang  antérieur  à  cette  époque 
indépendamment  de  l'inscription;  ce  peuvent  être  des  acquéreurs 
de  droits  réels  en  vertu  d'actes  produisant  leurs  effets  depuis  un 
temps  antérieur  au  contrat  d'antichrèse.  Par  rapport  à  ces  per- 
sonnes il  ne  peut  pas  y  avoir  de  doute,  quelle  que  soit  la  nature  du 
droit  de  Tantichrésiste,  ce  droit  est  primé  par  celui  des  personnes 
qui  avaient  des  droits  réels  sur  la  chose  avant  sa  naissance. 
S'il  a  lui-même  un  droit  réel,  c'est  parce  que  ce  droit  n'a  pu 
lui  être  concédé  que  sous  la  réserve  des  droits  préexistants;  s'il  n'a 
qu'un  droit  personnel,  c'est  qu'il  ne  peut  le  faire  valoir  que  contre 
celui  qui  le  lui  a  concédé  et  non  contre  toute  autre  personne. 


412  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

Dans  l'hypothèse  où  le  Code  suppose  que  le  droit  d'antichrèse 
cède  devant  des  hypothèques  antérieures,  il  ajoute  surabondamment 
que  si  le  créancier  a  indépendamment  de  son  antichrèse  quelque 
hypothèque,  sur  l'immeuble,  il  exercera  cette  hypothèque  à  son 
rang.  Il  serait  étrange,  en  effet,  que  l'imperfection  de  l'un  de  ses 
droits  rendît  l'autre  imparfait. 

325  bis.  II.  Le  Code  n'a  pas  fait  la  comparaison  entre  le  droit  de 
l'antichrésiste  et  ceux  des  créanciers  chirographaires,  des  créanciers 
hypothécaires  postérieurs  en  rang  à  la  naissance  de  l'antichrèse  et 
des  acquéreurs,  soit  de  la  propriété,  soit  d'un  droit  réel  en  vertu 
d'actes  n'ayant  effet  qu'à  une  date  également  postérieure  à  la  nais- 
sance de  l'antichrèse. 

Si  l'on  traite  l'antichrésiste  comme  un  simple  créancier,  n'ayant 
de  droit  que  contre  la  partie  avec  qui  il  a  contracté,  on  donnera 
aux  créanciers  chirographaires  le  droit  de  saisir  et  de  faire  vendre 
l'immeuble,  et  l'on  validera  toutes  les  aliénations  ou  constitutions 
de  droits  réels  qui  auront  eu  lieu  du  chef  du  propriétaire  débiteur 
postérieurement  à  la  naissance  de  l'antichrèse.  En  principe,  un 
simple  créancier  ne  peut  pas  faire  obstacle  aux  actes  de  disposition 
émanés  du  débiteur,  donc  ces  aliénations  ou  constitutions  de  droits 
réels  détruiront  ou  amoindriront  les  droits  de  l'antichrésiste.  Mais 
il  n'en  est  pas  ainsi;  l'antichrésiste  est  nanti,  c'est-à-dire  qu'il  a 
une  surêté  réelle,  il  n'est  pas  réduit  à  une  simple  action  person- 
nelle contre  son  débiteur,  action  qui  ferait  double  emploi  avec  celle 
qui  est  née  de  la  créance  et  qui  n'augmenterait  en  rien  ses  sûretés 
quand  le  débiteur  est  insolvable. 

325  bis.  III.  Pour  que  l'antichrèse  soit  un  véritable  nantissement, 
il  faut  bien  admettre  que  le  créancier  a  un  droit  de  retenir  la  chose, 
une  sorte  de  droit  de  possession,  il  ne  s'agit  pas  de  la  possession 
proprement  dite,  mais  de  la  possession  à  titre  de  gage.  C'est  le  droit 
de  rétention,  nous  en  avons  parlé  au  tome  IX.  Nous  avons  établi 
alors  que  ce  droit  consiste  dans  la  faculté  de  retenir  la  chose  jus- 
qu'au paiement  et  de  s'en  approprier  les  fruits,  qu'il  constitue  un 
droit  de  préférence  en  ce  sens  que  les  créanciers  chirographaires  et 
même  les  créanciers  hypothécaires  postérieurs  en  rang  ne  peuvent 
pas  dépouiller  le  créancier  de  sa  possession  ;  mais  que  la  préférence 
ne  s'exercerait  jamais  sur  le  prix  si  le  bien  était  vendu,  que  d'ail- 
leurs les  créanciers  conserveraient  le  droit  de  faire  vendre,  pourvu 
qu'ils  réservassent  la  possession  de  l'antichrésiste. 


TIT.    XVII.    DU    NANTISSEMENT.    ART.    2091.  413 

Nous  ajoutons  que  les  acquéreurs  de  la  propriété  ou  d'un  droit 
réel  ont  acquis  valablement  leur  droit,  mais  qu'ils  doivent  égale- 
ment respecter  le  possesseur  à  tilre  d'antichrèse. 

Nous  avons  également  exposé  au  tome  IX  (1  )  les  arguments  tirés  de 
l'article  446,  G.  Com.,  et  de  l'article  2,  n»  1, 1.  du  23  mars  185S,  qui 
établissent  certainement  que,  dans  la  législation  actuelle,  le  droit 
d'antichrèse,  pourvu  que  l'acte  constitutif  ait  été  transcrit,  peut  être 
opposé  aux  tiers  qui  acquièrent  postérieurement  des  droits  sur 
l'immeuble  (2). 

(l)V.t.  lX,n°  5  bis.  I  et  II 

(2)  Les  litres  XVIII  et  XIX,  des  Privilèges  cl  hypothèques  et  de  l'expropriation 
forcée,  sont  l'objet  du  tome  IX. 


TITRE  VINGTIEME. 

DE    LA    JMtESCHIPTIOW 


CHAPITRE  PREMIER. 

DISPOSITIONS    GÉNÉRALES. 

326.  Le  mot  prescription  qui,  dans  la  loi  romaine,  oe 
désignait  qu'une  restriction  particulière  de  la  formule  de 
l'action,  ainsi  nommée  parce  qu'elle  s'écrivait  avant  la  for- 
mule [Gains,  Inst.,  4-132),  est  aujourd'hui  bien  détourné  de 
sa  signification  primitive.  Ce  mot  qui,  dans  la  suite,  s'était 
confondu  avec  celui  d' exception ,  ne  désignait  pas  d'une  ma- 
nière spéciale  l'exception  fondée  sur  le  laps  de  temps  :  on 
disait  prescription  de  long  temps,  prescription  de  trente 
ou  quarante  ans,  comme  on  disait  prescription  de  la  chose 
jugée  (v.  L.  H.  D.  de  except.  et  prœscript.).  Du  reste,  il  est 
évident  que  la  prescription  fondée  sur  le  laps  de  temps , 
comme  toute  autre  prescription,  n'était  qu'un  moyen  libéra- 
toire. Mais  ce  moyen  équivalant,  dans  certains  cas,  à  Yusu- 
cajnon,  on  a  fini  par  les  confondre  :  si  bien  que,  chez  nous, 
non-seulement  le  mot  prescription,  employé  seul,  emporte 
avec  lui  l'idée  du  laps  de  temps,  mais  qu'il  désigne  également 
un  moyen  d'acquérir  et  un  moyen  de  se  libérer  sous  certaines 
conditions  jointes  à  ce  laps  de  temps.  V.  art.  2219,  et  remar- 
quez que  la  prescription,  soit  a  l'effet  d'acquérir,  soit  à  l'effet 
de  se  libérer,  a  cela  de  commun,  qu'elle  est  toujours  fondée 
sur  un  certain  laps  de  temps  et  sur  l'accomplissement  de 
certaines  conditions.  Du  reste,  ces  conditions  diffèrent  suivant 
qu'il  s'agit  de  l'une  ou  de  l'autre  prescription. 

326  bis.  I.  L'article  2219  définit  la  prescription,  un  moyen  d'ac- 
quérir ou  de  se  libérer  par  un  certain  laps  de  temps  et  sous  les 


TIT.    XX.    DE    LA.   PRESCRIPTION.    ART.    2219.  415 

conditions  déterminées  par  la  loi.  Le  Code  rapproche  ainsi  deux 
idées  qu'il  a  déjà  présentées  dans  les  articles  711  et  1234,  où  la  pres- 
cription est  comprise  d'abord  dans  les  moyens  d'acquérir,  ensuite 
dans  les  modes  d'extinction  des  obligations.  Son  but  est  d'affirmer 
l'unité  d'une  institution  qui  peut  se  présenter  sous  deux  physio- 
nomies diverses  avec  des  effets  différents,  mais  qui,  sous  ses  deux 
aspects,  découle  de  la  même  nécessité  sociale,  opère  de  la  même 
façon,  et  est  soumise  presque  entièrement  aux  mêmes  règles.  Le 
législateur  trouve  aussi  la  facilité  de  ne  s'expliquer  qu'une  seule 
fois  sur  les  règles  communes,  sauf  à  détacher  les  règles  spéciales  à 
l'un  ou  à  l'autre  genre  de  prescription. 

326  bis.  II.  En  qualifiant  la  prescription,  un  moyen  d'acquérir 
ou  de  se  libérer,  la  loi  emploie  une  forme  de  langage  qui  montre 
bien  le  résultat  pratique  de  la  prescription,  mais  qui  ne  laisse  pas 
de  soulever  de  sérieuses  objections.  Elle  montre,  en  effet,  la 
prescription  sous  un  aspect  défavorable  au  point  de  vue  moral,  car 
si  l'acquisition  et  la  libération  ne  proviennent,  en  réalité,  que  de 
l'expiration  d'un  laps  de  temps,  la  loi  semble  ne  jamais  venir  en 
aide  au  droit,  mais  être  toujours  la  consécration  d'une  injustice. 

Il  résulterait,  en  outre,  de  la  définition  légale  que  l'acquisition 
ou  la  libération  date  seulemeut  du  jour  où  le  temps  a  été  accom- 
pli; si  bien  que  celui  qui  bénéficie  de  la  prescription  acquisitive, 
n'aurait  pas  été  propriétaire  avant  cette  époque  et  n'aurait  pas 
constitué  sur  la  chose  de  droits  valables  ;  que  de  même,  celui  qui 
se  prévaut  de  la  prescription  libératoire  était  débiteur  jusqu'à 
l'échéance  de  la  prescription  et  pourrait  être  poursuivi  pour  des 
intérêts  échus  avant  cette  époque  et  non  encore  prescrits.  Ces  con- 
séquences de  la  formule  légale  ne  sont  admises  par  personne,  parce 
que  si  on  les  admettait,  la  prescription  perdrait  une  partie  de 
l'utilité  qu'elle  a  comme  institution  d'intérêt  social.  On  laisserait 
subsister  le  droit  de  réveiller  des  prétentions  anciennes  difficiles  à 
combattre  et  inquiétantes  pour  la  sécurité  des  patrimoines. 

La  loi  aurait  donc  mieux  exprimé  sa  pensée  si  elle  avait,  en 
définissant  la  prescription,  fait  comprendre  qu'elle  est  au  fond  une 
présomption  d'acquisition  ou  une  présomption  de  libération.  Mais 
c'est  là  une  critique  purement  théorique,  car  on  n'a  jamais  tiré  de 
la  formule  légale  une  de  ces  conséquences  dangereuses  qu'on 
pourrait  à  la  rigueur  en  déduire, 

326  bis.  III.  Laissant  de  côté  la  question  de  mots,  nous  devons 


416  COUHS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

reconnaître  que  la  prescription  à  l'effet  d'acquérir  a  pour  effet  de 
consolider  un  droit  de  propriété  ou  un  autre  droit  réel  exposé  à 
une  éviction,  et  que  la  prescription  à  l'effet  de  se  libérer  fournit  à 
un  prétendu  débiteur  un  moyen  de  repousser  une  action  par  cela 
seul  que  celui  qui  l'intente  a  négligé,  pendant  un  certain  temps,  de 
l'exercer.  Ces  deux  prescriptions,  différentes  dans  leurs  effets,  ont 
cela  de  commun  qu'elles  s'accomplissent  par  le  laps  de  temps, 
mais  elles  sont  soumises  à  certaines  règles  différentes  :  ainsi  la 
prescription  à  fin  d'acquérir  a  pour  condition  essentielle  la  possession 
de  la  chose,  tandis  que  la  prescription  à  fin  de  se  libérer  suppose 
seulement  l'inaction  de  celui  contre  qui  elle  s'accomplit.  C'est  à 
raison  de  cette  différence  importante  que  le  Code,  dans  la  définition 
commune  qu'il  donne  des  deux  prescriptions,  a  employé  cette  ex- 
pression vague  :  et  sous  les  conditions  déterminées  par  la  loi. 

326  bis.  IV.  Entre  ces  deux  prescriptions,  il  faut  reconnaître 
qu'il  en  existe  une  troisième  d'une  nature  ambiguë,  participant  à 
la  fois  de  la  prescription  acquisitive  et  delà  prescription  libératoire. 
C'est  une  fin  de  non  recevoir  opposée  à  une  action  réelle  par  un  dé- 
fendeur qui  n'a  pas  acquis  par  prescription,  c'est-à-dire  par  pos- 
session, la  chose  sur  laquelle  le  droit  est  prétendu.  Ainsi,  le  pos- 
sesseur d'un  meuble  volé  peut,  après  trois  ans,  sans  avoir  possédé 
pendant  ces  trois  ans,  repousser  la  revendication  du  propriétaire  vic- 
time du  vol  (art.  2281).  De  même  nous  voyons  que  le  propriétaire 
d'un  fonds  qui  a  été  grevé  d'usufruit  ou  de  servitude,  repousse  l'ac- 
tion du  prétendu  usufruitier  ou  du  propriétaire  de  fonds  prétendu 
dominant,  lorsqu'il  y  a  eu  non  usage  pendant  trente  ans  du  droit 
revendiqué.  Ces  droits  s'éteignent  par  le  simple  non-usage,  sans 
qu'il  soit  nécessaire  que  le  propriétaire  du  fonds  grevé  ait  eu  une 
possession  contraire  à  l'usufruit  ou  à  la  servitude,  par  exemple  ait 
joui,  pendant  trente  ans,  comme  plein  propriétaire  du  fonds  dont 
il  n'était  pas  propriétaire  (art.  617  et  706).  Ces  derniers  cas,  et 
d'autres  semblables,  ne  sont  pas  réglementés  par  le  titre  de  la  pres- 
cription. Il  suffit  d'avoir  réservé  ce  qui  les  concerne;  ils  doivent 
être  étudiés  sur  les  différents  articles  qui  y  sont  consacrés. 

326  bis  Y.  Quand  on  a  établi  ce  que  c'est  que  la  prescription, 
il  faut  rechercber  le  fondement  de  cette  institution,  qui  peut  paraître 
injuste  et  immorale. 

Certes,  la  loi  n'a  pas  eu  pour  but  de  venir  en  aide  aux  usurpa- 
teurs de  propriétés  ou  aux  véritables  débiteurs  qui  cherchent  les 


TIT.   XX.    DE   LA   PRESCRIPTION.    ART.    2219.  i\l 

moyens  de  ne  pas  payer  ce  qu'ils  doivent.  Si  ces  possesseurs  ou 
ces  débiteurs  profitent  des  lois  sur  la  prescription,  ce  n'est  qu'acci- 
dentellement et  comme  en  passant  dans  la  foule  de  ceux  que  la  loi 
a  voulu  et  a  dû  vouloir  protéger.  Ceux-ci  sont  les  personnes  qui 
ont  un  droit  et  qui  ne  peuvent  le  prouver,  ou  qui  sont  libérées 
d'une  obligation  et  qui  ne  peuvent  établir  leur  libération. 

326  bis.  VI.  En  parlant  de  ces  deux  classes  de  personnes,  nous 
mettons  en  évidence  le  principal  motif  de  l'institution  que  nous 
étudions.  Il  faut,  dans  un  intérêt  économique,  mettre  un  terme  à 
l'incertitude  qui  pourrait  planer  sur  l'état  réel  des  fortunes.  Si  une 
personne  n'est  pas  sûre  de  la  propriété  des  biens  qu'elle  possède, 
elle  n'osera  ni  les  améliorer  ni  les  aliéner,  et  rien  n'est  plus  anti- 
économique que  les  règles  légales  qui  immobilisent  les  biens  dans 
les  mêmes  mains  ou  qui  empêchent  de  les  rendre  plus  productifs. 
Il  est  certain  également  que  si  une  personne  qui  se  croit  libérée 
d'une  obligation  sait  en  même  temps  qu'elle  a  perdu  la  preuve  de 
cette  libération,  elle  se  sent  exposée  à  des  poursuites  qui  l'obligent  à 
garder  des  fonds  disponibles  pour  faire  face  à  la  réclamation  pos- 
sible, et  par  conséquent  elle  immobilise  ainsi  des  valeurs  qu'elle 
pourrait  employer  avantageusement  pour  elle  et  pour  le  dévelop- 
pement de  la  richesse  sociale. 

Il  est  un  intérêt  social  d'un  autre  ordre  qui  justifie  également 
l'institution  de  la  prescription.  Il  ne  faut  pas  éterniser  les  différends 
entre  particuliers,  leur  extinction  intéresse  la  paix  sociale,  et  leur 
perpétuité  exposerait  en  outre  la  justice  à  commettre  des  erreurs 
regrettables,  car  le  temps  détruit  les  preuves,  et  les  juges  manque- 
raient des  éléments  nécessaires  pour  juger.  Or,  la  bonne  adminis- 
tration de  la  justice  est  un  besoin  des  sociétés,  et  l'on  ne  saurait  sans 
danger  soumettre  la  décision  des  procès  aux  chances  du  hasard. 

Voilà  les  différents  buts  que  vise  l'institution  de  la  prescription; 
ajoutons  qu'elle  n'est  pas  seulement  utile,  qu'elle  a  un  fondement 
équitable,  car  il  y  a  probabilité  que  celui  qui  est  repoussé  dans  ses 
prétentions  au  moyen  de  la  prescription,  c'est-à-dire  qui  les  élève 
si  tardivement,  a  par  son  inaction  même  reconnu  que  son  droit 
n'existait  pas  ou  n'existait  plus. 

326  bis.  VII.  Ces  considérations  sont  si  puissantes,  que  la  pres- 
cription est  admise  dans  toutes  les  législations,  et  qu'il  ne  faut  pas 
y  voir  un  privilège  des  Français  en  France,  jus  proprium  chitatis. 
Puisque  les  étrangers  peuvent  être  chez  nous  propriétaires,  la  France 
vm.  27 


418  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    111. 

est  aussi  intéressée  économiquement  à  la  certitude  de  leurs  pro- 
priétés et  de  leurs  patrimoines,  en  général,  qu'elle  ne  l'est  à  la  cer- 
titude des  droits  appartenant  à  des  Français;  elle  a  de  plus,  dans 
les  contestations  qui  concernent,  les  étrangers,  le  même  intérêt  à  ce 
que  la  justice  soit  administrée  dans  des  conditions  qui  n'éloignent 
pas  trop  de  la  vérité  la  présomption  res  judicata  pro  xcritaie  habetur. 
327.  L'ordre  public  est  intéressé  à  ce  que  chacun  puisse, 
a  son  gré,  lorsque  les  conditions  sont  remplies,  user  du 
moyen  de  la  prescription.  On  n'y  peut  donc  renoncer  a  l'a- 
vance ;  mais  chacun  doit  rester  maître  de  n'en  pas  user  contre 
sa  conscience;  on  peut  donc  renoncer  a  la  prescription 
acquise.  V.  art.  2220. 

327  6m.  I.  Après  avoir  défini  la  prescription,  la  loi  donne,  dans 
le  chapitre  1er,  quelques  notions  préliminaires  générales  applicables 
aux  deux  prescriptions.  Elles  concernent  :  1°  la  renonciation  à  la 
prescription;  2°  les  choses  qui  peuvent  être  prescrites. 

L'article  2220  pose  le  principe  sur  la  renonciation  à  la  prescrip- 
tion, il  contient  deux  règles  :  1°  on  ne  peut  renoncer  d'avance  à  la 
prescription;  2°  on  peut  renoncer  à  la  prescription  acquise. 

Par  la  première  règle,  la  loi  défend  à  une  partie  de  déclarer 
d'avance  qu'elle  s'oblige  à  n'invoquer  jamais  la  prescription.  Si  une 
pareille  convention  était  autorisée,  la  prescription  ne  fonctionnerait 
pour  ainsi  dire  jamais,  et  les  résultats  économiques  et  moraux  que 
la  loi  en  attend  ne  se  produiraient  pas.  Les  procès  s'éterniseraient, 
les  patrimoines  seraient  incessamment  et  indéfiniment  menacés  de 
-raves  perturbations,  la  justice  serait  sans  cesse  appelée  à  juger  sur 
des  contestations  d'une  origine  si  ancienne  qu'elle  statuerait  sans  être 
éclairée.  Il  est  clair  en  effet  qu'une  telle  convention,  si  elle  est  per- 
mise déviendra  fréquente.  Quel  est  le  créancier  qui  n'exigera  pas 
cette' promesse  de  son  futur  débiteur?  et  quel  est  le  débiteur  qui  la 
refusera,  d'abord  parce  qu'il  subit  toujours  l'influence  de  celui  qui  lui 
fait  crédit  et  ensuite  parce  qu'il  ne  croit  pas  renoncer  à  un  droit 
bien  important,  l'inaction  de  son  créancier  pendant  tout  le  temps 
requis  pour  la  prescription  lui  paraissant  invraisemblable?  La  clause 
passerait  dans  le  style,  et  elle  n'en  serait  acceptée  que  plus  facile- 
ment. Petit  à  petit,  l'institution  de  la  prescription  serait  détruite 

en  fait.  , 

Nous   le   faisons   immédiatement   remarquer,   c  est  surtout  en 


TiT.    XX.    DE    LA.   PRESCRIPTION.    ART.    2220.  419 

matière  de  prescription  libératoire  que  nous  raisonnons,  c'est  là 
seulement  qu'on  peut  comprendre  comment  interviendrait  en  fait 
la  renonciation,  elle  aurait  lieu  au  moment  du  contrat  qui  donne 
naissance  à  la  dette. 

327  bis:  II.  Bien  que  l'article  2220  soit  écrit  sous  la  rubrique 
Dispositions  générales,  on  a  peine  à  comprendre  comment  pourrait 
se  présenter  en  fait  la  situation  que  prévoit  sa  première  partie,  s'il 
s'agissait  de  prescription  afin  d'acquérir.  Comment  comprendre 
qu'un  possesseur  renonce  à  se  prévaloir  jamais  de  la  durée  de  sa 
possession?  Avec  qui  pourrait-il  faire  cette  renonciation,  qui  le 
priverait  du  droit  de  prescrire  erga  omnes?  Car  il  faut  bien  remar- 
quer que  la  prescription  à  laquelle  il  renoncerait  est  une  prescrip- 
tion à  fin  d'acquérir  un  droit  réel,  que  par  conséquent  l' acte  ne  devrait 
pas  produire  des  effets  seulement  par  rapport  à  une  personne 
déterminée,  comme  la  renonciation  à  une  prescription  libératoire. 
L'hypothèse  d'une  renonciation  in  rem,  c'est-à-dire  impersonnelle, 
à  la  prescription  future,  n'est  donc  pas  probable;  de  plus,  cet  acte 
paraît  bien  exclusif  de  la  pensée  qui  constitue  l'animus  domini,  la 
pensée  de  se  présenter  au  public  comme  propriétaire,  et  si  par 
impossible  cet  acte  s'était  produit,  il  aurait  un  effet  non  pas  comme 
acte  de  renonciation  à  la  prescription  future,  ce  qui  est  une  manifes- 
tation de  volonté  légalement  dénuée  d'effet,  mais  comme  constata- 
tion que  l'auteur  de  cet  acte  n'avait  pas  la  possession  à  titre  de 
propriétaire,  qui  est  la  condition  première  et  essentielle  de  la  pres- 
cription acquisitive. 

327  bis.  III.  Si  nous  songeons  à  une  hypothèse  plus  pratique,  au 
cas  où  le  possesseur  fait  un  acte  de  renonciation  à  la  prescription 
future  au  profit  d'une  personne  déterminée  qui  accepte  cette  renon- 
ciation, nous  ne  devons  pas  faire  rentrer  cette  hypothèse  dans  la 
sphère  de  l'article  2220.  En  effet,  l'interprétation  naturelle  de  l'acte 
intervenu  entre  les  deux  parties,  c'est  qu'il  contient  une  recon- 
naissance du  droit  de  celui  au  profit  de  qui  il  est  fait,  et  que  cette 
reconnaissance  est  la  condition  de  l'abandon  temporaire  que  celui-ci 
fait  de  la  jouissance  de  la  chose  à  l'auteur  de  la  reconnaissance.  Dès 
lors,  le  détenteur  se  constitue  possesseur  pour  autrui,  il  entache  sa 
possession  du  vice  de  précarité  qui,  nous  le  dirons  plus  tard,  rend 
la  prescription  impossible,  non-seulement  par  rapport  à  celui  dont 
le  droit  a  été  reconnu,  mais  d'une  façon  absolue,  erga  omnes. 

L'acte  considéré  comme  reconnaissance  vaut  donc,  tandis  qu'il 

27. 


420  COURS   ANALYTIQUE  DE    CODE    CIVIL.    L1V.    111. 

serait  nul  si  on  le  traitait  comme  une  renonciation;  seulement  il 
n'a  pas  exactement  les  mêmes  effets  qu'une  renonciation  à  la  pres- 
cription future  si  elle  était  valable.  Il  laisse  subsister  une  chance  de 
prescription,  car  le  vice  de  précarité  peut  se  purger  par  l'interver- 
sion du  titre  (art.  2238),  et  la  prescription  devient  possible,  tandis 
qu'une  renonciation  qui  produirait  des  effets  laisserait  à  tout 
jamais  la  prescription  impossible. 

327  bis.  IV.  La  seconde  règle  contenue  dans  l'article  2220  est 
ainsi  formulée  :  on  peut  renoncer  à  la  prescription  acquise;  celle-ci 
est  bien  certainement  applicable  aux  deux  espèces  de  prescription, 
car  on  peut  aussi  bien  comprendre  la  renonciation  dans  les  rap- 
ports entre  un  possesseur  et  un  prétendu  propriétaire,  que  dans  les 
rapports  entre  un  prétendu  débiteur  et  son  prétendu  créancier.  Dans 
les  deux  cas,  celui  qui  pourrait  invoquer  la  prescription  reconnaît 
la  fausseté  de  la  présomption  sur  laquelle  ce  mode  d'acquisition 
ou  de  libération  est  fondé,  il  cède  à  un  scrupule  de  conscience 
qui  lui  défend  de  garder  sans  preuve  la  chose  d'autrui  ou  de 
refuser  de  payer  une  dette;  dans  ce  dernier  cas,  il  se  recon- 
naît tenu  d'une  obligation  naturelle;  la  loi  eût  été  immorale  qui 
aurait  empêché  ces  sacrifices  faits  par  l'intérêt  à  la  conscience.  Elle 
n'eût  pas  même  été  déterminée  par  des  considérations  d'utilité, 
car  le  but  principal  de  la  prescription  étant  de  donner  aux  patri- 
moines des  garanties  de  certitude,  il  faut  reconnaître  que  ce  but 
est  atteint  lorsque  le  possesseur  ou  le  débiteur  renonce  à  la  pres- 
cription aussi  bien  que  lorsqu'il  oppose  la  prescription;  la  certitude 
de  situation  se  fait  dans  les  deux  cas,  dans  l'un  en  un  sens,  dans 
l'autre  en  un  autre  sens,  mais  le  résultat  économique  que  la  loi 
cherche  est  toujours  produit. 

La  prescription  est  également  destinée  à  assurer  la  paix  entre 
les  individus,  à  prévenir  les  jugements  sur  des  différends  trop 
anciens;  la  renonciation  à  la  prescription  acquise  établit  mieux 
encore  la  concorde  entre  les  parties  et  met  également  fin  aux  con- 
testations. 

327  bis.  V.  Si  la  renonciation  à  la  prescription  acquise  est  un 
acte  qui  en  soi  n'est  pas  à  redouter  par  le  législateur,  il  faut 
ajouter  qu'il  ne  présente  pas  pour  son  auteur  les  dangers  de  la 
renonciation  à  la  prescription  future.  Il  n'y  a  pas  d'illusion  à  se 
faire,  l'auteur  de  l'acte  en  comprend  les  conséquences,  elles  sont 
immédiates,  il  n'est  pas  sous  la  dépendance  de  l'autre  partie,  puis- 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2220,    2221.       421 

qu'il  n'a  rien  à  attendre  d'elle,  et  qu'il  pourrait  repousser  toute 
action  intentée  par  elle.  Il  agit  donc  spontanément. 

327  bis.  VI.  Nous  tirons  deux  conséquences  des  idées  que  nous 
venons  d'exposer  :  la  première,  c'est  que  l'acte  dont  nous  nous 
occupons  ne  saurait  être  considéré  comme  une  donation;  que  celui 
qui  en  profite  n'a  pas  besoin  d'avoir  la  capacité  de  recevoir  à  titre 
gratuit  et  qu'il  n'est  assujetti  ni  au  rapport  ni  à  la  réduction  à 
raison  du  bénéfice  que  la  renonciation  paraît  lui  avoir  procuré. 

327  bis.  VII.  La  seconde  conséquence,  c'est  que  la  prescription 
n'étant  pas  encore  accomplie,  une  renonciation  peut  avoir  pour 
objet  le  temps  qui  a  couru.  Celui  qui  renonce  à  une  prescription 
acquise  consent  à  ne  pas  tenir  compte  d'un  certain  nombre  d'années 
qui  s'est  écoulé  et  d'où  résulterait  la  prescription;  pourquoi  ne 
pourrait-on  pas  renoncer  à  jamais  invoquer  le  temps  passé,  lorsque 
ce  temps,  insuffisant  pour  constituer  une  prescription  acquise, 
serait  nécessairement  plus  tard  un  des  éléments  dont  se  composerait 
le  nombre  d'années  constituant  une  prescription  accomplie?  Qui 
peut  le  plus  peut  le  moins;  la  renonciation  à  la  prescription 
commencée  ne  présente  pas  les  inconvénients  que  présenterait  la 
renonciation  à  une  prescription  future,  donc  elle  est  licite. 

Ces  idées  sont  au  moins  certaines  en  ce  qui  touche  la  prescrip- 
tion libératoire  car,  en  matière  de  prescription  acquisitive,  la  renon- 
ciation au  droit  d'invoquer  la  possession  pendant  un  certain  nombre 
d'années  écoulées  donnerait  peut-être,  comme  la  renonciation  à 
la  prescription  future,  le  caractère  de  précarité  à  la  possession. 
Nous  ne  le  pensons  pas,  toutefois,  car  cette  renonciation  peut 
n'être,  de  la  part  du  possesseur  actuel,  qu'une  reconnaissance  rela- 
tive à  la  date  de  sa  prise  de  possession,  constatant  que  jusqu'à 
cette  époque  cette  possession  n'avait  pas  les  caractères  requis  pour 
conduire  à  la  prescription;  mais  il  n'y  a  rien  qui  implique  d'une 
façon  absolue  l'existence  du  droit  de  l'autre  partie,  et  par  conséquent 
la  précarité  de  la  possession  future. 

328.  La  renonciation  peut  être  expresse  ou  tacite  -,  il  y  a 
évidemment  renonciation  tacite  dans  un  fait  quelconque  qui 
suppose  l'abandon  du  droit  ainsi  acquis.  V.  art.  2221. 

328  bis.  I.  Il  n'est  pas  besoin  de  dire  en  quoi  peut  consister  la 
renonciation  expresse  à  la  prescription.  Quant  à  la  renonciation 
tacite,  elle  résulte  de  faits  émanés  de  celui  qui  a  prescrit  et  qui 


■422  COURS   ANALYTIQUE   DE   CODE   CIVIL.    L1V.    III. 

supposent  qu'il  reconnaît  la  faiblesse  de  son  droit  et  l'existence  du 
droit  de  l'adversaire  (1).  Exemple  :  un  prétendu  débiteur  demande 
un  délai  pour  payer,  ou  paye  un  acompte;  un  possesseur  allègue  sa 
bonne  foi  pour  se  faire  attribuer  les  fruits,  ou  invoque  l'article  555 
pour  se  faire  indemniser  des  impenses  qu'il  a  faites  sur  le  fonds. 
Encore  faut-il  que  ces  différents  faits  se  soient  accomplis  en  con- 
naissance de  cause,  c'est-à-dire  que  la  partie  ait  connu  le  moyen 
qu'elle  pouvait  invoquer  contre  la  prétention  de  son  adversaire, 
car  si  elle  l'a  ignoré,  si  elle  n'a  par  conséquent  pas  su  qu'elle  pou- 
vait se  prévaloir  de  la  prescription,  il  est  impossible  d'admettre 
qu'elle  ait  renoncé  à  un  droit  qu'elle  ne  connaissait  pas.  Nous 
avons  développé  cette  idée  à  propos  des  obligations  naturelles,  et 
la  renonciation  à  la  prescription  d'une  dette  n'est  pas  autre  chose 
que  la  reconnaissance  d'une  obligation  naturelle,  ce  qui  suffit  pour 
justifier  notre  décision  en  matière  de  prescription  libératoire,  et 
pour  nous  autoriser  à  l'étendre  au  cas  de  prescription  acquisitive, 
car,  dans  ce  cas  comme  dans  l'autre,  il  ne  peut  être  question  d'une 
renonciation  à  un  droit  qu'autant  que  l'auteur  de  cette  prétendue 
renonciation  connaissait  l'existence  de  ce  droit. 

328  bis.  II.  Tout  moyen  de  défense  opposé  par  le  possesseur  ou 
le  prétendu  débiteur  ne  contiendrait  pas  une  renonciation  tacite  à 
la  prescription.  Ceux  qui  supposent  une  négation  du  droit  de 
l'adversaire  sont  parfaitement  compatibles  avec  la  réserve  tacite 
d'opposer  plus  tard,  si  besoin  est,  la  prescription.  Ainsi,  le  défendeur 
à  une  action  personnelle  allègue  qu'il  n'a  pas  contracté  la  dette  ou 
qu'il  l'a  payée,  le  possesseur  d'un  bien  conteste  le  droit  de  propriété 
du  revendiquant,  il  ne  se  prive  pas  pour  cela  du  droit  d'invoquer, 
au  cours  de  la  procédure,  la  prescription.  Sa  manière  de  procéder 
est  au  contraire  très-logique  et  parfaitement  en  harmonie  avec  les 
idées  du  législateur  sur  la  prescription.  Nous  l'avons  dit,  la  pres- 
cription n'est  pas  destinée  à  protéger  un  véritable  débiteur  contre 
son  créancier,  un  usurpateur  contre  un  véritable  propriétaire.  Elle 
tend  à  aider  ceux  qui,  ayant  le  droit  pour  eux,  manquent  de  moyen 
de  preuves.  Elle  est  la  ressource  dernière  des  plaideurs,  mais  elle 
peut  leur  répugner  parce  que  celui  qui  l'invoque  peut  être  facilement 
taxé  de  mauvaise  foi.  Il  est  donc  naturel  qu'une  partie  cherche  à  se 
défendre  d'abord,  en  démontrant  l'inanité  de  la  prétention  adverse, 

(1)  V.  C.  C,  19  aoûl  1878.  Sirey,  1879,  I,  465. 


T1T.    XX.    DE  LA    PRESCRIPTION.    ART.    2221-2223.  i23 

et  qu'elle  n'ait  recours  à  la  prescription  que  quand  elle  découvre 
l'imperfection  de  ses  preuves.  Elle  ne  se  donne  pas  alors  un  démenti 
à  elle-même,  car  la  prescription  s'appuie  sur  la  probabilité  du  droit 
de  celui  qui  a  possédé  ou  n'a  pas  été  actionné  pendant  le  temps 
voulu,  elle  suppose  qu'il  a  perdu  ses  titres  de  propriété  ou  de  libé- 
ration: invoquer  la  prescription,  ce  n'est  donc  pas  contredire 
l'allégation  première  par  laquelle  il  s'est  présenté  comme  pro- 
priétaire ou  comme  débiteur  libéré. 

329.  Cette  renonciation  étant  l'abandon  d'un  droit  acquis, 
suppose  nécessairement  dans  celui  qui  la  fait  la  capacité 
d'aliéner.  V.  art.  2222. 

329  bis.  I.  Il  serait  inexact  de  considérer  la  renonciation  comme 
une  aliénation,  car  il  faudrait,  si  cela  était  vrai,  traiter  le  renonçant 
comme  l'auteur  de  l'autre  partie,  et  voir  notamment  dans  le  cas  de 
prescription  acquisitive  une  mutation  de  propriété  opérée  par  la 
renonciation.  Ce  n'est  pas  le  point  de  vue  du  Code  civil.  Malgré 
cela,  la  renonciation  a  pour  le  renonçant  les  conséquences  d'une 
aliénation,  et  telle  est  la  raison  de  l'article  2222. 

329  bis.  II.  C'est  de  la  prescription  accomplie  que  traite  l'article 
2222,  quand  il  parle  de  prescription  acquise.  Il  faut  supposer  que 
le  temps  requis  est  entièrement  écoulé,  c'est  bien  le  cas  où  la 
renonciation  a  des  effets  analogues,  pour  le  renonçant,  à  ceux  d'une 
aliénation.  Mais  il  est  bien  certain  que  l'article  ne  donne  pas  une 
règle  applicable  à  ce  que  nous  avons  appelé  la  renonciation  au 
temps  écoulé,  alors  que  la  prescription  n'est  pas  complète.  Il  est 
des  personnes,  comme  le  tuteur,  qui  peuvent  acquitter  une  dette, 
acquiescer  à  certaines  demandes,  ces  actes-là  contiennent  en  eux- 
mêmes  une  renonciation  à  bénéficier  d'un  certain  temps  écoulé 
depuis  l'échéance  de  la  dette,  ou  d'une  possession  ayant  duré  plus 
ou  moins  longtemps  sans  créer  le  droit  à  la  prescription.  Ces  act^s 
sont  souvent  nécessaires  et  urgents,  et  il  est  clair  que  l'administra- 
tion du  tuteur  serait  impossible  s'il  n'avait  pas  le  droit  de  les  accom- 
plir. La  loi  s'inspire  de  l'intérêt  du  mineur  en  les  permettant 
sans  les  soumettre  aux  formalités  longues  et  compliquées  qui  sont 
nécessaires  au  cas  d'aliénation  (V.  art.  464). 

330.  Chacun  restant ,  en  général ,  maître  de  renoncer  a  la 
prescription  acquise,  il  est  naturel  que  ce  moyen  ne  puisse 
être  suppléé  par  le  juge.  V.  art.  2223. 


424  COURS  ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.   III. 

330  bis.  I.  Opposer  la  prescription,  c'est  quelquefois  refuser  de 
payer  une  dette  qui  existe,  ou  s'approprier  injustement  la  chose 
d'autrui;  dans  d'autres  circonstances,  c'est  se  défendre  contre  des 
prétentions  injustes  contre  lesquelles  on  a  perdu  les  moyens  de 
preuves.  D'où  cette  conséquence  que  la  partie  doit  rester  absolue 
maîtresse  de  son  option  entre  s'en  prévaloir  ou  y  renoncer;  elle 
doit  examiner  dans  sa  conscience  ce  qu'elle  pense  de  sa  prétention 
et  de  celle  de  l'adversaire,  elle  fait  son  choix  sous  sa  propre  res- 
ponsabilité. Voilà  pourquoi  les  juges  ne  peuvent  pas  se  substituer 
à  elle  et  lui  donner  gain  de  cause  par  un  moyen  de  droit  qu'il  lui 
répugne  de  faire  valoir.  Les  juges,  d'ailleurs,  ne  peuvent  pas  être  au 
courant  de  toutes  les  circonstances  de  fait,  ils  peuvent  par  exemple 
ignorer  les  causes  de  suspension  et  d'interruption  qui  se  sont 
produites,  et  sont  alors  exposés  à  admettre  comme  accomplie  une 
prescription  qui  n'est  pas  arrivée  à  son  terme  légal. 

330  bis.  IL  Notre  règle  cependant  n'interdit  pas  au  ministère 
public  d'opposer,  dans  les  causes  qui  lui  sont  communicables,  la 
prescription,  du  chef  des  personnes  dont  les  intérêts  lui  sont  confiés 
par  la  disposition  même  de  la  loi,  qui  ordonne  que  les  affaires  lui 
soient  communiquées  (V.  art.  83-1°,  6°,  7%  C.  Pr.).  Le  ministère 
public  est  chargé  alors  de  compléter  la  défense,  de  se  substituer  en 
quelque  sorte  aux  représentants  des  personnes  qui  ne  se  défendent 
pas  suffisamment  par  elles-mêmes.  Comme  ces  représentants  n'au- 
raient pas,  d'après  l'article  précédent,  le  droit  de  renoncer  à  la 
prescription,  il  est  tout  naturel  que  le  ministère  public,  en  opposant 
ce  moyen,  fasse  ce  que  devait  faire  l'administrateur,  le  mari,  le 
tuteur  ou  le  curateur.  Il  y  a  plus,  quelques-unes  des  personnes 
dont  s'occupe  l'article  83  auraient,  si  la  prescription  n'avait  pas  été 
invoquée,  la  voie  de  la  requête  civile  pour  faire  rétracter  le  jugement 
(art.  481,  C.  Pr.). 

331.  Mais  une  renonciation  ne  pouvant  facilement  se  pré- 
sumer ,  et  l'intention  de  renoncer  a  la  prescription  ne  résul- 
tant pas  nécessairement  de  ce  que  la  partie  aurait  cherché  à 
établir  sa  libération  ou  sa  propriété  par  d'autres  moyens,  il 
est  clair  que,  s'il  n'y  a  pas  d'ailleurs  des  circonstances  d'où 
l'on  doive  induire  la  renonciation,  la  prescription  peut  être 
opposée  tant  qu'il  n'y  a  pas  chose  jugée  en  dernier  ressort, 
par  conséquent,  même  en  appel.  V.  art.  2224. 


TIT.   XX.    DE   LA   PUESCH1PTI0N.   ART.   2223-2225.      425 

331  bis.  I.  Il  n'y  a  pas  de  délai  fixé  pour  faire  valoir  la  pres- 
cription, et  alors  même  qu'une  demande  a  été  intentée,  qui  pourrait 
être  repoussée  par  ce  moyen,  il  n'y  a  pas  nécessité  de  l'employer 
tout  d'abord  in  limine  Utis,  comme  cela  est  exigé  pour  certaines 
exceptions  de  procédure.  On  comprend  que  la  partie  préfère  gagner 
son  procès  par  la  démonstration  positive  de  son  droit  ou  par  la 
négation  démontrée  du  droit  de  l'adversaire;  sa  conscience  en  sera 
plus  tranquille  et  sa  réputation  plus  intacte.  On  comprend  par  con- 
séquent qu'elle  essaye  de  tous  les  autres  moyens  qu'elle  a  à  sa  dis- 
position, et  qu'elle  réserve  celui-là  comme  sa  dernière  arme  en  un 
cas  désespéré.  Voilà  pourquoi  non-seulement  elle  peut  invoquer  la 
prescription  jusqu'au  jugement,  mais  encore  devant  le  tribunal 
d'appel,  si  l'affaire  est  de  nature  à  subir  les  deux  degrés  de  juri- 
diction; l'espoir  de  faire  triompher  les  autres  moyens  ayant  pu 
raisonnablement  durer  jusqu'au  jugement  qui  les  a  repoussés.  En 
cassation,  la  prescription  ne  pourrait  pas  être  opposée,  puisque  les 
tribunaux  ne  violaient  pas  la  loi  en  n'en  tenant  pas  compte  quand 
elle  n'était  pas  invoquée.  Mais,  après  cassation,  devant  un  nouveau 
tribunal  ou  une  nouvelle  Cour,  l'affaire  revenant  entière ,  la  partie 
pourra  faire  valoir  les  moyens  qu'elle  avait  volontairement  négligés 
jusque-là. 

331  bis.  II.  La  fin  de  l'article  se  rattache  à  ce  que  nous  avons 
dit  plus  haut  sur  la  renonciation  tacite  à  la  prescription.  Il  y  a 
certains  moyens  de  défense  dont  l'emploi  implique  reconnaissance 
du  droit  de  l'adversaire  et  par  conséquent  renonciation  à  la  pres- 
cription; si  dans  le  cours  du  procès  la  partie  a  usé  d'un  de  ces 
moyens,  elle  ne  peut  plus  invoquer  la  prescription,  puisqu'elle  y  a 
renoncé. 

332.  Les  créanciers  pouvant,  en  général,  exercer  les  droits 
de  leur  débiteur  (art.  H66),  il  est  tout  simple  qu'ils  puissent 
opposer  la  prescription  de  son  chef.  Bien  plus,  la  loi  réserve 
aux  intéressés  la  faculté  de  l'opposer,  non  seulement  lorsque  la 
partie  (la  loi  dit,  le  débiteur  ou  le  propriétaire)  ne  l'oppose  pas, 
mais  même  lorsqu'elle  y  renonce.  V.  art.  2225;  et  remarquez 
qu'il  n'y  a  rien  d'immoral  dans  cette  faculté  laissée  aux  tiers 
intéressés,  puisque  la  délicatesse  ne  peut  autoriser  le  débiteur 
ou  possesseur  à  faire  prévaloir  l'intérêt  du  créancier  ou  du 
propriétaire  négligent  sur  celui  des  tiers  sans  reproche;  la 


426        coims  analytique  de  code  civil,  liv.  tu. 

partie  reste  d'ailleurs  maîtresse  de  ne  point  s'appliquer  les 
effets  d'une  prescription  que  sa  conscience  réprouve,  si  l'état 
de  ses  affaires  lui  permet  de  désintéresser  tout  le  monde. 

332  bis.  I.  Jusqu'à  présent,  nous  avons  supposé  que  c'était  le 
débiteur  ou  le  possesseur  qui  opposait  la  prescription  ou  qui  y 
renonçait.  Il  est  en  effet  l'intéressé  direct  et  principal  dans  la  ques- 
tion de  prescription;  mais  il  peut  arriver  qu'il  ne  soit  pas  \q  seul 
intéressé,  de  ce  fait  résultera  une  certaine  modification  à  ses  droits. 
Ce  point  est  réglé  par  l'article  222o. 

L'hypothèse  littéralement  prévue  par  cet  article  est  celle-ci  :  le 
débiteur  ou  le  possesseur  renonce  à  la  prescription,  mais  il  existe 
des  créanciers  de  ce  renonçant  ou  d'autres  personnes  ayant  intérêt 
à  ce  que  la  prescription  soit  acquise.  La  décision  de  l'article  est  que 
ces  deux  classes  de  personnes  peuvent  opposer  la  prescription. 

332  bis.  IL  Pour  l'une  de  ces  deux  catégories  d'intéressés,  pour 
ceux  qui  ont  un  intérêt  et  un  droit  propre,  la  règle  est  des  pins 
simples  ;  ce  sont  d'abord  des  eyants  cause  à  titre  particulier  du  pos- 
sesseur, des  personnes  qui  ont  reçu  de  lui  un  droit  d'usufruit  ou  de 
servitude,  ou  des  créanciers  ayant  une  hypothèque  de  son  c'ief.  Ou, 
s'il  s'agit  de  prescription  libératoire,  ce  sont  des  personnes  qui 
sont  tenues  d'une  obligation  qui  est,  jusqu'à  un  certain  point,  dé- 
pendante de  celle  de  la  partie  qui  a  renoncé  à  la  prescription,  par 
exemple  une  caution  ou  un  codébiteur  solidaire. 

Toutes  ces  personnes,  ayant  un  droit  propre,  ne  peuvent  pas  en 
être  dépouillées  par  la  négligence  de  la  partie  qui  n'oppose  pas  la 
prescription  ou  par  la  volonté  de  cette  même  partie  qui  renonce 
expressément  à  un  moyen  certain  de  défense.  Gela  est  de  toute 
évidence  pour  les  ayants  cause  à  titre  particulier  d'un  possesseur. 
Une  fois  investi  d'un  droit  d'usufruit,  de  servitude  ou  d'hypothèque, 
ils  ont  sur  la  chose  un  droit  réel  absolument  indépendant  de  la 
volonté  de  leur  auteur,  et  ce  droit  réel  ne  peut  pas  être  perdu  sans 
un  acte  de  leur  volonté. 

Il  en  est  de  même  des  cautions  ou  des  codébiteurs  solidaires;  ils 
sont  débiteurs  et  peuvent,  en  cette  qualité,  invoquer proprio  nomine 
les  causes  d'extinction  de  leur  dette;  et  la  volonté  soit  du  codébi- 
teur solidaire,  soit  du  débiteur  principal,  doit  être  sans  influence 
sur  leur  droit. 

332  bis.  III.  Les  créanciers  chirographaires  du  débiteur  ou  du 


TIT.    X.\.    DE    JA   Pli  ESC  MPT  ION,    ART.    2225.  427 

possesseur  sont  aussi  intéressés  à  ce  que  la  prescription  soit  invo- 
quée, puisque,  par  cette  prescription,  le  patrimoine  qui  leur  sert  de 
gage  se  trouve  augmenté  ou  au  moins  conservé.  Leur  droit  à  l'op- 
poser paraît  consacré  par  l'article  2225,  mais  l'étendue  de  ce  droit 
n'est  pas  nettement  délimitée  par  ce  texte. 

Dans  un  cas,  leur  droit  est  certain,  c'est  lorsque  la  renonciation 
n'est  pas  consommée,  lorsqu'elle  est  simplement  en  voie  de  s'ac- 
complir par  l'inaction  de  leur  débiteur.  Celui-ci  est  poursuivi  par 
une  action  soit  personnelle,  soit  réelle,  il  se  défend;  on  est  en  cours 
de  procès,  mais  il  ne  conclut  pas  en  invoquant  la  prescription; 
comme  il  a  le  droit  de  l'invoquer  jusqu'au  jugement  en  dernier 
ressort,  ces  créanciers  exerçant  des  droits  aux  termes  de  l'article 
1166,  peuvent  l'invoquer  de  son  chef.  Cela  ne  fait  guère  de  doute, 
et  il  semble  même  que  ce  soit  l'hypothèse  que  l'article  a  eu 
principalement  en  vue,  car  en  employant  le  verbe  renoncer  au 
temps  présent,  il  ne  se  place  pas  dans  le  cas  d'une  renonciation 
consommée,  il  vise  une  renonciation  qui  se  fait,  mais  qui  n'est  pas 
faite.  Comment  supposer  cet  état  d'une  renonciation  qui  n'est  ni 
future  ni  passée,  si  ce  n'est  en  envisageant  l'espèce,  où  elle  est 
commencée,  puisque  la  défense  n'invoque  pas  ce  moyen,  sans  être 
accomplie,  puisqu'il  est  encore  temps  de  s'en  prévaloir.  L'article 
alors,  en  consacrant  un  droit  aussi  certain  que  celui  qui  résulte  de 
l'article  1166,  a  eu  pour  but  de  montrer  que  ce  droit  n'est  pas 
exclusivement  attaché  à  la  personne.  On  aurait  pu  croire  que  l'ap- 
préciation con  ciencieuse  des  faits  d'où  dépend  la  détermination  de 
celui  qui  a  le  droit  d'opposer  la  prescription,  ne  pouvait  pas  être 
abandonnée  à  des  créanciers  et  devait  dépendre  exclusivement  du 
prélendu  débiteur  ou  du  possesseur.  La  loi  a  pensé  que  cela  n'enga- 
geait en  rien  la  conscience  de  ce  prétendu  débiteur  ou  de  ce  posses- 
seur, puisque  la  prescription  était  opposée  par  d'autres  que  par  lui, 
et  elle  a  préféré  les  créanciers  dont  les  droits  sont  certains  à 
d'autres  créanciers  ou  à  des  propriétaires  qui,  par  une  inaction 
pendant  un  long  temps,  ont  fait  naître  une  sérieuse  incertitude  sur 
leurs  propres  droits. 

332  bis.  IV.  L'article  2225,  en  ce  qui  touche  les  créanciers  chiro- 
graphaires,  a  donc  certainement  en  vue  le  cas  où  la  renonciation 
n'est  pas  encore  consommée.  Mais  il  peut  bien  être  plus  général 
et  comprendre  aussi  l'hypothèse  d'une  renonciation  accomplie.  Il 
signifierait  alors  que  les  créanciers  peuvent  faire  annuler  Ja  renon- 


428  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

dation  et,  par  conséquent,  opposer  la  prescription  comme  si  leur 
débiteur  n'y  avait  pas  renoncé.  Ici  nous  ne  sommes  plus  sur  le 
terrain  de  l'article  1166,  mais  sur  celui  de  l'article  1167. 

Des  auteurs  graves  ont  nié  que  l'article  2225  ait  réglé  cette 
hypothèse,  puisque,  disent-ils,  l'article  parle  du  cas  où  le  débiteur 
renonce,  et  non  de  celui  où  il  a  renoncé.  De  là  ils  concluent  que 
notre  article  étant  muet,  l'article  1167  reste  seul  applicable, 
en  vertu  duquel  la  renonciation  ne  pourrait  être  révoquée  que 
moyennant  la  preuve  d'une  fraude  commise  par  le  renonçant, 
c'est-à-dire  en  démontrant  qu'il  connaissait,  lors  de  la  renonciation, 
le  tort  qu'il  causait  à  ses  créanciers,  qu'il  savait  que  cette  renoncia- 
tion allait  le  rendre  insolvable  ou  au  moins  augmenter  une  insol- 
vabilité préexistante. 

L'argument  grammatical,  fondé  sur  le  texte,  ne  nous  paraît  pas 
décisif.  En  effet,  l'article  2225  traite,  nous  l'avons  dit,  de  deux 
classes  différentes  de  personnes;  pour  l'une  d'elles,  celle  qui  com- 
prend principalement  les  ayants  cause  à  titre  particulier  du  posses- 
seur, il  n'est  pas  douteux  qu'il  faille  l'appliquer  tant  aux  renon- 
ciations consommées  qu'aux  renonciations  qui  sont  en  voie  de 
s'accomplir;  que  par  conséquent  le  mot  renonce  y  signifie  également 
renonce  ou  a  renoncé;  comment  comprendre  qu'un  mot  employé 
seulement  une  fois  dans  la  phrase,  et  qui  a  deux  sujets  joints  par  la 
conjonction  et,  ait  un  sens  par  rapport  à  l'un  des  sujets  et  un  autre 
sens  par  rapport  à  l'autre? 

Nous  ajouterons  que,  traitant  d'une  question  analogue,  l'article 
788  parle  d'un  héritier  qui  renonce  au  préjudice  de  ses  créanciers  et 
donne  à  ceux-ci  le  droit  de  faire  annuler  la  renonciation,  ce  qui 
suppose  d'une  façon  évidente  que  la  renonciation  est  consommée 
et  que  dans  le  commencement  de  la  phrase  le  mot  renonce  signifie  a 
renoncé. 

332  bis.  V.  Si  l'argument  du  texte  ne  nous  gêne  plus,  nous 
sommes  autorisés  à  entendre  avec  largeur  l'article  2225  et  à  le 
considérer  comme  embrassant  les  deux  hypothèses  régies  par  les 
articles  1166  et  1167,  par  conséquent,  comme  consacrant  une 
certaine  dérogation  à  ce  dernier  article.  Il  n'exige  pas  la  preuve  de 
la  fraude,  le  droit  des  créanciers  est  subordonné  à  leur  intérêt, 
c'est-à-dire  au  préjudice  qu'ils  éprouvent;  il  applique  par  consé- 
quent à  la  renonciation  qui  nous  occupe,  la  règle  exceptionnelle 
qu'on  a  déjà  rencontrée  aux  articles  622  et  788.  Il  est  vrai  que 


TIT.   XX.   DÉ  LA  PRESCRIPTION.  AKT.   2225-2227.      429 

l'exception  elle-même  est  contestée  sur  ces  deux  derniers  articles; 
mais  c'est  un  point  que  nous  avons  examiné  au  titre  des  obliga- 
tions, et  nous  avons  admis,  avec  M.  Demante.  que  les  renonciations  à 
l'usufruit  et  aux  successions  peuvent  être  annulées  pour  simple 
préjudice  (1).  Les  raisons  qui  nous  ont  déterminé,  quant  à  ses 
deux  renonciations,  ont  la  même  force  en  ce  qui  concerne  la  renon- 
ciation à  la  prescription.  Elles  sont  fortifiées  par  une  double  consi- 
dération ;  d'abord,  il  ne  faut  pas  préférer  aux  créanciers  qui  ont 
conservé  leurs  droits  des  créanciers  ou  des  propriétaires  qui,  par 
leur  négligence,  ont  grandement  compromis  les  leurs.  Secondement, 
les  renonciations  à  la  prescription  sont  plus  redoutables  pour  les 
créanciers  que  les  autres  actes,  et  notamment  que  les  renonciations 
à  l'usufruit  ou  aux  successions,  parce  qu'elles  s'inspirent  ordinaire- 
ment d'une  pensée  honnête,  d'un  scrupule  de  conscience  qui  ne 
laisse  pas  leur  auteur  peser  les  conséquences  préjudiciables  qu'elles 
peuvent  avoir.  C'est  pourquoi  l'on  comprend  que  la  loi  en  permette 
la  révocation  à  des  conditions  plus  faciles  que  celles  auxquelles 
est  soumise  la  révocation  d'un  contrat  qui  oblige  son  auteur, 
ou  par  lequel  il  aliène  sa  propriété.  Quand  un  débiteur  fait  quel- 
qu'un de  ces  actes-là,  il  en  examine  librement  les  conséquences, 
parce  qu'il  ne  se  sent  pas  moralement  forcé  à  le  faire. 

333.  La  prescription,  pas  plus  que  tout  autre  moyen  d'ac- 
quérir, ne  peut  évidemment  s'appliquer  aux  choses  qui,  étant 
hors  du  commerce,  ne  sont  pas  susceptibles  de  propriété 
privée.  V.  art.  2°2£6^  et  a  ce  sujet,  art.  538,  540,  542  (2). 

334.  Du  reste,  la  loi  actuelle  n'admet  aucun  privilège  pour 
TÉtal,  les  communes  et  les  établissements  publics,  à  l'égard 
des  biens  susceptibles  de  propriété  privée  qui  se  trouvent 
leur  appartenir.  Y.  art.  2227. 

334  bis.  En  ce  qui  touche  les  biens  de  l'État,  des  départements  et 
des  communes,  il  résulte  des  deux  articles  2226  et  2227  une 
distinction  qui  a  été  étudiée  au  tome  II.  Ceux  de  ces  biens  qui  sont 
prescriptibles,  sont  ceux  qui  font  partie  du  domaine  privé  de  l'État, 
du  département  ou  de  la  commune,  quœ  sunt  in  patrimonio  Reipu- 
blicœ  aut  civitatis;  ceux  au  contraire  qui  font  partie  du  domaine 

(1)  V.  t.  V,  n°82fci».  X. 

(2)  V.  au  surplus  l.  Il,  n"  373  bis  el  •  74. 


430  COCUS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

public,  c'est-à-dire  qui  sont  affectés  à  des  usages  publics,  comme 
les  routes,  les  fleuves,  les  ports,  sont  imprescriptibles. 


CHAPITRE  II. 

DE    LA    POSSESSION. 

335.  La  première  condition  requise  pour  acquérir  par  pres- 
cription, c'est  la  possession. 

Posséder  une  chose,  c'est  proprement  l'avoir  en  son  pou- 
voir, soit  qu'on  la  détienne  par  soi-même  ou  qu'on  la  fasse 
détenir  en  son  nom.  Celle  détention  ne  peut  réellement  s'ap- 
pliquer qu'aux  choses  corporelles  ;  mais  on  est  aussi  réputé 
posséder  un  droit  quand  on  l'exerce  par  soi-même  ou  par 
autrui,  sans  contradiction.  V.  arl.  2228. 

335  bis,  I.  Après  avoir  donné  des  notions  générales  sur  la  pres- 
cription, le  Gode  entreprend  l'exposé  des  règles  de  détail.  Il  com- 
mence par  traiter  d'une  condition  qui  est  spéciale  à  la  prescrip- 
tion acquisitive  :  la  possession;  c'est  l'objet  du  chapitre  II  et  du 
chapitre  III,  celui-ci  n'étant  qu'un  développement  de  celui-là. 

Plus  tard,  il  traitera  de  la  condition  qui  est  commune  aux  deux 
prescriptions,  le  temps  (chapitre  V),  et  dans  l'intervalle  il  examinera 
les  obstacles  qui  peuvent  entraver  le  cours  de  la  prescription,  soit 
acquisitive,  soit  libératoire  (chapitre  IV).  Évitant  ainsi  la  confusion 
que  semblait  lui  imposer  la  réunion  des  deux  prescriptions  dans 
un  même  titre,  il  expose  donc  la  matière  dans  un  ordre  logique. 
Envisageant  d'abord  les  conditions  nécessaires  pour  que  la  pres- 
cription soit  possible,  montrant  ensuite  les  obstacles  qu'elle  peut 
rencontrer  dans  son  cours  et  fixant  enfin  le  temps  nécessaire  pour 
qu'elle  se  complète. 

335  bis.  II.  Nous  commençons  donc  par  traiter  de  la  possession, 
considérée  comme  condition  essentielle  de  la  prescription  afin  d'ac- 
quérir. Cette  prescription,  en  effet,  a  son  origine  dans  l'usucapion 
des  Romains,  qui  a  toujours  été  définie  :  l'acquisition  de  la  propriété 
par  la  possession  continuée  pendant  un  certain  temps. 

Le  Code  donne  d'abord  une  définition  de  la  possession,  l'idée  la 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2228.  431 

plus  simple  qu'on  pourrait  en  donner  et  qui  dérive  de  l'étymologie 
probable  du  mot  (possessio  a  posse)  est  celle-ci  :  la  possession  est  le 
fait  d'avoir  une  chose  en  sa  puissance  (1).  L'article  2228  a  développé 
cette  idée,  seulement  il  l'a  un  peu  obscurcie,  parce  qu'il  a  voulu 
donner  à  la  fois  la  définition  de  la  possession  et  celle  de  la  quasi- 
possession.  Ce  qu'on  entend  en  droit  par  quasi-possession,  c'est  la 
possession  des  droits.  Les  Romains,  qui  considéraient  la  possession 
proprement  dite  comme  le  fait  d'avoir  une  chose  matériellement 
en  sa  puissance,  refusaient  d'admettre  la  possession  des  droits, 
c'est-à-dire  des  choses  incorporelles;  ils  étaient  arrivés  à  concevoir 
quelque  chose  d'analogue  à  cette  possession  en  ce  qui  concerne 
les  droits,  c'était  l'exercice  de  ces  droits;  mais  comme  le  fait 
d'exercer  un  droit  n'implique  pas  une  action  matérielle  sur  le  droit 
lui-même,  ils  le  qualifiaient  par  le  mot  quasi-possession.  La  doctrine 
a  conservé  ces  nuances  d'expression,  qui  correspondent  à  la  nature 
différente  du  mode  d'exercice  des  différents  droits;  mais  le  Code 
civil  a  vu  que  la  détention  physique  d'une  chose  corporelle  est 
l'exercice  du  droit  de  propriété,  comme  le  fait  d'user  d'un  droit 
autre  que  la  propriété  est  l'exercice  de  ce  droit,  et  il  a  donné  une 
définition  unique  de  la  possession  qui  pourrait  se  résumer  ainsi  : 
la  possession  est  l'exercice  apparent  d'un  droit. 

335  bis.  III.  Cette  détention  ou  cette  jouissance  suppose  la  réunion 
(ie  deux  éléments  :  un  fait  et  une  intention.  Le  fait  consiste  dans 
l'accomplissement  d'actes  qui  sont  ordinairement  accomplis  par  le 
titulaire  du  droit  et  par  conséquent  constituent  l'exercice  de  ce  droit. 
C'est  la  détention  d'une  chose  corporelle,  c'est-à-dire  la  garde 
d'un  meuble,  l'occupation  d'une  maison,  la  culture  d'une  terre, 
c'est  l'existence  d'une  fenêtre  à  une  distance  trop  rapprochée  d'un 
terrain  appartenant  à  autrui,  d'une  poutre  dans  le  bâtiment  du 
voisin,  d'un  canal  dans  sa  propriété,  dans  ces  derniers  exemples 
nous  avons  en  vue  la  quasi-possession,  l'exercice  d'une  servitude. 

L'intention,  c'est  ia  volonté  chez  celui  qui  fait  les  actes  que  nous 
venons  de  supposer,  de  les  faire  en  qualité  de  maître,  non  pas  qu'il 
soit  nécessaire  que  celui  qui  possède  croie  à  l'existence  de  son 
droit,  mais  il  faut  qu'il  ait  au  moins  la  volonté  de  paraître  avoir  ce 
droit.  Cette  volonté,  qui  est  le  second  élément  indispensable  de  la 
possession,  est  ce  que  les  Romains  appelaient  Yanimus  domini. 

(I)  V.  t.  II,  n»  378  bis.  VIII. 


432  COURS    ANALYTIQUE   DE   CODE   CIVIL.    LIV.    III. 

Il  faut  que  cette  intention,  cette  volonté,  soit  propre  à  celui  qui 
possède,  que  ce  soit  lui-même  qui  ait  la  prétention  d'être  maître 
du  droit,  mais  le  fait  de  la  détention  ou  de  l'exercice  du  droit  n'a 
rien  de  personnel,  et  si  une  personne  étrangère  l'accomplit  pour 
nous,  nous  n'en  avons  pas  moins  la  possession.  Le  Code  rappelle 
cette  règle  ancienne,  qui  remonte  aux  Romains,  par  les  derniers 
mots  de  son  article  :  un  autre  peut  tenir  la  chose  ou  exercer  le  droit 
en  notre  nom.  Ce  tiers,  qui  exerce  le  droit  pour  un  autre  et  par 
lequel  cet  autre  possède,  c'est  ordinairement  un  mandataire,  un 
fermier,  un  usufruitier. 

336.  La  possession  étant  le  principal  attribut  de  la  pro- 
priété, on  conçoit  que  celui  qui  possède  soit  en  général  réputé 
propriétaire  jusqu'à  preuve  contraire-,  c'est  le  fondement  des 
actions  possessoires(v.  C.  Pr.,  art.  23).  On  conçoit  même  que 
la  possession  prolongée  fasse  supposer,  ou  la  transmission 
légale  de  la  propriété  au  possesseur,  par  le  véritable  maître, 
ou  un  abandon  de  celui  ci,  qui  en  autoriserait  l'occupation, 
tel  est  le  fondement  général  de  la  prescription  à  l'effet  d'ac- 
quérir. Mais  pour  qu'on  puisse  tirer  de  la  possession  ces  induc- 
tions, elle  doit  réunir  plusieurs  qualités;  il  faut  donc,  pour 
que  la  possession  serve  de  base  a  la  prescription  : 

1*  Qu'elle  soit  continue-,  la  loi  ajoute  et  non  interrompue  , 
sans  doute  pour  exprimer  que  la  continuation  de  fait  ne  rem- 
plirait pas  la  condition  s'il  y  avait  eu  interruption  civile-, 

2°  Qu'elle  soit  paisible,  c'est-à-dire  non  fondée  sur  la 
violence  j 

3°  Qu'elle  soit  publique  \ 

4°  Qu'elle  soit  non  équivoque,  c'est-à-dire  fondée  sur  des 
actes  qui  ne  laissent  point  douter  si  l'on  détient,  et  si  c'est 
pour  soi-même  ou  pour  autrui; 

5°  Qu'elle  soit  à  titre  de  propriétaire.  V.  art.  2229. 

336  5m.  I.  La  possession  définie,  il  est  facile  de  voir  le  rapport 
qui  existe  entre  la  possession  et  la  prescription.  Le  propriétaire 
seul  a  le  droit  de  posséder,  ou  plus  généralement  le  titulaire  d'un 
droit  peut  seul  légalement  l'exercer.  Dès  lors,  il  est  naturel  de 
présumer  que  celui  qui  possède  est  propriétaire,  que  celui  qui 


TIT.    XX.    DE   LA   PRESCRIPTION.    ART.    2229.  433 

exerce  un  droit  a  véritablement  ce  droit.  C'est  l'état  de  choses 
régulier,  et  l'irrégularité  ne  doit  pas  être  présumée. 

A  raison  de  cette  présomption,  la  possession  devient  un  droit 
distinct  du  droit  de  propriété;  ainsi,  celui  qui  a  possédé  pendant  un 
an  un  immeuble,  et  qui  certes  ne  l'a  pas  prescrit,  a  une  action  qu'on 
appelle  possessoire  pour  recouvrer  la  possession  s'il  l'a  perdue,  et 
reprenant  la  possession  par  ce  moyen,  il  devient  défendeur  à  l'ac- 
tion en  revendication,  ce  qui  impose  le  fardeau  de  la  preuve  à 
son  adversaire;  il  n'a  pas  à  prouver  son  droit  de  propriété. 

Prolongée  plus  longtemps,  la  possession,  pour  parler  le  langage 
du  Gode,  donne  la  propriété;  mais  il  faut  qu'elle  réunisse  certaines 
conditions  énumérées  par  l'article  2229  et  qu'il  nous  faut  étudier 
séparément. 

336  bis.  II.  1°  La  possession  pour  conduire  à  la  prescription  doit 
être  continue,  c'est-à-dire  qu'elle  doit  se  manifester  par  une  série 
d'actes  assez  rapprochés  pour  qu'on  ne  puisse  pas  dire  qu'elle  a 
été  intermittente,  qu'elle  a  cessé  pour  recommencer  ensuite.  Si 
celui  qui  invoque  sa  possession  a  quelquefois  agi  en  maître  sur  la 
chose  et  si,  l'occasion  se  représentant  de  faire  les  mêmes  actes,  il 
l'a  négligée,  il  n'a  pas  assez  montré  sa  prétention,  ni  assez  provoqué 
les  réclamations  du  vrai  propriétaire;  les  intervalles  qui  séparent 
ses  actes  de  possession  laissent  à  penser  qu'il  ne  se  présentait  pas 
comme  maître,  mais  qu'il  profitait  de  temps  en  temps  d'un  défaut 
de  surveillance  pour  tirer  quelque  profit  de  la  chose  d'autrui. 

Les  actes  de  possession  peuvent  cependant,  suivant  la  nature  de 
la  chose,  être  assez  éloignés  les  uns  des  autres  ;  ainsi  la  possession 
d'une  maison  d'habitation  aura  bien  le  caractère  d'une  continuité 
véritable,  puisque  l'occupation  d'une  maison  n'exige  pas  le  fait 
actuel  de  l'homme,  elle  est  réalisée  par  la  permanence  dans  cette 
maison  de  meubles  appartenant  au  possesseur;  mais  la  possession 
d'un  champ  se  compose  d'actes  de  culture  qui  se  renouvellent 
peu  de  fois  dans  une  année,  et  il  est  des  immeubles,  comme  les 
bois,  sur  lesquels  la  possession  ne  se  manifestera  pas  peut-être  tous 
les  ans.  Ce  qu'il  faut  donc,  c'est  que  les  intervalles  entre  les  actes 
accomplis  par  le  possesseur  sur  la  chose  ne  soient  pas  séparés  par 
des  intervalles  trop  considérables  eu  égard  à  la  manière  dont  on 
use  habituellement  de  ce  genre  de  choses. 

Cette  observation  a  son  importance,  parce  qu'elle  montre  que  la 
règle  de  l'article  690,  qui  interdit  l'acquisition  par  prescription  des 
vin.  28 


434  COURS  ANALYTIQUE   DE    CODE   CIVIL.    L1V.    III. 

servitudes  discontinues,  ne  se  rattache  pas  à  la  théorie  de  l'article 
2229.  En  effet,  un  droit  de  passage  peut  s'exercer  par  des  actes 
plus  rapprochés  que  le  droit  de  propriété  d'un  champ;  c'est  donc 
par  un  autre  principe  qu'il  faudra  expliquer  cette  disposition  de 
l'article  690,  ainsi  que  nous  le  verrons  sur  l'article  2232. 

336  bis.  III.  2°  La  possession  doit  être  non  interrompue.  Cette 
condition  semble  d'abord  se  confondre  avec  la  précédente,  car  si  la 
possession  est  interrompue,  elle  cesse  d'être  continue.  Mais  la  loi,  par 
un  abus  de  mot,  confondant  l'interruption  de  la  possession  avec  celle 
de  la  prescription,  a  voulu  faire  pressentir  qu'une  possession  con- 
tinue pouvait  ne  pas  compter  tout  entière  pour  la  prescription, 
lorsque  ses  effets  auraient  été  en  partie  paralysés  par  certains  actes 
juridiques,  qu'on  appelle  des  actes  interruptifs.  (V.  art.  2244,  2245, 
2248.)  Ces  actes,  par  exemple  la  citation  en  justice  à  la  requête 
de  celui  contre  qui  court  la  prescription,  laissent  subsister  la  pos- 
session, ne  l'empêchent  pas  de  continuer  sans  intermittence,  mais  ils 
arrêtent  en  droit  le  cours  de  la  prescription.  A  bien  dire,  ce  n'est 
pas  la  possession  qui  a  été  interrompue,  c'est  l'opération  juridique 
qu'on  appelle  la  prescription.  Mais,  en  envisageant  la  chose  du  côté 
pratique,  on  a  pu  sans  inconvénient  appliquer  à  la  possession  elle 
même,  en  tant  qu'elle  conduit  à  la  prescription,  la  qualification  qui 
n'est  vraie  au  fond  que  si  on  l'applique  à  l'effet  de  la  possession. 
C'est,  au  surplus,  ce  qu'avait  fait  Pothier  (1). 

336  bis.  IV.  En  dehors  de  ces  cas  d'interruption,  le  Code  recon- 
naît encore  une  interruption  naturelle  qui  consiste  dans  la  privation 
de  la  possession  pendant  plus  d'un  an,  soit  par  le  fait  du  vrai  pro- 
priétaire, soit  par  le  fait  d'un  tiers  (art.  2243).  Peut-être  notre 
article  2229  a-t-il  songé  à  cette  circonstance  et  a-t-il  voulu  dis- 
tinguer la  possession  qui  discontinue  par  l'inaction  du  possesseur, 
de  celle  qui  cesse  d'être  continue  par  le  fait  d'autrui,  d'une  per- 
sonne qui  prive  le  possesseur  de  sa  possession;  à  ce  dernier  cas, 
elle  aurait  appliqué  la  qualification  d'interrompue.  Cette  distinction 
serait  inutile,  le  mot  continue  était  bien  suffisant,  puisque  l'inter- 
ruption naturelle  empêche  mieux  que  quoi  que  ce  soit  la  possession 
d'être  continue. 

336  bis.  V.  3°  La  possession  doit  être  paisible.  Il  faut  entendre 
certainement  par  là  qu'elle  ne  doit  pas  être  entachée  de  violence, 

(1)  Pothier,  Coutumes  d'Orléans,  XIV,  n"26  et  27. 


TIT.   XX.    DE   LA   PRESCRIPTION.    ART.    2229.  435 

en  ce  sens  qu'elle  ne  doit  pas  avoir  été  appréhendée  ou  même 
conservée  par  violence.  C'est  la  condition  de  l'interdit  uti  possidetis 
et  de  l'interdit  uirubi  en  droit  romain,  le  possesseur  ne  doit  pas 
avoir  possédé  vi.  Celui  qui  prend  ou  conserve  la  possession  par 
des  moyens  violents  ne  se  comporte  pas  comme  un  propriétaire, 
on  peut  dire  qu'il  ne  possède  pas  à  titre  de  maître  ou  au  moins 
que  sa  possession  n'a  pas  d'une  manière  évidente  le  caractère  de 
possession  à  ce  titre;  car  le  vrai  maître  n'a  pas  besoin  de  violence 
pour  se  mettre  ou  pour  se  faire  maintenir  en  possession,  il  emploie 
les  moyens  judiciaires.  Voilà  la  raison  théorique  de  la  règle,  il  en 
est  une  autre  qui  est  une  raison  pratique,  c'est  que  le  législateur 
ne  sanctionne  jamais  les  actes  de  violence,  parce  que  rien  ne  serait 
plus  contraire  à  l'ordre  social  que  la  possibilité  de  fonder  un  droit 
sur  des  actes  de  cette  nature. 

336  bis.  VI.  Tel  est  le  sens  certain  du  mot  paisible.  Tous  s'ac- 
cordent sur  ce  point,  mais  quelques-uns  vont  plus  loin;  ils  y  trou- 
vent une  autre  règle.  Il  faudrait  que  le  possesseur,  alors  même 
qu'il  n'aurait  pas  pris  possession  par  violence,  n'eût  pas  lui-même 
été  troublé  par  des  actes  de  violence  émanés  de  tiers.  Il  est  cer- 
tain, en  effet,  que  dans  son  apparence,  l'expression  de  la  loi  peut 
conduire  à  cette  idée,  car  le  mot  paisible  évoque  l'idée  d'une 
tranquillité  qui  a  une  durée,  et  non  pas  seulement  d'une  tranquillité 
qui  n'a  existé  qu'au  commencement.  Quand  on  dit  une  existence 
paisible,  on  n'entend  pas  parler  d'une  existence  qui  a  commencé 
paisiblement.  Quand  l'article  1625  impose  au  vendeur  l'obligation 
de  garantir  à  l'acheteur  une  jouissance  paisible,  il  l'oblige  certaine- 
ment à  protéger  cet  acheteur  contre  des  troubles  survenant  à  une 
époque  quelconque.  On  peut  ajouter  à  ceci  que  le  Code  semble,  par 
l'emploi  du  mot  paisible,  vouloir  reproduire  l'expression  sans  inquiè- 
tation  qui  se  trouve  dans  l'article  113  de  la  coutume  de  Paris  et 
d'où  il  résulterait  que  les  actes  des  tiers  troublant  le  repos  du 
possesseur  sont  un  obstacle  à  ce  que  la  possession  conduise  à  la 
prescription. 

Nous  n'admettons  pas  cette  interprétation  de  l'article,  elle  nous 
semble  attacher  trop  d'importance  à  un  mot  pour  lui  faire  pro- 
duire des  conséquences  inconciliables  avec  l'ensemble  de  la  théorie 
sur  la  prescription.  Nous  l'avons  dit  :  la  violence  ne  peut  pas  fonder 
des  droits;  comment  admettre  qu'elle  pourrait  détruire  des  droits? 
Le  possesseur  qui  n'a  pas  agi  violemment  pour  occuper  la  chose  a 

28. 


436  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

la  possession,  c'est  un  droit;  il  est  antijuridique  que  ce  droit  soit 
détruit  par  le  fait  violent  d'un  tiers.  Il  est  un  cas  où  le  fait  d'un 
tiers  détruit  sa  possession,  c'est  quand  ce  fait  constitue  une  priva- 
tion de  la  possession  pendant  plus  d'un  an,  qu'il  y  ait  eu  violence 
ou  que  la  privation  de  jouissance  ait  eu  lieu  sans  violence,  la  pres- 
cription est  interrompue,  la  raison  en  est  simple,  ce  n'est  pas  sur 
la  violence  même  qu'est  fondée  la  perte  de  droit  du  possesseur, 
c'est  sur  son  inertie  pendant  un  an.  Il  avait  l'action  possessoire, 
il  n'en  a  pas  usé,  son  droit  est  perdu  par  sa  négligence.  Mais  pour- 
rait-on comprendre  que  si  la  privation  de  jouissance  pendant  moins 
d'un  an  n'empêche  pas  la  prescription,  des  actes  de  violence  qui 
n'entraîneraient  pas  la  dépossession,  eussent  pour  effet  de  l'empê- 
cher? .    . 
Reste  donc  la  question  de  mot,  nous  croyons  que  le  mot  paisible 
a  été  écrit  comme  synonyme  de  non  violente  (nec  w),  ou  comme 
équivalant  à  l'expression  sans  violence  (ordonnance  de  1667,  t.  XVII, 
art.  1");  le  législateur  n'énumérant  pas  sous  forme  négative  les 
vices  qui  empêchent  la  prescription,   cherchant  à  indiquer  sous 
forme  positive  les  qualités  contraires  à  ces  vices,  n'a  trouvé  qu'une 
expression  ambiguë,  parce  qu'il  était  difficile  de  rencontrer  un 
adjectif  précis  équivalant  exactement  à  la  locution  non  violente, 
comme  au  contraire  il  a  été  facile  de  dire  publique  au  lieu  de 
non  clandestine  [nec  clam).  Il  n'a  pas  voulu  reproduire  les  mots 
sans  inquiétation  de  la  coutume  de  Paris  dans  le  sens  que  leur 
donne  l'opinion  que  nous  combattons,  car  ces  expressions  étaient 
interprétées  par  Ferrière,  commentateur  classique  de  cette  coutume, 
en  ce  sens  qu'il  fallait  que  la  prescription  n'eût  pas  été  civilement 
interrompue,  en  sorte  que  c'est  le  mot  non  interrompue  de  l'article 
2229   et  non  pas  le  mot   paisible  qui  traduit  l'expression  sans 
inquiétation  (i).  On  lit  en  effet,  dans  Ferrière  :  l'interruption  de  la 
prescription  se  fait  de  deux  manières,  savoir  :  civilement  par  voie 
civile  d'action  et  contestation  appelée  en  cet  article  (113)  inquiéta- 
tion. 

336  bis.  VII.  4e  Le  quatrième  caractère  que  doit  avoir  la  possession 
est  le  caractère  de  publicité.  Elle  doit  se  révéler  à  tous  par  des  actes 
matériels  patents,  de  nature  à  être  aperçus  par  tous.  Il  est  clair 
qu'il  n'est  pas  nécessaire  que  tous  aient  eu  connaissance  de  ces  actes, 

(])  V.  Ferrière,  Commentaire  sur  la  coutume  de  Par»,  t.  Ie',  p.  269.  Édil.  1788. 


TIT.    XX.    DE    LA   PRESCRIPTION.    ART.    2259.  437 

mais  que  tous  aient  pu  en  avoir  connaissance  ;  il  en  est  de  la  pos- 
session comme  du  mariage,  qui  est  célébré  publiquement  quand  il 
a  été  célébré  dans  la  maison  commune  dont  l'entrée  n'était  interdite 
à  personne,  alors  même  que  personne  ne  serait  entré.  L'absence 
de  publicité  change  le  caractère  de  la  possession,  qui  n'a  pas 
eu  lieu  à  titre  de  maître,  car  le  propriétaire  n'a  pas  à  cacher 
qu'il  exerce  son  droit;  de  plus,  elle  explique  l'inaction  du  vrai  pro- 
priétaire qui  n'a  pas  eu  à  protester  contre  une  usurpation  dont 
rien  ne  lui  donnait  connaissance.  Il  faut  du  reste  apprécier  la  non- 
publicité  de  la  possession  suivant  la  nature  des  choses  possédées. 
Il  en  est  dont  la  possession  pendant  sa  durée  ne  se  manifeste  pas 
au  public,  par  exemple  les  caves  et  les  souterrains;  la  publicité 
n'existera  alors  que  relativement;  si  l'excavation  a  été  faite  publi- 
quement, si  les  travaux  ont  pu  être  connus  de  tous  et  particulière- 
mentdes  intéressés,  la  continuation  de  la  possession  ne  se  manifestera 
peut-être  pas  d'une  façon  évidente  pour  tous,  mais  à  cause  de  la 
nature  de  la  chose,  la  prescription  aura  lieu;  sauf  les  cas  où  le 
possesseur  aurait  employé  des  moyens  spéciaux  pour  cacher  l'usage 
qu'il  faisait  du  souterrain  ou  pour  faire  croire  qu'il  n'avait  pas 
donné  suite  aux  travaux  qui,  d'abord,  avaient  été  publics.  La  cou- 
tume d'Orléans  dit,  il  est  vrai  (art.  253),  que  fouillement  en  terre, 
grattement,  n'attribue  par  quelque  laps  que  ce  soit,  droit  de  pres- 
cription à  celui  qui  aura  fait  ladite  entreprise.  Mais  il  ne  s'agit 
pas  là  de  l'hypothèse  que  nous  examinons,  et  Pothier  n'applique 
cet  article  que  dans  le  cas  où  un  propriétaire  a  fouillé  sous  le  ter- 
rain de  la  maison  voisine  sans  que  son  voisin  s'en  soit  aperçu.  Ces 
circonstances  ôtent  à  la  possession  tout  caractère  de  publicité,  et 
l'on  comprend  que  la  prescription  soit  impossible. 

336  bis.  VIII.  5°  La  possession  pour  conduire  à  la  prescription 
doit  être  à  titre  de  propriétaire,  c'est-à-dire  qu'elle  doit  être  fondée 
sur  la  prétention  d'être  propriétaire,  non  pas  sur  le  droit  de  pro- 
priété, car  s'il  n'en  était  ainsi,  la  prescription  deviendrait  inutile.  Il 
faut  que  le  possesseur  se  présente  comme  propriétaire,  soit  qu'il 
croie,  soit  qu'il  ne  croie  pas  à  son  droit;  il  doit  affecter  les  appa- 
rences d'un  propriétaire,  c'est-à-dire  qu'il  ne  doit  pas  prendre  une 
qualité  qui  suppose  la  propriété  chez  un  tiers,  il  faut  qu'il  possède 
pour  soi  et  non  pour  autrui,  sinon  il  y  aurait  précarité  dans  le 
sens  français  du  mot  (art.  2236),  et  le  silence  du  vrai  proprié- 
taire s'expliquerait,  car  il  n'a  pas  besoin  de  protester  contre  celui 


438  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

qui  n'annonce  pas  de  prétention  à  un  droit   contraire  au  sien. 

336  bis.  IX.  6°  Le  dernier  des  caractères  que  doit  réunir  la 
possession  à  fin  de  prescrire,  s'exprime  par  ces  mots  :  elle  doit  être 
non  équivoque.  Rien  de  moins  précis  que  l'expression  même  par 
laquelle  la  loi  désigne  ce  dernier  caractère.  Elle  veut  certainement 
que  les  faits  qui  constituent  la  possession  aient  un  caractère  net- 
tement dessiné,  ne  laissant  pas  prise  au  doute,  que  le  bien  ait  été 
possédé  franchement,  suivant  les  termes  de  la  coutume  de  Paris 
(art.  113);  mais  la  formule  est  assez  vague  pour  qu'on  ne  voie  pas 
bien  clairement  quels  sont  les  points  qui  doivent  être  non  douteux. 

Nous  pensons  que  la  loi  a  eu  en  vue  toutes  les  conditions  qu'elle 
exige  dans  son  article  2229,  et  qu'elle  entend  que  la  possession  doit 
les  réunir  toutes  d'une  façon  certaine,  qu'aucune  d'elles  ne  doit 
être  douteuse. 

On  a  dit  que  c'était  uniquement  sur  l'intention  de  posséder  à 
titre  de  propriétaire  que  devait  exister  la  complète  certitude,  exclu- 
sive de  l'équivoque.  Cette  intention  doit  se  manifester  par  des 
actes  de  jouissance  qui  ne  puissent  être  interprétés  que  comme  des 
actes  de  propriété.  Ainsi,  le  fait  de  faire  paître  des  bestiaux  sur  une 
prairie  est  de  sa  nature  équivoque,  car  il  peut  indiquer  une  pré- 
tention à  la  propriété  de  la  prairie  ou  seulement  une  prétention  au 
droit  de  pacage,  c'est-à-dire  à  une  servitude  qui  ne  peut  s'acquérir 
par  prescription.  On  a  rattaché  à  la  condition  de  non  équivoque  la 
règle  de  l'article  2231,  qui  n'admet  pas  une  prescription  accomplie 
par  un  possesseur  qui  avait  commencé  à  posséder  pour  autrui. 

Nous  admettons  sans  difficulté  que  ces  hypothèses,  et  d'autres 
semblables,  sont  visées  par  l'article  2229,  quand  il  parle  d'une  pos- 
session équivoque.  Mais  nous  croyons  qu'il  n'a  pas  eu  uniquement 
en  vue  ce  genre  d'équivoque,  celui  qui  porterait  sur  le  point  de 
savoir  si  les  actes  par  lesquels  le  possesseur  a  agi  sur  la  chose, 
sont  des  actes  accomplis  à  titre  de  propriétaire.  La  construction  de 
l'article  annonce  une  autre  intention.  En  effet,  la  condition  de  non 
équivoque  est  placée,  dans  l'énumération,  avant  la  condition  de 
possession  à  titre  de  propriétaire ,  elle  paraît  donc  être  le  dévelop- 
pement des  conditions  précédentes  plutôt  que  de  celle-là.  A  bien 
dire,  ce  n'est  pas  une  condition  distincte  des  autres,  car  il  n'est 
pas  besoin  d'un  texte  pour  établir  que,  si  un  droit  est  subordonné  à 
une  certaine  condition,  celui  qui  invoque  ce  droit  doit  prouver 
d'une  façon  non  douteuse  que  cette  condition  existe;  si  sa  preuve 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    AHT.    2229-2231.  439 

aboutit  à  une  équivoque,  elle  n'est  pas  faite.  Ne  craignons  donc 
pas  de  généraliser  et  de  dire  que  l'équivoque  dont  parle  l'article 
2229  peut  s'attaquer  à  toutes  les  conditions  exigées  par  cet  article, 
et  que  chacune  d'elles  doit  être  examinée  à  ce  point  de  vue  spécial , 
parce  qu'il  est  nécessaire  que  l'existence  de  chacune  d'elles  soit 
hors  de  doute. 

On  comprend,  par  exemple,  des  doutes  sur  la  continuité  quand 
les  actes  de  maîtrise  sur  la  chose  n'auront  pas  été  assez  rappro- 
chés; sur  la  publicité,  nous  en  avons  rencontré  un  exemple  à 
propos  de  la  possession  des  caves  ou  souterrains;  sur  le  caractère 
paisible  de  la  prise  de  possession,  les  faits  qualifiés  par  une  partie 
actes  de  violence  peuvent,  sans  être  très-caractérisés  en  ce  sens, 
n'être  pas  absolument  pacifiques,  et  par  conséquent  il  sera  difficile 
de  dire  que  la  possession  a  été  dans  son  principe  et  très-certaine- 
ment paisible. 

337.  Il  est  naturel  que  chacun  possède  pour  soi,  en  vertu 
de  son  droit  de  propriété.  La  loi  ne  pouvait  donc  assujettir  le 
détenteur  à  prouver  qu'il  possède  a  litre  de  propriétaire.  Mais 
on  peut  lui  prouver  le  contraire,  et  pour  cela  il  suffit  d'abord 
d'établir  qu'il  a  commencé  à  posséder  pour  autrui.  Cette 
preuve  faite,  c'est  au  possesseur  a  prouver  que  son  titre  est 
interverti.  V.  articles  2230,  2231  ;  et  à  ce  sujet  articles  2236- 
2238. 

337  bis.  Après  avoir  énuméré,  dans  l'article  2229,  les  caractères 
que  doit  réunir  la  possession  à  fin  de  prescrire,  le  Code  donne  quel- 
ques développements  sur  les  principes  qu'il  vient  de  poser. 

Il  s'agit  d'abord  de  la  condition  de  possession  à  titre  de  proprié- 
taire. La  loi  n'impose  pas  au  possesseur  la  nécessité  de  prouver  que 
sa  possession  avait  ce  caractère,  la  preuve  pourrait  en  être  bien 
difficile  à  trente  ans  de  distance  ;  elle  consisterait  d'ailleurs  dans  la 
preuve  d'une  négative  indéfinie,  preuve  qu'il  n'a  pas  possédé  pour 
autrui  ;  la  prescription  ne  pourrait  donc,  si  cette  preuve  était  exigée, 
être  invoquée  par  personne,  cette  institution,  de  si  grand  intérêt 
social,  manquerait  son  but.  Il  a  donc  fallu  présumer  que  la  posses- 
sion, quand  elle  a  existé,  était  une  possession  à  titre  de  maître, 
c'est  le  fait  le  plus  ordinaire,  par  conséquent  il  est  naturel  que  la 
loi  l'ait  supposé.  Cette  prescription  admet  la  preuve  contraire; 
l'adversaire  peut  prouver  que  la  possession  a  d'abord  été  exercée 


AAO  COURS   ANALYTIQUE    DE   CODE   CIVIL.    LIV.    III. 

pour  un  autre;  la  preuve  de  ce  fait  est  plus  facile,  c'est  un  fait 
positif,  on  démontrera  qu'il  a  existé  un  bail  ou  un  mandat.  Cette 
preuve  faite,  la  situation  se  trouve  renversée,  la  présomption  est 
contre  le  possesseur,  il  est  présumé  n'avoir  jamais  possédé  à  titre 
de  maître;  c'est  l'application  de  la  théorie  des  preuves,  ce  possesseur 
allègue  un  fait  nouveau,  un  changement  à  l'état  qu'on  a  démontré 
avoir  existé,  il  doit  démontrer  ce  changement  d'état,  c'est  ce  que 
dit  l'article  2231  :  s'il  n'y  a  preuve  du  contraire.  Seulement,  il  ne 
faut  pas  se  laisser  prendre  au  sens  apparent  de  ces  derniers  mots, 
il  semblerait  qu'il  suffise  de  prouver  que  l'intention,  Yanimus  du 
possesseur  a  changé,  qu'ayant  d'abord  eu  la  volonté  de  posséder 
pour  autrui,  il  a,  un  certain  jour,  pris  la  résolution  de  posséder 
pour  lui-même;  cette  preuve  serait  tout  à  fait  insuffisante;  l'article 
2238  exigera  de  tout  autres  faits  pour  que  la  prescription  devienne 
possible  au  profit  de  celui  qui  a  commencé  à  posséder  pour  autrui, 
ceci  se  lie  à  la  théorie  de  l'équivoque,  nous  y  reviendrons;  qu'il 
suffise  pour  le  moment  d'ajouter  aux  mots  de  l'article  :  s'il  n'y  a 
preuve  du  contraire,  ceux-ci  :  dans  les  conditions  de  l'article  2238. 

338.  Celui  qui  ne  jouit  que  par  la  permission  d'un  autre, 
ou  parce  que  celui-ci  n'use  pas  d'une  faculté  que  la  loi  lui 
ouvre,  ne  peut  être  réputé  posséder  a  titre  de  propriétaire. 
C'est  en  ce  sens  qu'on  dit  que  les  actes  de  tolérance,  et  ceux 
de  pure  faculté,  ne  peuvent  fonder  ni  possession  ni  prescrip- 
tion. V.  art.  2232. 

338  bis.  I.  En  expliquant  en  détail  les  conditions  de  la  possession 
à  fin  de  prescrire,  le  Code  parle,  dans  l'article  2232,  de  certains 
actes  qui  ne  constituent  pas  une  possession  suffisante  pour  être  le 
fondement  d'une  prescription.  C'est  donc  un  nouveau  développe- 
ment qu'il  donne  sur  le  premier  mot  de  l'article  2229.  Il  s'agit  de 
déterminer  ce  qu'il  faut  entendre  par  des  actes  de  possession. 

L'article  parle  de  deux  catégories  d'actes  :  1»  les  actes  de  pure 
faculté;  2°  les  actes  de  simple  tolérance. 

L'idée  que  présente  les  mots  actes  de  pure  faculté,  est  celle-ci  : 
des  actes  que  leur  auteur  a  faits  sans  y  être  contraint,  qu'il  avait 
la  possibilité  de  faire  ou  de  ne  pas  faire  à  son  choix.  C'est  cette 
liberté  de  choix  qui  donne  à  l'acte  le  caractère  facultatif  ou  de 
faculté. 

Tel  est  certainement  le  sens  naturel  de  l'expression,  est-ce  dans 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2:232.  441 

une  acception  aussi  large  qu'elle  est  employée  par  l'article  2232  ? 
Cela  n'est  pas  possible,  car  alors  la  formule  de  la  loi  serait  la  con- 
damnation de  toute  espèce  de  prescription.  Nous  ne  parlons  pas  de 
la  prescription  libératoire,  puisque  notre  article  est  écrit  dans  un 
chapitre  sur  la  possession  ;  nous  ferons  remarquer  néanmoins  que 
le  créancier  est  maître  de  poursuivre  ou  de  ne  pas  poursuivre  son 
débiteur;  ne  poursuivant  pas,  il  use  d'une  faculté,  et  c'est  cependant 
sur  ce  défaut  de  poursuites  qu'est  fondée  la  prescription  libératoire. 
Mais  si  nous  restons  sur  le  terrain  de  la  prescription  acquisitive, 
nous  allons  être  forcé  de  faire  la  même  observation.  Labourer  un 
champ,  habiter  une  maison,  affermer  ou  louer  le  champ  ou  la 
maison ,  c'est  de  la  part  d'un  prétendu  propriétaire  faire  des 
actes  qu'il  est  parfaitement  libre  de  ne  pas  faire,  c'est  user  d'une 
faculté  qui  dérive  de  son  droit  prétendu,  et  cependant  s'il  ne  fait 
pas  ces  actes,  s'il  n'use  pas  de  sa  faculté  en  faisant  des  actes  sur 
la  chose,  il  ne  pourra  pas  la  prescrire,  car  la  possession,  base  de  la 
prescription,  consiste  dans  l'accomplissement  même  de  ces  divers 
actes. 

Que  conclure  de  cette  observation,  si  ce  n'est  que  la  règle  sur 
les  actes  de  pure  faculté  n'est  pas  applicable  à  toutes  les  prescrip- 
tions acquisitives ,  qu'elle  ne  concerne  pas  la  possession  propre- 
ment dite,  l'exercice  de  droit  de  propriété,  mais  la  quasi-possession, 
l'exercice  des  autres  droits,  la  possession  des  choses  incorporelles? 
Encore  ne  s'agit-il  que  des  servitudes,  car  la  possession  de  l'usu- 
fruit se  manifeste  par  des  actes  de  la  même  nature  que  ceux  qui 
constituent  la  possession  des  choses  corporelles. 

338  bis.  II.  Si  nous  n'envisageons  que  la  possession  des  servi- 
tudes, nous  apercevons  tout  d'abord  que  la  règle  n'est  pas  encore 
applicable  aux  actes  par  lesquels  une  personne  exercerait  un  droit 
prétendu  de  servitude;  ouvrir  une  fenêtre  trop  près  du  fonds 
voisin,  bâtir  un  toit  qui  déverse  ses  eaux  sur  le  fonds  voisin,  ap- 
puyer une  construction  sur  le  mur  du  voisin,  c'est  faire  des  actes 
que  rien  n'oblige  de  faire,  qu'on  aurait  pu  s'abstenir  de  faire  ;  en  les 
accomplissant,  un  propriétaire  ne  s'en  place  pas  moins  dans  la 
position  d'acquérir  une  servitude  par  prescription.  Ce  n'est  donc 
pas  encore  de  ces  actes  que  s'occupe  l'article  2232. 

Cet  article  a  en  vue  non  pas  l'acquisition  des  servitudes  posi- 
tives, mais  l'acquisition  des  servitudes  négatives,  celles  qui  con- 
sistent dans  le  droit  d'empêcher  le  voisin  de  faire  de  sa  propriété 


142  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODl.    CIVIL.    LIV.    III. 

tel  usage  que  bon  lui  semble.  Il  s'agit,  par  exemple,  du  droit  d'em- 
pêcher le  voisin  de  bâtir  sur  son  fonds. 

Sur  quels  faits  pourrait  être  fondée  la  prescription  d'une  semblable 
servitude?  Non  pas  sur  des  faits  de  celui  qui  prétendrait  acquérir  le 
droit,  puisque  ce  droit,  s'il  l'avait,  ne  s'exercerait  pas  par  des  actes 
de  sa  part;  elle  s'appuierait  sur  l'absence  de  faits  de  la  part  de  celui 
contre  qui  la  prescription  s'accomplirait. Ce  serait  parce  qu'il  n'aurait 
pas  bàli  qu'on  prétendrait  avoir  acquis  le  droit  de  l'empêcher  de 
bâtir.  La  loi  n'admet  pas  cette  prescription,  et  elle  donne  de  sa 
décision  cette  raison  théorique  que  le  propriétaire,  en  ne  bâtissant 
pas,  usait  de  sa  chose  à  sa  fantaisie,  selon  son  droit,  que  rien,  dans 
son  fait,  n'annonçait  la  reconnaissance  du  droit  d'autrui,  car  s'il  ne 
bâtissait  pas  aujourd'hui,  il  pensait  pouvoir  bâtir  demain,  alors  que 
rien  n'annonçait  de  la  part  du  voisin  la  prétention  de  l'empêcher  de 
faire  des  constructions. 

La  règle  que  les  actes  de  pure  faculté  ne  peuvent  fonder  ni  pos- 
sessions ni  prescription  est  donc  mal  posée,  car  elle  ne  précise  pas 
par  qui  les  actes  ont  été  faits  et  au  profit  de  qui  ils  ne  peuvent 
fonder  une  prescription.  Elle  devrait  être  formulée  ainsi  :  les  actes 
qui  sont  de  pure  faculté  pour  une  personne  ou  l'abstention  de  ces 
mêmes  actes,  ne  peuvent  fonder  pour  une  autre  personne  une 
prescription  du  droit  d'empêcher  ces  actes  ou  du  droit  d'exiger  le 
maintien  de  l'état  de  choses  produit  par  ces  actes.  Exemple  :  Un 
propriétaire  ne  fait  pas  de  construction,  le  voisin  ne  prescrit  pas 
le  droit  de  s'opposer  à  ce  qu'il  en  fasse,  ou  bien  il  a  bâti  une  maison, 
on  n'a  pas  prescrit  le  droit  de  l'empêcher  de  la  démolir  et  de  lui 
substituer  une  cour  ou  un  jardin  ;  il  ne  détourne  pas  les  eaux  qui 
proviennent  de  sa  source  (art.  641),  le  voisin  n'acquiert  pas  par 
prescription  le  droit  de  recevoir  les  eaux,  ou  s'il  a  détourné  le  cours, 
le  voisin  ne  peut  pas,  même  après  trente  ans,  refuser  de  les  rece- 
voir si  on  les  rend  à  leur  cours  naturel. 

L'article  2232,  dans  sa  première  partie,  consacre  le  droit  qu'a 
le  propriétaire  de  disposer  sa  chose  comme  il  l'entend  et  lui  assure 
le  droit  de  modifier  indéfiniment  l'état  de  cette  chose,  apanage 
indispensable  du  droit  de  propriété.  Au  fond,  il  revient  à  dire  que 
les  servitudes  non  apparentes  ne  peuvent  pas  s'acquérir  par  pres- 
cription (art.  690),  car  si,  de  la  prolongation  des  faits  dont  nous 
venons  de  parler ,  il  résultait  un  droit  pour  le  voisin,  ce  serait 
une  servitude,  et  aucun  signe  n'annonçait  l'existence  de  ce  droit 


T1T.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2232.'  443 

vrai  ou  prétendu,  pendant  le  temps  qu'aurait  duré  la  prescription. 

338  bis.  III.  On  voit  que  l'article  2232,  lre  partie,  s'applique  à 
la  prescription  des  servitudes,  mais  seulement  à  la  prescription 
acquisitive.  La  prescription  extinctive  des  servitudes  a  pour  point 
de  départ  des  actes  de  pure  faculté,  comme  la  prescription  libéra- 
toire. Si  le  propriétaire  d'un  fonds  dominant  n'use  pas  de  son  droit 
de  passage,  ou  bouche  une  fenêtre  qu'il  a  ouverte  jure  servitutis, 
s'il  résulte  de  ces  faits,  après  un  certain  temps,  la  perte  du  droit 
de  servitude,  il  s'est  accompli  une  prescription  extinctive  qui  repose 
sur  une  abstention  ou  sur  un  acte  qui  rentrait  absolument  dans 
les  droits  du  propriétaire,  maître  de  passer  ou  de  ne  pas  passer, 
de  conserver  ou  de  fermer  sa  fenêtre  à  sa  fautaisie.  C'est  qu'il  ne 
s'agit  pas  là  de  créer,  en  faveur  d'une  personne,  un  droit  qui  s'ap- 
puierait sur  un  acte  facultatif  de  la  part  d'une  autre,  il  s'agit  tout 
simplement  de  détruire  le  droit  de  celui-là  même  qui  s'est  abstenu 
ou  qui  a  agi,  ce  n'est  plus  l'hypothèse  de  l'article  2232,  qui  traite 
d'une  prescription  s'acquiérant  par  la  possession.  C'est  une  prescrip- 
tion qui  s'accomplit  sans  possession,  et  dont  la  loi  indique  très-bien 
le  caractère  particulier  en  disant  que  la  perte  du  droit  résulte  du 
non- usage. 

338  bis.  IV.  Les  actes  de  simple  tolérance  ne  sont  pas,  comme 
ceux  de  pure  faculté,  des  actes  de  la  partie  contre  qui  l'on  prescrit; 
au  contraire,  ce  sont  des  actes  de  celui  qui  prétendrait  avoir  pres- 
crit. 

Ce  sont  des  actes  qu'une  personne  fait  sous  le  bon  plaisir  d'autrui, 
que  cette  autre  personne  pourrait  empêcher,  qu'elle  souffre  par 
esprit  de  concession,  sans  tirer  à  conséquence  la  plupart  du  temps 
parce  qu'ils  ne  lui  nuisent  pas  dans  le  présent. 

Ces  actes  ne  peuvent  pas  conduire  à  la  prescription,  parce  que 
posséder  sous  le  bon  plaisir  d'autrui,  ce  n'est  pas  avoir  la  possession 
proprement  dite,  ce  n'est  pas  posséder  à  titre  de  propriétaire.  La 
prétention  d'être  propriétaire  suppose  nécessairement  qu'on  ne 
reconnaît  pas  le  droit  d'un  autre  dont  on  dépendrait.  Voilà  comment 
la  décision  de  l'article  2232,  2»  partie,  se  rattache  aux  règles  géné- 
rales sur  les  caractères  de  la  possession  nécessaire  pour  prescrire. 

338  bis.  V.  Quand  les  actes  accomplis  par  une  personne  seront 
de  véritables  actes  de  possession,  accaparant  au  profit  de  cette  per- 
sonne tous  les  avantages  de  la  propriété,  par  exemple  quand  elle 
aura  habité  une  maison,  cultivé  un  champ  et  moissonné  sur  ce 


444  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

champ,  on  ne  pourra  pas  supposer  la  tolérance  du  propriétaire.  Il 
faudrait  qu'il  poussât  bien  loin  l'esprit  de  bienveillance  et  de  con- 
ciliation pour  ne  pas  protester  contre  des  actes  qui  détruisent  toute 
l'utilité  qu'il  peut  retirer  du  fonds.  Ici  s'appliquerait  la  règle  de 
l'article  2230;  on  est  toujours  censé  posséder  pour  soi.  Il  faudrait 
démontrer  par  des  preuves  spéciales  que  la  détention  est  fondée 
sur  une  concession  tolérante  du  propriétaire.  Alors  l'article  s'ap- 
pliquerait, ou  pour  mieux  dire  la  prescription  serait  impossible  en 
vertu  de  l'article  2  229  et  de  l'article  2236. 

Il  y  a  au  contraire  des  actes,  et  c'est  à  ceux-là  que  la  loi  a  songé,  qui 
ont  en  eux-mêmes  le  caractère  d'actes  de  tolérance,  ce  sont  ceux 
qui,  n'impliquant  pas  un  usage  complet  de  fonds,  ne  sauraient  pas 
aboutir  à  une  prescription  de  la  propriété,  mais  simplement  à  une 
acquisition  de  servitude.  Parmi  les  actes  qui  constitueraient  la  quasi- 
possession  d'une  servitude,  il  y  en  a  qui,  par  leur  intermittence, 
peuvent  ne  pas  paraître  gênants;  le  propriétaire  les  souffre  par 
complaisance,  les  anciens  les  qualifiaient  actes  de  familiarité,  expri- 
mant par  là  qu'ils  s'accomplissent  sans  opposition  à  cause  des 
relations  de  bon  voisinage  qui  existent  ordinairement  et  que  le 
législateur  doit  favoriser,  dans  l'intérêt  de  l'union  et  de  la  concorde, 
entre  les  habitants  du  territoire.  Ces  bonnes  relations  deviendraient 
impossibles  si  chaque  propriétaire  était  contraint  par  la  loi,  sous 
peine  de  voir  sa  propriété  amoindrie,  de  protester  contre  tout 
empiétement  du  voisin  sur  son  fonds.  Le  voisin,  par  exemple, 
passera  sur  un  terrain  non  bâti  et  non  cultivé,  il  abrège  son  che- 
min, quel  préjudice  cause-t-il  au  propriétaire?  Celui-ci  ne  prive 
pas  son  voisin  de  cette  facilité,  parce  qu'il  n'y  a  pas  un  intérêt 
immédiat,  et  l'on  peut  dire  qu'il  est  entendu  entre  les  deux  parties 
que  le  passage  est  exercé  en  vertu  d'une  complaisance  et  sous 
le  bon  plaisir  du  propriétaire.  Un  autre  prend  de  l'eau  à  la  source 
qui  appartient  au  voisin,  ce  fait  en  lui-même  n'est  pas  préjudiciable, 
si  la  source  est  abondante,  et  rien  n'annonce,  dans  ce  fait,  une 
prétention  contre  laquelle  le  propriétaire  devrait  se  défendre.  Si 
des  actes  semblables  pouvaient  être  un  jour  invoqués  comme  des 
faits  de  possession,  il  faudrait  que  les  propriétaires  s'enfermassent 
chez  eux  comme  dans  une  citadelle,  ne  permettant  point  aux 
autres  de  passer,  même  à  de  rares  intervalles,  et  refusant  de  l'eau 
alors  même  que  le  voisin  en  aurait  un  besoin  exceptionnel  et  urgent, 
par  exemple,  pour  éteindre  l'incendie. 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2232,    2233.        445 

Les  actes  dont  nous  parlons,  s'ils  étaient  accomplis  en  vertu 
d'un  droit,  seraient  des  actes  d'exercice  de  servitudes  discontinues, 
et  au  fond  la  règle  que  nous  étudions  n'est  pas  autre  chose  que  la 
raison  d'être  de  cette  autre  règle,  écrite  dans  l'article  690  :  les 
servitudes  discontinues  ne  peuvent  pas  s'acquérir  par  prescription. 

338  bis.  VI.  Quant  aux  actes  d'exercice  des  servitudes  continues,  ils 
ne  sont  pas  non  plus  exclusifs  de  la  jouissance  du  fonds  par  le  pro- 
priétaire; mais  comme  ils  ne  sont  pas  intermittents,  comme  la  servi- 
tude s'exerce  par  le  maintien  permanent  d'un  certain  état  matériel 
des  choses,  cet  exercice  est  nécessairement  plus  gênant  que  celui 
d'une  servitude  discontinue,  et  dès  lors  on  n'admet  pas  qu'ils  aient 
par  eux-mêmes  le  caractère  d'actes  de  tolérance.  Les  servitudes 
continues  peuvent  s'acquérir  par  prescription. 

339.  La  possession  doit  être  paisible;  celui  donc  qui  ne  se 
met  ou  ne  se  maintient  en  possession  que  par  la  violence,  ne 
peut  posséder  utilement.  Mais  dès  l'instant  que  la  violence 
cesse,  la  possession  devient  paisible,  et  la  prescription  peut 
commencer.  Y.  art.  2233. 

339  bis.  I.  Le  dernier  article,  qui  complète  l'article  2229,  c'est 
l'article  2233,  qui  est  relatif  à  ce  caractère  de  la  possession,  qu'on 
désigne  quand  on  dit  qu'elle  doit  être  paisible.  L'article  répète  sous 
une  autre  forme  ce  qui  a  déjà  été  dit;  mais  de  cette  forme  nouvelle 
naît  une  lumière  sur  un  point  que  l'expression  de  l'article  2229  lais- 
sait quelque  peu  obscur.  En  disant,  pour  paraphraser  le  mot  paisible, 
que  les  actes  de  violence  ne  peuvent  fonder  ni  possession  ni  pres- 
cription, le  Code  montre  clairement  que  le  vice  de  violence  suppose 
des  faits  émanés  du  possesseur,  et  non  pas  de  celui  contre  qui  l'on 
prescrit  ou  d'un  tiers,  c'est-à-dire  que  le  trouble  violent  subi  par  le 
possesseur  n'est  point  un  obstacle  àla  prescription.  Si  la  loi  avait  admis 
cet  effet  de  la  violence  exercée  contre  les  possesseurs,  elle  n'aurait 
pas  exprimé  sa  pensée  dans  la  forme  qu'elle  lui  donne  (art.  2233).  Il 
serait  absolument  inexact  de  dire  que  le  possesseur ,  contrarié  et 
troublé  par  violence,  fonde  sa  possession  sur  la  violence  ;  quand  on 
parle  d'actes  violents  dont  le  possesseur  voudrait  faire  le  fondement 
de  sa  possession,  on  suppose  évidemment  qu'il  a  agi  sur  le  fonds 
par  violence,  qu'il  a  par  exemple  expulsé  violemment  le  détenteur 
de  l'immeuble  pour  l'occuper  lui-même.  Voilà  une  prise  de  posses- 
sion qu'on  pourrait  vouloir  considérer  comme  le  point  de  départ 


446  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

d'une  prescription  si  la  loi  était  muette  sur  la  possession  non  pai- 
sible. 

339  bis.  II.  Le  second  paragraphe  de  l'article  a  pour  but  d'in- 
diquer que  la  violence  n'affecte  pas  la  possession  d'un  vice  indélé- 
bile. Elle  n'est  un  obstacle  à  la  prescription  que  tant  qu'elle  dure. 
On  se  rend  facilement  compte  de  cette  règle  ;  tant  que  le  propriétaire 
subit  des  violences,  son  silence,  son  inaction,  ne  peuvent  pas  être 
interprétés  comme  un  abandon  de  son  droit  ou  une  reconnaissance 
du  droit  du  possesseur,  c'est  la  crainte  qui  l'empêche  d'agir;  mais 
quand  la  violence  a  cessé,  il  reprend  sa  liberté  d'action,  et  son 
inaction  est  tout  aussi  significative  que  s'il  n'avait  jamais  été  vio- 
lenté. Il  reste  bien  entendu  que  la  violence  n'a  pas  cessé  tant  que 
la  partie  qui  a  été  l'objet  d'actes  de  violence  subit  une  pression 
morale,  demeure  sous  le  coup  de  menaces  qui  peuvent  la  détour- 
ner même  de  s'adresser  à  la  justice. 

339  bis.  III.  Il  résulte  de  l'article  2233,  2*  §,  que  le  vice  de  vio- 
lence ne  met  pas  un  obstacle  d'une  longue  durée  à  la  prescription 
du  possesseur,  car  il  sera  rare  que  la  violence  ait  eu  une  véritable 
continuité.  Elle  consiste  dans  des  actes  temporaires,  instantanés, 
qui,  surtout  dans  l'état  de  nos  mœurs  et  de  notre  législation,  ne 
sauraient  guère  se  perpétuer.  De  cette  observation  est  née  la  pensée 
que  la  possession  violente  dans  le  principe  ne  pouvait  devenir 
utile,  que  par  une  véritable  transformation,  par  une  interversion 
du  titre  du  possesseur  (art.  2238),  c'est  alors  seulement  que  le 
vice  de  violence  aurait  cessé,  et  c'est  plutôt  à  la  cessation  du  vice, 
qu'à  la  cessation  de  la  violence  elle-même,  que  le  législateur  aurait 
songé  en  écrivant  l'article  2233. 

Cette  traduction  des  expressions  :  lorsque  la  violence  a  cessé, 
nous  paraît  inadmissible,  car  elle  transforme  tout  à  fait  l'article  et 
le  comprend  comme  s'il  disait  :  lorsque  le  vice  a  été  purgé.  Or,  le 
sens  naturel  du  texte  expliqué  par  Bigot-Préameneu,  est  celui-ci  : 
l'obstacle  dure  tant  que  la  violence  dure;  or,  la  violence,  c'est  la 
pression  physique  ou  morale  exercée  sur  le  détenteur  dépossédé. 
La  formule  de  l'article  est  la  même  que  celle  de  l'article  iilo  et 
rappelle  celle  de  l'article  181,  et  sur  ces  deux  articles  le  sens  de  la 
formule  n'est  pas  contestable. 

Un  autre  motif  grave  nous  conduit  à  repousser  la  doctrine  que 
nous  examinons;  elle  introduit  dans  la  matière  de  la  violence  une 
théorie  que  la  loi  a  établie  seulement  à  propos  de  la  précarité; 


T1T.    XX.    DE   LA   PRESCRIPTION.    ART.    2233.  447 

l'interversion  du  titre  a  sa  nécessité  quand  il  s'agit  d'un  possesseur 
qui  a  commencé  a  détenir  comme  fermier  et  dont  le  changement 
d'intention  n'a  rien  d'apparent,  elle  n'est  pas  utile  quand  le  vice  de 
la  possession  résulte  d'actes  patents  dont  la  cessation  peut  être 
aperçue  par  tout  le  monde,  puisque  ces  actes  et  leur  cessation  sont 
des  faits  matériels. 

Il  ne  faut  pas  d'ailleurs  alléguer  que  la  violence  ne  constituera 
jamais  un  obstacle  de  quelque  durée  à  la  prescription,  parce  que  s'il 
est  impossible  que  des  violences  contre  les  personnes  se  continuent 
longtemps  sans  appeler  l'attention  de  l'autorité  publique,  il  est 
facile  de  supposer  que  des  menaces  aient  une  certaine  durée,  et 
même  que  l'usurpateur  tienne  comme  une  sorte  de  garnison  sur  le 
bien  qu'il  a  usurpé,  qu'il  annonce  l'intention  de  s'y  défendre  vio- 
lemment, ce  qui  ôte  à  sa  possession  le  caractère  de  possession  à 
titre  de  propriétaire,  ou  au  moins  fait  régner  l'équivoque  sur  ce 
caractère  capital  de  la  possession. 

339  bis.  IV.  Nous  ne  pouvons  pas  abandonner  les  règles  qui 
concernent  les  caractères  de  la  possession  sans  examiner  si  les 
vices  qui  résultent  de  l'absence  de  ces  caractères  sont  relatifs  ou 
absolus,  autrement  dit,  s'ils  rendent  la  prescription  impossible  à 
l'égard  de  toutes  personnes  ou  seulement  à  l'égard  de  certaines 
personnes  déterminées.  La  réponse  à  cette  question  peut  ne  pas  être 
la  même  pour  tous  les  vices,  il  faut  donc  les  reprendre  l'un  après 
l'autre  en  les  examinant  au  point  de  vue  de  la  question  que  nous 
venons  de  poser. 

i°  La  discontinuité  est  incontestablement  un  vice  absolu,  car  elle 
dénature  la  possession  elle-même  qui,  intermittente  dans  les  actes 
dont  elle  se  compose,  ne  donne  pas  à  l'auteur  de  ces  actes  l'apparence 
du  droit  de  propriété,  apparence  qui  ne  saurait  avoir  un  caractère 
relatif,  puisque  le  droit  lui-même  est  réel,  c'est-à-dire  absolu.  On 
comprendrait  du  reste  difficilement  comment  la  possession  pourrait 
être  intermittente  par  rapport  à  certaines  personnes,  et  continue 
par  rapport  à  d'autres.  Elle  est  ou  elle  n'est  pas,  et  elle  n'est  qu'à  la 
condition  de  constituer  un  ensemble  d'actes  assez  rapprochés  les  uns 
des  autres  pour  manifester  erga  omnes  une  prétention  à  la  propriété. 

339  bis.  V.  2°  V interruption.  Si  nous  parlons  de  l'interruption 
naturelle,  elle  se  confond  avec  la  discontinuité  et  constitue  comme 
elle  un  obstacle  absolu  à  la  prescription;  cela  résulte  du  reste  de 
l'article  2243. 


448  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

L'interruption  civile,  au  contraire,  doit  produire  un  effet  relatif, 
car  elle  résulte  d'actes  de  procédure  qui  en  eux-mêmes  n'ont 
jamais  un  effet  absolu,  en  vertu  de  la  règle  res  inler  altos  acta  aliis 
neque  nocet  neque  prodest .  Peut-être  faudra-t-il  cependant  faire  une 
distinction  pour  un  seul  de  ces  actes  interruptifs,  la  reconnaissance 
du  droit  du  propriétaire  par  le  possesseur;  mais  cela  dépendra  du 
parti  que  nous  prendrons  plus  tard,  sur  le  point  de  savoir  si  cette 
reconnaissance  fait  de  son  auteur  un  possesseur  précaire. 

339  bis.  VI.  3°  La  violence.  C'était,  en  droit  romain,  un  vice  relatif, 
au  moins  en  ce  qu'il  concernait  les  interdits;  la  formule  de  l'interdit 
uti  possidelis  exigeait  qu'on  eût  possédé  nec  vi  ab  adversario,  et 
l'on  peut  soutenir  que  cette  doctrine  est  encore  vraie  en  droit  fran- 
çais, par  ce  que  la  violence  exercée  sur  une  personne  ne  devrait  pas 
empêcher  une  autre  personne  de  faire  valoir  ses  droits.  Telle  ne 
nous  paraît  pas  cependant  la  doctrine  du  Code  civil,  car  l'ar- 
ticle 2233  s'exprime  d'une  façon  absolue,  quand  il  dit  que  les  actes 
de  violence  ne  peuvent  fonder  une  possession  capable  d'opérer  la 
prescription;  c'est,  d'après  cette  formule,  la  possession  elle-même 
qui  manque  d'un  de  ses  éléments  essentiels,  elle  n'est  pas  utile, 
comme  dit  la  seconde  partie  de  l'article  2233,  elle  serait  au  contraire 
utile  si  elle  produisait  des  effets  contre  tous  à  l'exception  d'une 
seule  personne.  C'est  qu'en  effet  la  loi  considère  la  violence  comme 
un  vice  qui  ôte  à  la  possession  son  caractère  substantiel,  d'être  une 
possession  à  titre  de  propriétaire;  celui  qui  n'agit  sur  la  chose 
qu'en  employant  des  procédés  violents,  celui-là  ne  se  présente  pas 
en  maître,  car  le  maître  doit  être  plus  sûr  de  son  droit,  et  la  manière 
normale  d'affirmer  sa  maîtrise,  c'est  d'avoir  recours  à  la  justice 
pour  prendre  ou  pour  conserver  sa  possession.  Si  l'on  trouve  rigou- 
reux un  système  qui  ne  permet  d'invoquer  contre  personne  une 
possession  violente,  il  faut  reconnaître  que  la  loi  a  toutes  sortes  de 
raisons  pour  frapper  les  actes  de  violence.  Dans  le  conûit  entre 
un  possesseur  qui  a  commencé  à  posséder  vi  et  un  vrai  proprié- 
taire qui  n'a  pas  été  violenté,  il  est  vrai,  mais  qui  n'a  pas  à  se 
reprocher  autre  chose  que  son  inaction,  on  comprend  qu'elle  pré- 
fère le  propriétaire  négligent  au  possesseur  coupable  d'actions 
défendues  par  les  lois  qui  protègent  la  sécurité  publique. 

Puis  il  faut  ajouter  que,  grâce  à  la  deuxième  règle  contenue  dans 
l'article  2233,  la  rigueur  de  notre  solution  n'est  pas  excessive, 
puisqu'elle  n'a  pas  pour  conséquence  de  rendre  l'immeuble  tout  à 


TIT.   XX.    DE    LA   PRESCRIPTION.    ART.    2233.  449 

fait  imprescriptible  de  la  part  du  possesseur,  mais  uniquement 
d'empêcher  qu'il  compte  dans  son  temps  de  possession  les  moments 
ordinairement  assez  courts  pendant  lesquels  la  violence  a  cessé. 
La  seconde  règle  de  l'article  :  la  possession  utile  commence 
lorsque  la  violence  a  cessé,  est  le  correctif  très-suffisant  de  la 
rigueur  que  paraît  avoir  la  première  règle,  à  cause  de  son  carac- 
tère impersonnel  et  absolu. 

339  bis.  VII.  La  clandestinité  était,  comme  la  violence,  un  vice 
relatif  en  matière  d'interdits  (nec  clam...  ab  adversario),  et  en  droit 
français  on  est  tenté  de  dire  de  ce  vice  ce  qu'on  a  dit  de  la  violence, 
que  la  clandestinité  ne  peut  pas  être  invoquée  par  ceux  à  l'égard 
desquels  elle  n'a  pas  existé;  car,  puisqu'ils  pouvaient  connaître  la 
possession,  ils  pouvaient  empêcher  la  prescription  de  s'accomplir. 
Nous  n'avons  pas,  pour  combattre  ce  raisonnement,  un  article 
formel,  comme  l'est  l'article  2223  en  matière  de  violence  ;  cependant 
le  texte  de  l'article  2229  nous  inspire  la  même  décision  en  ce 
qui  touche  les  deux  vices.  Il  ne  reproduit  pas  l'édit  du  préteur, 
rien  n'y  indique  le  caractère  relatif  du  vice,  on  n'y  lit  pas  les 
mots  àb  adversario  pour  accentuer  ce  caractère.  Loin  de  là,  au  lieu 
de  parler  de  clandestinité ,  d'employer  une  expression  française 
correspondante  au  mot  clam,  qui  évoque  l'idée  d'un  fait  inten- 
tionnellement caché,  d'un  procédé  tendant  à  dissimuler  la  possession 
et  qui  par  conséquent  suppose  qu'on  se  cache  d'une  personne 
déterminée,  qu'on  cherche  à  dissimuler  la  possession  à  celui  qu'on 
croit  intéressé  à  en  empêcher  la  continuation,  le  Gode  emploie  une 
expression  qui  porte  avec  elle  le  cachet  de  l'absolu,  la  possession 
doit  être  publique.  Le  sens  naturel  de  ce  mot,  c'est  qu'elle  doit  pou- 
voir être  connue  du  public;  or  le  public,  ce  n'est  pas  telles  ou  telles 
personnes  déterminées,  c'est  tout  le  monde.  Donc,  dès  que  tout  le 
monde  ne  peut  pas  avoir  connaissance  de  la  possession,  cette 
possession  n'a  pas  le  caractère  exigé,  et  quand  il  lui  manque  ce 
caractère,  la  prescription  devient  impossible,  non  pas  seulement 
par  rapport  à  ceux  de  qui  l'on  s'est  caché,  mais  par  rapport  à  tous, 
car  l'article  2229  ne  distingue  pas.  Nous  dirons  ici  ce  que  nous 
avons  dit  sur  la  violence,  le  fait  de  cacher  aux  yeux  de  quelques- 
uns  les  actes  de  possession  qu'on  accomplit  sur  la  chose,  empêche 
la  possession  d'être  exercée  à  titre  de  propriétaire,  car  le  pro- 
priétaire n'a  besoin  de  se  cacher  de  personne.  Il  jette  des  doutes 
dans  l'esprit  même  de  ceux  qu'on  n'a  pas  cherché  à  tromper  parce 
▼m.  29 


450  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

qu'ils  sont  induits  à  penser  que  le  possesseur  n'a  pas  de  prétention 
sur  la  chose,  son  animus  est  au  moins  équivoque,  et  cela  explique 
pourquoi  ceux  qui  ont  pu  connaître  la  possession  n'ont  pas  jugé 
utile  de  faire  des  actes  pour  empêcher  la  prescription. 

339  bis.  VIII.  La  précarité  est  le  vice  contraire  à  cette  qualité  de 
la  possession  qui  consiste  à  être  exercée  à  titre  de  propriétaire.  Le 
Gode  qualifie  possesseurs  précaires  ceux  qui  possèdent  pour  autrui, 
comme  le  fermier,  le  dépositaire,  l'usufruitier  (art.  2236  et  2239). 
Ce  vice  consiste  donc  dans  l'absence  de  \' animus  domini,  du 
caractère  principal  et  distinctif  de  la  possession.  Pas  de  doute  par 
conséquent  que  ce  vice  soit  absolu,  car  le  détenteur  précaire  ne 
possède  pas,  et  celui  qui  ne  possède  pas  ne  peut  prescrire  contre 
personne  (art.  2236).  S'il  en  était  autrement  en  droit  romain  au 
point  de  vue  des  interdits  possessoires,  c'est  que  le  mot  précarité 
avait  un  tout  autre  sens,  et  qu'il  ne  s'est  jamais  appliqué  à  la 
détention  des  fermiers,  dépositaires  ou  usufruitiers,  qui  n'étaient  pas 
considérés  comme  des  possesseurs. 

339  bis.  IX.  L'équivoque  est  un  vice  qui  n'a  pas  de  nature 
propre,  il  consiste  en  ce  que  l'une  des  qualités  exigées  n'est  pas 
assez  nettement  accentuée  et  prouvée  pour  qu'on  puisse  dire  avec 
certitude  qu'elle  se  rencontre  dans  la  possession  invoquée  par  celui 
qui  prétend  avoir  prescrit.  Dès  lors,  il  n'y  a  pas  à  rechercher  si  le 
vice  d'équivoque  est  absolu  ou  relatif,  sa  nature  et  ses  effets 
dépendent  de  la  nature  et  des  effets  du  vice  dont  l'existence  est 
soupçonnée  sans  être  absolument  certaine.  Nous  avons  reconnu  à 
tous  les  vices  proprement  dits  le  caractère  absolu,  nous  en  con- 
cluons que  l'équivoque  aura  toujours  un  effet  absolu  ;  mais  si  l'on 
décide,  avec  un  grand  nombre  d'auteurs,  que  le  vice  de  violence  et 
le  vice  de  clandestinité  sont  relatifs,  il  faudra  dire  que  l'équivoque 
qui  existera  sur  le  caractère  paisible  ou  public  de  la  possession 
sera  également  un  vice  relatif. 

339  bis.  X.  Nous  avons,  pour  faire  une  énumération  des  vices 
correspondant  exactement  à  l'énumération  des  qualités  contraires 
exigées  par  la  loi,  parlé  de  l'interruption  civile  de  la  prescription 
comme  d'un  vice,  et  à  celui-là  nous  avons  reconnu  un  effet  sim- 
plement relatif;  si  l'équivoque  était  possible,  quant  à  ce  vice,  elle 
aurait  une  influence  relative,  mais  les  actes  juridiques  qui  inter- 
rompent civilement  la  prescription  ne  nous  paraissent  guère  se 
prêter  à  l'équivoque,  ils  ont  été  faits  ou  ils  n'ont  pas  été  faits,  ils 


TIT.    XX.    DE    LA   PRESCRIPTION.    ART.    2233-2235.        451 

sont  valables  ou  nuls;  dans  ces  divers  cas,  le  doute  n'est  pas 
possible.  Il  n'y  aurait  que  la  reconnaissance  du  droit  de  propriétaire 
qui  prêterait  à  l'interprétation,  partant  à  l'équivoque.  Si,  plus  tard, 
nous  décidons  qu'elle  rend  la  possession  précaire,  il  faudra  dire  que 
l'équivoque  aura  un  effet  absolu;  si  elle  n'est  qu'une  véritable 
interruption,  nous  dirons  qu'elle  a  un  effet  relatif  et  que  l'équivoque 
sur  cette  reconnaissance  ne  peut  pas  avoir  un  effet  plus  étendu. 

340.  La  prescription  ne  peut  s'accomplir  qu'autant  que  la 
possession  a  été  continuée  pendant  tout  le  temps  fixé  par  la 
loi-,  mais  comme  il  serait  impossible  d'établir  cette  continuité 
de  possession,  il  suffît  au  possesseur  actuel  de  prouver  qu'il  a 
possédé  anciennement,  pour  qu'il  soit  réputé,  jusqu'à  preuve 
contraire,  avoir  possédé  dans  le  temps  intermédiaire.  V.  art. 
2234. 

340  bis.  On  peut  présenter  la  règle  de  l'article  2234  comme  une 
exception  à  la  règle  sur  l'équivoque.  Démontrer  qu'on  a  possédé 
autrefois  et  qu'on  possède  aujourd'hui,  ce  n'est  pas  prouver  qu'on 
a  possédé  pendant  le  temps  intermédiaire;  donc  la  preuve  d'une 
possession  ayant  duré  pendant  dix,  vingt  ou  trente  ans  n'est  pas 
complète,  la  démonstration  est  imparfaite,  la  condition  de  continuité 
reste  douteuse;  mais  la  loi  déclare  que  la  preuve  est  suffisante, 
c'est  une  nécessité  pratique  qui  oblige  à  ne  pas  imposer  au  posses- 
seur la  preuve  qu'il  a  possédé  sans  intermittence  pendant  un  temps 
aussi  long.  Il  y  a  présomption  que  la  possession,  dont  il  démontre 
le  commencement,  n'a  pas  cessé.  Seulement,  l'adversaire  pourra 
prouver  la  cessation  de  la  possession,  autrement  dit  la  disconti- 
nuité, et  il  résultera  de  cette  preuve  un  obstacle  à  la  prescription. 

341.  L'héritier  continue  la  possession  du  défunt  comme  il 
continue  sa  personne.  Quoique  ce  principe  ne  puisse  s'appli- 
quer au  successeur  particulier,  celui-ci  peut  cependant  joindre 
à  sa  propre  possession  celle  de  son  auteur  :  ce  qui  fait  que  la 
loi  met  ici  tous  les  successeurs  sur  la  même  ligne.  V.  art. 
2235;  mais  remarquez  que  le  successeur  particulier  reste  tou- 
jours maître  de  rejeter  la  possession  vicieuse  de  son  auteur, 
et  de  faire  commencer  la  sienne  à  partir  de  son  acquisition 
(v.  à  ce  sujet  art.  2237,  2239). 

29. 


452  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

341  bis.  I.  L'article  2235  traite  de  ce  que  les  Romains  appelaient 
Vaccessio  possessionum,  l'accession  des  possessions  ;  on  doit  préférer 
cette  expression  à  celle  de  jonction  des  possessions,  parce  que  cette 
dernière  expression  s'oppose  d'ordinaire  à  celle  de  continuation, 
pour  distinguer  deux  catégories  diverses  d'hypothèses  parmi  celles 
qui  rentrent  dans  la  sphère  d'application  de  l'article  2235,  et  par 
conséquent  dans  la  théorie  plus  générale  de  l'accession  des  possessions. 

Cette  accession  consiste  dans  le  rapprochement  de  deux  pos- 
sessions accomplies  par  deux  personnes  différentes,  qui  a  pour 
objet  de  faire  un  total  de  la  durée  de  ces  deux  possessions,  afin  que 
le  possesseur  actuel,  qui  n'a  pas  à  lui  seul  possédé  assez  longtemps 
pour  prescrire,  puisse  invoquer  une  possession  d'une  plus  longue 
durée,  d'où  résultera  la  prescription. 

Ce  cumul  de  la  possession  de  deux  personnes  différentes  n'est 
possible  qu'autant  qu'il  existe  entre  ces  deux  personnes  un  rapport 
juridique  d'auteur  et  d'ayant  cause.  L'article  2235  s'exprime  très- 
formellement  sur  ce  point.  Si  ce  rapport  n'existe  pas,  il  est  impos- 
sible qu'une  personne  profite  d'un  acte  accompli  par  une  autre  qui 
lui  est  étrangère,  car  il  est  de  principe  qu'un  acte  quelconque  ne 
peut  produire  d'effets  juridiques  que  par  rapport  à  celui  qui  l'a 
fait  :  alii  neque  nocet  neque  prodest. 

341  bis.  II.  La  difficulté  n'existe  donc  pas  sur  le  principe,  mais 
elle  consistera  à  déterminer  d'une  façon  précise  ce  qu'on  doit 
entendre  par  un  auteur  et  un  ayant  cause,  puis  il  faudra  examiner 
si  la  condition  des  différents  ayants  cause,  au  point  de  vue  de 
l'accession  des  possessions,  est  la  même. 

Quant  au  premier  point,  il  n'est  pas  embarrassant  dans  une  foule 
d'hypothèses.  Ainsi,  l'acheteur  est  ayant  cause  du  vendeur;  le 
donataire,  du  donateur;  le  légataire  particulier,  du  testateur.  L'hé- 
ritier aussi  et  le  légataire  universel  sont  ayants  cause  du  défunt. 

341  bis.  III.  Toutes  ces  personnes  sont  de  véritables  ayants  cause 
du  possesseur  précédent,  elles  succèdent  à  son  droit  de  possession 
comme  elles  succéderaient  à  son  droit  de  propriété,  s'il  l'avait  eu. 
Mais  il  faut  aller  plus  loin  et  reconnaître  qu'on  peut  être  ayant 
cause  quant  à  la  possession,  sans  l'être  quant  à  la  propriété,  parce 
qu'on  peut  avoir  succédé  juridiquement  à  la  possession  d'un  autre 
sans  lui  avoir  succédé  quant  à  la  propriété. 

On  peut,  en  effet,  tenir  sa  possession  d'une  autre  personne  en 
vertu  d'une  cause  juridique  qui  contraignait  celle-ci  à  se  démettre 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2235.  4û3 

de  sa  possession  en  votre  faveur.  Exemple  :  un  possesseur  de 
mauvaise  foi  vend  sa  possession,  il  déclare  ne  pas  vendre  la  chose, 
mais  céder  seulement  l'avantage  qui  résulte  par  lui  de  la  possession; 
le  cessionnaire  sera  certes  possesseur  de  mauvaise  foi,  mais  pourra- 
t-on  dire  qu'il  n'a  pas  succédé  juridiquement  à  son  cédant  et  lui 
refuser  de  joindre  les  deux  possessions  pour  arriver  à  la  pres- 
cription de  trente  ans? 

Cet  exemple  présente  la  doctrine  sous  son  jour  le  plus  défavorable, 
mais  il  a  l'avantage  de  bien  mettre  en  relief  le  fait  juridique  qui 
établit  entre  les  deux  possesseurs  la  relation  d'auteur  et  d'ayant 
cause  quant  à  la  possession  seulement.  Il  va  nous  servir  à  faire, 
dans  d'autres  hypothèses  plus  pratiques,  la  distinction  fonda- 
mentale entre  la  succession  à  la  propriété  et  la  succession  à  la 
possession. 

341  bis.  IV.  On  a,  depuis  le  droit  romain,  examiné  et  discuté  la 
question  de  jonction  des  possessions  entre  le  possesseur  évincé  par 
suite  d'une  action  en  revendication,  et  le  revendiquant  qui  l'a 
évincé.  On  suppose  que  le  revendiquant  est  lui-même  actionné 
en  revendication  par  une  troisième  personne,  qui  est  le  véritable 
propriétaire,  et  que,  voulant  opposer  à  ce  nouvel  ennemi  la  pres- 
cription aequisitive,  il  cherche  à  ajouter  au  temps  de  sa  possession 
propre  celle  de  son  ancien  adversaire,  qu'il  a  évincé. 

On  a  dit  que  cette  prétention  était  inadmissible,  que  celui  qui 
triomphe  dans  une  action  en  revendication  n'est  pas  l'ayant  cause 
du  défendeur,  puisque  sa  prétention  était  précisément  d'avoir  un 
droit  exclusif  du  droit  du  défendeur;  il  niait  la  propriété  de  celui-ci, 
il  arguait  d'un  droit  propre,  donc  il  n'est  pas  son  ayant  cause,  et 
cela  est  si  clair  qu'il  ne  souffrirait  aucunement  des  hypothèques 
ou  autres  droits  réels  constitués  par  celui  qu'il  a  évincé. 

Nous  avons  répondu  d'avance  à  ce  raisonnement;  il  est  bien 
certain  que  le  revendiquant  ne  succède  pas  à  la  propriété  du 
défendeur,  il  n'est  pas  son  ayant  cause  quant  à  ce  droit,  mais  l'ar- 
ticle 2235  n'exige  pas  qu'on  soit  ayant  cause  quant  à  la  propriété; 
il  dit  en  termes  vagues  qu'on  peut  compléter  sa  possession  par  celle 
de  son  auteur,  le  rapprochement  de  ces  deux  expressions  permet 
bien  de  supposer  que  le  Gode  a  plutôt  songé  à  l'auteur  de  la  pos- 
session, et  quand  il  ajoute  de  quelque  manière  qu'on  lui  ait  succédé, 
il  emploie  une  expression  qui  peut  très-naturellement  s'interpréter 
dans  ce  sens  :  succéder  dans  la  possession. 


454  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

Succéder  à  une  personne  comme  ayant  cause,  ce  n'est  pas  seule- 
ment la  remplacer,  c'est  avoir  été  avec  cette  personne  dans  une 
certaine  relation  juridique  par  rapport  à  l'objet  auquel  on  succède. 
Or,  dans  l'hypothèse  que  nous  examinons,  cette  relation  juridique 
a  existé,  le  défendeur  en  revendication  n'a  pas,  par  sa  volonté,  aban- 
donné la  possession  que  l'autre  partie  aurait  alors  appréhendée,  il  a 
remis  cette  possession  en  vertu  d'un  jugement,  et  le  jugement  a, 
entre  les  parties,  l'effet  d'une  convention,  par  exemple  l'effet  d'un 
acquiescement  par  lequel  le  premier  possesseur  aurait  consenti  à 
remettre  la  chose  à  l'autre  (1).  Dans  ces  hypothèses,  comme  dans 
l'exemple  que  nous  avons  d'abord  examiné,  il  existe  entre  l'ancien 
possesseur  et  le  nouveau  une  cause  juridique  qui  fait  du  nouveau 
l'ayant  cause  de  l'ancien. 

Si  l'on  objecte  à  cette  solution  l'article  2243,  qui  déclare  la  pres- 
cription interrompue  lorsque  le  possesseur  a  été  dépossédé  pendant 
plus  d'un  an  même  par  un  tiers,  on  peut  répondre  que  dans  l'ar- 
ticle 2243  rien  ne  dit  que  le  possesseur  a  repris  la  possession  à  la 
suite  d'un  jugement.  Nous  ajouterons  d'ailleurs  que  les  deux  articles 
doivent  se  concilier  de  la  façon  suivante  :  quand  la  dépossession 
aura  duré  plus  d'un  an,  la  reprise  de  la  possession  en  vertu  d'un 
jugement  n'empêchera  pas  l'interruption  qui  se  sera  produite  lorsque 
le  fait  de  dépossession  primitive  aura  eu  lieu,  ce  qui  n'empêchera 
pas  le  revendiquant  de  compter  en  vue  de  l'avenir  la  possession  de 
celui  qu'il  évince;  sa  possession  commencera  par  conséquent  au  pre- 
mier jour  de  la  possession  de  celui  qu'il  évince,  et  son  ancienne  pos- 
session ne  comptera  pas.  Exemple  ;  Pierre  possède  depuis  trois  ans, 
le  1"  janvier  1860,  il  est  privé  de  la  possession  par  le  fait  de  Paul, 
qui  s'empare  de  la  chose;  en  1870,  il  revendique  et  force  Paul  à  le 
remettre  en  possession.  Il  pourra  plus  tard,  s'il  est  actionné  par 
Jean,  vrai  propriétaire  de  la  chose,  faire  courir  la  prescription 
depuis  le  1er  janvier  1860,  parce  qu'il  comptera  à  son  profit  la  pos- 
session du  tiers  qu'il  a  évincé,  mais  il  ne  pourra  pas  commencer 
son  compte  au  1er  janvier  1857,  parce  que  cette  possession  qu'il  a 
eue  pendant  trois  ans  a  perdu  ses  effets  en  conséquence  de  l'inter- 
ruption qui  s'est  produite  par  la  possession  de  Paul  pendant  plus 
d'un  an. 

341  bis.  V.   Les  mêmes  raisonnements  nous  conduiront  à  la 

(1)  V.  D.l.  13,  §§  9  et  10,  De  acquir.  postessione. 


TIT.    XX.    DE   LA.   PRESCRIPTION.    ART.    2235.  455 

même  solution  lorqu'il  s'agira  d'un  possesseur  dépossédé  par  une 
action  en  résolution  ou  en  rescision.  Il  existe  entre  cet  ancien 
possesseur  et  celui  qui  l'a  remplacé  une  relation  juridique  fondée 
sur  l'acte  qui  avait  constitué  une  possession  sous  condition  réso- 
lutoire et  un  droit  corrélatif  sous  condition  suspensive,  ou  sur  le 
jugement  qui  a  prononcé  la  rescision  ;  si  le  possesseur  actuel  n'est 
pas  ayant  cause  de  l'autre  en  ce  qui  touche  la  propriété,  il  est  au 
moins  son  ayant  cause  au  point  de  vue  de  la  possession. 

341  bis.  VI.  Parmi  les  ayants  cause  que  nous  avons  énumérés, 
quelques-uns  sont  ayants  cause  à  titre  particulier,  quelques  autres 
à  titre  universel.  Leur  situation,  au  point  de  vue  de  l'accession  des 
possessions,  n'est  pas  la  même.  L'ayant  cause  universel,  n'ayant  pas 
d'autre  titre  que  celui  de  son  auteur,  prend  la  possession  telle  que 
l'avait  celui-ci,  notamment  avec  ses  vices;  si  elle  est  précaire,  elle 
reste  pour  lui  entachée  de  précarité  (art.  2237);  si  elle  est  clan- 
destine ou  violente,  elle  ne  peut  conduire  à  la  prescription  qu'autant 
que  le  vice  aura  cessé.  Ces  solutions  sont  hors  de  doute  en  ce  qui 
concerne  les  héritiers,  mais  elles  doivent  être  étendues  aux  autres 
successeurs  universels,  car  ceux-ci  n'ont  pas  plus  que  les  héritiers 
un  titre  propre  pour  posséder,  ils  ont  trouvé  la  chose  dans  l'en- 
semble des  biens  du  défunt  et  ne  peuvent  pas  avoir  plus  de  droits 
que  lui.  Ces  idées  sur  la  possession  des  ayants  cause  universels  sont 
résumées  dans  l'expression  qui  désigne  habituellement  ce  genre 
d'accession.  Il  y  a,  dit-on,  dans  ces  hypothèses,  continuation  de  la 
possession,  d'où  il  résulte  que  la  possession  ne  change  pas  de  carac- 
tère. 

341  bis.  VII.  On  réserve  au  contraire  la  dénomination  de  jonction 
des  possessions  à  l'accession  qui  a  lieu  au  profit  d'un  acquéreur  à 
titre  particulier.  Celui-ci  commence  certainement  une  possession 
qui  lui  est  propre,  et  qui,  par  conséquent,  peut  être  exempte  des 
vices  qui  entachaient  celle  de  son  auteur.  S'il  achète  d'un  déposi- 
taire, il  a  une  intention  que  n'avait  pas  son  auteur,  il  a  la  préten- 
tion à  la  propriété,  et  le  dépositaire  ne  pouvait  pas  l'avoir.  Il  peut 
donc  prescrire  en  s'appuyant  sur  sa  seule  possession  si  elle  a  duré 
assez  longtemps,  et,  n'ayant  pas  besoin  de  se  prévaloir  de  la  pos- 
session de  son  auteur,  il  ne  souffrira  pas  des  vices  de  cette  posses- 
sion. Que,  s'il  n'a  pas  personnellement  possédé  assez  longtemps,  il 
pourra  ajouter  à  sa  possession  celle  de  son  auteur  (jungere  posstt~ 
siones))  mais  alors  il  faudra  que  cette  dernière  possession  ne  soit 


456  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE   CIVIL.    LIV.  III. 

pas  vicieuse.  Il  y  a  dans  ce  cas  jonction  des  possessions;  sa  raison 
d'être,  c'est  que  l'auteur  a  cédé  avec  la  chose  tous  les  droits  qu'il 
avait  sur  cette  chose,  et  que  la  possession  non  vicieuse  avec  la 
chance  d'acquérir  par  prescription  était  le  principal  de  ces  droits. 
En  résumé,  la  continuation  de  la  possession  est  nécessaire,  tandis 
que  la  jonction  est  facultative. 


CHAPITRE  III. 

DES    CAUSES   QUI    EMPÊCHENT    LA    PRESCRIPTION. 

342.  La  possession  ne  pouvant  servir  à  la  prescription  si  elle 
n'est  à  titre  de  propriétaire  (art.  2229),  et  celle  qui  a  com- 
mencé à  un  titre  étant  toujours  censée  se  continuer  au  même 
titre  (art.  2231  ),  il  est  tout  simple  que  ceux  qui  possèdent  pour 
autrui  ne  puissent  jamais  prescrire.  Cette  règle,  qui  comprend 
tous  les  détenteurs  précaires,  est  spécialement  appliquée  par 
la  loi  au  fermier,  au  dépositaire  et  a  l'usufruitier.  V.  art.  2236. 

342  bis.  I.  Malgré  la  généralité  de  sa  rubrique,  le  chapitre  III  ne  con- 
tient que  des  règles  sur  la  précarité,  c'est-à-dire  des  développements 
sur  une  des  conditions  exigées  par  l'article  2229,  ce  qui  explique 
comment  la  loi  revient  sur  un  certain  nombre  d'idées  qui  étaient 
contenues  dans  les  termes  mêmes  des  articles  du  précédent  chapitre. 

La  loi  commence  par  poser  en  principe  que  la  précarité  est  un 
vice  qui  empêche  à  jamais  la  prescription,  puis  elle  indique  quel- 
ques possesseurs  précaires;  de  l'ensemble  de  l'article,  il  est  facile 
de  déduire  la  définition  de  la  possession  précaire.  C'est  la  possession 
pour  autrui  en  vertu  d'un  titre  qui  oblige  le  possesseur  à  restituer. 
Le  fermier,  le  dépositaire,  l'usufruitier,  appuient  leur  détention 
sur  un  titre  ou  une  cause  qui  implique  qu'à  une  certaine  époque 
ils  seront  tenus  de  rendre  la  chose  au  bailleur,  au  déposant,  au  nu 
propriétaire;  donc  ils  n'ont  pas  ï'animus  domini,  d'où  il  résulte  que 
leur  possession  n'est  pas  une  véritable  possession.  Ce  ne  sont  pas 
les  seuls  personnes  qui  détiennent  précairement,  on  peut  citer 
encore  les  mandataires,  les  commodataires,  les  gagistes,  et  parmi 
ceux-ci  les  antichrésistes. 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    AttT.    2236.  457 

342  bis.  II.  Tous  ces  détenteurs,  par  la  qualité  même  de  leur  pos- 
session, n'annoncent  pas  de  prétention  à  la  propriété,  et  rien  dans 
les  actes  qu'ils  accomplissent  ne  provoque  des  protestations  de  la 
part  du  vrai  propriétaire,  quel  qu'il  soit.  Il  faut  cependant  observer 
que  le  propriétaire  véritable,  quand  ce  n'est  pas  lui  qui  a  conféré 
la  possession  au  possesseur  précaire,  doit  se  garder  contre  les  consé- 
quences de  cette  possession,  car  le  possesseur  précaire,  s'il  ne  peut 
pas  prescrire  pour  son  compte,  possède  pour  autrui;  le  bailleur,  le 
déposant,  le  mandant  possèdent  et  prescrivent  par  lui.  Le  vrai  pro- 
priétaire devra  donc  mettre  obstacle  à  la  prescription,  mais  il  devra, 
pour  obtenir  ce  résultat,  agir  contre  le  vrai  possesseur;  une  inter- 
ruption signifiée  au  possesseur  précaire  serait  inutile  par  rapport  à 
celui-ci  et  sans  effet  par  rapport  au  véritable  possesseur. 

342  bis.  III.  Quand  l'article  dit  que  le  détenteur  précaire  ne 
peut  jamais  prescrire,  il  entend  non-seulement  qu'il  ne  prescrira 
pas,  quelle  que  soit  la  durée  de  sa  possession,  mais  encore  qu'il  ne 
pourra  pas  commencer  à  prescrire  alors  même  qu'il  aurait  perdu 
la  qualité  qui  le  constituait  possesseur  précaire.  Le  bail  est  expiré, 
l'usufruit  est  éteint,  la  prescription  ne  devient  pas  possible  pour  cela 
parce  que  la  possession  est  viciée  dans  son  principe  et  que,  le  pos- 
sesseur eût-il  changé  d'intention,  il  resterait  toujours  une  équi- 
voque sur  le  caractère  de  sa  possession. 

342  bis.  IV.  Quanta  l'usufruitier,  nous  avons  une  réserve  à  faire. 
Ce  qu'il  possède  précairement,  ce  qu'il  ne  peut  pas  acquérir  par 
prescription,  c'est  la  chose  même,  le  fonds  soumis  à  son  usufruit, 
mais  il  possède,  animo  domini,  son  droit  d'usufruit,  il  ne  le  possède 
pas  pour  autrui,  c'est  pourquoi  nous  avons  admis  qu'on  peut 
acquérir  l'usufruit  par  prescription  (i). 

342  bis.  V.  L'article  2236  n'est,  sa  place  l'indique,  applicable 
qu'à  la  prescription  afin  d'acquérir;  or,  les  personnes  dont  il  parle 
sont  tenues  d'une  obligation  de  restituer,  et  par  conséquent  sous 
le  coup  d'une  action  personnelle  fondée  sur  le  bail,  le  dépôt,  le  man- 
dat, qui  s'éteint  par  trente  ans  (art.  2262).  N'y  a-t-il  pas  une  cer- 
taine incohérence  entre  ces  deux  idées,  et  les  dispositions  des 
articles  2236  et  2262  ne  sont-elles  pas  inconciliables?  Non  certes, 
car  la  prescription  acquisitive  et  la  prescription  libératoire  n'auront 
pas  exactement  les  mêmes  effets,  et  par  conséquent  on  peut  com- 

(1)  V.  t.  II,  n»418  bis,  IV ei  7. 


458  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

prendre  que  l'article  qui  rend  l'une  des  deux  impossibles  ne  rende 
pas  sans  intérêt  l'autre  prescription.  Le  dépositaire  ou  le  locataire 
qui  aura  prescrit  sa  libération  et  qui  restera  exposé  à  l'action  réelle, 
aura  toujours  gagné  quelque  chose  à  l'extinction  de  l'action  person- 
nelle. En  effet,  il  n'est  plus  tenu  des  obligations  qui  grèvent  un 
débiteur  de  corps  certain  à  propos  de  la  chose,  donc  il  ne  devra 
pas  de  dommages-intérêts  pour  des  négligences  qui  auraient  eu  pour 
conséquence  la  détérioration  de  la  chose;  on  ne  peut  pas  lui  repro- 
cher de  ne  l'avoir  pas  soignée  comme  un  bon  père  de  famille,  il 
ne  répond  que  de  son  dol;  puis,  s'il  l'a  aliénée,  il  n'est  pas  tenu 
envers  le  propriétaire,  qui  n'a  plus  qu'une  action  en  revendication 
contre  le  possesseur  actuel,  tandis  que,  tenu  de  l'obligation  person- 
nelle, il  resterait  débiteur  malgré  l'aliénation.  Les  deux  prescriptions 
ont  donc  leur  caractère  et  leurs  effets  distincts,  on  comprend  que  la 
loi  ait  pu,  sans  être  inconséquente,  prohiber  l'une  et  admettre  l'autre. 

343.  Les  héritiers  étant  la  continuation  de  la  personne  du 
défunt,  il  est  naturel  qu'ils  succèdent  au  vice  de  sa  possession. 
V.  art.  2237. 

343  bis.  I.  Nous  avons  expliqué,  au  n°  351  bis,  comment  l'héri- 
tier continuant  la  possession  du  défunt  la  recueillait  avec  ses  vices 
et  ne  pouvait  pas  prescrire  quand  elle  était  précaire.  Nous  avons 
également  décidé  que  dans  les  héritiers,  la  loi  comprenait  tous 
les  successeurs  universels  tenus  de  toutes  les  obligations  de  leur 
auteur.  Nous  n'avons  pas  à  y  revenir.  Nous  ferons  seulement 
remarquer  que  la  loi  ne  fait  aucune  distinction  entre  les  héritiers 
des  diverses  personnes  dont  elle  a  parlé  à  l'article  2236;  que,  par 
conséquent,  notre  article  s'applique  aux  héritiers  de  l'usufruitier. 
On  en  avait  douté  autrefois,  parce  que  le  titre  de  l'usufruitier 
s'éteignant  quand  il  meurt  et  n'étant  pas  transmissible,  on  pouvait 
prétendre  que  les  héritiers  possédaient  en  vertu  d'un  titre  nou- 
veau, qu'ils  avaient  forcément  l'animus  domini.  Cette  doctrine  était 
repoussée  par  les  auteurs  les  plus  autorisés,  parce  que  la  situation 
de  ces  héritiers  a  toujours  quelque  chose  d'équivoque.  Il  est  tou- 
jours possible  de  croire  qu'ils  détiennent  avec  l'intention  de  resti- 
tuer à  première  réquisition,  qu'ils  ne  connaissent  pas  le  nu  pro- 
priétaire et  qu'ils  attendent  qu'il  se  présente.  Cela  suffit  pour  qu'on 
ne  soit  pas  sûr  qu'ils  possèdent  à  titre  de  propriétaire. 

343  bis.  II.  Outre  les  détenteurs  dont  parlent  les  articles  2236  et 


TIT.    XX.    DE    LA   PRESCRIPTION.    ART.  -2237.  459 

2237  et  ceux  que  nous  leur  avons  assimilés,  il  en  est  quelques 
autres  à  l'égard  desquels  il  y  a  lieu  d'examiner  s'ils  sont  des  déten- 
teurs précaires  ou  s'ils  possèdent  à  titre  de  propriétaire.  Il  s'agit 
des  personnes  qui  ont  directement  ou  indirectement  reconnu  le 
droit  d'une  autre  personne,  sans  promettre  expressément  de  pos- 
séder pour  cette  personne.  Par  exemple,  on  peut  supposer  un  ven- 
deur qui  conserve  la  possession  de  la  chose  vendue.  Entre  ces  deux 
personnes,  le  vendeur  et  l'acheteur,  nous  ne  voyons  pas  exprimée 
la  convention  qui  autorise  le  détenteur  à  garder  la  chose  pour  en 
tirer  un  certain  usage  et  à  la  restituer  plus  tard,  mais  nous  pensons 
que,  pour  n'être  pas  exprimée,  cette  convention  n'en  existe  pas 
moins.  Comment  l'achefeur  n'a-t-il  pas  immédiatement  exigé  la 
possession?  Ce  sera  le  plus  souvent  parce  qu'il  ne  payait  pas  comp- 
tant, le  vendeur  conservait  la  chose  jusqu'au  paiement  (art.  1612), 
le  vendeur  a  donc  gardé  la  chose  à  titre  de  gage;  si  un  terme  avait- 
été  accordé  à  l'acheteur,  il  pouvait  exiger  la  livraison  ;  ne  l'exigeant 
pas,  n'a-t-il  pas  montré  qu'il  confiait  pour  un  temps  la  chose  à  la 
garde  du  vendeur?  Que  celui-ci  ait  été  dans  le  principe  gagiste  ou 
gardien,  ces  deux  qualités  le  constituent  détenteur  précaire  ab 
initio,  et  cela  suffît  pour  qu'il  ne  puisse  jamais  prescrire.  Dira-t-on 
qu'il  ne  détenait  pas  pour  autrui  (art.  2236)?  Cela  serait  inexact, 
car  grâce  à  la  jonction  des  possessions,  l'acheteur  peut  se  prévaloir 
de  la  possession  de  vendeur,  et  aussi  hien  de  celle  qui  est  posté- 
rieure à  la  vente  que  de  celle  qui  lui  est  antérieure;  on  est  donc 
dans  les  termes  mêmes  de  l'article  qui  déQnit  la  précarité. 

343  bis.  III.  A  côté  du  vendeur  nous  plaçons  le  possesseur  qui, 
ayant  d'abord  possédé  pour  lui-même,  fait  plus  tard  une  reconnais- 
sance du  droit  d'une  autre  personne.  Celui-ci  ne  peut  pas  être 
considéré  comme  ayant  conservé  Yanimus  domini.  Quelle  serait 
cette  prétention  au  titre  de  maître  qui  se  concilierait  avec  l'aveu 
qu'un  autre  est  le  vrai  maître  et  qu'il  peut  évincer  quand  il  le  voudra? 
La  possession  cesse  d'être  la  vraie  possession.  Il  arrive  alors,  en 
sens  inverse,  ce  que  l'article  2238  appelle  l'interversion  du  titre;  de 
même  qu'en  opposant  une  contradiction  au  droit  du  propriétaire 
le  détenteur  précaire  devient  possesseur  proprement  dit  ;  de  même 
en  reconnaissant  le  droit  du  propriétaire,  le  possesseur  manifeste 
un  changement  dans  son  animus,  il  intervertit  son  titre  et  sa  qualité; 
de  possesseur,  il  devient  détenteur  précaire.  Rien  de  plus  correct, 
du  reste;  comment,  après  sa  reconnaissance,  peut- il  avoir  conservé 


460  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

la  chose?  Ce  ne  peut  être  que  par  une  convention  avec  le  proprié- 
taire qui  a  consenti  à  la  lui  prêter  ou  à  la  lui  confier  pour  qu'il 
l'administrât.  Si  l'on  ne  suppose  pas  cette  convention,  on  ne  com- 
prend pas  pourquoi  le  propriétaire  ne  s'est  pas  fait  restituer  la 
chose;  dès  lors  la  convention  doit  être  interprétée  ainsi,  puisqu'il 
faut  toujours  y  rechercher  la  commune  intention  des  parties  (art. 
1156).  De  cette  interprétation  il  résulte  que  l'auteur  de  la  recon- 
naissance est  devenu  détenteur  précaire  en  vertu  de  l'article  2236. 

343  bis.  IV.  Notre  décision  soulève  une  objection  tirée  du  texte 
de  l'article  2248.  Cet  article  a  parlé  de  la  reconnaissance  faite  par 
un  possesseur,  et  il  l'a  considérée  comme  un  acte  interruptif  de 
prescription;  or  l'effet  de  l'interruption  n'est  pas  de  rendre  la  pres- 
cription impossible  dans  l'avenir,  il  consiste  à  faire  considérer 
comme  non  avenue  toute  possession  antérieure;  de  là  on  conclut 
que  la  reconnaissance  ne  rend  pas  précaire  la  possession  de  son 
auteur,  puisque,  si  cette  possession  était  précaire,  elle  ne  pourrait 
conduire  à  la  prescription. 

Cette  objection  ne  nous  arrête  pas,  parce  que  l'article  2248  ne 
parle  pas  spécialement  et  principalement  de  la  reconnaissance  faite 
par  un  possesseur,  il  n'en  étudie  pas  tous  les  effets.  C'est  un  article 
qui  fait  partie  d'une  énumération  sommaire  et  non  explicative  des 
actes  interruptifs;  il  réunit,  dans  la  même  phrase,  la  reconnais- 
sance d'un  débiteur  et  celle  d'un  possesseur;  il  les  assimile  peut- 
être  un  peu  à  la  légère,  apercevant  clairement  que  ces  deux  recon- 
naissances font  obstacle  à  une  prescription  fondée  sur  le  laps  du 
temps  antérieur,  mais  ne  s'occupant  pas  de  la  difficulté  qui  peut 
s'élever  sur  le  temps  à  courir  ultérieurement.  Sa  pensée  est  celle-ci  : 
de  la  reconnaissance  résulte,  dans  les  deux  cas,  un  obstacle  à  la 
prescription;  quant  à  la  nature  de  l'obstacle  dans  chacune  des 
hypothèses  prévues,  elle  dépend  des  règles  qui  sont  particulières  à 
chacune  d'elles,  l'application  de  ces  règles  est  sous-entendue. 

Nous  ajouterons  que  le  Code  a  peut-être  eu  en  vue  certaines 
reconnaissances  faites  par  des  possesseurs  qui,  sans  qu'aucune  dif- 
ficulté pût  s'élever,  n'auraient  qu'un  effet  interruptif,  parce  que  le 
droit  reconnu  n'étant  pas  inconciliable  avec  la  propriété  de  celui  qui 
fait  la  reconnaissance,  il  serait  impossible  de  penser  que  la  recon- 
naissance contient  une  convention  faisant  de  l'auteur  de  cette  re- 
connaissance un  possesseur  précaire.  Nous  songeons  à  la  reconnais- 
sance d'hypothèque,  elle  interrompra  certainement  la  prescription 


TIT.    XX.    DE    LA   PRESCRIPTION.    ART.    2237,    2238.      461 

de  l'hypothèque,  mais  le  possesseur  de  l'immeuble  n'aura  certes 
pas  changé  le  caractère  de  sa  possession,  et  il  serait  impossible  de 
dire  qu'il  possède  désormais  pour  le  créancier  hypotbécaire. 

Il  en  sera  de  même  de  la  reconnaissance  d'une  servitude  que  le 
propriétaire  du  fonds  dominant  n'exerce  pas  et  pour  laquelle  il  craint 
l'extinction  par  non-usage.  La  reconnaissance  émanée  du  proprié- 
taire du  fonds  servant  interrompt  la  prescription,  elle  implique 
renonciation  à  se  prévaloir  du  non-usage  antérieur;  mais,  à  partir 
de  la  reconnaissance,  trente  années  de  non-usage  éteindraient  la 
servitude.  C'est  qu'en  effet  la  servitude  ne  s'éteint  pas  par  trente 
ans  d'une  possession  contraire  à  la  servitude,  et  que,  dès  lors,  il  n'y 
a  pas  à  examiner  si  l'auteur  de  la  reconnaissance  est  devenu  pos- 
sesseur précaire. 

La  reconnaissance  d'un  droit  d'usufruit  par  le  nu  propriétaire 
nous  fournirait  une  troisième  hypothèse.  Cela  suffit,  à  notre  sens, 
pour  expliquer  comment  l'article  2248  a  pu  rapprocher  les  recon- 
naissances faites  par  un  possesseur  de  celles  qui  émanent  d'un 
débiteur;  il  a  songé  aux  reconnaissances  qui  ressemblent  le  plus 
aux  reconnaissances  de  dettes,  et  il  a  laissé  à  la  doctrine  la  charge 
de  distinguer,  parmi  les  reconnaissances  des  possesseurs,  celles  qui 
n'auront  que  l'effet  interruptif  de  celles  qui,  en  vertu  des  principes 
précédemment  posés,  auront  l'effet  interruptif  aggravé  par  cette 
circonstance  que  l'interruption  est  définitive. 

343  bis.  V.  Il  est  une  hypothèse  voisine  de  celle  que  nous  venons 
d'examiner  et  qui  ne  doit  pas  cependant  lui  être  assimilée.  C'est 
celle  où  un  possesseur  a  été  condamné  par  jugement  à  livrer  la 
chose  qu'il  possède  à  un  revendiquant.  Comme  il  n'est  intervenu 
entre  les  parties  qui  se  disputaient  la  propriété  aucune  convention, 
il  n'y  a  plus  place  au  raisonnement  que  nous  avons  fait  au  cas  de 
vente  sur  l'article  1156,  l'exécution  du  jugement  est  une  nécessité 
que  subira  le  possesseur,  quand  on  la  lui  imposera,  mais  rien  n'in- 
dique que  sa  volonté  d'être  propriétaire  ait  changé  et  qu'il  ait 
consenti  à  posséder  au  nom  d'autrui.  Or,  c'est  le  consentement  à 
posséder  pour  autrui  qui  constitue  le  caractère  distinctif  de  la 
possession  précaire;  nous  ne  devons  donc  pas  dire  que  le  défendeur 
à  la  revendication  ne  pourra  pas  prescrire  à  partir  du  jugement. 

344.  Au  reste,  la  règle  qui  interdit  au  détenteur  précaire 
et  à  ses  héritiers  la  faculté  de  prescrire,  par  quelque  laps  de 


462  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE   CIVIL.    LIV.    III. 

temps  que  ce  soit,  n'étant  fondée  que  sur  la  présomption 
légale  de  l'article  2231,  et  cette  présomption  légale  cédant  a 
la  preuve  contraire,  notre  règle  doit  recevoir  exception,  lors- 
qu'il apparaît  d'un  nouveau  titre  de  possession  conféré  par  un 
tiers,  ou  lorsque  la  contradiction  opposée  au  droit  du  pro- 
priétaire a  suffisamment  notifié  a  celui-ci  qu'on  n'entendait 
pas  posséder  pour  lui.  Dans  l'un  comme  dans  l'autre  cas,  le 
titre  vicieux  est  interverti,  et  la  prescription  devient  possible. 
V.  art.  2238. 

344  bis.  I.  Le  vice  de  précarité  est,  nous  l'avons  dit,  dans  la  per- 
sonne du  possesseur  et  de  ses  ayants  cause  à  titre  universel  un 
obstacle  sérieux  à  la  prescription,  mais  ce  vice  n'est  pas  indélébile. 
Le  temps,  il  est  vrai,  n'en  purge  pas  la  possession,  il  faut,  pour 
arriver  à  ce  résultat,  des  événements  nouveaux  qui  changent  la 
nature  du  titre  de  possession,  c'est  ce  que  l'article  2238  appelle 
Y  interversion  du  titre. 

Cette  interversion  ne  peut  pas  résulter  de  la  simple  volonté  du 
possesseur.  Vainement  il  ferait  des  actes  de  maître,  il  couperait  des 
futaies,  démolirait  des  édifices,  il  n'en  continuerait  pas  moins  à 
posséder  précairement,  parce  qu'on  suppose  que  le  vrai  proprié- 
taire, rassuré  par  le  caractère  primitif  de  la  possession,  ne  surveil- 
lerait pas  les  actes  du  possesseur.  Cette  règle  est  formulée  dans 
l'article  2240,  et  l'article  2238  la  sous-entend. 

L'interversion  du  titre  peut  se  produire  utilement  dans  deux 
hypothèses  qu'indique  l'article  2238  et  qui  ont  ce  caractère  commun 
que  le  possesseur  n'a  pas  agi  seul  pour  transformer  la  cause  de  sa 
possession. 

344  bis.  II.  Nous  examinerons  d'abord,  comme  étant  la  plus  simple, 
l'hypothèse  que  l'article  présente  en  seconde  ligne.  La  contradiction 
opposée  au  droit  du  propriétaire  :  le  possesseur,  le  fermier  par 
exemple,  déclare  qu'il  n'entend  plus  posséder  pour  celui  de  qui  il 
tenait  la  possession  ;  il  nie  ouvertement  le  droit  de  son  bailleur.  Cette 
déclaration  doit  avoir  un  caractère  véritablement  contradictoire, 
c'est-à-dire  s'adresser  personnellement  à  celui  qu'elle  intéresse,  ce 
ne  doit  pas  être  une  simple  annonce  faite  in  rem,  s'adressant  à  tous 
et  par  conséquent  à  personne,  le  mot  contradiction  implique  bien 
que  celui  qui  possédait  par  le  détenteur  précaire  joue  un  rôle  au 
moins  muet  et  passif  dans  l'acte  du  détenteur,  de  telle  sorte  que 


TIT.    XX.    DE   LA    PRESCRIPTION.    ART.    2238.  463 

celui-ci  ne  se  change  pas  à  lui-même  la  cause  de  la  possession. 

La  contradiction  la  plus  nette  et  la  plus  précise  résultera  d'un 
acte  d'huissier  signifiant  la  volonté  de  ne  plus  posséder  au  nom  de 
celui  à  qui  elle  est  adressée;  mais  il  n'est  pas  nécessaire  que  la 
contradiction  soit  opposée  à  l'adversaire  sous  cette  forme,  elle  peut 
se  produire  sous  une  forme  non  juridique  par  des  faits  qui  impli- 
queront la  méconnaissance  du  droit  de  celui  de  qui  l'on  tient  la 
possession.  Exemples  :  le  fermier  refuse  le  paiement  en  s'appuyant 
sur  ce  qu'il  est  propriétaire  de  l'immeuble;  le  mandataire  refuse 
par  le  même  motif  de  rendre  compte  de  sa  gestion.  Dans  ces  hypo- 
thèses ce  n'est  pas  le  simple  refus  de  paiement  ou  le  simple  retard 
dans  la  reddition  du  compte  qui  constitue  la  contradiction,  car  ces 
faits  peuvent  être  le  résultat  du  manque  d'argent,  de  la  mauvaise 
volonté  ou  de  l'inertie  du  possesseur,  c'est  le  refus  de  paiement  ou 
du  compte  fondé  sur  une  prétention  à  la  propriété,  annonçant  par 
conséquent  contradictoirement  avec  l'auteur  de  la  possession  la 
volonté  de  ne  plus  posséder  pour  lui  :  non  simplex  cessatio  solutionis 
sed  factum  coloni  proclamantis  ad  liber latetn.  On  peut  considérer 
encore  comme  contredisant  le  droit  du  bailleur  l'expulsion  violente 
de  ce  bailleur  par  le  fermier.  Mais  encore  ici  faudra-t-il  supposer 
que  le  fermier  accomplit  les  actes  d'expulsion  en  se  prétendant 
propriétaire,  sinon  il  paraîtrait  simplement  avoir  défendu  un  peu 
énergiquement  les  droits  qu'il  tenait  du  bail. 

344  bis.  III.  Dans  cette  dernière  hypothèse,  il  y  a  un  élément  de 
pur  fait,  l'expulsion,  qui  pourra  être  prouvée  par  témoins,  car  celui 
qui  l'a  accomplie  ne  pouvait  pas  s'en  procurer  une  preuve  écrite; 
mais  il  y  a  un  autre  élément,  un  élément  intentionnel,  la  prétention 
d'être  propriétaire  de  l'immeuble.  Dans  les  autres  hypothèses,  outre 
qu'il  existe  aussi  cet  élément  intentionnel,  le  fait  lui-même  n'est 
pas  impossible  à  prouver  par  écrit,  on  a  refusé  le  paiement  des 
loyers  ou  la  reddition  d'un  compte,  pourquoi  ne  pas  faire  constater 
ces  faits  en  signifiant  à  l'adversaire  qu'on  n'entend  pas  le  payer  ou 
lui  rendre  compte?  De  même,  quant  à  l'élément  intentionnel,  pour- 
quoi faire  venir  des  témoins  attestant  qu'il  a  été  dit,  lors  de  l'ex- 
pulsion ou  du  refus  de  paiement  ou  de  compte,  que  la  partie  se 
prétendait  propriétaire?  N'est- il  pas  facile  de  faire  constater  par 
acte  écrit  ces  prétentions?  Quand  il  s'agit  du  fait  d'autrui,  d'un 
délit  par  exemple  ou  d'un  quasi-délit,  d'un  fait  commun  à  la  partie 
et  à  autrui,  comme  le  dépôt  nécessaire,  on  comprend  l'impossibilité 


464  COURS   ANALVTIQUE    DE    CODE   CIVIL.    L1V.    III. 

de  se  procurer  une  preuve  écrite  au  moment  où  le  fait  s'accomplit, 
l'auteur  du  fait  dommageable  refuserait  de  signer  la  preuve  de  sa 
faute,  dans  le  cas  de  dépôt  le  temps  manque,  et  une  fois  le  dépôt 
opéré,  il  est  trop  tard,  le  dépositaire  peut  également  ne  pas  con- 
sentir à  donner  une  preuve  contre  lui.  Mais  quand  il  s'agit  de  con- 
stater l'intention  de  la  partie  qui  a  intérêt  à  se  procurer  une  preuve, 
quand  cette  intention,  qui  doit  être  persévérante,  peut  être  con- 
statée aussi  utilement  le  lendemain  du  jour  où  l'acte  qu'elle  carac- 
térise a  été  accompli,  que  le  jour  même  de  l'accomplissement  de 
cet  acte,  quand  la  preuve  n'a  pas  besoin  d'émaner  de  l'autre 
partie,  qu'une  déclaration  par  huissier  la  constituera,  on  ne  doit 
pas  dire  que  la  rédaction  d'une  preuve  écrite  a  été  impossible,  on 
n'est  plus  protégé  parla  disposition  de  l'article  1348,  on  retombe 
sous  l'empire  de  l'article  1341,  et  il  doit  être  passé  acte  de  la  con- 
tradiction comme  de  toute  chose  excédant  la  somme  ou  valeur  de 
ioO  francs  (1). 

344  bis.  IV.  La  décision  de  l'article  2238  sur  l'interversion  de 
titre,  fondée  sur  la  contradiction  opposée  au  droit  du  propriétaire, 
se  justifie  très-nettement  dans  le  cas  où  le  propriétaire,  dont  on 
a  contredit  le  droit,  est  précisément  celui  contre  qui  l'on  voudrait 
opposer  la  prescription.  Il  était  prévenu,  il  pouvait  protester,  son 
silence  est  une  cause  très-équitable  de  prescription.  C'est  évidem- 
ment l'hypothèse  que  les  rédacteurs  du  Code  civil  ont  aperçue. 
Mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  la  précarité  est  un  vice  absolu,  que 
le  fermier  qui  a  reçu  à  bail  un  fonds  ne  peut  pas  plus  le  prescrire 
contre  Pierre,  étranger  à  la  convention  du  bail,  que  contre  Paul,  son 
bailleur,  et  ceci  étant,  il  y  a  lieu  de  se  demander  si  la  contradic- 
tion opposée  au  droit  de  Paul  bailleur  intervertit  le  titre  à  l'égard 
de  Pierre,  vrai  propriétaire.  Nous  pensons  qu'il  doit  en  être  ainsi; 
l'article  2238,  en  effet,  indique  sans  distinction  deux  hypothèses, 
dont  l'une  certainement  nous  montre  l'interversion  du  titre  produi- 
sant un  effet  erga  omnes,  nous  parlons  de  la  première  espèce  que 
nous  allons  bientôt  examiner;  il  est  présumable  que  l'autre  cause 
d'interversion  produit  également  un  effet  absolu.  Si  l'on  examine 
d'ailleurs  la  théorie  même  de  la  précarité,  on  peut  remarquer  que 
le  vice  de  précarité  qui  produit  des  effets  absolus  résulte  de  faits 
qui,  en  eux-mêmes,  ont  un  caractère  relatif;  le  contrat  de  mandat 

(1)  V.  cependant  Aubry  et  Rau,  t.  III,  p.  84.  Édit.  1856. 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2238.  465 

ou  de  louage  est  un  acte  qui  s'est  produit  entre  deux  personnes 
déterminées,  et  ce  n'est  pas  seulement  par  rapport  au  bailleur  ou  au 
mandant  que  la  possession  est  précaire,  elle  l'est  à  l'égard  de  tous. 
De  même  le  fait  qui  intervertit  le  titre,  ce  que  la  loi  appelle  la  con- 
tradiction au  droit  de  propriétaire,  se  produira  dans  les  rapports 
entre  le  fermier  et  le  bailleur,  le  mandataire  et  le  mandant,  mais 
il  produira  des  effets  erga  omnes.  La  cessation  de  la  précarité  est 
soumise  à  la  même  règle  que  la  création  de  la  précarité. 

Il  ne  faut  pas  s'en  étonner,  car  la  précarité  n'est  un  vice  que 
parce  qu'elle  montre  l'absence  d'animus  domini.  Or,  l'animus  peut 
changer,  et  dans  la  théorie  pure  on  comprendrait  que  la  prescription 
devînt  possible,  quand  par  un  changement  d'intention,  le  simple 
détenteur  deviendrait  possesseur.  Si  la  loi  ne  permet  pas  cette 
transformation  (art.  2240),  c'est  parce  que  la  mutation  d'intention 
serait  trop  difficile  à  saisir,  que  les  juges  eux-mêmes  ne  pouvant 
pas  scruter  le  fond  des  consciences,  n'auraient  pas  le  moyen  de 
la  constater.  La  loi  veut  un  fait  matériel  précis  qui  manifeste  ce 
changement  de  pensée  (art.  2238).  Mais  ce  fait  matériel  étant 
démontré,  il  en  résulte  que  la  possession  proprement  dite  a  existé, 
et  de  sa  nature  la  possession  produit  ses  effets  erga  omnes. 

Les  inconvénients  de  cette  décision  ne  seront  pas  considérables, 
car  il  faudra  toujours  que  l'interversion  ait  eu  une  certaine  publicité 
sans  quoi  la  possession  elle-même  devrait  être  considérée  comme 
clandestine,  car  ce  ne  sont  pas  seulement  les  faits  matériels  de 
jouissance  qui  doivent  être  publics,  mais  les  caractères  mêmes  de 
cette  jouissance,  qui  en  font  une  véritable  possession. 

344  bis.  V.  L'interversion  du  titre  peut  encore  avoir  lieu  par 
une  cause  venant  d'un  tiers.  Il  s'agit  alors  du  cas  où  une  personne 
autre  que  le  véritable  propriétaire  donne  au  possesseur  un  titre 
nouveau  qui  se  substitue  au  titre  précaire.  Cette  personne,  par 
exemple,  vend  ou  donne  la  chose  au  possesseur  précaire. 

C'est  peut-être  le  bailleur,  le  mandant  ou  le  prétendu  nu-pro- 
priétaire qui  vend  la  chose  au  preneur,  au  mandataire,  à  l'usu- 
fruitier prétendu.  C'est  l'hypothèse  la  plus  normale,  les  choses  se 
passeront  alors  probablement  de  bonne  foi.  Si  la  chose  n'appar- 
tenait pas  au  bailleur,  au  mandant  ou  au  prétendu  nu-propriétaire, 
l'acheteur  n'a  pas  acquis  la  propriété,  il  a  intérêt  à  prescrire  contre 
le  véritable  propriétaire,  et  l'article  lui  en  donne  le  droit. 

Il  peut  arriver  aussi  que  le  détenteur  précaire  traite  avec  un  véri- 
vm.  30 


466  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    111. 

table  tiers,  c'est-à-dire  un  autre  que  celui  de  qui  il  tient  la  pos- 
session ;  il  achète  de  lui  la  chose,  ce  qui  suppose,  s'il  est  de  bonne  foi, 
qu'il  ne  croit  plus  que  celui  de  qui  il  tenait  la  chose  est  propriétaire. 
Que  son  vendeur  n'ait  pas  la  propriété,  il  ne  l'acquiert  pas  par  son 
achat,  mais  il  a  changé  son  titre  de  possession,  et  il  peut  prescrire 
contre  le  vrai  propriétaire,  qui  est  peut-être  son  bailleur  ou  son 
mandant. 

Nous  avons,  pour  rendre  l'hypothèse  vraisemblable,  supposé  la 
bonne  foi  du  détenteur,  mais  cette  bonne  foi  n'est  pas  nécessaire  ; 
l'article  2238  n'en  fait  pas  une  condition  de  l'interversion,  ce  qui 
est  parfaitement  logique,  puisque  la  loi  admet  la  prescription  de 
mauvaise  foi..  Il  faut  observer  cependant  que  bien  souvent  cette 
interversion  sera  clandestine  ou  au  moins  équivoque,  car  la  vente 
faite  au  fermier  de  Paul  par  Pierre  aura,  la  plupart  du  temps,  été 
ignorée  de  tous,  et  alors  l'interversion  du  titre  ne  rendra  pas  la 
prescription  possible  ;  mais  il  pourra  arriver  que  le  fait  qui  a  inter- 
verti le  titre  de  possession  ait  reçu  une  véritable  publicité,  si  l'acte 
de  vente  a  été  transcrit,  on  pourra  quelquefois  trouver  qu'il  a  été 
public,  d'autres  fois  la  vente  aura  été  faite  aux  enchères  après 
apposition  d'affiches,  et  il  sera  impossible  de  la  considérer  comme 
clandestine. 

345.  Si  le  litre  nouveau  conféré  au  détenteur  suffit  pour 
faire  disparaître  le  vice  de  sa  possession ,  on  sent  que,  par  la 
même  raison ,  le  titre  conféré  par  lui  a  un  tiers  peut  rendre 
celui-ci  habile  à  prescrire.  V.  art.  2239. 

345  bis.  L'article  2239  fait  simplement  l'application  d'un  prin- 
cipe que  nous  avons  déjà  posé,  c'est  que  le  successeur  à  titre 
particulier  a  une  possession  distincte  de  celle  de  son  auteur,  et  que 
s'il  peut  joindre  sa  possession  à  celle  de  cet  auteur,  il  n'est  pas 
obligé  de  confondre  les  deux  possessions  en  continuant  celle  à 
laquelle  il  a  succédé. 

346.  Mais  le  détenteur  ne  peut,  sans  l'intervention  d'un 
tiers,  ou  sans  le  concours  du  propriétaire,  changer  lui-même 
la  cause  et  le  principe  de  sa  possession.  C'est  en  ce  sens  que 
le  Code  a  consacré  cette  ancienne  maxime,  qu'onne  peut  pres- 
crire contre  son  titre.  V.  art.  2240. 

346  bis.  Nous  avons  été  obligé  de  poser  la  règle  de  l'article  2240 
pour  expliquer  l'article  2236,  nous  n'avons  par  conséquent  qu'à 


TIT.    XX.    DE    LA   PRESCRIPTION.    ART.    2239-2241.       467 

renvoyer  à  ce  que  nous  avons  dit  sur  ce  dernier  article.  Nous 
devons  seulement  faire  remarquer  que  la  maxime  :  On  ne  peut  se 
changer  à  soi-même  la  cause  de  la  possession,  est  empruntée  au 
droit  romain  (1),  mais  qu'elle  n'a  plus  tout  à  fait  en  droit  français 
la  même  portée  qu'en  droit  romain.  L'usucapion  n'étant  admise  à 
Rome  qu'en  faveur  du  possesseur  de  bonne  foi,  l'interversion  du 
titre,  autrement  que  par  un  fait  venant  d'un  tiers,  ne  pouvait  être 
d'aucune  utilité,  et  la  règle  paraissait  sans  utilité,  sauf  en  ce  qui 
concerne  Yusucapio  lucratna,  qui  avait  lieu  sans  bonne  foi  (2).  Chez 
nous,  la  règle  a  d'autant  plus  d'importance  que  nous  admettons  la 
prescription  de  mauvaise  foi. 

347.  Cette  maxime,  au  reste,  n'a  aucune  application  a  la 
prescription,  comme  moyen  de  se  libérer  d'une  action  person- 
nelle. Car  c'est  toujours  contre  le  titre  qui  établit  l'obligation 
que  le  débiteur  prescrit  sa  libération.  V.  art.  2241. 

347  bis.  L'article  2241,  étranger  à  la  matière,  puisqu'il  parle  de 
la  prescription  libératoire,  est  le  résultat  d'une  équivoque  sur  le 
mot  titre.  Ce  mot,  dans  cet  article,  ne  désigne  plus  une  cause  de  pos- 
session, un  fait  juridique  sur  lequel  s'appuie  un  droit,  il  désigne  un 
écrit  servant  de  preuve  à  l'existence  d'une  obligation.  Le  débiteur 
prescrit  sa  libération,  il  rend  désormais  le  titre  inutile,  cela  est  bien 
clair,  mais  ce  n'est  pas  une  exception  à  l'article  précédent,  car  le 
débiteur  prescrit  sans  posséder,  et  sa  prescription  n'implique  pas 
qu'il  change  la  cause  et  le  caractère  d'une  possession.  Bien  plus, 
en  laissant  même  au  mot  titre  le  sens  spécial  qui  lui  appartient 
entre  un  créancier  et  son  débiteur,  on  ne  pourrait  pas  dire  que 
celui-ci  prescrit  contre  son  titre,  car  l'écrit  qui  constate  l'obliga- 
tion est  le  titre  du  créancier,  il  prescrit  donc  contre  le  titre  du 
créancier  et  non  contre  le  sien. 

(1)  V.  I.  3,  §§  18  et  19,  D.  De  adq.  vel  amitt.  potsesswnc. 

(2)  V.   Gaius.  Com.,  11,  52-61. 


30. 


468  •         COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 


CHAPITRE  IV. 

DES    CAUSES   QUI    INTERROMPENT    OU    SUSPENDENT    LE    COURS    DE 
LA   PRESCRIPTION. 

348.  L'interruption  diffère  de  la  suspension  en  ce  que  la 
première  rend  inutile  le  laps  de  temps  antérieur-,  au  lieu  que 
la  suspension  arrête  seulement  pour  un  temps  le  cours  de  la 
prescription,  sans  l'empêcher  de  se  continuer  ensuite. 

348  bis.  I.  Après  avoir  énuméré  les  conditions  nécessaires  pour 
que  la  prescription  commence  à  courir,  la  loi  s'occupe  des  obstacles 
qui  peuvent  en  arrêter  le  cours.  Ces  obstacles  sont  de  deux 
natures,  ce  sont  des  interruptions  ou  des  suspensions. 

L'interruption  est  un  événement  qui  survient  au  cours  d'une 
prescription  et  qui  l'arrête  en  ce  sens  qu'il  rend  inutile  le  temps 
déjà  écoulé  depuis  le  commencement  de  la  prescription,  mais  sans 
empêcher  la  prescription  de  recommencer  à  courir  à  l'instant 
même.  Exemple  :  une  prescription  qui  doit  durer  trente  ans  a  couru 
pendant  vingt  années,  survient  une  interruption;  le  bénéfice  des 
vingt  années  écoulées  est  perdu,  mais  la  prescription  n'est  pas 
rendue  impossible,  elle  recommence  à  courir  du  jour  de  l'inter- 
ruption, et  elle  sera  acquise  trente  ans  après  cet  événement,  s'il 
n'en  est  pas  survenu  d'autres  de  même  nature. 

348  bis.  II.  La  suspension  est  un  obstacle  temporaire  au  cours 
de  la  prescription;  tant  que  cet  obstacle  dure,  le  temps  qui  s'écoule 
ne  peut  pas  compter;  mais  quand  l'obstacle  a  cessé  d'exister,  le 
temps  peut  utilement  commencer  ou  recommencer  à  courir,  et  le 
temps  écoulé  après  la  suspension  pourra  être  joint  au  temps  qui 
avait  couru  avant  cette  suspension,  afin  de  compléter  plus  facile- 
ment le  délai  requis  pour  prescrire. 

Nous  venons  de  supposer  qu'à  l'expiration  de  la  suspension  la 
prescription  peut  ou  commencer  ou  recommencer  à  courir.  Cette 
alternative  résulte  de  ce  que  la  suspension  étant  un  obstacle  d'une 
certaine  durée,  il  est  possible  qu'il  existe,  avant  même  la  naissance 
du  droit  contre  lequel  est  dirigée  la  prescription,  alors  la  prescrip- 
tion ne  commence  qu'à  la  cessation  de  la  suspension,  et  l'on  ne  peut 


TIT.    XX.    DE    LA   PRESCRIPTION.    ART.    2242.  469 

pas  songer  à  joindre  le  temps  antérieurement  écoulé  au  temps 
nouveau  qui  va  courir. 

Exemple  :  Une  prescription  qui  doit  durer  trente  ans  court  depuis 
vingt  ans;  survient  une  cause  de  suspension  qui  dure  dix  ans;  ces 
dix  années  ne  peuvent  pas  compter,  mais  la  cause  de  suspension 
ayant  cessé,  la  prescription  recommence  à  courir,  et,  comme  les 
vingt  ans  du  temps  antérieur  comptent ,  il  suffira  de  dix  années 
pour  arriver  à  une  prescription  complète.  Autre  exemple  :  Un  droit 
naît  au  profit  d'une  personne  en  faveur  de  qui  existe  une  cause  de 
suspension  (art.  2252);  la  prescription  contre  ce  droit  ne  peut  pas 
commencer;  lorsque  la  cause  aura  cessé,  la  prescription  ne  recom- 
mencera pas,  elle  commencera,  il  faudra  que  le  délai  complet 
s'écoule  depuis  la  cessation  de  la  suspension. 

348  bis.  III.  Les  théories  de  l'interruption  et  de  la  suspension 
sont  communes  aux  deux  prescriptions.  Sur  quelques  points  de 
détail  nous  aurons  seulement  des  différences  à  signaler,  mais  l'en- 
semble des  règles  est  applicable  indistinctement  à  la  prescription 
à  fin  d'acquérir  et  à  la  prescription  à  fin  de  se  libérer. 

SECTION  I. 

Des  causes  qui  interrompent  la  prescription. 

349.  La  présomption  qui  sert  de  base  a  la  prescription  ne 
pouvant  naître  que  de  la  continuité  de  la  possession  avec  les 
qualités  requises,  ou,  dans  tous  les  cas,  de  la  continuité  du 
silence  gardé  par  le  propriétaire  ou  le  créancier  dont  on  mécon- 
naît le  droit,  on  conçoit  que  la  dépossession  de  celui  qui 
prescrit  a  l'effet  d'acquérir,  la  réclamation  légalement  formée 
par  le  propriétaire  ou  le  créancier,  enfin  la  reconnaissance  que 
le  débiteur  ou  le  possesseur  fait  du  droit  de  celui  contre  lequel 
il  prescrit,  rendent  inutile  le  temps  qui  a  couru  jusque-la. 
Tous  ces  cas  sont  compris  sous  le  nom  d'interruption  natu- 
relle ou  civile  (1).  V.  art.  2242. 

(1)  La  prescription  à  l'effet  d'acquérir  reposant  sur  la  possession,  elle  doit  con- 
tinuer à  courir  tant  que  dure  la  possession.  Dès  lors,  tout  fait  qui  n'est  pas  de 
nature  à  interrompre  la  possession  ne  peut  évidemment  interrompre  le  cours  de 
la  prescription  à  l'effet  d'acquérir.  Mais  la  possession  n'étant  pas  une  condition  de 


470  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE   CIVIL.    LIY.    III. 

349  bis.  L'article  2242  ne  contient  qu'une  division  que  les  arti- 
cles suivants  développent.  Il  y  a  deux  sortes  d'interruptions  de  la 
prescription  :  l'interruption  naturelle  et  \  interruption  civile.  La  pre- 
mière résulte  de  faits  matériels  qui  portent  atteinte  à  la  possession 
de  celui  qui  prescrit,  elle  ne  peut  par  conséquent  se  rencontrer 
qu'en  matière  de  prescription  acquisitive,  la  seule  qui  exige  la  pos- 
session. La  seconde  résulte  d'actes  juridiques  impliquant  ou  une 
protestation  de  celui  contre  qui  la  prescription  s'accomplit,  ou  recon- 
naissance du  droit  de  celui-ci  par  l'autre  partie. 

De  cette  notion  première  des  deux  genres  d'interruption,  nous 
pouvons  tirer  cette  conséquence  que  l'interruption  naturelle  aura 
un  effet  erga  omnes,  puisqu'elle  suppose  une  défaillance  dans  la  pos- 
session, et  que  la  possession  est,  erga  omnes,  la  condition  sine  qua 
non  de  la  prescription  acquisitive;  tandis  que  l'interruption  civile 
ne  profite  pas  aux  personnes  étrangères  à  l'acte  interruptif,  en  vertu 
de  la  règle  res  inter  alios  acta  aliis  neque  nocet  neque  prodest. 

350.  L'interruption  naturelle  est  particulière  a  la  prescrip- 
tion a  l'effet  d'acquérir;  elle  consiste  dans  la  dépossession; 
mais  la  possession  se  conservant  solo  animo,  tant  qu'un  autre 
ne  s'est  pas  emparé  de  la  chose  qu'on  cesse  de  détenir,  il  n'y 
a  interruption  que  lorsque  la  possession  a  été  recouvrée  par 
le  propriétaire  ou  prise  par  un  tiers.  En  outre,  la  faculté  qu'a 
le  possesseur  annal  de  se  faire  maintenir  ou  réintégrer  en 
intentant  dans  l'année  l'action  possessoire  (C.  Pr.,  art.  23), 
ne  permet  pas  de  considérer  comme  véritable  dépossession 
celle  qui  n'a  pas  duré  une  année.  V.  art.  2243. 

350  bis.  I.  L'interruption  naturelle  consiste  dans  une  cessation 
temporaire  de  la  possession;  comme  la  possession  doit  être  con- 
tinue, elle  perd  ce  caractère  quand  elle  cesse  de  se  manifester  pen- 

la  prescription  à  l'effet  de  se  libérer,  l'interruption  à  l'égard  de  cette  dernière  doit 
se  régir  par  d'autres  principes.  Si  le  législateur  s'était  attaché  à  cette  idée,  qui 
paraît  fondamentale,  peut-être  eût-il  moins  généralisé  les  idées  contenues  en  cette 
section.  Peut-être,  par  exemple,  la  signification  d'un  acte  extrajudiciaire,  insuffi- 
sante, comme  de  raison,  pour  interrompre  la  prescription  à  l'effet  d'acquérir, 
aurait-elle  été  jugée  capable  d'interrompre  la  prescription  à  l'effet  de  se  libérer; 
peut-être  la  citation  devant  un  juge  incompétent,  qui  devait  naturellement  suffire 
pour  interrompre  la  prescription  à  l'effet  de  se  libérer,  n'aurait-el!e  pas  été  égale- 
ment déclarée  interruptive  de  la  prescription  à  l'effet  d'acquérir.  (Note  de  M.  Db- 
hantb.) 


TIT.   XX.    DE   LA   PRESCRIPTION.    ART.    2242,   2243.      471 

dant  un  certain  temps,  et  la  prescription  acquisitive  devient  impos- 
sible jusqu'à  ce  que  la  possession  recommence  avec  le  caractère 
de  continuité. 

Le  Code,  dans  l'article  qu'il  consacre  à  l'interruption  naturelle, 
n'a  en  vue  qu'une  hypothèse,  la  seule  qui  se  présente  habituelle- 
ment; il  suppose  que  le  possesseur  a  cessé  de  posséder  parce  qu'il 
a  été  dépouillé  de  la  possession  par  le  fait  d'autrui.  Alors  la 
théorie  de  la  prescription  subit  l'influence  de  la  théorie  sur  les 
actions  possessoires.  D'après  l'article  23  du  Code  de  procédure,  le 
possesseur  dépouillé  par  le  fait  d'autrui  jouit  du  délai  d'un  an  pour 
intenter  l'action  possessoire  et  se  faire  réintégrer,  d'où  il  résulte 
que  pendant  cette  année  il  est  considéré  comme  possesseur  et  qu'il 
est  nécessaire  que  l'usurpation  ait  duré  une  année  sans  réclamation 
au  possessoire  pour  que  la  prescription  soit  interrompue  naturel- 
lement. 

350  bis.  II.  La  possession  qui,  après  avoir  duré  un  an,  interrompt 
la  prescription  qu'accomplissait  le  précédent  possesseur,  est  la  pos- 
session d'un  tiers  quelconque,  il  n'est  pas  nécessaire  qu'elle  résulte 
des  actes  de  celui  contre  qui  courait  la  prescription  (le  Code  l'ap- 
pelle l'ancien  propriétaire,  il  veut  dire  l'ancien  possesseur,  ou  peut- 
être  le  vrai  propriétaire,  celui  que  menaçait  la  prescription  inter- 
rompue). Quand  la  dépossession  est  le  fait  d'un  étranger,  le  vrai 
propriétaire  peut  néanmoins  alléguer  que  la  prescription  a  été  inter- 
rompue, puisque  la  possession  de  celui  qui  prescrivait  a  cessé  pen- 
dant une  période  de  temps  supérieure  à  un  an. 

350  bis.  III.  Nous  l'avons  dit  plus  haut,  le  Code  n'a  envisagé  la 
dépossession  que  dans  l'hypothèse  où  un  tiers  aurait  occupé  l'im- 
meuble, c'est  dans  ce  cas  seulement  que  l'action  possessoire  est  pos- 
sible, et  le  renvoi  tacite  que  l'article  fait  aux  règles  sur  cette  action 
montre  clairement  la  pensée  du  législateur. 

Il  peut  arriver  toutefois  qu'un  possesseur  cesse  de  posséder  sans 
être  dépouillé  par  un  tiers.  Il  aura,  par  exemple,  abandonné  la 
volonté  de  posséder,  abdiqué  manifestement,  il  n'aura  plus  ïanimus 
domini,  donc  il  ne  possédera  plus.  S'il  se  repent,  s'il  reprend  pos- 
session, il  pourra  certes  prescrire,  mais  on  ne  devra  pas  faire  entrer 
dans  le  calcul  de  la  durée  de  sa  possession  le  temps  de  sa  première 
possession  ;  il  y  aura  certes  là  une  interruption  naturelle  qui  n'aura 
pas  besoin  de  s'appuyer  sur  l'article  2243,  mais  qui  sera  la  consé- 
quence de  l'article  2229;  la  possession  n'aurait  pas  été  continue  si 


472  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

l'on  cherchait  à  réunir  ses  deui  tronçons.  Ce  n'est  pas  le  cas  de 
dire,  avec  M.  Demante,  que  la  possession  s'était  conservée  animo 
solo,  puisque  nous  supposons  en  fait  que  Yanitnus  manquait. 

350  bis.  IV.  Cette  hypothèse  est  certainement  des  plus  rares, 
parce  qu'on  ne  verra  guère  un  possesseur  prendre  la  peine  de  dé- 
clarer ou  de  manifester  par  des  actes  qu'il  entend  abdiquer  sa  pos- 
session. Mais  ce  qu'on  peut  plus  facilement  supposer,  c'est  la  négli- 
gence d'un  possesseur  qui  déserte  son  fonds,  le  laisse  à  l'abandon 
sans  qu'on  puisse  dire  s'il  a  perdu  vraiment  Yanitnus  dotnini.  Si 
personne  ne  s'étant  emparé  du  fonds,  il  reprend  la  possession  dans 
l'année,  il  faudra  bien  dire  qu'il  ne  l'avait  pas  perdue,  puisqu'il 
serait  considéré  comme  possesseur  continu  alors  même  qu'un  tiers 
se  serait  emparé  de  la  chose. 

350  bis.  V.  Mais  l'espèce  se  complique  quand  le  possesseur  a  cessé 
pendant  plus  d'un  an  de  faire  des  actes  de  possession  et  que  per- 
sonne ne  s'est  emparé  de  la  chose.  Y  a-t-il  lieu,  là  encore,  de 
parler  d'une  possession  conservée  animo  solo  et  d'admettre  qu'il 
est  toujours  possible  à  l'ancien  possesseur  de  faire  des  actes  de 
maître,  d'où  il  résulterait  que  sa  possession  a  été  exercée  sans  inter- 
ruption? Ceci  nous  paraît  une  question  de  fait,  il  s'agira  de  chercher 
si  l'inaction  de  l'ancien  possesseur  indique  l'abandon  de  Yanitnus 
dotnini,  ou  si  au  contraire  elle  peut  se  concilier  avec  cet  anitnus.  Il 
nous  paraît  certain  que  si  l'abandon  a  duré  très-longtemps,  s'il 
s'agit  d'un  bien  qui  aurait  donné  des  fruits,  au  cas  où  il  aurait  été 
cultivé,  on  pourra  voir  dans  l'inertie  de  l'ancien  possesseur  la 
preuve  qu'il  avait  perdu  l'esprit  de  propriété.  Nous  ne  pouvons  pas, 
en  l'absence  de  texte,  fixer  le  délai  après  lequel  cette  abdication 
serait  présumée;  d'anciens  auteurs  le  fixaient  arbitrairement  à  dix 
ans  (1),  nous  ne  trouvons  rien  sur  ce  point  dans  le  Code,  il  faudra  que 
les  tribunaux  tiennent  compte  des  circonstances.  Si  en  effet  on 
abusait  de  l'idée  que  la  possession  se  conserve  animo  solo,  on  expo- 
serait gravement  le  vrai  propriétaire  qui,  ne  voyant  plus  son  fonds 
possédé  par  l'ancien  possesseur,  ne  ferait  pas  d'actes  interruptifs  et 
perdrait  peut-être  sa  propriété  par  prescription.  Ce  n'est  pas  du  reste 
en  vue  d'hypothèses  semblables  qu'on  voit  dans  le  droit  romain 
la  formule  possessio  animo  solo  retinetur.  Elle  suppose  au  moins 
que  Yanimus  existe,  et  elle  a  pour  but  d'établir  que  la  possession 

(1)  V.  Bélime,  Traité  du  droit  de  possession,  n°  103. 


TIT.  XX.  DE  LA  PRESCRIPTION.  ART.  2243,  2244.   473 

subsiste,  malgré  l'appréhension  faite  de  la  chose  par  un  autre  pos- 
sesseur, tant  que  l'ancien  possesseur  n'a  pas  eu  connaissance  de 
cette  appréhension  (1). 

350  bis.  VI.  Les  principes  que  nous  venons  d'appliquer  nous 
conduisent  à  des  résultats  analogues,  quand  la  possession  de  fait  a 
été  entravée  par  des  événements  naturels  de  force  majeure,  lorsque 
par  exemple  un  fonds  a  été  inondé  pendant  assez  longtemps.  On 
peut  dire  que  le  possesseur  n'a  pas  pour  cela  cessé  de  posséder, 
car  le  défaut  d'actes  de  maîtrise  ne  provient  ni  de  sa  volonté  ni  de 
sa  négligence,  il  n'a  fait  ni  plus  ni  moins  d'actes  d'usage  que  le 
propriétaire  véritable  n'en  aurait  fait;  quant  à  sa  volonté  d'avoir 
le  fonds,  on  doit  raisonnablement  la  supposer  persistante,  car  il  est 
dans  la  nature  des  choses  que,  dépouillé  accidentellement  du 
bien  qu'il  possédait,  il  regarde  l'obstacle  qui  l'empêche  de  jouir 
comme  temporaire  et  qu'il  conserve  l'espoir  de  reprendre  cette 
jouissance  quand  l'obstacle  aura  cessé.  C'est  le  cas  où  l'on  peut 
admettre  qu'il  conserve  animo  solo  la  possession,  puisque  personne 
ne  s'en  est  emparé.  Le  droit  du  propriétaire  contre  qui  il  prescrit 
n'en  souffrira  pas,  car  ce  propriétaire  pourrait  faire  des  actes  d'in- 
terruption civile  de  la  prescription.  Dira-t-on  qu'il  ne  peut  pas 
connaître  la  possession,  puisqu'elle  ne  se  manifeste  pas  par  des 
faits?  Il  doit  avoir  connu  ou  pu  connaître  la  possession  antérieure 
à  l'inondation,  puisqu'elle  a  dû  être  publique  et  non  équivoque, 
dès  lors  il  n'est  pas  autorisé  à  soutenir  que  l'absence  d'actes  de 
possession  peut  bien  faire  supposer  l'abandon,  puisque  ces  actes 
sont  impossibles,  qu'ils  ne  pourraient  pas  être  accomplis  même  par 
lui,  c'est  à  lui  de  comprendre  que  la  possession  est  continuée  solo 
animo  et  à  prendre  des  précautions  en  conséquence  (2). 

351.  L'interruption  civile  est  commune  aux  deux  espèces 
de  prescription.  La  loi  l'attache  avec  raison  à  l'interpellation 
faite  par  le  propriétaire  ou  le  créancier,  qui,  ne  pouvant  se 
faire  justice  lui-même,  doit  être  réputé  rentrer  dans  l'exercice 
de  son  droit,  du  jour  où  il  dirige  légalement  des  poursuites  à 
cet  effet.  Mais  remarquons  qu'un  simple  acte  extrajudiciaire 
ne  saurait  être  considéré  comme  le  principe  de  l'exercice  du 

(1)  V.  Institut.,  I.  IV,  t.  V,  §  5,  et  M.  Accarias,  Précis  du  droit  romain,  t.  I", 
p.  515. 

(2)  V.  Béïime,  n°  104,  Aubry  et  Rau,  t.  II,  p.  76,  édit.  1865. 


474  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

droit,  et  ne  produirait  point  conséquemment  l'effet  que  la  loi 
attribue  à  une  demande  judiciaire,  un  commandement  ou  une 
saisie.  V.  art.  2244. 

351  bis.  I.  Nous  avons  dit  que  l'interruption  civile  résulte  d'actes 
juridiques;  les  articles  2244  à  2248  nous  indiquent  quels  sont  ces 
actes.  En  général,  ils  émanent  de  celui  contre  qui  court  la  prescrip- 
tion, ce  sont  des  affirmations  de  son  droit  et  par  conséquent  comme 
des  protestations  contre  la  prétention  que  l'adversaire  pourrait  avoir 
à  l'encontre  de  ce  droit. 

L'article  2244  présente,  comme  interruptifs  de  la  prescription, 
trois  actes  d'huissier  signifiés  à  celui  qui  prescrit  :  la  citation  en 
justice,  le  commandement,  la  saisie.  Ce  sont  des  manifestations 
énergiques  du  droit  prétendu,  les  seuls  moyens  légaux  par  lesquels 
il  puisse  être  exercé.  Celui  qui  les  emploie  ne  peut  plus  être  consi- 
déré comme  ayant  négligé  d'user  de  son  droit.  Quant  à  l'adversaire, 
il  a  dû  nécessairement  avoir  connaissance  de  ces  actes,  puisqu'ils 
lui  ont  été  signifiés,  et  dès  lors  il  ne  peut  pas  alléguer  qu'il  a  cru 
que  l'inaction  du  propriétaire  ou  du  créancier  cachait  un  abandon 
du  droit  ou  un  aveu  de  son  inexistence. 

351  6m.  II.  Des  trois  actes  énumérés,  il  en  est  deux  qui  semblent 
se  confondre,  car  le  commandement  est  le  préliminaire  de  la  saisie, 
et  il  paraît  inutile  de  dire  que  la  saisie  interrompt  une  prescription 
déjà  interrompue  par  le  commandement.  La  disposition  de  la  loi 
n'est  cependant  pas  inutile,  car  le  commandement  précédant  de 
quelques  jours  la  saisie,  il  peut  être  intéressant  de  constater  que  la 
prescription,  interrompue  une  première  fois,  a  été  interrompue  à 
nouveau  par  la  saisie,  et  de  prolonger  ainsi  la  prescription,  ne  fût- 
ce  que  de  quelques  jours.  Une  question  de  prescription,  c'est-à-dire 
de  propriété  ou  de  créance,  peut  quelquefois  se  débattre  à  propos 
d'un  jour  ou  deux  en  plus  ou  en  moins. 

Nous  ferons  de  plus  remarquer  que  certaines  saisies  peuvent 
être  faites  sans  commandement  préalable,  et  qu'elles  interrompront 
la  prescription,  en  vertu  de  l'article  2244;  nous  citerons  la  saisie- 
arrêt,  la  saisie  foraine,  lasaisie-gagerie  (art.  563,  822,  819,  C.  Pr.)(l). 

351  bis.  III.  La  citation,  le  commandement,  la  saisie,  forment 
l'interruption  civile;  ces  expressions  de  l'article  2244  ne  font  pas 

(1)  L'acte  que  l'article  819  appelle  commandement  n'a  pas  les  caractères  qui 
constituent  légalement  ce  genre  d'injonction.  V.  M.  Colmet-Daâge,  t.  II,  p.  197 
et  493,  édit.  1879. 


TIT.    XX.    DE    LA   PRESCRIPTION.    ART.    2244.  475 

de  distinction,  et  il  semble  que  ces  trois  actes  interrompent  aussi 
bien  la  prescription  à  fin  d'acquérir  que  la  prescription  à  fin  de  se 
libérer.  C'est  la  pensée  du  législateur,  seulement  il  arrivera  rare- 
ment qu'une  prescription  acquisitive  soit  interrompue  par  un  com- 
mandement ou  une  saisie.  Ces  deux  actes  sont  les  armes  ordinaires 
des  créanciers,  et  les  propriétaires  n'ont  pas  à  s'en  servir  contre  les 
usurpateurs  de  leurs  propriétés.  La  saisie  ne  répondrait  pas  au 
vœu  du  propriétaire  qui  veut  reprendre  la  possession  de  sa  chose, 
puisqu'elle  mettrait  cette  chose  sous  la  main  de  justice  pour  la 
faire  vendre;  le  commandement,  préliminaire  de  la  saisie,  est  inu- 
tile si  la  saisie  n'a  pas  d'utilité. 

351  bis.  IV.  Ces  observations  ne  valent  toutefois  que  comme  con- 
statation de  ce  qui  se  produit  ordinairement  en  fait,  mais  il  peut 
quelquefois  arriver  que  les  deux  actes  dont  nous  nous  occupons 
soient  utiles  à  un  propriétaire,  et  cela  suffit  pour  justifier  le  Code 
civil,  qui  n'a  pas  fait  de  distinction  sur  l'effet  des  trois  actes  qu'il 
énumérait,  par  rapport  aux  deux  espèces  de  prescription. 

Ainsi,  à  la  suite  d'une  action  en  revendication,  le  détenteur  d'un 
immeuble  a  été  condamné  à  le  restituer;  s'il  ne  se  soumet  pas  à  la 
condamnation,  il  faudra  bien,  pour  procéder  contre  lui  et  l'expulser 
manu  militari,  le  mettre  en  demeure  d'exécuter  le  jugement  et  par 
conséquent  lui  faire  commandement  en  vertu  de  ce  jugement.  Ce 
commandement  interrompra  à  nouveau  la  prescription,  que  la  cita- 
tion en  justice  avait  une  première  fois  interrompue.  Le  comman- 
dement, il  est  vrai,  n'apparaît  dans  le  Code  de  Procédure  qu'à  pro- 
pos des  condamnations  en  matière  de  créance  et  des  saisies,  mais 
il  résulte  d'une  combinaison  entre  les  dispositions  du  Code  de 
Procédure  et  du  Code  civil,  sur  un  point  spécial,  que  la  formalité 
du  commandement  n'est  pas  antipathique  avec  l'exercice  d'un 
droit  réel.  L'article  2061  du  Code  civil  admettait  que  l'exécution 
d'un  jugement  rendu  au  pétitoire  pouvait  être  effectuée  par  voie 
de  contrainte  par  corps,  et  le  Code  de  Procédure  établissait  d'une 
façon  générale,  dans  son  article  780,  que  toute  contrainte  par  corps 
devait  être  précédée  d'un  commandement;  ce  qui  prouve  bien  que 
dans  l'esprit  des  législateurs  un  commandement  peut  être  fait  en 
vertu  d'un  jugement  condamnant  à  abandonner  un  immeuble. 

3ol  bis.  V.  On  a  dit  que  la  saisie  peut  aussi  quelquefois  mani- 
fester la  prétention  d'un  propriétaire  et  interrompre  la  prescrip- 
tion acquisitive.  C'est  lorsqu'elle  est  pratiquée  en  vertu  du  juge- 


476  COURS   ANALYTIQUE    DE    GODE    CIVIL.    L1V.    III. 

ment  sur  l'action  en  revendication  afin  d'obtenir  le  paiement  des 
dommages  et  intérêts  encourus  pour  refus  d'obtempérer  à  l'in- 
jonction de  restituer.  Nous  croyons  qu'elle  n'aurait  pas  alors  l'effet 
d'interrompre  la  prescription  acquisitive,  car  elle  est  l'exercice  d'un 
droit  de  créance  et  non  du  droit  de  propriété,  et  de  plus  cette 
créance  peut  exister  alors  même  que  l'immeuble  aurait  été  restitué, 
car  la  partie  a  pu  retarder  longtemps  cette  restitution,  et  devoir 
de  ce  chef  des  dommages  et  intérêts  après  même  la  restitution  prin- 
cipale opérée. 

351  bis.  VI.  La  citation  en  justice  et  le  commandement  sont  des 
actes  qui  s'accomplissent  par  la  signification  même  qui  en  est  faite 
à  la  partie;  il  ne  peut  dès  lors  pas  exister  de  difficulté  sur  le 
moment  où  ils  ont  leur  effet  interruptif,  c'est  au  moment  où  ils 
sont  faits,  c'est-à-dire  signifiés.  Il  en  est  autrement  de  la  saisie, 
opération  qui,  pour  être  complète,  se  compose  de  plusieurs  actes 
distincts,  la  saisie  d'abord,  la  signification  ensuite,  de  sorte  qu'on 
peut  se  demander  si  l'effet  interruptif  est  attaché  à  la  saisie  elle- 
même,  pourvu  qu'elle  soit  plus  tard  signifiée,  ou  seulement  à  la 
signification  de  la  saisie  postérieure  à  la  saisie  elle-même.  La  pensée 
de  la  loi  nous  paraît  être  que  l'acte  interruptif  de  prescription  doit 
être  porté  à  la  connaissance  du  débiteur  pour  qu'il  produise  son 
effet.  Elle  veut  une  injonction  énergique,  menaçante,  une  contra- 
diction, et  non  pas  seulement  une  protestation  déposée  comme  en 
secret  dans  un  acte  ignoré  du  débiteur,  comme  serait  par  exemple 
une  protestation  notariée  ;  il  faut  que  celui  contre  qui  l'on  prescrit  ait 
connaissance  de  la  prétention  contraire.  Or,  il  est  certaines  saisies, 
la  saisie-arrêt  par  exemple,  ou  la  saisie  foraine,  qui  s'accomplissent 
par  des  actes  n'atteignant  aucunement  le  débiteur;  il  en  est  quel- 
quefois de  même  de  la  saisie  immobilière  et  aussi  de  la  saisie- 
exécution;  faudrait -il  distinguer  entre  ces  diverses  saisies  et  donner 
à  la  saisie-exécution  l'effet  d'interrompre  par  elle-même  la  pres- 
cription lorsqu'elle  aura  porté  sur  des  meubles  garnissant  la  rési- 
dence habituelle  du  débiteur,  en  refusant  cet  effet  à  la  saisie- 
arrêt,  parce  qu'elle  consiste  en  un  acte  signifié  à  une  personne 
étrangère,  le  tiers  saisi  ?  Le  Code  ne  fait  pas  ces  distinctions,  qui 
seraient  pourtant  nécessaires,  et  il  nous  montre  par  là  qu'aucune 
saisie  n'interrompra  la  prescription  tant  qu'elle  n'aura  pas  été 
signifiée;  car  s'il  admettait  la  règle  absolue  en  sens  inverse,  il  con- 
sacrerait, dans  le  cas  de  saisie-arrêt  et  d'autres  semblables,  un 


T1T.    XX.    DE    LA   PRESCRIPTION.    ART.    ^244.  477 

résultat  injuste  en  pratique  et  contraire  à  l'ensemble  de  ses  dispo- 
sitions sur  les  interruptions  civiles.  La  disposition  de  l'article  2244 
doit  donc  être  appliquée  à  la  saisie  comme  elle  l'est  incontestable- 
ment aux  citations  et  aux  commandements,  elle  veut  dire  que  la 
signification  d'une  citation,  d'un  commandement  ou  d'une  saisie, 
forme  l'interruption  civile  (1). 

351  bis.  VII.  On  a  tenté  de  soutenir  que  la  signification  d'un 
transport  de  la  créance  interromprait  la  prescription  qui  courait  en 
faveur  du  cédé.  Certes,  la  loi  aurait  pu  le  décider  ainsi,  car  le  ces- 
sionnaire  fait  bien  un  acte  d'exercice  de  droit  de  créance  en 
donnant  au  débiteur  un  avis  d'où  résultera  la  nullité  des  paiements 
que  pourrait  faire  le  cédé  au  cédant,  ou  l'impossibilité  des  com- 
pensations entre  le  cédé  et  le  cédant.  Cependant,  l'acte  n'implique 
pas  en  lui-même  une  menace,  une  injonction  d'exécuter  l'obligation; 
or,  c'est  seulement  à  des  actes  de  cette  nature  que  l'article  2244 
confère  l'effet  interruptif  ;  il  faut  donc  s'en  tenir  au  texte,  et  comme 
la  signification  dont  nous  parlons  n'est  ni  une  citation,  ni  un  com- 
mandement, ni  une  saisie,  il  faut  dire  qu'elle  n'a  pas  d'influence 
sur  le  cours  de  la  prescription,  solution  du  reste  qui  est  sans 
inconvénient  pour  le  cessionnaire,  car  il  est  toujours  maître  d'ac- 
compagner sa  notification  d'une  citation  en  justice,  puisque,  pour 
que  la  question  soit  posée,  il  faut  que  la  créance  soit  échue,  sinon 
la  prescription  ne  courrait  pas  encore  et  n'aurait  pas  besoin  d'être 
interrompue. 

351  bis.  VIII.  Il  est  d'autres  actes  dont  le  caractère  est  également 
douteux,  parce  qu'ils  se  rapprochent  de  ceux  dont  parle  l'article 
2244,  sans  cependant  se  confondre  absolument  avec  eux.  Nous  ne 
songeons  pas  au  prétendu  commandement  fait  en  vertu  de  l'article 
819  du  Code  de  Procédure  et  qui  tend  à  la  saisie-gagerie.  Nous 
avons  déjà  dit  incidemment  qu'il  n'est  pas  un  commandement,  puis- 
qu'il n'est  pas  fait  en  vertu  d'un  titre  exécutoire  et  qu'il  ne  tend 
pas  à  une  véritable  exécution  sur  les  meubles  saisis;  il  faudra  que 
la  saisie-gagerie  soit  convertie  par  jugement  en  saisie-exécution 
pour  que  l'exécution  même  soit  possible.  Cet  acte  mal  qualifié,  qui 
n'est  au  fond  qu'une  sommation,  n'aura  pas  l'effet  interruptif  de 
prescription  (2). 

(1)V.  cependant  Aubry  et  Rau,  t.  V,  p.  316,  édit.  1865.  Dans  notre  sens, 
C.  C,  25  mars  1874.  Sirey,  1875,  I,  86. 

(2)  V.  M.  Colmet-Daâge,  Procédure  civile,  t.  II,  p.  197.  Édil.  1879. 


478  COURS   ANALYTIQUE   DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

351  bis.  IX.  Si  nous  n'admettons  pas  l'effet  interruptif  de  l'acte 
qualifié  commandement  par  l'article  819,  C.  Pr.,  à  l'inverse  nous 
attribuerons  cet  effet  à  un  acte  que  le  Code  civil  appelle  une  som- 
mation. C'est  l'acte  prévu  par  l'article  2169  et  qui,  pour  le  créan- 
cier hypothécaire,  est  le  préliminaire  indispensable  de  la  saisie  à 
pratiquer  sur  un  tiers  détenteur.  Ce  n'est  pas,  et  ce  ne  peut 
être  à  proprement,  un  commandement,  puisque  le  créancier  n'a 
pas  de  titre  exécutoire  contre  le  détenteur  (1),  mais  au  fond, 
c'est  la  menace  formelle  d'une  saisie,  il  rend  en  outre  le  déten- 
teur comptable  des  fruits  (art  2176).  Il  n'a  donc  pas  le  caractère 
vague  et  indécis  d'une  sommation,  il  est  le  seul  moyen  immédia- 
tement à  la  disposition  du  créancier  contre  le  tiers  détenteur,  il 
doit  être  assimilé  au  commandement  qu'il  remplace  absolument 
dans  la  procédure  hypotbécaire  (2),  et  par  conséquent  il  interrompra 
la  prescription  extinctive  de  l'hypothèque  qui  courait  au  profit  du 
tiers  détenteur. 

351  bis.  X.  Nous  avons,  avec  intention,  traité  du  commandement 
et  de  la  saisie  avant  de  parler  de  la  citation  en  justice,  pour  rappro- 
cher, sur  ce  point,  les  explications  à  donner  sur  l'article  2244  de 
celles  qu'il  faudra  présenter  sur  les  articles  2245,  2246  et  2247 
qui  complètent  le  système  de  la  loi  sur  l'interruption  par  voie  de 
citation  en  justice. 

La  loi  a  entendu,  par  cette  expression,  toute  injonction  adressée 
à  une  personne  de  comparaître  devant  un  tribunal  qui  devra  sta- 
tuer sur  un  différend  entre  l'auteur  de  l'injonction  et  celui  à  qui 
elle  est  adressée. 

Le  mot  générique  de  citation  est  ordinairement  employé  à  pro- 
pos des  procédures  devant  les  juges  de  paix;  devant  les  autres 
juridictions,  le  même  acte  s'appelle  assignation  ou  ajournement. 
Mais  il  est  clair  que  le  Code  civil  a  pris  cette  expression,  et  plus 
tard  le  mot  assignation  dans  un  sens  large,  et  que  les  règles  qu'il 
donne  s'appliquent  indifféremment  en  matière  de  procédure  devant 
les  tribunaux  d'arrondissement  ou  devant  les  juges  de  paix. 

351  bis.  XI.  Il  faut,  dans  un  autre  sens,  élargir  encore  l'expres- 
sion citation.  Ordinairement,  c'est  un  exploit  introductif  d'instance, 
mais  tout  acte  non  introductif  d'instance  qui  soumettra  un  certain 
différend  à  un  tribunal  devra  rentrer  dans  cette  expression  citation 

(1)  V.  t.  IX,  n°  150  bis.  I. 

(2)  V.  t.  IX,  n»  165  bis.  III,  et  C.  C,  27  décembre  1854.  Sirey,  1854,  I,  113. 


TIT.  XX.  DE  LA  PRESCRIPTION.  ART  2244.     479 

puisqu'il  mettra  en  demeure  la  partie  de  se  défendre  contre  une 
certaine  prétention,  ce  qui  est  l'effet  principal  de  la  citation  pro- 
prement dite.  Ainsi,  les  demandes  incidentes,  reconventionnelles 
ou  en  intervention  qui  ne  se  forment  pas  par  exploit  d'ajournement, 
mais  par  actes  d'avoué  à  avoué,  interrompront  néanmoins  la  pres- 
cription, car  ce  sont  de  véritables  demandes  en  justice,  et  de  plus 
on  peut  dire  qu'elles  satisfont  aux  conditions  de  l'article  2244, 
car  elles  sont  signifiées,  sinon  à  la  partie  elle-même,  du  moins 
à  son  mandataire,  c'est-à-dire  à  l'avoué  qui  la  représente  en 
justice. 

351  bis.  XII.  On  fait  rentrer  aussi  dans  les  citations  interrompant 
la  prescription  les  demandes  en  collocation,  soit  dans  une  contri- 
bution, soit  dans  un  ordre.  Nous  admettons  cette  idée  quand  il 
s'agit  d'une  contribution,  nous  la  repoussons  quand  il  s'agit  d'un 
ordre.  Il  ne  suffit  pas  en  effet,  d'après  l'article  2244,  qu'un  acte 
soit  une  citation  pour  interrompre  la  prescription,  il  faut  qu'il  soit 
signifié  à  la  partie,  c'est-à-dire  porté  officiellement  à  sa  connais- 
sance. Or,  nous  voyons  bien  dans  la  procédure  de  contribution  que 
la  partie  saisie,  c'est-à-dire  le  débiteur,  est  officiellement  avertie  que 
ses  créanciers  sont  mis  en  demeure  de  produire  et  sommés  de  prendre 
communication  des  pièces  produites  (art.  659,  C.  Pr.).  Il  y  a  là 
quelque  chose  qui  constitue  une  sorte  de  signification  préventive 
des  demandes  en  collocation,  et  cela  peut  suffire,  pour  qu'elles  inter- 
rompent la  prescription  contre  le  débiteur. 

Dans  la  procédure  d'ordre,  nous  retrouvons  bien  un  avertis- 
sement donné  à  la  partie  saisie  (art.  751,  C.  Pr.),  mais  cet  avertis- 
sement, qui  n'est  pas  une  signification,  n'est  que  le  préliminaire 
de  l'ordre  amiable  ;  si  l'on  passe  à  l'ordre  judiciaire,  nous  n'y 
voyons  pas  que  le  débiteur  soit  averti  par  exploit,  il  est  vrai 
qu'après  la  confection  de  l'état  de  collocation  une  dénonciation  est 
faite  à  la  partie  saisie  (art.  755,  C.  Pr.),  mais  cet  état  ne  lui  pré- 
sentera pas  la  liste  complète  des  demandes  en  collocation,  et  notam- 
ment elle  ne  lui  montrera  pas  ceux  des  créanciers  qu'il  a  intérêt  à 
connaître,  puisque  n'étant  pas  colloques,  ils  ne  seront  pas  payés  et 
que  la  question  de  la  prescription  ne  s'élèvera  qu'avec  eux.  De  plus, 
la  partie  saisie  ne  sera  pas  toujours  le  débiteur,  car  l'immeuble  peut 
avoir  été  saisi  sur  un  tiers  détenteur,  et  la  notification  qui  sera  faite 
à  celui-ci  ne  pourra  pas  compter  pour  une  signification  de  la 
demande  en  collocation  au  débiteur  qui  prescrit. 


480  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

352.  Quoique  la  citation  en  conciliation  ne  soit  pas  encore 
une  demande  judiciaire,  comme  c'en  est  cependant  le  préa- 
lable nécessaire,  la  loi  a  voulu  qu'elle  interrompît  la  prescrip- 
tion, pourvu  qu'elle  fût  suivie  d'assignation  dans  les  délais  de 
droit.  V.  art.  2245;  C.  pr.,  art.  57. 

352  bis.  I.  La  demande  en  justice  doit  être  précédée,  dans  un 
grand  nombre  d'hypothèses,  d'une  tentative  de  conciliation  devant 
le  juge  de  paix.  Donc,  dans  les  affaires  où  ce  préliminaire  est  exigé, 
la  citation  en  justice  subira  un  retard  nécessité  par  l'obligation 
où  se  trouve  le  demandeur  de  citer  son  adversaire  en  conciliation. 
Ce  retard  pourrait  être  préjudiciable  à  celui  qui  veut  interrompre 
une  prescription,  et  en  réalité  le  délai  des  prescriptions  se  trouverait 
réduit  du  temps  nécessaire  pour  citer  en  conciliation,  y  comparaître 
et  se  procurer  un  procès-verbal  de  conciliation  ou  de  non-comparu- 
tion dont  la  copie  doit  être,  à  peine  de  nullité,  donnée  dans  l'exploit 
d'ajournement  devant  le  tribunal  (art.  65,  C.  Pr.).  Voilà  pourquoi 
le  Code  civil  donne  à  la  citation  en  conciliation  l'effet  interruptif, 
qui  n'appartient  en  principe  qu'à  la  citation  en  justice,  et  qui  ne 
devrait  pas  lui  appartenir  puisque  le  bureau  de  paix  n'est  pas  un 
tribunal.  Seulement,  comme  cette  force  n'est  attribuée  à  la  citation 
en  conciliation  qu'à  raison  de  ce  qu'elle  escompte,  en  quelque 
sorte,  la  citation  en  justice,  elle  ne  lui  est  donnée  qu'à  la  condition 
qu'elle  s'appuie,  dans  un  bref  délai,  sur  une  véritable  action  devant 
un  véritable  tribunal.  Elle  interrompt  la  prescription  pourvu  qu'elle 
soit  suivie  d'une  action  en  justice  dans  le  mois,  à  dater  du  jour  de 
la  non-comparution  ou  de  la  non-conciliation  (art.  57,  C.  Pr.).  Si  le 
délai  courait  du  jour  de  la  citation  même,  le  temps  accordé  pour 
intenter  l'action  se  trouverait  irrégulièrement  réduit  par  les  len- 
teurs résultant  de  la  nécessité  de  prendre  un  rang  dans  les  affaires 
quelquefois  nombreuses  qui  encombrent  les  justices  de  paix. 

352  bis.  II.  Le  motif  que  nous  assignons  à  la  disposition  des 
articles  2245  C.  C.  et  57  C.  Pr. ,  paraît  en  restreindre  la  portée 
aux  cas  où  la  tentative  d«>  conciliation  est  imposée  par  la  loi 
(art.  48  et  49,  C.  Pr.).  C'est  dans  ces  cas  seulement  que  la  règle 
légale  a  pour  effet  d'assurer  au  créancier  ou  au  propriétaire  l'in- 
tégralité du  délai  pour  exercer  son  droit.  Dans  les  hypothèses  où 
l'action  peut  être  intentée  sans  préliminaire  de  conciliation,  il 
dépend  de  la  partie  de  ne  pas  perdre  de  temps  dans  cette  tentative, 


T1T.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2245.  481 

et  le  dernier  jour  même  du  délai  elle  est  maîtresse  d'interrompre 
la  prescription  par  une  citation  en  justice.  On  a  cependant  essayé 
d'assimiler  la  citation  en  conciliation,  dans  le  cas  qui  nous  occupe, 
à  l'assignation  devant  un  tribunal  incompétent,  sans  prétendre,  il  est 
vrai,  qu'il  y  ait  alors  incompétence,  puisque  le  bureau  de  paix  n'est 
pas  un  tribunal,  mais  en  s'appuyant  sur  les  motifs  spéciaux  qui 
expliquent  l'article  2246.  Si  cet  article  protège  les  particuliers  contre 
les  erreurs  excusables  en  matière  de  compétence,  il  pourrait  venir 
également  au  secours  de  ceux  qui  se  tromperaient  sur  l'interpréta- 
tion quelquefois  difficile  des  articles  48  et  49  du  Code  de  Procédure. 
Cette  raison  ne  nous  paraît  pas  suffisante  en  l'absence  d'un  texte, 
alors  qu'il  s'agit  de  l'interprétation  d'un  article  qui  est  lui-même 
une  atténuation  de  la  règle  générale  exigeant  une  citation  en  jus- 
tice pour  interrompre  la  prescription;  il  s'agit  d'ailleurs  d'un  acte 
dont  celui  qui  l'a  reçu  a  pu  ne  pas  tenir  compte,  puisqu'il  ne 
pouvait  même  pas  être  contraint  à  y  obtempérer  sous  peine 
d'amende. 

352  bis.  III.  Nous  dirons  de  même  que  la  comparution  volontaire 
de  la  partie  devant  le  juge  de  paix  en  conciliation  (art.  48,  C.  Pr. 
in  fine)  ne  vaut  pas  une  citation  et  n'a  pas  l'effet  interruptif  ;  car  si 
la  partie  ne  peut  pas  nier  qu'elle  ait  connu  l'existence  d'une  pré- 
tention contre  elle,  peut-être  n'a-t-elle  connu  que  très-imparfaitement 
cette  prétention,  la  discussion  orale  qu'elle  a  eue  devant  le  juge  de 
paix  ne  l'ayant  pas  suffisamment  éclairée;  il  est  en  effet  possible 
qu'entre  deux  contendants  étrangers  aux  affaires  judiciaires,  la  dis- 
cussion se  soit  égarée,  entremêlée  de  détails  inutiles,  de  concessions 
apparentes,  qui  ne  seraient  que  des  artifices  de  langage  ou  même 
des  propositions  conditionnelles,  et  qu'au  sortir  du  bureau  de  paix 
la  partie  citée  n'ait  pas  de  souvenirs  précis,  qu'elle  ne  soit  pas 
certaine  en  tout  cas  que  l'adversaire  maintient  sa  prétention  et 
quelle  prétention.  Le  procès-verbal  de  non- conciliation  constate 
sommairement  que  les  parties  n'ont  pu  s'accorder,  il  ne  renseignera 
ni  la  partie,  ni  plus  tard  le  juge,  sur  le  point  de  savoir  si  dans  la 
comparution  amiable,  le  demandeur  a  pris  nettement  la  position 
d'un  homme  qui  est  résolu  à  intenter  une  action  judiciaire,  et  s'il  a 
montré  clairement  quel  était  le  droit  qu'il  prétendait  exercer.  Or, 
l'interruption  civile  doit  résulter  d'une  menace  formelle,  portant 
d'une  façon  déterminée  sur  un  droit  spécial  et  non  pas  sur  un  droit 
quelconque,  sur  une  prétention  in  génère  à  déterminer  plus  tard. 
vm.  31 


482  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

353.  H  y  a  quelque  difficulté  à  considérer  comme  un  mode 
de  l'exercice  du  droit  la  citation  devant  un  juge  incompétent. 
Cet  acte,  cependant,  ne  laissant  à  l'assigné  aucun  doute  sur 
la  volonté  du  demandeur,  suffit  pour  interrompre  la  prescrip- 
tion. V.  art.  2246. 

353  bis.  Il  faut  ajouter  que  les  questions  de  compétence  sont 
quelquefois  très-difficiles  et  très-controversées,  que  dans  le  cloute 
sur  le  tribunal  à  saisir,  le  demandeur  ne  peut  pas,  par  prudence, 
assigner  devant  deux  tribunaux,  et  qu'il  serait  injuste  de  le  consi- 
dérer comme  n'ayant  pas  essayé  de  faire  valoir  son  droit  devant 
la  justice  quand,  en  présence  d'une  jurisprudence  peut-être 
incertaine,  il  n'aurait  pas  su  deviner  en  quel  sens  déciderait  défi- 
nitivement les  tribunaux  saisis  de  la  question  de  compétence.  Nous 
considérons  l'article  2246  comme  accordant  au  demandeur  une 
sorte  de  restitutio  in  integrum  fondée  sur  une  erreur  de  droit  très- 
excusable. 

354.  Du  reste,  l'effet  que  la  loi  attribue  a  la  demande  est 
nécessairement  subordonné  à  l'événement  du  jugement  qui 
reconnaîtra  le  droit  sur  lequel  on  la  fonde.  Si  donc  la  demande 
est  nulle,  si  elle  est  suivie  de  désistement,  si  on  la  laisse  péri- 
mer, ou  si  elle  est  rejelée,  elle  n'opère  aucune  interruption. 
V.  art.  2247. 

354  bis.  I.  L'article  indique  quatre  cas  dans  lesquels  la  citation 
n'interrompt  pas  la  prescription  ;  il  faut  les  examiner  successivement  : 

1°  Nullité  de  la  citation  pour  défaut  de  forme.  L'acte  nul  ne  peut 
pas  produire  d'effets,  donc  il  est  non  avenu  au  point  de  vue  de 
l'interruption  de  prescription.  Celui  qui  l'a  reçu  a  eu  le  droit  de  ne 
pas  le  considérer  comme  un  acte  sérieux;  bien  plus,  le  vice  qui  l'en- 
tache est  peut-être  l'absence  d'une  de  ces  formalités  qui  garantis- 
saient que  l'acte  était  bien  remis  à  son  destinataire,  et  dès  lors  il 
serait  injuste  que  celui-ci  fût  traité  comme  s'il  avait  certainement 
reçu  l'acte  signifié.  D'ailleurs,  quel  que  soit  le  vice,  il  n'était  pas 
difficile  de  l'éviter,  comme  il  est  difficile  de  ne  pas  se  tromper  sur 
une  question  de  compétence;  en  choisissant  un  officier  public  soi- 
gneux et  expérimenté,  la  partie  ne  sera  pas  exposée  à  faire  un 
exploit  nul  en  la  forme.  Donc  elle  n'a  pas  paru  au  législateur  digne 
de  la  restitutio  in  integrum  qu'il  a  accordée  au  cas  où  l'assignation 
est  donnée  devant  un  juge  incompétent. 


T1T.    XX.    DE    LA   PRESOMPTION.    ART.    2246,    2247.       483 

354  bis.  II.  Pour  que  l'article  s'applique  à  la  citation  nulle  en  la 
forme,  il  faudra  que  la  nullité  soit  invoquée  par  la  partie  en  temps 
utile,  c'est-à-dire  avant  toute  défense  ou  exception  autre  que  celle 
d'incompétence  (art.  173,  G.  Pr.),  sinon  la  nullité  de  l'exploit  serait 
couverte,  et  la  partie  ne  pourrait  plus  alléguer  que  cet  exploit  n'a 
pas  interrompu  la  prescription. 

C'est  dans  ce  sens  qu'on  peut  dire  que  les  nullités  n'opèrent  pas 
de  plein  droit,  et  que  l'interruption  de  prescription  n'est  réellement 
considérée  comme  non  avenue  qu'autant  que  l'assignation  a  été 
annulée  (1).  Mais  il  ne  faudrait  pas  abuser  de  cette  formule  vraie, 
dans  le  sens  restreint  que  nous  venons  de  lui  donner,  pour  en  con- 
clure que  la  prescription  reste  momentanément  interrompue,  par  la 
citation  nulle,  ce  qui  pourrait  faire  croire  que  cette  citation  produit  les 
effets  d'une  suspension,  pour  ne  reprendre  qu'après  l'annulation  de  la 
citation.  La  vérité  est  que  l'effet  de  la  citation  est  en  suspens,  c'est 
l'effet  d'un  acte  soumis  à  une  cause  de  résolution.  Si  la  nullité  est 
couverte,  la  citation  aura,  dès  le  principe,  produit  son  effet  interrup- 
tif;  si  elle  est  prononcée,  l'acte  sera  réputé  n'avoir  jamais  existé,  et 
la  prescription  aura  dans  le  passé  suivi  son  cours  sans  aucun 
obstacle.  Il  en  est  de  cette  citation  comme  d'un  contrat  rescin- 
dable qui  produit  des  effets  jusqu'à  la  rescision,  mais  qui,  lorsqu'il 
est  rescindé,  est  censé  n'avoir  jamais  existé,  exactement  comme 
un  contrat  résoluble  après  l'arrivée  de  la  condition  résolutoire 
(art.  2123). 

35  i  bis.  III.  2°-3°.  Désistement,  péremption  d'instance  (art.  402 
et  397,  C.  Pr.).  Ces  deux  événements  font  considérer  la  demande 
en  justice  comme  non  avenue,  et  par  conséquent  l'interruption  de 
prescription  qui  en  était  résultée  est  censée  n'avoir  pas  eu  lieu 
(art.  403  et  401  C.  Pr.).  En  principe,  le  désistement  et  la  péremption 
éteignent  l'action,  mais  laissent  subsister  le  droit  dont  cette  action 
était  la  mise  en  œuvre;  par  conséquent  la  partie  pourrait  former 
une  nouvelle  demande  et  interrompre  la  prescription,  pourvu  tou- 
tefois que  le  temps  requis  ne  se  fût  pas  écoulé  avant  cette  nouvelle 
demande,  parce  qu'alors  la  prescription  s'étant  accomplie  sans  être 
interrompue,  puisque  la  première  interruption  est  sans  effet,  il 
serait  trop  tard  pour  l'arrêter  dans  son  cours. 

354  bis.  IV.  4°  Demande  rejetée.  La  citation  ne  produit  pas  Tinter- 

(1)  V.  Aubry  et  Rau,  t.  V,  p.  313.  Édit.  1865. 

31. 


484  COCl.S    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    111. 

ruption  de  prescription  quand  le  tribunal  saisi  a  jugé  la  demande 
mal  fondée.  Il  est  clair,  en  effet,  que  le  sort  d'une  demande  judi- 
ciaire est  subordonné  à  la  décision  du  tribunal,  et  que,  si  elle  inter- 
rompt la  prescription,  ce  n'est  que  par  une  sorte  d'effet  rétroactif 
attribué  au  jugement  qui  admet  le  bien  fondé  de  cette  demande. 

35  i  bis.  V.  La  disposition  finale  de  l'article  2247  se  justifie  donc 
parfaitement  en  ce  qui  concerne  son  motif;  mais  son  utilité  est 
plus  contestable,  car  si  la  demande  est  rejetée,  le  défendeur  gagne 
son  procès,  et  il  a  pour  lui  un  moyen  bien  supérieur  à  celui  qu'il 
tirerait  de  la  prescription,  il  peut  invoquer  l'autorité  de  la  chose 
jugée.  S'il  a  été  décidé  qu'il  n'est  pas  débiteur,  ou  que  le  deman- 
deur n'est  pas  propriétaire  de  la  chose  revendiquée  par  lui,  la  ques- 
tion de  prescription  ne  se  posera  plus,  et  il  est  indifférent  que  la 
demande  ait  eu  ou  non  un  effet  interruptif. 

Il  en  sera  ainsi  dans  un  grand  nombre  d'hypothèses.  Mais  quel- 
quefois la  disposition  du  Code  civil  aura  son  application  utile,  car 
il  peut  arriver  que  le  jugement  qui  rejette  la  demande  n'ait  pas 
statué  sur  le  fond  de  la  contestation,  ou  n'ait  pas  une  force  de 
chose  jugée  à  l'égard  de  tous  ceux  qui  pourraient  avec  intérêt 
invoquer  la  prescription. 

354  bis.  VI.  Ainsi,  la  demande  aura  été  rejetée  par  suite  du 
défaut  du  demandeur  (art.  154,  G.  Pr.).  C'est  le  défaut  appelé 
généralement  le  défaut  congé.  Beaucoup  de  jurisconsultes  pensent 
que  le  jugement,  en  pareil  cas,  ne  déclare  pas  la  demande  mal 
fondée,  qu'il  relaxe  seulement  le  défendeur  de  l'assignation ,  remettant 
les  parties  au  même  état  où  elles  étaient  avant  l'ajournement.  S'il 
en  est  ainsi,  ce  n'est  pas  la  chose  jugée  que  le  défendeur  peut  allé- 
guer quand  il  est  réassigné,  mais  c'est  la  prescription,  si  le  temps 
est  écoulé;  et  alors  il  est  intéressant  de  décider  avec  l'article  2247 
que  la  demande  n'a  pas  interrompu  la  prescription,  elle  n'a  pas 
plus  d'effet  que  la  demande  périmée  (1). 

354  bis.  VII.  Dans  d'autres  hypothèses,  la  disposition  de  l'article 
2247  sur  la  demande  rejetée  aura  son  intérêt  à  cause  du  caractère 
relatif  de  l'autorité  attribuée  à  la  chose  jugée.  Mais  ici  les  espèces, 
ou  quelques-unes  au  moins,  sont  aussi  controversées. 

Ainsi,  l'article  2249  admet  que  la  demande  formée  contre  un 
des  codébiteurs  d'une  chose  indivisible  interrompt  la  prescription 

(i)  V.  Boiiard  et  Colmet-Daàge,  Procédure  civile,  t.  I",  p.  290.  Édif.   187». 


TIT.    XX.    DE    LA   PRESCRIPTION.    ART.    2247.  485 

à  l'égard  des  autres  débiteurs.  Si  cette  demande  est  repoussée, 
elle  n'aura  certes  pas  interrompu  la  prescription  à  l'égard  des 
codébiteurs  qui  n'étaient  pas  mis  en  cause,  et  cette  décision  leur 
sera  très-utile,  car  ils  ne  peuvent  pas  invoquer  la  chose  jugée  en 
faveur  de  leur  codébiteur;  il  n'y  a  pas  entre  eux  le  lien  qui  pourrait 
les  faire  considérer  comme  se  représentant  mutuellement,  ils  sont 
des  tiers  les  uns  par  rapport  aux  autres;  les  jugements  rendus  par 
rapport  à  i'un  ne  peuvent  ni  nuire  ni  profiter  aux  autres  (1). 

354  bis.  VIII.  On  dira  la  même  chose  au  cas  de  dette  solidaire  si 
l'on  pense  que  les  codébiteurs  solidaires  tenus  ensemble  ne  se  re- 
présentent pas  les  uns  aux  autres  dans  les  instances  judiciaires, 
alors  même  qu'il  s'agirait  d'invoquer  un  jugement  favorable.  C'est 
l'opinion  que  nous  avons  exposée  (2);  puisqu'il  est  constant  qu'ils 
ne  se  représentent  pas  pour  perdre  le  procès,  il  ne  nous  paraît  pas 
possible  d'admettre  qu'ils  se  représentent  pour  le  gagner.  Dans  cette 
opinion,  les  codébiteurs  solidaires  nous  fournissent  un  second  cas, 
dans  lequel  il  est  intéressant  de  décider  que  la  prescription  inter- 
rompue par  l'assignation  est  réputée  non  interrompue  lorsque  la 
demande  est  rejetée,  parce  que  les  codébiteurs  étrangers  au  procès 
ne  pourraient  pas  se  défendre  en  invoquant  la  chose  jugée. 

Ceux  qui  pensent,  au  contraire,  que  les  codébiteurs  solidaires  se 
représentent  les  uns  les  autres  dans  les  procès  en  vertu  d'un  man- 
dat adminuendam  obligationem  rendent  inutile,  dans  cette  hypothèse, 
l'application  de  l'article  2247. 

354  bis.  IX.  Nous  avons  admis,  par  une  raison  spéciale,  que  les  co- 
créanciers  solidaires  peuvent  profiter  ou  souffrir  de  la  chose  jugée  au 
profit  de  l'un  d'eux  ou  contre  l'un  d'eux.  Lors  donc  que  le  débiteur 
sera  poursuivi  par  le  créancier  qui  a  été  étranger  au  procès,  il  pourra, 
s'il  a  gagné  son  procès,  repousser  le  demandeur  sans  invoquer  la 
prescription  et  le  rejet  de  la  demande  qui  l'avait  interrompue  (3). 

Au  contraire,  un  créancier  de  chose  indivisible  pourra  agir  mal- 
gré le  jugement  rendu  contre  son  cocréancier,  mais  il  sera  exposé 
à  ce  qu'on  allègue  la  prescription  et  qu'on  invoque  utilement  la 
règle  de  l'article  2247  pour  détruire  l'effet  interruptif  de  la  de- 
mande formée  par  son  cocréancier  (4). 

(1)  V.  t.  V,  n°  328  bit.  XXVL 

(2)  V.  t.  V,  n"  328  bis.  XXV. 

(3)  V.  t.  V,  n°  328  bis.   XXVII. 

(4)  V.  t.  V,  n8  328  bis.  XXVIII. 


480  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

355.  Le  possesseur  qui  reconnaît  le  droit  d'aulrui  cesse  par 
la  même  déposséder  a  titre  de  propriétaire.  L'aveu  du  débiteur 
n'est  pas  moins  exclusif  de  toute  supposition  de  libération-,  il 
est  évident,  d'après  cela,  que  la  prescription  est  interrompue 
par  la  reconnaissance  du  débiteur  ou  du  possesseur.  V.  art. 
2248. 

355  bis.  I.  L'article  2248  complète  l'énumération  des  actes  inter- 
ruptifs  de  prescription  en  parlant  d'une  reconnaissance  émanée  du 
débiteur  on  du  possesseur,  c'est-à-dire  d'un  fait  impliquant  que  le 
débiteur  ou  le  possesseur  considère  comme  existant  le  droit  contre 
lequel  il  prescrit. 

Cette  sorte  d'aveu  de  l'existence  du  droit  n'est  assujettie  par 
la  loi  à  aucune  condition  de  forme,  par  conséquent  elle  peut  être 
expresse  ou  tacite.  Expresse,  elle  sera  prouvée  par  écrit  ou  par 
témoins,  conformément  aux  règles  générales  sur  les  preuves;  tacite, 
elle  résultera  de  faits  desquels  on  induira  que  leur  auteur  se  con- 
sidère comme  débiteur  ou  comme  simple  possesseur.  Pothier  cite 
les  cas  où  un  débiteur  paie  un  acompte  ou  offre  une  caution  (1). 
En  matière  de  prescription  acquisitive,  on  pourrait  citer  le  cas  où 
le  possesseur  aurait  proposé  à  son  adversaire  de  prendre  à  bail 
l'immeuble  possédé;  nous  ne  songeons  pas  au  cas  où  le  bail  avait 
été  fait,  parce  qu'alors  il  y  aurait  plus  qu'une  interruption  (art. 
2236). 

Dans  toutes  ces  hypothèses,  on  comprend  que  celui  contre  qui 
courait  la  prescription  n'ait  pas  fait  un  des  actes  judiciaires  qui  ont 
la  force  interruptive,  pourquoi  citer  en  justice,  faire  un  commande- 
ment, une  saisie,  en  vue  de  constater  l'existence  de  son  droit, 
quand  cette  existence  est  avouée  par  l'adversaire?  Celui-ci  est  plus 
sûrement  prévenu  des  prétentions  de  l'autre  partie  que  s'il  avait 
reçu  une  signification  par  huissier,  puisqu'il  a  fait  un  acte  qui 
implique  non  seulement  qu'il  a  eu  connaissance  de  la  prétention, 
mais  qu'il  la  considère  comme  bien  fondée.  Telles  sont  les  raisons 
qui  expliquent  l'équivalence  entre  la  reconnaissance  et  les  actes 
interruptifs  énumérés  dans  l'article  2244. 

355  bis.  II.  Le  Code,  qui  n'a  pas  traité  de  la  forme  de  la  recon- 
naissance, n'a  pas  parlé  davantage  de  la  capacité  requise  pour  la 

(1)  V.  Polhier,  Obligations,  n"  658. 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2248.  487 

faire;  sur  ce  second  point  comme  sur  le  premier,  il  s'est  évidemment 
référé  aux  règles  générales.  Ce  sont  les  principes  sur  la  capacité 
qui  sont  en  jeu  quand  l'auteur  de  la  reconnaissance  est  la  partie 
elle-même;  quand  ce  n'est  pas  la  partie,  mais  son  représentant,  il 
s'agit  des  principes  sur  les  pouvoirs  des  divers  représentants  des 
incapables. 

355  bis.  III.  Il  y  a  lieu,  pour  trancher  cette  question,  de  l'examiner 
sous  ses  deux  faces,  selon  qu'il  s'agit  de  la  prescription  acquisitive 
ou  de  la  prescription  libératoire.  Dans  ce  dernier  cas,  il  existe  un 
certain  nombre  de  faits  qui  sont  certainement  dans  les  limites  de  la 
capacité  ou  des  pouvoirs  de  quiconque  a  le  droit  d'administrer  et 
qui  entraînent  reconnaissance  tacite  de  la  dette  :  payer  un  acompte, 
demander  un  délai,  faire  des  offres  réelles.  Voilà  des  actes  qu'un 
mineur  émancipé  ou  une  femme  séparée  de  biens  peut  faire,  qui 
sont  également  dans  les  pouvoirs  d'un  tuteur  du  mineur  non 
émancipé;  l'administration  est  impossible  si  ces  actes  ne  peuvent 
pas  s'accomplir;  or,  ils  entraînent  interruption  de  prescription  en 
thèse  ordinaire,  et  l'on  ne  saurait  leur  enlever  cet  effet,  dans  les  cas 
que  nous  examinons,  sans  porter  atteinte  au  droit  du  créancier  qui 
n'a  pas  pu  soupçonner  que  son  droit  fût  contesté.  Si  la  recon- 
naissance tacite  rentre  dans  la  capacité  ou  dans  les  pouvoirs  de 
ceux  qui  ont  l'administration,  comment  leur  refuser  la  possibilité 
de  faire  la  reconnaissance  expresse?  Elle  est  destinée,  la  plu- 
part du  temps,  à  éviter  un  commandement,  une  saisie,  une  citation 
en  justice,  actes  qui  entraînent  des  frais  et  qui  portent  atteinte, 
au  moins  le  commandement  et  la  saisie,  au  crédit  et  presque  à  la 
considération  du  débiteur.  Faut-il  donc  hésiter  à  donner  à  ceux 
qui  recevraient  valablement  des  actes  interruptifs  de  prescription 
le  droit  de  faire  spontanément  des  actes  ayant  la  même  force  inter- 
ruptive  et  n'ayant  au  surplus  que  cette  force? 

355  bis.  IV.  Les  derniers  mots  de  notre  phrase  font,  en  effet,  une 
réserve  fort  importante  :  la  reconnaissance  interruptive  de  prescrip- 
tion n'est  pas  toujours  un  acte  récognitif  valant  preuve  de  l'obliga- 
tion. La  question  d'existence  de  l'obligation  peut  rester  intacte  après 
la  reconnaissance,  comme  elle  l'est  après  la  citation  en  justice  et  le 
commandement;  le  débiteur  ne  pourra  pas  se  défendre  en  invoquant 
une  preseription  pour  laquelle  il  compterait  le  temps  antérieur  à 
la  reconnaissance,  mais  il  peut  invoquer  l'inexistence  de  la  dette 
si  la  reconnaissance  n'a  pas  été  faite  par  une  personne  capable  ou 


488  COURS  ANALYTIQUE    DE   CODE   CIVIL.    LIV.    III. 

ayant  pouvoir,  soit  de  créer  l'obligation,  soit  de  faire  l'aveu  propre- 
ment dit.  Il  s'agira,  par  exemple,  d'un  mineur  émancipé  ou  d'un 
tuteur  qui  reconnaît  l'existence  d'un  emprunt.  Comme  ni  l'un  ni 
l'autre  ne  peut  emprunter,  l'acte  récognitif  n'est  pas  la  preuve  d'un 
contrat  d'emprunt  valable,  mais  il  a  la  force  d'interrompre  la  pres- 
cription en  laissant  douteuse  la  question  de  preuve  et  de  validité 
de  l'acte  primitif. 

355  bis.  V.  Si  l'on  se  place  maintenant  en  présence  d'une  pres- 
cription acquisitive  et  si  l'on  cherche  qui  a  la  capacité  ou  le  pouvoir 
de  faire  une  reconnaissance  interruptive  de  prescription,  la  question 
demande  une  autre  solution,  parce  que  consentir  à  cette  inter- 
ruption, c'est  renoncer  au  bénéfice  d'unepossession  qui  a  eu  une 
certaine  durée,  c'est  consentir  à  être  considéré  comme  n'ayant  pas 
possédé  pendant  un  temps,  où  en  réalité  l'on  possédait.  Or,  la  pos- 
session est  un  droit  (1)  qui  est  immobilier  quand  l'objet  possédé  est 
un  immeuble;  renoncer  aux  résultats  avantageux  de  ce  droit,  c'est 
faire  une  renonciation  au  moins  partielle  au  droit  de  possession 
lui-même,  d'où  il  résulte  que  pour  faire  cette  renonciation,  il  faut 
avoir  le  droit  de  renoncer  au  droit  lui-même,  c'est-à-dire  d'en 
disposer;  d'où  nous  tirons  cette  conséquence  que  ceux  qui  sont 
incapables  ou  qui  n'ont  pas  le  pouvoir  de  disposer  des  droits  im- 
mobiliers ne  peuvent  pas  consentir  une  reconnaissance  interruptive 
de  la  prescription  acquisitive  en  matière  immobilière. 

355  bis.  VI.  Ceux  qui  ne  veulent  pas  considérer  la  possession 
comme  un  droit  sui  generis  arrivent  au  même  résultat  en  disant  que 
ce  que  la  loi  protège,  quand  elle  accorde  des  privilèges  à  la  posses- 
sion, c'est  moins  la  possession  elle-même  que  le  droit  probable  de 
propriété  dont  elle  fait  supposer  l'existence  (2).  D'où  il  faut  égale- 
ment conclure  que  renoncer  à  se  prévaloir  de  la  possession  qui  a 
duré  un  certain  temps,  c'est  renoncer  à  une  sorte  de  droit  de 
propriété  conditionnelle,  exposée,  il  est  vrai,  à  des  évictions,  mais 
qui  deviendrait  inattaquable  après  un  certain  temps,  ce  qui  néces- 
site la  capacité  ou  le  pouvoir  d'aliéner  la  chose  possédée. 

355  bis.  VII.  La  reconnaissance  que  fait  le  possesseur  du  droit 
de  celui  contre  qui  il  prescrit  peut  avoir  quelquefois,  en  matière  de 
prescription  acquisitive,  un  effet  qui  ne  se  bornera  pas  à  une  inter- 
ruption de  prescription.  Il  peut  arriver,  en  effet,  que  la  reconnais- 

(1)  V.  Bélime,  Possession,  n°"  13  et  17. 

(2)  V.  Aubry  et  Rau,  t.  V,  p.  70.  Édit.  1865. 


T1T.    XX.    DE    LA   PRESCRIPTION.    ART.    2248.  189 

sance  soit  si  formelle,  qu'elle  précise  si  nettement  que  le  possesseur 
détient  à  l'avenir  pour  autrui,  qu'alors  l'auteur  de  cette  reconnais- 
sance deviendra  un  détenteur  précaire,  et  la  prescription  sera  non 
pas  interrompue,  mais  impossible  désormais;  impossible  même 
erga  omnes;  car,  nous  l'avons  dit,  la  précarité  est  un  vice  absolu. 
Il  est  certain  qu'on  ne  pourra  pas  refuser  cet  effet  à  la  reconnais- 
sance, quand  elle  contiendra  par  exemple  cette  mention  que  le  dé- 
tenteur conserve  la  chose  comme  locataire  de  l'autre  partie,  ou  en 
vertu  de  la  tolérance  de  celle-ci.  Mais  la  chose  n'est  pas  aussi  cer- 
taine quand  le  possesseur  aura  déclaré  simplement  qu'il  reconnaît 
le  droit  de  propriété  de  l'adversaire.  Comme  on  peut  prescrire 
la  chose  dont  on  sait  n'être  pas  propriétaire,  cette  reconnaissance 
peut  sous-entendre  qu'on  espère  néanmoins  arriver  tôt  ou  tard  à 
la  prescription,  qu'on  a  tout  simplement  voulu  éviter  les  frais 
d'une  citation  en  justice,  mais  qu'on  entend  être  dans  la  même 
situation  que  si  l'on  avait  reçu  cette  citation.  On  ajoute  à  ces  rai- 
sonnements que  la  reconnaissance  n'est  pas  le  titre  en  vertu  duquel 
le  possesseur  possède;  son  titre  est  plus  ancien,  et  il  n'était  pas  pré- 
caire ;  enfin  on  complète  l'argumentation  en  faisant  remarquer  que  le 
Code  n'a  envisagé  la  reconnaissance  que  comme  un  acte  interruptif. 

355  bis.  VIII.  Nous  sommes  cependant  disposé  à  admettre  que 
dans  l'hypothèse  prévue,  la  prescription  devient  impossible.  Mon- 
trons d'abord  que  le  possesseur  peut  bien  avoir  un  titre  vicieux. 
Il  possédait  à  titre  de  propriétaire,  mais,  de  même  qu'un  possesseur 
précaire  peut  intervertir  son  titre  in  melius  par  une  contradiction 
opposée  au  droit  de  propriétaire,  de  même  un  possesseur  non  précaire 
peut  l'intervertir  in  pejus  par  la  reconnaissance  du  droit  du  pro- 
priétaire. Conserver  la  chose,  après  avoir  reconnu  le  droit  d'au- 
trui,  n'est-ce  pas  se  comporter  en  emprunteur  ou  en  locataire,  le 
propriétaire  peut-il  interpréter  autrement  l'animus  du  possesseur, 
ne  suppose-t-il  pas  qu'on  s'en  remet  à  sa  tolérance?  Sinon  pour- 
quoi n'exigerait-il  pas  immédiatement  la  restitution  de  sa  chose? 
La  possession  est  donc  devenue  précaire  ou  tout  au  moins  équi- 
voque, car  le  propriétaire  a  légitimement  pu  se  tromper  sur  la 
situation. 

355  bis.  IX.  Ceci  étant,  l'argument  tiré  de  ce  que  l'article  2248 
place  la  reconnaissance  parmi  les  actes  interruptifs  reste  seul  un 
peu  inquiétant,  mais  il  faut  remarquer  que  toutes  les  reconnais- 
sances ne  constitueront  pas  des  changements  dans  Yanimus.  Les 


490 


COUUS   ANALYTIQUE    DE   CODE    CIVIL.    LIV.    III. 


raisomiemenls  que  nous  venons  de  faire  supposent  une  recon- 
naissance résultant  d'une  convention  avec  la  partie  contre  qui  l'on 
prescrivait,  c'est  alors  que,  le  caractère  de  l'acte  dépendant  de 
l'intention  des  deux  parties,  il  est  nature!  de  croire  que  le  prétendu 
propriétaire  qui  laissait  l'autre  partie  en  possession  ne  lui  faisait 
cette  concession  qu'en  échange  d'une  reconnaissance  de  précarité. 
S'il  faut  entendre  les  actes  d'après  la  commune  intention  des  par- 
ties, ne  faut-il  pas  sous-entendre  dans  celui-ci  la  clause  que  nous 
supposions  tout  à  l'heure  écrite  dans  une  reconnaissance  en  vertu 
de  laquelle  le  détenteur  conserve  la  détention  comme  locataire, 
fermiep-  ou  emprunteur?  Dans  la  réalité  des  faits,  celui  qui  con- 
serve la  détention  après  avoir,  dans  un  acte  passé  avec  le  proprié- 
taire, reconnu  le  droit  de  celui-ci,  ne  détient  plus  que  par  la  volonté 
d'autrui  et  en  quelque  sorte  sous  son  bon  plaisir.  Mais,  il  en  serait 
autrement  d'une  reconnaissance  dans  laquelle  le  propriétaire  n'au- 
rait pas  été  partie,  par  exemple  d'une  déclaration  faite  en  justice 
dans  un  procès  avec  un  tiers  (1).  Si  le  possesseur  d'un  fonds, 
actionné  par  un  voisin  en  réparation  du  dommage  causé  par  la 
ruine  d'un  bâtiment  (art.  1386),  a  repoussé  l'action  par  une  dé- 
claration que  l'immeuble  n'était  pas  à  lui  et  appartenait  à  Pierre, 
cette  déclaration  interrompt  la  prescription,  mais  ne  rend  pas  le 
possesseur  précaire,  puisque,  faite  en  dehors  de  Pierre,  elle  ne 
peut  pas  impliquer,  même  par  sous-entendu,  une  convention  avec 
lui,  qui  autoriserait  le  détenteur  à  conserver  la  chose  à  charge  de 
la  restituer  plus  tard.  Le  même  raisonnement  s'appliquerait  à  la 
reconnaissance  contenue  dans  un  inventaire  après  décès  dans  le- 
quel le  propriétaire  n'aurait  pas  été  partie,  et  à  un  certain  nombre 
d'hypothèses  de  reconnaissances  tacites;  par  conséquent,  nous 
trouvons  assez  de  reconnaissances  ayant  simplement  l'effet  inter- 
ruptif  pour  expliquer  comment  l'article  2248  a  pu  parler  des  recon- 
naissances faites  par  des  possesseurs  dans  un  article  consacré  à  l'in- 
terruption, tout  en  réservant  tacitement  l'application  de  règles 
précédemment  posées  et  qui  donneraient  à  quelques  reconnaissances 
un  effet  plus  énergique. 

356.  Il  est  conforme  au  principe  de  la  solidarité  que  la 
prescription  interrompue  contre  l'un  des  débiteurs  le  soit  par 

(1)  La  doctrine  et  la  jurisprudence  admettent  que  la  reconnaissance  peut  ré- 
sulter d'actes  passés  avec  des  tiers.  V.  Aubry  et  Rau,  t.  V,  p.  318,  édit.  1865,  et 
les  citations  en  note. 


TIT.    XX.    DE    LA   PRESCRIPTION.    ART.    2249-225!.        491 

la  même  contre  tous  les  autres  (art.  1206).  Cette  règle  doit 
s'appliquer  aux  héritiers  qui  représentent  la  personne  du  dé- 
biteur décédé.  Mais  si  tous  les  héritiers  collectivement  sont 
réputés  débiteurs  solidaires,  comme  Tétait  leur  auteur,  il 
n'existe  pour  cela  aucune  solidarité  entre  eux,  et  chacun  n'est 
solidaire  avec  les  autres  débiteurs  que  pour  sa  part  héréditaire. 
Il  en  est  tout  autrement  en  cas  d'indivisibilité;  car  les  effets 
de  l'indivisibilité  existent  aussi  bien  entre  les  héritiers  du 
même  débiteur  qu'entre  plusieurs  débiteurs  d'une  dette  indi- 
visible. Au  reste,  il  est  superflu  d'ajouter  que  l'indivisibilité 
de  l'hypothèque  ne  rend  pas  indivisible  la  dette  garantie  par 
cette  hypothèque. 

Cela  posé,  il  est  évident  :  1°  que,  hors  le  cas  d'indivisibilité, 
l'interruption  de  la  prescription  a  l'égard  d'un  des  héritiers 
du  débiteur  solidaire  ne  s'étend  aucunement  a  ses  cohéritiers-, 
2°  qu'elle  ne  s'applique  aux  autres  codébiteurs  que  pour  la 
part  de  cet  héritier.  D'où  il  suit  :  3°  que,  pour  s'appliquer  à  la 
totalité  de  la  dette,  l'interruption  devrait  comprendre  tous  les 
cohéritiers.  V.  art.  2249. 

356  bis.  V.  t.  V,  n»  140  bis  et  161  bis.  I. 

357.  Le  même  principe  qui  fait  appliquer  a  tous  les  codé- 
biteurs solidaires  l'interruption  de  la  prescription  pratiquée 
a  l'égard  de  l'un  d'eux,  rend  également  applicable  h  la  caution 
l'interruption  pratiquée  contre  le  débiteur  principal.  V.  art. 
2250. 

357  bis.  V.  ci-dessus,  n°  267  bis.  V-V1I. 

SECTION  II. 

Des  causes  qui  suspendent  le  cours  de  la  prescription. 

358.  La  prescription  court  contre  toutes  personnes;  ce  prin- 
cipe n'admet  d'autres  exceptions  que  celles  qui  sont  écrites 
dans  une  loi.  V.  art.  2251.  Les  exceptions  sont  en  général 
fondées,  sinon  sur  une  entière  impossibilité  d'agir,  de  la  part 
du  propriétaire  ou  du  créancier,  au  moins  sur  les  raisons  par- 


492  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    Ml. 

ticulières  qui  ont  dû  arrêter  son  action.  Elles  peuvent  aussi 
avoir  pour  cause  son  incapacité  d'aliéner. 

358  bis.  I.  La  suspension  de  la  proscription,  nous  l'avons  déjà 
dit,  arrête  momentanément  son  cours,  qui  doit  reprendre  ou  pour 
mieux  dire  continuer  lorsque  la  suspension  aura  cessé.  Il  résulte 
de  l'institution  des  suspensions  que  la  prescription  peut  demander 
beaucoup  plus  de  temps  qu'il  ne  le  paraît  au  premier  abord, 
quand  on  lit  dans  l'article  2262  que  toutes  les  actions  s'éteignent 
par  l'expiration  du  laps  de  trente  ans.  Nul  ne  peut  être  sûr,  après 
trente  ans  écoulés,  d'avoir  accompli  une  prescription,  puisqu'il  peut 
avoir  existé  une  cause  de  suspension.  C'est  là  une  cause  d'incerti- 
tude sur  les  droits  de  propriété  ou  sur  le  chiffre  des  dettes  dont  les 
patrimoines  sont  grevés.  C'est  aussi  la  source  de  contestations 
fondées  sur  des  causes  trop  anciennes  pour  que  les  tribunaux  aient 
les  éléments  nécessaires  à  la  bonne  administration  de  la  justice. 
Les  suspensions  de  prescription  fonctionnent  donc  en  sens  inverse 
de  la  prescription  elle-même;  elles  en  paralysent  les  effets,  si  im- 
portants au  point  de  vue  économique;  partant  elles  ne  doivent  être 
admises  qu'à  titre  de  très-rares  exceptions,  et  c'est  la  pensée  qui 
apparaît  dans  l'article  2251 ,  dont  le  texte  déclare  très-nettement 
qu'une  suspension  de  prescription  ne  peut  résulter  que  d'une 
décision  formelle  de  la  loi. 

358  bis.  II.  Exiger  une  exception  établie  par  une  loi,  c'est  re- 
pousser comme  règle  générale  une  maxime  dont  on  a  fait  autrefois 
un  certain  abus  et  que  le  Gode  n'a  pas  reproduite  :  la  maxime 
contra  non  valentem  agere  non  currit  prœscriptio.  Il  ne  suffira  pas 
qu'un  événement  de  force  majeure  ait  empêché  le  propriétaire  ou 
le  créancier  d'agir  pour  que  la  prescription  ne  puisse  pas  lui  être 
opposée.  Ce  sera  une  inondation,  une  guerre,  ou  dans  un  autre 
ordre  d'idées,  l'absence  de  la  personne,  son  état  d'aliénation  mentale; 
ces  faits  ou  d'autres  semblables  ne  doivent  pas  être  pris  en  consi- 
dération par  les  tribunaux,  qui  se  trouveraient,  il  faut  le  dire, 
avoir  un  pouvoir  arbitraire  sur  les  propriétés,  s'ils  pouvaient,  sui- 
vant les  circonstances  particulières  de  la  cause,  admettre  ou  re- 
pousser une  prescription  après  l'expiration  du  temps  exigé. 

358  bis.  III.  La  maxime  dont  nous  combattons  l'application, 
n'envisage  la  prescription  que  par  son  petit  côté,  si  nous  pouvons 
nous  exprimer  ainsi,  elle  paraît  ne  la  légitimer  que  par  la  suppo- 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2251,    2252.       493 

sition  d'un  abandon  du  droit  fondée  sur  l'inertie  du  propriétaire  ou 
du  créancier;  mais  nous  savons  que  la  prescription  se  justifie  par 
des  raisons  supérieures  d'intérêt  social,  et  ces  raisons  ne  perdent  rien 
de  leur  puissance,  ni  la  prescription  de  son  utilité,  pour  être  opposée 
à  une  personne  que  certaines  circonstances  ont  empêchée  d'agir. 
Dans  certaines  conjonctures  graves,  le  législateur  est  venu  au 
secours  de  ceux  qui  avaient  été  dans  l'impossibilité  d'interrompre 
des  prescriptions;  mais  il  a  procédé  par  mesures  générales,  évitant 
ainsi  l'arbitraire  et  la  clandestinité  qui  résulteraient  de  l'application 
judiciaire  de  la  maxime  contra  non  valentem  agere.  Cette  interven- 
tion accidentelle  du  législateur  prouve  d'ailleurs  que  la  maxime  est 
en  principe  inapplicable  (1). 

359.  Les  mineurs  non  émancipés  ne  peuvent  agir  par  eux- 
mêmes;  les  émancipés  sont  au  moins  excusables  de  ne  l'avoir 
pas  fait-,  les  uns  et  les  autres  sont  généralement,  et  sauf  le  cas 
de  l'article  1314,  restituables  contre  les  aliénations  faites  par 
eux  ou  en  leur  nom.  C'est  par  ces  motifs  que  la  loi  suspend  à 
leur  égard  le  cours  de  la  prescription.  Cette  règle  est  commune 
aux  interdits,  qui  sont  assimilés  aux  mineurs  (art.  509).  Elle 
reçoit,  pour  tous,  exception  dans  certains  cas  délerminés  par 
la  loi.  V.  art.  2252 ;  et  a  ce  sujet  art.  2278,  1663,  1676;  C. 
Pr.,  art.  398,  444. 

359  bis.  I.  La  suspension  de  prescription  établie  par  la  loi  en 
faveur  des  mineurs  et  des  interdits  n'est  pas,  à  proprement  parler, 
une  application  de  la  règle  contra  non  valentem  agere.  Les  mineurs 
non  émancipés  et  les  interdits  peuvent  agir  par  les  tuteurs  qui  les 
représentent,  le  mineur  émancipé  peut  agir  par  lui-même  avec 
l'assistance  de  son  curateur,  on  abuserait  donc  de  la  maxime  en  la 
leur  appliquant;  la  décision  de  la  loi  a  un  autre  fondement,  c'est 
une  mesure  protectrice,  une  resiitulio  in  integrum.  L'incapable  est 
restitué  contre  le  préjudice  que  lui  cause  la  négligence  de  son 
représentant  ou  la  sienne  propre,  quand  il  est  mineur  émancipé. 
Il  n'y  a  pas  d'autre  raison  à  donner  de  la  règle  contenue  dans  l'ar- 
ticle 2252,  et  il  serait  par  conséquent  imprudent  d'y  voir  la  consé- 
cration même  partielle  de  l'ancienne  maxime. 

(1)  V.  Décrets  9  septembre  et  3  octobre  1870,  et  loi  du  26  mai  1871,  rendus  à 
l'occasion  des  événements  de  1870-1871. 


•494         coims  analytique  de  code  civil,  liv.  m, 

359  bis.  II.  Quand  l'article  2252  parle  des  interdits,  il  a  certaine- 
ment en  vue  l'interdit  judiciairement,  c'est-à-dire  l'interdit  pour 
cause  d'aliénation  mentale,  mais  nous  sommes  amenés  à  donner  la 
même  solution  quant  à  l'interdit  légalement;  car  lorsque  le  Code 
pénal  a  établi  dans  les  articles  29,  30  et  31,  que  les  condamnés  à 
certaines  peines  seraient  en  état  d'interdiction,  il  a,  par  l'emploi 
qu'il  a  fait  du  mot  interdiction  sans  autre  explication,  renvoyé 
tacitement  aux  dispositions  du  Code  civil  qui  régissent  cet  état.  Les 
causes  de  l'interdiction  ne  sont  pas,  il  est  vrai,  identiques,  puisque 
dans  un  cas  elle  protège  un  malheureux  et  dans  l'autre  elle  frappe 
un  coupable,  mais  ce  n'est  pas  une  raison  pour  distinguer,  quant 
aux  effets,  lorsque  la  loi  n'a  pas  indiqué  qu'elle  voulait  des  distinc- 
tions. On  tomberait  dans  l'arbitraire,  si  l'on  choisissait  parmi  les 
effets  de  l'interdiction  ceux  qui  sont  produits  par  l'interdiction 
légale.  C'est  la  doctrine  que  M.  Demante  a  admise  au  tome  1er,  n°  72 
bis.  H,  et  au  tome  II,  n°  274  bu.  VI. 

359  bis.  III.  La  loi  annonce  une  exception  à  sa  règle  sur  la  sus- 
pension en  faveur  des  mineurs  et  des  interdits  ;  elle  en  fait  sup- 
poser quelques  autres.  L'exception  indiquée  résulte  de  l'article  2278. 
Les  courtes  prescriptions  énumérées  dans  les  articles  2171-2177 
ne  sont  pas  suspendues  pour  cause  de  minorité  ou  d'interdiction. 
Il  s'agit  dans  ces  articles  de  certaines  prescriptions  libératoires  ;  les 
créances  qu'elles  doivent  éteindre  sont  relativement  de  peu  d'im- 
portance, d'où  cette  conséquence  que  l'action  en  responsabilité 
contre  le  tuteur  sera  ordinairement  efficace,  leur  modicité  même 
explique  assez  facilement  l'absence  de  preuve  du  paiement,  soit 
que  le  débiteur  n'ait  pas  exigé  de  quittance,  soit  qu'il  n'ait  pas  con- 
servé longtemps  la  quittance  reçue.  Enfin,  ces  diverses  créances  sont 
presque  toutes  des  créances  de  revenus  ou  de  salaires  jouant  le  rôle 
de  revenus,  et  il  n'est  guère  présumable  que  le  créancier  ou  même 
les  représentants  du  créancier  aient  négligé  de  les  recouvrer  en 
temps  utile. 

359  bis.  IV.  D'autres  prescriptions  sont  soustraites  par  la  loi  à  la 
règle  de  l'article  2252.  On  doit  citer  entre  autres  la  prescription  de 
l'action  en  rescision  de  la  vente  d'immeubles  pour  cause  de  lésion 
(art.  1676J.  Il  ne  faut  pas  parler  de  l'article  1663,  car  le  délai  du 
réméré  est  un  délai  conventionnel,  il  s'applique  non  pas  à  l'exercice 
proprement  dit  d'une  action,  mais  à  l'arrivée  d'uue  condition  réso- 
lutoire, et  par  conséquent  il  ne  doit  pas  être  plus  soumis  aux  règles 


HT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2252.  495 

de  la  prescription  que  le  délai  auquel  on  aurait  subordonné  l'ar- 
rivée d'une  condition  quelconque,  comme  :  si  tel  navire  revient 
dans  l'année,  ou  si  je  me  marie  dans  six  mois.  Il  est  bien  clair,  du 
reste,  que  le  délai  du  réméré  ne  se  prolongerait  pas  par  des  actes 
interruptifs,  donc  il  n'y  avait  pas  à  examiner  quant  à  ce  délai  la 
question  de  suspension. 

359  bis.  V.  Nous  dirons  la  même  cbose  des  délais  de  procédure, 
par  exemple  du  délai  de  la  péremption  d'instance,  et  du  délai 
d'appel  (art.  398  et  444,  G.  Pr.).  Ce  ne  sont  pas  des  délais  de 
prescription,  car  la  prescription  est  un  moyen  d'acquérir  ou  de  se 
libérer,  elle  tend  à  acquérir  soit  une  propriété,  soit  un  droit  réel, 
ou  à  éteindre  une  obligation  ou  un  droit  réel.  Les  déchéances  de 
procédure  ne  produisent  aucun  de  ses  effets,  et,  alors  même  que  la 
loi  ne  s'est  pas  expliquée  à  leur  égard  comme  elle  le  fait  dans  les 
articles  que  nous  venons  de  citer,  il  n'y  a  pas  lieu  de  les  soumettre 
aux  règles  générales  de  la  prescription.  (V.  par  exemple  art.  660  et 
755,  C.  Pr.  ;  art.  2183  et  2185,  G.  C.) 

359  bis.  VI.  Il  y  a  d'autres  hypothèses  à  l'égard  desquelles  il  est 
plus  difficile  de  prendre  un  parti  ;  il  faut  les  examiner  successive- 
ment, parce  qu'il  n'est  pas  possible  de  raisonner  sur  toutes  en  bloc 
et  de  donner  à  toutes  une  solution  commune  appuyée  sur  des  idées 
générales  que  le  texte  ne  do'.îs  fournit  pas. 

Nous  devons  d'abord  rappeler  que  nous  avons  examiné  la  question 
à  propos  d'une  certaine  prescription,  qui  a  de  très-nombreuses 
applications,  la  prescription  des  actions  en  nullité  ou  en  rescision 
(art.  1304);  nous  avons  reconnu  qu'elle  constitue  une  véritable 
prescription  et  qu'elle  doit  être  soumise  aux  suspensions  (1). 

359  bis.  VII.  Nous  verrons  également  une  véritable  prescription 
dans  les  articles  316  et  317,  qui  parlent  de  l'action  en  désaveu  de 
paternité.  L'expiration  du  temps,  en  effet,  produit  à  l'égard  de  l'en- 
fant l'effet  de  l'expiration  du  délai  de  dix  ans  au  cas  de  rescision, 
ou  mieux,  elle  lui  confère  la  propriété  inattaquable  de  son  état,  elle 
consolide  sa  possession  comme  la  prescription  acquisitive  consolide 
la  situation  du  possesseur  d'un  bien,  c'est  une  sorte  de  prescription 
à  fin  d'acquérir.  Qu'on  ne  dise  pas  que  la  brièveté  du  délai  montre 
ici  chez  le  législateur  la  volonté  d'assurer  à  tout  prix  et  très-rapi- 
dement la  stabilité  de  l'état  des  personnes;  l'article  317  prouverait 

(1)  V.  t.  V,  n»  265  bis.  1II-V. 


490  COUliS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

que  le  prétendu  délai  de  deux  mois  peut  très-bien  laisser  l'état 
incertain  pendant  longues  années,  puisqu'il  ne  commence  à  courir, 
contre  les  héritiers  du  mari,  que  du  jour  où  l'enfant  s'est  posé  en 
contradicteur  de  leur  droit.  Si  l'enfant  n'est  pas  en  lutte  avec  les 
héritiers  du  mari,  mais  avec  le  mari  lui-même,  il  sera  rare  que  la 
question  de  suspension  de  prescription  se  pose,  car  il  faudra  que 
le  mari  soit  mineur  ou  interdit;  s'il  est  mineur,  ce  ne  sera  pas  long- 
temps, car  il  avait  au  moins  dix-huit  ans  quand  il  s'est  marié,  la  sus- 
pension ne  prolongera  donc  pas  indéfiniment  l'incertitude.  S'il  est 
interdit,  son  état  peut  durer  bien  longtemps,  il  est  vrai, mais  n'est-il 
pas  nécessaire  que  le  droit  de  désaveu  ne  soit  pas  perdu  par  l'indiffé- 
rence d'un  tuteur  ou  son  ignorance  des  faits  intimes  sur  lesquels 
s'appuierait  un  désaveu?  ne  faut-il  pas  réserver  ce  droit  pour  le 
cas  où  l'interdit  recouvrerait  la  raison? 

359  bis.  VIII.  Dans  les  articles  809  et  886,  on  rencontre  encore 
deux  véritables  prescriptions,  le  premier  article  donne  aux  créan- 
ciers d'une  succession  un  recours  contre  les  légataires  payés  à  leur 
détriment,  ce  recours  est  une  sorte  de  condictio  sine  causa,  par  excep- 
tion le  recours  se  perd  au  bout  de  trois  ans;  il  y  a  là  une  réduction 
de  la  prescription  ordinaire  qui  devrait  durer  trente  ans;  mais  pour 
être  réduite,  la  prescription  ne  change  pas  de  nature  et  par  consé- 
quent elle  doit,  à  moins  de  disposition  légale  contraire,  être  soumise 
aux  règles  qui  régissent  la  prescription  en  général.  Sur  l'article 
886,  il  y  a  lieu  de  faire  la  même  observation  et  le  même  raison- 
nement, l'action  est  une  action  en  garantie,  sa  durée  est  réduite  à 
cinq  ans,  mais  il  n'y  en  a  pas  moins  là  une  prescription  libératoire 
que  la  loi  ne  soustrait  pas  à  la  règle  sur  les  suspensions. 

359  bis.  IX.  L'article  957,  qui  traite  de  la  révocation  des  donations 
pour  cause  d'ingratitude,  limite  à  une  année  la  durée  de  l'action; 
ce  qui,  nous  l'avons  dit  à  propos  des  hypothèses  précédentes,  ne 
change  pas  la  cause  d'extinction  de  l'action;  l'expiration  du  délai 
produit  au  bénéfice  du  donataire  un  effet  libératoire;  nous  sommes 
en  présence  d'une  prescription.  On  ne  saurait  objecter  que  la  dona- 
tion se  trouve  validée  par  un  pardon  que  la  loi  présume  après  un  an. 
Cette  présomption  manque  complètement  de  base  dans  les  cas  de 
suspension,  car  les  faits  sur  lesquels  s'appuient  les  suspensions 
ôtent  toute  valeur  à  la  prétendue  volonté  de  pardonner.  Si  le  dona- 
teur est  interdit,  s'il  est  mineur  (il  faut  alors  supposer  la  donation 
faite  par  contrat  de  mariage),  sa  volonté  est  évidemment  impuis- 


T1T.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2252.  197 

saute,  et  s'il  est  le  conjoint  du  donataire,  il  est  difficile  d'admettre 
qu'incapable  de  faire  une  donation  irrévocable  (art.  1096),  il  puisse 
renoncer  irrévocablement  à  l'action  en  révocation  d'une  donation. 

Si  l'extinction  par  le  temps  de  l'action  en  révocation  pour  cause 
d'ingratitude  est  une  véritable  prescription  quand  l'action  appartient 
au  donateur,  on  doit  reconnaître  à  fortiori  qu'elle  a  le  même  carac- 
tère quand  l'action  appartient  aux  héritiers  du  donateur  (art.  957 
et  1047). 

359  bis.  X.  L'article  1622  du  Gode  civil  soulève  la  même  diffi- 
culté; la  loi,  en  fixant  aux  actions  qu'elle  vient  d'attribuer  soit  au 
vendeur,  soit  à  l'acheteur,  la  durée  d'un  an,  a-t-elle  sous-entendu 
que  ce  délai  ne  serait  pas  prolongé  par  les  suspensions?  Pour  qu'il 
en  fût  ainsi,  dans  le  système  que  nous  avons  adopté,  il  faudrait 
que  l'article  1622  ne  consacrât  pas  une  véritable  prescription.  Or, 
dès  qu'on  examine  les  hypothèses  auxquelles  se  rapporte  l'article 
1622,  il  apparaît  que  les  actions  dont  il  s'agit  sont  des  actions  en 
rescision,  fondées  soit  sur  l'erreur,  soit  sur  la  lésion.  En  effet,  dans 
les  articles  1617-1621,  dont  l'article  1622  n'est  que  le  complément, 
on  suppose  la  vente  d'un  terrain  dont  la  mesure  a  été  indiquée  et 
qui  en  réalité  a  une  contenance  inférieure  ou  supérieure  à  cette 
mesure.  De  cette  circonstance  résulte,  soit  pour  l'une,  soit  pour 
l'autre  des  parties,  le  droit  de  demander  une  modification  dans  le 
prix,  quelquefois  même  celui  de  se  désister  du  contrat.  Or,  l'action 
qui  a  raison  de  faits  contemporains  de  la  formation  d'un  contrat, 
tend  à  le  détruire  ou  à  en  changer  les  conditions,  est  une  action 
en  nullité  ou  en  rescision.  L'article  1622  la  qualifie  inexactement 
d'action  en  résiliation,  car  la  résolution  ou  résiliation  a  toujours 
pour  cause  un  événement  postérieur  à  la  formation  du  contrat.  Si 
l'action  dont  nous  parlons  est  une  action  en  rescision,  la  prescrip- 
tion qui  pourrait  l'éteindre  est  exposée  aux  causes  de  suspension, 
ainsi  que  nous  l'avons  dit  à  propos  de  l'article  1304. 

359  bis.  XI.  On  pourrait  se  croire  obligé  par  la  logique  à  donner 
la  même  décision  en  ce  qui  concerne  l'article  1854,  qui  paraîtrait 
facilement  contenir  une  extension  de  la  rescision  pour  lésion.  Mais 
nous  croyons  que  cette  disposition  a  un  caractère  tout  particulier; 
il  n'établit  pas  un  cas  de  nullité,  il  consacre  une  condition  résolu- 
toire tacite  (1);  cette  condition  consiste  en  ce  que  le  règlement  des 

(1)  V.  ci-dessus,  ne  37, 

vin.  32 


498  COURS   ANALYTIQUE   DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

parts  de  chaque  associé  sera  évidemment  contraire  à  l'équité,  iVn- 
dence  devant  être  démontrée  par  une  réclamation  presque  immé- 
diate (dans  les  trois  mois).  Le  délai  est  donc  assigné  par  la  conven- 
tion des  parties  à  l'événement  môme  qui  résoudra  le  contrat;  par- 
tant ce  n'est  pas  un  délai  de  prescription. 

359  bis.  XII.  Restent  deux  articles  du  Gode  civil  que  nous 
mettrons,  par  des  raisons  diverses,  hors  de  la  sphère  d'action  des 
causes  de  suspension. 

D'abord  l'article  559,  qui  envisage  le  cas  où  une  partie  reconnais- 
sable  d'un  champ  qui  borde  un  cours  d'eau  est  portée  vers  un  autre 
champ,  et  qui  donne  au  propriétaire  un  an  seulement  pour  récla- 
mer la  partie  enlevée  de  son  champ,  à  moins  que  l'autre  riverain 
n'en  ait  point  encore  pris  possession.  M.  Demante  a  exposé  qu'il 
n'y  a  là  ni  une  prescription  à  fin  de  se  libérer,  ni  une  prescription  afin 
d'acquérir  (1)  ;  on  peut  donc  y  voir  une  décision  particulière  ne  se 
rattachant  pas  à  des  principes,  et  par  conséquent  ne  devant  pas 
être  soumise  à  toutes  les  conséquences  qui  dériveraient  de  ces  prin- 
cipes. Il  nous  semble  que  l'article  559  n'est  autre  chose  qu'une 
traduction  pratique  du  §  21  aux  Instiiutes,  liv.  II,  t.  1er,  l'acquisi- 
tion par  le  riverain  y  était  subordonnée  à  l'adhérence  survenue 
entre  les  deux  terrains  (si  longiore  tempore  fundo  vicini  hœseril);  or, 
le  moment  où  cette  adhérence  se  produit  est  difficile  à  déterminer, 
la  fixation  du  temps  (longius  tempus)  est  tout  arbitraire,  c'est  cet 
arbitraire  que  le  Gode  a  voulu  supprimer;  il  a  conservé  l'idée  des 
Instiiutes,  mais,  pour  éviter  les  difficultés,  il  a  présumé  qu'il  fallait 
un  an  et  pas  davantage  pour  que  l'adhérence  des  deux  portions  de 
champs  fût  consommée.  Ainsi  entendu,  l'article  échappe  tout  à  fait 
à  la  théorie  des  suspensions  de  prescription. 

359  bis.  XIII.  Des  motifs  tout  à  fait  juridiques  conduisent  à  tran- 
cher, dans  le  même  sens,  la  discussion  possible  sur  l'article  880.  Le 
droit  de  demander  la  séparation  des  patrimoines  se  prescrit,  quant 
aux  meubles,  par  le  laps  de  trois  ans.  Nous  disons  que  le  mot  pres- 
crit est  impropre.  Il  ne  peut,  bien  entendu,  pas  être  question  d'une 
prescription  à  fin  d'acquérir,  ce  n'est  pas  non  plus  une  prescription 
à  fin  de  se  libérer,  puisque  l'héritier  débiteur  est  indifférent  à  la  sépa- 
ration des  patrimoines  et  qu'il  reste  obligé  envers  les  créanciers 
héréditaires,  alors  que  ceux-ci  n'ont  plus  le  droit  de  demander  la 

(1)  V.  t.  II,  n°  395  *m.  II. 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2252.  499 

séparation;  les  créanciers  de  l'héritier  contre  qui  existe  le  droit  de 
séparation  ne  sont  pas  non  plus  libérés  par  l'expiration  du  délai 
de  trois  ans,  puisqu'ils  n'étaient  pas  débiteurs.  Tout  le  résultat  pro- 
duit par  l'expiration  du  délai,  c'est  la  perte  d'un  droit  de  préférence 
sur  les  meubles,  perte  qui  est  la  conséquence  de  l'inaccomplissement 
d'une  formalité.  Ii  arrive  aux  créanciers  héréditaires  ce  qui  arrive 
à  des  créanciers  hypothécaires  qui  ne  se  sont  pas  inscrits  en  temps 
utile,  ils  perdent  leur  droit  de  préférence  ;  mais  les  délais  imposés 
aux  parties  pour  conserver  leurs  droits  de  préférence  n'ont  jamais 
été  traités  comme  des  délais  de  prescription,  et  ils  ne  sont  pas  pro- 
longés par  des  suspensions.  En  vain  dirait-on  que  l'article  880  con- 
sacre une  prescription  comme  l'article  2180  en  matière  d'hypo- 
thèque; aucune  analogie  ne  peut  être  constatée  entre  les  deux 
espèces,  car  l'hypothèque  n'est  prescriptible  que  quand  l'immeuble 
a  été  aliéné,  et  les  meubles  sont  nécessairement  restés  dans  la  suc- 
cession pour  qu'il  y  ait  lieu  d'appliquer  l'article  880. 

359  bis.  XIV.  On  voit,  par  les  discussions  qui  précèdent,  que  nous 
soumettons  aux  suspensions  tous  les  délais  qui  nous  paraissent  avoir 
le  caractère  de  délais  de  prescription,  quelqu3  courts  qu'ils  soient. 
Nous  nous  croyons  liés  par  les  articles  2252  et  2253,  qui  ne  font  pas 
de  distinction,  et  nous  ne  voyons  pas  qu'il  soit  possible  à  l'interprète 
de  sortir  des  termes  de  ces  articles,  à  moins  d'une  exception  for- 
melle de  la  loi.  Ce  n'est  pas,  d'ailleurs,  dans  l'article  2278  qu'on 
trouverait  cette  exception,  car  cet  article  ne  dit  pas  que  les  courtes 
prescriptions  sont  en  général  soustraites  aux  suspensions.  Il  précise 
au  contraire,  et  d'une  façon  restreinte  il  limite  son  effet  aux  pres- 
criptions dont  il  s'agit  dans  la  section  dont  il  fait  partie  (art.  2271- 
2277).  Nous  avons  expliqué  les  raisons  qui  justifient  l'article  2278 
dans  les  cas  que  le  législateur  a  visés,  elles  ont  un  caractère  tout 
à  fait  spécial  au  genre  de  créances  dont  il  s'agit,  et  dès  lors  il  nous 
paraît  téméraire  d'étendre  par  analogie  l'effet  de  l'article  2278. 

359  bis.  XV.  Nous  avons  raisonné  jusqu'à  présent  sur  des  dis- 
positions du  Gode  civil;  si  nous  songeons  aux  prescriptions  établies 
par  le  Gode  de  commerce,  nous  ne  croyons  pas  qu'il  faille  les  sou- 
mettre, dans  le  silence  de  la  loi,  aux  règles  des  articles  2252  et 
2253.  Certes,  les  principes  généraux  du  Code  civil  dominent  le  droit 
commercial,  mais  le  droit  commercial  a  son  esprit  propre,  ses  néces- 
sités particulières,  et  de  cet  esprit  ou  de  ces  nécessités  on  peut  in- 
duire des  exceptions  à  certaines  règles  de  droit  civil,  surtout  quand 

32. 


500  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

ces  règles  ont,  même  dans  le  droit  civil,  un  caractère  exceptionnel. 

Nous  songeons  particulièrement  aux  prescriptions  consacrées  par 
les  articles  64,  108,  169  du  Code  de  commerce.  Nous  pensons 
qu'elles  ne  doivent  être  suspendues,  ni  pour  cause  de  minorité  ou 
d'interdiction,  ni  pour  cause  de  mariage  entre  les  parties.  Nous 
n'appuyons  pas  notre  décision  sur  un  argument  tiré  de  l'article 
2278,  parce  qu'il  faut  alors  dénaturer  la  formule  de  cet  article  et  le 
lire  comme  s'il  exprimait  d'une  façon  générale  que  la  suspension 
pour  minorité  ne  s'applique  pas  aux  courtes  prescriptions  (1).  Nous 
avons  montré  plus  haut  que  ce  texte  ne  vise  pas  d'autres  prescrip- 
tions que  celles  qui  résultent  des  articles  2271-2277.  Nous  ne  disons 
pas  non  plus,  avec  un  auteur,  que  le  texte  des  différents  articles 
du  Code  de  commerce  exprime  formellement  la  dispense  de  sus- 
pension, puisqu'il  y  est  toujours  dit  que  toutes  les  actions  se  pres- 
crivent par  tel  ou  tel  délai,  sans  distinguer  si  ces  actions  appar- 
tiennent à  des  majeurs  ou  à  des  mineurs  (2).  C'est  la  formule 
même  de  l'article  2262  du  Code  civil,  qui  réserve  certainement 
l'application  des  articles  2252  et  2253.  Il  faut  donc  renoncer  à 
établir,  par  des  arguments  de  texte,  que  les  courtes  prescriptions 
commerciales  échappent  aux  causes  de  suspension,  mais  il  est  cer- 
tain que  l'esprit  général  de  droit  commercial  impose  cette  solution. 
Le  commerce  veut  avant  tout  des  situations  nettes,  aucune  incerti- 
tude sur  l'état  des  patrimoines;  par  conséquent  une  liquidation 
rapide  des  affaires  embarrassées;  ce  sont  là  des  nécessités  d'intérêt 
social,  puisque  du  mouvement  commercial  dépend  la  richesse  du 
pays,  l'accroissement  de  la  production,  et,  avec  la  facilité  de  la  con- 
sommation, le  bien-être  des  consommateurs,  c'est-à-dire  de  tous.  Si 
tel  est  l'esprit  du  droit  commercial,  ne  doit-on  pas  interpréter  le 
silence  du  Code  de  commerce  sur  les  suspensions  de  prescription 
comme  une  condamnation  de  ces  suspensions?  Que  nous  n'interpré- 
tions pas  ainsi  le  silence  du  Code  civil  qui  a  établi  ces  suspensions, 
rien  de  plus  naturel;  mais  dans  un  autre  Code,  rédigé  par  d'autres 
hommes,  dans  des  vues  et  en  présence  de  besoins  tout  différents, 
on  peut,  sans  être  inconséquent,  ne  pas  être  aussi  exigeant  sur  la 
nécessité  d'un  texte  dérogeant  aux  articles  2252  et  2253. 

Les  rédacteurs  du   Code  de  commerce  l'ont  peut-être  compris 

(1  )  V.  M.  Boislel,  Précis  de  droit  commercial,  p.  273  et  574.  2e  édit. 
(2)  V.  Massé,  Droit  commercial  dans  ses  rapports  avec  le  droit  des  gens  et  le  droit 
civil,  t.  III,  n,  409. 


T1T.  XX.  DE  LA  PRESCRIPTION.  ART.  2252,  2253.   501 

ainsi,  car,  malgré  une  observation  de  Cambacérès,  qui  demandait 
que  l'article  189  rappelât  l'article  2252,  ils  ont  laissé  subsister  le 
texte  du  projet  dans  sa  généralité  primitive,  ce  qui  paraît  bien  être 
la  condamnation  de  l'opinion  manifestée  par  Cambacérès. 

360.  Les  rapports  qui  existent  entre  les  conjoints  et  leur 
incapacité  réciproque  de  s'avantager  irrévocablement,  écartent 
nécessairement  les  inductions  que  l'on  pourrait  tirer  de  la 
possession  de  l'un  on  du  silence  de  l'autre,  pour  fonder  une 
prescription.  Aussi  la  prescription  ne  court-elle  pas  entre 
époux.  V.  art.  2253;  et  a  ce  sujet  art.  2278,  1663,  1676-, 
C.  Pr.,  art.  398,  444. 

360  lis.  I.  Nous  sommes  habitués  à  voir  le  Code  civil  accordant 
aux  femmes  mariées  les  mêmes  avantages  qu'aux  mineurs.  Il  n'en 
est  point  ainsi  en  matière  de  prescription.  La  prescription  court 
contre  les  femmes  mariées  majeures  et  non  interdites.  La  femme,  en 
effet,  n'a  pas  besoin  d'une  grande  expérience  des  affaires  pour  savoir 
qu'il  faut  exercer  ses  droits  afin  de  ne  pas  les  laisser  périr,  elle 
est  de  plus  assistée  quelquefois  et  toujours  conseillée  par  son  mari, 
en  sorte  que  ses  droits  sont  protégés  par  une  double  vigilance. 
Elle  n'avait  pas  besoin  d'une  protection  spéciale,  qui,  eu  égard  au 
nombre  et  à  la  durée  des  mariages,  eût  prolongé  indéfiniment  beau- 
coup de  prescriptions  au  détriment  du  crédit  public  intéressé  à  la 
stabilité  des  propriétés  et  à  la  sécurité  des  patrimoines. 

360  bis.  IL  Le  mariage  d'un  propriétaire  ou  d'un  créancier  n'est 
cependant  pas  sans  influence  sur  les  règles  de  la  prescription  dans 
trois  positions  différentes  prévues  et  réglées  par  les  articles  2253, 
2255,  2256. 

La  loi  formule  ainsi  sa  première  règle  :  la  prescription  ne  court 
point  entre  époux,  c'est-à-dire  que  le  mari  ne  peut  pas  prescrire 
contre  sa  femme,  mais  aussi  que  la  femme  ne  peut  pas  prescrire 
contre  le  mari.  Le  bénéfice  de  la  suspension  de  prescription,  dans 
l'hypothèse  prévue,  appartient  aussi  bien  à  l'homme  marié  qu'à  la 
femme  mariée. 

Ce  que  la  loi  suppose,  c'est  que  l'un  des  époux  est  créancier  de 
l'autre,  ou  possesseur  d'un  bien  appartenant  à  l'autre  ;  tant  que  dure 
le  mariage,  l'époux  débiteur  ne  peut  se  libérer  par  prescription  et 
l'époux  possesseur  ne  peut  acquérir  par  prescription  le  bien  de  son 
conjoint. 


.r)02  COUHS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

Puisque  cette  suspension  de  prescription  existe  aussi  liien  dans 
l'intérêt  du  mari  que  dans  celui  de  la  femme,  il  ne  faut  pas  lui  assi- 
gner les  motifs  qui  justifient  les  mesures  de  protection  prises  ordi- 
nairement dans  l'intérêt  des  femmes  mariées.  La  raison  d'être  de  la 
règle  se  trouve  dans  les  relations  qui  existent  entre  le  possesseur  et 
le  propriétaire  ou  entre  le  débiteur  et  le  créancier.  Si,  pour  éviter 
la  perte  de  son  droit  par  prescription,  le  propriétaire  ou  le  créancier 
devait  interrompre  régulièrement  la  prescription,  il  faudrait  qu'il 
employât  contre  son  conjoint  des  moyens  presque  rigoureux,  une 
citation  en  justice,  un  commandement,  une  saisie,  ce  qui  ne  laisserait 
pas  de  créer  souvent  des  germes  de  mésintelligence  entre  les  époux. 
Encore  supposons-nous  que  ce  propriétaire  ou  ce  créancier  songe  à 
exercer  ses  droits,  tandis  que  bien  souvent,  à  cause  de  la  commu- 
nauté d'intérêts,  qui  est  le  résultat  de  la  vie  commune,  quel  que  soit 
d'ailleurs  le  régime  matrimonial,  l'époux  ne  songerait  pas  qu'il  put 
y  avoir  lieu  à  invoquer  les  droits  qu'il  a  contre  son  conjoint.  Puis 
la  loi  redoute  les  avantages  indirects,  les  libéralités  irrévocables 
entre  époux,  et  la  prescription  offrirait  quelquefois  un  moyen  com- 
mode de  réaliser  une  de  ces  libéralités. 

361.  La  femme  mariée  est  en  général  capable  d'aliéner, 
avec  le  concours  de  son  mari-,  d'un  autre  côté,  elle  peut  agir 
pour  interrompre  la  prescription,  soit  par  elle-même  en  se 
faisant  dûment  autoriser,  soit  par  le  ministère  de  son  mari, 
maître  de  ses  actions.  Elle  n'est  point  d'ailleurs  restituable 
contre  le  fait  ou  la  négligence  de  celui-ci,  comme  le  mineur 
l'est,  selon  nous,  contre  la  négligence  ou  le  fait  de  son 
tuteur  (1).  11  n'y  avait  donc  aucune  raison  pour  suspendre  en 
sa  faveur  le  cours  de  la  prescription,  soit  qu'étant  séparée 
de  biens,  elle  administre  elle-même,  soit  que  l'administra- 
tion appartienne  a  son  mari.  Il  sulfit,  dans  ce  dernier  cas,  de 
lui  réserver  son  recours  contre  son  mari.  V.  art.  2254,  et  à 
ce  sujet  art.  1428  et  1562. 

36i  bis.  I.  Le  recours  réservé  contre  le  mari  pour  le  cas  où  il  a 
l'administration  des  biens  de  la  femme,  n'appartient  toutefois  à 

(1)  M.  Bkmaxte  fait  ici  allusion  à  une  ihéorie  sur  les  aetes  des  tuteurs  qu'il  a 
eiposée  au  t.  V,  n°s  2G9  et  270,  et  que  nous  avons  comballue  dans  le  même  volume, 
n°  270  bis.  XI-XX. 


T1T.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2254.  o03 

celle-ci  que  sous  certaines  distinctions  qui  nous  reporteraient  dans 
la  matière  du  contrat  de  mariage.  Rappelons  seulement  que,  sous 
le  régime  de  la  communauté,  le  mari,  ayant  les  actions  personnelles 
mobilières,  sera  responsable  de  la  prescription  accomplie  au  profit 
d'un  débiteur  de  la  femme,  mais  que,  comme  il  n'a  pas  les  actions 
pétitoires  immobilières,  on  ne  peut  lui  imputer  la  prescription 
acquisitive  accomplie  par  un  possesseur,  à  moins  qu'il  n'eût  négligé, 
soit  d'intenter  l'action  possessoire  quand  il  a  eu  le  droit  de  le  faire, 
soit  au  moins  de  prévenir  la  femme  par  une  dénonciation  des  usur- 
pations commises  sur  son  fonds  (1)  (art.  614).  Les  règles  seraient 
les  mêmes  sous  le  régime  sans  communauté;  sous  le  régime  dotal 
la  responsabilité  du  mari  serait  d'autant  plus  lourde  qu'il  a  les 
actions  pétitoires  immobilières,  mais  elle  serait  allégée  par  la  règle 
sur  l'imprescriptibilité  de  l'immeuble  dotal  qui  restreindrait  l'obli- 
gation du  mari  aux  cas  exceptionnels  où  cette  imprescriptibilité 
n'existe  pas  (2). 

361  bis.  il.  La  responsabilité  du  mari,  qui  peut  être  ou  devenir 
insolvable,  ne  garantira  pas  toujours  la  femme  d'une  manière 
efficace.  Aussi  pourrait-elle  trouver  un  intérêt  à  interrompre  elle- 
même  la  prescription  avec  l'autorisation  de  justice,  si  le  mari,  par 
négligence  ou  mauvaise  volonté,  s'abstient  de  faire  les  actes  néces- 
saires. Elle  aura  certainement  le  droit  de  procéder  ainsi  sous  les 
régimes  de  communauté  et  sans  communauté,  quand  il  s'agira 
d'interrompre  une  prescription  acquisitive  en  matière  immobilière, 
puisque  le  mari  n'a  pas  l'exercice  des  actions  immobilières,  ce  qui 
implique  que  cet  exercice  appartient  à  la  femme.  Sous  les  mêmes 
régimes,  nous  reconnaîtrons  encore  à  la  femme  le  droit  d'inter- 
rompre les  prescriptions  libératoires  ou  acquisitives  en  matière  de 
meubles,  parce  que  l'attribution  au  mari  des  actions  personnelles 
et  mobilières  n'a  pas  un  caractère  exclusif  d'un  droit  pareil  en  la 
personne  de  la  femme.  Celle-ci,  étant  créancière  ou  propriétaire, 
doit,  à  moins  d'un  texte  contraire  qui  n'existe  pas,  conserver  les 
actions  qui  sanctionnent  ses  droits  malgré  le  mandat  émané  d'elle, 
qui  permet  au  mari  de  les  exercer.  En  principe,  il  y  a  concours 
entre  le  mandant  et  le  mandataire  pour  l'exercice  des  actions. 

361  bis.  III.  Si  nous  nous  plaçons  au  contraire  dans  l'hypothèse 
du  régime  dotal,  nous  refuserons  à  la  femme  le  droit  d'interrompre 

(1)  V.  t.  VI,  n°71  bis.  VI  et  VII. 

(2)  V.  t.  VI,  n°  221  bis.  III  et  V,  et  n°  233  bis.  I-IV. 


501  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.      .IV.    III. 

la  prescription  à  défaut  de  son  mari,  parce  que  l'article  1549,  en 
déclarant  que  le  mari  a  seul  le  droit  de  poursuivre  les  débiteurs  et 
détenteurs  de  la  dot,  a  manifestement  dépouillé  la  femme  de 
l'exercice  de  toutes  ses  actions  et  ne  lui  a  laissé  d'autre  ressource 
que  la  séparation  de  biens  motivée  sur  le  péril  que  la  prescription 
prochaine  fait  courir  à  sa  dot  (1). 

362.  Les  principes  particuliers  au  régime  dotal  font  excep- 
tion a  la  règle  ci-dessus,  s'il  s'agit  d'immeubles  constitués  en 
dot  et  frappés  d'inaliénabililé.  La  prescription  alors  ne  court 
pas  pendant  le  mariage.  Au  reste,  celle  proposition,  bornée 
ici  au  cas  d'aliénation,  semble  n'embrasser  dans  ses  termes 
que  la  prescription  de  l'action  l'évocatoire  autorisée  par  l'ar- 
ticle 1560.  D'autre  part,  cependant,  la  loi  renvoie  a  l'article 
1561 ,  qui,  comprenant  dans  sa  généralité  les  divers  cas  de 
prescription,  déclare  bien  en  principe  l'immeuble  dotal  im- 
prescriptible pendant  le  mariage,  mais  pourtant  ne  suspend 
pas  le  cours  de  la  prescription  commencée  auparavant,  et 
déclare  en  outre  l'immeuble  prescriptible  après  la  séparation 
de  biens.  V.  art.  2255,  et  a  ce  sujet  articles  1560  et  1561. 

362  6m.  I.  Nous  avons  exposé  longuement,  au  titre  du  contrat 
de  mariage,  les  règles  sur  l'imprescriptibilité  des  biens  dotaux  sous 
le  régime  dotal.  Nous  avons  montré  que  les  articles  1560  et  1561 
embrassent  plusieurs  hypothèses  distinctes.  L'article  1560  suppose 
d'abord  que  la  femme,  le  mari,  ou  tous  les  deux  conjointement, 
ont  tenté  d'aliéner  l'immeuble  dotal;  l'article  1561  suppose  ensuite 
que  l'immeuble  dotal  est  possédé  par  une  personne  qui  ne  le  tient 
pas  des  époux,  soit  qu'elle  l'ait  usurpé,  soit  qu'elle  l'ait  acquis  d'un 
étranger.  Nous  avons  montré  que  la  nature  de  la  prescription 
varie,  suivant  les  hypothèses;  dans  le  cas  de  l'article  1561,  c'est 
une  prescription  acquisitive,  et  dans  le  cas  ou  dans  la  plupart  des 
cas  indiqués  par  l'article  1560,  c'est  une  prescription  de  l'action 
en  nullité  ou  en  rescision  fondée  sur  l'inaliénabilité  de  l'immeuble. 
De  là  des  différences  quant  aux  conditions  de  ces  prescriptions. 

362  bis.  II.  L'article  2255  n'entre  pas  dans  des  détails  sur  les 
différentes  hypothèses  dans  lesquelles  peut  se  présenter  la  question 
de  prescription  de  l'immeuble  dotal.  Il  nous  a  paru,  et  nous  avons 

(1)  V.  t.  VI,  n°  221  bis.  V. 


TIT.    SX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2255,    2256.       fïOo 

dit  au  tome  VI  que  cet  article  n'a  pas  d'autre  portée  que  celle  d'un 
renvoi.  Il  se  réfère  à  ce  qui  a  été  dit  au  titre  du  contrat  de 
mariage  sur  l'imprescriptibilité.  Il  est  vrai  qu'il  semble  viser  seule- 
ment le  cas  prévu  par  l'article  1560,  puisqu'il  spécialise  sa  disposi- 
tion en  indiquant  que  la  prescription  ne  court  point  à  l'égard  de 
l'aliénation  d'un  fonds  constitué  selon  le  régime  dotal;  mais  alors 
môme  que  les  rédacteurs  de  l'article  2255  n'auraient  songé  qu'à 
cette  hypothèse,  ils  n'ont  certes  pas  rétracté  la  règle  générale  con- 
tenue dans  l'article  1561,  et  il  faut  bien  comprendre  dans  l'énumé- 
ration  des  causes  de  suspension  le  caractère  dotal  de  l'immeuble, 
en  dehors  même  du  cas  où  il  a  été  aliéné  par  les  époux  eux-mêmes. 

362  bis.  III.  D'ailleurs,  en  indiquant  l'espèce  prévue  par  l'article 
1560,  la  loi  renvoie  expressément  à  l'article  1561,  qui  statue  sur 
l'autre  espèce,  et  nous  eu  avons  conclu  que  sa  pensée  était  tout 
simplement  de  s'en  référer  aux  règles  précédemment  exposées  sur 
l'imprescriptibilité  de  l'immeuble  dotal  ^1  |. 

Reste  une  difficulté;  le  rapprochement  qui  se  fait  dans  l'article 
2255  entre  l'hypothèse  prévue  par  l'article  1560  et  la  disposition 
de  l'article  1561  ne  doit-il  pas  être  interprété  comme  manifestant 
la  volonté  d'appliquer  au  cas  d'aliénation  par  les  époux  une  règle 
qui  paraît  réservée  par  le  titre  du  contrat  de  mariage  au  cas 
de  prescription  par  un  usurpateur  ou  par  un  acquéreur,  a  non 
domino?  N'a-t-on  pas  voulu  généraliser  la  règle  en  vertu  de  laquelle 
la  prescription  court  du  jour  de  la  séparation  de  biens? 

Nous  avons  étudié  cette  difficulté  et  essayé  de  démontrer  que 
dans  l'hypothèse  spéciale  de  l'article  1560,  c'est-à-dire  quand  la 
femme  a  consenti  à  l'aliénation,  son  action  ne  devient  pas  pres- 
criptible après  la  séparation  de  biens  (2). 

363.  La  loi  indique  deux  autres  cas  où  la  prescription  ne 
court  pas._ contre  la  femme  mariée  : 

1°  Lorsque  son  action  est  subordonnée  à  l'option,  qu'elle 
ne  pourra  faire  avant  la  dissolution  de  la  communauté,  entre 
l'acceptation  et  la  renonciation  (3)  :  alors,  en  effet,  il  est 
évident  qu'elle  ne  peut  agir; 

(1)  V.  t.  VI,  n"  232  bis.  XXXVI. 

(2)  V.  t.  VI,  il"  232  bis.  XXV  I-XXXVI. 

(3)  Supposons,  par  exemple,  que  le  mari  ait,  contre  la  prohibition  de  l'article 
1422,  disposé  à  titre  gratuit  d'un  immeuble  de  la  communauté;  la  femme  n'ayant 


506  COURS  ANALYTIQUE   DE  CODE   CIVIL.    LiV.    »l. 

2°  Lorsque  son  action  réfléchirait  contre  son  mari;  car  on 
peut  croire  facilement  qu'elle  a  été  empêchée  d'agir  par  celle 
considération.  V.  art.  2256. 

363  bis.  I.  Dans  l'article  2256,  il  est.  question  de  deux  hypothèses 
où  la  prescription  est  encore  suspendue  au  profit  de  la  femme 
mariée,  quoiqu'elle  n'ait  pas  pour  objet  des  choses  inaliénables. 

La  première  disposition  de  l'article  suppose  la  femme  mariée 
sous  le  régime  de  la  communauté,  et  la  cause  de  suspension  se 
rencontre  dans  la  faculté  qui  appartient  à  la  femme  commune  de 
choisir,  à  la  dissolution  de  la  communauté,  entre  l'acceptation  et  la 
répudiation  de  la  communauté. 

On  comprend  que  les  droits  de  la  femme  diffèrent  selon  qu'elle 
est  acceptante  ou  renonçante,  que  certains  droits  lui  appartiennent 
dans  un  cas,  qui  ne  lui  appartiendraient  pas  dans  l'autre.  Cela 
étant,  comment  faire  courir  contre  elle  la  prescription  de  ces 
droits,  tant  qu'elle  ne  peut  pas  accepter  ou  répudier  la  commu- 
nauté? Le  droit  qui  est  menacé  par  une  prescription  ne  peut  pas 
être  exercé  tant  que  la  femme  est  dans  l'impossibilité  juridique 
d'accepter  ou  de  répudier,  et  ici  la  loi  a  tenu  compte  de  l'impos- 
sibilité d'exercer  le  droit  pour  établir  une  cause  de  suspension. 

363  bis.  IL  La  raison  que  nous  assignons  à  la  disposition  du  pre- 
mier alinéa  de  l'article  2256  conduit  fatalement  à  faire  subir  à  ce 
texte  une  certaine  correction.  Ce  n'est  pas  pendant  le  mariage,  mais 
pendant  la  durée  de  la  communauté,  que  la  prescription  est  suspendue. 
Les  rédacteurs  du  Code  ont  employé  une  expression  trop  large, 
d'abord  parce  qu'ils  ont  songé  à  ce  qui  arrive  le  plus  ordinairement, 
la  communauté  finissant  avec  le  mariage,  et  ensuite  parce  que  leur 
formule  est  exacte  dans  le  cas  prévu  par  leur  second  alinéa,  où  la 
suspension  ne  doit  logiquement  prendre  fin  qu'à  la  dissolution  du 
mariage. 

363  Ws.  III.  Envisagée  d'une  façon  abstraite,  la  règle  du  premier 

qualité  pour  atlaquer  cette  donation  qu'autant  qu'elle  acceptera  la  communauté; 
la  prescription  ne  pourra  courir  contre  elle  pendant  le  mariage,  au  moins  tant  que 
durera  la  communauté.  Il  en  serait  de  même  à  l'égard  de  l'action  hypothécaire  de 
la  femme  sur  les  immeubles  de  la  communauté  vendus  par  le  mari  seul  pendant 
le  mariage,  lors  même  en  effet  que  cette  action  ne  devrait  pas  réfléchir  contre 
la  mari  (puta  si  l'acheteur  avait  acquis  à  ses  risques  et  périls);  toujours  est-il 
qu'elle  ne  peut  appartenir  à  la  femme  qu'autant  qu'elle  renoncera  à  la  communauté. 
(Note  de  M.  Demantb.) 


T1T.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2256.  507 

alinéa  de  l'article  2256  se  comprend  et  se  justifie  parfaitement; 
mais  si  l'on  en  cherche  les  applications,  il  est  plus  difficile  de  les 
trouver  exactement.  Il  est  certain,  en  effet,  qu'il  ne  peut  être 
question  dans  l'article  de  suspendre  la  prescription  relativement  à 
tous  les  biens  et  à  tous  les  droits  de  la  communauté,  en  partant  de 
cette  idée  qu'à  la  dissolution  il  apparaîtra  si  ces  biens  ont  appar- 
tenu à  la  femme  ou  ne  lui  ont  pas  appartenu,  selon  qu'elle  aura 
accepté  ou  renoncé.  Cette  suspension  de  prescription  serait  l'anéan- 
tissement des  pouvoirs  du  mari  sur  la  communauté,  si  elle  pouvait 
donner  à  la  femme  des  droits  contre  les  ayants  cause  du  mari  ;  et 
s'il  s'agissait  de  revenir  sur  des  prescriptions  accomplies  parce  que 
le  mari  aurait  négligé  d'agir,  ce  serait  la  destruction  presque  com- 
plète de  l'article  2254,  ce  serait  une  restitution  contre  les  omissions 
commises  contre  le  mari,  restitution  que  la  loi  n'a  pas  voulu 
admettre  en  principe,  par  les  raisons  que  nous  avons  données  plus 
haut. 

363  bis.  IV.  Ce  sont  donc  des  hypothèses  exceptionnelles  qui  ont 
été  visées  par  l'article  22ô'6-i°.  Il  s'agit  d'abord  du  cas  où  le  mari  a 
outre-passé  ses  pouvoirs  de  chef  de  la  communauté  en  conférant  sur 
des  biens  de  la  communauté  des  droits  que  la  femme  peut  attaquer 
si  elle  accepte  et  contre  lesquels  elle  ne  peut  rien  si  elle  renonce. 
L'hypothèse  la  plus  simple  est  celle  où  le  mari  a  donné  un  immeuble 
delà  communauté  (art.  1422).  Nous  avons  expliqué,  au  tome  VI,  que 
la  femme  a  une  action  contre  le  donataire  et  quelle  en  est  l'étendue; 
cette  action  dépend  de  l'acceptation  de  la  communauté,  et  par  con- 
séquent elle  est  imprescriptible  tant  que  dure  la  communauté  (1). 

363  bis.  V.  La  note  de  M.  Demante  ajoute  à  cette  hypothèse  celle 
où  le  mari  a  aliéné  un  bien  de  communauté  et  où  il  s'agit  de  la 
prescription  du  droit  d'hypothèque  légale  de  la  femme  sur  ce  bien. 
Il  faut  remarquer  que  cette  hypothèse  ne  peut  fournir  un  cas 
d'application  de  l'article  2256-1°  qu'autant  qu'on  admet  le  système 
que  nous  avons  adopté  au  tome  IX  sur  un  point  fort  controversé. 
La  femme  a-t-elle  hypothèque  légale  sur  les  biens  de  la  commu- 
nauté aliénés  par  le  mari  ?  Quand  on  répond  à  cette  question  par 
la  négative,  on  n'a  pas  à  examiner  si  l'action  hypothécaire  de  la 
femme  peut  se  prescrire  (2). 

363  bis.  VI.  Nous  appliquerons  encore  l'article  2256  dans  un  cas 

(1)  V.  t.  VI,  n»66i«*.  VII  et  VIII. 

(2)  V.  t.  IX,  n"  81  bi$.  V1II-X. 


508  COUKS   ANALYTIQUE    DR   CODE    CIVIL.    LIV.    H). 

qui  donne  naissance  à  de  longues  controverses  :  celui  où  le  mari, 
commun  en  biens,  a  aliéné  le  propre  de  sa  femme  sans  son  consente- 
ment. Nous  avons  reconnu  à  la  femme  le  droit  de  revendiquer 
son  immeuble,  pourvu  qu'elle  renonce  à  la  communauté;  par  con- 
séquent elle  ne  peut  craindre  la  prescription  qu'à  partir  de  la  dis- 
solution de  cette  communauté  (1). 

363  bis.  VII.  Nous  ne  rangerons  pas  parmi  les  hypothèses  que. 
comprend  notre  article,  celle  cù  la  femme  a  ameubli  un  immeuble 
en  se  réservant  le  droit  de  le  reprendre  au  cas  de  renonciation  à 
la  communauté  (2).  Nous  n'avons  pas  admis,  en  effet,  que  la  clause 
de  reprise  d'apport  conservât  à  la  femme  la  propriété  de  ses  ap- 
ports, nous  avons  décidé  que  le  mari  peut  aliéner  les  choses  mises 
en  communauté  par  sa  femme,  que  ses  créanciers  peuvent  les 
saisir,  et  que  le  droit  de  la  femme  se  traduit,  à  la  dissolution  de 
la  communauté,  en  une  créance  de  valeur.  Ces  décisions  doivent 
s'appliquer  aussi  bien  à  l'apport  en  immeubles  qu'à  l'apport  en 
meubles,  sauf  l'application  de  l'article  1509,  qui  n'ouvre  pas  un 
droit  contre  des  tiers  acquéreurs,  mais  seulement  un  droit  contre 
la  masse  partageable.  Dès  lors,  le  droit  de  la  femme  n'ayant  pas  à 
être  exercé  contre  des  tiers,  la  question  de  prescription  et  de  sus- 
pension ne  peut  pas  être  agitée. 

Que  si,  par  une  convention  expresse,  la  femme  avait  frappé 
d'une  condition  résolutoire,  celle  de  sa  renonciation,  l'acquisition 
de  l'immeuble  par  la  communauté,  on  apercevrait  l'intérêt  de  la 
question,  mais  nous  ne  verrions  pas  encore  qu'il  y  eût  à  appliquer 
l'article  2256,  car  la  femme  ayant,  avant  la  dissolution  de  la  com- 
munauté, une  propriété  sous  condition  suspensive,  ne  serait  pas 
dans  l'impossibilité  de  faire  des  actes  conservatoires  par  elle-même 
avec  autorisation  de  justice  ou  par  le  mari,  son  représentant,  donc 
l'exercice  de  son  droit  ne  dépendrait  pas  de  son  option;  elle  ren- 
trerait dans  la  règle  générale  qui  soumet  les  femmes  mariées  à  la 
prescription  (art.  2254). 

363  bis.  VIII.  Le  second  alinéa  de  l'article  2256  se  rattache  à 
la  disposition  de  l'article  2253,  quand  la  femme,  en  interrompant 
une  prescription  qui  court  au  profit  d'un  débiteur  ou  d'un  pos- 
sesseur quelconque,  peut  craindre  que  ce  débiteur  ou  ce  possesseur 
n'intente  une  action  en  recours  contre  son  mari,  elle  se  trouve  dans 

(1)  V.  t.  VI,  n°71  bis.  XII-XIX. 

(2)  V.  Atibry  et  Rau,  t.  II,  p.  303.  Édit.  1865. 


T1T.    XX.    DE    LA   PRESCRIPTION.    ART.    2256.  509 

la  même  position  que  s'il  lui  fallait  agir  contre  son  mari  lui-même, 
et  les  raisons  qui  ont  fait  suspendre  la  prescription  entre  époux 
s'opposent  à  la  prescription  au  profit  du  tiers  débiteur  ou  possesseur. 

La  loi  caractérise  d'une  façon  très-saisissante  les  hypothèses 
qu'elle  a  en  vue.  La  femme  doit  intenter  une  action,  ou  plus  exacte- 
ment exercer  des  poursuites  pour  interrompre  la  prescription;  si 
le  tiers  poursuivi  peut  recourir  contre  le  mari,  les  actes  de  la 
femme,  dirigés  en  apparence  contre  le  tiers,  ont  un  effet  indirect 
contre  le  mari,  ils  réfléchissent  contre  lui,  comme  le  rayon  de 
lumière  qui  frappe  sur  un  point  est  dirigé  sur  un  autre  par  un 
phénomène  de  réflexion. 

Le  texte  cite  un  exemple  pour  expliquer  ce  qu'il  entend  par  cette 
réflexion  d'action.  Le  mari  a  vendu  le  bien  propre  de  sa  femme, 
il  est  garant  à  la  vente;  si  la  femme  revendique  son  immeuble, 
l'acheteur  poursuivra  le  mari  en  garantie.  Si  le  mari  a  vendu  sans 
garantie,  comme  il  pourrait  être  poursuivi  en  restitution  de  prix 
(art.  1629),  la  situation  est  la  même.  Mais  s'il  a  vendu  aux  risques 
et  périls  de  l'acheteur  ou  s'il  a  donné  autrement  que  dolis  causa 
(art.  1547;,  comme  il  n'est  pas  tenu  envers  son  ayant  cause,  la 
femme  peut  et  doit  agir  contre  celui-ci,  si  elle  ne  veut  pas  qu'on 
lui  oppose  la  prescription. 

Dans  l'hypothèse  prévue  parle  Code,  le  tiers,  qui  aurait  intérêt  à 
prescrire,  est  un  possesseur  du  bien  de  la  femme.  On  peut  supposer 
qu'il  s'agirait  d'un  débiteur.  Exemples  :  le  mari  est  codébiteur  soli- 
daire avec  un  tiers,  la  femme  créancière  ne  peut  pas  poursuivre 
cetui-ci  sans  donner  naissance  à  un  recours  contre  son  mari;  ou 
bien  le  mari  est  débiteur  principal  et  le  tiers  est  caution. 

363  bis.  IX.  Nous  avons  montré  que  l'article  2256-2°  dérive  de 
l'article  2253 ,  dès  lors,  dans  la  logique  absolue,  il  aurait  fallu  que 
la  prescription  fût  suspendue  en  faveur  du  mari,  quand  son  action 
pourrait  réfléchir  contre  la  femme.  Mais  la  loi  n'a  pas  poussé  jusque- 
là  les  conséquences  de  l'idée  dont  elle  s'inspirait.  Évidemment 
elle  a  moins  redouté,  en  pareille  matière,  l'influence  de  la  femme 
sur  le  mari  que  celle  du  mari  sur  la  femme.  Aussi  bien,  les  faits 
qui  peuvent  créer  la  situation  que  nous  étudions,  ont  pu  paraître 
plus  rares,  quand  on  intervertit  les  situations.  Rarement  la  femme 
aura  vendu  l'immeuble  de  son  mari,  rarement  elle  se  sera  obligée 
envers  son  mari  solidairement  avec  un  tiers.  Voilà  probablement 
pourquoi  l'article  2256-2°  ne  s'occupe  que  du  rnari  subissant  le 


510  COUHS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

contre-coup  des  actions  de  sa  femme.  Il  faut  cependant  reconnaître 
que  très-souvent  ces  situations  ne  seront  pas  créées  par  des  actes 
des  époux  eux-mêmes.  Le  mari,  aussi  bien  que  la  femme,  peut 
être  devenu  par  succession  propriétaire  d'un  bien  que  sa  femme  ou 
l'auteur  de  sa  femme  a  vendu,  il  peut  être  aussi  devenu  créancier 
d'une  dette  contractée  par  la  femme  ou  l'auteur  de  celle-ci  soli- 
dairement avec  d'autres  débiteurs.  Si  le  Code  avait  aperçu  ces  bypo- 
tbèses,  peut-être  qu'il  aurait  étendu  aux  deux  époux  la  disposition 
fixe  de  l'article  2256. 

364.  C'eslévidemment  sur  l'impossibilité  d'agir  qu'est  fondée 
la  suspension  de  la  prescription  a  l'égard  d'une  créance  con- 
ditionnelle, d'une  action  en  garantie  ou  même  d'une  créance 
a  terme.  V.  art.  2257. 

364  bis.  I.  L'impossibilité  d'agir  en  cas  de  dettes  conditionnelles 
ou  à  terme  n'est  pas  aussi  absolue  qu'elle  paraît  l'être  au  premier 
abord.  Le  créancier  a  toujours  le  droit  de  faire  des  actes  conserva- 
toires (art.  1180),  et  parmi  ces  actes  il  en  est,  comme  l'assigna- 
tion en  reconnaissance  d'écritures,  qui  interrompraient  la  pres- 
cription. La  raison  générale  de  l'article,  celle  qui  s'applique  à  toutes 
les  bypotbèses  qu'il  comprend,  c'est  que  l'inaction  du  créancier  s'ex- 
plique par  celte  considération  qu'il  ne  peut  pas  obtenir  encore 
l'exécution  effective  de  l'obligation,  et  qu'elle  ne  saurait  tromper 
le  débiteur  qui  doit  savoir  à  quoi  s'en  tenir  sur  les  caractères  de 
son  obligation  et  comprendre  par  quels  motifs  le  créancier  n'agit 
pas  contre  lui. 

364  bis.  IL  Les  créances  conditionnelles  auxquelles  s'applique  l'ar- 
ticle 2258  sont  celles  qui  sont  affectées  d'une  condition  suspensive, 
on  le  voit  bien  par  le  rapprocbemeut  qui  se  fait  dans  l'esprit  du 
législateur  entre  ces  créances,  les  créances  à  terme  et  les  créances 
de  garantie.  L'obligation  sous  condition  résolutoire  existe  dans 
toute  sa  plénitude  à  partir  du  jour  du  contrat.  Elle  s'exécute  comme 
si  elle  était  pure  et  simple.  Il  n'y  a  par  conséquent  aucune  bonne 
raison  pour  justifier  l'inaction  du  créancier;  pourrait-on  supposer 
qu'il  attend,  pour  agir,  l'arrivée  de  la  condition,  c'est-à-dire  l'ex- 
tinction du  droit  qu'il  s'agit  d'exercer? 

364  bis.  III.  Les  différents  articles  qui  ont  jusqu'ici  traité  des 
suspensions  de  prescription  avaient  en  vue  aussi  bien  la  prescription 
acquisitive  que  la  prescription  libératoire  (art.  2250,  2253,  2256); 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2257.  5 H 

l'un  d'eux,  l'article  2253,  vise  à  la  fois  la  prescription  acquisitive  et 
la  prescription  extinctive  de  l'action  en  nullité  d'une  aliénation. 
Dans  l'article  2257,  au  contraire,  il  n'est  question  que  de  l'extinction 
des  créances,  et  par  conséquent  de  la  prescription  libératoire. 

Il  ne  faut  donc  pas  étendre  la  règle  et  suspendre  la  prescription 
acquisitive  quand  le  droit  du  vrai  propriétaire  est  affecté  d'une 
condition.  Le  possesseur  de  l'immeuble  d'autrui  prescrira  contre 
le  propriétaire  conditionnel.  La  situation  en  effet  n'est  pas  la  même; 
la  prescription  s'appuie  sur  autre  cbose  que  sur  l'inertie  de  celui 
contre  qui  l'on  prescrit,  elle  s'appuie  sur  un  fait  positif  du  prescri- 
vant, sur  la  possession,  fait  qui,  par  lui-même,  est  considéré 
comme  générateur  du  droit  de  propriété.  En  outre,  le  possesseur  n'est 
pas  en  relation  juridique  avec  celui  contre  qui  il  prescrit,  comme 
le  débiteur  avec  son  créancier,  donc  il  peut  ignorer  la  condition 
qui  affecte  le  droit  du  vrai  propriétaire,  et  il  n'est  pas  possible  de 
lui  opposer  qu'il  a  dû  comprendre  pourquoi  celui-ci  n'exerçait  pas 
ses  droits.  Enfin,  le  crédit  public  souffrirait  plus  encore  de  la  pro- 
longation indéfinie  d'une  prescription  acquisitive  au  détriment  des 
acquéreurs  et  sous-acquéreurs  de  l'immeuble  qu'il  ne  souffre  de  la 
longue  durée  d'une  prescription  libératoire  n'intéressant  guère  que 
le  débiteur  et  ses  héritiers. 

364  bis.  IV.  On  ne  doit  pas  conclure  de  notre  décision  que  le  pro- 
priétaire conditionnel  sera  absolument  désarmé  contre  ie  tiers  pos- 
sesseur. Il  trouvera,  dans  l'article  1180,  le  droit  de  demander  en 
justice  au  possesseur  la  reconnaissance  de  son  droit  conditionnel  et 
de  faire  constater  par  jugement,  s'il  y  a  lieu,  l'existence  de  ce  droit. 
364  bis.  V.  Nous  devons  reconnaître  que  la  plupart  des  docu- 
ments de  la  jurisprudence  sont  contraires  à  l'opinion  que  nous 
venons  d'exposer.  Mais  il  nous  est  difficile  d'accepter  la  doctrine 
de  ces  arrêts.  La  plupart  s'appuient  sur  la  maxime  contra  non  va- 
lentem  agere,  dont  nous  avons  plus  haut  combattu  l'autorité  et  qui 
d'ailleurs  ne  saurait  être  invoquée  ici,  quand  on  reconnaît,  comme 
nous  l'avons  fait,  que  le  propriétaire  conditionnel  peut,  en  vertu  de 
l'article  1180,  faire  reconnaître  en  justice  l'existence  de  son  droit; 
c'est  la  doctrine  ancienne  que  nous  avons  admise  sur  l'article  2180 
à  propos  de  l'action  réelle  hypothécaire,  et  que  rien  n'empêche  de 
tenir  pour  vraie  sous  l'empire  du  Code  civil. 

Presque  tous  les  arrêts  interprètent  l'article  2257  comme  si  le 
mot  créances,  employé  par  le  Gode  civil,  était  absolument  synonyme 


512  COURS  ANALYTIQUE   DE    CODE  CIVIL.    LIV.    III. 

du  mot  droits  ;  l'un  d'eux  cite  l'article  2257  en  ces  termes  :  la  pres- 
cription ne  court  pas  à  l'égard  d'un  droit  personnel  ou  réel  qui 
dépend  d'une  condition  jusqu'à  ce  que  la  condition  soit  arrivée  (i). 
Un  autre  arrêt  (2)  allègue  que  le  Code  civil  se  sert  quelquefois 
d'une  de  ces  deux  expressions  pour  l'autre;  il  cite  l'article  1138  qui 
dit,  au  contraire,  que  par  l'effet  de  l'obligation,  ou  pour  mieux  dire 
de  la  convention,  le  créancier  est  rendu  propriétaire,  c'est-à-dire 
(ju'il  cumule  deux  titres.  Quant  aux  arrêts  récents  de  la  Cour  de 
cassation,  ils  n'abordent  pas  directement  la  difficulté.  Il  en  est  un 
qui,  traitant  la  même  question  à  propos  du  droit  d'hypothèque, 
semble  éviter  la  question  théorique  générale  et  cherche,  sur  l'ar- 
ticle 2180,  à  appliquer  l'article  2257,  en  présentant  le  sort  de 
l'hypothèque,  droit  accessoire,  comme  lié  au  sort  de  la  créance, 
droit  principal,  d'où  il  résulte  que  la  doctrine  qui  soumet  tous  les 
droits  réels  à  l'article  2257  ne  saurait  trouver  un  appui  dans  cette 
décision  judiciaire  (3). 

Un  autre  arrêt  (4)  statue  sur  une  hypothèse  où  le  droit  réclamé 
après  trente  ans  pouvait  être  considéré  soit  comme  une  servitude, 
soit  comme  une  créance,  et  la  Cour,  en  évitant  de  caractériser  ce 
droit,  a  encore  une  fois  passé  à  côté  de  la  question  de  principe  sur 
les  droits  réels  conditionnels.  Un  arrêt  plus  ancien  (5),  après  avoir 
constaté  que  l'article  2257  suspend  la  prescription  à  l'égard  des 
créances  conditionnelles,  semble  considérer  l'action  dirigée  contre 
le  tiers  détenteur  par  l'échangiste  qui  fait  résoudre  le  contrat 
d'échange  pour  cause  d'éviction,  comme  une  action  personnelle, 
car  il  l'appelle  action  en  délaissement  ayant  pour  objet  de  le  faire 
rentrer  dans  la  propriété  des  biens  donnés  par  lui  en  contre-échange. 
S'il  s'agit  de  rentrer  dans  la  propriété,  c'est  que  cette  propriété  a 
été  perdue,  et  l'action  qui  tend  à  la  faire  recouvrer  ne  peut  être  que 
personnelle;  par  ce  raisonnement  la  Cour  s'est  placée  en  dehors  de 
notre  question  (6). 

(1)C.  Montpellier,  10  janvier  1878.  Sirey,  1878,  2,313. 

(2)  V.  C.  I.  Agen,  21  juillet  1862.  Sirey,  1863,  2,  15. 

(3)  V    C.  C,  30  décembre  1879.  Sirey,  1881,  1,  64. 

(4)  V.  C.  C,  9  juillet  1879.  Sirey,  1879,  1,  463. 

(5)  C.  C,  28  janvier  1862.  Sirey,  1862,  1,  236. 

(6)  V.,dans  notre  sens,  un  arrêt  longuement  motivé  de  la  Cour  de  Toulouse 
26  avril  1875,  Sirey,  1881,  1,  202,  à  propos  d'un  arrêt  de  la  Cour  de  cassation, 
qui  n'a  pas  statué  sur  notre  question.  V.  aussi  la  savante  note  de  notre  collègue 

M.  Labbé,  Sirey,  1873,  2,  314,  sur  l'an  et  de  Montpellier  cité  plus  haut. 


T1T.  XX.  DE  LA  PRESCRIPTION.  ART.  2257,  2258.   513 

365.  Quoique  l'héritier  bénéficiaire  ne  soit  pas  dans  l'im- 
possibilité d'agir  contre  la  succession  (Cod.  Pr.,  art.  996), 
toutefois  sa  qualité  est  pour  lui  un  motif  légime  de  s'en  abs- 
tenir. La  prescription  ne  court  donc  pas  contre  lui.  Mais  la 
prescription  court  contre  une  succession  vacante  quoique  non 
pourvue  de  curateur,  car  il  ne  dépend  que  des  intéressés  de 
l'en  faire  pourvoir.  V.  art.  2258. 

365  bis.  I.  Pothier  disait  :  Le  temps  de  la  prescription  ne  peut 
courir  contre  l'héritier  bénéficiaire  pour  les  créances  qu'il  a  contre 
la  succession  bénéficiaire,  car  il  ne  peut  agir  contre  lui-même  (1). 
Le  Gode  a  reproduit  cette  décision,  qui  a  perdu  sa  raison  d'être 
depuis  la  rédaction  du  Code  de  Procédure  (art.  996).  Elle  peut  se 
justifier  d'ailleurs  par  une  raison  d'économie  :  pourquoi  contraindre 
l'héritier  à  faire  des  frais  qui  diminueront  l'actif  héréditaire  au 
détriment  des  créanciers  ?  Comment,  en  outre,  considérer  le  silence 
du  créancier  comme  une  reconnaissance  de  l'inexistence  de  la  dette, 
quand  le  créancier  est  en  même  temps  le  représentant  du  débiteur, 
détenteur  de  l'actif  et  chargé  de  le  distribuer  à  tous  les  créanciers? 

365  bis.  II.  Ces  diverses  raisons,  comme  celle  que  donnait  Pothier, 
supposent  que  l'héritier  bénéficiaire  n'a  pas  de  cohéritiers.  Dans 
l'hypothèse  contraire,  c'est-à-dire  quand  l'héritier  bénéficiaire  n'est 
pas  héritier  unique,  l'article  demande  à  n'être  appliqué  qu'avec 
une  certaine  distinction  que  commmandent  les  principes. 

N'oublions  pas  que  les  dettes,  au  moins  celles  qui  sont  divisibles, 
se  divisent  de  plein  droit  entre  tous  les  cohéritiers,  que  l'actif  de  la 
succession  se  divise  aussi  de  plein  droit  entre  eux,  et  qu'il  se  ré- 
partit définitivement  en  lots,  attribués  par  le  partage  à  chaque 
héritier,  sans  qu'il  y  ait  à  rechercher  s'ils  sont  héritiers  purs  et 
simples  ou  sous  bénéfice  d'inventaire.  Dès  lors,  l'un  des  héritiers 
n'est  jamais  débiteur  de  la  totalité  d'une  dette  héréditaire,  s'il  estpar 
hasard  créancier  de  la  succession,  il  n'est  pas  seul  son  propre  débi- 
teur; quand  il  n'agit  pas  pour  les  parts  de  la  dette  qui  sont  dues 
par  ses  cohéritiers,  on  ne  peut  pas  expliquer  son  inaction  en  disant 
qu'il  compte  se  payer  lui-même  sur  la  succession  dont  il  ne  détient 
qu'une  part.  D'un  autre  côté,  ses  cohéritiers,  s'ils  ne  sont  pas  pré- 
venus qu'il  se  prétend  créancier,  sont  tenus  dans  l'erreur  sur  la 

(1)  V.  Pothier,  Obligations,  n°  646  injine, 

vin.  33 


514  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

valeur  réelle  de  leur  part  héréditaire,  et  dès  lors  il  serait  inexact 
de  dire  que  des  frais  faits  contre  eux  seraient  faits  en  pure  perte. 
L'article  2258  n'est  donc  pas  applicable,  si  l'on  envisage  ses  motifs, 
et  son  texte  montre  plus  clairement  encore  qu'il  ne  vise  pas  l'hy- 
pothèse dont  nous  traitons,  car  il  parle  des  créances  de  l'héritier 
bénéficiaire  contre  la  succession,  et,  dans  le  cas  que  nous  examinons, 
l'héritier  n'a  pas  véritablement  pour  débiteur  la  succession,  mais 
chacun  de  ses  cohéritiers.  Cela  surtout  est  particulièrement  vrai 
quand  ses  cohéritiers  ont  accepté  purement  et  simplement,  et 
cela  ressortait  incontestablement  du  texte  de  Pothier,  que  nous 
avons  cité  plus  haut,  où  il  est  question  des  créances  contre  la  suc- 
cession bénéficiaire;  qu'est-ce  que  la  succession  bénéficiaire  quand 
les  cohéritiers  ont  accepté  purement,  si  ce  n'est  pas  seulement  la 
part  de  cet  héritier-créancier  qui  a  accepté  sous  bénéfice  d'inven- 
taire? Si  l'article  ne  peut  pas  être  appliqué  au  cas  où  les  cohéritiers 
de  l'héritier  bénéficiaire  ont  accepté  purement  et  simplement,  il 
n'y  a  plus  à  argumenter  de  sa  généralité  apparente;  il  faut  recon- 
naître qu'il  songe  seulement  à  l'héritier  bénéficiaire  qui  est  héritier 
unique,  et  il  ne  faut  pas  étendre  sa  décision  à  l'hypothèse  où  les 
cohéritiers  ont  accepté  sous  bénéfice  d'inventaire;  car,  même  dans 
ce  cas,  la  créance  de  l'héritier  se  divise,  il  ne  peut  agir  contre 
chacun  de  ces  cohéritiers  que  pour  partie  sur  la  fraction  de  l'actif 
dont  celui-ci  est  propriétaire,  et  il  n'y  a  pas  de  raison  sérieuse  qui 
puisse  le  dispenser  d'agir. 

365  bis.  III.  Des  jurisconsultes  très-autorisés  soutiennent  que  la 
prescription  est  suspendue  contre  tous  les  cohéritiers  parce  que  l'héri- 
tier-créancier,  chargé  d'administrer  la  succession  dans  l'intérêt  des 
créanciers  et  des  légataires,  n'avait  pas  à  élever  des  prétentions  con- 
tre la  succession;  nous  répondons  à  cette  objection  que  l'héritier 
bénéficaire,  qui  n'est  pas  héritier  unique,  n'administre  pas  à  lui 
seul  toute  la  succession,  que  dès  lors  son  inaction  ne  peut  pas 
s'interpréter  comme  elle  s'interprète  quand  il  est  appelé  à  toute  la 
succession.  Ou  l'on  est  dans  l'indivision,  et  l'un  des  héritiers  ne  peut 
pas  compter  sur  lui-même  pour  se  payer  de  ce  qui  lui  est  dû,  il  lui 
faudra  bien  l'assentiment  des  autres,  donc  il  est  nécessaire  qu'il 
fasse  valoir  ses  droits;  ou  le  partage  a  eu  lieu,  et  il  est  bien  plus 
nécessaire  encore  qu'il  agisse  contre  chacun  de  ses  cohéritiers  pour 
obtenir  le  paiement  de  la  fraction  de  sa  créance  qui  ne  grève  pas 
sa  part  de  l'actif. 


T1T.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    225S.  olo 

L'opinion  que  nous  combattons  présente  en  outre  cet  inconvénient 
qu'elle  a  conduit  des  auteurs  à  faire  une  distinction  dont  le  Gode 
ne  parle  pas.  lis  sont  obligés  de  distinguer,  quant  aux  cohéritiers 
qui  ont  accepté  purement,  l'action  du  cohéritier-créancier  sur  les  biens 
de  !a  succession  et  l'action  sur  leurs  autres  biens.  La  suspension  de 
prescription  ne  concernerait  que  les  biens  héréditaires.  Comprend- 
on  une  distinction  pareille  par  rapport  à  des  débiteurs  tenus  person- 
nellement ultra  vires,  c'est-à-dire  sur  tous  leurs  biens,  et  peut-on 
admettre  qu'une  action  personnelle  soit  prescrite  par  rapport  à  un 
bien  et  non  pas  par  rapport  à  l'autre?  La  distinction  des  biens  héré- 
ditaires et  des  biens  personnels  n'existe  pas  par  rapport  à  un  héritier 
pur  et  simple  quand  il  n'y  a  pas  séparation  des  patrimoines,  et  ce 
principe  est  méconnu  par  l'opinion  que  nous  combattons  (1). 

36o  bis.  IV.  L'article  2258,  comme  l'article  2257,  ne  parle  que 
de  la  prescription  des  créances.  li  n'est  donc  pas,  dans  ces  termes, 
applicable  à  la  prescription  acquisitive,  et  d'autres  dispositions  de 
la  loi  vont  nous  montrer  l'immense  différence  qui  sépare  sur  ce 
point  les  deux  prescriptions. 

Nous  supposons  que  l'héritier  bénéficiaire  est  propriétaire  d'un 
immeuble  que  possédait  le  défunt  et  qu'il  a  recueilli  dans  la  suc- 
cession. Peut-on  dire  que  l'action  en  revendication  qu'il  intenterait 
serait  une  procédure  inutile?  Examinons  d'abord  le  cas  où  il  est 
héritier  unique.  C'est  alors  dans  ses  rapports  avec  les  créanciers 
héréditaires  qu'il  est  intéressant  de  savoir  si  le  bien  faisait  ou  non 
partie  de  la  masse  héréditaire,  jusqu'à  concurrence  de  laquelle 
ceux-ci  peuvent  être  payés.  Or,  ces  créanciers  n'ont-ils  pas  le  plus 
grand  intérêt  à  connaître  la  prétention  de  l'héritier  sur  un  bien 
qu'ils  considèrent  comme  leur  gage?  L'héritier,  il  est  vrai,  détient  le 
bien,  mais  il  semble  le  tenir  comme  ayant  cause  du  défunt,  et  rien 
ne  peut  faire  soupçonner  qu'il  a  changé  son  titre  de  possession  et 
qu'il  ne  se  considère  plus  comme  comptable  de  la  valeur  de  ce  bien 
envers  les  créanciers;  d'où  il  résulte  que  la  loi  n'avait  pas  un 
motif  sérieux  de  suspendre  en  pareil  cas  la  prescription.  Les 
mêmes  considérations  s'opposent  à  ce  qu'on  voie  dans  la  possession 
de  l'héritier  le  commencement  d'une  interruption  naturelle  de  la 
prescription,  car  l'interruption  naturelle  suppose  la  dépossession 
du  possesseur,  la  prise  de  possession  par  autrui,  et  la  possession 

(1)  V.  Aubry  et  Rau,  t.  II,  p.  305.  Édit-  1865. 

33. 


516  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    111. 

de  l'héritier,  dans  l'hypothèse  qui  nous  occupe,  aurait  au  moins  le 
caractère  de  l'équivoque. 

Dans  le  cas  où  l'héritier  qui  se  prétend  propriétaire  des  biens  a 
des  cohéritiers,  nous  devons  à  fortiori  dire  que  la  prescription 
n'est  pas  suspendue,  car  ce  n'est  pas  seulement  avec  les  créanciers 
héréditaires  qu'il  se  trouve  en  conflit,  mais  avec  des  cohéritiers, 
ses  copropriétaires  et  copossesseurs,  et  ce  fait  qu'ils  possèdent 
ensemble  à  titre  héréditaire  rend  impossible  la  supposition  qu'il 
posséderait  seul  proprio  tilulo;  or  ce  ne  peut-être  qu'une  possession 
semblable  qui  pourrait  justifier  la  suspension  de  la  prescription  en 
permettant  de  dire  :  Pourquoi  agirait-il  en  revendication,  puisqu'il 
possède? 

365  bis.  V.  La  loi  a  négligé  d'indiquer  quelle  est,  dans  le  cas  où 
la  prescription  est  suspendue  en  faveur  de  l'héritier  bénéficiaire, 
le  moment  où  cesse  cette  suspension.  Si  elle  ne  devait  jamais 
cesser,  elle  ne  serait  pas  une  suspension.  Il  suffit,  au  reste,  de  se 
rendre  un  compte  exact  des  motifs  sur  lesquels  s'appuie  la  règle  de 
la  loi,  pour  comprendre  quand  cette  règle  commence  à  devenir 
inapplicable.  L'héritier  bénéficiaire,  créancier  de  la  succession,  n'a 
pas  à  manifester  sa  prétention  tant  qu'il  administre  la  succession 
en  quelque  sorte  tète  à  tète  avec  lui-même,  tant  que  le  manie- 
ment des  choses  héréditaires  est  abandonné  à  sa  propre  appré- 
ciation, alors  il  ne  peut  être  question  de  prescription;  mais 
arrive  un  moment  où  cet  héritier  est  en  communication  avec 
les  créanciers  héréditaires,  c'est  quand  il  rend  son  compte.  Ne  pas 
comprendre  sa  créance  dans  le  passif  de  la  succession,  c'est  certes 
manquer  une  manifestation  bien  utile  de  sa  prétention,  c'est  s'abs- 
tenir d'exercer  son  droit,  et  à  partir  de  ce  moment  l'inaction  de 
T héritier-créancier  ne  s'explique  plus,  elle  peut  servir  de  base  à 
une  présomption  d'inexistence  de  la  dette.  La  prescription  devient 
alors  possible;  elle  commence  à  courir  du  jour  de  la  reddition  du 
compte. 

365  bis.  VI.  L'article  2258  suspend  la  prescription  qui  pourrait 
courir  contre  l'héritier  bénéficiaire,  il  ne  dit  rien  de  la  prescription 
qui  pourrait  courir  en  faveur  de  l'héritier  bénéficiaire  débiteur  de 
la  succession.  C'est  que,  sans  qu'il  soit  besoin  de  créer  pour  cette 
hypothèse  un  cas  de  suspension,  la  prescription  ne  peut  plus 
courir  dès  que  le  débiteur  est  devenu  héritier  bénéficiaire  du 
créancier.  Ce  débiteur  est  devenu  administrateur  responsable  des 


TIT.    XX.    DE    LA   PRESCRIPTION.    ART.    2258-2260.      517 

biens  héréditaires,  il  doit  faire  rentrer  les  créances,  il  doit  donc  se 
payera  lui-même  ce  qu'il  doit  à  l'hérédité,  débet  a  semetipso  exigere; 
c'est-à-dire  qu'il  doit  verser  de  ses  deniers  propres  la  somme  due 
dans  la  masse  héréditaire,  ou,  ce  qui  revient  au  même,  comprendre 
dans  le  compte  de  l'actif  héréditaire  la  somme  dont  il  est  débiteur. 
Si,  faute  de  ce  fait,  la  dette  pouvait  être  prescrite,  il  serait  res- 
ponsable envers  les  créanciers  de  cette  prescription  accomplie,  et 
voilà  pourquoi  il  était  inutile  de  statuer  dans  l'article  sur  la  question 
de  suspension. 

365  bis.  VII.  La  seconde  partie  de  l'article  traite  des  successions 
vacantes.  Elles  sont  exposées  à  des  prescriptions  qui  ne  sont  pas 
suspendues  parce  que  les  intéressés,  c'est-à-dire  les  créanciers, 
peuvent  faire  nommer  un  curateur  pour  la  protection  de  leurs 
droits. 

366.  La  loi  n'a  pas  voulu  non  plus  que  le  cours  de  la  pres- 
cription fût  suspendu  pendant  les  délais  accordés  a  l'héritier 
pour  faire  inventaire  et  délibérer.  11  peut  en  effet,  sans  pren- 
dre qualité,  interrompre  la  prescription,  puisque  ce  n'est  la 
qu'un  acte  conservatoire.  V.  art.  2259,  et  a  ce  sujet  art.  779. 


CHAPITRE  V. 

DU  TEMPS  REQUIS  POUR  PRESCRIRE. 

SECTION  I. 

Dispositions  générales. 

367.  La  prescription,  qui  résulte  toujours  de  l'expiration 
d'un  certain  nombre  d'années,  de  mois  ou  de  jours,  ne  se 
compte  point  par  heures;  c'est  en  ce  sens  seulement  qu'on 
dit  qu'elle  se  compte  par  jours.  V.  art.  2260. 

367  bis.  I.  Dans  l'économie  du  titre  de  la  prescription,  après 
avoir  parlé  des  conditions  nécessaires  pour  que  la  prescription  soit 
possible  et  des  obstacles  qu'elle  peut  rencontrer  dans  son  cours,  la 


518  COURS  ANALYTIQUE   DE    CODE   CIVIL.    LIV.    III. 

loi  traite  du  temps  requis  pour  la  compléter.  Elle  va  par  conséquent 
envisager  les  diverses  prescriptions  sous  le  rapport  de  leur  durée, 
c'est  l'objet  du  chapitre  dernier  du  Code  civil. 

Le  Code,  toutefois,  fait  précéder  les  règles  sur  la  durée  des 
diverses  prescriptions  par  un  exposé  des  règles  générales  sur  la 
manière  de  calculer  les  délais  qu'il  déterminera  ensuite. 

367  bis.  II.  La  première  règle  est  que  le  calcul  des  délais  ne  se  fait 
pas  par  heures.  C'est-à-dire  qu'un  délai  qui  se  compose  d'un 
certain  nombre  de  jours  (V.  loi  de  1838  sur  les  vices  rédhibitoires, 
art.  3)  ne  peut  être  considéré  comme  expiré  quand  il  s'est  écoulé 
un  certain  nombre  de  fois  vingt-quatre  heures  depuis  le  fait 
qui  sert  de  point  de  départ  à  ce  délai;  par  conséquent,  qu'un  délai 
d'un  mois  ou  de  six  mois  ne  se  compose  pas  de  trente  fois  ou  de 
cent  quatre-vingts  fois  vingt-quatre  heures,  et  qu'un  délai  d'une 
année  n'est  pas  accompli  par  la  révolution  de  trois  cent  soixante- 
cinq  fois  vingt-quatre  heures.  Un  pareil  procédé  de  calcul  eût 
nécessité  une  trop  grande  précision  dans  la  preuve  du  fait  qui 
sert  de  point  de  départ  à  la  prescription.  Il  eût  fallu  démontrer 
peut-être,  après  trente  ans,  à  quelle  heure  exacte  avait  commencé 
une  possession  ou  était  née  une  obligation.  La  loi  a  compris  que, 
cette  démonstration  devant  être  le  plus  souvent  impossible,  et 
l'impossibilité  devant  rendre  ordinairement  nécessaire  l'adoption 
d'un  point  de  départ  arbitraire,  comme  le  commencement  ou  la  fin 
de  la  journée,  il  valait  mieux,  au  point  de  vue  pratique,  adopter 
une  règle  uniforme  qui  évitât  les  discussions  sur  une  date  à  fixer 
par  heures  et  par  minutes. 

Nous  n'ajoutons  pas  à  ce  motif  tout  pratique  une  considération 
théorique  qui  est  souvent  présentée.  Nous  ne  pensons  pas  qu'on 
puisse  justifier  la  règle  en  alléguant  que,  compter  par  heures,  c'est 
parfaire  le  délai  fixé  par  deux  fractions  de  deux  journées  différentes, 
quelques  heures  du  premier  jour  et  quelques  heures  du  dernier, 
alors  que  la  loi,  qui  demande  un  certain  nombre  de  jours,  semble 
exiger  des  journées  complètes  et  ne  compter  que  des  journées 
indivisibles  de  minuit  à  minuit.  Cette  raison  nous  semblerait  con- 
tredire ce  que  nous  allons  établir  sur  le  calcul  par  mois  et  par 
années,  et  il  nous  paraîtrait  imprudent  de  la  faire  valoir. 

367  bis.  III.  Tout  le  monde  reconnaît,  en  effet,  que  le  calcul  par 
mois  ou  par  années  s'établit  de  quantième  à  quantième,  c'est-à- 
dire  qu'un  délai  de  six  mois,  commençant  le  15  janvier,  doit  finir 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2260.  519 

le  15  juillet  au  coup  de  l'heure  de  minuit,  séparant  ce  jour  du 
16  juillet.  En  comptant  ainsi,  on  n'additionne  pas  des  mois  complets, 
on  compose  un  mois  avec  deux  fractions  des  mois  de  janvier  et 
de  juillet.  Or,  la  loi  qui  assigne  à  une  prescription  la  durée  de  six 
mois  s'exprime  de  la  même  façon  que  celle  qui  statue  sur  une  pres- 
cription de  trente  jours. 

367  bis.  IV.  Il  reste  à  démontrer  que  la  formule  première  de  la 
loi  :  la  prescription  se  compte  par  jours,  n'a  pas  toute  la  portée 
qu'on  pourrait  logiquement  lui  donner;  qu'elle  ne  signifie  pas 
qu'une  prescription  de  six  mois  doit  durer  six  fois  trente  jours  et 
une  prescription  de  dix  ans  dix  fois  trois  cent  soixante-cinq  jours. 
La  démonstration  ne  ressort  pas  pour  nous  de  l'article  2261  (1), 
qui  pourrait  s'entendre  parfaitement,  quel  que  soit  le  système  de 
calcul,  car  il  faut  bien  toujours  que  le  délai  ait  un  dernier  jour,  et 
ce  que  la  loi  nous  dit  uniquement,  c'est  qu'il  faut  que  ce  dernier 
jour  soit  terminé  et  qu'on  ne  le  prendra  pas  pour  achevé  quand  il 
sera  seulement  commencé.  Nous  trouvons  la  preuve  qu'il  faut  sup- 
puter les  années  et  les  mois  de  quantième  à  quantième  dans 
l'article  2261  du  Code  civil  original  (lre  édition,  amendée  seulement 
en  1807).  Cet  article  dispose  que  dans  les  prescriptions  qui  s'ac- 
complissent par  mois,  celui  de  fructidor  comprend  les  jours  com- 
plémentaires. Cette  disposition  aurait  été  absolument  inutile  si, 
dans  la  pensée  du  Code  civil,  les  mois  représentent  seulement  des 
réunions  de  trente  jours.  Elle  suppose,  au  contraire,  que  le  mois 
a  une  individualité  propre,  quel  que  soit  le  nombre  de  ses  jours, 
puisque  le  mois  de  fructidor  du  calendrier  républicain  constituerait, 
avec  les  jours  complémentaires  que  le  Code  lui  annexe,  un  espace 
de  trente-cinq  jours. 

367  bis.  V.  Il  résulte  de  cet  article  que  les  mois,  et  par  con- 
séquent les  années,  constituent  des  unités  dans  le  calcul  des  pres- 
criptions, et  qu'il  ne  faut  pas  tenir  compte  des  différences  que  les 
inégalités  entre  les  mois  et  les  années  apporteront  à  la  durée  réelle 
des  délais;  ainsi  un  délai  d'un  an,  commencé  le  1er  février  1884, 
comprend  un  jour  de  plus  qu'un  même  délai  commencé  le  1er  mars, 
parce  que  le  mois  de  février  1884  comprend  vingt -neuf  jours 
et  que  le  mois  de  février  1885,  l'année  n'étant  pas  bissextile,  n'a 
que  vingt-huit  jours.  Il  en  sera  de  même  pour  des  prescriptions  par 

(1)  V.  cependant Aubry  et  Rau,  t.  II,  p.  294.  Édit.  1865. 


520  COUKS   ANALYTIQUE    DE    CODE  CIVIL.    LIV.    III. 

mois,  à  raison  de  l'inégalité  des  mois,  les  uns  ayant  trente,  les 
autres  trente  et  un  ou  vingt-huit  jours. 

367  bis.  VI.  Notre  explication  pourrait  conduire  à  ne  pas  compter 
le  mois  ou  l'année  dans  laquelle  commence  le  délai  pour  ne  pas 
compléter  ce  délai  par  des  fractions  de  mois  ou  d'années,  mais  on 
aurait  contre  soi,  si  l'on  comptait  ainsi,  les  habitudes  constantes  qui 
considèrent  comme  des  mois  et  des  années  le  temps  compris  entre 
deux  quantièmes  correspondants,  par  exemple  pour  la  détermination 
des  âges.  La  loi  calcule  incontestablement  ainsi,  quand  elle  fixe  à 
vingt  et  un  ans  l'âge  de  la  majorité,  et  dans  tous  les  cas  semblables; 
le  Code  de  commerce  et  la  pratique  du  commerce  interprètent 
également,  sans  conteste,  de  la  même  façon,  les  délais  d'échéance 
des  lettres  de  change  et  des  billets  à  ordre.  Il  n'y  a  pas  à  hésiter, 
les  prescriptions  dont  le  délai  est  fixé  par  mois  ou  par  année 
doivent  être  calculées  de  quantième  à  quantième. 

368.  Du  reste,  il  faut  que  le  dernier  jour  soit  accompli.  Le 
Code  n'admet  point,  a  cet  égard,  l'ancienne  distinction  entre 
la  prescription  a  l'effet  d'acquérir  et  la  prescription  a  l'effet 
de  se  libérer.  V.  art.  2261. 

368  bis.  La  décision  de  l'article  2261  peut  paraître  inutile,  car  il 
est  évident  que  l'année  1883,  par  exemple,  n'est  complète  que 
lorsque  la  journée  tout  entière  du  31  décembre  est  achevée,  d'où 
il  est  certain  qu'une  année  qui  a  commencé  le  1er  février  au  matin, 
c'est-à-dire  à  l'heure  de  minuit,  qui  sépare  le  31  janvier  du  1er  fé- 
vrier, ne  peut  être  accomplie  que  lorsque  le  31  janvier  suivant  est 
arrivé  à  sa  minute  finale,  c'est-à-dire  à  l'heure  de  minuit,  qui  le 
sépare  du  1er  février.  Nous  ajoutons  à  notre  espèce  une  observation 
nécessaire,  c'est  que,  pour  qu'une  prescription  commence  à  compter 
du  1er  janvier  ou  du  1er  février  à  minuit,  il  faut  que  le  fait  qui  sert 
de  point  de  départ  à  la  prescription  ait  eu  lieu  le  31  décembre  ou 
le  31  janvier,  puisque  le  délai  ne  peut  pas  commencer  au  milieu 
d'un  jour. 

L'inutilité  de  l'article  2261  n'est  qu'apparente;  sa  décision  a 
pour  effet  de  supprimer  une  différence  ancienne  entre  la  pres- 
cription libératoire  et  la  prescription  acquisitive  par  dix  ou  vingt 
ans,  celle-ci  étant  réputée  accomplie  le  matin  du  dernier  jour,  et 
celle-là  n'étant  parfaite  qu'à  la  fin  de  cette  dernière  journée. 


TIT.    XX     DE    LA   PRESCRIPTION.    ART.    2260-2262.      521 

SECTION  II. 

De  la  prescription  trcntenaire. 

369.  La  plus  longue  prescription  est  celle  de  trente  ans. 
Après  ce  laps  de  temps,  le  débiteur  est  libéré  de  l'action  per- 
sonnelle; le  possesseur  est  a  l'abri  de  l'action  réelle-,  celui-ci 
n'a  pas  plus  que  celui-là  besoin  de  rapporter  un  titre  qui  ne 
pourrait  tendre  qu'à  établir  sa  bonne  foi-,  il  n'a  pas  même  à 
craindre  l'exception  déduite  de  sa  mauvaise  foi.  V.  art.  2262. 

369  bis.  I.  La  loi  parle  de  la  prescription  des  actions.  Elle  a  en 
vue  la  prescription  des  droits  que  ces  actions  sanctionnent,  puis- 
qu'elle a  défini  la  prescription  un  moyen  d'acquérir  ou  de  se 
libérer,  c'est-à-dire  de  devenir  propriétaire  ou  de  cesser  d'être 
débiteur.  Ce  sont  les  droits  de  propriété  ou  de  créance  qui  sont  un 
jeu  dans  la  prescription.  Par  une  habitude  des  anciens  jurisconsultes, 
le  Code  confond  ici  l'action  avec  le  droit  lui-même,  et  c'est  ainsi 
que  voulant  dire  :  la  plus  longue  prescription  dure  trente  ans,  il 
a  dit  :  toutes  les  actions  se  prescrivent  pour  trente  ans. 

C'est  en  effet  de  la  durée  des  prescriptions  et  uniquement  de 
cette  durée  que  traite  l'article  2262,  toute  l'économie  du  titre  de 
la  prescription  le  démontre.  On  a  traité  de  la  prescription  en 
général,  puis  des  conditions  particulières  auxquelles  elle  est  subor- 
donnée, d'après  la  formule  même  de  l'article  2119,  qui  con- 
tient la  définition.  Parmi  ces  conditions,  celles  qui  concernent  la 
nécessité  qu'il  n'existe  pas  d'obstacle  légal  (suspension  ou  inter- 
ruption) sont  communes  aux  deux  espèces  de  prescriptions;  d'autres 
sont  particulières  à  la  prescription  acquisitive  (possession  avec  cer- 
tains caractères,  accession  des  possessions).  Arrive  un  chapitre  por- 
tant pour  rubrique  :  Du  temps  requis  pour  prescrire,  qui  énumère 
les  diverses  prescriptions  au  point  de  vue  du  temps,  en  commençant 
par  les  plus  longues  :  cette  énumération  comprend  pêle-mêle  des 
cas  de  prescription  acquisitive  et  de  prescription  libératoire.  (V.  2262, 
2263,  2265,  2270  et  2271  et  suiv.,  2276.)  Le  désordre  de  ce 
chapitre  prouve  que  le  législateur  a  simplement  entendu  donner 
le  tarif  des  délais  de  prescription,  s'en  référant,  pour  ce  qui  con- 
cerne la  manière  dont  la  prescription  s'accomplit,  aux  règles  qu'il  a 


522  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

déjà  posées,  sauf  à  les  compléter  quand  besoin  sera,  comme  il  le 
fait  dans  les  articles  2265  et  2266. 

369  bis.  II.  La  formule  de  l'article  2262  est  d'ailleurs  un  peu  trop 
large,  d'abord  parce  qu'elle  n'indique  pas  que  le  délai  de  trente 
ans  est  un  maximum,  et  qu'un  grand  nombre  de  dispositions, 
dont  la  plupart  suivent,  fixeront  des  délais  plus  courts  ;  ensuite,  parce 
qu'il  est  un  certain  nombre  d'actions  qui  sont  imprescriptibles, 
comme  l'action  en  réclamation  d'état  quand  elle  est  intentée  par  la 
personne  même  qui  revendique  son  état  (art.  328),  l'action  en  par- 
tage, tant  que  dure  l'indivision  (art.  815).  Évidemment,  ces  cas 
sont  l'objet  d'une  réserve  sous-entendue,  comme  les  règles  sur  les 
conditions  diverses  des  diverses  prescriptions. 

369  bis.  III.  Il  était  nécessaire  d'insister  sur  la  portée  restreinte 
de  l'article  2262,  pour  montrer  qu'il  ne  bouleverse  pas  toute  la 
théorie  de  la  prescription,  telle  qu'elle  résulte  des  chapitres  précé- 
dents. Que  les  deux  prescriptions  conservent,  malgré  l'article  2262, 
leur  nature  propre  et  leurs  caractères  distinctifs,  que  l'une,  la 
prescription  libératoire,  suppose  uniquement  l'expiration  du  laps 
de  temps  requis,  mais  que  l'autre,  la  prescription  acquisitive,  de- 
mande une  possession  légale  ayant  duré  pendant  le  laps  de  temps 
fixé;  d'où  cette  conséquence  que  les  droits  réels  ne  se  perdent 
pas  directement  parce  qu'ils  n'ont  pas  été  exercés  pendant  trente 
ans,  mais  indirectement  lorsqu'un  possesseur  a  acquis,  par  la  con- 
tinuation de  sa  possession,  le  droit  que  son  véritable  titulaire 
n'exerçait  pas. 

369  bis.  IV.  Quelques  droits  cependant  s'éteignent  par  le  non- 
usage,  l'usufruit,  l'usage,  l'habitation,  les  servitudes.  La  loi  s'est 
exprimée  sur  ce  point,  elle  a  eu  en  vue  l'intérêt  de  la  propriété 
que  l'extinction  de  ces  droits  affranchira.  Mais  il  n'en  est  pas  ainsi 
du  droit  de  propriété  lui-même.  Le  Code  ne  l'a  pas  envisagé  comme 
un  droit  périssable,  et  notamment  il  n'a  pas  parlé  de  son  extinction 
par  le  non-usage,  d'où  l'on  a  toujours  conclu  que  tant  que  la  pro- 
priété n'est  pas  acquise  à  un  nouveau  propriétaire,  elle  continue 
d'appartenir  au  même  propriétaire,  bien  qu'il  n'ait  pas  exercé  son 
droit. 

369  bis.  V.  Tout  le  monde  est  d'accord  sur  ce  point,  la  propriété 
ne  se  perd  pas  par  le  non-usage,  mais  on  a  tenté  de  faire  une  dis- 
tinction entre  la  propriété  et  l'action  réelle  qui  la  sanctionne,  pour 
donner  un  sens  absolu  à  l'article  2262.  On  a  dit  :  l'action  en  reven- 


T1T.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2262.  523 

dication  se  prescrit  pour  trente  ans,  elle  s'éteint  par  le  simple  laps 
de  temps,  puisque  l'article  dit  que  les  actions  réelles,  comme  les 
actions  personnelles,  sont  prescrites  par  trente  ans,  sans  exiger 
expressément  d'autres  conditions  pour  les  unes  que  pour  les  autres. 

369  bis.  VI.  Il  faut  voir  d'abord  où  conduit  cette  doctrine;  elle 
conduit  à  décider  que  le  propriétaire  qui  a  perdu  la  possession 
depuis  trente  ans  ne  peut  plus  revendiquer,  et  que  partant  il  n'est 
plus  propriétaire.  D'un  autre  côté,  si  le  possesseur  n'a  pas  acquis 
par  une  prescription  acquisitive,  il  n'est  pas  propriétaire,  on  en 
conclut  que  le  bien  est  sans  maître  et  qu'il  appartient  à  l'État  (1). 
Ainsi,  un  immeuble  est  délaissé  par  son  propriétaire,  il  reste  inculte 
pendant  longues  années  ;  vient  une  personne  qui  s'en  empare,  le 
cultive  pendant  quelques  mois  ou  quelques  années,  mais  la  période 
de  trente  ans,  qui  a  commencé  à  courir  quand  le  fonds  a  été  aban- 
donné, expire,  le  fonds  appartient  à  l'État;  il  n'est  plus  à  l'ancien 
propriétaire,  il  n'est  pas  au  possesseur  qui  n'a  pas  prescrit.  Voilà 
l'hypothèse  dégagée  de  toute  circonstance  accessoire,  c'est  sur  celle- 
là  que  nous  devons  raisonner  pour  apprécier  la  valeur  du  principe 
posé. 

369  bis.  VII.  Il  nous  semble  d'abord  qu'une  théorie  qui  a  pour 
point  de  départ  une  distinction  nécessaire  entre  la  prescription  de 
l'action  et  la  prescription  de  la  propriété,  ne  devrait  pas  conclure 
aussi  hardiment  de  l'extinction  de  l'action  à  la  perte  du  droit  de 
propriété;  car  dire  que  la  propriété  ne  se  perd  pas  par  non-usage  (2), 
mais  qu'elle  cesse  quand  se  perd  l'action,  faute  d'exercice,  c'est 
bien  revenir  à  la  perte  par  non- usage.  Pour  concilier  les  deux 
idées,  il  faudrait  dire  que  le  possesseur  ne  peut  être,  il  est  vrai, 
dépossédé,  puisque  le  propriétaire  a  perdu  son  action,  mais  que 
celui-ci  peut,  en  cas  d'abandon  de  la  chose  par  le  possesseur, 
reprendre  lui-même  la  possession  et  opposer  aux  prétentions  des 
tiers  et  en  particulier  de  l'État  son  droit  de  propriété,  qui  n'a  pas 
été  perdu. 

369  bis.  VIN.  Cette  observation  n'est  pas  autre  chose  qu'une 
critique  préalable  de  la  doctrine;  il  faut  maintenant  étudier  cette 

(1)  V.  M.  Laurent,  Principes  du  droit  civil  français,  t.  VI,  n°  166  in  fine; 
t.  XXVI,  n°  207.  Dans  les  passages  que  nous  citons,  la  décision  du  principe  tend 
à  attribuer  à  l'Etat  les  biens  donnés  à  des  communautés  religieuses  non  autorisées, 
mais  la  doctrine  doit,  d'après  sa  formule  générale,  s'appliquer  à  tous  les  cas  de 
dépossession,  et  c'est  sous  sa  forme  générale  que  nous  l'examinons. 

(2)  V.  M.  Laurent,  t.  XXXII,  n°  367. 


524  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

doctrine  dans  son  fondement,  dans  cette  allégation  que  l'action  en 
revendication  est  exposée  à  une  prescription  extinctive  dont  les 
conditions  sont  celles  qui  régissent  la  prescription  libératoire,  c'est- 
à-dire  qu'il  n'est  plus  question  d'une  possession  continuée  par  celui 
qui  invoque  la  prescription,  mais  qu'il  suffit  de  l'expiration  du 
laps  de  trente  ans. 

369  bis.  IX.  Pour  que  l'action  fût  soumise  à  une  autre  pres- 
cription que  le  droit  qu'elle  sanctionne,  il  faudrait  qu'elle  constituât 
un  droit  distinct  du  droit  sanctionné  par  elle.  Or,  l'action  dans  les 
principes  du  droit  français  est-elle  en  soi  un  droit?  Qu'on  lui  ait 
attribué  cette  qualité  dans  le  droit  romain  à  l'époque  de  la  procé- 
dure formulaire  :  jus  persequendi  judicio  quod  nobis  debetur,  cela  se 
comprend,  puisque  la  procédure  devant  le  juge  n'était  possible 
qu'en  vertu  d'un  ordre  du  magistrat  qu'on  appelait  actio,  et  que 
dès  lors  le  droit  de  créance  ou  le  droit  de  propriété  n'impliquait  pas 
directement  par  lui-même  le  droit  de  faire  juger  l'affaire.  Chez  nous, 
rien  de  semblable,  le  droit  de  créance  ou  de  propriété  comprend 
dans  ses  attributs  le  droit  de  saisir  directement  la  justice,  et 
l'action  n'est  pas  autre  chose  que  la  mise  en  mouvement  du  droit, 
l'exercice  judiciaire  du  droit  de  propriété  ou  de  créance,  le  droit 
poursuivi  en  justice  (1).  Si  l'action  est  le  droit  lui-même,  comment 
peut-elle  se  perdre  par  prescription  dans  des  conditions  autres  que 
le  droit? 

369  bis.  X.  Il  est  vrai  que  nous  admettons,  avec  l'article  2262, 
une  prescription  des  actions  personnelles  qui  semble  distincte  de  la 
prescription  de  la  créance,  mais  ce  n'est  là  qu'une  apparence.  Ici 
le  droit  lui-même,  la  créance,  s'éteint  par  le  simple  défaut  d'exer- 
cice, solo  temporis  lapsu,  et  l'action  éteinte  par  contre-coup  paraît 
s'être  éteinte  principalement,  de  sorte  qu'il  n'y  a  pas  d'intérêt  à 
distinguer  la  prescription  du  droit  et  celle  de  l'action,  et  qu'on 
a  pu,  sans  inconvénient,  parler  de  la  prescription  de  l'action  ou 
de  la  prescription  de  la  créance.  La  différence  des  expressions  n'a 
pas  d'importance  au  point  de  vue  juridique. 

369  bis.  XI.  Mais  il  en  est  tout  autrement  quand  il  s'agit  des 
droits  réels  et  des  actions  réelles.  Par  la  nature  même  des  choses, 
la  prescription  de  l'action  ne  peut  pas  se  concevoir  indépendante 
de  la  prescription  du  droit.  Il  ne  faut  pas,  en  effet,  oublier  la  diffé- 

(1)  V.  M.  Laurent,  t.  VI,  n°77. 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2262.  525 

rence  caractéristique  qui  sépare  les  droits  réels  des  droits  per- 
sonnels, ceux-ci  opposables  à  une  personne  déterminée,  ceux-là 
opposables  à  tout  le  monde  ;  ceux-ci  imposant  le  plus  souvent  à 
l'obligé  un  fait  à  accomplir,  ceux-là  n'imposant  qu'une  abstention, 
l'abstention  de  tout  acte  contraire  au  droit.  Cela  étant,  on  comprend 
bien  que  le  fait  de  ne  pas  poursuivre  un  débiteur  constitue  à  la 
fois  la  prescription  du  droit  et  la  prescription  de  la  créance,  mais 
comment  comprendre  la  prescription  de  l'action  réelle  envisagée 
distincte  de  la  prescription  du  droit?  Puisque  l'action  peut  être 
dirigée  contre  une  personne  quelconque,  puisque,  considérée 
comme  droit  distinct,  c'est  un  droit  contre  tous  les  hommes,  contre 
le  genre  humain  tout  entier,  quel  sera  le  fait  qui  constituera  un 
exercice  de  ce  droit?  Suffira-t-il  d'avoir  actionné  une  personne 
quelconque  pour  que  l'action  soit  réputée  exercée  et  qu'à  l'égard 
de  tout  le  monde  la  prescription  soit  interrompue?  Ainsi,  Pierre 
possède  aujourd'hui  depuis  quelques  mois  seulement,  le  proprié- 
taire qui  ne  possède  plus  depuis  plus  de  trente  ans  a  eu  l'occasion 
d'intenter,  il  y  a  vingt  ans,  une  action  contre  Paul,  aura-t-il  inter- 
rompu la  prescription  môme  au  point  de  vue  de  Pierre,  devenu 
possesseur  plus  tard?  S'il  en  est  ainsi,  la  règle  res  inter  alios  acta 
est  violée;  s'il  en  est  autrement,  et  il  doit  en  être  autrement,  le 
droit  d'action  se  trouve  perdu,  bien  que  son  titulaire  en  ait  usé 
depuis  moins  de  trente  ans. 

Voilà,  à  notre  sens,  ce  qui  rend  impossible  la  supposition  que  le 
législateur  a  pu  admettre  une  prescription  distincte  de  l'action 
réelle.  C'est  l'impossibilité,  pour  celui  à  qui  appartient  le  droit 
d'action,  d'exercer  ce  droit  contre  toutes  les  personnes  contre  qui  il 
existe.  , 

369  bis.  XII.  Allons  plus  loin,  le  droit  d'action  n'existe  pas  tant 
qu'une  personne  n'a  pas  porté  atteinte  au  droit  réel  :  qu'un  débiteur 
obligé  ad  faciendum  soit  exposé  à  une  action  dès  qu'il  n'accomplit 
pas  le  fait  promis,  et  que  dès  lors  on  puisse  dire  :  l'action  commence 
à  se  prescrire,  rien  de  plus  facile  à  comprendre;  mais  qu'une  action 
réelle  soit  considérée  comme  commençant  à  se  prescrire  alors  que 
personne  n'a  porté  atteinte  au  droit  que  sanctionne  cette  action, 
cela  est  contraire  à  la  théorie  même  de  la  prescription,  toute  pres- 
cription a  pour  point  de  départ  l'inaction  ou  la  négligence  d'un 
ayant  droit.  Où  est  la  négligence  au  point  de  vue  du  droit  d'action 
quand  personne  n'a  attenté  au  droit  réel  ?  La  négligence  consiste  dans 


520  COUKS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    111. 

Je  défaut  d'actes  de  maître  sur  le  fonds,  dans  l'abandon  de  la  pos- 
session, niais  cette  négligence  n'est  pas  relative  au  droit  d'action, 
elle  constitue  ce  que  nous  appelons  le  non-usage,  et  quand  on  rai- 
sonne sur  le  droit  de  propriété,  on  se  heurte  à  cette  vérité  reconnue 
que  la  propriété  ne  s'éteint  pas  par  non- usage.  Il  ne  faut  donc  pas 
tenir  compte  de  l'abandon  de  la  chose  par  le  propriétaire,  il  ne  faut 
envisager  que  ce  qui  concerne  l'action  proprement  dite,  et  sous  ce 
rapport  il  n'y  a  pas  négligence  du  propriétaire,  tant  qu'il  n'existe 
pas  d'adversaire  contre  qui  diriger  son  action.  Si  l'on  poussait  à 
l'extrême  l'idée  que  le  droit  d'action  préexiste,  qu'il  est  antérieur 
à  tout  trouble  causé  au  propriétaire,  qu'il  se  prescrit  alors  même 
que  la  possession  n'est  pas  encore  usurpée,  ne  faudrait-il  pas  dire 
que  le  propriétaire  qui  possède  depuis  plus  de  trente  ans  et  qui, 
par  conséquent,  n'a  pas  exercé  son  droit  d'action,  a  perdu  le 
droit  de  l'exercer,  le  droit  de  revendication,  et  pour  compléter,  en 
nous  emparant  de  la  formule  du  système  que  nous  combattons, 
nous  ajouterons  :  n'ayant  plus  l'action,  il  n'est  plus  propriétaire,  et 
sa  chose  appartient  à  l'État.  Cette  conséquence  tout  exagérée  du 
système  ne  nous  paraît  pas  de  nature  à.  le  faire  adopter. 

369  bis.  XIII.  La  définition  classique  de  l'action  en  revendication 
nous  paraît  démontrer  que  le  droit  de  revendiquer  n'existe  pas  tant 
que  personne  n'a  porté  atteinte  au  droit  de  propriété.  C'est  une 
action  qui  tend  à  faire  recouvrer  la  possession  et  qui  s'appuie  sur 
le  droit  de  propriété.  D'après  M.  Laurent,  elle  a  pour  objet  la  res- 
titution de  la  chose  revendiquée  (1).  Une  action  en  restitution  ne 
peut  pas  exister,  ne  peut  pas  être  prescrite  tant  que  la  chose  n'est 
pas  détenue  par  un  autre  que  le  propriétaire. 

369  bis.  XIV.  Ainsi  apparaît,  dans  notre  question,  un  élément 
nouveau,  la  possession,  ce  qui  nous  ramène  aux  règles  de  la  pres- 
cription à  fin  d'acquérir.  Si  la  prescription  de  l'action  ne  peut  com- 
mencer que  lorsque  commence  une  possession  contraire  au  droit 
du  propriétaire,  nous  avons  le  droit  de  dire  que  le  législateur  ne 
s'est  pas  occupé  d'une  prescription  spéciale  de  l'action,  qu'il  s'en 
est  référé  aux  règles  sur  la  prescription  acquisitive.  A.urait-il  pu 
faire  autrement  sans  réduire  à  néant  toutes  les  règles  qu'il  a  minu- 
tieusement établies  sur  cette  prescription?  Car  s'il  avait  admis  une 
prescription  simplement  extinctive  de  l'action,  il  en  résulterait  qu'à 

(1)  V.  M.  Laurent,  t.  VI,  n»  173. 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2262,    2263.       527 

partir  d'un  fait  quelconque  de  détention  commencerait  à  courir  la 
prescription  de  l'action;  qu'il  ne  serait  pas  nécessaire  de  posséder 
animo  domini;  que  le  possesseur  précaire  pourrait  prescrire  contre 
l'action,  etque  l'action  éteinte,  il  conserverait  l'immeuble.  On  aurait 
peine  à  concilier  ce  résultat  avec  les  textes  qui  déclarent  que  le 
possesseur  précaire  ne  peut  jamais  arriver  à  la  prescription.  Nous 
dirions  la  même  chose  au  cas  de  possession  discontinue,  le  pos- 
sesseur aurait  cessé  de  posséder,  il  aurait  repris  possession,  la  pres- 
cription de  l'action  aurait  couru  depuis  la  première  prise  de  pos- 
session. On  arriverait  ainsi  au  même  résultat  que  par  la  prescrip- 
tion acquisitive  en  dehors  des  principales  conditions  auxquelles  la 
loi  a  subordonné  cette  prescription,  et  l'on  consacrerait  une  bien 
grande  injustice  dans  certaines  hypothèses,  par  exemple  quand  le 
vice  de  la  possession  serait  la  précarité,  car  le  propriétaire  ne  serait 
pas  en  faute  d'avoir  négligé  d'intenter  l'action,  rassuré  qu'il  était 
par  le  titre  du  possesseur  qui  impliquait  une  reconnaissance  de 
son  droit. 

A  moins  qu'on  n'aille  jusqu'au  bout  et  qu'on  dise  :  quand  l'action 
en  revendication  est  éteinte  par  prescription,  l'immeuble  n'appar- 
tient pas  au  possesseur  qui  ne  l'a  pas  prescrit  à  fin  d'acquérir,  il 
appartient  à  l'État  (art.  713). 

Si  nous  avons  démontré  que  l'action  en  revendication  ne  peut 
pas  périr  solo  tempore,  nous  n'avons  pas  besoin  d'examiner  cette 
dernière  proposition  qui  est  comme  le  complément  du  système, 
l'affirmation  que  la  perte  du  droit  d'action  implique  la  perte  de  la 
propriété  et  que  l'État  acquiert  la  propriété  abandonnée. 

370.  D'après  le  principe  général,  une  rente  dont,  pendant 
trente  ans  consécutifs,  les  arrérages  n'auraient  pas  été  exigés, 
serait  prescrite.  Cela  posé,  comme  il  serait  toujours  facile  au 
débiteur,  qui  par  un  paiement  exact  aurait  évité  toute  pour- 
suite, de  soutenir  plus  tard  qu'il  n'a  pas  payé,  et  de  se  pré- 
tendre libéré  par  prescription,  la  loi  autorise  le  créancier  ou 
ses  ayants  cause  a  se  faire  fournir,  après  vingt-huit  ans  de  la 
date  du  dernier  titre,  un  litre  nouvel,  dont  le  débiteur  doit 
naturellement  supporter  les  frais.  V.  art.  2263. 

370  bis.  I.  A  propos  de  l'extinction  des  droits  par  le  laps  de 
trente  ans,  la  loi  fait  une  digression;  elle  ajoute  une  obligation  à 


528  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III, 

celles  qui  pèsent  régulièrement  sur  les  débiteurs  de  rentes.  Elle 
leur  impose  la  nécessité  de  fournir  un  titre  récognitif,  qu'elle  appelle 
titre  nouvel  ou  nouveau,  après  vingt-huit  ans  de  la  date  du  dernier 
titre.  Les  raisons  données  au  n°  380  font  comprendre  à  la  fois 
l'utilité  de  la  règle  et  le  rapport  qu'elle  a  avec  la  prescription. 

Il  serait  à  craindre  qu'après  avoir  régulièrement  rempli  ses 
obligations,  le  débiteur  de  la  rente  ne  prétendît  n'avoir  jamais 
payé  les  arrérages  et  n'invoquât  la  prescription  extinctive  de  la 
rente  elle-même.  Contre  une  pareille  allégation,  le  créancier  serait 
ordinairement  désarmé,  car  les  paiements  sont  habituellement 
constatés  par  des  quittances  sous  seing  privé,  remises  au  débiteur, 
de  sorte  qu'à  moins  d'avoir  dérogé  à  l'usage,  en  donnant  des  quit- 
tances notariées  ou  en  exigeant  du  débiteur  la  reconnaissance  des 
différents  paiements  (autrement  dit  des  contre-quittances),  le  créancier 
ne  pourrait  pas  prouver  que  l'obligation  a  été  exécutée.  La  loi  vient 
au  secours  des  créanciers  de  rentes,  en  leur  fournissant  un  moyen 
préventif.  Lorsque  approchera  l'époque  de  la  prescription,  le  créan- 
cier pourra  demander  un  titre  récognitif,  à  cette  époque  la  présen- 
tentation  de  son  titre  primordial  suffira  pour  prouver  qu'il  est 
créancier,  et  la  suppression  des  quittances  par  le  débiteur  ne  présen- 
terait aucun  danger.  Si  le  débiteur  refusait  de  donner  le  titre  nou- 
veau, il  interviendrait  un  jugement  constatant  l'existence  du  droit; 
et  à  partir  de  ce  jugement,  il  faudrait  certainement  l'expiration 
d'un  nouveau  délai  de  trente  ans  pour  que  la  prescription  s'ac- 
complît. 

La  période  pendant  laquelle  le  titre  nouveau  peut  être  exigé 
est  celle  des  deux  ans  qui  précèdent  l'expiration  du  délai  de  la 
prescription  (après  vingt-huit  ans),  période  suffisante  pour  que  le 
créancier  ait  le  temps  de  songer  au  danger  et  de  se  mettre  en  règle, 
et  assez  courte  pour  que  le  droit  de  demander  un  titre  nouvel  ne 
soit  pas  une  cause  de  vexations  exercées  incessamment  par  le 
créancier  contre  le  débiteur. 

370  bis.  II.  La  disposition  de  l'article  2263  est  assez  générale  dans 
ses  termes  pour  que  nous  n'hésitions  pas  à  l'appliquer  aux  rentes 
viagères  comme  aux  rentes  perpétuelles,  celles-là,  comme  celles-ci, 
pouvant  s'éteindre  par  une  prescription  de  trente  ans  faute  du 
paiement  des  arrérages. 

Mais,  d'un  autre  côté,  l'article  est  assez  précis  pour  ne  pas  être 
étendu  aux  dettes  de  sommes  exigibles,  à  l'égard  desquelles  il 


TIT.    XX.    DE    LV    PRESCRIPTION.    ART.    2263.  529 

serait  d'ailleurs  inutile.  Ces  dettes ,  en  effet ,  ne  sont  pas  menacées 
pas  la  prescription  au  même  degré  que  les  rentes;  pour  mieux  dire, 
le  créancier  est  suffisamment  protégé  contre  les  éventualités  d'une 
prescription  prochaine,  car,  pour  que  le  créancier  soit  exposé  à 
une  prescription  imminente,  il  faut  que  la  dette  soit  échue  depuis 
bientôt  trente  ans,  la  prescription  étant  suspendue  tant  que  le  terme 
n'est  pas  arrivé  (art.  2257),  et  si  la  dette  est  échue,  le  créancier  qui 
craint  la  prescription  n'a  qu'à  demander  en  justice  son  paiement 
pour  interrompre  la  prescription  (art.  2244).  La  règle  de  l'article 
2263  est  donc  inutile  dans  ce  cas;  elle  n'était  nécessaire,  au  cas 
de  rente,  que  parce  que  le  capital  n'est  jamais  exigible  et  que  le 
créancier  ne  peut  pas  agir  en  justice  tant  que  les  arrérages  lui  sont 
régulièrement  payés. 

370  bis.  III.  Le  texte  de  l'article  2263  ne  laisse  aucun  doute  sur 
le  point  de  départ  du  délai  de  vingt-huit  ans,  après  l'expiration 
duquel  le  titre  nouvel  peut  être  exigé.  Ce  délai  part  du  jour  où  a  été 
dressé  le  dernier  titre  (primordial  ou  récognitif).  Son  cours  n'est  pas 
entravé,  parce  que  le  premier  terme  d'arrérages  ne  sera  échu  que 
quelques  mois  après  la  date  même  du  titre  :  il  n'y  a  rien  là  qui 
contrarie  les  principes,  le  délai  de  vingt-huit  ans  n'est  pas  un  délai 
de  prescription;  de  son  expiration  ne  dépend  pas  l'extinction,  mais 
la  naissance  d'un  droit;  il  n'y  a  pas  à  se  demander  si  le  terme 
accordé  pour  le  paiement  doit  reculer  ou  non  le  point  de  départ  de 
ce  délai. 

370  bis.  IV.  Mais  la  question  change  de  face  quand,  laissant  de 
côté  l'obligation  de  donner  un  titre  nouvel,  on  recherche  à  partir 
de  quelle  époque  commence  la  prescription  libératoire  en  faveur 
du  débiteur  d'une  rente.  Gommencera-t-elle  au  jour  du  contrat,  ou 
bien  au  jour  de  l'échéance  du  premier  terme  d'arrérages?  L'article 
2263  n'a  pas  envisagé  cette  hypothèse,  qui  doit  être  régie  par  les 
principes  généraux.  Or,  l'idée  première  de  la  prescription  libéra- 
toire, c'est  qu'elle  est  fondée  sur  le  défaut  d'exercice  d'un  droit  pen- 
dant un  certain  temps,  L'ancienneté  n'est  pas  par  elle-même  une 
cause  d'extinction,  c'est  parce  qu'il  n'a  pas  été  exercé  que  le  droit 
périt.  Gela  ne  fait  pas  doute  pour  les  créances  à  terme,  la  prescrip- 
tion ne  commence  qu'à  l'échéance  (art.  2257).  Le  droit  existe 
dès  le  jour  du  contrat;  mais  comme  il  ne  peut  être  exercé  qu'à 
l'échéance,  la  prescription  ne  commence  qu'à  cette  époque.  Nous 
pensons  qu'il  doit  en  être  ainsi  de  la  rente,  le  créancier  ne  peut 
vin.  34 


530  COL'KS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    M. 

exercer  son  droit  qu'à  l'échéance  du  premier  terme  d'arrérages, 
de  ce  jour-là  seulement  son  inaction  peut  lui  être  reprochée ,  il  est 
logique  de  ne  pas  faire  courir  plus  tôt  la  prescription.  On  objecte 
le  texte  de  l'article  2263,  et  l'on  dit  :  La  rente  n'est  pas  une  créance  à 
terme,  les  arrérages  seuls  sont  dus  à  terme;  nous  ferons  observer 
que  la  rente,  qui  n'est  pas  un  droit  à  terme  quant  au  capital, 
puisque  le  capital  n'est  jamais  exigible,  n'en  est  pas  moins  une 
créance  à  jour  fixe  quant  à  son  exécution,  puisque  le  créancier  ne 
peut  rien  demander  avant  le  premier  terme.  Or,  quand  l'article  2257 
parle  des  créances  à  jour  fixe,  il  ne  peut  songer  qu'à  un  jour  fixé 
pour  l'exécution,  la  créance  exigible,  mais  à  terme,  existant  bien  cer- 
tainement dès  le  jour  du  contrat;  pourquoi,  dès  lors,  resteindre  son 
application  aux  créances  qui  sont  proprement  à  terme  et  ne  pas 
l'étendre  à  celles  dont  la  seule  exécution  est  retardée  par  la  conven- 
tion des  parties?  Les  raisons  qui  expliquent  les  dispositions  de  l'ar- 
ticle 2257  n'existent-elles  pas  avec  la  même  puissance  au  cas  de 
rente  qu'au  cas  de  dette  exigible? 

Nous  l'avons  du  reste  fait  remarquer  tout  d'abord,  le  texte  de 
l'article  2263  ne  peut  être  invoqué,  il  donne  au  créancier  un  droit 
que  celui-ci  a  intérêt  d'exercer  lorsque  la  prescription  approche  ; 
or,  il  est  bien  certain  que  la  prescription  est  imminente,  même 
dans  notre  opinion,  lorsque  vingt- huit  ans  se  sont  écoulés  depuis 
la  date  du  titre. 

370  bis.  V.  Nous  venons  d'appliquer  aux  rentes  une  des  règles 
sur  la  suspension  de  la  prescription.  Nous  pensons  qu'il  en  est 
d'autres  encore  dont  il  faut  tenir  compte  et  dont  l'application  res- 
treindra l'effet  de  l'article  2263.  Nous  songeons  aux  articles  2252 
et  2253,  qui  établissent,  l'un  que  la  prescription  ne  court  pas 
contre  les  mineurs  et  les  interdits,  l'autre  qu'elle  ne  court  point 
entre  époux.  Quand  la  rente  sera  due  à  un  mineur  ou  à  un  interdit, 
quand  elle  sera  due  par  un  conjoint  à  son  conjoint,  le  danger  de  la 
prescription  n'aura  pas  existé  tant  que  la  cause  de  suspension  aura 
duré,  et  par  conséquent  tout  le  temps  qu'elle  aura  duré  devra  être 
défalqué  quand  on  fera  le  compte  des  vingt-huit  ans  dont  parle 
l'article.  Si  un  mineur  a  été  créancier  de  la  rente  pendant  dix  ans 
depuis  la  date  du  titre,  si  pendant  dix  ans  la  rente  a  été  due  par 
un  époux  à  l'autre,  ce  n'est  pas  après  vingt-huit  ans,  mais  après 
trente- huit,  que  le  titre  nouvel  pourra  être  exigé.  Le  demander 
plus  tôt,  ce  serait  imposer  au  débiteur  une  charge  inutile,  puisque 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2263-2265.       531 

la  prescription  n'est  pas  menaçante  quand  il  reste  encore  au  moins 
douze  ans  avant  qu'elle  soit  accomplie. 

371.  La  prescription  de  trente  ans  forme  le  droit  commun 
pour  tous  les  cas  que  la  loi  n'a  pas  prévus.  Mais,  indépen- 
damment de  la  prescription  de  dix  et  vingt  ans,  et  de  quelques 
prescriptions  particulières,  objet  des  deux  sections  suivantes, 
il  existe  plusieurs  autres  prescriptions  dont  les  règles  sont 
expliquées  dans  les  divers  titres  auxquels  elles  se  rapportent. 
V.  art.  2264;  v.  à  ce  sujet  art.  475,  617,  al.  5,  690,  691, 
706,  707,  789,  957,  966, 130-4,  1660-1663,  1676,  2180-4°. 

371  bis.  Il  faut  bien  comprendre  quelle  est  la  portée  de  1  article 
2264.  Il  n'a  certes  pas  la  prétention  de  soustraire  les  diverses  pres- 
criptions auxquelles  il  fait  allusion  aux  règles  générales  de  la  ma- 
tière, notamment  aux  règles  sur  les  interruptions  et  les  suspen- 
sions ;  la  loi  les  a  par  exemple  appliquées,  par  les  articles  709  et  710, 
à  la  prescription  extinctive  des  servitudes;  de  même  elle  a  fait  allu- 
sion aux  modes  d'interruption  dans  l'article  2180  à  propos  des  hypo- 
thèques. Il  faut  bien  qu'il  en  soit  ainsi,  car  elle  n'a  traité  que  très- 
sommairement  de  ces  prescriptions,  dont  elle  parle  accidentellement 
et  passim;  ce  qu'elle  en  a  dit  ne  permettrait  pas  de  les  faire  fonc- 
tionner si  les  règles  générales  n'étaient  pas  sous-entendues.  Le  but 
de  l'article  2264  est  tout  simplement  de  rappeler  le  principe  speciaîia 
generalibus  derogant  qui,  par  la  force  des  choses,  laisse  intactes  toutes 
les  règles  auxquelles  la  loi  spéciale  n'a  pas  dérogé  expressément. 

SECTION  III. 

De  la  prescription  de  dix  et  vingt  ans. 

372.  Celui  qui,  en  acquérant  un  immeuble,  a  juste  sujet 
de  croire  qu'on  lui  en  transmet  la  propriété,  ne  doit  pas 
rester  pendant  trente  ans  exposé  à  l'éviction.  A  cet  égard, 
notre  Code  a  adopté,  a  peu  de  chose  près,  les  principes  de 
l'usucapion  telle  que  Justinien  l'avait  réformée.  L'acquéreur 
dont  la  bonne  foi  est  fondée  sur  un  juste  titre  prescrit  donc 
la  propriété,  par  dix  ou  par  vingt  ans,  suivant  que  le  proprié- 
taire habite  ou  non  dans  le  ressort  de  la  cour  d'appel  dans 

34. 


532  COUKS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

l'étendue  duquel  l'immeuble  est  situé.  V.  art.  2265-,  et  re- 
marquez : 

1°  Que  la  prescription  dont  il  s'agit  ici  ne  s'applique  qu'aux 
immeubles,  dont  elle  est  une  manière  d'acquérir  la  propriété; 

2°  Que  la  loi  exige  pour  cela  une  acquisition  de  bonne  foi 
et  par  juste  titre,  c'est-à-dire  une  prise  de  possession  accom- 
pagnée de  la  croyance  de  propriété  et  fondée  sur  une  cause 
qui  de  sa  nature  serait  translative  de  propriété  (v.  article 
5o0)  ; 

3°  Que  le  temps  requis  pour  prescrire  est  de  dix  ou  de 
vingt  ans,  pendant  lesquels,  bien  entendu,  l'acquéreur  doit 
posséder  avec  les  conditions  requises  (v.  art.  2229)-, 

4*  Que  pour  exiger,  suivant  les  cas,  une  possession  de  dix 
ans  ou  une  possession  de  vingt  ans,  notre  loi  considère  Yha- 
bitationj  ou  le  domicile  du  propriétaire,  et  la  situation  de 
l'immeuble,  sans  égard  au  domicile  du  possesseur  (Contr. 
Just.,  L.  ult.,  Cod.,  de prœscr.  long.  temp.). 

372  bis.  I.  La  prescription  par  dix  ou  vingt  ans  est  une  prescrip- 
tion acquisitive  qui  a  son  origine  dans  l'ancienne  usucapion  des 
Romains  et  surtout  dans  l'usucapion  du  droit  de  Justinien.  Elle  est 
soumise  aux  règles  générales  sur  la  prescription  à  fin  d'acquérir,  que 
nous  avons  déjà  étudiées,  et  qui  concernent  principalement  la  pos- 
session et  ses  caractères;  mais  elle  exige  deux  conditions,  dont  nous 
n'avons  pas  encore  parlé  et  qui  sont  inutiles  pour  arriver  à  la  pro- 
priété par  trente  ans;  elle  veut  le  juste  titre  et  la  bonne  foi. 

C'est  à  l'existence  de  ces  deux  conditions  que  cette  prescription 
doit  d'être  plus  rapide  que  la  prescription  ordinaire.  Puisqu'elle  s'ap- 
puie sur  un  titre,  elle  ne  risque  pas  de  consacrer  une  usurpation, 
elle  tend  au  contraire  à  consolider  une  acquisition  imparfaite; 
puisque  le  possesseur  est  de  bonne  foi,  il  n'est  pas  en  faute  et  il 
doit  être  protégé  contre  les  conséquences  ruineuses  que  pourrait 
avoir  pour  lui  l'opération  qu'il  a  faite,  s'il  était  évincé  d'un  im- 
meuble dont  il  aurait  payé  le  prix  ou  sur  lequel  il  aurait  fait  des 
dépenses  considérables. 

372  bis.  II.  L'article  2265,  qui  donne  l'idée  générale  delà  prescrip- 
tion par  dix  ou  vingt  ans,  peut  être  traduit  ainsi  :  celui  qui  reçoit 
un  immeuble  a  non  domino  de  bonne  foi  et  à  juste  titre  prescrit 


TiT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2265.  533 

par  une  possession  de  dix  ou  vingt  ans.  Il  faut  en  effet  supprimer 
de  la  déQnition  le  mot  acquiert,  qui  signifierait  :  devient  propriétaire, 
puisque  la  prescription  suppose  que  la  propriété  n'a  pas  passé  de 
celui  qui  tentait  d'aliéner  à  celui  qui  tentait  d'acquérir;  nous  disons 
en  outre  que  l'immeuble  a  été  reçu  a  non  domino  pour  faire  com- 
prendre comment  la  propriété  n'a  pas  été  acquise  alors  qu'il  y  avait 
juste  titre  ;  cette  circonstance,  du  reste,  ressort  de  l'article  qui  sup- 
pose l'existence  d'un  véritable  propriétaire  distinct  de  l'auteur  de 
la  tentative  d'aliénation.  Enfin,  nous  complétons  l'article  en  insis- 
tant sur  la  nécessité  de  la  possession,  condition  sous-entendue  par 
la  loi,  qui  l'a  présentée  plus  haut  comme  nécessaire  à  la  prescrip- 
tion acquisitive. 

372  bis.  III.  Il  faut  examiner  successivement  les  conditions  que 
nous  venons  d'énumérer.  Parlons  d'abord  du  juste  titre.  Le  mot 
titre  est  pris  ici  dans  l'acception  que  lui  donne  l'article  690,  il  ne  dé- 
signe pas  un  écrit  servant  de  preuve  (instrumetitum),  mais  un  fait 
juridique  de  nature  à  transférer  la  propriété.  Certes,  la  plupart  du 
temps,  il  faudra  un  écrit  pour  établir  l'existence  de  ce  fait,  mais  c'est 
là  une  question  de  preuve,  et  si  les  règles  du  Code  permettent  dans 
telle  ou  telle  hypothèse  de  prouver  autrement  que  par  écrit,  la  pos- 
session n'en  sera  pas  moins  appuyée  sur  un  titre  quand  elle  s'appuiera 
sur  un  fait  juridique  qui  n'aura  pas  été  constaté  dans  un  acte  écrit. 

Un  fait  juridique  de  nature  à  transférer  la  propriété,  ce  sera  par 
exemple  une  vente,  un  échange,  une  dation  en  paiement;  ce  pourra 
être  une  donation  ou  un  legs,  seulement  il  faudra  observer,  par  rap- 
port à  ces  deux  derniers  titres,  qu'il  aura  été  nécessaire  que  le  fait 
ait  été  constaté  par  écrit,  parce  que  la  donation  et  le  testament  sont 
des  actes  solennels  à  l'égard  desquels  la  formalité  de  l'écriture  est 
exigée  non  pas  seulement  ad  probationem,  mais  pour  la  validité 
même,  ad  solemnitatem. 

372  bis.  IV.  Voilà  des  faits  qui  sont  incontestablement  des  titres; 
mais  il  en  est  d'autres  qui  auront  peut-être  le  caractère  apparent 
d'un  fait  de  nature  à  transférer  la  propriété  sans  être  des  titres 
véritables. 

Nous  citerons  d'abord  les  jugements,  non  pas  bien  entendu  les 
jugements  d'adjudication,  mais  ceux  qui  auront  statué  sur  une 
demande  en  revendication,  soit  qu'un  jugement  ait  rejeté  une 
demande  intentée  contre  le  possesseur  actuel,  soit  que  ce  posses- 
seur ait  pris  possession   en  vertu  d'un  jugement   rendu  sur  sa 


534  COURS  ANALYTIQUE   DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

demande  contre  un  autre  possesseur.  Dans  les  deux  hypothèses,  le 
jugement  n'est  pas  un  fait  générateur  de  droit;  dans  le  premier  cas, 
il  repousse  simplement  une  prétention  sans  déclarer  que  le  posses- 
seur est  propriétaire.  Dans  le  second  cas,  il  reconnaît  la  préexistence 
du  droit  de  propriété  chez  le  demandeur,  mais  il  ne  transmet  pas 
ce  droit,  il  n'est  pas  une  cause  d'acquisition.  Dans  ses  rapports  avec 
le  vrai  propriétaire,  étranger  au  procès,  le  possesseur  ne  peut  pas 
prétendre  trouver  un  titre  dans  ce  jugement. 

372  bis.  V.  Le  partage  de  succession  n'est  pas  non  plus  un  titre 
puisqu'il  n'est  que  déclaratif  de  propriété;  l'héritier  tient  son  lot 
directement  du  défunt  (art  883),  il  ne  peut  donc  pas  avoir  d'au- 
tres droits  que  ceux  que  celui-ci  lui  a  transmis,  et  partant  pas  de 
titre  si  le  défunt  n'en  avait  pas.  Il  est  vrai  que  nous  avons  quel- 
quefois refusé  de  donner  à  l'article  883  tout  l'effet  que  sa  formule 
paraît  comporter.  Nous  avons  dit  :  C'est  une  fiction  dont  les  effets 
ne  doivent  pas  dépasser  ceux  en  vue  desquels  elle  a  été  introduite. 
Or,  l'article  a  pour  but  de  protéger  le  cohéritier  loti  contre  les  ayants 
cause  de  ses  cohéritiers.  Dans  les  rapports  avec  d'autres  personnes, 
le  partage  doit  être  considéré  comme  un  acte  translatif  de  propriété, 
ainsi  qu'il  l'est  dans  la  réalité  des  faits.  Dans  cet  ordre  d'idées,  le 
vrai  propriétaire  du  bien  est  un  tiers,  et  alors  le  partage  est  par 
rapport  à  lui  un  titre. 

La  conséquence  de  cette  doctrine  serait  que  le  copartageant 
pourrait  prescrire  par  dix  ou  vingt  ans  les  parts  de  propriété  que  ses 
cohéritiers  lui  ont  transmises,  et  qu'il  ne  pourrait  pas  prescrire, 
faute  de  titre,  la  part  qui  lui  appartenait  avant  le  partage  dans  le 
bien  indivis  qui  a  constitué  son  lot.  La  solution  qui  peut  paraître 
quelque  peu  étrange,  parce  qu'elle  aboutit  à  une  acquisition  par- 
tielle par  un  possesseur  de  la  totalité  du  bien,  se  justifierait  cepen- 
dant très-bien  par  cette  considération  que  le  cohéritier  loti  a  fait 
des  sacrifices,  semblables  à  ceux  que  fait  un  acheteur  ou  un  échan- 
giste, pour  acquérir  les  parts  de  propriété  de  ses  cohéritiers,  soit 
qu'il  ait  abandonné  des  parts  dans  la  propriété  d'autres  objets,  soit 
qu'il  ait  payé  une  soulte  ou  un  prix  d'ajudication  sur  licitation.  Il 
mérite  donc  que  la  loi  facilite  une  prescription,  qui  lui  évitera  des 
pertes  peut-être  considérables.  Nous  hésitons  cependant  à  adopter 
cette  solution,  parce  qu'elle  s'inspire  d'une  interprétation  de  l'article 
883,  qui  s'éloigne  beaucoup  du  texte  de  la  loi  en  y  introduisant 
une  distinction  qui  ne  s'y  trouve  pas. 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ARf.    2265.  535 

372  bis.  VI.  Si  maintenant  nous  parlons  d'un  partage  de  com- 
munauté, il  faut  distinguer,  quant  aux  effets,  selon  que  l'époux  loti 
est  ou  n'est  pas  celui  du  chef  duquel  le  bien  est  entré  dans  la  com- 
munauté. Nous  supposons  que  l'époux  loti  n'est  pas  celui  du  chef 
duquel  le  bien  est  entré  dans  la  communauté;  comme  la  com- 
munauté n'est  pas  une  personne,  comme  les  biens  de  la  commu- 
nauté sont  des  biens  indivis  entre  les  deux  époux,  le  bien  lui 
appartenait  déjà  pour  moitié  depuis  son  entrée  en  communauté, 
et  pour  cette  moitié  il  avait  un  titre,  c'était  l'apport  fait  par  son 
conjoint  qui,  en  organisant  leur  régime  matrimonial,  avait  consenti 
à  ce  que  le  bien  devînt  un  bien  indivis.  Pour  la  2e  partie  du  bien, 
l'époux  loti  est  réputé  l'avoir  acquise,  dès  le  principe,  en  même 
temps  qu'il  acquérait  l'autre,  si  l'on  applique  l'article  883,  et  si 
on  ne  l'applique  pas,  il  a  dans  le  partage  un  titre  pour  cette  partie, 
qui  était  celle  de  son  conjoint  pendant  l'indivision.  Quelle  que  soit 
donc  la  doctrine  qu'on  accepte  sur  l'article  883,  on  arrivera  tou- 
jours à  reconnaître  que  l'époux  loti  a  un  titre  pour  toute  la  propriété 
de  l'immeuble.  Il  n'est  pas  cependant  indifférent  de  savoir  si  l'on 
considère  ou  non  le  partage  comme  déclaratif,  parce  que  s'il  était 
traité  dans  cette  hypothèse  spéciale  comme  translatif  de  propriété, 
le  titre  n'existerait  pour  la  seconde  moitié  que  du  jour  du  partage, 
et  les  deux  parts  de  propriété  ne  pourraient  pas  être  prescrites  en 
même  temps. 

372  bis.  VII.  Examinons  maintenant  le  cas  où  l'immeuble  est 
tombé  dans  le  lot  de  celui  des  époux  qui  l'a  mis  en  communauté. 
A  son  égard  la  mise  en  communauté  n'est  pas  un  titre,  il  y  a  au 
moins  une  moitié  sur  laquelle  il  a  toujours  conservé  tels  quels 
les  droits  qu'il  avait,  et  s'il  n'avait  pas  de  titre,  il  n'en  a  pas  acquis 
par  le  fait  qui  a  donné  à  son  conjont  la  moitié  de  l'immeuble.  S'il 
n'a  pas  de  titre  pour  la  moitié  qui  était  resté  sienne,  il  n'en  a  pas 
davantage  pour  l'autre,  quand  on  applique  l'article  883  à  la  lettre, 
l'immeuble  est  censé  lui  avoir  toujours  appartenu  dans  les  condi- 
tions où  il  lui  appartenait  avant  la  mise  en  communauté.  Lui  recon- 
naîtrons-nous un  titre  dans  la  doctrine  qui  refuse  d'appliquer  l'ar- 
ticle 883  ?  Dira-t-on  :  Le  conjoint  lui  a  transmis  par  le  partage  sa 
moitié,  donc  il  a  un  titre?  On  pourrait  sans  inconvénient  admettre 
que  le  titre  existe  parce  qu'il  faudrait  bien  reconnaître  que  la 
bonne  foi  manque,  car  ce  titre  émane  d'un  prétendu  propriétaire 
dont  il  est  l'auteur,  et  puisqu'il  sait  qu'il  manque  lui-même  de 


536  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

titre,   il  doit  savoir  que  sou  ayant  cause  n'a  pas  la  propriété. 

372  bis.  VIII.  Nous  n'avons  pas  à  nous  occuper  du  cas  où  l'im- 
meuble est  entré  dans  la  communauté  comme  acquêt,  parce  qu'alors 
l'époux  qui  l'a  acquis  à  titre  onéreux  a  nécessairement  un  titre  et 
que  ce  titre  lui  est  commun  avec  l'autre  conjoint,  dont  on  peut  dire 
qu'il  était  le  représentant  en  faisant  une  acquisition  qui,  d'après  le 
contrat  de  mariage,  devait  profiter  à  la  communauté. 

Si  le  bien  n'a  que  l'apparence  d'un  acquêt,  en  ce  sens  qu'il  n'a  pas 
été  véritablement  acquis  pendant  le  mariage,  mais  qu'ayant  été  sim- 
plement possédé  pendant  le  mariage,  il  compte  comme  acquêt  en 
vertu  de  l'article  1402,  les  deux  époux  n'ont  pas  de  titre  tant  que 
dure  le  mariage,  car  la  femme  elle-même  qui  possède  par  le  mari 
son  mandataire,  se  trouve  n'avoir  pas  reçu  la  possession  par  un  acte 
qui  devait  la  rendre  propriétaire,  mais  l'avoir  prise  par  son  manda- 
taire et  n'avoir  pas  plus  de  titre  que  lui  ;  après  le  partage,  elle  conti- 
nue à  manquer  de  titre  pour  la  moitié  qui  était  sienne  pendant 
l'indivision,  et  d'après  l'article  883  elle  manque  également  de  titre 
pour  l'autre  moitié,  qu'elle  est  censée  avoir  toujours  eue,  tandis  que 
si  l'on  n'applique  pas  l'article  883,  elle  a  un  titre  émané  a  non  do- 
mino, puisque  son  mari  lui  a  cédé  cette  moitié.  Resterait  à  chercher 
si  elle  a  été  de  bonne  foi. 

372  bis.  IX.  Le  partage  d'une  société  demandera  les  mêmes  dis- 
tinctions que  le  partage  d'une  communauté,  quand  il  s'agit  d'une 
société  qui  n'est  pas  une  personne  civile.  Quant  aux  sociétés  qui  ont 
une  personnalité,  il  faudra  dire  qu'elles  auront  possédé  en  vertu 
d'un  titre  la  totalité  de  l'immeuble,  car  la  mise  dans  une  telle  société 
est  une  aliénation;  partant,  l'associé  qui  reçoit  l'immeuble  dans  son 
lot  a  également  un  titre  dans  le  partage,  de  sorte  que  succédant  en 
vertu  de  ce  titre  à  la  possession  de  la  société,  il  prescrira  à  partir 
du  jour  où  l'immeuble  sera  entré  dans  le  fonds  social.  Nous  ne  dis- 
tinguons pas,  quant  à  l'existence  du  titre,  si  l'associé  loti  est  celui-là 
même  qui  a  mis  l'immeuble  dans  la  société  ou  si  c'est  un  des  autres, 
mais  il  est  clair  qu'au  point  de  vue  de  la  condition  de  bonne  foi,  le 
possesseur  sans  titre  qui  aura  mis  la  chose  en  société  pourra  diffici- 
lement, lorsqu'il  aura  la  chose  dans  son  lot,  prétendre  arriver  à  la 
prescription  de  dix  ou  vingt  ans. 

372  bis.  X.  La  question  de  savoir  si  la  transaction  est  un  juste 
titre  dépend  de  la  solution  qu'on  donne  à  une  difficulté  célèbre  sur  le 
caractère  du  contrat  de  transaction.  Est-il  déclaratif  ou  attributif 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    25CO.  537 

de  propriété?  S'il  a  le  premier  caractère,  il  n'est  pas  un  titre;  s'il  a 
le  second,  il  est  un  titre.  Nous  renvoyons  à  ce  que  nous  avons  dit 
plus  haut  sur  ce  point.  Nous  avons  établi  que  tout  dépend  de  la 
volonté  des  parties  et  que,  quand  elle  ne  se  manifeste  pas  expressé- 
ment, on  doit  supposer  qu'elle  a  eu  pour  Lut  une  translation  des 
droits  de  l'une  des  parties  à  l'autre.  Dans  ce  cas,  elle  doit  servir  de 
titre  (1). 

372  bis.  XL  Ce  que  nous  venons  de  dire  sur  les  choses  aban- 
données dans  une  transaction  par  l'une  des  parties  à  l'autre,  ne 
fait,  bien  entendu,  difficulté  qu'en  ce  qui  concerne  les  choses  sur 
lesquelles  portaient  les  prétentions  rivales:  s'il  s'agissait  d'un  bien 
non  contentieux  entre  les  parties  et  que  l'une  d'elles  donnerait  à 
l'autre,  comme  elle  donnerait  une  somme  d'argent  pour  la  déter- 
miner à  transiger,  il  est  bien  certain  que  cette  cession  n'est  pas 
simplement  déclarative,  mais  translative  de  droit,  en  un  mot, 
qu'elle  est  un  titre. 

372  bis.  XII.  La  seconde  condition  nécessaire  pour  que  le  pos- 
sesseur prescrive  par  dix  ou  vingt  ans,  c'est  la  bonne  foi;  on  en- 
tend par  ce  mot  la  croyance  de  ce  possesseur  que  son  auteur  était 
propriétaire  et  que  par  conséquent  il  l'est  devenu  lui-même.  C'est  à 
raison  de  cette  croyance  erronnée  que  la  loi  abrège  la  durée  ordinaire 
de  la  prescription  acquisitive. 

La  bonne  foi  a  pour  point  de  départ  le  titre,  car  il  est  difficile 
de  comprendre  comment  une  personne  pourrait  se  croire  devenue 
propriétaire  si  sa  possession  ne  lui  était  pas  advenue  à  la  suite  d'un 
fait  juridique  de  nature  à  transférer  la  propriété.  Néanmoins,  les 
deux  conditions  ne  se  confondent  pas.  Ainsi,  on  peut  avoir  un  titre 
et  être  de  mauvaise  foi;  c'est  ce  qui  arrive  quand  on  sait  que  l'auteur 
de  qui  l'on  tient  la  chose  n'était  pas  propriétaire;  à  l'inverse,  on 
peut  être  de  bonne  foi  et  n'avoir  pas  de  titre.  Ainsi,  le  possesseur 
croit  que  la  chose  a  été  achetée  pour  lui  par  son  mandataire.  C'est 
l'hypothèse  que  les  anciens  jurisconsultes  désignaient  en  disant 
que  le  titre  était  putatif.  Notre  Code,  qui  ne  se  contente  pas  de  la 
bonne  foi,  mais  qui  veut  en  outre  un  titre,  n'admet  pas  la  pres- 
cription par  dix  ou  vingt  ans  dans  ces  conditions,  puisque  le  titre 
n'existe  que  dans  la  pensée  du  possesseur.  D'autres  hypothèses  se 
rapprochent  de  celles-là,  dans  lesquelles,  faute  de  titre,  la  bonne  foi 

(1)  V.  ci  dessus,  n°  281  bis.  VI-XIII 


538  COUHS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

ne  suffit  pas.  Ainsi,  le  titre  sera  une  donation  nulle  en  la  forme 
(art.  2267)  ou  un  legs  révoqué;  quand  bien  même  la  personne  igno- 
rerait la  nullité  de  la  donation  ou  la  révocation  du  legs,  le  défaut 
de  titre  ferait  obstacle  à  la  prescription  par  dix  ou  vingt  ans. 

372  bis.  XIII.  L'erreur  qui  constitue  la  bonne  foi  du  possesseur 
doit  porter  uniquement  sur  le  droit  de  son  auteur,  il  faut  avoir  cru 
que  l'auteur  était  propriétaire;  il  n'en  faut  pas  davantage.  Si  l'acte 
d'aliénation  était  entaché  d'un  vice  comme  l'incapacité  de  l'aliénateur, 
la  violence  ou  le  dol,  il  ne  serait  pas  nécessaire  que  le  possesseur 
ignorât  les  divers  vices  pour  être  de  bonne  foi.  Il  a  pu  contracter 
dans  l'espérance  d'une  confirmation  ultérieure,  émanée  de  celui 
qui  a  l'action  en  nullité;  il  a  cru  acquérir  une  propriété  rescindable, 
car  le  contrat  a  une  existence  tant  qu'il  n'est  pas  annulé  à  la  de- 
mande de  la  partie  incapable  ou  victime  soit  du  dol,  soit  de  la  vio- 
lence; d'où  il  résulte  que  dans  les  rapports  avec  le  vrai  propriétaire, 
le  vice  est  censé  ne  pas  exister,  et  que  par  conséquent  il  importe  peu 
que  le  possesseur  le  connaisse  ou  l'ignore.  Ce  possesseur  est  dans 
la  position  de  celui  qui  aurait  traité  sous  une  condition  résolutoire 
et  qui  a  un  titre  tant  que  la  condition  n'est  pas  réalisée;  il  est  de 
bonne  foi  en  ce  sens  qu'il  a  juste  sujet  d'espérer  la  confirmation  du 
contrat  annulable,  comme  le  possesseur  qui  a  un  titre  résoluble  a 
juste  sujet  d'espérer  que  la  condition  ne  se  réalisera  pas  (1). 

372  bis,  XIV.  Quand  les  deux  conditions  de  titre  et  de  bonne  foi 
sont  réunies,  la  prescription  s'accomplit  par  une  possession  de  dix 
ou  vingt  ans,  selon  que  le  vrai  propriétaire  habite  ou  non  dans  le 
ressort  de  la  Cour  d'appel  dans  l'étendue  duquel  l'immeuble  est  situé. 

La  circonstance  qui  sert  à  déterminer  quand  la  prescription  aura 
lieu  par  dix  ans  et  quand  par  vingt  ans,  nous  montre  clairement 
quel  motif  a  inspiré  au  législateur  cette  fixation  alternative  d'un 
délai  de  prescription.  On  voit  que  la  durée  du  délai  est  en  raison 
directe  de  la  distance  qui  sépare  le  vrai  propriétaire  de  son  im- 
meuble. S'il  en  est  éloigné,  la  prescription  est  plus  longue;  s'il  en 
est  rapproché,  la  prescription  est  plus  courte.  La  loi  apparemment 
a  pensé  que  le  propriétaire  surveille  plus  facilement  son  immeuble 
et  connaît  plus  aisément  les  usurpations  quand  il  est  dans  le  voi- 
sinage de  cet  immeuble  que  quand  il  en  est  éloigné;  supposition 
très  près  de  la  vérité,  surtout  s'il  s'agit  non  pas  de  ces  usurpa- 

(1)  V.  cas  où  l'auteur  était  propriétaire  sous  condition  résolutoire,  C.  C, 
20  janvier  1880.  Sirey,  1881,  I,  201. 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2265.  539 

tions  totales  qui  privent  le  propriétaire  de  tout  le  profit  de  sa  pro- 
priété, mais  de  ces  petites  usurpations  partielles,  très-ordinaires 
dans  les  champs  et  qui  n'apparaissent  qu'à  l'œil  du  maître. 

372  bis.  XV.  Cette  distinction  entre  le  cas  où  le  propriétaire 
habite  près  de  son  immeuble  et  celui  où  il  habite  plus  loin,  n'est 
pas  la  reproduction  de  la  règle  romaine,  elle  n'en  est  qu'une  imi- 
tation. Dans  le  Droit  romain  la  plus  ou  moins  longue  durée  de  la 
prescription  dépendait  de  Péloignement  ou  du  voisinage  des  deux 
personnes,  le  possesseur  et  le  vrai  propriétaire;  la  situation  relative 
de  l'immeuble  n'était  pas  à  considérer.  Aussi  exprimait-on  la  règle 
en  disant  :  La  prescription  est  de  dix  ans  inter  prœsentes,  de  vingt 
ans  inter  absentes.  C'était  aussi  la  formule  de  la  coutume  de  Paris 
(art.  113)  que  l'article  116  de  cette  même  coutume  traduisait  en 
ces  termes  :  Sont  réputés  présents  ceux  qui  sont  demeurant  en  la 
ville,  prévôté  et  vicomte  de  Paris.  La  règle,  ainsi  formulée  et  ainsi 
comprise,  ne  peut  pas  être  justifiée  par  la  plus  ou  moins  grande 
difficulté  de  la  surveillance,  mais  par  cette  raison,  plus  vraie  à 
Rome  que  dans  l'ancienne  France,  qu'il  est  plus  facile  d'intenter 
un  procès  quand  on  demeure  près  du  défendeur  que  lorsqu'on 
demeure  loin  de  lui. 

Dans  le  Code  civil,  ce  qui  est  à  considérer,  c'est  la  situation  de 
l'immeuble  par  rapport  au  propriétaire  qui  le  revendique.  Cet 
immeuble  est-il  ou  non  situé  dans  le  ressort  de  la  Cour  d'appel 
où  habite  le  vrai  propriétaire?  Aussi  a-t-on  évité  les  expressions 
anciennes  entre  présents,  entre  absents,  qui  sont  dénuées  de  signifi- 
cation, quand  elles  n'expriment  pas  une  relation  entre  deux  per- 
sonnes. Il  en  reste  bien  quelque  chose  dans  l'article  2266,  qui  nous 
parlera  des  années  d'absence  et  des  années  de  présence  ;  mais  cet 
article  n'est  pas  celui  que  pose  la  règle,  et  il  a  employé  des  mots 
incorrects,  brevitatis  causa,  considérant  si  le  maître  est  présent 
ou  absent  par  rapport  à  son  immeuble  et  subissant  peut-être  à  son 
insu  l'influence  d'une  coutume  citée  par  Pothier  (1),  qui,  s'écartant 
du  Droit  romain  et  admettant  le  système  que  le  Code  civil  a  depuis 
consacré,  disait  :  Sont  réputés  présents  ceux  qui  sont  demeurants 
dedans  dix  lieues  à  l'environ  de  la  situation  de  l'héritage,  et  ceux 
qui  sont  demeurants  plus  loin  que  de  dix  lieues  sont  réputés 
absents.  (Coût,  de  Sedan,  art.  313.)  Dans  cet  ordre  d'idée,  il  ne 

(I)  V.  Pothier,  Traité  de  la  prescription,  n*  106. 


540  COURS  ANALYTIQUE    DE    CODE   CIVIL.    L1V.    III. 

faudrait  pas  parler  d'une  prescription  entre  présents  ou  absents, 
mais  d'une  prescription  contre  présents  ou  absents. 

372  bis.  XVI.  Dans  les  explications  qui  précèdent,  nous  avons 
laissé  avec  intention  régner  un  certain  vague  sur  un  point  important, 
que  le  Code  ne  traite  pas  avec  précision.  Nous  avons  dit,  comme 
l'article  2265,  qu'il  s'agit  de  savoir  si  le  propriétaire  habite  ou  non 
dans  le  ressort  de  la  Cour  d'appel  où  est  situé  l'immeuble.  Il  est 
cependant  bien  nécessaire  de  déterminer  d'une  façon  juridiquement 
exacte  le  sens  de  l'expression  habiter.  Qu'est-ce  que  la  loi  entend  par 
celte  habitation?  est-ce  un  domicile?  est-ce  une  résidence?  s'agit-il 
du  siège  légal  des  affaires  et  des  intérêts  de  la  personne  (art.  101)? 
s'agit-il  d'une  résidence  de  fait?  Le  Code,  dans  l'article  2265, 
semble  éviter  le  mot  domicile;  il  est  vrai  que  dans  l'article  suivant 
il  l'emploie;  mais  l'article  2265  est  celui  qui  contient  la  règle,  et 
c'est  surtout  dans  la  formule  même  d'une  règle  qu'il  faut  chercher 
l'expression  qui  manifeste  la  volonté  du  législateur,  l'autre  article 
applique  la  règle,  il  est  subordonné  au  précédent,  les  mots  y  ont 
moins  d'importance,  car  le  législateur  a  pu  simplement  chercher  à 
varier  ses  expressions  dans  l'intérêt  du  style.  La  manière  dont  le 
Code  exprime  sa  pensée  dans  ces  articles  a  beaucoup  d'importance, 
car  il  semble  s'inspirer  de  Pothier,  qui  dit  indistinctement  :  Lorsque 
les  possesseurs  et  le  propriétaire  demeurent  dans  le  même  bailliage, 
ou  lorsqu'ils  y  ont  leur  domicile,  et  qui  finit  par  ces  mots  (n°  107)  : 
Lorsque  nous  disons  que  la  prescription  court  entre  présents, 
lorsque  tant  le  propriétaire  que  le  possesseur  ont  leur  domicile 
dans  le  même  bailliage,  il  est  évident  que  nous  n'entendons  parler 
que  du  domicile  de  fait  et  de  résidence.  Pothier  explique  longue- 
ment par  des  exemples,  dans  la  suite  du  paragraphe,  cette  distinc- 
tion entre  le  domicile  de  fait,  la  résidence  et  le  domicile  de  droit. 

Les  rédacteurs  du  Code  civil  ont  bien  pu,  dans  l'article  2266, 
employer  le  mot  domicile  en  se  servant  de  la  terminologie  de 
Pothier  et  en  songeant  à  la  résidence  qu'ils  appelaient  dans  l'ar- 
ticle précédent  l'habitation. 

Si  on  laisse  de  côté  la  question  de  mots,  on  arrive  à  penser  que 
la  décision  formelle  de  Pothier  a  dû  s'imposer  aux  rédacteurs  du 
Code  civil  encore  plus  qu'à  Pothier  lui  même.  Le  Code,  en  effet, 
admet  une  règle  qui  n'est  pas  celle  de  Pothier,  il  considère  si  le 
propriétaire  habite  loin  ou  près  de  l'immeuble;  nous  l'avons  dit,  il 
prolonge  le  délai  de  la  prescription  en  raison  de  la  difficulté  de 


T1T.    XX.    DE    LA   PRESCRIPTION.    ART.    St263.  541 

surveillance;  or,  est-ce  de  son  domicile  ou  de  sa  résidence  que  le 
propriétaire  peut  surveiller  l'immeuble  possédé  par  un  tiers?  La 
surveillance  est  chose  de  fait,  la  facilité  de  surveiller  dépend  du 
rapprochement  ou  de  l'éloignement  de  fait  de  la  personne  qui  sur- 
veille. Qu'importe  qu'elle  ait  un  domicile  en  droit  dans  le  ressort 
de  Cour  d'appel  où  est  situé  l'immeuble,  si  elle  passe  sa  vie  dans 
un  autre  ressort  ou  même  à  l'étranger  (i)? 

372  bis.  XVII.  Il  nous  faut  maintenant  parler  des  effets  de  la 
prescription  par  dix  ou  vingt  ans,  en  examinant  d'abord  quels  sont 
les  biens  qui  peuvent  être  ainsi  acquis  et  ensuite  quelle  est  l'étendue 
des  droits  acquis. 

C'est  d'abord  le  droit  de  propriété  dos  immeubles  qui  peut  être 
prescrit  par  dix  ou  vingt  ans.  Le  texte  est  formel  sur  ce  point. 

Mais  le  texte  néglige  de  parler  des  démembrements  du  droit  de 
propriété  (usufruit,  usage,  habitation,  servitudes),  et  le  silence  de 
la  loi  permet  de  mettre  en  doute  la  possibilité  de  les  prescrire. 
M.  Demante  a  soutenu  que  l'usufruit  peut  être  acquis  par  la  pres- 
cription en  général,  et  par  la  prescription  de  dix  à  vingt  ans  en 
particulier;  il  a  montré  qu'il  n'était  pas  nécessaire  d'édicter  une 
disposition  formelle  sur  ce  point,  parce  que  l'usufruit  est  un  droit 
de  même  nature  que  la  propriété  et  comme  une  partie  de  ce  droit. 
Nous  n'avons  pas  besoin  de  revenir  sur  celte  discussion  (2). 

L'usage  et  l'habitation  s'établissent  de  la  même  manière  que 
l'usufruit  (art.  625);  par  conséquent,  ce  que  nous  avons  dit  de 
l'acquisition  de  l'usufruit  par  prescription  s'applique  à  l'usage  et  à 
l'habitation. 

372  bis.  XVIII.  Quant  aux  servitudes,  il  existe  des  textes  :  d'abord 
l'article  691,  qui  pour  les  servitudes  ayant  soit  le  caractère  de 
non-apparence,  soit  celui  de  discontinuité,  n'admet  aucune  espèce  de 
prescription  acquisitive;  ensuite  l'article  690,  qui,  pour  les  servi- 
tudes continues  et  apparentes,  n'admet  que  la  prescription  par 
trente  ans  et  exclut  par  là  celle  dont  nous  nous  occupons.  On  peut 
le  considérer  comme  dérogeant  à  la  disposition  générale  de  l'ar- 
ticle 2265.  Cette  opinion,  admise  par  la  jurisprudence  (3)  la  plus 
récente,  est  enseignée  par  M.  Demante  (4). 

(1)  V.  C.  I,  Pau,  6  juillet  1S61.  Sirey,  1861,  2,  433. 

(2)  V.t  II,  n°418  bit.  IVetV. 

(3)  V.  C.  G.,  23  novembre  1875.  Sirey,  1876,  1-103. 

(4)  V.  t.  II,  n°  546  bis.  I. 


oi!2        coins  ...  àlytique  de  code  civil,   liv.  m. 

372  bis.  XIX.  Nous  avons  dit  qu'il  fallait  examiner  l'effet  de  la 
prescription  de  dix  ou  vingt  ans,  quant  à  l'étendue  du  droit  acquis. 
Nous  entendons  poser  ainsi  la  question  de  savoir  si  la  propriété 
acquise  par  cette  prescription  reste  grevée  des  charges  qui  pesaient 
sur  elle  entre  les  mains  du  vrai  propriétaire,  ou  si  elle  arrive  au 
prescrivant  franche  et  quitte  de  toutes  ces  charges. 

L'espèce  que  nous  envisageons  est  celle-ci  :  une  personne  reçoit 
a  non  domino,  avec  juste  titre  et  bonne  foi,  un  fonds  grevé  d'usufruit, 
de  servitude,  d'hypothèques;  elle  prescrit  par  dix  ans  contre  le  vrai 
propriétaire,  aura-t-elle  prescrit  contre  l'usufruitier,  le  propriétaire 
de  la  servitude,  ou  le  créancier  hypothécaire? 

Le  Droit  romain  donnait  sur  ce  point  une  solution  affirmative 
quand  il  s'agissait  de  la  prœscriptio  longi  temporis  devenue  sous 
Justinien  fusucapion  par  dix  ou  vingt  ans.  Pothier  exposait  la  même 
doctrine  dans  l'ancien  Droit,  il  l'appuyait  sur  divers  articles  des 
coutumes,  notamment  sur  l'article  114  de  la  coutume  de  Paris,  et 
comme  cet  article  ne  s'expliquait  que  sur  les  rentes  et  hypothèques, 
il  insistait  sur  le  caractère  général  de  la  règle  et  l'appliquait  for- 
mellement aux  servitudes  et  à  l'usufruit  (1). 

L'acquisition  de  la  propriété  franche  par  la  prescription  de  dix 
ou  vingt  ans  est  donc,  dans  la  tradition,  ce  qui  tend  à  faire  pré- 
sumer qu'elle  a  été  admise  par  les  rédacteurs  de  Gode  civil. 

372  bis.  XX.  Il  est  vrai  qu'ils  ne  se  sont  pas  expliqués  sur  ce 
point;  mais  à  propos  d'une  autre  charge  réelle,  l'hypothèque,  ils 
ont  consacré  la  règle  ancienne  (art.  2180).  Nous  avons,  sur  cet 
article,  démontré  qu'il  établit  une  prescription  acquisitive  de  la 
liberté  du  fonds,  une  acquisition  de  ce  qui  manquait  à  la  propriété 
pour  être  complète  (2),  ce  qui  nous  autorise  à  accepter  la  même  idée 
en  matière  de  servitudes.  Si  la  loi  considère  comme  possible  l'acqui- 
sition par  prescription  de  ce  qui  manque  à  la  propriété  quand  elle  est 
grevée  d'hypothèque,  à  combien  plus  forte  raison  ne  doit-elle  pas 
autoriser  la  prescription  acquisitive  de  la  partie  du  droit  de  pro- 
priété qui  en  est  détachée  sous  le  nom  d'usufruit  ou  de  servitude  1 
Ces  deux  droits  ayant  certainement  le  caractère  de  démembrements 
de  la  propriété  qui  est  contesté  à  l'hypothèque,  on  peut  plus  sûrement 
dire  à  propos  de  ces  droits-là,  qu'à  propos  de  celui-ci,  que  le  mode 
d'acquisition  qui  donne  la  propriété  entière  peut  bien  aussi  attri- 

(1)  V.  Pothier,  Prescription,  n°  139. 

(2)  V.  t.  IX,  n°  164  bis.  II. 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2^65.  5  i3 

buer  la  propriété  partielle.  Par  ce  raisonnement,  on  trouve  moyen 
d'appuyer  la  solution  sur  le  texte  de  l'article  2265,  car  l'usufruit 
d'un  immeuble,  la  servitude,  sont  des  immeubles,  on  les  possède  en 
possédant  le  fonds  franchement,  comme  disait  la  coutume  de  Paris,  et 
par  cette  possession  on  acquiert  l'immeuble,  c'est-à-dire  le  démem- 
brement de  la  propriété,  une  parcelle  de  la  propriété. 

372  bis.  XXI.  On  objecte,  il  est  vrai,  que  le  Code,  aux  titres  de 
l'usufruit  et  des  servitudes,  exige  trente  ans  pour  l'extinction  par 
non-usage.  Mais  Pothier  prévoit  et  réfute  cette  objection,  qui  s'ap- 
puyait autrefois  sur  l'article  186  de  la  coutume  de  Paris.  Il  établit 
la  différence  entre  la  prescription  extinctive  résultant  du  simple 
non-usage,  et  la  prescription  acquisitive,  qui  a  lieu  en  faveur  d'un 
possesseur  qui  a  titre  et  bonne  foi.  Nous  dirons  comme  lui;  les 
articles  617  et  706  qui  traitent  du  non-usage  ne  sont  pas  en  contra- 
diction avec  l'article  2265,  qui  établit  une  prescription  acquisitive 
justifiée  par  une  possession  avec  titre  et  bonne  foi  (1). 

372  bis.  XXII.  Le  caractère  que  nous  attribuons  à  la  prescription 
par  dix  ou  vingt  ans,  en  tant  qu'elle  éteint  par  voie  indirecte  les 
servitudes  ou  l'usufruit,  n'implique  pas  que  cette  prescription 
s'identifie  avec  la  prescription  de  la  propriété,  qu'elle  ne  fasse  qu'un 
avec  elle,  ce  sont  deux  prescriptions  parallèles,  s'appuyant  sur  le 
même  principe,  mais  ayant  leurs  conditions  d'être  spéciales,  puis- 
qu'elles ont  des  objets  différents  et  qu'elles  s'accomplissent  au 
préjudice  de  personnes  différentes.  Nous  avons  déjà  vu,  sur  l'ar- 
ticle 2180,  que  la  prescription  de  l'immeuble  et  la  prescription  de 
l'hypothèque  par  un  tiers  détenteur  ont  leurs  conditions  d'être 
distinctes,  que  notamment  elles  ne  commencent  pas  au  même 
moment,  et  partant  de  ce  fait,  nous  avons  indiqué  certaines  règles 
qui  ont  un  caractère  relatif  et  qui  ne  peuvent  pas  raisonnablement 
s'appliquer  exactement  de  la  même  façon  quand  la  prescription  est 
invoquée  contre  le  propriétaire  ou  contre  le  créancier  hypothécaire. 
Nous  allons  faire  les  mêmes  distinctions  quant  à  la  question  que 
nous  examinons. 

372  bis.  XXIII.  Des  règles  sur  la  prescription  de  dix  ou  vingt  ans, 
quelques-unes  ont  un  caractère  relatif,  d'autres  un  caractère  absolu; 
pas  de  difficulté  sur  ces  dernières  ;  quant  aux  autres,  puisqu'elles 
ont  pour  point  de  départ  la  protection  due  à  une  personne  déter- 

(1)  Cette  opinion  est  exprimée  par  M.  Deuante,  t.  II,  n°  463  bis.  II  et  565  bis. 


51i  C01I1S    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

minée,  il  ne  serait  pas  plus  rationnel,  en  cette  matière  qu'en  celle 
des  hypothèques,  de  les  appliquer  dans  les  rapports  du  possesseur 
avec  une  personne  autre  que  celle  dans  l'intérêt  de  qui  la  règle  est 
établie. 

La  première  condition  de  la  prescription,  c'est  la  possession,  c'est- 
à-dire  la  détention  animo  domini.  Celle-ci  est  certainement  abso- 
lue ;  le  détenteur  doit  avoir  la  prétention  à  la  propriété,  et  la  pro- 
priété étant  un  droit  erga  omnes,  le  possesseur  doit  se  présenter 
comme  propriétaire  erga  omnes. 

La  seconde  condition  de  la  prescription  par  dix  ou  vingt  ans, 
c'est  l'existence  d'un  titre;  elle  est  abiolue  en  ce  sens  que  si  le  pos- 
sesseur n'a  pas  tenté  d'acquérir  la  chose  par  un  fait  juridique  de 
nature  à  transférer  la  propriété,  il  n'aura  pas  de  titre  non  plus  quant 
au  démembrement  de  propriété  qu'il  prétend  acquérir  comme  com- 
plément de  son  droit  de  propriété;  il  lui  faut  un  titre  lui  conférant 
en  apparence  la  propriété  franche,  donc  il  lui  faut  un  titre  de  pro- 
priété. Sous  ce  rapport,  le  même  titre  sert  aux  deux  prescriptions, 
en  réalité  il  y  a  deux  titres,  car  l'aliénateur,  en  prétendant  transférer 
la  propriété  franche,  a  par  là  même  prétendu  transférer  les  divers 
droits  qui  démembraient  la  propriété. 

Mais  le  titre  n'existe,  par  rapport  à  ces  démembrements,  qu'au- 
tant qu'il  n'en  a  pas  déclaré  l'existence,  car,  s'il  l'a  déclarée,  l'au- 
teur n'a  pas  prétendu  conférer  la  propriété  complète,  et  par  con- 
séquent, pour  ce  qui,  d'après  le  titre  même,  manque  à  la  propriété, 
le  possesseur  est  dépourvu  de  titre  (1).  Il  est  semblable  à  un  acheteur 
qui,  ayant  traité  pour  la  moitié  indivise  de  l'immeuble,  serait  cer- 
tainement dénué  de  titre  quant  à  l'autre  moitié. 

372  bis.  XXIV.  Dans  cette  hypothèse  où  l'existence  d'un  droit  réel 
soit  d'usufruit,  soit  de  servitude,  a  été  déclarée  par  celui  qui  a  tenté 
d'aliéner  le  fonds,  on  pourra  cependant  concevoir  une  prescription 
par  dix  ou  vingt  ans  produisant  indirectement  l'extinction  du  droit 
réel.  Il  faudrait  alors  qu'il  existât  un  titre  spécial  quant  à  ce  droit. 
Le  possesseur  de  l'immeuble  aurait  acheté  l'usufruit  de  quelqu'un 
qui  ne  serait  pas  le  véritable  usufruitier,  ou  la  servitude  d'un 
voisin  possesseur  du  fonds  dominant  sans  en  être  propriétaire.  Il 
aurait  certes  un  titre  en  ce  qui  touche  le  droit  réel  qui  démembrait 
sa  propriété  et  que  son  auteur  quant  à  la  propriété  ne  lui  avait 

(1)  V.  Pothier,  Prescription,  n°  139. 


TiT.    XX.    DE    LA    PRESOMPTION.    ART.    2265.  545 

pas  vendu.  Ce  titre  existant,  nous  ne  voyons  pas  comment  il  n'ac- 
querrait pas  le  droit  qui  manque  à  sa  propriélé,  comme  il  l'acquer- 
rait par  un  acte  émané  a  vero  domino  ou  par  une  prescription 
fondée  sur  un  titre  afférent  à  la  propriété  franche. 

Nous  le  ferons  d'ailleurs  observer;  il  est  assez  généralement  re- 
connu que  l'usufruit  peut  être  acquis  par  la  prescription  de  dix  ou 
vingt  ans,  et  que  si  l'on  n'admet  pas  ce  mode  d'acquisition  pour 
les  servitudes  quand  il  s'agit  de  les  constituer,  c'est  qu'il  s'agit  de 
grever  une  propriété,  ce  qui  peut  présenter  des  dangers  au  point 
de  vue  économique.  Il  n'y  a  pas  les  mêmes  raisons  d'empêcher 
l'acquisition  d'une  servitude  déjà  constituée  qui  a  pour  résultat 
l'extinction  même  de  ce  droit,  puisque  nous  le  supposons  acquis 
par  le  propriétaire  de  l'immeuble  servant. 

372  bis.  XXV.  Après  le  titre,  il  faut  parler  de  la  bonne  foi.  C'est 
là  une  condition  relative,  car  la  bonne  foi,  c'est  l'erreur;  or,  l'erreur 
peut  porter  sur  des  points  divers,  et  par  conséquent  le  possesseur 
peut  être  de  bonne  foi  par  rapport  à  un  droit  dont  il  ignore  l'exis- 
tence, et  de  mauvaise  foi  par  rapport  à  un  autre  droit  qu'il  connaît. 

On  comprend  la  bonne  foi  sur  la  propriété  et  la  mauvaise  foi 
sur  la  servitude  lorsqu'on  en  connaît  l'existence.  Pourquoi,  en  pareil 
cas,  le  possesseur  jouirait-il  d'une  prescription  privilégiée  quant 
au  droit  dont  il  connaît  l'existence? 

Le  contraire  serait  possible,  le  possesseur  de  mauvaise  foi  quant 
à  la  propriété  pourrait  être  de  bonne  foi  quant  à  la  servitude.  Nous 
n'admettrons  pas  alors  la  prescription  par  dix  ou  vingt  ans,  parce 
que  si  l'on  peut  comprendre  la  prescription  de  la  propriété  sans  la 
prescription  de  la  franchise  de  cette  propriété,  à  l'inverse  il  est  dif- 
ficile de  comprendre  la  prescription  de  la  franchise  sans  la  prescrip- 
tion de  la  propriété. 

372  bis.  XXVI.  La  prescription  par  dix  ou  vingt  ans  est  soumise, 
quant  à  sa  durée,  à  certaines  conditions  qui  ont  un  caractère  relatif. 
Nous  voulons  parler  des  règles  qui  subordonnent  la  durée  de  la  pres- 
cription à  la  circonstance  que  celui  contre  qui  l'on  prescrit  réside 
dans  tel  ou  tel  lieu.  Nous  l'avons  dit,  le  délai  est  prolongé  ou  abrégé, 
selon  que  la  résidence  du  propriétaire  lui  donne  moins  ou  plus  de 
facilité  pour  surveiller  l'immeuble  et  interrompre  la  prescription. 
Ces  règles  sont  donc  inspirées  par  l'intérêt  particulier  de  celui  contre 
qui  l'on  prescrit;  dès  lors,  quand  il  s'opère  deux  prescriptions  simul- 
tanées à  propos  du  même  bien,  on  comprend  qu'il  y  ait  deux  délais 
vin.  35 


546  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    L1V.    111. 

différents  si  les  deux  personnes  contre  qui  l'on  prescrit  n'ont  pas  les 
mêmes  facilités  de  surveillance,  si  elles  demeurent  l'une  dans  le  res- 
sort de  la  Cour  d'appel  où  est  situé  l'immeuble,  l'autre  hors  de  ce 
ressort. 

372  bis.  XXVII.  Enfin,  la  question  de  durée  fait  songer  aux  règles 
sur  les  suspensions  et  les  interruptions;  elles  ont  aussi  certainement 
un  caractère  personnel  et  relatif;  si  le  propriétaire  est  majeur,  est-il 
juste  que  la  prescription  coure  contre  le  propriétaire  de  la  servi- 
tude qui  est  mineur?  Si  le  propriétaire  n'a  pas  fait  d'actes  interrup- 
tifs  de  prescription,  pourquoi  ne  tiendrait-on  pas  compte  de  ceux 
qu'aurait  faits  l'autre  intéressé? 

Dans  ces  deux  hypothèses  toutefois,  et  dans  celles  qu'examine 
le  n°  372  bis.  XXVI,  nous  devons  faire  certaines  réserves.  Nous 
admettons  bien  que  la  prescription  de  la  servitude  puisse  être  plus 
longue  que  celle  de  la  propriété,  mais  nous  n'admettons  pas  qu'elle 
puisse  être  plus  courte.  Nous  avons  dit  la  raison  plus  haut,  on  peut 
prescrire  la  propriété  sans  la  franchise,  mais  on  ne  peut  pas  prescrire  la 
franchise  sans  la  propriété.  Cette  solution  diffère  de  celle  que  nous 
avons  donnée  sur  les  mêmes  questions  en  matière  d'hypothèque  (1). 
Nous  nous  étions  alors  contenté  de  tirer  notre  seconde  solution  de 
la  première  par  voie  de  réciprocité;  aujourd'hui,  en  examinant  au 
fond  les  deux  hypothèses,  nous  pensons  de  l'hypothèque  ce  que 
nous  venons  de  dire  concernant  les  servitudes. 

372  bis.  XXVIII.  Dans  tout  ce  que  nous  venons  de  dire  sur  l'effet 
de  la  prescription  de  dix  ou  vingt  ans  par  rapport  aux  servitudes, 
nous  avons  toujours  supposé  l'accomplissement  des  deux  prescrip- 
tions ayant  pour  objet  l'une  la  propriété  et  l'autre  le  complément 
de  la  propriété  que  la  servitude  diminue.  Autrement  dit,  nous  avons 
envisagé  uniquement  l'hypothèse  où  celui  qui  prescrit  a  reçu  l'im- 
meuble a  non  domino.  Nous  devons  nous  occuper  d'une  autre  espèce, 
dans  laquelle  un  acquéreur  tiendrait  l'immeuble  du  vrai  propriétaire, 
ce  qui  rendrait  inutile  la  prescription  de  la  propriété,  mais  n'aurait 
reçu  qu'une  propriété  grevée  de  servitude,  ce  qui  laisserait  tout 
intérêt  à  la  prescription  d'un  complément  de  cette  propriété. 

On  a  repoussé,  dans  cette  hypothèse,  l'idée  que  la  servitude  pour- 
rait s'éteindre  en  alléguant  que  puisqu'elle  s'éteint  quand  la  prescrip- 
tion de  la  propriété  s'accomplit  par  dix  ou  vingt  ans,  c'est  unique- 

(1)  V.  t.  IX,  n»  164  bis.  \  in  fine. 


TIT.    XX.    DÉ    LA.  PRESCRIPTION.    ART.    2265.  547 

ment  par  voie  de  conséquence,  ce  qui  rend  inadmissible  l'extinction 
de  la  servitude  quand  le  fait  d'où  découle  cette  conséquence  n'a  pas 
lieu,  c'est-à-dire  quand  le  possesseur  n'a  pas  besoin  d'invoquer  la 
prescription  pour  établir  sa  propriété. 

372  bis.  XXIX.  Cette  doctrine,  nous  le  dirons  tout  d'abord,  a 
un  grand  défaut  qui  prévient  contre  elle,  c'est  de  plus  mal  traiter 
celui  qui  tient  la  chose  du  vrai  propriétaire  que  celui  qui  l'a  reçue 
a  non  domino.  Elle  a  le  tort  en  second  lieu  d'abuser  d'un  mot  qui 
sert  à  établir,  dans  l'exposition,  la  différence  entre  le  cas  que  nous 
examinons  et  le  cas  de  non-usage,  mais  qui  n'explique  pas  le  fonde- 
ment théorique  de  la  prescription  dont  nous  nous  occupons. 

Il  est  inexact  en  effet  de  dire  que  l'extinction  de  la  servitude  est  la 
conséquence  de  la  prescription  de  la  propriété;  nous  savons  bien 
que  cette  dernière  peut  se  réaliser  sans  que  l'autre  s'accomplisse, 
nous  avons  cité  bien  des  hypothèses  où  ce  résultat  se  produit.  Au  vrai, 
il  y  a  là  deux  prescriptions  distinctes  ordinairement  simultanées, 
parallèles,  comme  nous  l'avons  dit,  mais  indépendantes  l'une  de 
l'autre.  Ce  sont  deux  prescriptions  de  deux  fractionnements  diffé- 
rents de  la  propriété,  l'une  a  pour  objet  la  propriété  diminuée  par  une 
servitude,  l'autre  s'applique  à  cette  part  de  propriété  que  l'existence 
de  la  servitude  retire  de  la  propriété  pleine.  L'idée  s'exprimera  bien 
plus  nettement  si,  au  lieu  de  raisonner  sur  une  servitude  prédiale, 
nous  songeons  à  une  servitude  personnelle,  à  l'usufruit.  Ici  le  lan- 
gage juridique  nous  fournira  les  expressions  qui  nous  manquent 
quand  nous  parlons  de  la  propriété  diminuée  par  un  droit  de  vue 
ou  de  passage.  Ne  peut-on  pas  concevoir,  d'un  côté  la  prescription 
acquisitive  de  la  nue-propriété,  et  de  l'autre  côté  la  prescription 
acquisitive  de  l'usufruit?  Est-ce  que  celle-ci  ne  peut  fonctionner,  que 
si  celle-là  fonctionne?  Et  si  j'ai  acheté  la  pleine  propriété  vendue  par 
un  nu-propriétaire,  comment  ne  pas  me  considérer  comme  ayant 
acheté  a  non  domino  l'usufruit?  L'usufruit  et  les  servitudes  prédiales 
sont  des  droits  de  même  nature,  et  ce  qui  est  vrai  de  l'un  doit  être 
vrai  des  autres. 

372  bis.  XXX.  Ces  principes  nous  paraissent  avoir  été  parfaite- 
ment appliqués  par  l'article  2180,  qui  autorise  une  prescription  de 
l'hypothèque  subordonnée  à  la  possession,  par  conséquent  une  pres- 
cription acquisitive,  prescription  qui  peut  s'accomplir  par  dix  ou 
vingt  ans  avec  titre  et  bonne  foi  ;  l'article  établit  cette  prescription  en 
faveur  du  tiers  détenteur  de  l'immeuble  hypothéqué,  alors  que  ces 

35. 


548  COUUS  ANALYTIQUE   DE    CODE   CIVIL.    L1V.    III. 

expressions,  tiers  détenteur,  s'appliquent  dans  la  matière  hypothé- 
caire bien  plus  souvent  à  un  véritable  acquéreur  ayant  reçu  a  rero 
domino  qu'à  un  possesseur  qui  tiendrait  la  chose  a  non  domino  (1). 
Cette  décision  de  la  loi  doit  avoir  un  grand  poids  en  ce  qui  touche 
notre  question  de  servitude,  parce  que,  comme  nous  l'avons  déjà 
dit,  il  y  a  une  bien  grande  affinité  entre  les  deux  matières. 

373.  Le  temps  de  la  prescription  contre  le  propriétaire 
absent  du  ressort  de  la  cour  d'appel  étant  double  de  celui  qui 
est  exigé  contre  le  propriétaire  présent,  il  est  naturel  que  s'il 
a  été  successivement  présent  et  absent,  deux  années  d'absence 
comptent  toujours  pour  une  de  présence.  V.  article  2206. 

373  M*.  I.  L'article  2266  résout  une  difficulté  pratique  qui  se 
présente  quand  le  vrai  propriétaire  n'a  pas  résidé,  pendant  le  temps 
de  la  possession,  toujours  dans  le  ressort  de  la  Cour  d'appel  ou  tou- 
jours hors  du  ressort.  Il  a  été  un  certain  temps  présent  et  un  cer- 
tain temps  absent.  (N'ous  employons  ici  la  langage  du  Gode,  qui 
parle  d'années  d'absence  et  d'années  de  présence).  Il  n'a  donc  pas 
été  présent  pendant  dix  ans.  Il  manque  quelque  chose  aux  dix 
années  exigées  pour  que  la  prescription  soit  accomplie.  Le  posses- 
seur veut  compléter  le  délai  en  comptant  des  années  d'absence,  la 
loi  lui  en  reconnaît  le  droit,  mais  elle  ne  donne  à  chaque  année 
d'absence  que  la  valeur  d'une  demi-année  de  présence  :  si  donc  le 
possesseur  compte  cinq  ans  de  possession,  pendant  lesquelles  le 
propriétaire  habitait  le  ressort  de  la  Cour  d'appel,  il  faudra  compléter 
par  dix  années  de  possession  pendant  lesquelles  le  propriétaire 
aurait  habité  ailleurs,  et  ces  dix  années  valant  cinq,  on  arrive  ainsi 
à  la  prescription  par  dix  ans. 

373  bis.  IL  Le  calcul  que  nous  venons  de  faire  n'est  pas  celui 
que  paraît  commander  le  texte  qui  dit  d'ajouter  à  ce  qui  manque 
aux  dix  ans  de  présence  un  nombre  d'années  double  de  celui  qui 
manque.  Il  est  évident  qu'il  y  a  là  une  erreur  d'explication,  car, 
pour  compléter  un  nombre  insuffisant,  il  faut  ajouter  non  pas  à  ce 
qui  manque,  mais  au  nombre  auquel  il  manque  quelque  chose. 
S'il  me  faut  dix  mille  francs  et  si  j'en  ai  trois,  ce  n'est  pas  à  sept 
qu'il  faut  que  j'ajoute  sept,  car  j'arriverai  à  quatorze;  c'est  à  trois, 
nombre  insuffisant,  qu'il  faut  que  j'ajoute  sept  pour  obtenir  dix. 

(1)V.  t.  IX,  n»  164  bis.  lll 


T!T.    XX.    DE    LA   PRESCRIPTION.   ART.    2266,   2267.      549 

Malgré  cette  obscurité  dans  l'expression,  la  pensée  de  l'article  est 
très-ciaire,  il  faut  compléter  les  années  de  présence  insuffisantes 
avec  des  années  d'absence,  mais  en  les  comptant  chacune  pour  la 
moitié  d'une  année. 

373  bis.  III.  De  cette  manière  de  calculer,  il  résulte  que  la  pres- 
cription qui  dure  dix  ans  si  le  propriétaire  a  toujours  demeuré 
dans  le  ressort  de  la  Cour  pendant  le  temps  de  la  possession  et 
vingt  ans  s'il  a  toujours  demeuré  hors  du  ressort,  pourra  quel- 
quefois durer  un  nombre  d'années  inférieur  à  vingt  et  supérieur 
à  dix,  qu'elle  sera  peut-être  ainsi  réalisée  au  bout  d'un  certain 
nombre  d'années  entre  dix  et  vingt  complétées  par  quelques  mois. 
De  là  vient  qu'on  a  pris  l'habitude  de  la  désigner  sous  le  nom 
de  prescription  de  dix  à  vingt  ans.  Nous  préférons  l'expression 
ancienne,  prescription  de  dix  ou  vingt  ans,  parce  qu'elle  pré- 
sente à  l'esprit  une  idée  plus  précise  et  parce  que  les  rédacteurs 
de  la  loi,  dans  le  cas  même  de  l'article  2265,  c'est-à-dire  dans 
l'hypothèse  où  en  réalité  la  prescription  s'accomplira  peut-être 
pour  douze,  quinze  ou  dix-sept  ans,  cherchent  toujours  à  traduire 
le  résultat  par  le  chiffre  dix.  Ils  y  arrivent,  il  est  vrai,  par  un 
artifice  de  calcul,  en  donnant  à  des  années  une  valeur  fictive  de  six 
mois,  mais  par  cette  fiction  ils  complètent,  suivant  leur  expression, 
les  dix  années  de  présence.  C'est  donc  que  d'après  eux  il  s'agit  tou- 
jours de  la  prescription  de  dix  ans,  et  non  pas  d'une  prescription  à 
durée  variable. 

374.  Le  titre  est  en  général  nécessaire  pour  foncier  la 
bonne  foi;  il  ne  peut  produire  cet  effet  lorsqu'il  est  entaché 
d'un  vice  que  personne  n'est  excusable  d'avoir  ignoré  :  aussi 
le  titre  nul  en  la  forme  ne  peut-il  servir  de  base  à  la  prescrip- 
tion de  dix  ou  vingt  ans.  V.  art.  2267. 

374  bis.  I.  Nous  avons  dit,  aun°372fcis.  JII-XI,  ce  que  c'est  qu'un 
titre;  ce  n'est  pas  un  écrit,  c'est  un  fait  juridique  de  nature  à  trans- 
férer la  propriété;  s'il  en  est  ainsi,  le  titre  sera  rarement  nul  en  la 
forme,  car,  en  Droit  français,  il  est  rare  que  l'acquisition  de  la  pro- 
priété soit  assujettie  à  des  formes  à  peine  de  nullité.  Cependant  on 
peut  penser  que  les  rédacteurs  du  Code  ont  pensé  à  la  donation 
qui,  étant  un  contrat  solennel,  n'est  pas  translative  de  propriété 
quand  elle  est  nulle  en  la  forme. 

374  bis.  II.  Les  nullités  relatives  entachant  le  titre  ne  le  détruisent 


550  COURS   ANALYTIQUE   DE    CODE    CIVIL.    L1V.    III. 

pas,  il  a  une  existence  tant  qu'il  n'est  pas  annulé;  il  en  est  de 
même  du  titre  sous  condition  résolutoire,  tant  qu'il  n'est  pas  résolu 
il  doit  être  traité  comme  un  titre  pur  et  simple.  Sauf  pour  ces  deux 
titres  à  être  réputés  n'avoir  jamais  existé,  s'ils  sont  l'un  rescindé 
et  l'autre  résolu.  11  faut  se  reporter,  au  reste,  au  n°  382  bis.  XIII, 
pour  voir  ce  que  nous  avons  dit  de  la  bonne  foi  en  ce  qui  con- 
stitue les  vices  du  titre. 

Si  la  nullité  était  absolue,  par  exemple,  si  le  contrat  invoqué 
comme  titre  avait  une  cause  illicite,  le  titre  étant  vicié  dans  son 
principe  devait  être  considéré  comme  inexistant. 

375.  Au  contraire,  le  titre  régulier  suffît  pour  faire  présu- 
mer la  bonne  foi  jusqu'à  la  preuve  contraire.  V.  art.  2268. 

376.  Au  reste,  notre  Code,  moins  sévère  que  l'ancienne  juris- 
prudence, et  conforme  sur  ce  point  au  droit  romain,  n'exige 
la  bonne  foi  qu'au  moment  de  l'acquisition.  V.  art.  2269. 

376  bis.  I.  Il  faut  bien  entendre  la  règle  de  l'article  2269.  Elle 
protège  celui  qui,  ayant  reçu  de  bonne  foi,  découvre  plus  tard  son 
erreur  et  se  verrait,  s'il  ne  prescrivait  que  par  trente  ans,  exposé 
bien  longtemps  à  une  action  qui  peut  le  ruiner,  parce  qu'il  aura  la 
plupart  du  temps  payé  son  prix  lorsqu'il  sera  évincé.  Cette  raison 
de  faveur  ne  militerait  pas  dans  l'intérêt  de  celui  qui,  achetant 
de  mauvaise  foi,  prétendrait  prescrire  par  dix  ans  parce  que  son 
vendeur  aurait  été  de  bonne  foi.  Il  dirait  :  Ma  possession  n'est  que 
la  suite  de  celle  de  mon  auteur,  et  le  commencement  de  cette 
possession  qui  nous  est  commune  n'était  pas  entaché  de  mauvaise 
foi  :  malajides  superveniens  non  impedit  usucapionem. 

Ce  raisonnement  s'appuie  sur  l'article  2265  en  le  défigurant.  Il 
n'y  est  pas  écrit  que  la  possession  de  l'acheteur  et  celle  du  vendeur 
ne  font  qu'une  seule  et  même  possession,  il  y  est  dit  que  l'ayant 
cause  peut  joindre  à  sa  possession  celle  de  son  auteur,  ce  qui 
suppose  que  l'ayant  cause  prescrit  en  vertu  de  sa  possession  propre. 
De  plus,  l'article  2265  abrège  la  durée  de  la  prescription  en  faveur 
de  celui  qui  acquiert  de  bonne  foi,  ce  qui  suppose  la  croyance  du 
possesseur  commençant  au  moment  où  lui-même  commence  à 
posséder,  de  même  l'article  2269  se  place  au  moment  de  l'acqui- 
sition. Pour  donner  à  l'acheteur  le  droit  d'invoquer  la  bonne  foi 
de  son  auteur,  il  faut  abuser  de  la  maxime  romaine  mala  fides 
superveniens ,  en  considérant  les  deux  possessions  comme  se  con- 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2268-2270.       551 

fondant,  et  en  traitant  l'événement  qui  substitue  un  possesseur  de 
mauvaise  foi  au  possesseur  de  bonne  foi,  comme  le  simple  accident 
qui,  au  milieu  d'une  possession  par  la  même  personne,  lui  donne 
connaissance  du  vice  ignoré  de  sa  possession.  Les  Romains,  du  reste, 
n'ont  pas  donné  à  la  maxime  le  sens  qu'on  voudrait  lui  attribuer 
pour  justifier  la  doctrine  que  nous  combattons  (1). 

376  bis.  II.  Il  faut  remarquer  toutefois  que  l'ayant  cause  de 
mauvaise  foi  pourra,  pour  acquérir  par  la  possession  de  trente  ans, 
compter  le  temps  pendant  lequel  son  auteur  a  possédé,  c'est  la 
conséquence  de  l'article  2235. 

Cette  observation  nous  conduit  à  une  solution  peut-être  un  peu 
hasardée  sur  une  hypothèse  qui  a  été  discutée.  Le  possesseur  de 
bonne  foi  tient  la  chose  d'un  possesseur  de  mauvaise  foi,  qui  la 
tenait  lui-même  d'un  possesseur  de  bonne  foi.  Il  est  l'ayant  cause 
de  ses  deux  prédécesseurs,  il  prend  leur  possession  telle  quelle; 
d'un  autre  côté,  possédant  lui-même  de  bonne  foi,  il  a  droit  de 
prétendre  à  la  prescription  par  dix  ou  vingt  ans  ;  successeur  du 
premier  possesseur  qui  était  de  bonne  foi,  il  a  droit  de  joindre  à  sa 
possession  celle  de  celui-ci,  et  succédant  aussi  à  la  possession  du 
possesseur  intermédiaire,  il  peut  alléguer  qu'il  a  une  possession  non 
interrompue;  seulement,  comme  il  ne  peut  pas  avoir  plus  de  droit 
que  l'auteur  dont  il  invoque  la  possession,  il  ne  peut  pas  donner 
dans  le  calcul,  aux  années  de  possession  de  l'auteur  de  mauvaise  foi, 
la  même  valeur  qu'aux  années  de  sa  possession  propre,  elles  n'au- 
ront qu'une  valeur  proportionnelle,  elles  vaudront  deux  tiers  ou 
un  tiers  d'année,  selon  qu'il  s'agira  d'arriver  à  une  prescription 
par  dix  ou  par  vingt  ans.  En  effet,  trente  années  de  possession 
de  mauvaise  foi  équivalent  à  dix  ou  à  vingt  de  possession  de  bonne 
foi,  on  doit  reconnaître  qu'une  année  de  possession  de  mauvaise 
foi  représente  un  tiers  d'année  sur  une  prescription  de  dix  ans  et 
deux  tiers  sur  une  prescription  de  vingt  ans.  Le  calcul  proportionnel 
que  nous  proposons  ici  a  pour  point  de  départ  le  règle  analogue 
donnée  par  la  loi  dans  l'article  2266. 

377.  Dans  cette  section  se  trouve  rangée  une  autre  pres- 
cription de  dix  ans,  dont  les  principes  sont  entièrement  dif- 
férents-, elle  est  relative  a  la  garantie  des  gros  ouvrages  faits 
ou  dirigés  par  les  architectes  et  entrepreneurs.  Nous  avons 

(1)  V.  Paul,  I.  II,  §   17,  D.  proemptore,  et  Polhier,  Prescription,  n°  119. 


552  COUnS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

déjà  vu  au  titre  du  louage  qu'en  cas  de  construction,  à  prix 
fait  ils  répondent,  pendant  dix  ans,  de  la  perle  totale  ou  par- 
tielle de  l'édifice,  si  celte  perte  provient  du  vice  de  la  con- 
struction ou  même  du  vice  du  sol  (art.  1792).  La  loi  les  déclare 
ici,  d'une  manière  générale,  déchargés  de  la  garantie  après 
dix  ans.  V.  art.  2270. 

377  bis.  I.  Après  avoir  consacré  cinq  articles  à  la  prescription 
acquisitive  par  dix  ou  vingt  ans,  que  son  intitulé  semblait  avoir 
seule  en  vue,  la  section  III  du  chapitre  qui  traite  du  temps  requis 
pour  prescrire,  se  termine  par  un  article  unique  sur  une  pres- 
cription libératoire,  qui  n'a  pas  d'autre  rapport  avec  la  précédente 
que  de  s'accomplir  par  dix  ans.  C'est  la  prescription  en  faveur 
des  architectes  et  des  entrepreneurs  responsables  des  gros  ouvrages 
qu'ils  ont  faits  ou  dirigés. 

Cet  article  semble  faire  double  emploi  avec  l'article  1792,  où  la 
question  a  déjà  été  abordée;  néanmoins,  alors  même  qu'on  envisage 
les  deux  articles  comme  traitant  de  la  même  prescription,  il  était 
très-nécessaire  que  le  Code  élargît  la  règle  trop  étroite  qu'il  avait 
donnée  dans  l'article  1792.  Il  n'y  est  question  que  de  l'édifice  con- 
struit à  prix  fait,  et  en  présence  d'un  texte  aussi  restrictif  dans 
ses  expressions,  il  eût  été  difficile  d'étendre  la  règle  aux  entre- 
preneurs qui  n'ont  pas  construit  à  prix  fait  et  aux  architectes 
qui  ont  seulement  dirigé  les  travaux.  Ces  deux  classes  de  personnes 
encourent  cependant  une  responsabilité,  et  il  est  heureux  que  le 
Code  ait  songé,  dans  le  titre  de  la  prescription,  à  statuer  sur  la 
prescription  en  ce  qui  les  concerne. 

377  bis.  II.  Reste  à  savoir  quelle  est  au  juste  la  décision  de  ces 
deux  articles.  Nous  avons  établi  sur  l'article  1792  qu'ils  limitent 
la  responsabilité  du  constructeur,  en  ce  sens  que  celui-ci  est  res- 
ponsable seulement  de  tout  accident  survenu  dans  les  dix  ans 
depuis  l'achèvement  des  travaux,  et  qu'il  échappe  à  la  respon- 
sabilité pour  tout  accident  survenant  après  ce  délai.  Mais  nous 
avons  pensé  que,  lorsque  le  sinistre  survient  dans  les  dix  ans,  ce 
qui  donne  naissance  à  l'action  en  indemnité  en  faveur  du  pro- 
priétaire, cette  action,  que  rien  ne  limite  d'après  les  textes  de  la 
loi,  doit  durer  trente  ans  en  vertu  des  règles  générales  (1). 

(1)  V.  t.  VII,  n°  245  bis.  V1II-XIII. 


TIT.    XX.    DE    LA   PRESCRIPTION.    ART.    2270.  553 

377  bis.  III.  Nous  ne  roulons  pas  revenir  sur  les  raisons  que 
nous  avons  fait  valoir  dans  le  traité  du  louage,  mais  nous  sommes 
obligé  d'examiner  deux  monuments  très-importants  de  jurispru- 
dence sur  la  question  que  nous  venons  de  rappeler.  Ce  sont  deux 
arrêts  de  la  Cour  de  cassation  :  le  premier,  émané  de  la  Chambre 
civile,  a  consacré  la  doctrine  que  nous  avons  exposée;  le  second, 
arrêt  rendu  Chambres  réunies,  admet  la  solution  contraire  (I). 

377  bis.  IV.  L'arrêt  de  la  Chambre  civile  formule  très-nettement 
la  doctrine  en  présentant  les  articles  1792  et  2270  comme  des 
dispositions  relatives  à  la  durée  de  la  responsabilité,  et  en  ajou- 
tant qu'ils  ne  s'expriment  pas  sur  la  durée  de  l'action,  qu'aucun 
autre  article  ne  traite  de  cette  durée,  ce  qui  implique  que  l'action 
doit  exister  pendant  trente  ans.  Le  réquisitoire  de  M.  l'avocat 
général  Desjardins  a  exposé  brièvement,  mais  avec  une  grande  force 
de  logique,  les  raisons  qui  ont  déterminé  la  Chambre  civile.  Nous 
appelons  surtout  l'attention  sur  un  des  raisonnements  qui  démontrent 
que  la  loi  n'a  pas  voulu  parler  de  la  prescription  de  l'action  dans 
les  articles  1792  et  2270.  Si  telle  était  en  effet  sa  pensée,  elle 
aurait  certainement  protégé  les  mineurs  et  les  interdits,  comme  elle 
les  protège  toujours,  en  suspendant  la  prescription;  or,  le  texte  est 
rédigé  de  telle  sorte,  il  dit  si  énergiquement  :  les  architectes  sont 
déchargés,  qu'on  est  amené  à  voir,  dans  le  délai  de  dix  ans, 
un  délai  préfixe;  solution  très-naturelle,  si  l'on  considère  ce  délai 
comme  limitant  la  période  pendant  laquelle  le  bâtiment  doit  durer, 
très-critiquable,  au  contraire,  si  elle  détermine  le  temps  pendant 
lequel  l'action  peut-être  intentée,  la  ruine  de  l'incapable  pouvant 
être  consommée  par  la  négligence  de  son  tuteur. 

377  bis.  V.  L'arrêt  du  2  août  1882  [Chambres  réunies)  présente 
de  la  façon  suivante  l'unique  motif  de  sa  décision  :  «  Attendu  que 
«  de  la  combinaison  des  articles  1792  et  2270,  C.  C,  il  résulte  que  le 
«  législateur  a  voulu  comprendre  dans  un  délai  unique  de  dix  ans 
«  à  partir  de  la  réception  des  ouvrages,  la  responsabilité  que  l'ar- 
«  ticle  1792  établit  à  la  charge  des  architectes  et  entrepreneurs, 
«  et  l'action  en  garantie  que  cet  article  accorde  au  propriétaire 
«  de  l'édifice  qui,  dans  ce  délai,  a  péri  en  tout  ou  en  partie,  par 
«  le  vice  de  la  construction  et  même  par  le  vice  du  sol,  de  telle 

(1)  V.  C.  C.,Ch,  civ.,  5  août  1879,  Sirey,  1879,  I,  405;  et  C,  C,  Ch.  réan., 
2  août  1882,  Sirey,  1883,  I,  5. 


551  COURS    ANALYTIQUE   DE   CODE   CIVIL.    LIV.    III. 

«  sorte  qu'après  dix  ans  l'architecte  et  les  entrepreneurs  sont  dé- 
«  chargés  de  toute  garantie,  tant  pour  le  passé  que  pour  l'avenir.  » 

377  bis.  VI.  S'il  nous  est  permis  de  critiquer  une  décision  aussi 
solennelle  de  la  Cour  de  cassation,  nous  ferons  remarquer  que  le 
considérant  dont  nous  venons  de  reproduire  le  texte  est  l'affirmation 
d'une  doctrine  plutôt  que  sa  démonstration.  Les  articles  sont  obscurs 
et  la  Cour  le  reconnaît,  puisqu'elle  ne  les  invoque  pas  purement  et 
simplement,  elle  fait  sortir  leur  sens  de  leur  combinaison;  mais 
elle  ne  nous  montre  pas  comment  elle  les  combine;  trouve-t-elle 
dans  l'un  des  textes  une  disposition  qui  étend  ou  restreint  le  sens  de 
l'autre?  C'est  alors  qu'on  pourrait  dire  qu'elle  les  combine  (i).  Elle 
ne  fait  pas  ressortir  ce  qui,  dans  l'un  de  ces  articles,  aurait  particu- 
lièrement trait  à  la  prescription  de  l'action.  Elle  traduit  les  deux  dis- 
positions plutôt  qu'elle  ne  les  combine,  elle  leur  donne  à  toutes 
deux  le  même  sens;  dans  l'une  elle  comprend  que  la  responsabilité 
limitée  à  dix  ans  implique  que  l'action  ne  peut  être  intentée  après  ce 
délai,  comme  dans  l'autre  elle  voit  que  la  décharge  de  garantie 
implique  l'impossibilité  pour  le  propriétaire  d'intenter  une  action. 
L'argument  consiste  donc  non  pas  à  combiner  les  deux  textes,  mais 
à  les  citer  comme  deux  dispositions  claires  et  précises  et  concor- 
dantes de  la  loi. 

377  bis.  VII.  Il  faut  chercher  la  pensée  de  l'arrêt  dans  les  travaux 
qui  l'ont  préparé  et  particulièrement  dans  le  réquisitoire  de  M.  le 
procureur  général  Barbier.  Il  ne  procède  pas  d'abord  par  combi- 
naison, ce  n'est  pas  dans  une  action  et  une  réaction  des  deux  articles 
l'un  sur  l'autre  qu'il  cherche  la  volonté  du  législateur,  c'est  dans 
les  travaux  préparatoires  du  Code  et  dans  la  doctrine  ancienne.  Il 
avoue  que  les  travaux  préparatoires  ne  montrent  pas  clairement 
l'intention  du  législateur;  mais  au  milieu  des  obscurités  de  la  dis- 
cussion, il  voit  la  volonté  de  ne  pas  innover.  Il  recherche  donc  la 
solution  ancienne  de  la  difficulté.  Elle  n'apparaît  pas  pour  lui  très- 
clairement  dans  le  Droit  romain,  mais  il  la  trouve  dans  les  anciens 
auteurs  français.  Sa  citation  la  plus  probante  est  empruntée  à  Brodeau 
sur  l'article  127  de  la  coutume  de  Paris;  on  y  lit  que  l'action  du 
bourgeois  contre  les  ouvriers  se  prescrit,  d'après  la  pratique  du 
Châtelet,  par  dix  ans,  après  lequel  temps  on  n'est  plus  recevable 
et  il  n'y  a  plus  ni  recours  ni  garantie. 

(1  )  V.  Dictionnaire  de  l'Académie-  —  Combinaison,  union  intime  par  laquelle  les 
parties  de  plusieurs  corps  se  joignent  pour  en  former  un  nouveau, 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2270,    227 1 .         555 

Arrivant  aux  textes  mêmes  du  Code  civil,  le  réquisitoire  contient 
le  germe  d'une  combinaison  entre  les  articles;  l'article  1792  con- 
sacre le  principe  sur  la  responsabilité,  l'article  2270  règle  l'exercice 
de  l'action,  d'où  il  résulte  que  la  garantie  et  l'action  en  garantie  se 
confondent  par  la  toute-puissance  du  législateur  qui  l'a  voulu  ainsi, 
par  les  plus  puissants  motifs  d'intérêt  public,  et  qui  a  entendu  se 
conformer  en  cela  au  droit  préexistant. 

Les  nécessités  pratiques  qui  ont  été  ainsi  invoquées  pour  corroborer 
l'argument  de  droit  ont  été  peut-être  bien  gravement  prises  en  con- 
sidération, car  le  réquisitoire  se  termine  en  recherchant  la  loi  de  la 
loi  et  en  appuyant  la  règle  sur  la  nécessité  de  diminuer  les  procès 
et  d'en  abréger  la  durée. 

377  bis.  VIII.  En  résumé,  la  difficulté  pratique  que  soulevait 
l'interprétation  de  nos  deux  articles  aurait  mérité  d'être  tranchée 
par  le  législateur,  elle  l'eût  été  d'une  façon  définitive;  elle  est  réso- 
lue par  la  jurisprudence  dans  un  sens  qui  n'était  pas  le  nôtre,  mais 
cette  jurisprudence  s'appuie  sur  des  motifs  sérieux,  et  elle  arrivée 
un  résultat  plus  avantageux  pour  les  propriétaires  que  ne  l'eût  été 
une  loi  qui  aurait  accordé,  par  exemple,  deux  ans  pour  intenter  l'ac- 
tion en  prenant  pour  point  de  départ  un  délai  de  huit  ans  pour  la 
naissance  du  droit  à  la  garantie.  Il  est  donc  à  désirer  que  la  contro- 
verse s'éteigne,  car  elle  portait  avant  tout  sur  une  question  d'in- 
terprétation et  ne  mettait  pas  en  jeu  quelques-uns  de  ces  grands 
principes  du  droit  en  l'honneur  desquels  la  doctrine  doit  toujours 
protester  quand  elle  les  croit  méconnus  (1). 

SECTION  IV. 

De  quelques  prescriptions  particulières. 

378.  Sous  cette  rubrique,  la  loi  comprend  toutes  les  pres- 
criptions non  mentionnées  dans  des  titres  spéciaux,  qui  s'ac- 
complissent par  un  laps  de  temps  moindre  de  dix  ans.  Les 
unes  sont  fondées  sur  l'usage  où  l'on  est  de  payer  plus  ou 
moins  promptement  certaines  fournitures  ou  livraisons,  cer- 
tains services  ou  travaux,  sans  en  prendre  ou  en  garder  quit- 
tance-, les  autres  reposent  sur  des  motifs  particuliers. 

(1)  Le  réquisitoire  de  M.  le  procureur  général  est  reproduit  par  Sirey,  1883,1,  5. 
Voy.   aussi,  ibidem,  la  note  claire,  précise  et  savante  de  notre  collègue  M.  Labbé. 


556  COURS  ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.   III. 

379.  Dans  la  première  classe  il  faut  ranger  les  prescriptions 
de  six  mois,  un  an,  deux  ans  ou  cinq  ans,  énumérées  dans 
les  articles  2271,  2272,  2273. 

La  prescription  de  six  mois  s'applique  : 

1°  Aux  maîtres  et  instituteurs  des  sciences  et  arts,  pour  les 
leçons  au  mois.  V.  art.  2271,  al.  1. 

2°  Aux  hôteliers  et  traiteurs,  pour  fourniture  de  logement 
et  de  nourriture.  V.  art.  2271,  al.  2. 

3°  Aux  ouvriers  et  gens  de  travail,  pour  fournitures  et 
salaire.  V.  art.  2271,  al.  3. 

379  bis.  I.  L'article  a  besoin  d'être  complété  en  ce  qui  concerne 
l'action  des  maîtres  et  instituteurs.  En  ne  parlant  que  des  leçons  au 
mois,  la  loi  laisse  de  côté  les  leçons  au  cachet,  c'est-à-dire  à  tant 
la  leçon,  et  celles  qui  sont  données  au  trimestre  ou  à  l'année. 

Pour  les  leçons  au  cachet,  il  y  a  un  argument  à  fortiori  qui 
tranche  certainement  la  difficulté,  le  droit  doit  être  prescrit  par  six 
mois,  puisque  ce  délai  suffit  pour  une  créance  plus  importante,  celle 
d'un  mois. 

Quant  aux  leçons  dont  le  prix  est  fixé  par  époques  plus  longues 
que  le  mois,  il  existe  dans  l'article  une  lacune  que  nous  devons 
combler  en  nous  aidant  de  l'ancien  Droit  et  de  la  décision  du  Gode 
sur  une  hypothèse  voisine.  Pothier  nous  montre  que  l'ancien  Droit 
admettait  une  prescription  d'un  an  pour  frais  d'instruction  (1),  d'où 
l'on  peut  conclure  que  le  Code  a  sous-entendu  le  maintien  de  cette 
règle  en  réduisant  le  délai  pour  les  leçons  données  au  mois;  de 
plus  l'article  2272  limitant  à  une  année  l'action  des  maîtres  de 
pension,  l'on  peut  assigner  la  même  durée  à  celui  des  professeurs 
qui  ne  donnent  pas  à  l'élève  la  nourriture  et  le  logement. 

379  bis.  II.  En  ajoutant  au  mot  ouvriers  l'expression  gens  de  tra- 
vail, la  loi  a  voulu  donner  plus  de  compréhension  à  sa  règle,  qui 
embrasse  par  conséquent  non-seulement  les  ouvriers  proprement 
dits,  mais  toute  personne  qui  fait  pour  autrui  des  travaux  à  la 
journée  ou  à  la  pièce,  les  ouvriers  des  champs,  les  domestiques  ou 
femmes  de  service  qui  ne  se  louent  pas  au  mois. 

Mais  l'article  ne  comprend  pas  les  créances  des  entrepreneurs, 
c'est-à-dire  de  ceux  qui  s'engagent  à  faire  exécuter  des  travaux 

(1)  V.  Pothier,  Traité  des  obligations,  n"  675. 


Tir.    XX.    DE   LA    PRESCRIPTION.    ART.    2271,    2272.       557 

par  des  ouvriers,  sous  leur  responsabilité  et  en  fournissant  les  maté- 
riaux nécessaires.  Ces  créances  sont  soumises  à  la  prescription 
ordinaire. 

380.  La  prescription  d'un  an  s'applique  : 

•1°  Aux  médecins,  chirurgiens  et  apothicaires,  pour  visites, 
opérations  et  médicaments.  V.  art.  2272,  al.  1,  dont  la  dis- 
position doit  évidemment  s'appliquer  à  toute  personne  qui 
exerce  légalement  quelque  branche  de  Tart  de  guérir. 

2°  Aux  huissiers,  pour  le  salaire  de  leurs  actes  ou  commis- 
sions. V.  art.  2272,  al.  2. 

3°  Aux  marchands,  pour  le  prix  de  leurs  marchandises.  A 
cet  égard,  la  loi  n'établit  point,  et  repousse  par  la  même,  la 
distinction  possible  entre  les  marchands  en  gros  et  les  mar- 
chands en  détail  (v.,  au  contraire,  art.  2101-5°).  Mais  sa  dis- 
position est  textuellement  bornée  aux  ventes  faites  aux  par- 
ticuliers non  marchands.  V.  art.  2272,  al.  3. 

4°  Aux  maîtres  de  pension  ou  d'apprentissage,  pour  le  prix 
de  la  pension  des  élèves,  ou  pour  le  prix  de  l'apprentissage. 
V.  art.  2272,  al.  4. 

5°  Aux  domestiques  qui  se  louent  a  l'année,  pour  leur 
salaire.  V.  art.  2272,  al.  5. 

Évidemment,  au  reste,  sans  que  la  loi  ait  eu  besoin  de  s'en 
expliquer  ici  particulièrement,  le  délai  de  ces  diverses  pres- 
criptions doit  courir,  selon  ces  cas,  tantôt  à  partir  de  chaque 
service  ou  fourniture,  tantôt  à  partir  de  l'échéance  du  terme 
pour  lequel  les  services  et  fournitures  étaient  promis  et 
payables. 

380  bis.  I.  Quand  la  loi  parle  des  marchandises  vendues  à  des 
particuliers  non  marchands,  elle  montre  qu'elle  a  songé  aux  achats 
qui  n'ont  pas  le  caractère  commercial,  d'où  nous  tirerons  cette 
conséquence  que,  même  entre  marchands,  quand  le  débiteur  n'aura 
pas  fait  en  achetant  acte  de  commerce,  la  prescription  sera  régie 
par  l'article  2272.  C'est  ce  qui  arrivera  quand  un  marchand  aura 
acheté  d'un  autre  marchand  des  objets  pour  sa  consommation 
personnelle. 

380   bis.  II.  L'ancien  Droit  distinguait  entre  les  marchands  en 


558  COURS   ANALYTIQUE    DE    GODE    CIVIL.    LIV.    III. 

gros  et  les  marchands  en  détail,  et  la  prescription  était  plus  courte 
contre  ceux-ci  que  contre  ceux-là  (i).  Mais  le  Code  a  abandonné  cette 
distinction,  qui  nécessitait  une  appréciation  parfois  difficile  à  faire 
entre  les  fournitures  en  gros  et  les  fournitures  en  détail. 

380  bis.  III.  Le  sens  du  mot  maître  de  pension  est  précisé  par  le 
mot  élèves,  qui  lui  est  opposé  ;  il  ne  s'agit  pas  des  établissements 
qui,  sous  le  nom  de  pensions ,  ne  fournissent  que  le  logement  et  la 
nourriture,  et  quelquefois  la  nourriture  seule,  les  maîtres  de  ces 
établissements  sont  des  hôteliers  qui  dissimulent  leur  véritable  nom, 
la  situation  est  régie  par  l'article  2271. 

380  bis.  IV.  Le  point  de  départ  de  la  prescription,  dans  les  divers 
cas  prévus  par  les  articles  2271  et  2272,  n'est  pas  déterminé  par 
ces  articles,  probablement  parce  qu'il  n'est  pas  possible  de  donner 
une  solution  unique  sur  les  diverses  hypothèses.  L'ancien  Droit, 
appuyé  sur  une  ordonnance  de  1510  et  sur  l'article  126  de  la  cou- 
tume de  Paris,  prenait  pour  point  de  départ  la  première  fourniture, 
ce  que  Pothier  interprète  en  ce  sens  que  chaque  fourniture  sert  de 
point  de  départ  à  une  prescription  spéciale  qui  n'est  point  inter- 
rompue par  une  continuation  de  fournitures  (2). 

Nous  pensons  que  dans  le  silence  du  Code  on  doit  accepter  l'idée 
de  Pothier  comme  idée  première  de  la  doctrine.  A  chaque  fourni- 
ture correspond  une  créance,  à  chaque  journée  d'ouvrier,  à  chaque 
visite  de  médecin,  à  chaque  acte  du  ministère  de  l'huissier,  naît 
une  nouvelle  créance,  qui  doit  commencer  à  se  prescrire.  Voilà  ce 
que  la  raison  indique,  puisque  la  loi  n'a  pas  parlé  (3).  Maintenant, 
il  faut  tenir  compte  de  la  convention  des  parties  qui  peuvent  avoir, 
tout  en  fixant  le  prix  du  travail  à  la  journée,  à  la  tâche,  à  la  visite, 
fixé  comme  un  terme  pour  le  paiement,  les  journées  ou  les  ouvrages 
à  la  tâche  se  payant  à  la  fin  de  la  semaine,  ou  de  la  quinzaine,  les 
visites  à  la  fin  de  la  maladie.  Ces  conventions  pourraient  être 
expresses,  quelquefois  elles  seront  constatées  par  un  règlement 
de  fabrique,  d'autres  fois  elles  pourront  être  reconnues  tacitement, 
quand  on  constatera  des  habitudes  soit  locales,  soit  personnelles 
entre  le  créancier  ou  le  débiteur.  En  tout  cas,  il  est  certain  que 
la  cessation  des  travaux  ou  services  permet  d'en  réclamer  immé- 

(1)  V.  Pothier,  Obligations,  n0s  672,  673. 

(2)  V.  Pothier,  Obligations,  n"  680. 

(3)  V.  cependant  C.  Chambéry,  28  février  1873.  Sirey,  1873,  2,  298.  Tri- 
bunal  de  la  Seine,  J5  janvier  1870.  Sirey,  1871,  2,24. 


T1T.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2272.  559 

diatement  le  prix  et  doit  servir  de  point  de  départ  à  la  prescription. 

380  bis.  V.  On  objecte  à  notre  solution  que  la  créance  n'est  point 
à  terme,  puisque  l'ouvrier  pourrait  demander  son  salaire  avant  la 
quinzaine  et  le  médecin  ses  honoraires  avant  la  fin  de  la  maladie; 
mais  cette  assertion  n'est  exacte  qu'autant  qu'on  ne  reconnaîtra 
pas  en  fait  l'existence  de  la  convention  tacite  dont  nous  venons  de 
parler,  ou  bien  c'est  que  l'ouvrier  ou  le  médecin  use  de  la  faculté 
qu'il  a  de  cesser  ses  services. 

Nous  ne  nous  arrêtons  pas  non  plus  devant  une  autre  objection 
qui  invoque  l'article  2274  en  lui  donnant  un  sens  impératif,  d'où  il 
résulterait  que  dans  la  pensée  de  la  loi,  chaque  journée  de  travail, 
chaque  fourniture  est  nécessairement  soumise  à  une  prescription 
séparée,  puisqu'il  est  dit  que  la  prescription  a  lieu  malgré  la  conti- 
nuation des  fournitures  ou  services.  Cet  article,  dit-on,  donne  une 
solution  positive  à  la  question  que  nous  agitons. 

Nous  ne  pensons  pas  que  l'article  ait  cette  force  exclusive,  il 
peut  très-bien  s'entendre  dans  le  système  que  nous  adoptons,  car 
si  nous  ne  faisons  pas  commencer  la  prescription  après  chaque 
journée  de  travail  ou  après  chaque  visite  de  médecin,  nous  dé- 
clarons qu'elle  commencera,  suivant  les  cas,  après  chaque  semaine 
ou  chaque  quinzaine,  après  que  le  médecin  aura  cessé  de  venir 
régulièrement  parce  que  la  maladie  aura  cessé.  C'est  alors  que 
l'article  2274  s'appliquera  très-raisonnablement  :  quoique  l'ouvrier 
continue  à  travailler,  qu'il  recommence  une  nouvelle  quinzaine, 
que  l'hôtelier  conserve  son  locataire,  que  le  médecin  revienne  voir 
le  même  malade,  trois,  quatre  ou  six  semaines  après  la  cessation 
de  ses  visites ,  ces  différents  faits  n'interrompront  pas  la  prescrip- 
tion de  l'ancienne  créance.  Voilà  la  portée  certaine  de  l'article  2274, 
il  n'est  pas  nécessaire  de  lui  faire  dire  davantage. 

380  bis.  VI.  Toutes  les  créances  énumérées  dans  les  articles 
2271  et  2272  ne  donnent  pas  lieu  à  la  difficulté  que  nous  venons 
d'examiner.  Ainsi,  pour  les  leçons  au  mois,  pour  les  salaires  des 
domestiques  qui  se  louent  à  l'année,  pour  le  prix  des  pensions  dans 
les  maisons  d'éducation,  l'époque  des  paiements  se  trouve  naturel- 
lement indiquée  à  la  fin  de  chaque  période  de  temps  servant  à 
déterminer  le  prix  des  services,  la  fin  du  mois  ou  la  fin  de  l'année; 
à  moins  de  conventions  particulières,  d'ailleurs  fort  ordinaires,  qui 
diviseraient  le  paiement  de  l'année  par  termes,  par  exemple  par 
trimestres,  alors  chaque  trimestre  se  prescrirait  séparément. 


560  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

381 .  L'aclion  des  avoués  pour  le  paiement  de  leurs  frais  et 
salaires  est  aussi  assujettie  a  une  courte  prescription,  fondée 
uniquement,  comme  les  précédentes,  sur  une  présomption  de 
paiement.  Mais  le  retard  du  paiement  étant  plus  ou  moins 
probable,  suivant  que  l'affaire  est  ou  n'est  pas  terminée,  la 
prescription  dans  le  premier  cas  est  fixée  a  deux  ans,  qui 
courent  du  jugement,  de  la  conciliation,  ou  de  la  révocation 
de  l'avoué.  Dans  le  second  cas,  elle  est  de  cinq  ans,  à  partir 
de  l'acte  qui  donne  lieu  aux  frais  ou  au  salaire.  V.  art.  2273. 

381  bis.  Il  peut  arriver  qu'une  affaire  se  termine  par  un  juge- 
ment ou  une  transaction,  et  qu'il  soit  dû  à  l'avoué  des  frais  d'actes 
faits  depuis  plus  de  cinq  ans.  Ces  frais  ne  pourraient  pas  être 
Téclamés,  car  la  créance  s'est  éteinte  par  prescription  à  l'époque 
où,  l'affaire  n'étant  pas  terminée,  s'est  achevée  la  période  de  cinq 
ans  depuis  que  les  frais  ont  été  faits;  cette  créance  éteinte  ne  peut 
pas  revivre,  parce  que  l'affaire  a  été  reprise  et  terminée. 

382.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  continuation  des  fournitures, 
livraisons,  services  ou  travaux,  n'étant  pas  ordinairement  une 
raison  pour  croire  qu'il  n'a  été  fait  depuis  l'origine  aucun 
paiement;  cette  continuation  pouvant  même  souvent  faire 
présumer  le  contraire,  elle  ne  doit  pas  en  général  faire  obsta- 
cle a  la  prescription.  Mais  lorsqu'il  existe  un  arrêté  de  compte 
ou  autre  acte  équivalent,  on  ne  peut  plus  supposer  que  le  dé- 
biteur aura  payé  sans  retirer  quittance  :  il  n'y  a  donc  plus  lieu 
qu'à  la  prescription  ordinaire  de  trente  ans.  Il  est  clair  que  le 
même  effet  est  produit  par  une  citation  en  justice,  pourvu 
qu'elle  ne  soit  pas  périmée.  V.  art.  2274. 

382  bis.  I.  Les  divers  événements  que  prévoit  l'article  2274, 
2e  alinéa,  produisent  ce  résultat  que  la  prescription  cesse  de  courir. 
Telle  est  l'expression  du  Code;  elle  manque  de  clarté  parce  qu'elle 
n'est  pas  technique.  Peut-être  ne  vise-t-elle  qu'une  simple  inter- 
ruption, peut-être  dit-elle  davantage?  Par  l'interruption,  en  effet, 
la  prescription  ne  cesse  pas  de  courir,  puisque  son  cours  recom- 
mence aussitôt  après  l'acte  interruptif  ;  s'il  faut  prendre  à  la  lettre 
l'article  2274,  la  prescription,  au  moins  la  courte  prescription  de- 
vient impossible,  ce  qui  permettrait  seulement  d'en  commencer 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2273,    2271        561 

une  nouvelle  dans  les  conditions  ordinaires,  c'est-à-dire  par  trente 
ans.  C'est  dans  ce  sens  qu'on  entend  généralement  le  Code,  en 
s'appuyant  sur  l'ancien  Droit,  et  en  montrant  que  le  débiteur,  qui 
a  donné  par  une  reconnaissance  un  titre  à  son  créancier,  ne  peut 
plus  compter  sur  la  prescription  abrégée  destinée  seulement  à  pro- 
téger les  anciens  débiteurs  qui  n'ont  pas  exigé  de  quittance  parce 
que  la  créance  n'était  pas  constatée  par  une  preuve  sûre  et  durable. 

382  bis.  II.  Ces  raisons  nous  paraissent  suffisantes  en  ce  qui 
touche  les  hypothèses  où  il  y  a  eu  compte  arrêté,  cédule  (acte  sous 
seing  privé)  ou  obligation  (acte  notarié).  Mais  nous  avons  peine  à 
attribuer  le  même  effet  aux  citations  en  justice  non  suivies  de 
jugement.  Certes,  quand  il  est  intervenu  un  jugement,  il  existe 
entre  le  débiteur  un  titre  qui  vaut  bien  un  acte  notarié,  et  la  pré- 
somption de  paiement  sans  quittance  n'est  guère  admissible.  Mais  la 
citation  en  justice  seule  n'est  pas  un  titre,  le  débiteur  peut,  en  fait, 
l'avoir  ignorée  ou  oubliée,  parce  qu'il  n'a  pas  joué  de  rôle  actif 
dans  cet  acte,  dès  lors  il  serait  dangereux  de  l'assimiler  à  une 
reconnaissance.  Si  la  loi  a  rapproché  cet  acte  des  autres,  c'est  qu'il 
constitue  aussi  une  entrave  à  la  prescription,  il  l'interrompt,  il  l'ar- 
rête dans  son  cours,  et  c'est  peut-être  à  raison  de  l'effet  différent 
des  actes  qu'il  énumérait  que  l'article  2274  a  employé  l'expression 
non  technique  et  par  conséquent  vague  que  nous  signalions  en  com- 
mençant. 

382  bis.  III.  La  distinction  que  nous  venons  de  faire  ressort,  à 
notre  sens,  très- clairement  du  texte  de  Pothier  qui  paraît  résumé 
par  l'article  2274,  2e  alinéa  (1);  il  dit  d'abord  que  les  prescriptions 
par  six  mois  ou  un  an  n'ont  pas  lieu,  quand  il  y  a  eu  promesse 
écrite  ou  arrêté  de  compte,  il  cite  l'ordonnance  de  1673  (art.  9, 
tit.  Ier),  qui  emploie  les  mêmes  expressions  que  le  Code,  et  il  ajoute  : 
En  ce  cas  la  créance  n'est  sujette  qu'à  la  prescription  de  trente 
ans. 

Puis  il  écrit,  au  numéro  suivant  :  Les  prescriptions  n'ont  pas 
lieu  si  elles  ont  été  interrompues  par  une  demande  en  justice  ;  cela 
est  commun  à  toutes  les  prescriptions.  N'est-il  pas  clair  que  pour 
ce  dernier  acte,  Pothier  ne  fait  pas  de  différence  entre  les  courtes 
et  les  longues  prescriptions,  et  qu'il  n'attribue  à  la  citation  qu'un 
effet  interruptif  ?  Ne  faut-il  pas  croire  que  si  Pothier  a  traité  deux 

(1)  V.  Pothier,  Obligations,  a0'  676  et  677. 

VIII.  36 


562  COUKS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

hypothèses  différentes  en  employant  les  mêmes  expressions  :  la 
prescription  n'a  pas  lieu,  le  Code  civil  a  bien  pu  admettre  deux 
solutions  différentes  pour  deux  espèces  qu'il  embrassait  dans  une 
seule  formule  :  la  prescription  cesse  de  courir? 

383.  Ces  prescriptions  ne  reposant,  comme  on  l'a  vu,  que 
sur  une  présomption  de  paiement,  le  créancier  peut  toujours 
déférer  au  débiteur  le  serment  sur  le  fait  même  du  paiement, 
il  peut  le  déférer  aux  ayants  cause  du  débiteur,  et  même  aux 
tuteurs  des  héritiers  mineurs,  sur  le  fait  de  la  connaissance 
qu'ils  peuvent  avoir  de  l'existence  de  la  dette.  V.  art.  2275. 

383  bis.  C'est  parce  que  ces  prescriptions  sont  très-courtes,  que 
le  serment  peut  être  déféré,  car  il  n'est  guère  probable  que  le 
débiteur  ait  perdu  le  souvenir  d'un  paiement  très-récent  (i). 

Quant  à  la  règle  qui  concerne  les  ayants  cause  du  débiteur,  elle 
n'est  qu'une  application  de  l'article  1339.  Si  on  leur  demandait  de 
jurer  que  la  dette  a  été  payée,  on  les  obligerait  à  jurer  sur  le  fait 
d'autrui,  mais  on  les  interroge  sur  un  point  qui  leur  est  personnel, 
quand  on  leur  demande  s'ils  ne  savent  pas  que  la  chose  est  due. 

384.  La  négligence  qu'apportent  souvent  les  plaideurs  à 
retirer  leurs  pièces  des  mains  des  juges  et  avoués  ne  pouvait 
laisser  ces  fonctionnaires  indéfiniment  chargés  de  les  con- 
server. La  loi  les  décharge  après  cinq  ans,  a  partir  du  juge- 
ment. Les  huissiers  sont  déchargés  après  deux  ans,  qui 
courent  du  jour  même  de  l'exécution  de  leur  commission. 
V.  art.  2276. 

384  bis.  I.  La  disposition  de  l'article  qui  concerne  les  juges  et 
les  avoués  suppose  les  affaires  terminées,  et  il  est  à  regretter  que 
le  Code  n'ait  pas  fixé  un  délai  à  propos  des  affaires  non  terminées. 
Pothier  indiquait  pour  ce  cas  le  chiffre  de  dix  ans;  le  silence  du 
Code  oblige  à  décider  que  la  prescription  sera  de  trente  ans. 

Pothier  prévoyait  également,  au  moins  à  propos  des  juges,  le  cas 
de  décès  ou  de  cessation  des  fonctions;  le  Code  n'en  a  rien  dit, 
mais  nous  pouvons  penser  qu'il  a  considéré  alors  l'affaire  comme 
terminée  en  ce  qui  concerne  le  juge  ou  l'officier  qui  n'exerce  plus 

(1)  La  preuve  d'un  aveu  pourrait  remplacer  la  dclalic-n  du  serment.  C.  C. , 
30juillet  1871/.  Sirey,  187'J,  I,  457. 


T1T.  XX.  DE  LA  PaESCRIPTION.  ART.  2275-2277.  563 
ses  fonctions,  et  par  conséquent  il  faut  admettre  que  le  délai  est 
de  cinq  ans.  C'est  une  garantie  bien  nécessaire  pour  les  héritiers. 

384  bis.  II.  Le  Gode  ne  parle  pas  des  avocats,  que  Pothier  rap- 
prochait des  procureurs  pour  les  faire  bénéficier  de  la  prescription 
de  cinq  ans,  il  ne  dit  rien  non  plus  des  notaires  ou  des  greffiers. 
Ces  diverses  personnes  ne  pourraient  invoquer  que  la  prescription 
de  trente  ans. 

385.  Des  prestations  périodiques,  payables  à  des  termes 
rapprochés,  qu'on  laisserait  accumuler  pendant  trente  années, 
conduiraient  infailliblement  le  débiteur  a  sa  ruine  :  celte  con- 
sidération, jointe  a  la  probabilité  des  paiements,  dont  les 
quittances  ne  sont  pas  d'ailleurs  gardées  aussi  exactement 
quand  il  s'agit  de  dettes  de  cette  nature  que  quand  il  s'agit 
d'un  capital,  a  fait  soumettre  a  une  prescription  de  cinq  ans 
généralement  tout  ce  qui  est  payable  par  année  ou  à  des 
termes  périodiques  plus  courts.  La  règle,  an  surplus,  est 
spécialement  appliquée  par  la  loi  aux  arrérages  de  rentes 
perpétuelles  et  viagères,  à  ceux  des  pensions  alimentaires, 
aux  loyers  des  maisons  et  au  prix  de  ferme  des  biens  ruraux, 
enfin  aux  intérêts  des  sommes  prêtées.  V.  art.  2277. 

385  bis.  I.  L'article  2277  traite  de  la  prescription  des  créances 
de  revenus;  cette  prescription  est  abrégée,  premièrement  parce  que 
les  revenus  étant  ordinairement  employés  aux  dépenses  courantes, 
il  n'est  pas  probable  qu'un  créancier  les  laisse  trop  longtemps  non 
payés;  secondement,  l'accumulation  de  ces  petites  dettes  renais- 
sant à  chaque  période,  deviendrait  ruineuse  pour  le  débiteur.  Il 
aurait  facilement  cédé  à  la  tentation  de  ne  pas  payer,  quand  le 
créancier  ne  le  pressait  pas,  et  la  loi  a  voulu  que  le  créancier  fût 
dans  la  nécessité  de  le  presser. 

38o  bis.  II.  De  ce  dernier  motif,  nous  devons  conclure  que 
l'article  a  une  portée  plus  large  que  celle  qu'il  paraît  avoir.  Toute 
dette  accessoire  d'une  autre  et  qui  vient  périodiquement  s'ajouter 
à  cette  dette  principale,  doit  être  soumise  à  la  prescription  de  l'ar- 
ticle 2277.  Il  n'y  a  pas  à  mettre  hors  de  la  sphère  d'action  de 
cet  article  les  dettes  d'intérêts  qui,  bien  que  s'augmentant  petit 
à  petit  parle  temps,  ne  sont  pas,  à  proprement  parler,  payables  ou 
exigibles  à  des  époques  périodiques.  Nous  songeons  aux  intérêts 

36. 


50  i  COUîiS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

des  prix  de  vente  et  aux  intérêts  moratoires  de  sommes  qui  n'ont 
pas  été  prêtées.  Ces  deux  espèces  de  dettes  ne  rentrent  pas  dans 
l'énumération  de  l'article  2277,  et  l'on  a  dit  en  outre  qu'elles  ne  sont 
pas  comprises  dans  la  formule  générale  qui  termine  l'article,  parce 
qu'elles  ne  sont  pas  payables  par  année  ou  à  des  termes  périodiques 
plus  courts.  L'intention  du  législateur  nous  paraît  cependant  plus 
claire  que  son  expression,  il  a  voulu  distinguer  les  dettes  de  capi- 
taux des  dettes  qui  augmentent  périodiquement.  Comme  ordinai- 
rement ces  dernières  peuvent  être  exigées  à  partir  de  chacune  des 
périodes  indiquées,  il  a  employé  le  mot  payable,  au  lieu  d'une 
expression  peut-être  difficile  à  trouver,  qui  aurait  signifié  dettes 
s'accroissant  périodiquement. 

Aussi  bien,  il  nous  semble  qu'il  n'est  pas  nécessaire  de  forcer  le 
sens  de  l'article.  Les  deux  dettes  dont  nous  parlons  sont  pour  nous 
véritablement  payables  au  moins  au  bout  d'une  année.  On  dit  que 
les  intérêts  d'un  prix  de  vente  seront  payés  avec  le  prix  lui-même, 
les  intérêts  moratoires  avec  le  capital,  et  que  par  conséquent,  paya- 
bles en  une  seule  fois,  ils  échappent  à  l'article.  Cette  allégation 
n'est  pas  démontrée;  qu'elle  constate  un  fait  ordinaire,  nous  ne  le 
nions  pas,  mais  où  trouve-t-o:i  une  règle  défendant  au  vendeur  de 
demander  séparément  les  intérêts  du  prix  de  vente,  quand  il  est 
dû  une  année  entière?  Le  terme  stipulé  quant  au  principal  porte- 
t-il  donc  sur  les  intérêts?  Quant  aux  intérêts  moratoires,  pourquoi 
le  créancier,  qui  veut  ménager  son  débiteur  en  ne  demandant  pas 
le  capital,  ne  pourrait-il  pas  demander  les  intérêts?  et  s'il  le  peut, 
on  peut  dire  que  les  intérêts  sont  payables  à  des  époques  pério- 
diques courtes.  Nous  ferons  seulement  une  réserve  pour  les  intérêts 
qui  courent  entre  la  demande  en  justice  et  le  jugement,  parce  que 
la  dette  dépend  de  la  décision  judiciaire  à  intervenir,  et  que  par 
conséquent  la  prescription  ne  saurait  courir. 

386.  Les  mêmes  motifs  qui,  dans  tous  les  cas  ci-dessus, 
ont  fait  abréger  le  délai  ordinaire  de  la  prescription,  n'ont  pas 
permis  d'en  suspendre  le  cours  a  l'égard  des  mineurs  ou 
interdits-,  on  réserve  seulement  a  ceux-ci  leur  recours  contre 
leurs  tuteurs.  V.  art.  2278. 

386  bis.  I.  Quand  un  incapable  exerce  une  des  professions  aux- 
quelles s'appliquent  les  courtes  prescriptions,  c'est  qu'il  a  été  habi- 
lité à  cet  effet,  et  par  conséquent  il  a  été  reconnu  assez  intelligent 


TIT.  XX.  DE  LA  PRESCRIPTION.  ART.  2278,  2279.   SGo 

pour  songer  à  poursuivre  le  remboursement  de  ses  créances  qui 
ont  une  cause  professionnelle.  Si  l'incapable,  sans  exercer  l'une  des 
professions  dont  nous  parlons,  est  créancier,  à  l'un  des  titres  indi- 
qués, comme  héritier,  et  pour  les  créances  qui  n'ont  pas  un  caractère 
professionnel  (intérêts,  loyers,  fermages),  la  responsabilité  de  son 
tuteur  le  couvre  suffisamment  contre  les  négligences  que  celui-ci 
pourrait  commettre  à  propos  des  valeurs  relativement  modiques 
que  représentent  les  créances  réglementées  par  l'article  2277. 

386  bis.  II.  La  loi  n'a  soustrait  les  courtes  prescriptions  qu'à 
l'une  des  causes  de  suspension,  celle  de  l'article  2252.  On  ne  ren- 
contrera peut-être  pas  bien  souvent  l'occasion  de  se  demander  si 
les  autres  règles  sur  les  suspensions  sont  applicables  aux  prescrip- 
tions dont  s'occupe  la  section  IV.  Cependant  nous  avons  appliqué 
à  plusieurs  des  créances  régies  par  cette  section  la  disposition  de 
l'article  2257  sur  les  créances  à  terme,  et  nous  appliquerions  égale- 
ment l'article  2253  qui  suspend  la  prescription  entre  époux.  La 
question  ne  pourra  d'ailleurs  se  poser  qu'à  propos  de  services 
qui  ne  se  confondront  pas  avec  les  soins  que  les  époux  se  doivent 
gratuitement,  ou  de  fournitures  qui  n'auront  pas  le  caractère  ali- 
mentaire; car  la  question  de  prescription  implique  l'existence  d'une 
créance;  mais  i'utilité  de  notre  solution  apparaîtra  par  exemple 
quand  un  avoué  ou  un  huissier  aura  fait  des  actes  de  son  minis- 
tère au  nom  et  dans  l'intérêt  personnel  de  sa  femme. 

387.  La  transmission  des  meubles  s'opère  avec  rapidité  et 
ne  se  constate  pas  ordinairement  par  un  acte  écrit;  c'est  une 
raison  pour  attribuer  ici  au  fait  de  la  possession  une  plus 
grande  importance.  Il  est  tout  simple  que  celui  qui  possède 
un  meuble  soit  par  cela  seul  réputé  le  posséder  a  juste  titre, 
et  qu'il  n'ait  pas  besoin,  dès  lors,  de  représenter  un  litre, 
pour  être  supposé  de  bonne  foi  ;  mais  le  Code,  en  empruntant 
à  notre  ancien  droit  la  maxime  en  fait  de  meubles  possession 
vaut  titre,  veut  dire  quelque  chose  de  plus-,  car  il  n'accorde 
la  revendication  contre  le  possesseur  qu'au  cas  de  perle  ou  de 
vol.  Hors  ces  deux  cas,  la  présomption  de  propriété,  qui 
résulte  du  seul  fait  de  la  possession  actuelle,  a  autant  de  force 
qu'une  prescription  acquise.  Quant  a  la  revendication  des 
choses  perdues  ou  volées,  elle  se  prescrit  par  trois  ans,  qui 


566  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

courent,  non  de  l'entrée  en  possession,  mais  du  jour  de  la 
perte  ou  du  vol.  V.  art.  2279. 

387  bis.  I.  Le  Code  civil  a  placé  à  la  fin  du  titre  de  la  prescrip- 
tion une  règle  sur  l'effet  de  la  possession  des  meubles.  Ce  n'est  pas 
qu'il  entende  traiter  (Je  la  prescription  acquisitive  des  meubles, 
puisque,  d'abord,  sa  règle  est  placée  dans  un  chapitre  où  il  n'est 
question  que  des  prescriptions  libératoires;  puisque,  secondement,  il 
n'indique  pas  la  durée  de  la  possession  nécessaire  pour  prescrire  le 
laps  de  temps  dont  parle  l'article  2219  dans  la  définition  de  la  pres- 
cription. La  place  qu'occupe  l'article  2279  s'explique  plutôt  par 
une  idée  d'exclusion;  au  moment  où  il  termine  le  traité  de  la  pres- 
cription, le  législateur  songe  aux  meubles  pour  dire  qu'ils  ne  sont 
pas  ordinairement  l'objet  d'une  prescription  acquisitive,  et  pour 
motiver  cette  décision;  imitant  en  cela  l'exemple  de  Pothierqui,  au 
commencement  de  son  introduction  au  titre  des  prescriptions  de 
la  coutume  d'Orléans,  examine  si  les  meubles  sont  soumis,  comme 
en  Droit  romain,  à  la  prescription  de  trois  ans  et  constate  des  diver- 
gences sur  ce  point.  Le  Code  a  voulu  mettre  fin  aux  discussions  et 
repousser  la  doctrine  romaine  en  reproduisant  et  en  accentuant  la 
formule  ancienne  qui,  d'après  Pothier,  diminuait  considérablement 
l'intérêt  de  la  question  débattue  (1). 

387  bis.  IL  La  formule  demande  à  être  traduite,  quoiqu'elle  ne 
soit  pas  bien  obscure.  La  possession  vaut  titre  :  qu'est-ce  qu'un  titre? 
Un  fait  générateur  de  droit,  un  fait  translatif  de  propriété  (art.  549, 
690);  la  possession  égale  le  titre,  donc  la  possession  confère  la 
propriété.  Il  s'agit  de  la  possession  envisagée  d'une  façon  abstraite, 
indépendamment  de  la  personne  qui  l'a  transmise,  peu  importe  que 
cette  personne  n'ait  pas  été  propriétaire.  On  pourrait  en  douter 
toutefois  et  faire  remarquer  qu'en  matière  de  propriété  immobilière 
le  titre  peut  exister  sans  transférer  la  propriété  (art.  2265);  on 
dirait  :  le  possesseur  du  meuble  a  l'avantage  de  ne  pas  prouver 
l'existence  du  titre  sur  lequel  il  appuie  la  prescription  de  bonne  foi. 
La  disposition  même  de  l'article  condamne  cette  manière  de  voir, 
car  si  elle  était  exacte,  la  loi  serait  incomplète,  elle  n'a  pas  dit  par 
quel  temps  s'accomplirait  cette  prescription,  et  l'on  ne  verrait  pas 
quel  avantage  le  titre  procurerait  au  possesseur  qui  en  serait  réduit 
à  la  prescription  de  trente  ans.  Ce  n'est  donc  pas  d'un  titre  insuf- 

(1)  V.  Pothier,  Coutume  d'Orléans,  t.  XIV.  Introduction,  n°  4 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2279.  567 

fisant,  demandant  à  être  corroboré,  que  la  loi  a  voulu  parler, 
mais  d'un  titre  efficace,  parfait  (1),  d'un  titre  qui  transfère  par 
lui-même  la  propriété. 

L'exactitude  de  cette  traduction  ressort  encore  plus  clairement 
du  second  paragraphe  de  l'article  qui,  supposant  que  le  meuble  a 
été  perdu  ou  volé,  donne  exceptionnellement  au  propriétaire  l'action 
en  revendication,  ce  qui  implique  bien  que  la  règle  du  1er  para- 
graphe a  pour  conséquence  le  déni  de  toute  revendication  dans  les 
hypothèses  ordinaires.  Or,  refuser  la  revendication  à  une  personne, 
c'est  bien  lui  refuser  la  propriété. 

387  bis.  III.  Quand  nous  disons  que  la  possession  confère  la  pro- 
priété, il  faut  immédiatement  compléter  la  formule,  sinon  elle 
paraîtrait  consacrer  des  résultats  iniques.  Le  locataire,  l'emprun- 
teur, le  dépositaire  et  ceux  qui  auraient  sciemment  reçu  la  chose 
de  l'une  de  ces  personnes  pourraient  se  prétendre  propriétaires.  Il 
n'en  est  pas  ainsi,  il  faudra  d'abord,  pour  l'application  de  la  maxime 
que  le  détenteur  ait  une  véritable  possession,  et  le  locataire,  le 
dépositaire  ou  l'usufruitier  ne  possède  pas,  il  faudra  de  plus  que  le 
possesseur  soit  de  bonne  foi,  et  celui  qui  a  reçu  sciemment  la 
chose  des  mains  d'un  dépositaire  ou  d'un  locataire  n'a  pas  la  bonne 
foi. 

387  bis.  IV.  Il  faut  examiner  successivement  ces  deux  conditions, 
auxquelles  est  subordonnée  l'application  de  l'article  2279,  et  mon- 
trer comment  on  les  trouve  exigées  par  les  dispositions  du  Code 
civil. 

1°  La  possession.  L'expression  elle-même  est  dans  l'article  2279, 
son  sens  propre  n'est  pas  douteux,  c'est  la  détention  d'une  chose 
animo  domini,  c'est-à-dire  à  titre  de  maître;  et  il  n'est  pas  besoin  de 
s'appuyer  sur  les  articles  2228  et  2229  pour  dire  que  la  possession 
suppose  l'esprit  de  propriété,  d'où  cette  conséquence  que  celui  qui 
détient  une  chose  à  la  suite  d'un  fait  qui  le  constitue  débiteur  de 
cette  chose  in  specie,  n'a  pas  la  possession  parce  qu'il  reconnaît  le 
droit  d'un  autre  maître.  Ce  possesseur  est  celui  que  nous  avons 
appelé  un  possesseur  précaire;  d'après  l'article  2229,  il  ne  peut  pas 
prescrire.  Il  ne  peut  pas  davantage  invoquer  l'article  2279,  quoique 
cet  article  n'établisse  pas  une  prescription,  parce  que  la  règle  sur 
la  précarité  n'est  pas  spéciale  à  la  prescription,  elle  découle  de  la 

(1)  V.  Bourjon,  Droit  commun  de  la  France,  I.  II,  t.  Ier,  cli.  vr,  n"  1. 


568  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LÎV.    III. 

notion  même  de  la  possession,  qui  manque  de  son  élément  essentiel 
quand  manque  Vanimus  domini. 

387  bis.  V.  Il  peut  sembler  inutile  de  dire  que  le  possesseur  pré- 
caire ne  peut  pas  se  prévaloir  de  la  maxime  :  En  fait  de  meubles  la 
possession  vaut  titre,  car  ce  possesseur  étant  un  débiteur,  l'autre 
partie  aurait  toujours,  à  défaut  de  l'action  en  revendication,  l'action 
personnelle  née  du  contrat,  elle  poursuivrait  le  dépositaire,  le  loca- 
taire, le  commodataire,  comme  des  débiteurs.  Néanmoins,  l'action 
personnelle  pourrait  être  éteinte  par  la  prescription  libératoire,  et 
il  serait  intéressant  de  considérer  la  revendication  comme  possible. 
On  objecte,  il  est  vrai,  que  la  revendication  n'est  pas  admise  en 
matière  de  meubles,  mais  cette  objection  exagère  la  portée  de  l'ar- 
ticle 2279,  qui  protège  les  possesseurs  contre  la  revendication,  mais 
qui,  ne  traduisant  pas  le  mot  possesseur,  semble  bien  n'y  pas  com- 
prendre les  simples  détenteurs. 

Il  y  a  une  autre  hypothèse  où  il  sera  utile  de  constater  que  la 
possession  précaire  n'est  pas  la  possession  qu'exige  l'article  2279. 
Si  l'on  suppose  que  le  prétendu  possesseur  agit  en  revendication 
dans  le  cas  de  vol,  le  défendeur  pourrait  lui  opposer  que  sa  posses- 
sion ne  l'avait  pas  rendu  propriétaire,  et  il  faut  remarquer  que  ce 
défendeur,  s'il  n'est  pas  le  voleur,  n'est  tenu  d'aucune  action  per- 
sonnelle qui  pourrait  suppléer  à  l'action  réelle. 

387  bis.  VI.  Reste  un  point  sur  lequel  il  faut  se  fixer  :  qui  prou- 
vera que  la  possession  est  ou  n'est  pas  précaire?  Celui  qui  invoque 
l'article  2279  doit-il  prouver  qu'il  est  ou  qu'il  était  possesseur  animo 
domini?  n'est-ce  pas  plutôt  l'adversaire  qui,  le  fait  de  détention  étant 
prouvé,  doit  établir  l'absence  de  cet  animus?  Sur  ce  point,  nous 
trouvons  une  solution  dans  l'article  2230,  et  nous  n'hésitons  pas 
à  l'étendre  au  cas  qui  nous  occupe,  bien  que  l'article  2279  ne  ren- 
tre pas,  à  proprement  parler,  dans  la  théorie  de  la  prescription.  Nous 
avons  en  effet  expliqué  ci-dessus  l'article  2230  en  le  rattachant  aux 
règles  générales  sur  la  preuve,  et  par  conséquent  ce  n'est  pas  par 
un  principe  spécial  à  la  prescription,  mais  par  un  principe  général, 
que  nous  justifions  notre  décision  favorable  à  celui  qui  invoque 
l'article  2279.  Nous  avons  dit  qu'imposer  au  possesseur  apparent 
l'obligation  de  prouver  qu'il  a  Vanimus  domini,  c'est  exiger  de  lui 
la  preuve  d'une  négative  indéfinie,  car  comme  il  n'est  pas  astreint  à 
avoir  un  titre,  à  dire  comment  il  a  acquis,  c'est-à-dire  à  affirmer  et 
à  prouver  un  fait  positif,  il  faut  qu'il  démontre  qu'il  n'a  pas,  à  une 


TIT.    XX.    DE   LA    PRESCRIPTION.    ART.    2279.  569 

époque  quelconque,  reçu  d'une  personne  quelconque  la  chose  à  la 
charge  de  la  restituer.  C'est  bien  là  un  fait  négatif  indéterminé,  donc 
la  preuve  est  impossible.  On  voit  que  pour  raisonner  dans  le  même 
sens  à  propos  de  l'article  2279,  nous  n'avons  pas  besoin  de  l'article 
2230,  et  nous  arrivons,  en  vertu  des  règles  sur  la  preuve,  à  dire 
que  l'adversaire,  demandeur  ou  défendeur,  qui  contestera  l'applica- 
tion de  la  règle  :  En  fait  de  meubles  la  possession  vaut  titre,  devra 
prouver  l'existence  du  contrat  qui  donne  à  la  possession  de  son 
adversaire  le  caractère  de  simple  détention  sine  animo  domini  (1). 

387  bis.  VII.  2°  La  bonne  foi.  La  condition  de  bonne  foi  n'ap- 
paraît pas,  il  est  vrai,  dans  l'article  2279,  mais  elle  y  est  sous- 
entendue,  la  loi  l'a  omise  parce  qu'elle  allait  de  soi;  il  s'agissait 
pour  le  législateur  de  substituer  une  règle  à  la  règle  de  l'ancienne 
usucapion  des  meubles  qui  supposait  la  bonne  foi,  et  en  supprimant 
expressément  la  condition  de  temps,  il  n'a  pas  paru  nécessaire  de 
s'expliquer  sur  la  condition  de  bonne  foi  qu'on  entendait  conserver. 
Mais  l'article  1141  montre  une  application  de  l'article  2279  où  la 
bonne  foi  est  expressément  exigée,  et  il  est  bien  juridique  de  com- 
pléter la  règle  avec  des  éléments  fournis  par  un  article  qui  n'est 
pas  autre  chose  que  cette  règle  mise  en  œuvre  (2).  Nous  allons  voir 
enfin,  en  cherchant  les  motifs  de  l'article  2279,  qu'il  ne  se  justifie 
complètement  qu'autant  qu'on  subordonne  la  règle  :  En  fait  de 
meubles  possession  vaut  titre,  à  la  condition  de  bonne  foi. 

387  bis.  VIII.  On  peut  bien  expliquer  la  maxime  en  l'appuyant 
sur  la  difficulté  d'exiger  des  actes  écrits  pour  justifier  de  la  pro- 
priété des  meubles,  sur  la  nécessité  de  ne  pas  exposer  les  déten- 
teurs de  meubles  à  des  revendications  incessantes,  sur  ce  qu'on  a 
appelé  la  sécurité  du  commerce.  Ce  sont  des  raisons  d'utilité  qui 
ne  suffiraient  peut-être  pas  à  justifier  l'expropriation  si  rapide  du 
propriétaire  dépossédé. 

387  bis.  IX.  Il  est  une  autre  raison  qui  présente  la  décision  de 
l'article  2279  sous  son  côté  moral  et  juste.  Quand  un  meuble  a  passé 
dans  les  mains  d'un  possesseur  qui  n'est  pas  le  propriétaire  et  sans 
la  volonté  de  celui-ci,  s'il  n'a  pas  été  volé  ou  perdu,  ce  qui  est  en 
dehors  de  l'hypothèse  que  nous  examinons,  c'est  qu'il  avait  été 
confié  par  le  propriétaire  à  quelqu'un  qui  a  abusé  de  cette  confiance 

(1)  V.  G.  C,  14  février  1877.  Sirey,  1878,  I,  72.  C.  C,  20  juin  1881.  Sirey, 
1883,  I,  447. 

(2)  V.  t.  V,  n»  57  Ht.  III. 


570  COUHS   ANALYTIQUE    DE    CODE  CIVIL.    LIV.    III. 

et  remis  le  meuble  à  une  troisième  personne.  Celui  qui  tenait  la 
chose  directement  du  propriétaire,  c'était  un  détenteur  précaire,  un 
emprunteur,  un  locataire,  un  dépositaire,  un  mandataire  ou  un  ven- 
deur autorisé  par  l'acheteur  à  conserver  la  chose  quelque  temps. 
Aucune  de  ces  personnes  ne  peut  invoquer  l'article  2279,  que  l'une 
d'elles  dispose  de  la  chose  qu'elle  détient  précairement,  le  nouveau 
possesseur,  ayant  cause  à  titre  particulier,  peut  se  prévaloir  de 
l'article  2279,  c'est  précisément  en  sa  faveur,  pour  le  protéger,  que 
l'article  est  écrit.  La  loi,  qui  préfère  ainsi  l'ayant  cause  du  détenteur 
précaire  au  propriétaire,  a  fait  une  équitable  appréciation  de  la 
situation  respective  de  ces  deux  personnes;  à  l'une  d'elles,  c'est-à- 
dire  au  possesseur  actuel,  il  n'y  a  rien  à  reprocher,  pas  une  faute, 
pas  une  imprudence;  il  a  acheté  un  meuble  vendu  par  celui  qui  le 
détenait,  il  n'est  guère  possible  en  fait  d'exiger  la  preuve  qu'un 
vendeur  de  meubles  est  propriétaire.  L'autre  personne,  au  contraire, 
a  commis  une  imprudence  en  plaçant  mal  sa  confiance,  en  donnant 
les  apparences  de  la  propriété  à  un  détenteur  qui  en  a  abusé,  et 
elle  est  la  cause  première  de  l'acte  qu'a  fait  l'acheteur  et  de  l'erreur 
dans  laquelle  il  est  tombé  quand  il  a  acheté  a  non  domino.  Quand 
on  caractérise  ainsi  le  rôle  du  propriétaire  et  celui  du  possesseur 
dans  le  fait  complexe  qui  a  fait  passer  la  chose  de  celui-là  à  celui-ci, 
on  trouve  la  raison  de  la  loi.  Il  s'agissait  de  savoir  qui  de  ces  deux 
personnes  supporterait  la  perte  résultant  de  l'acte  accompli  par  le 
détenteur  précaire  qui  a  vendu  la  chose  à  lui  confiée.  La  loi  a  im- 
posé la  perte  à  celle  des  deux  parties  qui  par  son  imprudence  a  créé 
la  situation  et  par  sa  confiance  a  presque  autorisé  l'autre  à  traiter 
avec  le  détenteur  précaire. 

387  bis.  X.  Ces  considérations,  on  le  remarquera,  supposent  que 
le  possesseur  a  reçu  la  chose  de  bonne  foi,  croyant  qu'il  traitait 
avec  le  vrai  propriétaire.  Dans  le  cas  contraire,  il  aurait  à  se 
reprocher  une  imprudence  bien  plus  grave  que  celle  que  nous 
imputions  au  propriétaire,  et  nous  ne  saurions  pas  expliquer,  au 
point  de  vue  de  la  justice,  ce  que  nous  avons  appelé  l'expropriation 
du  propriétaire  dépossédé.  C'est  ce  qui  nous  autorise  à  penser  que 
l'article  2279  a  sous-entendu  la  condition  de  bonne  foi  si  heureusement 
exprimée  dans  l'article  1141. 

387  bis.  XI.  Des  auteurs  d'une  grande  autorité  ont  cependant 
soutenu,  en  invoquant  le  silence  de  l'article  2279,  que  la  bonne  foi 
n'est  pas  exigée,  mais  ils  n'en  reconnaissent  pas  moins  la  nécessité 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2279.  571 

de  corriger  l'iniquité  de  la  disposition  ainsi  interprétée.  Ils  donnent 
au  propriétaire  dépouillé  une  action  personnelle  en  restitution,  fondée 
sur  le  délit  criminel  ou  civil  dont  l'adversaire  s'est  rendu  coupable 
en  achetant  sciemment  la  chose  d'autrui  (1).  Il  nous  semble  que 
leur  doctrine  arrive  au  même  résultat  que  la  doctrine  opposée, 
car,  d'après  les  principes  du  Code  civil,  si  l'acheteur,  devenu  pro- 
priétaire, est  devenu  en  même  temps  débiteur  de  la  chose  achetée 
qui  est  un  corps  certain,  la  propriété  est  immédiatement  retournée 
à  l'ancien  propriétaire  créancier  de  la  restitution.  Il  ne  peut  même 
pas  être  né  quelque  droit  sur  la  chose  du  chef  de  l'acheteur  pen- 
dant l'instant  de  raison  où  il  a  été  propriétaire,  car  il  s'agit  de 
meuble,  et  il  n'existe  sur  les  meubles  ni  hypothèques  légales  ni 
hypothèques  judiciaires;  de  plus,  s'ils  peuvent  être  frappés  par  les 
privilèges  généraux,  ces  privilèges  ne  donnent  pas  de  droit  de  suite 
sur  les  meubles. 

387  bis.  XII.  Il  résulte  de  notre  explication  que  la  bonne  foi  a 
dû  exister  au  moment  du  contrat  en  vertu  duquel  le  possesseur  a 
cru  devenir  propriétaire;  c'est  alors  qu'il  avait  intérêt  à  savoir  que 
le  détenteur  n'était  pas  propriétaire,  alors,  par  conséquent,  que 
l'imprudence  du  propriétaire  lui  a  causé  préjudice.  Ce  n'est  pas  du 
reste  le  possesseur  qui  doit  prouver  sa  bonne  foi,  elle  est  présumée 
non  pas  seulement  en  vertu  de  l'article  2268,  qui  est  relatif  à  la 
prescription,  mais  en  vertu  de  cette  règle  générale  que  le  bien  se 
présume  et  non  le  mal,  et  surtout  parce  que,  si  l'on  imposait  au  pos- 
sesseur la  preuve  de  la  bonne  foi,  c'est-à-dire  de  l'ignorance,  on 
exigerait  de  lui  la  preuve  d'une  négation  indéterminée,  c'est-à-dire 
une  preuve  impossible. 

387  bis.  XIII.  Nous  terminons  les  observations  sur  la  bonne  foi 
en  faisant  remarquer  qu'elle  est  nécessaire  seulement  au  possesseur 
qui  a  reçu  directement  la  chose  du  détenteur  précaire  aliénant  la 
chose  d'autrui,  mais  qu'on  ne  doit  pas  l'exiger  de  celui  qui  prouve 
qu'il  tient  la  chose  d'un  vrai  propriétaire,  c'est-à-dire  notamment 
d'un  possesseur  de  bonne  foi  que  l'article  2279  avait  fait  propriétaire. 
Celui-là  n'invoque  pas  sa  propre  possession;  il  se  présente  comme 
l'ayant  cause  du  propriétaire  légal,  et  il  a  acquis  tout  le  droit  de  son 
auteur.  On  doit  le  comparer  à  l'acheteur  d'un  immeuble,  ayant 
cause  d'un  vendeur  qui  a  acquis  par  dix  ou  vingt  ans  à  cause  de  sa 

(1)  V.  Anbry  et  Rau,  t.  II,  p.  105,  texte  et  Dote  20.  Édit  1865. 


572  COURS    ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

bonne  foi,  cet  acheteur  est  certainement  propriétaire,  quoiqu'il 
sache  que  son  auteur  avait  primitivement  reçu  la  chose  a  non  domino  ; 
s'il  invoquait  une  prescription  accomplie  par  lui-même,  il  aurait 
besoin  de  la  prescription  de  trente  ans;  mais  puisqu'il  invoque  la 
prescription  accomplie  par  son  vendeur  qui  était  de  bonne  foi,  il 
peut  se  prévaloir  de  la  prescription  de  dix  ou  vingt  ans.  S'il  en 
était  autrement,  le  vendeur  de  l'immeuble,  ou  du  meuble,  dans 
notre  hypothèse,  se  trouverait  exposé  à  une  action  en  garantie 
pour  avoir  vendu  une  chose  qui  lui  appartenait  légalement  au  moment 
de  la  vente. 

387  bis.  XIV.  Le  second  alinéa  de  l'article  2279  consacre  une 
exception,  qui  est  la  conséquence  du  motif  de  justice  sur  lequel 
nous  avons  appuyé  la  justification  de  la  maxime  :  En  fait  de  meubles 
la  possession  vaut  titre.  Quand  on  ne  peut  pas  reprocher  au  pro- 
priétaire dépossédé  d'avoir  mal  placé  sa  confiance  en  donnant  volon- 
tairement la  détention  de  la  chose  à  quelqu'un  qui  en  a  abusé, 
son  droit  de  propriété  ne  se  perd  pas  par  la  simple  possession  qu'un 
tiers  acquiert  de  bonne  foi.  La  loi  reconnaît  au  propriétaire  dépos- 
sédé l'action  en  revendication. 

Les  cas  prévus  où  la  possession  a  changé  de  mains  sans  que  le 
propriétaire  ait  à  se  reprocher  une  confiance  mal  placée,  sont  les 
cas  de  perte  ou  de  vol;  la  chose  a  été  perdue  ou  volée,  celui  qui 
l'a  trouvée  ou  le  voleur  ne  peut  pas  se  prévaloir  de  l'article  2279, 
cela  va  de  soi,  il  n'a  pas  la  bonne  foi  ;  mais  le  tiers  qui  reçoit  de  ce 
possesseur  pourrait,  s'il  était  de  bonne  foi,  invoquer  la  disposition 
de  cet  article,  si  le  deuxième  alinéa  de  l'article  n'avait  pas  restreint 
la  portée  du  premier. 

387  bis.  XV.  Le  vol  prévu  par  l'article  2279,  c'est  le  vol  que 
caractérise  l'article  379  du  Code  pénal,  le  fait  de  soustraire  frau- 
duleusement une  chose;  or,  le  mot  soustraire  emporte  l'idée  d'une 
appréhension,  d'un  déplacement  qui  doit  être  le  fait  du  coupable; 
l'article  379  n'est  donc  pas  applicable  à  celui  qui  reçoit  la  chose  ou 
à  qui  la  chose  est  remise  et  qui  ensuite,  dans  un  esprit  de  fraude, 
la  retient  ou  en  dispose  au  préjudice  du  véritable  propriétaire. 
Cette  définition  du  vol  et  sa  parapbrase,  que  nous  empruntons  à  un 
arrêt  de  la  Cour  de  cassation  (i),  montrent  toute  la  distance  qui 
sépare  le  vol  français  du  furtum  romain;  on  voit  en  effet,  dans  les 

(1)  V.  C.  C,  2  mai  1845,  Sirey,  1845, 1,  474. 


T1T.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2279,  573 

Institutes  de  Justinien  que  le  furtum  ou  contredatio  rei  fraudulosa 
comprend  des  cas  où  le  coupable  a  retenu  la  chose  que  le  propriétaire 
lui  avait  remise,  par  exemple  à  titre  de  gage,  de  dépôt  ou  de  com- 
modat  (1).  Si  ces  hypothèses  et  autres  semblables  avaient  été  com- 
prises sous  la  dénomination  de  vol,  le  deuxième  alinéa  de  l'ar- 
ticle 2279  aurait  absolument  détruit  le  premier,  car  nous  avons 
montré  que  l'article  se  plaçait  toujours  dans  l'hypothèse  où  le  pos- 
sesseur tient  la  chose  d'un  détenteur  précaire.  Dans  ces  hypothèses, 
le  détournement  frauduleux  de  la  chose  ne  constitue  pas  un  vol, 
mais  un  acte  de  délit  qualifié  abus  de  confiance  (art.  408,  G.  P.),  et 
par  conséquent  la  disposition  de  l'article  2279,  deuxième  alinéa,  ne 
lui  est  point  applicable  (2). 

387  bis.  XVI.  La  revendication  qui  appartient  au  propriétaire  au 
cas  de  vol  ou  de  perte  peut  être  intentée  pendant  trois  ans,  non- 
seulement  donc  contre  l'inventeur  ou  le  voleur,  mais  contre  tout 
possesseur,  elle  pourra  être  intentée  pendant  ce  délai.  Ce  n'est 
pas,  il  faut  le  remarquer,  l'ancienne  usucapion  des  meubles  telle 
que  la  réglementaient  les  Institutesj  car  l'extinction  du  droit  du 
propriétaire  s'accomplit  par  le  simple  laps  de  temps,  sans  condition 
de  possession,  ce  qui  ressort  du  texte  de  l'article  qui  fixe  pour 
point  de  départ  du  délai  le  jour  de  la  perte  ou  du  vol.  Il  en  résulte 
que  le  possesseur  actionné  en  revendication  peut  repousser  la  pré- 
tention de  demandeur  alors  même  qu'il  possède  seulement  depuis 
quelques  jours,  pourvu  que  le  délai  de  trois  ans  soit  expiré. 

387  bis.  XVII.  Il  faut  bien  comprendre  toutefois  la  portée  de  l'ar- 
ticle 2279,  deuxième  alinéa.  C'est  une  restriction  à  la  première 
partie  du  même  article,  son  premier  mot  le  prouve,  il  ne  statue 
donc  que  sur  les  personnes  dont  traitait  le  premier  alinéa.  Ces  per- 
sonnes, nous  l'avons  dit,  ce  sont  les  possesseurs  de  bonne  foi; 
l'exception  qui  les  concerne  consiste  en  ce  qu'ils  ne  sont  protégés 
contre  la  revendication  qu'après  trois  ans  écoulés:  des  possesseurs 
de  mauvaise  foi,  il  ne  peut  être  question,  puisque  l'article  ne  les 
concernait  pas  et  qu'il  n'y  avait  pas  quant  à  eux  à  restreindre  l'effet 
d'une  disposition  favorable.  Ils  restent  dans  la  position  que  leur 
font  les  principes  généraux,  ils  ne  peuvent  invoquer  que  la  pres- 
cription de  trente  ans.  Leur  appliquer  celle  de  trois  ans,  ce  serait 

(1)  V.  Institut.,  1  IV,  t.  K,  §§  6  et  7. 

(2)  V.  G.  C,  21  décembre  1863,  Sirey,  1865,  I,  187,  et  G.  Bordeaux,  26  mai 
1873  ,  Sirey,  1874,  2,  5. 


574  COUHS   ANALYTIQUE    DE   CODE   CIVIL.    LIV.    III. 

les  mieux  traiter  au  cas  de  vol  que  dans  les  autres  hypothèses,  ce 
qui  est  inadmissible. 

388.  Danslescasoùlarevendication  des  meubles estadmise, 
il  est  clair  que  le  possesseur  évincé  a,  s'il  y  a  lieu,  son  re- 
cours contre  son  auteur  (art.  2279,  in  fin.;  v.  a  ce  sujet  art. 
1599,  1626  et  suivants).  Mais  la  loi,  dans  l'intérêt  du  com- 
merce, accorde  une  faveur  plus  grande  à  l'acheteur  qui  n'a 
aucune  imprudence  à  se  reprocher  :  si  l'achat  a  eu  lieu  dans 
une  foire,  dans  un  marché  ou  dans  une  vente  publique,  ou  si 
le  vendeur  est  un  marchand  de  choses  pareilles,  l'acheteur 
n'est  tenu  de  rendre  la  chose  qu'en  recouvrant  le  prix.  V.  art. 
2280. 

388  bis.  I.  L'exception  admise  par  l'article  2279,  deuxième  alinéa, 
en  faveur  du  propriétaire  qui  n'a  pas  occasionné  par  sa  confiance 
l'événement  qui  l'a  dépossédé,  subit  elle-même  une  restriction  qui 
montre  bien  que  le  législateur,  dans  toute  cette  matière,  a  pesé  avec 
soin  les  responsabilités  pour  imposer  la  perte  à  celle  des  deux 
parties  en  présence  qui  peut  avoir  quelque  imprudence  à  se  re- 
procher. 

Dans  le  cas,  eo  effet,  où  le  propriétaire  revendique  une  chose 
volée  ou  perdue,  s'il  n'a  pas  à  s'imputer  d'avoir  mal  placé  sa 
confiance,  il  a  cependant  commis  une  faute  au  point  de  vue  de  la 
surveillance  et  de  la  garde  de  ses  meubles;  s'il  s'adresse  à  un  pos- 
sesseur absolument  exempt  de  faute,  il  devient  injuste  que  la  perte 
retombe  sur  ce  possesseur.  Or,  de  quelle  faute  peut-on  accuser 
celui  qui,  voulant  acheter  un  meuble,  va  le  chercher  dans  la  bou- 
tique d'un  marchand,  dans  une  foire  ou  dans  un  marché?  que 
pourrait-il  faire  si  ce  n'est  pas  cela?  Les  ventes  se  font  en  ces  lieux- 
là  dans  les  conditions  normales,  sous  la  foi  des  autorités  qui  laissent 
le  commerçant  exercer  son  commerce,  ce  qui  suppose  qu'il  n'est  ni 
un  voleur  ni  un  receleur.  Ne  pouvant  pas  exiger  de  titre  de  pro- 
priété, parce  que  la  nature  des  choses  y  répugne  en  matière  de 
meubles,  l'acheteur  ne  pouvait  pas  procéder  autrement;  d'où  cette 
conséquence  qu'entre  lui  et  le  propriétaire  qui  n'a  pas  su  éviter  la 
perte  ou  le  vol  de  sa  chose,  il  est  juste  de  préférer  l'acheteur  au 
propriétaire. 

Le  droit  de  propriété  néanmoins  conserve  son  énergie;  le  pro- 


TIT.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2280.  575 

priétaire  peut  revendiquer,  mais  il  devra  rendre  le  possesseur 
indemne  en  lui  restituant  le  prix  qu'il  a  payé. 

388  bis.  II.  Si  l'on  examine  l'hypothèse  opposée  à  celle  que  régit 
l'article  2280,  on  voit  mieux  encore  par  antithèse  les  motifs  de  la 
loi.  Cette  hypothèse  opposée  est  celle  où  le  possesseur  n'a  pas 
acheté  d'un  marchand  vendant  des  choses  pareilles,  dans  un  marché, 
dans  une  foire  ou  dans  une  vente  publique  ;  dans  ces  circonstances, 
l'acheteur  a  confiance  dans  le  vendeur,  car  un  homme  prudent  doit 
craindre,  en  achetant  un  meuble  du  premier  venu,  d'avoir  affaire 
à  un  voleur.  La  vente  par  un  particulier  n'a  pas  le  caractère  pro- 
fessionnel, par  conséquent  habituel,  qu'a  la  vente  commerciale,  c'est 
toujours  un  événement  accidentel,  car  les  particuliers  sont  plutôt 
acheteurs  que  vendeurs;  ce  caractère  accidentel  doit  inspirer  cer- 
taine méfiance  à  l'acheteur,  qui  doit  s'enquérir  de  la  moralité  de 
celui  avec  qui  il  traite  et  qui  est  en  faute  quand  il  n'a  pas  suffi- 
samment éclairci  ce  point  important. 

388  bis.  III.  Les  articles  2279  et  2280  nous  ont  donné  la  théorie 
que  résume  la  règle  :  En  fait  de  meubles  la  possession  vaut  titre; 
il  nous  reste  cependant  un  point  à  examiner.  Quels  sont  exacte- 
ment les  biens  auxquels  s'applique  cette  formule?  Autrement  dit  : 
quel  est  le  sens  exact  du  mot  meubles  dans  l'article  2279? 

Nous  avons  toujours  raisonné  sur  des  hypothèses  où  il  s'agissait 
de  meubles  corporels,  les  seuls  qui  puissent  être  véritablement 
possédés.  Si  l'on  songe  à  des  meubles  incorporels,  des  rentes,  des 
créances,  des  actions  ou  intérêts  dans  des  sociétés,  il  devient  im- 
possible de  trouver  en  quoi  consisterait  la  possession.  Nous  l'avons 
dit  au  tome  V  (1),  on  ne  voit  pas  quel  fait  serait  le  fait  matériel 
qui  est  l'élément  essentiel  de  la  possession,  ce  ne  peut  être  la 
détention  du  titre  qui  constate  l'existence  du  droit,  car  ce  titre  n'est 
pas  le  droit  lui-même,  et  de  plus  la  détention  du  titre  ne  donne  pas 
au  détenteur  la  physionomie  d'un  titulaire  du  droit,  puisque  ce 
titre  contient  évidemment  un  nom  qui  n'est  pas  celui  de  ce  dé- 
tenteur. Quant  à  chercher  la  possession  dans  l'exercice  du  droit, 
ce  serait  souvent  chose  impossible,  puisque  le  droit  peut  ne  pas  se 
prêter  à  des  actes  réitérés  d'exercice,  par  exemple  lorsqu'il  s'agit 
d'une  créance  qui  ne  produit  pas  d'intérêts. 

Ajoutons  que  les  droits  dont  nous  parlons  ne  se  transmettent 

(1)  V.  t.  V,  n0  179  bis.  I. 


576  COURS   ANALYTIQUE    DE    CODE    CIVIL.    LIV.    III. 

pas  habituellement  par  un  simple  acte  de  la  volonté  suivi  de  tra- 
dition, comme  les  meubles  corporels,  et  que  par  la  force  même 
des  choses  leur  transmission  suppose  la  rédaction  d'actes  écrits  et 
l'accomplissement  de  certaines  formalités  (art.  1690).  Dès  lors,  la 
principale  raison  d'être  de  l'article  2279  manque  quand  il  s'agit 
de  choses  incorporelles;  le  prétendu  titulaire  du  droit  doit  pouvoir 
facilement  opposer  un  titre  à  celui  qui  prouve  avoir  eu  ce  droit 
antérieurement  à  lui,  d'où  il  résulte  que  la  règle  :  En  fait  de  meu- 
bles la  possession  vaut  titre,  ne  peut  plus  s'appuyer  sur  un  motif 
d'utilité  sociale,  sur  l'impossibilité  d'assurer  autrement  la  sécurité 
des  ayants  droit  apparents. 

388  bis.  IV.  Il  faut  cependant  assimiler  aux  meubles  corporels 
les  droits  constatés  par  des  titres  au  porteur.  Par  l'adoption  de  cette 
forme  de  titres,  on  a  en  quelque  sorte  matérialisé  le  droit,  on  l'a 
assimilé  à  une  chose  corporelle,  puisque  le  droit  doit  passer  de 
personne  à  personne  avec  la  possession  de  l'écrit  qui  en  constate 
l'existence.  Quant  à  cet  écrit,  qui  est  un  objet  matériel,  l'article 
2279  est  applicable,  d'où  il  résulte  que  quant  au  droit  lui-même 
il  est  en  principe  soumis  aux  règles  de  cet  article. 

388  bis.  V.  Cependant  une  loi  du  lo  juin  1872  a,  sur  un  grand 
nombre  de  points,  abandonnné  les  régies  de  l'article  2279.  Son 
article  premier  permet  au  propriétaire  de  titres  au  porteur  qui  en 
a  été  dépossédé  par  quelque  événement  que  ce  soit,  de  se  faire  restituer 
contre  cette  perte  dans  une  certaine  mesure  et  sous  certaines  con- 
ditions. 

Des  termes  mêmes  que  nous  venons  de  reproduire,  il  résulte 
que  la  loi  ne  suppose  pas  seulement  la  perte  ou  le  vol  des  titres, 
mais  qu'elle  s'applique  aussi  au  cas  d'abus  de  confiance,  puisqu'elle 
parle  de  tout  événement  dépossédant  le  propriétaire. 

Moyennant  que  le  propriétaire  du  titre  aura  fait  notifier  par 
huissier  sa  dépossession  à  l'établissement  contre  lequel  existe  le 
titre  (art.  2),  et  qu'il  aura  également  notifié  une  opposition  au 
syndicat  des  agents  de  change  de  Paris  (art.  11),  il  empêchera  la 
négociation  du  titre,  car  toute  négociation  ou  transmission  amiable 
postérieure  à  un  certain  délai  indiqué  par  l'article  12,  sera  sans 
effet  vis-à-vis  de  lui,  alors  même  que  la  négociation  ou  transmission 
aurait  eu  lieu  ailleurs  qu'à  Paris. 

Dans  les  conditions  donc  prévues  par  l'article  12,  l'article  2279, 
1er  alinéa,  n'est  pas  applicable  quant  aux  titres  qui  ont  été  l'objet 


T!T.    XX.    DE    LA    PRESCRIPTION.    ART.    2280.  577 

d'un  abus  de  confiance,  la  possession  de  bonne  foi  n'en  donne  pas 
la  propriété;  et  quant  à  ceux  qui  ont  été  volés  ou  perdus,  l'article 
2279,  2e  alinéa,  et  l'article  2280,  perdent  leur  empire,  puisque  la 
revendication  dure  plus  de  trois  ans  et  qu'il  n'existe  pas  de  tempé- 
rament en  faveur  du  possesseur  qui  a  acheté  le  titre  même  à  la 
Bourse,  c'est-à-dire  en  un  marché  public. 

Nous  venons  de  dire  que  la  revendication  dure  plus  de  trois  ans; 
il  s'agit,  en  effet,  d'une  revendication,  puisque  d'après  l'article  12, 
la  cession  est  sans  effet  vis-à-vis  de  l'opposant;  celui-ci  est  donc 
resté  propriétaire,  et  comme  la  loi  n'a  pas  limité  la  durée  de  la 
prescription  qui  s'accomplit  contre  lui,  cette  prescription  doit  être 
de  trente  ans. 

388  bis.  VI.  La  loi  examine  dans  l'article  14  l'hypothèse  d'une 
cession  opérée  avant  le  délai  fixé  par  l'article  12.  Elle  renvoie 
alors  aux  dispositions  des  articles  2279  et  2280,  d'où  il  résulte  que 
la  possession  vaut  titre  au  cas  de  dépossession  pour  abus  de  con- 
fiance, et  qu'au  cas  de  perte  ou  de  vol,  le  possesseur  de  bonne  foi 
pourrait  être  actionné  en  revendication  pendant  trois  ans,  sauf  à  se 
faire  restituer  le  prix  d'acquisition,  s'il  a  acheté  dans  un  marché 
public  ou  chez  un  marchand  vendant  des  choses  pareilles,  c'est-à- 
dire  à  la  Bourse  ou  chez  un  changeur  (1). 

388  bis.  VII.  En  terminant,  nous  ferons  observer  que  la  loi  de 
1 872  ne  s'applique  ni  aux  billets  de  la  Banque  de  France  ni  aux 
titres  au  porteur  de  rentes  sur  l'État  (art.  16,  1er  alinéa).  Le  rap- 
porteur de  la  loi  justifie  la  première  exception  en  se  fondant  sur 
ce  que  le  billet  de  banque  doit  remplir  le  rôle  de  monnaie,  et  qu'il 
importe  que  sa  circulation  s'opère  sans  formalités  et  sans  vérifica- 
tion. Quant  aux  rentes  sur  l'État,  c'est  l'intérêt  de  l'État  lui-même 
qui  a  été  invoqué,  il  eût  pu  encourir  des  responsabilités  à  raison 
de  ce  que  les  nombreux  fonctionnaires  qui  paient  les  arrérages 
de  ces  rentes  auraient  été  difficilement  au  courant  des  oppositions 
et  auraient  payé  par  ignorance  des  faits  de  perte  ou  de  vol.  Cette  rai- 
son, qui  ne  vise  qu'une  des  parties  de  la  loi  et  non  pas  celle  qui  nous 
intéresse,  a  cependant  suffi  pour  soustraire  ces  titres  à  la  loi  tout 
entière  (2). 

388  6i*.  VIII.  Parmi  les  choses  incorporelles,  les  Romains  énu- 

(1)  V.,  sur  les  divers  points  traités  par  la  loi  de  1872  el  qui  sont  étrangers  à  la 
théorie  de  l'article  2279,  M.  Boistel,  Précis  de  Droit  commercial,  p.  425,  3*  éd. 

(2)  V.  rapport  de  M.  Grivart.  Sirey,  Lois  annotées,  1872,  p.  247. 

vin.  15" 


578  COUKS   ANALYTIQUE    DE    GODE    CIVIL.    L1V.    111 . 

muraient  les  hérédités;  la  doctrine  moderne  reconnaît  également 
que  la  succession  considérée  comme  droit  à  l'ensemble  des  biens 
d'un  défunt  est  une  chose  incorporelle.  Si  tous  les  biens  sont  meu- 
bles, le  droit  de  succession  est  mobilier.  Ce  n'est  pas  une  raison 
pour  que  le  droit  soit  régi  par  l'article  2279.  Il  est  vrai  qu'on  admet 
qu'une  succession  peut  être  possédée,  on  a  bien  souvent  parlé  de 
l'héritier  apparent  qui  n'est  qu'un  possesseur  d'hérédité;  malgré 
cela,  les  motifs  sur  lesquels  s'appuie  l'article  2279  moutrent  qu'il 
ii)  a  pas  lieu  de  dire  que  pour  ce  genre  de  biens  la  possession 
vaut  titre.  Ce  n'est  pas  une  nécessité  commerciale  que  les  droits 
successifs  se  transmettent  facilement  ;  de  plus,  il  n'est  pas  possible 
qu'on  prétende  avoir  acquis  un  droit  de  cette  nature  par  une  simple 
convention  suivie  de  tradition;  le  possesseur  de  l'hérédité,  s'il  se 
prétend  héritier,  s'appuie  sur  la  loi  et  sur  sa  qualité  de  parent  ;  la 
loi,  il  est  à  la  portée  de  tous  de  l'invoquer;  quant  à  la  qualité  et  au 
degré  de  la  parenté,  on  ne  peut  pas  dire  qu'il  soit  difticile  de  les 
prouver  légalement  à  raison  d'habitudes  et  de  nécessités  empê- 
chant les  constatations  régulières.  Si  le  possesseur  se  prétend  léga- 
taire, comment  interdire  la  revendication  contre  lui  alors  qu'il  ne 
présente  pas  un  testament?  Le  possesseur  enfin  peut  être  un  ces- 
sionnaire  des  droits  successifs  d'un  héritier  apparent,  alors  il  est 
impossible  de  prétendre  qu'il  n'est  pas  en  faute  quand  il  n'a  pas 
préparé  des  preuves  régulières  du  contrat  de  cession. 

388  bis.  IX.  Quand  nous  admettons  l'action  réelle  en  pétition 
d'hérédité  à  propos  des  successions  mobilières,  nous  supposons  que 
le  défendeur  s'est  comporté  comme  un  héritier  ou  un  successeur 
universel,  qu'il  possède  en  un  mot  pro  hœrede;  c'est  la  condition 
nécessaire  à  l'existence  d'une  telle  action,  il  faut  que  la  contesta- 
tion porte  sur  la  qualité  même  d'héritier,  et  non  pas  seulement  sur 
la  propriété  de  biens  que  le  défendeur  ne  possède  pas  à  titre 
héréditaire.  Si  donc  un  possesseur  de  certains  meubles,  faisant 
partie  d'une  succession,  ne  se  présente  pas  comme  successeur 
universel,  la  question  devient  une  pure  question  de  revendication, 
et  par  conséquent  l'action  ne  peut  être  exercée  que  dans  les  cas 
où  la  règle  :  En  fait  de  meubles,  la  possession  vaut  titre,  reçoit 
des  exceptions.  Il  en  serait  ainsi  alors  même  que  le  possesseur 
n'alléguerait  aucun  titre  et  qu'il  serait,  par  conséquent,  ce  que  les 
Romains  appelaient  un  possessor  pro  possessore,  qui  possidet  quia 
possidet.  Si  l'on  doit  admettre  en  règle  générale  l'idée  romaine  et 


T1T.    XX.    DE    LA   PRESCRIPTION.    ART.    2280,    2281.      579 

dire  que  la  pétition  d'hérédité  peut  être  dirigée  contre  un  possessoi- 
pro possessore ,  il  faut,  en  tout  cas,  la  rejeter  en  matière  mobilière, 
car  il  n'y  a  pas  à  demander  en  cette  matière  la  cause  de  la  posses- 
sion, il  n'a  pas  besoin  de  répondre  possideo  quia  possideo,  sa  pos- 
session vaut  titre,  elle  suffît  à  tout  et  elle  répond  à  tout.  On  com- 
prend que,  sur  ce  point,  l'article  2279  ait  dû  modifier,  en  matière 
mobilière,  la  règle  romaine  sur  la  pétition  d'hérédité. 

389.  Le  respect  des  droits  acquis  a  dicté  la  disposition 
finale  de  ce  titre.  Il  ne  fallait  pas  que  la  loi  nouvelle  ôtât  à 
l'action  du  créancier  ou  du  propriétaire  la  durée  qui  lui  était 
promise  par  la  législation  sous  laquelle  elle  avait  pris  naissance. 
Ainsi  les  prescriptions  commencées  lors  de  la  publication  du 
Code  ont  continué  a  être  régies  par  les  lois  anciennes.  Le 
législateur,  toutefois,  fait  exception  a  cette  règle,  et  déclare 
la  prescription  accomplie,  si,  depuis  cette  publication,  il  s'est 
écoulé  le  temps  fixé  pour  la  prescription  aujourd'hui  la  plus 
longue,  celle  de  trente  ans.  V.  art.  2281. 


TABLE  DES  MATIERES 

CONTENUES  DANS  CE  VOLUME. 


LIVRE   TROISIÈME. 

TITRE  NEUVIEME. 

Pages. 

Du  contrat  de  société • 1 

CHAP.  I.     Dispositions  générales . »>• 

CHAP.  H.    Des  diverses  espèces  de  sociétés 6 

Sect.  i.   Des  sociétés  universelles 7 

Sect.  ii.  De  la  société  particulière 12 

CHAP.  III.    Des  engagements  des  associés  entre  eux  et  à  l'égard 

des  tiers * 3 

Sect.  i.   Des  engagements  des  associés  entre  eux.  il. 
§  1 .  Du  commencement  et  de  la  durée  de  la 

société • ^ f 

§  2.  Des  obligations  de  chaque  associé  envers  la 

société '"• 

CHAP.  IV.  Des  différentes  manières  dont  finit  la  société 47 

TITRE  DIXIÈME. 

Du  prêt |î* 

CHAP.  I-     Du  prêt  à  usage  ou  commodat »* 

Sect.  i.     De  la  nature  du  prêt  à  usage »&. 

Sect.  h,  Des  engagements  de  l'emprunteur.. 68 

Sect.  m.  Des  engagements  de  celui  qui  prête   à 

usage 77 

CHAP.  H.    Du  prêt  de  consommation  ou  simple  prêt 78 

Sect.  i.    De  la  nature  du  prêt  de  consommation. .  79 

Sect.  il.  Des  obligations  du  prêteur 88 

Sect.  ni.  Des  engagements  de  l'emprunteur 89 

CHAP.  III.  Du  prêt  à  intérêt 92 

TITRE  ONZIÈME. 

Du  dépôt  et  du  séquestre 1  i3 

CHAP.  I.      Du  dépôt  en  général  et  de  ses  diverses  espèces %b. 


582  TABLE    DES   MATIÈRES. 

Pagi  i. 

CHAP.  II.     Du  dépôt  proprement  dit 444 

Sect.  i.    De  la  nature  et  de  l'essence  du  contrat  de 

dépôt jjK 

Sect.  ir.   Du  dépôt  volontaire 44g 

Sect.  m.  Des  obligations  du  dépositaire 421 

§  4.  De  l'obligation  de  garder  la  chose ib. 

§  2.  De  l'obligation  de  restituer 429 

§  3.  Dispositions  communes  aux  deux  obligations 

du  prêteur mt  4  gg 

Sect.  iv.  Des  obligations  de  la  personne  par  laquelle 

le  dépôt  a  été  fait 4 39 

Sect.  v.   Du  dépôt  nécessaire 4  49 

CHAP.  III.  Du  séquestre , ^11 

Sect.  i.    Des  diverses  espèces  de  séquestre ib. 

Sect.  h.  Du  séquestre  conventionnel n\ 

Sect.  iii.  Du  séquestre  ou  dépôt  judiciaire 448 

TITRE  DOUZIÈME. 

Des  contrats  aléatoires 454 

CHAP.  I.     Du  jeu  et  du  pari 45g 

CHAP.  II.    Du  contrat  de  rente  viagère 4  go 

Sect.  i.    Des  conditions  requises  pour  la  validité 
du  contrat  (ou,  plus  exactement,  de  la 

constitution  de  rente  viagère) ib, 

Sect.  ii.  Des  effets  du  contrat  entre  les  parties 

contractantes 479 

TITRE  TREIZIÈME. 

Du  mandat 489 

CHAP.  I.      De  la  nature  et  de  la  forme  du  mandat ib, 

CHAP.  II.    Des  obligations  du  mandataire 20-'i 

CHAP.  III.  Des  obligations  du  mandant 24  fi 

CHAP.  IV.  Comment  finit  le  mandat 228 

TITRE  QUATORZIÈME. 

Du  cautionnement 233 

CHAP.  1.      De  la  nature  et  de  l'étendue  du  cautionnement 234 

CHAP.  II.     De  l'effet  du  cautionnement 2ofi 

Sect.  i.     De  l'effet  du  cautionnement  entre  le  créan- 
cier et  la  caution ib. 

Sect.  ii.    De  l'effet  du  cautionnement  entre  le  dé- 
biteur et  la  caution 274 


TABLE    DES   MATIÈRES.  583 

Pages. 

Sect.  m.  De  l'effet  du  cautionnement  entre  les  co- 

fidéjusseurs 287 

CHAP.  111.  De  l'extinction  du  cautionnement ~>'Ji 

CHAP.  IV.  De  la  caution  légale  et  de  la  caution  judiciaire 30'J 

TITRE  QUINZIÈME. 

Des  transactions ;  1 1 

TITRE   SEIZIÈME. 

De  la  contrainte  par  corps  en  matière  civile 35* 

TITRE  DIX-SEPTIÈME. 

Du  nantissement 356 

CHAP.  I.      Du  gage 359 

Sect.  i.    Du  droit  du  gage 360 

Sect.  il.   Des  obligations  qui  naissent  du  contrat 

du  gage 38 1 

CHAP.  11.    De  l'antichrèse 396 

TITRE   VINGTIÈME. 

De  la  prescription 41  i 

CHAP.  I.      Dispositions  générales ib. 

CHAP.  II.     De  la  possession 430 

CHAP.  111.   Des  causes  qui  empêchent  la  prescription 456 

CUAl\  IV.   Des  causes  qui  interrompent  ou  suspendent  le  cours 

de  la  pre-cription 468 

Sect.  i.    Des  causes  qui  interrompent  la  prescrip- 
tion   469 

Sect.  u.    Des  causes  qui  suspendent  la  cours  de  la 

prescription 49 1 

CHAP,  V,    Du  temps  requis  pour  prescrire 517 

Sect.  i.    Dispositions  générales ib. 

Sect.  h.   De  la  prescription  trentenaire 521 

Sect.  ni.  De  la  prescription  de  dix  et  vingt  ans. . .  531 

Sect.  iv.  De  quelques  prescriptions  particulières.  555 


1MRIS.    —    TYPOGRAPHIE    DE   E.    PLO.V,    NOURRIT    ET   Cie,    RUE   GARANCIKRE,    : 


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