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COURS ANALYTIQUE
DE
CODE CIVIL
PARIS. TYPOGRAPHIE E. PLON, NOURRIT et O
RDE GARANCIÈRE. 8.
COURS ANALYTIQUE
DE
CODE CIVIL
PAR
A. M. DEMANTE,
AVOCAT A LA COUR d'aPPFL, PROFESSEUR A LA FACULTÉ DE DROIT DE PARIS,
ANCIEN MEMHRE DES ASSEMBLÉES NATIONALES,
CONTINUÉ DEPUIS L'ARTICLE 980
PAR
E. COLMET DE SANTERRE,
AVOCAT,
PROFE8SEUR DE CODE CIVIL A LA FACULTÉ Dr. DROIT DE PARIS.
TOME HUITIEME
ART. 1832-2091 — 2219-2281
PARIS
LIBRAIRIE PLON
E. PLON, NOURRIT et Cie, IMPRIMEURS-ÉDITEURS
10, RUE GARANCIÈRE
1884 /%*«*»
■dm t.
SOMMAIRES.
LIVRE III.
TITRE IX.
DU CONTFiAT DE SOCIÉTÉ.
CHAPITRE PREMIER.
DISPOSITIONS GÉNÉRALES.
- a<jes ,
1. Caractères du contrat de société. Art. 183% (I). \
2. Ses conditions essentielles. Art. 1833. 2
2 bis. I. Énumération des conditions. ib.
2 bis. II. Consentement. ib.
% bis. III-IV. Apport. ib.
2 bis. V. Objet de la société. ib.
2 bis. VI. Société dont l'objet est illicite. 3
2 bis. VII. But de la société. ib.
2 bis. VIII. Les bénéfices à pôrîager doivent être pécuniaires ou
appréciables en argent. 4
2 bis. IX. Ils doivent provenir de la communauté des apporta. ib.
3. Preuve du contrat de société. Art. 1831. ib.
3 bis. I. Anciennes sociétés taisibles. o
3 bis. II. Il faut appliquer à la société toutes les règles qui ré-
gissent l'admission de la preuve testimoniale. ib.
3 bis. III. Pour appliquer l'article 1341 il faut considérer la va-
leur des apports réunis. 6
CHAPITRE II.
DES DIVERSES ESPÈCES DE SOCIÉTÉS.
4. Énumération des diverses sociétés. Art. 1835. ib.
(1) Les paragraphes imprimés en gros caractères sont la reproduction du Pro-
gramme du cours de Droit civil de M. Deïiaxte; les paragraphes portant les n°* bis
sont l'œuvre ds M. Colmet dk Santerbe.
viii. a
u SOMMAIRES.
SECTION I.
Des sociétés universelles.
6. Deux espèces de sociétés universelles. Art. 1836. 7
5 6is. Troisième espèce de sociétés universel les. »&.
6. Société de tous biens présents. Art. 183». 8
7. Société universelle de. gains. Art. 1838. ib.
7 bis. I-IH. Développements sur ces trois espèces de sociétés uni-
verselles. *"'
8-10. Passif des sociétés universelles.
10 bis. Passif des sociétés de gains. f 0
41-3. Dettes nées pendant la société. ">•
13 bis. Dettes résultant de délits. **
14. Interprétation des conventions de sociétés universelles. Art.
183». *■
15. Capacité spéciale pour faire ces convoitions. Art. 1840. ib.
15 bis. Les contractants ne sont pas incapables par cette seule
raison qu'ils auraient des héritiers à réserve. ib.
SECTION II.
De la société particulière.
16. Définitions. Art. 1841. 184«. 12
16 bis. Exemples de sociétés civiles. ib.
CHAPITRE III.
DES ENGAGEMENTS D::S ASSOCIÉS ENTRE EUX ET A l/ÉGARD DES TIERS-
SECTION I.
Des enyagements des associés entre eux.
17. Division do la section. 13
§ 1".
Du commencement et de la durée de la société.
18-19. Commencement de la société. Art. 1843. 4 4
20. Durée de la société. Art. 1844. ib.
§2.
Des obligations de chaque associé envers la société.
21 . Énumération des obligations. ib.
21 bis. Réserve sur la question de la personnalité des sociétés. 1 4
SOMMAIRES. III
22-23. Obligation de fournir l'apport. Art. 1845. 15
23 bis. I. L'associé n'est quelquefois obligé que comme le sérail
un bailleur. ib.
23 bis. II. Il duit la garantie des défauts cachés. ib.
24. Apport en argent. Art. 18 1«. 16
24 bis. I. Double dérogation à l'article 1 153. j'6.
24 bis. II. Quand l'apport n'est pas promis en argent, le débiteur
doit être mis en demeure. ib.
25. Obligation résultant de la promesse d'apport en industrie.
Art. a 84». 17
26-27. Cas eu l'associé est créancier d'un débiteur de la société.
Arî. 1848. ib.
27 bis. I-III. Conciliation t ntre l'article 1848 et les articles 1 253 -
1256. ib.
27 bis. IV. Au cas prévu par l'article 1848, la règle de cet article
régit les rapports de l'associé avec le débiieur. 18
28. L'associé reçoit sa part d'une créance commune. Art. 1849. 19
28 bis. I. La règle dérive de l'obligation de veiller aux affaires so-
ciales, ib.
28 bis. IL La règle ne s'applique pas au cas de compensation. ib.
29. Associé responsable de ses négligences. Art. 1850. 20
29 bis. I. L'associé doit apporter tous les soins d'un bon père de
famille. t'6.
29 bis. IL II ne suffirait pas qu'il apportât aux affaires sociales le
soin qu'il apporte aux siennes. ib.
29 bis. III. On doit se contenter de la diligence d'un bon père de
famille. 21
§ 3.
Des obligations de la société envers chaque associé.
30. Deux obligations. ib.
31. Restitution de l'apport en jouissance. Art. 1851. ib.
31 bis. Développement. 22
32. Indemnités due: à l'associé. Art. 1859. 23
32 bis. I. Indemnités des risques éprouvés. ib.
32 bis. IL Indemnités des déboursés. ib.
33. Les obligations de la société envers les associés se divisent. 24
§4.
Des parts des associés dans les gains et les pertes de la société.
34. La loi ne règle la participation aux pertes et gains qu'à défaut
de convention. $6.
35. La part dans les pertes est la même que la part dans les gains.
Art. 1853. al. 1 . 24
a.
1V SOMMAIRES.
36. Cas où l'apporl d'un aisocié est en industrie. Art. 1853,al 2. 25.
36 bis. I. Apport composé en valeurs et en industrie. ib.
36 bis. IL Cas où l'apport étant promis en industtie, la société est
dissoute prématurément. 26
37. Règlement des parts par un tiers. Art. 1854. »6.
38-39. Convention qui priverait un associé de toute part dans les
gains, ou qui affranchirait l'apport d'un associé de toute paît
dans les pertes. Art. 1855. 27
39 bis. 1. Motifs de l'article. *'&•
39 bis. II. Convention qui tendrait a éluder la règle. 28
39 bis. III. La convention peut soustraire aux pertes l'associé qui
f.iit son apport en industrie. ib.
39 bis. IV. Les clauses prohibées par l'article annulent toute la con-
vention. **■
40. Les bénéfices se calculent pertes déduites. 29
§ 5.
De l'administration de la société et des pouvoirs de chaque associé.
41. Ordre des dispositions de la loi. s6.
42. Cas où un associé est chargé d'administrer. Art. 1856. ib.
42 bis. I. Mandat d'administrer conféré par l'acte de société. 30
42 bis. 11-111. Étendue des pouvoirs. ib.
42 bis. IV. Mandat postérieur à l'acte de société. 31
43. Administration confiée à plusieurs associés. Art. 1859. 32
44. Suite. Art. 1858. ib.
45. En l'absence de convention, l'administration appartient à tous.
Art. 1859-1°. ib.
45 bis. I. Les associés se sont donné mutuellement pouvoir d'agir, ib.
45 bis. II. Opposition de l'un des associés à l'acte de l'autre. ib.
46. Les associés peuventse servir des r.hoses sociales. Art. 1859-
2°. 33
47. Dépenses de conservation. Art. 1859-3°. 34
48. Innovations, travaux. Art. 1859-4°. ib.
4S bis. Obligation do celui qui fait des travaux sans le consentement
des autres. - ib.
49. Aliénation des choses sociales. A rt. 1860. t'6.
49 bis. I. Quand il existe un administrateur, les autres ne peuvent
pas aliéner. ib.
49 bis. IL L'associé ne peat même pas aliéner sa part d'une chose
sociale. 35
50. Association d'un tiers soit à la société, soit à la part d'un associé.
Art. 1861. 36
50 bis. I. Impossibilité d'associer un tiers à la société. ib.
50 bis. II. L'associé peut assurer un tiers à sa part. — Effets de
cette convention. 37
SOMMAIRES. V
50 bis. III. Le sous-a?socié reste étranger aux choses sociales. 37
50 bis. IV. Immixtion du scus-3Ssocié dans les affaires fociales. 38
50 bis. V. Bénéfices qu'il a pu retirer des choses sociales. ib.
50 bis. VI-VII. Le sous-associé est cessionnaire des créances de
son cédant contre les autres associés. ib.
50 bis. VIII. Droit du sous-associé sur la propriété des choses so-
ciales. 39
50 bis. IX. Rapports du sous-associé et de son auteur. ib.
SECTION II.
Des engagements des associés à l'égard des tiers.
51. Les associés n'ont p^s mandat de s'obliger les uns les autres,
et il n'existe pas de solidarité entre eux. Art. 186%. ib.
52. L's associés sont tenis des dettes contractée* conjointement
pour leurs parts viriles. Art. 18G3. 40
52 bis. III. Dettes contractées conjointement par les associés. ib.
52 bis. III. Dettes contractées par un seul des associés. ib.
52 bis. IV. Associé mandataire exprès ou tacite. ib.
52 bis. V-VI. Mandataire contractant en soi; i om personnel. 41
53. Dettes contractées par un associé sans mandat. Art. Ï8G4. ib.
53 bis. 1. Associé gérant d'affaires des autres. 2*6.
53 bis. II-XIV. Apjendiee sur la personnalité dts sociétés. 42
CHAPITRE IV
DES DIFFÉRENTES MANIÈRES DONT FINIT LA SOCIÉTÉ.
54-58. É'îumération. Art. 1§C». 47
58 bis. Complément de cette énumération. 48
59. Idées générales sur les cas de d's-olution. ib.
60. Expiration du temps fixé. Art. S8GG. 49
60 bis. I-1I. Prorogation. — Preuve delà prorogation. ib.
60 bis. III. La continuation de l'état de fait créé par la société ne
vaut pas prorogation. 50
61. Extinction de la chose. Art. 18G9. ib.
61 bis. I. Perte du fonds social. ib.
61 bis. H. Cas où le fonds social est en argent. t'6.
61 bis. III. Perte partielle. 52
61 bis. IV. Perte total'5 de l'apport d'un associé. ib.
61 bis. V. Cas où l'apport a été promis en propriété. ib.
61 bis. VI- VIII. Conciliation des alinéas 1 et 3 de l'artic'e 1867. 53
61 bis. 1X-X. Cas où l'associé est en demeure d'effectuer son apport, ib.
61 bis. XI. Apport en jouissance. — Deux hypothèses. 54
61 bis. XII. Promesse de faire jouir de l'apport. ib.
M SOMMAIRES.
61 bis. XIII. Apport d'un droit réel do jouissance. 55
61 ois. XIV. Consommation de la négociation. ib.
62. Mol d'un associé. Art. 18«8. ib.
62 bis. I. Convention sur la conti iuation de h société après la mort
d'un associé. 56
62 bis. H. Absence de convention sur ce point. ib.
63. Dissolution parla volonté d'un associa. Art. 1869. 57
63 bis. Nullité de la renonciation qui n'a pas été notifiée à tous. ib.
64-65. Renonciation faite soit de mauvaise foi, soit à contre temp*.
Art. 1890. ib.
65 bis. Exemples. 58
66. Conséquences d'une renonciation qui ne réunit pas les con-
ditions requises. ib.
66 bis. Développement. ib.
67. Dissolution avant le terme pour justes motifs. Art. 1891. t'6.
67 bis. I. L'article 815 n'est pas applicable aux conventions de
société. 59
68. Partage des sociétés. Arl. 189«. 60
68 bis. I. L'article 883 est applicable au partage des sociétés. 61
68 bis. 11. A quelle époque remonte l'effet du partage? 62
68 bis. III. Droits créés sur les choses sociales pendant la société, t'6.
68 liis. IV. L'article 841 est applicable <n matière de sotiété. ib.
69. Renvoi au Droit commercial. Art. 1893. 63
TITRE X.
DU PRÊT.
70. Deux sortes de prêt. Art. 1 894. 64
70 bis. Commodat de choses qui se consomment par l'usage. ib.
71. Division du titre. 65
CHAPITRE PREMIER.
DU PRÊT A USAGE OU COMMODAT.
72. Division du chapitre. j5#
section ir«.
De la nature du prêt à usage.
73. Conditions du prêt à usage. Art. 1895, 1896. t'6.
73 bis. Disiinction entre le prêt à usage et le louage. 66
SOMMAIRES. VI]
74. Le prêt à usage est synallagmatique imparfait. 66
75. Distinction entre le commodat et le précaire. ib,
75 bis. Développement. Autres conventions voisines du commodat. 67
76. Le prêteur reste propriétaire. Art. 189 9. 68
77. Quelles choses peuvent être prêtées à usage. Art. 1898. ib.
78. Droit des héritiers de l'emprunteur. Art. 189». ib.
SECTION II.
Des engagements de l'emprunteur.
79. Obligation de restituer et de veiller sur la chose. Arl. 1 88©. ib.
80. L'emprunteur ne répond pas des cas fortuits. 69
81. Cas où il en répondrait. Art. 1881. ib.
Si bis. I. Motif de l'article. ib.
81 bis. II. Application de l'article 1302. 70
81 bis. III. L'emprunteur en demeure ne doitpasètre traité comme
le voleur. ib.
82. Responsabilité exceptionnelle du commodataire. Art. 188«. 71
82 bis. I— III . Tempérament à la première décision de l'article. ib.
82 bis. IV-VI. Explication de la deuxième décision. 72
83. Convention sur la responsabilité du commodataire. Art. 1883. 73
83. bis. Résultat de la clause d'estimation. ib.
84. L'emprunteur ne répond pas de la détérioration résultant de
l'usage. Art. 1884. 74
84 bis. I. Effet de la clause par laquelle l'emprunteur se charge de
cas fortuits. ib.
84 bis. II. Au cas de perte partielle de la chose estimée, il faut pro-
céder à une ventilation. «6.
85. La chose prêtée n'entre pas en compensation. Art. 1885. ib.
85 bis. Mil. Renvoi à l'article 1293. 75
85 bis. IV. Droit de rétention. ib.
86. Personne qui doit recevoir la restitution, lieu où doit se faire
la restitution. 76
87. Dépenses que l'emprunteur supporte. Art. 1886. ib.
87 bis. Obligation de faire ces dépenses. ib.
88. Solidarité des coemprunteurs. Art. 1881. ib.
SECTION III.
Des engagements de celui qui prête à usage.
89. Le prêteur n'est obligé qu'implicitement ou incidemment. 77
90. Obligation de ne pas troubler le commodataire. Art. 1888. t'6.
91 . Cas où le prêteur peut reprendre sa chose avant le temps fixé
expressément ou tacitement. Art. 1889. ib.
91 bis. Observation sur la disposition de l'article. ib.
Vin SOMMAIRES.
92. Dépenses que d-nt supporter le prêt ur. Art. 189©. 78
93. Responsabilité des défauts cachas. Art. 18 91. ib.
CHAPITRE II.
DU PI\KT DE CONSOMMATION OU SIMPLE PRÊT.
91. Notion du con'rat. ib*
SECTION Ire.
De la nature du prêt de consommation.
95. Quelles choses sont l'objet de ce contrat. Art. 189%. 79
96. L'emprunteur devient propriétaire. Art. 1893. ib.
96 bis. MI. Observations sur la définition du contrat. 80
96 bis. III. Prêt de la chose d'autrui. t'6.
96 bis. IV. Application de l'article 227 9. 81
96 bis. V. Cas où l'emprunteur de la chose d'autrui l'a consommée, ib.
96 bis. VI. Cas où la chose prêtée aurait été volée ou perdue. 82
97. Les risques sont à la charge de l'emprunteur. t'6.
97 bis. Application des règles sur les dettes de genre. t'6.
98. Nature des choses prêtées. Art. 1894. t'6.
98 bis. L'article ne contient qu'une règle d'interprétation. 83
99. Diverses hypothèses de prêt. 84
100. Prêt d'argent monnayé. Art. 1895. t'6.
4 00 bis. I. Le débiteur doit rendre le même nombre d'unités mo-
nétaires. 85
400 bis. IL Le Code ne tient pas compte des changements survenus
dans la valeur commerciale de la monnaie. t'6.
100 bis. IH-IV. Changement dans le titre de la monnaie. 86
400 bis. V. Convention sur la restitution en monnaie au même titre. 87
4 04-4 02. Prêt en lingols. Art. 189G, 189». t'6.
4 03. Le contrat de prêt de consommation est unilatéral. t'6.
SECTION II.
Des obligations du préteur.
404. Obligation de garantie des défauts; nécessité de ne pas de-
mander la restitution avant le terme. 88
4 04 bis. L'une de ces prétendues obligations n'exi-te p s, l'autre ne
naît pas de la convention. t'6.
405-106. Art. 1898, 1899. t'6.
406 bis. L'articbj 1889 n'est pas applicable au mutuum. 89
407. Terme tacite. Art. 1900. t'6.
408. Intervention du juge dans la fixation du terme. Art. 1901. t6.
SOMMAIRES. IX
SECTION III.
Des engagements de l'emprunteur.
109. Restitution. Art. I0O9. 89
409 bis. Lieu du paiement. 90
110. Paiement de l'estimation au cas où la livraison de la chose est
impossible. Art. 19©3. ib.
110 bis. Il ne s'agit pas de l'impossibilité absolue. 91
441. Retard du débiteur. Art. 1004. ib.
111 bis. Dérogation aux règles générales sur les dommages-intérêts, ib.
CHAPITRE III.
DU PRÊT A INTÉRÊT.
112. Le prêteur peut s'ipu'er un dédommagement pour la privation
du capital prèt'\ Art. 19G5. 92
112 bis. Analyse de la convention d'intérêt. 93
4I3. Les intérêts payés t-ont réputésavoirétéslipulés. Art. 1906. 94
114. Taux de l'intérêt. Art. ISO?, ib.
114 bis. Intérêt légal. — Intérêt conventionnel. 95
115. Loi du 3 septembre 1807. ib.
115 bis. I. Motifs de la loi. 96
115 bis. II-IV. Distinction entre les matières civiles et commerciales, ib.
115 bis. V-VI. Jurisprudence. 97
115 bis. VIL Explication des mots : sans retenue. 99
115 bis. VIII. Sanction civile de la loi du 3 septembre 4807. 400
115 bis. IX. Aggravation résultant de la loi du 19 septembre 1850. ib.
4 45 bis. X. Sanction pénale. ib.
4 45 bis. XL La règle finale de l'article 1907 n'est pas abrogée. ib.
1 15 bis. XII-XI1I. Quelle est la portée de cet'e règ'e. 101
116. Paiement du capital sons réserve des intérêts. Art. 1908. ib.
417. Contrat de constitution de rente. Art. 1999. 102
418. Deux espèces de rentes. Art. 1910. ib.
419. Rente constituée à titre gratuit. ib.
420. Les arrérages de 1 1 rente perpétuelle sont l'intérêt du capital, ib.
420 bis. I. Notion de U rente. 403
4 20 bis. II. L'ancienne rente foncière n'existe plus. ib.
420 bis. III. Les arrérages sont soumis à la loi de 4 807. ib.
424. Rachat de la rente. Art. 191 1. ib.
4 24 bis. I. Origine du mot rachat. 4 04
421 bis. IL La faculté de rachat est de l'ersence du contrat. 105
421 bis. III. Interdiction convent onneile du rachat pendant dix ans. ib.
121 bis. IV. Le droit de rachat se divise entre les héritiers du dé- ib.
biteur. «'6.
X SOMMAIRES.
122. Cas où le créancier peut exiger le r. mboursement du capital.
Art. 1919. 103
123. Autres cas. Art. IW13. 106
123 bis. 1. Dans les hypothèses prévues, le Code applique les articles
1184 et 1188. ib.
123 bit. Il-III. Interprétation commute de la première règle contenue
dans l'article 1912. ib.
123 bis. 1V-X. Discussion de cette doctrine. 107
123 bis. XI. Les juges peuvent accorder des délais. 109
123 bis. X1I-X1I1. Comment comprendre la cessation des paiements
d'arrérages pendant deux années. ib.
123 bis. XIV. La règle de l'artic'e 11tl s'applique aux rentes con-
stituées à i'occasion de la cession d'un immeuble. 110
123 bis. XV. Elle ne s'applique pas aux rentes constituées à titre
gratuit. 141
123 bis. XVI. Mais il faut appliquer l'article 1188. ib.
121. Renvoi. Art. 1914. 112
125. Transition. 113
TITRE XI.
DU DÉPÔT ET DU SÉQUESTRE.
CHAPITRE PREMIER.
nu dépôt en général et de ses diverses espèces.
126. Définitions. Art. 1015-1916. ib.
126 bis. Le séquestre n'est pas toujours un contrat. ib.
CHAPITRE II.
DU DEPOT PROPREMENT DIT.
127. Division du chapitre. <H4
SECTION irc.
De la nature et de l'essence du contrat du dépôt.
128. Le dépôt est gratuit. Art. 191 7. ib.
128 bis. MIL Cas où un salaire est stipule. ib.
129. Le dépôt a pour objet des meubles. Art. 1919. 115
129 bis. I. Dépôt de titres au porteur. ib.
1 29 bis. H. Convention semblable au dépôt quant aux immeubles. 1 1 6
SOMMAIRES. XI
129 bis. III. Dépôt des choses qui se consomment. 116
130. Le dépôt implique la détention par le dépositaire. Art. 19 J 9. 117
130 bis. I. Le dépôt est un contrat réel. ib.
130 bis. IL La tradition n'est pas nécessaire. ib.
131. Le dépôt n'est pas un contrat synallagmalique. 118
131 bis. Renvoi. ib.
132. Dépôt nécessaire. Art. 9 990. ib.
SECTION II.
Du dépôt volontaire.
133. Division de la section. ib.
134. Formation du contrat du dépôt volontaire. Art. 1921. ib.
134 bis. Distinction avec le dépôt nécessaire. 119
135. Régulièrement le dépôt doit être fait par le propriétaire. Art.
193^8. ib.
135 bis. I— II. Dépôt de la chose d'autrui. ib.
135 bis. III. Effets du dépôt de la chose d'autrui en're le déposant
et le dépositaire. I20
136. Preuve du contrat. Art. 1933, 19%4. 121
136 bis. I. Application des règles générales sur la preuve. ib.
136 bis. II. Aveu. 122
136 bis. III. Serment décisoire. ib.
136 bis. IV. Serment ^upplétoire. ib.
137. Capacité en matière de d^pôt. Art. 1995, 1996. ib.
137 bis. I. Nullité absolue du dépôt. 123
137 bis. IL Incapacité du dépositaire. ib.
137 bis III. Le dépositaire incapable a tiré quelque profit de la
chose. 1 24
137 6fs IV. Il l'a détruite. ib.
137 bis. V. L'incapable abusant du dépôt n'est pas coupable d'abus
de confiance. ib.
section m.
Des obligations du dépositaire.
138. Deux chefs d'obligation. ib.
§«.
De l'obligation de garder la chose.
139. Obligation de veiller à la conservation de la chose. Art. 19*?. ib.
139 bis. I. Motif de l'article. 4 25
139 bis. IL II ne faut pas prendre l'article dans un sens défavorable
au dépositaire. ib.
140. Cas où la responsabilité est plus rigoureuse. Art. 1928. ib.
XII SOMMAIRES.
4*4. Perlo par cas fortuits. Art. ■O'îO. 4 26
444 bis. Incendie. »&•
442. Le dépositaire ne peut pas se servir do la chose ni chercher à
la connaître si elle est enfermée sous clef ou scus cachet.
Arl. 1930, 1931. 127
4 42 bis. Choses dont le dépositaire peut se servir. H>.
§2.
De l'obligation de restituer.
4 43. Division du paragraphe. «6.
4 44. Rpst tution de la chose in specie. Arl. 1939. 428
445. Détériorations fortuites. Art. B 933. ib.
4 46. Enlèvement de la chose par force majeure. Art. 193 i. ib.
447. Vente de la chose déposée par l'héritier du dépositaire. Art.
1935. ib.
4 47 bis. I. Application de l'article 1 94*5 au cas de destruction de la
chose. I 29
4 47 bis. IL Et au cas de donation. i"6.
4 48. Fruits et intérêts de la chose déposée. Art. 1936. ib.
4 48 bis. I. L'aticle ne s'applique pss aux intérêts des sommes dé-
posées, ib.
4 48 bis. II— III. La disposition sur la demeure suppose un dépôt ir-
régulier. 430
4 49. La chose doit ê're rendre au déposant. Arl. 1939. 434
450. Droit du déposant qui a déposé la chose d'autrui. Art. 1938. ib.
450 bis. I. Les choses perdues doivent être assimilées aux choses
volées. 4 32
450 bis. II. Sanction de la règle. ib.
450 bis. III. Les juges auront à apprécier la sincérité de l'allégation
que la chose a été volée ou perdue. ib.
450 bis. IV-V. Ca-; où le propriétaire a revendiqué sa chose. 4 33
184. Mort du déposant. Arl. B939. ib.
454 bis. Cas où les héritiers ne s'accordent pas pour recevoir la res-
titution. 434
152-453. Changement d'état du déposant. Art. 1910-1941. ib.
4 54. Lieu où se fait la restitution. Art. 191^-19 83. t'6.
454 bis. I. Sens de l'expression : lieu du dépô'. 435
454 bis. II. Observation critique sur la décision de la loi. 436
4 55. Époque de la restitution. Art. 1944. ib.
4 55 bis. I. Cas où la restitution peut être refusée par la dépositaire. 137
455 bis. II. Autre cas. — Saisie-arrêt faite par le dépositaire entre
ses propres mains. i5.
SOMMAliiES. X1U
§3.
Dispositions communes aux deux obligations du dépositaire.
1 06. Deux dispositions. 138
157. Le dépositaire infidèle est privé du bénéfice de cession. Arl.
1945. ib.
157 bis. I. L'infidélité suppose la mauvaise foi. ib.
157 bis. II. Renvoi. ib.
!58. Situation du dépositaire qui découvre qu'il est propriétaire de
la chose déposée. Art. 19 JG. ib.
SECTION IV.
Des obligations de la personne par laquelle le dépôt a été fait.
159. Obligations accidentelles du déposant. Art. 1947. 139
159 bis. I. Exemples. ib.
159 bis. II. Différence entre les dejx obligations. ib.
159 bis. ÎII. Le dépositaire peut avoir le privilège de l'article 21 02-3° 140
160. Droit de rétention du dépositaire. Art. 194S. ib.
SECTION V.
Du dépôt nécessaire.
:G1. Définition. Art. 194». ib
162. Règ'e sur la preuve. Art. 1950. 14 1
163. Application des règles ordinaires du dé; ôt. Art. 1951. ib.
163 bis. I— II. Développement. ib.
1 64. Dépôt d hôtellerie. Art. 195%. 1 42
1 64 bis. Règle sur la preuve. 1 43
165. Responsabilité dy l'aubergiste. Art. 1953. ib.
165 bis. Cas où cesse cette responsabilité. Art. E954. ib.
166. Étendue de cette responsabilité. ib.
CHAPITRE III.
DU SÉQUESTRE.
SECTION Ire.
Des diverses espèces de séquestres.
167. Deux e-pèces de séquestres. Art. 1955. 144
\IV SOMMAI H ES.
SECTION II.
Du séquestre conventionnel.
168. Notion du séquestre conventionnel. Art. 165(5. 444
468 6/s. I— II . Le dépôt à litre de séquestre peut cire fait par une
seule des parties contendantes. 4 45
168 bis. III. Effet de cette convention à l'égard du contendant qui
y a été étrangt r. 146
169. Séquestre salarié. ib.
469 bis. Pas de solidarité entre les séquestres. Art. 1959» 1958. ib.
170. Séquestre des immeubles. Art. 1959. ib.
170 bis. Cis où la possession est conférée au séquestre. 147
171. Restitution de la chose. Art. i960. ib.
171 bis. 1. Causes légitimes de restitution du séquestre. ib.
171 bis. II. Restitution par la volonté des deux parties en cause. ib.
SECTION III.
Du séquestre ou dépôt judiciaire.
172. Notion du dépôt judiciaire. Art. 1961. 148
172 bis. I. Espèces diverses. ib.
172 bis. II. Étiumération de l'article complétée. 149
172 bis. III. Pouvoir des tribunaux en celte matière. ib.
173. Gardien des objets saisis. Ar(. 196%. 150
173 bis. I-1II. Entre quelle personne a lieu le contrat de dépôt au
cas de saisie. ib.
4 73 bis. IV. Cas où le saisi est gardien. 151
174. Autre cas de séquestre judiciaire. Art. 1963. 152
174 bis. I. Qui nomme ie séquestre. ib.
174 bis. II. Le séquestre judiciaire est salarié. ib.
174 bis. III. Les deux parties en cause ne sont pas solidaires quant
au salaire. ib.
TITRE XII.
DES CONTRATS ALÉATOIRES.
175. Transition et division de la matière. 154
176. Notion du contrat aléatoire. — Énumération. Art. 1961. ib.
176 bis. Renvoi. 455
177. Assurance. — Prêt à la grosse. ib.
177 bis. Caractères du prêt à la grosse. 156
SOMMAIRES. XV
CHAPITRE PREMIER.
DU JEU ET DU PARI.
478. Définitions. — Effet*. Art. 1965. 156
178 bis. I. Le jeu et le pari engendrent des obligations naturelles
soumises à quelques régit s spéciales. 157
178 bis. II. L'article ne s'applique qu'à la dette contractée directe-
ment par le perdant envers le gagnant. ib.
479. Exception à la règle. Art. 1966. ib.
479 bis. Cas où la somme perdue dans un jeu autorisé est exces-
sive. 4 58
480. La dette du jeu acquittée volontairement ne peut être répétée.
Art. 1969. ib,
480 bis. I-1II. Dans quel sens le paiement doit-il avoir été volon-
taire, ib.
4 80 bis. IV. Cïs où les enjeux ont été mis sur table. 459
CHAPITRE II.
DU CONTRAT DE RENTE VIAGÈRE.
48t. Objet et division du chapitre. 4 60
SECTION ire.
Des conditions requises pou?- la validité du contrat.
482. Constitution à titre onéreux. Art. 196$. ib.
4 82 bis. I. Caractères du contrat de rente viagère à titre onéreux. 464
482 bis. II. Promesse de constitution de rente viagère. ib.
182 bis. III. Arrérages promis à partir de celte convention. 462
4 83. Constitution à titra gratuit. Art. 1969. ib.
484. Cette constitution est soumise aux règles sur la quoité dis-
ponible. Art. 199©. ib.
484 bis. I-1II. Conciliation de l'article 1570 avec l'article 917. 163
4 85. La rente viagère est constituée sur la tête d'une personne. Art.
1991. 464
4 85 bis. I. Cette personne peut être le rentier ou un tiers. ib.
4 85 bis. II. Ordinairement ces deux personnes se confondent. ib.
4 85 bis. I1I-IV. Utilité de la constitution sur la tête d'un tiers. 4 65
486. CoDSlitution sur plusieurs tètes. Art. 1999. 166
486 bis. I. Utilité de cette convention. ib.
486 bis. IL Hypothèses diverses régies par l'article. ib.
186 bis. III. Plusieurs créanciers d'une rente constituée sur une
tête unique. 467
XVI SOMMAIHES.
18G bis. IV. Un seul créancier d'une rente constituée sur plusieurs
tètes. <67
186 bis. V-Vll. Plusieurs créanciers d'une rente constituée sur leurs
propres têtes. ib.
187. Rente constituée au pro5t d'un tiers. Art. 1993. 168
187 bis. I— 111 . Application de l'article 1121. 169
188. Rente constituée sur la tèle d'une personne décédée. Art.
1994. 170
188 bis. I. L'obligation manque d'objet. ib.
189. Rente constituée sur la tète d'une personne atteinte d'une
nuladie dot t elle décède dars les vingt jours. Art. 199 5. 171
189 bis. I-1V. L'obligation manque d'un objet sérieux. ib.
189 bis. V. Importance de cette décision. 173
189 bis. VI. Cas où la rente est constituée sur plusieurs tètes. 174
189 bis. VIL Conditions d'application de l'article 1975. ib.
189 bis. VIII. Pour échapper à la règl<3 de l'article 1975, il n'est
pas nécessaire que \i constitution ait date certaine. " ib.
189 bis. IX. L'art cle n'est pas applicable aux constitutions qui
sont des charges d'une donation. 175
190. Taux des arrérages. Art. 1976. ib*
190 bis. MIL Cas où les arrérages sont inférieurs à l'intérêt légal. 176
190 bis. 1V-VL Cas où les arrérages sont inférieurs au revenu de
l'immeuble aliéné à charge de rente viagère. 178
SECTION II.
Des effets du contrat entre les parties contractantes.
191. Sous quels rapports ces eftVts sont envisagés. 179
192. Résolution du contrat faite p?r le débiteur de fournir Ls
sùreiés promises. Art. 199 9. ib.
192 bis. l-II. Application de l'article 1184. ib.
192 bis. III. Le rentier ne restitue pas les arrérages reçus. 180
193. Le contrat n'est pas résolu pour non-paiement des arrérages.
Art. I99m. 181
193 bis. I. Application tempérée de l'article 1 184. ib.
193 bis. IL Motifs de l'article. 182
1 93 bis. 1II-V. Résultat des poursuites du créancier. ib.
193 bis. VI. L'article n'est pas applicable, quand la rente viagère
a été constituée à lit; e gratuit. 184
193 bis. VIL La convention peut déroger à l'article. ib.
194. La rente viagère n'est pas rachetable. Art. l'J99. 185
194 bis. Convention contraire. H.
195. Les articles 1978 et 1979 règlent les effets du contrat entre les
parties. î-^>
195 bis. I. Droi s du créancier de la reate dans ses rapports avec
des créanciers, soit chirographyires, soit hypothécaires, ou
avec un tiers détenteur. ih
SOMMAIRES. XVII
4 96. Les arrérages s'acquièrent comme fruits civils. Art. 19SO. 186
197. La rente à titre gratuit peut être insaisissable. Art. li)§i. 187
198. Mort civile de la personne sur la tète de laquelle la rente est
établie. Art. 1989. t'6.
199. Art. 1983. 188
TITRE XIII.
du mv:<dàt.
200. Transition — Division. 1 89
CHAPITRE PREMIER.
DE LA NATURE ET DE LA FORME DU MANDAT.
201. Art. 1984. t'6.
201 bis. I. Définition du mandat. 190
201 bis. II. Le Code définit la procuration. ib.
201 bis. III. Le Code ne définit pas le mandat. t'6.
201 IV-VII. On a essayé à tort de faire la définition du mandat
avec celle de la procuration.
201 bis. VIII. Gratuité du mandat. 193
201 bis. IX. Utilité restreinte de la procuration. t'6.
202. Preuve du mandat. Art. 1985. 194
202 bis. I. Développement. t'6.
202 bis. II. Mandat tacite. 195
203. Mandat dans l'intérêt d'un tiers. t'6.
203 bis. Application des principes généraux. t'6.
204. Le mandat est gratuit, sauf convention contraire. Art. 1986. 1 96
204 bis. I. Difficulté de distinguer le mandat salarié du louage d'ou-
vrage. t'6.
204 bis. II-III. Cas où il ne peut y avoir doute. t'6.
204 bis. IV-X. Contrats relatifs à un travail intellectuel. 197
204 bis. XI. Contrat fait avec des commis ou préposés. 200
20 i bis. XII-XVI. Intérêt de la question. t'6.
204 bis. XVII-XVIII. Pouvoir interprétatif des tribunaux. 204
205. Le mandat est unilatéral. 202
205 bis. Distinction. t'6.
206. Étendue du maniât. Art. 1989-1989. t'6.
207. Mandat conféré à des incapables. Art. 1990. 203
207 bis. I. Motif de l'article. 204
207 bis. II. Étendue du principe. t'6.
207 bis. III. Le mandataire incapable ne s'oblige pas. t'6.
207 bis. IV. Capacité du mandant. 205
vin. 6
XVm SOMMAMES.
CHAPITRE II.
DBS OBLIGATIONS DU MANDATAIRE.
208. Trois ohlL-ations.
209. Art. 1991. -,f>6
210. Responsabilité. Art. 199«. ib.
210 bis. Développement. ib.
2H. Obligation de rendre compte. Art. 1993. 207
•21 ! bis. I. Dispense de rendre compte. 208
21 I bis. II. Droit de rétention. ib.
212. Responsabilité du mandataire qui s'est substitué un tiers dans
-tion. Art. 1994. 209
212 bis. I-1II. Le mandat n'emporte pas toujours pouvoir de substi-
tuer un sous-mandataire. ib.
212 bis. IV. La responsabilité du mandant diffère, selon qu'il avait
oi non pouvoir de substituer. 21 1
212 bis. V-VI. Pourquoi le mandant a-t-il action contre le sous-
mandataire? 21*2
212 bis. VII. Avantages de cette action directe. ib.
213. Les mandataires conjoints ne sont pas solidaires. Art. 1995. 213
213 bis. I. La règle s'applique aux mandataires constitués par des
actes séparés. ib.
213 6»'s. II Le concours de tous les mandataires est-il nécessaire
pour faire un acte ? ib.
214. Intérêts des sommes dues par le mandataire. Art. 1996. 214
214 bis. I. Exception à l'article 1 1 53 pour les intérêts du reliquat, ib.
214 bis. 1T— III. Autres cas où il ne faut pas appliquer l'article
115?. 215
215. Cas où le mandataire est obligé envers les tiers. Art.
199». ib.
2 1 5 bis. Application de l'article au cas prévu par l'article 1 560. 21 6
CHAPITRE III.
DES OBLIGATIONS DU MANDANT.
216. Objet du chapitre. t&#
217. Le mandataire oblige le mandant. Art. 1998. 217
217 bis. I-1II. Deux hypothèses. 218
217 bis. IV. Créances résultant des conventions faites par le
mandataire. 219
217 bis. V-VI. Cas où le mandataire qui oromet excède ses pouvoirs, ib.
217 bis. VII-XV. Cas où il a des pouvoirs, mais où il contracte sous
des conditions plus onéreuses que celles qui étaient pres-
crites par son mandat. 220
SOMMAIRES. XIX
218. Le mandant doit indemniser le mandataire du préjudice que le
mandat lui a causé. 222
219. Avances faites par le mandataire. Art. 1999, 1er aliéna. ib.
219 bis. I. Obligations contractées par le mandataire. ib.
219 bis. II. Cas (ù le mandataire s'est engagé proprio nomine en
dépas>anl ses pouvoirs. 224
220. Dépendes excessives. Art, 1999, 2e aliéna. ib.
220 bis. I. Insuccès de l'affaire pour laquelle des avances ont été
faites. 225
220 bis. II-1II. Application de l'article 1137 au cas où les dépenses
aurai- nt pu être moindres. ib.
221. Perles éprouvées par le mandataire. Art. 3000. 2^6
221 bis. I. Le Code ne dislingue pas entre la perte qui a pour cause
la gestion et celle qui e&t survenue à l'occasion de la gestion, ib.
281 bis. II. Le manJataire n'est pas indemnisé du préjudice qu'il
s'est causé en négligeant ses propres affaires. 227
222. Intérêts des avances faites par le mandataire. Art. 9001. ib.
222 bis. L'article ne parle pas des intérêts des indemnités. i'6.
223. Solidarité des coraandants. Art. 200». ib.
223 bis. Observations sur le cautionnement de divers débiteurs
conjoints. ib.
CHAPITRE IV.
COMMENT FINIT LE MANDAT.
224. Fin du mandat. 228
225-227. Énumération. Art. «OOS. ib.
227 bis. Mandat survivant au mandant. 229
228. Révocation. Art. «004. ib.
228 bis. Le mandataire révoqué ne peut pas retenir la procuration. 230
229. Nécessité de notifier aux tiers la révocation. Art. 3005. ib.
230. Révocation tacite. Art. SOOG. 23 1
230 bis. Nullité de la seconde procuration. ib.
231. Renonciation du mandataire au mandat. Art. «OO*. «6.
232-233. Cas où le mandataire ignore la fin du mandat. Ar?.
9008-9009. ib.
233 bis. Développement. 232
234-235. Obligation des héritiers du mandataire. ib.
TITRE XIV.
DO CAUTIONNEMENT.
236. Notions générales sur le cautionnement. Art. %01C, 233
237. Le cautionnement, opération complexe. ib.
238. Division du titre. 234
b.
SX SOMMAIUES.
CHAPITRE PREMIER.
i. la '.m iB f.t dr l'étendue du cautionnement.
Définition. Art. ton, 234
•239 bis. I. Ce contrat met en relation trois personnes. t'6.
239 bis. II. Caractères du cautionnement entre le créancier et la
caution. ib.
239 bis. III. Caractères entre la caution et le débiteur. ib.
239 bis. IV. Intérêt de la recherche du caractère gratuit ou onéreux
du cautionnement. 236
239 bis. V. Caractère accessoire. ib.
239 bis. VI. Le débiteur principal doit être mis en demeure avant
que la caution soit poursuivie. ib.
240. L'ob'igation principale doit être valable. Art. %01%, 1er al. 237
240 bis. I. Exemples. ib.
2i0 bis. II. L'obligation naturelle peut ôtre cautionnée. ib.
241. Cautionnement des obligations annulables Art. lOl*. 2e al. 238
2 il bis. I. Le 2e alinéa de l'article consacre la solution précédente
sur les obligations naturelles. ib.
241 11-111. Ce qu'd faut entendre par exception personnelle. ib.
241 bis. IV. Obligation rescindable pour cause de lésion. 239
241 bis. V. Le cautionnement doit être dans certaia cas donné en
connaissance du vice qui entache l'obligation. ib.
i> * 1 bis. VI-XI. Quelquefois la caution d'une obligation annulable
n'aura pas de recours contre le débiteur. 240
242. Le cautionnement ne peut être plus onéreux que l'obligation
principale. Art. SOI 3. 242
242 bis. MI. Le cautionnement ne peut avoir un objet autre que
celui de l'obligation principale.; t'6.
2 42 III-1V. Effet d'une convention de cette nature. 243
242 bis. V. Règle sur le cautionnement sous des conditions plus
onéreuses que celle de l'obligation principale. 244
242 bis. VI. Réduction de l'engagement de la caution. 245
is. V1I-X. Difficulté d'opérer cette réduction dans certain cas. ib.
243. La caution peut s'obliger sans le consentement du débiteur.
Art. «0 14, 1er al. 246
243 bis. Opposition du débiteur. 247
Ji i. Caution de caution. Art. "SOI 4, 2e al. ib.
244 bis. Nom de cette caution. ib.
-i.'i. Interprétation de la convention du cautionnement. Art.
»015. ib.
2i6. Le caut'onnement comprend les accessoires de la créance.
Art. «0 16. ib.
s. Intérêts de la créance. 248
-57. Hôr.tiers delà caution. Art. «019. ib.
SOMMAIRES. XXI
247 bis. L'ariicle est la conséquence des principes généraux. 249
248. Obligation de fournir cauiion. Art. %01§. ib.
248 bis. I— II. Qualités que doit avoir une caution promise. 250
248 bis. III-V. Dans quel ressort de Cour d'appel doit être domici-
liée la caution. ib.
249-250. Comment t'apprécie la solvabilité de la caution. Art.
%019. 252
250 bis. I. Dans quel sens les immeubles ne doivent-ils pas être
litigieux? ib.
250 bis. IL Les immeubles hypothéqués peuvent servir de base à
la solvabilité. ib.
250 bis. III. Quand peut-on considérer un immeuble comme
éloigné? ib.
250 bis. IV-V. Le créancier n'a pas d'hypothèque sur les im-
meubles du débiteur. 253
251. Insolvabilité postérieure de la caution. Art. 90%0. 254
251 bis. I. Motif de l'article. ib.
251 bis. IL Diverses hypothèses comprises dans l'article. ib.
251 bis. III. Comment démontrer que la caution a été exigée par
le créancier. 255
251 bis. IV-V. L'article doit s'appliquer aux cautions données dans
l'acte même d'obligation. ib.
CHAPITRE IL
de l'effet du cautionnement.
SECTION Ire.
De l'effet du cautionnement entre le créancier et la caution.
252. Obligation de la caution. — Bénéfice de discussion. Art.
*0%1. 256
252 bis. I. Sens du mot bénéfice. 257
252 bis. IL Motif du bénéfice de discussion. ib.
252 bis. III. En quoi il consiste exactement. t&.
252 bis. IV. Renvoi. ib.
252 bis. V. Exception à la règle sur le bénéfice de discussion. 258
253. A queile époque doit être demandée la discussion. Art.
%OZt. ib.
253 bis. [-III. Avant les premières poursuites. ib.
254. Indication des biens à discuter. Art. 3093. 259
254 bis. I. Motif de l'article. 260
254 bis. II-IU. Quels biens peuvent être indiqués. ib.
254 bis. IV. Les biens doivent appartenir au débiteur. ib.
254 bis. V. Biens d'un codébiteur solidaire. 261
254 bis. VI. La cauiion doit avancer les frais. »&•
XXII SOMMAIRES.
2i>i bis. VII. I! n'est pas nécessaire que les biens indiqués soient
suffisants. 261
tri. «Otl. 262
s. Le créancier devient responsable de l'insolvabilité du dé-
biteur survenue après que la discussion a été demandée. ib.
256. L"S différents cofidéjusseurs sont tenus pour le tout. Art.
«<»'«;». 263
257. Bénéfice de division. Art. «O«0. ib.
257 bis. I. Fondement de ce bénéfice. 264
257 bis. II. En quoi il consiste. 265
-2;i7 bis. 111. Entre quelles cautions a lieu la division. ib.
257 bis. IV-V. Cautions engagées à des dates différentes. 266
257 bis. VI. Cas où l'une des cautions n'est pas valablement engagée. 267
257 bis. VII-VIIl. Cas où l'une d'elles est obligée à terme ou sous
condition. ib.
257 bis. IX-X. Conditions du bénéfice de division. 268
257 bis. XI. La division s'opère entre les cautions solvables. 269
257 bis. X1I-XI1I. Qui doit faire la preuve sur la question de solva-
bilité? ib.
257 bis. XIV-XV. Effet de la demande de division faite par une
caution par r ;pport aux autres. 271
257 bis. XVI-XVII. Conséquences de l'effet relatif de cette demande. 272
258. Art. «0*9. ib.
258 bis. I. Division volontaire de l'action par le créancier. 273
258 6/s. II. Cas où il n'a demandé qu'une part. ib.
258 bis. III. Effet re'a'if de la division volontaire. ib.
SECTION II.
De l'effet du cautionnement entre le débiteur et la caution.
259. Recours de la caution contre le débiteur. Ari. <SO%8, 1er alin. 274
259 bis. I. Le recours est fondé sur le mandat ou la gestion d'af-
faire, ib.
259 bis. II. Événements qui donnent lieu au recours. ib.
259 bis. III-IV. Remise de dette. 275
260-261 . Montant de l'indemnité due à la caution. Art. %02$,
2e-3e alin. 276
261 bis. I. La caution ne doit ni perdre ni gagner. ib.
261 6w. II-III. Intérêts. ib.
261 bis. IV. Frais de poursuite. 277
261 bis. V. Dommages -intérêts. ib.
261 bi*. VI. Caution qui s'est engagée malgré le débiteur. 278
262. Subrogation de la caution. Art. t029. ib.
262 bis. MI. Utilité de la subrogation. 279
262 bis. III. Subrogation en faveur de la caution qui s'est obligée
malgré le débiteur. t'6.
SOMMAIHES. XXilî
262 bis. IV. Effet de la subrogation à l'égard des tiers. 279
263. Recours contre des débiteurs principaux solidaires. Art.
3030. 280
263 bis. Cas où la caution n'a cautionné qu'un des codébiteurs soli-
daires, ib.
264. Cas où la caution n'a pas de recours. Art. %03 1. 281
264 bis. I-II. Quelles sont les poursuites prévues par le 2e alinéa de
l'article. 282
265. Cas où la caution a un recours sans avoir payé. Art. 90S%. 28o
265 bis. I. Fondement du recours. 284
265 bis. II. Ce que le Code entend par l'indimcité due à la caution, ib.
265 bis. III. icr et 2e cas prévus par l'article. 285
265 bis. IV. 3e cas. 286
265 bis. V. 4e cas. ib.
265 bis. VI. 5e cas. t'6.
265 bis. Vil. Dans cette hypothèse, rentre celle où la dette princi-
pale est une rente perpétuelle. ib.
265 bis. VIII. Exception a la lègie contenue dans l'artcle 2032-5°. 287
SECTION III.
De l'effet du cautionnement entra les cofidéjusseurs.
266. Recours des cofidéjusseurs entre eux. Art. 2033. t'6.
266 bis. I. Doctrine romaine et doctrine de Potbier. 288
266 bis. IL Double aciion. 289
266 bis. III. Recours fondé sur l'article 2033. ib.
266 bis. IV. Esamen des justes causes de paiement. ib.
266 bis. V. Action funuée sur la subrogation, — ses avantages. 290
266 bis. VI. Ses désavantages. ib
266 bis. VII. La caution qui invoque la subrogation ne peut pas
bénéficier des dispositions de l'article 2033. 291
266 bis. VIII. Résumé de la doctrine. ib.
266 bis. IX. Droits du cofidéjusseur contre ses cofidéjusseurs alors
qu'il n'a pas payé. ib.
266 bis. X. application de l'article 1214. 292
CHAPITRE III.
DE L'EXTINCTION DU CAUTIONNEMENT.
267. Extinction du cautionnement par les causes ordinaires d'extinc-
tion des obligation.-. Art. «OS fi. t'6.
267 bis. I. Examen des causes d'extinction. — Paiement. t'6.
267 6ts. II. Movation. 293
267 bis. III. Remise. Compensation. t6.
26"i bis. IV. Confusion. Perte de ia chose. 294
XX'. V SOM.MAUŒS.
267 bis. V. Prescription. 294
267 bis. VI- VIII. Distinction sur les effets de la prescription. i b.
268. Confusion. Art. «035. 295
268 bis. I. Réunion des qualités de créancier et de caution. ib.
268 bis. II. De caution et débiteur principal. 296
268 bis. III. Cas où la caution a un certificateur. ib.
268 bis. IV. Explication. 297
268 bis. V. Généralisation. ib.
269. Moyens que la caution peut opposer au créancier. Art. %03«. ib.
269 bis. I. Nullité. 298
269 bis. II. Causes d'extinction, ib.
269 bis. 111. Perte de la chose. — Faute du débiteur. ib.
269 bis. IV. Faute de la caution. 299
269 bis. V. Intérêt de la solution. 300
269 bis. VI. Chose jugée. ib.
270.Ari.aO3». 301
270 bis. I. La caution a eu juste stjet de compter sur les acces-
soires de la créance. ib.
270 bis II. L'article s'applique même au fait négatif. ib.
270 6/s. III. Il n'y a pas à distinguer entre les accessoires antérieurs
ou postérieurs au cautionnement. 302
270 bis. IV. La caution qui ne souffre pas un préjudice ne peut pas
invoquer l'article 2037. ibt
270 bis. V. L'abandon d'un droit personnel pourrait-il permettre
d'invoquer l'article 2037? ib.
270 bis. VI. Cas cù le créancier a laissé périr ses droits contre un
des coûdéjusseurs. 304
271. Dation en paiement. Art. <B038. ib.
271 bis. I. Motifs de l'article. ib.
271 bis. IL Paiement d'une dette de genre. 305
272. Prorogation du terme. Art. 9030.
272 bis. I. Application de l'article 2032. ib.
272 bis. IL Appendice sur le cautionnement solidaire. ib.
272 bis. III. La caution solidaire n'est pas un débiteur solidaire. 306
272 bis. IV. Dttte principale pure et simple. Cautionnement condi-
tionnel, ib.
272 bis. V. La caution solidaire peut opjoser la compensation con-
trairement à l'article 1294. ib.
272 bis. VI. Le débiteur principal bénéficiera de ce que la caution
solidaire n'est pas un codébiteur. 307
272 bis. VII. Causes de nullité ou de rescision. ib.
272 bis. VIII. Application de l'article 2037 à la caution solidaire. ib.
272 bis. IX-X. Cet article ne s'applique pas au débiteur solidaire. 308
SOMMAMES. XXV
CHAPITRE IV.
DE LA CAUTION LEGALE FT DE LA CAUTION JUDICIAIRE.
273. Division des cautions. 309
274. Renvoi. Art. «©4©. ib.
275. Obligation de fournir caution pouvant s'exécuter par équiva-
lent. Art. <5041. t'6.
275 bis. I. L'équivalent ne peut consister en une hypothèque. ib.
275 bis. II. Ni en un droit d'antichrèse. ib.
276. Rigueur particulière à la caution judiciaire. Art* «©43-
S043. 310
276 bis, Motif des articles 2042-2043. ib.
TITRE XV.
DES TRANSACTIONS.
277. Notion de la transaction. Art. 9044. Ier alin. 311
277 bis. I. Définition du Code complétée. ib.
277 bis. II. La transaction suppose un différend. ib.
211 bis. III. Il suffit que les parties aient eu intérêt à éviter la con-
testation judiciaire. 312
277 6ts. IV. La transaction suppose des sacrifices réciproques. 313
277 bis. V. Différence avec quelques autres actes. ib.
278. Règle de preuve. Art. Q044, alin. dern. 314
278 bis. I. La transaction n'est pas un contrat solennel. t'6.
278 bis. H. Elle f st sounvse à l'article 1325. 315
878 &ïs. III. Et à l'art 4348. ib.
278 bis. IV. Doutes sur l'application de l'article 1347. ib.
279. Capacité de transiger. Art. %045. 316
279 bis. I. L'article parle à la fois des capacités et des pouvoirs. 317
279 bis. IL II faut la capacité de disposer. ib.
279 bis. III-V. Mineur émancipé. ib.
279 bis. VI. Femme séparée de biens. ib.
279 bis. VIL Tuteur. ib.
280. Objet de la transaction. Art. 304C. 320
280 bis. I. Renvoi aux règles générales. ib.
280 bis. IL Les choses doivent être dans le commerce. ib.
280 bis. III. État des personnes. ib.
280 bis. IV. Droits de puissance paternelle ou maritale. 321
280 bis. V. Transactions sir les délits. ib.
280 bis. VI. Application de l'article 2046 aux procès concernant
l'état des personnes. ib.
XXVI SOMMAir.ES.
280 bis. VII-IX. Aliments. 328
281. Clause pénale. Art. «O-l». 323
281 bis. I. Effet principal de la transaction. ib.
2S| bis. II. Domm.ges-inlérôls. Clause pénale. 324
281 bis. III. Effet confirimitif de la transaction. ib.
281 bis. IV. Transaction sur dos droits réels. 325
281 bis. V. Obligation quant aux choses promises et qui n'étaient
point litigieuses. ib.
28 1 bis. VI. Obligation de garantie. Quant à la chose litigieuse, elle
ne découle pas de la transaction. 326
281 6m. VII. La transaction est-elle translative de droits quant à la
chose litigieuse? Distinction. 327
281 bis. VIII. Est-elle trans'ative quant les parties ne se sont pas
expliquées? ib.
281 bis. IX. Objections dans le sens de la négative. 328
28! bis. X-XII. Réfutation de ces objections. ib.
281 bis. XI1I-XIV. Conséquences de la solution. 330
282. Interprétation do la transaction. Art. 3048-2049. 331
282 bis. Développement. 332
283. Suite. Art. %050. ib.
283 bis. I. Cas où il n'y a pac identité de chose. 333
283 bis. II. Transaction ayant le caractère de confirmation, ib.
284. Effet relatif de la transaction. Art. -«051. 334
284 bis. I. Application do l'article 1165. ib.
284 bis. II. Créanciers solidaires. ib.
284 6m III. Codébiteurs solidaires. ib.
284 bis. IV. Cocréanciers ou codébiteurs de choses indivisibles. 335
284 bis. V-VI. Débiteur principal, caution. ib.
28 i 6w. VII. Propriétaire sous condition résolutoire. 336
284 6m. VIII. Héritier apparent. ib.
285. Force de la transaction. Art. 905%, 1er alin. 337
285 bis. I. La disposition de l'aride est-elle inutile? ib.
285 6m. Il-UI. Elle signifie que la transaction équivaut à un juge-
ment en dernier ressort. 338
286. Nullités de la transaction. Art. «Oot. alin. dern., et 24>53. 339
886 bis. I. Diverses causes de nullité. ib.
286 6m. 11. Lésion, erreur de droit ne peut pas causer de nullité. »6.
286 6m. III. Dol. — Violence. 340
28'i bis. IV-V. Erreur sur la personne. ib.
286 bis. VI. Erreur sur l'objet. — Distinction. 341
286 6m. VII. Erreur sur la substance. ib.
286 6m. VIII. Cas où l'erreur n'est pas préjudiciable. 342
287. Transaction sur l'exécution d'un titre nul. Art. S054. *6.
287 bis. 1. L'article est une application de l'article 2048. 343
287 6m. IL Conséquence de la doctrine. »6.
287 6m. III. Quant la nullité du titre est reconnue, la transaction
est radicalement nulle. 344
SOMMAIRES. XXVli
287 bis. IV. Cas où le titre n'était qu'annulable. 344
287 bis. V. Explication do l'inexactilude de l'expression employée
par le Code. 345
288. Transaction sur pièces fausses. Art. <SG55. ib.
288 bis. I. L'erreur en ce cas porte sur la cause. 346
288 bis. IL Objection réfutée. ib.
288 bis. III. La convention tou» entière est nulle. 347
289. Transaction sur un procès terminé par un jugement. Art.
%056. ib.
289 bis. I. Sens des expressions du Code. ib.
289 bis. IL La convention manque de cause. 348
289 bis. III. Développement. ib.
289 bit. IV. Conséquence. 349
289 bis V. Suite. ib.
290. Titres postérieurement découverts. Art. %059. ib.
290 bis. I. Cas où la transaction n'a qu'un objet. 350
290 bis. IL Explication sur l'ensemble de la théorie des nullités. 351
290 bis III. Cas où la transaction a plusieurs objets. ib.
200 bis. IV. Cas de dol. 352
291. Erreur de calcul. Art. %Oô8. ib.
291 bis. I il. En quoi consiste l'erreur de calcul. ib.
292. Observation sur la théorie des nullités. 353
292 bis. Renvoi. ib.
TITRE XVI.
DE LA CONTRAINTE PAR CORPS EN MATIÈRE CIVILE.
293. Notion de la contrainte par corps. 354
294. La contrainte par corps est une atteinte à la liberté de la per-
sonne, ib.
294 bis. I. Historique, abrogation par la loi du 22 juillet 1867. ib.
294 bis. IL Cas où la contrainte par corps est maintenue. 355
TITRE XVII.
DU NANTISSEMENT.
295. Notion du nantissement. Art. $091-309%. 356
295 bis. I. Développement. ib.
295 bis. IL Le nantissement est un contrat réel. 357
295 bis. III. Gage. — Antkhrèse. ib.
295 bis. IV. Liberté des conventions. 35S
X\VI!l SOMMAIRES.
293 bis. V. La convention do gage relative à un immeuble ne peut
engi ndrer Je droit de préférence. 338
295. VI. Pourrait engendrer le droit de rétention. 359
CHAPITRE PREMIER.
DU GAGE.
296. Division du chapitre.
SECTION Ve.
Du droit de gage.
297. Notion du droit de gage. 36Û
298. Privilège du gagiste. Art. %093. ib.
298 bis. Le gagisse n'a pas le droit de suite. 361
299. Condition de forme au point de vue du droit de préférence.
Art. <S094, 1er alin. «6.
299 bis. I. Preuves du contrat de gage dans les rapports entre les
deux parties. 362
299 bis. IL Pieuses par rapport aux autres créanciers. ib.
300. Gage ne dépassant pas 450 francs. Art* %0?4» alinéa
dern. 363
300 bis. I. Si le contrat est prouvé par écrit, il faut que l'acte ait
date certaine. ib.
300 bis. IL Qu'entend-on prir matière excédant 150 francs? ib.
300 bis. III. La règle de l'article 2074 n'est pas soumise aux excep-
tions des articles 1347 et 1348. 364
30 1. Gage des meubles incorporels. Art. 209 5. 365
301 bis. I. Il n'y a pas lieu de distinguer si la matière excède ou non
1 50 francs. ib.
301 bis. IL Engagement des droits mobiliers qui ne sont pas des
créances. 366
301 bis. III. Acceptation par le débiteur. 367
301 bis. IV. Renvoi à l'article 92, C. Com. ib.
301 bis. V-VI. Effets de l'engagement d'un droit mobilier. ib.
302. Le créancier doit être mis en possession de l'objet engagé.
Art. %096. 368
302 bis. I. Utilité de la règle. ib.
302 bis. IL Convention contraire. ib.
302 bis. 1II-1V. Personnes dans l'intérêt de qui est exigée la dépos-
session du débiteur. 369
302 bis. V-VII. La mise en possession n'est pas exigée quand il s'agit
de choses incorporelles. ib.
302 bis. VIII. Conséquences de la restitution du gage au débi-
teur. 374
SOMMAIRES. XXIX
302 bis. IX. Gage confié à une tierce personne. 372
303. Gage fourni par un tiers. Art. 909 9. t'6.
303 bis. I. Utilité de cette convention. t'6,
303 bis. IL Engagement de la chose d'autrui. 373
303 bis. III-IV". Influence de l'article 2279. ib.
304. Droits du créancier non payé. Art. %0?8, 1er alin. 374
304 bis. I. Droit de retenir ia chose, de la faire vendre. 375
304 bis. II. Droit de la garder sur estimation. t"6.
304 bis. III-IV. A qui appartient l'oplion? 376
304 bis. V. Effet du jugement qui autorise le créancier à conserver
la chose. 377
304 bis. VI. Conséquences. t'6.
304 bis. VII-VIII. Décisions de Polhier, combattues. 378
305. Convention interdite. Art. %099, 2e alin. 379
305 bis. I. Dangers de la clause. t'6.
305 bis. II. Différence avec la vente de réméré. ib.
306. Le gag'Ste ressemble à un dépositaire. 380
SECTION II.
Des obligations qui naissent du contrat du gage.
307. Obligations n«'es du contrat. 381
308. Obligations de restituer. Art. %OSO. 1er alin. t'6.
309. Obligations du déb;teur gagiste. Arf. %OSO, 2e alin. ib.
309 bis. I. Il ne doit pas rembourser les dépenses d'amé ioration. 382
309 bis. II. Argument tiré au texte. ib.
310. Obligation de garantir des troubles et éviction. 383
3M . Intérêts de la créance engagée. Art. 3081 . 384
311 bis. I. Imputation sur le capital et les intérêts. t'6.
314 bis. II. Dérogation à l'arlicle 1244. t'6.
311 bis. III. Intérêts de la créance engagée. 385
311 bis. IV. Le créancier gagiste n'a pas le droit de toucher le ca-
pital de la créance engagée. t'6.
311 bis. V-VI. Fruits des animaux donnés en gage. 386
312. Époque de la restitution du gaze. Art. tOSI, al. 1. 387
31 2 bis. I. C'est l'époque de l'extinction de la dette. t'6.
312 bis. IL Examen des différents cas d'extinction. Prescription. ib.
312 bis. III-VII. La possession du gage par le créancier ne fait pas
obstacle à la prescription de la dette. 388
312 bis. VIII. Cas où le créancier n'est plus en possession du gage. 391
313. Affectation du gage à une nouvelle créance. Art. 3089» al.
dern. 392
313 bis. I. Hypothèse prévue par l'article. ib.
313 bis. II-IIL Conditions auxquelles est subordonné le droit du
créancier. ib.
343 bis. IV. Ce droit n'implique pas un privilège. 393
xxx S0MMA1KES.
34 i. Indivisibilité du gage. Art. «©83. 394
31 i bis. Renvoi. *&•
DISPOSITIONS PARTICULIÈRES.
31 5. Renvoi au Code de commerce et aux règlements administratifs.
Art. «084. 395
315 bis. Résumé des dispositions des articles 91, 92 et 93 C. Com.
CHAPITRE II.
DE l'ANTICHRÈSE.
316. Sens du mot antichrèse. 396
3*6 bis. I. Notion do l'antichrèse d'après le Code civil. ib.
316 bis. II. Convention qui attribuerait tous les fruits au créancier
comme équivalent des intérêts seulement. — Nullité. 397
317. Division du sujet. 398
348. Nécessité de constater l'antichrèse par écrit. Art. %085* al.
-1 er. ib.
318 bis. I. L'écriture n'est exigée que comme moyen de preuve. 399
318 bis. II. Il ne faut pas faire de distinction fondée sur l'impor-
tance de l'intérêt engagé. ib.
318 bis. III. La règle existe même entre les parties. ib.
318 bis. IV. A l'égard des tiers l'acte doit avoir da'e certaine. 400
318 bis. V. Quels sont ces tiers. ib.
319. Droits de 1\ nlichrésiste. Art. SOS5. alin. dern. ib.
319 bis. I. Droit de rétention. — Droit d'administration et de per-
ception dts fruits. 401
319 bis. II. Étendue de la jouissance. ib.
320. Contributions et charges annuelles. Art. &086. ib.
320 bis. I-1I. L'antichrésiste ne supporte ces charges que provi-
soirement. 402
320 bis. III— V- Les dépenses que doit avancer l'dntichrésiste sont
seulement les dépenses de réparation. ib.
320 bis. VI. L'antichrésiste n'a pas d'action à l'occasion des dé-
penses de réparation qui excèdent le produit d'une année; il
prélèvera sur les années suivantes. 404
321. L'antichrésiste peut renoncer à son droit pour se soustraire
aux charges. Art. %OS9. 405
321 bis. I-III. La dette n'est pas imprescriptible tant que dure la
possession de l'antichrésiste. ib.
321 bis. IV-V. La renonciation au droit d'abandonner l'antichrèse
suppose des actes accomplis pendant la durée du droit. 407
32I Mg. VI. L'article 2082 n'est pas applicable en mesure d'anti-
chrèse. 408
SOMMAIRES. XXXI
322. Le créancier ne peut pas devenir de plein droit propriétaire de
l'immeuble. Art. %OS8. 409
322 bis. I. Les parties peuvent établir par convention le droit con-
sacré par l'article 2078. ib.
322 bis. II. Interdiction de la clause qui permettrait de faire vendre
l'immeuble sans formalités. ib.
323. Convention qui établit la compensation pure et simple des
fruits de l'immeuble et des intérêts de la dette. Art. %OS9. ib.
323 bis. Nullité de cette convention. 410
324. Renvoi au chapitre du gage. Art. *090. ib.
325. Effets de l'antichrèse à l'égard des tiers. Art. %091. ib.
325 bis. I. Conflit avec des créanciers hypothécaires ayant un rang
antérieur à la constitution de l'antichrèse. 41 1
325 bis. II. Conflit avec des tiers ayant des droits postérieurs à cette
constitution. 41 2
325 bis. III. Le droit de l'antichrésiste est réel. — Il est soumis à la
transcription. ib.
TITRE XX.
DE LA PRESCRIPTION \
CHAPITRE PREMIER.
DISPOSITIONS GÉNÉRALES,
326. Notion de la prescription. Art. 9919*. 414
326 bis. I. Définition. ib.
326 bis. II. Observation sur la définition légale, 415
326 bis. III. Double prescription. .6.
326 bis. IV. Troisième espèce de prescription. 416
326 bis. V-VI. Fondement de la prescription. ib.
326 bis. VII. La prescription est une institution du droit des gens. 4I7
327. Renonciation à la prescription. Art. «««©. 4I8
327 bis. I. Deux règles posées par l'article. ib.
327 bis. II. Renonciation faite d'avance en matière de prescription
acquisitive. 41 9
327 bis. III. Différence avec la reconnaissance. ib.
327 bis. IV-V. Renonciation à la prescription acquise. 420
327 bis. VI. La renonciation n'est pas une donation. 424
327 bis. VIL Renonciation au bénéfice du temps écoulé. ib.
328. Modes de renonciation. Art, %%91. ib.
328 bis. I. Faits qui constituent la renonciation tacite. ib.
1 Les titres XVIII et XIX sont l'objet du tome IX.
KXXj] SOMMATES.
32» bis. II. Moyens do défense qui n'impliquent pas renonciation. 422
329. Capacité pour renoncer. Art. 2222. 423
32') bis. I. La renonciation n'est pas une aliénation. t"6.
329 bis. II Distinction quant à la prescription libératoire. ib.
330. Le juge no peut suppléer le moyen résultant de la prescription.
Art. «223. ib.
330 bis. I. Le moyen tiré de la prescription dépend delà conscience
de celui qui l'invoque. 421
330 bis. IL L« ministère public peut l'invoquer pour les incapables
dont les affaires lui sont communiquées. ib.
331. Jusqu'à quand peut être invoquée la presciiption. Art. 2224. ib.
331 bis. I. Motif de l'article. 425
331 bis. IL Resriction à la règle. ib.
332. Prescription invoquée par des ayants cause de la partie. Art.
2225. ib.
332 bis. I. Modification aux droits de la partie qui renonce. 426
332 bis. IL Personnes ayant un droit propre à invoquer la pres-
cription à laquelle renonce le principal intéressé. ib.
332 bis. III. Créanciers chirographaires du renonçant. ib.
332 bis. 1V-V. Cas où la renonciation est consommée. 427
333. La prescription à fin d'acquérir ne s'applique qu'aux choses
qui sont dans le commerce. Art. 2226. 429
334. La prescription en général court contre l'État, les communes et
les établissements publics. Art. 2229. ib.
334 bis. Distinction entre le domaine public et le domaine privé, de
l'État, des départements et des communes. «6.
CHAPITRE IL
DE LA POSSESSION.
335. Notion de la possession. Art. 222S. 430
335 bis. I. Division du chapitre. ib.
335 bis. IL Analyse de la possession. 431
336. Conditions que doit réunir la possession. Art. 2229. 432
336 bis. I. Rapport entre la possession et la propriété. ib.
336 bis. IL La possession doit être continue. 433
336 bis. III-1V. Non interrompue. 434
336 bis. V. Paisible. ib.
336 bis. VI. La possession est paisible bien qu'elle ait été troublée
par des actes de violence. 435
336 bis. VIL La possession doit être publique. 436
336 bis. VIII. A titre de propriétaire. 437
336 bit. IX. Non équivoque. 438
337. Présomption relative au titre de la possession. Art. 2230-
»»31. 439
SOMMAIRES. XXXI11
337 bis. Fondement de ces présomptions. 439
338. Actes de faculté et de tolérance. Art. flit*. 440
338 bis. I. Actes de pure faculté. ib.
338 bis. IL La règle s'applique à l'acquisition de certaines servi-
tudes. 441
338 bis. III. Elle ne s'applique pas en matière d'extinction de ser-
vitudes. 443
338 bis. IV. Actes de simple tolérance. ib.
338 bis. V-VI. La règle s'applique à l'acquisition des servitudes. ib.
339. Possession violente. Art. 9933. 445
339 bis. I. L'article prouve que le vice de violence suppose des actes
émanés du possesseur. ib.
339 bis. II. La possession cesse d'être vicieuse quand la violence a
cessé. 446
339 bis. III. Il n'est pas nécessaire que le titre fondé sur la violence
ait été interverti. ib.
339 bis. IV. Les vices de la possession sont-ils absolus ou relatifs.
— Discontinuité. 447
339 bis. V. Interruption. ib.
339 bis. VI. Violence. 448
339 bis. VII. Clandestinité. 449
339 bis. VIII. Précarité. 450
339 bis. IX. Équivoque. ib.
340. Le possesseur actuel est présumé avoir possédé d'une manière
continue depuis le commencement de sa possession. Art.
3«34. 451
340 bis. Nécessité d'établir cette présomption. ib.
341. Accession des possessions. Art. %%35. ib.
341 bis. I. Notion de l'accession des possessions. 452
341 bis. IL Qu'est-ce qu'un auteur et un ayant cause. ib.
341 eus. III. Ayant causa quant à la possession. ib.
341 bis. IV. Le possesseur évincé par une action en revendication
est l'auteur de celui qui l'évincé. 453
341 bis. V. Possesseur dépossédé par une action en rescision ou en
résolution. 455
341 bis. VI-VIL Différence entre les ayants cause à titre particulier
et les ayants cause universels. ih.
CHAPITRE III.
DES CAUSES QUI EMPÊCHENT LA PRESCR I PTION.
342. Art. «330. 456
342 bis. I. La précarité empêche à tout jamais la prescription. ib.
342 bis. II. Le possesseur précaire pos-ède pour celui de qui il tient
la possession. 457
VIII. c
X\x IV SOMNAUtUS.
34 2 bis. III. La précarité est un vice même quand elle a cessé. 457
3 13 Ins. IV. Le posse-seur de l'usufruit n'est pas possesseur précaire
quant à l'usufruit. ib.
343 bis, V. Le possesseur précaire peut prescrire contre l'action per-
sonnelle dont il est tenu. ib.
313. Héritiers du possesseur précaire. Art. ««39. 458
343 bis. I. La règle s'applique aux héritiers de l'usufruitier. ib.
343 bis. II. Le vendeur qui conserve le bien vendu est un détenteur
précaire. ib,
343 bis, III-IV. Possesseur qui a reconnu le droit d'autrui. 159
343 bis. V. Possesseur condamné par jugement à livrer la chose. 4G1
344. Interversion du titre. Art. "ÏZ3H, ib.
:H4 bis. I. Deux hypothèses d'interversion. 4G2
354 bis. II. Contradiction opposée au droit du propriétaire. ib.
34 i bis. III. Preuve de la contradiction opposée. 463
344 bis. IV. L'interversion du titre a un effet absolu. 464
3i4 bis. V. Interversion par le fait venant d'un tiers. 465
345. Art. ««39. 466
345 bis. Application des principes à la possession des successeurs
particuliers. ib.
346. On ne peut prescrire contre son titre. Art. «« lO. ib.
346 bis. Origine de cette formule. ib.
347. Art. ««-11. 467
347 bis. L'article est étranger à la matière de la prescription acqui-
sitive. ib.
CHAPITRE IV.
DES CAUSES QD( INTERROMPENT OU SUSPENDENT LE COURS DE LA
PRESCRIPTION.
348. Interruptions. — Suspensions. 468
3i8 bis. I. Notion de l'interruption. ib.
348 bis. II. Notion de la suspension. ib.
3 48 bis. III. Ces deux théories sont communes aux deux pres-
criptions. 469
SECTION Ire.
Des causes qui interrompent la prescription.
349. Interruption civile ou naturelle. Art. «« 1«. ib.
349 bis. Développement. 470
JoO. Interruption naturelle. Art. ««43. ib.
350 bis. I. Elle résulte de la cessation de la possession. ib.
350 bis. II. Quel que soit celui qui a dépossédé le possesseur. 471
350 bis. III-IV. Cas où le possesseur a abandonné la possession sans
être dépouillé par un tiers. ib.
SOMMAIRES. XXXV
350 bis. V. Cas où personne ne s'est emparé de la chose abandonnée. i72
350 bis. VI. Cas où la possession a été entravée par des événemenls
naturels de force majeure. 473
351. Interruption civile. Art. £344. ib,
351 bis. I. Actes interruptifs. 474
351 bis. II. Observations sur la saisie. ib.
351 bis. 1II-V. Observation sur les actes interruptifs de la pres-
cription acquisitive. 475
351 bis. VI. C'est la signification de la saisie qui a l'effet interruptif. 476
351 bis. VII. Signification du transport. 477
351 bis. VIII. Commandement en vertu de l'article 819 C. Pr. ib.
351 bis. IX. Sommation en vertu de l'article 2167. 478
351 bis. X. Citation en justice. ib.
351 bis. XL Demandes incidentes et en intervention. ib.
351 bis. XII. Demandes en collocation, 479
352. Citation en conciliation. Art. 3345. 480
352 bis. I. Motifs de l'article. ib.
352 bis. II. Citation en conciliation hors des cas où cette formalité
est nécessaire. ib.
352 bis. III. Comparution volontaire en conciliation. 481
353. Citation devant un juge incompétent. Art. 2946. 482
353 bis. Motifs de la règle. ib.
354. Demande nulle, périmée ou rejetée. Désistement. Art. 234 1» ib.
354 bis. I-II. Nullité pour vice de forme. ib.
354 bis. III. Désistement. — Péremption. 483
354 bis. IV. Demande rejetée. ib.
354 bis. V. Utilité de la règle sur la demande rejetée. 484
354 fus. VI. Défaut-congé. ib.
354 bis. VII. Demande formée contre un codébiteur d9 chose indi-
visible, ib.
354 bis. VIII. Contre un codébiteur solidaire. 48b
354 bis. IX. Demande formée par un cocréancier solidaire, ou par
un créancier de chose indivisible. ib.
355. Reconnaissance du possesseur ou du débiteur. Art. 334S. 486
355 bis. I. Motif de l'article. ib.
355 bis. II. Qui peut faire cette reconnaissance? 487
355 bis. III-IV. Reconnaissance d'une dette. ib.
355 bis. V. Reconnaissance en matière de prescription acquisitive. 488
355 bis. VI-VI1I. Elle peut donner à la possession le caractère de
précarité. ib.
356. Art. «34». 490
356 bis. Renvoi. 491
357. Art. 3350. ib.
357 bis. Renvoi. ib,
XXXVI SOMMAIRES.
SECTION II.
Des causes qui suspendent le cours de la prescription.
858. La suspension est une exception. Art. 2251. 491
358 bis. I. lïffet de la suspension. 492
358 bis. Il-Ill. Le Code n'a pas reproduit la maxime : Contra non
valenlem agere non currit prœscriptio. ib.
359. Suspension en faveur des mineurs et des interdits. Art. 2252. 493
359 bis. I. Le fondement de la règle est dans une sorte de restilutio
inintegrum. ib.
359 bis. II. Interdit légalement. 494
359 bis. 111. Exception à la règle. ib.
359 bis. 1V-XV. Examen de la règle au point de vue de certains
délais spéciaux. ib.
360. Suspension entre époux. Art. 2253. 501
360 bis I-II. Elle existe même en faveur du mari. »6.
361 . La prescription court en principe contre la femme mariée.
Art. 2254. 502
361 bis. I. Responsabilité du mari. ib.
361 bis. IMII. Cas où la femme peut interrompre la prescription. 503
362. Imprescriptibilité de l'immeuble dotal. Art. 2255. 504
362 bis. I-I1I. Renvoi au tome VI. — Résumé de la doctrine. ib.
363. Cas spéciaux où la prescription ne court pas contre la femme
mariée. Art. 2256. 505
363 bis. I-II. Exposé de la première hypothèse. 506
363 bis. I1I-YI. Application de la règle. ib.
363 bis. VIL Cas où la femme a ameubli un immeuble en se réser-
vant le droit de le reprendre si elle renonce. 508
363 bis. VIII. Le 2e cas prévu par l'article se rattache à l'article 2253. il.
363 bis. IX. Celte seconde exception n'existe pas en faveur du rnari. 509
364. Créances conditionnelles ou à iemie. Art. 2259. 510
364 bis. I. Motif. ib.
364 bis. IL Créances sous condition résolutoire. ib.
364 bis. 11I-1V. L'article ne s'applique pas à la prescription acqui-
sitive. ib.
364 bis. V. Examen de la jurisprudence sur ce point. 51 1
365. La prescription ne court pas contre l'héritier bénéficiaire créan-
cier de la succession. Art. 225». 513
305 bis. I. Motif de l'article. ib.
365 bis. IL Cas où l'héritier bénéficiaire a des cohéritiers. ib.
365 bis. III. Discussion. 344
365 bis. IV. L'article n'est pas applicable dans ses termes à la pres-
cription acquisitive. 515
365 bis. V. Quand cesse la suspension établie par l'arlicie 2258. 516
365 bis. VI. Prescription qui court en faveur de l'héritier béné-
ficiaire. ibm
SOMMAIRES. XXXVII
365 bis. VIL Successions vacantes. 517
366. Art. 22ô!>. ib.
CHAPITRE V.
DU TEMPS REQUIS POUR PRESCRIRE.
SECTION Ire.
Dispositions générales.
367. La prescription ne se compte pas par heures. Art. 3360. ib.
367 bis. I. Objet et division du chapitre. ib.
367 bis. II. Sens de l'article. 518
3b7 bis. III. Les prescriplions par mois et par année se calculent
de quantième à quantième. ib.
367 bis. IV. Démonstration. 519
367 bis. V. Il ne faut pas tenir compte de l'inégalité des mois ou des
années. ib.
367 bis. VI. 11 ne laut pas chercher à composer le délai avec des
mois complets ou des années complètes. 520
368. Arl. 236 i. ib.
368 bis. Sens et utilité de l'article. ib.
SECTION II.
De la prescription Irentenaire.
369. La plus longue prescription dure trente ans. Arl. 2ï0ï. 5.1
369 bis. I. La loi confond la prescription des actions avec celle des
droits. ib.
369 bis. II. Il existe des prescriptions plus courtes. 522
369 bis. II!. L'article réserve les règles précédemment établies, et
notamment celles qui exigent la possession pour acquérir. ib.
369 bis. IV. Quelques droits s'éteignent par le non-usage. i'>.
369 bis. V. La propriété ne se perd pas pir non-usage, et l'action
en revendication ne s'éteint pas par le simple laps de temps, ib.
369 bis. VI. Conséquences de la doctrine contraire. 523
369 bis. VII. Observation préalable contre cette doctrine. ib.
369 bis. VIII-1X. L'action est-elle un droit distinct? 524
369 bis. X. Action personnelle. ib.
369 bis. XI. Action réelle. ib.
369 bis. XII. L'action réelle ne peut pas être exercée tant que le
droit n'a reçu aucune atteinte. 525
369 bis. XIII. Démonstration tirée de la définition de l'action en
revendication. 526
369 bis. XIV. Le législateur n'a pas compris une prescription de
WWIII SOMMAIRES.
cette action, il s'en est référé aux principes sur la prescription
acquisitive. 516
370. Débiteur do renie. Titre nouvel. Art. 9263. 527
370 bis. I. Utiliié pratique de l'article. ib.
370 bis. 11. L'article ne s'applique pas aux dettes de sommes exigi-
bles. 528
370 bis. III. Point de départ du délai do vingt-huit ans. 5Î9
370 bis. IV. Point de départ de la prescription de la rente. ib.
370 bis. V. Le délai de vingt-huit ans sera prolongé quand la pres-
cription de la rente était suspendue. 530
371. Renvoi. Art. ««Cl. 534
371 bis. Portée restreinte de l'article. ib.
SECTION III.
De la prescription de dix et vingt ans.
372. Prescription par dix ou vingt ans. Art. ««65. ib.
372 bis. I. Deux conditions. 532
372 bis. II. Idée générale de l'article. ib.
372 bis. III. Juste titre. — Titres divers 533
372 6*8. IV. Un jugement n'est pas un titre. ib.
372 bis. V. Partage de succession. 534
372 6m. VI-V1II. Partage de communauté. 535
372 bis. IX. Partage de société. 530
372 bis. X-XI. Transaction. i6.
37 2 bis. XII-XIII. Bonne foi. 537
372 bis. XIV. Fixation alternative du délai de prescription. 538
372 bis. XV. La longueur du délai dépend de la situation du pro-
priétaire par rapport à l'immeuble. 339
372 bis. XVI. C'est la résidence du propriétaire qu'il faut consi-
dérer. 540
372 6m. XVII. Quels sont les droits qui peuvent être acquis par dix
ou vingt ans. Propriété. — Usufruit. 541
372 6m. XV11I. Servitudes, ib.
Mi bis. XIX. La propriété est acquise franche de charges réelles. 542
372 bis. XX. Règle donnée par rapport à l'hypothèque. ib.
372 6m. XXI. Objection quant aux servitudes réfutée. 543
372 6m. XXII. La prescription de la propriété et celle de la fran-
chise ne se confondent pas. -.1.
37 2 6m. XXIII. Quelques conditions sont cependant communes. t'6.
372 6(s. XXIV. Cas où il peut ^exister un titre spécial quant au
droit réel qui grève l'immeuble. 544
372 bis. XXV. La bonne foi est une condition relative. S45
372 bis. XXVI. Les règles sur la durée de la prescription sont rela-
tives. ib>
372 6m. XXVII. Il en est de même de» règUs sur les suspensions. 546
SOMMAIRES. XXXIX
372 bis. XXVIII. La franchise peut être prescrite par celui qui a
reç i l'immeuble a vero domino. 546
372 bis. XXIX. Discussion. 547
372 bis. XXX. Argument tiré de l'article 2180. ib.
373. Art. 3366. 548
373 bis. I. Combinaison du (etnps d'absence avec le temps de pré-
sence, ib.
373 bis. II. Correction à faire subir au texte. ib.
373 bis. IIL Observation sur la dénomination de cette prescription. 549
374. Tilre nul en la forme. Art. 23G9. ib.
374 bis. I. Espèce prévue par le texte. ib.
374 bis. II. Nullités relatives du titre. ib.
375. Art. 226S. 550
376. Art. S2«B». ib,
376 bis. I. L'acheteur de mauvaise foi ne peut arguer de la bonne
foi de ?on vendeur. ib.
376 bis. II. Examen d'une hypothèse douteuse. 551
377. Prescription en faveur des architectes et entrepreneurs. Art.
S2»0. ib.
377 bis. I. Renvoi à l'article 1792. 552
377 bis. II. Doctrine exposée au titre du louage. ib.
377 bis. III. Jurisprudence. 553
377 bis. IV. Arrêt de la Chambre civile conforme à noire doctrine, ib.
377 bis. V. Arrêt contraire des Chambres réunies. ib.
377 bis. VI-VII. Observations sur l'arrêt. 554
377 bis. VIII. Conclusion. 555
SECTION IV.
De quelques prescriptions particulières.
378. Objet de la section. ib.
379. Prescription de six mois. Art. 2371. 556
379 bis. I. Leçons au cachet. ib.
379 bis. IL Sens du mot gens de travail. ib.
380. Prescription d'un an. Art. 23'ÏS. 557
380 bis. I. Marchands achetant pour leur consommation. ib.
380 bis. IL Le Code ne distingue pas entre les marchands en gros
et les marchands en détail. ib.
380 bis. III. Maîtres de pension. 558
380 bis. IV-VI. Point de départ de la prescription. ib.
381. Prescription de deux ou de cinq ans. Art. 3293. 560
381 bis. Frais d'une affaire terminée remontant à plus de cinq ans. ib.
382. Circonstances qui font obstacle à ces prescriptions. Art.
««74. ib.
382 bis. I. Dans quel sens la prescription cesse-t-el'e de courir? ib.
382 bis. II. Distinction suivant la nature des actes. 561
XL SOMMAIRES.
383 bis. III. Distinction appuyée sur les décisions de Pothier. 564
383. Serment déféré au créancier. Art. ttVZ. 56-2
383 6 is . Motif de l'artcle. 16.
384. Prescription relative aux pièces de procédure. Art. 9??<t. ib.
384 bis. I. Développement. ib,
384 bis. II. Avocats, notaires, greffier?. 5S3
385. Prescription des intérêts, arrérages, loyers. Art. ««»». ib.
385 bis. I. Motif de l'article. ib.
385 6ïs. II. Étendue de sa disposition. ib.
386. Les courtes prescriptions courent contre les mineurs. Art.
«S* S. 564
386 bis. I. Motif de l'article. ib.
386 6*». 11. Autres causes de suspension. 565
387. En fait de meubles la possession vaut titre. Art. 3999. ib.
387 bis. I. Pourquoi cette règle se trouve dans le titre de la pres-
cription. 566
387 bis. II. Traduction de la maxime. ib.
287 bis. III. Personnes qui ne sauraient se préva'oir de la règle. 567
387 bis. IV. Deux conditions : 1° Possession. ib.
387 bis. V. Possesseur précaire. ib.
337 bis. VI. Q"i doit prouver en ce qui concerne la précarité. 568
387 bis. Vil. 2° Bonne foi. 569
387 bis. VlII-X. Cette condition seule justifie la maxime. ib.
387 bis. XI. Opinon qui n'exige pas la tnnne foi. 570
3S7 bis. XII. La bonne foi doit exister au moment du contrat. ib.
387 bis. XI II. La bonne foi n'est pas exigée chez celui qui a reçu
a vero domino. ib.
387 bis. XIV. Cas d^ perte ou de vol. 572
387 bis. XV. Qu'entend-on par vol? ib.
387 bis. XVI. Revendication. 573
387 bis. XVII. Contre le possesseur de mauvaise foi la revendication
dure toujours (rente ans. t'6.
388. Cas où le revendiquant doit indemniser le possesseur. Art.
«98©. 574
388 bis. Ml. Motifs de la règle. ib.
388 bis. III. La maïiine ne s'applique pas aux meubles incorporels. 575
388 bis. IV. Titres au porteur. 576
388 bis. V VI. Loi du 15 juin 1872 dérogeant à l'article 2279
quant aux titres au porteur. ib.
388 bis. VII. Elle ne s'applique ni aux billets de la Banque de
France, ni aux rentes sur l'État. 577
388 bis. VIIl-IX. Successions mobilières. ib.
389. Questions transitoires. Art. *«8I. 579
FIN DES SOMMAIRES.
COURS
ANALYTIQUE
DE CODE CIVIL.
LIVRE III.
TITRE NEUVIEME.
DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ.
CHAPITRE PREMIER.
DISPOSITIONS GÉNÉKALES.
\. La société, comme les trois contrats précédents, est
un contrat consensuel, synallagmatique et commutatif; cha-
cune des parties s'y oblige à une mise en commun dans la
vue d'un bénéfice à partager. V. art. 1832.
2. Le contrat serait absolument nul si le profit espéré et les
moyens de se le procurer n'étaient honnêtes : il est clair
qu'alors il y aurait obligation sur cause illicite. Le contrat ne
serait plus commutatif, et cesserait par la même d'être une
société, s'il n'avait lieu dans l'intérêt commun, et si chacun
n'y apportait quelque chose. Ainsi trois conditions sont essen-
tielles : un objet licite, un intérêt commun et un apport
réciproque. On tient généralement que cet apport, qui sert a
fixer la part de chacun dans les bénéfices, doit consister en
choses appréciables; mais il n'importe que ce soit de l'argent,
des biens en nature, ou la simple industrie. V. art. 1833.
▼m. i
2 COUItS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. II!.
2 bis. I. Les conditions essentielles du contrat de société apparais-
sent à la lecture des deux articles 1832 et 1833. Elles sont au
nombre de quatre : 1° le consentement; 2° l'apport de chaque
contractant, ce quelque chose que les parties mettent en commun
d'après l'article 1832; 3" un objet licite; 4° une utilité commune.
2 bis. II. Rien à dire sur le consentement, si ce n'est à renvoyer
aux règles générales du Code, qui sont exposées au titre des Con-
trats, en rappelant que le consentement doit émaner de personnes
capables et n'être infecté d'aucun vice.
2 bis. III. L'apport, c'est la mise de chaque associé, le contingent
de chacun dans la société. Tout ce qui peut être l'objet d'une con-
vention peut être apporté : de l'argent, des marchandises, des
créances, des droits de propriété littéraire ou industrielle, la clientèle
d'un fonds de commerce; l'industrie, c'est-à-dire le travail per-
sonnel de la partie , travail manuel ou intellectuel ; le crédit com-
mercial même, c'est-à-dire la réputation de solvabilité et de
régularité qui inspire confiance aux tiers et qui peut être très-utile
à des associés encore inconnus du public avec qui la société doit
entrer en relation d'affaires.
2 bis. IV. Chaque associé doit faire un apport, art. 1833 in fine.
La société ne saurait exister sans cet apport de tous, elle cesserait
en effet d'être un contrat à titre onéreux par rapport à l'associé qui
n'apporte rien, elle serait une donation, et serait soumise aux
règles qui régissent les actes à titre gratuit : règles sur la forme
(art. 931), sur le rapport (art. 843), sur la réduction (art. 920).
sur la capacité de donner et de recevoir (art. 911), etc.
2 bis. V. La loi entend par objet de la société, la série des opéra-
tions que les associés ont l'intention de faire pour réaliser des béné-
fices. Ces opérations doivent être licites, c'est la règle générale en
matière de convention. Les Romains disaient : Nulla societas male-
ficiorum; mais il est certain qu'on verra rarement une convention
revêtant les apparences et aspirant aux effets d'un acte régulier,
qui aura pour objet de commettre des crimes ou des délits. Il est
au contraire certains faits interdits par les lois qui ne sont pas
condamnés par les principes fondamentaux de la morale, et c'est en
vue de ces faits qu'il est nécessaire d'insister sur la règle que nous
étudions. Ainsi, il est interdit de mettre en société des offices
publics, à l'exception des offices d'agent de change.
A plus forte raison considérons-nous comme prohibée toute
TIT. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. ART. 1832, 1833. 3
société qui avait pour objet l'organisation de la contrebande, alors
même qu'il s'agirait uniquement de porter préjudice à des
douanes étrangères.
2 bis. VI. La nullité de la société qui a un objet illicite a pour
conséquence que chaque associé peut refuser d'effectuer son apport,
ou peut en exiger la restitution s'il l'a opéré, car cet apport a été
effectué sine causa. Nous n'admettons pas que cette demande en
restitution de l'apport puisse être repoussée parce qu'elle s'appuie
sur le caractère illicite de l'opération faite par le demandeur (i),
mais nous pensons que ce caractère illicite de la société aura pour
conséquence de faire obstacle à toute demande en partage des béné-
fices, ou en répartition des pertes. Celui des associés qui voudrait
réclamer d'un autre une part des bénéfices encaissés par celui-ci,
ne pourrait justifier son droit qu'en se fondant sur la convention
sociale qui est nulle, et il en serait de même de l'associé qui pré-
tendrait faire supportera l'autre une part des pertes par lui subies.
Nous ne ferons pas de différence, en ce qui concerne les pertes, entre
le cas où la répartition des pertes serait demandée par voie d'action et
celui où elle se présenterait sous forme d'exception. Exemple :
l'associé redemande son apport, le défendeur détenteur de l'apport
voudrait déduire de cet apport une part des pertes; la situation est
toujours la même, il invoque la convention de société qui est nulle,
il ne peut y trouver le principe d'une créance, et s'il n'est pas créan-
cier , il ne peut pas refuser de restituer intégralement la valeur
appartenant à autrui et qu'il détient sans cause légitime (2).
2 bis. VII. Le but de la société doit être une utilité commune, ou,
comme dit l'article 1832, un bénéfice à partager entre les associés.
La loi n'ajoute pas dans sa définition que le but serait de subir
en commun les pertes ; en effet , les pertes sont des accidents qu'il
faut bien prévoir, mais la société n'est pas formée en vue des pertes.
Ajoutons que la répartition des pertes entre tous les associés
n'est pas de l'essence de la société; on verra, il est vrai, dans
l'article 1855 que l'on ne peut pas affranchir des pertes les
sommes ou effets mis dans le fonds de la société par un ou plusieurs
des associés, mais il résulte de cette formule que celui qui aurait
fait son apport autrement qu'en sommes et effets, c'est-à-dire en
(1) V. t. V, n°49iw. IV.
(2) V. cependank Aubry et Rau, t. III, p. 398. Edit. 1856.
4 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
industrie, pourrait être dispensé par la convention de la contribution
aux pertes.
Le partage des bénéfices est au contraire de l'essence du contrat,
et l'article 1155 annule la convention qui donne à l'un des associés
la totalité du bénéfice. C'est la société qu'on appelle Léonine.
2 bis. VIII. Les bénéfices doivent être pécuniaires ou appréciables
en argent; il ne suffirait pas qu'ils consistassent en un certain
agrément dans les relations de la vie, comme celui qu'on trouverait
dans le fait d'occuper le même logement et de s'asseoir quoti-
diennement à la même table ; ou dans certaines jouissances intel-
lectuelles, comme l'usage commun d'une bibliothèque ou d'une
galerie de tableaux.
2 bis. IX. Les bénéfices doivent provenir de la communauté des
apports (art. 1832 in fine). Ainsi, on ne verrait pas une société dans
le contrat par lequel deux personnes constitueraient un fonds de
10,000 francs composé de deux mises de 5,000 francs pour jouir
chacune à son tour des 10,000 francs pendant un temps déter-
miné, faisant chacune des opérations avec la somme pendant son
temps de jouissance, et gardant tout entiers les profits résultant de
ces opérations. ,
De même on ne considère pas comme sociétés les tontines, ou
associations de rentiers, qui conviennent que les parts des pré-
mourants profiteront aux survivants. Le profit advenant aux
survivants ne provient pas de la mise en commun, la réunion des
mises n'est pas une cause d'augmentation de fonds commun,
ce fonds reste le même, sa répartition seule varie au hasard des
événements.
3. Le contrat de société est, comme on l'a dit, purement
consensuel, mais il est d'ailleurs soumis aux règles ordinaires
sur l'admission a la preuve testimoniale. Ici donc, comme
partout, s'applique l'obligation de passer acte de toutes choses
excédant la somme ou valeur de 150 francs : la société consé-
quemment doit être rédigée par écrit lorsque son objet est d'une
valeur supérieure à cette somme. Ici s'applique également la
défense de recevoir aucune preuve par témoins contre et outre
le contenu aux actes, ou sur ce qui serait allégué avoir été dit
avant, lors ou depuis. V. art. 1834 \ et remarquez que cet
TIT. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. AKT. 1833, 1834. S
article ne fait que reproduire, en les appliquant au contrat de
société, les dispositions générales de l'article 1341. Peut-être
cette reproduction, au moins en ce qui concerne la disposition
principale, a-t-elle été jugée utile pour exclure positivement
l'usage des sociétés taisibles, admises dans certaines cou-
tumes; peut-être aussi a-t-on voulu marquer une différence
entre les sociétés ordinaires et les sociétés commerciales,
qui doivent toujours être constatées par actes (C. comm., art.
39 et 40).
3 bis. I. Les sociétés taisibles dont parle M. Demante étaient des
sociétés tacites qui se formaient par le fait d'une vie en commun
entre plusieurs personnes et d'où résultait une mise en commun à
titre universel d'une partie des biens des associés. La coutume de
Troyes disait : « Vivant ensemble à un commun pot, sel et dépense,
« en mélange de biens par an et jour, ils sont réputés unis et com-
« muns en biens meubles et conquêts, s'il n'appert du contraire. »
On discutait déjà dans l'ancien droit sur la validité de ces contrats
tacites dans les provinces où la coutume ne les avait pas autorisés
expressément. Pothier invoquait contre elles l'ordonnance de Mou-
lins de 1566 fart. 54), qui ordonnait que toute convention dont l'objet
excéderait cent livres fût rédigée par écrit, et il invoquait un
article de l'ancienne coutume d'Orléans, rédigée en 1509 et par
oonséquent antérieure à l'ordonnance de Moulins, qui disait : « So-
ciété ne se contracte entre aucuns qu'ils ne soient conjoints par
mariage, sinon qu'il y ait entre eux convention expresse. » Les
rapports faits au nom du Tribunat montrent clairement que le Gode
civil a voulu abolir cette institution partout où elle était encore en
vigueur (1).
3 bis. II. C'est donc un renvoi aux règles générales sur les preuves
qui est contenu dans l'article 1834; par conséquent il ne suffit pas
d'appliquer aux sociétés la disposition de l'article 1341, mais il
faut aussi les soumettre aux autres dispositions qui complètent la
théorie en restreignant l'application de la règle dans des limites
raisonnables. Il faudra donc permettre la preuve testimoniale quand il
existera un commencement de preuve par écrit (art. 1347) et quand
il aura été impossible de se procurer une preuve écrite, surtout
(1) Voir Pothier, Du contrat de tociiti, n° 79.
6 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
quand la preuve écrite aura été perdue par cas fortuit. (Art. 1348.)
3 bis. III. L'objet de la société dont la valeur est à considérer quand
il s'agit de savoir si une preuve écrite est nécessaire, c'est le
montant des apports réunis.
Il n'y a pas à tenir compte de la valeur du fonds social au moment
où une contestation s'élève; si les associés ont mis en commun de
modiques valeurs ne dépassant pas ISO francs, ils n'avaient pas à
rédiger un écrit, car les frais de cet écrit eussent peut-être été hors
de proportion avec les sommes dont il s'agissait de constater
l'apport. Qu'importe que plus tard, par le travail et l'économie des
associés ou par une chance heureuse, le fonds social soit devenu
considérable? Les associés n'étaient point en faute lors de la
formation du contrat, et les rigueurs de l'article 1341 ne s'adres-
sent qu'à des contractants qui ont commis une faute (1).
Nous venons de dire qu'il faut tenir compte du montant des
apports réunis. L'intérêt engagé en vue duquel un acte est rédigé
est en effet un intérêt collectif. C'est le fonds social , composé des
apports, qui se trouve grevé des frais de rédaction de l'écrit ; dès lors
il importe peu que chaque associé fasse un apport ne dépassant pas
150 francs si l'ensemble des apports constitue un total supérieur à
ce chiffre (2).
L'apport peut consister en industrie, et sa valeur n'apparaît pas
aussi facilement que lorsqu'il consiste en argent, ou même en
immeubles ou en meubles corporels. Le juge aura alors un pouvoir"
discrétionnaire pour déterminer ce que valait en argent, au moment
du contrat, l'apport en industrie (3).
CHAPITRE fi.
DES DIVERSES ESPÈCES DE SOCIÉTÉS.
4. La société peut comprendre l'universalité , soit des biens
des associés, soit de leurs gains et économies; elle peut
(1 ) V. t. V, n° 315 bis. X, XI et XII, où se trouve discutée en détail la question
que nous agitons.
(2) V.t. V, n°315&ù. XIII.
(S) V. t. V, n«315fci*. XIV.
TIT. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. ÀtlT. 1834-1837. 7
comprendre seulement un ou plusieurs objets, ou s'appliquer
a une entreprise déterminée : sous ce rapport les sociétés sont
universelles ou particulières. (V. art. 1835.)
SECTION I.
Des sociétés universelles.
o. Les Romains distinguaient deux sortes de sociétés
universelles : la société universorum bonorum, et la société
omnium quœ ex quœstu veniunl. La première comprenait
tous les biens présents et à venir, de quelque cause qu'ils
pussent procéder; la seconde se bornait a ce que les associés
acquéraient pendant la société , a quelque titre de commerce.
Notre ancien droit français admettait ces deux espèces de
sociétés universelles; les coutumes avaient même étendu la
société de gains, en y comprenant les meubles que les associés
possédaient au jour du contrat.
Notre législateur a été frappé des inconvénients que pjé-
sentent les sociétés universelles ;• il a craint les fraudes qu'elles
peuvent couvrir et les surprises qu'elles peuvent entraîner.
Toutefois, ces inconvénients étant surtout à craindre dans la
mise en commun des biens a venir , ils n'ont pas empêché
d'admettre la société de tous biens présents, et la société
universelle de gains. V.art. 1836.
5 bis. Le Code permet aussi une troisième espèce de société
universelle, qui est la réunion des deux sociétés autorisées par
l'article 1836, c'est la société de biens présents et de gains (art. 1837,
deuxième alinéa).
Quand la société universelle a été contractée sans autre explica-
tion, le Code interprète la convention dans son sens le moins grave,
au point de vue du dépouillement qu'elle produit pour chaque
associé; elle ne donne naissance qu'à la société universelle de
gains. (Art. 1839.)
6. Qui dit tous les biens présents dit évidemment tous les
biens meubles et immeubles qui appartiennent aux associés
8 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
au jour (lu contrat. Mettre ces biens en commun, c'est y
mettre par Ta même tous les profits qu'on en pourra tirer, par
échange, usage ou perception de fruits. Toute autre espèce
de gains, puta les traitements, salaires ou honoraires, ne sont
pas de plein droit compris dans celte société ; mais la loi permet
aux parties de les y comprendre. Au nombre de ces gains se
place naturellement la jouissance des biens qui peuvent
advenir par succession , donation ou legs. Quant à ces biens
eux-mêmes, la loi défend de les faire entrer dans une société
ordinaire; mais la faveur dont jouit l'association conjugale
permet de les comprendre dans la communauté. (V. art.
1837, et a ce sujet art. 1401, 1505, 1526.)
7. La société universelle de gains renferme tout ce qui
s'acquiert par l'industrie, par conséquent tous les produits
du travail et de l'économie. Il est tout simple, d'après cette
vue , qu'elle comprenne la jouissance de tous les biens pré-
sents et à venir. Bien plus, la loi, comme les anciennes cou-
tumes, y fait entrer la propriété des meubles présents. Quant
aux immeubles autres que les conquêts, la propriété en reste
a chaque associé en particulier. (V. art. 1838.)
7 bis. I. Quand la société est purement la société universelle des
biens présents, sa composition n'est pas difficile à déterminer; elle
comprend tous les biens meubles et immeubles qui appartiennent
aux associés lors du contrat, et elle ne comprend que cela; car les
profits à tirer de ces biens reviennent tout naturellement à la
société. La loi n'avait pas besoin de s'exprimer sur ce point, c'est la
conséquence nécessaire de la mise des biens en société, et l'on ne
pourrait pas comprendre quelle utilité aurait pour la société la
mise en commun de biens dont elle ne retirerait pas les profits.
7 bis. II. La société universelle de gains comprend trois groupes
de choses : i° les biens que les parties acquerront par leur industrie
pendant le cours de la société; 2° les meubles que chacun des
associés possède au temps du contrat; 3° la jouissance des immeubles
personnels.
i° Les expressions dont la loi se sert pour paraphraser le mot gains
tendent à exclure d'abord ce qui adviendrait à l'associé par un simple
hasard, prosçerfifortuna, par exemple la part d'un trésor attribuée
T1T. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. ART. 1837, 1838. 9
à l'inventeur, et secondement tout ce qui serait acquis avec des
deniers propres ou en échange d'un bien propre.
2° Les meubles présents paraîtraient devoir être exclus d'une
société de gains; ils n'y sont compris qu'en vertu d'une tradition
qui nous vient du droit coutumier (1) et qui se justifiait autrefois par
le peu d'importance que les coutumes accordaient aux biens
mobiliers. La règle s'explique mieux aujourd'hui par la nécessité
de constituer à la charge de tous les associés le premier fonds so-
cial, et par l'embarras que pourrait causer aux parties la confection
d'un inventaire pour réserver les droits de chacun sur le mobilier
qu'il a au moment de la formation du contrat de société.
3° Si les revenus des immeubles restaient propres, le but de la
société ne serait pas atteint la plupart du temps, parce que les
associés ne trouveraient nulle part des valeurs sur lesquelles ils
pussent faire des économies pour créer un fonds social. A cette
considération se joint celle-ci : faire fructifier des immeubles, les
rendre productifs, c'est un acte de l'activité humaine, par conséquent
un acte d'industrie, et sous ce rapport on peut dire que la règle sur
les fruits se confond avec celle qui place dans la société tous les
biens que les parties acquerront par leur industrie.
7 bis. III. La troisième, espèce de société universelle, est la réunion
des deux autres, elle comprend les biens présents, meubles et
immeubles, les biens acquis par l'industrie et la jouissance des
biens personnels, qui ne peuvent être en ce cas que les biens acquis
pendant la société à titre de donation ou de succession. C'est de
cette société que parle le deuxième alinéa de l'article 1837.
8. La loi ne s'est pas expliquée sur le passif des sociétés
universelles, soit de tous biens présents, soit de gains seu-
lement. C'est dans les principes généraux qu'il faut chercher
les règles a cet égard.
9. Il est évident d'abord que toutes les dettes existant au
jour du contrat sont de plein droit à la charge de la société
de tous biens présents.
10. Il n'est pas moins clair que tout ou partie des dettes
actuelles doit tomber à la charge de la société universelle de
gains, dans laquelle entre le mobilier présent.
(1) V. Pothier, Du contrat de tocièti, n° 44.
10 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
10 bis. La société de gains comprend tous les meubles dans son
actif, il est donc naturel qu'elle soit grevée d'une part correspon-
dante du passif. On pourrait, à l'exemple de Pothier, appliquer ici
la même règle qu'en matière de communauté entre époux, et mettre
toutes les dettes mobilières à la charge de la société. Mais nous
savons qui; cette attribution, qui paraît contre-balancer équitable-
ment l'attribution du mobilier actif, n'est pas aujourd'hui aussi
acceptable que dans l'ancien droit, parce qu'il n'y a plus, en quel-
que sorte, de dettes immobilières, ce qui fait que la société, ne
profitant que d'une partie de l'actif, supporterait cependant toutes
les dettes. Mieux vaut suivre, dans le silence de la loi, la règle qui
régit le passif des successions échues à des époux communs en
biens; diviser le passif dans la même proportion que l'actif et
mettre à la charge de la société une part de dettes correspondant
à la valeur du mobilier qu'elle acquiert comparée à celle des im-
meubles qui restent propres.
1 1. A l'égard des charges futures, et notamment des dettes
qui seront contractées pendant la durée de l'association uni-
verselle de l'une ou de l'autre espèce, il est naturel que la
société en soit ou non tenue, suivant qu'elles seront ou non
relatives aux biens qui lui appartiennent et aux profils qui
tombent dans son actif.
12. Ainsi la société de tous biens présents sera évidemment
tenue des charges, telles que grosses réparations, qui pourront
survenir relativement aux biens présents. Elle supportera éga-
lement les charges de fruits, telles que contributions, répara-
tions d'entretien, qui grèveront la jouissance des mêmes biens.
Si elle comprend toute espèce de gains, elle supportera
sans distinction toute charge de fruits, et sous ce nom il
faudra comprendre les dépenses d'entretien, nourriture,
éducation des associés et de leur famille.
Quant aux dettes de capitaux, la société, soit qu'elle com-
prenne ou non toute espèce de gains, devra les supporter,
quand elles auront été valablement contractées pour lui pro-
curer un profil ; elle en sera tenue de in rem verso lorsqu'elles
auront été contractées sans pouvoirs suffisants.
13. Il est facile maintenant de faire à la société universelle
T1T. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. ART. 1838-1840. 11
de gains l'application de ce que l'on a dit de la société de
tous biens présents, en ce qui concerne les dettes ou charges
futures. Ici, évidemment, comme dans tous les cas où elle
embrasse tous les gains, la société doit supporter toutes les
charges de fruits. Mais, comme au cas dont il s'agit elle se
borne à ces gains , elle n'est nullement tenue des charges
relatives à la propriété des biens, soit présents, soit futurs,
autres que conquêts. Du reste, elle est tenue, in solidum ou
de in rem verso, des dettes contractées pendant sa durée,
suivant la distinction ci-dessus indiquée; enfin pour juger si
les dettes contractées sont ou non relatives à ses affaires, les
principes sont nécessairement les mêmes que dans la société
de tous biens présents comprenant tous les gains.
13 bis. La société universelle qui comprend les gains, qu'il
s'agisse soit de la société de biens présents et de gains, soit de la
pure société de gains, ne doit pas être tenue de supporter les
dettes résultant d'un délit commis par un associé parce que le
contrat de société ne peut pas contenir un mandat de commettre
des délits ; il faudra seulement reconnaître que si le délit a procuré
à son auteur un bénéfice dont la société a profité, la société sera
tenue à la réparation envers la victime du délit, mais dans les
limites de ce dont elle s'est enrichie.
14. Les sociétés universelles, quoique permises, ne sont
pas vues par la loi d'un œil favorable. Toutefois la défaveur
est moindre pour la société de gains, qui laisse à chaque
associé la propriété de ses immeubles : aussi, à défaut d'ex-
plication, la convention de société universelle s'entend-elle
d'une simple société de gains. V. art. 1839.
15. Au reste, les sociétés universelles de l'une ou de
l'autre espèce pouvant toujours couvrir aisément des avantages
indirects, la loi ne les autorise qu'entre personnes non-seule-
ment capables l'une envers l'autre de faire et de recevoir des
donations, mais auxquelles il n'est point défendu de s'avan-
tager au préjudice d'autres personnes. V. 1840.
15 bis. L'article 1840 interdit certainement le contrat de société
universelle entre personnes atteintes d'une des incapacités relatives
12 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
de donner et de recevoir (art. 907-909), mais là se borne la dis-
position de la loi. Ce serait l'exagérer que d'interdire le contrat
de société universelle quand l'une des parties a des héritiers à
réserve; outre que les travaux préparatoires indiquent chez les
auteurs de la loi une pensée contraire, il faut reconnaître que le texte
n'impose pas cette solution, car on ne peut pas dire que celui qui a
des héritiers à réserve ne peut pas avantager un étranger, puis-
qu'il a toujours une portion disponible et que l'attribution de cette
partie de biens peut constituer un avantage sérieux et légitime en
faveur d'un donataire.
SECTION II.
De la société particulière.
16. La société particulière est celle qui n'a pour objet que
des choses déterminées.
Cet objet peut consister dans certains biens que l'on met
en commun, soit quant a la propriété, soit seulement quant
à l'usage ou a la jouissance. V. art. 1811 .
Il peut également consister dans une entreprise à exécuter
en commun , ou dans l'exercice en commun d'un métier ou
d'une profession. V. art. 1842.
16 bis. La définition contenue dans l'article 1842 embrasse les
sociétés commerciales; celles-ci sont les plus nombreuses, nous
n'avons pas à nous occuper, mais la société civile existe cependant,
car on peut concevoir que plusieurs personnes mettent des biens
en commun pour en retirer des bénéfices sans cependant se livrer
à des opérations commerciales. Exemples : Plusieurs cultivateurs
prennent ensemble une ferme à bail, pour l'exploiter ; des auteurs
s'unissent pour publier à frais communs un ouvrage, des professeurs
pour donner un enseignement commun ; enfin des capitalistes s'as-
socient pour l'exploitation d'une mine (loi du21 avril 1810, art. 32).
TIT. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. ART. 4841-1843. 13
CHAPITRE III.
DES ENGAGEMENTS DES ASSOCIÉS ENTRE EUX ET A L'ÉGARD
DES TIERS.
SECTION I.
Des engagements des associés entre eux.
17. Les règles contenues dans cette section concernent :
1° Le commencement et la durée de la société (art. 1843,
1845);
2° Les obligations de chaque associé envers la société
(art. 1845-11-50);
3° Celles de la société envers chaque associé (art. 1851,
1852) (1);
4° La détermination des parts (art. 1853-1855);
5° Enfin, l'administration de la société, et les pouvoirs de
chaque associé, relativement aux affaires communes (articles
1856-1861).
(1) C'est figurément, et pour rendre plus sensible l'expression des rapports des
associés entre eux, que je personnifie ici la société, en la présentant comme créan-
cière ou débitrice de chaque associé. Du reste, je n'admets pas la théorie nouvelle
qui considère toute société comme une véritable personne civile distincte de la per-
sonne des associés. Ce système, qui entraîne les plus graves conséquences parti-
culièrement sous le rapport du privilège qu'il constitue, en faveur des créanciers
de la société, sur les biens composant le fonds social, n'est nullement fondé sur les
anciens principes; et dès lors je ne pourrais l'admettre qu'autant que je lui trou-
verais une base dans la loi. Cette base, je la trouve pour les sociétés commerciales,
antres qne l'association en participation, dans l'article 529 du Code civil, et dans
les articles 26, 30, 39-45 du Code de commerce; v. aussi C Pr. , art. 69-6'. Mais
rien n'autorise à étendre cette idée aux cas si multipliés de société civile et d'asso-
ciation en participation. Bien plus, on ne pourrait le faire sans enlever toute appli-
cation directe à la définition légale de la société. V. art. 1832; v. à ce sujet art.
1849, 1859-1°. On sent, au surplus, combien il serait exorbitant, et surtout com-
bien il serait dangereux, d'attribuer à la simple volonté des associés la puissance de
faire ainsi naître et mourir une personne nouvelle, dont rien ne révélerait l'exis-
tence aux tiers, et qu'ils se donneraient temporairement pour successeur à certains
biens, à l'effet de lui succéder ensuite. ( Note de M. Deuantb. )
14 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V 111.
Si.
Du commencement et de la durée de la société.
18. Formée par la volonté des parties, c'est naturellement
dans cette volonté que la société doit trouver la règle de son
commencement et de sa durée.
19. A moins d'une clause contraire, la loi suppose que la
volonté commune a été de la faire commencer immédiate-
ment. V. art. 1843.
20. Quant à la durée, si elle n'est pas limitée soit par un
terme fixe , soit par le genre même de l'affaire pour laquelle
la société est contractée, elle embrasse toute la vie des
associés, sans préjudice du droit qui reste a chacun de re-
noncer auparavant, sous les conditions que la loi détermine.
V. art. 1844, et à ce sujet article 1869.
§ H-
Des obligations de chaque associé envers la société.
21. Chaque associé est obligé envers la société :
1* A fournir son apport (art. 1845, 1846, 1847) -,
2° A tenir compte de ce qu'il percevrait du fonds commun,
et même à communiquer les profits qu'il se procurerait en
préférant son propre intérêt a celui de la société (art. 1846-
1849)-,
3° A indemniser la société du tort qu'il lui causerait par sa
faute (art. 1850).
21 bis. Nous ne préjugeons rien sur ce que nous déciderons
plus tard relativement à la personnalité de la société civile, quand
nous disons que l'associé est débiteur envers la société. Si l'on n'ad-
met pas que la société soit en personne, il n'y a là qu'une forme
de langage ; comme celle que la loi emploie si souvent quand elle
parle de la communauté entre époux qui n'est pas, selon nous,
une personne distincte (1). Dire qu'une dette existe envers la société,
(l) V. t. VI, n* 18 bis. X.
TIT. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. ART. 1843-1846. 15
c'est dire simplement qu'elle existe envers l'ensemble des associés,
et que son objet est destiné à grossir le fonds commun.
22. A l'égard de l'apport, il suffit de dire que l'associé en
est débiteur, pour amener l'application des principes généraux
qui règlent l'effet des obligations de donner ou de faire (art.
1136-1145). V. art. 1845, al. 1.
23. Si l'apport consiste en un corps certain, il est con-
forme à la nature du contrat commutatif que l'associé soit,
comme un vendeur, garant de l'éviction. V. art. 1845, al. 2.
23 bis. I. L'assimilation de l'associé qui a promis un corps certain
à un vendeur n'est exacte qu'autant que l'apport doit consister
dans la propriété du corps certain ou dans un droit réel de jouis-
sance sur cet objet; mais la convention des parties sainement
interprétée conduit à traiter l'associé comme un bailleur quand il
a promis seulement de faire jouir la société d'un certain objet, par
exemple d'un immeuble.
L'observation n'est pas sans intérêt, d'abord au point de vue des
risques, c'est un point qui sera traité sur l'article 1867 ; ensuite, au
point de vue des charges de fruits, comme les réparations usu-
fructuaires. Si l'associé est considéré comme un vendeur, il n'est pas
tenu de réparer la cbose sur laquelle il a vendu le droit réel de
jouissance; s'il est bailleur, il doit entretenir la chose en bon
état. On a cependant objecté qu'il ne pouvait pas sous ce rapport
être assimilé à un bailleur qui perçoit des loyers et qui sur ces
loyers peut prélever le montant des réparations ; à cette objection
on répond victorieusement que si l'associé ne perçoit pas des loyers
d'une façon apparente et distincte, au fond il recueille un bénéfice
en échange de la jouissance qu'il procure, c'est sa part dans les
bénéfices sociaux accrus nécessairement par la jouissance même
que l'associé procure à la société.
23 bis. IL Pour compléter l'assimilation entre l'associé et le
vendeur ou le bailleur, nous ajouterons que cet associé devra la
garantie des défauts cachés de la chose qu'il avait apportée (art.
1641 et 1721).
24. Si l'apport consiste en argent, la loi, toujours eu égard
à la nature de ce contrat, essentiellement commutatif, con-
sacre ici deux dérogations aux règles ordinaires : 1° les inté-
16 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
rets courenl de plein droit, par conséquent sans demande,
ajoutons et sans sommation, du jour de l'échéance ; 2° leur
prestation ne dispense pas de plus amples dommages-inté-
rêts, s'il y a lieu.
Les mêmes motifs et les mêmes décisions s'appliquent au
cas où l'associé aurait tiré des sommes de la caisse sociale pour
son profit particulier : cas compris du reste dans l'obligation
générale de tenir compte à la société de tout ce qui se perçoit
du fonds commun. V. art. 1846; v. a ce sujet art. 1153, et
remarquez que la faculté d'obtenir d'autres dommages-intérêts
en sus de l'intérêt légal est bornée par ce dernier article aux
cas de commerce et de cautionnement.
24 bis. I. L'article 1846 contient une double exception à l'article
1153 : les intérêts sont dus de plein droit, de plus la société peut
obtenir des dommages et intérêts dépassant l'intérêt légal aussi bien
dans le cas de retard que dans la seconde hypothèse prévue, c'est-
à-dire quand l'associé s'est servi de sommes qu'il a tirées de la
caisse sociale.
Cette double exception s'applique aussi bien en matière de société
civile qu'en matière de société commerciale. Il est vrai qu'en ce qui
concerne les dommages et intérêts, l'article 1153 n'annonce d'excep-
tion à sa règle qu'en matière de commerce ou de cautionnement.
Mais ce n'est pas une raison pour restreindre l'application de l'article
1846. Une règle générale peut toujours subir une dérogation en
vertu d'une disposition spéciale; l'article 1153 a prévu deux déro-
gations, l'une qui a trait au cas de rechange, l'autre au cas de
fidéjussion; le législateur en a plus tard introduit une troisième; il
n'y a rien là que de très-normal et de très-ordinaire.
24 bis. IL Une exception cependant ne doit pas en faire présumer
une autre. Il existe une règle sur les dommages et intérêts lorsque
l'obligation n'a pas pour objet une somme d'argent , elle ne se
trouve pas dans l'article 1153, mais dans l'article 1146. La mise
en demeure est nécessaire pour que les dommages et intérêts soient
dus, cette règle n'est pas atteinte par l'article 1846 qui suppose
une dette de somme d'argent; il faudra donc, pour les apports qui
ne consistent pas en argent, rentrer dans la règle générale du titre
des obligations.
TIT. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. ART. 1847, 1848. 17
25. Il est clair que la double obligation, de réaliser l'apport
promis, et de tenir compte de tout ce qui est perçu du fonds
commun, emporte, pour l'associé qui a promis son industrie,
celle de compter de tous les gains provenant de l'espèce
d'industrie que les contractants ont eue en vue. V. art. 1847.
26. Tout ce qu'un des associés reçoit d'un débiteur de la
société n'est pas par cela même et nécessairement perçu du
fonds commun. L'associé en effet peut être, pour son propre
compte, créancier du même débiteur à un autre titre-, en
outre, l'associé a dans la créance même de la société une part
personnelle essentiellement divise. Mais la bonne foi ne per-
met pas à l'associé de préférer son intérêt a celui de ses asso-
ciés, en se faisant payer, soit de sa créance personnelle, soit
de sa part dans la créance sociale, et laissant les autres exposés
aux retards, et surtout au risque de l'insolvabilité du débiteur.
27. Si donc un associé, créancier pour son propre compte
d'un débiteur social , reçoit de lui une somme qui , d'après
les principes généraux, pouvait également s'imputer sur l'une
ou sur l'autre des créances, supposées toutes deux exigibles
(v. art. 1256, al. 1), non-seulement la loi, à défaut d'expli-
cation, l'imputera proportionnellement sur toutes deux , mais
elle n'aura aucun égard à l'imputation que l'associé aurait
exclusivement dirigée sur la sienne. Bien entendu , au con-
traire, que l'associé pouvant préférer l'intérêt des autres au
sien propre, l'imputation qu'il ferait sur la créance de la so-
ciété devrait être suivie. V. art. 1848 $ et remarquez que
notre article ne déroge pourtant pas à la faculté accordée au
débiteur par l'article 1253.
27 bis. I. En appliquant au cas d'imputation des paiements la
règle que l'associé doit veiller aux intérêts sociaux comme aux siens
propres, l'article 1848 semble faire subir une dérogation aux prin-
cipes posés par le titre des obligations dans la section qui traite
de l'imputation des paiements. Il n'en est rien toutefois; si, tenant
compte du motif de l'article 1848, on restreint cet article dans des
limites raisonnables, on arrive à respecter à la fois l'article 1848 et
les articles 1253-1256.
vin. 2
18 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
27 bis. II. Ainsi, il n'est pas possible d'admettre que le débiteur
soit privé du droit de déclarer quelle dette il entend acquitter, à
raison de ce fait qu'il a pour créanciers l'associé et la société. La
règle sur les devoirs des associés les uns envers les autres ne peut
avoir aucune influence sur la situation du débiteur, il faut donc ré-
server l'application de l'article 1253. Le débiteur pourra déclarer
quelle dette il entend acquitter. Il est vrai que peut-être il fera
cette déclaration sous l'influence de l'associé son créancier, et qu'a-
lors on arrive à éluder l'article 1848. Mais, outre que cette entente
cordiale entre un créancier et son débiteur n'est pas très-ordinaire,
nous dirons que, si l'intention frauduleuse apparaît, les tribunaux
auront toujours le droit de réprimer la fraude. Mais la possibilité de
cette fraude un peu rare ne suffit pas pour annuler préventivement,
et par une sorte de présomption, l'acte accompli par le débiteur en
vertu d'un droit très-précieux pour lui et qui est consacré par un
article du Code civil.
27 bis. III. Puisque nous réservons l'application de l'article 1253,
à fortiori nous réserverons aussi l'effet de l'article 1256. Ici la fraude
n'est plus même possible, l'imputation est légale, et elle se fait dans
l'intérêt du débiteur. L'article attribue donc à celui-ci un droit dont
il serait injuste de le dépouiller en raison des rapports qui existent
enlre ses deux créanciers.
La double réserve que nous venons de faire, quant aux articles
1253 et 1256, n'est pas condamnée par l'article 1848, car cette
dernière disposition suppose que l'associé a dirigé l'imputation dans
la quittance, ce qui nous place dans l'espèce régie parl'article 1255.
C'est alors seulement, l'imputation ayant été indifférente au débi-
teur, qu'elle peut être faite sans injustice dans un autre sens que
celui qui est indiqué par la quittance.
27 bis. IV. Mais dans le cas prévu par l'article 1848, il nous
semble qu'il faut prendre sa décision à la lettre, et ne pas se con-
tenter de dire qu'il s'agit de régler les rapports de l'associé avec la
société ; que la dette éteinte sera bien celle qui est désignée par la quit-
tance; mais que l'associé devra tenir compte à la société de la somme
par lui perçue, et établir un compte proportionnel entre sa créance
et celle de la société. Ce n'est pas là ce que dit l'article 1848; il
donne une règle d'imputation, c'est-à-dire une règle ayant ses
effets par rapport au débiteur; par conséquent, il ne faudra pas
traiter l'une des dettes comme existante et l'autre comme éteinte;
TIT. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. ART. 1848, 1819. 49
il faudra, pour appliquer l'article, les traiter toutes deux comme
éteintes en partie par le paiement qui s'est réparti proportionnel-
lement sur chacune d'elles (1).
28. Pareillement, ce qu'un des associés reçoit du débiteur
social ne doit point s'imputer sur la part que cet associé avait
dans la créance, mais appartient à la masse commune.
Du moins la loi veut-elle que si l'insolvabilité du débiteur
empêche ensuite les autres associés d'être payés intégrale-
ment, celui qui a reçu sa part entière fasse le rapport de ce
qu'il a reçu, de manière que tous les associés soient trai-
tés également , c'est-a-dire que chacun reçoive un divi-
dende proportionné à son intérêt. Cette règle s'applique au
cas même où l'associé qui a reçu aurait spécialement donné
quittance pour sa part. V. art. 1849; et a ce sujet Ulp., L*. 63,
§ 5, D. pro soc; v. pourtant Paul, L. 38, D.fam. ercise.
28 bis. I. La règle de l'article 1849 découle, comme celle de l'ar-
ticle précédent, de cette idée que l'associé doit veiller sur les affaires
communes comme sur les siennes propres. Il encaisse sa part d'une
créance commune; dans le système qui n'admet pas la personnalité
de la société, il touche ce qui lui est dû, car la créance est divisée
de plein droit, cependant il ne peut pas conserver ce qu'il a
encaissé, parce que, ayant mandat de recevoir les parts de ses co-
associés, il aurait dû exiger le paiement de ces parts, il a eu
tort de ne songer qu'à lui-même, et il s'est placé dans la situation
d'un associé qui recevrait un acompte pour la caisse sociale.
28 bis. 11. L'hypothèse propre de l'article est celle où la part de
dette est éteinte par un paiement, et il ne faut pas étendre sans
distinction sa décision au cas de compensation. On a dit : la com-
pensation produit ses effets de plein droit, et l'associé n'a pas man-
qué à son devoir lorsque s'est produit l'événement qui a éteint
sa part de la créance. Ce raisonnement ne nous paraît acceptable
qu'autant que la cause de compensation est antérieure à la nais-
sance de la créance sociale, ou que, si elle est postérieure,, l'associé
est devenu débiteur du débiteur social par un fait indépendant de
sa volonté, par exemple en devenant héritier d'un débiteur du
(1) V.t. V, n°201 bis. V.
2.
20 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
débiteur social. Si l'on n'admet pas ces réserves, il dépendra de l'as-
socié de se rendre débiteur du débiteur social pour arriver par une
compensation aux résultats qu'il ne peut pas atteindre par un
paiement, c'est-à-dire à éluder l'article 1849 en sauvant sa part de
la créance sociale sans se préoccuper de la part de son coassocié.
29. Chaque associé doit ses soins aux affaires communes 5 ce
qui, d'une part, le rend responsable du tort provenant de sa
faute, et, d'autre part, exclut la compensation entre les dom-
mages qu'il aurait causés et les profits qu'il aurait procurés.
V. art. 1850; et à ce sujet Paul, L. 25-, Ulp., L. 26, D. pro
soc. Du reste, on peut tenir pour règle que les soins dus par
l'associé sont en général ceux d'un bon père de famille (v. art.
1137), sans pouvoir jamais être moindres que ceux qu'il donne
à ses propres affaires.
29 bis. I. Pothier disait, au numéro 124 du Traité de la société :
On ne peut exiger de l'associé que le soin dont il est capable et
qu'il apporte à ses propres affaires ; il justifiait cette décision par la
raison qu'alléguaient les jurisconsultes romains : les associés doivent
s'imputer à eux-mêmes de s'être associés avec lui (1. 72, D. p ro tocio).
Cette doctrine ne saurait être admise sous l'empire du Code civil
qui a donné, dans l'article 1137, une règle unique sur la respon-
sabilité du débiteur. Le débiteur, quel que soit le contrat, doit
apporter aux choses dont il est chargé tous les soins d'un bon père
de famille.
C'est certainement pour rester fidèles à la théorie de l'article 1137
que les rédacteurs du Code civil, qui empruntent à Pothier presque
toutes les règles formulées par les articles de notre section, et
notamment celle qui termine l'article 1850, où il est question de
la faute, ne reproduisent pas dans ce même article l'observation si
importante de Pothier touchant la manière d'apprécier la faute
dont l'associé sera tenu (1).
29 bis. II. Un auteur a cependant essayé de faire revivre la doc-
trine ancienne sur la faute appréciée tn concreto pour permettre aux
tribunaux de modérer la responsabilité du débiteur dans certains
contrats. Mais nous avons essayé de démontrer au titre des contrats
que cette doctrine est absolument contraire au texte de l'ar-
(1) V. Pothier, Traité de la société, n° 124.
TIT. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. ART. 4850, 1851. 21
ticle 1137 qui, dans sa disposition principale, n'admet qu'une seule
mesure de la responsabilité, celle qui prend pour type le bon père
de famille. Il est vrai que le deuxième paragraphe de l'article laisse
aux juges une certaine latitude quant a la détermination du type,
à l'estimation de ce qu'est un bon père de famille, mais le principe
n'est pas abandonné pour cela, et la loi n'admet pas qu'on prenne
pour modèle, pour terme de comparaison le débiteur lui-même (1).
29 bis. III. Il faut s'arrêter un instant sur la dernière observation
de M. Demante : les soins ne peuvent jamais être moindres que
ceux qu'il donne à ses propres affaires. Certes, quand l'associé sera
lui-même un propriétaire donnant à ses affaires la moyenne des soins
que donne un bon père de famille, l'indulgence du juge ne pourra
pas se contenter d'une diligence moindre; mais si par hasard il était
un propriétaire au-dessus de la moyenne, exagérant le soin quant
à ses propres affaires, on ne pourrait pas lui demander cette dili-
gence exceptionnelle, parce qu'on sortirait des termes de l'article
1137, qui se contente des soins d'un bon père de famille.
§ ni.
Des obligations de la société envers chaque associé.
30. Les obligations de la société euvers chaque associé sont
relatives : 1° a la restitution de l'apport, si la jouissance seule-
ment en a été mise clans la société (art. 1851); 2° aux diverses
indemnités qui peuvent être dues à l'associé (art. 1852).
31 . On aperçoit d'abord que la restitution de l'apport n'est
due que dans la supposition que c'est la jouissance et non la
propriété qui a été mise en commun. Mais, dans ce cas même,
la société peut avoir acquis la propriété des corps, à la charge
d'en rendre l'équivalent. A cet égard, il est évident que pour
les objets dont la société n'est pas devenue propriétaire, elle
est débitrice de corps certains ; conséquemment, que ces objets
sont aux risques de l'associé créancier. Au contraire, les objets
dont la société est devenue propriétaire, sont a ses risques,
car alors elle est débitrice de quantité. Dans cette dernière
(1) V, t. V, n'bibis. I-IV.
22 COUHS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
catégorie sont placées ici non-seulement les choses qui se
consomment par l'usage, mais aussi celles qui se détériorent
en les gardant. Il en est de même naturellement de celles qui
sont destinées à être vendues ou de celles qui sont livrées sur
estimation. Observons seulement que la loi suppose l'estima-
tion portée par un inventaire, ce qui ne peut s'appliquer qu'a
des effets mobiliers.
Il suit au surplus de ces principes que la chose estimée ne
peut être répétée en nature, et que l'estimation seule en est
due. V. art. 1851.
31 bis. I. En principe, l'associé ne peut pas reprendre son apport,
Même à la dissolution de la société; cet apport est compris dans le
k>nds social qui doit être partagé. Mais ceci suppose un apport en
propriété; si l'apport consiste en jouissance, il est clair que le droit
de reprise appartient à l'associé lorsque la société prend fin, soit
qu'on ait apporté le droit réel de jouissance, soit que l'associé ait
seulement promis de faire jouir la société, ce qui entraîne toujours
pour l'exécution de cette obligation une mise en possession de la
société créancière de l'apport.
Le Code n'a pas mis en doute le droit de reprise de l'associé qui
a effectué un apport en jouissance, il a seulement réglementé cette
reprise.
Les décisions de l'article sont en parfaite harmonie avec les prin-
cipes généraux, les corps certains doivent être rendus en nature, et les
quantités par équivalent; de plus, il pourra arriver que des corps
certains aient été assimilés par la convention à des quantités, et
que la restitution soit due en équivalent. Cette convention peut être
expresse, elle sera tacite lorsqu'on aura estimé les choses mises
en société. Il est probable toutefois que cette dernière règle ne
s'applique qu'aux meubles, la loi n'admettant pas d ordinaire, quant
aux immeubles, la règle romaine, qui disait : l'estimation vaut
vente (art. 1551, 1552).
On voit quel intérêt il y a à distinguer; au point de vue de la res-
titution, l'apport en propriété et l'apport en jouissance; il reste à
donner une règle pour interpréter la convention d'apport dans un
sens ou dans l'autre lorsqu'elle n'est pas suffisamment explicative.
C'est une pure question d'intention, les juges doivent chercher
dans les faits des renseignements sur la volonté des parties; mais
T1T. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. ART. 1851, 4852. 23
dans le doute il nous semble que la promesse doit s'entendre dans
son sens simple et naturel , et que dès lors la promesse d'apporter
10,000 francs, mille balles de coton, ou un immeuble, doit être
considérée comme une promesse de propriété.
32. L'indemnité due à un associé par la société s'applique
d'abord évidemment aux déboursés qu'il aurait faits pour elle;
elle s'applique même aux simples obligations qu'il aurait per-
sonnellement contractées pour les affaires communes; la loi
y met seulement cette condition qu'elles aient été contractées
de bonne foi. Enfin l'indemnité comprend les risques et hasards
courus par l'associé; mais pour cela il faut qu'ils soient insé-
parables de sa gestion. V. art. 1852; et remarquez : 1° que la
condition de bonne foi paraît applicable aux dépenses comme
aux obligations de l'associé-, 2° que la bonne foi dans laquelle
l'associé aurait agi ne suffirait pas pour lui assurer une entière
indemnité; il faudrait de plus que sa conduite ne constituât
pas une faute (v. art. 1850); 3° qu'on ne doit pas considérer
comme risques de la gestion, donnant lieu à indemnité, toute
perte éprouvée par l'associé à l'occasion de la société (v. à ce
sujet Pomp., L. 60, § 1 ; Ulp.f L. 91, L. 52, § 4, D. pro
soc).
32 bis. I. En parlant des risques inséparables de la gestion, l'article
manifeste clairement cette pensée que toute perte éprouvée par
l'associé en faisant les affaires de la société ne doit pas être l'objet
d'une indemnité. Exemple : l'associé a emporté dans un voyage, qu'il
faisait pour les affaires sociales, une somme importante hors de pro-
portion avec ce qui était nécessaire, des bijoux précieux, il en a été
dépouillé par des voleurs; on peut dire qu'il s'est exposé volon-
tairement au risque, et que les affaires de la société ne sont pas la
cause directe du préjudice qu'il a éprouvé (1).
32 bis. II. L'associé a droit au remboursement de ses déboursés.;
le Code ne dit pas s'il faut lui attribuer les intérêts de plein droit,
comme il a dit, à l'article 1846, que l'associé débiteur de son apport
était de plein droit débiteur des intérêts. On peut être tenté d'appliquer
ici l'article 2001, en présentant l'associé comme mandataire de ses
(1) V. Pothier, n° 129.
24 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
coassociés ; mais si l'on considère que le contrat de société se suffit
à lui-même, que les obligations des associés sont réglées spécialement
dans notre titre, on pensera qu'il est difficile de dire qu'en droit un
associé est un mandataire; d'un autre côté, comme l'article 2001
contient une exception à une règle générale, celle de l'article 1 153,
nous déciderons que cet article 2001 ne peut pas être étendu à un
cas qui n'est pas compris dans son texte.
33. Observons ici que les obligations de la société envers
chacun de ses membres, comme en général toutes les obligations
de la société, se divisent entre les associés, et que chacun en
est tenu pour sa part. Si pourtant il s'en trouvait quelqu'un
d'insolvable, les principes de la matière ne permettraient pas
de laisser à la charge exclusive de l'associé créancier la perte
qui en résulte; cette perte serait contributoirement répartie
entre tous (v. Paul, L. 67, D. pro soc; et à ce sujet article
876, 1215).
S IV.
Des parts de chaque associé dans les gains et les pertes de la société.
34. C'est à la convention à régler en général les parts de
chaque associé. Toutefois la loi elle-même fait ce règlement,
d'après l'intention présumée des parties, lorsqu'elles ne se
sont pas expliquées $ elle proscrit d'ailleurs certaines clauses,
trop contraires à l'égalité, qui fait la base de ce contrat, pour
que les obligations qui en résulteraient fussent réputées avoir
une cause licite.
35. A défaut d'explication, la loi admet d'abord une sup-
position bien naturelle, c'est que la part dans les pertes doit
être la même que la part dans les bénéfices. Quant a cette part,
la loi la règle en raison de la valeur comparée des apports
respectifs. V. art. 1853, al. 1 (v. pourtant £%, L. 29, D. pro
soc; Just., Inst., § 1, de societ.; v. aussi Ulp., L. 5, § 1, D.
pro soc). Observons, au reste, que s'il n'apparaissait du con-
traire, les apports respectifs seraient facilement supposés être
TIT. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. ART. 4852, 1853. 25
tous de la même valeur-, ce qui attribuerait à chaque associé
une part égale.
36. Quoi qu'il en soit, l'application de la règle est simple
si tous les apports consistent en sommes ou effets. Que si l'un
ou quelques-uns des apports ne consistent que dans l'industrie,
dont la valeur est nécessairement incertaine, on peut bien
encore, lorsque tous les autres apports sont égaux, supposer
que l'apport en industrie a été jugé de la même valeur que les
autres, et attribuer en conséquence à tous les associés des parts
égales. Mais la loi a dû s'expliquer sur la valeur présumée de
l'apport en industrie, quand les autres apports sont d'une valeur
inégale; il est censé alors équivaloir à la plus faible des mises.
V. art. 1853, al. 2.
36 bis. I. L'article donne une règle très-simple en ce qui concerne
l'appréciation de l'apport en industrie, quand l'un des associés
n'apporte que son industrie ; il faut bien alors assigner une valeur
à cet apport, sinon l'associé n'aurait aucune part dans les bénéfices,
et la société serait nulle.
Mais il est une hypothèse bien fréquente et sur laquelle la loi ne
nous renseigne pas nettement; l'associé apporte, et son industrie, et
de l'argent ou d'autres valeurs. Faudra-t-il alors ne tenir compte
que de l'apport en argent et assimiler l'associé qui fait ce double
apport à un autre qui aurait mis en société la même somme sans
promettre son industrie? Cette solution pourrait s appuyer sur le
texte de l'article, qui paraît ne prendre en considération l'apport en
industrie que dans l'hypothèse où c'est l'unique mise de l'un des
associés. Cette solution nous paraîtrait injuste ; puisque la loi con-
sidère en un cas l'apport en industrie comme ayant une valeur
égale à celle du plus faible apport en argent, comment dans un
autre cas tenir cet apport pour insignifiant et sans valeur? Non-seu-
lement la solution est injuste, mais elle ne nous est pas imposée par
l'article ; nous n'y lisons pas que l'apport en industrie n'est tenu
pour une valeur que dans le cas où il n'est pas augmenté d'un autre
apport. L'hypothèse de l'apport double est simplement omise par la
loi; nous pouvons donc la régir en nous inspirant de la solution
donnée à l'hypothèse prévue. Ce faisant, nous ne violons pas le texte,
qui fixe uniquement le droit afférent à l'apport simple en industrie,
26 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
et qui nous laisse la liberté de régler par interprétation ce qui
revient à un apport composé de deux éléments; cet apport n'aura
pas une part égale à celle du moindre apport en argent, voilà tout
ce que dit l'article quand on y cherche un raisonnement à con-
trario; il n'aura pas cette part, il en aura une supérieure ou
inférieure, c'est ce que la loi ne dit pas et ce que le juriconsulte
est libre de décider en s'inspirant de l'esprit même de l'article.
36 bis. II. Si nous rentrons maintenant dans le cas prévu, il y a
encore un point qui reste douteux; lorsque la société a été con-
tractée pour un certain temps et qu'elle est dissoute prématurément,
pourra-t-on donner à l'apport en industrie toute l'importance que
lui assigne l'article? On l'a considéré comme égal à un apport en
argent parce qu'on a envisagé la durée qu'on donnait à la société;
l'un apportait 100,000 francs, l'autre son industrie pour dix ans;
on pouvait trouver ces deux apports égaux ; mais si la société n'a
duré que deux ans, le premier associé a effectué son apport com-
plet, l'autre n'en a fourni que les deux dixièmes, ils ne peuvent
pas être traités également. 11 faudra donc en pareil cas que les tri-
bunaux évaluent ce que représentait dans l'apport total en industrie
l'apport partiel qui a été effectué, et la proportion s'établira en
prenant pour base cette évaluation.
37. Les associés peuvent, au lieu de régler eux-mêmes les
parts, s'en rapporter sur ce point soit a l'un d'eux, soit à un
tiers. Ce règlement, qui tire alors sa force des pouvoirs donnés
par tous, devrait naturellement être inattaquable. Toutefois,
les pouvoirs n'étant donnés que sous la condition tacite que
l'opération sera faite de bonne foi, l'iniquité évidente donne-
rait lieu a réparation. Mais les plaintes à cet égard ne seraient
admises que dans un délai dont la brièveté s'explique par la
condition d'évidence, et que la loi tixe pour chacun a trois
mois, à partir de la connaissance qu'il a eue du règlement.
Il est clair, en outre, que l'attaque serait interdite a celui
qui aurait approuvé le règlement, en commençant a l'exé-
cuter. V. art. 1854.
38. La détermination des parts en raison de la valeur des
apports respectifs, et leur égalité dans le gain et dans la perle,
ne sont, comme on l'a dit, établies par la loi que sauf con-
T1T. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. ART. 1853-1855. 27
vendons contraires. Ces conventions, qui ne seraient pas
nécessairement illicites, par cela seul qu'elles constitueraient
pour un ou plusieurs des associés quelque avantage (nonobstant
Ulp.j L.5, §2, D. pro soc; \. Ulp., L. 38, D. de contr. emp.),
ne seraient même le plus souvent, vu la diversité des industries,
qu'un moyen d'établir une égalité plus parfaite.
Mais on détruirait l'essence de la société, où chacun n'entre
que pour gagner (art. 1832), si l'on attribuait a un seul, ajou-
tons, ou a quelques-uns des associés, la totalité des bénéfices
(v. Ulp., L. 29, § 2, D. pro soc). Aussi pareille convention
serait-elle nulle. V. art. 1855, al. 1.
39. Quoiqu'il ne paraisse pas également contraire à l'essence
de la société d'affranchir des perles, en le laissant participer
aux gains, un associé qui pourrait compenser cet avantage
par la supériorité de son industrie (v. Ulp., L. 29, § 1 , D. pro
soc, Jus t., § 2, Inst., de societ.), la loi néanmoins, dans la
crainte de l'usure, réprouve et annule la convention qui affran-
chirait ainsi les sommes ou effets mis dans la société. V. art.
1855, al. dernier.
39 bis. I. La loi réprouve un certain nombre de conventions qui
seraient destructives du contrat de société.
D'abord la clause dont nous avons déjà parlé, qui priverait un
ou plusieurs des associés de toute participation aux bénéfices.
Ensuite elle s'occupe des clauses relatives aux pertes; bien qu'elle
ait établi en principe l'identité des parts de gain et des parts de perte,
elle ne fait pas de cette règle une prescription imposée aux parties.
Elle comprend qu'il peut être utile d'avantager, au point de vue des
pertes, un certain associé qui consacrerait peut-être aux affaires de
la société un plus grand talent ou plus de temps que les autres.
Mais ce qu'elle ne permet pas, c'est de soustraire à toute contri-
bution aux pertes les sommes ou effets mis dans le fonds social par
un ou plusieurs des associés. On aurait pu, pour justifier cette clause,
présenter la considération que nous venons d'indiquer, alléguer que
cet avantage est compensé par l'industrie de l'associé ; mais la loi
a craint que ce ne fût là un prétexte, et qu'en réalité il ne s'agît pour
l'une des parties de tirer de son argent un profit usuraire. L'associé
en effet qui fournit de l'argent et qui, ne devant pas subir le contre-
28 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
coup des pertes, est sûr, sauf le cas d'insolvabilité des autres, de
rentrer dans son capital, est un prêteur déguisé en associé, et la
convention qu'il fait lui assure une part dans les bénéfices qu'on
suppose devoir dépasser l'intérêt légal. Dans la doctrine de nos lois
actuelles sur l'intérêt de l'argent, ce qui légitime en faveur d'un
associé la perception de dividendes dépassant 5 ou 6 pour 100, c'est
que son capital est exposé à des diminutions par suite des pertes
possibles. Dès que vous supprimez la chance de pertes, on se trouve
dans l'hypothèse où la loi de 1807 ne permet pas de percevoir plus
de 5 ou 6 pour 100.
39 bis. II. Il résulte de ce que nous venons de dire que si la
fixation de la contribution aux pertes était tellement avantageuse
à l'un des associés qu'il n'en dût supporter qu'une très-faible
partie, la convention pourrait encore être attaquée comme violant
l'article 1855, parce qu'elle permettrait des perceptions usuraires.
Il y a là une question d'appréciation et de calcul proportionnel qu'il
appartiendrait aux tribunaux d'examiner.
39 bis. III. Nous l'avons dit plus haut, l'associé qui n'apporte
que son industrie peut être soustrait aux perles; l'article ne défend
pas cette convention, et le motif que nous lui attribuons démontre
l'intention du législateur; celui qui apporte son industrie seule ne
peut pas être assimilé à un prêteur, l'usure n'est pas possible de sa
part, et une stipulation qui lui serait trop avantageuse ne saurait
tomber sous le coup de la loi du 3 septembre 1807. Aussi bien,
l'homme qui aura consacré plusieurs années à travailler pour la
société, et qui se trouvera, à la dissolution, en présence d'une société
en déficit, aura peut-être perdu autant que les autres associés,
puisque son temps et son industrie auront été fournis pour rien à
la société. Time is money.
39 bis. IV. Dans les hypothèses où l'article 1855 prononce la
nullité de la convention, ce n'est pas seulement la clause qui est
nulle, mais la convention de société tout entière. S'il en était
autrement, la loi substituerait sa volonté à celle des parties, car un
contrat est un ensemble dont les diverses stipulations s'enchaînent
et s'équilibrent les unes les autres. Tel des contractants n'aurait pas
consenti à former la société s'il n'avait compté sur l'effet de la clause
que la loi interdit, et il est profondément raisonnable d'appliquer
aux clauses des contrats quand elles sont illicites, ce que dit la loi
des conditions proprement dites quand elles sont contraires aux lois.
TIT. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. ART. 1855, 1856. 29
40. Remarquons, au reste, que, dans tous les cas où la
part dans les pertes n'est pas égale a la part des bénéfices, les
bénéfices ne se calculent que déduction faite de la perte (v.
Paul, L. 30, D. pro soc, Just., Inslit., § 2, de societ.).
§ v.
De l'administration de la société, et des pouvoirs de chaque associé.
41. Ce n'est aussi qu'à défaut de stipulations spéciales que
la loi règle le mode d'administration et les pouvoirs de chaque
associé. A cet égard, elle fixe d'abord l'effet des clauses les
plus usitées (art. 1857-1858). Elleentre ensuite dans quelques
détails sur les pouvoirs que les parties sont censées, en l'absence
de toute clause, s'être mutuellement conférés-, plus générale-
ment elle détermine le droit qu'a chacun des associés sur
les choses dépendant de la société (art. 1859-1861).
42. Souvent un des associés est chargé de l'administration
par une clause spéciale du contrat de société. La loi ne s'oc-
cupe pas de l'étendue de ses pouvoirs : sur ce point, il faut
évidemment se référer au titre qui les constitue, et, dans le
silence du titre, appliquer les règles concernant le mandat
conçu en termes généraux (v. art. 1988, 1989). Mais le pou-
voir conféré à l'associé, étant une des conditions de l'associa-
tion, ne peut en général, tant qu'elle dure, être restreint
dans son exercice , ni davantage être retiré sans la volonté de
ceux qui se sont associés sous cette condition.
Ainsi , lorsque l'associé agit dans les limites de son admi-
nistration, il ne peut être arrêté par l'opposition des autres;
seulement il faut qu'il agisse sans fraude.
Pareillement, la volonté des autres ne suffit point pour le
révoquer de ses fonctions ; toutefois il peut être révoqué pour
cause légitime.
Il en est autrement quand le pouvoir n'a été donné que
postérieurement au contrat 5 c'est alors un simple mandat,
susceptible conséquemment de révocation. V. art. 1856.
30 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
42 bis. I. Le Code examine trois hypothèses en ce qui concerne
l'administration de la société : !• il existe un mandat donné a l'un
des associés par l'acte de société; 28 un mandat conféré par un acte
postérieur à l'acte de société; 3° il n'y a pas eu de convention
spéciale touchant l'administration.
1° Mandat donné par l'acte de société. Ce qui caractérise ce mandat,
c'est qu'il est irrévocable; c'est une des conditions auxquelles les
parties ont subordonné leur consentement.
Il faudrait une cause légitime, par exemple l'accomplissement
par le mandataire d'actes frauduleux, ou des négligences graves
et dommageables dans l'administration. La révocation serait judi-
ciaire, car l'associé administrateur ne peut pas, même par la vo-
lonté unanime de ses coassociés, être dépouillé d'un droit qu'il
tient de l'acte de société. La société alors prendra fin, car nul n'au-
rait le droit d'imposer au gérant destitué un autre gérant.
42 bis. IL Les pouvoirs de l'administrateur peuvent avoir été
déterminés et délimités par l'acte de société; il faut dans ce cas
appliquer purement et simplement la convention.
Si l'acte est muet, l'étendue des pouvoirs dépend du mot même
que les associés ont employé en conférant le mandat. Le mot
administration a un sens technique; il est clair qu'en nommant un
administrateur, on a voulu lui donner le droit de faire, mais de faire
uniquement, ce qu'on appelle des actes d'administration, en tenant
compte, bien entendu, de ce qui a dû entrer dans les prévisions des
parties eu égard à la nature de l'objet de la société.
Dans les limites de ces pouvoirs, l'administrateur est libre, son
droit est exclusif de celui des autres associés qui d'abord ne peuvent
pas agir par eux-mêmes, et qui secondement ne peuvent pas faire
opposition aux actes que veut accomplir l'administrateur. Une oppo-
sition serait la révocation partielle du mandat, et le mandat est
irrévocable dans le cas que nous examinons. La loi réserve toute-
fois le cas de fraude. Il faudrait en effet, en pareilles circon-
stances, reconnaître aux associés le droit de s'opposer, mais leur
opposition devait nécessairement prendre un caractère judiciaire
et aboutirait probablement à une véritable révocation.
42 bis. III. Reste à savoir quelles sont les limites des pouvoirs
de l'administrateur.
Il résulte clairement de l'article 1988 comme de beaucoup d'autres
articles du Code civil (v. notamment art 450-481) que le pouvoir
TIT. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. AlîT. l856. 31
d'administrer n'implique pas celui d'aliéner. Cependant, il est
certain que l'associé administrateur pourrait aliéner les choses
périssables et les récoltes, et généralement toutes les choses dont
l'aliénation est précisément l'objet de la société et le moyen de faire
prospérer le fond social.
L'administrateur peut acheter ce qui est nécessaire à l'exploitation,
par exemple des engrais, des chevaux, des charrues, s'il s'agit
d'une exploitation agricole. Il peut payer, recevoir, faire des baux.
Pourra-t-il emprunter? Ce n'est pas l'article 1862 qui nous
conduira à une réponse négative, car cet article réserve le cas
où l'associé a des pouvoirs, et c'est ce que nous cherchons : l'ad-
ministrateur a-t-il reçu ce pouvoir? Il paraît difficile de refuser à
l'administrateur d'une société le pouvoir d'emprunter; la société n'a
pas pour but uniquement de laisser inertes les valeurs sociales, elle
doit les accroître par des opérations qui nécessitent des engage-
ments envers des tiers. Nous avons dit qu'il peut acheter; ne
pourrait-il donc acheter qu'au comptant? Nous avons vu, dans
l'article 1852, qu'un associé a recours contre ses associés pour les
déboursés qu'il a faits et pour les obligations qu'il a contractées de
bonne foi. Ce que la loi dit là de tous les associés, alors qu'il n'y a
pas d'administration organisée, doit être certainement étendu à
fortiori à un administrateur nommé spécialement, et s'il a eu recours
contre ses coassociés, n'en faut-il pas conclure qu'il les engage?
L'administrateur n'a pas le pouvoir d'hypothéquer, la règle étant
que la constitution d'hypothèque exige la même capacité que l'aliéna-
tion des immeubles ; il ne peut pas davantage donner, si ce n'est à titre
de gratification, faire remise de dettes, transiger ni compromettre.
Quant à l'état matériel des biens immeubles, l'administrateur n'a
pas le pouvoir de le transformer, il peut bien faire des réparations,
mais non des constructions ou des destructions.
42 bis. IV. 2° Mandat postérieur à Y acte de société. Il faut que ce
mandat soit donné à l'unanimité, car c'est une dérogation au contrat
primitif qui avait soumis tacitement i'administration à l'article 1859.
Ce mandat est révocable ; mais s'il a fallu la volonté de tous pour
constituer le mandat, il suffira de la volonté d'un seul pour le dé-
truire. En effet, chaque associé avait, d'après l'article 1859, le droit
de gérer, chacun a délégué ce droit, l'administrateur a donc reçu
autant de mandats qu'il a de coassociés; chaque mandant peut
révoquer pour sa part, et de cette révocation partielle résultera une
32 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. 111.
révocation totale, parce que les autres mandants avaient eu en vue
l'unité d'administration, et que le mandat qu'ils ont donné n'a plus
sa raison d'être du moment que l'unité n'existe plus.
43. L'administration est quelquefois confiée à plusieurs. Si
l'on a divisé leurs fonctions, il est clair que chacun est tenu
de se renfermer dans les siennes. Autrement on suppose, si
le contraire n'est exprimé, que la volonté commune a été,
pour faciliter l'expédition des affaires, d'établir entre eux
la concurrence : chacun dès lors peut agir séparément dans
les limites des pouvoirs communs. V. art. 1857.
44. Mais si l'on a stipulé que l'un ne pourrait agir sans
l'autre, cette clause s'observe a la rigueur. Quand bien même
donc l'un se trouverait dans l'impossibilité d'agir, cela n'au-
toriserait pas l'autre à opérer seul. Il lui faudrait pour cela de
nouveaux pouvoirs. V. art. 1858.
45. L'administration, lorsqu'elle n'a pas été spécialement
déléguée, appartient en commun a tous les associés. Chacun,
en conséquence, a droit d'agir en son nom pour sa part, et
ne peut agir pour les paris des autres qu'en vertu des pouvoirs
que ceux-ci lui confèrent. Mais cette délégation de pouvoirs
étant dans l'intérêt de tous, la loi la suppose réciproquement
intervenue entre tous les associés. Du reste, comme, en
conférant aux autres le pouvoir d'administrer, aucun ne s'est
départi de l'exercice du même pouvoir , chacun reste maître
de s'opposer a l'opération projetée par son associé, et dans le
conflit qui résulte de cette opposition , on suit la règle in re
pari potiorem causant esse prohibentis constat (Papin., L.
28, D. comm. div.). V. art. 1859-1°.
45 bis. I. Cas où il n'a pas été fait de convention sur l'administra-
tion. Puisque l'administration n'a été confiée à personne, elle appar-
tient à tous, c'est la conséquence de l'égalité des associés.
Les actes accomplis par un des associés dans les limites de l'admi-
nistration obligent les autres ; la loi montre à la fois la règle et le
principe d'où elle découle. Les associés se sont donné mutuellement
le mandat d'administrer, donc ils ont les pouvoirs de mandataires.
45 bis. II. Cependant, le mandant peut s'opposer à l'accomplis-
TIT. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. ART. 18o7-18o9. 33
sèment d'un acte qu'il désapprouve. Il a ainsi un moyen préventif à
sa disposition. Mais la loi, qui consacre cette faculté d'opposition, ne
nous montre pas très-clairement comment se dénouera le conflit
auquel cette opposition aura donné naissance. On a dit que l'effet
de l'opposition était de mettre l'acte en discussion et de faire dépendre
la décision de la majorité. Nous ne pensons pas qu'il faille résoudre
ainsi la difficulté; nous croyons que l'opposition rendra l'acte
impossible. C'est bien ce qui paraît d'abord résulter du texte, où
nous lisons que ce que chacun fait pour la part des autres est
valable, sauf le droit qu'a chacun d'eux de s'opposer à l'opération.
L'opposition apparaît ainsi comme un obstacle à la validité de l'acte.
Rien d'ailleurs n'est plus conforme aux principes; chaque associé
a conservé le droit de diriger lui-même les affaires sociales, les actes
doivent donc émaner de la volonté de tous ; cette volonté se présume en
vertu d'un mandat tacite quand il n'y a pas d'opposition, mais l'op-
position montre que l'une des parties refuse de consentir, l'acte
devient impossible, car nul ne peut m'obliger ou disposer de ma
chose sans ma volonté, et quand je ne consens pas, il est inadmis-
sible qu'un acte qui m'intéresse s'accomplisse parce que la majorité
de mes cointéressés pensera autrement que moi (1).
On reprochera à ce système de nuire aux affaires sociales en
imposant quelquefois une inaction dangereuse. Le remède est dans
les conventions qui réglementeront d'ordinaire la question d'admi-
nistration et dans une sage application de l'article 1382 qui per-
mettra de demander des dommages et intérêts à celui qui, abusant
de son droit individuel, aura de mauvaise foi, et pour nuire à ses
coassociés, formé des oppositions au détriment des intérêts bien
entendus de la société.
46. Le droit qu'a chaque associé dans les choses communes,
l'autorise a s'en servir. Mais bien entendu que n'en ayant pas
la libre disposition, il ne peut les employer que suivant leur
destination, laquelle au surplus est fixée par l'usage. En outre,
comme il ne lui est pas permis de préférer son propre avantage a
celui de ses associés, il ne peut, ni en faire un emploi contraire
a l'intérêt général de la société, ni s'en servir de manière à
empêcher les autres d'en user également. V. art. 1859-2°.
(1) V. Pothier, n«90.
VIII. 3
34 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
47. Chacun ayant intérêt à la conservation des choses com-
munes, et, d'un autre côté, chacun étant tenu d'y pourvoir
pour sa part, un des associés peut toujours forcer les autres
a faire avec lui les dépenses nécessaires à cette conservation.
V. art. 1859-3°.
48. Quant aux innovations, elles ne doivent avoir lieu, en
principe, que du consentement de tous, car c'est là un acte
de disposition. Cela s'appliquerait particulièrement aux tra-
vaux, tels que constructions, qu'un des associés voudrait
faire sur les immeubles de la société : quelque avantageux
qu'il les soutienne, il ne peut se constituer juge de cet avan-
tage. V. art. 1859-4°.
48 bis. Si l'associé a fait des travaux sans avoir été empêché par
les autres, ceux-ci ne peuvent pas l'obliger à démolir, à moins
qu'il ne soit démontré que les opérations de la société deviendront
impossibles par suite de ces travaux. Seulement l'associé peut être
condamné à indemniser ses coassociés du tort qu'il leur a causé
en faisant des travaux que l'article 1859 ne lui permettait pas de
faire sans le consentement de ses coassociés (I).
49. Ce que l'on a dit des innovations s'applique à plus
forte raison a l'aliénation ou a l'engagement des choses de la
société, que chacun ne peut valablement consentir que pour
sa part (v. Gaius, L. 68, D. pro soc). Les choses mobi-
lières mêmes sont comprises dans cette règle, qui, du reste,
n'est établie que pour l'associé qui n'est pas administrateur.
V. art. 1860.
49 bis. I. Après avoir déterminé les pouvoirs des associés qui sont
administrateurs, la loi procède négativement par rapport à celui
qui ne l'est pas (art. 1S60).
Si l'article signifie que dans le cas de l'article 1859 les associés
ne peuvent rien aliéner, il donne une idée qui n'est pas exacte, car
il est des choses dont l'aliénation dépend de l'administration, et
dans l'hypothèse de l'article 1859 chaque associé peut les aliéner.
Il est vrai qu'on doit dire que dans cette hypothèse chaque associé
(1) V. Potbier,n»87.
TIT. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. ART. 1859, 1860. 35
est administrateur, et que par conséquent l'article 1860 n'a pas
trait à ses pouvoirs.
II s'agit donc plutôt dans l'article de constater que s'il existe un
administrateur investi d'un mandat spécial, les autres n'ont pas de
pouvoirs sur les choses sociales.
Il s'agit en outre des choses qu'un administrateur n'a pas le droit
d'aliéner, et qui sont par conséquent hors des pouvoirs de l'admi-
nistrateur choisi ou de tous les associés ayant l'administration
d'après l'article 1859.
Le texte implique que l'associé, qui ne trouve pas dans le droit
d'administrer le pouvoir d'aliéner les choses sociales, n'a pas per-
sonnellement et comme propriétaire le droit de les aliéner.
49 bis. II. M. Demante, reproduisant à peu près le texte de l'article
1 860, y ajoute cependant une idée bien importante : l'associé pourrait
aliéner sa part des choses sociales; c'était ce que disait Pothier, qui
s'appuyait sur la loi du titre pro socio citée par M. Demante. Il nous
faut cependant faire remarquer que les rédacteurs du Code civil,
en reproduisant littéralement le n° 89 de Pothier, ont supprimé la
fin de sa phrase : si ce n'est pour la part qu'il y a; suppression
très-significative qui montre l'intention de ne pas suivre jus-
qu'au bout la doctrine ancienne et d'interdire l'aliénation de la part.
Cette interdiction s'explique de soi quand on pense que la société
est une personne morale distincte des associés, qu'elle seule est
propriétaire du fonds social; elle s'explique aussi, et très-simplement,
même dans la doctrine qui n'admet pas la personnalité, car les
autres associés ont le droit de compter que le fonds social ne sera
pas incessamment diminué par la volonté de l'un d'eux. Il a été
fait entre eux une convention d'indivision, les associés s'étant taci-
tement engagés à laisser complètes les propriétés sociales tant que
durera la société. Une telle convention, sans produire un droit réel,
peu t bien protéger les associés les uns contre les autres, comme la con-
vention de bail protège le preneur, bien que celui-ci n'ait pas mn
droit réel (1). A ce point de vue, la convention de mise en société,
même quand elle a pour objet des immeubles, n'a pas plus besoin
d'être transcrite que les baux qui, en principe, ne sont pas soumis
à la transcription.
(1) Nous empruntons cet aperçu à nos collègues MM. Lyon-Caen et Renault,
Précis du droit commercial, p. 112.
3.
36 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
Tout ce qu'on peut dire dans le système de la non-personnalité, c'est
que l'associé propriétaire d'un ensemble de choses communes peut
faire des actes dont les résultats dépendront de l'éventualité du par-
tage qui aura lieu à la fin de la société (art. 883).
50. Chacun n'ayant la disposition des effets de la société
que pour sa part, c'est une conséquence de ce principe, que
chacun puisse bien s'associer une tierce personne pour cette
part, mais qu'il ne puisse sans le consentement des autres
l'associer à la société. Ce dernier droit serait refusé même à
l'associé administrateur; car ce n'est pas un acte d'adminis-
tration. V. art 1861 ; et remarquez : 1° qu'à l'égard de la société,
le fait du tiers associé à la part d'un associé, et mêlé par
celui-ci dans les affaires communes, doit être regardé comme
le sien propre, soit pour la perte, soit pour le profit; 2° que
réciproquement l'associé doit compte a ce tiers du fait de ses
associés, en tant qu'il augmente ou diminue la part à laquelle
il l'a associé. Toutefois, l'action pour la communication des
bénéfices ou pour la réparation des dommages n'existe régu-
lièrement, et sauf l'application de l'article 1166, qu'entre
ceux qui sont associés ensemble. V. à ce sujet Ulp., LL.
19, 20, 21 ; Gains, L. 22 ; Ulp., L. 23, D. pro soc.
50 bis. I. Nous avons dit, contrairement à l'opinion de M. Demante,
que l'associé ne peut pas aliéner sa part des choses qui font partie
de la société, ou tout au moins que l'aliénation qu'il en a consentie
ne peut pas avoir d'effet immédiat, l'acquéreur devant attendre la
dissolution et le partage de la communauté, et le sort de l'aliénation
dépendant de l'événement de partage (art. 883). Ge n'est donc pas
parce que l'aliénation de la part serait seule permise qu'il est inter-
dit d'associer une tierce personne à la société primitive. Il y a une
immense différence entre l'aliénation d'une part de la propriété
d'une ou de plusieurs choses sociales, et l'introduction d'un nou-
veau membre dans la société. La société implique, il est vrai, une
mise de biens en commun, mais elle est par-dessus tout une union
de personnes, elle crée des relations et des obligations d'associé à
associé. Voilà pourquoi il est inadmissible qu'une des parties donne
à ses associés un nouvel associé, à leur insu ou malgré eux. C'est,
il nous semble, la véritable raison de la règle, aussi bien dans
TIT. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. ART. 1861. 37
l'ancien droit, qu'aujourd'hui, et quelque idée qu'on se fasse sur
la possibilité d'aliéner une part des biens sociaux. La raison que
M. Demante emprunte à Pothier (1) n'expliquerait pas d'une façon
satisfaisante la disposition de l'article 1861.
50 bis. II. Telle est donc la règle : l'associé ne peut pas faire d'un
étranger un associé. Mais il peut former avec cet étranger une
société particulière qui aura pour objet sa part. Il reste à déterminer
les effets de cette convention.
Il nous semble que cette mise en société de la part d'un associé
ne doit avoir aucun effet par rapport aux membres de la société
primitive, à l'égard desquels la société doit rester régie par la con-
vention primitive. La nouvelle convention de société ne doit être
qu'une sorte de promesse mutuelle de participer aux avantages et
aux désavantages résultant pour l'associé qui a pris un sous-associé,
de sa qualité de membre de la société primitive. Nous assimilons
cette convention à celles que les Romains pratiquaient en la revêtant
des formes de la stipulation, quand un héritier avait vendu l'hérédité.
A l'égard des tiers, il restait créancier et débiteur des dettes hérédi-
taires ; mais par les stipulations emptœ et venditœ hœreditatis, le ven-
deur et l'acheteur s'obligeaient réciproquement, celui-là à remettre à
l'autre tout ce que l'hérédité pouvait lui procurer d'avantageux,
celui-ci à rembourser tout ce que le premier aurait payé comme
héritier.
50 bis. III. C'est ainsi que doit être interprétée la convention
entre l'associé et le sous-associé. Elle ne produit d'effet qu'entre
eux, et dès lors le sous-associé n'a pas qualité pour agir personnel-
lement sur les choses sociales, il ne peut pas administrer, il ne peut
pas se servir des choses sociales. Les associés pourraient s'opposer
à son immixtion comme à celle d'un usurpateur. Il est clair en effet
que ceux qui ont consenti à donner des pouvoirs à Pierre à raison
de son habileté, de son honnêteté et de la facilité de son commerce,
n'ont pas entendu donner ces mêmes pouvoirs à Paul ou à Jean.
Qu'on ne dise pas que l'associé peut avoir un mandataire et qu'il
est responsable. Nous nierions le droit de donner mandat pour les
affaires sociales et encore bien plus le droit d'augmenter dans des
proportions illimitées le nombre des personnes se servant des choses
sociales. La responsabilité de l'associé ne suffît pas pour satisfaire
(1) V- Pothier, n« 91.
38 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
les autres, d'abord au point de vue de l'usage des choses sociales,
et même au point de vue de l'administration, car ils ont droit de
prévenir le mal que ferait un tiers, au lieu d'attendre que le mal soit
fait pour en poursuivre la réparation.
50 bis. IV. Nous admettons cependant que si le sous-associé s'est
immiscé en fait et à l'insu des autres dans les affaires sociales, son
auteur sera responsable, mais cette responsabilité pèserait égale-
ment sur celui-ci s'il permettait à un étranger, qu'il n'aurait pas
associé, de s'occuper des affaires de la société. Sa responsabilité
n'est donc pas une conséquence particulière du contrat de sous-
société qu'il a fait aux termes de l'article 1861 (1).
50 bis. V. Nous en dirons autant du cas où le sous-associé a fait
quelques gains provenant des choses sociales ; nous le traiterons
comme un étranger, et tous les associés auront contre lui une action
en répétition , comme ils l'auraient contre un usurpateur (2) ; de
plus, ils auraient action contre l'auteur du sous-associé coupable
d'avoir laissé cet étranger se mêler des affaires communes et y
trouver une occasion de bénéfices.
50 bis VI. Si le contrat de sous-association ne constitue pas par
lui-même le sous-associé débiteur des associés, il ne le fait pas
non plus leur créancier. Seulement, comme ce sous-associé
devient créancier de celui des associés avec qui il a traité, il pourrait
exercer contre les autres les droits de celui-ci, en vertu de
l'article 1166. Nous irons même plus loin, le contrat de sous-
association contient bien un contrat de cession d'une partie des
créances de l'associé contre ses associés. Nous dirons donc que le
sous-associé pourra agir comme cessionnaire contre les associés
pour réclamer d'eux une part de tout ce que son cédant aurait pu
demander. Il faudra du reste qu'il ait accompli l'une des formalités
imposées aux cessionnaires par l'article 1690.
50 bis. VII. Exerçant comme cessionnaire les droits de l'associé
qui a traité avec lui, il ne pourra agir qu'autant que celui-ci en
aurait le droit ; il ne pourra pas donc agir avant l'époque normale
où les créances auraient pu être exigées, il obtiendra une part des
bénéfices si les bénéfices se distribuent au cours de la société; mais
s'il est des comptes qui ne doivent être liquidés qu'à la fin de la
(1) V. Pothier, n» 93.
(2) En sens contraire, v. Pothier, n° 92.
TIT. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. ART. 1861, 1862. 39
société, il faudra qu'il attende aussi longtemps que son auteur aurait
attendu.
50 bis. VIII. Quant aux propriétés sociales, on doit admettre,
dans le système qui nie la personnalité des sociétés, que le sous-
associé a acquis une fraction de la part indivise de son auteur dans
chacun des objets appartenant à la société. Mais, comme nous l'avons
dit au numéro précédent, il ne peut pas réclamer sa part en nature
avant la dissolution de la société, et alors ses droits dépendront de
ce que le partage attribuera à son auteur; il pourra du reste assis-
ter au partage pour la conservation de ses droits (1).
50 bis. IX. Dans ses rapports avec l'associé qui a traité avec lui,
le sous-associé est créancier d'une partie de tout ce que l'associé
acquiert comme associé et débiteur d'une partie de tout ce dont cet
associé devient débiteur, c'est un compte à régler entre eux. Il
résulte de cette formule que si un des associés a nui aux choses
sociales et est devenu débiteur de dommages-intérêts, le sous-asso-
cié peut exiger de son auteur une part de cette indemnité, car
cette indemnité fait partie des valeurs provenant de la société et
qui adviennent à l'associé qui s'est donné un sous-associé, et toutes
ces valeurs doivent être partagées entre les membres de la sous-
association (2).
SECTION II.
Des engagements des associés à l'égard des tiers.
51. En principe, les rapports que le contrat de société
établit entre les parties sont étrangers aux tiers; par consé-
quent les engagements des associés envers les créanciers sont
réglés par le droit commun. Si donc les associés contractent
conjointement une obligation, il n'y a pas solidarité sans
stipulation (v. art. 1202), et si l'un d'eux contracte seul, il
n'oblige pas les autres, a moins que ceux-ci ne lui en aient
donné le pouvoir. Toutefois cette règle, sous l'un et sous
l'autre rapport, reçoit exception dans les sociétés de com-
merce (C. comm., art. 22). V. art. 1862.
(1) V. t. III, n° 225 bis. V.
(2) V. Pothier, n° 94.
40 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
52. Par suite du même principe, les associés qui con-
tractent conjointement sont tenus envers le créancier pour
leur part virile, sans égard à l'inégalité des parts sociales,
inégalité que le créancier n'est pas même censé connaître-,
le contraire ne pourrait résulter que d'une convention spéciale.
V. art. 1863-, mais remarquez que cette règle, établie dans
l'intérêt du créancier, ne priverait pas celui-ci du droit d'at-
taquer pour sa part sociale l'associé intéressé pour une part
plus forte.
52 bis. I. Il faut examiner successivement deux hypothèses :
i° une dette a été contractée conjointement par tous les associés ;
2° elle a été contractée par un seul d'entre eux.
Dette contractée conjointement par tous les associés. Tous les associés
sont obligés, mais, suivant les principes généraux de la matière des
obligations, ils ne sont tenus chacun que pour sa part. C'est l'ap-
plication de l'article 1202 ; la solidarité conventionnelle ne le présume
pas, et la solidarité légale ne peut exister qu'en vertu d'un texte
précis. Le texte ici est formellement contraire à la solidarité.
52 bis. II. La division de la dette s'opère par parts viriles, c'est-
à-dire égales, entre les débiteurs, le créancier pouvant ignorer dans
quelle proportion les divers débiteurs sont intéressés à l'affaire;
seulement, il est clair que si les parts que les associés doivent sup-
porter dans les dettes en vertu du contrat de société ne sont pas
égales, celui qui aura payé trop en payant la part virile au créancier
aura un recours contre ses coassociés.
52 bis. III. Dette contractée par un seul des associés. Il faut, par
rapport à cette dette, distinguer selon que l'associé est ou n'est pas
le mandataire des autres.
Si l'associé qui a contracté avait reçu mandat spécial de con-
tracter l'obligation ouun mandat général de contracter des obligations,
il oblige ses coassociés, puisque dans le droit français le mandataire
oblige le mandant. L'hypothèse alors se confond avec la précédente,
le mandataire a représenté tous les associés, et le contrat est consi-
déré comme fait par eux tous; il en résulte que chacun est obligé
pour sa part, le mandataire comme les autres.
52 bis. IV. Le mandat d'obliger les coassociés est tacite quand il
s'agit d'engagements rentrant dans les pouvoirs d'un administra-
teur, et qu'il n existe pas de conventions spéciales sur le mode d'ad-
T1T. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. ART. 1863, 1864. 41
ministration de la société. Les associés se sont alors donné récipro-
quement le pouvoir d'administrer, et ce que chacun fait est valable,
même pour la part de ses associés (art. 1819-1°). Donc les engage-
ments contractés pour l'administration lient tous les associés.
52 bis. V. Nous venons de supposer que l'associé mandataire
agissait en cette qualité, c'est-à-dire que le tiers savait qu'il con-
tractait non-seulement avec lui, mais avec d'autres personnes dont
il était le représentant. Si ce mandataire avait agi en son nom per-
sonnel, si le créancier avait cru qu'il traitait avec cet unique débi-
teur, il faudrait bien que ce créancier eût une action pour le tout
contre ce débiteur dont il a suivi la foi parce que sa solvabilité lui
inspirait confiance. On ne peut pas le contraindre à diviser son
action à poursuivre d'autres débiteurs moins solvables peut-être et
qu'il n'a pas acceptés.
Le mandataire alors sera comme le mandataire romain, obligé
seul, et garanti seulement par un recours contre ses mandants.
52 bis. VI. On peut même ajouter que non-seulement le tiers
n'est pas forcé d'agir contre les mandants, mais qu'il n'en a pas le
droit. N'ayant pas traité avec eux, il ne peut pas les avoir pour
débiteurs. Il faudrait seulement lui réserver l'action fondée sur
l'article 1166, comme créancier de l'associé mandataire; il pourrait
exercer les droits de celui-ci, mais il subirait alors un concours
avec les autres créanciers de son débiteur et serait exposé à ce que
les associés qu'il poursuivrait lui opposassent des causes de compen-
sation résultant de leurs rapports avec l'associé, dont le tiers exerce-
rait les droits.
53. Un associé n'ayant point en général le pouvoir d'obliger
les autres (art. 1862), il est clair que la société n'est point
liée par la stipulation que l'obligation est contractée pour son
compte. Bien entendu qu'il en est autrement quand il y a un
mandat. En outre, le simple gérant d'affaires pouvant obliger
le maître au nom duquel il contracte, lorsque l'affaire est
utilement gérée (art. 1373), la société sera tenue quand la
chose aura tourné a son profit. Voy. art. 1864.
53 bis. I. Si l'associé qui a contracté seul une dette pour les
affaires sociales n'a pas de mandat, il est certain qu'il ne peut
pas lier ses coassociés, et la situation ne serait pas changée par ce
fait qu'il aurait déclaré dans le contrat agir pour le compte de la
42 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
société. Dédater qu'on agit pour un tiers, ce n'est pas en effet ac-
quérir le pouvoir de l'obliger.
Cette déclaration qu'on a contracté pour la société aura cependant
une conséquence, elle montrera que l'associé, s'il n'agissait pas
comme mandataire, agissait au moins comme gérant d'affaires, et
donnera au créancier une action contre les associés dans les conditions
de l'article 1375. C'est à ces conditions que fait allusion l'article
1864, quand il suppose que la chose a tourné au profit de la société.
Quand, au contraire, l'associé a traité sans mandat et sans mani-
fester qu'il agissait pour le compte de la société, le tiers n'a pas d'action
contre les autres associés, car on ne peut plus rattacher l'espèce à
la théorie de la gestion d'affaires, et il ne suffirait pas de dire que
les associés ont profité du contrat, car ils en auraient retiré un pro-
fit indirect qui ne peut pas devenir la cause d'une action. Il en est
de cette hypothèse comme de celle où Pierre, qui a emprunté une
somme d'argent, la donne à Paul; celui-ci a certes profité indirec-
tement de l'emprunt, mais il n'y a pas là un fait d'où puisse résul-
ter une action de l'emprunteur contre lui.
53 bis. II. Appendice sur la personnalité des sociétés. Nous avons
réservé, jusqu'au moment où nous aurions expliqué le fonc-
tionnement de la société, l'examen d'une question fort importante
sur le caractère même de la société ; on en saisira mieux maintenant le
sens et l'on appréciera plus facilement les arguments sur lesquels
doit s'appuyer sa solution. Cette question se pose habituellement
ainsi : les sociétés sont-elles des personnes? ont-elles une person-
nalité? Il s'agit, bien entendu, d'une personnalité fictive, autrement
dit morale ou civile, car si la société est un être, c'est un être de
raison, elle n'a certainement pas une personnalité physique.
53 bis. III. Il faut tout d'abord comprendre quel est l'intérêt de
la question posée. Les personnes sont des êtres juridiques capables
d'avoir des droits et d'être soumis à des obligations. Si donc la
société est une personne morale , elle ne se confond pas avec les
associés, elle a un patrimoine distinct de ceux des associés, elle a
des biens à elle, biens corporels, créances; elle a des dettes; en un
mot, elle a un actif propre et un passif propre, qui ne se confondent
pas avec l'actif et le passif des associés.
De là découlent des conséquences d'un grand intérêt pratique :
1° Les associés ne sont pas propriétaires du fonds social, et leur
droit se bornant, tant que dure la société, à un partage de bénéfices,
TIT. IX. DU CONTiîAT DE SOCIÉTÉ. ART. 1864. 43
est un droit mobilier alors même que la société serait propriétaire
d'immeubles.
28 Le patrimoine de la société est spécialement affecté à l'acquitte-
ment de son passif, c'est-à-dire que les créanciers personnels des
associés n'auront aucun droit sur le fonds social pendant la durée
de la société, et qu'après la dissolution ils seraient primés par les
créanciers sociaux.
3° Les débiteurs de la société ne peuvent pas invoquer la com-
pensation de ce qu'ils lui doivent avec ce qui leur serait dû par un
associé personnellement. Cette décision, au reste , rentre dans la
précédente , car elle n'est qu'une conséquence de la formule que
nous avons donnée.
4* Toute personne , par cela qu'elle a un patrimoine, a un siège
légal, un centre légal de ses intérêts, un lieu où elle exerce princi-
palement ses droits, c'est le domicile; la société, personne morale,
aura un domicile.
53 bis. IV. Voilà les intérêts principaux de la question qui se pose
sur la personnalité des sociétés.
Il n'y a pas de difficulté quant aux sociétés de commerce. Suivant
une tradition fort ancienne, elles sont reconnues universellement
comme personnes morales, quoiqu'il n'existe pas de texte précis
qui leur attribue ce caractère. On peut cependant appuyer la solution
sur l'article 529 du Gode civil qui, déclarant mobiliers les droits des
associés alors même que des immeubles appartiennent aux compa-
gnies, nous montre que dans sa pensée les associés ne sont pas
propriétaires, et c'est là, nous l'avons dit, une des conséquences
caractéristiques de la personnalité des sociétés. Il faut citer aussi
l'article 69-6° du Code de procédure, qui reconnaît une maison
sociale aux sociétés de commerce, et qui traite cette maison sociale
comme un domicile.
53 bis. V. La question est plus délicate en ce qui concerne les
sociétés civiles; ici la tradition est contraire à la personnalité. Il
suffit de lire Pothier pour voir qu'il traite le fonds social comme un
ensemble de choses communes entre les associés, et de se rappeler
qu'il permet l'aliénation par chaque associé de sa part dans les
choses qui dépendent de la société (1).
Au moment de la rédaction du Code civil, la société civile n'était
( 1) V. Pothier, n» 3 in fine et n» 89.
44 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
donc pas considérée comme une personne. Il serait par conséquent
nécessaire, pour admettre la personnalité, de trouver sur ce point
des textes précis. Or, rien n'est moins décisif que les textes qui
peuvent être invoqués en ce sens.
53 bis. VI. On cite les articles 1845, 1846, 1847, 1850, 1852,
qui paraissent traiter la société comme un véritable créancier ou un
véritable débiteur, par conséquent comme une personne, et l'ar-
ticle 1859-2°, 3° et 4°, où la société est présentée comme propriétaire.
Il est facile de faire observer que ces diverses formules sont
textuellement empruntées à Pothier (1); or, Pothier n'admettait pas,
nous l'avons dit, la personnalité de la société. Il est donc certain
qu'il employait l'expression collective société uniquement parce
qu'elle est plus brève et plus commode; il personnifiait l'ensemble
des associés, non pas au point de vue juridique, mais seulement au
point de vue du langage; c'était une figure dont il se servait, et non
pas une vérité de droit qu'il entendait affirmer. Aussi bien il est à
remarquer que Pothier et le Code civil ont généralement évité de
se servir de l'expression collective là où elle aurait eu le plus d'impor-
tance, c'est-à-dire quand il se serait agi de mettre la société en
relation avec des tiers. C'est là que la question de personnalité a son
intérêt, et non pas dans les rapports des associés, parce que, dans les
rapports d'associé à associé, il est certain qu'il est nécessaire de dis-
tinguer ce qui appartient à chacun en propre ou ce qui lui appartient
par indivis entre ses coassociés. Les pouvoirs du propriétaire
ne sont pas aussi étendus sur une des classes de biens que sur
l'autre.
53 bis. VII. On trouve encore un argument en faveur de la
personnalité dans l'article 59 du Code de procédure, qui attribue
compétence en matière de société (sans distinction) au juge du lieu
où la société est établie. Mais ce n'est pas encore un texte imposant
la doctrine de la personnalité, car sa décision s'explique trop com-
plètement par des raisons toutes pratiques pour qu'on puisse y
trouver l'affirmation d'une solution sur une question de pur droit
civil. Le Code de procédure a considéré que dans le lieu où est
établie la société se trouveront les papiers, les titres, les docu-
ments, les registres de la société, et que là se trouveront plus faci-
(1) V. pour l'article 1845 : Pothier, n° 110; pour l'article 1846, n°« 116,
118, 119; pour l'article 1847, a" 180; pour l'article 1859, n<" 84, 86, 87.
TIT. IX DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. ART. 1864. 45
lement les moyens de vérification que les parties et le tribunal
auront l'occasion et le désir d'employer (i).
Faut-il citer l'article 529 du Code civil? Ses expressions mêmes
excluent de sa décision les sociétés civiles, puisqu'il parle des com-
pagnies et que cette expression n'est pas usitée à propos des sociétés
civiles, et qu'il ajoute pour bien acentuer le sens de ce mot ceux
de finance, commerce et industrie.
53 bis. VIII. La personnalité des sociétés civiles n'est donc pas
plus consacrée par les textes qu'elle n'est rendue probable par des
traditions anciennes. Dès lors, comment admettre cette fiction ?
Comment accepter que des particuliers pourraient, de leur volonté
privée, presque sans y songer, créer une personne, établir une
séparation dans leur patrimoine, et faire naître sur certains de
leurs biens une cause de préférence en faveur de certains créanciers,
contrairement aux dispositions de l'article 2093? Comment ne pas
voir le danger d'une semblable création que rien n'annoncerait aux
tiers, ni les procédés de publicité imposés par la loi aux sociétés
commerciales (loi de juillet 1867, art. 00-60), ni la notoriété de fait
qu'acquiert une entreprise du commerce et que n'auront pas les
trois quarts des sociétés civiles? Comment ceux qui traiteraient
avec un associé personnellement pourraient-ils savoir que sur
quelques-uns de ses biens ils se trouveront primés par d'autres
créanciers qui ne seront ni des gagistes, ni des créanciers hypothé-
caires ?
53 bis. IX. Il suffit de regarder les dispositions du Code civil que
nous avons déjà étudiées, non pas dans leurs expressions, mais dans
le fond même de la doctrine qu'elles consacrent, dans l'ensemble
des règles sur les sociétés civiles, pour se convaincre que le Code
n'a pas entendu innover quant au caractère des sociétés civiles, et
qu'il ne les a pas traitées comme des personnes morales.
53 bis. X. Le point capital est celui-ci, la société civile n'a pas
de nom, elle ne se présente donc pas au public comme une personne,
car toute personne a un nom. Les sociétés commerciales ont une
désignation spéciale qui est la représentation d'une individualité
propre, la société en nom collectif et la société en commandite ont
pour nom uue raison sociale, la société anonyme est qualifiée par la
désignation de l'objet de son entreprise (art. 30, C. corn.). C'est
(1) V. Boitard et Colmet-Daage, Procédure civile, t. V, p. 104. Édit. 1879.
40 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
l'affirmation d'une personnalité, mais le Code civil n'impose pas
aux sociétés la nécessité de porter un nom distinct, donc il ne voit
pas en elles des personnes.
53 bis. XI. Ceci n'a trait qu'à l'apparence extérieure de la société,
mais au fond il résulte des règles du Code sur les dettes de la
société, (jue la société n'existe pas comme débitrice, que les associés
seuls sont débiteurs. Supposez une dette contractée par tous les
associés ou par un administrateur ayant pouvoirs de tous. Nous
avons vu que cette dette se divise entre tous les associés, le Code
l'appelle une dette sociale, et cependant elle ne peut être exigée
pour le tout sur l'actif social, et le créancier ne peut pas re-
fuser le paiement partiel qu'offrirait un des associés. C'est qu'il
n'y a pas vraiment de créancier social ni de dette sociale parce qu'il
n'existe pas de personnalité sociale. C'est là un fait juridique qui
ne peut pas s'expliquer autrement, il ne se rattache pas aux prin-
cipes sur les pouvoirs des associés, car si l'on peut expliquer parles
principes la règle finale de l'article 1862 : l'un des associés ne peut
pas obliger les autres, on ne saurait expliquer de la même manière
les décisions de la loi sur les hypothèses que nous avons choisies.
Quand on admet que la société est une personne, on ne peut pas
trouver d'autres cas que ceux-là dans lesquels la société serait
engagée, et puisqu'elle n'est pas tenue dans ces hypothèses, c'est
qu'elle n'existe pas.
53 bit. XII. Quand on s'occupe des créances sociales et non plus
des dettes, on voit dans l'article 1849 la preuve que ces créances
se divisent comme les dettes. L'article 1849 serait inutile, si la
créance appartenait à la société, car ce que l'associé aurait touché
serait un à-compte sur la créance sociale et non pas un paiement
de sa part, la créance ne se divisant pas en parts.
53 bis. XIII. Pour corroborer les arguments tirés du fond même
des dispositions du Code sur l'organisation des sociétés, il faut citer
les articles 529 C. c. et 69-6° C. Pr., qui démontrent a contrario
que la société civile n'est pas une personne, puisque le premier de
ces articles ne donne pas à la part des associés le caractère mobi-
lier, quand la société a des immeubles, et le second n'attribue pas
un domicile à la société civile. On remarquera qu'ici l'argument a
contrario n'est pas suspect, car il conclut à l'application d'un prin-
cipe général : dans la réalité, les personnes ayant une existence phy-
sique, les hommes, peuvent seuls avoir un patrimoine et un domicile.
TIT. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. ART. 1864-, \ 865. M
Qu'il existe des personnes fictives ayant ces droits, cela n'est pas
douteux, mais elles n'existent qu'à titre d'exception et en vertu de
dispositions précises des lois. Nous ne rencontrons pas ces disposi-
tions quant aux sociétés civiles, et nous ne devons pas interpréter
d'une manière extensive celles qui traitent d'autres sociétés (1).
53 bis. XIV. On admet aujourd'hui que les sociétés civiles peuvent
adopter une des formes établies par le Code de commerce pour
les sociétés commerciales. On déduit de cette circonstance qu'on
doit se référer au Gode de commerce pour déterminer l'étendue
des obligations des associés envers les tiers, et que de plus elles
sont soumises aux conditions de publicité exigées par les lois et qui
rendent leur existence notoire (2). Ceci étant, il n'y a plus de
raison pour refuser à ces sociétés la personnalité civile (3). La
jurisprudence a même été plus loin, elle attribue ce caractère de
personnalité à des sociétés civiles se présentant sous la forme ordi-
naire, mais qui sont constituées avec l'autorisation du gouverne-
ment. Cette idée a été émise par M. Demante; il l'appuie sur la
décision de la loi du 21 avril 1810, art. 8, qui déclare mobilières
les actions des sociétés formées pour l'exploitation des mines, appli-
quant ainsi l'article 529 à des sociétés qui n'ont pas le caractère
commercial (art. 32, loi de 1810) (4).
v
CHAPITRE IV.
DES DIFFÉRENTES MANIÈRES DONT FINIT LA SOCIÉTÉ.
54. 1° La société, ayant son fondement unique daDS la
olonté des parties, a naturellement pour limite le temps
que cette volonté a fixé. V. art. 1865-1°.
55. 2° Toute société suppose un fonds commun ; elle ne
(1) Sur toute cette question, v. jValette, De la propriété, p. 51, 52 ; M. Boistel,
Précis du droit commercial, p. 124, édit. 1878; M.M. Lyon-Caen et Renault,
Précis du droit commercial, p. 142-144. En sens contraire : Troplong, Sociétés,
1. 1, p. 58 ; M. Molinier, Traité du droit commercial, t I", p. 217-220.
(2) V. MM. Lyon-Caen et Renault, Précis de droit commercial, p. 288.
(3) V. C. C, 3 février 1868, 1-185.
(4) V. t. Il, n° 357 bis. IV.
48 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III,
peul donc survivre à l'extinction de la chose qui constituait ce
fonds commun. Pareillement, si elle n'avait pour objet qu'une
affaire ou négociation, elle finirait par sa consommation.
V. art. 1865-2°.
56. 3° La société se contractant en vue des qualités per-
sonnelles de chacun des associés, il est naturel que la mort
de l'un d'eux en entraîne la dissolution. V. art. 1865-3°, et
remarquez qu'en principe celte dissolution doit avoir lieu à
l'égard de tous.
57. 4° La même raison s'appliquait au cas de mort civile et
s'applique a ceux d'interdiction et de déconfiture de l'un des
associés. Dans tous ces cas, en effet, la société, d'une part,
ne peut se continuer avec la personne qui se trouve ainsi
dépouillée de ses droits, ou au moins de leur exercice, et qui
n'offre plus aucune garantie; de l'autre, les héritiers ou re-
présentants de cette personne n'ont pas qualité pour entrer
dans la société en son lieu et place. V. art. 1865-4°.
58. 5° Enfin les inconvénients d'une communauté forcée ont
fait admettre ici que la volonté d'une seule partie ou de quel-
ques-unes d'entre elles pourrait, en général, dissoudre pour
l'avenir le contrat formé par la volonté de toutes. V. art.
1865-5°.
58 bis. L'énumération des causes de dissolution de la société par
l'article 1865 ne comprend que des cas de dissolution de plein droit; à
l'article 1871, on trouvera des hypothèses où la dissolution peut être
prononcée par les tribunaux en connaissance de cause, et où par
conséquent elle ne date que du jugement.
Dans cette énumération, la loi ne parle pas du consentement
mutuel, mais il va de soi que le consentement de tous les associés
peut détruire le contrat formé par ce consentement; il faudra
toutefois respecter les faits accomplis et ne pas inspirer aux tiers
la croyance à l'existence d'une société dissoute.
59. Après cet énoncé général, la loi reprend en particulier
les différentes manières dont finit la société, et donne à ce
sujet les explications nécessaires (art. 18664871).
Mais avant d'entrer à cet égard dans aucun détail, il con-
TIT. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. ART. 1865, 1866. 49
vient de remarquer que la dissolution , de quelque manière
qu'elle arrive, ne détruit la société que pour l'avenir. Con-
séquemment les droits et obligations que pendant sa durée
elle a respectivement produits dans la personne des associés,
s'exercent ou s'exécutent par eux-mêmes ou par leurs re-
présentants, après la dissolution.
Ces droits et obligations s'appliquent même a la suite des
opérations commencées, pourvu que cette suite soit directe
et nécessaire (v. à ce sujet art. 1868).
Bien plus, ils pourraient s'appliquer aux opérations com-
mencées depuis la dissolution , si elles l'avaient été dans l'igno-
rance de l'événement qui produit cette dissolution (v. a ce sujet
art. 2005, 2008, 2009, et Ulp., L. 65, § 10, D. pro soc).
60. La société a temps limité cesse de plein droit a l'ex-
piration du temps fixé 5 mais rien n'empêche qu'elle soit
prolongée par la volonté commune. Seulement, comme c'est
la vraiment un nouveau contrat de société, !a loi exige pour
sa preuve un écrit revêtu des mêmes formes que l'acte même
de société. V. art. 1866.
60 bis. I. La dissolution par l'expiration du temps suppose que
l'affaire n'est pas terminée ; autrement cette cause d'extinction se
confondrait avec la suivante (art. 1865-2°).
La prorogation de la société est un nouveau contrat qui est sou-
mis, quant à sa preuve, aux règles qui régissent tout contrat de
société (art. 1834 et 1341), c'est ce que signifie l'article 1866; il
parle du contrat de société en général («'« rem), et non pas du con-
trat intervenu entre les parties qui font une convention de proro-
gation. Si, par exemple, le premier contrat a été constaté par acte
authentique, le second pourra être constaté par acte sous seings
privés, ou bien celui-ci ne sera pas constaté par écrit, alors qu'un
écrit a été fait pour celui-là. Dans ce cas, la prorogation pourra être
prouvée par témoins avec commencement de preuve par écrit ou
sans commencement de preuve, si l'objet de la société, lors de la
prorogation, n'a pas une valeur supérieure à 150 francs. Récipro-
quement il faudra un écrit on un commencement de preuve écrite
alors même que l'objet de la première convention ne valait pas
150 francs, si, lors de la seconde, il a acquis une valeur supérieure.
vm. i
50 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
Il serait déraisonnable d'exiger un écrit dans le premier cas, alors
que la valeur actuelle de l'objet serait trop modique pour mériter
les frais d'un acte écrit, et à l'inverse il ne serait pas plus sensé de
dispenser d'un écrit des parties qui traitent pour une valeur consi-
dérable, sous le prétexte que cette valeur a été produite par une
valeur modique mise en société il y a dix ou vingt ans.
60 bis. II. Qu'on ne dise pas, dans le cas où le premier acte était
écrit, que la prorogation ne peut pas être prouvée par témoins,
parce que ce serait prouver contre le contenu à l'acte primitif. Cette
observation serait absolument erronée ; il ne s'agit pas de prouver
que la société primitive n'a pas existé ou que ses conditions n'étaient
pas indiquées dans l'écrit, on reconnaît qu'elle a existé, que l'acte
était exact; mais la convention ayant perdu ses effets lapsu temporis,
on en fait une seconde, c'est un fait nouveau, et ce fait nouveau peut
être prouvé par témoins, comme peut être prouvé, par exemple, le
paiement d'une dette de 100 francs qui avait été constatée par écrit.
60 bis. III. Le but principal de l'article 1866 est d'établir que la
convention de société doit être prouvée par la démonstration d'un
fait précis, et non pas seulement par une présomption, autrement
dit qu'il n'y a pas, dans la continuation de l'état de fait créé par la
société, quelque chose qui prouve une convention tacite, comme
on voit en matière de louage la tacite reconduction résulter de la
continuation de l'état de fait créé par le bail primitif (art. 1738).
61. Il n'est pas nécessaire, pour opérer la dissolution de
la société par l'extinction de la chose, que la perte porte sur
celle qui forme a elle seule, ou sur toutes celles qui forment
ensemble, le fonds commun. Il peut suffire qu'elle tombe sur
la chose dont se constitue l'apport de l'un des associés. C'est
ce qui arrive, a quelque époque que la perte survienne, quand
elle porte sur une chose dont la jouissance seulement avait
éternise en commun. L'associé, en effet, ne pouvant plus
faire jouir la société , doit perdre le droit réciproque , qui lui
appartenait comme équivalent de la jouissance qu'il était tenue
de procurer. Il cesse donc d'être associé-, ce qui emporte na-
turellement dissolution de la société a l'égard de tous.
Cette règle évidemment ne peut s'appliquer au cas où,
l'apport consistant en propriété, la perte ne survient qu'après
TIT. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. AKT. 1866, 1867. 51
que la propriété a déjà été apportée a la société. Alors, en
effet, l'associé a rempli son obligation, et la perte éprouvée
en commun ne peut rompre les obligations réciproques, qui
doivent durer tant qu'il reste une partie du fonds commun.
Mais lorsque la propriété de la chose n'est encore que
promise et non apportée à la société, ce qui, selon nous,
suppose nécessairement qu'il n'y a pas eu promesse pure et
simple d'apporter un corps certain (v. art. 711, 1138, d302),
la chose, tant que la mise n'est pas effectuée, demeure aux
risques du promettant. Dans ce cas donc, comme dans celui
où l'apport consiste en jouissance, la perle de la chose em-
pêchera, faute d'objet ou de cause, la naissance des obligations
respectives ^ la société par conséquent sera dissoute, ou, pour
mieux dire, elle sera réputée n'avoir jamais existé. V. article
1867; à ce sujet, v. Ulp., L. 58, pr. et § 1, D. pro soc.
61 bis. I. La définition du contrat de société suppose qu'on met
quelque chose en commun en vue de partager le bénéfice qui pourra
un résulter. Si la chose mise en commun, ou l'ensemble des choses
mises en commun périt, il n'est plus possible d'en tirer de bénéfice,
et la société ne peut plus subsister. Exemples : Plusieurs ont mis
en commun le droit au bail d'une ferme, et le contrat de louage
est annulé, ou bien plusieurs ont mis en commun un brevet d'in-
tention qui est déclaré nul. Dans les deux cas, la société ne peut
plus fonctionner.
61 bis. II. Nous venons de citer des hypothèses où la chose mise
en commun était certaine et déterminée dans son individualité. Il
faudrait faire une distinction, si l'on avait mis en société des quan-
tités, de l'argent, et si les quantités de choses fongibles appartenant
à la société avaient péri. La société ne serait dissoute que dans le
cas où les associés ayant limité leurs mises en argent ou en denrées
la perte aurait porté sur la totalité ou sur le dernier reste des
apports promis. Il en serait autrement si les mises n'avaient point
été limitées; seulement un des associés pourrait demander la disso-
lution en invoquant l'article 1871 et en faisant admettre par les
juges, comme juste motif de dissolution, l'événement qui prive l'un
ou plusieurs des associés des ressources nécessaires pour reconsti-
tuer un capital social.
4.
52 COUIIS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
61 bis. III. La perte partielle des choses mises en société ne dis-
sout pas la société, à moins que cette perte ne rende impossibles les
opérations sociales, ce qui constituerait une cause légitime de dis-
solution (art. 1871).
61 bis. IV. Il faudra cependant donner des solutions particulières
quand la perte partielle du fonds social constituera la perte totale de
l'apport de l'un des associés. Dans ce cas, des distinctions sont indi-
quées d'une manière assez obscure par l'article 1867. Pour les
comprendre, il faut examiner séparément le cas où l'associé dont
l'apport a péri avait promis un apport en propriété, et le cas où
il avait promis un apport en jouissance.
61 bis. V. Apport en propriété. Quand l'un des associés a promis
d'apporter un corps certain, et que ce corps certain vient à périr
par cas fortuit, les règles générales du titre des contrats ne le
rendent pas responsable de cet accident; les risques sont pour le
créancier, c'est-à-dire ici pour la société, et pour parler plus exacte-
ment, quand la société est civile, il y a plusieurs créanciers : les co-
associés. Dire que la perte est à leur charge, c'est dire qu'ils doivent
remplir leurs engagements, bien que l'associé débiteur de l'apport
n'ait pas exécuté les siens. Par conséquent, la société subsiste, et
l'associé dont l'apport a péri y conserve ses droits. Il est dans
la position d'un vendeur qui ne livre pas la chose vendue parce
qu'elle a péri par cas fortuit, et qui cependant a droit au prix.
(Art. 1624 et 1138. Inst. de Justinien, § 3, deemptione et venditione.)
L'article 1845 l'a précisément comparé à un vendeur. Cette solution,
que l'ancienne doctrine appuyait sur la règle debitor rei certœ rei
interitu liberatur, est en outre conforme à l'opinion des auteurs
modernes, qui pensent que d'après le Code civil les risques sont à la
charge du propriétaire (i ). En effet, d'après l'article 1138, la société
ou les associés sont devenus propriétaires des corps certains promis
du moment même où a été faite la promesse d'apport. De plus, en tenant
compte de cet article 1138, le dernier paragraphe de l'article 1867
est en parfaite harmonie avec les principes du titre des contrats sur
la perte de la chose, puisqu'd dit que la société n'est pas rompue
quand la perte survient après l'apport effectué; l'apport est effectué
quand la société ou les associés sont propriétaires, c'est-à-dire par
la promesse d'apport, donc de ce moment les risques sont pour la
(1) V. L V, n° 58 bit. II-IV.
TIT. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. AKT. 1867. 53
société, puisqu'elle continue de subsister, quoiqu'elle ne bénéficie
plus de Tapport promis par l'un des associés.
61 bis. VI. Il résulte de ces explications qu'il n'y a aucune opposi-
tion dans leurs termes entre le premier et le troisième alinéa de
l'article 1867, parce que ordinairement l'expression mise effectuât
exprime la même pensée que les mots : propriété apportée à la
société.
61 bis. VII. Il faut cependant ajouter quelques explications sur le
premier alinéa de l'article, car, d'après ce que nous venons de
dire, il semblerait que sa disposition principale suppose une hypothèse
impossible, et que par conséquent l'ensemb|,e de l'article annonce
une distinction dont on ne trouverait jamais l'application. Voici ce
qui peut faire naître cette pensée. Si la promesse d'apport effectue
par elle-même l'apport, comment la loi peut-elle parler du cas où la
perte survient avant que la mise soit effectuée? Le contrat de
société n'est pas fait, alors l'associé n'est pas débiteur et la société
ne peut pas se dissoudre; ou le contrat est fait, les obligations sont
nées, et la propriété des apports est transférée, les mises effectuées
ipso facto.
61 bis. VIII. La réponse à cette objection critique se tire des
principes mômes de la matière. Il y a des cas où les risques d'un corps
certain promis ne sont pas à la charge du créancier. C'est quand
l'obligation a été contractée sous une condition suspensive (art.
1182). Un vendeur alors subirait les conséquences de la perte; il
en sera de même de l'associé qui aura promis l'apport, le risque
sera pour lui en ce sens qu'il n'aura pas fait d'apport, qu'il
ne deviendra pas associé, par suite la société sera dissoute. Cette
hypothèse pourra se rencontrer assez fréquemment dans la pratique,
car on peut concevoir qu'on subordonne l'apport d'un associé à
une condition. Exemples, l'apport d'un navire à la condition qu'il
reviendra d'un voyage, l'apport d'un cheval de courses, à la condi-
tion qu'il sera vainqueur dans telle course préparatoire.
61 bis. IX. Il y a une autre règle en vertu de laquelle la
responsabilité du risque retombe sur le débiteur, c'est la règle sur
la demeure (art. 1138 in fine et 1302). On peut dire que l'ar-
ticle 1867, combiné avec la 1" partie de l'article 1138, déroge à
cette règle en matière de société. L'article en effet n'admet la dis-
solution de la société au cas de perte qu'après la mise effectuée. Or,
le transport de la propriété qui s'opère de plein droit est indépendant
54 C0DK8 ANALYTIQUR DE CODE CIVIL. LIV. III.
du retard dans la livraison, il en résulte que, quant à notre question
spéciale, la dissolution de la société, la loi déroge aux règles ordi-
naires de la demeure. Aussi bien dans un grand nombre d'hypo-
thèses la règle considérée dans son ensemble serait inapplicable. Le
débiteur en demeure peut se décharger de la responsabilité en prou-
vant que la chose aurait péri chez le créancier; ici le débiteur est
•en même temps l'un des créanciers; il a le droit de se servir de la
chose; quand elle est chez lui, elle peut souvent être considérée
comme livrée à la société. Voilà ce qui ne permettrait pas d'ap-
pliquer les dispositions de l'article 1302.
61 bis. X. Nous dirons qu'ici la règle est renversée, parce que
les principes de la société ne permettent pas d'exonérer complète-
ment l'associé des suites de sa demeure. Il est toujours responsable
envers la société des dommages qu'il lui a causés par sa faute art.
1830); quand l'apport aura péri pendant sa demeure, on pourra dé-
montrer que la chose, d'après la convention des parties, ne devait
pas être chez lui, et que si l'accident n'eut pas dû l'atteindre là où
elle aurait dû être, il y a faute de l'associé débiteur, partant
obligation à des dommages et intérêts. La société ne sera pas dis-
soute, puisque la société était devenue propriétaire de l'apport; le
débiteur devra une indemnité, mais la preuve de la faute sera à la
charge de la société, tandis que, d'après l'article 1302, c'est le débi-
teur qui doit prouver le fait à sa décharge.
61 bis. XL Apport en jouissance. Ce genre d'apport peut se con-
cevoir de deux manières : ou l'associé aura promis de faire jouir la
société d'un certain bien, comme un bailleur promet de faire jouir
le preneur; ou l'associé aura apporté le droit réel de jouissance, soit
en constituant le droit d'usufruit en faveur de la société personne
morale, ou des associés si la société n'a pas de personnalité, soit en
cédant à la société un droit réel d'usufruit qui lui appartenait sur
un certain bien.
61 bis. XII. L'hypothèse prévue par la loi est la première, c'est
évidemment celle qui se présentera le plus souvent. C'est l'hypo-
thèse de Pothier qui suppose qu'on a mis en commun les fruits qui
proviendraient de certaines choses (1). Étant donné que le Code
songe à un associé qui a promis de faire jouir la société d'un certain
bien, la solution de l'article est imposée par les principes. L'apport
(1) V. Polhier, n° 191.
TIT. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. AÏIT. 1867, 1868. 55
est alors successif, il ne s'effectue pas en une seule fois, il s'effectue
d'une manière continue. Le jour où l'associé ne peut plus faire
jouir la société, il n'a plus d'apport, et la société est dissoute. Tandis
que celui qui a promis la propriété ressemble à un vendeur qui
n'est pas responsable de la perte, celui qui a promis de faire jouir
ressemble à un bailleur qui ne peut plus percevoir les loyers quand
la chose a péri (art. 1741). Il ne s'agit pas de loyers pour un associé,
mais il s'agit des bénéfices que la société pouvait lui procurer, sa
participation à ces bénéfices n'aurait plus de cause.
61 bis. XIII. Nous avons dit que l'hypothèse d'un apport ayant
pour objet le droit réel d'usufruit serait rare. Si cependant l'apport
a été ainsi promis, il n'y avait pas de raison pour distinguer cette
hypothèse de celle où l'apport se fait en propriété. Le droit d'usu-
fruit étant de même nature que le droit de propriété, l'apport est
complètement effectué par l'acquisition du droit d'usufruit. Ce droit
est périssable, il est vrai, mais l'objet apporté en propriété est
quelquefois plus périssable encore, donc la loi n'a pas dû distinguer
entre ces deux apports. Xous dirons dès lors de l'apport en usufruit
ce que nous avons dit de l'apport en propriété. Il est régi par le
premier et le troisième alinéa de l'art. 1867. Le droit est acquis à
la société par le seul effet de la promesse d'apport; donc, dès que la
société est constituée, il n'y a plus à craindre qu'elle soit dissoute
par la perte de l'apport, à moins toutefois que cet apport ait été fait
sous condition suspensive, parce qu'il faudrait appliquer l'article 1182.
61 bis. XIV. La loi dans l'article 1865 a rapproché de l'extinction
de la chose la consommation de la négociation. Ceci suppose que la
société a été contractée pour des opérations limitées, comme la con-
struction d'un pont ou l'établissement d'un canal. Que s'il s'agit
d'opérations illimitées, comme la vente de vins par divers proprié-
taires de vignobles vendant uniquement les vins de leurs crus (nous
choisissons un cas de société civile), la négociation, l'affaire n'a pas
une fin nécessaire, elle peut durer indéfiniment; mais la dissolution
alors sera toujours possible en vertu de l'article 1865-5*, s'il n'a pas
été fixé un terme par la convention.
62. Quoique la mort de l'un des associés ait en général, et
d'après la nature particulière du contrat, l'effet d'opérer
une dissolution complète, on n'a pourtant jamais douté ni pu
douter que la société dût, si l'on en était ainsi convenu,
56 COUliS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
se continuer entre les survivants (v. Paul, L. 65, § 9, D. pro
soc). Mais il paraissait contraire aux principes d'autoriser,
même par Tellet d'une convention expresse, la continuation
de la société avec les héritiers. Ceux-ci, en effet, ne pouvant
être certainement connus a l'avance, il est impossible de
savoir, au moment de la convention, s'ils auront les qualités
requises (v. Ulp., L. 35-, Ulp. et Pap., L. 52, § 9; Pomp.,
L. 59, D. pro soc; v. pourtant la même loi 59, et Ulp., L. 63,
§ 8, eod.). Quoi qu'il en soit, notre Code, faisant prévaloir
le principe de la liberté des conventions, autorise également
Tune et l'autre clause.
Du reste, les héritiers, qui eu l'absence d'une clause
expresse ne succèdent point a la qualité d'associé, n'en suc-
cèdent pas moins aux droits et obligations que la société a
produits dans la personne de leur auteur.
Il est clair qu'ils peuvent, si la société ne se continue
qu'entre les survivants, en demander le partage en ce qui les
concerne. Mais leur part se règle naturellement sur la situa-
lion au moment du décès, ce qui pourtant n'exclut pas leur
participation aux droits ultérieurs, en tant seulement que ces
droits seraient une suite nécessaire des opérations antérieures
au décès. V. art. 1868.
62 bis. 1. Lorsqu'il a été convenu que la société continuerait avec
les héritiers de l'associé décédé, il est bien certain que la clause a
pour effet d'autoriser l'héritier à entrer dans la société, mais elle
produit un effet plus complet, elle lie les héritiers envers la société,
et à moins de renoncer à la succession, ils sont forcés de devenir
associés. Tout cela est logique; dès que la loi permet à l'héritier de
bénéficier de la convention faite par son auteur, c'est qu'elle ne
le considère pas comme un tiers, d'où cette conséquence qu'il peut
être lié par la même convention. La règle qui déclare les conven-
tions sans effets à l'égard des tiers est commune aux conventions
qui engendrent des créances et à celles qui font naître des obligations.
Voilà pourquoi l'article 1868 ne fait pas de distinction quant aux
effets de la convention sur la continuation de la société avec les héri-
tiers de l'associé prédécédé.
62 bis. il. En l'absence de la clause dont nous venons de parler,
T1T. IX. DU COKTUAT DE SOCIÉTÉ. ART. 1868. 1869. 57
les héritiers ne sont pas associés, ils sont cependant tenus de cer-
taines obligations envers la société; ils doivent, en cas d'urgence,
continuer l'affaire commencée par l'associé défunt, et dans tous
les cas ils sont tenus d'avertir les autres associés du décès de leur
auteur pour que ceux-ci puissent aviser.
63. Le principe qui attribue a la volonté d'une seule des
parties le pouvoir d'opérer la dissolution de la société est
sujet à plusieurs exceptions et modifications.
Ainsi : 1° il n'est applicable en général qu'aux sociétés dont
la durée est illimitée, car lorsqu'il y a un terme fixé, soit
par l'expression d'un temps déterminé, soit par la nature de
l'affaire (art. 1844), les parties sont naturellement censées
s'être réciproquement obligées, dans l'intérêt commun, a
rester en société jusqu'à l'expiration du terme.
2° Dans le cas même où aucun terme n'a été fixé, les parties
sont toujours censées s'être obligées a ne point se retirer de
la société sans se prévenir mutuellement, et a ne point la
rompre dans leur intérêt particulier contre l'intérêt commun.
Il faut donc une renonciation, laquelle doit être notifiée a
tous ; cette renonciation doit être de bonne foi ; elle doit n'être
pas faite à contre-temps. V. art. 1869.
63 bis. La société est une, elle ne peut pas exister à la fois et ne
pas exister; nous dirons donc que si la renonciation a été notifiée
à quelques-uns et non à tous, elle n'aura effet à l'égard de per-
sonne, car elle ne peut pas avoir effet par rapport à ceux à qui elle
n'a pas été notifiée ; ceux-ci restent donc en société, ce qui entraîne
le maintien de la société tout entière.
64. Il est évident qu'il n'y a pas bonne foi de la part de
l'associé qui, après avoir couru la chance de participer aux
bénéfices procurés par les autres, se retirerait pour s'appro-
prier seul un bénéfice sur lequel ceux-ci avaient dû compter.
V. art. 1870, al. 1, et à sujet Paul, L. 65, §§ 3 et 4, D. pro
soc; Just., Insl., § 4, de societ.
65. Il n'est pas même besoin d'examiner s'il y a bonne ou
mauvaise foi, pour refuser effet à la renonciation, lorsqu'elle
est faite à contre-temps, c'est-à-dire à une époque où il est
58 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
de l'intérêt commun de différer la dissolution de la société; du
reste, cet intérêt n'existe que quand les choses ne sont plus
entières. V. art. 1870, al. dernier-, et a ce sujet, Paul,
L. 65, 5, D. pro soc.
65 bis. Pothier donne comme exemple d'une renonciation intem-
pestive, celle qui aurait pour résultat de dissoudre la société et de
nécessiter la vente du fonds social dans un moment où les choses
composant ce fonds auraient subi une baisse considérable (i).
66. Une observation commune à tous les cas où la renon-
ciation ne réunit pas les conditions requises, c'est que l'ab-
sence de ces conditions peut bien autoriser les associés du
renonçant à faire valoir contre lui la continuation de la société,
à l'effet de partager avec lui les bénéfices qu'il a pu faire, ou de
lui faire supporter sa part dans les perles par eux éprouvées-,
mais celui-ci ne pouvant argumenter des vices de sa renon-
ciation , il n'est pas réciproquement admis à faite valoir à son
profit la continuation de la société (v. Paul, L. 17, § t;
L. 65, §6, D. pro soc).
Bien plus, lorsque la renonciation, qui réunit d'ailleurs les
conditions requises, ne pêche que par le défaut de bonne foi
(art. 1870, al. 1), la nullité consiste uniquement a faire
attribuer à la société le profit que le renonçant avait en vue
de lui soustraire. Sous tous les rapports , il peut lui-même
argumenter de la dissolution opérée par sa volonté (v. Jus/.,
Inst., § 4, de societ.).
66 bis. Il faut bien comprendre le sens qui doit être donné dans
notre droit à la formule que M. Demante emprunte aux deux textes de
Paul qu'il a cités. On suppose une renonciation faite à contre-temps,
et l'on décide qu'elle ne lie pas les coassociés du renonçant, mais
qu'elle le lie lui-même. Libérât a se socios, se a sociis non libérât. Il
y aurait iniquité à exagérer la portée de cette formule et à dire que
les associés auront contre le renonçant le droit de bénéficier des
opérations par lui faites, et de lui imposer sa part des pertes, mais
que le renonçant ne pourra plus rien demander à ses coassociés.
Il n'est pas admissible qu'une personne soit à la fois associée et non
(1) V. Pothier, n° 151.
TIT. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. ART. 1870, 1871. 59
associée. Tout ce qu'on peut admettre, c'est que le renonçant s'est
mis à la discrétion de ses coassociés, qui peuvent exiger que la
société soit réputée toujours existante avec ses effets à l'égard de
tous, ou qu'elle soit teuue pour inexistante à l'égard de tous depuis
la renonciation faite.
Dans le cas de renonciation faite de mauvaise foi, il faut tenir
compte du droit qui appartient à l'associé de sortir de la société;
seulement il faut attribuer aux associés le bénéfice que le renonçant
avait voulu injustement s'approprier, en lui attribuant toutefois les
avantages de même nature que la société aurait dû lui procurer
du chef de ses coassociés, si elle avait duré jusqu'à l'époque où le
bénéfice qu'il voulait se réserver lui est .ndvcnu. Sous cette double
réserve, la société ne produit plus d'effet depuis la renonciation1.
67. Ainsi qu'on l'a dit, la dissolution par la volonté d'un
seul ne s'applique pas aux sociétés a terme. 11 en résulte que
celte dissolution ne peut en principe être demandée avant
l'expiration du terme. Ce principe, toutefois, n'empêche pas
qu'elle ne puisse l'être pour de justes motifs. A cet égard, la
légitimité et la gravité des cas sont laissées a l'arhilrage des
juges. La loi mentionne seulement en particulier deux causes
de dissolution, dont Pune, l'inexécution des engagements,
n'est que l'application de la règle commune à tout contrat
synallagmatique (v. art. 1184). L'autre cause se ratlache aux
principes particuliers de la société : chacun devant en général
y apporter, pendant toute sa durée, son tribut d'industrie,
il est naturel qu'elle puisse être rompue lorsqu'une infirmité
habituelle rend l'un des associés inhabile aux affaires. Ces
deux causes, au reste, citées par l'orme d'exemple, doivent
servir de règle aux juges qui ne peuvent en admettre d'autres
qu'autant qu'elles sont semblables à celles-là. V. art. 1871,
et à ce sujet Ulp., L. 14; Pomp., L. 15; Ulp. , L. 1(3, D.
pro soc.
67 bis. L'article 1851 consacre dans ses premiers mots une
décision très-importante : la société à terme fixe doit durer jusqu'à
l'expiration du terme, sans qu'il soit fait aucune distinction fondée
sur la longue durée du temps convenu. Rien ne rappelle la règle
de l'article 815, qui ne permet pas de faire pour plus de cinq ans la
60 COL:îS analytique de code civil. LIV. III.
convention de rester dans l'indivision. Cette règle de notre article
n'a rien que de très-naturel quand on admet la personnalité de
toutes les sociétés. L'article 815 est alors inapplicable, parce qu'il
n'existe pas d'indivision dans l'hypothèse prévue. Mais quand on
pense comme nous que les sociétés civiles ne sont pas des personnes
morales, il faut voir dans l'article 1871 une exception à la règle de
l'article 815. Comme la disposition de l'article 815 sur laquelle nous
raisonnons est elle-même une exception à un principe fondamental,
celui de la liberté des conventions, il n'est pas difficile d'admettre
que cette disposition n'est pas absolue, et il est bien permis d'in-
terpréter dans le sens d'une dérogation à cette disposition un texte
aussi clair que celui de l'article 1871. Aussi bien, les raisons qui
ont dicté la règle de l'article 815 in fine perdent une grande partie
de leur force quand il s'agit d'une indivision entre associés pendant
la durée de la société. Les copropriétaires ne sont pas unis,
presque malgré eux, par le hasard d'une vocation commune à une
succession. Ils se sont choisis, et c'est là une chance que l'indivision
n'engendrera pas entre eux des dissensions. Secondement, l'indivi-
sion a été considérée dans l'article 815 comme un mal, au point de
vue économique, parce qu'elle empêchera souvent l'amélioration des
biens, elle les rendra improductifs. La société, au contraire, est con-
sidérée comme un puissant agent de production; elle n'a pas pour
but la simple conservation, la stagnation, elle a été contractée pour
faire prospérer le fonds commun, et elle arrive souvent à ce
résultat; c'est bien assez pour légitimer l'exception que notre article
a faite en sa faveur à la règle un peu tyrannique de l'article 815
in fine.
68. La dissolution de la société a pour effet, en laissant in-
divis entre les associés les biens composant le fonds commun,
d'ouvrir pour chacun le droit de sortir d'indivision par un par-
tage. La loi applique naturellement a ce partage les règles
établies pour celui des successions, notamment en ce qui
concerne sa forme et les obligations qui en résultent entre
les cohéritiers. V. art. 1872.
68 bis. I. L'article, dans sa disposition première qu'on peut
considérer comme principale, renvoie aux règles concernant le
partage des successions, et s'il s'était borné à cette simple for-
mule, on ne saurait élever aucune difficulté sur la portée qu'il
T1T. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. ART. 1872. 61
doit avoir. Malheureusement le texte, en développant sa première
expression, paraît en diminuer la compréhension. Il parle de la
forme du partage et des obligations entre les cohéritiers, mais il ne
dit pas qu'il -faudra appliquer les règles sur les effets du partage;
delà naît une question sur l'application de l'article 883, c'est-à-dire
sur le point de savoir si l'effet du partage de société est déclaratif
ou translatif de propriété.
Les raisons pratiques et économiques qui expliquent dans le droit
moderne la disposition de l'article 883, ne rendent guère acceptable
l'idée que le Code civil ait voulu attribuer au partage de société
l'effet translatif quand tous les autres actes faisant cesser une indi-
vision quelconque ont l'effet déclaratif. Quand l'article 1872 ren-
voie d'une manière générale aux règles sur le partage, il ne peut
pas avoir immédiatement amoindri l'effet de ce renvoi. Si telle avait
été son intention, il l'aurait manifestée bien simplement par l'addi-
tion d'un seul mot, en disant : les règles concernant le partage des
successions sur la forme de ce partage et les obligations qui en
résultent Au contraire, la rédaction n'indique pas une intention
restrictive, le membre de phrase ajouté a plutôt une portée expli-
cative; cela est facile à démontrer si l'on examine de près comment
est distribué le chapitre du titre des successions qui traite du par-
tage. Il comprend cinq sections, sur lesquelles la 2e et la 3e, qui
traitent des rapports et du paiement des dettes, donnent des règles
étrangères à la théorie proprement dite de l'indivision , règles
régissant spécialement des relations entre cohéritiers; il est clair
que l'article 1872 n'a pas voulu renvoyer à ces deux sections. La
1" section traite de l'action en partage et de sa forme, l'article 1871
ne rappelle que la 2* partie de cet intitulé, mais il est bien certain
qu'il vise aussi l'action en partage. La section IV a pour rubrique :
Des effets du partage et de la garantie des lots. C'est à celui-là que
fait allusion l'article 1872, quand il parle des obligations entre co-
héritiers. Rien ne rappelle la section V : De la rescision en matière
de partage, et cependant on a toujours reconnu que le partage des
sociétés était soumis aux causes de rescision qui menacent le
partage des successions. Une observation du Tribunat a même
fait supprimer du projet d'article une disposition qui refusait aux
associés la rescision pour cause de lésion, seul cas de rescision qui
ait un caractère exceptionnel. De tout cela résulte bien la preuve
qu'on n'a pas voulu soustraire le partage des sociétés à la règle de
62 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
l'article 883, qui est la règle dominante de la matière des par-
tages.
68 bis. II. La propriété du copartageant remonte donc à une
époque antérieure au partage, à l'époque où a commencé l'indi-
vision. En matière de succession, l'indivision commence au décès
de l'auteur des copartageants; en matière de société, il faudra dis-
tinguer : pour les cas où la société est une personne, l'indivision ne
commence qu'à la dissolution de la société; quand la société n'a pas
de personnalité, l'indivision a existé pendant la société, c'est-à-dire
depuis le moment où l'objet est entré dans le fonds social.
68 bis. III. Nous ferons toutefois observer que pendant la société
il a pu être créé sur les biens sociaux des droits réels du chef de la
société ; s'ils ont été constitués par quelqu'un qui en avait le droit, par
exemple par un administrateur investi du pouvoir d'aliéner, ou
par l'unanimité des associés quand il n'existe pas d'administrateur,
ces droits réels ne tomberont pas par l'effet du partage, car le co-
partageant loti aura été, soit par lui-même, soit par son représentant,
un des constituants de ce droit.
68 bis. IV. Parmi les règles en matière de partage, il en est
une que nous appliquerons au partage des sociétés , c'est celle de
l'article 841, qui établit un droit de retrait dans le cas où l'héritier
a cédé à un étranger ses droits successifs. Notre solution s'appuie
d'abord sur les raisons générales que nous avons données à propos
de l'article 883; le renvoi de l'article 1872 est général; de plus, en
renvoyant aux dispositions sur les formes du partage, on peut dire
qu'il renvoie expressément à la section lre du chapitre, et c'est dans
cette section que se trouve l'article 841. Nous considérons en outre
l'article qui consacre le droit de retrait, non pas comme une dis-
position introduite dans l'intérêt des familles, mais comme une
règle inspirée par l'esprit qui a dicté l'article 1699 sur le retrait
litigieux; le retrait dit successoral nous paraît une variété du retrait
litigieux. Le partage est toujours envisagé par le législateur comme
une sorte de litige donnant lieu à une action; et à cette opération
peut très-bien s'appliquer le motif de paix publique qui a produit l'ar-
ticle 1699 destiné à éteindre des contestations.
Nous ajouterons que les associés peuvent avoir, dans bien des
cas, un intérêt capital à écarter du partage les étrangers, car, lors-
que la société aura fait des opérations commerciales ou industrielles,
il sera dangereux de laisser un étranger, un concurrent peut-être,
T1T. IX. DU CONTRAT DE SOCIÉTÉ. AHT. 1872, 1873. 63
s'immiscer dans le secret des affaires de la société, de ses relations
commerciales et de ses procédés de fabrication.
Disposition relative aux sociétés de commerce.
69. Les principes du droit civil sur le contrat de société,
quoique généralement applicables aux sociétés de commerce,
ne s'y appliquent cependant que sous certaines modifications
ou dérogations, introduites, soit par des lois spéciales, soit
simplement par les usagesdu commerce. Notre Code lui-même
subordonne expressément a ces lois ou usages les règles qu'il
a ici établies. V. 1873, et a ce sujet C. comm., art. 18-64, et
loi du 24 juillet 1867.
TITRE DIXIEME.
DU PRÊT.
70. Le mot prêt, formé du htinpr ces tare, indique la remise
ou tradition d'une chose sans translation de propriété. Ce mot
est spécialement appliqué dans notre langue à la communication
officieuse qu'une personne fait de sa chose à une autre per-
sonne, pour que celle-ci l'emploie temporairement à son usage
et la rende ensuite. Bien plus, comme l'aliénation des choses
qui consistent en nombre, poids ou mesure, lorsqu'elle est
f aite à la charge de restituer pareille quantité et qualité, équi-
vaut réellement à la concession du simple usage, on a étendu
également à ce cas le nom de prêt, que notre Code semble
même lui appliquer plus particulièrement.
Ainsi l'on confond chez nous, sous cette dénomination,
deux contrats bien distincts, entre lesquels le droit romain
n'établit de rapport que dans la manière de les former.
L'un (commodatum) , que nous appelons aussi en français
commodat, n'ayant vraiment pour objet que l'usage proprement
dit, reçoit le nom de prêt à usage. Il est du reste évident qu'il
ne peut s'appliquer qu'aux choses susceptibles d'usage sans
consommation.
Quant a l'autre, seul applicable, mais non, comme la loi le
donnerait à entendre, exclusivement borné aux choses qui se
consomment par l'usage, c'est le contrat appelé en latin mu-
tuum, que notre Code, d'après nos anciens auteurs, désigne
sous le nom de prêt de consommation, ou qu'il appelle sim-
plement prêt. V. art. 1874.
70 bis. Les choses qui se consomment habituellement par le
premier usage peuvent être l'objet d'un commodat lorsque, d'après
la convention des parties, l'usage que l'emprunteur doit en faire ne
T1T. X. DU PRÊT. AKT. 1874. 65
les détruira pas. Exemples : un peintre emprunte un fruit ou une
fleur pour la peindre, un changeur emprunte une pièce de monnaie
étrangère pour l'exposer aux regards des passants. L'obligation de
l'emprunteur ne porte plus alors sur une quantité, c'est-à-dire sur
une chose considérée seulement quant à la classe d'êtres à laquelle
elle appartient, mais sur un corps certain, une chose envisagée
individuellement, comme ne se confondant avec aucune autre de
la même espèce. L'emprunt est fait ad pompam et ostentationem.
La distinction entre le commodat et le prêt de consommation ou
mutuum ne tient donc pas tant à la nature même des choses prêtées
qu'à la volonté des parties. L'article 1874 peut être considéré comme
exprimant cette pensée, si l'on sous-entend dans les deux phrases qui
caractérisent les deux contrats de prêt les mots : d'après la volonté
des parties.
71. Chacune des deux espèces de prêt fait l'objet d'un
chapitre spécial. En outre, la stipulation d'intérêts soumettant
le prêt de consommation a des règles particulières, le prêt à
intérêt forme une sorte de contrat a part, auquel le Code con-
sacre un troisième chapitre.
CHAPITRE PREMIER.
DU PiiÉT A USAGE OU COMMODAT.
72. Ce chapitre et le suivant sont divisés en trois sections :
la première contient les principes qui, en constituant la nature
du contrat, servent a le distinguer des autres; les deux der-
nières comprennent en détail les engagements qui en résultent,
soit de la part de l'emprunteur, soit de la part du prêteur.
SECTION I.
De la nature du prêt à usage.
73. Pour constituer le prêt a usage ou commodat, il faut:
1° qu'une des parties livre une chose a l'autre, car il n'y a pas
vin. 5
66 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
encore prêt tant que la chose n'est pas au pouvoir de l'em-
prunteur; c'est ce qui range le prêt dans la classe des contrats
réels (1).
2° Il faut qu'on livre la chose pour s'en servir, ce qui dis-
tingue particulièrement le commodat du dépôt.
3° Il faut que la tradition soit faite a la charge de restitution,
sans quoi il n'y aurait point prêt, mais donation.
4° La charge de restitution doit porter sur la chose même 5
ce qui distingue essentiellement le commodat du prêt de con-
sommation.
Ces quatre conditions ressortent de la définition donnée par
la loi. V. art. 1875.
5° Il faut que l'usage de la chose soit accordé gratuitement,
car le commodat est essentiellement un contrat de bienfai-
sance-, autrement il y aurait louage, ou, en tout cas, il n'y
aurait plus commodat. V. art. 1876.
73 lis. Le contrat sera un louage si celui qui se sert de la chose
paie un prix en argent; dans le cas contraire, ce sera un contrat
innomé, ce qui n'a pas d'importance dans notre droit, puisque
ces contrats se forment comme les autres, par le seul consentement,
et qu'ils produisent les effets des contrats nommés avec lesquels
ils ont le plus d'affinité.
74. Des principes ci-dessus il résulte que le commodat est
un contrat réel et de bienfaisance, qui produit de la part de
l'emprunteur une obligation, non pas unique, mais principale,
celle de restituer. Nous verrons qu'il en naît aussi des enga-
gements pour le prêteur; mais les obligations de celui-ci,
n'étant qu'implicites ou incidentes, ne suffisent point pour
attribuer au contrat le caractère de synallagmatique. Toutefois,
il est de ceux que les auteurs appellent synallagmatiques im-
parfaits (2).
75. Remarquons ici que la loi n'indique pas comme con-
dition essentielle du commodat, qu'il soit fait pour un temps
(1) V. t. V, n« 9 bis. 11.
(2) V. t. V,n°5fcù. II.
TIT. X. DU PRÊT. AKT. 1876. 67
fixe ou pour un usage déterminé. Cette condition cependant
est indiquée par la doctrine comme caractère distinctif du
commodatet de la convention appelée précaire (v. à ce sujet
Ulp., L. 1 ; Paul, L. 14, D. deprec). Mais cette convention
paraît comprise par le Code sous le nom général de prêt
à usage, et avec raison, car les différences substantielles que
les principes du droit romain établissaient entre elle et le
contrat de commodat n'ont aucune application à notre droit
français.
A l'égard de diverses autres conventions, qui, en l'absence
de quelqu'une des conditions constitutives du commodat, tien-
nent pourtant plus ou moins de sa nature, voyez, notamment
Papin., L. 1, § 2; L. 47, § 2, D. de prœscr. verb.; Ulp.,
L. 10, § 1, D. commod.
75 bis. La convention de précaire se présentait en droit romain
comme différente du contrat de commodat en ce que celui qui
laissait sa chose entre les mains d'autrui se réservait la faculté de
la reprendre à son caprice, à une époque quelconque. Sous ce rap-
port-là, il ne nous est pas difficile de confondre en droit français cette
convention avec le contrat de commodat, c'est un commodat dans
lequel les parties ont conventionnellement dérogé à l'article 1888.
D'autres différences existaient en droit romain entre le commodat
et le précaire. La plus saillante consistait en ce que celui qui avait
reçu la possession précaire avait la possession de la chose. Nous
ne pouvons pas admettre qu'il en soit ainsi dans notre droit, qui
n'admet pas la possession sans Yanimus domini.
Pothier indique, dans son chapitre IV, d'autres conventions voisines
du contrat de prêt et dans lesquelles il refuse de voir des commodats.
Exemple : la convention avec une personne qui reçoit une chose
pour l'apprécier ou pour l'essayer. Il avoue que ces conventions
produisent des obligations semblables à celles qui naissent du prêt
à usage, mais il les en distingue au point de vue de la responsa-
bilité des fautes commises par l'emprunteur. Il nous est indifférent
de faire ces distinctions, puisque aujourd'hui tous les débiteurs de
corps certains sont soumis à une règle uniforme en ce qui touche
leur responsabilité ; ils doivent tous donner à la chose les soins d'un
bon père de famille (art. 1137).
(i«S COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
76. La tradition de la chose prêtée n'ayant pour objet que
de procurer la (acuité d'en user, il est certain que le prêteur
demeure propriétaire. V. art. 1877. Ajoutons qu'il ne confère
même pas à l'emprunteur le droit réel d'usage : il est seule-
ment obligé a le laisser user.
77. Toute espèce de biens, par conséquent les immeubles
comme les meubles {Ulp., L. 1, § 1, D. commod.), peuvent
êlre prêtés. Seulement, ici comme dans tout contrat, l'objet
doit être dans le commerce (v. art. 1128); ce qui du reste
n'exclurait pas le prêt de la chose d'autrui [Paul, L. 15; Mar-
celle L. 16, D. commod.; v.ace sujet art. 1938). En outre, la
nature particulière du commodat ne permet pas de lui donner
pour objet une chose qui se consomme par l'usage. V. art.
1878-, et remarquez que par choses qui se consomment on
doit entendre, non pas toutes celles dont c'est la destination
ordinaire, mais seulement celles qui, dans l'espèce, n'auraient
pas effectivement une autre destination (v. Ulp., L. 3, § 6;
Gaius, L. 4, D. commod.) (1).
78. On contracte en général pour soi et pour ses héritiers
(art. 1122). Celte règle s'applique au commodat, en ce sens
même que les héritiers de l'emprunteur peuvent continuer
d'user de la chose.
Toutefois ce droit des héritiers, que la nature même du
contrat de bienfaisance suffisait peut-être pour exclure d'une
manière générale (v. Cels., L. 12, § 1, de prec), est avec
grande raison refusé par la loi, si l'on n'a prêté qu'en consi-
dération de l'emprunteur, et à lui personnellement. V. art.
{879.
SECTION II.
Des engagements de l'emprunteur.
79. La principale obligation de l'emprunteur est celle de
restituer; elle suffirait pour lui imposer celle de veiller à la
(1) V. tupra, n» 70 Ai*.
T1T. X. DU PRÊT. ART. 4880, 1881. 69
garde et à la conservation de la chose (v. art. 1136), et d'y
apporter les soins d'un bon père de famille (v. art. 1137). Cette
dernière obligation doit s'appliquer ici d'autant plus rigoureuse-
ment, que le contrat intervient dans le seul intérêt de l'obligé
(v. Gaius, L. 1, § 4, D. de oblig. et act.; Ulp., L. 5, § 2, D.
commod.; v. pourtant Ulp., L. 5, § 10; Gains, L. 18, D.
commod.).
En outre , l'emprunteur, n'ayant d'autre droit que celui qu'il
tient de la bienveillance du prêteur, doit renfermer strictement
l'usage qu'il fait de la chose dans les limites qui lui sont tra-
cées, soit par la convention expresse, soit par la convention
tacite résultant à cet égard de la nature de la chose.
Il est clair que la négligence ou l'abus le rendrait passible
de dommages-intérêts. V. art. 1880.
80. Toutefois l'emprunteur ne répond point en général
des cas fortuits ou de la force majeure-, ce qui est sans diffi-
culté, lorsque l'accident qui détruit ou détériore la chose
serait arrivé également chez le prêteur, et n'a point consé-
quemment le prêt pour cause. Mais l'application du principe
n'est point bornée là : en effet, la faveur due au prêteur ne
doit pas aller jusqu'à le soustraire aux risques auxquels il s'est
volontairement exposé en prêtant la chose. Il ne peut donc, a
moins d'une convention particulière, que rien n'autorise à
supposer, se faire indemniser par l'emprunteur du tort que le
prêt lui a occasionné , lorsque ce tort ne provient pas d'un fait
imputable à celui-ci (v. art. 1147, 1 148, 1302).
81 . Les motifs indiqués pour soustraire l'emprunteur a la
responsabilité ne subsistent plus lorsque c'est contre la volonté
du prêteur qu'il employait la chose au moment où l'accident
est survenu : soit qu'il en fît un usage contraire à la convention
expresse ou tacite, soit qu'il continuât a s'en servir après
l'expiration du temps accordé. Alors donc il répondrait même
du cas fortuit. V. art. 1881 ; Gains, L. 18, D. commod.
81 bis. I. La disposition rigoureuse de l'article 1881 nous paraît
inspirée par une appréciation que Pothier emprunte au droit romain
sur le caractère de l'acte commis par le commodataire, lorsqu'il
70 COl'HS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
se sert de la chose pour un autre usage que celui pour lequel elle
avait été prêtée ou lorsqu'il garde la chose pendant un temps plus
long qu'il n'était convenu. Cet acte, d'après Pothier, est un vol (1), et
c'est à cause de cela que l'article 1881 soumet son auteur à la res-
ponsabilité du cas fortuit.
Pothier, toutefois, ne tirait pas cette conséquence de l'idée qu'il
avait émise, car lorsqu'il impose au commodataire la responsabilité,
parce qu'il a fait de la chose un usage non autorisé, il suppose
avec la loi romaine que l'accident ne serait pas survenu si l'on avait
fait de la chose l'usage convenu (2). Pour ce qui est de l'usage trop
prolongé et de ses conséquences au point de vue des risques,
Pothier est moins rigoureux que le Code civil, il fait dériver la
responsabilité du fait de la demeure, ce qui est la pure application
des principes généraux (3).
81 bis. II. Le Code est donc plus sévère que Pothier, en ce qu'il
considère l'emprunteur comme en demeure dès qu'il change l'usage
de la chose et dès qu'il conserve cet usage après le terme fixé.
C'est une raison pour ne pas exagérer encore cette rigueur et pour
traiter dans les deux cas le commodataire comme un débiteur en
demeure. Nous lui réserverons par conséquent le droit de prouver,
dans les deux hypothèses, que la chose aurait également péri chez
le créancier (art. 1302). La perte alors ne résulte pas même indi-
rectement de la faute du débiteur.
81 bis. III. La solution équitable que nous donnons n'est pas en
contradiction avec l'origine que nous avons assignée à l'article
1881. Si les rédacteurs du Code ont subi l'influence de la doctrine
ancienne qui, dans les faits supposés par l'article 1881, trouvait
les caractères du furtum, au moins n'ont-ils pas formulé positivement
cette doctrine. Or, elle serait aujourd'hui inexacte ; ces actes peu-
vent constituer des abus de confiance, ils ne sont pas des vols (art.
408, Code pénal]. D'où il faut conclure qu'on ne pourrait pas leur
appliquer la dernière disposition de l'article 1302, qui n'admet pas
que le voleur puisse se décharger du cas fortuit même en prouvant
que la chose eût dû périr chez le créancier. Nous avons, sur l'article
1302 justifié la disposition édictée contre le voleur, nous appuyant
sur celte idée que la loi a dû protéger le propriétaire qui est devenu
(1) Pothier, Traité du prêt à usage, n° 21.
(2) Id., Ont., n°58.
(3) ld., ibid., n° 60.
TIT. X. DU PRÊT. ART. 1881, 1882. 71
créancier malgré lui, sans avoir consenti à entrer en rapport d'obli-
gation avec son débiteur (1), et la situation n'est pas du tout la
même entre un prêteur et un emprunteur.
82. C'est vraiment faire de la chose empruntée un usage
contraire à la convention, que de s'en servir, même suivant
sa destination, quand on pouvait employer la sienne-, c'en est
assez pour que l'emprunteur réponde alors du cas fortuit; car
c'est par sa faute que la chose n'en a pas été préservée. Bien
plus, et quoiqu'il n'y ait pas indistinctement faute à sauver sa
propre chose de préférence à la chose prêtée, quand on ne
pouvait les sauver toutes deux, il suflii que l'emprunteur ait
pu sauver la chose prêtée en sacrifiant la sienne, pour que le
cas fortuit qui détruit celle-là, lui soit imputable, et consé-
quemment ne le libère pas (art. 1147). V. art. 1882; Ulp.,
L. 5, § 4, D. commod.
82 bis. I. Il faut examiner séparément les deux hypothèses pré-
vues par l'article 1882. La première surtout ne peut être soumise
à la décision de l'article qu'avec quelques distinctions.
On suppose que l'emprunteur est propriétaire d'une chose propre
au même usage que la chose empruntée, il emploie cette dernière,
qui périt par accident pendant qu'il s'en sert, Les principes ne per-
mettent pas de le soumettre dans tous les cas à la responsabilité de
l'événement.
Quelle est en effet la règle dominante dont nos articles font des
applications? Le commodataire est responsable de sa faute, il est
en faute quand il mésuse de la chose, quand il s'en sert hors des
termes de la convention.
Si donc le commodataire a un cheval et s'il en emprunte un
autre, ce ne peut pas être pour se servir toujours du sien; c'est
probablement pour les employer tour à tour, comme ferait un bon
père de famille (art. 1137). S'il se sert dans ces conditions de l'ani-
mal prêté, il ne sort pas des termes du contrat et ne peut pas être
soumis à la responsabilité du cas fortuit.
82 bis. II. La règle du Code se présente sous une forme trop
générale, elle a cependant été écrite en vue d'hypothèses particu-
lières, par exemple : 1° le cas où l'emprunteur a laissé ignorer au
(1) V. t. V, n°259 bis.
72 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
prêteur qu'il possédait une chose pareille à celle qu'il empruntait
et où par conséquent son but a été d'exposer aux périls la chose
de son ami au lieu de la sienne propre (i); 2° le cas où ayant em-
prunté une chose pour s'en servir alternativement avec une autre
qui lui appartient, le commodataire aurait toujours employé celle
du prêteur, l'exposant ainsi à des risques plus fréquents.
82 bis. III. Dans ces hypothèses et d'autres semblables, la res-
ponsabilité de l'emprunteur dérive de sa faute, et la règle ne peut
s'appliquer que sous cette condition. Il faut donc lire la première
partie de l'article comme si elle était ainsi conçue : si la chose
prêtée périt par un cas fortuit dont l'emprunteur aurait dû la
garantir en employant la sienne propre.
82 bis. IV. La seconde espèce prévue par l'article 1882 est
celle-ci : la chose prêtée a péri par cas fortuit dans un événement
qui mettait également en danger des choses appartenant à l'emprun-
teur; celui-ci a sauvé les choses qui lui appartenaient, et la chose
empruntée a été laissée exposée au danger.
82 bis. V. Certes, si l'emprunteur avait eu le temps de sauver
aussi la chose prêtée et s'il avait négligé de le faire, il y aurait de sa part
une faute caractérisée qui le rendrait responsable en vertu des principes
précédemment posés. Ce n'est pas l'hypothèse de l'article; l'emprun-
teur n'avait pas le temps de sauver toutes les choses en danger, il
a sauvé les siennes; celle du prêteur a péri; voilà le fait sur lequel
la loi statue : elle décide que le commodataire est tenu de la perte
de la chose prêtée. C'est une obligation particulière que l'article
impose au commodataire; les principes n'exigent de lui que les soins
d'un bon père de famille (art. 1137), il ne devrait donc être en faute
que si un père de famille pouvait être considéré comme négligent
parce qu'il aurait sauvé telle chose plutôt qui telle autre, celle qui
ne vaut pas grand'chose plutôt que celle qui a une certaine valeur.
L'article déroge à l'article 11 37, premier alinéa; il étend l'obligation
du commodataire conformément à l'article 1137, deuxième aliéna,
en lui impoant l'obligation de préférer le salut de la chose em-
pruntée au salut des choses qui lui appartiennent; c'est la rému-
nération du service amical que le commodant rend au commo-
dataire.
82 bis. VI. Cette solution, du reste, se rattache aux règles générales
(1) Pothier, ne 59.
TIT. X. DU P!!ÊT. ART. 1882, 1883. 73
que nous avons déjà données : le commodataire répond du cas fortuit
quand il est en faute, et il n'y a dans l'article qu'un côté exception-
nel, c'est que le commodataire est en faute là où le bon père de
famille n'aurait pas à s'imputer une négligence; en effet, la loi lui
impose une diligence toute particulière.
De ce que la responsabilité est fondée sur une faute, il faut dé-
duire que si le commodataire n'a pas eu le temps nécessaire pour
choisir les choses qu'il sauvait, s'il a retiré des flammes les premiers
objets qui se trouvaient sous sa main, il n'est pas responsable de
l'accident qui a détruit la chose prêtée (1). Le texte du Code
confirme cette manière de voir, car il suppose que l'emprunteur a
agi dans un esprit de préférence pour sa chose, ce qui implique
qu'il a eu la liberté du choix entre une chose ou une autre.
83. Indépendamment de toute faute de l'emprunteur, il
est tout simple qu'il réponde du cas fortuit, quand il s'est
soumis a cette obligation (v. Diocl. et Max., L. 1, Cod., de
commod.). Mais on se demandait autrefois si cette soumission
ne résultait point tacitement de ce que la chose aurait été
estimée en la prêtant. La loi, dans le doute, admet celte sup-
position favorable au prêteur, mais bien entendu sauf conven-
tion contraire. V. art. 1883; Ulp., L. 5, § 3, D. commod.;
L. 1 , § 1 , D. de œstimator.
83 bis. Le code interprète la clause d'estimation dans le sens
d'une convention mettant les risques à la charge de l'emprunteur.
Ce n'était pas l'interprétation de Pothier (2). Il faut remarquer sur
ce point que si le Code tranche la question dans le sens des juriscon-
sultes, qui s'appuyaient sur l'idée romaine que l'estimation vaut
vente, il ne donne cependant point cette formule, à laquelle il fait
allusion dans l'article 1551. Dès lors, il ne faut point attribuer à
l'article 1883 plus de portée qu'il ne doit en avoir. Le contrat de
prêt avec estimation ne rend pas l'emprunteur propriétaire de la
chose, il ne l'autorise pas à restituer le prix d'estimation au lieu de
la chose même, il prévoit seulement le cas de perte, et, mettant cette
perte à la charge de l'emprunteur, il fixe le montant de l'indemnité
qui sera due en pareil cas.
(1) V. Pothier, n° 56 in fine.
(2) Id., u°63.
7i COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
84. Nous avons reconnu que le prêt n'oblige pas à réparer
généralement tout le tort qu'il peut occasionner. Ainsi l'em-
prunteur, s'il ne s'y est pas soumis, ne répond de la perte
arrivée par cas fortuit, qu'autant que l'accident est précédé ou
accompagné d'une faute de sa part. A plus forte raison n'est-
il pas tenu de la détérioration survenue sans sa faute, par le
seul effet de l'usage pour lequel la chose a été empruntée;
car le prêteur, en permettant l'usage, a virtuellement con-
senti h cette détérioration. V. arl. 1884-, Pomp., L. 23, D.
commod.
84 bis. I. Quand le commodataire a accepté par convention les
risques de la chose, la perte partielle est à sa charge comme la perte
totale, sauf la perte qui ne serait qu'une détérioration résultant na-
turellement de l'usage conforme à la convention de prêt.
84 bis. II. Parmi les cas où le commodataire s'est chargé de la
responsabilité du cas fortuit, nous avons placé celui où la chose a
été estimée. De là nous tirons cette conséquence que les pertes par-
tielles ou détériorations seront subies par le commodataire; mais
pour observer jusqu'au bout la convention d'estimation, nous dirons
que l'estimation ayant fixé le chiffre de l'indemnité due en cas de
perte totale, la perte partielle devra être appréciée en proportion
du chiffre qui représentait, d'après la convention, le prix total; l'in-
demnité pour une perte partielle sera fixée proportionnellement à l'in-
demnité fixée pour le cas de perte totale, et non pas proportionnelle-
ment à la valeur qu'une expertise pourrait fixer comme étant celle
de la chose entière au moment de la perte. En un mot, c'est une
ventilation qu'il faudra faire.
85. La principale obligation de l'emprunteur est, comme on
l'a dit, celle de restituer. Il abuserait d'un bienfait s'il retenait
la chose, sous quelque prétexte, après l'expiration du temps
fixé. Il ne peut par conséquent la retenir par compensation de
ce que le prêteur lui doit. V. art. 1885, et a ce sujet art.
1293-2°.
Remarquons, au surplus, qu'il n'était pas besoin d'une dis-
position particulière pour exclure ici la compensation légale,
qui ne s'applique point aux dettes de corps certains (art. 1291).
T1T. X. DU PRÊT. ART. 1885. 75
La loi a donc probablement une autre intention, celle de re-
fuser en général le droit de retenir en nantissement jusqu'au
paiement.
85 bis. I. L'article 1885 répète sous une autre forme ce que le
législateur a déjà dit au titre des contrats (1293-2°), et nous avons
déjà montré sur cet article 1293 (1) que la règle du Code n'avait pas
un caractère exceptionnel, qu'elle était la conséquence nécessaire
du principe qui n'admet la compensation qu'entre deux dettes de
quantité. Le commodataire est toujours un débiteur de corps certain ,
c'est ainsi que Pothier justifie, dans son traité du prêt, la décision
qu'a reproduite l'art. 1885 (2).
85 bis. IL 11 ne faut donc pas chercher un sens particulier à
l'article 1885, il contient la répétition d'une solution déjà donnée
par le législateur. Il ne cache pas, par exemple, comme le suppose
M. Demante , la prohibition de retenir la chose prêtée en nantisse-
ment de quelque dette du prêteur envers l'emprunteur. Ce serait bien
encore une disposition inutile, car le nantissement est un contrat,
il ne peut pas se former à l'insu des parties, et il ne pourrait être
tacite que s'il existait sur ce point une décision spéciale de la loi,
comme celle de l'article 2082.
85 bis. III. Nous avons dit également sur l'article 1293 que la loi
n'interdit pas la compensation de l'obligation de l'emprunteur quand
elle est convertie en obligation des dommages et intérêts. C'est
également ce que dit Pothier ; seulement, comme il faut tenir compte
de la règle qui interdit la compensation légale quand les deux
dettes ne sont pas liquides, il faut admettre que la dette de l'em-
prunteur ne devient susceptible de compensation qu'à partir du juge-
ment qui prononce la condamnation (3).
85 bis. IV. Notre théorie sur le droit de rétention nous conduit à
accorder ce droit au commodataire pour la garantie des créances
qu'il a contre le prêteur s'il a fait des dépenses dans l'intérêt de
celui-ci et à l'occasion de la chose prêtée. Il ne s'agit pas de la
compensation, et le fondement du droit de rétention n'est ni dans
l'article 1293, ni dans l'article 1885 (4).
(1) V. t. V, n° 244 iis. III et s.
(2) Pothier, n° 44.
(3) V. l. V, n° 244 bit. V.
(4) V. sur le droit de rétention, t. IX, n° 5 bis. II-VI.
76 COUIIS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
86. La loi se tait sur la personne a laquelle la chose doit
être restituée, et sur le lieu où la restitution doit s'opérer. Il
est évident que la question dès lors est entièrement régie par
les principes généraux. Toutefois, il est naturel de se guider
dans l'application de ces principes par les dispositions ana-
logues du titre du dépôt, en ayant seulement égard a la diverse
nature des deux contrats.
Quant a la personne, on ne voit aucune raison pour ne pas
appliquer les articles 1937-1941.
Quant au lieu, il faut s'en tenir uniquement aux articles
1247 et 1248; l'application en est faite au dépôt par les
articles 1942 et 1943; mais appliqués au prêt, ils doivent ame-
ner un résultat tout opposé.
87. En permettant à l'emprunteur l'usage de sa chose, le
prêteur ne s'oblige pas a la mettre en état de servir; si donc,
pour en user, l'emprunteur est forcé à quelque dépense, il
doit en supporter la charge sans répétition. V. art. 1886.
Cette charge, au reste, quoique énoncée ici parmi les enga-
gements de l'emprunteur, ne doit pas se confondre avec une
obligation ou engagement proprement dit.
87 bis. Il est certain, comme le dit M. Demante, que l'article 1886
n'impose pas une obligation au commodataire au profit du prêteur,
il lui refuse un droit. Cependant, il faut bien comprendre que le
commodataire, tenu de veiller à la conservation de la chose comme
un bon père de famille, est par là même obligé envers le prêteur à
faire les dépenses ordinaires de conservation, et s'il laissait l'animal
mourir de faim, il serait obligé à des dommages et intérêts, parce
que la perte lui serait imputable.
88. Le prêt peut être fait à plusieurs personnes conjoin-
tement; chacune alors contracte les engagements qui vien-
nent d'être expliqués. Quoique ces engagements ne soient pas
de leur nature indivisibles (v. Ulp., L. 3, § 3, D. commod.),
la loi suppose, dans l'intérêt du prêteur, qu'il n'a point en-
tendu diviser la responsabilité entre ceux auxquels il confie
sa chose; il impose donc a tous solidairement cette responsa-
bilité. V. art. 1887, v. à ce sujet Ulp., L. 5, § 15, D. corn-
T1T. ». DU PRÊT. ART. 1885-1889. 77
mod.; Papin., I. 9, D. de duob. rets; v. pourtant Afr.,
L. 21, § 1, D. commod. (1).
SECTION III.
Des engagements de celui qui prête à usage
89. Nous avons déjà dit que les obligations du prêteur ne
sont qu'implicites ou incidentes. Les unes s'induisent du
consentement qui accompagne la tradition (art. 1888, 1889);
les autres naissent de l'équité, qui ne permet pas de s'enri-
chir aux dépens d'autrui (art. 1890), et qui prescrit de
réparer le tort que l'on a causé (art. 1891 ).
90. Le prêteur, en remettant volontairement sa chose à
l'emprunteur pour qu'il s'en serve, s'interdit par la même la
faculté de trouhler par son propre fait l'usage qu'il a permis.
Conséquemment, lorsque le prétest fait pour un certain temps,
ou pour un usage déterminé, le prêteur ne peut réclamer la
chose avant le temps fixé, ou, s'il n'y en a pas, avant que le
besoin pour lequel l'emprunt a eu lieu ait cessé. V. art. 1888;
Ulp., L. 5, § 8} Paul, L. 17, § 3, D. commod.
91. Le besoin même que le prêteur aurait de sa chose ne
l'autoriserait pas, en général , à la réclamer avant le temps.
Et toutefois, comme il est naturellement censé ne l'avoir prê-
tée que dans la supposition qu'il pourrait s'en passer, si le
besoin qui lui survient est un besoin pressant et imprévu , il
peut en obtenir la restitution. A cet égard, au reste, le juge
doit se déterminer d'après les circonstances-, ce qui autorise
à prendre aussi en considération le préjudice que ferait éprou-
ver a l'emprunteur une restitution immédiate. V. art. 1889.
91 bis. Les dispositions des articles 1888 et 1889 appartiennent
plutôt à la section qui traite des obligations de l'emprunteur , car
elles déterminent dans quels cas le prêteur peut agir, et ce n'est que
par un artifice de langage qu'on peut dire : le créancier est obligea
(I) V.t. V, q»135 6«#. IL
78 COURS ANALYTIQUE DE GODE CIVIL. LIV. III.
ne pas agir avant le terme; l'absence d'un droit ne constitue pas
une obligation.
92. Le prêteur, qui demeure propriétaire de la chose,
doit naturellement supporter les dépenses relatives a sa con-
servation. Ainsi, lorsque les dépenses de ce genre ont été
faites par l'emprunteur, il est juste de lui en accorder la répéti-
tion. Toutefois, il est évident que la règle ne s'applique pas
aux dépenses ordinaires, qui sont une charge naturelle du ser-
vice que l'emprunteur tire de la chose (v. art. 1886). Quant
aux dépenses extraordinaires, c'est au propriétaire a juger de
leur utilité, suivant sa convenance particulière-, et l'emprun-
teur ne peut en général se permettre de les faire ou de les
ordonner pour lui. Il n'y a que la nécessité qui exclue la ques-
tion de convenance-, et cette nécessité même, un tiers ne doit
point s'en rendre juge, lorsqu'il a le temps d'en référer au
propriétaire. Cela posé, quatre conditions sont requises pour
que l'emprunteur puisse, en cette qualité, répéter ses dé-
penses. Il faut : 1° qu'elles tendent a la conservation de la
chose-, 2° qu'elles soient extraordinaires-, 3° qu'elles soient
nécessaires-, 4° qu'elles soient urgentes. V. art. 1890.
93. Un service ne doit point cacher un piège. Si donc le
prêteur connaît quelque danger auquel l'usage de la chose
puisse exposer l'emprunteur, il est tenu de l'en avertir, à
peine de demeurer responsable du préjudice. La loi applique
particulièrement cette responsabilité aux défauts de la chose
prêtée. V. art. 1891; Gaius, L. 18, § 4, D. commod.
CHAPITRE IL
DU PRÊT DE CONSOMMATION OU SIMPLE PRÊT.
94. Les choses qui se consomment par l'usage n'étant pas
susceptibles d'être prêtées pour être rendues en espèces , et
ne pouvant conséquemment faire l'objet d'un commodat, il a
TIT. X. DU Pi<ÉT. AttT. 1892. 79
bien fallu, pour réaliser a leur égard l'intention bienveillante
qui porte une personne a se priver temporairement de sa
chose au profit d'un autre, avoir recours a une autre espèce
de contrat, où la concession temporaire du simple usage est
remplacée par l'aliénation, a la charge de restituer en équiva-
lent. Telle a été probablement l'origine du contrat appelé par
les Romains mutuum; telle est certainement, du moins, l'idée
que fait naître le nom de prêt de consommation, sous lequel
cette convention est désignée dans notre droit.
SECTION 1.
De la nature du prêt de consommation,
9o. De même que le commodat, le prêt de consommation
consiste dans une tradition faite a la charge de rendre; mais
la tradition et la restitution, au lieu de porter sur une ou plu-
sieurs choses individuellement déterminées, ont pour objet
une certaine quantité, c'est-à-dire un certain nombre, un cer-
tain poids ou une certaine mesure de choses déterminées
seulement quant à leur espèce et leur qualité; ce sont, au
moins en général, des choses qui se consomment par l'usage,
c'est- a-dire des choses dont l'emprunteur ne pourrait faire
l'usage qui lui est permis, sans les détruire, sans les dépenser,
ou sans les mettre, à certains égards, hors de service. V. art.
1892.
96. Les choses ainsi prêtées n'étant point destinées a être
rendues in specie, l'emprunteur acquiert naturellement le
droit d'en disposer comme bon lui semble, sous la condition
d'en rendre l'équivalent. Ainsi il devient propriétaire (art.
1893). Bien plus, il faut en principe qu'il le devienne pour
contracter obligation-, autrement, le but qu'on se propose dans
le contrat ne pourrait être rempli, et l'obligation n'aurait pas
de cause. V. Paul, L. 2, § 2, D. de reb . cred.; et à ce sujet
le même Paul, L.^, §4,eod./ Just., Inst.,§ 2, quib. al. lie;
v. pourtant le même Just., d. § 2, versic. sed si; Jul.,
80 COUHS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
L. 19, § 1, D. de reb. cred.; v. aussi art. 1238, al. dern.,
2279. '
96 bis. I. La définition du prêt de consommation que le Code
emprunte à Potliier (n° 1), en la modifiant quelque peu, mérite
certaines observations. En premier lieu, on peut regretter que le
Code n'ait pas accentué comme Potliier le caractère principal du
contrat, il transfère la propriété; le Code a employé une expression
moins précise en disant que le prêteur livre la chose, c'est la consé-
quence de la confusion qui apparaît dans le chapitre sur l'obli-
gation de donner, entre cette obligation et celle de livrer, qui en
est la conséquence (art. 1138-1140). Mais la pensée de la loi
n'est pas douteuse; car l'article 1893 dit que l'emprunteur devient
propriétaire de la chose prêtée.
96 bis. II. La seconde observation est plus sérieuse; dans la dé-
finition du Code, comme dans celle de Pothier, on trouve que le prêt
de consommation a pour objet des choses qui se consomment par
l'usage. Ce n'est là que la constatation d'un fait qui se produit le
plus souvent, c'est pour cette espèce de choses qu'apparaît la né-
cessité d'un prêt translatif de propriété; si le contrat n'avait pas
cet effet, il ne procurerait pas à l'emprunteur l'utilité qu'il prétend
retirer de la chose. Toutefois, il ne faut pas prendre à la lettre la
définition légale. On peut supposer que des parties conviennent, à
propos d'un objet qui ne se consomme pas primo usu, que l'em-
prunteur en devient propriétaire et qu'il rendra un objet pareil;
c'est par exemple un meuble meublant, une table, un fauteuil, ou
bien un livre, toutes choses qui se détériorent par l'usage, mais ne
se détruisent pas primo usu. La convention a certes sa raison d'être
à cause des détériorations possibles, elle est incontestablement licite,
et il faut y voir un mutuum, car c'est un prêt, et un prêt qui n'a
aucun des caractères du commodat.
C'est ici le lieu de répéter ce que nous avons dit au n° 70 bis :
la distinction entre le commodat et le prêt de consommation ne
tient pas tant à la nature même des choses prêtées qu'à la volonté
des parties, et qu'à la manière dont la convention considère l'usage
qui peut ou doit être fait de la chose.
96 6m. III. Puisque le contrat de mutuum suppose une translation
de propriété de la chose prêtée, il est clair qu'il n'est pas formé quand
le prêteur a livré des choses appartenant à autrui ou quand il était
TiT. X. DU PRÊT. ART. 1892. 81
incapable d'aliéner. Dès lors , en principe, le prétendu emprunteur
n'est qu'un détenteur d'une chose d'autrui qui a conservé son
caractère de corps certain, et il est exposé à une revendication de la
part du vrai propriétaire.
Il faut toutefois tenir compte, d'abord des effets du principe
moderne qu'en fait de meubles la possession vaut titre, et secon-
dement des conséquences d'un fait qui se produira très-fréquem-
ment, la consommation des choses qui ont été l'objet de la con-
vention.
96 bis. IV. L'application de la règle : en fait de meubles possession
vaut titre (art. 2279), aura pour conséquence que l'emprunteur
qui aura reçu de bonne foi des choses prêtées a non domino en
sera devenu propriétaire et ne craindra pas l'action en revendi-
cation, à moins qu'il ne s'agisse de choses perdues ou volées, qu'il
retirera donc du contrat tous les avantages qu'il en attendait. On
peut dire dès lors que le contrat de prêt a été valablement formé,
car, par la combinaison des principes du droit, il a rendu l'emprunteur
propriétaire, bien que le prêteur n'eût pas cette qualité, et l'article
1893 n'exige pas autre chose que cette condition : l'emprunteur
doit devenir propriétaire.
Si le contrat est valablement formé, le prêteur est devenu créan-
cier, et l'ancien propriétaire, dépouillé par l'application de l'article
2279, n'a pas d'action contre l'emprunteur, puisqu'il n'a plus
l'action en revendication et qu'il ne saurait avoir l'action per-
sonnelle, ayant été étranger au contrat qui a fait naître cette
action.
96 bis. V. D'après ce que nous venons de dire sur l'hypothèse où
l'emprunteur a reçu de bonne foi la chose d'autrui, nous n'avons
pas à nous occuper dans ce cas du fait de la consommation des
objets ; puisque la mise en possession garantissait l'emprunteur contre
l'action du vrai propriétaire, le fait de la consommation n'a pas
changé sa situation.
Mais quand l'emprunteur a reçu de mauvaise foi, c'est-à-dire
sachant que la chose n'appartenait pas au prêteur, il n'est pas
protégé par la règle de l'article 2279, et, nous l'avons dit, il est exposé
à une action en revendication. Cette action devient impossible
quand les choses ont été consommées, extinctœ tes vindicari non
possunt; alors naîtra une action personnelle. Les Romains la quali-
fiaient de condictio; elle était fondée sur l'enrichissement advenu sans
vm. 6
82 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
cau>e à l'emprunteur (1); nous l'appuierons tout simplement sur
l'article 1382 : en recevant sciemment et en consommant la chose
d'autrui, l'emprunteur a causé par sa faute un dommage dont il
doit la réparation; l'action nous paraît être une action en dommages
et intérêts.
96 bis. VI. Il reste une hypothèse à examiner. La chose prêtée était
une chose perdue ou volée, d'où il résulte que la possession de bonne
foi ne protégeait pas l'emprunteur contre la revendication, mais
elle a été consommée de bonne foi par cet emprunteur : la revendi-
cation devient impossible, et l'action en dommages et intérêts n'a plus
de base; il faut alors décider que le vrai propriétaire n'a de recours
que contre le prêteur, et que celui-ci peut agir en vertu du contrat
contre l'emprunteur, puisque la convention viciée dans son principe
a procuré à l'emprunteur le même avantage que si elle avait été
pure de tout vice.
97. L'emprunteur devenant propriétaire des choses prêtées,
et n'en devenant pas débiteur in specie, il est évident que ces
choses sont entièrement à ses risques. V. art. 1893.
97 bis. C'est parce que l'emprunteur est débiteur de quantité
que les risques de la chose qu'il a reçue sont à sa charge. A bien
dire, la chose due ne peut pas périr, gênera non pereunt. La question
de risques ne peut donc pas s'élever, car cette question ne se pose
pas sur le point de savoir d'une façon abstraite qui souffre quand
un objet vient à périr, mais elle suppose qu'un objet est dû puis-
qu'il périt, et elle porte sur le point de savoir qui du débiteur ou
du créancier subira les conséquences de cette perte. Dans l'hypo-
thèse de l'article, les objets reçus par l'emprunteur ont péri, mais
ils ne sont pas la chose due, donc il n'y a pas à se préoccuper de la
théorie des risques (2).
98. Les choses prêtées étant en général destinées a être
consommées-, et, d'un autre côté, les choses a restituer devant
être prises dans le même genre, et les représenter exactement,
on conçoit que s'il existait dans la nature un genre dont les
individus ne fussent nullement susceptibles de se remplacer
les uns par les autres, les choses de ce genre ne pourraient
(1) V. M. Accarias, Précis du droit romain, t. II, p. 483. Édit. 1880.
(2) V. t. V, n° 58 bis. II-IV.
TIT. X. DU PRÊT. ART. 1 892-189 k 83
être l'objet du mutuum, et que le coramoclat serait alors la seule
espèce de prêi qui pût leur être expliquée. V. art. 1894, qui
consacre toutes ces conséquences avouées par la raison, mais
dont au reste il faut bien se garder de prendre les termes a la
lettre.
Ainsi, c'est mal à propos, selon nous, que l'on voudrait
trouver dans la nature des choses une règle invariable sur
leur fongibilité, qui dépend principalement de l.eur destination.
Mal a propos, surtout, voudrait-on, par application de cette
règle, et parce que la loi cite les animaux pour exemple de
choses qui diffèrent dans l'individu, déclarer tous les animaux-
non fongibles. Enfin il serait aussi contraire aux principes
qu'a la droite raison , qu'une chose, fongible ou non, donnée à
titre de prêt de consommation, pût, contre l'intention des
parties, devenir l'objet d'un prêt à usage.
Tout ce qu'il est permis de conclure des termes de la loi ,
c'est : 1° qu'il y a en effet dans la nature des espèces dont les
individus sont entre eux fort différents 5 2° qu'à ces espèces,
qui comprennent a peu près tout ce qui ne se consomme pas
par l'usage, appartiennent en général les animaux ; 3° que si
des choses appartenant à ces espèces sont données à titre de
prêt, on devra facilement supposer aux parties l'intention de
faire un prêt de consommation.
Quoi qu'il en soit, la grande règle a cet égard sera toujours
de considérer si les choses prêtées l'ont été individuellement,
ou si, au contraire, elles l'ont été au poids, au compte ou a la
mesure.
98 bis. La disposition de l'article J 894 se lie intimement à celle
de l'article 1892. Elle doit être comprise sous la réserve des prin-
cipes que nous avons posés en donnant la définition du mutuum.
Ainsi, bien que l'article apparaisse sous une forme prohibitive, on
ne doit pas lui attribuer la vertu d'interdire tout prêt de con-
sommation ayant pour objet des animaux. La volonté est souveraine,
nous l'avons dit, et s'il plaît aux parties de convenir que celui qui
a reçu un objet ne se consommant pas par l'usage rendra un autre
objet de la même espèce, il n'y a aucune raison, soit morale, soit
6.
&i COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
économique, soit politique, de traiter la convention comme illi-
cite. Interdire des conventions semblables, ce serait empêcher des
opérations essentiellement pratiques et usuelles. Pourquoi des
marchands de moutons ne se prêteraient-ils pas en mutuum cin-
quante ou cent moutons? et les marchands de volailles, et les mar-
chands d'huîtres? Ne voit-on pas, par ces exemples, que s'il est des
animaux qui sont nécessairement envisagés comme des individus,
des corps certains, parce qu'on considère avant tout leurs qualités
individuelles, il en est d'autres qui sont traités tout simplement,
comme des unités appartenant à une certaine classe d'êtres? on les
apprécie numéro, au cent ou même à la douzaine.
Comprenons donc l'article dans un sens raisonnable, il ne porte
pas atteinte à la liberté des conventions, il donne une règle d'in-
terprétation ; lorsque le prêt a pour objet des animaux, on présume
le commodat. Voilà toute la règle, mais nous y ajoutons, en vertu
des principes, qu'on pourra démontrer que la volonté était de faire
un mutuum.
99. L'obligation qui résulte du prêt consiste bien toujours
à rendre une même quantité de choses de la même espèce ; mais
cette obligation s'applique diversement suivant que le prêt a
pour objet de l'argent monnayé, ou toute autre espèce de chose
fongible (ai ticles°1895-1897).
100. Quoique la valeur nominale de l'argent monnayé doive
en général être en rapport avec le poids et le titre du métal
dont il est formé, la loi, considérant la monnaie plutôt comme
le signe public de la valeur qui y est attachée par le souverain,
que comme ayant en elle-même sa valeur, eu égard au poids
et au titre, suppose que le prêt en argent n'a pour objet que la
somme numérique portée au contrat.
ïl s'ensuit naturellement que la restitution ne peut être exigée
en mêmes espèces, mais en espèces quelconques produisant
la même somme.
Bien plus, quelque iniquité qui puisse résulter del'application
de cette règle en cas d'augmentation ou de diminution d'es-
pèces, a cause de l'augmentation ou diminution proportionnelle
qui pourrait alors se faire sentir dans le prix de tout ce qui est
dans le commerce, la loi veut que nonobstant cette variation
TIT. X. DU PKÊT. ART. 1895. 85
l'obligation soit toujours de la somme numérique prêtée, et
qu'elle s'acquitte en espèces ayant cours au jour du paiement.
V. art. 1895, et a ce sujet Papin., L. 94, § 1, D. de soluté-
Paul, L. 1, D. decontr. empt.
100 bis. I. La monnaie, dans la constitution économique actuelle
de notre société, n'a pas seulement une valeur commerciale
dépendant des conditions de l'offre et de la demande sur les métaux
précieux, elle a une valeur légale, puisqu'elle a cours forcé dans
les paiements (art. 475-11° G. pénal). Notre article 1895 con-
tient une application de cette idée (Ij. Il interprète la convention
des parties en ce sens que l'emprunteur, ayant reçu en espèces
monnayées un certain nombre d'unités monétaires (francs), doit
rendre le même nombre d'unités monétaires en espèces, d'après
leur valeur légale. C'est ce qu'exprime l'article quand il parle de la
somme numérique énoncée au contrat, il oppose certainement la
somme composée d'un certain nombre d'unités monétaires, repré-
senté par des espèces, à la masse d'or ou d'argent appréciée d'après
son poids.
100 bis. II. Le deuxième paragraphe de l'article montre les con-
séquences du principe posé dans le premier. Il suppose que les
espèces ont diminué ou augmenté entre l'époque du contrat et
celle du paiement. C'est-à-dire que la quantité de pièces de
monnaie représentant légalement un certain nombre d'unités
monétaires peut avoir, à un jour donné, une puissance plus
grande ou moins grande que celle qu'elle avait à une autre époque.
Cet événement peut résulter de la rareté ou de l'abondance du
métal ou des métaux dont se composent les pièces de monnaie.
Quand le numéraire est rare, il est demandé; quand il est abondant,
il est offert; dans le premier cas, une pièce d'or ou d'argent
s'échangera contre une plus grande quantité de marchandise; dans
le second, contre une moindre ; c'est la valeur commerciale de la
monnaie qui augmente ou qui diminue.
Le Code ne tient pas compte de ces oscillations dans la valeur
commerciale de la monnaie; l'emprunteur doit rendre la somme
numérique prêtée, et il ne doit que cela. C'est la règle qui régit
les rapports entre tous les créanciers et débiteurs de quantités; si
(1) V. M. Cauwes, Précis du cours d'économie politique, t. Ier, p. 460, 461.
Édit. 187S.
86 COimS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
vous avez promis cent hectolitres de blé ou de charbon de terre,
la hausse ou la baisse qui se produit sur ces marchandises, par
l'effet de leur rareté ou de leur abondance, ne modifie en rien
l'obligation, la quantité à fournir reste la même. Il y a là une aléa
dans les rapports entre créanciers et débiteurs, comme il en existe
une entre les créanciers et débiteurs de corps certains, soumis
d'abord aux chances d'amélioration ou de détérioration de l'objet
dû et courant aussi les chances de hausse ou de baisse. Le
débiteur de somme d'argent a promis une certaine quantité de
pièces de monnaie, il doit la fournir, mais il ne doit que cela,
quelle que soit la rareté ou l'abondance du numéraire, comme
celui qui a promis un certain nombre d'hectolitres de charbon doit
les livrer à tout événement.
100 bis. III. Il y a une autre cause d'augmentation ou de dimi-
nution des espèces monétaires. C'est la volonté du législateur, qui
peut modifier la composition des pièces de monnaie en augmentant la
quantité de métal précieux que contient une pièce ou en diminuant
cette quantité, tout en lui laissant la même valeur légale. De ces
deux opérations, la dernière a été pratiquée assez souvent dans les
temps anciens.
Il est clair qu'une altération de la monnaie ne peut pas avoir
un effet sérieux en ce qui touche les affaires nouvelles qui se
feront postérieurement à la transformation de la monnaie. Quand
elle contiendra plus de métal précieux, le détenteur de la pièce,
quel que soit son nom, demandera plus de marchandise, et si elle
contient moins de métal, les détenteurs de marchandises deman-
deront plus de pièces nouvelles qu'ils ne demandaient de pièces
anciennes pour la même quantité de marchandises.
Néanmoins, la transformation de la monnaie aura un effet, et un
effet désastreux, par rapport aux affaires déjà engagées. Si l'on avait
augmenté la quantité de métal fin, les débiteurs auraient à donner
plus qu'ils n'avaient compté payer, et si l'on a diminué cette
quantité, les créanciers recevraient moins que ce qu'ils avaient
juste sujet d'attendre. Il y aurait, dans l'un et dans l'autre cas,
spoliation; mais ce n'est pas au Code civil qu'il faudrait reprocher
cette iniquité, elle serait l'œuvre du législateur qui aurait trans-
formé la monnaie, et la transformation n'aurait pas eu d'autre but.
Par conséquent, alors même que le Code civil serait resté muet
sur ce point, le législateur qui aurait altéré les monnaies n'aurait pas
TIT. X. DU PRÊT. art. 1895- 1897. 87
manqué de déclarer que les nouvelles pièces avaient cours forcé
à leur valeur nominale.
100 bis. IV. Les rédacteurs du Code civil ont bien pu penser à
des dispositions législatives d'une époque bien rapprochée de la
leur, où, sans altérer les monnaies proprement dites, on avait créé
du papier-monnaie, donné aux assignats un cours forcé sur le
pied de leur valeur nominale, et ils savaient bien par expérience
que quand des mesures financières de cette nature sont jugées
nécessaires, il n'est pas de loi antérieure qui puisse gêner la toute-
puissance du législateur.
100 bis. V. Nous avons toujours réservé les effets des con-
ventions formelles, nous dirons donc que les parties pourraient
stipuler la restitution d'un certain nombre de pièces du même
poids et au même titre que les pièces prêtées, le prêt serait alors
considéré comme un prêt en lingots.
Le même principe conduit à autoriser la clause par laquelle l'em-
prunteur renoncerait à se prévaloir de toute loi qui donnerait cours
forcé à des billets de banque. Seulement, le législateur prudent
pourrait édicter que le cours est forcé, nonobstant toute convention
contraire, et la clause du contrat perdrait toute sa valeur, sinon
en conscience, au moins au point de vue légal.
1 01 . Le motif qui a dicté la règle ci-dessus ne s'appliquant
point au métal en lingots, le prêt fait en lingots n'y serait évi-
demment pas compris. V. art. 1896.
102. A l'égard donc des lingots, et généralement à l'égard
des denrées, c'est-à-dire de toutes choses fongibles autres que
l'argent monnayé, l'objet de l'obligation, ce sont des choses
égales en quantité et qualité a celles qui ont été prêtées. Ainsi,
quelque changement qui survienne dans leur valeur estimative,
on doit toujours et uniquement rendre la même quantité et
qualité. V. art. 1897.
103. Des principes exposés il résulte que le prêt de con-
sommation est un contrat réel, qui n'est parfait que par la
tradition, bien plus, que par une tradition translative de pro-
priété. Ce contrat est de bienfaisance, car a moins d'une stipu-
lation d'intérêt, qui en changerait le but et la nature, le prêteur
ne recouvre, après un certain temps, que l'équivalent exact
88 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
de ce qu'il a donné, sans indemnité pour la privation temporaire
qu'il a subie. Enfin il est unilatéral, car il ne produit qu'une
obligation principale, celle de la restitution imposée à l'em-
prunteur. Toutefois il impose au prêteur quelques obligations
implicites auxquelles le Code a même consacré une section;
mais comme il ne peut, en raison même de la translation de
propriété de la chose prêtée, donner lieu aux obligations in-
cidentes qui, dans le commodat et dans beaucoup d'autres
contrats, ont plus particulièrement donné lieu a l'introduction
des actions contraires, il n'a jamais été considéré comme
synallagmatique imparfait.
SECTION II.
Des obligations du prêteur.
104. Les obligations du prêteur sont ici absolument du
même genre, et reposent sur les mêmes principes que celle
que contracte implicitement le prêteur à usage. Elles sont
relatives a la garantie des défauts cachés (art. 1898) et au délai
de la restitution (art. 1899-1901).
104 bis. Le Code, en consacrant une section aux obligations du
prêteur, sembleconsidérerle prêt comme un contrat synallagmatique.
Cet aperçu serait inexact; le contrat, n'existant comme prêt qu'après
la dation, n'impose pas par lui-même d'obligation au prêteur. Des
deux obligations dont parle la section, l'une, celle qui consiste à ne
pas pouvoir agir avant le terme, n'est qu'une restriction con-
ventionnelle du droit du prêteur; l'amoindrissement ou la néga-
tion d'un droit ne constitue pas une obligation; l'autre obligation,
qui est consacrée par l'article 1898, ne résulte pas du contrat,
mais d'un dol ou au moins d'une faute, et s'appuie sur l'article 1382.
105. Quant à la garantie, la règle est absolument la même
que dans le commodat. Voy. art. 1898, et à ce sujet art. 1891 .
106. Pareillement, le prêteur est obligé d'observer le délai
qu'il a accordé à l'emprunteur pour la restitution. V. art.
4899.
TIT. X. DU PRÊT. ART. 1898-1902. 89
106 bis. Il n'y a pas lieu d'appliquer en matière de mutuum la
règle écrite dans l'article 1889 pour le cas de commodat. Les
situations sont bien différentes, le commodataire doit avoir la chose
à sa disposition, il n'a que le droit de s'en servir, la restitution
anticipée ne lui est donc pas impossible; mais l'emprunteur à titre
de mutuum a reçu du contrat le droit de consommer la chose;
c'est de l'argent, par exemple, il l'a employé, il n'en a plus à sa
disposition, et il a dû compter sur le délai accordé pour économiser
ou gagner par son travail la somme promise. Le préjudice que
lui causerait la nécessité d'un remboursement anticipé serait hors
de proportion avec celui qu'impose au commodataire la restitution
prématurée de la chose empruntée.
107. En l'absence d'un terme, il est clair que la restitution
est en général exigible a la volonté du prêteur 5 et néanmoins,
comme celui-ci est toujours censé avoir tacitement accordé
un temps suffisant pour que l'emprunteur puisse, après la con-
sommation qui lui est permise, se procurer les choses qu'il
devra rendre, le juge est ici spécialement autorisé à accorder
un délai plus ou moins long, suivant les circonstances. V. art.
1900, dont la disposition ne doit pas être confondue avec celle
de l'article 1244.
108. Si la nature du contrat ne permet pas de soumettre
à une restitution immédiate l'emprunteur qui n'a stipulé aucun
délai, elle ne permet pas davantage d'abandonner entièrement
à sa discrétion l'accomplissement de son obligation. Aussi,
dans le cas même où la convention porterait uniquement pour
terme qu'il payera, quand il pourra, ou quand il en aura les
moyens, le juge doit lui fixer un terme suivant lescircontances.
V. art. 1901.
SECTION III.
Des engagements de l'emprunteur.
109. Nous savons déjà que le prêt a pour effet nécessaire
d'obliger l'emprunteur a rendre les choses prêtées en même
quantité et qualité (art. 1892, 1893, 1897). Cette restitution
90 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
doit, comme de raison, se faire au terme convenu ; ajoutons,
ou s'il n'y a pas a cet égard de convention expresse, a la
première réquisition du prêteur; sauf, bien entendu, l'applica-
tion des articles 1900 et 1901. V. art. 1902.
109 bis. L'article néglige de dire en quel lieu le paiement doit
être fait. Il n'est touché à cette question que dans l'article suivant,
où elle n'est traitée qu'incidemment. Nous devons en chercher
d'abord la solution au titre des obligations. L'article 1247 contient
sur ce point un principe : le paiement doit être exécuté dans le
lieu désigné par la convention, nulle difficulté à appliquer cette
règle au cas de prêt de consommation. Mais on doit hésiter à sou-
mettre ce prêt à la dernière disposition de l'article 1247, qui
permet au débiteur de quantité de payer à son domicile lors-
qu'il n'a pas été désigné dans la convention un lieu de paiement.
L'article 1903 statue sur l'hypothèse où les parties n'ont pas fait
de convention relativement au lieu de paiement, et décide que
l'évaluation de la chose prêtée qui n'est pas rendue en nature, doit
être faite d'après le prix de la chose au lieu où l'emprunt a été
fait. Il nous semble que cette décision sous-entend celle-ci : le
paiement doit se faire au lieu où a été fait l'emprunt, puisque
l'indemnité qui représente le paiement tient compte de la valeur
des choses au lieu où l'emprunt a été fait. C'est une dérogation à
l'article 1247, qui peut se justifier par la faveur que mérite le prê-
teur de qui l'emprunteur reçoit un service gratuit. Cette con-
sidération nous déterminerait à maintenir l'application de l'ar-
ticle 1247 au cas de prêt à intérêt, en faisant observer que le Code,
dans sa section III, chapitre du prêt de consommation, a songé plus
particulièrement au prêt gratuit, puisqu'il traitait ensuite dans
une section distincte du prêt à intérêt.
110. A défaut de choses du même genre, en même quan-
tité et qualité, l'emprunteur est naturellement tenu d'en
payer l'estimation. La loi, appliquant ce principe au cas où
l'emprunteur est dans l'impossibilité de satisfaire à son
obligation, établit diversement la base de l'estimation, sui-
vant que le contrat règle ou non le temps et le lieu où la res-
titution devait s'opérer. Dans le premier cas, la valeur se fixe
eu égard à ce temps et à ce lieu 5 dans le second, elle se dé-
TIT. X. DU PKÈT. ART. 1903, 1904. 91
termine par le temps et le lieu où l'emprunt a été fait. V. art.
1903, et à ce sujet, d'une part, Jul.,L. 22, D. de reb. cred.;
Gaius, L. 4, de cond. tritic; d'autre part, Ulp., L. 3, de
cond. tritic., et remarquez que le législateur a entièrement
abandonné l'ancienne doctrine, pour le cas où le temps et le
lieu ne sont pas réglés par la convention.
110 bis. On ne voit pas très-clairement ce que le législateur
entend par l'impossibilité de satisfaire à l'obligation. Il ne peut pas
être question dans l'article de l'impossibilité absolue. Car il faudrait,
pour que cette impossibilité existât, que le genre promis eût péri, et les
genres ne périssent pas. Dans une hypothèse seulement la perte du
genre aura pu se produire. C'est quand cette sorte de choses aura
été mise hors du commerce. Mais alors l'obligation sera éteinte
conformément à ce que nous avons dit sur l'article 1302, et il ne
pourra pas être question d'obliger le débiteur à indemniser le
créancier.
L'article n'a donc dû parler que de l'impossibilité de fait, le
débiteur ne peut pas mettre à la disposition du créancier les objets
promis, peut-être même ne le veut-il pas, car s'il lui est facile de se
les procurer, encore faut-il qu'il consente à les acheter, et la loi ni la
justice ne peuvent le contraindre à les acheter. Dans les deux cas,
l'obligation ne s'exécutera que par équivalent, et il y aura lieu d'ap-
pliquer l'article 1903, sauf à tenir compte de la mauvaise volonté
du débiteur pour le condamner à de plus amples dommages et
intérêts s'il y a lieu.
111. En outre, l'emprunteur qui ne satisfait pas à son en-
gagement doit, comme tout débiteur en demeure, être pas-
sible de dommages-intérêts. Mais l'obligation ayant ici di-
rectement ou indirectement pour objet une somme d'argent,
on applique la règle générale qui fait consister les dommages-
intérêts dans l'intérêt de la somme ou valeur due, et qui fait
courir cet intérêt du jour de la demande. V. art. 1904, et à
ce sujet art. 1153.
111 bis. Quand l'objet prêté est une somme d'argent; la règle de
l'article est chose toute simple, elle n'est qu'une application de l'article
1153. Mais quand on a prêté autre chose que de l'argent, il est plus
difficile de s'en tenir à l'article 1904, parce qu'il faudrait admettre
92 COURS A.NALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
que cet article a voulu déroger aux règles générales sur les dom-
mages et intérêts. La volonté de déroger à ces règles paraît cepen-
dant se manifester par ces mots de l'article : ou leur valeur, expres-
sion qui prouve que les rédacteurs de l'article n'en restreignaient
pas l'effet aux obligations de sommes d'argent. Alors, il faut sup-
poser que le prêt de consommation ayant ordinairement pour objets
des choses faciles à convertir en argent, le législateur a voulu
soumettre ce prêt à peu près aux mêmes règles que le prêt de
sommes d'argent.
CHAPITRE III.
DU PKÉT A INTÉRÊT.
112. Le prêt gratuit est un acte de bienfaisance. En effet,
quoique le prêteur doive recouvrer après un certain temps
l'équivalent de ce qu'il a donné, toujours est-il vrai qu'il se
prive, pour rendre service a l'emprunteur, de l'avantage
qu'aurait pu lui procurer, dans l'intervalle, la somme ou la
chose prêtée. Stipuler un dédommagement pour celte pri-
vation, c'est, si l'on veut, enlever a l'acte le caractère de bien-
fait; mais de là ne résulte pas qu'il y ait iniquité dans cette
convention. Aussi n'hésite-t-on pas à dire qu'elle est avouée
par la morale, toutes les fois que le dédommagement est
calculé exactement sur la perte que le prêteur s'impose et sur
le gain dont il se prive.
De là, sans doute, il n'y a pas loin à conclure que le prêt est
un moyen licite de faire valoir son argent, pourvu que l'in-
térêt stipulé soit en rapport avec le profit probable qu'on
aurait pu en tirer en ne le prêtant pas. Toutefois, celte consé-
quence repoussée par le grand nombre des théologiens, l'était
autrefois par nos meilleurs jurisconsultes, et notamment par
Pothier (1), qui, tout en déclarant valable dans le for de la
(1) Traité de l'usure. V. aussi Domat, Lois civiles, liv. I, lit. 6.
TIT. X. DU PRÊT. ART. 1904, 1905. 93
conscience la stipulation d'intérêts compensatoires, ne recon-
naissait ce caractère a l'intérêt conventionnel, qu'autant que
le prêteur, dans la vue de rendre service à l'emprunteur,
s'était réellement soumis a une perte, ou s'était privé en sa
faveur d'un profit qui lui était offert et qu'il avait effectivement
l'intention de réaliser.
C'est conformément a ces principes que les ordonnances
du royaume, vu l'impossibilité où l'on eût été, dans la pra-
tique, de distinguer si l'intérêt stipulé était ou non compensa-
toire, défendaient absolument toute stipulation d'intérêt pour
prêt.
Sans entrer ici dans l'examen de cette doctrine, qui paraît
avoir eu pour principal fondement la haine des usuriers, il
suffit de dire que sa sévérité ne serait plus en harmonie avec la
constitution actuelle de la société : car une foule de circon-
stances, et notamment ia facilité de placements sûrs et com-
modes offerts par l'État aux particuliers, ayant détruit généra-
lement l'habitude de laisser ses capitaux oisifs, aujourd'hui
l'intérêt stipulé pour un prêt doit naturellement être réputé
compensatoire.
Aussi le Code civil, adoptant a cet égard les vues de l'As-
semblée constituante (1), autorise-t-il en général la stipulation
d'intérêts pour simple prêt. Du reste, il accorde cette faculté,
quel que soit l'objet du prêt, argent, denrées ou autres choses
mobilières (pourvu, bien entendu, que ces choses consistent
en nombre, poids et mesure, puisqu'il ne peut s'agir ici que
d'un prêt de consommation). V. article 1905.
112 bis. La légitimité de la stipulation d'intérêts est universelle-
ment admise aujourd'hui, non pas seulement par une raison de fait
tirée de la facilité que les capitalistes trouvent à employer leurs
capitaux, même les plus petits, mais par une saine appréciation
théorique de la convention d'intérêts.
On reconnaît, en effet, que le capitaliste qui se dessaisit pour un
temps plus ou moins long d'un capital en argent ou en denrées, se
prive d'une jouissance, qu'il rend impossible pour lui tout acte
(1) V. L. 3 — 12 octobre 1789.
9i COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
de disposition par lequel il ferait fructifier ce capital, et qu'il a juste
sujet de stipuler un avantage pécuniaire compensant la perte que
lui impose le prêt. Comme le bailleur d'une maison qui reçoit un
lover parce qu'il ne peut plus habiter sa maison, le prêteur d'argent
reçoit les intérêts parce qu'il ne peut plus disposer de la somme
prêtée.
On trouve encore un second élément quand on décompose l'intérêt.
Le prêteur court risque de perdre son capital si le débiteur devient
insolvable ; ce risque est bien plus menaçant que celui auquel
s'expose un bailleur d'immeuble ou un locateur de meubles. Ceux-
ci conservent la propriété de la chose louée; l'immeuble ne peut pas
disparaître, et le bailleur le revendiquera, il ne peut souffrir que des
détériorations; le meuble peut disparaître, il est vrai, son proprié-
taire qui l'a donné en location peut redouter des aliénations qui
l'exposeraient aux conséquences de l'article 2279; il est cependant
dans une meilleure condition que le prêteur d'argent ou de denrées;
d'abord, si le meuble n'a pas été aliéné, son droit de propriété lui
assure la préférence sur les autres créanciers de l'emprunteur
insolvable; secondement, l'aliénation n'est pas aussi menaçante
qu'elle le paraît, elle sera rare, car elle constituerait un délit d'abus
de confiance (art. 408 Code pénal), et les débiteurs embarassés ne
s'exposeront pas facilement à des poursuites correctionnelles.
En résumé, l'intérêt de l'argent représente : 1° une indemnité à
raison de l'indisponibilité du capital jusqu'à l'échéance; 2° une prime
d'assurance pour le risque auquel le capitaliste est exposé (1).
4 13. La convention d'intérêts paraît même si naturelle, que
le paiement d'intérêts non stipulés n'est pas réputé fait in-
dûment, et ne donne conséquemment lieu ni a répétition ni à
imputation sur le capital. V. art. 1906-, v., a ce sujet, Sev. et
L. 3, Cod., de usur.
414. D'accord pour consacrer la faculté de stipuler des
intérêts, les auteurs du Code ne s'accordaient pas également
sur la question de savoir si le taux de l'intérêt devait être fixé
par la loi. On convint cependant que ce règlement, déjà en
vigueur dans la législation alors existante, était nécessaire
(1) V. M. Cauwes, Economie politique, t. II, p. 46 et s.Édit. 1880, et M. Balbie,
Cours d'économie politique, t. Ier, p. 298 et s.
T1T. X. DU PRÊT. ART. 1906, 1907. 95
pour l'intérêt légal, et sous ce nom, il faut comprendre tout
intérêt qui n'est pas conventionnel (v. art. 1153). Mais à
l'égard de l'intérêt conventionnel, l'avis qui prévalut fut que
sa fixation devait en général d'être abandonnée a la convention
des parties, qui pourraient en conséquence l'élever au delà
du taux légal. Toutefois on reconnut que la loi pourrait ulté-
rieurement porter une prohibition a cet égard. En attendant,
on se borna à établir comme correctif de la grande latitude
laissée aux usuriers, la nécessité de fixer par écrit le taux de
l'intérêt conventionnel. V. art. 1907.
114 bis. L'article 1907'commence par une distinction étrangère
au sujet que nous étudions. Il n'y a pas en matière de prêt deux
espèces d'intérêts, qui seraient, l'un légal, l'autre conventionnel.
L'intérêt légal est celui qui court de plein droit en vertu des dis-
positions spéciales delà loi (art. 455, 456, 474, 1440, 1473, 1846,
1996, 2001, 2028), ou celui qui est dû en vertu de jugements et
qu'on appelle l'intérêt moratoire (art. 1153). L'ancien droit admet-
tait ces deux espèces d'intérêts, et le taux en était fixé par des ordon-
nances royales.
Quant à l'intérêt conventionnel, l'article n'en limitait pas le taux,
mais le législateur semblait se promettre de le limiter plus tard. Il
exigeait seulement que le taux fût constaté par écrit. C'était une
précaution contre les usuriers; on avait pensé, n'était-ce pas une
illusion? que les prêteurs n'auraient pas l'impudeur de constater
par écrit des conventions trop onéreuses pour les emprunteurs, et
que cette crainte modérerait leurs prétentions.
115. La prohibition annoncée comme possible par le Code
civil a été réalisée par la loi du 3 septembre 1807. Cette loi
réduit l'intérêt conventionnel à la mesure de l'intérêt lésai,
dont elle fixe le taux a cinq pour cent en matière civile, et à
six pour cent en matière de commerce (art. 1 et 2). Dès lors
la perception d'un intérêt supérieur, devenant illicite, donne
lieu à restitution, ou ce qui revient au même, à imputation sur
le capital, sans préjudice des peines à prononcer par les tri-
bunaux correctionnels, s'il y a habitude d'usure ou escroquerie
(art. 3 et 4). Cette loi, au surplus, ne devant pas avoir d'effet
rétroactif, laisse, comme de raison, dans toute leur force les
96 COUnS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
stipulations d'intérêts faites avant sa publication (art. 5).
V. aussi loi du 19 décembre 1850.
115 bis. I. La loi du 3 septembre 1807 est loin d'avoir mis fin à une
controverse sur le point de savoir si le taux maximun de l'intérêt
conventionnel doit être fixé par la loi. Un nombre considérable
d'économistes, et des plus autorisés, soutiennent aujourd'hui ce que
Turgot a mis en lumière au siècle dernier, c'est-à-dire que le légis-
lateur doit respecter la liberté en matière de taux de l'intérêt con-
ventionnel.
Leur doctrine se résume ainsi : l'argent est une marchandise; son
détenteur, comme celui de toute autre marchandise, doit être libre
de fixer les conditions de son aliénation. Lui seul peut apprécier
quelle perte il s'impose en se privant d'un capital, et quel risque
d'insolvabilité lui fait courir, soit la situation financière du débiteur,
soit l'état politique ou économique du pays. D'un autre côté, l'em-
prunteur peut seul mesurer les sacrifices qu'il est utile de faire
d'après ses besoins d'argent. La loi qui le protégerait malgré lui
contre des stipulations d'intérêt un peu élevé n'aurait pour résultat
que de le priver de tout crédit (1).
La doctrine restrictive de la liberté des conventions a la prétention
de protéger les faibles et les ignorants contre une sorte d'oppression
que leur feraient subir les capitalistes; elle considère l'emprunteur
qui promet des intérêts élevés comme un homme qui, sous l'empire
du besoin d'argent, n:a pas eu la liberté de sa volonté, et elle traite
la convention comme le Code civil a traité certains contrats dont il
permet la rescision pour cause de lésion (2). La législation actuelle
de la France, telle qu'elle résulte de la loi du 3 septembre 1807,
s'inspire de ces considérations pratiques. C'est elle qu'il nous faut
étudier dans son application.
115 bis. II. La loi du 3 septembre 1807 commence par déterminer
le taux maximum de l'intérêt conventionnel : cinq pour cent en
matière civile, six pour cent en matière commerciale. Mais sur ce
point la formule de la loi manque de précision, et il est difficile de
savoir dans quel cas exactement on se trouve en matière com-
merciale. Certes, il n'y a pas de difficulté quand le contrat est com-
mercial (art. 632, 633, C. commerce) ou quand l'argent est em-
(1) V. M. Batbie, Cours d'économie politique, t. l«r, p. 301 et s.
(2) V. M. Cauwes, Économie politique, t. 2% p. 186-194. Édit. 1880.
T1T. X. DU PRÊT. ART. 1907. 97
prunté pour faire des actes de commerce, ce qui se présume quand
l'emprunteur est commerçant (art. 638). De même il n'y aura pas
à hésiter quand aucune des deux parties ne sera commerçante et
que l'opération ne sera pas commerciale par sa nature; mais le
doute naît lorsque le prêteur seul est commerçant et que l'opération
n'a pas le caractère commercial.
115 bis. III. On a soutenu qu'en pareil cas le prêteur ne peut
pas stipuler l'intérêt commercial, parce que la loi de 1807 n'a pas
déterminé le taux d'après la qualité des personnes, mais d'après
la qualité de la matière, ce qui signifie la nature du contrat. Or
le contrat, sous sa double face d'emprunt et de prêt, n'a rien de
commercial; l'emprunteur, nous l'avons supposé, n'a point en vue
une affaire commerciale, et quant au prêteur, il fait un contrat qui
n'a rien en soi de commercial, comme lorsqu'il achète des vête-
ments à son usage ou des objets nécessaires à sa consommation.
Il est vrai qu'il eût pu, en laissant son argent dans le commerce, le
faire fructifier d'une façon plus avantageuse; mais on peut dire que
la loi de 1807, loi de protection pour les emprunteurs, a surtout
pris en considération l'emploi que ceux-ci peuvent faire de l'argent
emprunté, et non pas ce que les prêteurs en auraient fait.
115 bis. IV. L'opinion contraire profite du vague des expressions
du législateur pour dire qu'il faut considérer l'usage que le com-
merçant prêteur aurait fait de son capital. Dans le commerce, ce
capital aurait produit plus de cinq pour cent, la stipulation de l'in-
térêt supérieur est donc légitime de la part du prêteur commerçant
qui se prive d'une jouissance plus fructueuse que la jouissance d'un
particulier non commerçant ; dans ce système on considère le carac-
tère qu'avaient les capitaux prêtés, matière ou objet du contrat, et
l'on applique une formule ancienne qui dit que les capitaux com-
merciaux ont plus de valeur que les capitaux non commerciaux :
plus valet pecunia mercatoris quant pecunia non mercaloris.
115 bis. V. La jurisprudence a longtemps hésité sur la question.
Elle nous paraît maintenant l'avoir résolue par une distinction, qui
ne se trouve peut-être qu'à l'état latent dans ses décisions, mais qui
nous semble parfaitement exacte au point de vue juridique.
Il ne faut pas poser en principe que tout prêt fait par un com-
merçant est un prêt en matière commerciale, mais que le prêt fait
par une personne qui fait le commerce d'argent, un banquier, est
un prêt commercial, alors même que du côté de l'emprunteur l'em-
viii. 7
98 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
prunt serait civil. La conséquence sera qu'un banquier peut prêter
à un non commerçant au taux de six pour cent, mais qu'un mar-
rliand de toiles ou de blé ne pourra prêter à un non commerçant
qu'au taux de cinq pour cent. Nous faisons sortir cette distinction
des arrêts de la cour de cassation. Il faut d'abord remarquer que
tous les arrêts rendus au civil, depuis que la cour de cassation
admet la doctrine qui autorise l'intérêt à six pour cent, ont été ren-
dus en faveur de banquiers. Le premier de tous ces arrêts, qui a
engendré les autres, l'arrêt de cassation du 29 avril 1868 (1), recon-
naît qu'il n'est pas nécessaire pour que la matière soit commerciale
qu'elle le soit du côté des deux parties ; c'est une vérité incontestée
dans la théorie de la compétence commerciale; et l'arrêt ajoute que
de même que le billet souscrit par un négociant est censé fait pour
son commerce, de même le prêt fait par un banquier avec les fonds
qui servent d'aliment à son industrie est réputé commercial.
Dans des arrêts postérieurs (2), on voit bien apparaître une formule
un peu large où il s'agit des commerçants en général, mais on re-
trouve cette idée dominante que le banquier a le droit de réclamer
l'intérêt commercial, parce qu'il fait, en prêtant, un acte de son
commerce.
La cour n'a donc statué que sur des prêts faits par des banquiers,
et elle a très-justement et très-strictement appliqué la loi de 1807,
en considérant qu'on est en matière commerciale quand le prêt est
de la part d'une des parties un acte de son commerce.
115 bis. VI. Mais il ne faut pas exagérer la portée des arrêts et y voir
la règle que tout prêt fait par un commerçant est un acte de commerce.
Si un négociant, qui ne fait pas comme le banquier le commerce
d'argent, fait un prêt à un non commerçant, où trouver le caractère
commercial de l'affaire ? Il n'existe ni d'un côté ni de l'autre, car
il est inexact de dire, avec quelques arrêts, que toute opération faite
par un commerçant est présumée faite dans l'intérêt de son com-
merce et doit être réputée commerciale. Le contraire résulte très-
clairement des articles 632 et 633 du Code de commerce. Il faut en
outre remarquer que les arrêts ne s'appuient pas sur l'adage : plus
valet pecunia mercatoris, et c'est avec raison, car la loi de 1807 ne
se préoccupe pas de l'emploi que le prêteur aurait pu faire de son
OX Sirey, 1868, I, 281.
(2) C. C, 28 avril 1869. Sirey, 1869, I, 306. C. C, 10 janvier 1S70. Sircv,
1870, 1, 157. V. aussi C. Douai, 24 janvier 1873. Sirey, 1873, II, 244.
T1T. X. DU PRÊT. ART. 1907. 99
argent, puisqu'elle ne tient pas compte de ce fait que le capitaliste
non commerçant aurait pu faire un emploi commercial de son argent
en le plaçant dans des sociétés de commerce ou en faisant un acte
de commerce; elle considère seulement si la matière est commer-
ciale, c'est-à-dire si l'opération est commerciale ; mais alors il ne
suffît pas qu'elle soit faite par un commerçant, car les commer-
çants font un grand nombre d'opérations non commerciales, et
quand un commerçant fait un placement, lorsqu'il achète un im-
meuble pour le louer, c'est qu'il consent à soustraire une partie
de son capital aux chances du commerce en se contentant du pro-
duit moindre qu'il pourra donner. Son acte alors n'a rien de com-
mercial. Il en est de même quand un marchand fait un prêt à un
ami ou un placement sous forme de prêt, c'est l'hypothèse que
nous examinons, et nous pouvons dire que ce n'est pas celle où la
loi de 1807 autorise le taux de six pour cent.
115 bis. VII. L'article 1er de la loi de 1807 contient une expression
qui demande une explication : le tout sans retenue. Non pas que le
sens n'en soit très-clair, le débiteur paiera cinq ou six pour cent
sans aucune diminution ou défalcation, c'est en ce sens qu'il ne
retiendra rien.
Mais est-il nécessaire de dire qu'un débiteur est tenu de payer
ce qu'il doit, sans en déduire ou retenir quoi que ce soit? Gela
n'était nécessaire que parce qu'il fallait déclarer aboli un ancien
usage en vertu duquel les débiteurs de rentes constituées retenaient
une fraction des arrérages promis, c'est-à-dire ne payaient pas la
totalité du chiffre nominal des arrérages ; cette retenue était consi-
dérée comme destinée à faire subir aux créanciers de rentes le con-
tre-coup de la nécessité où le débiteur se trouvait de payer au roi une
certaine portion du revenu de ses biens; son patrimoine réel se
composant de l'actif diminué de passif, il n'était pas juste qu'il sup-
portât sans recours les charges afférentes à la partie de ses biens
qui correspondait aux rentes dont il était débiteur (1). Les rédac-
teurs de la loi de 1807 ont pensé avec raison que les parties sauraient
apprécier au moment de la convention la charge que l'existence
des impôts ferait subir au débiteur, et que celui-ci devait débattre
ses intérêts sur ce point; en réalité ils ont un peu élevé le maximum
du taux de l'intérêt conventionnel, puisqu'avec la pratique ancienne
(1) V.Polhier. Constitution de renie n° 125. V. 1. 3 frimaire an VII, art. 98et99.
7.
100 COLT.S ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
de la retenue le créancier stipulant cinq pour cent n'aurait touché
que quatre et demi ou quatre trois quarts, et le taux maximum
se trouve augmenté de cette différence.
115 bit. VIII. La règle qui fixe le maximum de l'intérêt conven-
tionnel est doublement garantie par une sanction civile et une
sanction pénale.
La sanction civile apparaît dans l'article 3 de la loi. La prestation
de l'excédent d'intérêts donne lieu à une répétition, parce qu'elle a
eu une cause illicite, et le débiteur pourra se faire rsetituer le mon-
tant de cet excédent. Si le capital n'est pas entièrement payé au
moment de la répétition, la restitution consistera en une diminution
du capital restant dû.
115 bis. IX. Cette sanction a été rendue plus rigoureuse par la
loi du 19 septembre 1850. L'article 1er de cette loi établit une im-
putation de plein droit qui se fait au fur et à mesure des paiements
d'intérêts excessifs. Les sommes payées pour intérêt au-dessus de
l'intérêt licite diminuent de plein droit la dette en^intérêts légitimes
et capital ensuite, et s'il se trouve que, par l'accumulation des pres-
tations d'intérêts exagérés, le prêteur ait reçu plus que les intérêts
légitimes et le capital entier, non-seulement l'excédent peut être ré-
pété, mais il aura produit lui-même de plein droit des intérêts à partir
du jour de chaque paiement fait depuis que la dette a été éteinte.
115 bis. X. La sanction pénale est écrite dans l'article 4 de la loi
de 1807, et dans l'article 2 de la loi de 1850; l'habitude d'usure est
un délit puni correctionnellement d'une amende qui peut s'élever à la
moitié des capitaux prêtés et d'un emprisonnement de six jours à
six mois.
La loi de 1850 (art. 3) augmente la pénalité au cas de nouveau
délit d'usure, et établit qu'après une première condamnation pour
habitude d'usure le nouveau délit n'a pas besoin de présenter un
nouveau caractère d'habitude, qu'il résultera d'un fait même unique
postérieur à la condamnation, pourvu que ce fait s'accomplisse dans
les cinq ans à partir du jugement ou de l'arrêt de condamnation.
115 bis. XL La disposition de la loi de 1807 qui fixe le maximum
du taux de l'intérêt conventionnel a fait naître l'idée que la règle
finale de l'article 1907 était abrogée tacitement comme n'ayant plus
d'objet. Nous avons dit, en effet, que son but était de réprimer
l'usure en forçant l'usurier à constater par écrit à quel taux exagéré
il prêtait son argent. Certes, la loi de 1807 a pris un procédé qui doit
TIT. X. DU PKÉT. ART. 1907, 1908. 101
avoir un effet plus certain. Mais ce n'est pas une raison pour sup-
poser une abrogation que la loi n'a pas prononcée. N'est-il pas bon
que le débiteur sacbe bien qu'il devra des intérêts et quels intérêts, et
quel meilleur moyen de ne laisser aucun doute dans son esprit que
de le forcer à signer une convention sur ce point? Il y a là une
mesure de protection que la loi de 1807 ne rend pas inutile, et l'on
s'explique qu'une règle inspirée en 1804 par le désir d'agir sur le
prêteur ait été maintenue en 1807, parce qu'elle peut avoir une
influence salutaire sur la volonté de l'emprunteur.
115 bis. XII. Reste à savoir quelle est exactement la portée de
cette règle. Elle est conçue dans des termes analogues à celle de
l'article 1326, qui ne permet pas de se prévaloir d'un écrit sous
seing privé constatant une obligation de somme d'argent, si l'écrit
n'est pas tout entier de la main du débiteur, ou si au moins sa
signature n'est pas précédée d'un bon ou approuvé portant indi-
cation de la somme due. Donc l'article 1907 ne permet pas d'invo-
quer une convention, même constatée par écrit, si le taux de l'in-
térêt n'est pas fixé par écrit.
115 bis. XIII. Mais le motif que nous assignons à la règle nous per-
met de déclarer valable l'écrit qui, sans prononcer le mot intérêt,
constaterait l'obligation de payer une somme supérieure à celle que le
prêteur aurait réellement versée, l'excédent représentant dans la
pensée des parties les intérêts à courir jusqu'à l'échéance. Ici, le
débiteur ne peut pas être trompé, il voit bien qu'il touche mille francs
et qu'il promet mille cinquante francs, et il serait bien rigoureux de
rendre inutile la convention des parties, parce qu'elle ne décompose-
rait pas en deux la somme promise. Bien entendu, il faut faire des ré-
serves pour le cas de fraude, c'est-à-dire pour le cas où cette con-
fusion du capital et des intérêts dissimulerait une perception d'in-
térêts usuraires; l'emprunteur prouverait la fraude par tous les
moyens possibles, et obtiendrait la diminution du chiffre de l'obliga-
tion ou la restitution de ce qu'il aurait payé en trop, dans les
termes de la loi de 1850.
116. Il est naturel que les intérêts soient acquittés avant le
capital -, comme il importe au créancier de faire observer cet
ordre, et qu'il en a toujours le droit (art. 1254), on ne peut
supposer qu'il l'ait laissé intervertir. Ainsi, à moins d'une
réserve expresse, la quittance du capital établit à l'égard des
102 COUltS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
intérêts une présomption légale de paiement, qui en opère la
libération. V. art. 1908; et remarquez que cette règle, placée
ici à l'occasion du prêt à intérêt, paraît applicable à toute dette
qui porte intérêt ou qui produit des arrérages.
117. A l'époque où la sévérité des lois proscrivait le prêt
a intérêt, il avait fallu chercher un moyen de procurera ceux
qui, ayant besoin d'argent, ne voulaient point vendre leurs
biens, les ressources qui leur étaient nécessaires, et qu'ils ne
pouvaient se flatter d'obtenir toujours de la bienfaisance. On
y parvenait par la constitution de rente.
Dans ce contrat, comme dans le véritable prêt a intérêt, le
bailleur de fonds doit recevoir pour le capital qu'il fournit une
prestation annuelle, qu'on désigne sous le nom d'arrérages;
mais il s'interdit d'exiger jamais ce capital qui, dès lors, ne
peut plus être considéré comme prêté; c'est plutôt, en quelque
sorte, le prix d'une vente, dont la rente constituée est l'objet.
Le contrat de constitution de rente, inconnu aux Romains,
et qui n'a commencé à être usité que vers le quatorzième
siècle, est devenu d'usage moins fréquent depuis la levée de
la prohibition qui l'avait rendu nécessaire. Toutefois le Code
civil ne le rejette pas, et l'autorise même expressément.
V. art. 1909.
118. La rente peut être constituée en perpétuel ou en
viager. V. art. 1910. Cette différence dans la durée entraîne
d'autres différences essentielles dans la nature et les effets du
contrat de constitution.
1 19. Une observation commune a l'une et à l'autre espèce,
c'est que la constitution de rente n'a pas toujours lieu, comme
le suppose l'article 1909, moyennant un capital fourni par le
stipulant. La rente peut également être créée pour toute autre
cause, soit à titre onéreux (v. art. 530, 1968), soit a titre
gratuit (v. art. 1969, 1973). Mais, évidemment, dans ces di-
vers cas, elle n'a plus rien de commun avec le prêt, dont la
loi semble ici lui reconnaître le caractère.
120. Une autre observation particulière à la constitution
TIT. X. DU PRÊT. ART. 1909-1911. 103
en perpétuel, c'est que les arrérages de la rente ne sont, au
fond, que l'intérêt du capital. D'où il suit qu'on doit leur
appliquer, en général, les principes et les dispositions relatifs
à l'intérêt conventionnel, notamment en ce qui concerne le
taux fixé par la loi.
120 bis. I. Du prêt, le Code passe à la constitution de rente,
qu'il considère comme une variété du prêt à intérêt.
Il n'est pas nécessaire de revenir sur ce qui a été dit de la rente au
tome II. Rappelons seulement que la rente est le droit de recevoir
une certaine prestation périodique représentant un capital qui ne
peut jamais être exigé par le créancier.
120 bis. II. Les anciens distinguaient la reste foncière et la rente
constituée. La rente foncière n'existe plus avec les caractères parti-
culiers qu'elle avait dans l'ancien droit, mais le Code a fait une
distinction entre les rentes établies à perpétuité pour prix de la
vente d'un immeuble ou comme condition delacessionàtitreonéreux
ou gratuit d'un fonds immobilier et les rentes créées à l'occasion
de l'aliénation d'un capital mobilier. Au fond, les deux rentes ont
la même nature, mais elles sont soumises sur quelques points de
détail à des règles particulières. Notre titre ne parle que de ces
dernières rentes, parce que le contrat qui leur donne naissance
peut seul se rapprocher du contrat de prêt à intérêts.
120 bis. III. Débarrassés des difficultés anciennes auxquelles avait
donné naissance la prohibition de prêt à intérêt, les rédacteurs du
Code ne craignent pas de dire que la constitution de rente à prix
d'argent ou moyennant un autre capital mobilier est un prêt.
Cette nouvelle façon de dénommer le contrat de rente a certaine-
ment son importance, elle nous autorise à traiter le contrat de rente
comme le contrat de prêt, au point de vue du taux des arrérages.
Dans l'article 1909, les arrérages sont présentés comme une va-
riété des intérêts, d'où cette conséquence que la loi de 1807 est
applicable aux constitutions de rente à prix d'argent; sa rubrique
indique qu'elle traite de l'intérêt de l'argent, et son article premier
limite sans distinction l'intérêt conventionnel.
121. La rente constituée en perpétuel doit, comme le mot
lui-même l'indique, se prolonger indéfiniment, c'est-à-dire
que l'obligation de la servir ne cessera pas tant que le débiteur
ne remboursera pas le capital, que le créancier s'est interdit
104 COl'RS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
d'exiger. Mais il serait trop contraire au principe de liberté
naturelle qu'une personne pûl rester à perpétuité, par elle-
même, ou par ses héritiers et ayant cause, assujettie envers
une autre personne ou ses représentants au paiement d'une
redevance périodique, sans aucun moyen de s'en affranchir.
La rente constituée en perpétuel est donc essentiellement ra-
chetable.
Celte l'acuité de rachat étendue par l'Assemblée consti-
tuante (1), même aux anciennes rentes foncières, et que notre
Code a déjà consacrée ailleurs, a l'égard des rentes constituées
pour prix de la vente d'un immeuble ou comme condition de
son aliénation (v. art. 530), devait a plus forte raison être
appliquée aux renies constituées à prix d'argent. V. art. 19H,
al. 1.
Moins rigoureux toutefois a cet égard que les anciennes
lois, qui n'avaient permis le contrat de constitution que sous
la condition que le débiteur jouirait de la faculté indéfinie de
racheter, notre Code permet de modifier celte faculté par la
convention, soit en fixant un délai avant lequel elle ne pourra
être exercée, soit en assujettissant le débiteur a prévenir le
créancier un certain temps d'avance. Du reste, le délai, qui
pour les rentes comprises dans l'article 530 peut aller jusqu'à
trente ans, est borné ici pour loules les autres rentes perpé-
tuelles à dix ans. En outre, il est bien a remarquer que la loi
ne consacre pas ici d'une manière générale, comme dans
l'article 530, la faculté de régler les clauses et conditions du
rachat. V. art. 1911 , al. dernier.
121 bis. I. On a vu, dans notre deuxième volume, pourquoi le rem-
boursement du capital de la rente est appelé rachat; c'est parce que
les anciens, par les raisons que nous avons dites, voyaient dans
la constitution de rente non pas un prêt, mais une vente du droit
de demander au constituant une certaine prestation périodique;
lors donc que ce constituant rendait le capital reçu pour être
libéré, on pouvait dire qu'il rachetait le droit qu'il avait vendu.
(1) V. L. 18-29 décembre 1790.
TIT. X. DU PHÉT. ART. 1911, 1912. SOo
Aujourd'hui que la constitution est considérée comme un prêt, les
mots paiement ou remboursement peuvent être correctement
employés.
121 bis. II. La faculté du rachat est de l'essence du contrat de
rente, donc toute convention qui la détruirait serait nulle. L'ar-
ticle 1911 ne s'exprime sur ce point qu'à propos de la rente qui a
les caractères de prêt, mais nous avons déjà trouvé la même règle
appliquée, par l'article 530, aux rentes établies à l'occasion de la
cession d'un immeuble.
121 bis. III. Le deuxième paragraphe de l'article autorise une
convention qui ferait obstacle au rachat pendant dix ans. Cette
clause n'a pas les inconvénients de celle qui interdirait le rachat,
et elle est très-légitime de la part du créancier, qui, ayant fait un
emploi de son capital, veut compter sur une certaine stabilité de
son placement. De même, la loi permet de stipuler que le débiteur
devra avertir le créancier un certain temps avant le rachat, pour
que ce créancier puisse prendre ses précautions et chercher un
autre emploi de ses fonds.
121 bis. IV. Nous avons dit que l'opération du rachat est un
véritable paiement, puisque la constitution du rente est considérée
par le Code comme un contrat de prêt. De cette observation nous
tirerons une conséquence importante quant à l'exercice du droit de
rachat. Si le débiteur est mort laissant plusieurs héritiers, la dette
se divise (art. 1220); chaque héritier n'est débiteur que de sa part
des arrérages, la rente se fractionne en plusieurs rentes, et chaque
héritier peut se libérer en remboursant sa part du capital. C'est
la règle générale en matière de paiement des dettes après la
mort du débiteur, le créancier d'une dette divisible ne peut pas
refuser des paiements partiels. Dans l'hypothèse, il serait anti-
juridique de se servir du vieux mot rachat, que le Code a conservé,
pour appliquer la règle de l'article 1670 sur la faculté de réméré.
La situation est toute différente, puisque dans le cas de réméré
l'acheteur qui refuse le remboursement partiel a un intérêt à con-
server entière la propriété d'un corps certain, tandis que le créancier
de rente n'a pas plus d'intérêt que le créancier d'une somme exigible
à protester contre la division de sa créance.
122. Le créancier lui-même, quoiqu'il se soit interdit
d'exiger le capital de la rente, peut dans certains cas être
106 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
relevé de cette interdiction. Et d'abord, l'aliénation de son
capital n'ayant été par lui consentie que sous la condition
tacite que le débiteur accomplira ses engagements, il est
conforme aux principes que l'aliénation ne tienne pas si la
condition n'est pas exécutée. Ce raisonnement s'applique au
cas où le débiteur cesse de remplir ses obligations, c'est-à-
dire de payer les arrérages pendant un certain temps, que la
loi fixe à deux ans-, le même raisonnement s'applique encore
au cas où, des sûretés particulières ayant été promises, le
débiteur manque à les fournir. Dans les deux cas il peut être
contraint au rachat. V. art. 1912.
423, En outre , les motifs qui font priver un débiteur quel-
conque du bénéfice du terme en cas de faillite (art. 1188),
ajoutons ou en cas de déconfiture, rendent exigible dans ces
deux cas le capital de la rente constituée. V. art. 1913.
123 bis. I. Le code énumère quatre cas dans lesquels le rachat est
forcé, c'est-à-dire dans lesquels le créancier peut exiger le rembour-
sement du capital de la rente. Il ne fait pas autre chose que d'appli-
quer, au moins en principe, les règles générales du titre des contrats.
Dans les deux hypothèses prévues par l'article 1912, les décisions
de la loi découlent de l'article 1184, appliqué à un contrat qui, s'il
n'est pas synallagmatique, est au moins intéressé de part et d'autre.
L'article 1913 s'inspire de l'article 1188, qui prononce la déchéance
du terme au cas de faillite du débiteur.
123 bis. II. La disposition première de l'article 1912 mérite par-
ticulièrement notre attention, parce que, bien que se rattachant
dans son principe à une règle générale, elle applique cette règle au
contrat de rente dans des conditions toutes spéciales.
D'abord, il ne suffit pas que le débiteur ait manqué une fois
à ses obligations pour que le contrat puisse être résolu, il faut qu'il
ait cessé de remplir ses obligations pendant deux années. Deux
années représentent au moins deux termes de la rente, peut-être
quatre, peut-être huit ; le débiteur en retard de sept termes, dans
cette dernière hypothèse, ne serait pas encore exposé à la nécessité
du rachat.
On décide assez généralement que le créancier n'est pas dans la
nécessité de constituer le débiteur en demeure. Le seul fait d'avoir
TIT. X. DU PRÊT. ART. 1913. 107
cessé de remplir ses obligations pendant deux années, autorise, dit-
on, la demande du remboursement, et les tribunaux n'ont pas le
droit d'accorder au débiteur un délai pour payer les arrérages en
retard.
123 bis. III. On fait cependant une distinction entre le cas où la
rente est portable et le cas où elle est quêrable (1). C'est uniquement
au premier cas qu'on applique l'article; on reconnaît, quand la
rente est quêrable, c'est-à-dire quand le créancier doit aller chercher
le paiement au domicile du débiteur, que le simple fait de non-
paiement ne crée pas pour le créancier le droit au remboursement,
et qu'il est nécessaire que ce créancier ait fait régulièrement con-
stater qu'il s'est présenté pour recevoir les arrérages, constatation
qui certes équivaut bien à une sommation (2).
123 bis. IV. Telle est la doctrine généralement admise, et depuis
bien longtemps; nous croyons devoir la contester. Nous pensons que
pour la rente portable comme pour la rente quêrable, la résolution
du contrat n'a pas lieu de plein droit, et que la nécessité d'une mise
en demeure est imposée par les principes de la matière des contrats,
principes auxquels l'article 1912 n'a pas manifesté la volonté de
déroger.
123 bis. V. Les principes généraux ne sont pas douteux. Quand
un débiteur est-il réputé n'avoir point exécuté son obligation?
Lorsqu'il est en demeure. Et quand est-il en demeure ? Quand il a
reçu une sommation ou autre acte équivalent (art. 1146 et 1139).
Jusque-là on peut supposer que le créancier n'a pas désiré ce paie-
ment, on peut craindre qu'il n'ait abusé le débiteur par de bonnes
paroles, pour user plus tard des voies de rigueur. Le débiteur croit
peut-être que le créancier consent tacitement à un retard dans le
paiement, et l'inaction de celui-ci est peut-être un piège tendu à la
négligence ou même à la confiance du débiteur.
Voilà les raisons pratiques de la règle sur la mise en demeure ;
elles ont inspiré une disposition bien remarquable du Code, l'article
1656, qui, dans un cas particulier, exige une sommation, bien que
le contrat contienne stipulation de résolution de plein droit au cas
d'inexécution de l'obligation.
123 bis. VI. Ces raisons subsistent avec toute leur force dans
(1) V. Aubry et Rau, t. III, p. 443, Édit. 1856; et trib. de Vannes. Sirey,
1880, II, 198.'
(2) V. t, V.n° 186 bis.
108 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
l'hypothèse que nous examinons. Un contrat dont les effets doivent
être perpétuels serait plus fragile, au point de vue de la résolution
pour inexécution, que tous les autres. Le créancier pourrait chercher
le moyen de recouvrer un capital qu'il a aliéné à toujours, en in-
spirant confiance au débiteur, en l'autorisant tacitement à ne pas
payer, et subitement après deux années, en réclamant le capital
avant d'avoir envoyé une injonction de payer les arrérages.
123 bis. VII. Est-ce que le texte de la loi nous contraint à subir
des résultats aussi fâcheux? Le fait prévu par ce texte, c'est que le
débiteur a cessé pendant un certain temps de remplir ses obli-
gations. Quelle différence y a-t-il donc entre ces expressions et
celles de l'article 1184 (la partie ne satisfait point à ses engagements),
de l'article 1654 (si l'acheteur ne paie pas le prix), de l'article
1741 (le défaut du preneur de remplir ses engagements), de l'ar-
ticle 1871 (l'associé manque à ses engagements)? Où trouve-t-on
que la cessation des prestations par un débiteur de rente ne doit
pas être constatée par une mise en demeure, comme le manque
d'exécution de la part d'un acheteur, d'un associé, d'un locataire
ou d'un débiteur quelconque?
123 bis. VIII. Il y a plus : si l'on prend à la lettre le mot cessé,
l'article ne paraît s'appliquer qu'au débiteur qui, après avoir payé
un ou plusieurs termes, ne continue plus à remplir ses obligations.
Il faudrait donc soumettre aux règles générales celui qui, dès le
premier jour, n'ayant payé aucun terme, laisse passer les deux pre-
mières années depuis la constitution de la rente sans payer le créan-
cier. Certes c'est là une distinction inacceptable. Le Code n'a pas
bien formulé sa décision, il a voulu parler de tout débiteur de rente
manquant à ses obligations un peu plus tôt, un peu plus tard: la
phrase du Code n'exprime pas sur ce point la pensée des rédac-
teurs; mais, s'il en est ainsi, ce que personne n'a songé à nier,
pourquoi admettre qu'à un autre point de vue le texte doit être
pris à la lettre comme manifestant une pensée de déroger aux
principes ordinaires de la matière?
123 bis. IX. Nous ne voyons pas, d'un autre côté, soutenir
que le débiteur de rente qui ne fournit pas les sûretés promises
par le contrat est exposé au remboursement immédiat sans avoir
été mis en demeure.; le texte cependant ne s'exprime pas sur ce
point, et l'interprétation qu'on donne au second paragraphe entraîne
bien, ce semble, la même interprétation du premier.
TIT. X. DU PRÉ!-. ART. 1913. 109
123 bis. X. On objecte, il est vrai, que l'article 1912 n'a pas de
raison d'être s'il ne déroge pas quelque peu à l'article 1184. Nous
avons déjà répondu à cette objection en montrant que le Code a
bien souvent, dans les traités spéciaux des divers contrats, rappelé
des règles générales écrites au titre des contrats et obligations, et
qu'il aurait pu passer sous silence. Nous dirons en outre que les
rédacteurs du Code avaient une raison particulière de revenir sur
la règle de l'article 1184, c'est qu'ils voulaient expliquer qu'un
seul paiement oublié ou même refusé ne constituerait pas l'inexé-
cution qui entraîne la résolution.
La loi, muette sur ce point, aurait dû être interprétée en ce sens,
et ses auteurs ont pensé qu'elle eût été trop rigoureuse; ils sont
revenus sur l'article 1184 pour le modérer dans son application à
la rente. Cette observation a une double portée : d'abord elle répond
à l'objection tirée de ce que l'article pourrait faire double emploi
avec un autre; ensuite elle nous montre que l'esprit général de
l'article est un esprit d'adoucissement et non de rigueur, grande
raison pour ne pas lui attribuer une sévérité ailleurs inconnue en
considérant l'inaction du débiteur que rien n'a mis en demeure
comme constituant l'inexécution de l'obligation.
123 bis. XI. Puisque nous appliquons à la rente perpétuelle les
règles générales sur l'inexécution des obligations, avec ce tempéra-
ment que l'inexécution consiste dans la cessation de l'accomplisse-
ment des obligations du débiteur pendant deux années, nous devons
ne pas hésiter à reconnaître aux juges le droit d'accorder des délais
au débiteur, et par conséquent le droit de ne pas prononcer la
résolution si le débiteur fait des offres antérieurement au jugement
(art. 1184). Les juges apprécieront les circonstances, et il rentrera
certainement dans leur devoir de se rendre compte de la solva-
bilité à venir du débiteur pour ne pas exposer le créancier à une
irrégularité habituelle dans le versement des arrérages. La régularité
de la perception des revenus est en effet un des avantages aux-
quels attache une grande importance le capitaliste qui place ses
fonds en constituant une rente perpétuelle.
123 bis. XII. On a quelque peine à comprendre exactement quel
est l'événement qui permet au créancier de provoquer le rachat
forcé. Il faut que le débiteur ait cessé de remplir ses obligations
pendant deux années. L'interprétation la pius simple et la plus
naturelle de cette formule, c'est qu'il faut que deux années d'ar-
HO COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
rérages n'aient pas été payées, et dans notre système, que le débiteur
soit en demeure pour deux années d'arrérages. Il n'est pas
nécessaire d'attendre qu'un terme d'arrérages soit dû depuis la fin
de la deuxième année, pour qu'il se soit écoulé deux ans depuis
l'expiration du premier terme non payé, comme si la loi avait dit
que le débiteur, pour être contraint au rachat, doit être en demeure,
en faute depuis deux ans, ce qui ne ferait remonter le délai qu'au
premier retard, c'est-à-dire au premier terme échu et non payé.
123 bis. XIII. Cette dernière interprétation de l'article abuse un
peu de l'expression pendant qu'a employée l'article; elle raisonne
comme si l'obligation du débiteur de rente avait un caractère
de continuité dans son exécution; on pourrait alors exiger une
certaine durée dans l'inexécution, mais il n'en est pas ainsi, l'obli-
gation s'exécute par le paiement, par un fait isolé qui ne dure pas;
seulement le paiement d'un terme d'arrérages correspond à une
certaine période écoulée depuis la constitution ; quand deux années
se sont écoulées et que les paiements correspondants n'ont pas eu
lieu, on peut dire que le débiteur n'a pas rempli ses obligations
pendant deux années (1).
123 bis. XIV. L'article 1912 fait partie d'un chapitre sur le prêt
à intérêts, il parle de la rente constituée; dans le langage du Code,
c'est la rente créée moyennant l'aliénation d'une somme d'argent
on de denrées. La rente établie à l'occasion de l'aliénation d'un
immeuble, qu'on appelle improprement rente foncière, n'est pas
née d'un contrat de prêt, et les dispositions de notre chapitre, en
tant qu'elles ont un caractère spécial, ne lui sont point applicables.
C'est ainsi que pour étendre à ces rentes la faculté de rachat, il a
fallu une loi spéciale (30 ventôse an XII, devenue l'article 530 du
Code civil — le titre du prêt est du 18 ventôse XII). Si l'article 1912
contenait une règle exceptionnelle, il ne faudrait pas soumettre au
rachat forcé les rentes créées à l'occasion de la cession d'un immeu-
ble, mais nous n'avons vu dans l'article 1912 qu'une application de
l'article 1184. Dès lors la rente établie à l'occasion de la cession à
titre onéreux d'un immeuble sera soumise au rachat forcé au cas
de non-paiement des arrérages, puisque ce rachat forcé n'est
qu'une résolution, et que le contrat dont nous parlons est un con-
trat intéressé de part et d'autre.
(1) V. C. C, 12 novembre 1822. Sirey, Rec, chronologique.
TIT. X. DU PRÊT. AHT. 1913. 111
C'est l'article 1184 que nous appliquons et non l'article 1912,
par conséquent il ne sera pas nécessaire que deux années d'ar-
rérages soient restées non payées. Au premier manquement, les
juges pourraient prononcer la résolution ; peut-être, puisque la loi
leur accorde le droit d'accorder des délais, seront-ils entraînés à
imiter la disposition de l'article 1912; mais ils n'y seront pas con-
traints.
Nous ajoutons que, dans le système qui n'exige pas une mise en
demeure du débiteur au cas de l'article 1912, cette rigueur ne
devra pas atteindre les débiteurs des rentes improprement appelées
foncières , parce que leur obligation n'est sanctionnée que par les
règles générales du titre des contrats et obligations.
123 bis. XV. Nous tirons une autre conséquence de ce que l'ar-
ticle 1912 n'est pas autre chose qu'une application du principe de
l'article 1184. C'est qu'il ne régit pas les rentes perpétuelles con-
stituées à titre de donation. En effet, le contrat n'ayant pas le carac-
tère onéreux, on ne voit pas sur quel fondement s'appuierait l'action
du créancier. L'article 1184 suppose un contrat synallagmatique ou
au moins un contrat intéressé de part et d'autre. La résolution n'a
pas sa raison d'être dans le contrat gratuit, car l'effet de la con-
dition résolutoire est de remettre les choses au même état que si le
contrat n'avait pas été fait. On comprend qu'une partie qui a aliéné
un capital fasse résoudre le contrat de rente pour obtenir la resti-
tution de son capital, mais un donataire qui ferait résoudre la dona-
tion perdrait tout, car il n'aurait pas de restitution à demander.
A cette raison théorique se joint celle-ci : le donateur n'a pas en-
tendu s'obliger à payer un capital, et c'est dénaturer la convention
que de demander une prestation unique au lieu de prestations
annuelles bien moins lourdes pour le débiteur. L'article 1912 n'im-
pose pas cette solution, puisqu'il traite de la rente constituée, c'est-
à-dire d'une certaine variété du prêt, et la donation n'est pas un
prêt.
123 bis. XVI. Il faut cependant faire une observation, le donataire
ne pourra en général poursuivre que le paiement des arrérages
échus ; cependant si le donateur débiteur est en faillite ou en décon-
fiture, le bénéfice du terme se trouve perdu (art. 1188), et le capital
représentant la rente peut être exigé, sinon le créancier n'aurait plus
aucune chance d'être payé, même des arrérages, puisque tout
l'actif du débiteur serait réparti entre tous les créanciers.
442 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
424. La constitution en viager, au moins lorsqu'elle est
faite à titre onéreux, donne au contrat le caractère aléatoire.
Les contrats aléatoires sont l'objet d'un litre particulier, dans
lequel les règles concernant les rentes viagères trouvent
naturellement leur place (w/r., tit. 42). V. art. 1944.
TITRE ONZIEME.
DU DÉPÔT ET DU SÉQUESTRE.
125. L'analogie de principes entre le contrat de dépôt et le
commodat marquait ici la place de ce titre, qui, embrassant
d'ailleurs le dépôt dans toute sa généralité, comprend aussi
le séquestre.
CHAPITRE PREMIER.
DU DÉPÔT EN GÉNÉRAL ET DE SES DIVERSES ESPÈCES.
126. Le mot dépôt, formé (\eponere, avec l'augmentatif de
(v. Ulp., L. I, D. deposit.), indique le placement d'une chose
sous la garde d'une personne pour être ensuite restituée en
nature a une autre. Cette remise a la garde d'autrui ne
s'opère pas toujours par convention; c'est pour cela sans
doute que la loi , dans la définition qu'elle donne du dépôt en
général, emploie le moi acte de préférence à celui de contrat.
V. art. 1915.
Le dépôt ainsi généralisé est de deux espèces : 1° le dépôt
proprement dit, où la chose est confiée par une ou plusieurs
personnes, pour être restituée, sur la première réquisition,
soit au déposant unique, soit à tous les déposants; 2° le sé-
questre , où une chose contentieuse est placée sous la garde
d'un tiers, pour être restituée à qui de droit, après l'événe-
ment de la contestation. V. 1916.
126 bis. Le séquestre a souvent lieu par autorité de justice; ce
n'est point alors un contrat, puisqu'il n'est pas intervenu de c. inven-
tion entre le dépositaire et les parties qui ont intérêt à la conservation
de la chose. C'est donc à cause du caractère particulier de ce ?enre
vm. 8
111 COLHS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
de dépôt que la définition du Code emploie le mot acte au lieu de
l'expression contrat.
CHAPITRE II.
DU DÉPÔT PKOPP.EMENT DIT.
127. Le dépôt proprement dit est un contrat-, la loi en dé-
termine la nature et l'essence, eu égard à ses diverses espèces
(sect. 1 , 2 et 5) ; elle explique en détail les obligations qui en
résultent (sect. 3 et 4).
SECTION l.
De la nature et de l'essence du contrat de dépôt.
128. Le dépôt proprement dit est un acte de confiance de
la part de l'un des contractants, et un bon office de la part
de l'autre. Il perdrait ce caractère, pour se rapprocher plus
ou moins du louage, si celui qui se charge de garder la chose
se taisait payer de ce service. Ce contrat est donc essentiellement
gratuit. V. art. 1917; v. pourtant art. 1938-2°.
128 bis. I. C'est au point de vue de la qualification à donner au
contrat et non pas en ce qui touche sa validité que le caractère de
gratuité est considéré comme essentiel au dépôt. Le contrat non gra-
tuit change de nature, il devient un louage de services, mais il faut
reconnaître que ce changement de nom est assez indifférent au fond.
Lorsqu'il s'agira, en effet, de rechercher quelles sont au juste les
obligations du dépositaire, c'est, d'après une règle générale, l'in-
tention des parties qu'il faudra consulter; si donc il existe quelques
différences entre la situation d'un dépositaire et celle d'un locateur
de services, il faudra appliquer à l'hypothèse les règles du dépôt,
tacitement introduites dans la matière du louage par la convention
des parties que manifeste l'emploi qu'elles ont fait du terme juri-
diquement inexact de dépôt. On ne pourrait pas, par exemple, sou-
tenir que le dépositaire salarié a droit à conserver la garde, et par
TITRE XI. DV DÉPÔT ET DU SÉQUESTRE. ART. 1917, 1918. 115
conséquent à percevoir le salaire pendant un certain temps car il
est certain qu'en appelant le contrat un dépôt, on a entendu 'que la
chose serait rendue à la première réquisition.
128 bis. II. Il est un point toutefois sur lequel la loi s'est exprimé
et a formellement interdit d'étendre au dépôt salarié la règle du
dépôt (art. 1918-2°, déclarant inapplicable la règle de l'article 1927)
Cette exception confirme clairement la règle d'interprétation que
nous venons de donner, car elle était inutile si l'on n'avait jamais dû
soumettre le dépôt salarié aux principes du dépôt proprement dit.
128 bu m H est vrai que l'article 1928-2» soulève une objection
contre notre doctrine envisagée sous un autre aspect. On y parle de
dépôt salarié, et par là on semble reconnaître que la gratuité n'est
pas un caractère essentiel du contrat de dépôt. Mais il ne faut
pas croire que les rédacteurs du Code aient songé, dans l'article
1928, au sens rigoureusement juridique du mot dépôt; ils suivaient
Poth.er; reproduisant une hypothèse que ce jurisconsulte avait
examinée, ils employaient les mêmes termes que lui, et sous-enten-
daient par conséquent les observations qui les expliquaient. Pothier
avait parlé du dépositaire qui s'est fait payer la garde, et il avait
ajouté : En ce cas, le contrat n'est pas un vrai contrat de dépôt
n étant pas gratuit. Pothier et les rédacteurs du Code ont donc en!
visage 1 hypothèse du côté pratique, se préoccupant plutôt de la
qualification inexactement donnée au contrat par les parties que de
celle qu ,1 devrait recevoir dans un langage correctement juridique.
129. Le dépôt, consistant dans le placement d'une chose
sous la garde d'autrui, ne s'applique naturellement qu'à ce oui
est susceptible de garde et de changement de place : il ne peut
donc avoir pour objet que des choses mubilières, c'est-à-dire
ici des meubles corporels. V. art. 1918. Ce n'est pas qu'on
ne puisse confier des immeubles à la garde d'autrui; mais hors
le cas de séquestre, qui est une sorte de dépôt applicable même
aux immeubles (art. 1959), la charge de garder un immeuble
rentrerait dans la catégorie générale du mandat.
129 bis I. Parmi les choses corporelles qui peuvent être l'objet
d un dépôt, il faut placer les titres au porteur, et même les autres
titres constatant l'existence de droits de toute nature 'créances
rentes, actions, etc.). Ces derniers titres ne se confondent pas avec"
le droit, chose incorporelle, qui n'est pas susceptible de détention
M 6 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
physique et qui n'a pas besoin d'être gardé. Mais les écrits consta-
tant l'existence de ces droits sont des choses matérielles, importantes
à conserver, dont la perte est très-préjudiciable, et le contrat de
dépôt a, par rapport à ces titres, de grandes raisons d'être.
129 bis. II. Si la loi ne considère pas les immeubles comme pou-
vant être les objets du contrat de dépôt, c'est qu'elle reste fidèle à
la définition qu'elle a donnée de ce contrat, acte par lequel une
personne reçoit la chose d'autrui. Le gardien, le surveillant d'un
immeuble ne reçoit pas cette chose, il ne la place pas chez lui
parmi les siennes propres comme fait le vrai dépositaire; au con-
traire, il la surveille bien souvent à distance. Si c'est un champ, il
ne peut pas l'occuper d'une manière continue; si c'est une maison,
et qu'il consente à l'habiter pour la mieux garder, c'est la maison
qui l'abrite, et non pas lui qui abrite la maison. Le but principal du
contrat est donc la surveillance même, c'est-à-dire l'accomplis-
sement de certains actes, une sorte de gestion; nous sommes alors
bien plus près du mandat que du dépôt. On fait observer, il est vrai,
que le dépositaire de meubles doit quelquefois aussi accomplir des
actes positifs ; que s'il garde un animal, il faut bien qu'il le nourrisse.
Ceci est exact, mais cette nécessité de prendre certains soins est
accessoire et secondaire dans le dépôt qui a pour but principal de
déplacer l'objet pour lui procurer un abri chez le dépositaire, tandis
que l'accomplissement d'actes de surveillance est le but direct et
unique du contrat de garde d'un immeuble (1).
129 bis. III. Les choses dont l'usage auquel elles sont destinées
entraîne la destruction ne peuvent être l'objet d'un dépôt pro-
prement dit qu'autant que la convention expresse ou tacite leur
assigne un caractère qu'elles n'ont pas d'ordinaire en les convertis-
sant en corps certains. Des pièces de monnaie, par exemple, seront
déposées pour être restituées dans leur identité individuelle, les
mêmes pièces et non pas seulement d'autres semblables (art. 1932).
Si les objets remis conservent dans la pensée des parties leur carac-
tère de choses se consommant par l'usage, celui qui les reçoit peut
restituer des choses pareilles, le contrat a pour objet une quantité,
mais alors le contrat est dénaturé, c'est un contrat fort usuel
aujourd'hui sous forme de dépôt d'argent jpes jurisconsultes l'ap-
pellent dépôt irrégulier. Il se rapproche du prêt, mais il en diffère
(1) V. Pothier, Dépôt n° 3.
TITRE XI. DU DÉPÔT ET DU SÉQUESTRE. ART. 1918, 1919. 117
en ce que le déposant peut exiger la restitution à sa première réqui-
sition (1).
130. Il n'y a vraiment dépôt que lorsque la chose est déjà
remise sous la garde de celui qui s'en charge. On peut bien,
en vue d'un dépôt comme en vue d'un prêt a effectuer, faire
valablement, dans notre droit, toute espèce de convention;
mais le contrat de dépôt comme celui de prêt ne sera parfait,
et ne produira les effets déterminés par la loi, que lorsque la
chose sera possédée à ce titre par le dépositaire. Pour cela il
y aura lieu ordinairement à lui en faire tradition-, celte tradition,
cependant, ne sera pas nécessaire quand il se trouvera déjà
nanti de la chose a quelque autre litre, car la volonté suffira
alors pour changer son titre; c'est ce que veut dire la loi quand
elle indique, comme moyen de parfaire le dépôt, la tradition
réelle ou feinte. V. art. 1919.
Remarquons ici que la iradilion ne constitue un dépôt que
lorsqu'elle a pour but principal de confier la chose a la garde
de celui qui la reçoit. Si c'est dans un autre but qu'elle a lieu,
quand même la garde de la chose entrerait secondairement
dans l'intention des contraclants, c'est la fin principale qui
déterminerait la nature du contrat; en conséquence, il n'y aurait
pas dépôt (v. Ulp._, L. 8, D. mand.L. 1, § 12 et 13, D. depos.).
Par la même raison, la tradition qui aurait pour fin principale
la garde de la chose ne constituerait pas moins un dépôt,
quoique les parties se proposassent secondairement une autre
fin (v. Ulp.j L. 1, § 3i, D. depos.).
130 bis. I. Nous avons expliqué au tome V, n° 9 bis. II, com-
ment il y a encore aujourd'hui des contrats réels, le dépôt est
l'un de ces contrats; l'obligation qu'il fait naître est une obligation
de restituer, elle ne peut se comprendre qu'autant que la chose a
été remise au dépositaire. Avant cet événement, il peut y avoir
une convention sur un dépôt futur, obligation d'accepter le dépôt,
mais le dépôt n'existe pas. Voilà ce que dit l'article 1919.
1 30 bis. II. A bien dire, ce n'est pas la tradition qui est la condition
sine qua non du dépôt, c'est la détention de la chose par celui qui
(1) V. Polhier, n°' 82 et 83.
118 COUHS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
devient dépositaire. C'est là ce que veut dire l'article, quand il parle
de tradition feinte. L'explication qui complète l'article ne laisse
aucun doute sur ce point; dès que celui qui devient dépositaire
était déjà délenteur de l'objet, nanti à un titre quelconque, par
exemple il l'avait trouvé dans la rue, il l'avait emprunté ou reçu
en gage, il n'est pas nécessaire d'opérer matériellement une tradi-
tion, une sorte de cérémonial de remise; la volonté du propriétaire
autorisant le détenteur à conserver la détention qu'il a déjà, moyen-
nant que celui-ci s'oblige à restituer, suffit bien pour former le
contrat de dépôt, puisque le détenteur accepte la garde et devient
débiteur d'une restitution. L'idée de tradition feinte est un vestige
des anciennes explications que donnaient à quelques textes les
interprètes des lois romaines (1). Mais on peut dire qu'il n'y a rien
de fictif dans l'opération, parce que la tradition n'est pas une solen-
nité qu'il soit nécessaire d'accomplir ou de supposer accomplie
pour créer l'obligation d'un dépositaire.
131. Des principes ci-dessus il résulte que le dépôt est un
contrat de bienfaisance et un contrat réel. Ce contrat, du reste,
quoiqu'il produise des obligations de part et d'autre, ne peut,
pas plus que le prêt, être rangé dans la classe des contrats
synallagmatiques proprement dits.
131 bis. La distinction entre les contrats synallagmatiques par-
faits et imparfaits est établie au tome V, n08 5 et 5 bis. I et II.
132. Point de contrat sans consentement; ce principe
s'applique au contrat de dépôt comme a tous les autres-, mais
le consentement, toujours essentiel pour former le dépôt, est
quelquefois déterminé par une sorte de nécessité, qui soumet
le contrat à des règles particulières. Sous ce rapport, le dépôt
se divise en volontaire et nécessaire. V. art. 1920.
SECTION II.
Du dépôt volontaire.
133. Cette section, toujours relative à la nature et à l'es-
sence du contrat de dépôt, contient sur ce point les règles qui
(1) V. Du Caurroy. Institutes. t. I", n°296. M. Accarias, Précis du droit romain,
t. 1", p. 537 et 538. Édit. 1879.
TITÎŒ XI. DU DEPOT ET DU SÉQUESTRE. ART. 1920-1922. 119
n'ont pas d'application au dépôt nécessaire. Ces règles concer-
nent : 1° le consentement des parties (art. 1921); 2° la pro-
priété de la chose déposée (art. 1922); 3° la preuve du contrat
(art. 1923, 1924)-, 4° la capacité des contractants (art. 1925,
1926).
134. Le dépôt volontaire se forme par le consentement, en
ce sens, que c'est la volonté libre qui seule détermine a faire,
à ce titre, la tradition constitutive du contrat. Cette volonté,
qui au surplus n'a pas toujours besoin d'être expresse, doit
exister également et simultanément chez celui qui fait le dépôt
et chez celui qui le reçoit. V. art. 1921.
134 bis. Ce qui caractérise le dépôt volontaire et le distingue du
dépôt nécessaire, c'est que la volonté du déposant n'est pas déter-
minée par des événements graves et menaçants imposant une
prompte décision, ne permettant pas de choisir un dépositaire,
obligeant de s'adresser en quelque sorte au premier venu; c'est
en ce sens que M. Demante dit que la volonté libre détermine seule à
le faire. L'article 1931 conviendrait à la définition générale du dépôt
s'il n'était pas éclairé par sa comparaison avec l'article 1940. De ce
dernier article, il résulte que le dépôt nécessaire est forcé par
quelque accident, l'autre dépôt est celui qui n'est pas forcé, c'est-
à-dire qui se fait spontanément et qui permet une mûre réflexion.
13o. Il n'y a régulièrement que le propriétaire qui, ayant
la libre disposition de sa chose, soit en droit d'en confier lui-
même la garde a autrui, ou d'autoriser un autre a le faire.
Sous ce rapport, il est vrai de dire que le dépôt volontaire ne
peut être fait que par le propriétaire ou de son consentement.
Peu importe d'ailleurs que le consentement soit exprès ou
tacite. V. art. 1922; et remarquez que ce principe, proclamé
ici par opposition, sans doute, au dépôt nécessaire, n'autorise
pointa conclure que le dépôt, sous certain rapport, ne puisse,
aussi bien que le commodat (1), avoir pour objet la chose
d'autrui (v. art. 1938).
i35 bis. I. Le dépôt delà chose d'autrui n'a pas les conséquences
graves de la vente, de la location ou du legs de la chose d'autrui.
(1) V. ci-dessus, n" 77.
120 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
Voilà pourquoi le Code, envisageant le dépôt au point de vue du
droit que peut avoir le déposant sur l'objet déposé, ne déclare pas
que le dépôt de la chose d'autrui est nul. Il se contente de con-
stater que dans un état de choses normal, régulièrement, le dépôt
doit être fait par le propriétaire. Il corrige au surplus ce que sa
formule pourrait avoir de trop exclusif, en ajoutant que le consente-
ment exprès ou tacite du propriétaire suffira pour la régularité du
dépôt. Or, le consentement tacite sera supposé dans la grande ma-
jorité des hypothèses. En effet, les cas les plus nombreux dans les-
quels un meuble sera détenu par un autre que son propriétaire
seront ceux où le détenteur tiendra le meuble en vertu d'un contrat
qui l'oblige à restituer. Dans ces cas, le créancier de la restitution,
propriétaire du meuble, aura toujours intérêt à sa conservation, et
l'on devra facilement supposer qu'en chargeant le débiteur de veiller à
la conservation de la chose (art. 1137), il a autorisé les procédés de
garde nécessaires, par conséquent le dépôt si le débiteur est momen-
tanément dans l'impossibilité de conserver la chose. Dans ces cir-
constances, la question ne se posera pas sur la régularité du contrat
de dépôt, mais sur la responsabilité du débiteur déposant à raison
du contrat qui l'a constitué débiteur; il s'agira de savoir si le dépôt
a été ou non un acte de bon père de famille.
135 bis. II. Dans les circonstances où le détenteur n'est pas lié
envers le propriétaire par un contrat, quand il aura par exemple
trouvé la chose, quand il la tiendra d'un autre que le propriétaire
et qu'on sera en dehors de la sphère d'application de l'article 2279,
on ne pourra pas croire à une autorisation tacite du propriétaire.
Mais qu'importera quant à lui la régularité de dépôt? Il pourra
agir en revendication contre le dépositaire détenteur, le dépôt n'aura
donc pas porté atteinte à ses droits, et il n'auia pas d'action contre
le déposant.
135 bis. III. Il reste à savoir si la circonstance que le déposant
n'était pas propriétaire de l'objet a des conséquences entre le dépo-
sant et le dépositaire. L'article 1922 ne dit pas que le contrat soit
nul pour cela. Dès lors le principe de la liberté des conventions
doit conduire à la validité du contrat. La nature des choses ne
s'oppose pas à ce qu'un simple détenteur cherche à faire conserver
la chose qu'il détient; puisque le contrat n'a pas pour objet de
transférer la propriété de la chose, où trouver la nécessité que le
déposant soit propriétaire? Ce déposant a un intérêt à la conservation
TITRE XI. DU DÉPÔT ET DU SÉQUESTRE. ART. 1922-1924. 121
de la chose, ne fût-ce qu'à cause de l'éventualité de la prescription
de trois ans (art. 2279 et 2280) ou de celle de trente ans ; il agit lici-
tement en vue de cet intérêt, lorsqu'il donne cette chose en garde, et il
serait contraire à la bonne foi de traiter la convention comme non
avenue. Le Code montre très-nettement sa pensée sur ce point dans
l'article 1938, lorsqu'il oblige le dépositaire à restituer sans exiger
du déposant la preuve qu'il est propriétaire.
136. Le dépôt est un contrat de pur droit naturel, que le
droit civil n'assujettit pour son existence a aucune formalité.
Bien plus, la position respective des parties au moment du
contrat eût peut-être paru un motif suffisant de ne jamais
exiger un écrit pour la preuve. Et toutefois, comme l'impos-
sibilité de faire un écrit n'existe réellement qu'en cas de dépôt
nécessaire, le dépôt volontaire reste, sous ce rapport, soumis
à la règle générale (v. art. 1341).
De cette règle, combinée avec l'indivisibilité de l'aveu (art.
1356), il résulte que si le dépôt excédant 150 francs, et soumis
conséquemmenta l'obligation de passer acte, n'est point prouvé
par écrit, le prétendu dépositaire en est cru sur sa déclaration;
non-seulement pour le fait de dépôt par lui dénié, mais aussi
pour la chose faisant l'objet du dépôt par lui avoué, ou pour
le fait de la restitution. V. art. 1923 et 1924.
136 bis. I. La véritable formule de la règle sur la preuve du
dépôt est dans la seconde partie de l'article. La preuve testimoniale
du dépôt n'est point reçue pour valeur excédant 150 francs.
Comme la véritable règle de l'article 1341 est qu'en principe, la
preuve testimoniale n'est pas admise quand il s'agit de plus de
150 francs. L'article 1341 et l'article 1928 n'annulent pas les con-
trats en général et le contrat de dépôt en particulier à raison de ce
qu'ils n'ont pas été constatés par écrit. Le doute n'est pas possible
pour les contrats en général; l'article 1347 autorise la preuve testi-
moniale au cas de commencement de preuve par écrit; l'article
1348, au cas où il n'a pas été possible au créancier de se procurer
une preuve littérale. Ces deux exceptions doivent être appliquées
même au cas du dépôt. Il est vrai que l'article 1924 n'en parle pas,
mais cet article n'est qu'un rappel de l'article 1341, car ce dernier
article avait expressément montré qu'il plaçait le dépôt sous l'em-
1 2W2 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
pire de sa règle générale, ce qui le place aussi sous l'empire des
règles exceptionnelles, puisque les articles 1347 et 1348 commen-
cent par ces mots : les règles précédentes reçoivent exception, et
dans les règles précédentes se trouve écrite la règle sur le dépôt.
136 bis. II. Ceci étant, le dépôt n'est pas un contrat solennel, et
nous devons admettre qu'il peut être prouvé par l'aveu; l'article
1924 le suppose, puisqu'il applique la règle sur l'indivisabilité de
l'aveu (1).
136 bis. III. La délation du serment décisoire est également pos-
sible, puisqu'elle est admise en toute espèce de contestation pourvu
que la contestation soit de nature à être terminée par une trans-
action (art. 1358 et 1360) (2), et il ne faut pas refuser d'admettre
cette décision, parce que l'article dit que la partie est crue sur sa
déclaration, car il n'est pas dit que cette foi résiste à la preuve
contraire; or nous voyons très-bien qu'une partie peut combattre,
par la délation du serment, une preuve légale, même celle qui ré-
sulte d'un acte écrit (3).
136 bis. IV. Nous ne parlons que du serment décisoire, les règles
sur le serment déféré par le juge sont différentes. Il ne peut être
déféré que si la demande n'est pas entièrement dénuée de preuve,
et nous raisonnons dans l'hypothèse où le prétendu déposant n'a
aucun moyen légal d'établir le dépôt (art. 1367).
137. Le dépôt volontaire, ne tirant que du consentement
sa force obligatoire, reste entièrement soumis aux règles sur
la capacité de contracter, mais la capacité n'étant jamais requise
que dans la partie qui s'oblige (art. 1108), et les personnes
capables ne pouvant opposer l'incapacité de la partie avec la-
quelle elles contractent (art. 1125), il en résulte que le dépo-
sitaire capable est tenu, comme a l'ordinaire, malgré l'inca-
pacité du déposant. Bien entendu alors que c'est au repré-
sentant légal du déposant incapable qu'appartient la poursuite.
V. art. 1925.
Il en est tout autrement quand c'est le dépositaire qui est
incapable. Évidemment alors il n'est point obligé par le con-
trat (en ce sens du moins qu'il lui est loisible de le faire res-
(1) V. t. V, a^Ubit. III.
(2) V. t. V, n° 337 bit. II.
(3) V. t. V, ne 337 bit. VI.
TITRE XI. DU DÉPÔT ET DU SÉQUESTRE. ART. 1924-1926. 123
cinder); mais si la chose déposée existe dans sa main, il
est, comme détenteur de la chose d'autrui, soumis a la reven-
dication. Bien plus, l'incapacité n'autorisant jamais à s'en-
richir aux dépens d'autrui, il est dans tous les cas personnel-
lement tenu à restitution quatenus locupletior factus est.
V. art. 1926.
137 bis. I. La disposition de l'article 1925 est la conséquence
des règles sur le caractère relatif de la nullité fondée sur l'incapa-
cité; aussi ne saurions-nous l'appliquer au cas où le contrat serait
entaché d'un vice produisant la nullité absolue. Il pourrait arriver,
par exemple, que le contrat fût absolument nul, faute de consente-
ment, ie prétendu déposant n'ayant pas concouru par sa volonté au
dépôt. Ce ne serait plus alors en vertu du contrat que le dépositaire
pourrait être poursuivi, il serait exposé à une action en revendica-
tion et à une action de gestion d'affaires, s'il avait agi dans l'in-
térêt du propriétaire; au cas de mauvaise foi, il pourrait arriver
que le fait par lui commis fût un vol (art. 379, C. pénal). Ce ne
serait pas en tout un abus de confiance (art. 408, C. pénal), puis-
que le contrat de dépôt n'aurait eu aucune existence.
137 bis. II. Quand c'est le dépositaire qui est incapable, la nullité
du contrat peut être invoquée par lui pour se soustraire aux obli-
gations que cette qualité impose, par exemple à celle de donner des
soinsà la conservation de la chose (art. 1927). Il faudrait cependant
restituer l'objet, et le déposant aurait une action à cet effet : l'article
1926 reconnaît l'existence de cette action qu'il appelle une reven-
dication. Elle aura en effet le plus souvent ce caractère, parce
que ordinairement le déposant est le propriétaire de la chose ; mais
le contraire est possible , et quand le déposant ne sera pas propriétaire,
il faudra bien qu'il ait une action en restitution. Cette action, que
quelques-uns appuient seulement sur une raison d'équité, nous
paraît être l'action de dépôt produisant les conséquences décrites
par l'article 1312. Le contrat, en effet, n'est pas nul; il est annu-
lable, le déposant l'invoque et demande l'exécution des promesses
du dépositaire, celui-ci demande la nullité, mais le demandeur ré-
pond qu'on doit lui rendre ce qui a tourné au profit de l'incapable,
et puisque la chose existe dans les mains dudit incapable, il n'est
guère possible de soutenir qu'elle ne constitue pas pour lui un gain
qu'il n'a pas le droit de conserver.
124 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
137 bis. III. Les mêmes principes nous fournissent la solution
pour le cas où la chose n'est plus dans la possession de l'incapa-
ble, si à l'occasion de cette chose il a fait quelque bénéfice. Le
déposant pourra le poursuivre dans les limites de ce dont il a profité.
137 bis. IV. Enfin, il pourrait arriver que l'incapable n'eût pas
profité de la chose déposée, qu'il l'eût détruite, consommée sans
utilité, alors il faudra distinguer : le dépositaire était-il doué de
discernement, capax doit, a-t-il pu comprendre le caractère immo-
ral de l'acte qu'il accomplissait, il devra des dommages et intérêts
en vertu de l'article 1382, il aura par sa faute causé un préjudice,
il sera tenu quasi ex delicto, et l'article 1310 reconnaît que le mineur
n'est pas restituable contre les obligations résultant de son délit ou
quasi-délit.
137 bis. V. On voit que nous ne considérons pas l'acte de l'inca-
pable comme un véritable délit, surtout comme un délit d'abus de
confiance puni par l'article 408 du Code pénal. C'est que ce délit
suppose la préexistence du contrat de dépôt, et que l'incapable, ayant
toujours le droit d'invoquer la nullité de ce contrat, détruirait par
son action en nullité la condition essentielle de ce genre de délit.
SECTION III.
Des obligations du dépositaire.
138. C'est le dépositaire seul qui, dans ce contrat, est
obligé principalement et immédiatement. Son obligation a
deux chefs : la garde de la chose (art. 1927-1931) , et sa resti-
tution (art. 1932-1944).
§1-
De l'obligation de garder la chose.
139. L'obligation de garder, commune à tout débiteur de
corps certain (v. art. 1136), s'applique plus particulièrement
au dépôt, qui se contracte précisément en vue de cette garde.
Toutefois, le contrat intervenant dans l'intérêt unique du dé-
posant, qui d'ailleurs aurait à s'imputer le choix d'un déposi-
TITRE XI. DU DÉPÔT FT DU SÉQUESTRE. ART. 1926-1928. 125
taire négligent, l'obligation de veiller a la conservation ne
doit pas être appliquée ici a la rigueur; aussi s'est-on toujours
borné a exiger du dépositaire, non de la diligence, mais de la
fidélité (v. Just., Inst., § 3, quib. mod. re contr. obi.; Ulp.;
L. o, 2, D. commod. ; L. 23, D. de reg.jur.). Il est clair du
reste que ce serait manquer a cette fidélité que de donner à la
chose déposée moins de soin qu'a ses propres choses. V. art.
1927; v. aussi Cels., L. 32, D. depos.; v. pourtant art.
1137.
139 bis. I. La responsabilité du dépositaire est moins lourde que
celle de tout autre débiteur de corps certain. Nous en avons dit la
raison au tome V (n° 64 bis. I). Le dépositaire ne promet pas de
jouer un rôle actif, il permet de placer la chose déposée parmi les
siennes, et dès lors les parties ne doivent pas avoir entendu qu'il
promet autre chose que de veiller sur la cbose comme sur les
siennes.
139 bis. II. C'est là un tempérament à la règle de l'article 1137,
et il faut conserver à la règle ce caractère d'exception favorable.
On ne devrait pas se servir de l'article 1927 pour obliger le déposi-
taire à des soins qui dépasseraient ceux d'un bon père de famille,
s'il était pour ses propres affaires plus soigneux que le type du bon
père de famille. Ce serait abuser de l'article 1927 en l'interprétant
dans un sens absolument contraire à la pensée qui l'a inspiré.
140. Le déposant n'a plus précisément a s'imputer le choix
d'un dépositaire négligent lorsque c'est celui-ci qui s'est offert
à lui (v. Ulp., L. 1 ,§35, D. depos.). D'un autre côté, le con-
trat perd le caractère de gratuité qui restreint la responsabilité
du dépositaire , si l'intérêt est commun aux deux parties , ce qui
arriverait par la stipulation d'un salaire (v. Ulp., L. 5, § 2, D.
commod.); ou a plus forte raison, si c'est uniquement dans
l'intérêt du dépositaire que le contrat est intervenu, puta, si
de l'argent avait été remis entre ses mains pour lui faciliter le
moyen de l'emprunter en cas de besoin (v. Ulp., L. 4, D. de
reb. cred.). Enfin les conventions tenant lieu de loi, il est évi-
dent que le dépositaire pourrait valablement s'obliger a ré-
pondre de toute espèce de faute (v. Ulp., L. 1 , § 6 et 35, D.
126 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
depos.). Dans ces quatre cas donc, la responsabilité du dépo-
sitaire est plus rigoureuse. V. art. 1928.
141. La loi, du reste, appliquant au dépositaire la règle
commune a tout débiteur de corps certain, veut qu'il ne ré-
ponde en aucun cas des accidents de force majeure, sauf tou-
tefois l'effet ordinaire de la demeure. V. art. 1929, et a ce
sujet art. 1147, 1148,1302.
141 bis. Parmi les événements graves qui peuvent détruire la
chose déposée, il est difficile de ne pas songer à l'incendie. S'il s'agit
de la destruction de l'objet déposé par un accident qui l'aurait détruit
seul, il n'y a pas de doute que le dépositaire ne soit obligé à prouver
que l'incendie ne provient pas de son fait. Le débiteur de corps
certain doit toujours démontrer le cas fortuit qu'il allègue et par
conséquent démontrer le caractère fortuit de l'événement qui a
détruit la chose.
Ce cas est assez rare, mais il arrive plus fréquemment que la
chose déposée périt dans l'incendie de la maison où le dépositaire
l'avait placée. L'événement deviendrait-il alors fortuit parce qu'il
ferait partie d'un sinistre plus complet? Pour qu'il en fût ainsi, il
faudrait que l'incendie d'une maison fût présumée légalement ne
pas provenir de la faute de celui qui habite la maison; or cette pré-
somption n'existe pas, loin de là. Nous avons expliqué sur l'article
1733 que le locataire est responsable de l'incendie parce qu'il est
débiteur de la maison et qu'il ne peut se libérer qu'en démontrant le
caractère fortuit de l'événement qui l'a détruite (1). Si telle est la
situation de locataire comme débiteur de l'immeuble, telle doit-elle
être lorsqu'on l'envisage comme débiteur de l'objet que l'immeuble
renfermait.
Que si le dépositaire n'est pas locataire, mais propriétaire de la
maison, il n'est tenu envers personne pour la destruction de l'édi-
fice, mais sa situation reste la même dans ses rapports avec le dé-
posant son créancier.
Il ne faut pas toutefois oublier l'article 1 927 ; il modérera certaine-
ment la rigueur des décisions précédentes, parce que les juges, en
examinant les preuves tendant à établir le cas fortuit, se trouveront
en présence de questions de négligence; ils devront alors prendre
pour critérium la diligence que le dépositaire apporte à ses propres
(1). V. t. VII, a" 179 bit. II.
TITKE XI. DU DÉPÔT ET DU SEQUESTRE. ART. 1929-1932. 127
affaires, et il pourra résulter de là qu'on le décharge de la responsa-
bilité de la chose déposée plus facilement qu'on ne le déchargerait
de celle de la maison louée où avait été conservée cette chose.
142. La fidélité que le dépositaire doit apporter à la garde
de la chose, l'oblige à ne point s'en servir sans la permission
du déposant; cette permission, du reste, n'a pas besoin d'être
expresse, il suffit qu'elle soit présumée. V. art. 1930. Mais
comme elle ne résulte point en général de la remise a titre
de dépôt, il faut qu'il y ait juste raison de la présumer.
Ce serait également contrevenir à la fidélité d'un dépositaire
que de chercher à connaître la chose destinée à demeurer
secrète. Cette destination est évidente quand la chose a été
confiée sous clé ou sous cachet. V. art. 1931. Ajoutons que
la connaissance de la chose, donnée par le déposant au dé-
positaire, n'autoriserait point celui-ci à transmettre à d'autres
cette connaissance.
142 bis. Les choses qui se consomment par l'usage ne font pas
partie de celles dont on présumera que le déposant a autorisé l'usage
par le dépositaire. Car la consommation substituant une dette de
quantité à une dette de corps certain, le contrat serait dénaturé, et il
n'est pas présumable que l'intention du déposant a été de faire un
contrat qui pourrait changer de nature à la volonté de l'autre partie.
Pour les meubles qui se détériorent quand on s'en sert, on ne
présumera pas non plus que le dépôt implique un droit à l'usage.
Au contraire, il y a des choses qui se détérioreraient si on ne les
employait pas selon leur destination, un cheval, par exemple, qui
souffrirait grandement à rester inactif dans l'écurie, et pour citer
l'exemple de Pothier, un chien de chasse qui perdrait l'habitude
d'arrêter le gibier s'il restait longtemps sans chasser fl).
§ «
De l'obligation de restituer.
143. La seconde obligation du dépositaire est, comme on
l'a dit, celle de restituer. A cet égard, la loi règle successi-
(1) V. Pothier, n» 37.
128 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. 111.
vcment : 1° ce qui doit être restitué (art. 1932-1936)-, 2° a
qui doit êîre faite la restitution (art. 1937-1941)-, 3° dans quel
lieu (art. 1912, 1913) ; 4" dans quel temps (art. 1644).
144. L'obligation de restituer a évidemment pour objet la
chose même que le dépositaire a reçue; c'est celle-là qui doit
être identiquement rendue; cette règle s'applique au cas
même où les choses déposées seraient de leur nature fongibles;
elle s'appliquerait conséquemment au dépôt d'une somme
d'argent monnayé -, la diminution ou augmentation survenue
dans la valeur des espèces déposées ne modifierait donc en rien
l'obligation de rendre les mêmes espèces. V. art. 1932.
145. La chose demeurant aux risques du déposant, qui en
est créancier, il est clair qu'elle ne doit être rendue que dans
l'état où elle se trouve au moment de la restitution. Par con-
séquent, les détériorations restent à la charge du déposant
lorsqu'elles ne sont pas survenues par le fait du dépositaire,
c'est-à-dire, sans doute, lorsqu'elles ne proviennent pas d'une
faute dont il doive répondre. V. art. 1933.
146. Toujours par suite des mêmes principes, le dépositaire
ne répond point de l'enlèvement par force majeure. Mais s'il
a reçu quelque chose en remplacement, il doit rendre ce
qu'il a ainsi reçu , comme il rendrait ce qui resterait de la
chose perdue. V. art. 1934, et à ce sujet, art. 1302, 1303.
147. Bien plus, on assimile au cas d'enlèvement par force
majeure le cas de vente faite de bonne foi par l'héritier du
dépositaire dans l'ignorance du dépôt. Cet héritier donc, quoi-
qu'il succède a l'obligation de son auteur, et qu'il ne dût pas,
en principe, pouvoir s'en libérer par son propre fait, en sera
quitte alors pour rendre le prix, ou pour céder son action
contre l'acheteur (1). V. art. 1935; Ulp., L. 1, § 47; et
Paul, L. 2, D. depos.
A l'égard du dépositaire lui-même, il est certain que la
vente qu'il ferait de la chose ne pourrait jamais le soustraire
^l) Quant au droit accordé autrefois au déposaot de reveudiquer la chose vendue
soit par le dépositaire lui-même, s jit par son héritier, voyez art. 2279.
T1T. XI. DU DÉPÔT ET DU SÉQUESTKE. AKT. 1935, 193G. 129
aux effets de l'obligation de restituer, qui se résoudrait alors
en dommages-intérêts, sans préjudice des peines encourues
pour l'abus de confiance (C. pép., art. 408).
147 bis. I. La raison d'équité qui inspire la décision de l'article
1936 au cas où l'héritier du dépositaire a vendu la chose ignorant
qu'elle était déposée , conduit à étendre cette décision au cas où
lorsqu'il l'a détruite il s'est cru propriétaire. Si la chose a péri, ce
n'est pas par sa faute, on ne saurait exiger de lui que la valeur
dont il s'est enrichi.
147 bis. II. Nous assimilons au cas de destruction celui de dona-
tion. Le donataire peut résister à la revendication en s'appuyant,
s'il est de bonne foi, sur l'article 2279; la chose est donc perdue et
pour le déposant et pour l'héritier du dépositaire, celui-ci n'est pas
en faute, il ne s'est pas enrichi, ce nous paraîtrait une rigueur con-
traire à l'article de lui imposer le paiement du prix que pouvait
valoir la chose au moment de la donation (1).
Dans cette hypothèse de donation, tout ne serait pas perdu pour
le déposant, car il aurait droit à se faire céder toutes les actions
qui pourraient appartenir au donateur pour recouvrer la chose
contre le donataire, par exemple l'action en révocation pour cause
d'inexécution des charges ou pour survenance d'enfant.
148. Le dépositaire ne devant aucunement profiter du
dépôt, il est clair que s'il perçoit quelques fruits, il est obligé
à les rendre comme la chose elle-même. Cette règle semble
s'appliquer sans difficulté aux intérêts que, par événement,
le dépositaire aurait tirés des sommes déposées. Du reste,
comme il n'est pas tenu de placer ces sommes, puisqu'il n'en
a pas le même le droit, il ne doit naturellement aucun intérêt,
si ce n'est qu'il ait été mis en demeure de restituer. V. art.
1936.
148 bis. I. Il ne faut pas supposer que le dépositaire a fait pro-
duire des intérêts par les sommes déposées, car d'après l'article
1932 il doit rendre identiquement les pièces de monnaie qu'il a
reçues en dépôt, et la production d'intérêts par les sommes déposées
supposerait une violation du dépôt. Les intérêts ne seraient pas
dus comme fruits produits par la chose; la question deviendrait une
(1) V., en sens inverse, Aubry el Rau, t. III, p. 443. Édit. 1856.
vin. 9
130 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
question de dommages et intérêts réclamés pour la destruction des
corps certains déposés, et les tribunaux auraient le droit d'allouer
une indemnité supérieure aux intérêts légaux, car l'article 1153
serait inapplicable, puisqu'il ne concerne que les débiteurs de sommes
d'argent.
Il ne serait pas dû non plus d'intérêts au cas du dépôt irrégulier,
parce que le dépositaire est débiteur d'une somme sans stipulation
d'intérêts et que, lorsqu'il fait valoir un capital quelconque, on ne
peut pas dire que c'est la somme déposée, puisqu'elle n'a pas d'in-
dividualité, de sorte que jamais on ne pourra démontrer que cette
somme déposée a été employée au profit du dépositaire.
148 bis. II. L'article a donc, avec raison, envisagé seulement
l'hypothèse de la mise en demeure. Dans ce cas, il consacre une
exception aux règles qui régissent les débiteurs de sommes d'ar-
gent. D'après l'article 1153, les intérêts ne courent pas en vertu
d'une simple mise en demeure, c'est-à-dire d'une sommation ou
autre acte équivalent, il faut une demande en justice. Dans le cas
spécial qui nous occupe, une simple mise en demeure suffit.
L'expression de l'article : l'argent déposé, ne montre pas claire-
ment l'hypothèse précise que le législateur a en vue. S'agit-il d'un
dépôt d'argent fait dans les conditions de l'article 1932? S'agit-il
d'un dépôt irrégulier?
Nous croyons d'abord que l'article vise cette dernière hypothèse.
Du moment, en effet, qu'on admet que le dépôt d'une somme qui
sera restituée en quantité conserve les caractères du dépôt, c'est
apparemment pour le soumettre à celles des règles de la matière qui
ne sont pas absolument antipathiques avec sa nature propre. Or,
l'exception que l'article 1936 fait à l'article 1153 dérive non pas
de ce que le dépôt a pour objet des corps certains, mais de ce que
le dépositaire doit rendre à la première réquisition, et qu'il doit
avoir toujours à sa disposition ce qu'il doit restituer. Ceci est vrai
du dépôt irrégulier comme du dépôt régulier, et c'est une raison
pour appliquer l'article 1936 au premier de ces deux contrats.
148 bis. III. Il nous paraît même qu'il ne doit être appliqué que
dans ce cas. Quand le dépôt d'une somme d'argent est régulier,
l'argent déposé devient un corps certain, et par conséquent la règle
de l'article 1153 sur la mise en demeure n'est pas applicable, il
n'était pas besoin que l'article 1936 y dérogeât, c'est l'article 1139
qui est naturellement en jeu.
TIT. XI. DU DÉPÔT ET DU SÉQUESTRE. ART. 1936-1938. 131
L'article 1153 contient une autre dérogation aux règles générales;
il fixe les dommages et intérêts qui doivent consister dans les
intérêts de la somme due. Nous n'admettons pas que cette règle
s'applique au dépôt régulier d'une somme d'argent, parce que, nous
l'avons dit plus haut, le dépositaire n'est pas débiteur d'une somme,
d'une quantité, mais de corps certains. Les tribunaux seraient
donc maîtres de fixer les dommages et intérêts soit au-dessus,
soit au-dessous de l'intérêt légal, comme si l'on avait déposé des
diamants, des médailles ou des tableaux. Cette solution que les
principes imposent ne nous paraît pas contraire à l'article 1926,
qui peut avoir statué sur l'hypothèse assez fréquente du dépôt irré-
gulier ou qui, s'il a songé à l'autre hypothèse, peut avoir voulu
reconnaître aux juges le droit de condamner le dépositaire aux
intérêts sans pour cela le contraindre à punir ainsi la demeure de
ce débiteur.
149. L'obligation de restituer naissant du contrat de dépôt,
dont l'effet se produit et se concentre, comme de raison,
entre les parties contractantes, ce n'est, en principe, qu'au
déposant que la chose doit être rendue. Bien entendu, au
reste, que, si un tiers a déposé la chose au nom d'autrui, le
véritable déposant est celui au nom duquel la remise a été
faite. C'est donc a lui que la chose doit être rendue. Il n'est
pas moins clair que la restitution est censée faite au déposant
lui-même, lorsqu'elle l'est a une personne indiquée par lui
pour la recevoir. V. art. 1937.
150. Le droit de réclamer la restitution étant attaché à ia
qualité de déposant, et la règle qui veut que le dépôt soit fait
par le propriétaire (art. 1922) n'empêchant pas la validité du
dépôt de la chose d'autrui, il en résulte naturellement que le
dépositaire ne peut exiger du déposant, qui réclame la resti-
tution, la preuve de sa propriété.
Ajoutons qu'il ne pourrait davantage, pour se dispenser de
rendre au déposant, offrir la preuve de la propriété d'autrui.
Mais si le propriétaire, contre lequel le déposant ne serait pas
en droit de retenir la possession, réclame sa chose, il est
juste qu'il ait la préférence sur celui-ci. Bien plus, l'équité
de la restitution au véritable maître étant évidente, la loi fait
9.
1*2 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
un devoir au dépositaire qui découvre que la chose a été volée,
et quel en est le propriétaire, d'avertir celui-ci, avec somma-
tion de réclamer dans un délai, que la loi ne fixe pas, mais
qui doit être déterminé et suffisant. Le délai passé, si le
propriétaire ne réclame pas, c'est a lui à s'imputer sa négli-
gence, et il ne peut inquiéter le dépositaire qui a restitué au
déposant. V. art. 1938-, v., a ce sujet, Ulp., L. 1, § 39;
Tryphon., L. 31, § 1, D. depos.
150 bis. 1. Les choses perdues peuvent être revendiquées comme
les choses volées (art. 2279); il est raisonnable, par conséquent,
d'appliquer à celles-là ce que le Gode dit de celles-ci. Le but de
l'article est d'empêcher le détenteur d'une chose volée de mettre
des entraves à la revendication de la chose en la cachant chez un
dépositaire. La revendication de la chose perdue, rapprochée par
l'article 2279 de la revendication de la chose volée, mérite d'être
facilitée comme elle parla disposition de l'article 1938.
150 bis, IL L'obligation imposée au dépositaire de la chose volée,
et nous ajoutons ou perdue, n'est pas dépourvue de sanction, car
le dépositaire qui a négligé de la remplir aura souvent causé un
préjudice au propriétaire; la revendication sera peut-être devenue
impossible; le déposant resté en possession aura détruit ou aliéné la
chose; ce préjudice résultera de la faute du dépositaire, et il sera
tenu à la réparer (art. 1382). C'est à cette obligation de réparer le
préjudice que songe l'article 1938 quand il déclare que le déposi-
taire qui a observé sa prescription sera déchargé. Il n'est pas, à pro-
prement parler, déchargé; car la seule obligation qui pesait sur lui
le liait au déposant et non au propriétaire, seulement libéré envers
le déposant, il ne devient pas débiteur de dommages et intérêts
envers le propriétaire.
150 bis. III. Il résultera quelquefois de l'article 1938 que le
dépositaire trouvera le moyen d'éviter la restitution immédiate de
la chose déposée, en alléguant qu'il a découvert que la chose
était volée ou perdue; peut-être même aura-t-il fait dénonciation
à un prétendu propriétaire avant la demande en restitution du
dépôt. Les juges devront apprécier la sincérité et la probabilité des
assertions du dépositaire, ils pourront autoriser celui-ci à garder la
chose; mais si plus tard il est démontré que le dépositaire avait
allégué légèrement ou par dol que la chose était chose perdue
T1T. XI. DU DÉPÔT ET DU SÉQUESTRE. ART. 1938, 1939. 133
ou volée, il serait condamné à des dommages et intérêts envers
le déposant.
150 bis. IV. Nous venons de supposer que le propriétaire n'a pas
encore manifesté sa prétention quand le dépositaire refuse de
livrer la chose au déposant. Il peut en être autrement ; si le dépositaire
a reçu une demande en revendication il commettrait une impru-
dence en restituant la chose au déposant; sa position est analogue à
celle d'un débiteur qui a reçu la signification d'une saisie-arrêt.
L'hypothèse est prévue par l'article 1944, car cette revendication
implique une opposition à la restitution ou au déplacement de la
chose déposée.
150 bis. V. Il serait également imprudent d'acquiescer à la de-
mande en revendication alors même que le déposant n'aurait pas
encore demandé la restitution , ou même de défendre à l'action en
revendication sans appeler en cause le déposant, car le jugement
qui interviendrait entre le dépositaire et le revendiquant n'aurait pas
force de chose jugée par rapport au déposant qui pourrait soutenir
et faire juger contre le dépositaire que le tiers revendiquant n'était
pas propriétaire.
151. Les principes du droit commun sur la transmission
des créances amènent naturellement cette conséquence,
qu'après la mort du déposant, c'est a ses héritiers, ajoutons
ou autres successeurs, qu'est due la restitution. Ce principe
s'appliquait aussi bien au cas de mort civile qu'au cas de mort
naturelle (v., à ce sujet, Tryphon., L. 31, D. dep.).
Il est clair, du reste, que la chose doit être rendue en en-
tier à l'héritier s'il est unique-, mais lorsqu'il y en a plusieurs,
chacun n'y ayant droit que pour sa part, il faut nécessairement
distinguer si la chose est divisible ou indivisible , disons
mieux, si elle est ou non susceptible de parties réelles. Au
premier cas, nulle difhculté; chacun peut réclamer et recevoir
sa part sans le concours des autres. Au second cas, qu'il ne
faut pas confondre avec celui d'indivisibilité proprement dite,
puisque la chose déposée est toujours susceptible d'une
division au moins intellectuelle, la loi n'accorde ni a chacun
en particulier (v, art. 1224), ni a la majorité des intéressés
(v. Gaius, L. 14, D. depos.), le droit de réclamer et de rece-
134 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
voir la chose en totalité; elle veut qu'ils s'accordent tous pour
la recevoir. V. art. 1939.
151 bis. Il est un point qui n'est pas réglé par l'article : quand la
chose ne peut pas se diviser en parties matérielles distinctes, si les
héritiers du déposant ne s'accordent pas pour recevoir la chose,
comment le dépositaire pourra-t-il se décharger du dépôt? La
situation nous paraît simple, et la solution découle des principes;
c'est probablement pour cela que le Code n'a pas jugé nécessaire
de l'indiquer. Le dépositaire est débiteur, il a droit de se libérer; si
les créanciers ne reçoivent pas tous à l'amiable la restitution, il
leur fait des offres réelles , sous la condition que tous accepteront
les offres, et si cette acceptation unanime n'a pas lieu, il fait une
consignation de la chose due; après qu'il aura fait valider ses offres
et sa consignation, il sera déchargé. Ce sera l'affaire des héritiers
de retirer l'objet consigné, et la fin de leur désaccord sera une
licitation provoquée par l'un d'eux.
152. Lors même que le droit du déposant continue a résider
dans sa personne, l'exercice de ce droit peut passer a un
autre. Ainsi quand, par l'effet d'un changement d'état, puta,
par mariage ou interdiction, l'administration de ses droits et
de ses biens se trouve confiée à une autre personne, c'est
entre les mains de cette personne que la restitution devra
avoir lieu. V. art. 1940.
153. De même, au reste, que le dépôt opéré par une per-
sonne doit, en cas d'incapacité survenue, être restitué à son
représentant légal, il est évident, a l'inverse, que le dépôt
opéré par le représentant, au nom de l'incapable, doit être
restitué à la personne elle-même lorsqu'elle a recouvré l'ad-
ministration de ses biens et de ses droits. V. article 1941.
15i. Quant au lieu où doit être fait la restitution, la pre-
mière règle ici, comme pour tout autre cas de paiement, c'est
de s'en tenir à la convention des parties, s'il y en a uue à ce
sujet. Mais tandis qu'ordinairement la convention de payer
en certain lieu met a la charge du débiteur les frais du trans-
port dans ce lieu, l'équité, qui ne permet pas que le service
rendu par le dépositaire le constitue en dépense, met nalu-
T1T. XI. DU DÉPÔT ET DU SÉQUESTRE. ART. 1939-1943. 135
rellemeni à la charge du déposant les frais du transport,
dont le soin seulement reste imposé au dépositaire. V. art.
1942, Pomp., L. 12, D. depos.
Au moyen de ce tempérament d'équité, l'obligation de
faire tranporter la chose d'un lieu dans un autre n'ayant rien
de contraire à la nature du contrat de dépôt, le Code, plus
sévère que l'ancien droit, laisse subsister, conire le déposi-
taire, la règle générale qui, a défaut de désignation, déter-
mine le lieu du paiement par celui où se trouvait, au temps
de l'obligation, le corps certain qui en est l'objet. En consé-
quence, la restitution doit être faite au lieu même du dépôt.
V. art. 1943, et à ce sujet art. 1247-, v. au contraire Pomp.,
L. 2, § 1, D. depos.
154 bis. I. L'expression dont se sert la loi pour déterminer le lieu
où doit se faire la restitution du dépôt ne laisse pas d'être obscure.
Qu'entendre par le lieu du dépôt? Le sens naturel de l'expression
paraît être le lieu où a été fait le contrat, c'est alors l'application
de l'article 1247, car il s'agit d'une obligation de corps certain,
le dépôt régulier ne pouvant pas en faire naître une autre ; de
plus, le lieu où le contrat a été fait se confond en matière de
dépôt avec le lieu où était, au temps de l'obligation, la chose
qui en fait l'objet (art. 1247). Puisque le dépôt est un contrat réel
naissant de la remise de la chose, le contrat s'est nécessairement
formé dans le lieu même où se trouvait la chose lors de sa
formation.
La solution se rattache donc à un principe, et cependant elle
paraît n'être pas à l'abri des critiques. Tient-elle un compte suffi-
sant de la volonté des parties ? Comment croire que le dépositaire
qui rend un service gratuit a pu accepter la charge de transporter
la chose déposée ? N'a-t-il pas dû penser qu'il s'obligeait seulement
à tenir la chose à la disposition du déposant ? Souvent il sera im-
possible de croire que les parties ont entendu régler ainsi la resti-
tution; si la chose a été remise au dépositaire soit chez le déposant,
soit dans une localité où n'habite ni l'un ni l'autre des contractants,
la convention a pour résultat prévu que le dépositaire emportera
l'objet et le gardera chez lui. Il n'est pas venu dans la pensée des
parties, surtout dans la seconde hypothèse, que la chose sera trans-
13G COl'IiS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. Ll\. Ul.
portée, sans utilité pour le déposant, dans le lieu où il se trouvait
accidentellement lors du dépôt.
Dans ce cas au moins, nous nous croirons autorisé à décider que
la convention tacite a fixé le domicile du débiteur comme lieu du
paiement.
151 bis. II. Mais en dehors de cette hypothèse et en examinant le
éasmème où le contrat a été fait chez le débiteur, nous considérons
la solution de la loi comme regrettable. Elle applique une règle
générale sur la valeur de laquelle nous avons déjà fait des réserves (1).
Nous avons montré que cette règle, écrite dans l'intérêt du débiteur
et en songeant aux choses encombrantes et difficilement transpor-
tables, ne devait pas être étendue aux espèces dans lesquelles l'objet
dû n'aurait aucun de ces caractères. Si l'on admet cette distinction
sur l'article 1247, il faut l'appliquer à l'article 1943, qui se trouve
ainsi à l'abri des critiques; si l'on rejette la distinction, on arrive
à ce résultat que le dépositaire qui a changé de domicile a aggravé
son obligation de restituer, alors certes qu'il ne s'est pas in-
terdit ce changement et qu'il a été contraint par son obligation
même d'emporter avec lui la chose déposée (2). Pour tout dire
cependant à la décharge de la loi, en appliquant, ce qui paraît aller
de soi, la fin de l'article 1942 au cas de l'article 1943, la charge
de transport est moins lourde qu'elle ne paraît l'être au premier
abord; néanmoins elle impose au dépositaire des soins et par con-
séquent une responsabilité qu'il a le droit de redouter.
155. Le dépôt n'élant fait que dans l'intérêt du déposant,
il doit naturellement lui être remis aussitôt qu'il le réclame.
Le terme même qui serait fixé par le contrat ne ferait point
obstacle a cette règle, car il ne serait censé stipulé qu'en
faveur du déposant. Toutefois, la règle souffre quelques limi-
tations : ainsi la saisie-arrêt ou opposition faite par un tiers
aurait ici son effet ordinaire. V. art. 19-44, et a ce sujet, art.
1242-, C. Pr., art. 557. 11 est certain, du reste, qu'a cette
exception il faut joindre celle de l'article 1948. Il n'est pas
moins évident qu'on ne pourrait refuser au dépositaire le
temps nécessaire pour faire venir la chose, si elle ne se trouve
(1) V. t. V, n« 186 bis.
(2) V. Pothier, oni.lrat de drpôl, n» 57,
T1T. XI. DU DÉPÔT ET DD SÉQUESTRE. ART. 1943, 1944. 137
pas au lieu où elle doit être rendue. Voyez, en outre, art.
1946.
155 bis. I. Pothier ajoute aux cas énumérés dans lesquels le dé-
positaire peut retarder la restitution : 1° celui où il a fait des im-
penses pour la conservation de la chose (art. 1948); 2° celui où la
restitution est demandée par un héritier qui n'a pas encore justifié
de sa qualité (1).
155 bis. II. Nous indiquerons un autre cas, celui où le déposi-
taire, créancier du déposant pour une cause étrangère au dépôt, a
formé une saisie-arrêt entre ses propres mains. Nous avons expli-
qué et justifié au tome V la saisie-arrêt qu'un débiteur, créancier
de son créancier, fait sur lui-même (2), et nous ne voyons rien qui
puisse dépouiller le dépositaire du droit que nous reconnaissons à
un créancier quelconque. Ce n'est pas l'article 1293-2°, qui a trait
à la compensation légale et qui , quelque explication qu'on en donne,
ne saurait s'appliquer à l'hypothèse toute différente de la saisie-
arrêt (3). Ce n'est pas non plus l'article 1948 qui en accordant
spécialement le droit de rétention en faveur des créances résultant
du dépôt, doit être considéré comme refusant le droit de saisir pour
toute autre créance. Certes, nous n'attribuerons pas le droit de ré-
tention pour les créances étrangères au dépôt, mais autre chose est
le droit de rétention, autre chose le droit de saisir-arrèter. Le droit
de rétention est une cause légitime de préférence (4), et ces causes
n'existent que dans les cas spécialement déterminés par la loi
(art. 2093, 2094). C'est lace qui explique l'utilité de l'article 1948
et ne permet pas de tirer de cet article un argument a contrario;
mais le droit de saisie-arrèter est le droit de tout créancier, il s'ap-
puie sur les articles 2092, 2093 et 1166, et il n'est pas besoin d'un
texte spécial pour le reconnaître existant au profit d'un créancier,
il faudrait au contraire un texte clair et précis pour le lui dénier. La
situation du créancier diffère du reste essentiellement, selon qu'il a
le droit de rétention ou simplement le droit de saisir; au premier
cas, il est préféré à tous autres, au moins en tant qu'il s'agit de con-
server la chose et de faire obstacle à toute vente qui le priverait
(1) V. Pothier, ne 59.
(2) T. V, n°251 bis. IX et X.
(3) V. t. V. n" 244 bis. V-VII.
(4) V. t. IX, n« 5 bis. II.
138 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
de sa détention ; au second cas, il est en concurrence avec tous les
autres créanciers sur la valeur qu'il a saisie-arrètée, et l'ancienneté
de la saisie ne lui donne aucune priorité sur ceux qui saisiraient
après lui.
§ III.
Dispositions communes aux deux obligations du dépositaire.
156. Ces dispositions sont relatives : 1° à la sanction de ces
obligations (art. 1945)-, 2° a la cause particulière qui les fait
cesser (art. 1946).
157. Tout débiteur qui contrevient a la loi de son contrat
manque, sous certain rapport, a la confiance qui lui a été
accordée 5 mais cette proposition s'applique surtout au contrat
de dépôt, qui est essentiellement un acte de confiance. De la
une défaveur particulière qui s'attache au dépositaire infidèle.
Il est clair qu'il ne peut mériter l'indulgence qu'on accorde
au malheur joint à la bonne foi. Aussi la loi proclame-t-elle
comme principe de la matière son exclusion du bénéfice de
cession, exclusion qui du reste est commune a tout débiteur
de mauvaise foi. V. art. 1945, et à ce sujet, art. 1268;
C. Pr.,art. 905.
157 bis. I. Il ne s'agit dans l'article que du dépositaire infidèle et
non pas de tout dépositaire condamné pour faits relatifs au dépôt ;
l'infidélité suppose la mauvaise foi, et le dépositaire peut être con-
damné pour de simples négligences.
157 bis. II. Voir, sur l'utilité du bénéfice de cession depuis
l'abolition de la contrainte par corps en matière civile, tome Y,
n° 213 bis.
158. On ne peut évidemment se constituer gardien, pour
autrui, d'une chose dont on est soi-même propriétaire, et
dont, à ce litre, on a l'entière faculté de disposer. Celui donc
qui, par erreur, recevrait en dépôt sa propre chose, ne con-
tracterait point valablement les obligations d'un dépositaire ;
seulement, le fait matériel du dépôt mettant la présomption
contre lui, ce serait a lui a prouver sa propriété; mais cette
T1T. XI. DU DÉPÔT ET DU SÉQUESTRE. ART. 1945-1947. 439
preuve faite, toutes les obligations cesseraient. V. art. 1946;
Julien, L. 15, D. depos.
SECTION IV.
Des obligations de la personne par laquelle le dépôt
a été fait.
159. Le déposant ne contracte, ni implicitement, ni expli-
citement, aucune obligation immédiate. Mais il peut inci-
demment se trouver obligé, ex œquitate, a raison du dépôt
qu'il a fait. Ses obligations peuvent avoir pour sujet : 1° le
remboursement des dépenses faites par le dépositaire pour la
conservation de la chose; 2° l'indemnité des pertes que le
dépôt peut lui avoir occasionnées. Y. art. 1947.
159 bit. I. Les dépenses de conservation consisteront, par exem-
ple, dans les frais de nourriture de l'animal déposé, les médicaments
s'il a été malade. Quant aux pertes occasionnées par le dépôt, on
peut supposer que l'animal était atteint d'une maladie contagieuse,
ou que des liquides corrosifs étaient contenus dans des vases mal
clos, et qu'ils ont endommagé des objets appartenant au déposi-
taire.
159 bis. II. Entre ces deux genres de créances, nous signalerons
une différence importante. La première est protégée non seulement
par le droit de rétention (art. 1948), mais par un privilège (art.
2102-3°) ; la seconde n'est garantie que par le droit de rétention.
La raison de cette différence est très-facile à saisir. Le déposant
qui a fait des frais pour la conservation de la chose, a agi, sinon
en vue des autres créanciers, au moins dans leur intérêt, il leur a
conservé une chose qui est leur gage, et il serait inique que ceux-
ci fussent payés sur ce gage, avant qu'il fût intégralement rem-
boursé. C'est la raison très-équitable d'un très-grand nombre de
privilèges (1). Au contraire, la créance du dépositaire qui a subi un
préjudice est certes très-justifiée, mais elle n'est pas fondée sur un
enrichissement du déposant, sur une augmentation du gage de
ses créanciers, il n'y a pas là une base pour un privilège.
(1) V. t. IX, a'- 21 bit el 30 bit. I.
140 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
159 bis. III. Des auteurs ont contesté ce que nous disons sur le
privilège, ils le refusent au dépositaire. Nous ne voyons pas biçn
leur raison. L'article 2102-3° ne fait pas de distinction, il n'attribue
pas le privilège à telle ou telle personne, mais impersonnellement
aux frais faits pour la conservation de la chose. Voilà le texte néces-
saire pour asseoir un privilège. La raison de ce texte s'applique par-
faitement à un dépositaire, et nous ne comprenons pas pourquoi cet
homme ne serait pas traité comme toute autre personne ayant
conservé la chose. Serait-ce parce qu'il a rendu un double service
au débiteur, l'un en qualité de dépositaire, l'autre comme conser-
vateur de la chose ?
Si l'on dit que l'existence du droit de rétention implique la non-
existence du privilège, nous répondrons que rien dans la loi n'in-
terdit le cumul de ces deux droits, et qu'on voit, par exemple, le ven-
deur de meubles jouir d'un droit de privilège en vertu de l'article
même qui nous occupe, l'article 2102, tandis qu'il peut avoir un
droit de rétention en vertu de l'article 1612 (1).
160. Les obligations incidentes du déposant ayant toujours
leur principe dans le contrat de dépôt, il est juste que leur
accomplissement devienne la condition de l'obligation princi-
pale du dépositaire. De la le droit de rétention accordé à celui-
ci jusqu'à l'entier paiement de ce qui est dû à raison du
dépôt. V. art. 1948-, v. aussi art. 2102-3°.
SECTION V.
Du dépôt nécessaire.
161. Le dépôt nécessaire est ainsi appelé parce qu'il ne
procède pas de la volonté libre du déposant, mais d'une
volonté forcée par quelque accident, qui, menaçant ses effets
d'une destruction imminente, l'oblige, pour les préserver,
de les remettre instantanément aux mains de la première
personne qui peut s'en charger. V. art. 1919.
(1) V. C. C, 10 décembre 1850. Sirey, 1851-1, 143. V. cependant Aubry et
Rau, t. III, p. 452. Édit. 1856.
T1T. XI. DU DÉPÔT ET DU SÉQUESTRE. AKT. 1917-1951. 141
162. L'urgence des circonstances ne permettant pas en
pareil cas de se procurer une reconnaissance par écrit, il eût
été injuste d'appliquer au dépôt nécessaire les règles ordi-
naires sur la preuve testimoniale. Aussi, dans ce cas, cette
preuve est-elle admise, quelle que soit la valeur de la chose.
V. art. 1930, 1348.
163. Cette dérogation est la seule qui soit ici consacrée,
et les règles ordinaires du dépôt sont expressément décla-
rées toutes applicables d'ailleurs au dépôt nécessaire. Voy.
art. 1951.
Toutefois, le déposant n'ayant point alors à s'imputer le
choix d'un dépositaire négligent, il semble juste que la
responsabilité de celui-ci puisse être, suivant les cas, plus
rigoureusement appliquée. La loi elle-même déployait contre
lui cette rigueur en le soumettant à la contrainte par corps
(art. 2060-1°). Celte voie d'exécution est aujourd'hui abolie
en matière civile (1. du 22 juillet 1867, art. 1er).
En outre, il paraît conforme a la nature des choses et à
l'intention du législateur, manifestée par l'économie des
articles du Code, de modifier dans leur applicatiou au dépôt
nécessaire les règles relatives à la propriété du déposant
(art. 1922) et à la capacité des parties contractantes (art. 1925
et 1926).
163 bis. I. En examinant ce que nous avons dit sur les articles
1922, 1925 et 1926, on verra que les dispositions de ces articles
sont applicables sans tempérament au dépôt nécessaire.
Le premier de ces articles, en effet, admet la validité du dépôt
fait par un autre que le propriétaire, pourvu que le déposant ait au
moins reçu un mandat tacite de faire le dépôt. Or, il est bien certain
que quiconque tient la chose d'autrui, du consentement du proprié-
taire, a tacitement la charge et le pouvoir de garantir cette chose
des conséquences de tout accident grave de la nature de ceux qui
amènent le dépôt nécessaire.
Que si le déposant ne tenait pas la chose de la volonté du pro-
priétaire, il n'aurait pas agi pour celui-ci, et nous ne pourrions pas
plus dans ce cas que dans celui du dépôt volontaire, faire produire
142 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
au contrat des effets dans les rapports entre le dépositaire et le
propriétaire. Mais le contrat produira ces effets entre les contrac-
tants (1).
163 bis. IL L'article 1925, dans son premier alinéa, contient une
formule dont nous n'avons pas à restreindre la rigueur à propos du
dépôt nécessaire, parce que la suite de l'article 1925 et l'article 1926
y apportent des restrictions indispensables, même en matière du
dépôt volontaire.
On ne peut certes pas refuser d'appliquer au dépôt nécessaire
l'article 1925, deuxième alinéa, qui contient une application pure et
simple des principes sur les obligations annulables.
Quant à l'article 1926, qui suppose un dépositaire incapable, ses
solutions sont trop raisonnables et trop juridiques pour les modifier,
quand il s'agit du dépôt nécessaire. Quand l'urgence du danger aura
contraint le déposant à recoudra un dépositaire incapable, ne faut-
il pas toujours tenir compte de l'incapacité? Le mineur ou l'interdit
doit-il être moins protégé? La loi ne l'a pas dépouillé du privilège
de son incapacité. Dès lors il faut régir sa situation par l'article
1926 et les différents articles du titre des contrats qui l'expliquent
et le complètent (2).
164. Lorsqu'un voyageur logeant dans une auberge ou
hôtellerie y apporte avec lui des effets, l'aubergiste ou hôte-
lier n'en devient pas proprement dépositaire; car ces effets
peuvent n'avoir pas été spécialement confiés à sa garde; et
quand ils l'auraient été, cette remise serait plutôt considérée
comme un accident du contrat de louage, que comme for-
mant un contrat à part. Quoi qu'il en soit, il n'a jamais été
douteux dans le second cas, appelé dépôt d'hôtellerie, que
Yhôtelier ne fût tenu de la garde, et plus rigoureusement
même qu'un dépositaire ordinaire. Notre Code consacre
cette doctrine, pour l'un comme pour l'autre cas, en décla-
rant les aubergistes ou hôteliers responsables comme dé-
positaires, par cela seul que les effets ont été apportés par le
voyageur. Du reste, la remise chez l'aubergiste étant, sous
certain rapport, forcée, cette remise, une fois qualifiée dépôt,
(1) V. tupra, n° 135 bis. I-III.
(2) V. ci-dessus, n» 137 bit. I-V.
TIT. XI. DU DEPOT ET DU SÉQUESTRE. ART. 1951-1954. 143
est à juste titre considérée comme dépôt nécessaire. V. art.
1952; et a ce sujet, art. 1950 et 2060-1°; v. aussi Ulp., L. 1,
D. naut. caup.
164 bis. L'article 1348 tire une conséquence très-importante du
caractère nécessaire attribué au dépôt d'hôtellerie. Ce dépôt peut
être prouvé par témoins, même quand il s'agit d'une valeur au-dessus
de 150 francs. Seulement les tribunaux ont le droit de tenir compte de
la condition des personnes et des circonstances de fait, c'est-à-dire
qu'ils ne sont pas esclaves des témoignages apportés et qu'ils ont en
cette matière, comme toutes les fois que la preuve testimoniale est
admise, le droit de tenir compte de présomptions abandonnées à leur
sagesse (art. 1353).
165. La responsabilité de l'aubergiste s'applique même au
fait des tiers. D'abord il est évident, quand on ne le considé-
rerait pas comme dépositaire, qu'il répondrait toujours du
fait de ses domestiques et préposés (v. art. 1384). La même
raison pourrait encore le faire répondre du fait de ses pen-
sionnaires. Mais pour donner aux voyageurs une sûreté
complète, la loi, tranchant a cet égard toute incertitude,
déclare l'aubergiste responsable, même du fait des allants
et venants. Cette responsabilité, du reste, comprend égale-
ment le cas de vol et celui de dommage. V. art. 1953, et a ce
sujet, Ulp., L. 1, § 8; Gaius, L. 2, D. naut. caup.; v. pour-
tant Ulp., L. unique, § 6, D.furt. adv. naut.; Paul., L. 6,
§ 3, D. naut. caup.
166. Quoi qu'il en soit, la loi, ne rendant l'aubergiste res-
ponsable du vol que parce qu'elle le présume imputable à un
défaut de soin, sa responsabilité cesse dans les cas de force
majeure, dans lesquels rentrent naturellement les vols faits
avec force armée. V. art. 1954. Il est évident qu'il en faut
dire autant de tout accident autre que le vol, résultant égale-
ment d'une force majeure.
166 bis. L'aubergiste serait également déchargé de sa responsa-
bilité s'il prouvait que la perte est le résultat d'une négligence
imputable au voyageur.
Ajoutons que, par les raisons que nous avons exposées à propos
LU COURS ANALYTIQUE DE GODE CIVIL. LIV. III.
du contrat de transport, la responsabilité de l'aubergiste ne pour-
rait pas être supprimée ou limitée sans une convention expresse, et
que cette convention ne serait pas prouvée par le simple fait d'un
avis imprimé ou manuscrit placardé dans telle ou telle partie de
l'hôtel (1).
CHAPITRE III.
DU SÉQUESTRE.
SECTION I.
Des diverses espèces de séquestre.
167. Le mot séquestre s'applique plus particulièrement au
cas où une chose, dont la propriété ou la possession est liti-
gieuse, est remise a la garde d'un tiers jusqu'à l'événement
du litige, pour être alors restituée a qui de droit. Mais la
loi comprend, sous le nom de séquestre, tous les cas ou,
par ordre ou mandat de justice, une chose est confiée a la
garde d'un tiers, pour la conservation des droits divers des
intéressés. Ce point de vue, qui multiplie les espèces de
séquestre, n'empêche pas cependant de les ramener toutes à
deux principales : 1° le séquestre conventionnel; 2° le
séquestre judiciaire, qui, dans le langage du Code civil, com-
prend tous les cas de dépôts judiciaires. V. art. 1955.
•»
SECTION IL
Du séquestre conventionnel,
168. Le séquestre conventionnel est une sorte de contrat
de dépôt, puisqu'il consiste dans la remise, volontairement
(1) V. t. VII, a»233 6«.
T1T. XI. DU DÉPÔT ET DO SÉQUESTRE. ART. 1956. 145
faite, d'une chose, sous la garde de l'un des contractants,
qui s'oblige a la rendre; mais le caractère distinctif de ce
dépôt, c'est qu'ayant pour objet une chose conlentieuse, la
restitution n'en doit être faite qu'après la contestation ter-
minée, et à celui des contendants qui sera jugé devoir l'ob-
tenir. De là, au reste, il résulte certainement que ce dépôt
doit régulièrement être opéré par deux personnes au moins
(v. Florent., L. 17, D. h. t. ); cependant, à s'attacher aux
termes de la loi, il peut être fait même par une seule.
V. art. 1956.
168 bis. I. Le Code reconnaît avec raison que le contrat de sé-
questre peut être fait entre le dépositaire (appelé aussi séquestre)
et un ou plusieurs déposants. Cependant il semble, au premier abord,
que le dépôt doit être fait par les deux parties contendantes, c'est bien
l'hypothèse normale, et c'est alors seulement que le contrat pro-
duira toutes les conséquences qu'il peut produire, alors seulement
que le dépositaire sera lié envers les deux parties et ne pourra pas
se libérer en remettant l'objet à l'une d'elles avant le jugement de
la contestation. Aussi Pothier, dans sa définition, suppose-t-il que le
dépôt a été fait par deux ou plusieurs personnes.
168 bis. II. L'hypothèse du Code, le dépôt fait par une seule
partie, est cependant possible, et le contrat, s'il ne produit pas la
plénitude des effets du contrat fait par les deux parties conten-
dantes, donnera cependant naissance aux obligations du séquestre
envers la partie déposante. On ne peut donc pas reprocher aux ré-
dacteurs du Code d'avoir donné à leur définition une largeur que
Pothier ne donnait pas à la sienne.
Le contrat du dépôt fait par une seule des parties contendantes
sera valable, et il en résultera entre le déposant et le dépositaire les
relations que crée le séquestre. Seulement cette convention, à la-
quelle l'autre partie est étrangère, ne peut pas conférer à celle-ci de
droit contre le dépositaire; celui-ci n'est pas tenu envers la partie qui
n'a pas joué un rôle dans le contrat, et notamment il n'est pas forcé
de respecter la clause par laquelle il a été stipulé que la restitution
dépendrait de l'événement du procès. Si le déposant unique re-
demande la chose, le dépositaire ne peut pas refuser de la rendre,
puisqu'il n'est pas exposé à des réclamations de la part de l'autre
partie envers laquelle il n'est pas engagé.
vhi. 10
116 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
168 bis. III. Le contrat cependant n'est pas dénué de tout effet
à l'égard du contendant qui y a été étranger. Il contient en effet
une stipulation en faveur d'un tiers. Dans la pensée du déposant, la
chose devait être conservée par le dépositaire dans l'intérêt de qui
de droit. La convention doit donc valoir ce que vaut une stipulation au
profit d'un tiers; elle peut, il est vrai, être révoquée, c'est pourquoi
nous avons dit que le déposant pourrait exiger la restitution, mais
cette faculté de révocation n'existe plus quand le tiers a déclaré
vouloir profiter de la stipulation (art. 1121). Le contrat se com-
plète alors et produit tous les effets d'un séquestre constitué par les
deux parties intéressées.
169. La remise d'une chose à un tiers, dans le but qui vient
d'êlre indiqué, forme l'élément subslantiel du séquestre, qui
dès lors ne perdra point son caractère, soit que la garde doive
être ou non salariée. Seulement le séquestre non gratuit
tiendra plus du louage que du dépôt-, tandis que le séquestre
gratuit restera, sauf les différences déjà marquées et celles
qui vont suivre, soumis aux règles du dépôt proprement dit.
V. art. 1957, 1958. Il est clair, d'après cela, que le sé-
questre gratuit produit, en général, entre les contractants,
les mêmes obligations que le dépôt.
169 bis. Le séquestre est une variété du dépôt, la loi ne le consi-
dère pas comme un mandat; il ne faut donc pas lui appliquer la
règle de l'article 2002, qui établit la solidarité légale des mandants,
lorsqu'ils sont plusieurs, envers le mandataire. La solidarité légale
ne se présume pas, elle est de droit étroit, elle ne peut être appuyée
que sur un texte spécial.
Le séquestre sera cependant protégé par un droit de rétention
(art. 1948), en vertu duquel il refusera à la partie qui aura gagné
le procès la restitution de la chose, tant qu'il n'aura pas été intégra-
lement payé des dépenses faites pour la conservation de cette chose.
170. Le dépôt proprement dit n'ayant point pour but de
déplacer la possession, que le déposant au contraire doit
retenir par le dépositaire, son utilité n'existe réellement que
pour les meubles ; car, à l'égard des immeubles que l'on
voudrait confier aux soins d'autrui, il suffit du mandat. Aussi
avons-nous vu que le dépôt ne s'applique point aux immeubles
TIT. II. DU DÉPÔT ET DU SÉQUESTRE. AHT. 1959-1960. 1 17
(art. 1918). lien est autrement du séquestre, qui souvent
aura précisément pour but de transférer temporairement à
un tiers la possession, qui est peut-être le principal ou
l'unique objet du litige (v. Florent., L. 17, § 1, D. depos.;
v. aussi Julien, L. 39, D. de acq. vel am. poss.). L'utilité de
ce transport de possession pouvant s'appliquer aux biens de
toute nature, le séquestre peut avoir pour objet même des
immeubles. \. art. 1959.
170 bis. Dans l'hypothèse prévue par M. Demante, le but des
parties qui consentent à transférer temporairement la possession au
séquestre est de dépouiller chacune d'elles de la possession qu'elle peut
avoir, pour que le temps de cette possession intérimaire ne puisse
être compté au profit d'aucune des deux parties contre l'autre.
171. Le dépositaire proprement dit doit restituer la chose
à la première réquisition du déposant (art. 1944); ajoutons
qu'il peut en général se décharger, a sa volonté, de la garde
de la chose en la restituant. Il en est tout autrement du sé-
questre. Celui-ci, en recevant la chose, s'oblige à la garder
jusqu'à l'événement de la contestation ; et cette obligation
étant contractée par lui envers toutes les parties intéressées,
il ne peut, en principe, se décharger auparavant que du con-
sentement de toutes. Néanmoins, il le peut sans ce consente-
ment pour certaines causes, dont la légitimité est laissée à
l'appréciation des juges. V. art. 1960 ; v. , à ce sujet, Ulp., L.
2, D. depos.
171 bis. I. Pothier donne comme exemples de causes légitimes
pouvant être invoquées par le séquestre, une maladie grave qui
l'aurait mis hors d'état de remplir sa mission, ou un voyage lointain
et nécessaire (1).
171 bis. II. Une discussion longue et embarrassée s'est élevée dans
le sein du conseil d'État sur le sens des mots parties intéressées em-
ployés par l'article 1960 (2). Il s'agissait de savoir si, le séquestre
ayant été constitué par deux parties en procès, la restitution pou-
vait être obtenue lorsque ces deux parties étaient d'accord pour
(1) V. Polhier, n° 87.
(2) Séance du 28 nivôse au XII.
10.
148 C0UKS ANALYTIQUE Dli CODE CIVIL. L1V. III.
la demander avant le jugement du procès, bien qu'un tiers fût inter-
venu dans ce procès, ou pût y intervenir dans la suite. Les principes
conduisent à répondre affirmativement, car le séquestre dont nous
parlons est un contrat, et de ce contrat il ne peut résulter des droits en
faveur de tiers. On a, ce nous semble, trop confondu dans la dis-
cussion le séquestre conventionnel avec le séquestre judiciaire;
l'ordre du juge peut avoir été donné dans l'intérêt de quiconque
pourrait élever des prétentions. Mais les parties, quelque expression
qu'elles ont employée, n'ont du songer qu'à elles-mêmes. Cette
dernière considération nous empêche de traiter leur convention
comme une stipulation en faveur d'un tiers (art. i 121), et nous
conduit à autoriser la restitution, à moins que le tiers n'ait direc-
tement fait opposition entre les mains du séquestre, cas où nous
appliquons tout simplement l'article 1944.
SECTION III.
Du séquestre ou dépôt judiciaire.
172. Le dépôt judiciaire est celui qui est ordonné par la
justice, ou qui du moins procède de son autorité. Ce dépôt,
n'ayant jamais pour but que la conservation des droits res-
pectifs de plusieurs intéressés, participe toujours, sous ce
rapport, de la nature du séquestre. Aussi la loi lui donne-
t-elle indifféremment le nom de dépôt et celui de séquestre.
Elle indique ici trois cas où ce séquestre peut avoir lieu :
1° A l'égard des meubles saisis (v. C. Pr., art. 596, 597)-,
2° A l'égard d'un meuble ou d'un immeuble, dont la pro-
priété ou la possession est litigieuse;
3° A l'égard des choses qu'un débiteur offre pour sa libé-
ration (art. 1257, 1259, 12(54), v. art. 1961 , et remarquez
que le séquestre étant une mesure conservatoire, dont l'utilité
peut se faire sentir dans une foule d'autres cas, le pouvoir de
l'ordonner n'est pas limité à ceu\ qui sont ici énoncés. La loi
elle-même en indique quelques autres (art. 602-, C. Pr.,
art. 688; v. aussi C. instr. crim., art. 465).
172 bit. I. Les différents dépôts énumérés dans l'article 1961
T!T. X!. DU DÉPÔT ET DU SÉQUESTRE. ART. 1961. 149
n'ont pas tous le même caractère. Au premier cas indiqué, la justice
n'intervient pas; l'huissier, procédant à une saisie, est autorisé par
le Code de procédure à constituer un gardien (art. 596, 597, 628,
821, 823, 830, C. Pr.). Dans la seconde hypothèse, la chose est
litigieuse, et son dépôt est ordonné au cours du litige par le tribu-
nal saisi de la contestation. Dans la troisième, il faut distinguer:
s'il s'agit de somme d'argent, la consignation, c'est-à-dire le dépôt,
est une condition de la validité des offres, et le dépositaire est
désigné par la loi (art 1258-1249). S'il s'agit au contraire d'un
corps certain, il faut l'intervention de la justice pour que le débiteur
soit autorisé à le mettre en dépôt hors de chez lui (art 1264).
Pour les dettes de quantités autres que de l'argent, nous avons
établi au tome V, n° 208 bis. III, qu'elles sont soumises aux
règles générales sur les offres; cependant la consignation ne peut
pas se faire comme pour les dettes d'argent, les caisses publiques
ne la recevraient pas ; il faudra donc obtenir de la justice la désigna-
tion du lieu où se fera le dépôt.
172 bis. II. L'énumération de l'article 1961 veut être complétée.
Dans quelques autres cas, le législateur a autorisé la mesure du
séquestre. Ainsi l'article 602 du Code civil indique cette mesure
comme possible à l'égard d'immeubles sujets à un droit d'usufruit,
lorsque l'usufruitier ne fournit pas caution; l'article 681 du Code
de procédure constitue le saisi séquestre de l'immeuble saisi, mais
permet au président du tribunal de nommer un autre séquestre à
la demande d'un ou de plusieurs créanciers. On trouve également un
cas de séquestre dans l'article 465 du Code d'instruction criminelle.
172 bis. III. Indépendamment de ces hypothèses, qui sont réglées
par des textes, il est difficile d'attribuer aux tribunaux le pouvoir
d'ordonner un séquestre. Il est vrai que les hypothèses prévues
donnent au pouvoir judiciaire une assez grande latitude. En effet,
l'article 1961-2° ne restreint pas les pouvoirs au cas de revendication
d'un meuble ou d'un immeuble, mais comprend toutes les hypo-
thèses dans lesquelles la propriété ou la possession estligitieuse. C'est
pourquoi il n'est pas nécessaire d'examiner si l'article 1961 est limi-
tatif pour décider que le séquestre peut être ordonné, quand l'action
a pour objet la rescision ou la résolution de la vente. Ce ne sont pas
là des cas de revendication proprement dite, mais la propriété
est bien litigieuse, puisque le demandeur tend à la faire rescinder
ou résoudre.
150 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
Il est au contraire des circonstances où nous nous trouverions
absolument en dehors des termes de l'article 1961 et où par consé-
quent le pouvoir attribué au juge manquerait d'une base légale.
S'il s'agissait par exemple de dessaisir une personne de sa propriété
pour y faire faire, sous la direction d'un séquestre, des travaux
ordonnés par justice dans l'intérêt du voisin, ou bien si la justice
ordonnait le séquestre des biens d'un débiteur en déconfiture à
l'effet de constituer une administration analogue à celle des biens
de faillis.
173. A l'égard des meubles saisis, ce que la loi appelle ici
séquestre ou dépôt judiciaire, c'est l'établissement d'un gar-
dien, au soin duquel les effets saisis sont confiés sans déplace-
ment. L'établissement de ce gardien est, sous certain rapport,
ordonné par justice, puisqu'il est fait par l'huissier qui procède
au nom de justice. L'buissier l'établit sur la présentation du
saisi ou à son propre choix (C. Pr., art. 596, 597) ^ mais
comme, dans tous les cas, c'est a la requête du saisissant, cet
établissement produit, entre celui-ci et le gardien, des obli-
gations réciproques, qui participent de la nature du dépôt et
de celle du louage de services. Ainsi, le gardien doit : 1° veiller
à la conservation des effets en bon père de famille; 2° les
représenter, à la décharge du saisissant (I), pour la vente, si
la saisie est suivie de vente; autrement, c'est-a-dire s'il est
donné mainlevée de la saisie, c'est au saisi que le gardien
doit les représenter.
Quant au saisissant, son obligation, sinon unique (v. art.
1947), au moins principale, consiste à payer au gardien
son salaire, car celte espèce de dépôt n'est pas gratuit.
Le salaire au surplus est fixé par la loi {Tarif, art. 34).
V. art. .1962.
(1) Si l'on enlend par là que la remise des effets par le gardien déchargera
le saisissant envers le saisi, c'est surtout au cas de remise au saisi après la main-
levée que la proposition devait tire appliquée. (V. Poth.. Dépôt, n° 91.)
Mais telle n'est pas apparemment la pensée du législateur, qui applique au con-
traire, exclusivement, au cas de représentation pour la vente ces mots : à la
décharge du saisissant. La loi veut dire sans doute que, dans ce cas, c'est le sai-
siisant qui donnera décharge an gardien. (Note de M. Deiiante.)
TIT. XI. DU DÉPÔT ET DU SÉQUESTRE. ART. 1962. 151
173 bis. I. Le contrat de dépôt se forme dans l'hypothèse de la
saisie entre le saisissant et le gardien; il en résulte des obligations
réciproques, mais le saisi est également intéressé à la garde, et de
cette garde résultent aussi pour lui des droits et des obligations.
Il faut du reste, quant au saisi, faire une distinction : ou il aura
présenté le gardien, ou celui-ci aura été établi par l'huissier sans
présentation du saisi (art. 596 et 597, C. Pr.). Au premier cas, le
saisi est partie au contrat de dépôt, concurremment avec le saisis-
sant, et par conséquent le contrat produit les effets pour et contre
le saisi aussi bien que pour et contre le saisissant. Il ne faudra pas
toutefois que le gardien soit plus mal traité quand il aura deux
débiteurs que quand il n'en a qu'un seul, l'article 1962 lui donne
une action pour le tout contre le saisissant, il peut avoir intérêt à
préférer ce débiteur plus solvable, et nous ne devons pas le dé-
pouiller du droit d'agir dans les termes mêmes de l'article qui a
constitué son droit.
173 bis. II. Si le saisi n'a pas présenté le gardien, il est étranger
au contrat de dépôt et n'a pas d'action directe contre le gardien.
Mais il subit indirectement les conséquences de la garde, quant au
salaire notamment; s'il n'en est pas débiteur envers le gardien, il
est tenu envers le saisissant, qui, après avoir payé ce salaire, agira
contre lui par voie de recours, puisque cette dépense a été nécessitée
par la faute du débiteur qui n'acquittait pas sa dette.
173 bis. III. Le motif que nous venons d'assigner à notre solution
nous conduit à une certaine restriction. Nous avons supposé que
la saisie était régulière, que le saisi était vraiment débiteur; mais
si la saisie était nulle ou si le saisi n'était pas débiteur (1), il ne
faudrait pas soumettre le saisi étranger à la constitution de la garde,
au paiement des frais. Ces frais n'auraient pas pour cause une
faute de sa part.
173 bis. IV. Le gardien peut être le saisi lui-même (art. 598, C.
Pr.). Le contrat se forme alors entre lui et le saisissant, et il devient
responsable des négli gences qu'il commettrait quant à sa propre chose.
Le gardien se trouve alors avoir plus et moins de droits qu'un
gardien ordinaire ; ainsi il conserve le droit de se servir des choses
saisies, il n'est privé que du droit d'en disposer, tandis que
l'usage même est interdit au gardien étranger; on soutient aussi
(1) V. M. Colmet Daâge, Procédure tivile, t. II, d° 861.
152 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
qu'il profite du croît des animaux, du lait, de la laine, qu'il peut
louer les choses qu'il était dans l'habitude de louer. Voilà Jes avan-
tages qu'il a sur le dépositaire étranger, mais il n'a pas droit à un
salaire, voilà en quoi la position est moins avantageuse que celle
des autres gardiens (1).
174. Pour tous les autres cas de séquestre judiciaire, la loi
se borne à poser deux règles : l'une relative au choix du dé-
positaire, l'autre concernant ses obligations.
Le choix du dépositaire appartient, soit aux parties d'ac-
cord, soit au juge d'office. V. art. 1963, al. 1; v. pourtant
art. 1259.
Dans le premier cas il y a contrat, et non dans l'autre; mais
cette circonstance ne doit rien changer aux obligations de
celui a qui la chose est confiée, lesquelles sont toujours les
mêmes qu'au cas de séquestre conventionnel. V. art. 1963,
al. dern.
174 bis. I. L'article 1963, premier alinéa, ne dit pas clairement à
qui appartient le droit de nommer le séquestre judiciaire. Ce ne
peut être le hasard ou le caprice du juge qui décidera si la nomi-
nation sera faite par les parties ou par le juge lui-même. On voit
toutefois dans l'article que la nomination par les parties s'est pré-
sentée la première à l'esprit du législateur, d'où il y a lieu de con-
clure que le juge n'interviendra qu'autant que les parties n'auront
pas pu s'entendre; c'est ce qui se passe pour la nomination d'experts
(art. 304, 305, C. Pr.), et c'est la règle que posait Pothier dans le
passage qui a inspiré les rédacteurs du Code civil (2).
174 bis. II. Le séquestre judiciaire est de sa nature salarié. On
peut, en effet, supposer que celui qui se charge d'une responsabilité
imposée par justice a entendu que ses soins seraient payés, comme
le sont ceux des experts ou autres personnes chargées de missions
judiciaires. Cette stipulation tacite d'un salaire est d'autant plus
présumable qu'elle s'appuie sur l'analogie entre le séquestre constitué
en vertu de l'article 1963 et le gardien établi dans l'hypothèse de
l'article 1962.
174 bis. III. Resterait à savoir si le salaire est dû solidairement
(1) V. M. Colmet Daâge, Procédure civile, t. II, n" 859.
(2) V. Pothier, n° 98.
TIT. XI. DU DEPOT ET DU SÉQUESTRE. ART. 1963. 153
par les deux parties. Nous ne le pensons pas, puisque la solidarité
ne s'appuierait pas sur un texte, mais nous donnons au séquestre un
droit de rétention qui, dans ses rapports avec la partie gagnante,
lui fournira le moyen d'être payé intégralement.
TITRE DOUZIEME.
DES CONTRATS ALÉATOIRES^
175. Ce titre, consacré en grande partie à la rente viagère,
se rattache sous ce rapport a la matière du prêt. Le législa-
teur, qui du prêt a usage s'est trouvé conduit par analogie a
traiter immédiatement du dépôt, revient ensuite a compléter
ses dispositions sur la constitution de rente, qu'il a présentée
comme une espèce de prêt a intérêt (art. 1909), et dont la
constitution en viager est elle-même une des branches, dif-
férant surtout de l'autre par son caractère de contrat aléatoire.
Quoi qu'il en soit, la loi embrasse ici d'une manière géné-
rale toute la classe des contrats aléatoires-, elle les définit,
énumère les principaux, et se borne, pour deux d'entre eux,
qui sont surtout d'un fréquent usage dans le commerce mari-
time, à renvoyer aux lois de la matière (art. 1964.) Puis, après
avoir très-succinctement, dans un premier chapitre, traité de
deux autres qui méritent a peine le nom de contrat, elle
traite avec détail, dans le chapitre 2, de la rente viagère, qui
au surplus, comme on le verra bientôt, n'est pas toujours
créée par un contrat aléatoire, et qui peut même ne pas l'être
par un contrat.
176. Le contrat aléatoire est une convention réciproque;
entendez par la une convention faite dans l'intérêt réciproque
des contractants, en d'autres termes, un contrat à titre oné-
reux. Ainsi l'une des parties n'y procure pas a l'autre un avan-
tage purement gratuit-, car s'il y a espoir d'un avantage, cet
espoir est balancé par la possibilité d'une perte. Sous ce rap-
port, mais sous ce rapport seulement, l'effet du contrat dépend
d'un événement incertain. Du reste, l'avantage incertain de
l'un ne pouvant se réaliser qu'aux dépens de l'autre, et pa-
reillement la perte de l'un devant toujours, à certains égards,
TIT. III. DES CONTRATS ALÉATOIRES. ART. 1961. 155
profiter a l'autre, on peut dire, avec la loi elle-même (art.
1104), qu'il y a, dans tous les cas, pour chacune des parties,
chance de gain ou de perte. D'un autre côté cependant, il est
certains contrais aléatoires où les chances sont réciproque-
ment les mômes-, tandis qu'il en est d'autres dont le but, au
contraire, est, pour une ou plusieurs des parties, de se sous-
traire, moyennant un sacrifice une fois fait, aux chances de
l'avenir, en les faisant uniquement peser sur l'autre ou sur les
autres. On peut donc, pour marquer celte différence, distin-
guer ici, avec la loi, des contrats où c'est pour toutes les
parties que les effets dépendent d'un événement incertain, et
d'autres où c'est seulement pour l'une ou plusieurs d'entre
elles. V. art. 1964, al. 1.
La définition du conlral aléatoire est susceptible d'une
application très- générale, et l'on sent, par exemple, qu'il
n'est guère de contrat commulalif que Ton ne puisse convertir
en aléatoire, en substituant une chance à l'équivalent que
l'une des parties doit donner ou recevoir. La loi se borne a
en énoncer cinq principaux : l'assurance, le prêt a grosse
aventure, le jeu, le pari, et le contrat de rente viagère. V. art.
1964, al. 2-6.
176 bis. Nous nous sommes expliqué au tome V, n° 6 bis, sur
la définition des contrats aléatoires en comparant l'article 1964 et
l'article 1104, et nous avons montré sous l'influence de quelles
idées les rédacteurs de Code civil avaient pu donner de ces contrats
deux définitions différentes.
177. L'assurance est un conlrat consensuel, synallagma-
tique, par lequel l'un des contractants, appelé assureur, se
charge, moyennant une somme ou prestation fixée à tout
événement, et qu'on nomme prime, des risques auxquels est
exposée la chose de l'autre contractant, désigné sous le nom
d'assuré. Ce contrat, qui longtemps n'a élé usité que dans e
commerce maritime, est devenu, d'une application bien plus
étendue.
Le prêt a grosse aventure, ou contrat a la grosse, est un
prêt, par conséquent un contrat réel, unilatéral, dans lequel
156 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
les sommes prêtées, avec affectation d'objets faisant partie
d'une expédition maritime, ne doivent être restituées qu'en
cas d'heureuse arrivée, mais doivent l'être alors avec un
profit maritime supérieur à l'intérêt légal.
Les règles sur l'assurance, considérée uniquement comme
contrat maritime, et celles sur le prêt a la grosse, se trouvent
dans les lois maritimes, qui aujourd'hui font partie du Code
de commerce (V. C. Comm., art. 311-396). V. art. 1964, al.
dernier.
177 bis. C'est au remboursement du prêt à la grosse que les
objets exposés aux risques de mer sont affectés. Il en résulte : que
sur ces objets existe une sorte de privilège analogue au droit de
gage, ou d'hypothèque: et secondement : que si ces objets périssent
par un accident de mer, l'emprunteur est libéré et ne restitue pas
les sommes prêtées (I).
CHAPITRE PREMIER.
DU JEU ET DU PARI.
178. Ce que l'on appelle contrat de jeu est la convention
par laquelle deux ou plusieurs personnes s'engagent récipro-
quement a se payer une certaine somme, suivant le succès
d'une partie de jeu liée entre elles. Le pari en diffère en ce
point seulement, qu'au lieu de dépendre du succès d'une
partie jouée entre les adversaires, le gain ou la perte y dé-
pend, pour chacun, de la conformité ou non-conformité d'un
événement ou d'un fait a sa prévision ou a son assertion.
Ces conventions, dans lesquelles le hasard ou le bien joué
doivent, indépendamment de toute autre cause d'obligation,
enrichir l'un aux dépens de l'autre, ne sauraient être vues
d'un œil favorable. Aussi la loi, sans méconnaître absolu-
ment l'existence de la dette du perdant, refuse-t-elle en
général toute action au gagnant. V. art. 196o.
(1) V. II. Boislel, Précis du droit commercial, p. 1053. Édit. 1878.
UT. XII. DES CONTRATS ALÉATOIRES. ART. 1965. i 57
178 bis. I. La théorie que nous avons exposée sur les obligations
naturelles (ij nous a conduit à reconnaître aux dettes résultant du
jeu ou du pari le caractère d'obligation naturelle. Rien n'explique
mieux les dispositions des articles 1965' et 1967. Seulement, la règle
de l'article 1965 a des conséquences que n'aurait pas la simple attri-
bution à une dette du caractère d'obligationn aturelle. En principe,
ces obligations peuvent être l'objet d'un cautionnement ou d'une
novation, cela ne fait pas doute pour les dettes contractées par les
mineurs. La dette de jeu ne peut être l'objet d'aucune de ces deux
conventions, puisque la loi, par des raisons d'utilité sociale, a déclaré
qu'elle ne pouvait donner lieu à aucune action. La novation ou le
cautionnement, s'il était valable, engendrerait une action qui aurait
son principe dans le contrat du jeu ou du pari, et l'article 1965 fait
obstacle à ce qu'il en soit ainsi. La dette qui nous occupe est donc
une dette naturelle traitée par la loi plus rigoureusement encore
que les autres, mais ce n'est pas une raison pour soutenir que ce
n'est point une dette.
178 bis. IL La dette résultant du jeu ou du pari, c'est la dette
contractée directement par le perdant envers le gagnant. On sorti-
rait des termes de la loi, si l'on soumettait à l'article 1965 la dette
née d'un emprunt qui aurait été fait pour procurer à l'emprunteur
les moyens de jouer. De même, on doit reconnaître une action au
mandataire qui s'est chargé de payer une dette ayant pour cause une
perte au jeu ou dans un pari. Dans ces deux hypothèses, le contrat
est un contrat distinct, un prêt ou un mandat, et l'action du prêteur
ou du mandataire est fondée sur un fait indépendant du jeu ou du
pari, elle s'appuie sur une numération de deniers qui n'a pas pour
cause le jeu ou le pari. Ces deux faits ont pu être les motifs en
vue desquels le débiteur a emprunté ou donné mandat, ce ne sont
pas des causes de son obligation, et quant au fait du créancier, il
a dans les deux cas une cause très-légitime, l'intention de rendre
service a l'autre partie, et, s'il a prêté â intérêts, le bénéfice que
ces intérêts lui procureront.
179. Cependant les jeux qui tiennent à l'adresse ou a
l'exercice du corps ayant sous ce rapport un but d'utilité
sociale, la convention qui tend à les intéresser dans une juste
mesure est exceptée delà défaveur qui s'attache en général
(1) V. t. V, a3 174 bit. VIII.
158 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
au jeu; et la loi alors ne refuse plus l'action. Mais la défaveur
ne devant cesser qu'autant que l'intérêt de la partie du jeu est
en proportion de la forlune des joueurs et de l'utilité du jeu ,
il est laissé a la prudence des juges de rejeter la demande,
quand la somme leur paraît excessive. V. art. 1966.
179 bis. On lit dans le discours de Portalis au Corps législatif que
la stipulation d'un gain excessif est immorale et illicite, d'où il
faut tenir cette conséquence qu'elle est nulle pour le tout, c'est-à-
dire que les tribunaux ne pourraient pas se contenter de réduire la
somme première. L'article, du reste, consacre la faculté d'annuler
l'engagement, et non pas celle de le diminuer.
180. Dans tous les cas, l'inefficacité de la dette de jeu
n'est pas entière; elle produit un effet important, celui
d'exclure la répétition. Mais remarquons : 1° que cette pro-
position n'est appliquée par la loi qu'au cas d'un paiement
volontaire ; 2° que la loi y fait exception formelle lorsqu'il y
a eu de la part du gagnant dol, supercherie ou escroquerie.
V. art. 1967, et à ce sujet, art. 1235.
Remarquons, au surplus, que l'effet d'exclure la répé-
tition, attribué a la dette de jeu comme l'obligation natu-
relle, n'autorise point à reconnaître a la dette de jeu le
caractère d'obligation naturelle. Ainsi, selon nous, celte
dette ne pourrait être valablement cautionnée. Ainsi, encore
bien qu'elle soit reconnue cause suffisante de paiement, elle
ne serait pas considérée comme cause suffisante d'une nou-
velle obligation. Nous pensons, en conséquence, que la
nouvelle obligation que le perdant contracterait envers le
gagnant, sans autre cause, ne donnerait pas plus d'action
que la dette primitive.
180 bis. I. Le paiement de la dette du jeu doit avoir été volon-
taire pour que la loi refuse la répétition ; cela ne signifie pas seule-
ment que le fait du paiement ne doit pas être lui-même entaché
des vices de dol ou de violence, il eût été inutile de le dire, mais que
ce paiement doit avoir été fait en connaissance de cause. Il faut
que celui qui paie sache qu'il acquitte une dette de jeu. L'exécution
volontaire joue le rôle d'une confirmation d'obligation annulable, et la
T1T. XII. DES CONTRATS ALÉATOIRES. ART. 1967. 159
confirmation ne peut être faite que par une personne qui connaît
le vice de l'obligation. Nous avons expliqué de cette façon le même
mot, volontairement, écrit dans l'article 1135, à propos du paiement
des obligations naturelles (1); et l'emploi de la même expression
dans l'article 1967 nous confirme dans la pensée que les rédac-
teurs du Code civil ont envisagé la dette du jeu comme l'une de
ces obligations.
180 bis. II. La théorie se complète par la réserve que fait l'article
du cas de dol, supercherie ou escroquerie, de la part du gagnant.
L'obligation était alors entachée d'un double vice : d'abord le vice
résultant de la disposition légale de l'article 1965, ce vice-là est
purgé par le paiement fait dans les conditions que nous venons de
dire; le second vice consistant en ce que la partie du jeu n'avait
pas été loyale, il faudrait pour qu'il fût purgé, que le perdant l'eût
connu lors du paiement, sinon le fait d'avoir renoncé à se prévaloir
de l'article 1965 n'implique pas la renonciation au droit d'opposer t
la nullité résultant des actes frauduleux accomplis par le gagnant.
180 bis. III. L'annulation du paiement pourra aussi être deman-
dée si celui qui payait était un incapable. Gela va de soi, et le Code
n'avait pas besoin d'en parler, puisque c'est une application de prin-
cipes généraux.
180 bis. IV. L'article 1967 suppose que le paiement a été fait
après la partie, peut-être même lorsqu'il s'est écoulé un assez long
espace de temps. 11 y a une autre hypothèse fréquente qu'il faut
examiner. Les enjeux ont été mis sur 1» table. Si à la fin de la
partie le gagnant en a pris possession du consentement du perdant,
l'hypothèse se confond avec la précédente. Mais si, la partie ter-
minée, le perdant s'oppose à la prise de possession du gagnant,
la situation n'est plus la même, et il y a lieu de se demander s'il
faut appliquer l'article 1965 ou l'article 1967. Nous pensons que
l'article 1967 est inapplicable. En effet, en déposant les enjeux,
chacun des deux joueurs a consenti à transférer la propriété de sa
mise à l'autre sous la condition que celui-ci gagnerait la partie (2).
Cette partie terminée, la condition suspensive à laquelle était subor-
donnée la propriété du gagnant s'est réalisée, il est propriétaire,
et s'il s'élève quelque difficulté à sa prise de possession, il agit
comme propriétaire, l'action est la revendication et non pas une
(1) V. t. V, n* 17 i bit. XI et XII.
(2) Cette condition n'est point illicite, car le jeu en soi n'est pas défendue
160 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
action personnelle fondée sur le contrat du jeu : le perdant qui
aurait repris l'enjeu ne pourrait pas invoquer la règle : en fait de
meubles, la possession vaut titre, parce qu'il ne serait pas de
bonne foi.
Nous assimilons à cette espèce celle qui suppose que les enjeux
ont été remis à une tierce personne ; la remise étant un dépôt, les
objets déposés, fussent-ils de l'argent, sont devenus des corps cer-
tains, et contre ce dépositaire l'action en revendication existera
aussi bien que contre le joueur lui-même dans l'espèce précédente.
CHAPITRE II.
DU CONTRAT DE RENTE VIAGÈRE.
181. Toute rente est un droit a une prestation périodique,
et la rente viagère, comme le mot lui-même l'indique, est ce
droit, borné à la durée toujours incertaine de la vie d'une ou
plusieurs personnes. La convention par laquelle une personne
acquiert ce droit incertain dans sa durée, soit pour une
somme d'argent qu'elle fournit, soit comme prix ou condi-
tion d'une aliénation qu'elle consent, est essentiellement un
contrat aléatoire. C'est ce contrat que la loi a ici princi-
palement en vue et dont elle règle : l8 les conditions ; 2° les
effets. Du reste, quoique l'intitulé du chapitre et celui des
deux sections qui le composent ne se réfèrent qu'au contrat
de rente viagère, il est bien a remarquer que ce contrat n'est
pas h seule manière d'acquérir cette rente, et que les règles
ici posées ne sont pas toutes exclusivement bornées à la
rente ainsi constituée.
SECTION I.
Des conditions requises pour la validité du contrat (ou, plus
exactement , de la constitution de rente viagère).
182. La rente viagère, comme tout autre droit, peut se
constituer soit à titre onéreux, soit à titre gratuit.
TiT. XII. DES CONTRATS ALÉATOIRES. ART. 1968. 161
La constitution à titre onéreux a lieu, soit moyennant une
somme d'argent fournie h cette partie qui devra servir la
rente, soit pour une chose mobilière appréciable, ce qui
comprend tous les biens meubles autres que l'argent comp-
tant, soit pour un immeuble. V. art. 1968.
182 bis. I. La constitution de rente viagère à titre onéreux est
un contrat. De sa nature, ce contrat est réel, c'est-à-dire que l'obli-
gation du débiteur de la rente naît de l'aliénation du capital par
lui reçu, que ce capital consiste en argent ou en tout autre objet.
Dans le droit moderne, les constitutions de rentes en général sont des
variétés du contrat de prêt, et ce contrat impliquant une obligation
de restitution ne peut se former que par la livraison d'une chose à
restituer. Telle est du reste la véritable nature de ce contrat, car
Pothier lui-même, qui caractérisait ce contrat en l'appelant une
vente, ajoutait qu'il n'est pas du nombre des contrats consensuels,
car il n'est parfait que lorsque l'acquéreur de la rente en a payé le
prix (1).
C'est bien la doctrine du Code civil, les arrérages sont considérés
comme des intérêts (art. 1909), et dès lors ils ne sont dus qu'à
raison de la jouissance acquise par le débiteur de la rente. Il ne
nous semble même pas qu'il y ait lieu de faire sur ce point une dis-
tinction selon que les rentes sont constituées pour une somme d'argent
ou pour une autre chose. Dans la pensée du législateur, les choses
mobilières ou même les immeubles, dont il est question dans l'ar-
ticle 1968, représentent le capital en argent, et l'opération est tou-
jours un prêt, c'est-à-dire l'aliénation d'une valeur qui ne sera pas
rendue in specie. Ce n'est pas certainement la différence entre les
mots moyennant et pour employés par l'article 1968, qui peut accen-
tuer une différence de nature entre les diverses conventions dont
nous nous occupons, car on substituerait facilement, sans altérer le
sens de la phrase, le mot pour au mot moyennant, et réciproquement.
182 bis. II. Il faut néanmoins tenir compte du principe de la
liberté des conventions. Pothier lui-même le reconnaissait. Si une
personne s'oblige à donner dans un temps déterminé une certaine
chose moyennant que l'acquéreur deviendra débiteur d'une rente
viagère, il y a là un contrat valable et qui oblige les deux parties :
(1) Traité du contrat de eonttitution de rente, a' 2.
VIII 1 1
162 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
l'une à donner la valeur promise, l'autre à la recevoir en devenant
débitrice de la rente. C'est une promesse synallagmatique de con-
stitution de rente viagère plutôt qu'une constitution à proprement
parler.
i82 bis. III. Jusqu'ici nous ne rencontrons pas de difficulté. Mais
la question devient plus délicate quand, dans une pareille convention,
tas arrérages de la rente viagère sont stipulés payables dès le jour de
la convention sans attendre l'exécution de la promesse de livrer le
capital. Exemple : le capital (argent, autres meubles ou immeubles)
sera payable dans trois ans, mais les arrérages de la rente courront
immédiatement. Cette convention ne nous paraît pas en elle-même
illicite. Quand le capital promis consiste en objets autres que de
l'argent, elle ressemble à la clause très-ordinaire par laquelle un
acheteur payerait d'avance quelques fractions du prix. Quand le
capital est en argent, les paiements d'annuités faits avant la per-
ception du capital aliéné par le créancier de la rente sont la représen-
tation du risque que court à tout événement ce créancier, puisqu'il
versera certainement ce capital et ne touchera les annuités que
pendant un temps qui peut être fort court. S'il s'agissait d'une rente
perpétuelle, on pourrait objecter que ces paiements anticipés con-
stituent peut-être des augmentations illicites du taux de l'intérêt ; mais
comme nous raisonnons sur une constitution de rente viagère, cette
observation ne peut avoir aucune influence quant à la solution de
la question que nous avons posée (art. 1976).
183. La constitution a titre purement gratuit est une
libéralité à laquelle il faut naturellement appliquer les règles
ordinaires -, ainsi elle doit être faite par donation entre-vifs
ou par testament, dans les formes établies pour ces sortes
d'actes. V. art. 1969, 893.
181. Il est clair, d'après cela, que la rente ainsi con-
stituée doit se renfermer dans les limites de la quotité dis-
ponible, et que cette constitution ne peut avoir lieu au profit
d'une personne incapable de recevoir. Ainsi, la rente qui excé-
derait la quotité disponible serait, sous certain rapport, ré-
ductible (art. 920; v. pourtant art. 917)-, quant à celle qui
serait constituée a un incapable, elle serait entièrement nulb
(art. 911). V. art. 1970.
TIT. XII. DES CONTRATS ALÉATOIRES. ART. 1968-1970. 163
184 bis. I. M. Demante a expliqué, au tome IV, n° 55 bis, IV et V,
comment l'article 1970 n'est pas en contradiction avec l'article 917,
D'après ce dernier article, les héritiers à réserve ont l'option ou de
payer la rente viagère ou de faire l'abandon de la propriété de la
quotité disponible. L'existence de cette faculté n'est pas exclusive du
droit de réduction, car c'est là un procédé tendant à faire rentrer
la libéralité dans les limites prescrites, c'est un mode spécial de
réduction. Donc l'article 1970 n'a pas voulu dire autre chose que
ceci : la libéralité en rente viagère sera soumise aux règles posées
dans le chapitre intitulé : De la portion de biens disponible et de la
réduction.
184 6». II. Il faut, au surplus, remarquer que l'estimation de la
valeur de la rente est indispensable pour fixer les droits des dona-
taires ou des légataires qui auraient des droits après le donataire
de rente viagère ou concurremment avec lui. Si l'on abandonnait en
effet toute la quotité disponible au rentier, donataire le plus ancien
on commettrait bien souvent une injustice au détriment du do-
nataire postérieur. Exemple : La rente viagère donnée est de
600 francs, la deuxième donation de 10,000 francs en propriété,
la quotité disponible de 10,000 francs. En abandonnant toute la
quotité disponible au rentier, on ne laisse rien pour le deuxième
donataire qui devrait recueillir 3,000 ou 2,000 francs si la première
donation ne représentait en effet que 7,000 ou 8,000 francs. Or,
d'après l'âge du rentier, il est bien possible que la rente n'ait pas
une valeur supérieure à ces chiffres.
Au cas d'un concours entre un légataire de rente viagère et
d'autres légataires, si l'on abandonnait tout le disponible au rentier
les autres n'auraient rien, tandis qu'ils ont droit de venir à contri-
bution avec leur colégataire. Or, la proportionnalité ne peut être
établie qu'entre valeurs de même nature; il faut donc estimer la
rente en capital pour établir la proportion entre le droit du rentier
et celui des autres légataires qui ont droit à des capitaux.
Les estimations qui sont nécessaires dans ces hypothèses ne pri-
veront pas du reste les héritiers du droit de servir la rente intégrale
s'ils ne veulent pas laisser prendre par le légataire la part de capital
qui lui revient à la suite des opérations d'estimation et de calcul
que nous venons de supposer (1).
(1) V. t. IV, n° 55 bis. IV.
11.
161 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LiV. Mi.
184 bis. III. Dans un cas seulement, l'estimation qui sera néces-
saire ne laissera pas place à l'application de l'article 917, c'est
quand les héritiers auront, en vertu de l'article 802, abandonné
l'actif de la succession aux créanciers et légataires; comme ils se
seront désintéressés de la répartition à faire, le conflit existera seu-
lement entre les légataires, et le droit d'option établi en faveur des
héritiers à réserve ne pourra pas être invoqué par des colégataires (1).
185. Il est de l'essence de la rente viagère d'être établie
pour un temps calculé sur la durée de la vie-, c'est l'a ce qui
lui donne le caractère d'incertitude qui la distingue : mais
pour cela il n'est pas nécessaire qu'elle soit établie plutôt
sur la tête d'une personne que sur celle d'une autre. Ainsi,
quoique le plus souvent la rente soit créée sur la têle du
rentier lui-même (ordinairement la personne qui en fournit le
prix), et quoique ce soit surtout dans cette supposition que
ce genre de marché, peu favorable aux yeux de la morale, se
justifie par son utilité, la loi permet également de la créer
sur la tête d'un tiers, c'est-à-dire d'une personne quelconque,
sans l'établir pour cela au profit de cette personne. V. art.
1971 -, et remarquez que le tiers n'acquerra pas même par la
le droit de toucher pour le compte du rentier.
185 bis. I. Il faut absolument distinguer, à propos de la rente via-
gère, la personne sur la tète de laquelle la rente est constituée ou
établie et celle au profit de laquelle cette constitution est faite. Celle-
ci est le créancier de la rente, celle-là n'acquiert aucun droit par le
fait de la création de la rente. De sa vie ou de sa mort dépend
l'existence ou l'extinction du droit du rentier, c'est-à-dire bien
souvent du droit d'autrui. La rente existe sous une condition, et la
personne dont la mort entraînera l'extinction du droit est aussi
étrangère à ce droit que le navire est étranger à la créance subor-
donnée à la condition si navis ex Asia venerit.
185 bis. II. Le plus souvent, les deux personnes que nous venons
de distinguer se confondront, le créancier aura stipulé une rente
viagère sur sa propre tète, mais cette confusion sera le résultat de
la convention des parties et non pas une conséquence naturelle et
nécessaire de la nature du droit de rente viagère. Il faut cependant
(1) V. t. IV, a° 55 bis. V.
TIT. XII. DES CONTRATS ALÉATOIRES. ART. 1970, 1971. 165
le reconnaître, c'est là une convention usuelle, parce que le plus
souvent la rente viagère est créée en vue de procurer au rentier des
ressources, des revenus qui lui sont nécessaires pendant toute sa vie.
Par la constitution de la rente sur la tète d'autrui , le rentier risquerait,
s'il survivait au tiers désigné, de manquer pendant ses dernières
années d'un revenu indispensable, tandis que s'il prédécédait, la rente
qui ne serait pas éteinte profiterait pendant de longues années
peut-être à des héritiers qui n'en auraient pas besoin. Cela étant,
on peut dire que, si le titre constitutif de la rente viagère n'a pas
déterminé sur quelle tête elle est constituée, on doit supposer qu'il
s'agit de celle du rentier lui-même. C'est l'application de cette règle
d'interprétation écrite dans l'article 1160, en vertu de laquelle on
doit suppléer dans le contrat les clauses qui y sont d'usage, quoi-
qu'elles n'y soient pas exprimées.
185 bis. III. L'établissement d'une rente viagère sur la tète d'au-
trui n'est cependant pas quelque chose de bizarre et d'anormal,
résultat d'un simple caprice du stipulant; on en comprend l'utilité
pratique. Il peut arriver en effet que le stipulant cherche par le
contrat de rente viagère à s'assurer les moyens de subvenir aux
besoins d'une personne envers laquelle il est tenu d'une obliga-
tion légale, judiciaire ou morale d'assistance.
185 bis. IV. Ce sera quelquefois dans une pensée de spéculation
que le rentier constituera la rente sur la tète d'autrui, il voudra
courir les chances d'une opération conditionnelle, et il fera dépendre
l'existence de son droit de la vie d'une personne qui lui paraîtra, par
son âge et sa constitution physique, présenter des garanties de lon-
gévité. C'est cette idée de spéculation qui inspirait autrefois les
constitutions de rentes viagères au profit d'un particulier sur la tète
d'un souverain français ou étranger dont la vie et la mort étaient
choses notoires, ce qui dispensait les parties des formalités à remplir
à chaque échéance pour constater l'existence de celui sur la tète de
qui la rente est établie.
On comprend plus facilement la convention qui subordonnera l'exis-
tence de la rente à la vie du débiteur. Elle sera le résultat d'une
appréciation faite par celui-ci des ressources qu'il peut avoir pour
l'acquittement de l'obligation qu'il contracte, s'il compte sur le pro-
duit de son travail personnel ou sur les fruits de droits viagers ré-
sidant sur sa propre tète, il agit prudemment en refusant de grever
sa succession d'une charge que ses héritiers ne pourraient pas porter.
166 COUltS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
186. Pareillement, il n'est pas essentiel a la rente viagère
de reposer sur une tête unique, elle peut donc être indiffé-
remment constituée sur une ou plusieurs. V. art. 1972; et
remarquez que, lorsque la rente constituée sur la tête de
plusieurs personnes le sera au profit de ces personnes, c'est
a la convention a régler si elles en jouiront conjointement ou
successivement, en tout ou en partie.
186 bis. I. Nous avons supposé jusqu'à présent la rente viagère
constituée sur une seule tète, c'est-à-dire subordonnée à l'existence
d'une seule personne, le créancier, le débiteur ou un tiers. On peut
comprendre qu'elle soit établie sur plusieurs tètes, c'est-à-dire des-
tinée à durer tant que toutes les personnes désignées ne seront pas
mortes, la vie d'une seule d'entre elles suffisant pour faire vivre
le droit de rente. La convention, dans ce cas, sera le résultat d'une
combinaison de chances, le rentier aura stipulé un droit plus solide,
moins exposé à une extinction rapide que s'il reposait sur une seule
tète; de son côté, le débiteur aura promis des arrérages moindres à
raison de la plus longue durée probable de son obligation. Peut-être
dans l'hypothèse que nous avons présentée au n° 18o bis. III, le
stipulant a-t-il tenu compte de ce fait que les nécessités précuniaires
auxquelles il obéissait en constituant la rente ne devaient prendre fin
qu'après la mort de toutes les personnes sur les tètes desquelles il a
voulu l'asseoir.
186 bis. II. L'article 1972 ne constate pas seulement le droit de
faire dépendre la rente viagère de la vie et de la mort de plusieurs
personnes, il confond évidemment dans sa formule un peu vague et
cette règle-là et celle-ci : on peut stipuler que plusieurs personnes
seront créancières de la rente.
Ce qu'il suppose, c'est l'hypothèse ordinaire, celle où la rente
dépend de la vie et de la mort du créancier lui-même, et sa pensée
est de dire : la rente peut appartenir à plusieurs créanciers sur les
têtes desquels elle sera assise. Nous examinerons cette hypothèse,
mais il n'en est pas moins nécessaire de faire remarquer qu'on peut
supposer en dehors de cette espèce deux autres cas, celui où une
rente établie sur plusieurs tètes sera due à un créancier unique, et
celui où plusieurs personnes seront créancières d'une rente consti-
tuée sur une tète unique. Il faut étudier d'abord ces différentes
espèces où les principes se détacheront plus facilement, puisqu'elles
TIT. XII. DES CONTRATS ALÉA.TOIKES. ART. 1972. 167
ne confondent pas la personne du rentier avec celle sur la tète de
laquelle la rente est établie.
186 bis. III. Si la rente a été créée au profit de plusieurs per-
sonnes, il est facile d'apercevoir deux combinaisons possibles : ou
bien les créanciers seront créanciers ensemble, créancier* conjoints
de la rente, ou bien on aura établi entre eux une certaine hiérarchie,
ils ne seront rentiers que successivement, les uns à défaut des autres,
au fur et à mesure que les premiers appelés à exercer le droit
viendront à décéder.
Ces deux combinaisons sont licites; la première réalise une situa-
tion que nous avons bien souvent étudiée, celle de créanciers con-
joints; la créance se partage entre eux, et la part de chacun passe
à ses héritiers, le droit subsistant jusqu'à la mort du tiers sur la tête
de qui la rente repose. La seconde donne naissance à plusieurs
créances, la première affectée simplement d'un terme extinctif incer-
tain, créance pure et simple, mais s'éteignant à la mort; les autres
sous la condition suspensive de la survie du créancier à ceux qui
lui sont préférables et en même temps soumise au terme incertain
dont nous venons de parler, et la dernière affectée de la même con-
dition suspensive que les précédentes, mais non du même terme
incertain, car elle doit durer jusqu'à l'extinction même du droit de
rente, événement qui dépend, dans l'hypothèse, non de la mort des
rentiers, mais de la mort d'une personne tierce.
186 bis. IV. Dans le cas opposé, un seul rentier, plusieurs tètes
sur lesquelles la rente est constituée, nous n'avons pas de diffi-
culté, le droit appartient au rentier ou à ses héritiers jusqu'à la
mort de toutes les personnes sur les têtes desquelles la rente est
assise.
186 bis. V. Revenons à l'hypothèse que l'article 1972 a probable-
ment comprise dans ses prévisions. Plusieurs créanciers de la rente
qui sont en même temps les personnes sur les tètes desquelles la
rente est constituée, on peut également supposer les deux combi-
naisons que nous avons déjà étudiées : ou la rente se partage entre
tous dès le jour de sa création, ou elle doit profiter successivement
aux différents créanciers dans un ordre déterminé.
Dans cette dernière hypothèse, les choses se passent ainsi que
nous l'avons dit plus haut; la rente dure tant que vit une des per-
sonnes sur les tètes desquelles elle est constituée, chacun des sti-
pulants profite de la rente à son tour, et la rente s'éteint à la mort
108 COimS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
du dernier créancier, puisque celui-ci est en même temps la dernière
des tètes sur lesquelles reposait la rente.
186 bis. VI. Si la rente a été stipulée conjointement par les dif-
férents rentiers, elle se divise immédiatement entre eux, et chacun
d'eux profite de sa part tant qu'il est vivant. Mais qu'arrive-t-il à la
mort de l'un d'eux? La rente est-elle éteinte pour sa part, ou cette
part ne va-t-elle pas plutôt accroître la part des autres, de telle sorte
que le dernier survivant touchera jusqu'à sa mort la totalité des
arrérages? Certes, il y a là une question d'intention, les parties
peuvent avoir admis l'une ou l'autre des solutions, et si elles s'en
sont expliquées, il faut tenir compte de leur volonté, qui est sou-
veraine; mais quand leur volonté n'apparaît pas expressément, c'est
par les principes précédemment exposés et appliqués qu'il faut
résoudre la question.
186 bis. VII. Nous avons dit qu'une rente constituée en faveur
d'un créancier sur les tètes de plusieurs tierces personnes ne s'éteint
pas partiellement par la mort de chacun de ces tiers, et qu'elle
dure dans son intégralité jusqu'à la mort du dernier. Il doit en
être ainsi, car la circonstance qu'il y a plusieurs créanciers ne
change rien quant à la mort de ceux sur les tètes desquelles la rente
est établie. La mort d'un des créanciers est sans influence sur le
fond même du droit, ordinairement le créancier décédé est remplacé
par ses héritiers; il ne peut en être ainsi dans notre hypothèse, le
droit des prédécédés ne peut pas passer à leurs héritiers, puisque leur
droit était viager sur leurs tètes; mais la rente n'en est pas moins
une rente sur la tète de plusieurs personnes, qui ne doit s'éteindre
qu'à la mort de la dernière; pour chacun des créanciers, la rente
repose sur sa tête et sur celle d'autrui; tant qu'il reste une des têtes
désignées, la rente subsiste seulement au lieu de se diviser entre
tous les stipulants primitifs, elle se divise entre ceux qui ont con-
servé le droit de toucher les arrérages, c'est-à-dire entre les survi-
vants. On peut dire que c'est bien là l'intention des parties, car la
stipulation conjointe montre assez sa volonté de considérer la rente
comme une; s'ils l'avaient considérée comme une collection de
plusieurs petites rentes existant séparément au profit et sur la tête
de chacun d'eux, ils auraient agi plus naturellement en faisant
autant de constitutions qu'il y avait de créanciers.
i87. C'est ordinairement à son profit que celui qui four-
nit le prix de la rente la fait constituer, sur sa tête ou sur
T1T. Xil. DES CONTRATS ALÉATOIRES. ART. 1975, 1973. i6b*
celle d'une ou plusieurs autres personnes. Toutefois, comme
il n'est pas indistinctement interdit de stipuler pour autrui
(arl. 1121 ), rien n'empêche celui qui fournit le prix de faire
constituer la rente au profil d'un tiers. Voy. art. 1973, al. 1.
La constitution ainsi faite est vraiment à litre onéreux à
l'égard des deux contractants-, mais, entre celui qui fournit le
prix et le tiers qui doit en profiler, elle a les caractères d'une
libéralité. Toutefois celle libéralité, n'étant qu'une des clauses
du contrat principal, n'est point assujettie aux formes des
donations. Au reste, celle voie indirecte ne devant pas êlre
un moyen d'éluder les règles sur la capacité de recevoir ou
sur la disponibilité, la rente est ici, comme au cas de consti-
tution à litre purement gratuit, soumise, s'il y a lieu, à ré-
duction ou à nullité. V. art. 1973, al. dernier-, v. aussi
art. 843.
Observons, au reste, que la nullité ou réduction ne saurait
décharger le constituant, qui devrait alors servir la rente au
profit du stipulant ou de ses héritiers.
187 bis. I. Nous avons expliqué, au tome V, comment l'article 1121
ne fait point obstacle à la validité d'une convention par laquelle
Pierre transférant à Paul la propriété d'une somme d'argent, charge
celui-ci de payer quelque chose et notamment une rente viagère à
Jacques. Nous avons dit que la convention au profit d'un tiers n'est
dénuée d'effet qu'autant qu'elle est destituée de sanction, et les
exceptions auxquelles l'article 1121 soumet sa règle%nous montrent
la convention valable dans des cas où le promettant peut être
atteint d'une certaine manière, s'il n'exécute pas la convention. Au
cas de donation, le promettant est exposé à la révocation pour
cause d'inexécution des charges; dans le cas qui nous occupe, le
moyen de coercition est analogue , car il s'agit d'un contrat à titre
onéreux, et celui qui a fourni l'argent trouve dans l'article 1184
une arme contre le promettant qui ne ferait pas les prestations pro-
mises (1).
187 bis. II. Quant à la question de forme, elle a été également
traitée sur l'article 1121. Le contrat principal entre Pierre et Paul
(1) V. t. V, n° 33 bis. 1.
170 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
est à titre onéreux, il se trouve que l'exécution de la promesse faite
par Paul procurera à Jacques un avantage gratuit, ceci est un acci-
dent qui ne change pas les caractères du contrat passé entre Pierre
et Paul; donc ce contrat n'est pas soumis aux règles particulières
qui régissent la forme des donations (1).
Quant au fond, la clause qui concerne le tiers a bien les caractères
d'une libéralité, et c'est pour cela que l'article 1973 la déclare sou-
mise aux règles sur la capacité et la réduction ; nous pouvons dire
d'une façon plus générale, aux règles de la matière des donations,
par exemple à la révocation pour ingratitude ou pour survenance
d'enfant.
187 bis. III. Tant que le tiers n'a pas accepté l'offre qui résulte
de la stipulation à son profit, cette offre peut être rétractée. Nous
avons examiné, au tome V, n° 33 bis. VI et VII, les questions que
soulève ce droit de révocation, et au n° 33 bis. VIII, les conséquences
de la mort du stipulant survenue avant que le tiers ait accepté l'offre.
188. L'existence d'une personne sur la tête de laquelle la
rente soit établie est évidemment de l'essence du contrat de
rente viagère; car autrement l'obligation du constituant
n'aurait point d'objet, et le prix serait fourni sans cause. Si
donc, par erreur, la rente était créée sur la tête d'une per-
sonne déjà morte, il est clair que le contrat ne produirait
aucun effet. V. art. 1974.
188 bis. Il faut bien comprendre comment on dit que la rente,
constituée sur la tète d'une personne décédée, manque d'objet. Ce
n'est pas que la personne dont il s'agit soit l'objet du contrat ou
de l'obligation, ce n'est pas non plus que le droit soit établi sur cette
personne comme une hypothèque sur un immeuble ; c'est par un
tout autre raisonnement qu'on arrive à la formule employée par
M. Demante. Toute obligation doit avoir un objet; l'objet, c'est ce
que le débiteur s'oblige à donner, à faire ou à ne pas faire. Il n'y a
pas d'obligation quand il n'est astreint à rien donner ni à rien faire.
Or, promettre de payer 100 francs par an pendant la vie de Pierre,
c'est ne rien promettre si Pierre est mort au moment de la promesse,
car il est certain qu'aux termes mêmes de la convention , le pro-
mettant n'a et n'aura jamais rien à payer, la vie de Pierre ayant
(1) V. t. V, n°33 6ù. V.
TH. XII. DES COiNTKATS ALÉATOIRES. AhT. 1^73-1975 171
cessé avant la promesse et ne pouvant plus recommencer dans
l'avenir. Donc, la promesse manque d'objet en ce sens qu'il n'est
rien que le promettant se soit engagé à donner ou à faire. Ce dé-
faut d'objet annule non-seulement l'obligation du promettant, mais
celle de l'autre partie, puisque celle-ci a pour cause l'obligation de
son cocontractant. Si cette seconde partie ne s'est pas obligée, mais
a payé comptant, c'est le paiement fait qui manque de cause et qui
peut être répété.
189. La cause, sans être entièrement fausse, serait cepen-
dant entachée d'une erreur substantielle, si la personne,
quoique vivante, était déjà atteinte de la maladie qui devait
certainement et prochainement la conduire au tombeau. On
a donc toujours assimilé ce cas a celui de mort au temps du
contrat; mais l'application du principe pouvant donner lieu a
beaucoup de difficultés, la loi, pour simplifier, a fixé un délai
dans lequel la mort survenue depuis le contrat l'annulera,
pourvu qu'elle provienne de la maladie dès lors existante : ce
délai est de vingt jours. V. art. 1975.
189 bis. I. L'explication que M. Demante donne de l'article i 975,
et qu'il emprunte à Pothier (1), a pour résultat de traiter la nullité
fondée sur cet article, comme une annulabilité, tandis que la nullité
qui résulte de l'article précédent constitue, de l'aveu de tous, une
nullité pour absence de cause, c'est-à-dire une nullité radicale. Ce
résultat de la doctrine est, il faut l'avouer, quelque peu bizarre,
car les deux articles qui traitent des deux hypothèses paraissent
inspirés de la même pensée, et leurs termes ne permettent guère de
voir, dans leurs dispositions, la consécration de deux nullités de
nature différente. L'article 1974 dit : le contrat ne produit aucun
effet, et l'article suivant commence par ces mots : // en est de même
du contrat par lequel, etc. C'est bien à dire : Le second contrat,
comme le premier, ne produit aucun effet.
189 bis. II. Cette comparaison des textes n'établit qu'un préjqgé
contre la doctrine de Pothier et de M. Demante. Mais quand on
examine cette doctrine au fond, on doit arriver à cette conclusion
qu'elle est inadmissible. C'est la théorie de la substance qui est
ici intéressée, donc il faut remonter aux principes qui régissent
(1) V. Polhier, n° 223, Traité de la constitution de rente.
172 COURS ANALYTIQUE LE CODE CIVIL. LIV. III.
l'erreur sur la substance de la chose. Ces principes, tels qu'ils sont
appliqués par Pothier lui-même, condamnent le système. L'erreur,
d'après l'article 1110, doit, pour être une cause de nullité, porter
sur la substance même de la chose qui fait l'objet de l'obligation.
L'objet de l'obligation du débiteur, c'est une rente viagère, un
droit qui doit durer pendant toute la vie d'une personne détermi-
née. Une vie menacée par une maladie grave est-elle une vie?
Un malade, un moribond, est-il un mort? La réponse, affirmative à
la première question, négative à la seconde, n'est pas douteuse.
Donc un droit naît de la convention, et c'est bien un droit subordonné
à la vie et à la mort de la personne déterminée, c'est en substance
le droit que voulait acquérir le stipulant, ce droit-là et non pas un
autre. L'erreur porte sur une qualité, le droit n'a pas grandes
chances de durée, mais cette qualité n'est pas substantielle, puis-
qu'il est de l'essence de la rente viagère d'être soumise à des éven-
tualités d'extinction très-dangereuses pour le rentier. L'erreur est
semblable à celle d'un acheteur qui se trompe sur l'âge d'un cheval
et qui est exposé à voir ce cheval mourir beaucoup plus tôt qu'il
ne le pensait. L'objet vendu est toujours un cheval, seulement il est
de mauvaise qualité, ainsi que le dit Potbier à propos d'un cheval
qui ne peut pas marcher, d'une montre dont les rouages ne fonc-
tionnent pas, ou d'un livre d'un mérite au-dessous du médiocre (1).
L'exemple que cite Pothier au numéro précité du Traité de la con-
stitution de rente ne peut pas servir à trancher la question parce
qu'il est lui-même sujet à controverse. On n'annulera pas toujours
la vente de chandeliers argentés pour des chandeliers d'argent ; cela
dépendra de la question de savoir si l'on a vendu et acheté ces
chandeliers comme de l'argent, n'ayant pas d'autre valeur que celle
du métal; les chandeliers alors sont comme des lingots; ou si on
les a vendus pour leur forme, leur ciselure, leur style, leur anti-
quité; alors ils ont été présentés comme un objet tout autre qu'un
simple morceau de métal, et l'erreur sur la matière première n'est
plus une erreur sur la substance (2). En est-il de même de la rente
dont nous parlons? a-t-elle pu être considérée comme autre chose
qu'une rente viagère, et l'erreur ne porte-t-elle pas seulement sur
les chances de durée du droit, c'est-à-dire sur une simple qualité
dont l'absence ne change pas la nature de la chose ?
(1) V. Pothier, Obligations, nos 19, 20.
(2) V. t. V, n8 1G bit. II.
TIT. XII.' DES CONTRATS ALÉATOIRES. ART. 1975. 173
189 bis. III. Ce n'est donc pas sur la théorie de l'erreur qu'il faut
appuyer l'article 1G79; il dérive des mêmes idées que l'article pré-
cédent; seulement, il se rattache à la théorie de la cause par une
décision arbitraire de la loi. Le législateur, par des considérations
faciles à comprendre, a considéré la cause comme inexistante, parce
que l'objet de l'obligation du débiteur de la rente existe si peu
qu'on doit l'assimiler à un objet qui n'existe pas.
C'est une règle générale de la matière de l'objet des obligations
que l'objet de l'obligation soit de nature à être de quelque utilité
au stipulant, que l'obligation n'existe pas quand le prétendu dé-
biteur n'est pas lié, et qu'il n'est pas lié quand il a relativement à
l'objet dû une liberté telle qu'il peut, sans sortir des termes de la
convention, livrer une chose inutile et sans valeur; c'est ainsi qu'il
n'est pas lié par la promesse de donner un animal, une pierre, sans
autre désignation (1).
189 bis. IV. Les rédacteurs du Code ont considéré la rente viagère,
dans l'hypothèse qui nous occupe, comme n'étant pas un objet
sérieux d'obligation, ne procurant aucune utilité au créancier, n'im-
posant aucun sacrifice réel au débiteur; cette appréciation, qu'un
interprète ou un juge n'aurait peut-être pas eu le pouvoir de faire,
leur est imposée par une décision formelle de la loi, fondée sur des
raisons d'utilité pratique et d'équité incontestables.
Donc il s'agit d'une nullité du contrat fondée sur ce que l'une
des obligations a un objet qui, d'après une disposition légale, ne peut
pas être l'objet d'une obligation; l'autre, par conséquent, manque
de cause.
189 bis. V. La discussion à laquelle nous venons de nous livrer n'a
pas seulement un intérêt théorique, et la solution que nous avons
donnée entraîne des conséquences pratiques importantes. D'abord
l'action en nullité existera alors même que le stipulant aurait su que
la personne sur la tète de laquelle la rente est établie était atteinte
d'une maladie mortelle, l'article 1975 ne parle pas, en effet, de la con-
dition d'erreur que Pothier supposait dans l'espèce qu'il examinait;
secondement, cette action ne s'appuie pas sur l'article 1304.
Enfin, il ne sera pas possible de renoncer dans le contrat à l'appli-
cation de l'article 197o, ce qu'on devrait considérer comme licite si
l'on fondait la nullité sur l'erreur, car l'allégation d'erreur ne pour-
(î) V. t. V,u°'41 et 43 bis. I
174 COUHS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
rait pas se produire en présence d'une pareille convention. Nous
ferons remarquer l'avantage pratique de notre décision, car elle
prévient le danger de clauses qui pourraient devenir fréquentes,
et dont l'usage anéantirait en fait les pages dispositions de l'article
1975.
189 bis. VI. Nous trouvons aussi dans notre doctrine la raison de
décider une question que l'article 1975 a laissée dans l'ombre. Si la
rente viagère a été constituée sur plusieurs tètes, et que l'une des
personnes désignées soit morte dans les vingt jours, d'une maladie
dont elle était atteinte au moment du contrat, nous pensons que
cette circonstance sera sans influence sur la validité de la constitu-
tion ; en effet, on ne peut pas dire que l'obligation du débiteur man-
quait d'objet, puisqu'il s'obligeait pour toute la vie d'une ou plusieurs
personnes autres que le décédé, et que par conséquent il se liait
par le contrat, il promettait quelque chose de sérieux, une prestation
onéreuse pour lui et utile pour le créancier; la circonstance que
l'objet promis a perdu quelque peu de sa valeur n'est pas destruc-
tive de l'objet lui-même; elle ne doit pas entraîner la nullité de
l'obligation (1).
189 bis. VII. Il faut bien préciser les conditions de la nullité dont
s'occupe l'article 1975. Elles sont au nombre de trois : 1° l'exis-
tence de maladie; 2° le décès dans les vingt jours du contrat; 3° le
décès étant la conséquence de la maladie. Par conséquent, dès qu'il
s'est écoulé plus de vingt jours depuis le contrat, le contrat est
valable; mais il ne suffit, pour qu'il soit nul, que le décès se pro-
duise dans les vingt jours; il faut, en outre, qu'il résulte d'une
maladie existant au jour du contrat. SI donc la personne sur la tète
de laquelle la rente est constituée était atteinte d'une maladie pré-
sumée mortelle au jour du contrat, le contrat ne serait pas nul,
alors même qu'elle mourrait dans les vingt jours, dans le cas où la
mort serait occasionnée par un accident indépendant de la maladie.
189 bis. VIII. Les dispositions de Code civil, en subordonnant dans
certaines circonstances la validité du contrat de rente viagère à la
relation entre la date de la constitution et celle d'un événement dé-
terminé, la mort d'une personne (art. 1974), l'existence chez une
personne d'une maladie ou sa mort (art. 1975), ont négligé de s'ex-
(1) V. C. C, 6 février 1866. Sirey, 1866. 1-192. C. Bordeaux, 15 août 1872.
Sirey, 1873, 1,15.
TIT. III. DES CONTRATS ALÉATOIRES. ART. 1075, 1976. 175
pliquer sur le point de savoir si, pour échapper aux nullités qui ré-
sultent de ces deux articles, il faut que l'acte de constitution de
rente ait une date certaine antérieure aux deux faits prévus.
On comprend les fraudes qui pourraient être commises au moyen
d'antidatés, et cette possibilité de fraudes a dû avoir une grande in-
fluence sur la pensée des auteurs et de quelques tribunaux qui ont
exigé, pour la validité de l'acte, qu'il eût date certaine. Les principes
ne commandent pas cette solution, et nous ne devons pas ajouter
aux exigences de la loi : l'existence du contrat de rente viagère
n'intéresse que les parties elles-mêmes, le stipulant et le promet-
tant, le rentier et celui qui a reçu une valeur pour s'obliger à payer
la rente. C'est cette dernière partie qui a intérêt, dans les hypothèses
prévues, à demander la nullité du contrat. Si l'adversaire oppose un
acte sous seings privés antérieur au décès dans le cas de l'article
1974, ou antérieur soit au commencement de la maladie, soit au
vingtième jour avant le décès, dans le cas de l'article 1975, le de-
mandeur en nullité ne peut pas invoquer ce fait que la date n'est
pas certaine, car il est partie à l'acte, et par conséquent l'acte
même sous seings privés fait foi de sa date à son égard (art. 1322).
C'est uniquement par rapport aux tiers que les actes sous seings
privés ont besoin d'acquérir date certaine par un des événements
énumérés dans l'article 1328.
189 bis. IX. En rattachant les articles 1974 et 1975 à la théorie
de la cause, nous avons soustrait à l'application de ces articles les
constitutions de rentes viagères, qui n'ont pas le caractère du contrat
à titre onéreux, mais qui sont imposées comme charges à des dona-
taires. L'exécution à venir des charges de la donation n'est pas la
cause de la donation, par conséquent le fait que la rente ne peut
pas prendre naissance ne peut annuler la donation, c'est un événe-
ment qui augmente plus ou moins le bienfait conféré au donataire
mais la donation tout entière avait pour cause la libéralité à faire,
et l'accident qui rend impossible l'exécution de la charge ne détruit
pas l'intention généreuse du donateur.
190. Le caractère aléatoire du contrat de rente viagère ne
permettait pas de fixer, comme pour la rente perpétuelle, un
taux légal a sa constitution. Tout ce que l'équité demande,
c'est que la rente soit en proportion du prix fourni, eu égard
à la prolongation probable de la vie qui doit en borner la
176 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
durée. Mais celte probabilité dépendant d'une foule de cir-
constances, la loi a dû en laisser la libre appréciation aux
parties, qui peuvent dès lors établir la rente au taux qu'il
leur plaît de fixer. V. art. 1976.
190 bis. I. S'il ne peut pas s'élever de difficultés dans l'hypothèse
où les arrérages de la rente dépassent l'intérêt légal de l'argent, il
peut au contraire naître des doutes dans le cas où les arrérages
représentent une somme inférieure ou égale aux intérêts légaux.
Pothier le faisait déjà remarquer, le contrat n'est plus à titre oné-
reux, il procure à celui qui reçoit le capital, moyennant la promesse
de payer la prestation périodique, un avantage purement gratuit ;
jusqu'à l'extinction de la rente, il détient un capital en en payant
l'intérêt légal; mais après l'extinction de la rente, il conserve le
capital sans avoir rien donné en échange, puisque ce qu'il a donné
jusque-là n'est que la représentation de la jo'.iissonce qu'il avait.
Le contrat, d'après Pothier, s'analyse en une donation de la pro-
priété du capital, avec réstrve pour le donateur de l'usufruit de
ce capital sur sa tête ou sur celle d'un tiers (1). Nous ne pensons pas
que cet aperçu soit juridiquement exact, bien que nous acceptions
les conclusions de Pothier. En effet, il est contraire à la notion de
l'usufruit des choses qui se consomment de considérer comme
usufruitière la partie qui a aliéné le capital et qui en perçoit en
argent les intérêts. D'après l'article 587 du Code civil, qui reproduit,
les règles du droit romain sur l'usufruit earum rerum quœ usu
consumuntur, l'usufruitier acquiert la propriété des choses et devient
débiteur de choses pareilles à la fin de l'usufruit. Dans notre hypo-
thèse, il n'en est pas ainsi ; le contrat transfère la propriété à celui
qu'on considère comme nu-propriétaire, et à l'extinction de l'usu-
fruit il n'a rien à restituer. Nous pensons qu'il est plus juridique de
présenter le contrat que nous examinons comme un prêt à intérêts,
ayant pour terme la mort d'une certaine personne (ordinairement
l'emprunteur), accompagné d'une donation du capital pour l'époque
de l'échéance du prêt.
190 bis. II. Il n'est pas indifférent d'analyser le contrat comme l'a
fait Pothier ou comme nous le faisons nous-même, et le résultat
pratique auquel conduisent les deux doctrines nous paraît confirmer
celle que nous venons d'exposer. Si l'on dit en effet que la partie
(!) V. Pothier, n° 219.
TIT. XII. DES CONTRATS ALÉATOIRES. ART. 1976. 177
qui a aliéné le capital s'est réservé l'usufruit de ce capital pendant
le temps que doit durer la rente, on sera forcé de considérer la rente
comme éteinte par la mort de cette partie, alors même qu'elle serait
assise sur la tète d'un tiers, car il est de l'essence de l'usufruit de
s'éteindre par la mort de l'usufruitier. Le droit du stipulant serait
donc exposé à deux éventualités : la mort du tiers, qui éteindrait
la rente, et sa propre mort, qui éteindrait l'usufruit. Telle n'a pas
dû être évidemment l'intention des parties quand on aura stipulé
le paiement des arrérages jusqu'à la mort d'un tiers. Dans notre
doctrine, comme nous voyons là un prêta intérêts jusqu'à l'époque
fixée pour l'extinction de la prétendue rente, c'est-à-dire jusqu'à la
mort du tiers, il ne sera pas douteux que les héritiers du stipulant
puissent toucher jusqu'à cette mort les intérêts d'un capital prêté.
Nous sommes convaincu que c'est faute d'avoir songé à cette
hypothèse rare, et pour avoir pensé au cas habituel où le rentier se
confond avec la personne sur la tète de qui la rente est assise, que
Pothier s'est contenté de la raison par laquelle il justifie sa décision
sur le caractère gratuit de l'acte dont nous venons de nous occuper.
190 bis. III. Pothier tirait de sa doctrine une autre conséquence.
L'acte était pour lui une donation manuelle, et il le validait en cette
qualité sans aucune condition de forme. Nous éprouvons quelque
scrupule à raisonner ainsi, car la donation étant, selon nous, une
donation à terme, n'a pas pu être faite sous forme de don manuel;
donnera terme, c'est promettre; promettre une somme d'argent, ce
n'est pas effectuer immédiatement la translation de propriété de
cette somme. Il est vrai que la somme est remise au donataire au
moment du contrat, mais ce n'est pas à titre de donation, c'est à titre
de prêt; ce qui est donné, c'est la créance née du prêt et qui serait,
sans cette donation, exigible à une certaine époque; or une créance
ne peut pas être l'objet d'un don manuel. Il nous faut donc, pour
dispenser des formes de la donation l'acte que nous étudions, nous
appuyer uniquement sur la validité , admise par la jurisprudence,
des donations déguisées sous la forme de contrats onéreux. Si l'on
rejetait l'opinion qui soutient cette validité, il faudrait annuler le
contrat de rente viagère dont nous parlons en tant qu'il attribue
au débiteur de la rente la propriété du capital après l'extinction
de la rente, ce qui conduirait à annuler l'acte tout entier, parce qu'il
serait difficile de le scinder.
1 90 bis. IV. On peut avoir aussi constitué une rente viagère moyen-
vni. 12
178 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
liant l'aliénation d'un immeuble, et le taux des arrérages est peut-être
manifestement inférieur au revenu de l'immeuble. Il s'agira, comme
dans l'hypothèse précédente, de savoir si le contrat esta titre oné-
reux ou à titre gratuit.
Nous ferons d'abord remarquer que les faits n'apparaissent pas
ici aussi clairs que dans l'autre espèce, car si l'on peut comparer
avec une exactitude mathématique les arrérages d'une rente avec
l'intérêt légal d'un capital en argent, il est bien moins sûr de com-
parer les arrérages, c'est-à-dire une somme fixe, avec le revenu
d'un immouble, chose essentiellement variable et aléatoire. Une
maison peut rester longtemps sans locataire, une terre est exposée
à des causes d'infécondité qui durent quelquefois pendant de lon-
gues années. Au temps où nous vivons, les terres cultivées en
vignes ont été atteintes par un fléau dont on ne peut encore aper-
cevoir la Gn. Donc, le revenu d'un immeuble est profondément in-
stable. On ne peut raisonner que sur des moyennes, et le calcul
des moyennes ne donne pas toujours la vérité vraie. Par ces raisons,
il faudra, dans la plupart des cas, laisser à l'acte son caractère appa-
rent; il sera doublement aléatoire, d'abord parce que les arrérages
ne seront payés que pendant la vie d'une certaine personne, ensuite
parce que le débiteur de la rente sera exposé à payer ces arré-
rages pendant des années où le fonds sera improductif.
190 bis. V. Oii doit cependant reconnaître que dans certaines
hypothèses la disproportion entre le revenu probable et les arré-
rages sera trop grande pour que nous ne nous rapprochions pas de
l'hypothèse examinée à propos des rentes constituées à prix d'argent.
Alors, il faudra bien traiter le contrat comme une convention à
titre gratuit, et nous l'analyserons à peu près comme Pothier a ana-
lysé la convention qu'il étudiait. Nous ne pouvons pas élever ici
ies objections que nous présentions contre sa doctrine et que nous
imposaient les principes sur l'usufruit des choses qui se consom-
ment primo usu. Nous pouvons donc considérer l'opération comme
une donation de l'immeuble soumise à la condition de payer une
rente viagère; ce qui entraînera cette conséquence que l'acquéreur
sera soumis aux règles sur le rapport et la réduction, dans les con-
ditions où elles s'appliquent aux donations avec charges.
On comprend pourquoi nous ne voyons pas dans l'acte une
aliénation de la nue- propriété avec réserve de la jouissance en
faveur du donateur, c'est que le donateur n'a pas la jouissance en
T1T. XII. DES CONTRATS ALÉATOIRES. ART. 197(3, 19/7. 179
nature et que sur ce point nous nous éloignons de l'idée émise par
Pothier à propos de la rente constituée moyennant l'aliénation d'un
capital en argent. De là découlera la conséquence que nous avons
tirée de notre doctrine au n° 190 bis. II, pour le cas où la rente
viagère est constituée sur la tète d'un tiers.
190 bis. VI. La validité de l'acte que nous examinons, lorsqu'il
n'a pas été fait dans les formes des donations entre- vifs, ne pourra
résulter que de la doctrine qui valide les donations déguisées, car,
puisqu'il s'agit d'immeubles, nous sommes tout à fait en dehors de
la théorie des dons manuels.
SECTION IT.
Des effets du contrat entre les parties contractantes.
19! . Ces effets sont envisagés ici sous trois rapports :
1* Quant à l'aliénation du capital fourni au constituant
(art. 1977,1978)-,
2° Quant aux arrérages que le rentier doit percevoir (art.
1979-1981);
3° Quant a la durée de la rente (art. 1981).
192. L'aliénation du capital formant le prix de la rente via-
gère est plus complète encore que dans la constitution de rente
perpétuelle-, car elle a lieu sans aucun espoir de recouvre-
ment. Toutefois cette aliénation n'étant point pure et simple,
il est conforme aux principes qu'elle puisse être révoquée
pour inexécution des conditions sous lesquelles elle a élé
consentie. La loi applique celte règle au cas où le constituant
ne donne pas a celui qui a fourni le prix les sûretés stipu-
lées par le contrat : elle autorise en conséquence celui-ci à
demander la résiliation. Y. art. 1977.
192 bis. I. L'article 1977 contient une application de l'article
1184. La condition résolutoire, au cas d'inexécution par l'une des
parties de ses engagements, est sous-entendue dans les contrats
synallagmatiques et dans ceux qui sont à titre onéreux sans être
synallagmatiques. Voici pourquoi l'aliénateur du capital qui a sti-
pulé des garanties peut redemander son capital quand les garan-
12.
180 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. 11!.
ties ne sont pas fournies. La restitution de ce capital est la consé-
quence de la résolution du contrat.
Les questions de détail qui peuvent s'élever à l'occasion de cette
demande en résolution, par exemple, celles de savoir si les sûretés
peuvent èlre fournies pendant l'instance, si la mort de celui sur la
tète de qui la rente est constituée éteint l'action en résolution, et
d'autres semblables, doivent être résolues comme elles l'ont été
, sur l'article 1184. Leur solution est imposée par le principe que la
condition résolutoire tacite n'opère pas de plein droit et qu'elle a
besoin d'être prononcée par le juge (1).
192 bis. IL II faudrait assimiler celui qui détruit les sûretés don-
nées à celui qui ne fournit pas les sûretés promises. Le fait qu'il
commet est certainement un manquement à son engagement, car
promettre de donner une sûreté, c'est également promettre de la
laisser subsister, c'est-à-dire de ne rien faire pour la détruire. Il
est bon de citera l'appui de cette solution l'article 1188; non pas
qu'il soit applicable dans son texte, car il traite d'un débiteur à
terme, et le débiteur d'une rente n'est aucunement débiteur du
capital, mais il existe une analogie frappante entre le cas de l'ar-
ticle 1188 et celui que nous examinons; cette analogie confirme
le raisonnement que nous appuyons sur l'article 1184.
192 bis, III. 11 arrive ordinairement, quand un contrat est résolu
pour inexécution des obligations de l'une des parties, que le con-
tractant qui obtient cette résolution doit restituer ce qu'il a reçu,
les acomptes payés, puisque la condition accomplie doit remettre
les cboses au même état que si le contrat n'avait pas été fait. Il en
sera autrement ici, à cause du caractère particulier du contrat de
rente viagère. Si le rentier a reçu des arrérages échus avant le
jugement qui prononce la résolution, il ne devra pas les rendre,
parce qu'ils sont la représentation du risque qu'il a couru pendant
le temps qui s'est écoulé depuis la convention jusqu'à la résolution.
Il risquait de perdre le capital aliéné s'il mourait ou si le tiers sur
la tète de qui la rente était constituée mourait. Il n'est pas par con-
séquent dans la position d'un vendeur qui, ayant reçu des acomptes,
reprend néanmoins et à tout événement l'immeuble vendu : celui-
ci garderait les acomptes sine causa, tandis que l'acquisition des
arrérages par celui-là a une cause.
(1) V. t. V,n«104et 104i«*
TIT. XII. DES CONTRATS ALÉATOIRES. ART. 1977, 1978. 181
193. Le même principe semblerait autoriser la résiliation,
à défaut de paiement de&arrérages (v. à ce sujet art. 1184,
1912). Mais, eu égard aux graves inconvénients qu'entraîne
en cette matière la résiliation, par la difficulté de régler équi-
lablement les droits des parties, la loi ne veut pas qu'elle soit
appliquée pour cette cause, moins favorable en effet que la
précédente, puisqu'on peut alors imputer au stipulant d'avoir
trop légèrement suivi la foi du constituant. Ces motifs, au
surplus, élant communs à la constitution de rente à prix d'ar-
gent et a la constitution pour une aliénation, les deux cas,
sous ce rapport, sont assimilés (nonobstant article 16oi).
Dans l'un comme dans l'autre, il ne reste doue au rentier
que la ressource de forcer a l'exécution de la convention. A
cet effet, il peut, comme de raison, faire saisir et vendre les
biens de son débiteur, et faire ensuite ordonner ou consentir
l'emploi d'une somme suffisante pour le service des arré-
rages. V. art. 1978.
193 bis. I. L'article 1878 se lie, comme l'article précédent, à la
théorie de l'article 1184; seulement il ne l'applique qu'avec une
certaine réserve. Il paraît d'abord soustraire complètement le con-
trat de rente viagère à la règle sur la condition résolutoire tacite,
mais ce n'est là qu'une apparence. En effet, il dit bien que le défaut
de paiement des arrérages, c'est-à-dire l'inexécution de l'obligation
du débiteur, n'entraînera pas la restitution du capital ou du fonds
aliéné, mais il ne se borne pas à cette décision, il permet de faire
saisir et vendre les biens du débiteur pour fournir au créancier
non pas seulement les sommes dues par arrérages échus, mais un
capital qui sera employé pour assurer le paiement des arrérages.
Cette seconde décision de l'article s'inspire bien du principe de la
résolution, car elle détruit le contrat en ceci que, ne laissant plus
le débiteur maître de payer petit à petit des annuités, elle lui
impose la prestation immédiate d'un capital considérable. Ce n'est
pas toutefois la résolution véritable, car ce capital ne devient pas
la propriété du créancier de la rente, il est placé de manière
que le débiteur poursuivi en reste nu-propriétaire, en sorte qu'il
n'est pas perdu pour lui. L'article consacre donc une sorte de trans-
action entre le droit que le créancier puiserait dans l'article 1184
182 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
et le droit qu'aurait le débiteur si l'on avait absolument répudié la
théorie de la résolution.
193 bis. II. 11 faut maintenant se demander pourquoi le législa-
teur n'a pas fait ici une application pure et simple de l'article 1184.
Il a été impressionné par le caractère aléatoire du contrat, et il n'a
pas cru qu'il fût possible de remettre, par une résolution, les choses
au même et semblable état que si le contrat n'avait pas eu lieu. Le
créancier a touché pendant un certain temps les arrérages; les ren-
drait-il en reprenantson capital? Il ne peut en être ainsi, card'abord
il pourrait être ruiné par la restitution d'arrérages qu'il a légitime-
ment consommés, et de plus, s'il les conserve , il ne les conserve
pas sans cause, puisqu'il a couru le risque de perdre son capital par
une mort, survenue peu de temps après le contrat, alors que peu de
termes d'arrérages avaient été payés. S'il ne restitue pas les arré-
rages qui, remarquons-le bien, sont supérieurs à l'intérêt légal, il
est injuste de priver le débiteur de la rente du droit qu'il a de con-
server le capital intact lorsque survient l'extinction normale de la
rente viagère. Rendre le capital au rentier quand il a vieilli, c'est
lui rendre en un sens beaucoup plus qu'il n'a donné, puisqu'il
pourrait placer ce capital à un taux beaucoup plus élevé que lors
du premier contrat, c'est-à-dire il y a dix ou vingt ans peut-être.
Voilà ce qui empêche le législateur d'appliquer ici dans sa rigueur
le principe de la résolution du contrat au cas d'inexécution des
obligations.
193 bis. III. il ne l'a pas cependant toutà fait abandonné, puisqu'il
permet au créancier de poursuivre autre chose que le paiement des
arrérages échus. Reste à dire quel doit être le résultat de ces
poursuites. Le créancier saisit et fait vendre les biens de son débi-
teur; mais comme il n'est pas créancier d'un capital, il ne peut pas
être directement payé sur le prix de vente de ces biens. Ce prix
doit être employé pour assurer à l'avenir le paiement exact des
arrérages. Le but auquel tend l'article s'aperçoit très-facilement, il
est double, assurer le paiement des arrérages au profit du créancier
et conserver le capital au débiteur, pour qu'il le retrouve à l'extinc-
tion de la rente. Ce double but sera ordinairement atteint par un
emploi perpétuel; par exemple, l'achat d'une rente sur l'État pro-
duisant annuellement la somme à laquelle s'élevaient les arrérages
de la rente viagère. Cette rente sera affectée en nue propriété au
débiteur de la rente viagère et en jouissance au rentier viager,
TIT. XII. DES CONTRATS ALÉATOIRES. ART. 1978. 183
jusqu'au décès de la personne sur la tète de laquelle reposait la
rente viagère.
Ce procédé peut n'être pas praticable, car il demande un capital
considérable, et les biens vendus ont peut-être produit une somme
inférieure; par exemple si la rente viagère étant de 450 francs, les
biens ont été vendus 8,000 francs, alors qu'il faudrait 10, 700 francs
pour acheter 450 francs de rente 4 1/2 pour 100 surlÉtat, au cours
du jour (107 francs); il s'en faut de 2,700 francs que l'opération
puisse être réalisée dans les conditions que nous avons indiquées.
Faudra-t-il alors employer les 8,000 francs en rente au cours
de 107 francs, ce qui réduira singulièrement la rente viagère? Évi-
demment non; le texte de l'article 1978 n'impose pas cette solution.
Ce qu'il ordonne, c'est l'emploi d'une somme suffisante pour assurer
le service des arrérages; donc ce qu'il veut avant tout, c'est le ser-
vice des arrérages, c'est-à-dire l'exécution de l'obligation du débi-
teur. Que l'emploi se fasse en perpétuel, quand il est possible, pour
sauvegarder à la fois les intérêts du créancier et du débiteur, c'est
le vœu de la loi; mais quand les deux intérêts sont inconciliables,
il est clair que l'intérêt du créancier prédomine en ce sens qu'il peut
exiger l'exécution de l'obligation, alors même que cette exécution
est onéreuse pour le débiteur qui a manqué à ses engagements. On
devra donc, en pareil cas, faire l'emploi en viager pour faire autant
que possible produire, par le prix de vente des biens, une somme
égale aux arrérages de la rente viagère.
193 bis. IV. Quelquefois le créancier et le débiteur s'entendront
pour que celui-ci abandonne à celui-là, en propriété, un capital
représentant la valeur du droit de rente viagère. Les conventions
sont libres, mais cette combinaison ne peut être imposée ni au
débiteur ni au créancier. Elle ne peut l'être au débiteur, qu'elle
prive de son capital, tandis qu'il ne doit que des arrérages, ni au
créancier, qui a le droit de préférer ce qu'on lui a promis, une pres-
tation périodique, à un capital dont le placement au taux nécessaire
pour reconstituer la rente ne lui sera peut-être pas facile.
193 bis. V. On a quelquefois admis une combinaison qui consiste
à ordonner que le créancier de rente viagère aura l'hypothèque
judiciaire, non-seulement pour les arrérages échus, ce qui va de
soi, mais pour les arrérages à venir. Nous pensons que la légiti-
mité de cette mesure résulte de ce que nous avons rattaché l'ar-
ticle 1978 à la théorie de l'article 1184. Si la décision de notre
184 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
article est une application mitigée de la règle sur la condition réso-
lutoire tacite , les tribunaux ne sont pas forcés de prononcer cette
résolution, ils peuvent par conséquent accorder des délais au débi-
teur ; quand ils accordent ces délais, ils n'en condamnent pas moins
le débiteur à l'exécution, et dès lors l'hypothèque judiciaire garantit
cette exécution. C'est ce qu'ils font dans l'hypothèse que nous exa-
minons, ils constatent l'existence de l'obligation de payer des
arrérages, sans exiger immédiatement le placement d'un capital
pour en assurer le paiement, mais, par cette constatation de l'obli-
gation, ils créent l'hypothèque judiciaire destinée à la garantir.
Le jugement ressemble à une décision qui, d'après l'article 1184
et l'article 1244, accorderait au débiteur des délais pour le paie-
ment (1).
193 bis. VI. Nous venons de tirer une conséquence de ce fait,
que notre article dérive de l'article 1184; en voici une autre très-
importante. Notre article n'est pas applicable quand la rente viagère
a été constituée à titre gratuit. La résolution pour inexécution des
engagements suppose un contrat à titre onéreux. Rien de sem-
blable ne pourrait se présenter au cas de donation. Il s'agit, bien
entendu, non pas d'une donation à charge de rente viagère, mais
d'une donation de rente viagère. Le donateur a donné la rente, en
promettant de payer des arrérages. Il ne paie pas, on a certes le
droit de le poursuivre, mais il ne peut être question de faire résoudre
la donation, car cette résolution ne saurait aboutir à la restitu-
tion d'un capital qu'il n'a pas reçu. Quant à lui demander le capi-
tal comme chose due, alors même que ce capital devrait être placé,
ce serait complètement sortir des termes de la convention, car le
donateur débiteur n'a jamais promis que des prestations périodiques ,
et les juges n'ont pas le pouvoir de transformer une obligation
alors qu'elle n'est pas exécutée. Nous ne donnerions même pas alors
l'hypothèque judiciaire pour les arrérages à échoir, car ils n'ont
pas pu être demandés, à moins que, sur la demande d'arrérages
échus, le donateur n'ait contesté l'existence de la dette, ce qui
entraînerait une condamnation portant sur la rente elle-même, con-
sidérée comme dette éventuelle, et légitimerait l'hypothèque judi-
ciaire pour les arrérages à venir (2).
193 bis. VII. Une convention spéciale pourrait déroger à l'article
(1) V. C. Lyon, 28 avril 1875, Sirey, 1875, 2-322.
(2) V. C. I. Nancy, 22 février 1867,~Sirey, 1868, 2-50.
T1T. XII. DES CONTRATS ALÉATOIRES. ART. 1978, 1979. 185
1978, et le capital de la rente constituée à titre onéreux pourrait
être redemandé, au cas de non-paiement des arrérages, si les parties
en étaient convenues. Aucune des expressions de l'article ne fait
croire que cette stipulation soit interdite, et il ne paraît pas qu'elle
blesse en quoi que ce soit l'ordre public ou les bonnes mœurs.
194. Le but qu'on se propose dans un placement en viager
serait tout a fait manqué, si l'acquisition de la rente n'était
pas aussi irrévocable que l'aliénation du capital. Ajoutons
que la charge de la servir devant nécessairement cesser dans un
temps plus ou moins rapproché, il n'y avait pas lieu d'appli-
quer ici le principe qui a fait déclarer la rente perpétuelle
essentiellement rachetable. Sous aucun prétexte donc, ni a la
faveur d'aucune condition, le constituant ne peut s'affranchir
du service des arrérages, tant que dure la vie de la personne
ou des personnes sur la tête desquelles la rente est établie.
V. art. 1979.
194 bis. Il faut réserver sur cet article, comme nous l'avons fait
sur le précédent, l'effet d'une convention contraire. Le débiteur
pourrait avoir stipulé le droit de rachat, et cette clause, tout à son
avantage, ne saurait être iuvalidée.
19o. De ce qui précède il résulte que le contrat de rente
viagère a un caractère d'irrévocabilité qui lui est propre, et
qui s'attache également a l'aliénation de la somme ou de la
chose fournie pour prix de la rente, et a l'acquisition du droit
à la renie ; du reste, il est bien a remarquer que la loi, en
consacrant particulièrement ce caractère dans les articles
1978 et 1979, n'a en vue que les effets du contrat entre les
parties contractantes.
195 bis. I. Les solutions que nous avons données sur les articles
précédents ne peuvent pas être admises dans leur rigueur, si le
créancier de la rente se trouve en conflit non plus avec le débiteur
lui-même, mais avec des tiers, créanciers ou acquéreurs.
195 fez*. II. Envisageons les différentes hypothèses qui peuvent se
produire. Mettons d'abord le créancier chirographaire d'une rente
viagère en présence d'autres créanciers chirographaires. Le débi-
teur est en faillite ou en déconfiture ; il est alors plus que probable
186 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
en fait que les créanciers sont réduits à toucher un dividende, par
conséquent le créancier de rente n'arrive jamais à obtenir un capi-
tal suffisant pour produire, par un placement en perpétuel, des inté-
rêts annuels égaux aux arrérages de la rente; il faudra donc
alors estimer ce que Aaudrait en capital la rente viagère qui lui
est due et le colloquer pour cette somme, dont il sera payé au marc
le franc comme les autres créanciers.
195 bis. III. Si nous supposons maintenant la rente garantie par
une hypothèque et un conflit entre le créancier et d'autres créan-
ciers hypothécaires, la rente sera colloquée au rang que lui assigne
la date de son inscription, et le montant de cette collocation sera
déterminé par la règle de l'article 1978. S'il est possible- de trou-
ver une somme suffisante pour faire un placement en perpétuel
produisant les arrérages de la rente viagère, le créancier de la rente
sera colloque pour cette somme, sous la condition que le placement
sera fait et que le capital de la rente achetée en placement
reviendra, lors de l'extinction de la rente, aux créanciers postérieurs,
au profit desquels il sera fait une collocation éventuelle, ou pour
mieux dire, future (1).
195 bis. IV. Que si la difficulté s'élève entre le créancier de la
rente et un tiers acquéreur qui veut purger, la solution sera la même,
car celui qui purge n'a pas d'offre spéciale à faire à chaque créan-
cier, il offre à tous collectivement un certain prix. S'il n'y a pas de
surenchère, le prix est distribué aux créanciers dans l'ordre de leurs
hypothèques, et par conséquent nous retrouvons l'hypothèse de la
collocation dans un ordre, hypothèse sur laquelle nous venons de
nous expliquer.
196. Les arrérages de la rente viagère, aussi bien que ceux
de la rente perpétuelle, sont considérés comme fruits de
l'être de raison appelé rente (v. art. 584, 588). Ce sont des
fruits civils (art. 584-), auxquels s'applique conséquemment le
principe de l'acquisition jour par jour (art. 586). C'est donc
mal a propos que quelques-uns voulaient attribuer a la vie, au
commencement du terme, l'effet de donner droit au terme
entier-, le Code décide, avec raison, au contraire, que la renie
n'est acquise au propriétaire qu'en proportion du nombre de
(1) V. C. C, 5 novembre 1862, Sirey, 1863, 1, 261.
TIT. XII. DES CONTRATS ALÉATOIRES. ART. 1979-1982. 187
jours qu'il a vécu-, disons mieux, que les arrérages ne sont
acquis au propriétaire qu'en proportion du nombre de jours
qu'a vécu la personne sur la tête de laquelle la rente est éta-
blie. V. art. 1980, al. 1.
Celte règle cependant reçoit exception lorsqu'il a été con-
venu (ou, plus exactement, lorsqu'il est établi par le titre) que
la rente sera payée d'avance. On suppose alors favorablement
que la volonté qui conférait le droit d'exiger entendait con-
férer par là même le droit d'acquérir irrévocablement. Il suffit
donc que le terme ait dû être payé, et ce quand même il ne
l'aurait pas été effectivement, pour qu'il soit acquis en entier.
V. art. 1980, al. dernier.
197. Sous quelque point de vue qu'on considère les arréra-
ges de rente, ils font partie des biens du rentier, et sont
comme tels, en principe, saisissables par ses créanciers (ar-
ticle 2092). Toutefois, comme les renies viagères peuvent
souvent être réputées alimentaires, la faveur des aliments
avait fait élever quelques doutes sur ce point. Quoi qu'il en
soit, le Code décide avec raison que la rente constituée a titre
onéreux ne doit pas, plus que le pris pour lequel elle est
constituée, échapper au droit de gage des créanciers. Mais si
elle est constituée à titre gratuit, la clause qui la déclarerait
insaisissable, ne faisant véritablement aucun tort aux créan-
ciers, est autorisée par la loi. V. art. 1981. Bien plus, celle
clause ne sera pas même nécessaire, si c'est a titre d'aliments
que la rente est ainsi constiluée (C. Pr. , article 581 -1°); v. au
surplus C. Pr., art. 582.
198. La rente viagère s'éteint évidemment par la mort de la
personne ou des personnes sur la tête desquelles elle a été
constituée. Mais le cas de mort civile n'ayant pas dû entrer
dans la pensée des parties, cette mort n'empêchait pas que le
paiement en dût être continué a qui de droit, tant que durait
la vie naturelle. La règle s'appliquait au cas même où c'était
sur la tête dn propriétaire que la rente avait été créée. V. art.
1982 et loi du 31 mai 1854, abolitive de la mort civile.
188 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
199. Au reste, le droit a la rente viagère n'étant que con-
ditionnel et subordonné a la vie de la personne sur la tête de
laquelle elle a été constituée, c'est a celui qui réclame les
arrérages a justifier de cette existence. V. art. 1983.
TITRE TREIZIEME.
DU MANDAT.
200. Le mandat se rapproche du dépôt par le but que les
contractants s'y proposent; c'est aussi, du moins dans son
principe, un acte de confiance et d'amitié; mais son objet est
bien plus général; ce qui entraîne de grandes différences
dans la manière de le former et dans ses effets. La loi règle
successivement : 1° sa nature et sa forme (ch. 4)-, 2° les obli-
gations qui en naissent (ch. 2 el 3); 3° comment il finit
(ch.4).
CHAPITRE PREMIER.
DE LA NATURE ET DE LA FORME DU MANDAT.
201. Donner mandat, c'est charger une personne de faire
quelque chose, et conséquemment l'y autoriser s'il en est
besoin. Cette charge, dans notre droit, renferme le pouvoir
d'agir pour le mandant et en son nom. Le mandat peut s'en-
visager sous deux points de vue différents : 4° comme simple
acte de la volonté de celui qui le donne-, 2° comme contrat,
dépendant en cette qualité, pour sa formation, du concours
de deux volontés. Sous le premier rapport, le mandat se con-
fond presque avec la procuration ; sous le second, il peut être
le résultat d'une procuration acceptée.
La loi semble ne reconnaître à la procuration d'autre but
que celui de donner pouvoir; c'est en effet le seul que l'on
exprime ordinairement dans une procuration , et c'est aussi
le seul résultat que la procuration produise immédiatement.
190 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
Quoi qu'il en soit, ce pouvoir est presque toujours donné dans
l'intention de charger celui qu'on en investit de l'opération
à laquelle on le rend habile. Sous ce point de vue, la procu-
ration est un acheminement au contrat de mindat, qui sera
parfait lorsque la procuration sera acceptée, mais qui ne le
sera que par cette acceptation. V. art. 1984.
201 bis. I. Le mandat est défini par Pothier : un contrat par
lequel l'un des contractants confie la gestion d'une ou de plusieurs
aiïaires, pour la faire à sa place et à ses risques, à l'autre contrac-
tant qui s'en charge gratuitement et s'oblige à lui en rendre compte (1).
Cette définition conserve au mandat la physionnomie qu'il avait dans
le droit romain, elle met en relief la nature du mandat : c'est un
contrat, un accord de volonté produisant des obligations, et quand
nous le rencontrons dans une œuvre du grand jurisconsulte qui a
inspiré les rédacteurs du Code civil, nous pouvons à priori sup-
poser qu'elle est en harmonie avec leurs idées. La place qu'occupe
le titre du mandat au milieu des traités sur les divers contrats con-
firme cette supposition; le Gode a voulu traiter du contrat de mandat.
201 bis. II. Or, il n'en donne pas la définition, car il commence par
expliquer ce que c'est que la procuration, qui s'appelle quelquefois
aussi, mais improprement, mandat. Il nous la montre comme un acte
unilatéral, comme l'œuvre de celui qui autorise une autre personne
à faire quelque chose pour lui et en son nom; mais, après avoir ainsi
traduit le mot mandat ou procuration, le Code ajoute : le mandat se
forme par l'acceptation du mandataire. Donc le mandat-contrat est
distinct de la procuration, et, ce qu'il est important de constater, le
contrat peut se former à la suite d'une procuration, mais il n'est
pas nécessairement subordonné à la préexistence de la procuration.
201 lis. III. Si le Code lui-même reconnaît au début delà matière
que le contrat est indépendant de la procuration, nous pouvons en
conclure que la définition de la procuration n'est pas destinée à
déterminer les caractères distinctifs du contrat du mandat. La défi-
nition du mandat est sous-entendue; l'idée que cette expression
évoque chez les rédacteurs de Code civil, c'est l'idée du contrat de
mandat, telle que les Romains la concevaient et telle que Pothier la
présentait dans la définition que nous avons citée.
{\\ V. Polhier, Traité du contrat de mandai, n° 1.
TIT. XIII. DU MANDAT. AHT. 1984. 191
201 bis. IV. Quand on veut trouver la définition du mandat
dans l'article 1984, on arrive à penser que le Gode civil a abandonné
l'idée romaine, et a admis sur la nature de ce contrat une idée
tiut à fait nouvelle. On fait remarquer que le mandataire doit agir
non-seulement pour le mandant, mais en son nom, et de ces derniers
mois on conclut qu'il doit le représenter. Par conséquent, le mandat
supposerait la mission de faire des actes juridiques, et de les faire
comme le remplaçant, le représentant de celui qui a donné Je
mandat. Tout contrat par lequel une personne se chargerait de
faire pour autrui quelque chose qui ne serait pas la représentation
dans un acte juridique, ne serait pas un mandat (1).
201 bis. V. Cette doctrine a le tort, à notre sens, de faire sortir
du cercle qu'embrasse le contrat de mandat des conventions qui y ont
toujours été comprises et qu'on ne saurait juridiquement faire
rentrer dans d'autres espèces de conventions.
Ainsi, il se présente des cas dans lesquels l'acte à accomplir n'est
pas un acte juridique, et cependant la mission de l'accomplir a tou-
jours été considérée comme un mandat. Exemples : Je vous charge
de surveiller ma maison pendant mon absence (2) ou de cultiver mon
jardin, ma vigne, d'arroser mes fleurs, le tout gratuitement; vous
acceptez cette charge pour me rendre service. Je vous charge de
faire pour moi un voyage, de surveiller mes ouvriers, etc. Tout cela
a toujours été compris dans le mandat donné, ut mandatarius ne-
goiia gérai (3), et tout cela, même cette dernière formule, ne suppose
pas qu'il s'agisse nécessairement d'accomplir certains actes juridiques.
Les textes du droit romain supposent encore, dans cet ordre d'idées,
le mandat d'examiner les forces d'une succession, et celui de tuer
ou de blesser quelqu'un, ils annulent ce dernier, propter twpùudinem,
mais sans alléguer qu'il n'y a pas mandat (4); enfin, dans les In-
stitues de Justinien, il est question du mandat de nettoyer ou de
réparer des vêtements (5).
201 bis. VI. Voilà des exemples qui démontrent que le fait à
accomplir n'est pas toujours un acte juridique; aussi bien l'article
1984 lui-même, dans la définition de la procuration, parle très-
Ci) V. Aub.y et Rau, t. III, p. 458. Kdit. 1856.
(2) V. Pothier, Traité du dépôt, n° 3 in fine.
(3) V. D. L. 2, § 3, Mandati.
(4) Y. D. L. 42 Mandati. et L. 22, § G, cod. lit.
(5) Instit., L III, t. XXVI, §13.
192 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
vaguement de faire quelque chose. Nous allons trouver maintenant
des faits qui seront juridiques, mais qui ne supposeront pas une
représentation de la personne du mandant par celle du mandataire,
et qui cependant sont considérés sans difficulté comme étant la base
d'un mandat quand une personne a chargé une autre de les accom-
plir. Nous avons en vue les hypothèses où une personne, sur l'ordre
d'une autre, s'engage comme caution envers un créancier, ou prête
de l'argent à un emprunteur. Dans les deux cas, le fait à accomplir
est bien un acte juridique, s'obliger dans le premier cas, faire un
contrat du prêt dans le second. Mais ni dans l'une, ni dans l'autre
hypothèse, celui qui a reçu l'ordre ne fait l'acte juridique au nom
et comme représentant de l'autre partie. Quand je me porte caution
sur votre ordre ou votre prière, c'est bien proprio nomine que je
m'engage; quand je prête de l'argent à la personne que vous m'a-
vez indiquée, c'est personnellement que je fais le contrat, et c'est
à mon profit que naît l'action en restitution de la somme prêtée ;
j'ai agi sous votre impulsion, pour vous rendre service, mais je
ne vous ai pas représenté dans l'acte juridique accompli. Or, ces
deux hypothèses ont toujours été considérées en droit romain et en
droit français comme des cas de mandat; l'une des deux conventions,
la seconde, constitue le mandatum pecunice credendœ [{). Dans l'autre,
il a toujours été admis que la caution, si elle était contrainte de
payer, avait contre le débiteur l'action mandati (2). Le Code civil
a certainement consacré la dernière de ces deux solutions par les
décisions qu'il donne dans l'article 2028, et il est intéressant de
faire remarquer qu'elle est également admise par les auteurs
modernes, qui nous ont fourni la définition du mandat à laquelle
nous résistons et qui ont écrit : « Les caractères essentiels et dis-
tinctifs du mandat consistent 2° en ce que le mandataire
reçoit le pouvoir de représenter le mandant à l'effet de l'obliger
envers des tiers ou d'obliger des tiers envers lui. » Nous trouvons
eu effet, dans leur explication du titre du cautionnement, que la
caution qui s'est engagée à la prière du débiteur principal jouit,
après avoir acquitté la dette, indépendamment du recours fondé
sur la subrogation, d'une action de mandat contre ce débiteur (3).
201 bis. VII. Nous concluons de cette discussion que le fait qui
(1) V. Instit., 1. m, t. XXVI, § 5.
(2) V. Instit., 1. III, t. XX, § 6.
(3) V. Aubry et Rau, t. III, p. 503, teite et n° 5. Édit. 1856.
TIT. XIII. DU MANDAT. ART. 1984. 193
constitue l'objet de l'obligation du mandataire ne doit pas être
nécessairement un fait juridique ni un acte de représentation de la
personne du mandant, c'est un fait quelconque. Comme le dit
M. Demante au n° 201 , en reproduisant certaines expressions de
l'article 1984 et en dégageant le texte de cet article de ce qui est
particulier à la définition de la procuration : donner mandat, c'est
charger quelqu'un de faire quelque chose. D'où cette conséquence
qu'il faut retrancher de la définition de Pothier les mots : en sa
place, qui présentent le mandataire comme remplaçant le mandant,
ce qui est vrai assez ordinairement, mais ce qui n'est pas un des
caractères essentiels du contrat.
201 bis. VIII. Nous trouvons encore dans la définition de Pothier
un autre caractère, la gratuité; c'est aussi un caractère naturel au
mandant; quand nous le rencontrerons dans un contrat, il nous ser-
vira pour reconnaître le mandat, mais ce n'est pas un caractère
essentiel, ainsi que cela résulte des n0* 23 et 26 de Pothier et de
l'article 1986 du Code civil, à propos duquel nous examinerons
quelle influence la stipulation d'un salaire peut exercer sur la nature
même du contrat par lequel une personne charge une autre de
faire pour elle quelque chose.
201 bis. IX. Nous venons de donner la notion du mandat consi-
déré comme contrat; il faut parler maintenant de la procuration.
C'est l'acte qui donne au mandataire pouvoir de faire une certaine
chose. Nous prenons ici le mot acte dans son double sens : 1° fait
juridique, c'est l'autorisation d'agir; cette autorisation, considérée
elle-même comme acte juridique, est indépendante de toute for-
malité, elle consiste dans une manifestation de la volonté; 2° écrit,
instrumentera; écrit dressé pour constater le fait qui donne au
mandataire pouvoir d'agir.
La procuration, en tant que pouvoir, est surtout utile quand le
mandataire doit représenter le mandant dans les rapports avec les
tiers; elle prouve à ceux-ci que celui qui traite avec eux au nom
d'un autre est autorisé, a pouvoir d'agir ainsi. Mais quand le man-
dat ne tend pas à mettre le mandataire en rapport avec les tiers, la
procuration proprement dite devient inutile. Entre les deux parties
il se forme un eontrat ordinaire, et la preuve n'en deviendra néces-
saire que lorsqu'il s'agira d'exiger de l'une ou l'autre partie l'exé-
cution de ses obligations. M. Demante a parfaitement accentué la
différence entre le mandat et la procuration, et accusé la possibilité
Y.u. 13
191 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
d'un mandat existant sans procuration, quand il a dit : « Donner
mandat, c'est charger une personne de faire quelque chose et
conséquemment l'y autoriser s'il en est besoin. »
202. La procuration consiste dans le fait de la volonté du
constituant, et le mandat est parfait par le seul consentement
des parties; l'écriture, conséquemment, n'est requise en cette
matière que pour la preuve; et, sous ce rapport même, elle
ne l'est que suivant les principes et les distinctions posés au
titre des contrats ou des obligations conventionnelles en
général (1).
Cela posé, la volonté de donner mandat est ordinairement
expresse (2)-, mais elle peut également s'exprimer, soit par
un écrit, de quelque nature qu'il soit, même une lettre mis-
sive, soit verbalement.
Quant à l'acceptation du mandat, non-seulement elle peut
s'exprimer de toutes ces manières, mais elle peut même n'être
que tacite -, il est clair, par exemple, que l'exécution donnée au
mandai par celui qui en est chargé constituerait une accepta-
tion tacite. V. art. 1985.
202 bit. I. La note de M. Demante sur la preuve de la procuration
ou du contrat du mandat n'a besoin d'être complétée ou expliquée
(1) Remarquons, à ce sujet, qu'il De faut pas confondre la preuve du pouvoir
et celle du contrat. La preuve du pouvoir intéresse surtout les liers avec lesquels
le fondé de pouvoir traitera au nom du constituant; celle du contrat intéresse les
parties elles-mêmes, qui sans cette preuve ne pourraient se contraindre à l'accom-
plissement de leurs obligations respectives. Comme c'est principalement pour la
preuve du pouvoir que l'on rédige un acte authentique ou sous seing privé, il n'est
pas étonnant que l'acte authentique se dresse souvent en brevet (v. L. 25 ventôse
an XI, art 20), que l'acte sous seing privé se rédige en un seul original, et que
dans les deux cas l'acte soit remis aux mains du mandataire. Il est de toute évi-
dence que la validité de l'acte sous ce rapport ne peut nullement dépendre de
l'observation de la règle établie par l'article 1325. Quant à la preuve du contrat
entre les parties, il y a une autre raison pour que I article 1325 n'y ait pas non
plus d'application; c'est que, comme on le verra bientôt, le contrat de mandat n'est
pas proprement un contrat synallagmatique. (Note de M. Demante.)
(2) Cependant les anciens principes reconnaissaient un mandat tacite en cas de
gestion par un tiers au vu et su du mattre. Cette doctrine, tout à fait conforme à
la nature des choses, me paraît encore susceptible d'application (nonobstant article
1372). J'en conclus que dans ce cas les obligations du maître seraient régies,
non par l'article 1375, irais par les articles 1998-2002. (Note de M. Deuantb.)
TIT. XIII. DU MANDAT. ART. 1985. 195
que sur un point. Il est vrai que le contrat étant synallagmatique
imparfait, c'est-à-dire unilatéral, il n'est pas nécessaire de le ré-
diger en double original, mais il faut se garder de croire que la pro-
curation en brevet ou sous seing privé suffira, parce qu'elle est
remise au mandataire et que le mandant se trouve alors dépourvu
de moyen de preuve; s'il veut demander l'exécution du mandat, il
lui faudrait une preuve écrite, sinon du pouvoir qu'il a donné, au
moins de l'acceptation de ce pouvoir par le mandataire. Nous sup-
posons, bien entendu, que la matière ne comporte pas la preuve
testimoniale.
202 bis. IL Nous avons examiné au tome V, n° 349 bis. II et III,
la question de savoir si le Code admet le mandat tacite qu'admet-
tait l'ancien droit, ainsi que le constate Pothier (n° 29). La difficulté
vient du texte de l'article 1372, qui voit le quasi-contrat de gestion
d'affaire dans le cas même où le maître connaît les actes du gérant.
Il est clair que le Gode n'a pas voulu attacher au simple silence du
maître, à sa non-opposition, la force de l'obliger comme mandant,
quelles que fussent d'ailleurs les circonstances du fait. Mais il faut
reconnaître que, le mandat étant un contrat purement consensuel,
on pourra reconnaître l'existence d'un mandat tacite quand des
circonstances du' fait donneront une signification particulière au
silence du maître de l'affaire.
203. Tout affaire honnête peut être l'objet du mandat -, il
n'est pas nécessaire que^cette affaire concerne le mandant,
ni même qu'elle l'intéresse aucunement, pourvu qu'elle ne
soit pas dans l'intérêt unique du man lataire (v. Just., Insl.,
pr., de mand.; v. pourtant art. 1119). Quoi qu'il en soit, il
est probable que ce contrat, dans son but primitif, n'a tendu
qu'à mettre une personne a même de se décharger sur une
autre du soin de sa propre affaire. C'est particulièrement sous
ce point de vue que notre Code l'a envisagé.
203 bis. Quand le mandat jaura été donné exclusivement dans
l'intérêt d'un tiers, le mandant ne saurait avoir l'action pour con-
traindre le mandataire à exécuter, car il n'a pas d'intérêt; quant au
tiers, il ne pourrait agir lui-même, n'ayant pas fait le contrat (art.
1119), sous la réserve toutefois des observations que nous avons
faites sur cet article et en vertu desquelles la stipulation se trou-
verait validée parce qu'on devrait considérer celui qui a donné
13.
196 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
mandat comme ayant agi en qualité de gérant d'affaire pour le tiers
intéressé à l'exécution du mandat (1).
204. Ce qui distingue principalement ce contrat du louage,
c'est la gratuité des services du mandataire, gratuité long-
temps considérée comme de l'essence du mandat (v. Paul,
L. 1, § 4, D. mand.). Toutefois, les Romains eux-mêmes
avaient commencé à s'éloigner de ce principe, sans l'aban-
donner entièrement (v. Ulp., L. 6-, Papin., L. 7, D. mand.;
Sever. et Ant.y L. 1, Cod., eod.). Notre Code va plus loin,
puisqu'en déclarant le mandat gratuit de sa nature, il autorise
Ibrmellement la convention contraire. V. art. 1986; et remar-
quez que cette convention devrait même, suivant les cas, se
présumer, eu égard au genre de services et a la profession
de celui qui s'en charge. D'après celte doctrine, d'accord au
surplus avec les mœurs, c'est uniquement la nature du service
qui doit servir a distinguer le mandat non gratuit du louage,
avec lequel il importe toujours de ne pas le confondre.
204 bis. I. L'article 1986 établit nettement la théorie du Code
civil sur la gratuité du mandat; elle est de la nature de ce contrat
et non pas de son essence. Ceci constaté, on comprend que dans
un certain nombre d'hypothèses, on puisse être embarrassé pour
qualifier un contrat par lequel une personne aura chargé une
autre de faire quelque chose moyennant un certain salaire. S'a-
gira-t-il d'un mandat salarié ou d'un louage d'ouvrage (art.
1710)?
204 6m. II. Quand on cherche à reconnaître si un contrat est un
mandat ou un louage d'ouvrage, il y a d'abord un point absolu-
ment certain, c'est que si le contrat est gratuit, il ne saurait être
uu louage, puisque ce contrat est essentiellement intéressé de part
et d'autre. Voilà un premier trait caractéristique.
En voici un second : toutes les fois que la chose à faire impli-
quera le pouvoir de faire un acte juridique, le contrat sera un
mandat, parce qu'il contiendra en soi une procuration et que,
d'après l'article 1984, l'acceptation de la procuration forme le
mandat.
(1) V. ». V, n° 29 bis et 33 bis. I-III.
TIT. XIII. DU MANDAT. ART. 1986. 197
Enfin, quand il s'agit d'accomplir un acte juridique qui n'exige pas
un pouvoir donné à «elui qui l'accomplit, comme dans le cas où
une personne prie une autre de se porter caution pour elle ou de
prêter de l'argent à une autre. Le contrat sera encore un mandat,
car l'acte à accomplir ne consiste pas dans un certain travail maté-
riel ou intellectuel, ce n'est pas un ouvrage qu'on demande, et le
louage que nous rapprochons du mandat est exclusivement un
louage d'ouvrage (art. 1708, 1710, 1711 et 1779).
204 bis. III. La difficulté se concentre donc sur les conventions
relatives à un certain travail salarié, n'impliquant pas l'idée d'un
pouvoir donné à celui qui fait le travail. Dans cette catégorie
d'actes, il en est encore un grand nombre qu'il faut mettre hors de
discussion. Ce sont les actes accomplis, moyennant un salaire, par
les personnes que la loi appelle domestiques et ouvriers (art. 1 780),
voituriers par terre et par eau (art. 1782), entrepreneurs d'ouvrages
(art. 1779-3°, 1787 et s.), capitaines de navires et matelots (art.
250, C. Com.). Les salaires de ces diverses personnes sont expres-
sément qualifiés de loyers.
204 bis. IV. Le champ de la difficulté se restreint donc beaucoup,
puisqu'il ne comprend plus les contrats qui auront pour objet des
travaux matériels. Restent donc ceux dans lesquels une personne
s'oblige à faire un certain travail intellectuel. En principe, nous
admettrons que l'obligation contractée de faire, moyennant une
rémunération, un certain travail littéraire, scientifique ou artistique,
et généralement tout travail intellectuel, est une obligation résultant
d'un contrat de louage; l'article 1710 donne en effet, du contrat de
louage d'ouvrage, la définition la plus compréhensive; il s'agit de
faire quelque chose, et rien n'y indique, dans la pensée du législateur,
l'intention de distinguer selon la nature du travail à accomplir.
204 bis. V. Où serait d'ailleurs la base d'une distinction? Dans le
caractère matériel ou intellectuel de l'œuvre à faire? la délimitation
présenterait des difficultés; le travail le plus vulgairement matériel
demande toujours une certaine intelligence, et il est bien peu de
travaux intellectuels qui ne supposent un acte matériel. L'ouvrier
proprement dit, pour lequel nous n'avons pas admis de doute à cause
des textes du Code civil, est souvent presque un artiste ou un savant;
il fait des œuvres de goût qui rappellent le dessinateur; il dirige
et répare des machines, il sait la mécanique; il fait des teintures,
c'est un chimiste. Le matelot n'est pas seulement un homme de
198 COUItS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
peine, il connaît l'art difficile de la navigation ; le capitaine a besoin
d'une véritable science, et dans certaines circonstances, il montre
un courage et un dévouement égal à ceux des plus courageux et
des plus dévoués.
204 bis. VI. Dans une situation intermédiaire, les commis, les
clercs, les secrétaires, peuvent être de simples travailleurs manuels
rangeant des marchandises, les pesant et les enveloppant, ou faisant
des courses et des copies; mais l'intelligence n'a-t-elle pas toujours
une place nécessaire, surtout si le commis ou le clerc est en rapport
avec le public, s'il tient la comptabilité, si le secrétaire prépare et
quelquefois accomplit lui-même des travaux littéraires ou scienti-
fiques?
En sens inverse, le travail matériel a une certaine part dans
l'œuvre de l'artiste; peintre, sculpteur, comédien; du savant, chi-
miste, calculateur, astronome; du professeur; de l'homme de lettres
lui-même, surtout quand, descendant de plusieurs degrés dans
l'échelle des littérateurs, il deviendra compilaiteur.
204 bis. VII. La distinction ne peut donc pas avoir pour base
le caractère matériel ou intellectuel du travail, elle ne peut pas non
plus se rattacher à une différence que signale Pothier, entre les
travaux qui ont une valeur inestimable ou inappréciable en
argent (I), si bien qu'après le paiement de l'honoraire promis, celui
qui a payé n'est pas encore quitte de la reconnaissance qu'il doit
pour le service. Pothier cite les services rendus par des avocats,
des médecins, des maîtres de grammaire, de philosophie, de
mathématiques.
204 bis. VIII. Cette distinction est encore moins nette que la
précédente, car elle pose en principe que, dans les cas cités, une
reconnaissance spéciale est toujours due par celui qui a reçu les
services. Or, n'est-il pas clair que c'est là une question de fait et
de circonstances? Si le médecin ou le professeur n'a pas eu l'occasion
de faire preuve d'un dévouement exceptionnel, si ayant eu cette
occasion il ne s'est pas montré particulièrement dévoué, où est le
devoir de reconnaissance? Le médecin a fait quelques visites à pro-
pos d'une légère indisposition, le professeur a donné les leçons pro-
mises, peut-être sans zèle, sans intérêt, sans affection. Les visites
du médecin et les leçons du professeur doivent être payées, mais
(1) V. Pothier, Jïandat, n<« 23, 25, 27.
TIT. XIII. DO MANDAT. ART. 1986. 199
pourquoi la partie ne serait-elle pas complètement libérée par
ce paiement ?
Le dévouement, l'affection, le courage, peuvent se rencontrer
chez d'autres personnes, chez de véritables locateurs d'ouvrages,
comme l'ouvrier, le matelot, le serviteur; nous avons déjà parlé du
capitaine de navire. Pothier reconnaît ce fait qui fait brèche à son
système (1), et il essaie vainement de nier son importance. Il dit
qu'en pareil cas la reconnaissance est due non pour les services,
mais pour l'affection avec lequel ils ont été rendus; or il est certain
qu'on peut dire la même chose des services de l'avocat, du médecin
ou du professeur, en substituant le mot dévouement au mot affec-
tion, qui se rencontre dans Pothier et qui signifie certainement une
affection dévouée.
204 bis. IX. Ce raisonnement détruit, comment accepter comme
base d'une distinction que certains services sont inestimables en
argent ? Le prix de l'affection ou du dévouement est bien inappréciable,
mais le prix du service envisagé en lui-même est si bien appréciable,
que les personnes dont nous parlons font habituellement profession
de les rendre, qu'il existe sur ce point une sorte de prix courant,
que des conventions fixant la rémunération sont fréquentes, que
les tribunaux condamnent les débiteurs et fixent le montant des
condamnations.
204 bis. X. Ces distinctions n'étant pas admises, il faut recon-
naître que tout contrat qui a pour objet de faire faire un certain
travail moyennant un certain prix, est un contrat de louage, sauf
à tenir compte de l'observation que nous avons faite plus haut,
quant aux actes qui supposent un certain pouvoir donné, observation
qui fait apparaître les cas où un contrat, qui suppose un travail
salarié, reste néanmoins un mandat. Nous considérerons donc
comme mandataires l'avoué, l'huissier, l'agréé près les tribunaux de
commerce, l'agent de change, le courtier, l'homme d'affaires; nous
dirons le contraire des médecins et des professeurs. Des doutes
peuvent s'élever quant à l'avocat et au notaire. Nous admettrons
toutefois que l'avocat est un mandataire, parce que, bien qu'il ne
soit pas à proprement parler mandataire ad liiem, qu'il n'ait pas
comme l'avoué mission de faire des aveux et des offres, il n'en est
pas moins le porte-paroles de la partie, il tient sa place dans un
(1) V. Pothier, n° 27.
200 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
acte juridique, puisqu'il fait ce que la partie pourrait faire elle-même
en exposant ses moyens de défense, et que certainement il ne peut
paraître ainsi devant la justice qu'en vertu d'une invitation de la
partie qu'on peut bien appeler le pouvoir de parler pour elle.
Le notaire, quoique rédacteur d'actes, n'est pas un simple secré-
taire ou copiste; comme dépositaire des minutes, il est substitué aux
parties dans la mission de conserver des titres que celles-ci auraient
intérêt à détenir elles-mêmes ; comme rédacteur de l'acte, il reçoit
souvent de la volonté des contractants le pouvoir de substituer en
quelque sorte sa signature à la leur, puisque l'acte sera valable
sans la signature de la partie si le notaire certifie que celle-ci a dé-
claré ne pas savoir ou ne pas pouvoir signer.
204 bis. XI. Nous devons en terminant faire remarquer que
quelquefois il se fera une certaine fusion des deux contrats et qu'une
convention participera à la fois du louage et du mandat. C'est ce qui
arrive par rapport aux commis et préposés, qui sont liés certaine-
ment par un contrat de louage, mais qui reçoivent expressément ou
tacitement le pouvoir d'engager le maître.
Il ne sera pas ordinairement difficile de distinguer quel est le
contrat qui domine dans la convention mixte dont nous parlons.
204 bis. XII. Nous n'avons pas, comme nous le faisons d'ordi-
naire, indiqué l'intérêt de la question que nous venons d'examiner
avant de la discuter. Nous aurions craint de décourager nos lecteurs
en leur montrant d'avance quel mince intérêt pratique présente une
question que les habitudes traditionnelles de la doctrine nous obli-
geaient à traiter avec un certain développement.
204 bis. XIII. Ce n'est pas, il est vrai, une simple question de
mots, ce n'est pas non plus une question de validité, car aujour-
d'hui les qualifications des contrats sont indifférentes, quant à leur
formation, à leur force obligatoire et aux actions qui les sanc-
tionnent. C'est une question de régime; il est certaines règles
spéciales au mandat qu'il ne faut pas appliquer au louage, d'autres,
peut-être, relatives au louage qu'on ne doit pas étendre au mandat.
Mais ces règles ne sont pas nombreuses.
204 bis. XIV. Ainsi nous trouvons dans le titre du mandat les
articles 2001 et 2002, l'un qui fait courir de plein droit les intérêts
des avances faites par le mandataire, l'autre qui établit la solidarité
légale entre les personnes qui ont constitué un même mandataire
pour une affaire commune. Ces deux règles sont spéciales au
T1T. XIII. DU MANDAT. ART. 1986. 201
mandat, et comme elles dérogent à des principes généraux posés
dans les articles 1153 et 1202, elles ne régissent certainement pas
le contrat de louage.
204 bis. XV. D'autres dispositions du titre du mandat paraissent
avoir aussi un caractère spécial, mais il est moins accentué, puisque
ce ne sont pas des exceptions à des règles générales, mais plutôt
de simples interprétations de conventions. Ainsi le mandat est ré-
vocable (art. 2004), il cesse par une renonciation du mandataire
(art. 2003-2007), il cesse par la mort du mandant ou du mandataire
(art. 2003). Toutes ces règles sont fondées sur la volonté probable
des parties, rien n'empêche d'y déroger, au moins à la plupart
d'entre elles, à celles qui permettent la révocation ou la renonciation,
et à celle qui met fin au maadat par la mort du mandant. D'un
autre côté, si nous nous plaçons en face d'un contrat de louage de
service, nous voyons que la mort de celui qui a promis les services
met fin au contrat (i), et qu'il en est quelquefois de même au cas de
mort du stipulant (2). Quant à la faculté de renoncer au contrat
soit d'un côté, soit de l'autre, on ne voit pas quelle disposition de
la loi la déclarerait illicite.
204 bis. XVI. En dehors des conventions spéciales, on rencontre
encore dans l'article 1794 une règle qui peut paraître particulière
au contrat de louage : celui qui a traité à forfait avec un entre-
preneur peut résilier le contrat par sa seule volonté, mais il doit
indemniser l'entrepreneur de tout ce que celui-ci aurait gagné
dans l'entreprise. Le mandant révoque un mandat sans être tenu
à rendre autre chose que les déboursés (art. 1999 et 2000). Ce
n'est là cependant qu'une différence accidentelle et non essentielle
entre le louage d'ouvrage et le mandat, car on pourrait com-
prendre que le mandataire salarié se fît assurer le montant de son
salaire pour le cas même où le mandant ne donnerait pas suite à
l'affaire.
204 bis. XVII. Une dernière remarque : avec les larges pouvoirs
d'interprétation qui appartiennent à nos juges en vertu de l'article
1156, les quelques différences qu'on peut signaler entre le mandat
et le louage d'ouvrage disparaissent, puisque les tribunaux peuvent
toujours décider que la volonté souveraine des parties a emprunté
telle ou telle règle à l'un des contrats pour l'appliquer à l'autre, et
(1) V. art. 1795 et t. VII, n° 248. I et II.
(2) V. t. VII, n« 231 bit. II-VIII.
202 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
que les contractants ont ainsi formé une convention d'une nature
mixte, et par conséquent nous voyons ainsi diminuer, dans une
grande proportion, l'intérêt qu'il peut y avoir à décider si tel contrat
intervenu entre deux parties est un louage ou un mandat.
204 bit. XVIII. Il reste cependant les deux différences que nous
avons d'abord signalées, et qui résultent de la comparaison des
articles 2001 et 2002 avec les articles 1150 et 1202. Comme la
stipulation des intérêts et celle de la solidarité doivent être expresses,
comme la solidarité légale ne peut être étendue et que les intérêts
légaux ne courent que dans les cas déterminés, nous trouvons là
deux effets du mandat qui ne peuvent être étendus au louage par
une simple interprétation d'une volonté tacite.
20o. Le but principal du mandat étant de charger une
personne d'une affaire, c'est cette personne seule qui, au
moins dans le mandat gratuit, contracte immédiatement
une obligation. On ne peut donc reconnaître au mandat le
caractère de contrat synallagmatique dans le sens du Code
civil.
205 bis. Il importe surtout de savoir si le contrat est synallagma-
tique à raison de la règle édictée par l'article 1325. Le mandat ne
doit pas être constaté par un acte double lorsque l'écrit est sous
seing privé, parce que ce contrat ne donne régulièrement naissance
qu'à une seule obligation, celle du mandataire ; les obligations du
mandant ne naissent qu'ex post facto, et le mandataire peut alors
n'être pas en faute de n'avoir pas fait constater par écrit le contrat
de mandat. Mais il nous semble que dans un cas spécial, celui où le
mandat est salarié, le contrat produit nécessairement, et dès le mo-
ment de sa naissance, une double obligation et par conséquent il
faut que chacune des parties garde une preuve de la créance qui
est née en sa faveur , d'où nous conclurons que l'écrit sous seings
privés doit être rédigé en double original.
206. L'étendue du mandat et des pouvoirs qu'il confère
est entièrement abandonnée a la volonté des parties contrac-
tantes ; ce n'est que par interprétation de la volonté commune
que la loi règle, pour certains cas, cette étendue (art. 1987-
1989).
Ainsi le mandat peut être donné spécialement pour une ou
TIT. XIII. DU MANDAT. ART. 1986-1989. 203
plusieurs affaires, ou généralement pour toutes les affaires du
mandant. V. art. 1987.
Mais quelque illimitée que soit la faculté de confier ses
affaires a un autre, lorsque la loi ou la nature des choses ne
s'y oppose point, ce n'est pas une raison pour qu'on soit faci-
lement supposé avoir voulu tout ce que 1 on pouvait faire.
Ainsi la loi, qui suppose diflicilement qu'un propriétaire ait
voulu remettre a autrui la faculté de disposer de sa chose, ne
fait pas résulter ce pouvoir d'un mandat conçu en termes
généraux. Elle juge avec raison que la généralité des termes
ne s'appliquait, dans la pensée des parties, qu'aux actes
d'administration; quant a l'aliénation, l'hypothèque ou tout
autre acte de propriété, elle veut un pouvoir exprès. V. art.
1988.
A plus forte raison, quand le mandat est spécial, n'est-il
pas permis de conclure à pari de la collation d'un pouvoir à la
collation d'un autre \ la loi ne veut pas même que l'on conclue
à fortiori du pouvoir de transiger celui de compromettre.
V. art. 1989. Remarquons toutefois que ce qui est dépendance
de l'affaire confiée au mandataire entre nécessairement dans
son mandat (v., a sujet, art. 1372).
207. La latitude accordée par la loi pour l'étendue a
donner au mandat n'est pas moindre pour le choix du man-
dataire. L'incapacité de celui-ci doit bien avoir pour effet de
le soustraire, plus ou moins complètement, aux obligations
du contrat de mandat-, mais elle ne peut nullement influer
sur la validité des pouvoirs que la volonté du mandat, juge
de son propre intérêt, lui a confiés. Appliquant celte double
proposition, la loi déclare, d'abord, que les femmes et les
mineurs émancipés peuvent être choisis pour mandataires-,
quanta l'action du mandat contre eux, elle en subordonne l'effet
au droit commun sur les engagements de ces personnes : à
cet égard, elle renvoie, pour les mineurs, aux règles générales
relatives a leurs obligations (v. art. 1124, 1125, 1305 et
suivants); en ce qui concerne les femmes mariées non auto-
204 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
risées, la loi, reconnaissant apparemment que la validité de
leurs engagements peut dépendre du régime sous lequel
elles sont mariées, se réfère au litre du contrat de mariage,
qui contient les règles particulières aux divers régimes.
V. art. 1990.
207 bis. I. Le mandant est certainement maître de charger de son
affaire une personne incapable. Il le fait à ses risques et périls, et
il ne peut s'en prendre qu'à lui-même si le mandataire ne défend
pas bien ses intérêts. Telle est la raison de l'article 1990, et cette
raison nous montre quelle latitude il faut donner à la disposition
de cet article. Au point de vue de la représentation du mandant par
le mandataire, dans les rapports, notamment, avec les tiers, tout inca-
pable peut recevoir un mandat; pourvu que les actes qu'il accomplit
émane d'une volonté intelligente, ces actes doivent être valables
nonobstant l'incapacité de leur auteur, car cette incapacité est une
protection pour l'incapable et non pas pour les tiers; or, le mandant
qui supporte seul les conséquences de l'acte de son mandataire est
un de ces tiers que ne protège pas la règle d'incapacité. Ces consi-
dérations sont tirées de principes qui n'ont rien de spécial aux
mineurs émancipés et aux femmes mariées; dès lors la disposition
de l'article doit être généralisée et appliquée par exemple à tous les
mineurs.
207 bis. II. On peut alors s'étonner de voir le Code civil restrein-
dre en apparence une règle qui a une raison d'être aussi générale.
La raison de cette restriction est peut-être la rareté probable des
mandats donnés aux incapables dont nous parlons, mineurs non
émancipés et interdits. La loi n'a vu que les hypothèses pratiques.
On peut ajouter que le but de l'article n'a pas été de proclamer
l'aptitude des incapables à recevoir un mandat, mais d'éviter quant
aux incapables qui jouissent d'une capacité relative, au point de vue
par exemple de l'administration, qu'on pût jamais considérer l'ac-
ceptation d'un mandat comme un acte d'administration, valable
par conséquent à tout événement. L'article n'aurait donc pas eu
en vue la théorie générale, mais un point spécial de cette théorie
en tant qu'elle s'applique aux deux incapables auxquels ses rédac-
teurs ont songé.
207 bis. III. Si le mandataire incapable peut engager son man-
dant envers des tiers, il ne peut pas au contraire s'obliger lui-même
TIT. XIII. DU MANDAT. ART. 1990, 1991. 205
soit envers le mandant, soit envers les tiers. En ce qui le concerne,
les engagements qu'il aurait pris seraient nuls dans les conditions
où le Code civil établit la nullité de ses actes. Ainsi, quand le manda-
taire est un interdit, ses engagements sont nuls de droit (art. 502);
si c'est une femme non autorisée, ils sont annulables, alors même
que le contrat de mariage lui donnerait le pouvoir d'administration
car les actes accomplis pour un mandat ne sont pas des actes
d'administration de la fortune du mandataire. Pour le mineur éman-
cipé, nous ferons la même observation; alors même qu'il s'agirait
d'actes qui de leur nature sont actes d'administration, ils seraient
annulables parce que la capacité du mineur émancipé est restreinte
aux actes d'administration de son patrimoine. Pour ceux-là, comme
pour tous les autres actes, et pour tous les actes du mineur non
émancipé, il y aura lieu à les annuler, pourvu qu'on démontre la
lésion. Or la lésion résultera toujours nécessairement des actes du
mandataire incapable, puisqu'il se sera engagé sans avoir intérêt à
l'affaire, et quand il aura donné ses soins à une administration sans
contracter d'engagements, il serait lésé si l'on prétendait le pour-
suivre en dommages et intérêts à l'occasion de quelque faute ou né-
gligence dans cette administration.
Il faudrait toujours, cependant, réserver les cas de dol, car l'in-
capable est toujours responsable du dol; il faudra aussi l'obliger à
restituer tout ce dont il se sera enrichi (art. 1310 et 1312).
207 bis. IV. La loi ne s'est pas expliquée sur la capacité requise
en la personne du mandant, mais il est clair que le mandant doit
être capable de faire les actes dont il charge le mandataire. La
capacité de donner mandat sera soumise aux règles régissant la
capacité de faire les actes qui seront l'objet du mandat.
CHAPITRE II.
DES OBLIGATIONS DU MANDATAIRE.
208. Le mandataire est tenu de trois obligations principales :
il doit : i° accomplir le mandat 5 2° y donner le soin conve-
nable; 3° rendre compte de sa gestion et remettre au man-
dant tout ce qu'il en retient.
200 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
209. La première obligation du mandataire, c'est d'accom-
plir le mandai, c'est-à-dire de terminer entièrement l'affaire
qui en l'ait l'objet, avec toutes ses dépendances nécessaires-,
faute de quoi il est, comme de raison, passible de dommages-
intérêts (bien entendu s'il y a lieu). Au reste, cette obligation
ne dure que tant qu'il demeure chargé du mandat, qui peut,
comme nous le verrons, finir de diverses manières, et no-
tamment, sous certaines conditions, par la renonciation du
mandataire (art. 2007). V. art. 1991, al. 1 ; et à ce sujet,
art. 1372.
Quoique la mort du mandant soit une des manières dont
finit le mandai (art. 2003), elle ne fait pourtant pas cesser
l'obligation d'achever la chose commencée-, c'est là, au sur-
plus, un devoir imposé au mandataire par un principe d'équité,
plutôt qu'une obligation dérivant directement du contrat.
Aussi le devoir se borne-t-il au cas de péril en la demeure.
V. art. 1991, al. dernier; et a ce sujet, art. 1373.
210. La seconde obligation du mandataire, c'est de donner
à l'affaire qui lui est confiée le soin convenable. A cet égard,
il est tenu plus strictement que le dépositaire, qui ne doit
que de la fidélité, parce que la garde dont il est chargé
n'exige pas autre chose. Mais la gestion d'une affaire demande
une certaine diligence que le mandataire est censé promettre
en se chargeant de cette gestion. Le mandataire répond
donc non-seulement de son dol, mais même de ses fautes,
qui consisteraient en général a ne pas donner les soins d'un
bon père de famille. Cette règle s'appliquera également au
mandat gratuit et au mandat salarié-, mais, conformément à
la théorie reçue (v. Ulp., L. 5, § 2, D. commod.), elle s'ap-
pliquera plus rigoureusement au mandat salarié qu'au mandat
gratuit. V. art. 1992.
210 bis. La responsabilité du mandataire à raison des fautes par
lui commises ne saurait être amoindrie parce qu'il aurait, par son
habileté et sa diligence, procuré des bénéfices au mandant. Il y a
lieu d'appliquer ici la règle contenue dans l'article 1850 en matière
de société. De même que l'associé doit procurer par son industrie
TH. XIII. DU MANDAT. ART. 1991-1993. 207
tous les bénéfices possibles à la société, de même le mandataire pour
les affaires qui rentrent dans son mandat, et nous ne parlons que
de celles-là, doit donner tous ses soins pour que le mandant réalise
des bénéfices, et ce n'est pas en accomplissant ce devoir par rapport
à une certaine affaire qu'il peut se dégager de la faute qu'il a com-
mise en en négligeant une autre. Il devait faire ses efforts pour faire
réussir les deux opérations; le succès de l'une ne l'excuse pas
d'avoir négligé l'autre (1).
211. La troisième obligation du mandataire est celle de
rendre compte de sa gestion; ce qui emporte ensuite obliga-
tion de payer ou restituer tout ce qui lui est parvenu par suite
du mandai, et généralement tout ce qu'il peut devoir, à ce
titre, au mandat, sous la déduction de ses dépenses ou autres
causes de répétition.
L'obligation de rendre compte, généralement applicable a
ceux qui administrent pour autrui , est imposée, comme de
raison, a tout mandataire.
Dans ce compte, le mandataire doit surtout faire raison,
c'est-à-dire se charger en recette, de tout ce qu'il a reçu en
vertu de sa procuration. A cet égard, il n'y a pas même lieu
d'examiner si ce qui a été reçu était ou non dû au mandant
(v. à ce sujet Paul, L. 23. D. de negot. gest.); en effet, le
mandataire qui a reçu pour lui n'a nullement qualité pour
soulever celte question, qui, s'il y a lieu, s'agitera entre le
mandant et la personne qui a fait le paiement. V. art. 1993; et
remarquez qu'en consacrant d'une manière plus spéciale
l'obligation de faire raison de toutes les receltes effectives, le
législateur n'entend point exclure celle de faire également
raison des recettes que le mandataire aurait manqué de faire,
et de toutes les indemnités qu'il peut devoir.
21 i bis. I. L'obligation de rendre compte n'est pas de l'essence du
mandat. La convention des parties pourrait en dispenser le man-
dataire. Le mandant, maître de ses droits, peut bien les compromettre
en s'abandonnant absolument à la bonne foi du mandataire. Il
n'en aura pas moins du reste l'action de mandat, pour exiger
(1 ) V* Potbier, n° 52.
208 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. I».
l'exécution. De plus, la dispense du compte n'implique pas donation
des choses que le mandataire a reçues du mandant et des valeurs
qu'il a perçues pour lui ; par conséquent le mandant pourra toujours
revendiquer les choses qui lui appartiennent, et l'article 2279 n'y
fera point obstacle, car le mandataire ne sera pas possesseur
de ces choses; et pour les quantités qui ont passé par les mains
du mandataire, le mandant pourra toujours, sinon demander un
compte, c'est-à-dire une justification des dépenses faites, mettre le
mandataire en demeure de déclarer quel est l'excédent des recettes
sur les dépenses et exiger la restitution de l'excédent reconnu par
le mandataire.
Si, au cas de dispense du compte, le mandataire se prétend
créancier, les dépenses ayant excédé les recettes, il faudra bien,
après que le mandant aura prouvé qu'il a mis telles ou telles valeurs
entre les mains du mandataire, que celui-ci justifie qu'il a fait des
dépenses supérieures, car la dispense du compte n'est pas l'abandon
de cette règle que celui qui se prétend créancier doit prouver sa
créance, c'est seulement une garantie, une assurance de tranquillité
donnée au mandataire. Elle vise le mandataire défendeur et non
pas demandeur. S'il en était autrement, il arriverait qu'un manda-
taire dispensé de rendre compte pourrait, par sa seule déclaration, se
constituer créancier de sommes énormes, hors de proportion avec
celles qu'il peut être supposé avoir avancées.
Notre solution sur la dispense de rendre compte ne présente, il
faut le remarquer, de danger que pour le mandant seul; ses héri-
tiers n'ont rien à craindre pour des actes de gestion postérieurs
au décès de leur auteur, puisque le mandat finit par la mort du
mandant.
211 bis. II. Quand l'article 1994 dit que le mandataire doit faire
raison de ce qu'il a reçu, cela implique que pour les sommes ou
généralement pour les quantités reçues, il doit les porter en recettes,
et que naturellement elles se compensent par une balance avec les
dépenses. Il n'en est pas ainsi quand ces choses reçues sont des
corps certains, le mandant en est propriétaire, il a droit d'en exiger
la restitution en nature, et il ne peut être question de compensation.
Seulement le mandant est exposé à voir le mandataire conserver la
détention de ces objets jusqu'au paiement de ce qui peut lui être
dû pour ses avances. Ce droit, qu'on appelle droit de rétention,
l'article 1948 l'accorde spécialement au dépositaire, et nous*l'attri-
TIT. XIII. DU MANDAT. ART. 1993, 1994. 209
buons au mandataire, par application d'une théorie générale que
nous avons exposée au tome IX (I).
212. Le compte du mandataire n'embrasse pas seulement
sa propre gestion, il s'applique également à celle du tiers qu'il
se serait substitué sous sa responsablité.
Cette responsabilité, au reste, s'applique diversement à
deux cas : 1° lorsque le mandataire n'a pas reçu le pouvoir
général de se substituer quelqu'un; il est clair que s'il le fait,
c'est entièrement à ses risques et périls, et qu'il doit répondre
du fait du substitué comme du sien propre $ 2° lorsqu'il a reçu
ce pouvoir général, mais sans désignation de personne-, il ne
doit alors répondre que du mauvais choix qu'il aura fait, et ce
choix n'engage sa responsabilité qu'autant qu'il aurait porté
sur une personne notoirement incapable ou insolvable. V. art.
1994, al. 1.
Dans le cas où le mandataire est responsable du fait du
substitué, c'est contre lui seul que le mandant semblerait
avoir action, sauf a lui a intenter la sienne contre le substitué,
son propre mandataire ; mais le motif qui, dans d'autres cas
déjà expliqués, autorise certains créanciers a agir directement
contre le débiteur de leur débiteur, s'appliquant ici, la loi
permet toujours au mandant d'agir directement contre le sub-
stitué. V. art. 1994, al. dernier, et à ce sujet, art. 1753,
1798; C. Pr.,art. 820.
212 bis. I. En décidant que dans certains cas le mandataire sera
responsable de la personne qu'il se sera substituée dans sa gestion,
le Gode civil néglige d'examiner en principe le point de savoir si le
mandataire a le droit de se substituer un sous-mandataire.
Dire, en eiïet, que le mandataire répond du substitué quand il
n'avait pas reçu le pouvoir de se substituer quelqu'un, ce n'est pas
reconnaître que le mandataire avait le droit de faire ce qu'il a fait ; on
l'a prétendu toutefois, en interprétant l'article 1994, leralin., comme
s'il déclarait que le sous-mandataire oblige le mandant dans l'hypo-
thèse qu'il prévoit, et, partant de cette décision qu'en prête à l'article,
on a conclu que le mandataire n'avait pas excédé les bornes de son
(1) V. t. IX, n" 2 bit. I-VI.
vni. 14
510 COU! S ANALYTIQUE DK CODE CIVIL. LIV. III.
mandat en conférant un sous-mandat , ce qui implique que le
mandat donné sans explication comprend tacitement le pouvoir de
donner un sous-mandat (1).
212 bis. II. Cette argumentation repose, il nous semble, sur une
confusion. Rien, dans l'article, n'a trait aux pouvoirs du sous-man-
dataire. Il n'y est question que de la responsabilité du mandataire
par rapport aux actes de son substitué, qui causeraient préjudice au
mandant. Or, les actes par lesquels le mandataire peut nuire au man-
dant sont de deux natures : actes portant un préjudice matériel; actes
entraînant un préjudice juridique. Les premiers sont, par exemple,
des actes de négligence dans l'administration de la chose confiée au
mandataire, on aura mal entretenu les biens qu'il s'agissait d'admi-
nistré, mal fermé une maison, et des voleurs l'auront pillée ; les autres
sont des opérations juridiques, des contrats faits au nom du mandant
et qui lui sontdésavantageux. Quelle que soit l'opinion qu'on adopte
sur la valeur du sous-mandat, les préjudices matériels sont des faits
accomplis, et la loi a dû donner une solution sur le point de savoir
à qui en incomberait la responsabilité. Alors même qu'elle admet-
trait que le sous-mandat n'a pas de valeur, il est tout naturel
qu'elle songe à la responsabilité d'un préjudice qui en est résulté en
fait. Mais cette solution n'implique pas que le sous-mandataire a pu
obliger le mandant, parce que si les actes juridiques par lui accom-
plis n'ont pas d'effets contre le mandant, il n'y a pas préjudice
causé et pas de responsabilité pour le mandataire. L'argument tiré
de l'article 1994-1° ne pourrait avoir de force que si l'on ne pou-
vait pas concevoir d'autre préjudice que celui qui résulterait des
contrats faits par le sous-mandataire. Si au contraire ses actes
matériels peuvent avoir nui au mandant, cela suffit pour expliquer
l'article, sans qu'on soit obligé d'y trouver une décision relative à des
obligations que le substitué du mandataire imposerait au mandant.
Ce qui prouve surabondamment que le Code n'a pas entendu donner
par l'article 1994 pouvoir au mandataire de se substituer quelqu'un,
c'est que cet article n'a pas réservé le cas où le mandat contiendrait
une défense expresse de déléguer un sous-mandataire. Or, il paraît
bien impossible d'admettre qu'en pareil cas le sous-mandataire
obligera le mandant envers les tiers. Mais ce qu'on reconnaîtra
certainement, c'est que dans ce cas le mandataire répondra des pré-
(î) t. Aubry ei Rau, t. lil p. 4j7, u° 15. É lit. 1836.
TIT. X11I. DU MANDAT. ART. 1991. 21 1
judices matériels causés par son substitué. Ce cas se trouve compris
dans le texte de l'article, car il est certainement un de ceux où le
mandataire n'a pas reçu le pouvoir de se substituer quelqu'un. En
écrivant une formule qui embrasse ces deux hypothèses si dissem-
blables au point de vue de l'obligation envers les tiers, la loi n'a-t-elle
pas montré qu'elle n'envisageait qu'une autre face de la question,
celle qui est relative à la responsabilité des dommages matériels ?
212 bis. III. Quant à la question des pouvoirs, il semble qu'elle
est facilement résolue , quand on recherche quelle doit avoir été
l'intention du mandant. Nous laissons, bien entendu, le cas où le
mandat défend expressément la substitution d'un sous-mandataire
au mandataire. Nous raisonnons sur le cas où le mandat est muet
sur cette question. Alors il nous paraît évident, comme il le paraissait
à Pothier, que tout dépend de la nature de l'a Ha ire dont le mandant
a chargé son mandataire. Si elle suppose une habileté, un talent,
une science personnelle, il faut bien admettre que le mandant a
choisi son mandataire pour sa personne, son caractère et son talent,
que le mandataire de son côté a promis son action propre, que dès
lors la faculté pour le mandataire de se substituer quelqu'un n'a
pas été admise dans la convention. Pothier cite pour exemple le
cas où une personne donne à un jurisconsulte renommé le pou-
voir de la représenter dans une transaction. N'est-il pas clair que
le mandant a compté sur la connaissance des affaires, sur la science
du droit, sur le talent de discussion de la personne qu'il choisis-
sait, et que c'est sortir des termes du contrat et compromettre les
intérêts de ce mandant que de confier à une autre personne le
droit de prendre part à la transaction? Mais si l'affaire ne demande
pas une habileté particulière, si l'on ne peut supposer que le mandant
aurait pu choisir toute autre personne, il n'y a plus de raison pour
refuser au mandataire le droit de se faire remplacer. L'exemple de
Pothier suppose une personne chargée d'acheter un livre chez un
libraire, nous pourrions supposer une opération plus importante,
comme l'achat dans une adjudication aux enchères, moyennant que
le maximum du prix d'achat a été fixé dans le mandat (1).
212 bis. IV. Le mandat n'emporte donc pas par lui-même, et dans
tous les cas, autorisation pour le mandataire de choisir un sous-man-
dataire, mais ce choix, s'il a eu lieu, est toujours pour ce mandataire
(1) V. Pothier, M-inda/, n9£9.
li.
212 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
une source de responsabilité. S'il n'avait pas le pouroir de le faire, la
responsabilité découle de la faute qu'il a commise en sortant des
limites de son mandat, et elle pèse sur lui, quelle que soit la per-
sonne choisie; s'il avait le pouvoir, la responsabilité n'existe pas,
quand il a sagement choisi son représentant, ou quand ce représentant
éventuel a été spécialement indiqué dans la convention de mandat.
Elle existe au contraire quand il a fait un mauvais choix, quand
il s'est substitué une personne notoirement incapable de faire
l'affaire ou notoirement insolvable. Dans ces cas, il n'est pas sorti
des limites de ses pouvoirs, mais il en a mal usé, il a commis une
de ces fautes dans la gestion dont l'article 1992 le déclare respon-
sable.
212 bis. V. Quand le mandataire est responsable des faits de son
substitué, le mandant peut poursuivre indifféremment le manda-
taire ou le substitué. C'est la décision de l'article 1994, 2° al. Elle
peut tout d'abord paraître quelque peu exceptionnelle, car il sem-
blerait que le mandant ne doive avoir d'action que contre le manda-
taire, ia seule personne avec qui il a contracté, et que le substitué
ne soit exposé qu'à un recours de la part du mandataire. Cet
aperçu nous semble inexact, au moins dans tous les cas où nous
trouvons que le mandataire avait un pouvoir exprès ou tacite de
choisir un sous-mandataire. Dans ces hypothèses, le mandataire a
mandat de donner mandat au substitué, il lui donne ce mandat au
nom du mandant primitif, et par conséquent c'est comme si
celui-ci faisait directement un contrat du mandat avec celui que
nous appelons le substitué.
212 bis. VI. Nous ne pouvons pas faire ce raisonnement quand
le mandataire a outre-passé ses pouvoirs en les déléguant à un
substitué. Mais nous n'en reconnaîtrons pas moins un rapport de
droit direct entre le mandant primitif et le substitué. Celui-ci devait
connaître le vice de ses pouvoirs, savoir que le mandataire n'avait
pas le droit de le prendre pour remplaçant; en s'immisçant sans
droit dans les affaires du mandant, il s'est rendu coupable d'une
faute envers lui, et l'action de celui-ci est une action directe
fondée sur l'article 1382 du Code civil.
212 bis. VU. Dans les deux hypothèses que nous venons d'exa-
miner, le mandant a l'avantage d'exercer un droit propre, ce qui
ne l'exposera pas aux exceptions qu'on pourrait lui opposer du
chef du mandataire, s'il exerçait simplement, en vertu de l'article
TIT. XIII. DU MANDAT. ART. 1994, 1993. 213
1166, le recours appartenant à celui-ci, et ce qui le met hors du
concours qui s'établirait entre lui et les créanciers du mandataire,
s'il ne s'appuyait que sur ce dernier article.
213. De même que le mandataire répond du fait de son
substitué parce que ce fait lui est imputable, il semble éga-
lement qu'au cas où plusieurs mandataires sont chargés de la
même affaire, ils devraient répondre du fait les uns des autres,
en tant que le fait de l'un pourrait être imputé au défaut de
surveillance de l'autre. Aussi tenait-on autrefois qu'il y avait
solidarité entre eux (v. Scœv., L. 60, § 2, D. mand.). Quoi
qu'il en soit, la loi rejette cette doctrine, et n'admet la soli-
darité entre les fondés de pouvoir ou mandataires con-
stitués par le même acte qu'autant qu'elle serait exprimée.
V. art. 1995.
213 bis. I. Pothier admettait la solidarité des mandataires (1); le
Code civil la repousse par application de son article 1202. Il semble
exiger, pour qu'il en soit ainsi, que les mandataires aient été con-
stitués par le même acte. Cependant, la non-solidarité est encore
plus évidente au cas où les divers mandats ont été donnés dans des
actes distincts, et la pensée de l'article doit être que sa décision
s'applique même au cas où les mandataires ont été établis par le
même acte.
213 bis. II Un point peut paraître douteux sur la réglementation
de l'espèce supposée par l'article 1995; plusieurs mandataires ont
été constitués pour la même affaire sans que les attributions aient
été réparties entre eux; faut-il entendre que leur concours sera
nécessaire pour faire un acte quelconque, ou bien chacun d'eux
pourra-t-il agir à défaut des autres? C'est une question qui est
tranchée par l'article 1033, à propos du mandat spécial qu'on
appelle l'exécution testamentaire; un seul peut agir à défaut des
autres. Mais il est difficile de généraliser d'une manière absolue
l'article 1033, il faudra considérer la nature de l'affaire, et d'après
cette nature, il faut découvrir la pensée du mandant. Il y a telle
affaire difficile pour laquelle le mandant aura entendu que les
mandataires devaient se concerter pour décider avec plus de ma-
(1) V. Pother, Mandat, ti» 63.
21-4 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
turité; telle autre sera par exemple une administration, une sur-
veillance, et la pluralité des mandataires montre seulement que le
mandant a pris des précautions pour que rien ne fût oublié ni né-
gligé, sans que chacune des opérations à accomplir demandât une
Véritable délibération (1).
2\A. L'obligation de faire raison de tout ce que le manda-
taire a reçu en vertu de sa procuration , comprend évidem-
ment les intérêts des sommes placées par lui pour le mandant-,
la loi n'a pas eu besoin de s'en expliquer-, mais, en outre, le
mandataire ne pouvant, sans les détourner de leur destina-
lion , employer a son profit personnel les sommes appartenant
au mandant, la loi le rend également débiteur, c'est-à-dire
comptable, des intérêts, à dater de cet emploi. Hors ces cas,
il ne doit pas, en général, d'intérêts jusqu'à la reddition du
compte. Mais si par l'événement du compte il est reliqua-
taire, les sommes qui composent ce reliquat deviennent,
quelle que soit leur origine (v. à ce sujet art. \ 154, H55),
susceptibles d'en produire. Toutefois la loi ne les fait courir
que du jour de la mise en demeure. V. article 1996.
214 bis. I. Les sommes qui constituen-t le reliquat du compte
produisent des intérêts à partir de la mise en demeure. On serait
tenté de croire qu'il s'agit là de la mise en demeure spéciale aux
obligations de sommes d'argent, c'est-à-dire la demande en justice
(art. 1153). Cependant, cette interprétation s'éloignerait un peu
trop du texte, car l'expression mise en demeure a un sens précis
déterminé par l'article 1139, de plus l'article 1153 ne qualifie pas
ainsi la citation en justice. Il vaut donc mieux s'en tenir à la dis-
position littérale de la loi et voir ici une exception à la règle de
l'article 1153. Cette exception n'est pas la seule, nous en avons
trouvé une dans l'article 1652 (2); celle de l'article 1996 se justi-
fierait par une sorte de présomption; le législateur suppose que le
mandataire qui n'obéit pas à l'acte de mise en demeure n'a pas
les fonds à sa disposition, donc qu'il les a employés à son usage, et
par application de la première disposition de l'article, elle le soumet
au paiement des intérêts.
(1) V. Pothier. Mandat, n» 99.
(2) V. t. VII, n° 97 bis. IV.
TIT. XIII. DU MANDAT. ART. 1996, 1997. 215
214 bis. II. Les principes du mandat nous conduisent encore à
des solutions qui ne découleraient pas de l'article 1153. Ainsi, nous
dirons que le mandataire général chargé de régir l'ensemble d'un
patrimoine, pourra être condamné, sans mise en demeure, aux
intérêts des sommes qu'il aurait dû placer et qu'il a conservées
improductives, alors même qu'il serait certain qu'il ne les a pas
employées à son usage personnel : par exemple, s'il les a déposées
à la Banque de France ou chez un notaire. Sa faute alors n'est pas
celle d'un débiteur de somme d'argent qui tarde trop à se libérer,
c'est une faute d'administration, c'est un des griefs sur lesquels
s'appuie l'action en responsabilité pour mauvaise gestion. Il serait
certainement responsable s'il n'exigeait pas les sommes dues au
mandant, et le préjudice éprouvé consisterait, en admettant la sol-
vabilité du débiteur, dans la privation de la jouissance de ces
sommes; en quoi cette hypothèse diffère-t-elle sensiblement de
celle que nous examinons?
214 bis. El. Nous raisonnerons de même sur une hypothèse voisine.
Le mandataire néglige d'employer les sommes qu'il a à sa dis-
position pour payer une dette du mandant, celui-ci est poursuivi
et saisi à la requête du créancier. Le préjudice résultant de la saisie
peut être supérieur à l'intérêt légal de la somme retenue par le
mandataire. Nous admettons que celui-ci doit des dommages et
intérêts supérieurs à l'intérêt légal. Les motifs de notre décision
sont les mêmes que dans l'hypothèse précédente. Il ne s'agit pas
simplement d'un retard, ni du fait d'un mandataire qui se procure
injustement la jouissance d'un capital, il s'agit d'une faute dans la
gestion, et l'action en indemnité est fondée non sur l'article 1153
ou sur l'article 1996, mais sur l'article 1992.
215. Quoiqu'il n'y ait vraiment rien de commun entre les
obligations que le contrat de mandai impose au mandataire
envers son mandant, et celles qui peuvent résulter des con-
trats passés par lui avec les tiers, en exécution du mandat,
la loi cependant place ici une disposition tendant à déterminer
les cas où ces contrats obligeront le mandataire envers les
tiers. Pour bien comprendre cette disposition, il faut savoir
d'abord que, dans notre droit, le mandataire qui contracte
en cette qualité, au nom du mandant, oblige celui-ci, et ne
s'oblige lui-même qu'autant qu'il s'y soumet spécialement',
216 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
mais bien entendu que, pour obliger ainsi le mandant, il faut
que le mandataire se soit renfermé dans les limites de ses
pouvoirs. S'il les excède à l'insu du tiers, qui contracte avec
lui dans la confiance inspirée par la qualité qu'il prend, il est
juste qu'il demeure garant envers celui-ci. Mais cette raison
ne s'applique plus lorsque le mandataire a donné suffisante
connaissance de ses pouvoirs : le tiers, alors, doit s'imputer
d'avoir contracté avec un représentant sans pouvoirs; et
comme ce n'est toujours qu'en cette qualité de représentant
que le mandataire a contracté, il ne sera garant, pour ce qui
a été fait au delà des pouvoirs, comme pour ce qui aurait
été fait dans leurs limites, qu'autant qu'il se serait personnel-
lement soumis à cette garantie. V. art. 1997.
215 bis. Nous avons appliqué, au titre du contrat de mariage sur
l'article 1560, la règle de l'article 1997, au mari qui aliène le bien
dotal de sa femme ne le présentant pas comme sien, mais comme
bien de sa femme. Il agit alors comme mandataire, il outre-passe ses
pouvoirs, mais il ne doit pas garantie au tiers acquéreur, parce que
celui-ci avait une connaissance suffisante de l'étendue des pouvoirs
du mari, ces pouvoirs étaient délimités par la loi elle-même (1).
Cette décision veut être généralisée et étendue aux actes de tous
les administrateurs dont les pouvoirs sont déterminés par la loi.
CHAPITRE III.
DES OBLIGATIONS DU MANDANT.
216. Sous cet intitulé la loi comprend deux idées fort dis-
tinctes, et qui se rattachent a des principes entièrement dif-
férents, savoir : les obligations du mandant envers le man-
dataire ; et celles dont il est tenu envers les tiers, par l'effet
du mandat qu'il a donné.
(1) V. t. VI, n° 222 bit. XVIII.
TIT. XIII. DU MANDAT. ART. 4997, 1998. 217
217. Quoique les contrats n'aient, en général, d'effet
qu'entre les parties contractantes (art. 1165), le mandat, à
cause des pouvoirs qu'il renferme, a pour effet particulier
d'obliger le mandant envers les tiers a l'exécution des enga-
gements contractés par le mandataire, pourvu qu'ils l'aient
été conformément au pouvoir qui a été donné. Alors, en effet,
si c'est au nom du mandant que le contrat a été fait, c'est lui-
même qui est censé avoir contracté par le ministère d'un
autre, ce que notre droit ne défend pas; et quand le manda-
taire aurait contracté en son nom propre, il suffît qu'il l'ait fait
par l'ordre du mandant et pour son compte, pour que, ban-
nissant toute subtilité, on autorise a agir directement contre
celui-ci (v. à ce sujet Just., Inst., § 8, quod cum eo). V. art.
1998, al. 1 : et remarquez que si le mandataire a contracté
en son propre nom, c'est lui qui est alors principalement
tenu, sauf son recours contre son mandant. Sous ce rapport,
il est lui-même intéressé a ce que les engagements qu'il a
pris soient exécutés par celui-ci à sa décharge-, alors le man-
dant est tenu, envers lui aussi, a celle exécution. Ce résultat,
comme le précédent, est compris dans les expressions géné-
rales de notre article.
Sous quelque point de vue qu'on envisage la chose, ce
n'est toujours que dans les limites du pouvoir donné que le
mandant est tenu a l'exécution; car pour l'excédant, il n'y a
pas mandat. Toutefois, la volonté postérieure réparant par-
faitement le défaut de volonté au moment de l'acte, et la
ratification dès lors équivalant a mandat, celte ratification
couvrirait l'excès de pouvoir; mais ce n'est qu'a elle qu'est
attribué cet effet (v. pourtant art. 1375). Du reste, la ratifi-
cation peut être expresse ou tacite. V. art. 1998, al. 2.
217 bis. I. La loi envisage d'abord la situation du mandant dans
ses rapports avec les tiers ; il s'agit évidemment des tiers qui ont
contracté ou fait quelque autre acte juridique avec le mandataire
agissant pour le mandant. Quels sont les effets de ces actes par
rapport au mandant, et notamment, s'il s'agit de contrats, le mandant
est-il obligé par le fait de son mandataire?
218 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
217 bis. II. La loi suppose que le mandataire a agi conformément
au pouvoir qu'il avait reçu, mais il peut avoir agi de deux façons :
1° il peut avoir contracté au nom du mandant; 2° il peut avoir agi
en son nom propre.
Dans le premier cas, le mandataire s'est présenté comme le rem-
plaçant du mandant, il agissait en son lieu, il n'indiquait pas qu'il
consentait s'engager lui-même, il a engagé le mandant, et il n'a
engagé que celui-ci. Le tiers ne peut pas se plaindre, on ne lui a
pas offert un autre débiteur que le mandant, et il i'a accepté.
217 bis. III. Dans le second cas, le mandataire s'est présenté per-
sonnellement comme contractant; si le contrat entraîne de son côté
une obligation, il a joué le rôle d'un promettant, le tiers peut
même avoir ignoré qu'il faisait l'affaire dans l'intérêt et sur l'ordre
d'autrui, donc le madataire est devenu débiteur. Seulement, comme
il a l'action de mandat pour être indemnisé de l'obligation qu'il
a contractée, la pratique ancienne, qui remonte jusqu'aux Romains,
a admis dans l'intérêt même du mandataire et pour simplifier la
situation, que le créancier pourrait agir recta via contre le mandant.
Pothier explique que le mandataire est devenu débiteur principal,
mais qu'il oblige conjointement avec lui son mandant, qui est censé
accéder à l'obligation. Nous pouvons expliquer ainsi la décision
que nous donnons, en faisant remarquer toutefois que Pothier
emploie dans un sens non juridique le mot conjointement, car
l'obligation conjointe ne lie chaque débiteur que pour sa part, et
certainement dans l'espèce que nous examinons le mandant et le
mandataire pourraient être poursuivis chacun pour le tort. Ce que
Pothier fait du reste remarquer, en rapprochant l'action du tiers de
celle que les Romains appelaient institoria, et en citant un texte de
Paul qui donne au créancier une action in solidum contre le
mandant (I).
Cette théorie si pratique est certainement celle du Code civil, car
l'article 1998 déclare le mandant tenu de tous les engagements
contractés par le mandataire, sans distinguer si celui-ci a agi en
son nom propre ou au nom du mandant, et ce texte formel, appuyé
sur la tradition, suffit pour combattre l'opinion de ceux qui refu-
sent au tiers toute autre action que celle qui s'appuierait sur
l'article 1166(2).
(1) V. Polhier, Mandat, n0' 87, 88.
(2) V. Aubry et Rau, t. III, édit. 1856.
T1T. XIII. DU MANDAT. ART. 1998. 2\\)
217 bis. IV. Ce que nous venons de dire relativement aux dettes
contractées par le mandataire est également vrai des créances qui
auraient pu naître des conventions par lui faites. Si le mandataire a
stipulé au nom du mandant, il l'a représenté, et celui-ci a acquis la
créance; s'il a stipulé proprio nomine, il est devenu créancier, mais
le mandant pourrait agir directement et n'aurait pas besoin d'avoir
recours à l'action qui appartient à tous les créanciers en vertu de
l'article 1166.
217 bis. V. Tout ce qui précède suppose que le mandataire agis-
sait dans les limites de ses pouvoirs, c'est l'hypothèse de l'article
1998. S'il n'avait pas de pouvoir ou s'il est sorti des limites qui
lui étaient assignées, il ne peut pas avoir compromis en rien les
intérêts de celui pour qui il a agi. Les actes d'ailleurs ne sont pas
nuls, ils ne sont pas entachés d'un vice, ils sont tout simplement
pour le mandant vrai ou prétendu, res inter alios acta. Le manda-
taire prétendu, qui a agi au nom du prétendu mandant, n'a pas pu
l'obliger, l'acte n'est pas opposable à celui-ci qui est un tiers. Si le
mandataire a contracté lui-même des obligations, elles sont cer-
tainement valables, mais elles ne lient le mandant ni envers le
créancier ni envers le soi-disant mandataire.
217 bis. VI. Ces engagements, du reste, peuvent produire des
effets par rapport au maîlre de l'affaire, s'il donne son adhésion
aux actes, après qu'ils ont été faits. Cette adhésion postérieure, qui
ressemble à la confirmation des actes annulables, bien qu'elle en
soit absolument distincte, porte spécialement le nom de ratification
et peut avoir lieu soit expressément, soit tacitement, c'est-à-dire
par tout fait qui manifestera chez le maître la volonté d'adhérer
à l'acte accompli.
L'acte ratifié produit par rapport à celui qui a fait la ratification
les mêmes effets que l'acte émané d'un mandataire; c'est en ce sens
qu'on dit ratihabitio mandato œquiparatur.
Il existe cependant une différence importante entre les effets
du mandat et ceux de la ratification; les actes du mandataire,
accomplis dans la limite de ses pouvoirs, confèrent au tiers des
droits irrévocables, tandis que ceux qui ont acquis des droits qui
ne seraient validés que par une ratification, seraient dépouillés
par tout acte du maître conférant à une autre personne, entre
le premier acte et la ratification, le droit constitué par l'acte
qui a besoin d'être ratifié. Cela s'exprime ordinairement en
220 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
ces termes : la ratification n'a pas d'effet rétroactif, c'est-à-dire
elle ne peut consolider le droit qui avait besoin d'être ratifié au
détriment de droits légitimement acquis par d'autres avant la
ratification.
Nous côtoyons ici la théorie de la confirmation des actes annula-
bles, et les raisons de notre décision sont celles que justifient les
derniers mots de l'article 1338. Le maître, en conférant un droit à
une personne avant d'avoir ratifié l'acte de son prétendu manda-
taire, s'interdisait tout acte pouvant porter atteinte au droit qu'il
constituait et par conséquent renonçait, à son insu peut-être, au
droit de ratifier tout acte dont la validité aurait nui au droit de
celui avec qui il traitait.
% 17 bis. VII. Le mandataire oblige le mandant quand il agit dans
les limites de son mandat et ne l'oblige pas quand il fait autre
chose que ce qu'il a reçu le pouvoir de faire. Voilà deux espèces
très-nettement distinctes et sur lesquelles la décision du Code civil
n'est pas douteuse. Mais, entre ces deux espèces, il y en a une
troisième que discutaient les jurisconsultes romains (1), et sur
laquelle il faut nous fixer. Le mandataire a fait ce qu'il avait
charge de faire, mais il a dépassé les bornes de son mandat en ce
sens qu'il a contracté dans des conditions plus onéreuses que celles
qu'il avait été chargé d'accepter. Il a acheté pour 110,000 francs
ce qu'il avait pouvoir d'acheter 100,000; il a vendu 100,000 francs
ce qu'il avait pouvoir de vendre pour 110,000. Il a cautionné une
dette de 100,000 francs quand il avait reçu pouvoir de cautionner
80,000 francs. Tous ces actes ont été accomplis par lui en qualité
de mandataire et par conséquent au nom du mandant, il n'a pas
pris d'engagement personnel. Quel est l'effet de ces actes par
rapport au mandant?
217 bis. VIII. Nous ferons remarquer que poser ainsi la question,
c'est la présenter sous une physionomie qu'elle n'avait pas en
droit romain. Le mandataire romain contractait lui-même, il s'obli-
geait, et dans les principes anciens, il n'obligeait pas le mandant.
Donc la question qui nous occupe ne pouvait pas s'élever dans les
rapports du mandant et du tiers; celui-ci avait certainement acquis
la créance résultant du contrat, et pour son exécution il avait action
contre le mandataire, il n'avait pas affaire au mandant. La difficulté
(1) V.Imtit.,1 m, t. XXVI, §8.
TIT. XIII. DU MANDAT. ART. 1998. 221
concernait les rapports du mandant et du mandataire, elle naissait
sur l'action mandati contraria, il s'agissait de savoir si le manda-
taire pouvait se faire indemniser, au moins dans les limites du
mandat, de l'obligation qu'il avait prise. Le texte du § 8 du titre du
mandat, aux Institutes, est formel sur ce point, il examine si le
mandataire peut agir contre le mandant. Nous n'examinons pas
encore ce point, nous nous sommes placés dans le cas où le manda-
taire a eu la prétention d'obliger le mandant, et nous recherchons
si en effet ce mandant est tenu envers celui qui a traité avec son
mandataire. Il est certain qu'il n'est pas tenu au delà du chiffre
qu'il a fixé lui-même, mais sera-t-il tenu au moins jusqu'à concur-
rence de ce chiffre?
217 bis. IX. Il y a un cas où la solution est très-simple, c'est celui
où la convention peut produire un résultat partiel sans que sa
nature en soit altérée. Il s'est agi d'un cautionnement, le mandataire
a cautionné une dette de 10,000 francs alors qu'on l'avait autorisé
à cautionner pour 6,000. La réduction de l'engagement dans les
limites du pouvoir, est chose très-facile, et l'on ne voit pas quel prin-
cipe de droit conduirait à l'annulation complète de l'engagement, car
le mandataire avait le droit de représenter le mandat jusqu'à concur-
rence de cette somme, qui est comprise dans la somme plus consi -
dérable pour laquelle il a contracté.
217 bis. X. La question est plus difficile à résoudre quand on ne
saurait sans injustice altérer l'obligation d'une des parties alors que
l'autre obligation resterait la même. Si le mandataire a acheté pour
un prix supérieur au chiffre fixé par le mandant ou si, chargé de
vendre, il a vendu pour un prix inférieur au prix indiqué dans le
mandat, peut-on dire que la partie adverse sera tenue de livrer tout
l'immeuble alors qu'on réduira sa créance, ou d'augmenter le prix
qu'elle a promis alors qu'on lui livrera seulement la chose pour
laquelle elle n'avait consenti à payer qu'un prix inférieur ?
217 bis. XI. L'acte accompli a une unité, on ne peut pas le dé-
composer, il faut qu'il s'exécute tel qu'il a été fait ou qu'il soit
tenu pour non avenu. Il faudra donc, au cas du mandat d'acheter,
que le mandant consente à payer le prix convenu par son manda-
taire, et au cas du mandat de vendre, qu'il se contente du prix fixé
parle contrat de vente. Sinon l'opération sera nulle, comme faite par
le mandataire sans pouvoir.
217 bis. XII. Nous ne disons pas que l'acte soit absolument dénué
222 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
d'effet, il rentre dans la catégorie de ceux qui ont besoin, pour
valoir, d'une ratification. Le mandataire a traité sans pouvoir, il n'a
pu engager le mandant, à moins que eelui-ci ne ratifie expressément
ou ta«itement (art. 1998). L'acte du mandataire s'explique parfaite-
ment; ne pouvant pas obtenir les conditions que le mandant avait
désirées, il a fait une convention comme l'eût faite un gérant d'af-
faires, une sorte de vente ou d'achat conditionnel subordjnné à
l'éventualité de la ratification par le mandant.
217 bis. XIII. Quant au mandataire, il est clair qu'il n'est pas
engagé envers le tiers, parce qu'il faut supposer qu'il a donné con-
naissance de ses pouvoirs, qui étaient limités (art. 1997). S'il avait
au contraire laissé croire qu'il avait des pouvoirs illimités, il serait
tenu à la garantie envers le tiers.
217 bis. XIV. Le vendeur ou l'acheteur qui a traité avec le man-
dataire connaissant la restriction imposée au mandat, n'est pas lésé
dans ses droits par la solution que nous venons de donner, puisque,
connaissant les termes du mandat, il n'a pas pu croire qu'il faisait
un contrat pur et simple, et a dû savoir que les effets du contrat
étaient subordonnés à la ratification du mandat.
217 bis. XV. Reste à examiner si le tiers peut, après le contrat,
déclarer qu'il accepte les conditions fixées par le mandat et obliger
ainsi le mandant à subir les conséquences de l'acte de son manda-
taire. Ainsi l'acheteur consent à donner 100,000 francs au lieu de
80, 000 francs qu'il a promis; le vendeur consent à se contenter de
80,000 francs au lieu des 100,000 qu'il a stipulés. Nous pensons que
jusqu'à ce que le mandant ait révoqué son mandat, au su du tiers,
ce tiers peut valider l'acte en acceptant, d'accord avec le mandataire,
les conditions fixées par le mandat, parce que son acceptation équi-
vaut à Ja formation d'un nouveau contrat qui pourrait alors être
valablement fait dans les conditions de la procuration. Mais si le
mandant a signifié qu'il révoquait son mandat, comme le mandataire
ne pourrait plus alors faire le contrat même dans les conditions
primitives de la procuration, le consentement du tiers, joint à celui
du mandataire, ne constituerait pas un nouveau contrat valable
et par conséquent ne validerait pas l'ancien. Nous assimilons, bieq
entendu, à la révocation du mandat le fait du mandant qui
demande expressément la nullité du contrat; nous aurions plus de
doute sur le simple refus d'exécuter le contrat tel qu'il a été fait,
les circonstances de fait pourraient seules prouver si le refus
TIT. XIII. DU MANDAT. A5iT. 1998, 1999. 223
d'exécution implique la volonté de retirer au mandataire les pou-
voirs qui lui ont été donnés.
218. Envers le mandataire, l'obligation générale du man-
dant consiste a l'indemniser de tout ce que lui a coûté l'exé-
cution du mandat, et de plus a lui payer ses salaires s'il y a
lieu. L'indemnité du mandataire s'applique aux avances et
aux frais qu'il a pu faire, et aux dommages ou pertes qu'il a
pu éprouver (art. 1999, 2000).
219. Les avances et Irais sont dus à tout mandataire, sous
cette seule condition qu'ils soient relatifs à l'exécution du
mandat. Quant aux salaires, ils ne sont dus en général qu'au-
tant qu'ils ont été promis. V. art. 1999, al. 1.
Remarquons ici :
1° Que le mol avance doit se prendre lato sensu pour tout
sacrifice que le mandataire a fait dans sa fortune (v., à ce
sujet, Gord., L. 6, Cod.; Afr., L. 31 ; Paul., L. 26, § 2, D,
maria1.), même pour la privation volontaire du bénéfice d'une
libéralité qui lui était destinée (v. Ulp., L. 10, § 13$
L. 12, § 1 ^ v. pourtant Ulp., L. 12, pr., D. mand.).
Remarquons 2° que l'avance ne peut être réputée faite
pour l'exécution du mandat, si le mandataire ne s'est ren-
fermé dans les limites qui lui étaient tracées.
219 6m. I. L'obligation du mandant ne se borne pas à restituer
au mandataire les sommes que celui-ci a avancées, c'est-à-dire
déboursées pour l'exécution du mandat. Elle consiste aussi à in-
demniser le mandataire des obligations par lui contractées; c'est
l'obligation qui pèse sur le maître au cas de gestion d'affaires (art.
137S), et que le droit romain imposait au mandant envers le
mandataire qui en principe s'obligeait proprio nomine pour l'exécu-
tion du mandat. Dans notre droit, elle suppose que le mandataire a
consenti à s'obliger lui-même au lieu d'agir comme représentant
du mandant. Le résultat de cette obiigaiion doit être de rembourser
ce que le mandataire aura payé eu vertu des engagements qu'il
aura contractés, cela pourra bien s'appeler des avances, mais en
outre le mandant est tenu, quand le mandataire n'a pas encore
acquitté ses obligations, à l'en tenir indemne, par conséquent à s'ar-
224 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
ranger pour que les créanciers ne le poursuivent pas. Il y parvien-
dra surtout en payant lui-même, sue» faisant, avec le créancier, le
contrat ô'expromissio par lequel il s'obligera à la place du mandataire
débiteur primitif.
219 bis. II. Dans les hypothèses que nous avons examinées au
numéro précédent, le mandataire a dépassé les limites que lui
assignaient ses pouvoirs; s'il s'est engagé proprio nomine, il est clair
qu'il s'est valablement engagé ; mais apparaît alors la question qui
s'agitait dans le droit romain sur les rapports du mandant ou du
mandataire. Il a acheté une chose à un prix supérieur à celui qui
était fixé; il a fait un contrat qui n'est pas, par rapport au tiers,
subordonné à une ratification, il peut alors transférer la propriété
de la chose au mandant, pourvu qu'il ne lui réclame que le prix
déterminé; s'il a vendu à trop bas prix, il peut contraindre le
mandant à livrer la chose en lui payant de suo la différence entre
les deux prix. Les Romains admettaient cette solution en la fondant
sur l'équité, et nous devons l'accepter à leur exemple, puisque le
Code civil nous fait une règle d'interpréter les conventions d'après
la bonne foi. N'est-il pas clair que la plupart du temps le manda-
taire aura cru bien faire en dépassant quelque peu les limites de
son mandat, pour ne pas manquer une occasion favorable ? Il a
espéré que le mandant approuverait cette transgression du mandat,
et il a calculé qu'au pis aller il risquait de perdre l'excédant du
prix d'achat ou le déficit du prix de vente. Ne serait-il pas bien dur
de le contraindre à prendre à son compte une opération qui, bien
que raisonnablement faite, serait infiniment trop lourde pour sa
position pécuniaire?
220. Le droit au recouvrement des déboursés et au paie-
ment des salaires peut évidemment se perdre ou se modifier
à raison des fautes imputables au mandataire ; mais le mau-
vais succès ne constitue pas par lui-même une faute, et ne
fait conséquemment nul obstacle à ce remboursement ou à ce
paiement. Bien plus, quoiqu'il y ait certainement faute dans
une dépense excessive, cet excès ne résultant pas nécessaire-
ment du seul fait que la dépense eût pu être moindre, ce seul
fait ne peut servir de prétexte pour dispenser du rembour-
sement intégral des frais et avances (v., à ce sujet, Javol.,
L. 52; Gains, L. 27, § 4, D. mand.). V. art. 1999, al. 2.
TIT. XIII. DU MANDAT. AHT. 1999. 225
220 bis. I. L'insuccès de l'affaire dont le mandataire a été chargé
ne décharge pas le mandant de son obligation, parce que l'action
du mandataire n'est pas, comme celle du gérant d'affaires, fondée
sur l'utilité de l'acte accompli, elle dérive de l'ordre donné par le
mandant, et tant que le mandataire reste fidèle à cet ordre, il ne
peut être garant du succès ou de l'utilité de l'opération. Tout ce
qu'on peut exiger de lui, c'est la responsabilité ordinaire de celui
qui est chargé par contrat des intérêts d'autrui, c'est-à-dire la res-
ponsabilité de sa faute, et sa faute consisterait à n'avoir pas donné
à l'affaire tous les soins qu'aurait donnés un bon père de famille
(art. 1137).
220 bis. II. C'est en se reportant à ce même article 1137 que la
fin de l'article 1999 impose au mandant l'obligation de payer les
frais et avances que le mandataire a fait sans commettre de faute,
alors même qu'ils auraient pu être moindres. En effet, le bon père
de famille, dont la diligence sert d'unité de mesure en matière de
responsabilité des fautes, n'est pas le diligentissimus pater/amilias,
le plus méticuleux et le plus parcimonieux ; il ne fait pas de dépenses
folles, il ne cherche pas les plus hauts prix, mais il n'est pas non
plus comme l'avare qui emploie tous les moyens pour faire toute
chose au plus bas prix possible. Il ne serait guère juste d'obliger
le mandataire à faire des démarches et des recherches pour trouver
le fournisseur ou l'ouvrier qui consentira à vendre ou à travailler
au-dessous du prix communément accepté.
220 bis. III. En rattachant ainsi la décision de l'article 1999 i»
fine à la théorie des fautes, nous lui donnons une largeur qu'elle ne
paraît pas avoir dans la doctrine de Pothier, parce que ce juris-
consulte raisonne sur deux hypothèses empruntées à des textes du
droit romain et qui ont un caractère par trop spécial. Il suppose
d'abord que le mandataire est un fidéjusseur qui a cautionné une
obligation de genre, cent mesures de froment, il paie au créancier
du froment de première qualité; alors, dit-il, il ne peut pas exiger
du mandant la restitution du blé en cette qualité. Puis il oppose à
cette hypothèse celle où la caution n'aurait pas eu la possibilité de
se procurer du blé moins cher, et il oblige le mandant à le lui res-
tituer tel qu'il l'a livré (1). Les deux solutions ne peuvent pas faire
de doute, mais le vice de la seconde espèce, qui semble l'application
(1) V. Pothier, Mandat, n° 78.
VIII. 15
226 coims analytique de code civil, liv. m.
du principe posé par l'article 1999, est de ne pas bien mettre en
relief ce principe, puisque l'on suppose que le mandataire a été
personnellement dans l'impossibilité de faire des frais moindres.
Or, la décision du Code civil, parfaitement conforme à l'article 1137.
n'exige pas cette condition d'impossibilité et reconnaît le droit du
mandataire, pourvu qu'il ne soit pas en faute, alors même que les
frais auraient pu être moindres. Ceci est dit impersonaliter et par
conséquent comprend, dans la restriction que fait la loi, le cas où
il aurait été possible au mandataire lui-même de faire des frais
moindres.
221. L'indemnité du mandataire doit être complète, et
comprendre conséquemment les pertes de tout genre que son
mandat lui a fait essuyer; la loi n'exige pas même que l'exé-
cution du mandat ait été la cause directe de ces pertes-, il
suffit qu'elle en ait été l'occasion. Mais bien entendu que la
règle ne s'applique pas aux pertes résultant d'une imprudence
à lui imputable. V. art. 2000; v.,àce sujet, Afr., L.6I, §§5
et 7, D. de furt.; Ulp.j L. 52, § 4, pro soc; v. pourtant
Paul, L. 26, § 6, D. mand.
221 bis. I. Pothier distinguait si la perte éprouvée par le manda-
taire avait pour cause sa gestion ou si elle était simplement survenue
à Y occasion de cette gestion ; dans ce dernier cas, l'indemnité n'était
pas due; il avait en vue le cas où le mandataire avait été dépouillé
par des voleurs, ou avait perdu quelque chose dans un naufrage,
pendant qu'il voyageait pour l'exécution du mandat (1). Le Code
civil a certainement voulu rejeter cette distinction essentiellement
subtile, puisqu'il a précisément inséré dans son texte le mot
occasion; en choisissant, des deux expressions que Pothier opposait
l'une à l'autre, la plus large, il a montré qu'il entendait donner au
juge une grande latitude pour apprécier si le dommage éprouvé
est une conséquence du mandat et pour en ordonner la réparation.
à moins que le sinistre ne résulte en même temps d'une imprudence
du mandataire.
221 bis. II. Les pertes essuyées par le mandataire et dont il lui
est dû indemnité sont des pertes accidentelles, il ne faudrait pas
y comprendre le tort que le mandataire a pu se causer à lui-même
(î) V. Pothier, a' 76.
T1T. XIII. DU MANDAT. ART. 2000-2002. 227
en négligeant ses propres affaires, pendant qu'il soignait celles du
mandant. Ces pertes auraient dû être prévues par lui, et il a commis
une imprudence en se chargeant du mandat alors que ses propre?
affaires exigeaient tout son temps; peut-être aussi, en proportionnant
son travail à la double tâche qu'il s'était imposée, aurait-il satisfait
à toutes les nécessités? Le mandant d'ailleurs aurait pu trouver un
autre mandataire qui aurait eu plus de loisir. Enfin, il semble que
cette demande d'indemnité soit une sorte de demande d'un salaire,
or le mandat peut être salarié, mais encore faut-il qu'il soit inter-
venu une convention sur ce point ou que la profession du manda-
taire donne lieu de présumer une convention tacite?
222. La faveur due à l'indemnité du mandataire fait dé-
roger pour lui à la règle générale sur le cours des intérêts
{v. art. 1153). Si donc il a fait des avances, il a droit aux
intérêts, du jour même des avances; bien entendu que c'est
a lui a constater ce jour. V. art. 2001 -, Ulp., L. 12, § 9,
D. mand.
222 bis. Le Code a nettement distingué, dans les articles 1999 et
2000, les avances faites et les pertes éprouvées par le mandataire;
par conséquent lorsqu'il parle dans l'article 2001 de l'intérêt des
avances, il n'a en vue que les sommes réellement déboursées par
le mandataire, mais il ne fait pas courir de plein droit l'intérêt
des indemnités qui peuvent être dues pour les pertes survenues
Il eût été inutile d'étendre à ces indemnités la règle de l'article,
car les tribunaux, maîtres de fixer les dommages et intérêts pour une
perte éprouvée, ont pour mission de faire entrer dans le calcul de
la perte le dommage résultant de la privation de jouissance du
capital perdu, tandis que, n'était l'article 2001, ils auraient été
empêchés de faire la même appréciation à propos de dettes de
sommes d'argent, l'article 110*3 ayant sur ce point absolument
détruit leur pouvoir d'appréciation.
223. La même faveur fait admettre sans stipulation la soli-
darité au profit du mandataire constitué par plusieurs man-
dants pour une affaire commune. Cette solidarité s'applique
a tous les effets du mandat. Y. art. 2002 j Paul, L. 59, § 3,
D. mandat.
223 bis. Il ne faudrait pas considérer comme affaire commune le
cautionnement de la dette de plusieurs débiteurs conjoints. Le
lo.
2128 COURS ANALYTIQUE DE GODE CIVIL. LIV. III.
principe de la division des dettes a pour résultat que chacun des
débiteurs ne doit qu'une part, et que par conséquent il y a autant
de dettes et d'affaires que de débiteurs. On peut tirer en ce sens
argument de l'article 2030, qui admet le recours de la caution pour
le tout contre chaque débiteur, mais qui vise seulement le cas où
les débiteurs étaient solidaires entre eux.
CHAPITRE IV.
COMMENT FINIT LE MANDAT.
224. Le mandat, contracté uniquement ou principalement
dans l'intérêt du mandant, et reposant sur des senliments tout
personnels de confiance et d'amitié, finit par plusieurs causes
qui ne font nullement cesser l'effet des contrats ordinaires.
225. Et d'abord il est nature) que le mandat cesse par la
seule volonté du mandant, puisqu'il n'est établi qu'en sa faveur;
il finit donc, 4° par la révocation. V. art. 2003, al. \ et 2.
226. Par la raison contraire, la volonté du mandataire ne
devrait point faire cesser les obligations qu'il a contractées
par sa promesse-, mais l'équité ne permettant point de sur-
charger un bienfaiteur, celui-ci peut, suivant les cas, être
admis a se débarrasser du fardeau-, ainsi le mandat peut
finir, 2° parla renonciation. V. art. 2003, al. 3.
227. Enfin le mandat, reposant, comme on l'a dit, sur des
sentiments tout personnels et non transmissibles, ne peut
survivre aux personnes qui s'inspirent mutuellement ces sen-
timents; bien plus, si ces personnes subissent quelque chan-
gement d'état qui les dépouille de leur patrimoine, ou leur
enlève la direction de leurs affaires, il est certain qu'un pareil
changement survenu dans la personne du mandant ne doit
point laisser d'efficacité a sa volonté pour confier à un autre
une direction qu'il n'a plus; que si c'est dans la personne du
mandataire, la position où celui-ci se trouve réduit n'inspire
TIT. XIII. DU MANDAT. ART. 2003, 2004. 229
plus assez de confiance pour qu'on puisse supposer la conti-
nuation de celle dont il a été l'objet. D'après ces motifs, le
mandat finit, 3° non-seulement par la mort, mais par l'inter-
diction ou la déconfiture, soit du mandant, soit du manda-
taire. V. art. 2003, al. dernier. Il est évident, par les mêmes
raisons, que le mandat finirait encore par l'absence de l'une
des parties-, il n'est pas moins clair qu'il finirait aussi par la
cessation des fonctions dans lesquelles le mandant l'aurait
conféré.
227 bis. Les textes du droit romain donnent quelques exemples
de mandats qui survivent au mandant, parce qu'ils ont été donnés
précisément en vue de la mort du mandant et pour être exécutés
après cet événement (1). Il s'agit, par exemple, du mandat de faire
construire un tombeau au mandant; c'est une disposition qu'il faut
respecter, parce qu'elle a un motif parfaitement légitime. Nous
ferons remarquer du reste que le Code civil, en validant la dispo-
sition qui nomme un exécuteur testamentaire, reconnaît la validité
de certains mandats à accomplir après la mort du mandant; car si
la désignation de l'exécuteur n'est pas faite par contrat, au fond
l'exécuteur reçoit une mission qui le place dans la situation d'un
mandataire, et il serait difficile de voir pourquoi ce que le futur
défunt peut faire par un testament ne pourrait pas être fait par une
convention qu'il aurait du reste toujours le droit de révoquer.
228. La révocation du mandat consiste dans un acte de la
volonté du mandant; cet acte est essentiellement libre et
instantané, quoique son effet soit naturellement subordonné à
la connaissance qu'en acquerront les diverses personnes que
le mandat intéresse. Il est clair que le mandataire, aussitôt
qu'il en est informé, n'a plus aucune raison pour retenir
l'écrit qui constatait son pouvoir aux yeux des tiers. Aussi
peut-il être contraint, s'il y a lieu, à s'en dessaisir. Il n'im-
porte d'ailleurs que cet écrit soit sous signature privée ou en
forme authentique: si l'acte authentique est délivré en brevet,
le mandataire remettra ce brevet, comme il remettrait l'écrit
(1) V. I. 12, § 17 et 13. D. Mandait.
230 COUIIS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. ||f.
sous seing privé; s'il en a élé gardé minute, il remettra
l'expédition qui lui avait été délivrée. V. art. 2004.
228 bis. Le mandataire révoqué élèverait peut-être la prétention
de conserver sa procuration jusqu'au paiement des avances et
indemnités qui pourraient lui être dues, il prétendrait à un droit
de rétention que nous lui avons déjà reconnu sur les choses qui lui
ont été confiées par les suites du mandat. Nous pensons qu'il n'est
pas dans l'hypothèse où le droit de rétention existe, car l'écrit
constatant le mandat n'est pas la chose même dont le mandat
l'a constitué débiteur, ce n'est pas la chose qu'il devait administrer
et soigner, bien plus, ce n'est pas un objet susceptible d'être vendu
et qu'on puisse considérer comme lui servant de gage. Le droit de
rétention est fondé sur le principe de l'article 1184, une partie ne
peut pas exiger de l'autre l'exécution de son obligation sans exécuter
elle-même la sienne propre. Or, l'obligation du mandataire n'a pas
pour objet le titre constatant le mandat. Ce titre restant dans les
mains du mandataire révoqué est un danger pour le mandant,
puisqu'il autoriserait les tiers à se fier à un mandataire peut-être
infidèle; le laisser dans les mains de ce mandataire jusqu'à ce que
les comptes du mandat soient faits et le reliquat payé, c'est com-
promettre les intérêts du mandant sans donner un véritable gage
au mandataire; donc nous pensons que la restitution en est due à
tout événement.
Cette restitution, au reste, n'aurait pas l'inconvénient de priver
le mandataire du moyen de prouver l'existence du mandat, car
il aurait bien le droit d'exiger un récépissé détaillé de ce titre, et
s'il ne l'obtenait pas, il serait alors en droit de le conserver.
229. La révocation du mandat anéantit les pouvoirs, et sa
notification au mandataire fait cesser pour l'avenir les rap-
ports qu'établissait entre les parties le contrat de mandat.
Mais l'intérêt des tiers, qui, dans l'ignorance de la révocation,
traiteraient avec le mandataire, doit prévaloir sur celui du
mandant, auteur indirect de leur erreur-, aussi la révocation
ne pouvait-elle alors leur être opposée; il resterait seulement
au manJant un recours contre le mandataire, pour l'abus qu'il
a fait du pouvoir révoqué. V. art. 2005; et remarquez l'intérêt
qu'a dès lors le mandant a se faire remettre sans délai l'écrit
qui constatait le pouvoir.
TIT. XIII. DU MANDAT. ART. 2004-2008. 231
230. La révocation peut être tacite, et la loi voit une ré-
vocation tacite dans la constitution d'un nouveau mandataire,
pourvu que ce soit pour la même affaire. Bien entendu que
cette révocation ne produira d'effet, à l'égard du premier
mandataire, que du jour où il en aura eu connaissance, et il
ne sera censé, en général, avoir cette connaissance que par
une notification. V. art. 2006.
â30 bis. La nullité de la seconde procuration ne détruirait pas
sa force révocatoire, car l'intention de faire cesser le premier man-
dat est manifestée, bien que le second ne puisse conférer de pou-
Aoirs. Il faudrait toutefois réserver le cas où la nullité serait fondée
sur un vice de la volonté, car le vice infecterait l'acte tout entier
et ne laisserait pas plus subsister la volonté de révoquer le premier
mandat que celle de conférer le second.
231. Tout obligé qu'est le mandataire, par son acceptation,
à l'exécution du mandat, la loi proclame cependant pour lui,
d'une manière générale, la faculté d'y renoncer, sous la seule
condition de notifier sa renonciation. V. art. 2007, al. 1.
Cette faculté de s'affranchir par son propre fait d'une obli-
gation une fois coniractée, tient a la faveur qui doit entourer
le mandataire considéré comme bienfaiteur. Il y eût eu ini-
quité a la lui refuser lorsqu'il n'y a pas préjudice pour le man-
dant; mais s'il y a préjudice, la faveur ne va pas jusqu'à le
dispenser de réparer le tort qu'il cause.
Cependant, il est un cas où la faveur l'emporte sur toute
considération, et où la faculté de renoncer impunément est
indépendante de la question de préjudice causé au mandant;
ce cas, qui, au surplus, en renferme un grand nombre, c'est
lorsque le mandataire se trouve dans l'impossiblilité de con-
tinuer le mandat sans en éprouver lui-même un préjudice
considérable. V. art. 2007, al. dernier; et, à ce sujet, Her-
mog.; L. 23 et 25; Gains, L. 27, § 2, D. mand.
232. Nous avons déjà vu que la révocation du mandat en
laisse subsister les effets tant qu'elle est ignorée des intéres-
sés-, la même règle s'applique au cas de mort du mandant,
ou des autres causes qui font cesser le mandat. Ce que fait le
232 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V 111.
mandataire dans l'ignorance est donc valide, pour obliger
envers lui, s'il y a lieu, les héritiers ou représentants du man-
dant. V. art. 2008-, Paul, L. 29, D. mand.
233. A plus forte raison, les engagements pris dans ces
cas par le mandataire envers les tiers doivent-ils être exé-
cutés si ceux-ci sont de bonne Coi. V. art. 2009.
233 W*. Ce n'est pas seulement quand le mandataire ignore la
mort du mandant ou la révocation que les engagements sont main-
tenus dans l'intérêt des tiers de bonne foi, c'est dans tous les cas
ci-dessus, c'est-à-dire toutes les fois que le mandat a pris fin et
que le tiers a ignoré cet événement sans qu'on puisse lui imputer son
ignorance. C'est la bonne foi du tiers qu'il faut considérer et non
la bonne ou la mauvaise foi du mandataire.
234. Quoique le mandat finisse de plein droit par la mort
du mandataire, dont la charge ni les pouvoirs ne passent pas
à ses héritiers, la loi, par un motif d'humanité, oblige ceux-ci
a donner au mandant avis du décès; et, en attendant qu'il
puisse prendre la direction de son affaire, ils doivent pour-
voir, dans son intérêt, à ce que les circonstances exigent.
V. art. 2010-, v. à ce sujet art. 419. Il est clair, au surplus,
que, pour ce que les héritiers auront ainsi fait, l'espèce de
mandat légal dont ils sont ici investis produirait nécessaire-
ment les mêmes effets qu'un mandat véritable (v. Ulp.,
L. 14, D. mand.; Pomp., L. 40, pro soc).
235. Observons, en terminant, que la fin du mandat, de
quelque cause qu'elle procède, laisse subsister tous ses effets
accomplis. Sous ce rapport, les droits et obligations du man-
dant et du mandataire se transmettent à leurs héritiers ou
représentants.
TITRE QUATORZIEME.
DU CAUTIONNEMENT.
236. La matière du cautionnement se rattache sous un
double point de vue a celle du mandat : 1* le cautionnement
n'est quelquefois que l'effet d'un mandat, donné au créancier
par la personne qui se rend ainsi caution; 2° presque toujours,
le cautionnement se contracte par suite du mandat donné à
cet effet par le débiteur à la caution. Ainsi s'explique la liai-
son de ce titre avec le précédent.
Au surplus, le cautionnement, de quelque manière qu'il
s'établisse, peut être envisagé comme un contrat a part, dont
l'objet est d'assurer l'exécution d'une obligation par l'engage-
ment d'une tierce personne.
Ce contrat, qui peut comme tout autre procéder directe-
ment de la volonté libre des parties, a lieu le plus ordinaire-
ment en exécution d'une obligation de fournir caution, obliga-
tion qui peut naître, soit de la convention, soit de la loi, soit
d'un jugement : de la la distinction des cautions en conven-
tionnelles, légales et judiciaires.
237. Dans tous les cas, le cautionnement est une opération
complexe, qui renferme plusieurs contrats ou quasi-contrats
entre les diverses personnes qu'elle concerne ; ces personnes
sont un créancier, un débiteur, et une ou plusieurs cautions.
Entre le créancier et le débiteur, il existe ou doit exister
un contrat principal ou quelque autre cause d'obligation, dont
le cautionnement tend a garantir l'effet. C'est a cette cause
d'obligation principale que se rattache immédiatement l'obli-
gation de fournir caution.
Entre le créancier et la caution intervient le contrat de
cautionnement proprement dit, ou hjidéjussion.
231 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
Entre le débiteur principal et les cautions, il y a contrat de
mandat ou quasi-contrat de gestion d'affaires.
Enfin, entre les cautions du même débiteur, l'acquittement
par un seul, de la dette dont ils étaient tous tenus, forme une
sorte de quasi-contrat de gestion d'affaires.
238. Le Code règle successivement : 1° la nature et l'éten-
due du cautionnement; a ce sujet, la loi détermine l'effet
de l'obligation de fournir caution-, 2° l'effet du cautionnement
entre les divers intéressés; 3° son extinction. C'est l'objet des
trois premiers chapitres.
D:ins un quatrième chapitre, le législateur a rassemblé
quelques règles, spécialement relatives à la caution légale et à
la caution judiciaire.
CHAPITRE PREMIER.
BE LA NATUKE ET DE L'ÉTENDUK DU CAUTIONNEMENT.
239. Le cautionnement proprement dit, ou la fidéjussion,
est un contrat, par lequel une personne, appelée caution ou
fidéjusseur, s'oblige envers le créancier d'un autre à satisfaire
à l'obligation de celui-ci, pour le cas où il n'y satisferait pas
lui-même. V. art. 20 H. C'est, comme on voit, un contrat
consensuel, unilatéral, et nécessairement accessoire.
239 bis. I. La définition du cautionnement se trouve dans l'article
2011 ; c'est un contrat par lequel une personne promet d'acquitter
l'obligation d'une autre dans le cas où celle-ci ne l'acquitterait pas
elle-même.
Ce contrat, œuvre de deux personnes, le créancier et la caution,
met en relation trois personnes, le créancier, le débiteur et la cau-
tion.
239&JS. II. En étudiant la définition du cautionnement, nous
trouvons les caractères de ce contrat : il est consensuel, comme la
grande généralité de nos contrats en droit français; il est unilatéral,
car la caution seule contracte une obligation, le créancier stipule,
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2011. 235
mais ne promet rien. Est-il à titre onéreux ou à titre gratuit?
Quand nous l'étudions dans les rapports du créancier et de la caution,
et le contrat n'existe qu'entre ces deux personnes, il est générale-
ment à titre onéreux, c'est-à-dire qu'il impose des sacrifices aux
deux parties; à la caution, cela n'est pas douteux, au créancier, en
ce sens qu'il consent à accepter le débiteur à cause de la garantie
que lui donne la caution, ou bien, si la dette existe déjà, cette sé-
curité l'engage à se montrer moins rigoureux envers son débiteur
et notamment à lui accorder des délais.
Quelquefois, cependant, le cautionnement aura le caractère
gratuit dans les rapports entre le créancier et la caution. Si la dette
existe déjà et si la caution, sans s'intéresser au débiteur, sans
essayer d'obtenir pour lui des facilités, s'oblige en vue du créancier
et pour lui être utile en le protégeant contre l'insolvabilité possible
de son débiteur.
239 bis. III. Entre la caution et le débiteur, il ne s'agit pas de
déterminer le caractère du contrat de cautionnement, puisqu'il
n'existe pas entre eux. Mais l'opération que fait la caution réagit
sur la situation du débiteur, et il est bon desavoir si cette opération
est un acte à titre onéreux ou à titre gratuit. De sa nature, 'c'est
un acte à titre gratuit, la caution cherche à rendre service au dé-
biteur, en lui procurant du temps pour payer ou au futur débiteur
en lui faisant trouver du crédit. Ce service est ordinairement gratuit ;
il ne serait pas impossible, toutefois, que la caution se fut fait pro-
mettre quelque avantage. Cette stipulation est valable en vertu du
principe de la liberté des conventions , et dans ce cas les rapports
entre le débiteur et la caution sont régis par les règles sur les actes
à titre onéreux.
239 bis. IV. Cette étude sur le caractère gratuit ou onéreux du
contrat et de l'opération de cautionnement n'est pas dénuée d'in-
térêt. Non pas que le cautionnement, même gratuit, puisse être sou-
mis aux règles de formes imposées aux donations ; il fera partie de
cette classe d'actes gratuits qui, par leur nature, échappent à
l'article 931, parce que ce ne sont pas des actes de donation. Dans
cette classe se rangent la remise de dette, le paiement de la dette
d'autrui fait donandi animo, et il y a place pour le cautionnement.
L'intérêt de la question n'en existe pas moins, car si le caution-
nement est un acte à titre gratuit, il sera plus facilement annulé
pour erreur sur la personne. Il sera soumis à l'action révocatoire
236 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
pour cause de fraude sans qu'on exige la mauvaise foi du cocon-
tractant (art. 1167), et il faudra, au cas de faillite, lui appliquer les
dispositions rigoureuses de l'article 446 C. Corn.
239 bis. V. De la définition que nous avons donnée, d'après l'ar-
ticle 2011, ressort un troisième caractère de cautionnement; c'est
un contrat accessoire, c'est-à-dire qu'il suppose une obligation
principale dont il garantit l'exécution. Il n'est pas du reste néces-
saire que cette obligation soit préexistante. La caution peut s'obliger
d'avance pour garantir l'obligation que contractera une certaine per-
sonne. C'est même ainsi que les choses se passeront bien souvent,
car celui qui exige une caution parce qu'il n'a pas confiance dans
le futur débiteur serait imprudent s'il commençait par traiter avec
celui-ci, par exemple à lui prêter de l'argent, pour être exposé en-
suite à ce qu'on ne lui donnât pas de caution.
239 bis. VI. Nous tirons encore une autre conséquence de la
définition que nous a fournie l'article 2011. C'est que le créancier
doit, avant de poursuivre la caution, mettre en demeure le débiteur
principal. En effet, si l'on ne peut pas dire que la caution soit un
débiteur conditionnel, c'est en tout cas un débiteur subsidiaire; il
doit satisfaire à l'obligation si le débiteur n'y satisfait pas lui-
même; donc le débiteur cautionné est le véritable débiteur, et il est
logique que le créancier s'adresse d'abord à lui. Quelle nécessité y
a-t-il de tourmenter la caution quand le débiteur est peut-être en
mesure de payer, quand il ne paie pas uniquement parce qu'on ne
lui demande rien? Nous n'appuyons pas cette solution sur les
premiers mots de l'article 2021, où nous lisons que la caution n'est
obligée qu'à défaut du débiteur ; parce que la suite de l'article prouve
que ses rédacteurs ont songé exclusivement à constater l'existence
du bénéfice de discussion, et nous raisonnons sur les cautions
en général, même sur celles qui sont privées de bénéfice de dis-
cussion. C'est donc uniquement l'article 2011 que nous invoquons,
et le caractère subsidiaire de l'obligation du fidéjusseur; faisant
en outre remarquer que cette obligation imposée au créancier
n'entraînera ni frais considérables, ni lenteurs regrettables, ce
que nous prouvons en rappelant que la législation commerciale,
si amie des économies de temps et d'argent, soumet le porteur
d'une lettre de change ou d'un billet à la nécessité de mettre le
tiers ou le souscripteur en demeure par un protêt avant d'agir
contre les endosseurs garants du paiement à l'échéance. L'acte que
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2011, 2012. 237
nous voulons, c'est une sommation qui jouera, en matière civile,
le rôle qui appartient au protêt en matière commerciale. Il ne s'agit
pas de poursuivie le débiteur comme au cas de discussion, mais
simplement de constater que, requis de payer, il n'a pas satisfait à
son obligation.
240. Le cautionnement étant un contrat accessoire, l'obliga-
tion qui en résulte nécessairement a sa cause dans l'obligation
principale, et se trouve ainsi subordonnée à son existence. Le
cautionnement ne peut donc exister avec effet que sur une
obligation valable. V. art. 2012, al. 1, mais bien entendu
qu'on doit voir une obligation valable même dans une simple
obligation naturelle.
240 bis. I. Le Code commence, dans l'article 2012, à indiquer
les principales conséquences du caractère d'obligation accessoire
que nous avons reconnu à l'obligation de la caution.
Il n'est pas besoin d'explication sur la règle même qui est posée
par l'article 2012, elle se justifie d'elle-même, et les exemples
abondent d'obligations qui ne peuvent être garanties par un cau-
tionnement parce qu'elles ne sont pas valables. Nous citerons les
obligations sans cause, celles qui ont un objet illicite, une chose
hors de commerce, les dettes de jeu, pour lesquelles la loi refuse
toute action en justice.
Ce qui présente une certaine difficulté, c'est la détermination pré-
cise de ce que la loi entend par une dette valable, puis ensuite
l'intelligence de l'exception que contient le second paragraphe de
l'article.
240 bis. II. D'abord, qu'entendre par obligation valable, et quelles
obligations sont exclues par cette expression?
Sans contredit, la loi exclut celles que nous venons de citer.
Mais doit-on y joindre les obligations naturelles? Dans un sens,
elles sont valables ; le droit civil leur reconnaît un effet ; elles peuvent
être valablement payées; pourquoi ne pourrait-on pas prendre
l'engagement de les payer? Les Romains admettaient le cau-
tionnement des obligations naturelles, et rien n'indique que le Code
civil ait modifié sur ce point la théorie. Le cautionnement de ces
obligations aura un but qu'il n'a pas d'ordinaire, non-seulement
il protégera le créancier contre le risque résultant de l'insolvabilité
du débiteur, mais il le garantira en outre contre le préjudice
238 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
que lui causerait la disposition de la loi qui le prive d'une action
en justice, tout en reconnaissant qu'il est réellement créancier.
241. La validité du cautionnement dépendant de celle de la
dette principale, il s'ensuit qu'en principe, les causes de nul-
lité ou de rescision qui s'appliquent à l'obligation principale
s'appliquent par la même a celle de la caution.
Si pourtant la cause de nullité de l'obligation principale est
purement personnelle, c'est-à-dire uniquement fondée sur le
privilège ou l'incapacité de la personne, comme en cas de
minorité, il est possible que ce soit précisément en vue de
l'incapacité, et pour mettre le créancier à l'abri de l'excep-
tion qu'elle devait fournir, que la caution soit intervenue.
Bien plus, comme la caution n'a pas dû ignorer l'incapacité
du débiteur, il est naturel de lui présumer cette intention.
De la on doit conclure que l'engagement de la caution est
en général valable. C'est sans doute ce que la loi a voulu
dire, en déclarant que l'on peut en pareil cas cautionner
l'obligation. V. art. 2012, al. der., et à ce sujet, art. 1 124.
Voyez au sur plus Ulp.,L. 13, D. de min.; Sever. et Ant.,
L. 1 et 2, Cod., defidej. min.; v. pourtant Scœvol.; L. 89,
D. de acq. vel om. her. Voyez aussi Ulp., L. 25, D. de
Jidej.; L. 6, de verb. obi.; Gaius, L. 70, § 4, dejidej., et a
ce sujet Paul, L. 46, D. de obi. et act.
241 bis. I. La disposition du second paragraphe de l'article 2012
se rattache à la solution que nous venons de donner sur les obli-
gations naturelles. Quand le débiteur peut faire annuler la dette pour
cause de minorité, il est, nous l'avons dit au tome V, n° 174 bis. IV,
engagé dans les liens d'une obligation naturelle; il n'est tenu que s'il
reconnaît lui-même la validité de son engagement ; il peut, en un
mot, ratifier son obligation; or, que fait celui qui cautionne une
semblable obligation? il la ratifie en ce qui le concerne, il autorise
le créancier à agir contre lui s'il ne peut obtenir le paiement du
débiteur, pour une raison quelconque, notamment parce que et
débiteur invoquerait la règle sur les obligations naturelles pour
arrêter toute action en justice.
241 bis. II. L'exemple que nous fournit l'article 2012 nous fait
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2012. 239
voir dans quel sens il a pris les termes exception personnelle. Il
oppose les moyens de défense qui dépendent de l'appréciation
propre du débiteur, et ceux qui dérivent de la nature du contrat
ou de l'objet dû, ou même d'une cause d'extinction de la dette.
Ces moyens existent en faveur de tout débiteur, tandis que ceux
dont parle la loi supposent que le débiteur se trouve dans une con-
dition particulière.
Le cas de minorité n'est pas le seul que la loi ait eu en vue,
elle a certainement compris q ue les moyens tirés des autres incapacités
auraient le même caractère de personnalité. Il faut dire de l'obli-
gation contractée par une femme mariée non autorisée, ou par un
interdit dans un intervalle lucide, ce que l'article 2012 dit de l'obli-
gation du mineur.
241 bis. III. Mais il faut aller plus loin ; toutes les fois que le con-
trat aura été vicié par l'erreur, le dol ou la violence, on doit
reconnaître que son existence dépend de la libre et consciencieuse
appréciation de la partie, qu'invoquer la nullité, c'est se servir d'un
moyen personnel, et que, puisque le débiteur peut ratifier l'obli-
gation, un tiers peut la cautionner, ce qui n'est pas faire autre
chose que la ratifier en ce qui le concerne.
241 bis. IV. Dans les cas exceptionnels où la lésion vicie les con-
trats faits par des personnes capables, il faut encore dire qu'on se
trouve en présence d'un vice de la volonté. Nous avons développé
cette idée à propos de la rescision de la vente (I); et nous avons
admis que la vente rescindable pour lésion peut être confirmée
dans certaines conditions qui constituent la cessation du vice; nous
avons exigé notamment que la confirmation fut faite gratuitement,
La conséquence de notre doctrine sur ce point doit être que l'obli-
gation du vendeur peut être cautionnée, car c'est une ratification en
ce qui concerne la caution, et comme elle est gratuite, il n'y a pas
moyen d'y rencontrer le vice qui infecte la vente et qui n'est autre
que la violence morale que le vendeur est présumé subir quand
il agit sous l'empire d'un absolu besoin d'argent.
241 bis. V. Dans les différents cas que nous venons d'examiner,
c'est-à-dire toutes les fois que le cautionnement sera comme une
confirmation d'un acte, il faudra bien supposer que le cautionnement
a été consenti par la caution en connaissance de cause. D'abord
(1) V. t. VII, n» 120 bis. V et VI.
240 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
c'est là une des conditions essentielles de la confirmation (art. 1338),
la partie doit connaître le vice de l'acte qu'elle confirme; en outre,
si la caution ignorait l'existence de ce vice, elle aurait commis une
erreur des plus graves sur l'objet de son obligation, car, nous
l'avons dit, dans ces diverses hypothèses, elle subit une double
chance d'être poursuivie; elle ajoute au risque ordinaire de l'insol-
vabilité du débiteur principal un risque plus grand encore, celui
de la non-confirmation du contrat par le débiteur principal ; elle
accepte d'être débitrice si le débiteur ne veut pas l'être.
241 bis. VI. Ce danger, d'ailleurs, sera aggravé dans un certain
nombre de cas par cette circonstance que la caution, après avoir
payé, n'aura pas de recours contre le débiteur. Nous ne disons pas
dans toutes les hypothèses, parce qu'il nous faut faire des distinctions
suivant les espèces. Nous pouvons tout d'abord dégager un nombre
considérable d'hypothèses dans lesquelles le recours n'existe pas.
Ce fait se produira quand la caution se sera obligée sans l'ordre du
débiteur principal ; son recours, en effet, ne peut être fondé que
sur la gestion d'affaires; or, l'affaire n'a pas été gérée utilement,
puisque le débiteur avait un moyen légal pour ne pas payer la dette.
Par la même raison, la caution ne pouvait pas se prétendre subrogée
dans les droits du créancier; celui-ci n'avait pas d'action ou n'avait
qu'une action que le défendeur pouvait repousser en invoquant la
nullité du contrat.
241 bis. Vil. Si nous songeons maintenant aux cas où le débiteur
aura donné à la caution mandat de le cautionner, nous pourrons
trouver quelques cas où le recours existera, mais bien d'autres où
il ne pourra être exercé. En effet, la plupart du temps, le mandat
sera infecté du même vice que le contrat qui a donné naissance à
l'obligation annulable. C'est ce qui se produira quand une femme
mariée, un mineur, un interdit auront, pendant que leur incapacité
durait encore, prié la caution de s'obliger.
241 bis. VIII. Mais si l'incapacité a cessé quand le mandat de
cautionner a été donné, ce mandat est valable, et l'action mandati
contraria en pourra résulter. Quand l'obligation est annulable à
raison d'un vice du consentement, des distinctions sont nécessaires
selon la nature du vice. S'agit-il de l'erreur sur la substance, tant
que cette erreur subsiste, le mandat de cautionner ne peut pas être
donné sans être entaché du même vice; il en est de même du vice
de violence; quant au vice de dol, nous n'en dirons pas autant, parce
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2012. 241
que le dol est un vice relatif et non pas absolu, il produit des effets
in personam et non pas «î rem; autrement dit, il faut que les
manœuvres qui constituent le dol aient été pratiquées par le
cocontractant. Or, il y a ici deux contrats, partant deux parties
adverses différentes; le contrat principal est annulable pour cause
de dol, mais le mandat ne saurait être annulé, parce que ce n'est
pas le mandataire qui a commis le dol pratiqué par le créancier
principal.
241 bis. IX. Il faut faire une observation analogue pour tem-
pérer notre solution à l'égard de la violence. Il est vrai que la vio-
lence est un vice in rem, mais encore faut-il que les actes de
violence aient été commis dans le but de déterminer la partie à con-
tracter (1). Dans un certain nombre d'hypothèses, les actes n'auront
pas eu pour but de déterminer la partie violentée à donner mandat
à une caution, alors le mandat serait valable. Souvent, au contraire,
la personne qui aura commis ces actes aura imposé à la victime de
la violence la nécessité de fournir caution, alors le mandat sera
infecté du même vice que le contrat principal, et le mandataire
n'aurait pas l'action en recours.
11 faut reconnaître, du reste, qu'on trouvera rarement une caution
obligée valablement, mais privée du recours, à raison de ce que le
mandat qu'elle a reçu est entaché du vice de violence ou de dol,
puisque, d'après ce que nous avons dit plus haut, il faut pour que
le cautionnement soit valable qu'il ait été donné par une personne
qui connaissait le vice de l'acte principal.
241 bis. X. Dans l'hypothèse de la lésion, le vice pourra s'étendre
jusqu'au contrat de mandat dans les cas où nous avons dit
que les parties ne pourraient pas confirmer l'acte, parce que cette
confirmation aurait été inspirée par la nécessité pressante d'être en
possession d'une somme d'argent (2). Alors la caution sera tenue
si elle a connu le vice de l'acte principal, mais elle n'aura pas de
recours.
241 bis. XI. Nous avons cité au tome V des cas d'obligations
naturelles (3) qui ne se rattachent pas à la théorie des obligations
annulables; ainsi l'obligation prescrite, celle qui a été déclarée inexis-
tante par un jugement ayant autorité de chose jugée; dans ces
(1) V. t. V, no 20 bis.
(2) V. t. III, n° 120 bis. V et VI
(3) V. t V, n» 174 bis, IV.
VIII. 16
2*2 COUFïS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
hypothèses la caution qui aura contracté eu connaissance de cause
sera lice et elle aura recours contre la partie qui lui aura donné man-
dat de cautionner; car le m;mdat n'est pas entaché d'un vice qui
n'atteint même pas l'obligation principale que le débiteur pour-
rait lui-même reconnaître ou payer valablement. Il reste entendu
que ce mandat, qui produit des effets entre le débiteur et la caution,
n'en produit pas quant au créancier qui est un tiers par rapport
à ce contrat, que par conséquent ce créancier n'a pas acquis une
action contre le débiteur.
242. Le même principe qui subordonne à l'existence de
l'obligation principale celle de l'obligation de la caution, ne
permet pas davantage que le cautionnement excède la mesure
de la dette. Il est évident, en effet, que, pour cet excédent,
l'obligation de la caution serait sans cause. L'excès, au reste,
existerait, soit que la caution promît une somme plus forte,
soit qu'elle s'engageât sous des conditions plus onéreuses.
Rien ne s'oppose, au contraire, a ce que la caution, qui
pouvait ne pas s'obliger du tout, s'oblige à moins que le
débiteur principal, ou s'oblige sous des conditions moins
onéreuses.
On doutait autrefois si, au cas d'excès, l'obligation de la
caution ne devait pas être entièrement nulle (v. Ulp., L. 8,
§ 7, D. de Jidej.). Mais comme l'obligation n'est vraiment
sans cause que pour l'excédent, le Code décide, avec raison,
que le cautionnement est seulement réductible a la mesure
de l'obligation principale. V. art. 2013; et remarquez que le
cautionnement serait absolument sans cause, et devrait dès
lors être entièrement nul, si la caution promettait, non pas
plus, mais autre chose que le débiteur principal (v. JavoL,
L. 42. D. de Jidej.).
242 bis. I. L'article 2013 tire une nouvelle conséquence du
caractère accessoire de l'obligation contractée par la caution, et il en
sous-entend une autre, que nous devons présenter sous forme
d'observation préliminaire.
Le cautionnement ne peut avoir pour objet une prestation dif-
férente de celle qui forme l'objet de l'obligation principale. Par
T1T. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2013. "243
exemple, le débiteur doit un cheval déterminé, et la caution s'engage,
en cas de non-paiement par le débiteur, à donner un autre cheval.
Les Romains, qui raisonnaient sur un contrat de fidéjussion formé
verbis, et qui ne pouvaient le valider que s'il était vraiment une
Cdéjussion, déclaraient nulle la promesse faite dans de telles condi-
tions. Nous ne devons pas les suivre sur ce terrain. Certes, le con-
trat que nous venons de supposer n'est pas un cautionnement,
parce que ce dernier contrat ne se conçoit que comme imposant
subsidiairement à une personne la nécessité d'exécuter l'obligation
d'une autre. Or, dans l'exemple sur lequel nous raisonnons, ce que
le fidéjusseur paiera ne sera pas l'objet dû par le débiteur, donc en
réalité il n'exécutera pas l'obligation de ce débiteur. Le contrat
n'est donc pas un cautionnement, mais dans notre droit, où les
parties peuvent inventer telle convention que bon leur semble, où
la volonté est souveraine, où les contrats non classés n'en sont pas
moins valables, il ne faut pas mettre en doute la validité de celui-là.
C'est une promesse faite par Pierre de livrer le cheval Éclair si Paul
ne livre pas le cheval Espérance. Convention qui crée une obligation
principale conditionnelle subordonnée à la condition; si Paul n'exé-
cute pas son obligation.
242 bis. II. Ce n'est pas une pure question de mots que nous
venons d'agiter, car si le contrat qui nous occupe n'est pas un
cautionnement, nous ne pouvons pas trouver au profit du débiteur
subsidiaire Pierre, la base d'une subrogation légale contre l'autre
débiteur. On ne peut pas dire, en effet, que Pierre était tenu avec
Paul ou pour Paul, puisque les deux obligations étaient essentielle-
ment distinctes l'une de l'autre. Par la même raison le paiement
fait par Pierre n'éteindrait pas la dette de Paul, celui-ci pourrait
toujours être poursuivi; mais alors, quand il aurait acquitté son
obligation, Pierre aurait recours contre le créancier pour répéter
ce qu'il lui aurait payé lui-même et qu il se trouverait maintenant
avoir payé sans cause.
242 bis. III. Telles sont les conséquences qu'on peut rigoureuse-
ment tirer de l'analyse que nous avons faite de la convention par la-
quelle une personne s'oblige à payer une chose si tel débiteur d'une
autre chose n'acquitte pas son obligation. Il nous paraît cependant
que cette déduction des principes ne tient pas assez compte de la
volonté des parties. De ce qu'un contrat est innomé, il ne faut pas
conclure, en droit français, qu'il ne peut pas produire les effets d'un
16.
214 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. 11].
contrat nommé avec lequel il a une grande affinité dans la pensée
des parties. Or, si les solutions auxquelles nous venons d'arriver
peuvent se justifier en présence d'une convention qui ne montre
aucunement le lien qui rattache la promesse du second débiteur à
celle du premier, elles nous paraissent inadmissibles dans le plus
grand nombre des hypothèses. Si la partie qui contracte la seconde
obligation a exprimé la volonté de se porter caution, mais en
promettant que pour l'exécution de son obligation de caution elle
fournirait une chose autre que celle qui est due par le débiteur
principal, n'est-il pas clair que cette partie n'a cherché qu'une
facilité d'exécution , mais qu'elle a entendu que si elle livrait la
chose qu'elle promettait, elle libérerait le débiteur principal, que
partant elle aurait un recours contre celui-ci, et que tenue pour
lui, elle aurait contre lui le bénéfice de l'article 1251-3?
242 bis. IV. Refuser à la convention ces différents effets, c'est la
dénaturer complètement, c'est l'interpréter tout autrement que selon
la commune intention des parties. Par conséquent, c'est violer la
principale règle du Gode civil sur l'interprétation des conventions.
On dit, il est vrai, que le contrat de cautionnement est essentielle-
ment accessoire du contrat principal et qu'il perd ce caractère si les
deux obligations sont distinctes. N'est-il pas clair cependant que les
parties sont maîtresses de donner plus ou moins de force au lien
qui unit les deux obligations, et ne voit-on pas que dans la conven-
tion interprétée comme nous l'avons fait, il y a tout simplement une
convention annexée au cautionnement par laquelle la caution et le
créancier tombent d'accord sur ce point que le paiement à faire par
le caution se résoudra en une dation en paiement? Or, la dation en
paiement est autorisée par l'article 1243, lorsqu'il y a accord entre
le créancier et le débiteur. Nous concluons de notre doctrine que le
débiteur subsidiaire sera toujours libéré par les causes qui libére-
ront le débiteur principal, par exemple par la perte de la chose que
doit celui-ci, mais nous concédons qu'il n'aurait pas le bénéfice de
discussion, qui nous paraît accordé comme une faveur exception-
nelle aux seuls débiteurs qui ont contracté dans les conditions
strictes dans lesquelles la loi conçoit le contrat de cautionnement.
242 bis. V. En revenant à la disposition même de l'article 2019,
nous trouvons cette règle, que le cautionnement ne peut excéder
ce qui est dû par le débiteur, ni être contracté sous des conditions
plus onéreuses. C'est la conséquence du caractère comparé des deux
T1T. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2013. 245
dettes, non plus in accessionc potest esse quam in principali re (1). On
peut voir, dans le paragraphe des Institutes qui nous fournit cette
formule explicative de la règle, des exemples de stipulations par les-
quelles le cautionnement excéderait ce qui est du. ou serait con-
tracté sous des conditions plus onéreuses que celles de l'obligation
principale; ainsi la caution promet 10,000 francs, tandis que le débi-
biteur n'en doit que 5,000 francs, ou bien elle promet à un terme
plus rapproché, elle promet purement quand le débiteur doit sous
condition.
242 bis. VI. Dans ces divers cas ou d'autres semblables, on aura
violé la règle de l'article 2013, 1er alinéa, dont la sanction est
indiquée par le 3e alinéa. L'obligation de la caution est réductible
dans la mesure de l'obligation principale. C'est une décision con-
traire au droit romain, qui annulait pour le tout l'obligation du fidé-
jusseur (2). Cette solution se rattachait au caractère striai juris
de l'action ex stipulant qui naissait de la fidéjussion; elle doit être
abandonnée dans notre droit où les conventions sont interprétées
ex œquo et bono et plutôt dans le sens de leur validité que de leur
nullité.
242 bis. VII. Le principe de la réduction des engagements con-
tractés à titre de cautionnement et qui excèdent l'obligation prin-
cipale, est donc des plus raisonnables. Mais il présente des diffi-
cultés dans son application aux divers cas d'excès.
Il y a des cas où la réduction de l'obligation s'opérera facilement :
si l'excès porte sur le chiffre de la quantité promise, rien de plus
simple, la caution ne devra que la somme ou la quantité due par
le débiteur; si elle a un terme plus court, elle bénéficiera du terme
plus long; si elle a promis purement et le débiteur sous condition,
l'obligation de la caution sera soumise à la même condition que
celle du débiteur.
242 bis. VIII. Mais on peut être plus embarrassé quand la dif-
férence entre les deux obligations porte sur ce que l'une d'elles est
alternative et l'autre pure. En examinant les diverses hypothèses
possibles, nous allons voir ce qai fait la difficulté et comment il faut
la résoudre.
1° Le débiteur doit une seule chose, et la caution a promis cette
(!) Inttit..l m, t XX, § 5.
(2) V. I. 8, § 7, D. de Jidejutsoribus, et M. Accarias, Précis du droit romain,
U II, p. 361.
246 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. 111.
chose ou une autre sous l'alternative. Cette caution doit alors sous
un certain point de vue plus et sous un autre moins que le débiteur
principal. Elle doit plus en ce qu'elle a moins de chance d'être
libérée par la destruction fortuite de l'objet de son obligation; elle
doit moins puisque, ayant le choix entre deux choses (art. 1190),
elle pourra payer une chose ayant moins de valeur que celle qui
est due principalement.
On ne peut donc pas ramener l'obligation de la caution à une
obligation pure et simple, parce qu'il en résulterait la perte du
droit de choisir. Il faut supprimer ce que son obligation a de
plus onéreux que celle du débiteur, tout en laissant substituer ce
qu'elle a de plus avantageux. On atteindra ce double but en conver-
tissant l'obligation alternative en une obligation facultative (1), la
caution ne sera toujours débitrice que de la chose due principale-
ment, mais elle aura la faculté de se libérer en donnant l'autre.
242 bis. IX. Nous avons supposé que le choix avait été réservé à
la caution; si dans la même hypothèse le choix avait été donné au
créancier, l'application de l'article 1013 aurait pour conséquence
de supprimer l'alternative et de rendre l'obligation de la caution
pure et simple comme celle du débiteur.
242 bis. X. Examinons le cas inverse : le débiteur a promis deux
choses sous l'alternative, et la caution une des deux choses seule-
ment. La caution a l'avantage de la chance de libération par la
perte de la chose unique qu'elle a promise, mais au cas où le
débiteur a le choix, il a sur elle l'avantage de pouvoir donner la moin-
dre des deux choses qui n'est peut-être pas celle qu'a promise la cau-
tion. Pour assurer à la caution cet avantage, tout en laissant son
obligation porter exclusivement sur la chose qu'elle a promise, il
faut rendre facultative son obligation en lui donnant la faculté de
payer la seconde chose comprise dans l'alternative par rapport au
débiteur principal. Nous dirons dans cette hypothèse comme dans la
précédente que si le choix appartient au créancier, il n'y a pas lieu
de dénaturer l'obligation de la caution, qui en elle-même est moins
onéreuse que celle du débiteur principal.
243. Si le cautionnement suppose nécessairement l'exis-
tence d'un débiteur principal, ce n'est pas a dire pour cela que
(1) V. t. V, n»115 Mi. II.
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2013-2016. 247
le consentement de ce débiteur soit exigé pour la perfection
du contrat qui doit lier la caution envers le créancier. Bien
plus, ce consentement n'est pas môme nécessaire pour assurer
à la caution son recours contre le débiteur, auquel le caution-
nement ne peut que profiter. Sous l'un comme sous l'autre
point de vue, il est donc vrai de dire qu'on peut se rendre
caution sans l'ordre du débiteur principal, et même a son
insu. V. art. 2011, al. 1. Nul doute même qu'on puisse,
malgré le débiteur, el contre sa défense, s'engager comme cau-
tion envers le créancier.
243 bis. Nous l'avons déjà dit, la caution peut s'être engagée en
vertu d'un mandat reçu du débiteur, ou comme gérant d'affaires,
elle peut même avoir promis malgré lui, car elle aurait pu payer
dans les mêmes conditions, ce fait n'aura pas d'influence sur la
valeur du cautionnement dans les rapports avec le créancier, il ne
sera pas du reste sans influence sur les rapports de la caution avec
le débiteur principal; c'est ce que nous expliquerons quand nous
traiterons du recours de la caution (1).
244. La dette même d'une caution peut être considérée
comme obligation principale par rapport au tiers qui consen-
tirait à la cautionner. Ainsi l'on peut se rendre caution non-
seulement du débiteur principal, mais encore de la caution.
V. art. 2014, al. dernier.
244 bis. Cette caution de caution [Jidejussor Jidejussoris) porte,
dans la pratique française, le nom de certificateur (art. 135, G. Pr.).
245. Le cautionnement est, en général, un acte de bien-
faisance, au moins envers le débiteur; pas plus donc qu'une
libéralité proprement dite, il ne doit se présumer, ni par
conséquent s'étendre au delà des limites dans lesquelles il a
été contracté. V. art. 2015; v. à ce sujet Paul, I, 68, § 1,
D. de Jidej.
246. Cette règle toutefois n'empêcbe pas d'attribuer au cau-
tionnement l'étendue que comportent les termes employés,
et que les parties ont dû raisonnablement vouloir lui attribuer.
(1) V.n»259 bi$.
248 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
Ainsi les accessoires, comme le principal, étant en général
compris dans une obligation, celui qui la cautionne indéfini-
ment, c'est-à-dire sans limitation spéciale, doit être censé
avoir voulu cautionner aussi les accessoires. Les frais que le
créancier est obligé de faire pour obtenir son paiement se
rangent naturellement parmi ces accessoires; et comme il est
naturel qu'il s'adresse d'abord au débiteur principal, les frais
mêmes de la demande formée contre celui-ci peuvent être
exigés de la caution. Quant aux frais postérieurs, que la cau-
tion aurait peut-être évités en payant si elle eût été prévenue,
elle ne les doit pas si la demande ne lui a pas été dénoncée;
mais elle doit naturellement ceux qu'elle a laissé faire depuis
la dénonciation. V. art. 2016.
246 bis. Parmi les accessoires de l'obligation principale qui sont
mis à la charge de celui qui a cautionné une dette d'une façon
indéfinie, c'est-à-dire sans limitation spéciale de la somme à
payer, il faut placer certainement les intérêts conventionnels de la
somme principale. Quant aux intérêts moratoires, ils ne sont pas
l'objet direct de la convention, ils ne sont pas dus uniquement par
le fait de cette convention ; ce sont des dommages et intérêts fondés
sur le retard ; or le retard nous paraît un fait personnel, par consé-
quent nous pensons que le simple fait d'avoir mis le débiteur en
demeure par une citation en justice (art. 1153) ne produit pas le
même effet à l'égard de la caution, que par conséquent les intérêts
ne courent pas contre elle tant qu'on ne l'a pas personnellement
assignée. Cette décision nous paraît absolument conforme à l'esprit
de l'article 1153, qui ne veut pas que la dette s'accroisse d'une
dette d'intérêts à l'insu du débiteur. La caution souffrirait de
l'ignorance dans laquelle elle aurait été tenue sur les intentions du
créancier. Nous n'apercevons contre cette décision qu'une objection
qui pourrait être fondée sur l'article 1207, mais il s'agit dans cet
article des codébiteurs solidaires plus rigourement liés ensemble que
le débiteur et la caution, et l'exception qui les régit ne saurait
être étendue.
247. Quoique le cautionnement soit, sous certains rap-
ports, un acte de bienfaisance, on ne peut considérer comme
telle l'exécution de l'engagement une fois pris envers le créan-
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2016-2018. 249
cier; on applique donc ici la règle générale qui fait suc-
céder les hériliers aux engagements de leur auteur. Cette règle
cependant recevait exception pour la contrainte par corps, à
laquelle la caution était quelquefois soumise (v. 2010, al. der-
nier; 2060-5°)} car la liberté de la personne ne peut jamais
être engagée par le fait d'autrui. V. art. 2017; Jusl,, Inst.,
§ 2, dejidej.
247 bis. La contrainte par corps est abolie en matière civile par
la loi de 1867; l'exception à laquelle l'article 2017 soumettait sa
règle n'existe donc plus. Quant à la règle en elle-même, elle est
l'application du principe très-large en vertu duquel les héritiers
succèdent aux obligations de leurs auteurs; et il faut bien convenir
que la sûreté fondée sur le cautionnement serait bien illusoire si
l'engagement du fidéjusseur s'éteignait à sa mort. Le Code ne s'est
exprimé sur ce point qu'à l'imitation de Pothier, qui imitait les
Institutes de Justinien, et Justinien lui-même avait transcrit une
partie du texte de Gaïus, où cette remarque faisait partie d'une
comparaison entre l'obligation des Jidejussores et celle des sponsores
ou àesjldepromissores, qui étaient libérés par leur mort (1).
248. A l'occasion de l'étendue du cautionnement, la loi
règle ici celle de l'obligation de fournir caution. Cette obliga-
tion consiste a procurer au créancier l'engagement d'une tierce
personne, que le débiteur doit a cet effet présenter, pour être
reçue, soit volontairement, soit en justice (v. a ce sujet C. Pr.,
art. 517-522). Le but qu'on se propose dans l'établissement
de cette obligation ne serait évidemment pas rempli, et la cau-
tion offerte pourrait être refusée, si l'engagement de cette
caution n'était de nature à produire certitude et facilité du
paiement. A cet effet, la caution doit être capable de contrac-
ter, et solvable, eu égard à l'objet de l'obligation principale.
Il faut, de plus, pour la facilité des poursuites, que le domicile
de la caution ne soit pas trop éloigné ; la loi exige en consé-
quence qu'il soit dans le ressort de la cour d'appel où la cau-
tion doit être donnée. V. art. 2018.
(1) V. Ins'iL, liv, III, t. XX, § 1. Gains, Corn. III, § 120.
250 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
248 bis. I. Ici se termine ce qui concerne la formation du contrat
de cautionnement. Cependant tout n'est pas dit sur les difficultés
qui peuvent naître à propos de la constitution d'un cautionnement.
La fin du chapitre traite des qualités que doit réunir une per-
sonne, non pas pour donner un cautionnement valable, mais pour
que son engagement satisfasse à l'obligation de fournir caution.
Le cautionnement en effet n'est pas toujours donné spontanément,
et par une convention exécutée au moment même où elle vient
d'être faite. Il est souvent l'exécution d'une obligation préexistante,
l'obligation de donner caution; soit qu'un débiteur ait pris un tel
engagement en contractant, soit que la loi ou la justice oblige une
personne à donner caution. Nos articles supposent une caution pro-
mise. Nous trouverons plus tard des règles analogues sur les
cautions légales ou judiciaires.
248 bis. IL Les règles sur les qualités que doit réunir la cau-
tion offerte en exécution de l'obligation de fournir caution se ré-
duisent à ceci : il faut que le cautionnement donne au créancier
une garantie sérieuse. Pour qu'il en soit ainsi , il est nécessaire que
la caution soit capable et solvable; la loi veut en outre que les pour-
suites contre elles puissent être facilement exercées. C'est pour cela
que la loi autorise à refuser une caution qui serait domiciliée hors
du ressort de la Cour d'appel, la garantie paraît alors moins sérieuse
à cause de la difficulté pratique de poursuivre résultant de l'éloi-
gnement.
248 bis. III. Ce qui n'apparaît pas très-clairement dans le texte
de l'article 2018, c'est la détermination de la Cour d'appel dans le
ressort de laquelle doit être domiciliée la caution offerte. On lit en
effet que c'est le ressort de la Cour où la caution doit être donnée.
Mais où doit- elle être donnée? La réponse est simple quand il s'agit
d'une caution qui est fournie en vertu d'un jugement, ce qui se
produira d'abord quand la caution est judiciaire, et ensuite quand
il s'agit d'une caution légale ou d'une caution promise par convention
qui n'aura pas été fournie spontanément et que la justice condam-
nera la partie à fournir (1). Dans ces cas, il y a un lieu déterminé
où l'engagement de la caution doit être pris ou par conséquence la
caution est donnée. C'est le greffe du tribunal qui a rendu le jugement
ordonnant de fournir caution (art. 517, 519, C. Pr.). Le plus ordinai-
(1) V. M. Colœet Daâge, Procédure civile, t. II, p. 152. Édit. 1879.
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2018. 251
rement ce tribunal sera celui du domicile du débiteur, puisque c'est
lui qui aura promis de donner caution et qu'actionné en exécution
de cette obligation, il sera cité devant son tribunal (actor sequitur
forum reï) ; de même quand une personne qui doit une caution légale
ne l'aura pas donnée, il faudra bien la poursuivre, en vertu de cette
obligation, devant le juge de son domicile. Cependant, il pourra bien
arriver que le tribunal saisi ne soit pas celui du domicile de la
personne qui doit donner caution; quand il s'agira d'une caution
judiciaire, c'est quelquefois un demandeur qui donne caution en
vue d'exécuter provisoirement le jugement (art. 135, C. Pr.); le
tribunal, en pareil cas, sera celui du domicile du défendeur au
profit de qui la caution est fournie. Dans tous ces cas, la dation de
caution est considérée comme faisant partie des actes d'exécution
du jugement, et c'est pour cela que les procédures auxquelles
elle donne lieu sont faites devant le tribunal qui a rendu le
jugement.
248 bis. IV. Ce sont évidemment ces hypothèses qui se sont pré-
sentées à l'esprit du législateur, quand il a, par les termes de l'arti-
cle 2013, en quelque sorte localisé l'opération conventionnelle par
laquelle une caution s'engage. En principe, le lieu où se passe un
contrat est indifférent, et il n'est pas exact de dire qu'une convention
ait besoin d'être faite plutôt dans un lieu que dans un autre. Le
cautionnement, en particulier, n'aura ni plus ni moins d'effet pour
avoir été donné, c'est-à-dire contracté, à Paris plutôt qu'à Marseille.
H n'y a donc pas, en dehors des cas que nous avons examinés, de
lieu où le cautionnement doit être donné. Quand une caution promise
conventionneHement ou une caution légale se sera engagé dans un
pays quelconque envers le créancier, il est clair que l'obligation de
donner caution aura été remplie. Seulement, il faut remarquer que
le cautionnement, étant un contrat, ne peut résulter que de l'accord
des volontés de celui qui s'oblige comme caution et du créancier.
Alors, si le contrat a été formé, la question de savoir dans quel res-
sort de Cour d'appel doit être domiciliée la caution ne se présentera
pas, puisque le créancier aura accepté celle avec qui il contractait.
248 bis. V. Si cet accord ne s'est pas produit, peut-être à cause
du domicile de la caution offerte, il faudra que le créancier agisse
contre celui qui doit fournir la caution pour le faire condamner à
présenter une caution réunissant les conditions exigées par l'article
2018, alors il agira forcément devant le tribunal du défendeur,
252 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
et nous nous retrouverons dans les hypothèses que nous avons
examinées au n° 248 bis.
249. Un débiteur est solvable quand ses biens, de quelque
nature qu'ils soient, sont suffisants pour l'acquittement de ses
dettes; mais la fortune mobilière étant en général facile à dis-
siper, la loi, qui interprète toujours l'obligation de fournir
caution dans le sens le plus favorable au créancier, veut que
la solvabilité de la caution s'estime uniquement eu égard à
ses propriétés foncières. Toutefois, le crédit des commerçants
ne consistant point ordinairement en immeubles, la règle
reçoit exception en matière de commerce. En outre, dans
tous les cas, la modicité de la dette autorise à s'en éloigner.
V. art. 2019, al. 1.
250. Toujours dans le même esprit, les immeubles mêmes
ne pourraient être pris pour base de la solvabilité : 4° s'ils
étaient litigieux, car alors la sûreté exigée serait subordon-
née aux lenteurs et aux incertitudes d'un procès-, 2° si leur
situation, qui détermine le tribunal où l'expropriation serait
poursuivie, devait, par son éloignement, rendre la discussion
trop difficile. V. art. 2019, al. dernier.
250 6m. I. Quand l'article exclut les immeubles litigieux du nom-
bre de ceux d'après lesquels pourra être appréciée la solvabilité,
elle ne détermine pas d'une manière limitative le sens du mot liti-
gieux; par conséquent, quelle que soit l'opinion qu'on admette sur
l'article 1700, qui semble exiger pour qu'un droit soit litigeux qu'il
y ait procès et contestation sur le fond du droit, il faut reconnaître
au tribunal, juge de la solvabilité d'une caution, le pouvoir de ne
pas tenir compte du droit sur un immeuble à l'égard duquel il exis-
terait un juste sujet de crainte d'être troublé (v. art. 1653).
250 bis. II. Quant aux immeubles grevés d'hypothèques ou de
droits d'usufruit, ils ne sont pas exclus en principe du calcul que
doit faire le juge. Mais il appartient à celui-ci d'apprécier si mal-
gré les charges qui les grèvent ils constituent un élément suffisant
de solvabilité. Cela dépend évidemment de l'importance des créances
hypothécaires et des chances plus ou moins grandes d'extinction
prochaine de l'usufruit.
250 bis. III. La loi exige en outre que les immeubles ne soient pas
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2019. 253
situés au loin ; ceci se rattache à la nécessité d'assurer au créancier
une assez grande facilité de poursuites. Il n'y a pas, du reste, de
règle fixée pour déterminer ce qu'il faut entendre par une situation
trop éloignée. C'est affaire d'appréciation. L'article ne détermine
pas comme le précédent une certaine circonscription, le ressort de
Cour d'appel, hors de laquelle la situation serait trop éloignée; elle
n'exige pas que le bien soit situé à l'étranger pour être réputé
situé trop loin; elle s'en remet à la décision des tribunaux qui
auront à prendre en considération toutes les circonstances, par
exemple la facilité ou la difficulté des communications.
2o0 bis. IV. Si le Code veut que la caution offerte soit proprié-
taire d'immeubles, c'est uniquement qu'elle voit dans ce fait le
signe de la solvabilité, mais ce n'est pas qu'elle veuille accorder au
créancier un droit réel immobilier à côté du droit personnel qui
naît du contrat de fidéjussion, le seul que le créancier se soit fait
promettre. Les immeubles de la caution ne doivent donc pas être
hypothéqués par elle, à moins qu'il ne soit intervenu sur ce point
une convention particulière.
250 bis. V. Il ne faudrait même pas croire que dans le cas où la
caution s'oblige par une soumission au greffe (art. 319 et 522 C. Pr.),
cet acte entraîne par lui-môme hypothèque sur les biens de la
caution. On ne se trouve pas en effet dans les hypothèses où l'ar-
ticle 2123 établit l'hypothèque judiciaire, car elle ne résulterait pas
d'un jugement de condamnation; le jugement, s'il en a été rendu
un, condamne le débiteur à donner caution et non pas la caution
à s'obliger ou à payer. Quant à la soumission elle-même, si, parce
qu'elle est faite au greffe, on peut la qualifier d'acte judiciaire, ce
n'est pas une raison pour qu'elle entraîne hypothèque, car, s'il
ressort bien de l'article 2117 que l'hypothèque peut résulter des
actes judiciaires, il n'est pas dit dans cet article que tous les actes
judiciaires emportent hypothèque; c'est un point que nous avons
traité au titre des hypothèques sur l'article 2123 (1).
Nous ferons remarquer que si notre solution expose le créancier
à n'avoir pas de recours utile contre la caution, lorsque posté-
rieurement à son admission, celle-ci créerait des hypothèques sur
ses immeubles, c'est un accident que la loi prévoit et auquel elle
essaye de porter remède dans l'article 2020.
(1) V. t. IX, n» 87 bit. I et II.
2£)i COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
251. La sûrclé qui doit résulter du cautionnement étant
considérée, en général, comme condition essentielle du cré-
dit ou des avantages quelconques accordés au débiteur tenu
de fournir caution, celui-ci n'est pas même entièrement quitte
de son obligation, lorsqu'il en a fourni une ayant les quali-
tés requises, si elle vient à les perdre avant l'acquittement
de l'obligation principale. Ainsi, l'insolvabilité postérieure de
la caution oblige le débiteur a en fournir une autre. Cette règle
s'applique également au cas d'acceptation volontaire et à celui
d'acceptation en justice; car, dans l'un comme dans l'autre, le
débiteur ayant eu la présentation de cette caution, que le
créancier ne pouvait refuser si elle avait alors les qualités
requises, on ne peut dire que celui-ci ail librement restreint à
l'engagement de cette caution la sûreté qui lui était due. Mais
il en est autrement, lorsque c'est le créancier lui-même qui,
dans le principe, avait exigé telle personne pour caution. Dans
ce cas donc, mais dans ce cas seulement, l'insolvabilité de la
caution n'obligerait pas a en fournir une autre. V. art. 2020.
251 bis. I. L'article 2020 doit d'abord être étudié comme une
disposition se rattachant aux articles qui le précèdent immédiate-
ment; c'est-à-dire qu'il a d'abord et certainement en vue le cas où
la caution a été fournie en exécution d'une obligation convention-
nelle légale ou judiciaire de donner caution.
Dans ce cas, l'article 2020 ne présente pas de difficultés, le débi-
teur devait procurer une garantie permanente et non pas une
garantie existant seulement au moment de contrat du fidéjussion.
Quand la caution devient insolvable, la garantie n'existe plus et
l'obligation de fournir caution n'est pas exécutée. Voilà pourquoi
le débiteur doit fournir une autre caution.
251 bis. IL Cette obligation pèse sur le débiteur, soit que la
caution ait été reçue volontairement, soit qu'elle ait été reçue en
justice. Cette alternative vise toujours le cas d'une caution donnée
en vertu d'une promesse, ou de la loi ou d'un jugement. Elle a été
reçue volontairement, lorsque la partie obligée est tombée d'accord
avec le créancier sur la personne qu'elle lui présentait; en justice
quand il y a eu contestation soit sur l'obligation de fournir caution,
soit sur les qualités de la caution présentée. Ces diverses circon-
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2020. 255
stances, dans lesquelles la caution s'est engagée, ne changent rien
aux droits du créancier, parce que la caution a toujours été donnée
en vertu d'une obligation préexistante de fournir caution.
Même dans ce cas d'obligation préexistante, la règle de l'article
ne s'appliquera pas, et une nouvelle caution ne devra pas être
fournie, si l'obligation de donner caution avait porté sur une per-
sonne déterminée dont le créancier avait exigé qu'on lui promît
l'accession.
251 bis. III. Il sera toujours difficile de se placer dans l'exception
prévue par l'article 2020. Comment démontrer que le créancier a
exigé le cautionnement de telle personne déterminée? Si le débiteur
s'est obligé à donner son père pour caution, le créancier a-t-il
accepté une proposition ou imposé sa volonté ? L'acte ne constatera
presque jamais cette circonstance, et il sera impossible de démontrer
l'exigence du créancier; car faire cette preuve, ce serait prouver
outre le contenu à l'acte passé entre les deux parties. La distinction
que la loi a faite et qu'elle a en effet voulu faire, ainsi que l'atteste la
discussion au conseil d'État, est bien peu pratique, et dans la presque
unanimité des hypothèses, le débiteur sera forcé de donner une
nouvelle caution, car il faudrait, pour qu'il en fût autrement, que
dans l'acte qui constate l'obligation de fournir caution, on eût eu
le soin d'indiquer que le créancier a exigé l'engagement de telle
personne déterminée. Cette mention ne se rencontrera jamais dans
l'acte, parce que le créancier, qui en comprendra la portée, refusera
toujours de la laisser insérer.
251 bis. IV. L'article a particulièrement en vue les cautions pro-
mises ou dues en vertu de la loi ou d'un jugement; cependant sa
solution peut être étendue aux cautions données par la convention
même qui crée la dette principale. En effet, on n'aperçoit pas de
différence entre la promesse de donner pour caution une personne
déterminée et le fait de donner une personne déterminée pour
caution dans l'acte même qui crée la dette principale; la différence
que la loi fait entre la caution acceptée et la caution exigée se
conçoit aussi bien dans les deux cas, et c'est à cette distinction que
les rédacteurs du Code ont manifesté l'intention de subordonner la
décision qu'ils donnaient sur le droit de demander dans certaine
éventualité une nouvelle caution.
251 bis. V. Au reste, en réservant l'observation critique que
nous avons faite sur le peu de valeur pratique de la faveur qu'ac-
256 COURS ANALYTIQUE DE CODK CIVIL. LIV. 111.
corde le texte au débiteur quand la caution a été exigée, nous
devons faire remarquer que sa décision principale, contenue dans
le i,r alinéa de l'article, est en harmonie avec une autre décision
donnée en un cas analogue, lorsque la garantie consiste dans une
hypothèque et que l'immeuble hypothéqué vient à périr (v. art.
2131) (1).
CHAPITRE II.
de l'effet du cautionnement.
SECTION I.
De l'effet du cautionnement entre le créancier et la caution.
252. L'effet du contrat de fidéjussion qui intervient entre le
créancier et la caution est, comme on l'a vu dès le principe,
d'obliger la caution à satisfaire a l'obligation du débiteur :
mais comme cet engagement, qui ne tend nullement a dé-
charger celui-ci , n'est contracté qu'en vue du cas où il n'y
satisferait pas lui-même, il semble naturel de n'astreindre le
fidéjusseurau paiement qu'après discusion du principal obligé.
Tel est l'objet du bénéfice, appelé de discussion, en vue
duquel on peut dire, avec la loi, que la caution n'est obligée
qu'à défaut du débiteur, et que celui-ci doit être préalable-
ment discuté dans ses biens. Toutefois, cette discussion ne
constitue pas une condition suspensive de l'action du créan-
cier; c'est seulement l'objet d'un moyen de défense que la loi
accorde en général a la caution, sous certaines conditions.
Bien plus, ce bénéfice lui-même n'est pas de l'essence du
cautionnement, et la caution peut y renoncer. C'est notam-
ment ce qu'elle est censée faire quand elle s'engage solidaire-
ment avec le débiteur ; auquel cas elle ne diffère aucune-
(1) V. t. IX, n* 98 bu. I.
TIT. XIV. DU CALTIONNEME.NT. ART. 2021. 257
ment, dans ses rapports avec le crémcier, d'un véritable
débiteur solidaire. Y. ait 2021 , et à ce sujet, Just., Nov. 4,
ch. 1.
252 bis. I. L'effet du cautionnement entre le créancier et la
caution est de lier la caution envers le créancier, et dès lors il sem-
blerait qu'il suffit de s'en référer aux principes généraux de la ma-
tière des obligations.
On ne trouverait pas ainsi la véritable situation que la loi fait
aux cautions; leur obligation est moins rigoureuse que celle des
débiteurs proprement dits. La loi d'abord apporte à la rigueur de
leur obligation deux tempéraments qu'on qualifie habituellement
de bénéfices, pour indiquer que ce sont des dérogations favo-
rables aux règles générales qui régissent les obligations. Ce sont :
le bénéfice de discussion et le bénéfice de division.
252 bis. IL Le bénéfice de discussion est une conséquence du
caractère accessoire de l'obligation du fiJéjusseur. Il consiste dans
le droit d'exiger que le créancier fasse au préalable, avant de con-
traindre la caution à payer, procéder a la saisie et a la vente des
biens du débiteur principal. Puisque la caution a seulement promis
de satisfaire à l'obligation si le débiteur n'y satisfait pas, il est
naturel que le créancier épuise tous les moyens qui lui appartiennent
contre le débiteur avant d'agir contre la caution.
252 bis. III. L'article 2021 pourrait du reste induire en erreur
sur l'importance du droit à la discussion. Le texte tendrait à faire
croire que la discussion est une nécessité pour le créancier et non
pas un bénéfice pour le fidéjusseur, car on lit que le débiteur doit
être préalablement discuté; c'est la une exagération d'expression,
l'article suivant nous le démontre clairement. Il faut que la caution
requière la discussion, et les conditions auxquelles l'article 2023
subordonne le droit de cette caution, rendent nécessaire cette réqui-
sition en même temps qu'elles donneront quelquefois à la caution
intérêt à ne pas exiger cette discussion. Ainsi apparaît très-nette-
ment le caractère exceptionnel du droit de la caution, ce qui fait
qu'il est un tempérament, un bénéfice. La caution est un débiteur, elle
peut être poursuivie ; mais elle a le droit de détourner les poursuites
sur le débiteur principal, quand elle trouve son intérêt à le faire.
252 bis. IV. La question que nous venons d'examiner ne se con-
fond pas avec celle que nous avons agitée plus haut, qui a trait
vin. 17
258 COCUS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III
au point de savoir si le débiteur doit mettre en demeure le débiteur
avant de poursuivre la caution. Autre chose est, en effet, discuter
le débiteur, autre chose lui adresser une simple mise en demeure (1).
252 bis. V. Le principe qui attribue au fidéjusseur le bénéfice
de discussion reçoit quelques exceptions : 1° si la caution y a
renoncé; 2° si c'est une caution judiciaire; 3° si elle s'est engagée
solidairement avec le débiteur principal. Nous établirons plus tard,
quand nous aurons étudié tous les effets du cautionnement, en
quoi la caution solidaire diffère de la caution ordinaire, et en même
temps ce qui la distingue du débiteur solidaire.
253. Le créancier n'étant pas tenu de plein droit a la dis-
cussion du débiteur, et la caution pouvant toujours renoncer
au bénéfice établi en sa faveur, la négligence à l'opposer en
emporterait naturellement déchéance. Cette déchéance serait
encourue si la discussion n'était pas requise sur les premières
poursuites, c'est-à-dire avant toutes défenses au fond. V. art.
2022-, v., au surplus, C. Pr., art. 166, 469, 173, 186.
253 bis. I. L'exercice du droit de demander la discussion est
subordonné à plusieurs conditions : 1° la discussion doit être de-
mandée avant les premières poursuites; 2° la caution doit indiquer
les biens à discuter; 3° elle doit faire l'avance des frais. Il faut
examiner successivement ces trois conditions.
La première est exigée parce que, le fidéjusseur pouvant renoncer
au bénéfice de discussion, on est en droit de supposer cette renon-
ciation quand il s'est laissé poursuivre sans se prévaloir du droit qu'il
a de détourner les poursuites. Ce qu'on entend par poursuites, ce
n'est pas certes le commencement d'une procédure, par exemple
l'exploit d'ajournement, car le droit n'existerait pas si la première
manifestation de la prétention du créancier en rendait l'exercice
impossible. Pour que le fidéjusseur soit réputé avoir renoncé,
il faut qu'il ait laissé le procès s'engager, et l'article 186 du Code
de procédure nous montre que le fait qui le privera de son droit,
c'est le fait d'avoir défendu au fond. On peut dire, en effet, qu'en
procédure, ce droit s'exerce par une exception dilatoire, et l'exception
dilatoire doit être opposée avant toute défense au fond.
253 bis. II. Il ne faut pas, du reste, appliquer la disposition de
(1) V. ci-dessus, n^ 239 bi$. VII.
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2021, 2022. 259
l'article 186, C. Pr., sans tenir compte des faits, et les motifs qui ont
dicté l'article 2022 nous inspirent quelques distinctions. Le Tribunat,
dont une observation a provoqué la rédaction de l'article, disait : Le
créancier ne doit pas être le jouet du caprice de la caution, il doit
pouvoir achever la route dans laquelle le silence de la caution l'a
laissé s'avancer. Voilàlebutdelaloi, il ne faut pasquelefîdéjusseur,
par des lenteurs calculées, arrive injustement à gagner du temps.
D'après le but avoué de l'article, il s'agit, quand on cherche si le
droit est perdu, de voir si la caution a renoncé au bénéfice de
division. Dès lors, si la caution avait nié le cautionnement, si elle
avait prétendu que l'assignation était nulle, on ne pourrait pas lui
refuser le bénéfice de discussion, car dans l'ordre logique des
moyens de défense, ceux-là devaient être invoqués les premiers, et
ce n'était pas l'occasion d'invoquer le bénéfice de discussion quand
on prétendait n'être pas caution. Ce que la loi a eu en vue, ce sont
les hypothèses où la caution aura laissé valider une saisie-arrêt
faite sur elle, ou vendre ses meubles, ceux où elle aura contesté
le montant de la dette ou demandé un délai. Il est clair que dans
ces hypothèses il était naturel de demander d'abord la discussion, et
que ne pas la demander, c'était y renoncer.
253 bis. III. Il y a une autre circonstance qui peut inspirer des
doutes, c'est celle où la caution a réellement montré par sa défense
qu'elle renonçait au bénéfice de discussion, mais où il survient
au débiteur insolvable des biens'qu'il n'avait pas lorsque la caution
a renoncé à son bénéfice. Nous pensons alors qu'il n'y a à lui
reprocher ni fraude ni caprice, et que les motifs attribués à la loi
par l'observation du Tribunat que nous avons citée, doivent autoriser
la demande de discussion formée par la caution aussitôt que les
faits auront changé la situation pécuniaire du débiteur principal.
254. Le bénéfice de discussion n'étant qu'une faveur d'é-
quité dont la loi fait jouir la caution, il ne faut pas que cette
faveur devienne trop préjudiciable au créancier, en l'induisant
dans des lenteurs, des embarras et des frais. De là, l'obliga-
tion d'indiquer les biens a discuter, et d'avancer les deniers
suffisants à cet effet. De la encore, la restriction de la discus-
sion aux biens situés dans ie ressort de la cour où le paie-
ment doit être fait, et aux biens non litigieux (v. à ce sujet
art. 2019). Il faut en outre que les biens soient en la pos-
17.
260 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
session du débiteur, ajoutons, ou de ses ayant cause à titre
universel. Du reste, le droit qu'aurait le créancier de suivre,
entre les mains des tiers détenteurs, les biens hypothéqués a
la dette, n'est pas une raison pour que la caution, qui est
personnellement obligée, puisse en requérir la discussion au
préjudice du tiers détenteur, qui, lui, n'est pas débiteur per-
sonnel. V. art. 2023.
254 bis. I. La seconde condition consiste en ce que la caution
doit indiquer les biens à discuter, et ne doit indiquer que certains
biens déterminés par la loi.
La prétention de la caution est que le débiteur est en état de payer;
la preuve de ce fait doit être fournie par celui qui l'allègue. Il
serait difficile au créancier de prouver que le débiteur n'a pas
de biens, ce serait non-seulement la preuve d'une négation,
mais d'une négation indéfinie, et cette preuve impossible n'est
jamais exigée par la loi. Voilà pourquoi la caution ne peut pas se
contenter d'alléguer vaguement que le débiteur est solvable, mais
doit au contraire préciser et indiquer au créancier les biens sur les-
quels celui-ci pourra agir.
254 bis. II. La caution ne peut pas indiquer toute espèce de
biens. Il ne faut pas que ces biens soient trop éloignés, la discussion
en serait difficile; ni que ces biens soient litigieux, parce que la
discussion exposerait le créancier à des lenteurs et à des conflits
avec les tiers qui prétendraient avoir droit sur ces biens.
254 bis. III. Au reste, la loi n'exige pas que les biens indiqués
soient des immeubles Elle imposait cette condition dans l'article
2019, quand il s'agissait d'apprécier la solvabilité d'une caution,
parce que cette solvabilité intéresse le créancier non-seulement
dans le présent, mais dans l'avenir, et que la fortune immobilière
paraît plus solide et plus durable que la fortune mobilière. Mais
quand il s'agit de biens à discuter, la question est présente et non
pas future, le créancier est mis en demeure d'agir immédiatement,
et s'il agit, le caractère mobile des biens meubles lui importe peu,
puisqu'une fois qu'il les a saisis, il ne peut pas craindre qu'ils
disparaissent.
254 bis. IV. Il est bien certain que la question étant de savoir si
le débiteur peut payer, l'indication des biens à discuter doit porter
sur des biens appartenant à ce débiteur ; le texte de l'article est
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2023. 261
précis sur ce point. Cependant, on aurait pu avoir des doutes
quant aux immeubles affectés hypothécairement à l'acquittement
de la dette et qui ne seraient pas la propriété du débiteur. L'hypothèse
la plus ordinaire est celle où le débiteur a aliéné le bien qu'il avait
hypothéqué pour garantir l'exécution de son obligation. Le nouveau
propriétaire est ce qu'on appelle un tiers détenteur d'immeuble
hypothéqué, et comme il peut être poursuivi en cette qualité par
le créancier, en vertu du droit de suite qui est un des éléments du
droit d'hypothèque, il ne serait pas absurde que la caution eût la
prétention de diriger les poursuites sur le bien hypothéqué. La loi,
cependant, décide que cela n'est pas possible, et c'est le résultat
d'une comparaison entre la situation du tiers détenteur, étranger
à la dette, tenu à l'occasion de la chose qu'il détient, et celle de la
caution qui est un débiteur personnel, par conséquent qui est
liée directement envers le créancier par un contrat qu'elle a fait
avec lui.
254 bis. V. Une question analogue peut se présenter par rapport
aux codébiteurs solidaires du débiteur cautionné. Ce qui suppose
que le fidéjusseur n'a cautionné qu'un seul des codébiteurs
solidaires. Ce fidéjusseur pourrait-il demander la discussion des
autres codébiteurs solidaires? Le texte s'oppose à cette prétention,
puisqu'il parle du débiteur principal; or il n'est de débiteur
principal que celui qui a à côté de lui un débiteur accessoire, et
telle n'est pas la situation des autres codébiteurs. Les principes
conduisent au même résultat, car le cautionnement n'a établi de
relation qu'entre la caution et celui qu'elle a cautionné; contre les
autres celle-ci ne peut avoir des droits que son mandant n'aurait pas.
254 bis. VI. La caution doit faire l'avance des frais de discussion,
c'est la troisième condition, à laquelle est assujetti l'exercice du
bénéfice de discussion. Hlle se justifie d'abord par cette raison que
la discussion est toute dans l'intérêt du fidéjusseur et qu'elle ne
profite pas au créancier, ensuite parce que cette exigence de la loi
est une garantie contre les demandes de discussion faites à la
légère et pour gagner du temps.
254 bis. VIL II ne faut pas, à ces trois conditions, en ajouter une
autre qui serait que les biens indiqués fussent suffisants pour
l'acquittement de l'obligation. La loi ne dit rien de cette condition,
au contraire, l'article 2024 suppose que les biens indiqués ont pu
être insuffisants. Et il est juste qu'il en soit ainsi, car l'intention
262 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
probable de la caution a été de s'engager seulement pour ce que le
débiteur ne pourrait pas payer.
11 faudrait cependant que cette faculté, donnée à la caution, ne
dépouillât pas le créancier du droit qu'il a de ne pas recevoir un
paiement partiel; pour cela, dans les cas rares où le créancier
refuserait de recevoir les sommes produites par la vente des biens
discutés, il faudrait les faire déposer, afin que la caution n'eût plus
qu'à compléter le montant de la dette.
Nous devons, en outre, faire observer que sous prétexte d'une
suffisance partielle des biens indiqués, on ne pourrait pas renvoyer
le créancier à discuter des biens d'une valeur hors de proportion
avec le montant de la dette; la caution n'aurait pas alors un intérêt
légitime à la discussion, et elle ne chercherait qu'à retarder sans
raison l'action que le créancier dirigerait contre elle.
255. Mais quand la caution a rempli les conditions sous les-
quelles le bénéfice lui est accordé, c'est au créancier à s'im-
puter si, par l'effet de sa négligence à poursuivre, il ne retire
pas des biens indiqués la somme qu'ils devaient produire :
non-seulement donc la caution serait libérée envers lui, jus-
qu'à concurrence de cette somme-, mais lui-même devrait,
jusqu'à cette concurrence, répondre envers la caution de l'in-
solvabilité du débiteur, qui l'empêcherait de recouvrer ses
avances. V. art. 2024.
255 bis. Quand la caution a valablement demandé la discussion,
cette demande produit un effet important indiqué par l'article 2024.
Non-seulement elle arrête les poursuites contre le fidéjusseur,
mais elle contraint le créancier à poursuivre le débiteur principal,
et le rend responsable jusqu'à concurrence des biens indiqués de
l'insolvabilité postérieurement survenue de ce débiteur. Il faut, du
reste, que cette insolvabilité ne provienne pas de cas fortuits, car
c'est évidemment la négligence du créancier qui seule légitime sa
responsabilité.
Parmi les conditions que doit avoir remplies la caution pour que
le créancier subisse les chances de l'insolvabilité du débiteur, l'ar-
ticle dit que cette caution doit avoir fourni les frais de discussion.
On remarquera que cette expression n'implique pas que le créancier
a consenti à les recevoir ; si cela était nécessaire , ce créancier
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. AKT. 2024-202o. 263
pourrait anéantir par sa volonté le bénéfice de discussion. Il est
donc bien certain que la caution peut offrir et déposer les fonds
nécessaires, et que ce dépôt équivaudrait à l'avance des frais, comme
l'offre et le dépôt d'une somme due équivalent au paiement.
256. Plusieurs cautions peuvent s'obliger pour la même
dette; et dans ce cas, la nature de l'engagement devant faire
supposer que leurnombreaeu pour objet d'augmenter la sûreté
du créancier, on n'applique point la règle ordinaire relative
aux débiteurs qui s'engagent conjointement; chacune des
cautions est donc tenue pour toute la dette. V. art. 2025;
Just ., Inst., § 4, dejidej.
Remarquons, au reste, que la loi n'ayant point prononcé le
mot de solidarité, on est fondé à en conclure que les cautions
qui s'engagent, ensemble ou séparément, ne répondent point
du fait les unes des autres, et que l'on ne doit point dès lors
leur appliquer les articles 1205, 1206, 1207.
257. En outre, le principe qui oblige chacune à toute la
dette reçoit une modification importante par l'effet du bénéfice
de division, introduit dans la législation romaine par l'em-
pereur Adrien, et qui, ayant passé de là dans notre droit,
avec les changements que comporte la marche différente de
notre procédure, est également consacré par le Code.
Ce bénéfice, uniquement introduit en faveur des cautions,
qui peuvent conséquemment y renoncer, a pour objet, en dé-
finitive, de faire répartir le paiement de la dette entre toutes
les cautions solvables, et de procurer ainsi à chacune le moyen
de se libérer, en payant la portion que cette répartition met
a sa charge. Du reste, il n'est point entièrement destructif de
l'obligation in solidum.
La division, en effet, ne s'opère pas de plein droit entre les
cautions-, seulement, chacune d'elles, quoique valablement
actionnée pour le tout, peut exiger que le créancier préalable-
ment, c'est-à-dire avant de la faire condamner pour le tout,
divise son action, et la réduise à la portion virile de chacune.
En outre, comme la division ne doit, en définitive, s'opérer
26i COI RS ANAL1TIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
qu'entre les cautions solvables, au moment où on l'a fait pro-
noncer, les insolvabilités antérieures restent naturellement
à la charge des cautions solvables; par conséquent, celle qui
a fait prononcer la division est, comme les autres, tenue
proportionnellement de ces insolvabilités. Mais comme les
insolvabilités survenues depuis peuvent être imputées a la
négligence du créancier, elles ne donnent nullement lieu à
rechercher cette caution. V. art. 2026.
257 bis. I. Le second bénéfice accordé aux cautions est le béné-
fice de division. C'est encore une dérogation à la rigueur des prin-
cipes en vertu desquels la caution devrait être tenue. Il s'agit, le
nom du bénéfice l'indique, de répartir la dette entre les différentes
cautions. Par conséquent, l'hypothèse réglée par la loi change.
Quand nous parlions du précédent bénéfice, on pouvait supposer un
débiteur et une caution; maintenant il nous faut supposer qu'il
existe un débiteur et plusieurs cautions de ce même débiteur, ce
que la loi appelle quelquefois des cofidéjusseurs.
Pour mieux faire ressortir le caractère de tempérament équitable
qui appartient à tout ce qu'elle appelle des bénéfices, la loi commence
par poser le principe (art. 2025) : chacune des cautions est obligée
à toute la dette. On serait tenté de dire cependant que ce principe peut
paraître une lettre morte à cause de l'article suivant, qui établit le
bénéfice de division, et qu'il eût mieux valu proclamer le principe
de la divisibilité de plein droit de l'obligation entre toutes les
cautions.
Il n'en est rien toutefois, car, dans le système de divisibilité, le
créancier aurait vu ses garanties singulièrement diminuées, ses
chances d'être payé intégralement eussent été en raison inverse du
nombre des cautions, et le luxe de garanties qu'il aurait cherché
lui aurait souvent été préjudiciable; car les obligations des cautions
devenant distinctes, il eût suffi de l'insolvabilité de l'une d'elles
pour que le créancier perdît une part de sa créance, alors même
que dix autres cofidéjusseurs eussent été en élat de payer. La con-
vention, du reste, que fait chacune des cautions, implique qu'elle
s'oblige pour le tout, car chacune d'elles promet de satisfaire à
l'obligation si le débiteur n'y satisfait; or satisfaire, c'est bien
acquitter complètement la dette.
Le texte de l'article 2025 n'est donc pas une lettre morte, parce
T1T. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2026. 265
que sa conséquence est que, malgré le bénéfice de division, les cofidé-
jusseurs répondent de l'insolvabilité les uns des autres, et que le
bénéfice de division a seulement pour effet d'éviter des embarras,
des avances d'argent et des recours.
257 bis. II. La règle est donc que les cautions sont tenues pour
le tout, mais elles jouissent d'un droit spécial établi en Droit romain
par un rescrit d'Adrien, qui s'inspirait des règles du Droit ancien
sur les sponsores et les Jîdepromissores.
Ce droit de la caution consiste à n'être poursuivie, lorsqu'elle l'exige,
que pour sa part virile. Elle n'est pas tenue au reste d'invoquer
ce bénéfice, comme le bénéfice de division, in limine litis; l'article
2026 ne reproduit pas sur ce point la disposition de l'article 2022,
et il n'était pas nécessaire de la reproduire, parce que l'admission
de ce bénéfice n'entraînera pas de lenteur dans la poursuite du
créancier contre la caution, à laquelle il s'est d'abord adressé; il
continuera à la poursuivre au moins pour partie, et de plus la cau-
tion a intérêt à ne pas retarder sa demande de division pour se
décharger au plus tôt du risque de l'insolvabilité des autres cautions,
ainsi que nous le verrons bientôt sur le second alinéa de l'article
2026.
257 bis. III. La combinaison des articles 2025 et 2026 nous
montre entre quelles cautions a lieu la division. Nous rencontrons
sur ce point trois règles : 1° elle a lieu entre les cautions du même
débiteur; 2" entre les cautions solvables; 3° elle n'a pas lieu au
profit de celles qui ont renoncé au bénéfice de division.
Il résulte de la première règle que la division est impossible
entre une caution et son certificateur (fidejussor Jidejussoris). La
dette, en effet, n'est pas la même; par rapporta la caution, la dette
principale, c'est la dette d'une troisième personne, le débiteur cau-
tionné par elle; à l'égard du certificateur, la dette principale, c'est
la dette de la caution; la division ne saurait donc pas plus avoir
lieu entre eux qu'entre l'emprunteur d'une somme et celui qui l'a
cautionné. La même raison exclura la division entre les différents
fidéjusseurs de plusieurs débiteurs solidaires; l'un a cautionné
Pierre, l'autre a cautionné Paul, \h ne sont donc pas cautions du
même débiteur, quel que soit le lien qui puisse unir entre eux
Pierre et Paul.
Le certificateur que nous venons de présenter comme privé du
droit de demander la division avec la caution qu'il a cautionnée
266 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
pourrait invoquer le bénéfice par rapport aux cofidéjusseurs de
cette caution, parce que, garantissant l'obligation de celle-ci, il ne
la garantit que telle qu'elle est, c'est-à-dire qu'il doit bénéficier
des règles de droit qui en atténuent la rigueur.
257 bis. IV. Entre cautions du même débiteur et de la même dette,
la division a lieu alors même que les engagements des cautions
auraient été contractés à des dates différentes. Le texte semble bien
ne pas faire de distinction, et cependant la division se comprend
mieux quand les cautions se sont engagées par le même acte,
parce que alors elles ont toutes compté les unes sur les autres,
sachant qu'elles contractaient toutes l'obligation de garantir une
même dette. Quand les cautionnements résultent d'actes séparés,
accomplis à des dates diverses, on peut prétendre que la première
en date n'a pas compté sur la participation des autres à la charge
du cautionnement, que la seconde a compté sur la première et non
sur la troisième. Néanmoins, nous l'avons dit, la loi ne dislingue
pas; c'est qu'en effet le bénéfice de division n'a pas été créé seule-
ment pour l'avantage des cautions, il a eu pour but de diminuer les
procès en recours, de simplifier les paiements en faisant directe-
ment avancer par chacun la somme qui doit définitivement rester
à sa charge. C'est là un intérêt social que le législateur ménage
d'ordinaire et qui le justifie de n'avoir pas admis la distinction dont
nous venons de parler.
Comment d'ailleurs le Code civil, ami de la simplicité, aurait-il
admis une solution qui demandait autant de calculs de répartition
qu'il y a de fidéjusseurs, puisque par rapport au deuxième fidéjus-
seur il fallait faire une division enlre deux, par rapport au troisième
une division entre trois, par rapport au quatrième une division
entre quatre, etc. ? Sans compter que le premier, qui ne peut pas
demander la division, est compris cependant dans la fixation des
parts des quatre autres; le second, qui ne peut que diviser avec
le premier, est compris dans les répartitions des trois autres, et
ainsi de suite. Il y avait là des difficultés graves que la solution du
Code civil a su éviter.
257 bis. V. Elle n'a pas du reste d'inconvénient sérieux, elle ne
nuit pas au créancier, car s'il est exposé à une demande de division
de la part du fidéjusseur qu'il avait d'abord eu pour fidéjusseur
unique, cela ne peut pas lui préjudicier à cause de la règle qui
répartit la perte résultant d'une insolvabilité entre tous les fidé-
tit. xiv. du cautionnement, akt. 2026. 267
jusseurs solvables, de sorte que tant qu'il en reste un qui est sol-
vable, le créancier est sûr de recevoir son paiement intégral.
257 bis. VI. Si les cofidéjusseurs ne sont pas tous valablement
engagés, si l'un d'eux par exemple est un mineur, la division ne
devra tenir compte que des fidéjusseurs dont les engagements sont
valables; car le droit de demander la division est un bénéfice
fondé sur ce que le créancier ne souffrira pas du fractionnement,
et dans l'hypothèse, ce fractionnement exposerait le créancier à
perdre une partie de sa créance; puisqu'en principe les cautions
doivent chacune tout, elles ne doivent obtenir la division que si
l'intérêt du créancier n'est pas compromis. Il arrivera en pareil cas
à la caution ce qui lui arrive au cas d'insolvabilité de son cofidé-
jusseur (1).
257 bis. VIL La situation ne sera pas la même quand, parmi les
cautions valablement engagées, il en existera quelqu'une dont
l'obligation sera affectée d'un terme ou d'une condition. La caution
qui jouit d'un terme est certainement obligée, cellle qui est tenue
sous condition, si la condition suspensive se réalise, sera considérée
comme ayant toujours été tenue; il en sera de même de la caution
sous condition résolutoire, si la condition vient à défaillir; donc il
y a là des cautionnements valables et dont il faut tenir compte
quand on opère la division. Seulement, il ne faut pas que ces
diverses cautions soient traitées comme des cautions pures et simples,
et il ne faut pas non plus que le créancier soit privé pendant un
certain temps d'exercer son droit en entier, car il a en principe le
droit d'agir pour le tout contre chaque fidéjusseur, et ce droit ne
cède devant le bénéfice de division que quand il n'en éprouve pas
de préjudice sérieux. La caution poursuivie obtiendra donc la divi-
sion entre elle et les autres cautions, en y comprenant celle qui est
obligée à terme ou sous condition suspensive, le créancier ne tou-
chera pas immédiatement la part qui est due par cette dernière
caution, c'est le résultat d'une certaine imprudence qu'il a commise
en acceptant parmi les cautions un débiteur à terme ou sous con-
dition. Seulement, si cette caution est insolvable à l'échéance du
terme ou à l'arrivée de la condition, les autres cautions pourront
être poursuivies pour la part de celle-ci. C'est la solution que
donne Potbier (2), et qui nous paraît très-acceptable en ce qui
(1) V. Pothier, Obligations, n« 424.
(2) Id., ibid., n° 421 in fine.
268 cours analytique de code civil, liv. m.
concerne la caution sous condition; elle a été à tort comprise dans
le calcul, puisque, d'après l'article 1179, elle est censée n'avoir
jamais été obligée. Mais il nous semble qu'on devrait faire une
distinction en ce qui concerne la caution obligée à terme. Si l'on
admet qu'elle entre dans le calcul de la division, sa solvabilité doit
s'apprécier au moment où ce calcul se fait; on l'a comprise comme
caution, et elle l'était en effet, et par conséquent les autres cautions
ne doivent pas souffrir de la confiance que le créancier avait eue
en ce fidéjusseur lorsqu'il lui a accordé un terme.
257 bis. VIII. Nous avons réservé le cas où la caution est obligée
sous condition résolutoire. Il est clair qu'elle est débitrice, comme
les autres cautions, tant que la condition est in pendenti. Donc, on la
comprend dans le calcul, et le créancier peut exiger d'elle sa part;
tout se passe comme si l'obligation était pure et simple; mais si la
condition se réalise, le cautionnement de ce fidéjusseur n'a jamais
existé, il répète ce qu'il a payé, et alors le créancier a une répétition
à exercer contre les autres cautions qui ont été chargées d'une part
de dette inférieure à celle qu'ils devaient supporter d'après le
nombre réel des cautions. Ce recours pourra n'être pas toujours
fructueux pour le créancier, si les cautions sont devenues insol-
vables, mais il s'est sciemment exposé à ce danger en admettant au
nombre des cautionnements un engagement sous condition résolu-
toire.
257 bis. IX. Il faut maintenant nous occuper des conditions aux-
quelles est subordonné l'exercice du droit de demander la division.
Nous avons déjà dit qu'il n'était pas nécessaire d'invoquer le
bénéfice de division in limine litis, l'article 2026 n indique pas le
moment à partir duquel le bénéfice serait perdu, donc il peut être
invoqué en tout état de cause, et en effet, c'est sur le montant
de la condamnation que l'admission du bénéfice doit exercer une
influence, et tant que la condamnation n'est pas prononcée, la division
peut être demandée. Bien plus, la condamnation n'étant pas dé-
finitive quand le jugement est susceptible d'appel, il serait encore
temps de demander la division tant que la condamnation n'est pas
prononcée par le tribunal d'appel (1).
257 bis. X. Quand nous disons que la division peut être deman-
dée en tout état de cause, nous semblons exiger qu'il existe une
(1) V. Polhier, Obligations, n° 425.
TIT. IIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2026. 269
contestation judiciaire, un procès commencé par le créancier. C'est
l'hypothèse ordinaire; la caution ne va pas au-devant des pour-
suites. Cependant on peut comprendre qu'elle cherche elle-même à
régulariser sa position, qu'elle redoute l'insolvabilité future de ses
cofidéjusseurs, qu'elle demande au créancier qui n'agit pas d'ac-
cepter en principe la division qu'il serait obligé de subir s'il agis-
sait. Nous pensons que tel est son droit, toutes les fois qu'elle
peut payer malgré le créancier, c'est-à-dire quand la dette est échue
ou quand le terme n'existe que dans l'intérêt des débiteurs. La
caution a certes dans ces hypothèses le droit de se libérer, et elle
doit pouvoir se libérer en payant ce que le créancier pourrait exiger
d'elle et pas davantage. Or, si le créancier demandait son paiement,
il n'obtiendrait qu'un paiement divisé, la caution a donc le droit de
faire spontanément un paiement divisé. Voici alors comment elle invo-
quera le bénéfice de division : elle fera des offres, et si elles sont
refusées parce que la somme entière n'est pas offerte, elle appuiera
sa demande en validité d'offres sur son droit au bénéfice de divi-
sion.
257 bis. XI. D'après la tradition ancienne, la division doit s'opérer
en tenant compte seulement des cautions qui sont solvables au
temps où elle est prononcée. C'est la doctrine de Pothier, qui dit au
n° 415 [Traité des obligations) que le créancier est tenu, s'il en est
requis, de partager sa demande entre le fidéjusseur poursuivi et ses
cofidéjusseurs, lorsqu'ils sont solvables; c'est aussi ce que nous
trouvons dans les Institutes de Justinien : Compellitur creditor a sin-
gulis, qui modo solvendo sunt litis contestatœ tempore, partes petere (I).
De ce que la solvabilité des codébiteurs est une des conditions du
droit de la caution, nous devons conclure qu'elle doit prouver au
tribunal l'existence de cette solvabilité quand elle demande le béné-
fice de division. C'est encore la doctrine romaine; le bénéfice est
ordinairement invoqué par le moyen de l'exception si non et Mi
solvendo sint; le défendeur doit prouver son exception (2), donc il
doit prouver la solvabilité de ses cofidéjusseurs.
257 bis. XII. Peut-être que les rédacteurs du Code civil ont aban-
donné cette doctrine, car le texte de l'article 2026 est beaucoup
moins précis que les textes du droit romain sur la solvabilité consi-
dérée comme condition du bénéfice de division.
(1) V. Instit., 1. III, t. XX, §4.
(2) V, II. Accarias, t. II, p. 373. ÉdiL 1880.
270 COUHS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
Le premier paragraphe de l'article parle d'une division qui ré-
duira l'action à la part et portion de chaque caution. La condition
de solvabilité n'apparaît pas encore, et si nous n'avions que ce texte,
nous serions autorisé à dire qu'on ne tient aucun compte, et que la
division est faite pro numéro Jidejussorum.
Le second paragraphe songe aux insolvabilités possibles, il ne dit
pas qu'elles aient quelque influence sur la division ordonnée
par le juge, mais il en fait le principe d'un recours, le créancier
aura une action en supplément contre les cautions solvables. Mais
alors, évidemment, devenu demandeur en garantie du dommage
causé par une insolvabilité, il sera obligé de prouver que cette
insolvabilité existait.
Si telle est l'interprétation qu'on peut donner de l'article 2026,
il faut reconnaître que le Code civil a abandonné la théorie romaine
dans un intérêt de simplicité. Il n'a pas voulu qu'une discussion
sur la solvabilité des différentes cautions s'élevât dans le principe.
Il les présume solvables, et la caution obtient la division sans
autre preuve que cette présomption, puis la preuve contraire est
admise contre cette présomption, mais cette preuve est a la charge
du créancier, parce qu'il n'est pas probable que des cautions qu'il
a dû accepter comme solvables aient été insolvables.
Nous inclinons à croire que c'est bien là le système du Gode
civil, car s'il en était autrement, l'article 2026, 2e alinéa, ne pour-
rait pas s'expliquer. Il suppose que la division a été prononcée, donc
il y a eu jugement; si ce jugement a dû statuer sur la solvabilité
des diverses cautions au moment du jugement, comment pourrait-
on alléguer qu'une des cautions était insolvable à cette même
époque, sans méconnaître le principe sur l'autorité de la chose
jugée?
257 bis. XIII. Il est évident que si l'on admet ce système, il faut
reconnaître au créancier le droit de répondre à la demande de divi-
sion par l'allégation d'insolvabilité d'un ou de plusieurs des fidé-
jusseurs. Alors le jugement statuera sur cette question. Mais quand
il n'aura pas été statué sur ce point, le recours fondé sur une insol-
vabilité pourra avoir pour cause toute insolvabilité survenue jus-
qu'au jugement qui a prononcé la division, car jusqu'à ce moment,
si la question s'était posée, le tribunal aurait dû tenir compte de
l'insolvabilité d'une des cautions. Le texte est clair sur ce point, car
il parle des insolvabilités survenues depuis la division et non pas
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2026. 271
depuis la demande de division. Le moment de la demande est ici
sans influence, puisque le jugement ne reconnaît pas un droit pré-
existant dont on peut ainsi faire rétroagir les effets, mais con-
stitue un état nouveau ou une situation nouvelle des diverses
parties.
257 bis. XIV. Nous avons toujours supposé que le bénéfice de
division était invoqué par une des cautions, et nous avons dit que
son effet était de contraindre le créancier à ne demander à cette
caution qu'une certaine part de la dette. Nous n'avons toujours
parlé des autres cautions que pour les faire entrer dans l'opération
arithmétique qui déterminera la part à exiger de la caution qui a
invoqué le bénéfice. Cette opération est une division dans laquelle
le dividende est la somme due au créancier et le diviseur est le
nombre total des cautions.
257 bis. XV. Il faut maintenant examiner quel est, par rapport
aux diverses cautions, le résultat de la division demandée et obte-
nue par l'une d'elles. Nous pouvons d'abord répondre avec certi-
tude que le résultat du jugement qui admet le bénéfice de division
n'est pas un véritable fractionnement de la dette entre tous les co-
fidéjusseurs. Ce jugement est sans effet par rapport aux fidéjusseurs
qui n'ont pas été parties dans l'instance. La règle de l'autorité de
la chose jugée impose cette décision, et l'article 2026 la confirme;
car il indique comme conséquence du bénéfice que chaque caution
peut exiger que le créancier réduise son action à la part et portion
de chaque caution. Une réduction est quelque chose de relatif, c'est
la diminution de la somme demandée à celui qui est poursuivi.
Quant aux autres, ils sont tenus pour le tout (art. 2025), s'ils n'in-
voquent pas le bénéfice de division, on a le droit de les poursuivre
pour le tout. Il est vrai que ce droit peut paraître un peu fictif,
puisque la caution a le droit d'invoquer elle-même le bénéfice de
division en tout état de cause, et qu'il lui sera plus facile de se dé-
fendre ainsi que de prétendre se prévaloir du bénéfice obtenu par
son cofidéjusseur. Cependant, il n'est pas indifférent de décider
que ce fidéjusseur demande pour son compte le bénéfice ou qu'il
profite du bénéfice invoqué par son cofidéjusseur.
257 bis. XVI. D'abord, si le bénéfice obtenu par Pierre divisait
la dette entre Pierre et Paul, son cofidéjusseur, on devrait dire que
quand Paul payera la totalité de la dette dans l'ignorance de la division
opérée, il aura la condictio indebiti; ce qu'il n'aura certes pas dans
272 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
la doctrine qui reconnaît au créancier le droit de lui demander le
tout, sauf à réduire sa demande, si Paul demande la division.
Secondement, quand il s'agira d'appliquer le second alinéa de
l'article 2026, c'est-à-dire de répartir la perte résultant des insol-
vabilités, il n'est pas indifférent que le bénéfice invoqué par l'une
des cautions profite ou ne profite pas aux autres. Exemple : trois
cautions : au moment où la première est poursuivie, elles sont
toutes les trois solvables; la division est demandée par la caution
poursuivie, elle s'opère en prenant pour base le nombre de trois,
cette caution doit payer un tiers : quand on poursuit la seconde, la
troisième est devenue insolvable. Si l'on admet que la division opérée
à la demande du premier fidéjusseur poursuivi a un effet erga omnes,
le second ne devra qu'un tiers, et le créancier supportera le risque
de l'insolvabilité du troisième. Mais si le second fidéjusseur doit,
quand on le poursuit, demander et obtenir un bénéfice de division
spécial, comme l'insolvabilité du troisième est survenue avant cette
division, le calcul se fait d'après le nombre de deux fidéjusseurs,
le troisième ne comptant pas, comme insolvable. Le second est donc
condamné à payer moitié de la dette. Le créancier a touché d'un
côté un tiers, de l'autre une moitié, il n'a pas de recours contre le
premier fidéjusseur, par conséquent il perd la différence entre le
tiers qu'il a reçu du premier et la moitié qu'il devrait avoir reçue
de lui pour que son paiement fût intégral, il perd un sixième, au
lieu de perdre la part tout entière de troisième fidéjusseur, qu'il
perdrait, si la division opérée la première fois avec le premier avait
un effet par rapport au second.
257 bis. XVII. Cette espèce, que nous venons d'examiner, et le
calcul qu'elle nous a conduit à faire, démontrent surabondamment
l'exactitude de notre doctrine sur l'effet purement relatif de la
division. Car c'est évidemment en faisant les calculs que nous
venons de faire que l'article 2026 a dit dans son deuxième alinéa :
Cette caution (celle qui a fait prononcer la division) ne peut
pas être recherchée à raison des insolvabilités survenues depuis
cette division. Texte bien clair, qui n'attribue pas aux autres cau-
tions le bénéfice de la division opérée.
258. De ce qui précède, il résulte que la division ne peut,
au préjudice du créancier, et malgré lui , s'opérer avec une
caution actuellement insolvable-, mais lorsque c'est lui-même
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2026, 2027. 273
qui, volontairement, divise son action, cette conduite de sa
part équivalant a une remise de solidarité, il doit en subir les
conséquences, et ne peut, conséquemment, sous le prétexte
des insolvabilités, même antérieures, revenir contre la divi-
sion une fois consentie. V. art. 2027.
258 bis. I. On peut concevoir de deux manières la division
volontaire de l'action du créancier. Il peut avoir reçu d'une des
cautions le paiement d'une part de la dette correspondant à la
part que cette caution doit supporter d'après l'article 2026;
encore faut-il qu'il ait reçu cette somme avec cette mention que
c'est la part de la caution, sinon on pourrait croire qu'il a consenti
à recevoir un à-compte. Il peut aussi avoir actionné l'une des cau-
tions en ne lui demandant que sa part au lieu de la totalité qu'il
aurait pu demander.
258 bis. II. Dans cette seconde hypothèse, on pourrait être tenté
d'appliquer la disposition de l'article 1211, 3e alinéa, et de permettre
au créancier de rectifier sa demande tant qu'il n'y a pas eu acquies-
cement ou jugement de condamnation. Ce serait l'application de
la règle générale qui permet à toute personne de revenir sur une
manifestation de volonté qui n'a pas été acceptée par la volonté
d'une autre personne ou confirmée par un jugement, parce qu'il
est naturel que ce qui a été fait par la volonté d'un seul puisse être
défait par la même volonté. Cependant, l'article 2027 semble dé-
roger à cette règle, car il n'exige pas que la division volontaire de
l'action ait été suivie de l'un des actes dont parle l'article 1211.
On comprend, du reste, qu'il en soit ainsi, la division de l'action
contre la caution n'a pas le caractère d'abandon d'un droit qui
appartient à la renonciation du créancier à la solidarité; en divisant
son action, le créancier ne fait pas autre chose que ce qu'on le
forcera très-probablement à faire en vertu de l'article 2026. Pour
gagner du temps, il prévient la demande presque certaine du
défendeur; le créancier qui renonce à la solidarité abandonne un
droit dont il est le maître absolu, il se dépouille véritablement, et
voilà pourquoi l'on est plus exigeant quand il s'agit de traiter son
acte comme devenu irrévocable.
258 bis. III. Cette division volontaire, au reste, définitive dans
les rapports entre le créancier et la caution qu'il a poursuivie
n'aura pas plus d'effet que n'en aurait eu la division prononcée par
vin. 18
274 COURS ANALYTIQUE DR CODE CIVIL. LIV. III.
jugement. Elle ne vaut pas par rapport aux autres cautions, elle est
non avenue par rapport aux autres. Il serait antijuridique qu'un
acte de procédure dirigé contre Pierre eût quelque conséquence
pour ou contre Paul. Cette décision est d'ailleurs en harmonie avec
la manière dont nous considérons le fait du créancier; par son
action divisée il n'a pas voulu faire autre chose que ce qu'on l'aurait
contraint à faire s'il avait demandé le tout à une caution qui lui
aurait ensuite opposé le bénéfice de division.
SECTION II.
De l'effet du cautionnement entre le débiteur et la caution.
259. Le fait de l'engagement contracté par la caution pour
le débiteur est, ou l'accomplissement d'un mandat reçu à cet
effet, ou un acte qui constitue le quasi-contrat de gestion
d'affaires. Mandataire ou gérant, la caution a évidemment
droit au remboursement de ses avances (art. 1375, -1999) 5
ainsi la caution qui a payé a son recours contre le débiteur,
qu'elle se soit engagée au su ou a l'insu de celui-ci. V. art.
2028, al. 1.
259 bis. I. Quand nous avons décomposé l'opération complexe
qui établit des rapports entre un créancier, un débiteur et une
caution, nous avons trouvé que la relation juridique qui existe
entre le débiteur et la caution résulte d'un contrat de mandat ou
d'un quasi-contrat de gestion d'affaires; elle doit donc être régie par
les règles qui gouvernent ce contrat ou ce quasi-contrat.
L'affaire, objet du mandat ou de la gestion, est un paiement;
quand elle a été faite, il naît un recours de celui qui l'a faite contre
le mandant ou le dominus negotii, c'est Yactio contraria. L'article
2028 établit le droit à ce recours et donne quelques développements
sur son étendue.
259 bis. IL Ce recours a pour cause un paiement (art. 2028),
nous ajouterons ou tout autre acte équivalent. Ainsi une compensa-
tion invoquée par le fidéjusseur lorsqu'il était poursuivi, une
dation en paiement acceptée par le créancier (i). On s'est même
(1) V. C. C, 18 juin 1876. Sirey, 1876, I, 448.
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2028. 275
demandé si une remise de dette faite avec l'intention de gratifier
la caution pourrait avoir la même force qu'une compensation et
autonser un recours. Nous pensons qu'on ne peut pas trancher
cette question sans lavoir d'abord bien dégagée de toute ambiguïté
et que, quand on aura réduit l'hypothèse à sa plus simple expres-
sion, la solution ne paraîtra pas difficile.
259 bis m. Il est bien certain d'abord qu'il ne peut pas être
question d une rem.se accordée à la caution; elle ne libère pas le
débiteur principal (art. 1287), et celui-ci, n'en ayant pas profité
ne peut être tenu à indemniser de ce chef la caution. Quant à là
remise accordée au débiteur, elle libère bien les cautions mais les
libérant gratuitement, elle paraît une libéralité adressée' à la 'fois
aux débiteurs et aux cautions, et l'on ne voit pas encore le germe
d une action en recours. Les principes du mandat et. ceux de la
gestion d affaire s'opposent à l'admission d'un recours En effet
1 action contraria mandait a pour but de faire recouvrer par lé
mandataire les avances qu'il a faites (art. 1999); l'action contraria
negotiomm gestorum impose le remboursement des dépenses utiles
7 îlTlT qUl °nt été fait6S' mais Ces artic,es> P« P'us que
1 article 2028, ne supposent la possibilité d'une action en répétition
de ce qui aurait pu être payé si le créancier l'avait exigé
259 bis IV. Il est vrai qu'on suppose l'intention formelle du
créancier de gratifier la caution du montant de la créance, en l'au-
torisant a poursuivre le débiteur. Mais alors il nous paraît que tout
simplement le créancier et la caution ont mal qualifié leur acte
Ce n'était pas une remise faite in rem, car une remise in rem libère
ie débiteur; le créancier n'a pas pu le libérer et céder ses actions
contre lui; ce n'était pas, nous l'avons dit, une remise en faveur
de la caution seule. C'était une cess.on de créance faite à titre de
remise. Si l'intention qu'on suppose est clairement démontrée l'acte
ne saurait être qu'une cession de créance. La qualification inexacte
qu'on lui a donnée est indifférente, il faut le juger d'après ce qu'il
est et non d'après ce que les parties en ont dit. La conséquence de
cela, c'est que l'article 2028 n'est plus applicable, et que l'action de
la caution est l'action même qui appartenait au créancier cédant
Mais aussi il faut bien remarquer que l'acte dont nous parlons
ne peut résulter valablement d'une convention entre le créancier
et le débiteur principal; l'accord de ces deux volontés suffirait pour
une vraie remise qui profiterait indirectement à la caution, mais
18.
276 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
une donation faite à la caution ne peut résulter que d'une conven-
tion entre le créancier donateur et la caution donataire. Nous ne
parlons pas des formalités auxquelles un pareil acte pourrait être
assujetti, ni des règles sur la capacité, sur le rapport et sur la
réduction dont il faut tenir compte, puisqu'il s'agirait d'une libé-
ralité.
260. L'indemnité du mandataire ou du gérant devant
comprendre toutes les espèces de dépenses qui concernent
l'affaire dont il a été chargé, il est clair que le recours a lieu
pour le principal, les intérêts et les frais 5 et toutefois, le
principe ne s'appliquant pas aux dépenses provenant de la
faute du mandataire ou gérant (art. 1374, 1375, 1999), le
recours ne doit point comprendre les frais que la caution
aurait pu éviter; la loi considère comme tels ceux qu'elle
aurait faits avant de dénoncer au débiteur les poursuites diri-
gées contre elle, poursuites que le débiteur aurait peut-être
fait cesser, s'il en eût été informé. V. art. 2028, al. 2.
261. Le mandataire, d'ailleurs, ayant droit a indemnité
pour les perles qu'il a essuyées à l'occasion de sa gestion (art.
2000), et ce principe étant nécessairement commun au gérant,
la caution a aussi recours pour les dommages-intérêts s'il y a
lieu. V. art. 2028, al. 3-, v., à ce sujet, art. 1153.
26i bis. I. Le montant des réclamations de la caution est indiqué
en détail par l'article 2028, dont l'idée dominante est que la cau-
tion qui a payé ne doit ni rien perdre ni rien gagner.
Elle obtiendra donc la restitution du capital qu'elle a payé et
aussi des intérêts qu'elle a acquittés à la décharge du débiteur,
c'est-à-dire des intérêts échus de ce capital dont on a pu exiger
d'elle le paiement dans les circonstances que nous avons énumérées
plus haut.
261 bis. II. Si la caution n'a payé que le principal. Elle aura le
droit d'exiger les intérêts de cette somme à partir du jour du paie-
ment, au moins quand elle a cautionné en vertu d'un mandat du
débiteur, l'article 2001 lui confère certainement ce droit. Mais, si
elle n'a agi qu'en qualité de gérant d'affaires, elle ne trouvera pas
ce droit-là dans les principes qui régissent le quasi-contrat de
gestion d'affaires. L'article 2001 n'est pas applicable au gérant d'af-
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2028. 277
faires (1). Peut-être peut-on dire que notre article 2028 a étendu
exceptionnellement les règles du mandat à la gestion d'affaire,
quand l'affaire est un cautionnement. Mais le texte de l'article 2028
ne nous paraît pas bien précis sur ce point, d'abord parce que les
intérêts dont il parle peuvent être ceux que la caution a payés,
et secondement parce que s'il vise les intérêts futurs, il peut subor-
donner leur cours aux règles générales de la matière (art. 1153),
d'où il résulterait que la caution aurait droit aux intérêts, sauf à les
faire courir par une demande, à moins de se trouver dans un de
ces cas prévus par l'article 1153 où les intérêts courent de plein
droit, c'est le cas réglé par l'article 200J.
261 bis. III. Quant aux intérêts payés par la caution en l'acquit
du débiteur, ils produiront des intérêts ou de plein droit ou en
vertu d'une demande, suivant la distinction que nous venons de
faire entre le cas de mandat et celui de gestion d'affaires, car ils
sont pour la caution un capital payé, par conséquent une avance qui
doit ou peut produire des intérêts. Il n'y aurait pas ici à se préoc-
cuper des règles qui prohibent l'anatocisme, car l'article 1155 a
précisément mis hors de ces prohibitions les intérêts d'intérêts payés
par un tiers au créancier en l'acquit du débiteur.
261 bis. IV. L'article s'occupe ensuite des frais payés par la cau-
tion ; en principe elle doit les recouvrer, puisqu'elle doit être tenue
indemne; seulement il faut qu'elle ne les ait pas occasionnés par
sa faute, par conséquent elle ne peut pas demander les frais qu'elle
a faits ou que le créancier a faits contre elle avant qu'elle ait pré-
venu le débiteur par une dénonciation des poursuites. Le débiteur
pourrait en effet alléguer que, prévenu à temps, il aurait trouvé
moyen d'arrêter les poursuites et d'éviter des frais.
Si telle est la raison de l'article, il est bien clair que la caution peut
également répéter les frais de la première poursuite dirigée contre
elle, car elle ne pouvait pas les éviter, et elle ne pouvait pas en avertir
la caution avant qu'elle fût faite. Elle répétera aussi, parles mêmes
raisons, les frais delà dénonciation. Si l'on faisait difficulté d'admettre
ces décisions, la caution rentrerait toujours dans les déboursés qu'elle
aurait faits pour ces deux causes, en vertu de la décision finale
de l'article qui lui reconnaît le droit à des dommages et intérêts.
261 bis. V. La loi attribue en effet à la caution qui a payé, le
(1) V. t. V, n°354i«. II.
278 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
droit de demander au débiteur des dommages et intérêts, s'il y a
lieu, c'est-à-dire si elle a éprouvé des dommages en dehors de
ceux que prévoient les deux premiers alinéas de l'article 2028.
On citait autrefois, comme exemple très-notable de dommage subi
par la caution, le préjudice résultant de la contrainte par corps
exercée contre elle. La contrainte par corps est abolie en matière
civile depuis 1867. Il nous faut prévoir d'autres événements;
la caution, par exemple, aura été saisie et ses biens vendus dans
de mauvaises conditions, ou bien cette saisie aura nui à son
crédit. Dans ces cas et d'autres semblables, elle aura droit à des
dommages et intérêts alors même que la créance principale est une
créance de somme d'argent; car l'article 1153 a annoncé sur ce
point une exception établie par le titre du cautionnement à sa règle
la plus importante, c'est-à-dire à la réduction aux intérêts légaux
des dommages et intérêts en matière de somme d'argent (1).
261 bis. VI. Dans un cas particulier, la caution n'aurait pas le
recours contre le débiteur accordé par l'article 2028; c'est quand
elle aura cautionné malgré le débiteur, hypothèse peu probable,
qu'on ne doit pas par conséquent supposer, mais qui peut se
présenter, quand le débiteur aura expressément manifesté son
opposition. Nous dirons alors qu'il n'y a ni mandat, ni gestion d'af-
faire, et c'est pour cela que l'article ne sera pas applicable. Cependant
il ne faudra pas que le débiteur s'enrichisse au détriment de la
caution, dès lors celle-ci aura une action fondée sur le profit qu'elle
aura procuré à ce débiteur. Elle pourra donc répéter ce qu'elle aura
payé, soit comme capital, soit comme intérêts échus, mais elle
n'aura pas droit aux intérêts de ses avances tant qu'elle n'aura pas
formé une demande en justice (art. 1 153), elle n'aura pas droit à
des dommages-intérêts, et elle ne pourra pas réclamer les frais faits
contre elle-même, car ils sont la conséquence de la fidéjussion, et la
fidéjussion a eu lieu malgré le débiteur, donc le fidéjusseur s'est
volontairement exposé à cette perte sans profit pour le débiteur (2).
262. Outre ce recours, la caution jouit naturellement de la
subrogation légale accordée à tous ceux qui, étant tenus
avec d'autres ou pour d'autres au paiement de la dette, avaient
intérêt de l'acquitter (art. 1251-3°). V. art. 2029.
(1) V. t. V, n° 70 lit. III.
(2) V. t. V, n° 349 bit. IV.
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. AKT. 2028, 2029. 279
262 bis. I. L'action fondée sur la subrogation ne fait pas double
emploi avec l'action mandali ou negotiorum gestorum contraria. Elle est
plus et moins avantageuse que celle-ci. Plus avantageuse en ce qu'elle
donne au fidéjusseur les garanties, gage, antichrèse, hypothèque
qu'avait le créancier. Elle est moins avantageuse, car elle ne pro-
cure à la caution que ce qu'elle a déboursé et ne comprend ni les
intérêts à partir du paiement, ni les frais, ni les dommages et intérêts.
De plus, la créance de la caution subrogée se prescrira par le même
dél.ii que la créance principale, tandis que l'action de mandat ou
de gestion d'affaire sera soumise à une prescription propre, qui
commencera seulement à courir de jour où soit le mandataire, soit
le gérant aura fait des avances.
262 bis. H. Les deux actions qui appartiennent à la caution
contre le débiteur principal peuvent être intentées en même temps,
et dès lors il peut paraître puéril de les distinguer avec autant de
soin et de répartir entre chacune d'elles les effets qu'elles produiront
par leur réunion. Ce n'est là qu'une apparence. Ce cumul des deux
actions n'est possible que contre le débiteur; mais dès qu'on agit
contre des tiers, ce n'est plus l'action mandati ou negotiorum ges-
torum qui peut être intentée, ce n'est que l'action fondée sur la subro-
gation, et la conséquence de la distinction est que, contre ces tiers,
la caution ne peut pas demander les intérêts, les frais, les dommages
et intérêts, ni profiter de la prolongation du délai de prescription
que lui procure l'action mandati ou negotiorum gestorum quand elle
l'exerce.
262 bis. III. C'est aussi parce que les deux actions ne se con-
fondent pas que nous pouvons donner action contre les tiers au fidé-
jusseur qui s'est obligé malgré le débiteur. Obligé avec celui-ci, il se
trouve dans la catégorie des personnes à qui l'article 1250-3° donne
la subrogation légale, il peut donc agir même contre les tiers,
mais dans les limites que nous venons d'assigner à celui qui s'ap-
puie sur la subrogation.
262 bis. IV. La caution subrogée en vertu de l'article 1231-3° et
de l'article 2029 est substituée aux droits du créancier, non-seule-
ment contre le débiteur, mais contre les tiers. Elle aura donc
incontestablement, si la dette est garantie par une hypothèque, le
droit de préférence qui appartenait au créancier, c'est-à-dire le droit
de se faire colloquer hypothécairement au rang qui appartenait à
ce créancier. Mais l'hypothèque comprend virtuellement un autre
280 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. 111.
droit, le droit de suite, le droit d'agir hypothécairement contre les
tiers détenteurs de l'immeuble ou des immeubles hypothéqués à la
dette. Sur le point de savoir si ce droit de suite appartient à la cau-
tion, il est né des doutes résultant de la comparaison qu'on est
tenté de faire entre ces deux personnes, le tiers détenteur et la cau-
tion, toutes deux tenues d'une dette qui leur est étrangère, toutes
deux subrogées, quand elles ont payé, dans les droits du créancier,
c'est-à-dire le tiers détenteur subrogé contre la caution, si c'est lui
qui a payé, la caution subrogée contre le tiers détenteur, si le paie-
ment a été fait par elle (art. 1251-3°;. La difficulté qui naît de la
coexistence de ces deux droits qui se combattent l'un l'autre, a été
examinée sur l'article 1251, où nous avons donné les raisons qui
nous conduisent à préférer la caution au tiers détenteur (1).
263. Si le cautionnement a eu lieu pour plusieurs débiteurs,
la caution a naturellement son recours contre chacun d'eux;
et si ces débiteurs sont solidaires, le recours a lieu contre
chacun pour le tout. Cette décision qui, au cas de mandat,
s'expliquerait par le principe de solidarité légale entre les
mandants (v. art. 2002), se justifie dans tous les cas par ce
molif, que chaque débiteur solidaire a été libéré pour le tout
par le paiement que la caution a fait. Du reste, comme c'est
uniquement de la personne qu'elle a cautionnée que la cau-
tion est mandataire ou gérant d'affaires, la décision ne s'ap-
plique qu'au cas où la caution est intervenue pour tous les
débiteurs. V. art. 2030.
263 bis. Dans l'hypothèse contraire à celle de l'article, c'est-à-
dire quand le fidéjusseur n'a cautionné qu'un des codébiteurs soli-
daires, il aura certes recours pour le tout contre celui-ci, mais il
ne pourra agir contre les autres que pour leur part, car il n'est ni
leur mandataire ni leur gérant d'affaires; de plus, il n'est pas subrogé
dans les droits du créancier, puisqu'il n'était pas tenu avec eux,
mais seulement avec l'un d'entre eux. Serait-il subrogé légalement
dans les droits qu'aurait eus le débiteur qu'il a cautionné s'il avait
payé? Non, par deux raisons : la première, c'est que cette caution
n'ayant pas payé n'a pas de droits dans lesquels quelqu'un puisse être
subrogé de son chef; la seconde, c'est que la subrogation légale
(1) V.L V, n° 197 bis. X.
T1T. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2030, 2031. 281
consiste dans la substitution de celui qui paie dans les droits du créan-
cier qui est payé, et le codébiteur solidaire n'est pas un créancier
payé. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que le débiteur pour
qui la caution s'est obligée, ayant procuré au prix d'un engagement
qu'il a contracté la libération des autres codébiteurs, a contre ceux-
ci un recours divisé en vertu de l'article 1214, et dans ces limites
garanti par la subrogation, article 1251, que dès lors ce recours
pourra être exercé par la caution en vertu de l'article 1166. Mais
on peut voir comme ce recours diffère de celui qui serait protégé
par la subrogation, puisqu'il expose la caution à un concours avec
tous les autres créanciers du codébiteur cautionné par elle.
264. Le droit du mandataire au remboursement de ses dé-
penses n'étant indépendant de l'utilité effective de la dépense,
que lorsqu'il n'y a aucune faute a lui imputable (art. 1999,
al. 2), et la bonne administration étant plus particulièrement
encore la condition de l'indemnité du gérant (art. 1375), tout
paiement fait par la caution ne lui assure pas son recours.
Ainsi, comme il y aurai i, en général, faute de la part de
la caution qui n'avertirait pas le débiteur du paiement par
elle l'ait, et l'exposerait ainsi a payer une seconde fois, cette
faute, si elle a eu ce résultat, doit faire refuser a la caution
la répétition d'une dépense qui se trouve par événement
n'être pas utile, ou dont l'utilité du moins se borne a l'action
en répétition contre le créancier. Le recours de la caution ne
pourrait donc tendre qu'a se faire céder celte action, qui,
dans la rigueur des principes, compète au débiteur (v. Ulp.,
L. 29, § 3, D. mand.). Mais notre loi arrive plus directement
a ce résultat, en privant la caution de tout recours, et lui
accordant à elle-même l'action en répétition. V. article 2031,
al. 1.
Pareillement, la caution doit évidemment être privée de
recours, lorsque, par sa faute, elle a payé une dette déjà
éteinte h mais la caution peut n'être pas en faute, si dans
l'ignorance des moyens que le débiteur avait pour faire dé-
clarer cette extinction, elle avait payé pour se soustraire à des
poursuites dirigées contre elle (v. pourtant art. 2028, al. 2).
282 COUHS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
Elle ne serait certainement pas en faute, si, payant même
volontairement, elle en avait donné 'préalablement avis au
débiteur, qui aurait pu alors lui faire connaître ces moyens.
Ce n'est donc qu'autant qu'elle a payé sans être poursuivie et
sans avoir averti le débiteur, que le recours lui est en général
refusé. Il est évident, du reste, que dans ce cas, il lui reste
une action en répétition contre le créancier. V. art. 2031, al.
dernier.
264 bis. I. Dans l'Iiypothèse prévue par le 2* alinéa de l'article, la
faute de la caution consiste à avoir payé sans être poursuivie et
sans donner avis du projet de paiement au débiteur principal. Si
des poursuites avaient été commencées contre la caution, il paraît
bien résulter a contrario de la décision donnée par la loi que la cau-
tion n'a pas à prévenir le débiteur. Elle est pressée de se soustraire
aux poursuites et elle a hâte de satisfaire le créancier, le temps lui
manque pour donner avis au débiteur. Il faudrait toutefois se
garder de généraliser cette décision et de l'appliquer à toutes les
hypothèses possibles. Ainsi, quand la poursuite consiste en une
citation en justice, appliquer la disposition de la loi, c'est se mettre
en opposition avec la théorie sur la garantie, telle qu'elle nous est
montrée par l'article 1640. L'acheteur garanti qui se défend sans
appeler son garant s'expose à ne pas triompher ensuite dans l'action
en garantie, si le vendeur démontre qu'il existait des moyens suffi-
sants pour faire repousser la demande. Le fidéjusseur aussi est un
garanti, pourquoi pourrait-il en défendant seul et surtout en cédant
à l'action, priver le garant du droit de faire valoir les moyens qui lui
appartiennent pour repousser la demande? La caution doit appeler
en cause le débiteur principal, c'est pour ces hypothèses qu'est
créée l'exception dilatoire de garantie (art. 175, C. Pr.); en l'oppo-
sant, le fidéjusseur obtiendra le temps nécessaire pour appeler son
garant, et il est vraiment coupable de renoncer à ce bénéfice qui
protégerait le débiteur.
264 bis. II. Au contraire, la poursuite peut être plus menaçante
qu'une citation en justice, et c'est probablement à ce genre de pour-
suites qu'a songé l'article 2031. Si la caution est poursuivie en
vertu d'un titre exécutoire, soit qu'elle ait contracté son engagement
par acte notarié, soit qu'elle ait déjà été condamnée peut-être con-
jointement avec le débiteur principal et qu'on la poursuive en vertu
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. AiiT. 203!, 2032. 283
de ce jugement, il n'y a pas de temps à perdre, pas d'exception
dilatoire; à peine de saisie dans un délai très-bref, il faut s'exécuter.
Alors on comprend que la caution effrayée n'avertisse pas le créan-
cier, et que le Gode ne lui impute pas à faute ce défaut d'avertisse-
ment.
265. Si le recours est quelquefois refusé a la caution qui a
payé, il peut, au contraire, être quelquefois accordé a celle
qui n'a pas encore payé. En etlet, pour que le mandataire ou
le gérant ait droit à indemnité, il n'est point toujours néces-
saire qu'il y ail eu de sa part avance consommée (v. art. 1375,
1998).
A cet égard, il faut d'abord reconnaître que rengagement
de payer pour le débiteur n'est contracté par la caution
qu'envers le créancier. Au contraire, entre la caution et le
débiteur, il est tacitement entendu que la caution n'intervient
que pour rassurer le créancier, et que le débiteur ne la lais-
sera pas contraindre au paiement. Aussi a-t-on toujours tenu
qu'il sulïisait a la caution d'être condamnée pour agir en re-
cours (Diocl. et Max., L. 10, Cod.; MarcelL, L. 38, § 1, D.
mand.). Bien plus, dans la pratique française, que notre Code
a consacrée, la caution pour agir n'a pas besoin d'attendre la
condamnation; il lui suffit d'être poursuivie. V. art. 2032-1°.
La caution, dans tous les cas, ne s'engageanl que dans
l'espoir d'un recours utile, ne peut être tenue d'en différer
l'exercice, lorsque l'état de faillite ou de déconfiture du débi-
teur la menacerait de le perdre, si elle n'agissait actuelle-
ment. V. art. 2032-2°-, L. 10, Cod.; 38, § 1, D. mand.
En outre, la convention tenant lieu de loi, il est clair que
le recours doit être ouvert lorsqu'il a été, expressément ou
tacitement, convenu que la caution ne demeurerait pas obligée
au delà d'un certain temps, et que ce temps est arrivé (art.
2032-3° et 4°-, L. 10, Cod , mand.).
Il y a convention expresse, lorsque le débiteur s'est for-
mellement obligé a rapporter la décharge au bout d'un cer-
tain temps. V. art. 2032-3°.
Il y a convention tacite, par cela seul que la dette prin-
284 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
cipale a été contractée à terme; car la caution doit avoir
entendu qu'elle ne demeurerait pas obligée au delà de ce
terme. V. art. 2032-4°.
Enfin, en l'absence même de toute convention, on ne sup-
pose pas que la caution ait voulu demeurer indéfiniment
obligée : ainsi, après un long espace de temps, le recours
doit lui être ouvert (L. 38, § 1, D. mand.); le Code fixe à
dix ans ce long espace de temps. Mais bien entendu que
cette règle ne s'applique qu'au cas où l'obligation principale
n'avait pas de terme fixe d'échéance; car la caution serait
toujours censée avoir consenti à s'obliger jusqu'à l'échéance.
Par la même raison, la règle cesse encore lorsque, indépen-
damment de tout terme stipulé, l'obligation principale est de
nature a ne pouvoir être éteinte avant un temps déterminé.
V. an. 2032-5°.
265 bis. I. Si la caution peut agir quelquefois avant d'avoir payé,
c'est la conséquence du mandat ou de la gestion d'affaires qui a
été le point de départ du contrat de cautionnement. La caution n'a
pas entendu s'obliger à titre principal, le débiteur devait payer.
Il doit donc non-seulement l'indemniser quand elle a souffert un
préjudice comme lorsqu'elle a elle-même acquitté l'obligation ou
lorsqu'elle a été saisie, mais encore il doit la protéger contre
toute inquiétude, contre tout danger imminent. Le paragraphe 4
de notre article ne laisse pas de doute sur cette obligation du débi-
teur, puisqu'il le considère comme obligé envers la caution unique-
ment parce que la dette est échue. Certes la caution n'a rien encore
déboursé, elle n'est pas poursuivie, mais le terme étant arrivé, elle
peut craindre les exigences du créancier, il y a pour elle péril
imminent, et contre cette éventualité elle a droit à une protection.
265 bis. II. L'action qui lui appartient en pareil cas est nommée
par Pothier action en indemnité, et le Gode s'approprie cette manière
de parler quand il écrit : la caution peut agir contre le débiteur
pour être par lui indemnisée. Cette expression est certainement
détournée de son sens habituel, puisqu'on entend ordinairement
par indemnité la réparation d'un dommage éprouvé, tandis que nous
songeons ici à un dommage futur et incertain (damnum in/ectum).
Le tidéjusseur demande une protection contre ce dommage possi-
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2032. 285
ble, il agit préventivement, ce qu'il demande en réalité, c'est d'être
libéré de son obligation, il veut que le débiteur trouve un moyen
de le dégager et de le soustraire par là au péril des poursuites
futures.
L'indemnité que le débiteur doit procurer à la caution consiste à
prendre des mesures pour que le fidéjusseur soit sur d'être in-
demne, c'est-à-dire de ne pas subir un dommage. Ce résultat sera
obtenu si le débiteur paye, ou bien s'il obtient conventionuellement
du créancier la libération de la caution, enfin s'il dépose les fonds
nécessaires au paiement à la caisse des consignations. Il ne peut
être question de lui imposer le dépôt de ces fonds entre les mains
de la caution, car il pourrait arriver, si la caution devient insol-
vable, sans avoir payé, que le débiteur se trouvât contraint à faire
un double déboursé.
26o bis. III. L'article énumère cinq cas dans lesquels la caution
peut agir contre le débiteur principal, bien qu'elle n'ait pas payé.
Dans le 1er cas le danger est évident et imminent.
Dans le 2e cas on comprend bien que la caution, quoiqu'elle n'ait
pas perdu le bénéfice du terme à raison de la faillite ou de la décon-
fiture du débiteur, ait intérêt à agir, puisque son recours pour le
cas où elle paierait est singulièrement compromis par la situation
notoire du débiteur principal. Mais ce qui n'apparaît pas aussi faci-
lement, c'est ce que la caution pourra obtenir par son action en
indemnité. Elle ne saurait en effet, sous prétexte d'assurer sa créance
éventuelle contre le débiteur, se présenter à la répartition des
valeurs appartenant au débiteur failli ou en déconfiture concurrem-
ment avec le créancier; celui-ci demande probablement son paie-
ment, il est colloque pour un dividende, et si la caution était
également colloquée, le même créancier serait compris deux fois
dans les répartitions au grand détriment des autres créanciers.
Tout ce que la loi a voulu dire, c'est que la caution, si le créan-
cier ne se présente pas aux répartitions, pourra se présenter
elle-même et être colloquée, sauf évidemment à ne pas toucher
le montant de cette collocation tant que le créancier n'est pas payé.
N'oublions pas, en effet, que l'action de la caution a pour but non
de lui faire toucher une somme d'argent, mais de lui procurer
autant que possible une assurance contre l'attaque future que le
créancier dirigera contre elle. Elle est garantie suffisamment par
le dépôt à la caisse des consignations, et elle n'a pas plus qu'elle
286 COUKS ANALYTIQUE DE CODK CIVIL. LIV. III.
ne doit avoir, puisqu'elle ne touche pas le montant de sa collocation.
Il est clair, du reste, qu'elle n'est pas complètement assurée contre
les poursuites, mais cela tient à la faillite ou à la déconfiture du
débiteur contre qui, exerçant une action pour obtenir une somme
qui la garantisse complètement, elle ne peut effectivement pré-
tendre à autre chose qu'à un dividende.
265 bis. IV. Le danger, dans le 3e cas prévu, n'est peut-être pas
aussi grave que dans les deux premiers, car le créancier n'agit pas
et le débiteur est solvable, mais il y a une promesse spéciale sur
ce point, le débiteur a promis que le fîdéjusseur serait libéré à une
certaine époque. Cet engagement a engendré une obligation de
faire dont l'exécution peut être exigée.
263 bis. V. La quatrième hypothèse se rapproche de la précé-
dente, l'engagement de libérer à une certaine époque n'a pas été
contracté expressément, mais tacitement, car on peut facilement
supposer, la dette principale étant à terme, que le débiteur a
manifesté l'intention de payer au terme et que la caution a entendu
qu'il en serait ainsi.
Nous verrons du reste, à l'article 2039, que la volonté du créancier
qui donnerait un nouveau délai ne détruirait pas le droit qu'a la
caution d'être libérée à l'époque fixée par la convention première.
265 bis. VI. Le 5e paragraphe de l'article suppose que l'obligation
n'a pas de terme fixe d'échéance. Elle résulte par exemple d'un
prêt sans terme, le créancier, par conséquent, ne peut pas inquiéter
le débiteur. Quant à la caution, il est difficile d'admettre qu'elle ait
consenti à rester liée à l'obligation d'autrui pendant un temps
indéfini. On peut bien présumer qu'il est intervenu une convention
tacite entre elle et le débiteur, par laquelle celui-ci s'est engagé à
lui procurer sa libération après un certain temps. Par là, notre
5e paragraphe se rattache au précédent et se présente comme une
conséquence du troisième. La loi fixe à dix ans le terme que le dé-
biteur et le fîdéjusseur ont dû assigner à l'engagement de celui-ci.
265 bis. VIL Nous javons présenté comme exemple du fait prévu
par l'article 2132, 5% le cas d'un prêt sans terme, nous pouvons
assimiler à cette espèce celle où l'obligation principale serait l'obli-
gation d'un débiteur de rente perpétuelle. On discutait autrefois
sur ce point, mais Pothier concluait, en s'appuyant sur la pratique,
à l'application du principe au cas de rente, parce que, bien que la
rente soit perpétuelle et que le débiteur, dans ses rapports avec le
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2032, 2033. 287
créancier, ne soit jamais tenu au remboursement du capital, on
peut bien admettre, puisqu'il a toujours la faculté de racheter, qu'il
s'est engagé envers la caution à en user dans un certain délai
pour la libérer (1).
265 bis. VIII. L'obligation principale a peut-être une durée défi-
nie, elle ne peut pas s'éteindre avant un certain temps, mais elle
doit s'éteindre à cette époque; alors la caution n'est pas obligée in
perpetuum, et par conséquent il n'y a pas de raison pour venir à
son secours par la détermination arbitraire d'un délai comme le
délai de dix ans. Secondement, elle est dans la position d'une caution
qui a cautionné une obligation dont le terme est supérieur à dix ans
et qui a accepté ainsi d'être liée pendant quinze ou vingt ans.
Enfin, l'obligation principale ne pouvant pas être exécutée par le
débiteur avant l'époque fixée, il serait impossible à ce débiteur de
procurer à la caution sa libération. Voilà les raisons de l'exception
que l'article 2132 5° fait à la règle qu'il a d'abord posée.
Cette exception embrasse, par exemple, le cas du cautionnement
d'une tutelle. Cas rare de nos jours, puisque la loi n'impose pas
aux tuteurs l'obligation de donner caution; on peut toutefois sup-
poser que le tuteur a consenti à fournir cette garantie. La tutelle a
une fin naturelle, c'est la majorité du mineur, de plus elle ne peut
pas finir plus tôt par la volonté du débiteur, par conséquent il serait
injuste de donner à la caution le droit de demander que le tuteur
lui procure sa libération.
Nous dirons la même chose de la caution du débiteur dune rente
viagère, de celle d'un usufruitier, d'un mari pour la restitution de
la dot. Enfin on appliquera la règle de l'article 2032 in fine à la
caution du débiteur d'une rente qu'on aura déclarée irrachetable
pendant un temps qui peut être de trente ans au plus, d'après l'ar-
ticle 5*30 du Code civil.
SECTION III.
De l'effet du cautionnement entre les cofidéjusseurs.
266. Le cautionnement de la même dette par plusieurs ne
constitue immédiatement entre les cofidéjusseurs ni contrat
(!) V. Pothier, Obligations, n° 443.
288 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
ni quasi-contrat-, mais l'acquittement par un seul de la dette
dont ils étaient tous tenus, forme, dans notre droit, une sorte
de quasi -contrat, reposant sur le principe d'équité qui ne
permet a personne de s'enrichir aux dépens d'autrui. De ce
quasi-contrat naît une action en recours, dont chaque caution
est naturellement tenue pour sa part.
Ce recours de la caution contre ses cofidéjusseurs n'étant
fondé que sur l'avantage qu'elle leur a procuré a ses dépens,
il faut, pour y donner lieu, non-seulement qu'il y ait eu paie-
ment, mais que ce paiement ait été fait en temps opportun.
Le paiement, au reste, est censé fait en temps opportun,
lorsque la caution était poursuivie, ou lorsque, ayant juste
sujet de prétendre à sa décharge, elle a pu, si le débiteur ne
la lui fournissait pas, chercher a se la procurer en payant; ce
qui comprend exclusivement les cas où nous avons vu la
caution autorisée par la loi à agir contre le débiteur avant
d'avoir payé. V. art. 2033, et à ce sujet, art. 1214-, voyez, au
surplus, art. 1251-3» et 1252.
266 bis. I. Nous avons jusqu'ici supposé une caution unique
garantissant la dette principale. Les rapports se compliquent quand
il y en a plusieurs. Existe-t-il entre elles un lien de droit qui les
associe en quelque sorte à une affaire commune qui serait le paie-
ment de la dette? Le droit romain n'admettait pas l'existence de
ce lien entre personnes qui n'avaient pas contracté les unes avec
les autres, et qui n'étaient même pas dans les rapports de nego-
tiorum gestor et de dominus, quand l'une d'elles avait payé la dette,
parce que celle-ci avait agi pour elle à raison de l'obligation dont
elle était tenue et non pas pour l'autre fidéjusseur. Ils donnaient
seulement au fidéjusseur qui payait le droit de se faire céder les
actions du créancier, et par suite de la cession il avait action contre
ses cofidéjusseurs.
Pothier constate que dans l'ancien droit le fidéjusseur qui a payé
a un recours contre ses cofidéjusseurs, et il fonde ce recours sur
l'équité qui ne permet pas que ceux qui étaient tenus comme lui
de la dette profitent à ses dépens du paiement qu'il en a fait. C'est,
dit-il, la même raison d'équité qui a fait admettre le bénéfice de
division, et qui, une fois la dette payée, sera la cause d'un recours.
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2033. 289
alors même que la caution n'aurait pas eu droit au bénéfice de
division (1).
266 bis. II. Le Code civil admet certainement la doctrine de
Pothier, puisqu'il établit nettement le droit de recours de la caution
qui a payé contre les autres. D'un autre côté, il a reconnu dans les
articles 12ol-3° et 1252 que la subrogation légale existe en faveur
des cautions contre leurs cofidéjusseurs. Or, l'article 2033 est abso-
lument indépendant de l'article 1251, il ne le rappelle pas dans ses
termes, il laisse de côté les effets spéciaux de la subrogation, par
conséquent il n'est pas une pure application de cet article, il con-
sacre un droit distinct de celui qui résulte de la subrogation. Nous
avons donc ici, comme sur l'article 2028, à distinguer deux actions,
l'une qui est l'action ncgotiorum gestorum utilis, dont parle Pothier,
l'autre l'action du créancier qui passe par la subrogation légale au
fidéjusseur comme elle lui passait en droit romain par la cession
d'actions.
266 bis. III. Parlons d'abord de l'action qui résulte du texte de
l'article 2033. Elle ne peut être intentée que dans les cinq cas
prévus par l'article 2032, c'est-à-dire quand la caution qui a payé
a eu juste sujet d'acquitter l'obligation. La loi qui lui donne une
action fondée sur l'équité ne veut pas qu'elle puisse, par sa préci-
pitation, hâter le moment où les autres cautions auraient été
obligées de payer à la requête du créancier. La juste cause du
paiement n'est pas la même dans les diverses hypothèses, et il
nous faut les examiner successivement pour apprécier le motif
spécial qui a déterminé dans chaque cas les décisions du législateur.
266 bis. IV. Dans le 1" cas, la chose est claire, le fidéjusseur
était poursuivi, il ne pouvait pas éviter de payer. Dans le 4e, quand
la dette est échue, il est exposé à des poursuites, et l'on comprend
qu'il les prévienne pour ne pas se trouver dépendant du caprice du
créancier. Dans le 2% on ne suppose pas qu'il soit poursuivi, mais
les poursuites sont imminentes, et dans tous les cas il agit au mieux
des intérêts de tous les liJéjusseur», car il paie pour produire à la
faillite et diminuer, en recevant un dividende, le chiffre de la dette
à répartir entre eux. Dans la 3* et dans la 5* hypothèse, la raison de
la loi apparaît moins facilement; car ces deux dispositions tiennent
compte d'un engagement exprès ou tacite qu'a pris le débiteur de
(1) V. Pothier, Obligation, n° 445.
vm. 19
2:90 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
dégager la caution après un certain temps. On comprend qu'il
en résulte pour la caution le droit de poursuivre le débiteur pour
qu'il lui procure sa libération, on comprend aussi qu'il se libère en
payant et qu'il ait action contre le débiteur; mais dans ses rapports
avec les cofidéjusseurs, il est plus difficile d'expliquer comment le
paiement d'une dette qui n'est pas exigible peut lui donner une
action contre eux en vertu d'une convention à laquelle ils sont
étrangers. Le texte, pourtant, est formel, et il nous paraît qu'en ne
distinguant pas entre ces deux hypothèses et les trois autres, le
Code s'est tout particulièrement occupé de chercher si la caution
qui payait avait eu une cause légitime de payer, au lieu d'envisager
si le paiement qu'elle faisait profitait aux autres cautions, ce qui
était cependant le point principal à considérer, puisqu'on réglait
les conditions d'un recours exclusivement fondé sur l'équité.
266 bis. V. Nous venons de parler du recours fondé sur l'article
2033. Si la caution qui a payé agit en vertu de la subrogation légale,
elle aura quelques avantages que ne lui procure pas cet article, elle
pourra notamment poursuivre le certificateur qui a cautionné un
de ses cofidéjusseurs, bien que T'article 2033 ne lui donne pas
action contre lui, puisque le certificateur n'est pas caution de la
dette que cautionne celui dont nous nous occupons. Son action sera
garantie par une hypothèque impliquant droit de préférence et
droit de suite, si l'un de ses cofidéjusseurs a donné une hypothèque
pour garantir l'obligation qu'il contractait comme fidéjusseur. Elle
pourra demander des intérêts si la créance principale était produc-
tive d'intérêts. Elle aura un titre exécutoire si le titre du créancier
avait cette qualité, tandis que sa créance de recours fondée sur
l'article 2033 ne produirait pas d'intérêts, puisqu'elle n'a pas pour
base un contrat de mandat et qu'elle ne peut être exécutoire comme
l'ancienne créance, puisque c'est une créance nouvelle.
266 bis. VI. Voilà les principaux avantages que la caution trou-
vera dans l'action fondée sur l'article 1251. Cette action aura
pourtant quelques désavantages; ainsi elle se prescrira plus vite que
l'action propre qui résulte de l'article 2033. Celle-ci, action nou-
velle née du fait du paiement, ne sera prescrite que par trente ans
à partir de ce paiement; l'autre, action du créancier passant au
fidéjusseur par une sorte de cession tacite, sera prescrite à l'expi-
ration du délai qui appartenait encore à ce créancier pour l'exercer
utilement.
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2033. 291
266 bis. VII. On voit que quelquefois la caution qui a payé aura
intérêt à s'appuyer sur l'article 1251 plutôt que sur l'article 2033,
mais alors elle ne pourra pas bénéficier des dispositions spéciales
de ce dernier article. Ainsi, que la dette principale soit échue, que
la caution ait été poursuivie en justice, que le débiteur ait fait
faillite ou soit en déconfiture, peu importera si la caution conire
laquelle il s'agit de diriger des poursuites a stipulé un terme
plus long que celui qui est accordé au débiteur principal, et si le
terme n'est pas arrivé, ou si elle est engagée sous une condition
qui ne s'est pas encore réalisée. De même, quand la caution qui
poursuit son cofidéjusseur s'appuie sur ce qu'elle avait stipulé
qu'on lui apporterait sa décharge, ou ce qui revient au même, si
elle agit au bout de dix ans, parce que l'obligation n'avait pas de
terme fixe, elle ne peut pas invoquer la subrogation et bénéficier
des droits spéciaux qui en découlent, puisqu'elle ne saurait avoir
plus de droit que le créancier auquel elle se prétend substituée, et
que le créancier ne pouvait pas agir contre une caution avant le
terme ou avant la condition qu'elle avait assignée à son engagement.
Nous avons en effet constaté que les différentes cautions pouvaient
être engagées sous des modalités diverses, d'où il résulte que le
créancier n'a pas toujours le droit de les poursuivre toutes au
même moment. Le cofidéjusseur subrogé n'aurait pas plus de droit
que lui.
266 bis. VIII. Notre doctrine sur l'article 2033 se résume donc en
ceci : quand la caution qui a payé agit contre ses cofidéjusseurs
par une simple action negotiorum gestorum utilis, elle peut intenter
son action dans les cinq hypothèses prévues par l'article 2033 :
mais quand elle veut invoquer contre son cofidéjusseur ou contre
un tiers, comme un eerlifuateur ou un tiers détenteur d'immeuble
hypothéqué, la subrogation légale résultant de l'article 1251, les
dispositions un peu exceptionnelles et arbitraires des articles
2033 et 2032 ne sont pas applicables, et la caution qui a payé ne
peut agir que tout et autant que le créancier aurait pu agir lui-
même.
266 bis. IX. Dans toutes les hypothèses que nous avons exami-
nées et qui sont réglées soit par l'article 2033, soit par l'article
1251,1a caution agit parce qu'elle a payé. N'aurait-elle pas quelques
droits contre ses cofidéjusseurs avant même d'avoir payé? Ce ne
peuvent pas être les droits fondés sur la subrogation, puisque la
19.
292 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
subrogation suppose nécessairement la préexistence d'un paiement.
Mais ce pourrait être en vertu de l'article 2033 que la cau-
tion agirait contre ses cofidéjusseurs. Il résulte en effet de cet
article que les cofidéjusseurs se doivent mutuellement une sorte de
garantie quand ils ont payé la dette commune, donc le fidéjusseur
poursuivi par le créancier a intérêt à appeler en cause ses cofidé-
jusseurs non pas pour faire diviser entre eux l'action s'il n'a pas
droit au bénéfice de division, mais pour faire déclarer commun
entre eux et lui le jugement qui le condamnera au tout envers le
créancier, ce qui lui assurera un recours contre lequel les autres
cautions ne pourraient pas alléguer qu'il a eu tort de payer (art.
1640).
266 bis. X. Nous avons une dernière observation à faire. Dans le
cas même où la caution qui a payé s'appuie sur la subrogation, elle
ne peut demander à chacun des cofidéjusseurs que sa part de la
dette, bien que le créancier ait eu le droit de demander à chacun
le tout. Cette solution nous est imposée par celle que la loi a
donnée au cas de solidarité (art. 1214), et elle doit être complétée
par une décision semblable à celle du môme article 1214, deuxième
alinéa, pour le cas où parmi les cofidéjusseurs il en existerait un
ou plusieurs qui seraient insolvables.
CHAPITRE III.
DE L'EXTINCTION DU CAUTIONNEMENT.
267. Il n'y a nulle raison pour ne pas appliquer, eu géné-
ral, à l'obligation qui résulte du cautionnement, les causes
ordinaires d'extinction. V. ait. 2031, et à ce sujet, art. 1234.
Toutefois cette proposition se modifie dans son application à
la perte de la chose due et a la prescription, par suite du
principe qui rend la caution responsable du fait du débiteur
(v. Paul., L. 58, § I, D. de fidej.; C. civ., art. 2250;
v. aussi art. 1205 et 1206).
267 bis. I. L'obligation de la caution s'éteint quelquefois direc-
tement, c'est-à-dire en vertu d'un fait accompli par la caution,
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2033, 2034. 293
quelquefois indirectement, par contre-coup de l'extinction de l'obli-
gation principale.
C'est des causes directes d'extinction du cautionnement que parle
l'article 2034, qui contient une sorte de renvoi à l'article 1234. Il
faut donc reprendre l'énumération contenue dans ce dernier article
et voir l'influence qu'exerceront sur le cautionnement les divers
événements qu'il prévoit.
Le paiement, nous parlons de celui qui est elîectué par la caution,
la litière certainement, il libère aussi le débiteur principal, mais
par rapport à la caution il produit un effet direct.
267 bis. IL La novation opérée par la volonté de la caution peut
porter sur le cautionnement et non sur la dette elle-même. S'il s'agit
de nover le cautionnement, ce peut être une substitution d'un
débiteur à un autre, c'est-à-dire d'une caution à une autre, certai-
nement l'ancienne caution se trouvera dégagée. Si l'on a changé
quelque chose à l'obligation de la caution, par exemple une condi-
tion, elle est dégagée de l'obligation précédente et n'est plus cau-
tion que dans les termes de son nouvel engagement. Si l'objet de
la dette de la caution a été changé, l'ancienne obligation cessera
également d'exister, et quant à la nouvelle, elle sera valable dans
les termes où nous avons plus haut validé le cautionnement par
lequel le fidéjusseur promet autre chose que la chose due par le
débiteur principal.
Pour la novation du cautionnement par le changement de créan-
cier, elle n'est pas possible tant que la créance principale ne subit
pas la même tranformation, car la créance née de la fidéjussion
n'a plus de cause quand elle existe en fa\eur d'une personne qui
n'est pas créancière de la dette qu'il s'agit de garantir.
267 bis. III. La remise volontaire peut être faite par une con-
vention entre le créancier et la caution, et alors elle éteint l'obliga-
tion accessoire en laissant subsister l'obligation principale (art.
1287).
La compensation peut produire des effets entre la caution et le
créancier quand celui-ci est devenu débiteur de celle-là. Mais elle
n'aura pas lieu de plein droit aussitôt que deux dettes, réunis-
sant les conditions de la compensation légale, coexisteront en sens
inverse (art. 1294-2*). Si cette extinction réciproque des deux
dettes se produisait, la caution se trouverait forcée de faire ainsi
en quelque sorte l'avance de la somme due et en serait réduite à un
294 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
recours contre le débiteur, tandis qu'elle ue doit, dans l'ordre nor-
mal des faits, être tenue de payer qu'autant que le débiteur ne
paie pas(l). La caution poursuivie pourrait cependant se prévaloir
de la compensation pour ne pas payer, et alors la compensation,
opérant comme un paiement, libérerait le débiteur, qui serait exposé
au même recours que si la caution avait payé.
267 bis. IV. Les effets de la confusion sont réglés par l'article
2035, nous les étudierons sur le n° 268.
La perte de la cbose due est un événement qui n'éteint l'obliga-
tion qu'autant qu'il est fortuit, par conséquent nous n'avons pas à
nous en occuper quand nous traitons de l'effet des actes extinctifs
d'obligation accomplis par la caution.
267 bis. V. On pourrait doctrinalement concevoir une prescription
spéciale du cautionnement qui aurait ses conditions propres, par
exemple qui s'accomplirait par des délais dont le point de départ ne
serait pas le même que celui du délai par lequel se prescrirait la
dette principale. Cependant, l'article 2250 établit une grande con-
nexité entre la prescription de la dette principale et celle de la dette
accessoire, puisque l'interruption qui se produit quant à la dette
principale a des effets par rapport à la dette accessoire, et que
l'interruption qui aurait eu lieu dans les rapports avec la caution
ne saurait constituer cette caution débitrice alors que le débiteur
principal aurait cessé de l'être.
267 bis. VI. Nous remarquerons cependant que le lien intime
établi entre les deux prescriptions ne constitue pas leur unification;
car ce que la loi dit des causes d'interruption, elle ne le dit pas des
causes de suspension, et par conséquent on pourrait concevoir que
la prescription ne fût pas suspendue par rapport à la caution, bien
qu'elle le fût par rapport au débiteur. Ceci, du reste, sera rare, et
l'espèce que nous avons en vue demande à être soigneusement
précisée dans ses détails.
Nous songeons à une application de l'article 2253. Un mari est
créancier de sa femme, et la dette est garantie par un cautionne-
ment; la prescription ne courant point entre époux, la femme débi-
trice principale ne prescrit pas la dette, tant que dure le mariage,
mais la prescription courra en faveur du tiers fidéjusseur.
267 bis. VII. Nous avons avec intention supposé que le créancier
(1) V. t. V, n»246 bit. II.
TIT. XiV. DU CAUTIONiVEMENT. ART. 2034, 2035 295
était !e mari ; si nous renversions l'hypothèse, et si la femme était
créancière de son mari, notre solution ne devrait plus être la même;
la prescription serait suspendue même par rapport à la caution,
ce ne serait pas en vertu de l'article 2253 maison vertu de l'article
22ofi-2°. Si, en effet, la femme poursuivait la caution, celle-ci action-
nerait le mari en garantie ou en recours, donc l'action de la femme
refléchirait contre le mari, et c'est un cas où la prescription est
suspendue.
Enfin, il est certain que la nullité ou la rescision du contrat de
cautionnement éteindra l'obligation de la caution, comme aussi
l'arrivée de la condition résolutoire ou du terme extinctif qui. aura
affecté son engagement.
268. Au nombre des manières d'éteindre les obligations,
se trouve la confusion, qui recevrait ici son application ordi-
naire, si elle s'opérait entre le créancier et la caution ^ mais les
Romains reconnaissaienten outre, comme manière d'éteindre
l'obligation qui résulte du cautionnement, une autre espèce
de confusion, celle qui s'opérerait entre le débiteur et la cau-
tion devenus héritiers l'un de l'autre (v. Scœv ,L. 93, § 2 et
3, D. de sol. ; v. pourtant Papin., L. V»5, § 3, eocL; L. 3, D.
de separ.); et de là ils tiraient la conséquence, que cette
confusion éteindrait, sinon tous les accessoires particuliers à
l'obligation du fidéjusseur, au moins l'obligation accessoire
d'un sous- fidéjusseur (v. Afr., L. 38, § 5, D. de sol.). Cette
décision, plus subtile qu'équitable, est avec raison rejelée par
le Code. V. art. 2035 5 et concluez affirmativement que la
confusion dont il s'agit laisse subsister dans leur entier tous
les effets de l'obligation uMéjussoire que le créancier a intérêt
de conserver.
268 bis. I. La confusion consistera ordinairement dans la réu-
nion des deux qualités incompatibles de créancier et de caution.
Nous ne parlons pas de la confusion opérée en la personne du
débiteur principal, puisque nous traitons seulement en ce moment
des événements juridiques survenus du côté de la caution. Celte
réunion de qualités de caution et de créancier produit en vertu des
principes un effet très-simple. L'obligation de la caution est éteinte,
car elle a pour effet de lier la caution envers le créancier, et il est
296 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
impossible que cette caution soit liée envers elle-même. Mais cette
confusion n'a pas d'effet par rapport au débiteur, qui reste tenu
envers le créancier (i). Ce n'est pas parce que celui-ci ne peut pas
se poursuivre comme caution qu'il perdra son action contre le
débiteur principal. La confusion, du reste, aura un elle! important,
elle libérera le certificateur, car l'obligation de la caution est par
rapport à ce certificateur une obligation principale, et son extinction
doit entraîner celle de l'obligation accessoire. Comment, d'ailleurs,
l'ancienne caution pourrait-elle agir contre sa propre caution
envers qui elle est débitrice d'une indemnité toutes les fois que
celle-ci a payé la dette?
268 bis II. La confusion peut se produire autrement en matière
de cautionnement. Elle peut résulter de la réunion sur la même tète
des deux qualités de caution et de débiteur principal. C'est l'hypo-
thèse qu'a en vue l'article 2035. Les deux qualités ne sont pas
alors aussi incompatibles que celles de créancier et de débiteur.
Cependant, il y a entre elles une certaine iuconriliabilité; car en
quoi peut-il être ordinairement utile au créancier que son débiteur
soit tenu envers lui à deux titres, comme débiteur et comme cau-
tion? Ou ce débiteur est solvable, ou il ne l'est pas; dans le premier
cas une seule action suffira contre lui, dans le second cas le créan-
cier ne sera pas plus payé en exerçant deux actions qu'en en exerçant
une seule. Voilà ce qui fait considérer l'engagement ex fidejussoria
causa comme faisant double emploi avec l'engagement principal, et
ce qui a conduit à dire que le cautionnement disparaît. C'est bien
la pensée du Code qui appelle cet événement une confusion et qui
limite son effet extinctif, ce qui implique qu'il éteint jusqu'à un
certain point le cautionnement.
268 bis. III. La restriction que la loi apporte à l'effet extinctif de
la confusion va nous montrer complètement quelle est la théorie
de la loi. Elle suppose que la caution avait donné un certificateur,
et elle décide que la réunion des deux qualités de caution et de
débiteur principal n'a pas pour conséquence l'extinction de l'obliga-
tion du certificateur qui a cautionné la caution. Cependant celui-ci
étant caution d'une dette principale qui était l'obligation de la caution,
quand cette dernière obligation s'éteint, il devrait eu résulter l'ex-
tinction de son accessoire, c'est-à-dire de l'obligation du certificateur.
{I) V. t. V, n» 253 bis. IL
T1T. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2035, 2036. 297
268 bis. IV. Si la loi n'arrive pas à cette conséquence, qui paraît
logique, c'est qu'elle n'a pas précisément foi en son principe. Elle
appelle bien confusion la réunion des qualités de caution et de dé-
biteur, et elle sous-entend que le cautionnement s'éteint, mais c'est
uniquement, nous l'avons dit, parce que cet engagement ferait
double emploi avec celui du débiteur principal, autrement dit parce
que le créancier n'a pas intérêt à conserver deux actions contre la
même personne. Si l'intérêt se montre, la loi n'est pas esclave de
l'expression qu'elle a employée et ne permet pas d'invoquer la con-
fusion. Or, le créancier a intérêt à ce que l'obligation de la caution
ne soit pas considérée comme éteinte, puisqu'elle soutient l'obliga-
tion du certificateur; dès qu'il a intérêt, les deux actions ne font
plus double emploi, et la prétendue extinction par confusion n'a plus
de raison d'être.
268 bis. V. Les raisons qui ont inspiré le législateur montrent
que sa décision doit èt<e généralisée et qu'on doit refuser tout effet
extinctif à l'espèce de confusion dont nous parlons, toutes les fois
que le créancier aura intérêt à ce que le cautionnement ne soit pas
éteint, par exemple si la caution avait donné une hypothèque (1),
ou si elle était plus énergiquement liée par son obligation que le
débiteur par la sienne; si celui-ci, par exemple, était tenu d'une obli-
gation naturelle, tandis que la caution avait contracté une obligation
civile valable.
269. L'obligation principale étant la cause unique de celle
de la caution, il est clair que son extinciion doit entraîner
l'extinction du cautionnement, comme sa nullité en entraî-
nerait la nullité (art. 2042). Et toutefois sur l'un et l'autre
point il existe, comme on l'a déjà vu pour la nullité, une
modification importante : c'est qu'il ne faut pas étendre à
l'obligation de la caution les privilèges purement personnels
aux débiteurs qui détruisent ou atténuent l'effet de l'obligation
principale. Telle serait, par exemple, l'exception résultant du
concordat (C. comm., art. 545). Sous cette limitation, toutes
les exceptions, c'est-à-dire, ici, tous les moyens de défense
qui compétent au débiteur pour repou;>ser l'action du créan-
(1) V. C. Rouen, 19 novembre 1874. Sirey, 1876, 2, 324.
298 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
cier, peuvent être invoquées par la caution. V. art. 2036;
v. a ce sujet an. 1208. Remarquez, au reste, qu'il ne suffirait
pas pour faire réputer l'exception purement personnelle, que
sa cause lût née dans la personne du débiteur sans le con-
cours de la caution, ni même qu'elle eût été constituée nom-
mément en faveur du débiteur dans l'intention de le gratifier-,
car lui-même est intéressé à la libération de la caution (voy.
Paul, L. 21, § 5, D. de pact.; voy. pourtant Ulp., L. 22;
Paul, L. 32, D. eod.; voyez, sur le tout, articles 1287 et
2037).
269 bis. I. La caution est libérée indirectement quand l'extinction
de sa dette résulte de l'extinction de l'obligation principale. La loi
parle de ces cas d'extinction en les comprenant dans une même for-
mule avec tous les moyens de défense qui peuvent être opposés à
l'action du créancier.
Parmi ces moyens se trouvent tous ceux qui s'appuieraient soit
sur une nullité radicale, soit sur une annulabilité de l'obligation cau-
tionnée. Nous avons déjà expliqué, sur l'article 2012, quels étaient
de ces moyens ceux que la caution pourrait invoquer et ceux qui,
n'appartenant qu'au débiteur lui-même, sont qualifiés par le Code
d'exceptions purement personnelles au débiteur. Nous n'avons pas
à y revenir (1).
269 bis. II, Sur les causes d'extinction proprement dites, nous
n'avons que quelques observations à faire. Car, en principe, il est
clair que si l'obligation principale n'existe plus, on ne peut guère
concevoir l'existence de l'obligation accessoire qui la garantissait.
Ceci n'est pas douteux dans les cas de paiement, de compensation
(art. 1294), de novation(art. 1281), de remise de la dette (art. 1287),
de confusion quand il s'agit de la réunion des deux qualités de
créancier et de débiteur principal (art. 1301), enfin, de prescrip-
tion accomplie par le débiteur principal.
269 bis. III. Il faut s'arrêter un instant sur la perte de la chose
due. Si elle survient par un cas absolument fortuit et sans que le
débiteur principal ni la caution aient été en demeure, il est certain
que l'obligation principale s'éteint, et par suite le cautionnement.
Mais si le débiteur principal a causé la perte par son fait ou par sa
(1) V. ci-dei$ui, n» 141 bit. I-XI.
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2036. 299
faute, ou bien s'il était en demeure, l'obligation principale ne
périt pas et celle du fidéjusseur n'est pas éteinte, car. bien qu'il soit
étranger au fait qui a détruit la chose ou qu'il n'ait pas été mis en
demeure, il doit être considéré comme ayant accepté la responsa-
bilité des actes de celui dont il s'est fait le répondant. En cau-
tionnant une obligation de corps certain, il a cautionné non-seu-
lement l'obligation de rendre la chose, mais aussi l'obligation
secondaire de la veiller et de la conserver (art. 1137), et de la rendre
exactement sine mora (1).
269 bis. IV. L'hypothèse inverse est plus délicate, c'est la caution
qui a causé la perte ou qui était en demeure tandis que le débiteur
n'y était pas. Quant au débiteur, il est libéré, car le fait de la cau-
tion est pour lui le fait d'un tiers, la demeure du débiteur est le
résultat d'un acte inter alios actum, donc ce fait et cet acte ne peu-
vent pas avoir d'effet par rapport à lui. Il ne faudrait pas tenter de
le déclarer lié par les actes de la caution quand celle-ci l'a cautionné
en vertu d'un mandat. La caution, en effet, a reçu un mandat pour
un objet spécial, mandat de s'obliger; mais elle n'a pas mandat de
conserver la chose due ni de recevoir des exploits pour le débiteur :
donc elle ne représente pas celui-ci quant aux actes par lesquels
elle pourrait avoir perpétué l'obligation.
La caution n'a donc pas perpétué l'obligation du débiteur, mais
a-t-elle perpétué la sienne? On pourrait* en douter, puisque l'obliga-
tion principale étant éteinte, on ne voit guère la place de l'obligation
accessoire. Telle a été la doctrine la plus ancienne des jurisconsultes
romains. Ils en corrigeaient l'iniquité en donnant contre le fidé-
jusseur l'action de dolo, puis par le progrès du droit, on est arrivé
à donner l'action ex stipulatu utile, et enfin l'action ex stipulant
directe (2). Pothier n'hésite pas à donner l'action contre la caution,
et puisqu'il ne s'explique pas, c'est l'action née du contrat de cau-
tionnement qu'il entend donner (3). Peut-être vaudrait-il mieux
reconnaître que l'ancienne doctrine romaine était dans la vérité des
principes et dire que la caution, libérée de son obligation contrac-
tuelle, sera seulement tenue à des dommages et intérêts en vertu de
l'article 1382. Sa faute consistera dans le cas de demeure à n'avoir
pas mis la chose entre les mains du créancier, quand elle devait le
(1) V. Pothier, Obligations, n» 629.
(2) V. M. Accarias, Précis du droit romain, t. II, p. 377. Édit. 1880.
(3) V. Pothier, Obligations, n° 630.
300 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
faire et à avoir ainsi été cause de la perte qui ne serait pas sur-
venue si la chose avait été dans la possession du créancier.
269 bis. V. L'intérêt de la solution existe par rapport aux certi-
ficateurs de la caution et aux tiers à qui nuirait l'hypothèque
donnée par cette caution. Si le créancier n'agit pas en vertu de
l'ancienne créance, mais en s'appuyant sur l'article 1382, il n'a
plus ni de certifioateur ni d'hypothèque, et ce résultat nous paraît
justifier précisément la solution que nous proposons. Nous disions
tout à l'heure que la caution du débiteur principal n'était pas libérée
par la perte que celui-ci avait occasionnée parce qu'elle avait garanti
son obligation de veiller à la conservation de la chose. Mais peut-on
croire que tel a été l'engagement du certificateur qui a cautionné la
caution? N'oublions pas que la dette principale a pour objet un
corps certain; dans les probabilités, il appartient au débiteur prin-
cipal et est possédé par lui, il contracte donc l'obligation de conserver
la chose, et sa caution garantit cette obligation; mais la caution ne
détient pas la chose, elle ne doit pas personnellement veiller à sa
conservation, donc la caution de la caution n'a pas songé à caution-
ner une pareille obligation. De même quand la caution a donné une
hypothèque, ce ne peut pas avoir été fait en vue de garantir une
obligation qu'elle ne contractait pas. La doctrine qui, par des raisons
de pure équité, donne au créancier son action contre la caution n'a
donc plus de raison d'être là où elle peut avoir quelque conséquence
juridique, elle est inique en tant qu'elle produit ces conséquences
contre le certificateur, contre les créanciers hypothécaires de la
caution ou contre les tiers détenteurs de l'immeuble hypothéqué.
269 bis. VI. Il est un événement qui joue à peu près le rôle d'une
cause d'extinction d'obligation, c'est le jugement ayant force de
chose jugée qui déclare qu'un défendeur n'est pas débiteur.
Quand un débiteur principal a fait ainsi juger que la dette n'existe
pas, il est assez difficile de dire si ce jugement peut être invoqué
par la caution, de même que si ce débiteur a perdu son procès, on
est incertain sur le point de savoir si ce jugement est opposable à la
caution. Nous avons étudié cette double question sur l'article 1351,
et nous avons d'abord décidé, en vertu des principes sur le carac-
tère relatif de la chose jugée, que le jugement rendu contre le dé-
biteur n'est pas opposable à la caution, mais en sens inverse nous
avons admis que la caution peut se prévaloir du jugement favo-
rable, non pas en vertu des principes sur la chose jugée tels que
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2036, 2037. 301
nous les entendons, mais à raison d'une règle particulière delà ma-
tière du cautionnement, l'article 2037, qui prive de toute action le
créancier qui par son fait a rendu impossible la subrogation de la
caution dans les droits contre le débiteur (1).
270. Non seulement l'extinction de la dette principale
éteint, en la rendant sans cause, l'obligation de la caution,
mais, sous un auire rapport encore, la perte de la créance
principale ou des droits qui y sont relatifs peut motiver la
perte des droits du créancier contre la caution; car celle-ci
n'ayant contracté son engagement qu'en vue de l'indemnité
qui lui était assurée, et la subrogation a*ux droits du créancier
étant un des moyens de la lui assurer, le créancier qui se met
hors d'être de procurer cette subrogation peut être, jusqu'à
un certain point, assimilé a la partie qui, dans un contrat
synallagmatique, manque a remplir son engagement, et qui,
par ce motif, n'est pas admise à exiger l'accomplissemet de
l'engagement réciproque de l'autre partie. De Ta la décharge
accordée à la caution lorsque, par le fait du créancier, la
subrogation est devenue impossible. V. art. 2037.
270 bis. I. La loi considère la caution comme s'étant obligée en
vue des accessoires de la créance principale, tels que les privilèges,
les hypothèques, les droits de gage qui appartenaient au créancier
et dans lesquels elle pouvait légitimement compter être subrogée.
Le créancier nuirait à la caution s'il délruisait ou laissait périr ces
sûretés et s'il la poursuivait néanmoins.
270 bis. II. Le motif de l'article prouve qu'il ne faut pas équivoquer
sur le mot fait qui s'y trouve employé. Pothier distinguait le fait de
commission et le fait d'omission; le premier consistait, par exemple,
dans une renonciation à l'hypothèque ou une restitution du gage, le
second dans la négligence à interrompre une prescription ; nous pour-
rions «jouter aujourd'hui le défaut d'inscription hypothécaire ou de
renouvellement d'une inscription existante. Le fait de commission
seul entraînait l'extinction du cautionnement (2). Mais les rédac-
teurs du Gode civil, en ne reproduisant pas l'expression fait positif
par laquelle Pothier accentuait sa distinction, semblent bien l'avoir
(1) V. t. V, n° 328 bis. XXIX et XXX.
(2) V. Pothier, Obligations, n° 520 in fine.
302 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
abandonnée. Leur idée paraît être que le créancier, en acceptant
la caution, a contracté envers elle l'obligation de donner ses soins
à la conservation des droits dans lesquels celle-ci doit être su-
brogée (1).
270 bis. III. En rattachant ainsi l'article 2037 à l'article 2028 et
à l'article 1251-3°, en l'expliquant par une obligation de conserver
pour le fidéjusseur les garanties accessoires de la créance, nous
montrons qu'il n'y a pas lieu de faire une distinction, qui du reste
n'est pas dans l'article, entre les droits accessoires constitués avant
le cautionnement ou au moins en même temps et ceux qui auraient
été constitués depuis le contrat de cautionnement. La subrogation
légale confère tous ces droits à la caution sans distinction de date,
par conséquent la caution a pu en s'obligeant compter aussi bien
sur les garanties futures de la créance que sur ses garanties actuel-
les, et la constitution d'bypothèque postérieure à la fidéjussion a
pu lui inspirer une confiance dangereuse qui l'a empêchée de veiller
sur la situation pécuniaire du débiteur principal (2).
270 bis. IV. Il faut tirer une autre conséquence de ce que le
droit conféré par l'article 2037 à la caution est un droit d'indemnité
pour le tort causé, c'est que quand le fidéjusseur ne souffrira pas de
préjudice, il ne pourra pas se prétendre déchargé. Si par exemple
le créancier a laissé périr une hypothèque qui ne serait pas venue
en ordre utile, il serait injuste qu'il fût privé de son action contre
la caution (3). De même si le préjudice n'était pas égal au montant
de la dette, la caution ne devrait pas être déchargée pour le tout,
mais seulement jusqu'à concurrence du préjudice éprouvé. Exemple:
on n'a pas renouvelé une inscription, il se trouve qu'elle aurait été
colloquée la dernière et que les fonds auraient manqué sur elle,
la créance était de 10,000 francs et elle n'aurait été colloquée que
pour 6,000 francs, il n'y a pas de raison pour que la caution soit
libérée de toute la dette. Elle devra la dette moins les 6,000 francs
qu'elle perdrait par la négligence du créancier.
270 bis. V. L'article 2037 régit le cas où le créancier par son fait
a rendu impossible la subrogation de la caution dans les droits, pri-
vilèges et hypothèques. Nous avons toujours raisonné en vue de
l'abandon des droits réels garantissant la créance; il est, en effet,
(1) V. C. C, 7 juillet 1882. Sirey, 1882, I, 799.
(2) V., en sens inverse, C. C, 27 novembre 1861. Sirey, 1862, I, 130.
(3) V. C. C, 18 janvier 1863. Sirey, 1863, I, 187.
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2037. 303
difficile de comprendre comment le débiteur pourrait abandonner
ou laisser périr au détriment de la caution des droits personnels
dans lesquels le fidéjusseur aurait intérêt à être subrogé. Ces droits,
en effet, ne sauraient être les droits contre le débiteur, car, nous
l'avons dit, la prescription de l'obligation principale ou la remise de
cette obligation éteint nécessairement le cautionnement. S'agi-
rait-il de la créance contre un des débiteurs solidaires; s'il a fait
remise à l'un d'eux, il a libéré tous les autres et par conséquent
la caution (art. 1285). Il pourrait, il est vrai, avoir libéré un des
débiteurs en réservant ses droits contre les autres. Dans cette hypo-
thèse il n'aurait pas nui à la caution, car, indépendamment de ce
que la dette nexiste plus que déductien faite de la part du débiteur
qui a reçu la remise, on ne pourrait pas dire que la remise nuit à
la caution, car si elle avait un recours contre ce débiteur, elle n'a
pas pu le perdre par le fait du créancier, et lorsqu'elle aura payé le
tout, elle aura encore intact le droit qui lui appartenait de pour-
suivre le codébiteur déchargé par le créancier. Dans le cas de
prescription, il sera bien rare que tous les débiteurs ne soient pas
libérés en même temps, d'où résulterait la libération de la caution.
Il peut arriver toutefois que le créancier se trouve le conjoint de
l'un des débiteurs, et que par suite la prescription soit suspendue
entre eux deux tandis qu'elle courrait au profit des autres. Il nous
paraît qu'alors la caution serait dégagée pour les parts des débiteurs
libérés et resterait tenue pour la part du conjoint débiteur. Elle
serait traitée comme s'il y avait eu remise faite à tous les débiteurs
moins un, la dette se trouverait réduite à la part du débiteur non dé-
chargé; donc la caution ne souffrirait pas ordinairement de la négli-
gence du créancier. Cependant, si le débiteur non libéré était insol-
vable, il serait nuisible à la caution de ne pas pouvoir exercer son
recours contre les autres, et à moins de lui donner un recours
contre des débiteurs libérés par prescription, ce qui nous paraît
impossible, il faudrait bien lui accorder le bénéfice de l'article 2037.
Il faudrait du reste supposer que la prescription a été inter-
rompue contre la caution spécialement, car nous ne pensons pas
que la cause de suspension qui existe entre le créancier et le dé-
biteur puisse produire des effets par rapport à la caution.
270 bis. VI. Si de l'hypothèse où le créancier a laissé périr son
droit contre des débiteurs solidaires, nous passons à celle où il a
laissé éteindre ses droits contre une autre caution, nous dirons que
30 i COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
dans certaines circonstances l'extinction de l'obligation d'une des
cautions nuisant aux autres, celles-ci pourraient invoquer l'anicle
2037 dans les limites du préjudice qu'elles éprouvent.
La caution pourrait donc d'abord invoquer le bénéfice de division
dans les mêmes conditions qtie si la caution déchargée était encore
débitrice, à moins qu'il ne soit prouvé qu'elle est devenue insol-
vable. Même au cas où le bénéfice de division ne pourrait être
invoqué, la caution, qui aurait eu un recours pro parte après avoir
payé, pourrait faire diminuer la part de la caution libérée sur
le montant de l'obligation; bien plus, si parmi les autres cau-
tions il s'en trouvait d'insolvables, elle pourrait faire subir une
autre réduction à la demande du créancier qui aurait pour objet de
mettre à sa charge la part que la caution libérée devait supporter
dans la perte résultant de l'insolvabilité d'un ou de plusieurs cofidé-
jusseurs.
271. Il n'est pas même toujours nécessaire qu'il y ait libé-
ration parfaite du débiteur pour que l'acte intervenu dans ce
but, entre lui et le créancier, opère la libération de la caution.
Ainsi au cas de dation en paiement, quoique la libération
du débiteur soit en général subordonnée à la translation de
propriété (v. art. 1238), et que son obligation, qui avait paru
éteinte, subsiste au contraire en cas d'éviction (voy. Marcien,
L. 4(3, D. de sol.; voy. pourtant Ulp., L. 24, de pign.,
ac/.), la caution néanmoins est déchargée par le seul fait
de l'acceptation volontaire du créancier. Dès ce moment,
elle est fondée a se croire libérée, et ne doit plus rester
exposée à souffrir de l'insolvabilité future de débiteur,
contre laquelle elle ne peut plus se mettre en garde. V. art.
2038.
271 bis. I. La décision de l'article 2038 sur l'effet de la dation
en paiement se justifie de deux manières différentes, suivant l'idée
qu'on adopte sur la nature de cette opération. Si ou la considère
comme éteignant définitivement l'obligation et engendrant seule-
ment une obligation de garantie à la charge de celui qui a donné
autre chose que la chose due, il est tout simple que la caution ne
soit pas liée à cette obligation nouvelle; si, au contraire, on pense
que l'obligation primitive n'est éteinte que sous condition, si la
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2037-2039. 305
propriété a été transférée, ce qui fait qu'elle subsiste lorsque
l'éviction a prouvé que la condition ne s'est pas réalisée, alors on
ne peut expliquer l'article qu'en le rattachant comme une consé-
quence indirecte à l'article 2037; la caution a eu ju>te sujet de se
croire libérée, elle n'a plus surveillé le débiteur principal, et il ne
faut pas qu'elle soit victime de la faute du créancier qui a impru-
demment accepté en paiement la chose d'autrui.
271 bis. II. Cette dernière considération servirait d'ailleurs, quel-
que théorie qu'on accepte sur la dation en paiement, à faire appliquer
l'article 2038 dans une hypothèse qui n'est pas exactement celle
de la dation en paiement. Si la dette était une dette de genre,
le débiteur devait un cheval m génère, il a livré un cheval qui n'était
pas à lui, le paiement n'est pas valable d'après l'article 1238, mais
la caution a eu juste sujet de se croire libérée, et nous pensons
qu'elle ne pourrait pas être poursuivie par le créancier évincé. Ce
fait, au surplus, ne se produira pas souvent à cause de l'application
fréquente de l'article 2279 en matière des meubles et de l'extrême
rareté des obligations d'immeubles in génère.
272. Au contraire , la simple prorogation du terme ac-
cordé au débiteur principal ne prolongeant point néces-
sairement les risques de la caution, puisqu'elle peut agir en
indemnité contre le débiteur principal, a l'échéance du terme
primitif (art. 2032-4°), cette prorogation ne le décharge pas
envers le créancier. Seulement il est a remarquer que la cau-
tion alors pourra empêcher le débiteur de profiter de la
prorogation, puisque pour obtenir sa décharge, elle pourra
le forcer au paiement. V. art. 2039.
272 6is. I. Il ne s'agit dans l'article que d'une application de
l'article 2032, la caution ne peut pas être privée par le créancier
du droit qu'elle a d'agir contre le débiteur une fois l'échéance
arrivée. Seulement il est bien clair que l'article ne dit pas autre
chose, et que si la prolongation du délai était accordée avant l'é-
chéance, la caution ne pourrait pas agir immédiatement contre
le débiteur; son droit ne commence qu'à l'époque fixée par l'ar-
ticle 2032.
272 bis. II. Appendice sur le cautionnement solidaire. Après avoir
étudié l'ensemble des règles sur le cautionnement, il est nécessaire
de nous occuper d'un cautionnement exceptionnel dont la loi n'a
vm. J0
306 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
parlé que par allusion. Nous songeons au cautionnement solidaire.
Il faut voir en quoi la situation de la caution sera modifiée, quand
elle se sera obligée solidairement avec le débiteur. Nous pou-
vons immédiatement constater qu'il ne faut pas la traiter comme
un débiteur solidaire, car autre chose est s'obliger solidairement,
autre chose s'obliger comme caution solidaire. Les expressions sont
assez différentes pour accuser des contrats différents.
272 6i5.HI. On serait d'abord tenté de dire que la caution solidaire
est, par rapport au créancier, un débiteur solidaire, et par rapport
au débiteur principal, une caution; comme la femme commune
en biens qui s'oblige solidairement avec son mari pour les affaires
de la communauté ou du mari (art. 1431). On ajouterait que c'est
là le contrat prévu par l'article 1216, au chapitre de la solidarité.
Seulement, cette manière de considérer le contrat ne tient aucun
compte de la façon dont les parties ont formulé leur convention.
Le promettant n'a pas dit, comme dans l'article 1431 ou dans l'arti-
cle 1216, qu'il s'obligeait solidairement; dans sa convention même
avec le créancier, il a cautionné solidairement, l'idée de cautionnement
domine, et le contrat doit garderies caractères distinctifs du caution-
nement. Il doit notamment rester un contrat accessoire, et ne pas
faire de la caution un codébiteur du débiteur principal. Il est vrai
que l'article 2021 in fine semble assimiler la caution solidaire au
débiteur solidaire, mais cette assimilation n'est présentée par la
loi qu'incidemment et en vue d'une question spéciale, la seule que
traite l'article 2021, la question du bénéfice de discussion; il
serait donc dangereux de voir dans ce membre de phrase l'expres-
sion d'une théorie générale sur le cautionnement solidaire.
272 bis. IV. L'effet de la solidarité du cautionnement est donc
de priver la caution des bénéfices de discussion et de division;
mais, en dehors de cela, il faut lui appliquer les règles du caution-
nement. Ainsi, si l'on supposait que la dette principale est condi-
tionnelle et le cautionnement pur et simple, on ne pourrait pas
tenir la caution pour obligée après la défaillance de la condition
qui affecte l'autre obligation, et certes, s'il s'agissait de deux
véritables débiteurs solidaires, l'engagement pur et simple survivrait
à l'engagement dont la condition a défailli.
272 bis. V. Au point de vue des modes d'extinction de l'obliga-
tion du fidéjusseur, il sera encore intéressant de lui conserver son
caractère de caution, car il pourra opposer au créancier certains
TIT. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. ^039. 307
faits extinctifs qu'il n'opposerait pas utilement s'il était codébiteur,
par exemple la compensation (1).
272 bis. VI. Le débiteur principal lui-même bénéficiera de ce que
son coobligé est caution et non codébiteur solidaire; d'abord il
sera libéré par la perte de la chose survenue par le fait ou pendant
la demeure de la caution, ce qui n'aurait pas lieu si ce coobligé
était un débiteur solidaire. Secondement, il prescrira sa libération
malgré les actes interruptifs que le créancier aura faits contre la
caution, et de ce droit reconnu au débiteur résultera pour la caution
elle-même un avantage, c'est qu'elle sera libérée aussi, bien que la
prescription ait été interrompue à son égard, parce qu'elle ne peut
pas être tenue quand l'obligation principale a cessé d'exister. Si, au
contraire, nous parlons de codébiteurs solidaires, tout exploit inter-
rompant la prescription à l'égard de l'un des débiteurs produit
ses effets à l'égard des autres.
272 bis. VII. A côté des modes d'extinction, on doit parler des
causes de nullité des conventions. Il est certain qu'un débiteur
solidaire ne peut pas opposer les causes de nullité qui entachent le
consentement de son codébiteur, comme le dol ou la violence; mais
la caution qui ne s'engage que pour garantir 1 obligation d'autrui
peut se prévaloir de la nullité de cette obligation , alors même
qu'elle est caution solidaire, puisque, pour être solidaire, elle n'en
est pas moins caution. Nous parlons, bien entendu, de la caution
qui n'a pas entendu garantir le créancier contre les chances de
rescision de l'obligation principale (2).
272 bis. VIII. Il est encore une différence importante à signaler
entre la caution solidaire et le débiteur solidaire, elle se rattache à
un point controversé sur lequel il faut d'abord être fixé. Elle a trait
à l'application de .l'article 2037. La caution solidaire sera, d'après
ce que nous avons dit jusqu'à présent, libérée dans les conditions
indiquées par cet article, puisqu'elle reste caution même dans ses
rapports avec le créancier; ce qui constitue une différence entre elle
et le codébiteur solidaire, si l'on décide que le débiteur reste engagé
bien que le créancier ait laissé périr les sûretés accessoires de la
créance. La différence n'existe pas si l'on généralise l'article 2037
et si on l'applique toutes les fois qu'une personne a droit à la subro-
(1) V. Celte question, envisagée à un point de vue spécial, t. V, n° 246 bis. IV,
(2) V. t. V, n» 134 bis. I, et n° 142 bis. I.
20.
308 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. 111.
gation légale et que le créancier n'a pas conservé les droits qui
assuraient le paiement de la créance.
272 bis. IX. Nous pensons que l'article 2037 n'est pas l'expression
d'une règle générale, et la place qu'il occupe dans le Code constitue
un préjugé bien puissant dans ce sens. Si c'était une des conséquences
de l'article 1251 que le créancier doit veiller à la conservation des
sûretés, comment le principe n'a-t-il pas été consacré dans le
chapitre même de la subrogation? Pourquoi se cache-t-il au milieu
de dispositions particulières à un contrat spécial, révélant ainsi les
apparences de ces bénéfices que la législation a toujours réservés
aux cautions? D'un autre côté, si l'article 12oi, en accordant à cer-
taines personnes le droit à la subrogation, sous-entend que le créan-
cier est obligé à conserver les sûretés de sa créance ; si cette obli-
gation résulte nécessairement du droit qu'une autre personne a
d'être subrogée, on ne voit plus l'utilité de l'article 2037 en matière
de cautionnement ; puisque la caution est déclarée subrogée par l'ar-
ticle 2029, ce dernier article rendait inutile l'article 2037.
272 bis. X. Voilà les raisons de texte; quant au fond de la
doctrine, il n'est pas difficile de justifier la différence qui ressort
des textes en faveur de la caution, quand on la compare au codébiteur
solidaire. Celui-ci a traité avec le créancier parce qu'il trouvait un
intérêt dans le contrat, il empruntait solidairement, ou il vendait,
ou il achetait solidairement, le contrat lui procurait un capital dont
il avait besoin, ou un bien dont il désirait devenir propriétaire.
Alors même qu'on le placerait dans l'hypothèse de l'article 1216,
en se présentant comme codébiteur solidaire, il a autorisé le créancier
à le croire intéressé dans l'affaire. La caution, au contraire, même
la caution solidaire est acceptée par le créancier comme répondant
de la dette d'autrui, elle rend un service ordinairement gratuit au
créancier en même temps qu'au débiteur, et l'on comprend alors que
la loi suppose, plus légitimement que dans l'hypothèse opposée, un
engagement pris par le créancier de conserver les sûretés qu'il a
ou qu'il aura, pour que la caution bénéficie de la subrogation (1).
(1) V. Aubry et Rau, t. III, p. 26, n° 56. Édit. 1856.
T1T. XIV. DU CAUTIONNEMENT. ART. 2039-2041. 309
CHAPITRE IV.
DE LA CAUTION LÉGALE ET LA CAUTION JUDICIAIRE.
273. La division des cautions, en conventionnelles, légales
et judiciaires, ne tient pas a la manière de former et de rece-
voir l'engagement de la caution, mais à l'origine de l'obliga-
tion de fournir caution. Quand c'est la loi qui l'impose, la
caution est légale (v. notamment art. 120, 601); elle est
judiciaire, si celte obligation résulte d'une condamnation, dont
l'opportunité, au reste, est plus ou moins laissée a l'arbi-
trage des juges (v., a ce sujet, C. Pr., art. 135, 155).
274. Les règles ci-dessus établies sur l'étendue de l'obli-
gation (art. 2018-2020) sont générales, et s'appliquent con-
séquemment au cas de cautionnement légal ou judiciaire,
comme au cas de cautionnement conventionnel; la loi s'en
explique ici formellement quant aux conditions que doit rem-
plir la caution offerte (art. 2018, 2019). V. art. 2040.
275. L'obligation de fournir caution, lorsqu'elle résulte de
la loi ou d'un jugement, a cela de particulier, qu'elle peut
être accomplie par équivalent. En effet, l'objet de la loi ou de
la condamnation étant uniquement de procurer au créancier
une sûreté, il a paru juste, eu égard surtout a la difliculté de
trouver une caution, d'admettre a la place un gage en nantis-
sement, pourvu, bien entendu, qu'il soit suffisant. V. art.
20 il, et remarquez que la considération de la difficulté ne
pouvait être aussi forte pour le cautionnement conventionnel,
le débiteur s'étant volontairement soumis à celte difficulté.
275 bis. I. L'artii le parle du gage, mais il n'admet pas que le
débiter puisse offrir toute sorte de sûretés réelles, l'hypothèque
notamment, qui, à cause des lenteurs nécessaires des procé-
dures de saisie immobilière et d'ordre, ne donnerait pas toutes les
facilités d'obtenir paiement que la loi ou la justice entend assurer à
ceux au bénéfice de qui elle exige une caution légale ou judicaire.
27o bit. II. Peut-être pourrait-on hésiter en ce qui touche l'an-
310 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
tichrèse à cause du mot nantissement qui se trouve dans notre
texte, mais son sens est précisé par le mot gage, qui implique un
nantissement mobilier, car il faut remarquer que la loi dit gage
en nantissement et non pas gage ou nantissement ; la première for-
mule est certes bien exclusive de tout nantissement qui ne serait
pas un gage.
D'ailleurs, si l'on a craint les lenteurs de la procédure hypothé-
caire, comment comprendrait- on qu'on se contentât de 1 anti-
chrèse, qui ne permet au créancier de se payer que petit à petit sur
les fruits à venir de l'immeuble affecté à la créance (ait. 2085)?
276. A part cette faveur, commune au cautionnement
judiciaire et au cautionnement légal, le cautionnement judi-
ciaire est soumis à des rigueurs particulières. Ainsi, confor-
mément aux anciens principes, la caution judiciaire est privée
du bénéfice de discussion. Bien plus, notre Code, tranchant
à cet égard toute incertitude, étend cette privation a celui
qui a simplement caulionné la caution judiciaire. V. article
2042, 2043.
276 bis. La doctrine ancienne, qui prive la caution judiciaire du
bénéfice de discussion, se justifie par le respect dû aux jugements
dont l'exécution ne doit être retardée pas aucun moyen dilatoire.
TITRE QUINZIEME.
DES TRANSACTIONS.
277. A la suite du cautionnement, sembleraient devoir se
placer immédiatement les autres contrats ou droits acces-
soires, ayant comme lui pour objet d'assurer l'accomplisse-
ment d'une obligation principale. Toutefois, les rédacteurs
du Code ont intercalé ici la matière des transactions, qui a
cela de commun avec la précédente, que sans être comme le
cautionnement un contrat accessoire, la transaction au moins
est un contrat secondaire, car elle présuppose toujours l'exis-
tence d'une autre affaire sur laquelle elle intervient.
Le sujet de la transaction est essentiellement une affaire
douteuse entre les parties; son but est de prévenir la con-
testation que cette affaire pourrait faire naître, ou de terminer
celle qui serait déjà née ; le moyen, c'est toute espèce de con-
ventions légales, qui, réunies dans ce but, forment le contrat
de transaction. V. art. 2044, al. 1.
277 bis. I. Le mot transaction n'a pas dans ce litre le sens qu'on lui
donne assez souvent dans la langue usuelle, et que lui attribue excep-
tionnellement l'article 631 du Code de commerce; il présente alors
à l'esprit à peu près la même idée que le mot convention. Employé
dans son sens technique et restreint, par ce titre et par beaucoup
d'autres dispositions de nos lois, il désigne une convention d'une
nature particulière, dont la définition est tentée par l'article 2044.
Voici la notion que nous pouvons donner de la transaction en
complétant quelque peu la définition du Code. C'est une conven-
tion par laquelle deux ou plusieurs personnes terminent une Con-
testation née ou préviennent une contestation future entre elles,
moyennant des sacrifices réciproques.
277. bis. IL On voit, d'après cette définition, que la transaction
suppose un différend existant ou possible entre les deux parties. La
définition du Code est précise sur ce point, elle est d'accord avec
le sens étymologique du mot transaction, qui vient du latin trans-
312 COl'liS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
igere (passer outre, terminer). Ce qui n'est pas aussi clair, c'est
le point de savoir à quel degré exact doit exister la difficulté qui
constitue le différend, ou comme dit la loi, la contestation, pour
que la convention qui la termine ou la prévient soit une transaction.
Il est certain que nous n'exigerons pas ici, comme l'exige peut-
être l'article 1700 en matière de retrait litigieux, qu'il y ait procès
sur le fond du droit. Le Code parle d'une contestation à naître, et
cette expression est exclusive de l'idée d'un procès déjà enxagé. Il
faut cependant que la chose présente un caractère litigieux, sinon le
contrat n'aurait pas reçu correctement le nom de transaction, et il ne
serait pas soumis aux règles spéciales qui régissent cette convention.
277 bis. 111. H faudra donc que la justice décide si en effet le
contrat est intervenu sur une contestation née ou à naître. Non pas
qu'elle ait à juger en quelque sorte le procès qu'on a voulu étein-
dre, pour décider s'il était sérieux, s'il présentait pour chacune des
parties des chances de succès devant la justice. Cet examen,
quelque peu rétrospectif, du mérite de prétentions sur lesquelles
il n'y a pas à statuer, ne rentre pas dans la mission des tribunaux.
Us auront à découvrir le caractère de l'acte en recherchant si cha-
cune des deux parties a pu avoir intérêt à terminer, sans l'interven-
tion de la justice, une affaire dont l'obstination de l'autre pouvait
toujours faire un procès. On peut comprendre en eflVt très-bien
que l'affaire la plus claire, la plus certaine aux yeux déjuges éclai-
rés, n'en inspire pas moins quelques craintes à la partie que les
juges feraient triompher. Eile redoutera, par exemple, le temps qui
pourra se perdre en procès, elle songera aux frais qu'elle aura à
payer, au moins ceux de son propre avoué, alors même qu'elle
gagnerait, aux honoraires de son avocat, aux soucis d'un procès, au
temps perdu, quelquefois elle craindra que la publicité de certains
faits ne nuise à son crédit, a sa réputation même. Voilà ce qui fera
que très-souvent, en présence du droit le plus certain, une partie
aura intérêt à s'entendre avec l'adversaire. La question donc, pour
les tribunaux qui recherchent si la prétendue transaction a bien
eu pour objet un différend né ou à naître, sera de savoir non pas
si le droit était contestable, mais si les parties ont eu intérêt à
éviter la contestation judiciaire, et si ce n'est pas cet intérêt qui a
dicté la convention (1).
(1) V. M. Accaria», Des transaction». Thèse de doctorat, 1863, p. 170,171.
T1T. XV. DES TRANSACTIONS. ART. 2044. 313
277 bis. IV. Nous avons ajouté à la définition du Code que
la convention éteint ou prévient la contestation au moyen de
sacrifices réciproques. Le discours de Bigot-Préameneu au Corps
législatif semble cependant ne pas exiger cette condition. Mais la
doctrine moderne n'a pas suivi l'orateur du gouvernement. Si en
effet on supprime ce canctèrede la transaction, on détruit la ligne
de démarcation qui la sépare d'un certain nombre d'actes, dont
nous allons nous occuper, et qui sont soumis à des conditions
d'existence et de validité tout autres que celles auxquelles est subor-
donnée la transaction. Les rédacteurs du Code ont sous-entendu
cette condition de la transaction parce qu'elle était admise dans le
droit français par une tradition qui remontait jusqu'au droit
romain : transactio nullo dato tel relento seu promisso non procedit.
(Const. 38, Cod. de transactionibus.)
111 bis. V. C'est ce caractère de la transaction qui sert à la dis-
tinguer de certaines autres opérations juridiques qu'on pourrait
confondre avec elle : le désistement, l'acquiescement, la confir-
mation. Le désistement proprement dit termine l'instance sans
impliquer abandon du droit ou de la prétention, par conséquent
il ne re* semble en rien à la transaction. Mais le désistement du
droit lui-même ressemble à la transaction, puisqu'il détruit abso-
lument la contestation née ou à naître. Il n'est point cependant une
transaction, puisqu'il n'implique pas des sacrifices réciproques; on
peut donc soutenir que ce n'est point un contrat, qu'il n'a pas
besoin de résulter de la double volonté des parties intéressées, et
en tout cas il ne demanderait pas à être prouvé par un acte fait
double lorsque l'écrit qui le constate est un écr.t privé. L'acquies-
cement, c'est-à-dire l'adhésion de celui contre qui existe une pré-
tention, est l'inverse du désistement du droit; c'est aussi un acte
qui émane d'une seule partie, et le Code nous montre dans la
matière de la tutelle que cet acte et la transaction sont soumis à
des règles différentes (art. 464-467).
La confirmation est également un acte qui ne suppose pas des
sacrifices mutuels, mais qui est soumis à des règles tout autres
que celles qui régissent les transactions. D'abord elle n'a pour objet
que des obligations annulables, puis elle résulte de la volonté d'une
seule des parties, enfin elle est soumise à des conditions parti-
culières que la loi n'exige pas en matière de transaction. Il faut
que le vice ait cessé, que la partie en ait connaissance, et que dans
314 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
l'écrit appelé acte confirmatif on relate le montant de l'obligation
et le vice même dont elle était entachée. Toutes conditions que
nous ne retrouvons pas en matière de transaction.
278. Ce contrat est évidemment consensuel, et la faveur
dont il doit jouir ne permettait de l'assujettir à aucune solen-
nité (v. Alex., L. 5, Diocl. et Max., L. 28, Cod., de trans-
act.). Toutefois, la loi, pour que l'existence même de la
transaction ne devienne pas un sujet de conteslation, veut
qu'elle soit rédigée par écrit; ce qui, du reste, ne paraît avoir
d'autre effet que d'exclure la preuve testimoniale, quelle que
soit la valeur. V. art. 2044, al. dernier, et a ce sujet, art.
1341.
278 bis. I. Le paragraphe final de l'article 2044 parle de la
preuve de la transaction. Il déclare qu'elle doit être rédigée par
écrit. Nous faisons immédiatement remarquer que le Code n'at-
tache pas à cette prescription la sanction de la nullité, comme il le
fait pour la donation, dans l'article 931. C'est ce qui nous auto-
rise à dire qu'il s'agit là d'une règle de preuve. La validité de
la convention n'est pas en jeu, autrement dit l'écriture n'est pas
exigée ad solemnitatem, la transaction n'est pas un contrat solennel.
L'article a posé une règle qui est, dans les mêmes termes, la repro-
duction légèrement aggravée de l'article 1341. Ce dernier article
dit qu'il doit être passé acte de toute chose excédant la somme ou
valeur de 150 francs. La conclusion qu'on en tire n'est pas la
nullité de la convention, mais l'impossibilité de prouver par témoins
ou par présomptions. L'article 2044 dit que la transaction doit être
rédigée par écrit; c'est la même formule, moins l'exception en
faveur des conventions dont l'intérêt ne dépasse pas 150 francs.
La même formule doit représenter la même idée, c'est-à-dire que
la transaction ne pourra être prouvée ni par témoins ni par pré-
somptions abandonnées à la sagesse du juge, et cela même quand
l'intérêt engagé ne dépassera pas 150 francs. Mais la convention
reste valable, sauf à être prouvée par des moyens autres que ceux
qui ont été interdits par la loi.
Ces moyens seront naturellement l'aveu de la partie et le ser-
ment décisoire.
11 est facile de comprendre la raison de la loi. Elle ne veut pas
un procès nécessitant une enquête, c'est-à-dire une procédure plus
TIT. XV. DES TRANSACTIONS. ART. 2044. 315
coûteuse peut-être que celle que les parties ont voulu éviter. En
outre elle craint, dans cette matière plus qu'en toute autre, l'in-
certitude des témoignages, parce qu'il ne s'agit pas seulement de
faire constater par des témoins le fait d'une entente entre les
parties, mais d'obtenir- de ces témoins des renseignements précis
et détaillés sur les clauses quelquefois compliquées, et cependant
étroitement liées les unes aux autres, de l'acte qui met fin à un
différend.
278 bis. II. La preuve par écrit est donc la preuve normale;
ajoutons que si l'écrit est sous seings privés, il devra être rédigé en
double original, conformément à l'article 1325, car le contrat est
synallagmatique en ce sens que chacune des parties renonce à
plaider et que chacune d'elle a besoin pour sa sécurité d'être nantie
de la preuve de l'engagement pris en ce sens par l'adversaire.
278 bis. III. Dans la section du titre des obligations où se trouve
l'article 1341, nous rencontrons deux exceptions à la règle de cet
article (art. 1347, 1348), et il est nécessaire de nous demander si
l'article 2044 doit subir les deux mêmes exceptions.
On s'accorde généralement à admettre, en matière de transaction,
l'exception établie par l'article 1348. H s'agit d'hypothèses où la par-
tie n'est pas en faute de n'avoir point de preuve écrite, soit que la
rédaction en ait été impossible, soit que la preuve ait péri par cas
fortuit. Dans ces hypothèses il paraît bien difficile de traiter les
contractants comme on traite ceux qui n'ont pas tenu compte des
prescriptions du législateur.
278 bis. IV. Mais on admet moins facilement l'application de l'ar-
ticle 1347. On repousse par conséquent la preuve testimoniale
appuyée sur un commencement de preuve par écrit. On allègue que
les raisons de la règle existent avec la même force, bien que la partie
produise un commencement de preuve par écrit. L'enquête sera coû-
teuse et son résultat incertain, à cause du défaut probable de préci-
sion des témoignages. Nous qui voyons dans l'article 2044 la repro-
duction de l'article 1341, nous ne croyons pas devoir nous ranger
à cette opinion. La même formule ne doit-elle pas être interprétée
delà même façon? Or, dans l'article 1341, la généralité delà règle :
il doit être passé acte de toute chose excédant 150 francs, entendue
en ce sens que la preuve testimoniale est inadmissible, est cepen-
dant modifiée par l'article 1347. La sanction de la règle n'est donc
pas, à vrai dire, le refus de la preuve testimoniale, c'est le refus de
316 COUKS ANALYTIQUE DE CODK CIVIL. L1V. III.
cette preuve sans commencement de preuve par écrit. Or, l'article
2044 n'en dit pas plus long que l'article 1341. La transaction doit
être rédigée par écrit, la sanction sous-entendue ne doit-elle pas
être celle que sous-entend l'article 1341 : impossibilité de prouver
par témoins sans commencement de preuve par écrit?
Certes les motifs pour repousser cette preuve sont aussi puissants
quand il existe un commencement de preuve que quand il n'en existe
pas; mais cette observation peut également être présentée quand
on raisonne sur l'article 1341, au-dessus de 150 francs, que quand
on cherche le sens de l'article 20ii, et malgré cela le Code s'est
départi de sa rigueur dans l'article 1347; qui peut affirmer qu'il
n'entendait pas avec le même tempérament la règle qu'il édictait
dans l'article 2044? On croit, il est vrai, apercevoir son intention
dans le rapport d'un tribun qui expliquait l'article 2044 par les
motifs que nous lui avons attribués, mais nous venons de répondre
par avance à la conclusion qu'on tire de ce rapport (1).
279. Transiger, c'est réellement disposer des choses qui
étaient ou devaient être l'objet de la contestation ainsi pré-
venue ou terminée. Il faut donc, pour le faire valablement,
avoir la capacité de disposer de ces choses. V. art. 2045, al.
1 ; v., a ce sujet, art. 1121, 217, 483, 502, 155-4.
Conséquemment, les administrateurs de la chose d'aulrui
n'ont point, en général, le pouvoir de transiger. Celte règle,
qui recevrait son application en cas d'absence et de succession
bénéficiaire ou vacante est, comme on l'a déjà vu, parti-
culièrement appliquée au tuteur, qui ne peut transiger pour
l'incapable qu'il représente, qu'en observant des formes et
des conditions spéciales (art. 467). Nous savons aussi que, par
une autre raison, tirée de la crainie des surprises, le tuleur
ne peut, sans remplir certaines conditions, transiger avec le
mineur devenu majeur, sur le compte de tutelle (art. 472).
V. art. 2045, al. 2.
Quant aux communes et établissements publics, il est
clair que les administrateurs qui les représentent n'ont pas
plus que les tuteurs le pouvoir général de transiger en leur
(1) V. Anbry et Rau, t. III, p. 480, n° 7. ÉdiL 1856. C. C, 8 janvier 1879.
Sirey, 1879, I, 216.
T1T. XV. DES TRANSACTIONS. AI'.T. 204-O. 317
nom. Il faut pour cela une autorisation expresse du gouverne-
ment. V. art. 2045, al. dernier.
279 bis I. Dans le n° 279, M. Demante met en relief une distinc-
tion qui n'est pas assez nettement accentuée par l'article 2045. Le
premier paragraphe de cet l'article parle de la capacité de tran-
siger; le deuxième traite du pouvoir de transiger. Le premier pose
une règle applicable à quiconque fait par soi-même et pour soi-même
une transaction, il nous dit quelles sont les conditions de son apti-
tude à transiger; le second suppose une transaction faite pour
autrui par un représentant et détermine dans quelles limites un
représentant peut transiger pour celui qu'il représente. La règle
première s'applique uniquement à la capacité; les pouvoirs des re-
présentants sont réglementés par des dispositions éparses çà et là
dans le Code.
279 bis. II. La règle sur la capacité est présentée sous une forme
brève et générale. Il faut la capacité de disposer, c'est-à-dire de
faire des actes de maître, d'aliéner, et nous ajoutons immédiatement
d'aliéner à titre onéreux, car nous avons reconnu que la transac-
tion est un acte à titre onéreux , la loi a du employer le mot dis-
poser avec l'acception que lui assigne la matière même à propos de
laquelle elle l'emploie. Ne serait-il pas étrange de priver du droit
de faire un acte si important, si utile même au point de vue de la
paix sociale, celui qui ne peut faire une donation, par exemple le
condamné à une peine afflictive et infamante perpétuelle?
279 bis. III. Quelques personnes jouissent d'une capacité limitée,
et il est nécessaire de rechercher si elles peuvent transiger. Ainsi,
le mineur émancipé qui peut, sans l'assistance de son curateur,
faire les actes de pure administration, trouve-t-il dans cette
capacité celle de transiger sur certains droits et sur certains biens,
sur ses revenus qu'il a le droit de percevoir seul et sans assistance.
On lui a refusé ce droit en faisant remarquer qu'il n'a que la
pure administration, moins étendue par conséquent que celle d'un
tuteur qui ne peut pas transiger. Nous ne croyons pas l'argument
décisif, car il y a une différence essentielle au point de vue des
revenus entre le tuteur et le mineur émancipé; celui-ci en est
maître, il peut les dissiper; celui-là les recueille pour un autre, il
est tenu de les employer à des usages déterminés et d'économiser
l'excédent des revenus sur les dépenses nécessaires. On nie que le
mineur émancipé ait le droit de disposer, et l'on allègue qu'il ne peut
318 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
ni compromettre sur ses revenus, ni les prêter, ni les employer en
achat d'immeubles. Nous n'admettons pas l'exactitude de ces affir-
mations, au moins en ce qui concerne le prêt et l'achat d'immeublis ;
pour le compromis, il est soumis à des règles spéciales. Interdire au
mineur émancipé le prêt de sommes venant de ses revenus et
l'achat au comptant d'immeubles qu'il paie avec ses revenus, c'est
le priver du droit de faire des placements, autrement dit lui inlerdire
les économies, le pousser aux dissipations; nous ne voyons pas que
la loi consacre une pareille prohibition. En tout cas, qu;md on s'ap-
puie sur ces prétendues défenses pour établir la défense de tran-
siger, on s'appuie sur une décision controversable afin de décider
une question controvesrée.
279 bis. IV. Ce n'est donc pas sur le sens du mot disposer qu'il
faut étayer une théorie qui priverait le mineur émancipé de la
capacité de transiger sur ses revenus; cette expression, au con-
traire, prise dans son sens naturel, est favorable à la capacité du
mineur, car celui qui peut aliéner une chose sans autorisation ni
formalités, la dissiper sans en rendre compte, paraît bien être au
plus haut degré celui qui peut disposer. Trouvera- t-on un argu-
ment plus fort dans la partie de l'article 484 qui restreint la capa-
cité aux actes de pure administration? L'expression est large et
vague, elle a certainement pour portée d'exclure les actes d'aliéna-
tion d'immeubles ou de consitution de droits réels sur les immeu-
bles, les baux d'une durée supérieure à neuf ans, peut-être les
ventes de meubles qui ne sont pas des fruits, mais elle n'est pas
assez précise pour exclure toutes les transactions, puisqu'elle n'exclut
pas toutes les aliénations, et il ne suffit pas, nous l'avons vu, de
comparer la capacité du mineur émancipé aux pouvoirs du tuteur
pour en induire que celui-là n'a pas le pouvoir de transiger sur ses
revenus. On n'a pas dit d'ailleurs, dans l'article 484, que le mineur
émancipé devrait observer dans tous les cas les formes prescrites au
mineur non émancipé, on n'a posé cette règle que pour les actes
autres que ceux de pure administration, or la question que nous
agitons est précisément celle de savoir si l'acte qui nous occupe
rentre ou ne rentre pas dans la libre administration.
279 bis. V. Aussi bien, n'est-ce pas exagérer la protection que
d'exiger les formalités très-coûteuses prescrites par l'article 467,
lorsqu'il s'agit d'une de ces contestations journalières entre pro-
priétaires et locataires sur des loyers échus? n'est-ce pas même
TIT. XV. DES TRANSACTIONS. ART. 2045. 319
priver le propriétaire de l'occasion de sauver une partie d'une
créance compromise que de la soumettre aux lenteurs que ces for-
malités entraîneront? N'est-il pas dérisoire de réunir trois savants
jurisconsultes dans un cas pareil et d'obtenir un jugement d'homo-
logation? Ne vaudra-t-il pas bien souvent mieux abandonner la
créance? Nous sommes convaincu qu'en écrivant l'article 467 les
rédacteurs du Code n'ont pas songé à ces petits procès et à ces
petits arrangements, et ainsi s'explique le caractère général de la
règle. Nous sommes contraints de l'appliquer dans sa généralité
quand il s'agit des pouvoirs du tuteur, puisqu'il y a un texte, mais
nous sommes heureux de profiter de l'absence de ce texte pour ne
pas étendre la règle à la capacité du mineur émancipé (1).
279 bis. VI. La même question se présente en ce qui concerne la
capacité de la femme séparée de biens. Nous l'avons tranchée,
quanta elle, au titre du contrat de mariage (2). Puisqu'elle peut
disposer de son mobilier, elle trouve dans l'article 2045 la capacité
de transiger sur ce mobilier, et le texte de l'article 1449 lui est
plus favorable que ne l'est, pour les mineurs émancipés, l'article 484,
car pour caractériser l'administration conférée à la femme séparée,
la loi la qualifie de libre et non de pure administration. Les raisons
que nous avons invoquées en ce qui touche le mineur sont encore
plus fortes dès qu'il s'agit de la femme séparée, et la seule objection
qu'on peut tirer de l'importance qu'a aujourd'hui la fortune mo-
bilière est une objection qui a trop de portée, car elle ne s'applique-
rait pas seulement à la capacité de transiger, mais à la capacité
générale d'aliéner le mobilier. Il serait peut-être utile qu'une
réforme législative mît l'article 1449 en harmonie avec la situa-
tion économique actuelle, mais jusqu'à cette réforme l'article doit
être appliqué tel qu'il est, et nous devons tirer toutes les consé-
quences logiques du principe qu'il pose.
279 bis. VIL Si nous ne parlons plus des questions de capacité,
mais des questions de pouvoir eh matière de transaction, nous
trouvons des dispositions formelles de nos lois auxquelles il suffit
de renvoyer. L'article 467 règle les pouvoirs des tuteurs de
mineurs et d'interdits. Les lois administratives statuent sur les
(1) M. Demante a résolu cetle question en sens contraire, t. II, 253 bis. V.
Voyez aussi, dans le sens contraire à notre opinion, M. Accarias : Transactions ,
p. 226, et dans notre sens, Aubry et Rau, t. III, p. 478. Édit. 1856.
(2; V. t. VI, n» 101 bit. V.
320 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
pouvoirs des administrateurs des départements, des communes et
des établissements publics, le Code de commerce (art. 487 et 535),
sur les pouvoirs des syndics de faillites, et enfin le Code civil déter-
mine l'étendue des pouvoirs des mandataires conventionnels suivant
les expressions employées dans la convention de mandat (art. 1988,
1989).
280. Les particuliers ne pouvant disposer que de ce qui
leur appartient et des droits établis en leur laveur, il est claii
que les transactions ne peuvent porter que sur des objets d'in-
térêt privé. Cette règle, qui défend évidemment de les appli-
quer a l'état des personnes, aux tutelles et autres droits du
même genre, sert aussi à décider jusqu'à quel point les délits
peuvent en être la matière. Rien n'empêche de transiger sur
l'intérêt civil (v. pourtant C Pr., art. 2i9), mais sauf bien
entendu la poursuite du ministère public. V. art. 2046, et a
ce sujet, art. 6-, v. aussi C. inst. crim., art. 1 et 4.
280 bis. I. L'article 2046 règle un point spécial qui se rattache à
la théorie générale de l'objet des transactions. Le Code ne s'est
pas expliqué sur cette théorie; apparemment qu'il s'en réfère
aux règles qu'il a écrites au titre des contrats sur les choses qui
peuvent être l'objet des contrats. Il faut cependant préciser un peu
et montrer l'application des principes posés par le titre des contrats a
la matière des transactions.
280 bis. II, La règle est posée dans l'article 1128 : il n'y a que
les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l'objet d'une
convention. Il n'y a donc pas de transaction valable sur des choses
qui ne sont pas susceptibles de propriété privée : sur les droits
politiques, sur les fonctions publiques; sont également hors du com-
merce, en ce sens que les conventions sur ces objets sont interdites :
les successions futures, les droits résultant d'un contrat de mariage
pendant la durée du mariage, car toute convention sur ce point, et
notamment une transaction, ne serait pas autre chose qu'une dé-
rogation au contrat de mariage (art. 1395) : les droits résultant
d'un traité secret en matière de vente d'offices.
280 bis. III. Les droits qui constituent l'état des personnes sont
également hors du commerce, parce que ces droits sont établis
par la loi dans un intérêt général, et à raison de faits que la
TIT. XV. DES TRANSACTIONS. ART. 2046. 321
convention est, in natura rerum, impuissante à détruire. Les consé-
quences que la loi tire de ces faits, les droits et les obligations qui
en dérivent, se rattachent à des considérations de morale et d'uti-
lité sociale, elles sont la base de l'organisation de la société tout
entière, donc toute cette matière est d'ordre public, de sorte que
les conventions en général et les transactions en particulier ne
peuvent pas changer les règles de la loi. Partant pas de transaction sur
la nationalité oulafdiation. Pas davantage sur le mariage dont l'exi-
stence ou l'inexistence ne saurait dépendre de la volonté des parties.
Bien plus, s'il s'agissait d'un mariage annulable, la transaction ne
serait pas possible, quoique quelquefois la renonciation à l'action en
nullité soit .admise, parce qu'il y a une grande différence entre la
renonciation, qui est l'acceptation volontaire et désintéressée d'une
situation qu'on régularise, et la transaction, qui, étant nécessairement
à titre onéreux, pourrait être déterminée par des considérations
intéressées et par conséquent ne serait pas consentie en toute
liberté.
280 bis. IV. Dans le même ordre d'idées, nous dirons que la
transaction ne peut avoir pour objet les droits résultant de la puis-
sance paternelle ou de la puissance maritale, ni ceux qui dérivent des
régies de la loi relatives à la tutelle ; dans ces hypothèses, la raison
générale que nous avons donnée se corrobore d'une raison spéciale
tirée de ce que le droit dont on disposerait n'est pas établi en
faveur de celui à qui il appartient, mais au profit de l'incapable à
qui il assure une protection.
280 bis. V. C'est parce qu'il s'agit de règles d'ordre public que la
loi interdit les transactions sur les délits en tant que la transaction
aurait pour but d'entraver l'action du ministère public, c'est-à-dire
du représentant de la société chargé de poursuivre les infractions à
la loi pénale.
Mais comme du délit naît une action civile en réparation du
dommage causé à la partie contre qui le délit a été commis, la loi
permet la transaction quant à cette action; la question alors est
toute d'intérêt privé, le droit sur lequel on transige résulte non
pas des dispositions des lois répressives, mais de l'article 1382 du
Gode civil.
280 bis. VI. La distinction que fait la loi, à propos des délits,
entre l'intérêt privé et l'intérêt public, inspire une distinction ana-
logue, quand il s'agit de procès relatifs à l'état des personnes. Nous
vin. , 2i
322 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
l'avons déjà dit, tout ce qui touche à l'état des personnes intéresse
l'or-anisation de la société, mais de la situation des personnes dans
la famille dérivent des droits pécuniaires qui ne se confondent pas
plus avec l'état que l'action civile résultant d'un délit ne se confond
avec l'action publique. Sur ces intérêts pécuniaires, on pourra
transiger Ainsi, un enfant légitime ou naturel pourra transiger sur
ses droits dans la succession, pourvu que la convention ne porte
pas sur sa qualité d'enfant légitime ou naturel.
280 bis VII H est un ordre de questions qui paraît aussi se rat-
tacher à des principes d'ordre public et d'intérêt social, ce sont
les questions qui peuvent s'élever à propos de dettes d'aliments.
Elles ne peuvent être l'objet d'un compromis (articles 1002, 100*.
C Pr ) d'où l'on a conclu qu'elles ne peuvent être non plus 1 objet
d'une transaction. Nous n'admettons pas cette assimilation entre
le compromis et la transaction, et nous trouvons la preuve que la
loi considère la transaction comme moins dangereuse que le com-
promis dans les règles sur les pouvoirs du tuteur, qui ne peut jamais
compromettre, mais qui peut transiger sous certaines conditions.
280 bis VIII. H faut donc examiner la question de plus haut, le
droit aux aliments existe-t-il en vertu de dispositions d'ordre public?
Aussitôt cette question posée, une distinction apparaît nécessaire, si
l'on peut parler d'ordre public et d'intérêt social, ce ne peut être qu a
propos des aliments dus en vertu de la loi, au cas de parente ou
d'alliance. Mais, quant à ceux qui sont dus en vertu de conventions
entre particuliers, conventions à titre onéreux ou à titre gratuit, ou
même en vertu de legs, il est impossible d'admettre que l'obliga-
tion existe dans un intérêt public. Sous le nom de pension alimen-
taire les parties ont créé une rente viagère, et l'on ne comprend
guère pourquoi cette rente ne pourrait pas être l'objet d'une trans-
action Il est vrai que la rente viagère constituée à titre gratuit
peut être déclarée insaisissable, et que celle qui a le caractère ali-
mentaire est protégée par l'insaisissabilité (art. 581 C. Pr.). Mais
il n'en résulte pas qu'elle soit incessible, et par conséquent de ce
fait ne résultera pas l'impossibilité d'en faire l'objet d'une trans-
action, .ii.i
280 bis. IX. Quant aux aliments dus en vertu de la loi, les con-
sidérations d'ordrepublic, qui d'abord paraissent les protéger, ne nous
déterminent pas, et nous admettrons la validité de hi transaction;
car il ne faut pas l'oublier, le droit aux aliments n'est pas épuisé
TIT. XV. DES TRANSACTIONS. ART. 2046, 2047. 323
par une première demande et un premier jugement qui en déter-
minent la quotité. Si de nouveaux besoins se produisent, si la pension
allouée devient insuffisante, le créancier peut de nouveau avoir re-
cours à la justice On peut donc valider la transaction sans craindre
d'exposer le créancier à mourir de faim, c'est dans ce cas seule-
ment qu'il y aurait une atteinte portée à l'ordre public, et dans ce cas
précisément, la transaction ne fera pas plus obstacle que ne le ferait
un jugement à la demande d'un supplément de pension alimen-
taire. Cette considération arrêtera sans doute, et fort heureusement,
les transactions qui convertiraient en argent comptant la créance
d'aliments, car le débiteur ne serait pas protégé contre une action
ultérieure. Au cas où la transaction aurait porté sur le chiffre de la
pension, elle aurait au moins cet avantage que les tribunaux, juges
de la demande en supplément, devraient non-seulement constater
la situation financière actuelle du créancier, mais rechercher si cette
position s'est aggravée depuis la transaction.
281. La transaction faite entre personnes capables, sur des
objets qui en sont susceptibles, et sous des conditions non
contraires aux lois, a pour effet naturel d'établir une fin de
non-recevoir contre les prétentions ainsi abandonnées; et si
les conditions ne sont déjà remplies, de constituer les parties
respectivement créancières pour leur accomplissement. Mais
on peut encore, pour mieux assurer ce double résultat, forti-
fier la transaction, comme tout autre contrat, par l'insertion
d'une clause pénale. V. art. 2047.
281 bis. I. Depuis l'article 2047 jusqu'à l'article 2052-1» inclusi-
vement, le Code traite, un peu en désordre et en sous-entendant
bien des idées importantes, des effets de la transaction.
L'effet premier et principal de la transaction, comme de toutes les
conventions légalement formées, c'est de tenir lieu de loi à ceux
qui l'ont faite. Elle lie les parties, et puisque celles-ci ont entendu
prévenir une contestation à naître ou éteindre une contestation
déjà née, elle leur impose l'obligation de ne pas ressusciter les pré-
tentions contraires auxquelles elles ont respectivement renoncé El'e
fournit donc à chacune des parties contre l'autre un moyen de
défense, une exception, comme dit quelquefois le Gode civil pour
repousser les «prétentions de celle-ci, en tant qu'elles auraient été
comprises dans la transaction.
21.
324 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. 111.
Une action naîtrait aussi du contrat : 1° si, par quelque acte de
fait contraire à la transaction, une partie avait porté préjudice à
l'autre; 2° si la transaction imposait à l'une ou à toutes deux l'obli-
gation de faire ou de donner quelque chose, et que cette obliga-
tion ne fût pas exécutée.
281 bis. II. Dans ces deux hypothèses, on aperçoit le fondement
d'une action en dommages et intérêts, et par conséquent d'une
stipulation de clause pénale. La peine sera alors ce qu'elle est d'or-
dinaire, la représentation des dommages et intérêts; mais on peut
concevoir une clause pénale ayant un autre caractère, nous l'avons
dit sur l'article 1229 (1). C'est la clause pénale stipulée rato
manente facto, c'est-à-dire qui se cumule avec l'exécution même de
l'obligation. Si la contravention commise consiste dans le fait de
soulever de nouveau la prétention éteinte, on peut comprendre que
l'adversaire, tout en opposant l'exception qui lui procurera le
bénéfice effectif de la transaction, puisse demander la clause pénale,
comme indemnité du dérangement que lui cause le procès.
De même s'il s'agit d'une contravention de fait à la transaction, si
par exemple la partie a fait un travail qui lui était interdit par la
transaction, le cocontractant peut, tout en faisant détruire l'ou-
vrage, demander le montant de la clause pénale pour l'indem-
niser du tort que cet ouvrage lui a causé tant qu'il a existé.
En fin de compte, il n'y a rien là de particulier à la transaction
ni à la clause pénale, les parties ayant toujours le droit de de-
mander des dommages et intérêts à l'occasion d'un procès intenté
à tort, ou d'un travail qui a été nuisible jusqu'au moment où son
auteur a été forcé de le détruire.
Le seul point délicat sera l'appréciation du caractère de la clause
pénale. Comment distinguer si elle a été stipulée pour être cumulée
avec l'exécution ; c'est une affaire d'interprétation de volonté, par-
tant affaire de fait, l'importance de la somme stipulée donnera sur
ce point d'utiles indications (2).
281 bis. III. Il est rare que la transaction ait pour effet unique celui
que nous avons présenté comme son premier effet, c'est-à-dire l'ex-
tinction des prétentions des parties. Il n'en sera ainsi que quand les
deux contractants se prétendraient mutuellement créancier et débi-
teur l'un de l'autre de deux dettes différentes, également contestées
(1) V. t. V, n° 166 bit. III.
(2) V., sur uDe question analogue, t. V, n° 166 bis. II, injine.
TIT. XV. DES TRANSACTIONS. ART. 2047. 325
par eux; le sacrifice mutuel, qui est au fond de toute transaction,
consiste alors dans l'abandon pur et simple des prétentions réci-
proques, chacun renonçant à sa prétendue créance. Dès lors l'unique
effet de la transaction est de protéger chacune des parties contre
les poursuites que l'autre voudrait diriger contre elle. Mais l'hypo-
thèse n'apparaît pas toujours aussi simple ; si la convention est inter-
venue entre un prétendu débiteur qui niait la dette et le prétendu
créancier, si elle a eu pour résultat une diminution du chiffre de la
prétendue créance, elle produit certes un effet extinctif quant à
la partie de la somme que le créancier a consenti à ne pas réclamer;
mais pour la partie que le débiteur a consenti à payer, la conven-
tion produit une sorte d'effet confirmatif; le débiteur qui niait la
dette a promis d'en payer une partie, et en se dépouillant pour cette
partie du droit de repousser l'action de son adversaire, il s'est fait
débiteur, s'il ne l'était pas déjà. Que s'il avait consenti à payer
autre chose que ce dont il était prétendu débiteur, on voit encore
plus clairement qu'il a contracté une nouvelle obligation.
281 bis. IV. Si de la transaction sur des droits personnels on
passe à la transaction qui a pour objet des droits réels, la question
prend une autre physionomie et devient bien plus délicate. Celui, par
exemple, coutre qui une revendication est ou pourrait être intentée
abandonne la chose ou la garde, moyennant une somme d'argent; il
reçoit ou il donne un autre corps certain ; ou bien deux parties qui
ont une contestation relativement à la propriété de plusieurs biens
conviennent qu'elles se contentent chacune de quelques-uns des
biens litigieux.
D'abord, dans ces hypothèses, la transaction engendre des obli-
gations; celui à la charge de qui est mis le paiement d'une somme
promet cette somme et en devient débiteur, celui qui détient un
bien que la transaction attribue à l'autre partie devient débiteur
de la livraison de cet objet, celui qui est chargé de donner un corps
certain en devient débiteur comme celui qui a promis de l'argent
ou une quantité.
281 bis. V. Jusque-là pas de difficultés, mais il reste deux points
très-importants qu'il faut examiner. En quoi consiste au juste l'obli-
gation de celui qui a promis une chose déterminée? a-t-il promis la
propriété de cette chose? en doit-il la garantie si la partie à qui la
chose a été livrée en est plus tard évincée? Cette double question
n'est pas susceptible de controverse en ce qui touche les choses sur
326 . COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
lesquelles il n'existait pas de litige, et que l'une des parties à pro-
mises à l'autre pour contre-balancer les concessions que celle-ci faisait
sur les choses litigieuses. L'une des parties conserve l'objet litigieux
en promettant à l'autre une maison qui n'était pas l'objet du pro-
cès, elle est devenue débitrice de cette maison, elle ne peut pas
s'acquitter valablement de son obligation si elle n'en transfère pas
la propriété (art. 1238). L'autre partie a reçu ce bien en échange
de ses droits plus ou moins contestables sur la chose litigieuse,
cette autre partie a donc, au cas d'éviction, droit à la garantie (art.
1705).
281 bis. VI. Mais la double question que nous avons posée ne
peut pas être aussi facilement tranchée quand il s'agit de la chose
ou des choses qui étaient l'objet de la prétention. La partie qui a
conservé cette chose, moyennant certains sacrifices, a- t-elle droit à
la garantie au cas d'éviction? a- t-elle acquis les droits du cocon-
tractant qui a renoncé à ses prétentions ?
Sur le premier point, nous pensons que le droit à la garantie
n'existe pas. C'était l'opinion de Pothier (1), qui se justifie par
des raisons tirées de la nature même de la transaction. Ce contrat
a pour but essentiel d'assurer la tranquillité de l'une des parties ou
de toutes deux. Dans l'hypothèse où il s'agit de transiger sur un
droit réel, l'intérêt de la transaction est de donner de la sécurité à
la situation acquise d'un possesseur. Il avait la prétention d'être
propriétaire; survient un revendiquant, il se sent exposé à une évic-
tion; il fait un sacrifice pour éteindre cette prétention rivale, il ter-
mine le différend. Voilà ce que nous dit l'article 2044, qui définit la
transaction. Certes, c'est donner au contrat un effet absolument en
dehors des termes de cet article, que de traiter celui qui a aban-
donné sa demande comme un vendeur du bien revendiqué. Où
trouve-t-on dans la convention la promesse de transférer la propriété?
Il n'y a qu'une promesse de s'abstenir d'attaquer. Si l'on tient abso-
lument à rencontrer dans la convention une sorte de cession, ce qui
à notre avis est un point de vue faux, on ne peut arriver qu'à une
cession de la prétention, c'est-à-dire d'un droit litigieux, d'une aléa,
et cette cession ne saurait engendrer une obligation de garantir
le succès de cette poursuite chanceuse qu'on appelle un procès. Il
est à remarquer que le Code est tout à fait muet sur cette question
(!) V. Pothier, Contrat de vente, n05 645, 646,
TIT. XV. DES TRANSACTIONS. ART. 2047. 327
de garantie, et qu'une pareille obligation a bien besoin d'être écrite
dans la loi. On a allégué, il est vrai, qu'un article formel éta-
blissant cette obligation n'a été repoussé dans la discussion au Con-
seil d'État que sur des observations obscures et fort contestables
qui permettent de supposer que l'article a paru inutile. Nous consi-
dérons cette supposition comme arbitraire, et nous interprétons le
silence de la loi comme un refus de la garantie.
La conséquence de notre doctrine, c'est que le possesseur évincé
n'a pas d'action en dommages et intérêts, et qu'il n'aurait pas même
le droit de répéter ce qu'il a donné en vertu de la transaction, car
ces prestations ont une cause suffisante dans l'abandon des droits
tels quels, qui étaient invoqués par son adversaire.
281 bis. VIL L'autre question est plus douteuse. La transaction
est-elle translative de droits? L'une des parties conserve le bien
litigieux ou en reçoit la possession en vertu de la transaction,
acquiert-elle par cette transaction un droit nouveau, ou reste-t-elle
par rapport à ce bien ce qu'elle était avant la transaction, avec le
titre qu'elle prétendait avoir, et pas davantage? Cette question, plus
ancienne que le Code civil, nous paraît avant tout une question
d'intention. Les parties peuvent certainement convenir que celle
qui renonce à sa prétention cède par là même à l'autre ses droits
sur la chose litigieuse, celle-ci devient alors ayant cause de celle-là,
et elle cumule désormais avec son droit propre celui de l'autre, ou
pour mieux dire, elle acquiert le droit d'invoquer le titre de son
cocontractant, si le sien peut paraître insuffisant. Elles peuvent
aussi s'expliquer en sens inverse, et déclarer que la renonciation à
la prétention n'est pas autre chose qu'une abdication, une sorte de
déclaration de neutralité n'impliquant aucun transport de droit à
celui qui reste ou devient possesseur de la chose litigieuse. Ces
deux conventions si diverses seraient toutes deux des transactions,
car la définition de l'article 2045 est assez large pour les embrasser.
On a, dans les deux cas, éteint ou prévenu un différend par des sacri-
fices que nous supposons réciproques; dans le premier cas, le sacri-
fice fait par lune des parties consiste dans la cession de ses droits;
dans l'autre, il en est le simple abandon; deux sacrifices d'inégale
importance, mais dont le moindre suffit pour que la convention ait
les caractères légaux de la transaction.
281 bis. VIII. La difficulté n'est pas là, elle naît quand la conven-
tion n'est pas explicative et qu'il s'agit de savoir laquelle des deux
328 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
a été dans la pensée des parties. Il faut alors interpréter d'après les
règles générales du titre des contrats, c'est-à-dire qu'il faut recher-
cher quelle a été la commune intention des parties. L'intention de
celle qui prend ou garde la chose litigieuse est hien certaine, elle a
dû vouloir acquérir le plus de moyens possible de conserver la
chose litigieuse; or, il est vrai qu'elle s'en prétendait propriétaire,
mais sa croyance a dû être quelque peu ébranlée par le procès ou
la menace du procès, puisqu'elle a cru prudent de transiger; elle
doit donc songer à d'autres prétentions possibles dans l'avenir, et
chercher à s'armer aussi énergiquement qu'elle le pourra en vue
des luttes futures, elle doit désirer joindre à son titre celui de l'ad-
versaire dont elle se débarrasse par un sacrifice. L'autre partie n'a
pas le même intérêt, mais elle n'a pas non plus d'intérêt à ne pas
céder ses droits prétendus, car ils lui deviennent inutiles; pourrait-
elle essayer de les exercer contre des tiers devenus possesseurs de
la chose? Si elle réussissait à les évincer, elle serait alors attaquée
en revendication par celui avec qui elle a autrefois transigé, et
appuyé sur la transaction, celui-ci lui reprendrait le bien disputé.
Si cette partie n'a pas d'intérêt à conserver son droit, ne doit-on
pas facilement supposer qu'elle le cède? Entre ces deux contrac-
tants dont l'un a intérêt à acquérir les droits de l'autre, et dont cet
autre n'a aucun intérêt à ne pas les céder, la présomption n'est-
eile pas que la convention intervenue est une cession? Il est vrai
que peut-être les parties ont parlé d'une renonciation, mais ce mot
lui-même manque de précision, car il y a des renonciations in/avo-
rem (v. art. 780, 2e alin.), dès lors il doit être interprété dans le
sens qui convient mieux à la matière du contrat (art. 1158), et
nous venons de montrer que d'après la volonté probable des parties,
le contrat de transaction implique plutôt une cession qu'un simple
abandon du droit.
281 bis. IX. On élève des objections sérieuses contre cette manière
d'interpréter le contrat de transaction. On allègue surtout que la
doctrine presque universellement admise dans l'ancien droit est
contraire, que la loi du 22 frimaire an VII, sur l'enregistrement,
la condamne, et que l'article 2052 du Code civil confirme cette
condamnation. Nous examinerons successivement ces trois objections.
281 bis. X. D'abord il faut remarquer que la doctrine ancienne
qui remonte à Dumoulin a surtout été inspirée par l'esprit anti-
féodal qui animait les anciens jurisconsultes : il s'agissait avant tout
TiT. XV. DES TRANSACTIONS. AKT. 2047. 329
pour eux de soustraire la transaction aux droits seigneuriaux
atteignant les mutations de propriété, et la doctrine de la transaction
déclarative de propriété a été préconisée dans le même but que la
doctrine du partage déclaratif. Mais cette dernière doctrine présente
des avantages pratiques considérables au point de vue des divers
copartageants et du crédit public, elle a été expressément conservée
par le Code ; l'autre n'a pas été reproduite par le Gode, parce qu'elle
était devenue inutile au point de vue fiscal depuis qu'elle avait été
réglée plus ou moins clairement par une loi spéciale, et parce que,
au point de vue civil, elle sacrifiait les intérêts des parties con-
tractantes sans profit pour le crédit public, en laissant subsister des
causes d'incertitude de la propriété qui disparaissent quand on con-
sidère la transaction comme translative de droit.
281 bis. XL Est-ce la loi du 22 frimaire an VII sur l'enregistre-
ment qui a tranché la question dans le sens de la jurisprudence
ancienne? L'eût- elle tranchée, nous pourrions dire qu'elle n'a traité
que la question fiscale, et qu'elle a laissé intacte la question civile,
comme elle a fait pour la licitation entre copropriétaires qui, entraî-
nant des droits de mutation proportionnels d'après l'article (69-5° et
§ 7-4°), n'en est pas moins traitée comme déclarative par l'arti-
cle 883 du Gode civil. A l'inverse, elle peut avoir dispensé du droit
de mutation proportionnel la transaction que le Code civil aurait
ensuite considérée comme ayant un effet translatif.
Au surplus, l'article 68, § lcr-45° de la loi de frimaire, en sou-
mettant à un droit fixe la transaction, ajoute : pourvu qu'elle ne
contienne aucune stipulation de somme ou de valeur, ni dispo-
sitions soumises par la présente à un plus fort droit d'enregistre-
ment. On peut donc dire qu'elle laisse intacte la question d'inter-
prétation, et que la transaction pourra être considérée comme un
acte translatif, suivant l'interprétation qu'on lui donnera. C'est
ainsi que l'a entendu la Cour de cassation dans un arrêt rendu
Chambres réunies, le 12 décembre 1865 (1), où nous rencontrons
ce motif : « Attendu que la transaction, intervenue entre les parties,
a été un contrat commutatif par lequel l'une des parties s'est
volontairement dessaisie d'une portion des biens de la succession
dont elle était également investie, et qu'en stipulant de la part
de la légataire universelle l'abandon d'une partie des biens légués,
(1) Sirey, 1866, 1, 73.
330 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
elle a été essentiellement translative de propriété. » Ces raison-
nements, par lesquels la jurisprudence introduit des distinctions
sur l'article 68, § 1-45°, de la loi du 22 frimaire, dépouillent de
toute force cette disposition de la loi fiscale en ce qui concerne la
difficulté de droit civil que nous examinons.
281 bis. XII. L'article 2052 du Gode civil n'est pas plus dé-
monstratif dans le sens de la doctrine ancienne : il tente une assi-
milation entre l'autorité de la transaction et celle de la chose jugée,
d'où l'on conclut que puisque les jugements n'ont qu'un effet décla-
ratif des droits préexistants, il doit en être de même de la trans-
action. Mais il faut se garder de confondre le mot autorité et l'expres-
sion effet. Quand on parle de l'autorité de la chose jugée, on entend
traiter de la valeur qu'a le jugement en ce qui concerne le point
litigieux. Le jugement supprime le litige entre les parties, il de-
vient une vérité, voilà en quel sens il a autorité, c'est-à-dire qu'il
s'impose et que la contestation ne peut pas renaître ; la transaction
aussi impose aux parties la nécessité de ne pas reprendre le diffé-
rend, en ce sens elle a une autorité semblable à celle du jugement.
Mais elle a certes des effets que ne produirait pas le jugement, elle
crée certainement des obligations quand l'une des parties promet
une chose qui n'est pas la chose litigieuse ; les jugements n'ont pas
cet effet, car alors même qu'ils condamnent à des dommages et
intérêts, ils ne créent pas l'obligation, ils constatent qu'elle préexiste
en vertu d'un dommage causé, et ils en fixent le montant. Si la
transaction diffère certainement du jugement en ce qu'elle peut
avoir pour effet de créer une obligation, on peut bien dire aussi
qu'elle en diffère en ce qu'elle peut transférer la propriété, l'auto-
rité des deux actes est la même en tant qu'ils ne permettent plus
aux parties de recommencer le procès, les effets sont différents,
parce que la volonté souveraine des parties peut engendrer des
droits que les juges ne pourraient pas créer (1).
281 6m. XIII. Des conséquences fort graves dérivent de la solu-
tion que nous venons de donner.
1° La transaction, lorsqu'elle ne contiendra pas une simple abdi-
cation de droit, pourra constituer un juste titre que le possesseur
(1) V. M. Accarias, Transactions, p. 282 et suiv., et Consultation de MM. Va-
lette, Duverger et G. Demante, reproduite par M. Gabriel Déniante Principes de
l'Enregistrement, t. I°r. Appendice, p. 544. Édit. 187S. En sens inverse, Aubry et
Rau.t. III, p. 485, édit. 1856, et C. C, 3 janvier 1882. Sirey, 1883, I, 349.
T1T. XV. DES TRANSACTIONS. ART. 2047, 2048. 331
invoquera pour arriver à la prescription par dix ou vingt ans. Elle
lui sera utile quand il était lui-même possesseur sans juste titre.
2° La transaction devra être transcrite dans les conditions de la
loi de 185o, toutes les fois que le possesseur jugera utile d'invoquer
les droits de son cotransigeant contre des tiers qui auraient acquis
des droits sur l'immeuble du chef de celui-ci ou du chef de ses
auteurs.
3° S'il s'agit de meubles corporels, la transaction changera le
caractère de la possession et lui fera produire les effets qui
résultent de l'article 2279.
281 bis. XIV. 4° Enfin on pourrait croire que si un époux con-
serve, pendant le mariage, par une transaction, un immeuble sur
lequel il avait des prétentions antérieures au mariage et dont il
avait peut-être même la possession légale, cette opération, consti-
tuant une acquisition à titre onéreux, doit donner à l'immeuble le
caractère d'acquêt. On abuserait alors de notre doctrine, car l'ar-
ticle 1402 est formel; il fait propres tous les biens sur lesquels
l'époux avait des droits antérieurs au mariage. Or, la transac-
tion, tout en étant dans notre opinion translative de droit, en ce
sens que la partie peut invoquer les droits que prétendait avoir
son adversaire, n'est pas moins pour cette partie un acte conso-
lidant des droits contestés. Elle considérait, au moment du mariage,
l'immeuble comme sa propriété, elle a fait plus tard un sacri-
fice pour le garder, comme un tiers détenteur en fait pour conserver
le bien hypothéqué; mais dans sa pensée, lors du mariage, elle avait
un immeuble, et tacitement elle en faisait un propre; or, c'est l'in-
tention des parties qu'il faut considérer, car l'adoption du régime
de communauté légale est une convention tacite de contrat de
mariage. L'immeuble reste propre ; mais si des sacrifices ont été
faits au détriment de la communauté pour en assurer la conserva-
tion, une indemnité est due (art. 1437) (1).
282. Quelque illimitée que soit la faculté de transiger sur
les objets dont la nature n'est pas exclusive de cette faculté-,
quelque disposé d'ailleurs qu'on puisse être à favoriser l'effet
d'un acte qui tend a étouffer les procès, toujours est-il vrai
que la transaction, tirant uniquement sa force de la volonté
(1) V. sur toute cette théorie 11 Accarias, Transactions, p. 286 et suiv.
332 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV . III.
des contractants, ne peut s'appliquer qu'aux objets que cette
volonté a embrassés; elle ne règle donc que le différend qui
y a donné lieu-, et si elle contient renonciation à tous droits,
actions et prétentions, cette clause ne doit s'entendre que de
ce qui est relatif a ce différend. V. art. 2048-, v. a ce sujet
1156, 1163 : v. aussi Ulp., L, 9, § 1, D. de transact.; Diocl.
et Max., L. 31 , Cod., eody Sans préjudice, bien entendu, de
la faculté de comprendre plusieurs différends dans la même
transaction.
Quant a l'intention de comprendre dans la transaction un
ou plusieurs différends, il faut évidemment, pour en juger,
appliquer les règles ordinaires d'interprétation, soit en Ratta-
chant aux expressions spéciales ou générales qui manifestent
l'intention , soit en reconnaissant celte intention par une suite
nécessaire de ce qui est exprimé. V. art. 12049.
282 bis. L'effet de la transaction, qui consiste principalement
dans l'extinction d'un droit litigieux, est limité au droit même que
les parties ont eu en vue. C'est l'application pure et simple de l'ar-
ticle 1163 sur l'interprétation des conventions, par conséquent
l'effet n'est produit que par rapport à l'objet sur lequel les parties
ont entendu transiger, et encore relativement à cet objet, la trans-
action ne produit son effet que par rapport au différend que les
parties ont voulu terminer. Il est clair, par exemple, que celui qui
a transigé sur une succession, n'a pas renoncé a réclamer par une
action en revendication un des biens compris dans la succession.
La chose sur laquelle on a transigé était la succession, celle qui
est l'objet de la revendication, c'est un immeuble déterminé, les
deux prétentions ne portent pas sur la même chose.
Alors que la chose est la même, il peut arriver que le droit pré-
tendu ne soit pas celui sur lequel on a entendu transiger. Exemple :
la transaction portant sur la nullité d'un testament, la nouvelle
prétention consiste à demander la réduction des legs contenus dans
le testament et qui dépassent le disponible; la chose est la même,
c'est la succession, la prétention est bien différente.
283. Les transactions se renfermant dans leur objet, et ne
pouvant, par analogie, s'appliquer à un différend qui n'y a pas
été compris, il en résulte qu'on ne doit pas les étendre à un
TIT. XV. DES TRANSACTIONS. ART. 2048-2050. 333
droit postérieurement acquis, quelle que soit sa similitude
avec celui qui en a fait la matière. La loi applique ce principe
au cas où une partie, ayant transigé sur un droit qu'elle avait
de son chef, en acquerrait un semblable du chef d'une autre
personne. Elle déclare en conséquence que cette partie, quant
au droit nouvellement acquis, n'est pas liée par la transaction.
V. art. 2050-, Ulp., L. 9, D. de transact.
283 bis. I. Il n'y a pas identité de chose dans le cas prévu par
l'article 20o0. Pierre a transigé sur ses droits dans la succession
de Paul, dont il se prétendait héritier pour moitié, après la trans-
action, il hérite de Jean, son cohéritier; et par conséquent il a, pour
cette seconde moitié de la succession, la même prétention que celle
qu'il avait sur la première moitié. Mais ces deux moitiés de la suc-
cession sont choses différentes, et la transaction faite par rapport
à l'une ne peut pas lier le contractant par rapport à l'autre.
283 bis. II. On a pu soutenir toutefois que quand la transaction
avait eu le caractère d'une confirmation d'acte annulable, il était
difficile d'admettre que cette confirmation fût sans influence sur
une moitié de l'acte quand elle a validé l'autre moitié. Exemple :
une donation nulle en la forme a été confirmée par un des héritiers
du donateur (art. 1340). Cet héritier devient héritier de son
cohéritier, qui avait conservé intact le droit de faire annuler la
donation. Est-ce que la confirmation n'est pas une reconnaissance
de la validité de la donation? est-ce qu'elle n'avoue pas que le
donateur l'a faite en toute liberté? Sera-t-il possible de diviser cet
aveu et de permettre à celui qui l'a fait de faire annuler la dona-
tion pour moitié, en s'appuyant sur la présomption du défaut de
liberté dans le consentement, qui est la base d'une action en nullité
de donation pour vice de forme? Nous n'hésitons pas à dire que cette
prétention de la partie qui a transigé est admissible. En effet, si
l'on s'appuie sur l'article 2050, cela n'est pas douteux, et si l'on
invoque les principes de la confirmation, on arrive au même résultat ;
car, d'après le Code civil, la confirmation n'est valable qu'autant
qu'elle indique non-seulement le vice qui entachait l'acte ratifié,
mais la substance de l'obligation ratifiée, autrement dit il faut que
l'acte prouve, chez celui qui confirme, la connaissance exacte de
ce à quoi il s'oblige en confirmant une obligation. Cette théorie est
générale, l'article 1338 s'applique aux actes translatifs de propriété, il
334 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
signifie donc que le confirmant doit savoir quelle est l'importance
de l'aliénation qu'il renonce à attaquer. Or, dans l'hypothèse que
nous examinons, c'est la donation d'une moitié et non pas la
donation totale que l'héritier confirmait, peut-être aurait-il hésité
à renoncer au droit que lui confère l'article 1339, s'il avait su toute
la valeur de ce droit.
284. A plus forte raison, la transaction faite par un inté-
ressé ne peut-elle être appliquée à un autre, pour lequel
celui-là n'avait pas pouvoir d'agir. Il est clair donc que l'au-
tre ne pourra ni être lié par la transaction , ni l'opposer en sa
faveur. V. art. 20ol ; Scœv._, L. 3, pr. et § 2, D. detransact.
284 bis. I. L'effet de la transaction, comme celui de toutes les
conventions, est relatif, c'est-à-dire qu'il ne se produit qu'entre les
parties contractantes; cela avait à peine besoin d'être dit, c'est
l'application de l'article 1165. Seulement, la partie peut avoir été
représentée par un mandataire, et dès lors il est certaines personnes
entre lesquelles il existe une relation juridique qui peut être quelque-
fois celle qui résulte du mandat, et il est bon d'examiner si ce
mandat implique le pouvoir de transiger.
La question se présente à propos des créanciers et débiteurs
solidaires, des cocréanciers et codébiteurs de choses indivisibles,
et aussi par rapport aux débiteurs principaux et aux cautions.
284 bis. H. Parlons d'abord des cocréanciers solidaires. Nous
avons examiné la question sur le titre des contrats, et nous avons dit
que le créancier solidaire ne peut éteindre la prétention, si ce n'est
pour sa part, qu'il n'a pas mandat de disposer du droit des autres,
et que logiquement, ne les représentant pas pour les lier, il ne peut
pas les représenter pour leur acquérir un droit, d'où il résulterait
que ses cocréanciers ne peuvent pas invoquer la transaction dont
on ne pourrait pas se prévaloir contre eux (1).
284 bis. III. En ce qui concerne les codébiteurs solidaires, la
solution doit être la même, car s'ils ont un mandat mutuel de se
représenter en ce qui concerne les interruptions de prescription et
les actes qui font courir les intérêts, on ne pourrait pas soutenir
qu'ils ont un mandat de reconnaître, même au prix de concessions
réciproques, l'existence de la dette solidaire ou l'existence même de
(1) V. t. V, n» 130 bis. III.
TIT. XV. DES TRANSACTIONS. ART. 2051 . 335
la solidarité; ils ne peuvent pas aggraver la situation de leurs pré-
tendus codébiteurs , donc la transaction ne doit pas produire d'effet
contre ceux qui n'y ont pas pris part. De là nous concluons qu'elle
ne peut pas non plus leur profiter, car s'ils ne sont pas mandataires
pour consentir aux abandons de droit que suppose la transaction,
ils ne doivent pas l'être davantage pour stipuler les avantages
qu'elle contient. La transaction est un tout, et le mandat de transiger
doit être un pouvoir de consentir à l'ensemble des clauses que ce
tout comporte; on ne doit pas interpréter en sens différent un
mandat, surtout un mandat tacite.
Il est vrai que l'article 1285 établit que la remise de dette con-
venue avec un des codébiteurs solidaires profite aux autres, mais
c'est là une disposition que nous avons critiquée et qui n'est pas en
harmonie avec d'autres décisions de la loi, notamment avec celle
qui concerne la remise de solidarité; il ne faut pas s'en faire un
argument. D'ailleurs, on pourrait comprendre que la loi eût facile-
ment présumé le mandat tacite d'accepter une remise de dette,
c'est-à-dire de consentir à un acte simple et essentiellement avan-
tageux, sans présumer le mandat de faire un acte aussi com-
plexe et aussi dangereux qu'une transaction.
284 bis. IV. Ce que nous venons de dire des cocréanciers et des
codébiteurs solidaires est vrai à fortiori des cocréanciers et codé-
biteurs de choses indivisibles, car dans le cas d'indivisibilité on
n'aperçoit même pas le mandat limité qui produit certains effets
quand les créances ou les dettes sont solidaires. Nous n'avons donc
pas à mesurer l'étendue des pouvoirs résultant d'un mandat qui
n'existe pas.
284 bis. V. Restent le débiteur principal et la caution. Il est clair
que la caution n'est pas mandataire du débiteur principal, qu'elle
ne peut pas par conséquent abandonner la prétention que celui-ci
aurait d'être libéré, par exemple par un paiement, d'où cette consé-
quence logique que le débiteur principal ne pourrait pas argumenter
de ce que la transaction pourrait avoir d'avantageux, par exemple
d'une réduction du chiffre de la dette. Seulement, si la caution
avait ainsi transigé moyennant une certaine somme, l'article 1288
imposerait au créancier la nécessité d'imputer cette somme sur la
dette principale. Ce ne serait pas alors la transaction qu'invoquerait
le débiteur, mais ce serait le paiement partiel accompli parla caution,
comme il aurait pu être effectué par un tiers à la décharge du débiteur.
336 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
284 bis. VI. Le débiteur principal n'est pas non plus mandataire
de la caution; mais comme la dette de celle-ci n'est qu'accessoire,
elle cesse d'exister dès que le principal disparaît, partant la trans-
action qui diminuera la dette principale profitera à la caution,
comme profiterait une remise (art. 1287), et la transaction qui
changerait l'objet de la dette principale entraînerait extinction com-
plète du cautionnement.
284 bis. VII. La transaction peut être intervenue en matière de
droit réel, et des difficultés analogues à celle que nous venons
d'examiner peuvent se présenter. Si par exemple on songe à une
transaction conclue entre un grevé de substitution et un tiers qui
revendique un bien faisant partie de la substitution, quel sera
l'effet de la convention par rapport aux appelés? Le grevé n'est pas
le représentant des appelés, et d'un autre côté ceux-ci ne sont pas
ses ayants cause, donc la transaction est, par rapport à eux, res inter
aîios acta. On pourrait peut-être, si la transaction était nécessaire,
la faire dans les conditions requises par les transactions intéressant
les mineurs, c'était la disposition de l'ordonnance de 1747 sur les
substitutions; mais dans le silence du Code, on peut hésiter très-
sérieusement à admettre cette solution (1).
Il faut étendre ce que nous venons de dire à toutes les hypothèses
où le contractant sera un propriétaire sous condition résolutoire,
il n'aura pas eu le pouvoir de faire une transaction opposable au
propriétaire sous condition suspensive ou par lui.
284 bis VIII. L'héritier apparent ressemble en fait, sinon en droit,
à un propriétaire sous condition résolutoire. Aussi les transactions
qu'il aurait consenties pourraient être traitées comme nulles par
rapport à l'héritier véritable. Elles sont faites a non domino. Mais
une jurisprudence constante valide les aliénations consenties par
l'héritier apparent, et en admettant cette jurisprudence, on doit
valider les transactions.
C'est au possesseur d'une hérédité que la jurisprudence reconnaît
le droit d'aliéner, d'où nous concluons au droit de transiger. Nous
n'en dirons pas autant du possesseur d'une chose singulière. Quant
à lui, nous rentrons sous l'application des principes généraux
auxquels, quand il s'agit de l'héritier apparent, la jurisprudence
fait brèche par des raisons dérivées de la nature spéciale de la chose
(1) V. t. IV, n» 213 bis. V.
TIT. XV. DES TRANSACTIONS. ART. 20ol, 2052 337
possédée, qui est une universalité. Le possesseur d'un bien à titre
singulier n'a pas mandat du vrai propriétaire, donc il ne peut com-
promettre ses droits par une transaction, partant il ne pourra pas
non plus acquérir les droits résultant d'une convention avanta-
geuse. La convention est, par rapport au vrai propriétaire, res inter
altos acta. Il n'est pas d'ailleurs possible de considérer le possesseur
comme un gérant d'affaire, car puisqu'il possède avec Yanimus
domini, cet animus est exclusif de l'idée qu'il songerait au vrai pro-
priétaire quand il transige. Lorsqu'il est de bonne foi, cette pensée
ne peut lui être attribuée, et quand il est de mauvaise foi, il agit
dans son intérêt propre, et c'est lui prêter une intention bien scru-
puleuse qui s'accorde mal avec sa volonté de s'approprier la chose
d'autrui, que de dire qu'il a stipulé, au besoin, pour le vrai proprié-
taire en vue du cas où la revendication de celui-ci ne lui permettrait
pas à lui-même de profiter de la transaction.
28o. La force de la transaction est celle des conventions
légalement formées, qui tiennent lieu de loi entre les parties.
Mais le principe, dans son application a celte matière, a
une puissance toute particulière : c'est pour exprimer la
plénitude de cette puissance, qu'on assimile la force de la
transaction à celle de la chose jugée en dernier ressort; la
transaction, en effet, est une sorte de jugement porté par les
parties elles-mêmes. V. art. 2052, al. 1; Diocl. et Max.,
L. 20, Cod., de transact.
Observons toutefois que cette assimilation manque d'exac-
titude sous plusieurs rapports; car la transaction est, s'il y a
lieu, susceptible de rescision dans la forme ordinaire. Bien
plus, il est a remarquer que c'est moins sur les principes
en matière de chose jugée que sur les principes généraux des
contrats que sont fondées les causes de rescision admises.
285 bis. I. La formule de l'article 2052, 1er alin., qui reconnaît à
la transaction l'autorité de la chose jugée en dernier ressort, a
donné lieu à des discussions et à des interprétations diverses; on
reconnaît qu'il existe des différences entre la transaction et le juge-
ment, on constate des ressemblances, mais on fait remarquer que
les règles qui établissent l'analogie entre la transaction et le juge-
ment, par exemple celles qui ne font obstacle à une nouvelle instance
vin. 22
338 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
qu'autant qu'elle mettrait eu présence les mêmes parties sur la
même question, sont des règles de la matière des contrats, tout
naturellement applicables à la transaction, qui est un contrat. De
cette remarque on conclut que la disposition de l'article 2052,
ior alin., est inutile, parce qu'elle est dénuée de conséquences (1).
285 bis. IL Nous ne pensons pas que cette conclusion soit exacte.
L'article tranche une question que le Code n'a pas encore touchée
dans les articles précédents, et sur laquelle il était nécessaire de
s'expliquer. La transaction, en effet, dans la pensée des parties,
termine le différend comme le ferait un jugement. Mais à quel juge-
ment l'assimiler? est-ce à un jugement en dernier ressort? De même
qu'un compromis peut nommer des arbitres qui remplaceraient
seulement le tribunal du premier degré (art. 1010, C. Pr.), de
même la transaction aurait pu être considérée comme remplaçant
un jugement de première instance, susceptible d'appel, c'est-
à-dire de révision. Le Code s'explique sur ce point, il n'inter-
prète pas ainsi la convention des parties, il entend que la transac-
tion représente une décision en dernier ressort. On voit que les
règles sur la matière des conventions ne rendaient pas cet article
inutile, car c'est une question d'interprétation que résout ici la loi,
et quelque naturelle que puisse paraître l'interprétation légale, on
comprend qu'elle ait cet avantage d'éviter toute difficulté sur la
portée même de l'intention des parties.
L'ensemble de l'article 2052 et les articles suivants montrent clai-
rement la direction de la pensée des rédacteurs du Code. Ils abor-
dent immédiatement la matière des nullités, c'est-à-dire qu'ils se
préoccupent des divers moyens par lesquels on pourra attaquer la
transaction, et dans le premier des articles de la série ils parlent
des moyens que les parties ne pourront pas employer, en première
ligne ils excluent par leur formule le droit d'appel; en seconde
ligne, et par la deuxième partie de l'article, ils excluent l'action en
nullité pour erreur de droit et pour lésion.
285 bis. III. L'explication que nous donnons de l'article 2052,
1er alinéa, nous dispense de faire une comparaison entre la chose
jugée et la chose décidée par une transaction. Entre une convention
et un jugement, il y a une foule de différences essentielles qu'il
est absolument inutile d'énumérer.
(1) V. M. Accarias, Transactions, p. 302.
TIT. XV. DES TRANSACTIONS. ART. 2052 , 2053. 339
286. Quoi qu'il en soit, eu égard a la force particulière
attribuée a la transaction, l'erreur de droit, qui, suivant les
cas, pourrait certainement annuler pour fausse cause les obli-
gations ordinaires (art. 1131), et la lésion, que la loi elle-
même déclare vicier les conventions dans certains contrats ou
a l'égard de certaines personnes (art. 1118), ne peuvent
jamais être un motif pour attaquer une transaction. V. art.
2052, al. dernier.
Mais l'erreur de fait produit ici le même effet que dans les
contrats ordinaires; et comme la transaction doit toujours être
censée faite intuitu personœ, l'erreur sur la personne est,
comme l'erreur sur l'objet de la contestation, une cause de
rescision. V. art. 2053, al. 1, et à ce sujet, art. 1110.
Le dpi et la violence produisent également ici leur effet
ordinaire. V. art. 2053, al. 2, et a ce sujet, art. 1111-1116.
286 bis. I. Au second paragraphe de l'article 2052 commence la
théorie des nullités de la transaction. La loi parle principalement
dans cet article et dans les suivants, des cas d'annulabilité, c'est-
à-dire de ceux qui donnent naissance à ce que le Gode civil appelle
l'action en nullité ou en rescision. Il faut bien admettre cepen-
dant que la transaction sera exposée à d'autres attaques dans les
hypothèses où les conventions eu général sont radicalement nulles,
c'est-à-dire manquent d'une des conditions essentielles à leur exis-
tence. Par exemple, quand le consentement de l'une des parties
aura complètement manqué, quand la transaction n'aura pas
d'objet ou que l'objet sera illicite.
286 bis. II. Traitant des causes de rescision, la loi commence par
se débarrasser de deux d'entre elles, elle n'admet pas la rescision
pour lésion, ce qui est l'application pure et simple de l'article 1118,
elle repousse aussi la rescision pour cause d'erreur de droit. En prin-
cipe, toute erreur sur la substance de la chose est une cause de
nullité, et l'on peut concevoir telles hypothèses où cette erreur serait
une erreur de droit. Si par exemple nous raisonnons sur la vente
d'une créance, l'acheteur pouvait croire que l'obligation était civile
alors qu'elle n'était que naturelle, il a pu être induit dans cette
croyance par une erreur de droit, il aurait l'action en rescision pour
cause d'erreur. Il n'en sera pas ainsi dans la transaction. Cet acte,
22.
310 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
pour atteindre son but, qui est l'extinction des contestations, doit
n'être attaquable que dans des cas absolument exceptionnels, et
l'allégation d'une erreur de droit pourrait presque toujours être
produite, ce qui remettrait en question toutes les transactions. La
loi, d'ailleurs, a pensé que l'attention des parties avait dû, dans un
pareil contrat, être particulièrement appelée sur le côté juridique de
l'affaire, sur le point du droit; les parties l'ont étudié ou fait exami-
ner par des conseils, et l'erreur fondée sur la surprise est presque
improbable.
286 bis. III. Après avoir rejeté deux causes de rescision, la loi
consacre le droit de faire rescinder la convention dans les cas de
dol et de violence. Ce sont des causes ordinaires de rescision, pour
lesquels il faut renvoyer aux règles générales.
286 bis. IV. Puis elle parle du troisième vice, considéré comme
cause de nullité par l'article 1109, le vice d'erreur. Sur ce point,
des dictinctions sont nécessaires, parce que l'erreur peut porter sur
des points divers. La loi traite d'abord de l'erreur sur la personne.
Elle déclare que de cette erreur résulte une action en rescision. En
cela l'article 2053 semble déroger à la théorie générale, car l'ar-
ticle 1110 pose en règle que l'erreur sur la personne n'est point
une cause de nullité, à moins que la considération de la personne
ne soit la cause principale de la convention. Nous avons cependant
décidé, sur l'article 1110, qu'il faut entendre l'article 2053 en le
mettant en harmonie avec l'article 1110. Il nous a paru que l'ar-
ticle 2053, 1er alinéa, fait simplement un renvoi aux règles géné-
rales, comme son second alinéa, qui parle du dol et de la violence,
sans préciser dans quelles conditions ces faits vicieraient le consen-
tement. Cela étant, l'erreur sur la personne viciera la transaction
comme elle vicierait une vente, pourvu qu'on puisse voir que la
considération de la personne a été déterminante, par exemple si
l'on a cru traiter avec un parent, ce qui justifie certaines con-
cessions un peu larges. Sinon, pourquoi annuler un acte qui, nous
le supposons, éteint un procès, et que la partie avait autant
d'intérêt à faire avec Pierre qu'avec Paul (1)?
286 bis. V. On voit que nous ne raisonnons pas en vue d'une
erreur sur l'identité de la personne. Si, ayant une difficulté avec
Pierre, je transige avec Paul, que je crois être Pierre nous ne
(1) V. t. V, n3 12 bit. II.
TIT. XV. DES TRANSACTIONS. AF.T. 2053. 311
sommes plus dans l'hypothèse prévue, et je n'ai certes pas besoin
de demander la nullité de la transaction par rapport à Pierre, puis-
qu'il ne peut s'en prévaloir, c'est res inter alios acta.
Reste à savoir si je suis lié envers Paul, et si je dois exécuter
envers lui les obligations que m'a imposées la transaction. Nous ne
le pensons pas ; mais nous ne nous appuyons pas sur la théorie de
l'erreur quanta la personne, nous voyons dans cette hypothèse une
erreur sur !a cause de l'obligation; celui qui transigeait avec Paul
croyait en réalité obtenir la renonciation aux droits de Pierre, il
ne soupçonnait pas une autre prétention fondée sur les droits par-
ticuliers à Paul; puisqu'il n'obtient pas l'extinction des droits de
Pierre, son obligation manque de cause. Il en résulte qu'elle est
radicalement nulle, article 1131, et c'est à cause du caractère de la
nullité produite par cette erreur que nous mettons notre hypo-
thèse hors de l'article 2053, qui règle l'action en rescision.
286 bis. VI. Après avoir parlé de l'erreur sur la personne, l'article
indique l'erreur sur l'objet comme donnant ouverture à l'action en
rescision. Mais ici nous devons encore faire la distinction que nous
venons d'indiquer sur la question précédente. Il ne s'agit dans
l'article que des causes de rescision; donc il faut laisser de côté
les erreurs qui, d'après les principes généraux, entraînent une nul-
lité radicale, ce sont lorsqu'il s'agit de l'objet, des erreurs in ipso
corpore rei (1) J'ai cru transiger sur la propriété d'une terre en
Normandie, et l'autre partie transigeait sur une terre en Bretagne.
On a toujours reconnu que cette erreur capitale empêche le con-
trat de se former, elle est exclusive de l'accord des volontés, il
n'y pas convention (duarum voluntatum in idem placitum consensus).
Cette doctrine est tellement évidente, que dans le titre des contrats
le Code ne l'a pas même formulée; elle est admise cependant par
tous; au titre de la transaction la loi garde le même silence,
pourquoi l'interpréterait-on autrement et chercherait-on à faire
rentrer cette hypothèse dans les cas de rescision?
286 bis. VII. Quand la loi parle d'erreur sur l'objet, elle se réfère
donc aux erreurs dont il est traité à l'article 1110, c'est-à-dire à
l'erreur sur la substance de la chose. Quelle est ici véritablement
la chose objet de la convention, et qu'allons-nous considérer comme
erreur sur la substance?
(1) V. t. V, n° 16 bit. I.
342 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. I!I.
Il faut d'abord appliquer l'article 2053 aux erreurs que nous
avons reconnues en expliquant l'article 1110 comme des erreurs
sur la substance. Elles sont relatives à la nature de l'objet sur lequel
porte les prétentions opposées des deux parties. Ainsi, on a transigé
sur la propriété de lingots de métal qui1 lune des parties croyait
en or et que l'autre savait être de l'argent doré, ou bien sur un
tableau qu'une des parties croyait faussement être un original
tandis qu'il n'était qu'une copie (1). Ces hypothèses ont dû certaine-
ment se présenter les premières à l'esprit du législateur, puisque
ce sont celles pour lesquelles il a écrit l'article 1110 et parce qu'il
n'y a aucune raison pour valider en pareil cas une transaction
quand on annule une vente.
286 bis. VIII. Nous ferons cependant une observation, l'action en
rescision ne doit être admise qu'à propos d'une erreur préjudiciable.
Si donc la transaction avait uniquement consisté dans une division
de la propriété des lingots ou des tableaux dans une proportion
quelconque entre les parties, il n'y aurait pas lieu de rescinder
l'acte; car la partie qui a consenti à se contenter d'une moitié ou
d'un quart de la chose, ne souffre pas un dommage véritable lors-
qu'elle a la moitié d'un lingot d'or ou d'un tableau précieux au lieu
de la moitié d'un lingot d'argent ou d'une copie; les proportions
assignées aux droits des parties par la transaction sont observées
malgré la découverte d un changement dans la nature de cette
chose.
287. Il y a vrainement erreur substantielle sur l'objet
de la contestation, et la transaction, en conséquence, est
sujette a rescision, lorqu'elle est faite en exécution d'un titre
nul; car on doit croire que si la nullité eût été connue, le
consentement n'eût pas été donné. Ce n'est pas qu'on ne
puisse valablement transiger sur la nullité elle-même; mais
la loi ne suppose pas cette intention-, elle ne la reconnaît
qu'autant qu'elle est expresse. V. art. 2054; v. a ce sujet
art. 1338.
287 bis. I. L'article précédent renvoyait tacitement aux règles
générales du titre des contrats en ce qui concerne l'erreur sur
l'objet. Les articles qui suivent l'article 2053 envisagent diverses
(1) V. t. V, n» 16 bis. II.
TIT. XV. DES TRANSACTIONS. ART. 2053, 205 k 343
hypothèses d'erreur, et sur chacune d'elles nous allons avoir à
examiner si les solutions de la loi découlent de ces principes ou y
consacrent au contraire une dérogation.
Le premier article suppose une transaction faite en exécution
d'un titre nul ; les parties n'ayant pas expressément traité sur la
nullité, les contractants n'ont pas envisagé la question qui pouvait
s'élever sur la nullité du titre, ils discutaient sur son interprétation
ou sur la validité des clauses de l'acte considérées en elles-mêmes.
Si on suppose qu'il s'agit d'un testament, on voit quelles ques-
tions d'interprétation peuvent s'élever : le testateur a-t-il donné tout
le domaine ou seulement une partie, la propriété ou l'usufruit? ou
quelles questions de validité : le légataire est-il incapable (art. 909)?
la disposition est-elle une substitution prohibée ou un legs condi-
tionnel? Il y a place à bien des procès en dehors même de toute
contestation sur la validité du testament. La loi décide que la trans-
action est attaquable en pareil cas, et elle n'exige pas, pour que
la convention soit annulée, qu'il y ait eu erreur de la part de la
partie qui demande la nullité.
287 bis. II. Cette observation que nous faisons sur le silence de
la loi en ce qui concerne l'erreur, a une grande importance pour
déterminer la cause de la nullité. Elle ne se rattache pas, selon nous,
à la théorie de l'erreur. Quand on veut l'y rattacher, il faut ou
distinguer là où la loi ne distingue pas, ou admettre l'existence
d'une présomption juris et de jure , servant de preuve à l'erreur (i).
Les deux idées nous paraissent également inadmissibles : la distinc-
tion a contre elle le silence du Code, et la présomption, qui ne peut
être acceptée qu'en présence d'un texte formel (art. 1350), n'a pas
plus de texte sur lequel elle puisse s'appuyer.
L'article 2054 nous paraît donc être tout simplement l'application
de l'article 2048. Sur quoi portait le différend? sur l'exécution de
l'acte ou sur sa validité au point de vue de la forme? Pour qu'il soit
certain qu'on a transigé sur la validité de l'acte, il faut que les
parties l'aient expressément déclaré. Voilà tout ce que l'article
2054 ajoute à l'article 2048.
287 bis. III. Ceci étant, nous arrivons facilement à la solution d'une
question fort controversée : le fait, cause de la nullité, était connu
de la partie, mais par une erreur de droit elle en ignorait les con-
(1) V. M. Accarias, Transactions, p. 312.
344 couns analytique de code civil, liv. m.
séquences. On comprend une discussion sur ce point quand on
fait dériver l'article 2054 de la théorie sur l'erreur; faut-il, par
application de l'article 2052, refuser l'action en nullité, ce qui, il
faut le remarquer, introduirait encore une autre distinction dans l'ar-
ticle 2048, qui cependant n'en fait aucune? Dès que l'action en nullité
du titre peut être intentée parce que la transaction est restée étran-
gère à la question de validité, il n'y a pas à se préoccuper du point
de savoir si la partie connaissait ou non la cause de nullité et en
ignorait ou non la valeur juridique (1).
287 bis. IV. Il ne suffit pas du reste d'avoir constaté que l'article
2054 applique la règle de l'article 2048, et que la partie ou les
parties peuvent faire déclarer la nullité du titre; il reste à dire ce
que devient la transaction quand l'acte, dont elle réglait l'exécu-
tion, est reconnu nul. A notre sens, elle manque d'objet, car il n'y
a pas à régler l'exécution d'un acte qui n'existe pas, et c'était pré-
cisément la réglementation de cette exécution qui était l'objet de la
transaction. Nous pensons donc que la nullité est radicale, et que
l'article 2054 a employé improprement l'expression action en resci-
sion. Il résultera de cette doctrine une conséquence pratique qui
nous paraît fournir par elle-même un argument dans notre sens;
si la nullité du titre était une nullité radicale comme celle qui résulte
d'un vice de forme dans une donation ou un testament, la durée
de la prescription ne serait pas réduite à dix ans, comme cela paraî-
trait ressortir de l'article 2054. Or, il paraît inadmissible qu'en
transigeant sur l'exécution d'un acte sans transiger sur la nullité,
ce qui est la supposition de la loi, on ait diminué considérablement
le temps pendant lequel les parties peuvent utilement se prévaloir
de la nullité (2).
287 bis. V. Nous avons raisonné sur un vice du titre qui entraî-
nait une nullité radicale, mais il n'y a pas de motif pour ne pas
appliquer l'article, lorsque le titre est simplement annulable. Si l'on
n'a pas transigé quant à l'action en nullité, l'article 2054 s'appli-
quera, et l'anéantissement du titre obtenu par voie d'action en res-
cision proprement dite fera défaillir l'objet de la transaction, qui
deviendra alors radicalement nulle. Il faut toutefois prendre garde
que dans certaines hypothèses la transaction sur l'exécution du titre
(1) V. cependant C. Poitiers, 10 juin 1878. Sirey, 1878, 2, 109.
(2) M. Demante, dans le n° 187, énonce une opinion contraire à celle que
nous soutenons. V. aussi M. Accarias, Transactions, p. 311 et suiv.
TIT. XV. DES TRANSACTIONS. AUT. 205 4, 2055. 345
annulable devra être considérée comme une exécution impliquant
confirmation tacite, d'où il résultera que l'annulation ne pourra plus
être demandée et que la transaction, ayant un objet, sera valable.
Il restera néanmoins des cas où la transaction ne vaudra pas con-
firmation, c'est quand la partie ignorera le vice de l'acte, objet de
la transaction; l'exécution volontaire ne vaut confirmation que
quand elle est faite en parfaite connaissance du vice qui rend le
contrat annulable (1).
287 bis. VI. Cette hypothèse que nous examinons la dernière,
dans laquelle le titre n'est pas radicalement nul, mais seulement
rescindable, nous fournit peut-être l'explication de l'incorrection
que notre opinion sur l'article 2054 impute au législateur. Où il a
écrit le mot rescision, nous traduisons par nullité radicale; cette
confusion, qui a été quelquefois commise surtout dans les discussions
qui ont préparé le Gode civil, pourrait résulter dans l'article 2054
de l'espèce que les rédacteurs avaient particulièrement en vue. S'ils
songeaient à un titre annulable, ils voyaient le procès sur la trans-
action commencer par une action en nullité en rescision, et comme
ia nullité de la transaction résultant de l'annulation du titre ne se
produit que par voie de conséquence, ils n'ont caractérisé que la
première action intentée, sans chercher à donner la dénomination
exacte de la seconde action, qui ordinairement ne sera pas intentée
spécialement et qui se produira sous la forme de conclusions com-
plétant les conclusions à fin de nullité du titre, et tendant en quel-
que sorte à faire régler l'exécution du jugement qui aura prononcé
la rescision de ce titre.
288. Le cas de faux rentre réellement dans celui de nul-
lité ; ainsi la transaction sur pièces fausses doit être nulle, à
moins qu'on n'ait traité sur la fausseté (Léon et Anth.j L. 43,
Cod., de transact.). Toutefois, il esta remarquer que pour
maintenir la transaction sur pièces fausses, la loi ne semble
pas exiger, comme au cas de nullité , qu'on ait traité expres-
sément sur la fausseté} il paraît suffire que le vice du titre ait
été connu^ en effet, la nullité n'est prononcée que dans la
supposition que les pièces ont été depuis reconnues fausses.
Au reste, la transaction est sur pièces fausses par cela seul
(1) V. t. V, n° 310 bit.
346 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
que quelqu'un de ses articles est basé sur ces pièces-, et vu la
corrélation nécessaire de toutes ses parties, notre législateur
veut qu'elle soit alors entièrement nulle. V. art. 2055.
288 bis. I. L'article 2055 prévoit un cas d'erreur, et sa rédaction
accentue bien la différence d'espèce qui le sépare de l'article pré-
cédent. Une des parties a produit à l'autre, à l'appui de ses préten-
tions, des pièces qui depuis ont été reconnues fausses, donc alors elles
étaient crues vraies, il y avait erreur ; nous avons fait remarquer
au contraire que dans l'article 2054 il n'est pas dit que les parties
ignoraient la nullité du titre sur l'exécution duquel elles traitaient.
L'erreur commise dans le cas de l'article 2055 n'est pas une
erreur sur l'objet, car l'objet, c'est d'abord la chose matérielle ou
immatérielle sur laquelle on prétend des droits, c'est peut-être aussi,
en matière de transaction, le droit prétendu par chacune des parties ;
ici l'erreur porte sur un moyen de preuve produit par une partie,
ce n'est pas une erreur prévue par l'article 11 10. Ce ne peut être
qu'une erreur sur la cause. L'une des parties a consenti à faire des
sacrifices pour obtenir la renonciation à une prétention qu'elle
croyait appuyée sur un acte écrit, cet acte est faux, et il en résulte
qu'elle a obtenu la renonciation à une prétention qui n'a pas cet
appui solide, ce pour quoi la partie s'est obligée ou a donné quelque
chose n'existe pas, la cause manque. Donc la transaction est radi-
calement nulle. Le texte de notre article ne contredit pas cette
doctrine, car ici nous ne retrouvons pas l'expression rescision.
288 bis. II. On objectera peut-être qu'il est grave de reconnaître
à cette nullité le caractère de nullité absolue, parce qu'il en résulte
que celui qui a produit la pièce fausse pourra demander la nullité.
Nous répondrons qu'il n'y aura pas probablement intérêt, mais qu'il
a juste sujet de ne pas rester très -longtemps à la discrétion de
l'adversaire qui, quand il voudra, fera annuler la transaction. Nous
ajouterons que, responsable de la faute qu'il a commise en se servant
d'une pièce fausse, il devra des dommages et intérêts à l'autre
partie, si la rupture de la transaction nuit à celle-ci, et que le
maintien de cette transaction pourrait alors être imposée comme
réparation du dommage. Pour être complet, disons que la partie qui
a produit le titre de bonne foi n'en serait pas moins responsable,
parce qu'elle a au moins commis une imprudence en se servant
d'une pièce sans s'être assurée de sa sincérité.
T1T. XV. DES TRANSACTIONS. ART. 2055, 2056. 3i7
288 bis. III. Il faut remarquer que Ja transaction sur pièces fausses
est entièrement nulle. Ce qui signifie qu'elle ne vaut en aucune de
ses parties, qu'on ne se contente pas d'invalider la convention
quant à celle des prétentions opposées sur laquelle la pièce fausse
a été produite, à la différence de ce qui se passe en matière de
requête civile (art. 482, C. Pr.). Il est en effet bien plus difficile dans
une transaction que dans un jugement de discerner si l'influence
de la pièce fausse a été absolue ou relative, la transaction étant bien
souvent, dans la pensée des parties, comme une compensation des
différentes prétentions les unes avec les autres, et le sacrifice
que l'une des parties fait sur un point peut être déterminé par la
crainte de celles des prétentions adverses que paraissait justifier la
pièce fausse. La transaction est un ensemble de conventions qui s'en-
chaînent et s'entremêlent les unes dans les autres; en faisant
tomber l'une, on les fait tomber toutes.
289. 11 y a encore erreur sur l'objet de la contestation, si la
transaction est faite sur un procès terminé par un jugement,
dont l'existence était ignorée, soit par les deux parties, soit
par l'une d'elles seulement. Mais cette erreur, condition né-
cessaire, dans les principes du Code, pour que le jugement
fasse obstacle à la validité delà transaction, n'est réputée
substantielle, et ne produit nullité, qu'autant que le jugement
ignoré était passé en force de chose jugée. Secus quand l'ap-
pel est possible; car alors il y a encore matière a litige, et
l'on n'est pas sûr que la connaissance du jugement eût empê-
ché de transiger. V. art 2056, et à ce sujet, Ulp., L. 7, L. \i,
D. de transact.; L. 23, § 1, de cond. ind.; Diocl. et Max.,
L. 32, Cod., de transact.
289 bis. I. L'erreur prévue par l'article 2056 consiste dans l'igno-
rance de ce fait que la prétention comprise dans la transaction avait
été l'objet d'un procès et que ce procès avait été terminé par un
jugement ayant force de chose jugée. La loi a exprimé sa pensée
autrement, elle a dit : jugement passé en force de chose jugée ;
mais nous savons qu'elle n'attache pas habituellement d'importance à
la différence de ces deux expressions, qu'elle entend, soit par l'une,
soit par l'autre, désigner un jugement qui ne peut pas être attaqué
soit par l'opposition, soit par l'appel, que ce soit d'ailleurs un juge-
318 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V III
ment en premier et dernier ressort ou un jugement rendu en
premier ressort, mais qui a acquis une force définitive par l'expira-
tion des délais d'opposition ou d'appel (1).
289 bis. II. Nous voyons l'article 2056 indiquer expressément
que dans l'hypothèse qu'il régit il y a eu erreur des deux parties
ou de l'une d'elles; de même que l'article précédent la loi a, par
certaines de ses expressions, montré qu'elle supposait une erreur.
Mais nous devons nous demander quelle est la nullité qui produit
cette erreur. Sur l'article 2055, il nous était facile de dire : l'erreur
n'a pas porté sur l'objet de la convention, donc nous ne sommes
pas en présence d'une obligation rescindable aux termes de l'article
1110. Sur l'article 2056, nous devons bien reconnaître que l'erreur
porte sur l'objet ou l'un des objets de la convention. Néanmoins,
ce n'est pas l'erreur que prévoit l'article 1110, parce qu'il ne s'agit
pas d'une erreur sur la substance, c'est-à-dire sur la qualité carac-
téristique de la chose, c'est une erreur sur l'existence même de
l'objet. La convention a pour objet des prétentions qui ont occasionné
ou qui peuvent occasionner un procès; or, si l'affaire a déjà été
jugée, il n'y a plus litige, droit litigieux; la transaction manque
d'objet, au moins l'obligation de la partie qui renonçait à la préten-
tion condamnée par les tribunaux manque d'objet, et partant l'autre
manque de cause. La convention doit être nulle, d'une nullité
absolue.
289 bis. III. Ceci étant, on peut être étonné que la loi subordonne
cette nullité à la condition d'erreur, car il est certain qu'une
vente qui a pour objet un animal mort est radicalement nulle,
quand bien même l'une des parties ou même toutes les deux
auraient connaissance de l'événement qui a détruit la chose vendue
(art. 1601). Mais nous apercevons une grande raison de différence
entre les deux hypothèses : quand l'animal est mort, il n'en reste
plus absolument rien qui puisse être l'objet de la convention;
quand un droit litigieux est éteint par un jugement, il reste encore
quelque chose, une obligation naturelle, ce quelque chose n'est pas
suffisant pour servir d'objet à une transaction, parce que, cette obli-
gation n'étant pas protégée par une action, un procès est impossible.
Mais l'obligation naturelle peut acquérir une force véritable par la
reconnaissance consciente de l'obligé; or, celui qui transigera sciem-
(1)V. t. V, n- 207 bis. IV.
TIT. XV. DES TRANSACTIONS. ART. 20 j6, 2057. 349
ment sur un droit éteint par un jugement ayant force de chose
jugée, peut être considéré comme ayant reconnu l'existence de
l'obligation naturelle, et consenti à transiger sur cette obligation.
Voilà pourquoi l'espèce sur laquelle notre article raisonne, suppose
nécessairement une erreur, bien que, si cette erreur a existé, on
arrive à une nullité non pas pour erreur, mais pour absence d'objet.
289 bis. IV. La conséquence de notre doctrine, qui fait de la
nullité une nullité absolue, c'est que la partie qui a connu l'exis-
tence du jugement ayant force de chose jugée, aura le droit d'at-
taquer la transaction, mais il faudra pour cela que ce ne soit pas la
partie que le jugement déchargeait de son obligation prétendue,
parce que nous venons de dire que la transaction équivalait alors à
une reconnaissance de l'obligation naturelle qui survit au jugement,
d'où il résulte qu'on n'est plus dans le cas prévu par l'article 2057
et que la transaction, ne manquant plus d'objet, est valable.
289 bis. V. Si la partie qui a ignoré le jugement était celle en
faveur de qui ce jugement reconnaissait l'existence d'un droit,
l'autre partie, condamnée à accomplir une certaine prestation, par
un jugement qu'elle connaissait, n'a pas, en consentant à la trans-
action, reconnu l'existence d'une obligation naturelle donnant un
objet à la transaction, par conséquent nous sommes bien dans
l'hypothèse prévue et réglée par l'article; Tact', est nul absolument,
et les deux parties peuvent invoquer la nullité, aussi bien celle
qui a connu le jugement que celle qui en a ignoré l'existence, etl'on
comprend que la première ait intérêt à cette nullité pour ne pas
rester indéfiniment à la discrétion de l'autre partie, qui pourrait à
son gré se prévaloir de la transaction ou en invoquer la nullité.
290. Non seulement l'ignorance d'un jugement, mais celle
d'un titre décisif, constitue aussi une erreur grave, qui peut
influer sur le sort de la transaction, pas au même degré pour-
tant que la production d'une pièce fausse.
Ainsi, lorsque la transaction est générale sur toutes les
affaires que les parties pouvaient avoir ensemble, l'igno-
rance de quelques titres n'est pas réputée produire une erreur
substantielle j par conséquent leur découverte ne suffit, pour
la rescision, qu'autant qu'ils ont été retenus par le fait de
l'une des parues ; auquel cas il y a dol.
Au contraire, l'erreur est substantielle, et la transaction est
350 COUIiS ANALYTIQUE DK CODE CIVIL. LIV. III.
nulle, si elle n'a qu'un objel, el que les titres nouvellement
découverts démontrent l'absence entière de droit pour l'une
des parties. V. art. 2057; v. a ce sujet Diocl. et Max.,
L. 19 et 29, Cod., de transact.
290 bis. I. L'article 2057 suppose des faits assez semblables à
ceux sur lesquels statue l'article 2056. Il raisonne en vue d'une
découverte, postérieure à la transaction, de pièces décisives consta-
tant que l'une des parties n'avait aucun droit; à cette différence
près qu'il ne s'agit pas de la découverte d'un jugement, les deux
hypothèses se confondent, mais nous allons voir qu'elles ne
doivent pas être réglées par les mêmes principes.
Des deux parties de l'article, la seconde seule fait apparaître
nettement la solution de la loi, parce qu'elle traite d'un cas où la
difficulté se présente dans toute sa pureté, sans mélange étranger
d'une difficulté secondaire. Nous examinerons d'abord cette hypo-
thèse; la transaction n'avait qu'un objet, et c'est sur cet objet
qu'il a été découvert des titres décisifs établissant que l'une des
parties était sans droit.
Dans ce cas, nous ne pouvons pas soutenir, comme nous l'avons
fait sur l'article 2056, que la transaction manque d'objet, qu'il
n'existait pas deux prétentions contraires; car si l'on peut dire cela
quand un jugement, tenu par la loi pour la vérité même, ferme en
quelque sorte à l'une des parties l'accès des tribunaux, il n'en est
pas de même quand une des parties possède une pièce qu'on
qualifie décisive, mais que l'autre peut toujours contester et sur
laquelle il faudra bien que les juges décident. Il y a un procès
possible, donc il y a matière à transaction. L'article 2057 ne peut
pas prononcer en pareil cas une nullité absolue fondée sur l'absence
d'objet. Il faut bien qu'il s'agisse de la nullité pour erreur, c'est-à-
dire d'une annulabilité. L'erreur ici a bien les caractères exigés par
l'article 11 10. Elle porte sur la prétention de l'une des parties, et
l'on peut dire qu'elle est substantielle, car une prétention appuyée
sur un titre précis et régulier n'a plus, dans la pensée même de
celui qui le produit, le caractère d'un droit douteux, litigieux; elle
croyait avoir une chance, elle avait une certitude, un droit; voilà
pourquoi l'on peut dire qu'en faisant un sacrifice pour consolider
son droit, elle a agi sous l'influence d'une erreur sur la substance.
Cette partie pourra donc seule demander la nullité, elle devra agir
TIT. XV. DES TRAINSACTIOiNS. AïiT. 2057. 351
dans le délai de dix ans, et elle pourra, si elle le veut, confirmer
la transaction.
290 bis. II. Il ne faut pas trouver étrange le résultat auquel
nous conduit l'étude séparée des divers cas de nullité énumérés
par la loi; le Code n'a pas tenté une théorie, rien n'indique qu'il
ait cherché à soumettre à une idée commune ses solutions, il
examinait des hypothèses variées, il a hien pu les régler diversement.
Il est vrai qu'ii a employé le mot rescision dans deux articles, et
que dans trois autres il a parlé de transactions nulles. Sur ces trois
hypothèses il y en a deux où la nullité nous paraît absolue et une
troisième où elle nous semble être une annulabilité, de même que
des deux articles qui parlent de la rescision, il en est un qui, selon
nous, consacre un cas de nullité absolue. La liberté que nous avons
prise de traduire les expressions de la loi d'après les données que
nous fournissaient les principes, nous paraît justifiée parles appré-
ciations que nous rencontrons dans l'ouvrage de l'auteur qui a
développé avec le plus d'énergie la doctrine qui voit dans tous les
articles depuis 2053 jusqu'à 2057 l'enumération de cas d'annu-
labilité, ou pour parler comme la loi, de rescision. D'après cet
auteur, « il n'y a qu'à lire un peu attentivement et d'un bout à
« l'autre les discours des orateurs du gouvernement et du Tribunat
« pour reconnaître que leurs idées sur la matière des nullités sont
« souvent fausses, presque toujours mal digérées et confuses, et
« qu'ils sont loin de s'accorder entre eux, soit avec eux-mêmes...
« Ainsi, dans l'exposé des motifs, la transaction sur chose jugée est
« d'abord considérée comme simplement entachée d'erreur, et
« quelques lignes plus bas elle est déclarée manquer d'objet (1). »
290 bis. III. La première partie de l'article prévoit une hypothèse
dans laquelle la production tardive d'un titre inconnu lors de la
transaction n'entraînera pas la nullité. Les parties ont transigé sur
toutes les affaires qu'elles pouvaient avoir ensemble. Elles se con-
sidéraient comme étant en différend sur un grand nombre d'affaires,
elles les ont terminées par un seul arrangement. Le titre découvert
postérieurement n'est relatif qu'à l'une des affaires. Peut-on dire
que l'erreur était substantielle? Non certes, car en faisant abstraction
du litige tranché par le titre découvert, il reste encore plusieurs
autres points litigieux, la nature de l'objet de la transaction ne
(1) M. Accarias, Transactions, n° 327.
352 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
change pas, il diminue d'importance, vo'li tout; or, on n'a jamais
considéré l'erreur sur l'importance de l'objet comme étant une
erreur sur la substance.
La décision de l'article 2057, 1er alinéa, est fondée en réalité sur
une interprétation de volonté, par conséquent on pourra l'appli-
quer toutes les fois que les parties auront transigé sur un ensemble
d'affaires, sur plusieurs litiges, alors même qu'elles n'auraient pas
compris dans leur convention toutes les affaires qu'elles pouvaient
avoir ensemble.
290 bis. IV. L'article réserve avec raison le cas où les pièces
auraient été retenues par le fait de l'une des parties, alors il y
aurait dol. et la transaction serait rescindable, d'après l'article
2053. Nous posons en règle que le cas prévu par l'article 2057
est un cas de dol, parce que cet article parle de pièces retenues.
Or, cette expression implique bien l'idét d'un acte volontaire ou
au moins conscient, et l'on peut bien dire que celui qui sciemment
retient, c'est-à-dire conserve avec un soin jaloux la pièce décisive
en faveur de son adversaire, commet un dol. S'il avait détenu
inconsciemment cette pièce, on ne pourrait pas alléguer le dol, seu-
lement il faut reconnaître que le fait de la détention fera facilement
présumer la rétention, autrement dit que la partie devra prouver
sa bonne foi en démontrant les circonstances qui établissent qu'elle
ne savait pas posséder ce titre.
291. La simple erreur de calcul, lorsque les parties étaient
d'accord sur les bases du traité ,ne doit point suffire pour ren-
verser l'œuvre de la volonté commune 5 seulement le résultat
en étant faussé, il est juste de le rétablir. Aussi la loi veut-
elle que cette erreur soit réparée. V. art. 2058; v. aussi C.
Pi\, art. 541; v. pourtant Diocl. et Max., L. un., Cod., de
err. cale.
291 bis. I. L'erreur de calcul ne vicie pas la transaction, voilà la
règle; mais pour qu'il en soit ainsi, il faut qu'il apparaisse par la
transaction elle-même que l'erreur résulte d'opérations arithmétiques
mal faites, et qui ont par suite donné un résultat contraire aux
dispositions mêmes de la transaction. Exemple : dans une trans-
action sur des droits héréditaires, il est dit que Pierre supportera
un tiers des dettes et Paul deux tiers, puis on énumère les dettes
déjà payées, qui se montent à 36,000 francs, d'où l'on conclut que
TIT. XV. DES TRANSACTIONS. ART. 2057, 2058. 353
Pierre payera 9,000 francs et Paul 27,000. La disposition principale
de la transaction est celle qui détermine la fraction mise à la charge
de chaque héritier. L'autre n'en est que l'exécution. Or, il est clair
qu'on s'est trompé dans l'exécution, et qu'on a divisé la somme à
payer par i au lieu de la diviser par 3. Le fond de la transaction
doit rester intact, le calcul seul est à refaire.
291 bis. IL Mais on ne pourrait pas revenir sur une transaction
sous prétexte d'erreur de calcul, quand on ne trouverait pas dans
la transaction même les bases du calcul dont la convention n'indi-
querait que les résultats. Exemple : dans la même hypothèse, au lieu
d'établir d'abord dans quelle proportion les dettes seront suppor-
tées, ou aurait dit que les 36,000 francs payés par la succession
seraient supportés par Pierre pour 9,000 francs et par Paul pour
27,000. Il serait inadmissible qu'on prétendît changer ces chiffres
sous prétexte d'erreur de calcul. Comment pourrait-on savoir que
les parties avaient voulu diviser la somme par 3? Il ne se produira
sur ce point que des allégations d'où il résulterait peut-être que
pendant les pourparlers précédant la transaction il avait été question
de diviser en tiers, mais ces pourparlers pourraient avoir abouti
au dernier moment, lors de la convention, à une division par
quarts. La question ne se présente plus comme une simple question
d'erreur arithmétique; on prétend qu'une erreur s'est produite sur
la somme que chacune des parties s'engageait à payer, et cette
erreur n'est pas une cause de rescision de la convention.
292. Observons, en terminant, que c'est a l'erreur sur
l'objet de la transaction que nous ont paru se rattacher toutes
les diverses causes de nullité énumérées dans les articles
2054-2057. Nous n'hésitons pas a en conclure, sans égard
aux expressions différentes employées par la loi, qu'elle n'en-
tend, dans aucun de ces cas, prononcer une nullité de plein
droit, mais autoriser simplement une action en rescision
(v. ait. 1117,2053).
292 bis. Cette dernière observation de M. Devante est le résumé
de la doctrine qu'il a admise dans les numéros précédents, et que
nous avons essayé de combattre.
23
TITRE SEIZIEME.
DE LA COXTRAINTE PAR CORPS EN MATIÈRE CIVILE.
293. La contrainte par corps est une voie d'exécution, qui
consiste dans l'emprisonnement du débiteur pour le forcer a
s'acquitter.
La soumission a la contrainte par corps est, comme on voit,
une manière d'assurer l'exécution des obligations; ce qui, a
certains égards, rattache celte matière à celle du cautionne-
ment, déjà expliquée, aussi bien qu'à celle du nantissement et
à celle des privilèges et hypothèques, qui seront successive-
ment traitées.
294. La contrainte par corps est un attentat a la liberté
de la personne. Cette liberté est trop précieuse pour que la
faculté d'y attenter ainsi doive être, comme celle de saisir les
biens, accordée de droit commun aux créanciers. Bien plus,
le respect du principe va jusqu'à faire considérer la volonté
même du débiteur comme impuissante en soi pour le sou-
mettre à cette rigueur. A la loi seule il appartenait d'appré-
cier les considérations d'intérêt public ou privé qui, récla-
mant pour certaines obligations un nerf tout spécial, pouvaient
commander jusqu'à un certain point le sacrifice du premier
des biens.
294 bis. I. Le Code civil avait énuméré les divers cas dans les-
quels la contrainte par corps était admise en matière civile, et
indiqué un certain nombre de règles sur l'exercice de cette voie
rigoureuse de coercition. Une loi du 17 avril 1832, en modifiant
sur certains points le Code civil, avait en outre réglementé la
contrainte par corps en matière de commerce et en matière de
deniers et effets mobiliers publics, elle avait aussi fixé les règles
sur la contrainte par corps contre les étrangers, en admettant
contre eux cette voie de rigueur en toutes matières, pourvu que
la condamnation excédât 150 francs.
HT. XVI. DE LA CONTRAINTE PAR CORPS. ART. 2059-2070. 35
Une loi du 13 décembre 1848 avait apporté des tempéraments
aux règles résultant du Gode civil et de la loi de 1832.
Mais toute cette législation est aujourd'hui abrogée. La contrainte
par corps a été abolie par la loi du 22 juillet 1867 en matière civile
et commerciale. Elle n'est plus maintenant autorisée qu'en matière
criminelle, correctionnelle et de simple police.
294 bis. II. Cette abrogation rend inutile l'explication des dis-
positions du titre de la contrainte par corps au Code civil. Quanta
la loi de 1867, ses principales règles appartiennent à la matière de
la procédure ou au droit criminel.
Nous avons seulement à faire remarquer, parce que ceci tient
par un côté au droit civil, que la contrainte par corps peut résulter
des arrêts et jugements contenant des condamnations en faveur des
particuliers pour réparation de crimes, délits ou contraventions
commis à leur préjudice (art. 4 et 5), que la durée de la contrainte
est fixée par la loi d'après l'importance de la somme due (art. 9),
que les particuliers créanciers doivent pourvoir aux aliments des
débiteurs détenus (art. 7), que le débiteur peut faire cesser la con-
trainte en fournissant une caution bonne et valable (art. 11), que
le contrainte ne peut pas être exercée contre un débiteur au profit
de son conjoint, de ses descendants ou ascendants, frères ou sœurs,
oncles, tantes, grands-oncles, grand'tantes, neveux, nièces, petits-
neveux ou petites-nièces, ni de ses alliés au même degré (art. 13).
23.
TITRE DIX-SEPTIEME.
DU NANTISSEMENT.
295. Comme le cautionnement et la contrainte par corps,
le contrat de nantissement a pour but d'assurer l'exécution
d'une obligation. La sûreté consiste ici dans la remise d'une
chose en la possession du créancier. Cette remise, qui a pour
effet d'affecter, diversement suivant les cas, la chose au paie-
ment de la dette, est naturellement supposée devoir être faite
par le débiteur lui-même. V. art. 2071; v. au surplus art.
2077 et 2090.
On aperçoit par ce simple exposé que le contrat de nantis-
sement est réel, aussi bien que le prêt et le dépôt. Comme
eux, il ne produit qu'une obligation principale, celle du
créancier, qui, en recevant la chose, s'engage a la restituer
après le paiement ou a rendre compte de son emploi. C'est
donc un contrat unilatéral dans le sens du Code civil. Toute-
fois il emporte aussi pour celui qui livre la chose des obliga-
tions implicites, et peut en faire naître d'incidentes qui lui
donnent le caractère de synallagmatique imparfait. Le nantis-
sement, du reste, diffère essentiellement du prêt et du dépôt
par le but de la remise, qui en fait évidemment un contrat
intéressé de part et d'autre.
Les meubles et les immeubles peuvent être l'objet du nan-
tissement; la loi appelle gage le nantissement des choses
mobilières, et antichrèse celui des choses immobilières.
V. art. 2072.
295 bis. I. Pothier donne la définition suivante du contrat de
nantissement : un contrat par lequel un débiteur, ou un autre pour
lui, donne au créancier une chose pour la détenir par devers lui
pour la sûreté de sa créance, et le créancier s'oblige de la lui
rendre, après que sa créance aura été acquittée (1).
(1) V. Pothier, Contrat de nantissement.
TIT. XVII. DU NANTISSEMENT. ART. 2071, 2072. 357
Dans cette définition, Pothier met en relief cette idée que celui
qui constitue le nantissement peut être un tiers qui cherche à
rendre service au débiteur en lui procurant du crédit; de plus, il
précise l'avantage que le créancier retire quand on lui donne, ou
mieux quand on lui remet une chose en nantissement. Ce créancier
acquiert le droit de la détenir pour la sûreté de sa créance et
de ne la rendre qu'après l'acquittement de l'obligation. C'est en
quoi la remise de la chose procure une sûreté au créancier, parce
que le propriétaire, privé de la jouissance de sa chose, ne pou-
vant pas l'aliéner facilement et dans de bonnes conditions, a intérêt. à
l'extinction de la dette; si ce propriétaire est le débiteur lui-même,
ce qui est le cas le plus fréquent, il résulte de b privation de sa
chose une sorte de contrainte qui le détermine à payer; si le nan-
tissement a été fourni par un tiers, celui-ci usera certainement
de l'influence que lui donne le service rendu pour pousser le
débiteur au paiement. De plus, comme il aura d'ordinaire fait le
contrat de nantissement sur la demande du débiteur, il aura
comme mandataire l'action mandati contraria pour le contraindre
à payer, quand on pourra raisonnablement supposer qu'on est
arrivé à l'époque où le mandataire avait entendu qu'il rentrerait
en possession de la chose donnée en nantissement.
295 bis. II. Le nantissement étant un contrat ne peut naître sans
une convention, mais par Je but que se propose le créancier, par
l'utilité qu'il espère retirer de la privation de jouissance imposée
au débiteur, comme aussi par le caractère de l'obligation de ce
créancier, obligation de restituer, ce contrat ne se formera pas
nudo consensu. La mise en possession du créancier est essentielle :
le contrat est donc réel, comme le prêt, comme le dépôt, en ce sens
que la convention est impuissante à produire les conséquences de
fait sans lesquelles il n'y a pas de nantissement. On pourra bien
faire valablement une promesse de nantissement, mais cette pro-
messe ne donne pas au créancier la détention qui fait sa sûreté et
ne l'oblige certes pas à rendre ce qu'il n'a pas reçu. C'est pour
montrer le caractère réel du contrat que le Code a écrit : le nantis-
sement est un contrat par lequel un débiteur remet une chose;
c'est un contrat, donc il faut un accord de volonté, mais il faut
qu'avec la convention coïncide un fait matériel, la remise de la
chose.
295 bis. III. La notion du nantissement telle que nous venons
358 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
de la donner est assez peu précise pour embrasser deux contrats
bien différents l'un de l'autre, le gage et l'antichrèse.
Le gage est un nantissement qui, à l'avantage de la détention,
joint le droit pour le créancier d'être payé sur le prix de l'objet
par préférence à tous autres créanciers.
L'antichrèse, autre contrat de nantissement, ne donne pas de
droit de préférence sur le prix de vente, mais elle donne au créancier
le droit de percevoir les fruits de la chose et de les imputer sur les
intérêts et le capital de sa créance, sauf à restituer la chose quand
ces imputations successives auront éteint complètement la dette.
295 bis. IV. D'après l'article 2072, le gage est le nantissement
des meubles et l'antichrèse le nantissement des immeubles. Ceci
est plutôt la constatation d'un fait de pratique que l'établissement
d'une règle restrictive.
Les conventions sont libres; comment donc et pourquoi interdire
le contrat qui, sans donner au créancier qui a reçu un meuble en
nantissement, un droit de préférence sur le prix, lui permettrait
de profiter des fruits de la chose, si elle en produit, et de les
imputer sur sa créance? La loi n'a pas prévu cette convention,
parce que les meubles ne sont pas ordinairement frugifères ; mais on
ne comprendrait pas que celui qui peut donner un droit de pré-
férence sur un bien, ou créer sur ce bien un droit réel de jouissance,
à titre d'usage ou d'usufruit, ne pût pas constituer un droit souvent
moins important. Le Code, au reste, présume une convention
semblable quand la chose donnée en gage est une créance pro-
duisant des intérêts (art. 2081), et Pothier généralisait cette idée
en l'appliquant au gage ayant pour objet tout meuble frugifère (i).
Nous n'irons pas si loin que Pothier sur ce point, le Code n'ayant
pas reproduit sa doctrine, mais nous pouvons nous appuyer sur sa
décision pour autoriser une convention formelle qui donnerait ce
droit au créancier.
295 bis. V. Nous ferons une observation en ce qui concerne le
gage. La convention pourrait créer un droit de gage proprement
dit sur un immeuble. Seulement le droit du créancier sera néces-
sairement fort restreint, à cause des règles un peu strictes qui
régissent les droits sur les immeubles. Certes, dans les rapports
entre le créancier et le débiteur, il n'y a pas de raison pour
(1) V. Pothier, A'antissement, n* 36.
TIT. XVII. DU NANTISSEMENT. ART. 2072, 2073. 359
interdire la convention qui mettrait le créancier en possession de
l'immeuble afin que le débiteur fût privé de la jouissance jusqu'au
paiement. Mais ce qui ne pourra pas résulter de cette convention,
ce sera le droit d'être payé sur le prix avant les autres créances,
parce que le droit de préférence sur les immeubles ne peut exister
que comme hypothèque ou comme privilège. Comme hypothèque,
il est soumis à des conditions de forme dans sa constitution et de
conservation que nous ne supposons pas remplies. Comme privilège,
il est impossible, parce que les privilèges sont déterminés limi-
tativement par la loi, et que le gagiste n'a reçu de privilège que
dans l'article 2102, qui énumère les privilèges sur les meubles.
295 bis. VI. Reste la question de rétention. Ce droit pourra-t-il
être invoqué à l'égard des tiers, créanciers ou acquéreurs? Nous
voyons bien dans la loi des cas où certaines personnes ont le droit de
rétention et peuvent le faire valoir ergo omnes. Mais ce droit est
alors fondé sur des dispositions plus ou moins expresses de la loi.
Il s'agirait ici d'un droit conventionnel, et il nous paraît certain
qu'un droit conventionnel si préjudiciable aux tiers ne peut s'exercer
à leur égard en dehors des conditions de publicité auxquelles la loi
assujettit les droits réels sur les immeubles. Mais à cela près, nous
ne pensons pas qu'on puisse gêner la liberté de la convention
quant à la création de ce droit. Ce n'est en réalité qu'un dimi-
nutif de l'antichrèse; l'antichrésiste a la détention et les fruits,
le créancier dont nous parlons aurait la détention sans les fruits,
le plus ordinairement en fait, l'immeuble, objet d'une telle con-
vention, sera improductif. Le créancier devra donc être traité
comme un créancier antichrésiste, c'est-à-dire que moyennant qu'il
aura fait transcrire son titre conformément à la loi de 1835 (art. 2),
il pourra exercer son droit ergo omnes. Bien plus, il pourra, alors
même qu'il n'aura pas fait transcrire, opposer son droit à tout tiers
qui ne sera pas protégé par l'article 3 de la loi de 1855.
CHAPITRE PREMIER.
DU GAGE.
296. La loi s'occupe ici du gage sous deux points de vue
bien distincts : 1° sous le rapport du droit du créancier sur la
360 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
chose qui lui est remise en nantissement (art. 2073-2079);
2° sous le rapport des obligations ou engagements qui naissent
directement, ou qui résultent incidemment, du contrat formé
par cette remise (art. 2080-2083).
SECTION ï.
Du droit de gage.
297. Lato sensu, le droit de gage consiste dans l'affecta-
tion d'une chose au paiement d'une dette, en telle sorte que
le créancier puisse, pour obtenir son paiement, la faire
vendre et s'en attribuer le prix jusqu'à due concurrence. Sous
ce rapport, tous les biens du débiteur sont le gage de tous
ses créanciers, tant qu'ils continuent a lui appartenir (v. art.
2092, 2093).
Dans un sens plus exact, le droit de gage consiste dans une
affectation spéciale et entière qui survivrait à l'aliénation de
la chose, et qui non-seulement autorise le créancier h la faire
vendre, mais qui lui confère le droit d'être payé sur le prix,
par préférence aux autres créanciers du même débiteur.
Ce droit qui, originairement a Rome, ne pouvait résulter
que de la tradition constitutive du contrat de gage, put dans
la suite être conféré par la simple convention d'hypoihèque.
ïl s'établissait même dans certains cas par la seule autorité
de la loi ou par celle du Préteur.
Le même droit existe chez nous, soit sous le nom spécial
de gage, par suite du contrat de nantissement, quand ce
contrat a pour objet une chose mobilière, soit sous le nom de
privilège ou d'hypothèque.
298. Cela posé, il est bien entendu que le contrat de gage
confère au créancier, sur la chose qui en est l'objet, le droit
de gage proprement dit, par conséquent le droit d'être payé
par préférence aux autres créanciers. Cette cause de préfé-
rence, essentiellement différente dans son principe des véri-
tables privilèges (v. art. 2095), reçoit cependant de la loi elle-
TiT. XVII. DU NANTISSEMENT. ART. 2073, 207 i. 361
même la qualification de privilège, parce que son résultat est
le mê ne. V. art. 2073 ; v. aussi art. 2102-2°.
298 bis. Il faut remarquer que le droit de gage tel qu'il est
organisé par le Code civil et qui s'applique seulement aux meubles,
confère au créancier le droit de préférence, mais qu'il est subor-
donné à la possession du meuble par le créancier, en sorte que, si
cette possession cessait et si le meuble était aliéné par le débiteur,
le créancier perdrait son droit, car son droit ne comprend pas le
droit de suite. C'est une règle générale posée en matière de meubles
par l'article 2119. C'est pourquoi M. Demante, dans le n° 297, a
présenté sous une forme conditionnelle la survie possible du droit
de gage au cas d'aliénation. Il ne s'occupait pas encore du droit de
gage réglementé par le Code civil, il examinait le droit de gage au
point de vue purement théorique, et il constatait qu'on peut con-
cevoir un droit de gage sur les meubles survivant à l'aliénation,
il rappelait sur ce point le droit romain, qui admettait la reven-
dication des meubles en principe et qui, par l'action quasi servienne
ou hypothécaire, donnait un droit de suite aussi bien sur les
meubles que sur les immeubles.
299. Le gage, considéré comme contrat, sous le rapport
des engagements qu'il produit entre les contractants, ne peut
être assujetti a aucune forme particulière-, mais la constitu-
tion du droit de gage intéresse les tiers, qui seraient facile-
ment fraudés si l'on pouvait les tromper sur le fait même de
la constitution, sur son époque, sur le montant de la créance
privilégiée, ou sur l'identité des objets affectés au paiement.
La loi pourvoit a ce danger en exigeant comme condition de
l'existence du privilige :
1° La rédaction d'un acte par écrit;
2° L'authenticité de cet acte , ou du moins son enregistre-
ment;
3° La déclaration dans l'acte de la somme due ;
4° La désignation, également dans l'acte, de l'espèce et de
la nature des choses remises en gage. Que si ces choses ne
sont pas Jes corps certains et déterminés, la désignation doit
consister dans un état des qualité, poids et mesure : cet état,
s'il n'est pas compris dans le corps de l'acte, doit au moins y
362 cours analytique de code civil, liv. m.
être annexe. V. art. 2074, ,al. 1; et a ce sujet, Ordonn. de
1673, lit. 6, art. 8 et 9.
299 bis. I. Le contrat de gage, en tant qu'il peut produire des
effets entre les deux parties seulement, n'est soumis à aucune
règle particulière concernant la preuve. Il peut être prouvé par
l'aveu, par le serment décisoire ou le refus de serment, enfin par
la preuve testimoniale lorsque l'objet engagé n'a pas une valeur
supérieure à 150 francs, et dans les hypothèses exceptionnelles des
articles 1347 et 1348.
L'acte écrit, quand il en a été dressé un, peut être sous seing
privé, il n'a pas besoin d'être enregistré. En somme, il ne s'agit
que d'établir contre chacune des parties l'existence des obligations
qu'elle a contractées, ces obligations sont prouvées conformément
aux règles ordinaires.
L'écrit sous seing privé peut même, en vertu de ces règles
ordinaires, avoir été rédigé en un simple original; l'article 1325 ne
lui est pas applicable, car le contrat de gage n'est pas un véritable
contrat synallagmatique, il n'engendre tout d'abord qu'une seule
obligation, celle de restituer à la charge du créancier, les obligations
du débiteur envers le créancier gagiste ont un caractère accidentel,
elles dérivent de faits postérieurs au contrat ; le gage est donc un
contrat synallagmatique imparfait, le débiteur gagiste a, dès l'abord,
seul intérêt à posséder une preuve de la convention (1).
299 bis. II. Le Code a sous-entendu toutes ces règles, qui sont
écrites dans le titre des contrats. Il ne s'occupe de la preuve du
' contrat de gage qu'en tant que ce contrat engendre un droit réel,
par conséquent met le créancier gagiste en conflit avec les tiers.
Il restreint en effet la portée de son article 2074, en commençant
par dire que le but de cet article est de régler non pas les con-
ditions d'exercice du droit de gage envisagé sous toutes ses faces,
mais les conditions d'exercice du privilège, c'est-à-dire du droit de
préférence en vertu duquel le créancier est payé sur le prix de
l'objet engagé avant tous les autres créanciers.
Il ne faut pas que les créanciers d'une personne soient primés
par un d'entre eux qui n'aurait pas exigé de gage lors de la nais-
sance de son droit, mais qui, voyant venir l'insolvabilité du débiteur
commun, profiterait des embarras de celui-ci pour obtenir de lui
(1) V. t. V, n" 288 bis. VIII.
TIT. XVII. DU NANTISSEMENT. ART. 2074. 363
un droit de préférence n'ayant pas d'autre raison d'être que la
faiblesse ou la faveur du débiteur.
300. Quoi qu'il en soit, les motifs qui dispensent en géné-
ral de passer un acte pour choses qui n'excèdent pas la
somme ou valeur de cent cinquante francs (v. art. 13ii),
étant également applicables ici, c'est uniquement en matière
excédant cette valeur, que la loi prescrit la rédaction de l'acte
par écrit et son enregistrement. V. art. 2074, al. dern. Au-
dessous de celte valeur, il est clair que la constitution et
l'étendue du privilège pourront s'établir par témoins ou par
présomptions.
300 bis. I. Ces conditions, au reste, ne sont exigées qu'en ma-
tière excédant 1S0 francs. C'est ce qu'a décidé le 2e aliéna de l'article,
qui signifie certainement que, lorsqu'il s'agit d'une valeur inférieure
à ce chiffre, le contrat pourra être prouvé, même au regard des
tiers, et en ce qui concerne le privilège, par tous les moyens qu'au-
torisent les dispositions générales du chapitre des preuves.
L'écrit, cependant, s'il en avait été dressé un, n'aurait pas date
certaine à l'égard des tiers, et la sincérité de sa date devrait être
prouvée par le créancier gagiste; les règles générales conduisent à
ce résultat, car jamais un acte sous seing privé ne fait foi de sa
date à l'égard des tiers, alors même qu'il s'agit d'une valeur qui
n'est pas supérieure à 150 francs. Quand l'article 2074 parle des
conventions en matière n'excédant pas 150 francs, il dit seulement
qu'il n'est pas nécessaire pour qu'elles soient prouvées, qu'elles
aient été rédigées par écrit et enregistrées, mais il n'établit pas
que l'enregistrement soit indifférent, quand le contrat est prouvé
par écrit, c'est-à-dire qu'il oppose le cas où la double formalité
requise par l'article 1er alinéa a été remplie et le cas où elle ne l'a
pas été; mais rien n'indique qu'à partir de 150 francs et au-dessous
il se contente de l'une des formalités sans l'autre. Toute la portée de
l'article est celle-ci : la double formalité est requise au-dessus de
150 francs. Au-dessous, comment se fait la preuve? La loi est
muette, donc ce sont les règles générales qu'il faut appliquer.
300 bis. II. Il y a un point obscur dans l'article 2074; quel est
l'objet dont la valeur doit être considérée pour savoir si elle dépasse
ou non 150 francs? Est-ce l'objet donné en gage? est-ce la somme
due pour la garantie de laquelle le gage est donné? Au premier
361 COUHS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
abord, il semble que le gage étant donné par un contrat particulier,
l'objet de ce contrat, c'est la chose engagée, et que de la valeur de
cette chose doit dépendre le genre de preuve admise par la loi. Il
est ainsi, certainement, quand cet objet engagé a une valeur infé-
rieure au chiffre de la dette. Il est clair qu'alors l'intérêt des parties
dans le contrat du gage ne dépasse pas la valeur du gage lui-même,
et que les tiers, à l'encontre de qui s'exercera le privilège, n'ont pas
un intérêt supérieur à la valeur de ce gage. Mais le contraire est
possible, la chose engagée vaut 200 francs, et la créance n'est que
de 140 francs. Si la règle de l'article 2074 était applicable dans les
rapports du créancier gagiste et du débiteur, il faudrait tenir
compte de l'objet de l'obligation née du contrat de gage; or, cette
obligation est celle de restituer qui pèse sur le créancier, elle a pour
objet la chose engagée, soit 200 francs, donc il faudrait exiger
l'écrit enregistré. Mais si l'on regarde de près l'espèce, on s'aperçoit
que l'intérêt engagé entre le créancier gagiste et les tiers n'est que
de 140 francs. Il s'agit du droit de préférence du gagiste, il veut
l'exercer contre d'autres créanciers; qu'importe que le gage vaille
200 francs ? le gagiste n'aura jamais privilège que pour sa créance,
soit 140 francs, donc il se trouve dans l'hypothèse prévue par
l'article 2074, 2e alinéa. Les termes de cet article sont assez vagues,
en matière excédant la valeur de loO Jrancs, pour qu'on puisse prêter
au législateur l'intention de laisser aux juges toute latitude pour
tenir compte, suivant les espèces, de la valeur de la chose engagée
ou de celle de l'objet dû.
300 bis. III. La restriction contenue dans le 2e aliéna de l'article
a paru à quelques-uns établir l'identité entre la règle de l'article
2074 1° et celle de l'article 1341, d'où il résulterait que l'article
2074 devrait subir toutes les exceptions que subit l'article 1341,
preuve par témoins au cas des articles 1347 et 1348, enregistre-
ment remplacé par les autres événements que prévoit l'article 1328.
Ces décisions s'appuient sur un raisonnement qui nous paraît
vicieux; car on conclut de l'identité d'exception à l'identité de
règle; or, on peut très- bien comprendre que des règles analogues
subissent la même exception sans être pour cela la même règle,
c'est-à-dire sans se ressembler absolument dans tous leurs détails.
300 bis. IV. Or, nous sommes en présence de deux règles que la loi
formule de deux manières absolument différentes. Dans l'article 1341,
il s'agit de savoir quand la preuve testimoniale sera admise, on éta-
TIT. XVII. DU NANTISSEMENT. ART. 2074, 2075. 365
blit que, dans certains cas, il doit être passé acte, et la sanction
donnée à cette obligation, c'est le refus du droit de prouver par
témoins; comme la sanction est restreinte à ce déni de la preuve
testimoniale, beaucoup d'autres preuves, notamment l'aveu et le ser-
ment, peuvent être employées. Dans l'article 2074, c'est l'existence
même du droit, du privilège, qui est subordonnée à la rédaction de
l'acte et à son enregistrement. Voilà une différence capitale entre
les deux dispositions; que toutes deux subissent exception pour les
matières qui n'excèdent pas loO francs, il n'y a rien d'étonnant,
puisque, dans un cas comme dans l'autre, le législateur peut juger
la rédaction d'un écrit trop coûteuse. Les deux règles se ressemblent
en cela, mais elles n'en diffèrent pas moins grandement entre elles.
Dès lors, on comprend que celle des règles (art. 1341) qui n'exclut
pas les preuves autres que la preuve testimoniale admette excep-
tionnellement cette preuve testimoniale appuyée sur un commence-
ment de preuve; mais ce n'est pas une raison pour être aussi tolé-
rant quand il s'agit d'une disposition bien plus énergiquement
sanctionnée (art. 2074).
301. Le gage peut avoir pour objet même des meubles
incorporels. Dans ce cas encore, la loi prescrit, comme de
raison, l'acte écrit et l'enregistrement 5 mais, en outre, l'ana-
logie qui existe entre le droit du gagiste et celui d'un cession-
naire fait exiger, comme au cas de transport-cession, la signi-
fication au débiteur. V. art. 2075, et a ce sujet article 1690.
301 bis. I. Les créances et autres choses mobilières incorporelles
pouvant être données en gage, il n'y avait pas de raison pour ne
pas soumettre la preuve du contrat de gage aux conditions de
l'article 2074. La loi semble même aller plus loin, car elle demande
un acte public ou sous seing privé enregistré, sans distinguer s'il
s'agit de 150 francs ou d'une somme supérieure. Telle doit être,
en effet, la pensée du législateur, car il avait présent à l'esprit ce
qu'il avait écrit dans l'article voisin, et ce n'est pas par omission
qu'il n'a pas indiqué l'exception comprise dans cet article. Il a
d'ailleurs rapproché de la formalité de l'écrit celle de la notification
qui n'est certainement pas soumise à la distinction fondée sur la
valeur de l'objet, et il est difficile d'admettre que, traitant de deux
formalités dans la même phrase, il les ait soumises à deux régimes
différents. On aperçoit d'ailleurs aisément pourquoi l'article 2075
366 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. ni.
ne pouvait pas reproduire la distinction finale de l'article 2074.
Le Code songeait à l'engagement des créances, il soumettait cet acte
à la nécessité d'une signification, c'est-à-dire à la règle de l'article
1690; or, ce dernier article dérive de la coutume de Paris (art.
108) qui disait : Il faut signifier le transport à la partie et en bailler
copie. Pour donner copie d'un acte, il faut que cet acte soit écrit.
Il est vrai que peut-être l'article 1690 n'exige pas qu'il soit baillé
copie (1), mais les rédacteurs de l'article 2075 ont pu songera
la règle ancienne appliquée ordinairement par la pratique moderne,
et ne pas croire qu'il fût possible de signifier un acte juridique
sans donner copie d'un écrit qui en contînt la constatation.
301 bis. II. La première formule de l'article est générale, elle
vise tous les meubles incorporels, puis survient un exemple,
on parle des créances, et la fin de l'article, c'est-à-dire la règle de
procédure, ne vise plus que les créances, puisqu'elle parle du débi-
teur de la créance donnée en gage. Tous les droits mobiliers ne
sont cependant pas des créances, et quand nous supposerons la mise
en gage d'un de ces droits qui ne sont pas des créances, nous aurons
peine à trouver la personne à qui doit être faite la signification,
car, quand il n'y a pas de créance, il n'y a pas de débiteur. L'objet
du contrat de gage peut être, en effet, l'usufruit d'un meuble, ce
peut être une part dans une société civile, si l'on admet que l'article
529 s'applique ces sociétés, ce peut être les droits d'un héritier
dans une succession ouverte et qui ne comprend que des meubles.
Dans toutes ces hypothèses, on voit bien qu'il sera nécessaire et
possible de rédiger un acte public ou sous seing privé enregistré,
mais il n'y a personne qui soit désigné par la loi pour recevoir une
signification. Nous dirons que la signification n'est pas nécessaire,
car, d'après la construction de l'article 2075, on peut admettre
qu'il comprend une partie générale et une partie spéciale; la partie
générale est celle où ne se trouve pas le mot créance; elle est ainsi
composée : Le privilège ne s'établit sur les meubles incorporels que par
acte public ou sous seing privé, aussi enregistré. La partie spéciale
se compose des mots : Tels que les créances mobilières, et elle se
complète par cette fin de l'article : et signifié au débiteur de la créance
donnée en gage : c'est-à-dire qu'on a d'abord établi une règle pour
tous les actes, en y comprenant les engagements de créances, et
(1) V. t. VII, n» 136 6i>,II.
T1T. XYII. DU NANTISSEMENT. ART. 2075, 3(57
qu'on termine par cette idée : il faut en plus, quand l'objet du
contrat est une créance, que l'acte soit signifié au débiteur de la
créance donnée en gage.
301 bis. III. En constatant le lien qui rattache l'article 2075 à
l'article 1690, nous avons en quelque sorte décidé d'avance que le
contrat d'engagement d'une créance pourrait être complété par une
acceptation authentique du débiteur cédé, aussi bien que par une
signification à ce débiteur. Les deux formalités se valent aux termes
de l'article, et s'il en est une qui atteint mieux que l'autre le but
que le législateur s'est proposé, c'est l'acceptation qui ne laisse
aucun doute sur la parfaite connaissance que le débiteur a eue de
l'acte dont il faut qu'il soit prévenu.
301 bis. IV. Quand nous avons cité des droits mobiliers qui ne
sont pas des créances et qui cependant peuvent être l'objet d'un
contrat de gage, nous sommes volontairement resté sur le terrain
du droit civil. Il y a certains droits qui ont un caractère commer-
cial, il y a certains contrats de gage qui ont aussi ce caractère;
nous devons quant à ces droits et à ces contrats renvoyer à l'article
92 du Gode de commerce (1. du 23 mai 1863), auquel le Code civil
renvoie dans l'article 2084.
301 bis. V. L'effet de l'engagement d'une créance est tout d'abord
d'empêcher le créancier qui l'a engagée d'en toucher le montant.
S'il n'en était pas ainsi, le contrat ne donnerait aucune sûreté au
créancier, et c'est particulièrement pour mettre obstacle à tout
paiement à faire par le débiteur de la créance engagée à son
créancier, que l'article 1690 est appliqué à la matière du gage.
Mais il ne résulte pas du contrat de gage que le créancier gagiste
est substitué au débiteur gagiste, et qu'il peut toucher directement
le montant de la dette. L'article 2081 I autorise bien à toucher les
intérêts, mais il n'autorise pas davantage, et il nous semble que le
Code a dû considérer l'encaissement de la somme due par le créan-
cier gagiste, sans formalité de justice, comme ayant une grande ana-
logie avec l'appropriation du gage corporel qu'il a absolument
interdite même en présence d'une convention formelle.
Le droit du créancier gagiste restera donc ce qu'il est en règle
générale : il pourra faire ordonner en justice que le gage lui
demeurera en, paiement et jusqu'à due concurrence, d'après une
estimation faite par experts, ou qu'il sera vendu aux enchères (art.
2078).
368 coims analytique de code civil, liv. m.
301 bis. VI. C'est en cela seulement que consistera le droit du
créancier qui aura reçu en gage un autre droit mobilier, car il ne
peut être question de lui attribuer les fruits que ce droit peut pro-
duire, puisque l'article 2081 ne parle que des créances et des
intérêts de ces créances.
302. Dans tous les cas, pour que les tiers qui traiteraient
avec le débiteur ne soient point trompés sur l'existence du
privilège, il est nécessaire que la chose mobilière qui en est
l'objet ne demeure pes en la possession de celui-ci. Non-
seulement donc ce privilège, qui n'est qu'une suite du contrat
réel de nantissement, n'existera pas sans tradition, c'est-à-
dire, sans mise en possession, mais il ne se conservera pas si
la chose ne reste en la possession de celui qui l'a reçue. Ce-
pendant la loi n'exige pas absolument que ce soit le créancier
lui-même qui possède ; son but est également rempli lorsque
le gage a été mis et est resté en la possession d'un tiers con-
venu entre les parties. V. art. 207(5.
302 bis, I. La possession du gage par le créancier ou par un tiers
accepté par les parties est une condition essentielle du contrat de
gage. D'abord, entre les parties, le gage perdrait son principal intérêt
si le débiteur conservait la possession de la chose engagée. La pri-
vation de la détention de la chose est le fait qui donne au débiteur
intérêt à acquitter l'obligation, soit qu'il ait besoin de se servir de
cette chose, soit qu'il songe à une aliénation qui ne sera guère pos-
sible en fait, s'il n'est pas à même d'en faire la livraison à un
acquéreur. Pour le créancier gagiste, le gage serait une garantie
illusoire, si le débiteur resté en possession pouvait faire disparaître
l'objet, soit en le détruisant, soit en l'aliénant au profit de tiers que
leur bonne foi présumée protégerait en vertu de l'article 2279.
30- bis. II. Il est vrai qu'une convention contraire pourrait avoir
lieu, elle n'est pas interdite, mais alors le contrat sera plutôt une
promesse de gage qu'un contrat de gage. De même on peut conce-
voir que la tradition ayant eu lieu, le créancier consente à rendre
la chose au débiteur sans cependant détruire absolument le contrat
de gage. Dans ces deux hypothèses, il faut supposer qu'il a été sti-
pulé un terme exprès ou tacite pour la restitution delà détention au
créancier gagiste, sinon le contrat serait véritablement annihilé. En
T1T. XVII. DU NANTISSEMENT. ART. 2075, 2076. 369
effet, nous verrons bientôt que le privilège est perdu quand le
créancier a perdu la possession, et quant aux rapports des parties
entre elles, comme tout l'avantage que le créancier peut retirer du
gage, c'est d'agir sur le débiteur en le privant de sa chose ou
d'empêcher des aliénations préjudiciables, si le créancier a renoncé
pour toujours à la possession, il a consenti à anéantir absolument
la convention de gage.
302 bis. III. C'est dans les rapports avec les tiers que le Code a
envisagé l'utilité de la possession du gage par le créancier gagiste.
L'article 2076 s'exprime comme l'article 2074, il examine dans quel
cas le privilège subsiste ; or la question de privilège ne s'agite pas
entre les contractants, mais entre le créancier gagiste et les tiers.
Ces tiers, ce sont d'abord les autres créanciers du débiteur qui a
donné le gage, et c'est tout particulièrement dans leur intérêt que
la remise matérielle du gage au créancier a été exigée. La déposses-
sion du débiteur joue le rôle d'une formalité de publicité; elle
avertit les tiers qui veulent traiter avec le débiteur ou qui ont déjà
traité avec lui avant le contrat de gage, qu'il ne faut pas, ou qu'il
ne faut plus compter sur la valeur de la chose, comme faisant partie
du gage commun et imparfait qui appartient à tous les créanciers
sur l'ensemble des biens de leur débiteur (art. 2093).
302 Us. IV. Les tiers pourraient être aussi des acquéreurs, des
acheteurs, par exemple, qui voudraient traiter avec le débiteur
gagiste, ils ne pourraient pas espérer sérieusement acquérir la pro-
priété de l'objet, puisque le vendeur ne le détient pas et que très-
ordinairement, s'il ne le détient pas, c'est qu'il l'a vendu et livré à
un autre, double fait qui détruit par avance le droit d'un second
acheteur. Si l'acheteur sait qu'il n'a pas été fait une vente de la
chose, ce ne peut être que parce qu'il a connaissance du contrat du
gage, et alors il ne peut pas se plaindre qu'on s'obligea respecter le
droit du gagiste, moins préjudiciable pour lui que ne l'aurait été celui
d'un acheteur antérieur; nous pouvons donc dire que la déposses-
sion du débiteur gagiste est nécessaire pour prévenir de futurs
acheteurs, comme elle l'est pour avertir de futurs créanciers (1).
302 bis. V. La condition de possession du gage par le créancier ne
peut être exigée qu'autant que la chose engagée est une chose cor-
porelle. Les droits, en effet, choses incorporelles, ne peuvent pas
(1) V. C. C, 19 mars 1878. Sirey, 1878, I, 261. G.C., 11 mars 1879. Sirey,
1880, I, 53- C.C., 23 décembre 1879. Sirey, 1881, I, 149.
VIII. 24
370 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
être l'objet d'une tradition, ou comme dit l'article, d'une mise en
possession. Nous admettons bien, dans le droit actuel, la possession
d'un droit consistant dans son exercice (art. 2228), mais cette
manière de posséder n'est pas à la portée du créancier gagiste, puis-
qu'il n'a pas le droit d'exercer le droit engagé. La possession dont
parle l'article 2076, c'est la détention matérielle, or comment
détenir matériellement une chose immatérielle? C'est un point re-
connu par tous les jurisconsultes que la possession d'une créance
per se, c'est-à-dire isolément, ne peut pas se concevoir, et notam-
ment que la détention matérielle des titres de créance n'est pas la
possession de la créance. Or que dit l'article 2076? que le gage doit
avoir été mis en la possession du créancier. Est-ce que le titre prou-
vant la créance est le gage? engage-t-on la feuille de papier écrit
que nous appelons un titre? engage-t-on la créance chose incor-
porelle? Si le papier n'est pas l'objet du droit de gage, comment
peut-on dire que l'article 2076 exige la remise de ce papier au
créancier, alors qu'il ne parle que de la remise du gage? Le texte
donc, malgré sa généralité apparente, ne comprend que les choses
dont la nature ne répugne pas à son application. S'il avait voulu la
remise des titres, il s'en serait expliqué comme il le fait dans
l'article 1689. Mais l'article 1689 règle les rapports d'un acheteur
et d'un vendeur, et il établit que le vendeur doit livrer à l'acheteur
tous les accessoires delà chose. Dans l'article 1690 au contraire, qui
regarde les tiers, on ne voit pas qu'il soit nécessaire que l'acheteur
ait reçu les titres, il suffit qu'il les signifie. Or, l'article 2074 est
une application de l'article 1690, d'où il résulte que la signification
doit suffire à ensaisiner le gagiste à l'égard des tiers, comme elle
suffit à ensaisiner le cessionnaire à l'égard des mêmes tiers.
Pourquoi donc, du reste, exiger la remise des titres au gagiste?
Dans son intérêt, nous le comprenons; mais l'article que nous étu-
dions n'envisage que l'exercice du droit de privilège. Les tiers
ont-ils intérêt? Dans le cas prévu certainement par l'article, la dé-
possession du débiteur prévient les tiers, il n'y a pas d'autre publi-
cité donnée à l'engagement; mais quand l'objet engagé est une
créance, la loi a organisé un moyen de publicité préférable (art.
2074). Les tiers, en se renseignant auprès du débiteur de la créance
engagée, connaîtront le contrat de gage, et comme ils ont tout inté-
rêt à prendre des informations par crainte même des cessions pos-
sibles, il n'est pas besoin d'exiger une prétendue mise en posses-
TIT. XVlI. DU NANTISSEMENT. ART. 2076. 371
sion du gage qui aurait pour objet toute autre chose que le gage.
L'engagement d'une créance ne saurait être soumise à plus de for-
malités que la cession, tout aussi dangereux pour les tiers qui
traitent avec le cédant.
302 bis. VI. Nous devons cependant reconnaître la force d'une
objection de texte qu'on élève contre notre décision. L'article 2076
commence par ces mots : Dans tous les cas, qui paraissent se référer
à toutes les hypothèses prévues par les deux articles précédents et
par conséquent soumettre le cas de l'article 2075 à la règle de
l'article 2076. Cette objection ne nous a pas arrêté parce que, pour
que la règle de l'article 2076 soit applicable à un certain cas, il faut
avant tout qu'il n'y ait pas impossibilité de l'appliquer; en outre, à
un texte, nous en opposons un autre : ce que l'article 2076 exige,
c'est que le gage soit mis en possession du créancier; or, on dis-
cute non pas sur le gage, mais sur l'écrit qui constate l'engagement;
donc l'article 2076, par ses termes, met l'hypothèse que nous exa-
minons en dehors des cas dont il parle dans sa première ligne. Il
reste malgré cela des cas divers auxquels l'article a dû vouloir faire
allusion par les expressions qui donnent naissance à la difficulté. Il a
voulu dire que la remise du gage était nécessaire, soit en matière
excédant 150 francs, soit en matière n'excédant pas cette somme.
C'est-à-dire qu'il a fait allusion aux distinctions faites par l'article
2074, et qu'il a voulu les proscrire en ce qui touche la règle sur la
possession du gage.
302 bis. VII. Quand le droit engagé ne sera pas une créance,
nous trouvons la même difficulté d'appliquer l'article qui exige la
livraison du droit lui-même, mais il devient difficile de justifier le
législateur qui n'impose pas la livraison des titres, parce que l'ar-
ticle 2075 n'étant pas applicable, les tiers ne sont pas prévenus.
Mais nous ferons observer que ces tiers sont également menacés
par des actes d'aliénation, et que si la loi ne s'est pas préoccupée de la
publicité à donner aux actes de disposition de ces droits, c'est que
ces droits sont assez rares, que leur aliénation, et surtout leur mise
en gage, ne sont pas des opérations d'une pratique usuelle, et que
la loi ne s'inquiète pas toujours de prévenir des dangers qui ne se
présentent pas souvent.
302 bis. VIII. Le gage doit être resté en la possession du créan-
cier, cela signifie simplement que si ce créancier l'a remis au dé-
biteur volontairement, il a renoncé au droit de préférence qu'il a sur
24.
372 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
l'objet engagé. D'abord, cette restitution du gage peut être une
renonciation complète au bénéfice du contrat, même dans les rap-
ports avec le débiteur; mais alors même qu'elle n'impliquerait pas
cette renonciation, si par exemple le créancier avait prêté la chose
au débiteur pour un certain temps déterminé, le privilège serait
perdu. Les tiers, en effet, auraient eu juste sujet de croire que
l'objet détenu par son propriétaire n'était pas ou n'était plus engagé,
ce qui n'empêcherait pas le débiteur d'être tenu, en vertu de l'an-
cien contrat et en vertu de la convention de quasi-commodat faite
avec le créancier, de remettre la chose entre les mains de celui-ci.
Lors de cette restitution de gage au créancier, il nous paraît même
que pour faire revivre le droit de préférence il faudrait rédiger un
nouvel acte conformément à l'article 2074; car au point de vue des
tiers, la résurrection du droit de gage est la naissance d'un droit
nouveau, et les fraudes que la loi a prévues au cas de formation
d'un contrat de gage sont également à craindre lorsqu'il s'agit de
faire revivre un droit éteint.
302 bis. IX. Mais il faut bien faire attention que le créancier
n'aura pas perdu la possession du gage quand il l'aura confiée à une
tierce personne. Celle-ci est un mandataire qui exerce le droit pour
lui, qui possède en son nom, et si l'on peut posséder pour autrui à
titre de propriétaire, on doit àfortiori pouvoir posséder pour autrui
à titre de gagiste.
Enfin, il pourrait arriver que le gagiste eût perdu la chose ou
qu'on la lui eût volée, il n'a pas alors abdiqué son droit de pos-
session, et son droit de préférence n'est pas éteint. Les tiers, créan-
ciers ou acquéreurs du chef du débiteur gagiste, n'ont pas eu dans
ces hypothèses juste sujet de croire que le débiteur avait reconquis
la libre disposition de la chose.
303. En principe, le droit de gage ne peut être établi que
par le propriétaire capable d'aliéner la chose qu'il y soumet
(v. art. 2124-, v. pourtant art. 2279)-, mais il n'est pas néces-
saire que ce soit pour sa propre dette que le propriétaire
donne sa chose en gage. Le gage peut donc être donné par un
tiers pour le débiteur. V. art. 2077.
303 bis. I. Le gage donné par un autre que le débiteur est une
opération qui, dans ses motifs, rappelle le cautionnement. Celui qui
donne le gage cherche à rendre service à une personne en lui procu-
TIT. ÏTIF. DU NANTISSEMENT. ART. 2076, 2077. 373
rant du crédit. Soit que cette personne cherche à emprunter et
ait besoin de fournir des garanties réelles pour trouver un prê-
teur, soit qu'elle ait déjà contracté et que le gage donné serve, en
rassurant le créancier, à procurer au débiteur sa tranquillité,
c'est-à-dire à lui obtenir des délais. Comme la caution, le tiers qui
a donné un gage aura, le cas échéant, un recours contre le débi-
teur. C'est lorsque le gage aura été vendu ou aura été attribué au
créancier aux termes de l'article 2078; la dette aura été alors
éteinte au moins en partie, et le propriétaire du gage, dont la chose
aura servi à procurer la libération du débiteur, pourra agir contre
lui soit comme mandataire, soit comme gérant d'affaires, suivant
les hypothèses.
303 bis. H. A propos du gage donné par un propriétaire sur sa
propre chose pour la dette d'autrui, M. Demante pose un principe
que le Code a sous-entendu et qui aurait peut-être dû être placé en
tète du titre. Le gage ne peut être régulièrement constitué sur une
chose que par le propriétaire de cette chose. Nul ne peut valablement
aliéner la chose d'autrui ou la grever de droits réels. Ce principe
est formellement reconnu par Pothier, mais ce jurisconsulte fait
immédiatement une distinction. Le contrat fait sur la chose d'au-
trui ne peut certes créer le droit réel de gage, il est non avenu
par rapport au vrai propriétaire et à ses ayants cause, mais il pro-
duit des effets entre les deux contractants : le créancier gagiste et
celui qui donne le gage. Entre eux, les obligations qui découlent
du contrat de gage subsistent. Ainsi, le débiteur ou le tiers qui a
donné le gage ne pourra pas le reprendre, le retirer des mains du
créancier, avant l'acquittement de la dette, et il sera obligé de
tenir compte au créancier gagiste des dépenses que celui-ci aura
été dans la nécessité de faire à l'occasion de la chose. De l'autre
côté, le créancier sera tenu de veiller à la conservation de la chose
et de la restituer à celui qui la lui a remise, lors de l'extinction de
l'obligation.
303 bis. III. L'observation que nous venons de faire sur l'ineffi-
cacité au regard des tiers et notamment du véritable propriétaire,
de l'engagement de la chose d'autrui, n'a pas autant d'importance
pratique qu'on peut le croire au premier abord. Il ne faut pas
raisonner ici comme on l'aurait fait en droit romain, où la propriété
des meubles ne se perdait pas beaucoup plus facilement que celle
des immeubles, en ce sens que l'aliénation et la tradition a non
'Al\ COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
domino ne compromettait pas immédiatement le droit du vrai pro-
priétaire. Il faut tenir compte dans notre droit de la règle : en fait
de meubles, possessio?i vaut titre. De cette règle, il résulte que l'alié-
nation d'un meuble corporel a non domino dépouille le vrai pro-
priétaire de sa propriété, si la chose a été livrée à un acquéreur de
bonne foi (art. 2279 et 1141). Si la convention de transférer la
propriété détruit le droit du vrai propriétaire quand elle est com-
plétée par une prise de possession de bonne foi, à fortiori, la con-
vention de gage suivie d'une mise en possession de bonne foi doit
produire ses effets au détriment du propriétaire, car cette mise en
gage est chose moins grave que l'aliénation, moins nuisible au
propriétaire, et de plus, les raisons qui justifient l'article 2279, con-
sidéré comme une protection pour celui qui a reçu la possession à
titre de propriétaire, existent avec la même énergie pour justifier
une pareille protection en faveur du créancier gagiste.
303 bis. IV. La conséquence de l'application à faire de l'article
2279, c'est qu'on ne trouvera que rarement à profiter de la règle
que nous avons posée comme principe général. Rarement le gage
de la chose d'autrui sera dépourvu d'effet dans les rapports entre
le créancier gagiste et le vrai propriétaire. Pour que notre principe
général produise ses effets, il faudra : ou que la chose engagée ne
soit pas corporelle, parce que l'article 2279 ne s'applique pas aux
choses incorporelles, ou que le créancier gagiste soit de mauvaise
foi, et que cette mauvaise foi soit démontrée.
Puis, on pourra se trouver dans un des cas d'exception prévus
par l'article 2279, les cas de vol ou de perte; le propriétaire qui
peut alors revendiquer pendant trois ans contre un possesseur à
titre de maître, aura le même droit contre le détenteur à titre de
créancier gagiste, sauf, bien entendu, la restriction contenue dans
l'article 2280; mais le fait prévu par cet article sera rare, car il
faudra supposer qu'un marchand aura donné en gage une des
marchandises de son magasin.
304. Le droit qu'acquiert le créancier, de se faire payer
sur la chose engagée, n'emporte pas celui d'en disposer de sa
propre autorité. Il paraît même qu'autrefois, à moins d'une
clause particulière qui l'autorisât a se l'attribuer en paiement
sur l'estimation qui en serait faite (v. Marcien, L. 16, § 9,
D. de pign. et hyp.), il ne pouvait que la faire vendre par
TIT. XVII. DU NANTISSEMENT. ART. 2077, 2078. 375
autorité de justice. Mais, indépendamment de toute clause,
notre Code lui permet de faire ordonner en justice, ou qu'elle
lui demeurera en paiement, ou qu'elle sera vendue aux en-
chères. Bien entendu, au reste, que l'attribution en paiement
ne peut avoir lieu que jusqu'à due concurrence, d'après une
estimation qui sera faite par experts. V. article 2078, al. 1.
304 bis. I. Le Gode commence, à l'article 2078, à traiter des droits
du créancier sur le gage dans ses rapports avec le débiteur, jus-
qu'ici il ne s'était inquiété que des conditions de droit de préférence
accordé au créancier gagiste sur les autres créanciers du même
débiteur.
Nous l'avons déjà dit, le contrat de gage procure pour premier
avantage au créancier le droit de retenir la chose jusqu'au paiement.
C'est un moyen coercitif indirect qui peut donner quelquefois des
résultats, mais le créancier a besoin d'un moyen plus énergique
quand il veut et qu'il a droit de vouloir toucher effectivement le
montant de sa créance. Ce moyen, c'est celui qui est à la disposi-
tion de tout créancier, il peut faire vendre le gage comme il pour-
rait faire vendre tout autre bien de son débiteur. Seulement, il n'a
pas besoin de pratiquer une saisie, puisqu'il a la chose entre ses
mains et qu'il n'a pas à craindre que le débiteur la détourne, il
s'adresse directement à la justice pour faire ordonner la vente. Il a
perdu l'avantage que lui reconnaissait le droit romain de vendre
lui-même à l'amiable l'objet engagé (i), mais la vente aux enchères
par autorité de justice présente au débiteur plus de garanties que
cette vente amiable.
304 bis. II. Si le droit de faire vendre qui appartient au créancier
gagiste est le droit qui appartient à tout créancier, il en est un
autre qui lui est particulièrement attribué par l'article 2078, le
droit de conserver la chose engagée en paiement jusqu'à due con-
currence, d'après une estimation faite par experts. Les créanciers
ordinaires n'ont pas ainsi le droit de se payer en nature sur les
biens de leurs débiteurs , et la loi ne déroge à la règle générale en
faveur du gagiste que parce qu'elle considère la chose engagée comme
affectée spécialement par la convention même de gage, c'est-à-
dire par la volonté même du débiteur, à l'acquittement de la dette.
(l)V. Institut., 1. il, t. VIII, § 1.
37G COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
304 bis. III. Entre les deux droits accordés au créancier gagiste,
qui aura le droit de choisir? Les principes de l'alternative donne-
raient le choix au débiteur, mais cette solution est condamnée par
des principes supérieurs à ceux qui inspirent la décision de l'article
1190. Cet article interprète une convention qui laisse une option à
exercer entre deux choses qui sont également dues. Mais, dans
l'article 2078, l'option tend à substituer une chose à celle qui est le
véritable objet de l'obligation , et cette substitution ne s'appuie pas
sur une convention à interpréter. La même raison s'oppose à ce que
le choix dépende du créancier, car il n'a pas le droit de demander
autre chose que ce qu'on lui doit, plus que le débiteur n'a le droit
de lui payer autre chose que ce qu'il doit. Si le choix n'appartient
ni au créancier, ni au débiteur, il faut bien qu'il appartienne aux
tribunaux. Il s'agit, en effet, d'une question d'exécution d'une
obligation, et le tribunal qui ordonne cette exécution est naturelle-
ment appelé à en déterminer le mode, suivant les circonstances et
au mieux des intérêts des deux parties. C'est bien ce qui résulte du
texte de l'article 2078, car, après avoir dit que le créancier ne
peut pas disposer du gage, cet article ajoute qu'il fait ordonner
par la justice que le gage demeurera en paiement ou sera vendu;
si c'est la justice qui ordonne, il paraît bien que c'est elle qui im-
pose son choix, sinon elle ne ferait qu'enregistrer les volontés du
créancier, qui serait réellement celui de qui émanerait l'ordre.
304 bis. IV. Il nous faut cependant faire deux observations qui
restreindront quelque peu la généralité de notre décision. D'abord,
il nous paraît certain que si le créancier est muni d'un titre exécu-
toire, il peut faire vendre l'objet engagé, car il n'a pas besoin de
s'adresser aux tribunaux, et ceux-ci n'étant pas saisis n'ont pas à
déterminer le mode d'exécution de l'obligation.
Secondement, quand le créancier n'a pas de titre exécutoire et
qu'il est obligé de s'adresser à la justice pour obtenir le droit de
faire vendre, il peut s'opposer à une décision qui, lui refusant le
droit de faire vendre, lui imposerait la nécessité de prendre en
paiement la chose engagée. Ce serait alors une dation en paiement
qu: se ferait malgré lui, et rien ne serait plus contraire aux prin-
cipes, le créancier ne peut pas être contraint à recevoir autre chose
que ce qui est dû; en outre, la dation en paiement est ou une vente
ou un échange, et il serait étrange qu'on devînt acheteur ou
échangiste malgré soi. Le droit de faire vendre appartient à tout
TIT. XVil. DU NANTISSEMENT. ART. 2078. 377
créancier, le gagiste ne peut pas, parce qu'il a un droit mieux
garanti, être plus mal traité qu'un créancier ordinaire.
Cette seconde observation ne détruit pas ce que nous avons
d'abord établi, c'est-à-dire qu'elle ne donne pas au créancier le
droit d'option, il ne peut pas, il est vrai, garder le gage en paie-
ment sans son consentement, mais il ne peut pas, s'il désire cette
solution, forcer le tribunal à l'adopter, et c'est en quoi consisterait
la véritable option. Le tribunal reste toujours maître d'ordonner
la vente aux enchères, malgré la volonté du créancier manifestée
par des conclusions qui tendraient exclusivement à l'attribution du
gage d'après estimation.
304 bis. V. Il reste à examiner les conséquences du jugement qui
autorise le créancier à conserver en paiement la chose engagée.
Il est clair que ce jugement transfère la propriété au créancier
gagiste; il remplace une convention de dation en paiement, et
remarquez-le , une convention de dation en paiement pure et simple.
Puisqu'il est bien certain qu'on trouvera toujours des experts, le
contrat n'est pas conditionnel comme celui qui dépend de l'arbitrage
d'un tiers nommément désigné par les parties; ce tiers peut refuser
la mission qu'on lui veut confier, il peut mourir, donc le contrat
est soumis à une éventualité; celui dont nous nous occupons, ou
pour mieux dire, le jugement qui le remplace transfère une pro-
priété pure et simple (1).
304 bis. VI. De là nous tirerons plusieurs conséquences; c'est :
1° qu'une fois le jugement rendu, le débiteur gagiste ne pourrait
plus, en acquittant la dette, reprendre l'objet engagé; certes, il
avait ce droit jusqu'au jugement, la demande en justice ne l'en
dépouillait pas, parce que ce jugement ne saurait avoir d'effet
rétroactif, attendu qu'il n'est pas déclaratif d'un droit préexistant,
mais constitutif d'un droit nouveau. Mais ce droit constitué, la vo-
lonté du débiteur est impuissante à le détruire. 2° Quand l'estimation
sera supérieure à la somme due, le créancier deviendra débiteur
de l'excédent. Mais cette circonstance ne modifiera en rien le carac-
tère définitif que nous venons de reconnaître à la translation de
propriété, le créancier gagiste sera comme un acheteur, propriétaire
de la chose et débiteur d'un prix, le paiement de ce prix sera
garanti par le privilège du vendeur (art. 2102) et aussi par l'action
(1) V. t. VII, n* 12 bis. II.
378 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
en résolution faute de paiement du prix dont nous reconnaissons
l'existence, aussi bien en matière de meubles qu'en matière d'im-
meubles (1). Mais il ne pourrait pas être question de la revendication
spéciale que donne au vendeur de meubles l'article 2102, 3° parce
que cette revendication n'est autre chose que la revendication du
droit de retenir la chose jusqu'au paiement, et que dans notre
hypothèse le vendeur, débiteur gagiste, ne pouvait pas prétendre à
cette rétention sur une chose qu'il avait donnée en gage à celui qui
est devenu acheteur.
304 bis. VII. Ces décisions ne sont pas conformes à celles que donne
Pothier (2), mais il nous paraît que, sur les deux points que nous
venons d'examiner, Pothier a méconnu les principes. Sur le premier
point, il nous semble attacher trop d'importance à un détail de
procédure : selon lui, le jugement qui attribue la chose au créancier
ne produit son effet qu'autant qu'il est intervenu un second juge-
ment homologuant le rapport des experts. Peut-être la pratique
était-elle dans ce sens au temps de Pothier et les juges ne pro-
nonçaient-ils, en effet, l'attribution de la chose au créancier qu'après
que les experts avaient statué, probablement qu'alors le premier
jugement n'était qu'un jugement préparatoire nommant les experts
et réservant la décision sur le fond. Mais aujourd'hui, en présence
d'un texte du Code civil qui donne formellement aux juges le droit
d'ordonner que le gage demeurera en paiement au créancier et
jusqu'à due concurrence d'après une estimation, il nous paraît
bien que la décision principale, c'est-à-dire l'attribution de propriété,
doit être prise dans le premier jugement, que la nomination des
experts n'est qu'une mesure d'exécution et que le jugement qui
homologuera leur rapport fixe le montant de la charge imposée au
créancier. Il se passe alors ce qui arrive, lorsqu'un jugement
ordonne des dommages et intérêts à donner par état; le droit aux
dommages et intérêts naît certainement du jugement, la quotité
seule reste à déterminer; nous pouvons également comparer le
jugement qui nous occupe au jugement d'expropriation pour cause
d'utilité publique, il transfère la propriété, et le prix reste à déter-
miner par une décision judiciaire ultérieure.
304 bis. VIII. Sur le second point, pourquoi faire du paiement de la
différence entre l'estimation et la dette une condition suspensive de
(1) V. t. IX, n° 33 ii's.
(2) V. Pothier, Nantissement, n° 19.
T1T. XVII. DU NANTISSEMENT. ART. 2078. 379
l'acquisition du gage par le créancier? Le Code ne s'exprime-t-il
pas d'une manière positive? le gage demeure au créancier jusqu'à
due concurrence, d'où cette conséquence que si la valeur dépasse
le chiffre de la dette, le créancier aura un retour à payer. Mais où
trouver cette idée que le paiement du retour est un événement qui
suspend l'effet du jugement? Est-ce qu'il en est ainsi dans les échanges
ou dans les partages avec soultes? Pothier, en déclarant que le ju-
gement ne dépouille pas le débiteur du droit de reprendre le gage
en payant la dette, nous paraît avoir subi l'influence de l'ancienne
doctrine romaine, qui n'admettait au cas de vente la translation de
propriété qu'après le paiement du prix (i); c'est là une idée tout à
fait étrangère à notre droit, et voilà pourquoi nous ne suivons pas
la doctrine de Pothier.
305. La convention même des parties ne pourrait, a cet
égard, augmenter le droit du créancier. Toute clause qui l'au-
toriserait, soit a s'approprier le gage, soit a en disposer, sans
les formalités que la loi a prescrites, ouvrirait une voie trop
facile aux fraudes des usuriers, et serait en conséquence frap-
pée de nullité. V. art. 2078, al. 2.
305 bis. I. La clause que la loi proscrit dans le 2e paragraphe de
l'article 2078 porte, dans la doctrine, le nom de pacte commissoire.
Elle a pour objet d'établir que si le créancier n'est pas payé à une
certaine époque, il deviendra de plein droit propriétaire de la chose
engagée, qui lui sera acquise en paiement de sa créance.
Cette clause est interdite depuis le droit romain, parce qu'elle
favorise les fraudes. Le débiteur engageant une chose d'une valeur
considérable pour une dette relativement minime, puis se trouvant
dépouillé de cette chose par suite de sa négligence à payer la dette
et de la complaisance trompeuse du créancier, qui n'aura pas pressé
le paiement afin d'acquérir une propriété importante en paiement
d'une dette modique, cette convention est plus dangereuse que les
stipulations d'intérêts excessifs, parce que celles-ci ne cachent le
danger qu'elles font courir au débiteur.
305 bis. IL Les parties ont quelquefois essayé de cacher un gage
avec pacte commissoire sous les apparences d'une vente à réméré,
et il est assez difficile de distinguer les deux contrats, car l'acheteur
(1) Instit., 1. II, t. I. n° 41. — Pothier l'a reproduit. Traité du contrat de vente,
n° 318.
380 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
à réméré fournit une somme d'argent; comme le créancier gagiste
et comme lui, il peut être privé de la chose si l'autre partie lui
rend la somme reçue, sinon il devient propriétaire incommutable.
Nous avons montré, au tome VII (1), la différence caractéristique entre
ces deux contrats, elle consiste en ce que le vendeur à réméré
n'est pas débiteur de la somme, qu'il a simplement la faculté de
payer pour recouvrer sa chose, tandis que l'emprunteur sur gage est
débiteur, et n'est pas maître d'abandonner sa chose pour ne pas payer
la somme qu'il a empruntée. On comprend donc que l'acheteur à
réméré puisse conserver la chose quand il ne recouvre pas l'argent,
parce qu'il a accepté une position désavantageuse et aléatoire; si
la chose augmente de valeur, il est certain qu'on la lui reprendra ;
si elle diminue, le contraire est certain, le réméré ne sera pas
exercé. Le créancier gagiste n'aurait que les bonnes chances, il
pourrait conserver la chose, quand elle augmente, si on ne le paie
pas; et d'un autre côté, quand elle diminue, il contraindrait le
débiteur à payer et à reprendre son gage. Le contrat serait inégal.
Voilà pourquoi la loi le défend. Quand on recherchera si une vente
à réméré apparente est un contrat de prêt, le point de fait qu'il
faudra élucider est donc celui-ci : la partie qui a reçu une somme
d'argent est-elle, oui ou non, obligée à la restituer?
30(3. Des principes ci-dessus il suit que la mise en gage ne
confère pas au créancier la propriété de la chose et ne peut
même l'y conduire directement. Le débiteur, ou, pour mieux
dire, celui qui a donné la chose, demeure donc propriétaire
jusqu'à l'expropriation consommée par l'une des deux voies
indiquées. Jusque-là le créancier n'a que la possession a la
charge de restitution; ce que la loi exprime en disant que le
gage n'est dans sa main qu'un dépôt. Mais a la différence du
dépôt proprement dit, qui n'a pour objet que la garde de la
chose dans l'intérêt du déposant, ici, au contraire, ce dépôt
tend a assurer le privilège du créancier. V. art. 2079.
«
(1) V. t. VII, n° 104 bis. II.
T1T. XVII. DU NANTISSEMENT. ART. 2079, 2080. 381
SECTION II.
Des obligations qui naissent du contrat du gage.
307. Jusqu'ici l'on s'est occupé du contrat de gage sous le
rapport du droit réel dont il contient virtuellement la consti-
tution, comme les contrats de vente et d'échange contiennent
virtuellement, dans notre droit, la translation de propriété.
Mais indépendamment de cet effet, subordonné d'ailleurs a
certaines conditions qui ne sont pas essentielles a la formation
du contrat, le gage produit entre les parties des obligations
qui font l'objet de celte section.
A cet égard, il est a remarquer que ces obligations naî-
traient dans le cas même où quelque obstacle s'opposerait à
la naissance du droit réel. C'est ce qui arriverait naturelle-
ment si les formalités constitutives du privilège n'avaient point
été observées (v. art. 2074, 2075), ou si le constituant
n'avait pas pouvoir pour engager la chose, puta, si c'est la
chose d'aulrui (v. Ulp., L. 9, § 4-, L. 22, § 2, D. de pign,
act.)-, ou enfin s'il n'existait pas réellement de créance a
laquelle la chose pût être affectée (v. Ulp., L. 11. § 2, D. de
pign. act.).
308. Comme le commodataire ou le dépositaire, le créan-
cier qui reçoit une chose en gage est obligé par la tradition
même a restituer la chose en temps et lieu. Débiteur de corps
certain, il est tenu de veiller à la conservation et répond
conséquemmenl de la perte ou détérioration provenant de sa
négligence. V. art. 2080, al. 1.
309. De son côté, le débiteur auquel la chose doit être
restituée, ou qui dans tous les cas profitera du prix de vente,
s'enrichirait aux dépens d'autrui s'il s'appropriait ainsi, sans
indemnité, le produit des dépenses que le créancier aurait
faites pour la chose. Il y a donc à cet égard obligation de
sa part, mais cette obligation se borne à tenir compte des
dépenses utiles et nécessaires faites pour la conservation du
382 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
gage. V. art. 2080, al. dernier, et a ce sujet, art. 1890 et
1947.
309 bis. I. Le Code, en qualifiant les dépenses dont le débiteur
doit tenir compte au créancier, laisse subsister une certaine obscu-
rité sur sa pensée, parce qu'il emploie cumulativement deux mots
qui sont ordinairement opposés l'un à l'autre. Que le débiteur
doive rembourser les dépenses nécessaires, cela n'est pas douteux ;
mais qu'il doive supporter les dépenses simplement utiles, les
dépenses d'amélioration, cela n'est pas admissible sans difficulté.
Puisque le créancier n'a pas le droit d'user de la chose, comment
l'autoriser à l'améliorer, c'est-à-dire à la transformer, à lui donner
une manière d'être différente de celle à laquelle le propriétaire était
habitué? N'oublions pas que nous parlons de choses mobilières, sou-
vent de choses d'une utilité quotidienne pour le propriétaire, celui-
ci, qui emploie la chose à un certain usage, souffrira peut-être de la
prétendue amélioration accomplie. Si l'on a fait relier un livre bro-
ché, il le trouvera moins commode; si l'on a appliqué à un fusil un
système nouveau, le chasseur l'emploiera-t-il avec le même succès?
Si d'un cheval de selle on a fait un cheval de cirque, dansant en me-
sure et tournant sur lui-même, dès qu'il entend le son de la musique,
serait-il raisonnable que le propriétaire payât les frais de trans-
formation, alors même que cette transformation augmenterait la
valeur vénale de la chose? Si le débiteur, pressé d'argent, a engagé
sa chose au lieu de la vendre, c'est qu'il tenait à la chose elle-
même, pour ses qualités propres, et non pas pour sa valeur vénale.
11 faut donc, pour contraindre le créancier gagiste au respect du
contrat, lui donner intérêt à ne pas empiéter sur le droit du pro-
priétaire; le moyen est très-simple, il consiste à lui dénier le droit
de se faire restituer les dépenses faites, quand ce seront de simples
dépenses d'amélioration.
309 bis. II. Le Code nous paraît avoir employé ce moyen, car si
l'on regarde de près son texte, on s'aperçoit qu'il n'a pas dit,
comme il le fait bien souvent, les dépenses utiles et nécessaires,
employant ces deux expressions dans un sens absolu et par consé-
quent opposé. Il a ajouté ces mots : que celui-ci a faites pour la
conservation de la chose. D'après la construction de la phrase, cette
proposition ne se rattache pas seulement au mot nécessaire, mais
au mot dépenses, elle détermine nettement l'idée principale : il
T1T. XVII. DU NANTISSEMENT. ART. 2080. 383
s'agit des dépenses que le créancier a faites pour la conservation
de la chose. Qu'on puisse les qualifier utiles on nécessaires, il faut,
pour appliquer l'article, qu'elles soient des dépenses de conservation.
Alors pourquoi ces deux qualificatifs différents? Ils sont employés
pour prévoir deux hypothèses diverses, celle où les dépenses étaient
urgentes et celle où elles étaient moins pressées. On comprend en
effet des dépenses de conservation qui ne peuvent souffrir aucun
retard, celles-là sont nécessaires ; d'autres qu'on peut différer, mais
qui n'en sont pas moins des dépenses de conservation, celles-là sont
utiles. Il faudra toujours qu'il s'agisse de conservation, mais il suf-
fira que la dépense soit utile sans être nécessaire au point de
vue de la conservation. Voilà, ce nous semble, la pensée du législa-
teur; elle nous apparaît plus claire par la comparaison du Code
civil avec le paragraphe de Pothier qui traite la question. Pothier
pose en règle que le débiteur doit rembourser les dépenses néces-
saires que le créancier a faites pour la conservation de la chose.
C'est le texte du Code, moins le mot utiles. Puis, arrivant aux dé-
penses utiles, il n'oblige le débiteur à les payer que quand elles
sont modiques, et il laisse la question à la prudence et à l'arbitrage
du juge. Le Code a voulu donner une règle plus précise, soustraire
la question à l'arbitraire, et, en élargissant un peu le cercle des dé-
penses de conservation, puisqu'il y comprend celles qui n'étaient pas
nécessaires, il ne parle plus des dépenses d'amélioration, ce qui nous
autorise à dire a contrario que ces dépenses ne peuvent être répé-
tées (1).
310. Remarquons ici que l'obligation incidente d'indem-
niser le créancier de ses dépenses n'est pas la seule que le
contrat de gage impose au débiteur. En remettant la chose
à ce titre, il contracte implicitement l'obligation de lui faire
avoir sur cette chose le droit de gage, dont les effets ont
été ci-dessus expliqués; par conséquent il serait garant des
troubles et évictions, et, comme tel, non recevable a évincer
lui-même le gagiste avant le temps fixé pour la restitution.
Il serait également garant des défauts cachés qui rendraient
!a chose insuffisante pour assurer les droits du créancier.
V. au surplus Paul, L. 16, § 1; Martien, L. 32; Ulp.,
(1) V. Pothier, Nantissement, nos CO, 61.
384 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
L. 36, D. depign. act.; v. aussi Paul, L. 41 , eod.; Modest.,
L. 22, D. depign. et hypoth.
311. L'obligation de restituer la chose comprend celle de
tenir compte au débiteur de tout ce qui en est provenu pen-
dant la possession du créancier. Celte règle s'applique notam-
ment aux intérêts d'une créance donnée en gage. Le trans-
port a titre de nantissement autorise incontestablement le
créancier a les toucher; mais il doit les recevoir en l'acquit
de son débiteur, par conséquent les imputer sur ce qui lui
est dû. Bien entendu que cette imputation se fait d'abord sur
les intérêts, si la créance garantie par le gage en produit;
sinon elle se fait sur le capital. V. art. 2081, et a ce sujet,
art. 1254.
311 bis. I. L'engagement d'une créance produisant des intérêts,
implique pour le créancier le pouvoir de percevoir ces intérêts.
C'est la conséquence d'un mandat tacite qui s'appuie sur ce que
le créancier qui a engagé sa créance a perdu, par la signification
qui a été faite de l'engagement au débiteur, le droit de toucher
périodiquement les intérêts, et qu'il importe à tous, au créancier dé-
biteur comme au créancier gagiste, que les intérêts de la créance
soient payés exactement.
Les intérêts ainsi perçus sont appliqués à la libération du dé-
biteur gagiste et imputés sur sa dette conformément aux règles sur
l'imputation du paiement, c'est-à-dire d'abord sur les intérêts qu'il
doit lui-même, ensuite sur le principal de sa dette. La loi ajoute
même que si la dette du débiteur gagiste ne produit pas d'intérêts,
les intérêts de la dette engagée s'imputeront sur le capital.
311 bis. IL De cette dernière partie de l'article 2081 résulte net-
tement une dérogation à l'article 1244. Cette imputation des inté-
rêts d'une créance sur le capital d'une autre créance n'éteindra pas
ordinairement toute cette dernière créance, elle n'en éteindra
qu'une partie. Le créancier subira donc comme une sorte de paie-
ment partiel, et par extraordinaire il n'aura pas le droit de le refu-
ser. Au reste, la dérogation à l'article 1244 n'est ici qu'apparente,
car la décision de la loi est certainement fondée sur la convention
des parties qui peut toujours déroger à la règle de l'article 1244. Le
créancier, en consentant à recevoir en gage une créance produisant
Tiï. XVII. DU NANTISSEMENT. AUT. 2081. 385
des intérêts et à devenir mandataire à l'effet de toucher ces intérêts,
donne son consentement à l'extinction partielle de sa créance,
car il devient débiteur des intérêts qu'il reçoit, et il se fait une
compensation de ces intérêts avec le capital qui lui est dû. Or,
nous avons vu que la règle de la loi sur la compensation légale
consacre une véritable exception à l'article 1244.
311 bis. III. Les raisons qui justifient l'article 2081, 2e alinéa, im-
posent une addition au premier paragraphe du même article. Quand
une créance produisant intérêts a été engagée pour garantir une
autre créance qui en produit aussi, les intérêts de la créance engagée
s'imputent sur les intérêts, et, nous l'avons déjà dit, sur le capital.
Ceci ne résulte pas du texte mais est une conséquence tirée à for-
tiori du 2e paragraphe de l'article et commandée par les principes
sur la compensation légale qui nous ont paru expliquer ce deuxième
paragraphe.
311 bis. IV. Le Code n'a parlé que des intérêts de la créance
donnée en gage, il n'admet donc pas que le créancier gagiste ait le
droit de toucher le capital; car s'il avait ce pouvoir, il faudrait bien
dire aussi que ce capital, encaissé par lui, s'imputera sur la dette
garantie par le gage. En principe, le créancier seul ou son manda-
taire peut toucher; le mandat, même tacite, n'apparaît pas ici aussi
clairement que quand il s'agit des intérêts, parce qu'il n'est pas
aussi nécessaire, le capital ne devant être payé qu'en une fois, tandis
que les intérêts sont payables assez souvent. On comprend que si
l'échéance est arrivée, le débiteur gagiste créancier de la créance
engagée, ne pourra pas toucher, puisque l'engagement signifié vau-
dra comme une opposition, et qu'il aura tout intérêt à s'entendre
avec le créancier gagiste, qui ne pourra pas non plus toucher sans
le consentement de l'autre partie. De leur intérêt mutuel naîtra un
accord; ils toucheront conjointement. Que si l'accord ne se fait
pas, le créancier gagiste se fera attribuer par justice la créance aux
termes de l'article 2078, ou en fera ordonner la vente aux enchères.
Ces tentatives d'accord, ces procédures auraient toutes sortes d'in-
convénients, s'il fallait les renouveler à chaque échéance d'inté-
rêts de la créance engagée; elles n'en ont pas dès qu'il n'y aura
lieu qu'une seule fois pour l'encaissement du capital.
Non-seulement le mandat tacite de toucher n'est pas aussi néces-
saire quand il s'agit du capital que s'il a pour objet les intérêts,
mais il serait très-sérieusement dangereux dans des hypothèses
▼m. 25
386 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. m.
très-fréquentes. Que la créance engagée soit supérieure en chiffre
à la créance que garantit le gage, ce qui arrivera Lion souvent, et
la loi serait imprudente si elle reconnaissait au créancier gagiste le
pouvoir de toucher le montant de la créance engagée. Ce créancier
deviendrait débiteur de son ancien débiteur pour l'excédent de ce
qu'il a encaissé sur ce qui lui était dû. Comme;,! serait garantie
cette dette peut-être considérable? Le droit de toucher les intérêts
s'explique, parce que dans les probabilités ils sont minimes par rap-
port à la 'dette garantie par le gage, le créancier de ces intérêts
ne risque pas de les perdre, puisqu'ils sont forcément utilisés à
éteindre sa propre dette. Mais le capital encaissé dépassant le capital
du l'excédent se trouve à la discrétion de l'ancien créancier, qui
n'inspire peut-être aucune confiance à son ancien débiteur.
311 bis. V. Les créances ne sont pas les seules choses engagées
qui puissent produire des fruits. Il y a certains meubles corporels
qui sont frugifères, un très-grand nombre d'animaux entre autres.
Nous ne dirons pas des fruits de ces choses, ce que la loi dit des
ntérêls des créances. Nous pouvons bien admettre, avec Pothier,
que le créancier gagiste doit compte de ces fruits. S'il naît un petit
de l'animal mis en gage, le créancier en est débiteur envers le pro-
priétaire, mais nous n'admettons pas, malgré l'opinion de Pothier,
que ces fruits doivent venir en déduction et paiement de la dette.
Telle est certainement la pensée du Code qui, loin de parler avec
Pothier des fruits en général, n'a parlé que des intérêts, et telle est
en effet la conséquence logique des principes. Les petits d'un ani-
mal ne sont pas de l'argent; en admettant qu'ils soient engagés
comme l'animal lui-même, ils sont régis par l'article 2078, ils ne
sont pas la propriété du créancier gagiste, il doit se les faire attribuer
par justice ou se faire autoriser à les vendre. Autrement, comment
pourrait-on savoir quelle valeur avaient ces petits animaux:? et ne
devrait-on pas craindre les fraudes que les deux parties de l'article
2078 ont voulu prévenir?
311 bis. VI. Reste à savoir si ces petits animaux sont eux-mêmes
engagés, et si le créancier gagiste peut : 1° les retenir; 2» exercer
sur leur valeur son privilège. La solution nous paraît moins claire,
parce que l'animal, dès qu'il est né, devient un objet distinct, une
individualité séparée de celle de l'animal, objet du gage. Nous
pensons toutefois que la théorie du Code civil est que le croît
des animaux est l'accessoire de ces animaux, car c'est par l'idée
TIT. XVII. DU NANTISSEMENT. ART 208 J , 2082. 387
d'accession que le Gode explique l'acquisition de ce genre de fruits
parie propriétaire, comme celle des fruits de la terre par le pro-
priétaire de l'immeuble. Cette théorie doit avoir pour conséquence
que le croît est engagé comme accessoire de l'animal, principal
objet du contrat de gage.
312. Le but que se proposent les parties dans le nantisse-
ment, et l'obligation implicite de garantie que contracte
celui qui le fournit, diffèrent naturellement jusqu'au paiement
de la dette la restitution du gage-, ce paiement doit être inté-
gral et comprendre conséquemment le principal, les intérêts
et les frais. Toutefois, le droit conféré au créancier ne l'étant
que sous la condition tacite qu'il n'abusera pas de la chose,
l'abus donnerait lieu h restitution anticipée. V. art. ^82'
al. i. '
312 Ut. I. Le principal droit du débiteur gagiste, celui qu'il
exerce par l'action pigneratitia directa, c'est le droit de se faire
restituer le gage. Seulement, comme le gage a été donné pour garantir
l'exécution de l'obligation, il est clair que le droit à la restitution
ne peut naître tant que la dette n'est pas éteinte, sauf le cas excep-
tionnel où le créancier manque à l'obligation qui lui est imposée
de veiller à la conservation de la chose: c'est le cas que le Code
suppose, quand il parle du détenteur qui abuse du gage.
312 bis. H. Nous avons subtitué aux expressions du Code des
termes plus larges, quand nous venons de déterminer à quelle
époque naîtrait le droit de demander la restitution du gage. Ce
n'est pas à l'époque du paiement, c'est à l'époque où, pour quelque
cause que ce soit, l'obligation garantie par le gage a été éteinte • le
droit accessoire doit périr quand périt le droit principal. Ceci ne
peut pas faire de doute quand il s'agit des modes extinctifs ordinaires
de l'obligation, la compensation, la novation, la remise de la dette et
tout le monde admet, quant à ces modes, l'extension que nous donnons
a l'article 2080. Mais un très-grand nombre de jurisconsultes re-
fusent dupliquer la même règle au cas de prescription, ou pour
mieux dire, ils pensent que la prescription de la dette garantie est
impossible tant que le gage reste dans Jes mains du créancier
gagiste, d'où i! résulte que le droit à la restitution ne pourra jamais
naître de l'extinction de la dette par prescription.
25.
388 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
Cette doctrine est ainsi justifiée par quelques auteurs : d'après
les principes du Code de Justinien, la seule possession du gage par
le créancier opérait une reconnaissance continue de l'obligation, et
par suite la libération par prescription ne pouvait pas se produire (1).
D'autres reproduisent cette idée sans invoquer l'autorité de Justi-
nien et voient, dans le fait de laisser le gage entre les mains du
créancier, une reconnaissance permanente du droit de ce dernier (2).
312 bis. III. Nous ne pouvons pas admettre cette doctrine, elle
nous paraît contraire aux dispositions de la loi sur les effets de la
reconnaissance en matière de prescription libératoire.
On raisonne sur une prescription libératoire, il s'agit de savoir si
le débiteur a pu ou non prescrire sa dette. Il s'est écoulé trente
ans depuis que cette dette est exigible, est-elle éteinte par ce laps
de temps, ou au contraire la possession de gage par le créancier
n'a-t-elle pas créé un obstacle à cette extinction par prescription?
Quand on dit que la possession du gage par le créancier constitue
une reconnaissance permanente empêchant la prescription, ou
dénature absolument les dispositions de l'article 2248 sur l'effet des
reconnaissances. Ces actes ne constituent que des interruptions de
prescription, c'est-à-dire qu'il faut considérer comme non avenu le
temps écoulé avant qu'ils aient eu lieu, mais ils permettent une
prescription qui recommence aussitôt la reconnaissance accomplie.
Donc il n'est rien de plus contraire à l'idée de reconnaissance que
l'idée de permanence ou de continuité; s'il existait des reconnais-
sances permanentes, elles constitueraient non pas des causes d'inter-
ruption, mais des causes de suspension. On peut peut-être soutenir,
c'est un point à examiner sur l'article 2248, que la reconnaissance
par un possesseur du droit d'un propriétaire rend la prescription
impossible, mais c'est qu'on voit alors dans cette possession le vice
de précarité, et si la prescription devient impossible, c'est qu'il
s'agit d'une prescription afin d'acquérir. Or, ce serait faire une
étrange confusion que de résoudre notre question par les principes
de la prescription acquisitive. Les règles sur la possession sont
indifférentes ici, et d'ailleurs on ne s'appuie pas sur un vice de la
possession, c'est le fait même de cette possession qui donne une
arme contre le non possesseur.
312 bis. IV. Comment arrive-t-on à ce résultat, c'est en disant :
(1) V. M. Thézard, Traité du nantissement, des privilèges et hypothèques, n° 15.
(2) V. Aubry et Rau, t. III, p. 520, n» 11, édiU 1856.
TIT. XVII. DU NANTISSEMENT. AKT. 2082. 389
le débiteur gagiste reconnaît l'existence de sa dette par ce fait
qu'il laisse le gage aux mains du créancier. Rien de moins certain,
car le débiteur peut ignorer qu'il existe un gage en possession de
ce créancier ; supposez que le débiteur primitif est mort, qu'il a laissé
un héritier, celui-ci qui ignore peut-être la dette peut à fortiori
ignorer la constitution d'un gage, et dès lors où est le fondement
de la reconnaissance permanente ou continue, qui interromprait à
chaque instant la prescription? Quant au débiteur lui-même, qui,
négligent de ses intérêts, ne redemande pas le gage, est-il certain
qu'il a par son inaction fait une reconnaissance de la dette? Une
reconnaissance tacite, en quelque sorte négative, ne vaut pas l'acte
positif auquel la loi a certainement fait allusion, quand elle a dit
dans l'article 2248 : la reconnaissance que le débiteur/«t7 du droit
de celui contre qui il prescrit. N'oublions pas que le débiteur qui
prescrit est supposé avoir perdu la preuve de sa libération; s'il
l'a perdue, il a lout intérêt à ne pas révéler cette perte au créancier,
qui pourrait être tenté de demander un second paiement; pour se
faire restituer le gage, il faudrait montrer la quittance perdue, et
c'est pour ne pas manifester cette perte que le débiteur ne
redemande pas son gage. Si ces faits sont possibles, il ne faut pas
poser en règle que l'inaction du débiteur libéré implique de sa part
reconnaissance de la dette.
312 bis. V. Nous refuserions de voir cette idée dans le Code civil,
alors même qu'elle serait consacrée par le Code de Justinien. Mais
le texte qu'on invoque nous paraît avoir un tout autre sens; c'est
la constitution 7, § 5, au titre de prœscriptione xxx rel xl annorum.
Elle traite d'une véritable interruption, c'est-à-dire d'un fait qui
n'a pas un effet continu ou permanent, per hanc detentionem interrup-
tio est prœteriti temporis . Le temps passé ne compte plus, mais on
ne dit pas que la prescription soit impossible dans l'avenir; or, quel
est le fait qui produit ce résultat, c'est le fait d'avoir pris possession
des choses engagées, res sibi suppositas sine violentia tenuerit (le verbe
tenere signifie aussi bien occuper, prendre possession, que garder).
Ainsi entendu, le texte de Justinien nous paraît très-acceptable, le
fait de donner un gage constitue une interruption de prescription,
c'est un fait positif du débiteur qui ne laisse aucun doute sur son
intention de reconnaître la dette, mais nous avons vu qu'il en
était tout autrement du fait de laisser le gage en la possession du
créancier.
390 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. IL.
312 bis. VI. Nous avons en outre, dans le Code civil, une disposi-
tion formelle qui nous semble absolument décisive, quant à la ques-
tion que nous examinons. Le Code admet, article 2180, qu'une
créance peut s'éteindre par prescription en faveur du débiteur, bien
qu'elle soit garantie par une hypothèque sur les biens de ce débi-
teur. N'est-ce pas la question même que nous agitons, avec cette
différence qu'il s'agit ici de gage et là d'hypothèque? Le débiteur
libéré n'a-t-il pas le droit d'exiger la radiation de l'inscription, et
n'a-t-il pas intérêt à l'exiger? Comme le débiteur gagiste a droit
et intérêt à demander la restitution du gage. Il ne demande pas
la radiation, et la prescription court néanmoins contre lui; c'est
apparemment qu'on ne voit pas dans son inaction une reconnais-
sance permanente et continue de la dette, car une reconnaissance
interromprait la prescription, et si elle était continue, c'est-à-dire
se renouvelant sans cesse, elle la rendrait impossible. Cette obser-
vation nous paraît capitale, car elle montre dans la loi même la
condamnation de la supposition, qui est la base de la doctrine que
nous combattons.
312 bis. VIL On oppose, il est vrai, un autre argument qui con-
siste à signaler l'étrangeté du résultat auquel nous arrivons : le
débiteur dont l'action en retrait du gage est imprescriptible jusqu'à
l'extinction de la dette, pourrait au bout de trente ans réclamer la
restitution du gage sans offrir de désintéresser le créancier (1).
Nous admettons en effet que telle est la conséquence de la doctrine,
mais nous ne reconnaissons pas que cette conséquence soit étrange,
et qu'on puisse s'en prévaloir contre la doctrine elle-même. La
prescription est, d'après le Code civil, un mode d'extinction de l'obli-
gation, comment comprendre que le gage subsiste quand la dette
est éteinte? Il n'y a plus rien à garantir. Le débiteur gagiste
redemande le gage devenu inutile. Quant au créancier gagiste, en
décidant qu'il ne peut pas invoquer en sa faveur une prescription
libératoire puisque jusqu'à la prescription de la créance accomplie,
la restitution n'avait pas pu être exigée de lui, on ne lui cause pas
un véritable préjudice. Si, ce qui nous semble impossible, on lui
permettait d'invoquer la prescription libératoire, il n'en retirerait
aucun avantage. Aurait-il en effet acquis la propriété? Non certes,
puisque nous parlons d'une prescription libératoire; il aurait donc
(1) V. Aubry et Rau, loc. cit.
TiT. XVI!. DU NANTISSEMENT. AKT. 2082. 361
le droit de conserver !e gage, comme il le tenait avant la prescrip-
tion, c'est-à-dire pour ne pas s'en servir, pour ne pas s'en
approprier les fruits. Il ne pourrait pas en disposer, obtiendrait-il
de la justice, aux termes de l'article 2078. le droit de la conserver
comme propriétaire ou de la faire vendre, ce serait impossible
puisque la justice ne doit autoriser cette appropriation en cette
vente aux enchères que pour aboutir à un paiement. Or, comme le
paiement n'est plus exigible, ces décisions de la justice ne sauraient
intervenir. On le voit, le créancier gagiste ne perd pas grand'chose
à ne pas pouvoir invoquer la prescription contre l'action en resti-
tution du gage.
Nous n'avons parlé que de cette prescription afin de se libérer,
il est clair que le gagiste ne pourrait pas invoquer une prescription
acquisitive, même après trente ans écoulés depuis la constitution
du gage, car sa possession, précaire dans l'origine, aura toujours
conservé ce caractère (art. 2236, 2237). Nous supposons au inoins
qu'il n'est pas intervenu un des événements qui rendraient possible
la prescription (art. 2238;, parce qu'alors nous ne serions plus
dans l'hypothèse sur laquelle nous raisonnons.
312 bis. VIII. Nous avons supposé que le créancier gagiste était
encore en possession du gage et qu'il lui était matériellement pos-
sible de rendre un gage désormais inutile. Il peut arriver qu'il
n'ait plus à sa disposition l'objet qu'il a reçu en gage et que,
poursuivi comme débiteur de la restitution, il soit, en effet, exposé
à une perte, puisqu'il devrait donner des dommages et intérêts.
Il évitera cette condamnation s'il démontre que la perte provient
d'un cas fortuit (art. 130:2), sinon il subira les conséquences
d'une faute qu'il a commise en ne conservant pas en nature, comme
il le devait, la chose remise en gage. Il aurait, du reste, encore
une autre ressource, ce serait de prouver que la dette a été éteinte
par un paiement, une compensation ou une remise à une époque
antérieure à celle où la prescription s'est accomplie. La chose est
possible, puisque la prescription cache souvent une véritable
extinction d'obligation dont le débiteur a perdu la preuve. Si le
créancier fournit cette preuve, il fait remonter à une époque an-
térieure à celle où la dette a été prescrite, le commencement de
la prescription libératoire qui a couru à son profit en ce qui concerne
la restitution du gage, et ainsi il pourra se trouver libéré. S'il ne
peut pas faire cette preuve, ou bien c'est parce que la dette n'a
392 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
réellement été éteinte que par la prescription, et alors il est logique
que l'action en restitution du gage ne soit prescriptible que depuis
cette époque, ou bien c'est parce qu'il a négligé de conserver la
preuve d'un acte juridique qui l'intéressait, et sur lequel il veut
aujourd'hui fonder un droit; il ne faut pas alors s'étonner que
le manque de preuve lui porte un préjudice.
313. Le paiement de la délie pour laquelle eut lieu la mise
en gage n'autoriserait pas toujours a exiger la restitution de
la chose engagée. En effet, si à un autre titre il existe encore
une dette entre les mêmes parties, l'affectation générale des
biens du débiteur au paiement de celte dette, comme de
toute autre, peut aisément faire supposer, indépendamment
d'une affectation spéciale, la convention tacite de ne pas re-
tirer le gage avant qu'elle soit acquittée (v. Gord., L. un.,
Cod., etiam ob chirogr.). Ajoutons qu'il est naturel que le
créancier qui pourrait saisir-arrêter entre les mains d'un tiers
les effets de son débiteur, soit autorisé a ne pas se dessaisir
de la chose qu'il tient. Mais pour que ces motifs soient appli-
cables, et pour que la loi autorise la rétention, il faut : 1° que
la dette a laquelle le gage n'est pas spécialement affecté soit
contractée postérieurement a la mise en gage; 2° que cette
dette soit exigible avant le paiement de la première. V. art.
2082, al. dernier.
313 bis. I. Le débiteur qui a donné un gage emprunte du même
créancier une autre somme. La loi suppose une convention tacite
affectant le gage à cette nouvelle dette et permet au créancier de
retenir le gage tant que les deux dettes ne sont pas acquittées.
Voilà la décision de l'article 2083, 2e alinéa. Il faut maintenant
comprendre les conditions auxquelles elle est subordonnée.
313 bis. II. D'abord, pour que la créance à l'égard de laquelle il
n'a pas été fait de convention spéciale du gage bénéficie du gage
de l'autre créance, il faut qu'elle soit née postérieurement à l'autre,
sinon la convention tacite du gage n'apparaîtrait pas; car il est
évident que, lors de la première convention, le créancier s'était con-
tenté d'une créance chirographaire. Secondement, la loi exige que
la seconde dette soit exigible avant le paiement de la première.
Cette condition ne nous paraît pas respecter l'idée fondamentale de
TIT. XVII. DU NANTISSEMENT. ART. 2082. 393
l'article 2082. Si, en effet, l'article suppose une convention tacite
de gage, pourquoi cette constitution pour une nouvelle dette ne
pourrait-elle pas garantir un paiement à faire après le paiement de
la dette la plus ancienne? Il y aurait là un ordre fort logique assi-
gné aux différents paiements, et dès lors on pourrait facilement pré-
sumer une convention en ce sens. Mais les rédacteurs du Code civil
ont probablement laissé de côté cette idée qui donne une base très-
juridique à l'article, et ils se sont préoccupés des motifs que Pothier
assignait à la règle. On trouve, en effet, dans le traité du nantisse-
ment : 1° que le créancier gagiste, qui a reçu le paiement de la
dette garantie par le gage, oppose l'exception de dol à l'action par
laquelle le débiteur qui lui doit une autre somme demande la resti-
tution du gage; 2° que ce créancier aurait eu le droit de former une
saisie-airêt sur lui-même pour arrêter le gage de la créance éteinte
par un paiement. Ces deux raisons expliquent la décision du Code;
il est certain que soit pour opposer l'exception du dol, soit pour
pratiquer une saisie-arrêt, il faut que ce créancier ait un droit
exigible, il ne peut pas, en vertu d'une créance dont le terme n'est
pas arrivé, paralyser le droit de son ancien débiteur qui redemande
son gage.
313 bis. III. Voilà où conduit l'interprétation littérale de l'article,
on substitue des raisons d'équité à la raison de droit, sur laquelle
on pourrait l'appuyer; cette interprétation se justifie d'ailleurs par
une observation précédemment faite : s'il s'agissait d'une convention
de gage, on ne comprendrait pas pourquoi les effets en seraient
restreints au cas où la seconde dette est échue soit avant le paiement,
soit même, comme quelques jurisconsultes l'ont soutenu, avant
l'échéance de la première. Mais alors nous constatons une sorte
d'incohérence dans les décisions, parce que s'il s'agit simplement
d'une considération d'équité donnant naissance à une exception de
dol, on a une sorte de saisie-arrêt, il n'était pas nécessaire de dis-
tinguer entre les dettes antérieures et les dettes postérieures au
contrat de gage. Les deux conditions auxquelles l'article 2082
subordonne sa règle sont donc inspirées par deux idées divergentes
sur le principe même de cette règle.
313 bis. IV. Quel que soit en réalité le principe de l'article 2082,
2* alinéa, il faut ne pas exagérer la portée de sa disposition et la
maintenir dans les termes stricts que le législateur a employés. Le
droit que l'article confère au créancier pour la sûreté de sa seconde
«J91 LOCHS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. MI.
créance n'est pas le droit de gage dans toute sa plénitude, il
n'implique pas un droit de préférence sur les autres créanciers. Le
texte, en effet, ne vise que le droit de retenir le gage; le créancier
n'est pas tenu de s'en dessaisir, c'est une exception au 1er alinéa
de l'article, qui confère au débiteur le droit de redemander la pos-
session effective de l'objet engagé. Mais la loi évite bien de parler
du privilège du gagiste, tandis qu'elle précise très-nettement, dans le
cours du titre, les cas où elle entend s'en occuper (art. 2074, 2075',
2076). Son système général en ce qui concerne ce privilège est tout
à fait contraire à l'existence de ce droit dans le cas qui nous occupe.
Alors même qu'on admettrait qu'il y a eu constitution tacite de gage,
les conditions essentielles à l'existence du privilège de gagiste font
absolument défaut, car il n'existe pas d'acte public ou au moins
enregistré contenant déclaration de la somme due, et les fraudes
que la loi a voulu prévenir par cette exigence pourraient être faci-
lement commises; que si l'on appuie la décision de l'article sur une
sorte de saisie-arrèt faite par le créancier sur lui-même, il est encore
plus évident qu'il n'a pas de droit de préférence, puisque ce droit
n'appartient pas au saisissant, d'après les dispositions du Code
civil.
314. La règle qui subordonne au paiement intégral la res-
titution du gage ne tient pas seulement a l'indivisibilité de
paiement qui existe en général entre le créancier et le débi-
teur (art. 1220 et 1244); elle repose sur l'indivisibilité du
gage, laquelle est entièrement indépendante de celle de la
créance. L'effet de cette indivisibilité est que la totalité et
chaque portion de la chose engagée est affectée au paiement
de la totalité et de chaque portion de la créance. Il est évident
d'après cela que la division de la dette entre les héritiers du
débiteur n'autorise aucun d'eux a retirer une portion du gage
en payant sa part de la dette-, pareillement, la division de
la créance entre les héritiers du créancier non-seulement
n'oblige pas, mais n'autorise même pas celui qui reçoit sa
portion à remettre, au préjudice des autres, tout ou partie du
gage. V. art. 2083 ^ v. à ce sujet art. 2114.
314 bis. Le gage est indivisible comme l'hypothèque; les consé-
quences de cette indivisibilité sont indiquées par l'article 2083.
TIT. XVU. DU NANTISSEMENT. ART. 2083, 2î084. 395
Nous nous contentons de renvoyer sur ce point à ce que nous
avons dit de l'indivisibilité de l'hypothèque sur l'article 2114 (1).
Disposition particulière,
315. Les principes généraux sur la nature et les effets du
gage, considéré comme contrat ou comme droit réel, sont
toujours et partout les mêmes. Mais les règles strictes éta-
blies par le droit civil pour l'application de ces principes
contrarieraient en plusieurs poinls les usages et les besoins
du commerce. D'un autre côté, la loi devait une faveur parti-
culière à ces élablissemenîs créés dans des vues d'humanité,
qui, sous la surveillance de l'administration publique, sont
autorisés à prêter sur gage; en conséquence, notre Code
déclare ici ses dispositions non applicables, soit aux matières
de commerce (v. a ce sujet C. comm., art. 91-93, 1. du
23 mars 1863), soit aux maisons de prêt sur gage autorisées;
ces maisons, au reste, sont soumises à des règlements parti-
culiers. V. art. 2084.
315 bis. Le gage commercial est organisé par les articles 91, 92
et 93 du Code de commerce. Ces articles ont été intercalés dans ce
Code en 1863 pour combler la lacune que laissait sur ce point le Code
de 1807. Nous renvoyons aux explications que les traités de Droit
commercial donnent sur ces articles (2), nous contentant d'en in-
diquer sommairement les principales dispositions : 1* on a déterminé
ce qu'il faut entendre par un gage en matière commerciale, c'est le
gage donné pour un acte de commerce, soit par un commerçant,
soit par une personne non commerçante; 2° pour les contrats de
gage commerciaux on abandonne la règle de l'article 2074, et soit
entre les parties, soit par rapport aux tiers, on admet tous les modes
de preuve autorisés par l'article 109, C. corn. ; 3° le gage qui a pour
objet des créances civiles reste soumis à l'article 2075; 4° quand le
gage a pour objet des droits transmissibles par voie d'endossement,
le gage peut être constitué par un endossement régulier, indiquant
que les valeurs ont été remises en garantie; 5° pour les droits qui
(1) V.t. IX, n°74 bis. IX et V.
(2) V. M. Boiste!, Précis de droit commercial, p. 333. Édit. 18S4.
396 couns analytique de code civfl. liv. m.
se transmettent par un transfert sur des registres, le gage est con-
stitué par un transfert à titre de garantie; G0 à défaut de paiement,
la vente publique du gage a lieu sans autorisation préalable de la
justice.
CHAPITRE II.
DE l'àNTICHP.ÈSE.
316. Le mot antichrèse signifie jouissance en i emplace-
ment. On doit donc entendre par antichrèse proprement
dite la convention par laquelle la jouissance de la chose
donnée en nantissement est abandonnée au créancier en
remplacement de l'intérêt de son argent (v. Martien, L. 11,
§ 1, D. de pign. et hyp.). Mais, improprement, on a étendu
la signification du mot antichrèse au cas où la faculté de jouir
de la chose n'appartient au créancier que sous la condition
d'imputer jusqu'à due concurrence la valeur de cette jouis-
sance sur les intérêts ou sur le capital.
Depuis que l'introduction de l'hypothèque a permis de
conférer au créancier le droit de gage sans dépossession du
débiteur, il est évident que le contrat de nantissement appli-
qué aux immeubles n'a plus conservé de véritable utilité
que sous le rapport de l'antichrèse, proprement ou impro-
prement dite, qui pouvait y être jointe. On conçoit donc que
l'antichrèse en soit devenue l'objet principal et bientôt l'objet
unique. Aussi est-ce sous ce nom que le Code désigne le
nantissement des choses immobilières (art. 2072). C'est en
effet uniquement a l'antichrèse que tend aujourd'hui la remise
d'un immeuble en nantissement-, car loin que cette remise
soit, comme dans l'origine, le seul moyen de conférer le droit
de gage, elle a même cessé de produire cet effet (v. art. 2085,
2091, 2093, 2094).
316 bis. I. La définition de l'antichrèse, telle qu'elle résulte du
Code civil, doit être ainsi formulée : un contrat par lequel la jouis-
TIT. XVII. DU NANTISSEMENT. ART. 2085. 397
sance d'un immeuble est abandonnée à un créancier sous la condi-
tion d'imputer jusqu'à due concurrence la valeur de cette jouis-
sance, c'est-à-dire les fruits de l'immeuble, sur les intérêts de la
dette d'abord et ensuite sur le capital.
Si M. Demante ap; elle cette convention un contrat d'antichrèse
improprement dite, c'est qu'il se place au point de vue historique,
comme l'indique la citation qu'il fait d'un texte du Digeste, et aussi
toute la suite de son explication. 3Iais il ne faut pas s'y méprendre, sa
doctrine, comme la doctrine générale, est que dans le Code civil le
mot antichrèse n'a qu'un sens, celui que nous lui attribuons
d'après l'article 2085.
316 bis. II. Reste la question de savoir si les parties pourraient
faire expressément la convention dont 31. Demante a dabord parlé.
Celle qui attribuerait au créancier tous les fruits de l'immeuble pour
représenter les intérêts de la somme due sans imputer quelque
partie que ce soit de ces fruits sur le capital.
On a dit que cette convention était licite avant la loi de 1807 sur
le taux maximum de l'intérêt conventionnel (v. art. 2089) ; tandis
que la loi, pour être conséquente, aurait dû la déclarer nulle pour
violation de l'article 1907, 2e alinéa, le taux de l'intérêt n'étant
pas alors fixé par écrit; c'est un point sur lequel nous reviendrons
plus tard. Aujourd'hui que les parties ne sont pas libres de fixer
tel intérêt que bon leur semble, la convention ne pourrait être validée
qu'en vertu d'une estimation des fruits démontrant que les parties
n'ont pas dépassé la limite. Mais nous préférons la déclarer illicite
pour violation de l'article 1907, 2e alinéa. Nous avons en effet
admis que cette seconde partie de l'article 1907 n'est pas implici-
tement abrogée par la loi de 1807, qu'elle constitue encore une
protection pour l'emprunteur en le forçant à se rendre compte du
taux de l'intérêt qu'il promet (1). S'il est utile qu'il en soit ainsi,
c'est surtout lorsque la convention ne montre pas clairement la pro-
portion existant entre le bénéfice annuel perçu par le créancier et
le capital dû par le débiteur. L'emprunteur peut ne pas se rendre
un compte exact de ce que doitproduire l'immeuble, et il consentira
ainsi à abandonner tous les fruits sans comprendre qu'il accepte
de payer des intérêts excessifs. La convention d'antichrèse dans
ces conditions fournirait aux usuriers un moyen très-commode
(1) V. ci-dessus, q° 115 bis. XI.
398 COUliS ANALYTIQUE DE GODE CIVIL. LIV. III.
d'éluder les dispositions de la loi de 1807, et il nous semble heureux
que l'article 1907 nous fournisse le moyen de prévenir de semblables
contrats. Il est vrai qu'en interdisant cette convention, nous empê-
chons les emprunteurs de profiter de la bonne volonté d'un prêteur
qui se contenterait de la chance que lui promettraient les fruits de
l'immeuble, et qui consentirait à perce\oir quelquefois une valeur
inférieure à l'intérêt légal. 3Iais on peut craindre que ce ne soit
pas là l'hypothèse ordinaire, et d'ailleurs quand la loi interdit des
conventions parce qu'elle redoute qu'une partie mal éclairée fasse
des sacrifices irréfléchis, elle prive, par son interdiction, d'un bénéfice
possible les quelques contractants qui auraient par hasard fait une
convention avantageuse malgré le danger contre lequel la loi cher-
chait à les protéger. Ainsi, la vente d'une succession future est
interdite, la loi craint que l'héritier présomptif ne vende à vil prix
un droit incertain dans son existence et dans son chiffre, peut-être
cependant laurait-il quelquefois vendu avantageusement, néan-
moins, pour atteindre le but qu'elle se propose, elle prohibe dans
tous les cas le contrat en question. De même, pour protéger la
majorité des emprunteurs qui abandonnerait trop facilement une
jouissance considérable en paiement du loyer d'un capital peu im-
portant, elle se trouve contrainte à empêcher la convention qui
aurait lieu quelquefois à l'avantage de l'emprunteur contre le
prêteur.
317. Cela posé, il reste a établir en détail la nature et les
effets du contrat d'antichrèse (art. 2085-2090); nous verrons
ensuite si, et jusqu'à quel point, ces eifels, qui s'opèrent
incontestablement entre les parties contractantes, peuvent
être opposés aux tiers (art. 2091).
318. En appliquant a l'antichrèse l'idée générale que nous
avons prise du nantissement, on voit que c'est un contrat réel,
intéressé de part et d'autre, et synallagmatique imparfait.
Qui dit contrat réel, dit contrat parfait par la simple tradition,
et dont l'existence dès lors n'est assujettie a aucune forme.
Toutefois la loi veut que l'antichrèse ne puisse s'établir que
par écrit; ce qui, selon nous, ne tend qu'à exclure absolu-
ment la preuve testimoniale, quelle que soit la valeur.
V. art. 2085, al. 1.
TIT. XVli. DU NANTISSEMENT. ART. 2085. 399
318 bis. I. La première disposition de l'article 2085 rappelle la
règle que l'article 2074 a édictée en ce qui concerne le gage. Il ne
s'agit certes pas de faire de l'antichrèse un contrat solennel comme
la donation ; l'écriture est considérée ici comme moyen de preuve.
La loi n'a pas dit que l'antichrèse résulterait d'un acte écrit à peine
de nullité, elle dit que ce contrat ne s'établit que par écrit, ce qui
peut se traduire facilement par ces mots : l'antichrèse ne se prouve
que par écrit, car le mol établir a souvent le sens de prouver.
La règle est donc analogue à celle qui régit le gage, si le contrat
n'est pas nul en la forme, il peut au moins être avoué par la partie,
et la délation du serment décisoire est possible.
318 bis. IL Seulement nous ne rencontrons pas ici l'exception
admise par l'article 2074, 2e alinéa, et par l'article 1341. Il n'y a
plus lieu de considérer si l'intérêt engagé est supérieur ou infé-
rieur à 150 francs. La loi n'a pas restreint la portée de sa formule;
nous pensons qu'elle n'a pas cru que l'engagement d'un immeuble
eût souvent pour objet une chose d'une valeur ne dépassant pas
io0 francs; de plus, on peut supposer que les rédacteurs du Code,
qui d'auord n'avaient pas fait cette distinction sur l'article 2074 et
qui l'ont ajoutée dans une rédaction ultérieure, ont négligé un
peu inconsciemment de faire subir la même modification à l'ar-
ticle 2085. Il faut, quoi qu'il en soit, appliquer cet article tel qu'il
est écrit.
318 bis. III. Nous disons que l'article 2085 donne une règle ana-
logue à celle qui résulte de l'article 2074. Les deux règles ne sont
pas en effet identiques. Il faut se rappeler que l'article 2074 régit
les rapports du créancier gagiste et des tiers à qui peut être opposé
le privilège du gagiste; entre les parties qui ont fait le contrat de
gage nous ne voyons pas de règle spéciale sur la preuve, et les
dispositions générales de la loi sur les preuves restent applicables.
Dans la matière de l'antichrèse la loi ne fait pas cette distinction, et
d'une façon générale elle exige la preuve écrite. Il faut donc en
conclure que, même entre les parties, la preuve testimoniale est
interdite dans toutes les hypothèses, ce qui comprend le cas où il y
aurait commencement de preuve par écrit et celui où l'on alléguerait
la perte d'un acte écrit. C'est une rigueur excessive qui tient à ce
que la loi n'a pas distingué la situation des parties et celle des tiers,
et qu'elle a écrit un article général là où elle songeait surtout à
prévenir des fraudes préjudiciables aux tiers, par exemple aux
400 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
autres créanciers, au détriment desquels on créerait tardivement un
droit d'antichrèse alors que l'état des affaires du débiteur commun
demande qu'une parfaite égalité soit maintenue entre les créanciers.
318 bis. IV. Il est bien clair que lorsqu'il s'agira d'opposer le
contrat d'antichrèse à des tiers, il sera nécessaire que l'acte écrit
ait date certaine à leur égard dans les conditions de l'article 1328,
si c'est un acte sous seing privé; il n'était pas nécessaire que le texte
s'expliquât sur ce point, puisque c'est là une règle générale de la
matière des preuves.
318 bis. V. 11 faut seulement bien faire attention à ce que nous
devons entendre par des tiers; s'il s'agit de personnes ayant acquis
des droits réels sur l'immeuble, par exemple une hypothèque, la cer-
titude de la date de l'acte est absolument imposée par l'article 1328,
et nous dirons bientôt qu'une autre formalité protectrice est néces-
saire. Mais les créanciers cbirographaires du débiteur qui a consti-
tué l'antichrèse ne sont pas des tiers, ils le représentent à titre
universel; devant subir toutes les conséquences des actes qui
diminuent le patrimoine de leur débiteur, ils sont indirectement
atteints, quelle que soit la date de ces actes, et comme nous ne
trouvons pas ici la règle formelle qui, dans l'article 2074, soumet
le privilège du gagiste à la condition que l'acte constitutif aura date
certaine, nous rentrons dans la règle générale et nous admettons
que tout acte écrit, même sous seing privé non enregistré, sera
opposable aux créanciers chirographaires. Sauf le cas de fraude,
fraus omnia corrumpit. La preuve de la fraude résultera de la date
même que portera l'acte, si elle est très-voisine de l'époque où le
débiteur est devenu insolvable, et de plus elle pourra être faite
spécialement, même par témoin (art. 1348), quand les créanciers
prétendront qu'un acte sous seing privé a été antidaté. Voilà les
seules armes que la loi ait données aux créanciers chirographaires ;
on doit regretter qu'elle n'ait pas régi la constitution d'antichrèse
comme celle du gage, mais on ne peut pas combler une lacune de
la loi par voie d'interprétation (1).
319. L'antichrèse est un nantissement; il est clair donc que
la chose remise a ce titre l'est, comme le gage, pour sûreté de
la dette ; mais notre Code fait consister uniquement cette
(1) V. Cependant Aubry et Rau, t. III, \\ 522. Édit. 1856.
TiT. XVII. DU NANTISSEMENT. ART. 2085. i0 1
sûreté dans la faculté de percevoir les fruits, lesquels, en
général, doivent être imputés annuellement, d'abord sur
les intérêts si la dette en produit, et ensuite sur le capital.
V. art. 2085, al. dern.
319 bis I. Le droit du créancier antichrésiste consiste d'abord
dans le droit de retenir l'immeuble jusqu'au paiement de la dette;
ce droit résulte de ce que le contrat d'antichrèse est un contrat de
nantissement.
Il consiste ensuite en ce que le créancier peut percevoir les fruits.
Il faut donc qu'il administre les biens puisqu'il les possède, et
il doit les faire produire puisqu'il s'est soumis à la charge d'im-
puter les fruits sur les intérêts et sur le capital, ce qui implique
bien qu'il a pris l'engagement de retirer de la chose tous les
fruits qu'elle peut produire. Le débiteur, n'obtenant sa libération
qu'au fur et à mesure que la chose donne des fruits, ne peut pas
être considéré comme ayant consenti à ce que son créancier laissât
la chose improductive.
319 bis. IL Comment le créancier traitera-t-il la chose pour en
retirer des fruits? Il devra administrer comme un bon père de famille,
c'est-à-dire employer un des procédés ordinaires d'usage produisant
des fruits, il pourra cultiver lui-même une terre, sans en altérer la
substance, ou il pourra l'affermer; s'il s'agit d'une maison, il aura
le droit de la louer pour en retirer des fruits civils, ou de l'habiter
lui-même, sauf à faire fixer par convention ou par jugement la
valeur Iocative de l'immeuble. Puisqu'il est certain qu'il peut cul-
tiver une terre, on ne voit pas pourquoi il ne pourrait pas aussi
bien exercer lui-même le droit de jouir d'une maison.
320. Les contributions, ou autres prestations annuelles,
sont des charges de fruits qui diminuent de plein droit la
jouissance : a moins donc de convention contraire, ce n'est que
déduction faite de ces charges que les fruits doivent être
censés affectés au paiement du créancier. La même règle
s'applique naturellement aux réparations d'enlretien. Bien
plus, le créancier obligé a restituer la chose, et tenu, comme
tel, de veiller à sa conservation, doit, à peine de dommages-
intérêts, pourvoir a l'entretien et aux réparations utiles et
nécessaires. Mais, suivant le principe ci-dessus, toutes les
Tin. 26
402 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
dépenses qu'il fait pour acquitter ces diverses charges sont
par lui prélevées sur les fruits, dont l'excédent seulement est
alors appliqué a la libération du débiteur. V. art. 2086.
320 bis. I. Les charges qui pèsent sur l'antichrésiste en vertu des
deux alinéas de l'article 2086 ne lui sont pas imposées à titre dé-
finitif. L'article l'autorise à les prélever sur les fruits; par consé-
quent il peut être obligé d'en faire l'avance, mais il les recouvrera
quand il aura fait des perceptions de fruits. Il est clair en effet que
le contrat ayant pour but de fournir au créancier le moyen de se
payer de ce qui lui est dû par la perception successive des fruits,
ce créancier ne peut être contraint à imputer sur sa créance que le
produit net de ces fruits. S'il faisait par exemple une récolte d'une
valeur de i,000 francs ou s'il a perçu 1,000 francs pour loyer d'une
maison et qu'il fallût diminuer la créance de pareille somme, sans
tenir compte de 50 francs avancés pour les contributions ou
pour travaux nécessaires de conservation, il se trouverait ne rece-
voir que 950 francs en paiement de i,000 francs, et la garantie
qu'il aurait cru trouver dans l'antichrèse l'empêcherait de toucher
le montant intégral de sa créance.
320 bis. II. Nous comprendrons les frais de culture dans les
charges annuelles d'une terre, le salaire d'un concierge dans les
charges annuelles d'une maison. Ces dépenses sont ordinairement
supportées par celui qui a droit aux fruits (art. 548), l'usufruitier
par exemple ou le fermier supporte les frais de culture de la terre
dont il récolte les fruits (sauf en ce qui concerne l'usufruitier, pour
les frais faits dans la dernière année, la règle spéciale de l'article
585), mais la situation d'un usufruitier ou d'un fermier n'est pas
celle' d'un antichrésiste, celui-ci n'a pas la chance de faire un béné-
fice sur les fruits; tout ce qu'il récolte, il l'impute sur sa créance,
ceux-là ont un droit qui leur donne des chances de véritable gain,
les frais de culture qu'ils font sont une mise qu'ils exposent pour
gagner ; pour l'antichrésiste au contraire les frais de culture sont
une sorte d'avance qu'il fait pour le propriétaire dont il est manda-
taire, et le bénéfice possible sur les récoltes advient tout entier au
propriétaire qui est libéré de sa dette, jusqu'à concurrence du
produit net de l'immeuble.
320 bis. III. Le Gode n'a parlé que de l'entretien et des réparations
utiles ou nécessaires de l'immeuble. Nous ferons immédiatement
TIT. XVII. DU NANTISSEMENT. ART. 2086. 403
remarquer que sa formule ne comprend pas ce qu'on entend d'or-
dinaire par des dépenses utiles, c'est-à-dire des dépenses d'amélio-
ration; pour que l'antichrésiste ait le droit de prélever des dépenses
faites, il faut qu'elles aient le caractère de dépenses d'entretien ou
de dépenses de réparation, le sens du mot utiles est précisé et
limité par le mot dont il est le qualificatif. Il sert à indiquer qu'il
ne faut pas absolument que les réparations aient été indispensables,
mais qu'il suffit qu'elles aient été opportunes.
320 bis. IV. Dans les réparations nécessaires, nous comprendrons
les grosses réparations. La loi n'a pas fait ici, en effet, la distinction
qu'elle a établie en matière d'usufruit, divisant les réparations en
réparations d'entretien et grosses réparations pour n'imposera l'usu-
fruitier que les réparations d'entretien. Elle a, il est vrai, parlé de
l'entretien, mais avant de parler des réparations; l'entretien, dans ce
sens-là, c'est le soin de la chose, le soin préventif qui, par certaines
dépenses, empêche les dégradations, et par conséquent rend inutiles
les réparations. Ainsi faire curer des tuyaux ou des canaux pour
empêcher des engorgements, visiter des toitures pour prévenir l'en-
lèvement des ardoises ou du zinc par les grands vents, tailler les
arbres d'un parc pour maintenir la perspective des avenues, faire
placer un paratonnerre sur un édifice, c'est chercher à prévenir les
dégradations, ce n'est pas encore réparer.
320 bis. V. Quand la loi traite des réparations, elle les divise en
réparations utiles et réparations nécessaires. Quoi de plus nécessaire
que ce que la loi appelle les grosses réparations (art. 606) ? Donc ces
réparations sont au nombre de celles que doit faire l'antichrésiste.
Il ne faut pas s'en étonner ni signaler une antinomie entre cette
décision et celle de l'article 605. L'antichrésiste, s'il fait ces dépenses,
en prélèvera le montant sur les fruits pendant le nombre d'années
nécessaire ; certes, il résultera de ce prélèvement un retard en ce
qui concerne l'acquittement de la créance première; mais comme
son droit de jouissance ne finit que lors de l'acquittement total de
cette créance, il est sûr de recouvrer tôt ou tard les frais qu'il aura
laits; tandis que l'usufruitier dont le droit est viager n'aurait
aucune certitude quant au recouvrement des dépenses considé-
rables qu'il aurait pu faire. Si d'ailleurs la charge de l'avance
parait trop lourde au créancier antichrésiste, l'article suivant lui
fournira le droit de s'y soustraire, en renonçant à l'antichrèse. Au
fond, notre décision est inspirée par les principes qui régissent la
26.
404 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. lit .
matière de l'usufruit. Le propriétaire, n'ayant pas promis de faire
jouir l'antichrésiste, n'est pas tenu de remettre en bon état la chose
qui dépérit, l'antichrésiste n'en est pas tenu non plus, puisqu'il
peut abandonner la jouissance; sous ce double rapport, sa position
se rapproche de celle de l'usufruitier, la seule différence, entre eux,
porte sur un détail. Si l'antichrésiste ne manifeste pas qu'il veut re-
noncer à son droit, la loi suppose qu'il accepte la charge d'avancer
les sommes nécessaires aux grosses réparations, supposition plus
admissible quant à lui, que quant à l'usufruitier, puisque nous
avons démontré qu'il a devant lui un avenir certain qui manque
complètement à l'usufruitier.
320 bis. VI. Les dépenses d'une année pour les contributions ou
autres charges annuelles, comme aussi pour l'entretien ou les ré-
parations, peuvent dépasser la somme produite par les fruits de cette
année ; en pareil cas, le droit de prélèvement sur les fruits de
l'année ne suffit pas pour couvrir l'antichrésiste de ses avances, on
a écrit et jugé qu'alors l'antichrésiste aurait une action contre le
propriétaire de l'immeuble (1). Nous ne pensons pas qu'il en soit ainsi.
Nous voyons d'abord un préjugé contre la décision qui donne l'action
dans le silence du Gode sur ce point. De plus, le refus de cette action
peut bien s'appuyer sur une saine interprétation de la convention
des parties. Celui qui a constitué l'antichrèse n'a pas donné pure-
ment et simplement un mandat d'administrer la chose, d'où résul-
terait l'action tnandati contraria pour la répétition des dépenses
faites en exécution du mandat. Il a autorisé à faire ces dépenses,
mais à la condition qu'elles seraient couvertes par des prélèvements
sur les revenus affectés pour une durée indéfinie au paiement de
la dette primitive et de ses accessoires. Le constituant, qui appa-
remment n'a pas de ressources pécuniaires abondantes puisqu'il
emprunte sur nantissement, n'entend pas se charger de fournir des
fonds, même dans Tintérèt de sa propriété. Toute avance faite par
l'antichrésiste se remboursera sous forme de prélèvement ; si l'anti-
chrésiste trouve dangereux de faire ces avances en vue d'un rem-
boursement futur, mais lointain, il est maître de renoncer à sa
jouissance lorsque vient le moment de faire la dépense qui lui
paraît excessive. Pourvu qu'il ne laisse pas aggraver la situation en
ne faisant sa renonciation que lorsque la dépense aurait dû être faite
(1) V. Aubry et Rau, t. III, p. 525. Édit. 1856.
TIT. XVII. DU NANTISSEMENT. ART. 2086, 2087. 405
depuis longtemps, il échappe à l'obligation que lui impose, sous
peine de dommages et intérêts, l'article 2086.
321. L'antichrèse étant un nantissement autorise évidem-
ment le créancier a conserver jusqu'au paiement intégral la
chose remise a ce titre. Mais comme ce n'est qu'un nantisse-
ment, par conséquent un droit établi dans l'intérêt du créan-
cier, celui-ci peut y renoncer. Ainsi, à moins de convention
contraire, il peut sans difficulté, pour se dispenser des charges
qui accompagnent la jouissance, remettre, quand bon lui
semble, celle jouissance au débiteur. V. art. 2087.
321 bis. I. Le droit de retenir la chose soumise au droit d'anti-
chrèse jusqu'à l'entier acquittement de la dette, implique le droit
de la retenir jusqu'au remboursement des dépenses faites d'après
l'article précédent, puisque ce remboursement doit s'effectuer par
des prélèvements sur les fruits, d'où il résulte que le paiement
de la dette primitive ne peut commencer qu'après que toutes les
sommes dues, en vertu de l'article 2086, ont été recouvrées.
321 bis. II. Nous retrouvons ici la difficulté que nous avons étu-
diée à propos du gage : l'action en restitution de l'immeuble ne
devient prescriptible qu'à partir du jour où la dette a été éteinte,
mais nous n'en concluons pas que la dette elle-même soit impres-
criptible, tant que l'immeuble reste en la possession du créancier
antichrésiste. Les raisonnements que nous avons faits au n° 312 bis.
II- Vil peuvent être reproduits ici avec la même force. Le fait de laisser
l'immeuble en la possession du créancier ne ressemble en rien à ce
que la loi appelle une reconnaissance de la dette qui interromprait
la prescription. Il n'a pas, quant à la dette, le caractère de précision
et de certitude que demande la loi, pour qu'un acte interrompe la
prescription. On peut hésiter sur la pensée du propriétaire qui ne
redemande pas sa chose, peut-être même ne pense-t-il pas à cette
chose dont il ignore qu'il est propriétaire. Ce n'est pas là l'acte de
reconnaissance d'une dette dont parle l'article 2248 et qui équivaut
à une citation en justice, à un commandement ou à une saisie. L'inac-
tion du propriétaire ressemble si peu à une interruption qu'on arrive
à lui donner les effets d'une suspension, puisqu'on y voit une inter-
ruption continue, c'est-à-dire qui se renouvelle à tous les instants
pendant une longue période de temps. On a dit, il est vrai, qu'il y
avait une raison spéciale qui rendait évidente, en cas d'antichrèse, la
406 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
solution que nous combattons : la perception des fruits de l'immeu-
ble constituerait un exercice successif du droit de créance s'op-
posait au cours de la prescription (1). Cet argument, selon nous, est
fondé sur une appréciation erronée du fait qui constitue l'exercice
du droit de créance. Certes, quand on parle d'un droit réel qui peut
périr par non usage, l'exercice de ce droit qui empêche qu'il ne se
perde non utendo consistera en des actes matériels sur la chose
grevée du droit, actes qui ne mettront pas celui qui exerce le droit en
rapport avec la partie qui a intérêt à l'extinction de ce droit. De
même, quand il s'agira d'une prescription à fin d'acquérir, les
actes d'exercice du droit de propriété ne mettront pas celui qui
prescrit en rapport direct avec le propriétaire contre qui il prescrit;
dans le premier cas, je passe sur votre champ; dans le deuxième
cas, je le cultive sans aucun contact avec vous. Mais il s'agit, dans
ces diverses hypothèses, d'exercer des droits réels, c'est-à-dire des
droits qui existent indépendamment de la personne contre qui l'on peut
avoir un jour intérêt de les invoquer, l'exercice du droit se fait t»
rem comme le droit existe in rem. Mais, dans l'hypothèse que nous
examinons, il s'agit de la prescription libératoire d'une obligation,
de l'extinction d'un droit personnel. La théorie alors est tout autre :
la prescription a lieu par le simple laps de temps sans possession,
c'est-à-dire sans exercice d'un droit contraire au droit qu'il s'agit
d'éteindre, et comment se conserve le droit, non pas par des actes
quelconques d'exercice, mais par des actes énumérés restrictivement
au chapitre des interruptions de prescription. La reconnaissance de
la dette est un de ces actes, nous avons déjà montré qu'il était dif-
ficile de voir une reconnaissance dans l'inaction du propriétaire de
l'objet donné en antichrèse.
32i bis. III. Cette inaction, qui n'est pas une reconnaissance, n'im-
plique pas de la part du créancier un exercice du droit ; nous allons le
démontrer pour ceux qui seraient tentés d'admettre que tout acte
d'exercice du droit interrompra une prescription libératoire. Le droit
de créance, comme droit personnel, ne peut être exercé que par un
fait qui met en rapport le créancier et le débiteur, il faut que le
créancier contraigne le débiteur à exécuter l'obligation, ou au
moins qu'il essaye de le contraindre; lorsque ce créancier agit ma-
tériellement sur une chose qu il détient, il ne se met pas en rap-
(1) V. Aubry et Rau, t. III, p. 520, n# 11. Édit. 1856.
TIT. XVI!. DU NANTISSEMENT. ART. 2087. 407
port avec son débiteur, par conséquent il n'exerce pas le droit de
créance, et c'est certes commettre un abus de mot que de dire : la
perception des fruits constitue un exercice successif du droit de
créance, puisque le droit de créance en lui-même ne donne pas le
droit de percevoir directement les fruits d'un bien appartenant au
débiteur.
La solution que nous proposons a cet avantage de ne pas empê-
cher une prescription en vertu de faits que le débiteur peut ignorer,
alors que le système général du Code sur les interruptions est de
vouloir qu'elles soient nécessairement connues du débiteur.
321 bis. IV. Le droit de renoncer au nantissement, soit pour
ne pas supporter les charges trop onéreuses de la jouissance, soit
pour ne pas rester gardien de la chose d'autrui , appartient si
naturellement au créancier antichrésiste nanti, qu'on ne voit
même pas comment le créancier aurait pu se dépouiller de ce
droit par une clause du contrat d'antichrèse. Comment un créancier
qui cherche des garanties de paiement aurait-il eu la pensée de
s'obliger à faire des dépenses qui excéderaient les revenus de la
chose dont il est nanti, de telle sorte que le nantissement deviendrait
une cause d'augmentation de la dette, loin d'être un moyen d'ex-
tinction, ce qu'il est nécessairement dans la pensée des deux parties?
Cette renonciation ne doit donc pas se présumer, cependant la
loi en parle et elle respecte, à propos d'une convention improbable,
la liberté de la volonté des contractants. Le contrat d'antichrèse
sera alors absolument dénaturé, car il impliquera de la part du pré-
tendu créancier l'obligation de faire des dépenses sur la chose
d'autrui pendant un temps indéterminé, puisque les effets du con-
trat d'antichrèse ne cesseront qu'à l'extinction de la dette primitive,
qui n'aura pas chance d'être éteinte promptement, alors que les dé-
penses annuelles nécessitées par l'état de l'immeuble dépassent les
revenus.
La situation deviendrait alors si onéreuse que le créancier aurait
intérêt à faire remise de la dette pour mettre fin à l'antichrèse, et
encore le débiteur pourrait-il refuser cette remise de dette en s'ap-
puyant sur l'obligation contractée par le créancier de subvenir aux
dépenses annuelles.
321 bis. Y. Tout cela est bien étrange, et nous avons peine à croire
que le législateur a eu en vue la renonciation dont nous parlons en
ce moment, c'est-à-dire la renonciation faite dans le contrat au droit
408 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
d'user jamais de la faculté consacrée par le 2e alinéa de l'article 2087.
Nous pensons que la loi a surtout songé aux renonciations expresses
ou tacites qui se produisent pendant la jouissance de l'antichrésiste.
Une dépense est devenue nécessaire, le créancier ne l'a pas faite, il
a continué à jouir pendant un temps assez long pour faire supposer
qu'il acceptait la charge de cette dépense, alors on peut dire que
pour cette dépense il a renoncé au droit de restituer l'immeuble; ou
bien il a perçu les fruits d'une année; par là même il consent à
payer les contributions de cette année. Mais admettre qu'il ne peut
pas d'avance renoncer à son droit de nantissement en vue des
charges de l'avenir, abandonner la maison en bon état pour ne pas
être obligé plus tard de la réparer, la restituer le 1er janvier pour
ne pas payer les contributions de l'année qui commence, c'est, il
nous semble, exagérer la portée d'une disposition qui n'est pas bien
claire et que le législateur a pu écrire à toute autre intention, en
vue de faits absolument différents; et nous aimerions à restreindre
l'effet de l'article 2087.
321 bis. VI. La règle principale de l'article 2087, celle qui accorde
au débiteur le droit de reprendre l'immeuble engagé lorsqu'il a
payé toute la dette, n'a pas été soumise par la loi à l'exception que
l'article 2082, 2e alinéa, apporte au droit du débiteur gagiste qui
a payé. L'immeuble donné en antichrèse n'est pas affecté à l'acquit-
tement d'autres obligations, quand même elles seraient nées depuis
la constitution de l'antichrèse. Cette sorte d'engagement tacite,
-résultant de l'article 2082, est quelque chose d'assez exceptionnel,
d'assez contraire aux principes du gage, pour que le silence de la
loi, en matière d'antichrèse ne permette pas d'étendre à ce contrat
la règle édictée pour le gage. Une exception ne s'étend pas même
en s'appuyant sur l'analogie des situations; et d'ailleurs les situa-
tions ne sont pas analogues; ce n'est pas par oubli, c'est probable-
ment avec intention que le chapitre de l'antichrèse ne dit rien sur
ce point. Il y a là une question de crédit; et le crédit immobilier
intéresse plus la société et par conséquent le législateur que le
crédit mobilier. Le propriétaire sera plus gêné dans la disposition
de sa chose, si celle-ci est grevée d'un droit d'antichrèse garantissant
plusieurs dettes, dès lors, la loi ne consent pas à supposer une con-
stitution tacite d'antichrèse. Elle attache moins d'importance au
crédit que peut donner la propriété d'un meuble, et voilà pour-
quoi elle a écrit l'article 2082, 2° alinéa.
T1T. XVII. DU NANTISSEMENT. ART. 2087, 2088. 409
322. L'antichrèse, pas plus que le gage, ne peut, ni de
plein droit, ni par l'effet d'aucune clause, rendre le créancier
propriétaire à défaut de paiement, au terme convenu. Il ne
paraît pas même que celui-ci puisse faire ordonner en justice
que l'immeuble lui demeurera en paiement sur l'estimation.
La loi lui réserve seulement, comme à tout autre créancier,
le droit de poursuivre l'expropriation. V. art. 2088.
322 bis. I. Il est vrai que la loi n'accorde pas aux tribunaux
le droit d'opter entre la vente du bien ou son attribution au créan-
cier à dire d'experts, mais rien n'interdit une convention qui
créerait cette alternative admise en matière de gage par l'article
2078; l'intervention nécessaire de la justice ôte à cette clause
toute ressemblance avec la convention qui rendrait le créancier
propriétaire de l'immeuble par le seul fait du défaut de paiement.
322 bis. II. Ce qui serait interdit, non pas par le Code civil, mais
par le Code de procédure (loi de 1841, art. 742), c'est la clause
qui permettrait au créancier de faire vendre le gage sans remplir
les formalités prescrites pour la saisie immobilière, cette convention
n'est autre chose que la clause d'exécution parée, proscrite par
la loi de 1841. Dans le même esprit et à raison de l'intention
manifestée dans la discussion de cette loi, il faut déclarer nulle
la convention qui autoriserait le créancier à devenir propriétaire
faute de paiement à la charge de faire estimer le prix par experts.
On échappe ainsi aux formalités de la saisie et de la vente, ce qui
donne à la clause un caractère plus dangereux encore qu'à la clause
d'exécution parée, et le débiteur n'est même pas protégé par l'in-
tervention de la justice, comme dans une des hypothèses que nous
venons d'examiner.
323. Au nombre des clauses réprouvées dans le contrat de
nantissement, la jurisprudence de la plupart des parlements
plaçait autrefois l'antichrèse proprement dite, qui consiste
dans la compensation pure et simple de tout ou partie des
fruits avec les intérêts. Celle clause, sans doute, est très-
propre à couvrir une usure illicite-, et toutefois on conçoit que
dans le cas même où les fruits se trouveraient par événement
excéder le montant de l'intérêt légitime, la compensation
peut n'avoir rien d'inique, a cause de l'incertitude de Tac-
410 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
quisition des fruits. A plus forte raison notre Code, qui ne
limitait point le taux de l'intérêt conventionnel, devait-il a
cet égard ratifier la convention des parties. V. art. 2089.
Mais depuis que le taux de l'intérêt a été fixé, il est évident
que cette convention ne peut plus être maintenue comme
non prohibée par les lois, s'il n'existe une certaine proportion
entre le revenu probable du bien concédé a tiire d'anti-
chrèse, et l'intérêt au taux légal.
323 bis. Nous avons parlé de cette clause au n° 316 bis. II, et
nous l'avons déclarée illicite. En effet, le Code civil, dans l'article
2089, ne la valide qu'en apparence, il semble douter de son
caractère licite, et remettre aux jurisconsultes le soin de vérifier si
elle est ou non conforme aux lois; avant la loi du 3 septembre 1807,
elle n'était pas condamnée à raison du taux peut-être excessif de
l'intérêt, et c'est pour cela qu'on a paru la valider, par une phrase
analogue à celle de l'article 1907 qui reconnaît la liberté du taux
en matière d'intérêt, tout en laissant deviner une future prohibition.
Néanmoins, cette phrase ambiguë permettait de rechercher et de
trouver dans l'article 1907, 2* aliéna, la cause de nullité. Aujour-
d'hui que la convention est d'autant plus dangereuse que le taux
de l'intérêt n'est plus illimité, nous pouvons d'autant mieux nous
servir de ce deuxième alinéa de l'article 1907 pour annuler une con-
vention interdite autrefois et que le Code civil n'a déclarée exécutable
qu'avec des restrictions qui annihilent sa disposition apparente.
324. La nature du contrat de nantissement, commune a
l'antichrèse et au gage, rend évidemment applicable à l'an-
tichrèse, et la disposition qui permet à un tiers de fournir le
gage pour le débiteur (art. 2077), et celle qui consacre l'in-
divisibilité de gage (art. 2083). V. art. 2090.
32o. De tout ce qui précède il résulte que l'antichrèse im-
pose virtuellement au débiteur l'obligation de laisser jouir
le créancier, sous les conditions convenues, jusqu'à parfait
paiement. Il ne paraît même pas douteux qu'à cette obliga-
tion ne se joigne celle de garantir des troubles et évictions.
Mais l'antichrèse produit-elle quelque effet à l'égard des
tiers? Il est certain d'abord qu'elle ne peut préjudicier aux
droits antérieurement acquis, droits que l'aliénation même
T1T. XVII. DO NANTISSEMENT. AKT. 2089-2091. 411
du fonds ne ferait pas évanouir; il n'est pas moins certain
qu'elle ne confère point par elle-même un droit de préfé-
rence, car ce droit n'est attaché qu'aux privilèges et hypo-
thèques légalement établis. Seulement elle ne fait point
obstacle à l'exercice des privilèges ou hypothèques qui pour-
raient appartenir d'ailleurs au créancier muni a ce titre, c'est-
à-dire à l'antichrésisie. V. art. 2091. Du reste, ce créancier
acquérant la faculté de percevoir les fruits sous les conditions
exprimées par la loi (art. 2085), on ne peut, selon moi, sans
dépouiller l'antichrèse du caractère de nantissement, s'empê-
cher devoir danscelteyàcw^'un véritable droit de jouissance
au préjudice duquel il ne peut être consenti ni aliénation, ni
hypothèque, et qui doit à plus forte raison être respecté par
les simples créanciers chirographaires. Ainsi, dans ce système,
l'antichrèse confère un droit réel, différent sans doute du droit
de gage, mais qui peut comme lui être opposé aux tiers; on
ne verrait même pas pourquoi, s'il en était autrement, la loi
exigerait d'une manière spéciale que l'antichrèse fût établie
par écrit (art. 2085); v. aussi C. comm., art. 44-6, al. dern.
325 bis. I. La loi s'occupe, dans l'article 2091, de la situation du
créancier antichrésiste à l'égard des tiers; elle n'envisage, au reste,
qu'une des faces de la question ; elle suppose que les tiers avaient
des droits sur l'immeuble remis à titre d'antichrèse, et par ces
expressions elle montre qu'elle songe à des droits antérieurs à la
constitution de l'antichrèse.
Ces tiers sont des créanciers hypothécaires inscrits avant la con-
stitution de l'antichrèse ou ayant un rang antérieur à cette époque
indépendamment de l'inscription; ce peuvent être des acquéreurs
de droits réels en vertu d'actes produisant leurs effets depuis un
temps antérieur au contrat d'antichrèse. Par rapport à ces per-
sonnes il ne peut pas y avoir de doute, quelle que soit la nature du
droit de Tantichrésiste, ce droit est primé par celui des personnes
qui avaient des droits réels sur la chose avant sa naissance.
S'il a lui-même un droit réel, c'est parce que ce droit n'a pu
lui être concédé que sous la réserve des droits préexistants; s'il n'a
qu'un droit personnel, c'est qu'il ne peut le faire valoir que contre
celui qui le lui a concédé et non contre toute autre personne.
412 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
Dans l'hypothèse où le Code suppose que le droit d'antichrèse
cède devant des hypothèques antérieures, il ajoute surabondamment
que si le créancier a indépendamment de son antichrèse quelque
hypothèque, sur l'immeuble, il exercera cette hypothèque à son
rang. Il serait étrange, en effet, que l'imperfection de l'un de ses
droits rendît l'autre imparfait.
325 bis. II. Le Code n'a pas fait la comparaison entre le droit de
l'antichrésiste et ceux des créanciers chirographaires, des créanciers
hypothécaires postérieurs en rang à la naissance de l'antichrèse et
des acquéreurs, soit de la propriété, soit d'un droit réel en vertu
d'actes n'ayant effet qu'à une date également postérieure à la nais-
sance de l'antichrèse.
Si l'on traite l'antichrésiste comme un simple créancier, n'ayant
de droit que contre la partie avec qui il a contracté, on donnera
aux créanciers chirographaires le droit de saisir et de faire vendre
l'immeuble, et l'on validera toutes les aliénations ou constitutions
de droits réels qui auront eu lieu du chef du propriétaire débiteur
postérieurement à la naissance de l'antichrèse. En principe, un
simple créancier ne peut pas faire obstacle aux actes de disposition
émanés du débiteur, donc ces aliénations ou constitutions de droits
réels détruiront ou amoindriront les droits de l'antichrésiste. Mais
il n'en est pas ainsi; l'antichrésiste est nanti, c'est-à-dire qu'il a
une surêté réelle, il n'est pas réduit à une simple action person-
nelle contre son débiteur, action qui ferait double emploi avec celle
qui est née de la créance et qui n'augmenterait en rien ses sûretés
quand le débiteur est insolvable.
325 bis. III. Pour que l'antichrèse soit un véritable nantissement,
il faut bien admettre que le créancier a un droit de retenir la chose,
une sorte de droit de possession, il ne s'agit pas de la possession
proprement dite, mais de la possession à titre de gage. C'est le droit
de rétention, nous en avons parlé au tome IX. Nous avons établi
alors que ce droit consiste dans la faculté de retenir la chose jus-
qu'au paiement et de s'en approprier les fruits, qu'il constitue un
droit de préférence en ce sens que les créanciers chirographaires et
même les créanciers hypothécaires postérieurs en rang ne peuvent
pas dépouiller le créancier de sa possession ; mais que la préférence
ne s'exercerait jamais sur le prix si le bien était vendu, que d'ail-
leurs les créanciers conserveraient le droit de faire vendre, pourvu
qu'ils réservassent la possession de l'antichrésiste.
TIT. XVII. DU NANTISSEMENT. ART. 2091. 413
Nous ajoutons que les acquéreurs de la propriété ou d'un droit
réel ont acquis valablement leur droit, mais qu'ils doivent égale-
ment respecter le possesseur à tilre d'antichrèse.
Nous avons également exposé au tome IX (1 ) les arguments tirés de
l'article 446, G. Com., et de l'article 2, n» 1, 1. du 23 mars 185S, qui
établissent certainement que, dans la législation actuelle, le droit
d'antichrèse, pourvu que l'acte constitutif ait été transcrit, peut être
opposé aux tiers qui acquièrent postérieurement des droits sur
l'immeuble (2).
(l)V.t. lX,n° 5 bis. I et II
(2) Les litres XVIII et XIX, des Privilèges cl hypothèques et de l'expropriation
forcée, sont l'objet du tome IX.
TITRE VINGTIEME.
DE LA JMtESCHIPTIOW
CHAPITRE PREMIER.
DISPOSITIONS GÉNÉRALES.
326. Le mot prescription qui, dans la loi romaine, oe
désignait qu'une restriction particulière de la formule de
l'action, ainsi nommée parce qu'elle s'écrivait avant la for-
mule [Gains, Inst., 4-132), est aujourd'hui bien détourné de
sa signification primitive. Ce mot qui, dans la suite, s'était
confondu avec celui d' exception , ne désignait pas d'une ma-
nière spéciale l'exception fondée sur le laps de temps : on
disait prescription de long temps, prescription de trente
ou quarante ans, comme on disait prescription de la chose
jugée (v. L. H. D. de except. et prœscript.). Du reste, il est
évident que la prescription fondée sur le laps de temps ,
comme toute autre prescription, n'était qu'un moyen libéra-
toire. Mais ce moyen équivalant, dans certains cas, à Yusu-
cajnon, on a fini par les confondre : si bien que, chez nous,
non-seulement le mot prescription, employé seul, emporte
avec lui l'idée du laps de temps, mais qu'il désigne également
un moyen d'acquérir et un moyen de se libérer sous certaines
conditions jointes à ce laps de temps. V. art. 2219, et remar-
quez que la prescription, soit a l'effet d'acquérir, soit à l'effet
de se libérer, a cela de commun, qu'elle est toujours fondée
sur un certain laps de temps et sur l'accomplissement de
certaines conditions. Du reste, ces conditions diffèrent suivant
qu'il s'agit de l'une ou de l'autre prescription.
326 bis. I. L'article 2219 définit la prescription, un moyen d'ac-
quérir ou de se libérer par un certain laps de temps et sous les
TIT. XX. DE LA. PRESCRIPTION. ART. 2219. 415
conditions déterminées par la loi. Le Code rapproche ainsi deux
idées qu'il a déjà présentées dans les articles 711 et 1234, où la pres-
cription est comprise d'abord dans les moyens d'acquérir, ensuite
dans les modes d'extinction des obligations. Son but est d'affirmer
l'unité d'une institution qui peut se présenter sous deux physio-
nomies diverses avec des effets différents, mais qui, sous ses deux
aspects, découle de la même nécessité sociale, opère de la même
façon, et est soumise presque entièrement aux mêmes règles. Le
législateur trouve aussi la facilité de ne s'expliquer qu'une seule
fois sur les règles communes, sauf à détacher les règles spéciales à
l'un ou à l'autre genre de prescription.
326 bis. II. En qualifiant la prescription, un moyen d'acquérir
ou de se libérer, la loi emploie une forme de langage qui montre
bien le résultat pratique de la prescription, mais qui ne laisse pas
de soulever de sérieuses objections. Elle montre, en effet, la
prescription sous un aspect défavorable au point de vue moral, car
si l'acquisition et la libération ne proviennent, en réalité, que de
l'expiration d'un laps de temps, la loi semble ne jamais venir en
aide au droit, mais être toujours la consécration d'une injustice.
Il résulterait, en outre, de la définition légale que l'acquisition
ou la libération date seulemeut du jour où le temps a été accom-
pli; si bien que celui qui bénéficie de la prescription acquisitive,
n'aurait pas été propriétaire avant cette époque et n'aurait pas
constitué sur la chose de droits valables ; que de même, celui qui
se prévaut de la prescription libératoire était débiteur jusqu'à
l'échéance de la prescription et pourrait être poursuivi pour des
intérêts échus avant cette époque et non encore prescrits. Ces con-
séquences de la formule légale ne sont admises par personne, parce
que si on les admettait, la prescription perdrait une partie de
l'utilité qu'elle a comme institution d'intérêt social. On laisserait
subsister le droit de réveiller des prétentions anciennes difficiles à
combattre et inquiétantes pour la sécurité des patrimoines.
La loi aurait donc mieux exprimé sa pensée si elle avait, en
définissant la prescription, fait comprendre qu'elle est au fond une
présomption d'acquisition ou une présomption de libération. Mais
c'est là une critique purement théorique, car on n'a jamais tiré de
la formule légale une de ces conséquences dangereuses qu'on
pourrait à la rigueur en déduire,
326 bis. III. Laissant de côté la question de mots, nous devons
416 COUHS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
reconnaître que la prescription à l'effet d'acquérir a pour effet de
consolider un droit de propriété ou un autre droit réel exposé à
une éviction, et que la prescription à l'effet de se libérer fournit à
un prétendu débiteur un moyen de repousser une action par cela
seul que celui qui l'intente a négligé, pendant un certain temps, de
l'exercer. Ces deux prescriptions, différentes dans leurs effets, ont
cela de commun qu'elles s'accomplissent par le laps de temps,
mais elles sont soumises à certaines règles différentes : ainsi la
prescription à fin d'acquérir a pour condition essentielle la possession
de la chose, tandis que la prescription à fin de se libérer suppose
seulement l'inaction de celui contre qui elle s'accomplit. C'est à
raison de cette différence importante que le Code, dans la définition
commune qu'il donne des deux prescriptions, a employé cette ex-
pression vague : et sous les conditions déterminées par la loi.
326 bis. IV. Entre ces deux prescriptions, il faut reconnaître
qu'il en existe une troisième d'une nature ambiguë, participant à
la fois de la prescription acquisitive et delà prescription libératoire.
C'est une fin de non recevoir opposée à une action réelle par un dé-
fendeur qui n'a pas acquis par prescription, c'est-à-dire par pos-
session, la chose sur laquelle le droit est prétendu. Ainsi, le pos-
sesseur d'un meuble volé peut, après trois ans, sans avoir possédé
pendant ces trois ans, repousser la revendication du propriétaire vic-
time du vol (art. 2281). De même nous voyons que le propriétaire
d'un fonds qui a été grevé d'usufruit ou de servitude, repousse l'ac-
tion du prétendu usufruitier ou du propriétaire de fonds prétendu
dominant, lorsqu'il y a eu non usage pendant trente ans du droit
revendiqué. Ces droits s'éteignent par le simple non-usage, sans
qu'il soit nécessaire que le propriétaire du fonds grevé ait eu une
possession contraire à l'usufruit ou à la servitude, par exemple ait
joui, pendant trente ans, comme plein propriétaire du fonds dont
il n'était pas propriétaire (art. 617 et 706). Ces derniers cas, et
d'autres semblables, ne sont pas réglementés par le titre de la pres-
cription. Il suffit d'avoir réservé ce qui les concerne; ils doivent
être étudiés sur les différents articles qui y sont consacrés.
326 bis Y. Quand on a établi ce que c'est que la prescription,
il faut rechercber le fondement de cette institution, qui peut paraître
injuste et immorale.
Certes, la loi n'a pas eu pour but de venir en aide aux usurpa-
teurs de propriétés ou aux véritables débiteurs qui cherchent les
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2219. i\l
moyens de ne pas payer ce qu'ils doivent. Si ces possesseurs ou
ces débiteurs profitent des lois sur la prescription, ce n'est qu'acci-
dentellement et comme en passant dans la foule de ceux que la loi
a voulu et a dû vouloir protéger. Ceux-ci sont les personnes qui
ont un droit et qui ne peuvent le prouver, ou qui sont libérées
d'une obligation et qui ne peuvent établir leur libération.
326 bis. VI. En parlant de ces deux classes de personnes, nous
mettons en évidence le principal motif de l'institution que nous
étudions. Il faut, dans un intérêt économique, mettre un terme à
l'incertitude qui pourrait planer sur l'état réel des fortunes. Si une
personne n'est pas sûre de la propriété des biens qu'elle possède,
elle n'osera ni les améliorer ni les aliéner, et rien n'est plus anti-
économique que les règles légales qui immobilisent les biens dans
les mêmes mains ou qui empêchent de les rendre plus productifs.
Il est certain également que si une personne qui se croit libérée
d'une obligation sait en même temps qu'elle a perdu la preuve de
cette libération, elle se sent exposée à des poursuites qui l'obligent à
garder des fonds disponibles pour faire face à la réclamation pos-
sible, et par conséquent elle immobilise ainsi des valeurs qu'elle
pourrait employer avantageusement pour elle et pour le dévelop-
pement de la richesse sociale.
Il est un intérêt social d'un autre ordre qui justifie également
l'institution de la prescription. Il ne faut pas éterniser les différends
entre particuliers, leur extinction intéresse la paix sociale, et leur
perpétuité exposerait en outre la justice à commettre des erreurs
regrettables, car le temps détruit les preuves, et les juges manque-
raient des éléments nécessaires pour juger. Or, la bonne adminis-
tration de la justice est un besoin des sociétés, et l'on ne saurait sans
danger soumettre la décision des procès aux chances du hasard.
Voilà les différents buts que vise l'institution de la prescription;
ajoutons qu'elle n'est pas seulement utile, qu'elle a un fondement
équitable, car il y a probabilité que celui qui est repoussé dans ses
prétentions au moyen de la prescription, c'est-à-dire qui les élève
si tardivement, a par son inaction même reconnu que son droit
n'existait pas ou n'existait plus.
326 bis. VII. Ces considérations sont si puissantes, que la pres-
cription est admise dans toutes les législations, et qu'il ne faut pas
y voir un privilège des Français en France, jus proprium chitatis.
Puisque les étrangers peuvent être chez nous propriétaires, la France
vm. 27
418 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. 111.
est aussi intéressée économiquement à la certitude de leurs pro-
priétés et de leurs patrimoines, en général, qu'elle ne l'est à la cer-
titude des droits appartenant à des Français; elle a de plus, dans
les contestations qui concernent, les étrangers, le même intérêt à ce
que la justice soit administrée dans des conditions qui n'éloignent
pas trop de la vérité la présomption res judicata pro xcritaie habetur.
327. L'ordre public est intéressé à ce que chacun puisse,
a son gré, lorsque les conditions sont remplies, user du
moyen de la prescription. On n'y peut donc renoncer a l'a-
vance ; mais chacun doit rester maître de n'en pas user contre
sa conscience; on peut donc renoncer a la prescription
acquise. V. art. 2220.
327 6m. I. Après avoir défini la prescription, la loi donne, dans
le chapitre 1er, quelques notions préliminaires générales applicables
aux deux prescriptions. Elles concernent : 1° la renonciation à la
prescription; 2° les choses qui peuvent être prescrites.
L'article 2220 pose le principe sur la renonciation à la prescrip-
tion, il contient deux règles : 1° on ne peut renoncer d'avance à la
prescription; 2° on peut renoncer à la prescription acquise.
Par la première règle, la loi défend à une partie de déclarer
d'avance qu'elle s'oblige à n'invoquer jamais la prescription. Si une
pareille convention était autorisée, la prescription ne fonctionnerait
pour ainsi dire jamais, et les résultats économiques et moraux que
la loi en attend ne se produiraient pas. Les procès s'éterniseraient,
les patrimoines seraient incessamment et indéfiniment menacés de
-raves perturbations, la justice serait sans cesse appelée à juger sur
des contestations d'une origine si ancienne qu'elle statuerait sans être
éclairée. Il est clair en effet qu'une telle convention, si elle est per-
mise déviendra fréquente. Quel est le créancier qui n'exigera pas
cette' promesse de son futur débiteur? et quel est le débiteur qui la
refusera, d'abord parce qu'il subit toujours l'influence de celui qui lui
fait crédit et ensuite parce qu'il ne croit pas renoncer à un droit
bien important, l'inaction de son créancier pendant tout le temps
requis pour la prescription lui paraissant invraisemblable? La clause
passerait dans le style, et elle n'en serait acceptée que plus facile-
ment. Petit à petit, l'institution de la prescription serait détruite
en fait. ,
Nous le faisons immédiatement remarquer, c est surtout en
TiT. XX. DE LA. PRESCRIPTION. ART. 2220. 419
matière de prescription libératoire que nous raisonnons, c'est là
seulement qu'on peut comprendre comment interviendrait en fait
la renonciation, elle aurait lieu au moment du contrat qui donne
naissance à la dette.
327 bis: II. Bien que l'article 2220 soit écrit sous la rubrique
Dispositions générales, on a peine à comprendre comment pourrait
se présenter en fait la situation que prévoit sa première partie, s'il
s'agissait de prescription afin d'acquérir. Comment comprendre
qu'un possesseur renonce à se prévaloir jamais de la durée de sa
possession? Avec qui pourrait-il faire cette renonciation, qui le
priverait du droit de prescrire erga omnes? Car il faut bien remar-
quer que la prescription à laquelle il renoncerait est une prescrip-
tion à fin d'acquérir un droit réel, que par conséquent l' acte ne devrait
pas produire des effets seulement par rapport à une personne
déterminée, comme la renonciation à une prescription libératoire.
L'hypothèse d'une renonciation in rem, c'est-à-dire impersonnelle,
à la prescription future, n'est donc pas probable; de plus, cet acte
paraît bien exclusif de la pensée qui constitue l'animus domini, la
pensée de se présenter au public comme propriétaire, et si par
impossible cet acte s'était produit, il aurait un effet non pas comme
acte de renonciation à la prescription future, ce qui est une manifes-
tation de volonté légalement dénuée d'effet, mais comme constata-
tion que l'auteur de cet acte n'avait pas la possession à titre de
propriétaire, qui est la condition première et essentielle de la pres-
cription acquisitive.
327 bis. III. Si nous songeons à une hypothèse plus pratique, au
cas où le possesseur fait un acte de renonciation à la prescription
future au profit d'une personne déterminée qui accepte cette renon-
ciation, nous ne devons pas faire rentrer cette hypothèse dans la
sphère de l'article 2220. En effet, l'interprétation naturelle de l'acte
intervenu entre les deux parties, c'est qu'il contient une recon-
naissance du droit de celui au profit de qui il est fait, et que cette
reconnaissance est la condition de l'abandon temporaire que celui-ci
fait de la jouissance de la chose à l'auteur de la reconnaissance. Dès
lors, le détenteur se constitue possesseur pour autrui, il entache sa
possession du vice de précarité qui, nous le dirons plus tard, rend
la prescription impossible, non-seulement par rapport à celui dont
le droit a été reconnu, mais d'une façon absolue, erga omnes.
L'acte considéré comme reconnaissance vaut donc, tandis qu'il
27.
420 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. 111.
serait nul si on le traitait comme une renonciation; seulement il
n'a pas exactement les mêmes effets qu'une renonciation à la pres-
cription future si elle était valable. Il laisse subsister une chance de
prescription, car le vice de précarité peut se purger par l'interver-
sion du titre (art. 2238), et la prescription devient possible, tandis
qu'une renonciation qui produirait des effets laisserait à tout
jamais la prescription impossible.
327 bis. IV. La seconde règle contenue dans l'article 2220 est
ainsi formulée : on peut renoncer à la prescription acquise; celle-ci
est bien certainement applicable aux deux espèces de prescription,
car on peut aussi bien comprendre la renonciation dans les rap-
ports entre un possesseur et un prétendu propriétaire, que dans les
rapports entre un prétendu débiteur et son prétendu créancier. Dans
les deux cas, celui qui pourrait invoquer la prescription reconnaît
la fausseté de la présomption sur laquelle ce mode d'acquisition
ou de libération est fondé, il cède à un scrupule de conscience
qui lui défend de garder sans preuve la chose d'autrui ou de
refuser de payer une dette; dans ce dernier cas, il se recon-
naît tenu d'une obligation naturelle; la loi eût été immorale qui
aurait empêché ces sacrifices faits par l'intérêt à la conscience. Elle
n'eût pas même été déterminée par des considérations d'utilité,
car le but principal de la prescription étant de donner aux patri-
moines des garanties de certitude, il faut reconnaître que ce but
est atteint lorsque le possesseur ou le débiteur renonce à la pres-
cription aussi bien que lorsqu'il oppose la prescription; la certitude
de situation se fait dans les deux cas, dans l'un en un sens, dans
l'autre en un autre sens, mais le résultat économique que la loi
cherche est toujours produit.
La prescription est également destinée à assurer la paix entre
les individus, à prévenir les jugements sur des différends trop
anciens; la renonciation à la prescription acquise établit mieux
encore la concorde entre les parties et met également fin aux con-
testations.
327 bis. V. Si la renonciation à la prescription acquise est un
acte qui en soi n'est pas à redouter par le législateur, il faut
ajouter qu'il ne présente pas pour son auteur les dangers de la
renonciation à la prescription future. Il n'y a pas d'illusion à se
faire, l'auteur de l'acte en comprend les conséquences, elles sont
immédiates, il n'est pas sous la dépendance de l'autre partie, puis-
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2220, 2221. 421
qu'il n'a rien à attendre d'elle, et qu'il pourrait repousser toute
action intentée par elle. Il agit donc spontanément.
327 bis. VI. Nous tirons deux conséquences des idées que nous
venons d'exposer : la première, c'est que l'acte dont nous nous
occupons ne saurait être considéré comme une donation; que celui
qui en profite n'a pas besoin d'avoir la capacité de recevoir à titre
gratuit et qu'il n'est assujetti ni au rapport ni à la réduction à
raison du bénéfice que la renonciation paraît lui avoir procuré.
327 bis. VII. La seconde conséquence, c'est que la prescription
n'étant pas encore accomplie, une renonciation peut avoir pour
objet le temps qui a couru. Celui qui renonce à une prescription
acquise consent à ne pas tenir compte d'un certain nombre d'années
qui s'est écoulé et d'où résulterait la prescription; pourquoi ne
pourrait-on pas renoncer à jamais invoquer le temps passé, lorsque
ce temps, insuffisant pour constituer une prescription acquise,
serait nécessairement plus tard un des éléments dont se composerait
le nombre d'années constituant une prescription accomplie? Qui
peut le plus peut le moins; la renonciation à la prescription
commencée ne présente pas les inconvénients que présenterait la
renonciation à une prescription future, donc elle est licite.
Ces idées sont au moins certaines en ce qui touche la prescrip-
tion libératoire car, en matière de prescription acquisitive, la renon-
ciation au droit d'invoquer la possession pendant un certain nombre
d'années écoulées donnerait peut-être, comme la renonciation à
la prescription future, le caractère de précarité à la possession.
Nous ne le pensons pas, toutefois, car cette renonciation peut
n'être, de la part du possesseur actuel, qu'une reconnaissance rela-
tive à la date de sa prise de possession, constatant que jusqu'à
cette époque cette possession n'avait pas les caractères requis pour
conduire à la prescription; mais il n'y a rien qui implique d'une
façon absolue l'existence du droit de l'autre partie, et par conséquent
la précarité de la possession future.
328. La renonciation peut être expresse ou tacite -, il y a
évidemment renonciation tacite dans un fait quelconque qui
suppose l'abandon du droit ainsi acquis. V. art. 2221.
328 bis. I. Il n'est pas besoin de dire en quoi peut consister la
renonciation expresse à la prescription. Quant à la renonciation
tacite, elle résulte de faits émanés de celui qui a prescrit et qui
■422 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
supposent qu'il reconnaît la faiblesse de son droit et l'existence du
droit de l'adversaire (1). Exemple : un prétendu débiteur demande
un délai pour payer, ou paye un acompte; un possesseur allègue sa
bonne foi pour se faire attribuer les fruits, ou invoque l'article 555
pour se faire indemniser des impenses qu'il a faites sur le fonds.
Encore faut-il que ces différents faits se soient accomplis en con-
naissance de cause, c'est-à-dire que la partie ait connu le moyen
qu'elle pouvait invoquer contre la prétention de son adversaire,
car si elle l'a ignoré, si elle n'a par conséquent pas su qu'elle pou-
vait se prévaloir de la prescription, il est impossible d'admettre
qu'elle ait renoncé à un droit qu'elle ne connaissait pas. Nous
avons développé cette idée à propos des obligations naturelles, et
la renonciation à la prescription d'une dette n'est pas autre chose
que la reconnaissance d'une obligation naturelle, ce qui suffit pour
justifier notre décision en matière de prescription libératoire, et
pour nous autoriser à l'étendre au cas de prescription acquisitive,
car, dans ce cas comme dans l'autre, il ne peut être question d'une
renonciation à un droit qu'autant que l'auteur de cette prétendue
renonciation connaissait l'existence de ce droit.
328 bis. II. Tout moyen de défense opposé par le possesseur ou
le prétendu débiteur ne contiendrait pas une renonciation tacite à
la prescription. Ceux qui supposent une négation du droit de
l'adversaire sont parfaitement compatibles avec la réserve tacite
d'opposer plus tard, si besoin est, la prescription. Ainsi, le défendeur
à une action personnelle allègue qu'il n'a pas contracté la dette ou
qu'il l'a payée, le possesseur d'un bien conteste le droit de propriété
du revendiquant, il ne se prive pas pour cela du droit d'invoquer,
au cours de la procédure, la prescription. Sa manière de procéder
est au contraire très-logique et parfaitement en harmonie avec les
idées du législateur sur la prescription. Nous l'avons dit, la pres-
cription n'est pas destinée à protéger un véritable débiteur contre
son créancier, un usurpateur contre un véritable propriétaire. Elle
tend à aider ceux qui, ayant le droit pour eux, manquent de moyen
de preuves. Elle est la ressource dernière des plaideurs, mais elle
peut leur répugner parce que celui qui l'invoque peut être facilement
taxé de mauvaise foi. Il est donc naturel qu'une partie cherche à se
défendre d'abord, en démontrant l'inanité de la prétention adverse,
(1) V. C. C, 19 aoûl 1878. Sirey, 1879, I, 465.
T1T. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2221-2223. i23
et qu'elle n'ait recours à la prescription que quand elle découvre
l'imperfection de ses preuves. Elle ne se donne pas alors un démenti
à elle-même, car la prescription s'appuie sur la probabilité du droit
de celui qui a possédé ou n'a pas été actionné pendant le temps
voulu, elle suppose qu'il a perdu ses titres de propriété ou de libé-
ration: invoquer la prescription, ce n'est donc pas contredire
l'allégation première par laquelle il s'est présenté comme pro-
priétaire ou comme débiteur libéré.
329. Cette renonciation étant l'abandon d'un droit acquis,
suppose nécessairement dans celui qui la fait la capacité
d'aliéner. V. art. 2222.
329 bis. I. Il serait inexact de considérer la renonciation comme
une aliénation, car il faudrait, si cela était vrai, traiter le renonçant
comme l'auteur de l'autre partie, et voir notamment dans le cas de
prescription acquisitive une mutation de propriété opérée par la
renonciation. Ce n'est pas le point de vue du Code civil. Malgré
cela, la renonciation a pour le renonçant les conséquences d'une
aliénation, et telle est la raison de l'article 2222.
329 bis. II. C'est de la prescription accomplie que traite l'article
2222, quand il parle de prescription acquise. Il faut supposer que
le temps requis est entièrement écoulé, c'est bien le cas où la
renonciation a des effets analogues, pour le renonçant, à ceux d'une
aliénation. Mais il est bien certain que l'article ne donne pas une
règle applicable à ce que nous avons appelé la renonciation au
temps écoulé, alors que la prescription n'est pas complète. Il est
des personnes, comme le tuteur, qui peuvent acquitter une dette,
acquiescer à certaines demandes, ces actes-là contiennent en eux-
mêmes une renonciation à bénéficier d'un certain temps écoulé
depuis l'échéance de la dette, ou d'une possession ayant duré plus
ou moins longtemps sans créer le droit à la prescription. Ces act^s
sont souvent nécessaires et urgents, et il est clair que l'administra-
tion du tuteur serait impossible s'il n'avait pas le droit de les accom-
plir. La loi s'inspire de l'intérêt du mineur en les permettant
sans les soumettre aux formalités longues et compliquées qui sont
nécessaires au cas d'aliénation (V. art. 464).
330. Chacun restant , en général , maître de renoncer a la
prescription acquise, il est naturel que ce moyen ne puisse
être suppléé par le juge. V. art. 2223.
424 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
330 bis. I. Opposer la prescription, c'est quelquefois refuser de
payer une dette qui existe, ou s'approprier injustement la chose
d'autrui; dans d'autres circonstances, c'est se défendre contre des
prétentions injustes contre lesquelles on a perdu les moyens de
preuves. D'où cette conséquence que la partie doit rester absolue
maîtresse de son option entre s'en prévaloir ou y renoncer; elle
doit examiner dans sa conscience ce qu'elle pense de sa prétention
et de celle de l'adversaire, elle fait son choix sous sa propre res-
ponsabilité. Voilà pourquoi les juges ne peuvent pas se substituer
à elle et lui donner gain de cause par un moyen de droit qu'il lui
répugne de faire valoir. Les juges, d'ailleurs, ne peuvent pas être au
courant de toutes les circonstances de fait, ils peuvent par exemple
ignorer les causes de suspension et d'interruption qui se sont
produites, et sont alors exposés à admettre comme accomplie une
prescription qui n'est pas arrivée à son terme légal.
330 bis. IL Notre règle cependant n'interdit pas au ministère
public d'opposer, dans les causes qui lui sont communicables, la
prescription, du chef des personnes dont les intérêts lui sont confiés
par la disposition même de la loi, qui ordonne que les affaires lui
soient communiquées (V. art. 83-1°, 6°, 7% C. Pr.). Le ministère
public est chargé alors de compléter la défense, de se substituer en
quelque sorte aux représentants des personnes qui ne se défendent
pas suffisamment par elles-mêmes. Comme ces représentants n'au-
raient pas, d'après l'article précédent, le droit de renoncer à la
prescription, il est tout naturel que le ministère public, en opposant
ce moyen, fasse ce que devait faire l'administrateur, le mari, le
tuteur ou le curateur. Il y a plus, quelques-unes des personnes
dont s'occupe l'article 83 auraient, si la prescription n'avait pas été
invoquée, la voie de la requête civile pour faire rétracter le jugement
(art. 481, C. Pr.).
331. Mais une renonciation ne pouvant facilement se pré-
sumer , et l'intention de renoncer a la prescription ne résul-
tant pas nécessairement de ce que la partie aurait cherché à
établir sa libération ou sa propriété par d'autres moyens, il
est clair que, s'il n'y a pas d'ailleurs des circonstances d'où
l'on doive induire la renonciation, la prescription peut être
opposée tant qu'il n'y a pas chose jugée en dernier ressort,
par conséquent, même en appel. V. art. 2224.
TIT. XX. DE LA PUESCH1PTI0N. ART. 2223-2225. 425
331 bis. I. Il n'y a pas de délai fixé pour faire valoir la pres-
cription, et alors même qu'une demande a été intentée, qui pourrait
être repoussée par ce moyen, il n'y a pas nécessité de l'employer
tout d'abord in limine Utis, comme cela est exigé pour certaines
exceptions de procédure. On comprend que la partie préfère gagner
son procès par la démonstration positive de son droit ou par la
négation démontrée du droit de l'adversaire; sa conscience en sera
plus tranquille et sa réputation plus intacte. On comprend par con-
séquent qu'elle essaye de tous les autres moyens qu'elle a à sa dis-
position, et qu'elle réserve celui-là comme sa dernière arme en un
cas désespéré. Voilà pourquoi non-seulement elle peut invoquer la
prescription jusqu'au jugement, mais encore devant le tribunal
d'appel, si l'affaire est de nature à subir les deux degrés de juri-
diction; l'espoir de faire triompher les autres moyens ayant pu
raisonnablement durer jusqu'au jugement qui les a repoussés. En
cassation, la prescription ne pourrait pas être opposée, puisque les
tribunaux ne violaient pas la loi en n'en tenant pas compte quand
elle n'était pas invoquée. Mais, après cassation, devant un nouveau
tribunal ou une nouvelle Cour, l'affaire revenant entière , la partie
pourra faire valoir les moyens qu'elle avait volontairement négligés
jusque-là.
331 bis. II. La fin de l'article se rattache à ce que nous avons
dit plus haut sur la renonciation tacite à la prescription. Il y a
certains moyens de défense dont l'emploi implique reconnaissance
du droit de l'adversaire et par conséquent renonciation à la pres-
cription; si dans le cours du procès la partie a usé d'un de ces
moyens, elle ne peut plus invoquer la prescription, puisqu'elle y a
renoncé.
332. Les créanciers pouvant, en général, exercer les droits
de leur débiteur (art. H66), il est tout simple qu'ils puissent
opposer la prescription de son chef. Bien plus, la loi réserve
aux intéressés la faculté de l'opposer, non seulement lorsque la
partie (la loi dit, le débiteur ou le propriétaire) ne l'oppose pas,
mais même lorsqu'elle y renonce. V. art. 2225; et remarquez
qu'il n'y a rien d'immoral dans cette faculté laissée aux tiers
intéressés, puisque la délicatesse ne peut autoriser le débiteur
ou possesseur à faire prévaloir l'intérêt du créancier ou du
propriétaire négligent sur celui des tiers sans reproche; la
426 coims analytique de code civil, liv. tu.
partie reste d'ailleurs maîtresse de ne point s'appliquer les
effets d'une prescription que sa conscience réprouve, si l'état
de ses affaires lui permet de désintéresser tout le monde.
332 bis. I. Jusqu'à présent, nous avons supposé que c'était le
débiteur ou le possesseur qui opposait la prescription ou qui y
renonçait. Il est en effet l'intéressé direct et principal dans la ques-
tion de prescription; mais il peut arriver qu'il ne soit pas \q seul
intéressé, de ce fait résultera une certaine modification à ses droits.
Ce point est réglé par l'article 222o.
L'hypothèse littéralement prévue par cet article est celle-ci : le
débiteur ou le possesseur renonce à la prescription, mais il existe
des créanciers de ce renonçant ou d'autres personnes ayant intérêt
à ce que la prescription soit acquise. La décision de l'article est que
ces deux classes de personnes peuvent opposer la prescription.
332 bis. IL Pour l'une de ces deux catégories d'intéressés, pour
ceux qui ont un intérêt et un droit propre, la règle est des pins
simples ; ce sont d'abord des eyants cause à titre particulier du pos-
sesseur, des personnes qui ont reçu de lui un droit d'usufruit ou de
servitude, ou des créanciers ayant une hypothèque de son c'ief. Ou,
s'il s'agit de prescription libératoire, ce sont des personnes qui
sont tenues d'une obligation qui est, jusqu'à un certain point, dé-
pendante de celle de la partie qui a renoncé à la prescription, par
exemple une caution ou un codébiteur solidaire.
Toutes ces personnes, ayant un droit propre, ne peuvent pas en
être dépouillées par la négligence de la partie qui n'oppose pas la
prescription ou par la volonté de cette même partie qui renonce
expressément à un moyen certain de défense. Gela est de toute
évidence pour les ayants cause à titre particulier d'un possesseur.
Une fois investi d'un droit d'usufruit, de servitude ou d'hypothèque,
ils ont sur la chose un droit réel absolument indépendant de la
volonté de leur auteur, et ce droit réel ne peut pas être perdu sans
un acte de leur volonté.
Il en est de même des cautions ou des codébiteurs solidaires; ils
sont débiteurs et peuvent, en cette qualité, invoquer proprio nomine
les causes d'extinction de leur dette; et la volonté soit du codébi-
teur solidaire, soit du débiteur principal, doit être sans influence
sur leur droit.
332 bis. III. Les créanciers chirographaires du débiteur ou du
TIT. X.\. DE JA Pli ESC MPT ION, ART. 2225. 427
possesseur sont aussi intéressés à ce que la prescription soit invo-
quée, puisque, par cette prescription, le patrimoine qui leur sert de
gage se trouve augmenté ou au moins conservé. Leur droit à l'op-
poser paraît consacré par l'article 2225, mais l'étendue de ce droit
n'est pas nettement délimitée par ce texte.
Dans un cas, leur droit est certain, c'est lorsque la renonciation
n'est pas consommée, lorsqu'elle est simplement en voie de s'ac-
complir par l'inaction de leur débiteur. Celui-ci est poursuivi par
une action soit personnelle, soit réelle, il se défend; on est en cours
de procès, mais il ne conclut pas en invoquant la prescription;
comme il a le droit de l'invoquer jusqu'au jugement en dernier
ressort, ces créanciers exerçant des droits aux termes de l'article
1166, peuvent l'invoquer de son chef. Cela ne fait guère de doute,
et il semble même que ce soit l'hypothèse que l'article a eu
principalement en vue, car en employant le verbe renoncer au
temps présent, il ne se place pas dans le cas d'une renonciation
consommée, il vise une renonciation qui se fait, mais qui n'est pas
faite. Comment supposer cet état d'une renonciation qui n'est ni
future ni passée, si ce n'est en envisageant l'espèce, où elle est
commencée, puisque la défense n'invoque pas ce moyen, sans être
accomplie, puisqu'il est encore temps de s'en prévaloir. L'article
alors, en consacrant un droit aussi certain que celui qui résulte de
l'article 1166, a eu pour but de montrer que ce droit n'est pas
exclusivement attaché à la personne. On aurait pu croire que l'ap-
préciation con ciencieuse des faits d'où dépend la détermination de
celui qui a le droit d'opposer la prescription, ne pouvait pas être
abandonnée à des créanciers et devait dépendre exclusivement du
prélendu débiteur ou du possesseur. La loi a pensé que cela n'enga-
geait en rien la conscience de ce prétendu débiteur ou de ce posses-
seur, puisque la prescription était opposée par d'autres que par lui,
et elle a préféré les créanciers dont les droits sont certains à
d'autres créanciers ou à des propriétaires qui, par une inaction
pendant un long temps, ont fait naître une sérieuse incertitude sur
leurs propres droits.
332 bis. IV. L'article 2225, en ce qui touche les créanciers chiro-
graphaires, a donc certainement en vue le cas où la renonciation
n'est pas encore consommée. Mais il peut bien être plus général
et comprendre aussi l'hypothèse d'une renonciation accomplie. Il
signifierait alors que les créanciers peuvent faire annuler Ja renon-
428 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
dation et, par conséquent, opposer la prescription comme si leur
débiteur n'y avait pas renoncé. Ici nous ne sommes plus sur le
terrain de l'article 1166, mais sur celui de l'article 1167.
Des auteurs graves ont nié que l'article 2225 ait réglé cette
hypothèse, puisque, disent-ils, l'article parle du cas où le débiteur
renonce, et non de celui où il a renoncé. De là ils concluent que
notre article étant muet, l'article 1167 reste seul applicable,
en vertu duquel la renonciation ne pourrait être révoquée que
moyennant la preuve d'une fraude commise par le renonçant,
c'est-à-dire en démontrant qu'il connaissait, lors de la renonciation,
le tort qu'il causait à ses créanciers, qu'il savait que cette renoncia-
tion allait le rendre insolvable ou au moins augmenter une insol-
vabilité préexistante.
L'argument grammatical, fondé sur le texte, ne nous paraît pas
décisif. En effet, l'article 2225 traite, nous l'avons dit, de deux
classes différentes de personnes; pour l'une d'elles, celle qui com-
prend principalement les ayants cause à titre particulier du posses-
seur, il n'est pas douteux qu'il faille l'appliquer tant aux renon-
ciations consommées qu'aux renonciations qui sont en voie de
s'accomplir; que par conséquent le mot renonce y signifie également
renonce ou a renoncé; comment comprendre qu'un mot employé
seulement une fois dans la phrase, et qui a deux sujets joints par la
conjonction et, ait un sens par rapport à l'un des sujets et un autre
sens par rapport à l'autre?
Nous ajouterons que, traitant d'une question analogue, l'article
788 parle d'un héritier qui renonce au préjudice de ses créanciers et
donne à ceux-ci le droit de faire annuler la renonciation, ce qui
suppose d'une façon évidente que la renonciation est consommée
et que dans le commencement de la phrase le mot renonce signifie a
renoncé.
332 bis. V. Si l'argument du texte ne nous gêne plus, nous
sommes autorisés à entendre avec largeur l'article 2225 et à le
considérer comme embrassant les deux hypothèses régies par les
articles 1166 et 1167, par conséquent, comme consacrant une
certaine dérogation à ce dernier article. Il n'exige pas la preuve de
la fraude, le droit des créanciers est subordonné à leur intérêt,
c'est-à-dire au préjudice qu'ils éprouvent; il applique par consé-
quent à la renonciation qui nous occupe, la règle exceptionnelle
qu'on a déjà rencontrée aux articles 622 et 788. Il est vrai que
TIT. XX. DÉ LA PRESCRIPTION. AKT. 2225-2227. 429
l'exception elle-même est contestée sur ces deux derniers articles;
mais c'est un point que nous avons examiné au titre des obliga-
tions, et nous avons admis, avec M. Demante. que les renonciations à
l'usufruit et aux successions peuvent être annulées pour simple
préjudice (1). Les raisons qui nous ont déterminé, quant à ses
deux renonciations, ont la même force en ce qui concerne la renon-
ciation à la prescription. Elles sont fortifiées par une double consi-
dération ; d'abord, il ne faut pas préférer aux créanciers qui ont
conservé leurs droits des créanciers ou des propriétaires qui, par
leur négligence, ont grandement compromis les leurs. Secondement,
les renonciations à la prescription sont plus redoutables pour les
créanciers que les autres actes, et notamment que les renonciations
à l'usufruit ou aux successions, parce qu'elles s'inspirent ordinaire-
ment d'une pensée honnête, d'un scrupule de conscience qui ne
laisse pas leur auteur peser les conséquences préjudiciables qu'elles
peuvent avoir. C'est pourquoi l'on comprend que la loi en permette
la révocation à des conditions plus faciles que celles auxquelles
est soumise la révocation d'un contrat qui oblige son auteur,
ou par lequel il aliène sa propriété. Quand un débiteur fait quel-
qu'un de ces actes-là, il en examine librement les conséquences,
parce qu'il ne se sent pas moralement forcé à le faire.
333. La prescription, pas plus que tout autre moyen d'ac-
quérir, ne peut évidemment s'appliquer aux choses qui, étant
hors du commerce, ne sont pas susceptibles de propriété
privée. V. art. 2°2£6^ et a ce sujet, art. 538, 540, 542 (2).
334. Du reste, la loi actuelle n'admet aucun privilège pour
TÉtal, les communes et les établissements publics, à l'égard
des biens susceptibles de propriété privée qui se trouvent
leur appartenir. Y. art. 2227.
334 bis. En ce qui touche les biens de l'État, des départements et
des communes, il résulte des deux articles 2226 et 2227 une
distinction qui a été étudiée au tome II. Ceux de ces biens qui sont
prescriptibles, sont ceux qui font partie du domaine privé de l'État,
du département ou de la commune, quœ sunt in patrimonio Reipu-
blicœ aut civitatis; ceux au contraire qui font partie du domaine
(1) V. t. V, n°82fci». X.
(2) V. au surplus l. Il, n" 373 bis el • 74.
430 COCUS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
public, c'est-à-dire qui sont affectés à des usages publics, comme
les routes, les fleuves, les ports, sont imprescriptibles.
CHAPITRE II.
DE LA POSSESSION.
335. La première condition requise pour acquérir par pres-
cription, c'est la possession.
Posséder une chose, c'est proprement l'avoir en son pou-
voir, soit qu'on la détienne par soi-même ou qu'on la fasse
détenir en son nom. Celle détention ne peut réellement s'ap-
pliquer qu'aux choses corporelles ; mais on est aussi réputé
posséder un droit quand on l'exerce par soi-même ou par
autrui, sans contradiction. V. arl. 2228.
335 bis, I. Après avoir donné des notions générales sur la pres-
cription, le Gode entreprend l'exposé des règles de détail. Il com-
mence par traiter d'une condition qui est spéciale à la prescrip-
tion acquisitive : la possession; c'est l'objet du chapitre II et du
chapitre III, celui-ci n'étant qu'un développement de celui-là.
Plus tard, il traitera de la condition qui est commune aux deux
prescriptions, le temps (chapitre V), et dans l'intervalle il examinera
les obstacles qui peuvent entraver le cours de la prescription, soit
acquisitive, soit libératoire (chapitre IV). Évitant ainsi la confusion
que semblait lui imposer la réunion des deux prescriptions dans
un même titre, il expose donc la matière dans un ordre logique.
Envisageant d'abord les conditions nécessaires pour que la pres-
cription soit possible, montrant ensuite les obstacles qu'elle peut
rencontrer dans son cours et fixant enfin le temps nécessaire pour
qu'elle se complète.
335 bis. II. Nous commençons donc par traiter de la possession,
considérée comme condition essentielle de la prescription afin d'ac-
quérir. Cette prescription, en effet, a son origine dans l'usucapion
des Romains, qui a toujours été définie : l'acquisition de la propriété
par la possession continuée pendant un certain temps.
Le Code donne d'abord une définition de la possession, l'idée la
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2228. 431
plus simple qu'on pourrait en donner et qui dérive de l'étymologie
probable du mot (possessio a posse) est celle-ci : la possession est le
fait d'avoir une chose en sa puissance (1). L'article 2228 a développé
cette idée, seulement il l'a un peu obscurcie, parce qu'il a voulu
donner à la fois la définition de la possession et celle de la quasi-
possession. Ce qu'on entend en droit par quasi-possession, c'est la
possession des droits. Les Romains, qui considéraient la possession
proprement dite comme le fait d'avoir une chose matériellement
en sa puissance, refusaient d'admettre la possession des droits,
c'est-à-dire des choses incorporelles; ils étaient arrivés à concevoir
quelque chose d'analogue à cette possession en ce qui concerne
les droits, c'était l'exercice de ces droits; mais comme le fait
d'exercer un droit n'implique pas une action matérielle sur le droit
lui-même, ils le qualifiaient par le mot quasi-possession. La doctrine
a conservé ces nuances d'expression, qui correspondent à la nature
différente du mode d'exercice des différents droits; mais le Code
civil a vu que la détention physique d'une chose corporelle est
l'exercice du droit de propriété, comme le fait d'user d'un droit
autre que la propriété est l'exercice de ce droit, et il a donné une
définition unique de la possession qui pourrait se résumer ainsi :
la possession est l'exercice apparent d'un droit.
335 bis. III. Cette détention ou cette jouissance suppose la réunion
(ie deux éléments : un fait et une intention. Le fait consiste dans
l'accomplissement d'actes qui sont ordinairement accomplis par le
titulaire du droit et par conséquent constituent l'exercice de ce droit.
C'est la détention d'une chose corporelle, c'est-à-dire la garde
d'un meuble, l'occupation d'une maison, la culture d'une terre,
c'est l'existence d'une fenêtre à une distance trop rapprochée d'un
terrain appartenant à autrui, d'une poutre dans le bâtiment du
voisin, d'un canal dans sa propriété, dans ces derniers exemples
nous avons en vue la quasi-possession, l'exercice d'une servitude.
L'intention, c'est ia volonté chez celui qui fait les actes que nous
venons de supposer, de les faire en qualité de maître, non pas qu'il
soit nécessaire que celui qui possède croie à l'existence de son
droit, mais il faut qu'il ait au moins la volonté de paraître avoir ce
droit. Cette volonté, qui est le second élément indispensable de la
possession, est ce que les Romains appelaient Yanimus domini.
(I) V. t. II, n» 378 bis. VIII.
432 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
Il faut que cette intention, cette volonté, soit propre à celui qui
possède, que ce soit lui-même qui ait la prétention d'être maître
du droit, mais le fait de la détention ou de l'exercice du droit n'a
rien de personnel, et si une personne étrangère l'accomplit pour
nous, nous n'en avons pas moins la possession. Le Code rappelle
cette règle ancienne, qui remonte aux Romains, par les derniers
mots de son article : un autre peut tenir la chose ou exercer le droit
en notre nom. Ce tiers, qui exerce le droit pour un autre et par
lequel cet autre possède, c'est ordinairement un mandataire, un
fermier, un usufruitier.
336. La possession étant le principal attribut de la pro-
priété, on conçoit que celui qui possède soit en général réputé
propriétaire jusqu'à preuve contraire-, c'est le fondement des
actions possessoires(v. C. Pr., art. 23). On conçoit même que
la possession prolongée fasse supposer, ou la transmission
légale de la propriété au possesseur, par le véritable maître,
ou un abandon de celui ci, qui en autoriserait l'occupation,
tel est le fondement général de la prescription à l'effet d'ac-
quérir. Mais pour qu'on puisse tirer de la possession ces induc-
tions, elle doit réunir plusieurs qualités; il faut donc, pour
que la possession serve de base a la prescription :
1* Qu'elle soit continue-, la loi ajoute et non interrompue ,
sans doute pour exprimer que la continuation de fait ne rem-
plirait pas la condition s'il y avait eu interruption civile-,
2° Qu'elle soit paisible, c'est-à-dire non fondée sur la
violence j
3° Qu'elle soit publique \
4° Qu'elle soit non équivoque, c'est-à-dire fondée sur des
actes qui ne laissent point douter si l'on détient, et si c'est
pour soi-même ou pour autrui;
5° Qu'elle soit à titre de propriétaire. V. art. 2229.
336 5m. I. La possession définie, il est facile de voir le rapport
qui existe entre la possession et la prescription. Le propriétaire
seul a le droit de posséder, ou plus généralement le titulaire d'un
droit peut seul légalement l'exercer. Dès lors, il est naturel de
présumer que celui qui possède est propriétaire, que celui qui
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2229. 433
exerce un droit a véritablement ce droit. C'est l'état de choses
régulier, et l'irrégularité ne doit pas être présumée.
A raison de cette présomption, la possession devient un droit
distinct du droit de propriété; ainsi, celui qui a possédé pendant un
an un immeuble, et qui certes ne l'a pas prescrit, a une action qu'on
appelle possessoire pour recouvrer la possession s'il l'a perdue, et
reprenant la possession par ce moyen, il devient défendeur à l'ac-
tion en revendication, ce qui impose le fardeau de la preuve à
son adversaire; il n'a pas à prouver son droit de propriété.
Prolongée plus longtemps, la possession, pour parler le langage
du Gode, donne la propriété; mais il faut qu'elle réunisse certaines
conditions énumérées par l'article 2229 et qu'il nous faut étudier
séparément.
336 bis. II. 1° La possession pour conduire à la prescription doit
être continue, c'est-à-dire qu'elle doit se manifester par une série
d'actes assez rapprochés pour qu'on ne puisse pas dire qu'elle a
été intermittente, qu'elle a cessé pour recommencer ensuite. Si
celui qui invoque sa possession a quelquefois agi en maître sur la
chose et si, l'occasion se représentant de faire les mêmes actes, il
l'a négligée, il n'a pas assez montré sa prétention, ni assez provoqué
les réclamations du vrai propriétaire; les intervalles qui séparent
ses actes de possession laissent à penser qu'il ne se présentait pas
comme maître, mais qu'il profitait de temps en temps d'un défaut
de surveillance pour tirer quelque profit de la chose d'autrui.
Les actes de possession peuvent cependant, suivant la nature de
la chose, être assez éloignés les uns des autres ; ainsi la possession
d'une maison d'habitation aura bien le caractère d'une continuité
véritable, puisque l'occupation d'une maison n'exige pas le fait
actuel de l'homme, elle est réalisée par la permanence dans cette
maison de meubles appartenant au possesseur; mais la possession
d'un champ se compose d'actes de culture qui se renouvellent
peu de fois dans une année, et il est des immeubles, comme les
bois, sur lesquels la possession ne se manifestera pas peut-être tous
les ans. Ce qu'il faut donc, c'est que les intervalles entre les actes
accomplis par le possesseur sur la chose ne soient pas séparés par
des intervalles trop considérables eu égard à la manière dont on
use habituellement de ce genre de choses.
Cette observation a son importance, parce qu'elle montre que la
règle de l'article 690, qui interdit l'acquisition par prescription des
vin. 28
434 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
servitudes discontinues, ne se rattache pas à la théorie de l'article
2229. En effet, un droit de passage peut s'exercer par des actes
plus rapprochés que le droit de propriété d'un champ; c'est donc
par un autre principe qu'il faudra expliquer cette disposition de
l'article 690, ainsi que nous le verrons sur l'article 2232.
336 bis. III. 2° La possession doit être non interrompue. Cette
condition semble d'abord se confondre avec la précédente, car si la
possession est interrompue, elle cesse d'être continue. Mais la loi, par
un abus de mot, confondant l'interruption de la possession avec celle
de la prescription, a voulu faire pressentir qu'une possession con-
tinue pouvait ne pas compter tout entière pour la prescription,
lorsque ses effets auraient été en partie paralysés par certains actes
juridiques, qu'on appelle des actes interruptifs. (V. art. 2244, 2245,
2248.) Ces actes, par exemple la citation en justice à la requête
de celui contre qui court la prescription, laissent subsister la pos-
session, ne l'empêchent pas de continuer sans intermittence, mais ils
arrêtent en droit le cours de la prescription. A bien dire, ce n'est
pas la possession qui a été interrompue, c'est l'opération juridique
qu'on appelle la prescription. Mais, en envisageant la chose du côté
pratique, on a pu sans inconvénient appliquer à la possession elle
même, en tant qu'elle conduit à la prescription, la qualification qui
n'est vraie au fond que si on l'applique à l'effet de la possession.
C'est, au surplus, ce qu'avait fait Pothier (1).
336 bis. IV. En dehors de ces cas d'interruption, le Code recon-
naît encore une interruption naturelle qui consiste dans la privation
de la possession pendant plus d'un an, soit par le fait du vrai pro-
priétaire, soit par le fait d'un tiers (art. 2243). Peut-être notre
article 2229 a-t-il songé à cette circonstance et a-t-il voulu dis-
tinguer la possession qui discontinue par l'inaction du possesseur,
de celle qui cesse d'être continue par le fait d'autrui, d'une per-
sonne qui prive le possesseur de sa possession; à ce dernier cas,
elle aurait appliqué la qualification d'interrompue. Cette distinction
serait inutile, le mot continue était bien suffisant, puisque l'inter-
ruption naturelle empêche mieux que quoi que ce soit la possession
d'être continue.
336 bis. V. 3° La possession doit être paisible. Il faut entendre
certainement par là qu'elle ne doit pas être entachée de violence,
(1) Pothier, Coutumes d'Orléans, XIV, n"26 et 27.
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2229. 435
en ce sens qu'elle ne doit pas avoir été appréhendée ou même
conservée par violence. C'est la condition de l'interdit uti possidetis
et de l'interdit uirubi en droit romain, le possesseur ne doit pas
avoir possédé vi. Celui qui prend ou conserve la possession par
des moyens violents ne se comporte pas comme un propriétaire,
on peut dire qu'il ne possède pas à titre de maître ou au moins
que sa possession n'a pas d'une manière évidente le caractère de
possession à ce titre; car le vrai maître n'a pas besoin de violence
pour se mettre ou pour se faire maintenir en possession, il emploie
les moyens judiciaires. Voilà la raison théorique de la règle, il en
est une autre qui est une raison pratique, c'est que le législateur
ne sanctionne jamais les actes de violence, parce que rien ne serait
plus contraire à l'ordre social que la possibilité de fonder un droit
sur des actes de cette nature.
336 bis. VI. Tel est le sens certain du mot paisible. Tous s'ac-
cordent sur ce point, mais quelques-uns vont plus loin; ils y trou-
vent une autre règle. Il faudrait que le possesseur, alors même
qu'il n'aurait pas pris possession par violence, n'eût pas lui-même
été troublé par des actes de violence émanés de tiers. Il est cer-
tain, en effet, que dans son apparence, l'expression de la loi peut
conduire à cette idée, car le mot paisible évoque l'idée d'une
tranquillité qui a une durée, et non pas seulement d'une tranquillité
qui n'a existé qu'au commencement. Quand on dit une existence
paisible, on n'entend pas parler d'une existence qui a commencé
paisiblement. Quand l'article 1625 impose au vendeur l'obligation
de garantir à l'acheteur une jouissance paisible, il l'oblige certaine-
ment à protéger cet acheteur contre des troubles survenant à une
époque quelconque. On peut ajouter à ceci que le Code semble, par
l'emploi du mot paisible, vouloir reproduire l'expression sans inquiè-
tation qui se trouve dans l'article 113 de la coutume de Paris et
d'où il résulterait que les actes des tiers troublant le repos du
possesseur sont un obstacle à ce que la possession conduise à la
prescription.
Nous n'admettons pas cette interprétation de l'article, elle nous
semble attacher trop d'importance à un mot pour lui faire pro-
duire des conséquences inconciliables avec l'ensemble de la théorie
sur la prescription. Nous l'avons dit : la violence ne peut pas fonder
des droits; comment admettre qu'elle pourrait détruire des droits?
Le possesseur qui n'a pas agi violemment pour occuper la chose a
28.
436 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
la possession, c'est un droit; il est antijuridique que ce droit soit
détruit par le fait violent d'un tiers. Il est un cas où le fait d'un
tiers détruit sa possession, c'est quand ce fait constitue une priva-
tion de la possession pendant plus d'un an, qu'il y ait eu violence
ou que la privation de jouissance ait eu lieu sans violence, la pres-
cription est interrompue, la raison en est simple, ce n'est pas sur
la violence même qu'est fondée la perte de droit du possesseur,
c'est sur son inertie pendant un an. Il avait l'action possessoire,
il n'en a pas usé, son droit est perdu par sa négligence. Mais pour-
rait-on comprendre que si la privation de jouissance pendant moins
d'un an n'empêche pas la prescription, des actes de violence qui
n'entraîneraient pas la dépossession, eussent pour effet de l'empê-
cher? . .
Reste donc la question de mot, nous croyons que le mot paisible
a été écrit comme synonyme de non violente (nec w), ou comme
équivalant à l'expression sans violence (ordonnance de 1667, t. XVII,
art. 1"); le législateur n'énumérant pas sous forme négative les
vices qui empêchent la prescription, cherchant à indiquer sous
forme positive les qualités contraires à ces vices, n'a trouvé qu'une
expression ambiguë, parce qu'il était difficile de rencontrer un
adjectif précis équivalant exactement à la locution non violente,
comme au contraire il a été facile de dire publique au lieu de
non clandestine [nec clam). Il n'a pas voulu reproduire les mots
sans inquiétation de la coutume de Paris dans le sens que leur
donne l'opinion que nous combattons, car ces expressions étaient
interprétées par Ferrière, commentateur classique de cette coutume,
en ce sens qu'il fallait que la prescription n'eût pas été civilement
interrompue, en sorte que c'est le mot non interrompue de l'article
2229 et non pas le mot paisible qui traduit l'expression sans
inquiétation (i). On lit en effet, dans Ferrière : l'interruption de la
prescription se fait de deux manières, savoir : civilement par voie
civile d'action et contestation appelée en cet article (113) inquiéta-
tion.
336 bis. VII. 4e Le quatrième caractère que doit avoir la possession
est le caractère de publicité. Elle doit se révéler à tous par des actes
matériels patents, de nature à être aperçus par tous. Il est clair
qu'il n'est pas nécessaire que tous aient eu connaissance de ces actes,
(]) V. Ferrière, Commentaire sur la coutume de Par», t. Ie', p. 269. Édil. 1788.
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2259. 437
mais que tous aient pu en avoir connaissance ; il en est de la pos-
session comme du mariage, qui est célébré publiquement quand il
a été célébré dans la maison commune dont l'entrée n'était interdite
à personne, alors même que personne ne serait entré. L'absence
de publicité change le caractère de la possession, qui n'a pas
eu lieu à titre de maître, car le propriétaire n'a pas à cacher
qu'il exerce son droit; de plus, elle explique l'inaction du vrai pro-
priétaire qui n'a pas eu à protester contre une usurpation dont
rien ne lui donnait connaissance. Il faut du reste apprécier la non-
publicité de la possession suivant la nature des choses possédées.
Il en est dont la possession pendant sa durée ne se manifeste pas
au public, par exemple les caves et les souterrains; la publicité
n'existera alors que relativement; si l'excavation a été faite publi-
quement, si les travaux ont pu être connus de tous et particulière-
mentdes intéressés, la continuation de la possession ne se manifestera
peut-être pas d'une façon évidente pour tous, mais à cause de la
nature de la chose, la prescription aura lieu; sauf les cas où le
possesseur aurait employé des moyens spéciaux pour cacher l'usage
qu'il faisait du souterrain ou pour faire croire qu'il n'avait pas
donné suite aux travaux qui, d'abord, avaient été publics. La cou-
tume d'Orléans dit, il est vrai (art. 253), que fouillement en terre,
grattement, n'attribue par quelque laps que ce soit, droit de pres-
cription à celui qui aura fait ladite entreprise. Mais il ne s'agit
pas là de l'hypothèse que nous examinons, et Pothier n'applique
cet article que dans le cas où un propriétaire a fouillé sous le ter-
rain de la maison voisine sans que son voisin s'en soit aperçu. Ces
circonstances ôtent à la possession tout caractère de publicité, et
l'on comprend que la prescription soit impossible.
336 bis. VIII. 5° La possession pour conduire à la prescription
doit être à titre de propriétaire, c'est-à-dire qu'elle doit être fondée
sur la prétention d'être propriétaire, non pas sur le droit de pro-
priété, car s'il n'en était ainsi, la prescription deviendrait inutile. Il
faut que le possesseur se présente comme propriétaire, soit qu'il
croie, soit qu'il ne croie pas à son droit; il doit affecter les appa-
rences d'un propriétaire, c'est-à-dire qu'il ne doit pas prendre une
qualité qui suppose la propriété chez un tiers, il faut qu'il possède
pour soi et non pour autrui, sinon il y aurait précarité dans le
sens français du mot (art. 2236), et le silence du vrai proprié-
taire s'expliquerait, car il n'a pas besoin de protester contre celui
438 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
qui n'annonce pas de prétention à un droit contraire au sien.
336 bis. IX. 6° Le dernier des caractères que doit réunir la
possession à fin de prescrire, s'exprime par ces mots : elle doit être
non équivoque. Rien de moins précis que l'expression même par
laquelle la loi désigne ce dernier caractère. Elle veut certainement
que les faits qui constituent la possession aient un caractère net-
tement dessiné, ne laissant pas prise au doute, que le bien ait été
possédé franchement, suivant les termes de la coutume de Paris
(art. 113); mais la formule est assez vague pour qu'on ne voie pas
bien clairement quels sont les points qui doivent être non douteux.
Nous pensons que la loi a eu en vue toutes les conditions qu'elle
exige dans son article 2229, et qu'elle entend que la possession doit
les réunir toutes d'une façon certaine, qu'aucune d'elles ne doit
être douteuse.
On a dit que c'était uniquement sur l'intention de posséder à
titre de propriétaire que devait exister la complète certitude, exclu-
sive de l'équivoque. Cette intention doit se manifester par des
actes de jouissance qui ne puissent être interprétés que comme des
actes de propriété. Ainsi, le fait de faire paître des bestiaux sur une
prairie est de sa nature équivoque, car il peut indiquer une pré-
tention à la propriété de la prairie ou seulement une prétention au
droit de pacage, c'est-à-dire à une servitude qui ne peut s'acquérir
par prescription. On a rattaché à la condition de non équivoque la
règle de l'article 2231, qui n'admet pas une prescription accomplie
par un possesseur qui avait commencé à posséder pour autrui.
Nous admettons sans difficulté que ces hypothèses, et d'autres
semblables, sont visées par l'article 2229, quand il parle d'une pos-
session équivoque. Mais nous croyons qu'il n'a pas eu uniquement
en vue ce genre d'équivoque, celui qui porterait sur le point de
savoir si les actes par lesquels le possesseur a agi sur la chose,
sont des actes accomplis à titre de propriétaire. La construction de
l'article annonce une autre intention. En effet, la condition de non
équivoque est placée, dans l'énumération, avant la condition de
possession à titre de propriétaire , elle paraît donc être le dévelop-
pement des conditions précédentes plutôt que de celle-là. A bien
dire, ce n'est pas une condition distincte des autres, car il n'est
pas besoin d'un texte pour établir que, si un droit est subordonné à
une certaine condition, celui qui invoque ce droit doit prouver
d'une façon non douteuse que cette condition existe; si sa preuve
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. AHT. 2229-2231. 439
aboutit à une équivoque, elle n'est pas faite. Ne craignons donc
pas de généraliser et de dire que l'équivoque dont parle l'article
2229 peut s'attaquer à toutes les conditions exigées par cet article,
et que chacune d'elles doit être examinée à ce point de vue spécial ,
parce qu'il est nécessaire que l'existence de chacune d'elles soit
hors de doute.
On comprend, par exemple, des doutes sur la continuité quand
les actes de maîtrise sur la chose n'auront pas été assez rappro-
chés; sur la publicité, nous en avons rencontré un exemple à
propos de la possession des caves ou souterrains; sur le caractère
paisible de la prise de possession, les faits qualifiés par une partie
actes de violence peuvent, sans être très-caractérisés en ce sens,
n'être pas absolument pacifiques, et par conséquent il sera difficile
de dire que la possession a été dans son principe et très-certaine-
ment paisible.
337. Il est naturel que chacun possède pour soi, en vertu
de son droit de propriété. La loi ne pouvait donc assujettir le
détenteur à prouver qu'il possède a litre de propriétaire. Mais
on peut lui prouver le contraire, et pour cela il suffit d'abord
d'établir qu'il a commencé à posséder pour autrui. Cette
preuve faite, c'est au possesseur a prouver que son titre est
interverti. V. articles 2230, 2231 ; et à ce sujet articles 2236-
2238.
337 bis. Après avoir énuméré, dans l'article 2229, les caractères
que doit réunir la possession à fin de prescrire, le Code donne quel-
ques développements sur les principes qu'il vient de poser.
Il s'agit d'abord de la condition de possession à titre de proprié-
taire. La loi n'impose pas au possesseur la nécessité de prouver que
sa possession avait ce caractère, la preuve pourrait en être bien
difficile à trente ans de distance ; elle consisterait d'ailleurs dans la
preuve d'une négative indéfinie, preuve qu'il n'a pas possédé pour
autrui ; la prescription ne pourrait donc, si cette preuve était exigée,
être invoquée par personne, cette institution, de si grand intérêt
social, manquerait son but. Il a donc fallu présumer que la posses-
sion, quand elle a existé, était une possession à titre de maître,
c'est le fait le plus ordinaire, par conséquent il est naturel que la
loi l'ait supposé. Cette prescription admet la preuve contraire;
l'adversaire peut prouver que la possession a d'abord été exercée
AAO COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
pour un autre; la preuve de ce fait est plus facile, c'est un fait
positif, on démontrera qu'il a existé un bail ou un mandat. Cette
preuve faite, la situation se trouve renversée, la présomption est
contre le possesseur, il est présumé n'avoir jamais possédé à titre
de maître; c'est l'application de la théorie des preuves, ce possesseur
allègue un fait nouveau, un changement à l'état qu'on a démontré
avoir existé, il doit démontrer ce changement d'état, c'est ce que
dit l'article 2231 : s'il n'y a preuve du contraire. Seulement, il ne
faut pas se laisser prendre au sens apparent de ces derniers mots,
il semblerait qu'il suffise de prouver que l'intention, Yanimus du
possesseur a changé, qu'ayant d'abord eu la volonté de posséder
pour autrui, il a, un certain jour, pris la résolution de posséder
pour lui-même; cette preuve serait tout à fait insuffisante; l'article
2238 exigera de tout autres faits pour que la prescription devienne
possible au profit de celui qui a commencé à posséder pour autrui,
ceci se lie à la théorie de l'équivoque, nous y reviendrons; qu'il
suffise pour le moment d'ajouter aux mots de l'article : s'il n'y a
preuve du contraire, ceux-ci : dans les conditions de l'article 2238.
338. Celui qui ne jouit que par la permission d'un autre,
ou parce que celui-ci n'use pas d'une faculté que la loi lui
ouvre, ne peut être réputé posséder a titre de propriétaire.
C'est en ce sens qu'on dit que les actes de tolérance, et ceux
de pure faculté, ne peuvent fonder ni possession ni prescrip-
tion. V. art. 2232.
338 bis. I. En expliquant en détail les conditions de la possession
à fin de prescrire, le Code parle, dans l'article 2232, de certains
actes qui ne constituent pas une possession suffisante pour être le
fondement d'une prescription. C'est donc un nouveau développe-
ment qu'il donne sur le premier mot de l'article 2229. Il s'agit de
déterminer ce qu'il faut entendre par des actes de possession.
L'article parle de deux catégories d'actes : 1» les actes de pure
faculté; 2° les actes de simple tolérance.
L'idée que présente les mots actes de pure faculté, est celle-ci :
des actes que leur auteur a faits sans y être contraint, qu'il avait
la possibilité de faire ou de ne pas faire à son choix. C'est cette
liberté de choix qui donne à l'acte le caractère facultatif ou de
faculté.
Tel est certainement le sens naturel de l'expression, est-ce dans
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2:232. 441
une acception aussi large qu'elle est employée par l'article 2232 ?
Cela n'est pas possible, car alors la formule de la loi serait la con-
damnation de toute espèce de prescription. Nous ne parlons pas de
la prescription libératoire, puisque notre article est écrit dans un
chapitre sur la possession ; nous ferons remarquer néanmoins que
le créancier est maître de poursuivre ou de ne pas poursuivre son
débiteur; ne poursuivant pas, il use d'une faculté, et c'est cependant
sur ce défaut de poursuites qu'est fondée la prescription libératoire.
Mais si nous restons sur le terrain de la prescription acquisitive,
nous allons être forcé de faire la même observation. Labourer un
champ, habiter une maison, affermer ou louer le champ ou la
maison , c'est de la part d'un prétendu propriétaire faire des
actes qu'il est parfaitement libre de ne pas faire, c'est user d'une
faculté qui dérive de son droit prétendu, et cependant s'il ne fait
pas ces actes, s'il n'use pas de sa faculté en faisant des actes sur
la chose, il ne pourra pas la prescrire, car la possession, base de la
prescription, consiste dans l'accomplissement même de ces divers
actes.
Que conclure de cette observation, si ce n'est que la règle sur
les actes de pure faculté n'est pas applicable à toutes les prescrip-
tions acquisitives , qu'elle ne concerne pas la possession propre-
ment dite, l'exercice de droit de propriété, mais la quasi-possession,
l'exercice des autres droits, la possession des choses incorporelles?
Encore ne s'agit-il que des servitudes, car la possession de l'usu-
fruit se manifeste par des actes de la même nature que ceux qui
constituent la possession des choses corporelles.
338 bis. II. Si nous n'envisageons que la possession des servi-
tudes, nous apercevons tout d'abord que la règle n'est pas encore
applicable aux actes par lesquels une personne exercerait un droit
prétendu de servitude; ouvrir une fenêtre trop près du fonds
voisin, bâtir un toit qui déverse ses eaux sur le fonds voisin, ap-
puyer une construction sur le mur du voisin, c'est faire des actes
que rien n'oblige de faire, qu'on aurait pu s'abstenir de faire ; en les
accomplissant, un propriétaire ne s'en place pas moins dans la
position d'acquérir une servitude par prescription. Ce n'est donc
pas encore de ces actes que s'occupe l'article 2232.
Cet article a en vue non pas l'acquisition des servitudes posi-
tives, mais l'acquisition des servitudes négatives, celles qui con-
sistent dans le droit d'empêcher le voisin de faire de sa propriété
142 COURS ANALYTIQUE DE CODl. CIVIL. LIV. III.
tel usage que bon lui semble. Il s'agit, par exemple, du droit d'em-
pêcher le voisin de bâtir sur son fonds.
Sur quels faits pourrait être fondée la prescription d'une semblable
servitude? Non pas sur des faits de celui qui prétendrait acquérir le
droit, puisque ce droit, s'il l'avait, ne s'exercerait pas par des actes
de sa part; elle s'appuierait sur l'absence de faits de la part de celui
contre qui la prescription s'accomplirait. Ce serait parce qu'il n'aurait
pas bàli qu'on prétendrait avoir acquis le droit de l'empêcher de
bâtir. La loi n'admet pas cette prescription, et elle donne de sa
décision cette raison théorique que le propriétaire, en ne bâtissant
pas, usait de sa chose à sa fantaisie, selon son droit, que rien, dans
son fait, n'annonçait la reconnaissance du droit d'autrui, car s'il ne
bâtissait pas aujourd'hui, il pensait pouvoir bâtir demain, alors que
rien n'annonçait de la part du voisin la prétention de l'empêcher de
faire des constructions.
La règle que les actes de pure faculté ne peuvent fonder ni pos-
sessions ni prescription est donc mal posée, car elle ne précise pas
par qui les actes ont été faits et au profit de qui ils ne peuvent
fonder une prescription. Elle devrait être formulée ainsi : les actes
qui sont de pure faculté pour une personne ou l'abstention de ces
mêmes actes, ne peuvent fonder pour une autre personne une
prescription du droit d'empêcher ces actes ou du droit d'exiger le
maintien de l'état de choses produit par ces actes. Exemple : Un
propriétaire ne fait pas de construction, le voisin ne prescrit pas
le droit de s'opposer à ce qu'il en fasse, ou bien il a bâti une maison,
on n'a pas prescrit le droit de l'empêcher de la démolir et de lui
substituer une cour ou un jardin ; il ne détourne pas les eaux qui
proviennent de sa source (art. 641), le voisin n'acquiert pas par
prescription le droit de recevoir les eaux, ou s'il a détourné le cours,
le voisin ne peut pas, même après trente ans, refuser de les rece-
voir si on les rend à leur cours naturel.
L'article 2232, dans sa première partie, consacre le droit qu'a
le propriétaire de disposer sa chose comme il l'entend et lui assure
le droit de modifier indéfiniment l'état de cette chose, apanage
indispensable du droit de propriété. Au fond, il revient à dire que
les servitudes non apparentes ne peuvent pas s'acquérir par pres-
cription (art. 690), car si, de la prolongation des faits dont nous
venons de parler , il résultait un droit pour le voisin, ce serait
une servitude, et aucun signe n'annonçait l'existence de ce droit
T1T. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2232.' 443
vrai ou prétendu, pendant le temps qu'aurait duré la prescription.
338 bis. III. On voit que l'article 2232, lre partie, s'applique à
la prescription des servitudes, mais seulement à la prescription
acquisitive. La prescription extinctive des servitudes a pour point
de départ des actes de pure faculté, comme la prescription libéra-
toire. Si le propriétaire d'un fonds dominant n'use pas de son droit
de passage, ou bouche une fenêtre qu'il a ouverte jure servitutis,
s'il résulte de ces faits, après un certain temps, la perte du droit
de servitude, il s'est accompli une prescription extinctive qui repose
sur une abstention ou sur un acte qui rentrait absolument dans
les droits du propriétaire, maître de passer ou de ne pas passer,
de conserver ou de fermer sa fenêtre à sa fautaisie. C'est qu'il ne
s'agit pas là de créer, en faveur d'une personne, un droit qui s'ap-
puierait sur un acte facultatif de la part d'une autre, il s'agit tout
simplement de détruire le droit de celui-là même qui s'est abstenu
ou qui a agi, ce n'est plus l'hypothèse de l'article 2232, qui traite
d'une prescription s'acquiérant par la possession. C'est une prescrip-
tion qui s'accomplit sans possession, et dont la loi indique très-bien
le caractère particulier en disant que la perte du droit résulte du
non- usage.
338 bis. IV. Les actes de simple tolérance ne sont pas, comme
ceux de pure faculté, des actes de la partie contre qui l'on prescrit;
au contraire, ce sont des actes de celui qui prétendrait avoir pres-
crit.
Ce sont des actes qu'une personne fait sous le bon plaisir d'autrui,
que cette autre personne pourrait empêcher, qu'elle souffre par
esprit de concession, sans tirer à conséquence la plupart du temps
parce qu'ils ne lui nuisent pas dans le présent.
Ces actes ne peuvent pas conduire à la prescription, parce que
posséder sous le bon plaisir d'autrui, ce n'est pas avoir la possession
proprement dite, ce n'est pas posséder à titre de propriétaire. La
prétention d'être propriétaire suppose nécessairement qu'on ne
reconnaît pas le droit d'un autre dont on dépendrait. Voilà comment
la décision de l'article 2232, 2» partie, se rattache aux règles géné-
rales sur les caractères de la possession nécessaire pour prescrire.
338 bis. V. Quand les actes accomplis par une personne seront
de véritables actes de possession, accaparant au profit de cette per-
sonne tous les avantages de la propriété, par exemple quand elle
aura habité une maison, cultivé un champ et moissonné sur ce
444 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
champ, on ne pourra pas supposer la tolérance du propriétaire. Il
faudrait qu'il poussât bien loin l'esprit de bienveillance et de con-
ciliation pour ne pas protester contre des actes qui détruisent toute
l'utilité qu'il peut retirer du fonds. Ici s'appliquerait la règle de
l'article 2230; on est toujours censé posséder pour soi. Il faudrait
démontrer par des preuves spéciales que la détention est fondée
sur une concession tolérante du propriétaire. Alors l'article s'ap-
pliquerait, ou pour mieux dire la prescription serait impossible en
vertu de l'article 2 229 et de l'article 2236.
Il y a au contraire des actes, et c'est à ceux-là que la loi a songé, qui
ont en eux-mêmes le caractère d'actes de tolérance, ce sont ceux
qui, n'impliquant pas un usage complet de fonds, ne sauraient pas
aboutir à une prescription de la propriété, mais simplement à une
acquisition de servitude. Parmi les actes qui constitueraient la quasi-
possession d'une servitude, il y en a qui, par leur intermittence,
peuvent ne pas paraître gênants; le propriétaire les souffre par
complaisance, les anciens les qualifiaient actes de familiarité, expri-
mant par là qu'ils s'accomplissent sans opposition à cause des
relations de bon voisinage qui existent ordinairement et que le
législateur doit favoriser, dans l'intérêt de l'union et de la concorde,
entre les habitants du territoire. Ces bonnes relations deviendraient
impossibles si chaque propriétaire était contraint par la loi, sous
peine de voir sa propriété amoindrie, de protester contre tout
empiétement du voisin sur son fonds. Le voisin, par exemple,
passera sur un terrain non bâti et non cultivé, il abrège son che-
min, quel préjudice cause-t-il au propriétaire? Celui-ci ne prive
pas son voisin de cette facilité, parce qu'il n'y a pas un intérêt
immédiat, et l'on peut dire qu'il est entendu entre les deux parties
que le passage est exercé en vertu d'une complaisance et sous
le bon plaisir du propriétaire. Un autre prend de l'eau à la source
qui appartient au voisin, ce fait en lui-même n'est pas préjudiciable,
si la source est abondante, et rien n'annonce, dans ce fait, une
prétention contre laquelle le propriétaire devrait se défendre. Si
des actes semblables pouvaient être un jour invoqués comme des
faits de possession, il faudrait que les propriétaires s'enfermassent
chez eux comme dans une citadelle, ne permettant point aux
autres de passer, même à de rares intervalles, et refusant de l'eau
alors même que le voisin en aurait un besoin exceptionnel et urgent,
par exemple, pour éteindre l'incendie.
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2232, 2233. 445
Les actes dont nous parlons, s'ils étaient accomplis en vertu
d'un droit, seraient des actes d'exercice de servitudes discontinues,
et au fond la règle que nous étudions n'est pas autre chose que la
raison d'être de cette autre règle, écrite dans l'article 690 : les
servitudes discontinues ne peuvent pas s'acquérir par prescription.
338 bis. VI. Quant aux actes d'exercice des servitudes continues, ils
ne sont pas non plus exclusifs de la jouissance du fonds par le pro-
priétaire; mais comme ils ne sont pas intermittents, comme la servi-
tude s'exerce par le maintien permanent d'un certain état matériel
des choses, cet exercice est nécessairement plus gênant que celui
d'une servitude discontinue, et dès lors on n'admet pas qu'ils aient
par eux-mêmes le caractère d'actes de tolérance. Les servitudes
continues peuvent s'acquérir par prescription.
339. La possession doit être paisible; celui donc qui ne se
met ou ne se maintient en possession que par la violence, ne
peut posséder utilement. Mais dès l'instant que la violence
cesse, la possession devient paisible, et la prescription peut
commencer. Y. art. 2233.
339 bis. I. Le dernier article, qui complète l'article 2229, c'est
l'article 2233, qui est relatif à ce caractère de la possession, qu'on
désigne quand on dit qu'elle doit être paisible. L'article répète sous
une autre forme ce qui a déjà été dit; mais de cette forme nouvelle
naît une lumière sur un point que l'expression de l'article 2229 lais-
sait quelque peu obscur. En disant, pour paraphraser le mot paisible,
que les actes de violence ne peuvent fonder ni possession ni pres-
cription, le Code montre clairement que le vice de violence suppose
des faits émanés du possesseur, et non pas de celui contre qui l'on
prescrit ou d'un tiers, c'est-à-dire que le trouble violent subi par le
possesseur n'est point un obstacle àla prescription. Si la loi avait admis
cet effet de la violence exercée contre les possesseurs, elle n'aurait
pas exprimé sa pensée dans la forme qu'elle lui donne (art. 2233). Il
serait absolument inexact de dire que le possesseur , contrarié et
troublé par violence, fonde sa possession sur la violence ; quand on
parle d'actes violents dont le possesseur voudrait faire le fondement
de sa possession, on suppose évidemment qu'il a agi sur le fonds
par violence, qu'il a par exemple expulsé violemment le détenteur
de l'immeuble pour l'occuper lui-même. Voilà une prise de posses-
sion qu'on pourrait vouloir considérer comme le point de départ
446 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
d'une prescription si la loi était muette sur la possession non pai-
sible.
339 bis. II. Le second paragraphe de l'article a pour but d'in-
diquer que la violence n'affecte pas la possession d'un vice indélé-
bile. Elle n'est un obstacle à la prescription que tant qu'elle dure.
On se rend facilement compte de cette règle ; tant que le propriétaire
subit des violences, son silence, son inaction, ne peuvent pas être
interprétés comme un abandon de son droit ou une reconnaissance
du droit du possesseur, c'est la crainte qui l'empêche d'agir; mais
quand la violence a cessé, il reprend sa liberté d'action, et son
inaction est tout aussi significative que s'il n'avait jamais été vio-
lenté. Il reste bien entendu que la violence n'a pas cessé tant que
la partie qui a été l'objet d'actes de violence subit une pression
morale, demeure sous le coup de menaces qui peuvent la détour-
ner même de s'adresser à la justice.
339 bis. III. Il résulte de l'article 2233, 2* §, que le vice de vio-
lence ne met pas un obstacle d'une longue durée à la prescription
du possesseur, car il sera rare que la violence ait eu une véritable
continuité. Elle consiste dans des actes temporaires, instantanés,
qui, surtout dans l'état de nos mœurs et de notre législation, ne
sauraient guère se perpétuer. De cette observation est née la pensée
que la possession violente dans le principe ne pouvait devenir
utile, que par une véritable transformation, par une interversion
du titre du possesseur (art. 2238), c'est alors seulement que le
vice de violence aurait cessé, et c'est plutôt à la cessation du vice,
qu'à la cessation de la violence elle-même, que le législateur aurait
songé en écrivant l'article 2233.
Cette traduction des expressions : lorsque la violence a cessé,
nous paraît inadmissible, car elle transforme tout à fait l'article et
le comprend comme s'il disait : lorsque le vice a été purgé. Or, le
sens naturel du texte expliqué par Bigot-Préameneu, est celui-ci :
l'obstacle dure tant que la violence dure; or, la violence, c'est la
pression physique ou morale exercée sur le détenteur dépossédé.
La formule de l'article est la même que celle de l'article iilo et
rappelle celle de l'article 181, et sur ces deux articles le sens de la
formule n'est pas contestable.
Un autre motif grave nous conduit à repousser la doctrine que
nous examinons; elle introduit dans la matière de la violence une
théorie que la loi a établie seulement à propos de la précarité;
T1T. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2233. 447
l'interversion du titre a sa nécessité quand il s'agit d'un possesseur
qui a commencé a détenir comme fermier et dont le changement
d'intention n'a rien d'apparent, elle n'est pas utile quand le vice de
la possession résulte d'actes patents dont la cessation peut être
aperçue par tout le monde, puisque ces actes et leur cessation sont
des faits matériels.
Il ne faut pas d'ailleurs alléguer que la violence ne constituera
jamais un obstacle de quelque durée à la prescription, parce que s'il
est impossible que des violences contre les personnes se continuent
longtemps sans appeler l'attention de l'autorité publique, il est
facile de supposer que des menaces aient une certaine durée, et
même que l'usurpateur tienne comme une sorte de garnison sur le
bien qu'il a usurpé, qu'il annonce l'intention de s'y défendre vio-
lemment, ce qui ôte à sa possession le caractère de possession à
titre de propriétaire, ou au moins fait régner l'équivoque sur ce
caractère capital de la possession.
339 bis. IV. Nous ne pouvons pas abandonner les règles qui
concernent les caractères de la possession sans examiner si les
vices qui résultent de l'absence de ces caractères sont relatifs ou
absolus, autrement dit, s'ils rendent la prescription impossible à
l'égard de toutes personnes ou seulement à l'égard de certaines
personnes déterminées. La réponse à cette question peut ne pas être
la même pour tous les vices, il faut donc les reprendre l'un après
l'autre en les examinant au point de vue de la question que nous
venons de poser.
i° La discontinuité est incontestablement un vice absolu, car elle
dénature la possession elle-même qui, intermittente dans les actes
dont elle se compose, ne donne pas à l'auteur de ces actes l'apparence
du droit de propriété, apparence qui ne saurait avoir un caractère
relatif, puisque le droit lui-même est réel, c'est-à-dire absolu. On
comprendrait du reste difficilement comment la possession pourrait
être intermittente par rapport à certaines personnes, et continue
par rapport à d'autres. Elle est ou elle n'est pas, et elle n'est qu'à la
condition de constituer un ensemble d'actes assez rapprochés les uns
des autres pour manifester erga omnes une prétention à la propriété.
339 bis. V. 2° V interruption. Si nous parlons de l'interruption
naturelle, elle se confond avec la discontinuité et constitue comme
elle un obstacle absolu à la prescription; cela résulte du reste de
l'article 2243.
448 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
L'interruption civile, au contraire, doit produire un effet relatif,
car elle résulte d'actes de procédure qui en eux-mêmes n'ont
jamais un effet absolu, en vertu de la règle res inler altos acta aliis
neque nocet neque prodest . Peut-être faudra-t-il cependant faire une
distinction pour un seul de ces actes interruptifs, la reconnaissance
du droit du propriétaire par le possesseur; mais cela dépendra du
parti que nous prendrons plus tard, sur le point de savoir si cette
reconnaissance fait de son auteur un possesseur précaire.
339 bis. VI. 3° La violence. C'était, en droit romain, un vice relatif,
au moins en ce qu'il concernait les interdits; la formule de l'interdit
uti possidelis exigeait qu'on eût possédé nec vi ab adversario, et
l'on peut soutenir que cette doctrine est encore vraie en droit fran-
çais, par ce que la violence exercée sur une personne ne devrait pas
empêcher une autre personne de faire valoir ses droits. Telle ne
nous paraît pas cependant la doctrine du Code civil, car l'ar-
ticle 2233 s'exprime d'une façon absolue, quand il dit que les actes
de violence ne peuvent fonder une possession capable d'opérer la
prescription; c'est, d'après cette formule, la possession elle-même
qui manque d'un de ses éléments essentiels, elle n'est pas utile,
comme dit la seconde partie de l'article 2233, elle serait au contraire
utile si elle produisait des effets contre tous à l'exception d'une
seule personne. C'est qu'en effet la loi considère la violence comme
un vice qui ôte à la possession son caractère substantiel, d'être une
possession à titre de propriétaire; celui qui n'agit sur la chose
qu'en employant des procédés violents, celui-là ne se présente pas
en maître, car le maître doit être plus sûr de son droit, et la manière
normale d'affirmer sa maîtrise, c'est d'avoir recours à la justice
pour prendre ou pour conserver sa possession. Si l'on trouve rigou-
reux un système qui ne permet d'invoquer contre personne une
possession violente, il faut reconnaître que la loi a toutes sortes de
raisons pour frapper les actes de violence. Dans le conûit entre
un possesseur qui a commencé à posséder vi et un vrai proprié-
taire qui n'a pas été violenté, il est vrai, mais qui n'a pas à se
reprocher autre chose que son inaction, on comprend qu'elle pré-
fère le propriétaire négligent au possesseur coupable d'actions
défendues par les lois qui protègent la sécurité publique.
Puis il faut ajouter que, grâce à la deuxième règle contenue dans
l'article 2233, la rigueur de notre solution n'est pas excessive,
puisqu'elle n'a pas pour conséquence de rendre l'immeuble tout à
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2233. 449
fait imprescriptible de la part du possesseur, mais uniquement
d'empêcher qu'il compte dans son temps de possession les moments
ordinairement assez courts pendant lesquels la violence a cessé.
La seconde règle de l'article : la possession utile commence
lorsque la violence a cessé, est le correctif très-suffisant de la
rigueur que paraît avoir la première règle, à cause de son carac-
tère impersonnel et absolu.
339 bis. VII. La clandestinité était, comme la violence, un vice
relatif en matière d'interdits (nec clam... ab adversario), et en droit
français on est tenté de dire de ce vice ce qu'on a dit de la violence,
que la clandestinité ne peut pas être invoquée par ceux à l'égard
desquels elle n'a pas existé; car, puisqu'ils pouvaient connaître la
possession, ils pouvaient empêcher la prescription de s'accomplir.
Nous n'avons pas, pour combattre ce raisonnement, un article
formel, comme l'est l'article 2223 en matière de violence ; cependant
le texte de l'article 2229 nous inspire la même décision en ce
qui touche les deux vices. Il ne reproduit pas l'édit du préteur,
rien n'y indique le caractère relatif du vice, on n'y lit pas les
mots àb adversario pour accentuer ce caractère. Loin de là, au lieu
de parler de clandestinité , d'employer une expression française
correspondante au mot clam, qui évoque l'idée d'un fait inten-
tionnellement caché, d'un procédé tendant à dissimuler la possession
et qui par conséquent suppose qu'on se cache d'une personne
déterminée, qu'on cherche à dissimuler la possession à celui qu'on
croit intéressé à en empêcher la continuation, le Gode emploie une
expression qui porte avec elle le cachet de l'absolu, la possession
doit être publique. Le sens naturel de ce mot, c'est qu'elle doit pou-
voir être connue du public; or le public, ce n'est pas telles ou telles
personnes déterminées, c'est tout le monde. Donc, dès que tout le
monde ne peut pas avoir connaissance de la possession, cette
possession n'a pas le caractère exigé, et quand il lui manque ce
caractère, la prescription devient impossible, non pas seulement
par rapport à ceux de qui l'on s'est caché, mais par rapport à tous,
car l'article 2229 ne distingue pas. Nous dirons ici ce que nous
avons dit sur la violence, le fait de cacher aux yeux de quelques-
uns les actes de possession qu'on accomplit sur la chose, empêche
la possession d'être exercée à titre de propriétaire, car le pro-
priétaire n'a besoin de se cacher de personne. Il jette des doutes
dans l'esprit même de ceux qu'on n'a pas cherché à tromper parce
▼m. 29
450 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
qu'ils sont induits à penser que le possesseur n'a pas de prétention
sur la chose, son animus est au moins équivoque, et cela explique
pourquoi ceux qui ont pu connaître la possession n'ont pas jugé
utile de faire des actes pour empêcher la prescription.
339 bis. VIII. La précarité est le vice contraire à cette qualité de
la possession qui consiste à être exercée à titre de propriétaire. Le
Gode qualifie possesseurs précaires ceux qui possèdent pour autrui,
comme le fermier, le dépositaire, l'usufruitier (art. 2236 et 2239).
Ce vice consiste donc dans l'absence de \' animus domini, du
caractère principal et distinctif de la possession. Pas de doute par
conséquent que ce vice soit absolu, car le détenteur précaire ne
possède pas, et celui qui ne possède pas ne peut prescrire contre
personne (art. 2236). S'il en était autrement en droit romain au
point de vue des interdits possessoires, c'est que le mot précarité
avait un tout autre sens, et qu'il ne s'est jamais appliqué à la
détention des fermiers, dépositaires ou usufruitiers, qui n'étaient pas
considérés comme des possesseurs.
339 bis. IX. L'équivoque est un vice qui n'a pas de nature
propre, il consiste en ce que l'une des qualités exigées n'est pas
assez nettement accentuée et prouvée pour qu'on puisse dire avec
certitude qu'elle se rencontre dans la possession invoquée par celui
qui prétend avoir prescrit. Dès lors, il n'y a pas à rechercher si le
vice d'équivoque est absolu ou relatif, sa nature et ses effets
dépendent de la nature et des effets du vice dont l'existence est
soupçonnée sans être absolument certaine. Nous avons reconnu à
tous les vices proprement dits le caractère absolu, nous en con-
cluons que l'équivoque aura toujours un effet absolu ; mais si l'on
décide, avec un grand nombre d'auteurs, que le vice de violence et
le vice de clandestinité sont relatifs, il faudra dire que l'équivoque
qui existera sur le caractère paisible ou public de la possession
sera également un vice relatif.
339 bis. X. Nous avons, pour faire une énumération des vices
correspondant exactement à l'énumération des qualités contraires
exigées par la loi, parlé de l'interruption civile de la prescription
comme d'un vice, et à celui-là nous avons reconnu un effet sim-
plement relatif; si l'équivoque était possible, quant à ce vice, elle
aurait une influence relative, mais les actes juridiques qui inter-
rompent civilement la prescription ne nous paraissent guère se
prêter à l'équivoque, ils ont été faits ou ils n'ont pas été faits, ils
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2233-2235. 451
sont valables ou nuls; dans ces divers cas, le doute n'est pas
possible. Il n'y aurait que la reconnaissance du droit de propriétaire
qui prêterait à l'interprétation, partant à l'équivoque. Si, plus tard,
nous décidons qu'elle rend la possession précaire, il faudra dire que
l'équivoque aura un effet absolu; si elle n'est qu'une véritable
interruption, nous dirons qu'elle a un effet relatif et que l'équivoque
sur cette reconnaissance ne peut pas avoir un effet plus étendu.
340. La prescription ne peut s'accomplir qu'autant que la
possession a été continuée pendant tout le temps fixé par la
loi-, mais comme il serait impossible d'établir cette continuité
de possession, il suffît au possesseur actuel de prouver qu'il a
possédé anciennement, pour qu'il soit réputé, jusqu'à preuve
contraire, avoir possédé dans le temps intermédiaire. V. art.
2234.
340 bis. On peut présenter la règle de l'article 2234 comme une
exception à la règle sur l'équivoque. Démontrer qu'on a possédé
autrefois et qu'on possède aujourd'hui, ce n'est pas prouver qu'on
a possédé pendant le temps intermédiaire; donc la preuve d'une
possession ayant duré pendant dix, vingt ou trente ans n'est pas
complète, la démonstration est imparfaite, la condition de continuité
reste douteuse; mais la loi déclare que la preuve est suffisante,
c'est une nécessité pratique qui oblige à ne pas imposer au posses-
seur la preuve qu'il a possédé sans intermittence pendant un temps
aussi long. Il y a présomption que la possession, dont il démontre
le commencement, n'a pas cessé. Seulement, l'adversaire pourra
prouver la cessation de la possession, autrement dit la disconti-
nuité, et il résultera de cette preuve un obstacle à la prescription.
341. L'héritier continue la possession du défunt comme il
continue sa personne. Quoique ce principe ne puisse s'appli-
quer au successeur particulier, celui-ci peut cependant joindre
à sa propre possession celle de son auteur : ce qui fait que la
loi met ici tous les successeurs sur la même ligne. V. art.
2235; mais remarquez que le successeur particulier reste tou-
jours maître de rejeter la possession vicieuse de son auteur,
et de faire commencer la sienne à partir de son acquisition
(v. à ce sujet art. 2237, 2239).
29.
452 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
341 bis. I. L'article 2235 traite de ce que les Romains appelaient
Vaccessio possessionum, l'accession des possessions ; on doit préférer
cette expression à celle de jonction des possessions, parce que cette
dernière expression s'oppose d'ordinaire à celle de continuation,
pour distinguer deux catégories diverses d'hypothèses parmi celles
qui rentrent dans la sphère d'application de l'article 2235, et par
conséquent dans la théorie plus générale de l'accession des possessions.
Cette accession consiste dans le rapprochement de deux pos-
sessions accomplies par deux personnes différentes, qui a pour
objet de faire un total de la durée de ces deux possessions, afin que
le possesseur actuel, qui n'a pas à lui seul possédé assez longtemps
pour prescrire, puisse invoquer une possession d'une plus longue
durée, d'où résultera la prescription.
Ce cumul de la possession de deux personnes différentes n'est
possible qu'autant qu'il existe entre ces deux personnes un rapport
juridique d'auteur et d'ayant cause. L'article 2235 s'exprime très-
formellement sur ce point. Si ce rapport n'existe pas, il est impos-
sible qu'une personne profite d'un acte accompli par une autre qui
lui est étrangère, car il est de principe qu'un acte quelconque ne
peut produire d'effets juridiques que par rapport à celui qui l'a
fait : alii neque nocet neque prodest.
341 bis. II. La difficulté n'existe donc pas sur le principe, mais
elle consistera à déterminer d'une façon précise ce qu'on doit
entendre par un auteur et un ayant cause, puis il faudra examiner
si la condition des différents ayants cause, au point de vue de
l'accession des possessions, est la même.
Quant au premier point, il n'est pas embarrassant dans une foule
d'hypothèses. Ainsi, l'acheteur est ayant cause du vendeur; le
donataire, du donateur; le légataire particulier, du testateur. L'hé-
ritier aussi et le légataire universel sont ayants cause du défunt.
341 bis. III. Toutes ces personnes sont de véritables ayants cause
du possesseur précédent, elles succèdent à son droit de possession
comme elles succéderaient à son droit de propriété, s'il l'avait eu.
Mais il faut aller plus loin et reconnaître qu'on peut être ayant
cause quant à la possession, sans l'être quant à la propriété, parce
qu'on peut avoir succédé juridiquement à la possession d'un autre
sans lui avoir succédé quant à la propriété.
On peut, en effet, tenir sa possession d'une autre personne en
vertu d'une cause juridique qui contraignait celle-ci à se démettre
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2235. 4û3
de sa possession en votre faveur. Exemple : un possesseur de
mauvaise foi vend sa possession, il déclare ne pas vendre la chose,
mais céder seulement l'avantage qui résulte par lui de la possession;
le cessionnaire sera certes possesseur de mauvaise foi, mais pourra-
t-on dire qu'il n'a pas succédé juridiquement à son cédant et lui
refuser de joindre les deux possessions pour arriver à la pres-
cription de trente ans?
Cet exemple présente la doctrine sous son jour le plus défavorable,
mais il a l'avantage de bien mettre en relief le fait juridique qui
établit entre les deux possesseurs la relation d'auteur et d'ayant
cause quant à la possession seulement. Il va nous servir à faire,
dans d'autres hypothèses plus pratiques, la distinction fonda-
mentale entre la succession à la propriété et la succession à la
possession.
341 bis. IV. On a, depuis le droit romain, examiné et discuté la
question de jonction des possessions entre le possesseur évincé par
suite d'une action en revendication, et le revendiquant qui l'a
évincé. On suppose que le revendiquant est lui-même actionné
en revendication par une troisième personne, qui est le véritable
propriétaire, et que, voulant opposer à ce nouvel ennemi la pres-
cription aequisitive, il cherche à ajouter au temps de sa possession
propre celle de son ancien adversaire, qu'il a évincé.
On a dit que cette prétention était inadmissible, que celui qui
triomphe dans une action en revendication n'est pas l'ayant cause
du défendeur, puisque sa prétention était précisément d'avoir un
droit exclusif du droit du défendeur; il niait la propriété de celui-ci,
il arguait d'un droit propre, donc il n'est pas son ayant cause, et
cela est si clair qu'il ne souffrirait aucunement des hypothèques
ou autres droits réels constitués par celui qu'il a évincé.
Nous avons répondu d'avance à ce raisonnement; il est bien
certain que le revendiquant ne succède pas à la propriété du
défendeur, il n'est pas son ayant cause quant à ce droit, mais l'ar-
ticle 2235 n'exige pas qu'on soit ayant cause quant à la propriété;
il dit en termes vagues qu'on peut compléter sa possession par celle
de son auteur, le rapprochement de ces deux expressions permet
bien de supposer que le Gode a plutôt songé à l'auteur de la pos-
session, et quand il ajoute de quelque manière qu'on lui ait succédé,
il emploie une expression qui peut très-naturellement s'interpréter
dans ce sens : succéder dans la possession.
454 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
Succéder à une personne comme ayant cause, ce n'est pas seule-
ment la remplacer, c'est avoir été avec cette personne dans une
certaine relation juridique par rapport à l'objet auquel on succède.
Or, dans l'hypothèse que nous examinons, cette relation juridique
a existé, le défendeur en revendication n'a pas, par sa volonté, aban-
donné la possession que l'autre partie aurait alors appréhendée, il a
remis cette possession en vertu d'un jugement, et le jugement a,
entre les parties, l'effet d'une convention, par exemple l'effet d'un
acquiescement par lequel le premier possesseur aurait consenti à
remettre la chose à l'autre (1). Dans ces hypothèses, comme dans
l'exemple que nous avons d'abord examiné, il existe entre l'ancien
possesseur et le nouveau une cause juridique qui fait du nouveau
l'ayant cause de l'ancien.
Si l'on objecte à cette solution l'article 2243, qui déclare la pres-
cription interrompue lorsque le possesseur a été dépossédé pendant
plus d'un an même par un tiers, on peut répondre que dans l'ar-
ticle 2243 rien ne dit que le possesseur a repris la possession à la
suite d'un jugement. Nous ajouterons d'ailleurs que les deux articles
doivent se concilier de la façon suivante : quand la dépossession
aura duré plus d'un an, la reprise de la possession en vertu d'un
jugement n'empêchera pas l'interruption qui se sera produite lorsque
le fait de dépossession primitive aura eu lieu, ce qui n'empêchera
pas le revendiquant de compter en vue de l'avenir la possession de
celui qu'il évince; sa possession commencera par conséquent au pre-
mier jour de la possession de celui qu'il évince, et son ancienne pos-
session ne comptera pas. Exemple ; Pierre possède depuis trois ans,
le 1" janvier 1860, il est privé de la possession par le fait de Paul,
qui s'empare de la chose; en 1870, il revendique et force Paul à le
remettre en possession. Il pourra plus tard, s'il est actionné par
Jean, vrai propriétaire de la chose, faire courir la prescription
depuis le 1er janvier 1860, parce qu'il comptera à son profit la pos-
session du tiers qu'il a évincé, mais il ne pourra pas commencer
son compte au 1er janvier 1857, parce que cette possession qu'il a
eue pendant trois ans a perdu ses effets en conséquence de l'inter-
ruption qui s'est produite par la possession de Paul pendant plus
d'un an.
341 bis. V. Les mêmes raisonnements nous conduiront à la
(1) V. D.l. 13, §§ 9 et 10, De acquir. postessione.
TIT. XX. DE LA. PRESCRIPTION. ART. 2235. 455
même solution lorqu'il s'agira d'un possesseur dépossédé par une
action en résolution ou en rescision. Il existe entre cet ancien
possesseur et celui qui l'a remplacé une relation juridique fondée
sur l'acte qui avait constitué une possession sous condition réso-
lutoire et un droit corrélatif sous condition suspensive, ou sur le
jugement qui a prononcé la rescision ; si le possesseur actuel n'est
pas ayant cause de l'autre en ce qui touche la propriété, il est au
moins son ayant cause au point de vue de la possession.
341 bis. VI. Parmi les ayants cause que nous avons énumérés,
quelques-uns sont ayants cause à titre particulier, quelques autres
à titre universel. Leur situation, au point de vue de l'accession des
possessions, n'est pas la même. L'ayant cause universel, n'ayant pas
d'autre titre que celui de son auteur, prend la possession telle que
l'avait celui-ci, notamment avec ses vices; si elle est précaire, elle
reste pour lui entachée de précarité (art. 2237); si elle est clan-
destine ou violente, elle ne peut conduire à la prescription qu'autant
que le vice aura cessé. Ces solutions sont hors de doute en ce qui
concerne les héritiers, mais elles doivent être étendues aux autres
successeurs universels, car ceux-ci n'ont pas plus que les héritiers
un titre propre pour posséder, ils ont trouvé la chose dans l'en-
semble des biens du défunt et ne peuvent pas avoir plus de droits
que lui. Ces idées sur la possession des ayants cause universels sont
résumées dans l'expression qui désigne habituellement ce genre
d'accession. Il y a, dit-on, dans ces hypothèses, continuation de la
possession, d'où il résulte que la possession ne change pas de carac-
tère.
341 bis. VII. On réserve au contraire la dénomination de jonction
des possessions à l'accession qui a lieu au profit d'un acquéreur à
titre particulier. Celui-ci commence certainement une possession
qui lui est propre, et qui, par conséquent, peut être exempte des
vices qui entachaient celle de son auteur. S'il achète d'un déposi-
taire, il a une intention que n'avait pas son auteur, il a la préten-
tion à la propriété, et le dépositaire ne pouvait pas l'avoir. Il peut
donc prescrire en s'appuyant sur sa seule possession si elle a duré
assez longtemps, et, n'ayant pas besoin de se prévaloir de la pos-
session de son auteur, il ne souffrira pas des vices de cette posses-
sion. Que, s'il n'a pas personnellement possédé assez longtemps, il
pourra ajouter à sa possession celle de son auteur (jungere posstt~
siones)) mais alors il faudra que cette dernière possession ne soit
456 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
pas vicieuse. Il y a dans ce cas jonction des possessions; sa raison
d'être, c'est que l'auteur a cédé avec la chose tous les droits qu'il
avait sur cette chose, et que la possession non vicieuse avec la
chance d'acquérir par prescription était le principal de ces droits.
En résumé, la continuation de la possession est nécessaire, tandis
que la jonction est facultative.
CHAPITRE III.
DES CAUSES QUI EMPÊCHENT LA PRESCRIPTION.
342. La possession ne pouvant servir à la prescription si elle
n'est à titre de propriétaire (art. 2229), et celle qui a com-
mencé à un titre étant toujours censée se continuer au même
titre (art. 2231 ), il est tout simple que ceux qui possèdent pour
autrui ne puissent jamais prescrire. Cette règle, qui comprend
tous les détenteurs précaires, est spécialement appliquée par
la loi au fermier, au dépositaire et a l'usufruitier. V. art. 2236.
342 bis. I. Malgré la généralité de sa rubrique, le chapitre III ne con-
tient que des règles sur la précarité, c'est-à-dire des développements
sur une des conditions exigées par l'article 2229, ce qui explique
comment la loi revient sur un certain nombre d'idées qui étaient
contenues dans les termes mêmes des articles du précédent chapitre.
La loi commence par poser en principe que la précarité est un
vice qui empêche à jamais la prescription, puis elle indique quel-
ques possesseurs précaires; de l'ensemble de l'article, il est facile
de déduire la définition de la possession précaire. C'est la possession
pour autrui en vertu d'un titre qui oblige le possesseur à restituer.
Le fermier, le dépositaire, l'usufruitier, appuient leur détention
sur un titre ou une cause qui implique qu'à une certaine époque
ils seront tenus de rendre la chose au bailleur, au déposant, au nu
propriétaire; donc ils n'ont pas ï'animus domini, d'où il résulte que
leur possession n'est pas une véritable possession. Ce ne sont pas
les seuls personnes qui détiennent précairement, on peut citer
encore les mandataires, les commodataires, les gagistes, et parmi
ceux-ci les antichrésistes.
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. AttT. 2236. 457
342 bis. II. Tous ces détenteurs, par la qualité même de leur pos-
session, n'annoncent pas de prétention à la propriété, et rien dans
les actes qu'ils accomplissent ne provoque des protestations de la
part du vrai propriétaire, quel qu'il soit. Il faut cependant observer
que le propriétaire véritable, quand ce n'est pas lui qui a conféré
la possession au possesseur précaire, doit se garder contre les consé-
quences de cette possession, car le possesseur précaire, s'il ne peut
pas prescrire pour son compte, possède pour autrui; le bailleur, le
déposant, le mandant possèdent et prescrivent par lui. Le vrai pro-
priétaire devra donc mettre obstacle à la prescription, mais il devra,
pour obtenir ce résultat, agir contre le vrai possesseur; une inter-
ruption signifiée au possesseur précaire serait inutile par rapport à
celui-ci et sans effet par rapport au véritable possesseur.
342 bis. III. Quand l'article dit que le détenteur précaire ne
peut jamais prescrire, il entend non-seulement qu'il ne prescrira
pas, quelle que soit la durée de sa possession, mais encore qu'il ne
pourra pas commencer à prescrire alors même qu'il aurait perdu
la qualité qui le constituait possesseur précaire. Le bail est expiré,
l'usufruit est éteint, la prescription ne devient pas possible pour cela
parce que la possession est viciée dans son principe et que, le pos-
sesseur eût-il changé d'intention, il resterait toujours une équi-
voque sur le caractère de sa possession.
342 bis. IV. Quanta l'usufruitier, nous avons une réserve à faire.
Ce qu'il possède précairement, ce qu'il ne peut pas acquérir par
prescription, c'est la chose même, le fonds soumis à son usufruit,
mais il possède, animo domini, son droit d'usufruit, il ne le possède
pas pour autrui, c'est pourquoi nous avons admis qu'on peut
acquérir l'usufruit par prescription (i).
342 bis. V. L'article 2236 n'est, sa place l'indique, applicable
qu'à la prescription afin d'acquérir; or, les personnes dont il parle
sont tenues d'une obligation de restituer, et par conséquent sous
le coup d'une action personnelle fondée sur le bail, le dépôt, le man-
dat, qui s'éteint par trente ans (art. 2262). N'y a-t-il pas une cer-
taine incohérence entre ces deux idées, et les dispositions des
articles 2236 et 2262 ne sont-elles pas inconciliables? Non certes,
car la prescription acquisitive et la prescription libératoire n'auront
pas exactement les mêmes effets, et par conséquent on peut com-
(1) V. t. II, n»418 bis, IV ei 7.
458 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
prendre que l'article qui rend l'une des deux impossibles ne rende
pas sans intérêt l'autre prescription. Le dépositaire ou le locataire
qui aura prescrit sa libération et qui restera exposé à l'action réelle,
aura toujours gagné quelque chose à l'extinction de l'action person-
nelle. En effet, il n'est plus tenu des obligations qui grèvent un
débiteur de corps certain à propos de la chose, donc il ne devra
pas de dommages-intérêts pour des négligences qui auraient eu pour
conséquence la détérioration de la chose; on ne peut pas lui repro-
cher de ne l'avoir pas soignée comme un bon père de famille, il
ne répond que de son dol; puis, s'il l'a aliénée, il n'est pas tenu
envers le propriétaire, qui n'a plus qu'une action en revendication
contre le possesseur actuel, tandis que, tenu de l'obligation person-
nelle, il resterait débiteur malgré l'aliénation. Les deux prescriptions
ont donc leur caractère et leurs effets distincts, on comprend que la
loi ait pu, sans être inconséquente, prohiber l'une et admettre l'autre.
343. Les héritiers étant la continuation de la personne du
défunt, il est naturel qu'ils succèdent au vice de sa possession.
V. art. 2237.
343 bis. I. Nous avons expliqué, au n° 351 bis, comment l'héri-
tier continuant la possession du défunt la recueillait avec ses vices
et ne pouvait pas prescrire quand elle était précaire. Nous avons
également décidé que dans les héritiers, la loi comprenait tous
les successeurs universels tenus de toutes les obligations de leur
auteur. Nous n'avons pas à y revenir. Nous ferons seulement
remarquer que la loi ne fait aucune distinction entre les héritiers
des diverses personnes dont elle a parlé à l'article 2236; que, par
conséquent, notre article s'applique aux héritiers de l'usufruitier.
On en avait douté autrefois, parce que le titre de l'usufruitier
s'éteignant quand il meurt et n'étant pas transmissible, on pouvait
prétendre que les héritiers possédaient en vertu d'un titre nou-
veau, qu'ils avaient forcément l'animus domini. Cette doctrine était
repoussée par les auteurs les plus autorisés, parce que la situation
de ces héritiers a toujours quelque chose d'équivoque. Il est tou-
jours possible de croire qu'ils détiennent avec l'intention de resti-
tuer à première réquisition, qu'ils ne connaissent pas le nu pro-
priétaire et qu'ils attendent qu'il se présente. Cela suffit pour qu'on
ne soit pas sûr qu'ils possèdent à titre de propriétaire.
343 bis. II. Outre les détenteurs dont parlent les articles 2236 et
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. -2237. 459
2237 et ceux que nous leur avons assimilés, il en est quelques
autres à l'égard desquels il y a lieu d'examiner s'ils sont des déten-
teurs précaires ou s'ils possèdent à titre de propriétaire. Il s'agit
des personnes qui ont directement ou indirectement reconnu le
droit d'une autre personne, sans promettre expressément de pos-
séder pour cette personne. Par exemple, on peut supposer un ven-
deur qui conserve la possession de la chose vendue. Entre ces deux
personnes, le vendeur et l'acheteur, nous ne voyons pas exprimée
la convention qui autorise le détenteur à garder la chose pour en
tirer un certain usage et à la restituer plus tard, mais nous pensons
que, pour n'être pas exprimée, cette convention n'en existe pas
moins. Comment l'achefeur n'a-t-il pas immédiatement exigé la
possession? Ce sera le plus souvent parce qu'il ne payait pas comp-
tant, le vendeur conservait la chose jusqu'au paiement (art. 1612),
le vendeur a donc gardé la chose à titre de gage; si un terme avait-
été accordé à l'acheteur, il pouvait exiger la livraison ; ne l'exigeant
pas, n'a-t-il pas montré qu'il confiait pour un temps la chose à la
garde du vendeur? Que celui-ci ait été dans le principe gagiste ou
gardien, ces deux qualités le constituent détenteur précaire ab
initio, et cela suffît pour qu'il ne puisse jamais prescrire. Dira-t-on
qu'il ne détenait pas pour autrui (art. 2236)? Cela serait inexact,
car grâce à la jonction des possessions, l'acheteur peut se prévaloir
de la possession de vendeur, et aussi hien de celle qui est posté-
rieure à la vente que de celle qui lui est antérieure; on est donc
dans les termes mêmes de l'article qui déQnit la précarité.
343 bis. III. A côté du vendeur nous plaçons le possesseur qui,
ayant d'abord possédé pour lui-même, fait plus tard une reconnais-
sance du droit d'une autre personne. Celui-ci ne peut pas être
considéré comme ayant conservé Yanimus domini. Quelle serait
cette prétention au titre de maître qui se concilierait avec l'aveu
qu'un autre est le vrai maître et qu'il peut évincer quand il le voudra?
La possession cesse d'être la vraie possession. Il arrive alors, en
sens inverse, ce que l'article 2238 appelle l'interversion du titre; de
même qu'en opposant une contradiction au droit du propriétaire
le détenteur précaire devient possesseur proprement dit ; de même
en reconnaissant le droit du propriétaire, le possesseur manifeste
un changement dans son animus, il intervertit son titre et sa qualité;
de possesseur, il devient détenteur précaire. Rien de plus correct,
du reste; comment, après sa reconnaissance, peut- il avoir conservé
460 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
la chose? Ce ne peut être que par une convention avec le proprié-
taire qui a consenti à la lui prêter ou à la lui confier pour qu'il
l'administrât. Si l'on ne suppose pas cette convention, on ne com-
prend pas pourquoi le propriétaire ne s'est pas fait restituer la
chose; dès lors la convention doit être interprétée ainsi, puisqu'il
faut toujours y rechercher la commune intention des parties (art.
1156). De cette interprétation il résulte que l'auteur de la recon-
naissance est devenu détenteur précaire en vertu de l'article 2236.
343 bis. IV. Notre décision soulève une objection tirée du texte
de l'article 2248. Cet article a parlé de la reconnaissance faite par
un possesseur, et il l'a considérée comme un acte interruptif de
prescription; or l'effet de l'interruption n'est pas de rendre la pres-
cription impossible dans l'avenir, il consiste à faire considérer
comme non avenue toute possession antérieure; de là on conclut
que la reconnaissance ne rend pas précaire la possession de son
auteur, puisque, si cette possession était précaire, elle ne pourrait
conduire à la prescription.
Cette objection ne nous arrête pas, parce que l'article 2248 ne
parle pas spécialement et principalement de la reconnaissance faite
par un possesseur, il n'en étudie pas tous les effets. C'est un article
qui fait partie d'une énumération sommaire et non explicative des
actes interruptifs; il réunit, dans la même phrase, la reconnais-
sance d'un débiteur et celle d'un possesseur; il les assimile peut-
être un peu à la légère, apercevant clairement que ces deux recon-
naissances font obstacle à une prescription fondée sur le laps du
temps antérieur, mais ne s'occupant pas de la difficulté qui peut
s'élever sur le temps à courir ultérieurement. Sa pensée est celle-ci :
de la reconnaissance résulte, dans les deux cas, un obstacle à la
prescription; quant à la nature de l'obstacle dans chacune des
hypothèses prévues, elle dépend des règles qui sont particulières à
chacune d'elles, l'application de ces règles est sous-entendue.
Nous ajouterons que le Code a peut-être eu en vue certaines
reconnaissances faites par des possesseurs qui, sans qu'aucune dif-
ficulté pût s'élever, n'auraient qu'un effet interruptif, parce que le
droit reconnu n'étant pas inconciliable avec la propriété de celui qui
fait la reconnaissance, il serait impossible de penser que la recon-
naissance contient une convention faisant de l'auteur de cette re-
connaissance un possesseur précaire. Nous songeons à la reconnais-
sance d'hypothèque, elle interrompra certainement la prescription
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2237, 2238. 461
de l'hypothèque, mais le possesseur de l'immeuble n'aura certes
pas changé le caractère de sa possession, et il serait impossible de
dire qu'il possède désormais pour le créancier hypotbécaire.
Il en sera de même de la reconnaissance d'une servitude que le
propriétaire du fonds dominant n'exerce pas et pour laquelle il craint
l'extinction par non-usage. La reconnaissance émanée du proprié-
taire du fonds servant interrompt la prescription, elle implique
renonciation à se prévaloir du non-usage antérieur; mais, à partir
de la reconnaissance, trente années de non-usage éteindraient la
servitude. C'est qu'en effet la servitude ne s'éteint pas par trente
ans d'une possession contraire à la servitude, et que, dès lors, il n'y
a pas à examiner si l'auteur de la reconnaissance est devenu pos-
sesseur précaire.
La reconnaissance d'un droit d'usufruit par le nu propriétaire
nous fournirait une troisième hypothèse. Cela suffit, à notre sens,
pour expliquer comment l'article 2248 a pu rapprocher les recon-
naissances faites par un possesseur de celles qui émanent d'un
débiteur; il a songé aux reconnaissances qui ressemblent le plus
aux reconnaissances de dettes, et il a laissé à la doctrine la charge
de distinguer, parmi les reconnaissances des possesseurs, celles qui
n'auront que l'effet interruptif de celles qui, en vertu des principes
précédemment posés, auront l'effet interruptif aggravé par cette
circonstance que l'interruption est définitive.
343 bis. V. Il est une hypothèse voisine de celle que nous venons
d'examiner et qui ne doit pas cependant lui être assimilée. C'est
celle où un possesseur a été condamné par jugement à livrer la
chose qu'il possède à un revendiquant. Comme il n'est intervenu
entre les parties qui se disputaient la propriété aucune convention,
il n'y a plus place au raisonnement que nous avons fait au cas de
vente sur l'article 1156, l'exécution du jugement est une nécessité
que subira le possesseur, quand on la lui imposera, mais rien n'in-
dique que sa volonté d'être propriétaire ait changé et qu'il ait
consenti à posséder au nom d'autrui. Or, c'est le consentement à
posséder pour autrui qui constitue le caractère distinctif de la
possession précaire; nous ne devons donc pas dire que le défendeur
à la revendication ne pourra pas prescrire à partir du jugement.
344. Au reste, la règle qui interdit au détenteur précaire
et à ses héritiers la faculté de prescrire, par quelque laps de
462 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
temps que ce soit, n'étant fondée que sur la présomption
légale de l'article 2231, et cette présomption légale cédant a
la preuve contraire, notre règle doit recevoir exception, lors-
qu'il apparaît d'un nouveau titre de possession conféré par un
tiers, ou lorsque la contradiction opposée au droit du pro-
priétaire a suffisamment notifié a celui-ci qu'on n'entendait
pas posséder pour lui. Dans l'un comme dans l'autre cas, le
titre vicieux est interverti, et la prescription devient possible.
V. art. 2238.
344 bis. I. Le vice de précarité est, nous l'avons dit, dans la per-
sonne du possesseur et de ses ayants cause à titre universel un
obstacle sérieux à la prescription, mais ce vice n'est pas indélébile.
Le temps, il est vrai, n'en purge pas la possession, il faut, pour
arriver à ce résultat, des événements nouveaux qui changent la
nature du titre de possession, c'est ce que l'article 2238 appelle
Y interversion du titre.
Cette interversion ne peut pas résulter de la simple volonté du
possesseur. Vainement il ferait des actes de maître, il couperait des
futaies, démolirait des édifices, il n'en continuerait pas moins à
posséder précairement, parce qu'on suppose que le vrai proprié-
taire, rassuré par le caractère primitif de la possession, ne surveil-
lerait pas les actes du possesseur. Cette règle est formulée dans
l'article 2240, et l'article 2238 la sous-entend.
L'interversion du titre peut se produire utilement dans deux
hypothèses qu'indique l'article 2238 et qui ont ce caractère commun
que le possesseur n'a pas agi seul pour transformer la cause de sa
possession.
344 bis. II. Nous examinerons d'abord, comme étant la plus simple,
l'hypothèse que l'article présente en seconde ligne. La contradiction
opposée au droit du propriétaire : le possesseur, le fermier par
exemple, déclare qu'il n'entend plus posséder pour celui de qui il
tenait la possession ; il nie ouvertement le droit de son bailleur. Cette
déclaration doit avoir un caractère véritablement contradictoire,
c'est-à-dire s'adresser personnellement à celui qu'elle intéresse, ce
ne doit pas être une simple annonce faite in rem, s'adressant à tous
et par conséquent à personne, le mot contradiction implique bien
que celui qui possédait par le détenteur précaire joue un rôle au
moins muet et passif dans l'acte du détenteur, de telle sorte que
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2238. 463
celui-ci ne se change pas à lui-même la cause de la possession.
La contradiction la plus nette et la plus précise résultera d'un
acte d'huissier signifiant la volonté de ne plus posséder au nom de
celui à qui elle est adressée; mais il n'est pas nécessaire que la
contradiction soit opposée à l'adversaire sous cette forme, elle peut
se produire sous une forme non juridique par des faits qui impli-
queront la méconnaissance du droit de celui de qui l'on tient la
possession. Exemples : le fermier refuse le paiement en s'appuyant
sur ce qu'il est propriétaire de l'immeuble; le mandataire refuse
par le même motif de rendre compte de sa gestion. Dans ces hypo-
thèses ce n'est pas le simple refus de paiement ou le simple retard
dans la reddition du compte qui constitue la contradiction, car ces
faits peuvent être le résultat du manque d'argent, de la mauvaise
volonté ou de l'inertie du possesseur, c'est le refus de paiement ou
du compte fondé sur une prétention à la propriété, annonçant par
conséquent contradictoirement avec l'auteur de la possession la
volonté de ne plus posséder pour lui : non simplex cessatio solutionis
sed factum coloni proclamantis ad liber latetn. On peut considérer
encore comme contredisant le droit du bailleur l'expulsion violente
de ce bailleur par le fermier. Mais encore ici faudra-t-il supposer
que le fermier accomplit les actes d'expulsion en se prétendant
propriétaire, sinon il paraîtrait simplement avoir défendu un peu
énergiquement les droits qu'il tenait du bail.
344 bis. III. Dans cette dernière hypothèse, il y a un élément de
pur fait, l'expulsion, qui pourra être prouvée par témoins, car celui
qui l'a accomplie ne pouvait pas s'en procurer une preuve écrite;
mais il y a un autre élément, un élément intentionnel, la prétention
d'être propriétaire de l'immeuble. Dans les autres hypothèses, outre
qu'il existe aussi cet élément intentionnel, le fait lui-même n'est
pas impossible à prouver par écrit, on a refusé le paiement des
loyers ou la reddition d'un compte, pourquoi ne pas faire constater
ces faits en signifiant à l'adversaire qu'on n'entend pas le payer ou
lui rendre compte? De même, quant à l'élément intentionnel, pour-
quoi faire venir des témoins attestant qu'il a été dit, lors de l'ex-
pulsion ou du refus de paiement ou de compte, que la partie se
prétendait propriétaire? N'est- il pas facile de faire constater par
acte écrit ces prétentions? Quand il s'agit du fait d'autrui, d'un
délit par exemple ou d'un quasi-délit, d'un fait commun à la partie
et à autrui, comme le dépôt nécessaire, on comprend l'impossibilité
464 COURS ANALVTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
de se procurer une preuve écrite au moment où le fait s'accomplit,
l'auteur du fait dommageable refuserait de signer la preuve de sa
faute, dans le cas de dépôt le temps manque, et une fois le dépôt
opéré, il est trop tard, le dépositaire peut également ne pas con-
sentir à donner une preuve contre lui. Mais quand il s'agit de con-
stater l'intention de la partie qui a intérêt à se procurer une preuve,
quand cette intention, qui doit être persévérante, peut être con-
statée aussi utilement le lendemain du jour où l'acte qu'elle carac-
térise a été accompli, que le jour même de l'accomplissement de
cet acte, quand la preuve n'a pas besoin d'émaner de l'autre
partie, qu'une déclaration par huissier la constituera, on ne doit
pas dire que la rédaction d'une preuve écrite a été impossible, on
n'est plus protégé parla disposition de l'article 1348, on retombe
sous l'empire de l'article 1341, et il doit être passé acte de la con-
tradiction comme de toute chose excédant la somme ou valeur de
ioO francs (1).
344 bis. IV. La décision de l'article 2238 sur l'interversion de
titre, fondée sur la contradiction opposée au droit du propriétaire,
se justifie très-nettement dans le cas où le propriétaire, dont on
a contredit le droit, est précisément celui contre qui l'on voudrait
opposer la prescription. Il était prévenu, il pouvait protester, son
silence est une cause très-équitable de prescription. C'est évidem-
ment l'hypothèse que les rédacteurs du Code civil ont aperçue.
Mais il ne faut pas oublier que la précarité est un vice absolu, que
le fermier qui a reçu à bail un fonds ne peut pas plus le prescrire
contre Pierre, étranger à la convention du bail, que contre Paul, son
bailleur, et ceci étant, il y a lieu de se demander si la contradic-
tion opposée au droit de Paul bailleur intervertit le titre à l'égard
de Pierre, vrai propriétaire. Nous pensons qu'il doit en être ainsi;
l'article 2238, en effet, indique sans distinction deux hypothèses,
dont l'une certainement nous montre l'interversion du titre produi-
sant un effet erga omnes, nous parlons de la première espèce que
nous allons bientôt examiner; il est présumable que l'autre cause
d'interversion produit également un effet absolu. Si l'on examine
d'ailleurs la théorie même de la précarité, on peut remarquer que
le vice de précarité qui produit des effets absolus résulte de faits
qui, en eux-mêmes, ont un caractère relatif; le contrat de mandat
(1) V. cependant Aubry et Rau, t. III, p. 84. Édit. 1856.
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2238. 465
ou de louage est un acte qui s'est produit entre deux personnes
déterminées, et ce n'est pas seulement par rapport au bailleur ou au
mandant que la possession est précaire, elle l'est à l'égard de tous.
De même le fait qui intervertit le titre, ce que la loi appelle la con-
tradiction au droit de propriétaire, se produira dans les rapports
entre le fermier et le bailleur, le mandataire et le mandant, mais
il produira des effets erga omnes. La cessation de la précarité est
soumise à la même règle que la création de la précarité.
Il ne faut pas s'en étonner, car la précarité n'est un vice que
parce qu'elle montre l'absence d'animus domini. Or, l'animus peut
changer, et dans la théorie pure on comprendrait que la prescription
devînt possible, quand par un changement d'intention, le simple
détenteur deviendrait possesseur. Si la loi ne permet pas cette
transformation (art. 2240), c'est parce que la mutation d'intention
serait trop difficile à saisir, que les juges eux-mêmes ne pouvant
pas scruter le fond des consciences, n'auraient pas le moyen de
la constater. La loi veut un fait matériel précis qui manifeste ce
changement de pensée (art. 2238). Mais ce fait matériel étant
démontré, il en résulte que la possession proprement dite a existé,
et de sa nature la possession produit ses effets erga omnes.
Les inconvénients de cette décision ne seront pas considérables,
car il faudra toujours que l'interversion ait eu une certaine publicité
sans quoi la possession elle-même devrait être considérée comme
clandestine, car ce ne sont pas seulement les faits matériels de
jouissance qui doivent être publics, mais les caractères mêmes de
cette jouissance, qui en font une véritable possession.
344 bis. V. L'interversion du titre peut encore avoir lieu par
une cause venant d'un tiers. Il s'agit alors du cas où une personne
autre que le véritable propriétaire donne au possesseur un titre
nouveau qui se substitue au titre précaire. Cette personne, par
exemple, vend ou donne la chose au possesseur précaire.
C'est peut-être le bailleur, le mandant ou le prétendu nu-pro-
priétaire qui vend la chose au preneur, au mandataire, à l'usu-
fruitier prétendu. C'est l'hypothèse la plus normale, les choses se
passeront alors probablement de bonne foi. Si la chose n'appar-
tenait pas au bailleur, au mandant ou au prétendu nu-propriétaire,
l'acheteur n'a pas acquis la propriété, il a intérêt à prescrire contre
le véritable propriétaire, et l'article lui en donne le droit.
Il peut arriver aussi que le détenteur précaire traite avec un véri-
vm. 30
466 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. 111.
table tiers, c'est-à-dire un autre que celui de qui il tient la pos-
session ; il achète de lui la chose, ce qui suppose, s'il est de bonne foi,
qu'il ne croit plus que celui de qui il tenait la chose est propriétaire.
Que son vendeur n'ait pas la propriété, il ne l'acquiert pas par son
achat, mais il a changé son titre de possession, et il peut prescrire
contre le vrai propriétaire, qui est peut-être son bailleur ou son
mandant.
Nous avons, pour rendre l'hypothèse vraisemblable, supposé la
bonne foi du détenteur, mais cette bonne foi n'est pas nécessaire ;
l'article 2238 n'en fait pas une condition de l'interversion, ce qui
est parfaitement logique, puisque la loi admet la prescription de
mauvaise foi.. Il faut observer cependant que bien souvent cette
interversion sera clandestine ou au moins équivoque, car la vente
faite au fermier de Paul par Pierre aura, la plupart du temps, été
ignorée de tous, et alors l'interversion du titre ne rendra pas la
prescription possible ; mais il pourra arriver que le fait qui a inter-
verti le titre de possession ait reçu une véritable publicité, si l'acte
de vente a été transcrit, on pourra quelquefois trouver qu'il a été
public, d'autres fois la vente aura été faite aux enchères après
apposition d'affiches, et il sera impossible de la considérer comme
clandestine.
345. Si le litre nouveau conféré au détenteur suffit pour
faire disparaître le vice de sa possession , on sent que, par la
même raison , le titre conféré par lui a un tiers peut rendre
celui-ci habile à prescrire. V. art. 2239.
345 bis. L'article 2239 fait simplement l'application d'un prin-
cipe que nous avons déjà posé, c'est que le successeur à titre
particulier a une possession distincte de celle de son auteur, et que
s'il peut joindre sa possession à celle de cet auteur, il n'est pas
obligé de confondre les deux possessions en continuant celle à
laquelle il a succédé.
346. Mais le détenteur ne peut, sans l'intervention d'un
tiers, ou sans le concours du propriétaire, changer lui-même
la cause et le principe de sa possession. C'est en ce sens que
le Code a consacré cette ancienne maxime, qu'onne peut pres-
crire contre son titre. V. art. 2240.
346 bis. Nous avons été obligé de poser la règle de l'article 2240
pour expliquer l'article 2236, nous n'avons par conséquent qu'à
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2239-2241. 467
renvoyer à ce que nous avons dit sur ce dernier article. Nous
devons seulement faire remarquer que la maxime : On ne peut se
changer à soi-même la cause de la possession, est empruntée au
droit romain (1), mais qu'elle n'a plus tout à fait en droit français
la même portée qu'en droit romain. L'usucapion n'étant admise à
Rome qu'en faveur du possesseur de bonne foi, l'interversion du
titre, autrement que par un fait venant d'un tiers, ne pouvait être
d'aucune utilité, et la règle paraissait sans utilité, sauf en ce qui
concerne Yusucapio lucratna, qui avait lieu sans bonne foi (2). Chez
nous, la règle a d'autant plus d'importance que nous admettons la
prescription de mauvaise foi.
347. Cette maxime, au reste, n'a aucune application a la
prescription, comme moyen de se libérer d'une action person-
nelle. Car c'est toujours contre le titre qui établit l'obligation
que le débiteur prescrit sa libération. V. art. 2241.
347 bis. L'article 2241, étranger à la matière, puisqu'il parle de
la prescription libératoire, est le résultat d'une équivoque sur le
mot titre. Ce mot, dans cet article, ne désigne plus une cause de pos-
session, un fait juridique sur lequel s'appuie un droit, il désigne un
écrit servant de preuve à l'existence d'une obligation. Le débiteur
prescrit sa libération, il rend désormais le titre inutile, cela est bien
clair, mais ce n'est pas une exception à l'article précédent, car le
débiteur prescrit sans posséder, et sa prescription n'implique pas
qu'il change la cause et le caractère d'une possession. Bien plus,
en laissant même au mot titre le sens spécial qui lui appartient
entre un créancier et son débiteur, on ne pourrait pas dire que
celui-ci prescrit contre son titre, car l'écrit qui constate l'obliga-
tion est le titre du créancier, il prescrit donc contre le titre du
créancier et non contre le sien.
(1) V. I. 3, §§ 18 et 19, D. De adq. vel amitt. potsesswnc.
(2) V. Gaius. Com., 11, 52-61.
30.
468 • COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
CHAPITRE IV.
DES CAUSES QUI INTERROMPENT OU SUSPENDENT LE COURS DE
LA PRESCRIPTION.
348. L'interruption diffère de la suspension en ce que la
première rend inutile le laps de temps antérieur-, au lieu que
la suspension arrête seulement pour un temps le cours de la
prescription, sans l'empêcher de se continuer ensuite.
348 bis. I. Après avoir énuméré les conditions nécessaires pour
que la prescription commence à courir, la loi s'occupe des obstacles
qui peuvent en arrêter le cours. Ces obstacles sont de deux
natures, ce sont des interruptions ou des suspensions.
L'interruption est un événement qui survient au cours d'une
prescription et qui l'arrête en ce sens qu'il rend inutile le temps
déjà écoulé depuis le commencement de la prescription, mais sans
empêcher la prescription de recommencer à courir à l'instant
même. Exemple : une prescription qui doit durer trente ans a couru
pendant vingt années, survient une interruption; le bénéfice des
vingt années écoulées est perdu, mais la prescription n'est pas
rendue impossible, elle recommence à courir du jour de l'inter-
ruption, et elle sera acquise trente ans après cet événement, s'il
n'en est pas survenu d'autres de même nature.
348 bis. II. La suspension est un obstacle temporaire au cours
de la prescription; tant que cet obstacle dure, le temps qui s'écoule
ne peut pas compter; mais quand l'obstacle a cessé d'exister, le
temps peut utilement commencer ou recommencer à courir, et le
temps écoulé après la suspension pourra être joint au temps qui
avait couru avant cette suspension, afin de compléter plus facile-
ment le délai requis pour prescrire.
Nous venons de supposer qu'à l'expiration de la suspension la
prescription peut ou commencer ou recommencer à courir. Cette
alternative résulte de ce que la suspension étant un obstacle d'une
certaine durée, il est possible qu'il existe, avant même la naissance
du droit contre lequel est dirigée la prescription, alors la prescrip-
tion ne commence qu'à la cessation de la suspension, et l'on ne peut
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2242. 469
pas songer à joindre le temps antérieurement écoulé au temps
nouveau qui va courir.
Exemple : Une prescription qui doit durer trente ans court depuis
vingt ans; survient une cause de suspension qui dure dix ans; ces
dix années ne peuvent pas compter, mais la cause de suspension
ayant cessé, la prescription recommence à courir, et, comme les
vingt ans du temps antérieur comptent , il suffira de dix années
pour arriver à une prescription complète. Autre exemple : Un droit
naît au profit d'une personne en faveur de qui existe une cause de
suspension (art. 2252); la prescription contre ce droit ne peut pas
commencer; lorsque la cause aura cessé, la prescription ne recom-
mencera pas, elle commencera, il faudra que le délai complet
s'écoule depuis la cessation de la suspension.
348 bis. III. Les théories de l'interruption et de la suspension
sont communes aux deux prescriptions. Sur quelques points de
détail nous aurons seulement des différences à signaler, mais l'en-
semble des règles est applicable indistinctement à la prescription
à fin d'acquérir et à la prescription à fin de se libérer.
SECTION I.
Des causes qui interrompent la prescription.
349. La présomption qui sert de base a la prescription ne
pouvant naître que de la continuité de la possession avec les
qualités requises, ou, dans tous les cas, de la continuité du
silence gardé par le propriétaire ou le créancier dont on mécon-
naît le droit, on conçoit que la dépossession de celui qui
prescrit a l'effet d'acquérir, la réclamation légalement formée
par le propriétaire ou le créancier, enfin la reconnaissance que
le débiteur ou le possesseur fait du droit de celui contre lequel
il prescrit, rendent inutile le temps qui a couru jusque-la.
Tous ces cas sont compris sous le nom d'interruption natu-
relle ou civile (1). V. art. 2242.
(1) La prescription à l'effet d'acquérir reposant sur la possession, elle doit con-
tinuer à courir tant que dure la possession. Dès lors, tout fait qui n'est pas de
nature à interrompre la possession ne peut évidemment interrompre le cours de
la prescription à l'effet d'acquérir. Mais la possession n'étant pas une condition de
470 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIY. III.
349 bis. L'article 2242 ne contient qu'une division que les arti-
cles suivants développent. Il y a deux sortes d'interruptions de la
prescription : l'interruption naturelle et \ interruption civile. La pre-
mière résulte de faits matériels qui portent atteinte à la possession
de celui qui prescrit, elle ne peut par conséquent se rencontrer
qu'en matière de prescription acquisitive, la seule qui exige la pos-
session. La seconde résulte d'actes juridiques impliquant ou une
protestation de celui contre qui la prescription s'accomplit, ou recon-
naissance du droit de celui-ci par l'autre partie.
De cette notion première des deux genres d'interruption, nous
pouvons tirer cette conséquence que l'interruption naturelle aura
un effet erga omnes, puisqu'elle suppose une défaillance dans la pos-
session, et que la possession est, erga omnes, la condition sine qua
non de la prescription acquisitive; tandis que l'interruption civile
ne profite pas aux personnes étrangères à l'acte interruptif, en vertu
de la règle res inter alios acta aliis neque nocet neque prodest.
350. L'interruption naturelle est particulière a la prescrip-
tion a l'effet d'acquérir; elle consiste dans la dépossession;
mais la possession se conservant solo animo, tant qu'un autre
ne s'est pas emparé de la chose qu'on cesse de détenir, il n'y
a interruption que lorsque la possession a été recouvrée par
le propriétaire ou prise par un tiers. En outre, la faculté qu'a
le possesseur annal de se faire maintenir ou réintégrer en
intentant dans l'année l'action possessoire (C. Pr., art. 23),
ne permet pas de considérer comme véritable dépossession
celle qui n'a pas duré une année. V. art. 2243.
350 bis. I. L'interruption naturelle consiste dans une cessation
temporaire de la possession; comme la possession doit être con-
tinue, elle perd ce caractère quand elle cesse de se manifester pen-
la prescription à l'effet de se libérer, l'interruption à l'égard de cette dernière doit
se régir par d'autres principes. Si le législateur s'était attaché à cette idée, qui
paraît fondamentale, peut-être eût-il moins généralisé les idées contenues en cette
section. Peut-être, par exemple, la signification d'un acte extrajudiciaire, insuffi-
sante, comme de raison, pour interrompre la prescription à l'effet d'acquérir,
aurait-elle été jugée capable d'interrompre la prescription à l'effet de se libérer;
peut-être la citation devant un juge incompétent, qui devait naturellement suffire
pour interrompre la prescription à l'effet de se libérer, n'aurait-el!e pas été égale-
ment déclarée interruptive de la prescription à l'effet d'acquérir. (Note de M. Db-
hantb.)
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2242, 2243. 471
dant un certain temps, et la prescription acquisitive devient impos-
sible jusqu'à ce que la possession recommence avec le caractère
de continuité.
Le Code, dans l'article qu'il consacre à l'interruption naturelle,
n'a en vue qu'une hypothèse, la seule qui se présente habituelle-
ment; il suppose que le possesseur a cessé de posséder parce qu'il
a été dépouillé de la possession par le fait d'autrui. Alors la
théorie de la prescription subit l'influence de la théorie sur les
actions possessoires. D'après l'article 23 du Code de procédure, le
possesseur dépouillé par le fait d'autrui jouit du délai d'un an pour
intenter l'action possessoire et se faire réintégrer, d'où il résulte
que pendant cette année il est considéré comme possesseur et qu'il
est nécessaire que l'usurpation ait duré une année sans réclamation
au possessoire pour que la prescription soit interrompue naturel-
lement.
350 bis. II. La possession qui, après avoir duré un an, interrompt
la prescription qu'accomplissait le précédent possesseur, est la pos-
session d'un tiers quelconque, il n'est pas nécessaire qu'elle résulte
des actes de celui contre qui courait la prescription (le Code l'ap-
pelle l'ancien propriétaire, il veut dire l'ancien possesseur, ou peut-
être le vrai propriétaire, celui que menaçait la prescription inter-
rompue). Quand la dépossession est le fait d'un étranger, le vrai
propriétaire peut néanmoins alléguer que la prescription a été inter-
rompue, puisque la possession de celui qui prescrivait a cessé pen-
dant une période de temps supérieure à un an.
350 bis. III. Nous l'avons dit plus haut, le Code n'a envisagé la
dépossession que dans l'hypothèse où un tiers aurait occupé l'im-
meuble, c'est dans ce cas seulement que l'action possessoire est pos-
sible, et le renvoi tacite que l'article fait aux règles sur cette action
montre clairement la pensée du législateur.
Il peut arriver toutefois qu'un possesseur cesse de posséder sans
être dépouillé par un tiers. Il aura, par exemple, abandonné la
volonté de posséder, abdiqué manifestement, il n'aura plus ïanimus
domini, donc il ne possédera plus. S'il se repent, s'il reprend pos-
session, il pourra certes prescrire, mais on ne devra pas faire entrer
dans le calcul de la durée de sa possession le temps de sa première
possession ; il y aura certes là une interruption naturelle qui n'aura
pas besoin de s'appuyer sur l'article 2243, mais qui sera la consé-
quence de l'article 2229; la possession n'aurait pas été continue si
472 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
l'on cherchait à réunir ses deui tronçons. Ce n'est pas le cas de
dire, avec M. Demante, que la possession s'était conservée animo
solo, puisque nous supposons en fait que Yanitnus manquait.
350 bis. IV. Cette hypothèse est certainement des plus rares,
parce qu'on ne verra guère un possesseur prendre la peine de dé-
clarer ou de manifester par des actes qu'il entend abdiquer sa pos-
session. Mais ce qu'on peut plus facilement supposer, c'est la négli-
gence d'un possesseur qui déserte son fonds, le laisse à l'abandon
sans qu'on puisse dire s'il a perdu vraiment Yanitnus dotnini. Si
personne ne s'étant emparé du fonds, il reprend la possession dans
l'année, il faudra bien dire qu'il ne l'avait pas perdue, puisqu'il
serait considéré comme possesseur continu alors même qu'un tiers
se serait emparé de la chose.
350 bis. V. Mais l'espèce se complique quand le possesseur a cessé
pendant plus d'un an de faire des actes de possession et que per-
sonne ne s'est emparé de la chose. Y a-t-il lieu, là encore, de
parler d'une possession conservée animo solo et d'admettre qu'il
est toujours possible à l'ancien possesseur de faire des actes de
maître, d'où il résulterait que sa possession a été exercée sans inter-
ruption? Ceci nous paraît une question de fait, il s'agira de chercher
si l'inaction de l'ancien possesseur indique l'abandon de Yanitnus
dotnini, ou si au contraire elle peut se concilier avec cet anitnus. Il
nous paraît certain que si l'abandon a duré très-longtemps, s'il
s'agit d'un bien qui aurait donné des fruits, au cas où il aurait été
cultivé, on pourra voir dans l'inertie de l'ancien possesseur la
preuve qu'il avait perdu l'esprit de propriété. Nous ne pouvons pas,
en l'absence de texte, fixer le délai après lequel cette abdication
serait présumée; d'anciens auteurs le fixaient arbitrairement à dix
ans (1), nous ne trouvons rien sur ce point dans le Code, il faudra que
les tribunaux tiennent compte des circonstances. Si en effet on
abusait de l'idée que la possession se conserve animo solo, on expo-
serait gravement le vrai propriétaire qui, ne voyant plus son fonds
possédé par l'ancien possesseur, ne ferait pas d'actes interruptifs et
perdrait peut-être sa propriété par prescription. Ce n'est pas du reste
en vue d'hypothèses semblables qu'on voit dans le droit romain
la formule possessio animo solo retinetur. Elle suppose au moins
que Yanimus existe, et elle a pour but d'établir que la possession
(1) V. Bélime, Traité du droit de possession, n° 103.
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2243, 2244. 473
subsiste, malgré l'appréhension faite de la chose par un autre pos-
sesseur, tant que l'ancien possesseur n'a pas eu connaissance de
cette appréhension (1).
350 bis. VI. Les principes que nous venons d'appliquer nous
conduisent à des résultats analogues, quand la possession de fait a
été entravée par des événements naturels de force majeure, lorsque
par exemple un fonds a été inondé pendant assez longtemps. On
peut dire que le possesseur n'a pas pour cela cessé de posséder,
car le défaut d'actes de maîtrise ne provient ni de sa volonté ni de
sa négligence, il n'a fait ni plus ni moins d'actes d'usage que le
propriétaire véritable n'en aurait fait; quant à sa volonté d'avoir
le fonds, on doit raisonnablement la supposer persistante, car il est
dans la nature des choses que, dépouillé accidentellement du
bien qu'il possédait, il regarde l'obstacle qui l'empêche de jouir
comme temporaire et qu'il conserve l'espoir de reprendre cette
jouissance quand l'obstacle aura cessé. C'est le cas où l'on peut
admettre qu'il conserve animo solo la possession, puisque personne
ne s'en est emparé. Le droit du propriétaire contre qui il prescrit
n'en souffrira pas, car ce propriétaire pourrait faire des actes d'in-
terruption civile de la prescription. Dira-t-on qu'il ne peut pas
connaître la possession, puisqu'elle ne se manifeste pas par des
faits? Il doit avoir connu ou pu connaître la possession antérieure
à l'inondation, puisqu'elle a dû être publique et non équivoque,
dès lors il n'est pas autorisé à soutenir que l'absence d'actes de
possession peut bien faire supposer l'abandon, puisque ces actes
sont impossibles, qu'ils ne pourraient pas être accomplis même par
lui, c'est à lui de comprendre que la possession est continuée solo
animo et à prendre des précautions en conséquence (2).
351. L'interruption civile est commune aux deux espèces
de prescription. La loi l'attache avec raison à l'interpellation
faite par le propriétaire ou le créancier, qui, ne pouvant se
faire justice lui-même, doit être réputé rentrer dans l'exercice
de son droit, du jour où il dirige légalement des poursuites à
cet effet. Mais remarquons qu'un simple acte extrajudiciaire
ne saurait être considéré comme le principe de l'exercice du
(1) V. Institut., I. IV, t. V, § 5, et M. Accarias, Précis du droit romain, t. I",
p. 515.
(2) V. Béïime, n° 104, Aubry et Rau, t. II, p. 76, édit. 1865.
474 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
droit, et ne produirait point conséquemment l'effet que la loi
attribue à une demande judiciaire, un commandement ou une
saisie. V. art. 2244.
351 bis. I. Nous avons dit que l'interruption civile résulte d'actes
juridiques; les articles 2244 à 2248 nous indiquent quels sont ces
actes. En général, ils émanent de celui contre qui court la prescrip-
tion, ce sont des affirmations de son droit et par conséquent comme
des protestations contre la prétention que l'adversaire pourrait avoir
à l'encontre de ce droit.
L'article 2244 présente, comme interruptifs de la prescription,
trois actes d'huissier signifiés à celui qui prescrit : la citation en
justice, le commandement, la saisie. Ce sont des manifestations
énergiques du droit prétendu, les seuls moyens légaux par lesquels
il puisse être exercé. Celui qui les emploie ne peut plus être consi-
déré comme ayant négligé d'user de son droit. Quant à l'adversaire,
il a dû nécessairement avoir connaissance de ces actes, puisqu'ils
lui ont été signifiés, et dès lors il ne peut pas alléguer qu'il a cru
que l'inaction du propriétaire ou du créancier cachait un abandon
du droit ou un aveu de son inexistence.
351 6m. II. Des trois actes énumérés, il en est deux qui semblent
se confondre, car le commandement est le préliminaire de la saisie,
et il paraît inutile de dire que la saisie interrompt une prescription
déjà interrompue par le commandement. La disposition de la loi
n'est cependant pas inutile, car le commandement précédant de
quelques jours la saisie, il peut être intéressant de constater que la
prescription, interrompue une première fois, a été interrompue à
nouveau par la saisie, et de prolonger ainsi la prescription, ne fût-
ce que de quelques jours. Une question de prescription, c'est-à-dire
de propriété ou de créance, peut quelquefois se débattre à propos
d'un jour ou deux en plus ou en moins.
Nous ferons de plus remarquer que certaines saisies peuvent
être faites sans commandement préalable, et qu'elles interrompront
la prescription, en vertu de l'article 2244; nous citerons la saisie-
arrêt, la saisie foraine, lasaisie-gagerie (art. 563, 822, 819, C. Pr.)(l).
351 bis. III. La citation, le commandement, la saisie, forment
l'interruption civile; ces expressions de l'article 2244 ne font pas
(1) L'acte que l'article 819 appelle commandement n'a pas les caractères qui
constituent légalement ce genre d'injonction. V. M. Colmet-Daâge, t. II, p. 197
et 493, édit. 1879.
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2244. 475
de distinction, et il semble que ces trois actes interrompent aussi
bien la prescription à fin d'acquérir que la prescription à fin de se
libérer. C'est la pensée du législateur, seulement il arrivera rare-
ment qu'une prescription acquisitive soit interrompue par un com-
mandement ou une saisie. Ces deux actes sont les armes ordinaires
des créanciers, et les propriétaires n'ont pas à s'en servir contre les
usurpateurs de leurs propriétés. La saisie ne répondrait pas au
vœu du propriétaire qui veut reprendre la possession de sa chose,
puisqu'elle mettrait cette chose sous la main de justice pour la
faire vendre; le commandement, préliminaire de la saisie, est inu-
tile si la saisie n'a pas d'utilité.
351 bis. IV. Ces observations ne valent toutefois que comme con-
statation de ce qui se produit ordinairement en fait, mais il peut
quelquefois arriver que les deux actes dont nous nous occupons
soient utiles à un propriétaire, et cela suffit pour justifier le Code
civil, qui n'a pas fait de distinction sur l'effet des trois actes qu'il
énumérait, par rapport aux deux espèces de prescription.
Ainsi, à la suite d'une action en revendication, le détenteur d'un
immeuble a été condamné à le restituer; s'il ne se soumet pas à la
condamnation, il faudra bien, pour procéder contre lui et l'expulser
manu militari, le mettre en demeure d'exécuter le jugement et par
conséquent lui faire commandement en vertu de ce jugement. Ce
commandement interrompra à nouveau la prescription, que la cita-
tion en justice avait une première fois interrompue. Le comman-
dement, il est vrai, n'apparaît dans le Code de Procédure qu'à pro-
pos des condamnations en matière de créance et des saisies, mais
il résulte d'une combinaison entre les dispositions du Code de
Procédure et du Code civil, sur un point spécial, que la formalité
du commandement n'est pas antipathique avec l'exercice d'un
droit réel. L'article 2061 du Code civil admettait que l'exécution
d'un jugement rendu au pétitoire pouvait être effectuée par voie
de contrainte par corps, et le Code de Procédure établissait d'une
façon générale, dans son article 780, que toute contrainte par corps
devait être précédée d'un commandement; ce qui prouve bien que
dans l'esprit des législateurs un commandement peut être fait en
vertu d'un jugement condamnant à abandonner un immeuble.
3ol bis. V. On a dit que la saisie peut aussi quelquefois mani-
fester la prétention d'un propriétaire et interrompre la prescrip-
tion acquisitive. C'est lorsqu'elle est pratiquée en vertu du juge-
476 COURS ANALYTIQUE DE GODE CIVIL. L1V. III.
ment sur l'action en revendication afin d'obtenir le paiement des
dommages et intérêts encourus pour refus d'obtempérer à l'in-
jonction de restituer. Nous croyons qu'elle n'aurait pas alors l'effet
d'interrompre la prescription acquisitive, car elle est l'exercice d'un
droit de créance et non du droit de propriété, et de plus cette
créance peut exister alors même que l'immeuble aurait été restitué,
car la partie a pu retarder longtemps cette restitution, et devoir
de ce chef des dommages et intérêts après même la restitution prin-
cipale opérée.
351 bis. VI. La citation en justice et le commandement sont des
actes qui s'accomplissent par la signification même qui en est faite
à la partie; il ne peut dès lors pas exister de difficulté sur le
moment où ils ont leur effet interruptif, c'est au moment où ils
sont faits, c'est-à-dire signifiés. Il en est autrement de la saisie,
opération qui, pour être complète, se compose de plusieurs actes
distincts, la saisie d'abord, la signification ensuite, de sorte qu'on
peut se demander si l'effet interruptif est attaché à la saisie elle-
même, pourvu qu'elle soit plus tard signifiée, ou seulement à la
signification de la saisie postérieure à la saisie elle-même. La pensée
de la loi nous paraît être que l'acte interruptif de prescription doit
être porté à la connaissance du débiteur pour qu'il produise son
effet. Elle veut une injonction énergique, menaçante, une contra-
diction, et non pas seulement une protestation déposée comme en
secret dans un acte ignoré du débiteur, comme serait par exemple
une protestation notariée ; il faut que celui contre qui l'on prescrit ait
connaissance de la prétention contraire. Or, il est certaines saisies,
la saisie-arrêt par exemple, ou la saisie foraine, qui s'accomplissent
par des actes n'atteignant aucunement le débiteur; il en est quel-
quefois de même de la saisie immobilière et aussi de la saisie-
exécution; faudrait -il distinguer entre ces diverses saisies et donner
à la saisie-exécution l'effet d'interrompre par elle-même la pres-
cription lorsqu'elle aura porté sur des meubles garnissant la rési-
dence habituelle du débiteur, en refusant cet effet à la saisie-
arrêt, parce qu'elle consiste en un acte signifié à une personne
étrangère, le tiers saisi ? Le Code ne fait pas ces distinctions, qui
seraient pourtant nécessaires, et il nous montre par là qu'aucune
saisie n'interrompra la prescription tant qu'elle n'aura pas été
signifiée; car s'il admettait la règle absolue en sens inverse, il con-
sacrerait, dans le cas de saisie-arrêt et d'autres semblables, un
T1T. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. ^244. 477
résultat injuste en pratique et contraire à l'ensemble de ses dispo-
sitions sur les interruptions civiles. La disposition de l'article 2244
doit donc être appliquée à la saisie comme elle l'est incontestable-
ment aux citations et aux commandements, elle veut dire que la
signification d'une citation, d'un commandement ou d'une saisie,
forme l'interruption civile (1).
351 bis. VII. On a tenté de soutenir que la signification d'un
transport de la créance interromprait la prescription qui courait en
faveur du cédé. Certes, la loi aurait pu le décider ainsi, car le ces-
sionnaire fait bien un acte d'exercice de droit de créance en
donnant au débiteur un avis d'où résultera la nullité des paiements
que pourrait faire le cédé au cédant, ou l'impossibilité des com-
pensations entre le cédé et le cédant. Cependant, l'acte n'implique
pas en lui-même une menace, une injonction d'exécuter l'obligation;
or, c'est seulement à des actes de cette nature que l'article 2244
confère l'effet interruptif ; il faut donc s'en tenir au texte, et comme
la signification dont nous parlons n'est ni une citation, ni un com-
mandement, ni une saisie, il faut dire qu'elle n'a pas d'influence
sur le cours de la prescription, solution du reste qui est sans
inconvénient pour le cessionnaire, car il est toujours maître d'ac-
compagner sa notification d'une citation en justice, puisque, pour
que la question soit posée, il faut que la créance soit échue, sinon
la prescription ne courrait pas encore et n'aurait pas besoin d'être
interrompue.
351 bis. VIII. Il est d'autres actes dont le caractère est également
douteux, parce qu'ils se rapprochent de ceux dont parle l'article
2244, sans cependant se confondre absolument avec eux. Nous ne
songeons pas au prétendu commandement fait en vertu de l'article
819 du Code de Procédure et qui tend à la saisie-gagerie. Nous
avons déjà dit incidemment qu'il n'est pas un commandement, puis-
qu'il n'est pas fait en vertu d'un titre exécutoire et qu'il ne tend
pas à une véritable exécution sur les meubles saisis; il faudra que
la saisie-gagerie soit convertie par jugement en saisie-exécution
pour que l'exécution même soit possible. Cet acte mal qualifié, qui
n'est au fond qu'une sommation, n'aura pas l'effet interruptif de
prescription (2).
(1)V. cependant Aubry et Rau, t. V, p. 316, édit. 1865. Dans notre sens,
C. C, 25 mars 1874. Sirey, 1875, I, 86.
(2) V. M. Colmet-Daâge, Procédure civile, t. II, p. 197. Édil. 1879.
478 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
351 bis. IX. Si nous n'admettons pas l'effet interruptif de l'acte
qualifié commandement par l'article 819, C. Pr., à l'inverse nous
attribuerons cet effet à un acte que le Code civil appelle une som-
mation. C'est l'acte prévu par l'article 2169 et qui, pour le créan-
cier hypothécaire, est le préliminaire indispensable de la saisie à
pratiquer sur un tiers détenteur. Ce n'est pas, et ce ne peut
être à proprement, un commandement, puisque le créancier n'a
pas de titre exécutoire contre le détenteur (1), mais au fond,
c'est la menace formelle d'une saisie, il rend en outre le déten-
teur comptable des fruits (art 2176). Il n'a donc pas le caractère
vague et indécis d'une sommation, il est le seul moyen immédia-
tement à la disposition du créancier contre le tiers détenteur, il
doit être assimilé au commandement qu'il remplace absolument
dans la procédure hypotbécaire (2), et par conséquent il interrompra
la prescription extinctive de l'hypothèque qui courait au profit du
tiers détenteur.
351 bis. X. Nous avons, avec intention, traité du commandement
et de la saisie avant de parler de la citation en justice, pour rappro-
cher, sur ce point, les explications à donner sur l'article 2244 de
celles qu'il faudra présenter sur les articles 2245, 2246 et 2247
qui complètent le système de la loi sur l'interruption par voie de
citation en justice.
La loi a entendu, par cette expression, toute injonction adressée
à une personne de comparaître devant un tribunal qui devra sta-
tuer sur un différend entre l'auteur de l'injonction et celui à qui
elle est adressée.
Le mot générique de citation est ordinairement employé à pro-
pos des procédures devant les juges de paix; devant les autres
juridictions, le même acte s'appelle assignation ou ajournement.
Mais il est clair que le Code civil a pris cette expression, et plus
tard le mot assignation dans un sens large, et que les règles qu'il
donne s'appliquent indifféremment en matière de procédure devant
les tribunaux d'arrondissement ou devant les juges de paix.
351 bis. XI. Il faut, dans un autre sens, élargir encore l'expres-
sion citation. Ordinairement, c'est un exploit introductif d'instance,
mais tout acte non introductif d'instance qui soumettra un certain
différend à un tribunal devra rentrer dans cette expression citation
(1) V. t. IX, n° 150 bis. I.
(2) V. t. IX, n» 165 bis. III, et C. C, 27 décembre 1854. Sirey, 1854, I, 113.
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART 2244. 479
puisqu'il mettra en demeure la partie de se défendre contre une
certaine prétention, ce qui est l'effet principal de la citation pro-
prement dite. Ainsi, les demandes incidentes, reconventionnelles
ou en intervention qui ne se forment pas par exploit d'ajournement,
mais par actes d'avoué à avoué, interrompront néanmoins la pres-
cription, car ce sont de véritables demandes en justice, et de plus
on peut dire qu'elles satisfont aux conditions de l'article 2244,
car elles sont signifiées, sinon à la partie elle-même, du moins
à son mandataire, c'est-à-dire à l'avoué qui la représente en
justice.
351 bis. XII. On fait rentrer aussi dans les citations interrompant
la prescription les demandes en collocation, soit dans une contri-
bution, soit dans un ordre. Nous admettons cette idée quand il
s'agit d'une contribution, nous la repoussons quand il s'agit d'un
ordre. Il ne suffit pas en effet, d'après l'article 2244, qu'un acte
soit une citation pour interrompre la prescription, il faut qu'il soit
signifié à la partie, c'est-à-dire porté officiellement à sa connais-
sance. Or, nous voyons bien dans la procédure de contribution que
la partie saisie, c'est-à-dire le débiteur, est officiellement avertie que
ses créanciers sont mis en demeure de produire et sommés de prendre
communication des pièces produites (art. 659, C. Pr.). Il y a là
quelque chose qui constitue une sorte de signification préventive
des demandes en collocation, et cela peut suffire, pour qu'elles inter-
rompent la prescription contre le débiteur.
Dans la procédure d'ordre, nous retrouvons bien un avertis-
sement donné à la partie saisie (art. 751, C. Pr.), mais cet avertis-
sement, qui n'est pas une signification, n'est que le préliminaire
de l'ordre amiable ; si l'on passe à l'ordre judiciaire, nous n'y
voyons pas que le débiteur soit averti par exploit, il est vrai
qu'après la confection de l'état de collocation une dénonciation est
faite à la partie saisie (art. 755, C. Pr.), mais cet état ne lui pré-
sentera pas la liste complète des demandes en collocation, et notam-
ment elle ne lui montrera pas ceux des créanciers qu'il a intérêt à
connaître, puisque n'étant pas colloques, ils ne seront pas payés et
que la question de la prescription ne s'élèvera qu'avec eux. De plus,
la partie saisie ne sera pas toujours le débiteur, car l'immeuble peut
avoir été saisi sur un tiers détenteur, et la notification qui sera faite
à celui-ci ne pourra pas compter pour une signification de la
demande en collocation au débiteur qui prescrit.
480 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
352. Quoique la citation en conciliation ne soit pas encore
une demande judiciaire, comme c'en est cependant le préa-
lable nécessaire, la loi a voulu qu'elle interrompît la prescrip-
tion, pourvu qu'elle fût suivie d'assignation dans les délais de
droit. V. art. 2245; C. pr., art. 57.
352 bis. I. La demande en justice doit être précédée, dans un
grand nombre d'hypothèses, d'une tentative de conciliation devant
le juge de paix. Donc, dans les affaires où ce préliminaire est exigé,
la citation en justice subira un retard nécessité par l'obligation
où se trouve le demandeur de citer son adversaire en conciliation.
Ce retard pourrait être préjudiciable à celui qui veut interrompre
une prescription, et en réalité le délai des prescriptions se trouverait
réduit du temps nécessaire pour citer en conciliation, y comparaître
et se procurer un procès-verbal de conciliation ou de non-comparu-
tion dont la copie doit être, à peine de nullité, donnée dans l'exploit
d'ajournement devant le tribunal (art. 65, C. Pr.). Voilà pourquoi
le Code civil donne à la citation en conciliation l'effet interruptif,
qui n'appartient en principe qu'à la citation en justice, et qui ne
devrait pas lui appartenir puisque le bureau de paix n'est pas un
tribunal. Seulement, comme cette force n'est attribuée à la citation
en conciliation qu'à raison de ce qu'elle escompte, en quelque
sorte, la citation en justice, elle ne lui est donnée qu'à la condition
qu'elle s'appuie, dans un bref délai, sur une véritable action devant
un véritable tribunal. Elle interrompt la prescription pourvu qu'elle
soit suivie d'une action en justice dans le mois, à dater du jour de
la non-comparution ou de la non-conciliation (art. 57, C. Pr.). Si le
délai courait du jour de la citation même, le temps accordé pour
intenter l'action se trouverait irrégulièrement réduit par les len-
teurs résultant de la nécessité de prendre un rang dans les affaires
quelquefois nombreuses qui encombrent les justices de paix.
352 bis. II. Le motif que nous assignons à la disposition des
articles 2245 C. C. et 57 C. Pr. , paraît en restreindre la portée
aux cas où la tentative d«> conciliation est imposée par la loi
(art. 48 et 49, C. Pr.). C'est dans ces cas seulement que la règle
légale a pour effet d'assurer au créancier ou au propriétaire l'in-
tégralité du délai pour exercer son droit. Dans les hypothèses où
l'action peut être intentée sans préliminaire de conciliation, il
dépend de la partie de ne pas perdre de temps dans cette tentative,
T1T. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2245. 481
et le dernier jour même du délai elle est maîtresse d'interrompre
la prescription par une citation en justice. On a cependant essayé
d'assimiler la citation en conciliation, dans le cas qui nous occupe,
à l'assignation devant un tribunal incompétent, sans prétendre, il est
vrai, qu'il y ait alors incompétence, puisque le bureau de paix n'est
pas un tribunal, mais en s'appuyant sur les motifs spéciaux qui
expliquent l'article 2246. Si cet article protège les particuliers contre
les erreurs excusables en matière de compétence, il pourrait venir
également au secours de ceux qui se tromperaient sur l'interpréta-
tion quelquefois difficile des articles 48 et 49 du Code de Procédure.
Cette raison ne nous paraît pas suffisante en l'absence d'un texte,
alors qu'il s'agit de l'interprétation d'un article qui est lui-même
une atténuation de la règle générale exigeant une citation en jus-
tice pour interrompre la prescription; il s'agit d'ailleurs d'un acte
dont celui qui l'a reçu a pu ne pas tenir compte, puisqu'il ne
pouvait même pas être contraint à y obtempérer sous peine
d'amende.
352 bis. III. Nous dirons de même que la comparution volontaire
de la partie devant le juge de paix en conciliation (art. 48, C. Pr.
in fine) ne vaut pas une citation et n'a pas l'effet interruptif ; car si
la partie ne peut pas nier qu'elle ait connu l'existence d'une pré-
tention contre elle, peut-être n'a-t-elle connu que très-imparfaitement
cette prétention, la discussion orale qu'elle a eue devant le juge de
paix ne l'ayant pas suffisamment éclairée; il est en effet possible
qu'entre deux contendants étrangers aux affaires judiciaires, la dis-
cussion se soit égarée, entremêlée de détails inutiles, de concessions
apparentes, qui ne seraient que des artifices de langage ou même
des propositions conditionnelles, et qu'au sortir du bureau de paix
la partie citée n'ait pas de souvenirs précis, qu'elle ne soit pas
certaine en tout cas que l'adversaire maintient sa prétention et
quelle prétention. Le procès-verbal de non- conciliation constate
sommairement que les parties n'ont pu s'accorder, il ne renseignera
ni la partie, ni plus tard le juge, sur le point de savoir si dans la
comparution amiable, le demandeur a pris nettement la position
d'un homme qui est résolu à intenter une action judiciaire, et s'il a
montré clairement quel était le droit qu'il prétendait exercer. Or,
l'interruption civile doit résulter d'une menace formelle, portant
d'une façon déterminée sur un droit spécial et non pas sur un droit
quelconque, sur une prétention in génère à déterminer plus tard.
vm. 31
482 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
353. H y a quelque difficulté à considérer comme un mode
de l'exercice du droit la citation devant un juge incompétent.
Cet acte, cependant, ne laissant à l'assigné aucun doute sur
la volonté du demandeur, suffit pour interrompre la prescrip-
tion. V. art. 2246.
353 bis. Il faut ajouter que les questions de compétence sont
quelquefois très-difficiles et très-controversées, que dans le cloute
sur le tribunal à saisir, le demandeur ne peut pas, par prudence,
assigner devant deux tribunaux, et qu'il serait injuste de le consi-
dérer comme n'ayant pas essayé de faire valoir son droit devant
la justice quand, en présence d'une jurisprudence peut-être
incertaine, il n'aurait pas su deviner en quel sens déciderait défi-
nitivement les tribunaux saisis de la question de compétence. Nous
considérons l'article 2246 comme accordant au demandeur une
sorte de restitutio in integrum fondée sur une erreur de droit très-
excusable.
354. Du reste, l'effet que la loi attribue a la demande est
nécessairement subordonné à l'événement du jugement qui
reconnaîtra le droit sur lequel on la fonde. Si donc la demande
est nulle, si elle est suivie de désistement, si on la laisse péri-
mer, ou si elle est rejelée, elle n'opère aucune interruption.
V. art. 2247.
354 bis. I. L'article indique quatre cas dans lesquels la citation
n'interrompt pas la prescription ; il faut les examiner successivement :
1° Nullité de la citation pour défaut de forme. L'acte nul ne peut
pas produire d'effets, donc il est non avenu au point de vue de
l'interruption de prescription. Celui qui l'a reçu a eu le droit de ne
pas le considérer comme un acte sérieux; bien plus, le vice qui l'en-
tache est peut-être l'absence d'une de ces formalités qui garantis-
saient que l'acte était bien remis à son destinataire, et dès lors il
serait injuste que celui-ci fût traité comme s'il avait certainement
reçu l'acte signifié. D'ailleurs, quel que soit le vice, il n'était pas
difficile de l'éviter, comme il est difficile de ne pas se tromper sur
une question de compétence; en choisissant un officier public soi-
gneux et expérimenté, la partie ne sera pas exposée à faire un
exploit nul en la forme. Donc elle n'a pas paru au législateur digne
de la restitutio in integrum qu'il a accordée au cas où l'assignation
est donnée devant un juge incompétent.
T1T. XX. DE LA PRESOMPTION. ART. 2246, 2247. 483
354 bis. II. Pour que l'article s'applique à la citation nulle en la
forme, il faudra que la nullité soit invoquée par la partie en temps
utile, c'est-à-dire avant toute défense ou exception autre que celle
d'incompétence (art. 173, G. Pr.), sinon la nullité de l'exploit serait
couverte, et la partie ne pourrait plus alléguer que cet exploit n'a
pas interrompu la prescription.
C'est dans ce sens qu'on peut dire que les nullités n'opèrent pas
de plein droit, et que l'interruption de prescription n'est réellement
considérée comme non avenue qu'autant que l'assignation a été
annulée (1). Mais il ne faudrait pas abuser de cette formule vraie,
dans le sens restreint que nous venons de lui donner, pour en con-
clure que la prescription reste momentanément interrompue, par la
citation nulle, ce qui pourrait faire croire que cette citation produit les
effets d'une suspension, pour ne reprendre qu'après l'annulation de la
citation. La vérité est que l'effet de la citation est en suspens, c'est
l'effet d'un acte soumis à une cause de résolution. Si la nullité est
couverte, la citation aura, dès le principe, produit son effet interrup-
tif; si elle est prononcée, l'acte sera réputé n'avoir jamais existé, et
la prescription aura dans le passé suivi son cours sans aucun
obstacle. Il en est de cette citation comme d'un contrat rescin-
dable qui produit des effets jusqu'à la rescision, mais qui, lorsqu'il
est rescindé, est censé n'avoir jamais existé, exactement comme
un contrat résoluble après l'arrivée de la condition résolutoire
(art. 2123).
35 i bis. III. 2°-3°. Désistement, péremption d'instance (art. 402
et 397, C. Pr.). Ces deux événements font considérer la demande
en justice comme non avenue, et par conséquent l'interruption de
prescription qui en était résultée est censée n'avoir pas eu lieu
(art. 403 et 401 C. Pr.). En principe, le désistement et la péremption
éteignent l'action, mais laissent subsister le droit dont cette action
était la mise en œuvre; par conséquent la partie pourrait former
une nouvelle demande et interrompre la prescription, pourvu tou-
tefois que le temps requis ne se fût pas écoulé avant cette nouvelle
demande, parce qu'alors la prescription s'étant accomplie sans être
interrompue, puisque la première interruption est sans effet, il
serait trop tard pour l'arrêter dans son cours.
354 bis. IV. 4° Demande rejetée. La citation ne produit pas Tinter-
(1) V. Aubry et Rau, t. V, p. 313. Édit. 1865.
31.
484 COCl.S ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. 111.
ruption de prescription quand le tribunal saisi a jugé la demande
mal fondée. Il est clair, en effet, que le sort d'une demande judi-
ciaire est subordonné à la décision du tribunal, et que, si elle inter-
rompt la prescription, ce n'est que par une sorte d'effet rétroactif
attribué au jugement qui admet le bien fondé de cette demande.
35 i bis. V. La disposition finale de l'article 2247 se justifie donc
parfaitement en ce qui concerne son motif; mais son utilité est
plus contestable, car si la demande est rejetée, le défendeur gagne
son procès, et il a pour lui un moyen bien supérieur à celui qu'il
tirerait de la prescription, il peut invoquer l'autorité de la chose
jugée. S'il a été décidé qu'il n'est pas débiteur, ou que le deman-
deur n'est pas propriétaire de la chose revendiquée par lui, la ques-
tion de prescription ne se posera plus, et il est indifférent que la
demande ait eu ou non un effet interruptif.
Il en sera ainsi dans un grand nombre d'hypothèses. Mais quel-
quefois la disposition du Code civil aura son application utile, car
il peut arriver que le jugement qui rejette la demande n'ait pas
statué sur le fond de la contestation, ou n'ait pas une force de
chose jugée à l'égard de tous ceux qui pourraient avec intérêt
invoquer la prescription.
354 bis. VI. Ainsi, la demande aura été rejetée par suite du
défaut du demandeur (art. 154, G. Pr.). C'est le défaut appelé
généralement le défaut congé. Beaucoup de jurisconsultes pensent
que le jugement, en pareil cas, ne déclare pas la demande mal
fondée, qu'il relaxe seulement le défendeur de l'assignation , remettant
les parties au même état où elles étaient avant l'ajournement. S'il
en est ainsi, ce n'est pas la chose jugée que le défendeur peut allé-
guer quand il est réassigné, mais c'est la prescription, si le temps
est écoulé; et alors il est intéressant de décider avec l'article 2247
que la demande n'a pas interrompu la prescription, elle n'a pas
plus d'effet que la demande périmée (1).
354 bis. VII. Dans d'autres hypothèses, la disposition de l'article
2247 sur la demande rejetée aura son intérêt à cause du caractère
relatif de l'autorité attribuée à la chose jugée. Mais ici les espèces,
ou quelques-unes au moins, sont aussi controversées.
Ainsi, l'article 2249 admet que la demande formée contre un
des codébiteurs d'une chose indivisible interrompt la prescription
(i) V. Boiiard et Colmet-Daàge, Procédure civile, t. I", p. 290. Édif. 187».
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2247. 485
à l'égard des autres débiteurs. Si cette demande est repoussée,
elle n'aura certes pas interrompu la prescription à l'égard des
codébiteurs qui n'étaient pas mis en cause, et cette décision leur
sera très-utile, car ils ne peuvent pas invoquer la chose jugée en
faveur de leur codébiteur; il n'y a pas entre eux le lien qui pourrait
les faire considérer comme se représentant mutuellement, ils sont
des tiers les uns par rapport aux autres; les jugements rendus par
rapport à i'un ne peuvent ni nuire ni profiter aux autres (1).
354 bis. VIII. On dira la même chose au cas de dette solidaire si
l'on pense que les codébiteurs solidaires tenus ensemble ne se re-
présentent pas les uns aux autres dans les instances judiciaires,
alors même qu'il s'agirait d'invoquer un jugement favorable. C'est
l'opinion que nous avons exposée (2); puisqu'il est constant qu'ils
ne se représentent pas pour perdre le procès, il ne nous paraît pas
possible d'admettre qu'ils se représentent pour le gagner. Dans cette
opinion, les codébiteurs solidaires nous fournissent un second cas,
dans lequel il est intéressant de décider que la prescription inter-
rompue par l'assignation est réputée non interrompue lorsque la
demande est rejetée, parce que les codébiteurs étrangers au procès
ne pourraient pas se défendre en invoquant la chose jugée.
Ceux qui pensent, au contraire, que les codébiteurs solidaires se
représentent les uns les autres dans les procès en vertu d'un man-
dat adminuendam obligationem rendent inutile, dans cette hypothèse,
l'application de l'article 2247.
354 bis. IX. Nous avons admis, par une raison spéciale, que les co-
créanciers solidaires peuvent profiter ou souffrir de la chose jugée au
profit de l'un d'eux ou contre l'un d'eux. Lors donc que le débiteur
sera poursuivi par le créancier qui a été étranger au procès, il pourra,
s'il a gagné son procès, repousser le demandeur sans invoquer la
prescription et le rejet de la demande qui l'avait interrompue (3).
Au contraire, un créancier de chose indivisible pourra agir mal-
gré le jugement rendu contre son cocréancier, mais il sera exposé
à ce qu'on allègue la prescription et qu'on invoque utilement la
règle de l'article 2247 pour détruire l'effet interruptif de la de-
mande formée par son cocréancier (4).
(1) V. t. V, n° 328 bit. XXVL
(2) V. t. V, n" 328 bis. XXV.
(3) V. t. V, n° 328 bis. XXVII.
(4) V. t. V, n8 328 bis. XXVIII.
480 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
355. Le possesseur qui reconnaît le droit d'aulrui cesse par
la même déposséder a titre de propriétaire. L'aveu du débiteur
n'est pas moins exclusif de toute supposition de libération-, il
est évident, d'après cela, que la prescription est interrompue
par la reconnaissance du débiteur ou du possesseur. V. art.
2248.
355 bis. I. L'article 2248 complète l'énumération des actes inter-
ruptifs de prescription en parlant d'une reconnaissance émanée du
débiteur on du possesseur, c'est-à-dire d'un fait impliquant que le
débiteur ou le possesseur considère comme existant le droit contre
lequel il prescrit.
Cette sorte d'aveu de l'existence du droit n'est assujettie par
la loi à aucune condition de forme, par conséquent elle peut être
expresse ou tacite. Expresse, elle sera prouvée par écrit ou par
témoins, conformément aux règles générales sur les preuves; tacite,
elle résultera de faits desquels on induira que leur auteur se con-
sidère comme débiteur ou comme simple possesseur. Pothier cite
les cas où un débiteur paie un acompte ou offre une caution (1).
En matière de prescription acquisitive, on pourrait citer le cas où
le possesseur aurait proposé à son adversaire de prendre à bail
l'immeuble possédé; nous ne songeons pas au cas où le bail avait
été fait, parce qu'alors il y aurait plus qu'une interruption (art.
2236).
Dans toutes ces hypothèses, on comprend que celui contre qui
courait la prescription n'ait pas fait un des actes judiciaires qui ont
la force interruptive, pourquoi citer en justice, faire un commande-
ment, une saisie, en vue de constater l'existence de son droit,
quand cette existence est avouée par l'adversaire? Celui-ci est plus
sûrement prévenu des prétentions de l'autre partie que s'il avait
reçu une signification par huissier, puisqu'il a fait un acte qui
implique non seulement qu'il a eu connaissance de la prétention,
mais qu'il la considère comme bien fondée. Telles sont les raisons
qui expliquent l'équivalence entre la reconnaissance et les actes
interruptifs énumérés dans l'article 2244.
355 bis. II. Le Code, qui n'a pas traité de la forme de la recon-
naissance, n'a pas parlé davantage de la capacité requise pour la
(1) V. Polhier, Obligations, n" 658.
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2248. 487
faire; sur ce second point comme sur le premier, il s'est évidemment
référé aux règles générales. Ce sont les principes sur la capacité
qui sont en jeu quand l'auteur de la reconnaissance est la partie
elle-même; quand ce n'est pas la partie, mais son représentant, il
s'agit des principes sur les pouvoirs des divers représentants des
incapables.
355 bis. III. Il y a lieu, pour trancher cette question, de l'examiner
sous ses deux faces, selon qu'il s'agit de la prescription acquisitive
ou de la prescription libératoire. Dans ce dernier cas, il existe un
certain nombre de faits qui sont certainement dans les limites de la
capacité ou des pouvoirs de quiconque a le droit d'administrer et
qui entraînent reconnaissance tacite de la dette : payer un acompte,
demander un délai, faire des offres réelles. Voilà des actes qu'un
mineur émancipé ou une femme séparée de biens peut faire, qui
sont également dans les pouvoirs d'un tuteur du mineur non
émancipé; l'administration est impossible si ces actes ne peuvent
pas s'accomplir; or, ils entraînent interruption de prescription en
thèse ordinaire, et l'on ne saurait leur enlever cet effet, dans les cas
que nous examinons, sans porter atteinte au droit du créancier qui
n'a pas pu soupçonner que son droit fût contesté. Si la recon-
naissance tacite rentre dans la capacité ou dans les pouvoirs de
ceux qui ont l'administration, comment leur refuser la possibilité
de faire la reconnaissance expresse? Elle est destinée, la plu-
part du temps, à éviter un commandement, une saisie, une citation
en justice, actes qui entraînent des frais et qui portent atteinte,
au moins le commandement et la saisie, au crédit et presque à la
considération du débiteur. Faut-il donc hésiter à donner à ceux
qui recevraient valablement des actes interruptifs de prescription
le droit de faire spontanément des actes ayant la même force inter-
ruptive et n'ayant au surplus que cette force?
355 bis. IV. Les derniers mots de notre phrase font, en effet, une
réserve fort importante : la reconnaissance interruptive de prescrip-
tion n'est pas toujours un acte récognitif valant preuve de l'obliga-
tion. La question d'existence de l'obligation peut rester intacte après
la reconnaissance, comme elle l'est après la citation en justice et le
commandement; le débiteur ne pourra pas se défendre en invoquant
une preseription pour laquelle il compterait le temps antérieur à
la reconnaissance, mais il peut invoquer l'inexistence de la dette
si la reconnaissance n'a pas été faite par une personne capable ou
488 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
ayant pouvoir, soit de créer l'obligation, soit de faire l'aveu propre-
ment dit. Il s'agira, par exemple, d'un mineur émancipé ou d'un
tuteur qui reconnaît l'existence d'un emprunt. Comme ni l'un ni
l'autre ne peut emprunter, l'acte récognitif n'est pas la preuve d'un
contrat d'emprunt valable, mais il a la force d'interrompre la pres-
cription en laissant douteuse la question de preuve et de validité
de l'acte primitif.
355 bis. V. Si l'on se place maintenant en présence d'une pres-
cription acquisitive et si l'on cherche qui a la capacité ou le pouvoir
de faire une reconnaissance interruptive de prescription, la question
demande une autre solution, parce que consentir à cette inter-
ruption, c'est renoncer au bénéfice d'unepossession qui a eu une
certaine durée, c'est consentir à être considéré comme n'ayant pas
possédé pendant un temps, où en réalité l'on possédait. Or, la pos-
session est un droit (1) qui est immobilier quand l'objet possédé est
un immeuble; renoncer aux résultats avantageux de ce droit, c'est
faire une renonciation au moins partielle au droit de possession
lui-même, d'où il résulte que pour faire cette renonciation, il faut
avoir le droit de renoncer au droit lui-même, c'est-à-dire d'en
disposer; d'où nous tirons cette conséquence que ceux qui sont
incapables ou qui n'ont pas le pouvoir de disposer des droits im-
mobiliers ne peuvent pas consentir une reconnaissance interruptive
de la prescription acquisitive en matière immobilière.
355 bis. VI. Ceux qui ne veulent pas considérer la possession
comme un droit sui generis arrivent au même résultat en disant que
ce que la loi protège, quand elle accorde des privilèges à la posses-
sion, c'est moins la possession elle-même que le droit probable de
propriété dont elle fait supposer l'existence (2). D'où il faut égale-
ment conclure que renoncer à se prévaloir de la possession qui a
duré un certain temps, c'est renoncer à une sorte de droit de
propriété conditionnelle, exposée, il est vrai, à des évictions, mais
qui deviendrait inattaquable après un certain temps, ce qui néces-
site la capacité ou le pouvoir d'aliéner la chose possédée.
355 bis. VII. La reconnaissance que fait le possesseur du droit
de celui contre qui il prescrit peut avoir quelquefois, en matière de
prescription acquisitive, un effet qui ne se bornera pas à une inter-
ruption de prescription. Il peut arriver, en effet, que la reconnais-
(1) V. Bélime, Possession, n°" 13 et 17.
(2) V. Aubry et Rau, t. V, p. 70. Édit. 1865.
T1T. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2248. 189
sance soit si formelle, qu'elle précise si nettement que le possesseur
détient à l'avenir pour autrui, qu'alors l'auteur de cette reconnais-
sance deviendra un détenteur précaire, et la prescription sera non
pas interrompue, mais impossible désormais; impossible même
erga omnes; car, nous l'avons dit, la précarité est un vice absolu.
Il est certain qu'on ne pourra pas refuser cet effet à la reconnais-
sance, quand elle contiendra par exemple cette mention que le dé-
tenteur conserve la chose comme locataire de l'autre partie, ou en
vertu de la tolérance de celle-ci. Mais la chose n'est pas aussi cer-
taine quand le possesseur aura déclaré simplement qu'il reconnaît
le droit de propriété de l'adversaire. Comme on peut prescrire
la chose dont on sait n'être pas propriétaire, cette reconnaissance
peut sous-entendre qu'on espère néanmoins arriver tôt ou tard à
la prescription, qu'on a tout simplement voulu éviter les frais
d'une citation en justice, mais qu'on entend être dans la même
situation que si l'on avait reçu cette citation. On ajoute à ces rai-
sonnements que la reconnaissance n'est pas le titre en vertu duquel
le possesseur possède; son titre est plus ancien, et il n'était pas pré-
caire ; enfin on complète l'argumentation en faisant remarquer que le
Code n'a envisagé la reconnaissance que comme un acte interruptif.
355 bis. VIII. Nous sommes cependant disposé à admettre que
dans l'hypothèse prévue, la prescription devient impossible. Mon-
trons d'abord que le possesseur peut bien avoir un titre vicieux.
Il possédait à titre de propriétaire, mais, de même qu'un possesseur
précaire peut intervertir son titre in melius par une contradiction
opposée au droit de propriétaire, de même un possesseur non précaire
peut l'intervertir in pejus par la reconnaissance du droit du pro-
priétaire. Conserver la chose, après avoir reconnu le droit d'au-
trui, n'est-ce pas se comporter en emprunteur ou en locataire, le
propriétaire peut-il interpréter autrement l'animus du possesseur,
ne suppose-t-il pas qu'on s'en remet à sa tolérance? Sinon pour-
quoi n'exigerait-il pas immédiatement la restitution de sa chose?
La possession est donc devenue précaire ou tout au moins équi-
voque, car le propriétaire a légitimement pu se tromper sur la
situation.
355 bis. IX. Ceci étant, l'argument tiré de ce que l'article 2248
place la reconnaissance parmi les actes interruptifs reste seul un
peu inquiétant, mais il faut remarquer que toutes les reconnais-
sances ne constitueront pas des changements dans Yanimus. Les
490
COUUS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
raisomiemenls que nous venons de faire supposent une recon-
naissance résultant d'une convention avec la partie contre qui l'on
prescrivait, c'est alors que, le caractère de l'acte dépendant de
l'intention des deux parties, il est nature! de croire que le prétendu
propriétaire qui laissait l'autre partie en possession ne lui faisait
cette concession qu'en échange d'une reconnaissance de précarité.
S'il faut entendre les actes d'après la commune intention des par-
ties, ne faut-il pas sous-entendre dans celui-ci la clause que nous
supposions tout à l'heure écrite dans une reconnaissance en vertu
de laquelle le détenteur conserve la détention comme locataire,
fermiep- ou emprunteur? Dans la réalité des faits, celui qui con-
serve la détention après avoir, dans un acte passé avec le proprié-
taire, reconnu le droit de celui-ci, ne détient plus que par la volonté
d'autrui et en quelque sorte sous son bon plaisir. Mais, il en serait
autrement d'une reconnaissance dans laquelle le propriétaire n'au-
rait pas été partie, par exemple d'une déclaration faite en justice
dans un procès avec un tiers (1). Si le possesseur d'un fonds,
actionné par un voisin en réparation du dommage causé par la
ruine d'un bâtiment (art. 1386), a repoussé l'action par une dé-
claration que l'immeuble n'était pas à lui et appartenait à Pierre,
cette déclaration interrompt la prescription, mais ne rend pas le
possesseur précaire, puisque, faite en dehors de Pierre, elle ne
peut pas impliquer, même par sous-entendu, une convention avec
lui, qui autoriserait le détenteur à conserver la chose à charge de
la restituer plus tard. Le même raisonnement s'appliquerait à la
reconnaissance contenue dans un inventaire après décès dans le-
quel le propriétaire n'aurait pas été partie, et à un certain nombre
d'hypothèses de reconnaissances tacites; par conséquent, nous
trouvons assez de reconnaissances ayant simplement l'effet inter-
ruptif pour expliquer comment l'article 2248 a pu parler des recon-
naissances faites par des possesseurs dans un article consacré à l'in-
terruption, tout en réservant tacitement l'application de règles
précédemment posées et qui donneraient à quelques reconnaissances
un effet plus énergique.
356. Il est conforme au principe de la solidarité que la
prescription interrompue contre l'un des débiteurs le soit par
(1) La doctrine et la jurisprudence admettent que la reconnaissance peut ré-
sulter d'actes passés avec des tiers. V. Aubry et Rau, t. V, p. 318, édit. 1865, et
les citations en note.
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2249-225!. 491
la même contre tous les autres (art. 1206). Cette règle doit
s'appliquer aux héritiers qui représentent la personne du dé-
biteur décédé. Mais si tous les héritiers collectivement sont
réputés débiteurs solidaires, comme Tétait leur auteur, il
n'existe pour cela aucune solidarité entre eux, et chacun n'est
solidaire avec les autres débiteurs que pour sa part héréditaire.
Il en est tout autrement en cas d'indivisibilité; car les effets
de l'indivisibilité existent aussi bien entre les héritiers du
même débiteur qu'entre plusieurs débiteurs d'une dette indi-
visible. Au reste, il est superflu d'ajouter que l'indivisibilité
de l'hypothèque ne rend pas indivisible la dette garantie par
cette hypothèque.
Cela posé, il est évident : 1° que, hors le cas d'indivisibilité,
l'interruption de la prescription a l'égard d'un des héritiers
du débiteur solidaire ne s'étend aucunement a ses cohéritiers-,
2° qu'elle ne s'applique aux autres codébiteurs que pour la
part de cet héritier. D'où il suit : 3° que, pour s'appliquer à la
totalité de la dette, l'interruption devrait comprendre tous les
cohéritiers. V. art. 2249.
356 bis. V. t. V, n» 140 bis et 161 bis. I.
357. Le même principe qui fait appliquer a tous les codé-
biteurs solidaires l'interruption de la prescription pratiquée
a l'égard de l'un d'eux, rend également applicable h la caution
l'interruption pratiquée contre le débiteur principal. V. art.
2250.
357 bis. V. ci-dessus, n° 267 bis. V-V1I.
SECTION II.
Des causes qui suspendent le cours de la prescription.
358. La prescription court contre toutes personnes; ce prin-
cipe n'admet d'autres exceptions que celles qui sont écrites
dans une loi. V. art. 2251. Les exceptions sont en général
fondées, sinon sur une entière impossibilité d'agir, de la part
du propriétaire ou du créancier, au moins sur les raisons par-
492 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. Ml.
ticulières qui ont dû arrêter son action. Elles peuvent aussi
avoir pour cause son incapacité d'aliéner.
358 bis. I. La suspension de la proscription, nous l'avons déjà
dit, arrête momentanément son cours, qui doit reprendre ou pour
mieux dire continuer lorsque la suspension aura cessé. Il résulte
de l'institution des suspensions que la prescription peut demander
beaucoup plus de temps qu'il ne le paraît au premier abord,
quand on lit dans l'article 2262 que toutes les actions s'éteignent
par l'expiration du laps de trente ans. Nul ne peut être sûr, après
trente ans écoulés, d'avoir accompli une prescription, puisqu'il peut
avoir existé une cause de suspension. C'est là une cause d'incerti-
tude sur les droits de propriété ou sur le chiffre des dettes dont les
patrimoines sont grevés. C'est aussi la source de contestations
fondées sur des causes trop anciennes pour que les tribunaux aient
les éléments nécessaires à la bonne administration de la justice.
Les suspensions de prescription fonctionnent donc en sens inverse
de la prescription elle-même; elles en paralysent les effets, si im-
portants au point de vue économique; partant elles ne doivent être
admises qu'à titre de très-rares exceptions, et c'est la pensée qui
apparaît dans l'article 2251 , dont le texte déclare très-nettement
qu'une suspension de prescription ne peut résulter que d'une
décision formelle de la loi.
358 bis. II. Exiger une exception établie par une loi, c'est re-
pousser comme règle générale une maxime dont on a fait autrefois
un certain abus et que le Gode n'a pas reproduite : la maxime
contra non valentem agere non currit prœscriptio. Il ne suffira pas
qu'un événement de force majeure ait empêché le propriétaire ou
le créancier d'agir pour que la prescription ne puisse pas lui être
opposée. Ce sera une inondation, une guerre, ou dans un autre
ordre d'idées, l'absence de la personne, son état d'aliénation mentale;
ces faits ou d'autres semblables ne doivent pas être pris en consi-
dération par les tribunaux, qui se trouveraient, il faut le dire,
avoir un pouvoir arbitraire sur les propriétés, s'ils pouvaient, sui-
vant les circonstances particulières de la cause, admettre ou re-
pousser une prescription après l'expiration du temps exigé.
358 bis. III. La maxime dont nous combattons l'application,
n'envisage la prescription que par son petit côté, si nous pouvons
nous exprimer ainsi, elle paraît ne la légitimer que par la suppo-
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2251, 2252. 493
sition d'un abandon du droit fondée sur l'inertie du propriétaire ou
du créancier; mais nous savons que la prescription se justifie par
des raisons supérieures d'intérêt social, et ces raisons ne perdent rien
de leur puissance, ni la prescription de son utilité, pour être opposée
à une personne que certaines circonstances ont empêchée d'agir.
Dans certaines conjonctures graves, le législateur est venu au
secours de ceux qui avaient été dans l'impossibilité d'interrompre
des prescriptions; mais il a procédé par mesures générales, évitant
ainsi l'arbitraire et la clandestinité qui résulteraient de l'application
judiciaire de la maxime contra non valentem agere. Cette interven-
tion accidentelle du législateur prouve d'ailleurs que la maxime est
en principe inapplicable (1).
359. Les mineurs non émancipés ne peuvent agir par eux-
mêmes; les émancipés sont au moins excusables de ne l'avoir
pas fait-, les uns et les autres sont généralement, et sauf le cas
de l'article 1314, restituables contre les aliénations faites par
eux ou en leur nom. C'est par ces motifs que la loi suspend à
leur égard le cours de la prescription. Cette règle est commune
aux interdits, qui sont assimilés aux mineurs (art. 509). Elle
reçoit, pour tous, exception dans certains cas délerminés par
la loi. V. art. 2252 ; et a ce sujet art. 2278, 1663, 1676; C.
Pr., art. 398, 444.
359 bis. I. La suspension de prescription établie par la loi en
faveur des mineurs et des interdits n'est pas, à proprement parler,
une application de la règle contra non valentem agere. Les mineurs
non émancipés et les interdits peuvent agir par les tuteurs qui les
représentent, le mineur émancipé peut agir par lui-même avec
l'assistance de son curateur, on abuserait donc de la maxime en la
leur appliquant; la décision de la loi a un autre fondement, c'est
une mesure protectrice, une resiitulio in integrum. L'incapable est
restitué contre le préjudice que lui cause la négligence de son
représentant ou la sienne propre, quand il est mineur émancipé.
Il n'y a pas d'autre raison à donner de la règle contenue dans l'ar-
ticle 2252, et il serait par conséquent imprudent d'y voir la consé-
cration même partielle de l'ancienne maxime.
(1) V. Décrets 9 septembre et 3 octobre 1870, et loi du 26 mai 1871, rendus à
l'occasion des événements de 1870-1871.
•494 coims analytique de code civil, liv. m,
359 bis. II. Quand l'article 2252 parle des interdits, il a certaine-
ment en vue l'interdit judiciairement, c'est-à-dire l'interdit pour
cause d'aliénation mentale, mais nous sommes amenés à donner la
même solution quant à l'interdit légalement; car lorsque le Code
pénal a établi dans les articles 29, 30 et 31, que les condamnés à
certaines peines seraient en état d'interdiction, il a, par l'emploi
qu'il a fait du mot interdiction sans autre explication, renvoyé
tacitement aux dispositions du Code civil qui régissent cet état. Les
causes de l'interdiction ne sont pas, il est vrai, identiques, puisque
dans un cas elle protège un malheureux et dans l'autre elle frappe
un coupable, mais ce n'est pas une raison pour distinguer, quant
aux effets, lorsque la loi n'a pas indiqué qu'elle voulait des distinc-
tions. On tomberait dans l'arbitraire, si l'on choisissait parmi les
effets de l'interdiction ceux qui sont produits par l'interdiction
légale. C'est la doctrine que M. Demante a admise au tome 1er, n° 72
bis. H, et au tome II, n° 274 bu. VI.
359 bis. III. La loi annonce une exception à sa règle sur la sus-
pension en faveur des mineurs et des interdits ; elle en fait sup-
poser quelques autres. L'exception indiquée résulte de l'article 2278.
Les courtes prescriptions énumérées dans les articles 2171-2177
ne sont pas suspendues pour cause de minorité ou d'interdiction.
Il s'agit dans ces articles de certaines prescriptions libératoires ; les
créances qu'elles doivent éteindre sont relativement de peu d'im-
portance, d'où cette conséquence que l'action en responsabilité
contre le tuteur sera ordinairement efficace, leur modicité même
explique assez facilement l'absence de preuve du paiement, soit
que le débiteur n'ait pas exigé de quittance, soit qu'il n'ait pas con-
servé longtemps la quittance reçue. Enfin, ces diverses créances sont
presque toutes des créances de revenus ou de salaires jouant le rôle
de revenus, et il n'est guère présumable que le créancier ou même
les représentants du créancier aient négligé de les recouvrer en
temps utile.
359 bis. IV. D'autres prescriptions sont soustraites par la loi à la
règle de l'article 2252. On doit citer entre autres la prescription de
l'action en rescision de la vente d'immeubles pour cause de lésion
(art. 1676J. Il ne faut pas parler de l'article 1663, car le délai du
réméré est un délai conventionnel, il s'applique non pas à l'exercice
proprement dit d'une action, mais à l'arrivée d'uue condition réso-
lutoire, et par conséquent il ne doit pas être plus soumis aux règles
HT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2252. 495
de la prescription que le délai auquel on aurait subordonné l'ar-
rivée d'une condition quelconque, comme : si tel navire revient
dans l'année, ou si je me marie dans six mois. Il est bien clair, du
reste, que le délai du réméré ne se prolongerait pas par des actes
interruptifs, donc il n'y avait pas à examiner quant à ce délai la
question de suspension.
359 bis. V. Nous dirons la même cbose des délais de procédure,
par exemple du délai de la péremption d'instance, et du délai
d'appel (art. 398 et 444, G. Pr.). Ce ne sont pas des délais de
prescription, car la prescription est un moyen d'acquérir ou de se
libérer, elle tend à acquérir soit une propriété, soit un droit réel,
ou à éteindre une obligation ou un droit réel. Les déchéances de
procédure ne produisent aucun de ses effets, et, alors même que la
loi ne s'est pas expliquée à leur égard comme elle le fait dans les
articles que nous venons de citer, il n'y a pas lieu de les soumettre
aux règles générales de la prescription. (V. par exemple art. 660 et
755, C. Pr. ; art. 2183 et 2185, G. C.)
359 bis. VI. Il y a d'autres hypothèses à l'égard desquelles il est
plus difficile de prendre un parti ; il faut les examiner successive-
ment, parce qu'il n'est pas possible de raisonner sur toutes en bloc
et de donner à toutes une solution commune appuyée sur des idées
générales que le texte ne do'.îs fournit pas.
Nous devons d'abord rappeler que nous avons examiné la question
à propos d'une certaine prescription, qui a de très-nombreuses
applications, la prescription des actions en nullité ou en rescision
(art. 1304); nous avons reconnu qu'elle constitue une véritable
prescription et qu'elle doit être soumise aux suspensions (1).
359 bis. VII. Nous verrons également une véritable prescription
dans les articles 316 et 317, qui parlent de l'action en désaveu de
paternité. L'expiration du temps, en effet, produit à l'égard de l'en-
fant l'effet de l'expiration du délai de dix ans au cas de rescision,
ou mieux, elle lui confère la propriété inattaquable de son état, elle
consolide sa possession comme la prescription acquisitive consolide
la situation du possesseur d'un bien, c'est une sorte de prescription
à fin d'acquérir. Qu'on ne dise pas que la brièveté du délai montre
ici chez le législateur la volonté d'assurer à tout prix et très-rapi-
dement la stabilité de l'état des personnes; l'article 317 prouverait
(1) V. t. V, n» 265 bis. 1II-V.
490 COUliS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
que le prétendu délai de deux mois peut très-bien laisser l'état
incertain pendant longues années, puisqu'il ne commence à courir,
contre les héritiers du mari, que du jour où l'enfant s'est posé en
contradicteur de leur droit. Si l'enfant n'est pas en lutte avec les
héritiers du mari, mais avec le mari lui-même, il sera rare que la
question de suspension de prescription se pose, car il faudra que
le mari soit mineur ou interdit; s'il est mineur, ce ne sera pas long-
temps, car il avait au moins dix-huit ans quand il s'est marié, la sus-
pension ne prolongera donc pas indéfiniment l'incertitude. S'il est
interdit, son état peut durer bien longtemps, il est vrai, mais n'est-il
pas nécessaire que le droit de désaveu ne soit pas perdu par l'indiffé-
rence d'un tuteur ou son ignorance des faits intimes sur lesquels
s'appuierait un désaveu? ne faut-il pas réserver ce droit pour le
cas où l'interdit recouvrerait la raison?
359 bis. VIII. Dans les articles 809 et 886, on rencontre encore
deux véritables prescriptions, le premier article donne aux créan-
ciers d'une succession un recours contre les légataires payés à leur
détriment, ce recours est une sorte de condictio sine causa, par excep-
tion le recours se perd au bout de trois ans; il y a là une réduction
de la prescription ordinaire qui devrait durer trente ans; mais pour
être réduite, la prescription ne change pas de nature et par consé-
quent elle doit, à moins de disposition légale contraire, être soumise
aux règles qui régissent la prescription en général. Sur l'article
886, il y a lieu de faire la même observation et le même raison-
nement, l'action est une action en garantie, sa durée est réduite à
cinq ans, mais il n'y en a pas moins là une prescription libératoire
que la loi ne soustrait pas à la règle sur les suspensions.
359 bis. IX. L'article 957, qui traite de la révocation des donations
pour cause d'ingratitude, limite à une année la durée de l'action;
ce qui, nous l'avons dit à propos des hypothèses précédentes, ne
change pas la cause d'extinction de l'action; l'expiration du délai
produit au bénéfice du donataire un effet libératoire; nous sommes
en présence d'une prescription. On ne saurait objecter que la dona-
tion se trouve validée par un pardon que la loi présume après un an.
Cette présomption manque complètement de base dans les cas de
suspension, car les faits sur lesquels s'appuient les suspensions
ôtent toute valeur à la prétendue volonté de pardonner. Si le dona-
teur est interdit, s'il est mineur (il faut alors supposer la donation
faite par contrat de mariage), sa volonté est évidemment impuis-
T1T. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2252. 197
saute, et s'il est le conjoint du donataire, il est difficile d'admettre
qu'incapable de faire une donation irrévocable (art. 1096), il puisse
renoncer irrévocablement à l'action en révocation d'une donation.
Si l'extinction par le temps de l'action en révocation pour cause
d'ingratitude est une véritable prescription quand l'action appartient
au donateur, on doit reconnaître à fortiori qu'elle a le même carac-
tère quand l'action appartient aux héritiers du donateur (art. 957
et 1047).
359 bis. X. L'article 1622 du Gode civil soulève la même diffi-
culté; la loi, en fixant aux actions qu'elle vient d'attribuer soit au
vendeur, soit à l'acheteur, la durée d'un an, a-t-elle sous-entendu
que ce délai ne serait pas prolongé par les suspensions? Pour qu'il
en fût ainsi, dans le système que nous avons adopté, il faudrait
que l'article 1622 ne consacrât pas une véritable prescription. Or,
dès qu'on examine les hypothèses auxquelles se rapporte l'article
1622, il apparaît que les actions dont il s'agit sont des actions en
rescision, fondées soit sur l'erreur, soit sur la lésion. En effet, dans
les articles 1617-1621, dont l'article 1622 n'est que le complément,
on suppose la vente d'un terrain dont la mesure a été indiquée et
qui en réalité a une contenance inférieure ou supérieure à cette
mesure. De cette circonstance résulte, soit pour l'une, soit pour
l'autre des parties, le droit de demander une modification dans le
prix, quelquefois même celui de se désister du contrat. Or, l'action
qui a raison de faits contemporains de la formation d'un contrat,
tend à le détruire ou à en changer les conditions, est une action
en nullité ou en rescision. L'article 1622 la qualifie inexactement
d'action en résiliation, car la résolution ou résiliation a toujours
pour cause un événement postérieur à la formation du contrat. Si
l'action dont nous parlons est une action en rescision, la prescrip-
tion qui pourrait l'éteindre est exposée aux causes de suspension,
ainsi que nous l'avons dit à propos de l'article 1304.
359 bis. XI. On pourrait se croire obligé par la logique à donner
la même décision en ce qui concerne l'article 1854, qui paraîtrait
facilement contenir une extension de la rescision pour lésion. Mais
nous croyons que cette disposition a un caractère tout particulier;
il n'établit pas un cas de nullité, il consacre une condition résolu-
toire tacite (1); cette condition consiste en ce que le règlement des
(1) V. ci-dessus, ne 37,
vin. 32
498 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
parts de chaque associé sera évidemment contraire à l'équité, iVn-
dence devant être démontrée par une réclamation presque immé-
diate (dans les trois mois). Le délai est donc assigné par la conven-
tion des parties à l'événement môme qui résoudra le contrat; par-
tant ce n'est pas un délai de prescription.
359 bis. XII. Restent deux articles du Gode civil que nous
mettrons, par des raisons diverses, hors de la sphère d'action des
causes de suspension.
D'abord l'article 559, qui envisage le cas où une partie reconnais-
sable d'un champ qui borde un cours d'eau est portée vers un autre
champ, et qui donne au propriétaire un an seulement pour récla-
mer la partie enlevée de son champ, à moins que l'autre riverain
n'en ait point encore pris possession. M. Demante a exposé qu'il
n'y a là ni une prescription à fin de se libérer, ni une prescription afin
d'acquérir (1) ; on peut donc y voir une décision particulière ne se
rattachant pas à des principes, et par conséquent ne devant pas
être soumise à toutes les conséquences qui dériveraient de ces prin-
cipes. Il nous semble que l'article 559 n'est autre chose qu'une
traduction pratique du § 21 aux Instiiutes, liv. II, t. 1er, l'acquisi-
tion par le riverain y était subordonnée à l'adhérence survenue
entre les deux terrains (si longiore tempore fundo vicini hœseril); or,
le moment où cette adhérence se produit est difficile à déterminer,
la fixation du temps (longius tempus) est tout arbitraire, c'est cet
arbitraire que le Gode a voulu supprimer; il a conservé l'idée des
Instiiutes, mais, pour éviter les difficultés, il a présumé qu'il fallait
un an et pas davantage pour que l'adhérence des deux portions de
champs fût consommée. Ainsi entendu, l'article échappe tout à fait
à la théorie des suspensions de prescription.
359 bis. XIII. Des motifs tout à fait juridiques conduisent à tran-
cher, dans le même sens, la discussion possible sur l'article 880. Le
droit de demander la séparation des patrimoines se prescrit, quant
aux meubles, par le laps de trois ans. Nous disons que le mot pres-
crit est impropre. Il ne peut, bien entendu, pas être question d'une
prescription à fin d'acquérir, ce n'est pas non plus une prescription
à fin de se libérer, puisque l'héritier débiteur est indifférent à la sépa-
ration des patrimoines et qu'il reste obligé envers les créanciers
héréditaires, alors que ceux-ci n'ont plus le droit de demander la
(1) V. t. II, n° 395 *m. II.
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2252. 499
séparation; les créanciers de l'héritier contre qui existe le droit de
séparation ne sont pas non plus libérés par l'expiration du délai
de trois ans, puisqu'ils n'étaient pas débiteurs. Tout le résultat pro-
duit par l'expiration du délai, c'est la perte d'un droit de préférence
sur les meubles, perte qui est la conséquence de l'inaccomplissement
d'une formalité. Ii arrive aux créanciers héréditaires ce qui arrive
à des créanciers hypothécaires qui ne se sont pas inscrits en temps
utile, ils perdent leur droit de préférence ; mais les délais imposés
aux parties pour conserver leurs droits de préférence n'ont jamais
été traités comme des délais de prescription, et ils ne sont pas pro-
longés par des suspensions. En vain dirait-on que l'article 880 con-
sacre une prescription comme l'article 2180 en matière d'hypo-
thèque; aucune analogie ne peut être constatée entre les deux
espèces, car l'hypothèque n'est prescriptible que quand l'immeuble
a été aliéné, et les meubles sont nécessairement restés dans la suc-
cession pour qu'il y ait lieu d'appliquer l'article 880.
359 bis. XIV. On voit, par les discussions qui précèdent, que nous
soumettons aux suspensions tous les délais qui nous paraissent avoir
le caractère de délais de prescription, quelqu3 courts qu'ils soient.
Nous nous croyons liés par les articles 2252 et 2253, qui ne font pas
de distinction, et nous ne voyons pas qu'il soit possible à l'interprète
de sortir des termes de ces articles, à moins d'une exception for-
melle de la loi. Ce n'est pas, d'ailleurs, dans l'article 2278 qu'on
trouverait cette exception, car cet article ne dit pas que les courtes
prescriptions sont en général soustraites aux suspensions. Il précise
au contraire, et d'une façon restreinte il limite son effet aux pres-
criptions dont il s'agit dans la section dont il fait partie (art. 2271-
2277). Nous avons expliqué les raisons qui justifient l'article 2278
dans les cas que le législateur a visés, elles ont un caractère tout
à fait spécial au genre de créances dont il s'agit, et dès lors il nous
paraît téméraire d'étendre par analogie l'effet de l'article 2278.
359 bis. XV. Nous avons raisonné jusqu'à présent sur des dis-
positions du Gode civil; si nous songeons aux prescriptions établies
par le Gode de commerce, nous ne croyons pas qu'il faille les sou-
mettre, dans le silence de la loi, aux règles des articles 2252 et
2253. Certes, les principes généraux du Code civil dominent le droit
commercial, mais le droit commercial a son esprit propre, ses néces-
sités particulières, et de cet esprit ou de ces nécessités on peut in-
duire des exceptions à certaines règles de droit civil, surtout quand
32.
500 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
ces règles ont, même dans le droit civil, un caractère exceptionnel.
Nous songeons particulièrement aux prescriptions consacrées par
les articles 64, 108, 169 du Code de commerce. Nous pensons
qu'elles ne doivent être suspendues, ni pour cause de minorité ou
d'interdiction, ni pour cause de mariage entre les parties. Nous
n'appuyons pas notre décision sur un argument tiré de l'article
2278, parce qu'il faut alors dénaturer la formule de cet article et le
lire comme s'il exprimait d'une façon générale que la suspension
pour minorité ne s'applique pas aux courtes prescriptions (1). Nous
avons montré plus haut que ce texte ne vise pas d'autres prescrip-
tions que celles qui résultent des articles 2271-2277. Nous ne disons
pas non plus, avec un auteur, que le texte des différents articles
du Code de commerce exprime formellement la dispense de sus-
pension, puisqu'il y est toujours dit que toutes les actions se pres-
crivent par tel ou tel délai, sans distinguer si ces actions appar-
tiennent à des majeurs ou à des mineurs (2). C'est la formule
même de l'article 2262 du Code civil, qui réserve certainement
l'application des articles 2252 et 2253. Il faut donc renoncer à
établir, par des arguments de texte, que les courtes prescriptions
commerciales échappent aux causes de suspension, mais il est cer-
tain que l'esprit général de droit commercial impose cette solution.
Le commerce veut avant tout des situations nettes, aucune incerti-
tude sur l'état des patrimoines; par conséquent une liquidation
rapide des affaires embarrassées; ce sont là des nécessités d'intérêt
social, puisque du mouvement commercial dépend la richesse du
pays, l'accroissement de la production, et, avec la facilité de la con-
sommation, le bien-être des consommateurs, c'est-à-dire de tous. Si
tel est l'esprit du droit commercial, ne doit-on pas interpréter le
silence du Code de commerce sur les suspensions de prescription
comme une condamnation de ces suspensions? Que nous n'interpré-
tions pas ainsi le silence du Code civil qui a établi ces suspensions,
rien de plus naturel; mais dans un autre Code, rédigé par d'autres
hommes, dans des vues et en présence de besoins tout différents,
on peut, sans être inconséquent, ne pas être aussi exigeant sur la
nécessité d'un texte dérogeant aux articles 2252 et 2253.
Les rédacteurs du Code de commerce l'ont peut-être compris
(1 ) V. M. Boislel, Précis de droit commercial, p. 273 et 574. 2e édit.
(2) V. Massé, Droit commercial dans ses rapports avec le droit des gens et le droit
civil, t. III, n, 409.
T1T. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2252, 2253. 501
ainsi, car, malgré une observation de Cambacérès, qui demandait
que l'article 189 rappelât l'article 2252, ils ont laissé subsister le
texte du projet dans sa généralité primitive, ce qui paraît bien être
la condamnation de l'opinion manifestée par Cambacérès.
360. Les rapports qui existent entre les conjoints et leur
incapacité réciproque de s'avantager irrévocablement, écartent
nécessairement les inductions que l'on pourrait tirer de la
possession de l'un on du silence de l'autre, pour fonder une
prescription. Aussi la prescription ne court-elle pas entre
époux. V. art. 2253; et a ce sujet art. 2278, 1663, 1676-,
C. Pr., art. 398, 444.
360 lis. I. Nous sommes habitués à voir le Code civil accordant
aux femmes mariées les mêmes avantages qu'aux mineurs. Il n'en
est point ainsi en matière de prescription. La prescription court
contre les femmes mariées majeures et non interdites. La femme, en
effet, n'a pas besoin d'une grande expérience des affaires pour savoir
qu'il faut exercer ses droits afin de ne pas les laisser périr, elle
est de plus assistée quelquefois et toujours conseillée par son mari,
en sorte que ses droits sont protégés par une double vigilance.
Elle n'avait pas besoin d'une protection spéciale, qui, eu égard au
nombre et à la durée des mariages, eût prolongé indéfiniment beau-
coup de prescriptions au détriment du crédit public intéressé à la
stabilité des propriétés et à la sécurité des patrimoines.
360 bis. IL Le mariage d'un propriétaire ou d'un créancier n'est
cependant pas sans influence sur les règles de la prescription dans
trois positions différentes prévues et réglées par les articles 2253,
2255, 2256.
La loi formule ainsi sa première règle : la prescription ne court
point entre époux, c'est-à-dire que le mari ne peut pas prescrire
contre sa femme, mais aussi que la femme ne peut pas prescrire
contre le mari. Le bénéfice de la suspension de prescription, dans
l'hypothèse prévue, appartient aussi bien à l'homme marié qu'à la
femme mariée.
Ce que la loi suppose, c'est que l'un des époux est créancier de
l'autre, ou possesseur d'un bien appartenant à l'autre ; tant que dure
le mariage, l'époux débiteur ne peut se libérer par prescription et
l'époux possesseur ne peut acquérir par prescription le bien de son
conjoint.
.r)02 COUHS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
Puisque cette suspension de prescription existe aussi liien dans
l'intérêt du mari que dans celui de la femme, il ne faut pas lui assi-
gner les motifs qui justifient les mesures de protection prises ordi-
nairement dans l'intérêt des femmes mariées. La raison d'être de la
règle se trouve dans les relations qui existent entre le possesseur et
le propriétaire ou entre le débiteur et le créancier. Si, pour éviter
la perte de son droit par prescription, le propriétaire ou le créancier
devait interrompre régulièrement la prescription, il faudrait qu'il
employât contre son conjoint des moyens presque rigoureux, une
citation en justice, un commandement, une saisie, ce qui ne laisserait
pas de créer souvent des germes de mésintelligence entre les époux.
Encore supposons-nous que ce propriétaire ou ce créancier songe à
exercer ses droits, tandis que bien souvent, à cause de la commu-
nauté d'intérêts, qui est le résultat de la vie commune, quel que soit
d'ailleurs le régime matrimonial, l'époux ne songerait pas qu'il put
y avoir lieu à invoquer les droits qu'il a contre son conjoint. Puis
la loi redoute les avantages indirects, les libéralités irrévocables
entre époux, et la prescription offrirait quelquefois un moyen com-
mode de réaliser une de ces libéralités.
361. La femme mariée est en général capable d'aliéner,
avec le concours de son mari-, d'un autre côté, elle peut agir
pour interrompre la prescription, soit par elle-même en se
faisant dûment autoriser, soit par le ministère de son mari,
maître de ses actions. Elle n'est point d'ailleurs restituable
contre le fait ou la négligence de celui-ci, comme le mineur
l'est, selon nous, contre la négligence ou le fait de son
tuteur (1). 11 n'y avait donc aucune raison pour suspendre en
sa faveur le cours de la prescription, soit qu'étant séparée
de biens, elle administre elle-même, soit que l'administra-
tion appartienne a son mari. Il sulfit, dans ce dernier cas, de
lui réserver son recours contre son mari. V. art. 2254, et à
ce sujet art. 1428 et 1562.
36i bis. I. Le recours réservé contre le mari pour le cas où il a
l'administration des biens de la femme, n'appartient toutefois à
(1) M. Bkmaxte fait ici allusion à une ihéorie sur les aetes des tuteurs qu'il a
eiposée au t. V, n°s 2G9 et 270, et que nous avons comballue dans le même volume,
n° 270 bis. XI-XX.
T1T. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2254. o03
celle-ci que sous certaines distinctions qui nous reporteraient dans
la matière du contrat de mariage. Rappelons seulement que, sous
le régime de la communauté, le mari, ayant les actions personnelles
mobilières, sera responsable de la prescription accomplie au profit
d'un débiteur de la femme, mais que, comme il n'a pas les actions
pétitoires immobilières, on ne peut lui imputer la prescription
acquisitive accomplie par un possesseur, à moins qu'il n'eût négligé,
soit d'intenter l'action possessoire quand il a eu le droit de le faire,
soit au moins de prévenir la femme par une dénonciation des usur-
pations commises sur son fonds (1) (art. 614). Les règles seraient
les mêmes sous le régime sans communauté; sous le régime dotal
la responsabilité du mari serait d'autant plus lourde qu'il a les
actions pétitoires immobilières, mais elle serait allégée par la règle
sur l'imprescriptibilité de l'immeuble dotal qui restreindrait l'obli-
gation du mari aux cas exceptionnels où cette imprescriptibilité
n'existe pas (2).
361 bis. il. La responsabilité du mari, qui peut être ou devenir
insolvable, ne garantira pas toujours la femme d'une manière
efficace. Aussi pourrait-elle trouver un intérêt à interrompre elle-
même la prescription avec l'autorisation de justice, si le mari, par
négligence ou mauvaise volonté, s'abstient de faire les actes néces-
saires. Elle aura certainement le droit de procéder ainsi sous les
régimes de communauté et sans communauté, quand il s'agira
d'interrompre une prescription acquisitive en matière immobilière,
puisque le mari n'a pas l'exercice des actions immobilières, ce qui
implique que cet exercice appartient à la femme. Sous les mêmes
régimes, nous reconnaîtrons encore à la femme le droit d'inter-
rompre les prescriptions libératoires ou acquisitives en matière de
meubles, parce que l'attribution au mari des actions personnelles
et mobilières n'a pas un caractère exclusif d'un droit pareil en la
personne de la femme. Celle-ci, étant créancière ou propriétaire,
doit, à moins d'un texte contraire qui n'existe pas, conserver les
actions qui sanctionnent ses droits malgré le mandat émané d'elle,
qui permet au mari de les exercer. En principe, il y a concours
entre le mandant et le mandataire pour l'exercice des actions.
361 bis. III. Si nous nous plaçons au contraire dans l'hypothèse
du régime dotal, nous refuserons à la femme le droit d'interrompre
(1) V. t. VI, n°71 bis. VI et VII.
(2) V. t. VI, n° 221 bis. III et V, et n° 233 bis. I-IV.
501 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. .IV. III.
la prescription à défaut de son mari, parce que l'article 1549, en
déclarant que le mari a seul le droit de poursuivre les débiteurs et
détenteurs de la dot, a manifestement dépouillé la femme de
l'exercice de toutes ses actions et ne lui a laissé d'autre ressource
que la séparation de biens motivée sur le péril que la prescription
prochaine fait courir à sa dot (1).
362. Les principes particuliers au régime dotal font excep-
tion a la règle ci-dessus, s'il s'agit d'immeubles constitués en
dot et frappés d'inaliénabililé. La prescription alors ne court
pas pendant le mariage. Au reste, celle proposition, bornée
ici au cas d'aliénation, semble n'embrasser dans ses termes
que la prescription de l'action l'évocatoire autorisée par l'ar-
ticle 1560. D'autre part, cependant, la loi renvoie a l'article
1561 , qui, comprenant dans sa généralité les divers cas de
prescription, déclare bien en principe l'immeuble dotal im-
prescriptible pendant le mariage, mais pourtant ne suspend
pas le cours de la prescription commencée auparavant, et
déclare en outre l'immeuble prescriptible après la séparation
de biens. V. art. 2255, et a ce sujet articles 1560 et 1561.
362 6m. I. Nous avons exposé longuement, au titre du contrat
de mariage, les règles sur l'imprescriptibilité des biens dotaux sous
le régime dotal. Nous avons montré que les articles 1560 et 1561
embrassent plusieurs hypothèses distinctes. L'article 1560 suppose
d'abord que la femme, le mari, ou tous les deux conjointement,
ont tenté d'aliéner l'immeuble dotal; l'article 1561 suppose ensuite
que l'immeuble dotal est possédé par une personne qui ne le tient
pas des époux, soit qu'elle l'ait usurpé, soit qu'elle l'ait acquis d'un
étranger. Nous avons montré que la nature de la prescription
varie, suivant les hypothèses; dans le cas de l'article 1561, c'est
une prescription acquisitive, et dans le cas ou dans la plupart des
cas indiqués par l'article 1560, c'est une prescription de l'action
en nullité ou en rescision fondée sur l'inaliénabilité de l'immeuble.
De là des différences quant aux conditions de ces prescriptions.
362 bis. II. L'article 2255 n'entre pas dans des détails sur les
différentes hypothèses dans lesquelles peut se présenter la question
de prescription de l'immeuble dotal. Il nous a paru, et nous avons
(1) V. t. VI, n° 221 bis. V.
TIT. SX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2255, 2256. fïOo
dit au tome VI que cet article n'a pas d'autre portée que celle d'un
renvoi. Il se réfère à ce qui a été dit au titre du contrat de
mariage sur l'imprescriptibilité. Il est vrai qu'il semble viser seule-
ment le cas prévu par l'article 1560, puisqu'il spécialise sa disposi-
tion en indiquant que la prescription ne court point à l'égard de
l'aliénation d'un fonds constitué selon le régime dotal; mais alors
môme que les rédacteurs de l'article 2255 n'auraient songé qu'à
cette hypothèse, ils n'ont certes pas rétracté la règle générale con-
tenue dans l'article 1561, et il faut bien comprendre dans l'énumé-
ration des causes de suspension le caractère dotal de l'immeuble,
en dehors même du cas où il a été aliéné par les époux eux-mêmes.
362 bis. III. D'ailleurs, en indiquant l'espèce prévue par l'article
1560, la loi renvoie expressément à l'article 1561, qui statue sur
l'autre espèce, et nous eu avons conclu que sa pensée était tout
simplement de s'en référer aux règles précédemment exposées sur
l'imprescriptibilité de l'immeuble dotal ^1 |.
Reste une difficulté; le rapprochement qui se fait dans l'article
2255 entre l'hypothèse prévue par l'article 1560 et la disposition
de l'article 1561 ne doit-il pas être interprété comme manifestant
la volonté d'appliquer au cas d'aliénation par les époux une règle
qui paraît réservée par le titre du contrat de mariage au cas
de prescription par un usurpateur ou par un acquéreur, a non
domino? N'a-t-on pas voulu généraliser la règle en vertu de laquelle
la prescription court du jour de la séparation de biens?
Nous avons étudié cette difficulté et essayé de démontrer que
dans l'hypothèse spéciale de l'article 1560, c'est-à-dire quand la
femme a consenti à l'aliénation, son action ne devient pas pres-
criptible après la séparation de biens (2).
363. La loi indique deux autres cas où la prescription ne
court pas._ contre la femme mariée :
1° Lorsque son action est subordonnée à l'option, qu'elle
ne pourra faire avant la dissolution de la communauté, entre
l'acceptation et la renonciation (3) : alors, en effet, il est
évident qu'elle ne peut agir;
(1) V. t. VI, n" 232 bis. XXXVI.
(2) V. t. VI, il" 232 bis. XXV I-XXXVI.
(3) Supposons, par exemple, que le mari ait, contre la prohibition de l'article
1422, disposé à titre gratuit d'un immeuble de la communauté; la femme n'ayant
506 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LiV. »l.
2° Lorsque son action réfléchirait contre son mari; car on
peut croire facilement qu'elle a été empêchée d'agir par celle
considération. V. art. 2256.
363 bis. I. Dans l'article 2256, il est. question de deux hypothèses
où la prescription est encore suspendue au profit de la femme
mariée, quoiqu'elle n'ait pas pour objet des choses inaliénables.
La première disposition de l'article suppose la femme mariée
sous le régime de la communauté, et la cause de suspension se
rencontre dans la faculté qui appartient à la femme commune de
choisir, à la dissolution de la communauté, entre l'acceptation et la
répudiation de la communauté.
On comprend que les droits de la femme diffèrent selon qu'elle
est acceptante ou renonçante, que certains droits lui appartiennent
dans un cas, qui ne lui appartiendraient pas dans l'autre. Cela
étant, comment faire courir contre elle la prescription de ces
droits, tant qu'elle ne peut pas accepter ou répudier la commu-
nauté? Le droit qui est menacé par une prescription ne peut pas
être exercé tant que la femme est dans l'impossibilité juridique
d'accepter ou de répudier, et ici la loi a tenu compte de l'impos-
sibilité d'exercer le droit pour établir une cause de suspension.
363 bis. IL La raison que nous assignons à la disposition du pre-
mier alinéa de l'article 2256 conduit fatalement à faire subir à ce
texte une certaine correction. Ce n'est pas pendant le mariage, mais
pendant la durée de la communauté, que la prescription est suspendue.
Les rédacteurs du Code ont employé une expression trop large,
d'abord parce qu'ils ont songé à ce qui arrive le plus ordinairement,
la communauté finissant avec le mariage, et ensuite parce que leur
formule est exacte dans le cas prévu par leur second alinéa, où la
suspension ne doit logiquement prendre fin qu'à la dissolution du
mariage.
363 Ws. III. Envisagée d'une façon abstraite, la règle du premier
qualité pour atlaquer cette donation qu'autant qu'elle acceptera la communauté;
la prescription ne pourra courir contre elle pendant le mariage, au moins tant que
durera la communauté. Il en serait de même à l'égard de l'action hypothécaire de
la femme sur les immeubles de la communauté vendus par le mari seul pendant
le mariage, lors même en effet que cette action ne devrait pas réfléchir contre
la mari (puta si l'acheteur avait acquis à ses risques et périls); toujours est-il
qu'elle ne peut appartenir à la femme qu'autant qu'elle renoncera à la communauté.
(Note de M. Demantb.)
T1T. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2256. 507
alinéa de l'article 2256 se comprend et se justifie parfaitement;
mais si l'on en cherche les applications, il est plus difficile de les
trouver exactement. Il est certain, en effet, qu'il ne peut être
question dans l'article de suspendre la prescription relativement à
tous les biens et à tous les droits de la communauté, en partant de
cette idée qu'à la dissolution il apparaîtra si ces biens ont appar-
tenu à la femme ou ne lui ont pas appartenu, selon qu'elle aura
accepté ou renoncé. Cette suspension de prescription serait l'anéan-
tissement des pouvoirs du mari sur la communauté, si elle pouvait
donner à la femme des droits contre les ayants cause du mari ; et
s'il s'agissait de revenir sur des prescriptions accomplies parce que
le mari aurait négligé d'agir, ce serait la destruction presque com-
plète de l'article 2254, ce serait une restitution contre les omissions
commises contre le mari, restitution que la loi n'a pas voulu
admettre en principe, par les raisons que nous avons données plus
haut.
363 bis. IV. Ce sont donc des hypothèses exceptionnelles qui ont
été visées par l'article 22ô'6-i°. Il s'agit d'abord du cas où le mari a
outre-passé ses pouvoirs de chef de la communauté en conférant sur
des biens de la communauté des droits que la femme peut attaquer
si elle accepte et contre lesquels elle ne peut rien si elle renonce.
L'hypothèse la plus simple est celle où le mari a donné un immeuble
delà communauté (art. 1422). Nous avons expliqué, au tome VI, que
la femme a une action contre le donataire et quelle en est l'étendue;
cette action dépend de l'acceptation de la communauté, et par con-
séquent elle est imprescriptible tant que dure la communauté (1).
363 bis. V. La note de M. Demante ajoute à cette hypothèse celle
où le mari a aliéné un bien de communauté et où il s'agit de la
prescription du droit d'hypothèque légale de la femme sur ce bien.
Il faut remarquer que cette hypothèse ne peut fournir un cas
d'application de l'article 2256-1° qu'autant qu'on admet le système
que nous avons adopté au tome IX sur un point fort controversé.
La femme a-t-elle hypothèque légale sur les biens de la commu-
nauté aliénés par le mari ? Quand on répond à cette question par
la négative, on n'a pas à examiner si l'action hypothécaire de la
femme peut se prescrire (2).
363 bis. VI. Nous appliquerons encore l'article 2256 dans un cas
(1) V. t. VI, n»66i«*. VII et VIII.
(2) V. t. IX, n" 81 bi$. V1II-X.
508 COUKS ANALYTIQUE DR CODE CIVIL. LIV. H).
qui donne naissance à de longues controverses : celui où le mari,
commun en biens, a aliéné le propre de sa femme sans son consente-
ment. Nous avons reconnu à la femme le droit de revendiquer
son immeuble, pourvu qu'elle renonce à la communauté; par con-
séquent elle ne peut craindre la prescription qu'à partir de la dis-
solution de cette communauté (1).
363 bis. VII. Nous ne rangerons pas parmi les hypothèses que.
comprend notre article, celle cù la femme a ameubli un immeuble
en se réservant le droit de le reprendre au cas de renonciation à
la communauté (2). Nous n'avons pas admis, en effet, que la clause
de reprise d'apport conservât à la femme la propriété de ses ap-
ports, nous avons décidé que le mari peut aliéner les choses mises
en communauté par sa femme, que ses créanciers peuvent les
saisir, et que le droit de la femme se traduit, à la dissolution de
la communauté, en une créance de valeur. Ces décisions doivent
s'appliquer aussi bien à l'apport en immeubles qu'à l'apport en
meubles, sauf l'application de l'article 1509, qui n'ouvre pas un
droit contre des tiers acquéreurs, mais seulement un droit contre
la masse partageable. Dès lors, le droit de la femme n'ayant pas à
être exercé contre des tiers, la question de prescription et de sus-
pension ne peut pas être agitée.
Que si, par une convention expresse, la femme avait frappé
d'une condition résolutoire, celle de sa renonciation, l'acquisition
de l'immeuble par la communauté, on apercevrait l'intérêt de la
question, mais nous ne verrions pas encore qu'il y eût à appliquer
l'article 2256, car la femme ayant, avant la dissolution de la com-
munauté, une propriété sous condition suspensive, ne serait pas
dans l'impossibilité de faire des actes conservatoires par elle-même
avec autorisation de justice ou par le mari, son représentant, donc
l'exercice de son droit ne dépendrait pas de son option; elle ren-
trerait dans la règle générale qui soumet les femmes mariées à la
prescription (art. 2254).
363 bis. VIII. Le second alinéa de l'article 2256 se rattache à
la disposition de l'article 2253, quand la femme, en interrompant
une prescription qui court au profit d'un débiteur ou d'un pos-
sesseur quelconque, peut craindre que ce débiteur ou ce possesseur
n'intente une action en recours contre son mari, elle se trouve dans
(1) V. t. VI, n°71 bis. XII-XIX.
(2) V. Atibry et Rau, t. II, p. 303. Édit. 1865.
T1T. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2256. 509
la même position que s'il lui fallait agir contre son mari lui-même,
et les raisons qui ont fait suspendre la prescription entre époux
s'opposent à la prescription au profit du tiers débiteur ou possesseur.
La loi caractérise d'une façon très-saisissante les hypothèses
qu'elle a en vue. La femme doit intenter une action, ou plus exacte-
ment exercer des poursuites pour interrompre la prescription; si
le tiers poursuivi peut recourir contre le mari, les actes de la
femme, dirigés en apparence contre le tiers, ont un effet indirect
contre le mari, ils réfléchissent contre lui, comme le rayon de
lumière qui frappe sur un point est dirigé sur un autre par un
phénomène de réflexion.
Le texte cite un exemple pour expliquer ce qu'il entend par cette
réflexion d'action. Le mari a vendu le bien propre de sa femme,
il est garant à la vente; si la femme revendique son immeuble,
l'acheteur poursuivra le mari en garantie. Si le mari a vendu sans
garantie, comme il pourrait être poursuivi en restitution de prix
(art. 1629), la situation est la même. Mais s'il a vendu aux risques
et périls de l'acheteur ou s'il a donné autrement que dolis causa
(art. 1547;, comme il n'est pas tenu envers son ayant cause, la
femme peut et doit agir contre celui-ci, si elle ne veut pas qu'on
lui oppose la prescription.
Dans l'hypothèse prévue parle Code, le tiers, qui aurait intérêt à
prescrire, est un possesseur du bien de la femme. On peut supposer
qu'il s'agirait d'un débiteur. Exemples : le mari est codébiteur soli-
daire avec un tiers, la femme créancière ne peut pas poursuivre
cetui-ci sans donner naissance à un recours contre son mari; ou
bien le mari est débiteur principal et le tiers est caution.
363 bis. IX. Nous avons montré que l'article 2256-2° dérive de
l'article 2253 , dès lors, dans la logique absolue, il aurait fallu que
la prescription fût suspendue en faveur du mari, quand son action
pourrait réfléchir contre la femme. Mais la loi n'a pas poussé jusque-
là les conséquences de l'idée dont elle s'inspirait. Évidemment
elle a moins redouté, en pareille matière, l'influence de la femme
sur le mari que celle du mari sur la femme. Aussi bien, les faits
qui peuvent créer la situation que nous étudions, ont pu paraître
plus rares, quand on intervertit les situations. Rarement la femme
aura vendu l'immeuble de son mari, rarement elle se sera obligée
envers son mari solidairement avec un tiers. Voilà probablement
pourquoi l'article 2256-2° ne s'occupe que du rnari subissant le
510 COUHS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
contre-coup des actions de sa femme. Il faut cependant reconnaître
que très-souvent ces situations ne seront pas créées par des actes
des époux eux-mêmes. Le mari, aussi bien que la femme, peut
être devenu par succession propriétaire d'un bien que sa femme ou
l'auteur de sa femme a vendu, il peut être aussi devenu créancier
d'une dette contractée par la femme ou l'auteur de celle-ci soli-
dairement avec d'autres débiteurs. Si le Code avait aperçu ces bypo-
tbèses, peut-être qu'il aurait étendu aux deux époux la disposition
fixe de l'article 2256.
364. C'eslévidemment sur l'impossibilité d'agir qu'est fondée
la suspension de la prescription a l'égard d'une créance con-
ditionnelle, d'une action en garantie ou même d'une créance
a terme. V. art. 2257.
364 bis. I. L'impossibilité d'agir en cas de dettes conditionnelles
ou à terme n'est pas aussi absolue qu'elle paraît l'être au premier
abord. Le créancier a toujours le droit de faire des actes conserva-
toires (art. 1180), et parmi ces actes il en est, comme l'assigna-
tion en reconnaissance d'écritures, qui interrompraient la pres-
cription. La raison générale de l'article, celle qui s'applique à toutes
les bypotbèses qu'il comprend, c'est que l'inaction du créancier s'ex-
plique par celte considération qu'il ne peut pas obtenir encore
l'exécution effective de l'obligation, et qu'elle ne saurait tromper
le débiteur qui doit savoir à quoi s'en tenir sur les caractères de
son obligation et comprendre par quels motifs le créancier n'agit
pas contre lui.
364 bis. IL Les créances conditionnelles auxquelles s'applique l'ar-
ticle 2258 sont celles qui sont affectées d'une condition suspensive,
on le voit bien par le rapprocbemeut qui se fait dans l'esprit du
législateur entre ces créances, les créances à terme et les créances
de garantie. L'obligation sous condition résolutoire existe dans
toute sa plénitude à partir du jour du contrat. Elle s'exécute comme
si elle était pure et simple. Il n'y a par conséquent aucune bonne
raison pour justifier l'inaction du créancier; pourrait-on supposer
qu'il attend, pour agir, l'arrivée de la condition, c'est-à-dire l'ex-
tinction du droit qu'il s'agit d'exercer?
364 bis. III. Les différents articles qui ont jusqu'ici traité des
suspensions de prescription avaient en vue aussi bien la prescription
acquisitive que la prescription libératoire (art. 2250, 2253, 2256);
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2257. 5 H
l'un d'eux, l'article 2253, vise à la fois la prescription acquisitive et
la prescription extinctive de l'action en nullité d'une aliénation.
Dans l'article 2257, au contraire, il n'est question que de l'extinction
des créances, et par conséquent de la prescription libératoire.
Il ne faut donc pas étendre la règle et suspendre la prescription
acquisitive quand le droit du vrai propriétaire est affecté d'une
condition. Le possesseur de l'immeuble d'autrui prescrira contre
le propriétaire conditionnel. La situation en effet n'est pas la même;
la prescription s'appuie sur autre cbose que sur l'inertie de celui
contre qui l'on prescrit, elle s'appuie sur un fait positif du prescri-
vant, sur la possession, fait qui, par lui-même, est considéré
comme générateur du droit de propriété. En outre, le possesseur n'est
pas en relation juridique avec celui contre qui il prescrit, comme
le débiteur avec son créancier, donc il peut ignorer la condition
qui affecte le droit du vrai propriétaire, et il n'est pas possible de
lui opposer qu'il a dû comprendre pourquoi celui-ci n'exerçait pas
ses droits. Enfin, le crédit public souffrirait plus encore de la pro-
longation indéfinie d'une prescription acquisitive au détriment des
acquéreurs et sous-acquéreurs de l'immeuble qu'il ne souffre de la
longue durée d'une prescription libératoire n'intéressant guère que
le débiteur et ses héritiers.
364 bis. IV. On ne doit pas conclure de notre décision que le pro-
priétaire conditionnel sera absolument désarmé contre ie tiers pos-
sesseur. Il trouvera, dans l'article 1180, le droit de demander en
justice au possesseur la reconnaissance de son droit conditionnel et
de faire constater par jugement, s'il y a lieu, l'existence de ce droit.
364 bis. V. Nous devons reconnaître que la plupart des docu-
ments de la jurisprudence sont contraires à l'opinion que nous
venons d'exposer. Mais il nous est difficile d'accepter la doctrine
de ces arrêts. La plupart s'appuient sur la maxime contra non va-
lentem agere, dont nous avons plus haut combattu l'autorité et qui
d'ailleurs ne saurait être invoquée ici, quand on reconnaît, comme
nous l'avons fait, que le propriétaire conditionnel peut, en vertu de
l'article 1180, faire reconnaître en justice l'existence de son droit;
c'est la doctrine ancienne que nous avons admise sur l'article 2180
à propos de l'action réelle hypothécaire, et que rien n'empêche de
tenir pour vraie sous l'empire du Code civil.
Presque tous les arrêts interprètent l'article 2257 comme si le
mot créances, employé par le Gode civil, était absolument synonyme
512 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
du mot droits ; l'un d'eux cite l'article 2257 en ces termes : la pres-
cription ne court pas à l'égard d'un droit personnel ou réel qui
dépend d'une condition jusqu'à ce que la condition soit arrivée (i).
Un autre arrêt (2) allègue que le Code civil se sert quelquefois
d'une de ces deux expressions pour l'autre; il cite l'article 1138 qui
dit, au contraire, que par l'effet de l'obligation, ou pour mieux dire
de la convention, le créancier est rendu propriétaire, c'est-à-dire
(ju'il cumule deux titres. Quant aux arrêts récents de la Cour de
cassation, ils n'abordent pas directement la difficulté. Il en est un
qui, traitant la même question à propos du droit d'hypothèque,
semble éviter la question théorique générale et cherche, sur l'ar-
ticle 2180, à appliquer l'article 2257, en présentant le sort de
l'hypothèque, droit accessoire, comme lié au sort de la créance,
droit principal, d'où il résulte que la doctrine qui soumet tous les
droits réels à l'article 2257 ne saurait trouver un appui dans cette
décision judiciaire (3).
Un autre arrêt (4) statue sur une hypothèse où le droit réclamé
après trente ans pouvait être considéré soit comme une servitude,
soit comme une créance, et la Cour, en évitant de caractériser ce
droit, a encore une fois passé à côté de la question de principe sur
les droits réels conditionnels. Un arrêt plus ancien (5), après avoir
constaté que l'article 2257 suspend la prescription à l'égard des
créances conditionnelles, semble considérer l'action dirigée contre
le tiers détenteur par l'échangiste qui fait résoudre le contrat
d'échange pour cause d'éviction, comme une action personnelle,
car il l'appelle action en délaissement ayant pour objet de le faire
rentrer dans la propriété des biens donnés par lui en contre-échange.
S'il s'agit de rentrer dans la propriété, c'est que cette propriété a
été perdue, et l'action qui tend à la faire recouvrer ne peut être que
personnelle; par ce raisonnement la Cour s'est placée en dehors de
notre question (6).
(1)C. Montpellier, 10 janvier 1878. Sirey, 1878, 2,313.
(2) V. C. I. Agen, 21 juillet 1862. Sirey, 1863, 2, 15.
(3) V C. C, 30 décembre 1879. Sirey, 1881, 1, 64.
(4) V. C. C, 9 juillet 1879. Sirey, 1879, 1, 463.
(5) C. C, 28 janvier 1862. Sirey, 1862, 1, 236.
(6) V.,dans notre sens, un arrêt longuement motivé de la Cour de Toulouse
26 avril 1875, Sirey, 1881, 1, 202, à propos d'un arrêt de la Cour de cassation,
qui n'a pas statué sur notre question. V. aussi la savante note de notre collègue
M. Labbé, Sirey, 1873, 2, 314, sur l'an et de Montpellier cité plus haut.
T1T. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2257, 2258. 513
365. Quoique l'héritier bénéficiaire ne soit pas dans l'im-
possibilité d'agir contre la succession (Cod. Pr., art. 996),
toutefois sa qualité est pour lui un motif légime de s'en abs-
tenir. La prescription ne court donc pas contre lui. Mais la
prescription court contre une succession vacante quoique non
pourvue de curateur, car il ne dépend que des intéressés de
l'en faire pourvoir. V. art. 2258.
365 bis. I. Pothier disait : Le temps de la prescription ne peut
courir contre l'héritier bénéficiaire pour les créances qu'il a contre
la succession bénéficiaire, car il ne peut agir contre lui-même (1).
Le Gode a reproduit cette décision, qui a perdu sa raison d'être
depuis la rédaction du Code de Procédure (art. 996). Elle peut se
justifier d'ailleurs par une raison d'économie : pourquoi contraindre
l'héritier à faire des frais qui diminueront l'actif héréditaire au
détriment des créanciers ? Comment, en outre, considérer le silence
du créancier comme une reconnaissance de l'inexistence de la dette,
quand le créancier est en même temps le représentant du débiteur,
détenteur de l'actif et chargé de le distribuer à tous les créanciers?
365 bis. II. Ces diverses raisons, comme celle que donnait Pothier,
supposent que l'héritier bénéficiaire n'a pas de cohéritiers. Dans
l'hypothèse contraire, c'est-à-dire quand l'héritier bénéficiaire n'est
pas héritier unique, l'article demande à n'être appliqué qu'avec
une certaine distinction que commmandent les principes.
N'oublions pas que les dettes, au moins celles qui sont divisibles,
se divisent de plein droit entre tous les cohéritiers, que l'actif de la
succession se divise aussi de plein droit entre eux, et qu'il se ré-
partit définitivement en lots, attribués par le partage à chaque
héritier, sans qu'il y ait à rechercher s'ils sont héritiers purs et
simples ou sous bénéfice d'inventaire. Dès lors, l'un des héritiers
n'est jamais débiteur de la totalité d'une dette héréditaire, s'il estpar
hasard créancier de la succession, il n'est pas seul son propre débi-
teur; quand il n'agit pas pour les parts de la dette qui sont dues
par ses cohéritiers, on ne peut pas expliquer son inaction en disant
qu'il compte se payer lui-même sur la succession dont il ne détient
qu'une part. D'un autre côté, ses cohéritiers, s'ils ne sont pas pré-
venus qu'il se prétend créancier, sont tenus dans l'erreur sur la
(1) V. Pothier, Obligations, n° 646 injine,
vin. 33
514 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
valeur réelle de leur part héréditaire, et dès lors il serait inexact
de dire que des frais faits contre eux seraient faits en pure perte.
L'article 2258 n'est donc pas applicable, si l'on envisage ses motifs,
et son texte montre plus clairement encore qu'il ne vise pas l'hy-
pothèse dont nous traitons, car il parle des créances de l'héritier
bénéficiaire contre la succession, et, dans le cas que nous examinons,
l'héritier n'a pas véritablement pour débiteur la succession, mais
chacun de ses cohéritiers. Cela surtout est particulièrement vrai
quand ses cohéritiers ont accepté purement et simplement, et
cela ressortait incontestablement du texte de Pothier, que nous
avons cité plus haut, où il est question des créances contre la suc-
cession bénéficiaire; qu'est-ce que la succession bénéficiaire quand
les cohéritiers ont accepté purement, si ce n'est pas seulement la
part de cet héritier-créancier qui a accepté sous bénéfice d'inven-
taire? Si l'article ne peut pas être appliqué au cas où les cohéritiers
de l'héritier bénéficiaire ont accepté purement et simplement, il
n'y a plus à argumenter de sa généralité apparente; il faut recon-
naître qu'il songe seulement à l'héritier bénéficiaire qui est héritier
unique, et il ne faut pas étendre sa décision à l'hypothèse où les
cohéritiers ont accepté sous bénéfice d'inventaire; car, même dans
ce cas, la créance de l'héritier se divise, il ne peut agir contre
chacun de ces cohéritiers que pour partie sur la fraction de l'actif
dont celui-ci est propriétaire, et il n'y a pas de raison sérieuse qui
puisse le dispenser d'agir.
365 bis. III. Des jurisconsultes très-autorisés soutiennent que la
prescription est suspendue contre tous les cohéritiers parce que l'héri-
tier-créancier, chargé d'administrer la succession dans l'intérêt des
créanciers et des légataires, n'avait pas à élever des prétentions con-
tre la succession; nous répondons à cette objection que l'héritier
bénéficaire, qui n'est pas héritier unique, n'administre pas à lui
seul toute la succession, que dès lors son inaction ne peut pas
s'interpréter comme elle s'interprète quand il est appelé à toute la
succession. Ou l'on est dans l'indivision, et l'un des héritiers ne peut
pas compter sur lui-même pour se payer de ce qui lui est dû, il lui
faudra bien l'assentiment des autres, donc il est nécessaire qu'il
fasse valoir ses droits; ou le partage a eu lieu, et il est bien plus
nécessaire encore qu'il agisse contre chacun de ses cohéritiers pour
obtenir le paiement de la fraction de sa créance qui ne grève pas
sa part de l'actif.
T1T. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 225S. olo
L'opinion que nous combattons présente en outre cet inconvénient
qu'elle a conduit des auteurs à faire une distinction dont le Gode
ne parle pas. lis sont obligés de distinguer, quant aux cohéritiers
qui ont accepté purement, l'action du cohéritier-créancier sur les biens
de !a succession et l'action sur leurs autres biens. La suspension de
prescription ne concernerait que les biens héréditaires. Comprend-
on une distinction pareille par rapport à des débiteurs tenus person-
nellement ultra vires, c'est-à-dire sur tous leurs biens, et peut-on
admettre qu'une action personnelle soit prescrite par rapport à un
bien et non pas par rapport à l'autre? La distinction des biens héré-
ditaires et des biens personnels n'existe pas par rapport à un héritier
pur et simple quand il n'y a pas séparation des patrimoines, et ce
principe est méconnu par l'opinion que nous combattons (1).
36o bis. IV. L'article 2258, comme l'article 2257, ne parle que
de la prescription des créances. li n'est donc pas, dans ces termes,
applicable à la prescription acquisitive, et d'autres dispositions de
la loi vont nous montrer l'immense différence qui sépare sur ce
point les deux prescriptions.
Nous supposons que l'héritier bénéficiaire est propriétaire d'un
immeuble que possédait le défunt et qu'il a recueilli dans la suc-
cession. Peut-on dire que l'action en revendication qu'il intenterait
serait une procédure inutile? Examinons d'abord le cas où il est
héritier unique. C'est alors dans ses rapports avec les créanciers
héréditaires qu'il est intéressant de savoir si le bien faisait ou non
partie de la masse héréditaire, jusqu'à concurrence de laquelle
ceux-ci peuvent être payés. Or, ces créanciers n'ont-ils pas le plus
grand intérêt à connaître la prétention de l'héritier sur un bien
qu'ils considèrent comme leur gage? L'héritier, il est vrai, détient le
bien, mais il semble le tenir comme ayant cause du défunt, et rien
ne peut faire soupçonner qu'il a changé son titre de possession et
qu'il ne se considère plus comme comptable de la valeur de ce bien
envers les créanciers; d'où il résulte que la loi n'avait pas un
motif sérieux de suspendre en pareil cas la prescription. Les
mêmes considérations s'opposent à ce qu'on voie dans la possession
de l'héritier le commencement d'une interruption naturelle de la
prescription, car l'interruption naturelle suppose la dépossession
du possesseur, la prise de possession par autrui, et la possession
(1) V. Aubry et Rau, t. II, p. 305. Édit- 1865.
33.
516 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. 111.
de l'héritier, dans l'hypothèse qui nous occupe, aurait au moins le
caractère de l'équivoque.
Dans le cas où l'héritier qui se prétend propriétaire des biens a
des cohéritiers, nous devons à fortiori dire que la prescription
n'est pas suspendue, car ce n'est pas seulement avec les créanciers
héréditaires qu'il se trouve en conflit, mais avec des cohéritiers,
ses copropriétaires et copossesseurs, et ce fait qu'ils possèdent
ensemble à titre héréditaire rend impossible la supposition qu'il
posséderait seul proprio tilulo; or ce ne peut-être qu'une possession
semblable qui pourrait justifier la suspension de la prescription en
permettant de dire : Pourquoi agirait-il en revendication, puisqu'il
possède?
365 bis. V. La loi a négligé d'indiquer quelle est, dans le cas où
la prescription est suspendue en faveur de l'héritier bénéficiaire,
le moment où cesse cette suspension. Si elle ne devait jamais
cesser, elle ne serait pas une suspension. Il suffit, au reste, de se
rendre un compte exact des motifs sur lesquels s'appuie la règle de
la loi, pour comprendre quand cette règle commence à devenir
inapplicable. L'héritier bénéficiaire, créancier de la succession, n'a
pas à manifester sa prétention tant qu'il administre la succession
en quelque sorte tète à tète avec lui-même, tant que le manie-
ment des choses héréditaires est abandonné à sa propre appré-
ciation, alors il ne peut être question de prescription; mais
arrive un moment où cet héritier est en communication avec
les créanciers héréditaires, c'est quand il rend son compte. Ne pas
comprendre sa créance dans le passif de la succession, c'est certes
manquer une manifestation bien utile de sa prétention, c'est s'abs-
tenir d'exercer son droit, et à partir de ce moment l'inaction de
T héritier-créancier ne s'explique plus, elle peut servir de base à
une présomption d'inexistence de la dette. La prescription devient
alors possible; elle commence à courir du jour de la reddition du
compte.
365 bis. VI. L'article 2258 suspend la prescription qui pourrait
courir contre l'héritier bénéficiaire, il ne dit rien de la prescription
qui pourrait courir en faveur de l'héritier bénéficiaire débiteur de
la succession. C'est que, sans qu'il soit besoin de créer pour cette
hypothèse un cas de suspension, la prescription ne peut plus
courir dès que le débiteur est devenu héritier bénéficiaire du
créancier. Ce débiteur est devenu administrateur responsable des
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2258-2260. 517
biens héréditaires, il doit faire rentrer les créances, il doit donc se
payera lui-même ce qu'il doit à l'hérédité, débet a semetipso exigere;
c'est-à-dire qu'il doit verser de ses deniers propres la somme due
dans la masse héréditaire, ou, ce qui revient au même, comprendre
dans le compte de l'actif héréditaire la somme dont il est débiteur.
Si, faute de ce fait, la dette pouvait être prescrite, il serait res-
ponsable envers les créanciers de cette prescription accomplie, et
voilà pourquoi il était inutile de statuer dans l'article sur la question
de suspension.
365 bis. VII. La seconde partie de l'article traite des successions
vacantes. Elles sont exposées à des prescriptions qui ne sont pas
suspendues parce que les intéressés, c'est-à-dire les créanciers,
peuvent faire nommer un curateur pour la protection de leurs
droits.
366. La loi n'a pas voulu non plus que le cours de la pres-
cription fût suspendu pendant les délais accordés a l'héritier
pour faire inventaire et délibérer. 11 peut en effet, sans pren-
dre qualité, interrompre la prescription, puisque ce n'est la
qu'un acte conservatoire. V. art. 2259, et a ce sujet art. 779.
CHAPITRE V.
DU TEMPS REQUIS POUR PRESCRIRE.
SECTION I.
Dispositions générales.
367. La prescription, qui résulte toujours de l'expiration
d'un certain nombre d'années, de mois ou de jours, ne se
compte point par heures; c'est en ce sens seulement qu'on
dit qu'elle se compte par jours. V. art. 2260.
367 bis. I. Dans l'économie du titre de la prescription, après
avoir parlé des conditions nécessaires pour que la prescription soit
possible et des obstacles qu'elle peut rencontrer dans son cours, la
518 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
loi traite du temps requis pour la compléter. Elle va par conséquent
envisager les diverses prescriptions sous le rapport de leur durée,
c'est l'objet du chapitre dernier du Code civil.
Le Code, toutefois, fait précéder les règles sur la durée des
diverses prescriptions par un exposé des règles générales sur la
manière de calculer les délais qu'il déterminera ensuite.
367 bis. II. La première règle est que le calcul des délais ne se fait
pas par heures. C'est-à-dire qu'un délai qui se compose d'un
certain nombre de jours (V. loi de 1838 sur les vices rédhibitoires,
art. 3) ne peut être considéré comme expiré quand il s'est écoulé
un certain nombre de fois vingt-quatre heures depuis le fait
qui sert de point de départ à ce délai; par conséquent, qu'un délai
d'un mois ou de six mois ne se compose pas de trente fois ou de
cent quatre-vingts fois vingt-quatre heures, et qu'un délai d'une
année n'est pas accompli par la révolution de trois cent soixante-
cinq fois vingt-quatre heures. Un pareil procédé de calcul eût
nécessité une trop grande précision dans la preuve du fait qui
sert de point de départ à la prescription. Il eût fallu démontrer
peut-être, après trente ans, à quelle heure exacte avait commencé
une possession ou était née une obligation. La loi a compris que,
cette démonstration devant être le plus souvent impossible, et
l'impossibilité devant rendre ordinairement nécessaire l'adoption
d'un point de départ arbitraire, comme le commencement ou la fin
de la journée, il valait mieux, au point de vue pratique, adopter
une règle uniforme qui évitât les discussions sur une date à fixer
par heures et par minutes.
Nous n'ajoutons pas à ce motif tout pratique une considération
théorique qui est souvent présentée. Nous ne pensons pas qu'on
puisse justifier la règle en alléguant que, compter par heures, c'est
parfaire le délai fixé par deux fractions de deux journées différentes,
quelques heures du premier jour et quelques heures du dernier,
alors que la loi, qui demande un certain nombre de jours, semble
exiger des journées complètes et ne compter que des journées
indivisibles de minuit à minuit. Cette raison nous semblerait con-
tredire ce que nous allons établir sur le calcul par mois et par
années, et il nous paraîtrait imprudent de la faire valoir.
367 bis. III. Tout le monde reconnaît, en effet, que le calcul par
mois ou par années s'établit de quantième à quantième, c'est-à-
dire qu'un délai de six mois, commençant le 15 janvier, doit finir
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2260. 519
le 15 juillet au coup de l'heure de minuit, séparant ce jour du
16 juillet. En comptant ainsi, on n'additionne pas des mois complets,
on compose un mois avec deux fractions des mois de janvier et
de juillet. Or, la loi qui assigne à une prescription la durée de six
mois s'exprime de la même façon que celle qui statue sur une pres-
cription de trente jours.
367 bis. IV. Il reste à démontrer que la formule première de la
loi : la prescription se compte par jours, n'a pas toute la portée
qu'on pourrait logiquement lui donner; qu'elle ne signifie pas
qu'une prescription de six mois doit durer six fois trente jours et
une prescription de dix ans dix fois trois cent soixante-cinq jours.
La démonstration ne ressort pas pour nous de l'article 2261 (1),
qui pourrait s'entendre parfaitement, quel que soit le système de
calcul, car il faut bien toujours que le délai ait un dernier jour, et
ce que la loi nous dit uniquement, c'est qu'il faut que ce dernier
jour soit terminé et qu'on ne le prendra pas pour achevé quand il
sera seulement commencé. Nous trouvons la preuve qu'il faut sup-
puter les années et les mois de quantième à quantième dans
l'article 2261 du Code civil original (lre édition, amendée seulement
en 1807). Cet article dispose que dans les prescriptions qui s'ac-
complissent par mois, celui de fructidor comprend les jours com-
plémentaires. Cette disposition aurait été absolument inutile si,
dans la pensée du Code civil, les mois représentent seulement des
réunions de trente jours. Elle suppose, au contraire, que le mois
a une individualité propre, quel que soit le nombre de ses jours,
puisque le mois de fructidor du calendrier républicain constituerait,
avec les jours complémentaires que le Code lui annexe, un espace
de trente-cinq jours.
367 bis. V. Il résulte de cet article que les mois, et par con-
séquent les années, constituent des unités dans le calcul des pres-
criptions, et qu'il ne faut pas tenir compte des différences que les
inégalités entre les mois et les années apporteront à la durée réelle
des délais; ainsi un délai d'un an, commencé le 1er février 1884,
comprend un jour de plus qu'un même délai commencé le 1er mars,
parce que le mois de février 1884 comprend vingt -neuf jours
et que le mois de février 1885, l'année n'étant pas bissextile, n'a
que vingt-huit jours. Il en sera de même pour des prescriptions par
(1) V. cependant Aubry et Rau, t. II, p. 294. Édit. 1865.
520 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
mois, à raison de l'inégalité des mois, les uns ayant trente, les
autres trente et un ou vingt-huit jours.
367 bis. VI. Notre explication pourrait conduire à ne pas compter
le mois ou l'année dans laquelle commence le délai pour ne pas
compléter ce délai par des fractions de mois ou d'années, mais on
aurait contre soi, si l'on comptait ainsi, les habitudes constantes qui
considèrent comme des mois et des années le temps compris entre
deux quantièmes correspondants, par exemple pour la détermination
des âges. La loi calcule incontestablement ainsi, quand elle fixe à
vingt et un ans l'âge de la majorité, et dans tous les cas semblables;
le Code de commerce et la pratique du commerce interprètent
également, sans conteste, de la même façon, les délais d'échéance
des lettres de change et des billets à ordre. Il n'y a pas à hésiter,
les prescriptions dont le délai est fixé par mois ou par année
doivent être calculées de quantième à quantième.
368. Du reste, il faut que le dernier jour soit accompli. Le
Code n'admet point, a cet égard, l'ancienne distinction entre
la prescription a l'effet d'acquérir et la prescription a l'effet
de se libérer. V. art. 2261.
368 bis. La décision de l'article 2261 peut paraître inutile, car il
est évident que l'année 1883, par exemple, n'est complète que
lorsque la journée tout entière du 31 décembre est achevée, d'où
il est certain qu'une année qui a commencé le 1er février au matin,
c'est-à-dire à l'heure de minuit, qui sépare le 31 janvier du 1er fé-
vrier, ne peut être accomplie que lorsque le 31 janvier suivant est
arrivé à sa minute finale, c'est-à-dire à l'heure de minuit, qui le
sépare du 1er février. Nous ajoutons à notre espèce une observation
nécessaire, c'est que, pour qu'une prescription commence à compter
du 1er janvier ou du 1er février à minuit, il faut que le fait qui sert
de point de départ à la prescription ait eu lieu le 31 décembre ou
le 31 janvier, puisque le délai ne peut pas commencer au milieu
d'un jour.
L'inutilité de l'article 2261 n'est qu'apparente; sa décision a
pour effet de supprimer une différence ancienne entre la pres-
cription libératoire et la prescription acquisitive par dix ou vingt
ans, celle-ci étant réputée accomplie le matin du dernier jour, et
celle-là n'étant parfaite qu'à la fin de cette dernière journée.
TIT. XX DE LA PRESCRIPTION. ART. 2260-2262. 521
SECTION II.
De la prescription trcntenaire.
369. La plus longue prescription est celle de trente ans.
Après ce laps de temps, le débiteur est libéré de l'action per-
sonnelle; le possesseur est a l'abri de l'action réelle-, celui-ci
n'a pas plus que celui-là besoin de rapporter un titre qui ne
pourrait tendre qu'à établir sa bonne foi-, il n'a pas même à
craindre l'exception déduite de sa mauvaise foi. V. art. 2262.
369 bis. I. La loi parle de la prescription des actions. Elle a en
vue la prescription des droits que ces actions sanctionnent, puis-
qu'elle a défini la prescription un moyen d'acquérir ou de se
libérer, c'est-à-dire de devenir propriétaire ou de cesser d'être
débiteur. Ce sont les droits de propriété ou de créance qui sont un
jeu dans la prescription. Par une habitude des anciens jurisconsultes,
le Code confond ici l'action avec le droit lui-même, et c'est ainsi
que voulant dire : la plus longue prescription dure trente ans, il
a dit : toutes les actions se prescrivent pour trente ans.
C'est en effet de la durée des prescriptions et uniquement de
cette durée que traite l'article 2262, toute l'économie du titre de
la prescription le démontre. On a traité de la prescription en
général, puis des conditions particulières auxquelles elle est subor-
donnée, d'après la formule même de l'article 2119, qui con-
tient la définition. Parmi ces conditions, celles qui concernent la
nécessité qu'il n'existe pas d'obstacle légal (suspension ou inter-
ruption) sont communes aux deux espèces de prescriptions; d'autres
sont particulières à la prescription acquisitive (possession avec cer-
tains caractères, accession des possessions). Arrive un chapitre por-
tant pour rubrique : Du temps requis pour prescrire, qui énumère
les diverses prescriptions au point de vue du temps, en commençant
par les plus longues : cette énumération comprend pêle-mêle des
cas de prescription acquisitive et de prescription libératoire. (V. 2262,
2263, 2265, 2270 et 2271 et suiv., 2276.) Le désordre de ce
chapitre prouve que le législateur a simplement entendu donner
le tarif des délais de prescription, s'en référant, pour ce qui con-
cerne la manière dont la prescription s'accomplit, aux règles qu'il a
522 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
déjà posées, sauf à les compléter quand besoin sera, comme il le
fait dans les articles 2265 et 2266.
369 bis. II. La formule de l'article 2262 est d'ailleurs un peu trop
large, d'abord parce qu'elle n'indique pas que le délai de trente
ans est un maximum, et qu'un grand nombre de dispositions,
dont la plupart suivent, fixeront des délais plus courts ; ensuite, parce
qu'il est un certain nombre d'actions qui sont imprescriptibles,
comme l'action en réclamation d'état quand elle est intentée par la
personne même qui revendique son état (art. 328), l'action en par-
tage, tant que dure l'indivision (art. 815). Évidemment, ces cas
sont l'objet d'une réserve sous-entendue, comme les règles sur les
conditions diverses des diverses prescriptions.
369 bis. III. Il était nécessaire d'insister sur la portée restreinte
de l'article 2262, pour montrer qu'il ne bouleverse pas toute la
théorie de la prescription, telle qu'elle résulte des chapitres précé-
dents. Que les deux prescriptions conservent, malgré l'article 2262,
leur nature propre et leurs caractères distinctifs, que l'une, la
prescription libératoire, suppose uniquement l'expiration du laps
de temps requis, mais que l'autre, la prescription acquisitive, de-
mande une possession légale ayant duré pendant le laps de temps
fixé; d'où cette conséquence que les droits réels ne se perdent
pas directement parce qu'ils n'ont pas été exercés pendant trente
ans, mais indirectement lorsqu'un possesseur a acquis, par la con-
tinuation de sa possession, le droit que son véritable titulaire
n'exerçait pas.
369 bis. IV. Quelques droits cependant s'éteignent par le non-
usage, l'usufruit, l'usage, l'habitation, les servitudes. La loi s'est
exprimée sur ce point, elle a eu en vue l'intérêt de la propriété
que l'extinction de ces droits affranchira. Mais il n'en est pas ainsi
du droit de propriété lui-même. Le Code ne l'a pas envisagé comme
un droit périssable, et notamment il n'a pas parlé de son extinction
par le non-usage, d'où l'on a toujours conclu que tant que la pro-
priété n'est pas acquise à un nouveau propriétaire, elle continue
d'appartenir au même propriétaire, bien qu'il n'ait pas exercé son
droit.
369 bis. V. Tout le monde est d'accord sur ce point, la propriété
ne se perd pas par le non-usage, mais on a tenté de faire une dis-
tinction entre la propriété et l'action réelle qui la sanctionne, pour
donner un sens absolu à l'article 2262. On a dit : l'action en reven-
T1T. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2262. 523
dication se prescrit pour trente ans, elle s'éteint par le simple laps
de temps, puisque l'article dit que les actions réelles, comme les
actions personnelles, sont prescrites par trente ans, sans exiger
expressément d'autres conditions pour les unes que pour les autres.
369 bis. VI. Il faut voir d'abord où conduit cette doctrine; elle
conduit à décider que le propriétaire qui a perdu la possession
depuis trente ans ne peut plus revendiquer, et que partant il n'est
plus propriétaire. D'un autre côté, si le possesseur n'a pas acquis
par une prescription acquisitive, il n'est pas propriétaire, on en
conclut que le bien est sans maître et qu'il appartient à l'État (1).
Ainsi, un immeuble est délaissé par son propriétaire, il reste inculte
pendant longues années ; vient une personne qui s'en empare, le
cultive pendant quelques mois ou quelques années, mais la période
de trente ans, qui a commencé à courir quand le fonds a été aban-
donné, expire, le fonds appartient à l'État; il n'est plus à l'ancien
propriétaire, il n'est pas au possesseur qui n'a pas prescrit. Voilà
l'hypothèse dégagée de toute circonstance accessoire, c'est sur celle-
là que nous devons raisonner pour apprécier la valeur du principe
posé.
369 bis. VII. Il nous semble d'abord qu'une théorie qui a pour
point de départ une distinction nécessaire entre la prescription de
l'action et la prescription de la propriété, ne devrait pas conclure
aussi hardiment de l'extinction de l'action à la perte du droit de
propriété; car dire que la propriété ne se perd pas par non-usage (2),
mais qu'elle cesse quand se perd l'action, faute d'exercice, c'est
bien revenir à la perte par non- usage. Pour concilier les deux
idées, il faudrait dire que le possesseur ne peut être, il est vrai,
dépossédé, puisque le propriétaire a perdu son action, mais que
celui-ci peut, en cas d'abandon de la chose par le possesseur,
reprendre lui-même la possession et opposer aux prétentions des
tiers et en particulier de l'État son droit de propriété, qui n'a pas
été perdu.
369 bis. VIN. Cette observation n'est pas autre chose qu'une
critique préalable de la doctrine; il faut maintenant étudier cette
(1) V. M. Laurent, Principes du droit civil français, t. VI, n° 166 in fine;
t. XXVI, n° 207. Dans les passages que nous citons, la décision du principe tend
à attribuer à l'Etat les biens donnés à des communautés religieuses non autorisées,
mais la doctrine doit, d'après sa formule générale, s'appliquer à tous les cas de
dépossession, et c'est sous sa forme générale que nous l'examinons.
(2) V. M. Laurent, t. XXXII, n° 367.
524 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
doctrine dans son fondement, dans cette allégation que l'action en
revendication est exposée à une prescription extinctive dont les
conditions sont celles qui régissent la prescription libératoire, c'est-
à-dire qu'il n'est plus question d'une possession continuée par celui
qui invoque la prescription, mais qu'il suffit de l'expiration du
laps de trente ans.
369 bis. IX. Pour que l'action fût soumise à une autre pres-
cription que le droit qu'elle sanctionne, il faudrait qu'elle constituât
un droit distinct du droit sanctionné par elle. Or, l'action dans les
principes du droit français est-elle en soi un droit? Qu'on lui ait
attribué cette qualité dans le droit romain à l'époque de la procé-
dure formulaire : jus persequendi judicio quod nobis debetur, cela se
comprend, puisque la procédure devant le juge n'était possible
qu'en vertu d'un ordre du magistrat qu'on appelait actio, et que
dès lors le droit de créance ou le droit de propriété n'impliquait pas
directement par lui-même le droit de faire juger l'affaire. Chez nous,
rien de semblable, le droit de créance ou de propriété comprend
dans ses attributs le droit de saisir directement la justice, et
l'action n'est pas autre chose que la mise en mouvement du droit,
l'exercice judiciaire du droit de propriété ou de créance, le droit
poursuivi en justice (1). Si l'action est le droit lui-même, comment
peut-elle se perdre par prescription dans des conditions autres que
le droit?
369 bis. X. Il est vrai que nous admettons, avec l'article 2262,
une prescription des actions personnelles qui semble distincte de la
prescription de la créance, mais ce n'est là qu'une apparence. Ici
le droit lui-même, la créance, s'éteint par le simple défaut d'exer-
cice, solo temporis lapsu, et l'action éteinte par contre-coup paraît
s'être éteinte principalement, de sorte qu'il n'y a pas d'intérêt à
distinguer la prescription du droit et celle de l'action, et qu'on
a pu, sans inconvénient, parler de la prescription de l'action ou
de la prescription de la créance. La différence des expressions n'a
pas d'importance au point de vue juridique.
369 bis. XI. Mais il en est tout autrement quand il s'agit des
droits réels et des actions réelles. Par la nature même des choses,
la prescription de l'action ne peut pas se concevoir indépendante
de la prescription du droit. Il ne faut pas, en effet, oublier la diffé-
(1) V. M. Laurent, t. VI, n°77.
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2262. 525
rence caractéristique qui sépare les droits réels des droits per-
sonnels, ceux-ci opposables à une personne déterminée, ceux-là
opposables à tout le monde ; ceux-ci imposant le plus souvent à
l'obligé un fait à accomplir, ceux-là n'imposant qu'une abstention,
l'abstention de tout acte contraire au droit. Cela étant, on comprend
bien que le fait de ne pas poursuivre un débiteur constitue à la
fois la prescription du droit et la prescription de la créance, mais
comment comprendre la prescription de l'action réelle envisagée
distincte de la prescription du droit? Puisque l'action peut être
dirigée contre une personne quelconque, puisque, considérée
comme droit distinct, c'est un droit contre tous les hommes, contre
le genre humain tout entier, quel sera le fait qui constituera un
exercice de ce droit? Suffira-t-il d'avoir actionné une personne
quelconque pour que l'action soit réputée exercée et qu'à l'égard
de tout le monde la prescription soit interrompue? Ainsi, Pierre
possède aujourd'hui depuis quelques mois seulement, le proprié-
taire qui ne possède plus depuis plus de trente ans a eu l'occasion
d'intenter, il y a vingt ans, une action contre Paul, aura-t-il inter-
rompu la prescription môme au point de vue de Pierre, devenu
possesseur plus tard? S'il en est ainsi, la règle res inter alios acta
est violée; s'il en est autrement, et il doit en être autrement, le
droit d'action se trouve perdu, bien que son titulaire en ait usé
depuis moins de trente ans.
Voilà, à notre sens, ce qui rend impossible la supposition que le
législateur a pu admettre une prescription distincte de l'action
réelle. C'est l'impossibilité, pour celui à qui appartient le droit
d'action, d'exercer ce droit contre toutes les personnes contre qui il
existe. ,
369 bis. XII. Allons plus loin, le droit d'action n'existe pas tant
qu'une personne n'a pas porté atteinte au droit réel : qu'un débiteur
obligé ad faciendum soit exposé à une action dès qu'il n'accomplit
pas le fait promis, et que dès lors on puisse dire : l'action commence
à se prescrire, rien de plus facile à comprendre; mais qu'une action
réelle soit considérée comme commençant à se prescrire alors que
personne n'a porté atteinte au droit que sanctionne cette action,
cela est contraire à la théorie même de la prescription, toute pres-
cription a pour point de départ l'inaction ou la négligence d'un
ayant droit. Où est la négligence au point de vue du droit d'action
quand personne n'a attenté au droit réel ? La négligence consiste dans
520 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. 111.
Je défaut d'actes de maître sur le fonds, dans l'abandon de la pos-
session, niais cette négligence n'est pas relative au droit d'action,
elle constitue ce que nous appelons le non-usage, et quand on rai-
sonne sur le droit de propriété, on se heurte à cette vérité reconnue
que la propriété ne s'éteint pas par non- usage. Il ne faut donc pas
tenir compte de l'abandon de la chose par le propriétaire, il ne faut
envisager que ce qui concerne l'action proprement dite, et sous ce
rapport il n'y a pas négligence du propriétaire, tant qu'il n'existe
pas d'adversaire contre qui diriger son action. Si l'on poussait à
l'extrême l'idée que le droit d'action préexiste, qu'il est antérieur
à tout trouble causé au propriétaire, qu'il se prescrit alors même
que la possession n'est pas encore usurpée, ne faudrait-il pas dire
que le propriétaire qui possède depuis plus de trente ans et qui,
par conséquent, n'a pas exercé son droit d'action, a perdu le
droit de l'exercer, le droit de revendication, et pour compléter, en
nous emparant de la formule du système que nous combattons,
nous ajouterons : n'ayant plus l'action, il n'est plus propriétaire, et
sa chose appartient à l'État. Cette conséquence tout exagérée du
système ne nous paraît pas de nature à. le faire adopter.
369 bis. XIII. La définition classique de l'action en revendication
nous paraît démontrer que le droit de revendiquer n'existe pas tant
que personne n'a porté atteinte au droit de propriété. C'est une
action qui tend à faire recouvrer la possession et qui s'appuie sur
le droit de propriété. D'après M. Laurent, elle a pour objet la res-
titution de la chose revendiquée (1). Une action en restitution ne
peut pas exister, ne peut pas être prescrite tant que la chose n'est
pas détenue par un autre que le propriétaire.
369 bis. XIV. Ainsi apparaît, dans notre question, un élément
nouveau, la possession, ce qui nous ramène aux règles de la pres-
cription à fin d'acquérir. Si la prescription de l'action ne peut com-
mencer que lorsque commence une possession contraire au droit
du propriétaire, nous avons le droit de dire que le législateur ne
s'est pas occupé d'une prescription spéciale de l'action, qu'il s'en
est référé aux règles sur la prescription acquisitive. A.urait-il pu
faire autrement sans réduire à néant toutes les règles qu'il a minu-
tieusement établies sur cette prescription? Car s'il avait admis une
prescription simplement extinctive de l'action, il en résulterait qu'à
(1) V. M. Laurent, t. VI, n» 173.
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2262, 2263. 527
partir d'un fait quelconque de détention commencerait à courir la
prescription de l'action; qu'il ne serait pas nécessaire de posséder
animo domini; que le possesseur précaire pourrait prescrire contre
l'action, etque l'action éteinte, il conserverait l'immeuble. On aurait
peine à concilier ce résultat avec les textes qui déclarent que le
possesseur précaire ne peut jamais arriver à la prescription. Nous
dirions la même chose au cas de possession discontinue, le pos-
sesseur aurait cessé de posséder, il aurait repris possession, la pres-
cription de l'action aurait couru depuis la première prise de pos-
session. On arriverait ainsi au même résultat que par la prescrip-
tion acquisitive en dehors des principales conditions auxquelles la
loi a subordonné cette prescription, et l'on consacrerait une bien
grande injustice dans certaines hypothèses, par exemple quand le
vice de la possession serait la précarité, car le propriétaire ne serait
pas en faute d'avoir négligé d'intenter l'action, rassuré qu'il était
par le titre du possesseur qui impliquait une reconnaissance de
son droit.
A moins qu'on n'aille jusqu'au bout et qu'on dise : quand l'action
en revendication est éteinte par prescription, l'immeuble n'appar-
tient pas au possesseur qui ne l'a pas prescrit à fin d'acquérir, il
appartient à l'État (art. 713).
Si nous avons démontré que l'action en revendication ne peut
pas périr solo tempore, nous n'avons pas besoin d'examiner cette
dernière proposition qui est comme le complément du système,
l'affirmation que la perte du droit d'action implique la perte de la
propriété et que l'État acquiert la propriété abandonnée.
370. D'après le principe général, une rente dont, pendant
trente ans consécutifs, les arrérages n'auraient pas été exigés,
serait prescrite. Cela posé, comme il serait toujours facile au
débiteur, qui par un paiement exact aurait évité toute pour-
suite, de soutenir plus tard qu'il n'a pas payé, et de se pré-
tendre libéré par prescription, la loi autorise le créancier ou
ses ayants cause a se faire fournir, après vingt-huit ans de la
date du dernier titre, un litre nouvel, dont le débiteur doit
naturellement supporter les frais. V. art. 2263.
370 bis. I. A propos de l'extinction des droits par le laps de
trente ans, la loi fait une digression; elle ajoute une obligation à
528 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III,
celles qui pèsent régulièrement sur les débiteurs de rentes. Elle
leur impose la nécessité de fournir un titre récognitif, qu'elle appelle
titre nouvel ou nouveau, après vingt-huit ans de la date du dernier
titre. Les raisons données au n° 380 font comprendre à la fois
l'utilité de la règle et le rapport qu'elle a avec la prescription.
Il serait à craindre qu'après avoir régulièrement rempli ses
obligations, le débiteur de la rente ne prétendît n'avoir jamais
payé les arrérages et n'invoquât la prescription extinctive de la
rente elle-même. Contre une pareille allégation, le créancier serait
ordinairement désarmé, car les paiements sont habituellement
constatés par des quittances sous seing privé, remises au débiteur,
de sorte qu'à moins d'avoir dérogé à l'usage, en donnant des quit-
tances notariées ou en exigeant du débiteur la reconnaissance des
différents paiements (autrement dit des contre-quittances), le créancier
ne pourrait pas prouver que l'obligation a été exécutée. La loi vient
au secours des créanciers de rentes, en leur fournissant un moyen
préventif. Lorsque approchera l'époque de la prescription, le créan-
cier pourra demander un titre récognitif, à cette époque la présen-
tentation de son titre primordial suffira pour prouver qu'il est
créancier, et la suppression des quittances par le débiteur ne présen-
terait aucun danger. Si le débiteur refusait de donner le titre nou-
veau, il interviendrait un jugement constatant l'existence du droit;
et à partir de ce jugement, il faudrait certainement l'expiration
d'un nouveau délai de trente ans pour que la prescription s'ac-
complît.
La période pendant laquelle le titre nouveau peut être exigé
est celle des deux ans qui précèdent l'expiration du délai de la
prescription (après vingt-huit ans), période suffisante pour que le
créancier ait le temps de songer au danger et de se mettre en règle,
et assez courte pour que le droit de demander un titre nouvel ne
soit pas une cause de vexations exercées incessamment par le
créancier contre le débiteur.
370 bis. II. La disposition de l'article 2263 est assez générale dans
ses termes pour que nous n'hésitions pas à l'appliquer aux rentes
viagères comme aux rentes perpétuelles, celles-là, comme celles-ci,
pouvant s'éteindre par une prescription de trente ans faute du
paiement des arrérages.
Mais, d'un autre côté, l'article est assez précis pour ne pas être
étendu aux dettes de sommes exigibles, à l'égard desquelles il
TIT. XX. DE LV PRESCRIPTION. ART. 2263. 529
serait d'ailleurs inutile. Ces dettes , en effet , ne sont pas menacées
pas la prescription au même degré que les rentes; pour mieux dire,
le créancier est suffisamment protégé contre les éventualités d'une
prescription prochaine, car, pour que le créancier soit exposé à
une prescription imminente, il faut que la dette soit échue depuis
bientôt trente ans, la prescription étant suspendue tant que le terme
n'est pas arrivé (art. 2257), et si la dette est échue, le créancier qui
craint la prescription n'a qu'à demander en justice son paiement
pour interrompre la prescription (art. 2244). La règle de l'article
2263 est donc inutile dans ce cas; elle n'était nécessaire, au cas
de rente, que parce que le capital n'est jamais exigible et que le
créancier ne peut pas agir en justice tant que les arrérages lui sont
régulièrement payés.
370 bis. III. Le texte de l'article 2263 ne laisse aucun doute sur
le point de départ du délai de vingt-huit ans, après l'expiration
duquel le titre nouvel peut être exigé. Ce délai part du jour où a été
dressé le dernier titre (primordial ou récognitif). Son cours n'est pas
entravé, parce que le premier terme d'arrérages ne sera échu que
quelques mois après la date même du titre : il n'y a rien là qui
contrarie les principes, le délai de vingt-huit ans n'est pas un délai
de prescription; de son expiration ne dépend pas l'extinction, mais
la naissance d'un droit; il n'y a pas à se demander si le terme
accordé pour le paiement doit reculer ou non le point de départ de
ce délai.
370 bis. IV. Mais la question change de face quand, laissant de
côté l'obligation de donner un titre nouvel, on recherche à partir
de quelle époque commence la prescription libératoire en faveur
du débiteur d'une rente. Gommencera-t-elle au jour du contrat, ou
bien au jour de l'échéance du premier terme d'arrérages? L'article
2263 n'a pas envisagé cette hypothèse, qui doit être régie par les
principes généraux. Or, l'idée première de la prescription libéra-
toire, c'est qu'elle est fondée sur le défaut d'exercice d'un droit pen-
dant un certain temps, L'ancienneté n'est pas par elle-même une
cause d'extinction, c'est parce qu'il n'a pas été exercé que le droit
périt. Gela ne fait pas doute pour les créances à terme, la prescrip-
tion ne commence qu'à l'échéance (art. 2257). Le droit existe
dès le jour du contrat; mais comme il ne peut être exercé qu'à
l'échéance, la prescription ne commence qu'à cette époque. Nous
pensons qu'il doit en être ainsi de la rente, le créancier ne peut
vin. 34
530 COL'KS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. M.
exercer son droit qu'à l'échéance du premier terme d'arrérages,
de ce jour-là seulement son inaction peut lui être reprochée , il est
logique de ne pas faire courir plus tôt la prescription. On objecte
le texte de l'article 2263, et l'on dit : La rente n'est pas une créance à
terme, les arrérages seuls sont dus à terme; nous ferons observer
que la rente, qui n'est pas un droit à terme quant au capital,
puisque le capital n'est jamais exigible, n'en est pas moins une
créance à jour fixe quant à son exécution, puisque le créancier ne
peut rien demander avant le premier terme. Or, quand l'article 2257
parle des créances à jour fixe, il ne peut songer qu'à un jour fixé
pour l'exécution, la créance exigible, mais à terme, existant bien cer-
tainement dès le jour du contrat; pourquoi, dès lors, resteindre son
application aux créances qui sont proprement à terme et ne pas
l'étendre à celles dont la seule exécution est retardée par la conven-
tion des parties? Les raisons qui expliquent les dispositions de l'ar-
ticle 2257 n'existent-elles pas avec la même puissance au cas de
rente qu'au cas de dette exigible?
Nous l'avons du reste fait remarquer tout d'abord, le texte de
l'article 2263 ne peut être invoqué, il donne au créancier un droit
que celui-ci a intérêt d'exercer lorsque la prescription approche ;
or, il est bien certain que la prescription est imminente, même
dans notre opinion, lorsque vingt- huit ans se sont écoulés depuis
la date du titre.
370 bis. V. Nous venons d'appliquer aux rentes une des règles
sur la suspension de la prescription. Nous pensons qu'il en est
d'autres encore dont il faut tenir compte et dont l'application res-
treindra l'effet de l'article 2263. Nous songeons aux articles 2252
et 2253, qui établissent, l'un que la prescription ne court pas
contre les mineurs et les interdits, l'autre qu'elle ne court point
entre époux. Quand la rente sera due à un mineur ou à un interdit,
quand elle sera due par un conjoint à son conjoint, le danger de la
prescription n'aura pas existé tant que la cause de suspension aura
duré, et par conséquent tout le temps qu'elle aura duré devra être
défalqué quand on fera le compte des vingt-huit ans dont parle
l'article. Si un mineur a été créancier de la rente pendant dix ans
depuis la date du titre, si pendant dix ans la rente a été due par
un époux à l'autre, ce n'est pas après vingt-huit ans, mais après
trente- huit, que le titre nouvel pourra être exigé. Le demander
plus tôt, ce serait imposer au débiteur une charge inutile, puisque
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2263-2265. 531
la prescription n'est pas menaçante quand il reste encore au moins
douze ans avant qu'elle soit accomplie.
371. La prescription de trente ans forme le droit commun
pour tous les cas que la loi n'a pas prévus. Mais, indépen-
damment de la prescription de dix et vingt ans, et de quelques
prescriptions particulières, objet des deux sections suivantes,
il existe plusieurs autres prescriptions dont les règles sont
expliquées dans les divers titres auxquels elles se rapportent.
V. art. 2264; v. à ce sujet art. 475, 617, al. 5, 690, 691,
706, 707, 789, 957, 966, 130-4, 1660-1663, 1676, 2180-4°.
371 bis. Il faut bien comprendre quelle est la portée de 1 article
2264. Il n'a certes pas la prétention de soustraire les diverses pres-
criptions auxquelles il fait allusion aux règles générales de la ma-
tière, notamment aux règles sur les interruptions et les suspen-
sions ; la loi les a par exemple appliquées, par les articles 709 et 710,
à la prescription extinctive des servitudes; de même elle a fait allu-
sion aux modes d'interruption dans l'article 2180 à propos des hypo-
thèques. Il faut bien qu'il en soit ainsi, car elle n'a traité que très-
sommairement de ces prescriptions, dont elle parle accidentellement
et passim; ce qu'elle en a dit ne permettrait pas de les faire fonc-
tionner si les règles générales n'étaient pas sous-entendues. Le but
de l'article 2264 est tout simplement de rappeler le principe speciaîia
generalibus derogant qui, par la force des choses, laisse intactes toutes
les règles auxquelles la loi spéciale n'a pas dérogé expressément.
SECTION III.
De la prescription de dix et vingt ans.
372. Celui qui, en acquérant un immeuble, a juste sujet
de croire qu'on lui en transmet la propriété, ne doit pas
rester pendant trente ans exposé à l'éviction. A cet égard,
notre Code a adopté, a peu de chose près, les principes de
l'usucapion telle que Justinien l'avait réformée. L'acquéreur
dont la bonne foi est fondée sur un juste titre prescrit donc
la propriété, par dix ou par vingt ans, suivant que le proprié-
taire habite ou non dans le ressort de la cour d'appel dans
34.
532 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
l'étendue duquel l'immeuble est situé. V. art. 2265-, et re-
marquez :
1° Que la prescription dont il s'agit ici ne s'applique qu'aux
immeubles, dont elle est une manière d'acquérir la propriété;
2° Que la loi exige pour cela une acquisition de bonne foi
et par juste titre, c'est-à-dire une prise de possession accom-
pagnée de la croyance de propriété et fondée sur une cause
qui de sa nature serait translative de propriété (v. article
5o0) ;
3° Que le temps requis pour prescrire est de dix ou de
vingt ans, pendant lesquels, bien entendu, l'acquéreur doit
posséder avec les conditions requises (v. art. 2229)-,
4* Que pour exiger, suivant les cas, une possession de dix
ans ou une possession de vingt ans, notre loi considère Yha-
bitationj ou le domicile du propriétaire, et la situation de
l'immeuble, sans égard au domicile du possesseur (Contr.
Just., L. ult., Cod., de prœscr. long. temp.).
372 bis. I. La prescription par dix ou vingt ans est une prescrip-
tion acquisitive qui a son origine dans l'ancienne usucapion des
Romains et surtout dans l'usucapion du droit de Justinien. Elle est
soumise aux règles générales sur la prescription à fin d'acquérir, que
nous avons déjà étudiées, et qui concernent principalement la pos-
session et ses caractères; mais elle exige deux conditions, dont nous
n'avons pas encore parlé et qui sont inutiles pour arriver à la pro-
priété par trente ans; elle veut le juste titre et la bonne foi.
C'est à l'existence de ces deux conditions que cette prescription
doit d'être plus rapide que la prescription ordinaire. Puisqu'elle s'ap-
puie sur un titre, elle ne risque pas de consacrer une usurpation,
elle tend au contraire à consolider une acquisition imparfaite;
puisque le possesseur est de bonne foi, il n'est pas en faute et il
doit être protégé contre les conséquences ruineuses que pourrait
avoir pour lui l'opération qu'il a faite, s'il était évincé d'un im-
meuble dont il aurait payé le prix ou sur lequel il aurait fait des
dépenses considérables.
372 bis. II. L'article 2265, qui donne l'idée générale delà prescrip-
tion par dix ou vingt ans, peut être traduit ainsi : celui qui reçoit
un immeuble a non domino de bonne foi et à juste titre prescrit
TiT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2265. 533
par une possession de dix ou vingt ans. Il faut en effet supprimer
de la déQnition le mot acquiert, qui signifierait : devient propriétaire,
puisque la prescription suppose que la propriété n'a pas passé de
celui qui tentait d'aliéner à celui qui tentait d'acquérir; nous disons
en outre que l'immeuble a été reçu a non domino pour faire com-
prendre comment la propriété n'a pas été acquise alors qu'il y avait
juste titre ; cette circonstance, du reste, ressort de l'article qui sup-
pose l'existence d'un véritable propriétaire distinct de l'auteur de
la tentative d'aliénation. Enfin, nous complétons l'article en insis-
tant sur la nécessité de la possession, condition sous-entendue par
la loi, qui l'a présentée plus haut comme nécessaire à la prescrip-
tion acquisitive.
372 bis. III. Il faut examiner successivement les conditions que
nous venons d'énumérer. Parlons d'abord du juste titre. Le mot
titre est pris ici dans l'acception que lui donne l'article 690, il ne dé-
signe pas un écrit servant de preuve (instrumetitum), mais un fait
juridique de nature à transférer la propriété. Certes, la plupart du
temps, il faudra un écrit pour établir l'existence de ce fait, mais c'est
là une question de preuve, et si les règles du Code permettent dans
telle ou telle hypothèse de prouver autrement que par écrit, la pos-
session n'en sera pas moins appuyée sur un titre quand elle s'appuiera
sur un fait juridique qui n'aura pas été constaté dans un acte écrit.
Un fait juridique de nature à transférer la propriété, ce sera par
exemple une vente, un échange, une dation en paiement; ce pourra
être une donation ou un legs, seulement il faudra observer, par rap-
port à ces deux derniers titres, qu'il aura été nécessaire que le fait
ait été constaté par écrit, parce que la donation et le testament sont
des actes solennels à l'égard desquels la formalité de l'écriture est
exigée non pas seulement ad probationem, mais pour la validité
même, ad solemnitatem.
372 bis. IV. Voilà des faits qui sont incontestablement des titres;
mais il en est d'autres qui auront peut-être le caractère apparent
d'un fait de nature à transférer la propriété sans être des titres
véritables.
Nous citerons d'abord les jugements, non pas bien entendu les
jugements d'adjudication, mais ceux qui auront statué sur une
demande en revendication, soit qu'un jugement ait rejeté une
demande intentée contre le possesseur actuel, soit que ce posses-
seur ait pris possession en vertu d'un jugement rendu sur sa
534 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
demande contre un autre possesseur. Dans les deux hypothèses, le
jugement n'est pas un fait générateur de droit; dans le premier cas,
il repousse simplement une prétention sans déclarer que le posses-
seur est propriétaire. Dans le second cas, il reconnaît la préexistence
du droit de propriété chez le demandeur, mais il ne transmet pas
ce droit, il n'est pas une cause d'acquisition. Dans ses rapports avec
le vrai propriétaire, étranger au procès, le possesseur ne peut pas
prétendre trouver un titre dans ce jugement.
372 bis. V. Le partage de succession n'est pas non plus un titre
puisqu'il n'est que déclaratif de propriété; l'héritier tient son lot
directement du défunt (art 883), il ne peut donc pas avoir d'au-
tres droits que ceux que celui-ci lui a transmis, et partant pas de
titre si le défunt n'en avait pas. Il est vrai que nous avons quel-
quefois refusé de donner à l'article 883 tout l'effet que sa formule
paraît comporter. Nous avons dit : C'est une fiction dont les effets
ne doivent pas dépasser ceux en vue desquels elle a été introduite.
Or, l'article a pour but de protéger le cohéritier loti contre les ayants
cause de ses cohéritiers. Dans les rapports avec d'autres personnes,
le partage doit être considéré comme un acte translatif de propriété,
ainsi qu'il l'est dans la réalité des faits. Dans cet ordre d'idées, le
vrai propriétaire du bien est un tiers, et alors le partage est par
rapport à lui un titre.
La conséquence de cette doctrine serait que le copartageant
pourrait prescrire par dix ou vingt ans les parts de propriété que ses
cohéritiers lui ont transmises, et qu'il ne pourrait pas prescrire,
faute de titre, la part qui lui appartenait avant le partage dans le
bien indivis qui a constitué son lot. La solution qui peut paraître
quelque peu étrange, parce qu'elle aboutit à une acquisition par-
tielle par un possesseur de la totalité du bien, se justifierait cepen-
dant très-bien par cette considération que le cohéritier loti a fait
des sacrifices, semblables à ceux que fait un acheteur ou un échan-
giste, pour acquérir les parts de propriété de ses cohéritiers, soit
qu'il ait abandonné des parts dans la propriété d'autres objets, soit
qu'il ait payé une soulte ou un prix d'ajudication sur licitation. Il
mérite donc que la loi facilite une prescription, qui lui évitera des
pertes peut-être considérables. Nous hésitons cependant à adopter
cette solution, parce qu'elle s'inspire d'une interprétation de l'article
883, qui s'éloigne beaucoup du texte de la loi en y introduisant
une distinction qui ne s'y trouve pas.
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ARf. 2265. 535
372 bis. VI. Si maintenant nous parlons d'un partage de com-
munauté, il faut distinguer, quant aux effets, selon que l'époux loti
est ou n'est pas celui du chef duquel le bien est entré dans la com-
munauté. Nous supposons que l'époux loti n'est pas celui du chef
duquel le bien est entré dans la communauté; comme la com-
munauté n'est pas une personne, comme les biens de la commu-
nauté sont des biens indivis entre les deux époux, le bien lui
appartenait déjà pour moitié depuis son entrée en communauté,
et pour cette moitié il avait un titre, c'était l'apport fait par son
conjoint qui, en organisant leur régime matrimonial, avait consenti
à ce que le bien devînt un bien indivis. Pour la 2e partie du bien,
l'époux loti est réputé l'avoir acquise, dès le principe, en même
temps qu'il acquérait l'autre, si l'on applique l'article 883, et si
on ne l'applique pas, il a dans le partage un titre pour cette partie,
qui était celle de son conjoint pendant l'indivision. Quelle que soit
donc la doctrine qu'on accepte sur l'article 883, on arrivera tou-
jours à reconnaître que l'époux loti a un titre pour toute la propriété
de l'immeuble. Il n'est pas cependant indifférent de savoir si l'on
considère ou non le partage comme déclaratif, parce que s'il était
traité dans cette hypothèse spéciale comme translatif de propriété,
le titre n'existerait pour la seconde moitié que du jour du partage,
et les deux parts de propriété ne pourraient pas être prescrites en
même temps.
372 bis. VII. Examinons maintenant le cas où l'immeuble est
tombé dans le lot de celui des époux qui l'a mis en communauté.
A son égard la mise en communauté n'est pas un titre, il y a au
moins une moitié sur laquelle il a toujours conservé tels quels
les droits qu'il avait, et s'il n'avait pas de titre, il n'en a pas acquis
par le fait qui a donné à son conjont la moitié de l'immeuble. S'il
n'a pas de titre pour la moitié qui était resté sienne, il n'en a pas
davantage pour l'autre, quand on applique l'article 883 à la lettre,
l'immeuble est censé lui avoir toujours appartenu dans les condi-
tions où il lui appartenait avant la mise en communauté. Lui recon-
naîtrons-nous un titre dans la doctrine qui refuse d'appliquer l'ar-
ticle 883 ? Dira-t-on : Le conjoint lui a transmis par le partage sa
moitié, donc il a un titre? On pourrait sans inconvénient admettre
que le titre existe parce qu'il faudrait bien reconnaître que la
bonne foi manque, car ce titre émane d'un prétendu propriétaire
dont il est l'auteur, et puisqu'il sait qu'il manque lui-même de
536 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
titre, il doit savoir que sou ayant cause n'a pas la propriété.
372 bis. VIII. Nous n'avons pas à nous occuper du cas où l'im-
meuble est entré dans la communauté comme acquêt, parce qu'alors
l'époux qui l'a acquis à titre onéreux a nécessairement un titre et
que ce titre lui est commun avec l'autre conjoint, dont on peut dire
qu'il était le représentant en faisant une acquisition qui, d'après le
contrat de mariage, devait profiter à la communauté.
Si le bien n'a que l'apparence d'un acquêt, en ce sens qu'il n'a pas
été véritablement acquis pendant le mariage, mais qu'ayant été sim-
plement possédé pendant le mariage, il compte comme acquêt en
vertu de l'article 1402, les deux époux n'ont pas de titre tant que
dure le mariage, car la femme elle-même qui possède par le mari
son mandataire, se trouve n'avoir pas reçu la possession par un acte
qui devait la rendre propriétaire, mais l'avoir prise par son manda-
taire et n'avoir pas plus de titre que lui ; après le partage, elle conti-
nue à manquer de titre pour la moitié qui était sienne pendant
l'indivision, et d'après l'article 883 elle manque également de titre
pour l'autre moitié, qu'elle est censée avoir toujours eue, tandis que
si l'on n'applique pas l'article 883, elle a un titre émané a non do-
mino, puisque son mari lui a cédé cette moitié. Resterait à chercher
si elle a été de bonne foi.
372 bis. IX. Le partage d'une société demandera les mêmes dis-
tinctions que le partage d'une communauté, quand il s'agit d'une
société qui n'est pas une personne civile. Quant aux sociétés qui ont
une personnalité, il faudra dire qu'elles auront possédé en vertu
d'un titre la totalité de l'immeuble, car la mise dans une telle société
est une aliénation; partant, l'associé qui reçoit l'immeuble dans son
lot a également un titre dans le partage, de sorte que succédant en
vertu de ce titre à la possession de la société, il prescrira à partir
du jour où l'immeuble sera entré dans le fonds social. Nous ne dis-
tinguons pas, quant à l'existence du titre, si l'associé loti est celui-là
même qui a mis l'immeuble dans la société ou si c'est un des autres,
mais il est clair qu'au point de vue de la condition de bonne foi, le
possesseur sans titre qui aura mis la chose en société pourra diffici-
lement, lorsqu'il aura la chose dans son lot, prétendre arriver à la
prescription de dix ou vingt ans.
372 bis. X. La question de savoir si la transaction est un juste
titre dépend de la solution qu'on donne à une difficulté célèbre sur le
caractère du contrat de transaction. Est-il déclaratif ou attributif
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 25CO. 537
de propriété? S'il a le premier caractère, il n'est pas un titre; s'il a
le second, il est un titre. Nous renvoyons à ce que nous avons dit
plus haut sur ce point. Nous avons établi que tout dépend de la
volonté des parties et que, quand elle ne se manifeste pas expressé-
ment, on doit supposer qu'elle a eu pour Lut une translation des
droits de l'une des parties à l'autre. Dans ce cas, elle doit servir de
titre (1).
372 bis. XL Ce que nous venons de dire sur les choses aban-
données dans une transaction par l'une des parties à l'autre, ne
fait, bien entendu, difficulté qu'en ce qui concerne les choses sur
lesquelles portaient les prétentions rivales: s'il s'agissait d'un bien
non contentieux entre les parties et que l'une d'elles donnerait à
l'autre, comme elle donnerait une somme d'argent pour la déter-
miner à transiger, il est bien certain que cette cession n'est pas
simplement déclarative, mais translative de droit, en un mot,
qu'elle est un titre.
372 bis. XII. La seconde condition nécessaire pour que le pos-
sesseur prescrive par dix ou vingt ans, c'est la bonne foi; on en-
tend par ce mot la croyance de ce possesseur que son auteur était
propriétaire et que par conséquent il l'est devenu lui-même. C'est à
raison de cette croyance erronnée que la loi abrège la durée ordinaire
de la prescription acquisitive.
La bonne foi a pour point de départ le titre, car il est difficile
de comprendre comment une personne pourrait se croire devenue
propriétaire si sa possession ne lui était pas advenue à la suite d'un
fait juridique de nature à transférer la propriété. Néanmoins, les
deux conditions ne se confondent pas. Ainsi, on peut avoir un titre
et être de mauvaise foi; c'est ce qui arrive quand on sait que l'auteur
de qui l'on tient la chose n'était pas propriétaire; à l'inverse, on
peut être de bonne foi et n'avoir pas de titre. Ainsi, le possesseur
croit que la chose a été achetée pour lui par son mandataire. C'est
l'hypothèse que les anciens jurisconsultes désignaient en disant
que le titre était putatif. Notre Code, qui ne se contente pas de la
bonne foi, mais qui veut en outre un titre, n'admet pas la pres-
cription par dix ou vingt ans dans ces conditions, puisque le titre
n'existe que dans la pensée du possesseur. D'autres hypothèses se
rapprochent de celles-là, dans lesquelles, faute de titre, la bonne foi
(1) V. ci dessus, n° 281 bis. VI-XIII
538 COUHS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
ne suffit pas. Ainsi, le titre sera une donation nulle en la forme
(art. 2267) ou un legs révoqué; quand bien même la personne igno-
rerait la nullité de la donation ou la révocation du legs, le défaut
de titre ferait obstacle à la prescription par dix ou vingt ans.
372 bis. XIII. L'erreur qui constitue la bonne foi du possesseur
doit porter uniquement sur le droit de son auteur, il faut avoir cru
que l'auteur était propriétaire; il n'en faut pas davantage. Si l'acte
d'aliénation était entaché d'un vice comme l'incapacité de l'aliénateur,
la violence ou le dol, il ne serait pas nécessaire que le possesseur
ignorât les divers vices pour être de bonne foi. Il a pu contracter
dans l'espérance d'une confirmation ultérieure, émanée de celui
qui a l'action en nullité; il a cru acquérir une propriété rescindable,
car le contrat a une existence tant qu'il n'est pas annulé à la de-
mande de la partie incapable ou victime soit du dol, soit de la vio-
lence; d'où il résulte que dans les rapports avec le vrai propriétaire,
le vice est censé ne pas exister, et que par conséquent il importe peu
que le possesseur le connaisse ou l'ignore. Ce possesseur est dans
la position de celui qui aurait traité sous une condition résolutoire
et qui a un titre tant que la condition n'est pas réalisée; il est de
bonne foi en ce sens qu'il a juste sujet d'espérer la confirmation du
contrat annulable, comme le possesseur qui a un titre résoluble a
juste sujet d'espérer que la condition ne se réalisera pas (1).
372 bis, XIV. Quand les deux conditions de titre et de bonne foi
sont réunies, la prescription s'accomplit par une possession de dix
ou vingt ans, selon que le vrai propriétaire habite ou non dans le
ressort de la Cour d'appel dans l'étendue duquel l'immeuble est situé.
La circonstance qui sert à déterminer quand la prescription aura
lieu par dix ans et quand par vingt ans, nous montre clairement
quel motif a inspiré au législateur cette fixation alternative d'un
délai de prescription. On voit que la durée du délai est en raison
directe de la distance qui sépare le vrai propriétaire de son im-
meuble. S'il en est éloigné, la prescription est plus longue; s'il en
est rapproché, la prescription est plus courte. La loi apparemment
a pensé que le propriétaire surveille plus facilement son immeuble
et connaît plus aisément les usurpations quand il est dans le voi-
sinage de cet immeuble que quand il en est éloigné; supposition
très près de la vérité, surtout s'il s'agit non pas de ces usurpa-
(1) V. cas où l'auteur était propriétaire sous condition résolutoire, C. C,
20 janvier 1880. Sirey, 1881, I, 201.
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2265. 539
tions totales qui privent le propriétaire de tout le profit de sa pro-
priété, mais de ces petites usurpations partielles, très-ordinaires
dans les champs et qui n'apparaissent qu'à l'œil du maître.
372 bis. XV. Cette distinction entre le cas où le propriétaire
habite près de son immeuble et celui où il habite plus loin, n'est
pas la reproduction de la règle romaine, elle n'en est qu'une imi-
tation. Dans le Droit romain la plus ou moins longue durée de la
prescription dépendait de Péloignement ou du voisinage des deux
personnes, le possesseur et le vrai propriétaire; la situation relative
de l'immeuble n'était pas à considérer. Aussi exprimait-on la règle
en disant : La prescription est de dix ans inter prœsentes, de vingt
ans inter absentes. C'était aussi la formule de la coutume de Paris
(art. 113) que l'article 116 de cette même coutume traduisait en
ces termes : Sont réputés présents ceux qui sont demeurant en la
ville, prévôté et vicomte de Paris. La règle, ainsi formulée et ainsi
comprise, ne peut pas être justifiée par la plus ou moins grande
difficulté de la surveillance, mais par cette raison, plus vraie à
Rome que dans l'ancienne France, qu'il est plus facile d'intenter
un procès quand on demeure près du défendeur que lorsqu'on
demeure loin de lui.
Dans le Code civil, ce qui est à considérer, c'est la situation de
l'immeuble par rapport au propriétaire qui le revendique. Cet
immeuble est-il ou non situé dans le ressort de la Cour d'appel
où habite le vrai propriétaire? Aussi a-t-on évité les expressions
anciennes entre présents, entre absents, qui sont dénuées de signifi-
cation, quand elles n'expriment pas une relation entre deux per-
sonnes. Il en reste bien quelque chose dans l'article 2266, qui nous
parlera des années d'absence et des années de présence ; mais cet
article n'est pas celui que pose la règle, et il a employé des mots
incorrects, brevitatis causa, considérant si le maître est présent
ou absent par rapport à son immeuble et subissant peut-être à son
insu l'influence d'une coutume citée par Pothier (1), qui, s'écartant
du Droit romain et admettant le système que le Code civil a depuis
consacré, disait : Sont réputés présents ceux qui sont demeurants
dedans dix lieues à l'environ de la situation de l'héritage, et ceux
qui sont demeurants plus loin que de dix lieues sont réputés
absents. (Coût, de Sedan, art. 313.) Dans cet ordre d'idée, il ne
(I) V. Pothier, Traité de la prescription, n* 106.
540 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
faudrait pas parler d'une prescription entre présents ou absents,
mais d'une prescription contre présents ou absents.
372 bis. XVI. Dans les explications qui précèdent, nous avons
laissé avec intention régner un certain vague sur un point important,
que le Code ne traite pas avec précision. Nous avons dit, comme
l'article 2265, qu'il s'agit de savoir si le propriétaire habite ou non
dans le ressort de la Cour d'appel où est situé l'immeuble. Il est
cependant bien nécessaire de déterminer d'une façon juridiquement
exacte le sens de l'expression habiter. Qu'est-ce que la loi entend par
celte habitation? est-ce un domicile? est-ce une résidence? s'agit-il
du siège légal des affaires et des intérêts de la personne (art. 101)?
s'agit-il d'une résidence de fait? Le Code, dans l'article 2265,
semble éviter le mot domicile; il est vrai que dans l'article suivant
il l'emploie; mais l'article 2265 est celui qui contient la règle, et
c'est surtout dans la formule même d'une règle qu'il faut chercher
l'expression qui manifeste la volonté du législateur, l'autre article
applique la règle, il est subordonné au précédent, les mots y ont
moins d'importance, car le législateur a pu simplement chercher à
varier ses expressions dans l'intérêt du style. La manière dont le
Code exprime sa pensée dans ces articles a beaucoup d'importance,
car il semble s'inspirer de Pothier, qui dit indistinctement : Lorsque
les possesseurs et le propriétaire demeurent dans le même bailliage,
ou lorsqu'ils y ont leur domicile, et qui finit par ces mots (n° 107) :
Lorsque nous disons que la prescription court entre présents,
lorsque tant le propriétaire que le possesseur ont leur domicile
dans le même bailliage, il est évident que nous n'entendons parler
que du domicile de fait et de résidence. Pothier explique longue-
ment par des exemples, dans la suite du paragraphe, cette distinc-
tion entre le domicile de fait, la résidence et le domicile de droit.
Les rédacteurs du Code civil ont bien pu, dans l'article 2266,
employer le mot domicile en se servant de la terminologie de
Pothier et en songeant à la résidence qu'ils appelaient dans l'ar-
ticle précédent l'habitation.
Si on laisse de côté la question de mots, on arrive à penser que
la décision formelle de Pothier a dû s'imposer aux rédacteurs du
Code civil encore plus qu'à Pothier lui même. Le Code, en effet,
admet une règle qui n'est pas celle de Pothier, il considère si le
propriétaire habite loin ou près de l'immeuble; nous l'avons dit, il
prolonge le délai de la prescription en raison de la difficulté de
T1T. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. St263. 541
surveillance; or, est-ce de son domicile ou de sa résidence que le
propriétaire peut surveiller l'immeuble possédé par un tiers? La
surveillance est chose de fait, la facilité de surveiller dépend du
rapprochement ou de l'éloignement de fait de la personne qui sur-
veille. Qu'importe qu'elle ait un domicile en droit dans le ressort
de Cour d'appel où est situé l'immeuble, si elle passe sa vie dans
un autre ressort ou même à l'étranger (i)?
372 bis. XVII. Il nous faut maintenant parler des effets de la
prescription par dix ou vingt ans, en examinant d'abord quels sont
les biens qui peuvent être ainsi acquis et ensuite quelle est l'étendue
des droits acquis.
C'est d'abord le droit de propriété dos immeubles qui peut être
prescrit par dix ou vingt ans. Le texte est formel sur ce point.
Mais le texte néglige de parler des démembrements du droit de
propriété (usufruit, usage, habitation, servitudes), et le silence de
la loi permet de mettre en doute la possibilité de les prescrire.
M. Demante a soutenu que l'usufruit peut être acquis par la pres-
cription en général, et par la prescription de dix à vingt ans en
particulier; il a montré qu'il n'était pas nécessaire d'édicter une
disposition formelle sur ce point, parce que l'usufruit est un droit
de même nature que la propriété et comme une partie de ce droit.
Nous n'avons pas besoin de revenir sur celte discussion (2).
L'usage et l'habitation s'établissent de la même manière que
l'usufruit (art. 625); par conséquent, ce que nous avons dit de
l'acquisition de l'usufruit par prescription s'applique à l'usage et à
l'habitation.
372 bis. XVIII. Quant aux servitudes, il existe des textes : d'abord
l'article 691, qui pour les servitudes ayant soit le caractère de
non-apparence, soit celui de discontinuité, n'admet aucune espèce de
prescription acquisitive; ensuite l'article 690, qui, pour les servi-
tudes continues et apparentes, n'admet que la prescription par
trente ans et exclut par là celle dont nous nous occupons. On peut
le considérer comme dérogeant à la disposition générale de l'ar-
ticle 2265. Cette opinion, admise par la jurisprudence (3) la plus
récente, est enseignée par M. Demante (4).
(1) V. C. I, Pau, 6 juillet 1S61. Sirey, 1861, 2, 433.
(2) V.t II, n°418 bit. IVetV.
(3) V. C. G., 23 novembre 1875. Sirey, 1876, 1-103.
(4) V. t. II, n° 546 bis. I.
oi!2 coins ... àlytique de code civil, liv. m.
372 bis. XIX. Nous avons dit qu'il fallait examiner l'effet de la
prescription de dix ou vingt ans, quant à l'étendue du droit acquis.
Nous entendons poser ainsi la question de savoir si la propriété
acquise par cette prescription reste grevée des charges qui pesaient
sur elle entre les mains du vrai propriétaire, ou si elle arrive au
prescrivant franche et quitte de toutes ces charges.
L'espèce que nous envisageons est celle-ci : une personne reçoit
a non domino, avec juste titre et bonne foi, un fonds grevé d'usufruit,
de servitude, d'hypothèques; elle prescrit par dix ans contre le vrai
propriétaire, aura-t-elle prescrit contre l'usufruitier, le propriétaire
de la servitude, ou le créancier hypothécaire?
Le Droit romain donnait sur ce point une solution affirmative
quand il s'agissait de la prœscriptio longi temporis devenue sous
Justinien fusucapion par dix ou vingt ans. Pothier exposait la même
doctrine dans l'ancien Droit, il l'appuyait sur divers articles des
coutumes, notamment sur l'article 114 de la coutume de Paris, et
comme cet article ne s'expliquait que sur les rentes et hypothèques,
il insistait sur le caractère général de la règle et l'appliquait for-
mellement aux servitudes et à l'usufruit (1).
L'acquisition de la propriété franche par la prescription de dix
ou vingt ans est donc, dans la tradition, ce qui tend à faire pré-
sumer qu'elle a été admise par les rédacteurs de Gode civil.
372 bis. XX. Il est vrai qu'ils ne se sont pas expliqués sur ce
point; mais à propos d'une autre charge réelle, l'hypothèque, ils
ont consacré la règle ancienne (art. 2180). Nous avons, sur cet
article, démontré qu'il établit une prescription acquisitive de la
liberté du fonds, une acquisition de ce qui manquait à la propriété
pour être complète (2), ce qui nous autorise à accepter la même idée
en matière de servitudes. Si la loi considère comme possible l'acqui-
sition par prescription de ce qui manque à la propriété quand elle est
grevée d'hypothèque, à combien plus forte raison ne doit-elle pas
autoriser la prescription acquisitive de la partie du droit de pro-
priété qui en est détachée sous le nom d'usufruit ou de servitude 1
Ces deux droits ayant certainement le caractère de démembrements
de la propriété qui est contesté à l'hypothèque, on peut plus sûrement
dire à propos de ces droits-là, qu'à propos de celui-ci, que le mode
d'acquisition qui donne la propriété entière peut bien aussi attri-
(1) V. Pothier, Prescription, n° 139.
(2) V. t. IX, n° 164 bis. II.
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2^65. 5 i3
buer la propriété partielle. Par ce raisonnement, on trouve moyen
d'appuyer la solution sur le texte de l'article 2265, car l'usufruit
d'un immeuble, la servitude, sont des immeubles, on les possède en
possédant le fonds franchement, comme disait la coutume de Paris, et
par cette possession on acquiert l'immeuble, c'est-à-dire le démem-
brement de la propriété, une parcelle de la propriété.
372 bis. XXI. On objecte, il est vrai, que le Code, aux titres de
l'usufruit et des servitudes, exige trente ans pour l'extinction par
non-usage. Mais Pothier prévoit et réfute cette objection, qui s'ap-
puyait autrefois sur l'article 186 de la coutume de Paris. Il établit
la différence entre la prescription extinctive résultant du simple
non-usage, et la prescription acquisitive, qui a lieu en faveur d'un
possesseur qui a titre et bonne foi. Nous dirons comme lui; les
articles 617 et 706 qui traitent du non-usage ne sont pas en contra-
diction avec l'article 2265, qui établit une prescription acquisitive
justifiée par une possession avec titre et bonne foi (1).
372 bis. XXII. Le caractère que nous attribuons à la prescription
par dix ou vingt ans, en tant qu'elle éteint par voie indirecte les
servitudes ou l'usufruit, n'implique pas que cette prescription
s'identifie avec la prescription de la propriété, qu'elle ne fasse qu'un
avec elle, ce sont deux prescriptions parallèles, s'appuyant sur le
même principe, mais ayant leurs conditions d'être spéciales, puis-
qu'elles ont des objets différents et qu'elles s'accomplissent au
préjudice de personnes différentes. Nous avons déjà vu, sur l'ar-
ticle 2180, que la prescription de l'immeuble et la prescription de
l'hypothèque par un tiers détenteur ont leurs conditions d'être
distinctes, que notamment elles ne commencent pas au même
moment, et partant de ce fait, nous avons indiqué certaines règles
qui ont un caractère relatif et qui ne peuvent pas raisonnablement
s'appliquer exactement de la même façon quand la prescription est
invoquée contre le propriétaire ou contre le créancier hypothécaire.
Nous allons faire les mêmes distinctions quant à la question que
nous examinons.
372 bis. XXIII. Des règles sur la prescription de dix ou vingt ans,
quelques-unes ont un caractère relatif, d'autres un caractère absolu;
pas de difficulté sur ces dernières ; quant aux autres, puisqu'elles
ont pour point de départ la protection due à une personne déter-
(1) Cette opinion est exprimée par M. Deuante, t. II, n° 463 bis. II et 565 bis.
51i C01I1S ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
minée, il ne serait pas plus rationnel, en cette matière qu'en celle
des hypothèques, de les appliquer dans les rapports du possesseur
avec une personne autre que celle dans l'intérêt de qui la règle est
établie.
La première condition de la prescription, c'est la possession, c'est-
à-dire la détention animo domini. Celle-ci est certainement abso-
lue ; le détenteur doit avoir la prétention à la propriété, et la pro-
priété étant un droit erga omnes, le possesseur doit se présenter
comme propriétaire erga omnes.
La seconde condition de la prescription par dix ou vingt ans,
c'est l'existence d'un titre; elle est abiolue en ce sens que si le pos-
sesseur n'a pas tenté d'acquérir la chose par un fait juridique de
nature à transférer la propriété, il n'aura pas de titre non plus quant
au démembrement de propriété qu'il prétend acquérir comme com-
plément de son droit de propriété; il lui faut un titre lui conférant
en apparence la propriété franche, donc il lui faut un titre de pro-
priété. Sous ce rapport, le même titre sert aux deux prescriptions,
en réalité il y a deux titres, car l'aliénateur, en prétendant transférer
la propriété franche, a par là même prétendu transférer les divers
droits qui démembraient la propriété.
Mais le titre n'existe, par rapport à ces démembrements, qu'au-
tant qu'il n'en a pas déclaré l'existence, car, s'il l'a déclarée, l'au-
teur n'a pas prétendu conférer la propriété complète, et par con-
séquent, pour ce qui, d'après le titre même, manque à la propriété,
le possesseur est dépourvu de titre (1). Il est semblable à un acheteur
qui, ayant traité pour la moitié indivise de l'immeuble, serait cer-
tainement dénué de titre quant à l'autre moitié.
372 bis. XXIV. Dans cette hypothèse où l'existence d'un droit réel
soit d'usufruit, soit de servitude, a été déclarée par celui qui a tenté
d'aliéner le fonds, on pourra cependant concevoir une prescription
par dix ou vingt ans produisant indirectement l'extinction du droit
réel. Il faudrait alors qu'il existât un titre spécial quant à ce droit.
Le possesseur de l'immeuble aurait acheté l'usufruit de quelqu'un
qui ne serait pas le véritable usufruitier, ou la servitude d'un
voisin possesseur du fonds dominant sans en être propriétaire. Il
aurait certes un titre en ce qui touche le droit réel qui démembrait
sa propriété et que son auteur quant à la propriété ne lui avait
(1) V. Pothier, Prescription, n° 139.
TiT. XX. DE LA PRESOMPTION. ART. 2265. 545
pas vendu. Ce titre existant, nous ne voyons pas comment il n'ac-
querrait pas le droit qui manque à sa propriélé, comme il l'acquer-
rait par un acte émané a vero domino ou par une prescription
fondée sur un titre afférent à la propriété franche.
Nous le ferons d'ailleurs observer; il est assez généralement re-
connu que l'usufruit peut être acquis par la prescription de dix ou
vingt ans, et que si l'on n'admet pas ce mode d'acquisition pour
les servitudes quand il s'agit de les constituer, c'est qu'il s'agit de
grever une propriété, ce qui peut présenter des dangers au point
de vue économique. Il n'y a pas les mêmes raisons d'empêcher
l'acquisition d'une servitude déjà constituée qui a pour résultat
l'extinction même de ce droit, puisque nous le supposons acquis
par le propriétaire de l'immeuble servant.
372 bis. XXV. Après le titre, il faut parler de la bonne foi. C'est
là une condition relative, car la bonne foi, c'est l'erreur; or, l'erreur
peut porter sur des points divers, et par conséquent le possesseur
peut être de bonne foi par rapport à un droit dont il ignore l'exis-
tence, et de mauvaise foi par rapport à un autre droit qu'il connaît.
On comprend la bonne foi sur la propriété et la mauvaise foi
sur la servitude lorsqu'on en connaît l'existence. Pourquoi, en pareil
cas, le possesseur jouirait-il d'une prescription privilégiée quant
au droit dont il connaît l'existence?
Le contraire serait possible, le possesseur de mauvaise foi quant
à la propriété pourrait être de bonne foi quant à la servitude. Nous
n'admettrons pas alors la prescription par dix ou vingt ans, parce
que si l'on peut comprendre la prescription de la propriété sans la
prescription de la franchise de cette propriété, à l'inverse il est dif-
ficile de comprendre la prescription de la franchise sans la prescrip-
tion de la propriété.
372 bis. XXVI. La prescription par dix ou vingt ans est soumise,
quant à sa durée, à certaines conditions qui ont un caractère relatif.
Nous voulons parler des règles qui subordonnent la durée de la pres-
cription à la circonstance que celui contre qui l'on prescrit réside
dans tel ou tel lieu. Nous l'avons dit, le délai est prolongé ou abrégé,
selon que la résidence du propriétaire lui donne moins ou plus de
facilité pour surveiller l'immeuble et interrompre la prescription.
Ces règles sont donc inspirées par l'intérêt particulier de celui contre
qui l'on prescrit; dès lors, quand il s'opère deux prescriptions simul-
tanées à propos du même bien, on comprend qu'il y ait deux délais
vin. 35
546 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. 111.
différents si les deux personnes contre qui l'on prescrit n'ont pas les
mêmes facilités de surveillance, si elles demeurent l'une dans le res-
sort de la Cour d'appel où est situé l'immeuble, l'autre hors de ce
ressort.
372 bis. XXVII. Enfin, la question de durée fait songer aux règles
sur les suspensions et les interruptions; elles ont aussi certainement
un caractère personnel et relatif; si le propriétaire est majeur, est-il
juste que la prescription coure contre le propriétaire de la servi-
tude qui est mineur? Si le propriétaire n'a pas fait d'actes interrup-
tifs de prescription, pourquoi ne tiendrait-on pas compte de ceux
qu'aurait faits l'autre intéressé?
Dans ces deux hypothèses toutefois, et dans celles qu'examine
le n° 372 bis. XXVI, nous devons faire certaines réserves. Nous
admettons bien que la prescription de la servitude puisse être plus
longue que celle de la propriété, mais nous n'admettons pas qu'elle
puisse être plus courte. Nous avons dit la raison plus haut, on peut
prescrire la propriété sans la franchise, mais on ne peut pas prescrire la
franchise sans la propriété. Cette solution diffère de celle que nous
avons donnée sur les mêmes questions en matière d'hypothèque (1).
Nous nous étions alors contenté de tirer notre seconde solution de
la première par voie de réciprocité; aujourd'hui, en examinant au
fond les deux hypothèses, nous pensons de l'hypothèque ce que
nous venons de dire concernant les servitudes.
372 bis. XXVIII. Dans tout ce que nous venons de dire sur l'effet
de la prescription de dix ou vingt ans par rapport aux servitudes,
nous avons toujours supposé l'accomplissement des deux prescrip-
tions ayant pour objet l'une la propriété et l'autre le complément
de la propriété que la servitude diminue. Autrement dit, nous avons
envisagé uniquement l'hypothèse où celui qui prescrit a reçu l'im-
meuble a non domino. Nous devons nous occuper d'une autre espèce,
dans laquelle un acquéreur tiendrait l'immeuble du vrai propriétaire,
ce qui rendrait inutile la prescription de la propriété, mais n'aurait
reçu qu'une propriété grevée de servitude, ce qui laisserait tout
intérêt à la prescription d'un complément de cette propriété.
On a repoussé, dans cette hypothèse, l'idée que la servitude pour-
rait s'éteindre en alléguant que puisqu'elle s'éteint quand la prescrip-
tion de la propriété s'accomplit par dix ou vingt ans, c'est unique-
(1) V. t. IX, n» 164 bis. \ in fine.
TIT. XX. DÉ LA. PRESCRIPTION. ART. 2265. 547
ment par voie de conséquence, ce qui rend inadmissible l'extinction
de la servitude quand le fait d'où découle cette conséquence n'a pas
lieu, c'est-à-dire quand le possesseur n'a pas besoin d'invoquer la
prescription pour établir sa propriété.
372 bis. XXIX. Cette doctrine, nous le dirons tout d'abord, a
un grand défaut qui prévient contre elle, c'est de plus mal traiter
celui qui tient la chose du vrai propriétaire que celui qui l'a reçue
a non domino. Elle a le tort en second lieu d'abuser d'un mot qui
sert à établir, dans l'exposition, la différence entre le cas que nous
examinons et le cas de non-usage, mais qui n'explique pas le fonde-
ment théorique de la prescription dont nous nous occupons.
Il est inexact en effet de dire que l'extinction de la servitude est la
conséquence de la prescription de la propriété; nous savons bien
que cette dernière peut se réaliser sans que l'autre s'accomplisse,
nous avons cité bien des hypothèses où ce résultat se produit. Au vrai,
il y a là deux prescriptions distinctes ordinairement simultanées,
parallèles, comme nous l'avons dit, mais indépendantes l'une de
l'autre. Ce sont deux prescriptions de deux fractionnements diffé-
rents de la propriété, l'une a pour objet la propriété diminuée par une
servitude, l'autre s'applique à cette part de propriété que l'existence
de la servitude retire de la propriété pleine. L'idée s'exprimera bien
plus nettement si, au lieu de raisonner sur une servitude prédiale,
nous songeons à une servitude personnelle, à l'usufruit. Ici le lan-
gage juridique nous fournira les expressions qui nous manquent
quand nous parlons de la propriété diminuée par un droit de vue
ou de passage. Ne peut-on pas concevoir, d'un côté la prescription
acquisitive de la nue-propriété, et de l'autre côté la prescription
acquisitive de l'usufruit? Est-ce que celle-ci ne peut fonctionner, que
si celle-là fonctionne? Et si j'ai acheté la pleine propriété vendue par
un nu-propriétaire, comment ne pas me considérer comme ayant
acheté a non domino l'usufruit? L'usufruit et les servitudes prédiales
sont des droits de même nature, et ce qui est vrai de l'un doit être
vrai des autres.
372 bis. XXX. Ces principes nous paraissent avoir été parfaite-
ment appliqués par l'article 2180, qui autorise une prescription de
l'hypothèque subordonnée à la possession, par conséquent une pres-
cription acquisitive, prescription qui peut s'accomplir par dix ou
vingt ans avec titre et bonne foi ; l'article établit cette prescription en
faveur du tiers détenteur de l'immeuble hypothéqué, alors que ces
35.
548 COUUS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
expressions, tiers détenteur, s'appliquent dans la matière hypothé-
caire bien plus souvent à un véritable acquéreur ayant reçu a rero
domino qu'à un possesseur qui tiendrait la chose a non domino (1).
Cette décision de la loi doit avoir un grand poids en ce qui touche
notre question de servitude, parce que, comme nous l'avons déjà
dit, il y a une bien grande affinité entre les deux matières.
373. Le temps de la prescription contre le propriétaire
absent du ressort de la cour d'appel étant double de celui qui
est exigé contre le propriétaire présent, il est naturel que s'il
a été successivement présent et absent, deux années d'absence
comptent toujours pour une de présence. V. article 2206.
373 M*. I. L'article 2266 résout une difficulté pratique qui se
présente quand le vrai propriétaire n'a pas résidé, pendant le temps
de la possession, toujours dans le ressort de la Cour d'appel ou tou-
jours hors du ressort. Il a été un certain temps présent et un cer-
tain temps absent. (N'ous employons ici la langage du Gode, qui
parle d'années d'absence et d'années de présence). Il n'a donc pas
été présent pendant dix ans. Il manque quelque chose aux dix
années exigées pour que la prescription soit accomplie. Le posses-
seur veut compléter le délai en comptant des années d'absence, la
loi lui en reconnaît le droit, mais elle ne donne à chaque année
d'absence que la valeur d'une demi-année de présence : si donc le
possesseur compte cinq ans de possession, pendant lesquelles le
propriétaire habitait le ressort de la Cour d'appel, il faudra compléter
par dix années de possession pendant lesquelles le propriétaire
aurait habité ailleurs, et ces dix années valant cinq, on arrive ainsi
à la prescription par dix ans.
373 bis. IL Le calcul que nous venons de faire n'est pas celui
que paraît commander le texte qui dit d'ajouter à ce qui manque
aux dix ans de présence un nombre d'années double de celui qui
manque. Il est évident qu'il y a là une erreur d'explication, car,
pour compléter un nombre insuffisant, il faut ajouter non pas à ce
qui manque, mais au nombre auquel il manque quelque chose.
S'il me faut dix mille francs et si j'en ai trois, ce n'est pas à sept
qu'il faut que j'ajoute sept, car j'arriverai à quatorze; c'est à trois,
nombre insuffisant, qu'il faut que j'ajoute sept pour obtenir dix.
(1)V. t. IX, n» 164 bis. lll
T!T. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2266, 2267. 549
Malgré cette obscurité dans l'expression, la pensée de l'article est
très-ciaire, il faut compléter les années de présence insuffisantes
avec des années d'absence, mais en les comptant chacune pour la
moitié d'une année.
373 bis. III. De cette manière de calculer, il résulte que la pres-
cription qui dure dix ans si le propriétaire a toujours demeuré
dans le ressort de la Cour pendant le temps de la possession et
vingt ans s'il a toujours demeuré hors du ressort, pourra quel-
quefois durer un nombre d'années inférieur à vingt et supérieur
à dix, qu'elle sera peut-être ainsi réalisée au bout d'un certain
nombre d'années entre dix et vingt complétées par quelques mois.
De là vient qu'on a pris l'habitude de la désigner sous le nom
de prescription de dix à vingt ans. Nous préférons l'expression
ancienne, prescription de dix ou vingt ans, parce qu'elle pré-
sente à l'esprit une idée plus précise et parce que les rédacteurs
de la loi, dans le cas même de l'article 2265, c'est-à-dire dans
l'hypothèse où en réalité la prescription s'accomplira peut-être
pour douze, quinze ou dix-sept ans, cherchent toujours à traduire
le résultat par le chiffre dix. Ils y arrivent, il est vrai, par un
artifice de calcul, en donnant à des années une valeur fictive de six
mois, mais par cette fiction ils complètent, suivant leur expression,
les dix années de présence. C'est donc que d'après eux il s'agit tou-
jours de la prescription de dix ans, et non pas d'une prescription à
durée variable.
374. Le titre est en général nécessaire pour foncier la
bonne foi; il ne peut produire cet effet lorsqu'il est entaché
d'un vice que personne n'est excusable d'avoir ignoré : aussi
le titre nul en la forme ne peut-il servir de base à la prescrip-
tion de dix ou vingt ans. V. art. 2267.
374 bis. I. Nous avons dit, aun°372fcis. JII-XI, ce que c'est qu'un
titre; ce n'est pas un écrit, c'est un fait juridique de nature à trans-
férer la propriété; s'il en est ainsi, le titre sera rarement nul en la
forme, car, en Droit français, il est rare que l'acquisition de la pro-
priété soit assujettie à des formes à peine de nullité. Cependant on
peut penser que les rédacteurs du Code ont pensé à la donation
qui, étant un contrat solennel, n'est pas translative de propriété
quand elle est nulle en la forme.
374 bis. II. Les nullités relatives entachant le titre ne le détruisent
550 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. L1V. III.
pas, il a une existence tant qu'il n'est pas annulé; il en est de
même du titre sous condition résolutoire, tant qu'il n'est pas résolu
il doit être traité comme un titre pur et simple. Sauf pour ces deux
titres à être réputés n'avoir jamais existé, s'ils sont l'un rescindé
et l'autre résolu. 11 faut se reporter, au reste, au n° 382 bis. XIII,
pour voir ce que nous avons dit de la bonne foi en ce qui con-
stitue les vices du titre.
Si la nullité était absolue, par exemple, si le contrat invoqué
comme titre avait une cause illicite, le titre étant vicié dans son
principe devait être considéré comme inexistant.
375. Au contraire, le titre régulier suffît pour faire présu-
mer la bonne foi jusqu'à la preuve contraire. V. art. 2268.
376. Au reste, notre Code, moins sévère que l'ancienne juris-
prudence, et conforme sur ce point au droit romain, n'exige
la bonne foi qu'au moment de l'acquisition. V. art. 2269.
376 bis. I. Il faut bien entendre la règle de l'article 2269. Elle
protège celui qui, ayant reçu de bonne foi, découvre plus tard son
erreur et se verrait, s'il ne prescrivait que par trente ans, exposé
bien longtemps à une action qui peut le ruiner, parce qu'il aura la
plupart du temps payé son prix lorsqu'il sera évincé. Cette raison
de faveur ne militerait pas dans l'intérêt de celui qui, achetant
de mauvaise foi, prétendrait prescrire par dix ans parce que son
vendeur aurait été de bonne foi. Il dirait : Ma possession n'est que
la suite de celle de mon auteur, et le commencement de cette
possession qui nous est commune n'était pas entaché de mauvaise
foi : malajides superveniens non impedit usucapionem.
Ce raisonnement s'appuie sur l'article 2265 en le défigurant. Il
n'y est pas écrit que la possession de l'acheteur et celle du vendeur
ne font qu'une seule et même possession, il y est dit que l'ayant
cause peut joindre à sa possession celle de son auteur, ce qui
suppose que l'ayant cause prescrit en vertu de sa possession propre.
De plus, l'article 2265 abrège la durée de la prescription en faveur
de celui qui acquiert de bonne foi, ce qui suppose la croyance du
possesseur commençant au moment où lui-même commence à
posséder, de même l'article 2269 se place au moment de l'acqui-
sition. Pour donner à l'acheteur le droit d'invoquer la bonne foi
de son auteur, il faut abuser de la maxime romaine mala fides
superveniens , en considérant les deux possessions comme se con-
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2268-2270. 551
fondant, et en traitant l'événement qui substitue un possesseur de
mauvaise foi au possesseur de bonne foi, comme le simple accident
qui, au milieu d'une possession par la même personne, lui donne
connaissance du vice ignoré de sa possession. Les Romains, du reste,
n'ont pas donné à la maxime le sens qu'on voudrait lui attribuer
pour justifier la doctrine que nous combattons (1).
376 bis. II. Il faut remarquer toutefois que l'ayant cause de
mauvaise foi pourra, pour acquérir par la possession de trente ans,
compter le temps pendant lequel son auteur a possédé, c'est la
conséquence de l'article 2235.
Cette observation nous conduit à une solution peut-être un peu
hasardée sur une hypothèse qui a été discutée. Le possesseur de
bonne foi tient la chose d'un possesseur de mauvaise foi, qui la
tenait lui-même d'un possesseur de bonne foi. Il est l'ayant cause
de ses deux prédécesseurs, il prend leur possession telle quelle;
d'un autre côté, possédant lui-même de bonne foi, il a droit de
prétendre à la prescription par dix ou vingt ans ; successeur du
premier possesseur qui était de bonne foi, il a droit de joindre à sa
possession celle de celui-ci, et succédant aussi à la possession du
possesseur intermédiaire, il peut alléguer qu'il a une possession non
interrompue; seulement, comme il ne peut pas avoir plus de droit
que l'auteur dont il invoque la possession, il ne peut pas donner
dans le calcul, aux années de possession de l'auteur de mauvaise foi,
la même valeur qu'aux années de sa possession propre, elles n'au-
ront qu'une valeur proportionnelle, elles vaudront deux tiers ou
un tiers d'année, selon qu'il s'agira d'arriver à une prescription
par dix ou par vingt ans. En effet, trente années de possession
de mauvaise foi équivalent à dix ou à vingt de possession de bonne
foi, on doit reconnaître qu'une année de possession de mauvaise
foi représente un tiers d'année sur une prescription de dix ans et
deux tiers sur une prescription de vingt ans. Le calcul proportionnel
que nous proposons ici a pour point de départ le règle analogue
donnée par la loi dans l'article 2266.
377. Dans cette section se trouve rangée une autre pres-
cription de dix ans, dont les principes sont entièrement dif-
férents-, elle est relative a la garantie des gros ouvrages faits
ou dirigés par les architectes et entrepreneurs. Nous avons
(1) V. Paul, I. II, § 17, D. proemptore, et Polhier, Prescription, n° 119.
552 COUnS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
déjà vu au titre du louage qu'en cas de construction, à prix
fait ils répondent, pendant dix ans, de la perle totale ou par-
tielle de l'édifice, si celte perte provient du vice de la con-
struction ou même du vice du sol (art. 1792). La loi les déclare
ici, d'une manière générale, déchargés de la garantie après
dix ans. V. art. 2270.
377 bis. I. Après avoir consacré cinq articles à la prescription
acquisitive par dix ou vingt ans, que son intitulé semblait avoir
seule en vue, la section III du chapitre qui traite du temps requis
pour prescrire, se termine par un article unique sur une pres-
cription libératoire, qui n'a pas d'autre rapport avec la précédente
que de s'accomplir par dix ans. C'est la prescription en faveur
des architectes et des entrepreneurs responsables des gros ouvrages
qu'ils ont faits ou dirigés.
Cet article semble faire double emploi avec l'article 1792, où la
question a déjà été abordée; néanmoins, alors même qu'on envisage
les deux articles comme traitant de la même prescription, il était
très-nécessaire que le Code élargît la règle trop étroite qu'il avait
donnée dans l'article 1792. Il n'y est question que de l'édifice con-
struit à prix fait, et en présence d'un texte aussi restrictif dans
ses expressions, il eût été difficile d'étendre la règle aux entre-
preneurs qui n'ont pas construit à prix fait et aux architectes
qui ont seulement dirigé les travaux. Ces deux classes de personnes
encourent cependant une responsabilité, et il est heureux que le
Code ait songé, dans le titre de la prescription, à statuer sur la
prescription en ce qui les concerne.
377 bis. II. Reste à savoir quelle est au juste la décision de ces
deux articles. Nous avons établi sur l'article 1792 qu'ils limitent
la responsabilité du constructeur, en ce sens que celui-ci est res-
ponsable seulement de tout accident survenu dans les dix ans
depuis l'achèvement des travaux, et qu'il échappe à la respon-
sabilité pour tout accident survenant après ce délai. Mais nous
avons pensé que, lorsque le sinistre survient dans les dix ans, ce
qui donne naissance à l'action en indemnité en faveur du pro-
priétaire, cette action, que rien ne limite d'après les textes de la
loi, doit durer trente ans en vertu des règles générales (1).
(1) V. t. VII, n° 245 bis. V1II-XIII.
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2270. 553
377 bis. III. Nous ne roulons pas revenir sur les raisons que
nous avons fait valoir dans le traité du louage, mais nous sommes
obligé d'examiner deux monuments très-importants de jurispru-
dence sur la question que nous venons de rappeler. Ce sont deux
arrêts de la Cour de cassation : le premier, émané de la Chambre
civile, a consacré la doctrine que nous avons exposée; le second,
arrêt rendu Chambres réunies, admet la solution contraire (I).
377 bis. IV. L'arrêt de la Chambre civile formule très-nettement
la doctrine en présentant les articles 1792 et 2270 comme des
dispositions relatives à la durée de la responsabilité, et en ajou-
tant qu'ils ne s'expriment pas sur la durée de l'action, qu'aucun
autre article ne traite de cette durée, ce qui implique que l'action
doit exister pendant trente ans. Le réquisitoire de M. l'avocat
général Desjardins a exposé brièvement, mais avec une grande force
de logique, les raisons qui ont déterminé la Chambre civile. Nous
appelons surtout l'attention sur un des raisonnements qui démontrent
que la loi n'a pas voulu parler de la prescription de l'action dans
les articles 1792 et 2270. Si telle était en effet sa pensée, elle
aurait certainement protégé les mineurs et les interdits, comme elle
les protège toujours, en suspendant la prescription; or, le texte est
rédigé de telle sorte, il dit si énergiquement : les architectes sont
déchargés, qu'on est amené à voir, dans le délai de dix ans,
un délai préfixe; solution très-naturelle, si l'on considère ce délai
comme limitant la période pendant laquelle le bâtiment doit durer,
très-critiquable, au contraire, si elle détermine le temps pendant
lequel l'action peut-être intentée, la ruine de l'incapable pouvant
être consommée par la négligence de son tuteur.
377 bis. V. L'arrêt du 2 août 1882 [Chambres réunies) présente
de la façon suivante l'unique motif de sa décision : « Attendu que
« de la combinaison des articles 1792 et 2270, C. C, il résulte que le
« législateur a voulu comprendre dans un délai unique de dix ans
« à partir de la réception des ouvrages, la responsabilité que l'ar-
« ticle 1792 établit à la charge des architectes et entrepreneurs,
« et l'action en garantie que cet article accorde au propriétaire
« de l'édifice qui, dans ce délai, a péri en tout ou en partie, par
« le vice de la construction et même par le vice du sol, de telle
(1) V. C. C.,Ch, civ., 5 août 1879, Sirey, 1879, I, 405; et C, C, Ch. réan.,
2 août 1882, Sirey, 1883, I, 5.
551 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
« sorte qu'après dix ans l'architecte et les entrepreneurs sont dé-
« chargés de toute garantie, tant pour le passé que pour l'avenir. »
377 bis. VI. S'il nous est permis de critiquer une décision aussi
solennelle de la Cour de cassation, nous ferons remarquer que le
considérant dont nous venons de reproduire le texte est l'affirmation
d'une doctrine plutôt que sa démonstration. Les articles sont obscurs
et la Cour le reconnaît, puisqu'elle ne les invoque pas purement et
simplement, elle fait sortir leur sens de leur combinaison; mais
elle ne nous montre pas comment elle les combine; trouve-t-elle
dans l'un des textes une disposition qui étend ou restreint le sens de
l'autre? C'est alors qu'on pourrait dire qu'elle les combine (i). Elle
ne fait pas ressortir ce qui, dans l'un de ces articles, aurait particu-
lièrement trait à la prescription de l'action. Elle traduit les deux dis-
positions plutôt qu'elle ne les combine, elle leur donne à toutes
deux le même sens; dans l'une elle comprend que la responsabilité
limitée à dix ans implique que l'action ne peut être intentée après ce
délai, comme dans l'autre elle voit que la décharge de garantie
implique l'impossibilité pour le propriétaire d'intenter une action.
L'argument consiste donc non pas à combiner les deux textes, mais
à les citer comme deux dispositions claires et précises et concor-
dantes de la loi.
377 bis. VII. Il faut chercher la pensée de l'arrêt dans les travaux
qui l'ont préparé et particulièrement dans le réquisitoire de M. le
procureur général Barbier. Il ne procède pas d'abord par combi-
naison, ce n'est pas dans une action et une réaction des deux articles
l'un sur l'autre qu'il cherche la volonté du législateur, c'est dans
les travaux préparatoires du Code et dans la doctrine ancienne. Il
avoue que les travaux préparatoires ne montrent pas clairement
l'intention du législateur; mais au milieu des obscurités de la dis-
cussion, il voit la volonté de ne pas innover. Il recherche donc la
solution ancienne de la difficulté. Elle n'apparaît pas pour lui très-
clairement dans le Droit romain, mais il la trouve dans les anciens
auteurs français. Sa citation la plus probante est empruntée à Brodeau
sur l'article 127 de la coutume de Paris; on y lit que l'action du
bourgeois contre les ouvriers se prescrit, d'après la pratique du
Châtelet, par dix ans, après lequel temps on n'est plus recevable
et il n'y a plus ni recours ni garantie.
(1 ) V. Dictionnaire de l'Académie- — Combinaison, union intime par laquelle les
parties de plusieurs corps se joignent pour en former un nouveau,
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2270, 227 1 . 555
Arrivant aux textes mêmes du Code civil, le réquisitoire contient
le germe d'une combinaison entre les articles; l'article 1792 con-
sacre le principe sur la responsabilité, l'article 2270 règle l'exercice
de l'action, d'où il résulte que la garantie et l'action en garantie se
confondent par la toute-puissance du législateur qui l'a voulu ainsi,
par les plus puissants motifs d'intérêt public, et qui a entendu se
conformer en cela au droit préexistant.
Les nécessités pratiques qui ont été ainsi invoquées pour corroborer
l'argument de droit ont été peut-être bien gravement prises en con-
sidération, car le réquisitoire se termine en recherchant la loi de la
loi et en appuyant la règle sur la nécessité de diminuer les procès
et d'en abréger la durée.
377 bis. VIII. En résumé, la difficulté pratique que soulevait
l'interprétation de nos deux articles aurait mérité d'être tranchée
par le législateur, elle l'eût été d'une façon définitive; elle est réso-
lue par la jurisprudence dans un sens qui n'était pas le nôtre, mais
cette jurisprudence s'appuie sur des motifs sérieux, et elle arrivée
un résultat plus avantageux pour les propriétaires que ne l'eût été
une loi qui aurait accordé, par exemple, deux ans pour intenter l'ac-
tion en prenant pour point de départ un délai de huit ans pour la
naissance du droit à la garantie. Il est donc à désirer que la contro-
verse s'éteigne, car elle portait avant tout sur une question d'in-
terprétation et ne mettait pas en jeu quelques-uns de ces grands
principes du droit en l'honneur desquels la doctrine doit toujours
protester quand elle les croit méconnus (1).
SECTION IV.
De quelques prescriptions particulières.
378. Sous cette rubrique, la loi comprend toutes les pres-
criptions non mentionnées dans des titres spéciaux, qui s'ac-
complissent par un laps de temps moindre de dix ans. Les
unes sont fondées sur l'usage où l'on est de payer plus ou
moins promptement certaines fournitures ou livraisons, cer-
tains services ou travaux, sans en prendre ou en garder quit-
tance-, les autres reposent sur des motifs particuliers.
(1) Le réquisitoire de M. le procureur général est reproduit par Sirey, 1883,1, 5.
Voy. aussi, ibidem, la note claire, précise et savante de notre collègue M. Labbé.
556 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
379. Dans la première classe il faut ranger les prescriptions
de six mois, un an, deux ans ou cinq ans, énumérées dans
les articles 2271, 2272, 2273.
La prescription de six mois s'applique :
1° Aux maîtres et instituteurs des sciences et arts, pour les
leçons au mois. V. art. 2271, al. 1.
2° Aux hôteliers et traiteurs, pour fourniture de logement
et de nourriture. V. art. 2271, al. 2.
3° Aux ouvriers et gens de travail, pour fournitures et
salaire. V. art. 2271, al. 3.
379 bis. I. L'article a besoin d'être complété en ce qui concerne
l'action des maîtres et instituteurs. En ne parlant que des leçons au
mois, la loi laisse de côté les leçons au cachet, c'est-à-dire à tant
la leçon, et celles qui sont données au trimestre ou à l'année.
Pour les leçons au cachet, il y a un argument à fortiori qui
tranche certainement la difficulté, le droit doit être prescrit par six
mois, puisque ce délai suffit pour une créance plus importante, celle
d'un mois.
Quant aux leçons dont le prix est fixé par époques plus longues
que le mois, il existe dans l'article une lacune que nous devons
combler en nous aidant de l'ancien Droit et de la décision du Gode
sur une hypothèse voisine. Pothier nous montre que l'ancien Droit
admettait une prescription d'un an pour frais d'instruction (1), d'où
l'on peut conclure que le Code a sous-entendu le maintien de cette
règle en réduisant le délai pour les leçons données au mois; de
plus l'article 2272 limitant à une année l'action des maîtres de
pension, l'on peut assigner la même durée à celui des professeurs
qui ne donnent pas à l'élève la nourriture et le logement.
379 bis. II. En ajoutant au mot ouvriers l'expression gens de tra-
vail, la loi a voulu donner plus de compréhension à sa règle, qui
embrasse par conséquent non-seulement les ouvriers proprement
dits, mais toute personne qui fait pour autrui des travaux à la
journée ou à la pièce, les ouvriers des champs, les domestiques ou
femmes de service qui ne se louent pas au mois.
Mais l'article ne comprend pas les créances des entrepreneurs,
c'est-à-dire de ceux qui s'engagent à faire exécuter des travaux
(1) V. Pothier, Traité des obligations, n" 675.
Tir. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2271, 2272. 557
par des ouvriers, sous leur responsabilité et en fournissant les maté-
riaux nécessaires. Ces créances sont soumises à la prescription
ordinaire.
380. La prescription d'un an s'applique :
•1° Aux médecins, chirurgiens et apothicaires, pour visites,
opérations et médicaments. V. art. 2272, al. 1, dont la dis-
position doit évidemment s'appliquer à toute personne qui
exerce légalement quelque branche de Tart de guérir.
2° Aux huissiers, pour le salaire de leurs actes ou commis-
sions. V. art. 2272, al. 2.
3° Aux marchands, pour le prix de leurs marchandises. A
cet égard, la loi n'établit point, et repousse par la même, la
distinction possible entre les marchands en gros et les mar-
chands en détail (v., au contraire, art. 2101-5°). Mais sa dis-
position est textuellement bornée aux ventes faites aux par-
ticuliers non marchands. V. art. 2272, al. 3.
4° Aux maîtres de pension ou d'apprentissage, pour le prix
de la pension des élèves, ou pour le prix de l'apprentissage.
V. art. 2272, al. 4.
5° Aux domestiques qui se louent a l'année, pour leur
salaire. V. art. 2272, al. 5.
Évidemment, au reste, sans que la loi ait eu besoin de s'en
expliquer ici particulièrement, le délai de ces diverses pres-
criptions doit courir, selon ces cas, tantôt à partir de chaque
service ou fourniture, tantôt à partir de l'échéance du terme
pour lequel les services et fournitures étaient promis et
payables.
380 bis. I. Quand la loi parle des marchandises vendues à des
particuliers non marchands, elle montre qu'elle a songé aux achats
qui n'ont pas le caractère commercial, d'où nous tirerons cette
conséquence que, même entre marchands, quand le débiteur n'aura
pas fait en achetant acte de commerce, la prescription sera régie
par l'article 2272. C'est ce qui arrivera quand un marchand aura
acheté d'un autre marchand des objets pour sa consommation
personnelle.
380 bis. II. L'ancien Droit distinguait entre les marchands en
558 COURS ANALYTIQUE DE GODE CIVIL. LIV. III.
gros et les marchands en détail, et la prescription était plus courte
contre ceux-ci que contre ceux-là (i). Mais le Code a abandonné cette
distinction, qui nécessitait une appréciation parfois difficile à faire
entre les fournitures en gros et les fournitures en détail.
380 bis. III. Le sens du mot maître de pension est précisé par le
mot élèves, qui lui est opposé ; il ne s'agit pas des établissements
qui, sous le nom de pensions , ne fournissent que le logement et la
nourriture, et quelquefois la nourriture seule, les maîtres de ces
établissements sont des hôteliers qui dissimulent leur véritable nom,
la situation est régie par l'article 2271.
380 bis. IV. Le point de départ de la prescription, dans les divers
cas prévus par les articles 2271 et 2272, n'est pas déterminé par
ces articles, probablement parce qu'il n'est pas possible de donner
une solution unique sur les diverses hypothèses. L'ancien Droit,
appuyé sur une ordonnance de 1510 et sur l'article 126 de la cou-
tume de Paris, prenait pour point de départ la première fourniture,
ce que Pothier interprète en ce sens que chaque fourniture sert de
point de départ à une prescription spéciale qui n'est point inter-
rompue par une continuation de fournitures (2).
Nous pensons que dans le silence du Code on doit accepter l'idée
de Pothier comme idée première de la doctrine. A chaque fourni-
ture correspond une créance, à chaque journée d'ouvrier, à chaque
visite de médecin, à chaque acte du ministère de l'huissier, naît
une nouvelle créance, qui doit commencer à se prescrire. Voilà ce
que la raison indique, puisque la loi n'a pas parlé (3). Maintenant,
il faut tenir compte de la convention des parties qui peuvent avoir,
tout en fixant le prix du travail à la journée, à la tâche, à la visite,
fixé comme un terme pour le paiement, les journées ou les ouvrages
à la tâche se payant à la fin de la semaine, ou de la quinzaine, les
visites à la fin de la maladie. Ces conventions pourraient être
expresses, quelquefois elles seront constatées par un règlement
de fabrique, d'autres fois elles pourront être reconnues tacitement,
quand on constatera des habitudes soit locales, soit personnelles
entre le créancier ou le débiteur. En tout cas, il est certain que
la cessation des travaux ou services permet d'en réclamer immé-
(1) V. Pothier, Obligations, n0s 672, 673.
(2) V. Pothier, Obligations, n" 680.
(3) V. cependant C. Chambéry, 28 février 1873. Sirey, 1873, 2, 298. Tri-
bunal de la Seine, J5 janvier 1870. Sirey, 1871, 2,24.
T1T. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2272. 559
diatement le prix et doit servir de point de départ à la prescription.
380 bis. V. On objecte à notre solution que la créance n'est point
à terme, puisque l'ouvrier pourrait demander son salaire avant la
quinzaine et le médecin ses honoraires avant la fin de la maladie;
mais cette assertion n'est exacte qu'autant qu'on ne reconnaîtra
pas en fait l'existence de la convention tacite dont nous venons de
parler, ou bien c'est que l'ouvrier ou le médecin use de la faculté
qu'il a de cesser ses services.
Nous ne nous arrêtons pas non plus devant une autre objection
qui invoque l'article 2274 en lui donnant un sens impératif, d'où il
résulterait que dans la pensée de la loi, chaque journée de travail,
chaque fourniture est nécessairement soumise à une prescription
séparée, puisqu'il est dit que la prescription a lieu malgré la conti-
nuation des fournitures ou services. Cet article, dit-on, donne une
solution positive à la question que nous agitons.
Nous ne pensons pas que l'article ait cette force exclusive, il
peut très-bien s'entendre dans le système que nous adoptons, car
si nous ne faisons pas commencer la prescription après chaque
journée de travail ou après chaque visite de médecin, nous dé-
clarons qu'elle commencera, suivant les cas, après chaque semaine
ou chaque quinzaine, après que le médecin aura cessé de venir
régulièrement parce que la maladie aura cessé. C'est alors que
l'article 2274 s'appliquera très-raisonnablement : quoique l'ouvrier
continue à travailler, qu'il recommence une nouvelle quinzaine,
que l'hôtelier conserve son locataire, que le médecin revienne voir
le même malade, trois, quatre ou six semaines après la cessation
de ses visites , ces différents faits n'interrompront pas la prescrip-
tion de l'ancienne créance. Voilà la portée certaine de l'article 2274,
il n'est pas nécessaire de lui faire dire davantage.
380 bis. VI. Toutes les créances énumérées dans les articles
2271 et 2272 ne donnent pas lieu à la difficulté que nous venons
d'examiner. Ainsi, pour les leçons au mois, pour les salaires des
domestiques qui se louent à l'année, pour le prix des pensions dans
les maisons d'éducation, l'époque des paiements se trouve naturel-
lement indiquée à la fin de chaque période de temps servant à
déterminer le prix des services, la fin du mois ou la fin de l'année;
à moins de conventions particulières, d'ailleurs fort ordinaires, qui
diviseraient le paiement de l'année par termes, par exemple par
trimestres, alors chaque trimestre se prescrirait séparément.
560 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
381 . L'aclion des avoués pour le paiement de leurs frais et
salaires est aussi assujettie a une courte prescription, fondée
uniquement, comme les précédentes, sur une présomption de
paiement. Mais le retard du paiement étant plus ou moins
probable, suivant que l'affaire est ou n'est pas terminée, la
prescription dans le premier cas est fixée a deux ans, qui
courent du jugement, de la conciliation, ou de la révocation
de l'avoué. Dans le second cas, elle est de cinq ans, à partir
de l'acte qui donne lieu aux frais ou au salaire. V. art. 2273.
381 bis. Il peut arriver qu'une affaire se termine par un juge-
ment ou une transaction, et qu'il soit dû à l'avoué des frais d'actes
faits depuis plus de cinq ans. Ces frais ne pourraient pas être
Téclamés, car la créance s'est éteinte par prescription à l'époque
où, l'affaire n'étant pas terminée, s'est achevée la période de cinq
ans depuis que les frais ont été faits; cette créance éteinte ne peut
pas revivre, parce que l'affaire a été reprise et terminée.
382. Quoi qu'il en soit, la continuation des fournitures,
livraisons, services ou travaux, n'étant pas ordinairement une
raison pour croire qu'il n'a été fait depuis l'origine aucun
paiement; cette continuation pouvant même souvent faire
présumer le contraire, elle ne doit pas en général faire obsta-
cle a la prescription. Mais lorsqu'il existe un arrêté de compte
ou autre acte équivalent, on ne peut plus supposer que le dé-
biteur aura payé sans retirer quittance : il n'y a donc plus lieu
qu'à la prescription ordinaire de trente ans. Il est clair que le
même effet est produit par une citation en justice, pourvu
qu'elle ne soit pas périmée. V. art. 2274.
382 bis. I. Les divers événements que prévoit l'article 2274,
2e alinéa, produisent ce résultat que la prescription cesse de courir.
Telle est l'expression du Code; elle manque de clarté parce qu'elle
n'est pas technique. Peut-être ne vise-t-elle qu'une simple inter-
ruption, peut-être dit-elle davantage? Par l'interruption, en effet,
la prescription ne cesse pas de courir, puisque son cours recom-
mence aussitôt après l'acte interruptif ; s'il faut prendre à la lettre
l'article 2274, la prescription, au moins la courte prescription de-
vient impossible, ce qui permettrait seulement d'en commencer
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2273, 2271 561
une nouvelle dans les conditions ordinaires, c'est-à-dire par trente
ans. C'est dans ce sens qu'on entend généralement le Code, en
s'appuyant sur l'ancien Droit, et en montrant que le débiteur, qui
a donné par une reconnaissance un titre à son créancier, ne peut
plus compter sur la prescription abrégée destinée seulement à pro-
téger les anciens débiteurs qui n'ont pas exigé de quittance parce
que la créance n'était pas constatée par une preuve sûre et durable.
382 bis. II. Ces raisons nous paraissent suffisantes en ce qui
touche les hypothèses où il y a eu compte arrêté, cédule (acte sous
seing privé) ou obligation (acte notarié). Mais nous avons peine à
attribuer le même effet aux citations en justice non suivies de
jugement. Certes, quand il est intervenu un jugement, il existe
entre le débiteur un titre qui vaut bien un acte notarié, et la pré-
somption de paiement sans quittance n'est guère admissible. Mais la
citation en justice seule n'est pas un titre, le débiteur peut, en fait,
l'avoir ignorée ou oubliée, parce qu'il n'a pas joué de rôle actif
dans cet acte, dès lors il serait dangereux de l'assimiler à une
reconnaissance. Si la loi a rapproché cet acte des autres, c'est qu'il
constitue aussi une entrave à la prescription, il l'interrompt, il l'ar-
rête dans son cours, et c'est peut-être à raison de l'effet différent
des actes qu'il énumérait que l'article 2274 a employé l'expression
non technique et par conséquent vague que nous signalions en com-
mençant.
382 bis. III. La distinction que nous venons de faire ressort, à
notre sens, très- clairement du texte de Pothier qui paraît résumé
par l'article 2274, 2e alinéa (1); il dit d'abord que les prescriptions
par six mois ou un an n'ont pas lieu, quand il y a eu promesse
écrite ou arrêté de compte, il cite l'ordonnance de 1673 (art. 9,
tit. Ier), qui emploie les mêmes expressions que le Code, et il ajoute :
En ce cas la créance n'est sujette qu'à la prescription de trente
ans.
Puis il écrit, au numéro suivant : Les prescriptions n'ont pas
lieu si elles ont été interrompues par une demande en justice ; cela
est commun à toutes les prescriptions. N'est-il pas clair que pour
ce dernier acte, Pothier ne fait pas de différence entre les courtes
et les longues prescriptions, et qu'il n'attribue à la citation qu'un
effet interruptif ? Ne faut-il pas croire que si Pothier a traité deux
(1) V. Pothier, Obligations, a0' 676 et 677.
VIII. 36
562 COUKS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
hypothèses différentes en employant les mêmes expressions : la
prescription n'a pas lieu, le Code civil a bien pu admettre deux
solutions différentes pour deux espèces qu'il embrassait dans une
seule formule : la prescription cesse de courir?
383. Ces prescriptions ne reposant, comme on l'a vu, que
sur une présomption de paiement, le créancier peut toujours
déférer au débiteur le serment sur le fait même du paiement,
il peut le déférer aux ayants cause du débiteur, et même aux
tuteurs des héritiers mineurs, sur le fait de la connaissance
qu'ils peuvent avoir de l'existence de la dette. V. art. 2275.
383 bis. C'est parce que ces prescriptions sont très-courtes, que
le serment peut être déféré, car il n'est guère probable que le
débiteur ait perdu le souvenir d'un paiement très-récent (i).
Quant à la règle qui concerne les ayants cause du débiteur, elle
n'est qu'une application de l'article 1339. Si on leur demandait de
jurer que la dette a été payée, on les obligerait à jurer sur le fait
d'autrui, mais on les interroge sur un point qui leur est personnel,
quand on leur demande s'ils ne savent pas que la chose est due.
384. La négligence qu'apportent souvent les plaideurs à
retirer leurs pièces des mains des juges et avoués ne pouvait
laisser ces fonctionnaires indéfiniment chargés de les con-
server. La loi les décharge après cinq ans, a partir du juge-
ment. Les huissiers sont déchargés après deux ans, qui
courent du jour même de l'exécution de leur commission.
V. art. 2276.
384 bis. I. La disposition de l'article qui concerne les juges et
les avoués suppose les affaires terminées, et il est à regretter que
le Code n'ait pas fixé un délai à propos des affaires non terminées.
Pothier indiquait pour ce cas le chiffre de dix ans; le silence du
Code oblige à décider que la prescription sera de trente ans.
Pothier prévoyait également, au moins à propos des juges, le cas
de décès ou de cessation des fonctions; le Code n'en a rien dit,
mais nous pouvons penser qu'il a considéré alors l'affaire comme
terminée en ce qui concerne le juge ou l'officier qui n'exerce plus
(1) La preuve d'un aveu pourrait remplacer la dclalic-n du serment. C. C. ,
30juillet 1871/. Sirey, 187'J, I, 457.
T1T. XX. DE LA PaESCRIPTION. ART. 2275-2277. 563
ses fonctions, et par conséquent il faut admettre que le délai est
de cinq ans. C'est une garantie bien nécessaire pour les héritiers.
384 bis. II. Le Gode ne parle pas des avocats, que Pothier rap-
prochait des procureurs pour les faire bénéficier de la prescription
de cinq ans, il ne dit rien non plus des notaires ou des greffiers.
Ces diverses personnes ne pourraient invoquer que la prescription
de trente ans.
385. Des prestations périodiques, payables à des termes
rapprochés, qu'on laisserait accumuler pendant trente années,
conduiraient infailliblement le débiteur a sa ruine : celte con-
sidération, jointe a la probabilité des paiements, dont les
quittances ne sont pas d'ailleurs gardées aussi exactement
quand il s'agit de dettes de cette nature que quand il s'agit
d'un capital, a fait soumettre a une prescription de cinq ans
généralement tout ce qui est payable par année ou à des
termes périodiques plus courts. La règle, an surplus, est
spécialement appliquée par la loi aux arrérages de rentes
perpétuelles et viagères, à ceux des pensions alimentaires,
aux loyers des maisons et au prix de ferme des biens ruraux,
enfin aux intérêts des sommes prêtées. V. art. 2277.
385 bis. I. L'article 2277 traite de la prescription des créances
de revenus; cette prescription est abrégée, premièrement parce que
les revenus étant ordinairement employés aux dépenses courantes,
il n'est pas probable qu'un créancier les laisse trop longtemps non
payés; secondement, l'accumulation de ces petites dettes renais-
sant à chaque période, deviendrait ruineuse pour le débiteur. Il
aurait facilement cédé à la tentation de ne pas payer, quand le
créancier ne le pressait pas, et la loi a voulu que le créancier fût
dans la nécessité de le presser.
38o bis. II. De ce dernier motif, nous devons conclure que
l'article a une portée plus large que celle qu'il paraît avoir. Toute
dette accessoire d'une autre et qui vient périodiquement s'ajouter
à cette dette principale, doit être soumise à la prescription de l'ar-
ticle 2277. Il n'y a pas à mettre hors de la sphère d'action de
cet article les dettes d'intérêts qui, bien que s'augmentant petit
à petit parle temps, ne sont pas, à proprement parler, payables ou
exigibles à des époques périodiques. Nous songeons aux intérêts
36.
50 i COUîiS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
des prix de vente et aux intérêts moratoires de sommes qui n'ont
pas été prêtées. Ces deux espèces de dettes ne rentrent pas dans
l'énumération de l'article 2277, et l'on a dit en outre qu'elles ne sont
pas comprises dans la formule générale qui termine l'article, parce
qu'elles ne sont pas payables par année ou à des termes périodiques
plus courts. L'intention du législateur nous paraît cependant plus
claire que son expression, il a voulu distinguer les dettes de capi-
taux des dettes qui augmentent périodiquement. Comme ordinai-
rement ces dernières peuvent être exigées à partir de chacune des
périodes indiquées, il a employé le mot payable, au lieu d'une
expression peut-être difficile à trouver, qui aurait signifié dettes
s'accroissant périodiquement.
Aussi bien, il nous semble qu'il n'est pas nécessaire de forcer le
sens de l'article. Les deux dettes dont nous parlons sont pour nous
véritablement payables au moins au bout d'une année. On dit que
les intérêts d'un prix de vente seront payés avec le prix lui-même,
les intérêts moratoires avec le capital, et que par conséquent, paya-
bles en une seule fois, ils échappent à l'article. Cette allégation
n'est pas démontrée; qu'elle constate un fait ordinaire, nous ne le
nions pas, mais où trouve-t-o:i une règle défendant au vendeur de
demander séparément les intérêts du prix de vente, quand il est
dû une année entière? Le terme stipulé quant au principal porte-
t-il donc sur les intérêts? Quant aux intérêts moratoires, pourquoi
le créancier, qui veut ménager son débiteur en ne demandant pas
le capital, ne pourrait-il pas demander les intérêts? et s'il le peut,
on peut dire que les intérêts sont payables à des époques pério-
diques courtes. Nous ferons seulement une réserve pour les intérêts
qui courent entre la demande en justice et le jugement, parce que
la dette dépend de la décision judiciaire à intervenir, et que par
conséquent la prescription ne saurait courir.
386. Les mêmes motifs qui, dans tous les cas ci-dessus,
ont fait abréger le délai ordinaire de la prescription, n'ont pas
permis d'en suspendre le cours a l'égard des mineurs ou
interdits-, on réserve seulement a ceux-ci leur recours contre
leurs tuteurs. V. art. 2278.
386 bis. I. Quand un incapable exerce une des professions aux-
quelles s'appliquent les courtes prescriptions, c'est qu'il a été habi-
lité à cet effet, et par conséquent il a été reconnu assez intelligent
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2278, 2279. SGo
pour songer à poursuivre le remboursement de ses créances qui
ont une cause professionnelle. Si l'incapable, sans exercer l'une des
professions dont nous parlons, est créancier, à l'un des titres indi-
qués, comme héritier, et pour les créances qui n'ont pas un caractère
professionnel (intérêts, loyers, fermages), la responsabilité de son
tuteur le couvre suffisamment contre les négligences que celui-ci
pourrait commettre à propos des valeurs relativement modiques
que représentent les créances réglementées par l'article 2277.
386 bis. II. La loi n'a soustrait les courtes prescriptions qu'à
l'une des causes de suspension, celle de l'article 2252. On ne ren-
contrera peut-être pas bien souvent l'occasion de se demander si
les autres règles sur les suspensions sont applicables aux prescrip-
tions dont s'occupe la section IV. Cependant nous avons appliqué
à plusieurs des créances régies par cette section la disposition de
l'article 2257 sur les créances à terme, et nous appliquerions égale-
ment l'article 2253 qui suspend la prescription entre époux. La
question ne pourra d'ailleurs se poser qu'à propos de services
qui ne se confondront pas avec les soins que les époux se doivent
gratuitement, ou de fournitures qui n'auront pas le caractère ali-
mentaire; car la question de prescription implique l'existence d'une
créance; mais i'utilité de notre solution apparaîtra par exemple
quand un avoué ou un huissier aura fait des actes de son minis-
tère au nom et dans l'intérêt personnel de sa femme.
387. La transmission des meubles s'opère avec rapidité et
ne se constate pas ordinairement par un acte écrit; c'est une
raison pour attribuer ici au fait de la possession une plus
grande importance. Il est tout simple que celui qui possède
un meuble soit par cela seul réputé le posséder a juste titre,
et qu'il n'ait pas besoin, dès lors, de représenter un litre,
pour être supposé de bonne foi ; mais le Code, en empruntant
à notre ancien droit la maxime en fait de meubles possession
vaut titre, veut dire quelque chose de plus-, car il n'accorde
la revendication contre le possesseur qu'au cas de perle ou de
vol. Hors ces deux cas, la présomption de propriété, qui
résulte du seul fait de la possession actuelle, a autant de force
qu'une prescription acquise. Quant a la revendication des
choses perdues ou volées, elle se prescrit par trois ans, qui
566 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
courent, non de l'entrée en possession, mais du jour de la
perte ou du vol. V. art. 2279.
387 bis. I. Le Code civil a placé à la fin du titre de la prescrip-
tion une règle sur l'effet de la possession des meubles. Ce n'est pas
qu'il entende traiter (Je la prescription acquisitive des meubles,
puisque, d'abord, sa règle est placée dans un chapitre où il n'est
question que des prescriptions libératoires; puisque, secondement, il
n'indique pas la durée de la possession nécessaire pour prescrire le
laps de temps dont parle l'article 2219 dans la définition de la pres-
cription. La place qu'occupe l'article 2279 s'explique plutôt par
une idée d'exclusion; au moment où il termine le traité de la pres-
cription, le législateur songe aux meubles pour dire qu'ils ne sont
pas ordinairement l'objet d'une prescription acquisitive, et pour
motiver cette décision; imitant en cela l'exemple de Pothierqui, au
commencement de son introduction au titre des prescriptions de
la coutume d'Orléans, examine si les meubles sont soumis, comme
en Droit romain, à la prescription de trois ans et constate des diver-
gences sur ce point. Le Code a voulu mettre fin aux discussions et
repousser la doctrine romaine en reproduisant et en accentuant la
formule ancienne qui, d'après Pothier, diminuait considérablement
l'intérêt de la question débattue (1).
387 bis. IL La formule demande à être traduite, quoiqu'elle ne
soit pas bien obscure. La possession vaut titre : qu'est-ce qu'un titre?
Un fait générateur de droit, un fait translatif de propriété (art. 549,
690); la possession égale le titre, donc la possession confère la
propriété. Il s'agit de la possession envisagée d'une façon abstraite,
indépendamment de la personne qui l'a transmise, peu importe que
cette personne n'ait pas été propriétaire. On pourrait en douter
toutefois et faire remarquer qu'en matière de propriété immobilière
le titre peut exister sans transférer la propriété (art. 2265); on
dirait : le possesseur du meuble a l'avantage de ne pas prouver
l'existence du titre sur lequel il appuie la prescription de bonne foi.
La disposition même de l'article condamne cette manière de voir,
car si elle était exacte, la loi serait incomplète, elle n'a pas dit par
quel temps s'accomplirait cette prescription, et l'on ne verrait pas
quel avantage le titre procurerait au possesseur qui en serait réduit
à la prescription de trente ans. Ce n'est donc pas d'un titre insuf-
(1) V. Pothier, Coutume d'Orléans, t. XIV. Introduction, n° 4
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2279. 567
fisant, demandant à être corroboré, que la loi a voulu parler,
mais d'un titre efficace, parfait (1), d'un titre qui transfère par
lui-même la propriété.
L'exactitude de cette traduction ressort encore plus clairement
du second paragraphe de l'article qui, supposant que le meuble a
été perdu ou volé, donne exceptionnellement au propriétaire l'action
en revendication, ce qui implique bien que la règle du 1er para-
graphe a pour conséquence le déni de toute revendication dans les
hypothèses ordinaires. Or, refuser la revendication à une personne,
c'est bien lui refuser la propriété.
387 bis. III. Quand nous disons que la possession confère la pro-
priété, il faut immédiatement compléter la formule, sinon elle
paraîtrait consacrer des résultats iniques. Le locataire, l'emprun-
teur, le dépositaire et ceux qui auraient sciemment reçu la chose
de l'une de ces personnes pourraient se prétendre propriétaires. Il
n'en est pas ainsi, il faudra d'abord, pour l'application de la maxime
que le détenteur ait une véritable possession, et le locataire, le
dépositaire ou l'usufruitier ne possède pas, il faudra de plus que le
possesseur soit de bonne foi, et celui qui a reçu sciemment la
chose des mains d'un dépositaire ou d'un locataire n'a pas la bonne
foi.
387 bis. IV. Il faut examiner successivement ces deux conditions,
auxquelles est subordonnée l'application de l'article 2279, et mon-
trer comment on les trouve exigées par les dispositions du Code
civil.
1° La possession. L'expression elle-même est dans l'article 2279,
son sens propre n'est pas douteux, c'est la détention d'une chose
animo domini, c'est-à-dire à titre de maître; et il n'est pas besoin de
s'appuyer sur les articles 2228 et 2229 pour dire que la possession
suppose l'esprit de propriété, d'où cette conséquence que celui qui
détient une chose à la suite d'un fait qui le constitue débiteur de
cette chose in specie, n'a pas la possession parce qu'il reconnaît le
droit d'un autre maître. Ce possesseur est celui que nous avons
appelé un possesseur précaire; d'après l'article 2229, il ne peut pas
prescrire. Il ne peut pas davantage invoquer l'article 2279, quoique
cet article n'établisse pas une prescription, parce que la règle sur
la précarité n'est pas spéciale à la prescription, elle découle de la
(1) V. Bourjon, Droit commun de la France, I. II, t. Ier, cli. vr, n" 1.
568 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LÎV. III.
notion même de la possession, qui manque de son élément essentiel
quand manque Vanimus domini.
387 bis. V. Il peut sembler inutile de dire que le possesseur pré-
caire ne peut pas se prévaloir de la maxime : En fait de meubles la
possession vaut titre, car ce possesseur étant un débiteur, l'autre
partie aurait toujours, à défaut de l'action en revendication, l'action
personnelle née du contrat, elle poursuivrait le dépositaire, le loca-
taire, le commodataire, comme des débiteurs. Néanmoins, l'action
personnelle pourrait être éteinte par la prescription libératoire, et
il serait intéressant de considérer la revendication comme possible.
On objecte, il est vrai, que la revendication n'est pas admise en
matière de meubles, mais cette objection exagère la portée de l'ar-
ticle 2279, qui protège les possesseurs contre la revendication, mais
qui, ne traduisant pas le mot possesseur, semble bien n'y pas com-
prendre les simples détenteurs.
Il y a une autre hypothèse où il sera utile de constater que la
possession précaire n'est pas la possession qu'exige l'article 2279.
Si l'on suppose que le prétendu possesseur agit en revendication
dans le cas de vol, le défendeur pourrait lui opposer que sa posses-
sion ne l'avait pas rendu propriétaire, et il faut remarquer que ce
défendeur, s'il n'est pas le voleur, n'est tenu d'aucune action per-
sonnelle qui pourrait suppléer à l'action réelle.
387 bis. VI. Reste un point sur lequel il faut se fixer : qui prou-
vera que la possession est ou n'est pas précaire? Celui qui invoque
l'article 2279 doit-il prouver qu'il est ou qu'il était possesseur animo
domini? n'est-ce pas plutôt l'adversaire qui, le fait de détention étant
prouvé, doit établir l'absence de cet animus? Sur ce point, nous
trouvons une solution dans l'article 2230, et nous n'hésitons pas
à l'étendre au cas qui nous occupe, bien que l'article 2279 ne ren-
tre pas, à proprement parler, dans la théorie de la prescription. Nous
avons en effet expliqué ci-dessus l'article 2230 en le rattachant aux
règles générales sur la preuve, et par conséquent ce n'est pas par
un principe spécial à la prescription, mais par un principe général,
que nous justifions notre décision favorable à celui qui invoque
l'article 2279. Nous avons dit qu'imposer au possesseur apparent
l'obligation de prouver qu'il a Vanimus domini, c'est exiger de lui
la preuve d'une négative indéfinie, car comme il n'est pas astreint à
avoir un titre, à dire comment il a acquis, c'est-à-dire à affirmer et
à prouver un fait positif, il faut qu'il démontre qu'il n'a pas, à une
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2279. 569
époque quelconque, reçu d'une personne quelconque la chose à la
charge de la restituer. C'est bien là un fait négatif indéterminé, donc
la preuve est impossible. On voit que pour raisonner dans le même
sens à propos de l'article 2279, nous n'avons pas besoin de l'article
2230, et nous arrivons, en vertu des règles sur la preuve, à dire
que l'adversaire, demandeur ou défendeur, qui contestera l'applica-
tion de la règle : En fait de meubles la possession vaut titre, devra
prouver l'existence du contrat qui donne à la possession de son
adversaire le caractère de simple détention sine animo domini (1).
387 bis. VII. 2° La bonne foi. La condition de bonne foi n'ap-
paraît pas, il est vrai, dans l'article 2279, mais elle y est sous-
entendue, la loi l'a omise parce qu'elle allait de soi; il s'agissait
pour le législateur de substituer une règle à la règle de l'ancienne
usucapion des meubles qui supposait la bonne foi, et en supprimant
expressément la condition de temps, il n'a pas paru nécessaire de
s'expliquer sur la condition de bonne foi qu'on entendait conserver.
Mais l'article 1141 montre une application de l'article 2279 où la
bonne foi est expressément exigée, et il est bien juridique de com-
pléter la règle avec des éléments fournis par un article qui n'est
pas autre chose que cette règle mise en œuvre (2). Nous allons voir
enfin, en cherchant les motifs de l'article 2279, qu'il ne se justifie
complètement qu'autant qu'on subordonne la règle : En fait de
meubles possession vaut titre, à la condition de bonne foi.
387 bis. VIII. On peut bien expliquer la maxime en l'appuyant
sur la difficulté d'exiger des actes écrits pour justifier de la pro-
priété des meubles, sur la nécessité de ne pas exposer les déten-
teurs de meubles à des revendications incessantes, sur ce qu'on a
appelé la sécurité du commerce. Ce sont des raisons d'utilité qui
ne suffiraient peut-être pas à justifier l'expropriation si rapide du
propriétaire dépossédé.
387 bis. IX. Il est une autre raison qui présente la décision de
l'article 2279 sous son côté moral et juste. Quand un meuble a passé
dans les mains d'un possesseur qui n'est pas le propriétaire et sans
la volonté de celui-ci, s'il n'a pas été volé ou perdu, ce qui est en
dehors de l'hypothèse que nous examinons, c'est qu'il avait été
confié par le propriétaire à quelqu'un qui a abusé de cette confiance
(1) V. G. C, 14 février 1877. Sirey, 1878, I, 72. C. C, 20 juin 1881. Sirey,
1883, I, 447.
(2) V. t. V, n» 57 Ht. III.
570 COUHS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
et remis le meuble à une troisième personne. Celui qui tenait la
chose directement du propriétaire, c'était un détenteur précaire, un
emprunteur, un locataire, un dépositaire, un mandataire ou un ven-
deur autorisé par l'acheteur à conserver la chose quelque temps.
Aucune de ces personnes ne peut invoquer l'article 2279, que l'une
d'elles dispose de la chose qu'elle détient précairement, le nouveau
possesseur, ayant cause à titre particulier, peut se prévaloir de
l'article 2279, c'est précisément en sa faveur, pour le protéger, que
l'article est écrit. La loi, qui préfère ainsi l'ayant cause du détenteur
précaire au propriétaire, a fait une équitable appréciation de la
situation respective de ces deux personnes; à l'une d'elles, c'est-à-
dire au possesseur actuel, il n'y a rien à reprocher, pas une faute,
pas une imprudence; il a acheté un meuble vendu par celui qui le
détenait, il n'est guère possible en fait d'exiger la preuve qu'un
vendeur de meubles est propriétaire. L'autre personne, au contraire,
a commis une imprudence en plaçant mal sa confiance, en donnant
les apparences de la propriété à un détenteur qui en a abusé, et
elle est la cause première de l'acte qu'a fait l'acheteur et de l'erreur
dans laquelle il est tombé quand il a acheté a non domino. Quand
on caractérise ainsi le rôle du propriétaire et celui du possesseur
dans le fait complexe qui a fait passer la chose de celui-là à celui-ci,
on trouve la raison de la loi. Il s'agissait de savoir qui de ces deux
personnes supporterait la perte résultant de l'acte accompli par le
détenteur précaire qui a vendu la chose à lui confiée. La loi a im-
posé la perte à celle des deux parties qui par son imprudence a créé
la situation et par sa confiance a presque autorisé l'autre à traiter
avec le détenteur précaire.
387 bis. X. Ces considérations, on le remarquera, supposent que
le possesseur a reçu la chose de bonne foi, croyant qu'il traitait
avec le vrai propriétaire. Dans le cas contraire, il aurait à se
reprocher une imprudence bien plus grave que celle que nous
imputions au propriétaire, et nous ne saurions pas expliquer, au
point de vue de la justice, ce que nous avons appelé l'expropriation
du propriétaire dépossédé. C'est ce qui nous autorise à penser que
l'article 2279 a sous-entendu la condition de bonne foi si heureusement
exprimée dans l'article 1141.
387 bis. XI. Des auteurs d'une grande autorité ont cependant
soutenu, en invoquant le silence de l'article 2279, que la bonne foi
n'est pas exigée, mais ils n'en reconnaissent pas moins la nécessité
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2279. 571
de corriger l'iniquité de la disposition ainsi interprétée. Ils donnent
au propriétaire dépouillé une action personnelle en restitution, fondée
sur le délit criminel ou civil dont l'adversaire s'est rendu coupable
en achetant sciemment la chose d'autrui (1). Il nous semble que
leur doctrine arrive au même résultat que la doctrine opposée,
car, d'après les principes du Code civil, si l'acheteur, devenu pro-
priétaire, est devenu en même temps débiteur de la chose achetée
qui est un corps certain, la propriété est immédiatement retournée
à l'ancien propriétaire créancier de la restitution. Il ne peut même
pas être né quelque droit sur la chose du chef de l'acheteur pen-
dant l'instant de raison où il a été propriétaire, car il s'agit de
meuble, et il n'existe sur les meubles ni hypothèques légales ni
hypothèques judiciaires; de plus, s'ils peuvent être frappés par les
privilèges généraux, ces privilèges ne donnent pas de droit de suite
sur les meubles.
387 bis. XII. Il résulte de notre explication que la bonne foi a
dû exister au moment du contrat en vertu duquel le possesseur a
cru devenir propriétaire; c'est alors qu'il avait intérêt à savoir que
le détenteur n'était pas propriétaire, alors, par conséquent, que
l'imprudence du propriétaire lui a causé préjudice. Ce n'est pas du
reste le possesseur qui doit prouver sa bonne foi, elle est présumée
non pas seulement en vertu de l'article 2268, qui est relatif à la
prescription, mais en vertu de cette règle générale que le bien se
présume et non le mal, et surtout parce que, si l'on imposait au pos-
sesseur la preuve de la bonne foi, c'est-à-dire de l'ignorance, on
exigerait de lui la preuve d'une négation indéterminée, c'est-à-dire
une preuve impossible.
387 bis. XIII. Nous terminons les observations sur la bonne foi
en faisant remarquer qu'elle est nécessaire seulement au possesseur
qui a reçu directement la chose du détenteur précaire aliénant la
chose d'autrui, mais qu'on ne doit pas l'exiger de celui qui prouve
qu'il tient la chose d'un vrai propriétaire, c'est-à-dire notamment
d'un possesseur de bonne foi que l'article 2279 avait fait propriétaire.
Celui-là n'invoque pas sa propre possession; il se présente comme
l'ayant cause du propriétaire légal, et il a acquis tout le droit de son
auteur. On doit le comparer à l'acheteur d'un immeuble, ayant
cause d'un vendeur qui a acquis par dix ou vingt ans à cause de sa
(1) V. Anbry et Rau, t. II, p. 105, texte et Dote 20. Édit 1865.
572 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
bonne foi, cet acheteur est certainement propriétaire, quoiqu'il
sache que son auteur avait primitivement reçu la chose a non domino ;
s'il invoquait une prescription accomplie par lui-même, il aurait
besoin de la prescription de trente ans; mais puisqu'il invoque la
prescription accomplie par son vendeur qui était de bonne foi, il
peut se prévaloir de la prescription de dix ou vingt ans. S'il en
était autrement, le vendeur de l'immeuble, ou du meuble, dans
notre hypothèse, se trouverait exposé à une action en garantie
pour avoir vendu une chose qui lui appartenait légalement au moment
de la vente.
387 bis. XIV. Le second alinéa de l'article 2279 consacre une
exception, qui est la conséquence du motif de justice sur lequel
nous avons appuyé la justification de la maxime : En fait de meubles
la possession vaut titre. Quand on ne peut pas reprocher au pro-
priétaire dépossédé d'avoir mal placé sa confiance en donnant volon-
tairement la détention de la chose à quelqu'un qui en a abusé,
son droit de propriété ne se perd pas par la simple possession qu'un
tiers acquiert de bonne foi. La loi reconnaît au propriétaire dépos-
sédé l'action en revendication.
Les cas prévus où la possession a changé de mains sans que le
propriétaire ait à se reprocher une confiance mal placée, sont les
cas de perte ou de vol; la chose a été perdue ou volée, celui qui
l'a trouvée ou le voleur ne peut pas se prévaloir de l'article 2279,
cela va de soi, il n'a pas la bonne foi ; mais le tiers qui reçoit de ce
possesseur pourrait, s'il était de bonne foi, invoquer la disposition
de cet article, si le deuxième alinéa de l'article n'avait pas restreint
la portée du premier.
387 bis. XV. Le vol prévu par l'article 2279, c'est le vol que
caractérise l'article 379 du Code pénal, le fait de soustraire frau-
duleusement une chose; or, le mot soustraire emporte l'idée d'une
appréhension, d'un déplacement qui doit être le fait du coupable;
l'article 379 n'est donc pas applicable à celui qui reçoit la chose ou
à qui la chose est remise et qui ensuite, dans un esprit de fraude,
la retient ou en dispose au préjudice du véritable propriétaire.
Cette définition du vol et sa parapbrase, que nous empruntons à un
arrêt de la Cour de cassation (i), montrent toute la distance qui
sépare le vol français du furtum romain; on voit en effet, dans les
(1) V. C. C, 2 mai 1845, Sirey, 1845, 1, 474.
T1T. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2279, 573
Institutes de Justinien que le furtum ou contredatio rei fraudulosa
comprend des cas où le coupable a retenu la chose que le propriétaire
lui avait remise, par exemple à titre de gage, de dépôt ou de com-
modat (1). Si ces hypothèses et autres semblables avaient été com-
prises sous la dénomination de vol, le deuxième alinéa de l'ar-
ticle 2279 aurait absolument détruit le premier, car nous avons
montré que l'article se plaçait toujours dans l'hypothèse où le pos-
sesseur tient la chose d'un détenteur précaire. Dans ces hypothèses,
le détournement frauduleux de la chose ne constitue pas un vol,
mais un acte de délit qualifié abus de confiance (art. 408, G. P.), et
par conséquent la disposition de l'article 2279, deuxième alinéa, ne
lui est point applicable (2).
387 bis. XVI. La revendication qui appartient au propriétaire au
cas de vol ou de perte peut être intentée pendant trois ans, non-
seulement donc contre l'inventeur ou le voleur, mais contre tout
possesseur, elle pourra être intentée pendant ce délai. Ce n'est
pas, il faut le remarquer, l'ancienne usucapion des meubles telle
que la réglementaient les Institutesj car l'extinction du droit du
propriétaire s'accomplit par le simple laps de temps, sans condition
de possession, ce qui ressort du texte de l'article qui fixe pour
point de départ du délai le jour de la perte ou du vol. Il en résulte
que le possesseur actionné en revendication peut repousser la pré-
tention de demandeur alors même qu'il possède seulement depuis
quelques jours, pourvu que le délai de trois ans soit expiré.
387 bis. XVII. Il faut bien comprendre toutefois la portée de l'ar-
ticle 2279, deuxième alinéa. C'est une restriction à la première
partie du même article, son premier mot le prouve, il ne statue
donc que sur les personnes dont traitait le premier alinéa. Ces per-
sonnes, nous l'avons dit, ce sont les possesseurs de bonne foi;
l'exception qui les concerne consiste en ce qu'ils ne sont protégés
contre la revendication qu'après trois ans écoulés: des possesseurs
de mauvaise foi, il ne peut être question, puisque l'article ne les
concernait pas et qu'il n'y avait pas quant à eux à restreindre l'effet
d'une disposition favorable. Ils restent dans la position que leur
font les principes généraux, ils ne peuvent invoquer que la pres-
cription de trente ans. Leur appliquer celle de trois ans, ce serait
(1) V. Institut., 1 IV, t. K, §§ 6 et 7.
(2) V. G. C, 21 décembre 1863, Sirey, 1865, I, 187, et G. Bordeaux, 26 mai
1873 , Sirey, 1874, 2, 5.
574 COUHS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
les mieux traiter au cas de vol que dans les autres hypothèses, ce
qui est inadmissible.
388. Danslescasoùlarevendication des meubles estadmise,
il est clair que le possesseur évincé a, s'il y a lieu, son re-
cours contre son auteur (art. 2279, in fin.; v. a ce sujet art.
1599, 1626 et suivants). Mais la loi, dans l'intérêt du com-
merce, accorde une faveur plus grande à l'acheteur qui n'a
aucune imprudence à se reprocher : si l'achat a eu lieu dans
une foire, dans un marché ou dans une vente publique, ou si
le vendeur est un marchand de choses pareilles, l'acheteur
n'est tenu de rendre la chose qu'en recouvrant le prix. V. art.
2280.
388 bis. I. L'exception admise par l'article 2279, deuxième alinéa,
en faveur du propriétaire qui n'a pas occasionné par sa confiance
l'événement qui l'a dépossédé, subit elle-même une restriction qui
montre bien que le législateur, dans toute cette matière, a pesé avec
soin les responsabilités pour imposer la perte à celle des deux
parties en présence qui peut avoir quelque imprudence à se re-
procher.
Dans le cas, eo effet, où le propriétaire revendique une chose
volée ou perdue, s'il n'a pas à s'imputer d'avoir mal placé sa
confiance, il a cependant commis une faute au point de vue de la
surveillance et de la garde de ses meubles; s'il s'adresse à un pos-
sesseur absolument exempt de faute, il devient injuste que la perte
retombe sur ce possesseur. Or, de quelle faute peut-on accuser
celui qui, voulant acheter un meuble, va le chercher dans la bou-
tique d'un marchand, dans une foire ou dans un marché? que
pourrait-il faire si ce n'est pas cela? Les ventes se font en ces lieux-
là dans les conditions normales, sous la foi des autorités qui laissent
le commerçant exercer son commerce, ce qui suppose qu'il n'est ni
un voleur ni un receleur. Ne pouvant pas exiger de titre de pro-
priété, parce que la nature des choses y répugne en matière de
meubles, l'acheteur ne pouvait pas procéder autrement; d'où cette
conséquence qu'entre lui et le propriétaire qui n'a pas su éviter la
perte ou le vol de sa chose, il est juste de préférer l'acheteur au
propriétaire.
Le droit de propriété néanmoins conserve son énergie; le pro-
TIT. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2280. 575
priétaire peut revendiquer, mais il devra rendre le possesseur
indemne en lui restituant le prix qu'il a payé.
388 bis. II. Si l'on examine l'hypothèse opposée à celle que régit
l'article 2280, on voit mieux encore par antithèse les motifs de la
loi. Cette hypothèse opposée est celle où le possesseur n'a pas
acheté d'un marchand vendant des choses pareilles, dans un marché,
dans une foire ou dans une vente publique ; dans ces circonstances,
l'acheteur a confiance dans le vendeur, car un homme prudent doit
craindre, en achetant un meuble du premier venu, d'avoir affaire
à un voleur. La vente par un particulier n'a pas le caractère pro-
fessionnel, par conséquent habituel, qu'a la vente commerciale, c'est
toujours un événement accidentel, car les particuliers sont plutôt
acheteurs que vendeurs; ce caractère accidentel doit inspirer cer-
taine méfiance à l'acheteur, qui doit s'enquérir de la moralité de
celui avec qui il traite et qui est en faute quand il n'a pas suffi-
samment éclairci ce point important.
388 bis. III. Les articles 2279 et 2280 nous ont donné la théorie
que résume la règle : En fait de meubles la possession vaut titre;
il nous reste cependant un point à examiner. Quels sont exacte-
ment les biens auxquels s'applique cette formule? Autrement dit :
quel est le sens exact du mot meubles dans l'article 2279?
Nous avons toujours raisonné sur des hypothèses où il s'agissait
de meubles corporels, les seuls qui puissent être véritablement
possédés. Si l'on songe à des meubles incorporels, des rentes, des
créances, des actions ou intérêts dans des sociétés, il devient im-
possible de trouver en quoi consisterait la possession. Nous l'avons
dit au tome V (1), on ne voit pas quel fait serait le fait matériel
qui est l'élément essentiel de la possession, ce ne peut être la
détention du titre qui constate l'existence du droit, car ce titre n'est
pas le droit lui-même, et de plus la détention du titre ne donne pas
au détenteur la physionomie d'un titulaire du droit, puisque ce
titre contient évidemment un nom qui n'est pas celui de ce dé-
tenteur. Quant à chercher la possession dans l'exercice du droit,
ce serait souvent chose impossible, puisque le droit peut ne pas se
prêter à des actes réitérés d'exercice, par exemple lorsqu'il s'agit
d'une créance qui ne produit pas d'intérêts.
Ajoutons que les droits dont nous parlons ne se transmettent
(1) V. t. V, n0 179 bis. I.
576 COURS ANALYTIQUE DE CODE CIVIL. LIV. III.
pas habituellement par un simple acte de la volonté suivi de tra-
dition, comme les meubles corporels, et que par la force même
des choses leur transmission suppose la rédaction d'actes écrits et
l'accomplissement de certaines formalités (art. 1690). Dès lors, la
principale raison d'être de l'article 2279 manque quand il s'agit
de choses incorporelles; le prétendu titulaire du droit doit pouvoir
facilement opposer un titre à celui qui prouve avoir eu ce droit
antérieurement à lui, d'où il résulte que la règle : En fait de meu-
bles la possession vaut titre, ne peut plus s'appuyer sur un motif
d'utilité sociale, sur l'impossibilité d'assurer autrement la sécurité
des ayants droit apparents.
388 bis. IV. Il faut cependant assimiler aux meubles corporels
les droits constatés par des titres au porteur. Par l'adoption de cette
forme de titres, on a en quelque sorte matérialisé le droit, on l'a
assimilé à une chose corporelle, puisque le droit doit passer de
personne à personne avec la possession de l'écrit qui en constate
l'existence. Quant à cet écrit, qui est un objet matériel, l'article
2279 est applicable, d'où il résulte que quant au droit lui-même
il est en principe soumis aux règles de cet article.
388 bis. V. Cependant une loi du lo juin 1872 a, sur un grand
nombre de points, abandonnné les régies de l'article 2279. Son
article premier permet au propriétaire de titres au porteur qui en
a été dépossédé par quelque événement que ce soit, de se faire restituer
contre cette perte dans une certaine mesure et sous certaines con-
ditions.
Des termes mêmes que nous venons de reproduire, il résulte
que la loi ne suppose pas seulement la perte ou le vol des titres,
mais qu'elle s'applique aussi au cas d'abus de confiance, puisqu'elle
parle de tout événement dépossédant le propriétaire.
Moyennant que le propriétaire du titre aura fait notifier par
huissier sa dépossession à l'établissement contre lequel existe le
titre (art. 2), et qu'il aura également notifié une opposition au
syndicat des agents de change de Paris (art. 11), il empêchera la
négociation du titre, car toute négociation ou transmission amiable
postérieure à un certain délai indiqué par l'article 12, sera sans
effet vis-à-vis de lui, alors même que la négociation ou transmission
aurait eu lieu ailleurs qu'à Paris.
Dans les conditions donc prévues par l'article 12, l'article 2279,
1er alinéa, n'est pas applicable quant aux titres qui ont été l'objet
T!T. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2280. 577
d'un abus de confiance, la possession de bonne foi n'en donne pas
la propriété; et quant à ceux qui ont été volés ou perdus, l'article
2279, 2e alinéa, et l'article 2280, perdent leur empire, puisque la
revendication dure plus de trois ans et qu'il n'existe pas de tempé-
rament en faveur du possesseur qui a acheté le titre même à la
Bourse, c'est-à-dire en un marché public.
Nous venons de dire que la revendication dure plus de trois ans;
il s'agit, en effet, d'une revendication, puisque d'après l'article 12,
la cession est sans effet vis-à-vis de l'opposant; celui-ci est donc
resté propriétaire, et comme la loi n'a pas limité la durée de la
prescription qui s'accomplit contre lui, cette prescription doit être
de trente ans.
388 bis. VI. La loi examine dans l'article 14 l'hypothèse d'une
cession opérée avant le délai fixé par l'article 12. Elle renvoie
alors aux dispositions des articles 2279 et 2280, d'où il résulte que
la possession vaut titre au cas de dépossession pour abus de con-
fiance, et qu'au cas de perte ou de vol, le possesseur de bonne foi
pourrait être actionné en revendication pendant trois ans, sauf à se
faire restituer le prix d'acquisition, s'il a acheté dans un marché
public ou chez un marchand vendant des choses pareilles, c'est-à-
dire à la Bourse ou chez un changeur (1).
388 bis. VII. En terminant, nous ferons observer que la loi de
1 872 ne s'applique ni aux billets de la Banque de France ni aux
titres au porteur de rentes sur l'État (art. 16, 1er alinéa). Le rap-
porteur de la loi justifie la première exception en se fondant sur
ce que le billet de banque doit remplir le rôle de monnaie, et qu'il
importe que sa circulation s'opère sans formalités et sans vérifica-
tion. Quant aux rentes sur l'État, c'est l'intérêt de l'État lui-même
qui a été invoqué, il eût pu encourir des responsabilités à raison
de ce que les nombreux fonctionnaires qui paient les arrérages
de ces rentes auraient été difficilement au courant des oppositions
et auraient payé par ignorance des faits de perte ou de vol. Cette rai-
son, qui ne vise qu'une des parties de la loi et non pas celle qui nous
intéresse, a cependant suffi pour soustraire ces titres à la loi tout
entière (2).
388 6i*. VIII. Parmi les choses incorporelles, les Romains énu-
(1) V., sur les divers points traités par la loi de 1872 el qui sont étrangers à la
théorie de l'article 2279, M. Boistel, Précis de Droit commercial, p. 425, 3* éd.
(2) V. rapport de M. Grivart. Sirey, Lois annotées, 1872, p. 247.
vin. 15"
578 COUKS ANALYTIQUE DE GODE CIVIL. L1V. 111 .
muraient les hérédités; la doctrine moderne reconnaît également
que la succession considérée comme droit à l'ensemble des biens
d'un défunt est une chose incorporelle. Si tous les biens sont meu-
bles, le droit de succession est mobilier. Ce n'est pas une raison
pour que le droit soit régi par l'article 2279. Il est vrai qu'on admet
qu'une succession peut être possédée, on a bien souvent parlé de
l'héritier apparent qui n'est qu'un possesseur d'hérédité; malgré
cela, les motifs sur lesquels s'appuie l'article 2279 moutrent qu'il
ii) a pas lieu de dire que pour ce genre de biens la possession
vaut titre. Ce n'est pas une nécessité commerciale que les droits
successifs se transmettent facilement ; de plus, il n'est pas possible
qu'on prétende avoir acquis un droit de cette nature par une simple
convention suivie de tradition; le possesseur de l'hérédité, s'il se
prétend héritier, s'appuie sur la loi et sur sa qualité de parent ; la
loi, il est à la portée de tous de l'invoquer; quant à la qualité et au
degré de la parenté, on ne peut pas dire qu'il soit difticile de les
prouver légalement à raison d'habitudes et de nécessités empê-
chant les constatations régulières. Si le possesseur se prétend léga-
taire, comment interdire la revendication contre lui alors qu'il ne
présente pas un testament? Le possesseur enfin peut être un ces-
sionnaire des droits successifs d'un héritier apparent, alors il est
impossible de prétendre qu'il n'est pas en faute quand il n'a pas
préparé des preuves régulières du contrat de cession.
388 bis. IX. Quand nous admettons l'action réelle en pétition
d'hérédité à propos des successions mobilières, nous supposons que
le défendeur s'est comporté comme un héritier ou un successeur
universel, qu'il possède en un mot pro hœrede; c'est la condition
nécessaire à l'existence d'une telle action, il faut que la contesta-
tion porte sur la qualité même d'héritier, et non pas seulement sur
la propriété de biens que le défendeur ne possède pas à titre
héréditaire. Si donc un possesseur de certains meubles, faisant
partie d'une succession, ne se présente pas comme successeur
universel, la question devient une pure question de revendication,
et par conséquent l'action ne peut être exercée que dans les cas
où la règle : En fait de meubles, la possession vaut titre, reçoit
des exceptions. Il en serait ainsi alors même que le possesseur
n'alléguerait aucun titre et qu'il serait, par conséquent, ce que les
Romains appelaient un possessor pro possessore, qui possidet quia
possidet. Si l'on doit admettre en règle générale l'idée romaine et
T1T. XX. DE LA PRESCRIPTION. ART. 2280, 2281. 579
dire que la pétition d'hérédité peut être dirigée contre un possessoi-
pro possessore , il faut, en tout cas, la rejeter en matière mobilière,
car il n'y a pas à demander en cette matière la cause de la posses-
sion, il n'a pas besoin de répondre possideo quia possideo, sa pos-
session vaut titre, elle suffît à tout et elle répond à tout. On com-
prend que, sur ce point, l'article 2279 ait dû modifier, en matière
mobilière, la règle romaine sur la pétition d'hérédité.
389. Le respect des droits acquis a dicté la disposition
finale de ce titre. Il ne fallait pas que la loi nouvelle ôtât à
l'action du créancier ou du propriétaire la durée qui lui était
promise par la législation sous laquelle elle avait pris naissance.
Ainsi les prescriptions commencées lors de la publication du
Code ont continué a être régies par les lois anciennes. Le
législateur, toutefois, fait exception a cette règle, et déclare
la prescription accomplie, si, depuis cette publication, il s'est
écoulé le temps fixé pour la prescription aujourd'hui la plus
longue, celle de trente ans. V. art. 2281.
TABLE DES MATIERES
CONTENUES DANS CE VOLUME.
LIVRE TROISIÈME.
TITRE NEUVIEME.
Pages.
Du contrat de société • 1
CHAP. I. Dispositions générales . »>•
CHAP. H. Des diverses espèces de sociétés 6
Sect. i. Des sociétés universelles 7
Sect. ii. De la société particulière 12
CHAP. III. Des engagements des associés entre eux et à l'égard
des tiers * 3
Sect. i. Des engagements des associés entre eux. il.
§ 1 . Du commencement et de la durée de la
société • ^ f
§ 2. Des obligations de chaque associé envers la
société '"•
CHAP. IV. Des différentes manières dont finit la société 47
TITRE DIXIÈME.
Du prêt |î*
CHAP. I- Du prêt à usage ou commodat »*
Sect. i. De la nature du prêt à usage »&.
Sect. h, Des engagements de l'emprunteur.. 68
Sect. m. Des engagements de celui qui prête à
usage 77
CHAP. H. Du prêt de consommation ou simple prêt 78
Sect. i. De la nature du prêt de consommation. . 79
Sect. il. Des obligations du prêteur 88
Sect. ni. Des engagements de l'emprunteur 89
CHAP. III. Du prêt à intérêt 92
TITRE ONZIÈME.
Du dépôt et du séquestre 1 i3
CHAP. I. Du dépôt en général et de ses diverses espèces %b.
582 TABLE DES MATIÈRES.
Pagi i.
CHAP. II. Du dépôt proprement dit 444
Sect. i. De la nature et de l'essence du contrat de
dépôt jjK
Sect. ir. Du dépôt volontaire 44g
Sect. m. Des obligations du dépositaire 421
§ 4. De l'obligation de garder la chose ib.
§ 2. De l'obligation de restituer 429
§ 3. Dispositions communes aux deux obligations
du prêteur mt 4 gg
Sect. iv. Des obligations de la personne par laquelle
le dépôt a été fait 4 39
Sect. v. Du dépôt nécessaire 4 49
CHAP. III. Du séquestre , ^11
Sect. i. Des diverses espèces de séquestre ib.
Sect. h. Du séquestre conventionnel n\
Sect. iii. Du séquestre ou dépôt judiciaire 448
TITRE DOUZIÈME.
Des contrats aléatoires 454
CHAP. I. Du jeu et du pari 45g
CHAP. II. Du contrat de rente viagère 4 go
Sect. i. Des conditions requises pour la validité
du contrat (ou, plus exactement, de la
constitution de rente viagère) ib,
Sect. ii. Des effets du contrat entre les parties
contractantes 479
TITRE TREIZIÈME.
Du mandat 489
CHAP. I. De la nature et de la forme du mandat ib,
CHAP. II. Des obligations du mandataire 20-'i
CHAP. III. Des obligations du mandant 24 fi
CHAP. IV. Comment finit le mandat 228
TITRE QUATORZIÈME.
Du cautionnement 233
CHAP. 1. De la nature et de l'étendue du cautionnement 234
CHAP. II. De l'effet du cautionnement 2ofi
Sect. i. De l'effet du cautionnement entre le créan-
cier et la caution ib.
Sect. ii. De l'effet du cautionnement entre le dé-
biteur et la caution 274
TABLE DES MATIÈRES. 583
Pages.
Sect. m. De l'effet du cautionnement entre les co-
fidéjusseurs 287
CHAP. 111. De l'extinction du cautionnement ~>'Ji
CHAP. IV. De la caution légale et de la caution judiciaire 30'J
TITRE QUINZIÈME.
Des transactions ; 1 1
TITRE SEIZIÈME.
De la contrainte par corps en matière civile 35*
TITRE DIX-SEPTIÈME.
Du nantissement 356
CHAP. I. Du gage 359
Sect. i. Du droit du gage 360
Sect. il. Des obligations qui naissent du contrat
du gage 38 1
CHAP. 11. De l'antichrèse 396
TITRE VINGTIÈME.
De la prescription 41 i
CHAP. I. Dispositions générales ib.
CHAP. II. De la possession 430
CHAP. 111. Des causes qui empêchent la prescription 456
CUAl\ IV. Des causes qui interrompent ou suspendent le cours
de la pre-cription 468
Sect. i. Des causes qui interrompent la prescrip-
tion 469
Sect. u. Des causes qui suspendent la cours de la
prescription 49 1
CHAP, V, Du temps requis pour prescrire 517
Sect. i. Dispositions générales ib.
Sect. h. De la prescription trentenaire 521
Sect. ni. De la prescription de dix et vingt ans. . . 531
Sect. iv. De quelques prescriptions particulières. 555
1MRIS. — TYPOGRAPHIE DE E. PLO.V, NOURRIT ET Cie, RUE GARANCIKRE, :
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