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aV£iâ'^i/r,i'iu ■ÀVli'.-y.b^J'JJ.iiJL^
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COURS
DE
PHILOSOPHIE POSITIVE
A. Comte. Tome L
OUVRAGE DE M. COMTE.
Principes de Philosophie positl¥e, précédés de la préface d*un
disciple par É. Lirrn^. Paris, 1868, 1 yol. in- 18 jésus^ de 208 pages.
2 fr. 50
Lcf Principe» de Philoiophie positive sont la rfproduction de la prérace «l'un
disciple par M. Limi, et des deui premières leçons du Court de Philosophie posi-
tiMt par Aug. Covra. Cet ouvrage peut servir d'introduction à l'étude flu Cours de
Philosophie positive. 6 vol. iu-8.
OUVRAGE DE M. LITTRÉ.
jA«ir*«^® Conte et la Philosophie positive. Deuxième édition,
Paris, 1864, 1 vol. io-8 de 688 pages. ^
CoRDEiLf typ. et itér. de Cbété.
COURS
DE
PHILOSOPHIE POSITIVE
PAR
COMTE
Répétiteur d'Analyse tranicendante et de Mécanique rationnelle à l'École polytecbniqtMi
et Eiâmiuateur des CAndidâts qui se destinent à cette École.
TROISIÈME ÉDITION
AUGMENTÉE D*UNE PRÉFACE
PAR
É. LITTRÉ
et d'une Table alphabétique des matières.
TOME PREMIER
contenant
LES PRELIMINAIRES GÉNÉRAUX ET LA PHILOSOPHIE MATHÉMATIQUE
PARIS
J. B. BAILLIÈRE et FILS
LIBRAIRES DE l'aCADÉMIE IMPÉRIALE DE MÉDECINE,
Rue Hautefenille, 19, près le boulevard Stint-Germain
iHadrtd | McwTork
G. BAïUT-BAiLLiiai I BAiLLiiai BaoTHaas
1869
Toui droits réierTés.
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V
PRÉFACE D'UN DISCIPLE
Pendant que la philosophie et la littérature qui régnent
dans renseignement et dans les académies, et qui, en con-
séquence^ ont dans le monde la grande place et la haute
main, ignoraient M. Comte, ou, recevant par ouï-dire
nouvelles de ses travaux, ne se croyaient pas, pour les dé-
daigner, obligées de les connaître, une partie du public,
ouverte par des dispositions spontanées aux doctrines po-
sitives, achetait son livre, le lisait et avait fini par en épui-
ser la première édition. Aussi l'ouvrage était- il devenu
rare ; on ne le trouvait plus dans la librairie ; et, quand
il se rencontrait dans quelque vente, il fallait le payer un
prix exorbitant. C'était par la seule force de la doctrine
et des choses qu'il avait ainsi cheminé; car, à la fois, rien
n'avait été fait pour le propager, et rien n'avait été con-
cédé aux faiblesses de l'esprit contemporain; et, comme
cet ancien maître qui écartait de son école les esprits étran-
gers à la géométrie, l'auteur écartait de la sienne tous
ceux qui auraient voulu arriver à la philosophie sans
passer par la science.
Il était donc devenu utile, je dirai même, il était de-
venu urgent de rendre accessible à une nouvelle généra-
tion le livre qui nous a formés et qui demeurera le fon-
dement delà philosophie positive. On ne peut méconnaître
que cette nouvelle génération est mieux préparée que
nous ne l'étions ; que l'atmosphère ambiante s'est chargée
de quelques éléments intellectuels qui alors lui étaient
étrangers ; et que des notions inconnues, il y a ime tren-
VI PREFACE D UN DTSCTPLE.
taine d'années, sont devenues familières et servent de
germes à une évolution ultérieure. C est ainsi que s'effec-
tuent les mutations de Tesprit humain. En cet état, on ne
s'étonnera pas que de divers côtés soit née la pensée de
réimprimer le Cours de philosophie positive. Un jeune
Russe, possédé de Tamour de la science, M. G. Wyrouboff ,
songea à s'en charger et à faire ce cadeau au monde stu-
dieux ; des motifs indépendants de sa volonté Ten empo-
chèrent. Madame Comte voulut alors se mettre en son
lieu et place, dévouer à cette œuvre non pas son superflu,
mais son nécessaire, et, la publiant volume par volume,
subvenir, de l'un sur Tautre, aux frais de Tentreprise.
Pendant qu'elle s'efforçait, l'attention d'un éditeur, qui
depuis longtemps jouit de la confiance du public, fut atti-
rée ; et dès lors une prompte exécution fut assurée.
Le texte a été exactement reproduit sans modification,
sans addition, sans retranchement. Seuls, les titres cou-
rants, chose tout extrinsèque, ont été changés : dans
l'ancienne édition, la page gauche portait philosophie
positive^ et la page droite le nom de la science dont il
s'agissait ; dans la nouvelle édition, la page gauche, pour
la plus grande commodité du lecteur, porte le nom de la
science dont il s'agit, et la page droite l'objet de la leçon
courante (1). Quelques personnes avaient désiré qu'on an-
notât l'ouvrage à cause des différences qui se sont produi-
tes dans l'état scientifique depuis le moment où M. Comte
composa son livre. Mais cela n'a paru aucunement né-
cessaire. Sans doute, la philosophie positive est fondée
sur la science; et une science mal faite et insuffisante la
rendrait ruineuse comme elle le serait elle-même ; sans
(1) Les éditeurs, MM. Baillière, ont fait les titres conranls des deux pre-
miers volumes; je me suis charge de ceux des quatre derniers. U a été plus
d'une fois impossible d'exprimer en une seule ligne le sujet d*une leçon
complexe. Le leoteur excusera ce que quelques-uns de ces titres courants
oot d'imparfait ; c'est une cbose faite dans son intérêt.
PRÉFACE d'un disciple. • VU
doute aussi, les quarante ans environ qui se sont écoulés
depuis que M. Comte fit sa provision encyclopédique
ont amené, dans les diflërentes branches, de notables
extensions, d'importantes découvertes et de fécondes théo-
ries. Cependant rien de tout cela n'a touché au fondement
de la philosophie positive. Le livre de M. Comte est un
livre, non de science spéciale, mais de science générale.
Si, durant ces quarante années, il était survenu quelque
chose qui, changeant l'esprit de la science, la forçât de
renoncer, en un point ou en l'autre, à sa méthode, il s'en-
suivrait que la philosophie positive, dont le titre et la
gloire est de tfansporter cette méthode de Tordre spécial
dans Tordre général , perdrait sa raison d'être et s'écro\ile-
rait avec tant d'autres conceptions systématiques qui sont
des accidents du développement de la pensée collective.
Mais cela n'est pas; les accroissements contemporains
n'infirment rien, et par conséquent confirment tout.
Ce fut en 1 826 que M. Comte publia le plan de son
grand traité, et en 1842 qu'il en écrivit les dernières li-
gnes. Seize ans s'écoulèrent donc entre la conception et
l'achèvement ; mais la conception avait eu tant de sûreté^
que, malgré ce long espace de temps, l'achèvement y ré-
pondit de tout point; et tel le plan avait été tracé, tel il fut
rempli. Le premier volume, renfermant les préliminaires
généraux et la philosophie mathématique, parut en 1830 .
La crise survenue dans la librairie à la suite des événe-
ments politiques interrompit cette publication qui fut re-
prise en 1835, année où parut le. second volume compre-
nant la philosophie astronomique et la philosophie de la
physique proprement dite. A l'origine, M. Comte avait
entendu renfermer toute la matière en quatre volumes;
d'abord la chose alla selon son dessein, et le troisième, qui
fut publié en 1838, ne dépassa pas l'étendue projetée : la
philosophie chimique et la philosophie biologique le rem-
plirent. C'est à la philosophie sociale que .devait être con-
Vîll PRÉFACE d'un disciple.
sacré le quatrième et dernier volume ; là, dans celle
sixième partie, qui est entièrement de la création de
M. Comte, tout était nouveau, tout était à faire, et tout
fut fait. Mais les prévisions d'étendue ne suftîrent plus, la
matière s'allongea, elle quatrième volume (1839) ne com-
prit que la portion dogmatique de la philosophie sociale,
c'est-à-dire l'exposition de la destination politique qui lui
est propre, de l'esprit scientifique qui la caractérise, et de
ses théories générales sur l'existence et le mouvement des
sociétés humaines. Le reste devait tenir dans un cinquième
volume; à son tour, ce cinquième volume (1841) se trouva
trop étroit pour ce reste qui n'était rien de moindre que
l'appréciation fondamentale de l'ensemble du passé hu-
main; l'auteur^ s'en excusant, fait valoir la nouveauté, la
grandeur, la difficulté du sujet. L'excuse est légitime ; et,
en le lisant, chacun y reconnaît toute la concentration d'i-
dées compatible avec une suffisante clarté d'exposition,
se sentant conduit dans le labyrinthe des faits et des révo-
lutions par un guide à qui l'histoire a remis son peloton.
Enfin le sixième et dernier volume fit son apparition
(1842). Ainsi fut accompli ce qu'on doit appeler l'œuvre
philosophique du dix-neuvième siècle : donner à la phi-
losophie la méthode positive des sciences, aux sciences
l'idée d'ensemble de la philosophie.
Cette brève formule a besoin d'être développée. Ceux
qui se représenteront la suite des spéculations philoso[)hi-
ques, sauf la philosophie positive, depuis Platon et Âris-
tote jusqu'à nos jours, reconnaîtront qu'elles forment,
quelque mérite relatif qu'elles aient d'ailleurs suivant les
temps, une masse confuse où l'on ne distingue les rap-
ports de la philosophie, ni avec la nature, ni avec l'his-
toire, ni avec l'enseignement. Cela tient à la source sub-
jective dont elles émanent. Dominées par des conceptions
à priorij leur ordre n'est ni celui de la conception cosmi-
que, ni celui du développement historique, ni celui de la
PRÉFACE l>'rN DISCIPLE. IX
graduation didactique; Je les comparerais volontiers à ce
que sont dans la botanique et dans la zoologie les systèmes
ai-tificiels à Tégard des méthodes naturelles. Les systèmes
sont souvent fort ingénieux, et, dans tous les cas, furent
provisoirement utiles, fournissant un lien aux faits isolés;
mais que de défauts dans leur simplicité apparente et dans
leur coordination factice ! Ils conjoignent ce qui s'écarte,
ils écartent ce qui est conjoint, et ne sonf avec la nature
dans aucune connexion essentielle. Ils ne soupçonnent
pas l'ordre réel ; ce point capital est pour eux lettre close.
L'esprit, tant qu'il reste borné aux notions subjectives,
est satisfait s'il trouve une exacte conformité entre les pré-
misses et les conséquences; mais l'esprit, alors qu'il passe
aux notions objectives, rejette comme une vaine pâture
celte conformité entre les prémisses et les conséquences,
si les prémisses ne sont pas les faits fournis par l'observa-
tion et l'expérience.
L^ordre conforme à la constitution du monde, au déve-
loppementde l'histoire età la gradation de l'enseignement,
ordre qui a toujours échappé à la philosophie métaphysi-
que, a été établi dans sa triplicité connexe par la philoso-
phie positive.
Le monde est constitué par la matière et par les forces
de la matière : la matière dont l'origine et l'essence nous
sont inaccessibles ; les forces qui sont immanentes à la ma-
tière. Au delà de ces deux termes, matière et force, la
science positive ne connaît rien. D'anciennes théologies
ont supposé un état chaotique où, comme dit le poëte in-
terprète des notions traditionnelles, les choses molles
étaient avec les choses dures, les choses sans poids avec
les choses pesantes. Un tel chaos est une imagination; il
est incompatible avec ce que nous savons des forces imma-
nentes, et toujours notre esprit voit les substances arran-
gées suivant la pesanteur, l'électricité, le magnétisme, la
lumière, réiasticité, les affinités chimiques, et, quand il y
X PRÉFACE d'un DISCIPLE.
a lieu, les combiaaisoDs vitales. Mais voici ce que Tétude
de ce monde, que rimmanence rend étranger au chaos
théologique, a montré : les propriétés physiques sont ma-
nifestes en toute substance, dans quelque état qu'elle soit^
isolée ou non isolée, et s'exercent sur les masses ; les pro-
priétés chimiques n'apparaissentqu'enlre deux substances,
ont besoin de la binarité et s'exercent sur les molécules;
enfin les propriétés vitales, dépassant la binarité, ne sont
compatibles qu'avec un état moléculaire plus composé.
Telle est la gradation réelle qu'on observe dans Tordre du
monde ; et avec cet ordre doit concorder toute philosophie.
Tel est le premier et essentiel fondement de la philoso-
phie positive.
Ce n'est pas tout. Si la philosophie métaphysique a man-
qué cet ordre réel, la philosophie inconsciente, ou, autre-
ment dit, le développement naturel a dû le suivre, guidé
par la nécessité des choses qui ne permettait qu'au fur et
à mesure l'accès de ces trois complications ou échelons.
Cela, en effet, est arrivé. Dès que le génie de M. Comte
eut pénétré dans les obscurités de l'histoire, il reconnut
que, dans leur constitution successive, les science^avaient
suivi l'ordre naturel et ne s'étaient échelonnées que selon
les échelons de complication que les choses mêmes pré-
sentaient (1). C'est là le second fondement de la philoso-
phie positive.
Enfin un enseignement encyclopédique est obligé de se
conformer, comme a fait l'histoire, à l'ordre réel, naturel,
des choses. En effet, prenez les six sciences dont on va
voir se dérouler les philosophies dans cet ouvrage, et sui-
vez-les en partant de la dernière qui est aussi la plus com-
pliquée et la plus difficile. La sociologie ne peut être étu-
diée avec sûreté, si Ton n'a pas des notions précises sur la
(1) Voyez, touchant la distinction entre la constitution des sciences et
leor évolution, mon livre sur Auguste Comte et la Philosophie positive,
p. 285, 2« édition.
PRÉFACE d'un disciple. XI
biologie, qui est la doctrine des corps vivants. A son tour,
la biologie, à cause de la grande fonction de la nutrition,
est fermée à qui ne possède pas les théories chimiques.
Celles-ci, à leur point hiérarchique, supposent toutes les
actions physiques, pesanteur, calorique, électricité, ma-
gnétisme, lumière. Enfin la physique elle-même, tant
céleste que terrestre, est un domaine où Ton ne peut pé-
nétrer, si Ton n'est pas muni de cet instrument puissant
nommé la mathématique. De la sorte, en reprenant l'ar-
rangement naturel, ascensionnel, didactique des sciences,
on étudie la mathématique pour aller à la [)hysique, de là
à la chimie, à la biologie, à la sociologie. C est là le troi-
sième fondement de la philosophie positive.
Ainsi la philosophie positive est la seule qui fasse con-
naître comment sont connexes ces trois choses. Tordre des
propriétés immanentes, l'ordre de la constitution succes-
sive des sciences, et l'ordre de leur enseignement hiérar-
chique.
M. Comte fut un novateur. C'est une qualité toujours
dangereuse à celui qui la porte ; et Ton peut dire de ce
genre d*hommes ce que Bossuet a dit des ambitieux qui
semblent nés pour changer le monde ; que le sort de tels
esprits est hasardeux, et qu'il en parait bon nombre dans
rhistoire à qui leur audace a été funeste. Le prudent Fon-
tenelle conseillait aux imprudents qui ont la main pleine
de vérités de la tenir bien fermée. Le monde n'aime pas
à être dérangé des idées reçues, et il ne manque guère de
faire payer leur bienvenue aux idées nouvelles ; plus tard
il élève des statues à ceux qu'il a laissés mourir dans l'oubli
ou fait mourir de désespoir. Plus tard mais laissons
ce que ce mot a de triste pour ne considérer que ce qu'il a
de glorieux. L'esprit que la grandeur et la beauté des
conceptions ont saisi est jeté par un généreux et sublime
besoin dans les labeurs ardus et dans les entreprises pé-
rilleuses ; la vocation commande, et il obéit.
XII PRÉFACE d'un DISCIPLE.
Mais qu'est-ce qu'un novateur? Quand on considère
d'une part la marche de l'esprit humain, de l'autre le
monde tel qu'il est constitué^ on voit bien maintenant que
cette marche consiste justement à connaître cette constitu-
tion. L'esprit humain n'a point un développement qui soit
indépendant, c'cbt-à-dire un développement tel que, ren-
fermé en lui-même et restant dans l'ignorance de la con-
stitution du monde, il s'élève, par une élaboration interne,
dans les suprêmes régions du vrai et du bon. Par une né-
cessité très-curieuse à constater, ces suprêmes régions ne
s'ouvrent pour lui (ju'à la condition de labourer avec un
effort infini le champ cosmique, comme le corps est obligé
d'arroser de sueurs les guérets pour en retirer le pain qui
le nourrit. Ainsi ce qui porte le monde intellectuel et mo-
ral est tout entier dans la cx)nnaissance de l'ordonnance
générale des choses. Pline a une phrase peu remarquée où
il dit : tt Ira-t-on prétendre qu'il y a un Jupiter ou un
a Mercure, des dieux désignés par des noms à eux et une
a liste de personnages célestes ? Qui ne voit que l'inter-
« prétation de la nature rend digne de risée une pareille
tt imagination (t) 7 » Le trait de cette phrase est dans l'in-
terprétation de la nature qui condamne le polythéisme.
L'interprétation de la nature est ce que je viens de nom-
mer connaissance de l'ordonnance générale du monde.
Celui qui modifie cette connaissance est un novateur.
Celui qui la modifie beaucoup est un novateur puissant.
Cette connaissance, l'histoire le montre, se divise en deux
catégories, la connaissance imaginée et la connaissance vé-
rifiée. Plus le domaine de la connaissance vérifiée est pe-
tit, plus celui de la connaissance imaginée est grand ; et,
réciproquement, plus le domaine de la connaissance véri-
(1) Jovem quidem, nut Merciiriam, alitenre alios inter se vocari, et esse
cœlestem nomenclatnram. quia non interpretatione natune futeatur irri-
deudum? {Hist, nat,. II, 6.)
l'KÉFACli: d'un disciple. XIII
fiée est grand, plus celui de la connaissance imaginée est
petit; jusqu'à ce qu'enfin la connaissance imaginée, chassée
de position en position, se réfugie dans Tabsolu, dans la
recherche des causes premières et finales. Ce partage,
comme tout ce qui est le produit du progrès des choses,
fut accepté et fait encore loi pour beaucoup d*esprits. Il
semblait même impossible qu'une telle situation put chan-
ger ; car où prendre les idées générales, sinon dans cet
antique arsenal où se conservaient toutes celles qu'avait
enfantées le passé? Pourtant ce terrain même était pré«
caire. Fontenelle, avec sa profondeur qu'il voilait sous
l'agrément, avait dit : <c Jusqu'à présent, l'Académie des
c( sciences ne prend la nature que par petites parcelles ;
« nul système général, de peur de tomber dans Tincon-
(( vénient des systèmes précipités, dont l'impatience de
(( l'esprit humain ne s'accommode que trop bien. » Il avait
vu du même coup d'œll et le vice actuel des sciences posi-
tives, et la possibilité qu'un jour il en disparût. Ce jour
est arrivé. La grande innovation quia donné un système
général anx sciences positives est l'œuvre de M. Comte ;
et aussitôt s'est ouverte une immense source d'une géné-
ralité nouvelle qui n'a rien de commun avec la généralité
ancienne, la frappe de désuétude et la met hors d'usage.
Au moment où M. Comte expiait le plus duremeut
d avoir mis dans le monde de hautes vérités que l'on mé-
connaissait sans doute, mais que l'on ne méconnaissait pas
assez pour ne pas lui en porter envie^ comme à ce person-
nage que Dante a célébré (1), il a plus d'une fois amère-
ment regretté de n'avoir pas le modeste patrimoine qui
permit à Descartes d'échapper aux persécutions et de d'at-
tacher en paix à ses immortelles méditations. On peut,
sans blesser l'analogie, comparer à l'opération de M. Comte
l'opération de Descartes ; semblables par leur nature, elles
(1) Invidiou veri.
XIV PBÊPACE D'UN DISCIPLE.
sont dissemblables par le degré d'évolution mentale où
elles furent exécutées. M. Comte trouva la philosophie
occuper par la métaphysique ; il la rendit positive. Des-
cartc^ trouva la philosophie occupée par les entités scolas-
tiques ; il la rendit purement rationnelle, donnant pour
loi au monde extérieur le mécanisme, et au monde inté-
rieur la raison subjective. Ce mot de raison subjective,
qui, employé comme il Test ici, a une suffisante clarté,
suggère aussitôt, par correspondance et par balancement,
celui de raison positive qu'il faut expliquer. La raison sub-
jective, outre la condition commune d'observer la loi de la
conséquence entre les prémisses et les conclusions, n'est
tenue dans la formation de ses principes qu'à n'y rien met-
tre qui soit contradictoire. Autre est l'obligation imposée à
la raison positive; il faut que ses principes non-seulement
ne soient pas contradictoires, mais encore soient l'expres-
sion d'un fait général.
Quand Descartes eut remis à ses successeurs le dépôt
de la philosophie, le thème, tel qu'il l'avait fondé, fut
d'interpréter le monde extérieur par le mécanisme, et le
monde intérieur par les idées, ou, pour me servir de ses
propres expressions, par ce qui se préseiiterait si claire*
ment à l'esprit qu'on n'etit occasion de le mettre en
doute. Ce thème demeura celui de toute la philosophie
subséquente. C'est par les sciences spéciales qu'il devait
d'abord être attaqué ; et Newton lui porta un coup irré-
parable en substituant à Thypothèse mécanique des tour-
billons le fait réel d'une propriété de la matière, la gravi-
tation. Dès lors la doctrine mécanique alla de chute en
chute. Celle qui confiait aux idées la formation des prin-
cipes généraux dura plus longtemps ; et les plus grands
philosophes du dix-septième siècle et du dix-huitième,
Spinoza, Leibnitz, Locke et Kant, n'en connurent pas
d autre. Elle ne tomba que devant Auguste Comte. Résu-
mant d'une part les déterminations partielles des sciences
PRÉFACE d'un disciple. XV
en rimmanence des propriétés de la matière, de l'autre
substituant aux idées qui ne dépassent jamais le caractère
logique, des faits généraux qui ont le caractère réel, il
accomplit une grande rénovation mentale, et acheva ce
que Descartes avait commencé.
A le bien prendre, ce fut une rude défaite pour la mé-
taphysique, de perdre tout le domaine des entités. Les
scolastiques ne s'y méprirent pas, et virent en Descartes
un ennemi à poursuivre. Descartes ne s'y méprit pas non
plus ; aussi prudent, et pouvant obéir aux suggestions de
la prudence (car, comme il le dit lui-même, il ne se sen-
tait point, grâces à Dieu, de condition qui l'obligeât à
faire un métier de la science pour le soulagement de sa
fortune), il se retira dans un coin de la Hollande, pays
qui avait alors, par-dessus tous les autres, le privilège
d'une tolérance relative, et là il accomplit sans encombre
sa destinée philosophique. Il n'osa pas philosopher à Paris;
et, quand il eut rendu le dernier soupir, cette ville, qu'il
n'avait pas jugée un lieu sur pour l'indépendance de sa
pensée, ne réclama pas ses ossements, et laissa sans un
souvenir et sans un monument la dépouille d'un des plus
grands génies qu'ait produits l'humanité.
Les temps avaient changé, et M. Comte put philoso-
pher à Paris. Mais il y vécut pauvre, inconnu, méconnu,
et finalement menacé dans ses moyens d'existence. Il
s'enveloppa d'une insouciance pour le lendemain que son
irrésistible vocation lui rendait moins difficile qu'à un au-
tre ; et il acheva héroïquement ce qu'il avait héroïque-
ment commencé.
Même en Hollande, Descartes n'osa pas publier un
livre où il admettait, d'après Galilée, le mouvement de
la terre : a II serait besoin, dit-il, que je parlasse de pla-
ce sieurs questions qui sont en controverse entre les doc-
c( tes, avec lesquels je ne désire point me brouiller; Je
Cl crois qu'il sera mieux que je m'en abstienne. •••
XV( PREFACE D UN DISCIPLE.
« pour ce que j*ai tâché d'en expliquer les principales
a dans un traité de quelques considérations m'empêchent
ic de publier... » Il s'agit de Traité du monde ^ qui ne
parut que dix-sept ans après sa mort. Dans ce traité, il ad-
mettait le mouvement de la terre^ et Galilée venait d'ê-
tre condamné à Rome pour cette opioion ; telles sont les
quelques considérations dont Descartes veut parler. Déjà
Copernic, qui, démontrant, dans son ouvrage sur les Ré-
volutionSy le mouvement de la terre, établit, indé|)en-
damment de la gravitation réservée à Newton, le vrai
système du monde, avait gardé entre ses mains le livre
dangereux, et il était sur son lit de mort quand on le lui
apporta imprimé. Galilée, moins retenu, reprit le thème
de Copernic, et, le fortifiant de tout ce que les instru-
ments et son génie lui fournirent, rendit la démonstra-
tion invincible et la condamnation inévitable. Ordinaire-
ment les découvertes dans les sciences partielles passaient
sans exciter l'animadversion des pouvoirs ; mais celle-ci,
portant sur la conception même du monde, troubla l'É-
glise. Si la terre, avec son humanité, cessait d'être le cen-
tre de l'univers, et s'il avait au-dessus de nos têtes et au-
dessous de nos pieds qu'un espace sans limite sillonné par
des globes sans nombre, où placer le ciel, séjour des bien-
heureux, et l'abîme, séjour des damnés? il fallait refaire
en ces points essentiels la théologie. Il fut plus aisé de
condamner l'homme et so proposition. Certes ^inquisition
a de plus sanglants méfaits ; mais cette honte d^avoir, en
plein dix-septième siècle, arraché à un vieillard, par la me-
nace d'un supplice présent, une rétractation qu'il fallut
rétracter, lui demeure ineiïacablement.
Grâce à la tolérance, de pareils attentats ne sont plus
possibles. La tolérance est une des plus belles vertus so-
ciales ciue la civilisation croissante ait produites ; et, mo-
ralement, elle met l'âge moderne bien au-dessus des âges
anciens. Ceux qui pourraient penser que raccroissement
PRÉFACE d'un disciple. XYII
des lumières n'a pas eu un accroissement parallèle de
moralité, n'ont qu'à considérer la tolérance, et combien
de souffrances, de crimes, de bourreaux et de victimes
elle épargne aux sociétés présentes. On a dit que l'anti-
quité n'avait pas été persécutrice ; c'est une erreur. Il est
vrai que le paganisme, avec ses dieux multiples, sans
dogmes précis, rencontrait moins de causes de conflits
religieux qu'il ne s'en est trouvé depuis. Mais sa nature
n'était pas moins féroce; on n'a qu'à lire dans les livres
des Machabées les atroces supplices que les rois grecs in-
fligèrent au peuple juif pour le forcer à quitter son culte.
Au nom du polythéisme, Athènes empoisonna Soorate ;
au nom du monothéisme, Jérusalem crucifia Jésus. Puis,
quand les chrétiens commencèrent à croître en nombre,
on vit pendant plus de deux siècles l'intolérance païenne,
présentant les tortures et la mort, s'exercer contre la
constance chrétienne. L'intolérance devient non pas plus
aiguë; mais plus systématique, quand le monothéisme
s'élève sur les ruines du paganisme. Le christianisme et
le musulmanisme, acharnés l'un contre l'autre, ne se las-
sent pas, l'un à l'orient d'exterminer les adorateurs du
feu, l'autre à l'occident de combattre par le fer et parle
bûcher des hérésies toujours renaissantes. Et cela durerait
encore si un tiers parti qui s'appelle la tolérance, deve-
nant suffisamment fort, n'avait séparé les bourreaux et
les victimes et imposé la paix.
M. Comte a dit plusieurs fois que la persécution philo-
sophique ne pouvait plus ni tuer ni emprisonner, mais
qu'elle pouvait encore faire mourir de faim. Ce genre de
persécution, il le ressentit dans toute son angoisse. 11
avait obtenu honorablement des places modestes et labo-
rieuses, et il en accomplissait honorablement les fonctions.
Mais, quand sa philosophie se fut assez montrée pour dé-
plaire, on entra en conflit avec lui, et on lui disputa ce
qui faisait son unique revenu. Il lutta, se (^fendit,
A. CoMTB. Tome I. i
XVIII PBÉFACE D'UN DISCIPLE.
espéra, s'affligea ; mais son sort dépendait de volontés
bien décidées à le briser ; et, s'il échappa à la fâcheuse
position où on le jetait, il le dut à des circonstances parti-
culières.
Je me laisse aller à mon sujet. Je ne veux pas seule-
ment qu'on admire M. Comte ; je veux aussi qu'on le
plaigne ; car c'est justice de payer ce tribut à ceux qui,
souffrant pour la vérité eti>ourune juste vocation, ont,
comme dit le grand poète, rendu légers les travaux de
notre vie mortelle {l). Donc, j'entre en plein moyen <^ge ;
d'autres diraient dans les ténèbres de cette époque bar-
bare ; mais M. Comte m'a appris dogmatiquement, et je
me suis convaincu empiriquement que cette époque ne
fut ni barbare ni ténébreuse. On appelle barbares, par
exemple, les Germains avant l'invasion qu'ils firent dans
Tempire romain: ils n'avaient point d'alphabet; îles
chants guerriers composaient toute leur littérature ; le po-
lythéisme était leur religion ; point de villes, pctint de
science; une morale rudimentaire, surtout guerrière ; un
gouvernement à peine ébauché. Je ne ferai pas Tinjureau
moyen âge de le comparera ce tableau; lils de la latinité,
il en conserva les traditions ; il fut chrétien et chevaleres-
que, consacra la division des deux pouvoirs temporel vX
spirituel, civilisa l'Angleterre et la Germanie, ])répnra
l'émancipation des classes laborieuses, se y>assionna pf»nr
la philosophie et pour les sciences, créa, afin de répondre
au sentiment de la spiritualité nouvelle, rarcbilectnre si
improprement appelée gothique, et mit dans le monde ces
excellents instruments de beauté et de lumière (ju'on
nomme les langues espagnole, française et italienne. C'est
en raison de tous ces caractères que l'on comprend com-
ment la riche et puissante civilisation de l'ère moJerne a
pu naître de ce moyen âge.
(1;... Tliosc wlio madc our niortal labours llglit.
PREFACE DUN DISCIPLE. XIX
Donc j'entre en plein moyen âge, et j'y trouve un phi-
losophe victime de sa philosophie, Roger Bacon. Déjà si-
gnalé pour son ardeur à Tétude et pour ses succès dans l'é-
cole, il eut la malheureuse idée de se faire moine. Devenu
frère mineur, loin d'être encouragé par ses supérieurs à
rien écrire, il reçut la défense, sous les peines les plus sé-
vères, de communiquera personne aucune composition
qui vint de lui : a Si j'avais pu le faire librement, dit-il au
pape, j'aurais beaucoup écrit, et pour mon frère, qui étu-
diait alors, et pour mes plus chers amis. Désespérant de
communiquer mes ouvrages, j'ai négligé d'en composer.
Quand j'ai dit à Votre Gloire que j'étais prêt, je voulais
parler d'ouvrages à faire, et non d'écxits déjà faits. »
Sa philosophie, ses hardiesses contre Âristote, je veux
dire le mauvais Aristote qui avait envahi la soolastique,
ses travaux scientifiques, tout devint danger pour Roger
Bacon au milieu des franciscains du treizième siècle; et
une longue prison le punit d'avoir voulu acquérir des
lumières, et les répandre, quand il était sous la main de
frères et de supérieurs peu disposés à tolérer de tels élans.
La légende s'est emparée de ce moine savant et frappé
pour sa science, et lui a attribué des merveilles d'un savoir
surhumain ; mais la vraie et belle légende serait celle qui,
symboliquement, nous aurait représenté les angoisses
d'un puissant esprit pour qui les heures passent oisives
dans les ténèbres d'une prison.
Et vraiment, quand on voit Roger Bacon puni par ses
confrères qui ne veulent pas qu'on s'attaque à la science
scolaslique et que l'on critique l'enseignement, n'est-on
pas tenté de mettre en regard Auguste, Comte qui, lui
aussi, critiqua l'enseignement, et que menacèrent dans ses
moyens d'existence les géomètres ses confrères, ne voulant
pas d'une philosophie qui les régente, qui leur ôte une
prépondérance mentale,, légitime au début, illégitime à la
lin, et qui soumet toute science au sévère régime de la gé-
XX PRÉFACE D'UN DISCIPLE.
néralité ? Aussi j'en reviens à mon dire, et, s*il faut re-
mercier Auguste Ck)mte de son œuvre, il faut le plaindre
de ses souffrances qui furent longues et aiguës.
Dans le tome III de ses Mémoires^ M. Guizot, parlant
de M. Comte, disait : a J'eus quelques rapports (1) avec
c un homme qui a fait, je ne dirai pas quelque bruit, car
« rien n'a été moins bruyant, mais quelque effet, même
a hors de France, parmi les esprits méditatifs, et dont les
<c idées sont devenues le credo d'une petite secte pbiloso-
c( phique. x> Il a fallu bien peu d'années pour ôter leur
vérité à ces paroles, où il ne reste plus qu'un dédain pré-
maturé. Si peu de bruit s'est fait autour de M. Comte vi-
vant, du bruit commence à se faire autour de M. Comte
mort. Son œuvre est demeurée debout sur le bord de sa
tombe ; l'effet qu^elle produisit sur les esprits méditatifs
n'a été ni fugace ni stérile; un progrès latent s'est accom-
pli ; et voilà que de bien des côtés s'anime cette doctrine
qui u*a point courtisé la popularité, qui s'est confiée à ses
analogies fondamentales avec l'esprit de la science et de
la société moderne, et qui présente ce signe digne d'at-
tention, de passer non pas d'un grand bruit fait lors de sa
naissance à une décadence hâtive, mais d*un faible com-
mencement à une croissance spontanée, régulière, gra-
duelle.
Et cependant sa doctrine n'est pas de celles qui puis-
sent se glisser commodément dans le vague de certaines
(I) Dans mon Visre sur Auguste Comte et la Philosophie positive y p. 213,
2* édition, j*a?ais signalé une erreur involontaire commise par M. Guizot,
aa sujet de ses relations avec M. Comte. Cette erreur, M. Guizot vient de
la rectifier dans le tome VI de ses Mémoires, cb. xiiviii, en des termes
dont je ne puis trop le remercier quant à la forme. Quant au fond, j'au-
rais souhaité que Thistorien ne méconnût pas la loi de changement et de
développement des sociétés, loi dont rébranleroont des croyances théolo-
giques et la philosophie positive sont des manifestations, et que Thomme
d*État ne méconnût pas, de son côté, l'opportunité des tentatives philoso-
phiques d'organisation dans un milieu troublé, et les sacrifices qu'elles
impotent.
PRÉFACE d'un DISGIPLB. XXI
tendances contemporaines, se laisser aller aux ondula-
tions du flot religieux, se pencher sur les abtmes du pan-
théisme, entrer complaisamment dans les voies que la mé-
taphysique reprend sans cesse avec une constance de moins
eu moins méritoire, ou égarer la science en des compromis
où elle ne donne ni ne reçoit rien. Non, elle est sérieuse-
ment résolue à mettre l'homme à sa place dans le monde
intellectuel et moral, comme Tastronomiery a mis dans le
monde matériel. Entre les instincts nouveaux créés par
la science et par Tindustrie, et les habitudes anciennes
créées par la théologie et par la métaphysique, se meut
la philosophie positive s'appuyant sur les uns pour écarter
les autres. Les transactions ne sont pas à son usage ; elle
ne peut attribuer un semblant de réalité à ce qui pour
elle est dénué de réalité; elle prêche aux hommes la rési-
gnation devant ce qui est immuable, le savoir pour dis-
cerner ce qui peut être changé, et la force morale ponr
faire servir les propriétés des choses à améliorer leur
condition matérielle et à s'améliorer eux-mêmes; et elle
compte qu'en leur demandant résignation, savoir et force
morale, elle triomphera par le seul ascendant d'une civi-
lisation dont elle est l'expression la plus haute.
Aussi la polémique contemporaine ne la laisse pas
inaperçue. On lui fait sa place; et, par cela seul, le ni-
veau de la discussion change; on s*écarte de la route
battue en ceci que Ton reconnaît la nécessité pour la mé-
taphysique de donner aux sciences positives au moins
voix consultative dans les questions qu'elle agite. Écou-
tons-la en effet (1) : « Le fait qui a servi de point de
départ au système de M. Darwin est un fait si prosaïque
et si vulgaire, qu'un métaphysicien n'eût jamais daigné
y jeter les yeux. 11 faut pourtant que la métaphysique
s'habitue à regarder, non pas seulement au-dessus de
(1) M. Paul Janet. Revue des deux mondes. !•' décembre et 15 tioùt tMÊàm
XXII rUÉFACE D'UN DISCIPLE.
nos tètes, mais à nos côtés et à nos pieds... Ne dédai-
gnons pas d'entrer avec M. Darwin dans les étahles des
éleveurs, de chercher avec lui les secrets de Tindustrie
chevaline, bovine, porcine, et, dans ces productions de
Tart humain, de découvrir, s'il est possible, les artiOces
de la nature. Sans doute, lorsqu'il y a plusieurs années,
une exposition universelle rassemblait à Paris les plus
beaux échantillons de ces diverses industries, lorsque,
chaque année encore, dans les concours de départements,
on voit décerner des prix aux plus beaux produits de
rélevage, qui eût cru, qui pourrait croire que, dans ces
expositions et ces concours, la tbéodicée fût intéressée ?
Et cependant les faits de la nature se lient les uns aux
autres par un lien si subtil et si continu, et les accidents
les plus insigniGants en apparence sont tellement gou-
vernés par des raisons générales et permanentes, que rien
ne peut être indifférent aux méditations du penseur,
surtout des faits qui touchent de si près au mystère de
la vie. »
La métaphysique» sans faire attention k l'incompati-
bilité entre la méthode à posteriori^ ({ui est celle des
sciences positives, et la méthode à priori^ qui est la sienne,
se demande d*où vient Taversion non déguisée des sa-
vants pour les causes finales et pour tout ce qui y res-
semble, et en quoi Thypothèse d'un plan et d'un dessein
dans la nature est contraire à l'esprit scientifique.
La science positive, qui s'attache à ce qui la sert et
qui laisse tomber ce qui lui est inutile, n'a pas toujours
eu de l'aversion pour les causes finales, ni jugé con-
traire à son esprit l'hypothèse d'un plan et d'un dessein
dans la nature. 11 fut un temps où; comme la métaphy-
sique, elle fit intervenir ces causes et cette hypothèse dans
ses recherches ; mais, entre une cause première dont elle
n'a aucun moyen de déterminer la nature, et un but
qu'elle n'a aucun moyen de saisir, elle s'aperçut que
PRÉFACE d'un disciple. XXIII
cette doctrine ne lui était (l*aucun secours ; et la force des
clioses la rejeta dans la féconde doctrine des conditions
d'existence, féconde parce qu'elle est relative et expé-
rimentale. Dans les travaux spéciaux, tous, croyants ou
non croyants, renoncent à la première, se conforment à
la seconde. En bonne logique, la doctrine des causes
finales aurait dû être un résultat, non un principe ; mais,
au rebours, elle s'établit comme principe, alors que la
constitution du monde était la moins connue ; et main-
tenant que cette constitution est beaucoup mieux connue»
nlle demande avec inquiétude à la science de la consacrer
comme résultat. Evidemment, cette conception est sub-
jective, ou, ce qui est la même chose, métaphysique, et,
partant, précaire jusqu'à vérification.
En ceci , la vérification consiste à reconnaître si la finalité
s'étend à l'ensemble des phénomènes, ou si elle en laisse
échapper certaines catégories. Dans le premier cas, Tbypo-
tliè>e, je me sers du mot qui m'est fourni, et il est bon,
devient un fait général ; dans le second cas, la contra*
diction entre les différentes catégories de phénomènes de-
vient insoluble, l'hypothèse invérifiable, et la poursuite
stérile.
Un des exemples qu'on prend le plus volontiers en fa-
veur de la finalité est celui de l'œil ; il est excellent ; l'œil
est un instrument, et un opticien, dans son atelier, dispose-
rait de la sorte les divers milieux, la courbure du cristallin,
l'ouverture de la pupille, pour qu'une image nette vînt
se projeter sur la rétine. Par conséquent, il est naturel de
conclure « qu'une cause intelligente a eu devant soi l'effet
c( particulier que chacune des parties devait produire, et
(( l'effet commun qu'elles devaient produire toutes en-
te semble, » en d'autres termes, que cette cause a eu un
plan et s'est proposé un but qu'elle a atteint. Soit : voilà
l'hypothèse vérifiée pour ce cas et pour tous les cas analo-
gues ; mais il ne s'agit pas de faire un choix, et il importe
XXIV PRÉFACE d'un DISCIPUS.
d'examiner comment la doctrine se comporte à Tégard
d*autres conditions. De ces autres conditions, en voici une
entre mille : ce chien qui vous lèche la main a la salive
inoffensive ; mais, par un procédéchimico-vilal quijusqu'à
présent dépasse la subtilité de l'art humain, il va se for-
mer dans cette salive un principe délétère^ qui donnera la
mort à l'animal et à ceux en cjui les morsures l'inocule-
ront. Ce n'est pas tout ; ce nouvel état, dans lequel il est
mis, lui inspire un funeste désir de mordre, de sorte que
la cause qui a combiné le virus a en même temps tout
disposé pour qu'il ne se perdit pas inoffensif. Que dire de
cette singulière cause finale? et comment accorder la
finalité qui parait régir ce cas-ci avec la finalité qui parait
régir le cas de l'œil?
Autre exemple. La cause, quelle qu'elle soit, d'où pro-
YÎennent les êtres organisés, a créé, à côté des espèces
vivant par elles-mêmes, des espèces parasites qu'elle a
jetées par tribus innombrables dans le sein de tous les
animaux. Elle loge ces entozoaires chez les insectes, chez
les poissons, chez les oiseaux, chez les mammifères, chez
l'homme, dans l'œil, dans le sang, dans l'intestin^ dans
le foie, dans le cerveau, dans les muscles ; les germes en
sont partout ; ils se glissent dans les organes, et, pour
peu que le sol soit propice, ils s'y greffent et prospèrent
aux dépens de l'organisme qu'ils condamnent à la souf-
france et à la destruction. De ces entozoaires, quelques-
uns offrent les plus singulières complications de trans-
formation ; vous les voyez hors de l'animal sans les
reconnaître; ils passent par deux ou trob générations
pour accomplir leur évolution, et représentent certaine-
ment un admirable artifice pour désoler les pauvres vic-
times auxquelles ils sont vi^iblement destinés.
Aux arguments de la finalité, qui n'ont pas été renou-
velés, je n'ai pas la prétention d'opposer une argumen-
tation qui soit nouvelle ; et, au siècle dernier, un per-
PRÉFACE d'un disciple. XXY
sonnage d'un roman de Voltaire demandait ce que
signifiait faire des araignées pour éventrer des mouches.
Mais ce qui est nouveau en ceci, c'est qu'alors une telle
argumentation prenait sa source dans une métaphysique
seulement négative et dissolvante, et qu'aujourd'hui elle
la prend dans une philosophie qui, fille des sciences po-
sitives, organise le savoir général comme elles ont orga-
nisé le savoir spécial.
Transporté dans Tordre de la finalité, nécessairement
Tesprit se trouble et chancelle. Le problème, duquel on ne
sait même pas s'il est bien posé, puisqu'il n'est posé que sub-
jectivement, est hors de sa portée. La science, qui n'est
devenue positive que depuis qu'elle expérimente et vé-
rifie, ne veut plus d'une finalité qui ne se vérifie ni ne
s'expérimente. Elle ne s'obstine pas vainement devant
des issues qui lui sont fermées, et se porte 'avec d'autant
plus de force vers les issues qui lui sont ouvertes. Jadis
elle reçut de la métaphysique la doctrine des causes
finales ; aujourd'hui elle la lui laisse comme un instru-
ment sans vertu. Cette doctrine, qui n'a aucun usage
entre les mains de la science positive, n'a qu'un usage
nominal entre les mains de la métaphysique; c'est un
mot qui ne peut devenir une chose, c'est une idée subjec-
tive qui ne peut devenir objective. Tandis que la science
positive, ainsi allégée, marche et s'empare de l'esprit
humain, ce même esprit se détourne de la métaphysique
éternellement arrêtée devant des questions sans réponse.
Tout se juge par les faits et par les fruits.
Le physicien, sagement convaincu désormais que Tin-
timité des choses lui est fermée, ne se laisse pas dbtraire
par qui lui demande pourquoi les corps sont chauds ou
pesants ; il le chercherait en vain, et il ne le cherche plus.
De même, dans le domaine biologique, il n'y a pas lieu
de demander pourquoi la substance vivante se constitue
en des formes où les appareils sont, avec plus ou moins
XXVI PRÉFACE d'un DISCIPLE.
d'exactitude, ajustés au but, à la fonction. S'ajuster ainsi
est une des propriétés immanentes de cette substance,
comme se nourrir, se contracter, sentir, penser. Cette
vue, étendue aux perturbations , les embrasse sans diffi-
culté ; et l'esprit, qui cesse d'être tenu à chercher l'impos-
sible conciliation des fatalités avec les finalités, ne trouve
plus rien qui soit inintelligible, c'est-à-dire contradictoire,
dans ce qui lui est départi du monde.
Ce qui lui est départi du monde ! La terre qui nourrit
l'homme et qui reçoit ses ossements ; le soleil qui épanche
lumière et chaleur dans l'espace planétaire; par delà cet
espace, l'univers, si vaste et si reculé que les soleils ne nous
paraissent plus que des étoiles dont se parent nos nuits ;
la faible mais pensante humanité jetée dans cette immen-
sité ! certes, la grandeur, la beauté, la contemplation, sont
là comme elles* n'ont jamais été. Quand T homme s'engagea
dans la recherche laborieuse de la réalité des choses, il
lui fut promis par un secret instinct que la réalité, la vé-
rité ne laisserait ni son imagination sans merveille, ni
son cœur sans chaleur. La promesse a été tenue : le monde
s'est ouvert avec une grandeur qui est une souveraine
beauté; et le souci de l'humanité est venu allumer en
8on cœur la flamme précieuse des sentiments imper-
sonnels.
C'est une opinion généralement accréditée parmi les
métaphysiciens et même parmi quelques-uns de ceux qui
cultivent les sciences spéciales, qu'en combattant le ma-
térialisme on combat du même coup la philosophie posi-
tive. L'erreur est grande et mérite d'être refutée. Aucun
des coups portés au matérialisme n'atteint cette philoso-
phie ; et j'avertis ses adversaires de ne pas tomber en cette
méprise, qui rend leur polémique illusoire. On objecte
au matérialisme de ne pouvoir dire ce qu'est en soi la
matière. Qu'importe à la philosophie positive, elle qui
prend la matière comme les sciences la prennent, et qui
PRÉFACE d'un disciple. XXYII
use de ces notions comme les sciences en usent elles-
mêmes? On reproche au matérialisme de ne pouvoir expli-
(|uer ni de quelle façon leâ changements de la pensée sont
proportionnels aux changements du cerveau, ni com-
ment, dans le tourbillon vital ou échange perpétuel de
matière qui s'opère entre le corps vivant et le monde
extérieur, le cerveau, qui participe à cet échange, garde
néanmoins le sentiment constant de l'identité. Qu'im-
porte à la philosophie positive, elle qui, partant du fait
indéniable qu'on ne connaît point de pensée sans cerveau,
repousse comme vaines toutes les hypothèses, soit ma-
térialistes, soit spiritualistes, sur les conditions qui font
<]ii'à la substance nerveuse sont attachées la sensibilité et
Tintelligence ? La métaphysique accule à des impossibi-
lités promptement visibles le matérialisme essayait
d'expliquer par les conditions delà matière la production
f»remière des êtres vivants. Qu'importe à la philosophie
positive, elle qui professe qu*on ne peut atteindre aucune
production première, et qui ne se croirait pas plus solide
quand bien même on démontrerait que les générations
spontanées sont réelles ? L'hétérogénie, biologiquement,
est un très-important problème ; mais, philosophique-
ment, elle ne change pas la position de l'esprit humain en
face de Torigine ou de la fin des choses. Si elle est fausse,
le matérialisme n'en niera pas moins le spiritualisme ; si
elle est vraie, le spiritualisme n*en niera pas moins le ma-
térialisme ; car la possibilité ou Timpossibilitè de faire,
sans parents ni germes, des êtres végétaux ou ani-
maux de Tordre infime, laisse toujours les voies ouvertes
à riutervention des forces inconnues de la matière sui-
vant le matérialisme, ou à l'intervention de l'esprit suivant
le spiritualisme. Ni spiritualisme ni matérialiste, la phi-
losophie positive écarte de la science générale les débats
que la science particulière a depuis longtemps et à soU'
grand profit rejetés.
XXVIIT PAÉFACE D'UN DISCIPLE.
La métaphysique, quand elle se sent trop pressée par
le matérialisme, lui tient ce langage en lui reprochant de
confondre la matière et Tesprit : « Sur quoi nous fondons-
<ï nous pour forcer la nature à n'être autre chose que Té-
ii ternelle répétition de soi-même, et, comme le dit Di-
« derot, un même phénomène indéfiniment diversifié?
« Illusion et orgueil ! Les choses ont de plus grandes pro-
« fondeurs que n'en a notre esprit. Sans doute, la matière
a et l'esprit doivent avoir une raison commune dans la
a pensée de Dieu ; c'est là qu'il faudrait chercher leurder*
(( nière unité ; mais quel œil a pénétré jusque-là ? Qui
a pourra croire avoir expliqué cette origine commune à
« toute créature ? Qui le pourrait, sinon celui qui est la
a raison de tout ? Mais surtout quelle faiblesse et quelle
«ignorance de limiter l'être réel des choses à ces fugi-
a tives apparences que nos sens en saisissent, et de faire
«c de notre imagination la mesure de toutes choses ? d A
cela, la philosophie positive répond, non pas au nom du
matérialisme, mais au sien : Celui qui déclare qu'il faut
chercher la raison commune des choses dans la pensée de
Dieu, .et en même temps qu'aucun œil n'a pénétré jusque-
là, se propose de la chercher dans un lieu inaccessible.
Se proposer un lieu inaccessible où Ton cherchera est
toute l'histoire de la métaphysique.
Cette raison commune des choses, c^est dans un lieu
accessible que la philosophie positive la cherche, lieu
qui est celui des sciences positives. Elle leur a demandé à
quoi leur servaientles causes premières et les causes fina-
les ; et, ayant appris qu'elles avaient abandonné comme
stérile toute spéculation sur ces causes, elle a fait dans
son département ce qu'elles avaient fait dans le leur ;
elle a lié sa méthode à leur méthode, son scM't à leur
sort. Le trait de génie est d'avoir trouvé entre les scien-
ces un lien substantiel, et tiré de ces positivités spé-
ciales une positivité générale qui est désormais une phi-
PBÉFACE D'UN DISCIPLE. XXTX
losophie capable de teoir la direction de Tesprit nouveau.
Dans ce que le lecteur vient de parcourir, la science po-
sitive n^est point appelée comme un auxiliaire ; elle de-
meure suspecte et redoutée ; seulement Timportance
qu'elle a conquise contraint de ne pas la négliger complè-
tement. Mais il est des métaphysiciens qui, loin de la
traiter en suspecte, cherchent à appuyer sur elle leurs
systèmes (1).
Ici c'est d'une cosmogonie qu'il s'agit. On admet qu'à
l'origine il n'y a que l'atome flottant isolé dans l'espace et
ne possédant, en son isolement, que les propriétés méca-
niques de la matière. On admet ensuite que ces atomes se
conjoi^nent et forment la molécule où interviennent les
propriétés chimiques ; enfin on admet que les molécules
viennent se condenser en soleils. Une fois qu'on a ainsi
conçu la formation de ces astres, on se trouve en un do-
maine plus rapproché de l'expérience, et, à Taide de
l'hypothèse de Laplace, on se figure des anneaux de ma-
tière solaire se détachant de la masse totale et constituant
les planètes. La terre ainsi détachée à son tour, la géologie
suggère les antitiues périodes de la végétalité et de Tafii-
malité commençantes ; et, finalement, l'histoire divise
rhumanité en époque inconsciente qui s'étend de l'ori-
gine aux temps historiques, et en époque consciente qui
point en Egypte et qui comprend environ cinq mille ans.
Avant d aller plus loin, il n'est pas inutile d'intercalé
une remarque. Les idées qui viennent d'être énoncées pré-
sentent la molécule chimique comme postérieure à l'atome
mécanique, et la mécanique ou physique comme anté-
rieure à la chimie, de même que la vie est postérieure à
l'un et à Tautre. Ceux qui ne sont pas sans familiarité avec
les livres d'Auguste Comte savent que, justement, il a
rangé en cet ordre la physique, la chimie et la biologie,
(1) M. r%enan. Revue des deux mondes, 15 octobre 1863.
XXX rnÉFACE d'un disciple.
se fondant sur ce que ces sciences s'occupent de phénomè-
nes de plus en plus compliqués. Moi-même, cherchant h
défendre la classification d'Auguste Comte contre des ob-
jectionsy et essayant de distinguer la constitution des scien-
ces de leur évolution, j'ai fait voir qu'en effet la nature
nous offre trois degrés de complexité : le degré physique
où la substance, présentant une seule matière élémen-
taire, n'a que des propriétés de gravitation, de chaleur,
d'électricité, etc., le degré chimique ou deux molécules
élémentaires se combinent pour former un composé ; enfin
le degré vital où la combinaison des molécules devient
ternaire et quaternaire. J'ai dit plus d'une fois que, de
la philosophie positive, il flotte dans l'air des lambeaux
que chacun s'approprie et tourne à son gré : voilà un de
ces lambeaux que je signale.
Pourtant, entre la conception positive que je viens de
rappeler et la forme métaphysique qui lui a été donnée,
il y a toute la distance qui sépare un résultat de l'observa-
tion d'avec une hypothèse invéri6able. Tandis que le de-
gré de complexité constaté dans la nature explicjue com-
ment les sciences se sont constituées l'une après l'autre, et
pourquoi il faut, dans une éducation encyclopédiciue, les
apprendre conformément à un tel ordre, Timagination
qui s'est jetée dans l'hypothèse invérifiable n'en rapporte
que cequ'elle y à mis. Nous ne savons rien sur une période
moléculaire ou chimique qui aurait précédé les soleils :
xien sur une période atomique qui aurait précédé la pé-
riode moléculaire. L'hypothèse cosmogonique de Laplace
reste ouverte comme satisfaisant à quelques-unes des con-
ditions astronomiques du problème. Sans doute l'étude
prolongée des comètes, des astéroïdes et des aréolithes
permettra d'étendre nos connaissances sur la constitution
des espaces cosmiques ; mais il est impossible d'anticiper «^r
de dire quelles conjectures ultérieures elle autorisera. Je
n'inherdis point à l'esprit de se perdre, avec ^indéfiIii^^a-
PR^-FACE, d'cN disciple. AXAI
ble frémissement que cause Tabime, dans Tespace et dans
le temps sans borne; mais cela est la satisfaction indivi-
duelle de la contemplation, qui donne essor à des élans de
sentiment et de poésie ; et Ton confond deux domaines,
quand on reporte en la science ce que la contemplation
poursuit en ses lointains voyages.
On ne peut trop répéter Tanathème prononcé par
M. Comte contre les hypothèses invérifiables. La grandeur
de la science n'est pas dans Teffort impuissant et subjectif
de connaître ce qu'elle ne peut connaître; elle est dans ce
labeur, bien récompensé jusqu'à présent, qui interroge
objectivement la nature, et qui en retire des notions rela-
tives sans doute, mais du moins portions certaines et ac-
quises d'une vérité croissante et enchaînement méthodique
de conceptions de plus en plus compliquées.
Il est vrai que de telles conceptions ne comportent pas
de métafdiysique, au lieu que la métaphysique est l'abou-
tissant inévitable de tout ce qui s'engage, même sous des
prétextes scientifiques, dans les considérations d'origine et
de fin. La forme que prend ici la métaphysique est le
panthéisme. La thèse fondamentale de cette théologie (c'est
Texpression) est que Dieu est immanent et dans l'ensem-
ble de Tunivers et dans chacun des êtres qui le compo-
.^ent; mais il ne se connaît pas également dans tous : il
se connaît plus dans la plante que dans le rocher, plus
dans l'animal que dans la plante, plus dans l'homme
que dans l'animal, dans Thomme intelligent que dans
l'homme borné, dans l'homme de génie que dans l'homme
intelligent, dans Socrate que dans l'homme de génie, dans
Bouddha que dans Socrate, dans le Christ que dans Boud-
dha. Cette conscience divine croissant et se développant
avec la croissance et le développement des êtres, il de-
vient convenable qu'on puisse dire que Dieu sera plutôt
qu'il n'est, qu'il est in fieri et en voie de se faire ; et qu'au
bout du développemejit complet, il sera complet si l'on
XXXII PRÉFACE d'un DISCIPLB.
fait (lu mot Dieu le synonyme de la totale existence. C*est
là la pure doctrine de Thégélianisme. Mais Ton ajoute que
s'arrêter là serait une théologie fort incomplète; que Dieu
est plus que la totale existence ; il est en même temps l'ab-
solu ; il est le lieu de Tidéal, le principe vivant du bien,
du beau et du vrai ; euvisagé de la sorte. Dieu est pleine-
ment et sans réserve; il est éternel et immuable, sans pro-
grès ni devenir.
Je ne suis pas panthéiste, et par conséquent n*ai point à
examiner comment Dieu peut être à la fois personnel et
impersonnel, dans le devenir et dans l'absolu. Rejetant le
principe, je nuirai pas chicaner les conséquences. Tout ce
que je remarquerai au nom de la philosophie positive, c'est
que, de quelque manière que Ton conçoive, avec le pan-
théisme, un dieu immanent au monde, c'est une idée pu-
rement subjective ; une idée qu'aucune science ne fournit ;
une idée qui ne prendrait de réalité que si quelque confir-
mation à posteriori lui venait en aide ; une idée qui , recon-
nue invérifiable, perd Tintérêt qu'elle excita quand, dans
un état de raison moins mûre, on pensa qu'elle était véri-
table.
Si l'on se croit en droit de concevoir d'une certaine fa-
^n l'origine des choses, par une conséquence inévitable
on se croira en droit de concevoir aussi d'une certaine fa-
çon la fin des choses, et de construire de toutes pièces ce
((u'en termes d*école on nomme une eschatologie. Ici, dans
l'espèce de panthéisme dont je m'occupe, cette consomma-
tion finale, cette palingénésie dernière sera l'œuvre de la
science ; et l'on affirme que la résurrection finale se fera
par la science, soit de Thomme, soit de tout autre être in-
telligent ; on espère qu'une science infinie amènera un pou-
voir infini, et que Têtre en possession d'une telle science et
d'un tel pouvoir sera vraiment maître de l'univers, ne
connaîtra plus les bornes de Tespace, et franchira les limi-
tes de sa planète ; de sorte qu'un seul pouvoir gouvernera
PnÉFACE d'un disciple. XXXIII
réellement le inonde, et ce sera la science, ce sera l'esprit.
Tel est l'avenir promis à rhumanité qui est le principal ins-
trument de cette œuvre sacrée, ou, si l'humanité s'annule
elle-même pour les grandes choses, à quelqu'une des
antres intelligences disséminées dans l'univers. En même
temps qu'on présente l'esprit universel se dégageant par
le travail des intelligences incorporées, on présente aussi
un Dieu en qui Thomme est immortel, en qui vivent
toutes les âmes qui ont vécu, en qui sera la résurrection de
toutes les consciences ; un monde que nous aurons contri-
bué à faire, où nous ressusciterons et où la religion se trou-
vera vraie; une vie infinie dont notre vie aura été une
portion et où nous aurons notre place marquée pour l'éter-
nité. Je l'ai dit tout à Thcure, je ne suis pas panthéiste, et
ne me prévaudrai pas des difficultés que susciterait la con-
ciliation de propositions qui semblent si diverses ; et je me
borne à remarquer que, si rien, dans l'ordre positif, n'au-
torise la conception panlhéistique du monde, à plus forte
raison est-il interdit d'en tirer, par voie de déduction, des
conséquences nécessairement plus fragiles encore que leur
fragile fondement.
D'un philosophe nourri essentiellement dans les lettres
et dans l'érudition, je passe à un philosophe nourri es-
sentiellement dans la science positive (1). Ces deux esprits,
bien que congénères, puisqu'ils concourent dans une méta-
physique finale, ont pourtant des dissemblances dans leur
manière de procéder ; et Téminent chimiste ne quitte pas
sans quelque regret un terrain dont il connaît si bien la so-
lidité, et dont il trace les caractères de la main la plus ferme.
La science positive est tout d'abord excellemment défi-
nie : elle ne poursuit ni les causes premières ni la fin des
choses ; mais elle procède en établissant des faits et en les
rattachant les uns aux autres par des relations immé-
(1) M. Bertlivlot, Hcvue des Deuc Mondes, 15 noîenibre I8c3.
A. ( OMTE. Tumc I. c
XXXIY PRÉFACE D*[JN DISCIPLE.
diates. C'est la chaîne de ces relations, chaque jour éten-
due plus loin par les efforts de Tintelligence humaine,
qui constitue la science positive.
Le principe essentiel de la science positive est reconnu,
à savoir, qu'aucune réalité ne peut être établie par le rai-
sonnement. Le monde ne saurait être deviné. Toutes les
fois que nous raisonnons sur des existences, les prémisses
doivent être tirées de l'expérience et non de notre propre
conception ; de plus la conclusion que Ton tire de telles
prémisses' n'est que probable et jamais certaine : elle ne
devient certaine que si elle est trouvée, à l'aide d'une ob-
servation directe, conforme à la réalité.
Sans hésitation, l'ordre moral est rangé sous la catégorie
de la science positive. Il s'y agit d'abord d'établir les faits
et de les contrôler par l'observation, puis de les enchaî-
ner en s'appuyant sans cesse sur cette même observation.
Tout raisonnement qui tend à les déduire à priori de
quelque axiome abstrait est chimérique ; tout raisonne-
ment qui tend à opposer les unes aux autres des vérités
de fait, et à en détruire quelques-unes en vertu du principe
logique de contradiction, est également chimérique. C'est
l'observation des phénomènes du monde moral, révélés
soit par la psychologie, soit par Thistoire et l'économie
politique, c'est l'étude de leurs relations graduellement
généralisées et incessamment vériflées, qui servent de
fondement à la connaissance scientifique de la nature hu-
mcdne. La méthode qui résout chaque Jour les problèmes
du monde matériel et industriel est la seule qui puisse
résoudre et qui résoudra tôt ou tard les problèmes fonda-
mentaux relatifs à l'organisation des sociétés.
Enfin, le tableau s'achève, en signalant la position pré-
sente de la science positive, qui a conquis peu à peu dans
l'humanité une autorité fondée, non sur le raisonnement
abstrait, mais sur la conformité nécessaire de ses résultats
avec la nature même des choses. L'enfant se plaît dans le
PRÉFACE d'un DISCIPLB. XXX Y
rêve, et il en est de même des peuples qui eommencent ;
mais rien ne sert de rêver, si ce n'est à se faire illusion à
soi-même... Les anciennes opinions, nées trop souvent de
rignorance et de la fantaisie, disparaissent peu à peu pour
faire place à des convictions nouvelles, fondées sur Tobser-
vation de la nature, c'est-à-dire de la nature morale aussi
bien que de la nature physique. Les premières opinions
avaient sans cesse varié, parce qu'elles étaient arbitraires ;
les nouvelles subsisteront, parce que la réalité en devient
de plus en plus manifeste, à mesure qu'elles trouvent leur
application dans la société humaine, depuis Tordre maté-
riel et industriel jusqu'à Tordre moral et intellectuel le plus
élevé... Tous les esprits réfléchis sont ainsi gagnés sans
retour, à mesure que s'efface la trace des vieux préjugés,
et il se constitue dans les régions les plus hautes de Tbu-
manité tout un ensemble de convictions qui ne seront plus
jamais renversées.
Tout cela, la philosophie positive Ta dit ou le dirait.
Jusque-là, l'accord est complet; mais, quand il s'agit de
passer des sciences spéciales à la science générale ou phi-
losophie, Taccord cesse ; et, tandis que la philosophie po-
sitive soutient qu'il n'y a de science générale que dans la
considération hiérarchique des sciences particulières, ou,
en d'autres termes, de tout le savoir humain, Tesprit mi-
métaphysique, et mi-positif, partagé entre des tendances
contraires, échappe en jetant en avant Tespérance d'une
science idéale à laquelle il attribue une méthode positive
et des conclusions métaphysiques.
Mais n'antidpons pas. Cette science idéale a un objet,
une méthode et un résultat,
\J objet en est de satisfaire à un besoin de Tesprit hu-
main porté par une impérieuse nécessité à affirmer le der-
nier mot des choses, Ou, tout au moins, à le chercher; en
deçà comme au delà de la chaîne scientifique, il conçoit
sans cesse de nouveaux anneaux ; où il ignore, il est con-
XXXVI PBêFACB d'un DISCIPLE.
duit par une force invincible à construire et à imaginer,
jusqu'à cequ*il soit remonté aux causes premières; ce
procédé représente un fait d*observation prouvé par l'é-
tude de chaque époque, de chaque peuple, de chaque in-
dividu ; il n*est pas permis de refuser de Tapercevoir ;
c*est ici un fait comme tant d'autres, son existence néces-
saire dispense d*en discuter la légitinfiité. — Oui, sans
doute, mais cette existence nécessaire ne dispense pas de
l'analyser. Or, à le présenter ainsi, il y a confusion entre
ce qu'il contient de permanent et ce qu'il contient de tran-
sitoire. Ce qui est permanent, c'est la présence perpétuelle
de Tesprit humain devant Tinfinité et Téternité des choses ;
ce sentiment, il ne le perdra jamais; et c'est un des plus
salutaires et des plus grandioses qu'il puisse éprouver et
cultiver. Mais ce qui est transitoire, c'est d'essayer inuti-
lement de résoudre d'insolubles problèmes ; tant qu'il y
eut le moindre espoir d'obtenir une réponse des abîmes
muets, l'esprit eut raison de s'y employer avec toute son
énergie ; là est dans le passé et dans l'histoire le champ
glorieux de la métaphysique. Mais la condition a changé ;
si l'absolu des métaphysiciens est quelque chose, il est une
réalité, et la réalité suprême; or, la moindre réalité, cela
est de notoriété scientifique, ne se connaît que par l'expé-
rience, laquelle, à son tour^ n'est pas applicable à l'absolu,
en vertu d^ la définition même de l'absolu; c'est donc un
cercle sans issue ; et l'on aperçoit que la métaphysique est
une phase transitoire de l'esprit humain.
J'ai peu de chose à dire sur la méthode. Elle est, il faut
le remarquer, celle des sciences positives. Je n'irai point
argumenter là-dessus contre la science idéale. Je note seu-
lement que c'est le contre-pied de la méthode métaphysi-
que, qui est subjective, à priori et hors de l'expérience.
Tout à rheure on verra quel caractère ce changement total
de méthode imprime à la science idéale.
J'arrive aur^^u/^â/. Le voici : élever la science idéale, t|ui
PRÉFACE d'un disciple. XXXTII
est tout aussi nécessaire que la science positive, mais dont
les solutions, au lieu d*ètre imposéeset dogmatiques comme
aatrefob, ont désormais pour principal fondement les opi-
nions individuelles et la liberté.
Ce résultat est donc une opinion individuelle ; mais il
serait injuste de ne pas dire à quelles conditions elle est
assujettie: d'abord, qu'il soit question du monde physi-
que ou du monde moral, il n*y a de probabilité qu'en s'ap-
puyant sur les mêmes méthodes qui font la force et la cer-
titude de la science positive ; en second lieu, il ne s*agit
plus de choisir le système, le point de vue le plus sédui-
sant par la clarté ou par les espérances qu'il entretient ;
enfin, rien ne sert de se tromper soi-même ; les choses
sont d'une manière déterminée, indépendante de notre
désir et de notre volonté.
Maintenant , écartant toute ambiguïté , qu'est-ce
qultine opinion individuelle qui cherche à concevoir
les causes premières et les causes finales en partant des
données que fournit chacune des sciences positives?
Cest quelque chose qui jusqu'à présent n'a pas de nom
en philosophie, je veux dire une conception à base po-
sitive et à couronnement métaphysique, un absolu con-
struit avec des matériaux posilifs. G*est là le vrai sens de
ce terme : science idéale. On peut encore, pour achever de
l'éclaircir, la définir de cette façon : tandis que la méta-
physique fait Tabsolu à Timage du monde intérieur, la
science idéale le fait à Timage du monde extérieur. A ce
point, comme la science idéale n'en est encore qu'à son
programme, on peut lui prédire ce qui lui adviendra : ou
bien elle construira son absolu, rompra avec la méthode
positive, et fera retour à la métaphysique ; ou bien elle
ue construira pas Tabsolu, restera dans le relatif et se con-
fondra dans la philosophie positive. Entre la philosophie
positive et la métaphysique, elle ne peut pas avoir d'exis-
tence indépendante*
XXXVIII PRÉFACE D'UN DISCIPLE.
Ici il importe d'intercaler une remarque sur un emploi
abusif du mot de métaphysique. On dit fréquemment que
la métaphysique étudie les conditions logiques de la con-
naissance, les catégories de l'esprit humain, les moules
suivant lesquels il est obligé de concevoir.. Sans doute,
alors que toute philosophie était métaphysique, de pareils
sujets étaient de son ressort exclusif. Aujourd'hui il n*en
est plus ainsi. L'étude des conditions et des lois de la
pensée est désormais assise sur la base de l'observation ;
elle rentre donc dans Tordre de la science positive, et
cesse d'appartenir en propre à la métaphysique. Celle-ci
a pour caractère de s'enquérir de l'essence des choses, de
leur origne et de leur 6n ; on est hors de son empire du
moment que, n'essayant plus de pénétrer l'essence intime
de la pensée, on y voit un phénomène à étudier comme
les autres. Je sais que, abstrayant du sujet pesant les
formes de la pensée, la métaphysique a voulu voir en ces
abstractions, par privilège, la science même de l'éternel
et de l'immuable. Je ne recule pas, autant du moins que
la faiblesse humaine le comporte, devant cette ambitieuse
expression ; mais il ne faut pas la borner aux lois de la
pensée, il faut l'étendre aux lois de ce monde dont notre
pensée n'est qu'une partie. Jadis la raison humaine, le
voyant sujet au changement, alla chercher l'éternel, l'im-
muable par delà l'horizon et dans les archétypes. Main-
tenant l'éternel, l'immuable, devenant notion positive,
nous apparaît sous la forme des lois immanentes qui gou-
vernent tout.
Les pages de la dicussion contemporaine que je tourne
à fur et à mesure m'amènent un sujet important pour la
philosophie positive, et un homme qui ne lui est pas in-
différent et à qui elle n'est pas indifférente. L'homme est
un philosophe anglais , M. Herbert Spencer ; le sujet est
l'immensité inconnue, la manière dont il l'envisage, et le
rôle qu'il lui attribue dans la philosophie. Ce n'est pas la
PRÉFACE d'un disciple. XXXIX
première fois que je rencontre M. Herbert Spencer ; déjà
j*ai défendu contre lui la série scientifique telle qne
M. Comte l'a établie, en distiDguant la constitution de
chaque science de son évolution (1). Ici encore j*ai à dis-
tinguer ; car, moi aussi, j'ai mb en présence de Tesprit
humain Timmensité inconnue comme un objet dont il ne
peut détacher son regard ; et il y a lieu à discuter ses
vues par les miennes, mes vues par les siennes.
C'est un homme bien connu dans les sciences physi-
ques (2) qui s'est chargé de rendre compte des derniers
travaux philosophiques de M . Herbert Spencer. Et tout
d'abord ce qui Fa frappé^ c'est l'affaiblissement de la mé-
taphysique en Angleterre. A- la vérité, il confond méta-
physique et philosophie, ce qui, depuis M. Comte, est
devenu tout à fait distinct. Avec cette remarque, rien
n'arrêtera dans le passage qui suit : a Partout où Ton
regarde en Angleterre, on observe une tendance ma-
nifeste à ne saisir que le relatif, le concret, à écarter
ce qui est général, systématique, absolu. Or quelle ten-
dance pourrait être plus contraire au développement
de la philosophie? L'absolu est l'objet de toute doctrine
métaphysique : une telle doctrine est tenue de résumer
en formules abstraites tout ce que la pensée est capable
d*embrasser, de poser, sinon de résoudre, — des problè-
mes qui sont de tous les temps, de tous les âges, et qui
s'agitent confusément depuis des siècles dans la con-
science de rhumanité. Ces problèmes cependant, Tes-
prit anglais les repousse. Une conviction secrète et pro-
fonde lui fait croire que le souci des questions insolubles
est la marque des époques de décadence. »
Il faut féliciter l'Anglerre, si le tableau est exact. Ce
qui me porte à croire qu'il l'est, c'est qu'un affaiblisse-
(1) Voy. Auguste Comte et la Philosophie positive^ 2* partie, ch. vi.
(2) M. Lêugfi], Revue des Deux Mondes^ 15 février 18G4.
XI l'UÉFACE D'UN DlbCJPLE.
ment de la métaphysique se montre aussi ailleurs. Nous
avons vu s'écrouler la méta|ifaysique allemande, et sur ses
débris il ne se développe avec quelque vigueur qu'un
matérialisme énergique, mais insuffisant. En France, sa
situation nVst guère meilleure ; établie sur un éclectisme
qui, comme force, est bien au-dessous de Hegel, la mé-
taphysique, sans initiative et sans vue, sVst concentrée
dans la défense du spiritualisme. Tout annonce qu^on ne
verra plus aucune grande éruption métaphysique, com-
}>arable à celles qui ont si|4:nalé 1 ère moderne depuis
Descartes, et qui ont abouli à Hegel. Désormais la méta-
physique se bornera à nous redire qu'il faut poser les
queslioiis qui sont insolubles, et sonder fubsolu qui est
insondable. En cet état, il y a lieu à répétitions, non à
créations.
M. Laugel, après avoir noté que le chef du positivisme
français, Auguste Comte, a en Angleterre peut-être autant
d'adeptes que dans le pays même où il est né, et que Tin-
iluence de sa grande élaboration est visible dans plusieurs
écrits anglais, se retrouve chez M. Mill et se trahit dans
rhistoire de la civilisation de M. Buckle, ajoute que, bien
que non avouée, elle se reconnaît aussi dans un important
ouvrage que vient de publier M. Herbert Spencer. Il
rattache donc Tauteur, malgré son silence, à l'école positi-
viste, mais en même temps il le nomme le dernier des mé-
taphysiciens anglais. Ces deux qualifications sont incom-
patibles. Qui est métaphysicien n'est pas positiviste ; qui
est positiviste n'est pas métaphysicien. Puisqu'un homme
aussi éclairé que M. Lâugel a pu hésiter là-dessus, il im-
porte de rappeler ici en deux mots la distinction fonda-
mentale qui sépare, sans transaction possible, les deux
écoles. L'oeuvre de M. Comte, sa découverte capitale, celle
qui est la mère de toutes les autres, est d'avoir saisi com-
ment la philosophie pouvait être soumise à la méthode
4]ue suivent les sciences positives ; ce qui, avant lui, avait
PUEFACE DUM DlbClPLL. XLl
été impossible à tout le monde. Quiconque applique cette
méthode à la philosophie est positiviste, et, qu'il le dise ou
non, disciple de M. Comte ; quiconque en applique une
autre est métaphysicien. Yoilà le caractère certain auquel
un esprit attentif discernera qui appartient à la philoso-
phie positive et qui lui est étranger.
II y aurait témérité à juger un grand ouvrage sur un
compte rendu, quelque bien fait qu'il soit. Pourtant il est
un point im|>ortant assez déterminé pour qu'on en puisse
discuter ; M. Laugel Texpose ainsi : «M. Spencer divise les
objets dont la pensée humaine s'occupe en deux ciitégories:
ce qui peut être connu et ce qui ne peut pas être connu,
le cogjiosdble et Yincognoscible, Vmcognoscible^ c'est
l'objet de toutes les religions ; c'est en même temps le der-
nier terme de toutes les sciences. Les religions s*y placent
d'elles-mêmes et volontairement ; les sciences y sont ame-
nées par la loi de leur propre développement. Ainsi l'an-
tagonisme entre la science et la foi est-il tout à fait illu-
soire, et ne repose-t-il que sur une conception imparfaite
de l'une et de Tautre. Pour en opérer la réconciliation,
il suffit de définir ce que M. Spencer nomme les idées re-
ligieuses dernières et les idées scientifiques dernières^
c'est-à-dire les idées maîtresses qui dominent et envelop-
pent en quelque sorte la foi et la science. Cette analyse,
non-seulement renferme toute l'œuvre critique du philo-
sophe anglais, mais elle montre aussi sur quels points l'es-
prit positiviste peut confiner à l'esprit religieux ; elle nous
révèle les termes, les articles du traité de paix que le
premier propose au second. »
D'après M. Spencer, la religion, ayant pour fonction
essentielle d'empêcher l'homme d'être entièrement absorbé
dans ce qui est relatif et immédiat, et d'éveiller en lui la
conscience de quelque chose de plus élevé, a pour objet
Ymcognoscible. De son côté, la science arrive à YincognO''
sable. La religion et la science se confondent en ce point,
XUI PRÉFACE d'un DISCIPLE.
OÙ elles ne sont plus que deux faces différentes d'une
même doctrine.
Il y a là une confusion qui, je le crcdns, ne tient parole
ni à la foi ni à la science. Elle git dans Tassimilatiou faite
entre Tobjet de la foi et le résultat de la science.
Avant d'essayer de Téclaircir, je remarque que cette no-
tion de Yincognoscible (je me sers du mot de M. Spencer]
est due à la philosophie positive, et que jusque-là elle
n'existait pas philosophiquement. Antérieurement à la
ferme discussion de M. Comte, il y avait deux domaines
très-distincts : celui de la foi et de la métaphysique (en
ceci ils se confondent) ; là, Yincognoscible^ loin d'être Tin-
connu, avait trouvé des déterminations très-précises sur
Dieu, sur ses attributs, sur sa personnalité, sur sa provi-
dence, sur l'origine du monde, sur l'état après la mort et
après la consommation des siècles. L*autre domaine était
celui des sciences positives ; mais elles ne s'élevaient point
à ridée de Yincognoscible^ acceptant ce (ju'en enseignaient
la foi et la métaphysique, ou du moins ne croyant pas
qu'en leur propre nom on put établir un incognoscible.
Le premier, M. Comte, en étendant la méthode positive à
la philosophie, a mis dans la conscience philosophique la
notion de Y incognoscible ^ la soustrayant du même coup à
la compétence provisoire de la métaphysique et à Tincom-
pétence provisoire aussi de la science.
Si je comprends bien M. S[)encer, il pense que le senti-
ment de Yincognoscible et le sentiment religieux sont une
seule et même chose ; qu'à l'origine, l'esprit humain
donna subjectivement, sous la forme de religion, un
corps à ce sentiment ; que, beaucoup plus tard, la science
arriva objectivement à reconnaître Yincognoscible ; et
qu'ainsi la foi et la science concourent en un point com-
mun qui réunit le point de départ et le point d'arrivée.
A cela, j'ai une objection préjudicielle, c'est qu'on donne
une hypothèse pour un fait quand on assure que le sen-
PRÉFACE d'un disciple. XLIII
liment de Vmcognoscible et le sentiment religieux sont
identiques. Pour Taffirmer, on connaît trop imparfaite-
ment l'histoire primitive des religions ; et il serait loisible
de trouver, par voie hypothétique aussi, d*autres inter-
prétations de la naissance des théologies, par exemple
le penchant de Thomme à supposer en toute cause une
vdonté analogue à la sienne.
Hais j'abandonne un pareil examen trop conjectural en
on sens ou en l'autre, et j'en viens au point tel que le
pose M. Spencer. A mon sens, la réunion qu'il fait son»
un même chef des deux incognoscibles est plutôt nomi-
nale que réelle, Vincognoscible de la foi étant l'objet
même de la foi, et Vincognoscible de la science étant une
limite à laquelle elle s'arrête. Ltre objet ou être limite
sont deux notions très-distinctes.
Ce qui Test aussi beaucoup, c'est l'emploi des deux
incognoscibles. \Sincognoscible de la foi servit à orga-
niser les sociétés, tant que le progrès appartint aux
doctrines théologiques ; car il avait reçu des détermina-
tions précises, et il n'est l'inconnu que dans l'hypothèse
de M. Spencer. Au contraire, à Vincognoscible de la
science est impossible toute immixtion dans le gouverne-
ment du monde social ; et cela se comprend, car cet inco-
gnoscible est vraiment l'inconnu ; et sur l'inconnu nul
ne peut rien fonder. C'est du côté du cognoscible (on me
laissera me servir de cette expression, qui, ici, se définit
d'elle-même), c'est du côté du cognoscible qu'ont passé
le progrès et par conséquent le régime social. Avec de
telles oppositions, l'hypothèse de l'identité des deux inco*
gnoscibles devient bien douteuse.
Enfin, pour dernier argument, admettonsle principe de
M. Spencer et voyons ce qui en adviendra ; s'il est vrai, les
ocmséquences doivent concorder entre la foi et la science ;
mais, si elles ne concordent pas, le principe porte en soi
quelque défaut que ce genre d'épreuve rendra manifeste.
XUV PRÉFACE D*UN DISCIPLE.
De tout temps la foi a déterminé Yincognoscible^ c'est-
à-dire a enseigné les choses d'origine et de fin. Cet en-
seignement doit garder son caractère, on le perdre.
S'il le garde, comme la science déclare Vincognoscible
indéterminable, il y aura, ce qui est l'état actuel, scission
et conflit ; la conciliation que M. Spencer suppose dans le
sein de Vincognoscible ne se sera pas faite.
Si, au contraire, la foi renonce à ses déterminations, son
enseignement perd son caractère, il se confond avec celui
de la science ; il y a,non conciliation, mais absorption. Alors
elle pourra se plaindre qu'on lui a donné un mot vide en
place de ses réalités, et qu'elle ne retrouve pas une lueur
de ce qu'elle croit et espère, en celte limite variable que
la science nomme Vincognoscible.
M. Spencer Ta bien senti, et il s'est vu conduit à déter-
miner Vincognoscible^ le nommant cette puissance dont
l'univers est la manifestation^ tout en déclarant incon-
séquences et contradictions les assertions quelconques
relatives à sa nature, à ses actes, à ses motifs. Rien ne
montre mieux que ceci l'impossibilité de la conciliation
tentée. S'il insiste sur cette détermination, il rompt avec
la définition scientifii|ue de Vincognoscible ; s'il se désiste,
il rompt avec la foi qui exige au moins cette détermi-
nation.
La tentative de confondre Vincognoscible de la science
avec celui de la foi a donc échoué. Ils appartiennent à
deux notions du monde très- différentes, et représentent
deux régimes de Tesprit. Moi aussi, j'ai essayé de tracer,
sous le nom d'immensité^ le caractère philosophique de
ce que M. S[>encer appelle Vincognoscible : « Ce qui est
au delà du savoir positif, soit, matériellement, le fond de
l'espace sans borne, soit, intellectuellement, Tenchaine-
ment des causes sans terme, est inaccesi>ible à l'esprit
humain. Mais inaccessible ne veut pas dire nul ou non
existant. L'immensité tant matérielle qu'intellectuelle
PBÉFACB d'un disciple. XLV
tient par un lien étroit à nos connaissances et devient par
cette alliance une idée positive et du même ordre ; je veux
dire que, en les touchant et en les abordant, cette immen-
sité apparaît sous son double caractère, la réalité et Ti-
naccessibilité. C'est un océan qui vient battre notre
rive, et pour lequel nous n'avons ni barque ni voile,
mais dont la claire vision est aussi salutaire que formida-
ble (1). »
Après avoir parlé de Tamour de l'humanité qui, né
parmi les générations modernes, n'a pu naître que parmi
elles, j'ajoutai : a Le sentiment d'une immensité où tout
flotte s'est emparé graduellement des esprits depuis que
l'astronomie a marqué cet infini d'une forme réelle, chan-
geant le ciel en un espace sans borne, peuplé de mondes
sans nombre. C'est lui qui, depuis lors, a donné le ton à
l'àme humaine, a inspiré l'imagination et s'est fait jour
dans ce que la poésie moderne a de plus éclatant. Lia
situation est nouvelle pour Thomme de se voir, dans
l'immensité de Tespace, du temps et des causes, sans
autres maîtres, sans autres garanties, sans autres forces
que les lois mêmes qui régissent Tunivers ; car elles sont
pour lui ces trois choses : ses forces, ses garanties, ses
maîtres. Rien n'élève plus Tàme que cette contemplation :
par un concours qui ne s'était pas encore produit, elle
excite dans l'esprit le besoin de comprendre et de se sou-
mettre, de se résigner et d*agir. Tout ce qui s'est fait et se
fait de grand et de bon dans l'ère moderne, a sa racine
dans Tamour croissant de Thumanité et dans la croissante
notion que Thomme prend de sa situation dans Tunivers.
C'est la preuve que Tapplication morale de la conception
positive du monde n'est point une illusion ; car cette appli-
cation est déjà commencée, en vertu des tendances spon-
tanées de lasociété {Ib. , p. 525). » Cette page, que j ai relue
(I) Augusle Comte et la Philosophie positive, p. 529, 2* édition.
XLYI PRiFACE D'UN DISCIPLE.
et transcrite, je n*ai rien à y changer; elle demeure Tex-
pression de ma pensée.
Ici se trouve clos, provisoirement du moins, le tour-
noi que vient de soutenir la philosophie positive. Le temps
marche vite ; et, dans un délai qui, sans doute, ne sera pas
très-long, d'autres luttes s'engageront sur un terrain plus
préparé et mieux déterminé. Vingt-deux ans seulement
se sont écoulés depuis la publication du dernier volume
du cours de Philosophie positive ^ cette œuvre qui, disait
son auteur, n'était pleinement jugeable que finie et dans
son ensemble. A l'opposé d'autres systèmes qui ont fait
grand bruit et qui depuis ne se sont guère recrutés, la phi-
losophie positive^ qui fit peu de bruit, n'a pas néanmoins
cessé de se fortifier par un recrutement latent et dû à la
force des choses, non à la propagande. Aussi la lutte com-
mence active et sérieuse ; Auguste Comte y préside, tou-
jours vivant dans ce livre qu'il a légué à ses disciples
connus et inconnus.
Il y préside, eneflFet : je m*y suis constamment servi des
principales théories de la philosophie positive; elles y
apparaissent non pas à Tétat dogmatique, mais à l'état de
controverse. Aussi le lecteur y Irouvera-t-il, tout en assis-
tant à un débat, une préparation à l'étude du Système de
la philosophie positive. Ce n'est point une impulsion po-
lémique qui m*a conduit ; mais j'ai cherché à faire que
celui qui aura parcouru cette préface ait quelque facilité
de plus à suivre une philosophie qu'il aura vue mêlée
aux débats actuels, à lire un livre dont les idées essen-
tielles ont été mises à l'épreuve sous ses yeux.
Ce qui vient d'être discuté n'a montré, chez des esprits
éminents et divers, aucun principe de doctrine et d'orga-
nisation. La critique y abonde et la métaphysique ; on y
trouve le reflet d'un temps fort troublé. Le mérite de
la philosophie positive est, en ce trouble que la théologie
déplore, mais qu'elle n'a pas empêché de naître et qu^elle
PBiFACE d'un disciple. XLYII
n empêche pas de s^augmenter, non d'avoir proposé un
principe de doctrine et d'organisation (beaucoup Vont iait
avant elle], mais d'en avoir proposé un qui concentre en
soi toute la vertu de la science positive, seule inattaquée
et croissante.
Elle porte partout avec elle la cohérence et la consé-
quence. L*esprit qui la suit comme un guide n'entre
jamais en conflit avec lui-même. Il n'a, si je puis ainsi
parler, qu'une seule conscience ; au lieu que Tesprit mé-
taphysique en a nécessairement deux, Tune lorsqu'il rai-
sonne à priori^ et l'autre lorsqu'il raisonne à posteriori;
Tune dans les conceptions objectives, Tautre dans les con-
ceptions subjectives. Quel trouble est jeté dans les notions
positives par la méthode métaphysique! En revanche,
quel trouble est jeté dans les notions métaphysiques par
la méthode positive ! Mais je ne veux pas pousser cela, ni
adjuger à la cause que je défends un triomphe qui n'est
pas entre mes mains. Je suis bien décidé à ne pas m'eni-
vrer de mon propre vin, et j'ai le ferme propos de tenir
toujours mon esprit sinon maître, du moins averti des
préoccupations. II faut donc s'élever plus haut. Je sais fort
bien que des hommes en qui je reconnaîtrai toutes sortes
de supériorités ne sont aucunement touchés de ce qui,
pour moi, est l'évidence ; et, réciproquement, les raisons
qui leur semblent décisives demeurent pour moi sans
force et sans vertu. Quand deux personnes, venant l'une
d'un air très- froid, l'autre d'un air très<chaud, se rencon-
trent dans un lieu intermédiaire^ l'une le trouve chaud,
l'autre le trouve froid. Entre ces deux sensations aussi
vraiesl'une que l'autre, qui décidera,si ce n'est l'imperson-
nel thermomètre ? J'ai donc depuis longtemps cherché un
thermomètre que je pusse, lisant les degrés, consulter sur
les opinions que j'ai embrassées. A mon sens, je l'ai trouvé
en cette double échelle qui montre^ dans l'histoire de l'hu-
manité, la décroissance du surnaturel et la croissance du
XLYIII PhÉFACE D*UN DISCIl'LE.
naturel, la décroissance des notions subjectives et la crois-
sance des notions objectives, la décroissance du droit divin
et la croissance du droit populaire, la décroissance de la
guerre et la croissance de Tindustrie. Là est la sobrce de
convictions profondes, obligatoires pour la conscience ; et,
en attendant que ce thermomètre, accomplissant sa mar-
che, fixe le destin des opinions, poursuivons loyalement
et vaillamment ce que, dans la sincérité de notre cœur,
nous considérons comme le digne objet d'une vie mor-
telle.
La philosophie positive est sévère et ardue. Elle range
ses disciples sous la rude loi d'apprendre, et les conduit,
comme les initiés de jadis, d*échelon en échelon jusqu'au
sommet. Par ce développement régulier, elle extirpe de
l'esprit tout ce qui est à priorij et ne lui ouvre les con-
ceptions générales que quand elle a corrigé toutes les
tendances subjectives qui sont à la fois naturelles et com-
modes. Et pourtant, malgré cet appareil qui est de son
essence, malgré les rigoureuses conditions qu'elle impose,
elle n'a pas laissé de s'implanter et de fructifier. Quand
Bossuet, tonnant contre l'incrédulité de son temps, dit
que l'homme n'est pas seulement emporté par l'intempé-
rance des sens, que l'intempérance de l'esprit n'est pas
moins flatteuse, et que, comme l'autre, elle se fait des
plaisirs secrets et s'irrite par la défense, celte grave parole
du dix-septième siècle ne tombe pas sur la philosophie
positive, qui a si austèrement dompté l'intempérance de
l'esprit.
On peut concevoir que les choses se sont passées et se
passent ainsi : dans l'enseignement scientifique tel qu'il se
pratique chez nous, il se forme deux groupes, l'un repré-
senté par l'École polytechnique, l'autre par les Ecoles de
médecine. Le premier excelle dans les sciences inorgani-
ques, mais est étrangère la science des corps vivants;
importante lacune et obstacle considérable à l'achemine-
FIléFACE d'un disciple. XLIX
meiit vers la philosophie positive. L*autre groupe entre au
cœur de la conuaissauce de la vie ; mais son éducation est
faible quant à ces sciences inorganiques qui sont le pié*
dcstal de la biologie ; et la philosophie positive ne cesse de
lui recommander de prolonger ses études de ce côté-là,
comptant sur la l(^que naturelle des choses pour décider
les convictions. Et, en effet, malgré toutes les imperfec-
tions manifestes, c'est dans ces deux groupes qu'est le
principal noyau de recrutement. La philosophie positive
y rencontre quelques esprits dans lesquels elle entre tout
entière, un plus grand nombre joù elle entre par frag-
ments ; et il n*est pas rare de trouver telle personne qui,
tout en lui restant étrangère, n*en admet pas moins, comme
notion évidente et grandement utile, la série scientifique
telle que M. Comte Ta constituée. Ces fragments se multi-
plient et préparent l'avenir.
Sur ces deux groupes la philosophie positive a prise par
la science positive. Mais il en reste deux autres sur lesquels,
à ce titre, son action ne peut s'étendre : ceux qui ont reçu
seulement l'éducation littéraire de nos collèges, et ceux
qui sont attachés aux ateliers et aux champs. Pourtant
telle est sa généralité, telle est son opportunité que, là
même, l'influence ne lui est pas retirée. Dans ces deux
groupes, il est beaucoup d'esprits qui sont demeurés dans
les croyances théologiques; à ceux-là la philosophie n'a
rien à dire, elle ne s'adresse pas à eux, et, s'ils ouvrent
ses livres, elle le met sur leur conscience. Mais il en
est plusieurs aussi qui, spontanément, c'est-à-dire sous
l'action dissolvante du milieu social, ont abandonné la
foi traditionnelle. A ceux-là la philosophie positive a
beaucoup à dire; elle s'adresse à eux, et ce sont ces con-
sciences qu'elle sera glorieuse de rallier, car elle aura rendu
un grand service social. Pour eux se trouve à point la
partie historique du livre de M. Comte. Tous les esprits
à. Cornn. Tome I. ^
L PRÉFACE d'un DISCIPLB.
méditatifs y ont accès; là, dans cette vue générale de
rbistoire qui n'a pas encore été égalée, ils apprendront
par quelle nécessité d'évolution les croyances des pères
n'ont point passé à tous les enfants, quel est le danger des
opinions vagues, métaphysiques, révolutionnaires, qui
servent d'intermède, et quelles sont les conditions d'une
doctrine qui, faisant son dogme intellectuel de la connais-
sance réelle du monde, fasse son dofi;me moral du
service de Thumanité. L'histoire philosophique est le vé-
ritable enseignement de tous ceux qui veulent comprendre
leur situation mentale et la développer.
La consistance de la philosophie positive est due au
livre de M. Comte. SU n'avait fait que des cours, s'il n'a-
vait donné que des fragments, l'efficacité en serait très-
hornée. Mais le livre la maintient, cette efficacité, com-
plète et permanente. Il n'est point de grande doctrine sans
grand Uvre.
La philosophie positive est à la fois le produit et le
remède d'une époque troublée. Les terreurs ne sont pas
sans fondement qui assaillent parfois l'homme réfléchi et
les foules irréfléchies. En effet, que voit-on? des ébranle-
ments prolongés, des espérances déçues, des fluctuations
sans arrêt, la crainte du retour d'un passé qu'on repousse,
et l'incertitude d'un avenir qu'on ne peut définir. En cette
instabilité, la philosophie rattache toute la stabilité men-
tale et sociale à la stabilité de la science, qui est le point
fixe donné par la civilisation antécédente. Quand je dis la
philosophie positive, j'entends Auguste Comte et ce livre
auquel je mets une préface ; il ne serait pas juste de voiler
sous un terme impersonnel la louange due à un grand
nom et à un suprême service.
E. LiTTRÉ.
Mars iS64.
Table alphabétique :
TABLE ALPHABÉTIQUE
DES MATIÈHES CONTENUES DANS LES SIX VOLUMES.
AberratioD. Théorie de V ^ u,
no.
Académies. Du remplacement des
— scîeolifiques par des ^ phi-
losophiques (note) 9 Yi, 395. Des
lihres réunions scientifiques
témoignant de l'insuffisance
des — officielles (note), ti,
398.
Académie des sciences. Spéciali-
sation eiagérée des membres
de r — (note)y ti, 380 (autre
noie), vj, 385. Du choix des
professeurs par 1' — vi, 389.
Récit de la lecture d'une let-
tre de M. Comte, adressée à l*
— (note), TJ, 390 et seq. Des
Jugements technologiques de
1* — VI, 394 (note). Réflexion
sur la suppression de 1' — par
la Convention, vi, 301.
Académie des sciences morales
et politiques. Observation sur
Y -. VI, 404.
Acoustique. Rang de 1* ^ dans
Tétude des branches delà phy-
sique, ]i, 316. Considérations
générales sur 1* — ii, 409.
AciioD. Base rationnelle de l'ac-
tion humaine sur la nature,
I, 51.
— Ce que doit être 1' — pour la
masse des hommes, iv, 48.
— De la continuité et de la va-
riété d' — chez l^omme, iv,
387.
Affections. Des — personnelles
en opposition aux — sociales,
IV, 393. Voy. Égolsme.
Affinité. L' — ne s'explique pas
par l'électricité, m, 147, 151.
Affranchissement. De 1' — des
serfs, VI, 70. De V — des com-
munes, VI, 76.
Ages. De la subordination des
— IV, 402, 409.
— critique, v, 346.
— du fétichisme, v, 5.
— de la généralité, vi, 277.
— du monothéisme, v, 211.
— du polythéisme, v, 84.
— de la spécialité, vi, 39.
Agriculture. Ce qu'exige une vé-
ritable théoiie-de 1' — i, 55.
i
UI
TABLE ALPHABÉTIQUE.
Développement de la vie agri-
cole par le fétichisme, v, 61.
Air. Influence physiologique de
r - III, 444.
Alchimie. Utilité temporaire de
r — I, 14. Appréciation de 1'
— VI, 209.
Alexandre III. Do la bulle d' —
sur Tabolition de Tesclavage,
VI, 70.
Alexandrie (École d'). Progres-
sion des sciences naturelles
depuis elle, i^ 19.
Algèbre. Est une des deux bran-
ches pdncipales du calcul, i,
132. Définition de V — i, 134.
Se compose de deux branches
fondamentales distinctes^ i,
145.
Aliénés. Influence de la fréquen-
tation des — sur l'étal mental
des médecins, vi, 631 .
Alimentation .Tendance de Thom-
me civilisé par rapport à 1' —
IV, 332.
Allemagne. Génie généralisateur
et systématique de V — opposé
au génie clair et positif de la
France,iii, 60 (note).
— Disposition de V — au positi-
visme, VI, 539.
Ampère. Hecherches de — sur
les phénomènes électro-ma-
gnétiques, II, 471, 484.
— De la classification des corps
par — m, 65.
— cité pour son idée de division
du règne animal (note), m, 387.
Analyse chimique. Les deux gen-
res d' — III, 24.
Analyse infinitésimale. Contro-
verseentre l'Allemagne etTAn-
gleterrc sur la priorité de l'in-
vention de V — (note), vj, 231.
Analyse mathématique— base du
système entier des connais-
sances positives, i, 109. Vue gé-
nérale de r — i, 123. Moyen
possible de perfectionner l'en-
semble de r — 1, 143. Applica-
tion de r — à la physique, ii,
280.
Analyse ordinaire, i, 145.
Analyse transcendante, i, 142.
Coup d'œil historique sur 1* —
1, 168. Exposition des concep-
tions principales touchant!' —
1, 170. Appréciation de ces mé-
thodes, i, 191. Trois classes de
questions mathématiques exi-
gent remploi de 1' — i, 205.
Anarchie intellectuelle. Considé-
rations sur r — actuelle, iv,
90.
Anatomie. Connexion de 1' —
avec la physiologie, m, 213.
Considérations, philosophiques
sur r— m, 339. Étude des tis-
sus par Bichat et ses succes-
seurs, m, 340. De la vita-
lité des fluides organiques, m,
354.
Anatomie transcendante. Remar-
que sur cette qualification, m,
372.
Anciens. De la controverse sur la
comparaison des anciens et
des modernes, vi, 189, 262.
Angleterre. Comparaison de la
situation sociale de la France
et de r — v, 424 et note 425.
— De la monarchie parlemen-
taire en — IV, 85.
— Du caractère de la constitu-
tion parlementaire, V, 292.
— Causes de l'isolement de la po-
litique anglaise, v, 407.
Angleterre. Du développement
TABLE ÀLPHABÉTIOUE.
ini
industriel moderne de V — iv^
i36.
Angleterre. Influence du prêtes*
tanlisme sur la culture des
beaux-arts en — yi, 179.
~ Influence de la politique sur
la culture des sciences en —
Ti,231.
— Tendances positivistes de ï* —
peu développées, vi, 540.
Animaux. Des — considérés au
point de vue de la psycholo-
gie, III, 539.
^ de l'idée du moi ches les —
m, 545.
— > De la locomotion chex les —
(note), m, 408.
— Du remplacement d'un sens
par un autre chex les — (note),
m, 5i4«
— Ëtude des fonctions intellec-
tuelles et morales de l'homme
par celle des — m, 579.
~ Etat social des — comparé à
celui -de rhomme, iv, 313.
— Observation sur l'intelligence
des — V, 30.
— De l'adoration des — dans
l'antiquité, v, 34.
— Préservation des — utiles par
le fétichisme, v, 66.
— Du fétichisme des — (note),
v,91.
Antiquité. Universalité des étu-
des dans!' — 1,25. Les philo-
sophes de r — n'avaient pas
l'idée du progrès social, iv,
170. Influence des œuvres de
r — sur la renaissance, vi,
i73.
Apollonius (de Perge) cité, i, 53.
Apothéose. Caractère de V —
chex les anciens, v, 132.
Arabes. Introduction des scien-
ces naturelles par les -* dans
l'Europe occidentale,!, i9.
AacHiMÈDB. Utilité des traraux
spéculatifs pour la pratique, i,
53.
-* Ses découvertes en statique^ i,
426.
— Esprit géométrique d' — r,
181.
Architecture. Supériorité de 1'^
moderne sur l'ancienne pour
la partie industrielle, v, ii4.
— Progrès de 1' — au moyen
âge, V, 327.
— De r — en Italie au moyen
âge, vi^ 15?.
Aristote. Acception du mot phi-
losophie dans — 1, 5. Progres-
sion des sciences naturelles de-
puis— i, 19.
— Hypothèse d' — sur la chute
des corps pesants, ii, 339.
— De la doctrine des quatre élé«
ments par — iii^ 59.
— cité pour sa classiQcation zoo-
logique, ]ii, 375.
— croyait à la nécessité de l'es-
clavage, IV, 37.
— (Caractère de la Politique à* —
iv, 176, 181.
— Opinion d' — sur les hommes
nés pour la servitude, v, 137.
— Conception encyclopédique d'
— V, 184.
» De l'accueil fait à la doctrine
d' — par le moyen âge, v, 323.
— Appréciation de la doctrine d'
— y, 389.
Arithmétique. Est une des deux
branches principales du calcul,
i, 132. Définition de 1'— i, 134.
Arithmétique trancendante, i,
137.
Aaïus. De l'hérésie d' — v, 270.
â
UT
TABUB ALPHABÉTIQUE.
Armée. Du caractère de riostitu-
tioD des armées permanentes,
y, 405.
Armes à feu. .De l'introduclion
des — vr,m.
.ArU Relation générale de la
science et de 1' — i, 51 • .
— Développement des sciences
par les arts« m, 194.
•F^ Des lacunes de .1* — dans la
dernière phase moderne, vi,
. 365. Voy. Beaux-arts,
Aruspices. Utilité pour Tanalo-
mie de l'art des — v^ 96.
Assem][)lée constituante. Carac-
tère de r — VI, 289. Voy. Cou-
ventiorif révolution française,
Association. Conditions d*une —
quelconque, iv, 50. Voy. sty-
ciélé.
Astres. Moyens mathématiques de
connaître la grandeur, la fi-
. gure, la masse, etc., des — i,
97. Étude de la Qgure et de la
. grandeur des — u, 65. Éten-
due et intensité de l*atmo-
. sphère des — ii, 78. Du mou-
vement des — II, 86. Plans des
. orbites et durée des révolu-
tions des — II, 91. Figure des
— déduite de la théorie géné-
rale de leur équilibre, n, 189.
AstroUtrie. Est un perfectionne-
ment du fétichisme» v^ 44, 65,
77.
Astrologie. Convenance de 1* —
à l'époque où on la cultivait,
I, 14.
*- Considérations 9ur V — an-
, donne, m, 280.
r* Caractère de V — au moyen
Age» ^h ^07.
Astronomie. Est redevable ^ Tas-
. trologie, i^ iZ. Quand a-rt-elle
été ramenée à des théories po-
sitives ? 1, 19. Rang de Y — dans
• la classification des sciences,
I, 66. L' — est une section de
la physique inorganique, i, 71.
Considérations philosophiques
sar r — II, 5. Définition de Y
— Il, 9. Distinction de 1* —
solaire et de 1* — sidérale,-»,
iO.. Suprématie de Y — entre
les sciences naturelles, ii, 16.
Caractère essentiel de Y — n>
19. Subordination des autres
. sciences fondamentales & 1* —
II, 23. L' — devant la philo-
sophie théologique et la doc-
trine des causes finales, ii, 25.
Division de 1' — u, 28. Des mé-
thodes d'observation en — li,
33. État de 1' — avant Kepler,
u, 123. Subordination indi*
recte de la biologie à 1' — lu,
272. . Relations nécessaires de
la sociologie avec Y — iv, 354.
De la culture religieuse de Y
— au moyen ftge (note), vi, 199.
Note sur le cours populaire d'
— fait par M. Comte, vi, 508.
Des résultats obtenus en —
VI, 688.
Astronomie sidérale. Considéra-
tions suri* — II, 241.
Athènes. Situation politique de-
dans l'antiquité, v, 476. Con-
ditions de la destinée d' — v,
190 (note). Voy. Grecs.
Atmosphère. Mesure de la pres-
sion de r — II, 320.
Attraction. Impossibilité de défi-
nir r — I, 17. Usage irration-
. nel du mot — en mécanique
céleste, u, 169.
Audition. Élude de l'acoustique
par rappport à T — u, 411.
TABLE ALPHABÉTIQUE.
LY
Aagures. UUlité de l'art des —
dans rantiquitéi y, 97«
AuGOSTiN (saint) combat la sphé-
ricilé de la terre, v, 336.
Automatisme. De V — animal de
Oescartes (note), m, 531.
Aatorilé.Conditionsder — iv,244.
— Considérations sur 1' — sa-
cerdotale, V, 41 .
— De r — dans les sociétiîs pri-
mitives, v, 122.
» Confusion de V — spirituelle
et temporelle dans l'antiquité,
v. 139, 150.
— Etablissement an moyen âge
et lutte de 1' — spirituelle
contre 1' — temporelle, v,
22.
— Des attributions de V — spi-
rituelle dans le nouvel ordre
social, Ti, 447.
Avocats. Influence politique des
— en France, iv, 124.
— Influence des — au dix-hui-
tième siècle, ▼!, 287.
Azote. L' — est-il un corps sim-
ple ou composé? J, 39.
Bacon (Francis) cité, i. 12. Mou-
vement imprimé à 1 esprit bu-
main par les préceptes de —
I, 20, 30, 43, 51. Tentative en-
cyclopédique de — I, 47. Sens
probable du terme philosophie
première employé par — i, 50,
60. Appréciation des travaux
philosophiques de — vi, 247.
Bacon (Roger). Variété des vues
de — vj, 206.
Barologie. Rang de la — dans l'é-
tude des branches de la physi-
que, II, 314. Examen philoso-
phique de la — u, 320. Partie
statique de la — ii, 321 . Théo-
rie de la capillarité, ii, 336.
Partie dynamique de la —
II, 338.
Barthez. Du principe de -^ m,
451.
— Distinction des sympathies et
des synergies dans les fonc-
tions animales, ni, 526.
Batle. Influence philosophique
de — V, 499,
Béatification. De la — dans le sys-
tème catholique, v, 315.
Beaux-arts. Exigences d'une vé-
ritable théorie des — i, 56.
— Influence du fétichisme sur la
culture des — v, 51.
— Influence du polythéisme sur
les — v, 98.
— Ordre de naissance des — v,
111.
— Développement des — au
moyen fige, vi, 146. Influence
de l'industrie sur le dévelop^
pement des — vi, 160.
— Action finale de la philosophie
positive sur les — vi, 756.
Becquerel. Travaux électro-chi-
miques de — m, 128.
Bernouilli (Daniel). Théorie des
marées de Descartes approfon*
die par — 196. Hypothèse du
parallélisme des tranches par
— I, 498. Extension donnée
par — au théorème des forces
vives, I, 520. Théorie sur la
coexistence des petites oscilla-
tions, I, 530.
Bbrnouilu (Jacques). Tendance de
— & appliquer la géométrie
aux sciences sociales, iv,' 366.
Bkrnouiixi (Jean). Procédé de
LYI
TABLE ALPHABÉTIQUE.
l'intégration par parties, i, 222.
Du problème de la brachyslo-
cbrone, i, 233.
BaiTHOLLET cité, I, 15, cité pour
8on Essai de statique chimique,
III, 36 (note).
— De la loi des doubles décom-
positions salines, m, 83.
— Rectifications faites par ^ h la
théorie de Lavoisier sur la com-
bustion, m, i36.
Bkrzélius. Opinion de — sur la
simplicité de l'azote, i^ 39.
— De la classification des corps
par — m, 66.
»- Étude numérique des compo-
sés chimiques, m, 102.
— Théorie électro-chimique sys-
tématisée par — m, 127.
BicHAT. Définition erronée de la
vie par — m, 200.
— cité pour sa définition des tis-
sus par leurs propriétés phy-
siologiques (note), m, 221 .
— cité pour sa découverte de Ta-
nalogie entre le système mu-
queux et le système cutané, m,
250.
— cité pour sa réprobation de
l'application des théories ma-
thématiques à la physiologie,
m, 286.
— cité pour la décomposition do
l'organisme en ses divers lis-
sus, m, 339.
— cité pour sa distinction entre
la vie végétative et animale,
iiî, 429.
— - De la théorie physiologique
de — m, 452.
— Doctrine de — sur Tirri-
tabilité et la sensibilité, ni,
498.
Du caractère d*intermit(ence
propre à toute faculté animale,
iif, 5i9.
BicHAT. Théorie du sommeil, iii^
521.
— Théorie de l'habitude, m, 523.
— Observation sur sa non-admis-
sion par l'Académie des scien-
ces, VI, 383 (note).
Biologie, m, 187. Objet essentiel
de la— m, i93, 21ô. Relation
de la — avec la médecine, m,
196. Définition, m, 2 1 1. Moyens
d'investigation propres à la —
III, 217. De l'observation en —
m, 218. De rexpérimentation
en — m, 222. De la méthode
comparative en »iii , 239. Rang
de la — dans la hiérarchie des
sciences, m, 258. Perfection-
nement dont la — est suscep-
tible, III, 302. InQuence de la
— ' sur le développement de la
raison, lu, 306. Division des
parties essentielles delà — m,
325. Delà bîotaxie, m, 374. De
la — dynamique, iii, 424. De
la vie animale, m, 483. Des
fonctions intellectuelles et mo-
rales ou cérébrales, m, 530.
— Spécialisation du terme, — m,
329.
— Subordination de la sociolo-
gie a la — IV, 341 •
— Derniers progrès de la— vi,370.
— Elle a été plus entravée que
secondée par les corporations
savantes, vi, 383.
— Des résultats obtenus en — vi,
699.
Bionomie. Sens de ce mot, m,
331.
Biotaxie. Considérations philoso-
phiques sur la — m, 374. De la
formation des groupes naturels
TABLB ALPHABÉTIQUE.
LVII
eo zoologie, m, 38i . De leur I
hiérarchie, m, 385. Suhordi-
nation des caraclères taxono-
Biiquefl^ m, 398. Traduction
des caractères zoologiques in-
térieuns en caractères exté-
rieurs, m, 404. Coordination
rationnelle du règne animal,
m, 407»
Blainvilli (de) cité à propos de
l'introduction des principes gé-
néraux d'analomie comparée,
I, 29.
— Remarque sur le cours de phy-
siologie de — (note), m, 187.
-- Définition de la vie par — m,
205.
^ Conception des milieux par
— m, 214.
— Considération sur les variétés
par — m, 247.
— Sur l'analogie entre la struc-
ture de Toeil et celle de IV
reille imaginée par — m, 269.
<— cité pour sa distinction des
vrais éléments anatomiques et
des simples produits de l'prga-
nisme, m, 348; pour sa théorie
du phanère, m, 350.
— Notion du parenchyme par —
(note)y ni, 345.
— Classification des animaux en
artioxoaires et actinozoaires,
ra, 402.
— Théorie physiologique de —
m, 460.
-* cité pour sa division des phé-
nomènes ph^fsiologiques^ iii,
462.
<- cité pour un aphorisme, m,
349.
BouHAAvi. École physiologique
de — m, 450.
BoKAPAETz. Son opposition au dé-
veloppement du système de
Gall (note), m, 533.
BoNAPARTB. Tentatives de — pour
rétablir Fancien système poli-
tique, IV, 30.
— Comparaison de — et de Crom-
weli (note), v, 469.
— Appréciation du caractùre po-
litique de — IV, 315.
BoNiFACE VIII. Des luttes contre
la papauté, v, 358.
BosscBT. Caractère de l'histoire
chez — IV, 204.
— cité pour l'unité de composi-
tion de son histoire univer-
selle, V, 8, 187.
— Remarque de — sur l'escla-
vage antique, v, d34.
— Appréciation de la vie de —
V, 418.
— Participation de — Â la réno-
vation de la philosophie poli-
tique, VI, 257.
Botanique. Sa dépendance de la
physiologie, i, 57.
Brachystochrone (problème de
la), I, 233.
Bbadlet. Constatation de l'aherra-
tion delà lumière par — ii, 110.
Broussais cité pour sa remarque
sur l'état pathologique et l'état
physiologique comparés, m,
•223.
— Cité pour sa localisation des
fièvres essentielles, m, 285.
— Remarque de — sur la mé-
thode psychologique, m, 539.
— cité à propos de la folie, m,
578 et note.
BuFFon. Appréciation du carac-
tère des œuvres de — vi, 237.
Byron. Du génie nouveau de —
VI, 762.
LYIII
TABLE ALPHABÉTIQUE.
Cabanis cité pour sa tendance à
faire abstraction en sociologie
de toute observation histori-
que, IV, 345. Témoignage de
— sur Franklin (note), y, 131.
<:alcul. Objet du — i, 108. Dîtî-
flion du — en deux branches,
I, 132. Différence du — algé-
brique et du » arithmétique^
ly 133. Comparaison de ces
deux — I, 1 35. Du — des fonc-
tions, I, 140. Du — des fonc-
tions directes, i, 147.
— « aux diflérences finies, i, 247.
-— différentiel, i, 201. Division
Ibndamentale du — i, 207. So-
lutions singulières des équa-
tions différentielles, i, 224.
— des fluxions et des fluentes
par Newton, i, 187, 200.
— des fonctions dérivées et des
fonctions primitives, i, 201.
— infinitésimal, i, 145.
— intégrai, i, 214. Du — aux
différences partielles, i, 216.
Détermination des intégrales
définies, i, 226.
— des probabilités, n,255.
— des variations, i, 230.
Calorimètre. Invention du — par
Lavoisier et Laplace, ii, 363.
Calvin. Caractère de la réforme
de — V, 465.
Calvinisme. Pourquoi le — a été
mal accueilli en France, v.
Capillarité. Théorie de la » u,
336.
Garnot cité pour son ouvrage :
Réflexions sur la métaphysique
du calcul infinitésimal, i, 181.
Castes. Du système théocratique
des — V, 161.
Catholicisme. Dénomination pré-
férable à celle de christianisme
(uote), ▼,212. Rôle du — au
moyen âge, v, 228. De la hié-
rarchie dans le — v, 243. Du
célibat ecclésiastique, v, 252.
De l'éducation donnée par le
— V, 258. De la confession, ▼,
263. Conditions dogmatiques
du — V, 265. Du culte, v, 271.
Intervention du — dans la féo-
dalité, V, 282. Influence du —
sur la transformation de l'es-
clavage en servage, v, 287 ] sur
l'institution de la chevalerie,
V, 288; sur la morale univer-
selle, V, 291. Action intellec-
tuelle du — V, 316. Principe de
décadence du — v, 331. De la
décomposition de la hiérarchie
catholique, ▼, 367.
Catoptrique. Loi fondamentale
de »- u, 455.
Célibat. Du — ecclésiastique, ▼,
252.
Centralisation politique. Consi-
dérations sur la — IV, 67.
Cerveau considéré comme appa-
reil, m, 556.
Chaleur. Recherches de Fourier
sur la — I, 18.
— Théorie sur la — qui se dé-
gage dans la combustion, ni,
133.
-— Influence physiologique de la
— m, 438.
— animale. Des analyses de
la — faites par les chimistes,
111,169.
-— spécifique. Évaluation de la
— des corps, ii, 362.
— vitale. Notions sur la — m, 473.
TABLE ALPflABÉTIQUE.
UX
GharHé» Da seotiment de la —
Tulgarité par le catholicisme,
▼, 313.
Cmàmlemlaghe. Respect de — pour
riodépeDdance pontificale, v,
255. But des guerres de — v,
285.
Cbailbs-Qoimt. Caractère des lut-
tes de la France contre — v,
4i0.
GiABLBs. Sur le progrès de l'a-
lithmétique au moyen fige
(note), V, 326.
Ghiinie. Émancipation de la — !
1, 19. I
—Considérations sur la doctrine
des proportions définies, i^ 38.
— considérée comme base de la
minéralogie, i, 57.
-— Est une subdivision de la phy-
sique terrestre, ï, 72.
•* Extension possible de l'analyse
mathématique aux phénom(>-
nés si ?ariables de la — i, il 5.
— Distinction de la — et de la
physique, ii, 269.
» Considérations philosophiques
sur Tensemble de la — m, 5.
Définition de la — m, 9, 13,
18. Des moyens d'exploration
en — 111, 19, et de leur vérifi-
cafion, in, 23. Rang de la ~
dans la hiérarchie des sciences,
m, 27. I>e la doctrine des afli-
nités, III, 35. De la nomencla-
ture en — III, 42. De la divi-
âon de la — en inorganique et
organique, m, 51.
— Subordination de la biologie à
la — III, 259.
— Pouvoir de l'homme sur la
nature da a la — iv, 360.
— Des résultats obtenus en — vi,
697.
Chimie inorganique, ni, 51 . Delà
façon d'étudier et d'envisager
les corps simples, m, 55. De leur
classification, m, 65 ; celle de
Berzélius, m, 66. lies condi-
tions d'une classification scien-
tifique en — m, 68. Du dua-
lisme chimique, in, 80. Loi
des doubles décompositions sa-
lines, III, 83. Influence de l'air
et de l'eau sur les phénomènes
chimiques, m, 85. De la doc-
trine chimique des proportions
définies, m, 93, Loi de Richter,
ni, 96. Doctrine de Dalton, m,
90. Objections, m, iii. Exa-
men de la théorie électro-chi-
mique, m, 124.
— organique, m, 51, 157. Incon-
vénients des analyses de — fai-
tes par des chimistes, m, 160.
Comment on doit répartir les
portions de la -* entre la chi-
mie et la physiologie, m, 175.
Chinois. Du caractère social attri-
bué à l'écriture hiéroglyphi-
que des — v, 168 (note).
Cbaussibb. Tentative de classifi-
cation anatomique par — « m,
264.
» cité pour avoir fait de la cha-
leur vitale une propriété di-
recte, III, 463.
Chevalerie. De l'institution de la
— V, 288.
Chevreul. Plan adopté par —
pour l'étude des corps simples,
m, 55.
Chladni. Expériences sur l'acous-
tique de — II, 420, 430.
Christianisme. On doit au — le
sentiment du progrès de l'hu-
manité, IV, 170. Voy. Catkolw
cisme.
LX
TABLE ALl*nABÉTiQUE»
Cbronomètres^ ii, 36.
Civilisation. L'organisation so-
ciale doit être corrélative à la
— IV, 238.
— Analyse de la progression so-
ciale, IV, 442.
I>u régime des Castes dans
l'ancienne — v, 161.
-*Oes conditions de séparation
des pouvoirs spirituel et tem-
porel, VI, 437. De la régénéra-
tion préalable de TOccident
européen, vi, 468.
Clairaut cité pour son traité de
la figure de la terre, i, 461.
Classes. De la subordination des
— dans le nouvel ordre social,
VI, 490.
Classitication. De la théorie des
— à propos de la biologie, m,
— 310.
— Des — végétales et zoologi-
ques, m, 375.
Clergé. Forte éducation du — au
moyen âge, v, 247.
— Tendance de la nationalisa-
tion du — au seizième siècle
(note), v, 41 K
— De ia dégénération du — ca-
tholique (noie), VI, 348.
Climat. Considérations sur l'in-
fluence du — & propos des ou-
vrages d'Hippocrate et de Mon-
tesquieu, IV, 182.
Cohésion. La — s'explique-t-elle
par l'électricité 7 m, 147.
CoLBERT. Mesures favorables à
l'industrie prises par — vi,
124.
CoLLARD (de Martignt). Des obser-
vations de — sur les fonctions
organiques, m, 474.
Colomb (Christophe). Des décou-
vertes de — VT, M9.
Colonies. Influence des — sur
l'évolution sociale, vi, 127.
Colonisation. Influence intellec-
tuelle de la — par la Grèce, v,
175 (note).
Combustion. Théories relatives à
la — m, 131.
Comètes. Problème des »- n,
i 40. Opinion de Lagrange sur
l'existence des — ii, 210.
— Perturbations du mouvement
des — causées par leur rap-
prochement des planètes, ii,
220.
Comité positif occidental. Desti-
nation d'une association dé-
nommée — VI, 544.
CoNDiLLAC cité & propos de la sen-
sation (ransformée,iii, 550.
CoNDORCBT cité pour son ou-
vrage : l'esquisse d'un tableau
historique des progrès de l'es-
prit humain, IX, 185.
— cité pour sa conception fon-
damentale des sciences socia-
les, IV, 367.
— Du duel au moyen fige, v,.
298.
Confession. Remarques sur la
— catholique, v, 263.
Convention nalionale.Caractère
de la — VI, 298.
Corneille. Caractère de la poésie
dramatique chez — vi, I8f.
Corps. Division en corps bruts
et corps organisés, i, 69.
— Division de l'étude des —
bruts, i, 71.
— Rang et complication de l'é*
tude des — organisés, i, 69.
Corruption politique. La — éri-
gée en moyen de gouverne-
ment, IV, 104.
Cosmogonie. Notions de — po-
TABLE ALPHABÉTIQUE.
LXI
sjti?e, 11, 249. Vérification de
la *- de Laplace, ii, 258.
Couleurs. De la théorie de la co-
loration des corps, u, 450.
Coulomb. Ezpérieuces de — sur
la statique électrique, ii, 480.
Cours publics de philosophie po-
fitite, professés en 1826 et
1829,1,3.
Crédit public. Développement
du — moderne en Europe, vi,
139.
Croisades. Répression du prosé-
lytisme musulman par les —
V, 360.
— Influence intellectuelle et so-
ciale des — VI, 149.
Cromwell. Appréciation de —
comme politique (note), v, 469.
— Direction industrielle donnée
à l'Angleterre par — vi, 124.
CuviEA cité & propos d*écrits psy-
chologiques, I, 33.
— Opinion de — « sur les corps
simples, m, 61.
— cité pour son élude exclusive
des appareils en anatomie
comparée, m, 346.
— Lutte de — contre Lamarck,
au sujet de la permanence des
espèces, m, 389.
D^Alembest. De la classification
des sciences par — i, 47.
— Calcul intégral aux différen-
ces partielles, créé par — i
216.
— Du principe de — i, 491.
Daltoji. Loide— surles tensions
des vapeurs, n, 373.
— De la doctrine des proportions
définies, m, 99.
Dante. Éclat Jeté par — sur la
poésie, V, 328.
D'Arct, cité pour le théorème
général des aires, i, 511.
Dknina. Observation de — sur
Tagriculture et la population
de ritalie aux vi*' et vu** siècles
(note), VI, 66.
Dbscahtes. Mouvement imprimé
à l'esprit humain par les con-
ceptions de — I, 20, 43. Con-
ception de »- relative à la
géométrie analytique, i, 38,
312; VI, 221.
— Tentative d*un système com-
plet de philosophie positive,
III, 530.
— Hypothèse de rautomatlsme,
VI, 225.
— Appréciation des travaux phi-
losophiques de — VI, 247 .
Desfontaimes. Sur l'examen des
organes de la nutrition dans
les végétaux, par — m, 419.
Devoirs. Théorie des — dans le
nouvel ordre social, vi, 454.
Différentiation. Voy. Calcul dif-
férentiel^ i, 201.
Diffraction, m, 462.
Digestion. Imperfection des no-
tions sur la — m, 470.
Dilatation. Lois de la — des corps,
II, 366.
Dioptrique, ii, 458.
Diplomatie. Importance de la —
moderne, v, 442.
Divorce. Dangers du — v, 3H.
— Du — autorisé par le protes-
tantisme, v, 481 .
— Réflexions sur le — (note), v,
482.
Dominicains. Influence de l'in-
stitution des— V, 358.
Donné, cité pour ses recherches
I
LXII
TABLE ALPHABÉTIQUX.
sur Télectricité de l'enveloppe
aaimale (note), m, 475.
Droit. Influence de renseigne-
ment du — & la fin du moyen
fige, V, 391.
Duel. Remarque sur le — au
moyen âge et dans les temps
modernes, y, 298.
Ddbamel. Conception de — sur
la perméabilité, ii, 404.
DuNoTBB. Sur la condition des
esclaves, v, 280.
Dynamique, i, 419. Objet essen-
tiel de la — i^ 427. Deux cas
généraux de la — i, 468. Du
principe de d'Alembert, i, 491.
Théorèmes généraux de — •
Du principe de la conservation
du mouvement du centre de
gravité, i, 507. Du principe des
aires, i, 510. Du plan invaria-
ble, I, 514. Des moments d'i-
nertie et des axes principaux
de rotation, i, 547. De la con-
servation des forces vives, i,
519. Du principe de la moindre
action, i, 525. De la coexis-
tence des petites oscillations,
I, 530.
— céleste, u, 206. Modifications
des mouvements résultant de
chocs ou d'explosions d'astres,
II, 208. Des gravitations per-
turbatrices, II, 2il. Détermi-
nation d'un plan invariable au-
quel se rapportent tous ces
mouvements, ii, 228.
— électrique, ii, 483.
— sociale. Première idée de la
— IV, 230. Esprit général de
la — IV, 26t. Direction néces-
saire de l'évolution sociale, vi,
442. Conditions de la vitesse
de cette évolution, iv, 448.
Subordination des éléments
qui It développent, IV, 458. Loi
de la succession des trois états
théologique, métaphysique et
positif, iv, 463. Corrélation de
l'évolution tnatérielle avec l'é-
volution intellectuelle, iv, 503.
Eau. Influence physiologique de
r — 111,444. .
Écho. Théorie de 1' — ii, 425.
Iticlipses. De la prévision des —
II, 444.
École. Des résultats obtenus par
les — philosophiqu es française,
allemande et écossaise, m,
549.
— Rivalité des *- de Voltaire et
de Rousseau dans la révolu-*
lion française, vi, 308.
— normale. Réflexion sur la
justesse de cette épithète, vi,
'633.
— «polytechnique. Positivité de
r — iv, 463.
Économie politique. Nature et
objet del'— IV, 493.
Économistes. Influence sociale
des — au xvHi* siècle, v, 530.
Ecosse. Différence de l'évolution
politique en — et en Angle-
terre, X, 407 et note.
Éducation. Ce que doit être i' —
actuelle des savants, i, 28, 35«
— Nécessité d'adopter la marche
dogmatique dans l'étude des
sciences, i, 62.
—Importance de la classification
des sciences pour 1' — i, 80.
Nécessité de réformer 1' — ac-
tuelle, i, 84. .
TABLE ALPHABÉTIQUE.
LXIIf
Éducation. Nécesiité de com-
meDcer 1' — par la mathéma-
tique, I, lOOu
— lie r — mathématique néces-
saire aux biologistes, m, 296.
— L' — doit toujours être diri-
gée par la physique sociale
(note) iiiy 326.
— Objections à la doctrine de
Gai], au point de vue de V —
llly 566.
» Expériences d' — faites sur de
jeunes sauvages, iv, 276 (note).
— De r — générale dans le sys*
tème catholique au moyeu
âge, Y, 258,321.
— Système d' — positive, attri-
bution du pouvoir spirituel
moderne, vi, 457. Développe-
ment de r — dans le nouveau
système social, vi, 508.
— Réflexions sur 1' — mathé-
matique, VI, 657.
Égalité. Du dogme de 1' — iv, 52.
» avenir de Y — fraternelle, iv,
415.
Égolsme. Des penchants égoïstes,
IV, 392.
— De la théorie de V — v, 503.
Egypte. Du polythéisme théo-
cratique en » v, i60.
Élection. Caractère de r — dans la
constitution catholique, v, 244.
Électricité. Dénominations im-
propres d' — vitrée et rési-
neuse, II, 479.
— Influence physiologique de
r -.,!,, 441.
Électrisation. Causes principales
d' — II, 473 .
— De r — organique perma-
nente, III, 475.
Électro-chimie. Importance et
progrès de V — m, 124.
Électrologle. Rang de V — dans
l'étude des branches de la
physique, ii, 315. Historique
de r — u, 365. Stérilité des
hypothèses en — n, 467. Divi-
sion de r — et production des
phénomènes électriques , ii,
473. Statique électrique , n,
480. Dynamique électrique,
II, 483. Électro-magnétisme,
II, 488.
Électro-magnétisme. De la dé-
couverte d'Œrsted, ii, 488.
Éleetromètres, ii, 478.
Électroscopes, ii, 478.
Endosmose. Phénomènes d* -—
rattachés à la capillarité, ii,
338.
Ennui. Influence de 1' — sur le
développement humain, m ,
526,548; iv, 449.
Épopées. Appréciation sommaire
des — modernes, vi, 184.
Équation. Véritable dé&nition de
r — 1, 124. — Classification des
— i, 148. De la résolution nu-
mérique des — I, 153. Théorie
des — 1, 157.
•— aux limites de Lagrange, i,
239.
Esclavage. Destination de V —
ancien, iv, 508; v, 133.
— Comparaison de 1* — antique
et colonial, v, 135.
— Influence de i* — sur la morale
dans l'antiquité, v, 148.
— Transfomialion de 1' — en
servage par le catholicisme, v,
287.
— Double but de V — antique,
vi,67.
— Honte de V — colonial, vi,
131.
Espace. Notion de V — J, 258.
LXIV
TABLE ALPOABÉTIQDE.
Espagne. Du système colonial de
r — VI, 129,
— Influence du catholicisme sur
Tart dramatique en ~- vi, 182.
— Aptitude de V — au posili-
visme, vi, 542.
Espôce. Remarque sur la notion
d* — m, 390.
Esprit. Coup d*œil sur la marche
progressive de Y — i, 8. 11 passe
par l'état théologique, méta-
physique et positif, I, 9. Mou-
vement imprimé à l* — par
les préceptes de Bacon, les
conceptions de Descartes et les
découvertes de Galilée, i, 20.
Inconvénients pour V — de
la spécialisation des études
scientifiques, i, 26. Étude de
r — au point de vue statique
et dynamique, i, 30. Observa-
tion des phénomènes pyscho-
logiques par V — i, 31. Rôle
social del' — v, 215.
Esthétique. De l'évolution — mo-
derne, vi^ t45. Voy. Beaux-
arts.
États-Unis. Des sectes religieuses
aux —IV, 51, 94.
Étoiles. Ce qu'on nomme un ca-
talogue d' — II, 69.
— Mouvements relatifs des —
multiples, ii, 241.
EuLER. Nouvelle forme donnée
par — au principe de d'Alem-
bert, I, 493. Théorèmes sur les
moments d'inertie et les axes
principaux de rotation décou-
verts par — I, 517.
— Extension de l'analyse mathé-
matique par — VI, 233.
Europe. Condition favorable de
r — au développement social,
y, 20.
Ëvaporation. Théorie de V
372.
Exosmose. Effets & — rati
à It capillarité, ii, 338.
Expérimentation .^ L'art de
est dû au développement
physique» ii, 279, 295.
— De l'emploi de 1* — en
gie, m, 222.
— De r — appliquée à la-
logie, IV, 307.
Famille. Considérations sui
IV, 398.
— Du perfectionnement de
par l'influence du ca
cisme» v, 309.
Femmes. De l'autorité sac
taie des — dans l'antiqu
l.->7.
— De Tamélioralion socia
— par le catholicisme» v
Féodalité. Origine de la
204. Son caractère, v, 27
tervention du catholi
dans la — v, 282.
Fermât. Conception de l'ai
transcendante par — i^
Fehgcsson cité pour ses obi
lions politiques» iv, 289.
— Classiflcation des animai
— IV. 422.
Fétichisme, premier état il
gique» V, 25. Hypothèse
état de l'homme plus gr
que le — v, 27. Influence
sur l'ensemble de l'évo)
humaine, v, 39. Transita
— au polythéisme, v, 70.
ment le — est contrai
Tcsclavagc, V, 138.
TJkBLE ALPHABÉTIQUE.
LXV
Feu. TentatiTes pour expliquer le
^ m» 138.
Fluides. De l'étude des — en mé-
canique, I, 420. Des » impar-
faits, I, 424.
» Considérations sur les — en
physique, ir, 306.
— De la vitalité des — organi-
ques, m, 354.
Folie. De l'étude des facultés de
l'homme par Texamen des di-
vers genres de — m, 578.
^ L'idée de — correspond à
celle d'organe, ni, 458.
Fonctions (Emplois). Suppres-
sion de la distinction entre
les — publiques et privées, iv,
482.
— (géométrie). Qu'est-ce qu'une
— dans le langage de la géo-
métrie 7 1, 94. Des deux sortes
de ^ I, 425. Des — élémen-
taires,!, 428. Difficulté de créer
de nouvelles — élémentaires
abstraites, i, 440.
— directes, i, 445. Du calcul des
— 1, 447. Il se divise en deux
parties distinctes, i, 455. De la
méthode des coefficients indé-
terminés, I, 458. Théorie des
quantités négatives, i, i6J.
Principe de l'homogénéité, i,
163.
— indirectes, i, 445. Considéra-
tions générales et historiques
sur le progrès du calcul des —
I, 467. Systèmes de Leibnitz,
Newton et Lagrange, i, 170.
Division en deux parties du
calcul des — ), 200.
— périodiques ou discontinues,
1, 253.
— intellectuelles et morales.
Étude positive' des — m, 530. I
A. CoiiTi. Tome I.
Historique du progrès de l'es-
prit positif, III, 530. Addition
provisoire de la physiologie
pbrénologique à la physiologie
organique et animale, m, 535.
Vices de la méthode psycho-
logique,iu , 538. Examen de la
doctrine de Gall, m, 554. Per-
fectionnements dont elle est
susceptible, m, 574.
Fonction (physiologie). Défini-
tion du mot — en physiologie,
111,240.
FoNTENELLE cité à propos de
ses considérations sur les car-
rières scientifiques (note), iv ,
459.
— Pénétration philosophique de
— v, 547.
— Part de — dans la querelle
des anciens et des modernes,
VI, 262.
Forces. Définition des — en mé-
canique, I, 394. Loi de la com-
position des — i, 409.
— centrifuge, i, 484.
FoDBiER cité à propos de la théo-
rie de la chaleur, i, 48.
— Analyse mathématique de la
propagation de la chaleur, par
— 11,379.
— Doctrine des températures
terrestres, par — ii , 398.
— Appréciation des travaux ma-
thématiques de — VI, 368.
FoviLLE. Du siège distinct des
saveurs principales, m , 5f8é
France. Situation de la — relati-
vement à l'esclavage colonial,
VI, 132.
— Tendance de la république
européenne et surtout de la —
vers l'étal positif, vi, 277.
— considérée comme siège né-
6
LXTl
TABLE ALrBABÉTIOCB.
cesttire de l'élaboralioo so-
ciale, VI, 536.
FranciicaiDs. Influence de Tins-
litotion des — ▼, 358.
FtLAtnun. Crédulité de — à re-
gard des songes (note), ▼, 131 .
FftiDiRIC LE Gra5D. SOU IDOt SUF
rincapacité politique des phi-
losophes, ▼, 22 i .
— Prévision philosophique de
— V, 524.
Gauléb. Mouvement imprimé à
Tesprit humain par les décou-
vertes de — 1,20, 43.
— Loi de la composition des
forces, 1, 409.
»- Découverte de li rotation du
soleil, par — ii, 87.
— Loi de la pesanteur, trouvée
par — II, 339.
— Effet de la persécution de —
V, 493.
Gaix. Analyse des fonctions phré-
nologiques, par — in, 550.
— Appréciation de la doctrine de
— III, ook,
— Des indications fournies par
les gestes (note), m, 585.
— Opinion de — sur la perpé-
tuité de la guerre, iv, 3i9.
— De la théorie cérébrale de —
relativement û la sociabilité,
IV, 384.
— cité à propos de la préten-
due égalité des deux sexes, iv,
405.
Gat-Ldssac. Analjrses numéri-
ques des composés gazeux, par
— m, i03.
Gaz. De l'équilibre des — - ii, 329.
Dilatation des — ji, 368.
Génération. Des recherches sur
la — in, 475.
Géométrie. Considérations géné-
rales sur la — i, 86. La — est
une partie de la mathématique
concrète, i, 106. Supériorité
scientifique de la — i, 257.
Définition de la — j, 258,
272. Division de la — en
spéciale et générale, i, 281.
— céleste, ii, 29. Des procédés
gnomoniques , ii , 34 . Des
moyens de mesurer le temps,
n, 36 ; de mesurer les angles,
u, 43. Théorie des corrections
à faire aux indications des
instruments, ii, 47. Théorie
des réfractions astronomiques,
II, 48. Théorie des parallaxes,
II, 55. Examen philosophique
de la — II, 64. Division de la
— eu deux ordres de phéno-
mènes : \^ statiques, ii, 63;
2<> dynamiques, ii, 86. Lois de
Kepler, ii, 126. Loi de la gra-
vitation, u, 150.
— descriptive. Son caractère phi-
losophique, I, 300.
— générale ou analytique, i,290,
304. Principaux aspects élé-
^mentaires que présente la con-
ception delà—- 1, 312. Ses im-
perfections générales relative-
ment à la géométrie et à
l'analyse, i, 337.
— générale à deux dimensions,
i,dH.
— générale à trois dimensions,
1,371.
•— de situation, i, 524.
— spéciale,!, 281,290.
Gerbert. Établissement de la no-
tation arithmétique secondé
par — VI, 201.
TABLE ALPHABÉTIQUE.
LXVII
Gestes. De la signification des
— (note), m, 585.
Goufernemcnt. Tendance élé-
mentaire de toute société hu-
maine à un — spontané, iv,
430.
» Nécessité du — militaire dans
l'origine, iv, 507.
Gravitation. De la — newto-
nienne, i, i7. La — est la loi
positive la plus générale à la-
quelle on puisse rattacher
tous les phénomènes naturels,
1,44.
« Loi de la — ii, ioO.
Grecs. Importance des fêles du
cotte chez les — v, 125, 15i.
— Du polythéisme militaire chez
les — V, 174.
Grégoire vu. Prépondérance de
TÉglise au temps de — v,
247.
Guerre. Répugnance croissante
pour la — IV, 504.
— Caractère de la — chez les
peuples pasteurs, v, 62.
— Prépondérance de la — chez
les anciens, v, H 9.
— Comparaison d u rôle de la —
dans les premiers âges et dans
les temps modernes, v, 126.
— Remarque sur les — moder-
nes, V, 437, 439.
— Du caractère des — de Napo-
léon !•% VI, 318.
^ Décadence du régime mili-
taire dans la première moitié
do dix-neuvième siècle, vi,
349.
GuizbT. Mot de IL — (note), iv,
122.
— Opioion émise en 1831 par M.
— sur l'hérédité de la pairie
(note), IV, 338.
fiLizoT. Restauration de l'Aca-
démie des sciences morales et
politiques par M. — vi, 404.
H
Habitude. Théorie de Y ^ par
Bichaf, III, 523.
Hallam. Remarque de — sur les
salaires des ouvriers actueb',
VI, 271.
Hallucinations. Des — dans l'âge
du fétichisme, v, 50.
Helvêtios cité pour son ouvrage
r Esprit, m, 55 1 .
— De l'égalité des intelligences
humaines selon — v, 522.
Hérédité. De 1' — profession-
nelle dans l'antiquité et les
temps modernes, v, 163.
Hérésies. Des — primitives et mo-
dernes, V, 463 .
HippARQUE, fondateur de la trigo-
nométrie, V, 182.
HippocRATE cité pour son Traité
des eaux, des airs et des lieux,
IV, 182.
Histoire. Tendance des esprits
versl' —IV, 204.
— De la spécialité en — iv, 325.
— Conception fondamentale de
l'analyse historique de l'évo-
lution sociale, iv,458.
— Condition de l' — par rapport
à la sociologie, v, \ 6.
HoBBEs. Influence philosophique
de — V, 499. Tentative pour
réhabiliter — en Angleterre,
V, 499 (note). Caractère de la
conception de — v, 506.
Homère cité pour ses peintures
des dieux du polvthcisme, v,
86.
— Caractère poétique d' — v, 09.
i
UtIII
TASLK ALPHABETIOUE.
BoiisE. Ues théories do poly-
théisme dans — sur les pehies
et les récompenses résertées
i la vie future, t, i24.
Horloges astronomiqaesy u, 39.
Hamanité. Théorie do perfec-
tionnement de r — 1V9 261,
Î72, 275, 278.
— Conditions d'one Téritahle his-
toire de r — • T, 15.
— Résumé des grandes phases
de r — ▼!, 409.
— Du système de commémora-
tion destiné à glorifier les di-
verses phases de V — vi, 472.
Voy. Civilisation,
fluME. De sa théorie de la causa-
lité, Ti, 259.
fluTGHETvs. Théorème de la con-
servation des forces vives dé-
couvert par — 1, 519.
»- Du principe des forces vives
inventé par — pour la réduc-
tion du pendule composé au
pendule simple, n, 42.
Hydrodynamique. Imperfection
de r — vu sa difficulté, 11,
345.
Hydrostatique. Deux méthodes
distinctes d' — i, 459.
— Questions d' — à propos de la
partie statique ou dynamique
de la barologie, 11, 323.
Hygiène. Utilité des pratiques d'
— imposées par le catholi-
cisme, V, 307 et note.
Hygrométrie. Théorie de 1* — - 11,
372.
Hypothèses. De la construction
rationnelle et de Tusage scien-
tifique des — dans Tétudede la
' nature, 11, 296. Théorie fonda-
mentale des — il, 298.
Imprimerie. InOoence de 1' — vi,
114.
Industrie. Serrices rendus à 1' —
par la science, i, 51.
— Caractère de i* — dans l'âge do
fétichisme, v, 5t.
— Influence do polythéisme sor
r — V, 116.
— Influence de l'esclavage sur
r — dans les temps anciens, v,
135.
— Caractère de V — soos le ré-
gime des castes, v, 165.
— Essor de V — au moyen âge,
V, 329.
— De l'évolution de 1* — mo-
derne, VI, 63.
— Influence du développement
de l' — sur l'essor esthétique à
la fin du moyen âge, vi, 160.
— Entraves de i' — moderne, vi,
266.
— Consolidation de la prépondé-
rance de r — par la crise ré-
volutionnaire, VI, 361 .
— De la hiérarchie de i' — vi,
495.
— Rapports de V — avec les ou-
vriers dans le nouvel ordre so-
cial, vi, 511.
— Du perfectionnement de V -*
en présence de Tavénement de
l'esprit sociologique, vi, 582.
Ingénieurs. Classe intermédiaire
entre les savants et les produc-
teurs, 1, 54.
— Du développement de la classe
des — VI, 140.
Innovation. D'où naît l'esprit d-
— IV, 397 (note).
Instinct. Sens du mot — m, 546.
TABLE ALPHABÉTIQUE.
LXIX
Inslincts. Des — personnels et so-
ciaux, iv, 392.
Institutions monastiques. Rôle
des — dans le catholicisme, v,
245.
Intégration. Yoy. Calcul inté-
ffralj ly 214.
Intelligence. Caractérisation de
r — m, 546.
Irritabilité. Emploi du mot — de-
puis Haller (note), lu, 461.
Isopérimètres. Problèmes des ~-
I, 231.
Italie. Rapports de Y — avec la
papauté, V, 257.
— Supériorité en tout genre de
r — au onxième siècle, v, 318.
— Des beaux-arts en — au moyen
Age, vi, 150, 153.
— Tendances positives de V — vi,
537.
Jansénisme. Aclion et tendance
du — V, 457.
Jésuites. De l'influence des — v,
413.
— Efforts des — pour diriger le
mouvement scientifique (note),
VI, 228.
^ Signification deTabolition des
— VI, 282.
J£sus-Chbist. Du caractère divin
attribué à — v, 270.
Journaux. Influence de Tinstitu-
tion des— VI, 188.
— Domination spirituelle des —
sous le régime constitutionnel,
VI, 337.
Judée, patrie naturelle du mo-
nothéisme, V, 205.
Joirs. Résultat d'un monothéisme
prématuré chez les— v, 130.
JossiEu (de). Sur la classification
du règne végétal par — m, 419.
Kant. De la distinction erronée
des catégories de la quantité
et de la qualité de — f, 1 12.
— Tentative de — pour échap-
per à l'absolu philosophique,
VI, 619.
KépLER cité, I, 15.
— Loi d'inertie découverte par
— I, 403.
— I^is de — II, 126,
— Remarque de — sur les chi-
mères astrologiques, v, 96.
Knigbt cité pour ses expériences
sur les modifications de la
germination par l'accéléra-
tion de la rotation, m, 434«
Lagbangb. Conception de — re-
lative à l'analyse transcen-
dante, I, 143, 167, 170, 180.
Méthode de la dérivation suc-
cessive, I, 188.
— Conception de la méthode des
variations, i, 220, 236. Des
équations aux limites, i, 239.
— Application du principe des
vitesses virtuelles par — i,
436.
— Application de l'histoire aux
sciences comprise par — rv,
373.
— cité pour l'exposition de la
Mécanique analytique, iv, 379.
— Du génie philosophique de »-
VI, 369.
Lamabck. Hypothèse de — sur la
variation des espèces organi-
LXX
TABLE ALPHABÉTIQUE.
ques, iir, 388, 430. Héfulalion
de cette hypothèse, m, 391.
Lamarce. Des hypothèses de —
sur la seDsibilité, m, 489.
— cité pour son principe du per-
fectionnement organique, iv^
276.
Lamennais (de). Remarque de-
sur l'exclusion du pape dans le
concert de la Sainte-Alliance,
IV, 30.
Langage. De la formation d*un
— spécial pour la combinai-
son des idées scientifiques, ii,
468.
— Idée d'un travail sur la philo-
sophie du — IV, 3oi (note).
— De la constitution métapho-
rique du — V, 37.
— Ordre du — mimique dans la
série des arts, v, i i 1 (note).
Langues. De l'élaboration des —
modernes, VI, 150.
Laplace. Conception de — pour
expliquer les phénomènes chi-
miques, I, 45.
— Du plan invariable découvert
par — I, 514.
— Théorie cosmogonique de —
II, 253.
Laurent. Dénomination de sclé-
reux et kvsteux donnée à cer-
m
tains tissus par — m, 364.
Lavoisif.b. Théorie de — sur la
combustion, m, 131.
Lavater. DéTaut de doctrine de
— (note), III, 585.
Law. Mouvement causé en France
par la banque de — vi, 137.
Legallois. Recherches sur Tin-
nervation du cœur, m, 502.
Légistes. De l'existence politique
des — V, 391. Voy. Avocats.
Leibnitz. Conception de — rela-
tive à Tanalvse transcendante,
i, 143, 167, 170.
Leibnitz, cité pour son axiome :
le présent est gros de l'ave-
nir, IV, 263.
— Accord de — avec Bossuet dans
leur appréciation du quiétisme
(note), V, 458.
Leroy (Georges). Influence de
l'ennui sur le développement
humain, d'après — m, 526,
548; IV, 449.
Liberté. Origine de la — mo-
derne, VI, 94.
Ligne. Himploi géométrique du
mot, I, 260.
Liquides. Équilibre des — ii,
323.
— Dilatation des — ir, 367.
Littérateurs. Rôle politique des
— en France, iv, 124.
— De l'avènement social de la
classe des — v, 512.
— Direction spirituelle du xvni'*
siècle par les — vi, 192.
— Influence des — au xvnio siè-
cle, VI, 287.
Logarithmes. Influence de la
théorie des — i, 307.
Logique (science). Considérations
relatives à la — i, 33.
Lois. De la découverte des —
naturelles, i, 16. Des — de la
chaleur, trouvées par Fourier,
— i, 18. Études des — logi-
ques de l'esprit humain, i, 29.
— d'inertie, i, 397, 403.
— du repos, trouvée par Mau-
pertuis, i, 503.
— de Kepler, ii, 126.
— de la gravitation, ii, 150.
Louis XI. Politique de — v, 434.
Louis XIV. Accord de la royauté
et delà noblesse sous — v, 432.
TABLE ALPHABÉTIQUE.
LXXI
Locfs XIV. Sur l'encourogemcot
donné aux beaux-arts par —
VI, i 78.
Lumière. Mesure de la vitesse de
la — par rastronomic, ir, ilO.
Aberration de la — produite
par le mouvemeut de la terre
dans les planètes et les étoiles,
II, 112.
Lune. Évalualion de la hauteur
des montagnes de la — ii, 78.
Lunettes. Usage des — en astro-
nomie, [I, 44. De la — méri-
dienne, n, 46.
Luther. Action de — v, 410.
— Caractère de la réforme de —
V, 464.
— A propos de la bigamie d*un
prince allemand autorisée par
— V, 482.
Mablt apprécié comme écrivain
politique, v, 527.
Uachuvel. Opinion de — sur la
dépendance des chofs militai-
res modernes, y, 438.
Uaclaurin. Problème de — sur
la figure des planètes, ii, 102.
Magnétisme animal, ii, 469.
Hahombt. Organisation du mo-
nothéisme par — V, 320.
Hahométisme. Réflexion sur le
— IV, 171 (note).
Maistrk (de) cité à propos de
son ouvrage sur le Pape, iv,
28, 135 (note), 138 (note); de
ses reproches à Bossuet con-
cernant l'Église gallicane, iv,
34; de son aphorisme : Tout
ce qui est nécessaire existe,
\r, 352; cité pour son paral-
lèle de la science antique el
de la science moderne, v^ 05.
Maistrk (de). Effet de l'esclavage
sur la morale domestique se-
lon — v, 149.
— Opinion de — sur l'influence
catholique, v , 241; sur Tin-
faillibilité du pape, v, 250; sur
la translation de l'empire &
Byzance par Constantin, v, 256.
— Observation de — sur la colo-
nisation de l'Espagne et du
Portugal (noie), VI, 129.
Malebranche cité pour la Recher^
che de la vérité, m, 531.
— A propos de son explication
du choc élémentaire des corps
solides, IV, 470.
Malthus. Exagérations écono-
miques de — IV, 457.
Manzoni. Appréciation littéraire
de — VI, 367.
Marées. Question des — ii, 195.
— La théorie des — est un ap-
pendice naturel de la partie
statique de la barologie, ii,
329.
Mariage. De l'institution du —
IV, 402.
— Indissolubilité du — catholi-
que, V, 310.
— Question du — des prêtres au
concile de Trente, v, 41 1 (note).
Mariotte. Loi de — ii, 332.
Mathématique (science). Rang
de la — dans la classification
positive, I, 85. Elle forme deux
sections, i, 86. Définition or-
dinaire de la — I, 00. Difficulté
de mesurer directement les
grandeurs, i, 92. Définition
exacte de la — i, 08. Division
fondamentale de la — en —
abstraite et — concrète, exem-
ples, I, 101. Circonscription de
LXXII
TABLE ALPHABÉTIQUE.
chacune de ces sections^ i, 106.
Étendue réelle du domaine de
la — I, 111. Subordination de
la biologie à la — m, 286. De
l'étude de la — dans la Grèce
ancienne, v, 179. Titres phi-
losophiques de la — considé-
rée comme source de la po-
sitivité rationnelle, vi, 155.
Derniers progrès de la — vj,
368. Résultats obtenus en —
VI, 681.
Malhématique abstraite. Est une
division de la mathématique,
I, 101. Nature delà — i, 107.
Véritable objet de la — i, 125.
Division de la — i, 132.
— concrète. Est une division de
la mathématique, i, 101. Elle
comprend la géométrie et la
mécanique, i, 105. Dut des re-
cherches de la — I, 124.
Maupertuis. Loi du repos trou-
vée par — I, 503.
— Théorème du principe de la
moindre action découverte par
— 1,525.
Mécanique animale. Imperfec-
tion des notions de — m,
506.
— céleste, II, 29. Loi de la gra-
vitation, II, 150.
— industrielle. Application à la
— du théorème des forces vi-
ves, I, 521. Théorie de la — i,
524.
— rationnelle, branche de la
mathématique concrète, i, 86,
106. Véritable caractère phi-
losophique de la — i, 391.
Divisions principales de la —
I, 419. Considérations sur les
théorèmes généraux de la —
I, 500.
Médecine. Connexion de la bio-
logie et de la — m, 196.
— De l'emploi des spécifiques en
— lu, 448.
— De la statistique appliquée &
la— m, 291.
Médicaments. De Tusage des —
en thérapeutique, m, 448.
Méditerranée. Situation propice
de la — au développement de
la civilisation (note), v, 20.
Métaphysique (état). Apprécia-
tion générale de 1' — v, 346.
Décomposition de l'ancien état
social, V, 346 ; au quatorzième
et au quinzième siècle, v, 362;
dans les siècles suivants, v,
381 ; organes du mouvement
révolutionnaire, v, 386. Dé-
sorganisation spirituelle, v,
398; temporelle, v, 403. In-
fluence intellectuelle de la pé-
riode protestante, v, 447.
Transport en France de l'é-
branlement intellectuel, v,
509.
— (méthode) suivie par l'esprit
humain, i, 9.
Météorologie. Cause de la diffi-
culté d'étude des phénomènes
de la — I, 118.
— Inutilité des recueils actuels
d'observations sur la — iv,
471.
— De l'inefficacité des observa-
tions actuelles de la — v, 97.
Méthode. Elle vient des mathé-
matiques, I, 122. Des — d'ob-
servation en astronomie, ii, 33.
— comparative. Emploi de la —
en biologie, jn, 240. De la —
appliquée & la sociologie, iv,
312.
— d'exhaustion, i^ 168.
TABLE ALPHABÉTIQUE.
LXXIII
Méthode hlitorique. De la -» en
lodologie, iv^ 322. Nouveau
mode d'exploration constitué
par la — ivy 376. De l'utilité
sdeutifique de la — (note), iv,
378.
— métaphysique, i, 9.
— psychologique. Inanité de la
— 1,32.
» théologique. Heureux résul-
tats de la — i, 13.
— des fariations. Voy. Calcul des
variations, i, 230. Voy. Posi-
tive (méthode).
Microscope. De Tusage du —
ea biologie, m, 219.
Milieux* Des — par rapport aux
corps organisés, m, 203.
— Définition et usage du terme
— (note)^ iiiy 209.
— > De la modiflcation des —
coomie mode d'expérimenta-
tion physiologique, m, 227.
•^ organiques. Théorie des — m,
430. Des milieux physiques,
m, 433. Des milieux chimi-
qnes, ui, 444.
MiLL. Adhésion de M. Mill à la
noofelle philosophie politique
(note), vi, 448.
MiLTOR. Du supplice des damnés
dans le Paradis perdu^ y, 299.
IGnéralogie. Sa dépendance de
la chimie, i, 57.
Miracle. De la notion du — iv,
477.
MoLiÈRi. Appréciation du génie
social de — vi, 186.
Monde. Séparation tranchée en-
tre la notion de — et celle
d'anivers en mécanique cé-
leste, u, 175.
— Distinction de l'idée de — et
d'anlFem, ii| 120.
Monde. Étude sur la formation
de notre — ii, 252.
MoNGK. Conception de — relative
à la géométrie descriptive, i,
55.
— Perfectionnement de la géo-
métrie descriptive par — i, 300.
Monogamie. Établissement de la
— sous le polythéisme, v, 1 56.
Monomanies. Direction des mé-
decins dans l'étude des — m,
578.
lionothéisme. Nécessité d'une
révélation dans le système
d'un — primtif (note), v, 26.
— Destination politique du — v,
129.
— Pourquoi le — est contraire à
l'esclavage, v, 138.
— Notion du — dans l'antiquité,
V, 198. Attributs politiques du
— V, 211. Organisation spiri-
tuelle du — au moyen flge, v,
213. Organisation temporelle
du — V, 274. Influence mo-
rale du — V, 291. Influence
intellectuelle du v, 316. In-
fluence scientiflque du — vi,
198.
MoNTESQuiBu. Caractère de VEs-
prit des lois de — iv, 1 78.
— considéré comme prOncur
de la constitution anglaise^ v,
528.
— Appréciation de la Grandeur
et décadence des Romains, v,
187.
MoNTcftRV. Opinion du capitaine
— sur l'imperfection de l'art
militaire chez les modernes,
V, 120.
Morale. Imperfection de la —
domestique dans l'antiquité, v,
448, 156. Influence du catho-
LXXIV
TABLE ALPHABÉTIQUE.
licisme sur la — universelle^
V, 291. Observations sur la —
professée par les déistes, vi,
466. De la — personnelle, do-
mestique et sociale dans le
nouvel ordre social, vi, 739.
Morale privée. Conditions de la
— autres que celles de la mo-
rulû publique, iv, 100.
— publique. L'annrchie intel-
lectuelle a confondu la — iv,
97.
Moraux (pliénomèncs). Observa-
lion des — î, 31.
MoBGAGNi cité pour son étude
générale de l'unatomie patho-
logique> m, 34t.
Mort. Sur la théoiie générale de
la — m, 480.
Mouvement. Lois physiques du
— I, 403. Théorie du — recli-
ligne produit par une seule
force continue, agissant indé-
finiment selon la même direc-
tion, I, 469. InQuence physio-
logique du — m, 436.
— des astres, ii , 86.
Musique. Ordre de la — dans la
série des beaux-arts, v, Itl.
Prééminence de la — moderne
sur l'ancienne, v, 113. Des pro-
grès de la — au moyen âge, v,
327.
Musulmans. Résultat d'un mo-
nothéisme prématuré chez les
— V, 130.
N
Naturistes. De Técole des — en
Allemagne, m, 57.
Nègres. Réflexion sur la traite
des — (note), vi, 132.
Newton. Définition de l'algèbre
par — I, 133.
— Conception de — relative à
l'analyse transcendante, i, 144,
167. De la méthode des limites
par — I, 184. Du calcul des
fluxions et des fluentes par —
1,187.
— Question du solide de moin-
dre résistance, i, 233.
— Théorèmes primitifs de — sur
l'attraction des corps sphéri-
ques, I, 458.
Nombres. Théorie des — i, 137.
Numérisme. Du — en phy-
siologie et en pathologie, i,
117.
— De l'emploi du — en biologie,
III, 222, 290.
Nutation. De la — de l'axe ter-
restre constatée par Bradley,
II, 106.
Observation. De l'emploi de 1* —
en biologie, m , 2i8.
— De r — appliquée à la socio-
logie, IV, 296.
Océanie. Institution du Tabou
chez des peuples de 1' — v, 56.
OsnsTED. Découverte de l'élec-
tro-magnétisme par — ii, 488.
Offices. Appréciation de la véna-
lité des — v, 394.
Oeen, chef de l'école des natu-
ristes en Allemagne, m , 57.
Olbers. Conjecture d' — sur
l'explosion d'une planète si-
tuée entre Mars et Jupiter, ii,
209.
Optique. Rang de 1' — dans l'é-
tude des branches de la physi-
que, II, 3t6. Considérations
TABLE ALPHABÉTIQUE.
LXXV
les sur r — H, 436. Hy-
st de NewtoD, Descar-
iDyghens, Euler sur la
•, II, 438. Théorie de la
e, II, 447. De la photo-
, II, 452. De la catoptri-
, 455. De la dioptrique,
L De là diffraction, ii,
B la polarisation, u, 464.
me. Du — en AÎIema-
, 33. Du — métaphysi-
>le),v, 379.
) riuraillibilité du ^ v,
)e la nécessité d'une
Niaté temporelle pour
Ty 254. Transformation
Dfoir politique du —
lonième siècle, v, 400.
u Théorie des — ii, 55,
He, II, {'22.
me. Notion du — sui-
6 Blainville (note), m,
aiation de — iv, t72.
flexions de — sur le
lent social, v, 220.
aot le danger des dé-
Ations théologiques, v,
Obserfation interne et
I des — I, 32. Du ca-
de la — (note), m,
B. Haute destination
[que de Texploration en
30.
lét de Famour de la —
i anciens, v, 1 55.
atie. De l'emploi non-
ce nom (note), vi, 448.
Prééminence de la —
moderne sur Tancienne, v,
i13.
Pendule. Observations sur le —
II, 40. Théorie du — par Huy-
ghens, 11, 342.
Pesanteur. On ne peut définir la
— I, 17. Influence physiolo-
gique de la — III, 453.
— terrestre. Manière de tenir
compte de la — - dans les ap-
plications de la statique abs-
traite, 1, 452.
Phanère. Théorie du — par de
Blainville, m, 350.
Philosophie biologique. De la
méthode positive en — iv, 259.
— mathématique. Relations né-
cessaires de la sociologie avec
la — IV, 365.
— métaphysique. Rôle actuel de
la — I, 42, Orfice Iransiloiro de
la — IV, 497. Influence de la
— sur la transition du féti-
chisme au polythéisme, v, 78.
Revue historique de la — vi,
241. De révolu lion de la —
dans le dernier demi-siècle,
V, 400.
— naturelle. Pourquoi l'auteur
n'a pas adopté ce terme, i; r>.
Sens de ce mot en Angleterre,
III, iO (note).
— politique. Imperfection ac-
tuelle de la — V, 65. De la ré-
novation de la — par Hobbes
et Bossuct, VI, 257.
— première suivant Bacon, vi,
648.
— des sciences. Pourquoi l'au-
teur n'a pas choisi cette expres-
sion, I, 6. Méthode historique
appliquée à la — ii, 312.
— théologique. Rôle de la —
dans les sociétés modernes, i,
LXXVI
TABLE ALPHABÊTIQUB.
42. Caractère fondamental de
la — II, 293. Origine sponta-
née de la — IV, 467. Destina-
tion de la — pour présider à
Torganisation de la société, iv,
480 ; pour y constituer une
classe spéculatiTe, ii, 482. De
la — sous le polythéisme, v,
i05, 123. Voy. Sociologique
(philosophie).
Phonation. Étude de Tacousti-
que pour la — n,4H.
Phonation. Application des lois
de l'acoustique à l'étude de
la — lîi, 511.
Photométrie, ii, 452.
Phrénologie. Emploi de ce terme
par Spurzheim (note), m, 535.
Physiologie. Émancipation de la
— 1,19.
— Est une section de la physique
organique, i,73.
— DifBculté des expériences en
— II, 278.
— L'audition et la phonation sont
du ressort de la — ii, 412.
— La théorie de la vision ressort
de la — II, 449.
— Comment la chimie a empiété
sur la — m, 160.
— L'étude de la — est insépara-
ble de celle de l'anatomie, m,
213.
— Désordre actuel de la — m,
425.
— Possibilité du retard dans le
développement de la — (note),
m, 456.
— Sur une chaire de — compa-
rée (note), III, 426.
— animale, i, 74 ; m, 483.
— cérébrale, m, 530. Perfection-
nements de la — m, 571.
— organique^ m, 424.
Physiologie phrénologîque. Em-
ploi de ce terme, m, 535 (note).
— végétale, i, 74.
— Insuffisance des chimistes
pour des analyses de — m, 467.
Physionomie. Observation sur la
— (note), m, 585.
Physique. Émancipation de la
— i, 19. Distinction et rap-
ports de Ja — abstraite et
concrète, i, 58.
— Considérations sur Tensem-
ble de la — ii, 267. Dis-
tinction de la — et de la chi-
mie, II, 269. Définition de la
u, 275. Modes d'observation
que comporte la — ii, 277.
Rang de la — dans la hiérar-
chie scientifique, ii, 285. In-
fluence de la — sur le déve-
loppement de Tintelligence
humaine, ii, 291 . Fonction des
hypothèses en — ii, 297. Plan
d'étude de la— ii, 313.
— Subordination indirecte de la
biologie à la — m, 265.
— Pouvoir de l'homme sur la
nature dû à la — iv, 360.
— Derniers progrès de la — vi,
370.
— Des résultats obtenus en —
VI, 692.
— inorganique. Sa division en
physique céleste et physique
terrestre, i, 61. Est susceptible
de perreclion scientifique, i,
114.
— organique. L'étude de la —
doit suivre celle de la physique
inorganique, i, 71. Se subdi-
vise en physiologie et en phy-
sique sociale, i, 73. Est inac-
cessible à l'analyse mathéma-
tique, i, 114.
TABLE ALPHABÉTIQUE.
LXXVII
Physique sociale. Lacune à com-
bler, I, 22. Est une section de la
physique organique, i, 73. État
actuel de la science sociale,
iT, il. Des idées d'ordre et
de progrès dans le temps pré-
sent, iT, 17. Tendances des
écoles politique, rétrograde
et révolutionnaire^ iv, 21. An-
tagonisme de ces écoles, iv,
69. De l'école stationnaire, iv,
%i. Conséquences de ces luttes,
IT, 90. Vains efforts de rt^or-
gaoisation sociale, iv, 114. Cu-
ractère intellectuel de la phi-
losophie politique nouvelle,
IV, 130. Tentatives faites Jus-
qu'Ici pour constituer la — iv,
Itj6. Caractères de la méthode
positive en l'étude de la — iv,
206. Distinction de l'état stati-
que et de l'état dynamique de
la — IV, 230. Ressources scien-
tifiques de la — IV, 294. De la
méthode historique en — iv,
322. Relations nécessaires de
la ~~ avec les autres sciences,
IV, 337. Réaction nécessaire de
la — sur ces sciences, quant à
la doctrine et à la méthode,
iTy 370. De la statique sociale,
IV, 383. De la dynamique so-
ciale, IV, 442. Appréciation
historique, v,5. Age du féti-
chisme, V, 25. Age du poly-
théisme, V, 84. Age du mono-
théisme, V, 2i 1. Age de transi-
tion révolutionnaire, v, 346.
Age delà spécialité, vi, 39. Age
. de la généralité, vi, 277. Con-
clusions générales, vi, 548.
— terrestre. Section de la —
inorganique, i, 74. Elle se
subdivise en physique pro-
prement dite et chimie, i, 72.
Pinel-Grandchamp. Du siège dis-
tinct des saveurs principales,
111,518.
Planèles. Du mouvement des —
II, 86. Rétrogradations et sta-
tions des — II, 108. Problème
des — II, 135. Action des —
sur leurs s.iteliiti>s, ii, 164. Fi-
gure des — 11^ 189. Influence
perturbatrice de l'action des
satellites sur leurs — ii, 216.
Platon. Sur l'exclusion des poè-
tes de la république de — v,
100.
— Appréciation de la doctrine
de — v, 388.
Poésie. Culture de la — dans
l'flge du polythéisme, v, 99.
— Elle est représentée au moyen
flge par Dante, v, 328.
— Opposition des formes de la
— dramatique et épique au
catholicis^me (note), vi, 168.
— Nature différente de la poésie
dramatique grecque et mo-
derne, yi, 180.
Poids et mesures. De la propaga-
tion du nouveau système de
— VI. 374 et note.
PoiNsoT. Théorie des couples,
créée par — i, 442.
— Méthode de — pour détermi-
ner les masses des astres, ii,
180.
Politique. Incapacité des philo-
sophes et des spéculatifs en
fait de — v, 215. Des rapports
de la science et de la — (note),
VI, 228.
— métaphysique. Influence de
la — sur les progrés Faits dans
les trois derniers siècles, iv,
34.
LXXVl
42. Caractère <■
la — n, 2î»:*.
née de la —
lion de la —
rorganîsalioii
480 ; pour ^
classe spOcu'
la — sous 1
lO.i, 123.
{philosophi* .
Phonalio[i. i
que pour 1
Phonation.
de racoii-
la — i:i,
Pliotométri
Phrénologi*
parSpui.
Phyaiologi.
— I, lît.
— Est un»
organiq
— DilliiM
- n, 1'
— L'au'i
du tvt
— un
de lu
— Com
sur 1
blo
211'
— h
— 1
(1
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.^-^
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>«%.
I
SS
.i«M
. -i-*. Appri^ciatio:
iiMiions des deu\ as-
.;..*i latioaales en Fr.ince.
?'(. Oes régimes 8ui\a^l^.
. ;. La crise n'îvolutioc-
..- .-juiplcle la dt''cadence
^jnme théologique, v.,
elle du régi m f militaire.
«■*. Kêsumé de l'évolution
...«.•sophique, vi, 400. Vue
..cuu.sation de 1" — vi, 43S.
..r^cution du principe nou-
ii. ie coordinaliun sociale,
. -S!.
>..i«e (Économie). Esquisse
— vu iSl.
>..ive (.Méthode), adoptée ea
viuier lieu par l'esprit hu-
:.din, 1, 9. Comment elle doit
..rîger la spécialisatiuo des
...;Jes scientifique:*, i, 2^.
sAge de la — r, 34. Inipor-
j.'.ve de la classification scier.-
;:dque pour la connaissance
iv.' li— I, 80. Caractères delà
— dans l'étude de lii {ibysiqce
s^viale, IV, 20î). I*rincipe de la
urt\isiun rationnelle, iv, 2*26.
Appréciation de l'ensemble île
.^ — VI, 54S. Véritable caractère
•e la — VI, H02. l!:volutioa
fondamentale de la — vi, 63i.
.Vs^iti\e (l'hilosophie). Sens de
^•05 deux terme?, i, -H. But spé-
vTial du cours de — i, 22. Avé-
i!omonl définitif de la — i,
Ui. .\ quel point de sa forma-
tion la — est parvenu (», i, 10.
Ascension de la — i]«\; uis Ba-
con, Galilée et Desc-îes, i,
20. Les résultats de la — doi-
\o:Uéue: la manifestation par
expérience des lois de Tin-
U'IIivt et la refonte du svstème
TABLE ALPUADÉTIQUE.
LXXIX
d'éducation, i, 35 ; Textension
des progrès particuliers des
diverses sciences, i, 37 ; la base
de la réorganisation sociale^ i,
40. Le cours de— ne porte que
snr les généralitt^s théoriques,
I, 34; et seulement sur les
icîeoces naturelles abstraites,
I, 56. De l'exposition historique
et dogmatique des sciences, i.
00. Difficulté de leur classifi-
cation, I, 65. Division en deux
classes des phénomènes natu-
rels, if 69. Partage de la — en
six sciences fondamentales, i,
75. Quatre caractères essen-
tiels de cette classification, i.
76-8o. Caractère de la méthode
et des conceptions scientifi-
ques de la — IV, 214. Essai cl
progrès de la — iv, 489. Ten-
dance dès le moyen âge vers
la — VI, i9i. Apparition de la
— au xvn® siècle, vi, 247. Ac-
cueil que la — doit attendre des
diverses classes sociales, vi,520.
L'étude des lois invariables
des divers ordres de phéno-
mènes est l'objet de la — vi^
598. Destination de la — par
rapport à l'individu, vi, 620 ;
i l'espèce, vi, 630. Institution
de la — VI, 642. Formation
graduelle de la — vi, 651. Ré-
sultats de l'élaboration préli-
minaire de la — VI, 675. Action
ultérieure de la — vi, 725.
Pteitive (Politique). Vrai carac-
tère de la — vi, 281. Voy. So-
ciale (Physique).
Positives (Sciences). Ordre ency-
clopédique dans lequel doivent
être étudiées les — i, 22. Divi-
non nécessaire de l'étude des
— dans les temps modernes,
I, 26. Remède contre la spé-
cialisation des recherches indi-
viduelles, I, 27. Vice des clas-
sifications modernes, i, 47.
Conditions d'une classification
rationnelle, i, 48. But pratique
et spéculatif de l'étude des —
I, 5t. De la marche historique
et dogmatique des — i, 60.
Hiérarchie des — i, 66. Divi-
sion en cinq branches des —
1, 75. De la précision et de la
certitude dans l'étude des —
I, 7i'.
Positivité dont les sciences sont
8usceptil)les, ii, 208.
Poudre. Hypothèse sur l'usage
ancieu de la — (uoîe), vi,
tll.
Préface personnelle, vr, 5.
Pression atmosphérique. In
fluence physiologique de la
— m, 435.
Prière. Sur les effets de la — iv,
477.
Probabilités. Du calcul des — n,
255.
Producteur (/e). Titre d'un journal
ren Fermant divers articles de
l'auteur, i, 10.
— cité pour les travaux sur le
pouvoir spirituel (note),* v,
232.
Progrès. Du — dans les temps
modernes, iv, 17. Vains ef-
forts pour fonder le — iv,
114. Qualification de la philo-
sophie positive à cet égard, iv,
145. Ébauche du — due au
christianisme, iv, 170.
Prolétaires. De la condition des
— dans le nouvel ordre social|
VI, 506.
Politique slationnaire. Pn'por.di!"
Tunrnacluclle de la — iv, sr.
— llitologique. InflueQCc de l;i
— sur In développement di-.-
ïocidi'd uiodernei, it, 'i>3,
l'olyguniJe. Hemarque sur la -
dans rniiljquflt^ v, lalî.
— De la — sous le régime V\\{. ■
rxatiqup, V, <GT.
l'olj théisme, V, 84. Le —
rive du ftUichisme, v.
l^vûliilioD tociale par I'
BU polul de vue suiouli'l, -
V, !IU ; su point de vun
llquo, T, DR ; «u point di
induMriel, v, MA. Ap'
Mcinlo du — au point i!.
politique, V, 130; au p ■*
vue moral, v, (47, Moilr
tioii du — V, 10O. Moi .
du — V, 174, Mode roi- . -'^■"
— ï, mT, Tranaitioit
au monolliéitme ilu
ilge. V, (iHi.
ropulalioQ, Influenr.-
cmiifoiiiout et de ' -m*
«atioii de la — lu
l'acoi'U>raiion iJe |,. ^^mg^
•ion tofiale, iv, -«^™'~
tious d'une utile i. '^
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Poïilif ,Elïl). ÊWi
.1 r — VI, 31U Oii,
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. ^SBÉrcfilé de •
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. Loi du — caloTi>
^-1 ;iiMfUBti dn — d'aprèi u
.mw. :1.39e.
^^^ma. OtMemtion sut le
.j*K. «I, 3S3,
.tf^K aemaïqiifl sur U— du
^m» âède, V, 409.
' ^BiHimaHrODOniiques. ThJo-
\.»-n,48,
''".^■Mk. De qDi on doit Blleo-
»uM hUtoireratioanelle de
.— T. 40 (note).
. :«iurrile. Ce que lei méli-
làjMEÏnu ont qualiOé de —
.13.
,. «pnlioo. AnaljMi insuffliao-
,^ »ile la — Tallet par les ehi-
EMitac, ni, 168.
. ptonnce, actuelle su injet
.e !> — m. 4<0.
lAUimtioD. Appréciation poli-
1^* de la — Ti, 325.
*■ -toMlvlioD. Efprit de la — an-
^;ww, T, 4<;9 ; de la — améri-
^ nùat, T, 470; de la — dei
n;9-Bai, T, 408. Du reieotis-
wtBMil de la — américaîoe en
Fnnce, n, 283.
— tsitcane. Tendance, dëi wo
i«b«il. de la — n, SS4. De
TiruTre des deai atsemblée*.
«t. i$9. Rt^actioD rétrograde
M ippr^ciilion delà dictature
:>t<pi'riile, VI 313; de U Ret-
aurilioD, VI. 333,
lihHTn. Onîidéraliona sur la
" 'vi de — m, 9*.
Ht.'MmTMv't. ÛbKrvatjon de — lur
, VtU*. *ocial Aes femmes dan
1 aatiiiuiii'. v. C-
HiTswi Fiwêdé Je — pour me-
TABLE ALPHABÉTIQUE.
LXXXI
alv la vitesse de la lumière,
^^ .lit.
^Mom<iiiir. Destination des fêtes
V tliez les — y , 151.
Hklioinain. Remarque sur ce genre,
P^ ^:, 154. Des — modernes, vj^
ht Hoinaniisme. Du — introduit en
^ France par Técole catholico-
féodale (note), iv, 33.
H'.iUE. Évolution politique, mo-
rale et intellectuelle à — v,
187.
— Conditions de la destinée de
— V, 190 (note).
— Du caractère des invasions
BOUS l'empire, v, 275.
RocssEAU (Jean-Jacques). A pro-
pos de ses opinions religieuses
(note), y, 421.
— considéré comme chef d'é-
cole politique, v^ 525.
— A propos de ses Confessions,
v,541.
S
Satellites. Problème des — ii,
«38.
— Tendance des — vers leurs
planètes, ii, 164.
^ influence des perturbations
d'une planète sur ses — ii^
217.
Sauvages. Résultat de l'éducation
de jeunes — iv, 276 (note).
— Des instincts de la conserva-
tion chez les — rv, 444 et note.
Sauvecr. Expériences sur l'acous-
tique de — II, 420, 432.
Savants. Indifférence politique
dos — IV, 157.
— Penchant des — pour une spé-
cialii>ation routinière, iv^ 432.
A. Comte. Tome I.
Savants. Tendances anti-positi-
vistes des — V], 374.
— Des différents modes d'en-
courager les — yi, 387.
— Dédain des — pour toute phi-
losophie générale (note), vi,
4!»1.
Savart. Expériences sur l'acous-
tique de — II, 434.
Science. En quoi consiste toute —
I, 99. Caractère dos — en gé-
néral^ II, 18. Du domaine res-
pectif des — et des arts, m,
194. Origine de révolution mo-
derne cherchée dans le moyen
^S^9 ^h 1^3* Marche des —
dans les temps modernes, vi^
212. De la culture comparée
des — en France et en Angle-
terre, VI, 218. Revue des noms
modernes marquants dans les
— VI, 232. Derniers progrès
des — VI, 368. De la hiérarchie
sociale des — vi, 486. Voy. Po-
sitives sciences.
Scolaslique. Syslémalisalion
scientifique par la — vi, 206.
Scott (Walter). Appréciation lit-
téraire de — VI, 306.
Sensations. De l'analyse des —
suivant leur spécialité crois-
sante, m, 515.
Sensibilité animale. Imperfec-
tions des connaissances sur la
— m, 512.
Sexes. De la subordination des
— IV, 402.
Shakspeare. Caractère des œu-
vres de— VI, 182.
Signes. Influence des — sur les
conceptions analytiques, i
iiO.
Smith (Adam}. Caractère des tra-
vaux d' — VI, 195.
ÉÈ
ixxxn
TABLE ALPBABÉTfQUB.
Smitv, cite pour sa remarque
qu'on n'a jamais trou Té un dieu
pour la pesanteur, rr, 4^1.
Sociabilité humaine. De la — iv,
380. Considérations sur les vé-
ritables lois de la — v, 12.
Société. Anarchie intellectuelle
régnant dans les — modernes
et moyen de la guérir, i, 41.
— Considérations sur la — eirvi-
sagée comme formée de famil-
les, Ti, 417. Organisation de la
— par la philosophie théolo-
fique, iT, 480. Aperçu de réor-
ganisation des — modernes,
VI, 437. Voy. physique sociale,
sociologie f statique sociale,
SociN. Caractère de la réforme
de — V, 466.
Sociologie, catégorie distincte
mais peu avancée de la phy-
siologie, 1, 21. Utilité de la
classification des sciences pour
les progrès de la — i, 84, In-
troduction de ce terme, iv^
185.
Sociologique (philosophie). Pré-
pondérance rationnelle de la
— VI, 553. Rapports futurs de
la — avec les diverses bran-
ches des sciences, vi, 593. —
considérée comme science fi-
nale, VI, 712. yo^.pfiysique «o-
ciale,
SocHATE. Opinion de — sur la sé-
paration de la philosophie d'a-
vec la science, v, 1 86.
Soleil. De la rotation du — h,
87.
— Éclipses de — servant à me-
surer la distance de cet astre à
la terre, ii, 145.
— Action du — sur les planètes^
11, 152.
Solidaiftlé* De la — sociale, iv,
252, 270. Développement de la
— sociale par le catholicisme,
V, 315.
Solides. De l'étude des — en mé-
canique, 1, 420. Équilibre des
— II, 321. Lois des mouve-
ments des — il, 338. D&lata-
tion des — n, 367. Propaga-
tion de la dialeor dans les —
D, 386.
Sommeil. Théorie dn — par Bi-
chat, ni, 521.
Son. Conditions de la production
du — II, 413. Mode de pn^-
gadondu— ii, 421. Intensité
du — II, 426. Nature musicale
dn — II, 429. Théorie éban-
diée de la eomposilion des —
II, 433.
Songes. Du diagnostic par les —
III, 522.
Souvenineté. Du dogOK de k —
du peuple, iv, 54.
Spabte. Du génie spécial de —
(note), V, 175.
Spécialisation. Dangers de la —
exelunve des savants, yi, 384w
Spécialité. De l'esprit de — con-
temporain, IV, 325.
Spéculation. Distinction des con-
naissances spéculatives et pra-
tiques, 1, 50.
Spinosa. Influence philosophique
de — V, 499.
SpiritueL De l'usage de ce terme
(note), nr, S04. Voy. autêriU.
Spurzhb». a propos du nom de
phrénologie einployé par —
m, 534 (note). Perfectionoe-
ment de la doctrine de Gall
par — (note), lU, 55S.
Stâil. De la théorie de — lu»
450.
^
tàmjr alfsabétioue.
UXXIH
StatîçQe, I, 419, O^ ApfOksa-
tioQ de la dynaiiiîfiie à fai —
abstraite, i, 437. Théorie des
moments, i, 430. Application
du principe des vitesses yir-
tuelles, I, 430. Théorèmes gé-
néraux relatif à la — i, 501 .
— céleste, ii, 178. Méthodes di-
Terses de détermination des
masses des astres, ii, 180.
Étude de la figure des astres,
n^ 189. Question des marées,
n, 195.
— électrique, ii, 480.
— sociale. Première idée de la
— IV, 230. Objet de la — iv,
235, 283. Ascendant de la vie
affective sur la vie intellec-
tuelle, IV, 389. Des instincts
persennels et sodaux, iv, 392.
fie la famille, iv, 398. De la
perpétuité sociale, iv, 413.
Statistique. De la — appliquée à
la médecine, lu, 29j.
Stêviu. Conception de — idative
à la statique, i, 426.
— Problèmes d'kydrostalique
résolus par — n, 32ft.
Smcide. De la réprobation du —
par le catholicisme, v, 308i.
Surface. Sens du mot — en gée-
métrie, i, 260.
Syoïpatliîe. Bdatioii de la —
avec le développement de l'in-
telligencay iv, 395.
UniMi.. Calcul auK différences
iaîea créé par — i» 247.
Température lenEastie. Théorie
de la — par Foorier^ n, 398.
Tea^KMrel. Sur l'emploi, de ce
terme (neie), iv, 504» Voy Axh
torité.
Tératologie. Examen des cas de
— comme mode d'expérimen-
tation physiologique, m, 236.
Terre. Moyens d'évaluer la dis-
tance de la — aux astres de
notre système, u, 65. Étude
de la figure et de la grandeur
de la — II, 80. De la rotation
de la — H, 95. Translation de
la — n, 103. Évaluation du
poids de la — u, 186. Ganses
des altérations de la rotation
de la — n, 224. Des tempéra-
tures de la — II, 398. Condi-
tions d'une véritable histoire
de la — V, 15.
Thalès. De la géométrie cultivée
par — V, 180.
Théocratie. Remarque sur la —
égyptienne et juive, v, 33.
Théologie naturelle. De la doc-
trine qualifiée — vi, 243.
— fétichiste, v, 5. Voy. FélkkùtM.
Théologique (méthode) suivie
par l'esprit humain, i, 9. Ses
hoBS effetsdans l'origioe, i, 13.
Théorie. Distinction des connais-
sances théoriques et pratiques,
I, 50. Rapports entre la — et
la pratique en politique, iv,
164 ;note).
— des couples créée par Poinsot,
I, 442.
— des équations, j, 157.
— des moments^ i, 430.
— des nombres, i, 137.
Thérapeutique. Objet des ques-
tions de la— I, 112. Indépen-
dance de la biologjie vis-4-fis
de la — m, 326.
Thermologie. Progrès de la —
dus à Fourier, i, 197.
à
LXXXIV
TABLE ALPHABÉTIQUE.
Thermologie mathématique.
Considérations sur la — ii,
378. Lois de la propagation
de la chaleur dans tes solides,
II, 380. -Idée de l'application du
calcul des variations à la ther-
mologie, II, 395. Théorie des
températures terrestres, u, 398.
^ physique. Rang de la — dans
l'étude des branches de la phy-
sique, II, 316. Historique delà
— II. 349. Théorie de réchauf-
fement et du refroidissement,
II, 353. Remarques sur la con-
ductibilité, la pénétrabilité et
la perméabilité, ii, 359. Cha-
leur spécifique, u, 362. Des
changements de volume des
corps produits par la chaleur,
II, 366. Changements produits
dans leur état d'agrégation,
u, 369.
Thiers. Sur la maxime de M.
— : Le roi règne et ne gou-
verne pas (note), iv, 88.
Timbre (acoustique), ii, 421.
Tissus. De Tétude des — par
Bichat et depuis Bichat, m,
339. Voy. Bichat.
— Du — cellulaire et de ses
modifications, m, 362.
— L'idée de propriété corres-
pond à celle de tissu, m, 448.
Voy. Biologie,
ToRRicELLi. Propriété relative à
l'équilibre des corps pesants
découverte par — i^ sot.
Tourbillons. Considérations sur
l'hypothèse des — de Descar-
tes, n, 309.
Tract (de). Appréciation des tra-
vaux de — m, 541.
— cité à propos de son éco-
nomie poliiique, IV, 196.
Travail. Réflexion sur la théorie
du — attrayant, iv, 423. Dan-
ger de la spécialisation du —
IV, 428.
Trigonométrie rectiligne. Aperçu
philosophique de la — i, 305.
TcRPiN. Études de physiologie vé-
gétale par — (note), m, .468.
Univers. Distinction de l'idée de
monde et d' — ii, 120.
Van Helmont. De TArchée de —
m, 451.
Vapeurs. Dilatation des — ii,
368. Théorie de la formation
et de la tension des — ii,
372.
Végétal (règne). Difficultés de
classification du — m, 417.
Venise. Caractère comparé de
l'aristocratie à — et eu Angle-
^ terre, vi, 293.
Vernier. Emploi du — en astrO'
nomie, ii, 44.
Vibrations sonores. Étude des —
II, 4t0. Analyse des — ii, 413.
Expériences de Sauveur et de
Chladni, ii, 420, 430, 432.
Vie. L'analyse mathématique
est inapplicable aux phénomè-
nes physiologiques de la — i,
1 1 6. Définition de la — par Bi-
chat, HT, 200 ; par Blainville,
III, 205. Distinction entre la —
organique et la — animale^
m, 206. Distinction de la ^
en organique et animale, m,
215. Influence de la durée
TABLE ALPHABÉTIQUE.
LXXXY
de la — humaine sur la pro-
greidoQ sociale, iv^ 450.
Vie animale. Considérations phi-
losophiques sur rétude génc-
rale de la — m, 483. Des éco-
les physico-chimique et mé-
taphysique, m, 486. Théorie
positiTe de rirritabilité et de
la sensibilité, m, 492. Mode
d'action des phénomènes de
l'une et de l'autre, ui, 518. De
Tassociation des fonctions ani-
males, III, o26.
— végétative ou organique.
Étude générale sur la — m,
424. Des milieux organiques,
m, 430. Des fonctions de la —
III, 464.
— future. De la croyance à là —
dans le premier âge de Tbu-
manité, iv^ 482. Influence de
la croyance à la — v, 123.
Opinion des déistes sur la —
(note), VI, 465.
VoET, cité pour sa tentative de
daisiûcation du règne animal
par le système nerveux (note),
01,411.
Vision. Explication prétendue de
la — I, 31.
^ La théorie de la — appartient
à la physiologie, ii, .449, 455.
— Conditions mal connues de la
— iiF, 514.
Vivisection. Des expériences de
— III, 226 .
Voltaire. Sagacité révolution-
naire de — V, 507.
— A propos de la Pucellej v,
540.
■ Volume. Explication sur le terme
' géométrique — i, 260.
W'œhler. Reproduction de l'urée
par — m, 76.
WoLLASTON. Théorie des équiva-
lents chimiques par — m, 104.
Zoologie. Sa dépendance de la
physiologie, i, 57.
Zootaxie, zootomie. Sens de ces
mots, m, 33 t.
FIN DE LA TABLE ALPHABKTIQUE.
ERRATUM
Tome III, page 195, ligne 33, au lieu de due lisez daet.
i
%.
MES ILLUSTRES AMIS
M. LE BARON FOURIER
SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE l' ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES,
M. LE PROFESSEUR
H. M. D. DE BLAINVILLE
MEMBRE DE l'aCADÉMIE ROYALE DBS SCIENCES.
En témoignage de ma respectueuse aflcction,
Auguste COMTE.
A. GoMTi. Tome I.
AVERTISSEMENT DE L'AUTEUR
Ce cours^ résultat général de tous mes travaux depuis
ma sortie de I* École polytechnique en 1816, fut ouvert pour
la première fois en avril 1826. Après un petit nombre de
séances, une maladie grave m'empêcha, à cette époque, de
poursuivre une entreprise encouragée, dès sa naissance,
par les suffrages de plusieurs savants du premier ordre,
parmi lesquels je pouvais citer dès lors MM. Alexandre de
Humboldt, de Blainville et Poinsot, membres de l'Acadé-
mie des sciences, qui voulurent bien suivre avec un intérêt
soutenu l'exposition de mes idées. J'ai refait ce cours en
entier l'hiver dernier, à partir du 4 janvier 1829, devant
un auditoire dont avaient bien voulu faire partie M. Fou-
rier, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences,
MM. de Blainville, Poinsot, Navier, membres de la même
académie, MM. les professeurs Broussais, Esquirol, Binet,
etc., auxquels je dois ici témoigner publiquement ma re-
connaissance pour la manière dont ils ont accueilli cette
nouvelle tentative philosophique.
Après m'être assuré par de tels suffrages que ce cours
pouvait utilement recevoir une plus grande publicité, j'ai
cru devoir, à cette intention, l'exposer cet hiver à l'Athé-
née royal de Paris, où il vient d'être ouvert le 9 décembre.
4 AVERTISSEMENT DE L*AUTEUR.
Le plan est demeuré complètement le môme; seulemeni
les convenances de cet établissement m'obligent à restrein-
dre un peu les développements de mon cours. Ils se trou-
vent tout entiers dans la publication que je fais aujourd'hui
de mes leçons, telles qu'elles ont eu lieu Tannée dernière.
Pour compléter cette notice historique, il est convena-
ble de faire observer, relativement à quelques-unes des
idées fondamentales exposées dans ce cours, que je les
avais présentées antérieurement dans la première partie
d'un ouvrage intitulé : Système de politique positive^ impri-
mée à cent exemplaires en mai 18221, et réimprimée ensuite
en avril 1824, à un nombre d'exemplaires plus consi-
dérable. Cette première partie n'a point encore été formel-
lement publiée, mais seulement communiquée, par la voie
de l'impression, à un grand nombre de savants et de phi-
losophes européens. Elle ne sera mise définitivement ttt
circulation qu'avec la seconde partie, que j'espère pouvoir
faire paraître à la fin de l'année 1830.
J*ai cru nécessaire de constater ici la publicité efi'ective
de ce premier travail, parce que quelques idées, offrant une
certaine analogie avec une partie des miennes, se trouvent
exposées, sans aucune mention de mes recherches, dans
divers ouvrages publiés postérieurement, surtout en ce qui
concerne la rénovation des théories sociales. Quoique des
esprits différents aient pu, sans aucune communication,,
comme le montre souvent l'histoire de l'esprit humain,
arriver séparément à des conceptions analogues en s'occu-
pant d'une même classe de travaux, je devais néanmoins
insister sur l'antériorité réelle d'un ouvrage peu connu du
public, afin qu'on ne suppose pas que j'ai puisé le germe
AVERTISSEMENT DE L'aUTBUR. 5
de certaines idées dans des écrits qui sont, au contraire,
plus récents.
Plusieurs personnes m'ayant déjà demandé quelques
éclaircissennents relativement au titre de ce cours, je crois
, utile d'indiquer ici, à ce sujet, une explication sommaire.
L'expression philosophie positive étant constamment em-
ployée, dans toute l'étendue de ce cours, suivant une accep-
tion rigoureusement invariable, il m'a paru superflu de la
définir autrement que par l'usage uniforme que j'en ai tou-
jours fait. La première leçon, en particulier, peut être re-
gardée tout entière comme le développement de la défini-
tion exacte de ce que j'appelle la philosophie positive.
Je regrette néanmoins d'avoir été obligé d'adopter, à dé-
faut de tout autre, un terme comme celui ùq philosophie^
qui a été si abusivement employé dans une multitude d'ac-
ceptions diverses. Mais l'adjectif positive^ par lequel j'en
modifie le sens, me paraît suffire pour faire disparaître,
même au premier abord, toute équivoque essentielle, chez
ceux, du moins, qui en connaissent bien la valeur. Je me
bornerai donc, dans cet Avertissement^ à déclarer que j'em-
ploie le mot philosophie dans l'acception que lui donnaient
les anciens, et particulièrement Âristote, comme désignant
le système général des conceptions humaines ; et, en ajou-
tant le mot positive, j'annonce que je considère celte ma-
tière spéciale de philosophie qui consiste à envisager les
théories, dans quelque ordre d'idées que ce soit, comme
ayant pour objet la coordination des faits observés, ce qui
constitue le troisième et dernier état de la philosophie gé-
nérale, primitivement théologiqueet ensuite métaphysique,
ainsi que je l'explique dès la première leçon.
« AVERTISSEMENT DE l'AUTBUR.
Il y a, sans doute, beaucoup d'analogie entre ma philo-
sophie positive et ce que les savants anglais entendent, de-
puis Newton surtout, par philosophie naturelle. Mais je
n'ai pas dû choisir cette dernière dénomination, non plus
que celle de philosophie des sciences, qui serait peut-être
encore plus précise, parce que l'une et l'autre ne s'enten-
dent pas encore de tous les ordres de phénomènes, tandis
que Ici philosophie positive, dans laquelle je comprends
l'étude des phénomènes sociaux aussi bien que de tous les
autres, désigne une manière uniforme de raisonner appli-
cable à tous les sujets sur lesquels l'esprit humain peut
s'exercer. £n outre, l'expression philosophie naturelle est
usitée^ en Angleterre, pour désigner l'ensemble des diver-
ses sciences d'observation, considérées jusque dans leurs
spécialités les plus détaillées; au lieu que, par philosophie
positive, comparé à sciences positives, j'entends seulement
Tétudepropre des généralités des différentes sciences, con-
çues comme soumises à une méthode unique, et comme
formant les différentes parties d'un plan général de recher-
ches. Le terme que j'ai été conduit à construire est donc,
à la fois, plus étendu et plus restreint que les dénomina*
tions, d'ailleurs analogues, quant au caractère fondamental
des idées, qu'on pourrait, de prime abord, regarder comme
équivalentes.
Paris, le 18 décembre 1829.
A. COUTB, t. I, p. 7.
E
COMTE» ANCIEN ÉLÈVE DE L*i:COLE POLTTECnNIQl E (l^.
J
lOtitive.
•on».
1
M
lo Vue générale de l'analys*» mathématique,
io I)u calcul (leii roncii>tiis (lirecics
3° Du calcul des fonctions imlirectes
4" Du calcul des rariations
So Du calcul aux difTerenct^s finies
(1
1 o Vue générale de la géométrie
io De la );eometrie des anciens
3-^ Conception fondamentale de la géométrie analytique.
i 40 De Tétude générale des lignes
\ 50 De l'étude générale des surfaces
1« Des principes fondamentaui de la mécanique,
2« Vue générale de la statique
30 Vue générale de la dynamique
40 Théorèmes généraux de mécanique
lo Exposition générale des méthodes d*ohserTation
tn 1 kcA ) -" (''^ude des phénomènes géométriques élémentaires des corps célestes.
h* \ AS \ 30 De la théorie du mouvement de la terre
4» Des lois de Kepler
^ I > fo De la loi de la gravitation universelle
S f 3 I 2» A|>prériatioii philosophique de cette loi
30 Explicatiou dv.'8 phénomènes célestes par cette loi,
{
lo Étu te expérimentale des phénomènes de la chaleur 1
io Théorie mathématique de ces phénomèues « 1
lo Tableau général delà chimie inorganique I
2o D« la doctrine des proportions dèfiiùes 1
30 De la théorie électro-chimique I
® 1 ( 1» Examen des anciennes théories : t
10
' 2o Exposition des théories positives t
ortunité de la physique sociale 1
(qu'ici pour la fonder I
2 i i l'étude des phénomènes sociaux 2
Q f es branches de la philosophie naturelle 1
^''^H humaines 1
ipèee humaine, considéré dans ton ensemble I
IPétiehisme I
Polythéisme 1
Monothéisme I
ipoqae méUphysiqot...., • t
!«,.« ^*l^-f^"' »
(t) Ce tableau
O
u
o
s
COURS
DB
PHILOSOPHIE POSITIVE
PREHIËRE LEÇON <»
Sommaire. — Eipoaition du but de ce court, ou considérations générales
sur la nature et l'importance de la philosophie positive.
L'objet de cette première leçon est d'exposer nettement
le but du cours, c'est-à-dire de déterminer exactement
l'esprit dans lequel seront considérées les diverses bran-
ches fondamentales de la philosophie naturelle, indiquées
par le programme sommaire que je vous ai présenté.
Sans doute, la nature de ce cours ne saurait être complè-
tement appréciée, de manière à pouvoir s'en former une
opinion définitive, que lorsque les diverses parties en au-
ront été successivement développées. Tel est l'inconvé-
nient ordinaire des définitions relatives à des systèmes
d'idées très-élendus, quand elles en précèdent Texposi-
lion. Mais les généralités peuvent être conçues sous deux
aspects, ou comme aperçu d'une doctrine à établir, ou
comme résumé d'une doctrine établie. Si c'est seulement
sous ce dernier point de vue qu'elles acquièrent toute leur
(1) IVmt ee premier volume a été écrit dans le premier semestre de
ISM.
8 BUT DU COURS. — NATURE ET IMPORTANCE
valeur, elles n'en ont pas moins déjà, sous le premier, une
extrême imporlance, en caractérisant dès l'origine le sujet
à considérer. La circonscription générale du champ de nos
recherches, tracée avec toute la sévérité possible, est, pour
notre esprit, un préliminaire particulièrement indispensa-
ble dans une étude aussi vaste et jusqu'ici aussi peu déter-
minée que celle dont nous allons nous occuper. C'est afin
d'obéir à cette nécessité logique, que je crois devoir tous
indiquer, dès ce moment, la série des considérations fon-
damentales qui ont donné naissance à ce nouveau cours,
et qui seront d'ailleurs spécialement développées, dans la
suite, avec toute l'extension que réclame la haute impor-
tance de chacune d'elles.
Pour expliquer convenablement la véritable nature et le
caractère propre de la philosophie positive, il est indispen-
sable de jeter d'abord un coup d'œil général sur la marche
. progressive de l'esprit humain, envisagée dans son ensem-
ble : car une conception quelconque ne peut être bien con-
nue que par son histoire.
En étudiant ainsi le développement total de rintelligence
humaine dans ses diverses sphères d'activité, depuis son
premier essor le plus simple jusqu'à nos jours, je crois
avoir découvert une grande loi fondamentale, à laquelle il
est assujetti par une nécessité invariable, et qui me semble
pouvoir Cire solidement établie, soit sur les preuves ra-
tionnelles fournies par la connaissance de notre organisa-
lion, soit sur les vérifications historiques résultant d'un
examen attentif du passé. Celte loi consiste en ce que cha-
cune de nos conceptions principales, chaque branche de
DOS connaissances, passe successivement par trois états
théoriques différents: l'état théologique, ou fictif; l'état
métaphysique, ou abstrait ; l'état scientifique, ou positif.
Eu d'autres termes, l'esprit humain, par sa nature, em-
DE LA PUILOSOPUTE POSITIVE. 9
ploie successivement dans chacune de ses recherches trois
méthodes de philosopher, dont le caractère est essentielle-
ment différent et môme radicalement opposé : d*abord la
méthode théologique, ensuite la méthode métaphysique
et enfin la méthode positive. De là, trois sortes de philoso-
phie, ou de systèmes généraux de conceptions sur Tensem-
ble des phénomènes, qui s'excluent mutuellement : la pre-
mière est le point de départ nécessaire de rintelligence
humaine ; la troisième, son état fixe et définitif; la seconde
est uniquement destinée à servir de transition.
Dans l'état théologique, l'esprit humain, dirigeant essen-
tiellement ses recherches vers la nature intime des êtres,
les causes premières et finales de tous les effets qui le
frappent, en un mol, vers les connaissances absolues, se
représente les phénomènes comme produits par l'action di-
recte et continue d'agents surnaturels plus ou moins nom-
breux, dont l'intervention arbitraire explique toutes les
anomalies apparentes de l'univers.
Dans l'état métaphysique, qui n'est au fond qu'une sim-
ple modification générale du premier, les agents surnatu-
rels sont remplacés par des forces abstraites, véritables
entités (abstractions personnifiées) inhérentes aux divers
êtres du monde, et conçues comme capables d'engendrer
par elles-mêmes tous les phénomènes observés, dont l'ex-
plication consiste alors à assigner pour chacun l'entité
correspondante.
Enfin, dans l'état positif, l'esprit humain, reconnaissant
l'impossibilité d'obtenir des notions absolues, renonce à
chercher l'origine et la destination de l'univers, et à con-
Diltre les causes intimes des phénomènes, pour s'attacher
uniquement à découvrir, par l'usage bien combiné du
raisonnement et del'obbervation, leurs lois effectives, c'est-
à-dire leurs relations invariables de succession et de simi-
10 BUT DU COURS. — NATURE ET IMPORTANCE
litude. L'explicalion des faits, réduite alors à ses termes-
réels, n'est plus désormais que la liaison établie entre les
divers phénomènes particuliers et quelques faits généraux
dont les progrès de la science tendent de plus en plus à
diminuer le nombre.
Le système théologique est parvenu à la plus haute per-
fection dont il soit susceptible, quand il a substitué l'ac-
tion providentielle d'un être unique au jeu varié des nom-
breuses divinités indépendantes qui avaient été imaginées
primitivement. De môme, le dernier terme du système
métaphysique consiste à concevoir, au lieu des différentes
entités particulières, une seule grande entité générale^ la
nature, envisagée comme la source unique de tous les phé-
nomènes. Pareillement, la perfection du système positif,
vers laquelle il tend sans cesse, quoiqu'il soit très-probable
qu'il ne doive jamuis l'atteindre, serait de pouvoir se repré-
senter tous les divers phénomènes observables comme des
cas particuliers d'un seul fait général, tel que celui de la
gravitation, par exemple.
Ce n'est pas ici le lieu de démontrer spécialement cette
loi fondamentale du développement de l'esprit humain, et
d'en déduire les conséquences les plus importantes. Nous
en traiterons directement, avec toute l'extension conve-
nable, dans la partie de ce cours relative à l'étude des
phénomènes sociaux (i). Je ne la considère maintenant
que pour déterminer avec précision le véritable caractère
de la philosophie positive, par opposition aux deux autres
(t) Les personnes qui désireraient immédiatement à ce sujet des éclair-
cissements plus étendus pourront consulter utilement trois articles de
Considératiofis philosophiques sur les sciences et les savants quey ai publiées,
en novembre 1825, dans un recueil intitulé le Producteur (qo« 7, 8 et 10),
et surtout la première partie de mon Système de politique positive , adres-
sée, en avril 1824, à l'Académie des sciences, et où j'ai consigné, pour la
première fois, la découverte de cette loi.
OB LA PUILOSOPUIB POSITIVE. It
2^ilosophîe8 qui ont successivement dominé, jusqu'à ces
derniers siècles, «tout notre système inlellecluel. Quant à
présent, afin de ne pas laisser enliôrement sans démons-
t.ralion une loi de cette importance, dont les applications
se présenteront fréquemment dans toute l'étendue de ce
CM>urs, je dois me borner à une indication rapide des mo-
fpifs généraux les plus sensibles qui peuvent en constater
l 'exactitude.
£n premier lieu, il suffit, ce me semble, d'énoncer une
telle loi, pour que la justesse en soit immédiatement véri-
fiée par tous ceux qui ont quelque connaissance approfon-
die de l'histoire générale des sciences. Il n'en est pas une
seule, en efifet, parvenue aujourd'hui à l'état positif, que
chacun ne puisse aisément se représenter, dans le passé,
sssenlielleroent composée d'abstractions métaphysiques,
et, en remontant encore davantage, tout à fait dominée
par les conceptions théologiques. Nous aurons môme mal-
heureusement plus d'une occasion formelle de reconnaître
dans les diverses parties de ce cours, que les sciences les
plus perfectionnées conservent encore aujourd'hui quelques
traces très-sensibles de ces deux états primitifs.
Cette révolution générale de l'esprit humain peut d'ail-
leurs être aisément constatée aujourd'hui, d'une manière
très -sensible, quoique indirecte, en considérant le déve-
loppement de l'intelligence individuelle. Le point de départ
étant nécessairement le môme dans l'éducation de l'individu
que dans celle de l'espèce, les diverses phases princi-
pales de la première doivent représenter les époques fon-
damentales de la seconde. Or, chacun de nous, eu contem-
plant sa propre histoire, ne se souvient-il pas qu'il a été
successivement, quant à ses notions les plus importantes,
théologien dans son enfance, métaphysicien dans sa jeunesse,
et physicien dans sa virilité ? Cette vérification est facile au-
It BUT DU COUBS. — NATURE ET IMPORTANCE
jourd'hui pour tous les hommes au niveau de leur siècle.
Mais, outre l'observation directe, générale ou indivi-
duelle, qui prouve Texaclitude de cette loi, je dois surtout,
dans cette indication sommaire, mentionner les considéra-
tions théoriques qui en font sentir la nécessité.
La plus importante de ces considérations, puisée dans la
nature même du sujet, consiste dans le besoin^ à toute épo-
que, d'une théorie quelconque pour lier les faits, combiné
avec rimpossibilité évidente, pour l'esprit humain à son
origine, de se former des théories d*aprèsles observations.
Tous les bons esprits répètent, depuis Bacon, qu'il n*y a
de connaissances réelles que celles qui reposent sur des
faits observés. Cette maxime fondamentale est évidemment
incontestable, si on l'applique, comme il convient, à l'état
viril de notre intelligence. Mais, en se reportant à la forma-
tion de nos connaissances, il n'en est pas moins certain
que l'esprit humain, dans son état primitif, no pouvait ni
ne devait penser ainsi. Car si^ d'un côté, toute théorie po-
sitive doit nécessairement être fondée sur des observations,
il est également sensible, d'un autre côté, que, pour se li-
vrer à l'observation, notre esprit a besoin d'une théorie
quelconque. Si, en contemplant les phénomènes, nous ne
les rattachions point immédiatement à quelques principes,
non-seulement il nous serait impossible de combiner ces
observations isolées, et, par conséquent, d'en tirer aucun
fruit, mais nous serions même entièrement incapables de
les retenir; et, le plus souvent, les faits resteraient inaper-
çus sous nos yeux.
Ainsi, pressé entre la nécessité d'observer pour se for-
mer des théories réelles, et la nécessité non moins impé-
rieuse de se créer des théories quelconques pour se livrer
à des observations suivies, l'esprit humain, à sa naissance,
se trouverait enfermé dans un cercle vicieux dont il n'aurait
DE LA PHILOSOPBIE POSITIVE. 13
jamais ea aucun moyen de sortir, s'il ne se fût heureuse-
naeat ouvert une issue naturelle par le développement
spontané des conceptions théologiques, qui ont présenté
un point de ralliement à ses efforts, et fourni un aliment à
son activité. Telle est, indépendamment des hautes consi-
dérations sociales qui s'y rattachent et que je ne dois pas
même indiquer en ce moment, le motif fondamental qui
démontre la nécessité logique du caractère purement thco-
logique de la philosophie primitive.
Celte nécessité devient encore plus sensible en ayant
égard à la parfaite convenance de la philosophie théologi*
que avec la nature propre des recherches sur lesquelles^
Tesprit humain dans son enfance concentres! éminemment
toute son activité. Il est bien remarquable, en effet, que-
les questions les plus radicalement inaccessibles à nos
moyens, la nature intime des êtres, Torigine et la fin de
tous les phénomènes, soient précisément celles que notre
intelligence se propose par-dessus tout dans cet état pri*
mitif, tous les problèmes vraiment solubles étant presque
envisagés comme indignes de méditations sérieuses. On en
conçoit aisément la raison ; car c'est Texpérience seule qui
a pu nous fournir la mesure de nos forces ; et, si Thomme
n'avait d'abord commencé par en avoir une opinion exagérée,.
elles n'eussent jamais pu acquérir tout le développement
dont elles sont susceptibles. Ainsi Texige notre organisa-
tion. Mais, quoi qu'il/n soit, représentons-nous, autant
que possible, cette disposition si universelle et si pronon-
cée, et demandons-nous quel accueil aurait reçu à une telle-
époque, en la supposant formée, la philosophie positive,
dont la plus haute ambition est de découvrir les lois des
phénomènes, et dont le premier caractère propre est pré-
cisément de regarder comme nécessairement interdits à la
raison humaine tous ces sublimes mystères, que la philoso-
14 BUT DU COURS. — NATURE ET IMPORTANCE
phie tbéologique explique^ au contraire^ avec une si admi-
rable facilité jusque dans leurs moindres détails.
Il en est de même en considérant sous le point de v«e
pratique la nature des recherches qui occupent primîlive-
ment Tesprit humain. Sous ce rapport, elles offrenl à
rhomme l'attrait si énergique d'un empire illimité à exer^
€er sur le monde extérieur, envisagé comme entièrement
destiné à notre usage, et comme présentant dans tous ses
phénomènes des relations intimes et continues avec notre
existence. Or, ces espérances chimériques, ces idées exa-
gérées de l'importance de lliomme dans l'univers, que fait
naître la philosophie théologique, et que détruit sans re-
tour la première influence de la philosophie positive, sont,
i l'origine, un stimulant indispensable, sans lequel on ne
pourrait certainement concevoir que l'esprit humain se
fût déterminé primitivement à de pénibles travaux.
Nous sommes aujourd'hui tellement éloignés de ces
dispositions premières, du moins quant à la plupart des
phénomènes, que nous avons peine à nous représenter
exactement la puissance et la nécessité de considérations
semblables. La raison humaine est maintenant assez mûre
pour que nous entreprenions de laborieuses recherches
scientifiques, sans avoir en vue aucun but étranger capa-
ble d'agir fortement sur l'imagination, comme celui que
se proposaient les astrologues ou les alchimistes. Notre
activité intellectuelle est sufûsamm<ipt excitée par le pur
espoir de découvrir les lois des phénomènes, parle simple
désir de confirmer ou d'infirmer une théorie. Mais il ne
pouvait en être ainsi dans l'enfance de l'esprit humain.
Sans les attrayantes chimères de l'astrologie, sans les
énergiques déceptions de l'alchimie, par exemple, où au-
rions-nous puisé la constance et l'ardeur nécessaires pour
recueillir les longues suites d'observations et d'expériences
DE LA PHILOSOPHIE POSITIVE. 1&
qui ont, plus tard, servi de fondement aux premières théo-
ries positives de l'une et l'autre classe de phénomènes ?
Celle condition de noire développement intellectuel a
élé vivement sentie depuis longtemps par Képler« pour
Tastronomie, et justement appréciée de nos jours par
Bertholiet, pour la chimie.
On voit donc, par cet ensemble de considérations, que,
si la philosophie positive est le véritable état définitif de
l'intelligence humaine, celui vers lequel elle a toujours
tendu de plus en plus, elle n'en a pas moins dû nécessaire-
ment employer d'abord, et pendant une longue suite de
siècles, soit comme méthode, soit comme doctrine pro-
visoires, la philosophie théologique ; philosophie dont le
caractère est d'être spontanée, et, par cela môme, la seule
possible à l'origine, la seule aussi qui pût offrir à notre
esprit naissant un intérêt suffisant. Il est maintenant très-
facile de sentir que, pour passer de celte philosophie pro-
visoire à la philosophie définitive, l'esprit humain a dû
naturellement adopter, comme philosophie transitoire,
les méthodes et les doctrines métaphysiques. Cette der-
nière considération est indispensable pour compléter Ta-
perçu général de la grande loi que j'ai indiquée.
On conçoit sans peine, en effet, que notre entendement,
contraint à ne marcher que par degrés presque insensibles,
ne pouvait passer brusquement, et sans intermédiaires, de
la philosophie théologique à la philosophie positive. La
théologie et la physique sont si profondément incompati-
bles, leurs conceptions ont un caractère si radicalement
opposé, qu'avant de renoncer aux unes pour employer
exclusivement les autres, l'intelligence humaine a dû se
servir de conceptions intermédiaires, d'un caractère bâ-
tard, propres, par cela même, à opérer graduellement la
transition. Telle est la destination naturelle des concep-.
16 BUT DU COURS. — NATUBE ET IMPOBTANCC
lions métaphysiques : elles n*ont pas d'autre utilité réelle.
En substituant, dans Télude des phénomènes, à raction
surnaturelle directrice une entité correspondante et insé-
parable, quoique celle-ci ne fût d'abord conçue que comme
une émanation de la première, l'homme s'est habitué peu
à peu à ne considérer que les faits eux-mêmes, les notions
de ces agents métaphysiques ayant été graduellement sub-
tilisées au point de n'être plus, aiix yeux de tout espril
droit, que les noms abstraits des phénomènes. Il est im-
possible d'imaginer par quel autre procédé notre enten-
dement aurait pu passer des considérations franchemeni
surnaturelles aux considérations purement naturelles, do
régime théologique au régime positif.
Après avoir ainsi établi, autant que je puis le faire sans
entrer dans une discussion spéciale qui serait déplacée en
ce moment, la loi générale du développement de l'esprit
humain, tel que je le conçois, il nous sera maintenant aisé
de déterminer avec précision la nature propre de la philo-
sophie positive ; ce qui est l'objet essentiel de ce^iscoan.
Nous voyons, par ce qui précède, que le caractère fon-
damental de la philosophie positive est de regarder tous
les phénomènes comme assujettis à des lois naturelles in-
variables, dont la découverte précise et la réduction au
moindre nombre possible sont le but de tous nos efforts,
en considérant comme absolument inaccessible et vide de
sens pour nous la recherche de ce qu'on appelle les causef,
soit premières, soit finales. Il est inutile d'insister beau-
coup sur un principe devenu maintenant aussi familière
tous ceux qui ont fait une étude un peu approfondie des
sciences d'observation. Chacun sait, en effet, que, dans
nos explications positives, môme les plus parfaites, nous
n'avons nullement la prétention d'exposer les causes gêné*-
ratrices des phénomènes, puisque nous ne ferions jamais
DE LA PHILOSOPHIE POSITIVE. 17
^lors que recaler la difficulté, mais seulement d'analyser
^vec exactitude les circonstances de leur production, et
^e les rattacher les unes aux autres par des relations nor-
males de succession et de similitude.
Ainsi, pour en citer l'exemple le plus admirable, nous
disons que les phénomènes généraux de l'univers sont
expliquéSy autant qu'ils puissent Têtre, par la loi de la gra-
vitation newlonienne, parce que, d'un côté, cette belle
théorie nous montre toute l'immense variété des faits as-
tronomiques, comme n'étant qu'un seul et même fait en-
visagé sous divers points de vue ; la tendance constante de
toutes les molécules les unes vers les autres en raison di-
recte de leurs masses, et en raison inverse des carrés de
leurs distances; tandis que, d'un autre cdté, ce fait général
nous est présenté comme une simple extension d'un phé-
nomène qui nous est éminemment familier, et que, par
cela seul, nous regardons comme parfaitement connu, la
pesanteur des corps à la surface de la terre. Quant à déter-
miner ce que sont en elles-mêmes cette attraction et cette
pesanteur, quelles en sont les causes, ce sont des questions
que nous regardons tous comme insolubles, qui ne sont
plus do domaine de la philosophie positive, et que nous
abandonnons avec raison à l'imagination des théologiens,
ou aux subtilités des métaphysiciens. La preuve manifeste
de l'impossibilité d'obtenir de telles solutions, c'est que,
toutes les fois qu'on a cherché à dire à ce sujet quelque
chose de vraiment rationnel, les plus grands esprits n'ont
pu que définir ces deux principes l'un par l'autre, en di-
sant, pour l'attraction, qu'elle n'est autre chose qu'une
pesanteur universelle, et ensuite, pour la pesanteur, qu'elle
consiste simplement dans l'attraction terrestre. De telles
explications^ qui font sourire quand on prétend à connaî-
tre la nature intime des choses el le mode de génération des
A. Covn. Tome I. S
18 BUT DU COURS. — NATURE ET IMPORTANCE
phénomènes, sont cependant tout ce que nous pouvons
obtenir de plus satisfaisant, en nous montrant comme
identiques deux ordres de phénomènes qui ont é té si
longtemps regardés comme n'ayant aucun rapport entre
eux. Aucun esprit juste ne cherche aujourd'hui à aller
plus loin.
11 serait aisé de multiplier ces exemples, qui se présen-
teront en foule dans toute la durée de ce cours, puisque
tel est maintenant Tesprit qui dirige exclusivement les
grandes combinaisons intellectuelles. Pour en citer en ce
moment un seul parmi les travaux contemporains, je choi-
sirai la belle série de recherches de M. Fourier sur la
théorie de la chaleur. Elle nous offre la vériQcation très-
sensible des remarques générales précédentes. En effet,
dans ce travail, dont le caractère philosophique est si émi-
nemment positif, les lois les plus importantes et les plus pré-
cises des phénomènes thermologiques se trouvent dévoi-
lées, sans que l'auteur se soit enquis une seule fois de la
nature intime de la chaleur, sans qu'il ait mentionné, au-
trement que pour en indiquer le vide, la controverse si
agitée entre les partisans de la matière calorifique et ceux
qui font consister la chaleur dans les vibrations d'un étber
universel. Et néanmoins les plus hautes questions, dont
plusieurs n'avaient môme jamais été posées, sont traitées
dans cet ouvrage, preuve palpable que l'esprit humain,
sans se jeter dans des problèmes inabordables, et en se res-
treignant dans les recherches d'un ordre entièrement posi-
tif, peut y trouver un aliment inépuisable à son activité la
pltfs profonde.
Après avoir caractérisé, aussi exactement qu'il m'est
permis de le faire dans cet aperçu général, l'esprit de la
philosophie positive, que ce cours tout entier est destiné à
développer, je dois maintenant examiner à quelle époque
DE LA POILOSOPHIE POSITIVE. 19
de sa formation elle est parvenue aujourd'hui, et ce qui
reste à faire pour achever delà constituer.
A cet effet, il faut d'abord considérer que les différentes
bmnebes de nos connaissances n'ont pas dû parcourir d'une
fitesse égale les trois grandes phases de leur développe-
ment indiquées ci-dessus, ni, par conséquent, arriver si-
multanément à l'état positif. Il existe, sous ce rapport, un
ordre invariable et'nécessaire, que nos divers genres de
conceptions ont suivi et dû suivre dans leur progression, et
dont la considération exacte est le complément indispen-
sable de la loi fondamentale énoncée précédemment. Cet
ordre sera le sujet spécial de la prochaine leçon. Qu'il nous
suffise, quant à présent, de savoir qu'il est conforme à la
oature diverse des phénomènes, et qu'il est déterminé par
leur degré de généralité, de simplicité et d'indépendance
réciproque, trois considérations qui, bien que distinctes,
concourent au même but. Ainsi, les phénomènes astrono-
miques d'abord, comme étant les plus généraux, les plus
simples et les plus indépendants de tous les autres, et
successivement, par les mômes raisons^ les phénomènes de
la physique terrestre proprement dite, ceux de la chimie,
et enfin les phénomènes physiologiques, ont été ramenés
k des théories positives.
Il est impossible d'assigner l'origine précise de cette ré-
voiation ; car on n'en peut dire avec exactitude, comme de
tous les autres grands événements humains, qu'elle s'est
accomplie constamment et de plus en plus, partrculiërement
depuis les travaux d'Aristote et de l'école d'Alexandrie, et
ensuite depuis l'introduction des sciences naturelles dans
l'Europe occidentale par les Arabes. Cependant, vu qu'il
convient de fixer une époque pour empêcher la divagation
des idées, j'indiquerai celle du grand mouvement imprimé
à l'esprit humain, il y a deux siècles, par l'action combi-
20 BUT DU COURS. — NATURE ET IMPORTANCE
née des préceptes de Bacon, des conceptions de Descaries,
et des découvertes de Galilée, conome le moment où l'ei-
prit de la philosophie positive a commencé à se prononcer
dans le monde en opposition évidente avecTesprit théolo-
gique et métaphysique. C'est alors, en effet, que les con-
ceptions positives se sont dégagées nettement de l'alliage
superstitieux et scolastique qui déguisait plus ou moins le
véritable caractère de tous les travaux antérieurs.
Depuis cette mémorable époque, le mouvement d'ascen-
sion de la philosophie positive,* et le mouvement de déca-
dence de la philosophie théologique et métaphysique, ont
été extrêmement marqués. Ils se sont enfin tellement pro*
nonces, qu'il est devenu impossible aujourd'hui, à tous
les observateurs ayant conscience de leur siècle, de mé-
connaître la destination finale de Tintelligence humaine
pour les études positives, ainsi que son éloignement désor-
mais irrévocable pour ces vaines doctrines et pour ces
méthodes provisoires qui ne pouvaient convenir qu'à son
premier essor. Ainsi, cette révolution fondamentale s'ac-
complira nécessairement dans toute son étendue. Si donc
il lui reste encore quelque grande conquête à faire, quel-
que branche principale du domaine intellectuel à envahir,
on peut être certain que la transformation s'y opérera,
comme elle s'est eff'ectuée dans toutes les autres. Car il
serait évidemment contradictoire de supposer que l'esprit
humain, si disposé à l'unité de méthode, conservât indéfi-
niment, pour une seule classe de phénomènes, sa manière
primitive de philosopher, lorsqu'une fois il est arrivé à
adopter pour tout le reste une nouvelle marche philoso-
phique, d'un caractère absolument opposé.
Tout se réduit donc à une simple question de fait : la
philosophie positive, qui, dans les deux derniers siècles, a
pris graduellement une si grande extension, embrasse-t-elle
DE LA PHII.OSOPHIE POSITIVE. 21
aujourd'hui tous les ordres de phénomènes ? 11 est évident
que cela n*est point, et que, par conséquent, il reste
encore une grande opération scientifique à exécuter pour
donner à la philosophie positive ce caractère d'universa-
lité indispensable à sa constitution définitive.
En effet, dans les quatre catégories principales de phé-
nomènes naturels énumérées tout à l'heure, les phéno-
mènes astronomiques, physiques, chimiques et physiolo-
giques, on remarque une lacune essentielle, relative aux
phénomènes sociaux, qui, bien que compris implicite-
ment parmi les phénomènes physiologiques, méritent,
soit par leur importance, soit par les difficultés propres à
leur étude, de former une catégorie distincte. Ce dernier
ordre de conceptions, qui se rapporte aux phénomènes les
plus particuliers, les plus compliqués et les plus dépen-
dants de tous les autres, a dû nécessairement, par cela seul,
se perfectionner plus lentement que tous les précédents,
même sans avoir égard aux obstacles plus spéciaux que
nous considérerons plus tard. Quoi qu'il en soit, il est
évident qu'il n'est point encore entré dans le domaine de
la philosophie positive. Les méthodes théologiques et mé-
taphysiques qui, relativement à tous les autres genres de
phénomènes, ne sont plus maintenant employées par per-
sonne, soit comme moyen d'investigation, soit môme seu-
lement comme moyen d'argumentation, sont encore, au
contraire, exclusivement usitées, sous l'un et l'autre rap-
port, pour tout ce qui concerne les phénomènes sociaux,
quoique leur insuffisance à cet égard soit déjà pleinement
sentie par tous les bons esprits, lassés de ces vaines con-
testations interminables entre le droit divin et la souverai-
neté du pei/ple.
Voilà donc la grande mais évidemment la seule lacune
qu'il s'agit de combler pour achever de constituer la phi-
Si BUT DU COURS. — NATURE ET IMPORTANCE
iosophie positive. Maintenant que l'esprit bumain a fondé
la physique céleste, la physique terrestre, soit mécanique,
soit chimique ; la physique organique, soit végétale, soit
animale, il lui reste à terminer le système des sciences
d'observation en fondant \dL physique sociale. Tel est aujour-
d'hui, sous plusieurs rapports capitaux, le plus grand et le
plus pressant besoin de notre intelligence : tel est, j'ose le
dire, le premier but de ce cours, son but spécial.
Les conceptions que je tenterai de présenter relativement
à l'étude des phénomènes sociaux, et dont j'espère que ce
discours laisse déjà entrevoir le germe, ne sauraient avoir
pour objet de donner immédiatement à la physique sociale
le môme degré de perfection qu'aux branches antérieures
de la philosophie naturelle, ce qui serait évidemment chi-
mérique, puisque celles-ci offrent déjà entre elles à cet
égard une extrême inégalité, d'ailleurs inévitable. Mais
elles seront destinées à imprimera cette dernière classe
de nos connaissances ce caractère positif déjà pris par
toutes les autres. Si cette condition est une fois réellement
remplie, le système philosophique des modernes sera enfin
fondé dans son ensemble; car aucun phénomène obser-
vable ne saurait évidemment manquer de rentrer dans
quelqu'une des cinq grandes catégories dès lors établies
des phénomènes astronomiques, physiques, chimiques,
physiologiques et sociaux. Toutes nos conceptions fonda*
mentales étant devenues homogènes, la philosophie sera
définitivement constituée à l'état positif ; sans jamais pou-
voir changer de caractère, il ne lui restera qu'à se dévelop-
per indéfiniment par les acquisitions toujours croissantes
qui résulteront inévitablement de nouvelles observations
ou de méditations plus profondes. Ayant acquis par là le
caractère d'universalité qui lui manque encore, la philoso-
phie positive deviendra capable de se substituer entière-
DE LA PHILOSOPHIE POSITIVE. S S
rnent, avec toute sa supériorité naturelle, à la philosophie
théologique et à la philosophie métaphysique, dont celte
univenaiité est aujourd'hui la seule propriété réelle, et qui,
privées d'un tel motif de préférence, n'auront plus pour
nos successeurs qu'une existence historique.
Le but spécial de ce cours étant ainsi exposé, il est aisé
de comprendre son second but, son but général, ce qui en
fait un cours de philosophie positive, et non pas seulement
UD cours de physique sociale.
En effet, la fondation de la physique sociale complétant
enfin le système des sciences naturelles, il devient possible
et même nécessaire de résumer les diverses connaissances
acquises, parvenues alors à un état fixe et homogène, pour
les coordonner en les présentant comme autant de bran-
ches d*un tronc unique, au lieu de continuer à les conce-
voir seulement comme autant de corps isolés. C'est à cette
fin qu'avant de procéder à l'étude des phénomènes sociaux,
je considérerai successivement, dans l'ordre encyclopé-
dique annoncé plus haut, les diCTérentes sciences positives
déjà formées.
11 est superflu, je pense, d'avertir qu'il ne saurait être
question ici d'une suite de cours spéciaux sur chacune
des branches principales de la philosophie naturelle. Sans
parler de la durée matérielle d'une entreprise semblable,
il est clair qu'une pareille prétention serait insoutenable
de ma part, et je crois pouvoir ajouter de la part de qui que
ce soit, dans l'état actuel de l'éducation humaine. Bien au
contraire, un cours de la nature de celui-ci exige, pour être
convenablement entendu, une série préalable d'études
spéciales sur les diverses sciences qui y seront envisagées.
Sans cette condition, il est bien difficile de sentir et impos-
sible de juger les réflexions philosophiques dont ces scien-
ces seront les sujets. En un mot, c'est un Cours de philoso-
24 BUT DU COURS. — NATURE ET IMPORTANCE
phie positive^ et non de sciences positives, que je me pro-
pose de faire. Il s*agit uniquement ici de considérer chaque
science fondamentale dans ses relations avec le système
positif tout entier, et quant à l'esprit qui la caractérise,
c'est-à-dire sous le double rapport de ses méthodes essen-
tielles et de ses résultats principaux. Le plus souvent môme
je devrai me borner à mentionner ces derniers d'après les
connaissances spéciales pour tâcher d'en apprécier Tim-
portance.
Afin de résumer les idées relativement au double but de
ce cours, je dois faire observer que les deux objets, l'un
spécial, l'autre général, que je me propose, quoique dis-
tincts en eux-mêmes, sont nécessairement inséparables.
Car, d'un côté, il serait impossible de concevoir un cours
de philosophie positive sans la fondation de la physique so-
ciale, puisqu'il manquerait alors d'un élément essentiel,
et que, par cela seul, les conceptions ne sauraient avoir ce
caractère de généralité qui doit en être le principal attri-
but, et qui distingue notre étude actuelle de la série des
études spéciales. D'un autre côté^ comment procéder avec
sûreté à l'étude positive des phénomènes sociaux, si l'es-
prit n'est d'abord préparé par la considération approfondie
des méthodes positives déjà jugées pour les phénomènes
moins compliqués, et muni, en outre, de la connaissance
des lois principales des phénomènes antérieurs, qui toutes
influent, d'une manière plus ou moins directe, sur les faits
sociaux ?
Bien que toutes les sciences fondamentales n'inspirent
pas aux esprits vulgaires un égal intérêt, il n'en est aucune
qui doive être négligée dans une étude comme celle que
nous entreprenons. Quant à leur importance pour le bon-
heur de l'espèce humaine, toutes sont certainement équi-
valentes, lorsqu'on les envisage d'une manière appro-
DB LÀ PHILOSOPHIE POSITIVE. 85
fondie. Celles, d'ailleurs, dont les résultats présentent, au
premier abord, un moindre intérêt pratique, se recom-
mandent éminemment, soit par la plus grande perfection
de leurs méthodes, soit comme étant le fondement indis-
pensable de toutes les autres. C'est une considération sur
laquelle j'aurai spécialement occasion de revenir dans la
prochaine leçon.
Pour prévenir, autant que possible,- toutes les fausses
interprétations qu'il est légitime de craindre sur la nature
d'un cours aussi nouveau que celui-ci, je dois ajouter som-
mairement aux explications précédentes quelques considé-
rations directement relatives à cette universalité de con-
naissances spéciales, que des juges irréfléchis pourraient
regarder comme la tendance de ce cours, et qui est envi-
sagée à si juste raison comme tout à fait contraire au véri-
table esprit de la philosophie positive. Ces considérations
auront d'ailleurs l'avantage plus important de présenter cet
esprit sous un nouveau point de vue, propre à achever d'en
éclaircir la notion générale.
Dans l'état primitif de nos connaissances il n'existe
aucune division régulière parmi nos travaux intellectuels ;
toutes les sciences sont cultivées simultanément par les
mômes esprits. Ce mode d'organisation des études hu-
maines, d'abord inévitable et môme indispensable, comme
nous aurons lieu de le constater plus tard, change peu à
peu^ à mesure que les divers ordres de conceptions se dé-
veloppent. Par une loi dont la nécessité est évidente,
chaque branche du système scientifique se sépare insensi-
blement du tronc, lorsqu'elle a pris assez d'accroissement
pour comporter une culture isolée, c'est-à-dire quand elle
est parvenue à ce point de pouvoir occuper à elle seule l'ac-
tivité permanente de quelques intelligences. C'est h cette
répartition des diverses sortes de recherches entre diCfé-
S6 BUT DU COURS. — NATURE ET IMPORTANCE
rents ordres de savants, que nous devons évidemment le
développement si remarquable qu'a pris enfin de nos jours
chaque classe distincte des connaissances humaines, et qui
rend manifeste l'impossibilité, chez les modernes, de cette
tiniversalité de recherches spéciales, si facile et si com-
mune dans les temps antiques. En un mot, la division du
travail intellectuel, perfectionnée de plus en plus, est un
des attributs caractéristiques les plus importants de la
philosophie positive.
Mais, tout en reconnaissant les prodigieux résultats de
cette division, tout en voyant désormais en elle la vél*ita-
ble base fondamentale de l'organisation générale du monde
savant, il est impossible, d'un autre côté, de n'être pas
frappé des inconvénients capitaux qu'elle engendre, dans
son état actuel, par l'excessive particularité des idées qui
occupent exclusivement chaque intelligence individuelle.
Ce fâcheux effet est sans doute inévitable jusqu'à un cer-
tain point, comme inhérent au principe même de la di-
vision ; c'est-à-dire que, par aucune mesure quelconque,
nous ne parviendrons jamais à égaler sous ce rapport les
anciens, chez lesquels une telle supériorité ne tenait sur-
tout qu'au peu de développement de leurs connaissances.
Nous pouvons néanmoins, ce me semble, par des moyens
convenables, éviter les plus pernicieux effets de la spé-
cialité exagérée^ sans nuire à l'influence viviûante de la
séparation des recherches. Il est urgent de s'en occuper
sérieusement ; car ces inconvénients, qui, par leur nature,
tendent à s'accroître sans cesse^ commencent à devenir
très-sensibles. De l'aveu de tous, les divisions, établies
pour la plus grande perfection de nos travaux, entre les
diverses branches de la philosophie naturelle, sont finale-
ment artiQcielles. N'oublions pas que, nonobstant cet
aveu, il est déjà bien petit dans le monde savant le nombre
DE LA PQILOSOPniE POSITIVE. 27
des intelligences embrassant dans leurs conceptions l'en-
semble môme d'une science unique, qui n'est cependant
à son tour qu'une partie d'un grand tout. La plupart se
bornent déjà entièrement à la considération isolée d'une
seclion plus ou moins étendue d'une science déterminée,
sans s'occuper beaucoup de la relation de ces travaux par-
ticuliers avec le système général des connaissances posi-
tives. Hàtons-nous de remédier au mal, avant qu'il soit
devenu plus grave. Craignons que l'esprit humain ne
finisse par se perdre dans^ies travaux de détail. Ne nous
dissimulons pas que c'est là essentiellement le côté faible
par lequel les partisans de la philosophie théologique et de
la philosophie métaphysique peuvent encore attaquer avec
quelque espoir de succès la philosophie positive.
Le véritable moyen d'arrêter l'influence délétère dont
l'avenir intellectuel semble menacé, par suite d'une trop
grande spécialisation des recherches individuelles^ ne
saurait être, évidemment, de revenir à cette antique con-
fusion des travaux, qui tiendrait à faire rétrograder l'esprit
homaiOy et qui est d'ailleurs, aujourd'hui, heureuseument
devenue impossible. Il consiste, au contraire, dans le per-
fectionnement de la division du travail elle-même. Il suffit,
en effet, de faire de l'étude des généralités scientiflques
one grande spécialité de plus. Qu'une classe nouvelle de
savants, préparés pur une éducation convenable, sans se
livrer à la culture spéciale d'aucune branche particulière
de la philosophie naturelle, s'occupe uniquement, en con-
sidérant les diverses sciences positives dans leur état ac-
tuel, à déterminer exactement l'esprit de chacune d'elles,
à découvrir leurs relations et leur enchaînement, à ré-
sumer, s'il est possible, tous leurs principes propres en
un moindre nombre de principes communs, en se con-
formant sans cesse aux maximes fondamentales de la mé-
«8 BUT DU COURS. — NATURE ET IMPORTANCE
thode positive. Qu'en môme temps, les autres savants,
avant de se livrer à leurs spécialités respectives, soient
rendus aptes désormais, par une éducation portant sur
Tensemblc des connaissances positives, à profiter immé-
diatement des lumières répandues par ces savants voués à
l'étude des généralités, et réciproquement à rectifier leurs
résultats, état de choses dont les savants actuels se rappro-
chent visiblement de jour en jour. Ces deux grandes con-
ditions une fois remplies, et il est évident qu'elles peuvent
l'être, la division du travail dans les sciences sera poussée,
sans aucun danger, aussi loin que le développement des
divers ordres de connaissances l'exigera. Une classe dis-
tincte, incessamment contrôlée par toutes les autres,
ayant pour fonction propre et permanente de lier chaque
nouvelle découverte particulière au système général, on
n'aura plus à craindre qu'une trop grande attention donnée
aux détails empêche jamais d'apercevoir l'ensemble. £n
mot, l'organisation moderne du monde savant sera dès
lors complètement fondée, et n'aura qu'à se développer
indéfiniment, en conservant toujours le même caractère.
Former ainsi de l'étude des généralités scientifiques une
section distincte du grand travail intellectuel, c'est sim-
plement étendre l'application du même principe de divi-
sion qui a successivement séparé les diverses spécialités ;
car, tant que les différentes sciences positives ont été peu
développées, leurs relations mutuelles ne pouvaient avoir
assez d'importance pour donner lieu, au moins d'une ma-
nière permanente, à une classe particulière de travaux, et
en même temps la nécessité de cette nouvelle étude était
bien moins urgente. Mais aujourd'hui chacune des sciences
a pris séparément assez d'extension pour que l'examen de
leurs rapports mutuels puisse donner lieu à des travaux sui-
vis, en même temps que ce nouvel ordre d'études devient
DE lA PHILOSOPHIE POSITIVE. 29
indispensable pour prévenir la dispersion des conceptions
humaines.
Telle est la manière dont je conçois la destination de la
philosophie positive dans le système général des sciences
positives proprement dites. Tel est, du moins, le but de ce
cours.
Maintenant que j'ai essayé de déterminer aussi exacte-
ment qu'il m'a été possible de le faire, dans ce premier
aperçu, l'esprit général d'un cours de philosophie positive,
je crois devoir, pour imprimer à ce tableau tout son carac-
tère, signaler rapidement les principaux avantages géné-
raux que peut avoir un tel travail, si les conditions essen-
tielles en sont convenablement remplies, relativement aux
progrès de l'esprit humain. Je réduirai ce dernier ordre de
considérations à l'indication de quatre propriétés fonda-
mentales.
Premièrement l'étude de la philosophie positive, en
considérant les résultats de l'activité de nos facultés in-
tellectaelles, nous fournit le seul vrai moyen rationnel de
mettre en évidence les lois logiques de l'esprit humain, qui
ont été recherchées jusqu'ici par des voies si peu propres
à les dévoiler.
Pour expliquer convenablement ma pensée à cet égard,
je dois d'abord rappeler une conception philosophique de
la plos haute importance, exposée par de Blainville dans
la belle introduction de ses Principes généraux d'anatomie
comparée. Elle consiste en ce que tout être actif, et spécia-
lement tout être vivant, peut être étudié, dans tous ses phé-
nomènes sous deux rapports fondamentaux, sous le rap-
port statique et sous le rapport dynamique, c'est-à-dire
comme apte à agir et comme agissant effectivement. II est
clair, en eCfet, que toutes les considérations qu'on pourra
présenter rentreront nécessairement dans l'un ou l'autre
3 0 BUT DU COURS. — NATURE ET IMPORTANCE
mode. Appliquons celte lumineuse maxime fondamentale
à rélude des fonctions intellectuelles.
Si Ton envisage ces fonctions sous le point de vue stati-
que, leur étude ne peut consister que dans la détermina-
tion des conditions organiques dont elles dépendent ; elle
forme ainsi une partie essentielle de Tanatomie et de h
physiologie. En le considérant sous le point de vue dyna-
mique, tout se réduit à étudier la marche effective de l'es-
prit humain en exercice, par Texamen des procédés réel-
lement employés pour obtenir les diverses connaissances
exactes qu'il a déjà acquises, ce qui constitue essentielle-
ment l'objet général de la philosophie positive, ainsi que je
Tai définie dans ce discours. En un mot, regardant toutes
les théories scientifiques comme autant de grands faits lo-
giques, c'est uniquement par l'observation approfondie de
ces faits qu'on peut s'élever à la connaissance des lois lo-
giques.
Telles sont évidemment les deux seules voies générales,
complémentaires l'une de l'autre, par lesquelles on paisse
arriver à quelques notions rationnelles véritables sur les
phénomènes intellectuels. On voit que, sous aucun rapport,
il n'y a place pour cette psychologie illusoire, dernière
transformation de la théologie, qu'on tente si vainement de
ranimer aujourd'hui, et qui, sans s'inquiéter ni de l'étude
physiologique de nos organes intellectuels, ni de l'obser-
vation des procédés rationnels qui dirigent effectivement
nos diverses recherches scientifiques, prétend arriver à la
découverte des lois fondamentales de l'esprit humain, en
le contemplant en lui-môme, c'est-à-dire en faisant com-
plètement abstraction et des causes et des effets.
La prépondérance de la philosophie positive est succes-
sivement devenue telle depuis Bacon; elle a pris aujour«>
d'hui, indirectement, un si grand ascendant sur les esprits
DE LA PniLOSOPniE POSITIVE. 31
même qui sont demeurés le plus étrangers à soq immense
développement, que les métaphysiciens livrés à l'étude de
notre intelligence n'ont pu espérer de ralentir la décadence
de leur prétendue science qu'en se ravisant pour présen-
ter leurs doctrines comme étant aussi fondées sur l'observa-
tion des faits. A cette fin, ils ont imaginé, dans ces derniers
temps, de distinguer, par une subtilité fort singulière, deux
sortes d'observalions d'égale importance, l'une extérieure,
l'autre intérieure, et dont la dernière est uniquement desti-
née à l'étude des phénomènes intellectuels. Ce n'est point
ici le lieu d'entrer dans la discussion spéciale de ce so-
phisme fondamental. Je dois me borner à indiquer la con-
sidération principale qui prouve clairement que cette pré-
tendue contemplation directe de l'esprit par lui-môme est
une pure illusion.
On croyait, il y a encore peu de temps, avoir expliqué la
vision, en disant que l'action lumineuse des corps déter-
mine sur la rétine des tableaux représentatifs des formes
et des couleurs extérieures. A cela les physiologistes ont
objecté avec raison que, si c'était comme images qu'agis-
saient les impressions lumineuses, il faudrait un autre œil
pour les regarder. N'en est-il pas encore plus fortement de
même dans le cas présent ?
Il est sensible, en effet, que, par une nécessité invincible,
l'esprit humain peut observer directement tous les phéno-
mènes, excepté les siens propres. Car, par qui serait faite
l'observation? On conçoit, relativement aux phénomènes
moraux, que l'homme puisse s'observer lui-même sous le
rapport des passions qui l'animent, par cette raison ana-
tomique, que les organes qui en sont le siège sont distincts
de ceux destinés aux fonctions observatrices. Encore même
que chacun ait eu occasion de faire sur lui de telles re-
marques^ elles ne sauraient évidemment avoir jamais une
32 BUT DU COURS. — NATURE ET IMPORTANCE
grande importance scientifique^ et le meilleur moyen de
connaître les passions sera-t*il toujours de les observer en
dehors; car tout état de passion très-prononcé, c'est-à-dire
précisément celui qu'il serait le plus essentiel d'examiner,
est nécessairement incompatible avec l'état d'observation.
Mais, quant à observer de la môme manière les phéno-
mènes intellectuels pendant qu'ils s'exécutent, il y a im-
possibilité manifeste. L'individu pensant ne saurait se par-
tager en deux^ dont l'un raisonnerait, tandis que l'autre
regarderait raisonner. L'organe observé et l'organe obser-
vateur étant, dans ce cas, identiques, comment l'observa-
tion pourrait-elle avoir lieu?
Cette prétendue méthode psychologique est donc radi-
calement nulle dans son principe. Aussi, considérons à
quels procédés profondément contradictoires elle conduit
immédiatement ! D'un côté, on vous recommande de tous
isoler, autant que possible, de toute sensation extérieure,
il faut surtout vous interdire tout travail intellectuel ; car,
si vous étiez seulement occupés à faire le calcul le plus
simple, que deviendrait l'observation intérieure? D'un au-
tre côté, après avoir, enfin, à force de précautions, atteint
cet état parfait de sommeil intellectuel, vous devez vous
occuper à contempler les opérations qui s'exécuteront dans
votre esprit lorsqu'il ne s'y passera plus rien ! Nos descen-
dants verront sans doute de telles prétentions transportées
un jour sur la scène.
Les résultats d'une aussi étrange manière de procéder
sont parfaitement conformes au principe. Depuis deux
mille ans que les métaphysiciens cultivent ainsi la psycho-
logie, ils n'ont pu encore convenir d'une seule proposition
intelligible et solidement arrêtée. Ils sont, même aujour-
d'hui, partagés en une multitude d'écoles qui disputent
sans cesse sur les premiers éléments de leurs doctrines.
iDE LA PHILOSOPHIE POSITIVE. 38
Vobservatton intérieure engendre presque autant d'opinions
divergentes qu'il y a d'individus croyant s'y livrer.
Les véritables savants, les hommes voués aux études po-
sitives, en sont encore à demander vainement à ces psycho*
logaes de citer une seule découverte réelle, grande ou
petite, qui soit due à cette méthode si vantée. Ce n'est pas
à dire pour cela que tous leurs travaux aient été absolument
sans aucun résultat relativement aux progrès généraux de
nos connaissances, indépendamment du service éminent
qu'ils ont rendu en soutenant l'activité de notre intelli-
gence, à l'époque où elle ne pouvait pas avoir d'aliment
plus substantiel. Mais on peut afflrmer que tout ce qui,
dans leurs écrits, ne consiste pas, suivant la judicieuse
expression d'un illustre philosophe positif (M. Cuvier), en
métaphores prises pour des raisonnements, et présente
quelque notion véritable, au lieu de provenir de leur pré-
tendue méthode, a été obtenu par des observations effec-
tives sur la marche de l'esprit humain, auxquelles a dû
donner naissance, de temps à autre, le développement des
sciences. Encore même, ces notions si clair-semées, pro-
clamées avec tant d'emphase, et qui ne sont dues qu'à l'in-
fidélité des psychologues à leur prétendue méthode, se
trouveol-elles le plus souvent ou fort exagérées, ou très-
incomplètes, et bien inférieures aux remarques déjà faites
sans ostentation par les savants sur les procédés qu'ils em*
ploient. 11 serait aisé d'en citer des exemples frappants, si
je ne craignais d'accorder ici trop d'extension à une telle
discussion : voyez, entre autres, ce qui est arrivé pour la
théorie des signes.
Les considérations que je viens d'indiquer, relativement
à la science logique, sont encore plus manifestes, quand on
les transporte à Tart logique.
En effet, lorsqu'il s'agit, non-seulement de savoir ce que
A. CoMTB. Tome 1. ^
3 4 BUT DU COURS. — NATURE ET IMPORTANCE
c'est que la méthode positive, mais d'en avoir une con-
naissance assez nette et assez profonde pour en pouvoir
faire un usage effectif, c'est en action qu'il faut la considé-
rer; ce sont les diverses grandes applications déjà vérifiées
que l'esprit humain en a faites qu'il convient d'étudier.
En un mot, ce n'est évidemment que par l'examen philo-
sophique des sciences qu'il est possible d'y parvenir. La
méthode n'est pas susceptible d'être étudiée séparément des
recherches où elle est employée ; ou, du moins, ce n'est là
qu'une étude morte, incapable de féconder l'esprit qui s'y
livre. Tout ce qu'on e,n peut dire de réel, quand on l'envi-
sage abstraitement^ se réduit à des généralités tellement
vagues, qu'elles ne sauraient avoir aucune influence sur
le régime intellectuel. Lorsqu'on a bien établi, en thèse
logique, que toutes nos connaissances doivent être fondées
sur l'observation, que nous devons procéder tantôt des faits
aux principes, et tantôt des principes aux faits, et quelques
autres aphorismes semblables, on connaît beaucoup moins
nettement la méthode que celui qui a étudié, d'une ma-
nière un peu approfondie, une seule science positive,
môme sans intention philosophique. C'est pour avoir mé-
connu ce fait essentiel, que nos psychologues sont conduits
à prendre leurs rêveries pour de la science, croyant com-
prendre la méthode positive pour avoir lu les préceptes de .
Bacon ou le discours de Descartes.
J'ignore si, plus tard, il deviendra possible de faire è
priori un véritable cours de méthode tout à fait indépen-
dant de l'étude philosophique des sciences; mais je suis
bien convaincu que cela est inexécutable aujourd'hui, les
grands procédés logiques ne pouvant encore être expliqués
avec la précision suffisante séparément de leurs applica-
tions. J'ose ajouter, en outre, que, lors même qu'une telle
entreprise pourrait être réalisée dans la suite, ce qui, en
DE LA PUILOSOPniE POSITIVE. 35
eflel, se laisse concevoir, ce ne serait jamais néanmoins
que par l'étude des applications régulières des procédés
scientifiques qu'on pourrait parvenir à se former un bon
système d'habitudes intellectuelles; ce qui est pourtant le
but essentiel de l'étude de la méthode. Je n'ai pas besoin
d'insister davantage en ce moment sur un sujet qui revien-
dra fréquemment dans toute la durée de ce cours^ et à
l'égard duquel je présenterai spécialement de nouvelles
considérations dans la prochaine leçon.
Tel doit être le premier grand résultat direct de la phi-
losophie positive, la manifestation par expérience des lois
que suivent dans leur accomplissement nos fondions intel-
lectuelles, et, par suite, la connaissance précise des règles
générales convenables pour procéder sûrement à la recher-
che de la vérité*
Une seconde conséquence, non moins importante, et
d'un intérêt bien plus pressant, qu*est nécessairement des-
tiné à produire aujourd'hui l'établissement de la philoso-
phie positive définie dans ce discours, c'est de présider à
la refonte générale de notre système d'éducation.
Ed effet, déjà les bons esprits reconnaissent unanime-
ment la nécessité deremplacer notre éducation européenne,
encore essentiellement théologique, métaphysique et litté-
raire, par une éducation positive^ conforme à l'esprit de
notre époque, et adaptée aux besoins de la civilisation mo-
derne. Les tentatives variées qui se sont multipliées de
plus en plus depuis un siècle, particulièrement dans ces
derniers temps, pour répandre et pour augmenter sans
cesse l'instruction positive, et auxquelles les divers gou-
vernements européens se sont toujours associés avec em-
pressement quand ils n'en ont pas pris Tiniliative, témoi-
gnent assez que, de toutes parts, se développe le sentiment
spontané de cette nécessité. Mais, tout en secondant autant
36 BUT DU COURS. — NATURE ET IMPORTANCE
que possible ces utiles entreprises, on ne doit pas se dis-
simuler que, dans l'état présent de nos idées, elles ne sont
nullement susceptibles d'atteindre leur but principal, la
régénération fondamentale de l'éducation générale. Car la
spécialité exclusive, l'isolement trop prononcé, qui carac-
térisent encore notre manière de concevoir et de cultiver
les sciences, influent nécessairement à un haut degré sur
la manière de les exposer dans l'enseignement. Qu'un bon
esprit veuille aujourd'hui étudier les principales branches
de la philosophie naturelle, afin de se former un système
général d'idées positives, il sera obligé d'étudier séparé-
ment chacune d'elles d'après le môme mode et dans le
môme détail que s'il voulait devenir spécialement on as-
tronome, ou chimiste, etc. ; ce qui rend une telle éduca-
tion presque impossible et nécessairement fort imparfaite,
môme pour les plus hautes intelligences placées dans les
circonstances les plus favorables. Une telle manière de
procéder serait donc tout à fait chimérique, relativement à
l'éducation générale. Et néanmoins celle-ci exige absolu-
ment un ensemble de conceptions positives sur toutes les
grandes classes de phénomènes naturels. C'est un tel en-
semble qui doit devenir désormais, sur une échelle plus
ou moins étendue, môme dans les masses populaires, la
base permanente de toutes les combinaisons humaines;
qui doit, en un mot, constituer l'esprit général de nos des-
cendants. Pour que la philosophie naturelle puisse achever
la régénération, déjà si préparée, de notre système intel-
lectuel, il est donc indispensable que les différentes sciences
dont elle se compose, présentées à toutes les intelligences
comme les diverses branches d'un tronc unique, soient ré-
duites d'abord à ce qui constitue leur esprit, c'est-à-dire
à leurs méthodes principales et à leurs résultats les plus
importants. Ce n'est qu'ainsi que l'enseignement des
DB LA PHILOSOPHIE POSITIVE. S7
sciences peut devenir, parmi nous, la base d'une nouvelle
éducation générale vraiment rationnelle. Qu'ensuite à cette
instruction fondamentale s'ajoutent les diverses études
scientifiques spéciales, correspondantes aux diverses édu-
cations spéciales qui doivent succéder à l'éducation géné-
rale, cela ne peut évidemment être rois en doute. Mais la
considération essentielle que j'ai voulu indiquer ici con-
siste en ce que toutes ces spécialités, môme péniblement
accamulées, seraient nécessairement insuffisantes pour
renouveler réellement le système de notre éducation, si
elles ne reposaient sur la base préalable de cet enseigne-
ment général, résultat direct de la philosophie positive dé-
finie dans ce discours.
Non-seulement l'étude spéciale des généralités scientifi-
ques est destinée à réorganiser l'éducation, mais elle doit
, aussi contribuer aux progrès particuliers des diverses
sciences positives; ce qui constitue la troisième propriété
fondamentale que je me suis proposé de signaler.
En effet, les divisions que nous établissons entre nos
sciences, sans être arbitraires, comme quelques-uns le
croient, sont essentiellement artificielles. En réalité, le su-
jet de toutes nos recherches est un; nous ne le partageons
que dans la vue de séparer les difficultés pour les mieux
résoudre. Il en résulte plus d'une fois que, contrairement
à nos répartitions classiques, des questions importantes
exigeraient une certaine combinaison de plusieurs points
de vue spéciaux, qui ne peut guère avoir lieu dans la cons^
litution actuelle du monde savant; ce qui expose à laisser
ces problèmes sans solution beaucoup plus longtemps qu'il
ne serait nécessaire. Un tel inconvénient doit se présenter
surtout pour les doctrines les plus essentielles de chaque
science positive en particulier. On en peut citer aisément
des exemples très-marquants, que je signalerai soigneuse-
38 BUT DU COURS. — NATURE ET IMPORTARCE
ment, à mesure que le développement naturel de ce cours
nous les présentera.
J'en pourrais citer, dans le passé, un exemple émioem-
ment mémorable, en considérant l'admirable conception
de Descartes relative à la géométrie analytique. Cette dé-
couverte fondamentale, qui a cbangé la face de la science
mathématique, et dans laquelle on doit voir le véritable
germe de tous les grands progrès ultérieurs, qu'est-elle
autre chose que le résultat d*un rapprochement établi en-
tre deux sciences, conçues jusqu'alors d'une manière isolée?
Mais l'observation sera plus décisive en la faisant porter
sur des questions encore pendantes.
Je me bornerai ici à choisir, dans la chimie, la doctrine
si importante des proportions définies. Certainement, la
mémorable discussion élevée de nos jours, relativement au
principe fondamental de cette théorie, ne saurait encore,
quelles que soient les apparences, être regardée comme
irrévocablement terminée. Car ce n'est pas la, ce me sem-
ble, une simple question de chimie. Je crois pouvoir avan-
cer que, pour obtenir à cet égard une décision vraiment
définitive, c'est-à-dire pour déterminer si nous devons
regarder comme une loi de la nature que les molécules se
combinent nécessairement en nombres fixes, il serait indis-
pensable de réunir le point de vue chimique avec le point
de vue physiologique. Ce qui l'indique, c'est que, de l'aveu
même des illustres chimistes qui ont le plus puissamment
contribué à la formation de cette doctrine^ on peut dire
tout au plus qu'elle se vérifie constamment dans la com-
position des corps inorganiques ; mais elle se trouve au
moins aussi constamment en défaut dans les composés or-
ganiques, auxquels il semble jusqu'à présent tout à fait
impossible de l'étendre. Or, avant d'ériger celte théorie en
un principe réellement fondamental, ne faudra4-il pas
DE LA PDILOSOPHIE POSITIVE. 89
d'abord s'être rendu compte de cette immense exception ?
Ne tiendrait-elle pas à ce même caractère générai, propre à
tons les corps organisés, qui fait que, dans aucun de leurs
phénomènes, il n'y a lieu à concevoir des nombres inva-
riables? Quoi qu'il en soit, un ordre tout nouveau de con-
sidérations^ appartenant également à la chimie et h la phy-
siologie, est évidemmentnécessairepourdécider finalement,
d'une manière quelconque, cette grande question de phi-
losophie naturelle.
Je crois convenable d'indiquer encore ici un second
exemple de même nature, mais qui, se rapportant à un
sujet de recherches bien plus particulier, est encore plus
concluant pour montrer l'importance spéciale de la philo-
sophie positive dans la solution des questions qui exigent
la combinaison de plusieurs sciences. Je le prends aussi
dans la chimie. 11 s'agit de la question, encore indécijse, qui
consiste à déterminer si l'azote doit être regardé, dans l'état
présent de nos connaissances, comme un corps simple ou
comme un corps composé. Vous savez par quelles considé-
rations purement chimiques l'illustre Berzélius est parvenu
à balancer l'opinion de presque tous les chimistes actuels,
relativement à la simplicité de ce gaz. Mais ce que je ne
dois pas négliger de faire particulièrement remarquer, c'est
l'influence exercée à ce sujet sur l'esprit de Berzélius,
comme il en fait lui-même le précieux aveu, par cette
observation physiologique, que les animaux qui se nour-
rissent de matières non azotées renferment dans la compo-
sition de leurs tissus tout autant d'azote que les animaux
carnivores. 11 est clair, en eifet, d'après cela^ que, pour dé-
cider réellement si Tazote est ou non un corps simple, il
laodra nécessairement faire intervenir la physiologie, et
combiner^ avec les considérations chimiques proprement
dites, une série de recherches neuves sur la relation entre la
40 BUT DU COURS. — NATURE ET IMPORTANCE
composition des corps vivants et leur mode d'alimentation.
11 serait maintenant superflu de multiplier davantage les
exemples de ces problèmes de nature multiple, qui ne sau-
raient être résolus que par Tintime combinaison de plu-
sieurs sciences cultivées aujourd'hui d'une manière tout à
fait indépendante. Ceux que je viens de citer suffisent pour
faire sentir, en général, l'importance de la fonction que
doit remplir dans le perfectionnement de chaque science
naturelle en particulier la philosophie positive, immédia-
tement destinée à organiser d'une manière permanente de
telles combinaisons, qui ne pourraient se former convena-
blement sans elle.
Enfin, une quatrième et dernière propriété fondamentale
que je dois faire remarquer dès ce moment dans ce que
j'ai appelé la philosophie positive^ et qui doit sans doute
lui mériter plus que toute autre l'attention générale, puis-
qu'elle est aujourd'hui la plus importante pour la pratique,
c'est qu'elle peut être considérée comme la seule base so-
lide de la réorganisation sociale qui doit terminer l'état de
crise dans lequel se trouvent depuis si longtemps les na-
tions les plus civilisées. La dernière partie de ce cours sera
spécialement consacrée à établir cette proposition, en la
développant dans toute son étendue. Mais l'esquisse géné-
rale du grand tableau que j'ai entrepris d'indiquer dans ce
discours manquerait d'un de ses éléments les plus caracté-
ristiques, si je négligeais de signaler ici une considération
aussi essentielle.
Quelques réflexions bien simples suffiront pour justifier
ce qu'une telle qualification parait d'abord présenter de
trop ambitieux.
Ce n'est pas aux lecteurs de cet ouvrage que je croirai
jamais devoir prouver que les idées gouvernent et boule-
versent le monde, ou, en d'autres termes, que tout le m&
DE LA PHILOSOPHIE POSITIVE. 41
canisme social repose finalement sur des opinions. Ils sn-
\eat surtout que la grande crise politique et morale des
sociétés actuelles tient, en dernière analyse, à l'anarchie
intellectuelle. Notre mal le plus grave consiste, en efl'et,
dans cette profonde divergence qui existe maintenant entre
tous les esprits relativement à toutes les maximes fonda-
mentales dont la fixité est la première condition d'un véri-
table ordre social. Tant que les intelligences individuelles
n'auront pas adhéré par un assentiment unanime à un
certain nombre d'idées générales capables de former une
doctrine sociale commune, on ne peut se dissimuler que
l'état des nations restera, de toute nécessité, essentielle^
ment révolutionnaire, malgré tous les palliatifs politiques
qui pourront être adoptés, et ne comportera réellement
que des institutions provisoires. Il est également certain
que, si cette réunion des esprits dans. une même commu-
nion de principes peut une fois être obtenue, les institu-
tions convenables en découleront nécessairement, sans
donner lieu à aucune secousse grave, le plus grand désor-
dre étant déjà dissipé par ce seul fait. C'est donc là que doit
se porter principalement Tatlention de tous ceux qui
sentent l'importance d'un état de choses vraiment normal.
Maintenant, du point de vue élevé où nous ont placés
graduellement les diverses considérations indiquées dans
ce discours, il est aisé à la fois et de caractériser nettement
dans son intime profondeur l'état présent des sociétés,
et d'en déduire par quelle voie on peut le changer essen-
tiellement. En me rattachant à la loi fondamentale énon-
cée au commencement de ce discours* je crois pouvoir
résumer exactement toutes les observations relatives à la
situation actuelle de la société, en disant simplement que le
désordre actuel dès intelligences tient^ en dernière analyse,
à l'emploi simultané des trois philosophies radicalement in-
42 BUT DU COURS. — NATURE ET IMPORTANCE
compatibles: la philosophie théologique, la philosophie mé-
taphysique et la philosophie positive. Il est clair, ea effet, que,
si l'une quelconque de ces trois philosophiesobtenailen réa-
lité une prépondérance universelle et complète, il y aurait
un ordre social déterminé, tandis que le mal consiste surtout
dans l'absence de toute véritable organisation. C'est la
coexistence de ces trois philosophies opposées qui em-
pêche absolument de s'entendre sur aucun point essentiel.
Or, si cette manière de voir est exacte, il ne s'agit plus que
de savoir laquelle des trois philosophies peut et doit préva-
loir par la nature des choses ; tout homme sensé devra en-
suite, quelles qu'aient pu être, avant l'analyse de la ques-
tion, ses opinions particulières, s'efforcer de concourir à
son triomphe. La recherche étant une fois réduite à ces
termes simples, elle ne parait pas devoir rester long-
temps incertaine ; car il est évident, par toutes sortes de
raisons dont j'ai indiqué dans ce discours quelques-unes
des principales, que la philosophie positive est seule des-
tinée à prévaloir selon le cours ordinaire des choses. Seule
elle a été, depuis une longue suite de siècles, constamment
en progrès, tandis que ses antagonistes ont été constam-
ment en décadence. Que ce soit à tort ou à raison, peu im-
porte ; le fait général est incontestable, et il suffit. On peut
le déplorer, mais non le détruire, ni par conséquent le né-
gliger, sous peine de ne se livrer qu'à des spéculations illu-
soires. Cette révolution générale de l'esprit humain est
aujourd'hui presque entièrement accomplie : il ne reste
plus, comme je l'ai expliqué, qu'à compléter la philosophie
positive en y comprenant l'étude des phénomènes sociaux,
ei ensuite à la résumer en un seul corps de doctrine homo-
gène. Quand ce double travail sera suffisamment avancé,
le triomphe définitif de la philosophie positive aura lieu
spontanément, et rétablira l'ordre dans la société. La pré-
DE LA PniLOSOPUIE POSITIVE. 43
férence si prononcée que presque tous les esprits, depuis
lesplas élevés jusqu'aux plus vulgaires, accordent aujour-
d'hui aux connaissances positives sur les conceptions vagues
et mystiques présage assez l'accueil que recevra cette
philosophie, lorsqu'elle aura acquis la seule qualité qui lui
manque encore, un caractère de généralité convenable.
En résumé, la philosophie théologique et la philosophie
métaphysique se disputent aujourd'hui la tâche, trop
supérieure aux forces de Tune et de l'autre, de réorganiser
la société ; c'est entre elles seules que subsiste encore la
lotte sous ce rapport. La philosophie positive n'est inter-
venue jusqu'ici dans la contestation que pour les critiquer
toutes deux, et elle s'en est assez bien acquittée pour les
discréditer entiëremenU Mettons-la enfln en état de prendre
an rôle actifs sans nous inquiéter plus longtemps de débats
devenus inutiles. Complétant la vaste opération intellec-
toelle commencée par Bacon, par Descartes et par Galilée,
construisons directement le système d'idées générales que
cette philosophie est désormais destinée à faire indëflni-
ment prévaloir dans l'espèce humaine, et la crise révolu-
tionnaire qui tourmente les peuples civilisés sera essentiel-
lement terminée.
Tels sont les quatre points de vue principaux sous lesquels
j'ai cru devoir indiquer dès ce moment l'inlluence salutaire
de la philosophie positive, pour servir de complément es-
sentiel à la définition générale que j'ai essayé d'en exposer.
Avant de terminer, je désire appeler un instant l'ai ten-
tion sur une dernière réflexion qui me semble convenable
pour éviter, autant que possible, qu'on se forme d'avance
une opinion erronée de la nature de ce cours.
En assignant pour but à la philosophie positive de ré-
sumer en un seul corps de doctrine homogène l'ensemble
des connaissances acquises, relativement aux différents
4 4 BUT DU COURS. — NATURE ET IMPORTANCE
ordres de phénomènes naturels, il était loin de ma pensée
de vouloir procéder à l'étude générale de ces phénomènes
en les considérant tous comme des effets divers d'un prin-
cipe unique, comme assujettis à une seule et même loi.
Quoique je doive traiter spécialement cette question dans
l;i prochaine leçon, je crois devoir, dès à présent, en faire
la déclaration, afln de prévenir les reproches très-mal
fondés que pourraient m'adresser ceux qui, sur un faux
aperçu, classeraient ce cours parmi ces tentatives d'expli-
cation universelle qu'on voit éclore journellement de la
part d'esprits entièrement étrangers aux méthodes et aux
connaissances scientifiques. Il ne s'agit ici de rien de sem-
blable ; et le développement de ce cours en fournira la
preuve manifeste à tous ceux chez lesquels les éclarcis-
semenls contenus dans ce discours auraient pu laisser
quelques doutes à cet égard.
Dans ma profonde conviction personnelle, je considère
ces entreprises d'explication universelle de tous les phéno-
mènes par une loi unique comme éminemment chiméri-
ques, môme quand elles sont tentées par les întelligeDces
les plus compétentes. Je crois que les moyens de l'esprit
humain sont trop faibles et l'univers trop compliqué pour
qu'une telle perfection scientifique soit jamais à notre
portée et je pense^ d^ailieurs, qu'on se forme générale-
ment une idée très-exagérée des avantages qui en résulte-
raient nécessairement, si elle était possible. Dans tous les
cas, il me semble évident que, vu l'état présent de nos con-
naissances, nous en sommes encore beaucoup trop loin
pour que de telles tentatives puissent être raisonnables
avant un laps de temps considérable. Car^ si on pouvait
espérer d'y parvenir, ce ne pourrait être, suivant moi, qu'en
rattachant tous les phénomènes naturels à la loi positive la
plus générale que nous connaissions, la loi de la gravitation,
DE LA PHILOSOPHIE POSITIVE. 4B
qui lie déjà tous les phénomènes astronomiques à une partie
de ceux delà physique terrestre. Laplace a exposé effective-
ment une conception par laquelle on pourrait ne voir dans
les phénomènes chimiques que de simples effets molécu-
laires de Tattracdon newtonienne^ modifiée par la figure et la
position mutuelle des atomes. Mais^ outre rindétermination
•
dans laquelle resterait probablement toujours cette con-
ception, par l'absence des données essentielles relatives à
la constitution intime des corps, il est presque certain que
la difficulté de l'appliquer serait telle, qu'on serait obligée
de maintenir, comme artificielle, la division aujourd'hui
établie comme naturelle entre l'astronomie et la chimie.
Aussi Laplace n'a-t-il présenté cette idée que comme un
simple jeu philosophique, incapable d'exercer réellement
aucune influence utile sur les progrès de la science chi-
mique. Il y a plus, d'ailleurs ; car, môme en supposant
vaincue cette insurmontable difficulté, on n'aurait pas
encore atteint à l'unité scientifique, puisqu'il faudrait
ensuite tenter de rattacher à la même loi l'ensemble des
phénomènes physiologiques; ce qui, certes, ne serait pas
la partie la moins difficile de l'entreprise. Et, néanmoins^
l'hypothèse que nous venons de parcourir serait, tout bien
considéré, la plus favorable à celte unité si désirée.
Je n'ai pas besoin de plus grands détails pour achever
de convaincre que le but de ce cours n'est nullement de
présenter tous les phénomènes naturels comme étant au
fond identiques, sauf la variété des circonstances. La phi-
losophie positive serait sans doute plus parfaite s'il pouvait
en être ainsi. Mais cette condition n'est nullement néces-
saire à sa formation systématique, non plus qu'à la réali-
sation des grandes et heureuses conséquences que nous
l'avons vue destinée à produire. 11 n'y a d'unité indispen-
sable pour cela que l'unité de méthode, laquelle peut et
46 BUT DU COURS. — NATURE ET IMPORTANCE, ETC.
doit évidemment' exister, et se trouve déjà établie en ma-
jeure partie. Quant à la doctrine, il n'est pas nécessaire
qu'elle soit une; il suffll qu'elle soit homogène. C'est donc
sous le double point de vue de l'unité des méthodes et de
l'homogénéité des doctrines que nous considérerons, dans
ce cours, les différentes classes de théories positives. Tout
en tendant il diminuer, le plus possible, le nombre des lois
générales nécessaires à l'explication positive des phéno-
mènes naturels, ce qui est, en effet, le but philosophique
de la science, nous regarderons comme téméraire d'aspirer
jamais, môme pour l'avenir le plus éloigné, à les réduire
rigoureusement à une seule.
J'ai tenté, dans ce discours, de déterminer, aussi exacte-
ment qu'il a été en mon pouvoir, le but, l'esprit et l'in-
fluence de la philosophie positive. J'ai donc marqué le
rerme vers lequel ont toujours tendu et tendront sans cesse
tous mes travaux, soit dans ce cours, soit de toute autre
manière. Personne n'est plus profondément convaincu
que moi de l'insuffisance de mes forces intellectuelles,
fussent-elles môme très-supérieures à leur valeur réelle,
pour répondre à une tâche aussi vaste et aussi élevée. Mais
ce qui ne peut être fait ni par un seul esprit ni en une
seule vie, un seul peut le proposer nettement : telle est
toute mon ambition.
Ayant exposé le véritable but de ce cours, c'est-à-dire
fixé le point de vue sous lequel je considérerai les diverses
branches principales de la philosophie naturelle, je com-
pléterai, dans la leçon prochaine, ces prolégomènes géné-
raux en passant à l'exposition du plan, c'est-à-dire à la
détermination de l'ordre encyclopédique qu'il convient
d'établir entre les diverses classes des phénomènes natu-
rels, et par conséquent entre les sciences positives corres-
pondantes.
DEUXIÈME LEÇON
Sommaire. — Exposition du plan de ce cours, ou considérations
générales sur la hiérarchie des sciences positives.
Après avoir caractérisé aussi exactement que possible»
dans la leçon précédente, les considérations à présenter
dans ce cours sur toutes les branches principales de la
philosophie naturelle, il faut déterminer maintenant le
plan que nous devons suivre, c'esl-à-dire la classiflcation
rationnelle la plus convenable à établir entre les différentes
sdences positives fondamentales, pour les étudier succes-
sivement sous le point de vue que nous avons fixé. Cette
seconde discussion générale est indispensable pour achever
de faire connaître dès l'origine le véritable esprit de ce
cours.
On conçoit aisément d'abord qu'il ne s'agit pas ici de
faire la critique, malheureusement trop facile, des nom-
breuses classifications qui ont été proposées successive-
ment depuis deux siècles, pour le système général des
connaissances humaines, envisagé dans toute son étendue.
On est aujourd'hui bien convaincu que toutes les échelles
encyclopédiques construites^ comme celles de Bacon et de
d'Alembert, d'après une distinction quelconque des di-
verses facultés de l'esprit humain, sont par cela seul radi-
calement vicieuses, même quand cette distinction n'est
pas, comme il arrive souvent, plus subtile que réelle ; car,
dans chacune de ses sphères d'activité, notre entendement
48 PLAN DU COURS.
emploie simultanément toutes ses facultés principales.
Quant à toutes les autres classiflcations proposées, il suf-
fira d'observer que les différentes discussions élevées à ce
sujet ont eu pour résultat définitif de montrer dans chacune
des vices fondamentaux^ tellement qu'aucune n*a pu ob-
tenir un assentiment unanime, et qu'il existe à cet égard
presque autant d'opinions que d'individus. Ces diverses
tentatives ont môme été, en général, si mal conçues,
qu'il en est résulté involontairement dans la plupart des
bons esprits une prévention défavorable contre toute en-
treprise de ce genre.
Sans nous arrêter davantage sur un fait si bien constaté,
il est plus essentiel d'en rechercher la cause. Or, on peut
aisément s'expliquer la profonde imperfection de ces ten*
tatives encyclopédiques, si souvent renouvelées jusqu'ici.
Je n'ai pas besoin de faire observer que, depuis le dis-
crédit général dans lequel sont tombés les travaux de cette
nature par suite du peu de solidité des premiers projets,
ces classifications ne sont conçues le plus souvent que par
des esprits presque entièrement étrangers à la connais-
sance des objets à classer. Sans avoir égard à cette consi-
dération personnelle, il en est une beaucoup plus impor-
tante, puisée dans la nature même du sujet, et qui montre
clairement pourquoi il n'a pas été possible jusqu'ici de
s'élever à une conception encyclopédique véritablement
satisfaisante. Elle consiste dans le défaut d*homogénéité
qui a toujours existé jusqu'à ces derniers temps entre les
différentes parties du système intellectuel, les unes étant
successivement devenues positives, tandis que les autres
restaient théologiques ou métaphysiques. Dans un état de
choses aussi incohérent, il était évidemment impossible
d'établir aucune classification rationnelle. Comment par-
venir à disposer, dans un système unique, des conceptions
niÉRARCUIE DES SCIENCES POSITIVES. 49
aussi profondément contradictoires ? C'est une difficulté
contre laquelle sont venus échouer nécessairement tous
les classificateurs, sans qu'aucun Tait aperçue distincte-
ment. Il était bien sensible néanmoins, pour quiconque
eût bien connu la véritable situation de Tespril humain,
qu'une telle entreprise était prématurée, et qu'elle ne pour-
rait être tentée avec succès que lorsque toutes nos concep-
tions principales seraient devenues positives.
Cette condition fondamentale pouvant maintenant ôtre
regardée comme remplie, d'après les explications données
dans la leçon précédente, il est dès lors possible de pro-
céder à une disposition vraiment rationnelle et durable
d'un système dont toutes les parties sont enfln devenues
homogènes.
D'un autre côté, la théorie générale des classifications,
établie dans ces derniers temps par les travaux philoso-
phiques des botanistes et des zoologistes, permet d'es-
pérer un succès réel dans un semblable travail, en nous
offrant un guide certain par le véritable principe fonda-
mental de l'art de classer, qui n'avait jamais été conçu
distinctement jusqu'alors. Ce principe est une conséquence
nécessaire de la seule application directe de la méthode
positive à la question môme des classifications, qui, comme
toute autre, doit être traitée par observation, au lieu d'être
résolue par des considérations à priori. 11 consiste en ce
que la classification doit ressortir de l'étude môme des
objets à classer, et ôtre déterminée par les affinités réelles
et l'enchaînement naturel qu'ils présentent, de telle sorte
que cette classification soit elle-môme l'expression du fait
le plus général, manifesté parla comparaison approfondie
des objets qu'elle embrasse.
Appliquant cette règle fondamentale au cas actuel, c'est
donc d'après la dépendance mutuelle qui a lieu eiTective-
A. GoMTB. Tome 1. 4
50 PLAN DU COURS.
ment entre les diverses sciences positives, que nous devons
procéder à leur classification ; et cette dépendance, pour
être réelle, ne peut résulter que de celle des phénomènes
correspondants.
Mais, avant d'exécuter, dans un tel esprit d'observation,
cette importante opération encyclopédique, il est indis-
pensable, pour ne pas nous égarer dans un travail trop
étendu, de circonscrire avec plus de précision que nous ne
l'avons fait jusqu'ici, le sujet propre de la classification
proposée.
Tous les travaux humains sont, ou de spéculation, ou
d'action. Ainsi, la division la plus générale de nos connais-
sances réelles consiste à les distinguer en théoriques el
pratiques. Si nous considérons d'abord cette première di-
vision, il est évident que c'est seulement des connaissances
théoriques qu'il doit 6tre question dans un cours de la na-
ture de celui-ci; car il ne s'agit point d'observer le système
entier des notions humaines, mais uniquement celui des
conceptions fondamentales sur les divers ordres de phéno-
mènes, qui fournissent une base solide à toutes nos autres
combinaisons quelconques, et qui ne sont, à leur tour,
fondées sur aucun système intellectuel antécédent. Or,
dans un tel travail, c'est la spéculation qu'il faut considé-
rer, et non l'application, si ce n'est en tant que celle-ci
peut éclaircir la première. C'est là probablement ce qu'en-*
tendait Bacon, quoique fort imparfaitement, par cette phi"
losophie première qu'il indique comme devant être extraite
de l'ensemble des sciences, el qui a été si diversement et
toujours si étrangement conçue par les métaphysiciens qui
ont entrepris de commenter sa pensée.
Sans doute, quand on envisnge l'ensemble complet des
travaux de tout genre de l'espèce humaine, on doit conce-
voir l'étude de la nature comme destinée à fournir la véri-
llIÉRARCniE DES SCIENCES POSITIVES. 51
able base rationuelle de Taclion de Thomme sur la nature,
puisque la connaissance des lois des phénomènes, donl le
'éstiltat constant est de nous les faire prévoir, peut seule
îvîdeniment nous conduiri?, dans la vie active, aies modi-
ier à notre avantage les uns par les autres. Nos moyens
naturels et directs pour agir sur les corps qui nous entou-
rent sont extrêmement faibles, et tout à fait disproportion-
nés à nos besoins. Toutes les fois que nous parvenons à
exercer une grande action, c'est seulement parce que la
connaissance des lois naturelles nous permet d'introduire,
parmi les circonstances déterminées sous Tinfluence des-
quelles s'accomplissent les divers phénomènes, quelques
cléments modificateurs, qui, quelque faibles qu'ils soient
eu eux-mêmes, suffisent, dans certains cas, pour faire
tourner à notre satisfaction les résultats définitifs de Ten-
semble des causes extérieures. En résumé, science y d'où
frévoyance ; prévoyance^ cToU action: telle est la formule
très-simple qui exprime, d'une manière exacte, la relation
générale de la science et de Vart^ en prenant ces deux
expressions dans leur acception totale.
Mais, malgré l'importance capitale de celte relation, qui
ne doit jamais être méconnue, ce serait se former des
sciences une idée bien imparfaite qqe de les concevoir
seulement comme les bases des arts, et c'est à quoi mal-
heureusement on n'est que trop enclin de nos jours. Quels
que soient les immenses services rendus li Vindustrie par les
théories scientifiques, quoique, suivant Ténergique expres-
sion de Bacon, la puissance soit nécessairement propor-
tionnée à la connaissance, nous ne devons pas oublier que
les sciences ont, avant tout, une destination plus directe et
plus élevée, celle de satisfaire au besoin fondamental qu'é-
prouve notre intelligence de connaître les lois des phéno-
mènes. Pour sentir combien ce besoin est profond et im-
5S PLAN DU COURS.
périeux, il suffit de penser un instant aux effets physiolo-
giques de Vétonnement, et de considérer que la sensation la
plus terrible que nous puissions éprouver est celle qui se
produit toutes les fois qu'un phénomène nous semble s'ac-
complir contradictoirement aux lois naturelles qui nous
sont familières. Ce besoin de disposer les faits dans un ordre
que nous puissions concevoir avec facilité (ce qui est l'objet
propre de toutes les théories scientifiques) est tellement
inhérent à notre organisation, que^ si nous ne parvenions
pas à le satisfaire par des conceptions positives, nous re-
tournerions inévitablement aux explications théologiques et
métaphysiques auxquelles il a primitivement donné nais-
sance, comme je l'ai exposé dans la dernière leçon.
J'ai cru devoir signaler expressément dès ce moment une
considération qui se reproduira fréquemment dans toute la
suite de ce cours, afin d'indiquer la nécessité de se prému-
nir contre la trop grande influence des habitudes actuelles
qui tendent à empocher qu'on se forme des idées justes et
nobles de l'importance et de la destination des sciences.
Si la puissance prépondérante de notre organisation ne
corrigeait, môme involontairement, dans l'esprit des sa-
vants, ce qu'il y sous ce rapport d'incomplet et d'étroit
dans la tendance générale de notre époque, l'intelligence
humaine, réduite à ne s'occuper que de recherches suscep-
tibles d'une utilité pratique immédiate, se trouverait par
cela seul, comme l'a très-justement remarqué Condorcet,
tout à fait arrêtée dans ses progrès, môme à l'égard de ces
applications auxquelles on aurait imprudemment sacriOé
les travaux purement spéculatifs ; car les applications les
plus importantes dérivent constamment de théories for-
mées dans une simple intention scientifique, et qui souvent
ont été cultivées pendant plusieurs siècles sans produire
aucun résultat pratique. On en peut citer un exemple bien
UIÉRARCniE DES SCIENCES POSITHES. 53
remarquable daos les belles spéculations des géomètres
grecs sur les sections coniques, qui, après une longue
suite de générations, ont servi, en déterminant la rénova-
lion de l'astronomie, à conduire finalement Tart de la na-
vigation au degré de perfectionnement qu'il a atteint dans
ces derniers temps, et auquel il ne serait jamais parvenu
sans les travaux si purement théoriques d'Archimède et
d'Apollonius ; tellement que Condorcet a pu dire avec
raison à cet égard : a Le matelot, qu'une exacte observa-
c tion de la longitude préserve du naufrage, doit la vie à
0 une théorie conçue, deux mille ans auparavant, par des
€ hommes de génie qui avaient en vue de simples spécu-
« latioDS géométriques.»
11 est donc évident qu'après avoir conçu, d'une manière
générale, l'étude de la nature comme servant de base ra-
tionnelle à l'action sur la nature, Tesprit humain doit pro-
céder aux recherches théoriques, en faisant complètement
abstraction detoute considération pratique; car nos moyens
pour découvrir la vérité sont tellement faibles, que, si nous
ne les concentrions pas exclusivement vers ce but, et si, en
cherchant la vérité, nous nous imposions en môme temps
la condition étrangère d'y trouver une utilité pratique im-
médiate, il nous serait presque toujours impossible d'y
parvenir.
Quoi qu'il en soit, il est certain que l'ensemble de nos
connaissances sur la nature, et celui des procédés que nous
en déduisons pour la modifier à notre avantage, fornient
deux systèmes essentiellement distincts par eux-mêmes,
qu'il est convenable de concevoir et de cultiver séparé-
ment En outre, le premier système étant la base du se-
cond, c'est évidemment celui qu'il convient de considérer
d'abord dans une étude méthodique, môme quand on se
proposerait d'embrasser la totalité des connaissances bu-
5 4 PLAN DU COURS.
maines, tant d'application que de spéculation. Ce système
théorique me parait devoir constituer exclusivement au-
jourd'hui le sujet d'un cours vraiment rationnel de philo-
sophie positive; c'est ainsi du moins que je le conçois.
Sans doute, il serait possible d'imaginer un cours plus
étendu, portant à la fois sur les généralités théoriques et
sur les généralités pratiques. Mais je ne pense pas qu'une
telle entreprise, même indépendamment de son étendue,
puisse être convenablement tentée dans l'état présent de
l'esprit humain. Elle me semble, en effet, exiger préalable-
ment un travail très-important et d'une nature toute par-
ticulière, qui n'a pas encore été fait, celui de former,
d'après les théories scientifiques proprement dites, les
conceptions spéciales destinées à servir de bases directes
aux procédés généraux de la pratique.
Au degré de développement déjà atteint par notre intel-
ligence, ce n'est pas immédiatement que les sciences s'ap-
pliquent aux arts, du moins dans les cas les plus parfaits ;
il existe entre ces deux ordres d'idées un ordre moyen, qui,
encore mal déterminé dans son caractère philosophique,
est déjà plus sensible quand on considère la classe sociale
qui s'en occupe spécialement. Entre les savants propre-
ment dits et les directeurs effectifs des travaux productifs,
il commence à se former de nos jours une classe intermé-
diaire, celle des ingénieurs, dont la destination spéciale est
d'organiser les relations de la théorie et de la pratique.
Sans avoir aucunement en vue le progrès des connaissances
scientifiques^ elle les considère dans leur état présent pour
en déduire les applications industrielles dont elles sont
susceptibles. Telle est du moins la tendance naturelle des
choses, quoiqu'il y ait encore à cet égard beaucoup de
confusion. Le corps de doctrine propre à cette classe nou-
velle, et qui doit constituer les véritables théories directes
HIÉRARCHIE DES SCIENCES POSITIVES. 55
des différeols arls, pourrait sans doute donner lieu à des
considérations philosophiques d'un grand int.érôl et d'une
importance réelle. Mais un travail qui les embrasserait con-
jointement avec celles fondées sur les sciences proprement
dites serait aujourd'hui tout à fait prématuré ; car ces doc-
trines intermédiaires entre la théorie pure et la pratique
directe ne sont point encore formées : il n'en existe jus-
qu'ici que quelques éléments imparfaits relatifs aux scien-
ces et aux arts les plus avancés, et qui permettent seule-
ment de concevoir la nature et la possibilité de semblables
travaux pour l'ensemble des opérations humaines. C'est
ainsi, pour en citer ici l'exemple le plus important, qu'on
doit envisager la belle conception de Monge, relativement
à la géométrie descriptive, qui n'est réellement autre chose
qu'une théorie générale des arts de construction. J'aurai
soin d'indiquer successivement le petit nombre d'idées
analogues déjà formées et d'en faire apprécier l'impor-
tance, à mesure que le développement naturel de ce cours
nous les présentera. Mais il est clair que des conceptions
jusqu'à présent aussi incomplètes ne doivent point entrer,
comme partie essentielle, dans un cours de philosophie
positive qui ne doit comprendre, autant que possible, que
des doctrines ayant un caractère fixe et nettement déter-
miné.
On concevra d'autant mieux la difficulté de construire
ces doctrines intermédiaires que je viens d'indiquer, si l'on
considère que chaque art dépend non-seulement d'une
certaine science correspondante, mais à la fois de plusieurs,
tellement que les arts les plus importants empruntent des
secours directs à presque toutes les diverses sciences prin-
cipales. C'est ainsi que la véritable théorie de l'agriculture,
pour me borner au cas le plus essentiel, exige une intime
combinaison de connaissances physiologiques, chimiques.
56 PLAN DU COURS.
physiques et même astronomiques et mathématiques : il en
est de môme des beaux-arts. On aperçoit aisément, d'a-
près cette considération, pourquoi ces théories n'ont pu
encore être formées, puisqu'elles supposent le développe-
ment préalable de toutes les différentes sciences fonda-
mentales. Il en résulte également un nouveau motif de ne
pas comprendre un tel ordre d'idées dans un cours de phi-
losophie positive, puisque, loin de pouvoir contribuer à la
formation systématique de celle philosophie, les théories
générales propres aux différents arts principaux doivent,
au contraire, comme nous le voyons, être vraisemblable-
ment plus tard une des conséquences les plus utiles de sa
construction.
En résumé, nous ne devons donc considérer dans ce
cours que les théories scientifiques et nullement leurs ap-
plications. Mais, avant de procéder à la classiûcation mé-
thodiquede ses différentes parties, il me reste à exposer,
relativement aux sciences proprement dites, une distinc-
tion importante, qui achèvera de circonscrire nettement le
sujet propre de l'étude que nous entreprenons.
11 faut distinguer, par rapport à tous les ordres de phé-
nomènes, deux genres de sciences naturelles : les unes
abstraites, générales, ont pour objet la découverte des lois
qui régissent les diverses classes de phénomènes, en consi-
dérant tous les cas qu'on peut concevoir; les autres con-
crètes, particulières, descriptives, et qu'on désigne quel-
quefois sous le nom de sciences naturelles proprement
dites, consistent dans l'application de ces lois à l'hilstoire
effective des différents êtres existants. Les premières sont
donc fondamentales, c'est sur elles seulement que porte-
ront nos études dans ce cours ; les autres, quelle que soit
leur importance propre, ne sont réellement que secon-
dairesy et ne doivent point, par conséquent, faire partie
HIÉBARCHIB DES SCIENCES POSITrVES. 57
d'un travail que son extrême étendue naturelle nous oblige
à réduire au moindre développement possible.
La distinction précédente ne peut présenter aucune ob-
scurité aux esprits qui ont quelque connaissance spéciale
des différentes sciences positives, puisqu'elle est à peu près
l'équivalent de celle qu'on énonce ordinairement dans pres-
que tous les traités scientiûques, en comparant la physi-
que dogmatique à l'histoire naturelle proprement dite.
Quelques exemples sufûront d'ailleurs pour rendre sensible
cette division, dont l'importance n'est pas encore conve-
nablement appréciée.
On pourra d'abord l'apercevoir très-nettement en com-
parant, d'une part, la physiologie générale, et, d'une autre
part, la zoologie et la botanique proprement dites. Ce sont
évidemment, en effet, deux travaux d'un caractère fort dis-
tinct, que d'étudier, en général, les lois de la vie, ou de dé-
terminer le mode d'exislence de chaque corps vivant, en
particulier. Cette seconde élude, en outre, est nécessaire-
ment fondée sur la première.
Il en est de môme de la chimie, par rapport à la miné-
ralogie; la première est évidemment la base rationnelle de
la seconde. Dans la chimie, on considère toutes les com-
binaisons possibles des molécules, et dans toutes les cir-
constances imaginables; dans la minéralogie, on considère
seulement celles de ces combinaisons qui se trouvent réa-
lisées dans la constitution effective du globe terrestre, et
sous i'influejice des seules circonstances qui lui sont pro-
pres. Ce qui montre clairement la différence du point de
vue chimique et du point de vue minéralogique, quoique
les deux sciences portent sur les mômes objets, c'est que
la plupart des faits envisagés dans la première n'ont qu'une
existence artificielle, de telle manière qu'un corps, comme
le chlore ou le potassium, pourra avoir une extrême im-
S8 PLAN DU COURS.
porlance en chimie par retendue et l'énergie de ses affi-
nités, tandis qu'il n'en aura presque aucune en minéralo-
gie; et, réciproquement, un composé, tel que le granit
ou le quartz, sur lequel porte la majeure partie des con-
sidérations minéralogiques, n'offrira, sous le rapport chi-
mique, qu'un intérêt très-médiocre.
Ce qui rend, en général, plus sensible encore la néces-
sité logique de cette distinction fondamentale entre les
deux grandes sections de la philosophie naturelle, c'est
que non-seulement chaque section de la physique concrète
suppose la culture préalable de la section correspondante
de la physique abstraite, mais qu'elle exige même la con-
naissance des lois générales relatives h tous les ordres de
phénomènes. Ainsi, par exemple, non-seulement l'étude
spéciale de la terre, considérée sous tous les points de vue
qu'elle peut présenter effectivement, exige la connaissance
préalable de la physique et de la chimie, mais elle ne peut
être faite convenablement, sans y introduire, d'une part, les
connaissances astronomiques, et môme, d'une autre part,
les connaissances physiologiques ; en sorte qu'elle tient au
système entier des sciences londamentales. Il en est de
même de chacune des sciences naturelles propreaient
dites. C'est précisément pour ce motif que la physique con-
crète a fait jusqu'à présent si peu de progrès réels, car elle
n'a pu commencer à être étudiée d'une manière vraiment
rationnelle qu'après la physique abstraite, et lorsque toutes
les diverses branches principales de celle-ci eurent pris leur
caractère définitif, ce qui n'a eu lieu que de nos jours.
Jusqu'alors on n'a pu recueillir à ce sujet que des matériaux
plus ou moins incohérents, qui sont même encore fort in-
complets. Les faits connus ne pourront être coordonnés
de manière à former de véritables théories spéciales des
différents êtres de l'univers^ que lorsque la distinction fon-
HIÉBARCniE DBS SCIENCES POSITIVES. 5»
damenUle rappelée ci-dessus sera plus profondément
sentie et plus régulièrement organisée, et que» par suite,
les savants particulièrement livrés à Tétude des sciences
naturelles proprement dites auront reconnu la nécessité
de fonder leurs recherches sur une connaissance appro-
fondie de toutes les sciences fondamentales, condition qui
est encore aujourd'hui fort loin d'être convenablement
remplie.
L'examen de cette condition confirme nettement pour-
quoi nous devons, dans ce cours de philosophie positive,
réduire nos considérations à Tétude des sciences générales,
sans embrasser en même temps les sciences descriptives
ou particulières. On voit naître ici, en cCTet, une nouvelle
propriété essentielle de cette étude propre des généralités
de la physique abstraite ; c*est de fournir la base rationnelle
d'une physique concrète vraiment systématique. Ainsi,
dans l'état présent de Tesprit humain, il y aurait ime sorte
de contradiction à vouloir réunir, dans un seul et même
cours, les^deux ordres de sciences. On peut dire, de plus,
que, quand même la physique concrète aurait déjà atteint
le degré de perfectionnement de la physique abstraite, et
que, par suite, il serait possible, dans un cours de philo-
sophie positive, d'embrasser à la fois Tune et l'autre, il
n'en faudrait pas moins évidemment commencer par la sec-
tion abstraite, qui restera la base invariable de l'autre. 11
est clair, d'ailleurs, que la seule étude des généralités des
sciences fondamentales est assez vaste par elle-même,
pour qu'il importe d'en écarter, autant que possible, toutes
les considérations qui ne sont pas indispensables ; or,
celles relatives aux sciences secondaires seront tou-
jours, quoi qu'il arrive, d'un genre distinct. La philoso-
phie des sciences fondamentales, pré'sent.mt un système de
conceptions positives sur tous nos ordres de connaissances
60 PLAN DU COURS.
réelles, sufQt, par cela même, pour constituer cette pAt-
losophie première que cherchait Bacon, et qui, étant destinée
à servir désormais de base permanente à toutes les spécula-
lions humaines, doit être soigneusement réduite à la plus
simple expression possible.
Je n'ai pas besoin d'insister davantage en ce moment sur
une telle discussion, que j'aurai naturellement plusieurs
occasions de reproduire dans les diverses parties de ce
cours. L'explication précédente est assez développée pour
motiver la manière dont j'ai circonscrit le sujet général de
nos considérations.
Ainsi, en résultat de tout ce qui vient d*étre exposé dans
celte leçon, nous voyons : i^ que la science humaine se
composant, dans son ensemble, de connaissances spécula-
tives et de connaissances d'application, c'est seulement des
premières que nous devons nous occuper ici; 2® que les
connaissances théoriques ou les sciences proprement dites,
se divisant en sciences générales el sciences particulières,
nous devons ne considérer ici que le premier ordre, et
nous borner à la physique abstraite, quelque intérêt que
puisse nous présenter la physique concrète.
Le sujet propre de ce cours étant par là exactement cir-
conscrit, il est facile maintenant de procéder à une classi-
fication rationnelle vraiment satisfaisante des sciences fon-
damentales, ce qui constitue la question encyclopédique,
objet spécial de cette leçon.
Il faut, avant tout, commencer par reconnaître que,
quelque naturelle que puisse être une telle classification,
elle renferme toujours nécessairement quelque chose, si-
non d'arbitraire, du moins d'artiûciel, de manière à pré-
senter une imperfection véritable.
En effet, le but principal que l'on doit avoir en vue dans
tout travail encyclopédique, c'est de disposer les sciences
HIÉRARCHIE DES SCIENCES POSITIVES. 61
dans l'ordre de leur enchaînement nalurel, en suivant leur
dépendance mutuelle; de telle sorte qu'on puisse les expo-
ser successivement, sans jamais être entraîné dans le
moindre cercle vicieux. Or, c'est une condition qu'il me
parait impossible d'accomplir d'une manière tout à fait ri-
goureuse. Qu'il me soit permis de donner ici quelque dé-
veloppement à cette réflexion, que je crois importante pour
caractériser la véritable difflculté de la recherche qui nous
occupe actuellement. Cette considération, d'ailleurs, me
donnera lieu d'établir, relativement à l'exposition de nos
connaissances, un principe général dont j'aurai plus tarda
présenter de fréquentes applications.
Toute science peut être exposée suivant deux marches
essentiellement distinctes, dont tout autre mode d'exposi-
tion ne saurait être qu'une combinaison^ la marche histori-
que^ et la marche dogmatique.
Par le premier procédé, on expose successivement les
connaissances dans le môme ordre effectif suivant lequel
l'esprit humain les a réellement obtenues, et en adoptant,
autant que possible, les mêmes voies.
Par le second, on présente le système des idées tel qu'il
pourrait être conçu aujourd'hui par un seul esprit, qui,
placé au point de vue convenable, et pourvu des connais-
sances sufOsantes, s'occuperait à refaire la science dans son
ensemble.
Le premier mode est évidemment celui par lequel com-
mence, de toute' nécessité, Tétude de chaque science nais-
sante ; car il présente cette propriété, de n'exiger^ pour
l'exposition des connaissances, aucun nouveau travail dis-
tinct de celui de leur formation, toute la didactique se
réduisant alors à étudier successivement, dans l'ordre chro-
nologique, les divers ouvrages originaux qui ont contribué
aux progrès de la science.
62 l'LAN OU COUnS.
Le mode dogmatique, supposant, au contraire, que tous
ces travaux particuliers ont été refondus en un système gé-
néral, pour être présentés suivant un ordre logique plus
naturel, n est applicable qu'à une science déjà parvenue è
un assez haut degré de développement. Mais, à mesure que
la science fait des progrès, Tordre historique d'exposition
devient de plus en plus impraticable, par la trop longue
suite d'intermédiaires qu'il obligerait l'esprit à parcourir;
tandis que Tordre dogmatique devient de plus en plus pos-
sible, en même temps que nécessaire, parce que de nou-
velles conceptions permettent de présenter les découvertes
antérieures sous un point de vue plus direct.
C'est ainsi, par exemple, que l'éducation d'un géomètre
de l'antiquité consistait simplement dans Tétude succes-
sive du très-petit nombre de traités originaux produits jus-
qu'alors sur les diverses parties de la géométrie, ce qui se
réduisait essentiellement aux écrits d'Archimède et d'Apol-
lonius; tandis qu'au contraire, un géomètre moderne a
communément terminé son éducation, sans avoir lu un seul
ouvrage original, excepté relativement aux découvertes les
plus récentes, qu'on ne peut connaître que par ce moyen.
La tendance constante de l'esprit humain, quant à l'ex-
position des connaissances, est donc de substituer de plus
en plus à Tordre historique Tordre dogmatique, qui peut
seul convenir à Télat perfectionné de notre intelligence.
Le problème général de Téducation intellectuelle con-
siste à faire parvenir, en peu d'années, an seul entende-
ment, le plus souvent médiocre, au môme point de déiue-
loppemenl qui a été atteint, dans une longue suite de
siècles^ par un grand nombre de génies supérieurs appli-
quant successivement, pendant leur vie entière^ toutes
leurs forces à Tétude d'un môme sujet. Il est clair, d'après
cela, que, quoiqu'il > soit inliniment plus facile et plas
BIÉRARCHIE DES SCIENCES POSITIVES. 6S
coart d'apprendre que d'inventer, il serait certainement
impossible d'atteindre le but proposé, si Ton voulait assu-
jettir chaque esprit individuel h passer successivement par
les mêmes intermédiaires qu'a dû suivre nécessairement le
génie collectif de l'espèce humaine. De là, l'indispensable
besoin de l'ordre dogmHtique, qui est surtout si sensible
aujourd'hui pour les sciences les plus avancées, dont le
niode ordinaire d'exposition ne présente plus presque au*
cune trace de la iiliation effective de leurs détails.
Il faut néanmoins ajouter^ pour prévenir toute exagé-
ration, que tout mode réel d'exposition est, inévitablement,
une certaine combinaison de l'ordre dogmatique avec
l'ordre historique, dans laquelle seulement le premier doit
dominer constamment et de plus en plus. L'ordre dogma-
tique ne peut, en effet, être suivi d'une manière tout à fait
rigoureuse; car, par cela môme qu'il exige une nouvelle
élaboration des connaissances acquises, il n'est point ap-
plicable, h chaque époque de la science, aux parties ré-
cemment formées, dont l'étude ne comporte qu'un ordre
essentiellement historique, lequel ne présente pas d'ail-
leurs, dans ce cas, les inconvénients principaux qui le font
rejeter en général.
Lia seule imperfection fondamentale qu'on pourrait re-
procher au mode dogmatique, c'est de laisser ignorer la
manière dont se sont formées les diverses connaissances
humaines, ce qui, quoique distinct de l'acquisition môme
de ces connaissances, est, en soi, du plus haut intérêt pour
tout esprit philosophique. Cette considération aurait, à
mes yeux, beaucoup de poids, si elle était réellement un
motif en faveur de l'ordre historique. Mais il est aisé de
voir qu'il n'y a qu'une relation apparente entre étudier une
science eu suivant le mode dit hisionque, et connaître vé-
ritablement l'histoire effective de cette science.
64 PLAN DU COURS.
En effet, noo-seulemeol les diverses parties de chaque
science, qu'on est conduit à séparer dans l'ordre dogmaii^
yue, se sont, en réalité, développées simultanément et sous
l'influence les unes des autres, ce qui tendrait à faire pré-
férer l'ordre historique : mais, en considérant, dans son
ensemble, le développement effectif de l'esprit humain, on
voit de plus que les différentes sciences ont été, dans le fait,
perfectionnées en môme temps et mutuellement; on voit
môme que les progrès des sciences et ceux des arts ont
dépendu les uns des autres, par d'innombrables influences
réciproques, et enfln que tous ont été étroitement liés an
développement général de la société humaine. Ce vaste
enchaînement est tellement réel, que souvent, pour conce-
voir la génération effective d'une théorie scientifique, l'es-
prit est conduit à considérer le perfectionnement de quel-
que art qui n'a avec elle aucune liaison rationnelle, ou
inôme quelque progrès particulier dans l'organisation so-
ciale, sans lequel cette découverte n'eût pu avoir lieu. Nous
en verrons dans la suite de nombreux exemples. II résuite
•donc de là que Ton ne peut connaître la véritable histoire
•de chaque science, c'est-à-dire la formation réelle des dé-
couvertes dont elle se compose, qu'en étudiant, d'une
manière générale et directe^ l'histoire de Thumanité. C'est
pourquoi tous les documents recueillis jusqu'ici sur l'his-
toire des mathématiques, de l'astronomie, de la méde-
cine, etc., quelque précieux qu'ils soient, ne peuvent être
regardés que comme des matériaux.
Le prétendu ordre historique d'exposition, môme quand
il pourrait ôtre suivi rigoureusement pour les détails de
chaque science en particulier, serait déjà purement hypo-
thétique et abstrait sous le rapport le plus important, en
ce qu'il considérerait le développement de cette science
comme isolé. Bien loin démettre en évidence la véritable
HIÉRARCHIE DES SCIENCES POSITIVES. 65
histoire de la science, il tiendrait à en faire concevoir une
opinion trèS'fausse.
Ainsi, nous sommes certainement convaincus que la
connaissance de l'histoire des sciences est de la plus haute
importance. Je pense môme qu'on ne connaît pas complè-
tement une science tant qu'on n'en sait pas l'histoire. Mais
cette étude doit être conçue comme entièrement séparée
de l'étude propre et dogmatique delà science, sans laquelle
même cette histoire ne serait pas intelligible. Nous consi-
dérerons donc avec beaucoup de soin l'histoire réelle des
sciences fondamentales qui vont être le sujet de nos médi-
tations ; mais ce sera seulement dans la dernière partie de
ce cours, celle relative à l'étude des phénomènes sociaux,
en traitant du développement général de l'humanité, dont
l'histoire des sciences constitue la partie la plus impor-
tante, quoique jusqu'ici la plus négligée. Dans rélude de
chaque science, les considérations historiques incidentes
qui pourront se présenter auront un caractère nettement
distinct, de manière à ne pas altérer la nature propre de
notre travail principal.
La discussion précédente, qui doit d'ailleurs, comme on
le voit, être spécialement développée plus tard, tend à
préciser davantage, en le présentant sous un nouveau point
de vue, le véritable esprit de ce cours. Mais, surtout, il en
résulte, relativement à la question actuelle, la détermina-
tion exacte des conditions qu'on doit s'imposer, et qu'on
peut justement espérer de remplir dans la construction
d'une échelle encyclopédique des diverses sciences fonda-
mentales.
On voit, en effet, que, quelque parfaite qu'on pût la sup-
poser, cette classification ne saurait jamais être rigoureu-
sement conforme à l'enchaînement historique des sciences.
Quoi qu'on fasse, on ne peut éviter entièrement de présen-
A. Comte. Tome I. 5
6 G PLAN DU COURS.
ter comme antérieure telle science qui aura cepeDdan
besoin, sous quelques rapports particuliers plus ou moins
importants, d'emprunter des notions à une autre science
classée dans un rang postérieur. Il faut tâcher seulement
qu'un tel inconvénient n'ait lieu relativement aux concep
tions caractéristiques de chaque science, car alors Ja clas-
sification serait tout à fait vicieuse.
Ainsi, par exemple, il me semble incontestable que,
dans le système général des sciences, l'astronomie doil
être placée avant la physique proprement dite, et néan-
moins plusieurs branches de celle-ci, surtout l'optique,
sont indispensables à l'exposition complète de la pre-
mière .
De tels défauts secondaires, qui sont strictement iné?i-
tables, ne sauraient prévaloir contre une classification, qui
remplirait d'ailleurs convenablement les conditions prin-
cipales. Ils tiennent à ce qu'il y a nécessairement d'artifi-
ciel dans notre division du travail intellectuel.
Néanmoins, quoique, d'après les explications précéden-
tes, nous ne devions pas prendre l'ordre historique pour
base de notre classification, je ne dois pas négliger d'indi-
quer d'avance, comme une propriété essentielle de l'é-
chelle encyclopédique que je vais proposer, sa conformité
générale avec l'ensemble de l'histoire scientifique ; en ce
sens, que, malgré la simultanéité réelle et continue du dé-
veloppement des différentes sciences, celles qui seront
classées comme antérieures seront, en effet, plus anciennes
et constamment plus avancées que celles présentées comme
postérieures. C'est ce qui doit avoir lieu inévitablement si,
en réalité, nous prenons, comme cela doit être, pour prin-
cipe de classification, l'enchaînement logique naturel des
diverses sciences, le point de départ de l'espèce ayant éù
nécessairement être le môme que celui de l'individu.
UIÉRARCHIE DES SCIENCES POSITIVES. 67
Pour achever de déterminer avec toute la précision pos-
sible la difficulté exacte de la question encyclopédique que
nous avons à résoudre, je crois utile d'introduire une con-
sidération mathématique fort simple qui résumera rigou*
reusement l'ensemble des raisonnements exposés jusqu'ici
dans cette leçon. Voici en quoi elle consiste.
Nous nous proposons de classer les sciences fondamen-
tales. Or nous verrons bientôt que, tout bien considéré, il
n'est pas possible d'en distinguer moins de six; laplupartdes
savants en admettraient même vraisemblablement un plus
grand nombre. Gela posé, on sait que six objets compor-
tent 720 dispositions différentes. Les sciences fondamen-
tales pourraient donc donner lieu à 720 classifications dis-
tinctes, parmi lesquelles il s'agit de choisir la classification
nécessairement unique, qui satisfait le mieux aux princi-
pales conditions du problème. On voit que, malgré le
grand nombre d'échelles encyclopédiques successivement
proposées jusqu'à présent, la discussion n'a porté encore
que sur une bien faible partie des dispositions possibles ;
et, néanmoins, je crois pouvoir dire, sans exagération, qu'en
examinant chacune de ces 720 classifications, il n'en serait
peut-être pas une seule en faveur delaquelle on ne pût faire
valoir quelques motifs plausibles ; car, en observant les
diverses dispositions qui ont été effectivement proposées,
on remarque entre elles les plus extrêmes différences ; les
sciences, qui sont placées par les uns à la tête du système
encyclopédique, étant renvoyées par d'autres à l'extrémité
opposée, et réciproquement. C'est donc dans ce choix d'un
senl ordre vraiment rationnel, parmi le nombre très-con-
sidérable des systèmes possibles, que consiste la difficulté
précise de la question que nous avons posée.
Abordant maintenant d'une manière directe cette grande
question, rappelons-nous d'abord que, pour obtenir une
68 PLAN DU COURS.
classification naturelle et positive des sciences fondamen-
tales, c'est dans la comparaison des divers ordres de phéno-
mènes dont elles ont pour objet de découvrir les lois que
nous devons en chercher le principe. Ce que nous voulons
déterminer, c'est la dépendance réelle des diverses études
scientifiques. Or cette dépendance ne peut résulter que de
celle des phénomènes correspondants.
En considérant sous ce point de vue tous les phéno-
mènes observables, nous allons voir qu'il est possible de les
classer en un petit nombre de catégories naturelles, dispo-
sées d'une telle manière, que l'étude rationnelle de chaque
catégorie soit fondée sur la connaissance des lois prin-
cipales de la catégorie précédente, et devienne le fonde-
ment de l'étude de la suivante. Cet ordre est déterminé par
le degré de simplicité, ou, ce qui revient au môrae, par le
degré de généralité des phénomènes, d'où résulte leur dé-
pendance successive, et, en conséquence, la facilité plus
ou moins grande de leur étude.
Il est clair, en effet, à priori^ que les phénomènes les
plus simples, ceux qui se compliquent le moins des autres,
sont nécessairement aussi les plus généraux ; car ce qui
s'observe' dans le plus grand nombre de cas est, par cela
même, dégagé le plus possible des circonstances propres à
chaque cas séparé. C'est donc par l'étude des phénomènes
les plus généraux ou les plus simples qu'il faut commencer,
en procédant ensuite successivement jusqu'aux phénomè-
nes les plus particuliers ou les plus compliqués, si l'on
veut concevoir la philosophie naturelle d'une manière vrai-
ment méthodique ; car cet ordre de généralité oo de sim-
plicité, déterminant nécessairement l'enchaînement ration-
nel des diverses sciences fondamentales par la dépendance
successive de leurs phénomènes, fixe ainsi leur degré de
facilité.
BIÉRARCniB DES SCIENCES POSITIVES. 69
En même temps, par une considéralion auxiliaire que
je croîs important de noter ici, et qui converge exactement
avec toutes les précédentes, les phénomènes les plus géné-
raux ou les plus simples, se trouvant nécessairement les
plus étrangers à l'homme, doivent, par cela même, être
étudiés dans une disposition d'esprit plus calme, plus ra-
tionnelle, ce qui constitue un nouveau motif pour que les
sciences correspondantes se développent plus rapidement.
Ayant ainsi indiqué la règle fondamentale qui doit pré-
sider à la classification des sciences, je puis passer immé-
diatement à la construction de'I'échelle encyclopédique
d'après laquelle le plan de ce cours doit être déterminé, et
que chacun pourra aisément appréciera l'aide des consi*
dérations précédentes.
Une première contemplation de l'ensemble des phéno-
mènes naturels nous porte à les diviser d'abord, conrormé-
ment au principe que nous venons d'établir, en deux
grandes classes principales» la première comprenant tous
les phénomènes des corps bruts, la seconde tous ceux
des corps organisés.
Ces derniers sont évidemment, en effet, plus compli-
qués et plus particuliers que les autres; ils dépendent des
précédents, qui, au contraire, n'en dépendent nullement.
De là la nécessité de n'étudier les phénomènes physiologi-
ques qu'après ceux des corps inorganiques. De quelque
manière qu'on explique les différences de ces deux sortes
d'êtres, il est certain qu'on observe dans les corps vivants
tous les phénomènes, soit mécaniques, soit chimiques, qui
ont lieu dans les corps bruts^ plus un ordre tout spécial de
phénomènes, les phénomènes vitaux proprement dits^ ceux
qui tiennent kVorgantsatùm. II ne s'agit pas ici d'examiner
si les deux classes de corps sont ou ne sont pas de la môme
mture^' question insoluble qu'on agite encore beaucoup
70 PLAN DU COURS.
trop de nos jours, par un reste d'influence des habitudes
théologiques et métaphysiques; une telle question n'est pas
du domaine de la philosophie positive, qui fait formelle-
ment profession d'ignorer absolument la nature intime
d'un corps quelconque. Mais il n'est nullement indispen-
sable de considérer les corps bruts et les corps vivants
comme étant d'une nature essentiellement différente pour
reconnaître la nécessité de la séparation de leurs études.
Sans doute, les idées ne sont pas encore suffisamment
fixées sur la manière générale de concevoir les phénomè-
nes des corps vivants. Mais, quelque parti qu'on puisse
prendre à cet égard par suite des progrès ultérieurs de la
philosophie naturelle, la classification que nous établis-
sons n'en saurait être aucunement affectée. En effet, regar-
dàt-on comme démontré, ce que permet à peine d'entre-
voir l'état présent de la physiologie, que les phénomènes
physiologiques sont toujours de simples phénomènes mé-
caniques, électriques et chimiques, modifiés par la struc-
ture et la composition propres aux corps organisés, notre
division fondamentale n'en subsisterait pas moins. Car il
reste toujours vrai, même dans cette hypothèse, que les
phénomènes généraux doivent être étudiés avant de procé-
cédera l'examen des modifications spéciales qu'ils éprouvent
dans certains êtres de l'univers, par suite d'une disposition
particulière des molécules. Ainsi, la division, qui est au-
jourd'hui fondée dans la plupart des esprits éclairés sur la
diversité des lois, est de nature à se maintenir indéfini-
ment à cause de la subordination des phénomènes et par
suite des études, quelque rapprochement qu'on puisse ja-
mais établir solidement entre les deux classes de corps.
Ce n'est pas ici le lieu de développer, dans ses diverses
parties essentielles, la comparaison générale entre les
corps bruts et les corps vivants, qui sera le sujet spécial
niÉRARCHIE DES SCIENCES POSITIVES. 71
d'un examen approfondi dans la section physiologique de ce
cours. Il suffit, quant à présent, d'avoir reconnu, en prin-
cipe, la nécessité logique de séparer la science relative aux
prendiers de celle relative aux seconds, et de ne procéder
à l'étude de \9l physique organique qu'après avoir établi les
lois générales de la physique inorganique.
Passons maintenant à la détermination de la sous-divi-
sion principale dont est susceptible, d'après la môme règle,
chacune de ces deux grandes moitiés de la philosophie na-
turelle.
Pour la physique inorganique^ nous voyons d'abord, en
nous conformant toujours à l'ordre de généralité el de dé-
pendance des phénomènes, qu'elle doit être partagée en
deux sections distinctes suivant qu'elle considère les phé-
nomènes généraux de l'univers, ou, en particulier, ceux
que présentent les corps terrestres. D'où la physique cé-
leste, ou l'astronomie^ soit géométrique, soit mécanique ;
et la physique terrestre. La nécessité de cette division est
exactement semblable à celle de la précédente.
Les phénomènes astronomiques étant les plus généraux,
les plus simples, les plus abstraits de tous, c'est évidem-
ment par leur étude que doit commencer la philosophie
naturelle, puisque les lois auxquelles ils sont assujettis in-
fluent sur celles de tous les autres phénomènes^ dont elles-
mêmes sont, au contraire, essentiellement indépendantes.
Dans tous les phénomènes de la physique terrestre, on
observe d'abord les effets généraux de la gravitation uni-
verselle, plus quelques autres effets qui leur sont propres,
et qui modifient les premiers. Il s'ensuit que, lorsqu'on
analyse le phénomène terrestre le plus simple, non-seule-
ment en prenant un phénomène chimique, mais en choi-
sissant même un phénomène purement mécanique, on le
trouve constamment plus composé que le phénomène ce-
72 PLAN DU COURS.
leste le plus compliqué. C'est ainsi^ par exemple, que le
simple mouvement d'un corps pesant, môme quand il ne
s'agit que d'un solide, présente réellement, lorsqu'on veut
tenir compte de toutes les circonstances déterminantes^ un
sujet de recherches plus compliqué que la question astro-
nomique la plus difficile. Une telle considération montre
clairement combien il est indispensable de séparer nette-
ment la physique céleste et la physique terrestre, et de ne
procéder à l'étude de la seconde qu'après celle de la pre»
miére, qui en est la base rationnelle.
La physique terrestre, à son tour, se sous-divise, d'après'
le môme principe, en deux portions très-distinctes, selon
qu'elle envisage les corps sous le'point de vue mécanique,
ou sous le point de vue chimique. D'où la physique pro*
prementdite, et la chimie. Celle-ci, pour ôtre conçue d'une
manière vraiment méthodique, suppose évidemment la
connaissance préalable de l'autre. Car tous les phéno*
mènes chimiques sont nécessairement plus compliqués que
les phénomènes physiques; ils en dépendent sans influer sur
eux. Chacun sait, en effet, que toute action chimique est sou-
mise d'abord à l'influence de la pesanteur, de la chaleur,
de l'électricité, etc., et présente, en outre, quelque chose
de propre qui modifie l'action des agents précédents. Cette
considération, qui montre évidemment la chimie comme
ne pouvant marcher qu'après la physique, la présente en
môme temps comme une science distincte. Car, quelque
opinion qu'on adopte relativement aux affinités chimiques»
et quand môme on ne verrait en, elles, ainsi qu'on peut le
concevoir, que des modifications de la gravitation générale
produites par la figure et par la disposition mutuelle des
atomes, il demeurerait incontestable que la nécessité d'a-
voir continuellement égard à ces conditions spéciales ne
permettrait point de traiter la chimie comme un simple
il
HIÉRARCHIE DES SCIENCES POSITIVES. 73
appendice de la physique. On serait donc obligé, dans tous
les cas, ne fût-ce que pour la facilité de l'étude, de main-
tenir la division et l'enchaînement que l'on regarde aujour-
d'hui comme tenant à l'hétérogénéité des phénomènes.
Telle est donc la distribution rationnelle des principales
branches de la science générale des corps bruts. Une di-
vision analogue s'établit, de la môme manière, dans la
science générale des corps organisés.
Tous les êtres vivants présentent deux ordres de phéno-
mènes essentiellement distincts, ceux relatifs à l'individu,
et ceux qui concernent l'espèce, surtout quand elle est so-
ciable. C'est principalement par rapport à l'homme, que
cette distinction est fondamentale. Le dernier ordre de
phénomènes est évidemment plus compliqué et plus parti-
culier que le premier; il en dépend sans influer sur lui. De
là, deux grandes sections dans la physique organique^ la
physiologie proprement dite, et la physique sociale, qui
est fondée sur la première.
Dans tous les phénomènes sociaux, on observe d'abord
l'influence des lois physiologiques de l'individu, et, en
outre, quelque chose de particulier qui en modifie les ef-
fets, et qui tient à l'action des individus les uns sur les
autres, singulièrement compliquée, dans l'espèce humaine,
par l'action de chaque génération sur celle qui la suit. Il
est donc évident que, pour étudier convenablement les
phénomènes sociaux, il faut d'abord partir d'une connais-
sance approfondie des lois relatives à la vie individuelle.
D'un autre côté, cette subordination nécessaire entre les
deux études ne prescrit nullement, comme quelques phy-
siologistes du premier ordre ont élé portés à le croire, de
voir dans la physique sociale un simple appendice de la
physiologie. Quoique les phénomènes soient certainement
homogènes, ils ne sont point identiques, et la séparation
7 4 PLAN DU COURS.
des deux sciences est d'une importance vraiment fonda-
mentale. Car il serait impossible de traiter l'étude collec-
tive de l'espèce comme une pure déduction de Tétnde de
l'individu, puisque les conditions sociales, qui modifient
Taclion des lois physiologiques, sont précisément alors la
considération la plus essentielle. Ainsi, la physique sociale
doit être fondée sur un corps d'observations directes qui lui
soit propre, tout en ayant égard, comme il convient, à son in-
time relation nécessaire avec la physiologie proprementdite.
On pourrait aisément établir une symétrie parfaite entre
la division de la physique organique et celle ci-dessus
exposée pour la physique inorganique, en rappelant la dis-
tinction vulgaire de la physiologie proprement dite en vé-
gétale et animale. Il serait facile, en effet, de rattacher
cette sous-division au principe de classification que nous
avons constamment suivi, puisque les phénomènes delà
vie animale se présentent, en général du moins, comme
plus compliqués et plus spéciaux que ceux de la vie vé-
gétale. Mais la recherche de cette symétrie précise aurait
quelque chose de puéril^ si elle entraînait à méconnaître
ou à exagérer les analogies réelles ou les différences affec-
tives des phénomènes. Or il est certain que la distinction
entre la physiologie végétale et la physiologie animale, qui
a une grande importance dans ce que j'ai appelé la physique
concrète, n'en a presque aucune dans la physique abstraite,
la seule dont il s'agisse ici. La connaissance des lois géné-
rales de la vie, qui doit être à nos yeux le véritable objet
de la physiologie, exige la considération simultanée de
toute la série organique sans distinction de végétaux et
d'animaux, distinction qui, d'ailleurs, s'efiace de jour eu
jour, à mesure que les phénomènes sont étudiés d'une
manière approfondie.
Nous persisterons donc à ne considérer qu'une seule di-
HIÉBARCHIE DES SCIENCES POSITIVES. 7 5
rision dans la physique organique, quoique nous ayons
;ru devoir en établir deux successives dans la physique
Dorganique.
En résultat de cette discussion, la philosophie positive
le trouve donc naturellement partagée en cinq sciences
fondamentales, dont la succession est détern^inée par une
subordination nécessaire et- invariable, fondée, indépen-
damment de toute opinion hypothétique, sur la simple
comparaison approfondie des phénomènes correspondants :
c'est l'astronomie, la physique, la chimie, la physiologie
et enfin la physique sociale. La première considère les
phénomènes les plus généraux, les plus simples, les
plus abstraits et les plus éloignés de Thumanité; ils
influent sur tous les autres, sans être influencés par
eux. Les phénomènes considérés par la dernière sont,
au contraire, les plus particuliers, les plus compliqués,
les plus concrets et les plus directement intéressants pour
l'homme; ils dépendent, plus ou moins, de tous les pré-
cédents, sans exercer sur eux aucune influence. Entre ces
deux extrêmes, les degrés de spécialité, de complication
et de personnalité des phénomènes vont graduellement en
augmentant, ainsi que leur dépendance successive. Telle
est l'intime relation générale que la véritable observation
philosophique, convenablement employée, et non de vaines
distinctions arbitraires, nous conduit à établir entre les
diverses sciences fondamentales. Tel doit donc être le plan
de ce cours.
Je n'ai pu ici qu'esquisser l'exposition des considérations
principales sur lesquelles repose cette classitication. Pour
la concevoir complètement, il faudrait maintenant, après
l'avoir envisagée d'un point de vue général, l'examiner re-
lativement à chaque science fondamentale en particulier.
C'est ce que nous ferons soigneusement en commençant
7C PLAN DU COURS.
réiude spéciale de chaque parlie de ce cours. La cooslruc-
tion de cette échelle encyclopédique, reprise ainsi succe^
sivement en partant de chacune des cinq grandes sciences,
lui fera acquérir plus d'exactitude, et surtout mettra plei-
nement en évidence sa solidité. Ces avantages seront d'au-
tant plus sensibles, que nous verrons alors la distributioa
intérieure de chaque science s'établir nalurelleroenld'apris
le môme principe, ce qui présentera tout le système des
connaissances humaines décomposé, jusque dans ses dé-
tails secondaires, d'après une considération unique con-
stamment suivie, celle du degré d'abstraction plus ou
moins grand des conceptions correspondantes. Mais des
travaux de ce genre, outre qu'ils nous entraîneraient main-
tenant beaucoup trop loin, seraient certainement déplacés
dans cette leçon, oîi notre esprit doit se maintenir au point
de vue le plus général de la philosophie positive.
Néanmoins^ pour faire apprécier aussi complètement
que possible, dès ce moment, l'importance de cette biéraf*
chie fondamentale, dont je ferai, dans toute la suite de ce
cours, des applications continuelles, je dois signaler rapi-
dement ici ses propriétés générales les plus essentielles.
Il faut d'abord remarquer, comme une vérification très-
décisive de l'exactitude de cette classification, sa confor-
mité essentielle avec la coordination, en quelque sorte
spontanée, qui se trouve en effet implicitement admise par
les savants livrés à l'étude des diverses branches de la phi-
losophie naturelle.
C'est une condition ordinairement fort négligée par les
constructeurs d'échelles encyclopédiques, que de pré-
senter comme distinctes les sciences que la marche effec-
tive de l'esprit humain a conduit, sans dessein prémédité,
à cultiver séparément, et d'établir entre elles une subor-
dination conforme aux relations positives que manifeste
HliaARGHIB DES SCIENCES POSITIVES. 77
leur développement journalier. Un tel accord est néan-
moins éyidemment le plus sûr indice d'une bonne classi-
fication ; car les divisions qui se sont introduites spon-
tanément dans le système scientifique n'ont pu être
déterminées que par le sentiment longtemps éprouvé des
véritables besoins de Tesprit humain, sans qu'on ait pu
être égaré par des généralités vicieuses.
Mais, quoique la classification ci-dessus proposée rem-
plisse entièrement cette condition, ce qu'il serait superflu
de prouver, il n'en faudrait pas conclure que les habitudes
généralement établies aujourd'hui par expérience chez les
savants rendraient inutile le travail encyclopédique que
nous venons d'exécuter. Elles ont seulement rendu pos-
sible une telle opération, qui présente la difi'érence fon-
damentale d'une conception rationnelle à une classification
purement empirique, il s'en faut d'ailleurs que cette clas-
sification soit ordinairement conçue et surtout suivie avec
toute la précision nécessaire, et que son importance soit
convenablement appréciée ; il suffirait, pour s'en con-
vaincre, de considérer les graves infractions qui sont com-
mises tous les jours contre cette loi encyclopédique, au
grand préjudice de l'esprit humain.
On second caractère très-essentiel de notre classifica-
tion, c'est d'être nécessairement conforme à l'ordre ef-
fectif du développement de la philosophie naturelle. C'est
ce que vérifie tout ce qu'on sait de l'histoire des sciences,
particulièrement dans les deux derniers siècles, où nous
pouvons suivre leur marche avec plus d'exactitude.
On conçoit, en effet, que l'étude rationnelle de chaque
science fondamentale, exigeant la culture préalable de
tontes celles qui la précèdent dans notre hiérarchie en-
cyclopédique, n'a pu faire de progrès réels et prendre son
véritable caractère, qu'après un grand développement des
78 PLAN DU COURS.
sciences antérieures relatives à des phénomènes plus gé-
néraux, plus abstraits, moins compliqués et indépendants
des autres. C*est donc dans cet ordre que la progression,
quoique simultanée, a dû avoir lieu.
Celte considération me semble d'une telle importance,
que je ne crois pas possible de comprendre réellement,
sans y avoir égard, Thistoire de Tesprit humain. La loi gé-
nérale qui domine toute cette histoire, et que j'ai exposée
dans la leçon précédente, ne peut être convenablement
entendue, si on ne la combine point dans Tapplication
avec la formule encyclopédique que nous venons d'établir.
Car, c'est suivant Tordre énoncé par cette formule que les
différentes théories humaines ont atteint successivement,
d'abord Télat théologique, ensuite l'état métaphysique, et
enfin l'état positif. Si l'on ne tient pas compte dans l'usage
de la loi de cette progression nécessaire, on rencontrera
souvent des difficultés qui paraîtront insurmontables, car
il est clair que l'état théologique ou métaphysique de cer-
taines théories fondamentales a dû temporairement coïn-
cider et a quelquefois coïncidé en effet avec l'état postif de
celles qui leur sont antérieures dans notre système encyclo-
pédique, ce qui tend à jeter sur la vérification de la loi
générale une obscurité qu'on ne peut dissiper que par la
classification précédente.
En troisième lieu, cette classification présente la pro-
priété très-remarquable de marquer exactement la perfec-
tion relative des différentes sciences, laquelle consiste es-
sentiellement dans le degré de précision des connaissances,
et dans leur coordination plus ou moins intime.
Il est aisé de sentir, en effet, que plus des phénomènes
sont généraux, simples et abstraits, moins ils dépendent
des autres, et plus les connaissances qui s'y rapportent
peuvent être précises, en môme temps que leur coordina^
HIÉBARCHIE DBS SCIENCES POSITIVES. 79
tion peat être plus complète. Ainsi les phénomènes orga-
niques ne comportent qu'une étude à la fois moins exacte et
moins systématique que les phénomènes des corps bruts.
De môme, dans la physique inorganique, les phénomènes
célestes, vu leur plus grande généralité et leur indépen-
dance de tous les autres, ont donné lieu à une science bien
plus précise et beaucoup plus liée que celle des phéno-
mènes terrestres.
Cette observation, qui est si frappante dans Tétude effec-
tive des sciences, et qui a souvent donné lien à des espé-
rances chimériques ou à d'injustes comparaisons, se trouve
donc complètement expliquée par l'ordre encyclopédique
que j'ai établi. J'aurai naturellement occasion de lui donner
toute son extension dans la leçon prochaine, en montrant
que la possibilité d'appliquer à l'étude des divers phéno-
mènes l'analyse mathématique, ce qui est le moyen de
procurer à cette étude le plus haut degré possible de pré-
cision et de coordination, se trouve exactement détermi-
née par le rang qu'occupent ces phénomènes dans mon
échelle encyclopédique.
Je ne dois point passer à une autre considération^ sans
mettre le lecteur en garde à ce sujet contre une erreur fort
grave, et qui, bien que très-grossière, est encore extrême-
ment commune. Elle consiste à confondre le degré de pré-
cision que comportent nos différentes connaissances avec
leur degré de certitude, d'où est résulté le préjugé très-
dangereux que, le premier étant évidemment fort inégal,
il en doit être ainsi du second. Aussi parle-t-on souvent
encore, quoique moins que jadis, de Tinégale certitude
des diverses sciences, ce qui tend directement à décourager
la culture des sciences les plus difficiles. 11 est clair, néan-
moins, que la précision et la certitude sont deux qualités
en elles-mômes fort différentes. Une proposilien tout à fait
80 PLAN DU COUBS.
absurde peut être exlrômement précise, comme si l'on
disait, par exemple, que la somme des angles d'un triangle
est égale à trois angles droits : et une proposition très-cer-
taine peut ne comporter qu'une précision fort médiocre,
comme lorsqu'on affirme, par exemple, que tout homme
mourra. Si, d'après l'explication précédente, les diverses
sciences doivent nécessairement présenter une précision
très-inégale, il n'en est nullement ainsi de leur certitude.
Chacune peut offrir des résultats aussi certains que ceux de
toute autre, pourvu qu'elle sache renfermer ses cooclasioos
dans le degré de précision que comportent les phénomènes
correspondants, condition qui peut n'être pas tonjcHirs
très-facile à remplir. Dans une science quelconque, tout ce
qui est simplement conjectural n'est que plus ou moins
probable, et ce n'est pas là ce qui compose son domaine es-
sentiel ; tout ce qui est positif, c'est-à-dire fondé sur ée$
faits bien constatés, est certain : il n'y a pas de distinction
à cet égard.
Enfin, la propriété la plus intéressante de notre formule
encyclopédique, à cause de limportance et de la multipli-
cité des applications immédiates qu'on en peut faire, c'est
de déterminer directement le véritable plan général d'une
éducation scientifique entièrement rationnelle. C'est ce qui
résulte sur-le-champ de la seule composition de la formule.
Il est sensible, en effet, qu'avant d'entreprendre l'étude
méthodique de quelqu'une des sciences fondamentales, il
faut nécessairement s'être préparé par l'examen de celles
relatives aux phénomènes antérieurs dans notre échelle en-
cyclopédique, puisque ceux-ci influent toujours d'une mi-
nière prépondérante sur ceux dont on se propose de ccm*
naître les lois. Cette considération est tellement frappante,
que, malgré son extrême importance pratique, je n'ai pas
besoin d'insister davantage en ce moment sur un principe
HIÊRARCHIB DES SCIENCES POSITIVES. 81
qai, plus tard, se reproduira d'ailleurs inévitablement, par
fipport à chaque science fondamentale. Je me bornerai
seulement à faire observer que, s'il est éminemment appli-
cable à l'éducation générale, il l'est aussi particulièremen
4 l'éducation spéciale des savants.
Ainsi, les physiciens qui n'ont pas d'abord étudié l'as-
Iroaomiey au moins sous un point de vue général; les chi-
mistes qui, avant de s'occuper de leur science propre, n'ont
pas étudié préalablement l'astronomie et ensuite la physi-
que ; les physiologistes qui ne se sont pas préparés à leurs
travaux spéciaux par une étude préliminairede l'astronomie,
de la physique et de la chimie, ont manqué à l'une des con-
ditions fondamentales de leur développement intellectuel.
n en est encore plus évidemment de même pour les esprits
qui veulent se livrera l'étude positive des phénomènes so-
ciaux, sans avoir d'abord acquis une connaissance générale
de l'astronomie, de la physique, de la chimie et de la phy-
siologie.
Comme de telles conditions sont bien rarement remplies
de nos jours, et qu'aucune institution régulière n'est orga-
nisée pour les accomplir, nous pouvons dire qu'il n'existe
pas encore, pour les savants, d'éducation vraiment ration-
nelle. Cette considération est, à mes yeux, d'une si grande
importance, que je ne crains pas d'atribuer en partie à ce
vice de nos éducations actuelles l'état d'imperfection ex-
trême où nous voyons encore les sciences les plus difficiles,
état véritablement inférieur à ce que prescrit en effet la na-
ture plus compliquée des phénomènes correspondants.
Relativement h l'éducation générale, cette condition est
'encore bien plus nécessaire. Je la crois tellement indispen-
sable, que je regarde l'enseignement scientiûque comme
incapable de réaliser les résultats généraux les plus essen-
tiels qu'il est destiné à produire dans la société pour la ré-
A. Comte. Tome I. 6
82 PLAN DU COURS.
novation du système intellectuel, si les diverses branches
principales de la philosophie naturelle ne sont pas étudiées
dans Tordre convenable. N'oublions pas que, dans presque
toutes les intelligences, même les plus élevées, les idées
restent ordinairement enchaînées suivant l'ordre de leur
acquisition première ; et que, par conséquent, c'est un mal
le plus souvent irrémédiable que de n'avoir pas commencé
par le commencement. Chaque siècle ne compte qu'un bien
petit nombre de penseurs capables, à Tépoque de leur viri-
lité, comme Bacon, Descartes et Leibnitz, de faire vérita-
blement table rase pour reconstruire de fond en comble le
système entier de leurs idées acquises.
L'importance de notre loi encyclopédique pour servir de
base à l'éducation scientiûque ne peut être convenablement
appréciée qu'en la considérant aussi par rapport à la mé-
thode, au lieu de l'envisager seulement, comme nous ve-
nons de le faire, relativement à la doctrine.
Sous ce nouveau point de vue, une exécution convenable
du plan généra] d'études que nous avons déterminé doit
avoir pour résultat nécessaire de nous procurer une con-
naissance parfaite de la méthode positive^ qui ne pourrait
Otre obtenue d'aucune autre manière.
En effet, les phénomènes naturels ayant été classés de
telle sorte, que ceux qui sont réellement homogènes res-
tent toujours compris dans une même étude , tandis que
ceux qui ont été affectés à des études différentes sont effec-
tivement hétérogènes, il doit nécessairement en résulter
que la méthode positive générale sera constamment modi-
fiée d'une manière uniforme dans l'étendue d'une môme
science fondamentale, et qu'elle éprouvera sans cesse des
modifications différentes et de plus en plus composées, en
passant d'une science à une autre. Nous aurons donc ainsi
la certitude de la considérer dans toutes les variétés réelles
HIÉRABCHIE DBS SCIENCES POSITIVES. 8S
dont elle est susceptible, ce qui n'aurait pu avoir lieu, si
nous avions adopté une formule encyclopédique qui ne
remplit pas les conditions essentielles posées ci-dessus.
Cette nouvelle considération est d'une importance vrai-
ment fondamentale; car ; si nous avons vu en général, dans
la dernière leçon, qu'il est impossible de connaître la mé-
tbode positive, quand on veut l'étudier séparément de son
emploi, nous devons ajouter aujourd'hui qu'on ne peut
s'en former une idée nette et exacte qu'en étudiant suc-
cessivement, et dans l'ordre convenable, son application à
toutes les diverses classes principales des phénomènes na-
turels. Une seule science ne suffirait point pour atteindre
ce but, môme en la choisissant le plus judicieusement pos-
sible. Car, quoique la méthode soit essentiellement iden-
tique dans toutes, chaque science développe spécialement
tel ou tel de ses procédés caractéristiques, dont l'influence,
trop peu prononcée dans les autres sciences, demeurerait
inaperçue. Ainsi, par exemple, dans certaines branches de
la philosophie, c'est l'observation proprement dite; dans
d'autres, c'est Texpérience, et telle ou telle nature d'expé-
riences, qui constitue le principal moyen d'exploration. De
même, tel précepte général, qui fait partie intégrante de
la méthode, a été fourni primitivement par une certaine
science ; et, bien qu'il ait pu être ensuite transporté dans
d'autres, c'est à sa source qu'il faut l'étudier pour le bien
connaître; comme, par exemple, la théorie des classifica-
tions.
En se bornant à l'étude d'une science unique, il faudrait
sans doute choisir la plus parfaite pour avoir un sentiment
plus profond de la méthode positive. Or, la plus parfaite
étant en môme temps la plus simple, on n'aurait ainsi
qu'une connaissance bien complète de la méthode, puis-
qu'on n'apprendrait pas quelles modifications essentielles
84 PLAN DU COURS.
elle doit subir pour s'adapter à des phénomènes plus com-
pliqués. Chaque science fondamentale a donc, sous ce rap-
port^ des avantages qui lui sont propres ; ce qui prouve
clairement la nécessité de les considérer toutes, sous peine
de ne se former que des conceptions trop étroites et des
habitudes insnfGsantes. Cette considération devant se re-
produire fréquemment dans la suite, il est inutile de la dé-
velopper davantage en ce moment.
Je dois néanmoins ici, toujours sous le rapport de la mé-
thode, insister spécialement sur le besoin, pour la bien
connaître, non-seulement d'étudier philosophiquement
toutes les diverses sciences fondamentales, mais de les étu-
dier suivant Tordre encyclopédique établi dans cette leçon.
Que peut produire de rationnel, à moins d'une extrême sq«
périorité naturelle, un esprit qui s'occupe de prime abord
de l'étude des phénomènes les plus compliqués, sans avoir
préalablement appris à connaître, par l'examen des phéno-
mènes les plus simples, ce que c'est qu'une /o/, ce que c'est
qu*observer, ce que c'est qu'une conception positive, ce que
c'est môme qu'un raisonnement suivi t Telle est pourtant
encore aujourd'hui la marche ordinaire de nos jeunes
physiologistes^ qui abordent immédiatement l'étude des
corps vivants, sans avoir le plus souvent été préparés au-
trement que par une éducation préliminaire réduite à l'é-
tude d'une ou de deux langues mortes, et n'ayant, tout au
plus, qu'une connaissance très-superficielle de la physique
et de la chimie, connaissance presque nulle sous le rapport
de la méthode, puisqu'elle n'a pas été obtenue communé-
ment d'une manière rationnelle, et en partant du véritable
point de départ de la philosophie naturelle. On conçoit
combien il importe de réformer un plan d'études aussi vi*
cieux. De même, relativement aux phénomènes sociaux,
qui sont encore plus compliqués, ne serait-ce point avoir
niÉRARCHIB DES SCIENCES POSITIVES. 85
fait un grand pas vers le retour des sociétés modernes à un
état Yraiment normal, que d'avoir reconnu la nécessité lo-
gique de ne procéder à l'élude de ces phénomènes qu'a-
près avoir dressé successivement Torgane intellectuel par
Texamen philosophique approfondi de tous les phénomènes
Ultérieurs? On peut même dire avec précision que c'est là
toute la difOculté principale. Car il est peu de hons esprits
qui ne soient convaincus aujourd'hui qu'il faut étudier les
phénomènes sociaux d'après la méthode positive. Seule-
ment, ceux qui s'occupent de cette étude, ne sachant pas
et ne pouvant pas savoir exactement en quoi consiste cette
méthode, faute de l'avoir examinée dans ses applications
antérieures, cette maxime est jusqu'à présent demeurée
stérile pour la rénovation des théories sociales, qui ne sont
pas encore sorties de l'état théologique ou de l'état méta-
physique, malgré les efforts des prétendus réformateurs
positifs. Cette considération sera, plus tard, spécialement
développée; je dois ici me borner à l'indiquer, unique-
ment pour faire apercevoir toute la portée de la concep-
tion encyclopédique que j'ai proposée dans cette leçon.
Tels sont donc les quatre points de vue principaux, sous
lesquels j'ai dû m'attacher à faire ressortir Timportance
générale de la classification rationnelle et positive, établie
ei-dessus pour les sciences fondamentales.
Afin de compléter l'exposition générale du plan de ce
cours, il me reste maintenant à considérer une lacune im-
mense et capitale, que j'ai laissée à dessein dans ma for-
mule encyclopédique, et que le lecteur a sans doute déjà
remarquée. En effet, nous n'avons point marqué dans notre
système scientifique le rang de la science mathématique.
Le motif de cette omission volontaire est dans l'impor-
ance même de celte science, si vaste et si fondamentale
^r la leçon prochaine sera entièrement consacrée à la dé-
86 PLAN DU COURS.
termination exacte de son véritable caractère général, et
par suite à la fixation précise de son rang encyclopédique.
Mais, pour ne pas laisser incomplet, sous un rapport aussi
capital, le grand tableau que j'ai tâché d'esquisser dans
cette leçon, je dois indiquer ici sommairement, par anti-
cipation, les résultats généraux de l'examen que nous en-
treprendrons dans la leçon suivante.
Dans l'état actuel du développement de nos connaissan-
ces positives, il convient, je crois^ de regarder la science
mathématique, moins comme une partie constituante de
la philosophie naturelle proprement dite, que comme
étant, depuis Descartes et Newton, la vraie base fondamen-
tale de toute cette philosophie, quoique^ à parler exacte-
ment, elle soit à la fois Tune et l'autre. Aujourd'hui, en
effet, la science mathématique est bien moins importante
par les connaissances, très-réelles et très-précieuses néan-
moins, qui la composent directement, que comme consti-
tuant l'instrument le plus puissant que l'esprit humain
puisse employer dans la recherche des lois des phénomè-
nes naturels.
Pour présenter à cet égard une conception parfaitement
nette et rigoureusement exacte, nous verrons qu'il faut
diviser la science mathématique en deux grandes sciencesi
dont le caractère est essentiellement distinct: la mathéma-
tique abstraite, ou le calcul, en prenant ce mot dans sa pins
grande extension, et la mathématique concrète, qui se
compose, d'une part de la géométrie générale, d'une
autre part de la mécanique rationnelle. La partie concrète
est nécessairement fondée sur la pàrlie abstraite, et devient
à son tour la base directe de toute la philosophie naturelle,
en considérant, autant que possible, tous les phénomènes
de l'univers comme géométriques ou comme mécaniques,
La partie abstraite est la seule qui soit purement instru-
niÉRAacniE des sciences positives. 87
mentale, n'étant autre chose qu'une immense extension
admirable de la logique naturelle à un certain ordre de
dédoctions. La géométrie et la mécanique doivent, au
contraire, être envisagées comme de véritables sciences
naturelles, fondées, ainsi que toutes les autres, sur l'obser-
vation, quoique, par Textrôme simplicité de leurs phéno-
mènes, elles comportent un degré infiniment plus parfait de
systématisation, qui a pu quelquefois faire méconnaître le
caractère expérimental de leurs premiers principes. Mais
ces deux sciences physiques ont cela de particulier, que,
dans l'état présent de Tesprit humain, elles sont déjà et
seront toujours davantage employées comme méthode,
beaucoup plus que comme doctrine directe.
Il est, du reste, évident qu*eu plaçant ainsi la science
mathématique à la tôte de la philosophie positive, nous ne
faisons qu'étendre davantage l'application de ce même
principe de classiGcation, fondé sur la dépendance succes-
sive des sciences en résultat du degré d'abstraction de
leurs phénomènes respectifs, qui nous a fourni la série
encyclopédique, établie dans cette leçon. Nous ne faisons
maintenant que restituer à cette série son véritable pre-
mier terme» dont l'importance propre exigeait un examen
spécial plus développé. On voit, en effet, que les phénomè-
nes géométriques et mécaniques sont, de tous, les plus
généraux, les plus simples^ les plus abstraits, les plus irré-
ductibles et les plus indépendants de tous les antres, dont
ils sont, au contraire, la base. On conçoit pareillement que
leur étude est un préliminaire indispensable à celle de
tous les autres ordres de phénomènes. C'est donc la science
mathématique qui doit constituer le véritable point de dé-
part de toute éducation scientiflque rationnelle, soit géné-
rale, soit spéciale, ce qui explique l'usage universel qui
s'est établi depuis longtemps h ce sujet, d'une manière em-
88 PLAN DU COURS. — HIÉRARCHIE DES SCIENCES POSITIVES.
pirique, quoiqu^il n'ait eu primitivement d'autre cause que^
la plus grande ancienneté relative de la science mathéma-
tique. Je dois me borner en ce moment à une indicatioD
très-rapide de ces diverses considérations, qui vont être
l'objet spécial de la leçon suivante.
Nous avons donc exactenàent déterminé dans cette leçon,
non d'après de vaines spéculations arbitraires, mais en le
regardant comme le sujet d'un véritable problème philoso-
phique, le plan rationnel qui doit nous guider constamment
dans l'étude de la philosophie positive. En résultat déGni-
tir, la mathématique, Taslronomie^ la physique, la chimie,
la physiologie et la physique sociale : telle est la formule
encyclopédique qui, parmi le très-grand nombre de classi-
ficalions que comportent les six sciences fondamentales,
est seule logiquement conforme à la hiérarchie naturelle
et invariable des phénomènes. Je n'ai pas besoin de rap»
peler l'importance de ce résultat, que le lecteur doit se
rendre éminement familier, pour en faire dans toute l'é*'
tendue de ce cours une application continuelle.
La conséquence finale de cette leçon^ exprimée sous la
forme la plus simple, consiste donc dans l'application et la
justification du grand tableau synoptique placé au commen-
cement de cet ouvrage, et dans la construction duquel je
me suis efforcé de suivre, aussi rigoureusement que possi-
ble, pour la distribution intérieure de chaque science fon-
damentale, le môme principe de classification qui vient de
nous fournir la série générale des sciences.
TROISIÈME LEÇON
Sommaire. — Ck>nsidéraUon8 philosophiques sur Tensemble do la science
mathématique.
£d commeDçant à entrer directement en matière par
l'étude philosophique de la première des six sciences fon-
damenUiles établies dans la leçon précédente, nous avons
lieu de constater immédiatement l'importance de la philo-
sophie positive pour perfectionner le caractère général de
chaque science en particulier.
Quoique la science mathématique soit la plus ancienne
et la plus parfaite de toutes, l'idée générale qu'on doit s'en
former n'est point encore nettement déterminée. La défi-
nition de la science, ses principales divisions, sont demeu-
rées jusqu'ici vagues et incertaines. Le nom multiple par
lequel on la désigne habituellement suffirait môme seul
pour indiquer le défaut d'unité de son caractère philoso-
phique, tel qu'il est conçu communément.
A la vérité, c'est seulement au commencement du siècle
dernier que les diverses conceptions fondamentales qui cons-
tituent cette grande science ont pris chacune assez de déve-
loppement pour que le véritable esprit de l'ensemble pût se
manifester clairement. Depuis cette époque, l'attention des
géomètres a été trop justement et trop exclusivement ab-
sorbée par le perfectionnement spécial des différentes bran-
ches, et par l'application capitale qu'ils en ont faite aux lois
les plus importantes de l'univers, pour pouvoir se diriger
90 MATOÉMATrQUES.
convenablement sur le système général de la science.
Mais aujourd'hui le progrès des spécialités n'est plus tel-
lement rapide, qu'il interdise la contemplation de Tensem-
ble. La mathématique (1) est maintenant assez développée,
soit en elle-même, soit quant à ses applications les plus
essentielles, pour être parvenue à cet état de consistance,
dans lequel on doit s'efforcer de coordonner en un système
unique les diverses parties de la science, afin de préparer
de nouveaux progrès. On peut môme observer que les der-
niers perfectionnements capitaux éprouvés par la science
mathémaliqi>e ont directement préparé cette importante
opération philosophique, en imprimant à ses principales
parties un caractère d'unité qui n'existait pas auparavant;
tel est éminemment et hors de toute comparaison l'esprit
des travaux de l'immortel auteur de la Théorie des Fonctions
et de la Mécanique analytique.
Pour se former une juste idée de l'objet de la science
mathématique considérée dans son ensemble, on peut d'a-
bord partir de la définition vague et insignifiante qu'on en
donne ordinairement, à défaut de toute autre, en disant
qu'elle est la science des grandeurs^ ou, ce qui est plus po-
sitif, la science qui a pour but la mesure des grandeurs. Cet
aperçu scolastique a, sans doute, singulièrement besoin
d'acquérir plus de précision et plus de profondeur. Mais
l'idée est juste au fond ; elle est même suffisamment éten-
due, lorsqu'on la conçoit convenablement. Il importe d'ail-
leurs, en pareille matière, quand on le peut sans inconvé-
nient, de s'appuyer sur des notions généralement admises.
Voyons donc comment^ en partant de cette grossière
ébauche, on peut s'élever à une véritable définition de la
(1) J'emploierai souvent cette expression au singulier, comme l'a proposé
Condorcet, afin d'indiquer avec plus d'énergie l'esprit d'unité dans lequel
je conçois la science.
ENSEMBLE DE LA SCIENCE MATBÉMATIQUE. 91
mathématique, à une définition qui soil digne de corres-
pondre à rimportance, à retendue et à la difficulté de la
science.
La question de mesurer une grandeur ne présente par
elle-même à l'esprit d'autre idée que celle de la simple
comparaison immédiate de cette grandeur avec une autre
grandeur semblable supposée connue, qu'on prend pour
vniV^ entre toutes celles de la même espèce. Ainsi, quand
on se borne à définir les mathématiques comme ayant pour
objet la mesure des grandeurs^ on en donne une idée fort
imparfaite, car il est même impossible de voir par là com-
ment il y a lieu, sous ce rapport, à une science quelcon-
que, et surtout à une science aussi vaste et aussi profonde
qu'est réputée l'être avec raison la science mathématique.
Au lieu d'un immense enchaînement de travaux rationnels
Irès-prolongés, qui offrent à notre activité intellectuelle un
aliment inépuisable, la science paraîtrait seulement con-
sister, d'après un tel énoncé, dans une simple suite de pro-
cédés mécaniques pour obtenir directement, à l'aide d'o-
pérations analogues à la superposition des lignes, les
rapports des quantités à mesurer à celles par lesquelles
CD veut les mesurer. Néanmoins cette définition n'a point
réellement d'autre défaut que de n'être pas suffisamment
approfondie. Elle n'induit point en erreur sur le véritable
bat final des mathématiques; seulement elle présente
comme direct un objet qui, presque toujours, est, au con-
traire, fort indirect, et, par là, elle ne fait nullement con-
cevoir la nature de la science.
Pour y parvenir, il faut d'abord considérer un fait gé-
néral, très-facile à constater . C'est que la mesure directe
d'une grandeur, par la superposition ou par quelque pro-
cédé semblable, est le plus souvent pour nous une opéra-
tion tout à fait impossible : en sorte que, si nous u'avions
92 MATHÉMATfQUES.
pas d*autre moyen pour déterminer les grandeurs que les
comparaisons immédiates, nous serions obligés de renon-
cer à la connaissance de la plupart de celles qui nous inté-
ressent.
On comprendra toute l'exactitude de celte observation
générale, en se bornant à considérer spécialement le cas
particulier qui présente évidemment le plus de facilité»
celui de la mesure d'une ligne droite par une autre ligne
droite. Cette comparaison, qui, de toutes celles que nous
pouvons imaginer, est sans contredit la plus simple, ne
peut néanmoins presque jamais être efTectuée immédiate-
ment. En réfléchissant à l'ensemble des conditions néces*
sairespour qu'une ligne droite soit susceptible d'une me-
sure directe, on voit que le plus souvent elles ne peuvent
point élre remplies à la fois, relativement aux lignes que
nous désirons connaître. La première et la plus grossière
de ces conditions, celle de pouvoir parcourir la ligne d'un
bout à l'autre pour porter successivement l'unité dans
toute son étendue, exclut évidemment déjà la très- majeure
partie des distances qui nous inléressent le plus; d'abord
toutes les dislances entre les dill'érents corps célestes, ou
de la terre à quelque autre corps céleste, et ensuite môme la
plupart des distances terrestres, qui sont si fréquemment
inaccessibles. Quand cette première condition se trouve
accomplie, il faut encore que la longueur ne soit ni trop
grande ni trop petite, ce qui rendrait la mesure directe
également impossible; il faut qu'elle soit convenablement
située, etc. La plus légère circonstance, qui abstraitement
ne paraîtrait devoir introduire aucuqe nouvelle difficulté,
suffira souvent, dans la réalité, pour nous interdire toute
mesure directe. Ainsi, par exemple, telle ligne que nous
pourrions mesurer exactement avec la plus grande facilité,
si elle était horizontale, il suffira de la concevoir redressée
ENSEMBLE DE LA SCIENCE MATUÉMATIQUE. 9S
Terticalement pour que la mesure en devienne impossible.
En un mot, la mesure immédiate d'une ligne droite pré-
sente une telle complication de difGcuités, surtout quand
on YBut y apporter quelque exactitude, que presque ja-
mais nous ne rencontrons d'autres lignes susceptibles d'être
mesurées directement avec précision, du moins parmi
celles d'une certaine grandeur, que des lignes purement ar-
tificielles, créées expressément par nous pour comporter
une détermination directe, et auxquelles nous parvenons à
rattacher toutes les autres.
Ce que je viens d'établir relativement aux lignes se con-
çoit, à bien plus forte raison, des surfaces, des volumes,
des vitesses, des temps, des forces, etc. , et, en général, de
toutes les autres grandeurs susceptibles d'appréciation
exacte, et qui, par leur nature, présentent nécessairement
beaucoup plus d'obstacles encore à une mesure immédiate,
il est donc inutile de s'y arrêter, et nous devons regarder
comme suffisamment constatée l'impossibilité de détermi-
ner, en les mesurant directement, la plupart des grandeurs
que nous désirons connaître. C'est ce fait général qui né-
cessite la formation de la science mathématique, comme
nous allons le voir. Car, renonçant^ dans presque tous les
CâSy à la mesure immédiate des grandeurs, l'esprit humain
a dû chercher à les déterminer indirectement, et c'est ainsi
qu'il a été conduit à la création des mathématiques.
La méthode générale qu'on emploie constamment, la
«euie évidemment qu'on puisse concevoir pour connaître
des grandeurs qui ne comportent point une mesure directe,
consiste à les rattacher à d'autres qui soient susceptibles
d'être déterminées immédiatement, et d'après lesquelles
on parvient à découvrir les premières, au moyen des rela-
tions qui existent entre les unes et les autres. Tel est l'ob-
jet précis de la science mathématique envisagée dans son
9 4 MATIIÉMATIQUES.
ensemble. Pour s*en faire une idée suffisamment étendue,
il faut considérer que cette détermination indirecte des
grandeurs peut être indirecte à des degrés fort différents.
Dans un grand nombre de cas, qui souvent sont les plus
importants, les grandeurs, à la détermination desquelles
on ramène la recherche des grandeurs principales qu'on
veut connaître, ne peuvent point elles-mêmes être meso*
rées immédiatement, et doivent par conséquent, à leur
tour, devenir le sujet d'une question semblable, et ainsi de
suite; en sorte que, dans beaucoup d'occasions, l'esprit
humain est oblige d'établir une longue suite d'intermé-
diaires entre le système des grandeurs inconnues, qui sont
l'objet définitif de ses recherches, et le système des gran-
deurs susceptibles de mesure directe, d'après lesquelles
on détermine finalement les premières, et qui ne parais-
sent d'abord avoir avec celles-ci aucune liaison.
Quelques exemples vont suffire pour éclaircir ce que les
généralités précédentes pourraient présenter de trop abs-
trait.
Considérons, en premier lieu, un phénomène naturel
très-simple qui puisse néanmoins donner lieu à une ques-
tion mathématique réelle et susceptible d'applications e^
fectives, le phénomène de la chute verticale des corps pe*
sants.
En observant ce phénomène, l'esprit le plus étranger
aux conceptions niathématiques reconnaît sur-le-champ
que les deux quantités qu'il présente, savoir :1a hauteurd'où
un corps est tombé, et le temps de sa chute, sont néces-
sairement liées l'une à l'autre, puisqu'elles varient ensem-
ble, et restent fixes simultanément; ou, suivant le langage
des géomètres, qu'elles sont fonction l'une de l'autre. Le
phénomène, considéré sous ce point de vue, donne donc
lieu à une question mathématique, qui consiste à suppléer
ENSEMBLE DE LA SCIENCE MATHÉMATIQUE. 95
à la mesure directe de l'une de ces deux grandeurs lors-
qu'elle sera impossible, par la mesure de l'autre. C'est
ainsi, par exemple^ qu'on pourra déterminer indirectement
la profondeur d'un précipice, en se bornant à mesurer le
temps qu'un corps emploierait à tomber jusqu'au fond; et,
en procédant convenablement, cette profondeur inaccessi-
ble sera connue avec tout autant de précision que si c'était
ane ligne horizontale placée dans les circonstances les plus
favorables à une mesure facile et exacte. Dans d'autres oc-
casions^ c'est la hauteur d'où le corps est tombé qui sera
facile h connaître, tandis que le temps de la chute ne pour-
rait point être observé directement : alors le même phéno-
mène donnera lieu à la question inverse, déterminer le
temps d'après la hauteur ; comme, par exemple, si l'on vou-
lait connaître quelle serait la durée de la chute verticale
d'un corps tombant de la lune sur la terre.
Dans l'exemple précédent, la question mathématique
est fort simple, dû moins quand on n'a pas égard à
la variation d'inlensité de la pesanteur, ni à la résistance
do fluide que le corps traverse dans sa chute. Mais,
pour agrandir la question, il suffira de consiilérer le
même phénomène dans sa plus grande généralité, en
supposant la chute oblique, et tenant compte de toutes les
circonstmces principales. Alors, au lieu d'offrir simple-
ment d^ux quantités variables liées entre elles par une re-
lation facile à suivre, le phénomène en présentera un plus
grand nombre, l'espace parcouru, soit dans le sens verti-
cal, soit dans le sens horizontal, le temps employé à le
parcourir, la vitesse du corps h chaque point de sa course,
et même l'intensité et la direction de son impulsion primi-
tive, qui pourront aussi être envisagées comme variables,
et enfin, dans certains cas, pour tenir compte de tout,
h résistance du milieu et l'énergie de la gravité. Toutes
96 « MATHÉMATIQUES.
ces diverses quantités seront liées entre elles, de telle sor —
te que chacune à son lour pourra être déterminée indirec —
tement d'après les autres, ce qui présentera autant de re-
cherches mathématiques distinctes qu'il y aura de gran-
deurs coexistantes dans le phénomène considéré. Ce chan*
gement très-simple dans les conditions physiques d'un
problème pourra faire, comme il arrive en effet pour
l'exemple cité, qu'une recherche mathématique, primiti*
Tement fort élémentaire, se place tout à coup au rang des
questions les plus difOciles^ dont la solution complète et
rigoureuse surpasse jusqu'à présent toutes les plus grandes
forces de l'esprit humain.
Prenons un second exemple dans les phénomènes géo-
métriques. Qu'il s'agisse de déterminer une distance qui
n'est pas susceptible de mesure directe ; on la concevra
généralement comme faisant partie d'une figure^ ou d'un
système quelconque de lignes, choisi de telle manière que
tous ses autres éléments puissent être observés immédiate-
ment; par exemple, dans le cas le plus simple et auquel
tous les autres peuvent se réduire finalement, on considére-
ra la distance proposée comme appartenant à un triangle,
dans lequel on pourrait déterminer directement, soît un
autre côté et deux angles, soit deux côtés et un seul angle.
Dès lors, la connaissance de la distance cherchée, aa
lieu d'être obtenue immédiatement, sera le résultat d'ao
travail mathématique qui consistera à la déduire des élé-
ments observés, d'après la relation qui la lie avec eux. Ce
travail pourra devenir successivement de plus en plus corn*
pliqué, si les éléments supposés connus ne pouvaient, à
leur tour, comme il arrive le plus souvent, être déterminés
que d'une manière indirecte^ à l'aide de nouveaux systèmes
auxiliaires, dont le nombre, dans les grandes opérations
de ce genre, finit par devenir quelquefois très-considé*
ENSEMBLE DE LA SCIENCE MATHÉMATIQUE. 97
rable. La distance une fois déterminée, cette seule con-
naissance sofBra fréquemment pour faire obtenir de nou-
velles quantités, qui offriront le sujet de nouvelles questions
matbématiques. Ainsi, quand on sait à quelle distance
est situé un objet, la simple observation, toujours pos-
sible, de son diamètre apparent, doit évidemment per-
mettre de déterminer indirectement, quelque inaccessible
qu'il puisse être, ses dimensions réelles, et, par une suite
de recherches analogues, sa surface, son volume, son
poids môme, et une foule d'autres propriétés, dont la con-
naissance semblait devoir nous être nécessairement in-
terdite.
C'est par de tels travaux que Tbomme a pu parvenir à
coonattre non-seulement les distances des astres à la
terre, et par suite, entre eux, mais leur grandeur effective,
leur véritable figure, jusqu'aux inégalités de leur surface,
et, ce qui semble se dérober bien plus encore à nos moyens
d'investigation, leurs masses respectives, leurs densités
moyennes, les circonstances principales de la cbule des
corps pesants à la surface de chacun d'eux, etc. Par la puis-
sance des théories mathématiques, tous ces divers résul-
tats, et bien d'autres encore relatifs aux différentes classes
^e phénomènes naturels, n'ont exigé définitivement d'autres
mesures immédiates que celles d'un très-petit nombre
de lignes droites, convenablement choisies, et d'un plus
C^nd nombre d'angles. On peut même dire^ en toute ri-
^enr, pour indiquer d'un seul trait la portée générale de
la science, que si l'on ne craignait pas avec raison de mui-
^plier sans nécessité les opérations mathématiques, et si,
X>ar cfbnséquent, on ne devait pas les réserver seulement
pour la détermination des quantités qui ne pourraient
nullement être mesurées directement, ou d'une manière
hissez exacte, la connaissance de toutes les grandeurs sus-
A. Court. Tome !• ^
i)8 MATHÉMATIQUES.
ceptibles d'estimation précise que les divers ordres de phé-
nomènes peuvent nous ofl'rir, serait finalement réductible
à la mesure immédiate d'une ligne droite unique et d'an
nombre d'angles convenable.
Nous sommes donc parvenu maintenant à définir av6c
exactitude la science mathématique, en lui assignant pooi
but la mesure indirecte- des grandeurs, et disant qu'on s'j
propose constamment de déterminer les grandeurs les uneà
par les autres, d'après les* relations précises qui existent entn
elles. Cet énoncé, au lieu de donner seulement l'idée d'un
art^ comme le font jusqu'ici toutes les définitions or-
dinaires, caractérise immédiatement une véritable sciencty
et la montre sur-le-champ composée d'un immense encbal-
nement d'opérations intellectuelles, qui pourront évidem-
ment devenir très-compliquées, à raison de la suite d'int^
médiaires qu'il faudra établir entre les quantités inconnueîB
et celles qui comportent une mesure directe, du nombre
des variables coexistantes dans la question proposée, el
de la nature des relations que fourniront entre toutes ces
diverses grandeurs les phénomènes considérés. D'après
une telle définition, l'esprit mathématique consiste à re-
garder toujours comme liées entre elles toutes les quantités
que peut présenter un phénomène quelconque, dans la voe
de les déduire les unes des autres. Or, il n'y a pas évidem-
ment de phénomène qui ne puisse donner lieu à des con-
sidéralions de ce genre; d'où résulte l'étendue naturelle*
ment indéfinie et môme la rigoureuse universalité logique
de la science mathématique : nous chercherons plus loin
à circonscrire, aussi exactement que possible, son exten-
sion effective. ^
Les explications précédentes établissent clairement b
justification du nom employé pour désigner la science que
nous considérons. Cette dénomination, qui a pris aujour-
ENSEMBLE DE. LA SCIENCE MATnÉMATIQUE. 99
d'bui une acception si déterminée, signifie simplement
par elle-même la scterur^ en général. Une telle désignation,
rigoureusement exacte pour les Grecs, qui n'avaient pas
d'autre science réelle, n'a pu être conservée par les mo*
dernes que pour indiquer les mathématiques comme la
science par excellence. £t, en effet, la déûnition à laquelle
nous Tenons d'être conduits, si l'on en écarte la circonstance
de la précision des déterminations, n'est autre chose que
la définition de toute véritable science quelconque, car
chacune *n'a-t-elle pas nécessairement pour but de déter-
oainer des phénomènes les uns par les autres, d'après les
relations qui existent entre eux? Toute science consiste
dans la coordination des faits ; si les diverses observation»
étaient entièrement isolées, il n'y auraH pas de science.
On peut même dire généralement que la science est essen-
tiellement destinée à dispenser, autant que le comportent
les divers phénomènes, de toute observation directe, en
permellanl de déduire du plus petit nombre possible de
données immédiates ie plus grand nombre possible de
résultats. N'est-ce point là, en eUet, l'usage réel, soit dans
la spéculation, soit dans l'action, des lois que nous parve*
nons à découvrir entre les phénomènes naturels ? La science
mathématique ne fait, d'après cela, que pousser au plus
baut degré possible, tant sous le rapport de la quantité que
sous celui de la qualité, sur les sujets véritablement de son
xressort, le même genre de recherches que poursuit, à des
<iegrés plus ou moins inférieurs, chaque science réelle dans
Ha sphère respective.
C'est donc par l'étude des mathématiques, et seulement
par elle, que l'on peut se faire une idée juste et approfon-
<lie de ce que c'est qu'une science. C'est là uniquement
«ju'OD doit chercher à connaître avec précision la mé-
thode générale que l'esprit humain emploie constamment
100 MATUÉMATIQUES*
dans toutes ses recherches positives^ parce que nulle part
ailleurs les questions ne sont résolues d'une manière aussi
complète, et les déductions prolongées aussi loin avec une
sévérité rigoureuse. C'est là également que notre entende-
ment a donné les plus grandes preuves de sa force, parce
que les idées qu'il y considère sont du plus haut degré
d'abstraction possible dans Tordre positif. Toute éducation
scientifique qui ne commence point par une telle étude
pèche donc nécessairement par sa base.
Nous avons jusqu'ici envisagé la science mathématique
seulement dans son ensemble total, sans avoir aucun égard
à ses divisions. Nous devons maintenant, pour compléter
cette vue générale et nous former une juste idée du carac-
tère philosophique de la science, considérer sa division
fondamentale. Les divisions secondaires seront examinées
dans les leçons suivantes.
Cette division principale ne saurait être vraiment ration-
nelle, et dériver de la nature môme du sujet, qu'autant
qu'elle se présentera spontanément, en faisant l'analyse
exacte d'une question mathématique complète. Ainsi, après
avoir déterminé ci-dessus quel est l'objet général des tra-
vaux mathématiques, caractérisons maintenant avec préci-
sion les divers ordres principaux de recherches dont ils se
composent constamment.
La solution complète de toute question maihématique
se décompose nécessairement en deux parties d'une na-
ture essentiellement distincte, et dont la relation est inva-
riablement déterminée. En effet, nous avons vu que toute
recherche mathématique a pour objet de déterminer des
grandeurs inconnues, d'après les relations qui existent
entre elles et des grandeurs connues. Or il faut évidem-
ment d'abord, à celte fin, parvenir à connaître avec préci-
sion les relations existantes entre les quantités que Ton
ENSEMBLE DE LA SCIENCE MATHÉMATIQUE. 101
considère. Ce premier ordre de recherches constitue ce
que j'appelle la partie concrète de la solution. Quand elle
est terminée, la question change de nature ; elle se réduit
à une pure question de nombres, consistant simplement
désormais à déterminer des nombres inconnus, lorsqu'on
sait quelles relations précises les lient à des nombres con-
nus. C'est dans ce second ordre de recherches que consiste
ce que je nomme la partie abstraite de la solution. De là
résulte la division fondamentale de la science mathéma-
tique générale en deux grandes sciences, la mathématique
abstraite et la mathématique concrète.
Cette analyse peut être observée dans toute question
mathématique complète, quelque simple ou quelque com-
pliquée qu'elle soit. li suffira, pour la faire bien compren-
dre, d'en indiquer un seul exemple.
Reprenant le phénomène déjà cité de la chute verticale
d'un corps pesant, et considérant le cas le plus simple, on
voit que, pour parvenir à déterminer l'une par l'autre la
hauteur d'où le corps est tombé et la durée de sa chute, il
faut commencer par découvrir la relation exacte de ces
deux quantités, ou, suivant le langage des géomètres,
Véquatùm qui existe entre elles. Avant que cette première
recherche soit terminée, toute tentative pour déterminer
numériquement la valeur de l'une de ces deux grandeurs
par celle de l'autre serait évidemment prématurée, car elle
n'aurait aucune base. Il ne suffit pas de savoir vaguement
qu'elles dépendent l'une de l'autre, ce que tout le monde
aperçoit sur-le-champ, mais il faut déterminer en quoi
consiste cette dépendance ; ce qui peut être fort difficile,
et constitue, en efi'et, dans le cas actuel, la partie incompa-
rablement supérieure du problème. Le véritable esprit
scientifique est si moderne et encore tellement rare, que
personne peut-être avant Galilée n'avait seulement remar-
lot MATHÉMATIQUES.
que l'accroissement de vitesse qu'éprouve un corps dans sa
chute, ce qui exclut l'hypothèse vers laquelle notre intel-
ligence, toujours portée involontairement à supposer dans
chaque phénomène les fonctions les plus simples, sans au-
cun autre motif que sa plus grande facilité à les concevoir,
serait naturellement entraînée, la hauteur proportionnelle
au temps. En un mot, ce premier travail aboutit à la décou-
verte de la loi de Galilée. Quand celte partie concrète est
terminée, la recherche devient d'une tout autre nature.
Sachant que les espaces parcourus par le corps dans cha-
que seconde successive de sa chute croissent comme la
suite des nombres impairs, c'est alors une question pure-
ment numérique et abstraite que d'en déduire ou la hau-
teur d'après le temps, ou le temps par la hauteur, ce qui
consistera à trouver que, d'après la loi établie, la première
de ces deux quantités est un multiple connu de la seconde
puissance de l'autre, d'où Ton devra Gnalement conclure
la valeur de l'une quand celle de l'autre sera donnée.
Dans cet exemple, la question concrète est plus difficile
que la question abstraite. Ce serait Tinverse, si l'on coLsi-
dérait le même phénomène dans sa plus grande généralité,
tel que je l'ai envisagé plus haut pour un autre motif. Sui-
vant les cas, ce sera tantôt la première, tantôt la seconde
de ces deux parties qui constituera la principale difficulté
de la question totale; la loi mathématique du phénomène
pouvant être très-simple, mais difficile à obtenir, et, dans
d'autres occasions, facile à découvrir, mais fort compli-
quée : en sorte que les deux grandes sections de la science
mathématique, quand on les compare en masse, doivent
être regardées comme exactement équivalentes en étendue
et en difficulté^ aussi bien qu'en importance, ainsi que
nous le constaterons plus tard en considérant chacune
d'elles séparément.
ENSEMBLE DE LA SCIENCE MATHÉMATIQUE. 108
Ces deux parties, essentiellement distinctes, d'après l'ex-
plicatioQ précédente^ par l'objet que Tesprit s'y propose,
^e le sont pas moins par la nature des recherches dont elles
^e composent.
La première doit porter le nom de concrète^ car elle dé-
pend évidemment du genre des phénomènes considérés,
et doit varier nécessairement lorsqu'on envisagera de nou-
veaux phénomènes; tandis que la seconde est complète-
ment iodépendante de la nature des objets examinés, et
porte seulement sur les relations numériques qu'ils pré-
sentent, ce qui doit la faire appeler abstraite. Les mômes
relations peuvent exister dans un grand nombre de phéno-
mènes différents, qui, malgré leur extrême diversité,
seront envisagés par le géomètre comme offrant une ques-
tion analytique, susceptible, en l'étudiant isolément, d'être
résolue une fois pour toutes. Ainsi, par exemple, la
même loi qui règne entre l'espace et le temps, quand on
examine la chute verticale d'un corps dans le vide,
se retrouve pour d'autres phénomènes qui n'offrent au-
cune analogie avec le premier ni entre eux : car elle
exprime aussi la relation entre l'aire d'un corps sphérique
et la longueur de son diamètre; elle détermine également
le jdécroissement de l'intensité de la lumière ou de la cha-
leur à raison de la distance des objets éclairés ou échauf-
fés, etc. La partie abstraite, commune à ces diverses ques-
tions mathématiques, ayant été traitée à l'occasion d'une
seule d'entre elles, se trouvera l'être, par cela même, pour
toutes les autres; tandis que la partie concrète devra né-
cessairement être reprise pour chacune séparément, saus
€|ue la solution de quelques-unes puisse fournir, sous ce
rapport, aucun secours direct pour celle des suivantes. Il
est impossible d'établir de véritables méthodes générales
qui, par une marche déterminée et invariable, assurent.
104 MATH£MATIQU£S.
dans tous les cas, la découverte des relations existantes
entre les quantités, relativement à des phénomènes quel-
conques : ce sujet ne comporte nécessairement que des
méthodes spéciales pour telle ou telle classe de phéno-
mènes géométriques, ou mécaniques, ou thermologi-
ques, etc. On peut, au contraire, de quelque source que
proviennent les quantités considérées, établir des méthodes
uniformes pour les déduire les unes des autres, en suppo*
sant connues leurs relations exactes. La partie abstraite des
mathématiques est donc, de sa nature, générale; la partie
concrète, spéciale.
En présentant cette comparaison sous un nouveau point
de vue, on peut dire que la mathématique concrète a un
caractère philosophique essentiellement expérimental,
physique, phénoménal; tandis que celui de la mathéma-
tique abstraite est purement logique, rationnel. Ce n'est
pas ici le lieu de discuter exactement les procédés qu'em-
ploie l'esprit humain pour découvrir les lois mathémati-
ques des phénomènes. Mais, soit que l'observation précise
suggère elle-même la loi, soit, comme il arrive plus sou-
vent, qu'elle ne fasse que confirmer la loi construite par le
raisonnement d'après les faits les plus communs; toujours
est-il certain que cette loi n'est envisagée comme réelle
qu'autant qu'elle se montre d'accord avec les résultats de
l'expérience directe. Ainsi, la partie concrète de toute
question mathématique est nécessairement fondée sur la
considération du monde extérieur, et ne saurait jamais,
quelle qu'y puisse être la part du raisonnement, se résou-
dre par une simple suite de combinaisons intellectuelles^
La partie abstraite, au contraire, quand elle a été d'abord
bien exactement séparée, ne peut consister que dans une
série de déductions rationnelles plus ou moins prolongée.
€ar, si l'on a une fois trouvé les équations d'un phénomène,
ENSEMBLE DE LA SCIENCE MATHÉMATIQUE. 105
\à détermination des unes par les autres des quantités qu'on
y considère, quelques difficultés d'ailleurs qu'elles puis-
sent souvent offrir^ est uniquement du ressort du raisonne-
ment. C'est à rintelligence qu'il appartient de déduire, de
ces équations, des résultats qui y sont évidemment com-
pris, quoique d'une manière peut-être fort implicite, sans
qu'il y ait lieu à consulter de nouveau le monde extérieur,
dont la considération^ devenue dès lors étrangère, doit
même être soigneusement écartée pour réduire le travail à
sa Térilable difficulté propre.
On voit, par cette comparaison générale, dont je dois
me borner ici à indiquer les traits principaux, combien
est naturelle et profonde la division fondamentale établie
ci-dessus dans la science mathématique.
Pour terminer l'exposition générale de cette division,
il ne nous reste plus qu'à circonscrire, aussi exactement
que nous puissions le faire dans ce premier aperçu, cha-
cune des deux grandes sections de la science mathéma-
tique.
La mathématique concrète, ayant pour objet de découvrir
les équations des phénomènes, semblerait, â priori, devoir
se composer d'autant de sciences distinctes qu'il y a de
catégories réellement différentes pour nous parmi les phé-
nomènes naturels. Mais il s'en faut de beaucoup qu'on soit
encore parvenu à découvrir des lois mathématiques dans
tous les ordres de phénomènes ; nous verrons môme tout à
l'heure que, sous ce rapport, la majeure partie se dérobera
lrès*vraisemblabiement toujours à nos efforts. En réalité,
dans l'état présent de l'esprit humain, il n'y a directement
qae deux grandes catégories générales de phénomènes
dont oo connaisse constamment les équations; ce sont
d'aboi^ les phénomènes géométriques^ et ensuite les phé-
nomènes mécaniques. Ainsi, la partie concrète des mathé-
106 MATHÉMATIQUES.
matiques se compose donc de la géomélrie et de la méca-
nique ralionnelle.
Cela sufût, il est vrai, pour lui donner un caractère coai-
plet d'universalité logique, quand on considère l'ensemble
des phénomènes du point de vue le plus élevé de la philo-
sophie naturelle. En effet, si toutes les parties deTunivers
étaient conçues comme immobiles, il n'y aurait évidem-
ment à observer que les phénomènes géométriques^ puis-
que tout se réduirait à des relations de forme, de grandeur
et de situation; ayant ensuite égard aux mouvements qui
s'y exécutent, il y a lieu à considérer de plus des phéno-
mènes mécaniques. En appliquant ici^ après l'avoir suffi-
samment généralisée, une conception philosophique due
A de Biainville, et déjà citée pour un autre usage dans la
leçon, on peut donc établir que, vu sous le rapport sta-
tique, l'univers ne présente que des phénomènes géomé-
triques ; et, sous le rapport dynamique, que des phéno-
mènes mécaniques. Ainsi la géométrie et la mécanique
constituent, par elles-mêmes, les deux sciences naturelles
fondamentales, en ce sens, que tous les effets naturels
peuvent être conçus comme de simples résultats néces-
saires^ ou des lois de l'étendue^ ou des lois du mouve-
ment.
Mais, quoique cette conception soit toujours logiquement
possible, la difOculté est de la spécialiser avec la précision
nécessaire, et de la suivre exactement dans chacun des cas
généraux que nous offre l'élude de la nature, c'est-à-dire
de réduire effectivement chaque question principale de
philosophie naturelle, pour tel ordre de phénomènes déter-
miné, à la question de géométrie ou de mécanique, à la-
quelle on pourrait rationnellement la supposer ramenée.
Cette transformation, qui exige préalablement de ^çrands
progrès dans l'étude de chaque classe de phénomènes, n'a
ENSEMBLE DE LA SCIENCE MATUÉMATIQUE. 107
éléréellement exécutée jusqu'ici que pour les phénomènes
astronomiques, et pour une partie de ceux que considère
la physique terrestre proprement dite. C'est ainsi que l'as-
tronomie, l'acoustique, l'optique, etc., sont devenues Ona*
leinent des applications de la science mathématique à de
certains ordres (d'observations (1). Mais, ces applications
D'étant point, par leur nature, rigoureusement circons-
crites, ce serait assigner à la science un domaine indélini
et entièrement vague, que de les confondre avec elle,
tomme on le fait dans la division ordinaire, si vicieuse à
tant d'autres égards, des mathématiques en pures et appli-
quées. Nous persisterons donc à regarder la mathématique
concrète comme uniquement composée de la géométrie et
de la mécanique.
Quant à la mathématique abstraite^ dont j'examinerai la
division générale dans la leçon suivante^ sa nature est net-
Ci) Je dois faire ici, par aoticipation, une mentiou sommaire de la ther-
nologie, à laquelle je consacrerai plus tard une leçon spéciale. La théorie
mathématique des phénomènes de la chaleur a pris, par les mémorables
travaux de son illustre fondsteur.un tel caractère, qu'on peut aujourd'hui
la concevoir, après la géométrie et la mécanique, comme une véritable troi-
sième section distincte de la mathématique concrète, puisque M. Fourier
a établi, d'une manièie entièrement direcic, les équations thcrmologiques,
ao lieu de se représenter hypothétiquement les questions comme des appli-
«ttions de la mécanique, ainsi qu'on a tenté de le faire pour les pliéno-
mènes électriques, par exemple. Cette grande dtfcouverte, qui, comme
tontes celles qui se rapportent \ la méthode, n'est pas encore convenable-
ment appréciée, mérite singulièrement notre attention : car, outre son
importance immédiate pour l'étude vraiment rationnelle et positive d*un
ordre de phénomènes aussi universel et aussi fondamental, elle tiMid à
relever nos espérances philosophiques, quanta l'extension future des appli-
cationt légitimes de l'analyse mathématique, ainsi que Je Texpliquerai
daoa le second volume de ce cours, en examinant le caractère général de
cette nouvelle série de travaux. Je n'aurais pas hésité dès à présent à traiter
Uthermologie, ainsi conçue, comme une troisième branche principale de
U mathématjqne concrète, si Je n'avais craint de diminuer l'utilité de cet
Mfrage en m'écartant trop des habitudes ordinaires.
108 MATHÉMATIQUES.
tement et exactement déterminée. Elle se compose de ce
qu'on appelle le calcul, en prenant ce mot dans sa plus
grande extension, qui embrasse depuis les opérations nu»
mériques les plus simples Jusqu'aux plus sublimes combi-
naisons de l'analyse transcendante. Le calcul a pour objet
propre de résoudre toutes les questions de nombres. Son
point de départ est, constamment et nécessairement^ la
connaissance de relations précises, c'est-à-dire adéquations^
entre les diverses grandeurs que l'on considère simultané-
ment, ce qui est, au contraire, le terme de la mathémati-
que concrète. Quelque compliquées ou quelque indirecte3
que puissent être d'ailleurs ces relations, le but final de la
science du calcul est d'en déduire toujours les valeurs des
quantités inconnues par celles des quantités connues. Cette
science, bien que plus perfectionnée qu'aucune autre, est,
sans doute, réellement peu avancée encore, en sorte que
ce but est rarement atteint d'une manière complètement
satisfaisante. Mais tel n'en est pas moins son vrai caractère.
Four concevoir nettement la véritable nature d'une science,
il faut toujours la supposer parfaite.
Afin de résumer le plus philosophiquement possible les
considérations ci-dessus exposées sur la division fonda-
mentale des mathématiques, il importe de remarquer
qu'elle n'est qu'une application du principe général de
classification qui nous a permis d'établir, dans la leçon
précédente, la hiérarchie rationnelle des différentes sciences
positives.
Si l'on compare, en effet, d'une partie calcul, et d'une
Riitre part la géométrie et la mécanique, on vérifie, relati-
vement aux idées considérées dans chacune de ces deux
sections principales de la mathématique, tous les carac-
tères essenliels de notre méthode encyclopédique. Le»
idées analytiques sont évidemment à la fois plus abstraites.
ENSEMBLE DE LA SCIENCE MATUÉMATTQUE. 109
plus générales et plus simples que les idées géoméiriques
ou mécaniques. Bien que les conceptions principales de
l'analyse mathématique^ envisagées historiquement, se
soient formées sous l'influence des considérations de géo-
métrie ou de mécanique, au perfectionnement desquelles
les progrès du calcul sont étroitement liés, l'analyse n'en
estpas moins, sous le point de vue logique, essentielle-
ment indépendante de la géométrie et de la mécanique,
lâodis que celles-ci sont, au contraire, nécessairement
fondées sar la première.
L'analyse mathématique est donc, d'après les principes
qae nous avons constamment suivis jusqu'ici, la véritable
base rationnelle du système entier de nos connaissances po-
sitives. Elle constitue la première et la plus parfaite de
toutes les sciences fondamentales. Les idées dont elle s'oc-
cupe sont les plus universelles, les plus abstraites et les
plus simples que nous puissions réellement concevoir. On
ne saurait tenter d'aller plus loin, sous ces trois rapports
équivalents, sans tomber inévitablement dans les rêveries
métaphysiques. Car quel substraium effectif pourrait-il
rester dans l'esprit pour servir de sujet positif au raisonne-
ment, si on voulait supprimer encore quelque circonstance
dans les notions des quantités indéterminées, constantes ou
variables, tels que les géomètres les emploient aujourd'hui,
afin de s'élever à un prétendu degré supérieur d'abstrac-
tion, comme le croient les ontologisles?
Cette nature propre de Tanalyse mathématique permet
de s'expliquer aisément pourquoi, lorsqu'elle est convena-
blement employée, elle nous offre un si puissant moyen,
non-seulement pour donner plus de précision à nos con-
naissances réelles, ce qui est évident de soi-même, mais
surtout pour établir une coordination infiniment plus par-
faite dans l'étude des phénomènes qui comportent cette
110 MATHÉMATIQUES.
application. Car, les conceptions ayant été généralisées et
siaipliûées le plus possible, à tel point qu'une seule question
analytique, résolue abstraitement, renferme la solution im-
plicite d'une foule de questions physiques diverses, il doit
nécessairement en résulter pour l'esprit humain une plus
grande facilité à apercevoir des relations entre des phéno-
mènes qui semblaient d'abord entièrement isolés les uns
des autres, et desquels on est ainsi parvenu à tirer, pour
le considérer à part, tout ce qu'ils ont de commun. C'est
ainsi qu'en examinant la marche de notre intelligence dans
la solution des questions importantes de géométrie et de
mécanique, nous voyons surgir naturellement, par Tinter^
médiaire de l'analyse, les rapprochements les plus fré«
quents et les plus inattendus entre des problèmes qui n'of-
fraient primitivement aucune liaison apparente, et que
nous finissons souvent par envisager comme identiques*
Pourrions-nous, par exemple, sans le secours de l'analyse,
apercevoir la moindre analogie entre la détermination de
la direction d'une courbe à chacun de ses points, et celle
de la vitesse acquise par un corps à chaque instant de son
mouvement varié, questions qui, quelque diverses qu'elles
soient, n'en font qu'une aux yeux du géomètre?
La haute perfection relative de l'analyse mathématique,
comparée à toutes les autres branches de nos connais-
sances positives, se conçoit avec la même facilité, quand
on a bien saisi son vrai caractère général. Cette perfection
ne tient pas, comme l'ont cru les métaphysiciens, et sur-
tout Condillac, d'après un examen superficiel, h la Uiiture
des signes éminemment concis et généraux qu'on emploie
comme instruments de raisonnement. Dans cette impor-
tante occasion spéciale, comme dans toutes les autres, Tin*
fluence des signes a été considérablement exagérée, bien
qu'elle soit, sans doute, très-réelle, ainsi que l'avaient
S.^SEMBLE DE LA SCIENCE MATHÉMATIQUE. Ht
reconnu, avant Condillac, et d'une nnaniére bien plus
exacte, la plupart des géomôlres. En rénlité, toutes les
grandes conceptions analytiques ont été formées sans que
^es signes algébriques fussent d'aucun secours essentiel,
anlrement que pour les exploiter après que l'esprit les avait
obtenues. La perfection supérieure de la science du calcul
tient principalement à l'extrême simplicité des idées qu'elle
considère, par quelques signes qu'elles soient exprimées :
en sorte qu'il n'y a pas le moindre espoir, à l'aide d'aucun
artifice quelconque du langage scientifique, môme en le
supposant possible, de perfectionner, au môme degré, des
théories qui, portant sur des notions plus complexes, sont
nécessairement condamnées, par leur nature, à une infé-
riorité logique plus ou moins grande suivant la classe cor*
respondante de phénomènes.
L'examen que nous avons tenté de faire, dans cette
leçon, du caractère philosophique de la science mathéma-
tique, resterait incomplet, si, après l'avoir envisagée dans
800 objet et dans sa composition, nous n'indiquions pas
quelques considérations générales directement relatives à
rétendue réelle de son domaine.
A cet effet, il est indispensable de reconnaître avant
tout, pour se faire une juste idée de la véritable nature des
mathématiques, que, sous le point de vue purement lo-
gique, cette science est, par elle-môme, nécessairement
et rigoureusement univerbelle. Car il n'y a pas de question
quelconque qui ne puisse finalement être conçue comme
consistant à déterminer des quantités les unes par les autres
d'après certaines relations, et, par conséquent, comme
réductible, en dernière analyse, à une simple question de
nombres. On le comprendra si l'on remarque effective-
ment que, dans toutes nos recherches, à quelque ordre de
phénomènes qu'elles se rapportent, nous avons définitive -
112 MATHÉMATIQUES.
ment en vue d'arriver à des nombres, à des doses. Quoique
nous n'y parvenions le plus souvent que d'une manière fort
grossière et d'après des méthodes (rès-incertaines, il n'en
est pas moins évident que tel est le terme réel de tous nos
problèmes quelconques. Ainsi, pour prendre un exemple
dans la classe de phénomènes la moins accessible à l'esprit
mathématique, les phénomènes des corps vivants, consi-
dérés même, pour plus de complication, dans le cas patho-
logique, n'est-il pas manifeste que toutes les questions de
thérapeutique peuvent être envisagées comme consistant à
déterminer les quantités de tous les divers modificateurs
de Torganisme qui doivent agir sur lui pour le ramener à
l'état normal, en admettant, suivant l'usage des géomètres,
les valeurs nulles, négatives, ou même contradictoires,
pour quelques-unes de ces quantités dans certains cas?
Sans doute, une telle manière de se représenter la question
ne peut être en effet réellement suivie, comme nous allons
le voir, pour les phénomènes les plus complexes, parce
qu'elle nous présente dans l'application des difficultés
insurmontables; mais, quand il s'agit de concevoir abstrai-
tement toute la portée intellectuelle d'une science, il im-
porte de lui supposer l'extension totale dont elle est logi-
quement susceptible.
On objecterait vainement contre une telle conception la
division générale des idées humaines selon les deux caté-
gories de Rant, de la quantité et de la qualité, dont la
première seule constituerait le domaine exclusif de la
science mathématique. Le développement môme de cette
science a montré positivement depuis longtemps le peu de
réalité de cette superficielle distinction métaphysique. Car
la conception fondamentale de Descartes sur la relation du
concret à l'abstrait, en mathématiques, a prouvé que toutes
les idées de qualité étaient réductibles à des idées de quan-
ENSEMBLE DE LA SCIENCE MATHÉMATIQUE. H 8
tité. Cette conception, établie d'abord, par son immortel
auteur, pour les phénomènes géométriques seulement, a
été ensuite effectivement étendue par ses successeurs aux
phénomènes mécaniques; et elle vient de l'être de nos
jours aux phénomènes thermologiques. En résultat de cette
généralisation graduelle, il n'y a pas maintenant de géomè-
tres qui ne la considèrent, dans un sens purement théo-
rique, comme pouvant s'appliquer à toutes nos idées
réelles quelconques, en sorte que tout phénomène soit
l(^quement susceptible d'être représenté par une équation,
aussi bien qu'une courbe ou un mouvement, sauf la diffi-
culté de la trouver, et celle de la résoudre, qui peuvent être
€t sont souvent supérieures aux plus grandes forces de
l'esprit humain.
Mais si, pour se former une idée convenable de la science
mathématique, il importe de la concevoir comme étant né-
cessairement douée par sa nature d'une rigoureuse univer-
salité logique, il n'est pas moins indispensable de considé-
rer maintenant les grandes limitations réelles qui, vu la
faiblesse de notre intelligence, rétrécissent singulièrement
son domaine effectif, à mesure que les phénomènes se
compliquent en se spécialisant.
Toute question peut sans doute, ainsi que nous venons
de le voir, être conçue comme réductible à une pure ques-
tion de nombres. Mais la difficulté de la traiter réellement
sous ce point de vue, c'est-à-dire d'effectuer une telle
transformation, est d'autant plus grande, dans les diverses
parties essentielles de la philosophie naturelle, que Ton
considère des phénomènes plus compliqués, en sorte que,
sauf pour les phénomènes les plus simples et les plus gé-
néraux, elle devient bientôt insurmontable.
On le sentira aisément, si Ton considère que, pour faire
rentrer une question dans le domaine de l'analyse malbc-
A. CoMTP.. Tome I. 8
1 1 4 MATHÉMATIQUES.
malique, il faut d'abord être parvenu à découvrir des rela-
tions précises enlre les quantités coexistantes dans le phé-
nomène étudié, rétablissement de ces équations des phé-
nomènes étant le point de départ nécessaire de tous les
travaux analytiques. Or, cela doit être évidemment d'autant
plus difficile, qu'il s'agit de phénomènes plus particuliers,
et par suite plus compliqués. En examinant sous ce point
de vue les diverses catégories fondamentales des phéno-
mènes naturels établis dans la leçon précédente, on trou-
vera que, tout bien considéré, c'est seulement au plus pour
les trois premières, comprenant toute la physique inorga-
nique, qu'on peut légitimement espérer d'atteindre un jour
ce haut degré de perfection scientifique, autant du moins
qu'une telle limite peut être posée avec précision. Comme
je dois plus tard traiter spécialement cette discussion par
rapport à chaque science fondamentale, il suffira de l'in-
diquer ici de la manière la plus générale.
La première condition pour que des phénomènes com-
portent des lois mathématiques susceptibles d'être décou-
vertes, c'est évidemment que les diverses quantités qu'ils
présentent puissent donner lieu à des nombres fixes. Or,
en comparant, à cet égard, les deux grandes sections prin-
cipales de la philosophie naturelle, on voit que Idiphysique
organique tout entière, et probablement aussi les parties les
plus compliquées de la physique inorganique, sont nécessai-
rement inaccessibles, par leur nature, à notre analyse ma-
thématique, en vertu de l'extrême variabilité numérique
des phénomènes correspondants. Toute idée précise de
nombres fixes est véritablement déplacée dans les phéno-
mènes des corps vivants, quand on veut l'employer autre-
ment que comme moyen de soulager l'attention, et qu'on
attache quelque importance aux relayons exactes des va-
leurs assignées. Sous ce rapport, les réflexions de Bichat,
ENSEMBLE DE LA SCIENCE MATHÉMATIQUE. 115
sur i'abus de l'esprit mathématique en physiologie, sont
parfaitement justes ; on sait à quelles aberrations a conduit
cette manière vicieuse de considérer les corps vivants.
Les différentes propriétés des corps bruts, surtout les
plus générales, se présentent dans chacun d'eux avec des
degrés presque invariables, ou du moins elles n'éprouvent
que des variations simples, séparées par de longs inter-
valles d'uniformité, et qu'il est possible, en conséquence,
d^assujettir à des lois précises et régulières. Ainsi, les qua-
lités physiques d'un corps inorganique, principalement
quand il est solide^ sa forme, sa consistance, sa pesanteur
spécifique, son élasticité, etc., présentent, pour un temps
considérable, une fixité numérique remarquable, qui per-
met de les considérer réellement et utilement sous un
point de vue mathématique. Cm sait qu'il n'en est déjà plus
ainsi à beaucoup près pour les phénomènes chimiques que
présentent les mêmes corps, et qui, plus compliqués, dé-
pendant d'un bien plus grand nombre de circonstances,
présentent des variations plus étendues, plus fréquentes,
et par suite plus irrégulières. Aussi, d'après quelques con-
sidérations déjà indiquées dans la première leçon et qui
seront spécialement développées dans. le troisième volume
de ce cours, on ne peut pas seulement assurer aujourd'hui,
d'une manière générale, qu'il y ait lieu à concevoir des
nombres fixes en chimie, môme sous le rapport le plus
simple, quant aux proportions relatives des corps dans
leurs combinaisons, ce qui montre clairement combien un
tel ordre de phénomènes est encore loin de comporter de
véritables lois mathématiques. Admettons-en néanmoins,
pour ce cas, la possibilité et môme la probabilité Futures,
afin de ne pas rendre trop minutieuse la discussion de la
limite générale qu'il s'agit d'établir ici par rapport à l'ex-
tension, effectivement possible, du domaine réel de l'ana-
116 MATHÉMATIQUES.
lyse mathématique. Il n'y aura plus le moindre doute aus-
sitôt que nous passerons aux phénomènes que présentent
les corps, considérés dans cet état d'agitation intestine con-
tinuelle de leurs molécules, qui constitue essentiellement
ce que nous nommons la vie, envisagée de la manière la
plus générale, dans Tensemble des ôtres qui nous la mani-
Testent. En eCTet, un caractère éminemment propre aux
phénomènes physiologiques, et que leur étude plus exacte
rend maintenant plus sensible de jour en jour, c'est Tex-
trôme instabilité numérique qu'ils présentent, sous quel-
que aspect qu'on les examine, et que nous verrons plus
tard, quand l'ordre naturel des matières nous y conduira,
ôtre une conséquence nécessaire de la déûnition môme
des corps vivants. Quant à présent, il suffit de noter cette
observation incontestable, vérifiée par tous les faits, que
chaque propriété quelconque d'un corps organisé, soit
géométrique, soit mécanique, soit chimique, soit vitale, est
assujettie, dans sa quantité, à d'immenses variations numé-
riques tout à fait irrégulières, qui se succèdent aux inter-
valles les plus rapprochés sous l'influence d'une foule de
circonstances, tant extérieures qu'intérieures, variables
elles-mêmes; en sorte que toute idée de nombres fixes, et,
par suite, de lois mathématiques que nous puissions espé-
rer d'obtenir, implique réellement contradiction avec la
nature spéciale de cette classe de phénomènes. Ainsi,
quand on veut évaluer avec précision, môme uniquement
les qualités les plus simples d'un ôtre vivant, par exemple
sa densité moyenne, ou celle de l'une de ses principales
parties constituantes, sa température, la vitesse de sa cir-
culation intérieure, la proportion des éléments immédiats
qui composent ses solides ou ses fluides, la quantité d'oxy-
gène qu'il consomme en un. temps donné, la masse de ses
absorptions ou de ses exhalations continuelles, etc., et, à
ENSEMBLE DE LA SCIENCE MATHÉMATIQUE. 117
plus forte raison, Ténergie de ses forces musculaires, l'iu-
tensilé de ses impressions, etc., il ne faut pas seulement,
ce qui est évident, faire, pour chacun de ses résultats, au-
tant d'observations qu'il y a d'espèces ou de races et de va-
riétés dans chaque espèce; on doit encore mesurer le
changement très-considérable qu'éprouve cette quantité
en passant d'un individu à un autre, et quant au môme
individu, suivant son âge, son état de santé ou de maladie,
sa disposition intérieure, les circonstances de tout genre
incessamment mobiles sous l'influence desquelles il se
trouve placé, telles que la constitution atmosphérique, etc.
Que peuvent donc signifier ces prétendues évaluations nu-
mériques si soigneusement enregistrées pour les divers
phénomènes physiologiques ou même pathologiques, et
déduites, dans le cas le plus favorable, d'une seule mesure
réelle, -lorsqu'il en faudrait une multitude? Elles ne peu-
vent qu'induire en erreur sur la vraie marche des phéno-
mènes, et ne doivent être appliquées rationnellement que
comme un moyen, pour ainsi dire mnémonique, de fixer
les idées. Dans tous les cas, il y a évidemment impossibi-
lité totale d'obtenir jamais de véritables lois mathémati-
ques. 11 en est encore plus fortement de môme pour les
phénomènes sociaux, qui offrent une complication encore
supérieure, et, par suite, une variabilité plus grande,
comme nous l'établirons spécialement dans le quatrième
volume de ce cours.
Ce n'est pas néanmoins qu'on doive cesser, d'après cela,
de concevoir, en thèse philosophique générale, les phéno-
mènes de tous les ordres comme nécessairement soumis
par eux-mêmes à des lois mathématiques, que nous sommes
seulement condamnés à ignorer toujours dans la plupart
des cas, à cause de la trop grande complication des phéno-
mènes. Il n'y a, en effet, aucune raison de penser que, sous
118 MATHÉMATIQUES.
ce rapport, les phénomènes les plus complexes des corps
vivants soient essentiellement d'une autre nature spéciale
que les phénomènes les plus simples des corps bruts. Car,
s'il était possible d'isoler rigoureusement chacune des
causes simples qui concourent à produire un même phé-
nomène physiologique, tout porte à croire qu'elle se mon-
trerait douée, dans des circonstances déterminées, d'un
genre d'influence et d'une quantité d'action aussi exacte-
ment fixes que nous le voyons dans la gravitation univer-
selle, véritable type des lois fondamentales de la nature.
Ce qui engendre la variabilité irrégulière des effets, c'est
le grand nombre d'agents divers déterminant à la fois un
môme phénomène et d'où il résulte que, dans les phéno-
mènes très-compliqués, il n'y a peut-être pas deux cas ri-
goureusement semblables. Nous n'avons pas besoin, pour
trouver une telle difficulté, d'aller jusqu'aux phénomènes
des corps vivants. Elle se présente déjà dans ceux des
corps bruts, quand nous considérons les cas les plus com-
plexes ; par exemple, en étudiant les phénomènes météo-
rologiques. On ne peut douter que chacun des nombreux
agents qui concourent à la production de ces phénomènes
ne soit soumis séparément à des lois mathématiques,
quoique nous ignorions encore la plupart d'entre elles ;
mais leur multiplicité rend les effets observés aussi irré-
gulièrement variables que si chaque cause n'était assujettie
à aucune condition précise.
La considération précédente conduit à apercevoir un
second motif distinct en vertu duquel il nous est nécessai-
rement interdit, vu la faiblesse de notre intelligence, de
faire rentrer l'élude des phénomènes les plus compliqués
dans le domaine des applications de l'analyse mathéma-
tique. En effet, indépendamment de ce que, dans les phé-
nomènes les plus spéciaux, les résultats effectifs sont telle-
ENSEMBLE DE LA SCIENCE MATHÉMATIQUE. 119
'^^ot variables que nous ne pouvons pas môme y saisir des
^^Jean fixes, il suit de la complication des cas, que, quand
'^^aie nous poumons connaître un jour la loi mathé-
'^atique à laquelle est soumis chaque agent pris à part, la
Combinaison d'un aussi grand nombre de conditions ran-
cirait le problème mathématique correspondant tellement
Supérieur à nos faibles moyens, que la question resterait le
I>Ias souvent insoluble. Ce n'est donc pas ainsi qu'on peut
f&ire une étude réelle et féconde de la majeure partie des
phénomènes naturels.
Pour apprécier aussi exactement que possible cette dif-
ficulté, considérons à quel point se compliquent les ques-
tions mathématiques, môme relativement aux phénomènes
les plus simples des corps bruts, quand on veut rappro-
cher suffisamment l'état abstrait de l'état concret, en ayant
égard à toutes les conditions principales qui peuvent exer-
cer sur l'effet produit une influence véritable. On sait, par
exemple, que le phénomène très-simple de l'écoulement
d'un fluide, en vertu de sa seule pesanteur, par un orifice
donné, n'a pas jusqu'à présent de solution mathématique
complète, quand on veut tenir compte de toutes les cir-
constances essentielles. Il en est encore ainsi, même pour
le mouvement encore plus simple d'un projectile solide
dans un milieu résistant.
Pourquoi l'analyse mathématique a-t-elle pu s'adapter,
avec un succès si admirable, à Tétude approfondie des
phénomènes célestes ? Parce qu'ils sont, malgré les appa-
rences vulgaires, beaucoup plus simples que tous les auires.
Le problème le plus compliqué qu'ils présentent, celui de
la modification que produit, dans le mouvement de deux
corps tendant l'un vers l'autre en vertu de leur gravitation,
l'influence d'un troisième corps agissant sur tous deux de
la même nanière, est bien moins composé que le pro-
190 MATHÉMATIQUES.
blême terreslre le plus simple. Et, néanmoins, il offre déjà
une telle difficulté, que nous n'en possédons encore que
des solutions approximatives. Il est môme aisé de voir, en
examinant ce sujet plus profondément, que la haute per-
fection à laquelle a pu s'élever l'astronomie solaire par
l'emploi de la science mathématique est encore essentielle-
ment due à ce que nous avons profité avec adresse de tontes
les facilités particulières, et, pour ainsi dire, accidentelles,
qu'offrait pour la solution des problèmes la constitutioQ
spéciale, très-favorable sous ce rapport, de notre système
planétaire. En effet, les planètes dont il se compose sont
assez peu nombreuses, mais surtout elles sont, en général,
de masses fort inégales et bien moindres que celle du so-
leil, et de plus fort éloignées les unes des autres, elles ont
des formes presque sphériques ; leurs orbites sont presque
circulaires, et présentent de faibles inclinaisons mutuelles,
etc. 11 résulte de cet ensemble de circonstances que les
perburbations sont le plus souvent peu considérables, etque,
pour les calculer, il suffit ordinairement de tenir compte,
concurremment avec l'action du soleil sur chaque planète
en particulier, de l'influence d'une seule autre planète,
susceptible, par sa grosseur et sa proximité, de détermi-
ner des dérangements sensibles. Mais si, au lieu d'un tel
état de choses, notre système solaire edt éi6 composé d'un
plus grand nombre de planètes concentrées dans un moin-
dre espace, et à peu près égales en masses ; si leurs orbites
avaient offert des inclinaisons fort différentes, et des excen-
tricités considérables ; si ces corps euss,ent été d'une forme
plus compliquée, par exemple, des ellipsoïdes très-excen-
triques, etc. ; il est certain qu'en supposant la môme loi
réelle de gravitation, nous ne serions pas encore parvenus
à soumettre l'étude des phénomènes célestes à notre
analy.^e mathématique, et probablement nous n'eussions
ENSEMBLE DE LA SCIENCE MATHÉMATIQUE. Jit
• pas même pu démêler jusqu'à présent la loi principale.
Ces conditions hypothétiques se trouveraient précisé-
ment réalisées au pins haut degré dans les phénomènes
chimiques, si on voulait les calculer d'après la théorie de
la gravi talion générale.
Ed pesant convenablement les diverses considérations
qaiprécèdent, on sera convaincu, je crois, qu'en réduisant
aux diverses parties de la physique inorganique l'extension
future des grandes applications réellement possibles de
l'analyse mathématique, j'ai bien plutôt exagéré que ré-
tréci l'étendue de son domaine effectif. Autant il importait
de rendre sensible la rigoureuse universalité logique de la
science mathématique, autant je devais signaler les condi-
tions qui limitent pour nous son extension réelle, afln de
Qe pas contribuer à écarter l'esprit humain de la véritable
t'irectioD scientifique dans l'étude des phénomènes les plus
<H>njpliqués, par la recherche chimérique d'une perfection
«
'Qipossible.
Ainsi, tout en s'efforçant d'agrandir autant qu'on le
Pourra le domaine réel des mathématiques, on doit recon-
naître que les sciences les plus difficiles sont destinées, par
'^or nature, à rester indéfiniment dans cet état prélimi-
^Uûre qui prépare pour les autres l'époque où elles devien-
nent accessibles aux théories mathématiques. Nous devons,
I^Hir les phénomènes les plus compliqués, nous contenter
4*analyser avec exactitude les circonstances de leur pro-
duclion, de les rattacher les uns aux autres d'une manière
générale, de connaître le genre d'influence qu'exerce cha-
(|ue agent principal, etc.; mais sans les étudier sous le
point de vue de la quantité, et par conséquent sans espoir
d'introduire, dans les sciences correspondantes, ce haut
degré de perfection que procure, quant aux phénomènes
les plus simples, un usage convenable de la mathématique^
1 22 MATHÉMATIQUES. — ENSEMBLE DE LA SCIENCE, ETC.
soit SOUS le rapport de la précision de nos connaissances,
soit, ce qui est peut-être encore plus remarquable, sous le
rapport de leur coordination.
C'est par les mathématiques que la philosophie positive
a commencé à se former : c'est d'elles que nous vient la
méthode. 11 était donc naturellement inévitable que, lorsque
la même manière de procédera dû s'étendre à chacune des
autres sciences fondamentales, on s'efforçât d'y introduire
l'esprit mathématique à un plus haut degré que ne le
comportaient les phénomènes correspondants ; ce qui a
donné lieu ensuite à des travaux d'épuration plus ou moins
étendus, comme ceux de Berthoilet sur la chimie, pour se
dégager de celte influence exagérée. Mais chaque science,
en se développant, a fait subir à la méthode positive gêné-
raie des modifications déterminées par les phénomènes
qui lui sont propres, d'où résulte son génie spécial ; c'est
seulement alors qu'elle a pris son véritable caractère défi-
nitif, qui ne doit jamais être confondu avec celui d'aucune
autre science fondamentale.
Ayant exposé, dans cette leçon, le but essentiel et la
composition principale de la science mathématique, ainsi
que ses relations générales avec l'ensemble de la philoso-
phie naturelle, son caractère philosophique se trouve dé-
terminé^ autant qu'il puisse l'être par un tel aperçu. Nous
devons passer maintenant à l'examen spécial de chacune
des trois grandes sciences dont elle est composée : le calcul,
la géométrie et la mécanique.
QUATRIÈME LEÇON
Sommaire. ~ Vue générale de l'Analyse mathématique,
Dans le développement historique de la science mathé-
matique depuis Descartes, les progrès de la partie abstraite
ont presque toujours été déterminés par ceux de la partie
concrète. Mais il n'en est pas moins nécessaire, pour con-
cevoir la science d'une manière vraiment rationnelle, de
considérer le calcul dans toutes ses branches principales
avant de procéder à l'étude philosophique de la géométrie
et de la mécanique. Les théories analytiques ,plus simples
et plus générales que celles de la mathématique concrète,
en sont, par elles-mêmes, essentiellement indépendantes ;
tandis que celles-ci ont, au contraire, de leur nature, un
besoin continuel des premières, sans le secours desquelles
elles ne pourraient faire presque aucun progrès. Quoique
les principales conceptions de l'analyse conservent encore
aujourd'hui quelques traces très-sensibles de leur origine
géométrique ou mécanique, elles sont maintenant néan-
moins essentiellement dégagées de ce caractère primitif,
qui ne se manifeste plus guère que pour quelques points
secondaires; en sorte que, depuis les travaux de Lagrange
surtout, il est possible, dans une exposition dogmatique,
de les présenter d'une manière purement abstraite, en un
système unique et continu. C'est ce que je vais entre-
prendre dans cette leçon et dans les cinq suivantes, en me
bornant, comme il convient à la nature de ce cours, aux
124 MATHÉMATIQUES.
considérations les plus générales sur chaque branche prin-
cipale de la science du calcul.
Le but définitif de nos recherches dans la niathématique
concrète étant la découverte des équations^ qui expriment
les lois mathénnatiques des phénomènes considérés, et ces
équations constituant le véritable point de départ du calcul,
dont l'objet est d'en déduire la détermination des quantités
les unes par les autres, je crois indispensable, avant d'allei
plus loin, d'approfondir, plus qu'on n'a coutume de le faire,
cette idée fondamentale d'équation^ sujet continuel, aoil
comme terme, soit comme origine, de tous les travam
mathématiques. Outre l'avantage de mieux circonscrire U
véritable champ de l'analyse^ il en résultera nécessaire
ment cette importante conséquence, de tracer d'une ma*
nière plus exacte la ligne réelle de démarcation entre II
partie concrète et la partie abstraite des mathématiques,
ce qui complétera l'exposition générale de la division fon-
damentale établie dans la leçon précédente.
On se forme ordinairement une idée beaucoup trop
vague de ce qnc c'est qu'une équation, lorsqu'on donne ce
nom à toute espèce de relation d'égalité entre deux.fonc*
lions quelconques des grandeurs que l'on considère. Cari si
toute équation est évidemment une relation d'égalité* il
s'en faut de beaucoup que, réciproquement, toute relalioo
d'égalité soit une véritable équation, du genre de cellei
auxquelles, par leur nature, les méthodes analytiques sool
applicables.
Ce défaut de précision dans la considération logique
d'une notion aussi fondamentale en mathématiques en-
traîne le grave inconvénient de rendre à peu près inexpli-
cable, en thèse générale, la difficulté immense et capitale
que nous éprouvons à établir la relation du concret à l'abs-
trait, et qu'on fait communément ressortir avec tant de
ANALYSE MATHÉMATIQUE. 125
raison pour chaque grande question mathématique prise
à part. Si le sens du mot équation était vraiment aussi
étendu qu'on le suppose habituellement en le définissant,
on ne voit point, en effet, de quelle grande difficulté pour-
rait éti'e réellement, en général, rétablissement des équa-
tions d'un problème quelconque. Car tout paraîtrait con-
sister ainsi en une simple question de forme, qui ne devrait
pas môme exiger jamais de grands eiforts intellectuels,
attendu que nous ne pouvons guère concevoir de relation
précise qui ne soit pas immédiatement une certaine re-
lation d'égalité, ou qui n'y puisse être promptement ra-
menée par quelques transformations très-fartiles.
Ainsiy en admettant^ en général, dans la définition de
éguatiom^ toute espèce de fonettons, on ne rend nullement
raison de l'extrême difficulté qu'on éprouve le plus souvent
émettre un problème en équation, et qui est si fréquem-
ment comparable aux efforts qu'exige l'élaboration ana-
lytique de l'équation une fois obtenue. En un mot, l'idée
abstraite et générale qu'on donne de Véquation ne corres-
pond aucunement au sens réel que les géomètres attachent
à cette expression dans le développement effectif de la
science. 11 y a là un vice logique, un défaut de corrélation
qu'il importe beaucoup de rectifier.
Pour y parvenir, je distingue d'abord deux sortes de
fonctions : les fonctions abstraites, analytiques, et les fonc-
tions concrètes. Les premières peuvent seules entrer dans
les véritables équations^ en sorte qu'on pourra désormais
définir, d'une manière exacte et suffisamment approfondie,
toute équation : une relation d'égalité entre deux fonctions
abstraites des grandeurs considérées. Afin de n'avoir plus
à revenir sur cette définition fondamentale, je dois ajouter
ici, comme un complément indispensable sans lequel l'idée
ne serait point assez générale, que ces fonctions abstraites
126 MATHÉMATIQUES.
peuvent se rapporter non-seulement aux grandeurs que le
problème présente en effet de lui-même, mais aussi à
toutes les autres grandeurs auxiliaires qui s'y rattachent,
et qu'on pourra souvent introduire, simplement par arti-
iice mathématique, dans la seule vue de faciliter la décou-
verte des équations des phénomènes. Je ne fais ici, dans
cette explication, qu'emprunter sommairement, par anti-
cipation, le résultat d'une discussion générale de la plus
haute importance, qui se trouvera à la fin de celte leçon.
Revenons maintenant à la distinction essentielle des fonc-
tions en abstraites et concrètes.
Cette distinction peut être établie par deux voies essen-
tiellement différentes, complémentaires l'une de l'autre :
à priori et à posteriori^ c'est-à-dire en caractérisant d'une
manière générale la nature propre de chaque espèce de
fonctions, et ensuite en faisant^ ce qui est possible, l'éuu-
mération effective de toutes les fonctions abstraites aujour-
d'hui connues, du moins quant aux éléments dont elles se
composent.
A priori, les fonctions que j'appelle abstraites sont celles
qui expriment entre des grandeurs un mode de dépendance
qu'on peut concevoir uniquement entre nombres,sans qu'il
soit besoin d'indiquer aucun phénomène quelconque où il
se trouve réalisé. Je nomme, au contraire, fonctions con-
crètes celles pour lesquelles le mode de dépendance exprimé
ne peut être défini ni conçu qu'en assignant un cas physi-
que déterminé, géométrique, mécanique, ou de toute autre
nature, dans lequel il ait effectivement lieu.
La plupart des fonctions, à leur origine, celles mêmes
qui sont aujourd'hui le plus purement abstraites^ ont com-
mencé par éire concrètes ; en sorie qu'il est aisé de faire
comprendre la distinction précédente, en se bornant à citer
les divers points de vue successifs sous lesquels, à mesure
ANALYSE MATUÉMATIQUE. 127
9Uc la science s'est formée, les géomètres ont considéré
'^s fonctions analytiques les plus simples. J'indiquerai pour
^^«mple les puissances, devenues en général fonctions ab-
straites, depuis seulement les travaux de Viète et de Des-
^^rtes. Ces fonctions j;',x^, qui, dans notre analyse actuelle,
^ont si bien conçues comme simplement abstraites, n'é-
taient, pour les géomètres de l'antiquité, que des fonctions
entièrenaent concrètes, exprimant la relation de la superficie
d'un carré ou du volume d'un cube à la longueur de leur
€^lé. Elles avaient si exclusivement à leurs yeux un tel ca-
ractère, que c'est seulement d'après leur définition géomé-
trique qu'ils avaient découvert les propriétés algébriques
élémentaires de ces fonctions, relativement à la décom-
position de la variable en deux parties, propriétés qui n'é-
taient, à cette époque, que de vrais théorèmes de géomé-
trie, auxquels on n'a attaché que beaucoup plus tard un
sens numérique.
J'aurai encore occasion de citer tout à l'heure, pour un
autre motif, un nouvel exemple très-propre à faire bien
sentir la distinction fondamentale que je viens d'exposer;
c'est celui des fonctions circulaires, soit directes, soit in-
verses, qui sont encore aujourd'hui tantôt concrètes, tan-
tôt abstraites, selon le point de vue sous lequel on les en-
visage.
Considérant maintenant, à posteriori, cette division des
fonctions, après avoir établi le caractère général qui rend
une fonction abstraite ou concrète, la question de savoir si
telle fonction déterminée est véritablement abstraite, et par
là susceptible d'entrer dans de vraies équations analyti-
ques, ?a devenir une simple question de fait, puisque nous
allons énumérer toutes les fonctions de cette espèce.
Au premier abord, cette énumération semble impossible,
les fonctions analytiques distinctes étant évidemment en
128 MATHÉMATIQUES.
nombre infini. Mais, en les partageant en simples ei compo-
sées^ la difficulté disparaît; car, si le nombre des diverses
fonctions considérées dans l'analyse mathématique est réel-
lement infini, elles sont, au contraire, même aujourd'hui,
composées d*un fort petit nombre de fonctions élémen-
taires, qu'on peut aisément assigner, et qui suffisent évi-
demment pour décider du caractère abstrait ou concret de
telle fonction déterminée, qui sera de l'une ou de l'autre
nature^ selon qu'elle se composera exclusivement de ces
fonctions abstraites simples, ou qu'elle en comprendra
d'autres. Voici le tableau de ces éléments fondamentaux
de toutes nos combinaisons analytiques, dans l'état pré-
sent de la science. On ne doit évidemment considérer, k
cet effet, que les fonctions d'une seule variable; celles
relatives à plusieurs variables indépendantes étant con-
stamment, par leur nature, plus ou moins composées.
Soit X la variable indépendante, y la variable corrélative
qui en dépend. Les différents modes simples de dépendance
abstraite que nous pouvons maintenant concevoir entre y
et X sont exprimés par les dix formules élémentaires sui-
vantes, dans lesquelles chaque fonction est accouplée avec
son inverse^ c'est-à-dire avec celle qui aurait lieu, d'après
la fonction directe^ si on y rapportait x à y, au lieu de rap-
porter ykx'
i" couple. . 1 *"* y = û + ^ foncUon somme,
"'(2oy = a — X lQiï(i\xQïi différence i
i'' y =ax fonction produitj
2""® couple., l ^ a
» 2^ y = - fonction quotieni,
(i*y =
(2»y =
i'* y zzzxa fonction puissance,
3°»« couple..^ «
(/i fonction racine.
ANALYSE MATHÉMATIQUE. )«9
^,^ . j 1« y = o» foDCtion exponentielle,
^ " 2^ y=zlx fonction logarithmique,
a
s»« I m ( ** ^ ^^ ''° ' fonction circulaire directe,
P ^ ' J 2«y =:arc (sin =x). fonction circulaire inverse.
Tels sont les éléments très-peu nombreux qui composent
liirectement toutes les fonctions abstraites aujourd'hui con-
(1) Dans la yne d'augmenter aotant que possible les ressources et reten-
due si insuffisantes de Tanalyse mathématique, les géomètres comptent ce
dernier couple de fonctions parmi les éléments analytiques. Quoique cette
inscription soit strictement légitime, il importe de remarquer que les fonc-
tions circulaires ne sont pas exactement dans le môme cas que les autres
fonctions abstraites élémentaires. 11 y a entre elles cette différence fort
ecMDtielle, que les fonctions des quatre premiers couples sont vraiment à
U fois simples et abstraites, tandis que les fonctions circulaires, qui peu-
Tent manifester successivement l'un et Tautre caractère, suivant le point
^ vue sous lequel on les envisage et la manière dont elles sont employées,
ne présentent jamais simultauément ces deux propriétés.
La fonction sin x est introduite dans l'analyse comme une nouvelle fonc-
tirni simple, quand on la conçoit seulement comme indiquant la relation
géométrique dont elle dérive ; mais alors elle n'est évidemment qu'une
fonction concrète. Dans d'autres circonstances, elle remplit analytique-
ment les conditions d'une véritable fonction abstraite, lorsqu'on ne consi-
dère sin X que comme l'expression abrégée de la formule
X V^— 1 — X V^— I
ou de la série équivalente ; mais, sous ce dernier point de vue, ce n'est
pins réellement une nouvelle fonction analytique, puisqu'elle ne se pré-
sente que comme un composé des précédentes.
Néanmoins, les fonctions circulaires ont quelques qualités spéciales qui
•permettent de les maintenir au tableau des éléments rationnels de l'ana-
lyse mathématique.
1« Elles sont susceptibles d'évaluation, quoique conservant leur carac-
tère concret; ce qui autorise à les introduire dans les équations, tant
qu'elles ne portent que sur des dénuées, sans qu'il soit nécessaire d'avoir
-égard à leur expression algébrique.
V* On sait effectuer sur les différentes fonctions circulaires, comparées
A. CoMTB. Tome 1. 9
130 MATHÉMATIQUES.
nues. Quelque peu multipliés qu'ils soient, ils suffisent évi-
demment pour donner lieu à un nombre tout à fait infini
de combinaisons analytiques.
Aucune considération rationnelle ne circonscrit rigou-
reusement à priori le tableau précédent, qui n*esl que
l'expression effective de Tétat actuel de la science. Nos élé-
ments analytiques sont aujourd'hui plus nombreux qu'ils
ne Tétaient pour Descaries, et môme pour Newton et Leib-
nitz ; il y a tout au plus un siècle que les d^ux derniers
couples ont été introduits dans l'analyse par les travaux de
Jean Bernouilli et d'Ëuler. Sans doute on en admettra de
nouveaux dans la suite; mais, comme. je l'indiquerai à la
fin de cette leçon, nous ne pouvons pas espérer qu'ils soient
jamais fort multipliés, leur augmentation réelle donnant
lieu à de très-grandes difficultés.
entre elles seulemeat, une certaine Buite de transformations, qni n'exigent
pan davantage la connaissance de leur définition analytique. Il en résfdte
évidemment la faculté d'introduire ces fonctions dans les équations, mèittfr
par rapport aux inconnues, pourvu qu*il n'y entre pas concurremment
des fonctions non trigonométriques des mômes variables.
C'est donc uniquement dans les cas où les fonctions circulaires, relative-
ment aux inconnues, sont combinées dans les équations avec des fonctions
abstraites d'une autre espèce, qu'il est indispensable d'avoir égard à leur
interprétation algébrique pour pouvoir résoudre les équations, et dès lors
elles cessent, en effet, d'être traitées comme de nouvelles fonctions sim-
ples. Mais alors même, pourvu qu'on tienne compte de cette interpréta-
tion, leur admission n'empêche point les relations d'avoir le caractère de
véritables équations analytiques, ce qui est ici le but essentiel de notre
énumération des fonctions abstraites élémentaires.
Il est à remarquer, d'après les considérations indiquées dans cette note,
que plusieurs autres fonctions concrètes peuvent être utilement introduites
au nombre des éléments analytiques, si les condftîons principales posées
ci-dessus pour les fonctions circulaires ont été préalablement bien remplies.
C'est ainsi, par exemple, que les travaux de Lcgendre, et récemment ceux
de M. Jacobi, sur les fonctions elliptiques, ont vraiment agrandi le champ
de l'analyse; il en est de même pour quelques intégrales définies obte-
nues pour Fourier, dans la Théorie analytique de la chaleur, Paris, 1822.
ANALYSE MATHÉMATIQUE. iSl
iVous pouvons donc maintenant nous former une idée
I^câitive, et néanmoins suffisamment étendue, de ce que les
^ëomëtres entendent par une véritable équation. Cette ex-
l^lication est éminemment propre à nous faire. comprendre
oombien il doit être difficile d'établir réellement les équa-
tions des phénomènes, puisqu'on n'y est efTectivement par- .
^venu que lorsqu'on a pu concevoir les lois mathématiques
<3e ces phénomènes à l'aide de fonctions entièrement com-
posées des seuls éléments analytiques que je viens d'énu-
mérer. 11 est clair, en effet, que c'est uniquement alors que
le problème devient vraiment abstrait^ et se réduit à une
pure question de nombres, ces fonctions étant les seules
relations simples que nous sachions concevoir entre les
nombres, considérés en eux-mêmes. Jusqu'à celte époque
de la solution, quelles que soient les apparences, la ques-
tion est encore essentiellement concrète et ne rentre pas
dans le domaine du calcul. Or la difficulté fondamentale
de ce passage du concret à Vabstrait consiste surtout, en gé-
néral, dans l'insuffisance de ce très-petit nombre d'éléments
analytiques que nous possédons, et d'après lesquels néan-
moins, malgré le peu de variété réelle qu'ils nous offrent,
il faut parvenir à se représenter toutes les relations précises
qne peuvent nous manifester tous les différents phéno-
mènes naturels. Vu l'infinie diversité qui doit nécessairement
exister à cet égard dans le monde extérieur, on comprend
sans peine combien nos conceptions doivent se trouver fré-
quemment au-dessous de la véritable difficulté; surtout si
l'on ajoute que, ces éléments de notre analyse nous ayant
élé fournis primitivement par la considération mathémati-
que des phénomènes les plus simples, puisqu'ils ont tous^
directement ou indirectement, une origine géométrique,
nous n'avons à priori aucune garantie rationnelle de leur
aptitude nécessaire à représenter les lois mathématiques de
' 1 82 MATHÉMATIQU£S.
toute autre classe de phénomènes. J'exposerai tout à l'heure
l'artifice général, si profondément ingénieux, par lequel
l'esprit humain est parvenu à diminuer singulièrement cette
difficulté fondamentale que présente la relation du concret
à l'abstrait en mathématiques, sans cependant qu'il ait été
nécessaire de multiplier le nombre de ces éléments ana-
lytiques.
Les explications précédentes déterminent avec précision
le véritcible objet et le champ réel de la mathématique ab-
straite; je dois passer maintenant à l'examen de ses divi-
sions principales, car nous avons toujours jusqu'ici consi-
déré le calcul dans son ensemble total.
La première considération directe à présenter sur la
composition de la science du calcul consiste à la diviser
d'abord en deux branches principales, auxquelles, faute de
dénominations plus convenables, je donnerai les noms de
calcul algébrique ou algèbre, et de calcul arithmétique ou
arithmétique^ mais en avertissant de prendre ces deux ex-
pressions dans leur acception logique la plus étendue, au
lieu du sens beaucoup trop restreint qu'on leur attache
ordinairement.
La solution complète de toute question de calcul, depuis
la plus élémentaire jusqu'à la plus transcendante, se com-
pose nécessairement de deux parties successives dont la
nature est essentiellement distincte. Dans la première, on
a pour objet de transformer les équations proposées, de
façon à mettre en évidence le mode de formation des quan-
tités inconnues par les quantités connues; c'est ce qui con-
stitue la question algébrique. Dans la seconde, on a en
vue d'évaluer les formules ainsi obtenues, c'est-à-dire de
déterminer immédiatement la valeur des nombres chei^
chés, représentés déjà par certaines fonctions expli-
cites des nombres donnés ; telle est la question aritkml
^
ANALYSE MATHÉMATIQUE. 183
ft4^(1).Onvoitqu£, dans toute solution vraimentrationnelle,
elle suit nécessairement la question algébrique, dont elle
forme le complément indispensable, puisqu'il faut évidem-
ment connaître la génération des nombres cherchés avant
de déterminer leurs valeurs effectives pour chaque cas
particulier. Ainsi, le terme de la partie algébrique devient
le point de départ de la partie arithmétique.
Le calcul algébrique et le calcul arithmétique diffèrent
donc essentiellement par le but qu'on s'y propose. Ils ne
diffèrent pas moins par le point de vue sous lequel on y
considère les quantités, envisagées, dans le premier, quant
à leurs relations, et, dans le second, quant à leurs valeurs.
Le véritable esprit du calcul^ en général, exige que cette
distinction soit maintenue avec la plus sévère exactitude,
et que la ligne de démarcation entre les deux époques de
la solution soit rendue aussi nettement tranchée que le
(I) Supposons, par exemple, qu'âne question fournisse entre une gran-
deur ioconnue x et deux grandeurs connues a et 6 l'équation :
comme il arrÎTeraît pour la trisection d'un angle. On voit, tout desuite, que
la dépendance entre x d'une part, et a, 6 de l'autre, est complètement déter-
minée; mais, tant que l'équation conserve sa forme primitive, on n'aper-
çoit nullement de quelle manière l'inconnue dérive des données. C'est
cependant ce qu'il faut découvrir avant de penser à l'évaluer. Tel est Tob*
jet de la partie algébrique de la solution. Lorsque, par une suite de trans-
formations qui ont successivement rendu cette dérivation de plus en plus
tensiUe, on est arrivé à présenter l'équation proposée sous la forme
le r61e de l'algèbre est terminé ; et, quand môme on ne saurait point effec-
taer les opérations arithmétiques indiquées par cette formule, on en n'au-
rait pas moins obtenu une connaissance très-réelle et souvent fort impor-
tante. Le rôle de l'aritlimétique consistera maintenant, on partant de cette
formule, à faire trouver le nombre x quand les valeurs des nombres a et 6
auront été fixées.
!84 MATHÉMATIQUES.
permet la question proposée. L'observation attentive de ce
précepte, trop méconnu, peut être d'un utile secours dans
chaque question particulière, en dirigeant les efforts de
noire esprit, à un instant quelconque de la solution, vert
la véritable difficulté correspondante. A la vérité, l'imper-
féction de la science du calcul oblige souvent, comme je
l'expliquerai dans la leçon suivante, à môler très-fréqaem*
ment les considérations algébriques et les considérations
arithmétiques pour la solution d'une même question. Mais,
quoiqu'il soit impossible alors de partager l'ensemble du
travail en deux parties nettement tranchées, l'une purement
algébrique, et l'autre purement arithmétique, on pourra
toujours éviter, à l'aide des indications précédentes, de con-
fondre les deux ordres de considérations, quelque intime
que puisse être jamais leur mélange.
En cherchant à résumer le plus succinctement possible la
distinction que je viens d'établir, on voit que Valgèbre peut
se déûnir, en général, comme ayant pour objet la résoluikm
des équations, ce qui, quoique paraissant d'abord trop res-
treint, est néanmoins suffîsamment étendu, pourvu qu'on
prenne ces expressions dans toute leur acception logique,
qui signifie transformer des fonctions implicites en fonc-
tions explicites équivalentes : de même, Varithmétique peut
être définie comme destinée à Vévaluation des fonctions.
Ainsi, en contractant les expressions au plus haut degré,
je crois pouvoir donner nettement une juste idée de celte
division, en disant, comme je le ferai désormais pour évi-
ter les périphrases explicatives, que Valgèbre est le calcul
des fonctions, et Varithmétique le calcul des valeurs.
Il est aisé de comprendre par là combien les définitions
ordinaires sont insuffisantes et môme vicieuses. Le plat
souvent, l'importance exagérée accordée aux signes a con-
duit à distinguer ces deux branches fondamentales de la
.ANALYSE MATHÉMATIQUE. 185
science du calcul parla manière de désigner dans chacune
les sujets du raisonnement^ ce qui est évidemment absurde
en principe et faux en fait. Môme la célèbre déflnitiôn don-
née par Newton, lorsqu'il a caractérisé Valgèbre comme
Varithmétique universelle, donne certainement une très-
fausse idée de la nature de Talgèbre cl de celle de Tarith-
inétique(l).
Après avoir établi la division fondamentale du calcul en
deux branches principales, je dois comparer, en général,
l'étendue, l'importance et la difûculté de ces deux sortes
de calcul, afin de n'avoir plus à considérer que le calcul
desfonctionSy qui doit être le sujet essentiel de notre étude.
Le calcul des valeurs, ou Varithmétique, parait, au pre-
mier abord, devoir présenter un champ aussi vaste que ce-
lui de Valgèbre, puisqu'il semble devoir donner lieu à autant
de questions distinctes qu'on peut concevoir de formules
algébriques différentes à évaluer. Mais une réflexion fort
simple sufût pour montrer que le domaine du calcul des
valeurs est, par sa nature, inûniment moins étendu que
celui du calcul des fonctions. Car, en distinguant les fonc-
tions en simples et composéesy il est évident que, lorsqu'on
sait évaluer les fonctions simples, la considération des
fonctions composées ne présente plus, sous ce rapport,
aucune difficulté. Sous le point de vue algébrique, une
fonction composée joue un rôle très-différent de celui des
fonctions élémentaires qui la constituent, et c'est de là
(1] J*ai cru deycir signaler spécialement cette défloition, parce qu'elle
acrt de base à TopiuioD que beaucoup de bons esprits, étrangers à la science
mathéroaUque, se forment de la partie abstraite de cette science, sans
considérer qn'à l'époque où cet aperçu a été formé, l'analyse mathéma-
tique n'était point assez développée pour que le caractère général propre
à chacune de ses parties principales pût être convenablement saisi, ce
qui explique pourquoi Newton a pu proposer alors une définition qu'il re-
jetterait certainement aujourd'hui.
136 MATHÉMATIQUES.
précisément que naissent toutes les principales difficalté
analytiques. Mais il en est tout autrement pour le cacu
arithmétique. Ainsi, le nombre des opérations arithméti
ques, vraiment distinctes, est seulement marqué par celui
des fonctions abstraites élémentaires, dont j'ai présenté
ci-dessus le tableau très-peu étendu. L'évaluation de ces
dix fonctions donne nécessairement celle de toutes les
fonctions, en nombre infini, que l'on considère dans
l'ensemble de l'analyse mathématique, telle, du moins,
qu'elle existe aujourd'hui. A quelques formules que puisse-
conduire l'élaboration des équations, il n'y aurait lieu à de
nouvelles opérations arithmétiques que si l'on en venait à
créer de véritables nouveaux éléments analytiques, dont le
nombre sera toujours, quoi qu'il arrive, extrêmement petit.
Le champ de Varithmétique est donc, par sa nature, infini-
ment restreint, tandis que celui de Valgebre est rigoureu-
sement indéfini.
Il importe cependant de remarquer que le domaine du
calcul des valeurs est, en réalité, beaucoup plus étendu qu'on
ne se le représente communément. Car plusieurs ques-
tions, véritablement arithmétiques^ puisqu'elles consistent
dans des évaluations^ ne sont point ordinairement classées
comme telles, parce qu'on a l'habitude de ne les traiter
que comme incidentes, au milieu d'un ensemble de re-
cherches analytiques plus ou moins élevées ; la trop haute
opinion qu'on se forme communément de l'influence des
signes est encore la cause principale de cette confusion
d'idées. Ainsi, non-seulement la construction d'une table
de logarithmes, mais aussi le calcul des tables trigonomé-
triques, sont de véritables opérations arithmétiques d'un
genre supérieur. On peut citer encore comme étant dans
le même cas, quoique dans un ordre très-distinct et plus
élevé, tous les procédés par lesquels on détermine directe-
ANALYSE MATHÉMATIQUE. 1S7
ment la valeur d'une fonction quelconque pour chaque
système particulier de valeurs attribuées aux quantités
dont elle dépend, lorsqu'on ne peut point parvenir à con-
naître généralement la forme explicite de cette fonction.
Sous ce point de vue, la résolution numérique des équations
qu'on ne sait pas résoudre algébriquement ^ et de même le
calcul des intégrales définies dont on ignore les intégrales
générales, font réellement partie, malgré les apparences,
da domaine de V arithmétique ^ dans lequel il faut nécessai-
rement comprendre tout ce qui a pour objet l'évaluation des
fonctions. Les considérations relatives à ce but sont, en
effet, constamment homogènes, de quelques évaluations
qu'il s'agisse, et toujours bien distinctes des considérations
vraiment algébriques.
Pour achever de se former une juste idée de l'étendue
réelle du calcul des valeurs, on doit y comprendre aussi
cette partie de la science générale du calcul qui porte au-
jourd'hui spécialement le nom de théories des nombres^ et
qui est encore si peu avancée. Cette bra^iche, fort étendue
par sa nature, mais dont l'importance dans le système gé-
néral de la science n'est pas très-grande, a pour objet de
découvrir les propriétés inhérentes aux différents nombres
en vertu de leurs valeurs et indépendamment de toute
numération particulière. Elle constitue donc une sorte
û*Qrùhmétique transcendante; c'est à elle que conviendrait
effectivement la définition proposée par Newton pour
Valgèàre.
Le domaine total de Varithmétique est donc, en réalité,
beaucoup plus étendu qu'on ne le conçoit ordinairement.
Mais, néanmoins, quelque développement légitime qu'on
puisse lui accorder, il demeure certain que, dans l'en-
semble de la mathématique abstraite^ le calcul des valeurs
ne sera jamais qu'un point, pour ainsi dire, en compa-
188 MATUÉMATIOUES.
raison du calcul des fondions, dans lequel la science con-
siste essentiellement. Cette appréciation va devenir encore
plus sensible par quelques considérations qui me restent
à indiquer sur la véritable nature des questions arithmé-
tiques en général, quand on les examine d'une manière
approfondie.
En cherchant à déterminer avec exactitude en quoi con-
sistent proprement les évalnationSy on reconnaît aisément
qu'elles ne sont pas autre chose que de véritables trans-
formations des fonctions à évaluer, transformations qui,
malgré leur but spécial, n'en sont pas moins essentielle-
ment de la même nature que toutes celles enseignées par
l'analyse. Sous ce point de vue, le calcul des valeurs pourrait
être conçu simplement comme un appendice et une appli-
cation particulière du calcul des fonctions, de telle sorte
que V arithmétique disparaîtrait, pour ainsi dire, dans l'en-
semble de la mathématique abstraite, comme section dis-
tincte.
Pour bien comprendre cette considération, il faut ob-
server que, lorsque Ton propose â*émluer un nombre in-
connu dont le mode de formation est donné, il est, par le
seul énoncé môme de la question arithmétique, déjà défini
et exprimé sous une certaine forme ; et qu'en Vévaluant^
on ne fait que mettre son expression sous une autre forme
déterminée, à laquelle on est habitué à rapporter la notion
exacte de chaque nombre particulier, en le faisant rentrer
dans le système régulier de la numération. Vévaluation
consiste si bien dans une simple transformation, que, lorsque
l'expression primitive du nombre se trouve elle-même
conforme à la numération régulière, il n*y a plus, à pro-
prement parler, dévaluation, ou plutôt on répond à la
question par la question même. Qu'on demande^ par
exemple, d'ajouter les deux nombres trente et sept, on
ANALYSE MATHÉMATIQUE. 189
répondra en se bornant à répéter Ténoncé même de la
question, et on croira néanmoins avoir évalué la somme, ce
qui signifie que, dans ce cas, la première expression de la
foncdon n'a pas besoin d'être transformée : tandis qu'il
n'en serait point ainsi pour ajouter vingt- trois et quatorze,
ciraiors la somme ne serait pas immédiatement exprimée
d'uoe manière conforme au rang qu'elle occupe dans Té-
cbelie fixe et générale de la numération.
En précisant, autint que possible, la considération pré-
cédente, on peut dire qu'évaluer un nombre n'est autre
chose que mettra son expression primitive sous la forme
a 4- i€ -|- c€» + </Ê« 4- c6* -H p^^
tétant ordinairement égal à 10; et les coefQcienls a, 6, c,
d, etc. , étant assujettis h ces conditions d'être nombres
(iBIiers moindres que ^, pouvant devenir nuls, mais jamais
oégatifs. Ainsi, toute question arithmétique est susceptible
d'être posée comme consistant à mettre sous une telle
ibrine une fonction abstraite quelconque de diverses quan-
tités que l'on suppose avoir déjà elles-mêmes une forme
Semblable. On pourrait donc ne voir dans les différentes
Opérations de l'arithmétique que de simples cas particuliers
de cerlaines transformations algébriques, sauf les difficultés
Spéciales tenant aux conditions relatives à l'état des coef-
ticienis.
Il résulte clairement, de ce qui précède, que la mathé-
itnatique abstraite se compose essentiellement du calcul des
fonctions^ qui en était évidemment déjà !a partie la plus
importante, la plus étendue et la plus difflcile. Tel sera
donc désormais le sujet exclusif de nos considérations
analytiques. Ainsi, sans m'arrêler davantage au calcul des
valeurs^ je vais passer immédiatement à l'examen de la
division fondamentale du calcul des fonctions.
1 4 0 MATHÉMATIQUES .
Nous avons déterminé, au commencement de cette leçon,
en quoi consisle proprement la véritable difficulté qu'on
éprouve à mettre en équation les questions mathématiques.
C'est essentiellement à cause de l'insuffisance du très-petit
nombre d'éléments analytiques que nous possédons, que
la relation du concret à l'abstrait est ordinairement si dif*
ficile à établir. Essayons maintenant d'apprécier pbiloso*
phiquement le procédé général par lequel l'esprit humain
est parvenu, dans un si grand nombre de cas importants. i
surmonter cet obstacle fondamental.
En considérant directement l'ensemble de cette question
capitale, on est naturellement conduit à concevoir d'aboid
un premier moyen pour faciliter rétablissement des équa-
tions des phénomènes. Puisque le principal obstacle à ee
sujet vient du trop petit nombre de nos éléments analy-
tiques, tout semblerait se réduire à en créer de nouveaux»
Mais ce parti, quelque naturel qu'il paraisse, est véritabTe-
menl illusoire, quand on Texamine d'une manière appro-
fondie. Quoiqu'il puisse certainement être utile, il est aisé
de se convaincre de son insuffisance nécessaire.
En efl'et, la création d'une véritable nouvelle fonction
abstraite élémentaire présente, par elle-même, les plos
grandes difficultés. Il y a môme, dans une telle idéet
quelque chose qui semble contradictoire. Car un noafel
élément analytique ne remplirait pas évidemment les c(Ui«
ditions essentielles qui lui sont propres, si on ne pouvait
immédiatement Vévaluer: or, d'un autre côté, commoil
évaluer une nouvelle fonction qui serait vraiment sinpkf,
c'est-à-dire qui ne rentrerait pas dans une combinaison
de celles déjà connues? Cela parait presque impossibia.
L'introduction, dans l'analyse, d'une autre fonction abs-
traite élémentaire, ou plutôt d'un autre couple de fonc-
tions (car chacune serait toujours accompagnée de son
ANALYSE MATHÉMATIQUE. 14f
inverse)^ suppose donc nécessairement la création simul-
tanée d'une nouvelle opéralion arithmétique, ce qui est
certainement fort difficile.
Si nous cherchons à nous faire une idée des moyens que
l'esprit humain pourrait employer pour inventer de nou*
veaai éléments analytiques, par Texamen des procédés
à l'aide desquels il a effectivement conçu ceux que nous
possédons, l'observation nous laisse à cet égard dans une
entière incertitude, car les artifices dont il s'est déjà servi
pour cela sont évidemment épuisés. Afin de nous en con-
vaincre, considérons le dernier couple de fonctions sim-
ples qui ait été introduit dans l'analyse, et à la formation
duquel nous avons pour ainsi dire assisté, savoir : le qua-
trième couple, car, comme je l'ai expliqué, le cinquième
coaplene constitue pas, à proprement parler, de véritables
nouveaux élémentsanalytiques. La fonction a<, et, par suite,
son inverse, ont été formées en concevant sous un nouveau
point de vue une fonction déjà connue depuis longtemps,
les puissances, lorsque la notion en a été suffisamment
généralisée. Il a suffi de considérer une puissance relative-
ment à la variation de l'exposant, au lieu de penser à la varia-
tion de la base, pour qu'il en résultât une fonction simple
vraiment nouvelle, la variation suivant alors une marche
toute difTérente. Mais cet artifice, aussi simple qu'ingé-
oieux, ne peut plus rien fournir. Car, en retournant, de la
même manière, tous nos éléments analytiques actuels, on
n'aboutit qu'à les faire rentrer les uns dans les autres.
Nous ne concevons donc nullement de quelle manière
on pourrait procéder à la création de nouvelles fonctions
abstraites élémentaires, remplissant convenablement toutes
les conditions nécessaires. Ce n'est pas à dire, néanmoins,
que nous ayons atteint aujourd'hui la limite effective posée
k cet égard par les bornes de nojre intelligence. 11 est
i 4 1 MATHÉMATIQUES.
môme certain que les derniers perfectionnements spéciaux
de l'analyse mathématique ont contribué à étendre nos
ressources sous ce rapport, en introduisant dans le domaine
du calcul certiines intégrales définies, qui, à quelques
égards, tiennent lieu de nouvelles fonctions simples, quoi*
qu'elles soient loin de remplir toutes les conditions conve-
nables, ce qui m'a empêché de les inscrire au tableau des
vrais éléments analytiques. Mais^ tout bien considéré, je
crois qu'il demeure incontestable que le nombre de ces
éléments ne peut s'accroître qu*avec une extrême lenteur.
Ainsi, ce ne peut être dans un tel procédé que l'esprit
humain ait puisé ses ressources les plus puissantes pour
faciliter autant que possible l'établissement des équations;
Ce premier moyen étant écarté, il n'en reste évidemment
qu'un seul ; c'est, vu l'impossibilité de trouver directement
les équations entre les quantités que l'on considère, d'en
chercher de correspondantes entre d'autres quantités auxi-
liaires, liées aux premières suivant une certaine loi déter-
minée, et de la relation desquelles on remonte ensuite à
celle des grandeurs primitives. Telle est, en effet, la con«
ception, éminemment féconde, que l'esprit humain est
parvenue fonder, et qui constitue son plus admirable ins-
trument pour l'exploration mathématique des phénomènes
naturels, Vanalyse dite transcendante,
£n thèse philosophique générale, les quantités auxiliaires
que l'on introduit, au lieu des grandeurs primitives ou
concurremment avec elles, pour faciliter l'établissement
des équations, pourraient dériver suivant une loi quelcon-
que des éléments immédiats de la question. Ainsi, cette
conception a beaucoup plus de portée que ne lui en ont
supposé communément, même les plus profonds géomd^
très. Il importe extrêmement de se la représenter dans
toute son étendue logique ; car c'est peut-être en établis^
ANALYSE MATHÉMATIQUE. 143
sant un mode général de dérivation autre que celui auquel
on s'est constanîment borné jusqu'ici, bien qu'il ne soit
pasy évidemment, le seul possible, qu'on parviendra un
jour à perfectionner essentiellement l'ensemble de l'analyse
mathématique, et par suite à fonder, pour l'investigation
des lois de la nature, des moyens encore plus puissants
que nos procédés actuels, susceptibles, sans doute, d'é-
puisement.
Mais, pour n'avoir égard qu'à la constitution présente
de la science, les seules quantités auxiliaires introduites
habituellement à la place des quantités primitives dans
tanalgse transcendante^ sont ce qu'on appelle les éléments
infiniment petits^ les différentielles de divers ordres de ces
quantités, si l'on conçoit cette analyse à la manière de Leib-
nitz ; ou les fluxions, les limites des rapports des accrois*
semants simultanés des quantités primitives comparées les
unes aux autres, ou, plus brièvement, les premières et det^^
nières raisons de ces accroissements, en adoptant la con-
ception de Newton ; ou bien, enûn, les dérivées propre-
ment dites de ces quantités, c'est-à-dire, les coefOcients
des différents termes de leurs accroissements respectifs,
d'après la conception de Lagrange. Ces trois manières
principales d'envisager notre analyse transcendante ac-
tuelle, et toutes les autres moins distinctement tranchées
que l'on a proposées successivement, sont, par leur na-
ture, nécessairement identiques, soit dans le calcul, soit
dans l'application, ainsi que je l'expliquerai d'une manière
générale dans la sixième leçon. Quant à leur valeur rela-
tive, nous verrons alors que la conception de Leibnitz a
jusqu'ici, dans l'usage, une supériorité incontestable, mais
que son caractère logique est éminemment vicieux ; tandis
que la conception de Lagrange, admirable par sa simpli-
cité» par sa perfection logique, par l'unité philosophique
i
i 4 4 MATHÉMATIQUES.
qu'elle a établie dans l'ensemble de l'analyse naatbématiqo^
jusqu'alors partagée en deux mondes presque indépen-
dants, présente encore, dans les applications, «de graves
inconvénients, en ralentissant la marche de Tintelligence :
la conception de Newton tient à peu près le milieu sous ces
divers rapports, étant moins rapide, mais plus rationnelle
que celle de Leibnilz, moins philosophique, mais plus ap-
plicable que celle de Lagrange.
Ce n'est pas ici le lieu d'expliquer avec exactitude com-
ment la considération de ce genre de quantités auxiliaires
introduites dans les équations à la place des grandeurs
primitives facilite réellement l'expression analytique des
lois dçs phénomènes. La sixième leçon sera spécialement
consacrée à cet important sujet, envisagé sous les différents
points de vue généraux auxquels a donné lieu l'analyse
transcendante. Je me borne en ce moment à considérer
cette conception de la manière la plus générale, afin d'en
déduire la division fondamentale du calcul des fonctions en
deux calculs essentiellement distincts, dont Tenchalneroent,
pour la solution complète d'une môme question mathéma-
tique, est invariablement déterminé.
Sous ce rapport, et dans l'ordre rationnel des idées,
l'analyse transcendante se présente comme étant néces-
sairement la première, puisqu'elle a pour but général de
faciliter l'établissement des équations, ce qui doit évidem-
ment précéder la résolution proprement dite de ces équa-
tions, qui est l'objet de l'analyse ordinaire. Mais, quoiqu'il
importe éminemment de concevoir ainsi le véritable en-
chaînement de ces deux analyses, il n'en est pas moins
convenable, conformément à l'usage constant, de n'étu-
dier l'analyse transcendante qu'après l'analyse ordinaire ;
car, si, au fond, elle en est par elle-même logiquement
indépendante, ou que, du moins, il soit possible au-
ANALYSE MATHÉMATIQUE. 145
Joiirdliui de l'en dégager essentiellement. Il est clair que,
^oq emploi dans la solution des questions ayant toujours
Plus ou moins besoin d'élre complété par. celui de Ta-
^aljse ordinaire, on serait contraint de laisser les ques-
tions en suspens, si celle-ci n'avait été étudiée préala-
l^lement.
£n résultat de ce qui précède, le calcul des fonctions^ ou
ValgèbrCy en prenant ce mot dans sa plus grande extension,
se compose de deux branches fondamentales distinctes,
dont l'une a pour objet immédiat la résolution des équa-
lions, lorsque celles-ci sont immédiatement établies entre
les grandeurs mêmes que Ton considère ; et dont l'autre,
partant d'équations beaucoup plus aisées à former an gé-
néral, entre des quantités indirectement liées à celles du
problème, a pour destination propre et constante d'en dé-
duire, par des procédés analytiques invariables, les équa-
tions correspondantes entre les grandeurs directes que l'on
considère, ce qui fait rentrer la question dans le domaine
du calcul précédent. Le premier calcul porte, le plus sou-
vent, le nom à*analyse ordinaire^ ou d'algèbre proprement
dite; le second constitue ce qu'on appelle Vanalyse trans-
cendante^ qui a été désignée par les diverses dénominations
de calcul infinitésimal^ calcul des fluxions et des fluentes,
calcul des évanouissants^ etc.^ selon le point de vue sous
lequel on Ta conçue. Pour écarter toute considération
étrangère, je proposerai de la nommer calcul des fonctions
indirectes^ en donnant à l'analyse ordinaire le titre de calcul
des fonctions directes. Ces expressions, que je forme essen-
tiellement en généralisant et en précisant les idées de
Lagrange, sont destinées à indiquer simplement avec exac-
titude le véritable caractère général propre à chacune des
deux analyses.
Ayant établi la division fondamentale de l'analyse matbé-
A. CoMTi. Tome I. 10
14e MATHÉMATIQUES. — ANALYSE MATHÉMATIQUE.
matique, je dois maintenant considérer séparément I
semble de chacune de ses deux parties, en commen
par le calcul des fonctions directes, et réservant ensuite
développements plus étendus aux diverses branohes
calcul des fonctions indirectes.
CINQUIÈME LEÇON
Sommaire. — Gonsidérationft générales sur le calcul des fonctions
directes.
D*après TexplicatioD générale qui termine la leçon pré-
cédente, le calcul des fonctions directes^ ou Valgèbre pro-
prement dite, suffit entièrement à la solution des questions
maihématiques, quand elles sont assez simples pour qu'on
puisse former immédiatement les équations entre les gran-
deurs mômes que Ton considère, sans qu'il soit nécessaire
d'introduire à leur place ou conjointement avec elles aucun
système de quantités auxiliaires dérivées des premières.
A la vérité, dans le plus grand nombre des cas importants,
son emploi a besoin d'être précédé et préparé par celui du
calcul des fonctions indirectes, destiné à faciliter rétablisse-
ment des équations. Mais, quoique le rôle de l'algèbre ne
soit alors que secondaire, elle n'en a pas moins toujours
une part nécessaire dans la solution complète de la ques-
tion, en sorte que le calcul des fondions directes doit con-
tinuer à être, par sa nature, la base fondamentale de toute
l'analyse mathématique. Nous devons donc, avant d'aller
plus loin, considérer, d'une manière générale, la compo-
sition rationnelle de ce calcul, et le degré de développe-
ment auquel il est parvenu aujourd'hui.
L'objet définitif de ce calcul étant la résolution propre-
ment dite des équations^ c'est-à-dire la découverte du
mode de formation des quantités inconnues par les quan-
1 48 MATHÉMATIQUES.
tîtés connues d'après les équations qui existent entre elles ^
il présente naturellement autant de parties différentes qu
Ton peut concevoir de classes d'équations vraiment dis
tinctes; et, par conséquent, son étendue propre est rigou
reusenfient indéûnie, le nonabre des fonctions analytiques
susceptibles d'entrer dans les équations étant par lui
même toutàfait illimité, bien qu'elles ne soient composées ^
que d'un très-petit nombre d'éléments primitifs.
La classification rationnelle des équations doit être
évidemment déterminée par la nature des éléments ana- -
lytiques dont se composent leurs membres ; toute autre
classification serait essentiellement arbitraire. Sous ce rap-
port, les analystes divisent d'abord les équations à une ou
à plusieurs variables en deux classes principales, selon
qu'elles ne contiennent que des fonctions des trois pre-
miers couples (voy. le tableau, 4"" leçon), ou qu'elles
renferment aussi des fonctions, soit exponentielles, soit
circulaires. Les dénominations de fonctions algébriques et
fonctions transcendantes^ données communément à ces deux
groupes principaux d'éléments analytiques, sont, sans
doute, fort peu convenables. Mais la division universelle-
hient établie entre les équations correspondantes n'en est
pas moins très-réelle, en ce sens que la résolution des
équations contenant les fonctions dites transcendantes pré-
sente nécessairement plus de difficultés que celles des-
équations dites algébriques. Aussi l'étude des premières-
est-elle jusqu'ici excessivement imparfaite, à tel point quer-
souvent la résolution des plus simples d'entre elles nous^^
est encore inconnue (i); c'est sur l'élaboration des se —
(I) Quelque simple que puisse paraître, par exemple, l*éqaaUoD
on ne aait point encore la résoudre ; ce qui peut donner une idée de l'ei — -
trème imperfection de cette partie de l'algèbre.
CALCUL DES FONCTIONS DIRECTES. 14f
condes que porleol presque exclusivement nos méthodes
analytiques.
Ne considérant maintenant que ces équations algébri-
ques, il faut observer d'abord que, quoiqu'elles puissent
s^ouvent contenir des fonctions irrationnelles des inconnues,
aussi bien que des fonctions rationnelles, on peut toujours,
par des transformations plus ou moins faciles, faire ren-
trer le premier cas dans le second ; en sorte que c'est de
ce dernier que les analystes ont dû s'occuper uniquement
pour résoudre toutes les équations algébriques.
Dans l'enfance de Talgèbre, ces équations avaient été
classées d'après le nombre de leurs termes. Mais cette
classification était évidemment vicieuse ; comme séparant
des cas réellement semblables, et en réunissant d'autres
qui n'avaient rien de commun qu'un caractère sans au-
cune importance véritable (1). Elle n'a été maintenue que
pour les équations à deux termes, susceptibles, en eCfet,
d'une résolution commune qui leur est propre.
La classification des équations, d'après ce qu'on appelle
leurs degrés^ universellement admise depuis longtemps
par les analystes, est, au contraire, éminemment naturelle,
et mérite d'être signalée ici. Car, en ne comparant, dans
chaque (kgré^ que les équations qui se correspondent,
quant à leur complication relative, on peut dire que cette
distinction détermine rigoureusement la difficulté plus ou
moins grande de leur résolution. Cette gradation est sen*
sible elTectivement pour toutes les équations que l'on sait
résoudre. Hais on peut s'en rendre compte d'une manière
générale, indépendamment du fait de la résolution. Il
suffit^ pour cela, de considérer que l'équation la plus gé-
(1) On a commis plas tmrd Ii même erreur momentanée dans les pre-
miers temps do Calcul infinitésimal, pour l'intégration des équations dif-
féreotielles.
150 MATHÉMATIQUES.
nérale de chaque degré comprend nécessairement toutes
celles des divers degrés inférieurs, en sorte qu'il en doit
être ainsi de la formule qui détermine Tinconnue. En con-
séquence, quelque faible qu'on pût supposer â priori la
difficulté propre au degi'é que l'on considère, comme elle
se complique inévitablement, dans l'exécution, de celles
que présentent tous les degrés précédents, la résolution
offre donc réellement plus d'obstacles à mesure que le
degré de l'équation s'élève.
Cet accroissement de difficulté est tel, que jusqu'ici la
résolution des équations algébriques ne nous est connue
que dans les quatre premiers degrés seulement. Â cet
égard, l'algèbre n'a pas fait de progrès considérables de-
puis les travaux de Descartes, et des analystes italiens du
seizième siècle, quoique^ dans les deux derniers siècles, il
n'ait peut-être pas existé un seul géomètre qui ne se soit
occupé de pousser plus avant la résolution des équations.
L'équation générale du cinquième degré elle-même a
jusqu'ici résisté à toutes les tentatives.
La complication toujours croissante que doivent néces-
sairement présenter les formules pour résoudre les équa-
tions à mesure que le degré augmente, l'extrême embarras
qu'occasionne déjà l'usage de la formule du quatrième
degré, et qui le rend presque inapplicable^ ont déterminé
les analystes à renoncer, par un accord tacite, à poursui-
vre de semblables recherches, quoiqu'ils soient loin de
regarder comme impossible d'obtenir jamais la résolution
des équations du cinquième degré, et de plusieurs antres
degrés supérieurs. La seule question de ce genre, qui
offrirait vraiment une grande importance, du moins sous
le rapport logique, ce serait la résolution générale des
équations algébriques d'un degré quelconque. Or, plus
on médite sur ce sujet, plus on est conduit à penser, avec
CALCUL DES FONCTIONS DIBECTES. 151
LagraDge, qu'il surpasse réellement la portée effective de
notre intelligence. Il faut d'ailleurs observer que la for-
mule qui exprimerait la racine d'une équation du degré m
devrait nécessairement renfermer des radicaux de Tordre m
(ou des fonctions d'une multiplicité équivalente), à cause
des m déterminations qu'elle doit comporter. Puisque nous
avons vu, de plus, qu'elle doit aussi embrasser, comme
cas particulier, celle qui correspond à tout autre degré
inférieur^ il s'ensuit qu'elle contiendrait, en outre, iné*
vitablement, des radicaux de l'ordre m — 1, d'autres de
Tordre m — % etc., de telle manière que^ s'il était possible
de la découvrir, elle off'rirait presque toujours une trop
grande complication pour pouvoir être utilement em*
ployée, à moins qu'on ne parvint à la simplifier, en lui
conservant cependant toute la généralité convenable, par
l'introduction d'un nouveau genre d'éléments analytiques,
dont nous n'avons encore aucune idée. Il y a donc lieu de
croire que, sans avoir déjà atteint sous ce rapport les
bornes imposées par la faible portée de notre intelligence,
nous ne tarderions pas à les rencontrer en prolongeant
avec une activité forte et soutenue celte série de re-
cherches.
Il importe d'ailleurs d'observer que, môme en supposant
obtenue la résolution des équations algébriques d*un degré
quelconque, on n'aurait encore traité qu'une très-petite
partie de Yalgèbre proprement dite, c'est-à-dire du calcul
des fonctions directes, embrassant la résolution de toutes
les équations que peuvent former les fonctions analytiques
aujourd'hui connues. Enfin, pour achever d'éclaircir la
considération philosophique de ce sujet, il faut recon-
nattre que, par une loi irrécusable de la nature humaine,
nos moyens pour concevoir de nouvelles questions étant
beaucoup plus puissants que nos ressources pour les ré-
i &2 MATHÉMATIQUES.
soudre, ou, en d'autres termes, l'esprit humain étao
bien plus apte à imaginer qu'à raisonner, nous resteron
nécessairement toujours au-dessous de la difficulté, à quel
que degré de développement que parviennent jamais no
travaux intellectuels. Ainsi, quand môme on découvri--
rait un jour la résolution complète de toutes les équations -
analytiques actuellement connues, ce qui, à l'examen,
doit dire jugé tout à fait chimérique, il n'est pas douteux z
qu'avant d'atteindre à ce but, et probablement même
comme moyen subsidiaire, on aurait déjà surmonté la
difficulté bien moindre, quoique très-grande cependant,
de concevoir de nouveaux éléments analytiques, dont^
l'introduction donnerait lieu à des classes d'équations-
que nous ignorons complètement aujourd'hui; en sorte
qu'une pareille imperfection relative de la science algé-
brique se reproduirait encore, malgré l'accroissement
réel, très-important d'ailleurs, de la masse absolue de nos
connaissances.
Dans l'état présent de l'algèbre, la résolution complète
des équations des quatre premiers degrés, des équations
binômes quelconques, et certaines équations spéciales des
degrés supérieurs, et d'un très-petit nombre d'équations
exponentielles, logarithmiques, ou circulaires, consti-
tuent donc les méthodes fondamentales que présente le cal*
cul des fonctions directes pour la solution des problèmes
mathématiques. Mais, avec des éléments aussi bornés, les
géomètres n'en sont pas moins parvenus à traiter, d'une ma-
nière vraiment admirable, un très-grand nombre de ques-
tions importantes, comme nous le reconnaîtrons successi-
vement dans la suite de ce volume. Les perfectioDoements
généraux introduits depuis un siècle dans le système total
de l'analyse mathématique ont eu pour caractère principal
d'utiliser à un degré immense ce peu de connaissances ac-
CALCUL DES FONCTIONS DIRECTES. 16»
quises sur le calcul des fonctions directes^ au lieu de
tendre à les augmenter. Ce résultat a été obtenu à un tel
point, que le plus souvent ce calcul n'a de rôle effectif
dans la solution complète des diverses questions que par
ses parties les plus simples, celles qui se rapportent aux
équations des deux premiers degrés, à une seule ou à
plusieurs variables.
L'extrême imperfection de Palgèbre relativement à la
résolution des équations a déterminé les analystes à s'oc-
cuper d'une nouvelle classe de questions, dont il importé
de marquer ici le véritable caractère. Quand ils ont cru
devoir renoncer à poursuivre plus longtemps la résolution
des équations algébriques des degrés supérieurs au qua-
trième, ils se sont occupés de suppléer, autant que possi-
ble» à cette immense lacune, par ce qu'ils ont nommé la
résolution numérique des équations. Ne pouvant obtenir,
dans la plupart des cas, la formtde qui exprime quelle
fonction explicite l'inconnue est des données, on a cher-
Cbé« à défaut de cette résolution, la seule réellement algé^
brique^'k déterminer, du moins, indépendamment de cette
formule, la valeur de chaque inconnue pour tel ou tel
système désigné de valeurs particulières attribuées aux
données. Par les travaux successifs des analystes, cette
opération incomplète et bâtarde, qui présente un mélange
intime des questions vraiment algébriques avec des ques-
tions purement arithmétiques, a pu, du moins, être
entièrement effectuée dans tous les cas, pour des équa-
tions d'un degré et môme d'une forme quelconque.
Sous ce rapport, les méthodes qu'on possède aujourd'hui
sont suffisamment générales, quoique les calculs aux-
quels elles conduisent soient souvent presque inexécu-
tables à cause de leur complication. Il ne reste donc
plus, à cet égard, qu'à simplifier assez les procédés,
154 MATHÉMATIQUES.
pour qu'ils deviennenl régulièrement applicables, ce qu'on
peut espérer d'obtenir dans la suite. D'après cet état du
calcul des fonctions directes, on s'efforce ensuite, dans
l'application de ce calcul, de disposer, autant que possible,
les questions proposées de façon à n'exiger flnalement que
cette résolution numérique des équations.
Quelque précieuse que soit évidemment une telle res-
source, à défaut de la véritable solution^ il est essentiel de
ne pas méconnaître le vrai caractère de ces procédés, que
les analystes regardent avec raison comme une algèbre fort
imparfaite. En effet, il s'en faut de beaucoup que nous pais-
sions toujours réduire nos questions mathématiques à ne
dépendre, en dernière analyse, que de la résolution numé'
7'ique des équations. Gela ne se peut que pour les questions
tout à fait isolées, ou vraiment finales, c'est-à-dire pourk
plus petit nombre. La plupart des questions ne sont» eo
effet, que préparatoires et destinées à servir de prélimi*
nairc indispensable à la solution d'autres questions. .Or^
pour un tel but, il est évident que ce n'est pas la voter
efl'ective de l'inconnue qu'il importe de découvrir, tuaii la
formule qui montre comment elle dérive des autres quaiir
tités considérées. C'est ce qui arrive, par exemple» dans
un cas très-étendu, toutes les fois qu'une question déter-
minée renferme simultanément plusieurs inconnues. 11
s'agit alors, comme on sait, d'en faire, avant tout, la sépa*
ration. En employant convenablement, à cet effet, le ]ir(h
cédé simple et général heureusement imaginé par les
analystes, et qui consiste à rapporter l'une des inconnues
à toutes les autres, la difficulté disparaîtrait constammeol»
si l'on savait toujours résoudre algébriquement les équa-
tions considérées, sans que la résolution numérique puisse
être alors d'aucune utilité. C'est uniquement faute deooo-
naitre la résolution algébrique des équations à une seule
CALCUL DES FONCTIONS DIRECTES. 1S5
ÎQCODDue, qu'on est obligé de traiter l'élimination comme
une question distincte, qui forme une des plus grandes
difBcallés spéciales de l'algèbre ordinaire. Quelque péni*
bles que soient les méthodes à l'aide desquelles on sur-
moDle cette difficulté, elles ne sont pas même applicables,
d'une manière entièrement générale, à l'élimination d'une
iocooDue entre deux équations de forme quelconque.
Dans les questions les plus simples, et lorsqu'on n'a vé-
ritablement à résoudre qu'une seule équation à une seule
iocoDQoe, cette résolution numérique n'en est pas moins un
procédé très-imparfait, môme quand elle est strictement
sofflsaDte. Elle présente, en effets ce grave inconvénient
d'obliger à refaire toute la suite des opérations pour le plus
léger changement qui peut survenir dans une seule des
fQantilés considérées, quoique leur relation reste toujours
b même, sans que les calculs faits pour un cas puissent
dispenser en aucune manière de ceux qui concernent un
autre cas très-peu différent, faute d'avoir pu abstraire et
traiter distinctement cette partie purement algébrique de
b question, qui est commune à tous les cas résultant de la
^mple variation des nombres donnés.
D'après les considérations précédentes, le calcul des
fonctions directes, envisagé dans son état actuel, se di-
^ donc naturellement en deux parties fort distinctes,
suivant qu'on traite de la résolution algébrique des équa-
tions ou de leur résolution numérique. La première partie,
1^ seule vraiment satisfaisante, est malheureusement fort
P^u étendue, et restera vraisemblablement toujours très-
lK)rDée; la seconde, le plus souvent insufûsante, a du
moins l'avantage d'une généralité beaucoup plus grande.
U Décessité de distinguer nettement ces deux parties est
évidente, à cause du but essentiellement différent qu'on
se propose dans chacune, et, par suite, du point de
156 MATHÉMATIQUES.
vue propre sous lequel on y considère les quantités. De
plus, si on les envisage relativement aux diverses méthodes
dont chacune est composée, on trouve dans leur distrihution
rationnelle une marche toute différente. En effets la pre-
mière partie doit se diviser d'après la nature des équations
que Ton sait résoudre, et indépendamment de toute consi-
dération relative aux valeurs des inconnues. Dans la seconde
partie, au contraire, ce n'est pas suivant les degrés des
équations que les procédés se distinguent naturellement,
puisqu'ils sont applicables à des équations d'un degré quel-
conque, c'est selon l'espèce numérique des valeurs des
inconnues. Car, pour calculer directement ces nombres
sansles déduire des formules qui en feraient connaître les
expressions, le moyen ne saurait évidemment être le môme,
quand les nombres ne sont susceptibles d'être évalués
que par une suite d'approximations toujours incomplète!
que lorsqu'on peut les obtenir exactement. Cette distinc-
tion si importante, dans la résolution numérique des équa-
tions, des racines incommensurables, et des racines corn-
mensurables, qui exigent des principes tout à fait différents
pour leur détermination, est entièrement insigniflante
dans la résolution algébrique^ où la nature rationnelle ou
irrationnelle des nombres obtenus est un simple accident da
calcul, qui ne peut exercer aucune influence sur les procé-
dés employés. C'est, en un mot, une simple considération
arithmétique. On en peutdire autant, quoique à un moindre
degré, de la distinction des racines commensurables elles-
mêmes en entières et fractionnaires. Enfin, il en est aussi
de même à plus forte raison, pour la classification la plus
générale des racines, en réelles et imaginaires. Toutes ces
diverses considérations, qui sont prépondérantes quanta
la résolution numérique des équations, et qui n'ont aucune
importance dans la résolution algébrique, rendent de plus
GALGITL DES FONCTIONS DIRECTES. 167
en plus sensible la nature essentiellement distincte de ces
deux parties principales de Talgèbre proprement dite.
Ces deux parties, qui constituent l'objet immédiat du
calcul des fonctions directes, sont dominées par une troi-
sième purement spéculative, à laquelle Tune et l'autre em-
pruntent leurs ressources les plus puissantes, et qui a été
très-exactement désignée par le nom général de théorie des
éguatianSy quoique cependant elle ne porte encore que sur
les équations dites algébriques. La résolution numérique
des équations, à cause de sa généralité, exige spécialement
celte base rationnelle.
Cette dernière branche si importante de l'algèbre se
divise naturellement en deux ordres de questions, d'abord
celles qui se rapportent à la composition des équations, et
ensuite celles qui concernent leur transformation; ces der-
nières ayant pour objet de modiGer les racines d'une équa-
tion sans les connaître, suivant une loi quelconque donnée^
pourvu que cette loi soit uniforme relativement à toutes
ces racines (1).
(1) Je crois devoir, au sujet de la théorie des équations, signaler ici une
iacnne de quelque importance. Le principe fondamental sur lequel elle
repose, et qui est si fréquemment appliqué dans toute l'analyse matkéma-
tiqae, la décomposition des fonctions algébriques, rationnelles et entières,
d*iin degré quelconque, en facteurs du premier degré, n'est jamais employé
que pour les fonctions d'une seule variable, sans que personne ait exa-
miné si on doit retendre aux fonctions de plusieurs variables, ce que
néanmoins on ne devrait pas laisser incertain. Quant aux fonctions de
deux ou de trois variables, les considérations géométriques décident clai-
rement, quoique d'une manière indirecte, que leur décomposition en fac-
tanri est ordinairement impossible ; car il en résulterait que chaque classe
correspondante d'équations ne pourrait représenter une ligne ou une sur-
filée sut generis^ et que son lien géométrique rentrerait toujours dans le
système de ceux appartenant à des équations de degré inférieur, de telle
sorte que, de proche en proche, toute équation ne produirait jamais que
des lignes droites ou des plans. Mais, précisément à cause de cette inter-
prétation concrète, ce théorème, quoique purement négatif, me semble
158 HATnÉHATlQUES.
Pour compléter celte rapide énumération générale des
diverses parties essentielles du calcul des fonctions directes,
je dois enfîn mentionner expressément une des théories les
plus fécondes et les plus imporlantes de Talgëbre propre-
ment dite, celle relative à la transformation des fonctions
en séries à l'aide de ce qu'on appelle la méthode des coef-
ficients indéterminés. Cette méthode, si éminemment ana-
lytique, et qui doit être regardée comme une des décou-
vertes les plus remarquables de Descartes, a sans doute
perdu de son importance depuis l'invention et le dévelop-
pement du calcul infinitésimal, dont elle pouvait tenir liea
si heureusement sous quelques rapports particuliers. Mais
l'extension croissante de l'analyse transcendante, quoique
ayant rendu cette méthode bien moins nécessaire, en a,
d'un autre côté, multiplié les applications et agrandi les
ressources; en sorte que, par l'utile combinaison qui s'est
avoir une si grande importance pour la géométrie analytique, que je m'é-
tonne qu'on n'ait pas cherché à établir directement une différence auaai
caractéristique entre les fonctions à une seule variable et celles à plosieun
variables. Je vais rapporter ici sommairement la démonstration abstraite
et générale que J'en ai trouvée, quoiqu'elle fût plus convenablement placée
dans un traité spécial.
l*Si f{Xy y) pouvait se décomposer en facteurs dn premier degré, on les
obtiendrait en résolvant l'équation f\Xy y) = o. Or, d'après les considéra-
tions indiquées dans le texte, cette équation, résolue par rapport à t^
fournirait des formules qui contiendraient nécessairement divers radicani,
dans lesquels entrerait y. Les fonctions de y, renfermées sous cbaqoe r»-
dical, ne sauraient évidemment être en général des puissances parfaites.
Or, il faudrait qu'elles le devinssent pour que les facteurs élémentaire
correspondants de/* (a;, y), et qui sont déjà du premier degré en x, fussent
aussi du premier degré, ou même simplement rationnels, relativement h y.
Gela ne pourra donc avoir lieu que dans certains cas particuliers, lorsque
les coefficients rempliront les conditious plus ou moins nombreuses, mais
constamment déterminées, qu'exige la disparition des radicaux. Le même
raisonnement s'appliquerait évidemment, à bien plus forte raison, aux
fonctions de trois, quatre^ etc., variables.
2<> Une autre démonstration, de nature très-différente, se tire de la me-
sure du degré de généralité des fonctions à plusieurs variables, lequel
CALCUL DES FONCTIONS DIRECTES. 169
finalement opérée eiklre les deux théories, l'usage de la
méthode des coefficients indéterminés est devenu aujour-
d'hui beaucoup plus étendu qu'il ne Tétait même avant la
formation du calcul des fonctions indirectes.
Âpres avoir esquissé le tableau général de l'algèbre
proprement dite, il me reste maintenant à présenter quel-
les considérations sur divers points principaux du calcul
des fonctions directes, dont les notions peuvent être utile-
ment éclaircies par un examen philosophique.
Les difficultés relatives à plusieurs symboles singuliers
auxquels conduisent les calculs algébriques et notamment
aux expressions dites imaginaires^ ont été, ce me semble,
beaucoup exagérées par suite des considérations purement
métaphysiques qu'on s'est efforcé d'y introduire, au lieu
d'envisager ces résultats anormaux sous leur vrai point de
vue, comme de simples faits analytiques. En les concevant
t*flBtifDe par le nombre de constantes arbitraires entrant dans leur expi^s-
ik>D la plus complète et la plus simple. Je me bornerai à Tindiqaer pour
leifooctions de deux variables; il serait aisé de l'étendre à celles qui en
ontieDnent davantage .
On tait que le nombre de constantes arbitraires contenues dans la for-
mile géoérale d'une fonction du degré m k deux variables, est ^ ^^ "^ ^^
Or, si one telle fonction pouvait seulement se décomposer en deux fac-
tetirs. Tan du d^gré n, et l'autre du degré m — n, le produit renfermerait
im nombre de constantes arbitraires égal à
n{n-\'Z) , (m — n) (w — /i -f- 3)
Ce nombre «tant, comme il est aisé de le voir, Inférieur au précédent de
* (m — II), il en résulte qu'un tel produit, ayant moins de généralité que
■* fonction primitive, ne peut la représenter constamment. On voit même
Qu'une telle comparaison exigerait n(m— n), relations spéciales entre les
^t^Qfllciento de cette fonction, qu'on trouverait aisément en développant
VldeoUté.
Ce nouveau genre de démonstration, fondé sur une considération ordi-
v^aSrement négligée, pourrait probablement être employé avec avantage
^«os plusieort antres circonstances.
^*»^ MATHÉMATIQUES.
aiQsi, il est aisé de reconnaître, ei^ thèse générale, que,
Tesprit de l'analyse mathématique consistant à considérer
les grandeurs sous le seul point de vue de leurs relations,
et indépendamment de toute idée de valeur déterminée, il
en résulte nécessairement pour les analystes Tobligation
constante d'admettre indifféremment toutes les sortes
d'expressions quelconques que pourront engendrer les
combinaisons algébriques. S'ils voulaient s'en interdire
une seule, à raison de sa singularité apparente, comme elle
est toujours susceptible de se présenter d'après certaines
suppositions particulières sur les valeurs des quantités con-
sidérées, ils seraient contraints d'altérer la généralité de
leurs conceptions, et, en introduisant ainsi, dans chaque
raisonnement, une suite de distinctions vraiment étran-
gères, ils feraient perdre à l'analyse mathématique son
principal avantage caractéristique, la simplicité et l'uni-
formité des idées qu'elle combine. L'embarras que l'intel-
ligence éprouve ordinairement au sujet de ces expressions
singulières me parait provenir essentiellement de la con-
fusion vicieuse qu'elle fait à son insu entre l'idée de fonction
et l'idée de valeur^ ou, ce qui revient au môme, entre le
point de vue algébrique et le point de vue arithmétique.
Si la nature de cet ouvrage me permettait de présenter à
cet égard lesdéveloppementssuffisants, il me serait, je crois,
facile, par un usage convenable des considérations indi-
quées dans cette leçon et dans les deux précédentes, de
dissiper les nuages dont une fausse manière de voir entoure
habituellement ces diverses notions. Le résultat de cet
examen démontrerait expressément que l'analyse mathé-
matique est, par sa nature, beaucoup plus claire, sous les
différents rapports dont je viens de parler, que ne le
croient communément les géomètres eux-mêmes, égarés
par les objections vicieuses des métaphysiciens.
CALCUL DES FONCTIONS DIRECTES. 161
Relativement aux quantités négatives, qui, par suite du
même esprit métaphysique, ont donné lieu à tant de dis-
cussions déplacées, aussi dépourvues de tout fondement
rationnel que dénuées de toute vériUible utilité scientifique,
il faut distinguer, en considérant toujours le simple fait
analytique, entre leur signification abstraite et leur inter-
prétation concrète, qu'on a presque toujours confondues
jusqu'à présent. Sous le premier rapport, la théorie des
quantités négatives peut ôtre établie d'une manière com-
plète par une seule vue algébrique. Quant à la nécetfsilé
d'admettre ce genre de résultats concurrement avec tout
autre, elle dérive de la considération générale que je viens
de présenter : et, quant à leur emploi comme arlilicc ana-
lytique pour rendre les formules plus étendues, ce méca-
nisme de ca'cnl ne peut réellement donner lieu à aucune
difUculté sérieuse. Ainsi, on peut envisager la théorie
abstraite des quantités négatives comme ne laissant rien
d'essentiel à désirer : elle ne présente vraiment d'obstacles
que ceux qu'on y introdu t mal à propos par des considé-
rations sophistiques. Mais il n'en est nullement de même
pour leur théorie concrète.
Sous ce point de vue, elle consiste esseniiellement dans
cette admirable propriété des hignes + et — de représen-
ter analyliquement les oppositions de sens dont sont sus-
ceptibles certaines grandeurs. Ce théorème général sur les
relations du concret à l'aLstrait en mathémalhique est une
des plus belles découvertes que nous devions au génie de
Descartes, qui l'a obtenue comme un simple résultat de
l'observation philoso|)hique convenablement dirigée. Un
grand nombre de géomètres ont tenté depuis d'en établir
directement la démonstration générale. Mais jusqn'ici leurs
efforts ont, été illusoires, ^oit qu ils aient essayé de tran-
cher la difGcullé par de vaines considérations mélaphy-
A. Comte. Tome I. i i
162 MATHÉMATIQUES.
siques,oa par des comparaisons très-basardées, soit qu'ils
aient pris de simples vériGcalions dans quelque cas
particulier plus ou moins borné pour de véritables dé-
monstrations. Ces diverses tentatives vicieuses, et le mé-
lange hétérogène du point de vue abstrait avec le point de
vue concret, ont môme introduit communément à cet
égard une telle confusion, qu'il devient nécessaire d'énon-
cer ici. distinctement le lait général, soit qu'on veuille se
contenter d'en faire usage, soit qu'on se propose de l'expli-
quer. Il consiste, indépendamment de toute explication,
en ce que : si, dans une équation quelconque exprimant la
relation de certaines quantités susceptibles d'opposition de
sens, une ou plusieurs de ces quanlités viennent à être
comptées dans un sens contraire à celui qu'elles affectaient
quand l'équation a été primitivement établie; il ne sera pas
nécessaire de former directement une nouvelle équation
pour ce second état du phénomène; il sufGra de changer,
dans la première équation, le signe de chacune des quan-
tités qui auront changé de sens,el l'équation ainsi modifiée
coïncidera toujours rigoureusement avec celle qu'on aurait
trouvée en recommençant à chercher pour ce nouveau cas
la loi analytique du phénomène. C'est dans cette coïnci-
dence constante et nécessaire que consiste le théorème gé-
néral. Or jusqu'ici on n'est point parvenu réellement à
s'en rendre compte directement ; on ne s'en est assuré que
par un grand nombre de \ériGcations géométriques et mé-
caniques, qui sont, il est vrai, assez multipliées et surtout
assez variées pour qu'il ne puisse rester dans aucun esprit
juste le moindre doute sur l'exactitude et la généralté de
cette propriété essentielle, mais qui, sous le rapport philo-
sophique, ne dispensent nullement de chercher une expli*
cation aussi importante. L'extrême étendue du théorème
doit faire comprendre à la fois et la dilXicuité capitale de
CALCUL DES FONCTIONS DIRECTES. 163
cette recherche si souvent reprise infructueusement, et la
haute utilité dont serait sans doute, pour le perfectionne-
ment de la science mathématique, la conception générale
de cette grande vérité, l'esprit ne pouvant évidemment s'y
élever qu'en se plaçant à un point de vue d'où il découvri-
rait inévitablement de nouvelles idées, par la considération
directe et approfondie de la relation du concret à l'abstrait.
Quoi qu'il en soit, l'imperfection que présente encore la
science sous ce rapport n'a point empêché les géomètres
de faire l'usnge le plus étendu et le plus important de cette
propriété dans toutes les parties de la mathématique con-
crète, où l'on en éprouve un besoin presque continuel. On
peut môme retirer une certaine utilité logique de la simple
considération nette de ce f»iit général, tel que je l'ai décrit
ci-dessus ; il en résulte, par exemple, indépendamment de
toute démonstration, que la propriété dont nous parlons
ne doit jamais être appliquée aux grandeurs qui affectent
des directions continuellement variables, sans donner lieu
k une simple opposition de sens : dans ce cas, le signe
dont se trouve nécessairement affecté tout résultat de cal-
cul n'est susceptible d'aucune interprétation concrète, et
c'est à tort qu'on s'efforce quelquefois d'en établir; cette
circonstance a lieu, entre antres occasions, pour les rayons
vecteurs en géométrie, et pour les forces divergentes en
mécanique.
Un second théorème général sur la relation du concret
à l'abstrait en mathématique, que je crois devoir consi-
dérer expressément ici, est celui qu'on désigne ordinaire-
ment sous le nom de principe de V homogénéité. Il est sans
doute bien moins important dans ses applications que le
précédent. Mais il mérite particulièrement notre attention,
comme ayant, par sa nature, une étendue encore plus
grande, puisqu'il s'applique indistinctement à tous les phé-
164 MATHÉMATIQUES.
nomènes, et à cause de Tulililé réelle qu'on en retire sou-
vent pour la vériGcation de leurs lois analytiques. Je puis
d'ailleurs en exposer une démonstration directe et géné-
rale, qui me semble fort simple. Elle est fondée sur celte
seule observation, évidente par elle-même : l'exactitude de
tonte relation entre des grandeurs concrètes quelconques
est indépendante de la valeur des unités auxquelles on les
rapporte pour les exprimer en nombres. Par exemple, la
relation qui existe entre les trois côtés d'un triangle rectan-
gle a lieu soit qu'on les évalue en mètres, ou en lieues, ou
en pouces, etc.
il suit, de cette considération générale, que toute équa-
tion qui exprime la loi analytique d'un phénomène quel-
conque, doit jouir de cette propriété de n'être nuilemeut
altérée, quand on fait subir simultanément à toutes les
quantités qui s'y trouvent le changement correspondant
à celui qu'éprouveraient leurs unités respectives. Or ce
changement consiste évidemment en ce que toutes les
quantités de chaque espèce deviendraient à la fois m fois
plus petites, si l'unité qui leur correspond devient m fois
plus grande, ou réciproquement. Ainsi, toute équation qui
représente une relation concrète quelconque doit offrir
ce caractère de demeurer la môme, quand on y rend m
fois plus grandes toutes les quantités qu'elle contient, et
qui expriment les grandeurs entre lesquelles existe la re-
lation, en exceptant toutefois les nombres qui désignent
simplement les rapports mutuels de ces diverses grandeurs,
lesquels restent invariables dans le changement des unités.
C'est dans cette propriété que consiste la loi de rhomogé-
néité, suivant son acception la plus étendue, c'est-à-dire
de quelques fonctions analytiques que les équations soient
composées.
Mais, le plus souvent, on ne considère que les cas où ces
CALCUL DES FONCTIONS DIRECTES. 165
fonctions sont de celles qu'on appelle particulièrement
algébriques, et auxquelles la notion de degré est applicable.
Dans ce cas, on peut préciser davantage la proposition
générale, en déterminant le caractère analytique que doit
présenter nécessairement l'équation pour que cette pro-
priété soit vérifiée. Il est aisé de voir alors, en effet, que,
parla modification ci-dessus exposée, tous les termes du
premier degré, quelle que soit leur forme, rationnelle ou
irrationnelle, entière ou fractionnaire, deviendront m fois
plus grands; tous ceux du second degré, m^ fois; ceux du
troisième, m^ fois, etc. Ainsi les termes du môme degré,
quelque diverse que puisse être leur composition, variant
de la même manière, et les termes de degrés difTérenls
variant dans une proportion inégale, quelque similitude
que puisse offrir leur composition, il faudra nécessairement,
pour que l'équation ne soit pas troublée, que tous les
termes qu'elle contient soient d'un même degré. C'est en
cela que consiste proprement le théorème ordinaire de
Y homogénéité ; et c'est de cette circonstance que la loi gé-
nérale a tiré son nom, qui cependant cesse d'être exacte-
ment convenable pour toute autre espèce de fonctions.
Afin de traiter ce sujet dans toute sou étendue, il im-
porte d'observer une condition essentielle, à laquelle on
devra avoir égard en appliquant cette propriété, lorsque
le phénomène exprimé par l'équation présentera des gran-
deurs de natures diverses. En eflet, il pourra arriver que
les unités respectives soient complètement indépendantes
les unes des autres, et alors le théorème de l'homogénéité
aura lieu, soit par rapport à toutes les classes correspon-
daott'S de quantités, soit qu'on ne veuille considérer qu'une
seule ou plusieurs d'entre elles. Mais il arrivera, dans
d'autres occasions, que les diverses unités auront entre
elles des relations obligées, déterminées par la nature de
166 MATHÉMATIQUES.
la question. Alors il faudra avoir égard à celte subordina-
tion des unités dans la vérification de l'homogénéité, qui
n'existera plus en un sens purenaent algébrique, et dont le
modeprécis variera suivantle genre des phénomènes. Ainsi,
par exemple^ pour fixer les idées, quand on considérera,
dans l'expression analytique des phénomènes géométriques,
à la fois des lignes, des aires et des volumes, il faudra ob-
server que les trois unités correspondantes sont nécessai-
rement liées entre elles, de telle sorte que, suivant la su-
bordination généralement établie à cet égard, lorsque la
première devient m fois plus grande, la seconde le devient
m* fois, et la troisième m^ fois. C'est avec une telle modifi-
cation que l'homogénéité existera dans les équations, où
l'on devra alors, si elles sont algébriques, estimer le degré
de chaque terme, en doublant les exposants des facteurs
qui correspondent à des aires, et triplant ceux des facteurs
relatifs à des volumes (I).
Telles sont les principales considérations générales,
très-insuffisantes sans doule, mais auxquelles je suis con-
traint de me réduire par les limites naturelles de ce cours,
relativement au calcul des fonctions directes. Nous de-
vons passer maintenant à l'examen philpsophique du cal-
cul des fonctions indirectes, dont l'importance et l'étendue
bien supérieures réclament un plus grand développement.
(0 J*ai été conduit, il y a douze ans, par mon enseignement journalier
de la science mathémaiiqne, à construire ceite théorie générale de l'Iiomo-
généité. J'ai trouvé depuis que Fourier, dans sa T/iéorie analytique de la
dialeur^ Paris. 1822^ avait suivi, de son cCté, une marche essentiel lement
semblable. Malgré cette heureuse coîucidence, qu*a dû naturellement dé-
terminer la considération directe d*un sujet aussi simple. Je n*ai pas cru
devoir ici renvoyer à sa démonstration ; celle que je viens d*eiposer
ayant pour principal objet d'embrasser Tensemble de la question,
égard à aucuoe application spéciale.
SIXIÈME LEÇON
Sommaire : — Exposition comparative des divers points de vue généraux
sous lesquels on peut envisager le calcul des fonctions indirectes.
Nous avons déterminé, dans la quatrième leçon, le ca-
ractère philosophique propre à l'analyse transcendante,
de quelque manière qu'on puisse la concevoir, en consi-
dérant seulement la nature générale de sa destination
effeclive dans l'ensemble de la science mathémalique.
Celle analyse a été, comme on sait, présentée par les géo-
mètres sous plusieurs points de vue réellement distincts,
quoique nécessairement équivalents, et conduisant lou-
jours à des résultais identiques. On peut les réduire à trois
principaux, ceux de Leibnitz, de Newton et de Lagrange,
dont tous les autres ne sont que des modifications secon-
daires. Dans l'état présent de la science, chacune de ces
trois conceptions générales offre des avantages essentiels
qui lui appartiennent exclusivement, sans qu'on soit en-
core parvenu à construire une méthode unique réunissant
toutes ces diverses qualités caractéi'istiques. En méditant
sur l'ensemble de cette grande question, on est convaincu^
je crois, que c'est dans la conception de Lagrange, que
s^opérera un jour cette combinaison. Quand cet important
travail philosophique^ qui exige une profonde élaboration
de toutes les idées mathématiques fondamentales, sera
convenablement exécuté, on pourra se borner alors, pour
connaître l'analyse transcendante, à la seule élude de cette
168 MATHÉMATIQUES.
conception définitive; les autres ne présentant plus essen-
tiellement qu'un intérêt historique. Mais, jusqu'à cette
époque, la science devra élre considérée, sous ce rapport,
comme étant dans un véritable état provisoire, qui exige
absolument, môme pour l'exposition dogmatique de cette
analyse, la considération simultanée des divers modes gé-
néraux propres au calcul des fonctions indirectes. Quelque
peu satisfaisante que puisse paraître, sous le rapport lo-
gique, cette multiplicité de conceptions d'un sujet toujours
identique, il est certain que, sans cette indispensable con-
dition, on ne pourrait se former aujourd'hui qu'une notion
très-insuffisante de cette analyse, soit en elle-même, soit
surtout relativement à ses applications, quel que fût le
mode unique que l'on aurait cru devoir choisir. Ce défaut
de systématisation dans la partie la plus importante de
l'analyse mathématique ne paraîtra nullement étrange, si
l'on considère, d'une part, son extrême étendue, sa diffi-
culté supérieure, et, d'une autre part, sa formation presque
récente. La génération des géomètres est à peine renou-
velée depuis la production primitive de la conception des-
tinée sans doute à coordonner la science, de manière à lui
imprimer un caractère fixe et uniforme; ciinsi, les habi-
tudes intellectuelles n'ont pu encore, sous ce rapport, être
suffisamment formées.
S'il s'agissait ici de tracer l'histoire rai^nnée de la for-
mation successive de l'analyse transcendante, il faudrait
préalablement distinguer avec soin du calcul des fonctions '
indirectes proprement dit l'idée mère de la méthode iu-
finitésiR)ale, laquelle peut être conçue par elle-même»
indépendamment de tout calcul. Nous verrions, dès lors,
que le premier germe de cette idée se trouve déjà dans
le procédé constant, employé par les géomètres grecs,
sous le nom de méthode (Texhaustion, pour passer de ce
CALCUL DES FONCTIONS INDIRECTES. 169
qui est relatif aux lignes droites à ce qui concerne les
lignes courbes, et qui consistait essentiellenient à substi-
tuer à la courbe la considération auxiliaire d'un polygone
inscrit ou circonscrit, d'après lequel on s'élevait à la
courbe elle-môitie, en prenant convcnablennent les limites
des relations primitives. Quelque incontestable que soit
cette Oliation des idées, on lui donnerait une importance
fort exagérée, en voyant, dans cette métbode d'exbaustion,
Téquivalent réel de nos méthodes modernes, comme l'ont
fait plusieurs géomètres. Car les anciens n'avaient aucun
moyen rationnel et général pour la détermin;ition de ces
limites, qui constit lait ordinairement la plus grande diffl-
colté de la question; en sorte que leurs solutions n'étaient
point soumises à des règles abstraites et invariables, dont
l'application uniforme dût conduire avec certitude à la
connaissanre cbercLée, ce qui est le principal caractère
de notre analyse transcendante. En un mot, il restait à
généraliser la conception employée par les anciens, et
surtout, en la considérant d'une manière purement abs-
Iraite, à la réduire en culcul, ce qui leur était impossible.
^ première idée qui ait été produite dans cette nouvelle
direction remonte véritablement à notre grand géomètre
^<?rmat, que Lagrange a justement présenté comme ayant
ébauché la formation directe de l'analyse transcendante
Psrsa métbode pour la détermination des maxima et mi-
tmia, et pour la recherche des tai)gcnle>, qui consistait
essentiellement, en effet, à introduire la considération
auxiliaire des accroissements corrélatifs des vari<ibles pro-
posées, accroissements supprimés ensuite comme nuls,
après que les équations avaient subi certaines transfor-
mations convenables. Mais, quoique Fermât eût le premier
conçu celte analyse d'une manière vraiment abstraite, elle
était encore loin d'être régulièrement formée en un calcul
170 MATnÉMATIQUES.
général et distinct, ayant sa notation propre, et surtout
dégagé de la considération superflue des ternaes, qui fi-
nissaient par n'être plus comptés dans l'analyse de Fermât^
après avoir néanmoins singulièrement compliqué par leui
présence toutes les opérations. C'est ce qu'a si heureuse-
ment exécuté Leibnitz un demi-siècle plus tard, après
quelques modiQcations intermédiaires apportées par Wal'
lis, et surtout par Barrow, aux idées de Fermât; et pai
là il a été le véritable créateur de l'analyse transcendante,
telle que nous l'employons aujourd'hui. Cette découverte
capitale était tellement mûre, comme toutes les grandes
conceptions de l'esprit humain au moment de leur mani-
festation, que Newton, de son côté, était parvenu en môme
temps, ou un peu auparavant, à une méthode exactemenl
équivalente, en considérant cette analyse sous un poinl
de vue très-différent, et qui, bien que plus rationnel eo
lui-môme, est réellement moins convenable pour donnei
à la méthode fondamentale commune toute l'étendue et la
facilité que lui ont imprimées les idées de Leibnitz. Eufln,
Lagrange, écartant les considérations hétérogènes qui
avaient guidé Leibnitz et Newton, est parvenu plus tard à
réduire l'analyse transcendante, dans sa plus grande per-
fection, à un système purement algébrique, auquel il ne
manque encore que plus d'aplitude aux applications.
Après ce coup d'œil sommaire sur l'histoire générale de
l'analyse transcendante, procédons à l'exposition dogma-
tique des trois conceptions principales, afin d'apprécier
exactement leurs propriétés caractéristiques, et de consia-
ter l'identité nécessaire des méthodes qui en dérivent. Com-
mençons par celle de Leibnilz.
Elle consiste, comme on sait, à introduire dans le cal-
cul, pour faciliter l'établissement des équations, les élé-
ments infiniment petits dont on considère comme compo-
CALCUL DBS FONCTIONS INDIRECTES. 171
séesles quantités entre lesquelles on cherche des relations.
Ces éléinenls ou différentielles auront entre eux des rela-
tions constamment et nécesbairement plus simples et plus
faciles à découvrir que celles des quantités primitives, et
d'après lesquelles on pourrait ensuite, par un calcul spé-
cial ayant pour destination propre l'élimination de ces
infinitésimales auxiliaires, remonter aux équations cher-
chées, qu'il eût été le plus souvent impossible d'obtenir
directement. Cette analyse indirecte pourra l'ôire à des
degrés divers ; car, si on trouve quelquefois trop de difQ-
coilé à former immédiatement l'équation entre les dilTé*
renliellcs mômes des grandeurs que l'on considère, il
faudra, par un emploi redoublé du môme artifice général,
traiter, à leur tour, ces différentielles comme de nouvelles
QQ^ulités primitives, et chercher la relation entre leurs
éléments inflniment petits, qui, par rapport aux objets
définitifs de la question, seront les différentielles secondes,
stainsi de suite, la môme transformation pouvant ôlre répé-
tée un nombre quelconque de fois, à la condition toujours
<l'éliminer finalement le nombre de plus en plus grand des
quantités infinitésimales introduites comme auxiliaires.
Dn esprit encore étranger à ces considérations n'aper-
çoit pas sur-le-champ comment l'emploi de ces quantités
auxiliaires peut faciliter la découverte des lois analytiques
des phénomènes ; car les accroissements infiniment petits
des grandeurs proposées étant de môme espèce qu'elles,
leurs relations ne paraissent pas devoir s'obtenir plus ai-
sément, la valeur plus ou moins petite d une quantité ne
pouvant, en effet, exercer aucune influence sur une re-
cherche nécessairement indépendante, par sa nature, âfi
toute idée de valeur. Mais il est aisé, néanmoins, de s'expli-
quer très-nettement, et d'une manière tout à fait générale,
à quel point, par un tel artifice, la question doit se trou-
1 7 S M ATD ÉM ATIQUES.
ver simpliûée. Il faut, ponr cela, commencer par distii-
guer les difTérenls ordres d'infiniment petits, dont on peut
se faire une idée fort précise, en considérant que ce sont
ou les puissances successives d'un même inGniment petit
primilif, ou des quantités qu'on peut présenter comme
ayant avec ces puissances des rapports finis, en sorte que,
par exemple^ les difTérentielIes seconde, troisième, etc.,
d'une môme variable, sont classées comme infiniment pe-
tits du second ordre, du troisième, etc., parce qu'il est
aisé de montrer en elles des multiples finis des puissances
seconde, troisième, etc., d'une cerlaine différentielle pre-
mière. Ces notions préliminaires élant posées, l'esprit de
l'analyse infinitésimale consiste à négliger constamment
les quantités infiniment petites à l'égard des quantités
finies, et, généralement, les infiniment petits d'un ordre
quelconque vis-à-vis tous ceux d'un ordre inférieur. On
conçoit immédiatement combien une telle faculté doit
faciliter la formation des équations entre les différentielles
des quantités, puisque, au lieu de ces différentielles, on
pourra substituer tels autres éléments qu'on voudra, et qui
seraient plus simples à considérer, en se conTormant à
cette seule condition, que les nouveaux éléments ne diffè-
rent des précédents que de quantités infiniment petites
par rapport à eux. C'est ainsi qu'il sera possible, en géo-
mélrie, de traiter les lignes courbes comme composées
d'une infinité d'éléments rectilignes, les surfaces courbes
comme formées d'éléments plans; et, en mécanique, les
mouvements variés comme une suite infinie de mouve-
ments uniformes, se succédante des intervalles de temps
infiniment petits. Vu l'importance de cette conception
admirable, je crois devoir ici, par l'indication sommaire
de quelques exemples principaux, achever d'éclaircir son
caractère fondamental.
CALCUL DES FONCTIONS INDIRECTES. 17 S
Qu'il s'agisse de déterminer, en chaque point d'une
courbe plane dont l'équation est donnée, la direction de sa
tangente, question dont la solution générale a été l'objet
primitif qu'avaient en vue les inventeurs de l'analyse trans-
cendante. On considérera la tangente comme une sécante
qui joindrait deux points infiniment voisins; et alors, en
nommant dy et dx les ditTérences inGniment petites des
coordonnées de ces deux points, les premiers éléments de
lagéomélrie fourniront immédiatement l'équation ^= ^'
pour la tangente trigonométrique de l'angle que fait avec
l'axe des x la tangente cherchée, ce qui, dans un système
de coordonnées rectilignes, est la manière la plus simple
d'en fixer la position. Cette équation, commune à toutes
les courbes, étant posée, la question est réduite à un simple
problème analytique, qui consistera à élimiler les infini-
tésimales dx et dy^ introduites comme auxiliaires, en déter-
Qiinant, dans chaque cas particulier, d'après Téqu ition de
^3 courbe proposée le rapport de dy à rfx, ce qui se fera
Constamment par des procédés uniformes et très-simples.
En second lieu, qu'on veuille connaître la longueur de
i'arc d'une courbe quelconque, considéré comme une fonc-
tion des coordonnées de ses extrémités. 11 serait impossible
^'établir immédiatement l'équation entre cet arc s et ces
coordonnées, tandis qu'il est aisé de trouver la relation
correspondante entre les différentielles de ces diverses
grandeurs. Les plus simples théorèmes de la géométrie
élémentaire donneront, en elFel, sur-le-champ en considé-
rant Tare infiniment petit ds comme une ligne droite, les
équations
(/>« = dy* + dx\ ou cf4« = dj'' + dy* + di\
suivant que la courbe sera plane ou à double courbure.
Dans l'un et l'autre cas, la question est maintenant tout
174 MATnÉHATIQUES.
enlière du domaine de l'analyse, qui fera remonter, d*après
celle relation, à celle qui existe entre les quantités finies
elles-mêmes que Ton considère, par réliminalion de dif-
fércnlielles, qui est l'objet propre du calcul des fonctions
indirectes.
Il en serait de même ponr la quadrature des aires cur-
vilignes. Si la courbe est plane et rapportée à des coordon-
nées reclilignes, on concevra Taire A comprise entre elles.
Taxe des x, et deux coordonnées extrêmes, comme aug-
mentant d'une quantité infiniment peiite c/A, en résultat
d'im accroissement analogue de l'abcisse. Alors la relation
entre ces deux difTcrentielIcs pourra s'obtenir immédiate-
ment avec la plus grande facilité, en substituant à l'élément
curviligne de l'aire proposée le rectangle formé par l'ordon-
née extrême et l'élément de l'abcisse, dont il ne diffère évi-
demment que d'une quantité inflnimenl petite du second
ordre, ce qui fournira aussitôt, quelle que soit la courbe,
l'équation différentielle très-simple
dA = ydxy
d où le Ctilcul des fonctions indirectes, quand la courbe
sera déûnie, apprendra à déduire l'équation finie, objet
immédiat du problème.
Pareillement, en dynamique , quand on voudra con-
naître l'expression de la vitesse acquise à chaque instant
par un corps Huimé d'un mouvement varié suivant une loi
quelconque, on considérera le mouvement comme uni-
forme pendant la durée d'un élément infiniment petit du
temps t, et on formera ainsi immédialement l'équation dif-
férentielle de =- vdt, V désignant la vitesse acquise quand
le corps a parcouru l'espace e, et de là il sera facile de
conclure, par de simples procédés analytiques invariables,
la formule qui donnerait la vitesse dans chaque mouve-
CALCUL DES FONCTIONS INDIRECTES. 17»
ment particulier, d'après la relation correspondante entre
le temps el l'espace; ou, réciproquement, quelle serait
celte relation si le mode de variation de la vitesse était
supposé connu, soit par rapport à l'espace, soit par rap-
port au temps.
Enfin, pour indiquer une autre nature de questions, c'est
par une marche semblable que, dans l'étude des phéno-
mènes thermologiques, comme l'a si heureusement conçue
Fourier, on peut former très-simplement, ainsi que nous
le verrons plus tard, l'équation dilTérentielle générale qui
exprime la répartition variable de la chaleur dans un corps
quelconque à quelques influences qu'on le suppose soumis,
d'après la seule relation, fort aisée à obtenir, qui repré-
sente la distribution uniforme de la chaleur dans un parai-
lélipipède rectangle, en considérant géométriquement tout
autre corps comme décomposé en éléments infiniment
petits d'une telle forme, et thermologiquement le flux de
chaleur comme constint pendant un temps infiniment
petit. Dès lors, toutes les questions que peut présenter la
thermologie abstraite se trouveront réduites, comme pour
la géométrie et la mécanique, à de pures difficultés d'ana-
lyse, qui consisteront toujours dans l'élimination des dif-
férentielles introduites comme auxiliaires pour faciliter
l'établissement des équations.
Des exemples de nature aussi diverse sont plus que
saflisants pour faire nettement comprendre en général l'im-
mense portée de la conception fondamentale de l'analyse
transcendante, telle que Leibnitz l'a formée, et qui cons-
titue sans aucun doute la plus haute pensée à laquelle
l'esprit humain se soit jamais élevé jusqu'à présent.
On voit que celte conception était indispensable pour
achever de fonder la science mathématique, en permellant
d'établir, d'une manière large et féconde, la relation du
176 M ATUÉM ATIQUES.
concret à TabstraiL Sous ce rapport, ello doit ôlre envisa-
gée comme le complément nécessaire de la grande idée
mère de Desc.irles sur la repié>entalion an;ilyliqne générale
des phénomènes nalurels, idée qui n'a commencé à ôlre
dignement appréciée et convenablement exploitée que
depuis la formation de l'analyse infinitésimale, sans la-
quelle elle ne pouvait encore produire, môme en géomé-
trie, de résultats trôs-importauts (1).
Quoique j'aie cru devoir, dans les considérations précé-
dentes, insister particulièrement sur raduiirablc facilité
que présente par sa nature l'analyse transcendante pour la
recherche des lois mathématiques de tous les phénomènes,
je ne dois pas négliger de faire ressortir une seconde pro-
priété fondamentale, peut-être aushi importante que la
première, et qui ne lui e^t pas moins inhérente : je veux
parler de l'extrême généralité des formules dilFérenlielles,
qui expriment en une seule équ;ition cb que phénomène
déterminé, quelque varias que puissent èlre les sujets
dans lesquels on le considère. Ainsi, sous le point de vue
de lanalyse iiiQnitésimalo, on voit, dans les exemples qui
précèdent, une seule équation difTcrenlielle donner les
tangentes à toules les courbes, une autre leurs rectifica-
tions, une troisième leurs quadratures; et de môme, une
formule invariable exprimer la loi mathématique de tout
(I) II est bicîn remarqnnblo, en offet, que des Iiommo«, tcii que Pascal,
ainiit lait au«si peu d'utttfiiiion h Ih conception fondamentale de Descariet,
sans pi^s&ewiir nullemoiit lu révointion générale qnVile était nécessaire-
ment destinée à produire dans le sys {.'inconli.'r île la science niatliéioa-
tique. Cela est venu do ce que, sans le sc'onrsde l'analyse transcendante,
cette aJmirable nirtliode ne pouvaii r eilcinent encore conduira à det
résultats essentiels, qui m^pussnt ôire obtentis presque awssi bien parla
méiliod*.' géoniiHriquc des ancif^ns. Les esprits ni^nie les pins éniinents
ont toujours bien nnins npprécié Jusqti*ici les méthodes générales par
leur simple caractère philosophique que par les counaissauces cffectivse
qu'elles pouvaient procurer immédiatement.
f ■
CALCUL DES FONCTIONS INDIRECTES. 177
mouvement varié ; enfin une éqnalion unique représen-
ter constamment la répartition de la cbaleur dans un
corps et pour un cas quelconques. Celle généralité si
éminemment remarquable, et qui est pour les géomè-
tres la base des considérations les plus élevées, est une
beureuse conséquence nécessaire et presque immédiate de
^'^spril môme de l'analyse Iranscendanle, sui tout dans la
conception de Leibnilz. Elle résulte de ce qu'en substi-
tuant aux éléments infininienl petits des grandeurs consi-
<^érées, d'autres inûnilésimales plus simples, qui i!>eules
^'ilreiit dans les équaiions diO'crenlielles, ces infinitési-
'^ales se trouvent, par leur nature, être conslanimenl les
'^Cmes pour chaque classe totale de questions, quels que
^^îent les objets divers du phénomène étudié. Ainsi, par
^^emple, toute courbe, quelle qu'elle soit, étant toujours
^^composée en éléments reclilignes, on co: çoit à priori
^^ela relation entre ces cléments uniformes doit nécessai-
rement être la môme pour un mOine pliénomène géomé-
'^ique quelconque, quoique l'équation unie corrospon-
^anle à cette loi d.lTérentielle doive varier d'une courbe à
^ne autre. 11 en est évidemment de môme dans loul autre
^as quelconque. L'analyse iniinitésimale n'a donc pas seu-
lement fourni un procédé général pour former indirecle-
^eut des équaiions qu'il eût élé impossible de découvrir
fj'uoe manière directe ; elle i\ permis en outre de consi-
tiérer, pour l'élude mathématique des phénomènes natu-
rels, un ordre nouveau de lois plus générales et néanmoins
offrant une signification claire et précise à tout esprit ha-
bitué à leur inlerprétalion. Ces lois sont constamment les
mônies pour chaque phénomène, dans quelques objets
qu'on l'étudié, et ne change qu'en passant d'un phéno-
mène à un autre ; d'où l'on a pu d'ailleurs, en comparant
ces variations, s'élever quelquefois, par une vue encore plus
A. COMTE. Tome I. ^2
178 MATDÉNATIQUES.
générale, à des rapprochements positifs entre diverse
classes de phénomènes lout à fait divers, d'après les anal
gies présentées par les expressions dilTérentielles de leur
lois mathématiques. Dans Tétude philosophique de 1
mathématique concrèie, je m'attacherai à faire exactemea
apprécier cette seconde propriété caractéristique de l'ana
lyse transcendante, non moins admirable que la première,
et en vertu de laquelle le système entier d*une science
immense, comme la géométrie ou la mécanique, a pu s^
trouver condensé en un petit nombre de formules analyti
ques, d'où l'esprit humain peut déduire, par des règle
certaines et invariables, la solution de tous les problèm
particuliers.
Pour terminer l'exposition gét^érale de la conception d
Leibnitz^ il me reste maintenant à considérer en elle-mêm
la démonstration du procédé logique auquel elle conduit,,
ce qui constitue malheureusement la partie la plus impar-
faite de cette belle méthode.
Dans les premiers temps de l'analyse infinitésimale, le
géomètres les plus célèbres, tels que les deux illustres-
frères Joan et Jacques Bernouilli, attachèrent, avec raison^
bien [ilus d'importance à étendre, en la développant, l'im —
mortelle découverte de Leibnilz, et à en multiplier les a
plications qu'à établir rigoureusement les })ases h giquess
sur lesquelles reposaient les procédés de ce nouveau-
calcul (1). Ils se contentèrent pendant longtemps de ré—
(I) On ne pout contempler, sans un profond intérêt, le naïf rnthoa-
siasme de Til lustre Hnygliens, au sujet de cette udmirable création, quoi>|
80n âge avancé ne lui permit point d'en f.iire lui-même aucun ii»aKe i
portant, ei qu'il se fût déjà éievé sans co pui&sant recours à dt*i découvert
capitales. Je voit avec surprise et avec ta/miration, écrivait-il, rn iCii}
au marquis de L*HôpitaI, téien'fue et ia /é-on^fHé de cet nrt; de quel»
que cô é qu* je tourne la vue, feti aperçois de houvtaux usaytM ; enfin,
fy conçoit un progrès et une spéculation infinis.
CALCUL DES FONCTIONS INDIRECTES. 179
pondre par la solution inespérée des problèmes les plus
difliciles à Topposilion prononcée de la plupart des géo-
mètres du second ordre contre les principes de la nou-
velle analyse, persuadés sans doute, contrairement aux
habitudes ordinaires, que, dans la science mathématique
hien plus que dans aucune autre, on peut accueillir avec
hardiesse les nouveaux moyens; môme quand leur ra-
iionnalité est imparfaite, pourvu qu'ils soient féconds,
puisque, les vériûcations étant bien plus faciles et plus
•mullipliées, l'erreur ne saurait demeurer longtemps ina-
perçue. Néanmoins, après le premier élan, il étail impos-
sible d'en reslerlà; et il fallait revenir nécessairement
sur les fondements mômes de l'analyse leibnitzienne pour
constater généralement l'exactitude rigoureuse des pro-
eédés employés, malgré les infractions apparentes qu'on
t'y permettait aux règles ordinaires du raisonnement.
Leibnitz, pressé de répondre, avait lui-môme présenté une
explication tout à fait erronée, en disant qu'il traitait les
infiniment petils comme des incomparables, et q^'il les né-
gligeait vis-à'Vis des quantités finies comme des grains de
sable par rapport à la mer^ considération qui eût complè-
tement dénaturé son analyse, en la réduisant à n'être plus
qu'un simple calcul d'approximation, qui, sous ce rapport,
serait radicalement vicieux, puisqu'il serait impossible de
prévoir, en Ibèse générale, à quel point les opérations suc-
cessives peuvent grossir ces erreurs premières dont l'ac-
croissement pourrait môme évidemment devenir ainsi
quelconque. Leibnitz n'avait donc entrevu que d'une ma-
nière extrêmement confuse les véritables fondements ra-
tionnels de l'analyse qu'il avait créée. Ses premiers suc-
cesseurs se bornèrent d'abord à en vérifier l'exactitude par
la conformité de ses résultats, dans certains usages paiticu-
iiers, avec ceux que fournissait l'algèbre ordinaire ou la
180 MATHÉMATIQUES.
géométrie des anciens, en reproduisant autant qu'ils le
pouvaient, d'après les anciennes méthodes, les solutions
de quelques problèmes, une fois qu'elles avaient été
obtenues par la méthode nouvelle, seule c^ipable primiti-
vement de les faire découvrir. Qnand cette grande question
a été considérée d'une manière plus générale, les géomè-
tres, au lieu d'aborder directement la difliculié, ont préféré
l'éluder en quelque sorte, comme l'ont fait Eulcr et
d'Alemberl, par exemple, en démontrant abstraitement la
conformité nécessaire et constante de la conception de
Leibnitz, envisagée dans tous ses usages quelconques, avec
d'autres conceptions l'ondamentales de l'analyse Iranscen-
dante, celle de Newton surtout, dont l'exactitude était à
l'abri de toute objection. Une telle vérification générale est
sans doute strictement suffisante pour dissiper toute incer-
titude sur l'emploi légitime de l'analyse leibnilzienne. Mais
la méthode infinitébimale est tellement importante, elle
présente encore, dans presque toutes les applications, une
telle supériorité efl*eclive sur les autres conceptions géué*
raies successivement proposées, qu'il y aurait véritablement
imperfection dans le caractère philosophique de la science
à ne pouvoir la justifier en elle-même, et à la fonder logi-
quement sur des considérations d'un autre ordre, qu'on
cesserait ensuite d'employer efficarement. 11 était donc
d'une importance réelle d'établir directement' et d'une
manière générale la rationnalité nécessaire de la méthode
infinitésimale. Après diverses tentatives plus ou moins
imparfaites pour y parvenir, les travaux philosophiques de
Lagrahge ayant fortement reporté, vers la fin du siècle
dernier, l'attenlion des géomètres sur la théorie générale
de l'analyse infinitésimale, un géomètre très-reconriman-
dable, Carnot, présenla enfin la véritable explication lo-
gique directe de hi méthode de Leibnitz, en la montrant
CALCUL DES FONCTIONS INDIRECTES. 181
comme fondée sur le principe de la compensation néces-
saire des erreurs, ce qui est vraisemblablemcnl, en efTct,
la manirestalioa précise el lumineuse de ce que Leibnitz
a?ait vaguement et confusément aperçu, en concevant les
bases ralioanelles de son analyse. Carnot a rendu ainsi à la
scieoce un service essentiel (I), et dont Timporlance me
semble n'être pas encore suffisamment appréciée, quoique.
Gomme nous le verrons à la un de cette leçon, tout cet
échafaudage logique de la méthode infiniiésimale propre-
ment dite ne soit susceptible très-vraisemblement que
d'une existence provisoire, en tant que radicalement vicieux
parsa nature. Je n'en crois pas moins, cependant, devoir
considérer ici, aûn de compléter celle importante exposi-
tion, le raisonnement géivêial proposé par Carnot, pour
légitimer directement l'analyse de Leibnitz. Voici en quoi
il consiste essentiellement.
Lorsqu'on établit l'équation différentielle d'un phéno-
mène, on substitue, aux éléments immédiats des diverses
quantités considérées, d'autres infinitésimales plus simples
<lQi en durèrent infiniment peu par rapport à eux, et cette
substitution constitue le principal artifice de la méthode de
Leibnitz, qui, sans cela, n'offrirait aucune facilité réelle
pour la formation des équations. Carnot regarde une telle
bfpothèse comme produisant véritablement une erreur
dans l'équation ainsi obtenue, et que, pour cette raison, il
î^ppelle imparfaite ; seulement, il est clair que celte erreur
iiepeut être qu'infiniment petite. Or, d'un autre côlé, tous
1^ procédés analytiques, soil de dilTérentiation, soit d'iuté-
(OVojei rouvrage remarquable qu'il a publié aoas le titre de Héfl^xifms
'^ k. Métaphysique du calcul infinitésimal, et dans lequel on troii?e
^silleors une exposition claire et utile, quoique trop pou npprofoiidie, de
^ les di?ers points de ?ue sous lesquels a été conçu le système général
dQctkat des fonctions indirectes.
182 MATHÉMATIQUES.
gration, qu'on applique à ces équations différentielles pour
s'élever aux équations finies en éliminant toutes les infini-
tésimales introduites comme auxiliaires, produisent aussi
constamment, par leur nature, ainsi qu'il est aisé de le
voir, d'autres erreurs analogues, en sorte qu'il a pu s'o-
pérer une exacte compulsation^ et que les équations défi-
nitives peuvent, suivant l'expression de Carnot, être de-
venues parfaites, Carnot considère comme un symptôme
certain et invariable de l'établissement effectif de cette
compensation nécessaire l'élimination complète des di-
verses quantités infiniment petites, qui est constamment,
en effet, le but définitif de toutes les opérations de l'analyse
transcendante. Car, si on n'a jamais commis d'autres in-
fractions aux règles générales du raisonnement que celles
ainsi exigées par la nature môme de la méthode infinité-
simale, les erreurs infiniment petites produites de cette
manière n'ayant jamais pu engendrer que des erreurs in-
finiment petites dans toutes les équations, les relations sont
nécessairement d'uneexactitude rigoureuse aussitôt qu'elles
n'ont plus lieu qu'entre des quantités finies, puisqu'il ne
saurait évidemment exister alors que des erreurs finies,
tandis qu'il n'a pu en survenir aucune de ce genre. Tout ce
raisonnement général est fondé sur la notion des quantités
infinitésimales, conçues comme indéfiniment décroissan-
tes, lorsque celles dont elles dérivent sont envisagées
comme fixes.
Ainsi, pour éclaircir cette exposition abstraite par un
seul exemple, reprenons la question des tangentes, qui
est la plus facile à analyser complètement. On regardera
l'équation t =j- obtenue ci-dessus comme affectée d'une
erreur infiniment petite, puisqu'elle ne serait tout à fait
rigoureuse que pour la sécante. Maintenant, on achèvera
la solution en cherchant, d'après l'équation de chaque
CALCUL DES FONCTIONS INDIRECTES. 188
courbe, le rapport entre les différentielles des coordonnées,
^i cette équation est, je suppose, y =: ax^, on aura évi-
deoiment
Dans cette formule, on devra négliger le terme dx'^
^omnie inQniment petit du second ordre. Dès lors la com-
binaison des deux équations imparfaites
/ = -p> dy = 2axdx^
sofUsant pour éliminer entièrement les infinitésimales,
le résultat fini t = 2ax sera nécessairement rigoureux
par l'effet de la compensation exacte des deux erreurs
commises puisqu'il ne pourrait, par sa nature, être affecté
d'une erreur infiniment petite, la seule néanmoins qu'il
pût y avoir, d'après l'esprit des procédés qui ont été suivis.
Il serait aisé de reproduire uniformément le môme rai-
sonnement par rapport à toutes les autres applications gé-
nérales de l'analyse de Leibnitz.
Celte ingénieuse théorie est sans doute plus subtile que
8olîde, quand on cherche à l'approfondir. Mais elle n'a ce-
Pendant en réalité d'autre vice logique radical que celui
4e la méthode infinitésimale elle-même, dont elle est, ce
<^e semble, le développement naturel et l'explication gé-
nérale, en sorte qu'elle doit être adoptée aussi longtemps
^u'on jugera convenable d'employer directement cette
Je passe maintenant à l'exposition générale des deux
boires conceptions fondamentales de l'analyse transcen-
dante, en me bornant pour chacune à l'idée principale, le
^^ractère philosophique de cette analyse ayant été, du
^«sie, suffisamment déterminé ci-dcdsus, d'après la con-
^^ption de Leibnitz^ à laquelle j'ai dû spécialement m'at-
184 MATHÉMATIQUES.
tacher, parce qu'elle permet de le saisir plus aisément
dans son ensemble, et de le décrire avec plus de rapidité.
Nc'Wlon a présenté successivement, sous plusieurs formes
différentes, sa manière propre de concevoir l'analyse trans-
cendante. Celle qui est aujourd'hui le plus communément
adoptée, du moins parmi les géomètres du continent, a été
désignée, par Newton, tantôt sous le nom de méthode de$
premières et dernières raisons, lanlôt sous celui de méthode
des limites, qu'on emploie plus fréquemment.
Sous ce point de vue. Tespril général de t'analyse trans-
cendante consiste à introduire comme auxiliaires, à la
place des quantités primitives ou concurremment avec
elles, pour faciliter rétablissement des équntions, les li-
mites des rapports des accroissements simultanés de ces
quantités^ ou, en d'autres termes, les dernières raisons de
ces accroissements, limites ou dernières raisons qu'oQ
peut aisément montrer comme ayant une valeur détermi-
née et flnie. Un calcul spécial, qui est l'équivalent da
calcul infinitésimal, est ensuite destiné à s'élever de ces
équations entre ces limites aux équations correspondantes
entre les quantités primitives elles-mêmes.
La faculté que présente une telle analyse pour exprimer
plus aisément les lois mathématiques des phénomènes
tient, en général, à ce que, le calcul portant non sur les
accroissements mêmes des quantités proposées, mais sur
les limites des rapports de ces accroissements, on pourra
toujours substituer à chaque accroissement toute autre
grandeur plus simple à considérer, pourvu que leur der-
nière raison soit la raison d'égalité, ou, en d'autres termes,
que la limite de leur rapport soit l'unité. 11 est clair, en
effet, que le calcul des limites ne saurait être nullement
affecté de cette substitution. En partant de ce principe,
on retrouve à peu prés l'équivalent des facilitéi offertes par
CALCUL DES FONCTIONS INDIRECTES. 185
l'analyse de Leibnilz, qui sont seulement conçues alors
sous un autre point de vue. Ainsi, les courbes seront envi*
sagées comme les limites d'une suilc de polygones recti-
lignes, les mouvements variés comme les limites d'un
ensemble de mouvements uniformes de plus en plus rap-
prochés, etc.
Qu'on veuille, par exemple, déterminer la direction de
la tangente à une courbe ; on la regardera comme la limite
vers laquelle tendrait une sécante, qui tournerait autour
du point donné, de manière que son second point d'in-
tersection se rapprochât indéfiniment du premier. En
nommant Ay et Aj? les différences des coordonnées des
deux points, on aurait, è chaque instant, pour la tangente
tHgonométrique de Tangle que fait la sécante avec l'axe des
ibcisseï, /=j^; d'où, en prenant les limites, on déduira,
l'eJativement à la tangente elle-môme, cette formule gêné-
^le d'analyse transcendante
d*aprës laquelle le calcul des fonctions indirectes ensei-
gnera, dans chaque cas particulier, quand l'équation de la
bourbe sera donnée, à déduire la relation entre t et x, en
éliminant les quantités auxiliaires introduites. Si, pour
^otever la solution, on suppose que y = ax^ soit Téqua-
^^on de la courbe proposée, on aura évidemment
'^*cù l'on conclura
Ax '
^r, il est elair que la limite vers laquelle tend le second
^^embre, à mesure que ôlx diminue, est 2 ax. On trouvera
(I) J'coiplole la caractéristique L ponr désigner la limite.
186 MATHÉMATIQUES.
donc par cette méthode, t = i ax, comme nous l'avions
obtenu ci-dessus pour le môme cas, d'après l'analyse de
Leibiiitz.
Pareillement, quand on cherche la rectification d'une
courbe, il faut substituer à l'accroissement de l'arc «, lai.
corde de cet accroissement, qui est évidemment avec lui.
dans une relation telle, que la limite de leur rapport est;^
l'unité, et alors on trouve, en suivant d'ailleurs la mêm^
marche qu'avec la méthode de Leibnitz, cette équation gé—
nérale des rectifications
(^ë)'= ' + {'■ïï
ou
selon que la courbe est plane ou à double courbure. Il fau"
dra maintenant, pour chaque courbe particulière, passer*
de cette équation à celle entre l'arc et l'abcisse, ce qui dé-^
pend du calcul transcendant proprement dit.
On reprendrait avec la môme facilité, d'après la méthode
des limites, toutes les autres questions générales, dont la
solution a été indiquée ci-dessus, suivant la méthode infini^
tésimale.
Telle est, essentiellement, la conception que Newton s'é-
tait formée, pour l'analyse transcendante, ou, plus exacte-*
ment, celle que Maclaurin et d'Alembert ont présentée
comme la base la p!us rationnelle de cette analyse, en cher-
chant à fixer et à coordonner les idées de Newton à
ce suji't.
Je dois néanmoins, avant de procéder à l'exposition de
la conception de Lagrange, signaler ici une autre forme
distincte sous laquelle Newton a présenté cette môme mé-
CALCUL DES FONCTIONS INDIRECTES. 187
thode, et qui mérite de fixer particiilièreraent notre aitea-
tioDy tant par son ingénieuse clarlé dans quelques cas, que
comme avant fourni la notation la mieux appropriée à cette
manière d'envisager l'analyse transcendante, et^ enQn,
comme étant encore aujourd'hui la forme spéciale du cal-
cul des fonctions indirectes communément adoptée par les
géomètres anglais. Je veux parler du calcul des fluxions et
iesfiuentes^ fondé sur la notion générale des vitesses.
Pour en faire concevoir l'idée mère avec plus de facilité,
considérons toute courbe comme engendrée par un point
animé d'un mouvement varié suivant une loi quelconque.
Les diverses quantités que la courbe peut offrir^ i'abcisse,
l'ordonnée, Tare, Taire, etc., seront envisagées comme
simultanément produites par degrés successifs pendant ce
mouvement. La vitesse avec laquelle chacune aura été dé-
crite sera dite la fluxion de celte quantité, qui, en sens in-
verse, en serait nommée la fluente. Dès lors, Tanalyse
Iranscendante consistera, dans cette conception, à former
immédiatement les équations entre les fluxions des quan-
tités proposées pour en déduire ensuite^ par un calcul spé-
cial, les équations entre les fluentes elles-mêmes. Ce queje
^ens d'énoncer relativement aux courbes peut d'ailleurs
^^idemment se tran^^porler à des grandeurs quelconques,
envisagées, à l'aide d'une imige convenable, comme pro-
duites par le mouvement les unes des autres.
H est aisé de comprendre l'identité générale et néces-
^ire de cette méthode avec celle des limites, compliquée
d^Tidée étrangère du mouvement. En effet, reprenant le cas
^^ la courbe, si l'on suppose, comme on peut évidemment
^^jours le faire, que le mouvement du point décrivant est
^'^îforme suivant une certaine direction, par exemple, dans
'^ Sens de I'abcisse, alors la fluxion de I'abcisse sera con-
^^ote, comme l'élément du temps. Pour toutes les autres
188 MATHÉMATIQUES.
quantités engendrées, le mouvement ne pourrait êlre
conçu comme uniforme que pendant un lemps inûniment
petit. Cela posé, la vitesse étant généralement, d'après sa
notion mécanique, le rapport de chaque esp<'ice au temps
employé à le parcourir, et ce temps étant ici proportionnel
à l'accroissement de l'abcisse, il s'ensuit que la fluxion de
l'ordonnée, de l'arc, de l'aire, etc., ne sont véritablement
autre chose, en faisant disparaître la considération inter-
médiaire du temps, que les dernières raisons des accrois-
sements de ces diverses quantités comparés à celui de i'ab-
cisse. Cette méthode des fluxions et des fluentes n'est donc
en réalité qu'une manière de se représenter, d'après une
comparaison mécanique, b méthode des premières et des
dernières raisons, qui seule est réductible en calcul. Elle
comporte donc nécessairement les mômes avantages géné-
raux dans les diverses applications principales de l'analyse
transcendante, sans que nous ayons besoin de le constater
spécialement.
Je considère enfln la conception de Lngrange.
Elle consiste, dans son admirable simplicité, à se repré-
senter Tanalyse transcendante comme un grand artifice
algébrique, d'après lequel, pour faciliter l'établissement
des équations, on introduit^ au lieu de fonctions primitives
ou avec elles, leurs fonctions dérivées^ c'est-à-dire, suivant
la définition de Lagrange, le coefficient du premier terme
de l'accroissement de chaque fonction, ordonné selon les
puissances ascendantes de l'accroissement de sa variable.
Le calcul des fonctions indirectes proprement dit est tou-
jours destiné, ainsi que dans les conceptions de Leibnitz
et de Newton, à éliminer ces dérivées employées comme
auxiliaires, pour déduire de leurs relations les équations
correspondantes entre les grandeurs primitives.
L'analyse transcendante n'est alors autre chose qu'une
CALC t)V DES FONCTIONS INDIRECTES. 18 *
simple extension très-considérable de l'analyse ordinaire.
C'éUit déjà depuis longtemps un procédé familier aux
géomètres, que d'introduire, dans les considérations ana-
lytiques, au lieu des grandeurs mômes qu'ils avaient à
étudier, leurs diverses puissances, ou leurs logarithmes, ou
leur sinus, etc., aûn de simplifier les équations et môme
de les obtenir plus aisément. La dérivation successive est
un artifice général de la môme nature, qui présente seule-
ment beaucoup d'étendue, et procure, en conséquence,
pour ce but commun, des ressources bien plus impor-
tantes.
Mais, quoiqu'on conçoive sans doute à priori que la
considération auxiliaire de ces dérivées peut faciliter Téta-
blis>ement des équations, il n'est pas aisé d'expliquer
pourquoi cela doit ôtre nécessairement d'après le mode de
dérivation adopté plutôt que suivant toute autre transfor-
n^aiion. Tel est le côté faible de la grande pensée de La-
grange. On n'est point, en efftît. Tellement parvenu jus-
qu'ici à saisir en général d'une manière abstraite, et sans
''entrer dans les autres conceptions de l'analyse transcen-
dante, les avanUiges précis que doit constamment pré-
senter, par sa nature, cette analyse ainsi conçue, pour la
Recherche des lois mathématiques des phénomènes. Il est
seulement possible de les constater, en considérant sépa-
^'éraent chaque question principale, et cette vérification
^evienimôme pénible, quand on choisit une question com-
pliquée.
Pour indiquer sommairement comment cette manière de
Concevoir l'analyse transcendante peut s'adapter ellecti-
^ement à la solution des problèmes mathématiques, je me
tiornerai à reprendre sous ce point de vue le problème le
plus simple de tous ceux ci-dessus examinés, celui des
^ngentes.
190 MATHÉMATIQUES.
Au lieu de concevoir la tangente comme le prolonge-
ment de l'élément infiniment petit de la courbe, suivant
la notion de Leibnilz, ou comme la limite des sécantes,
suivant les idées de Newlon, Lngrange la considère d'après
ce simple caractère géométrique, analogue aux définitions
des andens, d*Otre une droite telle qu'entre elle et la courbe
il ne peut passer, par le point de contact, aucune autre
droite. Dès lors, pour en déterminer la direction, il faut
cbercber l'expression générale de sa distance à la courbe,
dans un sens quelconque, dans celui de l'ordonnée, par
exemple, en un second point distioct du premier, et dis-
poser de la constante arbitraire relative à l'inclinaison de la
droite, qui entrera nécessairement dans cette expression,
de manière à diminuer cet écartement le plus possible. Or,
cette distance, étant év.demment égale à la d'O'érence des
deux ordonnées de la courbe et de la droite qui corres-
pondent à une même nouvelle abcisse ^r-f-^» i>era repré-
sentée par la formule
(/> (x) — 0 /* + qfi* + r/i» 4- etc.,
où t désigne, comme ci-dessus, la tangente trigonométri-
gue inconnue de l'angle que fait, avec l'axe des (x), la
droite cbercliée, et / (x)^ la focictiou dérivée de l'ordon-
née /' (x). Cela posé, il est aisé de voir qu'en disposant de /
de façon à annuler le premier terme de la formule précé-
dente, on aura rendu l'inlervalle des deux lignes le plus
petit possible, tellement que toute autre droite, pour la-
quelle t n'aurait point la valeur ainsi déterminée, s'écarte-
rait nécessairement davantage de la courbe proposée. On
a donc, pour la direction de la tangente chercbée, l'ex-
pression générale t=f*(x)\ résult.it exactement équivalent
à ceux que fournissent la méthode inflnilésimale et la
méthoae des limites, il restera maintenant, dans chaque
CALCUL DES FONCTIONS INDIRECTES. 191
coarbe parliculière, à trouver f (x), ce qui est une pure
question d'analyse, tout à fait identique avec celles que
prescrivent alors les autres méthodes.
Après avoir surûsamment considéré dans leur ensemble
les principales conceptions générales successivement pro-
duites jusqu'ici pour l'analyse transcendante, je ne dois
pasm'arrôter à l'examen de quelques autres théories pro-
posées, telles que le calcul ds évanouissants d'Ëuler, qui
De sont réellement que des modiileaiions plus ou moins
importanlesy et d'ailleurs inusitées, des méthodes précé-
dentes. Il me reste maintenant, afin de compléter cet en-
semble de considérations, à établir la comparaison et Tap-
précialion de ces trois méthodes fondamentales. Je dois
préalablement constater, d'une manière générale, leur con-
ibrmité parfaite et nécessaire.
11 est d'abord évident, par ce qui précède, qu'à considé-
rer ces trois méthodes quaiU à leur destination effective,
indépendamment des idées préliminaires, elles consistent
toutes en un même artiOce logique général, que j'ai ca-
ractérisé dans la quatrième leçon, savoir : l'introduction
d'uD certain système des grandeurs auxiliaires, uniformé-
ment corrélatives à celles qui sont l'objet propre de la
question* et qu'on leur substitue expressément pour faci-
liter l'expression analytique des lois mathématiques des
phénomènies, quoiqu'elles doivent finalement être élimi-
itées, à l'aide d'un calcul spécial. C'est ce qui m'a déler-
ifiiné à définir régulièrement l'analyse transcendante le
^kul des fonctions indirectes^ afm de marquer son vrai ca-
ractère philosophique, en écartant toute discussion sur la
Xûanière la plus convenable de la concevoir et de l'appli-
V^Bf. L'effet général de cette analyse, quelle que soit la
x&élhude employée, est donc de faire rentrer beaucoup
plu;i promptement chaque question mathématique dans le
191 MATUÉMATIQUES.
domaine du calcul^ et de diminuer ainsi considérablement
la dirOculLé capitale que présenle ordinairement le pas-
sage du concret à l'abstrait. Quoi qu'on fasse, on ne peut
espérer que le calcul s'empare jamais de chaque question
de philosophie naturelle, géométrique, ou mécanique, ou
thermologique, etc., immédiatement à sa naissance, ce
qui serait évidemment contradictoire. Il y aura constam-
ment, dans tout problème, un certain travail préliminaire
à elTecluer sans ()ue le calcul puisse êlre d'aucun secours,
et qui ne saurait être, par sa nature, assujetti à des règles '
abstraites et invariables; c'est celui qui a pour objet pro-
pre l'établissement des équations, qui sont le point de dé-
part indispensable de toutes les recherches analytiques.
Mais cette élaboration préalable a été singulièrement sim-
pliûée par la création de l'analyse transcendante, qui a
ainsi hâté l'époque où la solution comporte l'application
uniforme et précise de procédés généraux et abstraits; en
réduisant, dans chaque cas, ce travail spécial à la recher-
che des équations entre les grandeurs auxiliaires, d'où le
calcul conduit ensuite aux équations directement relatives
aux grandeurs proposées, qu'il fallait, avant cette admi-
rable conception, établir immédiatement. Que ces équa-
tions indirectes soient des équations différentielles, suivant
la pensée de Leibnitz ; ou des équations aux limites, con-
formément aux idées de Ncvvlon; ou enfin des équations
dérivées, d'après la théorie de Lagrange; le procédé général
est évidemment toujours le même.
Mais la coïncidence de ces trois méthodes principales ne
se borne pas à l'eû'et commun qu'elles produisent; elle
existe, en outre, dans« la manière même de l'obtenir. En
effet, non-rjculement toutes trois considèrent, à la place
des grandeurs primitives, certaines grandeurs auxiliaires;
de plus, les quantités ainsi introduites subsidiairement.
CALCUL DES FONCTIONS INDIRECTES. ]9t
sont exactement identiques dans les Irois méthodes, qui .
ne diffèrent, par conséquent, que par la manière de les
envisager. C'est ce qu'on peut aisément constater, en pre-
nant pour terme général de comparaison une quelconque
des trois conceptions, celle de Lagrange surtout, la plus
propre à servir de type, comme étant la plus dégagée de
considérations étrangères. N'est-il pas évident, par la seule
définition des fonctions dérivées^ qu'elles ne sont autre
chose que ce que Leibnitz appelle les coefficients différent
tieUy ou les rapports de la ditlérenlielle de chaque fonc-
tion à celle de la variable correspondante, puisque, en
déterminant la première différentielle, on devra, par la
nature môme de la méthode inûnitésimale, se borner à
prendre le seul terme de l'accroissement de la fonction
qui contient la première puissance de Taccroissement in-
finiment petit de la variable? De môme, la fonction déri-
vée n'est-elle pas aussi par sa nature la limite nécessaire
vers laquelle tend le rapport entre l'accroissement de la
fonction pricnitive et celui de sa variable, à mesure que ce
dernier diminue indéfiniment, puisqu'elle exprime évi-
demment ce que devient ce rapport, en supposant nul Tac-
croiàsement de la variable. Ce qu'on désigne par ^ dans
la méthode de Leibnitz, ce qu'on devrait noter Z^ dans
celle de Newton, et ce que Lagrange a indiqué par /'(x),
est toujours une même fonction, envisagée sous trois points
de vue différents; les considérations de Leibnitz et de
Newton consistant proprement à faire connaître deux
propriétés générales nécessaires de la fonction dérivée.
L'analyse transcendante, examinée abstraitement et dans
son principe, est donc toujours la m^me, quelle que soit
la conception qu*on adopte : les procédés du calcul des
fonctions indirectes sont nécessairement identiques dans
ces diverses méthodes, qui, pareillement, doivent, pour
A. Comte. Tome I. 1 ^
i 94 MATnÉMATIQUES.
une application queironque, conduire constamment à des
résultats rigoureusement conformes.
Si niaintenanl nous cherchons à apprécier la valeur rela-
tive (le ces trois conce[)tions équivalentes, nous trouverons
dans chacune des avantages et des inconvénients qui lai
sont propres, et qui empêchent encore les géomètres de
s'en tenir strictement à une seule d'entre elles, considérée
comme définitive.
La conception de Leibnitz présente, incontestablement,
dans l'ensemble des applications, une supériorité très-
prononcée, en conduisant d'une manière beaucoup plus
rapide, et avec bien moins d'efTorts intellectuels, à la for-
mation des équalfions entre les grandeurs auxiliaires. C*esl
à son usage que nous devons la haute perfection qu*ont en-
fin acquise toutes les théories générales de la géométrie et
de la lîK^canique. Quelles que soient les diverses opinions
spéculatives des géomètres sur la méthode infinitésimale,
envisa^ri^e abstraitement, tous s'accordent tacitementà l'em-
ployer de préférence, aussitôt qu'ils ont à traiter une ques-
tion nouvelle, afin de ne point compliquer la difficulté
nécessaire par cet obstacle purement artificiel, provenant
d'une obstination déplacée à vouloir suivre une marche
moins expéditive. Lagrange lui-môme, après avoir recon-
struit sur de nouvelles bases l'analyse transcendante, a
rendu, avec cette haute franchise qui convenait si bien à son
génie, un hommage éclatant et décisif aux propriétés carae-
téristiques de la conception de Leibnitz, en la suivant exclu-
sivemeiit dans le système entier de la mécanique analyiiqui.
Un tel fait nous dispense, à ce sujet, de toute autre réfiiexioQ.
Mais, quand on considère en elle-même, et sous le rap-
port logique, la conception de Leibnitz, on ne peuts'em-
pocher de reconnaître avec Lagrange qu'elle est radicale-
ment vicieuse, en ce que, suivant ses propres expressions,
CALCUL DES FONCTIONS INDIRECTES. 195
ia notion des infinimeot petits est une idée fausse, qu'il
est impossible^ en effet, de se représenter nedement,
quoiqu'on se lasse quelquefois illusion à cet égard. L ana-
ijse transcendante, ainsi conçue, présente, à mc> yeux,
oette grande imperfection philosophique^ de se trouver
encore essentiellement fondée sur ces principes mélaphysi-
<]ues, dont l'esprit humain a eu tant de peine à dégager
t4)Qtes ses théories positives. Sous ce rapport, on peut dire
<^e la méthode inûnitésimale porte vraiment Tempreinte
^caractéristique de l'époque de sa fondation et du génie
propre de sou fondateur. On peut bien, il est vrai, par l'in-
génieuse idée de la compensation des erreurs, s'expiitjuer
d'une mianiàre générale, comme nous l'avons fait ci-dessus,
l'exactitude nécessaire des procédés généraux qui corupo*
sent la méthode infinitésimale. Mais cela seul n'eï»t-il pas un
inconvénient radical, que d'être obligé de distinguer, en ma-
thématique, deux classes de raisonnements, ceux qui sont
panEaitement rigoureux, et ceux dans lesquels on commet à
dessein des erreurs quidevronl se compenser plus tard ? Une
conception qui conduit à des conséquences aussi élraiiges
est, sans doute, rationnellement, bien peu satisfaisante.
Ce serait évidemment éluder la difficulté sans la résou-
dre, que de dire, comme on l'a fait quelquefois, qu'il est
possible, par rapport à chaque question, de faire rentrer
^ méthode infinitésimale proprement dite dans celle des
limites, dont le caractère logique est irréprochable. D'ail-
^eors, une telle transformation enlève presque enlièrecnent
i la conception de Leibnitz les avantages essentiels qui
la recommandent si éminemment, quant à la facilité et
^U rapidité des opérations intellectuelles.
Enfin n'eût-on môme aucun égard aux importantes con-
sidérations qui précèdent, la méthode infinitésimale n'en
présenterait pas moins évidemment, par sa nature, ce
196 MATUÉMATIQUES.
défaut capital de rompre Tunité de la malhémalique abs-
traite, en créant un calcul transcendant fondé sur des prin-
cipes si difTérents de ceux qui servent de base à l'analyse
ordinaire. Ce partage de Tanalyse en deux moudes pres-
que indépendants tend à empocher la formation de con-
ceptions analytiques vcrilahlement générales. Pour en bien
apprécier les conséquences, il faudrait se reporter, par la
pensée, à Télat dans lequel se trouvait la science, ayant
que Lagrange eût établi entre ces deux grandes sections
une harmonie générale et définitive.
Passant à la conception de Newton, il est évident que,
par sa nature, elle se trouve à l'abri des objections logiques
fondamentales que provoque la méthode de Leibuilz. La
notion des Imites est, en effet, remarquable par sa netteté
et par sa justesse. Dans l'analyse transcendante présentée
de celte manière, les équations sont envisagées comra
exactes dès l'origine, et les règles générales du raisonne
ment sont aussi constamment observées que dans l'unalys
ordinaire. Mais, d'un autre côté, elle etit bien loin d'offrir,
pour la solution des problèmes, d'aussi puissantes res
sources que la méthode infinitébimale. Cet!e obligatio
qu'elle impose de ne considérer jamais les accroissements
des grandeurs séparément et en eux-mêmes, ni seulemen
dans leurs rapports, mais uniquement dans les limites d
ces rapport^:, ralentit considérablement la marche de Tin
telligence pour la formation des équations auxiliaires. 0
peut môme dire qu'elle g<3ne beaucoup les transformation
purement analytiques. Aussi le c.ilcul transcendant, con
sidéré séparément de ses applications, est-il loin d'ofifrir
dans cette méthode, Téiendue et la généralité que lui a im
primées la conception de Leibnitz. C'est très-péniblement,
par exemple, qu'on parvient à étendre la théorie de Newtor
aux fonctions de plusieurs variables indépendantes. Que
CALCUL DES FONCTIONS INDIRECTES. 197
qu'il en soit, c'est surtout par rapport aux applications que
l'infériorité relative de celle Ihéorie s« trouve marquée.
Je ne dois pas né{;Iip:er à ce sujet de faire observer que
plusieurs géomètres du continent, en adoptant, comme
plus rationnelle, la méthode de Newton, pour servir de
base à l'analyse transcendante, ont déguisé en partie cette
infériorité par une grave inconséquence, qui consiste à
appliquer h celte méthode la notation imaginée par Leibnitz
pour la méthode infînitésimale, et qui n'est réellement
propre qu'à elle. En désignant par ^ ce que, ration-
nellement, il faudrait, dans la théorie des limites, no-
ter Z^, et en étendant h toutes les autres notions analyti-
ques ce déplacement de signes, on se propose sans doute de
combiner les avantages spéciaux des deux méthodes; mais
on ne parvient, en réalité, qu'à établir entre elles une confu-
sion vicieuse, dont l'habitude tend à empêcher de se former
des idées nettes et exactes de l'une ou de Taulre. Il serait
sans doute étrange, à considérer cet usage en lui-môme, que,
par le seul moyen des signes, on pût elfecluer une véritable
combinaison entre deux lhéorii?s générales aussi .dislincles.
Enfin la méthode des limites présente aussi, quoiqu'à
on moindre degré, l'inconvénient majeur que j'ai signalé
ci-dessus, dans la méthode infinilésitnale, d'établir une
séparation totale entre l'analyse ordinaire et l'-malyse
transrendante. Car l'idée des Imites, quoique nette et ri-
goureuse, n'en est pas moins, par elle-môme, comme
Lagrange Ta remarqué, une idée étrangère dont les théo-
ries analytiques ne devraient pas se trouver dépendantes.
Cette unité parfaite de l'analyse, ce caractère purement
abstrait de ses notions fondamentales, se trouvent au plus
haut degré dans la conception de Lagrange, et ne se trou-
vent que là. Elle est, pour cette raison, la plus rationnelle
et la plus philosophique de toutes. Écartant avec soin
! 9S MATHÉMATIQUES.
toute considération hélérogène, Lagrange a réduit l'a-
nalyse transcendante à son véritable caractère propre,
celui d'offrir une classe très-étendue de transformations
analytiques^ à Taide desquelles on facilite singulièrement
l'expression des conditions des divers problèmes. En
môme temps, cette analyse s'est nécessairement présentée
par là comme une simple extension de l'analyse ordinaire;
elle n'a plus été qu'une algèbre supérieure. Toutes les
divcri>es parties, jusqu'alors si incohérentes, de la mathé-
matique^ abstraite^ ont pu être conçues, dès ce moment,
comme formant un système unique.
Malheureusement, une conception douée, indépendam-
ment de la notation si simple et si lucide qui lui corres-
pond, de propriétés aussi fondamentales, et qui est, sans
doute, destinée à devenir la théorie définitive de l'analyse
transcendante, à cause de sa haute supériorité philoso-
phique sur toutes les autres méthodes proposées, présente,
dans son état actuel, trop de difficultés, quant aux applica-
tions, lorsqu'on la compare à la conception de Newton, et
surtout à celle de Leibnitz, pour pouvoir être encore exclu-
sivement adoptée. Lagrange lui-même n'est parvenu que
très- péniblement à retrouver, d'après sa méthode, les résul-
tats principaux déjà obtenus par la méthode infinitésimale
pour la solution des questions générales de géométrie et
de mécanique; on peut juger par là combien on trouverait
d'obstacles à traiter, de la môme manière, des questions
vraiment nouvelles et de quelque importance. U est vrai
que Lagrange, en plusieurs occasions, a montré que les
difOcultés, môme artiGcielles, déterminent, dans les hom-
mes de génie, des efforts supérieurs, susceptibles de con-
duire à des résultats plus étendus. C'est ainsi qu'en tentant
d'adapter sa méthode à l'étude de la courbure des lignes,
qui paraissait si peu pouvoir en comporter l'application,
CALCUL DES FONCTIONS INDIRECTES. J99
il s'est élevé à cette belle théorie des contacts, qui a tant
perfectionné cette partie importante de la géométrie. Mais,
malgré ces heureuses exceptions, la conception de Lagrange
n'en est pas moins jusqu'ici demeurée, dans son ensem-
ble, essentiellement impropre aux applications.
Le résultat final de la comparaison générale que je viens
d'esquisser, et qui exigerait de plus amples développe-
ments, est donc, comme je l'avais avancé en commençant
cette leçon, que, pour connaître réellement l'analyse
transcendante, il faut non-seulement la considérer dans
son principe, d'après les trois conceptions fondamentales
distinctes, produites par Leibnitz, par Newton et par La-
grange, mais, en outre, s'habituer à suivre presque indiCfé-
remroenl d'après ces trois méthodes principales, et sur-
tout d'après les deux extrêmes, la solution de toutes les
questions importantes, soit du calcul des fonctions indi-
rectes en lui-même, soit de ses applications. C'est une
marche que je ne saurais trop fortement recommander à
tous ceux qui désirentjuger philosophiquement cette admi-
rable création de l'esprit humain, comme à ceux qui veu-
lent essentiellement apprendre à se servir avec succès et
avec facilité de ce puissant instrument. Dans toutes les autres
parties de la science mathématique, la considération de
diverses méthodes pour une seule classe de questions
peut être utile, même indépendamment de l'intérOt his-
torique qu'elle présente ; mais elle n'est point indispen-
sable : ici, au contraire, elle est strictement nécessaire.
Ayant déterminé avec précision, dans cette leçon, le
caractère philosophique du calcul des fonctions indi-
rectes, d'après les principales conceptions fondamentales
dont il est susceptible, il me reste maintenant à considé-
rer, dans la leçon suivante, la division rationnelle et la
composition générale de ce calcul.
SEPTIÈME LEÇON
Sommaire : — Tableau général da calcul des fonctions indiiecUs.
Par suite des considérations exposées dans la leçon pré-
cédente, on conçoit que le calcul des fonctions indirectes
se divise nécessairement en deux parties, ou, pour mieux
dire, se décompose en deux calculs tout à fait distincts,
quoique^ par leur nature, intimement liés; suivant qu'on
se propose de trouver les relations entre les grandeurs
auxiliaires, dont Tintroduciion constitue Tesprit général
de ce calcul, d'après les relations entre les grandeurs pri-
mitives correspondantes ; ou qu'on cherche, en sens îq-
verse, à découvrir ces équations directes d'après les équa-
tions indirectes établies immédiatement. Tel est, en effet,
le double objet qu'on a continuellement en vue dans l'a-
nalyse transcendante.
Ces deux calculs ont reçu différents noms, selon le point
de vue sous lequel a été envisagé l'ensemble de cette ana-
lyse. La méthode infinitésimale proprement dite étant
jusqu'ici la plus usitée, par les raisons que j'ai discutées,
presque tous les géomètres du continent emploient habi-
tuellement, pour désigner ces deux calculs, les dénomina-
tions de calcul différentiel et de calcul intégral^ établies par
Leibnitz, et qui sont, eu eflet, des conséquences trôs-ra-
tionnelles de sa conception. Newton, d'après sa méthode,
a nommé le premier le calcul des fluxionSy et le second le
calcul des fluentes^ expressions communément adoptées en
CALCUL DES FONCTIONS INDIRECTES. tOl
Angleterre. Enfin, en suivant la théorie éminemment phi-
losophique fondée par Lagrange, on appellerait, Tun le
calcul des fonctions dérivées, et l'autre le calcul des fonctions
primitives. Je continuerai à me servir des termes de Leib-
nilz comme plus propres, dans notre langue, à la forma-
tion des expressions secondaires^ quoique je doive, d'après
les explications contenues dans la leçon précédente, em-
ployer concurremment toutes les diverses conceptions, en
me rapprochant, autant que possible, de celle de Lagrange.
Le calcul différentiel est évidemment la base ration-
nelle du calcul intégral. Car nous ne savons et ne pou-
vons savoir intégrer immédiatement que les expressions
différentielles produites par la difTérenliation des diverses
fonctions simples qui constituent les éléments généraux
de notre analyse. L'art de l'intégration consiste ensuite
essentiellement à ramener, autant que possible, tous les
autres cas à ne dépendre finalement que de ce petit nom-
bre d'intégrations fondamenlales.
En considérant l'ensemble de l'analyse transcendante,
tel que je l'ai caractérisé dans la leçon précédente, on ne
voit pas d'abord quelle peut être l'utililé propre du calcul
différentiel, indépendamment de cette relation nécessaire
avec le calcul intégral, qui semble devoir être, par lui-
môme, le seul directement indispensable. En effet, l'élimi-
nation des infinitésimales ou des dérivées, introduites
comme auxiliaires pour faciliter l'établissement des équa-
tions, constituant, d'après ce que nous avons vu, l'objet
définitif et invariable du calcul dt>s fonctions indirectes ; il
est naturel de penser que le calcul qui enseigne à déduire
des équations entre ces grandeurs auxiliaires, celles qui
ont lieu entre les grandeurs primitives elles-mêmes, doit
strictement suffire aux besoins généraux de l'analyse
transcendante, sans qu'on aperçoive, au «premier coup
tôt MATHÉMATIQUES.
d'œil, quelle part spéciale et constante peut avoir, dans une
telle analyse, la solution de la question inverse. Ce serait
abusivement que, suivant l'usage ordinaire, pour expliquer
l'influence directe et nécessaire propre au calcul différen-
tiel, on lui assignerait la destination de former les équa-
tions différentielles, d'où le calcul intégral fait parvenir
ensuite aux équations finies. Car la formation primitive
des équations différentielles n'est, et ne peut ôtre, à pro-
prement parler, l'objet d'aucun calcul, puisqu'elle consti-
tue^ au contraire, par sa nature, le point de départ in-
dispensable de tout calcul quelconque. Comment, en
particulier, le calcul différentiel qui, par lui-môme, se réduit
à enseigner les moyens de différentier les diverses équa-
tions, pourrait-il être un procédé général pour en établir?
Ce qui, dans toute application de l'analyse transcendante,
facilite en effet la formation des équations, c'est la méthode
infinitésimale, et non le calcul infinitésimal, qui en est par-
faitement distinct, quoique en étant le complément indispen-
sable. Une telle considération donnerait donc une Fausseidée
de la destination spéciale qui caractérise le calcul différen-
tiel dans le système général de l'analyse transcendante.
Mais ce serait, néanmoins, concevoir bien imparfaite-
ment la véritable importance propre de cette première
branche du calcul des fonctions indirectes, que d'y voir
seulement un simple travail préliminaire, n'ayant d'autre
objet général et essentiel que de préparer au calcul inté-
gral des fondements indispensables. Comme les idées
sont ordinairement confuses à cet égard, je crois devoir
expliquer sommairement ici cette importante relation,
telle que je la conçois, et montrer que, dans chaque ap-
plication quelconque de l'analyse transcendante, une pre-
mière part directe et nécessaire est constamment assignée
au calcul différentiel.
CALCUL DES FONCTIONS INDIRECTES. S03
En formant les équations différentielles d'un phénomène
^elconque, il est bien rare qu'on se borne à introduire
différentiellement les seules grandeurs dont on cherche
les relations. S'imposer cette condition, ce serait diminuer
JDulilement les ressources que présente l'analyse transcen-
dante pour l'expression des lois mathématiques des phé-
nomènes. Le plus souvent on fait entrer aussi par leurs
diCTérentielles, dans ces équations premières, d'autres
grandeurs, dont la relation est déjà connue ou supposée
l'être, et sans la considération desquelles il serait fré-
quemment impossible d'établir les équations. C'est ainsi,
par exemple, que, dans le problème général de la rectifl-
cation des courbes, l'équation difTércnlielle,
rfs» = c/y« -f dx\ ou (/«« = rfx* + rfy» -f ds«,
n'est pas seulement établie entre la fonction cherchée s et
la variable indépendante x à laquelle on veut la rapporter;
mais on a introduit en môme temps, comme intermé-
diaires indispensables, les difl'érentielles d'une on deux
autres fonctions y et z^ qui sont au nombre des données du
problème; il n'eût pas été possible de formerimmédiatement
l'équation entre ds et dx, qui serait d'ailleurs parliculière
à chaque courbe considérée. Il en est de môme pour la
plupart des questions. Or, dans ces cas, il est évident que
l'équation différentielle n'est pas immédiatement propre à
l'intégration. Il faut, auparavant, que les différentielles
des fonctions supposées connues, qui ont été employées
comme intermédiaires, soient entièrement éliminées, alin
que les équations se trouvent établies entre les différen-
tielles des seules fonctions cherchées et celles des va-
riables réellement indépendantes, après quoi la question
ne dépend plus effectivement que du calcul intégral. Or
cette élimination préparatoire de certaines différentielles,
toi MATHÉMATIQUES.
afin de réduire les inflnilésimales au plus petit nombre pos^ —
sible, est siniplemenl du ressort du calcul différentiel. Car"'
elle doit se faire, évidemment, en déterminant, d'après le^
équations entre les fonctions supposées connues prises
pour intermédiaires, les relations de leurs différentielles^
ce qui n*est qu'une question de différentiation. Ainsi, pa
exemple, dans le cas des rectifîcaiions, il faudra d'abor
calculer dy ou dy et e/z, en différentiant l'équation ou I
équations de chaque courbe proposée; et, d'après ce
expressions, la formule différentielle générale énoncée ci
dessus ne contiendra plus que ds et dx ; parvenue à c
point, Tcliminalion des infinitésimales ne peut plus êtr
achevée que par le calcul intégral.
Tel est donc l'office général nécessairement propre a
calculdifférentici dans la solution totale des questions qu
exigent l'emploi de l'analyse transcendante : préparer, au
tant que possible, l'élimination des infinitésimales, c'est-
à-dire réduire, dans chaque cas, les équations différentiell
primitives à ne plus contenir que les différoatielles des^*
variables réellement indépendantes et celles des fonctions
cherchées, en faisant disparaître, par la différentiation^
les différentielles de toutes les autres fonctions connues
qui ont pu être prises pour intermédiaires lors de la for —
malien des équations différentielles du'problome.
Pour certaines questions, qui, quoique en petit nombre,
n'en ont pas moins, ainsi que nous le verrons plus tard,
une trôs-gran le importance, les grandeurs cherchées s
trouvent môme entrer directement, et non par leurs diffé
rentielles, dans les équations différentielles primitives, qui
ne contiennent alors différentiellement que les divers
fonctions connues, employées comme intermédiaires d'a-
près l'explication précédente. Ces cas sont, de tous, le
plus favorables, car il est évident que le calcul différeo
CALCUL DES FONCnOMS INDIRECTES. tOS
tiel suffit alors entièremenl à réiimination complète des
inOoitésimales, sans que la question puisse donner lieu à
aucune intégration. C'est ce qui arrive, par exemple, dans
le problème des tangentes, en géométrie ; dans celui des
TÎtesses, en mécanique, etc.
Enfin plusieurs autres questions, dont le nombre est
anssi fort petit, mais dont l'importance n'est p^s moins
grande, présentent un second cas d'exception, qui est, par
sa nature, exactement l'inverse du précédent. Ce sont
celles où les équ.itions dilTérentielles se trouvent être im-
médiatement propres à l'intégration, parce qu'elles ne
contiennent, dès leur première formation, que les infi-
nilésimales relatives aux fonctions cberchées ou aux varia-
bles réellement indépendantes, sans qu'on ait été obligé
d'introduire dilTérentiellemenl d'autres fonctions comme
intermédiaires. Si, dans ces nouveaux cas, on a eflective-
ment employé ces dernières fonctions, comme, par hy-
pothèse, elles entreront directement et non par leurs dif-
férentielles, l'algèbre ordinaire suffira pour les éliminer
et réduire la question à ne plus dépendre que du calcul
intégral. Le calcul différentiel n'aura donc alors aucune
part spéciale à la solution complète du problème, qui sera
tout entière du ressort du calcul intégral. La question gé-
nérale des quadratures en offre un exemple important,
cap l'équation difl'érentielle, étant alors </ A = ydx, devien-
dra immédiatement propre à l'intégration aussitôt qu'on
aura éliminé, d'après l'équation de la courbe proposée, la
fonction intermédiaire y, qui n'y entre point dilférenlielle-
ment : la môme circonstance a lieu pour le problème des
cobatures, et pour quelques autres aussi essentiels.
En résultat général des considérations précédentes, il
faut donc partager en trois classes les questions mathé-
matiques qui exigent l'emploi de l'analyse transcendante :
Î06 MATDÉMATIQUES.
la première classe comprend les problèmes susceptibles
d'ôlre entièrement résolus au moyen du seul calcul diffé-
rentiel, sans aucun besoin de calcul intégral ; la seconde,
ceux qui sont, au contraire, entièrement du ressort du
calcul intégral, sans que le calcul différentiel ait aucune
part à leur solution; enfin, dans la troisième et la plus
étendue, qui constitue le cas normal, les deux autres n'é-
tant que d'exception, les deux calculs ont successive-
ment une part distincte et nécessaire à la solution com-
plète du problème, le calcul différentiel faisant subir
•aux équations différentielles primitives une préparation
indispensable à Tappllcation du calcul intégral. Telles
sont exactement les relations générales de ces deux cal-
culs, dont on se forme communément des idées trop peu
précises.
Jetons maintenant un coup d'œii général sur la com-
position rationnelle de chacun d'eux, en commençant,
comme il convient évidemment, par le calcul différen-
tiel.
Dans Texposilion de Tanalyse transcendante, on a l'ha-
bitude de mêler à la partie purement analytique, qui se
réduit au traité abstrait de la différentiation et de l'inté-
gration, l'étude de ses diverses applications principales,
surtout de celles qui concernent la géométrie. Cette confu«
sion d'idées, qui est une suite du mode effectif suivant
lequel la science s'est développée, présente, sous le rap-
port dogmatique, de graves inconvénients en ce qu'elle
empêche de concevoir convenablement, soit l'analyse, soit
la géométrie. Devant considérer ici la coordination la plus
rationnelle possible, je ne comprendrai, dans le tableaa
suivant, que le calcul des fonctions indirectes .proprement
dit, réservant, pour la portion de ce volume relative à
l'étude philosophique de la mathématique concrète, l'exa-
CALCUL DBS FONCTIONS INDIRECTES. i07
men général de ses grandes applications géométriques et
mécaniques (1).
La division fondamentale du calcul différentiel pur, ou
da traité général de la diiférentiation, consiste à distinguer
deux cas, suivant que les fonctions analytiques qu'il s'agit
de diiTérentier sont explicites ou implicites ; d'où deux par-
ties ordinairement désignées par les noms de différentia-
tîoD des formules et différentiation des équations. Il est aisé
de concevoir à priori l'importance de cette classiQcation.
En eifety une telle distinction serait illusoire si l'analyse
ordinaire était parfaite, c'est-à-dire si l'on savait résoudre
algébriquement toutes les équations; car alors il serait
possible de rendre explicite toute fonction implicite ; et,
en ne la différentiant que dans cet état, la seconde partie
du calcul différentiel rentrerait immédiatement dans la
première, sans donner lieu à aucune nouvelle difficulté.
Mais la résolution algébrique d^s équations étant, comme
nous l'avons vu, encore presque dans l'enfance, et ignorée
jusqu'à présent pour le plus grand nombre des cas, on
comprend qu'il en doit être tout autrement; puisqu'il
s'agit dès lors, à proprement parler, de différentier une
fonction sans la connaître, bien qu'elle soit déterminée.
La dififérentiation des fonctions implicites constitue donc,
par sa nature, une question vraiment distincte de celle
que présentent les fonctions explicites, et nécessairement
plus compliquée. Ainsi c'est évidemment par la différen-
tiation des formules qu'il faut commencer, et on parvient
ensuite à ramener généralement à ce premier cas la diffé-
(1) J*ai établi depuis longtemps, dans mon enseignement ordinaire de
Tanalyse transcendante, Tordre que je vais exposer. Un nouveau profes-
Kar d'analyse transcendante à 1* École polytechnique, avec lequel Je me
illicite de m*étre rencontré, M. Mathieu, a adopté, dans son cours de
eatte année (1830), une marche essentiellement semblable.
Î08 MATHÉMATIQUES.
renlialion de» équations, par certaines considérations ana —
lytiques invariables, que je ne dois pas mentionner ici.
Ces deux cas généraux de la diCférentiation sont encore
distincts sous un aulre rapport également nécessaire, et
trop important pour que je néglige de le signaler. La rela-
tion obtenue entre les din'érenlieiles est constamment
plus indirecte, par rapport à celle des quantités finies,
dans la différcnliation des fonctions implicites que dans
celle des fondions explicites. On sait, en effet, d*aprèsles
considérations présentées par Lagrange sur la formation
générale des équations différentielles, que, d'une part, la.
môme équation primitive peut donner lieu à un plus ou_
moins grand nombre d'équations dérivées de formes très —
diverses, quoique, au fond, équivalentes, suivant celle
des constantes arbitraires que l'on élimine* ce qui n'a p
lieu dans ladifl'érentiation des formules explicites ; et que,
d'une autre pari, le système infini d'équations priniitives-i
diirérenles qui correspondent à une môme équation dé-
rivée, présente une variété analytique bien plus profonde-
que celle des diverses fonctions susceptibles d'une môme^
différentielle ex];licite, et qui ne se distinguent les une
des autres que par un terme constant. Les fonctions im
pliciles doivent donc être envisagées comme étant réelle
ment encore plus modifiées par la différenliation que 1
fondions explicites. Nous retrouverons tout à l'heure cett
considération relativement au calcul intégral, où elle ac
quiei't une importance prépondérante.
Chacune des deux parties fondamentales du calcul diffé
reniiel se subdivise elle-même en deux théories très-dis
tinclc>, suivant qu'il s'agit de différentier des fonctions
une seule variable, ou des fonctions à plusieurs variabi
indépendanlos. Ce second cas est, par sa nature, tout à fai
distinct du premier, cl présente évidemment plus de com
CALCUL DES FONCTIOiNS INDIRECTES. iOt
plication, môme en ne considérant que les fonctions expli-
dleSy et h plus forte raison pour les fonctions impiicilos. Do
reste, l'un se déduit généralement de l'autre, à l'aide d'un
principe invariable fort simple, qui consiste à regarder la
difTércnlielle totale d'une fonction en vertu des accroisse-
ments simultanés des diverses variables indépendantes
qu'elle contient, comme la somme des difift rcntielles
jMirtielles que produirai! l'accroissement séparé de chaque
variable successivement, si toutes les autres étaient con-
stantes. Il faut, d'ailleurs, soigneusement remarquer à ce
sujet une notion nouvelle qu'introduit, dans le système de
l'analyse transcendante, la distinction des fonctions à une
seule variable et à plusieurs ; c'est la considération de ces
diverses fonctions dérivées spéciales, relatives 2i chaque va-
riable isolément, et dont le nombre croît de plus en plus
à mesure que l'ordre de la dérivation s'élùve, et ausM quand
les variables sont plus multipliées. Il en résulte que les re-
lations diCférentielles propres aux fonctions de plusieurs
variables sont, par leur nature, et bien plus indirectes et
surtout beaucoup plus indéterminées que celles relatives
aux fonctions d'une seule variable. Cela est principalement
sensible pour les fondions implicites où, au lieu des sim-
ples constantes arbitraires que l'élimination fait disparaître
quand on forme les équations diifcrcntielles propres aux
fonctions d'une seule Vidiable, ce sont des fonctions arbi-
traires des variables proposées qui se trouvent élinjinées,
d'où doivent résulter, lors des intégrations, des difûcultés
spéciales.
EoOn, pour compléter ce tableau sommaire des diverses
parties essentielles du calcul différentiel proprement dit, je
dois ajouter que, dans la différentiation des fonctions im-
plicites, soit à une seule variable, soit à plusieurs, il fîiut
encore dibtinprucr le cas où il s'agit de différenlier à la fois
A. CouTB. Tome L 14
s 1 0 MATHÉMATIQUES.
diverses fonctions de ce genre, mêlées dans certaines équa-
tions primitives, de celui où toutes ces fonctions sont sé-
parées.
Les fonctions sont évidemment, en effet, encore plus
implicites dans le premier cas que dans le second, si l'on
considère que la môme imperfection de l'analyse ordinaire,
qui empêche de convertir toute fonction implicite en une
fonction explicite équivalente, ne permet pas davantage de
séparer les fonctions qui entrent simultanément dans un
système quelconque d'équations. Il s'agit alors de dififéren-
licr, non-seulement sans savoir résoudre les équations pri-
mitives, mais même sans pouvoir effectuer entre elles les
éliminations convenables, ce qui constitue une nouvelle
difûculté.
Tels sont donc Tenchalnemenl naturel et la distribution
rationnelle des diverses théories principales dont se com-
pose le traité général de la différenliation. On voit que, la
différentiation des fonctions implicites se déduisant de
celle des fonctions explicites par un seul principe constant,
et la différentiation des fonctions à plusieurs variables se
ramenant, par un autre principe fixe, à celle des fonctions
à une seule variable, tout le calcul différentiel se trouve
reposer, en dernière analyse, sur la différentiation des
fonctions explicites à une seule variable, la seule qui s'exé-
cute jamais directement. Or, il est aisé de concevoir que
cette première théorie, base nécessaire du système entier,
consiste simplement dans la différentiation des dix fonc-
tions simples, qui sont les éléments uniformes de loutes
nos combinaisons analytiques, et dont j'ai présenté le ta-
bleau (4* Ic^Qon). Car la différentiation des fonctions com-
posées se déduit évidemment, d'une manière immédiate
et iK'ccssaire, de celle des fonctions simples qui les con-
stituent. C'est donc à la connaissance de ces dix différen-
CALCUL DES FONCTIONS INDIRECTES. Î11
Ifelles fondamentales, et à celle des deux principes géné-
raux, ci-dessus mentionnés, qui y ramènent tous les autres
cas possibles, que se réduit, à proprement parler, tout le
traité de la différentialion. On voit, par la combinaison de
ces diverses considérations, combien est à la fois simple et
parfait le système entier du calcul différentiel proprement
dit II constitue certainement, sous le rapport logique, le
spectacle le plus intéressant que l'analyse mathématique
paisse présenter à notre intelligence.
Le tableau général que je viens d'esquisser sommairement
offrirait, néanmoins, une lacune essentielle, si je n'indi-
quais ici distinctement une dernière théorie, qui forme,
par sa nature, le complément indispensable du traité de
la différentiation. C'est celle qui a pour objet la transfor-
mation constante des fonctions dérivées, en résultat des
changements déterminés de variables indépendantes, d'où
résulte la possibilité de rapporter à de nouvelles variables
toutes les formules différentielles générales établies primi-
tivement pour d'autres. Celte question est maintenant ré-
solue de la manière la plus complète et la plus simple,
comme toutes celles dont se compose le cah ul différentiel.
On conçoit aisément l'imporlance générale qu'elle doit
avoir dans les applications quelconques de l'analyse trans-
cendante, dont elle peut être considérée comme augmen-
tant les ressources fondamentales, en permettant de
choisir, pour former d'abord plus aisément les équations
différentielles, le système de variables indépendantes qui pa-
nttr-a le plus avantageux, bien qu'il ne doive pns ôlre main-
tenu plus lard. C'est ainsi, par exemple, que la plupart des
questions principales de la géométrie se résolvent beau-
coup plus aisément en rapportant les lignes et les surfaces
k des coordonnées reclllignes cl qu'on peut néanmoins
^Ire conduit à les appliquer à des formes exprimées ana-
212 MATHEMATIQUES.
lyliqiiement, à Taide de coordonnées polaires, ou de toute
autre manière. On pourra commencer alors la solution dif-
férentielle du problème en employant toujours le système
rectiligne, mais seulement comme un intermédiaire, d'a-
près lequel, par la théorie générale que nous avons en vue
ici, on passera au système dcrinilif, qu'il eût élé quelque-
fois impossible de considérer direclement.
Dans la classiJicatioii rnlionnelle que je viens d'exposer
pour l'ensemble du calcul différentiel, on serait naturelle-
ment tenté de signaler une omission grave, puisque je n*aî
pas sous-divisé chacune des quatres parties essentielles
d'après une autre considération générale, qui semble d'a-
bord fort importante en elle-même, celle de Tordre plus
ou moins élevé de la différentiation. Mais il est aisé de com-
prendre que celte distinction n'a aucune influence réelle
dans le calcul différentiel, en ce qu'elle n'y donne lieu à
aucune difficulté nouvelle. En effet, si le calcul différentiel
n'ét^iit pas rigoureusement complet, c'est-à-dire si on ne
savait point différencier indi^tinctement loute fonctioa>
quelconque, la différentiation au second ordre, ou à uii>
ordre supérieur, de chaque fonction déterminée pourrait
engendrer des difficnltés spéciales. Mais la parfaite uni-
versalité du calcul différentiel donne évidemment l'assu-
rance de pouvoir différencier à un ordre quelconque toutes
les fonctions analytiqui's connues, la question se rédui-
sant sans cesse à une différentiation au premier ordre, suc-
cessivement redoublée. Ainsi, la considération des divers
ordres de différentielles peut bien donner naissance à de
nouvelles remarques plus ou moins importantes, surtout
en ce qui concerne la formation des équations dififérea-
tielles, et les dérivées partielles successives des fonctions
à plusieurs variables. Mais elle ne saurait, évidemment,
constituer aucun nouveau problème général dans le traité
CALCUL DES FONCTIONS INDIRECTES. iU
-de la difTérentiation. Nous verrons tout à l'heure que celte
<]istinclion, qui n*a, pour ainsi dire, aucune importance
dans le calcul différentiel, en acquiert, au contraire, une
t^rès-grande dans le calcul intégral, en vertu de rextrôme
imperfection de ce dernier calcul.
Enfin, quoique j*aie cru, en thèse générale, ne devoir
«nullement envisager en ce moment les diverses applica-
't.ions principales du calcul différentiel, il convient néan-
snoins de faire une exception pour celles qui consisten
-^ans la solution de questions purement analytiques, qui .
-doivent, en effet, être rationnellement placées h la suite
^u traité de la différentiation proprement dite, à cause de
l'homogénéité évidente des considérations. Ces questions
])euvent se réduire à trois essentielles : i"" le développe-
ment en séries des fonctions à une seule ou à plusieurs
'Variables, ou, plus généralement, la transformation des
^fonctions, qui constitue la plus belle et la plus importante
application du calcul différentiel à l'analyse générale, et
qui comprend, outre la série fondamentale découverte par
Taylor^ les séries si remarquables trouvées par Maclaurin,
par Jean Bernouilli, par Lagrange, etc. ; 2* la théorie gé-
nérale des valeurs maxima et minima pour les fonctions
quelconques à une seule ou à plusieurs variables, un des
plus intéressants problèmes que puisse présenter l'ana-
lyse, quelque élémentaire qu'il soit devenu aujourd'hui,
et à la solution complète duquel le calcul différentiel s'ap-
plique très-naturellement ; 3° enfin, la détermination gé-
nérale de la vraie valeur des fonctions qui se présentent
sous une apparence indéterminée pour certaines hypo-
thèses faites sur les valeurs des variables correspondantes,
ce qui est le problème le moins étendu et le moins impor-
tant des trois, quoiqu'il mérite d'être noté ici. La première
quesliou est, sans contredit, la principale sous tous les rap*-
âl4 MATUÉMATIQUES.
ports : elle est aussi la plus susceptible d'acquérir dans la
suite une extension nouvelle, surtout en concevant, d'une
manière plus large qu'on ne Ta fait jusqu'ici, l'emploi du
calcul différentiel pour la transformation des fonctions, au
sujet de laquelle Lagrange a laissé quelques indications
précieuses, qui n'ont encore été ni généralisées ni suivies.
Je regrette beaucoup d'être obligé, par les limites né-
cessaires de cet ouvrage, de me borner à des considéra-
tions sommaires aussi insuffisantes sur tous les divers
sujets que je viens de passer en revue, et qui comporte-
raient, par leur nature, des développements beaucoup plus
étendus, en continuant toujours néanmoins à rester dans les
généralités qui sont le sujet propre de ce cours. Je passe
maintenant à l'exposition également rapide du tableau sys-
tématique du calcul intégral proprement dit, c'est-à-dire
du traité abstrait de l'intégration.
La division fondamentale du calcul intégral est fondée
sur le môme principe que celle ci-dessus exposée pour le
calcul différentiel, en distinguant l'intégration des for-
mules différentielles explicites, et l'intégration des diffé-
rentielles implicites, ou des équations différentielles.
La séparation de ces deux cas est même bien plus
profonde, relativement à l'intégration, que sous le simple
rapport de la différentiation. Dans le calcul différen-
tiel, en effet, cette distinction ne repose, comme nous
l'avons vu, que sur l'extrême imperfection de rana!]rse
ordinaire. Mais, au contraire, il est aisé de voir que, quand
même toutes les équations seraient résolues algébrique-
ment, les équations difiérentielles n'en constitueraient pas
moins un cas d'intégration tout à fait distinct de celui que
présentent les formules différentielles explicites. Car, en
se bornant, par exemple, au premier ordre et à une fonc-
tion unique^ d'une seule variable x, pour plus de simpli-
CALCUL DES FONCTIONS INDIRECTES. tl5
€5Îtéy si Fon toppose résolue, par rapport à ^ une équa-
CioQ différentielle quelconque entre x, y, et ^i l'expres-
^on de la fonction dérivée se trouvant alors contenir géné-
x-alement la fonction primitive el!e-môme qui est l'objet de
la recherche, la question d'intégration n'aurait nullement
<2hangé de nature, et la solution n'aurait fait réellement
^'aulre progrès que d'avoir amené l'équation différentielle
»posée à ne plus être que du premier degré relativement
la fonction dérivée, ce qui est, en soi, de peu d'impor-
'K^nce. La différentielle n'en serait donc pas moins déter-
xninée d'une manière à peu près aussi implicite qu'au para-
'^ant, sous le rapport de Tintégration, qui continuerait à
;présenter essentiellement la môme difficulté caractéris-
'^ique. La résolution algébrique des équations ne pourrait
^aire rentrer le cas que nous considérons dans la simple
intégration des diflérentielles explicites, que dans les
occasions très-particulières où l'équation différentielle
proposée ne contiendrait point la fonction primitive elle-
néme, ce qui permettrait, par consé(juent, en la résol-
vant, de trouver -£ en fonction de x seulement, et de ré-
duire ainsi la question aux quadratures.
La considération que je viens d'indiquer pour les équa-
tions différentielles les plus simples aurait évidemment
encore plus d'importance pour celles des ordres supéiieurs
oa qui contiendraient simultanément diverses fonctions
de plusieurs variables indépendantes. Ainsi, l'intégration
des difTérentielles qui ne sont déterminées qu'impli-
citement constitue par sa nature, et sans aucun égard
à l'état de l'algèbre, un cas entièrement distinct de celui re-
latif aux différentielles explicitement exprimées en fonction
des variables indépendantes. L'intégration des équations
difTérentielles est donc nécessairement plus compliquée
il 6 MÀTnÉUATIQUES.
que celle des difTorentielles explicites, par Télabora-
tion desquelles le calcul intéf,TaI a pris naissance, et dont
ensuite on s'est efforcé de faire, autant que possible, dé-
pendre les autres. Tous les divers procédés analytiques
proposés jusqu'ici pour intégrer les équations différen-
tielles, soil la séparation des variables, soit la méthode
des multiplicateurs, etc., ont en effet pour but de rannener
ces intégrations à celles des formules différentielles, la
seule qui, par sa nature, puisse être entreprise directe-
ment. Malbeureusemenl, quelque imparfaite que soit jus-
qu'ici celte base nécessaire de tout le calcul intégral, Tart
d'y réduire l'intégration des équations différentielles est
encore bien moins avancé.
Chacune de ces deux branches fondamenlales du calcul
intégral se sous-divise ensuite en deux autres, comme
dans le calcul différenliel, et par des motifs exactement
analogues (que je me dispenserai, par conséquent, de re-
produire), suivant que Ton considère des fonctions à une
seule variable ou des fonctions è plusieurs variables in-
dépendantes. Je ferai seulement observer que celte dis-
tinction est, comme la précédente, encore plus importante
pour l'tnlégralion que pour la différcntiation. Cela est
surtout remarquable, relativement aux équations diffé-
rentielles. En effet, celles qui se rapportent à plusieurs
variables indépendantes peuvent évideumjent présenter
celte dilficulté caractéristique, et d'un ordre bien plus
élevé, que la fonction cherchée soil déQnie différentielle-
ment par une simple relation entre ses diverses dérivées
spéciales relatives aux différentes variables prises séparé-
ment. De \h résulte la branche la plus difficile, et aussi la
plus étendue du calcul intégral, ce qu'on nomme ordinai-
rement le calcul intégral aux différences partielles^ créé par
d'Alembert, et dans lequel, suivant la ju»te appréciation
CALCUL DES FONCTIONS INDIRECTES. «17
de Lagrange, les géomètres auraîenl dû voir réellement
un calcol nouveau, dont le caractère philosophique n*est
pas assez exactement jngé. Une difTcrence Irès-sailIante
entre ce cas et celui des équations à une seule variable in-
dépendante consiste, comme je l'ai fait observer ci-dessus,
dans les fonctions arbitraires qui remplacent les simples
constantes arbitraires pour donner aux intégrales corres-
pondantes toute la généralité convenable.
A peine ai-je besoin de dire que cette branche supé-
rieure de l'analyse transcendante est encore entièrement
dans Tcnfance, puisque, seulement dans le cas le plus
simple, celui d'une équation du premier ordre entre les
dérivées partielles d'une seule fonction à deux variables
indépendantes, on ne sait point même jusqu'ici complète-
ment ramoner l'intégration à celle des équations différen-
tielles ordinaires. L'intégralion relative aux fonctions de
plusieurs variables est beaucoup plus avancée, dans le cas,
infiniment plus simple, à la vérilé, où il ne s'agit que des
formules différenlielles expliciles. On sait alors, en effet,
quand ces formules remplissent les conditions convenables
d'intégralité, réduire constamment leur intégration aux
quadratures.
Une nouvelle dislinction générale applicable, comme
sous-division, à l'intégraiion des différentielles explicites
on implicites, à une seule variable ou à plusieurs, se tire
de l'ordre plus ou moins élevé des différentiations, qui ne
donne lieu à aucune question spéciale dans le calcul diffé-
rentiel, ainsi que nous l'avons remarqué.
Relativement aux différentielles explicites, soit ù une
variable, soit à plusieurs, la nécessité de distinguer leurs
divers ordres ne tient qu'à Textréme imperfection du cal-
cul intégral. En effet, si l'on savait constamment intégrer
toute formule différentielle du premier ordre, l'intégration
218 HÀTOÉMATIQUES.
d'une formule du second ordre ou de tout autre ne consti-
tuerait point, évidemment, une question nouvelle, puis-
que, en l'intégrant d'abord au premier ordre, on parviendrait
à l'expression différentielle de Tordre immédiatement pré-
cédent, d'où, par une suite convenable d'intégrations ana-
logues, on serait certain de remonter finalement à la
fonction primitive, objet propre d'un tel travail. Mais le
peu de connaissances que nous possédons sur les intégra-
tions premières fait qu'il n^en est point ainsi, et que l'or-
dre plus ou moins élevé des différenlielles engendre des
difflcultés nouvelles. Car, ayant des formules difTorenli elles
d'un ordre quelconque supérieur au premier, il peut arri-
ver qu'on sache les intégrer une première fois ou plusieurs
fois de suite, et que, néanmoins, on ne puisse remonter
ainsi aux fonctions primitives, si ces travaux préliminaires
ont produit^ pour les différentielles d'un ordre intérieur,
des expressions dont les intégrales ne sont pas connues.
Cette circonstance doit se présenter d'autant plus fréquem-
ment, le nombre des intégrales connues étant encore fort
petit, que ces intégrales successives sont généralement,
comme on sait, des fonctions très-différentes des dérivées
qui les ont engendrées.
Par rapport aux différentielles implicites, la distinctioQ
des ordres est encore plus importante; car, outre le
motif précédent, dont l'influence est évidemment ici ana-
logue, et môme à un plus haut degré, il est aisé de sentir
que l'ordre supérieur des équations différentielles donne
lieu nécessairement à des questions d'une nature nou-
velle. En effet, sût-on môme intégrer indistinctement
toute équation du premier ordre relative à une fonction
unique, cela ne sufûrait point pour faire obtenir l'intégrale
définitive d'une équation d'un ordre quelconque, toute
équation différentielle n'étant pas réductible à celle d'un
CALCUL DES FONCTIONS INDIRECTES. il 9
ordre immédiatement inréricur. Si ron a, par exemple,
ponr déterminer une fonction y de la variable Xy une rela-
lion quelconque entre x, ^, ^, et ^, on n'en pourra
point déduire immédiatement, en cfTectuanl une première
intégration, la relation diCrérenlielIe correspondante entre
JCy y, et ^, d'où, par une seconde inli^gralion, on remon-
'E.erait à Teqnation primitive. Cela n'aurait lieu^nécessaire-
KXienty du moins sans introduire de nouvelles fondions
Sàuxîliaires, que si Téquation du second ordre proposée ne
crontenait point la (onclion cherchée y, concurremment
^?ec ses dérivées. En Ihèse générale, les équations difl'é-
x^entielles devront donc réellement être envisagées comme
présentant des cas d'autant plus implicites, que leur ordre
^sst plus élevé, et qui ne pourront rentrer les uns dans les
autres que par des méthodes spéciales, dont la recherche
^^onstilue, par conséquent, une nouvelle classe de ques-
Ijons, à l'égard dt^squellcs on ne sait jusqu'ici presque
X'ien, môme pour les fonctions d'une seule variable (I).
Au reste, quand on examine, d'une manière très-appro-
A)Ddie, celle distinction des divers ordres d'équations
différentielles, on trouve qu'elle pourrait rentrer cons-
tamment dans une dernière distinction générale, relative
aux équations différentielles, que j'ai encore à signaler. En
effet, les équations différentielles à une seule ou à plusieurs
Tariables indépendantes peuvent ne contenir simplement
qu'une seule fonction, ou bien, dans un cas évidemment
plas compliqué et plus implicite, qui correspond à la diffé-
rentiation des fonctions implicites simultmées, on peut
(1) Le seul cas important de ce genre qui ait été complètement traité
Jusqu'ici est Tiutégration générale des équations linéaires d*iin of'dre
quelconque, à coerflcients constants. Encore se trouvo-t-olle dépendre fl-
nalement de la résolution algébrique des équations d'un degré égal à Tor-
dre de la différentiatiun.
tlO MATHÉMATIQUES.
avoir à déterminer en môme temps plusieurs fondions
d'après des équations didén-nlielles où elles se trouvent
mêlées, concurremment avec leurs diverses dérivées. Il
est clair qu'un tel état de la question présente nécessai-
rement une nouvelle difficulté spéciale, celle d'établir la
séparation des diffcrenles fonctions cherchées, en for-
mant pour chacune, d'après les équations diCfcrcntielles
propo^^ées, une équation différentielle isolée, qui ne con-
tienne plus les autres fonctions ni leurs dérivées. Ce tra-
vail préliminaire, qui est Tanalogue de l'élimination en
algèbre, est évidemment indispensable avant de tenter
aucime intégration directe, puisqu'on ne peut entrepren-
dre généralement, à moins d'artifices spéciaux très-rare-
ment applicables, de déterminer immédiatement à la fois
plusieurs fonctions distinctes. Or il est aisé d'établir la
coïncidence eracle et nécessiire de cette nouvelle distinc-
tion avec la précédente, relative à l'ordre des équations
difiërentielles. On sait, en effet, que la méthode générale
pour isoler les fonctions, dans les équations différentielles
simultanées, consiste essentiellement à former des équa-
tions difiérentieiles, séparément relatives, à chaque fonc-
tion, et dont l'ordre est égal à la somme de tous ceux des
diverses équations propo>ées. Cette transformation peat
s'effectuer constamment. D'un autre côté, toute équation
différentielle d'un ordre quelconque relative à une seule
fonction pourrait évidemment se ramener toujours aa
premier ordre, en ir.trocluisant un nombre convenable
d'équal'ons diffcrenlielies auxiliaires, contenant simultané-
ment les diverses dérivées antérieures considérées comme
nouvelles fonctions à déterminer. Ce procédé a môoie
été quelquefois employé avec succès, quoiqu'on géuéral,
il ne soit pas normal. Ce sont donc deux genres de con-
ditions nécessairement équivalents, dans la théorie gêné-
CALCUL DES FONCTIONS INDIRECTES. %%i
raie des équations diilërenliellos, que la simullanéité d'un
plus ou moins grand nombre do fondions, cl Tordre de
difTérenlialioa pids ou moins élevé d'une Ibnclion unique.
£n augmentant l'ordre des équalions diirérenlieiles, on
peut isoler toutes les fondions; et, en multipliant artifi-
ciellement le nombre des fondions, on peut ramener
toutes les équalions au premier ordre. II n'y a, par consé-
queiity dans l'un cl l'aiilre cas, qu'une môme difdcullé,
envisagée sous deux points de vue diflorents. Mais, dequel-
C]ue manière qu'on la cor.çoive, cette nouvelle difticullé
c:ommune n'en est pas moins réelle, et n'en conslilue pas
moins, par sa nature, une sép-aralion tranchée entre l'iiité-
^r-ilion des équations du premier ordre cl celle des équa-
tions d'un ordre supérieur. Je préfère indiquer la distinc-
tion sous celte dernière forme, comme plus simple, plus
générale et plus rationnelle.
D'après les diverses considérations indiquées ci-dessus
$UT l'encbalnement rationnel des diflércntcs parties prin-
cipales du calcul intégral, on voit que l'inlégration dos for-
mules dillcrcntiellcs explicites du premier ordre à une
seule variable est la base n(;cessaire de toutes les autres
intégrations, qu'on ne parvient jamais à efl'ectuer qu'autant
qu'on peut les faire rentrer dans ce cas élémentaire, le
seul é\idi'mmeni qui, par sa nature, soit susceptible d'être
traité directement. Cette intégration simple et fondamen-
tale est souvent désignée par l'expression commode de
quadratures^ attendu que toute intégrale de ce genre <Sy(a!r)
dx, peut, enclfel, être envisagée comme représentant l'aire
d'une courbe dont l'équation en coordonnées rectilignes
serait y = f{pc). Une telle classe de questions correspond,
dans le calcul différentiel, au cas élémentaire de la difl'é-
rentialion des fonctions explicites à une seule variable. iMais
la question intégrale est, pur sa nature, bien autrement
su MATHÉMATIQUES.
compliquée, et siirloiit beaucoup plus étendue que la
question différentielle. Celle-ci se réduit nécessai renient,
en effet, comme nous l'avons vu, à la différentiation des
dix fonctions simples, éléments de toutes celles que l'ana-
lyse considère. Au contraire, l'intégration des fonctions
composées ne se déduit point nécessairement de celle des
fonctions simples, dont chaque nouvelle combinaison doit
présenter, sous le rapport du calcul intégral, des difficultés
spéciales. De là, Télendue naturellement indéfinie, et la
complication si variée de la question des quadratures, sur
laquelle, malgré tous les efforts des analystes, on possède
encore si peu de connaissances complètes.
En décomposant celte question, comme il est naturel
de le faire, suivant les diverses formes que peut affecter la
fonction dérivée, on dislingue d'abord le cas des fonctions
algébriques, et ensuite celui des fonctions transcendantes.
L'intégration vraiment analytique de ce dernier ordre
d'expressions est jusqu'ici fort peu avancée, soit pour les
fonctions exponentielles, soit pour les fonctions loga-
rithmiques, soit pour les fonctions circulaires. On n'a traité
encore qu'un très-petit nombre de cas de ces trois divers
genres, en les choisissant parmi les plus simples, qui cod-
duisent môme ordinairement à des calculs extrêmement
pénibles. Ce que nous devons surtout remarquer à ce sujet
sous le rapport philosophique, c'est que les divers procédés
de quadrature ne tiennent à aucune vue générale sur l'in-
tégration, et consistent en de simples artifices de calcul
fort incohérents entre eux, et dont le nombre est très-mul-
tiplié, à cause de retendue très-bornée de chacun d'eux.
Je dois cependant signaler ici un de ces artifices qui, sans
être réellement une méthode d'intégration, est néanmoins
remarquable par sa généralité : c'est le procédé inventé
par Jean Bernouilli, et connu sous le nom de Vmtégraticn
CALCUL DES FONCTIONS INDIRECTES. tlS
par parHeSf d'après lequel toute intégrale peut être ra-
menée à nne autre, qui se trouve quelquefois être plus
facile à obtenir. Cette ingénieuse relation mérite d'être
notée sous un autre rapport, comme ayant offert la pre-
mière idée de celte transformation les uns dans les autres
€ie8 intégrales encore inconnues, qui a reçu dans ces der-
niers temps une plus grande extension, et dont Fourier
surtout a fait un usage si nouveau et si important pour
les questions analytiques engendrées par la théorie de la
chaleur.
Quant à l'intégration des fonctions algébriques^ elle est
plus avancée. Cependant, on ne sait encore prc^^que rien
relativement aux fonctions irrationnelles, dont les inté-
^ales n'ont été obtenues que dans des cas extrômemeat
bornés, et surtout en les rendant rationnelles. L'intégration
des fonctions rationnelles est jusqu'ici la seule théorie de
calcul intégral qui ait pu être traitée d'une manière vrai-
ment complète : sous le rapport logique, elle en constitue
donc la partie la plus satisfaisante, mais peut-être aussi la
moins importante. Il est même essentiel de remarquer,
pour avoir une juste idée de l'extrême imperfection du
calcul intégrai, que ce cas si peu étendu n'est entièrement
résolu que pour ce qui concerne proprement l'intégration,
envisagée d'une manière abstraite ; car^ dans rexécudon,
la théorie se trouve le plus souvent, indépendamment de
la complication des calculs, tout à fait arrêtée par l'imper-
fection de l'analyse ordinaire^ attendu qu'elle fait dépendre
finalement l'intégration de la r<^solulion algébrique des
équations, ce qui en limite singulièrement l'usMge.
Pour saisir d'une manière générale l'esprit des divers
procédés d'après lesquels on procède aux quadratures,
nous devons reconnaître d'ailleurs que, par leur nature, ils
ne peuvent être fondés primitivement que sur la différcn-
%U MATUÉHATIQUES.
tintion des dix fondions simples, dont les résiiHcils, consi-
dérés sous le point de vue inverse, établissent autant de
théorèmes immédiats de calcul intégral, les seuls qui pnis-
sent être connus direclenient, tout Tart de l'intégration
consisUuit ensuite, comme je Tai exprimé en commençant
cette leçon, à faire rentrer, autant que possible, toutes les
autres quadratures dans ce petit nombre de quadratures
élémentaires, ce qui malheureusement nous est encore le
plus souvent inconnu.
Dans cette énuméralion raisonnée des diverses parties
essentielles de calcul intégral suivant leurs relations lo-
giques, j'ai négligé h dessein, pour ne pas interrompre
l'euchainement, de considérer distinctement une théorie
fort importante, qui forme implicitement une portion de la
théorie générale de Tinlégration des équations dillérea-
tii'lles, mais que je dois ici signaler séparément, comme
étant, pour ainsi dire, en dehors du calcul intégrai, et
oifrant néanmoins le plus grand intérêt, soit par sa per-
fection rationnelle, soit f)ar l'étendue de ses applications.
Je veux parler de ce qu'on appelle les solutions singulières
des équations dilTérentielles, dites quelquefois, mais à tort,
solutions particulières, qui ont été le sujet de travaux trùs-
rcmarquables de la part d'Ëuler et de Laplace, et dont
L'igrange surtout a présenté une si belle et si simple
théorie générale. On sait que Clairaut, qui, le premier, eut
l'occasion d'en remarquer l'existence, y vit un paradoxe
de calcul intégral, puisque ces solutions ont pour carac-
tère propre de satisfaire aux équations différentielles sans
être néanmoins comprises dans les intégr<iles générales
correspondantes. Lagrange a, depuis, expliqué ce para-
doxe de la manière la plus ingénieuse et la plus satisfai-
sante, en montrant comment de telles solutions dérivent
toujours de l'intégrale générale par la variation des con*
CALCUL DES FONCTIONS INDIRECTES. MS
stanles arbitraires. Il a aussi, le premier, convenablement
apprécié l'importance de cette théorie, et c'est avec raison
qu'il lui a consacré, dans ses leçons sur k calcul des fane-
tims, un si grand développement. Sous le point de vue ra-
tionnel, cette théorie mérite en effet toute notre attention,
par le caractère de parfaite généralité qu'elle comporte,
puisque Lagrange a exposé des procédés invariables et fort
simples pour trouver la solution singulière ûe toute équation
différentielle quelconque qui en est susceptible ; et, ce qui
n'est pas moins remarquable, ces procédés n'exigent au-
cune intégration, consistant seulement dans des différen-
ciations, et par là même toujours applicables. La différen-
tiation est ainsi devenue, par un heureux artifice, un
moyen de suppléer dans certaines circonstances à l'im-
perfection du calcul intégral. En effets certains problèmes
exigent surtout, par leur nature^ la connaissance de ces
solutions singulières. Telles sont, par exemple, en géomé-
trie, toutes les questions où il s'agit de déterminer une
eonrbe d'après une propriété quelconque de sa tangente
ou de son cercle osculaleur. Dans tous les cas de ce genre,
après avoir exprimé cette propriété par une équation diffé-
rentielle, ce sera, sous le rapport analytique, l'équation
singulière qui constituera l'objet le plus important de la
recherche, puisqu'elle seule représentera la courbe de-
mandée, l'intégrale générale, qui devient dès lors inutile à
connaître, ne devant désigner autre chose que le système
des tangentes ou des cercles osculateurs de cette courbe.
On conçoit aisément, d'après cela, toute l'importance de
cette théorie, qui me semble n'être pas encore suffisam-
ment appréciée par la plupart des géomètres.
Enfin, pour achever de signaler le vaste ensemble de re-
cherches analytiques dont se compose le calcul intégral
proprement dit, il me reste à mentionner une théorie fort
A. CoMTi. Tome I. i S
216 M ATH ÉM ATIQUES,
importante dans toutes les applications de l'analyse trans"
cendante, que j'ai dû laisser en dehors du système comm^
n'étant pas réellement destinée à une véritable iulégration^
et se proposant, au contraire, de remplacer la connaissance
des intégrales vraiment analytiques, qui sont le plus sou-
vent ignorées. On voit qu'il s'agit de la détermination de»
intégrales définies.
L'expression, toujours possible, des intégrales en série»
indéûnies, peut d'abord être envisagée comme un heureux
moyen général de compenser souvent l'extrême imper»
fectîon du calcul intégral. Mais l'emploi de telles séries, k
cause de leur complication et de la difûcullé de découvrir
la loi de leurs termes, est ordinairement d'une médiocre
utilité sous le rapport algébrique, bien qu'on en ait déduit
quelquefois des relations fort essentielles. C'est surtout
sous le rapport arithmétique que ce procédé acquiert une
grande importance, comme moyen de calculer ce qu'on ap-
pela les intégrales définies^ c'est-à-dire les valeurs des
' fonctions cherchées pour certaines valeurs déterminées des
variables correspondantes.
Une recherche de celte nature correspond exactement,
dans l'analyse transcendante, à la résolution numérique
des équations dans l'analyse ordinaire. Ne pouvant obtenir
le plus souvent la véritable intégrale, celle qu'on nomme,
par opposition, l'intégrale générale ou indéfinie, c'est-
à-dire la fonction qui, différentiée, a produit la formule
diCTérentielle proposée, les analystes ont dû s'attacher à dé*
terminer, du moins, sans connaître une telle fonction, les
valeurs numériques particulières qu'elle prendrait en assi"
gnant aux variables des valeurs désignées. C'est évidem^
ment résoudre la question arithmétique, sans avoir préala^
blement résolu la question algébrique correspondante, qui «^
le plus souvent, estprécisément la plus importante. Unetell^
CALCUL DES FONCTIONS INDIRECTES. 117
analyse est donc, par sa nature, aussi imparfaite que nous
afons TU l'être la résolution numérique des équations. Elle
présente, comme celle-ci, une confusion vicieuse du point
de yue arithmétique avec le point de vue algébrique ; d'où
Téaultent, soit sous le rapport purement logique, soit rela-
tivement aux applications, des inconvénients analogues. Je
pais donc me dispenser de reproduire ici les considérations
indiquées dans la cinquième leçon au sujet de l'algèbre. On
conçoit néanmoins que, dans l'impossibilité où nous som-
mes presque toujours de connaître les véritables inté-
grales, il est de la plus haute importance d'avoir pu obte-
nir au moins cette solution incomplète et nécessairement
insuffisante. Or, c'est à quoi on est heureusement parvenu
aujourd'hui pour tous les cas, l'évaluation des intégrales
définies ayant été ramenée à des méthodes entièrement gé-
nérales, qui ne laissent à désirer, dans un grand nombre
d'occasions, qu'une moindre complication des calculs, but
vers lequel se dirigent aujourd'hui toutes les transforma-
tions spéciales des analystes. Regardant maintenant comme
parfaite cette sorte d'arithmétique transcendante^ la diffi-
culté, dans les applications, se réduit essentiellement à ne
fiûre dépendre finalement la recherche proposée que d'une
simple détermination d'intégrales définies, ce qui, évi-
demment, ne saurait être toujours possible, quelque ha-
bileté analytique qu'on puisse employer à effectuer une
transformation ainsi forcée.
Par l'ensemble des considérations indiquées dans cette
leçon, on voit que, si le calcul différentiel constitue, de sa
nature, un système limité et parfait auquel il ne reste plus
à ajouter rien d'essenlî^l, le calcul intégral proprement dit,
ou le simple traité de l'intégration, présente nécessaire-
ment un champ inépuisable à l'activité de l'esprit humain,
indépendamment des applications indéfinies dont Tana-
2«« MATHÉMATIQUES.
lyse transcendante est évidemment susceptible. Les motifs
généraux par lesquels j'ai tâché de faire sentir, dans la cin-
quième leçon, rimpossibilité de découvrir jamais la ré-
solution algébrique des équations d'un degré et d'une
forme quelconque, ont, sans aucun doute, infiniment plus
de force encore relativement à la recherche d'un procédé
unique d'intégration, invariablement applicable à tous les
cas. Cest^ dit Lagrange, un de ces problèmes dont on ne sau-
rait espérer de solution générale. Plus on méditera sur ce
sujets plus on sera convaincu, je ne crains pas de l'affir-
mer, qu*une telle recherche est totalement chimérique,
comme étant beaucoup trop supérieure à la faible portée
de notre intelligence, bien que les travaux des géomètres
doivent certainement augmenter dans la suite l'ensemble
de nos connaissances acquises sur l'intégration, et créer
aussi des procédés d'une plus grande généralité. L'analyse
transcendante est encore trop près de sa naissance, il y a sur-
tout trop peu de temps qu'elle est conçue d'une manière
vraiment rationnelle, pour que nous puissions nous faire
une juste idée de ce qu'elle pourra devenir un jour. Mais,
quelles que doivent être nos légitimes espérances, n'ou-
blions pas de considérer avant tout les limites imposées
par notre constitution intellectuelle, et qui, pour n'être
pas susceptibles d'une détermination précise, n'en ont
pas moins une réalité incontestable.
Au lieu de tendre à imprimer au calcul des fonctions
indirectes, tel que nous le concevons aujourd'hui, une
perfection chimérique, je suis porté à penser que, lorsque
les géomètres auront épuisé les applications les plus im-
portantes de notre analyse transce||dante actuelle, ils se
créeront plutôt de nouvelles ressources, en changeant le
mode de dérivation des quantités auxiliaires introduites
pour faciliter l'établissement des équations, et dont la
CALCUL DES F0NCTI0r9S INDIRECTES. 19»
formation pourrait suivre une infinité d'autres lois que la
relation très-simple qui a élé choisie, d'après une concep-
tion que j'ai déjà indiquée dans la quatrième leçon. Les
moyens de cette nature me paraissent susceptibles en
eux-mêmes, d'une plus grande fécondité que ceux qui
consisteraient seulement à pousser plus loin notre calcul
actuel des fonctions indirectes. C'est une pensée que je
soumets aux géomètres dont les méditations se sont tour-
nées vers la philosophie générale de l'analyse.
Du reste, quoique j'aie dû, dans l'exposition sommaire
qui était l'objet propre de celte leçon, rendre sensible
l'état d'extrême imperfection où se trouve encore le calcul
intégral, on aurait une fausse idée des ressources géné-
rales de l'analyse transcendante, si on accordait à celte
considération une trop grande importance. Il en est ici, en
effet, comme dans l'analyse ordinaire, où Ton est parvenu
à utiliser, à un degré immense, un très-petit nombre de
connaissances fondamentales sur la résolution des équa-
tions. Quelque peu avancés qu'ils soient réellement jus-
qu'ici dans la science des intégrations, les géomètres n'en
ont pas moins tiré, de notions abstraites aussi peu multi-
pliées, la solution d'une multitude de questions de pre-
mière importance en géométrie, en mécanique, en ther-
mologie, etc. L'explication philosophique de ce double
fait général résulte de l'importance et de la portée néces-
sairement prépondérantes des connaissances abstraites,
dont la moindre se trouve naturellement correspondre à
une foule de recherches concrètes, l'homme n'ayant d'au-
tre ressource pour l'extension successive de ses moyens
intellectuels, que dans la considération d'idées de plus en
plus abstraites et néanmoins positives.
Pour achever de faire connaître, dans toute son étendue,
le caractère philosophique de l'analyse transcendante, il
180 M ATnÉM ATIQUES •
me reste à considérer une dernière conception par laquelle
l'immortel Lagrange, que nous retrouvons sur toutes les
grandes voies de la science mathématique, a rendu cette
analyse encore plus propre à faciliter l'établissement des
équations dans les problèmes les plus difficiles, en consi-
dérant une classe d'équations encore plus indirectes que
les équations différentielles proprement dites. C'est le cal-
cul ou plutôt la méthode des variations^ dont l'appréciation
générale sera l'objet de la leçon suivante.
HUITIÈME LEÇON
— Considérations générales sur le calcul des ▼ariations.
Afin de saisir avec plus de facilité le caractère philoso-
phique de la méthode des variations, il convient d'abord
de considérer sonimairenient la nature spéciale des pro-
blèmes dont la résolution générale a nécessité la formation
de cette analyse hyper-transcendante. Ce calcul est encore
trop près de son origine, les applications en ont été jus-
qu'ici trop peu variées, pour qu'on pût en concevoir une
idée générale suffisamment claire, si je me bornais à une
exposition purement abstraite de sa théorie fondamentale,
bien qu'une telle exposition doive être ensuite, sans au-
cun doute, l'objet principal et définitif de cette leçon.
Les questions mathématiques qui ont donné naissance
^ucalcul des variations consistent, en général, dans la re-
cherche des maxima et des minima de certaines formules
intégrales indéterminées, qui expriment la loi analytique
de tel ou tel phénomène géométrique ou mécanique, con-
sidéré indépendamment d'aucun sujet particulier. Les
géomètres ont désigné pendant longtemps toutes les ques-
tions de ce genre par le nom commun de problèmes des
isopérimètres y qui ne convient cependant qu'au plus petit
nombre d'entre elles.
Dans la théorie ordinaire des maxima et minima^ on se
propose de découvrir, relativement à une fonction donnée
d'une seule ou de plusieurs variables, quelles valeurs par-
231 MATHÉMATIQUES.
tîculières il fant assigner à ces variables pour que la va-
leur correspondante de la fonction proposée soit un maxi-
mun\ ou un minimum^ par rapport à celles c(ui précèdent et
qui suivent immédiatement, c'est-à-dire qu'on ^cherche, à
proprement parler, à quel instant la fonction cesse de
croître pour commencer à décroître, ou réciproquement.
Le calcul différentiel suffît pleinement, comme on sait, à
la résolution générale de cette classe de questions, en
montrant que les valeurs des diverses variables qui con-
viennent, soit au maximum^ soit au minimum^ doivent tou-
jours rendre nulles les différentes dérivées du premier
ordre de la fonction donnée, prises séparément par rap-
port à chaque variable indépendante; et en indiquant de
plus un caractère propre à distinguer le maximum du mt-
nimumy qui consiste, dans le cas d'une fonction d*une seule
variable, par exemple, en ce que la fonction dérivée du se-
cond ordre doit prendre une valeur négative pour le maxi-
mum, et positive pour le minimum. Telles sont, du moins,
les conditions fondamentales qui se rapportent au plus
grand nombre des cas ; les modifications qu'elles doivent
subir, pour que la théorie soit complètement applicable à
certaines questions, sont d'ailleurs également assujetties
à des règles abstraites aussi invariables, quoique plus
compliquées.
La construction de cette théorie générale ayant fait dis-
paraître nécessairement le principal intérêt que les ques-
tions de ce genre pouvaient inspirer aux géomètres, ils se
sont élevés presque aussitôt à la considération d'un nouvel
ordre de problèmes, à la fois beaucoup plus importants et
d'une difficulté bien supérieure, ceux des isopérimètres. Ce
ne sont plus alors les valeurs des variables propres au maxi-
mum ou au minimum d'une fonction donnée, qu'il s*agit de
déterminer. C'est la forme de la fonction elle-même qu'on
CALCUL DES VARIATIONS. %%%
propose de découvrir, d'après la condition du maximum
oodu minimum d*une certaine intégrale définie, seulement
indiquée, qui dépend de cette fonction.
La plus ancienne question de cette nature est celle du so-
lide de nioindre résistance, traitée par Newton, dans le
second livre des Principes^ où il détermine quelle doit être
la courbe méridienne d'un solide de révolution^ pour que
la résistance éprouvée par ce corps dans le sens de son axe,
en traversant avec une vitesse quelconque un fluide im*
mobile, soit le plus petite possible. Mais la marche suivie
par Newlon n'avait point un caractère assez simple, assez
général et surtout assez analytique, par la nature de sa
méthode spéciale d'analyse transcendante, pour qu'une
telle solution pût suffire à entraîner les géomètres vers ce
nouvel ordre de problèmes. L'impulsion vraiment décisive
à cet égard ne pouvait guère partir que de l'un des géomè-
tres occupés sur le continent à élaborer et à appliquer la
méthode infinitésimale proprement dite. C'est ce que fit,
en 4695, Jean Bernouilli, en proposant le problème célèbre
de la brachystochrone, qui suggéra depuis une si longue
suite de questions analogues. Il consiste à déterminer la
courbe qu'un corps pesant doit suivre pour descendre d'un
pmnt à un autre dans le temps le plus court. En se bor-
nant à la simple chute dans le vide, seul cas qu'on ait d'à*
bord considéré, on trouve assez facilement que la courbe
cherchée doit être une cycloïde renversée, à base horizon-
tale» ayant son origine au point le plus élevé. Mais la ques-
tion peut être singulièrement compliquée, soit en ayant
égard à la résistance du milieu, soit en tenant compte du
changement d'intensité delà pesanteur.
Quoique cette nouvelle classe de problèmes ait été pri-
mitivement fournie par la mécanique, c'est néanmoins
dans la géométrie qu'on a puisé plus tard les sujets des
tlk MATHÉMATIQUES.
principales recherches. Ainsi, on s'est proposé de décou—
\rir, parmi toutes les courbes de môme contour (racées en —
Ire deux points donnés^ quelle est celle dont l'aire est un
maximun ou un minimuny d'où est venu proprement le
nom de problème des ipérimètres ; on bien on a demandé
que le maximum et le minimum eussent lieu pour la surface
engendrée par la révolution de la courbe cherchée autour
d'un axe ou pour le volume correspondant ; dans d'autres
cas, c'était la hauteur verticale du centre de gravité de la
courbe inconnue, ou de la surface et du volume qu'elle
pouvait engendrer, qui devait devenir un moxrmum ou un
minimum, etc. EnGn, ces problèmes ont été successive-
ment variés et compliqués, pour ainsi dire à l'infini, par
les Bernouilli^ par Taylor, et surtout par Euler, avant que
Lagrange en eût assujetti la solution à une mélhode ab-
straite et entièrement générale, dont la découverte a fait
cesser l'empressement des géomètres pour un tel ordre de
recherches. 11 ne s'agit point ici de tracer, même sommai-
rement rhistoire de cette partie supérieure des mathéma-
tiques, quelque intéressante qu'elle fût. Je n'ai fait l'énumé-
ralion de certaines questions principales choisies parmi
les plus simples, qu'afin de rendre sensible la destioalion
générale qu'avait essentiellement, à son origine, la mé-
thode des variations.
On voit que, considérés sous le point de vue analytique,
tous ces problèmes consistent^ par leur nature^à détermi-
ner quelle forme doit avoir une certaine fonction inconnue
d'une ou plusieurs variables, pour que telle ou telle ioté*
grale dépendante de cette fonction se trouve avoir, entre
des limiles assignées, une valeur qui soit un moûcimum ou
un minimum, relativement à toutes celles qu'elle prendrait,
si la fonction cherchée avait une autre forme quelconque.
Ainsi, par exemple, dans le problème de la brachjsto— ^
CALCUL DES VARIATIONS. 385
chrone, od sait que siy = f (z), x = 9 (z), sont les équa-
tions reclilignes de la courbe cherchée, en supposant les
axes des x et des y horizontaux, et Taxe des z vertical, le
temps de la chute d'un corps pesant le long de celte courbe,
depuis le point dont l'ordonnée est z, jusqu'à celui dont
Tordonnéc est z, est généralement exprimé par l'intégrale
définie (1):
^'1
I + (A (i) )« + (c.' u) )« ^^
n faut donc trouverquelles doivent ôtreles deux fonctions
inconnues /*et 9 pour que cette intégrale soit un minimum.
De même, demander quelle est^ parmi toutes les courbes
planes isopérimètres, celle qui renferme la plus grande
aire, c'est proposer de trouver, parmi toutes les fonctions
f{x) qui peuvent donner à l'intégrale
J'rfx 1/ i + (/' (X) )«
une certaine valeur constante, celle qui rend un maximum
Hnlégrale / f{x) dxy prise entre les mômes limites. Il en
est évidemment toujours ainsi dans toutes les autres ques-
tions de ce genre.
Dans les solutions que les géomètres donnaient de ces
problèmes avant Lagrange, on se proposait essentiellement
de les ramener à la théorie ordinaire des maxima et mi-
nima. Mais les moyens employés pour elTectuer cette trans*
formation consistaient en de simples artifices particuliers,
propres à chaque cas, et dont la découverte ne comportait
point de règles invariables et certaines, en sorte que toute
(I) J*emp]oie It notation simple et lumineuse propos(5e par Fourier
pour désigner les intégrales définies, en mentionnant distinctement leurs
limites.
386 MATHÉMATIOUBS.
question vraiment nouvelle reproduisait constamment de^
difficultés analogues, sans que les solutions déjà obtenues
pussent être réellement d'aucun secours essentiel, autre —
ment que par les habitudes qu*elles avaient fait contracter-
à rintelligence. En un mot, cette branche des malhémati —
ques présentait alors Timperfection nécessaire qui exist
constamment tant qu'on n'est point parvenu à saisir distinc
tement, pour la traiter d'une manière absiraite et dès lor
générale, la partie commune à toutes les questions d'un
même classe.
En cherchant à réduire tous les divers problèmes des is
périnièlresà dépendre d'une analyse commune^ organisé
abstiailement en un calcul distinct, Lagrange a été conduite
à concevoir une nouvelle nature de différentiations, aux^
quelles il a appliqué la caractéristique B, en réservant la
caractéristique ^pour les simples difTérenlielles ordinaires.
Ces diCférentielles d'une espèce nouvelle, qu'il a désignées
sous le nom de variations^ consistent dans les accroisse-
ments infiniment petits que reçoivent les intégrales, non
en vertu d'accroissements analogues de la part des va-
riables correspondantes, comme pour l'analyse transcen-
dante ordinaire, mais en supposant que la forme de la
fonction placée sous le signe d'intégration vienne à changer
infiniment peu. Cette distinction se conçoit, par exemple,
avec facilité, relativement aux courbes, où l'on voit For-
donnée ou toute autre variable de la courbe, comporter
deux sortes de différentielles évidemment très-différentes,
suivant que l'on passe d'un point à un autre infiniment
voisin sur la même courbe, ou bien au point correspon-
dant de la courbe infiniment voisine produite par une
certaine modification déterminée de la première (1). Il est
(I) Leibnitz avait déjà considéré la comparaisoa d'une courbe à aoe
autre infinimeoc voisine; c'est ce qu'il appelait differentiatio de
CALCUL DES VARIATIOMS. 387
dair, du reste, que, par leur ualure, les variations relatives
de diverses grandeurs liées entre elles par des lois quel-
conques, se caiculeot, à la caracléristique près, exacte-
ment de la môme manière que les différentielles. Enfin,
on déduit également de la notion générale des variations
les principes fondamentaux de Talgorithme propre à cette
méthode et qui consistent simplement dans la faculté évi-
dente de pouvoir transposer à volonté les caractéristiques
spécialement affectées aux variations avant ou après celles
qui correspondent aux différentielles ordinaires.
Cette conception abstraite une fois formée, Lagrange a
po réduire aisément, de la manière la plus générale, tous
let problèmes des isopérimètres à la simple théorie or-
dinaire des maxima et des mmima. Pour se faire une idée
nette de cette grande et heureuse transformation, il faut
préalablement considérer une distinction essentielle à la-
quelle donnent lieu les diverses questions des isopéri-
mëtres.
On doit, en effet, partager ces recherches en deux classes
générales, selon que les maxima et minima demandés sont
abtolus ou relatifs, pour employer les expressions abrégées
des géomètres. Le premier cas est celui où les intégrales
définies indéterminées dont on cherche le maximum ou le
minimum, ne sont assujetties, par la nature du problème,
à aucune condition ; comme il arrive, par exemple, dans
le problème de la brachystochrone, où il s'agit de choisir
entre toutes les courbes imaginables. Le second cas a lieu,
quand, au contraire, les intégrales variables ne peuvent
changer que suivant certaines conditions, consistant or-
éi cmrvnm. Mais cette comparaison n^ayait aucune analogie avec la con-
eeption de Lagrange, les courbes de Leibnitz étant renfermées dans une
nême équiiion générale, d*où elles se déduisent par le simple changement
d'vne constante arbitraire.
288 MATHÉMATIQUES.
dinairement en ce que d'autres intégrales définies, dépen-
dant également des fonctions cherchées, conservent con-
stamment une même valeur donnée; comme, par exemple,
dans toutes les questions géométriques concernant les
figures isopérimètres proprement dites, et où, par la natore
du problème, l'intégrale relative à la longueur de la courbe
ou à l'aire de la surface, doit rester constante pendant le
changement de celle qui est l'objet de la recherche pro-
posée.
Le calcul des variations donne immédiatement la solu-
tion générale des questions de la première espèce. Car il
suit évidemment de la théorie ordinaire des maxima et
minimay que la relation cherchée doit rendre nulle la va-
riation* de Tintégrale proposée par rapport à chaque va-
riable indépendante, ce qui donne la condition commune
au maximum et au minimum ; et, comme caractère propre
à distinguer l'un de l'autre, que la variation du second
ordre de la môme intégrale doit être négative pour le
maximum et positive pour le minimum. Ainsi, par exemple,
dans le problème de la brachyslochrone, oh aura, pour
déterminer la nature de la courbe cherchée, l'équation de
condition :
qui, se décomposant en deux, par rapport aux deux fonc-
tions inconnues /" et cp qui sont indépendantes l'une de
l'autre, exprimera complètement la définition analytique
de la courbe demandée. La seule difGcullé propre à cette
nouvelle analyse consiste dans l'élimination de la caracté-
ristique $, pour laquelle le calcul des variations fournit des
règles invariables et complètes, fondées, en général, sur
CALCUL DES VARIATIONS. tSf
le procédé de l'intégration par parties, dont Lagrange a su
tirer ainsi un parti immense. Le but constant de cette pre-
mière élaboration analytique, dans l'exposition de laquelle
je ne dois nullement entrer ici, est de faire parvenir aux
équations différentielles proprement dites, ce qui se peut
toujours, et par là la question rentre dans le domaine de
l'analyse transcendante ordinaire, qui achève la solution,
du moins en la ramenant à l'algèbre pure, si on sait effec*
tuer l'intégration. La destination générale, propre à la mé-
thode des variations, est d'opérer celte transformation,
pour laquelle Lagrange a établi des règles simples, inva-
riables, et d'un succès toujours assuré.
Je ne dois pas négliger, dans cette rapide indication gé-
nérale, de faire remarquer comme un des plus grands
avantages spéciaux de la méthode des variations comparée
aux solutions isolées qu'on avait auparavant des problèmes
des isopérimètres, l'importante considération de ce que
Lagrange appelle les équations aux limites, entièrement né-
gligées avant lui, et sans lesquelles néanmoins la plupart
des solutions particulières restaient nécessairement incom-
plètes. Quand les limites des intégrales proposées doivent
êtres fixes, leurs variations étant nulles, il n'y a pas lieu
d'en tenir compte. Mais il n'en est plus ainsi quand ces li-
mites, au lieu d'être rigoureusement invariables, sont assu-
jetties seulement à certaines conditions ; comme, par
exemple, si les deux points entre lesquels doit être tracée
la couibe cherchée ne sont pas fixes, et doivent seulement
rester sur des lignes ou des surfaces données. Âlors^ il
faut avoir égard aux variations de leurs coordonnées, et
établir entre elles les relations correspondantes aux équa-
tions de ces lignes ou de ces surfaces.
Celte considération essentielle n'est que le dernier com-
plément d'une considération plus générale el plus impor-
•40 MATHÉMATIQUES.
tante relative aux variations des diverses variables indé-
pendantes. Si ces variables sont réellement indépendante!
les unes des autres, comme lorsqu'on compare toutes les
courbes imaginables susceptibles d'être tracées entre deu:
points, il en sera de même de leurs variations^ et par suiti
les termes relatifs à chacune de ces variations devront ôtn
séparément nuls dans Téquation générale qui exprime Ii
maximum ou le minimum. Mais si, au contraire, on sup-
pose les variables assujetties à de certaines condition
quelconques, il faudra tenir compte de la relation qui ei
résulte entre leurs variations, de telle sorte que le nomb
des équations dans lesquelles se décompose alors cettes
équation générale soit toujours égal à celui seulement de^
variables qui restent vraiment indépendantes. C'est ainsi,
par exemple, qu'au lieu de chercher le plus court chemin,
pour aller d'un point à un autre, en choisissant parmi toas^
les chemins possibles, on peut se proposer de trouver sen*
lement quel est le plus court entre tous ceux qu'on peut
suivre sur une surface quelconque donnée, question dont la.
solution générale constitue certainement une des plus
belles applications de la méthode des variations.
Les problèmes où l'on considère de telles conditions
modificatrices se rapprochent beaucoup, par leur nature,
de la seconde classe générale d'applications de la méthode
des variations, caractérisée ci-dessus comme consistant
dans la recherche des maxima et minima relatifs. Il y a
néanmoins, entre les deux cas, cette différence essentielle,
que, dans ce dernier, la modification est exprimée par une
intégrale qui dépend de la fonction cherchée, tandis qae,
dans l'autre, elle se trouve désignée par une équation finie
qui est immédiatement donnée. On conçoit, par là, que la
recherche des maxima et minima relatifs est toujours et-
nécessairement plus compliquée que celle des maxima et
CALCUi. DES YA&IATIONS. 141
HÛAÎma aàsalus» Heureusemenl, un théorème général ferl
important, troavé avant l'invention dn calcul des varia-
lions, et qui est une des [dus belles découvertes dues au
génie du grand Euler, donne un moyen uniforme et tr es-
simple de faire rentrer ces deux classes de questions Time
dans l'autre. Il consiste en ce que, si Ton ajoute à l'intégrale,
qui doit être un maximum ou un minimum^ mi mnltiplc
constant et indéterminé de celle qui doit rester constante
par la nature du problème, il suffira de chercher, suivant
le procédé général de Lagrange, ci-dessus indiqué, le
maximum ou le minimum absolu de cette expression totale
On peut aisément concevoir, en effet, que la partie de ht
variation complète qui proviendrait de la dernière inté^
grale doit aussi bien être nulle, à cause de la constance de
celle-ci, que la portion due à la première intégrale, qui
s'anéantit en vertu de Tétât maximum ou minimum. Ces
deux conditions distinctes s'accordent évidemment pour
produire, sous ce rapport, des effets exactement sem*-
blables.
Telle est, par aperçu, la manière générale dont la mé-
thode des variations s'applique à toutes les diverses ques-
tions qui composent ce qu'on appelait la théorie des iso-
périmètres. On aura sans doute remarqué^ dans cette
exposition sommaire, à quel degré s'est trouvée utilisée
par cette nouvelle analyse la seconde propriété fondamen-
tale de l'analyse transcendante, appréciée dans la sixième
leçon, savoir : la généralité des expressions infinitésimales
pour représenter un môme phénomène géométrique ou
mécanique, en quelque corps qu'il soit considéré. C'est, en
effet, sur cette généralité que sont fondées, par leur nature,
toutes les solutions dues à la méthode des variations. Si
one formule unique ne pouvait point exprimer k longueur
ou l'aire de toute courbe quelconque, si on n'avait point
A. €oHTB. Tome I. iO
343 * MATHÉMATIQUES.
une autre formule fixe pour désigner le temps de la chute
d'un corps pesant, suivant quelque ligne qu'il des-
cende, etc., comment eût-il été possible de résoudre des
questions qui exigent inévitablement, par leur nature, la
considération simultanée de tous les cas que peuvent dé-
terminer dans chaque phénomène les divers sujets qui le
manifestent?
Quelle que soit l'extrême importance de la théorie des
isopérimètres, et quoique la méthode des variations n'ait
eu primitivement d'autre objet que la résolution ration-
nelle et générale de cet ordre de problèmes, on n'aurait
cependant qu'une idée incomplète de cette belle analyse,
si on bornait là sa destination. En effet, la conception
abstraite de deux natures distinctes de différentiations est
évidemment applicable non-seulement aux cas pour les-
quels elle a été créée, mais aussi à tous ceux qui présen-
tent, par quelque cause que ce soit, deux manières diffé-
rentes de faire varier les mômes grandeurs. C'est ainsi que
Lagrangc lui-môme a fait, dans sa mécanique analytique^
une immense application capitale de son calcul des va-
riations, en l'employant à distinguer les deux sortes de
changements que présentent si naturellement les questions
de mécanique rationnelle pour les divers points que l'on
considère, suivant que l'on compare les positions succes-
sives qu'occupe, en vertu du mouvement, un môme point
de chaque corps dans deux instants consécutifs, ou que
l'on passe d'un point du corps à un autre dans le môme
instant. L'une de ces comparaisons produit les différen-
tielles ordinaires; l'autre donne lieu aux variations, qui ne
sont, là comme partout, que des différentielles prises sous
un nouveau point de vue. C'est dans une telle acception
générale qu'il faut concevoir le calcul des variations, pour
apprécier convenablement l'importance de cet admirable
CALCUL DES VARIATIONS. 148
iostrament logique, le plus paissant qoe l'esprit hamain
ail construit josqu'ici.
La méthode des variations n'étant qu'une immense
extension de l'analyse transcendante générale, je n'ai pas
besoin de constater spécialement qu'elle est suscepti-
ble d'être envisagée sous les divers points de vue fon-
damentaux que comporte le calcul des fonctions indi-
rectes, considéré dans son ensemble. Lagrange a inventé
le calcul des variations d'après la conception infinité-
simale proprement dite, et même bien avant d'avoir
entrepris la reconstruction générale de l'analyse trans-
cendante. Quand il eut exécuté cette importante réfor-
matîoDy il montra aisément comment elle pouvait aussi
s'appliquer au calcul des variations, qu'il exposa avec
tout le développement convenable, suivant sa théorie
des fonctions dérivées. Mais plus l'emploi de la mé-
thode des variations est difficile pour l'intelligence à cause
du degré d'abstraction supérieur des idées considérées,
plus il iinporte de ménager dans son application les
forces de notre esprit, en adoptant la conception ana*
lytique la plus directe et la plus rapide, c'est-à-dire celle
de Leibnitz. Aussi Lngrange lui-môme Ta-t-il constamment
prérérée dans l'important usage qu'il a fait du calcul des va-
riations pour la mécanique anal y tique. Il n'existe pas, en i^fTet,
la moindre hésitation h cet égard parmi les géomètres.
Afin d'éclaircir aussi complètement que possible le ca-
ractère philosophique du calcul des variations, je crois de-
voir terminer en indiquant sommairement ici une consi-
dération qui me semble importante, et par laquelle je puis
le rapprocher de l'analyse transcendante ordinaire à un
plus haut degré que Liigrangc ne me paraît l'avoir fait (I).
(1) Je me propose de développer plus tard ceue considération nouvelle,
dans un travail spécial sur le co/cu/ de$ variationi^ qui a pour objet de
344 MATHÉMATIQUES.
Nous avons remarqué, d'après Lagrange, dans la leçon
précédente, la formation du calcul aux différences par-
tielles, créé par d'Alembert, comme ayant introduit,
dans l'analyse transcendante, une nouvelle idée élémen-
taire, la notion de deux sortes d'accroissements distincts
et indépendants les uns des autres que peut recevoir une
fonction de deux variables, en vertu du changement de
chaque variable séparément. C'est ainsi que l'ordonnée
verticale d'une surface, ou toute autre grandeur qui s'y
rapporte, varie de deux manières tout à fait distinctes et
qui peuvent suivre les lois 1rs plus diverses, en faisant
croître tantôt l'une, tantôt l'autre des deux coordonnées
horizontales. Or une telle considération me semble très-
rapprochée, par sa nature, de celle qui sert de base géné-
rale à la méthode des variations. Celle-ci, en effet, n'a
réellement fait autre chose que transporter aux variables
indépendantes elles-mêmes la manière de voir déjà
adoptée pour les fonctions de ces variables, ce qui en a
singulièrement agrandi l'usage. Je crois, d'après cela,
que, sous le seul rapport des conceptions fondamenta-
les, on peut envisager le calcul créé par d'Alembert,
comme ayant établi une transition naturelle et nécessaire
entre le calcul infinitésimal ordinaire et le calcul des va-
riations, dont une telle filiation me paraît devoir éclaircir
et simplifier la notion générale.
D'après les diverses considérations indiquées dans celte
leçon, la méthode des variations se présente comme le
plus haut degré de perfection connu jusqu'ici de l'analyse
des fonctions indirectes. Dans son état primitif, cette der-
nière analyse s'est présentée comme un puissant moyen
présenter Tensemble de cette analjrse hyper-transcendante sous an non*
veau point de vue, que Je crois propre à en étendre la portée générale.
CALCUL DBS PARUTIONS. 145
géoéral de faciliter l'étude mathématique des phénomènes
naturels, en introduisant, pour l'expression de leurs lois, la
considération de grandeurs auxiliaires choisies de telle
manière, que leurs relations soient nécessairement plus
simples et plus aisées à obtenir que celles des grandeurs
^lircctes. Mais la formation de ces équations différentielles
n'était point conçue comme pouvant comporter aucunes
règles générales et abstraites. Or l'analyse des variations,
-considérée sous le point de vue le plus philosophique,
peut être envisagée comme essentiellement destinée, par
-sa nature, à. faire rentrer, autant que possible, dans le
«lomaine du calcul, rétablissement même des équations dif-
férentielles, car tel est, pour un grand nombre de ques-
tions importantes et difficiles, l'effet générai des équa-
tions variées qui, encore plus indirectes que les simples
équations différenlieiles par rapport aux objets propres de
la recherche, sont aussi bien plus aisées à former, et des-
quelles on peut ensuite, par des procédés analytiques in-
variables et complets, destinés à éliminer le nouvel ordre
d'infinitésimales auxiliaires introduit, déduire ces équa-
tions différentielles ordinaires, qu'il eût été souvent im-
possible d'établir immédiatement. La méthode des varia-
tions constitue donc la partie la plus sublime de ce vaste
système de l'analyse mathématique qui, partant des plus
simples éléments de l'algèbre, organise, par une succes-
sion d'idées non interrompue, des moyens généraux de
plus en plus puissants pour l'étude approfondie de la phi-
losophie naturelle, et qui, dans son ensemble, présente,
sans aucune comparaison, le monument le plus imposant
et le moins équivoque de la portée de l'esprit humain.
Maisil faut reconnaître aussi que les conceptions habituel-
lement considérées dans la méthode des variations étant,
par leur nature, plus indirectes, plus générales, et surtout
346 MATHÉMATIQUES.
beaucoup plus abstraites que toutes les autres, l'emploi
d'une telle méthode exige nécessairement, et d'une ma-
nière soutenue, le plus haut degré connu de contention
intellectuelle, pour ne jamais perdre de vue l'objet précis
de la recherche en suivant des raisonnements qui offrent à
l'esprit des points d'appui aussi peu déterminés et dans
lesquels les signes ne sont presque jamais d'aucun secours.
On doit, sans doute, attribuer en grande partie à celte dif-
ficulté nécessaire le peu d*usage réel que les géomètres,
excepté Lagrange, ont fait jusqu'ici d'une conception aussi
admirable.
NEUVIÈME LEÇON
Sommaire. — Considérations générales sur le calcul anz différences
finies.
Les diverses considérations fondamentales indiquées
dans les cinq leçons précédentes constituent réellement
toutes les bases essentielles d'une exposition complète de
l'analyse mathématique, envisagéesous le point de vue phi-
losophique. Néanmoins, pour ne négliger aucune concep-
tion générale vraiment importante relative à cette analyse,
je crois devoir, avant de passera Télude philosophique de
la mathématique concrète, expliquer très-sommairement
le véritable caractère propre à un genre de calcul fort
étendu, et qui, bien que rentrant au fond dans l'analyse
ordinaire, est cependant encore regardé comme étant
d'une nature essentiellement distincte. Il s'agit dé ce qu'on
appelle le calcul aux différences finies, qui sera le sujet spé-
cial de celte leçon.
Ce calcul, créé par Taylor, dans son célèbre ouvrage in-
titulé méthodes incrumentorum, consiste essentiellement,
comme on sait, dans la considération des accroissements
finis que reçoivent les fonctions par suite d'accroissements
analogues de la part des variables correspondantes. Ces ac-
croissements ou différences^ auxquels on applique la carac-
térisque A, pour les distinguer des différentielles ou ac-
croissements infiniment petits, peuvent être, à leur tour,
envisagés comme de nouvelles fonctions, et devenir le
948 MATUÉM ATIQUES.
sujet d'une seconde considération semblable, et ainsi de
suite, d*où résulte la notion des différences des divers
ordres successifs, analogues, au moins «n apparence, aux
ordres consécutifs des différentielles. Un tel calcul pré-
sente, évidemment, comme le calcul des fonctions indi-
rectes, deux classes générales de questions : 1* déterminer
les différences successives de toutes les diverses fonctions
analytiques à une ou à plusieurs variables, en résultat d*un
mode d'accroissement défini des variables indépendantes,
que Ton suppose, en général, augmenter en progression
arithmétique; 2* réciproquement, en partant de ces diffé-
rences, ou, plus généralement, d'équations quelconques
établies entre elles, remonter aux fonctions primitives
elles-mêmes, ou à leurs relations correspondantes. D'où la
décomposition de ce calcul total en deux calculs distincts,
auxquels on donne ordinairement les noms de cakul direct
aux différences finies, et de calcul inverse aux différences fi-
nieSy ce dernier étant aussi appelé quelquefois calcul inté-
gral aux différences finies. Chacun de ces deux calculs serait
d'ailleurs évidemment susceptible d'une distribution ra-
fronnelle semblable à celle exposée dans la septième leçon
pour le calcul différentiel et le calcul intégral, ce qui me
dispense d'en faire une mention distincte.
Il n'est pas douteux que, par une telle conception, Tay-
loracru fonder un calcul d'une nature entièrement nou-
velle, absolument distinct de l'analyse ordinaire, et plus
généra] que le calcul de Leibnitz, qnoique consistant dans
une considération analogue. C'est aussi de cette manière
que presque tous les géomètres ont jugé l'analyse de Tay-
lor. Mais Lagrange, avec sa profondeur habituelle, a clai-
rement aperçu que ces propriétés appartenaient bien plus
aux formes et aux notations employées par Taylor qu'au
fond même de sa théorie. En effet, ce qui fait le caractère
CALCUL AUX DIFfÉftBHCBS FIIfIBS. lit
propre de Tanalyse de Leiboits, et la constitue en un calcul
Traimeot distinct et supérieur, c'est que les fonctions dé-
rivées sont, en général, d'une tout autre nature que les
fonctions primitives, en sorte qu'elles peuvent donner lieu
à des relations plus simples et d'une formation plus facile,
d*oà résultent les admirables propriétés fondamentales de
l'analyse transcendante, expliquées dans les leçons pré-
cédentes* Mais il n'en est nullement ainsi pour les diffé-
rence» considérées par Taylor. Car ces différences sont,
par leur nature, des fonctions essentiellement semblables
à celles qui les ont engendrées, ce qui les rend impropres
i faciliter l'établissement des équations, et ne leur permet
pas davantage de conduire à des relations plus générales.
Toute équation aux différences finies est vraiment, au
fiond, une équation directement relative aux grandeurs
mêmes dont on compare les états successifs. L'échafau-
dage de nouveaux signes, qui fait illusion sur le véritable
caractère de ces équations, ne le déguise cependant que
d*ane manière fort imparfaite, puisqu'on pourrait toujours
le mettre aisément en évidence en remplaçant constam-
ment les différences par les combinaisons équivalentes des
grandeurs primitives, dont elles ne sont réellement autre
chose que les désignations abrégées. Aussi le calcul de
Taylor n'a-t-il jamais offert et ne peut-il offrir, dans aucune
question de géométrie ou de mécanique, ce puissant se-
cours général que nous avons vu résulter nécessairement
de l'analyse de Leihnitz. Lagrange a, d'ailleurs, très-nette-
ment établi que la prétendue analogie observée entre le
calcul aux différences et le calcul infinitésimal est radi-
calement vicieuse, en ce sens que les formules propres au
premier calcul ne peuvent nullement fournir, comme cas
particuliers, celles qui conviennent au second, dont la na-
ture est essentiellement distincte.
s 50 MATHÉMATIQUES. '
D'après l'ensemble des considérations que je viens d'in-
diquer, je crois que le calcul aux différences finies est or-
dinairement classé à tort dans l'analyse transcendante
proprement dite, c'est-à-dire dans le calcul des fonctions
indirectes. Je le conçois, au contraire, en adoptant pleine-
ment les importantes réflexions de Lagrange, qui ne sont
pas encore surfisamment appréciées, comme étant seule-
ment une branche très-étendue et fort importante de l'a-
nalyse ordinaire, c'est-à-dire de ce que j'ai nommé le cal-
cul des fonctions directes. Tel est, en effet, ce me semble,
son vrai caractère philosophique, que les équations qu'il
considère sont toujours, malgré la notation, de simples
équations directes.
En précisant, autant que possible, l'explication précé-
dente, on doit envisager le calcul de Taylor comme ayant
constamment pour véritable objet la théorie générale des
suites, dont, avant cet illustre géomètre, on n'avait encore
considéré que les cas les plus simples. J'aurais dû, rigou-
reusement, mentionner cette importante théorie en trai-
tant, dans la cinquième leçon, de l'algèbre proprement
dite, dont elle est une branche si étendue. Mais, afin d'é-
viter tout double emploi, j'ai préféré ne la signaler qu'en
considérant le calcul aux différences finies, qui, réduit à sa
plus simple expression générale, n'est autre chose, dans
toute son étendue, qu'une étude rationnelle complète des
questions relatives aux suites.
Toute suite, ou succession de nombres déduits les uns
des autres d'après une loi constante quelconque, donne
lieu nécessairement à ces deux questions fondamentales :
i** la loi de la suite étant supposée connue, trouver l'expres-
sion de son terme général, de manière à pouvoir calculer
immédiatement un terme d'un rang quelconque, sans être
obligé de former succe^ivement tous les précédents;
CALCUL AUX DIFFÉRENCES FINIES. t51
^ dans les mêmes circonstances, déterminer la somme
d'un nombre quelconque de termes de la suite en fonction
<)e leurs rangs, en sorte qu'on puisse la connaître sans être
forcé d'ajouter continuellement ces termes les uns aux au-
tres. Ces deux questions fondamentales étant supposées
résolues, on peut en outre se proposer réciproquement de
trouver la loi d'une série d'après la forme de son terme
général, ou l'expression de la ^omme. Chacun de ces di-
vers problèmes comporte d'autant plus d'étendue et de
difûculté, que l'on peut concevoir un plus grand nombre
de lois différentes pour les séries, suivant le nombre de
termes précédents dont chaque terme dépend immédiate-
ment, et suivant la fonction qui exprime cette dépendance.
On peut même considérer des séries à plusieurs indices
variables, comme Ta fait iKiplace dans la théorie analytique
dei probabilités^ par l'analyse à laquelle il a donné le nom
de théorie des fonctions génératrices^ bien qu'elle ne soit
réellement qu'une branche nouvelle et supérieure du cal-
cal aux différences finies, ou de la théorie générale des
soi les*
Les divers aperçus généraux que je viens d'indiquer ne
donnent même qu'une idée imparfaite de l'étendue et de
là variété vraiment infinie des questions auxquelles les
géomètres se sont élevés d'après celte seule considération
des séries, si .simple en apparence, et si bornée à son ori-
gine. Elle présente nécessairement autant de cas divers que
la résolution algébrique des équations envisagée dans toute
son étendue; et elle est, par sa nature, beaucoup plus
compliquée, tellement même qu'elle en dépend toujours
pour conduire à une solution complète. C'est assez fuisse
pressentir quelle doit être encore bon extrême imperfec-
lioD, malgré les travaux successifs de plusieurs géomètres
do premier ordre. Nous ne possédons, en eflet, jusqu'ici
iS2 MATHÉBIATIQUES.
que la solution tolale et rationnelle des plus simples qu
tions de cette nature.
Il est maintenant aisé de concevoir l'identité nécessair*^
et parfaite que j'ai annoncée ci-dessus, d'après les indica. —
tions de Lagrange^ entre le calcul aux différences finie» ^
et la théorie des suites prise dans son ensemble. En effet .^
toute différentiation à la manière de Taylor revient évi —
demment à trouver la loi de formation d'une suite à un
à plusieurs indices variables, d'après l'expression de soi
terme général; de même, toute intégration analogue peu
être regardée comme ayant pour objet la sommation d'un
suite, dont le terme général serait exprimé par la diffé —
rence proposée. Sous ce rapport, les divers problèmes de^
calcul aux différences, direct ou inverse^ résolus par Tayloir*
et par ses successeurs, ont réellement une très-grande
valeur, comme traitant des questions importantes relati-
vement aux suites. Mais il est fort douteux que la forme et
la notation introduites par Taylor apportent réellement
aucune facilité essentielle dans la solution des questions de
ce genre, il serait peut-être plus avantageux pour la plu-
part des cas, et certainement plus rationnel, de remplacer
les différences par les termes mômes dont elles désignent
certaines combinaisons. Le calcul de Taylor ne reposant
pas sur une pensée fondamentale vraiment distincte, et
n'ayant de propre que son système de signes, il ne saurait
y avoir réellement, dans la supposition même la plus fa-
vorable, aucun avantage important à le concevoir comme
détaché de l'analyse ordinaire, dont il n'est, à vrai dire,
qu'une branche immense. Cette considération des diffé'
renceSy le plus souvent inutile quand elle ne complique pas,
me semble conserver encore le caractère d'une époque où,
les idées analytiques n'étant pas assez familières aux géo-
mètres, ils devaient naturellement préférer les formes spé-
CALCUL AUX DIFFÉRENCES FINIES. Sftt
ciales propres aux simples comparaisons numériques.
Qaoi qu'il en soit, je ne dois pas terminer celte appré-
ciation générale du calcul aux différences finies, sans si-
gnaler une nouvelle notion à laquelle il a donné naissance,
et qui a pris ensuite une grande importance. C'est la con-
sidération de ces fonctions périodiques ou discontinues^ con-
servant toujours la môme valeur pour une suite infinie de
valeurs assujetties à une certaine loi dans les variables cor-
ret|X>ndantcs, et qui doivent être nécessairement ajoutées
ans intégrales des équations aux différences finies pour les
rendre suffisamment générales, comme on ajoute de sim-
ples constantes arbitraires à toutes les quadratures afin
d'en compléter la généralité. Cette idée, primitivement
introduite par Euler, est devenue, dans ces derniers temps,
le sujet de travaux fort étendus de la part de Fourier,
qni Ta transportée dans le système général de l'analyse,
et qui en a fait un usage tellement neuf et si essentiel pour
la théorie mathématique de la chaleur, que cette concep-
tion, dans son état actuel, lui appartient vraiment d'une
manière exclusive.
Afin de signaler complètement le caractère philosophi-
que du calcul aux différences finies, je ne dois pas négliger
de mentionner ici rapidement les principales applications
générales qu'on a faites jusqu'à présent.
Il faudrait placer au premier rang, comme la plus éten-
due et la plus importante, la solution des questions rela-
tives aux suites, si, d'après les explications données ci-
dessus, la théorie générale des suites ne devait pas être
considérée comme constituant, par sa nature, le fond
même du calcul de Taylor. Cette grande classe de pro-
blèmes étant donc écartée, la plus essentielle des vérita-
bles applications de l'analyse de Taylor est sans doute,
jusqu'ici, la mélhode générale des interpolations^ si fré-
\
ÎS4 MATHÉMATIQUES,
quemment et si ulilemenl employée dans la recherche d^^
lois empiriques des phénomènes naturels. La queslion cot»^"
siste, comme on sail, h intercaler, entre certains nombre
donnés, d'aulres nombres intermédiaires assujettis à 1
même loi que l'on suppose exister entre les premiers. 0
peut pleinement vérifier, dans cette application principale
du calcul de Taylor, combien, ainsi que je l'ai expliqua
plus haut, la considération des différences est vraiment,
étrangère et souvent gênante, relativement aux questions
qui dépendent de cette analyse. En effet, Lagrange a rem —
placé les formules d'interpolation déduites de l'algorithme^
ordinaire du calcul aux différences unies par des formules-
générales beaucoup plus simples, qui sont aujourd'hui
presque toujours préférées, et qui ont été trouvées direc-
tement, sans faire jouer aucun rôle à la notion superflue
des différences^ qui ne faisaient que compliquer la question.
Une dernière classe importante d'application du calcul
aux différences finies, qui mérite d'être distinguée de la
précédente, consisti* dans l'usage éminemment utile qu'on
en fait, en géométrie, pour déterminer par approximation
la longueur et l'aire de quelque courbe que ce soit, et, de
même, la quadrature et la cubature d'un corps ayant une
forme quelconque. Ce procédé, qui peut d'ailleurs être
conçu abstraitement comme dépendant de la même re-
cherche analytique que la question des interpolations,
présente souvent un supplément précieux aux méthodes
géométriques entièrement rationnelles, qui conduisent
fréquemment à des intégrations qu'on ne sait point encore
effectuer, ou à des calculs d'une exécution très-compli*
quée.
Telles sont les diverses considérations principales que
j'ai cru devoir indiquer relativement au calcul des diffé-
rences (inies. Gel examen complète l'étude philosophique
CALCUL AUX DIFFERENCES FINIES. 255
^e je m'étais proposé d'esquisser pour la mathématique
abstraite. Nous devons maintenant procéder à un travail
semblable sur la mathématique concrète, où nous nous
attacherons surtout à concevoir comment, en supposant
parfaite la science générale du calcul, on a pu, par des
procédés invariables, réduire à de pures questions d'ana-
^86 tous les problèmes que peuvent présenter la géométrie
et la mécanique, et imprimer ainsi, à ces deux bases fonda-
mentales de la philosophie naturelle, un degré de pré-
dsioii et surtout d'unité, en un mot, un caractère de haute
p^ection^ qu'une telle marche pouvait seule leur com*
moDiquer.
DIXIÈME LEÇON
Sommaire. — Vue générale de ]a géométrie*
D'après Texplication générale présentée dans la troisième
leçon relativement au caractère philosophique de la mathé-
matique concrète, comparé à celui de la mathématique
abstraite, je n'ai pas besoin d'établir ici, d'une manière
spéciale, que la géométrie doit être considérée comme une
véritable science naturelle, seulement bien plus simple et
par suite beaucoup plus parfaite qu'aucune autre. Cette
perfection nécessaire de la géométrie, obtenue essentielle-
ment par l'application, qu'elle comporte si éminemment,
de l'analyse mathématique, fait ordinairement illusion sur
la nature réelle de cette science fondamentale^ que la plu-
part des esprits conçoivent aujourd'hui comme une science
purement rationnelle^ tout à fait indépendante de l'obseï^
valion. Il est néanmoins évident, pour quiconque examine
avec attention le caractère des raisonnements géométri-
ques, même dans l'état actuel de la géométrie abstraite^
que, si les faits qu'on y considère sont beaucoup plus liés
entre eux que ceux relatifs à toute autre science, il existe
toujours cependant, par rapport à chaque corps étudié par '
les géomètres, un certain nombre de phénomènes primitifs,
qui, n'étant établis par aucun raisonnement, ne peu-
vent être fondés que sur l'observation, et constituent la base
nécessaire de toutes les déductions. L'erreur commune à
cet égard doit élre regardée comme un reste d'influence de
GÉOMÉTRIE. t57
Tesprit mélapbysique, qui a si longtemps dominé, même
dans les études géométriques. Indépendamment de sa
graTÎté logique, cette fausse, manière de voir présente
eoDtinueliement, dans les applications de la géométrie
rationnelle, les plus grands inconvénients, en ce qu'elle
empêche de concevoir nettement le passage du concret à
l'abstrait.
La supériorité scientifique de la géométrie tient, en gé-
néral» à ce que les phénomènes qu'elle considère sont, né-
cessairement, les plus universels et les plus simples de
tous. Non-seulement tous les corps de la nature peuvent
évidemment donner lieu à des recherches géométriques,
aussi bien qu'à des recherches mécaniques, mais, de plus,
les phénomènes géométriques subsisteraient encore, quand
même toutes les parties de l'univers seraient supposées im-
mobiles. La géométrie est donc, par sa nature, plus géné-
rale que la mécanique. En môme temps, ses phénomènes
sont plus simples ; car ils sont évidemment indépendants
des phénj)mènes mécaniques, tandis que ceux-ci se com-
pliquent toujours nécessairement des premiers. Il en est de
même,. en comparant la géométrie à la thermologie ab-
straite, qu'on peut concevoir aujourd'hui, depuis les tra-
vaux de Fourier, ainsi que je l'ai indiqué dans la troisième
leçon» comme une nouvelle branche générale de la mathé-
matique concrète. En effet, les phénomènes thermologi-
quesy considérés môme indépendamment des effets dyna-
miques qui les acompagnentpresque constamment, surtout
dans les corps Huides, dépendent nécessairement des phé-
nomènes géométriques, puisque la forme des corps influe
singulièrement sur la répartition de la chaleur.
C'est pour ces diverses raisons que nous avons dû classer
précédemment la géométrie comme la première partie de
la mathématique concrète, celle dont l'étude, outre son
A. Comte. Tome I. 17
258 MATHÉMATIQUES.
importance propre, sert de base indispensable à loules les
autres.
Avant de considérer xlireclemenl Télude philosophique
des divers ordres de recherches qui conslilueul la géomé-
trie actuelle, il faut se faire une idée nette et exacte delà
destination générale de cette science, envisagée dans sod
ensemble. Tel est Tobjet de cette leçon.
On dcfinit communément la géométrie d*unc manière
très-vague et tout à fait vicieuse, en se bornant à la présen-
ter comme la 5Ci*ewce de l'étendue. 11 conviendrait d'abord
d'améliorer celte définition, eu disant, avec plus de préci-
sion, que la géométrie a pour objet la mesure de l'étendue.
Mais une telle explication serait, par elle-même, fort insuf'
usante, bien qu'au fond, elle soit exacte. Un aperçu aussi
imparfait ne peut nullement faire connaître le véritable ca-
ractère général de la science géométrique.
Pour y parvenir, je crois devoir éclaircir préalablement
deux notions fondamentales, qui, très-simples en elles-
mêmes, ont été singulièrement obscurcies par l'emploi des
considérations méthaphysiques.
La première est celle de Vespace, qui a donné lieu à tant
de raisonnements sophistiques, à des discussions si creuses
et si puériles de la part des métaphysiciens. Uéduite àsoD
acception positive, cette conception consiste simplementeo
ce qu'au lieu de considérer l'étendue dans les corps eux-
mêmes, nous l'envisageons dans un milieu indéfini, qo^
nous regardons comme contenant tous les corps de l'uni'
vers. Cette notion nous est naturellement suggérée par l'ob-
servation, quand nous pensons à Vempreinte que laisserait un
corps dans un fluide où il aurait été placé. Il est clair, en
effet, que, sous le rapport géométrique, une telle empré^^
peut être substituée au corps lui-même, sans que les raison-
nements en soient altérés. Quant à la nature physique de
GÉOMÉTRIE. t59
cet espace indéfini, nous devons spontanément nous le re-
présenter, pour plus de facilité, comme analogue au milieu
effectif dans lequel nous vivons, tellement que, si ce milieu
était liquide, au lieu d*ôtre gazeux, notre espace géométri-
que serait sans doute conçu aussi comme liquide. Cette cir-
constance n'est d'ailleurs évidemment que très-secondaire,
Tobjet essentiel d'une telle conception étant seulement de
nous faire envisager l'étendue séparément des corps qui
nous la manifestent. On comprend aisément à priori l'im-
portance de cette image fondamentale, puisqu'elle nous
permet d'étudier les phénomènes géométriques en eux-
mêmes, abstraction faite de tous les autres phénomènes
qui les accompagnent constamment dans les corps réels,
sans cependant exercer sur eux aucune iniluence. L'établis-
sement r(^gulier de cette abstraction générale doit être re-
gardé comme le premier pas qui ait été fait dans l'étude
rationnelle de la géométrie, qui eût été impossible s'il avait
Gdla continuer à considérer avec la forme et la grandeur
des corps l'ensemble de toutes leurs autres propriétés
physiques. L'usage d'une semblable hypothèse, qui est
peut-être la plus ancienne conception philosophique créée
par l'esprit humain, nous est maintenant devenu si fami-
lier, que nous avons peine à en mesurer exactement l'im-
portance, en appréciant les conséquences qui résulteraient
de sa suppression.
Les spéculations géométriques ayant pu ainsi devenir
ibstraitesy elles ont acquis non-seulement plus de simpli-
dté, mais encore p^us de généralité. Tant que l'étendue
est considérée dans les corps eux-mêmes, on ne peut pren-
dre pour sujet des recherches que les formes eifectivement
réalisées dans la nature, ce qui restreindrait singulièrement
le champ delà géométrie. Au contraire, en concevant re-
tendue dans Vespace^ Tesprit humain peut envisager toutes
i 6 0 MATHÉMATIQUES.
les formes quelconques imaginables, ce qui est indispensa-
ble pour donner à la géométrie un caractère entièrement-
rationnel.
La seconde conception géométrique préliminaire qu»
nous devons examiner est celle des différentes sortes d'é-
tendue, désignées par les mots de volume (i), surface^ ligne
et même points et dont l'explication ordinaire est si peu sa-
tisfaisante.
Quoiqu'il soit évidemment impossible de concevoir au-
cune étendue absolument privée de l'une quelconque des
trois dimensions fondamentales, il n'est pas moins incon-
testable que, dans une foule d'occasions, même d'une
utilité immédiate, les questions géométriques ne dépen-
dent que de deux dimensions, considérées séparément de
la troisième, ou d'une seule dimension, considérée sépa-
rément des deux autres. D'un autre c6lé, indépendam-
ment de ce motif direct, l'étude de l'étendue à une seule
dimension et ensuite à deux se présente clairement comme
un préliminaire indispensable pour faciliter l'étude des
corps complets ou à trois dimensions, dont la théorie im-
médiate serait trop compliquée. Tels sont les deux motifs
généraux qui obligent les géomètres à considérer isolément
l'étendue sous le rapport d'une ou de deux dimensions,
aussi bien que relativement à toutes les trois ensemble.
(1) Lacroix a critiqué avec raison I^expression de solide communé-
ment employée par les géomètres pour désigner un volume. Uest certain,
en effet, que, lorsque nous voulons considérer séparément une certaine
portion de l'espace indéfini, conçu comme gazeni, nous en solidîilon» par
la pensée Tenceinte extérieure, en sorte qu'une ligne et une surface soot
habituellement, pour notre esprit, tout aussi solutés qu'un volume, Oq
peut même remarquer quc^ le plus souvent, afin que i«;s corps se pé-
nètrent mutuellement avec plus de facilité, nous soin mes obligés de noot
représenter comme creux l'intérieur des volumeSy ce qui reiid encort
phiB seoiibk Timpropriété du mot solidtm
GÉOMÉTRIE. SSI
C'est afin de pouvoir penser, d'une manière permanente,
à l'étendue dans deux sens ou dans un seul, que l'esprit
humain se forme les notions générales de surface et de
ligne. Les expressions hyperboliques habituellement em-
ployées par les géomètres pour les définir tendent à en
faire concevoir une fausse idée. Mais, examinées en elles-
mêmes, elles n'ont d'autre destination que de nous per-
mettre de raisonner avec facilité sur ces deux genres d'é-
tendue en faisant complètement abstraction de ce qui ne
doit pas être pris en considération. Or, il suffit, pour cela,
de concevoir la dimension que l'on veut éliminer comme
devenue graduellement de plus en plus petite, les deux
autres restant les niômes, jusqu'à ce qu'elle soit parvenue
à un tel degré de ténuité qu'elle ne puisse plus fixer l'at-
tention. C'est ainsi qu'on acquiert naturellement l'idée
réelle d'une surface^ et, par une seconde opération ana-
logue, ridée d'une ligne^ en renouvelant pour la largeur
ce qu'on a d'abord fait pour l'épaisseur. Enfin, si l'on ré-
pète encore le môme travail, on parvient à l'idée d'un points
ou d'une étendue considérée uniquement par rapport à
son lieu, abstraction faite de toute grandeur, et destinée,
par conséquent, à préciser les positions. Les surfaces ont
d'ailleurs évidemment la propriété générale de circon-
scrire exactement les volumes; et de môme les lignes, à
leur tour, circonscrivent les surfaces, et sont limitées par
les points. Mais cette considération, à laquelle on a donné
souvent trop d'importance, n'est que secondaire.
Les surfaces et les lignes sont donc réellement toujours
conçues avec trois dimensions: il serait, en effet, impos-
sible de se représenter une surface autrement que comme
une plaque extrêmement mince, et une ligne autrement
que comme un fil infiniment délié. Il est même évident
que le degré de ténuité attribué par chaque individu aux
iCt MATHÉMATIQUES.
dimensions dont il veut faire abstraction, n'est pas con-
stamment identique, car il doit dépendre du degré de
finesse de ses observations géométriques habituelles. Ce
défaut d'uniformité n'a d'ailleurs aucun inconvénient réel,
puisqu'il suffit, pour que les idées de surface et de ligne
remplissent la condition essentielle de leur destination,
que chacun se représente les dimensions à négliger comme
plus petites que toutes celles dont ses expériences journa-
lières lui donnent occasion d'apprécier la grandeur.
On doit sans doute regretter qu'il soit encore nécessaire
aujourd'hui d'indiquer expressément une explication aussi
simple que la précédente, dans un ouvrage tel que celui-ci.
Mais j'ai cru devoir signaler rapidement ces considérations
à cause du nuage ontologique dont une fausse manière de
voir enveloppe ordinairement ces notions premières. On
voit par là combien sont dépourvues de toute espèce de
sens les discussions fantastiques des métaphysiciens sur
les fondements de la géométrie. On doit aussi remarquer
que ces idées primordiales sont habituellement présentées
parles géomètres d'une manière peu philosophique, puis-
qu'ils exposent, par exemple, les notions des différentes
sortes d'étendue dans un ordre absolument inverse de
leur enchaînement naturel, ce qui engendre souvent, pour
l'enseignement élémentaire, les plus graves inconvé-
nients.
Ces préliminaires étant posés, nous pouvons procéder
directement à la déOnition générale de la géométrie, ea
concevant toujours cette science comme ayant pour but
final la mesure de l'étendue.
Il est tellement nécessaire d'entrer à cet égard dans
une explication approfondie, fondée sur la distinction des
trois espèces d'étendue, que la notion de mesure n'est pas
exactement la même par rapport aux surfaces et aux vo-
GÉOMÉTRIE. Î63
lûmes que relalivement aux lignes, en sorte que, sans cet
examen, on se formerait une fausse idée de la nature des
questions géométriques.
Si Ton prend le mot mesure dans son acception m.alhé-
matique directe et générale, qui signifle simplement Té-
valuation des rapports qu'ont entre elles des grandeurs
homogènes quelconques, on doit considérer, en géométrie,
que la mesure des surfaces et des volumes, par opposition à
celle des lignes, n*esl jamais conçue, môme dans les cas les
plus simples et les plus favorables, comme s'effectuant im-
médiatement. On regarde comme directe la comparaison
de deux lignes; celle de deux surfaces ou de deux volumes
est, au contraire, constamment indirecte. En effet, on
conçoit que deux lignes puissent être superposées; mais
la superposition de deux surfaces, ou, à plus forte raison,
celle de deux volumes, est évidemment impossible à éta-
blir dans le plus grand nombre des cas; et, lors môme
qu'elle devient ligoureusement praticable, une telle com-
paraison n*cst jamais ni commode ni susceptible d'exac-
titude. Il est donc bien nécessaire d'expliquer en quoi
consiste proprement la mesure vraimentgéométrique d'une
surface ou d'un volume.
11 faut considérer, pour cela, que, quelle que puisse ôtre
la forme d'un corps, il existe toujours un certain nombre
de lignes, plus ou moins faciles à assigner, dont la lon-
gueur suffit pour définir exactement la grandeur de sa
surface ou de son volume. La géométrie, regardant ces
lignes comme seules susceptibles d'être mesurées immé-
diatemeiit, se propose de déduire, de leur simple détermi-
nation, le rapport de la surface ou du volume cherchés à
l'unité de surface ou à l'unité de volume. Ainsi l'objet gé-
néral de la géométrie, relativement aux surfaces et aux
volumes, est proprement de ramener toutes les comparai-
264 MAïnÉMATIQUES.
sons de surfaces ou de volumes à de simples compa —
raisons de lignes.
Outre la facilité immense que présente évidemment une
telle transformation pour la mesure des volumes et des
surfaces, il en résulte, en la considérant d*une manière
plus étendue et plus scientifique, la possibilité générale de
réduire à des questions de lignes toutes les questions rela-
tives aux volumes et aux surfaces, envisagés quant à leur
grandeur. Tel est souvent Tusage le plus important des
expressions géométriques qui déterminent les surfaces et
les volumes en fonction. des lignes correspondantes.
Ce n'est pas que les comparaisons immédiates entre
surfaces ou entre volumes ne soient jamais employées.
Mais de telles mesures ne sont pas regardées comme
géométriques, et on n'y voit qu'un supplément quelquefois
nécessaire, quoique trop rarement applicable, à TinsufC-
sance ou à la difûcullé des procédés vraiment rationnels.
C'est ainsi que souvent on détermine le volume d'un corps,
et, dans certains cas, sa surface, d'après son poids. De
môme, en d'autres occasions, quand on peut substituer au
volume proposé un volume liquide équivalent, on établit
immédiatement la comparaison de deux volumes, en pro-
fitant de la propriété que présentent les masses liquides
de pouvoir prendre aisément toutes les formes qu'on veut
leur donner. Mais tous les moyens de cette nature sont
purement mécaniques, et la géométrie rationnelle les
rejette nécessairement.
Pour rendre plus sensible la différence de ces détermi-
nations avec les véritables mesures géométriques, je citerai
un seul exemple très-remarquable, la manière dont Galilée
évalua le rapport de l'aire de la cycloïde ordinaire à celle
du cercle générateur. La géométrie de son temps étant
encore trop inférieure à la solution rationnelle d'un tel pro-
GÉOMÉTRIE. 2C&
blème, Galilée imagina de chercher ce rapport par une
expérience directe. Ayant pesé le plus exaclement possible
deux lames de même matière el d'égale épaisseur, dont
Tune avait la forme d'un cercle et l'autre celle de la cycloïde
engendrée, il trouva le poids de celle-ci constamment
triple de celui de la première, d'où il conclut que Taire de
la cycloïde est triple de celle du cercle générateur, résultat
conforme à la véritable solution obtenue plus tard par
Pascal et Wallis. Un tel succès, sur lequel d'ailleurs Galilée
n'avait pas pris le change, lient évidemment à l'extrême
simplicité réelle du rapport cherché ; et on conçoit l'insuf-
fisance nécessaire de semblables expédients, môme lors-
qu'ils seraient effectivement praticables.
On voit clairement, d'après ce qui précède, en quoi con-
siste proprement la partie de la géométrie relative aux
surfaces. Mais on ne conçoit pas aussi nettement le caracx
tère de la géométrie des lignes, puisque nous avons semblé,
pour simplifier l'exposition, considérer la mesure des lignes
comme se faisant immédiatement. Il faut donc, par rapport
à elles, un complément d'explication.
A cet effet, il suffit de distinguer, entre la ligne droite et
les lignes courbes; la mesure de la première étant seule
regardée comme directe, et celle des autres comme con-
stamment indirecte. Bien que la superposition soit quel-
quefois rigoureusement praticable pour les lignes courbes,
il est évident néanmoins que la géométrie vraiment ration-
nelle doit la rejeter nécessairement, comme ne compor-
tant, lors même qu'elle est possible, aucune exactitude. La
géométrie des lignes a donc pour objet général de ramener
constamment la mesure des lignes courbes à celle des li-
gnes droites; et par suite, sous un point de vue plus
étendu, de réduire à de simples questions de lignes droites
toutes les questions relatives à la. grandeur des courbes
S6G MATHEMATIQUES.
quelconques. Pour comprendre la possibilité d'une telle
transformation, il faut remarquer que, dans toute courbe
quelconque, il existe constamment certaines droites dont
la longueur doit suffire pour déterminer celle de là courbe.
Ainsi, dans un cercle, il est évident que de la longueur du
rayon on doit pouvoir conclure celle de la circonférence;
de môme, la longueur d'une ellipse dépend de celle de ses
deux axes ; la longueur d'une cycloïde, du diamètre do
cercle générateur, etc. ; et si, au lieu de considérer la tota-
lité de chaque courbe, on demande plus généralement la lon-
gueur d'un arc quelconque, il sufOra d'ajouter, aux divers
paramètres recliligues qui déterminent Tensemble de la
courbe, la corde de Tare proposé, ou les coordonnées de
ses extrémités. Découvrir la relation qui existe entre la
longueur d'une ligne courbe et celle de semblables lignes
droite's : tel est le problème général qu'on a essentielle-
ment en vue dans la partie de la géométrie relative à l'étude
des lignes.
En combinant cetle considération avec celles précé-
demment exposées sur les volumes et sur les surfaces, on
peut se former une idée très- nette de la science géomé-
trique, conçue dans son ensemble, en lui assignant pour
destination générale de réduire finalement les comparai-
sons de toutes les espèces d'étendue, volumes, surfaces, ou
lignes, à de simples comparaisons de lignes droites, les
seules regardées comme pouvant être effectuées immédia-
tement, et qui, en effet, ne sauraient évidemment être ra-
menées à d'autres plus faciles. En même temps qu'une
telle conception manifeste clairement le véritable caraC'
tère de la géométrie, elle me semble propre à en faire
apercevoir, d'un coup d'œil unique, l'utilité et la perfection.
Afin de compléter rigoureusement cette explication
fondamentale, il me reste à indiquer comment il peut y
GÉOMÉTRIE. S 67
avoir, en géométrie, une section spéciale relative à la ligne
droite, ne qui paraît d'abord incompatible avec le principe
que la mesure de cette classe de lignes doit être toujours
regardée comme immédiate.
Elle Test, en effet, par rapport à celle des lignes courbes,
et de tous les autres objets que la géométrie considère.
Mais il est évident que l'estimation d'une ligne droite ne
peut être envisagée comme directe qu'autant qu'on peut
immédiatement porter sur elle l'unité linéaire. Or, c'est ce
qui présente le plus souvent des difûcultés insurmon-
tables, comme j'ai eu occasion de l'exposer spécialement
pour un autre motif dans la troisième leçon. On doit alors
faire dépendre la mesure de la droite proposée d'autres
mesures analogues, susceptibles d'être immédiatement
effectuées. Il y a donc nécessairement une première étude
géométrique distincte, exclusivement consacrée à la ligne
droite; elle a pour objet de déterminer les lignes droites,
les unes par les autres, d'après les relations propres aux
figures quelconques résultant de leur assemblage. Cette
partie préliminaire de la géométrie, qui semble pour ainsi
dire imperceptible quand on envisage l'ensemble de la
science, est néanmoins susceptible d'un très-grand déve-
loppement, lorsqu'on veut la traiter dans toute son éten-
due. Elle est évidemment d'autant plus importante, que,
toutes les mesures géométriques devant se ramener, autant
que possible, à celle des lignes droites, l'impossibilité de
déterminer ces dernières sufQrait pour rendre incomplète
la solution de chaque question quelconque.
Telles sont donc, suivant leur enchaînement naturel, les
diverses parties fondamentales de la géométrie rationnelle.
On voit que, pour suivre dans son étude générale un ordre
vraiment dogmatique, il faut considérer d'abord la géo-
métrie des lignes, en commençant par la ligne droite, et
268 MATHÉMATIQUES.
passer ensuite à la géométrie des surfaces, pour traiter enff ^
celle des volumes. Il y a lieu de s'étonner, sans doute»
qu'une classification méthodique qui dérive aussi simple-
ment de la nature môme de la science n'ait pas été con-
stamment suivie.
Après avoir déterminé avec précision l'objet général el
définitif des recherches géométriques, il faut maintenant
considérer la science sous le rapport du champ embrassé
par chacune de ses trois sections fondamentales.
Ainsi envisagée, la géométrie est évidemment suscep-
tible, par sa nature, d'une extension rigoureusement indé-
finie; car la mesure des lignes, des surfaces ou des
volumes, présente nécessairement autant de questions dis-
tinctes que l'on peut concevoir de formes différentes, assu-
jetties à des définitions exactes, et le nombre en est évi-
demment infini.
Les géomètres se sont bornés d'abord à considérer les
formes les plus simples que la nature leur fournissait im-
médiatement, ou qui se déduisaient de ces éléments pri-
mitifs par les combinaisons les moins compliquées. Mais
ils ont senti, depuis Descartes, que, pour constituer la
science de la manière la plus philosophique, il fallait né-
cessairement la faire porter, en générai, sur toutes les
formes imaginables, lis ont ainsi acquis la certitude rai-
sonnée que cette géométrie abstraite comprendrait inévi-
tablement, comme cas particuliers, toutes les diverses
formes réelles que le monde extérieur pourrait présenter,
de façon à n'être jamais pris au dépourvu. Si, au contraire,
on s'était toujours réduit à la seule considération de ces
formes naturelles, sans s'y être préparé par une étude gé-
nérale et par l'examen spécial de certaines formes hypo-
thétiques plus simples, il est clair que les difficultés au-
raient été le plus souvent insurmontables au moment de
GÉOMÉTRIE. «69
l'application elTective. C'est donc un principe fondamental,
dans la géométrie vraiment rationnelle, que la nécessité de
considérer, autant que possible, toutes les formes qu'on
peut concevoir rigoureusement.
L'examen le moins approfondi suffit pour faire com-
prendre que ces formes présentent une variété tout à fait
infinie. Relativement aux lignes courbes, en les regardant
comme engendrées par le mouvement d'un point assujetti
h. une certaine loi, il est clair qu'on aura, en général,
autant de courbes différentes que l'on supposera de lois
différentes pour ce mouvement, qui peut évidemment s'o-
pérer suivant une infinité de conditions distinctes, quoi-
qu'il puisse arriver accidentellement quelquefois que de
nouvelles générations produisent des courbes déjà obte-
nues. Ainsi, pour me borner aux seules courbes planes,
si un point se meut de manière à rester constamment à la
même distance d'un point fixe, il engendrera un cercle ;
si c'est la somme ou la différence de ses distances à deux
points fixes qui demeure constante, la courbe décrite sera
une ellipse ou une byperbole ; si c'est leur produit, on aura
une courbe toute différente ; si le point s'écarte toujours
également d'un point fixe et d'une droite fixe, il décrira
une parabole ; s'il tourne sur un cercle en môme temps
que ce cercle roule sur une ligne droite, on aura une
cycloîde ; s'il s'avance le long d'une droite, tandis que
cette droite, fixée par une de ses extrémités, tourne d'une
manière quelconque, il eu résultera ce qu'on appelle, en
général, des spirales qui, à elles seules, présentent évi-
demment autant de courbes parfaitement distinctes, qu'on
peut supposer de relations différentes entre ces deux mou-
vements de translation et de rotation, etc., etc. Chacune
de ces diverses courbes peut ensuite en fournir de nou-
velles, par les différentes constructions générales que les
«70 MATIIÉMATIQUES.
géomètres ont imaginées, et qui donnent naissance aux
développées, aux épicycloïdcs, aux caustiques, etc., etc.
Enfin il existe évidemment une vanCié encore plus grande
parmi les courbes à double courbure.
Relativement aux surfaces, les formes en sont néces-
sairement bien plus diverses encore, en les regardant
comme engendrées par le mouvement des lignes. En effietf
la forme peut alors varier, non-seulement en considérant,
comme dans les courbes, les dilTérenles lois en nombre
infini auxquelles peut être assujetti le mouvement de la
ligne génératrice, mais aussi en supposant que cette ligne
elle-même vienne à cbangcr de nature, ce qui n*a pas d'a-
nalogue dans les courbes, les points qui les décrivent ne
pouvant avoir aucune figure distincte. Deux classes de
conditions très-diverses peuvent donc faire varier les
formes des surfaces, tandis qu'il n'en existe qu'une seule
pour les lignes. 11 est inutile de citer spécialement une
série d'exemples propres à vériûer celle multiplicité dou-
blement inOnie qu'on remarque parmi les surfaces. 11
suffirait, pour s'en faire une idée, de considérer l'extrôme
variété que présente le seul groupe des surfaces dites
réglées^ c'est-à-dire engendrées par une ligne droite, et
qui comprend toute la famille des surfaces cylindriques,
celle des surfaces coniques, la classe plus générale des
surfaces développables quelconques, etc. Par rapport aux
volumes, il n'y a lieu à aucune considération spéciale,
puisqu'ils ne se distinguent entre eux que par les surfaces
qui les terminent.
A6n de compléter cet aperçu géométrique, il faut ajou-
ter que les surfaces elles-mêmes fournissent un nouveau
moyen général de concevoir des courbes nouvelles, puisque
toute courbe peut être envisagée comme produite par
rintersection de deux surfaces. C'est ainsi, en effet, qu'ont
GÉOMÉTRIE. «71
été obtenues les premières lignes qu'on puisse regarder
comme vraiment inventées parles géomètres, puisque la
nature donnait immédiatement la ligne droite et le cercle.
On sait que l'ellipse, la parabole et Thyperbole, les seules
courbes complètement étudiées par les anciens, avaient
été seulement conçues, dans l'origine, comme résultant
de l'intersection d'un cône à base circulaire par un plan
diversement situé. H est évident que, par ren)ploi combiné
de ces dilTérenls moyens généraux pour la formalion des
lignes et des surfaces, on pourrait produire une suile ri-
goureusement inAnie de formes distinctes, en partant seu-
lement d'un très-petit nombre de ûgurcs directement four-
nies par l'observation.
Du reste, tous les divers moyens immédiats pour l'in-
vention des formes n'ont presque plus aucune importance,
depuis que la géométrie rationnelle a pris, entre les mains
de Descartes, son caractère déOnitif. En effet, comme nous
le verrons spécialement dans la douzième leçon, l'invention
des formes se réduit aujourd'hui à l'invention des équa-
tions, en sorte que rien n*est plus aisé que de concevoir
de nouvelles lignes et de nouvelles surfaces, en changeant
à volonté les fonctions introduites dans les équations. Ce
simple procédé abstrait est, sous ce rapport, infiniment '
plus fécond que les ressources géométriques directes,
développées par l'imagination la plus puissante, qui s'ap-
pliquera uniquement h cet ordre de conceptions. Il expli-
que d'ailleurs, de la manière la plus générale et la plus
sensible, la variété nécessairement infinie des formes
géométriques, qui correspond ainsi à la diversité des
fonctions analytiques. Enfin, il montre non .moins claire-
ment que les différentes formes de surfaces doivent être
encore plus multipliées que celles des lignes, puisque les
lignes sont représentées analytiquement par des équations
^71 MATOÉMATIQUES.
à deux variables, tandis que les surfaces donnent lieu à des
équations à trois variables, qui présentent nécessairement
une plus grande diversité.
Les considérations précédemment indiquées suffisent
pour montrer nettement l'extension rigoureusement in-
finie que comporte, par sa nature, chacune des trois
sections générales de la géométrie, relativement aux lignes,
aux surfaces et aux volumes, en résultat de la variété in-
finie des corps à mesurer.
Pour achever de nous faire une idée exacte et suffisam-
ment étendue de la nature des recherches géométriques,
il est maintenant indispensable de revenir sur la définition
générale donnée ci-dessus, afin de la présenter sous un
nouveau point de vue, sans lequel l'ensemble de la science
ne serait que fort imparfaitement conçu.
En assignantpour but à la géométrie la mesure de toutes
les sortes de lignes, de surfaces et de volumes, c'est-à-dire,
comme je l'ai expliqué, la réduction de toutes les com-
paraisons géométriques à de simples comparaisons de
lignes droites, nous avons évidemment l'avantage d'indi-
quer une destination générale très-précise et très-facile i
saisir. Mais si, écartant toute définition, on examine la
composition efi'ective de la science géométrique, on sera
d'abord porté à regarder la définition précédente comme
beaucoup trop étroite, car il n'est pas douteux que la ma-
jeure partie des recherches qui constituent notre géomé-
trie actuelle ne paraissent nullement avoir pour objet la
mesure de l'étendue. C'est probablement une telle considé-
ration qui maintient encore, pour la géométrie, l'usage de
CCS définitions vagues, qui ne comprennent tout que parce
qu'elles ne caractérisent rien. Je crois néanmoins, malgré
celte objection fondamentale, pouvoir persister à indiquer
la mesure de l'étendue comme le but général et uniforme
GÉOMÉTRIE. t7t
de la science géométrique, et en y comprenant cependant
ioai ce qui entre dans sa composition réelle. En effet, si,
au lieu de se borner à considérer isolément les diverses
recherches géométriques, on s'attache à saisir les questions
principales, par rapport auxquelles toutes les autres,
quelque importantes qu'elles soient, ne doivent être regar-
dées que comme secondaires, on finira par reconnaître
que la mesure des lignes, des surfaces et des volumes, est
le but invariable, quelquefois direct, et le plus souvent
miirecty de tous les travaux géométriques. Celte proposi-
tion générale étant fondamentale, puisqu'elle peut seule
donner à notre définition toute sa valeur, il est indispen-
sable d'entrer à ce sujet dans quelques développements.
En examinant avec attention les recherches géométri-
ques qui ne paraissent point se rapporter à la mesure de
rétendue, on trouve qu'elles consistent essentiellement
dans l'étude des diverses propriétés de chaque ligne ou de
chaque surface, c'est-à-dire, en termes précis, dans la
connaissance des différents modes de génération, ou du
moins de définitions propres à chaque forme que l'on con-
sidère. Or, on peut aisément établir, de la manière la plus
générale, la relation nécessaire d'une telle étude avec la
question de mesure^ pour laquelle la connaissance la plus
complète possible des propriétés de chaque forme est un
préliminaire indispensable. C'est ce que concourent à prou-
ver deux considérations également fondamentales, quoique
de nature tout à fait distincte.
La première, purement scientifique, consiste à remar-
quer que, si l'on ne connaissait, pour chaque ligne ou pour
chaque surface, d'autre propriété caractéristique que celle
d'après Inquelle les géomètres l'ont primitivement conçue,
il serait le plus souvent impossible de parvenir a la solution
des questions relatives à sa mesure. En efiet, il est facile de
A. CoHTE. Tome I. 18'
174 MATHÉMATIQUES.
sentir que les différentes défînitions dont chaque forme
esl susceptible ne sont pas toutes également propres à une
telle destination, et qu'elles présentent même, sous ce
rapport, les oppositions les plus complètes. Or, d'un autre
côté, la définition primitive de chaque forme n'ayant pu
évidemment être choisie d'après cette condition, il est
clair qu'on ne doit pas s'attendre, en général, à la trouver
la plus convenable; d'où résulte la nécessité d'en décou-
vrir d'antres^ c'est-à-dire d'étudier, autant que possible,
1 es propriétés de la forme proposée. Qu'on suppose, par
exemple, que le cercle soit défini, la courbe qui, sous le
môme contour, renferme la plus grande aire^ ce qui est
certainement une propriété tout à fait caractéristique, od
éprouverait évidemment des difficultés insurmontables
pour déduire d'un tel point de départ la solution des ques-
tions fondamentales relatives à la rectification ou à la
quadrature de cette courbe. Il est clair, àpn'oriy que la
propriété d'avoir tous ses points à égale distance d'un
point fixe doit nécessairement s'adapter bien mieux à des
recherches de cette nature, sans qu'elle soit précisément
la plus convenable. De môme^ Archimède eût-il jamais pu
découvrir la quadrature de la parabole, s^il n'avait connu
de cette courbe d'aulre propriété que d'être la section d'un
cône à base circulaire, par un plan parallèle à sa géné-
ratrice? Les travaux purement spéculatifs des géomètres
précédents, pour transformer cette première définition^
ont évidemment été des préliminaires indispensables à la
solution directe d'une telle question. 11 en est de même, à
plus forte raison, relativement aux surfaces. 11 suffirait,
pour s'en faire une juste idée, de comparer, par exemple»
quant à la question de la cubature ou de la quadrature, la
définition ordmaire de la sphère avec celle, non moins
caractéristique sans doute, qui consisterait à regarder un
GÉOMÉTRIE. «75
corps spbériqiie comme celui qui, sous la môme aire, con-
tient le plus grand volume.
Je n'ai pas besoin d'indiquer un plus grand nombre
d'exemples pour faire comprendre, en général, la néces-
sité de connaître, autant que possible, toutes les propriétés
de cbaque ligne ou de chaque surface, afin de faciliter la
recbercbe des rectiflcations, des quadratures et des cu-
batures, qui constitue Tobjel Gnal de la géométrie. On peut
même dire que la principale difficulté des questions de ce
genre consiste à employer, dans chaque cas, la propriété
qui s'adapte le mieux à la nature du problème proposé.
Ainsi, en continuant à indiquer, pour plus de précision, la
mesure de l'étendue comme la destination générale de la
géométrie, cette première considération, qui touche di-
rectement au fond du sujet, démontre clairement la né-
cessité d'y comprendre l'élude, aussi approfondie que pos-
sible, des diverses générations ou définitions propres à une
même forme.
Un second motif, d'une importance au moins égale, con-
siste en ce qu'une telle étude est indispensable pour orga-
niser, d'une manière rationnelle, la relation de l'abstrait
au concret en géométrie.
La science géométrique devant considérer, ainsi que je
l'ai indiqué ci-dessus, toutes les formes imaginables qui
comportent une définition exacte, il en résulte nécessaire-
ment, comme nous l'avons remarqué, que les questions
relatives aux forjnes quelconques présentées par la nature
loot toujours implicitement comprises dans cette géométrie
abstraite, supposée' parvenue à sa perfection. Mais, quand
il faut passer eflectivement à la géométrie concrète, on
reocoDtre constamment une difficulté fondamentale, celle
de savoir auxquels des différenls types abstraits on doit
rapporter, avec une approximation suffisante, les lignes ov
1 7 6 MATH ÉM ATIQUES.
les surfaces réelles qu'il s'agit d'étudier. Or, c'est pour
établir une telle relation qu'il est particulièrement indis-
pensable de connaître le plus grand nombre possible de
propriétés de chaque forme considérée en géométrie.
En effet, si l'on se bornait toujours à la seule définition
primitive d'une ligne ou d'une surface, en supposantmême
qu'on pût alors la mesurer (ce qui, d'après le premier
geure déconsidérations, serait le plus souvent impossible),
ces connaissances resteraient presque nécessairement
stériles dans l'application, puisqu'on ne saurait point ordi-
nairement reconnaître cette forme dans la nature, quand
elle s'y présenterait. Il faudrait, pour cela, que le caractère
unique d'après lequel les géomètres l'auraient conçue fût
précisément celui dont les circonstances extérieures com-
porteraient la vérification, coïncidence purement fortuite,
sur laquelle évidemment on ne doit pas compter, bien
qu'elle puisse avoir lieu quelquefois. Ce n^est donc qu'en
multipliant autant que possible les propriétés caractéristi-
ques de chaque forme abstraite, que nous pouvons être
assurés d'avance de la reconnaître à l'état concret, et d'u-
tiliser ainsi tous nos travaux rationnels, en vérifiant, dans
chaque cas, la définition qui est susceptible d'être constatée
directement. Cette définition est presque toujours unique
dans des circonstances données, et varie, au contraire, pour
une môme forme, avec des circonstances différentes : dou-
ble motif de détermination.
La géométrie céleste nous fournit, à cet égard, l'exemple
le plus mémorable, bien propre à mettre en évidence la
nécessité générale d'une telle étude. On sait, en effet, que
l'ellipse a été reconnue par Kepler comme étant la courbe
que décrivent les planètes autour du soleil, et les satellites
autour de leurs planètes. Or cette découverte fondamen-
tale, qui a renouvelé l'astronomie, eût-elle jamais été pos-
GÉOMÉTRIE. 177
sible, si Ton s'était toujours borné à concevoir Tellipse
comme la section oblique d'un cône circulaire par un
plan? Aucune telle définition ne pouvait évidemment com-
porter une semblable vérification. La propriété la plus
usuelle de l'ellipse, que la somme des distances de tous
ses points à deux points fixes soit constante, est bien plus
susceptible sans doute, par sa nature, de faire reconnaître
la courbe dans ce cas; mais elle n'est point encore direc*
tement convenable. Le seul caractère qui puisse alors être
vérifié immédiatement est celui qu'on tire de la relation
qui existe dans l'ellipse entre la longueur des distances
focales et leur direction^ l'unique relation qui admette une
interprétation astronomique, comme exprimant la loi qui
lie la dislance de la planète au soleil au temps écoulé de-
puis l'origine de sa révolution. Il a donc fallu que les tra-
vaux purement spéculatifs des géomètres grecs sur les pro-
priétés des sections coniques eussent préalablement
présenté leur génération sous une multitude de points
de vue différents, pour que Kepler ait pu passer ainsi de
Tabstrait au concret, en choisissant parmi tous ces divers
caractères celui qui pouvait le plus facilement être con-
staté pour les orbites planétaires.
Je puis citer encore un exemple du môme ordre, relati-
Temement aux surfaces, en considérant l'importante ques-
tion de la figure de la terre. Si l'on n'avait jamais connu
d'autre propriété de la sphère que son caractère primitif
d'avoir tous ses points également distants d'un point inté-
rieur, comment aurait-on pu jamais découvrir que la sur-
face de la terre est sphérique ? Il a été nécessaire pour
cela de déduire préalablement de cette définition de la
sphère quelques propriétés susceptibles d'être vérifiées
par des observations effectuées uniquement à la surface,
comme, par exemple, le rapport constant qui existe pour
S78 MATHÉMATIQUES.
la sphère entre la longueur du chemin parcouru le long
d'un méridien quelconque en s'avançant vers un pôl?« et la
hauteur angulaire de ce pôle sur Thorizon en chaque point.
Il en a été évidemment de même, et avec une bien plus
longue suite de spéculations préliminaires, pour constater
plus tard que la terre n*est point rigoureusement sphé-
rique, mais que sa forme est celle d'un ellipsoïde de révo-
lution.
Après de tels exemples, il serait sans doute inutile d'en
rapporter d'autres, que chacun peut d'ailleurs aisément
multiplier. On y vérifiera toujours que, sans une connais-
sance très-étendue des diverses propriétés de chaque
forme, la relation de l'abstrait au concret en géométrie
serait purement accidentelle, et que, par conséquent, la
science manquerait de l'un de ses fondements les plus es-
sentiels.
Tils sont donc les deux motifs généraux qui démontrent
pleinement la nécessité d'introduire en géométrie une foule
de recherches qui n'ont pas pour objet direct la mesure de
l'étendue, en continuant cependant à concevoir une telle
mesure comme la destination finale de toute la science
géométrique. Ainsi, nous pouvons conserver les avantages
philosophiques que présentent la netteté et la précision de
cette définition, et y comprendre néanmoins, d'une ma-
nière très-rationnelle, quoique indirecte, toutes les re-
cherches géométrique^' connues, en considérant celles qui
ne paraissent point se rapporter à la mesure de l'étendue,
comme destinées soit à préparer la solution des questions
finales, soit à permettre l'application des solutions ob-
tenues.
Après avoir reconnu, en thèse générale, les relations in-
times et nécessaires de l'étude des propriétés des lignes et
des surfaces avec les recherches qui constituent l'objet
GÉOMÉTRIE. S79
défloitif de la géomélrie, il est d'ailleurs évident que, dans
la suite de leurs travaux, les géomètres ne doivent nulle-
ment s'astreindre à ne jannais perdre de vue un tel enchat-
oement. Sachant, une fois pour toutes, combien il importe
de Tarier le plus possible les manières de concevoir chaque
forme, ils doivent poursuivre cette étude sans considérer
immédiatement de quelle utilité peut être telle ou telle
propriété spéciale pour les rectifications, les quadratures
ou les cubalures. Ils entraveraient inutilement leurs re-
cherches, en attachant une importance puérile à rétablis-
sement continu de cette coordination. L'esprit humain doit
procéder, à cet égard, comme il le fait en toute occasion
semblable, quand, après avoir conçu, en général, la desti-
nation d'une certaine étude, il s'attache exclusivement à la
pousser le plus loin possible, en faisant complètement
abstraction de cette relation, dont la considération perpé-
tuelle compliquerait tous ses travaux.
L'explication générale que je viens d'exposer est d'autant
plus indispensable, que, par la nature môme du sujet, et tte
élude des diverses propriétés de chaque ligne et de chaque
surface compose nécessairement la très-majeure partie de
l'ensemble des recherches géométriques. En effet, les ques-
tions immédiatement relatives aux rectifications, aux qua-
dratures et aux cubatures, sont évidemment, par elles-mê-
mes, en nombre fort limite pour chaque forme considérée
Au contraire, l'élude des propriétés d'une même forme
présente à l'activité de l'esprit humain un champ naturel-
lement indéfini, où l'on peut toujours espérer de faire de
nOQvelIes découvertes. Ainsi, par exemple, quoique les
géomètres se soient occupés depuis vingt siècles, avec plus
ou moins d'activité sans doute, mais sans aucune interrup-
tion réelle, de l'étude des sections coniques, ils sont loin
de regarder ce sujet si simple comme épuisé ; et il est cer-
180 MATHÉMATIQUES.
tain en effet qu'en continuant à s'y livrer, on ne manque-
rait pas de trouver encore des propriétés inconnues de ces
diverses courbes. Si les travaux de ce genre se sont consi-
dérablement ralentis depuis environ un siècle, ce n'est pas
qu'ils soient terminés; cela tient seulement, comme je
l'expliquerai tout à l'heure, à ce que la révolution philoso-
phique opérée en géométrie par Descartes a dû singulière-
ment diminuer l'importance de semblables recherches.
Il résulte des considérations précédentes que non-seule-
ment le champ de la géométrie est nécessairement infini à
cause de la variété des formes à considérer, mais aussi en
vertu de la diversité des points de vue sous lesquels une
même forme peut être envisagée. Cette dernière conception
est même celle qui donne l'idée la plus large et la plus
complète de Tensemble des recherches géométriques. On
voit que les études de ce genre consistent essentiellement,
pour chaque ligne ou pour chaque surface, à rattacher
tous les phénomènes géométriques qu'elle peut présenter
à un seul phénomène fondamental, regardé comme défini-
tion primitive.
Après avoir exposé, d'une manière générale, et pourtant
précise, l'objet final de la géométrie, et montré comment
la science, ainsi définie, comprend une classe de recherches
très-étendue qui ne paraissaient point d'abord s'y rapporter
nécessairement, il me reste à considérer dans son ensem-
ble la méthode à suivre pour la formation de cette science.
Cette dernière explication est indispensable pour compléter
ce premier aperçu du caractère philosophique de la géo-
métrie. Je me bornerai en ce moment à indiquer k cet
égard la considération la plus générale, cette importante
notion fondamentale devant être développée et précisée
dans les leçons suivantes.
L'ensemble des questions géométriques peut être traité
GÉOMÉTRIE. 28 f
snivant deux méthodes tellement différentes, qa'il en ré-
sulte, pour ainsi dire, deux sortes de géométries, dont le
caractère philosophique ne me semble pas avoir été encore
convenablement saisi. Les expressions de géométrie syn-
thétique et géométrie analytique, habituellemeut employées
pour les désigner, en donnent une très-fausse idée. Je pré-
férerais de beaucoup les dénominations purement histori-
ques de géométrie des anciens et géométrie des modernes, qui
ont, du moins, l'avantage de ne pas faire méconnaître leur
vrai caractère. Mais je propose d'employer désormais les
expressions régulières de géométrie spéciale et géométrie gé-
néraky qui me paraissent propres à caractériser avec pré-
cision la véritable nature des deux méthodes.
Ce n'est point, en effet, dans l'emploi du calcul comme
on le pense communément, que consiste précisément la
différence fondamentale entre la manière dont nous conce-
vons la géométrie depuis Descartes^ et la manière dont les
géomètres de l'antiquité traitaient les questions géométri-
ques. 11 est certain, d'une part, que l'usage du calcul ne
leur était point entièrement inconnu, puisqu'ils faisaient,
dans leur géométrie, des applications continuelles et fort
étendues de la théorie des proportions^ qui était pour eux,
comme moyen de déduction, une sorte d'équivalent réel,
quoique très-imparfait et surtout extrêmement borné, de
notre algèbre actuelle. On peut môme employer le calcul
d'une manière beaucoup plus complète qu'ils ne l'ont fait
pour obtenir certaines solutions géométriques, qui n'en
auront pas moins le caractère essentiel de la géométrie an-
cienne ; c'est ce qui arrive très-fréquemment, par rapport
à ces problèmes de géométrie à deux ou à trois dimensions,
qu'on désigne vulgairement sous le nom de déterminés.
D'un autre côté, quelque capitale que soit l'influence du
calcul dans notre géométrie moderne, plusieurs solutions
28 1 MATHÉMATIQUES.
obtenues sans al^èbre^ peuvent manifester quelquefois le
caractère propre qui la distingue de la géométrie ancienne,
quoiqu'en thèse générale, l'analyse soit indispensable;
j'en citerai, comme exemple, la méthode de Roberval pour
les tangentes, dont la nature est essentiellement moderne,
et qui cependant conduit, en certains cas, à des solutions
complètes^ sans aucun secours du calcul. Ce n'est donc
point par l'instrument de déduction employé qu'on doit
principalement distinguer les deux marches que l'esprit
humain peut suivre en géométrie.
La différence fondamentale, jusqu'ici imparfaitement
saisie, me paraît consister réellement dans la nature môme
des questions considérées. En effet, la géométrie, envisagée
dans son ensemble, et supposée parvenue à son entière
perfection, doit, comme nous l'avons vu, d'une part, em-
brasser toutes les formes imaginables, et, d'une autre part,
découvrir toutes les propriétés de chaque forme. Elle est
susceptible, d'après cette double considération, d'être trai-
tée suivant deux plans essentiellement distinctifs : soit en
groupant ensemble toutes les questions, quelque diverses
qu'elles soient, qui concernent une même forme, et isolant
celles relatives à des corps différents, quelque analogie qui
puisse exister entre elles; soit, au contraire, en réunissant
sous un môme point de vue toutes les recherches sembla-
bles, à quelques formes diverses qu'elles se rapportent
d'ailleurs, et séparant les questions relatives aux propriétés
réellement différentes d'un môme corps. En un mol, l'en-
semble de la géométrie peut être essentiellement ordonné
ou par rapport aux corps étudiés, ou par rapport aux phé-
nomènes ft considi'Ter. Le premier plan, qui est le plus na-
turei, a été celui des anciens; le second, inGniment plus
rationnel, est celui des modernes depuis Descartes.
Tel est, en effet, le caractère principal de la géométrie
GÉOMÉTRIE. ISS
ancienne, qu'on éludiait, une à une, les diverses lignes et
les diverses surfaces, ne passant à Texamen d'une nouvelle
forme que lorsqu'on croyait avoir épuisé tout ce que pou-
vaient offrir d'intéressant les formes connues jusqu'alors.
Dans cette manière de procéder, quand on entreprenait
Tétude d'une courbe nouvelle, l'ensemble des travaux exé-
cutés sur les précédents ne pouvait présenter directement
aucune ressource essentielle, autrement que par l'exercice
géométrique auquel il avait dressé l'intelligence. Quelle
que pût être la similitude réelle des questions proposées
sur deux formes différentes, les connaissances complètes
acquises pour Tune ne pouvaient nullement dispenser de
reprendre pour l'autre l'ensemble de la recherche. Aussi
la marche de l'esprit n'élait-elle jamais assurée ; en sorte
qu'on ne pouvait être certain d'avance d'obtenir une solu-
tion quelconque, quelque analogue que fût le problème
proposé à des questions déjà résolues. Ainsi, par exemple,
la détermination des tangentes aux trois sections coniques
ne fournissait aucun secours rationnel pour mener la tan-
gente à quelque autre courbe nouvelle, comme la con-
cholde, la cissoîde, etc. En un mot, la géométrie des
anciens était, suivant l'expression proposée ci-dessus^ es-
sentiellement spéciale.
Dans le système des modernes, la géométrie est, au
contraire, éminemment générale^ c'est-à-dire relative à des
formes quelconques. Il est aisé de comprendre d'abord
que toutes les questions géométriques de quelque intérêt
peuvent être proposées par rapport à toutes les formes
imaginables. C'est ce qu'on voit directement pour les pro-
blèmes fondamentaux, qui constituent, d'après les expli-
cations données dans celte leçon, l'objet définitif de la
géométrie, c'est-à-dire les rectifications, les quadratures
et les cubatures. Mais cette remarque n'est pas moins in-
à
284 MATUÉMATIQUES.
contestable, môme pour les recherches relatives aux di-
verses propriétés des lignes et des surfaces, et dont les plus
essentielles, telles que la question des tangentes ou des
plans tangents, la théorie des courbures, etc., sont évi-
demment communes à toutes les formes quelconques. Les
recherches très-peu nombreuses qui sont ^aiment parti-
culières à telle ou telle forme n'ont qu'une importance
extrêmement secondaire. Cela posé, la géométrie moderne
consiste essentiellement à abstraire, pour la traiter à part,
d'une manière entièrement générale, toute question rela-
tive à un même phénomène géométrique, dans quelques
corps qu'il puisse èlre considéré. L'application des théo-
ries universelles ainsi construites à la détermination spé-
ciale du phénomène dont il s'agit dans chaque corps parti-
culier n'est plus regardée que comme un travail subalterne,
à exécuter suivant des règles invariables et dont le succès
est certain d'avance. Ce travail est, en un mot, du môme
ordre que l'évaluation numérique d'une formule analyti-
que déterminée. Il ne peut y avoir sous ce rapport d'autre
mérite que celui de présenter, dans chaque cas, la solu-
tion nécessairement fournie par la méthode générale, avec
toute la simplicité et l'élégance que peut comporter la
ligne ou la surface considérée. Mais on n'attache d'im-
portance réelle qu'à la conception et à la solution com-
plète d'une nouvelle question propre à une forme quel-
conque. Les travaux de ce genre sont seuls regardés comme
faisant faire à la science de véritables pas. L'attention des
géomètres, ainsi dispensée de l'examen des particularités
des diverses formes, et dirigée tout entière vers les ques-
tions générales, a pu s'élever par là à la considération de
nouvelles notions géométriques, qui, appliquées aux cour-
bes étudiées par les anciens, en ont fait découvrir des
propriétés importantes qu'ils n'avaient pas môme soupçon-
GÉOMÉTRIE. 285
nées. Telle est la géométrie, depuis la révolution radi-
cale opérée par DescUrtes dans le système général de la
science.
La simple indication du caractère fondamental propre
à chacune des deux géomélries sufQt sans doute pour
mettre en évidence Timmense supériorilé nécessaire de la
géométrie moderne. On peut môme dire qu'avant la
grande conception de Descaries, la géométrie rationnelle
n'était pas vraiment constituée sur des bases définitives,
soit sous le rapport abstrait, soit sous le rapport concret.
En effet, pour la science considérée spéoulativement, il est
clair qu'en continuant indéfiniment, comme l'ont fait les
modernes avant Descartes et môme un peu après, à suivre
la marche des anciens, en ajoutant quelqnes nouvelles
courbes au petit nombre de celles qu'ils avaient étudiées,
les progrès, quelque rapides qu'ils eussent pu être, n'au-
raient été, après une longue suite de siècles^ que fort peu
considérables par rapport au syslème général de la géomé-
trie, vu l'infinie variété des formes qui seraient toujours
restées à étudier. Au contraire, à chaque question résolue
suivant la marche des modernes, le nombre des problèmes
géométriques k résoudre se trouve, une fois pour toutes,
diminué d'autant, par rapport à tous les corps possibles.
Sous un second point de vue, du défaut complet de mé-
thodes générales il résultait que les géomètres anciens,
dans toutes leurs recherches, étaient entièrement aban-
donnés à leurs propres forces, sans avoir jamais la certitude
d'obtenir tôt ou tard une solution quelconque. Si celte
imperfection de la science était éminemment propre à*
mettre dans tout son jour leur admirable sagacité, elle
devait rendre leurs progrès extrêmement lents : on peut
s'en faire une idée par le temps considérable qu'ils ont
employé à l'étude des sections coniques. La géométrie
S86 MATHÉMATIQUES.
moderne, assurant d'une manière invariable la marche de
notre esprit, permet, au contraire, d'utiliser au plus haut
degré possible les forces de Tinlelligence, que les anciens
devaient consumer fréquemment sur des questions bien
peu importantes.
Une différence non moins capitale se manifeste entre les
deux systèmes, quand on vient à considérer la géométrie
sous le rapport concret. En effet, nous avons remarqué
plus haut que la relation de l'abstrait au concret en géomé-
trie ne peut être solidement fondée sur des bases ration-
nelles qu'autant qu'on fait directement porter les recher-
ches sur toutes les formes imaginables. En n'étudiant les
lignes et les surfaces qu'une à une, quel que soit le nombre,
toujours nécessairement fort petit, de celles qu'on aura
considérées, l'apiilication des théories semblables aux
formes réellement < xistanles dans la nature n'aura jamais
qu'un caractère essentiellement accidentel, puisque rien
n'assure que ces formes pourront effectivement rentrer
dans les types abstraits envisagés par les géomètres.
Il y a certainement, par exemple, quelque chose de for-
tuit dans l'heureuse relation qui s'est établie entre les spé-
culations des géomètres grecs sur les sections coniques et
la détermination des véritables orbites planétaires. En con-
tinuant sur le môme plan les travaux géométriques, on
n'avait point, en général, le droit d'espérer de semblables
coïncidences; et il eût été possible, dans ces études spé-
ciales, que les recherches des géomètres se fussent diri-
gées sur des formes abstraites indéfiniment inapplicables,
tandis qu'ils en auraient négligé d'autres, susceptibles
peut-être d'une application importante et prochaine. Il est
clair, du moins, que rien ne garantissait positivement l'ap-
plicabilité nécessaire des spéculations géométriques. Il en
est tout autrement dans la géométrie moderne. Par cela
GÉOMÉTRIE. S87
seul qu'on y procède par questions générales relatives à
des formes quelconques^ on a d'avance la certitude évi-
dente que les formes réalisées dans le monde exlérieur ne
sauraient jamais échapper à chaque théorie, si le phéno-
mène géométrique qu'elle envisage vient à s'y présenter.
Par ces diverses considérations, on voit que le système
de géométrie des anciens porte essentiellement le carac-
tère de Tenfance de la science, qui n'a commencé à de-
venir complètement rationnelle que par suite de la révo-
lution philosophique opérée par Descartes. Mais il est
évident^ d'un autre côté, que la géométrie n'a pu être
conçue d'abord que de cette manière spéciale. La géomé-
trie générale n'eût point été possible, et la nécessité n'eût
pu môme en être sentie, si une longue suite de travaux spé-
ciaux sur les formes les plus simples n'avait point préalable-
ment fourni des bases à la conception de Descartes, et
rendu sensible l'impossibilité de persister indéfiniment
dans la philosophie géométrique primitive.
£n précisant autant que possible cette dernière considé-
ration, il faut môme en conclure que, quoique la géomé-
trie que j'ai appelée générale doive être aujourd'hui regardée
comme la seule véritable géométrie dogmatique, celle à
laquelle nous nous bornerons essentiellement, l'autre
n'ayant plus principalement qu'un intérêt historique, néan-
moins il n'est pas possible de faire disparaître entièrement
la géométrie spéciale dans une exposition rationnelle de
la science. On peut sans doute se dispenser^ comme on
l'a fait depuis environ un siècle, d'emprunter directement
à la géométrie ancienne tous les résultats qu'elle a fournis.
Les recherches les plus étendues et les plus difficiles dont
elle était composée ne sont plus môme habituellement
présentées aujourd'hui que d'après la méthode moderne.
Mai», par la nature môme du sujet, il est nécessairement
à
^S8 MATHÉMATIQUES.
impossible de se passer absolument de la méthode an-
cienne, qui, quoi qu'on fasse, servira toujours dogmatique-
ment de base préliminaire à la science, comme elle l'a fait
historiquement. Le motif en est facile à comprendre. En
eifet, la géométrie générale étant essentiellement fondée,
comme nous l'établirons bientôt, sur l'emploi du calcul,
sur la transformation des considérations géométriques en
considérations analytiques, une telle manière de procéder
ne saurait s'emparer du sujet immédiatement à son ori-
gine. Nous savons que l'application de l'analyse mathéma-
tique^ par sa nature, ne peut jamais commencer aucune
science quelconque, puisqu'elle ne saurait avoir lieu que
lorsque la science a déjà été assez cultivée pour établir,
relativement aux phénomènes considérés, quelques équa-
tions qui puissent servir de point de départ aux travaux
analytiques. Ces équations fondamentales une fois décou-
vertes, l'analyse permettra d'en déduire une multitude de
conséquences, qu'il eût été môme impossible de soup-
çonner d'abord ; elle perfectionnera la science à un degré
immense, soit sous le rapport de la généralité des concep-
tions, soit quant à la coordination complète établie entre
elles. Mais, pour constituer les bases mômes d'une science
naturelle quelconque, jamais, évidemment, la simple ana-
lyse mathématique ne saurait y suffire, pas môme pour les
démontrer de nouveau lorsqu'elles ont été déjà fondées.
Rien ne peut dispenser, à cet égard, de l'étude directe du
sujet, poussée jusqu'au point de la découverte de relations
précises. Tenter de faire rentrer la science, dès son origine,
dans le domaine du calcul, ce serait vouloir imposer à des
théories portant sur des phénomènes effectifs, le caractère
de simples procédés logiques, et les priver ainsi de tout ce
qui constitue leur corrélation nécessaire avec le monde
réel. En un mot, une telle opération philosophique, si par
GÉOMÉTRIE. S89
elle-môme elle n'élait pas nécessairement contradictoire,
ne saurait aboutir évidemment qu'à replonger la science
dans le domaine de la métaphysique, dont l'esprit humain
a eu tant de peine h se dégager complètement.
Ainsi, la géométrie des anciens aura toujours, par sa
nature, une première part nécessaire et plus ou moins
étendue dans le système total des connaissances géomé-
triques. Elle constitue une introduction rigoureusement
indispensable à ia géométrie générale. Mais c'est à cela
que nous devons la réduire dans une exposition complète-
ment dogmatique. Je considérerai donc directement, dans
la leçon suivante, celte géométrie spéciale ou préliminaire^
restreinte exactement à ses limites nécessaires, pour ne
plus m'occuper ensuite que de Texamen philosophique de
la géométrie générale ou définitive^ la seule vraiment ra-
tionnelle^ et qui aujourd'hui compose essentiellement la
science.
A. Comte. Tomcl. 19
ONZIÈME LEÇON
Sommaire. — Considérations générales sur la géométrie spéciale
ou préliminaire.
La méthode géométrique des anciens devant avoir né-
cessairement, d'après les motifs indiqués à la fin de la
leçon précédente, une pari préliminaire dans le système
dogmatique de la géomélrie, pour fournir à la géométrie
générale des fondements indispensables, il convient main-
tenant de fixer d*abord en quoi consiste strictement cette
fonction préalable de la géométrie spéciale^ ainsi réduite
au moindre développement possible.
En la considérant sous ce point de vue, il est aisé de re-
connaître qu'on pourrait la restreindre à la seule étude de
la ligne droite pour ce qui concerne la géométrie des
lignes, à la quadrature des aires planes rectilignes, et en-
fin à la cubature des corps termines par des faces planes.
Les propositions élémentaires relatives à ces trois questions
fondamentales constituent, en effet, le point de départ né-
cessaire de toutes les recherches géométriques; elles seules
ne peuvent être obtenues que par une étude directe du
sujet ; tandis qu'au contraire la théorie complète de toutes
les autres formes quelconques^ môme celle du cercle et
des surfaces et volumes qui s'y rapportent, peut aujour-
d'hui rentrer entièrement dans le domaine de la géométrie
générale ou analytique^ ces éléments primitifs fournissant
déjà des équations, qui suffisent pour permettre Tapplica-
GÉOMÉTRIE SPÉCIALE OU PRÉLIMINAIRE. 191
tioD du calcul aux questions géométriques, qui n'eût pas
été possible sans cette condition préalable.
n résulte de cette considération que, dans Tusage ordi-
naire/on donne à la géométrie élémentaire plus d'étendue
qu'il ne serait rigoureusement nécessaire , puisque, outre
la ligne droite, les polygones et les polyèdres^ on y com-
prend aussi le cercle et les corps ronds^ dont l'étude pour-
rait cependant être aussi purement analytique que celle,.
par exemple, des sections coniques. Une vénération irré-
fléchie pour l'antiquité contribue, sans doute, à maintenir
ce défaut de méthode. Mais, comme ce respect n'a point
empêché de faire rentrer dans le domaine de la géométrie
moderne la théorie des sections coniques, il faut bien que,
relativement aux formes circulaires, l'habitude contraire,
encore universelle, soit fondée sur d'autres motifs. La
raison la plus sensible qu'on en puisse donner, c'est le
grave inconvénient qu'il y aurait, pour l'enseignement or-
dinaire, à ajourner à une époque assez éloignée de l'édu-
cation mathématique la solution de plusieurs questions
essentielles, susceptibles d'une application immédiate et
continuelle à une foule d'usages importants. Pour procé-
der, en effet, de la manière la plus rationnelle^ ce ne serait
qu'à l'aide du calcul intégral qu'on pourrait obtenir les
intéressants résultats relatifs à la mesure de la longueur
ou de l'aire du cercle, ou à la quadrature de la sphère, etc.,
établis par les anciens d'après des considérations extrême-
ment simples. Cet inconvénient serait peu important, à
l'égard des esprits destinés à étudier l'ensemble de la
science mathém^atique, et l'avantage de procéder avec une
rationnante parfaite aurait, comparativement, une bien
plus grande valeur. Mais, le cas contraire étant encore le
plus fréquent, on a dû s'attacher à conserver dnns la géo-
métrie élémentaire proprement dite des théories aussi
892 MATHÉMATIQUES.
essentielles. En admettant l'influonce d*une telle considé-
ration, et ne restreignant plus cette géométrie préliminaire
à ce qui est strictement indispensable, on peut môme con-
cevoir l'utilité, pour certains cas particuliers, d*y intro-
duire plusieurs études importantes qui en ont été généra-
lement exclues, comme celles des sections coniques^ de la
cycloïde, etc., afin de renfermer, dans un enseignement
borné, le plus grand nombre possible de connaissances
usuelles, quoique, même sous le simple rapport du temps,
il fût préférable de suivre la marche la plus rationnelle.
Je ne dois point, à ce sujet, tenir compte ici des avan-
tages que peut présenter cette extension habituelle de la
méthode géométrique des anciens au delà de la destina-
tion nécessaire qui lui est propre, par la connaissance plus
profonde qu'on acquiert ainsi de cette méthode^ et par la
comparaison instructive qui en résulte avec la méthode
moderne. Ce sont là des qualités qui, dans l'étude d'une
science quelconque, appartiennent à la marche que nous
avons nommée historique^ et auxquelles il faut savoir re-
noncer franchement, quand on a bien reconnu la nécessité
de suivre là marche vraiment dogmatique. Après avoir
conçu toutes les parties d'une science de la manière la plus
rationnelle, nous savons combien il importe, pour com-
pléter cette éducation, d'étudier l'A/s/otVe de la science, et,
par conséquent, de comparer exactement les diverses mé-
thodes que l'esprit humain a successivement employées;
mais ces deux séries d'études doivent être, en général,
comme nous l'avons vu, soigneusement séparées. Cepen-
dant, dans le cas dont il s'agit ici, la méthode géométrique
des modes est peut-être encore trop récente pour qu'il
ne convienne pas, afin de la mieux caractériser par la com-
paraison, de traiter d'abord, suivant la méthode des
anciens, certaines questions qui, par leur nature, doi-
GÉOHÉTRIB 8FÉCIALB OU PRÉLIMINAIRE. i9S
Teat rentrer ratioanellement dans la géométrie moderne.
Quoi qu'il en soit, écartant maintenant ces diverses con-
sidérations accessoires, nous voyons que celte introduction
à la géométrie, qui ne peut être traitée que suivant la mé-
thode des anciens, est strictement réductible à Tétude de
la ligne droite, des aires polygonales et des polyèdres. Il
est môme vraisemblable qu'on finira par la restreindre
habituellement à ces limites nécessaires, quand les grandes
notions analytiques seront devenues plus familières, et
qu'une étude de l'ensemble des mathématiques sera uni-
versellement regardée comme la base philosophique de
réducation générale.
Si cette portion préliminaire de la géométrie, qui ne
saurait être fondée sur l'application du calcul, se réduit,
par sa nature, à une suite de recherches fondamentales
très-peu étendues, il est certain, d'un autre côté, qu'on ne
peut la restreindre davantage, quoique, par un véritable
abus de l'esprit analytique, on ait quelquefois essayé, dans
ces derniers temps, de présenter sous un point de vue pu-
rement algébrique l'établissement des théorèmes princi-
paux de la géométrie élémentaire. C'est ainsi qu'on a pré-
tendu démontrer par de simples considérations abstraites
d'analyse mathématique la relation constante qui existe
entre les trois angles d'un triangle rectiligne, la proposi-
tion fondamentale de la théorie des triangles semblables,
la mesure des rectangles, celle des parallélipipèdes, etc.,
en un mot, précisément les seules propositions géométri-
ques qui ne puissent être obtenues que par une étude di-
recte du sujet, sans que le calcul soit susceptible d'y avoir
aucune part. Je ne signalerais point ici de telles aberra-
tions, si elles n'avaient pas été déterminées par l'intention
évidente de perfectionner, au plus haut degré possible, le
caractère philosophique de la science géométrique, en la
194 MATHÉMATIQUES.
faisant rentrer immédiatement, dès sa naissance, dans le
domaine des applications de l'analyse mathématique. Mais
Terreur capitale commise à cet égard par quelques géo-
mètres doit être soigneusement remarquée, parce qu^elie
résulte de l'exagération irréfléchie de cette tendance, au-
jourd'hui très-naturelle et éminemment philosophique,
qui porte à étendre de plus en plus Tinfluence de l'analyse
dans les études mathématiques. La contemplation des ré-
sultats prodigieux auxquels l'esprit humain est parvenu, en
suivant une telle direction, a dû involontairement entraîner
à croire que môme les fondements de la mathématique
concrète pourraient être établis sur de simples considéra-
tions analytiques. Ce n'est point, en effet, pour la géométrie
seulement que nous devons noter de semblables aberra-
tions; nous aurons bientôt à en constater de parfaitement
analogues relativement à la mécanique, à l'occasion des pré-
tendues démonstrations analytiques du parallélogramme
des forces. Cette confusion logique a môme aujourd'hui
bien plus de gravité en mécanique, où elle contribue effec-
tivement à répandre encore un nuage métaphysique sur le
caractère général de la science; tandis que, du moins en
géométrie, ces considérations abstraites ont été jusqu'ici
laissées en dehors, sans s'incorporer à l'exposition normale
de la science.
D'après les principes présentés dans cet ouvrage, sur la
philosophie m.athématique, il n'est pas nécessaire d'insister
beaucoup pour faire sentir le vice d'une telle manière de
procéder. Nous avons déjà reconnu, en effet, que le calcul
n'étant et ne pouvant être qu'un moyen de déduction, c'est
s'en former une idée radicalement fausse que de vouloir
l'employer à établir les fondements élémentaires d'une
science quelconque ; car sur quoi reposeraient, dans une
telle opération, les argumentations analytiques ? Un travail
GÉOMÉTRIE SPÉCIALE OU PRÉLIMINAIRE. 295
de cette nature, bien loin de perfectionner véritablement
le caractère philosophique d'une science, constituerait un
retour vers l'état métaphysique, en présentant des con-
naissances réelles comme de simples abstractions logiques.
Quand on examine en elles-mêmes ces prétendues dé-
monstrations analytiques des propositions fondamentales
de la géométrie élémentaire, on vérifie aisément leur in-
signiûance nécessaire. Elles sont toutes fondées sur une
manière vicieuse de concevoir le principe de l'homogénéité,
dont j'ai exposé, dans la cinquième leçon^ la véritable no*
lion générale. Ces démonstrations supposent que ce prin-
cipe ne permet point d'admettre la coexistence dans une
même équation de nombres obtenus par des comparaisons
concrètes différentes, ce qui est évidemment faux et visi-
blement contraire à la marche constante des géomètres.
Aussi, il est facile de reconnaître qu'en employant la loi
de l'homogénéité dans cette acception arbitraire et illégi-
time, on pourrait parvenir à démontrer avec tout autant de
rigueur apparente des propositions dont l'absurdité est
manifeste au premier coup d'œil. En examinant avec atten-
tion, par exemple, le procédé à l'aide duquel on a tenté
de prouver analytiquement que la somme des trois angles
d'un triangle rectiligne quelconque est constamment égale
à deux angles droits, on voit qu'il est fondé sur celte no-
tion préliminaire, que, si deux triangles ont deux de leurs
angles respectivement égaux, le troisième angle sera aussi,
de part et d'autre, nécessairement égal. Ce premier point
étant accordé, la relation proposée s'en déduit immédia*^
tement, d'une manière très-exacte et fort simple. Or, la
considération analytique^ d'après laquelle on a voulu éta-
blir cette proposition préalable, est d'une telle nature, que,
si elle pouvait être juste, on en déduirait rigoureusement,
en la reproduisant en sens inverse, cette absurdité pal-
296 MATHÉMATIQUES.
pable, que deux côtés d'un triangle snfBsent, sans aucun
angle, à l'entière détermination du troisième côté. On peut
faire des remarques analogues sur toutes les démonstra-
tions de ce genre, dont le sophisme sera ainsi vériGé d'une
manière parfaitement sensible.
Plus nous devons ici considérer la géométrie comme
étant aujourd'hui essentiellement analytique, plus il était
nécessaire de prémunir les esprits contre cette exagéra-
tion abusive de l'analyse mathématique, suivant laquelle on
prétendrait se dispenser de toute observation géométrie
que proprement dite, en établissant sur de pures abstrac-
tions algébriques les fondements mômes de cette science,
naturelle. J'ai dû attacher d'autant plus d'importance à
caractériser des aberrations ainsi liées au développement
normal de l'esprit humain, qu'elles ont été pour ainsi dire
consacrées dans ces derniers temps par l'assentiment for-
mel d'un géomètre fort distingué, dont l'autorité exerce
sur l'enseignement élémentaire de la géométrie une très-
grande influence.
Je crois devoir remarquer à cette occasion que, sous
plus d'un autre rapport, on a, ce me semble^ trop perdu
de vue le caractère de science naturelle nécessairement
inhérent à la géométrie. Il est aisé de le reconnaître, en
considérant les vains efforts tentés si longtemps par les
géomètres pour démontrer rigoureusement, non à l'aide du
calcul, mais d'après certaines constructions, plusieurs
propositions fondamentales de la géométrie élémentaire.
Quoi qu'on puisse faire, on ne saurait évidemment évi-
ter de recourir quelquefois en géométrie à la simple ob-
servation immédiate, comme moyen d'établir divers ré-
sultats. Si, dans cette science, les phénomènes que Ton
considère sont, en vertu de leur extrême simplicité»
beaucoup plus liés entre eux que ceux relatifs à toute autre
GÉOMÉTRIE Sl'ÉCIALE OU rUÉLIMTNAIRE. S97
science physique, il doit néanmoins b'cn. trouver néces-
sairement quelques-uns qui ne peuvent être déduits, et
qui servent, au contraire, de point de départ. Qu'il con-
Tienne^ en thèse générale, pour la plus grande perfection
rationnelle de la science, de les réduire au plus petit
nombre possible, cela est sans doute incontestable ; mais
il serait absurde de prétendre les faire disparaître complè-
tement. J'avoue d'ailleurs que je trouve moins d'inconvé-
nients réels à étendre un peu au delà de ce qui serait stric-
tement nécessaire le nombre de ces notions géométriques
ainsi établies par Tobservalion immédiate, pourvu qu'elles
soient d'une simplicité suffisante, qu'à en faire le sujet de
démonstrations compliquées et indirectes, même quand
ces démonstrations peuvent être logiquement irrépro-
chables.
Après avoir caractérisé aussi exactement que possible
la véritable destination dogmatique de la géométrie des
anciens réduite à son moindre développement indispen-
sable, il convient de considérer sommairement dans son
ensemble chacune des parties principales dont elle doit se
composer. Je crois pouvoir me borner ici à envisager la
première et la plus étendue de ces parties, celle qui a pour
objet l'étude de la ligne droite ; les deux autres sections,
savoir : la quadrature des polygones et la cubature des
polyèdres, ne pouvant donner lieu, vu leur nature trop
restreinte, à aucune considération philosophique de quel-
que importance distincte de celles indiquées dans la
leçon précédente relativement à la mesure des aires et des
volumes en général.
La question définitive que Ton a constamment en vue
dans Télude de la ligne droite consiste proprement à dé-
terminer les uns par les autres les divers éléments d'une
figure rectiligne quelconque, ce qui permet de connaître
298 MATHÉMATIQUES.
toujours indirectement une ligne droite dans quelques
circonstances qu'elle puisse être placée. Ce problème fon-
damental est susceptible de deux solutions générales, dont
la nature est tout à fait distincte^ Tune graphique, l'autre
algébrique. La première, quoique fort imparfaite, est celle
qu'on doit considérer d'abord, parce qu'elle dérive spon-
tanément de l'étude directe du sujet; la seconde, bien
plus parfaite sous les rapports les plus importants, ne
peut être étudiée qu'en dernier lieu, parce qu'elle est
fondée sur la connaissance préalable de l'autre.
La solution graphique consiste à rapporter à volonté la
figure proposée, soit avec les mômes dimensions, soit
surtout avec des dimensions variées dans une proportion
quelconque. Le premier mode ne peut guère être men-
tionné que pour mémoire, comme étant le plus simple, et
celui que l'esprit doit envisager d'abord, car il est évidem-
ment, d'ailleurs, presque entièrement inapplicable par sa
nature. Le second est, au contraire, susceptible de l'appli-
cation la plus étendue et la plus utile. Nous en faisons
encore aujourd'hui un usage important et continuel, non-
seulement pour représenter exactement les formes des
corps et leurs positions mutuelles, mais môme pour la
détermination effective des grandeurs géométriques, quand
nous n'avons pas besoin d'une grande précision. Les
anciens, vu l'imperfection de leurs connaissances géomé-
triques, employaient ce procédé d'une manière beaucoup
plus étendue, puisqu'il a été longtemps le seul qu'ils pus-
sent appliquer, môme dans les déterminations précises les
plus importantes. C'est ainsi, par exemple, qu'Aristarque
de Samos estimait la distance relative du soleil et de la
lune à la terre, en prenant des mesures sur un triangle
construit le plus exactement possible.de façon à être
semblable au triangle rectangle formé par les trois astres,
GÉOMÉTRIE SPÉCIALE OU PRÉLIMINAIRE. 299
à rîDstant ofi la lune se trouve en quadrature, et où, en
conséquence, il sufûrait, pour déflnir le triangle, d'ob-
server l'angle à la terre. Archimède lui-mômey quoi-
que ayant, le premier, introduit en géométrie les détermi-
nations calculées, a plusieurs fois employé de semblables
moyens. La formation de la trigonométrie n'y a pas fait
même renoncer entièrement, quoiqu'elle en ait beaucoup
diminué l'usage ; les Grecs et les Arabes ont continué à
s'en servir pour une foule de recherches, où nous regar-
dons aujourd'hui l'emploi du calcul comme indispensable.
Cette exacte reproduction d'une figure quelconque sui-
vant une échelle différente ne peut présenter aqcune
grande difficulté théorique lorsque toutes les parties de la
flgare proposée sont comprises dans un même plan. Mais,
tà Ton suppose, comme il arrive le plus souvent, qu'elles
soient situées dans des plans différents, on voit naître
alors un nouvel ordre de considérations géométriques. La
figure artificielle, qui est constamment plane, ne pouvant
plus, en ce cas, être une image parfaitement fidèle de la
figure réelle, il faut d'abord fixer avec précision le mode
de représentation, ce qui donne lieu aux divers systèmes
de projection. Cela posé , il reste à déterminer suivant
quelles lois les phénomènes géométriques se correspon-
dent dans les deux figures. Cette considération engendre
une nouvelle série de recherches géométriques, dont
l'objet définitif est proprement de découvrir comment on
pourra remplacer les constructions en relief par des cons-
tructions planes. Les anciens ont eu à résoudre plusieurs
questions élémentaires de ce genre, pour les divers cas où
nous employons aujourd'hui la trigonométrie sphérique,
et principalement pour les différents problèmes relatifs à
la sphère céleste. Telle était la destination de leurs ana-
lèmes^ et des autres figures planes qui ont suppléé pen-
800 MATHÉMATIQUES.
dant si longtemps à Tusage du calcul. On voit par là que
les anciens connaissaient réellement les éléments de ce que
nous nommons maintenant la géométrie descriptive^ quoi-
qu'ils ne les eussent point conçus d'une manière distincte
et générale.
Je crois convenable de signaler ici rapidement, à cette
occasion, le véritable caractère pbilosopbique de cette
géométrie descriptive, bien que, comme étant une science
essentiellement d*applicat\on, elle ne doive pas ôlre com-
prise dans le domaine propre de cet ouvrage^ tel que je l'ai
circonscrit en commençant.
Toutes les questions quelconques de géométrie à trois
dimensions donnent lieu nécessairement, quand on en
considère la solution graphique, à une difficulté générale
qui leur est propre, celle de substituer aux diverses cons-
truclions en relief nécessaires pour les résoudre, et qui
sont presque toujours d'une exécution impossible, de sim-
ples constructions planes équivalentes, susceptibles de
déterminer finalement les mômes résultats. Sans cette in-
dispensable conversion, chaque solution de ce genre serait
évidemment incomplète et réellement inapplicable dans la
pratique, quoique, pour la théorie, les constructions dans
l'espace soient ordinairement préférables comme plus
directes. C'est aGn de fournir les moyens généraux d'effec-
tuer constamment une telle transformation que la géomé-
trie descriptive a été créée et constituée en un corps de
doctrine distinct et homogène par une vue de génie de
notre illustre Monge. 11 a préalablement conçu un mode
uniforme de représenter les corps par des figures tracées
sur un seul plan, à l'aide des projections sur deux plans
différents, ordinairement perpendiculaires entre eux, et
dont Tun est supposé tourner autour de leur intersection
commune pour venir se confondre avec le prolongement
GÉOMÉTRIE SPÉCIALE OU PRÉLIMINAIRE. 801
de l'antre; il a sufQ, dans ce système, ou dans tout antre
équivalent, de regarder les points et les lignes comme
déterminés par leurs projections, et les surfaces par les
projections de leurs génératrice'^. Cela posé, Mong«>, ana-
lysant avec une profonde sagacité les divers travaux par-
tiels de ce genre exécnlés avant lui d'après une foule de
procédés incohérents, et considérant môme, d'une manière
générale et directe, en quoi devaient consister constamment
les questions quelconques de cette nature, a recormu qu'elles
étaient toujours réductibles à un très-petit nombre de
problèmes abstraits invariables, susceptibles d'être résolus
séparément une fois pour toutes par des opérations uni-
formes, et qui se rapportent essentiellement les uns aux
contacts et les autres aux intersections des surfaces. Ayant
formé des méthodes simples et entièrement générales pour
la solution graphique de ces deux ordres de problèmes,
toutes les questions géométriques auxquelles peuvent
donner lieu les divers arts quelconques de construction,
la coupe des pierres, la charpente, la perspective, la gno-
monique, la fortification, etc., ont pu Ctre traitées dé-
sormais comme de simples cas particuliers d'une théorie
unique, dont l'application invariable conduira toujours
nécessairement à une solution exacte, susceptible d'être
facilitée dans la pratique eu profitant des circonstances
propres à chaque cas.
Cette importante création mérite singulièrement de
fixer l'attention de tous les philosophes qui considèrent
l'ensemble des opérations de l'espèce humaine, comme
étant un premier pas, et jusqu'ici le seul rée lement com-
plet, vers cette rénovation générale des travaux humains,
qui doit imprimer à tous nos arts un caractère de préci-
sion et de rationnalité, si nécessaire à leurs progrès futurs.
Une telle révolution devait, en elTet, commencer inévita-
802 MATHÉMATIQUES.
blement par cette classe de travaux industriels qui se rap-
porte essei^tiellement à la science la plus simple, la plus
parfaite et la plus ancienne. Elle ne peut manquer de s'é-
tendre successivement dans la suite, quoique avec moins
de facilité, à toutes les autres opérations pratiques. Nous
aurons môme bientôt occasion de remarquer que Monge,
qui a conçu plus profondément que personne la véritable
philosophie des arts, avait essayé d'ébaucher pour l'in-
dustrie mécanique une doctrine correspondante à celle
qu'il avait si heureusement formée pour l'industrie géo-
métrique, mais sans obtenir, pour ce cas, dont la difficulté
est bien supérieure, aucun autre succès que celui d'indi-
quer assez nettement la direction que doivent prendre les
recherches de cette nature.
Quelque essentielle que soit réellement la conception de
la géométrie descriptive, il importe beaucoup de ne pas
se méprendre sur la véritable destination qui lui est si
expressément propre, comme l'ont fait, surtout dans les
premiers temps de cette découverte, ceux qui y ont vu un
moyen d'agrandir le domaine général et abstrait de la
géométrie rationnelle. L'événement n'a nullement répondu
depuis à ces espérances mal conçues. Et, en effet, n'est-il
pas évident que la géométrie descriptive n'a de valeur
spéciale que comme science d'application, comme consti-
tuant la véritable théorie propre des arts géométriques?
Considérée sous le rapport abstrait, elle ne saurait intro-
duire aucun ordre vraiment distinct de spéculations
géométriques. Il ne faut point perdre de vue que, pour
qu'une question géométrique tombe dans le domaine
propre de la géométrie descriptive, elle doit nécessaire-
nient avoir toujours été résolue préalablement par la
géométrie spéculative, dont ensuite, comme nous l'avons
vu, les solutions ont constamment besoin d'être préparées
GÉOMÉTRIE SPÉCIALE OU PRÉLIMINAIRE. iSOS
pour la pratique de manière à suppléer aux constructions
en relief par des constructions planes, substitution qui
constitue réellement la seule fonction caractéristique de la
géométrie descriptive.
11 convient néanmoins de remarquer ici que, sous le
rappport de Téducation intellectuelle, Tétude de la géomé-
trie descriptive présente une importante propriété philoso-
pbique> tout à fait indépendante de sa haute utilité indus-
trielle. C'est l'avantage qu'elle offre si éminemment, eu
habituant à considérer dans l'espace des systèmes géomé-
triques quelquefois très-composés, et à suivre exactement
leur correspondance continuelle avec les figures effective-
ment tracées,d'exercerainsiauplus haut degré delà manière
la plus sûre et la plus précise cette importante faculté de
l'esprit humain qu'on appelle Vimagination proprement dite^
et qui consiste, dans son acception élémentaire et positive,
à se représenter nettement, avec facilité, un vaste ensemble
variable d'objets fictifs, comme s'ils étaient sous nos yeux.
Enfin, pour achever d'indiquer la nature générale de la
géométrie descriptive en déterminant son caractère logi-
que^ nous devons observer que si, par le genre de ses solu-
tions, elle appartient à la géométrie des anciens, d'un autre
côté elle se rapproche de la géométrie des modernes par
l'espèce des questions qui la composent. Ces questions
sont, en effet, éminemment remarquables par cette géné-
ralité que nous avons vue, dans la dernière leçon, consti-
tuer le vrai caractère fondamental de la géométrie moderne ;
les méthodes y sont toujours conçues comme applicables
à des formes quelconques, les particularités propres à
chaque forme n'y pouvant avoir qu'une influence purement
secondaire. Les solutions y sont donc graphiques comme
la plupart de celles des anciens, et générales comme celles
desinodernes.
804 MATHÉMATIQUES.
Après celle imporlanle digression, dont le lecteur aura
sans doute reconnu la nécessité, poursuivons l'examen
philosophique de la géomélrie spéciale^ considérée tou-
jours comme réduite à son moindre développement pos-
sible, pour servir d'introduction indispensable à la géomé-
lrie générale. Ayant sufflsamment envisagé la solution
graphique du problème fondamental relatif à la ligne
droite, c'est-à-dire de la détermination les uns par les
autres des divers éléments d'une figure rectiligne quel-
conque, nous devons maintenant en examiner d'une ma-
nière générale la solution algébrique.
Cette seconde solution, dont il est inutile ici d'apprécier
expressément la supériorité évidente, appartient nécessai-
rement, par la nature môme de la question, au système
de la géométrie ancienne, quoique le procédé logique
employé l'en fasse ordinairement séparer mal à propos.
Nous avons lieu de vérifier ainsi, sous un rapport très-
important, ce qui a été établi en général dans la leçon pré-
cédente, que ce n'estpoint par l'emploi du calcul qu'on doit
distinguer essentiellement la géométrie moderne de celle
des anciens. Les anciens sont, en efi'et, les vrais inventeurs de
la trigonomélrie actuelle, tant sphérique que rectiligne, qui
seulement était beaucoup moins parfaite entre leurs mains,
vu l'extrôme infériorité de leurs connaissances algébriques.
C'est donc réellement dans cette leçon, et non, comme on
pourrait le croire d'abord, dans celles que nous consacre-
rons ensuite à l'examen philosophique de la géométrie
générale, qu'il convient d'apprécier le caractère de cette
importante théorie préliminaire, habituellement comprise
à tort dans ce qu'on appelle la géométrie analytique, et qui
n'est effectivement qu'un complément de la géométrie
élémentaire proprement dite.
Toutes les figures reclilignes pouvant être décomposées
GÉOMÉTRIE SPÉCIALE OU PRÉLIMINAIRE. 805
en triangles, il suffit évidemment de savoir déterminer les
uns parles autres les divers éléments d'un triangle, ce qui
réduit Ibl polygonométrie k la simple trigonométrie.
Pour qu'une telle question puisse ôlre résolue algébri-
quement, la difticulté consiste essentiellement à former
entre les angles et les côtés d'un triangle trois équations
distinctes, qui, une fois obtenues, réduiront évidemment
tous les problèmes Irigonométriques à de pures recherches
de calcul. En considérant de la manière la plus générale
rétablissement de ces équations, on voit naître immédiate-
ment une distinction fondamentale relativement au mode
d'introduction des angles dans le calcul, suivant qu'on les
y fera entrer directement par eux-mêmes ou par les arcs
circulaires qui leur sont proportionnels, ou qu'au con-
traire, on leur substituera certaines droites, comme, par
exemple, les cordes de ces arcs qui leur sont inhérentes,
et que, par cette raison, on appelle ordinairement leurs
lignes trigonomélriqnes. De ces deux systèmes de trigono-
métrie, le second a dû être, à l'origine, le seul adopté,
comme étant le seul praticable^ puisque l'état de la géo-
métrie permettait alurs de trouver assez aisément des rela-
tions exactes entre les côtés des triangles et les lignes tri-
gononnéiriques des angles, tandis qu'il eût été absolument
impossible, à cette époque, d'établir des équations entre les
côtés et les angles eux-mêmes. La solution pouvant aujour-
d'hui être obtenue indifféremment dans l'un et dans l'autre
système, ce motif de préférence ne subsiste plus. Mais les
géomètres n'en ontpas moins dû persister à suivre parcboix
le système primitivement admis par nécessité ; car, la même
raison qui a permis ainsi d'obtenir les équations trigono-
métriques avec beaucoup plus de facilité doit également,
comme il est encore plus aisé de le concevoir d prion\
rendre ces équations bien plus simples, puisqu'elles existent
A. Comte. Tome 1. tO
^ •
806 MATHÉMATIQUES.
alors seulement entre des lignes droites, au lieu d'être
établies entre des lignes droites et des arcs de cercle. Une
telle considération a d'autant plus d'importance qu'il s'agit
là de formules éminemment élémentaires, destinées à être
continuellement employées dans toutes les parties de la
science mathématique aussi bien que dans toutes ses di-
verses applications.
On peut objecter, il est vrai, que, lorsqu'un angle est
donné, c'est toujours en effet par lui-môme et non par sa
ligne trigonométrique ; et que, lorsqu'il est inconnu, c'est
sa valeur angulaire qu'il s'agit proprement de déterminer,
et non celle d'aucune de ses lignes trigonométriques. Il
semble, d'après cela, que de telles lignes ne sont entre les
côtés et les angles qu'un intermédiaire inutile, qui doit
être finalement éliminé, et dont l'introduction ne parait
point susceptible de simplifier la recherche qu'on se pro-
pose. Il importe, en effet, d'expliquer avec plus de généra-
lité et de précision qu'on ne le fait d'ordinaire l'immense
utilité réelle de cette manière de procéder. Elle consiste
en ce que l'introduction de ces grandeurs auxiliaires par-
tage la question totale de la trigonométrie en deux autres
essentiellement distinctes, dont l'une a pour objet de pas-
ser des angles à leurs lignes trigonométriques ou récipro-
quement, et dont l'autre se propose de déterminer les côtés
des triangles parles lignes trigonométriques de leurs angles
ou réciproquement. Or la première de ces deux questions
fondamentales est évidemment susceptible, par sa nature»
d'être entièrement traitée et réduite en tables numériques
une fois pour toutes, en considérant tous les angles pos-
sibles, puisqu'elle ne dépend que de ces angles, et nulle-
ment des triangles particuliers où ils peuvent entrer dans
chaque cas; tandis que la solution de la seconde question
doit nécessairement être renouvelée, du moins sous le rap-
•
GÉOMÉTRIE SPÉCIALE OU PRÉLIMINAIRE. $07
pori arithmétique, à chaque nouveau triangle qu'il faut ré-
soudre. C'est pourquoi la première portion du travail total,
qui serait précisément la plus pénible, n'est plus comptée
ordinairement, étant toujours faite d'avance; tandis que, si
ane telle décomposition n'avait point été instituée, on se
serait trouvé évidemment dans l'obligation de recommen-
cer dans chaque cas particulier le calcul tout entier. Telle
est la propriété essentielle du système trigonomélrique
adoptée, qui, en effet, ne présenterait réellement aucun
avantage effectif si, pour chaque angle à considérer, il
fallait calculer continuellement sa ligne trigonomélrique
ou réciproquement : l'intermédiaire serait alors plus gê-
nant que commode.
Afin de comprendre nettement la vraie nature de cette
conception, il sera utile de la comparer à une conception
encore plus importante, destinée à produire un effet analo-
gue, soit sous le rapport algébrique, soit surtout sous le rap-
port arithmétique, l'admirable théorie des logarithmes. En
examinant d'une manière philosophique l'influence de cette
théorie, on voit, en effet, que son résultat général est d'a-
voir décomposé toutes les opérations arithmétiques ima-
ginables en deux parties distinctes, dont la première, qui
est la plus compliquée, est susceptible d'être exécutée à
J'avance une fois pour toutes, comme ne dépendant que
des nombres à considérer et nullement des diverses com-
binaisons quelconques dans lesquelles ils peuvent entrer, et
qui consiste à se représenter tous les nombres comme des
puissances assignables d'un nombre constant; la seconde
partie du calcul, qui doit nécessairement être recommencée
pour chaque formule nouvelle à évaluer, étant dès lors ré-
duite à exécuter sur ces exposants des opérations corréla-
tives infiniment plus simples. Je me borne à indiquer ce
rapprochement, que chacun peut aisément développer.
808 MATH ÉM ATIQUES .
Nous devons de plus observer comme une propriété,
secondaire aujourd'hui, mais capitale à Porigine, du sys-
tème trigonométrique adopté, la circonstance très-remar-
quable que la détermination des angles par leurs lignes
trigonométriques ou réciproquement est susceptible d'une
solution arithmétique, la seule qui soil directement indis-
pensable pour la destination propre de la trigonométrie,
sans avoir préalablement résolu la question algébrique
correspondante. C'est sans doute è une telle particularité
que les anciens ont dû de pouvoir connaître la trigono-
métrie. La recherche ainsi conçue a été d'autant plus
facile que, les anciens ayant pris naturellement la corde
pour ligne trigonométrique, les tables se trouvaient avoir
été d'avance construites en partie pour un tout autre motif,
en vertu du travail d'Archimède sur la recliûcntion da
cercle, d'où résultait la détermination eflective d'une cer-
taine suite de cordes, en sorte que, lorsque plus tard Hip-
parque eut invente la trigonométrie, il put se bornera com-
pléter celte opération par des intercalations convenables,
ce qui marque nettement la filiation des idées à cet égard.
Afin d'esquisser entièrement cet aperçu philoso|/hique
de la trigonométrie, il convient d'observer maintenant que
l'extension du même motif qui conduit à remplacer les
angles ou les arcs de cercle par des lignes droites, dans la
vue de simplifier les équations, doit aussi porter à em-
ployer concurremment plusieurs lignes trigonométriques,
au lieu de se borner à une seule, comme le faisaient les
anciens, pour perfectionner ce système en choisissant celle
qui sera algébriquement la plus convenable en telle ou
telle occasion. Sous ce rapport, il est clair que le nombre
de ces lignes n'e^t par lui-même nullement limité ; pourvu
qu'elles soient déterminées d'après l'arc, et que récipro-
quement elles le déterminent, suivant quelque loi qu'elles
GBOMkiTRIE SPÉCIALE OU PHjLl1311NAIRË. 809
en dérivent d'ailleurs, elles sont aptes à lui être substituées
dans les équations. En se bornant aux conslniclions les
plus simples, les Arabes et les modernes ensuite ont suc-
cessivement porté à quatre ou à cinq le nombre des lignes
trigonométriques directes^ qui pourrait être étendu bien
davantage. Mais, au lieu de recourir à des formations géo-
métriques qui finiraient par devenir très-compliquées, on
conçoit avec une extrême facilité autant de nouvelles lignes
trigonométriques que peuvent l'exiger les transformations
analytiques, au moyen d'un artifice remarquable, qui n'est
pas ordinairement saisi d'une manière assez générale. Il
consiste, sans multiplier immédiatement les lignes trigo-
nométriques propres à chaque arc considéré, à en intro-
duire de nouvelles en regardant cet arc comme déterminé
indirectement par toutes les lignes relatives à un arc qui
soit une fonction très-simple du premier. C'est ainsi, par
exemple, que souvent, pour calculer un angle avec plus de
facilité, on déterminera, au lieu de son sinus, le sinus de
sa moitié ou de son double, etc. Une telle création de
lignes trigonométriques indirectes est évidemment bien plus
féconde que tous les procédés géométriques immédiats
pour en obtenir de nouvelles. On peut dire^ d'après cela,
que le nombre des lignes trigonométriques effectivement
employées aujourd'hui par les géomètres est réellement
indéfini, puisqu'à chaque instant, pour ainsi dire, les
transformations analytiques peuvent conduire à Taugmen-
ler par le procédé que je viens d'indiquer. Seulement, on
n'a donné jusqu'ici de noms spéciaux qu'à celles de ces
lignes indirectes qui se rapportent au complément de l'arc
primitif, les autres ne revenant pas assez fréquemment
pour nécessiter de semblables dénominations, ce qui a
fait communément méconnaître la véritable étendue du
système trigonométrique.
310 MATHÉMATIQUES.
Cette muUipIicité des lignes irigonométriques fait naître
évidemment, dans la trigonométrie^ une troisième ques-
tion fondamentale, l'étude des relations qui existent entre
ces diverses lignes; puisque, sans une telle connaissance,
on ne pourrait point utiliser, pour les besoins analytiques,
cette variété de grandeurs auxiliaires, qui n'a pourtant
pas d'autre destination. Il est clair, en outre, d'après la
considération indiquée tout à Theure, que cette partie es-
sentielle de la trigonométrie, quoique simplement prépa-
ratoire, est, par sa nature, susceptible d'une extension
indéûnie quand on l'envisage dans son entière généralité,
tandis que les deux autres sont nécessairement circon-
scrites dans un cadre rigoureusement défini.
Je n'ai pas besoin d'ajouter expressément que ces trois
parties principales de la trigonométrie doivent être étu-
diées dans un ordre précisément inverse de celui suivant
lequel nous les avons vues dériver nécessairement de la
nature générale du sujet, car la troisième est visiblement
indépendante des deux autres, et la seconde de celle qui
s'est présentée la première, la résolution des triangles pro-
prement dite, qui doit, pour cette raison, être traitée en
dernier lieu, ce qui rendait d'autant plus importante la
considération de la filiation naturelle.
Il était inutile d'envisager ici distinctement la trigono-
métrie sphérique, qui ne peut donner lieu à aucune consi-
dération philosophique spéciale, puisque, quelque essen-
tielle qu'elle soit par Timportance et la multiplicité de ses
usages, on ne peut plus la traiter aujourd'hui, dans son
ensemble, que comme une simple application de la trigo-
nométrie rectiligne, qui fournit immédiatement ses équa-
tions fondamentales, en substituant au triangle sphérique
Tangle trièdre correspondant.
J^ai cru devoir indiquer cette exposition sommaire de la
GÉOMÉTRIE SPÉCIALE OU PRÉLIMINAIRE. SU
philosophie trigonométrique, qui pourrait d'ailleurs don-
ner lieu à beaucoup d'autres considérations intéressantes,
afin de rendre sensibles, par un exemple important, cet
enchaînement rigoureux et cette ramification successive
que présentent les questions les plus simples en apparence
de la géométrie élémentaire.
Ayant ainsi suffisamment considéré pour le but de cet
ooTrage le caractère propre de la géométrie spéciale^ réduite
à sa seule destination dogmatique, de fournir à la géomé-
trie générale une base préliminaire indispensable, nous de-
vons désormais porter toute notre attention sur la véritable
science géométrique, envisagée dans son ensemble de la
manière la plus rationnelle. Il faut d'abord, à cet effet,
soigneusement examiner la grande idée mère de Descartes,
sar laquelle elle est entièrement fondée, ce qui fera l'objet
de la leçon suivante.
DOUZIÈME LEÇON
Sommaire. — Conception fondamentale de la géométrie générale
ou analytique.
La géométrie générale étant entièrement fondée sur la
transformation des considérations géométriques en consi-
dérations analytiques équivalentes, nous devons d'abord
examiner directement et d'une manière approfondie la
belle conception d'après laquelle Descartes a établi uni-
formément la possibilité constante d'une telle corrélation.
Outre son extrême importance propre, comme moyen de
perfectionner éminemment la science géométrique, ou
plutôt de la constituer dans son ensemble sur des bases
rationnelles, Tétude philosophique de cette admirable
conception doit avoir à nos yeux un intérêt d'autant plus
élevé, qu'elle caractérise avec une parfaite évidence l.i
méthode générale à employer pour organiser les relations
de Tabstrait au concret en mathématique, par la repré-
sentation analytique des phénomènes naturels. Il n'y a
point, dans la philosophie mathématique, de pensée qui
mérite davantage de ûxer toute notre attention.
Afin de parvenir à exprimer par de simples relations
analytiques tous les divers phénomènes géométriques que
l'on peut imaginer, il faut évidemment établir d'abord un
mode général pour représenter analyliquement les sujets
mêmes dans lesquels ces phénomènes résident, c'est-à-dire
les lignes ou les surfaces à considérer. Le sujet étant ainsi
GÉOMÉTRIE GENERALE OU ANALYTIQUE. SIS
habituellement envisagé sous un point de vue purement
analytique, on comprend que dès lors il a été possible de
concevoir de la môme manière les accidents quelconques
dont il est susceptible.
Pour organiser la représentation des formes géométri-
ques par des équations analytiques, on doit surmonter
préalablement une difliculté fondamentale, celle de réduire
i des idées simplement numériques les éléments généraux
des diverses notions géométriques; en un mot, de substi-
tuer, en géométrie, de pures considérations de quantité à
toutes les considérations de qualité,
A cet effet, remarquons d'abord que toutes les idées
géométriques se rapportent nécessairement à ces trois
catégories universelles : la grandeur, la forme et la posi-
tion des étendues à considérer. Quant à la première, il n'y a
éfidemment aucune difficulté ; elle rentre immédiatement
dans les idées de nombres. Pour la seconde, il faut remar-
quer qu'elle est toujours réductible par sa nature à la
troisième. Car la forme d'un corps résuite évidemment de
la position mutuelle des diCTérenls points dont il est com-
posé, en sorte que l'idée de position comprend nécessai-
rement celle de forme, et que toute circonstance de forme
peut être traduite par une circonstance de position. C'est
ainsi, en effet, que l'esprit humain a procédé pour parvenir
à la représentation analytique des formes géométriques,
la conception n'étant directement relative qu'aux posi-
tions. Toute la dilGculté élémentaire se réduit donc pro-
prement à ramener les idées quelconques de situation à
des idées de grandeur. Telle est la destination immédiate
de la conception préliminaire sur laquelle Descaries a
établi le système général de la géométrie analytique.
Son travail philosophique a simplement consisté, sous
ce rapport, dans l'entière généralisation d'un procédé
Zih MATHÉMATIQUES.
élémentaire qu'on peut regarder comme naturel à l'esprit
humain, puisqu'il se forme pour ainsi dire spontanément
chez toutes les intelligences, môme les plus vulgaires. En
effet, quand il s'agit d'indiquer la situation d'un objet sans
le montrer immédiatement, le moyen que nous adoptons
toujours, et le seul évidemment qui puisse être employé,
consiste à rapporter cet objet à d'autres qui soient con-
nus, en assignant la grandeur des éléments géométriques
quelconques, par lesquels on le conçoit lié à ceux-ci (1).
Ces éléments constituent ce que Descartes, et d'après lui
tous les géomètres, ont appelé les coordonnées de chaque
point considéré; qui sont nécessairement au nombre de
deux si Ton sait d'avance dans quel plan le point est situé,
et au nombre de trois s'il peut se trouver indifféremment
dans une région quelconque de l'espace. Autant de con-
strurtions différentes on peut imaginer pour déterminer la
position d'un point, soit sur un plan, soit dans l'espace,
autant on conçoit de systèmes de coordonnées distincts,
qui sont susceptibles, par conséquent, d'être multipliés
à l'infini. Mais, quel que soit le système adopté, on aura
toujours ramené les idées de situation à de simples idées
de grandeur, en sorte que l'on se représentera le déplace-
ment d'un point comme produit par de pures variations
numériques dans les valeurs de ses coordonnées. Pour ne
considérer d'abord que le cas le moins compliqué, celui
de la géométrie plane, c'est ainsi qu'on détermine le plus
souvent la position d'un point sur un plan, par ses dis-
tances plus ou moins grandes à deuï droites fixes sup-
posées connues, qu'on nomme axes, et qu'on suppose ordi-
nairement perpendiculaires entre elles. Ce système est le
(I) C'est ainsi, par exemple, que nous déterminons habituellement la
position des lieux sur la terre par leurs distances plus ou moins grandes
à Téquateur et à un premier méridien.
GÉOMÉTRIE GÉNÉRALE OU ANALYTIQUE. 315
«
plas adopté, à cause de sa simplicité ; mais les géomètres
en emploient quelquefois encore une infinité d'autres.
Ainsi, la position d'un point sur un plan peut être déter-
minée par ses distances à deux points fixes, ou par sa
distance à un seul point fixe, et la direction de cette dis-
tance, estimée par l'angle plus ou moins grand qu'elle fait
avec une droite fixe, ce qui constitue le système des coor-
données dites polaires, le plus usité après celui dont nous
afons parlé d'abord ; ou par les angles que forment les
droites allant du point variable à deux points fixes avec la
droite qui joint ces derniers; ou par les distances de ce
point à une droite fixe et à un point fixe, etc. En un mot,
il n'y a pns de figure géométrique quelconque d'où l'on ne
poisse déduire un certain système de coordonnées, plus ou
moins susceptible d'être employé.
Une observation générale qu'il importe de faire à cet
^rd, c'est que tout système de coordonnées revient à
déterminer un point, dans la géométrie plane, par Tinter-
section de deux lignes, dont chacune est assujettie à cer-
taines conditions fixes de détermination ; une seule de ces
conditions restant variable, et tantôt Tune, tantôt une au-
tre, selon le système considéré. On ne saurait, en effet,
concevoir d'autre moyen de construire un point que de le
marquer par la rencontre de deux lignes quelconques.
Ainsi, dans le système le plus fréquent, celui des coordon-
nêe$ rectUignes proprement dites, le point est déterminé
par l'intersection de deux droites, dont chacune reste
constamment parallèle à un axe fixe, en s'en éloignant plus
on moins ; dans le système polaire^ c'est la rencontre d'un
cercle de rayon variable et dont le centre est fixe, avec
ane droite mobile assujettie à tourner autour de ce centre,
qoi marque la position du point; en choisissant d'autres
systèmes, le point pourrait être désigné par l'intersection
816 MATaKMATlQOES.
é
de deux cercles, ou de deux autres lignes queIcoD(iaes, etc.
Eq uq mot, assigne» la valeur d'une des coordonnées d'un
point dans quelque systènr)e que ce puisse être, c'est tou-
jours nécessairenaent déterminer une certaine ligne sur
laquelle ce point doit être situé. Les géomètres de l'anti-
quité avaient déjà fait celte remarque essentielle, qui ser-
vait de base à leur méthode des lieux géométriques^ dont
ils faisaient un si heureux usage pour diriger leurs recher-
ches dans la résolution des problèmes de géométrie déter-
minés^ en appréciant isolément l'influence de chacune des
deux conditions par lesquelles était déflni chaque point
constituant l'objet, direct ou indirect, de la question pro-
posée : c'est précisément cette méthode dont la systéma-
tisation générale a été pour Descartes le motif immédiat
des travaux qui l'ont conduit à fonder la géométrie analy-
tique.
Après avoir nettement établi cette conception prélimi-
naire, en vertu de laquelle les idées de position, et, par
suite implicitement, toutes les notions géométriques élé-
mentaires, sont réductibles à de simples considérations
numériques, il est aisé de concevoir directement, dans son
entière généralité, la grande idée mère de Descartes, re-
lative à la représentation analytique des formes géométri-
ques, ce qui constitue l'objet propre de cette leçon. Je
continuerai à ne considérer d'abord, pour plus de facilité,
que la géométrie à deux dimensions, la seule que Des-
cartes ait traitée, devant ensuite examiner séparément sous
le même point de vue ce qui est propre à la théorie des
surfaces ou des courbes à double courbure.
D'après la manière d'exprimer analytiquement la posi-
tion d'un point sur un plan, on peut aisément établir que,
par quelque propriété qu'une ligne quelconque puisse être
définie, cette définition est toujours susceptible d'être
GÉOMÉTRIE GÉNÉRALE 00 ANALYTIQUE. 817
remplacée par une équalion correspoE^lànte entre les deux
coordonnées variables du point qui décrit celle ligne,
équation qui sera dès lors la représentation analytique de
la ligne proposée, dont tout phénomène devra se tniduire
par une cerlaine niodincation algébrique de son équalion.
Si l'on suppose, en effet, qu'un poinl se meuve sur un plan
sans que son cours soit déterminé en aucune manière, on
devra évidemment regarder ses deux coordonnées, dans
quelque système que ce soit, comme deux variables en-
tièrement indépendantes Tune de l'autre. Mais si, au con-
traire, ce poinl est assujetti à décrire une certaine ligne
quelconque, il faudra nécessairement concevoir que ses
coordonnées conservent entre elles, dans toutes les posi-
tions qu'il peut prendre, une certaine relation permanente
et précise, susceptible, par conséquent, d'ôtre exprimée
par une équation convenable, qui* deviendra la définition
analytique très-nette et très-rigoureuse de la ligne consi-
dérée, puisqu'elle exprimera une propriété algébrique
exclusivement relative aux coordonnées de tous les points
de cette ligne. 11 est clair, en effet, que, lorsqu'un point
n'est soumis à aucune condition, sa biluation n'est déter-
minée qu'autant qu'on donne à la fois ses deux coordon-
nées, distinctement l'une de l'autre; tandis que, quand le
point doit se trouver sur une ligne déûnie, une seule coor-
donnée suffit pour fixer entièrement sa position. La se-
conde coordonnée est donc alors une fonction déterminée
de la première, ou, en d'autres termes, il doit exister entre
elles une certaine équalion^ d'une nature correspondante
à celle de la ligne sur laquelle le point est assujetti à res-
ter. En un mol, chacune des coordonnées d'un point l'o-
bligeant à être situé sur une certaine ligne, on conçoit ré-
ciproquement que lu condition, de la pari d'un point, de
devoir appartenir à une ligne définie d'une manière quel-
tl8 MATHEMATIQUES.
conque, équivaut à assigner la valeur de l'une des deux
coordonnées, qui se trouve^ dans ce cas, ôlre enlièrement
dépendante de l'autre. La relation analytique qui exprime
cette dépendance peut être plus ou moins difficile à dé-
couvrir; mais on doit évidemment en concevoir toujours
l'existence, même dans les cas oix nos moyens actuels se-
raient insuffisants pour la faire connaître. C'est par celte
simple considération que, indépendamment des vérifica-
tions particulières sur lesquelles est ordinairement établie
cette conception foudamenlaie à l'occasion de telle ou
telle définition de ligne, on peut démontrer, d'une ma-
nière entièrement générale, la nécessité de la représenta-
tion analytique des lignes par les équations.
En reprenant en sens inverse les mômes réflexions, on
mettrait aussi facilement en évidence la nécessité géomé-
trique de la représentation de toute équation à deux va-
riables, dans un système déterminé de coordonnées, par
une certaine ligne, dont une telle relation serait, à défaut
d'aucune autre propriété connue, une définition très-ca-
ractéristique, et qui aura pour destination scientifique de
fixer immédiatement l'attention sur la marche générale
des solutions de l'équation, qui se trouvera ainsi notée de
la manière la plus sensible et la plus simple. Cette pein-
ture des équations est un des avantages fondamentaux les
plus importants de la géométrie analytique, qui a par là
réagi nu plus haut degré sur le perfectionnement général
de l'analyse elle-même, non-seulement en assignant aux
recherches purement abstraites un but nettement déter-
miné et une carrière inépuisable, mais, sous un rapport
encore plus direct, en fournissant un nouveau moyen phi-
losophique de méditation analytique, qui ne pourrait être
remplacé par aucun autre. En efi^et, la discussion purement
algébrique d'une équation en fait sans doute connaître les
GÉOMÉTRIE GÉNÉRALE OU ANALYTIOLR. 819
solutions de la manière la plus précise, mais en les consi-
dérant seulement une à une, de telle sorte que; par cette
voie, leur marche générale ne saurait être conçue qu'en
résultat définitif d'une longue et pénible suite de compa-
raisons numériques, après laquelle l'activité intellectuelle
doit ordinairement se trouver émoussée. Au contraire, le
lieu géométrique de l'équation, étant uniquement destiné
à représenter distinctement et avec une netteté parfaite le
résumé de cet ensemble de comparaisons, permet de le
considérer directement en faisant complètement abstrac-
tion des détails qui l'ont fourni, et par là peut indiquer à
notre esprit des vues analytiques générales auxquelles nous
serions difficilement parvenus de toute autre manière,
Êiute d'un moyen de caractériser clairement leur objet. Il
est évident, par exemple, que la simple inspection de la
courbe logarithmique ou de la courbe ^ = sin o^ fait con-
naître d'une manière bien plus distincte le mode général
de variations des logarithmes par rapport aux nombres
ou des sinus par rapport aux arcs, que ne pourrait le
permettre l'étude la plus attentive d'une table de loga-
rithmes ou d'une table trigonométrique. On sait que ce
procédé est devenu aujourd'hui entièrement élémentaire.
et qu'on l'emploie toutes les fois qu'il s'agit de saisir nette-
ment le caractère général de la loi qui règne dans une suite
d'observations précises d'un genre quelconque.
Revenant à la représentation des lignes par les équa-
tions, qui est notre objet principal, nous voyons que celte
représentation est, par sa nature, tellement iidèle, que la
ligne ne saurait éprouver aucune modification, quelque
légère qu'elle soit, sans déterminer dans l'équation un
changement correspondant. Cette comi)lète exactitude
donne même lieu souvent à des difficultés spéciales, en ce
que, dans notre système de géométrie analytique^ les
8S0 MATUEMATIQUES.
simples déplacemenls des lignes se faisant aussi bien res-
sentir dan^ les équations que les variations réelles de
grandeur ou de forme, on pourrait être exposé à confondre
analytiquement les uns avec les autres, si les géomètres
n'avaient pas découvert une méthode ingénieuse expressé-
ment destinée à les distinguer constamment. Cette mé-
thode est fondée sur ce que, bien qu'il soit impossible de
changer analytiquement à volonté la position d'une ligne
par rapport aux axes des coordonnées, on peut changer
d'une manière quelconque la situation des axes eux-
mêmes, ce qui est évidemment équivalent ; dès lors, à
l'aide des formules générales très-simples par lesquelles
on opère cette transformation d'axes, il devient aisé de re-
connaître si deux équations différenles ne sont que l'expres-
sion analytique d'une môme ligne diversement située, ou
se rapportent à des lieux géométriques vraiment dibtincts,
puisque, dans le premier cas, l'une d'elles doit rentrer
dans l'autre en changeant convenablement les axes ou les
autres constantes du système de coordonnées considéré.
Du reste, il faut remarquer à ce sujet que les inconvénients
généraux de cette naiure paraissent, en géométrie ana-
lytique, devoir être strictement inévitables; puisque les
idées de position étant, comme nous l'avons vu^ les seules
idées géométriques immédiatement réductibles à des con-
sidérations numériques, et les notions de forme ne pou-
vant y être ramenées qu'en voyant en elles des rapports de
situation, il est impossible que l'analyse ne confonde point
d'aliord les phénomènes de forme avec de simples phéno-
mènes de position, les seuls que les équations expriment
directement.
Pour compléter l'explication philosophique de la con-
ception fondamentale qui sert de base à la géométrie ana-
lytique, je crois devoir indiquer ici une nouvelle considé-
GÉOMÉTRIE GÉNÉRALE OU ANALYTIQUE. Sti
ration générale, qui me semble particulièrement propre à
mettre dans tout son jour celte représentation nécessaire
des lignes par des équations à deux variables. Elle consiste
en ce que non-seulement, ainsi que nous l'avons établi,
toute ligne définie doit nécessairement donner lieu à une
certaine équation entre les deux coordonnées de l'un quel-
conque de ses points ; mais, de plus, toute définition de
ligne peut être envisagée comme étant déjà elle-même une
6quation de cette ligne dans un système de coordonnées
convenable.
Il est aisé d'établir ce principe, en faisant d'abord une
distinction logique préliminaire relativement aux diverses
sortes de définition. La condition rigoureusement indis-
pensable de toute définition, c'est de distinguer l'objet
défini d'avec tout autre, en assignant une propriété qui lui
appartienne exclusivement. Mais ce but peut être atteint,
en général, de deux manières très-difi'érentes : ou par une
définition simplement caractéristique y c'est-à-dire indi-
quant une propriété qui, quoique vraiment exclusive, ne
bit pas connaître la génération de l'objet; ou par une dé-
finition réellement explicative, c'est-à-dire caractérisant
l'objet par une propriété qui exprime un de ses modes de
génération. Par exemple, en considérant le cercle comme
la ligne qui, sous le même contour, renferme la plus
grande aire, on a évidemment une définition du premier
genre; tandis qu'en choisissant la propriété d'avoir tous
ses points à égale distance d'un point fixe, ou toute autre
semblable, on a une définition du second genre. 11 est, du
reste, évident, en thèse générale, que, quand même un
objet quelconque ne serait d'abord connu que par une dé-
finition caractéristique^ on ne devrait pas moins l'envisager
comme susceptible de définitions explicatives^ que ferait
nécessairement découvrir l'étude ultérieure de cet objet
A. GoHTi. Tome L ti
322 MATHÉMATIQUES.
Cela posé, il est clair que ce n'est point aux déOnitions
simplennent caractéristiques que peut s'appliquer Tobserra-
(ion générale annoncée ci-dessus, qui représente toute dé-
finition de ligne comme étant nécessairement une équation
de celte ligne dans un certain système de coordonnées. On
ne peut l'entendre que des définitions vraiment explicatives.
Mais, en ne considérant que celle-ci, le principe est aisé à
constater. En effet, il est évidemment impossible de définir
la génération d'une ligne, sans spécifier une certaine re-
lation entre les deux mouvements simples, de translation
ou de rotation, dans lesquels se décomposera à chaque
instant le mouvement du point qui la décrit. Or, en se for-
mant la notion la plus générale de ce que c'est qu'un
système des coordonnées, et admettant tous les systèmes pos-
sibles, il est clair qu'une telle relation ne sera autre chose
que Véquation de la ligne proposée, dans un système de
coordonnées d'une nature correspondante à celle du mode
de génération considérée. Ainsi, par exemple, la définition
vulgaire du cercle peut évidemment être envisagée comme
étant immédiatement Véqtiation polaire de cette courbe, en
prenant pour pôle le centre du cercler de môme, la défi-
nition élémentaire de l'ellipse ou de l'hyperbole, comme
étant la courbe engendrée par un point qui se meut dételle
manière, que la somme ou la différence de ses distances à
deux points fixes demeure constante, donne sur-le-champ,
pour l'une ou l'autre courbe, Téquation y-{-x=^c,en pre-
nant pour système de coordonnées celui dans lequel on
déterminerait la position d'un point par ses distances à
deux points fixes, et choisissant pour ces pôles les deux
foyers donnés ; pareillement encore, la définition ordinaire
de la cyclolde quelconque fournirait directement, pour
cette courbe, l'équation y = mx, en adoptant comme coor-
données de chaque point l'arc plus ou moins grand qu'il
GÉOKÉTRIB GÉNÉRAU OU ANALYTIQUE. 81 1
marque sur un cercle de rayon inTariable à partir du point
de contact de ce cercle avec une droite fixe, et la dislance
rectiligne de ce point de contact à une certaine origine
prise sur cette droite. On peut faire des vérificalions ana-
logues et aussi faciles relativement aux déûnitions habi-
tuelles des spirales, des épicycloîdes, etc. On trouvera
constamment qu'il existe un certain système de coor-
données, dans lequel on obtient immédiatement une équa-
tion très-simple de la ligne proposée, en se bornant à
écrire algébriquement la condition imposée par le mode
de génération que l'on considère.
Outre son importance directe, comme moyen de rendre
parfaitement sensible la rpprésentation nécessaire de toute
ligne par une équation, la considération précédente me
parait pouvoir offrir une véritable utilité scienliflque, en
caractérisant avec exactitude la principale difficulté géné-
rale qu'on rencontre dans l'établissement effectif de ces
équations, et, par conséquent, en fournissant une indica-
tion intéressante relativement à la marche à suivre dans les
recherches de ce genre, qui, par leur nature, ne sauraient
comporter des règles complètes et invariables. En effet, si
une définition quelconque de ligne, du moins parmi celles
qui indiquent un mode de génération, fournit directement
l'équation de cette ligne dans un certain système de coor-
données, ou, pour mieuxdire, constitue par elle-même cette
équation, il s'ensuit que la difficulté qu'on éprouve sou-
vent à découvrir l'équation d'une courbe, d'après telle ou
telle de ses propriétés caractéristiques, difficulté, qui quel-
quefois est très-grande, ne doit provenir essentiellement
que de la condition qu'on s'impose ordinairement d'expri-
mer analytiquement cette courbe à l'aide d'un système de
coordonnées désigné, au lieu d'admettre indifféremment
tous les systèmes possibles. Ces divers systèmes ne peuvent
8S4 MATHÉMATIQUES.
pas être regardés, en géométrie analytique, comme étant
tous également convenables; pour différents motifs, dont
les plus importants vont être discutés ci-dessous, les géo-
mètres croient devoir presque toujours rapporter, autant
que possible, les courbes à des coordonnées rectilignes
proprement dites. Or on conçoit, d'après ce qui précède,
que souvent ces coordonnées uniques ne seront pas celles
relativement auxquelles Téquation de la courbe se trouve-
rait immédiatement établie par la définition proposée. La
principale difficulté que présente la formation de l'équa-
tion d'une ligne consiste donc réellement, en général, dans
une certaine transformation de coordonnées. Sans doute,
cette considération n'assujettit point l'établissement de ces
équations à une véritable méthode générale complète, dont
le succès soit toujours assuré nécessairement^ ce qui, par
la nature môme du sujet, est évidemment chimérique;
mais une telle vue peut nous éclairer utilement à cet égard
sur la marche qu'il convient d'adopter pour parvenir au but
proposé. Ainsi, après avoir d'abord formé l'équation pré-
paratoire qui dérive spontanément de la définition que Ton
considère, il faudra, pour obtenir l'équation relative au
système de coordonnées qui doit être admis définitivement,
chercher à exprimer en fonction de ces dernières coor-
données celles qui correspondent naturellement au mode
de génération dont il s'agit. C'est sur ce dernier travail
qu'il est évidemment impossible de donner des préceptes
invariables et précis. On peut dire seulement qu'on aura
d'autant plus de ressources à cet égard, qu'on saura plus
de véritable géométrie analytique, c'est-à-dire qu'on con-
naîtra l'expression algébrique d'un plus grand noaihre
de phénomènes géométriques différents.
Pour compléter l'exposition philosophique de la concep-
tion qui sert de base à la géométrie analytique, il me reste
GÉOMÉTRIE GÉNÉRALE OU ANALYTIQUE. tl5
à indiquer les considérations relatives au choix du système
de coordonnées qui est, en général, le plus convenable, ce
qui fournira l'explication rationnelle de la préférence una-
nimement accordée au système rectiligne ordinaire, préfé-
rence qui a été plutôt jusqu'ici TeiTet d'un sentiment empi-
rique de la supériorité de ce système que le résultat exact
d'une analyse directe et approfondie.'
Afin de décider nettement entre tous les divers systèmes
de coordonnées, il est indispensable de distinguer avec
soin les deux points de vue généraux, inverses l'un de l'au-
tre, propres à la géométrie analytique, savoir : la relation
de l'algèbre à la géométrie, fondée sur la représentation des
lignes par les équations; et réciproquement la relation delà
géométrie à l'algèbre fondée sur la peinture des équations
par les lignes.
Il est évident que, dans toute recherche quelconque de
géomélrfe générale, ces deux points de vue fondamentaux
se trouvent nécessairement combinés sans cesse, puisqu'il
s'agit toujours de passer alternativement, et à' des inter-
valles pour ainsi dire insensibles, des considérations géo-
métriques aux considérations analytiques, et des considé-
rations analytiques aux considérations géométriques. Mais
la nécessité de les séparer ici momentanément n'en est pas
moins réelle ; car la réponse à la question de méthode que
nous examinons est, en effet, comme nous allons le voir,
fort loin de pouvoir être la môme sous l'un et sous l'autre
de ces deux rapports, en sorte que sans cette distinction
on ne saurait s'en former aucune idée nette.
Sous le premier point de vue, rigoureusement isolé, le
seul motif qui puisse faire préférer un système de coordon-
nées à un autre ne peut être que la plus grande simplicité
de l'équation de chaque ligne, et la facilité plus grande d'y
parvenir. Or il est aisé de voir qu'il n'existe et n^ doit
8f6 MATHÉMATIQUES.
exister aucun système de coordonnées méritant à cet égard
une préférence constante sur tous les autres. En effet,
nous avons remarqué ci-dessus que, pour chaque définition
géométrique proposée^ on peut concevoir un système de
coordonnées dans lequel l'équation de la ligne s'obtient im-
médiatement et se trouve nécessairement être en même
temps fort simple : de plus, ce système varie inévitablement
avec la nature de la propriété cnractérislique que l'on con-
sidère. Ainsi, le système rectiligne ne saurait être, en ce
sens, constamment le plus avantageux, quoiqu'il soit sou-
vent très-favorable ; il n'en est probablement pas un seul
qui, dans certains cas particuliers, ne doive à cet égard lui
être préféré, aussi bien qu'à tout autre système.
H n'en est, au contraire, nullement de même sous le
second point de vue. On peut, en effet, facilement établir,
en thèse générale, que le système recliligne ordinaire doit
s'adapter nécessairement mieux que tout autre à la pein-
ture des équations par les lieux géométriques correspon-
dants, c'est-à-dire que cette peinture y est constamment
plus simple et plus fidèle.
Considérons, pour cela, que, tout système de coordon-
nées consistant à déterminer un point par l'intersection de
deux lignes, le système propre à fournir les lieux géomé-
triques les plus convenables doit être celui dans lequel ces
deux lignes sont le plus simples possible, ce qui restreint
d'abord le choix à ne pouvoir porter que sur des systèmes
recdiignes, A la vérité, il y a évidemment une infinité de
systèmes qui méritent ce nom, c'est-à-dire qui n'emploient
que des lignes droites pour déterminer les points, outre le
système ordinaire qui assigne pour coordonnées les dis-
tances à deux droites fixes ; tel serait, par exemple, celui
dans lequel les coordonnées de chaque point se trouve-
raien^étre les deux angles que font les droites qui abou*
GÉOMÉTBIE GÉNÉRALE OU ANALYTIQUE. Si7
tissent de ce point à deux points fixes avec la droite de
jonclion de ces derniers; en sorte que cette première con-
sidération n'est pas rigoureusement suffisante pour expli-
quer la pr(!^férence accordée unanimement au système
ordinaire. Mais, en examinant d'une manière plus approfon-
die la nature de tout système de coordonnées, nous avons
reconnu, en outre, que chacune des deux lignes dont la
rencontre détermine le point considéré, doit nécessaire-
ment offrir à chaque instant, parmi ses diverses conditions
quelconques de détermination, une seule condition varia-
ble, qui donne lieu à l'ordonnée correspondante, et toutes
les autres Gxes, qui constituent les axes du système, en
prenant ce terme dans son acception mathématique la plus
étendue : la variation est indispensable pour que toutes les
positions puissent être considérées, et la ûxité ne Test pas
moins pour qu'il existe des moyens de comparaison. Ainsi,
dans tous les systèmes rectilignes, chacune des deux droi-
tes sera assujettie h une condition fixe, et l'ordonnée ré-
sultera de la condition variable. Sous ce rapport, il est évi-
dent, en thèse générale, que le système le plus favorable à
la construction des lieux géométriques sera nécessaire-
ment celui d'après lequel la condition variable de chaque
droite sera le plus simple possible, sauf à compliquer pour
cela, s'il le faut, la condition fixe. Or, de toutes les manières
possibles de déterminer deux droites mobiles, la plus
aisée à suivre géométriquement est certainement celle
dans laquelle, la direction de chaque droite restant inva-
riable, elle ne fait que se rapprocher ou s'éloigner plus ou
moins d'un axe constant. II serait, par exemple, évidem-
ment plus difficile de se figurer nettement le déplacement
d'an point produit par Tintersection de deux droites, qui
tourneraient chacune autour d'un point fixe en faisant avec
un certain axe un angle plus ou moins grand, comme dans
828 MATHÉMATIQUES.
le système de coordonnées précédemment indiqué. Telle
est la véritable explication générale de la propriété fonda-
mentale que présente, par sa nature, le système rectiligne
ordinaire, d'être plus apte qu'aucun autre à la représenta-
tion géométrique des équations, comme étant celui dans
lequel il est le plus aisé de concevoir le déplacement d'uD
point en résultat du changement de valeur de ses coor-
données. Pour sentir nettement toute la force de cette
considération, il sufGrait, par exemple, de comparer soi-
gneusement ce système avec le système polaire, dans
lequel cette image géométrique si simple et si aisée à
suivre, de deux droites se mouvant chacune parallèlement
à Taxe correspondant, se trouve remplacée par le tableau
compliqué d'une série infinie de cercles concentriques
coupée par une droite assujettie à tourner autour d'un
point fixe. Il est d'ailleurs facile de concevoir à priori
quelle doit être, pour la géométrie analytique, l'extrême
importance d'une propriété aussi profondément élémen-
taire, qui, par cette raison, doit se reproduire à chaque
instant et prendre une valeur progressivement croissante
dans tous les travaux quelconques de celte nature (i).
En précisant davantage la considération qui démontre
la supériorité du système de coordonnées ordinaire sur
tout autre quant à la peinture des équations^ on peut
même se rendre compte de l'utilité que présente sous ce
(I ) Devant me borner ici à la comparaison la plus générale, Je n'ai point
considéré plusieurs autres inconvénients élémentaires de moindre impor-
tance, mais cependant fort graves, que présente le système des coordon-
nées polaires, comme de ne point admettre d'interprétation géométrique
pour le signe du rayon recteur, et même d'assigner quelquefois un point
unique pour diverses solutions distinctes, d'où il résulte que la peinture
des équations y est nécessairement imparfaite. Quels que soient ces incon-
vénients, comme plusieurs systèmes autres que le système rectiligne ordi-
naire pourraient aussi en être exempts, il ne fallait point en tenir compte
pour établir la supériorité générale de ce dernier.
GÉOMÉTRIE GÉNÉRALE OU ANALYTIQUE. 819
rapport l'usage habituel de prendre, autant que possible, les
deux axes perpendiculaires entre eux plutôt qu'avec aucune
autre inclinaison. Sous le rapport de la représentation des
lignes par les équations, cette circonstance secondaire n'est
pas plus universellement convenable que nous n'avons vu
l'être la nature même du système ; puisque, suivant les
occasions, toute autre inclinaison des axes peut mériter à
cet égard la préférence. Mais, sous le point de vue inverse,
il est aisé de voir que les axes rectangulaires permettent
constamment de peindre les équations d'une manière plus
simple et même plus fidèle. Car, avec des axes obliques,
l'espace se trouvant partagé par eux en régions dont
lldentité n'est plus parfaite, il en résulte que, si le lieu
géométrique de l'équation s'étend à la fois dans toutes ces
régions, il y présentera, à raison de la seule inégalité des
angles, des différences de figure qui, ne correspondant à
aucune diversité analytique, altéreront nécessairement
Tezactitude rigoureuse du tableau, en se mêlant aux ré-
sultats propres des comparaisons algébriques. Par exemple,
une équation comme x" -^y^ = c, qui, par sa symétrie
parfaite, devrait donner évidemment une courbe composée
de quatre quarts identiques, sera représentée, au con-
traire, en prenant des axes non rectangulaires, par un
lieu géométrique dont les quatre parties seront inégales.
On voit que le seul moyen d'éviter toute disconvenance de
ce genre est de supposer droit l'angle des deux axes.
La discussion précédente établit clairement que, si, sous
Tnn des deux points de vue fondamentaux continuellement
combinés en géométrie analytique, le système de coor-
données rectilignes proprement dit n'a aucune supériorité
constante sur tout autre ; comme il n'est pas non plus à
cet égard constamment inférieur, sa plus grande aptitude
nécessaire et absolue à la peinture des équations doit lui
330 MATHÉMATIQUES.
faire généralement accorder la préférence, quoiqu'il
puisse évidemment arriver^ dans quelques cas parliculiers,
que le besoin de simpliOer les équations et de les obtenir
plus aisément détermine les géomètres à adopter un
système moins parfait. C'est, en effet, d'après le système
rectiligne^ que sont ordinairement construites les théories
les plus essentielles de géométrie générale, destinées à
exprimer analytiquement les phénomènes géométriques
les plus importants. Quand on juge nécessaire d'en choisir
un autre, c'est presque toujours le système polaire auquel
on s'arrête, ce système étant d'une nature assez opposée
à celle du système rectilignc pour que les équations trop
compliquées relativement à celui-ci deviennent, en gé-
néral^ suffisamment simples par rapport à l'autre. Les
coordonnées polaires ont d'ailleurs souvent l'avantage de
comporter une signiûcation concrète plus directe et plus
naturelle, comme il arrive en mécanique pour les ques-
tions géométriques auxquelles donne lieu la théorie des
mouvements de rotation, et dans presque tous les cas de
géométrie céleste.
Afin de simplifier l'exposition, nous n'avons jusqu'ici
considéré la conception fondamentale delà géométrie ana-
lytique que relativement aux seules courbes planes, dont
l'étude générale avait été l'objet unique delà grande réno-
vation philosophique opérée par Descartes. Il s'agit main-
tenant, pour compléter cette importante explication, de
montrer sommairement de quelle manière cette pensée
élémentaire a été étendue, environ un siècle après, par
notre illustre Clairauly à l'étude générale des surfaces et
des courbes à double courbure. Les considérations indi-
quées ci-dessus me permettront de me borner à ce sujet è
l'examen rapide de ce qui est strictement propre à ce nou-
veau cas.
GÉOMÉTRIE GENERALE OU ANALYTIQUE. Stl
L'entière détermination analytique d'un point dans l'es-
pace exige évidemment qu'on assigne les valeurs de trois
coordonnées; par exemple, d'après le système le plus fré-
quemment adopté et qui correspond au système rectiligne
de la géométrie plane, des distances de ce point à trois
plans fixes, ordinairement perpendiculaires entre eux, ce
qui présente le point comme l'intersection de trois plans
dont la direction est invariable. On pourrait également
employer les distances du point mobile à trois points fixes,
ce qui le déterminerait par la rencontre de trois sphères
à centre constant. De môme, la position d'un point serait
définie en donnant sa distance plus ou moins grande à un
point fixe, et la direction de cette distance, au moyen des
deux angles que fait cette droite avec deux axes invaria-
bles ; c'est le système polaire propre à la géométrie à trois
dimensions; le point est alors construit par l'intersection
d'une sphère à centre constant avec deux cônes droits à
base circulaire dont les axes et le sommet commun ne
changent pas. En un mot, il y a évidemment, dans ce cas,
au moins la môme variété infinie entre les divers systèmes
possibles de coordonnées que nous avons déjà observée
pour la géométrie à deux dimensions. En général, il faut
concevoir un point comme toujours déterminé par l'inter-
section de trois surfaces quelconques, ainsi qu'il l'était au-
paravant par celle de deux lignes; chacune de ces trois
surfaces a pareillement toutes ses conditions de détermi-
nations constantes^ excepté une, qui donne lieu à la coor-
donnée correspondante, dont l'infiuence géométrique pro-
pre est ainsi d'astreindre le point à ôtre situé sur cette
surface.
Cela posé, il est clair que, si les trois coordonnées d'un
point sont entièrement indépendantes entre elles, ce point
pourra prendre successivement dans l'espace toutes les
tSt MATHÉMATIQUES.
positions possibles. Mais^ si le point est assajeiti à rester
sur une certaine surface définie d'une manière quelcon-
que, alors deux coordonnées suffisent évidemment pour
en déterminer à chaque instant la situation, puisque la sur-
face proposée tiendra lieu de la condition imposée par la
troisième coordonnée. On doit donc concevoir nécessaire-
ment dans ce cas, sous le point de vue analytique, cette
dernière coordonnée comme une fonction déterminée des
deux autres, celles-ci demeurant entre elles complètement
indépendantes. Ainsi, il y aura entre les trois coordonnées
variables une certaine équation permanente, et qui sera
unique afin de correspondre au degré précis d'indétermi-
nation de la position du point. Cette équation, plus ou
moins facile à découvrir, mais toujours possible, sera la
définition analytique de la surface proposée, puisqu'elle
devra se vérifier pour tous les points de cette surface, et
seulement pour eux. Si la surface vient à éprouver un
changement quelconque, même un simple déplacement,
l'équation devra subir une modification correspondante
plus ou moins profonde. En un root, tous les phénomènes
géométriques quelconques relatifs aux surfaces seront sus-
ceptibles d'être traduits par certaines conditions analyti-
ques équivalentes propres aux équations à trois variables,
et c'est dans l'établissement et l'interprétation de cette
harmonie générale et nécessaire que consistera essentielle-
ment la science de la géométrie analytique à trois dimen-
sions.
Considérant ensuite cette conception fondamentale
sous le point de vue inverse, on voit de la môme manière
que toute équation à trois variables peut être, en général,
représentée géométriquement par une surface déterminée,
primitivement définie d'après la propriété très-caractéris-
tique, que les coordonnées de tous ses points conservent
GÉOMÉTBIE GÉNÉRALE OU ANALYTIQUE. tit
toujours entre elles la relation énoncée dans celte équa-
tion. Ce lieu géométrique changera évidemment, pour la
môme équation, suivant le système de coordonnées qui
servira à la construction de ce tableau. En adoptant, par
exemple, le système recliligne, il est clair que^ dans Téqua-
tion entre les trois variables x, y^ z, chaque valeur parti-
culière attribuée à z donnera^ une équation entre x et y^
dont le lieu géométrique sera une certaine ligne située
dans un plan parallèle au plan des;r, y^ et à une distance de
ce dernier égale à la valeur de z, de telle sorte que le lieu
géométrique total se présentera comme composé d'unesuite
inOnie de lignes superposées dans une série de plans pa«
rallèles^ sauf les interruptions qui pourront exister, et for-
mera, par conséquent, une véritable surface. Il en serait de
même en considérant tout autre système de coordonnées,
quoique la construction géométrique de Téquation devint
plus difOcile à suivre.
Telle est la conception élémentaire, complément de
l'idée mère de Descaries, sur laquelle est fondée la géomé-
trie générale relativement aux surfaces. Il serait inutile de
reprendre directement ici les autres considérations indi-
quées ci-dessus par rapport aux lignes, et que chacun peut
aisément étendre aux surfaces, soit pour montrer que
toute définition d'une surface par un mode quelconque de
génération est réellement une équation directe de celte
surface dans un certain système de coordonnées, soit
pour déterminer entre tous les divers systèmes de coor-
données possibles quel est généralement le plus conve-
nable. J'ajouterai seulement^ sons ce dernier rapport, que
la supériorité nécessaire du système rectiligne ordinaire,
quant à la peinture des équations, est évidemment encore
plus prononcée dans la géométrie analytique à troL< dimen-
sions que dans celle à deux, à cuuse de la complication
8t4 MATHÉMATIQUES.
géométrique incomparablement plus grande qu\ résulte-
rait alors du choix de tout autre système, ainsi qu'on peut
le vérifier de la manière la plus sensible en considérant,
par opposition, le système polaire en particulier, qui est,
pour les surfaces comme pour les courbes, et en vertu des
mêmes motifs, le plus usité après le système rectiligne pro-
prement dit.
AGn de compléter l'exposition générale de la concep-
tion fondamentale relative à l'étude analytique des surfaces,
nous aurons encore à examiner philosophiquement, dans
la quatorzième leçon, un dernier perfectionnement de la
plus haute importance, que Monge a récemment indroduit
dans les éléments mômes de cette théorie, pour la classi-
fication des surfaces en familles naturelles, établies d'après
le mode de génération, et exprimées algébriquement par
des équations différentielles communes, ou par des équa-
tions finies contenant des fonctions arbitraires.
Considérons maintenant le dernier point de vue élémen-
taire de la géométrie analytique à trois dimensions, celui
qui se rapporte à la représentation algébrique des courbes,
envisagées dans l'espace de la manière la plus générale. En
continuante suivre le principe constamment employé Si-
dessus, celui du degré d'indétermination du lieu géomé-
trique, correspondant au degré d'indépendance des va-
riables, il est évident, en thèse générale, que, lorsqu'un
point doit être situé sur une certaine courbe quelconque,
une seule coordonnée suffit pour achever de déterminer
entièrement sa position, par l'intersection de cette courbe
avec la surface qui résulte de cette coordonnée. Ainsi,
dans ce cas, les deux autres coordonnées du point doivent
être conçues comme des fonctions nécessairement déter-
minées et distinctes de la première. Par conséquent, toute
ligne, considérée dans l'espace, est donc représentée ana-
GÉOMÉTRIE GÉNÉRALE OU ANALTTTOUE. 885
Ijtiquement, non plus par une seule équation, mais par
le système de deux équations entre les trois coordonnées
de l'uD quelconque de ses points. 11 est clair, en effet, d'un
autre côté, que chacune de ces équations envisagée sé-
parément^ exprimant une certaine surface, leur ensemble
présente la ligne proposée comme l'intersection de deux
surfaces déterminées. Telle est la manière la plus géné-
rale de concevoir la représentation algébrique d'une ligne
dans la géon^étrie analytique à trois dimensions. Cette
conception est ordinairement envisagée d'une manière
trop étroite, lorsqu'on se borne à considérer une ligne
comme déterminée par le système de ses deux projections
sur deux des plans coordonnés, système caractérisé ana-
lytiquement par celte particularité que chacune des deux
équations de la ligne ne contient alors que deux des trois
coordonnées, au lieu de renfermer simultanément les trois
Tariables. Cette considération, qui consiste à regarder la
ligne comme l'intersection de deux surfaces cylindriques
parallèles à deux des trois axes des coordonnées, outre l'in-
convénient d'être bornée au système rectiligne ordinaire,
a le défaut, lorsqu'on croit devoir s'y réduire strictement,
d'introduire des difGcuités inutiles dans la représentation
analytique des lignes, puisque la combinaison de ces deux
cylindres ne saurait être évidemment toujours la plus con-
venable pour former les équations d'une ligne. Ainsi, en-
visageant cette notion fondamentale dans son entière gé-
néralité, il faudra, dans chaque cas, parmi l'infinité de
couples de surfaces dont l'intersection pourrait produire
la courbe proposée, choisir celui qui se prêtera le mieux
à l'établissement des équations, comme se composant des
surfaces les plus connues. Par exemple, s'agit-il d'exprimer
analytiquement un cercle dans l'espace, il sera évidem-
ment préférable de le considérer comme l'intersection
lie MATHÉMATIQUES.
d'une sphère et d'un plan, plutôt que suivant toute autre
combinaison de surfaces qui pourrait également le pro-
duire.
A la vérité, cette manière de concevoir la représentation
des lignes par des équations dans la géométrie analytique
à trois dimensions engendre, par sa nature, un incon-
vénient nécessaire, celui d'une certaine confusion ana-
lytique, consistant en ce que la môme ligne peut se trouver
ainsi exprimée, avec un môme système de coordonnées,
par une infinité de couples d'équations différents, vu l'in-
finité de couples de surfaces qui peuvent la former, ce qui
peut présenter quelques difficultés pour reconnaître cette
ligne à travers tous les déguisements algébriques dont elle
est susceptible. Mais il existe un procédé général fort
simple pour faire disparaître cet inconvénient, se priver
des facilités qui résultent de celte variété de constructions
géométriques. Il suffit, en effet, quel que soit le système
analytique établi primitivement pour une certaine ligne,
de pouvoir en déduire le système correspondant à un
couple unique de surfaces uniformément engendrées, par
exemple, à celui des deux surfaces cylindriques qui pro-
jettent la ligne proposée sur deux des plans coordonnés,
surfaces qui évidemment seront toujours identiques, de
quelque manière que la ligne ait été obtenue, et ne varie-
ront que lorsque cette ligne elle-même changera. Or, en
choisissant ce système fixe, qui est effectivement le plus
simple, on pourra généralement déduire des équations
primitives celles qui leur correspondent dans cette con-
struction spéciale en les transformant, par deux élinxina-
tions successives, en deux équations ne contenant chacune
que deux des coordonnées variables, et qui conviendront
par cela seul aux deux surfaces de projections. Telle est
réellement la principale destination de cette sorte de
GÉOMÉTRIE GÉNÉRALE OU ANALYTIQUE. 887
combinaison géométrique, qui nous offre ainsi un moyen
invariable et certain de reconnaître Tidenlilé des lignes
malgré la diversité quelquefois très-grande de leurs équa-
tions.
Après avoir considéré dans son ensemble la conception
foodamentale de la géométrie analytique sous les princi-
paux aspects élémentaires qu'elle peut présenter, il con-
vient, pour compléter, sous le rapport philosophique, une
telle esquisse, de signaler ici les imperfections générales
que présente encore cette conception, soit relativement à
la géométrie, soit relativement à l'analyse.
Relativement à la géométrie, il faut remarquer que les
équations ne sont propres jusqu'ici qu'à représenter des
lieux géométriques entiers, et nullement des portions dé-
terminées de ces lieux géométriques. H serait cependant
nécessaire, dans plusieurs circonstances, de pouvoir expri-
mer analytiquement une partie de ligne ou de surface,
et même une ligne ou surface discontinue composée d'une
suite de sections appartenant à des figures géométriques
distinctes, par exemple le contour d'un polygone ou la sur-
face d'un polyèdre. La thermologie surtout donne lieu
fréquemment à d^ semblables considérations, auxquelles
notre géométrie analytique actuelle se trouve nécessaire-
ment inapplicable. Néanmoins il importe d'observer que,
dans ces derniers temps, les travaux de Fourier sur les
fonctions discontinues ont commencé à remplir cette
grande lacune, et ont par là directement introduit un
nouveau perfectionnement essentiel dans la conception
fondamentale de Descartes. Mais cette manière de repré-
senter des formes hétérogènes ou partielles, étant fondée
sur l'emploi des séries trigonométriques procédant selon
les sinus d'une suite infinie d'arcs multiples, ou sur l'usage
de certaines intégrales définies équivalentes à ces séries
A. Comte. Tomel. Î8
3IS MATHÉMATIQUES*
et dont l'intégrale générale est ignorée, présente encore
trop de complication pour pouvoir être immédiatement
introduite dans le système propre de la géométrie analy-
tique.
Relativement à l'analyse^ il faut commencer par recon-
naître que l'impossibilité où nous sommes de concevoir
géométriquement pour des équations contenant quatre,
cinq variables ou un plus grand nombre, une représenta-
tion analogue à celles que comportent toutes les équations
à deux ou à trois variables, ne doit pas être envisagée comme
une imperfection de notre système de géométrie analy-
tique, car elle tient évidemment à la nature même du sujet.
L'analyse étant nécessairement plus générale que la géo-
métrie, puisqu'elle est relative à tous les phénomènes pos-
sibles, il serait peu philosophique de vouloir constamment
trouver parmi les seuls phénomènes géométriques une re-
présentation concrète de toutes les lois que l'analyse peut
exprimer. Mais il existe une autre imperfection de moin-
dre importance qu'on doit réellement envisager comme
provenant de la manière même dont nous concevons la
géométrie analytique. Elle consiste en ce que notre repré-
sentation actuelle des équations à deux ou à trois variables
par des lignes ou des surfaces est évidemment toujours
plus ou moins incomplète, puisque, dans la construction
du lieu géométrique, nous n'avons égard qu'aux solutions
réelles des équations, sans tenir aucun compte des solutions
imaginaires. La marche générale de ces dernières serait
cependant, par sa nature, tout aussi susceptible que celle
des autres d'une peinture géométrique. 11 résuite de cette
omission que le tableau graphique de l'équation est cons*
tamment imparfait, et quelquefois même au point qu'il n'y
a plus de représentation géométrique, lorsque l'équation
n'admet que des solutions imaginaires. Cependant, même
GÉOMÉTRIE GÉNÉRALE OU ANALYTIQUE. |f39
dans ce dernier cas^ il y aurait évidemment lieu de distin-
,guer sous le rapport géométrique des équations aussi dif-
férentes en elles-mêmes que celles-ci, par exemple :
On sait de plus que celte imperfection principale entraîne
souvent, dans la géométrie analytique à deux ou à trois
dimensions, une foule d'inconvénients secondaires, tenant
à ce que plusieurs modifications analytiques se trouvent
ne correspondre à aucun phénomène géométrique.
Un de nos plus grands géomètres acluels, Poinsot, a
présenté une considération très-ingénieuse et fort simple,
à laquelle on n'a pas fail communément assez d'attention,
et qui permet, lorsque les équations sont peu compliquées,
de concevoir la représentation graphique des solutions
imaginaires, en se bornant à peindre leurs rapports quand
ils sont réels (1). Mais cette considération, qu'il serait aisé
degénéraliser abstraitement, est jusqu'ici trop peu suscep-
tible d'être effectivement employée, à cause de l'état
extrême d'imperfection où se trouve encore la résolution
algébrique des équations, et d'où il résulte ou que la forme
des racines imaginaires est le plus souvent ignorée, ou
qu'elle présente une trop grande complication ; en sorte
que de nouveaux travaux sont indispensables à cet égard,
avant qu'on puisse regarder comme comblée cette lacune
essentielle de notre géométrie analytique.
L'exposition philosophique essayée dans cette leçon de
(1) Poinsot a montré, par exemple, dans son excellent Mémoire sur Va-
nalyse des sections anqulaires^ que l'équation x'-Hv'+û* =ro, ordi-
nairement écartée comme n*ayant pas de lieu géométrique, peut être
représentée, de la manière la plus simple et la plus nette, par une hy-
perbole équilatère, qui remplit à son égard le même ofUce que le cercle
pour réquatioo x*4- y* — a* = o.
1 4 • MATHÉMATIQUES.
la conception fondamentale de la géométrie analytique
nous montre clairement que cette science consiste esseu;
tieilement à déterminer quelle est, en général, l'expression
analytique de tel ou tel phénomène géométrique propre
aux lignes ou aux surfaces, et réciproquement, à découvrir
l'interprétation géométrique de telle ou telle considération
analytique. Nous avons maintenant à examiner, en nous
bornant aux questions générales les plus importantes,
comment les géomètres sont parvenus h établir effective-
ment cette belle harmonie, et à imprimer ainsi à la science
géométrique, envisagée dans son ensemble total, le carac-
tère parfait de rationnalité et de simplicité qu'elle présente
aujourd'hui si éminemment. Tel sera l'objet essentiel des
deux leçons suivantes, l'une consacrée a l'étude générale
des ligues, et l'autre, à Tétude générale des surfaces.
TREIZIÈME LEÇON
Sommiire. — De la géométrie générale à deux dimoDiions.
D'après la marche habiluellement adoptée jusqu'à ce
jour pour rexposition de la science géomélrique, la desti-
nation vraiment essentielle de la géométrie analytique
n'est encore sentie que d'une manière fort imparfaite, qui
ne correspond nullement à l'opinion que s'en forment les
Téritables géomètres, depuis que l'extension des concep-
tions analytiques à la mécanique rationnelle a permis de
s'élever à quelques idées générales sur la philosophie ma-
thématique. La révolution fondamentale opérée par la
grande pensée de Descartes n'est point encore dignement
appréciée dans notre éducation mathématique, môme la
plus haute. A la manière dont elle est ordinairement pré-
sentée et surtout employée, cette admirable méthode ne
semblerait d'abord avoir d'autre but réel que de simplifier
l'étude des sections coniques, ou de quelques autres
courbes, considérées toujours une à une, suivant l'esprit de
la géométrie ancienne, ce qui serait sans doute de fort peu
d'importance. On n'a point encore convenablement senti
que le véritable caractère distinctif de notre géométrie
moderne, ce qui constitue son incontestable supériorité,
consiste à étudier, d'une manière entièrement générale,
les diverses questions relatives à des lignes ou à des sur-
filées quelconques, en transformant les considérations et
les recherches géométriques en considérations et en re-
8 42 MATHÉMATIQUES.
cherches analytiques. II est remarquable que, dans les
établissements, môme les plus justement célèbres, consa-
crés à la haute instruction mathématique, on n'ait point
institué de cours vraiment dogmatique de géométrie géné-
rale, conçu d'une manière à la fois distincte et complète (1).
Cependant une telle étude est la plus propre à manifester
clairement le vrai caractère philosophique de la science
mathématique, en démontrant avec une netteté parfaite
l'organisation générale de la relation de l'abstrait au con-
cret dans la théorie mathématique d'un ordre quelconque
de phénomènes naturels.
Ces considérations indiquent assez quelle peut être,
outre son extrême importance philosophique, l'utilité
spéciale et directe de l'exposition à laquelle nous conduit
maintenant le plan de cet ouvrage. Il s'agit donc, en par-
tant delà conception fondamentale expliquée dans la leçon
précédente, relativement à la représentation analytique des
formes géométriques, d'examiner comment les géomètres
sont parvenus à réduire toutes les questions de géométrie
générale à de pures questions d'analyse, en déterminant les
lois analytiques de tous les phénomènes géométriques,
c'est-à-dire les modiflcations algébriques qui leur corres-
pondent dans les équations des lignes et des surfaces. Je
ne m'occuperai d'abord que des courbes, et même des
courbes planes, réservant pour la leçon suivante l'élude
(l) La profonde médiocrité qu'on observe généralement à cet égard, sur-
tout dans renseignement de la partie élémentaire des mathématiques,
quoique deux siècles se soient écoulés déjà depuis la publication de la
Géométrie de Descartes, montre combien notre éducation mathématique
ordinaire est encore loin de correspondre au véritable état de la science;
ce qui tient sans doute, en grande partie, on ne doit pas se le dissimuler,
à l'extrême infériorité de la plupart des personnes auxquelles on confie
un enseignement aussi important, sur la haute direction duquel les vé-
ritables chefs de la science ne sont d'ailleurs admis à exercer aucune in-
fluence régulière et permanente.
6Ê0MÉTRIB A DEUX DIMENSIONS. SIt
générale des surfaces et des courbes à double courbure.
L'esprit de cet ouvrage 'prescrit d'ailleurs de se borner à
rezamen philosophique des questions générales les plus
importantes, et surtout d'écarter toute application à des
former particulières. Le but essentiel que nous devons avoir
en vue ici est seulement de constater avec précision com-
ment la conception fondamentale de Descartes a établi le
tjrstème général de la science géométrique sur des bases
rationnelles et déûnitives. Toute autre élude rentrerait
dans un traité spécial de géométrie; mais, quant à celle-ci,
elle est indispensable pour l'objet que nous nous propo-
sons. On peut sans doute concevoir à priori, comme je l'ai
indiqué dans la leçon précédente, qu'une fois le sujet des
recherches géométriques représenté analytiquement^ tous
les accidents ou phénomènes quelconques dont il est sus-
ceptible doivent comporter nécessairement une interpréta-
tion semblable. Mais il est clair qu'une telle considération
ne dispense nullement, même sous le simple rapport phi-
losophique, d'étudier l'organisation effective de cette har-
monie générale entre la géométrie et l'aualyse, dont on ne
se formerait sans cela qu'une idée vague et confuse, entiè-
rement insuffisante.
La première et la plus simple question qu'on puisse se
proposer relativement à une courbe quelconque, c'est de
connaître, d'après son équation (1), le nombre de points
nécessaire à sa détermination. Outre l'importance propre
d'une telle notion, qui n'est pas établie jusqu'ici d'une
manière assez rationnelle, je crois devoir exposer avec
quelque développement la solution générale de ce pro-
blème élémentaire, parce qu'elle me semble éminemment
(i) Je considérerai toujours, pour fixer les idées, à moins d'avertisse-
ment formol, le système de coordonnées rectilignes ordinaire, soit dans
Otttte leçon, soit dans la suivante.
844 MATHÉMATIQUES.
apte, SOUS le rapport de la méthode, vu I*extrôrae simpli-
cité des considérations analytiques correspondantes, à
faire saisir le véritable esprit de la géométrie analytique,
c'est-à-dire la corrélation nécessaire et continue entre le
point de vue concret et le point de vue abstrait.
Pour résoudre complètement cette question, il faut dis-
tinguer deux cas, suivant que la courbe proposée est dé-
finie analytiquement par son équation la plus générale,
c'est-à-dire convenant à toutes les positions de la courbe
relativement aux axes, ou par une équation particulière et
plus simple, qui n'a lieu que dans une certaine situation
de la courbe à l'égard des axes.
Dans le premier cas, il est évident que la condition, de la
part de la courbe, de devoir passer par un point donné,
équivaut analytiquement à ce que les constantes arbitraires
que renferme son équation générale conservent entre elles
la relation marquée par la substitution des coordonnées
particulières de ce point dans cette équation. Chaque point
donné imposant ainsi à ces constantes une certaine condi-
tion algébrique, pour que la courbe soit enlièrement dé-
terminée, il faudra donc assigner un nombre de points égal
au nombre des constantes arbitraires contenues dans son
équation. Telle est la règle générale. Il convient cependant
d'observer qu'elle pourrait induire en erreur, et indi-
quer un nombre de points trop considérable, si, dans
l'équation proposée, le nombre des termes distincts ren-
fermant les constantes arbitraires était moindre que celui
de ces constantes, auquel cas il faudrait évidemment juger
du nombre de points nécessaire à l'entière détermination
de la courbe, seulement par celui de ces termes, ce qui
signifierait géométriquement que les constantes considé-
rées pourraient alors éprouver certains changements sans
qu'il en résultât aucun pour la courbe. Tel serait, par
GÉOMÉTRIE A DEUX DIMENSIONS. t45
exemple, le cas du cercle, si on le déûnissait comme la
courbe décrite par le sommet d'un angle de grandeur in-
yariable qui se meut de manière à ce que chacun de ses
côtés passe toujours par un certain point ûxe. Il faut donc,
pour plus de généralité, compter séparément le nombre
des constantes entrant dans l'équation de la courbe pro-
posée et le nombre des termes qui les contiennent, et dé*
terminer combien de points exige Tentière spéciQcatioa
de la courbe par le plus petit de ces deux nombres, à moins
qu'ils ne soient égaux.
Quand une courbe n'est primitivement déOnie que par
une équation du genre de celles que nous avons nommées
plus haut particulières^ on pout, à Taide d'une transforma-
tion invariable et fort simple, faire rentrer ce cas dans le
précédent, en généralisant convenablement l'équation pro*
posée. Il suffit, pour cela, de rapporter la courbe, d'après
les formules connues, à un nouveau système d'axes, dont
la situation par rapport aux premiers soit regardée comme
indéterminée. Si celte transformation ne change pas essen-
Uellement la composition analytique de l'équation primi-
tive, ce sera la preuve que celle-ci était déjà sufQsamment
générale ; dans le cas contraire, elle le sera devenue, et
dès lors la question se résoudra facilemeiU par l'applica-
tion de la règle précédemment établie. On peut môme re-
marquer, pour simpliûer encore davantage cette solution,
que celte généralisation de l'équation introduira toujours,
quelle que soit l'équalion primitive, trois nouvelles con-
stantes arbitraires, savoir : les deux coordonnées de la nou«
▼elle origine et l'inclinaison des nouveaux axes sur les
anciens; en sorte que, sans eifectuer le calcul, on pourra
connaître le nombre des constantes arbitraires qui entre-
raient dans réquation la plus générale, et par suite en dé-
duire directement le nombre de points nécessaire à la
846 MATHÉMATIQUES.
détermination de la courbe proposée, toutes les fois du
moins qu'on pourra être certain d'avance, ce qui a lieu
très-fréquemment, que le nombre des termes qui contien-
draient ces constantes ne serait pas moindre que celui des
constantes elles-mêmes.
Afin de montrer à quel degré de facilité peut parvenir la
solution générale de cette question, il importe de remar-
quer que, l'opération analytique prescrite pour la résoudre
se réduisant à une simple énumération, cette énumération
peut être faite avant môme que l'équation de la courbe soit
obtenue, et d'après sa seule définition géométrique. Il
suffit, en effet, d'analyser cette définition sous ce point de
vue, en estimant combien de points donnés, ou de droites
données soit en longueur, soit en direction, ou de cercles
donnés^ etc., elle exige pour l'entière détermination delà
courbe proposée. Cela posé, on saura aussi d'avance com-
bien il devra entrer de constantes arbitraires dans l'équa-
tion la plus générale de cette courbe, en considérant que
cbaque point i\xe donné par la définition en introduira
deux, chaque droite donnée également deux, chaque lon-
gueur donnée une, chaque cercle entièrement donné
trois, etc. On pourra donc juger immédiatement par là du
nombre de points qu'exige la détermination de la courbe,
avec autant d'exactitude que si l'on avait sous les yeux son
équation générale ; à cela près néanmoins de la restriction
indiquée ci-dessus pour le cas où le nombre des termes
renfermantles constantes arbitraires serait inférieurà celui
des constantes ; restriction qu'on pourra souvent recon-
nailre comme inapplicable, si l'analyse de la définition
proposée a montré clairement que les données qu'elle
prescrit ne pourraient nullement varier, soit isolément,
soit ensemble, sans qu'il en résultât pour la courbe un
changement quelconque. Mais, lorsque cette restriction
GÉOMÉTRIE A DEUX DIMENSIONS. 847
devra être réellement appliquée, celle considération ne
fournira d'abord qu'une limite supérieure du nombre cher-
chéy qui ne pourra être alors entièrement connu qu'en
consultant effectivement l'équation générale.
J'ai supposé jusqu'ici que les points par lesquels on veut
déterminer le cours d'une ligne fussent absolument quel-
conques ; mais, pour compléter la méthode, il faut exa-
miner le cas où l'on introduirait parmi eux des points sin-
guliers, c'est-à-dire distincts de tous les autres par une
propriété caractéristique quelconque, comme ce que l'on
nomme les foyers dans les sections coniques, les sommets,
les centres, les points d'inflexion ou de rehroussement, etc.
Ces points ayant tous pour caractère d'être uniques, ou du
moins déterminés, dans une même courbe, leurs deux
coordonnées sont donc chacune une fonction déterminée,
connue ou inconnue, des constantes qui spécifient exacte-
ment la courbe proposée. Ainsi, donner un seul de ces
points, c'est imposer à ces constantes arbitraires deux con-
ditions algébriques, ce qui, par conséquent, équivaut ana-
lytiquement à donner deux points ordinaires. La règle
générale et fort simple se réduit donc, à cet égard, à
compter toujours pour deux chaque point singulier, par
quelque propriété qu'il puisse être défini : à cela près, on
rentrera dans la loi établie ci-dessus.
Toute application spéciale de la théorie générale que je
viens d'indiquer serait ici déplacée. Je crois cependant
utile de remarquer, au sujet de cette application, que le
nombre de points nécessaires à l'entière détermination de
chaque courbe, quoique constituant une circonstance fort
importante, n'est point aussi intimement lié qu'on le croi-
rait d'abord, soit à la nature analytique de l'équation, soit
à la forme géométrique de la ligne. Ainsi, par exemple, on
trouve, d'après la méthode précédente que la parabole
I
K ■. . I
848 HATHÉMATTQUBS.
ordinaire, et môme les paraboles de tous les degrés, la lo-
garithmique, la cycIo!de, la spirale d'Archimôde, etc.,
exigeui égafement quatre points pour leur détermination,
quoiqu'on n'ait pu découvrir jusqu'ici aucune autre pro-
priété commune entre des courbes aussi différentes sous
le rapport analytique que sous le rapport géométrique. 11
est néanmoins vraisemblable que cette analogie ne doit
pas être entièrement isolée.
Je choisirai, comme second exemple intéressant piirmi
les questions élémentaires relatives à l'étude générale des
lignes, la détermination des centres dans une courbe plane
quelconque. Le caractère géométrique du centre d'une
figure étant, en général, d*ôtre le milieu de toutes les
cordes qui y passent, il en résulte évidemment que, si l'on
y place l'origine du système des coordonnées rectîlignes,
les points de la figure auront, deux à deux, par rapport à
une telle origine, des coordonnées égales et de signe con-
traire. On peut donc reconnaître immédiatement, d'après
l'équation d'une courbe quelconque, si elle a pour centre
l'origine actuelle des coordonnées, puisqu'il suffit d'exa-
miner si cette équation n'est point altérée, en y changeant
à la fois les signes des deux coordonnées variables, ce qui
exige, dans le cas où il n'y entre que des fonctions algé-
briques, rationnelles et entières, que les termes soient
tous de degré pair ou tous de degré impair, suivant le
degré de l'équation. Cela posé, quand un tel changement
trouble l'équation, il faut déplacer l'origine d'une manière
indéterminée, et chercher à disposer des deux constantes
arbitraires que celte transformation introduit dans l'équa-
tion pour les coordonnées de la nouvelle origine, de façon à
ce que l'équation puisse jouir, relativement aux nouveaux
axes, de la propriété précédente. Si, par des valeurs
réelles convenables des coordonnées de la nouvelle ori-
GÉOMÉTRIE A DEUX DIMENSIONS. 94»
gine» on peut faire disparaître tous les termes qui empo-
chaient l'équation de présenter ce caractère analytique»
la courbe aura un centre dont ces valeurs feront connaître
la position : dans le cas contraire, il sera constaté que la
courbe n'a point de centre.
Parmi les questions de géométrie générale à deux di^
mensions dont la solution complète ne dépend que de
l'analyse ordinaire, je crois devoir encore indiquer ici
celle qui se rapporte à la détermination des conditions de
la similitude entre des courbes quelconques d'un même
genre^ c'est-à-dire susceptibles d'une môme déûnition ou
équation^ qui ne les distingue les unes des autres que par
les diverses valeurs de certaines constantes arbitraires re-
latives à la grandeur de chacune d'elles. Cetle question,
importante en elle-même, a d'autant plus d'intérêt sous
le rapport de la méthode, que le phénomène géométrique
qu'il s'agit alors de caractériser analytiquement est évi-
demment purement relatif à la forme, et nullement un
phénomène de situation, ce qui, comme nous l'avons re-
marqué dans la leçon précédente, donne toujours lieu à
des difflcultés spéciales par rapport à notre système de
géométrie analytique, où les idées de position sont seules
directement considérées.
L'emploi de l'analyse diiférentielle fournirait immédia-
tement la solution de ce problème général, en étendant
aux courbes,- comme il convient, la définition élémentaire
de la similitude pour les figures rectilignes. Il surfirait, en
effet, 1* de calculer, d'après l'équation de chacune des
deux courbes, l'angle de contingence en un point quelcon-
que, et d'exprimer que cet angle a la même valeur dans
les deux courbes pour des points correspondants; â* d'a-
près l'expression différentielle générale de la longueur
d'un élément infiniment petit de chaque courbe, d'espri-
3 50 MATHÉMATIQUES.
mer que les éléments homologues des deux courbes soot
entre eux dans un rapport constant. Les conditions analyti-
ques de la similitude se trouveraient ainsi dépendre des
deux premières fonctions dérivées de l'ordonnée rapportée
à l'abcisse; mais le problème peut être résolu d'une ma-
nière beaucoup plus simple, et néanmoins tout aussi
générale, quoique moins directe, par le simple usage de
l'analyse ordinaire.
Pour cela, il faut d'abord remarquer une propriété élé-
mentaire que peuvent toujours présenter deux figures
semblables de forme quelconque, quand elles sont placées
dans une situation parallèlcj c'est-à-dire de telle façon
que tous les éléments de chacune soient respectivement
parallèles aux éléments homologues de l'autre, ce que
la similitude permet évidemment de faire constamment.
Dans cette situation, il est aisé de voir que, si on joint
deux à deux par des droites les points homologues des
deux figures, toutes ces lignes de jonction concourront
nécessairement en un point unique, à partir duquel leurs
longueurs, comptées jusqu'à l'une et à l'autre des deux
figures semblables, auront entre elles un rapport cons-
tant, égal à celui des deux figures. 11 résulte immédiate-
ment de cette propriété, considérée sous le point de vue
analytique, que, si l'origine des coordonnées rectilignes
est supposée placée au point particulier dont nous venons
de parler, les points homologues des deux courbes sem-
blables auront des coordonnées constamment proportion-
nelles, en sorte que l'équation de la première courbe de-
vra rentrer dans celle de la seconde, en y changeant x en
mx, et y en my, m étant une constante arbitraire égale au
rapport linéaire des deux figures. Avec des coordonnées
polaires z etcp, dont le pôle serait placé au môme point, les
deux équations deviendraient identiques en changeant
GÉOMÉTRIE A DEUX DIMENSIONS. 351
seulement z en mz dans l'une d'elles, sans changer 9. La
Térification d'un tel caractère algébrique suffira donc évi-
demment pour constater la similitude. Mais, de sa non-
vérification, il est clair qu'on ne devra point conclure
immédiatement la dissimilitude des deux courbes compa-
rées, puisque l'origine ou le pôle pourraient n'être pas
placés au point unique pour lequel cette relation a lieu,
ou môme que les deux courbes pourraient n'être pas po-
sées actuellement dans la situation parallèle. Il est néan-
moins facile de généraliser et de compléter» la méthode
sous l'un et l'autre de ces deux rapports, quoiqu'il sem-
ble d'abord impossible analyliquement de modiûer la si-
tuation relative de deux courbes. 11 suffira pour cela de
changer, à l'aide des formules connues, à la fois l'origine
et la direction des axes si les coordonnées sont rectilignes,
ou le pôle et la direction de l'axe si elles sont polaires,
mais en effectuant cette transformation seulement dans
Tune des deux équations. On cherchera alors à disposer
des trois constantes arbitraires introduites parla, pour que
cette équation ainsi modifiée présente, relativement à l'au-
tre, la propriété analytique indiquée. Si cette relation peut
ayoîr lieu d'après certaines valeurs réelles des constantes
arbitraires, les deux courbes seront semblables ; sinon,
leur dissimilitude sera constatée.
Quoiqu'il ne convienne point de considérer ici aucune
application spéciale de la théorie précédente, je crois ce-
pendant utile d'indiquer à ce sujet une remarque générale.
Elle consiste en ce que, toutes les fois que l'équation d'une
courbe, simplifiée le plus possible par la disposition des
axes, ne renfermera qu'une seule constante arbitraire,
toutes les courbes de ce genre seront nécessairement sem-
blables entre elles. On peut augmenter l'utilité de cette
observation, en ce que, sans considérer même l'équation
1 51 HATUÉMATTQUES.
de la courbe, il suffira d'examiner, dans ce cas^ si sa défi-
nition géométrique primitive ne fait dépendre que d*une
seule donnée Tenlière détermination de sa grandeur (I).
Quand, au contraire, l'équation la plus simple de la courbe
proposée contiendra deux constantes arbitraires ou davan-
tage, ou, ce qui est exactement équivalent, lorsque la dé-
finition fera dépendre sa grandeur de plusieurs données
distinctes, les courbes de ce genre ne pourront être sem-
blables qu'à l'aide de certaines relations entre ces cons-
tantes ou ces données^ qui consisteront ordinairement dans
leur proportionnalité. C'est ainsi que toutes les paraboles
d'un môme degré, d'ailleurs quelconque, sont semblables
entre elles, aussi bien que toutes les logarithmiques, toutes
les cyclo!des ordinaires, tous les cercles, etc. ; tandis que
deux ellipses ou deux hyperboles, par exemple, ne sont
semblables qu'autant que leurs axes sont proportionnels.
Je me borne à ce petit nombre de questions générales
relatives aux lignes, parmi celles dont la solution complète
dépend seulement de l'analyse ordinaire. On n'y doit pas
comprendre la détermination de ce qu'on appelle les
foyers, la recherche des diamètresj etc., et plusieurs autres
problèmes de ce genre, qui, bien que susceptibles d'être
proposés et résolus pour des courbes quelconques, n'ont
de véritable intérôt qu'à l'égard des sections coniques.
Relativement aux diamètres^ par exemple, c'est-à-dire aux
lieux géométriques des milieux d'un système quelconque
de cordes parallèles, il est aisé de former une méthode gé-
nérale pour déduire de l'équation d'une courbe l'équation
(1) Cette propriété, qui est une conséquence évidente de Ifttliéorie indi-
quée ci-d(S8U8, pourrait d'nllleurs être établie directement par une consi-
dération fort f-impie. H sufiirait de remarquer que, dans ce cas, les di-
verses courtjes de ce genre pourraient coïncider en les construisant sur
une échelle difTèrente, d*où n'sulte clairement leur similitude nécessaire.
GÉOMÉTRIE A DEUX DIMENSIOlfS. S5t
commune de tous ses diamètres. Mais une telle considéra-
tion ne peut faciliter Tétude d'une courbe qu'autant que les
diamètres se trouvent être des lignes plus simples et plus
connues que la courbe primitive; et môme cette recherche
n'a Traiment une grande utilité que lorsque tous les dia»
mètres sont des lignes droites. Or c'est ce qui n'a lieu que
dans les courbes du second degré. Pour toutes les autres,
les diamètres sont, en général, des courbes aussi peu con-
nues et souvent môme d'une étude plus dimciie que la
courbe proposée. C'est pourquoi je ne dois point ici consi-
dérer une telle question, ni aucune autre semblable, quoi-
que, dans les traités spéciaux de géométrie analytique, il
con\int d'ailleurs de les présenter d'abord, autant que pos-
sible, sous un point de vue entièrement générai.
Je passe donc immédiatement à l'examen des théories de
géométrie générale à deux dimensions qui ne peuvent être
complètement établies qu'à l'aide de l'analyse transcen-
dante.
La première et la plus simple d'entre elles consiste dans
la détermination des tangentes aux courbes planes. Ayant
eu occasion, dans la sixième leçon, d'indiquer la solution
générale de cet important problème, d'après chacun des
divers points de vue fondamentaux propres à l'analyse
transcendante, il est inutile d'y revenir ici. Je ferai seule-
ment observer à ce sujet que la question fondamentale ainsi
considérée suppose connu le point de contact de la droite
avec la courbe, tandis que la tangente peut être déterminée
par plusieurs autres conditions, qu'il faut alors faire ren-
trer dans la précédente, en déterminant préalablement les
coordonnées du point de contact, ce qui est ordinairement
très-facile. Ainsi, par exemple, si la tangente e^t assujettie à
passer par un point donné extérieur à la courbe, les coor-
données de ce point devant satisfaire à la formule générale
A. Comte. Tome I. 23
854 MATHÉMATIQUES.
de réquation de la tangenie à celle courbe, formule qui
contient les coordonnées inconnues du point de contacti
ce dernier point sera dét^erminé par une telle relation com-
binée avec l'équation de la courbe proposée. De nnéme,
si la tangente cherchée doit être parallèle à une droite don-
née, il faudra égaler le coefUcienl général qui marque sa
direction en fonctions des coordonnées du point de contact
à celui qui détermine celle de la droite donnée, et la com-
binaison de cette condition avec l'équation de la courbe
fera encore connaître ces coordonnées.
AOn de considérer sous un point de vue plus étendu les
problèmes relatifs aux tangentes, il peut être utile d'expri-
mer distinctement la relation qui doit exister entre les
deux constantes arbitraires contenues dans l'équation gé-
nérale d'une ligne droite et les diverses constantes propres
à une courbe quelconque donnée, pour que la droite soit
tangente à la courbe. A cet effet, il suffit de remarquer que
les deux constantes par lesquelles se trouve fixée à chaque
instant la position de la tangente étant des fonctions con-
nuesdes coordonnées du point de contact, l'élimination de
ces deux coordonnées entre ces deux formules et l'équa-
tion de la courbe proposée fournira une relation indépen-
dante du point de contact et contenant seulement les con-
stantes des deux lignes, qui sera le caractère analytique
cherché du phénomène d'un contact indéterminé. On se
servirait, par exemple, de telles expressions pour déter-
miner une tangente commune à deux courbes données, en
calculant les deux constantes propres à cette droite d'après
les deux relations qu'entraînerait ainsi son contact avec
l'une et l'autre courbe.
La question fondamentale des tangentes est le point de
départ de plusieurs autres recherches générales plus ou
moins importantes relativement aux courbes, qu'il est aisé
GÉOMÉTRIE A DEUX DIMENSIONS. S55
d'en faire dépendre. La plus directe et la plus simple de ces
questions secondaires consiste dans la détermination des
asymptotes^ ou du moins des asymptotes rectilignes, les
seules, en général, qu'il soit intéressant de connaître, parce
qu'elles seules contribuent réellement à faciliter l'étude
d'une courbe. On sait que Vasymptote est une droite qui
s'approche indéfiniment et d'aussi près qu'on veut d*une
courbe, sans cependant pouvoir jamais l'atteindre rigou-
reusement. Elle peut donc être envisagée comme une tan-
gente dont le point de contact s'éloigne à l'infini. Ainsi,
pour la déterminer, il suffit de supposer inûnies les coor-
données du point de contact dans les deux formules géné-
rales qui expriment, d'après l'équation de la courbe, en
fonction de ces coordonnées, les deux constantes par les-
quelles est flxée la position de la tangente. Si ces deux
constantes prennent alors des valeurs réelles et compati-
bles entre elles, la courbe donnée aura des asymptotes dont
un tel calcul fera connaître le nombre et la situation; si
ces valeurs sont imaginaires ou incompatibles, ce sera la
preuve que la courbe proposée n'a point d'asymptotes, du
moins rcctilignes. On voit que cette détermination est exac-
tement analogue à celle d'une tangente menée par un point
de la courbe dont les coordonnées seraient unies. Il arri-
vera seulement, dans un assez grand nombre de cas, que
les deux valeurs cherchées se présenteront sous une forme
indéterminée, ce qui est un inconvénient général des for-
mules algébriques, quoiqu'il doive sans doute avoir lieu
plus fréquemment en attribuant aux variables des valeurs
infinies. Mais on sait qu'il existe une méthode analytique
générale pour estimer la vraie valeur de toute expression
semblable; il suffira donc alors d'y recourir.
On peut rattacher aussi, quoique d'une manière beau-
coup moins directe, à la théorie des tangentes^ la théorie
8S6 MATHEMATIQUES.
tout entière des divers points singuliers, dont la détermi-
nation contribue éminemment à la connaissance de toute
courbe qui en présente, comme les points d'inflexion, les
points multiples, les points de rebroussement, etc. Relative-
ment aux points d'inflexion, par exemple, c'est-à-dire à
ceux où une courbe de concave devient convexe^ ou de
convexe concave, il faut d'abord examiner le caractère
analytique immédiatement propre à la concavité ou à la
convexité, ce qui dépend de la manière dont varie la direc-
tion de la tangente. Quand la courbe est concave vers l'axe
des abcisses, elle fait avec lui un angle de plus en plus petit
à mesure qu'elle s'en éloigne ; au contraire, lorsqu'elle est
convexe, l'angle qu'elle fait avec l'axe devient de plus en
plus grand en s'en écartant davantage. On peut donc
directement reconnaître, d'après l'équation d'une courbe,
le sens de sa courbure à chaque instant : il sufQt d'exami-
ner si le coefficient qui marque l'inclinaison de la tangente,
c'est-à-dire la fonction dérivée de l'ordonnée, prend des
valeurs croissantes ou des valeurs décroissantes à mesure
que l'ordonnée augmente ; dans le premier cas, la courbe
tourne sa convexité vers Taxe des abcisses; dans le second,
sa concavité. Gela posé, s'il y a inflexion en quelque point,
c'est-à-dire si la courbure change de sens, il est clair
qu^en ce point l'inclinaison de la tangente sera devenue
un maximum ou un minimum, suivant qu'il s'agira du pas-
sage de la convexité à la concavité, ou du passage inverse.
On trouvera donc en quels points ce phénomène peut avoir
lieu, à r<iide de la théorie ordinaire des maxima et minimà,
dont l'application à cette recherche apprendra évidem-
ment que, pour l'abcisse du point d'inflexion, la seconde
fonction dérivée de l'ordonnée proposée doit être nulle,
ce qui suffira pour déterminer l'existence et la position de
ce point. Cette recherche peut ainsi être rattachée à la
GÉOMÉTRIE A DEUX DIMENSIONS. 357
théorie des tangentes, quoiqu'elle soit ordinairement pré-
sentée d'après la théorie du cercle osculateur. Il en serait
de même, avec plus ou moins de difficulté, relativement
à tous les autres points singuliers.
Un second problème fondamental que présente l'étude
générale des courbes, et dont la solution complète exige
UD emploi plus étendu de l'analyse transcendante, est
l'importante question de la mesure de la courbure des
courbes au moyen du cercle osculateur en chaque point,
dont la découverte sufQrait seule pour immortaliser le
nom du grand Huyghens.
Le cercle étant la seule courbe qui présente en tous ses
points une courbure uniforme, d'autant plus grande d'ail-
leurs que le rayon est plus petit, quand les géomètres se
sont proposé de soumettre à une estimation précise la cour-
bure de toute autre courbe quelconque, ils ont dû naturel-
lement la comparer en chaque point au cercle qui pouvait
avoir avec elle le plus intime contact possible, et qu'ils
ont nommé, pour cette raison, cercle osculateur , afin de le
distinguer des cercles simplement tangents^ qui sont en
nombre inûni au même point de courbe, tandis que le
cercle osculateur est évidemment unique. En considérant
cette question sous un autre aspect, ou conçoit que la
courbure d'une courbe en chaque point pourrait aussi être
estimée par l'angle plus ou moins grand de deux éléments
consécutifs, qu'on appelle angle de contingence. Mais il est
aisé de reconnaître que ces deux mesures sont nécessaire-
ment équivalentes, puisque le centre du cercle osculateur
sera d'autant plus éloigné, que cet angle de contingence
sera plus obtus : on voit même, sous le point de vue ana-
lytique, que l'expression du rayon de ce cercle fournit im-
médiatement la valeur de cet angle. D'après cette confort
mité évidente des deux points de vue, les géomètres ont
858 MATHÉMATIQUES .
dû préférer babituellement la considération du cercle
osculateur, comme plus étendue et se prêtant mieux à la
déduction des autres théories géométriques qui se ratta-
chent à cette conception fondamentale.
Gela posé, la manière la plus simple et la plus directe
de déterminer le cercle osculateur consiste à Tenvisager,
d'après la méthode inûuitésimale proprement dite, comme
p<issant par trois points inûniment voisins de la courbe pro-
posée, ou, en d'autres termes, comme ayant avec elle deux
éléments consécutifs communs, ce qui le distingue nette-
ment de tous les cercles simplement tangents, avec les-
quels la courbe n'a qu'un seul élément commun. Il résulte
de cette notion, en ayant égard à la construction néce:<saire
pour décrire un cercle passant par trois points donnés,
que le centre du cercle osculateur^ ou ce qu'on appelle le
centre de courbure de la courbe en chaque point, peut être
regardé comme le point d'intersection de deux normales
inûniment voisines, en sorte que la question se réduit à
trouver ce dernier point. Or cette recherche est facile, en
formant, d'après l'équation générale de la tangente à une
courbe quelconque, celle de la normale qui lui est perpen-
diculaire, et faisant ensuite varier d'une quantité infiniment
petite, dans cette dernière équation^ les coordonnées du
point de contact, afin de passer à la normale infiniment
voisine : la détermination de la solution commune à ces
deux équations, qui sont du premier degré par rapport
aux deux coordonnées du point d'intersection, suffit pour
faire trouver les deux formules générales qui expriment
les coordonnées du centre de courbure d'une courbe en un
point quelconque. Ces formules une fois obtenues, la re-
cherche du nnyon de courbure n'ofi*re plus aucune diffi-
culté, puisqu'elle se réduit à calculer la distance de ce
centre de courbure au point correspondant de la courbe.
GÉOMÉTRIE A DEUX DI1|BNSI0NS. S 69
En appelant a, 6, les coordonnées reclilignes du centre de
courbure d'une courbe quelconque en un point dont les
coordonnées sont Xy y, et nommant r le rayon de courbe,
on trouve par celte méthode les formules connues :
On conçoit de quelle importance est la détermination du
rayon de courbure, et combien lu discussion de la manière
générale dont il varie aux différents points d'une courbe
doit contribuer à la connaissance approfondie de cette
courbe. Cet élément a surtout ceci de très-remarquable,
entre tous les autres sujets ordinaires de recherches dans
la géométrie analytique, qu'il se rapporte directement, par
sa nature, à la forme môme de la courbe, sans dépendre
aucunement de sa position. On voit que, sous le rapport
analytique, il exige la considération simultanée des deux
premières fonctions dérivées de l'ordonnée.
La théorie des centres de courbure conduit naturelle-
ment à l'importante notion des développées, qui sont main-
tenant déQnies comme étant les lieux géométriques de tous
les centres de courbure de chaque courbe en ses différents
points, quoiqu'au contraire, dans la conception primi-
tive de cette branche de la géométrie, Tluyghens eût dé-
duit l'idée du cercle osculateur de celle de la développée,
directement envisagée comme engendrant par son déve-
loppenfient la courbe primitive ou la développante. Il est
aisé de reconnaître que ces deux manières de voir rentrent
l'une dans l'autre. Cette développée présente évidemment,
860 M ATD ÉM ATIQUES .
par quelque mode qu'on Toblienne, deux propriétés géné-
rales et nécessaires reiativemenl à la courbe quelconque
dont elle dérive : la première, d'avoir pour tangentes les
normales à celle-ci ; et la seconde, que la longueur de ses
arcs soit égale à celle des rayons de courbure correspon-
dants de la développante. Quant au moyen d'obtenir l'é-
qualion de la développée d'une courbe donnée, il est clair
qu'entre les deux formules citées ci-dessus pour exprimer
les coordonnées du centre de courbure, il suffit d'éliminer,
dans chaque cas, les coordonnées x, y, du point corres-
pondant de la courbe proposée, à l'aide de l'équation de
cette courbe : l'équation en a, ê qui résultera de l'élimina-
tion sera celle de la développée demandée. On pourrait
également entreprendre de résoudre la question inverse,
c'est-à-dire de trouver la développante d'après la dévelop-
pée. Mais il faut remarquer qu'une élimination analogue à
la précédente ne fournirait alors, pour la courbe cherchée,
qu'une équation contenant, outre a: et y, les deux fonctions
dérivées 5j» ^- en sorte qu'après cette analyse prépara-
toire, la solution complète du problème exigerait encore
l'inlégration de cette équation différentielle du second or-
dre, ce qui, vu l'extrême imperfection du calcul intégral,
serait le plus souvent impossible, si, par la nature propre
d'une telle recherche, la courbe demandée ne devait point,
comme j'ai eu occasion de Tindiquer dans la septième le-
çon, être représentée par la solution singulièrey que la sim-
ple difi'érenliation peut toujours faire obtenir, l'intégrale
générale ne désignant ici que le système des cercles oscu-
lateurs, dont la connaissance n'est point l'objet de la ques-
tion proposée. 11 en serait de même toutes les fois qu'on
aurait à déterminer une courbe d'après une propriété quel-
conque de son rayon de courbure. Cet ordre de questions
est exactement analogue aux problèmes plus simples qui
GÉOMÉTRIE A DEUX DIMENSIONS. S61
constituent ce que, dans rorigine de Tanalyse transcen-
dante, on appelait la Méthode inverse des tangentes, où l'on
se proposait de déternainer une courbe par une propriété
donnée de sa tangente en un point quelconque.
Par des considérations géométriques plus ou moins com-
pliquées, analogues à celle qui fournit les développées, les
géomètres ont déduit d'une même courbe primitive quel-
conque diverses autres courbes secondaires, dont les équa-
tions peuvent être obtenues d'après des procédés sem-
blables. Les plus remarquables d'entre elles sont les
caustiques par réflexion ou par réfraction^ dont la première
idée est due à Tschirnaûs, quoique Jacques Bernouilli en
ait seul établi la véritable théorie générale. Ce sont, comme
OD sait, des courbes formées par l'intersection continuelle
des rayons de lumière infiniment voisins qu'on supposerait
réfléchis ou réfractés par la courbe primitive. En partant
de la loi géométrique de la réflexion ou de la réfraction de
la lumière, consistant en ce que Tangle de réflexion est égal
à l'angle d'incidence, ou en ce que le sinus de l'angle de
réfraction est un multiple constant et connu du sinus de
l'angle d'incidence, il est évident que la recherche de ces
caustiques se réduit à une pure question de géométrie, par-
faitement semblable à celle des développées, conçues
comme formées par l'intersection continuelle des normales
infiniment voisines. Le problème se résoudra donc analy-
tiquement en suivant une marche analogue, au sujet de
laquelle toute autre indication serait ici superflue. Le cal-
cul sera seulement plus laborieux, surtout si les rayons
incidents ne sont pas supposés parallèles entre eux ou éma-
nés d'un môme point.
Les développées, les caustiques et toutes les autres li-
gnes déduites d'une même courbe principale à l'aide de
constructions analogues, sont formées par les intersections
862 MATHÉMATIQUES.
continuelles de droites infiniment voisines soumises à une
certaine loi. Mais on peut aussi, en généralisant le plus
possible cette considération géométrique, concevoir des
courbes produites par Tintersection continuelle de cer-
taines courbes infiniment voisines, assujetties à une môme
loi quelconque. Cette loi consiste ordinairement en ce que
toutes ces courbes sont représentées par une équation
commune, d'ailleurs quelconque, d'où elles dérivent suc-
cessivement en donnant diverses valeurs à une certaine
constante arbitraire. On peut alors se proposer de trouver le
lieu géométrique des points d'intersection de ces courbes
consécutives, qui correspondent à des valeurs infini-
ment rapprochées de cette constante arbitraire conçue
comme variant d'une manière continue. Leibnitz a imaginé
le premier les recherches de cette nature, qui ont ensuite
été fort étendues par Clairaut et surtout par Lagrange.
Pour traiter le cas le plus simple, celui que je viens de ca-
ractériser exactement, il suffit évidemment de différentier
l'équation générale proposée par rapport à la constante ar-
bitraire que l'on considère, et d'éliminer ensuite cette con-
stante entre cette équation difTérenlielIe et l'équation pri-
mitive; on obtiendra ainsi, entre les deux coordonnées
variables, une équation indépendante de cette constante,
qui sera celle de la courbe cherchée, dont la forme diffé-
rera souvent beaucoup de celle des courbes génératrices.
Lagrange a établi, au sujet de celte relation géométrique,
un important théorème général, en montrant que, sous le
point de vue analytique, la courbe ainsi obtenue et les cour-
bes génératrices ont nécessairement une môme équation
différentielle, dont l'intégrale complète représente le sys-
tème des courbes génératrices, tandis que sa solution sm-
gulière correspond à la courbe des intersections.
J'ai considéré jusqu'ici la théorie de la courbure des
GÉOMÉTRIE A DEUX DIMENSIONS. S6S
courbes suivant Tesprit de la mélhode inûnitésimale pro-
prement dite, qui s'adapte en effet bien plus simplement
qu'aucune autre à toute recherche de ce genre. La concep-
tion de Lngrange, relativement à l'analyse transcendante,
présentait surtout^ par sa nature, de grandes difûcultés
spéciales pour la solution directe d'une telle question,
comme je l'ai déjà remarqué dans la sixième leçon. Mais
ces difDcultés ont si heureusement excité le génie de La-
grange, qu'elles l'ont conduit à la formation de la théorie
générale des contacts, dont l'ancienne théorie du cercle
osculateur se trouve n'être plus qu'un cas particulier fort
simple. 11 importe au but de cet ouvrage de considérer
maintenant cette belle conception, qui est peut-être, sous
le rapport philosophique, l'objet le plus profondément inté-
ressant que puisse ofl'rir jusqu'ici la géométrie analytique.
Comparons une courbe quelconque donnée y = f{x) k
une autre courbe variable z = çp(x), et cherchons à nous
former une idée précise des divers degrés d'intimité qui
pourront exister entre ces deux courbes, en un point com-
mun, suivant les relations qu'on supposera entre la fonc-
tion f et la fonction /. Il suffira pour cela de considérer la
distance verticale des deux courbes en unautre point de plus
en plus rapproché du premier, afin de la rendre successive-
ment la moindre possible, eu égard à la corrélation des deux
fonctions. Si h désigne Taccroissement qu'éprouve l'abcisse
en passant à ce nouveau point, cette distance, qui est égale
à la difTérencedes deux ordonnées correspondantes, pourra
être développée, d'après la formule de Taylor, suivant les
puissances ascendantes de k, et aura pour expression la
série :
D= ^/-(x) ~ ç'(x)) A -h {f" W - 9" W) ^
+ (/^''(«)-rw)f^-hetc.
S64 MATHÉMATIQUES.
En concevant, ce qui esl évidemment toujours possible,
h tellement petit, que le premier terme de cette série soit
supérieur à la somme de tous les autres, il est clair que la
courbe z aura avec la courbe y un rapprochement d'autant
plus intime, que la nature de la fonction variable 9 per-
mettra de supprimer un plus grand nombre de termes dans
ce développement, à partir du premier. Le degré d'inti-
mité des deux courbes sera donc exactement apprécié,
sous le point de vue analytique, par le nombre plus ou
moins grand de fonctions dérivées successives de leurs
ordonnées qui auront la même valeur au point que ron
considère. De là, l'importante conception générale des
divers ordres de contacts plus ou moins parfaits, dont la
notion du cercle osculateur comparé aux cercles simple-
ment tangents n'avait présenté jusqu'alors qu'un seul
exemple particulier. Ainsi, après la simple intersection, le
premier degré de rapprochement entre deux courbes
a lieu quand les premières dérivées de leurs ordonnées
sont égales; c'est le contact du premier ordre^ ou ce qu'on
appelle ordinairement le simple contact, parce qu'il a été
longtemps le seul connu. Le contact du second ordre exige
de plus que les secondes dérivées des fonctions /* et f
soient égales : en y joignant encore l'agilité de leurs troi-
sièmes dérivées, on constitue un contact du troisième ordre^
et ainsi de suite à l'infini. Au delà du premier ordre, les
contacts portent souvent le nom d'osculations du premier
ordre, du second ordre, etc.
Les contacts du premier et du second ordre peuvent être
caractérisés géométriquement par une observation fort
simple, en ce qu'il en résulte évidemment que les deux
courbes comparées ont au point commun, dans un cas, la
même tangente, et, dans l'autre, le même cercle de cour-
bure, puisque la tangente à chaque courbe dépend de la
GÉOMÉTRIE A DEUX DIMENSIONS. S65
première dérivée de son ordonnée, et le cercle de cour-
bure, des deux premières dérivées successives. Mais cette
considération ne conviendrait plus au delà du second ordre
pour déterminer l'idée^géomélrique du contact. L'igrange
8*est borné, sous ce rapport, à assigner le caractère gé-
néral qui résulte immédiatement de l'analyse ci-dessus
indiquée, et qui consiste en ce que, lorsque la courbe z est
•
déterminée de manière à avoir avec la courbe y un contact
de l'ordre n, produit analytiquemenl par IV'gaiilé de toutes
les fonctions dérivées jusqu'à celle de l'ordre n, aucune
autre courbez, de môme nature que la précédente, mais
qui ne satisferait qu'à un moindre nombre de conditions
analytiques, et qui, par conséquent, n'aurait avec la courbe
y qu'un contact moins intime, ne pourrait passer entre les
deux courbes, puisque l'intervalle de celles-ci a reçu la
plus petite valeur dont il était susceptible d'après une telle
relation des deux équations.
Lorsqu'on a particularisé la nature de la courbe z ainsi
comparée à une courbe quelconque donnée y, l'ordre du
contact le plus intime qu'elle peut avoir avec celle-ci dé-
pend évidemment du nombre plus ou moins grand de
constantes arbitraires que renferme son équation la plus
générale, un contact de l'ordre n exigeant n-f- i» conditions
analytiques qui ne sauraient être remplies qu'avec un pa-
reil nombre de constantes disponibles. Par conséquent,
une ligne droite, dont l'équation la plus générale contient
seulement deux constantes arbitraires, ne peut avoir avec
une courbe quelconque qu'un contact du premier ordre ;
d'où découle la théorie ordinaire des tangentes. L'équa-
tion du cercle renfermant, en général, trois constantes ar-
bitraires, le cercle peut avoir avec une courbe quelconque
un contact du second ordre, et de là résulte, comme cas
particulier, l'ancienne théorie du cercle osculaleur. En con-
866 MATHÉMATIQUES.
sidérant une parabole, comnfie il y a quatre constantes
arbitraires dans son équation la plus cooiplète et la plus
simple, elle eat susceptible, comparée à toute autre courbe,
d'une intimité plus proFonde, qui peut aller jusqu'au con-
tact du troisième ordre : de même une ellipse comporte-
rait un contact du quatrième ordre, etc.
La considération précédente est propre à suggérer une
interprétation géométrique de cette théorie générale des
contacts, qui me semble destinée à compléter le travail de
Lagrange, en assignant, pour défînir directement les divers
ordres de contacts, un caractère concret plus simple et
plus clair que celui indiqué par Lagrange. En effet, ce
nombre plus ou moins grand de constantes arbitraires
contenues dans une équation a pour signification géomé-
trique, comme nous l'avons établi en commençant cette
leçon, le nombre des points nécessaires à l'entière déter-
mination de la courbe correspondante, lequel se trouve
ainsi marquer le degré d'intimité dont cette courbe est
susceptible relativement à toute autre. Or, d'un autre côté,
la loi analytique qui exprime ce contact par l'égalité d'ua
pareil nombre de dérivées successives des deux ordonnées,
indique évidemment que les deux courbes ont alors autant
de points infiniment voisins communs; puisque, d'après la
nature des différentielles, il est clair que la différentielle
de l'ordre n dépend de la comparaison de n -f- i i ordonnées
consécutives. On peut donc se faire directement une idée
nette des divers ordres de contacts, en disant qu'ils con-
sistent dans la communauté d'un nombre plus ou moins
grand de points infiniment voisins entre les deux courbes.
En termes plus rigoureux, on définirait, par exemple^ Tel-
lipse osculatrice au troisième ordre, en la regardant comme
la limite vers laquelle tendraient les ellipses passant par
cinq points de la courbe proposée, à mesure que quatre
GÉOMÉTRIE A DEUX DIMENSIONS. 867
de ces points supposés mobiles se rapprocheraient indé-
flnimenl du cinquième supposé flxe.
Cette théorie générale des contacts est évidemment pro-
pre, par sa nature, à fournir une connaissance de plus en
plus profonde de la courbure d'une courbe quelconque, en
lui comparant successivement diverses courbes connues,
susceplibles d'un contact de plus en plus intime; ce qui
permettrait de rendre aussi exacte qu'on voudrait la me-
sure de la courbure, en changeant convenablement le
terme de comparaison. Ainsi, il est clair, d'après les con-
sidérations précédentes, que l'assimilation de tout arc de
courbe inûniment petit à un arc de parabole en ferait con-
naître la courbure avec plus de précision que par l'emploi
du cercle osculateur; et la comparaison avec l'ellipse pro-
curerait encore plus d'exactitude, etc. ; en sorte qu'en
destinant chaque type primitif à approfondir l'étude du
type suivant, on pourrait perfectionner à Tinûni la théorie
des courbes. Mais la nécessité d'avoir une connaissance
nette et familière de la courbe ainsi adoptée comme unité
de courbure détermine les géomètres à renoncer à cette
haute perfection spéculative, pour se contenter, en réalité,
de comparer toutes les courbes au cercle seulement, en
vertu de l'uniformité de courbure, propriété caractéris-
tique du cercle. Aucune autre courbe, en effet, ne peut être
regardée, sous ce rapport, comme assez simple et assez
connue pour pouvoir être utilement employée, quoique
l'on n'ignore plus que le cercle n'est pas l'unité de cour-
bure la plus convenable abstraitement. Lagrange s'est donc
borné déGnitivement à déduire de sa conception générale
la théorie du cercle osculateur, ainsi présentée sous un
point de vue purement analytique. Il est môme remar-
quable que de cette seule considération il ait pu conclure
avec facilité les deux propriétés fondamentales ci-dessus
368 MATHÉMATIQUES.
indiquées pour les développées, que la simple analyse pa-
raissait d'abord si peu propre à établir.
J'ai cru devoir considérer la théorie des contacts des
courbes dans sa plus grande extension spéculative, afin
d'en faire saisir convenablement le véritable caractère.
Quoiqu'on doive la réduire finalement à la seule détermi-
nation effective du cercle osculateur, il y a sans doute, sous
le rapport philosophique, une profonde différence entre
concevoir cette dernière considération, pour ainsi dire,
comme le dernier terme des efforts de l'esprit humain
dans l'étude des courbes, ainsi qu'on le faisait avant La-
grange, et n'y voir, au contraire, qu'un simple cas parti-
culier d'une théorie générale très-étendue, à l'examen
duquel on doit habituellement se borner, ensachant néan-
moins que d'autres comparaisons pourraient perfectionner
davantage la doctrine géométrique.
Après avoir envisagé les principales questions de géomé-
trie générale relatives aux propriétés des courbes, il me
reste à signaler celles qui se rapportent aux rectifications
et aux quadratures, dans lesquelles consiste proprement,
suivant l'explication donnée dans la dixième leçon, le but
définitif de la science géométrique. Mais, ayant eu occasion
précédemment {voyez la sixième leçon) d'établir les fo^
mules générales qui expriment, à l'aide de certaines inté-
grales, la longueur et l'aire d'une courbe plane quelconque
dont l'équation rcctiligne est donnée, et devant d'ailleurs
m'interdire ici toute application à aucune courbe parti-
culière, cette partie importante du sujet se trouve suffi-
samment traitée. Je me bornerai seulement à indiquer les
formules propres à déterminer l'aire et le volume des corps
produits par la révolution des courbes planes autour de
leurs axes.
Supposons, comme on peut évidemment toujours le
GÉOMÉTRIE A DEUX DIMENSIONS. 869
faire, que l'axe de rotation soit pris pour axe des abcisses ;
et, suivant l'esprit de la méthode inOnitésimale propre-
ment dite, la seule bien convenable jusqu'ici aux recher-
ches de cette nature , concevons que Tabcisse augmente
d'une quantité infiniment petite : cet accroissement déter-
minera dans l'arc et dans l'aire de la courbe des augmen-
tations dilTérentielles analogues qui , par la révolution au-
tour de l'axe, engendreront les éléments de la surface et du
volume cherchés. Il est aisé de voir que, en négligeant
seulement un infiniment petit du second ordre tout au
plus, on pourra regarder ces éléments comme égaux à la
surface et au volume du tronc de cône ou du cylindre cor-
respondant, ayant pour hauteur la différentielle de l'abcisse,
et pour rayon de sa base l'ordonnée du point considéré.
D'après cela, en appelant «S et 7 la surface et le volume
demandé, les plus simples propositions de la géométrie
élémentaire fourniront immédiatement les équations dif-
férentielles générales
Ainsi, lorsque la relation entre y ti x sera donnée dans
chaque cas parlPculier, les valeurs de 5 et de V seront
exprimées par les deux intégrales
S = 'i'KJyd8, V=7r/y«rfx,
prises entre les limites convenables. Telles sont les for-
mules invariables d'après lesquelles, depuis Leibnitz, les
géomètres ont résolu un grand nombre de questions de
ce genre^ quand les progrès du calcul intégral l'ont
permis.
On pourrait aussi comprendre au nombre des recherches
de géométrie générale à deux dimensions, l'importante
▲. GoMTR. Tome I. *4
S7 0 MATHÉMATIQUES.
détermiDation des <;eDtres de gravité des arcs ou des aires
appartenant à des courbes quelconques, quoique celte
considération ait son origine dans la mécanique ration-
nelle. Car, en définissant le centre de gravité comme étant
le centre des moyennes distances^ c'est-à-dire un point dont
la distance à un plan ou à un axe quelconque est la moyenne
arithmétique entre les distances de tous les points du corps
à ce plan ou à cet axe, il est clair que cette question de-
vient purement géométrique, et peut être traitée sans
aucun recours à la mécanique. Mais, malgré une telle con-
sidération, dont nous reconnaîtrons plus tard l'importance
pour généraliser suffisamment et avec facilité la notion da
centre de gravité, il est certain, d'un autre côté, que la
destination essentielle de cette recherche doit continuer i
la faire classer plus convenablement parmi les questions
de mécanique ; quoique, par sa nature propre, et aussi par
le caractère analytique de la méthode correspondante,
elle appartienne réellement à la géométrie, ce qui m'a en-
gagé à l'indiquer ici par anticipation.
Telles sont les principales questions fondamentales dont
se compose le système actuel de notre géométrie générale
à deux dimensions. On voit que, sous le rapport analytique,
elles peuvent être nettement distinguées en trois classes :
la première, comprenant les recherches géométriques qui
dépendent seulement de l'analyse ordinaire; la seconde,
celles dont la solution exige l'emploi du calcul difiéren-
tiel ; la troisième, enfin, celles qui ne peuvent être résolues
qu'à l'aide du calcul intégral.
Il nous reste maintenant à considérer sous le même
aspect, dans la leçon suivante, l'ensemble de la géométrie
générale à trois dimensions.
QUATORZIÈME LEÇON
Sommaire. — De la géométrie gêné? aie k trois dimensioDs.
L'étude des surfaces se compose d'une suite de questions
générales exactement analogues à celles indiquées dans la
leçon précédente par rapport aux lignes. Il est inutile de
considérer ici distinctement celles qui ne dépendent que
de l'analyse ordinaire, car elles se résolvent par des mé-
thodes essentiellement semblables; soit qu'il s'agisse de
connaître le nombre des points nécessaires à l'entière dé-
termination d'une surface, soit qu'on s'occupe de la re-*
cherche des centres, soit qu'on demande les conditions
précises de la similitude entre deux surfaces du môme
genre, etc. Il n'y a d'autre différence analytique que d'en-
visager les équations à trois variables au lieu d'équations
à deux variables. Je passe donc immédiatement aux ques-
tions qui exigent l'emploi de l'analyse transcendante, en
insistant seulement sur les considérations nouvelles qu'elles
représentent relativement aux surfaces.
La première théorie générale est celle des plans tan-
gents. En se servant de la méthode infinitésimale propre-
ment dite, on peut aisément trouver l'équation du plan
qui touche une surface quelconque en un point donné, et
qui est alors défini comme coïncidant avec la surface dans
une étendue infiniment petite tout autour du point de
contact. 11 suffit, en effet, de considérer que, afin de rem-
plir une telle condition, l'accroissement infiniment petit
87i MATHÉMATIQUES.
reçu par l'ordonnée verticale en résultat des accroisse-
ments infiniment petits des deux coordonnées horizon-
tales, doit être le même pour le plan que pour la surface,
et cela indépendamment d'aucune relation déterminée
entre ces deux derniers accroissements, sans quoi la coïn-
cidence n'aurait pas lieu en tout sens. D'après cette idée,
l'analyse donne immédiatement l'équation générale :
pour celle du plan tangent, af,y\z\ désignant les coor-
données du point de contact. La détermination de ce plan,
dans chaque cas particulier, se trouve ainsi réduite à une
simple diflérentiation de l'équation de la surface proposée.
- On peut aussi obtenir cette équation générale du plan
tangent, en faisant dépendre sa recherche de la seule
théorie des tangentes aux courbes planes. Il faut, pour
cela, considérer ce plan, ainsi qu'on le fait habituellement
en géométrie descriptive, comme déterminé par les tan-
gentes à deux sections planes quelconques de la surface
passant au point donné. En choisissant les plans de ses
sections parallèles à deux des plans coordonnés, on par-
vient sur-le-champ à l'équation précédente. Cette manière
de concevoir le plan tangent donne lieu d'établir facile-
ment un important théorème de géométrie générale, que
Monge a démontré le premier, et qui consiste en ce que
les tangentes à toutes les courbes qu'on peut tracer en un
même point sur une surface quelconque sont toujours
comprises dans un môme plan.
Enfin, il est encore possible de parvenir à l'équation gé-
nérale du pian tangent en le considérant coinme perpen-
diculaire à la normale correspondante, et définissant celle-
ci par sa propriété géométrique directe d'être le chemin
GÉOMÉTRIE A TROIS DIMENSIONS. 378
maximum ou minimum pour aller d'un point extérieur à la
surface. La mélhode ordinaire des maxima et minima sufût
pour former, d'après cette notion, les deux équations de la
normale, en appliquant cette méthode à l'expression de la
distance entre deux points, l'un situé sur la surface, l'autre
extérieur, dont le premier, conçu comme variable, est en-
suite supposé fixe quand les conditions analytiques ont été
exprimées, tandis que le second, primitivement constant,
est alors envisagé comme mobile, et décrit la droite cher-
chée. Les équations de la normale une fois obtenues, on
en déduit aisément celle du plan tangent. Cette ingénieuse
manière de l'établir est également due à Monge.
La question fondamentale que nous venons d'examiner
devient, comme dans le cas des courbes, la base d'un
grand nombre de recherches relatives à la détermination
du plan tangent, lorsqu'on remplace le point de contact
donné par d'autres conditions équivalentes. Le plan tan-
gent ne peut point évidemment être déterminé par un
seul point donné extérieur, comme Test la tangente : il
faut l'assujettir à contenir une droite donnée; à cela près,
l'analogie est parfaite, et les deux questions se résolvent de
la môme manière. Il en est de môme si le plan tangent doit
ôtre parallèle à un plan donné, ce qui fixe la valeur des
deux constantes qui assignent sa direction, et par suite dé-
termine les coordonnées du point de contact, dont ces
constantes sont, pour chaque surface désignée, des fonc-
tions connues. Enfin on peut aussi trouver, comme dans les
courbes, la relation analytique qui exprime généralement
le simple phénomène du contact entre un plan et une sur-
faeCy sans spécifier le lieu de ce contact; d'où résulte pa-
reillement la solution de plusieurs questions relatives aux
plans tangents, entre autres celle qui consiste à déterminer
un plan qui touche à la fois trois surfaces quelconques
174 MATHEMATIQUES.
données, recherche analogue à celle de la tangente com-
mune à deux courbes.
La théorie générale des contacts plus ou moins intimes
qui peuvent exister entre deux surfaces quelconques par
suite des relations plus ou moins nombreuses de leurs
équations, se forme d'après une méthode exactement sem-
blable à celle indiquée dans la leçon précédente relative-
ment aux courbes, en exprimant, à l'aide de la série de
Taylor pour les fonctions de deux variables, la distance
verticale des deux surfaces en un second point voisin de
leur point d'intersection, et dont les coordonnées hori-
zontales auraient reçu deux accroissements h et k entière-
ment indépendants l'un de Tautre. La considération de
cette distance, développée selon les puissances croissantes
de h et A:, et dans l'expression de laquelle on supprimera
successivement les termes du premier degré en h et Ar, en-
suite ceux du second^ etc., déterminera les conditions ana-
lytiques des contacts de différents ordres que peuvent avoir
les deux surfaces suivant le plus ou moins grand nombre
de constantes arbitraires contenues dans l'équation gé-
nérale de celle qu'on regarde comme variable. Mais,
malgré la conformité de méthode, cette théorie présentera
avec celle des courbes une différence fondamentale relati-
vement au nombre de ces conditions, par suite de la né-
cessité où l'on se trouve dans ce cas de considérer deux
accroissements indépendants au lieu d'un seul. Il en ré-
sulte, en efl'et, que, afin que chaque contact ait lieu dans
tous les sens possibles autour du point commun, on doit
annuler séparément tous les différents termes du môme
degré correspondant, et dont le nombre augmentera d'au-
tant plus que ce degré ou l'ordre du contact sera plus
élevé. Ainsi, après la condition de l'égalité des deux or-
données verticales z, nécessaire pour la simple intersec-
GÉOMÉTRIE A TROIS DIMENSIONS. 87 S
tien, on trouvera que le contact du premier ordre exige,
en outre» deux relations distinctes, consistant dans l'éga-
lité respective des deux fonctions dérivées partielles du
premier ordre propres à chaque ordonnée verticale. En
passant au contact du second ordre, il faudra ajouter encore
trois nouvelles conditions, à cause des trois termes dis-
tincts du second degré en A et k dans l'expression de la
distance, et dont la suppression complète exigera l'égalité
respective des trois fonctions dérivées partielles du second
ordre relatives au z de chaque surface. On trouvera de la
même manière que le contact du troisième ordre donne
lieu en outre à quatre autres relations, et ainsi de suite,
le nombre des dërivées^ partielles de chaque ordre restant
constamment égal au nombre de termes en A et /: du degré
correspondant. Il est aisé d'en conclure, en général, que
le nombre total des conditions distinctes nécessaires au
contact de l'ordre n, a pour valeur (îLliy^Jtiî^ tandis
que, dans les courbes, il était simplement égal à n -^ 1.
Par suite de cetle seule différence essentielle^ la théorie
des surfaces est loin d'offrir à cet égard la môme facilité
et de comporter la môme perfection que celle des courbes.
Quand on se borne au contact du premier ordre, il y a
parité complète, puisque ce contact n'exige que trois con-
ditions, auxquelles on peut toujours satisfaire à l'aide des
trois constantes arbitraires que renferme l'équation géné-
rale d'un plan; de là résulte, comme cas particulier, fa
théorie des plans tangents, exactement analogue à celle
des tangentes aux courbes, et présentant la môme utilité
pour étudier la forme d'une surface quelconque. Mais il
n'en est plus ainsi lorsqu'on considère le contact du second
ordre, afin de mesurer la courbure des surfaces. 11 serait
naturel alors de comparer toutes les surfaces à la sphère,
176 MATUÉMATIQUES.
la seule qui présente une courbure uniforme, comme on
compare toutes les courbes au cercle. Or, le contact da
second ordre entre deux surfaces exigeant six conditions,
tandis que l'équation la plus générale d'une sphère con-
tient seulement quatre constantes arbitraires, il n'est pas
possible de trouver, en chaque point d'une surface quel-
conque, une sphère qui soit complètement osculalrice en
tout sens, au lieu que nous avons vu un arc de courbe in-
finiment petit pouvoir toujours être assimilé'à un certain
arc de cercle. D'après celte impossibilité de mesurer la
courbure d'une surface en chaque point à l'aide d'une
seule sphère, les géomètres ont déterminé les coordonnées
du centre et le rayon d'une sphère qui, au lieu d'être oscu-
lalrice en tout sens indistinctement, le serait seulement
dans une certaine direction particulière, correspondante
à un rapport donné entre les deux accroissements heik.
Il suffit alors, en effet, pour établir ce contact du second
ordre relatifs d'ajouter, aux trois conditions ordinaires du
contact du premier ordre^ la condition unique qui résulte
de la suppression totale des termes du second degré en
h eik envisagés collectivement, sans qu'il soit nécessaire
de les annuler chacun séparément ; le nombre des rela-
tions se trouve par là seulement égal à celui des constantes
disponibles renfermées dans l'équation générale de la
sphère, qui est ainsi déterminée. Ce procédé se réduit
proprement à étudier la courbure d'une surface en chaque
point par celle des différentes courbes que tracerait sur
cette surface une suite de plans menés par la normale cor-
respondante.
D'après la formule générale qui exprime le rayon de
courbure de chacune de ces sections normales en fonction
de sa direction, Euler, auquel est essentiellement due toute
cette théorie, a découvert plusieurs théorèmes importants
GÉOMÉTRIE A TROIS DIMENSIONS. 177
relatifs à ane surface quelconque. Il a d'abord aisément
établi que, parmi toutes les sections normales d'une sur*
face en un môme point, on en pouvait distinguer deux prin-
cipales, dont la courbure, comparée à celle de toutes les
autres, était un minimum pour la première, et un maximum
pour la seconde, et dont les plans présentent cette cir-
constance remarquable d'être constamment perpendicu-
laires entre eux. 11 a fait voir ensuite que, quelle que pût
être la surface proposée, et sans qu'il fût môme nécessaire
de la définir, la courbure de ces deux sections principales
suffisait seule pour déterminer complètement celle d'une
autre section normale quelconque, à Taide d'une formule
invariable et très-simple, d'après l'inclinaison du plan de
cette section sur celui de le section de plus grande ou de
plus petite courbure. En considérant cette formule comme
l'équation polaire d'une certaine courbe plane, il en a dé-
duit une ingénieuse construction, éminemment remarqua-
ble par sa généralité et par sa simplicité. Elle consiste en
ce que, si l'on construit une ellipse telle que les distances
d'un de ses foyers aux deux extrémités du grand axe soient
égales aux deux rayons de courbure maximum et minimum^
le rayon de courbure de toute autre section normale sera
égal à celui des rayons vecteurs de l'ellipse qui fera avec
l'axe un angle double de Tinclinaison du plan de cette sec-
tion sur celui d'une des sections principales. Cette ellipse
86 change en une hyperbole construite de la môme manière,
quand les deux sections principales ne tournent pas leur
concavité dans le môme sens ; enfin elle devient une para-
bole, lorsque la surface est du genre de celles qui peuvent
être engendrées par une ligne droite, ou qu'elle présente
une inflexion au point que l'on considère. De cette belle
propriété fondamentale, on a conclu plus tard un grand
nombre de théorèmes secondaires plus ou moins intéres-
M
878 MATHÉMATIQUES.
sants, que ce n'est pas ici le lieu d'indiquer. Je dois seule-
ment signaler le théorème essentiel par lequel Meunier a
complété le travail d'Ëuler, en rattachant la courbure de
toutes les courbes quelconques qui peuvent être tracées
sur une surface en un même point, à celle des sections
normales, les seules qu'Euler eût considérées. Ce théo-
rème consiste en ce que le centre de courbure de toute
section oblique peut être envisagé comme la projection sur
le plan de cette section, du centre de courbure correspon-
dant à la section normale qui passerait par la même tan-
gente : d'où Meunier a déduit une construction fort simple,
d'après laquelle, par l'emploi d'un cercle analogue à l'el-
lipse d'Ëuler, on détermine la courbure des sections obli-
ques, connaissant celle des sections normales; en sorte que,
par la combinaison des deux théorèmes, la seule courbure
des deux sections normales princtijales suffit pour obtenir
celle de toutes les autres courbes qu'on peut tracer sur
une surface d'une manière quelconque en ehaque point
considérée.
La théorie précédente permet d'étudier complètement,
point par point, la courbure d'une surface quelconque.
Afin de lier plus aisément entre elles les considérations
relatives aux divers points d'une môme surface, les géo-
mètres ont cherché à déterminer ce qu'ils appellent les
lignes de courbure d'une surface, c'est-à-dire celles qui
jouissent de la propriété que les normales consécutives à
la surface peuvent y être regardées comme comprises dans
un même plan. En chaque point d'une surface quelconque,
il existe deux de ces lignes, qui se trouvent être constam-
ment perpendiculaires entre elles, et dont les directions
coïncident à leur origine avec celles des deux sections
normales /}rmcî]pa/^s considérées ci-dessus, ce qui peut dis-
penser d'envisager distinctement ces dernières. La déter-
GÉOMÉTRIE A TROIS DIMENSIONS. 379
mination de ces lignes de courbures s'effectue très-simpie-
ment sur les surfaces les plus usuelles, telles que les
surfaces cylindriques, coniques et de révolution. Cette
nouvelle considération fondamentale est d'ailleurs devenue
le point de départ de plusieurs autres recherches générales
moins importantes, comme celle des surfaces de courbure^
qui sont les lieux géométriques des centres de courbure
des diverses sections principales; celle des surfaces déve-
loppables formées parles normales à la surface menées aux
diff'érents points de chaque ligne de courbure, etc.
Pour terminer l'examen de la théorie de la courbure, il
me reste à indiquer sommairement ce qui se rapporte aux
courbes à doubk courbure y c'est-à-dire à celles qui ne peu-
vent être contenues dans un plan.
Quant à la détermination de leurs tangentes, elle n'offre
évidemment aucune difûculté. Si la courbe est donnée ana-
lytiquement par les équations de ses projections sur deux
des plans coordonnées, les équations de sa tangente seront
simplement celles des tangentes à ces deux projections, ce
qui fait rentrer la question dans le cas des courbes planes.
Si, sous un point de vue plus général, la déflnition analy-
tique delà courbe consiste, ainsi que l'indique la douzième
leçon, dans le système des équations des deux surfaces
quelconques dont elle serait Tintersection, on regardera
la tangente comme étant Tinterseclion des plans tangents
à ces deux surfaces, et le problème sera ramené à celui du
plan tangent, résolu ci-dessus.
La courbure des courbes de cetle nature donne lieu à
l'établissement d'une notion nouvelle fort importante. En
effet, dans une courbe plane, la courbure se trouve être
suffisamment appréciée en mesurant l'inflexion plus ou
moins grande des éléments consécutifs les uns sur les au-
tres^ qui est estimée indirectement par le rayon du cercle
880 MATHÉMATIQUES.
osculaleur. Mais il n'en est nullement ainsi dans une
courbe qui n'est point plane. Les éléments consécutifs n'é-
tant plus alors contenus dans un même plan, on ne peut
avoir une idée exacte de la courbure qu'en considérant
distinctement les angles qu'ils forment entre eux et aussi
les inclinaisons mutuelles des plans qui les comprennent.
Il faut donc, avant tout, commencer par flxer ce qu'on doit
entendre à chaque instant par le plan de la courbe, c'est-
à-dire celui que déterminent trois points inûnîment voi-
sins, et qu'on appelle, pour cette raison, le plan oscillateur^
qui change conlinuellement d'un point à un autre. La po-
sition de ce plan une fois obtenue, la mesure de la cour-
bure ordinaire, à l'aide du cercle osculateur, ne présente
plus évidemment aucune dilUculté nouvelle. Quant à la
seconde courbure, elle est estimée par l'angle plus ou
moins grand que forment entre eux deux plans osculateurs
consécutifs, et dont il est aisé de trouver généralement
l'expression analytique. Pour établir plus d'analogie entre
la théorie de cette courbure et celle de la première, on
pourrait également la regarder comme mesurée indirecte-
ment d'après le rayon de la sphère osculatrice qui passerait
par quatre points inûniment voisins de la courbe proposée,
et dont l'équation se formerait de la môme manière que
celle du plan osculateur. On l'apprécie ordinairement par
la courbure maximum que présente, au point considéré,
la surface développable qui est le lieu géométrique de
toutes les tangentes à la courbe proposée.
Nous devons passer maintenant à l'indication des ques-
tions de géométrie générale à trois dimensions qui dépen-
dent du calcul intégral; elles comprennent la quadrature
des surfaces courbes, et la cubature des volumes corres-
pondants.
Relativement à la quadrature des surfaces courbes, il
GÉOMiTBIE A TROIS DIMENSIONS. «SI
faut, pour établir l'équalîon différentielle générale, con-
cevoir la surface partagée en éléments plans inûniment
petits dans tous les sens, par quatre plans perpendiculaires
deux à deux aux axes des coordonnées x et y. Chacun de
ces éléments, situé dans Je pian tangent correspondant,
aurait évidemment, pour projection horizontale, le rectan-
gle formé par les différentielles des deux coordonnées ho-
rizontales, et dont Taire serait dxdy. Cette aire donnera
celle de l'élément lui-môme d'après un théorème élémen-
taire fort simple, en la divisant par le cosinus de l'angle
que fait le plan tangent avec le plan des x^ y. On trouvera
ainsi que l'expression de cet élément est généralement :
d^S=dxdysJ'^,^-. + ^
C'est donc par la double intégration de cette formule diffé-
rentielle à deux variables qu'on connaîtra, dans chaque cas
particulier, l'aire de la surface proposée autant que pourra
le permettre l'imperfection actuelle du calcul intégral. Les
limites de chaque intégrale successive seront déterminées
par la nature des surfaces dont l'intersection avec celle que
l'on considère devra circonscrire l'étendue à mesurer, en
sorte que, dans l'application de cette méthode générale, il
faudra apporter un soin particulier à la manière de fixer
les constantes arbitraires ou les fonctions arbitraires in-
troduites par l'intégration.
Relativement à la cubature des volumes terminés par les
surfaces courbes, le système de plans à l'aide duquel nous
venons de différenlier l'aire peut aussi servir immédiate-
ment à décomposer le volume en éléments polyèdres. Il
est clair, en effet, que l'espace infiniment petit du second
ordre compris entre ces quatre plans doit être envisagé,
suivant l'esprit de la méthode infinitésimale, comme égal
88i MATHÉMATIQUES.
au paraiiélipipède rectangle ayant pour hauteur l'ordonnée
verticale z du point que Ton considère et pour base le rec-
tangle dxdy^ puisque leur différence est évidemment un
infiniment petit du troisième ordre, moindre que dzdydz.
D'après cela, un des plus simples théorèmes de la géomé-
trie élémentaire fournira directement, pour rezpression
différentielle du volume cherché, l'équation générale
â} V=zzdxdy ;
d'où l'on déduira, par une double intégration, dans chaque
cas particulier, la valeur effective de ce volume, en ayant
le môme égard que précédemment à la détermination des
limites de chaque intégrale, conformément à la nature des
surfaces qui devront circonscrire latéralement le volume
proposé.
Sans entrer ici dans aucun détail relatif à la solution dé-
finitive de l'une ou de l'autre de ces deux questions fonda-
mentales, il peut être utile de remarquer, d'après les équa^
tions différentielles précédentes, une analogie générale et
singulière qui existe nécessairement entre elles, et qui per-
mettrait de transformer toute recherche relative à la quadra-
ture en une recherche correspondante relative à la cubature.
On voit, en effet, que les deux équations différentielles ne
diffèrent que par le changement de z en i/ ^{ 4"^ + * ^"^
passant de la seconde à la première. Ainsi l'aire d'une sur-
face courbe quelconque peut être regardée comme numé-
riquement égale au volume d'un corps terminé par une
surface dont l'ordonnée verticale aurait à chaque instant
pour valeur la sécante de l'angle que fait avec le plan ho-
rizontal le plan langent correspondant à la surface primi-
tive, les limites étant d'ailleurs supposées respectivement
les mêmes.
GÉOMÉTRIE A TROIS DIMENSIONS. III
Pour terminer l'examen philosophique de la géométrie
, générale à trois dimensions, il me reste à considérer som-
mairement la belle conception fondamentale établie par
Monge relativement à la classification analytique des sur-
faces en familles naturelles, qui doit être regardée comme
le perfectionnement le plus important qu'ait reçu la science
géométrique depuis Descartes etLeibnitz.
Quand on se propose d'étudier, sous un point de vue gé-
néral, les propriétés spéciales des diverses surfaces, la
première difficulté qui se présente consiste dans l'absence
d'une bonne classiûcation, déterminée par les caractères
géométriques les plus essentiels, et d'ailleurs suffisamment
simple. Dès la fondation de la géométrie analytique, les
géomètres ont été involontairement conduits à classer les
surfaces, comme les courbes, par la forme et le degré de
leurs équations, seule considération qui s'offrit d'elle-
même à l'esprit pour servir de base à une distinction dont
l'importance n'avait d'abord été nullement sentie. Mais il
est aisé de voir que ce principe de classification, convena-
blement applicable aux équations du premier et du second
dçgré, ne remplit aucune des conditions principales aux-
quelles doitsatisfaire un tel travail. Ën'effetfOnsaitqueNew-
ton, en discutant l'équation générale du troisième degré à
deux variables, pour se borner à la simple énumération
des diverses courbes planes qu'elle peut représenter, a re-
connu que, bien qu'elles fussent toutes nécessairement in-
définies en tous sens, on devait en distinguer soixante-
quatorze espèces particulières, aussi différentes les unes
des autres que le sont entre elles les trois courbes du se-
cond degré. Quoique personne n'ait analysé sous le même
point de vue l'équation générale du quatrième degré à
deux variables, il n'est pas douteux qu'elle ne dût faire
naître un nombre beaucoup plus considérable encore de
184 MATHÉMATIQUES.
courbes distinctes ; et ce nombre devrait uniformément aug-
menter avec une prodigieuse rapidité d'après le degré de
l'équalion. Si maintenant l'on passe aux équations à trois
variables, qui, vu leur plus grande complication, présen-
tent nécessairement bien plus de variété, il est incontes-
table que le nombre des surfaces vraiment distinctes
qu'elles peuvent exprimer doit être encore plus multiplié,
et croître beaucoup plus rapidement d'après le degré. Cette
multiplicité devient telle, qu'on s'est toujours borné à ana-
lyser ainsi les équations des deux premiers degrés, aucun
géomètre n*ayant tenté pour les surfaces du troisième de-
gré ce qu'a exécuté Newton pour les courbes correspon-
dantes. 11 suit donc de cette considération évidente que,
quand même l'imperfection de l'algèbre ne s'opposerait
pas à l'emploi indéûni d'un procédé semblable, la classifi-
cation générale des surfaces par le degré et la forme de
leurs équations serait entièrement impraticable. Mais ce
motif n'est pas le seul qui doive faire rejeter une telle
classification; il n'est point même le plus important. En
efi'et, cette manière de disposer les surfaces, outre l'impos-
sibilité de la suivre, se trouve directement contraire à, la
principale destination de toute bonne classification quel-
conque, consistant à rapprocher le plus les uns des autres
les objets qui oflrent les relations les plus importantes, et à
éloigner ceux dont les analogies ont peu de valeur. L'iden-
tité du degré de leurs équations est, pour les surfaces, uq
caractère d'une valeur géométrique très-médiocre, qui
n'indique pas même exactement le nombre des points né-
cessaires à rentière détermination de chacune. La propriété
commune la plus importante à considérer entre des surfa-
ces consiste évidemment dans leur mode de génération ;
toutes celles qui sont engendrées de la même manière
devant offrir nécessairement une grande analogie géomé-
GÉOMÉTRIE A THOIS DIMENSIONS. 885
triqae» tandis qu'elles ne sauraient avoir que de très-faibles
resseoiblances si elles sont engendrées d'après des modes
essentiellement différents. Ainsi, par exemple, toutes les
surfaces cylindriques, quelle que soit la forme de leur
base^ constituent une môme famille naturelle, dont les di-
Tcrses espèces présentent un grand nombre de propriétés
communes de première importance : il en est de môme
pour toutes les surfaces coniques, et aussi pour toutes les
surfaces de révolution, etc. Or cet ordre naturel se trouve
complètement détruit par la classiBcation fondée sur le
degré des équations. Car des surfaces assujetties à un môme
mode de génération, les surfaces cylindriques, par exem-
ple, peuvent fournir des équations de tous les degrés ima-
ginables, à raison de la seule différence secondaire de leurs
bases; tandis que, d'un autre côté, des équations d'un môme
degré quelconque expriment souvent des surfaces de na-
ture géométrique opposée, les unes cylindriques, les au-
tres coniques, ou de révolution, etc. Une telle classification
analytique est donc radicalement vicieuse, comme sépa-
rant ce qui doit ôtre réduit, et rapprochant ce qui doit
être distingué. Cependant, la géométrie générale étant en-
tièrement fondée sur l'emploi des considérations et des
méthodes analytiques, il est indispensable que la classifi-
cation puisse prendre aussi un caractère analytique.
Tel était donc Tétat précis de la difficulté fondamentale,
si heureusement vaincue par Monge : les familles natu-
relles entre les surfaces étant clairement établies sous le
point de vue géométrique d'après le mode de génération, il
fallait découvrir un genre de relations analytiques destiné
à présenter constamment une interprétation abstraite de
ce caractère concret. Cette découverte capitale était rigou-
reusement indispensable pour achever de constituer la
théorie générale des surfaces.
A. CoMTB. Tome I. ^ B
886 HATHÉMATIQUBS.
La considération que Monge a employée pour y parve*
nir^ consiste dans cette observation générale, aussi simple
que directe : les surfaces assujetties à un môme mode de
génération sont nécessairement caractérisées par une cer*
taine propriété commune de leur plan tangent en un point
quelconque; en sorte qu'en exprimant analytiquement
cette propriété d'après l'équation générale du plan tangent
à une surface quelconque, on formera une équation diffé*
rentielle représentant à la fois toutes les surfaces de cette
famille.
Ainsi, par exemple, toute surface cylindrique présente
ce caractère exclusif : que le plan tangent en un point quel'
conque de la surface est constamment parallèle à la droite
fixe qui indique la direction des génératrices. D'après cela,
il est aisé de voir que les équations de cette droite étant
supposées être
x=zaz, y '^ bZj
l'équation générale du plan tangent établie ci-dessus don-
nera, pour l'équation différentielle commune à toutes les
surfaces cylindriques,
dx dy
De môme, relativement aux surfaces coniques, elles sont
toutes caractérisées sous ce point de vue par la propriété
nécessaire que leur plan tangent en un point quelconque
passe constamment par le sommet du cône. Si donc, a, 6,7,
désignent les coordonnées de ce sommet, on trouvera im-
médiatement
(*-«)5j+(y-6),- = 2-t.
pour l'équation différentielle représentant la famille en-
tière des surfaces coniques.
, GÉOMÉTRIE A TROIS DIMENSIONS. t%l
Dans les surfaces de révolution, le plan tangent en un
point quelconque est toujours perpendiculaire au plan mi-
ridierij c'esl-à-dire à celui qui passe par ce point et par
l'axe de la surface. Afin d'exprimer analytiquement cette
propriété d'une manière plus simple, supposons que l'axe
de révolution soit pris pour celui des z : l'équation diffé-
rentielle commune à toute cette famille de surface sera
dz d%
y-, X T- := 0.
^ dx dy •
Il serait superflu de citer ici un plus grand nombre
d'exemples pour établir clairement, en général, que, quel
que soit le «mode de génération, toutes les surfaces d'une
môme famille naturelle sont susceptibles d'être repré-
sentées analytiquement par une môme équation aux diffé"
rences partielles contenant des constantes arbitraires, d'a-
près une propriété commune de leur plan tangent.
Afin de compléter cette correspondance fondamentale
et nécessaire entre le point de vue géométrique et le point
de vue analytique, Monge a considéré en outre les équa«
lions finies qui sont les intégrales de ces équations diffé-
rentielles, et qu'on peut d'ailleurs presque toujours facile-
ment obtenir aussi par des recherches directes. Chacune
de ces équations finies doit, comme on le sait par la théorie
générale de l'intégration, contenir une fonction arbitraire,
si l'équation différentielle est seulement du premier ordre;
ce qui n'empôche pas que de telles équations, quoique
beaucoup plus générales que celles dont on s'occupe or-
dinairement, ne présentent un sens nettement déterminé,
soit sous le rapport géométrique, soit sous le simple rap-
port analytique. Cette fonction arbitraire correspond à ce
qu'il y a d'indéterminé dans la génération des surfaces pro-
posées, à la base, par exemple, si les surfaces sont cylin-.
888 MATUÉMÂTIQUES. «
driques ou coniques, à la courbe méridienne, si elles sont
de révolution, etc. (1). Dans certains cas môme^ l'équation
finie d'une famille de surfaces contient à la fois deux fonc»
tions arbitraires, affectées à des combinaisons distinctes
des coordonnées variables ; c'est ce qui a lieu lorsque l'é-
quation différentielle correspondante doit être du second
ordre ; sous le point de vue géométrique, cette indétermi-
nation plus grande indique une famille plus générale, et
néanmoins caractérisée. Tel est, par exemple, la famille
des surfaces développables, qui comprend, comme subdi-
visions, toutes les surfaces cylindriques, toutes les surfaces
coniques, et une infinité d'autres familles analogues, et
qui peut cependant être nettement définie, dans sa plus
grande généralité, comme étant Venveloppe de l'espace par-
couru par un plan qui se meut en restant toujours tangent
à deux surfaces fixes quelconques, ou comme le lieu géo-
métrique de toutes les tangentes à une même courbe quel-
conque à double courbure. Ce groupe naturel de surfaces a,
pour équation différentielle invariable, cette équation très-
simple, découverte par Ëuler, entre les trois dérivées par-
tielles du second ordre
\ax dyj
dx*dy^'
L'équation finie contient donc nécessairement deux
fonctions arbitraires distinctes, qui correspondent géomé-
triquement aux deux surfaces indéterminées sur lesquelles
(1) On trouve^ par exemple, soit d*aprës les considérations directes de
géométrie analytique, soit en résultat des méthodes d'intégration, que les
surfaces cylindriques et les surls£c«« coniques ont pour équations finies
a; — a: = 9 (y — Az), ^~ ^=ç ( ^^^^ I
z — y ^ \z — Y/
|j. désignant une fonction entièrement arbitraire.
GÉOMÉTRIE A TROIS DIMENSIONS. 889
doit glisser le plan générateur, ou aux deux équations
quelconques de la courbe directrice.
Quoiqu'il soit utile de considérer les équations finies des
familles naturelles de surfaces, on conçoit néanmoins que
l'indétermination des fonctions arbitraires qu'elles renfer-
ment inévitablement, doit les rendre peu propres à des
travaux analytiques soutenus, pour lesquels il est bien pré-
férable d'employer les équations différentielles, où i
n^entre que de simples constantes arbitraires, malgré leur
nature indirecte. C'est parla que l'étude générale et régu-
lière des propriétés des diverses surfaces est réellement
devenue possible, le point de vue commun ayant pu ainsi
être saisi et séparé par l'analyse. On conçoit qu'une telle
conception ait permis de découvrir des résultats d'un degré
de généralité et d'intérêt infiniment supérieurs à ceux
qu'on pouvait obtenir auparavant. Pour ne citer qu^un
seul exemple très-simple, qui est fort loin d'être le plus
remarquable, c'est par une semblable méthode de géomé-
trie analytique qu'on a pu reconnaître cette singulière pro-
priété de toute équation homogène à trois variables, de re-
présenter nécessairement une surface conique dont le
sommet est situé à l'origine des coordonnées ; de môme,
parmi les recherches plus difficiles, il a été possible de dé-
terminer, à l'aide du calcul des variations, le plus court
chemin d'un point à un autre sur une surface dévelop-
pable quelconque^ sans qu'il fût nécessaire de la particula-
riser, etc.
J'ai cru devoir ici accorder quelque développement à
l'exposition philosophique de cette belle conception de
Honge, qui constitue, sans contredit, son premier titre
à la gloire, et dont la haute importance ne me semble point
avoir encore été dignement sentie, excepté par Lagrange,
si juste appréciateur de tous ses émules. Je regrette même
»90 MATHÉMATIOVES.
d'être réduit, par les limites naturelles de cet ouvrage, à
une indication aussi imparfaite, où je n'ai pu seulement si-
gnaler l'heureuse réaction nécessaire de cette nouvelle
géométrie sur le perfectionnement de l'analyse, quant à la
théorie générale des équations différentielles à plusieurs
variables.
En méditant sur cette classification philosophique des
surfaces, essentiellement analogue aux méthodes natu-
relles que les physiologistes ont tenté d'établir en zoologie
et en botanique, on est conduit à se demander si les courbes
elles-mêmes ne comportent pas une opération semblable.
Vu la variété infiniment moindre qui existe entre elles, un
tel travail est à la fois moins important et plus difficile,
les caractères qui pourraient servir de base n'étant point
alors à beaucoup près aussi tranchés. Il a donc été naturel
que l'esprit humain s'occupftt d'abord de classer les sur-
faces. Mais on doit sans doute espérer que cet ordre de
considérations s'étendra plus tard jusqu'aux courbes. On
peut môme apercevoir déjà entre elles quelques familles
vraiment naturelles, comnie celles des paraboles quel-
conques, et celles des hyperboles quelconques, etc. Néan-
moins, il n'a été encore produit aucune conception
générale directement propre à déterminer une telle classi-
fication .
Ayant ainsi exposé aussi nettement qu'il m'a été possible,
dans cette leçon et dans l'ensemble des quatre précédentes,
le véritable caractère philosophique de la section la plus
générale et la plus simple de la mathématique concrète,
je dois maintenant entreprendre le même travail relative-
ment à la science immense et plus compliquée de la mé-
canique rationnelle. Ce sera l'objet des quatre leçons sui-
vantes.
QUINZIÈME LEÇON
Sommaire. — Considérations philosophiques sur les principes
fondaraentaux de la mécanique rationnelle.
Les phénomènes mécaniques sont, par leur nature,
comme nous l'avons déjà remarqué, à la fois plus parti-
culiers, plus compliqués et plus concrets que les phéno-
mènes géométriques. Aussi^ conformément à Tordre en-
cyclopédique établi dans cet ouvrage, plaçons-nous la
mécanique rationnelle après la géométrie dans cette expo-
sition philosophique de la mathématique concrète, comme
étant nécessairement d'une étude plus difficile, et par
suite moins perfectionnée. Les questions géométriques
sont toujours complètement indépendantes de toute con-
sidération mécanique, tandis que les questions mécaniques
se compliquent constamment des considérations géomé-
triques, la forme des corps devant influer inévitablement
sur les phénomènes du mouvement ou de Téquilibre. Cette
€oiD[>licalion est souvent telle, que le plus simple change-
ment dans la forme d*un corps suffit seul pour augmenter
extrêmement les difficultés du problème de mécanique
dont il est le sujet, comme on peut s'en faire une idée en
considérant, par exemple, Timportante détermination de
la gravitation mutuelle de deux corps en résultat de celle
de toutes leurs molécules, question qui n'est encore com-
plètement résolue qu'en supposant à ces corps une forme
spbérique, et où, par conséquent, le principal obstacle
vient évidemment des circons^nces géométriques.
392 MATHÉMATIQUES.
Puisque nous avons reconnu dans les leçons précédentes
que le caractère philosophique de la science géométrique
était encore altéré à un certain degré par un reste dla-
fluence très-sensible de l'esprit métaphysique, on doit
s'attendre naturellement, vu celte plus grande complica-
tion nécessaire de la mécanique rationnelle, à l'en trouver
bien plus profondément affectée. C'est ce qui n'est, en
effet, que trop facile à constater* Le caractère de science
naturelle, encore plus évidemment inhérent à la mécanique
qu'à la géométrie, est aujourd'hui complètement déguisé^
dans presque tous les esprits, par l'emploi des considé-
rations ontologiques. On remarque, dans toutes les notions
fondamentales de cette science, une confusion profonde et
continuelle entre le point de vue abstrait et le point de
vue concret, qui empêche de distinguer nettement ce qui
est réellement physique de ce qui est purement logique,
et de séparer avec exactitude les conceptions artificielles
uniquement destinées à faciliter l'établissement des lois
générales de l'équilibre ou du mouvement, des faits na-
turels fournis par l'observation effective du monde exté-
rieur, qui constituent les bases réelles de la science. On
peut môme reconnaître que l'immense perfectionnement
de la mécanique rationnelle depuis un siècle, soit sous le
rapport de l'extension de ses théories, soit quant à leur
coordination, a fait en quelque sorte rétrograder sous ce
rapport la conception philosophique de la science, qui est
communément exposée aujourd'hui d'une manière beau-
coup moins nette que Newton ne l'avait présentée. Ce
développement ayant été, en effet, essentiellement obtenu
par l'usage de plus en plus exclusif de l'analyse mathéma-
tique, l'importance prépondérante de cet admirable in-
strument a fait graduellement contracter l'habitude de ne
voir dans la mécanique rationnelle que de simples ques-
PRINCIPES DE LA MÉCANIQUE RATIONNELLE. 89S
lions d'analyse; et, par une extension abusive, quoique
très-naturelle, d'une telle manière de procéder, on a tenté
d'établir, à priori^ d'après des considérations purement
analytiques, jusqu'aux principes fondamentaux de la
science, que Newton s'était sagement borné à présenter
comme des résultats de la seule observation. C'est ainsi,
par exemple, que Daniel Bernouilli, d*Alembert, et, de
nos jours, Laplace, ont essayé de prouver la règle élémen-
taire de la composition des forces par des démonstrations
uniquement analytiques, dont Lagrange seul a bien aperçu
l'insuffisance radicale et nécessaire. Tel est, maintenant
encore, l'esprit qui domine plus ou moins chez tous les
géomètres. Il est néanmoins évident en thèse générale,
comme nous l'avons plusieurs fois remarqué, que l'analyse
mathématique, quelle que soit son extrême importance,
dont j'ai tâché de donner une juste idée, ne saurait être,
par sa nature, qu'un puissant moyen de déduction, qui,
lorsqu'il est applicable, permet de perfectionner une
science au degré le plus éminent, après que les fondements
en ont été posés, mais qui ne peut jamais suffire à établir
ces bases elles-mêmes. S'il était possible de constituer
entièrement la science de la mécanique d'après de simples
coqceptions analytiques, on ne pourrait se représenter
comment une telle science deviendrait jamais vraiment
applicable à l'étude effective de la nature. Ce qui établit
la réalité de la mécanique rationnelle, c'est précisément,
au contraire, d'être fondée sur quelques faits généraux,
immédiatement fournis par l'observation, et que tout phi-
losophe vraiment positif doit envis<iger, ce me semble,
comme n'étant susceptibles d'aucune explication quel-
conque. Il est donc certain qu'on a abusé en mécanique de
l'esprit analytique, beaucoup plus encore qu'en géométrie.
L'objet spécial de cette leçon est d'indiquer comment, dans
894 MATHÉMATIQUBS.
l'état actuel de la science, on peut établir nettement son
véritable caractère philosophique, et la dégager définitive-
ment de toute influence métaphysique , en distinguant
constamment le point de vue abstrait du point de vue con-
cret, et en effectuant une séparation exacte entre la partie
simplement expérimentale de la science, et la partie pure-
ment rationnelle. D'après le but de cet ouvrage, un tel
travail doit nécessairement précéder les considérations
générales sur la composition effective de cette science,
qui seront successivement exposées dans les trois leçons
suivantes.
Commençons par indiquer avec précision l'objet géaéral
de la science.
On a rhabitude de remarquer d'abord, et avec beaucoup
de raison, que la mécanique ne considère point non-seu-
lement les causes premières des mouvements, qui sont en
dehors de toute philosophie positive, mais môme les cir-
constances de leur production, lesquelles, quoique consti-
tuant réellement un sujet intéressant de recherches posi-
tives dans les diverses parties de la physique^ ne sont
nullement du ressort de la mécanique, qui se borne à
envisager le mouvement en lui-même, sans s'enquérir de
quelle manière il a été déterminé. Ainsi les forces ne sont
autre chose, en mécanique, que les mouvements produits
ou tendant à se produire ; et deux forces qui impriment à
un même corps la môme vitesse dans la môme direction sont
regardées comme identiques, quelque diverse que puisse
ôtre leur origine, soit que l.e mouvement provienne des
contractions musculaires d'un animal, ou de la pesanteur
vers un centre attractif, ou du choc d'un corps quelconque,
ou de la dilatation d'un fluide élastique, etc. Mais, quoique
cette manière de voir soit heureusement devenue aujour-
d'hui tout à fait familière^ il reste encore aux géomètres à
PRINCIPES DE LA MÉCANIQUE RATIONNELLE. 895
opérer, sinon dans la conception, môme, du moins dans le
langage habituel, une réforme essentielle pour écarter
entièrement l'ancienne notion métaphysique des forces, et
indiquer plus nettement qu'on ne le fait encore le véritable
point de vue de la mécanique (I).
Gela posé, on peut caractériser d'une manière très-pré-
cise le problème général de la mécanique rationnelle. Il
consiste à déterminer l'effet que produiront sur un corps
donné différentes forces quelconques agissant simultané*-
ment, lorsqu'on connaît le mouvement simple qui résulte-
rait de l'action isolée de chacune d'elles ; ou, en prenant la
question en sens inverse, à déterminer les mouvements
simples dont la combinaison donnerait lieu à uni mouve-
ment composé connu. Cet énoncé montre exactement
quelles sont nécessairement les données et les inconnues
de toute question mécanique. On voit que l'étude de l'ac-
tion d'une force unique n'est jamais, à proprement parler,
du domaine de la mécanique rationnelle, où elle est tou-
jours supposée connue, car le second problème général
n'est susceptible d'être résolu que comme étant l'inverse
du premier. Toute la mécanique porte donc essentielle-
ment sur la combinaison des forces, soit que de leur
concours il résulte un mouvement dont il faut étudier les
diverses circonstances, soit que par leur neutralisation
mutuelle le corps se trouve dans un état d'équilibre dont il
s'agit de fixer les conditions caractéristiques.
(1) Il importe de remarquer aussi que le nom môme de la science est
extrêmement vicieux, en ce qu'il rappelle seulement une de ses applica-
tions les plus secondaires, ce qui devient habituellement une source de
conftision, qui oblige à ajouter fréquemment radjectlf rationnelle, dont
U répétition, quoique indispensable, est fastidieuse. Les philosophes alle-
mands, pour éviter cet inconvénient, ont créé la dénomination beaucoup
pins philosophique de phoronomie, employée dans le traité d'Hermann, et
iont Tadoption génénle serait très-déalrable.
896 MATnÉUATIOUES.
Les deux problèmes généraux, l'un direct, l'autre in-
verse, dans la solution desquels consiste la science de la
mécanique , ont, sous le rapport des applications, une
importance égale; car tantôt les mouvements simples peu-
vent être immédiatement étudiés par l'observation, tandis
que la connaissance du mouvement qui résultera de leur,
combinaison ne saurait être obtenue que par la théorie ;
et tantôt^ au contraire, le mouvement composé peut seul
être effectivement observé, tandis que les mouvements
simples, dont on le regardera comme le produit, ne sont
susceptibles d'être détermines que rationnellement. Ainsi,
par exemple, dansle casde lachuteoblique des corps pesants
à la surface de la terre, on connaît les deux mouvements
simples que prendrait le corps par l'action isolée de cha-
cune des forces dont il est animé, savoir : la direction et la
vitesse du mouvement uniforme que produirait la seule
impulsion, et la loi d'accélération du mouvement vertical
varié, qui résulterait de la seule pesanteur ; dès lors, on se
propose de découvrir les diverses circonstances du mouve-
ment composé produit par l'action combinée de ces deux
forces, c'est-à-dire de déterminer la trajectoire que décrira
le mobile, sa direction et sa vitesse acquise à chaque
instant, le temps qu'il emploiera à parvenir à une certaine
position, etc. ; on pourra, pour plus de généralité, joindre
aux deux forces données la résistance du milieu ambiant,
pourvu que la loi en soit également connue. La mécanique
céleste présente un exemple capital de la question inverse,
dans la détermination des forces qui produisent le mouve-
ment des planètes autour du soleil, ou des satellites autour
des planètes. On ne peut alors connaître immédiatement
que le mouvement composé, et c'est d'après les circons-
tances caractéristiques de ce mouvement, telles que les
lois de Kepler les ont résumées, qu'il faut remonter aux
PRINCIPES DE LA MÉCANIQUE RATIONNELLE. 897
forces élémentaires dont les astres doivent être conçus
animés pour correspondre aux mouvements effectifs ; ces
forces une fois connues, les géomètres peuvent utilement
reprendre la question sous le point de vue opposé, qu'il
eût été impossible de suivre primitivement.
La véritable destination générale de la mécanique ration-
nelle étant ainsi nettement conçue, considérons mainte-
nant les principes fondamentaux sur lesquels elle repose,
et d'abord examinons un artifice philosophique de la plus
haute importance relativement à la manière dont les corps
doivent être envisagés en mécanique. Cette conception
mérite d'autant plus notre attention qu'elle est encore
habituellement entourée d'un épais nuage métaphysique,
qui en fait méconnaître la vraie nature.
Il serait entièrement impossible d'établir aucune pro-
position générale sur les lois abstraites de l'équilibre ou
du mouvement, si on ne commençait par regarder les
corps comme absolument inertes, c'est-à-dire comme tout
à fait incapables de modifier spontanément l'action des
forces qui leur sont appliquées. Mais la manière dont cette
conception fondamentale est ordinairement présentée me
semble radicalement vicieuse. D'abord cette notion abs-
traite, qui n'est qu'un simple artiOce logique imaginé par
l'esprit humain pour faciliter la formation de la mécanique
rationnelle, ou plutôt pour la rendre possible, est souvent
confondue avec ce qu'on appelle fort improprement la loi
d'inertie, qui doit être regardée, ainsi que nous le verrons
plus bas, comme un résultat général de l'observation. En
second lieu, le caractère de cette idée est d'ordinaire
tellement indécis, qu'on 'ne sait point exactement si cet
état passif des corps est purement hypothétique, ou s'il
représente la réalité des phénomènes naturels. Enfin, il
résulte fréquemment de cette indétermination, que l'esprit
898 MATHÉMATIQUES.
est involontairement porté à regarder les lois générales
de la mécanique rationnelle comme étant par elles-mêmes
exclusivement applicables à ce que nous appelons les corps
bruts, tandis qu'elles se vérifient nécessairement^ au con-
traire, tout aussi bien dans les corps organisés, quoique
leur application précise y rencontre de bien plus grandes
difficultés. Il importe beaucoup de reclifier sous ces di-
vers rapports les notions babiluelles.
Nous devons nettement reconnaître avant tout que cet
état passif des corps est une pure abstraction, directement
contraire à leur véritable constitution.
Dans la manière de philosopher primitivement employée
par Tesprit humain, on concevait, en effet, la matière
comme étant réellement par sa nature essentiellement
inerte ou passive, toute activité lui venant nécessairement
du dehors, sous l'influence de certains êtres surnaturels
ou de certaines entités métaphysiques. Mais depuis que
la philosophie positive a commencé à prévaloir, et que
l'esprit humain s'est borné à étudier le véritable état des
choses, sans s'enquérir des catises premières et génératrices,
il est devenu évident pour tout observateur que les divers
corps naturels nous manifestent tous une activité spontanée
plus ou moins étendue. Il n'y a sous ce rapport, entre les
corps bruts et ceux que nous nommons par excellence
animés, que de simples différences de degrés. D'abord, les
progrès de la philosophie naturelle ont pleinement dé-
montré, comme nous le constaterons spécialement plus
tard, qu'il n'existe point de matière vivante proprement
dite fiwt^enerM, puisqu'on retrouve dans les corps animés
des éléments exactement identiques à ceux que présentent
les corps inanimés. De plus, il est aisé de reconnaître dans
ces derniers une activité spontanée exactement analogue
à celle des corps vivants, mais seulement moins variée.
I
PRINCIPES DE LA MÉCANIOUB RATIONNELLE. 891
•
N'y eût-il dans toutes les molécules matérielles d'autre pro-
priété que la pesanteur^ cela suffirait pour interdire à tout
physicien de les regarder comme essentiellement passifes.
Ce serait vainement qu'on voudrait présenter les corps
sous un point de vue entièrement inerte dans l'acte de la
pesanteur, en disant qu'ils ne font alors qu'obéir à l'attrac*
tion du globe terrestre. Cette considération fût-elle exacte,
on n'aurait fait évidemment que déplacer la difficulté, en
transportant à la masse totale de la terre l'activité refusée
aux molécules isolées. Mais, de plus^ on voit clairement
que, dans sa chute vers le centre de notre globe, un corps
pesant est tout aussi actif que la terre elle-même, puisqu'il
est prouvé que chaque molécule de ce corps attire une par-
tie équivalente de la terre tout autant qu'elle en est attirée,
quoique cette dernière attraction produise seule un effet
sensible, à raison de l'immense inégalité des deux masses.
Enfin, dans une foule d'autres phénomènes également uni-
versels, thermologiques, électriques, ou chimiques, la
matière nous présente évidemment une activité spontanée
très-variée, dont nous ne saurions plus la concevoir entiè*
rement privée. Les corps vivants ne nous offrent réellement
à cet égard d'autre caractère particulier que de manifester,
outre tous ces divers genres d'activité, quelques-uns qui
leur sont propres, et que les physiologistes tendent d'ail-
leurs de plus en plus à envisager comme une simple mo-
dification des précédents. Quoi qu'il en soit, il est incontes-
table que rétat purement passif, dans lequel les corps sont
considérés en mécanique rationnelle, présente, sous le
point de vue physique, une véritable absurdité.
Examinons maintenant comment il est possible qu'une
telle supposition soit employée sans aucun inconvénient
dans rétablissement des lois abstraites de l'équilibre et du
mouvement, qui n'en seront pas moins susceptibles ensuite
400 MATHÉMATIQUES.
d'être convenablement appliquées aux corps réels. Il suffit»
pour cela, d'avoir égard à l'importante remarque prélimi-
naire rappelée ci-dessus, que les mouvements sont simple-
ment considérés en eux-mêmes dans la mécanique ra-
tionnelle^ sans aucun égard au mode quelconque de leur
production. De là résulte évidemment, pour me confor-
mer au langage adopté, la faculté de remplacer à volonté
toute force par une d'une nature autre quelconque, pourvu
qu'elle soit capable d'imprimer au corps exactement le
même mouvement. D'après cette considération évidente,
on conçoit qu'il est possible de faire abstraction des di-
verses forces qui sont réellement inhérentes aux corps, et
de regarder ceux-ci comme seulement sollicités par des for-
ces extérieures, puisqu'on pourra substituera ces forces in-
térieures des forces extérieures mécaniquement équivalen-
tes. Ainsi, par exemple, quoique tout corps soit nécessai-
rement pesant, et que nous ne puissions même concevoir
réellement un corps qui ne le serait pas, les géomètres consi-
dèrent, dans la mécanique abstraite, les corps comme étant
d'abord entièrement dépouillés de cette propriété, qui est
implicitement comprise au nombre des forces extérieures,
si l'on a envisagé, comme il convient, un système de forces
tout à fait quelconque. Que le corps, dans sa chute, soit mû
par une attraction interne, ou qu'il obéisse à une simple
impulsion extérieure, cela est indifférent pour la mécani-
que rationnelle, si le mouvement effectif se trouve être
exactement identique, et l'on pourra, par conséquent,
adopter de préférence la dernière conception. Il en est
nécessairement ainsi relativement à toute autre propriété
naturelle, qu'il sera toujours possible de remplacer par la
supposition d'une action externe, construite de manière à
produire le même mouvement, ce qui permettra de se re-
présenter le corps comme purement passif; seuloment.
PRINCIPES DE LA MÉCANIQUE RATIONNELLE. 401
à mesure que Tobservation ou rexpérience feront con-
naître avec plus de précision les lois de ces forces inté-
rieures, il faudra toujours modifier en conséquence le
système des forces extérieures qu'on leur substitue hypo-
thétiquement, ce qui conduira souvent à une très-grande
complication. Ainsi, par exemple, l'observation ayant
appris que te mouvement vertical d'un corps en vertu de
sa- pesanteur n'est point uniforme, mais continuellement
accéléré, on ne pourra point l'assimiler à celui qu'impri-
merait au corps une impulsion unique dont l'action ne se
renouvellerait plus, puisqu'il en résulterait évidemment
une vitesse constante : on sera donc obligé de concevoir
le corps comme ayant reçu successivement, à des inter-
Talles de temps infiniment petits, une série infinie de
chocs infiniment petits, tels que, la vitesse produite par
chacun s'ajoutant d'une manière continue à celle qui ré-
sulte de l'ensemble des précédents, le mouvement efi'ectif
soit indéfiniment varié ; et si l'expérience prouve que l'ac-
célération du mouvement est uniforme, on supposera tous
ces chocs successifs constamment égaux entre eux: dans
tout autre cas, il faudra leur supposer, soit pour la direc-
tion, soit pour l'intensité, une relation exactement con-
forme à la loi réelle de la variation du mouvement; mais,
à ces conditions, il est clair que la substitution sera tou-
jours possible.
Il serait inutile d'insister beaucoup pour faire sentir l'in-
dispensable nécessité de supposer les corps dans cet état
complètement passif, où l'on a plus à considérer que les
forces extérieures qui leur sont appliquées, afin d'établir
les lois abstraites de l'équilibre et du mouvement. On
conçoit que, s'il fallait d'abord tenir compte de la modifi-
cation quelconque que le corps peut imprimer, en vertu
de ses forces naturelles, à l'action de chacune de ces puis-
A. Comte. Tome L 2 a
iOS MATHÉMATIQUES.
sances extérieures, on ne pourrait établir, en mécanique
rationnelle, la moindre proposition générale, d'autant
plus que cette modification est loin, dans la plupart des
cas, d'être exactement connue. Ce n'est donc qu'en com-
mençant par en faire totalement abstraction, pour ne
penser qu'à la réaction des forces les unes sur les autres,
qu'il devient possible de fonder une mécanique abstraite,
de laquelle on passera ensuite à la mécanique concrète,
en restituant aux corps leurs propriétés actives naturelles,
primitivement écartées. Cette restitution constitue, en
effet, la principale difficulté qu'on éprouve pour opérer
la transition de l'abstrait au concret en mécanique, diffi-
culté qui limite singulièrement dans la réalité les appli-
cations importantes de cette science, dont le domaine théo-
rique, est en lui-même, nécessairement indéfini. Afin de
donner une idée de la portée de cet obstacle fondamental,
on peut dire que, dans l'état actuel de la science ma-
thématique, il n'y a vraiment qu'une seule propriété na-
turelle et générale des corps dont nous sachions tenir
compte d'une manière convenable, c'est la pesanteur, soit
terrestre, soit universelle; et encore faut-il supposer, dans
ce dernier cas, que la forme des corps est suffisamment
simple. Mais si cette propriété se complique de quelques
autres circonstances physiques, comme la résistance des
milieux, les frottements, etc., si même les corps sont seu-
lement supposés à l'état fluide, ce n'est encore que fort
imparfaitement qu'on est parvenu jusqu'ici à en apprécier
l'influence dans les phénomènes mécapiques. A plus forte
raison nous est-il impossible de prendre en considération
les propriétés électriques ou chimiques, et, bien moins
encore, les propriétés physiologiques. Aussi les grandes
applications de la mécanique rationnelle sont-elles réelle-
ment bornées jusqu'ici aux seuls phénomènes célestes, et
PRINCIPES DE LA MÉGANIQUE RATIONNELLE. 408
même à ceux de notre système solaire, où il suffit d'avoir
uniquement égard à une gravitation générale^ dont la loi
est simple et bien déterminée, et qui présente néanmoins
des difficultés qu'on ne sait point encore surmonter com-
plètement, lorsqu'on veut tenir un compte exact de toutes
les actions secondaires susceptibles d'effets appréciables.
On conçoit par là à quel degré les questions doivent se
compliquer quand on passe à la mécanique terrestre, dont
la plupart des phénomènes, même les plus simples, ne
comporteront probablement jamais, vu la faiblesse de nos
moyens réels, une étude purement rationnelle et pourtant
exacte d'après les lois générales de la mécanique abstraite,
quoique la connaissance de ces lois, d'ailleurs évidemment
indispensable^ puisse souvent conduire à des indications
importantes.
Après avoir expliqué la véritable nature de la conception
fondamentale relative à l'état dans lequel les corps doivent
être supposés en mécanique rationnelle, il nous reste à
considérer les faits généraux ou les lois physiques du mouve-
ment qui peuvent fournir une base réelle aux théories dont
la science se compose. Cette importante exposition est
d'autant plus indispensable, que, comme je l'ai indiqué
ci-dessus, depuis qu'on s'est écarté de la route suivie par
Newton, on a complètement méconnu le vrai caractère de
ces lois, dont la notion ordinaire est encore essentiellement
métaphysique.
Les lois fondamentales du mouvement me semblent pou-
voir être réduitesà trois, qui doivent être envisagées comme
de simples résultats de l'obser\'ation, dont il est absurde
de vouloir établir à priori la réalité» bien qu'on l'ait tenté
fréquemment.
La première loi est celle qu'on désigne fort mal à pro-
pos sous le nom de loi d'inertie. Elle a été découverte par
404 MATHÉMATIQUES.
Kepler. Elle consiste proprement en ce que tout mouvement
est naturellement rectiligne et uniforme, c'est-à-dire que
tout corps soumis à l'action d'une force unique quelconque,
qui agit sur. lui instantanément, se meut constamment en
ligne droite et avec une vitesse invariable. L'influence de
l'esprit métaphysique se manifeste particulièrement dans
la manière dont cette loi est communément présentée. An
lieu de se borner à la regarder comme un fait observé^ on
a prétendu la démontrer abstraitement, par une application
du principe de la raison suffisante, qui n'a pas la moindre
solidité. En effet, pour expliquer, par exemple, la nécessité
du mouvement rectiligne, on dit que le corps devait suivre
la ligne droite, parce qu'il n'y a pas de raison pour qu'il
s'écarte d'un côté plutôt que d'un autre de sa direction
primitive. Il est aisé de constater l'invalidité radicale et
même Tinsignifiance complète d'une telle argumentation.
D'abord, comment pourrions-nous être assurés qui! n'y a
pas de raison pour que le corps se déVie? que pouvons-nous
savoir à cet égard, autrement que par l'expérience? Les
considérations à priori fondées sur là nature des choses ne
nous sont-elles pas complètement et nécessairement inter-
dites en philosophie positive ? D'ailleurs, un tel principe,
même quand on l'admettrait, ne comporte par lui-même
qu'une application vague et arbitraire. Car, à l'origine du
mouvement, c'est-à-dire à l'instant même où l'argument
devrait être employé, il est clair que la trajectoire du corps
n'a point encore de caractère géométrique déterminé, et
que c'est seulement après que le corps a parcouru un cer-
tain espace qu'on peut constater quelle ligne il décrit. Il est
évident, par la géométrie, que le mouvement initial, au
lieu d'être regardé comme rectiligne, pourrait être indiffé-
remment supposé circulaire, parabolique, ou suivant toute
autre ligne tangente à la trajectoire effective, en sorte que
k
PRINCIPES DE LA MÉCANIQUE RATIONNELLE. 405
la môme argumentation répétée pour chacune de ces li-
gnes, ce qui serait tout aussi légitime, conduirait à une
conclusion absolument indéterminée. Pour peu qu'on ré-
îQécbisse sur un tel raisonnement, on ne tardera pas à re-
connaître que, comme toutes les prétendues explications
métaphysiques, il se réduit réellement à répéter en termes
abstraits le fait lui-môme, et à dire que les corps ont une
tendance naturelle à se mouvoir en ligne droite, ce qui
était précisément la proposition à établir. L'insignifiance
de ces considérations vagues et arbitraires finira par deve-
nir palpable, si Ton remarque que, par suite de semblables
arguments, les philosophes de l'antiquité, et particulière-
ment Aristote, avaient, au contraire, regardé le mouvement
circulaire comme naturel aux astres, en ce qu'il est le plus
parfait de tous, conception qui n'est également que re-
nonciation abstraite d'un phénomène mal analysé.
Je me suis borné à indiquer la critique des raisonne-
ments ordinaires relativement à la première partie de la
loi d'inertie. On peut faire des remarques parfaitement
analogues au sujet de la seconde partie, qui concerne l'in
variabilité de la vitesse, et qu'on prétend aussi pouvoir dé-
montrer abstraitement, en se bornant à dire qu'il n'y a
pas de raison pour que le corps se meuve jamais plus
lentement ou plus rapidement qu'à l'origine du mouve-
ment.
Ce n'est donc point sur de telles considérations qu'on
peut solidement établir une loi aussi importante, qui est
un des fondements nécessaires de toute la mécanique ra-
tionnelle. Elle ne saurait avoir de réalité qu'autant qu'on
la conçoit comme basée sur l'observation. Mais, sous ce
point de vue, l'exactitude en est évidente d'après les faits
les plus communs. Nous avons continuellement occasion
de reconnaître qu'un corps animé d'une force unique se
406 MATHÉMATIQUES.
meut constamment en ligne droite; et, s'il se dévie, nous
pouvons aisément constater que cette modification tient à
l'action simultanée de quelque autre force, active ou pas-
sive : enfin les mouvements curvilignes eux-mêmes nous
montrent clairement, par les phénomènes variés dus à ce
qu'on appelle la force centrifuge^ que les corps conservent
constamment leur tendance naturelle à se mouvoir en ligue
droite. Il n'y a pour ainsi dire aucun phénomène dans la
nature qui ne puisse nous fournir une vérification sensible
de cette loi, sur laquelle est en partie fondée toute Téco-
nomie de l'univers. Il en est de môme relativement à l'uni-
formité du mouvement. Tous les faits nous prouvent que,
si le mouvement primitivement imprimé se ralentit toujours
graduellement et finit par s'éteindre entièrement, cela pro-
vient des résistances que les corps rencontrent sans cesse,
et sans lesquelles l'expérience nous porte à penser que la
vitesse demeurerait indéfiniment constante, puisque nous
voyons augmenter sensiblement la durée de ce mouvement
à mesure que nous diminuons l'intensité de ces obstacles.
On sait que le simple mouvement d'un pendule écarté de
la verticale, qui, dans les circonstances ordinaires, se main-
tient à peine pendant quelques minutes, a pu se prolonger
jusqu'à plus de trente heures, en diminuant autant que
possible le frottement au point de la suspension, et faisant
osciller le corps dans un vide très-approché, lors des expé-
riences de Borda à l'Observatoire de Paris pour déterminer
la longueur du pendule à secondes par rapport au mètre.
Les géomètres citent aussi avec beaucoup de raison, comme
une preuve manifeste de la tendance naturelle des corps à
conserver indéfiniment leur vitesse acquise, l'invariabilité
rigoureuse qu'on remarque si clairement dans les mouve-
ments célestes, qui, s'exécutant dans un milieu d'une ra-
reté extrême, se trouvent dans les circonstances les plus
PRINCIPES DE LA MéCANIQUB RATIONNELLE. 407
favorables à une parfaite observation de la loi d'inertie, et
qui, en effet, depuis vingt siècles qu'on les étudie avec
quelque exactitude, ne nous présentent point encore la
moindre altération certaine, quant à la durée des rotations,
ou à celle des révolutions, quoique la suite des temps et
le perfectionnement de nos moyens d'appréciation doivent
probablement nous dévoiler un jour quelques variations
encore inconnues.
Nous devons donc regarder comme une grande loi de la
nature cette tendance spontanée de tous les corps à se
mouvoir en ligne droite et avec une vitesse constante. Vu
la confusion extrême des idées communes relativement à
ce premier principe fondamental, il peut être utile de re-
marquer expressément ici que cette loi naturelle est tout
aussi applicable aux corps vivants qu'aux corps inertes
pour lesquels on la croit souvent exclusivement établie.
Quelle que soit l'origine de l'impulsion qu'il a reçue, un
corps vivant tend à persister, comme un corps inerte, dans
la direction de son mouvement, et à conserver sa vitesse
acquise : seulement il peut se développer en lui des forces
susceptibles de modifier ou de supprimer ce mouvement,
tandis que, pour les autres corps, ces modifications sont
exclusivement dues à des agents extérieurs. Mais, dans ce
cas môme, nous pouvons acquérir une preuve directe et
personnelle de l'universalité de la loi d'inertie, en considé-
rant l'effort très-sensible que nous sommes obligés de faire
pour changer la direction ou la vitesse de notre mouvement
effectif, à tel point, que, lorsque ce mouvement est très-
rapide, il nous est impossible de le modifier ou de le sus-
pendre à l'instant précis où nous le désirerions.
La seconde loi fondamentale du mouvement est due à
Newton. Elle consiste dans le principe et l'égalité constante
et nécessaire entre l'action et la réaction, c'est-à-dire que
40ft MATUÉMATIOUES.
tontes les fois qu'un corps est mû par un autre d'une ma-
nière quelconque, il exerce sur lui, en sens inverse, une
réaction telle, que le second perd, en raison des masses,
une quantité de mouvement exactement égale à celle que
le premier a reçue. On a essayé quelquefois d'établir aussi
à priori ce théorème général de philosophie naturelle, qui
n'en est pas plus susceptible que le précédent. Mais il a
élé beaucoup moins le sujet de considérations sophisti-
ques, et presque tous les géomètres s'accordent maintenant
à le regarder d'après Newton comme un simple résultat
de l'observation, ce qui me dispense ici de toute discus-
sion analogue à celle de la loi d'inertie. Cette égalité dans
l'action réciproque des corps se manifeste dans tous les
phénomènes naturels, soit que les corps agissent les uns
sur les autres par impulsion, soit qu'ils agissent par attrac-
tion ; il serait superflu d'en citer ici des exemples. Nous
avons même tellement occasion de constater cette mutua-
lité dans nos observations les plus communes, que nous ne
saurions plus concevoir un corps agissant sur un autre,
sans que celui-ci réagisse sur lui.
Je crois devoir seulement indiquer, dès ce moment, au
sujet de cette seconde loi du mouvement, une remarque
qui me semble importante, et qui d'ailleurs sera convena-
blement développée dans la dix-septième leçon. Elle con-
siste en ce que le célèbre principe de d'Alembert, d'après
lequel on parvient à transformer si heureusement toutes
les questions de dynamique en simples questions de stati-
que, n'est vraiment autre chose que la généralisation com-
plète de la loi de Newton, étendue à un système quelcon-
que de forces. Ce principe en effet coïncide évidemment
avec celui de l'égalité entre l'action et la réaction, lors-
qu'on ne considère que deux forces. Un telle corrélation
permet de concevoir désormais la proposition générale de
PRINCIPES DE LA MÉCANIQUE RATIONNELLE. 409
d'Alembert comme ayant une base expérimentale, tandis
qu'elle n'est communément établie jusqu'ici que sur des
coDsidératioDS abstraites peu satisfaisantes.
La troisième loi fondamentale du mouvement me parait
consister dans ce que je propose d'appeler le principe de
l'indépendance ou de la coexistence des mouvements, qui
conduit immédiatement à ce qu'on appelle vulgairement
la composition des forces. Galilée est, à proprement parler,
le véritable inventeur de cette loi, quoiqu'il ue Tait point
conçue précisément sous la forme que je crois devoir pré-
férer ici. Considérée sous le point de vue le plus simple,
elle se réduit à ce fait général, que tout mouvement exac-
tement commun à tous les corps d'un système quelconque
n'altère point les mouvements particuliers de ces différents
corps les uns à l'égard des autres, mouvements qui conti-
nuent à s'exécuter comme si l'ensemble du système était
immobile. Pour énoncer cet important principe avec une
précision rigoureuse, qui n'exige plus aucune restriction,
il faut concevoir que tous les points du système décrivent
à la fois des droites parallèles et égales, et considérer que
ce mouvement général^ avec quelque vitesse et dans quel-
que direction qu'il puisse avoir lieu, n'affectera nullement
les mouvements relatifs.
Ce serait vainement qu'on tenterait d'établir par aucune
idée à priori cette grande loi fondamentale, qui n'en est
pas plus susceptible que les deux précédentes. On pourrait,
tout au plus, concevoir que, si les corps du système sont
entre eux à l'état de repos, ce déplacement commun, qui
ne change évidemment ni leurs distances ni leurs situa-
tions respectives, ne saurait altérer cette immobilité rela-
tive : encore, même, l'ignorance absolue où nous sommes
nécessairement de la nature intime des corps et des phé-
nomènes ne nous permet point d'affirmer rationnelle-
41» XATHÊHATIQUES.
ment, arec une féeorité parfaite, que lliitrodiiclioQ de
cette cîrcoDstanee nooTelle ne modifiera pas d'une ma-
nière ioconnue les conditions primitives da système. Mais
rinsnfûsance d'une telle argumentation devient surtout
sensible quand on essaye de l'appliquer au cas le plus
étendu et le plus important, à celui où les différents corps
du système sont en mouvement les uns à l'égard des autres.
En s'attachant à faire abstraction, aussi complètement que
possible, des observations si connues et si variées qui nous
font reconnaître alors l'exactitude physique de ce principe,
il sera facile de constater qu'aucune considération ration-
nelle ne nous donne le droit de conclure à priori que le
mouvement général ne fera naître aucun changement dans
les mouvements particuliers. Cela est tellement vrai, que,
lorsque Oalilée a exposé pour la première fois cette grande
loi de la nature, il s'est élevé de toutes parts une foule d'ob-
jections à priori ienô^ni à prouver l'impossibilité ration-
nelTè d'une telle proposition, qui n'a été unanimement
admise, que lorsqu'on a abandonné le point de vue logique
pour se placer au point de vue physique.
C'est donc seulement comme un simple résultat général
de l'observation et de l'expérience que celte loi peut être
en effet solidement établie. Mais, ainsi considérée, il est
évident qu'aucune proposition de philosophie naturelle
n'est fondée sur des observations aussi simples, aussi di-
verses, aussi multipliées, aussi faciles à vérifier. 11 ne s'o-
père point dans le monde réel un seul phénomène dyna-
mique qui n'en puisse offrir une preuve sensible ; et toute
l'économie de l'univers serait évidemment bouleversée de
fond en comble, si l'on supposait que celte loi n'existât plus.
C'est ainsi, par exemple, que, dans le mouvement général
d'un vaisseau, quelque rapide qu'il puisse être et suivant
quelque direction qu'il ait lieu, les mouvements relatifs
PRINCIPES DE LA MÉCANIQUE RATIONNELLE. 4M
continuent à s'exécuter, sauf les altérations provenant du
roulis et du tangage, exactement comme si le vaisseau était
immobile, en se composant avec le mouvement total pour
un observateur qui n'y participerait pas. De môme, nous
voyons continuellement le déplacement général d'un foyer
chimique, ou d'un corps vivant, n'affecter en aucune ma-
nière les 'mouvements internes qui s'y exécutent. C'est
ainsi surtout, pour citer l'exemple le plus important, que
le mouvement du globe terrestre ne trouble nullement
les phénomènes mécaniques qui s'opèrent à sa surface ou
dans son intérieur. On sait que l'ignorance de cette troi-
sième loi du mouvement a été précisément le principal
obstacle scientiOque qui s'est opposé pendant si longtemps
à rétablissement de la théorie de Copernic, contre laquelle
une telle considération présentait alors, en effet, des ob-
jections insurmontables^ dont les coperniciens n'avaient
essayé de se dégager que par de vaines subtilités méta-
physiques avant la découverte de Galilée. Mais, depuis que
le mouvement de la terre a été universellement reconnu,
les géomètres l'ont présenté, avec raison, comme offrant
lui-môme une confirmation essentielle de la réalité de
cette loi. Laplace a proposé à ce sujet une considération
indirecte fort ingénieuse, que je crois utile d'indiquer ici,
parce qu'elle nous montre le principe de l'indépendance
des mouvements sous la vérification d'une expérience con-
tinuelle et très-sensible. Elle consiste à remarquer que, si
le mouvement général de la terre pouvait altérer en aucune
manière les mouvements particuliers qui s'exécutent à sa
surface^ cette altération ne saurait évidemment ôtre la
môme pour tous ces mouvements, quelle que fût leur di-
rection, et qu'ils en seraient nécessairement diversement
affectés suivant l'angle plus ou moins grand que ferait cette
direction avec celle du mouvement du globe. Ainsi, par
4 1 s MATHÉMATIQUES.
exemple, le mouvement oscillatoire d'un pendule devrait
alors nous présenter des différences très-considérables selon
Tazimuth du plan vertical dans lequel ii s'exécute, et qui
lui donne une direction tantôl conforme, tantôt contraire,
et fort inégalement contraire à celle du mouvement de la
terre ; tandis que l'expérience ne nous manifeste jamais^ à
cet égard, la moindre variation, môme en mesurant le phé-
nomène avec l'extrême précision que comporte, sous ce
rapport^ l'état actuel de nos moyens d'observation.
Afin de prévenir toute interprétation inexacte et toute
application vicieuse de la troisième loi du mouvement, il
importe de remarquer que, par sa nature, elle n'est relative
qu'aux mouvements de translation^ et qu'on ne doit jamais
l'étendre à aucun mouvement de rotation. Les mouvements
de translation sont évidemment, en effet, les seuls qui puis-
sent être rigoureusement communs, pour le degré aussi
bien que pour la direction, à toutes les diverses parties
d'un système quelconque. Cette exacte parité ne saurait
jamais avoiblieu quand il s'agit d'un mouvement de rota-
tion, qui présente toujours nécessairement des inégalités
entre les diverses parties du système, suivant qu'elles sont
plus ou moins éloignées du centre de la rotation. C'est
pourquoi tout mouvement de ce genre tend constamment
à altérer l'état du système, et l'altère en effet si les condi-
tions de liaison entre les diverses parties ne constituent
pas une résistance suffisante. Ainsi, par exemple, dans le
cas d'un vaisseau, ce n'est pas le mouvement général de
progression qui peut troubler les mouvements particuliers ;
le dérangement n'est dû qu'aux effets secondaires du roulis
et du tangage, qui sont des mouvements de rotation. Qu'une
montre soit simplement transportée dans une direction
quelconque avec autant de rapidité qu'on voudra, mais
sans tourner nullement, elle n'en sera jamais affectée ;
PRINCIPES DE LA MÉCAKIQUE RATIONNELLE. 413
tandis qu'un médiocre mouvement de rotation suffira seul
pour déranger promptement sa marche. La différence entre
ces deux effets deviendrait surtout sensible, en répétant
Texpérience sur un corps vivant. Enfin, c'est par suite d'une
telle distinction, que nous ne saurions avoir aucun moyen
de constater, par des phénomènes purement terrestres, la
réalité du mouvement de translation de la terre, qui n'a pu
être découvert que par des observations célestes ; tandis
que, relativement à son mouvement de rotation, il déter-
mine nécessairement à la surface de la terre, vu l'inégalité
de force centrifuge entre les différents points du globe, des
phénomènes très-sensil^les, quoique peu considérables,
dont l'analyse pourrait suffire pour démontrer, indépen-
damment de toute considération astronomique, l'exis-
tence de cette rotation.
Le principe de l'indépendance ou de la coexistence des
mouvements étant une fois établi^ il est facile de concevoir
qu'il conduit immédiatement à la règle élémentaire ordi-
nairement usitée pour ce qu'on appelle la composition des
forces^ qui n'est vraiment autre chose qu'une nouvelle ma-
nière de considérer et d'énoncer la troisième loi du mou-
vement. En effet, la proposition du parallélogramme des
forces, envisagée sous le point de vue le plus positif^ con-
siste proprement en ce que, lorsqu'un corps est animé à la
fois de deux mouvements uniformes dans des directions
quelconques, il décrit, en vertu de leur combinaison, la
diagonale du parallélogramme dont il eût dans le môme
temps décrit séparément les côtés en vertu de chaque
mouvement isolé. Or n'est-ce pas là évidemment une sim-
ple application directe du principe de l'indépendance des
mouvements, d'après lequel le mouvement particulier du
corps le long d'une certaine droite n'est nullement troublé
par le mouvement général qui entraîne parallèlement à
414 MÂTaÉMATIQUES.
elle-môme la totalité de cette droite le long d'une autre
droite quelconque? Cette considération conduit sur-le-
champ à la construction géométrique énoncée par la règle
du parallélogramme des forces. C'est ainsi que ce théorème
fondamental de la mécanique rationnelle me parait être
présenté directement comme une loi naturelle, ou du
moins comme une application immédiate d'une des plus
grandes lois de la nature. Telle est, à mon gré, la seule ma-
nière vraiment philosophique d'établir solidement cette
importante proposition, pour écarter définitivement tous
les nuages métaphysiques dont elle est encore enTironnée
et la mettre complètement à l'abri de toute objection réelle.
Toutes les prétendues démonstrations analytiques qu'on a
successivement essayé d'en donner d'après des considé-
rations purement abstraites, outre qu'elles reposent ordi-
nairement sur une interprétation vicieuse et sur une fausse
application du principe analytique de l'homogénéité, ap-
posent d'ailleurs que la proposition est évidente par elle-
môme dans certains cas particuliers, quand les deux forces,
par exemple, agissent suivant une même droite, évidence
qui ne peut résulter alors que de l'observation effective de
la loi naturelle de l'indépendance des mouvements, dont
l'indispensabilité se trouve ainsi irrécusablement mani-
festée. Il serait étrange, en effet, pour quiconque envisage
directement la question sous un point de vue philosophie
que que, par de simples combinaisons logiques, l'esprit
humain pût ainsi découvrir une loi réelle de la nature, sans
consulter aucunement le monde extérieur.
Cette notion étant de la plus haute importance quant à
la manière de concevoir la mécanique rationnelle, et s'é-
cartant beaucoup de la marche habituellement adoptée au-
jourd'hui, je crois devoir la présenter encore sous un der-
nier point de vue qui achèvera de l'éclaircir, en montrant
PRINCIPES DE LA MÉCANIQUE RATIONNELLE. 415
que, malgré tous les efforts des géomètres pour éluder à
cet égard l'emploi des considératioos expérimentales, la
loi physique de l'indépendance des mouvements reste im-
plicitement, môme de leur aveu unanime, une des bases
essentielles de la mécanique, quoique présentée sous une
forme différente et à une autre époque de Texposition.
Il suffit, pour cela, de reconnaître que cette loi, au lieu
d'être exposée directement dans l'étude des prolégomènes
de la science, se retrouve plus tard admise par tous les
géomètres, comme établissant le principe de la propor-
tionnalité des vitesses aux forces, base nécessaire de la
dynamique ordinaire.
Afin 'de saisir convenablement le vrai caractère de cette
question, il faut remarquer que les rapports des forces
peuvent être déterminés de deux manières différentes, soit
par le procédé statique, soit par le procédé dynamique.
En effet, nous ne jugeons pas toujours du rapport de deux
forces d'après l'intensité plus ou moins grande des mou-
vements qu'elles peuvent imprimer à un même corps.
Nous l'apprécions fréquemment aussi d'après de simples
considérations d'équilibre mutuel, en regardant comme
égales les forces qui, appliquées en sens contraire, suivant
une même droite, se détruisent réciproquement, et ensuite
comme double, triple, etc., d'une autre, la force qui ferait
équilibre à deux, trois, etc., forces égales à celle-ci, et
toutes directement opposées à la seconde. Ce nouveau
moyen de mesure est, en réalité, tout aussi usité que le
précédent. Gela posé, la question consiste essentiellement
à savoir si les deux moyens sont toujours et nécessaire-
ment équivalents, c'est-à-dire si, les rapports des forces
étant d'abord seulement définis par la considération sta-
tique, il s'ensuivra, sous le point de vue dynamique,
qu'elles imprimeront à une même masse des vitesses qui
4 1 6 MATUÉMATTQUES.
leur soient exactement proportionnelles. Cette corrélation
n'est nullement évidente par elle-môme ; tout au plus peut-
on concevoir à priori que les plus grandes forces doivent
nécessairement donner les plus grandes vitesses. Mais
l'observation seule peut décider si c'est à la première puis-
sance de la force ou à toute autre fonction croissante que
la vitesse est proportionnelle.
C'est pour déterminer quelle est, à cet égard, la véri-
table loi de la nature, que, de l'aveu de tous les géomètres
et particulièrement de Laplace, il faut considérer le fait
général de l'indépendance ou de la coexistence des mou-
vements. Il est facile de voir, d'après le raisonnement de
Laplace, que la théorie de la proportionnalité des vitesses
aux forces est une conséquence nécessaire et immédiate
de ce fait général, appliqué à deux forces qui agissent dans
la môme direction. Car, si un corps, en vertu d'une cer-
taine force, a parcouru un espace déterminé suivant une
certaine droite, et qu'on vienne à ajouter, selon la même
direction, une seconde force égale à la première; d'après
la loi de l'indépendance des mouvements, cette nouvelle
force ne fera que déplacer la totalité de la droite d'appli-
cation d'une égale quantité dans le môme temps, sans
altérer le mouvement du corps le long de cette droite, en
sorte que, par la composition des deux mouvements, ce
corps aura effectivement parcouru un espace double de
celui qui correspondait à la force primitive. Telle est la
seule manière dont on puisse réellement constater la pro-
portionnalité générale des vitesses aux forces, que je dois
ainsi me dispenser de regarder comme une quatrième loi
fondamentale du mouvement, puisqu'elle rentre dans la
troisième.
11 est donc évident que, quand on a cru pouvoir se dis-
penser en mécanique du fait général de l'indépendance
PRINCIPES DE LA MÉCANIQUE RATIONNELLE. 417
des mouvements pour établir la loi fondamentale de la
composition des forces, la nécessité de regarder cette
proposition de philosophie naturelle comme une des bases
indispensables de la science s'est reproduite inévitablement
pour démontrer la loi non moins importante des forces
proportionnelles aux vitesses, ce qui met cette nécessité
hors de toute contestation. Ainsi quel a été le résultat réel
de tous les efforts intellectuels qui ont été tentés pour
éviter d'introduire directement, dans les prolégomènes de
la mécanique, cette observation fondamentale ? seulement
de paraître s'en dispenser en statique, et de ne la prendre
évidemment en considération qu'aussitôt qu'on passe à la
dynamique. Tout se réduit donc effectivement à une simple
transposition. Il est clair qu'un résultat aussi peu impor-
tant n'est nullement proportionné à la complication des
procédés indirects qui ont été employés pour y parvenir,
quand môme ces procédés seraient logiquement irrépro-
chables, et nous avons expressément reconnu le contraire*
Il est donc, sous tous les rapports^ beaucoup plus satis-
faisant de se conformer franchement et directement à la
nécessité philosophique de la science^ et, puisqu'elle ne
saurait se passer d'une base expérimentale, de reconnaître
nettement cette base dès l'origine. Aucune autre marche
ne peut rendre complètement positive une science qui,
sans de tels fondements, conserverait encore un certain
caractère métaphysique.
*
Telles sont donc les trois lois physiques du mouvement
qui fournissent à la mécanique rationnelle une base expé-
rimentale suffisante, sur laquelle l'esprit humain^ par de
simples opérations logiques, et sans consulter davantage le
monde extérieur, peut solidement établir l'édifice systéma-
tique de la science. Quoique ces trois lois me semblent
pouvoir suffire, je ne vois à priori aucune raison de n'en
A. Comte. Tome L 27
A 18 MATUEMATIQUES.
point augmenter le nombre, si Ton parvenait effectivement
à constater qu'elles ne sont pas strictement complètes.
Cette augmentation me paraîtrait un fort léger inconvé-
nient pour la perfection rationnelle de la science, puisque
ces lois ne sauraient jamais évidemment être très-multi-
pliées; je regarderais comme préférable, en thèse générale,
d'en établir une ou deux de plus, si, pour l'éviter, il fallait
recourir à des considérations trop détournées, qui fussent
de nature à altérer le caractère positif de la science. Mais
Tensemble des trois lois ci-dessus exposées remplit conve-
nablement, à mes yeux, toutes les conditions essentielles
réellement imposées par la nature des théories de la mé-
canique rationnelle. En effet, la première, celle de Kepler,
détermine complètement l'effet produit par une force uni-
que agissant instantanément ; la seconde, celle de Newton,
établit la règle fondamentale pour la communication du
mouvement par l'action des corps les uns sur les autres;
enfin la troisième, celle de Galilée, conduit immédiatement
au théorème général relatif à la composition des mouve-
ments. On conçoit, d'après cela, que toute la mécanique des
mouvements uniformes ou des forces instantanées peut
être entièrement traitée comme une conséquence directe
de la combinaison de ces trois lois, qui, étant de leur na-
ture extrêmement précises, sont évidemment susceptibles
d'être aussitôt exprimées par des équations analytiques fa-
ciles à obtenir. Quant à la partie la plus étendue et la plus
importante de la mécanique, celle qui en constitue essen-
tiellement la difficulté, c'est-à-dire la mécanique des mou-
vements variés ou des forces continues, on peut concevoir,
d'une manière générale, la possibilité de la ramener à la
mécanique élémentaire dont nous venons d'indiquer le ca-
ractère, par l'application de la méthode infinitésimale, qui
permettra de substituer, pour chaque instant infiniment
PRINCIPES DE LA MÉCANIQUE RATIONNELLE. 419
petit, un mouvement uniforme au mouvement varié, d'où
résulteront immédiatement les équations différentielles re-
latives à cette dernière espèce de mouvements. U sera sans
doute fort important d'établir directement et avec préci-
sion, dans les leçons suivantes, la manière générale d'em-
ployer une telle méthode pour résoudre les deux problèmes
essentiels de la mécanique rationnelle, et de considérer
soigneusement les principaux résultats que les géomètres
ont ainsi obtenus relativement aux lois abstraites de Téqui-
libre et du mouvement. Mais il est, dès ce moment, évident
que la science se trouve réellement fondée par l'ensemble
des trois lois physiques établies ci-dessus, et que tout le
travail devient désormais purement rationnel, devant con-
sister seulement dans l'usage à faire de ces lois pour la so^
lution des différentes questions générales. £n un mot, la
séparation entre la partie nécessairement physique et la
partie simplement logique de la science me semble pou-
voir être ainsi nettement effectuée d'une manière exacte et
définitive.
Pour terminer cet aperçu général du caractère philoso-
phique de la mécanique rationnelle, il ne nous reste plus
maintenant qu'à considérer sommairement les divisions
principales de cette science^ les divisions secondaires de-
vant être envisagées dans les leçons suivantes.
La première et la plus importante division naturelle de
la mécanique consiste à distinguer deux ordres de ques-
tions, suivant qu'on se propose la recherche des conditions
de l'équilibre, ou l'étude des lois du mouvement, d'où la
statique et la dynamique. 11 suffit d'indiquer une telle divi-
sion, pour en faire comprendre directement la nécessité
générale. Outre la différence effective qui existe évidem-
ment entre ces deux classes fondamentales de problèmes,
il est aisé de concevoir à priori que les questions de sta-
420 MATHÉMATIQUES.
tiqne doivent être, en général, par leur nature, bien plus
faciles à traiter que les questions de dynamique. Cela ré-
sulte essentiellement de ce que, dans les premières, on lait,
comme on Ta dit avec raison, abstraction du temps; c'est-
à-dire que, le phénomène à étudier étant nécessairement
instantané, on n'a pas besoin d'avoir égard aux variations
que les forces du système peuvent éprouver dans les di-
vers instants successifs. Cette considération qu'il faut, au
contraire, introduire dans toute question de dynamique,
y constitue un élément fondamental de plus, qui en fait
la principale difficulté. Il suit, en thèse générale, de cette
différence radicale, que la statique tout entière, quand on
la traite comme un cas particulier de la dynamique, cor-
respond seulement à la partie de beaucoup la plus simple
de la dynamique» à celle qui concerne la théorie des mou-
vements uniformes, comme nous l'établirons spécialement
dans la leçon suivante.
L'importance de cette division est bien clairement véri-
fiée par l'histoire générale du développement effectif de
l'esprit humain. Nous voyons, en elfet, que les anciens
avaient acquis quelques connaissances fondamentales très-
essentielles relativement à l'équilibre, soit des solides,
soit des. fluides, comme on le voit surtout par les belles re-
cherches d'Archimède, quoiqu'ils fussent encore fort
éloignés de posséder une statique rationnelle vraiment
complète. Au contraire , ils ignoraient entièrement la
dynamique, même la plus élémentaire; la première créa-
tion de cette science toute moderne est due à Galilée.
Après cette division fondamentale^ la distinction la plus
importante à établir en mécanique consi^le à séparer, soit
dans la statique, soit dans la dynamique, Tétude des so-
lides et celle des fluides. Quelque essentielle que soit cette
division, je ne la place qu'en seconde ligne, et subordon-
PBINCIPBS DE LA MÉCANIQUE RATIONNELLE. 411
née à la précédente, suivant la méthode établie par La-
grange, car c'est, ce me semble, s'exagérer son influence
que de la constituer division principale, comme on le fait
encore dans les traités ordinaires de mécanique. Les prin-
cipes essentiels de statique ou de dynamique sont, en effet,
nécessairement les mômes pour les fluides que pour les so-
lides ; seulement les fluides exigent d'ajouter aux condi-
tions caractéristiques du système une considération de
plus, celle relative à la variabilité de forme, qui définit gé-
néralement leur constitution mécanique propre. Mais, tout
en plaçant cette distinction au rang convenable^ il est fa-
cile de concevoir à priori son extrême importance, et de
sentir, en général, combien elle doit augmenter la diffl-
culté fondamentale des questions^ soit dans la statique,
soit surtout dans la dynamique. Car cette parfaite indé-
pendance réciproque des molécules, qui caractérise les
fluides, oblige de considérer séparément chaque molécule^
et, par conséquent, d'envisager toujours, môme dans le
cas le plus simple, un système composé d'une infinité de
forces distinctes. Il en résulte, pour la statique, Tintroduc-
tion d'un nouvel ordre de recherches, relativement à la
figure du système dans l'état d'équilibre, question très-
diffcile par sa nature, et dont la solution générale est en-
core peu avancée, môme pour le seul cas de la pesanteur
universelle. Mais la difficulté est encore plus sensible dans
la dynamique. En efi*et, l'obligation où l'on se trouve alors
strictement de considérer à part le mouvement propre de
chaque molécule, pour faire une étude vraiment complète
du phénomène, introduit dans la question, envisagée sons
le point de vue analytique, une complication jusqu'à pré-
sent inextricable en général, et qu'on n'est encore parvenu
à surmonter, môme dans le cas très-simple d'un fluide
uniquement mû par sa pesanteur terrestre, qu'à l'aide
4il MATHÉMATIQUES.
d'hypothèses fort précaires, comme celle de Daniel Ber-
Douilli sur le parallélisme des tranches, qui altèrent d'une
manière notable la réalité des phénomènes. On conçoit
donc, en thèse générale, la plus grande difficulté néces-
saire de rhydrostatique^ et surtout de Thydrodynamique,
par rapport à la statique et à la dynamique proprement
dites, qui sont en effet bien plus avancées.
Il faut ajouter à ce qui précède, pour se faire une juste
idée générale de cette différence fondamentale, que la dé-
finition caractéristique par laquelle les géomètres distin-
guent les solides et les fluides en mécanique rationnelle,
n'est véritablement, à Tégard des uns comme à Tégard des
autres, qu'une représentation exagérée, et, par consé-
quent, strictement infidèle de la réalité. En effet, quant
aux fluides principalement, il est clair que leurs molécules
ne sont point réellement dans cet état rigoureux d'indé-
pendance mutuelle où nous sommes obligés de les suppo-
ser en mécanique, en les assujettissant seulement à con-
server entre elles un volume constant s'il s'agit d'un
liquide, ou, s'il s'agit d'un gaz, un volume variable suivant
une fonction donnée de la pression, par exemple, en rai-
son inverse de cette expression, d'après la loi de Mariette.
Un grand nombre de phénomènes naturels sont, au con-
traire, essentiellement dus à l'adhérence mutuelle des mo-
lécules d'un fluide, liaison qui est seulement beaucoup
moindre que dans les solides. Cette adhésion, dont on fait
abstraction pour les fluides mathématiques, et qu'il sem-
ble, en effet, presque impossible de prendre convenable-
ment en considération, détermine, comme on sait^ des
différences très-sensibles entre les phénomènes effectifs et
ceux qui résultent de la théorie, soit pour la statique, soit
surtout pour la dynamique , par exemple relativement à
Técoulement d'un liquide pesant par un orifice déterminé,
PRINCIPES DE LA MÉCANIQUE RATIONNELLE. 413
OÙ Tobservation s'écarte notablement de la théorie quant
à la dépense de liquide en un temps donné.
Quoique la définition mathématique des solides se trouve
représenter beaucoup plus exactement leur état réel, on a
cependant plusieurs occasions de reconnaître la nécessité
de tenir compte en certains cas de la possibilité de sépara-
tion mutuelle qui existe toujours entre les molécules d'un
solide^ si les forces qui leur sont appliquées acquièrent
une intensité suffisante, el dont on fait complètement abs-
traction en mécanique rationnelle. C'est ce qu'on peut ai-
sément constater, surtout dans la théorie de la rupture des
solides, qui, à peine ébauchée par Galilée^ par Huyghens
et par Leibnitz, se trouve aujourd'hui dans un état fort
imparfait et même très-précaire, malgré les travaux de
plusieurs autres géomètres, et qui néanmoins serait im-
portante pour éclairer plusieurs questions de mécanique
terrestre, principalement de mécanique industrielle. On
doit pourtant remarquer, à ce sujet, que cette imper-
fection est à la fois beaucoup moins sensible et bien
moins importante que celle ci-dessus notée, relativement
à la mécanique des fluides. Car elle se trouve ne pouvoir
nullement influer sur les questions de mécanique céleste,
qui constituent réellement, comme nous avons eu plusieurs
occasions de le reconnaître, la principale application, et
probablement la seule qui puisse être jamais vraiment
complète, de la mécanique rationnelle.
Enfin nous devons encore signaler, en thèse générale,
dans la mécanique actuelle, une lacune, secondaire il est
vrai, mais qui n'est pas sans importance, relativement à la
théorie d'une classe de corps qui sont dans un état inter-
médiaire entre la solidité et la fluidité rigoureuses, et
qu'on pourrait appeler semi-fluides, ou semi-solides : tels
sont, par exemple, d'une part, les sables, et, d'une autre
414 MATHÉMATIQUES.
part, les flaides à l'état gélatineux. Il a été présenté quel-
ques considérations rationnelles au sujet de ces corps,
sous le nom de fluides imparfaits^ surtout relativement à
leurs surfaces d'équilibre. Mais leur théorie propre n'a
jamais été réellement établie d'une manière générale et
directe.
Tels sont les principaux aperçus généraux que j'ai cm
devoir indiquer sommairement pour faire apprécier le ca-
ractère philosophique qui distingue la mécanique ration-
nelle, envisagée dans son ensemble. Il s'agit maintenant,
en considérant sous le môme point de vue philosophique
la composition effective de la science, d'apprécier com-
ment, par les importants travaux successifs des plus grands
géomètres, cette seconde section générale si étendue, si
essentielle et si difficile de la mathématique concrète, a
pu être élevée à cetéminent degré de perfection théorique
qu'elle a atteint de nos jours dans l'admirable traité de
Lagrange, et qui nous présente toutes les questions abs-
traites qu'elle est susceptible d'offrir, ramenées, d'après
un principe unique^ à ne plus dépendre que de recherches
purement analytiques, comme nous l'avons déjà reconnu
pour les problèmes géométriques. Ce sera l'objet des trois
leçons suivantes ; la première consacrée à la statique^ la
seconde à la dynamique, et la troisième, à l'examen des
théorèmes généraux de la mécanique rationnelle.
SEIZIÈME LEÇON
Sommaire. — Vue générale de la statique.
L'ensemble de la mécanique rationnelle peut ôtre traité
d'après deux méthodes générales essentiellement distinctes
et inégalement parfaites, suivant que la statique est conçue
d'une manière directe, ou qu'elle est considérée comme
an cas particulier de la dynamique. Par la première mé-
thode, on s'occupe immédiatement de découvrir un prin-
cipe d'équilibre suffisamment général, qu'on applique
ensuite à la détermination des conditions d'équilibre de
tous les systèmes de forces possibles. Par la seconde, au
iïontraire, on cherche d'abord quel serait le mouvement
résultant de l'action simultanée des diverses forces quel-
conques proposées, et on en déduit les relations qui doî-
Tent exister entre ces forces pour que ce mouvement
soit nul.
La statique étant nécessairement d'une nature plus
simple que la dynamique, la première méthode a pu seule
être employée à l'origine de la mécanique rationnelle.
C'est, en effet, la seule qui fût connue des anciens, entiè-
rement étrangers à toute idée de dynamique, môme la
plus élémentaire. Archimède, vrai fondateur de la sta-
tique, et auquel sont dues toutes les notions essentielles
que l'antiquité possédait à cet égard, commence à
établir la condition d'équilibre de deux poids suspendus
aux deux extrémités d'un levier droit, c'est-i-dire la néces-
«26 MATHÉMATIQUES.
site que ces poids soient en raison inverse de leurs distances
au point d'appui du levier ; et il s'efTorce ensuite de ra-
mener autant que possible à ce principe unique la re-
cherche des relations d'équilibre propres à d'autres
systèmes de forces. Pareillement, quant à la statique des
fluides, il pose d'abord son célèbre principe, consistant en
ce que tout corps plongé dans un fluide perd une partie de
son poids égale au poids du fluide déplacé ; et ensuite il
en déduit dans un grand nombre de cas la théorie de la
stabilité des corps flottants. Mais le principe du levier
n'avait point par lui-môme une assez grande généralité
pour qu'il fût possible de l'appliquer réellement à la déter-
mination des conditions d'équilibre de tous les systèmes
de forces. Par quelques ingénieux artifices qu'on ait succes-
sivement essayé d'en étendre l'usage, on n'a pu effective-
ment y ramener que les systèmes composés de forces
parallèles. Quant aux forces dont les directions concourent,
on a d'abord essayé de suivre une marche analogue, en
imaginantde nouveaux principes directs d'équilibre spécia-
lementpropres à ce cas plus général, et parmi lesquels ilfaut
surtoutremarquerrheureuseidéedeStévin,relativeàréqui-
libre du système de deux poids posés sur deux plans inclinés
adossés. Cette nouvelle idée mère eût peut-être suffl stric-
tement pour combler la lacune que laissait dans la statique
le principe d'Archimède, puisque Stévin était parvenu à en
déduireles rapports d'équilibre entre trois forces appliquées
en un môme points dans le cas du moins où deux de ces
forces sont à angles droits ; et il avait môme remarqué que
les trois forces sont alors entre elles comme les trois côtés
d'un triangle dont les angles seraient égaux à ceux formés
par ces trois forces. Mais, la dynamique ayant été fondée
dans le même temps par Galilée, les géomètres cessèrent
de suivre l'ancienne marche statique* directe, préférant
STATÏQUE. 4Î7
procédera la recherche des conditions d'équilibre d'après
les lois dès lors connues de la composition des forces. C'est
par cette dernière méthode que Varignon découvrit la véri-
table théorie générale de l'équilibre d'un système de forces
appliquées en un môme point, et que plus tard d'AIem-
bert établit enfin, pour la première fois, les équations
d'équilibre d'un système quelconque de forces appliquées
aux différents points d'un corps solide de forme invariable.
Cette méthode est encore aujourd'hui la plus universelle-
ment employée.
Au premier abords elle semble peu rationnelle, puisque,
la dynamique étant plus compliquée que la statique, il ne
parait nullement convenable de faire dépendre celle-ci de
l'autre. II serait, en effet, plus philosophique de ramener
au contraire, s'il est possible, la dynamique à la statique,
comme on y est parvenu depuis. Mais on doit néanmoins
reconnaître que, pour traiter complètement la statique
comme un cas particulier de la dynamique, il suffit
d'avoir formé seulement la partie la plus élémentaire
de celle-ci, la théorie des mouvements uniformes, sans
avoir aucun besoin de la théorie des mouvements variés.
Il importe d'expliquer avec précision cette distinction fon-
damentale.
A cet effet, observons d'abord qu'il existe, en général,
deux sortes de forces : 1*^ les forces que j'appelle instan-
tanées^ comme les impulsions, qui n'agissent sur un corps
qu'à l'origine du mouvement, en l'abandonnante lui-même
aussitôt qu'il est en marche ; 2^ les forces qu'on appelle
assez improprement accélératrices^ et que je préfère
nommer continues^ comme les attractions, qui agissent
sans cesse sur le mobile pendant toute la durée du mou-
vement. Cette distinction. équivaut évidemment à celle des
mouvements uniformes et des mouvements variés; car il
418 MATHÉMATIQUES.
est clair, en vertu de la première des trois lois fondamen-
tales du mouvement exposées dans la leçon précédente,
que toute force instantanée doit nécessairement produire
un mouvement uniforme, tandis que toute force continue
doit, au contraire, par sa nature, imprimer au mobile un
mouvement indéfiniment varié. Gela posé, on conçoit fort
aisément, à priori^ comme je Tai déjà indiqué plusieurs
fois, que la partie de la dynamique relative aux forces
instantanées ou aux mouvements uniformes doit être, sans
aucune comparaison, infiniment plus simple que celle qui
concerne les forces continues ou les mouvements variés, et
dans laquelle consiste essentiellement toute la difficulté delà
dynamique. La première partie présente une telle facilité,
qu'elle peut ôtre traitée dans son ensemble comme une
conséquence immédiate des trois lois fondamentales du
mouvement, ainsi que je l'ai expressément remarqué à la
fin de la leçon précédente. Or il est maintenant aisé de
concevoir, en thèse générale, que c'est seulement de cette
première partie de la dynamique qu'on a besoin pour
constituer la statique comme un cas particulier de la
dynamique.
En effet, le phénomène d'équilibre, dont il s'agit alors
de découvrir les lois, est évidemment, par sa nature, un
phénomène instantané, qui doit ôtre étudié sans aucun
égard au temps. La considération du temps ne s'introduit
que dans les recherches relatives à ce qu'on appelle la sta-
bilité de l'équilibre ; mais ces recherches ne font plus, i
proprement parler, partie de la statique, et rentrent essen-
tiellement dans la dynamique. En un mot, suivant l'apho-
risme ordinaire déjà cité, on fait toujours, en statique»
abstraction du temps. Il en résulte qu'on y peut regarder
comme instantanées toutes les forces que l'on considère,
sans que les théories cessent pour cela d'avoir toute la
STATIQUE. 419
généralité nécessaire. Car, à chaque époque de son action,
une forme continue peut toujours évidemment être rem-
placée par une force instantanée mécaniquement équi-
valente, c'est-à-dire susceptible d'imprimer au mobile une
vitesse égale à cell« que lui donne elTectivement en cet
instant la force proposée. A la vérité, il faudra, dans le
moment infiniment petit suivant, substituer à cette force
instantanée une nouvelle force de même nature, pour re-
présenter le changement effectif de la vitesse, de telle sorte
que, en dynamique, où Ton doit considérer l'état du mo-
bile dans les divers instants successifs, on retrouvera né-
cessairement par la variation de ces forces instantanées la
difficulté fondamentale inhérente à la nature des forces
continues, et qui n'aura fait que changer de forme. Mais,
en statique, oix il ne s'agit d'envisager les forces que dans
un instant unique, on n'aura point à tenir compte de ces
variations, et les lois générales de l'équilibre, ainsi établies
en considérant toutes les forces comme instantanées, n'en
seront pas moins applicables à des forces continues, pourvu
qu'on ait soin, dans cette application^ de substituer à cha-
que force continue la force instantanée qui lui correspond
en ce moment.
On conçoit donc nettement par là comment la statique
abstraite peut être traitée avec facilité comme une simple
application de la partie la plus élémentaj^'e de la dyna-
mique^ celle qui se rapporte aux mouvements uniformes.
La manière la plus convenable d'efi'ectuer cette appli«>
cation consiste à remarquer que, lorsque des forces quel-
conques sont en équilibre, chacune d'entre elles, consi-
dérée isolément, peut être regardée comme détruisant
l'efTet de l'ensemble de toutes les autres. Ainsi la recher-
che des conditions de l'équilibre se xéduit, en général, à
exprimer que l'une quelconque des forces du système est
^ ^.
430 MATHÉMATIQUES.
égale et directement opposée à la résultante de toutes les
autres. La difficulté ne consiste donc, dans cette méthode,
qu'à déterminer cette résultante, c'est-à-dire à composer
entre elles les forces proposées. Cette composition s'effec-
tue immédiatement pour le cas de deux forces d'après la
troisième loi fondamentale du mouvement, et l'on en
déduit ensuite la composition d'un nombre quelconque de
forces. La question élémentaire présente, comme on sait,
deux cas essentiellement distincts, suivant que les deux
forces à composer agissent dans des directions convergentes
ou dans des directions parallèles. Chacun de ces deux cas
peut être traité comme dérivant de l'autre, d'où résulte
parmi les géomètres une certaine divergence dans la ma-
nière d'établir les lois élémentaires de la composition des
forces, suivant le cas que l'on choisit pour point de départ.
Mais, sans contester la possibilité rigoureuse de procéder
autrement, il me semble plus rationnel, plus philosophique
et plus strictement conforme à l'esprit de cette manière de
traiter la statique, de commencer par la composition des
forces qui concourent, d'où l'on déduit naturellement celle
des forces parallèles comme cas particulier, tandis que la
déduction inverse ne peut se faire qu'à l'aide de considé-
rations indirectes^ qui, quelqueingénieuses qu'elles puissent
être, présentent nécessairement quelque chose de forcé.
Après avoir établi les lois élémentaires de la composi-
tion des forces, les géomètres, avant de les appliquer à la
recherche des conditions de l'équilibre, leur font éprouver
ordinairement une importante transformation, qui, sans
être complètement indispensable, présente néanmoins,
sous le rapport analytique, la plus haute utilité, par
l'extrême simplification qu'elle introduit dans l'expression
algébrique des conditions d'équilibre. Cette transformation
consiste dans ce qu'on appelle la théorie des moments, dont
STATIQUE. «SI
la propriété essentielle est de réduire analytiquement
toutes les lois de la composition des forces à de simples
additions et soustractions. La dénomination de moments,
entièrement détournée aujourd'hui de sa signification pre-
mière, ne désigne plus maintenant que la considération
abstraite du produit d'une force par une distance. 11 faut
distinguer, comme on sait, deux sortes de moments^ les
moments par rapport à un point, qui indiquent le produit
d'une force par la perpendiculaire abaissée de ce point sur
sa direction, et les moments par rapport à un plan, qui
désignent le produit de la force par la distance de son
point d'application à ce plan. Les premiers ne dépendent
évidemment que de la direction de la force, et nullement
de son point d'application; ils sont spécialement appro-
priés par leur nature à la théorie des forces non parallèles :
les seconds, au contraire, ne dépendent que du point d'ap-
plication de la force, et nullement de sa direction; ils sont
donc essentiellement destinés à la théorie des forces pa-
rallèles. Nous aurons occasion d'indiquer plus bas par
quelle heureuse idée fondamentale Poinsot est parvenu à
attribuer généralement, et de la manière la plus naturelle,
une signification concrète directe à Tun et à l'autre genre
de moments, qui n'avaient réellement avant lui qu'une
valeur abstraite.
La notion des moments une fois établie, leur théorie
élémentaire consiste essentiellement dans ces deux proprié-
tés générales très-remarquables, qu'on déduit aisément de
la composition des forces : i^ si Ton considère un système
de forces toutes situées dans un même plan^ et disposées
d'ailleurs d'une manière quelconque, le moment de leur
résultante, par rapport à un point quelconque de ce plan,
est égal à la somme algébrique des moments de toutes les
composantes par rapport à ce même point, en attribuant à
4 Si MATHÉMATIQUES.
ces divers moments le signe convenable, d'après le sens
suivant lequel chaque force tiendrait à faire tourner son
bras de levier autour de l'origine des moments supposée
fixe ; 2** en considérant un système de forces parallèles dis-
posées d'une manière quelconque dans l'espace, le mo-
ment de leur résultante par rapport à un plan quelconque
est égal à la somme algébrique des moments de toutes les
composantes par rapport à ce même plan, le signe de cha-
que moment étant alors naturellement déterminé, confor-
mément aux règles ordinaires, d'après le signe propre à
chacun des facteurs dont il se compose. Ce premier de ces
deux théorèmes fondamentaux a été découvert par un géo-
mètre auquel la mécanique rationnelle doit beaucoup, et
dont la mémoire a été dignement relevée par Lagrange d'un
injuste oubli, Varignon. La manière dont Varignon établit
ce théorème dans le cas de deux composantes, d'où résulte
immédiatement le cas général, est même spécialement re-
marquable. En effet, regardant le moment de chaque force
par rapport à un point comme évidemment proportionnel
à l'aire du triangle qui aurait ce point pour sommet et pour
base la droite qui représente la force, Varignon, d'après la
loi du parallélogramme des forces, présente d'abord le
théorème des moments sous une forme géométrique très-
simple, en démontrant que si, dans le plan d'un parallélo-
gramme, on prend un point quelconque, et que l'on consi-
dèreles trois triangles ayant ce point pour sommet commun,
et pour base les deux côtés contigus du parallélogramme
et la diagonale correspondante, le triangle construit sur la
diagonale sera constamment équivalent à la somme ou à la
différence des triangles construits sur les deux côtés; ce
qui est en soi, comme l'observe avec raison Lagrange, un
beau théorème de géométrie, indépendamment de son uti-
lité en mécanique.
STATIQUE. 433
A Taide de cette théorie des moments, on parvient à ex-
primer aisément les relations analytiques qui doivent exis-
ter entre les forces dans Tétat d'équilibre, en considérant
d'abord, pour plus de facilité, les deux cas particuliers d'un
système de forces toutes situées d'une manière quelconque
dans un môme plan, et d'un système quelconque de forces
parallèles. Chacun de ces deux systèmes exige, en général,
trois équations d'équilibre, qui consistent : 1^ pour le pre-
mier, en ce que la somme algébrique des produits de cha-
que force, soit par le cosinus, soit par le sinus de l'angle
qu'elle fait avec une droite fixe prise arbitrairement dans le
plan, soit séparément nulle, ainsi que la somme algébrique
des moments de toutes les forces par rapport à un point
quelconque de ce plan ; 2^ pour le second, en ce que la
somme algébrique de toutes les forces proposées soit nulle,
ainsi que la somme algébrique de leurs moments pris sé-
parément par rapport à deux plans différents parallèles à la
direction commune de ces forces. Après avoir traité ces
deux cas préliminaires, il est f.icile d'en déduire celui d'un
•
système de forces tout à fait quelconque. Il suffit, pour
cela, de concevoir chaque force du système décomposée
en deux, l'une située dans un' plan fixe quelconque, l'autre
perpendiculaire à ce plan. Le système proposé se trouvera
dès lors remplacé par l'ensemble de deux systèmes secon-
daires plus simples, l'un composé de forces dirigées toutes
dans un môme plan, l'autre de forces toutes perpendicu-
laires à ce plan et conséquemment parallèles entre elles.
Comme ces deux systèmes partiels ne sauraient évidem-
ment se faire équilibre l'un à l'autre, il faudra donc, pour
que l'équilibre puisse avoir lieu dans le système général
primitif, qu'il existe dans chacun d'eux en particulier, ce
qui ramène la question aux deux questions préliminaires
déjà traitées. Telle est du moins la manière la plus simple
A. GoMTE. Tome !• tl
484 MATHÉMATIQUES.
de concevoir, en traitant la statique par la méthode dyna-
mique, la recherche générale des conditions analytiques
de réquilibre pour un système quelconque de forces ; quoi-
qu'il fût d'ailleurs possible évidemment, en compliquant
la solution, de résoudre directement le problème dans son
entière généralité, de façon à y faire rentrer, au contraire,
comme une simple application, les deux cas préliminaires.
Quelque marche qu'on juge à propos d'adopter, on trouve,
pour l'équilibre d'un système quelconque de forces, les six
équations suivantes :
SP COS tt ^ 0, SP cos € := 0, SP cos 7 = 0,
SP (y cos a — X cos €) = o, SP {z cos a — x cos 7) = o,
SP (y c(?s 7 — z cos 6) = 0 ;
en désignant par P l'intensité de l'une quelconque des
forces du système, para, 6, y, les angles que forme sa di-
rection avec trois axes fixes rectangulaires choisis arbi-
trairement, et par Xy y, 2, les coordonnées de son point
d'application relativement à ces trois axes. J'emploie ici la
caractéristique 5pour désigner la somme des produits sem-
blables, propres à toutes les forces du système P, F,
P", etc.
Telle est, en substance, la manière de procéder à la dé-
termination des conditions générales de l'équilibre, en con-
cevant la statique comme un cas particulier de la dyna-
mique élémentaire. Mais, quelque simple que soit en effet
cette méthode, il serait évidemment plus rationnel et plus
satisfaisant de revenir^ s'il est possible, à la méthode des
anciens, en dégageant la statique de toute considération
dynamique, pour procéder directement à la recherche des
lois del'équilibre envisagé en lui-môme, à l'aide d'un prin-
cipe d'équilibre suffisamment général, établi immédiate-
STATIQUE. 435
ment. C'est elfectivement ce que les géomètres ont tenté,
quand une fois les équations générales de l'équilibre ont
été découvertes par la méthode dynamique. Mais ils ont sur-
tout été déterminés à établir une méthode statique directe,
par un motif philosophique d'un ordre plus élevé et en
même temps plus pressant que le besoin de présenter la
btatique sous un point de vue logique plus parfait. C'est
maintenant ce qu'il nous importe éminemment d'expli-
quer, puisque telle est la marche qui a conduit Lagrange
à imprimer à l'ensemble delà mécanique rationnelle cette
haute perfection philosophique qui la caractérise désor-
mais.
Ce motif fondamental résulte de la nécessité où l'on se
trouve pour traiter, en général, les questions les plus dif-
ficiles et les plus importantes de la dynamique, de les faire
rentrer dans de simples questions de statique. Nous exami-
nerons spécialement, dans la leçon suivante, le célèbre
principe général de dynamique découvert par d'Alembert,
et à l'aide duquel toute recherche relative au mouvement
d'un corps ou d'un système quelconque peut être con-
vertie immédiatement en un problème d'équilibre. Ce prin-
cipe, qui, sous le point de vue philosophique, n'est vrai-
ment, comme je l'ai déjà indiqué dans la leçon précédente»
que la plus grande généralisation possible de la seconde
loi fondamentale du mouvement, sert depuis près d'un
siècle de base permanente à la solution de tous les grands
problèmes de dynamique, et doit évidemment désormais
recevoir de plus en plus une telle destination, vu l'admi-
rable simplification qu'il apporte dans les recherches les
plus difficiles. Or il est clair qu'Qne semblable manière de
procéder oblige nécessairement à traitera son tour la sta-
tique par une méthode directe, sans la déduire de la dyna-
mique, qui ainsi est, au contraire, entièrement fondée sur
436 MATOéMATIQCES.
elle. Ce n'est pas qu'il y ait, à proprement parler, aucun
véritable cercle vicieux à persister encore dans la marche
ordinaire exposée ci-dessus, puisque la partie élémentaire
de la dynamique^ sur laquelle seule on a fait reposer la sta-
tique, se trouve, en réalité, être complètement distincte
de celle qu'on ne peut traiter qu'en la réduisant à la sta-
tique. Mais il n'en est pas moins évident que l'ensemble de
la mécanique rationnelle ne présente alors, en procédant
ainsi, qu'un caractère philosophique peu satisfaisant, à
cause de Talternative fréquente entre le point de vue sta-
tique et le point de vue dynamique. En un mot, la science,
mal coordonnée, se trouve, par là, manquer essentielle-
ment d'unité.
L'adoption définitive et l'usage universel du principe de
d'Âlembert rendaient donc indispensable aux progrès fu-
turs de l'esprit humain une refonte radicale du système
entier de la mécanique rationnelle, où, la statique étant
traitée directement d'après une loi primitive d'équilibre
suffisamment générale, et la dynamique rappelée à la sta-
tique, l'ensemble de la science pût acquérir un caractère
d'unité désormais irrévocable. Telle est la révolution émi-
nemment philosophique exécutée par Lagrange dans son
admirable traité de mécanique analytique^ dont la concep-
tion fondamentale servira toujours de base à tous les tra-
vaux ultérieurs des géomètres sur les lois de l'équilibre et
du mouvement, comme nous avons vu la grande idée mère
de Descartes devoir diriger indéfiniment toutes les spécu-
lations géométriques.
En examinant les recherches des géomètres antérieurs
sur les propriétés de l'équilibre, pour y puiser un principe
direct de statique qui pût ofi'rir toute la généralité néces-
saire, Lagrange s'est arrêté à choisir \e principe des vitesses
virtuelles^ devenu désormais si célèbre par l'usage immense
STATIQUE. 417
et capital qu'il en a l'ail. Ce principe, découvert primitive-
ment par Galilée dans le cas de deux forces, comme une
propriété générale que manifestait l'équilibre de toutes les
machines, avait été, plus tard, étendu par Jean Bernouilli
à un nombre quelconque de forces, constituant un sys-
tème quelconque; et Yarignon avait ensuite remarqué
expressément l'emploi universel qu'il était possible d'en
faire en statique. La combinaison dece principe avec celui
de d'Alembert a conduit Lagrange à concevoir et à traiter
la mécanique rationnelle tout entière comme déduite d'un
seul théorème fondamental, et à lui donner ainsi le plus
haut degré de perfection qu'une science puisse acquérir
sous le rapport philosophique, une rigoureuse unité.
Pour concevoir nettement avec plus de facilité le prin^
cipe général des vitesses virtuelles, il est encore utile de le
considérer d'abord dans le simple cas de deux forces,
comme l'avait dit Galilée. Il consiste alors en ce que, deux
forces se faisant équilibre à l'aide d'une machine quelcon-
que, elles sont entre elles en raison inverse des espaces que
parcourraient dans le sens de leurs directions leurs points
d'application, si on supposait que le système vint à pren-
dre un mouvement infiniment petit : ces espaces portent le
nom de vitesses virtuelles^ afin de les distinguer des vitesses
réelles qui auraient effectivement lieu si l'équilibre n'exis-
tait pas. Dans cet état primitif, ce principe, qu'on peut
très-aisément vérifier relativement à toutes les machines
connues, présente déjà une grande utilité pratique, vu
l'extrême facilité avec laquelle il permet d'obtenir efifecti-
vement la condition mathématique d'équilibre d'une ma-
chine quelconque, dont la constitution serait même entière-
ment inconnue. En appelant moment virtuel ou simplement
moment^ suivant l'acception primitive de ce terme parmi les
géomètres, le produit de chaque force par sa vitesse vir-
4S8 MATHÉMATIQUES.
tuelle, produit qui, en effet, mesure alors TefiForlde la force
pour mouvoir la machine, on peut simplifier beaucoup l'é-
noncé du principe en se bornant à dire que, dans ce cas, les
moments des deux forces doivent être égaux et de signe
contraire pour qu'il y ail équilibre; le signe positif ou né-
gatif de chaque moment est déterminé d'après celui de la
vitesse virtuelle, qu'on estimera, conformément à l'esprit
ordinaire de la théorie mathématique des signes, positive
ou négative selon que, par le mouvement fictif que l'on ima-
gine, la projection du point d'application se trouverait
tomber sur la direction môme de la force ou sur son pro-
longement. Cette expression abrégée du principe des vi-
tesses virtuelles est surtout utile pour énoncer ce principe
d'une manière générale, relativement à un système de forces
tout à fait quelconque. II consiste alors en ce que la somme
algébrique des moments virtuels de toutes les forces, esti-
mée suivant la règle précédente, doit être nulle pour qu'il
y ait équilibre ; et cette condition doit avoir lieu distincte-
ment par rapport à tous les mouvements élémentaires que
le système pourrait prendre en vertu des forces dont il est
animé. En appelant P, F, F\ etc., les forces proposées, et
suivant la notation ordinaire de Lagrange, 5p, 5p', ôp", etc.,
les vitesses virtuelles correspondantes, ce principe se trouve
immédiatement exprimé par l'équation
P ^P + P' ^P' + F" ^p" -h etc, = 0,
ou, plus brièvement
/
P^?=:0,
dans laquelle, par les travaux de Lagrange, la mécanique
rationnelle tout entière peut être regardée comme implici-
tement renfermée. Quant à la statique, la difficulté fonda-
mentale de développer convenablement cette équation gé-
STATIQUE. «19
nérale se réduira essentiellement, lorsque toutes les forces
dont il faut tenir compte sont bien connues» à une diffi-
culté purement analytique, qui consistera à rapporter, dans
chaque cas, d'après leé conditions de liaison caractéristi-
ques du système considéré, toutes les variations infiniment
petites $j9, $/)', etc., au plus petit nombre possible de va-
riations réellement indépendantes, afin d'annuler séparé-
ment les divers groupes de termes relatifs à chacune de
ces dernières variations, ce qui fournil, pour l'équilibre,
autant d'équations distinctes qu'il pourrait exister de mou-
vements élémentaires vraiment différents par la nature du
système proposé. En supposant que les forces soient en-
tièrement quelconques, et qu'elles soient appliquées aux
divers points d'un corps solide, qui ne soit d'ailleurs assu-
jetti à aucune condition particulière, on parvient aussi im-
médiatement et de la manière la plus simple aux six équa-
tions générales de l'équilibre rapportées ci-dessus d'après
!a méthode dynamique. Si le solide, au lieu d'être complè-
tement libre, doit être plus ou moins gêné, il suffit d'intro-
duire au nombre des forces du système les résistances qui
en résultent après les avoir convenablement définies, ce
qui ne fera qu'ajouter quelques nouveaux termes à l'équa-
tion fondamentale. Il en est de même quand la forme du
solide n'est point supposée rigoureusement invariable, et
qu'on vient, par exemple, à considérer son élasticité. De
semblables modifications n'ont d'autre efi*et, sous le point
de vue logique, que de compliquer plus ou moins l'équation
des vitesses virtuelles qui ne cesse point pour cela de coor
server nécessairement son entière généralité, quoique ces
conditions secondaires puissent quelquefois rendre pres-
que inextricables les difficultés purement analytiques que
présente la solution efi*ective de la question proposée.
Tant que le théorème des vitesses virtuelles n'avait été
4 40 MATIIKMATIQUES.
conçu que comme une propriété générale de Téquilibre,
avait pu se borner à le vérifier par sa conformité cons-
tante avec les lois ordinaires de l'équilibre déjà obtenues
autrement, et dont il présentait ainsi un résumé très-utile
par sa simplicité et son uniformité. Mais, pour faire de ce
théorème fondamental la base effective de toute la méca-
nique rationnelle, en un mot, pour la convertir en un vérita-
ble principe, il était indispensable -de l'établir directement
sans le déduire d'aucun autre, ou du moins en ne suppo-
sant que des propositions préliminaires susceptibles par
leur extrême simplicité d'être présentées comme immé-
diates. C'est ce qu'a si heureusement exécuté Lagrange par
son ingénieuse démonstration fondée sur le principe des
moufles et dans laquelle il parvient à prouver générale-
ment le théorème des vitesses virtuelles avec une extrême
facilité, en imaginant un poids unique, qui, à l'aide de
moufles convenablement construites, se trouve, remplacer
simultanément toutes les forces du sv2>tème. On a successi-
vement proposé depuis quelques autres démonstrations di-
rectes et générales du principe des vitesses virtuelles, mais
qui, beaucoup plus compliquées que celle de Lagrange, ne
lui sont^ en réalité, nullement supérieures quant à la rigueur
logique. Pour nous, sous le point de vue philosophique,
nous devons regarder ce théorème général comme une con-
séquence nécessaire des lois fondamentales du mouve-
ment, d'où elle peut être déduite de diverses manières*, et
qui devient ensuite le point de départ effectif de la méca-
nique rationnelle tout entière.
L'emploi d'un tel principe ramenant l'ensemble de la
science à une parfaite unité, il devient évidemment fort
peu intéressant désormais de connaître d'autres prin-
cipes plus généraux encore, en supposant qu'on puisse eo
obtenir. On peut donc regarder comme essentiellement
STATIQUE. 4 41
oiseuses par leur nature les tentatives qui pourraient être
projetées pour substituer quelque nouveau principe à
celui des vitesses virtuelles. Un tel travail ne saurait plus
perfectionner nullement le caractère philosophique fonda-
mental de la mécanique rationnelle, qui, dans le traité
de Lagrange , est aussi fortement coordonnée qu'elle
puisse jamais Tétre. On n'y pourrait réellement avorr en
vue d'autre utilité effective que de simplifier considérable-
ment les recherches analytiques auxquelles la science est
maintenant réduite, ce qui doit paraître presque impossi-
ble quand on envisage avec quelle admirable facilité le
principe des vitesses virtuelles a été adapté par Lagrange
à l'application uniforme de l'analyse mathématique.
Telle est donc la manière incomparablement la plus
parfaite de concevoir et de traiter la statique, et par suite
l'ensemble de la mécanique rationnelle. Dans un ouvrage
tel que celui-ci surtout nous ne pouvions hésiter un seul
moment à accorder à cette méthode une préférence écla-
tante sur toute autre, puisque son principal avantage ca-
ractéristique est de perfectionner au plus haut degré la
philosophie de cette science. Cette considération doit
avoir à nos yeux bien plus d'importance que nous ne pou-
vons en attribuer en sens inverse aux difficultés propres
qu'elle présente encore fréquemment dans les applications,
et qui consistent essentiellement dans l'extrême conten-
tion intellectuelle qu'elle exige souvent, ce qui peut être
regardé comme étant jusqu'à un certain point inhérent à
toute méthode très-générale ob les questions quelconques
sont constamment ramenées à un principe unique. Néan-
moins ces difficultés sont assez grandes jusqu'ici pour
qu'on ne puisse point encore regarder la méthode de La-
grange comme vraiment élémentaire, de manière à pouvoir
dispenser entièrement d'en considérer aucune autre dans
44 i MATHÉMATIQUES.
un enseignement dogmatique. C'est ce qui m'a déterminé
à caractériser d'abord avec quelques développements la
méthode dynamique proprement dite, la seule encore gé-
néralement usitée. Mais ces considérations ne peuvent être
évidemment que provisoires ; les principaux embarras qu'oc
casionne l'emploi de la conception de Lagrange n'ayant
réellement d'autre cause essentielle que sa nouveauté. Une
telle méthode n'est point indéfiniment destinée sans doute
à l'usage exclusif d'un très-petit nombre de géomètres, qui
en ont seuls encore une connaissance assez familière pour
utiliser convenablement les admirables propriétés qui la
caractérisent : elle doit certainement devenir plus tard aussi
populaire dans le monde mathématique que la grande con-
ception géométrique de Descartes, et ce progrès général
serait vraisemblablement déjà presque effectué si les no-
tions fondamentales de l'analyse transcendante étaient plus
universellement répandues.
Je ne croirais pas avoir convenablement caractérisé
toutes les notions philosophiques essentielles relatives à
la statique rationnelle, si je ne faisais maintenant une
mention distincte d'une nouvelle conception fort impor-
tante, introduite dans la science par Poinsot, et que je
regarde comme le plus grand perfectionnement qu'ait
éprouvé, sous le point de vue philosophique, le système
général de la mécanique, depuis la régénération opérée
par Lagrange, quoiqu'elle ne soit pas exactement dans la
môme direction, il s'agit, comme on voit, de l'ingénieuse
et lumineuse théorie des couples, que Poinsot a si heureu-
sement créée pour perfectionner directement, dans ses con-
ceptions fondamentales, la mécanique rationnelle, et dont
la portée ne me parait point avoir été encore sufûsam-
ment appréciée par la plupart des géomètres. On sait que
ces couples, ou systèmes de forces parallèles égales et con-
STATIQUE. 4 43
traires, avaient à peine été remarqués avant Poinsot comme
une sorte de paradoxe en statique, et qu'il s'est emparé de
cette notion isolée pour en faire immédiatement le sujet
d'une théorie fort étendue et entièrement originale rela-
tive à la transformation, à la composition et à l'usage de
ces groupes singuliers, qu'il a montrés doués de proprié-
tés si remarquables par leur généralité et leur simplicité.
Ces propriétés fondamentales consistent essentiellement :
1® sous le rapport de la direction, en ce que l'effet d'un
couple dépend seulement de la direction de son plan
ou de son axe, et nullement de la position de ce plan ni de
celle du couple dans le plan; 2^ quant à l'intensité, en ce
que l'effet d'un couple ne dépend proprement ni de la va-
leur de chacune des forces égales qui le composent, ni du
bras de levier sur lequel elles agissent, mais uniquement
du produit de cette force par cette distance, auquel Poin-
sot a donné avec raison le nom de moment du couple.
En adoptant la méthode dynamique proprement dite
pour procéder à la recherche des conditions générales de
l'équilibre, Poinsot l'a présentée sous un point de vue
complètement neuf à l'aide de sa conception des couples,
qut l'a considérablement simplifiée et éclaircie. Pour ca-
ractériser ici sommairement cette variété de la méthode
dynamique, il suffira de concevoir qu'en ajoutant en un
point quelconque du système deux forces égales à chacune
de celles que l'on considère et qui agissent , en sens con-
traire l'une de l'autre, suivant une droite parallèle à sa
direction, on pourra ainsi, sans jamais altérer évidemment
l'état du système proposé, le regarder comme remplacé :
1* par un système de forces égales aux forces primitives
transportées toutes parallèlement à leurs directions au
point unique que Ton aura choisi, et qui, en conséquence,
seront généralement réductibles en une seule ; ^^ par un
444 MATHÉMATIQUES.
système de couples ayant pour mesure de leur intensité les
moments des forces proposées relativement à ce même
point, et dont les plans, passant tous en ce môme point,
les rendront aussi réductibles généralement à un couple
unique. On voit, d'après cela, avec quelle facilité on pourra
procéder ainsi à la détermination des relations d'équilibre,
puisqu'il suffira de trouver, par les lois connues de la com-
position des forces -convergentes, cette résultante unique,
afin d'exprimer qu'elle est nulle ; et ensuite, par les lois
que Poinsot a établies pour la composition des couples,
obtenir également ce couple résultant^ et l'annuler aussi
séparément; car il est clair que, la force et le couple ne
pouvant se détruire mutuellement, l'équilibre ne saurait
exister qu'en les supposant individuellement nuls.
Il faut, sans doute, reconnaître que cette nouvelle ma-
nière de procéder n'est point indispensable pour appliquer
la méthode dynamique à la détermination des condilioos
générales de l'équilibre. Mais, outre l'extrême simplifica-
tion qu'elle introduit dans une telle recherche, nous de-
vous surtout apprécier, quant aux progrès généraux delà
science, la clarté inattendue qu'elle y apporte, c'est-à-dire
l'aspect éminemment lucide sous lequel elle présente une
partie essentielle de ces conditions d'équilibre, toutes
celles qui sont relatives aux moments des forces proposées,
et qui constituent la plus importante moitié des équations
statiques. Ces moments^ qui n'indiquaient jusqu'alors qu'uni
considération purement abstraite, artificiellement intro-
duite dans la statique pour faciliter l'expression algébrique
des lois de l'équilibre, ont pris désormais une signification
concrète parfaitement distincte, et sont entrés aussi natu-
rellement que les forces elles-mêmes dans les spéculations
statiques, comme étant la mesure directe des couples aux-
quels ces forces donnent immédiatement naissance. On
STATIQUE. 445
conçoit aisément à prtort quelle facilité cette interprétation
générale et élémentaire doit nécessairement procurer pour
la combinaison de toutes les idées relatives à la théorie des
moments, comme on en voit déjà d'ailleurs la preuve effec-
tive dans l'extension et le perfectionnement de cette im-
portante théorie, par les travaux de Poinsot lui-môme.
Quelles que soient, en réalité, les qualités fondamentales
de la conception de Poinsot par rapport à la statique, on
doit néanmoins reconnaître, ce me semble, que c'est sur-
tout au perfectionnement de la dynamique qu'elle se trouve,
par sa nature^ essentiellement destinée; et je crois pouvoir
assurer, à cet égard, que cette conception n'a point encore
exercé jusqu'ici son influence la plus capitale. 11 faut la
regarder, en effet, comme directement propre à perfec-
tionner sous un rapport très-important les éléments mômes
de la dynamique générale, en rendant la notion des mou-
vements de rotation aussi naturelle, aussi familière, et
presque aussi simple que celle des mouvements de transla-
tion. Car le couple peut ôtre envisagé comme Télément
naturel du mouvement de rotation, aussi bien que la force
l'est du mouvement de translation. Ce n'est pas ici le lieu
d'indiquer plus distinctement cette considération, qui sera
convenablement reproduite dans les leçons suivantes. Nous
devons seulement concevoir, en thèse générale, qu'un
usage bien entendu de la théorie des couples établit la pos-
sibilité de rendre l'étude des mouvements de rotation, qui
constitue jusqu'ici la partie la plus compliquée et la plus
obscure de la dynamique, aussi élémentaire et aussi nette
que l'étude des mouvements de translation. Nous aurons
occasion de constater effectivement plus tard à quel degré
de simplicité et de clarté Poinsot est parvenu à réduire
ainsi diverses propositions essentielles, relatives aux mou-
vements de rotation, et qui n'étaient établies avant lui que
A
446 MATHÉMATIQUES.
de la manière la plus pénible et la plus indirecte, principa-
lement en ce qui concerne les propriétés des aires^ dont il a
même sensiblement augmenté l'étendue et régularisé l'ap-
plication sous divers rapports importants, surtout, en der-
nier lieu, quant à la détermination de ce qu'on appelle le
plan invariable.
Pour compléter ces considérations philosophiques sur
l'ensemble de la statique, je crois devoir ajouter ici l'indi-
cation sommaire d'une dernière notion générale, qu'il me
parait utile d'introduire dans la théorie de l'équilibre, de
quelque manière qu'on ait d'ailleurs jugé convenable de
l'établir.
Quand on veut se faire une juste idée de la nature des
diverses équations qui expriment les conditions de l'équili-
bre d'un système quelconque de forces, il est, ce me sem-
ble, insuffisant de se borner à constater que l'ensemble de
ces équations est indispensable pour l'équilibre, et l'éta-
blit inévitablement. Il faut, de plus, pouvoir assigner net-
tement la signification statique distinctement propre à
chacune de ces équations envisagée isolément, c'est-à-dire
déterminer avec précision en quoi chacune contribue sé-
parément à la production de l'équilibre, analyse à laquelle
on ne s'attache point ordinairement, quoiqu'elle soit, sans
doute, importante. Par quelque méthode qu'on procède
à l'établissement des équations statiques, il est clair à
priori que l'équilibre ne peut résulter que de la destruc-
tion de tous les mouvements élémentaires que le corps
pourrait prendre en vertu des forces dont il est animé, si
ces forces n'avaient point entre elles les relations néces-
saires pour se contre-balancer exactement. Ainsi chaque
équation prise à part doit nécessairement anéantir un de
ces mouvements, en sorte que l'ensemble de ces équations
produise l'équilibre, par l'impossibité où se trouve dès
STATIQUE. 447
lors le corps de se mouvoir d'aucune manière. Examinons
maintenant sommairement le principe général d'après
lequel une telle analyse me semble pouvoir s'opérer dans
un cas quelconque.
En considérant le mouvement sous le point de vue le
plus positif, comme le simple transport d'un corps d'un
lieu dans un autre, indépendamment du mode quelconque
suivant lequel il peut être produit, il est évident que tout
mouvement doit être envisagé, dans le cas le plus général,
comme nécessairement composé à la fois de translation et
de rotation. Ce n'est pas, sans doute, qu'il ne puisse réelle-
ment exister de translation sans rotation, ou de rotation
sans translation ; mais on doit regarder l'un et l'autre cas
comme étant d'exception, le cas normal consistant en effet
dans la coexistence de ces deux sortes de mouvements, qui
s'accompagnent constamment à moins de conditions parti-
culières très-précises, et par suite fort rares, relativement
aux circonstances du phénomène. Gela est tellement vrai,
que la seule vérification de l'un de ces mouvements est
habituellement regardée avec raison par les géomètres,
qui connaissent toute la portée de celte observation élé-
mentaire, comme un puissant motif, non d'affirmer, mais
de présumer très-vraisemblablement l'existence de l'autre.
Ainsi, par exemple, la seule connaissance du mouvement
de rotation du soleil sur son axe, parfaitement constaté
depuis Galilée, serait à priori pour un géomètre une
preuve presque certaine d'un mouvement de translation
de cet astre accompagné de toutes ses planètes, quand
même les astronomes n'auraient point commencé déjà
à reconnaître effectivement, par des observations directes,
la réalité de ce transport, dans un sens encore peu déter-
miné. Pareillement, c'est d'après une semblable considé-
ration qu'on admet communément, avec raison, outre le
4 48 MATDÉMATIQUES.
motif d'analogie, rexistence d'un mouvement de rotation
dans les planètes même à l'égard desquelles on n'a point
encore pu le constater directement^ par cela seul qu'elles
ont un mouvement de translation bien connu autour du
soleil.
Il résulte de cette première analyse que les équations
qui expriment les conditions d'équilibre d'un corps solli-
cité par des forces quelconques doivent avoir pour objet,
les unes de détruire tout mouvement de translation, les
autres d'anéantir tout mouvement de rotation. Voyons
maintenant, d'après le même point de vue, aûn de com-
pléter cet aperçu général, quel doit être à priori le nom-
bre des équations de chaque espèce.
Quant k la translation, il suffit de considérer que, pour
empêcher un corps de marcher dans un sens quelconque,
il faut évidemment l'en empêcher selon trois axes princi-
paux situés dans des plans différents, et qu'on suppose
d'ordinaire perpendiculaires entre eux. En effet, quelle
progression serait possible, par exemple, dans un corps
qui ne pourrait avancer ni de l'est à l'ouest ou de l'ouest à
l'est, ni du nord au sud ou du sud au nord, ni enfin du haut
en bas ou du bas en haut? Toute progression dans en
autre sens quelconque, pouvant évidemment se concevoir
comme composée de progressions partielles correspon-
dantes dans ces trois sens principaux, serait dès lors de-
venue nécessairement impossible. D'un autre côté, il est
clair qu'on ne doit pas considérer moins de trois mouve-
ments élémentaires indépendants, car le corps pourrait se
mouvoir dans le sens d'un des axes, sans avoir aucune
translation dans le sens d'aucun des deux autres. On
conçoit ainsi, qu'en général, trois équations de condition
seront nécessaires et suffisantes pour établir, dans un sys-
tème quelconque, l'équilibre de translation; et chacune
STATIQUE. 449
d'elles sera spécialement destinée à détruire un des trois
mouvements de translation élémentaires que le corps
pourrait prendre.
On peut présenter une considération exactement ana-
logue relativement à la rotation : il n'y a de nouvelle diffi-
culté que celle d'apercevoir distinctement une image mé-
canique plus compliquée. La rotation d'un corps dans un
plan ou autour d'un aie quelconque pouvant toujours se
concevoir décomposée en trois rotations élémentaires dans
les trois plans coordonnés ou autour des trois axes, il est
clair que, pour empêcher toute rotation dans un corps, il
faut aussi l'empêcher de tourner séparément par rapporta
chacun de ces trois plans ou de ces trois axes. Trois équa-
tions sont donc, pareillement, nécessaires et suffisantes
pour établir l'équilibre de rotation ; et l'on aperçoit, avec la
môme facilité que dans le cas précédent, la destination
mécanique propre à chacune d'elles.
En appliquant l'analyse précédente à l'ensemble des six
équations générales rapportées au commencement de cette
leçon, pour l'équilibre d'un corps solide animé de forces
quelconques, il est aisé de reconnaître que les trois pre-
mières sont relatives à l'équilibre de translation, et les
trois autres à l'équilibre de rotation. Dans le premier
groupe, la première équation empêche la translation sui-
vant l'axe des x, la seconde suivant l'axe des ^, et la troi-
sième suivant l'axe des z. Dans le second groupe^ la pre-
mière équation empêche le corps de tourner suivant le
pian desâ:,^, la seconde suivant le plan des x, z, et la troi-
sième suivant le plan des^, z. On conçoit nettement par là
comment la coexistence de toutes ces équations établit
nécessairement l'équilibre.
Cette décomposition serait encore utile pour réduire,
dans chaque cas, les équations d'équilibre au nombre stric-
A. Comte. Tome I. % ^
450 MATHÉMATIQUES.
iement nécessaire, quand on vient à particulariser plus ou
moins le système de forces considéré, au lieu de le sup-
poser entièrement quelconque. Sans entrer ici dans aucun
détail spécial à ce sujet, il suffira de dire, conformément
au point de vue précédent, que, la particularisation du
système proposé restreignant plus ou moins les mouve-
ments possibles, soit quant à la translation, soit quanta la
rotation, après avoir d'abord exactement déterminé, dans
chaque cas, ce qui sera toujours facile, en quoi consiste
cette restriction, il faudra supprimer comme superflues
les équations d'équilibre relatives aux translations, ou aux
rotations qui ne peuvent avoir lieu, et conserver seulement
celles qui se rapportent aux mouvements restés poi»sibles.
C'est ainsi que, suivant la limitation plus ou moins grande
du système de forces particulier que Ton considère, il peut,
au lieu de six équations nécessaires en général pour l'é-
quilibre, n'en plus subsister que trois, ou deux, ou même
une seule, qu'il sera par là facile d'obtenir dans chaque cas.
On doit faire des remarques parfaitement analogues quant
aux restrictions de mouvements .qui résulteraient, non de
la constitution spéciale du système des forces, mais des
gênes plus ou moins étroites auxquelles le corps pourrait
être assujetti dans certains cas, et qui produiraient des
etl'ets semblables. Il suffirait également alors de voir net-'
tement quels mouvements sont rendus impossibles par la
nature des conditions imposées, et de supprimer les équa-
tions d'équilibre qui s'y rapportent, en conservant celles
relatives aux mouvements restés libres. C'est ainsi, par
exemple, que, dans le cas d'un système quelconque de
forces, on trouverait que les trois dernières équations suf-
fisent pour réquilibre, si le corps est retenu par un point
fixe autour duquel il peut tourner librement en tout sens,
tout mouvement de translation étant alors devenu impos-
STATIQUE. 45 1
sible; de môme on verrait les équaiions d'équilibre être
au nombre de deux, ou môme se réduire à une seule, s'il
y avait à la fois deux points fixes, suivant que le corps pour-
rait ou non glisser le long de Taxe qui les joint; et enfin
on arriverait à reconnaître que l'équilibre existe nécessai-
rement sans aucune condition, quelles que soient les forces
du système, si le corps solide présente trois points fixes
non en ligne droite. Enfin on pourrait encore employer le
même ordre de considérations lorsque les points, au lieu
d'être rigoureusement fixes, seraient seulement astreints
à demeurer sur des courbes ou des surfaces données.
L'esprit de l'analyse que je viens d'esquisser est, comme
on le voit, entièrement indépendant de la méthode quel-
conque d'après laquelle auront été obtenues les équations
de l'équilibre. Mais les diverses méthodes générales sont
loin cependant de se prêter avec la même facilité à l'appli-
cation de cette règle. Celle qui s'y adapte le mieux, c'est
incontestablement la méthode statique proprement dite^
fondée, comme nous l'avons vu, sur le principe des vitesses
virtuelles. On doit mettre, en efi*et, au nombre des pro-
priétés caractéristiques de ce principe, la netteté parfaite
avec laquelle il analyse nalurellement le phénomène de
réquilibre, en considérant distinctement chacun des mou-
vements élémentaires que permettent les forces du sys-
tème, et fournissant aussitôt une équation d'équilibre spé-
cialement relative à ce mouvement. La méthode dynamique
ne présente point cet avantage important. II faut recon-
naître toutefois que, dans la manière dont Poinsot l'a
conçue, elle se trouve à cet égard considérablement amé-
liorée, puisque la seule distinction des conditions d'équi-
libre relatives aux forces et de celles qui concernent les
couples, distinction qui s'établit alors nécessairement,
réalise par elle-même la détermination séparée entre l'é-
4 5t MATHÉMATIQUES.
quilibre de translation et Téquilibre de rotation. Mais la
méthode dynamique ordinaire, exclusivement usitée en
statique avant la réforme de Poinsot, et que j'ai caracté-
risée dans son ensemble au commencement de cette leçon,
ne remplit nullement cette condition essentielle, sans
laquelle néanmoins il me paraît impossible de concevoir
nettement Texpression analytique des lois générales de
l'équilibre.
Après avoir considéré les diverses manières principales
de parvenir aux lois exactes de l'équilibre abstrait pour un
système quelconque des forces, en supposant les corps
dans cet état complètement passif que nous avions d'abord
reconnu, quoique purement hypothétique, être strictement
indispensable à l'établissement des principes fondamentaux
de la mécanique rationnelle; nous devons maintenant
examiner comment les géomètres ont pu tenir compte des
propriétés générales naturelles aux corps réels, et aux-
quelles il faut nécessairement avoir égard dans toute ap-
plication effective de la mécanique abstraite. La seule que
l'on sache jusqu'ici prendre en considération d'une ma-
nière vraiment complète, c'est la pesanteur terrestre.
Voyons comment on a pu l'introduire, en effet, dans les
équations statiques. Cet important examen constitue, sans
doute, dans l'ordre strictement logique de nos études
philosophiques, une anticipation vicieuse sur la partie de
ce cours relative à la physique proprement dite, où nous
envisagerons spécialement la science de la pesanteur.
Mais la théorie des centres de gravité, à laquelle se réduit
essentiellement cette étude statique de la pesanteur ter-
restre, joue un rôle trop étendu et trop important dans
toutes les parties de la mécanique rationnelle, pour que
nous puissions nous dispenser de l'indiquer ici, à l'exem-
ple de tous les géomètres, quoique ce ne soit pas stricte-
STATIQUE. 45 1
ment régulier. Du reste, je dois faire observer à ce sujet
qu'on éviterait presque entièrement tout ce qu'il y a vrai-
ment d'irrationnel dans cette disposition scientifique, sans
se priver néanmoins des avantages capitaux que présente
la résolution préalable d'une telle question, si l'on contrac-
tait l'habitude de classer la théorie des centres de gravité
parmi les recherches de pure géométrie, comme je Tai
proposé à la fin de la treizième leçon.
Pour tenir compte de la pesanteur terrestre, dan« les
questions statiques, il suffit^ comme on sait, de se repré-
senter, sous ce rapport, chaque corps homogène comme
un système de forces parallèles et égales, appliquées à
toutes les molécules du corps, et dont il faut déterminer
complètement la résultante, qu'on introduira dès lors sans
aucune difficulté parmi les forces extérieures primitives. £b
réalité, ce parallélisme et cette égalité des pesanteurs mo-
léculaires ne sont effectivement que des approximations,
puisque, de fait, toutes ces forces concourraient au centre
de la terre si cette planète était rigoureusement sphérique,
et que leur intensité absolue, indépendamment des iné-
galités qui tiennent à la force centrifuge produite par le
mouvement de rotation de la terre, varie en raison inverse
des carrés des distances des molécules correspondantes au
centre de notre globe. Mais, quand il ne s'agit que des
masses terrestres à notre disposition, auxquelles sont or-
dinairement destinées ces applications de la statique, les
dimensions n'en sont jamais assez grandes pour que le
défaut de parallélisme et d'égalité entre les pesanteurs des
diverses molécules de chaque masse doive être réellement
pris en considération. On suppose donc alors, avec raison,
toutes ces forces rigoureusement parallèles et égales, ce
qui simplifie extrêmement la question de leur composi-
tion. £n effet, leur résultante est, dès ce moment, égale à
454 MATHÉMATIQUES.
leur somme, et agit suivant une droite parallèle à leur di-
rection commune, en sorte que son intensité et sa direction
sont immédiatement connues. Toute la difQculté se réduit
donc à trouver son point d'application, c'est-à-dire ce
qu'on appelle le centre de gravité du corps. D'après les
propriétés générales du point d'application de la résultante
dans un système quelconque de forces parallèles, la dis-
tance de ce point à un plan quelconque est égale à la
sonune des moments de toutes les forces du système par
rapport à ce môme plan, divisée par la somme de ces forces
elles-mêmes. En appliquant cette formule au centre de
gravité, et ayant égard à la simplification que produit alors
l'égalité de toutes les forces proposées, on trouve que la
distance du centre de gravité à un plan quelconque est
égale à la somme des distances de tous les points du corps
considéré, divisée par le nombre de ces points, c'est-à-dire
que celte distance est ce qu'on appelle proprement la
moyenne arithmétique entre les distances de tous les points
proposés. Cette considération fondamentale réduit évi-
demment la notion du centre de gravité à être purement
géométrique, puisqu'en le cherchant ainsi comme centre
des moyennes distances^ suivant la dénomination très-ration-
nelle des anciens géomètres, la question ne conserve plus
aucune trace de son origine mécanique, et consiste seule-
ment dans ce problème de géométrie générale: Étant
donné un système quelconque de points disposés entre eux
d'une manière déterminée, trouver un point dont la dis-
tance à un plan quelconque soit moyenne entre les distances
de tous les points donnés à ce même plan. Il y aurait,
comme je l'ai déjà indiqué, des avantages importants à
concevoir habituellement ainsi la notion générale du cen-
tre de gravité, en faisant complètement abstraction de
toute considération de pesanteur, car cette idée simple et
STATIQUE. 465
purement géométrique est précisément celle qu'on doit
s'en former dans la plupart des théories principales de la
mécanique rationnelle, surtout quand on envisage les gran-
des propriétés dynamiques du centre des moyennes dis-
tances, où ridée hétérogène et surabondante de la gravité
introduit ordinairement une complication et une obscurité
vicieuses. Cette manière de concevoir la question conduit
naturellement, il est vrai, à Tezclure de la mécanique pour
la faire rentrer dans la géométrie, comme je Tai proposé.
Si je ne Tai pas ainsi classée effectivement, c'est unique-
ment aQn de ne m'écarler que le moins possible des habi-
tudes universellement reçues, quoique je fusse très-con-
vaincu qu'une telle transposition serait la seule disposition
vraiment rationnelle. Quoi qu'il en soit de cette discussion
d'ordre, ce qui importe essentiellement, c'est de ne point
se méprendre sur la véritable nature de la question, è
quelque époque et sous quelque dénomination qu'on juge
convenable de la traiter.
La seule définition géométrique du centre de gravité
donnerait immédiatement le moyen de le déterminer, si le
système des points que l'on considère n'était composé que
d'un nombre fini de points isolés, car il en résulterait di-
rectement alors des formules très-simples et qui n'au-
raient nullement besoin d'être transformées pour exprimer
les coordonnées du point cherché, relativement à trois
axes rectangulaires fixés arbitrairement. Mais ces formules
fondamentales ne peuvent plus être employées sans trans-
formation, aussitôt qu'il s'agit d'un système composé d'une
infinité de points formant un véritable corps continu, cid
qui est le cas ordinaire. Carie numérateur et le dénomina-
teur de chaque formule devenant dès lors simultanément
infinis, ces formules n'offrent plus aucune signification
distincte, et ne sauraient être appliquées qu'après avoir été
456 MATHÉMATIQUES.
convenablement transformées. C'est dans cette transfor-
mation générale que consiste, sous le rapport analytique,
toute la difficulté fondamentale de la question du centre de
gravité envisagée sous le point de vue le plus étendu. Or il
est clair que le calcul intégral donne immédiatement les
moyens de la surmonter, puisque ces deux sommes infinies
qui constituent les deux termes de chaque formule sont
évidemment par elles-mêmes de véritables intégrales, dont
celle qui exprime le dénominateur commun des trois for-
mules se rapporte aux éléments géométriques infiniment
petits de la masse considérée, et celle qui représente le
numérateur propre à chaque formule se rapporte aux pro-
duits de ces éléments par leurs coordonnées correspon-
dantes. Il suit de là, pour ne considérer ici que le cas le
plus général, qu'en décomposant le corps seulement en
éléments infiniment petits dans deux sens par deux séries
de plans infiniment rapprochés parallèles les uns au plan
des x^ z, les autres au plan des ^, z, on trouvera aussitôt
les formules fondamentales,
j 1 xzdxdy 1 1 yzdxdy l l 5* Jx dy
j I z dx dy I I z dx dy j j z dy di
qui feront connaître les trois coordonnées du centre de gr»-
vite du volume d'un corps homogène de forme quelconque,
limité par une surface dont Téquation en x, y, et z, est
supposée donnée. On obtiendra de la môme manière pour
le centre de gravité de la surface seule de ce corps,xles for-
mules
STATIQUE. 457
dy*
La détermination des centres de gravité sera donc réduite
ainsi, dans chaque cas particulier, à des recherches pure-
ment analytiques, tout à fait analogues à celles qu'exigent,
cooQme nous Tavons vu, les quadratures et les cubatures.
Seulement, ces intégrations étant, en général, plus com-
pliquées, rétat d'extrême imperfection dans lequel se
trouve jusqu'ici le calcul intégral permettra bien plus ra-
rement encore de parvenir à une solution définitive. Mais
ces formules générales n'en ont pas moins, par elles-mêmes,
une importance capitale, pour introduire la considération
du centre de gravité dans les théories générales de la mé-
canique analytique, ainsi que nous aurons spécialement
occasion de le reconnaître bientôt. Il faut d'ailleurs consi-
dérer, quant à la question même, que ces formules éprou-
Tcnt de très-grandes simplifications, quand ou vient à sup-
poser que la surface qui termine le corps proposé est une
surface de révolution, ce qui heureusement a lieu dans la
plupart des applications vraiment importantes.
Telle est donc essentiellement la manière de tenir
compte de la pesanteur terrestre dans les applications de la
statique abstraite. Quant à la pesanteur universelle, on peut
dire que jusqu'ici elle n'a été prise en considération d'une
manière vraiment complète, que relativement aux corps
sphériques. Ce n'est pas que, lorsque la loi de la gravitation
est supposée connue, et surtout en la concevant inversement
458 MATHÉMATIQUES.
proportionnelle au carré de la distance, comme dans la
véritable pesanteur universelle, on ne puisse aisément con-
struire, à l'aide d'intégrales convenables, des formules qui
expriment l'attraction d'un corps de figure et de consti-
tution quelconques sur un point donné, et même sur un
autre corps. Mais ces expressions symboliques générales
sont demeurées jusqu'ici le plus souvent inapplicables,
faute de pouvoir effectuer les intégrations qu'elles indi-
quent, môme quand on suppose, pour simplifier la ques-
tion, que chaque corps est homogène. Ce n'est encore que
par une approximation fort imparfaite qu'on a pu parvenir
à la détermination définitive dans le cas très-simple de
l'attraction de deux ellipsoïdes, et les approximations n'ont
pu être conduites jusqu'au degré de précision convenable,
qu'en supposant ces ellipsoïdes très-peu différents de la
sphère, ce qui a lieu heureusement pour toutes nos planètes.
Il faut d'ailleurs considérer que, dans la réalité, ces formules
supposent la connaissance préalable de la loi de la densité
à Tintérieur de chaque corps proposé, ce que nous igno-
rons jusqu'ici complètement.
Dans l'état présent de cette importante et difficile théo-
rie, on peut dire que les théorèmes primitifs de Nev^ton
sur l'attraction des corps sphériques constituent effective-
ment encore la partie la plus utile de cet ordre de notions.
Ces propriétés si remarquables, et que Newton a si simple-
ment établies, consistent, comme on sait, en ce que
i° l'attraction d'une sphère dont toutes les molécules atti-
rent en raison inverse du carré de la distance, est la même,
sur un point extérieur quelconque, que si la masse entière
de cette sphère était toute condensés k son centre;
2o quand un point est placé dans Tintérieur d'une sphère
dont les molécules agissent sur lui suivant cette même loi,
il n'éprouve absolument aucune attraction de la part de
STATIQUE. 459
toute la portion du globe qui se trouve à une plus grande
distance que lui 'du centre, du moins, en supposant, si le
globe n'est pas homogène, que chacune de ses couches
sphériques concentriques présente en tous ses points la
même densité.
La pesanteur est la seule force naturelle dont nous sa-
chions réellement tenir compte en statique ralionnello :
encore voit-on combien cette étude est peu avancée par
rapport à la gravité universelle. Quant aux circonstances
extérieures générales, dont on a dû également faire d'a-
bord complètement absti^ction pour établir les lois ra-
tionnelles de la mécanique, comme le frottement, la
résistance des milieux, etc., on peut dire que nous ne
connaissons encore nullement la manière de les introduire
dans les relations fondamentales données par la méca-
nique analytique, car on n'y est parvenu jusqu'ici qu'à
l'aide d'hypothèses fort précaires, et môme évidemment
inexactes, qui ne peuvent être réellement considérées,
dans le plus grand nombre des cas, que comme propres à
fournir des exercices de calcul. Du reste, nous devrons
naturellement revenir sur ce sujet dans la partie de ce cours
relative à la physique proprement dite.
Pour compléter l'examen philosophique de l'ensemble
de la statique, il nous reste enfin à considérer sommaire-
ment la manière générale d'établir la théorie de l'équi-
libre, lorsque le corps auquel les forces sont appliquées
est supposé se trouver à l'état fluide, soit liquide, soit
gazeux.
L'hydrostatique peut être complètement traitée d'après
deux méthodes générales parfaitement distinctes, suivant
qu'on cherche directement les lois de l'équilibre des
fluides d'après des considérations statiques exclusivement
-propres à cette classe de corps, ou qu'on se borne à les
460 MATHÉlCATrOUES.
déduire simplement des principes fondamentaux qui ont
déjà fourni les équations statiques des corps solides, en
ayant seulement égard, comme il convient, aux nouTclIes
conditions caractéristiques qui résultent de la fluidité.
La première méthode a dû naturellement commencer
par ôtre la seule employée, comme étant primitiTement la
plus facile, sinon la plus rationnelle. Tel a été effeclÎTe-
ment le caractère des travaux des géomètres du dix-
septième et du dix-huitième siècle sur celte importante
section de la mécanique générale. Divers principes stati-
ques particuliers aux fluides, et plus ou moins satisfai-
sants, ont été successivement proposés, principalement à
l'occasion de la célèbre question dans laquelle les géomè-
tres se proposaient de* déterminer à priori la véritable
figure de la terre, supposée originairement toute fluide,
question capitale, qui, envisagée dans son ensemble, se
rattache en efi^et, directement ou indirectement, à toutes
les théories essentielles de Thydrostatique. On sait que
Huyghens avait d'abord essayé de la résoudre, en prenant
pour principe d'équilibre la perpendicularité évidemment
nécessaire de la pesanteur à la surface libre du fluide.
Newton de son côté avait, à la môme époque, choisi pour
considération fondamentale la nécessité non moins évi-
dente de Tégalite de poids entre les deux colonnes fluides
allant du centre, l'une au pôle, l'autre à un point quel-
conque de l'équateur. Bouguer, en discutant plus tard
cette importante question, montra clairement que ces deux
manières de procéder étaient également vicieuses, en ce
que le principe d 'Huyghens et celui de Newton, bien que
tous deux incontestables, ne s'accordaient point, dans un
grand nombre de cas, à donner la môme forme à la masse
fluide en équilibre, ce qui mettait pleinement en évidence
leur insuffisance commune. Mais Bouguer se trompa gra-
STATIQUE. 461
vemeivt à son tour, en croyant que la réunion de ces deux
principes, lorsqu'ils s'accordaient à indiquer une môme
figure, était entièrement suffisante pour l'équilibre. Clai«
raul, dans son immortel traité de la Figure de la terre, dé-
couvrit, le premier^ les véritables lois générales de l'équi-
libre d'une masse fluide, en parlant de la considération
éTidente de l'équilibre isolé d'un canal quelconque infini-
ment petit ; et, d'après ce critérium infaillible, il montra
qu'il pouvait exister une infinité de cas dans lesquels la
combinaison exigée par Bouguer se trouvait observée sans
que cependant l'équilibre eût lieu. Depuis que l'ouvrage
de Clairaut eut fondé dans son ensemble l'hydrostatique
rationnelle, plusieurs grands géomètres, continuant à
adopter la môme manière générale de procéder, s'occu-
pèrent d'établir la théorie mathématique de l'équilibre des
fluides sur des considérations plus naturelles et plus dis-
tinctes que celle employée par son illustre inventeur. On
doit principalement distinguer, à cet égard, les travaux de
Maclaurin et surtout ceux d'Ëuler, qui ont donné à cette
théorie fondamentale la forme simple et régulière qu'elle
a maintenant dans tous les traités ordinaires, en la fon*
dant sur le principe de l'égalité de pression en tout sens,
qu'on peut regarder comme une loi générale indiquée par
l'observation relativement à la constitution statique des
fluides. Ce principe est incontestablement, en effet, le plus
convenable qu'on puisse employer dans une telle recher-
che, lorsqu'on veut traiter directement par quelque consi-
dération propre aux fluides la théorie de leur équilibre^
dont il fournit immédiatement les équations^ générales
avec une extrême facilité. Il suffit alors, pour les obtenir
le plus simplement possible, après avoir conçu la masse
fluide partagée en molécules cubiques par trois séries de
plans infiniment rapprochés, parallèles aux trois plans
46 1 MATHÉMATIQUES.
coordonnés, d'exprimer que chaque molécule est égale-
ment pressée suivant les trois axes perpendiculaires à ses
faces par l'ensemble des forces du système, la pression de
la molécule en chaque sens étant égale à la difTérence des
pressions exercées sur les deux faces opposées correspond
dantes. On trouve ainsi que la loi mathématique de l'équi-
libre d'un fluide quelconque, par quelques forces qu'il soit
sollicité, est exprimée par les deux équations :
oii p exprime la pression supportée par la molécule dont
les coordonnées sont x, y, z, et la densité ou pesanteur
spécifique/), et X, Y, Z, désignent les composantes totales
des forces dont le fluide est animé suivant les trois axes
coordpnnés. Comme on peut évidemment déduire, de l'en-
semble de ces trois équations, la formule
P= Çp{Xdx -f- Ydy +Zdz)
pour la détermination de la pression «n chaque point, quand
les forces seront connues ainsi que la loi de la densité, il
est possible de donner une autre forme analytique à la loi
générale de l'équilibre des fluides, en se bornant à dire
que la fonction difi'érentielle, placée ici sous le signe S,
doit satisfaire aux conditions connues d'intégrabilité rela-
tivement aux trois variables indépendantes x, y, 2, ce qui
est précisément l'expression très-simple trouvée primitive-
ment par Glairaut quant à la théorie mathématique de
l'hydrostatique.
L'étude de l'équilibre des fluides donne constamment
lieu à une nouvelle question générale fort importante qui
leur est propre, celle qui consiste à déterminer, dans le
STATIQUE. 463
cas d'équilibre, la figure de la surface qui limite la masse
fluide. La solution abstraite de cette question est implici-
tement comprise dans la formule fondamentale précé-
dente, puisqu'il suffit évidemment de supposer que la
pression est'uulle ou du moins constante, pour caractériser
les points de la surface, ce qui donne indistinctement
Xdx-^ Ydy + Zdz = 0
quant à l'équation différentielle générale de cette surface.
Toute la difficulté concrète se réduit donc essentiellement,
en chaque cas, à connaître la loi réelle relative à la va-
riation de la densité dans Tintérieur de la masse fluide
proposée, à moins qu'elle ne soit homogène, détermination
qui présente des obstacles tout à fait insurmontables dans
les applications les plus importantes. Si l'on en fiiit
abstraction, la question ne présente dès lors qu'une re-
cherche analytique plus ou moins compliquée, consistant
dans l'intégration, le plus souvent encore inconnue, de
l'équation précédente. On doit remarquer d'ailleurs que
cette équation est, par sa nature, assez générale pour
qu'on puisse l'appliquer môme à l'équilibre d'une masse
fluide qui serait animée d'un mouvement de rotation dé-
terminé, comme l'exige surtout la grande question de la
figure des planètes. 11 suffit alors en effet de comprendre,
parmi les forces du système proposé, les forces centrifuges
qui résultent de ce mouvement de rotation.
Telle est, par aperçu, la manière générale d'établir la
théorie mathématique de l'équilibre des fluides, en la fon-
dant directement sur des principes statiques particuliers à
ce genre de corps. On conçoit, comme je l'ai déjà indiqué,
que cette méthode ait dû d'abord être seule employée ; car,
à l'époque des premières recherches, les différences carac-
téristiques entre les solides et les fluides devaient nécessai-
4 6 i MATHÉMATIQUES.
rement paraître trop considérables pour qu'aucun géomètre
pût alors se proposer d'appliquer à ceux-ci les principes
généraux uniquement destinés aux autres, en ayant seule-
ment égard, dans celte déduction, à quelques nouTclles
conditions spéciales. Mais, quand les lois fondamentales
de rbydrostatique ont enfin été obtenues, et que Tesprit
humain, cessant d'être préoccupé de la difficulté de leur
établissement, a pu mesurer avec justesse la diversité réelle
qui existe entre la théorie des fluides et celle des solides,
il était impossible qu'il ne cherchât point à les ramener tou-
tes deux aux mômes principes essentiels, et qu'il ne recon-
nût pas, en thèse générale, l'applicabilité nécessaire des
règles fondamentales de la statique à l'équilibre des fluides,
pourvu qu'on tînfcompte convenablement de la variabilité
de forme qui les caractérise. En un mot, la science ne pou-
vait rester sous ce rapport dans son état primitif, où l'on
accordait une importance évidemment exagérée aux con-
ditions propres aux fluides. Mais, pour subordonner l'hy-
- drostatique à la statique proprement dite, et augmenter
ainsi par une plus grande unité la perfection rationnelle de
la science, il était indispensable que la théorie abstraite de
l'équilibre fût préalablement traitée d'après un principe
statique suffisamment général, qui seul pouvait être direc-
tement appliqué aux fluides aussi bien qu'aux solides, car
on ne pouvait point recourir, à cet effet, aux équations d'é-
quilibre proprement dites, dans la formation desquelles on
avait toujours eu, nécessairement, plus ou moins égard à
l'invariabilité du système. Cette condition inévitable a été
remplie, lorsque Lagrange a conçu la manière de fonder la
statique, et par suite toute la mécanique rationnelle, sur le
seul principe des vitesses virtuelles. Ce principe est évi-
demment, en effet, par sa nature, tout aussi directement
applicable aux fluides qu'aux solides, et c'est là une de ses
STATIQUE. 4G5
propriétés les plus précieuses. Dès lors Thydrostatique,
philosophiquement classée à son rang naturel, n'a plus été,
dans le traité de Lagrange, qu'une divisioQ secondaire de
la statique. Quoique cette manière de la concevoir n'ait pas
encore pu devenir suffisamment familière, et que la mé-
thode hydrostatique directe soit restée jusqu'ici la seule
usuelle, il n'est pas douteux que la méthode de Lagrange
unira par être habituellement et exclusivement adoptée,
comme étant celle qui imprime à la science son véritable
caractère définitif, en la faisant dériver tout entière d'un
principe unique.
Pour se représenter nettement, en général, comment le
principe des vitesses virtuelles peut conduire aux équations
fondamentales de l'équilibre des fluides, il suffit de consi-
dérer que tout ce qu'une telle application exige de parti-
culier consiste seulement à comprendre parmi les forces
quelconques du système une force nouvelle, la pression
exercée sur chaque molécule, qui introduira un terme de
plus dans l'équation générale, ou, plus exactement, qui
donnera lieu à trois nouveaux moments virtuels, si l'on
distingue, comme il convient, les variations séparément
relatives à chacun des trois axes coordonnés. £n procédant
ainsi, on parviendra immédiatement aux trois équations
générales de l'équilibre des fluides^ qui ont été rapportées
ci-dessus d'après la méthode hydrostatique proprement
dite. Si le fluide considéré est liquide, il faudra concevoir
le système assujetti à cette condition caractéristique de pou-
voir changer de forme, sans cependant jamais changer de
volume. Cette condition d'incompressibilité s'introduira
d'autant plus naturellement dans l'équation générale des
vitesses virtuelles, qu'elle peut s'exprimer immédiatement,
comme l'a fait Lagrange, par une formule analytique ana-
logue à celle des termes de cette équation» en exprimant
A. CoHTB. Tome !• 30
^66 MATnÉMATIQUES.
que la variation du volume esl nulle, ce qui même a permis
à Lagrange de se représenter abstraitement cette incom-
pressibilité comme l'effet d'une certaine force nouvelle,
dont il suffit d'ajouter le moment virtuel à ceux des forces
du système. Si l'on veut établir, au contraire, la théorie de
l'équilibre pour les fluides gazeux, il faudra remplacer la
condition de l'incompressibilité par celle qui assujettit le
volume du fluide à varier suivant une fonction déterminée
de la pression, par exemple en raison inverse de cette pres-
sion, conformément à la loi physique sur laquelle Mariotte
a fondé toute la mécanique des gaz. Cette nouvelle circon-
stance donnera Heu à une équation analogue à celle des li-
quides, quoique plus compliquée. Seulement cette dernière
section de la théorie générale de Téquilibre, outre les
grandes difficultés analytiques qui lui sont propres, se res-
sentira nécessairement, dans les applications, de l'incerti-
tude 011 Ton est encore sur la véritable loi des gaz relative-
ment à la fonction de la pression qui exprime réellement l;i
densité, car la loi de Mariotte, si précieuse par son extrême
simplicité, ne peut malheureusement être regardée que
comme une approximation, qui, suffisamment exacte pour
des circonstances moyennes, ne saurait être étendue rigou-
reusement à un cas quelconque.
Tel est le caractère fondamental de la méthode incontes-
tablement la plus rationnelle qu'on puisse employer pour
former la théorie abstraite de l'équilibre des fluides, et que
nous devons regarder, surtout dans cet ouvrage, comme
constituant désormais la conception définitive de l'hydro-
statique. Celle conception paraîtra d'autant plus philosophi-
que que, dans la statique ainsi traitée, on trouve une suite de
cas en quelque sorte intermédiaires entre les solides et les
fluides, lorsqu'on considère les questions relatives aux
corps solides susceptibles de changer de forme jusqu'à ud
STATIQUE. 467
certain degré d'après des lois déterminées, c'est-à-dire
quand on tient compte delà flexibilité et de l'élaslicilé, ce
qui établit, sous le rapport analytique, une filiation natu-
relle qui fait passer, par une succession de recherches pres-
que insensible, des systèmes dont la forme est rigoureuse-
ment invariable à ceux où elle est, au contraire, éminemment
variable.
Après avoir examiné sommairement comment la sta-
tique rationnelle, envisagée dans son ensemble, a pu ôlre
élevée enfin à ce haut degré de perfection spéculative où
toutes les questions qu'elle est susceptible de présenter,
constamment traitées d'après un principe unique directe-
ment établi^ sont uniformément réduites à de simples pro-
blèmes d'analyse mathématique, nous devons maintenant
entreprendre la môme étude relativemennt à la dernière
branche de la mécanique générale, nécessairement plus
étendue, plus compliquée, et par suite plus difficile, celle
qui a pour objet la théorie du mouvement. Ce sera le sujet
de la leçon suivante.
DIX-SEPTIÈME LEÇON
Sommaire. — Vue générale de la dynamique
L'objet essentiel de la dynamique consiste, comme nous
l'avons vu, dans l'étude des mouvements variés produits
par les forces continues^ la théorie des mouvements uni-
formes dus aux forces instantanées n'étant entièremeat qu'une
simple conséquence immédiate des trois lois fondamentales
du mouvement. Dans cette dynamique des mouveoients
variés ou des forces continues on distingue ordinairement
et avec raison deux cas généraux, suivant qu'on considère
le mouvement d'un point ou celui d'un corps. Sous le point
de vue le plus positif, cette distinction revient à concevoir
que, dans certains cas, toutes les parties du corps prennent
exactement le môme mouvement, en sorte qu'il suf6t alors
en effet de déterminer le mouvement d'une seule molécule,
chacune se mouvant comme si elle était isolée, sans aucun
égard aux conditions de liaison du système; tandis que,
dans le cas le plus général, chaque portion du corps ou
chaque corps du système prenant un mouvement distinct,
il faut examiner ces divers effets et connaître l'influence
qu'exercent sur eux les relations qui caractérisent le sys-
tème considéré. La seconde théorie étant évidemment plus
compliquée que la première, c'est par celle-ci qu'il con-
vient nécessairement de commencer l'étude spéciale de la
dynamique, môme quand on les déduit toutes deux de prin-
cipes uniformes. Tel est aussi l'ordre que nous adopterons
DYNAMIQUE. 469
ici dans Tindicaiion de nos considérations philosophiques.
Relativement aa mooyement d'un point, nous savons déjà
que la question générale consiste k déterminer exactement
toutes les circonstances du mouvement curviligne composé,
résultant de l'action simultanée de diverses forces conti-
nues quelconques, en supposant entièrement connu le mou-
vement rectiligne que prendrait le mobile sous Tinfluence
exclusive de chaque force envisagée isolément. Nous avons
également constaté que ce problème était susceptible,
comme tout autre, d'être considéré en sens inverse, lors-
qu'on se proposait, au contraire, de découvrir par quelles
forces le corps est sollicité, d'après les circonstances carac-
téristiques directement connues du mouvement composé.
Mais, avant d'entrer dans l'examen philosophique de ces
deux questions générales, nous devons d'abord arrêter notre
attention sur une théorie préliminaire fort importante,
celle du mouvement varié envisagé en lui-même, c'est-
à-dire conformément à l'expression ordinaire, la théorie du
mouvement rectiligne produit par une seule force conti-
nue, agissant indéfiniment selon la même direction. Cette
théorie élémentaire est indispensable pour établir les no-
tions fondamentales qui se reproduisent sans cesse dans
toutes les parties de la dynamique. Voici en quoi elle con-
siste essentiellement, d'après notre manière de concevoir
la mécanique rationnelle.
Nous avons précédemment remarqué que, dans la ques-
tion dynamique directe, il fallait nécessairement supposer
connu l'effet de chaque force unique, la véritable inconnue
du problème général étant l'effet déterminé par le concours
de toutes les forces. Cette observation est incontestable.
Mais, d'après cela, quel peut être l'objet de cette partie
préliminaire de la dynamique qu'on destine à l'étude du
mouvement résultant de Taclion d'une seule force conti-
A
4*7 0 MATHÉMATIQUES.
nue? La contradiction apparente ne tient qu'aux expres-
sions peu exactes qu'on emploie ordinairement, et d'après
lesquelles une telle question semblerait aussi distincte et
aussi directe que les véritables questions dynamiques, tan-
dis qu'elle n'est réellement qu'un préliminaire. Pour en
concevoir nettement le vrai caractère, il faut observer que
le mouvement varié produit par une seule force continue
peut être défini de plusieurs manières, qui dépendent les
unes des autres, et qui, par conséquent, ne sauraient ja-
mais être données simultanément, quoique chacune puisse
être séparément la plus convenable^ d'où résulte la né-
cessité de savoir passer, en général, de Tune quelconque
d'entre elles à toutes les autres : c'est dans ces transfor-
mations que consiste proprement la théorie générale pré-
liminaire du mouvement varié, désignée fort inexactement
sous le nom d'étude de l'action d'une force unique. Ces
diverses définitions équivalentes d'un même mouvement
varié résultent de la considération simultanée des trois
fonctions fondamentales distinctes, quoique corrélatives,
qu'on y peut envisager, l'espace, la vitesse et la force, con-
çus comme dépendant du temps écoulé. La loi du mouve-
ment peut être immédiatement donnée par la relation entre
l'espace parcouru et le temps écoulé, et alors il importe
d'en déduire la vitesse acquise par le mobile à chaque in-
stant, c'est-à-dire celle du mouvement uniforme qui aurait
lieu si, la force continue cessant tout à coup d'agir, le corps
ne se mouvait plus qu'en vertu de l'impulsion naturelle
résultant, d'après la loi d'inertie, du mouvement déjà effec-
tué : il est également intéressantde déterminer aussi quelle
est, à chaque instant, l'intensité de la force continue, com-
parée à celle d'une force accélératrice constante, bien con-
nue, telle, par exemple, que la gravité terrestre, la seule
force de ce genre qui nous soit assez familière pour servir
DYNAMIQUE. 471
habiluellement de type convenable. Dans d'autres occa-
sions, au contraire, le mouveraent pourra être naturelle-
ment défini par la loi qui règle la variation de la vitesse
en raison du temps, et d'où il faudra conclure celle relative
à l'espace, ainsi que celle qui concerne la force. Il en serait
de môme si la définition primitive du mouvement consis-
tait dans la loi de la force continue, qui pourrait n't^tre pas
toujours immédiatement donnée en fonction du temps,
mais quelquefois par rapport à l'espace, comme par exem-
ple lorsqu'il s'agit de la gravitation universelle, ou d'autres
fois relativement à la vitesse, ainsi qu'on le voit pour la
résistance des milieux. Enfin, si l'on considère cet ordre
de questions sous le point de vue le plus étendu, il faut
concevoir, en générai, que la définition d'un mouvement
varié peut être donnée par une équation quelconque, pou-
vant contenir à la fois ces quatre variables dont une seule
est indépendante, le temps, l'espace, la vitesse cl la force;
le problème consistera à déduire de cette équation la dé-
termination distincte des trois lois caractérisliques relati-
ves à l'espace, à la vitesse et à la force, en fonction du
temps, et, par suite, en corrélation mutuelle. Ce problème
général se réduit constamment à une recherche purement
analytique, à l'aide des deux formules dynamiques fonda-
mentales qui expriment, en fonction du temps, la vitesse
et la force, quand on suppose connue la loi relative à l'es-
pace.
La méthode infinitésimale conduit à ces deux formules
avec la plus grande facilité. 11 suffit en effet, pour les ob-
tenir, de considérer, suivant l'esprit de cette méthode, le
mouvement comme uniforme pendant la durée d'un niéme
intervalle de temps infiniment petit, et comme uniformé-
ment accéléré pendant deux intervalles consécutifs. Dès
lors, la vitesse, supposée momentanément constante, d'à-
472 MATHÉMATIQUES.
près la première considération, sera naturellement expri-
mée par la différentielle de l'espace divisée par celle du
temps ; et, de môme, la force continue, d'après la seconde
considération, sera évidemment mesurée par le rapport
entre Taccroissement infiniment petit de la vitesse^ et le
temps employé à produire cet accroissement. Ainsi, en
appelant t le temps écoulé, e l'espace parcouru, v la vi-
tesse acquise et ç l'intensité delà force continue à chaque
instant, la corrélation générale et nécessaire de ces quatre
variables simultanées sera exprimée analytiquement par les
deux formules fondamentales,
de dv fih
^^di '^'^Tt'^d?''
D'après ces formules, toutes les questions relatives à cette
théorie préliminaire du mouvement varié se réduiront im-
médiatement à de simples recherches analytiques, qui
consisteront ou dans des dilTérentiations, ou, le plus sou-
vent, dans des intégrations. En considérant le cas le plus
général, où la définition primitive du mouvement proposé
serait donnée seulement par une équation entre les quatre
variables, le problème analytique consistera dans l'intégra-
tion d'une équation différentielle du second ordre, rela-
tive à la fonction e, et qui pourra être fréquemment
inexécutable, vu Textrôme imperfection actuelle du calcul
intégral;
La conception fondamentale de Lagrange, relativement
à l'analyse transcendante, l'ayant nécessairement obligé à
se priver des facilités qu'offre l'eniploi de la méthode infi-
nitésimale pour l'établissement des deux formules dynami-
ques précédentes^ il a été conduit à présenter celte
théorie sous un nouveau point de vue, dont on n'a pas com-
munément, ce me semble, assez apprécié l'importance, et
DnfAMTQUE. 47 a
qui me parait singulièrement propre à éclaîrcir la véritable
nature de ces notions élémentaires. Lagrange a montré
dans sa théorie des fonctionê analytiques que celte considéra-
tion dynamique consistait réellement à concevoir un mou-
vement varié quelconque comme composé à chaque instant
d'un certain mouvement uniforme et d'un autre mouvement
uniformément varié, en Tassimilant au mouvement vertical
d'un corps pesant lancé avec une impulsion initiale. Mais»
pour donnera cette lumineuse conception toute sa valeur
philosophique, je crois devoir la présenter sous un point de
vue plus étendu que ne l'a fait Lagrange, comme donnant
lieu à une théorie complète de Tassimilation des mouve-
ments, exactement semblable à la théorie générale des con-
tacts des courbes et des surfaces, exposée dans les treizième
et quatorzième leçons.
A cet effet, supposons deux mouvements rectilignes
quelconques, déûnis par les équations e= /(O, E = F{i)\
que les deux mobiles soient parvenus au bout du lemps tk
une môme situation ; et considérons leur distance mutuelle
après un certain temps ^-f-^. Cette distance, qui sera égale
à la différence des valeurs correspondantes des deux fonc-
tions f elF aura évidemment pour expression, d'après la
formule de Tajlor, la série
(ir (0 - F'{oy +(/" w - F" (o)i5: +
(/-(0-/^'^(0)^+etc.
A Taide de cette série, on pourra, par des considérations
entièrement analogues à celles employées dans la théorie
des courbes, se faire une idée nette de l'assimilation plus
ou moins parfaite des deux mouvements, suivant les rela-
tions analytiques plus ou moins étendues des deux fonctions
47 4 MATHÉMATIQUES.
primitives /et F. 8i leurs dérivées du premier ordre ODt
une môme valeur, il existera entre les deux mouvements ce
qu'on pourrait appeler une assimilation du premier ordre^
semblable au contact du premier ordre dans les courbes,
et qu'on pourra caractériser, sous le rapport concret, en
disant alors que le mouvement des deux corps sera le
môme pendant un instant infiniment petit. Si, en outre,
les deux dérivées du second ordre prennent encore la
aiême valeur, l'assimilation des mouvements deviendra
plus intime, et s'élèvera au second ordre; elle consistera
physiquement alors en ce que les deux mobiles auront le
môme mouvement pendant deux instants infinimeni petits
consécutifs. Pareillement, en ajoutant à ces deux premières
relations l'égalité des troisièmes dérivées, on établira, en-
tre les mouvements considérés, une assimilation du troi-
sième ordre, qui les fera coïncider pendant trois instants
consécutifs, et ainsi de suite indéfiniment. Le degré de si-
militude des deux mouvements, déterminé analytiquement
par le nombre de fonctions dérivées successives qui auront
respectivement la môme valeur, aura toujours pour inter-
prétation concrète la coïncidence des deux mobiles pen-
dant un nombre égal d'instants consécutifs ; comme nous
avons vu l'ordre du contact des courbes mesuré géométri-
quement par la communauté d'un nombre correspondant
d'éléments successifs. Si la loi caractéristique de l'un des
mouvements proposés contient, dans son expression analy-
tique, quelques constantes arbitraires, on pourra VassimUer
à un autre mouvement quelconque jusqu'à un ordre marqué
par le nombre de ces constantes, qui seront alors détermi-
nées d'après les équations destinées à établir, suivant la
théorie précédente, ce degré d'intimité entre les deux
mouvements.
Cette conception fondamentale conduit à apercevoir la
DYNAMIOCE. 47 5
possibilité, du moins sous le point de vue abstrait, d'acqué-
rir une connaissance de plus en plus approfondie d'un mou-
vement varié quelconque, en le comparant successivement
à une suite de mouvements connus, dont la loi analytique
dépende d'un nombre de plus en plus grand de constantes
arbitraires, et qui pourront, par conséquent, avoir avec lui
une coïncidence de plus en plus prolongée. Mais, de même
que nous avons vu la théorie générale des contacts des
lignes, appliquée à la mesure de la courbure les unes par
les autres, devoir se réduire effectivement à la comparai-
son d'une courbe quelconque d'abord avec une ligne droite
et ensuite avec un cercle, ces deux lignes étant les seules
qu'on puisse regarder comme assez connues pour servir
utilement de type à l'égard des autres, pareillement la
théorie dynamique relative à la mesure des mouvements
les uns par les autres doit être réellement limitée à la com-
paraison effective de tout mouvement varié, d'abord avec
un mouvement uniforme où l'espace est proportionnel au
temps, et ensuite avec un mouvement uniformément varie
où l'espace croit en raison du carré du temps ; ou bien,
afin de tout embrasser en une seule considération, avec un
mouvement composé d'un mouvement uniforme, et d'un
autre uniformément varié, tel que celui d'un corps pesant
animé d'une impulsion initiale. Ces deux mouvements élé-
mentaires sont, en effet, comme le remarque Lagrange,
les seuls dont nous ayons réellement une notion assez fa-
milière pour que nous puissions les appliquer avec succès
à la mesure de tous les autres. En établissant cette assimi-
lation, on trouve, d'après la théorie précédente, que tout
mouvement varié peut être à chaque instant comparé à ce-
lui d'un corps pesant qui aurait reçu une vitesse initiale
égale à la première dérivée de l'espace parcouru envisagé
comme une fonction du temps écoulé, et qui serait animé
A7C MATUÉMATIQUES.
d'une gravité mesurée par la seconde dérivée de celte môme
fonction, ce qui nous fait rentrer dans les deux formules
fondamentales obtenues ci-dessus par la méthode infinitési-
male. Le mouvement proposé coïncidera pendant un ins-
tant infmiment petit avec le mouvement uniforme exprimé
dans la première partie de cette comparaison, et pendant
deux instants consécutifs avec le mouvement uniformé-
ment accéléré qui correspond à la seconde partie. On se
formera donc ainsi une idée nette du mouvement du mo-
bile à chaque moment, et de la manière dont il varie d'un
moment à l'autre, ce qui est strictement suffisant.
Quoique la conception de Lagrange, telle que je l'ai gé-
néralisée, conduise finalement aux mômes résultats que la
théorie ordinaire, il est aisé de sentir cependant sa supé-
riorité rationnelle, puisque ces deux théorèmes fondamen-
taux, dans lesquels on avait vu jusqu'alors le terme absolu
des efforts de l'esprit humain, relativement à l'étude des
mouvements variés, peuvent ôtre envisagés maintenant
comme une simple application particulière d*une méthode
très-générale, qui nous permetabstraitement d'entrevoir une
mesure beaucoup plus parfaite de tout mouvement varié,
quoique de puissants motifs de convenance nous obligent à
considérer seulement la mesure primitivement adoptée. On
conçoit, diaprés cequi précède, que, si la nature nous offrait
un exemple simple et familier d'un mouvement rectiligne
dans lequel l'espace croîtrait proportionnellement au cube
du temps, en ajoutant à nos notions dynamiques ordinaires
la considération habituelle de ce mouvement, nous obtien-
drions une connaissance plus approfondie de la nature d'un
mouvement varié quelconque, qui pourrait alors avoir avec
le triple mouvement ainsi composé une assimilation du
troisième ordre, ce qui nous permettrait d'envisager direc-
tement, par une seule vue de l'esprit, l'étnt du mobile pen-
DYNAMIQUE. 47 7
daot trois instants consécutifs, tandis que nous sommes
maintenant forcés de nous arrêter à deux instants. Sous le
rapport analytique, au lieu de nous borner aux deux pre-
mières fonctions dérivées de l'espace relativement au temps,
cette méthode reviendrait à considérer simultanément la
troisième dérivée, qui aurait dés lors aussi une significa-
tion dynamique, dont elle est actuellement dépourvue. Dans
cette supposition, de môme que nous concevons habituelle-
ment la force accélératrice pour nous représenter les chan-
gements de la vitesse, nous aurions pareillement une con-
sidération dynamique propre à nous figurer les variations
.de la force continue. Notre étude générale des mouvements
variés deviendrait encore plus parfaite si, étendant cette
hypothèse, il existait en outre un mouvement connu dans
lequel l'espace fût proportionnel à la quatrième puissance
du temps, et ainsi de suite. Mais, en réalité, parmi les mou-
vements simples où l'espace parcouru se trouve croître pro-
portionnellement à une puissance entière et positive du
temps écoulé, l'observation ne nous faisant connaître que
le mouvement uniforme produit par une impulsion unique
et le mouvement uniformément accéléré qui résulte de la
pesanteur terresti;e suivant la découverte de Galilée, nous
sommes contraints de nous arrêter aux deux premiers de-
grés de la théorie précédente pour la mesure générale des
mouvements variés quelconques. Telle est la véritable
explication philosophique de la méthode universellement
adoptée, estimée à sa valeur réelle.
J'ai cru devoir insister sur cette explication, parce que
cette conception fondamentale me semble n'être pas encore
appréciée d'une manière convenable, quoiqu'elle soit la
base de la dynamique tout entière.
Après l'examen général de cette importante théorie pré-
liminaire, je passe maintenant à considérer sommairement
47 8 MATHÉMATIQUES.
le caractère philosophique de la véritable dynamique ra-
tionnelle directe, c'est-à-dire de Tétude du mouvement
curviligne produit par l'action simultanée de diverses for-
ces continues quelconques, en continuant à supposer d'a-
bord que le mobile soit regardé comme un point, ou, ce
qui revient au môme, que, toutes les molécules du corps
prenant exactement le même mouvement, chacune se
meuve isolément sans être affectée par sa liaison avec les
autres.
On doit distinguer, en général, dans le mouvement cur-
viligne d'une molécule soumise à l'action des forces quel-
conques, deux cas très-différents, suivant qu'elle est d'ail- .
leurs entièrement libre, de manière à devoir décrire la
trajectoire qui résultera naturellement de la combinaison
des forces proposées, ou que, au contraire, elle est astreinte
à se mouvoir sur une seule courbe ou sur une surface
donnée. La théorie fondamentale du mouvement curviligne
peut être établie dans son ensemble suivant deux modes
fort distincts, en prenant pour base l'un ou l'autre de ces
deux cas, car chacun d'eux peut être traité directement et
se trouve en môme temps susceptible de se rattacher à
l'autre, les deux considérations étant presque également
naturelles selon le point de vue où l'esprit se place. En
partant du premier cas, il suffira, pour en déduire le se-
cond, de regarder la résistance, tant active que passive, de
la courbe ou de la surface sur laquelle le corps est assujetti
à rester, comme une nouvelle force à joindre à celles du
système proposé, ainsi que nous avons vu qu'on a cou-
tume de le faire en statique. Si, au contraire, on préfère
d'établir d'abord la théorie du second cas, on y ramènera
ensuite le premier, en considérant le mobile comme forcé
à décrire la courbe qu'il doit effectivement parcourir, ce
qui suffira entièrement pour former les équations fonda-
DYNAMIQUE. 47 9
mentales, quoique cette courbe soit alors primitivement
inconnue. Bien que cette dernière méthode ne soit point
ordinairement employée, il convient, je crois, de les ca-
ractériser ici toutes deux, pour donner le plus complète-
ment possible une juste idée de la théorie générale du
mouvement curviligne, car chacune d'elles a, ce me sem-
ble, des avantages importants qui lui sont propres. Consi-
dérons d'abord la première.
Examinant, en premier lieu, le mouvement curviligne
d'une molécule entièrement libre soumise à l'action de
forces continues quelconques, on peut former de deux
manières distinctes les équations fondamentales de ce
mouvement, en les déduisant par deux modes différents de
la théorie du mouvement rectiligne. Le premier mode, qui
a d'abord été le plus employé par les géomètres, quoique,
sous le rapport analytique, il ne soit pas le plus simple, con-
siste à décomposer à chaque instant la résultante totale des
forces continues qui agissent sur le mobile en deux forces,
l'une dirigée selon la tangente à la trajectoire qu'il décrit,
l'autre suivant la normale. Considérons alors, pendant
un instant infiniment petit, le mouvement comme rec-
tiligne et ayant lieu dans la direction de la tangente,
d'après la première loi fondamentale du mouvement. La
progression du corps en ce sens ne sera évidemment due
qu'à la première de ces deux composantes, à laquelle, par
conséquent, on pourra appliquer la formule élémentaire
rapportée ci-dessus par le mouvement rectiligne. Cette
composante, qui est d'ailleurs égale à la force accéléra-
trice totale multipliée par le cosinus de son inclinaison
sur la tangente, sera donc exprimée par la seconde fonc-
tion dérivée de l'arc de la courbe relativement au temps.
En développant cette équation par les formules géométri-
ques connues, et introduisant dans le calcul les composan-
480 MATUÉMATIQUES.
tes de la force accélératrice totale parallèlement aux trois
axes coordonnés rectangulaires, on parvient finalement aux
trois équations fondamentales ordinaires du mouvement
curviligne. Le second mode, plus simple et plus régulier,
dû à Ëuler, et depuis généralement adopté, consiste à
obtenir immédiatement ces équations en décomposant
directement le mouvement du corps à chaque instant, ainsi
que la force continue totale dont il est animé, en trois
autres dans le sens des trois axes coordonnés. D'après la
troisième loi fondamentale du mouvement, le mouvement
selon chaque axe étant indépendant des mouvements
suivant les deux autres n'est dû qu'à la composante totale
des forces accélératrices parallèlement à cet axe, en sorte
que le mouvement curviligne se trouve ainsi continuelle-
ment remplacé par le système de trois mouvements rec*
tilignes, à chacun desquels on peut aussitôt appliquer la
théorie dynamique préliminaire indiquée ci-dessus. En
nommant X, F, Z, les composantes totales, parallèlement
aux trois axes des x^ des y, et des z, des forces continues
qui agissent à chaque instant dt sur la molécule dont les
coordonnées sont x, y, z, on obtient ainsi immédiatement
les équations :
rfi«"~^' rf?r — •''dT»"" '
auxquelles on ne parvient que par un assez long calcul en
suivant le premier mode.
Telles sont les équations différentielles fondamentales
du mouvement curviligne, d'après lesquelles les questions
quelconques de dynamique relatives à uu corps dont toutes
les molécules prennent exactement le même mouvement
se réduisent immédiatement à des problèmes purement
analytiques, lorsque les données ont été convenablement
DYNAMIQUE. 481
exprimées. En considérant d'abord la question générale
4lirecfe^ qui est la plus importante, on se propose, con-
naissant la loi des forces continues dont le corps est animé,
de déterminer toutes les circonstances de son mouvement
effectif. Pour cela, de quelque manière que cette loi soit
donnée, ou en fonction du temps, ou en fonction des
coordonnées, ou en fonction de la vitesse, il sufGra en gé-
néral d'intégrer ces trois équations du second ordre, ce
qui donnera lieu à des difficultés analytiques plus ou moins
élevées, que l'imperfection du calcul intégral pourra ren-
dre fréquemment insurmontables. Les six constantes arbi-
traires successivement introduites par cette intégration se
détermineront d'ailleurs en ayant égard aux circonstances
de l'état initial du mobile, dont les équations différentielles
n'ont pu conserver aucune trace. On obtiendra ainsi les
trois coordonnées du corps en fonction du temps, de ma-
nière à pouvoir assigner exactement sa position à chaque
instant; et on trouvera ensuite les deux équations carac-
téristiques de la courbe qu'il décrit, en éliminant le temps
entre ces trois expressions. Quant à la vitesse acquise par
le mobile à une époque quelconque, on pourra dès lors la
déterminer aussi d'après les valeurs de ses trois compo-
santes, dans le sens des axes, —♦ —» -4: H est d'ailleurs
at as ai
utile de remarquer, à cet égard, que cette vitesse v sera
souvent susceptible d'être immédiatement calculée par une
combinaison fort simple des trois équations différentielles
fondamentales, qui donne évidemment la formule générale
t* = 2 C(Xdx + Ydy + Zdz)j
à l'aide de laquelle une seule intégration suffira pour la dé-
termination directe de la vitesse, lorsque l'expression placée
sous le signe / satisfera aux conditions connues d'intégra-
A. CoMTB. Tome I. -81
4 82 MATHÉMATIQUES .
bilité relativement aux trois variables x, y, z, envisagées
comme indépendantes. Cette propriété n'a pas lieu, sans
doute, relativement à toutes les forces continues possibles,
ni même par rapport à toutes celles que nous présentent
en eQet les phénomènes naturels, puisque, par exemple,
elle ne saurait se vériûer pour les forces qui représentent
la résistance des milieux, ou les frottements, ou, en géné-
ral, quant à toutes celles dont la loi primitive dépend do
temps ou de la vitesse elle-même. La remarque précédente
n'en est pas moins regardée avec raison par les géomètres
comme ayant une extrême importance pour simpliûer les
recherches analytiques auxquelles se réduisent les pro-
blèmes de dynamique, car la condition énoncée se vérifie
constimment, ainsi qu'il est aisé de le prouver, dans un
cas particulier fort étendu, qui comprend toutes les gran-
des applications de la dynamique rationnelle à la mécani-
que céleste, c'est-à-dire celui où toutes les forces continues
dont le corps est animé sont des tendances vers des centres
fixes, agissant suivant une fonction quelconque de la dis-
tance du corps à chaque centre, mais indépendamment de
la direction.
Si, prenant maintenant en sens inverse la théorie géné-
rale du mouvement curviligne d'une molécule libre, on se
propose de déterminer, au contraire, d'après les circon-
stances caractéristiques du mouvement eO*ectif, la loi des
forces accélératrices qui ont pu le produire, la question
sera nécessairement beaucoup plus simple sous le rapport
analytique, puisqu'elle ne consistera essentiellement qu'en
dos difi'érentialions. Car il sera toujours possible alors, par
des recherches préliminaires plus ou moins compliquées,
qui ne pourront porter que sur des considérations pure-
ment géométriques, de déduire, de la définition primitive
du mouvement proposé, les valeurs des trois coordonnées
DYNAMIQUE. A 8»
du mobile à chaque instant en fonction du temps écoulé ;
et dès lors, en différentiant deux fois ces trois expressions,
on obtiendra les composantes des forces continues suivant
les trois axes, d'où Ton pourra conclure immédiatement la
loi de la force accélératrice totale, de quelque nature
qu'elle soit. C'est ainsi que nous verrons, dans la seconde
section de ce cours, les trois lois géométriques fondamen*
taies trouvées par Kepler pour les mouvements des corps
célestes qui composent notre systèn^e solaire, nous con-
duire nécessairement à la loi de gravitation universelle,
qui devient ensuite la base de toute la mécanique générale
de l'univers.
Après avoir établi la théorie du mouvement curviligne
d'une molécule libre, il est aisé d'y faire rentrer le cas où
cette molécule est assujettie, au contraire, à rester sur une
courbe donnée. Il suffit, comme je l'ai indiqué, de com-
prendre alors, parmi les forces continues auxquelles la mo-
lécule est primitivement soumise, la résistance totale
exercée par la courbe proposée, ce qui permettra évidem-
ment de considérer le mobile comme entièrement libre.
Toute la difficulté propre à ce second cas se réduit donc
essentiellement à analyser avec exactitude cette résistance.
Or il faut, à cet effet, distinguer d'abord, dans la résistance
de la courbe, deux parties très-différentes qu'on pourrait
appeler, pour les caractériser nettement^ l'une statique^
l'autre dynamique. La résistance statique est celle qui aurait
lieu lors môme que le corps serait immobile ; elle provient
de la pression exercée sur la courbe proposée par les for-
ces accélératrices dont il est animé ; ainsi on l'obtiendra
en déterminant la composante de la force continue totale
suivant la normale à la courbe donnée au point que l'on
considère. La résistance dynamique a une origine toute dif-
férente ; elle n'est engendrée que par le mouvement, et ré*
484 MATHÉMATIQUES.
suite de la tendance perpétuelle du corps à abandonner la
courbe qu'il est forcé de décrire, pour continuer à suivre,
en vertu de la première loi fondamentale du mouvement,
la direction de la tangente. Cette seconde résistance, qui
se manifeste dans le passage du corps d'un élément de la
courbe à l'élément suivant, est évidemment dirigée à cha-
que instant selon la normale à la courbe située dans le plan
osculateur, et pourra, par conséquent, n'avoir pas la même
direction que la résistance statique, si le plan osculateur
ne contient pas la droite suivant laquelle agit la force accé-
lératrice totale. C'est à cette résistance dynamique qu'on
donne, en général, le nom de force centrifuge^ tenant à ce
que les seules forces accélératrices considérées d'abord
par les géomètres étaient des {ovcqs centripètes^ ou des ten-
dances vers des centres fixes. Quant à son intensité, en con-
cevant cette force centrifuge comme une nouvelle force ac-
célératrice, elle sera mesurée par la composante normale
que produit, dans chaque instant infiniment petit, la vi-
tesse du mobile, lorsqu'il passe d'un élément de la courbe
à un autre. On trouve aisément ainsi, après avoir éli-
miné les infinitésimales auxiliaires introduites d'abord
naturellement par cette considération, que la force centri-
fuge est continuellement égale au carré de la vitesse effec-
tive du mobile divisé par le rayon de courbure correspon-
dant de la courbe proposée. Du reste, cette expression
fondamentale, aussi bien que la direction même de la force
centrifuge, pourraient être entièrement obtenues par le
calcul, en introduisant préalablement celle force, d'une
manière complètement indéterminée, dans les trois équa-
tions différentielles générales du mouvement curviligne
rapportées ci-dessus. Quoi qu'il en soit, après avoir déter-
miné la résistance dynamique, on la composera convena-
blement avec la résistance statique, et, en faisant entrer la
DYNAMIQUE. 485
résistance totale parmi les forces proposées, lé problème
sera immédiatement ramené au cas précédent. La question
la plus remarquable de ce genre consiste dans l'étude du
mouvement oscillatoire d'un corps pesant sur une courbe
quelconque (et particulièrement sur un cercle ou sur une
cycloïde), dont Texamen philosophique doit naturellement
être renvoyé à la partie de ce cours qui concerne la physi-
que proprement dite.
Il serait superflu de considérer distinctement ici le cas
où le mobile, au lieu de devoir décrire une courbe donnée,
serait seulement assujetti à rester sur une certaine sur-
face. C'est essentiellement par les mêmes considérations
qu'on ramène ce nouveau cas, d'ailleurs peu important
dans les applications, à celui d'un corps libre. II n'y a
d'autre différence réelle qu'en ce qu'alors la trajectoire du
mobile n'est pas d'abord entièrement déterminée, et qu'on
est obligé, pour la connaître, de joindre à l'équation de la
surface proposée une autre équation fournie par l'étude
dynamique du problème.
Considérons maintenant, par aperçu, le second mode
général distingué précédemment pour construire la théorie
fondamentale du mouvement curviligne d'une molécule
isolée, en partant, au contraire, du cas où la molécule est
préalablement assujettie à décrire une courbe donnée.
Toute la difficulté réelle consiste alors à établir direc-
tement le théorème fondamental relatif à la mesure de la^
force centrifuge. Or c'est ce qu'on peut faire aisément^,
en considérant d'abord le mouvement uniforme du corps^
dans un cercle, en vertu d'une impulsion initiale, et sans-
aucune force accélératrice, ainsi que l'a supposé Huyghens^.
auquel est due la base de cette théorie. La force centrifuge
est dès lors évidemment proportionnelle au sinus-verse
de l'arc de cercle décrit dans un instant infiniment petite
486 MATHÉMATIQUES.
convenablement comparé au temps correspondant, d'où il
est facile de conclure, comme l'a fait Huyghens, qu'elle a
pour expression le carré de la vitesse constante avec laquelle
le mobile décrit le cercle divisé par le rayon de ce cercle.
Ce résultat une fois obtenu, en le combinant avec une autre
notion fondamentale due à Huygbens, on en déduit immé-
diatement la valeur de la force centrifuge dans une courbe
quelconque. Il suffit, pour cela, de concevoir que la déter-
mination de cette force exigeant seulement la considéra-
tion simultanée de deux éléments consécutifs delà courbe
proposée, le mouvement peut être continuellement envi-
sagé comme ayant lieu dans le cercle osculaleur corres-
pondant, puisque ce cercle présente relativement à la
courbe deux éléments successifs communs. On peut donc
directement transporter à une courbe quelconque l'expres-
sion de la force centrifuge trouvée primitivement pour le
cas du cercle, et établir, comme dans la première méthode,
mais bien plus simplement, qu'elle est généralement égale
au carré de la vitesse divisé par le rayon du cercle oscu-
lateur. Cette manière de procéder présente l'avantage de
donner une idée plus nette de la force centrifuge.
Le cas du mouvement dans une courbe déterminée
étant ainsi traité préalablement avec toute la généralité
convenable, il est aisé d'y ramener celui d'un corps entiè-
rement libre, décrivant la trajectoire qui doit naturelle-
ment résulter de Taclion simultanée de certaines forces
accélératrices quelconques. Il suffit, en effet, suivant l'in-
dication précédemment exprimée, de concevoir le corps
comme assujetti à rester sur la courbe qu'il décrira réel-
lement, ce qui revient évidemment au môme, puisqu'il
importe peu, en dynamique, le corps ne pouvant point
véritablement parcourir toute autre courbe, qu'il y soit
contraint par la nature des forces dont il est animé, ou
DYNAMIQUE. 487
par des conditions de liaisons spéciales. Dès lors ce mou-
vement donnera naissance à une véritable force centrifuge,
exprimée par la formule générale trouvée ci-dessus. Main-
tenant il est clair que, si la force continue totale dont le
mobile est animé a été d'abord conçue comme décomposée
à chaque instant en deux autres^ Tune dirigée suivant la
tangente à la trajectoire, et Tautre selon la normale située
dans le plan osculateur, cette dernière doit nécessaire-
ment être égale et directement opposée à la force centri-
fuge. Or, cette composante normale ayant pour expression
la force continue totale multipliée par le cosinus de Tangle
que sa direction forme avec la normale, en égalant cette
valeur à celle de la force centrifuge, on formera une équa-
tion fondamentale d'où Ton pourra déduire les équations
générales du mouvement curviligne précédemment obte-
nues par une autre méthode. On n'aura, pour cela, d'autre
transformation à faire que d'introduire dans cette équation,
au lieu de la force continue totale et de sa direction, ses
composantes selon les trois axes coordonnés, et de rem-
placer, dans la formule qui exprime la force centrifuge, la
vitesse et le rayon de la courbure par leurs valeurs générales
en fonctions des coordonnées. L'équation ainsi obtenue se
décomposera naturellement en trois, si l'on considère que,
devant avoir lieu pour quelque système que ce soit de forces
accélératrices et pour une trajectoire quelconque, elle doit
se vérifier séparément par rapport à chacune des trois coor-
données, envisagées momentanément comme trois varia-
bles entièrement indépendantes. Ces trois équations se
trouveront être exactement identiques à celles rapportées
ci-dessus. Quoique cette manière de les obtenir soit bien
moins directe, et qu'elle exige un plus grand appareil ana-
lytique, j'ai cependant cru nécessaire de l'indiquer distinc-
tement, parce qu'elle me semble propre à éclairer, sous un
488 MATHÉMATIQUES.
rapporl fort important, la théorie ordinaire du mouvement
curviligne, en rendant sensible l'existence de la force cen-
trifuge, même dans le cas d'un corps libre, notion sur
laquelle la méthode habituellement adoptée aujourd'hui
laisse communément beaucoup d'incertitude et d'obscurité.
Ayant suffisamment étudié, dans ce qui précède, le ca-
ractère général de la partie de la dynamique relative au
mouvement d'un point, ou, ce qui revient au même, d'un
corps dont toutes les molécules se meuvent identiquement,
nous devons maintenant examiner, sous un semblable
point de vue, la partie de la dynamique la plus difficile et
la plus étendue, celle qui se rapporte au cas plus réel du
mouvement d'un système de corps liés entre eux d'une
manière quelconque, et dont les mouvements propres sont
altérés par les conditions dépendantes de leur liaison. Je
considérerai soigneusement, dans la leçon suivante, les ré-
sultats généraux obtenus jusqu'ici parles géomètres^ rela-
tivement à cet ordre de recherches. Je dois donc me borner
strictement ici a caractériser la méthode générale d'après
laquelle on est parvenu à convertir tous les problèmes de
cette nature en de pures questions d'analyse.
Dans cette dernière partie de la dynamique, il faut préa-
lablement établir une nouvelle notion élémentaire, rela-
tivement à la mesure des forces. En effet, les forces consi-
dérées jusqu'ici étant toujours appliquées à une molécule
unique, ou du moins agissant toutes sur un même corps,
leur intensité se trouvait être suffisamment mesurée, en
ayant seulement égard à la vitesse plus ou moins grande
qu'elles pouvaient imprimer au mobile à chaque instant.
Mais, quand on vient à envisager simultanément les mou-
vements de plusieurs corps difi'érents, cette manière de
mesurer les forces devient évidemment insuffisante, puis-
qu'on ne saurait se dispenser de tenir compte de la masse
DYNAMIQUE. 489
de chaque mobile, aussi bien que de sa vitesse. Pour la
prendre convenablement en considération, les géomètres
ont établi cette notion fondamentale, que les forces sus-
ceptibles d'imprimer à diverses masses une même vitesse
sont exactement entre elles comme ces masses ; ou, en
d'autres termes, que les forces sont proportionnelles aux
masses^ aussi bien que nous les avons reconnues, dans la
quinzième leçon, d'après la troisième loi physique du mou-
vement, être proportionnelles aux vitesses. Tous les phé-
nomènes relatifs à la communication du mouvement par le
choc, ou de toute autre manière, ont constamment con-
firmé la supposition de cette nouvelle proportionnalité. U
en résulte évidemment que, lorsqu'il faut comparer, dans
le cas le plus général^ des forces qui impriment à des
masses inégales des vitesses difTcrentes, chacune d'elles
doit être mesurée d'après le produit de la masse sur la-
quelle elle agit par la vitesse correspondante. Ce produit,
auquel les géomètres ont donné communément le nom de
quantité de mouvement, détermine exactement, en effet, la
force d'impulsion d'un corps dans le choc, la percussion
proprement dite, ainsi que la pression qu'un corps peut
exercer contre tout obstacle fixe à son mouvement. Telle
est la nouvelle notion élémentaire relative à la mesure gé-
nérale des forces dont il serait peut-être convenable de
faire une quatrième et dernière loi fondamentale du mou-
vement, en tant du moins que cette notion n'est point réel-
lement susceptible, comme quelques géomètres l'ont
pensé, d'être logiquement déduite des notions précé-
dentes, et ne saurait être solidement établie que sur des
considérations physiques qui lui soient propres.
Cette notion préliminaire étant établie, examinons main-
tenant la conception générale d'après laquelle peut être
traitée la dynamique d'un système quelconque de corps
4 90 MATHÉMATIQUES.
soumis à Taction de forces quelconques. La difficulté carac-
téristique de cet ordre de questions consiste essentielle-
ment dans la manière de tenir compte de la liaison des
différents corps du système, en vertu de laquelle leurs réac-
tions mutuelles altéreront nécessairement les mouvements
propres que chaque corps prendrait, s'il était seul, par
l'influence des forces qui le sollicitent, sans qu'on sache
nullement à priori en quoi peut consister cette altération.
Ainsi, pour choisir un exemple très-simple, et néanmoins
important, dans le célèbre problème du mouvement d'un
pendule composé, qui a été primitivementle principal su-
jet des recherches des géomètres sur cette partie supérieure
de la dynamique, il est évident que, par suite de la liaison
établie entre les corps ou les molécules les plus rappro-
chés du point de suspension, et les corps ou les molécules
qui en sont les plus éloignés, il s'exercera une réaction telle,
que ni les uns ni les autres n'oscilleront comme s'ils étaient
libres, le mouvement des premiers étant retardé, et celui
des derniers étant accéléré en vertu de la nécessité où ils se
trouvent d'osciller simultanément, sans qu'aucun principe
dynamique déjà établi puisse faire connaître la loi qui dé-
termine ces réactions. Il en est de môme dans tous les au-
tres cas relatifs au mouvement d'un système de corps. On
éprouve donc évidemment ici le besoin de nouvelles con-
ceptions dynamiques. Les géomètres, obéissant, à ce sujet,
k l'habitude imposée presque constamment par la faiblesse
de l'esprit humain, ont d'abord traité cette nouvelle série
de recherches, en créant pour ainsi dire un nouveau prin-
cipe particulier relativement à chaque question essentielle.
Telles ont été l'origine et la destination des diverses pro-
priétés générales du mouvement que nous examinerons
dans la leçon suivante, et qui, primitivement envisagées
comme autant de principes indépendants les uns des au-
DYNAMIQUE. 491
très, ne sont plus aujourd'hui, aux yeux des géomètres, que
des théorèmes remarquables fournis simultanément par
les équations dynamiques fondamentales. On peut suivre,
dans la Mécanique analytique, l'histoire générale de cette
série de ti4ivaux, que Lagrange a présentée d'une manière
si profondément intéressante pour l'étude de la marche
progressive de l'esprit humain. Celte manière de procéder
a été continuellement adoptée jusqu*à d'Alembert, qui a
mis fln à toutes ces recherches isolées, en s'élevantà une
conception générale sur la manière de tenir compte de la
réaction dynamique des corps d'un système en vertu de
leurs liaisons, et en établissant par suite les équations fon-
damentales du mouvement d'un système quelconque. Cette
conception, qui a toujours servi depuis, et qui servira în-
déûniment de base à toutes les recherches relatives à la
dynamique des corps, consiste essentiellement à faire ren-
trer les questions de mouvement dans de simples questions
d'équilibre, à j'aide de ce célèbre principe général auquel
l'accord unanime des géomètres a donné, avec tant de rai-
son, le nom de principe ded'Alemberl. Considérons donc
maintenant ce principe d'une manière directe.
Lorsque, par les réactions que divers corps exercent les
uns sur les autres en vertu de leur liaison, chacun d'eux
prend un mouvement différent de celui que les forces dont
il est animé lui eussent imprimé s'il eût été libre, on peut
évidemment regarder le mouvement naturel comme décom-
posé en deux, dont l'un est celui qui aura effectivement
lieu, et dont l'autre, par conséquent, a été détruit. Le prin-
cipe de d'Alembert consiste proprement en ce que tous les
mouvements de ce dernier genre, ou, en d'autres termes,
les quantités de mouvements perdues ou gagnées par les
différents corps du système dans leur réaction, se font né-
cessairement équilibre, en ayant égard aux conditions de
492 MATnÉMATIQUES.
liaison qui caractérisent le système proposé. Cette lumi-
neuse conception générale a été d'abord entrevue par Jac-
ques Bernouiili dans un cas particulier; car telle est évi-
demment la considération qu'il emploie pour résoudre le
problème du pendule composé, lorsqu'il regarde la quan-
tité de mouvement perdue par le corps le plus rapproché
du point de suspension, et la quantité de mouvement ga-
gnée par celui qui en est le plus éloigné, comme devant
nécessairement satisfaire à la loi d'équilibre du levier, re-
lativement au point de suspension, ce qui le conduit à for-
mer immédiatement une équation susceptible de détermi-
ner le centre de l'oscillation du système de poids le plus
simple. Mais cette idée n'était, pour Jacques Bernouiili,
qu'un artifice isolé qui n'ôte rien au mérite de la grande
conception de d'Alembert, dont la propriété essentielle
consiste dans son entière généralité nécessaire.
En considérant le principe de d'Alembert sous le point
de vue le plus philosophique, on peut, ce me semble, en
reconnaître le véritable germe primitif dans la seconde loi
fondamentale du mouvement (voyez la quinzième leçon),
établie par Nev^ton sous le nom d'égalité de la réaction à
l'action. Le principe de d'Alembert coïncide exactement,
en effet, avec cette loi de Nev^ton, quand on envisage seu-
lement un système de deux corps, agissant l'un sur l'autre
suivant la ligne qui les joint. Ce principe peut donc être
envisagé comme la plus grande généralisation possible de
la loi de la réaction égale et contraire à l'action ; et cette
manière nouvelle de le concevoir me paraît propre à faire
ressortir sa véritable nature, en lui donnant ainsi un ca-
ractère physique, au lieu du caractère purement logique
qui lui avait été imprimé par d'Alembert. En conséquence,
nous ne verrons désormais dans ce grand principe que
notre seconde loi du mouvement étendue à un nombre
DYNAMIQUE. 493
quelconque de corps, disposés entre eux d'une manière
quelconque.
D'après ce principe général, on conçoit que toute ques-
tion de dynamique pourra être immédiatement convertie
en une simple question de statique, puisqu'il sufGra de
former, dans chaque cas, les équations d'équilibre entre
les mouvements détruits ; ce qui donne la certitude néces-
saire de pouvoir mettre en équation un problème quelcon-
que de dynamique, et de le faire ainsi dépendre unique-
ment de recherches analytiques. Mais la forme sous laquelle
le principe de d'Alembert a été primitivement conçu n'est
point la plus convenable pour effectuer avec facilité cette
transformation fondamentale, vu la grande difficulté qu'on
éprouve souvent à discerner quels doivent être les mouve-
ments détruits, comme on peut pleinement s'en convaincre
par l'examen attentif du Traité de dynamique de d'Alembert,
dont les solutions sont ordinairement si compliquées. Her-
mann, et surtout Euler, ont cherché à faire disparaître la
considération embarrassante des quantités de mouvement
perdues ou gagnées, en remplaçant les mouvements dé-
truits par les mouvements primitifs composés avec les
mouvements eff'ectifs pris en sens contraire, ce qui revient
évidemment au môme, puisque, quand une force a été dé-
composée en deux, on peut réciproquement substituer à
l'une des composantes la combinaison de la résultante avec
l'autre composante prise en sens contraire. Dès lors le prin-
cipe de d'Alembert, envisagé sous ce nouveau point de vue,
consiste simplement en ce que les mouvements effectifs
conformes à la liaison des corps du système devront né-
cessairement, étant pris en sens inverse, faire toujours
équilibre aux mouvements primitifs qui résulteraient de
la seule action des forces proposées sur chaque corps sup-
posé libre; ce qui peut d^ailleurs être établi directement.
494 MATHÉMATIQUES.
car il est évident que le système serait en équilibre si on
imprimais à chaque corps une quantité de mouvement
égale et contraire à celle qu'il prendra effectivement. Cette
nouvelle forme donnée par Euler au principe de d'Alem-
bert est la plus convenable pour en faire usage, comme ne
prenant en considération que les mouvements primitifs
et les mouvements effectifs, qui sont les véritables éléments
du problème dynamique, dont les uns constituent les
données et les autres les inconnues. Tel est, en effet, le
point de vue définitif sous lequel le principe de d'Alembert
a été habituellement conçu depuis.
Les questions relatives au mouvement étant ainsi géné-
ralement réduites, de la manière la plus simple possible,
à de pures questions d'équilibre, la méthode la plus phi-
losophique pour traiter la dynamique rationnelle consiste
à combiner le principe de d'Alembert avec le principe des
vitesses virtuelles, qui fournit directement, comme nous
l'avons vu dans la leçon précédente, toutes les équations
nécessaires à l'équilibre d'un système quelconque. Telle
est la combinaison conçue par Lagrange, et si admirable-
ment développée dans sa Mécanique analytique, qui a élevé
la science générale de la mécanique abstraite au plus haut
degré de la perfection que l'esprit humain puisse ambi-
tionner sous le rapport logique, c'est-à-dire à une rigou-
reuse unité, toutes les questions qui peuvent s'y rapporter
étant désormais uniformément rattachés à un principe
unique, d'après lequel la solution définitive d'un problème
quelconque ne présente plus nécessairement que des dif-
ficultés analytiques. Pour établir le plus simplement possi-
ble la formule générale de la dynamique, concevons que
toutes les forces accélératrices du système quelconque
proposé aient été décomposées parallèlement aux trois
axes des coordonnées, et soient X, Y, Z, les groupes de
DYZfAMIOUE. 495
forces correspondant aux axes des x, y, z ; en désignant
par m la masse du système, il devra y avoir équilibre, d*après
le principe de d'AIembert, entre les quantités primitives de
mouvement mX^ m F, mZ, et les quantités de mouvement
effectives prises en sens contraire, qui seront évidemment
exprimées par — «i-j^»—»»^» ^m-^^ suivant les trois axes.
Ainsi , appliquant à cet ensemble de forces le prin-
cipe général des vitesses virtuelles, en ayant soin de dis-
tinguer les variations relatives aux différents axes, on
obtiendra Téquation
+/"(''-S)»'-'''
qui peut être regardée comme comprenant implicitement
toutes les équations nécessaires pour l'entière détermi-
nation des diverses circonstances relatives au mouvement
d'un système quelconque de corps sollicités par des forces
quelconques. Les équations explicites se déduiront con-
venablement, dans cbaque cas, de cette formule générale,
en réduisant toutes les variations au plus petit nombre
possible, d'après les conditions de liaison qui caractéri-
seront le système proposé, ce qui fournira autant d'équa-
tions distinctes qu'il restera de variations réellement indé-
pendantes.
Afin de faire ressortir, sous le point de vue philosophi-
que, toute la fécondité de celte formule, et de montrer
qu'elle comprend rigoureusement l'ensemble total de la
dynamique, il convient de remarquer qu'on en pourrait
même tirer, comme un simple cas particulier, la théorie
du mouvement curviligne d'une molécule unique, que
nous avons spécialement considérée dans la première
496 MATHÉMATIQUES.
partie de celle leçon. En effet, il est évidenl que, si toules
les forces continues proposées agissent sur une seule mo-
lécule, la masse m disparail de Téqualion générale précé-
dente, qui, en dislinguanl séparément le mouvement vir-
tuel, relatif à chaque axe, fournit immédiatement les trois
équations fondamentales établies ci-dessus pour le mouve-
ment d'un point. Mais, bien qu'on doive considérer cette
filiation, sans laquelle on ne concevrait pas toute l'étendue
réelle de la formule générale de la dynamique, la théorie
du mouvement d'une seule molécule n'exige point vérita-
blement l'emploi du principe de d'Alembert, qui est essen-
tiellement destiné à l'élude dynamique des systèmes de
corps. Cette première théorie est trop simpTe par elle-
même, et résulte trop immédiatement des lois fondamen-
tales de mouvement, pour que je n'aie pas cru devoir,
conformément à l'usage ordinaire, la présenter d'abord
isolément, afin de rendre plus nettes les importantes
notions générales auxquelles elle donne naissance, quoi-
que nous devions finir par la faire rentrer, en vue d'une
coordination plus parfaite, dans la formule invariable qui
renferme nécessairement toutes les théories dynamiques
possibles.
Ce serait sortir des limites naturelles de ce cours que
d'indiquer ici aucune application spéciale de celte for-
mule générale à la solution effective d'un problème dyna-
mique quelconque, la méthode devant être le seul objet
essentiel de nos considérations philosophiques, sauf l'in-
dication des résultats principaux qu'elle a produits, et
dont nous nous occuperons dans la leçon suivante. Je crois
cependant devoir rappeler à ce sujet, comme une concep*
tion vraiment relative à la méthode bien plus qu'à la science^
la distinction nécessaire, signalée dans la leçon précé-
dente, entre les mouvements de translation et les mouve-
DYNAMIQUE. 4»7
ments de rotation. Pour étudier convenablement le mou-
vement d'un système quelconque, il faut, en effet,
l'envisager comme composé d'une translation commune à
toutes ses parties, et d'une rotation propre à chacun de ses
points autour d'un certain axe constant ou variable. Par
des motifs de simplification analytique dont nous aurons
occasion, dans la leçon suivante, d'indiquer l'origine, les
géomètres considèrent toujours de préférence le mouve-
ment de rotation d'un système quelconque relativement
à son centre de gravité, ou, pour mieux dire, à son centre
des moyennes distances, qui présente, sous ce rapport,
des propriétés générales très-remarquables, dont la dé-
couverte est due à Eulcr. Dès lors l'analyse complète du
mouvement d'un système animé de forces quelconques
consiste essentiellement : i^à déterminera chaque instant
Ja vitesse du centre de gravité et la direction dans laquelle
il se meut, ce qui suffit pour faire connaître, comme nous
le constaterons, tout ce qui concerne la translation du
système ; 2° à déterminer également à chaque instant la
direction de l'axe instantané de rotation passant par le cen-
tre de gravité, et la vitesse de rotation de chaque partie du
système autour de cet axe. Il est clair, en effet, que toutes
les circonstances secondaires du mouvement pourront
nécessairement être déduites, dans chaque cas, de ces
deux déterminations principales.
La formule générale de la dynamique, établie ci-dessus,
est évidemment, par sa nature, tout aussi directement ap-
plicable au mouvement des fluides qu'à celui des solides,
pourvu qu'on prenne convenablement en considération les
conditions qui caractérisent Tétat fluide, soit liquide, soit
gazeux, ce que nous avons eu occasion d'indiquer dans la
leçon précédente au sujet de l'équilibre. Aussi d'Alembert,
après avoir découvert le principe fondamental qui lui a
A. Comte. Tome 1. 32
49 8 MATHÉMATIQUES.
permis, vu les progrès de la statique, de traiter dans son
ensemble la dynamique d'un système quelconque, en a-t-il
fait immédiatement application à l'établissement des équa-
tions générales du mouvement des fluides, entièrement
inconnues jusqu'alors. Ces équations s'obtiennent surtout
avec une grande facilité d'après le principe des vitesses vir-
tuelles, tel qu'il est exprimé par la formule générale pré-
cédente. Cette partie de la dynamique ne laisse donc réel-
lement rien à désirer soua le rapport concret, et ne
présente plus que des difficultés purement analytiques,
relatives à l'intégration des équations aux différences par-
tielles auxquelles on parvient. Mais il faut reconnaître que,
cette intégration générale offrant jusqu'ici des obstacles in-
surmontables, les connaissances effectives qu'on peut dé-
duire de cette théorie sont encore extrêmement imparfaites,
même dans les cas les plus simples; ce qui nous semblera
sans doute inévitable, en considérant lagrande complication
que nous avons déjà reconnue à cet égard dans les questions
de pure statique, dont la nature est cependant bien moins
complexe. Le seul problème de l'écoulement d'un liquide
pesant par un orifice donné, quelque facile qu'il doive pa-
raître, n'a pu encore être résolu d'une manière vraiment
satisfaisante. Afin de simplifier suffisamment les recher-
ches analytiques dont il dépend, les géomètres ont été
obligés d'adopter la célèbre hypothèse proposée par Da-
niel Bernouilli, sous le nom de parallélisme des tranches^
qui permet de ne considérer le mouvement que par tran-
ches, au lieu de devoir l'envisager molécule à molécule.
Mais cette hypothèse, qui consiste à regarder chaque sec-
tion horizontale du liquide comme se mouvant en totalité
et prenant la place de la suivante, est évidemment en con-
tradiction formelle avec la réalité dans presque tous les
cas, excepté dans un petit nombre de circonstances choisies
DYNAMIQUE. 499
pour ainsi dire expressément, à cause des mouvements la-
téraux dont une telle hypothèse fait complètement abstrac-
tion et dont Texistence sensible impose nécessairement la
loi d'étudier isolément le mouvement de chaque molécule.
La science générale de Thydrodynamique ne peut donc
réellement être encore envisagée que comme étant à sa
naissance^ môme relativement aux liquides, et à plus forte
raison à Tégard des gaz. Mais il importe éminemment de
reconnaître, d'un autre côté, que tous les grands travaux
qui restent à faire sous ce rapport consistent essentielle-
ment dans les progrès de la seule analyse mathématique,
les équations fondamentales du mouvement des fluides
étant irrévocablement établies.
Après avoir considéré sous ses divers aspects principaux
le caractère général de la méthode en mécanique ration-
nelle, et indiqué comment toutes les questions qu'elle peut
offrir se réduisent à des recherches purement analytiques,
il nous reste maintenant, pour compléter l'examen philo-
sophique de cette science fondamentale, à envisager, dans
la leçon suivante, les résultats principaux obtenus par l'es-
prit humain en procédant ainsi, c'est-à-dire les propriétés
générales les plus remarquables de l'équilibre et du mou-
vement.
DIX-HUITIÈME LEÇON
Sommaire. — Considérations sur les théorèmes géoérauii de Is^ mécanique
rationnelle.
Le but et Tesprit de cet ouvrage, aussi bien que son éten-
due naturelle, nous interdisent nécessairement ici tout dé-
veloppement spécial relatif à l'application des équations
fondamentales de l'équilibre et du mouvement, h la solu-
tion effective d'aucun problème mécanique particulier.
Néanmoins on ne se formerait qu'une idée incomplète du
caractère philosophique de la mécanique rationnelle envi-
sagée dans son ensemble, si, après avoir convenablement
étudié la méthode, on ne considérait enfin les grands ré-
sultats théoriques de la science, c'est-à-dire les principales
propriétés générales de l'équilibre et du mouvement dé~
couvertes jusqu'ici par les géomètres, et qui nous restent
maintenant à examiner. Ces diverses propriétés ont été
conçues dans l'origine comme autant de véritables prin-
cipesy dont chacun était destiné primitivement à procurer
la solution d'un certain ordre de nouveaux problèmes mé-
caniques, supérieurs aux méthodes connues jusqu'alors.
Mais, depuis que Tensemble de la mécanique rationnelle
a pris son caractère systématique définitif, chacun de ces
anciens principes a été ramené à n'être plus qu'un simple
théorème plus ou moins général, résultat nécessaire des
théories fondamentales de la statique et de la dynamique
abstraites : c'est seulement sous ce point de vue philoso-
THÉORÈMES DE MÉCANIQUE RATIONNELLE. 601
phique que nous devons les envisager ici. Commençons par
ceux qui se rapportent à la statique.
Le tbéoréme le plus remarquable qui ait été déduit
jusqu'à présent des équations générales de l'équilibre est
la célèbre propriété, primitivement découverte par Torri-
celli, relativement à l'équilibre des corps pesants. Elle
consiste proprement en ce que, quand un système quel-
conque de corps pesants est dans sa situation d'équilibre,
son centre de gravité est nécessairement placé au point le
plus bas ou le plus haut possible, comparativement à toutes
les positions qu'il pourrait prendre d'après toute autre
situation du système. Torricelii a d'abord présenté cette
propriété comme immédiatement vérlBée par les condi-
tions d'équilibre connues de tous les systèmes de poids
considérées jusqu'alors. Mais les considérations générales
d'après lesquelles il a tenté ensuite de la démontrer direc-
tement sont réellement peu satisfaisantes, et offrent un
exemple sensible de la nécessité de se déûer, dans les
sciences mathématiques, de toute idée dont le caractère
n'est point parfaitement précis, quelque plausible qu'elle
puisse d'ailleurs paraître. En effet, le raisonnement de
Torricelii consiste essentiellement à remarquer que la ten-
dance naturelle du poids étant de descendre, il y aura
nécessairement équilibre si le centre de gravité se trouve
placé le plus bas possible. L'insufGsance de cette considé-
ration est évidente, puisqu'elle n'explique point pourquoi
il y a également équilibre quand le centre de gravité est
placé le plus haut possible, et qu'elle tendrait môme à
démontrer que ce second cas d'équilibre ne peut exister^
tandis que, sous le point de vue théorique, il est aussi réel
que le premier, quoique, par le défaut de stabilité, on ait
rarement occasion de l'observer dans la pratique. Ainsi,
pour choisir un exemple très-simple, la loi d'équilibre
602 MATHÉMATIQUES.
d'un pendule exige que le centre de gravité du poids soît
placé sur la verticale menée par le point de suspension, ce
qui offre une vérification palpable du théorème die Torri-
celli; mais, quand on fait abstraction de la stabilité, il est
évident que ce centre de gravité peut d'ailleurs être indif-
féremment au-dessus ou au-dessous du point de suspension,
l'équilibre ayant également lieu dans les deux cas.
La véritable démonstration générale du théorème de
Torricelli consiste à le déduire du principe fondamental
des vitesses virtuelles, qui le fournit immédiatement avec
la plus grande facilité. Il suffit, en effet, pour cela, d'ap-
pliquer directement ce principe à l'équilibre d'un système
quelconque de corps pesants, à Tégard duquel il donne
aussitôt l'équation
/
Pdz^O,
OÙ P désigne un quelconque des poids, et z la hauteur
verticale de son centre de gravité. Or, d'après la définition
générale du centre de gravité de tout système de poids, on
a évidemment, en nommant P le poids total du système,
et2, l'ordonnée verticalede son centre de gravité, la relation
/
Pdi^P,dz,.
Ainsi l'équation des vitesses virtuelles devient, dans ce
cas, dz^=0; ce qui, conformément à la théorie analytique
générale des maxima et minima^ démontre immédiatement
que la hauteur verticale du centre de gravité du système
est alors un maximum ou un minimum, comme l'indique le
théorème de Torricelli.
Celle importante propriété, indépendamment du grand
intérôt qu'elle présente sous le point de vue physique, peut
THÉORÈMES DE MÉCANIQUE RATIONNELLE. 50 3
môme être avantageusement employée pour faciliter Ja
solution générale de plusieurs problèmes essentiels de
statique rationnelle, relativement aux corps pesants. Ainsi,
par exemple, elle suffit à l'entière résolution de la célèbre
question de la chaînette^ c'est-à-dire de la figure que prend
une chaîne pesante suspendue à deux points fixes, et en-
suite librement abandonnée à la seule influence de la gra-
vité, en la supposant parfaitement flexible, et de plus
inextensible. En effet, le théorème de Torricelli indiquant
alors que le centre de gravité doit être placé le plus bas
possible, le problème appartient immédiatement à la
théorie générale des isopérimètres, indiquée dans la hui-
tième leçon, puisqu'il se réduit à déterminer, parmi toutes
les courbes de même contour tracées entre les deux points
fixes donnés, quelle est celle qui jouit de cette propriété
caractéristique, que la hauteur verticale de son centre de
gravité totale soit un minimum^ condition qui suffit pour
déterminer complètement, à l'aide du calcul des varia-
tions, l'équation différentielle, et ensuite l'équation finie
de la courbe cherchée. 11 en est de môme dans quelques
autres questions intéressantes relatives à l'équilibre des
poids.
Le théorème de Torricelli a éprouvé plus tard une im-
portante généralisation par les travaux de Maupertuis, qui,
sous le nom de loi du repos, a découvert une propriété
très-étendue del'équilibre, dont celle ci-dessus considérée
n'est plus qu'un simple cas particulier. C'est seulement à'
la pesanteur terrestre, ou à la gravité proprement dite,
que s'applique la loi trouvée par Torricelli. Celle de Mau-
pertuis s'étend, au contraire, à toutes les forces attractives
qui peuvent faire tendre les corps d'un système quel-
conque vers des centres fixes, ou les uns vers les autres,
suivant une fonction quelconque de la distance, indé-
50 4 MATHÉMATIQUES.
pendanle de la direction, ce qui comprend toutes les
grandes forces naturelles. On sait que, dans ce cas, l'expres-
sion PBp + F^p' -4- etc., qui forme le premier membre
de l'équation générale des vitesses virtuelles, se trouve
nécessairement être toujours une différentielle exacte. Par
conséquent, le principe des vitesses virtuelles consiste
alors proprement en ce que la variation de son intégrale
est nulle, ce qui indique évidemment, d'après la théo-
rie fondamentale des maxima et minimal que cette inté-
grale I P^p est constamment, dans le cas d'équilibre,
un maximum ou un minmum. C'est en cela que consiste la
loi de Maupertuis, considérée sous le point de vue le plus
général, et déduite ainsi directement avec une extrême
simplicité du principe fondamental des vitesses virtuelles,
qui doit nécessairement renfermer implicitement toutes
les propriétés auxquelles peut donner lieu la théorie de
l'équilibre. Le théorème de Maupertuis a été présenté par
Lagrange sous un aspect plus concret et plus remar-
quable, en le rattachant à la notion des forces vives, dont
nous nous occuperons plus bas. Lagrange, considérant que
l'intégrale i PBp envisagée par Maupertuis est nécessai-
rement toujours, d'après la théorie analytique générale
du mouvement, le complément de la somme des forces
vives du système à une certaine constante, en a conclu
que cette somme de forces vives est un minimum lorsque
l'intégrale précédente est un maximum, et réciproque-
ment. D'après cela, le théorème de Maupertuis peut être
envisagé plus simplement comme consistant en ce que la
situation d'équilibre d'un système quelconque est con-
stamment celle dans laquelle la somme des forces vives
se trouve ôtre un maximum ou un minimum, U est évident
que, dans le cas particulier de la pesanteur terrestre, cette
iiw
THÉORÈMES DE MÉCANIQUE RATIONNELLE. 505
loi coïncide exactement avec celle de Torricelli, la force
vive élai\t alors égale, comme on sait, au produit du poids
par Ja hauteur verticale du centre de gravité, laquelle doit
donc devenir nécessairement un maximum ou un minimum^
s'il y a étfuilibre.
Une autre propriété générale très-remarquable de l'é-
quilibre, qui peut être regardée comme le complément
indispensable du théorème de Torricelli et de Maupertuis,
consiste dans la distinction fondamentale des cas de stabi"
litéoM dUnstabilité de Téquilibre. On sait que Téquilibre
peut être stable ou instable, c'est-à-dire que le corps, infi-
niment peu écarté de sa situation d'équilibre, peut tendre
à y revenir, et y retourne, en effet, après un certain nombre
d'oscillations bientôt anéanties parla résistance du milieu,
les frottements, etc., ou bien qu'il tend, au contraire, à
s'en éloigner de plus en plus, pour ne s'arrêter que dans
une nouvelle position d'équilibre stable. Ce que nous ap-
pelons physiquement l'état de repos d'un corps n*est réelle-
ment autre chose que Véquilibre stable, car le repos abstrait,
tel que les géomètres le conçoivent, lorsqu'ils supposent
un corps qui ne serait sollicité par aucune force, ne sau-
rait évidemment exister dans la nature, où il ne peut y
avoir que des équilibres plus ou moins durables. L'équi-
libre instable, au contraire, constitue effectivement ce que
le vulgaire appelle proprement équilibre, qui désigne tou-
jours un état plus ou moins passager et artificiel. La pro-
priété générale que nous considérons maintenant, et dont
la démonstration complète est due à Lagrange, consiste en
ce que, dans un système quelconque, l'équilibre est stable
ou instable, siii\aini que l'intégrale envisagée par Mauper-
tuis, et qui a été indiquée ci-dessus, se trouve être un
minimum ou un maximum; ou, ce qui revient au même,
comme nous l'avons dit, suivant que la somme des forces
506 HATHÉMATIQUES.
vives est un maximum ou un minimum. Ce beau théorème
de mécanique, appliqué au cas le plus simple et le plus
remarquable, à celui de Téquilibre des corps pesants con-
sidéré par Torrîcelli, apprend alors que le système est dans
un état d'équilibre stable quand le centre de gravité est
placé le plus bas possible, et dans un état d'équilibre
instable quand, au contraire, le centre de gravité est placé
le plus haut possible, ce qu'il est aisé de vérifier directe-
ment pour les systèmes les moins compliqués. Ainsi, par
exemple, l'équilibre d'un pendule est évidemment stable,
quand le centre de gravité du poids se trouve être situé au-
dessus du point de suspension, et instable, quand il est au-
dessous. De même, un ellipsoïde de révolution, posé sur
un plan horizontal, est en équilibre stable quand il repose
sur le sommet de son petit axe, et en équilibre instable
quand c'est sur le sommet de son grand axe. La seule ob-
servation aurait suffi sans doute pour distinguer les deux
états dans des cas aussi simples. Mais la théorie la plus
profonde a été nécessaire pour dévoiler aux géomètres que
cette distinction fondamentale était également applicable
aux systèmes les plus composés, en montrant que, lorsque
l'intégrale relative à la somme des moments virtuels est un
minimum, le système ne peut faire autour de sa situation
d'équilibre que des oscillations très-petites et dont l'éten-
due est déterminée, tandis que, si cette intégrale est, au
contraire, un maximum^ ces oscillations peuvent acquérir
et acquièrent, en effet, une étendue finie et quelconque. Il
est d'ailleurs inutile d'avertir que, par leur nature, ces
propriétés, ainsi que les précédentes, ont lieu dans les
fluides tout aussi bien que dans les solides, ce qui est
également le caractère de toutes les propriétés mécani-
ques générales à l'examen desquelles nous avons destiné
cette leçon.
THÉORÈMES DE MÉCANIQUE RATIONNELLE. 507
Considérons maintenant les théorèmes généraux de mé-
canique relatifs au mouvement.
Depuis que ces propriétés ont cessé d'être envisagées
comme autant de principes^ et qu'on n'y a vu que de sim-
ples résultats nécessaires des théories dynamiques fonda-
mentales, la manière la plus directe et la plus convenable
de les établir consiste à les présenter, ainsi que Ta fait
Lagrange, comme des conséquences immédiates de l'équa-
tion générale de la dynamique, déduite de la combinaison
du principe de d*Alembert avec le principe des vitesses vir-
tuelles, telle que nous l'avons exposée dans la leçon précé-
dente. On doit mettre au nombre des avantages les plus
sensibles de cette méthode, comme Lagrange l'ajustement
remarqué, cette facilité qu'elle offre pour la démonstration
de ces grands théorèmes de dynamique dans leur plus
grande généralité, démonstration à laquelle on ne pouvait
autrement parvenir que par des considérations indirectes
et fort compliquées. Néanmoins la nature de ce cours nous
interdit d'indiquer spécialement ici chacune de ces dé-
monstrations, et nous devons nous borner à considérer seu-
lement les divers résultats.
Le premier théorème général de dynamique est celui que
Newton a découvert relativement au mouvement du centre
de gravité d'un système quelconque, et qui est habituelle-
ment connu sous le nom de principe de la conservation du
mouvement du centre de gravité. Newton a reconnu le pre-
mier et a démontré par des considérations extrêmement
simples, au commencement de son grand traité des Prin-
cipes mathématiques de la philosophie naturelle^ que l'action
mutuelle des corps d'un système les uns sur les autres, soit
par attraction, soit par impulsion, en un mot, d'une ma-
nière quelconque, en ayant convenablement égard à Téga-
lité constante et nécessaire entre la réaction et l'action, ne
50 8 MATOÉMATIQUES.
peut nullement altérer l'état du centre de gravité, en sorte
que, s'il n'y a pas d'autres forces accélératrices que ces
actions réciproques, et si les forces extérieures du système
se réduisent seulement à des forces instantanées, le centre
de gravité restera toujours immobile ou se mouvera uni-
formément en ligne droite. D'Alembert a, depuis, géné-
ralisé cette propriété, et prouvé que, quelque altération que
puisse introduire l'action mutuelle des corps du système
dans le mouvement de chacun d'eux, le centre de gravité
n'en est jamais affecté, et que son mouvement a constam-
ment lieu comme si toutes les forces du système y étaient
directement appliquées parallèlement à leur direction,
quelles que soient les forces extérieures de ce système, et
en supposant seulement qu'il ne présente aucun point fixe.
C'est ce qu'il est aisé de démontrer, en développant, dans
la formule général^ de la dynamique, les équations rela-
tives au mouvement de translation, qui^ par la propriété
analytique fondamentale du centre de gravité, se trouvent
coïncider avec celles qu'aurait fourni le mouvement isolé
de ce centre si la masse totale du système y eût été suppo-
sée condensée, et qu'on l'eût conçue animée de toutes les
forces extérieures du système. Le principal avantage de ce
beau théorème est de pouvoir ainsi, en ce qui concerne le
mouvement du centre de gravité, faire rentrer le cas .d'un
corps ou d'un système quelconque dans celui d'une molé-
cule unique. Comme le mouvement de translation d'un
système doit être estimé par le mouvement de son centre
de gravité, on parvient donc de cette manière à réduire la
seconde partie de la dynamique à la première pour tout
ce qui se rapporte aux mouvements de translation, d'où
résulte, ainsi qu'il est aisé de le sentir, une importante
simplification ilans la solution de tout problème dyna-
mique particulier, puisqu'on peut alors négliger, dans cette
THÉORÈMES DE MÉCANIQUE RATIONNELLE. 509
partie de la recherche, les effets de l'action niuluelle de
tous les corps proposés, dont la détermination constitue
ordinairement la principale difficulté de chaque question.
On ne se fait pas communément une assez juste idée de
rentière généralité théorique des grands résultats de la
mécanique rationnelle, qui sont nécessairement applica-
bles, par eux-mêmes, à tous les ordres de phénomènes na-
turels; puisque nous avons reconnu que les lois fondamen-
tales sur lesquelles repose tout Tédifice systématique de la
science ne souffrent d'exception dans aucune classe quel-
conque de phénomènes, et constituent les faits les plus
généraux de l'univers réel, quoiqu'on paraisse ordinaire-
ment, dans ce genre de conceptions, avoir seulement en
vue le monde inorganique. Aussi est-il à propos, ce me
semble, de faire remarquer formellement ici, au sujet de
celte première propriété générale du mouvement, que le
théorème a également lieu dans les corps vivants comme
dans les corps inanimés. Quelle que puisse être, en effet,
la nature des phénomènes qui caractérisent les corps vi-
vants, ils ne sauraient consister tout au plus qu'en certaines
actions particulières des molécules les unes sur les autres,
qui ne s'observeraient point dans les corps bruts, sans
qu'on doive douter d'ailleurs que la réaction y soit toujours,
aussi bien qu'en tout autre cas, égale au contraire à l'ac-
tion. Ainsi, par la nature môme du théorème que nous ve-
nons de considérer, il doit nécessairement se vérifier aussi
bien pour les corps vivants que pour les corps bruts, puis-
que le mouvement du centre de gravité est indépendant de
ces actions intérieures mutuelles. 11 en résulte, par exem-
ple, qu'un corps vivant, quel que soit le jeu interne de ses
organes, ne saurait de lui-môme déplacer son centre de
gravité, quoiqu'il puisse faire exécuter à quelques-uns de
ses points certains mouvements pareils autour de ce cen-
510 MATHÉMATIQUES.
tre. Ne vérifie-t-on pas clairement, en effel, que la locomo-
tion totale d'un corps vivant serait entièrement impossible
sans le secours extérieur que lui fournit la résistance et le
frottement du sol sur lequel il se meut, ou du fluide qui le
contient? On peut faire des remarques exactement analo-
gues, relativement à toutes les autres propriétés dyna-
miques générales qui nous restent à considérer, et pour
chacune desquelles je me dispenserai, par conséquent,
d'indiquer spécialement son applicabilité nécessaire aux
corps vivants aussi bien qu'aux corps inertes.
Le second théorème général de dynamique consiste dans
le célèbre et important principe des aires ^ dont la première
idée est due à Kepler, qui découvrit et démontra fort sim-^
plement cette propriété pour le cas du mouvement d'une
molécule unique, ou, en d'autres termes, d'un corps dont
tous les points se meuvent identiquement. Kepler établit,
par les considérations les plus élémentaires, que, si la force
accélératrice totale dont une molécule est animée tend
constamment vers un point fixe, le rayon vecteur du mo-
bile décrit autour de ce point des aires égales en temps
égaux, de telle sorte que l'aire décrite au bout d'un temps
quelconque croit proportionnellement à ce temps. Il fit
voir en outre que, réciproquement, si une semblable rela-
tion a été vérifiée dans le mouvement d'un corps par rap-
port à un certain point, c'est une preuve suffisante de l'ac-
tion sur ce corps d'une force dirigée sans cesse vers ce
point. Cette belle propriété se déduit d'ailleurs très-aisé-
ment des équations générales du mouvement curviligne
d'une molécule, exposées dans la leçon précédente, en pla-
çant l'origine des coordonnées au centre des forces, et con-
sidérant l'expression de l'aire décrite sur l'un quelconque
des plans coordonnés par la projection correspondante du
rayon vecteur du mobile. Cette découverte de Kepler est
THÉORÈMES DE MÉCANIQUE RATIONNELLE. 511
d'autanl plus remarquable, qu'elle a eu lieu avant que la
dynamique eût été réellement créée par Galilée. Nous au-
rons occasion de remarquer^ dans la partie astronomique
de ce cours, que Kepler, ayant reconnu que les rayons vec-
teurs dès planètes décrivent autour du soleil des aires pro-
portionnelles aux temps, ce qui constitue la première de
ses trois grandes lois astronomiques^ en conclut ainsi que
les planètes sont continuellement animées d'une tendance
vers le soleil, dont il était réservé à Newton de découvrir
la loi.
Mais, quelle que soit l'importance de ce premier théo-
rème des aires, qui est ainsi une des bases essentielles de
la mécanique céleste, on ne doit plus y voir aujourd'hui
que le cas particulier le plus simple du grand théorème
général des aires, découvert presque simultanément et
sous des formes différentes par d'Arcy, par Daniel Ber-
nouilli et par Ëuler, vers le milieu du siècle dernier. La dé-
couverte de Kepler n'était relative qu'au mouvement d'un
point : celle de d'Arcy se rapporte au mouvement de tout
système quelconque de corps agissant les uns sur les au-
tres d'une manière quelconque, ce qui constitue un cas,
non-seulement plus compliqué, mais môme essentielle-
ment différent, à cause de ces actions mutuelles. Le théo-
rème consiste alors en ce que, par suite de ces influences
réciproques, l'aire que décrira séparément le rayon vecteur
de chaque molécule du système à chaque instant autour
d'un point quelconque pourra bien être altérée, mais que
la somme algébrique des aires ainsi décrites par les pro-
jections sur un plan quelconque des rayons vecteurs de
toutes les molécules, en donnant à chacune de ces aires le
signe convenable d'après la règle ordinaire, ne souffrira
aucun changement, en sorte que, s'il n'y a pas d'autres
forces accélératrices dans le système que ces actions mu-
8 1 s H ATHÉMATIQUES .
iuelles, cette somme des aires décrites demeurera invaria-
ble en un temps donné, et croîtra par conséquent propor-
tionnellement au temps. Quand le système ne présente
aucun point fixe, cette propriété remarquable a lieu relati-
vement à un point quelconque de l'espace ; tandis qu'elle
se vérifie seulement en prenant le point fixe pour centre
des aires, si le système en offre un. Enfin, lorsque les corps
du système sont animés de forces accélératrices extérieures,
si ces forces tendent constamment vers un môme point, le
théorème des aires subsiste encore, mais uniquement à l'é-
gard de ce point. Cette dernière partie de la proposition
générale fournit évidemment, comme cas particulier, le
théorème de Répler, en supposant que le système se ré-
duise à une seule molécule.
Dans l'application de ce théorème, on remplace ordinai-
rement la somme des aires correspondantes à toutes les
molécules du système par la somme équivalente des pro-
duits de la masse de chaque corps par l'aire qui s'y rap-
porte, ce qui dispense de partager le système en molécules
de môme masse.
Telle est la forme sous laquelle le théorème général des
aires a été découvert par d'Arcy ; c'est celle qu'on emploie
habituellement. Comme l'aire décrite par le rayon vecteur
de chaque corps dans un instant infiniment petit est évi-
demment proportionnelle au produit de la vitesse de ce
corps par sa dislance au point fixe que l'on considère, on
peut substituer à la somme des aires la somme des mo»
ments par rapport à ce point de toutes les forces du système
projetées sur un môme plan quelconque. Sous ce point de
vue, le théorème des aires présente, suivant la remarque
de Laplace* une propriété générale du mouvement ana-
logue à une de celles de l'équilibre, puisqu'il consiste alors
en ce que celte somme des moments, nulle dans le cas de
THÉORÈMES DE MÉCANIQUE RATIONNELLE. 518
réqiiilîbre, est constante dans le cas du mouvement. C'est
ainsi que ce théorème a été trouvé par Euler et par Daniel
Bernouilli.
Quelle que soit l'interprétation concrète qu*on juge
convenable de lui donner, il est une simple conséquence
analytique directe de la formule générale de la dynamique.
Il suffit, pour l'en déduire, de développer cette formtile
en formant les équations qui se rapportent au mouvement
de rotation, et dans lesquelles on apercevra immédiate-
ment l'expression analytique du théorème des aires ou
des moments, en ayant égard aux conditions ci-dessus in-
diquées. Sous le rapport analytique, on peut dire que
l'utilité de ce théorème consiste essentiellement à fournir
dans tous les cas trois intégrales premières des équations
générales du mouvement qui sont par elles-mêmes du se-
cond ordre, ce qui tend à faciliter singulièrement la solu-
tion définitive de chaque problème dynamique particulier.
Le théorème des aires suffit pour déterminer, dans le
mouvement général d'un système quelconque, tout ce qui se
rapporte aux mouvements de rotation, comme le théorème
du centre de gravité détermine tout ce qui est relatif aux
mouvements de translation. Ainsi, parla seule combinaison
de ces deux propriétés générales, on pourrait procéder a
l'étude complète du mouvement d'un système quelconque
de corps, soit quant à la translation, soit quant à la ro-
tation.
Je ne dois pas négliger de signaler sommairement ici^
au sujet du théorème des aires, la clarté inespérée et la
simplicité admirable que Poinsut y a introduites en y appli*
quant sa conception fondamentale relative aux mouve-
ments de rotation, que nous avons considérée sous le point
de vue statique dans la seizième h çon. En substituant aux
aires, ou aux moments considérés jusqu'alors par les géo-
A. GoMTB. Tome I. SB
51 4 MATHÉMATIQUES.
mètres, les couples qu'engendrent les forces proposées,
Poinsot a fait éprouver à cette théorie un perfectionne-
ment philosophique très-important, qui ne me parait pas
encore avoir été suffisamment senti. II a donné ainsi une
valeur concrète, un sens dynamique propre et direct, à ce
qui n'était auparavant qu'un simple énoncé géométrique
d'une partie des équations fondamentales du mouvement.
Une aussi heureuse transformation générale est destinée,
sans doute, à accroître nécessairement les ressources
de l'esprit humain pour Télahoration des idées dynami-
ques, en tout ce qui concerne la théorie des mouvements
de rotation. On peut voir dans le beau mémoire de Poinsot
sur les propriétés des moments et des atres^ qui se trouve
annexé à sa Statique^ avec quelle facilité il est parvenu,
d'après cette lumineuse conception, non-seulement à ren-
dre élémentaire une théorie jusqu'alors fondée sur la plus
haute analyse, mais à découvrir à cet égard de nouvelles
propriétés générales très-remarquables, que nous ne de-
vons point considérer ici, et qu'il eût été difûcile d'obtenir
par les méthodes antérieures.
Le théorème des aires a élé^ pour l'illustre Laplace,
l'origine de la découverte d'une autre propriété dyna-
mique très-rcmarquable, celle de ce qu'il a nommé \eplan
invariable, dont la considération est surtout si importante
dans la mécanique céleste. La somme des aires projetées
par tous les corps du système sur un plan quelconque étant
constante en un temps donné, Laplace a cherché la direc-
tion du plan à l'égard duquel cette somme se trouvait être
le plus grande possible. Or, d'après la manière dont ce
plan de la plus grande aire ou du plus grand moment est
déterminé, Laplace a démontré que sa direction est néces-
sairement indépendante de la réaction mutuelle des diffé-
rentes parties du système, en sorte que, par sa nature» ce
THÉOBÂMES DE MÉCANIQUE RATIONNELLE. 515
plan doit rester continuellement invariable, quelles qoe
puissent jamais être les altérations introduites dans la si-
tuation de ces corps par leurs influences réciproques,
pourvu qu'il ne survienne aucune nouvelle force exté-
rieure. On conçoit aisément de quelle importance doit être,
comme nous l'expliquerons spécialement dans la seconde
partie de ce cours, la détermination d'un tel plan relative-
ment à notre système solaire, puisqu'on y rapportant
tous nos mouvements célestes, il nous procure l'inappré-
ciable avantage d'avoir un terme de comparaison néces-
sairement Qxe, à travers tous les dérangements que l'action
mutuelle de nos planètes pourra faire subir dans la suite
des temps à leurs distances, à leurs révolutions et même
aux plans de leurs orbites, ce qui est une première condi-
tion évidemment indispensable pour que nous puissions
exactement connaître en quoi consistent ces altérations.
Malheureusement nous aurons occasion de remarquer que
rincertitude oii nous sommes jusqu'ici, relativement à la
valeur exacte de plusieurs données essentielles, ne nous
permet pas encore de déterminer avec toute la précision
sufûsantela situation de ce plan. Mais cette difQculté d'ap-
plication n'affecte en aucune manière le caractère de ce
beau théorème, considéré sous le point de vue de la méca-
nique rationnelle, le seul que nous devions adopter ici.
La théorie du plan invariable a été notablement perfec*
tionnée par Poiusot, qui a dû naturellement y transporter
sa conception propre relativement à la théorie générale des
aires ou des moments. Il a d'abord considérablement sim*
pliflé la notion fondamentale de ce plan, de façon à la
rendre aussi élémentaire qu'il est possible, en montrant
qu'un tel plan n'est réellement autre chose que le plan du
couple général résultant de tous les couples engendrés par
les différentes forces du système, ce qui le définit immé-
516 MATOÉMATIQUES.
diatement par un^ propriété dynamique très-sensible, au
lieu de la seule propriété géométrique du maximum des
aires. Quand une conception quelconque a élé vraiment
simpliGée dans sa nature, l'élaboration en étant par cela
même facilitée, elle ne saurait manquer de prendre plus
d'extension et de conduire à des résultats nouveaux : telle
est, en effet, la marcbe ordinaire de l'esprit humain dans
les sciences, que les théories les plus fécondes en décou-
vertes n'ont élé ie plus souvent, à leur origine, qu'un moyen
de r^endre plus simple la solution de questions déjà traitées.
Le travail que nous considérons ici en a offeit une nouvelle
preuve. Car la théorie de Poinsot a permis d'introduire un
plusbaui degré de précision dans la détermination du plan
invaiiable propre à notre systènie solaire, en signalant eten
rectifiant une importante lacune que Laplacey avait laissée.
Ce grand géomètre, en calculant la situation du plan du
maximum des aires, avait cru ne devoir prendre en consi-
dération que les aires principales, produites par la circula-
tion des planètes autour du soleil, sans tenir aucun compte
de celles dues aux mouvements des satellites autour des
planètes, ou à la rotation de tous ces astres et du soleil lui
même. Poinsot vient de prouver la nécessité d'avoir égard
à ces divers éléments, sans quoi le plan ainsi déterminé
ne pourrait point être regardé comme rigoureusement
invariable ; et, en cherchant la direction du véritable plan
invariable aussi exactement que le comporte l'imperfection
actuelle de la plupart des données, il a fait voir que ce plan
diffère sensiblement de celui trouvé par Laplace ; ce qu'il
ebt Facile de concevoir par la seule considération de Taire
immense que doit introduire dans le calcul la masse
énorme du soleil, quoique sa rotation soit très-lente.
Pour compléter l'indication des propriétés dynamiques
les plus importantes relatives au mouvement de rotation,
TOÉORÂMES DE MÉCANIQUE RATIONNELLE. 517
il convient maintenant de signaler ici les beanx théorèmes
découverts par Euler sur ce qu'il a nommé les moments
d'inertie et les axes principaux, qu'on doit mettre au nom-
bre des résultats généraux les plus importants de la mé*
canique rationnelle. Euler a donné le nom de moment d'i^^
nertie d'un corps à l'intégrale qui exprime la somme des
produits de la masse de chaque molécule par le carré de
sa distance à r.ixe autour duquel le corps tourne, intégrale
dont la considération doit évidemment ôlre très-cssen-
tielle, puisqu'elle peut être naturellement regardée comme
la mesure exacte de l'énergie de rotation du corps. Quand
la masse proposée est homogène, ce moment d'inertie se
détermine comme les autres intégrales analogues relatives
à la forme d'un corps ; lorsqu'au contraire, cette masse
est hétérogène, il faut de plus connaître la loi de la den-
sité dans les diverses couches qui la composent, et, à cela
près, rint<^gration n'est alors seulement que plus compli-
quée. Celte notion étant établie, Euler, comparant, en gé-
néral, les moments d'inertie d'un môme corps quelconque
par rapport à tous les axes de rotation imaginables passant
en un point donné, détermina les axes relativement aux-
quels le moment d'inertie doit être un maximum ou un
minimum, en considérant surtout ceux qui se coupent au
centre de gravité, et qui se distinguent en ce qu'ils pro-
duisent nécessairement des moments moindres que si, avec
la môme direction, ils étaient placés partout tailleurs. Il
découvrit ainsi qu'il existe constamment, en un point quel-
conque d'un corps, et particulièrement au centre de gra-
vité, trois axes rectangulaires tels, que le moment d'i*
nertie du corps est un maximum à l'égard de l'un d'entre
eux, et un minimum à l'égard d'un autre. Ces axes sont
d'ailleurs caractérisés par une autre propriété commune
qui leur sert habituellement aujourd'hui de définition ana-
518 MATHÉMATIQUES.
lytiqae, et qai constitue, en effet, pour l'analyse, le prin-
cipal avantage que Ton trouve à rapporter le mouvement du
corps à ces trois axes. Celte propriété consiste en ce que,
lorsque ces trois axes sont pris pour ceux des coordonnées
X, y, s, les intégrales 1 xsrfm, / xydm^ l yzdm (m expri-
mant la masse du corps), sont nulles relativement au corps
tout entier, ce qui simpliRe notablement les équations gé-
nérales du mouvement de rotation. Mais le principal théo-
rème dynamique découvert par Euler à l'égard de ces axes,
et d'aprôs lequel il les a justement appelés axes principaux
de rotation, consiste dans la stabilité des rotations qui leur
correspondent ; c'est-à-dire que, si le corps a commencé à
tourner autour d'un de ces axes, cette rotation persistera
indéfiniment de la môme manière, ce qui n'aurait pas lieu
pour tout autre axe quelconque, la rotation instantanée
s'exécutant en général autour d'un axe continuellement
variable. Ce système des axes principaux est généralement
unique dans chaque corps : cependant, si tous les mo-
ments d'inertie étaient constamment égaux entre eux, la
direction de ces axes deviendrait totalement indéterminée,
pourvu qu'on les choisit toujours perpendiculaires entre
eux, ce qui a lieu, par exemple, dans une sphère homo-
gène, où l'on peut regarder comme des axes permanents de
rotation tous les systèmes d'axes rectangulaires passant
par le centre. Il y aurait encore un certain degré d'indé-
termination si le corps était un solide de révolution, l'axe
géométrique étant alors un des axes dynamiques princi-
paux ; mais les deux autres pouvant évidemment être pris
i volonté dans un plan perpendiculaire au premier. La dé-
termination des axes principaux présente souvent de
grandes difOopltés en considérant des corps de figure et de
constitution quelconque ; mais elle s'effectue avec une
extrême facilité dans les cas peu compliqués, que la mé-
TQÉORÉMES DE MÉGANIQUE RATIONNELLE. 519
canique céleste nous présente heureusement comme les
plus communs. Par exemple, dans un ellipso^ide homogène,
ou même seulement composé de couches semblables et
concentriques d'inégale densité, mais dont chacune est
homogène, les trois diamètres conjugués rectangulaires
sont eux-mêmes les axes dynamiques principaux : le mo-
ment d'inertie du corps est un maximum relativement au
plus petit de ces diamètres^ et un minimum à Tégard du
plus grand. Quand les axes principaux d'un corps ou d'un
système sont déterminés ainsi que les moments d'inertie
correspondants, si le système ne tourne pas autour de l'un
de ces axes, £uler a établi des formules générales très-
simples, qui font connaître constamment les angles que
doit faire avec eux la droite autour de laquelle s'exécute
spontanément la rotation instantanée, et la valeur du mo-
ment d'inertie qui s'y rapporte, ce qui suffit pour l'analyse
complète du mouvement de rotation.
Tels sont les théorèmes généraux de dynamique qui
se rapportent directement à l'entière détermination du
mouvement d'un corps ou d'un système quelconque, soit
quant à la translation, soit quant à la rotation. Mais, outre
ces'propriétés fondamentales, les géomètres en ont encore
découvert plusieurs autres très-générales, qui, sans être
aussi strictement indispensables, méritent singulièrement
d'être signalés dans un examen philosophique de la mé-
canique rationnelle, à cause de leur extrême importance
pour la simplification des recherches spéciales.
La première et la plus remarquable d'entre elles^ celle
qui présente les plus précieux avantages pour les appli-
cations, consiste dans le célèbre théorème de la conserva^
tion des forces vives. La découverte primitive en est due à
Huyghens, qui fonda sur cette considération sa solution du
problème du centre d'oscillation. La notion en fut ensuite
520 MATHÉMATIQUES.
généralisée par Jean Bernouilli, car Huygbens ne TaTail
établi que relalivemenl au mouvement des corps pesants.
Mais Jean Bernouilli, accordant une importance exagérée
et vicieuse à la fameuse distinction introduite parLeibnitz
enlre les forces mortes et les forces vives, tenta vainement
d'ériger ce tbéorème en une loi primitive de la nature^
tandis qu'il ne saurait êlre qu'une conséquence plus ou
moins générale des théories dynamiques fondamentales.
Les travaux les plus importants dont cette propriété du
mouvement ait été le sujet sont certainement ceux de
l'illustre Daniel Bernouilli, qui donna au théorème des
forces vives sa plus grande extension, ainsi que la forme
systématique sous laquelle nous le concevons aujourd'hui,
et qui en fit surtout un si heureux usage pour l'étude du
mouvement des fluides.
On sait que, depuis Leibnitz, les géomètres appellent
force vive d'un corps le produit de sa masse par le carré de
sa vitesse, en faisant d'ailleurs complètement abstraction
des considérations trop vagues qui avaient conduit Leibnitz
è former une telle expression. Le théorème général que
nous envisageons ici consiste en ceque, quelques altérations
qui puissent survenir dans le mouvement de chacun des
corps d'un système quelconque en vertu de leur action
réciproque, la somme des forces vives de tous ces corps
reste constamment la môme en un temps donné. C'est ce
qu'on démontre aujourd'hui avec la plus grande facilité
d'après les équations fondamentales du mouvement d'un
système quelconque, et surtout, comme l'a fait Lagrange,
en partant de la formule générale de la dynamique exposée
dans la leçon précédente. Sous le point de vue analytique,
l'extrême utilité de ce beau théorème consiste essentiel-
lement en ce qu'il fournit toujours d'avance une première
équation finie entre les masses et les vitesses des différents
THÉORÈMES DE BtÉCAIflQUE RATIONNELLE. 5SI
corps dusyslôme. Cette relation, qui peut ôlre envisagée
conDine une des intégrales déllnitives des équations diffé-
rentielles du mouvement, suffil à l'entière solution du
problème, toutes les fois qu'il est réductible à la déter-
mination du mouvement d'un seul des corps que l'on coq*
sidère, détermination qui s'effectue alors avec une grande
facilité.
Mais, pour se faire une juste idée de cette importante'
propriété, il est indispensable de remarquer qu'elle est
assujettie à une limitation considérable, qui ne permet
point, sous le rapport de la généralité, de la placer sur la
môme ligne que les théorèmes précédemment examinés.
Cette limitation, découverte à la fin du dernier siècle par
Carnot, consiste en ce que la somme des forces vives subit
constamment une diminution dans le choc des corps qui
ne sont pas parfaitement élastiques, et généralement toutes
les fois que le système éprouve un changement brusque
quelconque. Carnot a démontré qu'alors il y a une perte
de forces vives égale à la somme des forces vives dues aux
vitesses perdues parce changement. Ainsi le théorème de
la conservation des forces vives n'a lieu qu'autant que.le
mouvement du système varie seulement par degrés insen-
sibles, ou qu'il ne survient de choc qu'entre des corps
doués d'une élasticité parfaite. Cetle importante considé-
ration complète la notion générale qu'on doit se former
d'une propriété aussi remarquable.
De tous les grands théorèmes de mécanique rationnelle,
celui que nous venons d'envisager est sans contredit le
plus important pour les applications à la mécanique in*-
dustrielle; c'est-à-dire en ce qui concerne la théorie du
mouvement des machines, en tant qu'elle est susceptible
d'être établie d'une manière exacte et précise. Le théo-
rème des forces vives a commencé à fournir jusqu'ici.
52S MATUÉMATIQUES.
SOUS ce point de vue, des iadications générales très-pré-
cieuses, qui ont été surtout présentées avec une netteté et
une concision parfaites dans le travail de Carnot, auquel
on n'a ajouté depuis rien de vraiment essentiel. Ce théo-
rème présente directement, en effet, la considération dyna-
mique d'une machine quelconque sous son véritable
aspect, en montrant que, dans toute transmission et mo-
dification du mouvement effectuée par une machine, il y a
simplement échange de force vive entre la masse du mo-
teur et celle du corps à mouvoir. Cet échange serait com-
plet, c'est-à-dire toute la force vive du moteur serait
utilisée en évitant les changements brusques, si les frotte-
ments, la résistance des milieux, etc., n'en absorbaient
nécessairement une portion plus ou moins considérable
suivant que la machine est plus ou moins compliquée.
Cette notion met dans tout son jour l'absurdité de ce qu'on
a appelé le mouvement perpétuel, en indiquant môme
d'une manière générale à quel instant la machine aban-
donnée à sa seule impulsion primitive doit s'arrêter spon-
tanément; mais cette absurdité est d'ailleurs de sa nature
tellement sensible, qu'Huyghens avait, au contraire, fondé
en partie sa démonstration du théorème des forces vives
sur révidence manifeste d'une telle impossibilité. Quoi
qu'il en soit, ce théorème donne une idée nette de la véri-
table perfection dynamique d'une machine, en la rédui-
sant à utiliser la plus grande fraction possible de la force
vive du moteur, ce qui ne peut avoir lieu généralement
qu'en s'efforçant de simpliûer le mécanisme autant que le
comporte la nature du moteur. On conçoit, en effet, que, si
l'on mesure, comme il semble naturel de le faire, l'effet
dynamique utile d'un moteur en un temps donné par le
produit du poids qu'il peut élever et de la hauteur à la-
quelle il le transporte, cet effet équivaut immédiatement,
TnÉORÈMES DE MÉCANIQUE RATIONNELLE. 5Î8
d'après les lois du mouvement vertical des corps pesants,
à une force vive, et non à une quantité de mouvement.
Sous ce point de vue, la fameuse discussion soulevée par
Leibnilz au sujet des forces vives, et à laquelle prirent part
tous les grands géomètres de celte époque, ne doit point
être regardée comme aussi dépourvue de réalité que d'A-
lembert a paru le croire. On s'était sans doute mépris en
pensant que la mécanique rationnelle était intéressée dans
cette contestation, qui ne saurait en effet, selon la remar-
que de d'Alembert, exercer sur elle la moindre influence
réelle. Le point de vue théorique et le point de vue pra-
tique n'avaient pas été assez soigneusement séparés par les
géomètres qui suivirent celte discussion. Mais, sous le seul
point de vue de la mécanique industrielle, elle n'en avait
pas moins une véritable importance. Elle pourrait môme
être utilement reprise aujourd'hui, car les objections qui
ont été faites contre la mesure vulgaire de la valeur dyna-
mique des moteurs méritent d'être prises en sérieuse
considération^ vu qu'il semble, en effet, peu rationnel de
prendre pour unité un mouvement qui n'est point uniforme.
Mais^ quelque décision qu'on flnisse par adopter sur
cette contestation non terminée, l'application du théorème
des forces vives n'en conservera pas moins toute son im-
portance pour montrer sous son vrai jour la destination
réelle des machines, en prouvant que nécessairement elles
font perdre en vitesse ou en temps ce qu'elles font gagner
en force ou réciproquement, de telle sorte que leur utilité
consiste essenliellement à échanger les uns dans les autres
les divers facteurs de l'effet à produire^ sans pouvoir jamais
l'augmenter par elles-mêmes dans sa totalité, et en lui
faisant constamment subir au contraire une inévitable di-
minution, ordinairement très-notable. Il est douteux, du
reste, que l'application de ce théorème puisse à aucune
i
534 MATHÉMATIQUES.
époque ôtre poussée beaucoup plus loin que les indications
générales de ce genre, car le vérilable calcul à priori de
relTet précis d'une machine quelconque donnée présente,
comme problème de dynamique, une trop grande compli-
cation, et exige la connaissance exacte d'un trop grand
nombre de relations encore complètement inconnues, pour
pouvoir être efficacement tenté dans la plupart des cas (1).
(1) La véritable théorie propre de la mécanique iDdustrieUe, qai n'est
nullement, ainsi qu'on le croit souvent, une simple dérivation de la/>^o*
ronomie ou néamoins rationnelle, et qui se rapporte & un ordre d'idées
complètement distinct^ n'a point encore été conçue. 11 en est, à cet égard,
comme de toute tiutre science cTappiicHtion dont l'esprit humain ne possède
Jusqu'ici que quelques éléments insuffisants, selon la remarque indiquée
dans notre seconde leçon. La mécanique industrielle, abstraction faite de
la formation des moteurs, qui dépend de l'ensemble de nos connaissances
sur la nature^ se compose de deux classes de recherches très-différentes,
les unes dynamiques, les autres géométriques. Les premières ont pour
obj^t la détermination des appareils les plus convenables, afin d'utiliser
autant que possible les forces motrices données; c'est-à-dire d'obtenir
entre la force \ive du corps à mouvoir et celle du moteur le rapport le
pliis rapproché de l'unité, en ayant égard aux mortifications exiguës dans
la vitesse par la destination connue de la machine. Quant aux autres, on
s'y propose de changer à volonté, à l'aide d'un mécanisme convenable, les
lignes décrites parles points d'application des forces. En un mot, le mou-
vement est modifié, dans les unes, quant à son intensité ; dans les autres,
quant à sa direction. Les premières se rapportent à une doctrine entière-
ment neuve, au sujet de laquelle il n'a encore été produit aucune concep-
tion directe et vraiment rationnelle. Il en est à peu près de même pour les
autres, qui dépendent de cette géométrie de situation entrevue parLeib-
nitz, mais qui n'a fait jusqu'ici presque aucun progrès. Je ne connais, à
cet égard, d'autre travail réel qu'une ingénieuse considération élémen-
taire présentée par Monge, et qui, quoique simplement empirique, mérite
d'être notée ici, ne fût-ce que pour indiquer la véritable nature de cet
ordre d'idées.
Monge est parti de cette observation, très-plansible en effet, que, dans
la réalité, les mouvements exécutés par les machines sont on rectilignes
ou circulaires, chacun pouvant être d'ailleurs ou continu ou alternatif. Il
a, dès lors, envisagé toute machine comme destinée, sous le rapport géo-
métrique, à transformer ces divers mouvements élémentaires les uns dans
les autres. Cela posé, en épuisant toutes les combinaisons diverses qa'noe
THÉORÈMES DE MÉCANIQUE RATIONNELLE. 5SS
Le mouvement d'un système quelconque présente une
autre propriété générale très-remarquable, quoique moins
importante^ soit sous le rapport analytique, soit surtout
sous le rapport physique, que celle qui vient d'ôtre exa-
minée : c'est la prospérité exprimée par le célèbre théo-
rème général de dynamique auquel Maupertuis a donné la
dénomination si vicieuse de principe de la moindre action,
La filiation des idées au sujet de cette découverte re-
monte à une époque très-éloignée, car les géomètres de
l'antiquité avaient déjà fait quelques remarques qu'on peut
concevoir aujourd'hui comme équivalentes à la vérification
de ce théorème dans le cas particulier le plus simple. Pto-
lémée, en effet, observe expressément, quant à la loi de la
réflexion de la lumière, que par la nature de cette loi, la
lumière, en se réfléchissant, se trouve suivre le plus court
chemin possible pour parvenir d'un point à un autre. Lors-
que Descartes et Snellius curent découvert la loi réelle de
la réfraction. Fermât rechercha si on ne pourrait point y
arriver à priori d'après quelque considération analogue à
la remarque de Ptolémée. Le minimum ne pouvant alors
avoir lieu relativement à la longueur du chemin parcouru,
puisque la route rcctiligne eût été possible dans ce cas.
Fermât présuma qu'il existerait à l'égard du temps. Il se
proposa donc, en regardant la route de la lumière comme
composée de deux droites différentes^ séparées, sous un
angle inconnu, à la surface du corps réfringent^ quelle de-
telle transformation peut offrir, il en a vu résulter nécessairement dix sé-
ries d'appareils dans lesquelles peuvent être rangées toutou les machines
connues, ainsi que celles qu'on imaginera plus tard. Les tableaux résul-
tant de cette classification peuvent donc être envisagés comme présentant
au mécanicien les moyens empiriques de résoudre, dans chaque cas, le
problème de la transformation du mouvement, en choisissant, parmi tous
les appareils propres à remplir la condition proposée, celui qui présente
d'ailleurs le plus d'avantages.
BS6 HATUÉMATIQUES.
Tait être celle direction relative pour que le temps employé
par la lumière dans son trajet fût le moindre possible, et
il eut le bonheur de trouver d'après cette seule considé-
ration une loi de la réfraction exactement conforme à celle
directement déduite des observations par Snellius et par
Descartes. Cette belle solution est d'ailleurs éminemment re-
marquable dans l'histoire générale des progrès de l'analyse
mathématique, comme ayant offert à Fermât la première
application importante de sa célèbre méthode de maximis
etmmimis, qui contient le véritable germe primitif du calcul
dilTérentiel.
La comparaison de la remarque de Ptolémée avec le
travail de Fermât envisagé sous le point de vue dynamique
devint pour Maupertuis la base de la découverte du théo-
rème que nous considérons. Quoique égaré, bien plus que
conduit, par de vagues considérations métaphysiques sur
la prétendue économie des forces dans la nature, il finit
par arriver à ce résultat important, que la trajectoire d'un
corps soumis à l'action de forces quelconques devait néces-
sairement ôlre telle, que l'intégrale du produit de la vitesse
du mobile par l'élément de la courbe décrite fût toujours
un minimum, relativement à sa valeur dans toute autre
courbe. Mais Lagrange est avec justice généralement re-
gardé par les géomètres actuels comme le véritable fonda-
teur de ce théorème, non-seulement pour l'avoir généralisé
autant que possible, mais surtout pour en avoir découvert
la véritable démonstration en le rattachant aux théories
dynamiques fondamentales, et en le dégageant des notions
confuses arbitraires que Maupertuis avait employées. II
ne subsiste maintenant d'autre trace du travail de Mauper-
tuis que le jiom qu'il a imposé à ce théorème, et dont l'im-
propriété" est universellement reconnue, quoique, pour
plu i de brièveté, on ait continué à s'en servir. Le théorème,
TnÉOBÈMES DE MÉCANIQUE RATIONNELLE. 527
tel qu'il a été établi par Lagrange relativement h un système
quelconque de corps consiste en ce que, quelles que soient
leurs attractions réciproques, ou leurs tendances vers des
centres fixes, les trajectoires décrites par ces corps sont
toujours telles, que la somme des produits de la masse de
cbacun d'eux, et de l'intégrale relative à sa vitesse multi-
pliée par l'élément de la courbe correspondante, est né-
cessairement un maximum ou un minimumy cette somme
étant étendue à la totalité du système. Il importe d'ailleurs
de remarquer que, la démonstration de ce tbéorème gé-
néral étant fondée sur le tbéorème des forces vives, il est
inévitablement assujetti aux mômes limitations que celui-ci.
Outre la belle propriété du mouvement contenue dans
celle proposition remarquable, on conçoit que, sous le
rapport analytique, elle peut être envisagée comme un
nouveau moyen de former les équations difTérenlielIes qui
doivent conduire à la détermination dccbaque mouvement
spécial. Il sufOt, en effet, conformément à la méthode gé-
nérale des maxima et minima fournie par le calcul des va«
riations, d'exprimer que la somme précédemment indi-
quée est un maximum ou un minimum (soit absolu, soit
relatif suivant les cas), en rendant sa variation nulle. La-
grange a expressément montré comment, d'après cette
seule considération, on peut, en général, retrouver la for-
roule fondamentale de la dynamique. Mais, quelque utile
que puisse ôlre en certains cas une telle manière de pro-
céder, il ne faut point s'exagérer son importance ; car on
ne doit pas perdre de vue qu'elle ne fournit par elle-même
aucune intégrale finie des équations du mouvement; elle
se borne seulement à établir ces équations d'une autre
manière, qui peut quelquefois ôlre plus convenable. Sous
ce rapport, le théorème de la moindre action est certaine-
ment moins précieux que celui des forces vives. Quoi qu'il
518 M ATD ÉMATIQUES.
en soit, il convient de remarquer ici avec Lagrange que
rensemble de ces deux théorèmes peut être regardé, en
thèse générale, comme surûsant pour Tenlière détermina-
tion du mouvement d'un corps.
Le théorème de la moindre action a aussi été présenté
par Lagrange sous une autre forme générale, spécialement
destiné'' à rendre plus sensible son interprétation concrète.
En effet, Télément de la trajectoire pouvant évidemment
être remplacé dans renoncé de ce théorème par le produit
équivalent de la vitesse et de l'élément du temps, le théo-
rème consiste alors en ce que chaque corps du système
décrit constamment une courbe telle, que la somme des
forces \ives consommées en un temps donné pour parvenir
d'une position à une autre est nécessairement un maximum
ou un minimum.
L'histoire philosophique des travaux relatifs au théorème
de la moindre action est particulièrement propre à mettre
dans tout son jour l'insuTûsance complète et le vice radi-
cal des considérations métaphysiques employées comme
moyens de découvertes scientiflques. On ne peut nier sans
doute que le principe tbéologique et métaphysique des
causes finales n'ait eu ici quelque utilité, en contribuant
dans l'origine à éveiller l'attention des géomètres sur cette
importante propriété dynamique, et même en leur four-
nissant à cet égard quelques indications vagues. L'esprit de
ce cours, tel que nous l'avons déjà expressément signalé,
et tel qu'il se développera de plus en plus par la suite,
nous prescrit, en effet, de regarder, en thèse générale, les
hypothèses théologiques et métaphysiques comme ayant
été utiles et même nécessaires aux progrès réels de l'intel-
ligence humaine, en soutenant son activité aussi long*
temps qu'a duré l'absence de conceptions positives d*une
généralité suffisante. Mais, alors môme, les nombreux in-
THÉORéMES DE MÉCANIQUE BATIONNELLE. Stf
coDvénients fondamentaux inhérents à une telle manière
de procéder Yérifient clairement qu'elle ne peut être en-
visagée que comme provisoire. L'exemple actuel en offre
une preuve sensible. Car, sans l'introduction des considé*
rations exactes et réelles fondées sur les lois générales de
la mécanique, on disputerait encore, ainsi que le remarque
Lagrange avec tant de raison, sur ce qu'il faut entendre
par la moindî^e action de la nature, la prétendue économie
des forces consistant tantôt dans l'espace, tantôt dans le
temps, et le plus souvent n'étant, en effet, ni l'une ni l'autre.
Il est d'ailleurs évident que cette propriété n'a point ce
caractère absolu qu'on avait d'abord voulu lui imposer,
puisqu'elle éprouve dans un grand nombre de cas des res*
trictions déterminées. Mais ce qui rend surtout manifeste
le vice radical des considérations primitives, c'est que,
d'après l'analyse exacte de la question traitée par Lagrange,
on voit que l'intégrale ci-dessus définie n'est nullement
assujettie à être nécessairement un mnimum^ et qu'elle
peut, au contraire, être tout aussi bien un maxùnmmj
comme il arrive effectivement en certains cas, le véritable
théorème général consistant seulement en ce que la varia-
tion de cette intégrale est nulle : que devient alors l'éco-
nomie des forces, de quelque manière qu'on prétende ca-
ractériser Vaction? L'insuffisance et même l'erreur de
l'argumentation de Maupertuis sont dès lors pleinement
évidentes. Dans cette occasion, comme dans toutes celles
où il a pu jusqu'ici y avoir concours, la comparaison a
expressément constaté la supériorité immense et néces-
saire de la philosophie positive sur la philosophie théolo-
gique et métaphysique, non-seulement quant à la justesse
et à la précision des résultats effectifs, mais même quant
à l'étendue des conceptions et à l'élévation réelle du point
de vue intellectuel.
A. GoMTi. Tome I. S 4
580 MATHÉMATIQUES. '
Pour compléter cette énumération raisonnée des pro-
priétés générales du mouvement, je crois devoir enfin
signaler ici une dernière proposition fort remarquable,
qu'on ne place point ordinairement dans la même caté-
gorie que les précédentes, et qui mérite cependant, à un
aussi haut degré, de fixer notre attention, soit par sa beauté
intrinsèque, soit surtout par l'importance et l'étendue de
ses applications aux problèmes dynamiques les plus dif-
ficiles. Il s'agit du célèbre théorème général découvert
par Daniel Bernouilli, sur la coexistence des petites oscilla'
tions. Voici en quoi il consiste.
Nous avons vu, en commençant cette leçon, qu'il existe,
pour tout système de forces, une situation d'équilibre
sfablcy celle dans laquelle la somme des forces vives est un
des maximum, suivant la loi de Maupertuis généralisée par
Lngrange. Quand le système est infiniment peu écarté de
celle situation par une cause quelconque, il (end à y re-
venir, en faisant aulour d'elle une suite d'oscillations in-
finiment petites^ graduellement diminuées et bientôt dé-
truites par la résistance du milieu et par les frottements, et
qu'on peut assimiler à celles d'un pendule d'une longueur
convenable soumis à l'influence d'une gravité déterminée.
Mais plusieurs causes différentes peuvent faire simultané-
ment osciller le système de diverses manières autour de
la position de stabilité. Gela posé, le théorème de Daniel
Bernouilli consiste en ce que toutes les espèces d'oscilla-
tions infiniment petites produites par ces divers dérange-
ments simultanés, quelle que soit leur nature, ne font
simplement que se superposer^ en coexistant sans se
nuire, chacune d'elles ayapl lieu comme si elle était seule.
On conçoit aisément l'extrême importance de cette belle
proposition pour faciliter l'étude d'un tel genre de mou-
vements, puisqu'il suffît d'après cela d'analyser isolément
TUÉORÈMES DE MÉCANIQUE RATIONNELLE. 581
chaque sorte d 'oscillations produites par chaque perlurba-
tion séparée. Cette décomposition est surtout de la plus
grande utilité dans les recherches relatives au mouvement
des fluides, où un tel ordre de considérations se présente
presque constamment. Mais la propriété découverte par
Daniel Bernouilli n'est pas moins intéressante sous le rap*
port physique que sous le point de vue logique. En effets
envisagée comme une loi de la nature, elle explique direc-
tement^ de la manière la plus satisfaisante, une foule de
faits divers, que l'observation avait depuis longtemps con-
statés, et qu'on cherchait vainementà concevoir jusqu'alors.
Telle est, par exemple, la coexistence des ondes produites
à la surface d'un liquide^ lorsqu'elle se trouve agitée à la
fois en plusieurs points différents par diverses causes quel-
conques. Telle est, surtout dans l'acoustique, la simul-
tanéité des sons distincts produits par divers ébranlements
^e Tair. Cette coexistence, qui a lieu sans confusion entre
les différentes ondes sonores, avait évidemment été souvent
observée, puisqu'elle est une des bases essentielles du mé-
canisme de notre audition ; mais elle paraissait inexpli-
cable; on n'y voit plus maintenant qu'une conséquence
immédiate du beau théorème de Daniel Bernouilli.
En considérant ce théorème sous le point de vue le plus
philosophique, on ne le trouve peut-être pas moins remar-
quable par la manière dont il résulte des équations géné-
rales du mouvement, que par son importance analytique
ou physique. En effet, cette coexistence des divers ordres
d'oscillations infiniment petites d'un système quelconque,
autour de sa situation de stabilité, a Heu parce que l'équa-
tion différentielle qui exprime la loi de l'un quelconque de
ces mouvements se trouve être linéaire^ et conséquemment
de la classe de celles dont l'intégrale générale est néces-
sairement la simple somme d'un certain nombre d'inté-
5SS MATBÉHATIQUES.
grales particulières. Ainsi, sous le rapport analytique^ la
superposition des divers mouvements oscillatoires a pour
cause l'espèce de superposition qui s'établit alors entre les
différentes intégrales correspondantes. Cette importante
corrélation est certainement, comme l'observe avec raison
Laplace, un des plus beaux exemples de cette harmonie
nécessaire entre l'abstrait et le concret, dont la philoso-
phie mathématique nous a offert tant de vériûcatioos ad-
mirables.
Telles sont les principales considérations philosophiques
relatives aux différents théorèmes généraux découverts
jusqu'ici dans la mécanique rationnelle, et qui tous déri-
vent, comme de simples déductions analytiques plus ou
moins éloignées, des lois fondamentales du mouvement
sur lesquelles repose le système entier de la science phoro-
nomique. L'examen sommaire de ces théorèmes, dont
l'ensemble constitue un des monuments les plus impesants
de l'activité de l'intelligence humaine convenablement di-
rigée, était indispensable pour achever de déterminer le
caractère philosophique de la science de l'équilibre et dn
mouvement, déjà suffisamment tracé dans les leçons précé-
dentes, à regard delà méthode. Nous pouvons donc main-
tenant nous former nettement une idée générale de la
nature propre de cette seconde branche de la mathéma-
tique concrète, ce qui devait être le seul objet essentiel de
notre travail à ce sujet.
Je me suis efforcé, dans ce volume, de faire sentir, au-
tant qu'il a été en mon pouvoir,. en quoi consiste réelleiDent
la philosophie mathématique^ soit quant à ses conceptions
abstraites, soit quant à ses divers ordres de considérations
concrètes, soit enfin quant à la corrélation intime et per-
manente qui existe nécessairement entre les unes et les
THÉORÈMES DE MJÉCANIQUB RATIONNELLE. 538
autres. Je regrette vivement que les limites dans lesquelles
j'ai dû me renfermer, vu la destination de cet ouvrage, ne
m'aient point permis de faire passer, autant que je l'aurais
désiré, dans l'esprit du lecteur mon sentiment profond de
la nature de cette immense et admirable science, qui, base
nécessaire de la pbilosopbie positive tout entière, constitue
d'ailleurs évidemment, en elle-même, le témoignage le
plus irrécusable de la portée du génie humain. Mais j'es-
père que les penseurs qui n'ont pas le malheur d'être en-
tièrement étrangers à celte science fondamentale pourront,
d'après les réflexions que j'ai indiquées, parvenir à en con-
cevoir nettement le véritable caractère philosophique.
Pour présenter un aperçu vraiment complet de la philo-
sophie mathématique dans son état actuel, j'ai indiqué
d'avance (voyez la troisième Leçon) qu'il me reste encore à
considérer une troisième branche de la mathématique con-
crète, celle qui consiste dans l'application de l'analyse à
l'étude des phénomènes thermologiques, dernière grande
conquête de l'esprit humain, due à l'illustre ami dont je
déplore la perte récente, l'immortel Fourier, qui vient de
laisser dans le monde savant une si profonde lacune, long-
temps destinée à être de jour en jour plus fortement sentie.
Mais, afin de ne m'écarter que le moins possible des habi-
tudes encore universellement adoptées, j'ai annoncé que je
croyais devoir ajourner cet important examen jusqu'à ce
que l'ordre naturel des considérations exposées dans cet
ouvrage nous ait conduits à la partie de la physique qui
traite de la thermoiogie. Quoiqu'une telle transposition ne
soit point véritablement rationnelle, il n'en saurait résulter
cependant qu'un inconvénient secondaire, l'appréciation
philosophique que je présenterai ayant d'ailleurs exacte-
ment le même caractère que si elle eût été placée à son
véritable rang logique.
534 MATHÉMATIQUES.
Considérant donc maintenant la philosophie mathéma-
tique comme complètement caractérisée, nous devons pro-
céder à Texamen de son application plus ou moins parfaite
à l'étude des divers ordres de phénomènes naturels, suivant
leur degré de simplicité, application qui, par elle-même,
est d'ailleurs évidemment propre à jeter un nouveau jour
sur les vrais principes de cette philosophie, et sans la-
quelle, en effet, ils ne sauraient être convenablement ap-
préciés. Tel sera l'objet du volume suivant, en nous confor-
mant à l'ordre encyclopédique rigoureusement déterminé
dans la seconde leçon, d'après la nature spéciale de cha-
cune des classes principales de phénomènes que nous avons
établies, et, par conséquent, en commençant par les phé-
nomènes astronomiques, à l'étude approfondie desquels la
science mathématique est éminemment destinée.
FIN ou TOME PREMIER.
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LE TOME PREMIER
(Préllmlnalrei ^teéravz et philosophie mathématlqae)
PnKFACK d'i'n DISCIPLE, par E. Littré >
Table alphabétique des matières u
DÉDICACE 1
AVEBTISSEMENT DE L*ADTEOK 3
Tableau synoptique de l'ensemble du cours de philosophie positive. 7
r<- LEÇON. — Eiposition du but de ce cours, ou considérations
générales sur la nature et l'importance de la phi-
losophie positive 7
11' LEÇON. — Exposition du plan de ce cours, ou considérations
générales sur la hiérarchie des sciences positives. 4 7
III' LEçoiv. — Considérations philosophiques sur l'ensemble de
la science mathématique 80
i\'' LEÇON. — Vue générale de l'analyse mathématique 123
V LEi^o\. — Considérations générales sur le calcul des fonc-
tions directes • 147
vi> LEÇON. — Exposition comparative des divers points de vue
généraux sous lesquels on peut envisager le cal-
cul des fonctions indirectes 1C7
vii«- LEÇON. — Tableaa général du calcul des foDctloni indirectes. 200
VI II** LEÇON. — Gontidérations générales sur le calcul des varia-
tions 231
IX'' LEÇON. — CoDsidéntiona générales sur le calcul aux difT-
rences finies 24:
586 TABLE DBS MATIÈRES DU TOME PEBMŒR.
x« LEÇON. — Vue générale de Ift géométrie 2S6
xii' LEÇOM. — Considérationsgéoéralestur la géométrie «js^ïo/^
ou préliminaire 290
xii« LEÇON. — Conception fondamentale de la géométrie générale
ou analytique 312
xiii« LEÇON. — De la géométrie générale à deux Amnaions. ... S41
xiv« LEÇON. — De la géométrie générale à trois dimenaiont 97t
xv<! LEÇON. — Considérations philosophiques sur les principes
fondamentaux de la mécanique rationnelle. ... 391
xvie LEÇON. — Vue générale de la statique 424
xvii« LEÇON. — Vue générale de la djmamiqtie. 4M
xviii« LEÇON. — Considérations sur les théorèmes généraux de
mécanique rationnelle SOO
FIN DE LA TABLE DES UATlkRBS OD TOME PREMIER.
CoEBEiL. — Typ. et ttér. d« CaixÉ.
^-
>^ ^ X ^>:-
DATE DUE 1
""--■■- ■