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Full text of "Cours de philosophie positive"

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aV£iâ'^i/r,i'iu  ■ÀVli'.-y.b^J'JJ.iiJL^ 


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COURS 


DE 


PHILOSOPHIE  POSITIVE 


A.  Comte.  Tome  L 


OUVRAGE  DE  M.  COMTE. 


Principes  de  Philosophie  positl¥e,  précédés  de  la  préface  d*un 
disciple  par  É.  Lirrn^.  Paris,  1868,  1  yol.  in- 18  jésus^  de  208  pages. 

2  fr.  50 

Lcf  Principe»  de  Philoiophie  positive  sont  la  rfproduction  de  la  prérace  «l'un 
disciple  par  M.  Limi,  et  des  deui  premières  leçons  du  Court  de  Philosophie  posi- 
tiMt  par  Aug.  Covra.  Cet  ouvrage  peut  servir  d'introduction  à  l'étude  flu  Cours  de 
Philosophie  positive.  6  vol.  iu-8. 


OUVRAGE   DE  M.   LITTRÉ. 

jA«ir*«^®  Conte  et  la  Philosophie  positive.  Deuxième  édition, 
Paris,  1864,  1  vol.  io-8  de  688  pages.  ^ 


CoRDEiLf  typ.  et  itér.  de  Cbété. 


COURS 


DE 


PHILOSOPHIE  POSITIVE 


PAR 


COMTE 


Répétiteur  d'Analyse  tranicendante  et  de  Mécanique  rationnelle  à  l'École  polytecbniqtMi 
et  Eiâmiuateur  des  CAndidâts  qui  se  destinent  à  cette  École. 

TROISIÈME  ÉDITION 

AUGMENTÉE    D*UNE    PRÉFACE 

PAR 

É.    LITTRÉ 

et  d'une  Table  alphabétique  des  matières. 


TOME  PREMIER 

contenant 

LES  PRELIMINAIRES  GÉNÉRAUX  ET  LA  PHILOSOPHIE  MATHÉMATIQUE 


PARIS 


J.  B.  BAILLIÈRE  et  FILS 

LIBRAIRES    DE    l'aCADÉMIE    IMPÉRIALE    DE    MÉDECINE, 
Rue  Hautefenille,  19,  près  le  boulevard  Stint-Germain 

iHadrtd  |  McwTork 

G.  BAïUT-BAiLLiiai        I        BAiLLiiai  BaoTHaas 

1869 
Toui  droits  réierTés. 


B 


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V 


PRÉFACE  D'UN  DISCIPLE 


Pendant  que  la  philosophie  et  la  littérature  qui  régnent 
dans  renseignement  et  dans  les  académies,  et  qui,  en  con- 
séquence^ ont  dans  le  monde  la  grande  place  et  la  haute 
main,  ignoraient  M.  Comte,  ou,  recevant  par  ouï-dire 
nouvelles  de  ses  travaux,  ne  se  croyaient  pas,  pour  les  dé- 
daigner, obligées  de  les  connaître,  une  partie  du  public, 
ouverte  par  des  dispositions  spontanées  aux  doctrines  po- 
sitives, achetait  son  livre,  le  lisait  et  avait  fini  par  en  épui- 
ser la  première  édition.  Aussi  l'ouvrage  était- il  devenu 
rare  ;  on  ne  le  trouvait  plus  dans  la  librairie  ;  et,  quand 
il  se  rencontrait  dans  quelque  vente,  il  fallait  le  payer  un 
prix  exorbitant.  C'était  par  la  seule  force  de  la  doctrine 
et  des  choses  qu'il  avait  ainsi  cheminé;  car,  à  la  fois,  rien 
n'avait  été  fait  pour  le  propager,  et  rien  n'avait  été  con- 
cédé aux  faiblesses  de  l'esprit  contemporain;  et,  comme 
cet  ancien  maître  qui  écartait  de  son  école  les  esprits  étran- 
gers à  la  géométrie,  l'auteur  écartait  de  la  sienne  tous 
ceux  qui  auraient  voulu  arriver  à  la  philosophie  sans 
passer  par  la  science. 

Il  était  donc  devenu  utile,  je  dirai  même,  il  était  de- 
venu urgent  de  rendre  accessible  à  une  nouvelle  généra- 
tion le  livre  qui  nous  a  formés  et  qui  demeurera  le  fon- 
dement delà  philosophie  positive.  On  ne  peut  méconnaître 
que  cette  nouvelle  génération  est  mieux  préparée  que 
nous  ne  l'étions  ;  que  l'atmosphère  ambiante  s'est  chargée 
de  quelques  éléments  intellectuels  qui  alors  lui  étaient 
étrangers  ;  et  que  des  notions  inconnues,  il  y  a  ime  tren- 


VI  PREFACE   D  UN   DTSCTPLE. 

taine  d'années,  sont  devenues  familières  et  servent  de 
germes  à  une  évolution  ultérieure.  C  est  ainsi  que  s'effec- 
tuent les  mutations  de  Tesprit  humain.  En  cet  état,  on  ne 
s'étonnera  pas  que  de  divers  côtés  soit  née  la  pensée  de 
réimprimer  le  Cours  de  philosophie  positive.  Un  jeune 
Russe,  possédé  de  Tamour  de  la  science,  M.  G.  Wyrouboff , 
songea  à  s'en  charger  et  à  faire  ce  cadeau  au  monde  stu- 
dieux ;  des  motifs  indépendants  de  sa  volonté  Ten  empo- 
chèrent. Madame  Comte  voulut  alors  se  mettre  en  son 
lieu  et  place,  dévouer  à  cette  œuvre  non  pas  son  superflu, 
mais  son  nécessaire,  et,  la  publiant  volume  par  volume, 
subvenir,  de  l'un  sur  Tautre,  aux  frais  de  Tentreprise. 
Pendant  qu'elle  s'efforçait,  l'attention  d'un  éditeur,  qui 
depuis  longtemps  jouit  de  la  confiance  du  public,  fut  atti- 
rée ;  et  dès  lors  une  prompte  exécution  fut  assurée. 

Le  texte  a  été  exactement  reproduit  sans  modification, 
sans  addition,  sans  retranchement.  Seuls,  les  titres  cou- 
rants, chose  tout  extrinsèque,  ont  été  changés  :  dans 
l'ancienne  édition,  la  page  gauche  portait  philosophie 
positive^  et  la  page  droite  le  nom  de  la  science  dont  il 
s'agissait  ;  dans  la  nouvelle  édition,  la  page  gauche,  pour 
la  plus  grande  commodité  du  lecteur,  porte  le  nom  de  la 
science  dont  il  s'agit,  et  la  page  droite  l'objet  de  la  leçon 
courante  (1).  Quelques  personnes  avaient  désiré  qu'on  an- 
notât l'ouvrage  à  cause  des  différences  qui  se  sont  produi- 
tes dans  l'état  scientifique  depuis  le  moment  où  M.  Comte 
composa  son  livre.  Mais  cela  n'a  paru  aucunement  né- 
cessaire. Sans  doute,  la  philosophie  positive  est  fondée 
sur  la  science;  et  une  science  mal  faite  et  insuffisante  la 
rendrait  ruineuse  comme  elle  le  serait  elle-même  ;  sans 


(1)  Les  éditeurs,  MM.  Baillière,  ont  fait  les  titres  conranls  des  deux  pre- 
miers volumes;  je  me  suis  charge  de  ceux  des  quatre  derniers.  U  a  été  plus 
d'une  fois  impossible  d'exprimer  en  une  seule  ligne  le  sujet  d*une  leçon 
complexe.  Le  leoteur  excusera  ce  que  quelques-uns  de  ces  titres  courants 
oot  d'imparfait  ;  c'est  une  cbose  faite  dans  son  intérêt. 


PRÉFACE    d'un    disciple.  •     VU 

doute  aussi,  les  quarante  ans  environ  qui  se  sont  écoulés 
depuis  que  M.  Comte  fit  sa  provision  encyclopédique 
ont  amené,  dans  les  diflërentes  branches,  de  notables 
extensions,  d'importantes  découvertes  et  de  fécondes  théo- 
ries. Cependant  rien  de  tout  cela  n'a  touché  au  fondement 
de  la  philosophie  positive.  Le  livre  de  M.  Comte  est  un 
livre,  non  de  science  spéciale,  mais  de  science  générale. 
Si,  durant  ces  quarante  années,  il  était  survenu  quelque 
chose  qui,  changeant  l'esprit  de  la  science,  la  forçât  de 
renoncer,  en  un  point  ou  en  l'autre,  à  sa  méthode,  il  s'en- 
suivrait que  la  philosophie  positive,  dont  le  titre  et  la 
gloire  est  de  tfansporter  cette  méthode  de  Tordre  spécial 
dans  Tordre  général ,  perdrait  sa  raison  d'être  et  s'écro\ile- 
rait  avec  tant  d'autres  conceptions  systématiques  qui  sont 
des  accidents  du  développement  de  la  pensée  collective. 
Mais  cela  n'est  pas;  les  accroissements  contemporains 
n'infirment  rien,  et  par  conséquent  confirment  tout. 

Ce  fut  en  1 826  que  M.  Comte  publia  le  plan  de  son 
grand  traité,  et  en  1842  qu'il  en  écrivit  les  dernières  li- 
gnes. Seize  ans  s'écoulèrent  donc  entre  la  conception  et 
l'achèvement  ;  mais  la  conception  avait  eu  tant  de  sûreté^ 
que,  malgré  ce  long  espace  de  temps,  l'achèvement  y  ré- 
pondit de  tout  point;  et  tel  le  plan  avait  été  tracé,  tel  il  fut 
rempli.  Le  premier  volume,  renfermant  les  préliminaires 
généraux  et  la  philosophie  mathématique,  parut  en  1830 . 
La  crise  survenue  dans  la  librairie  à  la  suite  des  événe- 
ments politiques  interrompit  cette  publication  qui  fut  re- 
prise en  1835,  année  où  parut  le. second  volume  compre- 
nant la  philosophie  astronomique  et  la  philosophie  de  la 
physique  proprement  dite.  A  l'origine,  M.  Comte  avait 
entendu  renfermer  toute  la  matière  en  quatre  volumes; 
d'abord  la  chose  alla  selon  son  dessein,  et  le  troisième,  qui 
fut  publié  en  1838,  ne  dépassa  pas  l'étendue  projetée  :  la 
philosophie  chimique  et  la  philosophie  biologique  le  rem- 
plirent. C'est  à  la  philosophie  sociale  que  .devait  être  con- 


Vîll  PRÉFACE  d'un   disciple. 

sacré  le  quatrième  et  dernier  volume  ;  là,  dans  celle 
sixième  partie,  qui  est  entièrement  de  la  création  de 
M.  Comte,  tout  était  nouveau,  tout  était  à  faire,  et  tout 
fut  fait.  Mais  les  prévisions  d'étendue  ne  suftîrent  plus,  la 
matière  s'allongea,  elle  quatrième  volume  (1839)  ne  com- 
prit que  la  portion  dogmatique  de  la  philosophie  sociale, 
c'est-à-dire  l'exposition  de  la  destination  politique  qui  lui 
est  propre,  de  l'esprit  scientifique  qui  la  caractérise,  et  de 
ses  théories  générales  sur  l'existence  et  le  mouvement  des 
sociétés  humaines.  Le  reste  devait  tenir  dans  un  cinquième 
volume;  à  son  tour,  ce  cinquième  volume  (1841)  se  trouva 
trop  étroit  pour  ce  reste  qui  n'était  rien  de  moindre  que 
l'appréciation  fondamentale  de  l'ensemble  du  passé  hu- 
main; l'auteur^  s'en  excusant,  fait  valoir  la  nouveauté,  la 
grandeur,  la  difficulté  du  sujet.  L'excuse  est  légitime  ;  et, 
en  le  lisant,  chacun  y  reconnaît  toute  la  concentration  d'i- 
dées compatible  avec  une  suffisante  clarté  d'exposition, 
se  sentant  conduit  dans  le  labyrinthe  des  faits  et  des  révo- 
lutions par  un  guide  à  qui  l'histoire  a  remis  son  peloton. 
Enfin  le  sixième  et  dernier  volume  fit  son  apparition 
(1842).  Ainsi  fut  accompli  ce  qu'on  doit  appeler  l'œuvre 
philosophique  du  dix-neuvième  siècle  :  donner  à  la  phi- 
losophie la  méthode  positive  des  sciences,  aux  sciences 
l'idée  d'ensemble  de  la  philosophie. 

Cette  brève  formule  a  besoin  d'être  développée.  Ceux 
qui  se  représenteront  la  suite  des  spéculations  philoso[)hi- 
ques,  sauf  la  philosophie  positive,  depuis  Platon  et  Âris- 
tote  jusqu'à  nos  jours,  reconnaîtront  qu'elles  forment, 
quelque  mérite  relatif  qu'elles  aient  d'ailleurs  suivant  les 
temps,  une  masse  confuse  où  l'on  ne  distingue  les  rap- 
ports de  la  philosophie,  ni  avec  la  nature,  ni  avec  l'his- 
toire, ni  avec  l'enseignement.  Cela  tient  à  la  source  sub- 
jective dont  elles  émanent.  Dominées  par  des  conceptions 
à  priorij  leur  ordre  n'est  ni  celui  de  la  conception  cosmi- 
que, ni  celui  du  développement  historique,  ni  celui  de  la 


PRÉFACE   l>'rN    DISCIPLE.  IX 

graduation  didactique;  Je  les  comparerais  volontiers  à  ce 
que  sont  dans  la  botanique  et  dans  la  zoologie  les  systèmes 
ai-tificiels  à  Tégard  des  méthodes  naturelles.  Les  systèmes 
sont  souvent  fort  ingénieux,  et,  dans  tous  les  cas,  furent 

provisoirement  utiles,  fournissant  un  lien  aux  faits  isolés; 
mais  que  de  défauts  dans  leur  simplicité  apparente  et  dans 
leur  coordination  factice  !  Ils  conjoignent  ce  qui  s'écarte, 
ils  écartent  ce  qui  est  conjoint,  et  ne  sonf  avec  la  nature 
dans  aucune  connexion  essentielle.  Ils  ne  soupçonnent 
pas  l'ordre  réel  ;  ce  point  capital  est  pour  eux  lettre  close. 
L'esprit,  tant  qu'il  reste  borné  aux  notions  subjectives, 
est  satisfait  s'il  trouve  une  exacte  conformité  entre  les  pré- 
misses et  les  conséquences;  mais  l'esprit,  alors  qu'il  passe 
aux  notions  objectives,  rejette  comme  une  vaine  pâture 
celte  conformité  entre  les  prémisses  et  les  conséquences, 
si  les  prémisses  ne  sont  pas  les  faits  fournis  par  l'observa- 
tion et  l'expérience. 

L^ordre  conforme  à  la  constitution  du  monde,  au  déve- 
loppementde  l'histoire  età  la  gradation  de  l'enseignement, 
ordre  qui  a  toujours  échappé  à  la  philosophie  métaphysi- 
que, a  été  établi  dans  sa  triplicité  connexe  par  la  philoso- 
phie positive. 

Le  monde  est  constitué  par  la  matière  et  par  les  forces 
de  la  matière  :  la  matière  dont  l'origine  et  l'essence  nous 
sont  inaccessibles  ;  les  forces  qui  sont  immanentes  à  la  ma- 
tière. Au  delà  de  ces  deux  termes,  matière  et  force,  la 
science  positive  ne  connaît  rien.  D'anciennes  théologies 
ont  supposé  un  état  chaotique  où,  comme  dit  le  poëte  in- 
terprète des  notions  traditionnelles,  les  choses  molles 
étaient  avec  les  choses  dures,  les  choses  sans  poids  avec 
les  choses  pesantes.  Un  tel  chaos  est  une  imagination;  il 
est  incompatible  avec  ce  que  nous  savons  des  forces  imma- 
nentes, et  toujours  notre  esprit  voit  les  substances  arran- 
gées suivant  la  pesanteur,  l'électricité,  le  magnétisme,  la 
lumière,  réiasticité,  les  affinités  chimiques,  et,  quand  il  y 


X  PRÉFACE   d'un   DISCIPLE. 

a  lieu,  les  combiaaisoDs  vitales.  Mais  voici  ce  que  Tétude 
de  ce  monde,  que  rimmanence  rend  étranger  au  chaos 
théologique,  a  montré  :  les  propriétés  physiques  sont  ma- 
nifestes en  toute  substance,  dans  quelque  état  qu'elle  soit^ 
isolée  ou  non  isolée,  et  s'exercent  sur  les  masses  ;  les  pro- 
priétés chimiques  n'apparaissentqu'enlre  deux  substances, 
ont  besoin  de  la  binarité  et  s'exercent  sur  les  molécules; 
enfin  les  propriétés  vitales,  dépassant  la  binarité,  ne  sont 
compatibles  qu'avec  un  état  moléculaire  plus  composé. 
Telle  est  la  gradation  réelle  qu'on  observe  dans  Tordre  du 
monde  ;  et  avec  cet  ordre  doit  concorder  toute  philosophie. 
Tel  est  le  premier  et  essentiel  fondement  de  la  philoso- 
phie positive. 

Ce  n'est  pas  tout.  Si  la  philosophie  métaphysique  a  man- 
qué cet  ordre  réel,  la  philosophie  inconsciente,  ou,  autre- 
ment dit,  le  développement  naturel  a  dû  le  suivre,  guidé 
par  la  nécessité  des  choses  qui  ne  permettait  qu'au  fur  et 
à  mesure  l'accès  de  ces  trois  complications  ou  échelons. 
Cela,  en  effet,  est  arrivé.  Dès  que  le  génie  de  M.  Comte 
eut  pénétré  dans  les  obscurités  de  l'histoire,  il  reconnut 
que,  dans  leur  constitution  successive,  les  science^avaient 
suivi  l'ordre  naturel  et  ne  s'étaient  échelonnées  que  selon 
les  échelons  de  complication  que  les  choses  mêmes  pré- 
sentaient (1).  C'est  là  le  second  fondement  de  la  philoso- 
phie positive. 

Enfin  un  enseignement  encyclopédique  est  obligé  de  se 
conformer,  comme  a  fait  l'histoire,  à  l'ordre  réel,  naturel, 
des  choses.  En  effet,  prenez  les  six  sciences  dont  on  va 
voir  se  dérouler  les  philosophies  dans  cet  ouvrage,  et  sui- 
vez-les en  partant  de  la  dernière  qui  est  aussi  la  plus  com- 
pliquée et  la  plus  difficile.  La  sociologie  ne  peut  être  étu- 
diée avec  sûreté,  si  Ton  n'a  pas  des  notions  précises  sur  la 

(1)  Voyez,  touchant  la  distinction  entre  la  constitution  des  sciences  et 
leor  évolution,  mon  livre  sur  Auguste  Comte  et  la  Philosophie  positive, 
p.  285,  2«  édition. 


PRÉFACE   d'un   disciple.  XI 

biologie,  qui  est  la  doctrine  des  corps  vivants.  A  son  tour, 
la  biologie,  à  cause  de  la  grande  fonction  de  la  nutrition, 
est  fermée  à  qui  ne  possède  pas  les  théories  chimiques. 
Celles-ci,  à  leur  point  hiérarchique,  supposent  toutes  les 
actions  physiques,  pesanteur,  calorique,  électricité,  ma- 
gnétisme, lumière.  Enfin  la  physique  elle-même,  tant 
céleste  que  terrestre,  est  un  domaine  où  Ton  ne  peut  pé- 
nétrer, si  Ton  n'est  pas  muni  de  cet  instrument  puissant 
nommé  la  mathématique.  De  la  sorte,  en  reprenant  l'ar- 
rangement naturel,  ascensionnel,  didactique  des  sciences, 
on  étudie  la  mathématique  pour  aller  à  la  [)hysique,  de  là 
à  la  chimie,  à  la  biologie,  à  la  sociologie.  C  est  là  le  troi- 
sième fondement  de  la  philosophie  positive. 

Ainsi  la  philosophie  positive  est  la  seule  qui  fasse  con- 
naître comment  sont  connexes  ces  trois  choses.  Tordre  des 
propriétés  immanentes,  l'ordre  de  la  constitution  succes- 
sive des  sciences,  et  l'ordre  de  leur  enseignement  hiérar- 
chique. 

M.  Comte  fut  un  novateur.  C'est  une  qualité  toujours 
dangereuse  à  celui  qui  la  porte  ;  et  Ton  peut  dire  de  ce 
genre  d*hommes  ce  que  Bossuet  a  dit  des  ambitieux  qui 
semblent  nés  pour  changer  le  monde  ;  que  le  sort  de  tels 
esprits  est  hasardeux,  et  qu'il  en  parait  bon  nombre  dans 
rhistoire  à  qui  leur  audace  a  été  funeste.  Le  prudent  Fon- 
tenelle  conseillait  aux  imprudents  qui  ont  la  main  pleine 
de  vérités  de  la  tenir  bien  fermée.  Le  monde  n'aime  pas 
à  être  dérangé  des  idées  reçues,  et  il  ne  manque  guère  de 
faire  payer  leur  bienvenue  aux  idées  nouvelles  ;  plus  tard 
il  élève  des  statues  à  ceux  qu'il  a  laissés  mourir  dans  l'oubli 

ou  fait  mourir  de  désespoir.  Plus  tard mais  laissons 

ce  que  ce  mot  a  de  triste  pour  ne  considérer  que  ce  qu'il  a 
de  glorieux.  L'esprit  que  la  grandeur  et  la  beauté  des 
conceptions  ont  saisi  est  jeté  par  un  généreux  et  sublime 
besoin  dans  les  labeurs  ardus  et  dans  les  entreprises  pé- 
rilleuses ;  la  vocation  commande,  et  il  obéit. 


XII  PRÉFACE   d'un    DISCIPLE. 

Mais  qu'est-ce  qu'un  novateur?  Quand  on  considère 
d'une  part  la  marche  de  l'esprit  humain,  de  l'autre  le 
monde  tel  qu'il  est  constitué^  on  voit  bien  maintenant  que 
cette  marche  consiste  justement  à  connaître  cette  constitu- 
tion. L'esprit  humain  n'a  point  un  développement  qui  soit 
indépendant,  c'cbt-à-dire  un  développement  tel  que,  ren- 
fermé en  lui-même  et  restant  dans  l'ignorance  de  la  con- 
stitution du  monde,  il  s'élève,  par  une  élaboration  interne, 
dans  les  suprêmes  régions  du  vrai  et  du  bon.  Par  une  né- 
cessité très-curieuse  à  constater,  ces  suprêmes  régions  ne 
s'ouvrent  pour  lui  (ju'à  la  condition  de  labourer  avec  un 
effort  infini  le  champ  cosmique,  comme  le  corps  est  obligé 
d'arroser  de  sueurs  les  guérets  pour  en  retirer  le  pain  qui 
le  nourrit.  Ainsi  ce  qui  porte  le  monde  intellectuel  et  mo- 
ral est  tout  entier  dans  la  cx)nnaissance  de  l'ordonnance 
générale  des  choses.  Pline  a  une  phrase  peu  remarquée  où 
il  dit  :  tt  Ira-t-on  prétendre  qu'il  y  a  un  Jupiter  ou  un 
a  Mercure,  des  dieux  désignés  par  des  noms  à  eux  et  une 
a  liste  de  personnages  célestes  ?  Qui  ne  voit  que  l'inter- 
«  prétation  de  la  nature  rend  digne  de  risée  une  pareille 
tt  imagination  (t)  7  »  Le  trait  de  cette  phrase  est  dans  l'in- 
terprétation de  la  nature  qui  condamne  le  polythéisme. 
L'interprétation  de  la  nature  est  ce  que  je  viens  de  nom- 
mer connaissance  de  l'ordonnance  générale  du  monde. 
Celui  qui  modifie  cette  connaissance  est  un  novateur. 

Celui  qui  la  modifie  beaucoup  est  un  novateur  puissant. 
Cette  connaissance,  l'histoire  le  montre,  se  divise  en  deux 
catégories,  la  connaissance  imaginée  et  la  connaissance  vé- 
rifiée. Plus  le  domaine  de  la  connaissance  vérifiée  est  pe- 
tit, plus  celui  de  la  connaissance  imaginée  est  grand  ;  et, 
réciproquement,  plus  le  domaine  de  la  connaissance  véri- 


(1)  Jovem  quidem,  nut  Merciiriam,  alitenre  alios  inter  se  vocari,  et  esse 
cœlestem  nomenclatnram.  quia  non  interpretatione  natune  futeatur  irri- 
deudum?  {Hist,  nat,.  II,  6.) 


l'KÉFACli:    d'un    disciple.  XIII 


fiée  est  grand,  plus  celui  de  la  connaissance  imaginée  est 
petit;  jusqu'à  ce  qu'enfin  la  connaissance  imaginée,  chassée 
de  position  en  position,  se  réfugie  dans  Tabsolu,  dans  la 
recherche  des  causes  premières  et  finales.  Ce  partage, 
comme  tout  ce  qui  est  le  produit  du  progrès  des  choses, 
fut  accepté  et  fait  encore  loi  pour  beaucoup  d*esprits.  Il 
semblait  même  impossible  qu'une  telle  situation  put  chan- 
ger ;  car  où  prendre  les  idées  générales,  sinon  dans  cet 
antique  arsenal  où  se  conservaient  toutes  celles  qu'avait 
enfantées  le  passé?  Pourtant  ce  terrain  même  était  pré« 
caire.  Fontenelle,  avec  sa  profondeur  qu'il  voilait  sous 
l'agrément,  avait  dit  :  <c  Jusqu'à  présent,  l'Académie  des 
c(  sciences  ne  prend  la  nature  que  par  petites  parcelles  ; 
«  nul  système  général,  de  peur  de  tomber  dans  Tincon- 
((  vénient  des  systèmes  précipités,  dont  l'impatience  de 
((  l'esprit  humain  ne  s'accommode  que  trop  bien.  »  Il  avait 
vu  du  même  coup  d'œll  et  le  vice  actuel  des  sciences  posi- 
tives, et  la  possibilité  qu'un  jour  il  en  disparût.  Ce  jour 
est  arrivé.  La  grande  innovation  quia  donné  un  système 
général  anx  sciences  positives  est  l'œuvre  de  M.  Comte  ; 
et  aussitôt  s'est  ouverte  une  immense  source  d'une  géné- 
ralité nouvelle  qui  n'a  rien  de  commun  avec  la  généralité 
ancienne,  la  frappe  de  désuétude  et  la  met  hors  d'usage. 
Au  moment  où  M.  Comte  expiait  le  plus  duremeut 
d  avoir  mis  dans  le  monde  de  hautes  vérités  que  l'on  mé- 
connaissait sans  doute,  mais  que  l'on  ne  méconnaissait  pas 
assez  pour  ne  pas  lui  en  porter  envie^  comme  à  ce  person- 
nage que  Dante  a  célébré  (1),  il  a  plus  d'une  fois  amère- 
ment regretté  de  n'avoir  pas  le  modeste  patrimoine  qui 
permit  à  Descartes  d'échapper  aux  persécutions  et  de  d'at- 
tacher en  paix  à  ses  immortelles  méditations.  On  peut, 
sans  blesser  l'analogie,  comparer  à  l'opération  de  M.  Comte 
l'opération  de  Descartes  ;  semblables  par  leur  nature,  elles 

(1)  Invidiou  veri. 


XIV  PBÊPACE   D'UN   DISCIPLE. 

sont  dissemblables  par  le  degré  d'évolution  mentale  où 
elles  furent  exécutées.  M.  Comte  trouva  la  philosophie 
occuper  par  la  métaphysique  ;  il  la  rendit  positive.  Des- 
cartc^  trouva  la  philosophie  occupée  par  les  entités  scolas- 
tiques  ;  il  la  rendit  purement  rationnelle,  donnant  pour 
loi  au  monde  extérieur  le  mécanisme,  et  au  monde  inté- 
rieur la  raison  subjective.  Ce  mot  de  raison  subjective, 
qui,  employé  comme  il  Test  ici,  a  une  suffisante  clarté, 
suggère  aussitôt,  par  correspondance  et  par  balancement, 
celui  de  raison  positive  qu'il  faut  expliquer.  La  raison  sub- 
jective, outre  la  condition  commune  d'observer  la  loi  de  la 
conséquence  entre  les  prémisses  et  les  conclusions,  n'est 
tenue  dans  la  formation  de  ses  principes  qu'à  n'y  rien  met- 
tre qui  soit  contradictoire.  Autre  est  l'obligation  imposée  à 
la  raison  positive;  il  faut  que  ses  principes  non-seulement 
ne  soient  pas  contradictoires,  mais  encore  soient  l'expres- 
sion d'un  fait  général. 

Quand  Descartes  eut  remis  à  ses  successeurs  le  dépôt 
de  la  philosophie,  le  thème,  tel  qu'il  l'avait  fondé,  fut 
d'interpréter  le  monde  extérieur  par  le  mécanisme,  et  le 
monde  intérieur  par  les  idées,  ou,  pour  me  servir  de  ses 
propres  expressions,  par  ce  qui  se  préseiiterait  si  claire* 
ment  à  l'esprit  qu'on  n'etit  occasion  de  le  mettre  en 
doute.  Ce  thème  demeura  celui  de  toute  la  philosophie 
subséquente.  C'est  par  les  sciences  spéciales  qu'il  devait 
d'abord  être  attaqué  ;  et  Newton  lui  porta  un  coup  irré- 
parable en  substituant  à  Thypothèse  mécanique  des  tour- 
billons le  fait  réel  d'une  propriété  de  la  matière,  la  gravi- 
tation. Dès  lors  la  doctrine  mécanique  alla  de  chute  en 
chute.  Celle  qui  confiait  aux  idées  la  formation  des  prin- 
cipes généraux  dura  plus  longtemps  ;  et  les  plus  grands 
philosophes  du  dix-septième  siècle  et  du  dix-huitième, 
Spinoza,  Leibnitz,  Locke  et  Kant,  n'en  connurent  pas 
d  autre.  Elle  ne  tomba  que  devant  Auguste  Comte.  Résu- 
mant d'une  part  les  déterminations  partielles  des  sciences 


PRÉFACE  d'un   disciple.  XV 

en  rimmanence  des  propriétés  de  la  matière,  de  l'autre 
substituant  aux  idées  qui  ne  dépassent  jamais  le  caractère 
logique,  des  faits  généraux  qui  ont  le  caractère  réel,  il 
accomplit  une  grande  rénovation  mentale,  et  acheva  ce 
que  Descartes  avait  commencé. 

A  le  bien  prendre,  ce  fut  une  rude  défaite  pour  la  mé- 
taphysique, de  perdre  tout  le  domaine  des  entités.  Les 
scolastiques  ne  s'y  méprirent  pas,  et  virent  en  Descartes 
un  ennemi  à  poursuivre.  Descartes  ne  s'y  méprit  pas  non 
plus  ;  aussi  prudent,  et  pouvant  obéir  aux  suggestions  de 
la  prudence  (car,  comme  il  le  dit  lui-même,  il  ne  se  sen- 
tait point,  grâces  à  Dieu,  de  condition  qui  l'obligeât  à 
faire  un  métier  de  la  science  pour  le  soulagement  de  sa 
fortune),  il  se  retira  dans  un  coin  de  la  Hollande,  pays 
qui  avait  alors,  par-dessus  tous  les  autres,  le  privilège 
d'une  tolérance  relative,  et  là  il  accomplit  sans  encombre 
sa  destinée  philosophique.  Il  n'osa  pas  philosopher  à  Paris; 
et,  quand  il  eut  rendu  le  dernier  soupir,  cette  ville,  qu'il 
n'avait  pas  jugée  un  lieu  sur  pour  l'indépendance  de  sa 
pensée,  ne  réclama  pas  ses  ossements,  et  laissa  sans  un 
souvenir  et  sans  un  monument  la  dépouille  d'un  des  plus 
grands  génies  qu'ait  produits  l'humanité. 

Les  temps  avaient  changé,  et  M.  Comte  put  philoso- 
pher à  Paris.  Mais  il  y  vécut  pauvre,  inconnu,  méconnu, 
et  finalement  menacé  dans  ses  moyens  d'existence.  Il 
s'enveloppa  d'une  insouciance  pour  le  lendemain  que  son 
irrésistible  vocation  lui  rendait  moins  difficile  qu'à  un  au- 
tre ;  et  il  acheva  héroïquement  ce  qu'il  avait  héroïque- 
ment commencé. 

Même  en  Hollande,  Descartes  n'osa  pas  publier  un 
livre  où  il  admettait,  d'après  Galilée,  le  mouvement  de 
la  terre  :  a  II  serait  besoin,  dit-il,  que  je  parlasse  de  pla- 
ce sieurs  questions  qui  sont  en  controverse  entre  les  doc- 
c(  tes,  avec  lesquels  je  ne  désire  point  me  brouiller; Je 
Cl  crois  qu'il  sera  mieux  que  je  m'en  abstienne.  ••• 


XV(  PREFACE    D  UN    DISCIPLE. 

«  pour  ce  que  j*ai  tâché  d'en  expliquer  les  principales 
a  dans  un  traité  de  quelques  considérations  m'empêchent 
ic  de  publier...  »  Il  s'agit  de  Traité  du  monde ^  qui  ne 
parut  que  dix-sept  ans  après  sa  mort.  Dans  ce  traité,  il  ad- 
mettait le  mouvement  de  la  terre^  et  Galilée  venait  d'ê- 
tre condamné  à  Rome  pour  cette  opioion  ;  telles  sont  les 
quelques  considérations  dont  Descartes  veut  parler.  Déjà 
Copernic,  qui,  démontrant,  dans  son  ouvrage  sur  les  Ré- 
volutionSy  le  mouvement  de  la  terre,  établit,  indé|)en- 
damment  de  la  gravitation  réservée  à  Newton,  le  vrai 
système  du  monde,  avait  gardé  entre  ses  mains  le  livre 
dangereux,  et  il  était  sur  son  lit  de  mort  quand  on  le  lui 
apporta  imprimé.  Galilée,  moins  retenu,  reprit  le  thème 
de  Copernic,  et,  le  fortifiant  de  tout  ce  que  les  instru- 
ments et  son  génie  lui  fournirent,  rendit  la  démonstra- 
tion invincible  et  la  condamnation  inévitable.  Ordinaire- 
ment les  découvertes  dans  les  sciences  partielles  passaient 
sans  exciter  l'animadversion  des  pouvoirs  ;  mais  celle-ci, 
portant  sur  la  conception  même  du  monde,  troubla  l'É- 
glise. Si  la  terre,  avec  son  humanité,  cessait  d'être  le  cen- 
tre de  l'univers,  et  s'il  avait  au-dessus  de  nos  têtes  et  au- 
dessous  de  nos  pieds  qu'un  espace  sans  limite  sillonné  par 
des  globes  sans  nombre,  où  placer  le  ciel,  séjour  des  bien- 
heureux, et  l'abîme,  séjour  des  damnés?  il  fallait  refaire 
en  ces  points  essentiels  la  théologie.  Il  fut  plus  aisé  de 
condamner  l'homme  et  so  proposition.  Certes  ^inquisition 
a  de  plus  sanglants  méfaits  ;  mais  cette  honte  d^avoir,  en 
plein  dix-septième  siècle,  arraché  à  un  vieillard,  par  la  me- 
nace d'un  supplice  présent,  une  rétractation  qu'il  fallut 
rétracter,  lui  demeure  ineiïacablement. 

Grâce  à  la  tolérance,  de  pareils  attentats  ne  sont  plus 
possibles.  La  tolérance  est  une  des  plus  belles  vertus  so- 
ciales ciue  la  civilisation  croissante  ait  produites  ;  et,  mo- 
ralement, elle  met  l'âge  moderne  bien  au-dessus  des  âges 
anciens.  Ceux  qui  pourraient  penser  que  raccroissement 


PRÉFACE   d'un   disciple.  XYII 

des  lumières  n'a  pas  eu  un  accroissement  parallèle  de 
moralité,  n'ont  qu'à  considérer  la  tolérance,  et  combien 
de  souffrances,  de  crimes,  de  bourreaux  et  de  victimes 
elle  épargne  aux  sociétés  présentes.  On  a  dit  que  l'anti- 
quité n'avait  pas  été  persécutrice  ;  c'est  une  erreur.  Il  est 
vrai  que  le  paganisme,  avec  ses  dieux  multiples,  sans 
dogmes  précis,  rencontrait  moins  de  causes  de  conflits 
religieux  qu'il  ne  s'en  est  trouvé  depuis.  Mais  sa  nature 
n'était  pas  moins  féroce;  on  n'a  qu'à  lire  dans  les  livres 
des  Machabées  les  atroces  supplices  que  les  rois  grecs  in- 
fligèrent au  peuple  juif  pour  le  forcer  à  quitter  son  culte. 
Au  nom  du  polythéisme,  Athènes  empoisonna  Soorate  ; 
au  nom  du  monothéisme,  Jérusalem  crucifia  Jésus.  Puis, 
quand  les  chrétiens  commencèrent  à  croître  en  nombre, 
on  vit  pendant  plus  de  deux  siècles  l'intolérance  païenne, 
présentant  les  tortures  et  la  mort,  s'exercer  contre  la 
constance  chrétienne.  L'intolérance  devient  non  pas  plus 
aiguë;  mais  plus  systématique,  quand  le  monothéisme 
s'élève  sur  les  ruines  du  paganisme.  Le  christianisme  et 
le  musulmanisme,  acharnés  l'un  contre  l'autre,  ne  se  las- 
sent pas,  l'un  à  l'orient  d'exterminer  les  adorateurs  du 
feu,  l'autre  à  l'occident  de  combattre  par  le  fer  et  parle 
bûcher  des  hérésies  toujours  renaissantes.  Et  cela  durerait 
encore  si  un  tiers  parti  qui  s'appelle  la  tolérance,  deve- 
nant suffisamment  fort,  n'avait  séparé  les  bourreaux  et 
les  victimes  et  imposé  la  paix. 

M.  Comte  a  dit  plusieurs  fois  que  la  persécution  philo- 
sophique ne  pouvait  plus  ni  tuer  ni  emprisonner,  mais 
qu'elle  pouvait  encore  faire  mourir  de  faim.  Ce  genre  de 
persécution,  il  le  ressentit  dans  toute  son  angoisse.  11 
avait  obtenu  honorablement  des  places  modestes  et  labo- 
rieuses, et  il  en  accomplissait  honorablement  les  fonctions. 
Mais,  quand  sa  philosophie  se  fut  assez  montrée  pour  dé- 
plaire, on  entra  en  conflit  avec  lui,  et  on  lui  disputa  ce 
qui  faisait   son  unique  revenu.  Il   lutta,  se  (^fendit, 

A.  CoMTB.  Tome  I.  i 


XVIII  PBÉFACE   D'UN   DISCIPLE. 

espéra,  s'affligea  ;  mais  son  sort  dépendait  de  volontés 
bien  décidées  à  le  briser  ;  et,  s'il  échappa  à  la  fâcheuse 
position  où  on  le  jetait,  il  le  dut  à  des  circonstances  parti- 
culières. 

Je  me  laisse  aller  à  mon  sujet.  Je  ne  veux  pas  seule- 
ment qu'on  admire  M.  Comte  ;  je  veux  aussi  qu'on  le 
plaigne  ;  car  c'est  justice  de  payer  ce  tribut  à  ceux  qui, 
souffrant  pour  la  vérité  eti>ourune  juste  vocation,  ont, 
comme  dit  le  grand  poète,  rendu  légers  les  travaux  de 
notre  vie  mortelle  {l).  Donc,  j'entre  en  plein  moyen  <^ge  ; 
d'autres  diraient  dans  les  ténèbres  de  cette  époque  bar- 
bare ;  mais  M.  Comte  m'a  appris  dogmatiquement,  et  je 
me  suis  convaincu  empiriquement  que  cette  époque  ne 
fut  ni  barbare  ni  ténébreuse.  On  appelle  barbares,  par 
exemple,  les  Germains  avant  l'invasion  qu'ils  firent  dans 
Tempire  romain:  ils  n'avaient  point  d'alphabet;  îles 
chants  guerriers  composaient  toute  leur  littérature  ;  le  po- 
lythéisme était  leur  religion  ;  point  de  villes,  pctint  de 
science;  une  morale  rudimentaire,  surtout  guerrière  ;  un 
gouvernement  à  peine  ébauché.  Je  ne  ferai  pas  Tinjureau 
moyen  âge  de  le  comparera  ce  tableau;  lils  de  la  latinité, 
il  en  conserva  les  traditions  ;  il  fut  chrétien  et  chevaleres- 
que, consacra  la  division  des  deux  pouvoirs  temporel  vX 
spirituel,  civilisa  l'Angleterre  et  la  Germanie,  ])répnra 
l'émancipation  des  classes  laborieuses,  se  y>assionna  pf»nr 
la  philosophie  et  pour  les  sciences,  créa,  afin  de  répondre 
au  sentiment  de  la  spiritualité  nouvelle,  rarcbilectnre  si 
improprement  appelée  gothique,  et  mit  dans  le  monde  ces 
excellents  instruments  de  beauté  et  de  lumière  (ju'on 
nomme  les  langues  espagnole,  française  et  italienne.  C'est 
en  raison  de  tous  ces  caractères  que  l'on  comprend  com- 
ment la  riche  et  puissante  civilisation  de  l'ère  moJerne  a 
pu  naître  de  ce  moyen  âge. 

(1;...  Tliosc  wlio  madc  our  niortal  labours  llglit. 


PREFACE  DUN   DISCIPLE.  XIX 

Donc  j'entre  en  plein  moyen  âge,  et  j'y  trouve  un  phi- 
losophe victime  de  sa  philosophie,  Roger  Bacon.  Déjà  si- 
gnalé pour  son  ardeur  à  Tétude  et  pour  ses  succès  dans  l'é- 
cole, il  eut  la  malheureuse  idée  de  se  faire  moine.  Devenu 
frère  mineur,  loin  d'être  encouragé  par  ses  supérieurs  à 
rien  écrire,  il  reçut  la  défense,  sous  les  peines  les  plus  sé- 
vères, de  communiquera  personne  aucune  composition 
qui  vint  de  lui  :  a  Si  j'avais  pu  le  faire  librement,  dit-il  au 
pape,  j'aurais  beaucoup  écrit,  et  pour  mon  frère,  qui  étu- 
diait alors,  et  pour  mes  plus  chers  amis.  Désespérant  de 
communiquer  mes  ouvrages,  j'ai  négligé  d'en  composer. 
Quand  j'ai  dit  à  Votre  Gloire  que  j'étais  prêt,  je  voulais 
parler  d'ouvrages  à  faire,  et  non  d'écxits  déjà  faits.  » 

Sa  philosophie,  ses  hardiesses  contre  Âristote,  je  veux 
dire  le  mauvais  Aristote  qui  avait  envahi  la  soolastique, 
ses  travaux  scientifiques,  tout  devint  danger  pour  Roger 
Bacon  au  milieu  des  franciscains  du  treizième  siècle;  et 
une  longue  prison  le  punit  d'avoir  voulu  acquérir  des 
lumières,  et  les  répandre,  quand  il  était  sous  la  main  de 
frères  et  de  supérieurs  peu  disposés  à  tolérer  de  tels  élans. 
La  légende  s'est  emparée  de  ce  moine  savant  et  frappé 
pour  sa  science,  et  lui  a  attribué  des  merveilles  d'un  savoir 
surhumain  ;  mais  la  vraie  et  belle  légende  serait  celle  qui, 
symboliquement,  nous  aurait  représenté  les  angoisses 
d'un  puissant  esprit  pour  qui  les  heures  passent  oisives 
dans  les  ténèbres  d'une  prison. 

Et  vraiment,  quand  on  voit  Roger  Bacon  puni  par  ses 
confrères  qui  ne  veulent  pas  qu'on  s'attaque  à  la  science 
scolaslique  et  que  l'on  critique  l'enseignement,  n'est-on 
pas  tenté  de  mettre  en  regard  Auguste,  Comte  qui,  lui 
aussi,  critiqua  l'enseignement,  et  que  menacèrent  dans  ses 
moyens  d'existence  les  géomètres  ses  confrères,  ne  voulant 
pas  d'une  philosophie  qui  les  régente,  qui  leur  ôte  une 
prépondérance  mentale,,  légitime  au  début,  illégitime  à  la 
lin,  et  qui  soumet  toute  science  au  sévère  régime  de  la  gé- 


XX  PRÉFACE  D'UN   DISCIPLE. 

néralité  ?  Aussi  j'en  reviens  à  mon  dire,  et,  s*il  faut  re- 
mercier Auguste  Ck)mte  de  son  œuvre,  il  faut  le  plaindre 
de  ses  souffrances  qui  furent  longues  et  aiguës. 

Dans  le  tome  III  de  ses  Mémoires^  M.  Guizot,  parlant 
de  M.  Comte,  disait  :  a  J'eus  quelques  rapports  (1)  avec 
c  un  homme  qui  a  fait,  je  ne  dirai  pas  quelque  bruit,  car 
«  rien  n'a  été  moins  bruyant,  mais  quelque  effet,  même 
a  hors  de  France,  parmi  les  esprits  méditatifs,  et  dont  les 
<c  idées  sont  devenues  le  credo  d'une  petite  secte  pbiloso- 
c(  phique.  x>  Il  a  fallu  bien  peu  d'années  pour  ôter  leur 
vérité  à  ces  paroles,  où  il  ne  reste  plus  qu'un  dédain  pré- 
maturé. Si  peu  de  bruit  s'est  fait  autour  de  M.  Comte  vi- 
vant, du  bruit  commence  à  se  faire  autour  de  M.  Comte 
mort.  Son  œuvre  est  demeurée  debout  sur  le  bord  de  sa 
tombe  ;  l'effet  qu^elle  produisit  sur  les  esprits  méditatifs 
n'a  été  ni  fugace  ni  stérile;  un  progrès  latent  s'est  accom- 
pli ;  et  voilà  que  de  bien  des  côtés  s'anime  cette  doctrine 
qui  u*a  point  courtisé  la  popularité,  qui  s'est  confiée  à  ses 
analogies  fondamentales  avec  l'esprit  de  la  science  et  de 
la  société  moderne,  et  qui  présente  ce  signe  digne  d'at- 
tention, de  passer  non  pas  d'un  grand  bruit  fait  lors  de  sa 
naissance  à  une  décadence  hâtive,  mais  d*un  faible  com- 
mencement à  une  croissance  spontanée,  régulière,  gra- 
duelle. 

Et  cependant  sa  doctrine  n'est  pas  de  celles  qui  puis- 
sent se  glisser  commodément  dans  le  vague  de  certaines 

(I)  Dans  mon  Visre  sur  Auguste  Comte  et  la  Philosophie  positive  y  p.  213, 
2*  édition,  j*a?ais  signalé  une  erreur  involontaire  commise  par  M.  Guizot, 
aa  sujet  de  ses  relations  avec  M.  Comte.  Cette  erreur,  M.  Guizot  vient  de 
la  rectifier  dans  le  tome  VI  de  ses  Mémoires,  cb.  xiiviii,  en  des  termes 
dont  je  ne  puis  trop  le  remercier  quant  à  la  forme.  Quant  au  fond,  j'au- 
rais souhaité  que  Thistorien  ne  méconnût  pas  la  loi  de  changement  et  de 
développement  des  sociétés,  loi  dont  rébranleroont  des  croyances  théolo- 
giques et  la  philosophie  positive  sont  des  manifestations,  et  que  Thomme 
d*État  ne  méconnût  pas,  de  son  côté,  l'opportunité  des  tentatives  philoso- 
phiques d'organisation  dans  un  milieu  troublé,  et  les  sacrifices  qu'elles 
impotent. 


PRÉFACE  d'un   DISGIPLB.  XXI 

tendances  contemporaines,  se  laisser  aller  aux  ondula- 
tions du  flot  religieux,  se  pencher  sur  les  abtmes  du  pan- 
théisme, entrer  complaisamment  dans  les  voies  que  la  mé- 
taphysique reprend  sans  cesse  avec  une  constance  de  moins 
eu  moins  méritoire,  ou  égarer  la  science  en  des  compromis 
où  elle  ne  donne  ni  ne  reçoit  rien.  Non,  elle  est  sérieuse- 
ment résolue  à  mettre  l'homme  à  sa  place  dans  le  monde 
intellectuel  et  moral,  comme  Tastronomiery  a  mis  dans  le 
monde  matériel.  Entre  les  instincts  nouveaux  créés  par 
la  science  et  par  Tindustrie,  et  les  habitudes  anciennes 
créées  par  la  théologie  et  par  la  métaphysique,  se  meut 
la  philosophie  positive  s'appuyant  sur  les  uns  pour  écarter 
les  autres.  Les  transactions  ne  sont  pas  à  son  usage  ;  elle 
ne  peut  attribuer  un  semblant  de  réalité  à  ce  qui  pour 
elle  est  dénué  de  réalité;  elle  prêche  aux  hommes  la  rési- 
gnation devant  ce  qui  est  immuable,  le  savoir  pour  dis- 
cerner ce  qui  peut  être  changé,  et  la  force  morale  ponr 
faire  servir  les  propriétés  des  choses  à  améliorer  leur 
condition  matérielle  et  à  s'améliorer  eux-mêmes;  et  elle 
compte  qu'en  leur  demandant  résignation,  savoir  et  force 
morale,  elle  triomphera  par  le  seul  ascendant  d'une  civi- 
lisation dont  elle  est  l'expression  la  plus  haute. 

Aussi  la  polémique  contemporaine  ne  la  laisse  pas 
inaperçue.  On  lui  fait  sa  place;  et,  par  cela  seul,  le  ni- 
veau de  la  discussion  change;  on  s*écarte  de  la  route 
battue  en  ceci  que  Ton  reconnaît  la  nécessité  pour  la  mé- 
taphysique de  donner  aux  sciences  positives  au  moins 
voix  consultative  dans  les  questions  qu'elle  agite.  Écou- 
tons-la en  effet  (1)  :  «  Le  fait  qui  a  servi  de  point  de 
départ  au  système  de  M.  Darwin  est  un  fait  si  prosaïque 
et  si  vulgaire,  qu'un  métaphysicien  n'eût  jamais  daigné 
y  jeter  les  yeux.  11  faut  pourtant  que  la  métaphysique 
s'habitue  à  regarder,  non  pas  seulement  au-dessus  de 

(1)  M.  Paul  Janet.  Revue  des  deux  mondes.  !•'  décembre  et  15  tioùt  tMÊàm 


XXII  rUÉFACE   D'UN   DISCIPLE. 

nos  tètes,  mais  à  nos  côtés  et  à  nos  pieds...  Ne  dédai- 
gnons pas  d'entrer  avec  M.  Darwin  dans  les  étahles  des 
éleveurs,  de  chercher  avec  lui  les  secrets  de  Tindustrie 
chevaline,  bovine,  porcine,  et,  dans  ces  productions  de 
Tart  humain,  de  découvrir,  s'il  est  possible,  les  artiOces 
de  la  nature.  Sans  doute,  lorsqu'il  y  a  plusieurs  années, 
une  exposition  universelle  rassemblait  à  Paris  les  plus 
beaux  échantillons  de  ces  diverses  industries,  lorsque, 
chaque  année  encore,  dans  les  concours  de  départements, 
on  voit  décerner  des  prix  aux  plus  beaux  produits  de 
rélevage,  qui  eût  cru,  qui  pourrait  croire  que,  dans  ces 
expositions  et  ces  concours,  la  tbéodicée  fût  intéressée  ? 
Et  cependant  les  faits  de  la  nature  se  lient  les  uns  aux 
autres  par  un  lien  si  subtil  et  si  continu,  et  les  accidents 
les  plus  insigniGants  en  apparence  sont  tellement  gou- 
vernés par  des  raisons  générales  et  permanentes,  que  rien 
ne  peut  être  indifférent  aux  méditations  du  penseur, 
surtout  des  faits  qui  touchent  de  si  près  au  mystère  de 
la  vie.  » 

La  métaphysique»  sans  faire  attention  k  l'incompati- 
bilité entre  la  méthode  à  posteriori^  ({ui  est  celle  des 
sciences  positives,  et  la  méthode  à  priori^  qui  est  la  sienne, 
se  demande  d*où  vient  Taversion  non  déguisée  des  sa- 
vants pour  les  causes  finales  et  pour  tout  ce  qui  y  res- 
semble, et  en  quoi  Thypothèse  d'un  plan  et  d'un  dessein 
dans  la  nature  est  contraire  à  l'esprit  scientifique. 

La  science  positive,  qui  s'attache  à  ce  qui  la  sert  et 
qui  laisse  tomber  ce  qui  lui  est  inutile,  n'a  pas  toujours 
eu  de  l'aversion  pour  les  causes  finales,  ni  jugé  con- 
traire à  son  esprit  l'hypothèse  d'un  plan  et  d'un  dessein 
dans  la  nature.  11  fut  un  temps  où;  comme  la  métaphy- 
sique, elle  fit  intervenir  ces  causes  et  cette  hypothèse  dans 
ses  recherches  ;  mais,  entre  une  cause  première  dont  elle 
n'a  aucun  moyen  de  déterminer  la  nature,  et  un  but 
qu'elle  n'a  aucun  moyen  de  saisir,  elle  s'aperçut  que 


PRÉFACE  d'un   disciple.  XXIII 

cette  doctrine  ne  lui  était  (l*aucun  secours  ;  et  la  force  des 
clioses  la  rejeta  dans  la  féconde  doctrine  des  conditions 
d'existence,  féconde  parce  qu'elle  est  relative  et  expé- 
rimentale. Dans  les  travaux  spéciaux,  tous,  croyants  ou 
non  croyants,  renoncent  à  la  première,  se  conforment  à 
la  seconde.  En  bonne  logique,  la  doctrine  des  causes 
finales  aurait  dû  être  un  résultat,  non  un  principe  ;  mais, 
au  rebours,  elle  s'établit  comme  principe,  alors  que  la 
constitution  du  monde  était  la  moins  connue  ;  et  main- 
tenant que  cette  constitution  est  beaucoup  mieux  connue» 
nlle  demande  avec  inquiétude  à  la  science  de  la  consacrer 
comme  résultat.  Evidemment,  cette  conception  est  sub- 
jective, ou,  ce  qui  est  la  même  chose,  métaphysique,  et, 
partant,  précaire  jusqu'à  vérification. 

En  ceci ,  la  vérification  consiste  à  reconnaître  si  la  finalité 
s'étend  à  l'ensemble  des  phénomènes,  ou  si  elle  en  laisse 
échapper  certaines  catégories.  Dans  le  premier  cas,  Tbypo- 
tliè>e,  je  me  sers  du  mot  qui  m'est  fourni,  et  il  est  bon, 
devient  un  fait  général  ;  dans  le  second  cas,  la  contra* 
diction  entre  les  différentes  catégories  de  phénomènes  de- 
vient insoluble,  l'hypothèse  invérifiable,  et  la  poursuite 
stérile. 

Un  des  exemples  qu'on  prend  le  plus  volontiers  en  fa- 
veur de  la  finalité  est  celui  de  l'œil  ;  il  est  excellent  ;  l'œil 
est  un  instrument,  et  un  opticien,  dans  son  atelier,  dispose- 
rait de  la  sorte  les  divers  milieux,  la  courbure  du  cristallin, 
l'ouverture  de  la  pupille,  pour  qu'une  image  nette  vînt 
se  projeter  sur  la  rétine.  Par  conséquent,  il  est  naturel  de 
conclure  «  qu'une  cause  intelligente  a  eu  devant  soi  l'effet 
c(  particulier  que  chacune  des  parties  devait  produire,  et 
((  l'effet  commun  qu'elles  devaient  produire  toutes  en- 
te semble,  »  en  d'autres  termes,  que  cette  cause  a  eu  un 
plan  et  s'est  proposé  un  but  qu'elle  a  atteint.  Soit  :  voilà 
l'hypothèse  vérifiée  pour  ce  cas  et  pour  tous  les  cas  analo- 
gues ;  mais  il  ne  s'agit  pas  de  faire  un  choix,  et  il  importe 


XXIV  PRÉFACE   d'un   DISCIPUS. 

d'examiner  comment  la  doctrine  se  comporte  à  Tégard 
d*autres  conditions.  De  ces  autres  conditions,  en  voici  une 
entre  mille  :  ce  chien  qui  vous  lèche  la  main  a  la  salive 
inoffensive  ;  mais,  par  un  procédéchimico-vilal  quijusqu'à 
présent  dépasse  la  subtilité  de  l'art  humain,  il  va  se  for- 
mer dans  cette  salive  un  principe  délétère^  qui  donnera  la 
mort  à  l'animal  et  à  ceux  en  cjui  les  morsures  l'inocule- 
ront. Ce  n'est  pas  tout  ;  ce  nouvel  état,  dans  lequel  il  est 
mis,  lui  inspire  un  funeste  désir  de  mordre,  de  sorte  que 
la  cause  qui  a  combiné  le  virus  a  en  même  temps  tout 
disposé  pour  qu'il  ne  se  perdit  pas  inoffensif.  Que  dire  de 
cette  singulière  cause  finale?  et  comment  accorder  la 
finalité  qui  parait  régir  ce  cas-ci  avec  la  finalité  qui  parait 
régir  le  cas  de  l'œil? 

Autre  exemple.  La  cause,  quelle  qu'elle  soit,  d'où  pro- 
YÎennent  les  êtres  organisés,  a  créé,  à  côté  des  espèces 
vivant  par  elles-mêmes,  des  espèces  parasites  qu'elle  a 
jetées  par  tribus  innombrables  dans  le  sein  de  tous  les 
animaux.  Elle  loge  ces  entozoaires  chez  les  insectes,  chez 
les  poissons,  chez  les  oiseaux,  chez  les  mammifères,  chez 
l'homme,  dans  l'œil,  dans  le  sang,  dans  l'intestin^  dans 
le  foie,  dans  le  cerveau,  dans  les  muscles  ;  les  germes  en 
sont  partout  ;  ils  se  glissent  dans  les  organes,  et,  pour 
peu  que  le  sol  soit  propice,  ils  s'y  greffent  et  prospèrent 
aux  dépens  de  l'organisme  qu'ils  condamnent  à  la  souf- 
france et  à  la  destruction.  De  ces  entozoaires,  quelques- 
uns  offrent  les  plus  singulières  complications  de  trans- 
formation ;  vous  les  voyez  hors  de  l'animal  sans  les 
reconnaître;  ils  passent  par  deux  ou  trob  générations 
pour  accomplir  leur  évolution,  et  représentent  certaine- 
ment un  admirable  artifice  pour  désoler  les  pauvres  vic- 
times auxquelles  ils  sont  vi^iblement  destinés. 

Aux  arguments  de  la  finalité,  qui  n'ont  pas  été  renou- 
velés, je  n'ai  pas  la  prétention  d'opposer  une  argumen- 
tation qui  soit  nouvelle  ;  et,  au  siècle  dernier,  un  per- 


PRÉFACE  d'un   disciple.  XXY 

sonnage  d'un  roman  de  Voltaire  demandait  ce  que 
signifiait  faire  des  araignées  pour  éventrer  des  mouches. 
Mais  ce  qui  est  nouveau  en  ceci,  c'est  qu'alors  une  telle 
argumentation  prenait  sa  source  dans  une  métaphysique 
seulement  négative  et  dissolvante,  et  qu'aujourd'hui  elle 
la  prend  dans  une  philosophie  qui,  fille  des  sciences  po- 
sitives, organise  le  savoir  général  comme  elles  ont  orga- 
nisé le  savoir  spécial. 

Transporté  dans  Tordre  de  la  finalité,  nécessairement 
Tesprit  se  trouble  et  chancelle.  Le  problème,  duquel  on  ne 
sait  même  pas  s'il  est  bien  posé,  puisqu'il  n'est  posé  que  sub- 
jectivement, est  hors  de  sa  portée.  La  science,  qui  n'est 
devenue  positive  que  depuis  qu'elle  expérimente  et  vé- 
rifie, ne  veut  plus  d'une  finalité  qui  ne  se  vérifie  ni  ne 
s'expérimente.  Elle  ne  s'obstine  pas  vainement  devant 
des  issues  qui  lui  sont  fermées,  et  se  porte 'avec  d'autant 
plus  de  force  vers  les  issues  qui  lui  sont  ouvertes.  Jadis 
elle  reçut  de  la  métaphysique  la  doctrine  des  causes 
finales  ;  aujourd'hui  elle  la  lui  laisse  comme  un  instru- 
ment sans  vertu.  Cette  doctrine,  qui  n'a  aucun  usage 
entre  les  mains  de  la  science  positive,  n'a  qu'un  usage 
nominal  entre  les  mains  de  la  métaphysique;  c'est  un 
mot  qui  ne  peut  devenir  une  chose,  c'est  une  idée  subjec- 
tive qui  ne  peut  devenir  objective.  Tandis  que  la  science 
positive,  ainsi  allégée,  marche  et  s'empare  de  l'esprit 
humain,  ce  même  esprit  se  détourne  de  la  métaphysique 
éternellement  arrêtée  devant  des  questions  sans  réponse. 
Tout  se  juge  par  les  faits  et  par  les  fruits. 

Le  physicien,  sagement  convaincu  désormais  que  Tin- 
timité  des  choses  lui  est  fermée,  ne  se  laisse  pas  dbtraire 
par  qui  lui  demande  pourquoi  les  corps  sont  chauds  ou 
pesants  ;  il  le  chercherait  en  vain,  et  il  ne  le  cherche  plus. 
De  même,  dans  le  domaine  biologique,  il  n'y  a  pas  lieu 
de  demander  pourquoi  la  substance  vivante  se  constitue 
en  des  formes  où  les  appareils  sont,  avec  plus  ou  moins 


XXVI  PRÉFACE  d'un   DISCIPLE. 


d'exactitude,  ajustés  au  but,  à  la  fonction.  S'ajuster  ainsi 
est  une  des  propriétés  immanentes  de  cette  substance, 
comme  se  nourrir,  se  contracter,  sentir,  penser.  Cette 
vue,  étendue  aux  perturbations ,  les  embrasse  sans  diffi- 
culté ;  et  l'esprit,  qui  cesse  d'être  tenu  à  chercher  l'impos- 
sible conciliation  des  fatalités  avec  les  finalités,  ne  trouve 
plus  rien  qui  soit  inintelligible,  c'est-à-dire  contradictoire, 
dans  ce  qui  lui  est  départi  du  monde. 

Ce  qui  lui  est  départi  du  monde  !  La  terre  qui  nourrit 
l'homme  et  qui  reçoit  ses  ossements  ;  le  soleil  qui  épanche 
lumière  et  chaleur  dans  l'espace  planétaire;  par  delà  cet 
espace,  l'univers,  si  vaste  et  si  reculé  que  les  soleils  ne  nous 
paraissent  plus  que  des  étoiles  dont  se  parent  nos  nuits  ; 
la  faible  mais  pensante  humanité  jetée  dans  cette  immen- 
sité !  certes,  la  grandeur,  la  beauté,  la  contemplation,  sont 
là  comme  elles*  n'ont  jamais  été.  Quand  T homme  s'engagea 
dans  la  recherche  laborieuse  de  la  réalité  des  choses,  il 
lui  fut  promis  par  un  secret  instinct  que  la  réalité,  la  vé- 
rité ne  laisserait  ni  son  imagination  sans  merveille,  ni 
son  cœur  sans  chaleur.  La  promesse  a  été  tenue  :  le  monde 
s'est  ouvert  avec  une  grandeur  qui  est  une  souveraine 
beauté;  et  le  souci  de  l'humanité  est  venu  allumer  en 
8on  cœur  la  flamme  précieuse  des  sentiments  imper- 
sonnels. 

C'est  une  opinion  généralement  accréditée  parmi  les 
métaphysiciens  et  même  parmi  quelques-uns  de  ceux  qui 
cultivent  les  sciences  spéciales,  qu'en  combattant  le  ma- 
térialisme on  combat  du  même  coup  la  philosophie  posi- 
tive. L'erreur  est  grande  et  mérite  d'être  refutée.  Aucun 
des  coups  portés  au  matérialisme  n'atteint  cette  philoso- 
phie ;  et  j'avertis  ses  adversaires  de  ne  pas  tomber  en  cette 
méprise,  qui  rend  leur  polémique  illusoire.  On  objecte 
au  matérialisme  de  ne  pouvoir  dire  ce  qu'est  en  soi  la 
matière.  Qu'importe  à  la  philosophie  positive,  elle  qui 
prend  la  matière  comme  les  sciences  la  prennent,  et  qui 


PRÉFACE   d'un   disciple.  XXYII 

use  de  ces  notions  comme  les  sciences  en  usent  elles- 
mêmes?  On  reproche  au  matérialisme  de  ne  pouvoir  expli- 
(|uer  ni  de  quelle  façon  leâ  changements  de  la  pensée  sont 
proportionnels  aux  changements  du  cerveau,  ni  com- 
ment, dans  le  tourbillon  vital  ou  échange  perpétuel  de 
matière  qui  s'opère  entre  le  corps  vivant  et  le  monde 
extérieur,  le  cerveau,  qui  participe  à  cet  échange,  garde 
néanmoins  le  sentiment  constant  de  l'identité.  Qu'im- 
porte à  la  philosophie  positive,  elle  qui,  partant  du  fait 
indéniable  qu'on  ne  connaît  point  de  pensée  sans  cerveau, 
repousse  comme  vaines  toutes  les  hypothèses,  soit  ma- 
térialistes, soit  spiritualistes,  sur  les  conditions  qui  font 
<]ii'à  la  substance  nerveuse  sont  attachées  la  sensibilité  et 
Tintelligence  ?  La  métaphysique  accule  à  des  impossibi- 
lités promptement  visibles  le  matérialisme  essayait 
d'expliquer  par  les  conditions  delà  matière  la  production 
f»remière  des  êtres  vivants.  Qu'importe  à  la  philosophie 
positive,  elle  qui  professe  qu*on  ne  peut  atteindre  aucune 
production  première,  et  qui  ne  se  croirait  pas  plus  solide 
quand  bien  même  on  démontrerait  que  les  générations 
spontanées  sont  réelles  ?  L'hétérogénie,  biologiquement, 
est  un  très-important  problème  ;  mais,  philosophique- 
ment, elle  ne  change  pas  la  position  de  l'esprit  humain  en 
face  de  Torigine  ou  de  la  fin  des  choses.  Si  elle  est  fausse, 
le  matérialisme  n'en  niera  pas  moins  le  spiritualisme  ;  si 
elle  est  vraie,  le  spiritualisme  n*en  niera  pas  moins  le  ma- 
térialisme ;  car  la  possibilité  ou  Timpossibilitè  de  faire, 
sans  parents  ni  germes,  des  êtres  végétaux  ou  ani- 
maux de  Tordre  infime,  laisse  toujours  les  voies  ouvertes 
à  riutervention  des  forces  inconnues  de  la  matière  sui- 
vant le  matérialisme,  ou  à  l'intervention  de  l'esprit  suivant 
le  spiritualisme.  Ni  spiritualisme  ni  matérialiste,  la  phi- 
losophie positive  écarte  de  la  science  générale  les  débats 
que  la  science  particulière  a  depuis  longtemps  et  à  soU' 
grand  profit  rejetés. 


XXVIIT  PAÉFACE   D'UN  DISCIPLE. 

La  métaphysique,  quand  elle  se  sent  trop  pressée  par 
le  matérialisme,  lui  tient  ce  langage  en  lui  reprochant  de 
confondre  la  matière  et  Tesprit  :  «  Sur  quoi  nous  fondons- 
<ï  nous  pour  forcer  la  nature  à  n'être  autre  chose  que  Té- 
ii  ternelle  répétition  de  soi-même,  et,  comme  le  dit  Di- 
«  derot,  un  même  phénomène  indéfiniment  diversifié? 
«  Illusion  et  orgueil  !  Les  choses  ont  de  plus  grandes  pro- 
«  fondeurs  que  n'en  a  notre  esprit.  Sans  doute,  la  matière 
a  et  l'esprit  doivent  avoir  une  raison  commune  dans  la 
a  pensée  de  Dieu  ;  c'est  là  qu'il  faudrait  chercher  leurder* 
((  nière  unité  ;  mais  quel  œil  a  pénétré  jusque-là  ?  Qui 
a  pourra  croire  avoir  expliqué  cette  origine  commune  à 
«  toute  créature  ?  Qui  le  pourrait,  sinon  celui  qui  est  la 
a  raison  de  tout  ?  Mais  surtout  quelle  faiblesse  et  quelle 
«ignorance  de  limiter  l'être  réel  des  choses  à  ces  fugi- 
a  tives  apparences  que  nos  sens  en  saisissent,  et  de  faire 
«c  de  notre  imagination  la  mesure  de  toutes  choses  ?  d  A 
cela,  la  philosophie  positive  répond,  non  pas  au  nom  du 
matérialisme,  mais  au  sien  :  Celui  qui  déclare  qu'il  faut 
chercher  la  raison  commune  des  choses  dans  la  pensée  de 
Dieu, .et  en  même  temps  qu'aucun  œil  n'a  pénétré  jusque- 
là,  se  propose  de  la  chercher  dans  un  lieu  inaccessible. 
Se  proposer  un  lieu  inaccessible  où  Ton  cherchera  est 
toute  l'histoire  de  la  métaphysique. 

Cette  raison  commune  des  choses,  c^est  dans  un  lieu 
accessible  que  la  philosophie  positive  la  cherche,  lieu 
qui  est  celui  des  sciences  positives.  Elle  leur  a  demandé  à 
quoi  leur  servaientles  causes  premières  et  les  causes  fina- 
les ;  et,  ayant  appris  qu'elles  avaient  abandonné  comme 
stérile  toute  spéculation  sur  ces  causes,  elle  a  fait  dans 
son  département  ce  qu'elles  avaient  fait  dans  le  leur  ; 
elle  a  lié  sa  méthode  à  leur  méthode,  son  scM't  à  leur 
sort.  Le  trait  de  génie  est  d'avoir  trouvé  entre  les  scien- 
ces un  lien  substantiel,  et  tiré  de  ces  positivités  spé- 
ciales  une  positivité  générale  qui  est  désormais  une  phi- 


PBÉFACE  D'UN  DISCIPLE.  XXTX 

losophie  capable  de  teoir  la  direction  de  Tesprit  nouveau. 

Dans  ce  que  le  lecteur  vient  de  parcourir,  la  science  po- 
sitive n^est  point  appelée  comme  un  auxiliaire  ;  elle  de- 
meure suspecte  et  redoutée  ;  seulement  Timportance 
qu'elle  a  conquise  contraint  de  ne  pas  la  négliger  complè- 
tement. Mais  il  est  des  métaphysiciens  qui,  loin  de  la 
traiter  en  suspecte,  cherchent  à  appuyer  sur  elle  leurs 
systèmes  (1). 

Ici  c'est  d'une  cosmogonie  qu'il  s'agit.  On  admet  qu'à 
l'origine  il  n'y  a  que  l'atome  flottant  isolé  dans  l'espace  et 
ne  possédant,  en  son  isolement,  que  les  propriétés  méca- 
niques de  la  matière.  On  admet  ensuite  que  ces  atomes  se 
conjoi^nent  et  forment  la  molécule  où  interviennent  les 
propriétés  chimiques  ;  enfin  on  admet  que  les  molécules 
viennent  se  condenser  en  soleils.  Une  fois  qu'on  a  ainsi 
conçu  la  formation  de  ces  astres,  on  se  trouve  en  un  do- 
maine plus  rapproché  de  l'expérience,  et,  à  Taide  de 
l'hypothèse  de  Laplace,  on  se  figure  des  anneaux  de  ma- 
tière solaire  se  détachant  de  la  masse  totale  et  constituant 
les  planètes.  La  terre  ainsi  détachée  à  son  tour,  la  géologie 
suggère  les  antitiues  périodes  de  la  végétalité  et  de  Tafii- 
malité  commençantes  ;  et,  finalement,  l'histoire  divise 
rhumanité  en  époque  inconsciente  qui  s'étend  de  l'ori- 
gine aux  temps  historiques,  et  en  époque  consciente  qui 
point  en  Egypte  et  qui  comprend  environ  cinq  mille  ans. 

Avant  d  aller  plus  loin,  il  n'est  pas  inutile  d'intercalé 
une  remarque.  Les  idées  qui  viennent  d'être  énoncées  pré- 
sentent la  molécule  chimique  comme  postérieure  à  l'atome 
mécanique,  et  la  mécanique  ou  physique  comme  anté- 
rieure à  la  chimie,  de  même  que  la  vie  est  postérieure  à 
l'un  et  à  Tautre.  Ceux  qui  ne  sont  pas  sans  familiarité  avec 
les  livres  d'Auguste  Comte  savent  que,  justement,  il  a 
rangé  en  cet  ordre  la  physique,  la  chimie  et  la  biologie, 

(1)  M.  r%enan.  Revue  des  deux  mondes,  15  octobre  1863. 


XXX  rnÉFACE  d'un  disciple. 

se  fondant  sur  ce  que  ces  sciences  s'occupent  de  phénomè- 
nes de  plus  en  plus  compliqués.  Moi-même,  cherchant  h 
défendre  la  classification  d'Auguste  Comte  contre  des  ob- 
jectionsy  et  essayant  de  distinguer  la  constitution  des  scien- 
ces de  leur  évolution,  j'ai  fait  voir  qu'en  effet  la  nature 
nous  offre  trois  degrés  de  complexité  :  le  degré  physique 
où  la  substance,  présentant  une  seule  matière  élémen- 
taire, n'a  que  des  propriétés  de  gravitation,  de  chaleur, 
d'électricité,  etc.,  le  degré  chimique  ou  deux  molécules 
élémentaires  se  combinent  pour  former  un  composé  ;  enfin 
le  degré  vital  où  la  combinaison  des  molécules  devient 
ternaire  et  quaternaire.  J'ai  dit  plus  d'une  fois  que,  de 
la  philosophie  positive,  il  flotte  dans  l'air  des  lambeaux 
que  chacun  s'approprie  et  tourne  à  son  gré  :  voilà  un  de 
ces  lambeaux  que  je  signale. 

Pourtant,  entre  la  conception  positive  que  je  viens  de 
rappeler  et  la  forme  métaphysique  qui  lui  a  été  donnée, 
il  y  a  toute  la  distance  qui  sépare  un  résultat  de  l'observa- 
tion  d'avec  une  hypothèse  invéri6able.  Tandis  que  le  de- 
gré de  complexité  constaté  dans  la  nature  explicjue  com- 
ment les  sciences  se  sont  constituées  l'une  après  l'autre,  et 
pourquoi  il  faut,  dans  une  éducation  encyclopédiciue,  les 
apprendre  conformément  à  un  tel  ordre,  Timagination 
qui  s'est  jetée  dans  l'hypothèse  invérifiable  n'en  rapporte 
que  cequ'elle  y  à  mis.  Nous  ne  savons  rien  sur  une  période 
moléculaire  ou  chimique  qui  aurait  précédé  les  soleils  : 
xien  sur  une  période  atomique  qui  aurait  précédé  la  pé- 
riode moléculaire.  L'hypothèse  cosmogonique  de  Laplace 
reste  ouverte  comme  satisfaisant  à  quelques-unes  des  con- 
ditions astronomiques  du  problème.  Sans  doute  l'étude 
prolongée  des  comètes,  des  astéroïdes  et  des  aréolithes 
permettra  d'étendre  nos  connaissances  sur  la  constitution 
des  espaces  cosmiques  ;  mais  il  est  impossible  d'anticiper  «^r 
de  dire  quelles  conjectures  ultérieures  elle  autorisera.  Je 
n'inherdis  point  à  l'esprit  de  se  perdre,  avec  ^indéfiIii^^a- 


PR^-FACE,  d'cN   disciple.  AXAI 

ble  frémissement  que  cause  Tabime,  dans  Tespace  et  dans 
le  temps  sans  borne;  mais  cela  est  la  satisfaction  indivi- 
duelle de  la  contemplation,  qui  donne  essor  à  des  élans  de 
sentiment  et  de  poésie  ;  et  Ton  confond  deux  domaines, 
quand  on  reporte  en  la  science  ce  que  la  contemplation 
poursuit  en  ses  lointains  voyages. 

On  ne  peut  trop  répéter  Tanathème  prononcé  par 
M.  Comte  contre  les  hypothèses  invérifiables.  La  grandeur 
de  la  science  n'est  pas  dans  Teffort  impuissant  et  subjectif 
de  connaître  ce  qu'elle  ne  peut  connaître;  elle  est  dans  ce 
labeur,  bien  récompensé  jusqu'à  présent,  qui  interroge 
objectivement  la  nature,  et  qui  en  retire  des  notions  rela- 
tives sans  doute,  mais  du  moins  portions  certaines  et  ac- 
quises d'une  vérité  croissante  et  enchaînement  méthodique 
de  conceptions  de  plus  en  plus  compliquées. 

Il  est  vrai  que  de  telles  conceptions  ne  comportent  pas 
de  métafdiysique,  au  lieu  que  la  métaphysique  est  l'abou- 
tissant inévitable  de  tout  ce  qui  s'engage,  même  sous  des 
prétextes  scientifiques,  dans  les  considérations  d'origine  et 
de  fin.  La  forme  que  prend  ici  la  métaphysique  est  le 
panthéisme.  La  thèse  fondamentale  de  cette  théologie  (c'est 
Texpression)  est  que  Dieu  est  immanent  et  dans  l'ensem- 
ble de  Tunivers  et  dans  chacun  des  êtres  qui  le  compo- 
.^ent;  mais  il  ne  se  connaît  pas  également  dans  tous  :  il 
se  connaît  plus  dans  la  plante  que  dans  le  rocher,  plus 
dans  l'animal  que  dans  la  plante,   plus  dans  l'homme 
que  dans  l'animal,  dans  Thomme  intelligent  que  dans 
l'homme  borné,  dans  l'homme  de  génie  que  dans  l'homme 
intelligent,  dans  Socrate  que  dans  l'homme  de  génie,  dans 
Bouddha  que  dans  Socrate,  dans  le  Christ  que  dans  Boud- 
dha. Cette  conscience  divine  croissant  et  se  développant 
avec  la  croissance  et  le  développement  des  êtres,  il  de- 
vient convenable  qu'on  puisse  dire  que  Dieu  sera  plutôt 
qu'il  n'est,  qu'il  est  in  fieri  et  en  voie  de  se  faire  ;  et  qu'au 
bout  du  développemejit  complet,  il  sera  complet  si  l'on 


XXXII  PRÉFACE  d'un   DISCIPLB. 

fait  (lu  mot  Dieu  le  synonyme  de  la  totale  existence.  C*est 
là  la  pure  doctrine  de  Thégélianisme.  Mais  Ton  ajoute  que 
s'arrêter  là  serait  une  théologie  fort  incomplète;  que  Dieu 
est  plus  que  la  totale  existence  ;  il  est  en  même  temps  l'ab- 
solu ;  il  est  le  lieu  de  Tidéal,  le  principe  vivant  du  bien, 
du  beau  et  du  vrai  ;  euvisagé  de  la  sorte.  Dieu  est  pleine- 
ment et  sans  réserve;  il  est  éternel  et  immuable,  sans  pro- 
grès ni  devenir. 

Je  ne  suis  pas  panthéiste,  et  par  conséquent  n*ai  point  à 
examiner  comment  Dieu  peut  être  à  la  fois  personnel  et 
impersonnel,  dans  le  devenir  et  dans  l'absolu.  Rejetant  le 
principe,  je  nuirai  pas  chicaner  les  conséquences.  Tout  ce 
que  je  remarquerai  au  nom  de  la  philosophie  positive,  c'est 
que,  de  quelque  manière  que  Ton  conçoive,  avec  le  pan- 
théisme, un  dieu  immanent  au  monde,  c'est  une  idée  pu- 
rement subjective  ;  une  idée  qu'aucune  science  ne  fournit  ; 
une  idée  qui  ne  prendrait  de  réalité  que  si  quelque  confir- 
mation à  posteriori  lui  venait  en  aide  ;  une  idée  qui ,  recon- 
nue invérifiable,  perd  Tintérêt  qu'elle  excita  quand,  dans 
un  état  de  raison  moins  mûre,  on  pensa  qu'elle  était  véri- 
table. 

Si  l'on  se  croit  en  droit  de  concevoir  d'une  certaine  fa- 
^n  l'origine  des  choses,  par  une  conséquence  inévitable 
on  se  croira  en  droit  de  concevoir  aussi  d'une  certaine  fa- 
çon la  fin  des  choses,  et  de  construire  de  toutes  pièces  ce 
((u'en  termes d*école on  nomme  une  eschatologie.  Ici,  dans 
l'espèce  de  panthéisme  dont  je  m'occupe,  cette  consomma- 
tion finale,  cette  palingénésie  dernière  sera  l'œuvre  de  la 
science  ;  et  l'on  affirme  que  la  résurrection  finale  se  fera 
par  la  science,  soit  de  Thomme,  soit  de  tout  autre  être  in- 
telligent ;  on  espère  qu'une  science  infinie  amènera  un  pou- 
voir infini,  et  que  Têtre  en  possession  d'une  telle  science  et 
d'un  tel  pouvoir  sera  vraiment  maître  de  l'univers,  ne 
connaîtra  plus  les  bornes  de  Tespace,  et  franchira  les  limi- 
tes de  sa  planète  ;  de  sorte  qu'un  seul  pouvoir  gouvernera 


PnÉFACE  d'un   disciple.  XXXIII 

réellement  le  inonde,  et  ce  sera  la  science,  ce  sera  l'esprit. 
Tel  est  l'avenir  promis  à  rhumanité  qui  est  le  principal  ins- 
trument de  cette  œuvre  sacrée,  ou,  si  l'humanité  s'annule 
elle-même  pour  les  grandes  choses,  à  quelqu'une  des 
antres  intelligences  disséminées  dans  l'univers.  En  même 
temps  qu'on  présente  l'esprit  universel  se  dégageant  par 
le  travail  des  intelligences  incorporées,  on  présente  aussi 
un  Dieu  en  qui  Thomme  est  immortel,  en  qui  vivent 
toutes  les  âmes  qui  ont  vécu,  en  qui  sera  la  résurrection  de 
toutes  les  consciences  ;  un  monde  que  nous  aurons  contri- 
bué à  faire,  où  nous  ressusciterons  et  où  la  religion  se  trou- 
vera vraie;  une  vie  infinie  dont  notre  vie  aura  été  une 
portion  et  où  nous  aurons  notre  place  marquée  pour  l'éter- 
nité. Je  l'ai  dit  tout  à  Thcure,  je  ne  suis  pas  panthéiste,  et 
ne  me  prévaudrai  pas  des  difficultés  que  susciterait  la  con- 
ciliation de  propositions  qui  semblent  si  diverses  ;  et  je  me 
borne  à  remarquer  que,  si  rien,  dans  l'ordre  positif,  n'au- 
torise la  conception  panlhéistique  du  monde,  à  plus  forte 
raison  est-il  interdit  d'en  tirer,  par  voie  de  déduction,  des 
conséquences  nécessairement  plus  fragiles  encore  que  leur 
fragile  fondement. 

D'un  philosophe  nourri  essentiellement  dans  les  lettres 
et  dans  l'érudition,  je  passe  à  un  philosophe  nourri  es- 
sentiellement dans  la  science  positive  (1).  Ces  deux  esprits, 
bien  que  congénères,  puisqu'ils  concourent  dans  une  méta- 
physique finale,  ont  pourtant  des  dissemblances  dans  leur 
manière  de  procéder  ;  et  Téminent  chimiste  ne  quitte  pas 
sans  quelque  regret  un  terrain  dont  il  connaît  si  bien  la  so- 
lidité, et  dont  il  trace  les  caractères  de  la  main  la  plus  ferme. 

La  science  positive  est  tout  d'abord  excellemment  défi- 
nie :  elle  ne  poursuit  ni  les  causes  premières  ni  la  fin  des 
choses  ;  mais  elle  procède  en  établissant  des  faits  et  en  les 
rattachant  les  uns  aux  autres  par  des  relations  immé- 

(1)  M.  Bertlivlot,  Hcvue  des  Deuc  Mondes,  15  noîenibre  I8c3. 
A.  (  OMTE.  Tumc  I.  c 


XXXIY  PRÉFACE  D*[JN   DISCIPLE. 

diates.  C'est  la  chaîne  de  ces  relations,  chaque  jour  éten- 
due plus  loin  par  les  efforts  de  Tintelligence  humaine, 
qui  constitue  la  science  positive. 

Le  principe  essentiel  de  la  science  positive  est  reconnu, 
à  savoir,  qu'aucune  réalité  ne  peut  être  établie  par  le  rai- 
sonnement. Le  monde  ne  saurait  être  deviné.  Toutes  les 
fois  que  nous  raisonnons  sur  des  existences,  les  prémisses 
doivent  être  tirées  de  l'expérience  et  non  de  notre  propre 
conception  ;  de  plus  la  conclusion  que  Ton  tire  de  telles 
prémisses' n'est  que  probable  et  jamais  certaine  :  elle  ne 
devient  certaine  que  si  elle  est  trouvée,  à  l'aide  d'une  ob- 
servation directe,  conforme  à  la  réalité. 

Sans  hésitation,  l'ordre  moral  est  rangé  sous  la  catégorie 
de  la  science  positive.  Il  s'y  agit  d'abord  d'établir  les  faits 
et  de  les  contrôler  par  l'observation,  puis  de  les  enchaî- 
ner en  s'appuyant  sans  cesse  sur  cette  même  observation. 
Tout  raisonnement  qui  tend  à  les  déduire  à  priori  de 
quelque  axiome  abstrait  est  chimérique  ;  tout  raisonne- 
ment qui  tend  à  opposer  les  unes  aux  autres  des  vérités 
de  fait,  et  à  en  détruire  quelques-unes  en  vertu  du  principe 
logique  de  contradiction,  est  également  chimérique.  C'est 
l'observation  des  phénomènes  du  monde  moral,  révélés 
soit  par  la  psychologie,  soit  par  Thistoire  et  l'économie 
politique,  c'est  l'étude  de  leurs  relations  graduellement 
généralisées  et  incessamment  vériflées,  qui  servent  de 
fondement  à  la  connaissance  scientifique  de  la  nature  hu- 
mcdne.  La  méthode  qui  résout  chaque  Jour  les  problèmes 
du  monde  matériel  et  industriel  est  la  seule  qui  puisse 
résoudre  et  qui  résoudra  tôt  ou  tard  les  problèmes  fonda- 
mentaux relatifs  à  l'organisation  des  sociétés. 

Enfin,  le  tableau  s'achève,  en  signalant  la  position  pré- 
sente de  la  science  positive,  qui  a  conquis  peu  à  peu  dans 
l'humanité  une  autorité  fondée,  non  sur  le  raisonnement 
abstrait,  mais  sur  la  conformité  nécessaire  de  ses  résultats 
avec  la  nature  même  des  choses.  L'enfant  se  plaît  dans  le 


PRÉFACE  d'un  DISCIPLB.  XXX Y 

rêve,  et  il  en  est  de  même  des  peuples  qui  eommencent  ; 
mais  rien  ne  sert  de  rêver,  si  ce  n'est  à  se  faire  illusion  à 
soi-même...  Les  anciennes  opinions,  nées  trop  souvent  de 
rignorance  et  de  la  fantaisie,  disparaissent  peu  à  peu  pour 
faire  place  à  des  convictions  nouvelles,  fondées  sur  Tobser- 
vation  de  la  nature,  c'est-à-dire  de  la  nature  morale  aussi 
bien  que  de  la  nature  physique.  Les  premières  opinions 
avaient  sans  cesse  varié,  parce  qu'elles  étaient  arbitraires  ; 
les  nouvelles  subsisteront,  parce  que  la  réalité  en  devient 
de  plus  en  plus  manifeste,  à  mesure  qu'elles  trouvent  leur 
application  dans  la  société  humaine,  depuis  Tordre  maté- 
riel et  industriel  jusqu'à  Tordre  moral  et  intellectuel  le  plus 
élevé...  Tous  les  esprits  réfléchis  sont  ainsi  gagnés  sans 
retour,  à  mesure  que  s'efface  la  trace  des  vieux  préjugés, 
et  il  se  constitue  dans  les  régions  les  plus  hautes  de  Tbu- 
manité  tout  un  ensemble  de  convictions  qui  ne  seront  plus 
jamais  renversées. 

Tout  cela,  la  philosophie  positive  Ta  dit  ou  le  dirait. 
Jusque-là,  l'accord  est  complet;  mais,  quand  il  s'agit  de 
passer  des  sciences  spéciales  à  la  science  générale  ou  phi- 
losophie, Taccord  cesse  ;  et,  tandis  que  la  philosophie  po- 
sitive soutient  qu'il  n'y  a  de  science  générale  que  dans  la 
considération  hiérarchique  des  sciences  particulières,  ou, 
en  d'autres  termes,  de  tout  le  savoir  humain,  Tesprit  mi- 
métaphysique,  et  mi-positif,  partagé  entre  des  tendances 
contraires,  échappe  en  jetant  en  avant  Tespérance  d'une 
science  idéale  à  laquelle  il  attribue  une  méthode  positive 
et  des  conclusions  métaphysiques. 

Mais  n'antidpons  pas.  Cette  science  idéale  a  un  objet, 
une  méthode  et  un  résultat, 

\J objet  en  est  de  satisfaire  à  un  besoin  de  Tesprit  hu- 
main porté  par  une  impérieuse  nécessité  à  affirmer  le  der- 
nier mot  des  choses,  Ou,  tout  au  moins,  à  le  chercher;  en 
deçà  comme  au  delà  de  la  chaîne  scientifique,  il  conçoit 
sans  cesse  de  nouveaux  anneaux  ;  où  il  ignore,  il  est  con- 


XXXVI  PBêFACB   d'un    DISCIPLE. 

duit  par  une  force  invincible  à  construire  et  à  imaginer, 
jusqu'à  cequ*il  soit  remonté  aux  causes  premières;  ce 
procédé  représente  un  fait  d*observation  prouvé  par  l'é- 
tude de  chaque  époque,  de  chaque  peuple,  de  chaque  in- 
dividu ;  il  n*est  pas  permis  de  refuser  de  Tapercevoir  ; 
c*est  ici  un  fait  comme  tant  d'autres,  son  existence  néces- 
saire dispense  d*en  discuter  la  légitinfiité.  —  Oui,  sans 
doute,  mais  cette  existence  nécessaire  ne  dispense  pas  de 
l'analyser.  Or,  à  le  présenter  ainsi,  il  y  a  confusion  entre 
ce  qu'il  contient  de  permanent  et  ce  qu'il  contient  de  tran- 
sitoire. Ce  qui  est  permanent,  c'est  la  présence  perpétuelle 
de  Tesprit  humain  devant  Tinfinité  et  Téternité  des  choses  ; 
ce  sentiment,  il  ne  le  perdra  jamais;  et  c'est  un  des  plus 
salutaires  et  des  plus  grandioses  qu'il  puisse  éprouver  et 
cultiver.  Mais  ce  qui  est  transitoire,  c'est  d'essayer  inuti- 
lement de  résoudre  d'insolubles  problèmes  ;  tant  qu'il  y 
eut  le  moindre  espoir  d'obtenir  une  réponse  des  abîmes 
muets,  l'esprit  eut  raison  de  s'y  employer  avec  toute  son 
énergie  ;  là  est  dans  le  passé  et  dans  l'histoire  le  champ 
glorieux  de  la  métaphysique.  Mais  la  condition  a  changé  ; 
si  l'absolu  des  métaphysiciens  est  quelque  chose,  il  est  une 
réalité,  et  la  réalité  suprême;  or,  la  moindre  réalité,  cela 
est  de  notoriété  scientifique,  ne  se  connaît  que  par  l'expé- 
rience, laquelle,  à  son  tour^  n'est  pas  applicable  à  l'absolu, 
en  vertu  d^  la  définition  même  de  l'absolu;  c'est  donc  un 
cercle  sans  issue  ;  et  l'on  aperçoit  que  la  métaphysique  est 
une  phase  transitoire  de  l'esprit  humain. 

J'ai  peu  de  chose  à  dire  sur  la  méthode.  Elle  est,  il  faut 
le  remarquer,  celle  des  sciences  positives.  Je  n'irai  point 
argumenter  là-dessus  contre  la  science  idéale.  Je  note  seu- 
lement que  c'est  le  contre-pied  de  la  méthode  métaphysi- 
que, qui  est  subjective,  à  priori  et  hors  de  l'expérience. 
Tout  à  rheure  on  verra  quel  caractère  ce  changement  total 
de  méthode  imprime  à  la  science  idéale. 

J'arrive  aur^^u/^â/.  Le  voici  :  élever  la  science  idéale,  t|ui 


PRÉFACE   d'un  disciple.  XXXTII 

est  tout  aussi  nécessaire  que  la  science  positive,  mais  dont 
les  solutions,  au  lieu  d*ètre  imposéeset  dogmatiques  comme 
aatrefob,  ont  désormais  pour  principal  fondement  les  opi- 
nions individuelles  et  la  liberté. 

Ce  résultat  est  donc  une  opinion  individuelle  ;  mais  il 
serait  injuste  de  ne  pas  dire  à  quelles  conditions  elle  est 
assujettie:  d'abord,  qu'il  soit  question  du  monde  physi- 
que ou  du  monde  moral,  il  n*y  a  de  probabilité  qu'en  s'ap- 
puyant  sur  les  mêmes  méthodes  qui  font  la  force  et  la  cer- 
titude de  la  science  positive  ;  en  second  lieu,  il  ne  s*agit 
plus  de  choisir  le  système,  le  point  de  vue  le  plus  sédui- 
sant par  la  clarté  ou  par  les  espérances  qu'il  entretient  ; 
enfin,  rien  ne  sert  de  se  tromper  soi-même  ;  les  choses 
sont  d'une  manière  déterminée,  indépendante  de  notre 
désir  et  de  notre  volonté. 

Maintenant ,  écartant  toute  ambiguïté ,  qu'est-ce 
qultine  opinion  individuelle  qui  cherche  à  concevoir 
les  causes  premières  et  les  causes  finales  en  partant  des 
données  que  fournit  chacune  des  sciences  positives? 
Cest  quelque  chose  qui  jusqu'à  présent  n'a  pas  de  nom 
en  philosophie,  je  veux  dire  une  conception  à  base  po- 
sitive et  à  couronnement  métaphysique,  un  absolu  con- 
struit avec  des  matériaux  posilifs.  G*est  là  le  vrai  sens  de 
ce  terme  :  science  idéale.  On  peut  encore,  pour  achever  de 
l'éclaircir,  la  définir  de  cette  façon  :  tandis  que  la  méta- 
physique fait  Tabsolu  à  Timage  du  monde  intérieur,  la 
science  idéale  le  fait  à  Timage  du  monde  extérieur.  A  ce 
point,  comme  la  science  idéale  n'en  est  encore  qu'à  son 
programme,  on  peut  lui  prédire  ce  qui  lui  adviendra  :  ou 
bien  elle  construira  son  absolu,  rompra  avec  la  méthode 
positive,  et  fera  retour  à  la  métaphysique  ;  ou  bien  elle 
ue  construira  pas  Tabsolu,  restera  dans  le  relatif  et  se  con- 
fondra dans  la  philosophie  positive.  Entre  la  philosophie 
positive  et  la  métaphysique,  elle  ne  peut  pas  avoir  d'exis- 
tence indépendante* 


XXXVIII  PRÉFACE   D'UN   DISCIPLE. 

Ici  il  importe  d'intercaler  une  remarque  sur  un  emploi 
abusif  du  mot  de  métaphysique.  On  dit  fréquemment  que 
la  métaphysique  étudie  les  conditions  logiques  de  la  con- 
naissance, les  catégories  de  l'esprit  humain,  les  moules 
suivant  lesquels  il  est  obligé  de  concevoir..  Sans  doute, 
alors  que  toute  philosophie  était  métaphysique,  de  pareils 
sujets  étaient  de  son  ressort  exclusif.  Aujourd'hui  il  n*en 
est  plus  ainsi.  L'étude  des  conditions  et  des  lois  de  la 
pensée  est  désormais  assise  sur  la  base  de  l'observation  ; 
elle  rentre  donc  dans  Tordre  de  la  science  positive,  et 
cesse  d'appartenir  en  propre  à  la  métaphysique.  Celle-ci 
a  pour  caractère  de  s'enquérir  de  l'essence  des  choses,  de 
leur  origne  et  de  leur  6n  ;  on  est  hors  de  son  empire  du 
moment  que,  n'essayant  plus  de  pénétrer  l'essence  intime 
de  la  pensée,  on  y  voit  un  phénomène  à  étudier  comme 
les  autres.  Je  sais  que,  abstrayant  du  sujet  pesant  les 
formes  de  la  pensée,  la  métaphysique  a  voulu  voir  en  ces 
abstractions,  par  privilège,  la  science  même  de  l'éternel 
et  de  l'immuable.  Je  ne  recule  pas,  autant  du  moins  que 
la  faiblesse  humaine  le  comporte,  devant  cette  ambitieuse 
expression  ;  mais  il  ne  faut  pas  la  borner  aux  lois  de  la 
pensée,  il  faut  l'étendre  aux  lois  de  ce  monde  dont  notre 
pensée  n'est  qu'une  partie.  Jadis  la  raison  humaine,  le 
voyant  sujet  au  changement,  alla  chercher  l'éternel,  l'im- 
muable par  delà  l'horizon  et  dans  les  archétypes.  Main- 
tenant l'éternel,  l'immuable,  devenant  notion  positive, 
nous  apparaît  sous  la  forme  des  lois  immanentes  qui  gou- 
vernent tout. 

Les  pages  de  la  dicussion  contemporaine  que  je  tourne 
à  fur  et  à  mesure  m'amènent  un  sujet  important  pour  la 
philosophie  positive,  et  un  homme  qui  ne  lui  est  pas  in- 
différent et  à  qui  elle  n'est  pas  indifférente.  L'homme  est 
un  philosophe  anglais ,  M.  Herbert  Spencer  ;  le  sujet  est 
l'immensité  inconnue,  la  manière  dont  il  l'envisage,  et  le 
rôle  qu'il  lui  attribue  dans  la  philosophie.  Ce  n'est  pas  la 


PRÉFACE  d'un  disciple.  XXXIX 

première  fois  que  je  rencontre  M.  Herbert  Spencer  ;  déjà 
j*ai  défendu  contre  lui  la  série  scientifique  telle  qne 
M.  Comte  l'a  établie,  en  distiDguant  la  constitution  de 
chaque  science  de  son  évolution  (1).  Ici  encore  j*ai  à  dis- 
tinguer ;  car,  moi  aussi,  j'ai  mb  en  présence  de  Tesprit 
humain  Timmensité  inconnue  comme  un  objet  dont  il  ne 
peut  détacher  son  regard  ;  et  il  y  a  lieu  à  discuter  ses 
vues  par  les  miennes,  mes  vues  par  les  siennes. 

C'est  un  homme  bien  connu  dans  les  sciences  physi- 
ques (2)  qui  s'est  chargé  de  rendre  compte  des  derniers 
travaux  philosophiques  de  M .  Herbert  Spencer.  Et  tout 
d'abord  ce  qui  Fa  frappé^  c'est  l'affaiblissement  de  la  mé- 
taphysique en  Angleterre.  A-  la  vérité,  il  confond  méta- 
physique et  philosophie,  ce  qui,  depuis  M.  Comte,  est 
devenu  tout  à  fait  distinct.  Avec  cette  remarque,  rien 
n'arrêtera  dans  le  passage  qui  suit  :  a  Partout  où  Ton 
regarde  en  Angleterre,  on  observe  une  tendance  ma- 
nifeste à  ne  saisir  que  le  relatif,  le  concret,  à  écarter 
ce  qui  est  général,  systématique,  absolu.  Or  quelle  ten- 
dance pourrait  être  plus  contraire  au  développement 
de  la  philosophie?  L'absolu  est  l'objet  de  toute  doctrine 
métaphysique  :  une  telle  doctrine  est  tenue  de  résumer 
en  formules  abstraites  tout  ce  que  la  pensée  est  capable 
d*embrasser,  de  poser,  sinon  de  résoudre,  —  des  problè- 
mes qui  sont  de  tous  les  temps,  de  tous  les  âges,  et  qui 
s'agitent  confusément  depuis  des  siècles  dans  la  con- 
science de  rhumanité.  Ces  problèmes  cependant,  Tes- 
prit  anglais  les  repousse.  Une  conviction  secrète  et  pro- 
fonde lui  fait  croire  que  le  souci  des  questions  insolubles 
est  la  marque  des  époques  de  décadence.  » 

Il  faut  féliciter  l'Anglerre,  si  le  tableau  est  exact.  Ce 
qui  me  porte  à  croire  qu'il  l'est,  c'est  qu'un  affaiblisse- 

(1)  Voy.  Auguste  Comte  et  la  Philosophie  positive^  2*  partie,  ch.  vi. 

(2)  M.  Lêugfi],  Revue  des  Deux  Mondes^  15  février  18G4. 


XI  l'UÉFACE   D'UN  DlbCJPLE. 

ment  de  la  métaphysique  se  montre  aussi  ailleurs.  Nous 
avons  vu  s'écrouler  la  méta|ifaysique  allemande,  et  sur  ses 
débris  il  ne  se  développe  avec  quelque  vigueur  qu'un 
matérialisme  énergique,  mais  insuffisant.  En  France,  sa 
situation  nVst  guère  meilleure  ;  établie  sur  un  éclectisme 
qui,  comme  force,  est  bien  au-dessous  de  Hegel,  la  mé- 
taphysique, sans  initiative  et  sans  vue,  sVst  concentrée 
dans  la  défense  du  spiritualisme.  Tout  annonce  qu^on  ne 
verra  plus  aucune  grande  éruption  métaphysique,  com- 
}>arable  à  celles  qui  ont  si|4:nalé  1  ère  moderne  depuis 
Descartes,  et  qui  ont  abouli  à  Hegel.  Désormais  la  méta- 
physique se  bornera  à  nous  redire  qu'il  faut  poser  les 
queslioiis  qui  sont  insolubles,  et  sonder  fubsolu  qui  est 
insondable.  En  cet  état,  il  y  a  lieu  à  répétitions,  non  à 
créations. 

M.  Laugel,  après  avoir  noté  que  le  chef  du  positivisme 
français,  Auguste  Comte,  a  en  Angleterre  peut-être  autant 
d'adeptes  que  dans  le  pays  même  où  il  est  né,  et  que  Tin- 
iluence  de  sa  grande  élaboration  est  visible  dans  plusieurs 
écrits  anglais,  se  retrouve  chez  M.  Mill  et  se  trahit  dans 
rhistoire  de  la  civilisation  de  M.  Buckle,  ajoute  que,  bien 
que  non  avouée,  elle  se  reconnaît  aussi  dans  un  important 
ouvrage  que  vient  de  publier  M.  Herbert  Spencer.  Il 
rattache  donc  Tauteur,  malgré  son  silence,  à  l'école  positi- 
viste, mais  en  même  temps  il  le  nomme  le  dernier  des  mé- 
taphysiciens anglais.  Ces  deux  qualifications  sont  incom- 
patibles. Qui  est  métaphysicien  n'est  pas  positiviste  ;  qui 
est  positiviste  n'est  pas  métaphysicien.  Puisqu'un  homme 
aussi  éclairé  que  M.  Lâugel  a  pu  hésiter  là-dessus,  il  im- 
porte de  rappeler  ici  en  deux  mots  la  distinction  fonda- 
mentale qui  sépare,  sans  transaction  possible,  les  deux 
écoles.  L'oeuvre  de  M.  Comte,  sa  découverte  capitale,  celle 
qui  est  la  mère  de  toutes  les  autres,  est  d'avoir  saisi  com- 
ment la  philosophie  pouvait  être  soumise  à  la  méthode 
4]ue  suivent  les  sciences  positives  ;  ce  qui,  avant  lui,  avait 


PUEFACE   DUM    DlbClPLL.  XLl 

été  impossible  à  tout  le  monde.  Quiconque  applique  cette 
méthode  à  la  philosophie  est  positiviste,  et,  qu'il  le  dise  ou 
non,  disciple  de  M.  Comte  ;  quiconque  en  applique  une 
autre  est  métaphysicien.  Yoilà  le  caractère  certain  auquel 
un  esprit  attentif  discernera  qui  appartient  à  la  philoso- 
phie positive  et  qui  lui  est  étranger. 

II  y  aurait  témérité  à  juger  un  grand  ouvrage  sur  un 
compte  rendu,  quelque  bien  fait  qu'il  soit.  Pourtant  il  est 
un  point  im|>ortant  assez  déterminé  pour  qu'on  en  puisse 
discuter  ;  M.  Laugel  Texpose  ainsi  :  «M.  Spencer  divise  les 
objets  dont  la  pensée  humaine  s'occupe  en  deux  ciitégories: 
ce  qui  peut  être  connu  et  ce  qui  ne  peut  pas  être  connu, 
le  cogjiosdble  et  Yincognoscible,  Vmcognoscible^  c'est 
l'objet  de  toutes  les  religions  ;  c'est  en  même  temps  le  der- 
nier terme  de  toutes  les  sciences.  Les  religions  s*y  placent 
d'elles-mêmes  et  volontairement  ;  les  sciences  y  sont  ame- 
nées par  la  loi  de  leur  propre  développement.  Ainsi  l'an- 
tagonisme entre  la  science  et  la  foi  est-il  tout  à  fait  illu- 
soire,  et  ne  repose-t-il  que  sur  une  conception  imparfaite 
de  l'une  et  de  Tautre.  Pour  en  opérer  la  réconciliation, 
il  suffit  de  définir  ce  que  M.  Spencer  nomme  les  idées  re- 
ligieuses dernières  et  les  idées  scientifiques  dernières^ 
c'est-à-dire  les  idées  maîtresses  qui  dominent  et  envelop- 
pent en  quelque  sorte  la  foi  et  la  science.  Cette  analyse, 
non-seulement  renferme  toute  l'œuvre  critique  du  philo- 
sophe anglais,  mais  elle  montre  aussi  sur  quels  points  l'es- 
prit positiviste  peut  confiner  à  l'esprit  religieux  ;  elle  nous 
révèle  les  termes,  les  articles  du  traité  de  paix  que  le 
premier  propose  au  second.  » 

D'après  M.  Spencer,  la  religion,  ayant  pour  fonction 
essentielle  d'empêcher  l'homme  d'être  entièrement  absorbé 
dans  ce  qui  est  relatif  et  immédiat,  et  d'éveiller  en  lui  la 
conscience  de  quelque  chose  de  plus  élevé,  a  pour  objet 
Ymcognoscible.  De  son  côté,  la  science  arrive  à  YincognO'' 
sable.  La  religion  et  la  science  se  confondent  en  ce  point, 


XUI  PRÉFACE   d'un    DISCIPLE. 

OÙ  elles  ne  sont  plus  que  deux  faces  différentes  d'une 
même  doctrine. 

Il  y  a  là  une  confusion  qui,  je  le  crcdns,  ne  tient  parole 
ni  à  la  foi  ni  à  la  science.  Elle  git  dans  Tassimilatiou  faite 
entre  Tobjet  de  la  foi  et  le  résultat  de  la  science. 

Avant  d'essayer  de  Téclaircir,  je  remarque  que  cette  no- 
tion de  Yincognoscible  (je  me  sers  du  mot  de  M.  Spencer] 
est  due  à  la  philosophie  positive,  et  que  jusque-là  elle 
n'existait  pas  philosophiquement.  Antérieurement  à  la 
ferme  discussion  de  M.  Comte,  il  y  avait  deux  domaines 
très-distincts  :  celui  de  la  foi  et  de  la  métaphysique  (en 
ceci  ils  se  confondent)  ;  là,  Yincognoscible^  loin  d'être  Tin- 
connu,  avait  trouvé  des  déterminations  très-précises  sur 
Dieu,  sur  ses  attributs,  sur  sa  personnalité,  sur  sa  provi- 
dence, sur  l'origine  du  monde,  sur  l'état  après  la  mort  et 
après  la  consommation  des  siècles.  L*autre  domaine  était 
celui  des  sciences  positives  ;  mais  elles  ne  s'élevaient  point 
à  ridée  de  Yincognoscible^  acceptant  ce  (ju'en  enseignaient 
la  foi  et  la  métaphysique,  ou  du  moins  ne  croyant  pas 
qu'en  leur  propre  nom  on  put  établir  un  incognoscible. 
Le  premier,  M.  Comte,  en  étendant  la  méthode  positive  à 
la  philosophie,  a  mis  dans  la  conscience  philosophique  la 
notion  de  Y  incognoscible  ^  la  soustrayant  du  même  coup  à 
la  compétence  provisoire  de  la  métaphysique  et  à  Tincom- 
pétence  provisoire  aussi  de  la  science. 

Si  je  comprends  bien  M.  S[)encer,  il  pense  que  le  senti- 
ment de  Yincognoscible  et  le  sentiment  religieux  sont  une 
seule  et  même  chose  ;  qu'à  l'origine,  l'esprit  humain 
donna  subjectivement,  sous  la  forme  de  religion,  un 
corps  à  ce  sentiment  ;  que,  beaucoup  plus  tard,  la  science 
arriva  objectivement  à  reconnaître  Yincognoscible  ;  et 
qu'ainsi  la  foi  et  la  science  concourent  en  un  point  com- 
mun qui  réunit  le  point  de  départ  et  le  point  d'arrivée. 
A  cela,  j'ai  une  objection  préjudicielle,  c'est  qu'on  donne 
une  hypothèse  pour  un  fait  quand  on  assure  que  le  sen- 


PRÉFACE   d'un  disciple.  XLIII 

liment  de  Vmcognoscible  et  le  sentiment  religieux  sont 
identiques.  Pour  Taffirmer,  on  connaît  trop  imparfaite- 
ment l'histoire  primitive  des  religions  ;  et  il  serait  loisible 
de  trouver,  par  voie  hypothétique  aussi,  d*autres  inter- 
prétations de  la  naissance  des  théologies,  par  exemple 
le  penchant  de  Thomme  à  supposer  en  toute  cause  une 
vdonté  analogue  à  la  sienne. 

Hais  j'abandonne  un  pareil  examen  trop  conjectural  en 
on  sens  ou  en  l'autre,  et  j'en  viens  au  point  tel  que  le 
pose  M.  Spencer.  A  mon  sens,  la  réunion  qu'il  fait  son» 
un  même  chef  des  deux  incognoscibles  est  plutôt  nomi- 
nale que  réelle,  Vincognoscible  de  la  foi  étant  l'objet 
même  de  la  foi,  et  Vincognoscible  de  la  science  étant  une 
limite  à  laquelle  elle  s'arrête.  Ltre  objet  ou  être  limite 
sont  deux  notions  très-distinctes. 

Ce  qui  Test  aussi  beaucoup,  c'est  l'emploi  des  deux 
incognoscibles.  \Sincognoscible  de  la  foi  servit  à  orga- 
niser les  sociétés,  tant  que  le  progrès  appartint  aux 
doctrines  théologiques  ;  car  il  avait  reçu  des  détermina- 
tions précises,  et  il  n'est  l'inconnu  que  dans  l'hypothèse 
de  M.  Spencer.  Au  contraire,  à  Vincognoscible  de  la 
science  est  impossible  toute  immixtion  dans  le  gouverne- 
ment du  monde  social  ;  et  cela  se  comprend,  car  cet  inco- 
gnoscible  est  vraiment  l'inconnu  ;  et  sur  l'inconnu  nul 
ne  peut  rien  fonder.  C'est  du  côté  du  cognoscible  (on  me 
laissera  me  servir  de  cette  expression,  qui,  ici,  se  définit 
d'elle-même),  c'est  du  côté  du  cognoscible  qu'ont  passé 
le  progrès  et  par  conséquent  le  régime  social.  Avec  de 
telles  oppositions,  l'hypothèse  de  l'identité  des  deux  inco* 
gnoscibles  devient  bien  douteuse. 

Enfin,  pour  dernier  argument,  admettonsle  principe  de 
M.  Spencer  et  voyons  ce  qui  en  adviendra  ;  s'il  est  vrai,  les 
ocmséquences  doivent  concorder  entre  la  foi  et  la  science  ; 
mais,  si  elles  ne  concordent  pas,  le  principe  porte  en  soi 
quelque  défaut  que  ce  genre  d'épreuve  rendra  manifeste. 


XUV  PRÉFACE   D*UN   DISCIPLE. 

De  tout  temps  la  foi  a  déterminé  Yincognoscible^  c'est- 
à-dire  a  enseigné  les  choses  d'origine  et  de  fin.  Cet  en- 
seignement doit  garder  son  caractère,  on  le  perdre. 

S'il  le  garde,  comme  la  science  déclare  Vincognoscible 
indéterminable,  il  y  aura,  ce  qui  est  l'état  actuel,  scission 
et  conflit  ;  la  conciliation  que  M.  Spencer  suppose  dans  le 
sein  de  Vincognoscible  ne  se  sera  pas  faite. 

Si,  au  contraire,  la  foi  renonce  à  ses  déterminations,  son 
enseignement  perd  son  caractère,  il  se  confond  avec  celui 
de  la  science  ;  il  y  a,non  conciliation,  mais  absorption.  Alors 
elle  pourra  se  plaindre  qu'on  lui  a  donné  un  mot  vide  en 
place  de  ses  réalités,  et  qu'elle  ne  retrouve  pas  une  lueur 
de  ce  qu'elle  croit  et  espère,  en  celte  limite  variable  que 
la  science  nomme  Vincognoscible. 

M.  Spencer  Ta  bien  senti,  et  il  s'est  vu  conduit  à  déter- 
miner Vincognoscible^  le  nommant  cette  puissance  dont 
l'univers  est  la  manifestation^  tout  en  déclarant  incon- 
séquences et  contradictions  les  assertions  quelconques 
relatives  à  sa  nature,  à  ses  actes,  à  ses  motifs.  Rien  ne 
montre  mieux  que  ceci  l'impossibilité  de  la  conciliation 
tentée.  S'il  insiste  sur  cette  détermination,  il  rompt  avec 
la  définition  scientifii|ue  de  Vincognoscible  ;  s'il  se  désiste, 
il  rompt  avec  la  foi  qui  exige  au  moins  cette  détermi- 
nation. 

La  tentative  de  confondre  Vincognoscible  de  la  science 
avec  celui  de  la  foi  a  donc  échoué.  Ils  appartiennent  à 
deux  notions  du  monde  très- différentes,  et  représentent 
deux  régimes  de  Tesprit.  Moi  aussi,  j'ai  essayé  de  tracer, 
sous  le  nom  d'immensité^  le  caractère  philosophique  de 
ce  que  M.  S[>encer  appelle  Vincognoscible  :  «  Ce  qui  est 
au  delà  du  savoir  positif,  soit,  matériellement,  le  fond  de 
l'espace  sans  borne,  soit,  intellectuellement,  Tenchaine- 
ment  des  causes  sans  terme,  est  inaccesi>ible  à  l'esprit 
humain.  Mais  inaccessible  ne  veut  pas  dire  nul  ou  non 
existant.    L'immensité   tant  matérielle  qu'intellectuelle 


PBÉFACB  d'un    disciple.  XLV 

tient  par  un  lien  étroit  à  nos  connaissances  et  devient  par 
cette  alliance  une  idée  positive  et  du  même  ordre  ;  je  veux 
dire  que,  en  les  touchant  et  en  les  abordant,  cette  immen- 
sité apparaît  sous  son  double  caractère,  la  réalité  et  Ti- 
naccessibilité.  C'est  un  océan  qui  vient  battre  notre 
rive,  et  pour  lequel  nous  n'avons  ni  barque  ni  voile, 
mais  dont  la  claire  vision  est  aussi  salutaire  que  formida- 
ble (1).  » 

Après  avoir  parlé  de  Tamour  de  l'humanité  qui,  né 
parmi  les  générations  modernes,  n'a  pu  naître  que  parmi 
elles,  j'ajoutai  :  a  Le  sentiment  d'une  immensité  où  tout 
flotte  s'est  emparé  graduellement  des  esprits  depuis  que 
l'astronomie  a  marqué  cet  infini  d'une  forme  réelle,  chan- 
geant le  ciel  en  un  espace  sans  borne,  peuplé  de  mondes 
sans  nombre.  C'est  lui  qui,  depuis  lors,  a  donné  le  ton  à 
l'àme  humaine,  a  inspiré  l'imagination  et  s'est  fait  jour 
dans  ce  que  la  poésie  moderne  a  de  plus  éclatant.  Lia 
situation  est  nouvelle  pour  Thomme  de  se  voir,  dans 
l'immensité  de  Tespace,  du  temps  et  des  causes,  sans 
autres  maîtres,  sans  autres  garanties,  sans  autres  forces 
que  les  lois  mêmes  qui  régissent  Tunivers  ;  car  elles  sont 
pour  lui  ces  trois  choses  :  ses  forces,  ses  garanties,  ses 
maîtres.  Rien  n'élève  plus  Tàme  que  cette  contemplation  : 
par  un  concours  qui  ne  s'était  pas  encore  produit,  elle 
excite  dans  l'esprit  le  besoin  de  comprendre  et  de  se  sou- 
mettre, de  se  résigner  et  d*agir.  Tout  ce  qui  s'est  fait  et  se 
fait  de  grand  et  de  bon  dans  l'ère  moderne,  a  sa  racine 
dans  Tamour  croissant  de  Thumanité  et  dans  la  croissante 
notion  que  Thomme  prend  de  sa  situation  dans  Tunivers. 
C'est  la  preuve  que  Tapplication  morale  de  la  conception 
positive  du  monde  n'est  point  une  illusion  ;  car  cette  appli- 
cation est  déjà  commencée,  en  vertu  des  tendances  spon- 
tanées de  lasociété {Ib. ,  p.  525).  »  Cette  page,  que  j  ai  relue 

(I)  Augusle  Comte  et  la  Philosophie  positive,  p.  529,  2*  édition. 


XLYI  PRiFACE   D'UN   DISCIPLE. 

et  transcrite,  je  n*ai  rien  à  y  changer;  elle  demeure  Tex- 
pression  de  ma  pensée. 

Ici  se  trouve  clos,  provisoirement  du  moins,  le  tour- 
noi que  vient  de  soutenir  la  philosophie  positive.  Le  temps 
marche  vite  ;  et,  dans  un  délai  qui,  sans  doute,  ne  sera  pas 
très-long,  d'autres  luttes  s'engageront  sur  un  terrain  plus 
préparé  et  mieux  déterminé.  Vingt-deux  ans  seulement 
se  sont  écoulés  depuis  la  publication  du  dernier  volume 
du  cours  de  Philosophie  positive ^  cette  œuvre  qui,  disait 
son  auteur,  n'était  pleinement  jugeable  que  finie  et  dans 
son  ensemble.  A  l'opposé  d'autres  systèmes  qui  ont  fait 
grand  bruit  et  qui  depuis  ne  se  sont  guère  recrutés,  la  phi- 
losophie positive^  qui  fit  peu  de  bruit,  n'a  pas  néanmoins 
cessé  de  se  fortifier  par  un  recrutement  latent  et  dû  à  la 
force  des  choses,  non  à  la  propagande.  Aussi  la  lutte  com- 
mence active  et  sérieuse  ;  Auguste  Comte  y  préside,  tou- 
jours vivant  dans  ce  livre  qu'il  a  légué  à  ses  disciples 
connus  et  inconnus. 

Il  y  préside,  eneflFet  :  je  m*y  suis  constamment  servi  des 
principales  théories  de  la  philosophie  positive;  elles  y 
apparaissent  non  pas  à  Tétat  dogmatique,  mais  à  l'état  de 
controverse.  Aussi  le  lecteur  y  Irouvera-t-il,  tout  en  assis- 
tant à  un  débat,  une  préparation  à  l'étude  du  Système  de 
la  philosophie  positive.  Ce  n'est  point  une  impulsion  po- 
lémique qui  m*a  conduit  ;  mais  j'ai  cherché  à  faire  que 
celui  qui  aura  parcouru  cette  préface  ait  quelque  facilité 
de  plus  à  suivre  une  philosophie  qu'il  aura  vue  mêlée 
aux  débats  actuels,  à  lire  un  livre  dont  les  idées  essen- 
tielles ont  été  mises  à  l'épreuve  sous  ses  yeux. 

Ce  qui  vient  d'être  discuté  n'a  montré,  chez  des  esprits 
éminents  et  divers,  aucun  principe  de  doctrine  et  d'orga- 
nisation. La  critique  y  abonde  et  la  métaphysique  ;  on  y 
trouve  le  reflet  d'un  temps  fort  troublé.  Le  mérite  de 
la  philosophie  positive  est,  en  ce  trouble  que  la  théologie 
déplore,  mais  qu'elle  n'a  pas  empêché  de  naître  et  qu^elle 


PBiFACE  d'un   disciple.  XLYII 

n  empêche  pas  de  s^augmenter,  non  d'avoir  proposé  un 
principe  de  doctrine  et  d'organisation  (beaucoup  Vont  iait 
avant  elle],  mais  d'en  avoir  proposé  un  qui  concentre  en 
soi  toute  la  vertu  de  la  science  positive,  seule  inattaquée 
et  croissante. 

Elle  porte  partout  avec  elle  la  cohérence  et  la  consé- 
quence. L*esprit  qui  la  suit  comme  un  guide  n'entre 
jamais  en  conflit  avec  lui-même.  Il  n'a,  si  je  puis  ainsi 
parler,  qu'une  seule  conscience  ;  au  lieu  que  Tesprit  mé- 
taphysique en  a  nécessairement  deux,  Tune  lorsqu'il  rai- 
sonne à  priori^  et  l'autre  lorsqu'il  raisonne  à  posteriori; 
Tune  dans  les  conceptions  objectives,  Tautre  dans  les  con- 
ceptions subjectives.  Quel  trouble  est  jeté  dans  les  notions 
positives  par  la  méthode  métaphysique!  En  revanche, 
quel  trouble  est  jeté  dans  les  notions  métaphysiques  par 
la  méthode  positive  !  Mais  je  ne  veux  pas  pousser  cela,  ni 
adjuger  à  la  cause  que  je  défends  un  triomphe  qui  n'est 
pas  entre  mes  mains.  Je  suis  bien  décidé  à  ne  pas  m'eni- 
vrer  de  mon  propre  vin,  et  j'ai  le  ferme  propos  de  tenir 
toujours  mon  esprit  sinon  maître,  du  moins  averti  des 
préoccupations.  II  faut  donc  s'élever  plus  haut.  Je  sais  fort 
bien  que  des  hommes  en  qui  je  reconnaîtrai  toutes  sortes 
de  supériorités  ne  sont  aucunement  touchés  de  ce  qui, 
pour  moi,  est  l'évidence  ;  et,  réciproquement,  les  raisons 
qui  leur  semblent  décisives  demeurent  pour  moi  sans 
force  et  sans  vertu.  Quand  deux  personnes,  venant  l'une 
d'un  air  très- froid,  l'autre  d'un  air  très<chaud,  se  rencon- 
trent dans  un  lieu  intermédiaire^  l'une  le  trouve  chaud, 
l'autre  le  trouve  froid.  Entre  ces  deux  sensations  aussi 
vraiesl'une  que  l'autre,  qui  décidera,si  ce  n'est  l'imperson- 
nel thermomètre  ?  J'ai  donc  depuis  longtemps  cherché  un 
thermomètre  que  je  pusse,  lisant  les  degrés,  consulter  sur 
les  opinions  que  j'ai  embrassées.  A  mon  sens,  je  l'ai  trouvé 
en  cette  double  échelle  qui  montre^  dans  l'histoire  de  l'hu- 
manité, la  décroissance  du  surnaturel  et  la  croissance  du 


XLYIII  PhÉFACE   D*UN   DISCIl'LE. 

naturel,  la  décroissance  des  notions  subjectives  et  la  crois- 
sance des  notions  objectives,  la  décroissance  du  droit  divin 
et  la  croissance  du  droit  populaire,  la  décroissance  de  la 
guerre  et  la  croissance  de  Tindustrie.  Là  est  la  sobrce  de 
convictions  profondes,  obligatoires  pour  la  conscience  ;  et, 
en  attendant  que  ce  thermomètre,  accomplissant  sa  mar- 
che, fixe  le  destin  des  opinions,  poursuivons  loyalement 
et  vaillamment  ce  que,  dans  la  sincérité  de  notre  cœur, 
nous  considérons  comme  le  digne  objet  d'une  vie  mor- 
telle. 

La  philosophie  positive  est  sévère  et  ardue.  Elle  range 
ses  disciples  sous  la  rude  loi  d'apprendre,  et  les  conduit, 
comme  les  initiés  de  jadis,  d*échelon  en  échelon  jusqu'au 
sommet.  Par  ce  développement  régulier,  elle  extirpe  de 
l'esprit  tout  ce  qui  est  à  priorij  et  ne  lui  ouvre  les  con- 
ceptions générales  que  quand  elle  a  corrigé  toutes  les 
tendances  subjectives  qui  sont  à  la  fois  naturelles  et  com- 
modes. Et  pourtant,  malgré  cet  appareil  qui  est  de  son 
essence,  malgré  les  rigoureuses  conditions  qu'elle  impose, 
elle  n'a  pas  laissé  de  s'implanter  et  de  fructifier.  Quand 
Bossuet,  tonnant  contre  l'incrédulité  de  son  temps,  dit 
que  l'homme  n'est  pas  seulement  emporté  par  l'intempé- 
rance des  sens,  que  l'intempérance  de  l'esprit  n'est  pas 
moins  flatteuse,  et  que,  comme  l'autre,  elle  se  fait  des 
plaisirs  secrets  et  s'irrite  par  la  défense, celte  grave  parole 
du  dix-septième  siècle  ne  tombe  pas  sur  la  philosophie 
positive,  qui  a  si  austèrement  dompté  l'intempérance  de 
l'esprit. 

On  peut  concevoir  que  les  choses  se  sont  passées  et  se 
passent  ainsi  :  dans  l'enseignement  scientifique  tel  qu'il  se 
pratique  chez  nous,  il  se  forme  deux  groupes,  l'un  repré- 
senté par  l'École  polytechnique,  l'autre  par  les  Ecoles  de 
médecine.  Le  premier  excelle  dans  les  sciences  inorgani- 
ques, mais  est  étrangère  la  science  des  corps  vivants; 
importante  lacune  et  obstacle  considérable  à  l'achemine- 


FIléFACE   d'un  disciple.  XLIX 

meiit  vers  la  philosophie  positive.  L*autre  groupe  entre  au 
cœur  de  la  conuaissauce  de  la  vie  ;  mais  son  éducation  est 
faible  quant  à  ces  sciences  inorganiques  qui  sont  le  pié* 
dcstal  de  la  biologie  ;  et  la  philosophie  positive  ne  cesse  de 
lui  recommander  de  prolonger  ses  études  de  ce  côté-là, 
comptant  sur  la  l(^que  naturelle  des  choses  pour  décider 
les  convictions.  Et,  en  effet,  malgré  toutes  les  imperfec- 
tions manifestes,  c'est  dans  ces  deux  groupes  qu'est  le 
principal  noyau  de  recrutement.  La  philosophie  positive 
y  rencontre  quelques  esprits  dans  lesquels  elle  entre  tout 
entière,  un  plus  grand  nombre  joù  elle  entre  par  frag- 
ments ;  et  il  n*est  pas  rare  de  trouver  telle  personne  qui, 
tout  en  lui  restant  étrangère,  n*en  admet  pas  moins,  comme 
notion  évidente  et  grandement  utile,  la  série  scientifique 
telle  que  M.  Comte  Ta  constituée.  Ces  fragments  se  multi- 
plient et  préparent  l'avenir. 

Sur  ces  deux  groupes  la  philosophie  positive  a  prise  par 
la  science  positive.  Mais  il  en  reste  deux  autres  sur  lesquels, 
à  ce  titre,  son  action  ne  peut  s'étendre  :  ceux  qui  ont  reçu 
seulement  l'éducation  littéraire  de  nos  collèges,  et  ceux 
qui  sont  attachés  aux  ateliers  et  aux  champs.  Pourtant 
telle  est  sa  généralité,  telle  est  son  opportunité  que,  là 
même,  l'influence  ne  lui  est  pas  retirée.  Dans  ces  deux 
groupes,  il  est  beaucoup  d'esprits  qui  sont  demeurés  dans 
les  croyances  théologiques;  à  ceux-là  la  philosophie  n'a 
rien  à  dire,  elle  ne  s'adresse  pas  à  eux,  et,  s'ils  ouvrent 
ses  livres,  elle  le  met  sur  leur  conscience.  Mais  il  en 
est  plusieurs  aussi  qui,  spontanément,  c'est-à-dire  sous 
l'action  dissolvante  du  milieu  social,  ont  abandonné  la 
foi  traditionnelle.  A  ceux-là  la  philosophie  positive  a 
beaucoup  à  dire;  elle  s'adresse  à  eux,  et  ce  sont  ces  con- 
sciences qu'elle  sera  glorieuse  de  rallier,  car  elle  aura  rendu 
un  grand  service  social.  Pour  eux  se  trouve  à  point  la 
partie  historique  du  livre  de  M.  Comte.  Tous  les  esprits 

à.  Cornn.  Tome  I.  ^ 


L  PRÉFACE  d'un   DISCIPLB. 

méditatifs  y  ont  accès;  là,  dans  cette  vue  générale  de 
rbistoire  qui  n'a  pas  encore  été  égalée,  ils  apprendront 
par  quelle  nécessité  d'évolution  les  croyances  des  pères 
n'ont  point  passé  à  tous  les  enfants,  quel  est  le  danger  des 
opinions  vagues,  métaphysiques,  révolutionnaires,  qui 
servent  d'intermède,  et  quelles  sont  les  conditions  d'une 
doctrine  qui,  faisant  son  dogme  intellectuel  de  la  connais- 
sance réelle  du  monde,  fasse  son  dofi;me  moral  du 
service  de  Thumanité.  L'histoire  philosophique  est  le  vé- 
ritable enseignement  de  tous  ceux  qui  veulent  comprendre 
leur  situation  mentale  et  la  développer. 

La  consistance  de  la  philosophie  positive  est  due  au 
livre  de  M.  Comte.  SU  n'avait  fait  que  des  cours,  s'il  n'a- 
vait donné  que  des  fragments,  l'efficacité  en  serait  très- 
hornée.  Mais  le  livre  la  maintient,  cette  efficacité,  com- 
plète et  permanente.  Il  n'est  point  de  grande  doctrine  sans 
grand  Uvre. 

La  philosophie  positive  est  à  la  fois  le  produit  et  le 
remède  d'une  époque  troublée.  Les  terreurs  ne  sont  pas 
sans  fondement  qui  assaillent  parfois  l'homme  réfléchi  et 
les  foules  irréfléchies.  En  effet,  que  voit-on?  des  ébranle- 
ments prolongés,  des  espérances  déçues,  des  fluctuations 
sans  arrêt,  la  crainte  du  retour  d'un  passé  qu'on  repousse, 
et  l'incertitude  d'un  avenir  qu'on  ne  peut  définir.  En  cette 
instabilité,  la  philosophie  rattache  toute  la  stabilité  men- 
tale et  sociale  à  la  stabilité  de  la  science,  qui  est  le  point 
fixe  donné  par  la  civilisation  antécédente.  Quand  je  dis  la 
philosophie  positive,  j'entends  Auguste  Comte  et  ce  livre 
auquel  je  mets  une  préface  ;  il  ne  serait  pas  juste  de  voiler 
sous  un  terme  impersonnel  la  louange  due  à  un  grand 
nom  et  à  un  suprême  service. 

E.   LiTTRÉ. 

Mars  iS64. 

Table  alphabétique  : 


TABLE  ALPHABÉTIQUE 


DES     MATIÈHES    CONTENUES    DANS    LES    SIX    VOLUMES. 


AberratioD.  Théorie  de  V  ^  u, 

no. 

Académies.  Du  remplacement  des 
— scîeolifiques  par  des  ^  phi- 
losophiques (note)  9  Yi,  395.  Des 
lihres  réunions  scientifiques 
témoignant  de  l'insuffisance 
des  —  officielles  (note),  ti, 
398. 

Académie  des  sciences.  Spéciali- 
sation eiagérée  des  membres 
de  r  —  (note)y  ti,  380  (autre 
noie),  vj,  385.  Du  choix  des 
professeurs  par  1'  —  vi,  389. 
Récit  de  la  lecture  d'une  let- 
tre de  M.  Comte,  adressée  à  l* 
—  (note),  TJ,  390  et  seq.  Des 
Jugements  technologiques  de 
1*  —  VI,  394  (note).  Réflexion 
sur  la  suppression  de  1'  —  par 
la  Convention,  vi,  301. 

Académie  des  sciences  morales 
et  politiques.  Observation  sur 
Y  -.  VI,  404. 

Acoustique.  Rang  de  1*  ^  dans 
Tétude  des  branches  delà  phy- 


sique, ]i,  316.  Considérations 
générales  sur  1*  —  ii,  409. 
AciioD.  Base  rationnelle  de  l'ac- 
tion humaine  sur  la  nature, 


I,  51. 


—  Ce  que  doit  être  1'  —  pour  la 
masse  des  hommes,  iv,  48. 

—  De  la  continuité  et  de  la  va- 
riété d'  —  chez  l^omme,  iv, 
387. 

Affections.  Des  —  personnelles 
en  opposition  aux  —  sociales, 
IV,  393.  Voy.  Égolsme. 

Affinité.  L'  —  ne  s'explique  pas 
par  l'électricité,  m,  147,  151. 

Affranchissement.  De  1'  —  des 
serfs,  VI,  70.  De  V  —  des  com- 
munes, VI,  76. 

Ages.  De  la  subordination  des 
—  IV,  402,  409. 

—  critique,  v,  346. 

—  du  fétichisme,  v,  5. 

—  de  la  généralité,  vi,  277. 

—  du  monothéisme,  v,  211. 

—  du  polythéisme,  v,  84. 

—  de  la  spécialité,  vi,  39. 
Agriculture.  Ce  qu'exige  une  vé- 
ritable théoiie-de  1'  —  i,  55. 


i 


UI 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


Développement  de  la  vie  agri- 
cole par  le  fétichisme,  v,  61. 

Air.  Influence  physiologique  de 
r  -  III,  444. 

Alchimie.  Utilité  temporaire  de 
r  —  I,  14.  Appréciation  de  1' 
—  VI,  209. 

Alexandre  III.  Do  la  bulle  d'  — 
sur  Tabolition  de  Tesclavage, 
VI,  70. 

Alexandrie  (École  d').  Progres- 
sion des  sciences  naturelles 
depuis  elle,  i^  19. 

Algèbre.  Est  une  des  deux  bran- 
ches pdncipales  du  calcul,  i, 
132.  Définition  de  V  —  i,  134. 
Se  compose  de  deux  branches 
fondamentales  distinctes^  i, 
145. 

Aliénés.  Influence  de  la  fréquen- 
tation des  —  sur  l'étal  mental 
des  médecins,  vi,  631 . 

Alimentation  .Tendance  de  Thom- 
me  civilisé  par  rapport  à  1' — 
IV,  332. 

Allemagne.  Génie  généralisateur 
et  systématique  de  V  —  opposé 
au  génie  clair  et  positif  de  la 
France,iii,  60  (note). 

—  Disposition  de  V  —  au  positi- 
visme, VI,  539. 

Ampère.  Hecherches  de  —  sur 
les  phénomènes  électro-ma- 
gnétiques, II,  471,  484. 

—  De  la  classification  des  corps 
par  —  m,  65. 

—  cité  pour  son  idée  de  division 
du  règne  animal  (note),  m,  387. 

Analyse  chimique.  Les  deux  gen- 
res d'  —  III,  24. 

Analyse  infinitésimale.  Contro- 
verseentre  l'Allemagne  etTAn- 
gleterrc  sur  la  priorité  de  l'in- 
vention de  V  —  (note),  vj,  231. 


Analyse  mathématique—  base  du 
système  entier  des  connais- 
sances positives,  i,  109.  Vue  gé- 
nérale de  r  —  i,  123.  Moyen 
possible  de  perfectionner  l'en- 
semble de  r  —  1, 143.  Applica- 
tion de  r  —  à  la  physique,  ii, 
280. 

Analyse  ordinaire,  i,  145. 

Analyse  transcendante,  i,  142. 
Coup  d'œil  historique  sur  1*  — 
1,  168.  Exposition  des  concep- 
tions principales  touchant!'  — 
1, 170.  Appréciation  de  ces  mé- 
thodes, i,  191.  Trois  classes  de 
questions  mathématiques  exi- 
gent remploi  de  1'  —  i,  205. 

Anarchie  intellectuelle.  Considé- 
rations sur  r  —  actuelle,  iv, 
90. 

Anatomie.  Connexion  de  1'  — 
avec  la  physiologie,  m,  213. 
Considérations,  philosophiques 
sur  r—  m,  339.  Étude  des  tis- 
sus par  Bichat  et  ses  succes- 
seurs, m,  340.  De  la  vita- 
lité des  fluides  organiques,  m, 
354. 

Anatomie  transcendante.  Remar- 
que sur  cette  qualification,  m, 
372. 

Anciens.  De  la  controverse  sur  la 
comparaison  des  anciens  et 
des  modernes,  vi,  189,  262. 

Angleterre.  Comparaison  de  la 
situation  sociale  de  la  France 
et  de  r  —  v,  424  et  note  425. 

—  De  la  monarchie  parlemen- 
taire en  —  IV,  85. 

—  Du  caractère  de  la  constitu- 
tion parlementaire,  V,  292. 

—  Causes  de  l'isolement  de  la  po- 
litique anglaise,  v,  407. 

Angleterre.    Du  développement 


TABLE  ÀLPHABÉTIOUE. 


ini 


industriel  moderne  de  V  —  iv^ 

i36. 
Angleterre.  Influence  du  prêtes* 

tanlisme    sur  la  culture  des 

beaux-arts  en  —  yi,  179. 
~  Influence  de  la  politique  sur 

la  culture  des  sciences  en  — 

Ti,231. 

—  Tendances  positivistes  de  ï*  — 
peu  développées,  vi,  540. 

Animaux.  Des  —  considérés  au 
point  de  vue  de  la  psycholo- 
gie, III,  539. 

^  de  l'idée  du  moi  ches  les  — 
m,  545. 

— >  De  la  locomotion  chex  les  — 
(note),  m,  408. 

—  Du  remplacement  d'un  sens 
par  un  autre  chex  les  —  (note), 
m,  5i4« 

—  Ëtude  des  fonctions  intellec- 
tuelles et  morales  de  l'homme 
par  celle  des  —  m,  579. 

~  Etat  social  des  —  comparé  à 
celui  -de  rhomme,  iv,  313. 

—  Observation  sur  l'intelligence 
des  —  V,  30. 

—  De  l'adoration  des  —  dans 
l'antiquité,  v,  34. 

—  Préservation  des  —  utiles  par 
le  fétichisme,  v,  66. 

—  Du  fétichisme  des  —  (note), 
v,91. 

Antiquité.  Universalité  des  étu- 
des dans!'  — 1,25.  Les  philo- 
sophes de  r  —  n'avaient  pas 
l'idée  du  progrès  social,  iv, 
170.  Influence  des  œuvres  de 
r  —  sur  la  renaissance,  vi, 
i73. 

Apollonius  (de  Perge)  cité,  i,  53. 

Apothéose.  Caractère  de  V  — 
chex  les  anciens,  v,  132. 

Arabes.  Introduction  des  scien- 


ces naturelles  par  les  -*  dans 

l'Europe  occidentale,!,  i9. 
AacHiMÈDB.    Utilité   des   traraux 

spéculatifs  pour  la  pratique,  i, 

53. 
-*  Ses  découvertes  en  statique^  i, 

426. 

—  Esprit  géométrique  d'  —  r, 
181. 

Architecture.  Supériorité  de  1'^ 
moderne  sur  l'ancienne  pour 
la  partie  industrielle,  v,  ii4. 

—  Progrès  de  1'  —  au  moyen 
âge,  V,  327. 

—  De  r  —  en  Italie  au  moyen 
âge,  vi^  15?. 

Aristote.  Acception  du  mot  phi- 
losophie dans  —  1,  5.  Progres- 
sion des  sciences  naturelles  de- 
puis—  i,  19. 

—  Hypothèse  d'  —  sur  la  chute 
des  corps  pesants,  ii,  339. 

—  De  la  doctrine  des  quatre  élé« 
ments  par  —  iii^  59. 

—  cité  pour  sa  classiQcation  zoo- 
logique, ]ii,  375. 

—  croyait  à  la  nécessité  de  l'es- 
clavage, IV,  37. 

—  (Caractère  de  la  Politique  à*  — 
iv,  176,  181. 

—  Opinion  d'  —  sur  les  hommes 
nés  pour  la  servitude,  v,  137. 

—  Conception  encyclopédique  d' 

—  V,  184. 

»  De  l'accueil  fait  à  la  doctrine 
d'  —  par  le  moyen  âge,  v,  323. 

—  Appréciation  de  la  doctrine  d' 

—  y,  389. 
Arithmétique.  Est  une  des  deux 

branches  principales  du  calcul, 
i,  132.  Définition  de  1'— i,  134. 

Arithmétique  trancendante,  i, 
137. 

Aaïus.  De  l'hérésie  d'  —  v,  270. 


â 


UT 


TABUB  ALPHABÉTIQUE. 


Armée.  Du  caractère  de  riostitu- 
tioD  des  armées  permanentes, 
y,  405. 

Armes  à  feu.  .De  l'introduclion 
des  —  vr,m. 

.ArU  Relation  générale  de  la 
science  et  de  1'  —  i,  51  • . 

—  Développement  des  sciences 
par  les  arts«  m,  194. 

•F^  Des  lacunes  de  .1*  —  dans  la 
dernière  phase  moderne,    vi, 

.   365.  Voy.  Beaux-arts, 

Aruspices.  Utilité  pour  Tanalo- 
mie  de  l'art  des  —  v^  96. 

Assem][)lée  constituante.  Carac- 
tère de  r  —  VI,  289.  Voy.  Cou- 
ventiorif  révolution  française, 

Association.  Conditions  d*une  — 
quelconque,  iv,  50.  Voy.  sty- 
ciélé. 

Astres.  Moyens  mathématiques  de 
connaître  la  grandeur,  la  fi- 

.  gure,  la  masse,  etc.,  des  —  i, 
97.  Étude  de  la  Qgure  et  de  la 

.  grandeur  des  —  u,  65.  Éten- 
due   et   intensité   de  l*atmo- 

.  sphère  des  —  ii,  78.  Du  mou- 
vement des  —  II,  86.  Plans  des 

.  orbites  et  durée  des  révolu- 
tions des  —  II,  91.  Figure  des 
—  déduite  de  la  théorie  géné- 
rale de  leur  équilibre,  n,  189. 

AstroUtrie.  Est  un  perfectionne- 
ment du  fétichisme»  v^  44,  65, 
77. 

Astrologie.  Convenance  de  1*  — 
à  l'époque  où  on  la  cultivait, 
I,  14. 

*-  Considérations  9ur  V  —  an- 

,  donne,  m,  280. 

r*  Caractère  de  V  —  au  moyen 
Age»  ^h  ^07. 

Astronomie.  Est  redevable  ^  Tas- 

.  trologie,  i^  iZ.  Quand  a-rt-elle 


été  ramenée  à  des  théories  po- 
sitives ?  1, 19.  Rang  de  Y  —  dans 
•   la  classification  des  sciences, 

I,  66.  L'  —  est  une  section  de 
la  physique  inorganique,  i,  71. 
Considérations  philosophiques 
sar  r  —  II,  5.  Définition  de  Y 

—  Il,  9.  Distinction  de  1*  — 
solaire  et  de  1*  —  sidérale,-», 
iO.. Suprématie  de  Y  —  entre 
les  sciences  naturelles,  ii,  16. 
Caractère  essentiel  de  Y  —  n> 
19.   Subordination   des  autres 

.   sciences  fondamentales  &  1*  — 

II,  23.  L'  —  devant  la  philo- 
sophie théologique  et  la  doc- 
trine des  causes  finales,  ii,  25. 
Division  de  1'  —  u,  28.  Des  mé- 
thodes d'observation  en  —  li, 
33.  État  de  1'  —  avant  Kepler, 
u,  123.  Subordination  indi* 
recte  de  la  biologie  à  1'  —  lu, 
272. .  Relations  nécessaires  de 
la  sociologie  avec  Y  —  iv,  354. 
De  la  culture  religieuse  de  Y 

—  au  moyen  ftge  (note),  vi,  199. 
Note  sur  le  cours  populaire  d' 

—  fait  par  M.  Comte,  vi,  508. 
Des  résultats  obtenus  en  — 
VI,  688. 

Astronomie  sidérale.  Considéra- 
tions suri*  —  II,  241. 

Athènes.  Situation  politique  de- 
dans l'antiquité,  v,  476.  Con- 
ditions de  la  destinée  d'  —  v, 
190  (note).  Voy.  Grecs. 

Atmosphère.  Mesure  de  la  pres- 
sion de  r  —  II,  320. 

Attraction.  Impossibilité  de  défi- 
nir r  —  I,  17.  Usage  irration- 

.  nel  du  mot  — en  mécanique 
céleste,  u,  169. 

Audition.  Élude  de  l'acoustique 
par  rappport  à  T  —  u,  411. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


LY 


Aagures.  UUlité  de  l'art  des  — 

dans  rantiquitéi  y,  97« 
AuGOSTiN  (saint)  combat  la  sphé- 

ricilé  de  la  terre,  v,  336. 
Automatisme.  De  V  —  animal  de 

Oescartes  (note),  m,  531. 
Aatorilé.Conditionsder — iv,244. 

—  Considérations  sur  1'  —  sa- 
cerdotale, V,  41 . 

—  De  r  —  dans  les  sociétiîs  pri- 
mitives, v,  122. 

»  Confusion  de  V  —  spirituelle 
et  temporelle  dans  l'antiquité, 
v.  139,  150. 

—  Etablissement  an  moyen  âge 
et  lutte  de  1'  —  spirituelle 
contre  1'  —  temporelle,  v, 
22. 

—  Des  attributions  de  V  —  spi- 
rituelle dans  le  nouvel  ordre 
social,  Ti,  447. 

Avocats.  Influence  politique  des 
—  en  France,  iv,  124. 

—  Influence  des  —  au  dix-hui- 
tième siècle,  ▼!,  287. 

Azote.  L'  —  est-il  un  corps  sim- 
ple ou  composé?  J,  39. 


Bacon  (Francis)  cité,  i.  12.  Mou- 
vement imprimé  à  1  esprit  bu- 
main  par  les  préceptes  de  — 
I,  20,  30,  43,  51.  Tentative  en- 
cyclopédique de  —  I,  47.  Sens 
probable  du  terme  philosophie 
première  employé  par  —  i,  50, 
60.  Appréciation  des  travaux 
philosophiques  de  —  vi,  247. 

Bacon  (Roger).  Variété  des  vues 
de  —  vj,  206. 

Barologie.  Rang  de  la  —  dans  l'é- 
tude des  branches  de  la  physi- 


que, II,  314.  Examen  philoso- 
phique de  la  —  u,  320.  Partie 
statique  de  la  —  ii,  321 .  Théo- 
rie de  la  capillarité,  ii,  336. 
Partie  dynamique  de  la  — 
II,  338. 
Barthez.  Du  principe  de  -^  m, 
451. 

—  Distinction  des  sympathies  et 
des  synergies  dans  les  fonc- 
tions animales,  ni,  526. 

Batle.  Influence  philosophique 
de  —  V,  499, 

Béatification.  De  la  —  dans  le  sys- 
tème catholique,  v,  315. 

Beaux-arts.  Exigences  d'une  vé- 
ritable théorie  des  —  i,  56. 

—  Influence  du  fétichisme  sur  la 
culture  des  —  v,  51. 

—  Influence  du  polythéisme  sur 
les  —  v,  98. 

—  Ordre  de  naissance  des  —  v, 
111. 

—  Développement  des  —  au 
moyen  fige,  vi,  146.  Influence 
de  l'industrie  sur  le  dévelop^ 
pement  des  —  vi,  160. 

—  Action  finale  de  la  philosophie 
positive  sur  les  —  vi,  756. 

Becquerel.  Travaux  électro-chi- 
miques de —  m,  128. 

Bernouilli  (Daniel).  Théorie  des 
marées  de  Descartes  approfon* 
die  par  —  196.  Hypothèse  du 
parallélisme  des  tranches  par 

—  I,  498.  Extension  donnée 
par  —  au  théorème  des  forces 
vives,  I,  520.  Théorie  sur  la 
coexistence  des  petites  oscilla- 
tions, I,  530. 

Bbrnouilu  (Jacques).  Tendance  de 

—  &  appliquer  la  géométrie 
aux  sciences  sociales,  iv,'  366. 

Bkrnouiixi  (Jean).    Procédé    de 


LYI 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


l'intégration  par  parties,  i,  222. 
Du  problème  de  la  brachyslo- 
cbrone,  i,  233. 
BaiTHOLLET  cité,  I,  15,  cité  pour 
8on  Essai  de  statique  chimique, 
III,  36  (note). 

—  De  la  loi  des  doubles  décom- 
positions salines,  m,  83. 

—  Rectifications  faites  par  ^  h  la 
théorie  de  Lavoisier  sur  la  com- 
bustion, m,  i36. 

Bkrzélius.  Opinion  de  —  sur  la 
simplicité  de  l'azote,  i^  39. 

—  De  la  classification  des  corps 
par  —  m,  66. 

»-  Étude  numérique  des  compo- 
sés chimiques,  m,  102. 

—  Théorie  électro-chimique  sys- 
tématisée par  —  m,  127. 

BicHAT.  Définition  erronée  de  la 
vie  par  —  m,  200. 

—  cité  pour  sa  définition  des  tis- 
sus par  leurs  propriétés  phy- 
siologiques (note),  m,  221 . 

—  cité  pour  sa  découverte  de  Ta- 
nalogie  entre  le  système  mu- 
queux  et  le  système  cutané,  m, 
250. 

—  cité  pour  sa  réprobation  de 
l'application  des  théories  ma- 
thématiques à  la  physiologie, 
m,  286. 

—  cité  pour  la  décomposition  do 
l'organisme  en  ses  divers  lis- 
sus,  m,  339. 

—  cité  pour  sa  distinction  entre 
la  vie  végétative  et  animale, 
iiî,  429. 

— -  De  la  théorie  physiologique 
de  —  m,  452. 

—  Doctrine  de  —  sur  Tirri- 
tabilité  et  la  sensibilité,  ni, 
498. 

Du   caractère  d*intermit(ence 


propre  à  toute  faculté  animale, 
iif,  5i9. 
BicHAT.  Théorie  du  sommeil,  iii^ 
521. 

—  Théorie  de  l'habitude,  m,  523. 

—  Observation  sur  sa  non-admis- 
sion par  l'Académie  des  scien- 
ces, VI,  383  (note). 

Biologie,  m,  187.  Objet  essentiel 
de  la—  m,  i93,  21ô.  Relation 
de  la  —  avec  la  médecine,  m, 
196.  Définition,  m, 2 1 1. Moyens 
d'investigation  propres  à  la  — 
III,  217.  De  l'observation  en  — 
m,  218.  De  rexpérimentation 
en  —  m,  222.  De  la  méthode 
comparative  en  »iii ,  239.  Rang 
de  la  —  dans  la  hiérarchie  des 
sciences,  m,  258.  Perfection- 
nement dont  la  —  est  suscep- 
tible, III,  302.  InQuence  de  la 
— '  sur  le  développement  de  la 
raison,  lu,  306.  Division  des 
parties  essentielles  delà —  m, 
325.  Delà  bîotaxie,  m,  374.  De 
la  —  dynamique,  iii,  424.  De 
la  vie  animale,  m,  483.  Des 
fonctions  intellectuelles  et  mo- 
rales ou  cérébrales,  m,  530. 

—  Spécialisation  du  terme, —  m, 
329. 

—  Subordination  de  la  sociolo- 
gie a  la  —  IV,  341  • 

—  Derniers  progrès  de  la— vi,370. 

—  Elle  a  été  plus  entravée  que 
secondée  par  les  corporations 
savantes,  vi,  383. 

—  Des  résultats  obtenus  en  —  vi, 
699. 

Bionomie.  Sens  de  ce  mot,  m, 
331. 

Biotaxie.  Considérations  philoso- 
phiques sur  la  —  m,  374.  De  la 
formation  des  groupes  naturels 


TABLB  ALPHABÉTIQUE. 


LVII 


eo  zoologie,  m,  38i .  De  leur  I 
hiérarchie,  m,  385.  Suhordi- 
nation  des  caraclères  taxono- 
Biiquefl^  m,  398.  Traduction 
des  caractères  zoologiques  in- 
térieuns  en  caractères  exté- 
rieurs, m,  404.  Coordination 
rationnelle  du  règne  animal, 
m,  407» 
Blainvilli  (de)  cité  à  propos  de 
l'introduction  des  principes  gé- 
néraux d'analomie  comparée, 
I,  29. 

—  Remarque  sur  le  cours  de  phy- 
siologie de  —  (note),  m,  187. 

--  Définition  de  la  vie  par  —  m, 

205. 
^  Conception  des  milieux  par 

—  m,  214. 

—  Considération  sur  les  variétés 
par  —  m,  247. 

—  Sur  l'analogie  entre  la  struc- 
ture de  Toeil  et  celle  de  IV 
reille  imaginée  par  —  m,  269. 

<—  cité  pour  sa  distinction  des 
vrais  éléments  anatomiques  et 
des  simples  produits  de  l'prga- 
nisme,  m,  348;  pour  sa  théorie 
du  phanère,  m,  350. 

—  Notion  du  parenchyme  par  — 
(note)y  ni,  345. 

—  Classification  des  animaux  en 
artioxoaires  et  actinozoaires, 
ra,  402. 

—  Théorie  physiologique  de  — 
m,  460. 

-*  cité  pour  sa  division  des  phé- 
nomènes ph^fsiologiques^  iii, 
462. 

<-  cité  pour  un  aphorisme,  m, 

349. 

BouHAAvi.  École  physiologique 
de  —  m,  450. 

BoKAPAETz.  Son  opposition  au  dé- 


veloppement   du  système  de 
Gall  (note),  m,  533. 
BoNAPARTB.  Tentatives  de  —  pour 
rétablir  Fancien  système  poli- 
tique, IV,  30. 

—  Comparaison  de  —  et  de  Crom- 
weli  (note),  v,  469. 

—  Appréciation  du  caractùre  po- 
litique de  —  IV,  315. 

BoNiFACE  VIII.  Des  luttes  contre 

la  papauté,  v,  358. 
BosscBT.  Caractère  de   l'histoire 

chez  —  IV,  204. 

—  cité  pour  l'unité  de  composi- 
tion de  son  histoire  univer- 
selle, V,  8,  187. 

—  Remarque  de  —  sur  l'escla- 
vage antique,  v,  d34. 

—  Appréciation  de  la  vie  de  — 

V,  418. 

—  Participation  de  —  Â  la  réno- 
vation de  la  philosophie  poli- 
tique, VI,  257. 

Botanique.  Sa  dépendance  de  la 

physiologie,  i,  57. 
Brachystochrone    (problème    de 

la),  I,  233. 
Bbadlet.  Constatation  de  l'aherra- 

tion  delà  lumière  par — ii,  110. 
Broussais  cité  pour  sa  remarque 

sur  l'état  pathologique  et  l'état 

physiologique    comparés,    m, 

•223. 

—  Cité  pour  sa  localisation  des 
fièvres   essentielles,   m,    285. 

—  Remarque  de  —  sur  la  mé- 
thode  psychologique,  m,  539. 

—  cité  à  propos  de  la  folie,  m, 
578  et  note. 

BuFFon.  Appréciation  du  carac- 
tère des  œuvres  de  —  vi,  237. 
Byron.  Du  génie  nouveau  de  — 

VI,  762. 


LYIII 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


Cabanis  cité  pour  sa  tendance  à 
faire  abstraction  en  sociologie 
de  toute  observation  histori- 
que, IV,  345.  Témoignage  de 
—  sur  Franklin  (note),  y,  131. 

<:alcul.  Objet  du  —  i,  108.  Dîtî- 
flion  du  —  en  deux  branches, 
I,  132.  Différence  du  —  algé- 
brique et  du  »  arithmétique^ 
ly  133.  Comparaison  de  ces 
deux  —  I,  1 35.  Du  —  des  fonc- 
tions, I,  140.  Du  —  des  fonc- 
tions directes,  i,  147. 

— «  aux  diflérences  finies,  i,  247. 

-—  différentiel,  i,  201.  Division 
Ibndamentale  du  —  i,  207.  So- 
lutions singulières  des  équa- 
tions différentielles,  i,  224. 

—  des  fluxions  et  des  fluentes 
par  Newton,  i,  187,  200. 

—  des  fonctions  dérivées  et  des 
fonctions  primitives,  i,  201. 

—  infinitésimal,  i,  145. 

—  intégrai,  i,  214.  Du  —  aux 
différences  partielles,  i,  216. 
Détermination  des  intégrales 
définies,  i,  226. 

—  des  probabilités,  n,255. 

—  des  variations,  i,  230. 
Calorimètre.  Invention  du  —  par 

Lavoisier  et  Laplace,  ii,  363. 
Calvin.  Caractère  de  la  réforme 

de  —  V,  465. 
Calvinisme.  Pourquoi  le  —  a  été 

mal  accueilli    en  France,   v. 

Capillarité.  Théorie  de  la  »  u, 
336. 

Garnot  cité  pour  son  ouvrage  : 
Réflexions  sur  la  métaphysique 
du  calcul  infinitésimal,  i,  181. 


Castes.  Du  système  théocratique 
des  —  V,  161. 

Catholicisme.  Dénomination  pré- 
férable à  celle  de  christianisme 
(uote),  ▼,212.  Rôle  du  —  au 
moyen  âge,  v,  228.  De  la  hié- 
rarchie dans  le  —  v,  243.  Du 
célibat  ecclésiastique,  v,  252. 
De  l'éducation  donnée  par  le 

—  V,  258.  De  la  confession,  ▼, 
263.  Conditions  dogmatiques 
du  —  V,  265.  Du  culte,  v,  271. 
Intervention  du  —  dans  la  féo- 
dalité, V,  282.  Influence  du  — 
sur  la  transformation  de  l'es- 
clavage en  servage,  v,  287  ]  sur 
l'institution  de  la  chevalerie, 
V,  288;  sur  la  morale  univer- 
selle, V,  291.  Action  intellec- 
tuelle du  —  V,  316.  Principe  de 
décadence  du  —  v,  331.  De  la 
décomposition  de  la  hiérarchie 
catholique,  ▼,  367. 

Catoptrique.  Loi  fondamentale 
de  »-  u,  455. 

Célibat.  Du  —  ecclésiastique,  ▼, 
252. 

Centralisation  politique.  Consi- 
dérations sur  la  —  IV,  67. 

Cerveau  considéré  comme  appa- 
reil, m,  556. 

Chaleur.  Recherches  de  Fourier 
sur  la  —  I,  18. 

—  Théorie  sur  la  —  qui  se  dé- 
gage dans  la  combustion,  ni, 
133. 

-—  Influence  physiologique  de  la 

—  m,  438. 

—  animale.  Des  analyses  de 
la  —  faites  par  les  chimistes, 
111,169. 

-—  spécifique.  Évaluation  de  la 

—  des  corps,  ii,  362. 

—  vitale.  Notions  sur  la  —  m,  473. 


TABLE  ALPflABÉTIQUE. 


UX 


GharHé»  Da  seotiment  de  la  — 
Tulgarité  par  le  catholicisme, 
▼,  313. 

Cmàmlemlaghe.  Respect  de  —  pour 
riodépeDdance  pontificale,  v, 
255.  But  des  guerres  de  —  v, 
285. 

Cbailbs-Qoimt.  Caractère  des  lut- 
tes de  la  France  contre  —  v, 
4i0. 

GiABLBs.  Sur  le  progrès  de  l'a- 
lithmétique  au  moyen  fige 
(note),  V,  326. 

Ghiinie.  Émancipation  de  la  —  ! 
1,  19.  I 

—Considérations  sur  la  doctrine 
des  proportions  définies,  i^  38. 

—  considérée  comme  base  de  la 
minéralogie,  i,  57. 

-—  Est  une  subdivision  de  la  phy- 
sique terrestre,  ï,  72. 

•*  Extension  possible  de  l'analyse 
mathématique  aux  phénom(>- 
nés  si  ?ariables  de  la  —  i,  il 5. 

—  Distinction  de  la  —  et  de  la 
physique,  ii,  269. 

»  Considérations  philosophiques 
sur  Tensemble  de  la  —  m,  5. 
Définition  de  la —  m,  9,  13, 
18.  Des  moyens  d'exploration 
en  —  111,  19,  et  de  leur  vérifi- 
cafion,  in,  23.  Rang  de  la  ~ 
dans  la  hiérarchie  des  sciences, 
m,  27.  I>e  la  doctrine  des  afli- 
nités,  III,  35.  De  la  nomencla- 
ture en  —  III,  42.  De  la  divi- 
âon  de  la  —  en  inorganique  et 
organique,  m,  51. 

—  Subordination  de  la  biologie  à 
la  —  III,  259. 

—  Pouvoir  de  l'homme  sur  la 
nature  da  a  la  —  iv,  360. 

—  Des  résultats  obtenus  en  —  vi, 
697. 


Chimie  inorganique,  ni,  51 .  Delà 
façon  d'étudier  et  d'envisager 
les  corps  simples,  m,  55. De  leur 
classification,  m,  65  ;  celle  de 
Berzélius,  m,  66.  lies  condi- 
tions d'une  classification  scien- 
tifique en  —  m,  68.  Du  dua- 
lisme chimique,  in,  80.  Loi 
des  doubles  décompositions  sa- 
lines, III,  83.  Influence  de  l'air 
et  de  l'eau  sur  les  phénomènes 
chimiques,  m,  85.  De  la  doc- 
trine chimique  des  proportions 
définies,  m,  93,  Loi  de  Richter, 
ni,  96.  Doctrine  de  Dalton,  m, 
90.  Objections,  m,  iii.  Exa- 
men de  la  théorie  électro-chi- 
mique, m,  124. 

—  organique,  m,  51, 157.  Incon- 
vénients des  analyses  de  —  fai- 
tes par  des  chimistes,  m,  160. 
Comment  on  doit  répartir  les 
portions  de  la  -*  entre  la  chi- 
mie et  la  physiologie,  m,  175. 

Chinois.  Du  caractère  social  attri- 
bué à  l'écriture  hiéroglyphi- 
que des  —  v,  168  (note). 

Cbaussibb.  Tentative  de  classifi- 
cation anatomique  par  — «  m, 
264. 

»  cité  pour  avoir  fait  de  la  cha- 
leur vitale  une  propriété  di- 
recte, III,  463. 

Chevalerie.  De  l'institution  de  la 

—  V,  288. 

Chevreul.  Plan  adopté  par  — 
pour  l'étude  des  corps  simples, 
m,  55. 

Chladni.  Expériences  sur  l'acous- 
tique de  —  II,  420,  430. 

Christianisme.  On  doit  au  —  le 
sentiment  du  progrès  de  l'hu- 
manité, IV,  170.  Voy.  Catkolw 
cisme. 


LX 


TABLE   ALl*nABÉTiQUE» 


Cbronomètres^  ii,  36. 
Civilisation.    L'organisation    so- 
ciale doit  être  corrélative  à  la 

—  IV,  238. 

—  Analyse  de  la  progression  so- 
ciale, IV,  442. 

I>u  régime  des  Castes  dans 
l'ancienne  —  v,  161. 

-*Oes  conditions  de  séparation 
des  pouvoirs  spirituel  et  tem- 
porel, VI,  437.  De  la  régénéra- 
tion préalable  de  TOccident 
européen,  vi,  468. 

Clairaut  cité  pour  son  traité  de 
la  figure  de  la  terre,  i,  461. 

Classes.  De  la  subordination  des 

—  dans  le  nouvel  ordre  social, 
VI,  490. 

Classitication.  De  la  théorie  des 

—  à  propos  de  la  biologie,  m, 

—  310. 

—  Des  —  végétales  et  zoologi- 
ques, m,  375. 

Clergé.  Forte  éducation  du  —  au 
moyen  âge,  v,  247. 

—  Tendance  de  la  nationalisa- 
tion du  —  au  seizième  siècle 
(note),  v,  41 K 

—  De  ia  dégénération  du  —  ca- 
tholique (noie),  VI,  348. 

Climat.  Considérations  sur  l'in- 
fluence du  —  &  propos  des  ou- 
vrages d'Hippocrate  et  de  Mon- 
tesquieu, IV,  182. 

Cohésion.  La  —  s'explique-t-elle 
par  l'électricité  7  m,  147. 

CoLBERT.  Mesures  favorables  à 
l'industrie  prises  par  —  vi, 
124. 

CoLLARD  (de  Martignt).  Des  obser- 
vations de  —  sur  les  fonctions 
organiques,  m,  474. 

Colomb  (Christophe).  Des  décou- 
vertes de  —  VT,  M9. 


Colonies.  Influence  des  —  sur 
l'évolution  sociale,  vi,  127. 

Colonisation.  Influence  intellec- 
tuelle de  la  —  par  la  Grèce,  v, 
175  (note). 

Combustion.  Théories  relatives  à 
la  —  m,  131. 

Comètes.  Problème  des  »-  n, 
i  40.  Opinion  de  Lagrange  sur 
l'existence  des  —  ii,  210. 

—  Perturbations  du  mouvement 
des —  causées  par  leur  rap- 
prochement des  planètes,  ii, 
220. 

Comité  positif  occidental.  Desti- 
nation d'une  association  dé- 
nommée —  VI,  544. 

CoNDiLLAC  cité  &  propos  de  la  sen- 
sation (ransformée,iii,  550. 

CoNDORCBT  cité  pour  son  ou- 
vrage :  l'esquisse  d'un  tableau 
historique  des  progrès  de  l'es- 
prit humain,  IX,  185. 

—  cité  pour  sa  conception  fon- 
damentale des  sciences  socia- 
les, IV,  367. 

—  Du  duel  au  moyen  fige,  v,. 
298. 

Confession.    Remarques    sur  la 

—  catholique,  v,  263. 

Convention  nalionale.Caractère 

de  la  —  VI,  298. 
Corneille.  Caractère  de  la  poésie 

dramatique  chez —  vi,  I8f. 
Corps.  Division   en   corps  bruts 

et  corps  organisés,  i,  69. 

—  Division  de  l'étude  des  — 
bruts,  i,  71. 

—  Rang  et  complication  de  l'é* 
tude  des  —  organisés,  i,  69. 

Corruption  politique.  La  —  éri- 
gée en  moyen  de  gouverne- 
ment, IV,  104. 

Cosmogonie.  Notions  de  —  po- 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


LXI 


sjti?e,  11,  249.  Vérification  de 
la  *-  de  Laplace,  ii,  258. 

Couleurs.  De  la  théorie  de  la  co- 
loration des  corps,  u,  450. 

Coulomb.  Ezpérieuces  de —  sur 
la  statique  électrique,  ii,  480. 

Cours  publics  de  philosophie  po- 
fitite,  professés  en  1826  et 
1829,1,3. 

Crédit  public.  Développement 
du  —  moderne  en  Europe,  vi, 
139. 

Croisades.  Répression  du  prosé- 
lytisme musulman  par  les  — 
V,  360. 

—  Influence  intellectuelle  et  so- 
ciale des  —  VI,  149. 

Cromwell.  Appréciation  de  — 
comme  politique  (note),  v,  469. 

—  Direction  industrielle  donnée 
à  l'Angleterre  par  —  vi,  124. 

CuviEA  cité  &  propos  d*écrits  psy- 
chologiques, I,  33. 

—  Opinion  de  — «  sur  les  corps 
simples,  m,  61. 

—  cité  pour  son  élude  exclusive 
des  appareils  en  anatomie 
comparée,  m,  346. 

—  Lutte  de  —  contre  Lamarck, 
au  sujet  de  la  permanence  des 
espèces,  m,  389. 


D^Alembest.  De  la  classification 
des  sciences  par  —  i,  47. 

—  Calcul  intégral  aux  différen- 
ces partielles,  créé  par  —  i 
216. 

—  Du  principe  de  —  i,  491. 
Daltoji.  Loide— surles  tensions 

des  vapeurs,  n,  373. 

—  De  la  doctrine  des  proportions 
définies,  m,  99. 


Dante.  Éclat  Jeté  par  —  sur  la 
poésie,  V,  328. 

D'Arct,  cité  pour  le  théorème 
général  des  aires,  i,  511. 

Dknina.  Observation  de  —  sur 
Tagriculture  et  la  population 
de  ritalie  aux  vi*'  et  vu**  siècles 
(note),  VI,  66. 

Dbscahtes.  Mouvement  imprimé 
à  l'esprit  humain  par  les  con- 
ceptions de  —  I,  20,  43.  Con- 
ception de  »-  relative  à  la 
géométrie  analytique,  i,  38, 
312;  VI,  221. 

—  Tentative  d*un  système  com- 
plet de  philosophie  positive, 
III,  530. 

—  Hypothèse  de  rautomatlsme, 
VI,  225. 

—  Appréciation  des  travaux  phi- 
losophiques de  —  VI,  247 . 

Desfontaimes.  Sur  l'examen  des 
organes  de  la  nutrition  dans 
les  végétaux,  par  —  m,  419. 

Devoirs.  Théorie  des  —  dans  le 
nouvel  ordre  social,  vi,  454. 

Différentiation.  Voy.  Calcul  dif- 
férentiel^ i,  201. 

Diffraction,  m,  462. 

Digestion.  Imperfection  des  no- 
tions sur  la —  m,  470. 

Dilatation.  Lois  de  la  —  des  corps, 
II,  366. 

Dioptrique,  ii,  458. 

Diplomatie.  Importance  de  la  — 
moderne,  v,  442. 

Divorce.  Dangers  du  —  v,  3H. 

—  Du  —  autorisé  par  le  protes- 
tantisme, v,  481 . 

—  Réflexions  sur  le  —  (note),  v, 
482. 

Dominicains.  Influence  de  l'in- 
stitution des—  V,  358. 
Donné,  cité  pour  ses  recherches 


I 


LXII 


TABLE  ALPHABÉTIQUX. 


sur  Télectricité  de  l'enveloppe 
aaimale  (note),  m,  475. 

Droit.  Influence  de  renseigne- 
ment du  —  &  la  fin  du  moyen 
fige,  V,  391. 

Duel.  Remarque  sur  le  —  au 
moyen  âge  et  dans  les  temps 
modernes,  y,  298. 

Ddbamel.  Conception  de  —  sur 
la  perméabilité,  ii,  404. 

DuNoTBB.  Sur  la  condition  des 
esclaves,  v,  280. 

Dynamique,  i,  419.  Objet  essen- 
tiel de  la  —  i^  427.  Deux  cas 
généraux  de  la  —  i,  468.  Du 
principe  de  d'Alembert,  i,  491. 
Théorèmes  généraux  de  — • 
Du  principe  de  la  conservation 
du  mouvement  du  centre  de 
gravité,  i,  507.  Du  principe  des 
aires,  i,  510.  Du  plan  invaria- 
ble, I,  514.  Des  moments  d'i- 
nertie et  des  axes  principaux 
de  rotation,  i,  547.  De  la  con- 
servation des  forces  vives,  i, 
519.  Du  principe  de  la  moindre 
action,  i,  525.  De  la  coexis- 
tence des  petites  oscillations, 

I,  530. 

—  céleste,  u,  206.  Modifications 
des  mouvements  résultant  de 
chocs  ou  d'explosions  d'astres, 

II,  208.  Des  gravitations  per- 
turbatrices, II,  2il.  Détermi- 
nation d'un  plan  invariable  au- 
quel se  rapportent  tous  ces 
mouvements,  ii,  228. 

— électrique,  ii,  483. 

—  sociale.  Première  idée  de  la 
—  IV,  230.  Esprit  général  de 
la  —  IV,  26t.  Direction  néces- 
saire de  l'évolution  sociale,  vi, 
442.  Conditions  de  la  vitesse 
de    cette  évolution,    iv,   448. 


Subordination  des  éléments 
qui  It  développent,  IV,  458.  Loi 
de  la  succession  des  trois  états 
théologique,  métaphysique  et 
positif,  iv,  463.  Corrélation  de 
l'évolution  tnatérielle  avec  l'é- 
volution intellectuelle,  iv,  503. 


Eau.  Influence  physiologique  de 

r  — 111,444.  . 
Écho.  Théorie  de  1'  —  ii,  425. 
Iticlipses.  De  la  prévision  des  — 

II,  444. 
École.  Des  résultats  obtenus  par 

les — philosophiqu es  française, 

allemande    et    écossaise,  m, 

549. 

—  Rivalité  des  *-  de  Voltaire  et 
de  Rousseau  dans  la  révolu-* 
lion  française,  vi,  308. 

—  normale.  Réflexion  sur  la 
justesse  de  cette  épithète,  vi, 
'633. 

—  «polytechnique.  Positivité  de 
r  —  iv,  463. 

Économie  politique.  Nature  et 
objet  del'— IV,  493. 

Économistes.  Influence  sociale 
des  —  au  xvHi*  siècle,  v,  530. 

Ecosse.  Différence  de  l'évolution 
politique  en  —  et  en  Angle- 
terre, X,  407  et  note. 

Éducation.  Ce  que  doit  être  i'  — 
actuelle  des  savants,  i,  28,  35« 

—  Nécessité  d'adopter  la  marche 
dogmatique  dans  l'étude  des 
sciences,  i,  62. 

—Importance  de  la  classification 
des  sciences  pour  1'  —  i,  80. 
Nécessité  de  réformer  1'  —  ac- 
tuelle, i,  84.  . 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


LXIIf 


Éducation.  Nécesiité  de  com- 
meDcer  1'  —  par  la  mathéma- 
tique, I,  lOOu 

—  lie  r  —  mathématique  néces- 
saire aux  biologistes,  m,  296. 

—  L'  —  doit  toujours  être  diri- 
gée par  la  physique  sociale 
(note)  iiiy  326. 

—  Objections  à  la  doctrine  de 
Gai],  au  point  de  vue  de  V  — 

llly  566. 

»  Expériences  d'  —  faites  sur  de 
jeunes  sauvages,  iv,  276  (note). 

—  De  r  —  générale  dans  le  sys* 
tème  catholique  au  moyeu 
âge,  Y,  258,321. 

—  Système  d'  —  positive,  attri- 
bution du  pouvoir  spirituel 
moderne,  vi,  457.  Développe- 
ment de  r  —  dans  le  nouveau 
système  social,  vi,  508. 

—  Réflexions  sur  1'  —  mathé- 
matique, VI,  657. 

Égalité.  Du  dogme  de  1'  —  iv,  52. 
»  avenir  de  Y  —  fraternelle,  iv, 

415. 
Égolsme.  Des  penchants  égoïstes, 

IV,  392. 

—  De  la  théorie  de  V  —  v,  503. 
Egypte.  Du   polythéisme    théo- 

cratique  en  »  v,  i60. 

Élection.  Caractère  de  r  —  dans  la 
constitution  catholique,  v,  244. 

Électricité.  Dénominations  im- 
propres d'  —  vitrée  et  rési- 
neuse, II,  479. 

—  Influence  physiologique  de 
r -.,!,,  441. 

Électrisation.  Causes  principales 

d'  —  II,  473 . 

—  De  r  —  organique  perma- 
nente, III,  475. 

Électro-chimie.  Importance  et 
progrès  de  V  —  m,  124. 


Électrologle.  Rang  de  V  —  dans 
l'étude  des  branches  de  la 
physique,  ii,  315.  Historique 
de  r  —  u,  365.  Stérilité  des 
hypothèses  en  —  n,  467.  Divi- 
sion de  r  —  et  production  des 
phénomènes  électriques ,  ii, 
473.  Statique  électrique ,  n, 
480.  Dynamique  électrique, 
II,  483.  Électro-magnétisme, 
II,  488. 

Électro-magnétisme.  De  la  dé- 
couverte d'Œrsted,  ii,  488. 

Éleetromètres,  ii,  478. 

Électroscopes,  ii,  478. 

Endosmose.  Phénomènes  d*  -— 
rattachés  à  la  capillarité,  ii, 
338. 

Ennui.  Influence  de  1'  —  sur  le 
développement  humain,  m , 
526,548;  iv,  449. 

Épopées.  Appréciation  sommaire 
des —  modernes,  vi,  184. 

Équation.  Véritable  dé&nition  de 
r  —  1, 124.  —  Classification  des 
—  i,  148.  De  la  résolution  nu- 
mérique des  —  I,  153.  Théorie 
des  —  1, 157. 

•—  aux  limites  de  Lagrange,  i, 
239. 

Esclavage.  Destination  de  V  — 
ancien,  iv,  508;  v,  133. 

—  Comparaison  de  1*  —  antique 
et  colonial,  v,  135. 

—  Influence  de  i*  —  sur  la  morale 
dans  l'antiquité,  v,  148. 

—  Transfomialion  de  1'  —  en 
servage  par  le  catholicisme,  v, 
287. 

—  Double  but  de  V  —  antique, 
vi,67. 

—  Honte  de  V  —  colonial,  vi, 
131. 

Espace.  Notion  de  V  —  J,  258. 


LXIV 


TABLE  ALPOABÉTIQDE. 


Espagne.  Du  système  colonial  de 
r  —  VI,  129, 

—  Influence  du  catholicisme  sur 
Tart  dramatique  en  ~-  vi,  182. 

—  Aptitude  de  V  —  au  posili- 
visme,  vi,  542. 

Espôce.  Remarque  sur  la  notion 
d*  — m,  390. 

Esprit.  Coup  d*œil  sur  la  marche 
progressive  de  Y  —  i,  8. 11  passe 
par  l'état  théologique,  méta- 
physique et  positif,  I,  9.  Mou- 
vement imprimé  à  l*  —  par 
les  préceptes  de  Bacon,  les 
conceptions  de  Descartes  et  les 
découvertes  de  Galilée,  i,  20. 
Inconvénients  pour  V  —  de 
la  spécialisation  des  études 
scientifiques,  i,  26.  Étude  de 
r  —  au  point  de  vue  statique 
et  dynamique,  i,  30.  Observa- 
tion des  phénomènes  pyscho- 
logiques  par  V  —  i,  31.  Rôle 
social  del'  —  v,  215. 

Esthétique.  De  l'évolution  —  mo- 
derne, vi^  t45.  Voy.  Beaux- 
arts. 

États-Unis.  Des  sectes  religieuses 
aux  —IV,  51,  94. 

Étoiles.  Ce  qu'on  nomme  un  ca- 
talogue d'  —  II,  69. 

—  Mouvements  relatifs  des  — 
multiples,  ii,  241. 

EuLER.  Nouvelle  forme  donnée 
par  —  au  principe  de  d'Alem- 
bert,  I,  493.  Théorèmes  sur  les 
moments  d'inertie  et  les  axes 
principaux  de  rotation  décou- 
verts par  —  I,  517. 

—  Extension  de  l'analyse  mathé- 
matique par  —  VI,  233. 

Europe.  Condition  favorable  de 
r  —  au  développement  social, 
y,  20. 


Ëvaporation.  Théorie  de  V 

372. 
Exosmose.  Effets  &  —  rati 

à  It  capillarité,  ii,  338. 
Expérimentation  .^  L'art  de 

est  dû  au  développement 

physique»  ii,  279,  295. 

—  De  l'emploi  de  1*  —  en 
gie,  m,  222. 

—  De  r  —  appliquée  à  la- 
logie,  IV,  307. 


Famille.  Considérations  sui 
IV,  398. 

—  Du  perfectionnement  de 
par  l'influence  du  ca 
cisme»  v,  309. 

Femmes.  De  l'autorité  sac 
taie  des  —  dans  l'antiqu 
l.->7. 

—  De  Tamélioralion  socia 

—  par  le  catholicisme»  v 
Féodalité.  Origine  de  la 

204.  Son  caractère,  v,  27 

tervention     du     catholi 

dans  la  —  v,  282. 
Fermât.  Conception  de  l'ai 

transcendante  par   —  i^ 
Fehgcsson  cité  pour  ses  obi 

lions  politiques»  iv,  289. 

—  Classiflcation  des  animai 

—  IV.  422. 
Fétichisme,  premier  état  il 

gique»  V,  25.  Hypothèse 
état  de  l'homme  plus  gr 
que  le  —  v,  27.  Influence 
sur  l'ensemble  de  l'évo) 
humaine,  v,  39.  Transita 

—  au  polythéisme,  v,  70. 
ment  le  —  est  contrai 
Tcsclavagc,  V,  138. 


TJkBLE  ALPHABÉTIQUE. 


LXV 


Feu.  TentatiTes  pour  expliquer  le 
^  m»  138. 

Fluides.  De  l'étude  des  —  en  mé- 
canique, I,  420.  Des  »  impar- 
faits, I,  424. 

»  Considérations  sur  les  —  en 
physique,  ir,  306. 

—  De  la  vitalité  des  —  organi- 
ques, m,  354. 

Folie.  De  l'étude  des  facultés  de 
l'homme  par  Texamen  des  di- 
vers genres  de  —  m,  578. 

^  L'idée  de  —  correspond  à 
celle  d'organe,  ni,  458. 

Fonctions  (Emplois).  Suppres- 
sion de  la  distinction  entre 
les  —  publiques  et  privées,  iv, 
482. 

—  (géométrie).  Qu'est-ce  qu'une 

—  dans  le  langage  de  la  géo- 
métrie 7  1, 94.  Des  deux  sortes 
de  ^  I,  425.  Des  —  élémen- 
taires,!, 428.  Difficulté  de  créer 
de  nouvelles  —  élémentaires 
abstraites,  i,  440. 

—  directes,  i,  445.  Du  calcul  des 

—  1, 447.  Il  se  divise  en  deux 
parties  distinctes,  i,  455.  De  la 
méthode  des  coefficients  indé- 
terminés, I,  458.  Théorie  des 
quantités  négatives,  i,  i6J. 
Principe  de  l'homogénéité,  i, 
163. 

—  indirectes,  i,  445.  Considéra- 
tions générales  et  historiques 
sur  le  progrès  du  calcul  des  — 
I,  467.  Systèmes  de  Leibnitz, 
Newton  et  Lagrange,  i,  170. 
Division  en  deux  parties  du 
calcul  des  —  ),  200. 

—  périodiques  ou  discontinues, 
1, 253. 

—  intellectuelles  et  morales. 
Étude  positive' des  —  m,  530.  I 

A.  CoiiTi.  Tome  I. 


Historique  du  progrès  de  l'es- 
prit positif,  III,  530.  Addition 
provisoire  de  la  physiologie 
pbrénologique  à  la  physiologie 
organique  et  animale,  m,  535. 
Vices  de  la  méthode  psycho- 
logique,iu ,  538.  Examen  de  la 
doctrine  de  Gall,  m,  554.  Per- 
fectionnements dont  elle  est 
susceptible,  m,  574. 

Fonction  (physiologie).  Défini- 
tion du  mot  —  en  physiologie, 
111,240. 

FoNTENELLE  cité  à  propos  de 
ses  considérations  sur  les  car- 
rières scientifiques  (note),  iv , 
459. 

—  Pénétration  philosophique  de 

—  v,  547. 

—  Part  de  —  dans  la  querelle 
des  anciens  et  des  modernes, 
VI,  262. 

Forces.  Définition  des  —  en  mé- 
canique, I,  394.  Loi  de  la  com- 
position des  —  i,  409. 

—  centrifuge,  i,  484. 

FoDBiER  cité  à  propos  de  la  théo- 
rie de  la  chaleur,  i,  48. 

—  Analyse  mathématique  de  la 
propagation  de  la  chaleur,  par 

—  11,379. 

—  Doctrine  des  températures 
terrestres,  par  — ii ,  398. 

—  Appréciation  des  travaux  ma- 
thématiques de  —  VI,  368. 

FoviLLE.  Du  siège  distinct  des 
saveurs  principales,  m  ,   5f8é 

France.  Situation  de  la  —  relati- 
vement à  l'esclavage  colonial, 
VI,  132. 

—  Tendance  de  la  république 
européenne  et  surtout  de  la  — 
vers  l'étal  positif,  vi,  277. 

—  considérée  comme  siège  né- 

6 


LXTl 


TABLE   ALrBABÉTIOCB. 


cesttire  de  l'élaboralioo  so- 
ciale, VI,  536. 

FranciicaiDs.  Influence  de  Tins- 
litotion  des  —  ▼,  358. 

FtLAtnun.  Crédulité  de  —  à  re- 
gard des  songes  (note),  ▼,  131 . 

FftiDiRIC  LE  Gra5D.  SOU  IDOt    SUF 

rincapacité  politique  des  phi- 
losophes, ▼,  22  i . 
—   Prévision    philosophique  de 
—  V,  524. 


Gauléb.  Mouvement  imprimé  à 
Tesprit  humain  par  les  décou- 
vertes de  —  1,20,  43. 

—  Loi  de  la  composition  des 
forces,  1,  409. 

»-  Découverte  de  li  rotation  du 
soleil,  par  —  ii,  87. 

—  Loi  de  la  pesanteur,  trouvée 
par  —  II,  339. 

—  Effet  de  la  persécution  de  — 
V,  493. 

Gaix.  Analyse  des  fonctions  phré- 
nologiques,  par  —  in,  550. 

—  Appréciation  de  la  doctrine  de 
—  III,  ook, 

—  Des  indications  fournies  par 
les  gestes  (note),  m,  585. 

—  Opinion  de  —  sur  la  perpé- 
tuité de  la  guerre,  iv,  3i9. 

—  De  la  théorie  cérébrale  de  — 
relativement  û  la  sociabilité, 
IV,  384. 

—  cité  à  propos  de  la  préten- 
due égalité  des  deux  sexes,  iv, 
405. 

Gat-Ldssac.  Analjrses  numéri- 
ques des  composés  gazeux,  par 

—  m,  i03. 

Gaz.  De  l'équilibre  des  — -  ii,  329. 
Dilatation  des  —  ji,  368. 


Génération.  Des  recherches  sur 
la  —  in,  475. 

Géométrie.  Considérations  géné- 
rales sur  la  —  i,  86.  La  —  est 
une  partie  de  la  mathématique 
concrète,  i,  106.  Supériorité 
scientifique  de  la  —  i,  257. 
Définition  de  la  —  j,  258, 
272.  Division  de  la  —  en 
spéciale  et  générale,  i,  281. 

—  céleste,  ii,  29.  Des  procédés 
gnomoniques ,  ii ,  34  .  Des 
moyens  de  mesurer  le  temps, 
n,  36  ;  de  mesurer  les  angles, 
u,  43.  Théorie  des  corrections 
à  faire  aux  indications  des 
instruments,  ii,  47.  Théorie 
des  réfractions  astronomiques, 
II,  48.  Théorie  des  parallaxes, 
II,  55.  Examen  philosophique 
de  la  —  II,  64.  Division  de  la 
—  eu  deux  ordres  de  phéno- 
mènes :  \^  statiques,  ii,  63; 
2<>  dynamiques,  ii,  86.  Lois  de 
Kepler,  ii,  126.  Loi  de  la  gra- 
vitation, u,  150. 

—  descriptive.  Son  caractère  phi- 
losophique, I,  300. 

—  générale  ou  analytique,  i,290, 
304.   Principaux    aspects   élé- 

^mentaires  que  présente  la  con- 
ception delà—- 1,  312.  Ses  im- 
perfections générales  relative- 
ment à  la  géométrie  et  à 
l'analyse,  i,  337. 

—  générale  à  deux  dimensions, 
i,dH. 

—  générale  à  trois  dimensions, 
1,371. 

•—  de  situation,  i,  524. 

—  spéciale,!,  281,290. 

Gerbert.  Établissement  de  la  no- 
tation arithmétique  secondé 
par —  VI,  201. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


LXVII 


Gestes.   De  la  signification    des 

—  (note),  m,  585. 
Goufernemcnt.    Tendance    élé- 
mentaire de  toute  société  hu- 
maine à  un  —  spontané,  iv, 
430. 

»  Nécessité  du  —  militaire  dans 
l'origine,  iv,  507. 

Gravitation.  De  la  —  newto- 
nienne,  i,  i7.  La  —  est  la  loi 
positive  la  plus  générale  à  la- 
quelle on  puisse  rattacher 
tous  les  phénomènes  naturels, 
1,44. 

«  Loi  de  la  —  ii,  ioO. 

Grecs.  Importance  des  fêles  du 
cotte  chez  les  —  v,  125,  15i. 

—  Du  polythéisme  militaire  chez 
les  —  V,  174. 

Grégoire  vu.  Prépondérance  de 
TÉglise  au  temps  de  —  v, 
247. 

Guerre.  Répugnance  croissante 
pour  la  —  IV,  504. 

—  Caractère  de  la  —  chez  les 
peuples  pasteurs,  v,  62. 

—  Prépondérance  de  la  —  chez 
les  anciens,  v,  H  9. 

—  Comparaison  d  u  rôle  de  la  — 
dans  les  premiers  âges  et  dans 
les  temps  modernes,  v,  126. 

—  Remarque  sur  les  —  moder- 
nes, V,  437,  439. 

—  Du  caractère  des  —  de  Napo- 
léon !•%  VI,  318. 

^  Décadence  du  régime  mili- 
taire dans  la  première  moitié 
do  dix-neuvième  siècle,  vi, 
349. 

GuizbT.  Mot  de  IL  —  (note),  iv, 
122. 

—  Opioion  émise  en  1831  par  M. 
—  sur  l'hérédité  de  la  pairie 
(note),  IV,  338. 


fiLizoT.  Restauration  de  l'Aca- 
démie des  sciences  morales  et 
politiques  par  M.  —  vi,  404. 

H 

Habitude.   Théorie  de  Y  ^  par 

Bichaf,  III,  523. 
Hallam.  Remarque  de  —  sur  les 

salaires  des  ouvriers  actueb', 

VI,  271. 
Hallucinations.  Des  —  dans  l'âge 

du  fétichisme,  v,  50. 
Helvêtios  cité  pour  son  ouvrage 

r Esprit,  m,  55 1 . 

—  De  l'égalité  des  intelligences 
humaines  selon  —  v,  522. 

Hérédité.  De  1'  —  profession- 
nelle dans  l'antiquité  et  les 
temps  modernes,  v,  163. 

Hérésies.  Des  —  primitives  et  mo- 
dernes, V,  463 . 

HippARQUE,  fondateur  de  la  trigo- 
nométrie, V,  182. 

HippocRATE  cité  pour  son  Traité 
des  eaux,  des  airs  et  des  lieux, 

IV,  182. 
Histoire.    Tendance    des  esprits 

versl'  —IV,  204. 

—  De  la  spécialité  en  —  iv,  325. 

—  Conception  fondamentale  de 
l'analyse  historique  de  l'évo- 
lution sociale,  iv,458. 

—  Condition  de  l'  —  par  rapport 
à  la  sociologie,  v,  \  6. 

HoBBEs.  Influence  philosophique 
de  —  V,  499.  Tentative  pour 
réhabiliter  —  en  Angleterre, 

V,  499  (note).  Caractère  de  la 
conception  de  —  v,  506. 

Homère  cité  pour  ses  peintures 
des  dieux  du  polvthcisme,  v, 
86. 

—  Caractère  poétique  d'  —  v,  09. 


i 


UtIII 


TASLK  ALPHABETIOUE. 


BoiisE.  Ues  théories  do  poly- 
théisme dans  —  sur  les  pehies 
et  les  récompenses  résertées 
i  la  vie  future,  t,  i24. 

Horloges  astronomiqaesy  u,  39. 

Hamanité.  Théorie  do  perfec- 
tionnement de  r  —  1V9  261, 
Î72,  275,  278. 

—  Conditions  d'one  Téritahle  his- 
toire de  r  — •  T,  15. 

—  Résumé  des  grandes  phases 
de  r  —  ▼!,  409. 

—  Du  système  de  commémora- 
tion destiné  à  glorifier  les  di- 
verses phases  de  V  —  vi,  472. 
Voy.  Civilisation, 

fluME.  De  sa  théorie  de  la  causa- 
lité, Ti,  259. 

fluTGHETvs.  Théorème  de  la  con- 
servation des  forces  vives  dé- 
couvert par  —  1, 519. 

»-  Du  principe  des  forces  vives 
inventé  par  —  pour  la  réduc- 
tion du  pendule  composé  au 
pendule  simple,  n,  42. 

Hydrodynamique.  Imperfection 
de  r  —  vu  sa  difficulté,  11, 
345. 

Hydrostatique.  Deux  méthodes 
distinctes  d'  —  i,  459. 

—  Questions  d'  —  à  propos  de  la 
partie  statique  ou  dynamique 
de  la  barologie,  11,  323. 

Hygiène.  Utilité  des  pratiques  d' 
—  imposées  par  le  catholi- 
cisme, V,  307  et  note. 

Hygrométrie.  Théorie  de  1*  — - 11, 
372. 

Hypothèses.  De  la  construction 
rationnelle  et  de  Tusage  scien- 
tifique des  —  dans  Tétudede  la 

'  nature,  11,  296.  Théorie  fonda- 
mentale des  —  il,  298. 


Imprimerie.  InOoence  de  1'  —  vi, 

114. 
Industrie.  Serrices  rendus  à  1'  — 

par  la  science,  i,  51. 

—  Caractère  de  i*  —  dans  l'âge  do 
fétichisme,  v,  5t. 

—  Influence  do  polythéisme  sor 
r  —  V,  116. 

—  Influence  de  l'esclavage  sur 
r  —  dans  les  temps  anciens,  v, 
135. 

—  Caractère  de  V  —  soos  le  ré- 
gime des  castes,  v,  165. 

—  Essor  de  V  —  au  moyen  âge, 
V,  329. 

—  De  l'évolution  de  1*  —  mo- 
derne, VI,  63. 

—  Influence  du  développement 
de  l'  —  sur  l'essor  esthétique  à 
la  fin  du  moyen  âge,  vi,  160. 

—  Entraves  de  i'  —  moderne,  vi, 
266. 

—  Consolidation  de  la  prépondé- 
rance de  r  —  par  la  crise  ré- 
volutionnaire, VI,  361 . 

—  De  la  hiérarchie  de  i'  —  vi, 
495. 

—  Rapports  de  V  —  avec  les  ou- 
vriers dans  le  nouvel  ordre  so- 
cial, vi,  511. 

—  Du  perfectionnement  de  V  -* 
en  présence  de  Tavénement  de 
l'esprit  sociologique,  vi,  582. 

Ingénieurs.  Classe  intermédiaire 
entre  les  savants  et  les  produc- 
teurs, 1, 54. 

—  Du  développement  de  la  classe 
des  —  VI,  140. 

Innovation.  D'où  naît  l'esprit  d- 

—  IV,  397  (note). 
Instinct.  Sens  du  mot  —  m,  546. 


TABLE   ALPHABÉTIQUE. 


LXIX 


Inslincts.  Des  —  personnels  et  so- 
ciaux, iv,  392. 

Institutions  monastiques.  Rôle 
des  —  dans  le  catholicisme,  v, 
245. 

Intégration.  Yoy.  Calcul  inté- 
ffralj  ly  214. 

Intelligence.  Caractérisation  de 
r  —  m,  546. 

Irritabilité.  Emploi  du  mot  —  de- 
puis Haller  (note),  lu,  461. 

Isopérimètres.  Problèmes  des  ~- 
I,  231. 

Italie.  Rapports  de  Y  —  avec  la 
papauté,  V,  257. 

—  Supériorité  en  tout  genre  de 
r —  au  onxième  siècle,  v,  318. 

—  Des  beaux-arts  en  — au  moyen 
Age,  vi,  150,  153. 

—  Tendances  positives  de  V  —  vi, 
537. 


Jansénisme.  Aclion  et  tendance 

du  —  V,  457. 
Jésuites.  De  l'influence  des  —  v, 

413. 

—  Efforts  des  —  pour  diriger  le 
mouvement  scientifique  (note), 
VI,  228. 

^  Signification  deTabolition  des 

—  VI,  282. 
J£sus-Chbist.  Du  caractère  divin 

attribué  à  —  v,  270. 
Journaux.  Influence  de  Tinstitu- 

tion  des— VI,  188. 

—  Domination  spirituelle  des — 
sous  le  régime  constitutionnel, 
VI,  337. 

Judée,  patrie  naturelle  du  mo- 
nothéisme, V,  205. 

Joirs.  Résultat  d'un  monothéisme 
prématuré  chez  les—  v,  130. 


JossiEu  (de).  Sur  la  classification 
du  règne  végétal  par  —  m,  419. 


Kant.  De  la  distinction  erronée 
des  catégories  de  la  quantité 
et  de  la  qualité  de  —  f,  1 12. 

—  Tentative  de  —  pour  échap- 
per à  l'absolu  philosophique, 
VI,  619. 

KépLER  cité,  I,  15. 

—  Loi  d'inertie  découverte  par 
—  I,  403. 

—  I^is  de  —  II,  126, 

—  Remarque  de  —  sur  les  chi- 
mères astrologiques,  v,  96. 

Knigbt  cité  pour  ses  expériences 
sur  les  modifications  de  la 
germination  par  l'accéléra- 
tion de  la  rotation,  m,  434« 


Lagbangb.  Conception  de  —  re- 
lative à  l'analyse  transcen- 
dante, I,  143,  167,  170,  180. 
Méthode  de  la  dérivation  suc- 
cessive, I,  188. 

—  Conception  de  la  méthode  des 
variations,  i,  220,  236.  Des 
équations  aux  limites,  i,  239. 

—  Application  du  principe  des 
vitesses  virtuelles  par  —  i, 
436. 

—  Application  de  l'histoire  aux 
sciences  comprise  par  —  rv, 
373. 

—  cité  pour  l'exposition  de  la 
Mécanique  analytique,  iv,  379. 

—  Du  génie  philosophique  de  »- 
VI,  369. 

Lamabck.  Hypothèse  de  —  sur  la 
variation  des  espèces  organi- 


LXX 


TABLE   ALPHABÉTIQUE. 


ques,  iir,  388,  430.  Héfulalion 
de  cette  hypothèse,  m,  391. 
Lamarce.  Des  hypothèses  de  — 
sur  la  seDsibilité,  m,  489. 

—  cité  pour  son  principe  du  per- 
fectionnement organique,  iv^ 
276. 

Lamennais  (de).  Remarque  de- 
sur  l'exclusion  du  pape  dans  le 
concert  de  la  Sainte-Alliance, 
IV,  30. 

Langage.  De  la   formation  d*un 

—  spécial  pour  la  combinai- 
son des  idées  scientifiques,  ii, 
468. 

—  Idée  d'un  travail  sur  la  philo- 
sophie du  —  IV,  3oi  (note). 

—  De  la  constitution  métapho- 
rique du  —  V,  37. 

—  Ordre  du  —  mimique  dans  la 
série  des  arts,  v,  i  i  1  (note). 

Langues.  De  l'élaboration  des  — 
modernes,  VI,  150. 

Laplace.  Conception  de  —  pour 
expliquer  les  phénomènes  chi- 
miques, I,  45. 

—  Du  plan  invariable  découvert 
par —  I,  514. 

—  Théorie  cosmogonique  de  — 
II,  253. 

Laurent.  Dénomination  de  sclé- 
reux  et  kvsteux  donnée  à  cer- 

m 

tains  tissus  par  —  m,  364. 
Lavoisif.b.  Théorie  de  —  sur  la 

combustion,  m,  131. 
Lavater.  DéTaut  de  doctrine    de 

—  (note),  III,  585. 

Law.  Mouvement  causé  en  France 
par  la  banque  de  —  vi,  137. 

Legallois.  Recherches  sur  Tin- 
nervation    du  cœur,   m,  502. 

Légistes.  De  l'existence  politique 
des  —  V,  391.  Voy.  Avocats. 

Leibnitz.  Conception  de  —  rela- 


tive à  Tanalvse  transcendante, 
i,  143,  167, 170. 
Leibnitz,  cité  pour  son  axiome  : 
le  présent  est  gros  de  l'ave- 
nir, IV,  263. 

—  Accord  de  —  avec  Bossuet  dans 
leur  appréciation  du  quiétisme 
(note),  V,  458. 

Leroy  (Georges).  Influence  de 
l'ennui  sur  le  développement 
humain,  d'après  —  m,  526, 
548;  IV,  449. 

Liberté.  Origine  de  la  —  mo- 
derne, VI,  94. 

Ligne.  Himploi  géométrique  du 
mot,  I,  260. 

Liquides.  Équilibre  des  —  ii, 
323. 

—  Dilatation    des  —   ir,    367. 
Littérateurs.  Rôle  politique  des 

—  en  France,  iv,  124. 

—  De  l'avènement  social  de  la 
classe  des  —  v,  512. 

—  Direction  spirituelle  du  xvni'* 
siècle  par  les  —  vi,  192. 

—  Influence  des  —  au  xvnio  siè- 
cle, VI,  287. 

Logarithmes.  Influence  de  la 
théorie  des  —  i,  307. 

Logique  (science).  Considérations 
relatives  à  la  —  i,  33. 

Lois.  De  la  découverte  des  — 
naturelles,  i,  16.  Des  —  de  la 
chaleur,  trouvées  par  Fourier, 

— i,  18.  Études  des  —  logi- 
ques de  l'esprit  humain,  i,  29. 

—  d'inertie,  i,  397,  403. 

—  du  repos,  trouvée  par  Mau- 
pertuis,  i,  503. 

—  de  Kepler,  ii,  126. 

—  de  la  gravitation,  ii,  150. 
Louis  XI.  Politique  de  —  v,  434. 
Louis  XIV.  Accord  de  la  royauté 

et  delà  noblesse  sous  —  v,  432. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


LXXI 


Locfs  XIV.  Sur  l'encourogemcot 
donné  aux  beaux-arts  par  — 
VI,  i  78. 

Lumière.  Mesure  de  la  vitesse  de 
la  —  par  rastronomic,  ir,  ilO. 
Aberration  de  la  —  produite 
par  le  mouvemeut  de  la  terre 
dans  les  planètes  et  les  étoiles, 
II,  112. 

Lune.  Évalualion  de  la  hauteur 
des  montagnes  de  la  —  ii,  78. 

Lunettes.  Usage  des  —  en  astro- 
nomie, [I,  44.  De  la  —  méri- 
dienne, n,  46. 

Luther.  Action  de  —  v,  410. 

—  Caractère  de  la  réforme  de  — 
V,  464. 

—  A  propos  de  la  bigamie  d*un 
prince  allemand  autorisée  par 
—     V,  482. 


Mablt  apprécié  comme  écrivain 
politique,  v,  527. 

Uachuvel.  Opinion  de  —  sur  la 
dépendance  des  chofs  militai- 
res modernes,  y,  438. 

Uaclaurin.  Problème  de  —  sur 
la  figure  des  planètes,  ii,  102. 

Magnétisme  animal,  ii,  469. 

Hahombt.  Organisation  du  mo- 
nothéisme par  —  V,  320. 

Hahométisme.  Réflexion  sur  le 
—    IV,    171    (note). 

Maistrk  (de)  cité  à  propos  de 
son  ouvrage  sur  le  Pape,  iv, 
28,  135  (note),  138  (note);  de 
ses  reproches  à  Bossuet  con- 
cernant l'Église  gallicane,  iv, 
34;  de  son  aphorisme  :  Tout 
ce  qui  est  nécessaire  existe, 
\r,  352;  cité  pour  son  paral- 
lèle de  la  science  antique  el 


de  la  science  moderne,  v^  05. 
Maistrk  (de).  Effet  de  l'esclavage 
sur  la  morale  domestique  se- 
lon —  v,  149. 

—  Opinion  de  —  sur  l'influence 
catholique,  v ,  241;  sur  Tin- 
faillibilité  du  pape,  v,  250;  sur 
la  translation  de  l'empire  & 
Byzance  par  Constantin,  v,  256. 

—  Observation  de  —  sur  la  colo- 
nisation de  l'Espagne  et  du 
Portugal  (noie),  VI,  129. 

Malebranche  cité  pour  la  Recher^ 
che  de  la  vérité,  m,  531. 

—  A  propos  de  son  explication 
du  choc  élémentaire  des  corps 
solides,  IV,  470. 

Malthus.  Exagérations  écono- 
miques de  —  IV,  457. 

Manzoni.  Appréciation  littéraire 
de  —  VI,  367. 

Marées.  Question  des — ii,  195. 

—  La  théorie  des  —  est  un  ap- 
pendice naturel  de  la  partie 
statique  de  la  barologie,  ii, 
329. 

Mariage.  De  l'institution  du  — 
IV,  402. 

—  Indissolubilité  du  —  catholi- 
que, V,  310. 

—  Question  du  —  des  prêtres  au 
concile  de  Trente,  v,  41 1  (note). 

Mariotte.  Loi  de  —  ii,  332. 

Mathématique  (science).  Rang 
de  la  —  dans  la  classification 
positive,  I,  85.  Elle  forme  deux 
sections,  i,  86.  Définition  or- 
dinaire de  la  —  I,  00.  Difficulté 
de  mesurer  directement  les 
grandeurs,  i,  92.  Définition 
exacte  de  la  —  i,  08.  Division 
fondamentale  de  la  —  en  — 
abstraite  et  —  concrète,  exem- 
ples, I,  101.  Circonscription  de 


LXXII 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


chacune  de  ces  sections^  i,  106. 
Étendue  réelle  du  domaine  de 
la  —  I,  111.  Subordination  de 
la  biologie  à  la  —  m,  286.  De 
l'étude  de  la  —  dans  la  Grèce 
ancienne,  v,  179.  Titres  phi- 
losophiques de  la  —  considé- 
rée comme  source  de  la  po- 
sitivité  rationnelle,  vi,  155. 
Derniers  progrès  de  la  —  vj, 
368.  Résultats  obtenus  en  — 
VI,  681. 
Malhématique  abstraite.  Est  une 
division  de  la  mathématique, 
I,  101.  Nature  delà  —  i,  107. 
Véritable  objet  de  la  —  i,  125. 
Division  de  la  —  i,  132. 

—  concrète.  Est  une  division  de 
la  mathématique,  i,  101.  Elle 
comprend  la  géométrie  et  la 
mécanique,  i,  105.  Dut  des  re- 
cherches de  la  —  I,  124. 

Maupertuis.  Loi  du  repos  trou- 
vée par  —  I,  503. 

—  Théorème  du  principe  de  la 
moindre  action  découverte  par 

—  1,525. 

Mécanique  animale.  Imperfec- 
tion des  notions  de  —  m, 
506. 

—  céleste,  II,  29.  Loi  de  la  gra- 
vitation, II,  150. 

—  industrielle.  Application  à  la 

—  du  théorème  des  forces  vi- 
ves, I,  521.  Théorie  de  la  —  i, 
524. 

—  rationnelle,  branche  de  la 
mathématique  concrète,  i,  86, 
106.  Véritable  caractère  phi- 
losophique de  la  —  i,  391. 
Divisions  principales  de  la  — 
I,  419.  Considérations  sur  les 
théorèmes  généraux  de  la  — 
I,  500. 


Médecine.  Connexion  de  la  bio- 
logie et  de  la  —  m,  196. 

—  De  l'emploi  des  spécifiques  en 
—    lu,  448. 

—  De  la  statistique  appliquée  & 
la—  m,  291. 

Médicaments.  De  Tusage  des  — 
en  thérapeutique,  m,  448. 

Méditerranée.  Situation  propice 
de  la  —  au  développement  de 
la  civilisation  (note),  v,  20. 

Métaphysique  (état).  Apprécia- 
tion générale  de  1'  —  v,  346. 
Décomposition  de  l'ancien  état 
social,  V,  346  ;  au  quatorzième 
et  au  quinzième  siècle,  v,  362; 
dans  les  siècles  suivants,  v, 
381  ;  organes  du  mouvement 
révolutionnaire,  v,  386.  Dé- 
sorganisation spirituelle,  v, 
398;  temporelle,  v,  403.  In- 
fluence intellectuelle  de  la  pé- 
riode protestante,  v,  447. 
Transport  en  France  de  l'é- 
branlement intellectuel,  v, 
509. 

—  (méthode)  suivie  par  l'esprit 
humain,  i,  9. 

Météorologie.  Cause  de  la  diffi- 
culté d'étude  des  phénomènes 
de  la  — I,  118. 

—  Inutilité  des  recueils  actuels 
d'observations  sur  la  —  iv, 
471. 

—  De  l'inefficacité  des  observa- 
tions actuelles  de  la  —  v,  97. 

Méthode.  Elle  vient  des  mathé- 
matiques, I,  122.  Des — d'ob- 
servation en  astronomie,  ii,  33. 

—  comparative.  Emploi  de  la  — 
en  biologie,  jn,  240.  De  la  — 
appliquée  &  la  sociologie,  iv, 
312. 

—  d'exhaustion,  i^  168. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


LXXIII 


Méthode  hlitorique.  De  la  -»  en 
lodologie,  iv^  322.  Nouveau 
mode  d'exploration  constitué 
par  la  —  ivy  376.  De  l'utilité 
sdeutifique  de  la  —  (note),  iv, 
378. 

—  métaphysique,  i,  9. 

—  psychologique.  Inanité  de  la 

—  1,32. 

»  théologique.  Heureux  résul- 
tats de  la  —  i,  13. 

—  des  fariations.  Voy.  Calcul  des 
variations,  i,  230.  Voy.  Posi- 
tive (méthode). 

Microscope.  De    Tusage  du  — 

ea  biologie,  m,  219. 
Milieux*  Des  —  par  rapport  aux 

corps  organisés,  m,  203. 

—  Définition  et  usage  du  terme 

—  (note)^  iiiy  209. 

— >  De  la  modiflcation  des  — 
coomie  mode  d'expérimenta- 
tion  physiologique,   m,  227. 

•^  organiques.  Théorie  des  —  m, 
430.  Des  milieux  physiques, 
m,  433.  Des  milieux  chimi- 
qnes,  ui,  444. 

MiLL.  Adhésion  de  M.  Mill  à  la 
noofelle  philosophie  politique 
(note),  vi,  448. 

MiLTOR.  Du  supplice  des  damnés 
dans  le  Paradis  perdu^  y,  299. 

IGnéralogie.  Sa  dépendance  de 
la  chimie,  i,  57. 

Miracle.  De  la  notion  du  —  iv, 
477. 

MoLiÈRi.  Appréciation  du  génie 
social  de  —  vi,  186. 

Monde.  Séparation  tranchée  en- 
tre la  notion  de  —  et  celle 
d'anivers  en  mécanique  cé- 
leste, u,  175. 

—  Distinction  de  l'idée  de  —  et 
d'anlFem,  ii|  120. 


Monde.  Étude  sur  la  formation 

de  notre  —  ii,  252. 
MoNGK.  Conception  de  —  relative 

à  la  géométrie  descriptive,  i, 

55. 

—  Perfectionnement  de  la  géo- 
métrie descriptive  par  —  i,  300. 

Monogamie.  Établissement  de  la 

—  sous  le  polythéisme,  v,  1 56. 
Monomanies.  Direction  des  mé- 
decins dans  l'étude  des  —  m, 
578. 

lionothéisme.  Nécessité  d'une 
révélation  dans  le  système 
d'un  —  primtif  (note),  v,  26. 

—  Destination  politique  du  —  v, 
129. 

—  Pourquoi  le  —  est  contraire  à 
l'esclavage,  v,  138. 

—  Notion  du  —  dans  l'antiquité, 
V,  198.  Attributs  politiques  du 

—  V,  211.  Organisation  spiri- 
tuelle du  —  au  moyen  flge,  v, 
213.  Organisation  temporelle 
du  —  V,  274.  Influence  mo- 
rale du  — V,  291.  Influence 
intellectuelle  du  v,  316.  In- 
fluence scientiflque  du  —  vi, 
198. 

MoNTESQuiBu.  Caractère  de  VEs- 
prit  des  lois  de  —  iv,  1 78. 

—  considéré  comme  prOncur 
de  la  constitution  anglaise^  v, 
528. 

—  Appréciation  de  la  Grandeur 
et  décadence  des  Romains,  v, 
187. 

MoNTcftRV.  Opinion  du  capitaine 

—  sur  l'imperfection  de  l'art 
militaire  chez  les  modernes, 
V,  120. 

Morale.  Imperfection  de  la  — 
domestique  dans  l'antiquité,  v, 
448,  156.  Influence  du  catho- 


LXXIV 


TABLE   ALPHABÉTIQUE. 


licisme  sur  la  —  universelle^ 
V,  291.  Observations  sur  la  — 
professée  par  les  déistes,  vi, 
466.  De  la  —  personnelle,  do- 
mestique et  sociale  dans  le 
nouvel  ordre  social,  vi,  739. 
Morale  privée.  Conditions  de  la 

—  autres  que  celles  de  la  mo- 
rulû  publique,  iv,  100. 

—  publique.  L'annrchie  intel- 
lectuelle a  confondu  la  —  iv, 
97. 

Moraux  (pliénomèncs).  Observa- 
lion  des  —  î,  31. 

MoBGAGNi  cité  pour  son  étude 
générale  de  l'unatomie  patho- 
logique>  m,  34t. 

Mort.  Sur  la  théoiie  générale  de 
la  —  m,  480. 

Mouvement.   Lois  physiques  du 

—  I,  403.  Théorie  du  —  recli- 
ligne  produit  par  une  seule 
force  continue,  agissant  indé- 
finiment selon  la  même  direc- 
tion, I,  469.  InQuence  physio- 
logique du  —  m,  436. 

—  des  astres,  ii ,  86. 
Musique.  Ordre  de  la  —  dans  la 

série  des  beaux-arts,  v,  Itl. 
Prééminence  de  la  —  moderne 
sur  l'ancienne,  v,  113.  Des  pro- 
grès de  la  —  au  moyen  âge,  v, 
327. 
Musulmans.  Résultat  d'un  mo- 
nothéisme prématuré  chez  les 

—  V,  130. 


N 


Naturistes.  De  Técole  des  —  en 

Allemagne,  m,  57. 
Nègres.   Réflexion  sur  la  traite 

des  —  (note),  vi,  132. 


Newton.  Définition  de  l'algèbre 
par —  I,  133. 

—  Conception  de  —  relative  à 
l'analyse  transcendante,  i,  144, 
167.  De  la  méthode  des  limites 
par  —  I,  184.  Du  calcul  des 
fluxions  et  des  fluentes  par  — 
1,187. 

—  Question  du  solide  de  moin- 
dre résistance,  i,  233. 

—  Théorèmes  primitifs  de  —  sur 
l'attraction  des  corps  sphéri- 
ques,  I,  458. 

Nombres.  Théorie  des  —  i,  137. 

Numérisme.  Du  —  en  phy- 
siologie et  en  pathologie,  i, 
117. 

—  De  l'emploi  du  —  en  biologie, 
III,  222, 290. 

Nutation.  De  la  —  de  l'axe  ter- 
restre constatée  par  Bradley, 
II,  106. 


Observation.  De  l'emploi  de  1*  — 
en  biologie,  m  ,  2i8. 

—  De  r  —  appliquée  à  la  socio- 
logie, IV,  296. 

Océanie.  Institution  du  Tabou 
chez  des  peuples  de  1'  —  v,  56. 

OsnsTED.  Découverte  de  l'élec- 
tro-magnétisme  par  —  ii,  488. 

Offices.  Appréciation  de  la  véna- 
lité des  —  v,  394. 

Oeen,  chef  de  l'école  des  natu- 
ristes en  Allemagne,  m  ,  57. 

Olbers.  Conjecture  d'  —  sur 
l'explosion  d'une  planète  si- 
tuée entre  Mars  et  Jupiter,  ii, 
209. 

Optique.  Rang  de  1'  —  dans  l'é- 
tude des  branches  de  la  physi- 
que,   II,    3t6.    Considérations 


TABLE   ALPHABÉTIQUE. 


LXXV 


les  sur  r  —  H,  436.  Hy- 
st  de  NewtoD,  Descar- 
iDyghens,  Euler  sur  la 
•,  II,  438.  Théorie  de  la 
e,  II,  447.  De  la  photo- 
,  II,  452.  De  la  catoptri- 
,  455.  De  la  dioptrique, 
L  De  là  diffraction,  ii, 
B  la  polarisation,  u,  464. 


me.  Du  —  en  AÎIema- 
,  33.  Du  —  métaphysi- 
>le),v,  379. 

)  riuraillibilité  du  ^  v, 
)e  la  nécessité  d'une 
Niaté  temporelle  pour 
Ty  254.  Transformation 
Dfoir  politique  du  — 
lonième  siècle,  v,  400. 
u  Théorie  des  —  ii,  55, 
He,  II,  {'22. 

me.  Notion  du  —  sui- 
6  Blainville  (note),  m, 

aiation   de  —  iv,  t72. 
flexions   de  —  sur   le 
lent  social,  v,  220. 
aot  le  danger  des  dé- 
Ations  théologiques,  v, 

Obserfation  interne  et 

I  des  —  I,  32.  Du  ca- 

de  la   —  (note),   m, 

B.  Haute  destination 
[que  de  Texploration  en 
30. 

lét  de  Famour  de  la  — 
i  anciens,  v,  1 55. 
atie.  De  l'emploi  non- 
ce nom  (note),  vi,  448. 
Prééminence  de  la  — 


moderne   sur    Tancienne,    v, 

i13. 
Pendule.  Observations  sur  le  — 

II,  40.  Théorie  du  —  par  Huy- 

ghens,  11,  342. 
Pesanteur.  On  ne  peut  définir  la 

—  I,  17.  Influence  physiolo- 
gique de  la  —  III,  453. 

—  terrestre.  Manière  de  tenir 
compte  de  la  — -  dans  les  ap- 
plications de  la  statique  abs- 
traite, 1,  452. 

Phanère.  Théorie  du  —  par  de 

Blainville,  m,  350. 
Philosophie    biologique.    De   la 

méthode  positive  en  —  iv,  259. 

—  mathématique.  Relations  né- 
cessaires de  la  sociologie  avec 
la  —  IV,  365. 

—  métaphysique.  Rôle  actuel  de 
la  —  I,  42,  Orfice  Iransiloiro  de 
la  —  IV,   497.  Influence  de  la 

—  sur  la  transition  du  féti- 
chisme au  polythéisme,  v,  78. 
Revue  historique  de  la  —  vi, 
241.  De  révolu  lion  de  la  — 
dans  le  dernier  demi-siècle, 
V,  400. 

—  naturelle.  Pourquoi  l'auteur 
n'a  pas  adopté  ce  terme,  i;  r>. 
Sens  de  ce  mot  en  Angleterre, 
III,  iO  (note). 

—  politique.  Imperfection  ac- 
tuelle de  la  —  V,  65.  De  la  ré- 
novation de  la  —  par  Hobbes 
et  Bossuct,  VI,  257. 

—  première  suivant  Bacon,  vi, 
648. 

—  des  sciences.  Pourquoi  l'au- 
teur n'a  pas  choisi  cette  expres- 
sion, I,  6.  Méthode  historique 
appliquée  à  la  —  ii,  312. 

—  théologique.  Rôle  de  la  — 
dans  les  sociétés  modernes,  i, 


LXXVI 


TABLE   ALPHABÊTIQUB. 


42.  Caractère  fondamental  de 
la  —  II,  293.  Origine  sponta- 
née de  la  —  IV,  467.  Destina- 
tion de  la  —  pour  présider  à 
Torganisation  de  la  société,  iv, 
480  ;  pour  y  constituer  une 
classe  spéculatiTe,  ii,  482.  De 
la  —  sous  le  polythéisme,  v, 
i05,  123.  Voy.  Sociologique 
(philosophie). 

Phonation.  Étude  de  Tacousti- 
que  pour  la  —  n,4H. 

Phonation.  Application  des  lois 
de  l'acoustique  à  l'étude  de 
la  —  lîi,  511. 

Photométrie,  ii,  452. 

Phrénologie.  Emploi  de  ce  terme 
par  Spurzheim  (note),  m,  535. 

Physiologie.  Émancipation  de  la 

—  1,19. 

—  Est  une  section  de  la  physique 
organique,  i,73. 

—  DifBculté  des  expériences  en 

—  II,  278. 

—  L'audition  et  la  phonation  sont 
du  ressort  de  la  —  ii,  412. 

—  La  théorie  de  la  vision  ressort 
de  la  — II,  449. 

—  Comment  la  chimie  a  empiété 
sur  la  —  m,  160. 

—  L'étude  de  la —  est  insépara- 
ble de  celle  de  l'anatomie,  m, 
213. 

—  Désordre  actuel  de  la  —  m, 
425. 

—  Possibilité  du  retard  dans  le 
développement  de  la  —  (note), 
m,  456. 

—  Sur  une  chaire  de  —  compa- 
rée  (note),  III,  426. 

—  animale,  i,  74  ;  m,  483. 

—  cérébrale,  m,  530.  Perfection- 
nements de  la  —  m,  571. 

—  organique^  m,  424. 


Physiologie  phrénologîque.  Em- 
ploi de  ce  terme,  m,  535  (note). 

—  végétale,  i,  74. 

—  Insuffisance  des  chimistes 
pour  des  analyses  de  —  m,  467. 

Physionomie.  Observation  sur  la 

—  (note),  m,  585. 
Physique.    Émancipation    de  la 

—  i,  19.  Distinction  et  rap- 
ports de  Ja  —  abstraite  et 
concrète,  i,  58. 

—  Considérations  sur  Tensem- 
ble  de  la  —  ii,  267.  Dis- 
tinction de  la  —  et  de  la  chi- 
mie, II,  269.  Définition  de  la 
u,  275.  Modes  d'observation 
que  comporte  la  —  ii,  277. 
Rang  de  la  —  dans  la  hiérar- 
chie scientifique,  ii,  285.  In- 
fluence de  la  —  sur  le  déve- 
loppement de  Tintelligence 
humaine,  ii,  291 .  Fonction  des 
hypothèses  en  —  ii,  297.  Plan 
d'étude  de  la—  ii,  313. 

—  Subordination  indirecte  de  la 
biologie  à  la —  m,  265. 

—  Pouvoir  de  l'homme  sur  la 
nature  dû  à  la  —  iv,  360. 

—  Derniers  progrès  de  la  —  vi, 
370. 

—  Des  résultats  obtenus  en  — 
VI,  692. 

—  inorganique.  Sa  division  en 
physique  céleste  et  physique 
terrestre,  i,  61.  Est  susceptible 
de  perreclion  scientifique,  i, 
114. 

—  organique.  L'étude  de  la  — 
doit  suivre  celle  de  la  physique 
inorganique,  i,  71.  Se  subdi- 
vise en  physiologie  et  en  phy- 
sique sociale,  i,  73.  Est  inac- 
cessible à  l'analyse  mathéma- 
tique, i,  114. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


LXXVII 


Physique  sociale.  Lacune  à  com- 
bler, I,  22.  Est  une  section  de  la 
physique  organique,  i,  73.  État 
actuel  de  la  science  sociale, 
iT,  il.  Des  idées  d'ordre  et 
de  progrès  dans  le  temps  pré- 
sent, iT,  17.  Tendances  des 
écoles  politique,  rétrograde 
et  révolutionnaire^  iv,  21.  An- 
tagonisme de  ces  écoles,  iv, 
69.  De  l'école  stationnaire,  iv, 
%i.  Conséquences  de  ces  luttes, 
IT,  90.  Vains  efforts  de  rt^or- 
gaoisation  sociale,  iv,  114.  Cu- 
ractère  intellectuel  de  la  phi- 
losophie politique  nouvelle, 
IV,  130.  Tentatives  faites  Jus- 
qu'Ici pour  constituer  la  —  iv, 
Itj6.  Caractères  de  la  méthode 
positive  en  l'étude  de  la  —  iv, 
206.  Distinction  de  l'état  stati- 
que et  de  l'état  dynamique  de 
la —  IV,  230.  Ressources  scien- 
tifiques de  la  —  IV,  294.  De  la 
méthode  historique  en  —  iv, 
322.  Relations  nécessaires  de 
la  ~~  avec  les  autres  sciences, 
IV,  337.  Réaction  nécessaire  de 
la  —  sur  ces  sciences,  quant  à 
la  doctrine  et  à  la  méthode, 
iTy  370.  De  la  statique  sociale, 
IV,  383.  De  la  dynamique  so- 
ciale, IV,  442.  Appréciation 
historique,  v,5.  Age  du  féti- 
chisme, V,  25.  Age  du  poly- 
théisme, V,  84.  Age  du  mono- 
théisme, V,  2i  1.  Age  de  transi- 
tion révolutionnaire,  v,  346. 
Age  delà  spécialité,  vi,  39.  Age 

.  de  la  généralité,  vi,  277.  Con- 
clusions générales,  vi,  548. 
—  terrestre.  Section  de  la  — 
inorganique,  i,  74.  Elle  se 
subdivise    en    physique   pro- 


prement dite  et  chimie,  i,  72. 

Pinel-Grandchamp.  Du  siège  dis- 
tinct des  saveurs  principales, 
111,518. 

Planèles.  Du  mouvement  des  — 
II,  86.  Rétrogradations  et  sta- 
tions des  —  II,  108.  Problème 
des  —  II, 135.  Action  des  — 
sur  leurs  s.iteliiti>s,  ii,  164.  Fi- 
gure des  —  11^  189.  Influence 
perturbatrice  de  l'action  des 
satellites  sur  leurs  —  ii,  216. 

Platon.  Sur  l'exclusion  des  poè- 
tes de  la  république  de  —  v, 
100. 

—  Appréciation  de  la  doctrine 
de  —  v,  388. 

Poésie.  Culture  de  la  —  dans 
l'flge  du  polythéisme,  v,  99. 

—  Elle  est  représentée  au  moyen 
flge  par  Dante,  v,  328. 

—  Opposition  des  formes  de  la 

—  dramatique   et  épique  au 
catholicis^me  (note),  vi,  168. 

—  Nature  différente  de  la  poésie 
dramatique  grecque  et  mo- 
derne, yi,  180. 

Poids  et  mesures.  De  la  propaga- 
tion du  nouveau  système  de 

—  VI.  374  et  note. 

PoiNsoT.  Théorie  des  couples, 
créée  par  —  i,  442. 

—  Méthode  de  —  pour  détermi- 
ner les  masses  des  astres,  ii, 
180. 

Politique.  Incapacité  des  philo- 
sophes et  des  spéculatifs  en 
fait  de  —  v,  215.  Des  rapports 
de  la  science  et  de  la  —  (note), 
VI,  228. 

—  métaphysique.  Influence  de 
la —  sur  les  progrés  Faits  dans 
les  trois  derniers  siècles,  iv, 
34. 


LXXVl 


42.  Caractère  <■ 
la  —  n,  2î»:*. 
née  de  la  — 
lion  de  la  — 
rorganîsalioii 
480  ;  pour    ^ 
classe  spOcu' 
la  —  sous  1 
lO.i,    123. 
{philosophi* . 

Phonalio[i.    i 

que  pour  1 
Phonation. 

de  racoii- 

la  —  i:i, 
Pliotométri 
Phrénologi* 

parSpui. 
Phyaiologi. 

—  I,  lît. 

—  Est  un» 
organiq 

—  DilliiM 

-  n,  1' 

—  L'au'i 
du  tvt 

—  un 

de  lu 

—  Com 
sur  1 

blo 

211' 

—  h 

—  1 
(1 


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.    -i-*.    Appri^ciatio: 

iiMiions    des   deu\   as- 

.;..*i  latioaales  en  Fr.ince. 

?'(.  Oes  régimes  8ui\a^l^. 

.  ;.   La  crise    n'îvolutioc- 

..-   .-juiplcle  la   dt''cadence 

^jnme    théologique,    v., 

elle  du  régi  m  f  militaire. 

«■*.  Kêsumé  de  l'évolution 

...«.•sophique,   vi,    400.    Vue 

..cuu.sation  de  1"  —  vi,  43S. 

..r^cution  du  principe  nou- 

ii.    ie  coordinaliun  sociale, 

.  -S!. 

>..i«e     (Économie).     Esquisse 

—  vu  iSl. 
>..ive   (.Méthode),   adoptée   ea 
viuier  lieu  par  l'esprit   hu- 
:.din,  1,  9.  Comment  elle  doit 
..rîger  la  spécialisatiuo   des 
...;Jes    scientifique:*,     i,     2^. 
sAge  de  la  —  r,  34.  Inipor- 
j.'.ve  de  la  classification  scier.- 
;:dque   pour    la  connaissance 
iv.'  li—  I,  80.  Caractères  delà 
—  dans  l'étude  de  lii  {ibysiqce 
s^viale,  IV,  20î).  I*rincipe  de  la 
urt\isiun  rationnelle,  iv,  2*26. 
Appréciation  de  l'ensemble  île 
.^  —  VI,  54S.  Véritable  caractère 
•e    la  —  VI,   H02.    l!:volutioa 
fondamentale  de  la  —  vi,  63i. 
.Vs^iti\e    (l'hilosophie).   Sens  de 
^•05  deux  terme?,  i,  -H.  But  spé- 
vTial  du  cours  de  —  i,  22.  Avé- 
i!omonl  définitif  de    la  —  i, 
Ui.  .\  quel  point  de  sa  forma- 
tion la  —  est  parvenu (»,  i,  10. 
Ascension  de  la  —  i]«\;  uis  Ba- 
con, Galilée  et  Desc-îes,  i, 
20.  Les  résultats  de  la  —  doi- 
\o:Uéue:  la  manifestation  par 
expérience    des    lois   de  Tin- 
U'IIivt  et  la  refonte  du  svstème 


TABLE   ALPUADÉTIQUE. 


LXXIX 


d'éducation,  i,  35  ;  Textension 
des  progrès  particuliers  des 
diverses  sciences,  i,  37  ;  la  base 
de  la  réorganisation  sociale^  i, 
40.  Le  cours  de—  ne  porte  que 
snr  les  généralitt^s  théoriques, 
I,  34;  et  seulement  sur  les 
icîeoces  naturelles  abstraites, 
I,  56.  De  l'exposition  historique 
et  dogmatique  des  sciences,  i. 
00.  Difficulté  de  leur  classifi- 
cation, I,  65.  Division  en  deux 
classes  des  phénomènes  natu- 
rels, if  69.  Partage  de  la  —  en 
six  sciences  fondamentales,  i, 
75.  Quatre  caractères  essen- 
tiels de  cette  classification,  i. 
76-8o.  Caractère  de  la  méthode 
et  des  conceptions  scientifi- 
ques de  la  —  IV,  214.  Essai  cl 
progrès  de  la  —  iv,  489.  Ten- 
dance dès  le  moyen  âge  vers 
la  —  VI,  i9i.  Apparition  de  la 
—  au  xvn®  siècle,  vi,  247.  Ac- 
cueil que  la  —  doit  attendre  des 
diverses  classes  sociales,  vi,520. 
L'étude  des  lois  invariables 
des  divers  ordres  de  phéno- 
mènes est  l'objet  de  la  —  vi^ 
598.  Destination  de  la  —  par 
rapport  à  l'individu,  vi,  620  ; 
i  l'espèce,  vi,  630.  Institution 
de  la  —  VI,  642.  Formation 
graduelle  de  la  —  vi,  651.  Ré- 
sultats de  l'élaboration  préli- 
minaire de  la  —  VI,  675.  Action 
ultérieure  de  la  —  vi,  725. 

Pteitive  (Politique).  Vrai  carac- 
tère de  la  —  vi,  281.  Voy.  So- 
ciale (Physique). 

Positives  (Sciences).  Ordre  ency- 
clopédique dans  lequel  doivent 
être  étudiées  les  —  i,  22.  Divi- 
non  nécessaire  de  l'étude  des 


—  dans  les  temps  modernes, 
I,  26.  Remède  contre  la  spé- 
cialisation des  recherches  indi- 
viduelles, I,  27.  Vice  des  clas- 
sifications modernes,  i,  47. 
Conditions  d'une  classification 
rationnelle,  i,  48.  But  pratique 
et  spéculatif  de  l'étude  des  — 
I,  5t.  De  la  marche  historique 
et  dogmatique  des  —  i,  60. 
Hiérarchie  des  —  i,  66.  Divi- 
sion en  cinq  branches  des  — 
1,  75.  De  la  précision  et  de  la 
certitude  dans  l'étude  des  — 
I,  7i'. 

Positivité  dont  les  sciences  sont 

8usceptil)les,  ii,  208. 
Poudre.   Hypothèse    sur    l'usage 

ancieu   de    la    —  (uoîe),    vi, 

tll. 
Préface  personnelle,  vr,  5. 
Pression      atmosphérique.      In 

fluence    physiologique   de  la 

—  m,  435. 

Prière.  Sur  les  effets  de  la  —  iv, 
477. 

Probabilités.  Du  calcul  des  —  n, 
255. 

Producteur  (/e).  Titre  d'un  journal 
ren Fermant  divers  articles  de 
l'auteur,  i,  10. 

—  cité  pour  les  travaux  sur  le 
pouvoir  spirituel  (note),*  v, 
232. 

Progrès.  Du  —  dans  les  temps 
modernes,  iv,  17.  Vains  ef- 
forts pour  fonder  le  —  iv, 
114.  Qualification  de  la  philo- 
sophie positive  à  cet  égard,  iv, 
145.  Ébauche  du  —  due  au 
christianisme,  iv,  170. 

Prolétaires.  De  la  condition  des 

—  dans  le  nouvel  ordre  social| 
VI,  506. 


Politique  slationnaire.  Pn'por.di!" 
Tunrnacluclle  de  la —  iv,  sr. 

—  llitologique.  InflueQCc  de   l;i 

—  sur  In   développement  di-.- 
ïocidi'd  uiodernei,  it,  'i>3, 

l'olyguniJe.  Hemarque  sur  la   - 
dans  rniiljquflt^  v,  lalî. 

—  De  la  —  sous  le  régime  V\\{.  ■ 
rxatiqup,  V,  <GT. 

l'olj théisme,  V,  84.  Le    — 
rive    du   ftUichisme,    v. 
l^vûliilioD  tociale   par    I' 
BU  polul  de  vue  suiouli'l,    - 
V,  !IU  ;  su  point  de  vun 
llquo,  T,  DR  ;  «u  point  di 
induMriel,  v,    MA.    Ap' 
Mcinlo  du  —  au  point  i!. 
politique,  V,  130;  au   p       ■* 
vue  moral,  v,  (47,  Moilr 
tioii  du  —  V,   10O.  Moi     . 
du  —  V,  174,  Mode   roi-   .   -'^■" 

—  ï,  mT,  Tranaitioit 
au  monolliéitme  ilu 
ilge.  V,  (iHi. 

ropulalioQ,    Influenr.- 

cmiifoiiiout  et  de  '  -m* 

«atioii  de  la   —  lu 

l'acoi'U>raiion   iJe  |,.     ^^mg^ 

•ion  tofiale,  iv,        -«^™'~ 

tious  d'une  utile  i.     '^ 

ai:pri^de#  — arri>  < 
Poïilif  ,Elïl).   ÊWi 

.1  r  —  VI,  31U  Oii, 

temont   de 


.  ^SBÉrcfilé  de  • 

iSB  peîntrei, 


.  Loi  du  —  caloTi> 

^-1  ;iiMfUBti  dn  —  d'aprèi  u 
.mw.  :1.39e. 
^^^ma.  OtMemtion  sut  le 

.j*K.  «I,  3S3, 
.tf^K  aemaïqiifl  sur  U— du 
^m»  âède,  V,  409. 
'  ^BiHimaHrODOniiques.  ThJo- 
\.»-n,48, 
''".^■Mk.  De  qDi  on  doit Blleo- 
»uM  hUtoireratioanelle  de 
.—  T.  40  (note). 
.    :«iurrile.  Ce  que  lei  méli- 
làjMEÏnu  ont  qualiOé  de  — 
.13. 
,.  «pnlioo.  AnaljMi  insuffliao- 
,^     »ile  la  —  Tallet  par  les  ehi- 
EMitac,  ni,  168. 
.  ptonnce,  actuelle  su  injet 

.e  !>  —  m.  4<0. 
lAUimtioD.  Appréciation  poli- 
1^*  de  la  —  Ti,  325. 
*■  -toMlvlioD.  Efprit  de  la  —  an- 
^;ww,  T,  4<;9  ;  de   la  —  améri- 
^     nùat,  T,    470;  de  la  —  dei 
n;9-Bai,  T,  408.  Du  reieotis- 
wtBMil  de  la  —  américaîoe  en 
Fnnce,  n,  283. 
—  tsitcane.  Tendance,  dëi  wo 
i«b«il.  de  la   —  n,   SS4.  De 
TiruTre  des  deai  atsemblée*. 
«t.  i$9.  Rt^actioD    rétrograde 
M  ippr^ciilion  delà  dictature 
:>t<pi'riile,  VI  313;  de  U  Ret- 
aurilioD,  VI.  333, 
lihHTn.   Onîidéraliona  sur  la 
"   'vi  de  —  m,  9*. 
Ht.'MmTMv't.  ÛbKrvatjon  de  —  lur 
,      VtU*.  *ocial  Aes  femmes  dan 
1  aatiiiuiii'.  v.  C- 
HiTswi  Fiwêdé  Je  —  pour  me- 


TABLE   ALPHABÉTIQUE. 


LXXXI 


alv  la  vitesse  de  la  lumière, 
^^     .lit. 

^Mom<iiiir.   Destination  des  fêtes 
V    tliez  les  —  y  ,  151. 
Hklioinain.  Remarque  sur  ce  genre, 
P^     ^:,  154.   Des  —  modernes,  vj^ 

ht  Hoinaniisme.  Du  —  introduit  en 
^       France   par  Técole  catholico- 
féodale  (note),  iv,  33. 
H'.iUE.  Évolution  politique,  mo- 
rale et  intellectuelle  à  —  v, 
187. 

—  Conditions  de  la  destinée  de 
—  V,  190  (note). 

—  Du  caractère  des  invasions 
BOUS  l'empire,  v,  275. 

RocssEAU  (Jean-Jacques).  A  pro- 
pos de  ses  opinions  religieuses 
(note),  y,  421. 

—  considéré  comme  chef  d'é- 
cole politique,  v^  525. 

—  A  propos  de  ses  Confessions, 
v,541. 


S 


Satellites.  Problème  des  —  ii, 
«38. 

—  Tendance  des  —  vers  leurs 
planètes,  ii,  164. 

^  influence  des  perturbations 
d'une  planète  sur  ses  —  ii^ 
217. 

Sauvages.  Résultat  de  l'éducation 
de  jeunes  —  iv,  276  (note). 

—  Des  instincts  de  la  conserva- 
tion chez  les  —  rv,  444  et  note. 

Sauvecr.  Expériences  sur  l'acous- 
tique de  —  II,  420,  432. 

Savants.  Indifférence  politique 
dos  —  IV,  157. 

—  Penchant  des  —  pour  une  spé- 
cialii>ation  routinière,  iv^  432. 

A.  Comte.  Tome  I. 


Savants.  Tendances  anti-positi- 
vistes des  —  V],  374. 

—  Des  différents  modes  d'en- 
courager les  —  yi,  387. 

—  Dédain  des  —  pour  toute  phi- 
losophie générale  (note),  vi, 
4!»1. 

Savart.  Expériences  sur  l'acous- 
tique de  —  II,  434. 

Science.  En  quoi  consiste  toute  — 
I,  99.  Caractère  dos  —  en  gé- 
néral^ II,  18.  Du  domaine  res- 
pectif des  —  et  des  arts,  m, 
194.  Origine  de  révolution  mo- 
derne cherchée  dans  le  moyen 
^S^9  ^h  1^3*  Marche  des  — 
dans  les  temps  modernes,  vi^ 
212.  De  la  culture  comparée 
des  —  en  France  et  en  Angle- 
terre, VI,  218.  Revue  des  noms 
modernes  marquants  dans  les 

—  VI,  232.  Derniers  progrès 
des  —  VI,  368.  De  la  hiérarchie 
sociale  des  —  vi,  486.  Voy.  Po- 
sitives sciences. 

Scolaslique.  Syslémalisalion 

scientifique  par  la  —  vi,  206. 

Scott  (Walter).  Appréciation  lit- 
téraire de  —  VI,  306. 

Sensations.  De  l'analyse  des  — 
suivant  leur  spécialité  crois- 
sante, m,  515. 

Sensibilité  animale.  Imperfec- 
tions des  connaissances  sur  la 

—  m,  512. 

Sexes.   De  la  subordination  des 

—  IV,  402. 

Shakspeare.  Caractère  des  œu- 
vres de—  VI,  182. 
Signes.  Influence  des  —  sur  les 

conceptions     analytiques,     i 
iiO. 
Smith  (Adam}.  Caractère  des  tra- 
vaux d'  —  VI,  195. 


ÉÈ 


ixxxn 


TABLE   ALPBABÉTfQUB. 


Smitv,  cite  pour  sa  remarque 
qu'on  n'a  jamais  trou  Té  un  dieu 
pour  la  pesanteur,  rr,  4^1. 

Sociabilité  humaine.  De  la  —  iv, 
380.  Considérations  sur  les  vé- 
ritables lois  de  la  —  v,  12. 

Société.  Anarchie  intellectuelle 
régnant  dans  les  —  modernes 
et  moyen  de  la  guérir,  i,  41. 

—  Considérations  sur  la  —  eirvi- 
sagée  comme  formée  de  famil- 
les, Ti,  417.  Organisation  de  la 

—  par  la  philosophie  théolo- 
fique,  iT,  480.  Aperçu  de  réor- 
ganisation des  —  modernes, 
VI,  437.  Voy.  physique  sociale, 
sociologie f  statique  sociale, 

SociN.  Caractère  de  la  réforme 
de  —  V,  466. 

Sociologie,  catégorie  distincte 
mais  peu  avancée  de  la  phy- 
siologie, 1,  21.  Utilité  de  la 
classification  des  sciences  pour 
les  progrès  de  la  —  i,  84,  In- 
troduction de  ce  terme,  iv^ 
185. 

Sociologique  (philosophie).  Pré- 
pondérance rationnelle  de  la 

—  VI,  553.  Rapports  futurs  de 
la  —  avec  les  diverses  bran- 
ches des  sciences,  vi,  593.  — 
considérée  comme  science  fi- 
nale, VI,  712.  yo^.pfiysique  «o- 
ciale, 

SocHATE.  Opinion  de  —  sur  la  sé- 
paration de  la  philosophie  d'a- 
vec la  science,  v,  1 86. 

Soleil.  De  la  rotation  du  —  h, 
87. 

—  Éclipses  de  —  servant  à  me- 
surer la  distance  de  cet  astre  à 
la  terre,  ii,  145. 

—  Action  du  —  sur  les  planètes^ 
11, 152. 


Solidaiftlé*  De  la  —  sociale,  iv, 
252,  270.  Développement  de  la 

—  sociale  par  le  catholicisme, 
V,  315. 

Solides.  De  l'étude  des  —  en  mé- 
canique, 1,  420.  Équilibre  des 

—  II,  321.  Lois  des  mouve- 
ments des  —  il,  338.  D&lata- 
tion  des  —  n,  367.  Propaga- 
tion de  la  dialeor  dans  les  — 
D,  386. 

Sommeil.  Théorie  dn  —  par  Bi- 
chat,  ni,  521. 

Son.  Conditions  de  la  production 
du  —  II,  413.  Mode  de  pn^- 
gadondu—  ii,  421.  Intensité 
du  —  II,  426.  Nature  musicale 
dn  —  II,  429.  Théorie  éban- 
diée  de  la  eomposilion  des  — 

II,  433. 

Songes.  Du  diagnostic  par  les  — 

III,  522. 

Souvenineté.  Du  dogOK  de  k  — 
du  peuple,  iv,  54. 

Spabte.  Du  génie  spécial  de  — 
(note),  V,  175. 

Spécialisation.  Dangers  de  la  — 
exelunve  des  savants,  yi,  384w 

Spécialité.  De  l'esprit  de  —  con- 
temporain, IV,  325. 

Spéculation.  Distinction  des  con- 
naissances  spéculatives  et  pra- 
tiques, 1,  50. 

Spinosa.  Influence  philosophique 
de  —  V,  499. 

SpiritueL  De  l'usage  de  ce  terme 
(note),  nr,  S04.  Voy.    autêriU. 

Spurzhb».  a  propos  du  nom  de 
phrénologie  einployé  par  — 
m,  534  (note).  Perfectionoe- 
ment  de  la  doctrine  de  Gall 
par  —  (note),  lU,  55S. 

Stâil.  De  la  théorie  de  —  lu» 
450. 


^ 


tàmjr  alfsabétioue. 


UXXIH 


StatîçQe,  I,  419,  O^  ApfOksa- 
tioQ  de  la  dynaiiiîfiie  à  fai  — 
abstraite,  i,  437.  Théorie  des 
moments,  i,  430.  Application 
du  principe  des  vitesses  yir- 
tuelles,  I,  430.  Théorèmes  gé- 
néraux relatif  à  la  —  i,  501 . 

—  céleste,  ii,  178.  Méthodes  di- 
Terses  de  détermination  des 
masses  des  astres,  ii,  180. 
Étude  de  la  figure  des  astres, 
n^  189.  Question  des  marées, 
n,  195. 

—  électrique,  ii,  480. 

—  sociale.  Première  idée  de  la 
—  IV,  230.  Objet  de  la  —  iv, 
235,  283.  Ascendant  de  la  vie 
affective  sur  la  vie  intellec- 
tuelle, IV,  389.  Des  instincts 
persennels  et  sodaux,  iv,  392. 
fie  la  famille,  iv,  398.  De  la 
perpétuité  sociale,  iv,  413. 

Statistique.  De  la  —  appliquée  à 

la  médecine,  lu,  29j. 
Stêviu.  Conception  de  —  idative 

à  la  statique,  i,  426. 

—  Problèmes  d'kydrostalique 
résolus  par  —  n,  32ft. 

Smcide.  De  la  réprobation  du  — 

par  le  catholicisme,  v,  308i. 
Surface.  Sens  du  mot  —  en  gée- 

métrie,  i,  260. 
Syoïpatliîe.  Bdatioii  de  la  — 

avec  le  développement  de  l'in- 

telligencay  iv,  395. 


UniMi..  Calcul  auK  différences 
iaîea  créé  par  — i»  247. 

Température  lenEastie.  Théorie 
de  la  —  par  Foorier^  n,  398. 

Tea^KMrel.  Sur  l'emploi,  de  ce 


terme  (neie),  iv,  504»  Voy  Axh 
torité. 

Tératologie.  Examen  des  cas  de 
—  comme  mode  d'expérimen- 
tation  physiologique,  m,  236. 

Terre.  Moyens  d'évaluer  la  dis- 
tance de  la  —  aux  astres  de 
notre  système,  u,  65.  Étude 
de  la  figure  et  de  la  grandeur 
de  la  —  II,  80.  De  la  rotation 
de  la  —  H,  95.  Translation  de 
la  —  n,  103.  Évaluation  du 
poids  de  la  —  u,  186.  Ganses 
des  altérations  de  la  rotation 
de  la  —  n,  224.  Des  tempéra- 
tures de  la  —  II,  398.  Condi- 
tions d'une  véritable  histoire 
de  la  —  V,  15. 

Thalès.  De  la  géométrie  cultivée 
par —  V,  180. 

Théocratie.  Remarque  sur  la  — 
égyptienne  et  juive,  v,  33. 

Théologie  naturelle.  De  la  doc- 
trine qualifiée  —  vi,  243. 

—  fétichiste,  v,  5. Voy.  FélkkùtM. 
Théologique    (méthode)    suivie 

par  l'esprit  humain,  i,  9.  Ses 
hoBS  effetsdans  l'origioe,  i,  13. 
Théorie.  Distinction  des  connais- 
sances théoriques  et  pratiques, 
I,  50.  Rapports  entre  la  —  et 
la  pratique  en  politique,  iv, 
164  ;note). 

—  des  couples  créée  par  Poinsot, 
I,  442. 

—  des  équations,  j,  157. 

—  des  moments^  i,  430. 

—  des  nombres,  i,  137. 

Thérapeutique.  Objet  des  ques- 
tions de  la—  I,  112.  Indépen- 
dance de  la  biologjie  vis-4-fis 
de  la  —  m,  326. 

Thermologie.  Progrès  de  la  — 
dus  à  Fourier,  i,  197. 


à 


LXXXIV 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


Thermologie  mathématique. 
Considérations  sur  la  —  ii, 
378.  Lois  de  la  propagation 
de  la  chaleur  dans  tes  solides, 
II,  380. -Idée  de  l'application  du 
calcul  des  variations  à  la  ther- 
mologie, II,  395.  Théorie  des 
températures  terrestres,  u,  398. 

^  physique.  Rang  de  la  —  dans 
l'étude  des  branches  de  la  phy- 
sique, II,  316.  Historique  delà 

—  II.  349.  Théorie  de  réchauf- 
fement et  du  refroidissement, 
II,  353.  Remarques  sur  la  con- 
ductibilité, la  pénétrabilité  et 
la  perméabilité,  ii,  359.  Cha- 
leur spécifique,  u,  362.  Des 
changements  de  volume  des 
corps  produits  par  la  chaleur, 
II,  366.  Changements  produits 
dans  leur  état  d'agrégation, 
u,  369. 

Thiers.    Sur    la  maxime  de  M. 

—  :  Le  roi  règne  et  ne  gou- 
verne pas  (note),  iv,  88. 

Timbre  (acoustique),  ii,  421. 
Tissus.  De   Tétude  des    —  par 

Bichat   et  depuis  Bichat,  m, 

339.  Voy.  Bichat. 

—  Du  —  cellulaire  et  de  ses 
modifications,  m,  362. 

—  L'idée  de  propriété  corres- 
pond à  celle  de  tissu,  m,  448. 
Voy.  Biologie, 

ToRRicELLi.  Propriété  relative  à 
l'équilibre  des  corps  pesants 
découverte  par  —  i^  sot. 

Tourbillons.  Considérations  sur 
l'hypothèse  des  —  de  Descar- 
tes, n,  309. 

Tract  (de).  Appréciation  des  tra- 
vaux de —  m,  541. 

—  cité  à  propos  de  son  éco- 
nomie poliiique,  IV, 196. 


Travail.  Réflexion  sur  la  théorie 
du  —  attrayant,  iv,  423.  Dan- 
ger de  la  spécialisation  du  — 
IV,  428. 

Trigonométrie  rectiligne.  Aperçu 
philosophique  de  la  —  i,  305. 

TcRPiN.  Études  de  physiologie  vé- 
gétale par  —  (note),  m,  .468. 


Univers.  Distinction  de  l'idée  de 
monde  et  d'  —  ii,  120. 


Van  Helmont.  De  TArchée  de  — 

m,  451. 
Vapeurs.    Dilatation    des   —  ii, 

368.  Théorie   de  la  formation 

et   de    la   tension  des  —  ii, 

372. 
Végétal  (règne).    Difficultés  de 

classification  du —  m,  417. 
Venise.    Caractère  comparé  de 

l'aristocratie  à  —  et  eu  Angle- 
^  terre,  vi,  293. 
Vernier.  Emploi  du  —  en  astrO' 

nomie,  ii,  44. 
Vibrations  sonores.  Étude  des  — 

II,  4t0.  Analyse  des  —  ii,  413. 
Expériences  de  Sauveur  et  de 
Chladni,  ii,  420,  430,  432. 

Vie.  L'analyse  mathématique 
est  inapplicable  aux  phénomè- 
nes physiologiques  de  la  —  i, 
1 1 6.  Définition  de  la  —  par  Bi- 
chat, HT,  200  ;  par  Blainville, 

III,  205.  Distinction  entre  la  — 
organique  et  la  —  animale^ 
m,  206.  Distinction  de  la  ^ 
en  organique  et  animale,  m, 
215.   Influence   de   la    durée 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


LXXXY 


de  la  —  humaine  sur  la  pro- 
greidoQ  sociale,  iv^  450. 
Vie  animale.  Considérations  phi- 
losophiques sur  rétude  génc- 
rale  de  la  —  m,  483.  Des  éco- 
les physico-chimique  et  mé- 
taphysique, m,  486.  Théorie 
positiTe  de  rirritabilité  et  de 
la  sensibilité,  m,  492.  Mode 
d'action  des  phénomènes  de 
l'une  et  de  l'autre,  ui,  518.  De 
Tassociation  des  fonctions  ani- 
males, III,  o26. 

—  végétative  ou  organique. 
Étude  générale  sur  la  —  m, 
424.  Des  milieux  organiques, 
m,  430.  Des  fonctions  de  la  — 
III,  464. 

—  future.  De  la  croyance  à  là  — 
dans  le  premier  âge  de  Tbu- 
manité,  iv^  482.  Influence  de 
la  croyance  à  la  —  v,  123. 
Opinion  des  déistes  sur  la  — 
(note),  VI,  465. 

VoET,  cité  pour  sa  tentative  de 
daisiûcation  du  règne  animal 
par  le  système  nerveux  (note), 
01,411. 


Vision.  Explication  prétendue  de 

la  —  I,  31. 
^  La  théorie  de  la  —  appartient 

à  la  physiologie,  ii,  .449,  455. 

—  Conditions  mal  connues  de  la 

—  iiF,  514. 

Vivisection.  Des  expériences  de 

—  III,  226 . 

Voltaire.  Sagacité  révolution- 
naire de  —  V,  507. 

—  A  propos  de  la  Pucellej  v, 
540. 

■  Volume.  Explication  sur  le  terme 
'     géométrique  —  i,  260. 

W'œhler.  Reproduction  de  l'urée 
par  —  m,  76. 

WoLLASTON.  Théorie  des  équiva- 
lents chimiques  par  —  m,  104. 


Zoologie.  Sa  dépendance  de  la 

physiologie,  i,  57. 
Zootaxie,  zootomie.  Sens  de  ces 

mots,  m,  33  t. 


FIN  DE  LA   TABLE   ALPHABKTIQUE. 


ERRATUM 


Tome  III,  page  195,  ligne  33,  au  lieu  de  due  lisez  daet. 


i 


%. 


MES   ILLUSTRES   AMIS 


M.  LE  BARON  FOURIER 

SECRÉTAIRE    PERPÉTUEL    DE    l' ACADÉMIE    ROYALE    DES    SCIENCES, 


M.  LE  PROFESSEUR 

H.  M.  D.  DE  BLAINVILLE 

MEMBRE   DE  l'aCADÉMIE   ROYALE   DBS  SCIENCES. 


En  témoignage  de  ma  respectueuse  aflcction, 

Auguste  COMTE. 


A.  GoMTi.  Tome  I. 


AVERTISSEMENT  DE  L'AUTEUR 


Ce  cours^  résultat  général  de  tous  mes  travaux  depuis 
ma  sortie  de  I*  École  polytechnique  en  1816,  fut  ouvert  pour 
la  première  fois  en  avril  1826.  Après  un  petit  nombre  de 
séances,  une  maladie  grave  m'empêcha,  à  cette  époque,  de 
poursuivre  une  entreprise  encouragée,  dès  sa  naissance, 
par  les  suffrages  de  plusieurs  savants  du  premier  ordre, 
parmi  lesquels  je  pouvais  citer  dès  lors  MM.  Alexandre  de 
Humboldt,  de  Blainville  et  Poinsot,  membres  de  l'Acadé- 
mie des  sciences,  qui  voulurent  bien  suivre  avec  un  intérêt 
soutenu  l'exposition  de  mes  idées.  J'ai  refait  ce  cours  en 
entier  l'hiver  dernier,  à  partir  du  4  janvier  1829,  devant 
un  auditoire  dont  avaient  bien  voulu  faire  partie  M.  Fou- 
rier,  secrétaire  perpétuel  de  l'Académie  des  sciences, 
MM.  de  Blainville,  Poinsot,  Navier,  membres  de  la  même 
académie,  MM.  les  professeurs  Broussais,  Esquirol,  Binet, 
etc.,  auxquels  je  dois  ici  témoigner  publiquement  ma  re- 
connaissance pour  la  manière  dont  ils  ont  accueilli  cette 
nouvelle  tentative  philosophique. 

Après  m'être  assuré  par  de  tels  suffrages  que  ce  cours 
pouvait  utilement  recevoir  une  plus  grande  publicité,  j'ai 
cru  devoir,  à  cette  intention,  l'exposer  cet  hiver  à  l'Athé- 
née royal  de  Paris,  où  il  vient  d'être  ouvert  le  9  décembre. 


4  AVERTISSEMENT   DE    L*AUTEUR. 

Le  plan  est  demeuré  complètement  le  môme;  seulemeni 
les  convenances  de  cet  établissement  m'obligent  à  restrein- 
dre un  peu  les  développements  de  mon  cours.  Ils  se  trou- 
vent tout  entiers  dans  la  publication  que  je  fais  aujourd'hui 
de  mes  leçons,  telles  qu'elles  ont  eu  lieu  Tannée  dernière. 

Pour  compléter  cette  notice  historique,  il  est  convena- 
ble de  faire  observer,  relativement  à  quelques-unes  des 
idées  fondamentales  exposées  dans  ce  cours,  que  je  les 
avais  présentées  antérieurement  dans  la  première  partie 
d'un  ouvrage  intitulé  :  Système  de  politique  positive^  impri- 
mée à  cent  exemplaires  en  mai  18221,  et  réimprimée  ensuite 
en  avril  1824,  à  un  nombre  d'exemplaires  plus  consi- 
dérable. Cette  première  partie  n'a  point  encore  été  formel- 
lement publiée,  mais  seulement  communiquée,  par  la  voie 
de  l'impression,  à  un  grand  nombre  de  savants  et  de  phi- 
losophes européens.  Elle  ne  sera  mise  définitivement  ttt 
circulation  qu'avec  la  seconde  partie,  que  j'espère  pouvoir 
faire  paraître  à  la  fin  de  l'année  1830. 

J*ai  cru  nécessaire  de  constater  ici  la  publicité  efi'ective 
de  ce  premier  travail,  parce  que  quelques  idées,  offrant  une 
certaine  analogie  avec  une  partie  des  miennes,  se  trouvent 
exposées,  sans  aucune  mention  de  mes  recherches,  dans 
divers  ouvrages  publiés  postérieurement,  surtout  en  ce  qui 
concerne  la  rénovation  des  théories  sociales.  Quoique  des 
esprits  différents  aient  pu,  sans  aucune  communication,, 
comme  le  montre  souvent  l'histoire  de  l'esprit  humain, 
arriver  séparément  à  des  conceptions  analogues  en  s'occu- 
pant  d'une  même  classe  de  travaux,  je  devais  néanmoins 
insister  sur  l'antériorité  réelle  d'un  ouvrage  peu  connu  du 
public,  afin  qu'on  ne  suppose  pas  que  j'ai  puisé  le  germe 


AVERTISSEMENT  DE   L'aUTBUR.  5 

de  certaines  idées  dans  des  écrits  qui  sont,  au  contraire, 
plus  récents. 

Plusieurs  personnes  m'ayant  déjà   demandé  quelques 

éclaircissennents  relativement  au  titre  de  ce  cours,  je  crois 

,   utile  d'indiquer  ici,  à  ce  sujet,  une  explication  sommaire. 

L'expression  philosophie  positive  étant  constamment  em- 
ployée, dans  toute  l'étendue  de  ce  cours,  suivant  une  accep- 
tion rigoureusement  invariable,  il  m'a  paru  superflu  de  la 
définir  autrement  que  par  l'usage  uniforme  que  j'en  ai  tou- 
jours fait.  La  première  leçon,  en  particulier,  peut  être  re- 
gardée tout  entière  comme  le  développement  de  la  défini- 
tion exacte  de  ce  que  j'appelle  la  philosophie  positive. 

Je  regrette  néanmoins  d'avoir  été  obligé  d'adopter,  à  dé- 
faut de  tout  autre,  un  terme  comme  celui  ùq  philosophie^ 
qui  a  été  si  abusivement  employé  dans  une  multitude  d'ac- 
ceptions diverses.  Mais  l'adjectif  positive^  par  lequel  j'en 
modifie  le  sens,  me  paraît  suffire  pour  faire  disparaître, 
même  au  premier  abord,  toute  équivoque  essentielle,  chez 
ceux,  du  moins,  qui  en  connaissent  bien  la  valeur.  Je  me 
bornerai  donc,  dans  cet  Avertissement^  à  déclarer  que  j'em- 
ploie le  mot  philosophie  dans  l'acception  que  lui  donnaient 
les  anciens,  et  particulièrement  Âristote,  comme  désignant 
le  système  général  des  conceptions  humaines  ;  et,  en  ajou- 
tant le  mot  positive,  j'annonce  que  je  considère  celte  ma- 
tière spéciale  de  philosophie  qui  consiste  à  envisager  les 
théories,  dans  quelque  ordre  d'idées  que  ce  soit,  comme 
ayant  pour  objet  la  coordination  des  faits  observés,  ce  qui 
constitue  le  troisième  et  dernier  état  de  la  philosophie  gé- 
nérale, primitivement  théologiqueet  ensuite  métaphysique, 
ainsi  que  je  l'explique  dès  la  première  leçon. 


«  AVERTISSEMENT  DE  l'AUTBUR. 

Il  y  a,  sans  doute,  beaucoup  d'analogie  entre  ma  philo- 
sophie positive  et  ce  que  les  savants  anglais  entendent,  de- 
puis Newton  surtout,  par  philosophie  naturelle.  Mais  je 
n'ai  pas  dû  choisir  cette  dernière  dénomination,  non  plus 
que  celle  de  philosophie  des  sciences,  qui  serait  peut-être 
encore  plus  précise,  parce  que  l'une  et  l'autre  ne  s'enten- 
dent pas  encore  de  tous  les  ordres  de  phénomènes,  tandis 
que  Ici  philosophie  positive,  dans  laquelle  je  comprends 
l'étude  des  phénomènes  sociaux  aussi  bien  que  de  tous  les 
autres,  désigne  une  manière  uniforme  de  raisonner  appli- 
cable à  tous  les  sujets  sur  lesquels  l'esprit  humain  peut 
s'exercer.  £n  outre,  l'expression  philosophie  naturelle  est 
usitée^  en  Angleterre,  pour  désigner  l'ensemble  des  diver- 
ses sciences  d'observation,  considérées  jusque  dans  leurs 
spécialités  les  plus  détaillées;  au  lieu  que,  par  philosophie 
positive,  comparé  à  sciences  positives,  j'entends  seulement 
Tétudepropre  des  généralités  des  différentes  sciences,  con- 
çues comme  soumises  à  une  méthode  unique,  et  comme 
formant  les  différentes  parties  d'un  plan  général  de  recher- 
ches. Le  terme  que  j'ai  été  conduit  à  construire  est  donc, 
à  la  fois,  plus  étendu  et  plus  restreint  que  les  dénomina* 
tions,  d'ailleurs  analogues,  quant  au  caractère  fondamental 
des  idées,  qu'on  pourrait,  de  prime  abord,  regarder  comme 
équivalentes. 

Paris,  le  18  décembre  1829. 


A.  COUTB,  t.  I,  p.  7. 


E 


COMTE»     ANCIEN     ÉLÈVE     DE    L*i:COLE    POLTTECnNIQl  E    (l^. 


J 

lOtitive. 


•on». 
1 


M 


lo  Vue  générale  de  l'analys*»  mathématique, 

io  I)u  calcul  (leii  roncii>tiis  (lirecics 

3°  Du  calcul  des  fonctions  imlirectes 

4"  Du  calcul  des  rariations 

So  Du  calcul  aux  difTerenct^s  finies 


(1 


1  o  Vue  générale  de  la  géométrie 

io  De  la  );eometrie  des  anciens 

3-^  Conception  fondamentale  de  la  géométrie  analytique. 

i  40  De  Tétude  générale  des  lignes 

\  50  De  l'étude  générale  des  surfaces 


1«  Des  principes  fondamentaui  de  la  mécanique, 

2«  Vue  générale  de  la  statique 

30  Vue  générale  de  la  dynamique 

40  Théorèmes  généraux  de  mécanique 


lo  Exposition  générale  des  méthodes  d*ohserTation 

tn  1  kcA  ) -"  (''^ude  des  phénomènes  géométriques  élémentaires  des  corps  célestes. 
h*  \  AS        \  30  De  la  théorie  du  mouvement  de  la  terre 

4»  Des  lois  de  Kepler 


^    I  >  fo  De  la  loi  de  la  gravitation  universelle 

S     f        3      I  2»  A|>prériatioii  philosophique  de  cette  loi 

30  Explicatiou  dv.'8  phénomènes  célestes  par  cette  loi, 


{ 


lo  Étu  te  expérimentale  des  phénomènes  de  la  chaleur 1 

io  Théorie  mathématique  de  ces  phénomèues « 1 


lo  Tableau  général  delà  chimie  inorganique I 

2o  D«  la  doctrine  des  proportions  dèfiiùes 1 

30  De  la  théorie  électro-chimique I 


®    1  (  1»  Examen  des  anciennes  théories : t 


10 


'  2o  Exposition  des  théories  positives t 

ortunité  de  la  physique  sociale 1 

(qu'ici  pour  la  fonder I 

2    i  i  l'étude  des  phénomènes  sociaux 2 

Q   f  es  branches  de  la  philosophie  naturelle 1 

^''^H  humaines 1 

ipèee  humaine,  considéré  dans  ton  ensemble I 

IPétiehisme I 

Polythéisme 1 

Monothéisme I 

ipoqae  méUphysiqot...., • t 

!«,.«    ^*l^-f^"' » 

(t)  Ce  tableau 


O 
u 


o 

s 


COURS 


DB 


PHILOSOPHIE  POSITIVE 


PREHIËRE  LEÇON  <» 


Sommaire.  —  Eipoaition  du  but  de  ce  court,  ou  considérations  générales 
sur  la  nature  et  l'importance  de  la  philosophie  positive. 


L'objet  de  cette  première  leçon  est  d'exposer  nettement 
le  but  du  cours,  c'est-à-dire  de  déterminer  exactement 
l'esprit  dans  lequel  seront  considérées  les  diverses  bran- 
ches fondamentales  de  la  philosophie  naturelle,  indiquées 
par  le  programme  sommaire  que  je  vous  ai  présenté. 

Sans  doute,  la  nature  de  ce  cours  ne  saurait  être  complè- 
tement appréciée,  de  manière  à  pouvoir  s'en  former  une 
opinion  définitive,  que  lorsque  les  diverses  parties  en  au- 
ront été  successivement  développées.  Tel  est  l'inconvé- 
nient ordinaire  des  définitions  relatives  à  des  systèmes 
d'idées  très-élendus,  quand  elles  en  précèdent  Texposi- 
lion.  Mais  les  généralités  peuvent  être  conçues  sous  deux 
aspects,  ou  comme  aperçu  d'une  doctrine  à  établir,  ou 
comme  résumé  d'une  doctrine  établie.  Si  c'est  seulement 
sous  ce  dernier  point  de  vue  qu'elles  acquièrent  toute  leur 

(1)  IVmt  ee  premier  volume  a  été  écrit  dans  le  premier  semestre  de 
ISM. 


8  BUT  DU   COURS.    —  NATURE   ET  IMPORTANCE 

valeur,  elles  n'en  ont  pas  moins  déjà,  sous  le  premier,  une 
extrême  imporlance,  en  caractérisant  dès  l'origine  le  sujet 
à  considérer.  La  circonscription  générale  du  champ  de  nos 
recherches,  tracée  avec  toute  la  sévérité  possible,  est,  pour 
notre  esprit,  un  préliminaire  particulièrement  indispensa- 
ble dans  une  étude  aussi  vaste  et  jusqu'ici  aussi  peu  déter- 
minée que  celle  dont  nous  allons  nous  occuper.  C'est  afin 
d'obéir  à  cette  nécessité  logique,  que  je  crois  devoir  tous 
indiquer,  dès  ce  moment,  la  série  des  considérations  fon- 
damentales qui  ont  donné  naissance  à  ce  nouveau  cours, 
et  qui  seront  d'ailleurs  spécialement  développées,  dans  la 
suite,  avec  toute  l'extension  que  réclame  la  haute  impor- 
tance de  chacune  d'elles. 

Pour  expliquer  convenablement  la  véritable  nature  et  le 
caractère  propre  de  la  philosophie  positive,  il  est  indispen- 
sable de  jeter  d'abord  un  coup  d'œil  général  sur  la  marche 
.  progressive  de  l'esprit  humain,  envisagée  dans  son  ensem- 
ble :  car  une  conception  quelconque  ne  peut  être  bien  con- 
nue que  par  son  histoire. 

En  étudiant  ainsi  le  développement  total  de  rintelligence 
humaine  dans  ses  diverses  sphères  d'activité,  depuis  son 
premier  essor  le  plus  simple  jusqu'à  nos  jours,  je  crois 
avoir  découvert  une  grande  loi  fondamentale,  à  laquelle  il 
est  assujetti  par  une  nécessité  invariable,  et  qui  me  semble 
pouvoir  Cire  solidement  établie,  soit  sur  les  preuves  ra- 
tionnelles fournies  par  la  connaissance  de  notre  organisa- 
lion,  soit  sur  les  vérifications  historiques  résultant  d'un 
examen  attentif  du  passé.  Celte  loi  consiste  en  ce  que  cha- 
cune de  nos  conceptions  principales,  chaque  branche  de 
DOS  connaissances,  passe  successivement  par  trois  états 
théoriques  différents:  l'état  théologique,  ou  fictif;  l'état 
métaphysique,  ou  abstrait  ;  l'état  scientifique,  ou  positif. 
Eu  d'autres  termes,  l'esprit  humain,  par  sa  nature,  em- 


DE  LA   PUILOSOPUTE   POSITIVE.  9 

ploie  successivement  dans  chacune  de  ses  recherches  trois 
méthodes  de  philosopher,  dont  le  caractère  est  essentielle- 
ment différent  et  môme  radicalement  opposé  :  d*abord  la 
méthode  théologique,  ensuite  la  méthode  métaphysique 
et  enfin  la  méthode  positive.  De  là,  trois  sortes  de  philoso- 
phie, ou  de  systèmes  généraux  de  conceptions  sur  Tensem- 
ble  des  phénomènes,  qui  s'excluent  mutuellement  :  la  pre- 
mière est  le  point  de  départ  nécessaire  de  rintelligence 
humaine  ;  la  troisième,  son  état  fixe  et  définitif;  la  seconde 
est  uniquement  destinée  à  servir  de  transition. 

Dans  l'état  théologique,  l'esprit  humain,  dirigeant  essen- 
tiellement ses  recherches  vers  la  nature  intime  des  êtres, 
les  causes  premières  et  finales  de  tous  les  effets  qui  le 
frappent,  en  un  mol,  vers  les  connaissances  absolues,  se 
représente  les  phénomènes  comme  produits  par  l'action  di- 
recte et  continue  d'agents  surnaturels  plus  ou  moins  nom- 
breux, dont  l'intervention  arbitraire  explique  toutes  les 
anomalies  apparentes  de  l'univers. 

Dans  l'état  métaphysique,  qui  n'est  au  fond  qu'une  sim- 
ple modification  générale  du  premier,  les  agents  surnatu- 
rels sont  remplacés  par  des  forces  abstraites,  véritables 
entités  (abstractions  personnifiées)  inhérentes  aux  divers 
êtres  du  monde,  et  conçues  comme  capables  d'engendrer 
par  elles-mêmes  tous  les  phénomènes  observés,  dont  l'ex- 
plication consiste  alors  à  assigner  pour  chacun  l'entité 
correspondante. 

Enfin,  dans  l'état  positif,  l'esprit  humain,  reconnaissant 
l'impossibilité  d'obtenir  des  notions  absolues,  renonce  à 
chercher  l'origine  et  la  destination  de  l'univers,  et  à  con- 
Diltre  les  causes  intimes  des  phénomènes,  pour  s'attacher 
uniquement  à  découvrir,  par  l'usage  bien  combiné  du 
raisonnement  et  del'obbervation,  leurs  lois  effectives,  c'est- 
à-dire  leurs  relations  invariables  de  succession  et  de  simi- 


10  BUT  DU    COURS.   —  NATURE   ET  IMPORTANCE 

litude.  L'explicalion  des  faits,  réduite  alors  à  ses  termes- 
réels,  n'est  plus  désormais  que  la  liaison  établie  entre  les 
divers  phénomènes  particuliers  et  quelques  faits  généraux 
dont  les  progrès  de  la  science  tendent  de  plus  en  plus  à 
diminuer  le  nombre. 

Le  système  théologique  est  parvenu  à  la  plus  haute  per- 
fection dont  il  soit  susceptible,  quand  il  a  substitué  l'ac- 
tion providentielle  d'un  être  unique  au  jeu  varié  des  nom- 
breuses divinités  indépendantes  qui  avaient  été  imaginées 
primitivement.  De  môme,  le  dernier  terme  du  système 
métaphysique  consiste  à  concevoir,  au  lieu  des  différentes 
entités  particulières,  une  seule  grande  entité  générale^  la 
nature,  envisagée  comme  la  source  unique  de  tous  les  phé- 
nomènes. Pareillement,  la  perfection  du  système  positif, 
vers  laquelle  il  tend  sans  cesse,  quoiqu'il  soit  très-probable 
qu'il  ne  doive  jamuis  l'atteindre,  serait  de  pouvoir  se  repré- 
senter tous  les  divers  phénomènes  observables  comme  des 
cas  particuliers  d'un  seul  fait  général,  tel  que  celui  de  la 
gravitation,  par  exemple. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  démontrer  spécialement  cette 
loi  fondamentale  du  développement  de  l'esprit  humain,  et 
d'en  déduire  les  conséquences  les  plus  importantes.  Nous 
en  traiterons  directement,  avec  toute  l'extension  conve- 
nable, dans  la  partie  de  ce  cours  relative  à  l'étude  des 
phénomènes  sociaux  (i).  Je  ne  la  considère  maintenant 
que  pour  déterminer  avec  précision  le  véritable  caractère 
de  la  philosophie  positive,  par  opposition  aux  deux  autres 

(t)  Les  personnes  qui  désireraient  immédiatement  à  ce  sujet  des  éclair- 
cissements plus  étendus  pourront  consulter  utilement  trois  articles  de 
Considératiofis philosophiques  sur  les  sciences  et  les  savants quey ai  publiées, 
en  novembre  1825,  dans  un  recueil  intitulé  le  Producteur  (qo«  7,  8  et  10), 
et  surtout  la  première  partie  de  mon  Système  de  politique  positive ,  adres- 
sée, en  avril  1824,  à  l'Académie  des  sciences,  et  où  j'ai  consigné,  pour  la 
première  fois,  la  découverte  de  cette  loi. 


OB  LA   PUILOSOPUIB   POSITIVE.  It 

2^ilosophîe8  qui  ont  successivement  dominé,  jusqu'à  ces 
derniers  siècles,  «tout  notre  système  inlellecluel.  Quant  à 
présent,  afin  de  ne  pas  laisser  enliôrement  sans  démons- 
t.ralion  une  loi  de  cette  importance,  dont  les  applications 
se  présenteront  fréquemment  dans  toute  l'étendue  de  ce 
CM>urs,  je  dois  me  borner  à  une  indication  rapide  des  mo- 
fpifs  généraux  les  plus  sensibles  qui  peuvent  en  constater 
l 'exactitude. 

£n  premier  lieu,  il  suffit,  ce  me  semble,  d'énoncer  une 
telle  loi,  pour  que  la  justesse  en  soit  immédiatement  véri- 
fiée par  tous  ceux  qui  ont  quelque  connaissance  approfon- 
die de  l'histoire  générale  des  sciences.  Il  n'en  est  pas  une 
seule,  en  efifet,  parvenue  aujourd'hui  à  l'état  positif,  que 
chacun  ne  puisse  aisément  se  représenter,  dans  le  passé, 
sssenlielleroent  composée  d'abstractions   métaphysiques, 
et,   en   remontant  encore  davantage,  tout  à  fait  dominée 
par  les  conceptions  théologiques.  Nous  aurons  môme  mal- 
heureusement plus  d'une  occasion  formelle  de  reconnaître 
dans  les  diverses  parties  de  ce  cours,  que  les  sciences  les 
plus  perfectionnées  conservent  encore  aujourd'hui  quelques 
traces  très-sensibles  de  ces  deux  états  primitifs. 

Cette  révolution  générale  de  l'esprit  humain  peut  d'ail- 
leurs être  aisément  constatée  aujourd'hui,  d'une  manière 
très -sensible,  quoique  indirecte,  en  considérant  le  déve- 
loppement de  l'intelligence  individuelle.  Le  point  de  départ 
étant  nécessairement  le  môme  dans  l'éducation  de  l'individu 
que  dans  celle  de  l'espèce,  les  diverses  phases  princi- 
pales de  la  première  doivent  représenter  les  époques  fon- 
damentales de  la  seconde.  Or,  chacun  de  nous,  eu  contem- 
plant sa  propre  histoire,  ne  se  souvient-il  pas  qu'il  a  été 
successivement,  quant  à  ses  notions  les  plus  importantes, 
théologien  dans  son  enfance,  métaphysicien  dans  sa  jeunesse, 
et  physicien  dans  sa  virilité  ?  Cette  vérification  est  facile  au- 


It  BUT  DU   COUBS.   —  NATURE   ET   IMPORTANCE 

jourd'hui  pour  tous  les  hommes  au  niveau  de  leur  siècle. 

Mais,  outre  l'observation  directe,  générale  ou  indivi- 
duelle,  qui  prouve  Texaclitude  de  cette  loi,  je  dois  surtout, 
dans  cette  indication  sommaire,  mentionner  les  considéra- 
tions théoriques  qui  en  font  sentir  la  nécessité. 

La  plus  importante  de  ces  considérations,  puisée  dans  la 
nature  même  du  sujet,  consiste  dans  le  besoin^  à  toute  épo- 
que, d'une  théorie  quelconque  pour  lier  les  faits,  combiné 
avec  rimpossibilité  évidente,  pour  l'esprit  humain  à  son 
origine,  de  se  former  des  théories  d*aprèsles  observations. 

Tous  les  bons  esprits  répètent,  depuis  Bacon,  qu'il  n*y  a 
de  connaissances  réelles  que  celles  qui  reposent  sur  des 
faits  observés.  Cette  maxime  fondamentale  est  évidemment 
incontestable,  si  on  l'applique,  comme  il  convient,  à  l'état 
viril  de  notre  intelligence.  Mais,  en  se  reportant  à  la  forma- 
tion de  nos  connaissances,  il  n'en  est  pas  moins  certain 
que  l'esprit  humain,  dans  son  état  primitif,  no  pouvait  ni 
ne  devait  penser  ainsi.  Car  si^  d'un  côté,  toute  théorie  po- 
sitive doit  nécessairement  être  fondée  sur  des  observations, 
il  est  également  sensible,  d'un  autre  côté,  que,  pour  se  li- 
vrer à  l'observation,  notre  esprit  a  besoin  d'une  théorie 
quelconque.  Si,  en  contemplant  les  phénomènes,  nous  ne 
les  rattachions  point  immédiatement  à  quelques  principes, 
non-seulement  il  nous  serait  impossible  de  combiner  ces 
observations  isolées,  et,  par  conséquent,  d'en  tirer  aucun 
fruit,  mais  nous  serions  même  entièrement  incapables  de 
les  retenir;  et,  le  plus  souvent,  les  faits  resteraient  inaper- 
çus sous  nos  yeux. 

Ainsi,  pressé  entre  la  nécessité  d'observer  pour  se  for- 
mer des  théories  réelles,  et  la  nécessité  non  moins  impé- 
rieuse de  se  créer  des  théories  quelconques  pour  se  livrer 
à  des  observations  suivies,  l'esprit  humain,  à  sa  naissance, 
se  trouverait  enfermé  dans  un  cercle  vicieux  dont  il  n'aurait 


DE  LA   PHILOSOPBIE   POSITIVE.  13 

jamais  ea  aucun  moyen  de  sortir,  s'il  ne  se  fût  heureuse- 
naeat  ouvert  une  issue  naturelle  par  le  développement 
spontané  des  conceptions  théologiques,  qui  ont  présenté 
un  point  de  ralliement  à  ses  efforts,  et  fourni  un  aliment  à 
son  activité.  Telle  est,  indépendamment  des  hautes  consi- 
dérations sociales  qui  s'y  rattachent  et  que  je  ne  dois  pas 
même  indiquer  en  ce   moment,  le  motif  fondamental  qui 
démontre  la  nécessité  logique  du  caractère  purement  thco- 
logique  de  la  philosophie  primitive. 

Celte  nécessité  devient  encore  plus  sensible  en  ayant 
égard  à  la  parfaite  convenance  de  la  philosophie  théologi* 
que  avec  la  nature  propre  des  recherches  sur  lesquelles^ 
Tesprit  humain  dans  son  enfance  concentres!  éminemment 
toute  son  activité.  Il  est  bien  remarquable,  en  effet,  que- 
les  questions  les  plus  radicalement  inaccessibles  à  nos 
moyens,  la  nature  intime  des  êtres,  Torigine  et  la  fin  de 
tous  les  phénomènes,  soient  précisément  celles  que  notre 
intelligence  se  propose  par-dessus  tout  dans  cet  état  pri* 
mitif,  tous  les  problèmes  vraiment  solubles  étant  presque 
envisagés  comme  indignes  de  méditations  sérieuses.  On  en 
conçoit  aisément  la  raison  ;  car  c'est  Texpérience  seule  qui 
a  pu  nous  fournir  la  mesure  de  nos  forces  ;  et,  si  Thomme 
n'avait  d'abord  commencé  par  en  avoir  une  opinion  exagérée,. 
elles  n'eussent  jamais  pu  acquérir  tout  le  développement 
dont  elles  sont  susceptibles.  Ainsi  Texige  notre  organisa- 
tion. Mais,  quoi  qu'il/n  soit,  représentons-nous,  autant 
que  possible,  cette  disposition  si  universelle  et  si  pronon- 
cée, et  demandons-nous  quel  accueil  aurait  reçu  à  une  telle- 
époque,  en  la  supposant  formée,  la  philosophie  positive, 
dont  la  plus  haute  ambition  est  de  découvrir  les  lois  des 
phénomènes,  et  dont  le  premier  caractère  propre  est  pré- 
cisément de  regarder  comme  nécessairement  interdits  à  la 
raison  humaine  tous  ces  sublimes  mystères,  que  la  philoso- 


14  BUT  DU  COURS.    —  NATURE   ET  IMPORTANCE 

phie  tbéologique  explique^  au  contraire^  avec  une  si  admi- 
rable facilité  jusque  dans  leurs  moindres  détails. 

Il  en  est  de  même  en  considérant  sous  le  point  de  v«e 
pratique  la  nature  des  recherches  qui  occupent  primîlive- 
ment  Tesprit  humain.  Sous    ce  rapport,  elles  offrenl  à 
rhomme  l'attrait  si  énergique  d'un  empire  illimité  à  exer^ 
€er  sur  le  monde  extérieur,  envisagé  comme  entièrement 
destiné  à  notre  usage,  et  comme  présentant  dans  tous  ses 
phénomènes  des  relations  intimes  et  continues  avec  notre 
existence.  Or,  ces  espérances  chimériques,  ces  idées  exa- 
gérées de  l'importance  de  lliomme  dans  l'univers,  que  fait 
naître  la  philosophie  théologique,  et  que  détruit  sans  re- 
tour la  première  influence  de  la  philosophie  positive,  sont, 
i  l'origine,  un  stimulant  indispensable,  sans  lequel  on  ne 
pourrait  certainement  concevoir  que  l'esprit  humain  se 
fût  déterminé  primitivement  à  de  pénibles  travaux. 

Nous  sommes  aujourd'hui  tellement  éloignés  de  ces 
dispositions  premières,  du  moins  quant  à  la  plupart  des 
phénomènes,  que  nous  avons  peine  à  nous  représenter 
exactement  la  puissance  et  la  nécessité  de  considérations 
semblables.  La  raison  humaine  est  maintenant  assez  mûre 
pour  que  nous  entreprenions  de  laborieuses  recherches 
scientifiques,  sans  avoir  en  vue  aucun  but  étranger  capa- 
ble d'agir  fortement  sur  l'imagination,  comme  celui  que 
se  proposaient  les  astrologues  ou  les  alchimistes.  Notre 
activité  intellectuelle  est  sufûsamm<ipt  excitée  par  le  pur 
espoir  de  découvrir  les  lois  des  phénomènes,  parle  simple 
désir  de  confirmer  ou  d'infirmer  une  théorie.  Mais  il  ne 
pouvait  en  être  ainsi  dans  l'enfance  de  l'esprit  humain. 
Sans  les  attrayantes  chimères  de  l'astrologie,  sans  les 
énergiques  déceptions  de  l'alchimie,  par  exemple,  où  au- 
rions-nous puisé  la  constance  et  l'ardeur  nécessaires  pour 
recueillir  les  longues  suites  d'observations  et  d'expériences 


DE  LA  PHILOSOPHIE  POSITIVE.  1& 

qui  ont,  plus  tard,  servi  de  fondement  aux  premières  théo- 
ries positives  de  l'une  et  l'autre  classe  de  phénomènes  ? 

Celle  condition  de  noire  développement  intellectuel  a 
élé  vivement  sentie  depuis  longtemps  par  Képler«  pour 
Tastronomie,  et  justement  appréciée  de  nos  jours  par 
Bertholiet,  pour  la  chimie. 

On  voit  donc,  par  cet  ensemble  de  considérations,  que, 
si  la  philosophie  positive  est  le  véritable  état  définitif  de 
l'intelligence  humaine,  celui  vers  lequel  elle  a  toujours 
tendu  de  plus  en  plus,  elle  n'en  a  pas  moins  dû  nécessaire- 
ment employer  d'abord,  et  pendant  une  longue  suite  de 
siècles,  soit  comme  méthode,  soit  comme  doctrine  pro- 
visoires, la  philosophie  théologique  ;  philosophie  dont  le 
caractère  est  d'être  spontanée,  et,  par  cela  môme,  la  seule 
possible  à  l'origine,  la  seule  aussi  qui  pût  offrir  à  notre 
esprit  naissant  un  intérêt  suffisant.  Il  est  maintenant  très- 
facile  de  sentir  que,  pour  passer  de  celte  philosophie  pro- 
visoire à  la  philosophie  définitive,  l'esprit  humain  a  dû 
naturellement  adopter,  comme  philosophie  transitoire, 
les  méthodes  et  les  doctrines  métaphysiques.  Cette  der- 
nière considération  est  indispensable  pour  compléter  Ta- 
perçu  général  de  la  grande  loi  que  j'ai  indiquée. 

On  conçoit  sans  peine,  en  effet,  que  notre  entendement, 
contraint  à  ne  marcher  que  par  degrés  presque  insensibles, 
ne  pouvait  passer  brusquement,  et  sans  intermédiaires,  de 
la  philosophie  théologique  à  la  philosophie  positive.  La 
théologie  et  la  physique  sont  si  profondément  incompati- 
bles, leurs  conceptions  ont  un  caractère  si  radicalement 
opposé,  qu'avant  de  renoncer  aux  unes  pour  employer 
exclusivement  les  autres,  l'intelligence  humaine  a  dû  se 
servir  de  conceptions  intermédiaires,  d'un  caractère  bâ- 
tard, propres,  par  cela  même,  à  opérer  graduellement  la 
transition.  Telle  est  la  destination  naturelle  des  concep-. 


16  BUT  DU   COURS.   —  NATUBE  ET  IMPOBTANCC 

lions  métaphysiques  :  elles  n*ont  pas  d'autre  utilité  réelle. 
En  substituant,  dans  Télude  des  phénomènes,  à  raction 
surnaturelle  directrice  une  entité  correspondante  et  insé- 
parable, quoique  celle-ci  ne  fût  d'abord  conçue  que  comme 
une  émanation  de  la  première,  l'homme  s'est  habitué  peu 
à  peu  à  ne  considérer  que  les  faits  eux-mêmes,  les  notions 
de  ces  agents  métaphysiques  ayant  été  graduellement  sub- 
tilisées au  point  de  n'être  plus,  aiix  yeux  de  tout  espril 
droit,  que  les  noms  abstraits  des  phénomènes.  Il  est  im- 
possible d'imaginer  par  quel  autre  procédé  notre  enten- 
dement aurait  pu  passer  des  considérations  franchemeni 
surnaturelles  aux  considérations  purement  naturelles,  do 
régime  théologique  au  régime  positif. 

Après  avoir  ainsi  établi,  autant  que  je  puis  le  faire  sans 
entrer  dans  une  discussion  spéciale  qui  serait  déplacée  en 
ce  moment,  la  loi  générale  du  développement  de  l'esprit 
humain,  tel  que  je  le  conçois,  il  nous  sera  maintenant  aisé 
de  déterminer  avec  précision  la  nature  propre  de  la  philo- 
sophie positive  ;  ce  qui  est  l'objet  essentiel  de  ce^iscoan. 

Nous  voyons,  par  ce  qui  précède,  que  le  caractère  fon- 
damental de  la  philosophie  positive  est  de  regarder  tous 
les  phénomènes  comme  assujettis  à  des  lois  naturelles  in- 
variables, dont  la  découverte  précise  et  la  réduction  au 
moindre  nombre  possible  sont  le  but  de  tous  nos  efforts, 
en  considérant  comme  absolument  inaccessible  et  vide  de 
sens  pour  nous  la  recherche  de  ce  qu'on  appelle  les  causef, 
soit  premières,  soit  finales.  Il  est  inutile  d'insister  beau- 
coup sur  un  principe  devenu  maintenant  aussi  familière 
tous  ceux  qui  ont  fait  une  étude  un  peu  approfondie  des 
sciences  d'observation.  Chacun  sait,  en  effet,  que,  dans 
nos  explications  positives,  môme  les  plus  parfaites,  nous 
n'avons  nullement  la  prétention  d'exposer  les  causes  gêné*- 
ratrices  des  phénomènes,  puisque  nous  ne  ferions  jamais 


DE  LA   PHILOSOPHIE   POSITIVE.  17 

^lors  que  recaler  la  difficulté,  mais  seulement  d'analyser 
^vec  exactitude  les  circonstances  de  leur  production,  et 
^e  les  rattacher  les  unes  aux  autres  par  des  relations  nor- 
males de  succession  et  de  similitude. 

Ainsi,  pour  en  citer  l'exemple  le  plus  admirable,  nous 
disons  que  les  phénomènes  généraux  de  l'univers  sont 
expliquéSy  autant  qu'ils  puissent  Têtre,  par  la  loi  de  la  gra- 
vitation newlonienne,  parce  que,  d'un  côté,  cette  belle 
théorie  nous  montre  toute  l'immense  variété  des  faits  as- 
tronomiques, comme  n'étant  qu'un  seul  et  même  fait  en- 
visagé sous  divers  points  de  vue  ;  la  tendance  constante  de 
toutes  les  molécules  les  unes  vers  les  autres  en  raison  di- 
recte de  leurs  masses,  et  en  raison  inverse  des  carrés  de 
leurs  distances;  tandis  que,  d'un  autre  cdté,  ce  fait  général 
nous  est  présenté  comme  une  simple  extension  d'un  phé- 
nomène qui  nous  est  éminemment  familier,  et  que,  par 
cela  seul,  nous  regardons  comme  parfaitement  connu,  la 
pesanteur  des  corps  à  la  surface  de  la  terre.  Quant  à  déter- 
miner ce  que  sont  en  elles-mêmes  cette  attraction  et  cette 
pesanteur,  quelles  en  sont  les  causes,  ce  sont  des  questions 
que  nous  regardons  tous  comme  insolubles,  qui  ne  sont 
plus  do  domaine  de  la  philosophie  positive,  et  que  nous 
abandonnons  avec  raison  à  l'imagination  des  théologiens, 
ou  aux  subtilités  des  métaphysiciens.  La  preuve  manifeste 
de  l'impossibilité  d'obtenir  de  telles  solutions,  c'est  que, 
toutes  les  fois  qu'on  a  cherché  à  dire  à  ce  sujet  quelque 
chose  de  vraiment  rationnel,  les  plus  grands  esprits  n'ont 
pu  que  définir  ces  deux  principes  l'un  par  l'autre,  en  di- 
sant, pour  l'attraction,  qu'elle  n'est  autre  chose  qu'une 
pesanteur  universelle,  et  ensuite,  pour  la  pesanteur,  qu'elle 
consiste  simplement  dans  l'attraction  terrestre.  De  telles 
explications^  qui  font  sourire  quand  on  prétend  à  connaî- 
tre la  nature  intime  des  choses  el  le  mode  de  génération  des 

A.  Covn.  Tome  I.  S 


18  BUT  DU   COURS.  —  NATURE   ET  IMPORTANCE 

phénomènes,  sont  cependant  tout  ce  que  nous  pouvons 
obtenir  de  plus  satisfaisant,  en  nous  montrant  comme 
identiques  deux  ordres  de  phénomènes  qui  ont  é  té  si 
longtemps  regardés  comme  n'ayant  aucun  rapport  entre 
eux.  Aucun  esprit  juste  ne  cherche  aujourd'hui  à  aller 
plus  loin. 

11  serait  aisé  de  multiplier  ces  exemples,  qui  se  présen- 
teront en  foule  dans  toute  la  durée  de  ce  cours,  puisque 
tel  est  maintenant  Tesprit  qui  dirige  exclusivement  les 
grandes  combinaisons  intellectuelles.  Pour  en  citer  en  ce 
moment  un  seul  parmi  les  travaux  contemporains,  je  choi- 
sirai la  belle  série  de  recherches  de  M.  Fourier  sur  la 
théorie  de  la  chaleur.  Elle  nous  offre  la  vériQcation  très- 
sensible  des  remarques  générales  précédentes.  En  effet, 
dans  ce  travail,  dont  le  caractère  philosophique  est  si  émi- 
nemment positif,  les  lois  les  plus  importantes  et  les  plus  pré- 
cises des  phénomènes  thermologiques  se  trouvent  dévoi- 
lées, sans  que  l'auteur  se  soit  enquis  une  seule  fois  de  la 
nature  intime  de  la  chaleur,  sans  qu'il  ait  mentionné,  au- 
trement que  pour  en  indiquer  le  vide,  la  controverse  si 
agitée  entre  les  partisans  de  la  matière  calorifique  et  ceux 
qui  font  consister  la  chaleur  dans  les  vibrations  d'un  étber 
universel.  Et  néanmoins  les  plus  hautes  questions,  dont 
plusieurs  n'avaient  môme  jamais  été  posées,  sont  traitées 
dans  cet  ouvrage,  preuve  palpable  que  l'esprit  humain, 
sans  se  jeter  dans  des  problèmes  inabordables,  et  en  se  res- 
treignant dans  les  recherches  d'un  ordre  entièrement  posi- 
tif, peut  y  trouver  un  aliment  inépuisable  à  son  activité  la 
pltfs  profonde. 

Après  avoir  caractérisé,  aussi  exactement  qu'il  m'est 
permis  de  le  faire  dans  cet  aperçu  général,  l'esprit  de  la 
philosophie  positive,  que  ce  cours  tout  entier  est  destiné  à 
développer,  je  dois  maintenant  examiner  à  quelle  époque 


DE  LA   POILOSOPHIE  POSITIVE.  19 

de  sa  formation  elle  est  parvenue  aujourd'hui,  et  ce  qui 
reste  à  faire  pour  achever  delà  constituer. 

A  cet  effet,  il  faut  d'abord  considérer  que  les  différentes 
bmnebes  de  nos  connaissances  n'ont  pas  dû  parcourir  d'une 
fitesse  égale  les  trois  grandes  phases  de  leur  développe- 
ment indiquées  ci-dessus,  ni,  par  conséquent,  arriver  si- 
multanément à  l'état  positif.  Il  existe,  sous  ce  rapport,  un 
ordre  invariable  et'nécessaire,  que  nos  divers  genres  de 
conceptions  ont  suivi  et  dû  suivre  dans  leur  progression,  et 
dont  la  considération  exacte  est  le  complément  indispen- 
sable de  la  loi  fondamentale  énoncée  précédemment.  Cet 
ordre  sera  le  sujet  spécial  de  la  prochaine  leçon.  Qu'il  nous 
suffise,  quant  à  présent,  de  savoir  qu'il  est  conforme  à  la 
oature  diverse  des  phénomènes,  et  qu'il  est  déterminé  par 
leur  degré  de  généralité,  de  simplicité  et  d'indépendance 
réciproque,  trois  considérations  qui,  bien  que  distinctes, 
concourent  au  même  but.  Ainsi,  les  phénomènes  astrono- 
miques d'abord,  comme  étant  les  plus  généraux,  les  plus 
simples  et  les  plus  indépendants  de  tous  les  autres,  et 
successivement,  par  les  mômes  raisons^  les  phénomènes  de 
la  physique  terrestre  proprement  dite,  ceux  de  la  chimie, 
et  enfin  les  phénomènes  physiologiques,  ont  été  ramenés 
k  des  théories  positives. 

Il  est  impossible  d'assigner  l'origine  précise  de  cette  ré- 
voiation  ;  car  on  n'en  peut  dire  avec  exactitude,  comme  de 
tous  les  autres  grands  événements  humains,  qu'elle  s'est 
accomplie  constamment  et  de  plus  en  plus,  partrculiërement 
depuis  les  travaux  d'Aristote  et  de  l'école  d'Alexandrie,  et 
ensuite  depuis  l'introduction  des  sciences  naturelles  dans 
l'Europe  occidentale  par  les  Arabes.  Cependant,  vu  qu'il 
convient  de  fixer  une  époque  pour  empêcher  la  divagation 
des  idées,  j'indiquerai  celle  du  grand  mouvement  imprimé 
à  l'esprit  humain,  il  y  a  deux  siècles,  par  l'action  combi- 


20  BUT  DU   COURS.  —  NATURE  ET  IMPORTANCE 

née  des  préceptes  de  Bacon,  des  conceptions  de  Descaries, 
et  des  découvertes  de  Galilée,  conome  le  moment  où  l'ei- 
prit  de  la  philosophie  positive  a  commencé  à  se  prononcer 
dans  le  monde  en  opposition  évidente  avecTesprit  théolo- 
gique et  métaphysique.  C'est  alors,  en  effet,  que  les  con- 
ceptions positives  se  sont  dégagées  nettement  de  l'alliage 
superstitieux  et  scolastique  qui  déguisait  plus  ou  moins  le 
véritable  caractère  de  tous  les  travaux  antérieurs. 

Depuis  cette  mémorable  époque,  le  mouvement  d'ascen- 
sion de  la  philosophie  positive,* et  le  mouvement  de  déca- 
dence de  la  philosophie  théologique  et  métaphysique,  ont 
été  extrêmement  marqués.  Ils  se  sont  enfin  tellement  pro* 
nonces,  qu'il  est  devenu  impossible  aujourd'hui,  à  tous 
les  observateurs  ayant  conscience  de  leur  siècle,  de  mé- 
connaître la  destination  finale  de  Tintelligence  humaine 
pour  les  études  positives,  ainsi  que  son  éloignement  désor- 
mais irrévocable  pour  ces  vaines  doctrines  et  pour  ces 
méthodes  provisoires  qui  ne  pouvaient  convenir  qu'à  son 
premier  essor.  Ainsi,  cette  révolution  fondamentale  s'ac- 
complira nécessairement  dans  toute  son  étendue.  Si  donc 
il  lui  reste  encore  quelque  grande  conquête  à  faire,  quel- 
que branche  principale  du  domaine  intellectuel  à  envahir, 
on  peut  être  certain  que  la  transformation  s'y  opérera, 
comme  elle  s'est  eff'ectuée  dans  toutes  les  autres.  Car  il 
serait  évidemment  contradictoire  de  supposer  que  l'esprit 
humain,  si  disposé  à  l'unité  de  méthode,  conservât  indéfi- 
niment, pour  une  seule  classe  de  phénomènes,  sa  manière 
primitive  de  philosopher,  lorsqu'une  fois  il  est  arrivé  à 
adopter  pour  tout  le  reste  une  nouvelle  marche  philoso- 
phique, d'un  caractère  absolument  opposé. 

Tout  se  réduit  donc  à  une  simple  question  de  fait  :  la 
philosophie  positive,  qui,  dans  les  deux  derniers  siècles,  a 
pris  graduellement  une  si  grande  extension,  embrasse-t-elle 


DE  LA  PHII.OSOPHIE  POSITIVE.  21 

aujourd'hui  tous  les  ordres  de  phénomènes  ?  11  est  évident 
que  cela  n*est  point,  et  que,  par  conséquent,  il  reste 
encore  une  grande  opération  scientifique  à  exécuter  pour 
donner  à  la  philosophie  positive  ce  caractère  d'universa- 
lité indispensable  à  sa  constitution  définitive. 

En  effet,  dans  les  quatre  catégories  principales  de  phé- 
nomènes naturels  énumérées  tout  à  l'heure,  les  phéno- 
mènes astronomiques,  physiques,  chimiques  et  physiolo- 
giques, on  remarque  une  lacune  essentielle,  relative  aux 
phénomènes  sociaux,  qui,  bien  que  compris  implicite- 
ment parmi  les  phénomènes  physiologiques,  méritent, 
soit  par  leur  importance,  soit  par  les  difficultés  propres  à 
leur  étude,  de  former  une  catégorie  distincte.  Ce  dernier 
ordre  de  conceptions,  qui  se  rapporte  aux  phénomènes  les 
plus  particuliers,  les  plus  compliqués  et  les  plus  dépen- 
dants de  tous  les  autres,  a  dû  nécessairement,  par  cela  seul, 
se  perfectionner  plus  lentement  que  tous  les  précédents, 
même  sans  avoir  égard  aux  obstacles  plus  spéciaux  que 
nous  considérerons  plus  tard.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  est 
évident  qu'il  n'est  point  encore  entré  dans  le  domaine  de 
la  philosophie  positive.  Les  méthodes  théologiques  et  mé- 
taphysiques qui,  relativement  à  tous  les  autres  genres  de 
phénomènes,  ne  sont  plus  maintenant  employées  par  per- 
sonne, soit  comme  moyen  d'investigation,  soit  môme  seu- 
lement comme  moyen  d'argumentation,  sont  encore,  au 
contraire,  exclusivement  usitées,  sous  l'un  et  l'autre  rap- 
port, pour  tout  ce  qui  concerne  les  phénomènes  sociaux, 
quoique  leur  insuffisance  à  cet  égard  soit  déjà  pleinement 
sentie  par  tous  les  bons  esprits,  lassés  de  ces  vaines  con- 
testations interminables  entre  le  droit  divin  et  la  souverai- 
neté du  pei/ple. 

Voilà  donc  la  grande  mais  évidemment  la  seule  lacune 
qu'il  s'agit  de  combler  pour  achever  de  constituer  la  phi- 


Si  BUT  DU   COURS.  —  NATURE   ET  IMPORTANCE 

iosophie  positive.  Maintenant  que  l'esprit  bumain  a  fondé 
la  physique  céleste,  la  physique  terrestre,  soit  mécanique, 
soit  chimique  ;  la  physique  organique,  soit  végétale,  soit 
animale,  il  lui  reste  à  terminer  le  système  des  sciences 
d'observation  en  fondant  \dL  physique  sociale.  Tel  est  aujour- 
d'hui, sous  plusieurs  rapports  capitaux,  le  plus  grand  et  le 
plus  pressant  besoin  de  notre  intelligence  :  tel  est,  j'ose  le 
dire,  le  premier  but  de  ce  cours,  son  but  spécial. 

Les  conceptions  que  je  tenterai  de  présenter  relativement 
à  l'étude  des  phénomènes  sociaux,  et  dont  j'espère  que  ce 
discours  laisse  déjà  entrevoir  le  germe,  ne  sauraient  avoir 
pour  objet  de  donner  immédiatement  à  la  physique  sociale 
le  môme  degré  de  perfection  qu'aux  branches  antérieures 
de  la  philosophie  naturelle,  ce  qui  serait  évidemment  chi- 
mérique, puisque  celles-ci  offrent  déjà  entre  elles  à  cet 
égard  une  extrême  inégalité,  d'ailleurs  inévitable.  Mais 
elles  seront  destinées  à  imprimera  cette  dernière  classe 
de  nos  connaissances  ce  caractère  positif  déjà  pris  par 
toutes  les  autres.  Si  cette  condition  est  une  fois  réellement 
remplie,  le  système  philosophique  des  modernes  sera  enfin 
fondé  dans  son  ensemble;  car  aucun  phénomène  obser- 
vable ne  saurait  évidemment  manquer  de  rentrer  dans 
quelqu'une  des  cinq  grandes  catégories  dès  lors  établies 
des  phénomènes  astronomiques,  physiques,  chimiques, 
physiologiques  et  sociaux.  Toutes  nos  conceptions  fonda* 
mentales  étant  devenues  homogènes,  la  philosophie  sera 
définitivement  constituée  à  l'état  positif  ;  sans  jamais  pou- 
voir changer  de  caractère,  il  ne  lui  restera  qu'à  se  dévelop- 
per indéfiniment  par  les  acquisitions  toujours  croissantes 
qui  résulteront  inévitablement  de  nouvelles  observations 
ou  de  méditations  plus  profondes.  Ayant  acquis  par  là  le 
caractère  d'universalité  qui  lui  manque  encore,  la  philoso- 
phie positive  deviendra  capable  de  se  substituer  entière- 


DE  LA  PHILOSOPHIE   POSITIVE.  S  S 

rnent,  avec  toute  sa  supériorité  naturelle,  à  la  philosophie 
théologique  et  à  la  philosophie  métaphysique,  dont  celte 
univenaiité  est  aujourd'hui  la  seule  propriété  réelle,  et  qui, 
privées  d'un  tel  motif  de  préférence,  n'auront  plus  pour 
nos  successeurs  qu'une  existence  historique. 

Le  but  spécial  de  ce  cours  étant  ainsi  exposé,  il  est  aisé 
de  comprendre  son  second  but,  son  but  général,  ce  qui  en 
fait  un  cours  de  philosophie  positive,  et  non  pas  seulement 
UD  cours  de  physique  sociale. 

En  effet,  la  fondation  de  la  physique  sociale  complétant 
enfin  le  système  des  sciences  naturelles,  il  devient  possible 
et  même  nécessaire  de  résumer  les  diverses  connaissances 
acquises,  parvenues  alors  à  un  état  fixe  et  homogène,  pour 
les  coordonner  en  les  présentant  comme  autant  de  bran- 
ches d*un  tronc  unique,  au  lieu  de  continuer  à  les  conce- 
voir seulement  comme  autant  de  corps  isolés.  C'est  à  cette 
fin  qu'avant  de  procéder  à  l'étude  des  phénomènes  sociaux, 
je  considérerai  successivement,  dans  l'ordre  encyclopé- 
dique annoncé  plus  haut,  les  diCTérentes  sciences  positives 
déjà  formées. 

11  est  superflu,  je  pense,  d'avertir  qu'il  ne  saurait  être 
question  ici  d'une  suite  de  cours  spéciaux  sur  chacune 
des  branches  principales  de  la  philosophie  naturelle.  Sans 
parler  de  la  durée  matérielle  d'une  entreprise  semblable, 
il  est  clair  qu'une  pareille  prétention  serait  insoutenable 
de  ma  part,  et  je  crois  pouvoir  ajouter  de  la  part  de  qui  que 
ce  soit,  dans  l'état  actuel  de  l'éducation  humaine.  Bien  au 
contraire,  un  cours  de  la  nature  de  celui-ci  exige,  pour  être 
convenablement  entendu,  une  série  préalable  d'études 
spéciales  sur  les  diverses  sciences  qui  y  seront  envisagées. 
Sans  cette  condition,  il  est  bien  difficile  de  sentir  et  impos- 
sible de  juger  les  réflexions  philosophiques  dont  ces  scien- 
ces seront  les  sujets.  En  un  mot,  c'est  un  Cours  de  philoso- 


24  BUT  DU  COURS.   —  NATURE   ET  IMPORTANCE 

phie  positive^  et  non  de  sciences  positives,  que  je  me  pro- 
pose de  faire.  Il  s*agit  uniquement  ici  de  considérer  chaque 
science  fondamentale  dans  ses  relations  avec  le  système 
positif  tout  entier,  et  quant  à  l'esprit  qui  la  caractérise, 
c'est-à-dire  sous  le  double  rapport  de  ses  méthodes  essen- 
tielles et  de  ses  résultats  principaux.  Le  plus  souvent  môme 
je  devrai  me  borner  à  mentionner  ces  derniers  d'après  les 
connaissances  spéciales  pour  tâcher  d'en  apprécier  Tim- 
portance. 

Afin  de  résumer  les  idées  relativement  au  double  but  de 
ce  cours,  je  dois  faire  observer  que  les  deux  objets,  l'un 
spécial,  l'autre  général,  que  je  me  propose,  quoique  dis- 
tincts en  eux-mêmes,  sont  nécessairement  inséparables. 
Car,  d'un  côté,  il  serait  impossible  de  concevoir  un  cours 
de  philosophie  positive  sans  la  fondation  de  la  physique  so- 
ciale, puisqu'il  manquerait  alors  d'un  élément  essentiel, 
et  que,  par  cela  seul,  les  conceptions  ne  sauraient  avoir  ce 
caractère  de  généralité  qui  doit  en  être  le  principal  attri- 
but, et  qui  distingue  notre  étude  actuelle  de  la  série  des 
études  spéciales.  D'un  autre  côté^  comment  procéder  avec 
sûreté  à  l'étude  positive  des  phénomènes  sociaux,  si  l'es- 
prit n'est  d'abord  préparé  par  la  considération  approfondie 
des  méthodes  positives  déjà  jugées  pour  les  phénomènes 
moins  compliqués,  et  muni,  en  outre,  de  la  connaissance 
des  lois  principales  des  phénomènes  antérieurs,  qui  toutes 
influent,  d'une  manière  plus  ou  moins  directe,  sur  les  faits 
sociaux  ? 

Bien  que  toutes  les  sciences  fondamentales  n'inspirent 
pas  aux  esprits  vulgaires  un  égal  intérêt,  il  n'en  est  aucune 
qui  doive  être  négligée  dans  une  étude  comme  celle  que 
nous  entreprenons.  Quant  à  leur  importance  pour  le  bon- 
heur de  l'espèce  humaine,  toutes  sont  certainement  équi- 
valentes, lorsqu'on  les    envisage  d'une   manière  appro- 


DB  LÀ  PHILOSOPHIE   POSITIVE.  85 

fondie.  Celles,  d'ailleurs,  dont  les  résultats  présentent,  au 
premier  abord,  un  moindre  intérêt  pratique,  se  recom- 
mandent éminemment,  soit  par  la  plus  grande  perfection 
de  leurs  méthodes,  soit  comme  étant  le  fondement  indis- 
pensable de  toutes  les  autres.  C'est  une  considération  sur 
laquelle  j'aurai  spécialement  occasion  de  revenir  dans  la 
prochaine  leçon. 

Pour  prévenir,  autant  que  possible,-  toutes  les  fausses 
interprétations  qu'il  est  légitime  de  craindre  sur  la  nature 
d'un  cours  aussi  nouveau  que  celui-ci,  je  dois  ajouter  som- 
mairement aux  explications  précédentes  quelques  considé- 
rations directement  relatives  à  cette  universalité  de  con- 
naissances spéciales,  que  des  juges  irréfléchis  pourraient 
regarder  comme  la  tendance  de  ce  cours,  et  qui  est  envi- 
sagée à  si  juste  raison  comme  tout  à  fait  contraire  au  véri- 
table esprit  de  la  philosophie  positive.  Ces  considérations 
auront  d'ailleurs  l'avantage  plus  important  de  présenter  cet 
esprit  sous  un  nouveau  point  de  vue,  propre  à  achever  d'en 
éclaircir  la  notion  générale. 

Dans  l'état  primitif  de  nos  connaissances  il  n'existe 
aucune  division  régulière  parmi  nos  travaux  intellectuels  ; 
toutes  les  sciences  sont  cultivées  simultanément  par  les 
mômes  esprits.  Ce  mode  d'organisation  des  études  hu- 
maines, d'abord  inévitable  et  môme  indispensable,  comme 
nous  aurons  lieu  de  le  constater  plus  tard,  change  peu  à 
peu^  à  mesure  que  les  divers  ordres  de  conceptions  se  dé- 
veloppent. Par  une  loi  dont  la  nécessité  est  évidente, 
chaque  branche  du  système  scientifique  se  sépare  insensi- 
blement du  tronc,  lorsqu'elle  a  pris  assez  d'accroissement 
pour  comporter  une  culture  isolée,  c'est-à-dire  quand  elle 
est  parvenue  à  ce  point  de  pouvoir  occuper  à  elle  seule  l'ac- 
tivité permanente  de  quelques  intelligences.  C'est  h  cette 
répartition  des  diverses  sortes  de  recherches  entre  diCfé- 


S6  BUT  DU   COURS.  —  NATURE  ET  IMPORTANCE 

rents  ordres  de  savants,  que  nous  devons  évidemment  le 
développement  si  remarquable  qu'a  pris  enfin  de  nos  jours 
chaque  classe  distincte  des  connaissances  humaines,  et  qui 
rend  manifeste  l'impossibilité,  chez  les  modernes,  de  cette 
tiniversalité  de  recherches  spéciales,  si  facile  et  si  com- 
mune dans  les  temps  antiques.  En  un  mot,  la  division  du 
travail  intellectuel,  perfectionnée  de  plus  en  plus,  est  un 
des  attributs  caractéristiques  les  plus  importants  de  la 
philosophie  positive. 

Mais,  tout  en  reconnaissant  les  prodigieux  résultats  de 
cette  division,  tout  en  voyant  désormais  en  elle  la  vél*ita- 
ble  base  fondamentale  de  l'organisation  générale  du  monde 
savant,  il  est  impossible,  d'un  autre  côté,  de  n'être  pas 
frappé  des  inconvénients  capitaux  qu'elle  engendre,  dans 
son  état  actuel,  par  l'excessive  particularité  des  idées  qui 
occupent  exclusivement  chaque  intelligence  individuelle. 
Ce  fâcheux  effet  est  sans  doute  inévitable  jusqu'à  un  cer- 
tain point,  comme  inhérent  au  principe  même  de  la  di- 
vision ;  c'est-à-dire  que,  par  aucune  mesure  quelconque, 
nous  ne  parviendrons  jamais  à  égaler  sous  ce  rapport  les 
anciens,  chez  lesquels  une  telle  supériorité  ne  tenait  sur- 
tout qu'au  peu  de  développement  de  leurs  connaissances. 
Nous  pouvons  néanmoins,  ce  me  semble,  par  des  moyens 
convenables,  éviter  les  plus  pernicieux  effets  de  la  spé- 
cialité exagérée^  sans  nuire  à  l'influence  viviûante  de  la 
séparation  des  recherches.  Il  est  urgent  de  s'en  occuper 
sérieusement  ;  car  ces  inconvénients,  qui,  par  leur  nature, 
tendent  à  s'accroître  sans  cesse^  commencent  à  devenir 
très-sensibles.  De  l'aveu  de  tous,  les  divisions,  établies 
pour  la  plus  grande  perfection  de  nos  travaux,  entre  les 
diverses  branches  de  la  philosophie  naturelle,  sont  finale- 
ment artiQcielles.  N'oublions  pas  que,  nonobstant  cet 
aveu,  il  est  déjà  bien  petit  dans  le  monde  savant  le  nombre 


DE  LA   PQILOSOPniE    POSITIVE.  27 

des  intelligences  embrassant  dans  leurs  conceptions  l'en- 
semble môme  d'une  science  unique,  qui  n'est  cependant 
à  son  tour  qu'une  partie  d'un  grand  tout.  La  plupart  se 
bornent  déjà  entièrement  à  la  considération  isolée  d'une 
seclion  plus  ou  moins  étendue  d'une  science  déterminée, 
sans  s'occuper  beaucoup  de  la  relation  de  ces  travaux  par- 
ticuliers avec  le  système  général  des  connaissances  posi- 
tives. Hàtons-nous  de  remédier  au  mal,  avant  qu'il  soit 
devenu  plus  grave.  Craignons  que  l'esprit  humain  ne 
finisse  par  se  perdre  dans^ies  travaux  de  détail.  Ne  nous 
dissimulons  pas  que  c'est  là  essentiellement  le  côté  faible 
par  lequel  les  partisans  de  la  philosophie  théologique  et  de 
la  philosophie  métaphysique  peuvent  encore  attaquer  avec 
quelque  espoir  de  succès  la  philosophie  positive. 

Le  véritable  moyen  d'arrêter  l'influence  délétère  dont 
l'avenir  intellectuel  semble  menacé,  par  suite  d'une  trop 
grande  spécialisation  des  recherches  individuelles^  ne 
saurait  être,  évidemment,  de  revenir  à  cette  antique  con- 
fusion des  travaux,  qui  tiendrait  à  faire  rétrograder  l'esprit 
homaiOy  et  qui  est  d'ailleurs,  aujourd'hui,  heureuseument 
devenue  impossible.  Il  consiste,  au  contraire,  dans  le  per- 
fectionnement de  la  division  du  travail  elle-même.  Il  suffit, 
en  effet,  de  faire  de  l'étude  des  généralités  scientiflques 
one  grande  spécialité  de  plus.  Qu'une  classe  nouvelle  de 
savants,  préparés  pur  une  éducation  convenable,  sans  se 
livrer  à  la  culture  spéciale  d'aucune  branche  particulière 
de  la  philosophie  naturelle,  s'occupe  uniquement,  en  con- 
sidérant les  diverses  sciences  positives  dans  leur  état  ac- 
tuel, à  déterminer  exactement  l'esprit  de  chacune  d'elles, 
à  découvrir  leurs  relations  et  leur  enchaînement,  à  ré- 
sumer, s'il  est  possible,  tous  leurs  principes  propres  en 
un  moindre  nombre  de  principes  communs,  en  se  con- 
formant sans  cesse  aux  maximes  fondamentales  de  la  mé- 


«8  BUT  DU   COURS.    —  NATURE   ET  IMPORTANCE 

thode  positive.  Qu'en  môme  temps,  les  autres  savants, 
avant  de  se  livrer  à  leurs  spécialités  respectives,  soient 
rendus  aptes  désormais,  par  une  éducation  portant  sur 
Tensemblc  des  connaissances  positives,  à  profiter  immé- 
diatement des  lumières  répandues  par  ces  savants  voués  à 
l'étude  des  généralités,  et  réciproquement  à  rectifier  leurs 
résultats,  état  de  choses  dont  les  savants  actuels  se  rappro- 
chent visiblement  de  jour  en  jour.  Ces  deux  grandes  con- 
ditions une  fois  remplies,  et  il  est  évident  qu'elles  peuvent 
l'être,  la  division  du  travail  dans  les  sciences  sera  poussée, 
sans  aucun  danger,  aussi  loin  que  le  développement  des 
divers  ordres  de  connaissances  l'exigera.  Une  classe  dis- 
tincte,   incessamment   contrôlée  par  toutes  les  autres, 
ayant  pour  fonction  propre  et  permanente  de  lier  chaque 
nouvelle  découverte  particulière  au  système  général,  on 
n'aura  plus  à  craindre  qu'une  trop  grande  attention  donnée 
aux  détails  empêche  jamais  d'apercevoir  l'ensemble.  £n 
mot,  l'organisation  moderne  du  monde  savant  sera  dès 
lors  complètement  fondée,  et  n'aura  qu'à  se  développer 
indéfiniment,  en  conservant  toujours  le  même  caractère. 
Former  ainsi  de  l'étude  des  généralités  scientifiques  une 
section  distincte  du  grand  travail  intellectuel,  c'est  sim- 
plement étendre  l'application  du  même  principe  de  divi- 
sion qui  a  successivement  séparé  les  diverses  spécialités  ; 
car,  tant  que  les  différentes  sciences  positives  ont  été  peu 
développées,  leurs  relations  mutuelles  ne  pouvaient  avoir 
assez  d'importance  pour  donner  lieu,  au  moins  d'une  ma- 
nière permanente,  à  une  classe  particulière  de  travaux,  et 
en  même  temps  la  nécessité  de  cette  nouvelle  étude  était 
bien  moins  urgente.  Mais  aujourd'hui  chacune  des  sciences 
a  pris  séparément  assez  d'extension  pour  que  l'examen  de 
leurs  rapports  mutuels  puisse  donner  lieu  à  des  travaux  sui- 
vis, en  même  temps  que  ce  nouvel  ordre  d'études  devient 


DE  lA   PHILOSOPHIE   POSITIVE.  29 

indispensable  pour  prévenir  la  dispersion  des  conceptions 
humaines. 

Telle  est  la  manière  dont  je  conçois  la  destination  de  la 
philosophie  positive  dans  le  système  général  des  sciences 
positives  proprement  dites.  Tel  est,  du  moins,  le  but  de  ce 
cours. 

Maintenant  que  j'ai  essayé  de  déterminer  aussi  exacte- 
ment qu'il  m'a  été  possible  de  le  faire,  dans  ce  premier 
aperçu,  l'esprit  général  d'un  cours  de  philosophie  positive, 
je  crois  devoir,  pour  imprimer  à  ce  tableau  tout  son  carac- 
tère, signaler  rapidement  les  principaux  avantages  géné- 
raux que  peut  avoir  un  tel  travail,  si  les  conditions  essen- 
tielles en  sont  convenablement  remplies,  relativement  aux 
progrès  de  l'esprit  humain.  Je  réduirai  ce  dernier  ordre  de 
considérations  à  l'indication  de  quatre  propriétés  fonda- 
mentales. 

Premièrement  l'étude  de  la  philosophie  positive,  en 
considérant  les  résultats  de  l'activité  de  nos  facultés  in- 
tellectaelles,  nous  fournit  le  seul  vrai  moyen  rationnel  de 
mettre  en  évidence  les  lois  logiques  de  l'esprit  humain,  qui 
ont  été  recherchées  jusqu'ici  par  des  voies  si  peu  propres 
à  les  dévoiler. 

Pour  expliquer  convenablement  ma  pensée  à  cet  égard, 
je  dois  d'abord  rappeler  une  conception  philosophique  de 
la  plos  haute  importance,  exposée  par  de  Blainville  dans 
la  belle  introduction  de  ses  Principes  généraux  d'anatomie 
comparée.  Elle  consiste  en  ce  que  tout  être  actif,  et  spécia- 
lement tout  être  vivant,  peut  être  étudié,  dans  tous  ses  phé- 
nomènes sous  deux  rapports  fondamentaux,  sous  le  rap- 
port statique  et  sous  le  rapport  dynamique,  c'est-à-dire 
comme  apte  à  agir  et  comme  agissant  effectivement.  II  est 
clair,  en  eCfet,  que  toutes  les  considérations  qu'on  pourra 
présenter  rentreront  nécessairement  dans  l'un  ou  l'autre 


3  0  BUT  DU   COURS.  —   NATURE  ET  IMPORTANCE 

mode.  Appliquons  celte  lumineuse  maxime  fondamentale 
à  rélude  des  fonctions  intellectuelles. 

Si  Ton  envisage  ces  fonctions  sous  le  point  de  vue  stati- 
que, leur  étude  ne  peut  consister  que  dans  la  détermina- 
tion des  conditions  organiques  dont  elles  dépendent  ;  elle 
forme  ainsi  une  partie  essentielle  de  Tanatomie  et  de  h 
physiologie.  En  le  considérant  sous  le  point  de  vue  dyna- 
mique, tout  se  réduit  à  étudier  la  marche  effective  de  l'es- 
prit humain  en  exercice,  par  Texamen  des  procédés  réel- 
lement employés  pour  obtenir  les  diverses  connaissances 
exactes  qu'il  a  déjà  acquises,  ce  qui  constitue  essentielle- 
ment l'objet  général  de  la  philosophie  positive,  ainsi  que  je 
Tai  définie  dans  ce  discours.  En  un  mot,  regardant  toutes 
les  théories  scientifiques  comme  autant  de  grands  faits  lo- 
giques, c'est  uniquement  par  l'observation  approfondie  de 
ces  faits  qu'on  peut  s'élever  à  la  connaissance  des  lois  lo- 
giques. 

Telles  sont  évidemment  les  deux  seules  voies  générales, 
complémentaires  l'une  de  l'autre,  par  lesquelles  on  paisse 
arriver  à  quelques  notions  rationnelles  véritables  sur  les 
phénomènes  intellectuels.  On  voit  que,  sous  aucun  rapport, 
il  n'y  a  place  pour  cette  psychologie  illusoire,  dernière 
transformation  de  la  théologie,  qu'on  tente  si  vainement  de 
ranimer  aujourd'hui,  et  qui,  sans  s'inquiéter  ni  de  l'étude 
physiologique  de  nos  organes  intellectuels,  ni  de  l'obser- 
vation des  procédés  rationnels  qui  dirigent  effectivement 
nos  diverses  recherches  scientifiques,  prétend  arriver  à  la 
découverte  des  lois  fondamentales  de  l'esprit  humain,  en 
le  contemplant  en  lui-môme,  c'est-à-dire  en  faisant  com- 
plètement abstraction  et  des  causes  et  des  effets. 

La  prépondérance  de  la  philosophie  positive  est  succes- 
sivement devenue  telle  depuis  Bacon;  elle  a  pris  aujour«> 
d'hui,  indirectement,  un  si  grand  ascendant  sur  les  esprits 


DE  LA   PniLOSOPniE  POSITIVE.  31 

même  qui  sont  demeurés  le  plus  étrangers  à  soq  immense 
développement,  que  les  métaphysiciens  livrés  à  l'étude  de 
notre  intelligence  n'ont  pu  espérer  de  ralentir  la  décadence 
de  leur  prétendue  science  qu'en  se  ravisant  pour  présen- 
ter leurs  doctrines  comme  étant  aussi  fondées  sur  l'observa- 
tion des  faits.  A  cette  fin,  ils  ont  imaginé,  dans  ces  derniers 
temps,  de  distinguer,  par  une  subtilité  fort  singulière,  deux 
sortes  d'observalions  d'égale  importance,  l'une  extérieure, 
l'autre  intérieure,  et  dont  la  dernière  est  uniquement  desti- 
née à  l'étude  des  phénomènes  intellectuels.  Ce  n'est  point 
ici  le  lieu  d'entrer  dans  la  discussion  spéciale  de  ce  so- 
phisme fondamental.  Je  dois  me  borner  à  indiquer  la  con- 
sidération principale  qui  prouve  clairement  que  cette  pré- 
tendue contemplation  directe  de  l'esprit  par  lui-môme  est 
une  pure  illusion. 

On  croyait,  il  y  a  encore  peu  de  temps,  avoir  expliqué  la 
vision,  en  disant  que  l'action  lumineuse  des  corps  déter- 
mine sur  la  rétine  des  tableaux  représentatifs  des  formes 
et  des  couleurs  extérieures.  A  cela  les  physiologistes  ont 
objecté  avec  raison  que,  si  c'était  comme  images  qu'agis- 
saient les  impressions  lumineuses,  il  faudrait  un  autre  œil 
pour  les  regarder.  N'en  est-il  pas  encore  plus  fortement  de 
même  dans  le  cas  présent  ? 

Il  est  sensible,  en  effet,  que,  par  une  nécessité  invincible, 
l'esprit  humain  peut  observer  directement  tous  les  phéno- 
mènes, excepté  les  siens  propres.  Car,  par  qui  serait  faite 
l'observation?  On  conçoit,  relativement  aux  phénomènes 
moraux,  que  l'homme  puisse  s'observer  lui-même  sous  le 
rapport  des  passions  qui  l'animent,  par  cette  raison  ana- 
tomique,  que  les  organes  qui  en  sont  le  siège  sont  distincts 
de  ceux  destinés  aux  fonctions  observatrices.  Encore  même 
que  chacun  ait  eu  occasion  de  faire  sur  lui  de  telles  re- 
marques^ elles  ne  sauraient  évidemment  avoir  jamais  une 


32  BUT  DU   COURS.    —  NATURE   ET   IMPORTANCE 

grande  importance  scientifique^  et  le  meilleur  moyen  de 
connaître  les  passions  sera-t*il  toujours  de  les  observer  en 
dehors;  car  tout  état  de  passion  très-prononcé,  c'est-à-dire 
précisément  celui  qu'il  serait  le  plus  essentiel  d'examiner, 
est  nécessairement  incompatible  avec  l'état  d'observation. 
Mais,  quant  à  observer  de  la  môme  manière  les  phéno- 
mènes intellectuels  pendant  qu'ils  s'exécutent,  il  y  a  im- 
possibilité manifeste.  L'individu  pensant  ne  saurait  se  par- 
tager en  deux^  dont  l'un  raisonnerait,  tandis  que  l'autre 
regarderait  raisonner.  L'organe  observé  et  l'organe  obser- 
vateur étant,  dans  ce  cas,  identiques,  comment  l'observa- 
tion pourrait-elle  avoir  lieu? 

Cette  prétendue  méthode  psychologique  est  donc  radi- 
calement nulle  dans  son  principe.  Aussi,  considérons  à 
quels  procédés  profondément  contradictoires  elle  conduit 
immédiatement  !  D'un  côté,  on  vous  recommande  de  tous 
isoler,  autant  que  possible,  de  toute  sensation  extérieure, 
il  faut  surtout  vous  interdire  tout  travail  intellectuel  ;  car, 
si  vous  étiez  seulement  occupés  à  faire  le  calcul  le  plus 
simple,  que  deviendrait  l'observation  intérieure?  D'un  au- 
tre côté,  après  avoir,  enfin,  à  force  de  précautions,  atteint 
cet  état  parfait  de  sommeil  intellectuel,  vous  devez  vous 
occuper  à  contempler  les  opérations  qui  s'exécuteront  dans 
votre  esprit  lorsqu'il  ne  s'y  passera  plus  rien  !  Nos  descen- 
dants verront  sans  doute  de  telles  prétentions  transportées 
un  jour  sur  la  scène. 

Les  résultats  d'une  aussi  étrange  manière  de  procéder 
sont  parfaitement  conformes  au  principe.  Depuis  deux 
mille  ans  que  les  métaphysiciens  cultivent  ainsi  la  psycho- 
logie, ils  n'ont  pu  encore  convenir  d'une  seule  proposition 
intelligible  et  solidement  arrêtée.  Ils  sont,  même  aujour- 
d'hui, partagés  en  une  multitude  d'écoles  qui  disputent 
sans  cesse  sur  les  premiers  éléments  de  leurs  doctrines. 


iDE  LA   PHILOSOPHIE   POSITIVE.  38 

Vobservatton  intérieure  engendre  presque  autant  d'opinions 
divergentes  qu'il  y  a  d'individus  croyant  s'y  livrer. 

Les  véritables  savants,  les  hommes  voués  aux  études  po- 
sitives, en  sont  encore  à  demander  vainement  à  ces  psycho* 
logaes  de  citer  une  seule  découverte  réelle,  grande  ou 
petite,  qui  soit  due  à  cette  méthode  si  vantée.  Ce  n'est  pas 
à  dire  pour  cela  que  tous  leurs  travaux  aient  été  absolument 
sans  aucun  résultat  relativement  aux  progrès  généraux  de 
nos  connaissances,  indépendamment  du  service  éminent 
qu'ils  ont  rendu  en  soutenant  l'activité  de  notre  intelli- 
gence, à  l'époque  où  elle  ne  pouvait  pas  avoir  d'aliment 
plus  substantiel.  Mais  on  peut  afflrmer  que  tout  ce  qui, 
dans  leurs  écrits,  ne  consiste  pas,  suivant  la  judicieuse 
expression  d'un  illustre  philosophe  positif  (M.  Cuvier),  en 
métaphores  prises  pour  des  raisonnements,  et  présente 
quelque  notion  véritable,  au  lieu  de  provenir  de  leur  pré- 
tendue méthode,  a  été  obtenu  par  des  observations  effec- 
tives sur  la  marche  de  l'esprit  humain,  auxquelles  a  dû 
donner  naissance,  de  temps  à  autre,  le  développement  des 
sciences.  Encore  même,  ces  notions  si  clair-semées,  pro- 
clamées avec  tant  d'emphase,  et  qui  ne  sont  dues  qu'à  l'in- 
fidélité des  psychologues  à  leur  prétendue  méthode,  se 
trouveol-elles  le  plus  souvent  ou  fort  exagérées,  ou  très- 
incomplètes,  et  bien  inférieures  aux  remarques  déjà  faites 
sans  ostentation  par  les  savants  sur  les  procédés  qu'ils  em* 
ploient.  11  serait  aisé  d'en  citer  des  exemples  frappants,  si 
je  ne  craignais  d'accorder  ici  trop  d'extension  à  une  telle 
discussion  :  voyez,  entre  autres,  ce  qui  est  arrivé  pour  la 
théorie  des  signes. 

Les  considérations  que  je  viens  d'indiquer,  relativement 
à  la  science  logique,  sont  encore  plus  manifestes,  quand  on 
les  transporte  à  Tart  logique. 

En  effet,  lorsqu'il  s'agit,  non-seulement  de  savoir  ce  que 

A.  CoMTB.  Tome  1.  ^ 


3  4  BUT  DU   COURS.    —  NATURE   ET  IMPORTANCE 

c'est  que  la  méthode  positive,  mais  d'en  avoir  une  con- 
naissance assez  nette  et  assez  profonde  pour  en  pouvoir 
faire  un  usage  effectif,  c'est  en  action  qu'il  faut  la  considé- 
rer; ce  sont  les  diverses  grandes  applications  déjà  vérifiées 
que  l'esprit  humain  en  a  faites  qu'il  convient  d'étudier. 
En  un  mot,  ce  n'est  évidemment  que  par  l'examen  philo- 
sophique des  sciences  qu'il  est  possible  d'y  parvenir.  La 
méthode  n'est  pas  susceptible  d'être  étudiée  séparément  des 
recherches  où  elle  est  employée  ;  ou,  du  moins,  ce  n'est  là 
qu'une  étude  morte,  incapable  de  féconder  l'esprit  qui  s'y 
livre.  Tout  ce  qu'on  e,n  peut  dire  de  réel,  quand  on  l'envi- 
sage abstraitement^  se  réduit  à  des  généralités  tellement 
vagues,  qu'elles  ne  sauraient  avoir  aucune  influence  sur 
le  régime  intellectuel.  Lorsqu'on  a  bien  établi,  en  thèse 
logique,  que  toutes  nos  connaissances  doivent  être  fondées 
sur  l'observation,  que  nous  devons  procéder  tantôt  des  faits 
aux  principes,  et  tantôt  des  principes  aux  faits,  et  quelques 
autres  aphorismes  semblables,  on  connaît  beaucoup  moins 
nettement  la  méthode  que  celui  qui  a  étudié,  d'une  ma- 
nière un  peu  approfondie,  une  seule  science  positive, 
môme  sans  intention  philosophique.  C'est  pour  avoir  mé- 
connu ce  fait  essentiel,  que  nos  psychologues  sont  conduits 
à  prendre  leurs  rêveries  pour  de  la  science,  croyant  com- 
prendre la  méthode  positive  pour  avoir  lu  les  préceptes  de  . 
Bacon  ou  le  discours  de  Descartes. 

J'ignore  si,  plus  tard,  il  deviendra  possible  de  faire  è 
priori  un  véritable  cours  de  méthode  tout  à  fait  indépen- 
dant de  l'étude  philosophique  des  sciences;  mais  je  suis 
bien  convaincu  que  cela  est  inexécutable  aujourd'hui,  les 
grands  procédés  logiques  ne  pouvant  encore  être  expliqués 
avec  la  précision  suffisante  séparément  de  leurs  applica- 
tions. J'ose  ajouter,  en  outre,  que,  lors  même  qu'une  telle 
entreprise  pourrait  être  réalisée  dans  la  suite,  ce  qui,  en 


DE  LA   PUILOSOPniE    POSITIVE.  35 

eflel,  se  laisse  concevoir,  ce  ne  serait  jamais  néanmoins 
que  par  l'étude  des  applications  régulières  des  procédés 
scientifiques  qu'on  pourrait  parvenir  à  se  former  un  bon 
système  d'habitudes  intellectuelles;  ce  qui  est  pourtant  le 
but  essentiel  de  l'étude  de  la  méthode.  Je  n'ai  pas  besoin 
d'insister  davantage  en  ce  moment  sur  un  sujet  qui  revien- 
dra fréquemment  dans  toute  la  durée  de  ce  cours^  et  à 
l'égard  duquel  je  présenterai  spécialement  de  nouvelles 
considérations  dans  la  prochaine  leçon. 

Tel  doit  être  le  premier  grand  résultat  direct  de  la  phi- 
losophie positive,  la  manifestation  par  expérience  des  lois 
que  suivent  dans  leur  accomplissement  nos  fondions  intel- 
lectuelles, et,  par  suite,  la  connaissance  précise  des  règles 
générales  convenables  pour  procéder  sûrement  à  la  recher- 
che de  la  vérité* 

Une  seconde  conséquence,  non  moins  importante,  et 
d'un  intérêt  bien  plus  pressant,  qu*est  nécessairement  des- 
tiné à  produire  aujourd'hui  l'établissement  de  la  philoso- 
phie positive  définie  dans  ce  discours,  c'est  de  présider  à 
la  refonte  générale  de  notre  système  d'éducation. 

Ed  effet,  déjà  les  bons  esprits  reconnaissent  unanime- 
ment la  nécessité  deremplacer  notre  éducation  européenne, 
encore  essentiellement  théologique,  métaphysique  et  litté- 
raire, par  une  éducation  positive^  conforme  à  l'esprit  de 
notre  époque,  et  adaptée  aux  besoins  de  la  civilisation  mo- 
derne. Les  tentatives  variées  qui  se  sont  multipliées  de 
plus  en  plus  depuis  un  siècle,  particulièrement  dans  ces 
derniers  temps,  pour  répandre  et  pour  augmenter  sans 
cesse  l'instruction  positive,  et  auxquelles  les  divers  gou- 
vernements européens  se  sont  toujours  associés  avec  em- 
pressement quand  ils  n'en  ont  pas  pris  Tiniliative,  témoi- 
gnent assez  que,  de  toutes  parts,  se  développe  le  sentiment 
spontané  de  cette  nécessité.  Mais,  tout  en  secondant  autant 


36  BUT  DU   COURS.   —    NATURE   ET  IMPORTANCE 

que  possible  ces  utiles  entreprises,  on  ne  doit  pas  se  dis- 
simuler que,  dans  l'état  présent  de  nos  idées,  elles  ne  sont 
nullement  susceptibles  d'atteindre  leur  but  principal,  la 
régénération  fondamentale  de  l'éducation  générale.  Car  la 
spécialité  exclusive,  l'isolement  trop  prononcé,  qui  carac- 
térisent encore  notre  manière  de  concevoir  et  de  cultiver 
les  sciences,  influent  nécessairement  à  un  haut  degré  sur 
la  manière  de  les  exposer  dans  l'enseignement.  Qu'un  bon 
esprit  veuille  aujourd'hui  étudier  les  principales  branches 
de  la  philosophie  naturelle,  afin  de  se  former  un  système 
général  d'idées  positives,  il  sera  obligé  d'étudier  séparé- 
ment  chacune  d'elles  d'après  le  môme  mode  et  dans  le 
môme  détail  que  s'il  voulait  devenir  spécialement  on  as- 
tronome, ou  chimiste,  etc.  ;  ce  qui  rend  une  telle  éduca- 
tion presque  impossible  et  nécessairement  fort  imparfaite, 
môme  pour  les  plus  hautes  intelligences  placées  dans  les 
circonstances  les  plus  favorables.  Une  telle  manière  de 
procéder  serait  donc  tout  à  fait  chimérique,  relativement  à 
l'éducation  générale.  Et  néanmoins  celle-ci  exige  absolu- 
ment un  ensemble  de  conceptions  positives  sur  toutes  les 
grandes  classes  de  phénomènes  naturels.  C'est  un  tel  en- 
semble qui  doit  devenir  désormais,  sur  une  échelle  plus 
ou  moins  étendue,  môme  dans  les  masses  populaires,  la 
base  permanente  de  toutes  les  combinaisons  humaines; 
qui  doit,  en  un  mot,  constituer  l'esprit  général  de  nos  des- 
cendants. Pour  que  la  philosophie  naturelle  puisse  achever 
la  régénération,  déjà  si  préparée,  de  notre  système  intel- 
lectuel, il  est  donc  indispensable  que  les  différentes  sciences 
dont  elle  se  compose,  présentées  à  toutes  les  intelligences 
comme  les  diverses  branches  d'un  tronc  unique,  soient  ré- 
duites d'abord  à  ce  qui  constitue  leur  esprit,  c'est-à-dire 
à  leurs  méthodes  principales  et  à  leurs  résultats  les  plus 
importants.   Ce    n'est    qu'ainsi  que    l'enseignement   des 


DB  LA   PHILOSOPHIE   POSITIVE.  S7 

sciences  peut  devenir,  parmi  nous,  la  base  d'une  nouvelle 
éducation  générale  vraiment  rationnelle.  Qu'ensuite  à  cette 
instruction  fondamentale  s'ajoutent  les  diverses  études 
scientifiques  spéciales,  correspondantes  aux  diverses  édu- 
cations spéciales  qui  doivent  succéder  à  l'éducation  géné- 
rale, cela  ne  peut  évidemment  être  rois  en  doute.  Mais  la 
considération  essentielle  que  j'ai  voulu  indiquer  ici  con- 
siste en  ce  que  toutes  ces  spécialités,  môme  péniblement 
accamulées,  seraient  nécessairement  insuffisantes  pour 
renouveler  réellement  le  système  de  notre  éducation,  si 
elles  ne  reposaient  sur  la  base  préalable  de  cet  enseigne- 
ment général,  résultat  direct  de  la  philosophie  positive  dé- 
finie dans  ce  discours. 

Non-seulement  l'étude  spéciale  des  généralités  scientifi- 
ques est  destinée  à  réorganiser  l'éducation,  mais  elle  doit 
, aussi   contribuer  aux  progrès  particuliers  des   diverses 
sciences  positives;  ce  qui  constitue  la  troisième  propriété 
fondamentale  que  je  me  suis  proposé  de  signaler. 

En  effet,  les  divisions  que  nous  établissons  entre  nos 
sciences,  sans  être  arbitraires,  comme  quelques-uns  le 
croient,  sont  essentiellement  artificielles.  En  réalité,  le  su- 
jet de  toutes  nos  recherches  est  un;  nous  ne  le  partageons 
que  dans  la  vue  de  séparer  les  difficultés  pour  les  mieux 
résoudre.  Il  en  résulte  plus  d'une  fois  que,  contrairement 
à  nos  répartitions  classiques,  des  questions  importantes 
exigeraient  une  certaine  combinaison  de  plusieurs  points 
de  vue  spéciaux,  qui  ne  peut  guère  avoir  lieu  dans  la  cons^ 
litution  actuelle  du  monde  savant;  ce  qui  expose  à  laisser 
ces  problèmes  sans  solution  beaucoup  plus  longtemps  qu'il 
ne  serait  nécessaire.  Un  tel  inconvénient  doit  se  présenter 
surtout  pour  les  doctrines  les  plus  essentielles  de  chaque 
science  positive  en  particulier.  On  en  peut  citer  aisément 
des  exemples  très-marquants,  que  je  signalerai  soigneuse- 


38  BUT  DU   COURS.   —  NATURE  ET   IMPORTARCE 

ment,  à  mesure  que  le  développement  naturel  de  ce  cours 
nous  les  présentera. 

J'en  pourrais  citer,  dans  le  passé,  un  exemple  émioem- 
ment  mémorable,  en  considérant  l'admirable  conception 
de  Descartes  relative  à  la  géométrie  analytique.  Cette  dé- 
couverte fondamentale,  qui  a  cbangé  la  face  de  la  science 
mathématique,  et  dans  laquelle  on  doit  voir  le  véritable 
germe  de  tous  les  grands  progrès  ultérieurs,  qu'est-elle 
autre  chose  que  le  résultat  d*un  rapprochement  établi  en- 
tre deux  sciences,  conçues  jusqu'alors  d'une  manière  isolée? 
Mais  l'observation  sera  plus  décisive  en  la  faisant  porter 
sur  des  questions  encore  pendantes. 

Je  me  bornerai  ici  à  choisir,  dans  la  chimie,  la  doctrine 
si  importante  des  proportions  définies.  Certainement,  la 
mémorable  discussion  élevée  de  nos  jours,  relativement  au 
principe  fondamental  de  cette  théorie,  ne  saurait  encore, 
quelles  que  soient  les  apparences,  être  regardée  comme 
irrévocablement  terminée.  Car  ce  n'est  pas  la,  ce  me  sem- 
ble, une  simple  question  de  chimie.  Je  crois  pouvoir  avan- 
cer que,  pour  obtenir  à  cet  égard  une  décision  vraiment 
définitive,  c'est-à-dire  pour  déterminer  si  nous  devons 
regarder  comme  une  loi  de  la  nature  que  les  molécules  se 
combinent  nécessairement  en  nombres  fixes,  il  serait  indis- 
pensable de  réunir  le  point  de  vue  chimique  avec  le  point 
de  vue  physiologique.  Ce  qui  l'indique,  c'est  que,  de  l'aveu 
même  des  illustres  chimistes  qui  ont  le  plus  puissamment 
contribué  à  la  formation  de  cette  doctrine^  on  peut  dire 
tout  au  plus  qu'elle  se  vérifie  constamment  dans  la  com- 
position des  corps  inorganiques  ;  mais  elle  se  trouve  au 
moins  aussi  constamment  en  défaut  dans  les  composés  or- 
ganiques, auxquels  il  semble  jusqu'à  présent  tout  à  fait 
impossible  de  l'étendre.  Or,  avant  d'ériger  celte  théorie  en 
un  principe  réellement  fondamental,   ne  faudra4-il  pas 


DE  LA   PDILOSOPHIE   POSITIVE.  89 

d'abord  s'être  rendu  compte  de  cette  immense  exception  ? 
Ne  tiendrait-elle  pas  à  ce  même  caractère  générai,  propre  à 
tons  les  corps  organisés,  qui  fait  que,  dans  aucun  de  leurs 
phénomènes,  il  n'y  a  lieu  à  concevoir  des  nombres  inva- 
riables? Quoi  qu'il  en  soit,  un  ordre  tout  nouveau  de  con- 
sidérations^ appartenant  également  à  la  chimie  et  h  la  phy- 
siologie, est  évidemmentnécessairepourdécider  finalement, 
d'une  manière  quelconque,  cette  grande  question  de  phi- 
losophie naturelle. 

Je  crois  convenable  d'indiquer  encore  ici  un  second 
exemple  de  même  nature,  mais  qui,  se  rapportant  à  un 
sujet  de  recherches  bien  plus  particulier,  est  encore  plus 
concluant  pour  montrer  l'importance  spéciale  de  la  philo- 
sophie positive  dans  la  solution  des  questions  qui  exigent 
la  combinaison  de  plusieurs  sciences.  Je  le  prends  aussi 
dans  la  chimie.  11  s'agit  de  la  question,  encore  indécijse,  qui 
consiste  à  déterminer  si  l'azote  doit  être  regardé,  dans  l'état 
présent  de  nos  connaissances,  comme  un  corps  simple  ou 
comme  un  corps  composé.  Vous  savez  par  quelles  considé- 
rations purement  chimiques  l'illustre  Berzélius  est  parvenu 
à  balancer  l'opinion  de  presque  tous  les  chimistes  actuels, 
relativement  à  la  simplicité  de  ce  gaz.  Mais  ce  que  je  ne 
dois  pas  négliger  de  faire  particulièrement  remarquer,  c'est 
l'influence  exercée  à  ce  sujet  sur  l'esprit  de  Berzélius, 
comme  il  en  fait  lui-même  le  précieux  aveu,  par  cette 
observation  physiologique,  que  les  animaux  qui  se  nour- 
rissent de  matières  non  azotées  renferment  dans  la  compo- 
sition de  leurs  tissus  tout  autant  d'azote  que  les  animaux 
carnivores.  11  est  clair,  en  eifet,  d'après  cela^  que,  pour  dé- 
cider réellement  si  Tazote  est  ou  non  un  corps  simple,  il 
laodra  nécessairement  faire  intervenir  la  physiologie,  et 
combiner^  avec  les  considérations  chimiques  proprement 
dites,  une  série  de  recherches  neuves  sur  la  relation  entre  la 


40  BUT  DU   COURS.   —  NATURE   ET  IMPORTANCE 

composition  des  corps  vivants  et  leur  mode  d'alimentation. 

11  serait  maintenant  superflu  de  multiplier  davantage  les 
exemples  de  ces  problèmes  de  nature  multiple,  qui  ne  sau- 
raient être  résolus  que  par  Tintime  combinaison  de  plu- 
sieurs sciences  cultivées  aujourd'hui  d'une  manière  tout  à 
fait  indépendante.  Ceux  que  je  viens  de  citer  suffisent  pour 
faire  sentir,  en  général,  l'importance  de  la  fonction  que 
doit  remplir  dans  le  perfectionnement  de  chaque  science 
naturelle  en  particulier  la  philosophie  positive,  immédia- 
tement destinée  à  organiser  d'une  manière  permanente  de 
telles  combinaisons,  qui  ne  pourraient  se  former  convena- 
blement sans  elle. 

Enfin,  une  quatrième  et  dernière  propriété  fondamentale 
que  je  dois  faire  remarquer  dès  ce  moment  dans  ce  que 
j'ai  appelé  la  philosophie  positive^  et  qui  doit  sans  doute 
lui  mériter  plus  que  toute  autre  l'attention  générale,  puis- 
qu'elle est  aujourd'hui  la  plus  importante  pour  la  pratique, 
c'est  qu'elle  peut  être  considérée  comme  la  seule  base  so- 
lide de  la  réorganisation  sociale  qui  doit  terminer  l'état  de 
crise  dans  lequel  se  trouvent  depuis  si  longtemps  les  na- 
tions les  plus  civilisées.  La  dernière  partie  de  ce  cours  sera 
spécialement  consacrée  à  établir  cette  proposition,  en  la 
développant  dans  toute  son  étendue.  Mais  l'esquisse  géné- 
rale du  grand  tableau  que  j'ai  entrepris  d'indiquer  dans  ce 
discours  manquerait  d'un  de  ses  éléments  les  plus  caracté- 
ristiques, si  je  négligeais  de  signaler  ici  une  considération 
aussi  essentielle. 

Quelques  réflexions  bien  simples  suffiront  pour  justifier 
ce  qu'une  telle  qualification  parait  d'abord  présenter  de 
trop  ambitieux. 

Ce  n'est  pas  aux  lecteurs  de  cet  ouvrage  que  je  croirai 
jamais  devoir  prouver  que  les  idées  gouvernent  et  boule- 
versent le  monde,  ou,  en  d'autres  termes,  que  tout  le  m& 


DE  LA   PHILOSOPHIE  POSITIVE.  41 

canisme  social  repose  finalement  sur  des  opinions.  Ils  sn- 
\eat  surtout  que  la  grande  crise  politique  et  morale  des 
sociétés  actuelles  tient,  en  dernière  analyse,  à  l'anarchie 
intellectuelle.  Notre  mal  le  plus  grave  consiste,  en  efl'et, 
dans  cette  profonde  divergence  qui  existe  maintenant  entre 
tous  les  esprits  relativement  à  toutes  les  maximes  fonda- 
mentales dont  la  fixité  est  la  première  condition  d'un  véri- 
table ordre  social.  Tant  que  les  intelligences  individuelles 
n'auront  pas  adhéré  par  un   assentiment  unanime  à  un 
certain  nombre  d'idées  générales  capables  de  former  une 
doctrine  sociale  commune,  on  ne  peut  se  dissimuler  que 
l'état  des  nations  restera,  de  toute  nécessité,  essentielle^ 
ment  révolutionnaire,  malgré  tous  les  palliatifs  politiques 
qui  pourront  être  adoptés,  et  ne  comportera  réellement 
que  des  institutions  provisoires.  Il  est  également  certain 
que,  si  cette  réunion  des  esprits  dans. une  même  commu- 
nion de  principes  peut  une  fois  être  obtenue,  les  institu- 
tions convenables  en   découleront  nécessairement,    sans 
donner  lieu  à  aucune  secousse  grave,  le  plus  grand  désor- 
dre étant  déjà  dissipé  par  ce  seul  fait.  C'est  donc  là  que  doit 
se  porter  principalement  Tatlention   de   tous  ceux    qui 
sentent  l'importance  d'un  état  de  choses  vraiment  normal. 
Maintenant,  du  point  de  vue  élevé  où  nous  ont  placés 
graduellement  les  diverses  considérations  indiquées  dans 
ce  discours,  il  est  aisé  à  la  fois  et  de  caractériser  nettement 
dans  son  intime  profondeur  l'état  présent  des  sociétés, 
et  d'en  déduire  par  quelle  voie  on  peut  le  changer  essen- 
tiellement. En  me  rattachant  à  la  loi  fondamentale  énon- 
cée au  commencement  de  ce  discours*  je  crois  pouvoir 
résumer  exactement  toutes  les  observations  relatives  à  la 
situation  actuelle  de  la  société,  en  disant  simplement  que  le 
désordre  actuel  dès  intelligences  tient^  en  dernière  analyse, 
à  l'emploi  simultané  des  trois  philosophies  radicalement  in- 


42  BUT  DU  COURS.   —  NATURE   ET  IMPORTANCE 

compatibles:  la  philosophie  théologique,  la  philosophie  mé- 
taphysique et  la  philosophie  positive.  Il  est  clair,  ea  effet,  que, 
si  l'une  quelconque  de  ces  trois  philosophiesobtenailen  réa- 
lité une  prépondérance  universelle  et  complète,  il  y  aurait 
un  ordre  social  déterminé,  tandis  que  le  mal  consiste  surtout 
dans  l'absence  de  toute  véritable  organisation.  C'est  la 
coexistence  de  ces  trois  philosophies  opposées  qui  em- 
pêche absolument  de  s'entendre  sur  aucun  point  essentiel. 
Or,  si  cette  manière  de  voir  est  exacte,  il  ne  s'agit  plus  que 
de  savoir  laquelle  des  trois  philosophies  peut  et  doit  préva- 
loir par  la  nature  des  choses  ;  tout  homme  sensé  devra  en- 
suite, quelles  qu'aient  pu  être,  avant  l'analyse  de  la  ques- 
tion, ses  opinions  particulières,  s'efforcer  de  concourir  à 
son  triomphe.  La  recherche  étant  une  fois  réduite  à  ces 
termes  simples,  elle  ne  parait  pas  devoir  rester  long- 
temps incertaine  ;  car  il  est  évident,  par  toutes  sortes  de 
raisons  dont  j'ai  indiqué  dans  ce  discours  quelques-unes 
des  principales,  que  la  philosophie  positive  est  seule  des- 
tinée à  prévaloir  selon  le  cours  ordinaire  des  choses.  Seule 
elle  a  été,  depuis  une  longue  suite  de  siècles,  constamment 
en  progrès,  tandis  que  ses  antagonistes  ont  été  constam- 
ment en  décadence.  Que  ce  soit  à  tort  ou  à  raison,  peu  im- 
porte ;  le  fait  général  est  incontestable,  et  il  suffit.  On  peut 
le  déplorer,  mais  non  le  détruire,  ni  par  conséquent  le  né- 
gliger, sous  peine  de  ne  se  livrer  qu'à  des  spéculations  illu- 
soires. Cette  révolution  générale  de  l'esprit  humain  est 
aujourd'hui  presque  entièrement  accomplie  :  il  ne  reste 
plus,  comme  je  l'ai  expliqué,  qu'à  compléter  la  philosophie 
positive  en  y  comprenant  l'étude  des  phénomènes  sociaux, 
ei  ensuite  à  la  résumer  en  un  seul  corps  de  doctrine  homo- 
gène. Quand  ce  double  travail  sera  suffisamment  avancé, 
le  triomphe  définitif  de  la  philosophie  positive  aura  lieu 
spontanément,  et  rétablira  l'ordre  dans  la  société.  La  pré- 


DE   LA   PniLOSOPUIE   POSITIVE.  43 

férence  si  prononcée  que  presque  tous  les  esprits,  depuis 
lesplas  élevés  jusqu'aux  plus  vulgaires,  accordent  aujour- 
d'hui aux  connaissances  positives  sur  les  conceptions  vagues 
et  mystiques  présage  assez  l'accueil  que  recevra  cette 
philosophie,  lorsqu'elle  aura  acquis  la  seule  qualité  qui  lui 
manque  encore,  un  caractère  de  généralité  convenable. 

En  résumé,  la  philosophie  théologique  et  la  philosophie 
métaphysique  se  disputent  aujourd'hui  la  tâche,  trop 
supérieure  aux  forces  de  Tune  et  de  l'autre,  de  réorganiser 
la  société  ;  c'est  entre  elles  seules  que  subsiste  encore  la 
lotte  sous  ce  rapport.  La  philosophie  positive  n'est  inter- 
venue jusqu'ici  dans  la  contestation  que  pour  les  critiquer 
toutes  deux,  et  elle  s'en  est  assez  bien  acquittée  pour  les 
discréditer  entiëremenU  Mettons-la  enfln  en  état  de  prendre 
an  rôle  actifs  sans  nous  inquiéter  plus  longtemps  de  débats 
devenus  inutiles.  Complétant  la  vaste  opération  intellec- 
toelle  commencée  par  Bacon,  par  Descartes  et  par  Galilée, 
construisons  directement  le  système  d'idées  générales  que 
cette  philosophie  est  désormais  destinée  à  faire  indëflni- 
ment  prévaloir  dans  l'espèce  humaine,  et  la  crise  révolu- 
tionnaire qui  tourmente  les  peuples  civilisés  sera  essentiel- 
lement terminée. 

Tels  sont  les  quatre  points  de  vue  principaux  sous  lesquels 
j'ai  cru  devoir  indiquer  dès  ce  moment  l'inlluence  salutaire 
de  la  philosophie  positive,  pour  servir  de  complément  es- 
sentiel à  la  définition  générale  que  j'ai  essayé  d'en  exposer. 

Avant  de  terminer,  je  désire  appeler  un  instant  l'ai ten- 
tion  sur  une  dernière  réflexion  qui  me  semble  convenable 
pour  éviter,  autant  que  possible,  qu'on  se  forme  d'avance 
une  opinion  erronée  de  la  nature  de  ce  cours. 

En  assignant  pour  but  à  la  philosophie  positive  de  ré- 
sumer en  un  seul  corps  de  doctrine  homogène  l'ensemble 
des  connaissances  acquises,  relativement  aux  différents 


4  4  BUT  DU   COURS.   —  NATURE   ET  IMPORTANCE 

ordres  de  phénomènes  naturels,  il  était  loin  de  ma  pensée 
de  vouloir  procéder  à  l'étude  générale  de  ces  phénomènes 
en  les  considérant  tous  comme  des  effets  divers  d'un  prin- 
cipe unique,  comme  assujettis  à  une  seule  et  même  loi. 
Quoique  je  doive  traiter  spécialement  cette  question  dans 
l;i  prochaine  leçon,  je  crois  devoir,  dès  à  présent,  en  faire 
la  déclaration,  afln  de  prévenir  les  reproches  très-mal 
fondés  que  pourraient  m'adresser  ceux  qui,  sur  un  faux 
aperçu,  classeraient  ce  cours  parmi  ces  tentatives  d'expli- 
cation universelle  qu'on  voit  éclore  journellement  de  la 
part  d'esprits  entièrement  étrangers  aux  méthodes  et  aux 
connaissances  scientifiques.  Il  ne  s'agit  ici  de  rien  de  sem- 
blable ;  et  le  développement  de  ce  cours  en  fournira  la 
preuve  manifeste  à  tous  ceux  chez  lesquels  les  éclarcis- 
semenls  contenus  dans  ce  discours  auraient  pu  laisser 
quelques  doutes  à  cet  égard. 

Dans  ma  profonde  conviction  personnelle,  je  considère 
ces  entreprises  d'explication  universelle  de  tous  les  phéno- 
mènes par  une  loi  unique  comme  éminemment  chiméri- 
ques, môme  quand  elles  sont  tentées  par  les  întelligeDces 
les  plus  compétentes.  Je  crois  que  les  moyens  de  l'esprit 
humain  sont  trop  faibles  et  l'univers  trop  compliqué  pour 
qu'une  telle  perfection  scientifique  soit  jamais  à  notre 
portée  et  je  pense^  d^ailieurs,  qu'on  se  forme  générale- 
ment une  idée  très-exagérée  des  avantages  qui  en  résulte- 
raient nécessairement,  si  elle  était  possible.  Dans  tous  les 
cas,  il  me  semble  évident  que,  vu  l'état  présent  de  nos  con- 
naissances, nous  en  sommes  encore  beaucoup  trop  loin 
pour  que  de  telles  tentatives  puissent  être  raisonnables 
avant  un  laps  de  temps  considérable.  Car^  si  on  pouvait 
espérer  d'y  parvenir,  ce  ne  pourrait  être,  suivant  moi,  qu'en 
rattachant  tous  les  phénomènes  naturels  à  la  loi  positive  la 
plus  générale  que  nous  connaissions,  la  loi  de  la  gravitation, 


DE  LA  PHILOSOPHIE   POSITIVE.  4B 

qui  lie  déjà  tous  les  phénomènes  astronomiques  à  une  partie 
de  ceux  delà  physique  terrestre. Laplace  a  exposé  effective- 
ment une  conception  par  laquelle  on  pourrait  ne  voir  dans 
les  phénomènes  chimiques  que  de  simples  effets  molécu- 
laires de  Tattracdon  newtonienne^  modifiée  par  la  figure  et  la 
position  mutuelle  des  atomes.  Mais^  outre  rindétermination 

• 

dans  laquelle  resterait  probablement  toujours  cette  con- 
ception, par  l'absence  des  données  essentielles  relatives  à 
la  constitution  intime  des  corps,  il  est  presque  certain  que 
la  difficulté  de  l'appliquer  serait  telle,  qu'on  serait  obligée 
de  maintenir,  comme  artificielle,  la  division  aujourd'hui 
établie  comme  naturelle  entre  l'astronomie  et  la  chimie. 
Aussi  Laplace  n'a-t-il  présenté  cette  idée  que  comme  un 
simple  jeu  philosophique,  incapable  d'exercer  réellement 
aucune  influence  utile  sur  les  progrès  de  la  science  chi- 
mique. Il  y  a  plus,  d'ailleurs  ;  car,  môme  en  supposant 
vaincue  cette  insurmontable  difficulté,  on  n'aurait  pas 
encore  atteint  à  l'unité  scientifique,  puisqu'il  faudrait 
ensuite  tenter  de  rattacher  à  la  même  loi  l'ensemble  des 
phénomènes  physiologiques;  ce  qui,  certes,  ne  serait  pas 
la  partie  la  moins  difficile  de  l'entreprise.  Et,  néanmoins^ 
l'hypothèse  que  nous  venons  de  parcourir  serait,  tout  bien 
considéré,  la  plus  favorable  à  celte  unité  si  désirée. 

Je  n'ai  pas  besoin  de  plus  grands  détails  pour  achever 
de  convaincre  que  le  but  de  ce  cours  n'est  nullement  de 
présenter  tous  les  phénomènes  naturels  comme  étant  au 
fond  identiques,  sauf  la  variété  des  circonstances.  La  phi- 
losophie positive  serait  sans  doute  plus  parfaite  s'il  pouvait 
en  être  ainsi.  Mais  cette  condition  n'est  nullement  néces- 
saire à  sa  formation  systématique,  non  plus  qu'à  la  réali- 
sation des  grandes  et  heureuses  conséquences  que  nous 
l'avons  vue  destinée  à  produire.  11  n'y  a  d'unité  indispen- 
sable pour  cela  que  l'unité  de  méthode,  laquelle  peut  et 


46       BUT  DU   COURS.   —   NATURE  ET  IMPORTANCE,    ETC. 

doit  évidemment'  exister,  et  se  trouve  déjà  établie  en  ma- 
jeure partie.  Quant  à  la  doctrine,  il  n'est  pas  nécessaire 
qu'elle  soit  une;  il  suffll  qu'elle  soit  homogène.  C'est  donc 
sous  le  double  point  de  vue  de  l'unité  des  méthodes  et  de 
l'homogénéité  des  doctrines  que  nous  considérerons,  dans 
ce  cours,  les  différentes  classes  de  théories  positives.  Tout 
en  tendant  il  diminuer,  le  plus  possible,  le  nombre  des  lois 
générales  nécessaires  à  l'explication  positive  des  phéno- 
mènes naturels,  ce  qui  est,  en  effet,  le  but  philosophique 
de  la  science,  nous  regarderons  comme  téméraire  d'aspirer 
jamais,  môme  pour  l'avenir  le  plus  éloigné,  à  les  réduire 
rigoureusement  à  une  seule. 

J'ai  tenté,  dans  ce  discours,  de  déterminer,  aussi  exacte- 
ment qu'il  a  été  en  mon  pouvoir,  le  but,  l'esprit  et  l'in- 
fluence de  la  philosophie  positive.  J'ai  donc  marqué  le 
rerme  vers  lequel  ont  toujours  tendu  et  tendront  sans  cesse 
tous  mes  travaux,  soit  dans  ce  cours,  soit  de  toute  autre 
manière.  Personne  n'est  plus  profondément  convaincu 
que  moi  de  l'insuffisance  de  mes  forces  intellectuelles, 
fussent-elles  môme  très-supérieures  à  leur  valeur  réelle, 
pour  répondre  à  une  tâche  aussi  vaste  et  aussi  élevée.  Mais 
ce  qui  ne  peut  être  fait  ni  par  un  seul  esprit  ni  en  une 
seule  vie,  un  seul  peut  le  proposer  nettement  :  telle  est 
toute  mon  ambition. 

Ayant  exposé  le  véritable  but  de  ce  cours,  c'est-à-dire 
fixé  le  point  de  vue  sous  lequel  je  considérerai  les  diverses 
branches  principales  de  la  philosophie  naturelle,  je  com- 
pléterai, dans  la  leçon  prochaine,  ces  prolégomènes  géné- 
raux en  passant  à  l'exposition  du  plan,  c'est-à-dire  à  la 
détermination  de  l'ordre  encyclopédique  qu'il  convient 
d'établir  entre  les  diverses  classes  des  phénomènes  natu- 
rels, et  par  conséquent  entre  les  sciences  positives  corres- 
pondantes. 


DEUXIÈME  LEÇON 


Sommaire.  —  Exposition  du  plan  de  ce  cours,  ou  considérations 
générales  sur  la  hiérarchie  des  sciences  positives. 


Après  avoir  caractérisé  aussi  exactement  que  possible» 
dans  la  leçon  précédente,  les  considérations  à  présenter 
dans  ce  cours  sur  toutes  les  branches  principales  de  la 
philosophie  naturelle,  il  faut  déterminer  maintenant  le 
plan  que  nous  devons  suivre,  c'esl-à-dire  la  classiflcation 
rationnelle  la  plus  convenable  à  établir  entre  les  différentes 
sdences  positives  fondamentales,  pour  les  étudier  succes- 
sivement sous  le  point  de  vue  que  nous  avons  fixé.  Cette 
seconde  discussion  générale  est  indispensable  pour  achever 
de  faire  connaître  dès  l'origine  le  véritable  esprit  de  ce 
cours. 

On  conçoit  aisément  d'abord  qu'il  ne  s'agit  pas  ici  de 
faire  la  critique,  malheureusement  trop  facile,  des  nom- 
breuses classifications  qui  ont  été  proposées  successive- 
ment depuis  deux  siècles,  pour  le  système  général  des 
connaissances  humaines,  envisagé  dans  toute  son  étendue. 
On  est  aujourd'hui  bien  convaincu  que  toutes  les  échelles 
encyclopédiques  construites^  comme  celles  de  Bacon  et  de 
d'Alembert,  d'après  une  distinction  quelconque  des  di- 
verses facultés  de  l'esprit  humain,  sont  par  cela  seul  radi- 
calement vicieuses,  même  quand  cette  distinction  n'est 
pas,  comme  il  arrive  souvent,  plus  subtile  que  réelle  ;  car, 
dans  chacune  de  ses  sphères  d'activité,  notre  entendement 


48  PLAN    DU   COURS. 

emploie  simultanément  toutes  ses  facultés  principales. 
Quant  à  toutes  les  autres  classiflcations  proposées,  il  suf- 
fira d'observer  que  les  différentes  discussions  élevées  à  ce 
sujet  ont  eu  pour  résultat  définitif  de  montrer  dans  chacune 
des  vices  fondamentaux^  tellement  qu'aucune  n*a  pu  ob- 
tenir un  assentiment  unanime,  et  qu'il  existe  à  cet  égard 
presque  autant  d'opinions  que  d'individus.  Ces  diverses 
tentatives  ont  môme  été,  en  général,  si  mal  conçues, 
qu'il  en  est  résulté  involontairement  dans  la  plupart  des 
bons  esprits  une  prévention  défavorable  contre  toute  en- 
treprise de  ce  genre. 

Sans  nous  arrêter  davantage  sur  un  fait  si  bien  constaté, 
il  est  plus  essentiel  d'en  rechercher  la  cause.  Or,  on  peut 
aisément  s'expliquer  la  profonde  imperfection  de  ces  ten* 
tatives  encyclopédiques,  si  souvent  renouvelées  jusqu'ici. 
Je  n'ai  pas  besoin  de  faire  observer  que,  depuis  le  dis- 
crédit général  dans  lequel  sont  tombés  les  travaux  de  cette 
nature  par  suite  du  peu  de  solidité  des  premiers  projets, 
ces  classifications  ne  sont  conçues  le  plus  souvent  que  par 
des  esprits  presque  entièrement  étrangers  à  la  connais- 
sance des  objets  à  classer.  Sans  avoir  égard  à  cette  consi- 
dération personnelle,  il  en  est  une  beaucoup  plus  impor- 
tante, puisée  dans  la  nature  même  du  sujet,  et  qui  montre 
clairement  pourquoi  il  n'a  pas  été  possible  jusqu'ici  de 
s'élever  à  une  conception  encyclopédique  véritablement 
satisfaisante.  Elle  consiste  dans  le  défaut  d*homogénéité 
qui  a  toujours  existé  jusqu'à  ces  derniers  temps  entre  les 
différentes  parties  du  système  intellectuel,  les  unes  étant 
successivement  devenues  positives,  tandis  que  les  autres 
restaient  théologiques  ou  métaphysiques.  Dans  un  état  de 
choses  aussi  incohérent,  il  était  évidemment  impossible 
d'établir  aucune  classification  rationnelle.  Comment  par- 
venir à  disposer,  dans  un  système  unique,  des  conceptions 


niÉRARCUIE  DES   SCIENCES   POSITIVES.  49 

aussi  profondément  contradictoires  ?  C'est  une  difficulté 
contre  laquelle  sont  venus  échouer  nécessairement  tous 
les  classificateurs,  sans  qu'aucun  Tait  aperçue  distincte- 
ment. Il  était  bien  sensible  néanmoins,  pour  quiconque 
eût  bien  connu  la  véritable  situation  de  Tespril  humain, 
qu'une  telle  entreprise  était  prématurée,  et  qu'elle  ne  pour- 
rait être  tentée  avec  succès  que  lorsque  toutes  nos  concep- 
tions principales  seraient  devenues  positives. 

Cette  condition  fondamentale  pouvant  maintenant  ôtre 
regardée  comme  remplie,  d'après  les  explications  données 
dans  la  leçon  précédente,  il  est  dès  lors  possible  de  pro- 
céder à  une  disposition  vraiment  rationnelle  et  durable 
d'un  système  dont  toutes  les  parties  sont  enfln  devenues 
homogènes. 

D'un  autre  côté,  la  théorie  générale  des  classifications, 
établie  dans  ces  derniers  temps  par  les  travaux  philoso- 
phiques des  botanistes  et  des  zoologistes,  permet  d'es- 
pérer un  succès  réel  dans  un  semblable  travail,  en  nous 
offrant  un  guide  certain  par  le  véritable  principe  fonda- 
mental de  l'art  de  classer,  qui  n'avait  jamais  été  conçu 
distinctement  jusqu'alors.  Ce  principe  est  une  conséquence 
nécessaire  de  la  seule  application  directe  de  la  méthode 
positive  à  la  question  môme  des  classifications,  qui,  comme 
toute  autre,  doit  être  traitée  par  observation,  au  lieu  d'être 
résolue  par  des  considérations  à  priori.  11  consiste  en  ce 
que  la  classification  doit  ressortir  de  l'étude  môme  des 
objets  à  classer,  et  ôtre  déterminée  par  les  affinités  réelles 
et  l'enchaînement  naturel  qu'ils  présentent,  de  telle  sorte 
que  cette  classification  soit  elle-môme  l'expression  du  fait 
le  plus  général,  manifesté  parla  comparaison  approfondie 
des  objets  qu'elle  embrasse. 

Appliquant  cette  règle  fondamentale  au  cas  actuel,  c'est 
donc  d'après  la  dépendance  mutuelle  qui  a  lieu  eiTective- 
A.  GoMTB.  Tome  1.  4 


50  PLAN   DU   COURS. 

ment  entre  les  diverses  sciences  positives,  que  nous  devons 
procéder  à  leur  classification  ;  et  cette  dépendance,  pour 
être  réelle,  ne  peut  résulter  que  de  celle  des  phénomènes 
correspondants. 

Mais,  avant  d'exécuter,  dans  un  tel  esprit  d'observation, 
cette  importante  opération  encyclopédique,  il  est  indis- 
pensable, pour  ne  pas  nous  égarer  dans  un  travail  trop 
étendu,  de  circonscrire  avec  plus  de  précision  que  nous  ne 
l'avons  fait  jusqu'ici,  le  sujet  propre  de  la  classification 
proposée. 

Tous  les  travaux  humains  sont,  ou  de  spéculation,  ou 
d'action.  Ainsi,  la  division  la  plus  générale  de  nos  connais- 
sances réelles  consiste  à  les  distinguer  en  théoriques  el 
pratiques.  Si  nous  considérons  d'abord  cette  première  di- 
vision, il  est  évident  que  c'est  seulement  des  connaissances 
théoriques  qu'il  doit  6tre  question  dans  un  cours  de  la  na- 
ture de  celui-ci;  car  il  ne  s'agit  point  d'observer  le  système 
entier  des  notions  humaines,  mais  uniquement  celui  des 
conceptions  fondamentales  sur  les  divers  ordres  de  phéno- 
mènes, qui  fournissent  une  base  solide  à  toutes  nos  autres 
combinaisons  quelconques,  et  qui  ne  sont,  à  leur  tour, 
fondées  sur  aucun  système  intellectuel  antécédent.  Or, 
dans  un  tel  travail,  c'est  la  spéculation  qu'il  faut  considé- 
rer, et  non  l'application,  si  ce  n'est  en  tant  que  celle-ci 
peut  éclaircir  la  première.  C'est  là  probablement  ce  qu'en-* 
tendait  Bacon,  quoique  fort  imparfaitement,  par  cette  phi" 
losophie  première  qu'il  indique  comme  devant  être  extraite 
de  l'ensemble  des  sciences,  el  qui  a  été  si  diversement  et 
toujours  si  étrangement  conçue  par  les  métaphysiciens  qui 
ont  entrepris  de  commenter  sa  pensée. 

Sans  doute,  quand  on  envisnge  l'ensemble  complet  des 
travaux  de  tout  genre  de  l'espèce  humaine,  on  doit  conce- 
voir l'étude  de  la  nature  comme  destinée  à  fournir  la  véri- 


llIÉRARCniE  DES  SCIENCES  POSITIVES.  51 

able  base  rationuelle  de  Taclion  de  Thomme  sur  la  nature, 
puisque  la  connaissance  des  lois  des  phénomènes,  donl  le 
'éstiltat  constant  est  de  nous  les  faire  prévoir,  peut  seule 
îvîdeniment  nous conduiri?,  dans  la  vie  active,  aies  modi- 
ier  à  notre  avantage  les  uns  par  les  autres.  Nos  moyens 
naturels  et  directs  pour  agir  sur  les  corps  qui  nous  entou- 
rent sont  extrêmement  faibles,  et  tout  à  fait  disproportion- 
nés à  nos  besoins.  Toutes  les  fois  que  nous  parvenons  à 
exercer  une  grande  action,  c'est  seulement  parce  que  la 
connaissance  des  lois  naturelles  nous  permet  d'introduire, 
parmi  les  circonstances  déterminées  sous  Tinfluence  des- 
quelles s'accomplissent  les  divers  phénomènes,  quelques 
cléments  modificateurs,  qui,  quelque  faibles  qu'ils  soient 
eu  eux-mêmes,  suffisent,  dans  certains  cas,   pour  faire 
tourner  à  notre  satisfaction  les  résultats  définitifs  de  Ten- 
semble  des  causes  extérieures.  En  résumé,  science  y  d'où 
frévoyance ;  prévoyance^  cToU  action:  telle  est  la  formule 
très-simple  qui  exprime,  d'une  manière  exacte,  la  relation 
générale  de  la  science  et  de  Vart^  en  prenant  ces  deux 
expressions  dans  leur  acception  totale. 

Mais,  malgré  l'importance  capitale  de  celte  relation,  qui 
ne  doit  jamais  être  méconnue,  ce  serait  se  former  des 
sciences  une  idée  bien  imparfaite  qqe  de  les  concevoir 
seulement  comme  les  bases  des  arts,  et  c'est  à  quoi  mal- 
heureusement on  n'est  que  trop  enclin  de  nos  jours.  Quels 
que  soient  les  immenses  services  rendus  li  Vindustrie  par  les 
théories  scientifiques,  quoique,  suivant  Ténergique  expres- 
sion de  Bacon,  la  puissance  soit  nécessairement  propor- 
tionnée à  la  connaissance,  nous  ne  devons  pas  oublier  que 
les  sciences  ont,  avant  tout,  une  destination  plus  directe  et 
plus  élevée,  celle  de  satisfaire  au  besoin  fondamental  qu'é- 
prouve notre  intelligence  de  connaître  les  lois  des  phéno- 
mènes. Pour  sentir  combien  ce  besoin  est  profond  et  im- 


5S  PLAN   DU   COURS. 

périeux,  il  suffit  de  penser  un  instant  aux  effets  physiolo- 
giques de  Vétonnement,  et  de  considérer  que  la  sensation  la 
plus  terrible  que  nous  puissions  éprouver  est  celle  qui  se 
produit  toutes  les  fois  qu'un  phénomène  nous  semble  s'ac- 
complir contradictoirement  aux  lois  naturelles  qui  nous 
sont  familières.  Ce  besoin  de  disposer  les  faits  dans  un  ordre 
que  nous  puissions  concevoir  avec  facilité  (ce  qui  est  l'objet 
propre  de  toutes  les  théories  scientifiques)  est  tellement 
inhérent  à  notre  organisation,  que^  si  nous  ne  parvenions 
pas  à  le  satisfaire  par  des  conceptions  positives,  nous  re- 
tournerions inévitablement  aux  explications  théologiques  et 
métaphysiques  auxquelles  il  a  primitivement  donné  nais- 
sance, comme  je  l'ai  exposé  dans  la  dernière  leçon. 

J'ai  cru  devoir  signaler  expressément  dès  ce  moment  une 
considération  qui  se  reproduira  fréquemment  dans  toute  la 
suite  de  ce  cours,  afin  d'indiquer  la  nécessité  de  se  prému- 
nir contre  la  trop  grande  influence  des  habitudes  actuelles 
qui  tendent  à  empocher  qu'on  se  forme  des  idées  justes  et 
nobles  de  l'importance  et  de  la  destination  des  sciences. 
Si  la  puissance  prépondérante  de  notre  organisation  ne 
corrigeait,  môme  involontairement,  dans  l'esprit  des  sa- 
vants, ce  qu'il  y  sous  ce  rapport  d'incomplet  et  d'étroit 
dans  la  tendance  générale  de  notre  époque,  l'intelligence 
humaine,  réduite  à  ne  s'occuper  que  de  recherches  suscep- 
tibles d'une  utilité  pratique  immédiate,  se  trouverait  par 
cela  seul,  comme  l'a  très-justement  remarqué  Condorcet, 
tout  à  fait  arrêtée  dans  ses  progrès,  môme  à  l'égard  de  ces 
applications  auxquelles  on  aurait  imprudemment  sacriOé 
les  travaux  purement  spéculatifs  ;  car  les  applications  les 
plus  importantes  dérivent  constamment  de  théories  for- 
mées dans  une  simple  intention  scientifique,  et  qui  souvent 
ont  été  cultivées  pendant  plusieurs  siècles  sans  produire 
aucun  résultat  pratique.  On  en  peut  citer  un  exemple  bien 


UIÉRARCniE  DES    SCIENCES  POSITHES.  53 

remarquable  daos  les  belles  spéculations  des  géomètres 
grecs  sur  les  sections  coniques,  qui,  après  une  longue 
suite  de  générations,  ont  servi,  en  déterminant  la  rénova- 
lion  de  l'astronomie,  à  conduire  finalement  Tart  de  la  na- 
vigation au  degré  de  perfectionnement  qu'il  a  atteint  dans 
ces  derniers  temps,  et  auquel  il  ne  serait  jamais  parvenu 
sans  les  travaux  si  purement  théoriques  d'Archimède  et 
d'Apollonius  ;  tellement  que  Condorcet  a  pu  dire  avec 
raison  à  cet  égard  :  a  Le  matelot,  qu'une  exacte  observa- 
c  tion  de  la  longitude  préserve  du  naufrage,  doit  la  vie  à 
0  une  théorie  conçue,  deux  mille  ans  auparavant,  par  des 
€  hommes  de  génie  qui  avaient  en  vue  de  simples  spécu- 
«  latioDS  géométriques.» 

11  est  donc  évident  qu'après  avoir  conçu,  d'une  manière 
générale,  l'étude  de  la  nature  comme  servant  de  base  ra- 
tionnelle à  l'action  sur  la  nature,  Tesprit  humain  doit  pro- 
céder aux  recherches  théoriques,  en  faisant  complètement 
abstraction  detoute  considération  pratique;  car  nos  moyens 
pour  découvrir  la  vérité  sont  tellement  faibles,  que,  si  nous 
ne  les  concentrions  pas  exclusivement  vers  ce  but,  et  si,  en 
cherchant  la  vérité,  nous  nous  imposions  en  môme  temps 
la  condition  étrangère  d'y  trouver  une  utilité  pratique  im- 
médiate, il  nous  serait  presque  toujours  impossible  d'y 
parvenir. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  certain  que  l'ensemble  de  nos 
connaissances  sur  la  nature,  et  celui  des  procédés  que  nous 
en  déduisons  pour  la  modifier  à  notre  avantage,  fornient 
deux  systèmes  essentiellement  distincts  par  eux-mêmes, 
qu'il  est  convenable  de  concevoir  et  de  cultiver  séparé- 
ment En  outre,  le  premier  système  étant  la  base  du  se- 
cond, c'est  évidemment  celui  qu'il  convient  de  considérer 
d'abord  dans  une  étude  méthodique,  môme  quand  on  se 
proposerait  d'embrasser  la  totalité  des  connaissances  bu- 


5  4  PLAN    DU   COURS. 

maines,  tant  d'application  que  de  spéculation.  Ce  système 
théorique  me  parait  devoir  constituer  exclusivement  au- 
jourd'hui le  sujet  d'un  cours  vraiment  rationnel  de  philo- 
sophie positive;  c'est  ainsi  du  moins  que  je  le  conçois. 
Sans  doute,  il  serait  possible  d'imaginer  un  cours  plus 
étendu,  portant  à  la  fois  sur  les  généralités  théoriques  et 
sur  les  généralités  pratiques.  Mais  je  ne  pense  pas  qu'une 
telle  entreprise,  même  indépendamment  de  son  étendue, 
puisse  être  convenablement  tentée  dans  l'état  présent  de 
l'esprit  humain.  Elle  me  semble,  en  effet,  exiger  préalable- 
ment un  travail  très-important  et  d'une  nature  toute  par- 
ticulière, qui  n'a  pas  encore  été  fait,  celui  de  former, 
d'après  les  théories  scientifiques  proprement  dites,  les 
conceptions  spéciales  destinées  à  servir  de  bases  directes 
aux  procédés  généraux  de  la  pratique. 

Au  degré  de  développement  déjà  atteint  par  notre  intel- 
ligence, ce  n'est  pas  immédiatement  que  les  sciences  s'ap- 
pliquent aux  arts,  du  moins  dans  les  cas  les  plus  parfaits  ; 
il  existe  entre  ces  deux  ordres  d'idées  un  ordre  moyen,  qui, 
encore  mal  déterminé  dans  son  caractère  philosophique, 
est  déjà  plus  sensible  quand  on  considère  la  classe  sociale 
qui  s'en  occupe  spécialement.  Entre  les  savants  propre- 
ment dits  et  les  directeurs  effectifs  des  travaux  productifs, 
il  commence  à  se  former  de  nos  jours  une  classe  intermé- 
diaire, celle  des  ingénieurs,  dont  la  destination  spéciale  est 
d'organiser  les  relations  de  la  théorie  et  de  la  pratique. 
Sans  avoir  aucunement  en  vue  le  progrès  des  connaissances 
scientifiques^  elle  les  considère  dans  leur  état  présent  pour 
en  déduire  les  applications  industrielles  dont  elles  sont 
susceptibles.  Telle  est  du  moins  la  tendance  naturelle  des 
choses,  quoiqu'il  y  ait  encore  à  cet  égard  beaucoup  de 
confusion.  Le  corps  de  doctrine  propre  à  cette  classe  nou- 
velle, et  qui  doit  constituer  les  véritables  théories  directes 


HIÉRARCHIE   DES   SCIENCES   POSITIVES.  55 

des  différeols  arls,  pourrait  sans  doute  donner  lieu  à  des 
considérations  philosophiques  d'un  grand  int.érôl  et  d'une 
importance  réelle.  Mais  un  travail  qui  les  embrasserait  con- 
jointement avec  celles  fondées  sur  les  sciences  proprement 
dites  serait  aujourd'hui  tout  à  fait  prématuré  ;  car  ces  doc- 
trines intermédiaires  entre  la  théorie  pure  et  la  pratique 
directe  ne  sont  point  encore  formées  :  il  n'en  existe  jus- 
qu'ici que  quelques  éléments  imparfaits  relatifs  aux  scien- 
ces et  aux  arts  les  plus  avancés,  et  qui  permettent  seule- 
ment de  concevoir  la  nature  et  la  possibilité  de  semblables 
travaux  pour  l'ensemble  des  opérations  humaines.  C'est 
ainsi,  pour  en  citer  ici  l'exemple  le  plus  important,  qu'on 
doit  envisager  la  belle  conception  de  Monge,  relativement 
à  la  géométrie  descriptive,  qui  n'est  réellement  autre  chose 
qu'une  théorie  générale  des  arts  de  construction.  J'aurai 
soin  d'indiquer  successivement  le  petit  nombre  d'idées 
analogues  déjà  formées  et  d'en  faire  apprécier  l'impor- 
tance, à  mesure  que  le  développement  naturel  de  ce  cours 
nous  les  présentera.  Mais  il  est  clair  que  des  conceptions 
jusqu'à  présent  aussi  incomplètes  ne  doivent  point  entrer, 
comme  partie  essentielle,  dans  un  cours  de  philosophie 
positive  qui  ne  doit  comprendre,  autant  que  possible,  que 
des  doctrines  ayant  un  caractère  fixe  et  nettement  déter- 
miné. 

On  concevra  d'autant  mieux  la  difficulté  de  construire 
ces  doctrines  intermédiaires  que  je  viens  d'indiquer,  si  l'on 
considère  que  chaque  art  dépend  non-seulement  d'une 
certaine  science  correspondante,  mais  à  la  fois  de  plusieurs, 
tellement  que  les  arts  les  plus  importants  empruntent  des 
secours  directs  à  presque  toutes  les  diverses  sciences  prin- 
cipales. C'est  ainsi  que  la  véritable  théorie  de  l'agriculture, 
pour  me  borner  au  cas  le  plus  essentiel,  exige  une  intime 
combinaison  de  connaissances  physiologiques,  chimiques. 


56  PLAN  DU  COURS. 

physiques  et  même  astronomiques  et  mathématiques  :  il  en 
est  de  môme  des  beaux-arts.  On  aperçoit  aisément,  d'a- 
près cette  considération,  pourquoi  ces  théories  n'ont  pu 
encore  être  formées,  puisqu'elles  supposent  le  développe- 
ment préalable  de  toutes  les  différentes  sciences  fonda- 
mentales. Il  en  résulte  également  un  nouveau  motif  de  ne 
pas  comprendre  un  tel  ordre  d'idées  dans  un  cours  de  phi- 
losophie positive,  puisque,  loin  de  pouvoir  contribuer  à  la 
formation  systématique  de  celle  philosophie,  les  théories 
générales  propres  aux  différents  arts  principaux  doivent, 
au  contraire,  comme  nous  le  voyons,  être  vraisemblable- 
ment plus  tard  une  des  conséquences  les  plus  utiles  de  sa 
construction. 

En  résumé,  nous  ne  devons  donc  considérer  dans  ce 
cours  que  les  théories  scientifiques  et  nullement  leurs  ap- 
plications. Mais,  avant  de  procéder  à  la  classiûcation  mé- 
thodiquede  ses  différentes  parties,  il  me  reste  à  exposer, 
relativement  aux  sciences  proprement  dites,  une  distinc- 
tion importante,  qui  achèvera  de  circonscrire  nettement  le 
sujet  propre  de  l'étude  que  nous  entreprenons. 

11  faut  distinguer,  par  rapport  à  tous  les  ordres  de  phé- 
nomènes, deux  genres  de  sciences  naturelles  :  les  unes 
abstraites,  générales,  ont  pour  objet  la  découverte  des  lois 
qui  régissent  les  diverses  classes  de  phénomènes,  en  consi- 
dérant tous  les  cas  qu'on  peut  concevoir;  les  autres  con- 
crètes, particulières,  descriptives,  et  qu'on  désigne  quel- 
quefois sous  le  nom  de  sciences  naturelles  proprement 
dites,  consistent  dans  l'application  de  ces  lois  à  l'hilstoire 
effective  des  différents  êtres  existants.  Les  premières  sont 
donc  fondamentales,  c'est  sur  elles  seulement  que  porte- 
ront nos  études  dans  ce  cours  ;  les  autres,  quelle  que  soit 
leur  importance  propre,  ne  sont  réellement  que  secon- 
dairesy  et  ne  doivent  point,  par  conséquent,  faire  partie 


HIÉBARCHIB  DES   SCIENCES   POSITrVES.  57 

d'un  travail  que  son  extrême  étendue  naturelle  nous  oblige 
à  réduire  au  moindre  développement  possible. 

La  distinction  précédente  ne  peut  présenter  aucune  ob- 
scurité aux  esprits  qui  ont  quelque  connaissance  spéciale 
des  différentes  sciences  positives,  puisqu'elle  est  à  peu  près 
l'équivalent  de  celle  qu'on  énonce  ordinairement  dans  pres- 
que tous  les  traités  scientiûques,  en  comparant  la  physi- 
que dogmatique  à  l'histoire  naturelle  proprement  dite. 
Quelques  exemples  sufûront  d'ailleurs  pour  rendre  sensible 
cette  division,  dont  l'importance  n'est  pas  encore  conve- 
nablement appréciée. 

On  pourra  d'abord  l'apercevoir  très-nettement  en  com- 
parant, d'une  part,  la  physiologie  générale,  et,  d'une  autre 
part,  la  zoologie  et  la  botanique  proprement  dites.  Ce  sont 
évidemment,  en  effet,  deux  travaux  d'un  caractère  fort  dis- 
tinct, que  d'étudier,  en  général,  les  lois  de  la  vie,  ou  de  dé- 
terminer le  mode  d'exislence  de  chaque  corps  vivant,  en 
particulier.  Cette  seconde  élude,  en  outre,  est  nécessaire- 
ment fondée  sur  la  première. 

Il  en  est  de  môme  de  la  chimie,  par  rapport  à  la  miné- 
ralogie; la  première  est  évidemment  la  base  rationnelle  de 
la  seconde.  Dans  la  chimie,  on  considère  toutes  les  com- 
binaisons possibles  des  molécules,  et  dans  toutes  les  cir- 
constances imaginables;  dans  la  minéralogie,  on  considère 
seulement  celles  de  ces  combinaisons  qui  se  trouvent  réa- 
lisées dans  la  constitution  effective  du  globe  terrestre,  et 
sous  i'influejice  des  seules  circonstances  qui  lui  sont  pro- 
pres. Ce  qui  montre  clairement  la  différence  du  point  de 
vue  chimique  et  du  point  de  vue  minéralogique,  quoique 
les  deux  sciences  portent  sur  les  mômes  objets,  c'est  que 
la  plupart  des  faits  envisagés  dans  la  première  n'ont  qu'une 
existence  artificielle,  de  telle  manière  qu'un  corps,  comme 
le  chlore  ou  le  potassium,  pourra  avoir  une  extrême  im- 


S8  PLAN   DU   COURS. 

porlance  en  chimie  par  retendue  et  l'énergie  de  ses  affi- 
nités, tandis  qu'il  n'en  aura  presque  aucune  en  minéralo- 
gie; et,  réciproquement,  un  composé,  tel  que  le  granit 
ou  le  quartz,  sur  lequel  porte  la  majeure  partie  des  con- 
sidérations minéralogiques,  n'offrira,  sous  le  rapport  chi- 
mique, qu'un  intérêt  très-médiocre. 

Ce  qui  rend,  en  général,  plus  sensible  encore  la  néces- 
sité logique  de  cette  distinction  fondamentale  entre  les 
deux  grandes  sections  de  la  philosophie  naturelle,  c'est 
que  non-seulement  chaque  section  de  la  physique  concrète 
suppose  la  culture  préalable  de  la  section  correspondante 
de  la  physique  abstraite,  mais  qu'elle  exige  même  la  con- 
naissance des  lois  générales  relatives  h  tous  les  ordres  de 
phénomènes.  Ainsi,  par  exemple,  non-seulement  l'étude 
spéciale  de  la  terre,  considérée  sous  tous  les  points  de  vue 
qu'elle  peut  présenter  effectivement,  exige  la  connaissance 
préalable  de  la  physique  et  de  la  chimie,  mais  elle  ne  peut 
être  faite  convenablement,  sans  y  introduire,  d'une  part,  les 
connaissances  astronomiques,  et  môme,  d'une  autre  part, 
les  connaissances  physiologiques  ;  en  sorte  qu'elle  tient  au 
système  entier  des  sciences  londamentales.  Il  en  est  de 
même  de  chacune  des  sciences  naturelles  propreaient 
dites.  C'est  précisément  pour  ce  motif  que  la  physique  con- 
crète a  fait  jusqu'à  présent  si  peu  de  progrès  réels,  car  elle 
n'a  pu  commencer  à  être  étudiée  d'une  manière  vraiment 
rationnelle  qu'après  la  physique  abstraite,  et  lorsque  toutes 
les  diverses  branches  principales  de  celle-ci  eurent  pris  leur 
caractère  définitif,  ce  qui  n'a  eu  lieu  que  de  nos  jours. 
Jusqu'alors  on  n'a  pu  recueillir  à  ce  sujet  que  des  matériaux 
plus  ou  moins  incohérents,  qui  sont  même  encore  fort  in- 
complets.  Les  faits  connus  ne  pourront  être  coordonnés 
de  manière  à  former  de  véritables  théories  spéciales  des 
différents  êtres  de  l'univers^  que  lorsque  la  distinction  fon- 


HIÉBARCniE   DBS   SCIENCES  POSITIVES.  5» 

damenUle  rappelée  ci-dessus  sera  plus  profondément 
sentie  et  plus  régulièrement  organisée,  et  que»  par  suite, 
les  savants  particulièrement  livrés  à  Tétude  des  sciences 
naturelles  proprement  dites  auront  reconnu  la  nécessité 
de  fonder  leurs  recherches  sur  une  connaissance  appro- 
fondie de  toutes  les  sciences  fondamentales,  condition  qui 
est  encore  aujourd'hui  fort  loin  d'être  convenablement 
remplie. 

L'examen  de  cette  condition  confirme  nettement  pour- 
quoi nous  devons,  dans  ce  cours  de  philosophie  positive, 
réduire  nos  considérations  à  Tétude  des  sciences  générales, 
sans  embrasser  en  même  temps  les  sciences  descriptives 
ou  particulières.  On  voit  naître  ici,  en  cCTet,  une  nouvelle 
propriété  essentielle  de  cette  étude  propre  des  généralités 
de  la  physique  abstraite  ;  c*est  de  fournir  la  base  rationnelle 
d'une  physique  concrète  vraiment  systématique.  Ainsi, 
dans  l'état  présent  de  Tesprit  humain,  il  y  aurait  ime  sorte 
de  contradiction  à  vouloir  réunir,  dans  un  seul  et  même 
cours,  les^deux  ordres  de  sciences.  On  peut  dire,  de  plus, 
que,  quand  même  la  physique  concrète  aurait  déjà  atteint 
le  degré  de  perfectionnement  de  la  physique  abstraite,  et 
que,  par  suite,  il  serait  possible,  dans  un  cours  de  philo- 
sophie positive,  d'embrasser  à  la  fois  Tune  et  l'autre,  il 
n'en  faudrait  pas  moins  évidemment  commencer  par  la  sec- 
tion abstraite,  qui  restera  la  base  invariable  de  l'autre.  11 
est  clair,  d'ailleurs,  que  la  seule  étude  des  généralités  des 
sciences  fondamentales  est  assez  vaste  par  elle-même, 
pour  qu'il  importe  d'en  écarter,  autant  que  possible,  toutes 
les  considérations  qui  ne  sont  pas  indispensables  ;  or, 
celles  relatives  aux  sciences  secondaires  seront  tou- 
jours,  quoi  qu'il  arrive,  d'un  genre  distinct.  La  philoso- 
phie des  sciences  fondamentales,  pré'sent.mt  un  système  de 
conceptions  positives  sur  tous  nos  ordres  de  connaissances 


60  PLAN   DU   COURS. 

réelles,  sufQt,  par  cela  même,  pour  constituer  cette  pAt- 
losophie  première  que  cherchait  Bacon,  et  qui,  étant  destinée 
à  servir  désormais  de  base  permanente  à  toutes  les  spécula- 
lions  humaines,  doit  être  soigneusement  réduite  à  la  plus 
simple  expression  possible. 

Je  n'ai  pas  besoin  d'insister  davantage  en  ce  moment  sur 
une  telle  discussion,  que  j'aurai  naturellement  plusieurs 
occasions  de  reproduire  dans  les  diverses  parties  de  ce 
cours.  L'explication  précédente  est  assez  développée  pour 
motiver  la  manière  dont  j'ai  circonscrit  le  sujet  général  de 
nos  considérations. 

Ainsi,  en  résultat  de  tout  ce  qui  vient  d*étre  exposé  dans 
celte  leçon,  nous  voyons  :  i^  que  la  science  humaine  se 
composant,  dans  son  ensemble,  de  connaissances  spécula- 
tives et  de  connaissances  d'application,  c'est  seulement  des 
premières  que  nous  devons  nous  occuper  ici;  2®  que  les 
connaissances  théoriques  ou  les  sciences  proprement  dites, 
se  divisant  en  sciences  générales  el  sciences  particulières, 
nous  devons  ne  considérer  ici  que  le  premier  ordre,  et 
nous  borner  à  la  physique  abstraite,  quelque  intérêt  que 
puisse  nous  présenter  la  physique  concrète. 

Le  sujet  propre  de  ce  cours  étant  par  là  exactement  cir- 
conscrit, il  est  facile  maintenant  de  procéder  à  une  classi- 
fication rationnelle  vraiment  satisfaisante  des  sciences  fon- 
damentales, ce  qui  constitue  la  question  encyclopédique, 
objet  spécial  de  cette  leçon. 

Il  faut,  avant  tout,  commencer  par  reconnaître  que, 
quelque  naturelle  que  puisse  être  une  telle  classification, 
elle  renferme  toujours  nécessairement  quelque  chose,  si- 
non d'arbitraire,  du  moins  d'artiûciel,  de  manière  à  pré- 
senter  une  imperfection  véritable. 

En  effet,  le  but  principal  que  l'on  doit  avoir  en  vue  dans 
tout  travail  encyclopédique,  c'est  de  disposer  les  sciences 


HIÉRARCHIE  DES  SCIENCES   POSITIVES.  61 

dans  l'ordre  de  leur  enchaînement  nalurel,  en  suivant  leur 
dépendance  mutuelle;  de  telle  sorte  qu'on  puisse  les  expo- 
ser successivement,  sans  jamais  être  entraîné  dans  le 
moindre  cercle  vicieux.  Or,  c'est  une  condition  qu'il  me 
parait  impossible  d'accomplir  d'une  manière  tout  à  fait  ri- 
goureuse. Qu'il  me  soit  permis  de  donner  ici  quelque  dé- 
veloppement à  cette  réflexion,  que  je  crois  importante  pour 
caractériser  la  véritable  difflculté  de  la  recherche  qui  nous 
occupe  actuellement.  Cette  considération,  d'ailleurs,  me 
donnera  lieu  d'établir,  relativement  à  l'exposition  de  nos 
connaissances,  un  principe  général  dont  j'aurai  plus  tarda 
présenter  de  fréquentes  applications. 

Toute  science  peut  être  exposée  suivant  deux  marches 
essentiellement  distinctes,  dont  tout  autre  mode  d'exposi- 
tion ne  saurait  être  qu'une  combinaison^  la  marche  histori- 
que^ et  la  marche  dogmatique. 

Par  le  premier  procédé,  on  expose  successivement  les 
connaissances  dans  le  môme  ordre  effectif  suivant  lequel 
l'esprit  humain  les  a  réellement  obtenues,  et  en  adoptant, 
autant  que  possible,  les  mêmes  voies. 

Par  le  second,  on  présente  le  système  des  idées  tel  qu'il 
pourrait  être  conçu  aujourd'hui  par  un  seul  esprit,  qui, 
placé  au  point  de  vue  convenable,  et  pourvu  des  connais- 
sances sufOsantes,  s'occuperait  à  refaire  la  science  dans  son 
ensemble. 

Le  premier  mode  est  évidemment  celui  par  lequel  com- 
mence, de  toute' nécessité,  Tétude  de  chaque  science  nais- 
sante ;  car  il  présente  cette  propriété,  de  n'exiger^  pour 
l'exposition  des  connaissances,  aucun  nouveau  travail  dis- 
tinct de  celui  de  leur  formation,  toute  la  didactique  se 
réduisant  alors  à  étudier  successivement,  dans  l'ordre  chro- 
nologique, les  divers  ouvrages  originaux  qui  ont  contribué 
aux  progrès  de  la  science. 


62  l'LAN   OU    COUnS. 

Le  mode  dogmatique,  supposant,  au  contraire,  que  tous 
ces  travaux  particuliers  ont  été  refondus  en  un  système  gé- 
néral, pour  être  présentés  suivant  un  ordre  logique  plus 
naturel,  n  est  applicable  qu'à  une  science  déjà  parvenue  è 
un  assez  haut  degré  de  développement.  Mais,  à  mesure  que 
la  science  fait  des  progrès,  Tordre  historique  d'exposition 
devient  de  plus  en  plus  impraticable,  par  la  trop  longue 
suite  d'intermédiaires  qu'il  obligerait  l'esprit  à  parcourir; 
tandis  que  Tordre  dogmatique  devient  de  plus  en  plus  pos- 
sible, en  même  temps  que  nécessaire,  parce  que  de  nou- 
velles conceptions  permettent  de  présenter  les  découvertes 
antérieures  sous  un  point  de  vue  plus  direct. 

C'est  ainsi,  par  exemple,  que  l'éducation  d'un  géomètre 
de  l'antiquité  consistait  simplement  dans  Tétude  succes- 
sive du  très-petit  nombre  de  traités  originaux  produits  jus- 
qu'alors sur  les  diverses  parties  de  la  géométrie,  ce  qui  se 
réduisait  essentiellement  aux  écrits  d'Archimède  et  d'Apol- 
lonius; tandis  qu'au  contraire,  un  géomètre  moderne  a 
communément  terminé  son  éducation,  sans  avoir  lu  un  seul 
ouvrage  original,  excepté  relativement  aux  découvertes  les 
plus  récentes,  qu'on  ne  peut  connaître  que  par  ce  moyen. 

La  tendance  constante  de  l'esprit  humain,  quant  à  l'ex- 
position des  connaissances,  est  donc  de  substituer  de  plus 
en  plus  à  Tordre  historique  Tordre  dogmatique,  qui  peut 
seul  convenir  à  Télat  perfectionné  de  notre  intelligence. 

Le  problème  général  de  Téducation  intellectuelle  con- 
siste à  faire  parvenir,  en  peu  d'années,  an  seul  entende- 
ment, le  plus  souvent  médiocre,  au  môme  point  de  déiue- 
loppemenl  qui  a  été  atteint,  dans  une  longue  suite  de 
siècles^  par  un  grand  nombre  de  génies  supérieurs  appli- 
quant successivement,  pendant  leur  vie  entière^  toutes 
leurs  forces  à  Tétude  d'un  môme  sujet.  Il  est  clair,  d'après 
cela,  que,  quoiqu'il  >  soit  inliniment  plus  facile  et  plas 


BIÉRARCHIE  DES  SCIENCES  POSITIVES.  6S 

coart  d'apprendre  que  d'inventer,  il  serait  certainement 
impossible  d'atteindre  le  but  proposé,  si  Ton  voulait  assu- 
jettir chaque  esprit  individuel  h  passer  successivement  par 
les  mêmes  intermédiaires  qu'a  dû  suivre  nécessairement  le 
génie  collectif  de  l'espèce  humaine.  De  là,  l'indispensable 
besoin  de  l'ordre  dogmHtique,  qui  est  surtout  si  sensible 
aujourd'hui  pour  les  sciences  les  plus  avancées,  dont  le 
niode  ordinaire  d'exposition  ne  présente  plus  presque  au* 
cune  trace  de  la  iiliation  effective  de  leurs  détails. 

Il  faut  néanmoins  ajouter^  pour  prévenir  toute  exagé- 
ration, que  tout  mode  réel  d'exposition  est,  inévitablement, 
une  certaine  combinaison  de  l'ordre  dogmatique  avec 
l'ordre  historique,  dans  laquelle  seulement  le  premier  doit 
dominer  constamment  et  de  plus  en  plus.  L'ordre  dogma- 
tique ne  peut,  en  effet,  être  suivi  d'une  manière  tout  à  fait 
rigoureuse;  car,  par  cela  môme  qu'il  exige  une  nouvelle 
élaboration  des  connaissances  acquises,  il  n'est  point  ap- 
plicable, h  chaque  époque  de  la  science,  aux  parties  ré- 
cemment formées,  dont  l'étude  ne  comporte  qu'un  ordre 
essentiellement  historique,  lequel  ne  présente  pas  d'ail- 
leurs, dans  ce  cas,  les  inconvénients  principaux  qui  le  font 
rejeter  en  général. 

Lia  seule  imperfection  fondamentale  qu'on  pourrait  re- 
procher au  mode  dogmatique,  c'est  de  laisser  ignorer  la 
manière  dont  se  sont  formées  les  diverses  connaissances 
humaines,  ce  qui,  quoique  distinct  de  l'acquisition  môme 
de  ces  connaissances,  est,  en  soi,  du  plus  haut  intérêt  pour 
tout  esprit  philosophique.  Cette  considération  aurait,  à 
mes  yeux,  beaucoup  de  poids,  si  elle  était  réellement  un 
motif  en  faveur  de  l'ordre  historique.  Mais  il  est  aisé  de 
voir  qu'il  n'y  a  qu'une  relation  apparente  entre  étudier  une 
science  eu  suivant  le  mode  dit  hisionque,  et  connaître  vé- 
ritablement l'histoire  effective  de  cette  science. 


64  PLAN   DU   COURS. 

En  effet,  noo-seulemeol  les  diverses  parties  de  chaque 
science,  qu'on  est  conduit  à  séparer  dans  l'ordre  dogmaii^ 
yue,  se  sont,  en  réalité,  développées  simultanément  et  sous 
l'influence  les  unes  des  autres,  ce  qui  tendrait  à  faire  pré- 
férer l'ordre  historique  :  mais,  en  considérant,  dans  son 
ensemble,  le  développement  effectif  de  l'esprit  humain,  on 
voit  de  plus  que  les  différentes  sciences  ont  été,  dans  le  fait, 
perfectionnées  en  môme  temps  et  mutuellement;  on  voit 
môme  que  les  progrès  des  sciences  et  ceux  des  arts  ont 
dépendu  les  uns  des  autres,  par  d'innombrables  influences 
réciproques,  et  enfln  que  tous  ont  été  étroitement  liés  an 
développement  général  de  la  société  humaine.  Ce  vaste 
enchaînement  est  tellement  réel,  que  souvent,  pour  conce- 
voir la  génération  effective  d'une  théorie  scientifique,  l'es- 
prit est  conduit  à  considérer  le  perfectionnement  de  quel- 
que art  qui  n'a  avec  elle  aucune  liaison  rationnelle,  ou 
inôme  quelque  progrès  particulier  dans  l'organisation  so- 
ciale, sans  lequel  cette  découverte  n'eût  pu  avoir  lieu.  Nous 
en  verrons  dans  la  suite  de  nombreux  exemples.  II  résuite 
•donc  de  là  que  Ton  ne  peut  connaître  la  véritable  histoire 
•de  chaque  science,  c'est-à-dire  la  formation  réelle  des  dé- 
couvertes dont  elle  se  compose,  qu'en  étudiant,  d'une 
manière  générale  et  directe^  l'histoire  de  Thumanité.  C'est 
pourquoi  tous  les  documents  recueillis  jusqu'ici  sur  l'his- 
toire des  mathématiques,  de  l'astronomie,  de  la  méde- 
cine, etc.,  quelque  précieux  qu'ils  soient,  ne  peuvent  être 
regardés  que  comme  des  matériaux. 

Le  prétendu  ordre  historique  d'exposition,  môme  quand 
il  pourrait  ôtre  suivi  rigoureusement  pour  les  détails  de 
chaque  science  en  particulier,  serait  déjà  purement  hypo- 
thétique et  abstrait  sous  le  rapport  le  plus  important,  en 
ce  qu'il  considérerait  le  développement  de  cette  science 
comme  isolé.  Bien  loin  démettre  en  évidence  la  véritable 


HIÉRARCHIE  DES  SCIENCES   POSITIVES.  65 

histoire  de  la  science,  il  tiendrait  à  en  faire  concevoir  une 
opinion  trèS'fausse. 

Ainsi,  nous  sommes  certainement  convaincus  que  la 
connaissance  de  l'histoire  des  sciences  est  de  la  plus  haute 
importance.  Je  pense  môme  qu'on  ne  connaît  pas  complè- 
tement une  science  tant  qu'on  n'en  sait  pas  l'histoire.  Mais 
cette  étude  doit  être  conçue  comme  entièrement  séparée 
de  l'étude  propre  et  dogmatique  delà  science,  sans  laquelle 
même  cette  histoire  ne  serait  pas  intelligible.  Nous  consi- 
dérerons donc  avec  beaucoup  de  soin  l'histoire  réelle  des 
sciences  fondamentales  qui  vont  être  le  sujet  de  nos  médi- 
tations ;  mais  ce  sera  seulement  dans  la  dernière  partie  de 
ce  cours,  celle  relative  à  l'étude  des  phénomènes  sociaux, 
en  traitant  du  développement  général  de  l'humanité,  dont 
l'histoire  des  sciences  constitue  la  partie  la  plus  impor- 
tante, quoique  jusqu'ici  la  plus  négligée.  Dans  rélude  de 
chaque  science,  les  considérations  historiques  incidentes 
qui  pourront  se  présenter  auront  un  caractère  nettement 
distinct,  de  manière  à  ne  pas  altérer  la  nature  propre  de 
notre  travail  principal. 

La  discussion  précédente,  qui  doit  d'ailleurs,  comme  on 
le  voit,  être  spécialement  développée  plus  tard,  tend  à 
préciser  davantage,  en  le  présentant  sous  un  nouveau  point 
de  vue,  le  véritable  esprit  de  ce  cours.  Mais,  surtout,  il  en 
résulte,  relativement  à  la  question  actuelle,  la  détermina- 
tion exacte  des  conditions  qu'on  doit  s'imposer,  et  qu'on 
peut  justement  espérer  de  remplir  dans  la  construction 
d'une  échelle  encyclopédique  des  diverses  sciences  fonda- 
mentales. 

On  voit,  en  effet,  que,  quelque  parfaite  qu'on  pût  la  sup- 
poser, cette  classification  ne  saurait  jamais  être  rigoureu- 
sement conforme  à  l'enchaînement  historique  des  sciences. 
Quoi  qu'on  fasse,  on  ne  peut  éviter  entièrement  de  présen- 

A.  Comte.  Tome  I.  5 


6  G  PLAN  DU   COURS. 

ter  comme  antérieure  telle  science  qui  aura  cepeDdan 
besoin,  sous  quelques  rapports  particuliers  plus  ou  moins 
importants,  d'emprunter  des  notions  à  une  autre  science 
classée  dans  un  rang  postérieur.  Il  faut  tâcher  seulement 
qu'un  tel  inconvénient  n'ait  lieu  relativement  aux  concep 
tions  caractéristiques  de  chaque  science,  car  alors  Ja  clas- 
sification serait  tout  à  fait  vicieuse. 

Ainsi,  par  exemple,  il  me  semble  incontestable  que, 
dans  le  système  général  des  sciences,  l'astronomie  doil 
être  placée  avant  la  physique  proprement  dite,  et  néan- 
moins plusieurs  branches  de  celle-ci,  surtout  l'optique, 
sont  indispensables  à  l'exposition  complète  de  la  pre- 
mière . 

De  tels  défauts  secondaires,  qui  sont  strictement  iné?i- 
tables,  ne  sauraient  prévaloir  contre  une  classification,  qui 
remplirait  d'ailleurs  convenablement  les  conditions  prin- 
cipales. Ils  tiennent  à  ce  qu'il  y  a  nécessairement  d'artifi- 
ciel dans  notre  division  du  travail  intellectuel. 

Néanmoins,  quoique,  d'après  les  explications  précéden- 
tes, nous  ne  devions  pas  prendre  l'ordre  historique  pour 
base  de  notre  classification,  je  ne  dois  pas  négliger  d'indi- 
quer d'avance,  comme  une  propriété  essentielle  de  l'é- 
chelle encyclopédique  que  je  vais  proposer,  sa  conformité 
générale  avec  l'ensemble  de  l'histoire  scientifique  ;  en  ce 
sens,  que,  malgré  la  simultanéité  réelle  et  continue  du  dé- 
veloppement des  différentes  sciences,  celles  qui  seront 
classées  comme  antérieures  seront,  en  effet,  plus  anciennes 
et  constamment  plus  avancées  que  celles  présentées  comme 
postérieures.  C'est  ce  qui  doit  avoir  lieu  inévitablement  si, 
en  réalité,  nous  prenons,  comme  cela  doit  être,  pour  prin- 
cipe de  classification,  l'enchaînement  logique  naturel  des 
diverses  sciences,  le  point  de  départ  de  l'espèce  ayant  éù 
nécessairement  être  le  môme  que  celui  de  l'individu. 


UIÉRARCHIE   DES   SCIENCES   POSITIVES.  67 

Pour  achever  de  déterminer  avec  toute  la  précision  pos- 
sible la  difficulté  exacte  de  la  question  encyclopédique  que 
nous  avons  à  résoudre,  je  crois  utile  d'introduire  une  con- 
sidération mathématique  fort  simple  qui  résumera  rigou* 
reusement  l'ensemble  des  raisonnements  exposés  jusqu'ici 
dans  cette  leçon.  Voici  en  quoi  elle  consiste. 

Nous  nous  proposons  de  classer  les  sciences  fondamen- 
tales. Or  nous  verrons  bientôt  que,  tout  bien  considéré,  il 
n'est  pas  possible  d'en  distinguer  moins  de  six;  laplupartdes 
savants  en  admettraient  même  vraisemblablement  un  plus 
grand  nombre.  Gela  posé,  on  sait  que  six  objets  compor- 
tent 720  dispositions  différentes.  Les  sciences  fondamen- 
tales pourraient  donc  donner  lieu  à  720  classifications  dis- 
tinctes, parmi  lesquelles  il  s'agit  de  choisir  la  classification 
nécessairement  unique,  qui  satisfait  le  mieux  aux  princi- 
pales conditions  du  problème.  On  voit  que,  malgré  le 
grand  nombre  d'échelles  encyclopédiques  successivement 
proposées  jusqu'à  présent,  la  discussion  n'a  porté  encore 
que  sur  une  bien  faible  partie  des  dispositions  possibles  ; 
et, néanmoins,  je  crois  pouvoir  dire,  sans  exagération,  qu'en 
examinant  chacune  de  ces  720  classifications,  il  n'en  serait 
peut-être  pas  une  seule  en  faveur  delaquelle  on  ne  pût  faire 
valoir  quelques  motifs  plausibles  ;  car,  en  observant  les 
diverses  dispositions  qui  ont  été  effectivement  proposées, 
on  remarque  entre  elles  les  plus  extrêmes  différences  ;  les 
sciences,  qui  sont  placées  par  les  uns  à  la  tête  du  système 
encyclopédique,  étant  renvoyées  par  d'autres  à  l'extrémité 
opposée,  et  réciproquement.  C'est  donc  dans  ce  choix  d'un 
senl  ordre  vraiment  rationnel,  parmi  le  nombre  très-con- 
sidérable des  systèmes  possibles,  que  consiste  la  difficulté 
précise  de  la  question  que  nous  avons  posée. 

Abordant  maintenant  d'une  manière  directe  cette  grande 
question,  rappelons-nous  d'abord  que,  pour  obtenir  une 


68  PLAN    DU   COURS. 

classification  naturelle  et  positive  des  sciences  fondamen- 
tales, c'est  dans  la  comparaison  des  divers  ordres  de  phéno- 
mènes dont  elles  ont  pour  objet  de  découvrir  les  lois  que 
nous  devons  en  chercher  le  principe.  Ce  que  nous  voulons 
déterminer,  c'est  la  dépendance  réelle  des  diverses  études 
scientifiques.  Or  cette  dépendance  ne  peut  résulter  que  de 
celle  des  phénomènes  correspondants. 

En  considérant  sous  ce  point  de  vue  tous  les  phéno- 
mènes  observables,  nous  allons  voir  qu'il  est  possible  de  les 
classer  en  un  petit  nombre  de  catégories  naturelles,  dispo- 
sées d'une  telle  manière,  que  l'étude  rationnelle  de  chaque 
catégorie  soit  fondée  sur  la  connaissance  des  lois  prin- 
cipales de  la  catégorie  précédente,  et  devienne  le  fonde- 
ment de  l'étude  de  la  suivante.  Cet  ordre  est  déterminé  par 
le  degré  de  simplicité,  ou,  ce  qui  revient  au  môrae,  par  le 
degré  de  généralité  des  phénomènes,  d'où  résulte  leur  dé- 
pendance successive,  et,  en  conséquence,  la  facilité  plus 
ou  moins  grande  de  leur  étude. 

Il  est  clair,  en  effet,  à  priori^  que  les  phénomènes  les 
plus  simples,  ceux  qui  se  compliquent  le  moins  des  autres, 
sont  nécessairement  aussi  les  plus  généraux  ;  car  ce  qui 
s'observe' dans  le  plus  grand  nombre  de  cas  est,  par  cela 
même,  dégagé  le  plus  possible  des  circonstances  propres  à 
chaque  cas  séparé.  C'est  donc  par  l'étude  des  phénomènes 
les  plus  généraux  ou  les  plus  simples  qu'il  faut  commencer, 
en  procédant  ensuite  successivement  jusqu'aux  phénomè- 
nes les  plus  particuliers  ou  les  plus  compliqués,  si  l'on 
veut  concevoir  la  philosophie  naturelle  d'une  manière  vrai- 
ment méthodique  ;  car  cet  ordre  de  généralité  oo  de  sim- 
plicité, déterminant  nécessairement  l'enchaînement  ration- 
nel des  diverses  sciences  fondamentales  par  la  dépendance 
successive  de  leurs  phénomènes,  fixe  ainsi  leur  degré  de 
facilité. 


BIÉRARCniB    DES  SCIENCES  POSITIVES.  69 

En  même  temps,  par  une  considéralion  auxiliaire  que 
je  croîs  important  de  noter  ici,  et  qui  converge  exactement 
avec  toutes  les  précédentes,  les  phénomènes  les  plus  géné- 
raux ou  les  plus  simples,  se  trouvant  nécessairement  les 
plus  étrangers  à  l'homme,  doivent,  par  cela  même,  être 
étudiés  dans  une  disposition  d'esprit  plus  calme,  plus  ra- 
tionnelle, ce  qui  constitue  un  nouveau  motif  pour  que  les 
sciences  correspondantes  se  développent  plus  rapidement. 

Ayant  ainsi  indiqué  la  règle  fondamentale  qui  doit  pré- 
sider à  la  classification  des  sciences,  je  puis  passer  immé- 
diatement à  la  construction  de'I'échelle  encyclopédique 
d'après  laquelle  le  plan  de  ce  cours  doit  être  déterminé,  et 
que  chacun  pourra  aisément  appréciera  l'aide  des  consi* 
dérations  précédentes. 

Une  première  contemplation  de  l'ensemble  des  phéno- 
mènes naturels  nous  porte  à  les  diviser  d'abord,  conrormé- 
ment  au  principe  que  nous  venons  d'établir,  en  deux 
grandes  classes  principales»  la  première  comprenant  tous 
les  phénomènes  des  corps  bruts,  la  seconde  tous  ceux 
des  corps  organisés. 

Ces  derniers  sont  évidemment,  en  effet,  plus  compli- 
qués et  plus  particuliers  que  les  autres;  ils  dépendent  des 
précédents,  qui,  au  contraire,  n'en  dépendent  nullement. 
De  là  la  nécessité  de  n'étudier  les  phénomènes  physiologi- 
ques qu'après  ceux  des  corps  inorganiques.  De  quelque 
manière  qu'on  explique  les  différences  de  ces  deux  sortes 
d'êtres,  il  est  certain  qu'on  observe  dans  les  corps  vivants 
tous  les  phénomènes,  soit  mécaniques,  soit  chimiques,  qui 
ont  lieu  dans  les  corps  bruts^  plus  un  ordre  tout  spécial  de 
phénomènes,  les  phénomènes  vitaux  proprement  dits^  ceux 
qui  tiennent  kVorgantsatùm.  II  ne  s'agit  pas  ici  d'examiner 
si  les  deux  classes  de  corps  sont  ou  ne  sont  pas  de  la  môme 
mture^'  question  insoluble  qu'on  agite  encore  beaucoup 


70  PLAN   DU   COURS. 

trop  de  nos  jours,  par  un  reste  d'influence  des  habitudes 
théologiques  et  métaphysiques;  une  telle  question  n'est  pas 
du  domaine  de  la  philosophie  positive,  qui  fait  formelle- 
ment profession  d'ignorer  absolument  la  nature  intime 
d'un  corps  quelconque.  Mais  il  n'est  nullement  indispen- 
sable de  considérer  les  corps  bruts  et  les  corps  vivants 
comme  étant  d'une  nature  essentiellement  différente  pour 
reconnaître  la  nécessité  de  la  séparation  de  leurs  études. 

Sans  doute,  les  idées  ne  sont  pas  encore  suffisamment 
fixées  sur  la  manière  générale  de  concevoir  les  phénomè- 
nes des  corps  vivants.  Mais,  quelque  parti  qu'on  puisse 
prendre  à  cet  égard  par  suite  des  progrès  ultérieurs  de  la 
philosophie  naturelle,  la  classification  que  nous  établis- 
sons n'en  saurait  être  aucunement  affectée.  En  effet,  regar- 
dàt-on  comme  démontré,  ce  que  permet  à  peine  d'entre- 
voir l'état  présent  de  la  physiologie,  que  les  phénomènes 
physiologiques  sont  toujours  de  simples  phénomènes  mé- 
caniques, électriques  et  chimiques,  modifiés  par  la  struc- 
ture et  la  composition  propres  aux  corps  organisés,  notre 
division  fondamentale  n'en  subsisterait  pas  moins.  Car  il 
reste  toujours  vrai,  même  dans  cette  hypothèse,  que  les 
phénomènes  généraux  doivent  être  étudiés  avant  de  procé- 
cédera  l'examen  des  modifications  spéciales  qu'ils  éprouvent 
dans  certains  êtres  de  l'univers,  par  suite  d'une  disposition 
particulière  des  molécules.  Ainsi,  la  division,  qui  est  au- 
jourd'hui fondée  dans  la  plupart  des  esprits  éclairés  sur  la 
diversité  des  lois,  est  de  nature  à  se  maintenir  indéfini- 
ment à  cause  de  la  subordination  des  phénomènes  et  par 
suite  des  études,  quelque  rapprochement  qu'on  puisse  ja- 
mais établir  solidement  entre  les  deux  classes  de  corps. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  développer,  dans  ses  diverses 
parties  essentielles,  la  comparaison  générale  entre  les 
corps  bruts  et  les  corps  vivants,  qui  sera  le  sujet  spécial 


niÉRARCHIE  DES  SCIENCES   POSITIVES.  71 

d'un  examen  approfondi  dans  la  section  physiologique  de  ce 
cours.  Il  suffit,  quant  à  présent,  d'avoir  reconnu,  en  prin- 
cipe, la  nécessité  logique  de  séparer  la  science  relative  aux 
prendiers  de  celle  relative  aux  seconds,  et  de  ne  procéder 
à  l'étude  de  \9l  physique  organique  qu'après  avoir  établi  les 
lois  générales  de  la  physique  inorganique. 

Passons  maintenant  à  la  détermination  de  la  sous-divi- 
sion principale  dont  est  susceptible,  d'après  la  môme  règle, 
chacune  de  ces  deux  grandes  moitiés  de  la  philosophie  na- 
turelle. 

Pour  la  physique  inorganique^  nous  voyons  d'abord,  en 
nous  conformant  toujours  à  l'ordre  de  généralité  el  de  dé- 
pendance des  phénomènes,  qu'elle  doit  être  partagée  en 
deux  sections  distinctes  suivant  qu'elle  considère  les  phé- 
nomènes généraux  de  l'univers,  ou,  en  particulier,  ceux 
que  présentent  les  corps  terrestres.  D'où  la  physique  cé- 
leste, ou  l'astronomie^  soit  géométrique,  soit  mécanique  ; 
et  la  physique  terrestre.  La  nécessité  de  cette  division  est 
exactement  semblable  à  celle  de  la  précédente. 

Les  phénomènes  astronomiques  étant  les  plus  généraux, 
les  plus  simples,  les  plus  abstraits  de  tous,  c'est  évidem- 
ment par  leur  étude  que  doit  commencer  la  philosophie 
naturelle,  puisque  les  lois  auxquelles  ils  sont  assujettis  in- 
fluent sur  celles  de  tous  les  autres  phénomènes^  dont  elles- 
mêmes  sont,  au  contraire,  essentiellement  indépendantes. 
Dans  tous  les  phénomènes  de  la  physique  terrestre,  on 
observe  d'abord  les  effets  généraux  de  la  gravitation  uni- 
verselle, plus  quelques  autres  effets  qui  leur  sont  propres, 
et  qui  modifient  les  premiers.  Il  s'ensuit  que,  lorsqu'on 
analyse  le  phénomène  terrestre  le  plus  simple,  non-seule- 
ment en  prenant  un  phénomène  chimique,  mais  en  choi- 
sissant même  un  phénomène  purement  mécanique,  on  le 
trouve  constamment  plus  composé  que  le  phénomène  ce- 


72  PLAN   DU   COURS. 

leste  le  plus  compliqué.  C'est  ainsi^  par  exemple,  que  le 
simple  mouvement  d'un  corps  pesant,  môme  quand  il  ne 
s'agit  que  d'un  solide,  présente  réellement,  lorsqu'on  veut 
tenir  compte  de  toutes  les  circonstances  déterminantes^  un 
sujet  de  recherches  plus  compliqué  que  la  question  astro- 
nomique la  plus  difficile.  Une  telle  considération  montre 
clairement  combien  il  est  indispensable  de  séparer  nette- 
ment la  physique  céleste  et  la  physique  terrestre,  et  de  ne 
procéder  à  l'étude  de  la  seconde  qu'après  celle  de  la  pre» 
miére,  qui  en  est  la  base  rationnelle. 

La  physique  terrestre,  à  son  tour,  se  sous-divise,  d'après' 
le  môme  principe,  en  deux  portions  très-distinctes,  selon 
qu'elle  envisage  les  corps  sous  le'point  de  vue  mécanique, 
ou  sous  le  point  de  vue  chimique.  D'où  la  physique  pro* 
prementdite,  et  la  chimie.  Celle-ci,  pour  ôtre  conçue  d'une 
manière  vraiment  méthodique,  suppose  évidemment  la 
connaissance  préalable  de  l'autre.  Car  tous  les  phéno* 
mènes  chimiques  sont  nécessairement  plus  compliqués  que 
les  phénomènes  physiques;  ils  en  dépendent  sans  influer  sur 
eux.  Chacun  sait,  en  effet,  que  toute  action  chimique  est  sou- 
mise d'abord  à  l'influence  de  la  pesanteur,  de  la  chaleur, 
de  l'électricité,  etc.,  et  présente,  en  outre,  quelque  chose 
de  propre  qui  modifie  l'action  des  agents  précédents.  Cette 
considération,  qui  montre  évidemment  la  chimie  comme 
ne  pouvant  marcher  qu'après  la  physique,  la  présente  en 
môme  temps  comme  une  science  distincte.  Car,  quelque 
opinion  qu'on  adopte  relativement  aux  affinités  chimiques» 
et  quand  môme  on  ne  verrait  en,  elles,  ainsi  qu'on  peut  le 
concevoir,  que  des  modifications  de  la  gravitation  générale 
produites  par  la  figure  et  par  la  disposition  mutuelle  des 
atomes,  il  demeurerait  incontestable  que  la  nécessité  d'a- 
voir continuellement  égard  à  ces  conditions  spéciales  ne 
permettrait  point  de  traiter  la  chimie  comme  un  simple 


il 


HIÉRARCHIE   DES  SCIENCES   POSITIVES.  73 

appendice  de  la  physique.  On  serait  donc  obligé,  dans  tous 
les  cas,  ne  fût-ce  que  pour  la  facilité  de  l'étude,  de  main- 
tenir la  division  et  l'enchaînement  que  l'on  regarde  aujour- 
d'hui comme  tenant  à  l'hétérogénéité  des  phénomènes. 

Telle  est  donc  la  distribution  rationnelle  des  principales 
branches  de  la  science  générale  des  corps  bruts.  Une  di- 
vision analogue  s'établit,  de  la  môme  manière,  dans  la 
science  générale  des  corps  organisés. 

Tous  les  êtres  vivants  présentent  deux  ordres  de  phéno- 
mènes essentiellement  distincts,  ceux  relatifs  à  l'individu, 
et  ceux  qui  concernent  l'espèce,  surtout  quand  elle  est  so- 
ciable. C'est  principalement  par  rapport  à  l'homme,  que 
cette  distinction  est  fondamentale.  Le  dernier  ordre  de 
phénomènes  est  évidemment  plus  compliqué  et  plus  parti- 
culier que  le  premier;  il  en  dépend  sans  influer  sur  lui.  De 
là,  deux  grandes  sections  dans  la  physique  organique^  la 
physiologie  proprement  dite,  et  la  physique  sociale,  qui 
est  fondée  sur  la  première. 

Dans  tous  les  phénomènes  sociaux,  on  observe  d'abord 
l'influence  des  lois  physiologiques  de  l'individu,  et,  en 
outre,  quelque  chose  de  particulier  qui  en  modifie  les  ef- 
fets, et  qui  tient  à  l'action  des  individus  les  uns  sur  les 
autres,  singulièrement  compliquée,  dans  l'espèce  humaine, 
par  l'action  de  chaque  génération  sur  celle  qui  la  suit.  Il 
est  donc  évident  que,  pour  étudier  convenablement  les 
phénomènes  sociaux,  il  faut  d'abord  partir  d'une  connais- 
sance approfondie  des  lois  relatives  à  la  vie  individuelle. 
D'un  autre  côté,  cette  subordination  nécessaire  entre  les 
deux  études  ne  prescrit  nullement,  comme  quelques  phy- 
siologistes du  premier  ordre  ont  élé  portés  à  le  croire,  de 
voir  dans  la  physique  sociale  un  simple  appendice  de  la 
physiologie.  Quoique  les  phénomènes  soient  certainement 
homogènes,  ils  ne  sont  point  identiques,  et  la  séparation 


7  4  PLAN   DU   COURS. 

des  deux  sciences  est  d'une  importance  vraiment  fonda- 
mentale. Car  il  serait  impossible  de  traiter  l'étude  collec- 
tive de  l'espèce  comme  une  pure  déduction  de  Tétnde  de 
l'individu,  puisque  les  conditions  sociales,  qui  modifient 
Taclion  des  lois  physiologiques,  sont  précisément  alors  la 
considération  la  plus  essentielle.  Ainsi,  la  physique  sociale 
doit  être  fondée  sur  un  corps  d'observations  directes  qui  lui 
soit  propre,  tout  en  ayant  égard,  comme  il  convient,  à  son  in- 
time relation  nécessaire  avec  la  physiologie  proprementdite. 

On  pourrait  aisément  établir  une  symétrie  parfaite  entre 
la  division  de  la  physique  organique  et  celle  ci-dessus 
exposée  pour  la  physique  inorganique,  en  rappelant  la  dis- 
tinction vulgaire  de  la  physiologie  proprement  dite  en  vé- 
gétale et  animale.  Il  serait  facile,  en  effet,  de  rattacher 
cette  sous-division  au  principe  de  classification  que  nous 
avons  constamment  suivi,  puisque  les  phénomènes  delà 
vie  animale  se  présentent,  en  général  du  moins,  comme 
plus  compliqués  et  plus  spéciaux  que  ceux  de  la  vie  vé- 
gétale. Mais  la  recherche  de  cette  symétrie  précise  aurait 
quelque  chose  de  puéril^  si  elle  entraînait  à  méconnaître 
ou  à  exagérer  les  analogies  réelles  ou  les  différences  affec- 
tives des  phénomènes.  Or  il  est  certain  que  la  distinction 
entre  la  physiologie  végétale  et  la  physiologie  animale,  qui 
a  une  grande  importance  dans  ce  que  j'ai  appelé  la  physique 
concrète,  n'en  a  presque  aucune  dans  la  physique  abstraite, 
la  seule  dont  il  s'agisse  ici.  La  connaissance  des  lois  géné- 
rales de  la  vie,  qui  doit  être  à  nos  yeux  le  véritable  objet 
de  la  physiologie,  exige  la  considération  simultanée  de 
toute  la  série  organique  sans  distinction  de  végétaux  et 
d'animaux,  distinction  qui,  d'ailleurs,  s'efiace  de  jour  eu 
jour,  à  mesure  que  les  phénomènes  sont  étudiés  d'une 
manière  approfondie. 

Nous  persisterons  donc  à  ne  considérer  qu'une  seule  di- 


HIÉBARCHIE  DES   SCIENCES  POSITIVES.  7  5 

rision  dans  la  physique  organique,  quoique  nous  ayons 
;ru  devoir  en  établir  deux  successives  dans  la  physique 
Dorganique. 

En  résultat  de  cette  discussion,  la  philosophie  positive 
le  trouve  donc  naturellement  partagée  en  cinq  sciences 
fondamentales,  dont  la  succession  est  détern^inée  par  une 
subordination  nécessaire  et-  invariable,  fondée,  indépen- 
damment de  toute  opinion  hypothétique,  sur  la  simple 
comparaison  approfondie  des  phénomènes  correspondants  : 
c'est  l'astronomie,  la  physique,  la  chimie,  la  physiologie 
et  enfin  la  physique  sociale.  La  première  considère  les 
phénomènes  les  plus  généraux,  les  plus  simples,  les 
plus  abstraits  et  les  plus  éloignés  de  Thumanité;  ils 
influent  sur  tous  les  autres,  sans  être  influencés  par 
eux.  Les  phénomènes  considérés  par  la  dernière  sont, 
au  contraire,  les  plus  particuliers,  les  plus  compliqués, 
les  plus  concrets  et  les  plus  directement  intéressants  pour 
l'homme;  ils  dépendent,  plus  ou  moins,  de  tous  les  pré- 
cédents, sans  exercer  sur  eux  aucune  influence.  Entre  ces 
deux  extrêmes,  les  degrés  de  spécialité,  de  complication 
et  de  personnalité  des  phénomènes  vont  graduellement  en 
augmentant,  ainsi  que  leur  dépendance  successive.  Telle 
est  l'intime  relation  générale  que  la  véritable  observation 
philosophique,  convenablement  employée,  et  non  de  vaines 
distinctions  arbitraires,  nous  conduit  à  établir  entre  les 
diverses  sciences  fondamentales.  Tel  doit  donc  être  le  plan 
de  ce  cours. 

Je  n'ai  pu  ici  qu'esquisser  l'exposition  des  considérations 
principales  sur  lesquelles  repose  cette  classitication.  Pour 
la  concevoir  complètement,  il  faudrait  maintenant,  après 
l'avoir  envisagée  d'un  point  de  vue  général,  l'examiner  re- 
lativement à  chaque  science  fondamentale  en  particulier. 
C'est  ce  que  nous  ferons  soigneusement  en  commençant 


7C  PLAN   DU  COURS. 

réiude  spéciale  de  chaque  parlie  de  ce  cours.  La  cooslruc- 
tion  de  cette  échelle  encyclopédique,  reprise  ainsi  succe^ 
sivement  en  partant  de  chacune  des  cinq  grandes  sciences, 
lui  fera  acquérir  plus  d'exactitude,  et  surtout  mettra  plei- 
nement en  évidence  sa  solidité.  Ces  avantages  seront  d'au- 
tant plus  sensibles,  que  nous  verrons  alors  la  distributioa 
intérieure  de  chaque  science  s'établir  nalurelleroenld'apris 
le  môme  principe,  ce  qui  présentera  tout  le  système  des 
connaissances  humaines  décomposé,  jusque  dans  ses  dé- 
tails secondaires,  d'après  une  considération  unique  con- 
stamment suivie,  celle  du  degré  d'abstraction  plus  ou 
moins  grand  des  conceptions  correspondantes.  Mais  des 
travaux  de  ce  genre,  outre  qu'ils  nous  entraîneraient  main- 
tenant beaucoup  trop  loin,  seraient  certainement  déplacés 
dans  cette  leçon,  oîi  notre  esprit  doit  se  maintenir  au  point 
de  vue  le  plus  général  de  la  philosophie  positive. 

Néanmoins^  pour  faire  apprécier  aussi  complètement 
que  possible,  dès  ce  moment,  l'importance  de  cette  biéraf* 
chie  fondamentale,  dont  je  ferai,  dans  toute  la  suite  de  ce 
cours,  des  applications  continuelles,  je  dois  signaler  rapi- 
dement ici  ses  propriétés  générales  les  plus  essentielles. 

Il  faut  d'abord  remarquer,  comme  une  vérification  très- 
décisive  de  l'exactitude  de  cette  classification,  sa  confor- 
mité essentielle  avec  la  coordination,  en  quelque  sorte 
spontanée,  qui  se  trouve  en  effet  implicitement  admise  par 
les  savants  livrés  à  l'étude  des  diverses  branches  de  la  phi- 
losophie naturelle. 

C'est  une  condition  ordinairement  fort  négligée  par  les 
constructeurs  d'échelles  encyclopédiques,  que  de  pré- 
senter comme  distinctes  les  sciences  que  la  marche  effec- 
tive de  l'esprit  humain  a  conduit,  sans  dessein  prémédité, 
à  cultiver  séparément,  et  d'établir  entre  elles  une  subor- 
dination conforme  aux  relations  positives  que  manifeste 


HliaARGHIB  DES  SCIENCES   POSITIVES.  77 

leur  développement  journalier.  Un  tel  accord  est  néan- 
moins éyidemment  le  plus  sûr  indice  d'une  bonne  classi- 
fication ;  car  les  divisions  qui  se  sont  introduites  spon- 
tanément dans  le  système  scientifique  n'ont  pu  être 
déterminées  que  par  le  sentiment  longtemps  éprouvé  des 
véritables  besoins  de  Tesprit  humain,  sans  qu'on  ait  pu 
être  égaré  par  des  généralités  vicieuses. 

Mais,  quoique  la  classification  ci-dessus  proposée  rem- 
plisse entièrement  cette  condition,  ce  qu'il  serait  superflu 
de  prouver,  il  n'en  faudrait  pas  conclure  que  les  habitudes 
généralement  établies  aujourd'hui  par  expérience  chez  les 
savants  rendraient  inutile  le  travail  encyclopédique  que 
nous  venons  d'exécuter.  Elles  ont  seulement  rendu  pos- 
sible une  telle  opération,  qui  présente  la  difi'érence  fon- 
damentale d'une  conception  rationnelle  à  une  classification 
purement  empirique,  il  s'en  faut  d'ailleurs  que  cette  clas- 
sification soit  ordinairement  conçue  et  surtout  suivie  avec 
toute  la  précision  nécessaire,  et  que  son  importance  soit 
convenablement  appréciée  ;  il  suffirait,  pour  s'en    con- 
vaincre, de  considérer  les  graves  infractions  qui  sont  com- 
mises tous  les  jours  contre  cette  loi  encyclopédique,  au 
grand  préjudice  de  l'esprit  humain. 

On  second  caractère  très-essentiel  de  notre  classifica- 
tion, c'est  d'être  nécessairement  conforme  à  l'ordre  ef- 
fectif du  développement  de  la  philosophie  naturelle.  C'est 
ce  que  vérifie  tout  ce  qu'on  sait  de  l'histoire  des  sciences, 
particulièrement  dans  les  deux  derniers  siècles,  où  nous 
pouvons  suivre  leur  marche  avec  plus  d'exactitude. 

On  conçoit,  en  effet,  que  l'étude  rationnelle  de  chaque 
science  fondamentale,  exigeant  la  culture  préalable  de 
tontes  celles  qui  la  précèdent  dans  notre  hiérarchie  en- 
cyclopédique, n'a  pu  faire  de  progrès  réels  et  prendre  son 
véritable  caractère,  qu'après  un  grand  développement  des 


78  PLAN   DU   COURS. 

sciences  antérieures  relatives  à  des  phénomènes  plus  gé- 
néraux, plus  abstraits,  moins  compliqués  et  indépendants 
des  autres.  C*est  donc  dans  cet  ordre  que  la  progression, 
quoique  simultanée,  a  dû  avoir  lieu. 

Celte  considération  me  semble  d'une  telle  importance, 
que  je  ne  crois  pas  possible  de  comprendre  réellement, 
sans  y  avoir  égard,  Thistoire  de  Tesprit  humain.  La  loi  gé- 
nérale qui  domine  toute  cette  histoire,  et  que  j'ai  exposée 
dans  la  leçon  précédente,  ne  peut  être  convenablement 
entendue,  si  on  ne  la  combine  point  dans  Tapplication 
avec  la  formule  encyclopédique  que  nous  venons  d'établir. 
Car,  c'est  suivant  Tordre  énoncé  par  cette  formule  que  les 
différentes  théories  humaines  ont  atteint  successivement, 
d'abord  Télat  théologique,  ensuite  l'état  métaphysique,  et 
enfin  l'état  positif.  Si  l'on  ne  tient  pas  compte  dans  l'usage 
de  la  loi  de  cette  progression  nécessaire,  on  rencontrera 
souvent  des  difficultés  qui  paraîtront  insurmontables,  car 
il  est  clair  que  l'état  théologique  ou  métaphysique  de  cer- 
taines théories  fondamentales  a  dû  temporairement  coïn- 
cider et  a  quelquefois  coïncidé  en  effet  avec  l'état  postif  de 
celles  qui  leur  sont  antérieures  dans  notre  système  encyclo- 
pédique, ce  qui  tend  à  jeter  sur  la  vérification  de  la  loi 
générale  une  obscurité  qu'on  ne  peut  dissiper  que  par  la 
classification  précédente. 

En  troisième  lieu,  cette  classification  présente  la  pro- 
priété très-remarquable  de  marquer  exactement  la  perfec- 
tion relative  des  différentes  sciences,  laquelle  consiste  es- 
sentiellement dans  le  degré  de  précision  des  connaissances, 
et  dans  leur  coordination  plus  ou  moins  intime. 

Il  est  aisé  de  sentir,  en  effet,  que  plus  des  phénomènes 
sont  généraux,  simples  et  abstraits,  moins  ils  dépendent 
des  autres,  et  plus  les  connaissances  qui  s'y  rapportent 
peuvent  être  précises,  en  môme  temps  que  leur  coordina^ 


HIÉBARCHIE  DBS  SCIENCES   POSITIVES.  79 

tion  peat  être  plus  complète.  Ainsi  les  phénomènes  orga- 
niques ne  comportent  qu'une  étude  à  la  fois  moins  exacte  et 
moins  systématique  que  les  phénomènes  des  corps  bruts. 
De  môme,  dans  la  physique  inorganique,  les  phénomènes 
célestes,  vu  leur  plus  grande  généralité  et  leur  indépen- 
dance de  tous  les  autres,  ont  donné  lieu  à  une  science  bien 
plus  précise  et  beaucoup  plus  liée  que  celle  des  phéno- 
mènes terrestres. 

Cette  observation,  qui  est  si  frappante  dans  Tétude  effec- 
tive des  sciences,  et  qui  a  souvent  donné  lien  à  des  espé- 
rances chimériques  ou  à  d'injustes  comparaisons,  se  trouve 
donc  complètement  expliquée  par  l'ordre  encyclopédique 
que  j'ai  établi.  J'aurai  naturellement  occasion  de  lui  donner 
toute  son  extension  dans  la  leçon  prochaine,  en  montrant 
que  la  possibilité  d'appliquer  à  l'étude  des  divers  phéno- 
mènes l'analyse  mathématique,  ce  qui  est  le  moyen  de 
procurer  à  cette  étude  le  plus  haut  degré  possible  de  pré- 
cision et  de  coordination,  se  trouve  exactement  détermi- 
née par  le  rang  qu'occupent  ces  phénomènes  dans  mon 
échelle  encyclopédique. 

Je  ne  dois  point  passer  à  une  autre  considération^  sans 
mettre  le  lecteur  en  garde  à  ce  sujet  contre  une  erreur  fort 
grave,  et  qui,  bien  que  très-grossière,  est  encore  extrême- 
ment commune.  Elle  consiste  à  confondre  le  degré  de  pré- 
cision que  comportent  nos  différentes  connaissances  avec 
leur  degré  de  certitude,  d'où  est  résulté  le  préjugé  très- 
dangereux  que,  le  premier  étant  évidemment  fort  inégal, 
il  en  doit  être  ainsi  du  second.  Aussi  parle-t-on  souvent 
encore,  quoique  moins  que  jadis,  de  Tinégale  certitude 
des  diverses  sciences,  ce  qui  tend  directement  à  décourager 
la  culture  des  sciences  les  plus  difficiles.  11  est  clair,  néan- 
moins, que  la  précision  et  la  certitude  sont  deux  qualités 
en  elles-mômes  fort  différentes.  Une  proposilien  tout  à  fait 


80  PLAN   DU   COUBS. 

absurde  peut  être  exlrômement  précise,  comme  si  l'on 
disait,  par  exemple,  que  la  somme  des  angles  d'un  triangle 
est  égale  à  trois  angles  droits  :  et  une  proposition  très-cer- 
taine peut  ne  comporter  qu'une  précision  fort  médiocre, 
comme  lorsqu'on  affirme,  par  exemple,  que  tout  homme 
mourra.  Si,  d'après  l'explication  précédente,  les  diverses 
sciences  doivent  nécessairement  présenter  une  précision 
très-inégale,  il  n'en  est  nullement  ainsi  de  leur  certitude. 
Chacune  peut  offrir  des  résultats  aussi  certains  que  ceux  de 
toute  autre,  pourvu  qu'elle  sache  renfermer  ses  cooclasioos 
dans  le  degré  de  précision  que  comportent  les  phénomènes 
correspondants,  condition  qui  peut  n'être  pas  tonjcHirs 
très-facile  à  remplir.  Dans  une  science  quelconque,  tout  ce 
qui  est  simplement  conjectural  n'est  que  plus  ou  moins 
probable,  et  ce  n'est  pas  là  ce  qui  compose  son  domaine  es- 
sentiel ;  tout  ce  qui  est  positif,  c'est-à-dire  fondé  sur  ée$ 
faits  bien  constatés,  est  certain  :  il  n'y  a  pas  de  distinction 
à  cet  égard. 

Enfin,  la  propriété  la  plus  intéressante  de  notre  formule 
encyclopédique,  à  cause  de  limportance  et  de  la  multipli- 
cité des  applications  immédiates  qu'on  en  peut  faire,  c'est 
de  déterminer  directement  le  véritable  plan  général  d'une 
éducation  scientifique  entièrement  rationnelle.  C'est  ce  qui 
résulte  sur-le-champ  de  la  seule  composition  de  la  formule. 

Il  est  sensible,  en  effet,  qu'avant  d'entreprendre  l'étude 
méthodique  de  quelqu'une  des  sciences  fondamentales,  il 
faut  nécessairement  s'être  préparé  par  l'examen  de  celles 
relatives  aux  phénomènes  antérieurs  dans  notre  échelle  en- 
cyclopédique, puisque  ceux-ci  influent  toujours  d'une  mi- 
nière prépondérante  sur  ceux  dont  on  se  propose  de  ccm* 
naître  les  lois.  Cette  considération  est  tellement  frappante, 
que,  malgré  son  extrême  importance  pratique,  je  n'ai  pas 
besoin  d'insister  davantage  en  ce  moment  sur  un  principe 


HIÊRARCHIB  DES  SCIENCES   POSITIVES.  81 

qai,  plus  tard,  se  reproduira  d'ailleurs  inévitablement,  par 
fipport  à  chaque  science  fondamentale.  Je  me  bornerai 
seulement  à  faire  observer  que,  s'il  est  éminemment  appli- 
cable à  l'éducation  générale,  il  l'est  aussi  particulièremen 
4  l'éducation  spéciale  des  savants. 

Ainsi,  les  physiciens  qui  n'ont  pas  d'abord  étudié  l'as- 
Iroaomiey  au  moins  sous  un  point  de  vue  général;  les  chi- 
mistes qui,  avant  de  s'occuper  de  leur  science  propre,  n'ont 
pas  étudié  préalablement  l'astronomie  et  ensuite  la  physi- 
que ;  les  physiologistes  qui  ne  se  sont  pas  préparés  à  leurs 
travaux  spéciaux  par  une  étude  préliminairede  l'astronomie, 
de  la  physique  et  de  la  chimie,  ont  manqué  à  l'une  des  con- 
ditions fondamentales  de  leur  développement  intellectuel. 
n  en  est  encore  plus  évidemment  de  même  pour  les  esprits 
qui  veulent  se  livrera  l'étude  positive  des  phénomènes  so- 
ciaux, sans  avoir  d'abord  acquis  une  connaissance  générale 
de  l'astronomie,  de  la  physique,  de  la  chimie  et  de  la  phy- 
siologie. 

Comme  de  telles  conditions  sont  bien  rarement  remplies 
de  nos  jours,  et  qu'aucune  institution  régulière  n'est  orga- 
nisée pour  les  accomplir,  nous  pouvons  dire  qu'il  n'existe 
pas  encore,  pour  les  savants,  d'éducation  vraiment  ration- 
nelle. Cette  considération  est,  à  mes  yeux,  d'une  si  grande 
importance,  que  je  ne  crains  pas  d'atribuer  en  partie  à  ce 
vice  de  nos  éducations  actuelles  l'état  d'imperfection  ex- 
trême où  nous  voyons  encore  les  sciences  les  plus  difficiles, 
état  véritablement  inférieur  à  ce  que  prescrit  en  effet  la  na- 
ture  plus  compliquée  des  phénomènes  correspondants. 

Relativement  h  l'éducation  générale,  cette  condition  est 
'encore  bien  plus  nécessaire.  Je  la  crois  tellement  indispen- 
sable, que  je  regarde  l'enseignement  scientiûque  comme 
incapable  de  réaliser  les  résultats  généraux  les  plus  essen- 
tiels qu'il  est  destiné  à  produire  dans  la  société  pour  la  ré- 
A.  Comte.  Tome  I.  6 


82  PLAN   DU   COURS. 

novation  du  système  intellectuel,  si  les  diverses  branches 
principales  de  la  philosophie  naturelle  ne  sont  pas  étudiées 
dans  Tordre  convenable.  N'oublions  pas  que,  dans  presque 
toutes  les  intelligences,  même  les  plus  élevées,  les  idées 
restent  ordinairement  enchaînées  suivant  l'ordre  de  leur 
acquisition  première  ;  et  que,  par  conséquent,  c'est  un  mal 
le  plus  souvent  irrémédiable  que  de  n'avoir  pas  commencé 
par  le  commencement.  Chaque  siècle  ne  compte  qu'un  bien 
petit  nombre  de  penseurs  capables,  à  Tépoque  de  leur  viri- 
lité, comme  Bacon,  Descartes  et  Leibnitz,  de  faire  vérita- 
blement table  rase  pour  reconstruire  de  fond  en  comble  le 
système  entier  de  leurs  idées  acquises. 

L'importance  de  notre  loi  encyclopédique  pour  servir  de 
base  à  l'éducation  scientiûque  ne  peut  être  convenablement 
appréciée  qu'en  la  considérant  aussi  par  rapport  à  la  mé- 
thode, au  lieu  de  l'envisager  seulement,  comme  nous  ve- 
nons de  le  faire,  relativement  à  la  doctrine. 

Sous  ce  nouveau  point  de  vue,  une  exécution  convenable 
du  plan  généra]  d'études  que  nous  avons  déterminé  doit 
avoir  pour  résultat  nécessaire  de  nous  procurer  une  con- 
naissance parfaite  de  la  méthode  positive^  qui  ne  pourrait 
Otre  obtenue  d'aucune  autre  manière. 

En  effet,  les  phénomènes  naturels  ayant  été  classés  de 
telle  sorte,  que  ceux  qui  sont  réellement  homogènes  res- 
tent toujours  compris  dans  une  même  étude ,  tandis  que 
ceux  qui  ont  été  affectés  à  des  études  différentes  sont  effec- 
tivement hétérogènes,  il  doit  nécessairement  en  résulter 
que  la  méthode  positive  générale  sera  constamment  modi- 
fiée d'une  manière  uniforme  dans  l'étendue  d'une  môme 
science  fondamentale,  et  qu'elle  éprouvera  sans  cesse  des 
modifications  différentes  et  de  plus  en  plus  composées,  en 
passant  d'une  science  à  une  autre.  Nous  aurons  donc  ainsi 
la  certitude  de  la  considérer  dans  toutes  les  variétés  réelles 


HIÉRABCHIE   DBS  SCIENCES   POSITIVES.  8S 

dont  elle  est  susceptible,  ce  qui  n'aurait  pu  avoir  lieu,  si 
nous  avions  adopté  une  formule  encyclopédique  qui  ne 
remplit  pas  les  conditions  essentielles  posées  ci-dessus. 

Cette  nouvelle  considération  est  d'une  importance  vrai- 
ment fondamentale;  car  ;  si  nous  avons  vu  en  général,  dans 
la  dernière  leçon,  qu'il  est  impossible  de  connaître  la  mé- 
tbode  positive,  quand  on  veut  l'étudier  séparément  de  son 
emploi,  nous  devons  ajouter  aujourd'hui  qu'on  ne  peut 
s'en  former  une  idée  nette  et  exacte  qu'en  étudiant  suc- 
cessivement, et  dans  l'ordre  convenable,  son  application  à 
toutes  les  diverses  classes  principales  des  phénomènes  na- 
turels. Une  seule  science  ne  suffirait  point  pour  atteindre 
ce  but,  môme  en  la  choisissant  le  plus  judicieusement  pos- 
sible. Car,  quoique  la  méthode  soit  essentiellement  iden- 
tique dans  toutes,  chaque  science  développe  spécialement 
tel  ou  tel  de  ses  procédés  caractéristiques,  dont  l'influence, 
trop  peu  prononcée  dans  les  autres  sciences,  demeurerait 
inaperçue.  Ainsi,  par  exemple,  dans  certaines  branches  de 
la  philosophie,  c'est  l'observation  proprement  dite;  dans 
d'autres,  c'est  Texpérience,  et  telle  ou  telle  nature  d'expé- 
riences, qui  constitue  le  principal  moyen  d'exploration.  De 
même,  tel  précepte  général,  qui  fait  partie  intégrante  de 
la  méthode,  a  été  fourni  primitivement  par  une  certaine 
science  ;  et,  bien  qu'il  ait  pu  être  ensuite  transporté  dans 
d'autres,  c'est  à  sa  source  qu'il  faut  l'étudier  pour  le  bien 
connaître;  comme,  par  exemple,  la  théorie  des  classifica- 
tions. 

En  se  bornant  à  l'étude  d'une  science  unique,  il  faudrait 
sans  doute  choisir  la  plus  parfaite  pour  avoir  un  sentiment 
plus  profond  de  la  méthode  positive.  Or,  la  plus  parfaite 
étant  en  môme  temps  la  plus  simple,  on  n'aurait  ainsi 
qu'une  connaissance  bien  complète  de  la  méthode,  puis- 
qu'on n'apprendrait  pas  quelles  modifications  essentielles 


84  PLAN   DU  COURS. 

elle  doit  subir  pour  s'adapter  à  des  phénomènes  plus  com- 
pliqués. Chaque  science  fondamentale  a  donc,  sous  ce  rap- 
port^ des  avantages  qui  lui  sont  propres  ;  ce  qui  prouve 
clairement  la  nécessité  de  les  considérer  toutes,  sous  peine 
de  ne  se  former  que  des  conceptions  trop  étroites  et  des 
habitudes  insnfGsantes.  Cette  considération  devant  se  re- 
produire fréquemment  dans  la  suite,  il  est  inutile  de  la  dé- 
velopper davantage  en  ce  moment. 

Je  dois  néanmoins  ici,  toujours  sous  le  rapport  de  la  mé- 
thode, insister  spécialement  sur  le  besoin,  pour  la  bien 
connaître,  non-seulement  d'étudier  philosophiquement 
toutes  les  diverses  sciences  fondamentales,  mais  de  les  étu- 
dier suivant  Tordre  encyclopédique  établi  dans  cette  leçon. 
Que  peut  produire  de  rationnel,  à  moins  d'une  extrême  sq« 
périorité  naturelle,  un  esprit  qui  s'occupe  de  prime  abord 
de  l'étude  des  phénomènes  les  plus  compliqués,  sans  avoir 
préalablement  appris  à  connaître,  par  l'examen  des  phéno- 
mènes les  plus  simples,  ce  que  c'est  qu'une  /o/,  ce  que  c'est 
qu*observer,  ce  que  c'est  qu'une  conception  positive,  ce  que 
c'est  môme  qu'un  raisonnement  suivi  t  Telle  est  pourtant 
encore  aujourd'hui  la  marche  ordinaire  de  nos  jeunes 
physiologistes^  qui  abordent  immédiatement  l'étude  des 
corps  vivants,  sans  avoir  le  plus  souvent  été  préparés  au- 
trement que  par  une  éducation  préliminaire  réduite  à  l'é- 
tude d'une  ou  de  deux  langues  mortes,  et  n'ayant,  tout  au 
plus,  qu'une  connaissance  très-superficielle  de  la  physique 
et  de  la  chimie,  connaissance  presque  nulle  sous  le  rapport 
de  la  méthode,  puisqu'elle  n'a  pas  été  obtenue  communé- 
ment d'une  manière  rationnelle,  et  en  partant  du  véritable 
point  de  départ  de  la  philosophie  naturelle.  On  conçoit 
combien  il  importe  de  réformer  un  plan  d'études  aussi  vi* 
cieux.  De  même,  relativement  aux  phénomènes  sociaux, 
qui  sont  encore  plus  compliqués,  ne  serait-ce  point  avoir 


niÉRARCHIB   DES  SCIENCES   POSITIVES.  85 

fait  un  grand  pas  vers  le  retour  des  sociétés  modernes  à  un 
état  Yraiment  normal,  que  d'avoir  reconnu  la  nécessité  lo- 
gique de  ne  procéder  à  l'élude  de  ces  phénomènes  qu'a- 
près avoir  dressé  successivement  Torgane  intellectuel  par 
Texamen  philosophique  approfondi  de  tous  les  phénomènes 
Ultérieurs?  On  peut  même  dire  avec  précision  que  c'est  là 
toute  la  difOculté  principale.  Car  il  est  peu  de  hons  esprits 
qui  ne  soient  convaincus  aujourd'hui  qu'il  faut  étudier  les 
phénomènes  sociaux  d'après  la  méthode  positive.  Seule- 
ment, ceux  qui  s'occupent  de  cette  étude,  ne  sachant  pas 
et  ne  pouvant  pas  savoir  exactement  en  quoi  consiste  cette 
méthode,  faute  de  l'avoir  examinée  dans  ses  applications 
antérieures,  cette  maxime  est  jusqu'à  présent  demeurée 
stérile  pour  la  rénovation  des  théories  sociales,  qui  ne  sont 
pas  encore  sorties  de  l'état  théologique  ou  de  l'état  méta- 
physique, malgré  les  efforts  des  prétendus  réformateurs 
positifs.  Cette  considération  sera,  plus  tard,  spécialement 
développée;  je  dois  ici  me  borner  à  l'indiquer,  unique- 
ment pour  faire  apercevoir  toute  la  portée  de  la  concep- 
tion encyclopédique  que  j'ai  proposée  dans  cette  leçon. 

Tels  sont  donc  les  quatre  points  de  vue  principaux,  sous 
lesquels  j'ai  dû  m'attacher  à  faire  ressortir  Timportance 
générale  de  la  classification  rationnelle  et  positive,  établie 
ei-dessus  pour  les  sciences  fondamentales. 

Afin  de  compléter  l'exposition  générale  du  plan  de  ce 
cours,  il  me  reste  maintenant  à  considérer  une  lacune  im- 
mense et  capitale,  que  j'ai  laissée  à  dessein  dans  ma  for- 
mule encyclopédique,  et  que  le  lecteur  a  sans  doute  déjà 
remarquée.  En  effet,  nous  n'avons  point  marqué  dans  notre 
système  scientifique  le  rang  de  la  science  mathématique. 

Le  motif  de  cette  omission  volontaire  est  dans  l'impor- 
ance  même  de  celte  science,  si  vaste  et  si  fondamentale 
^r  la  leçon  prochaine  sera  entièrement  consacrée  à  la  dé- 


86  PLAN   DU   COURS. 

termination  exacte  de  son  véritable  caractère  général,  et 
par  suite  à  la  fixation  précise  de  son  rang  encyclopédique. 
Mais,  pour  ne  pas  laisser  incomplet,  sous  un  rapport  aussi 
capital,  le  grand  tableau  que  j'ai  tâché  d'esquisser  dans 
cette  leçon,  je  dois  indiquer  ici  sommairement,  par  anti- 
cipation, les  résultats  généraux  de  l'examen  que  nous  en- 
treprendrons dans  la  leçon  suivante. 

Dans  l'état  actuel  du  développement  de  nos  connaissan- 
ces positives,  il  convient,  je  crois^  de  regarder  la  science 
mathématique,  moins  comme  une  partie  constituante  de 
la  philosophie  naturelle  proprement  dite,  que  comme 
étant,  depuis  Descartes  et  Newton,  la  vraie  base  fondamen- 
tale de  toute  cette  philosophie,  quoique^  à  parler  exacte- 
ment, elle  soit  à  la  fois  Tune  et  l'autre.  Aujourd'hui,  en 
effet,  la  science  mathématique  est  bien  moins  importante 
par  les  connaissances,  très-réelles  et  très-précieuses  néan- 
moins, qui  la  composent  directement,  que  comme  consti- 
tuant l'instrument  le  plus  puissant  que  l'esprit  humain 
puisse  employer  dans  la  recherche  des  lois  des  phénomè- 
nes naturels. 

Pour  présenter  à  cet  égard  une  conception  parfaitement 
nette  et  rigoureusement  exacte,  nous  verrons  qu'il  faut 
diviser  la  science  mathématique  en  deux  grandes  sciencesi 
dont  le  caractère  est  essentiellement  distinct:  la  mathéma- 
tique abstraite,  ou  le  calcul,  en  prenant  ce  mot  dans  sa  pins 
grande  extension,  et  la  mathématique  concrète,  qui  se 
compose,  d'une  part  de  la  géométrie  générale,  d'une 
autre  part  de  la  mécanique  rationnelle.  La  partie  concrète 
est  nécessairement  fondée  sur  la  pàrlie  abstraite,  et  devient 
à  son  tour  la  base  directe  de  toute  la  philosophie  naturelle, 
en  considérant,  autant  que  possible,  tous  les  phénomènes 
de  l'univers  comme  géométriques  ou  comme  mécaniques, 

La  partie  abstraite  est  la  seule  qui  soit  purement  instru- 


niÉRAacniE  des  sciences  positives.  87 

mentale,  n'étant  autre  chose  qu'une  immense  extension 
admirable  de  la  logique  naturelle  à  un  certain  ordre  de 
dédoctions.  La  géométrie  et  la  mécanique  doivent,  au 
contraire,  être  envisagées  comme  de  véritables  sciences 
naturelles,  fondées,  ainsi  que  toutes  les  autres,  sur  l'obser- 
vation, quoique,  par  Textrôme  simplicité  de  leurs  phéno- 
mènes, elles  comportent  un  degré  infiniment  plus  parfait  de 
systématisation,  qui  a  pu  quelquefois  faire  méconnaître  le 
caractère  expérimental  de  leurs  premiers  principes.  Mais 
ces  deux  sciences  physiques  ont  cela  de  particulier,  que, 
dans  l'état  présent  de  Tesprit  humain,  elles  sont  déjà  et 
seront  toujours  davantage  employées  comme   méthode, 
beaucoup  plus  que  comme  doctrine  directe. 

Il  est,  du  reste,  évident  qu*eu  plaçant  ainsi  la  science 
mathématique  à  la  tôte  de  la  philosophie  positive,  nous  ne 
faisons   qu'étendre  davantage  l'application  de  ce  même 
principe  de  classiGcation,  fondé  sur  la  dépendance  succes- 
sive des  sciences  en  résultat  du  degré  d'abstraction  de 
leurs  phénomènes  respectifs,  qui  nous  a  fourni  la  série 
encyclopédique,  établie  dans  cette  leçon.  Nous  ne  faisons 
maintenant  que  restituer  à  cette  série  son  véritable  pre- 
mier terme»  dont  l'importance  propre  exigeait  un  examen 
spécial  plus  développé.  On  voit,  en  effet,  que  les  phénomè- 
nes géométriques  et  mécaniques  sont,  de  tous,  les  plus 
généraux,  les  plus  simples^  les  plus  abstraits,  les  plus  irré- 
ductibles et  les  plus  indépendants  de  tous  les  antres,  dont 
ils  sont,  au  contraire,  la  base.  On  conçoit  pareillement  que 
leur  étude  est  un  préliminaire  indispensable  à  celle  de 
tous  les  autres  ordres  de  phénomènes.  C'est  donc  la  science 
mathématique  qui  doit  constituer  le  véritable  point  de  dé- 
part de  toute  éducation  scientiflque  rationnelle,  soit  géné- 
rale, soit  spéciale,  ce  qui  explique  l'usage  universel  qui 
s'est  établi  depuis  longtemps  h  ce  sujet,  d'une  manière  em- 


88      PLAN  DU  COURS.  —  HIÉRARCHIE  DES  SCIENCES  POSITIVES. 

pirique,  quoiqu^il  n'ait  eu  primitivement  d'autre  cause  que^ 
la  plus  grande  ancienneté  relative  de  la  science  mathéma- 
tique. Je  dois  me  borner  en  ce  moment  à  une  indicatioD 
très-rapide  de  ces  diverses  considérations,  qui  vont  être 
l'objet  spécial  de  la  leçon  suivante. 

Nous  avons  donc  exactenàent  déterminé  dans  cette  leçon, 
non  d'après  de  vaines  spéculations  arbitraires,  mais  en  le 
regardant  comme  le  sujet  d'un  véritable  problème  philoso- 
phique, le  plan  rationnel  qui  doit  nous  guider  constamment 
dans  l'étude  de  la  philosophie  positive.  En  résultat  déGni- 
tir,  la  mathématique,  Taslronomie^  la  physique,  la  chimie, 
la  physiologie  et  la  physique  sociale  :  telle  est  la  formule 
encyclopédique  qui,  parmi  le  très-grand  nombre  de  classi- 
ficalions  que  comportent  les  six  sciences  fondamentales, 
est  seule  logiquement  conforme  à  la  hiérarchie  naturelle 
et  invariable  des  phénomènes.  Je  n'ai  pas  besoin  de  rap» 
peler  l'importance  de  ce  résultat,  que  le  lecteur  doit  se 
rendre  éminement  familier,  pour  en  faire  dans  toute  l'é*' 
tendue  de  ce  cours  une  application  continuelle. 

La  conséquence  finale  de  cette  leçon^  exprimée  sous  la 
forme  la  plus  simple,  consiste  donc  dans  l'application  et  la 
justification  du  grand  tableau  synoptique  placé  au  commen- 
cement de  cet  ouvrage,  et  dans  la  construction  duquel  je 
me  suis  efforcé  de  suivre,  aussi  rigoureusement  que  possi- 
ble, pour  la  distribution  intérieure  de  chaque  science  fon- 
damentale, le  môme  principe  de  classification  qui  vient  de 
nous  fournir  la  série  générale  des  sciences. 


TROISIÈME  LEÇON 


Sommaire.  —  Ck>nsidéraUon8  philosophiques  sur  Tensemble  do  la  science 

mathématique. 


£d  commeDçant  à  entrer  directement  en  matière  par 
l'étude  philosophique  de  la  première  des  six  sciences  fon- 
damenUiles  établies  dans  la  leçon  précédente,  nous  avons 
lieu  de  constater  immédiatement  l'importance  de  la  philo- 
sophie positive  pour  perfectionner  le  caractère  général  de 
chaque  science  en  particulier. 

Quoique  la  science  mathématique  soit  la  plus  ancienne 
et  la  plus  parfaite  de  toutes,  l'idée  générale  qu'on  doit  s'en 
former  n'est  point  encore  nettement  déterminée.  La  défi- 
nition de  la  science,  ses  principales  divisions,  sont  demeu- 
rées jusqu'ici  vagues  et  incertaines.  Le  nom  multiple  par 
lequel  on  la  désigne  habituellement  suffirait  môme  seul 
pour  indiquer  le  défaut  d'unité  de  son  caractère  philoso- 
phique, tel  qu'il  est  conçu  communément. 

A  la  vérité,  c'est  seulement  au  commencement  du  siècle 
dernier  que  les  diverses  conceptions  fondamentales  qui  cons- 
tituent cette  grande  science  ont  pris  chacune  assez  de  déve- 
loppement pour  que  le  véritable  esprit  de  l'ensemble  pût  se 
manifester  clairement.  Depuis  cette  époque,  l'attention  des 
géomètres  a  été  trop  justement  et  trop  exclusivement  ab- 
sorbée par  le  perfectionnement  spécial  des  différentes  bran- 
ches, et  par  l'application  capitale  qu'ils  en  ont  faite  aux  lois 
les  plus  importantes  de  l'univers,  pour  pouvoir  se  diriger 


90  MATOÉMATrQUES. 

convenablement  sur  le  système  général  de  la  science. 

Mais  aujourd'hui  le  progrès  des  spécialités  n'est  plus  tel- 
lement rapide,  qu'il  interdise  la  contemplation  de  Tensem- 
ble.  La  mathématique  (1)  est  maintenant  assez  développée, 
soit  en  elle-même,  soit  quant  à  ses  applications  les  plus 
essentielles,  pour  être  parvenue  à  cet  état  de  consistance, 
dans  lequel  on  doit  s'efforcer  de  coordonner  en  un  système 
unique  les  diverses  parties  de  la  science,  afin  de  préparer 
de  nouveaux  progrès.  On  peut  môme  observer  que  les  der- 
niers perfectionnements  capitaux  éprouvés  par  la  science 
mathémaliqi>e  ont  directement  préparé  cette  importante 
opération  philosophique,  en  imprimant  à  ses  principales 
parties  un  caractère  d'unité  qui  n'existait  pas  auparavant; 
tel  est  éminemment  et  hors  de  toute  comparaison  l'esprit 
des  travaux  de  l'immortel  auteur  de  la  Théorie  des  Fonctions 
et  de  la  Mécanique  analytique. 

Pour  se  former  une  juste  idée  de  l'objet  de  la  science 
mathématique  considérée  dans  son  ensemble,  on  peut  d'a- 
bord partir  de  la  définition  vague  et  insignifiante  qu'on  en 
donne  ordinairement,  à  défaut  de  toute  autre,  en  disant 
qu'elle  est  la  science  des  grandeurs^  ou,  ce  qui  est  plus  po- 
sitif, la  science  qui  a  pour  but  la  mesure  des  grandeurs.  Cet 
aperçu  scolastique  a,  sans  doute,  singulièrement  besoin 
d'acquérir  plus  de  précision  et  plus  de  profondeur.  Mais 
l'idée  est  juste  au  fond  ;  elle  est  même  suffisamment  éten- 
due, lorsqu'on  la  conçoit  convenablement.  Il  importe  d'ail- 
leurs, en  pareille  matière,  quand  on  le  peut  sans  inconvé- 
nient, de  s'appuyer  sur  des  notions  généralement  admises. 
Voyons  donc  comment^  en  partant  de  cette  grossière 
ébauche,  on  peut  s'élever  à  une  véritable  définition  de  la 

(1)  J'emploierai  souvent  cette  expression  au  singulier,  comme  l'a  proposé 
Condorcet,  afin  d'indiquer  avec  plus  d'énergie  l'esprit  d'unité  dans  lequel 
je  conçois  la  science. 


ENSEMBLE   DE   LA  SCIENCE   MATBÉMATIQUE.  91 

mathématique,  à  une  définition  qui  soil  digne  de  corres- 
pondre à  rimportance,  à  retendue  et  à  la  difficulté  de  la 
science. 

La  question  de  mesurer  une  grandeur  ne  présente  par 
elle-même  à  l'esprit  d'autre  idée  que  celle  de  la  simple 
comparaison  immédiate  de  cette  grandeur  avec  une  autre 
grandeur  semblable  supposée  connue,  qu'on  prend  pour 
vniV^  entre  toutes  celles  de  la  même  espèce.  Ainsi,  quand 
on  se  borne  à  définir  les  mathématiques  comme  ayant  pour 
objet  la  mesure  des  grandeurs^  on  en  donne  une  idée  fort 
imparfaite,  car  il  est  même  impossible  de  voir  par  là  com- 
ment il  y  a  lieu,  sous  ce  rapport,  à  une  science  quelcon- 
que, et  surtout  à  une  science  aussi  vaste  et  aussi  profonde 
qu'est  réputée  l'être  avec  raison  la  science  mathématique. 
Au  lieu  d'un  immense  enchaînement  de  travaux  rationnels 
Irès-prolongés,  qui  offrent  à  notre  activité  intellectuelle  un 
aliment  inépuisable,  la  science  paraîtrait  seulement  con- 
sister,  d'après  un  tel  énoncé,  dans  une  simple  suite  de  pro- 
cédés mécaniques  pour  obtenir  directement,  à  l'aide  d'o- 
pérations analogues  à  la   superposition  des   lignes,   les 
rapports  des  quantités  à  mesurer  à  celles  par  lesquelles 
CD  veut  les  mesurer.  Néanmoins  cette  définition  n'a  point 
réellement  d'autre  défaut  que  de  n'être  pas  suffisamment 
approfondie.  Elle  n'induit  point  en  erreur  sur  le  véritable 
bat   final    des  mathématiques;  seulement  elle  présente 
comme  direct  un  objet  qui,  presque  toujours,  est,  au  con- 
traire, fort  indirect,  et,  par  là,  elle  ne  fait  nullement  con- 
cevoir la  nature  de  la  science. 

Pour  y  parvenir,  il  faut  d'abord  considérer  un  fait  gé- 
néral, très-facile  à  constater .  C'est  que  la  mesure  directe 
d'une  grandeur,  par  la  superposition  ou  par  quelque  pro- 
cédé semblable,  est  le  plus  souvent  pour  nous  une  opéra- 
tion tout  à  fait  impossible  :  en  sorte  que,  si  nous  u'avions 


92  MATHÉMATfQUES. 

pas  d*autre  moyen  pour  déterminer  les  grandeurs  que  les 
comparaisons  immédiates,  nous  serions  obligés  de  renon- 
cer à  la  connaissance  de  la  plupart  de  celles  qui  nous  inté- 
ressent. 

On  comprendra  toute  l'exactitude  de  celte  observation 
générale,  en  se  bornant  à  considérer  spécialement  le  cas 
particulier  qui  présente  évidemment  le  plus  de  facilité» 
celui  de  la  mesure  d'une  ligne  droite  par  une  autre  ligne 
droite.  Cette  comparaison,  qui,  de  toutes  celles  que  nous 
pouvons  imaginer,  est  sans  contredit  la  plus  simple,  ne 
peut  néanmoins  presque  jamais  être  efTectuée  immédiate- 
ment. En  réfléchissant  à  l'ensemble  des  conditions  néces* 
sairespour  qu'une  ligne  droite  soit  susceptible  d'une  me- 
sure directe,  on  voit  que  le  plus  souvent  elles  ne  peuvent 
point  élre  remplies  à  la  fois,  relativement  aux  lignes  que 
nous  désirons  connaître.  La  première  et  la  plus  grossière 
de  ces  conditions,  celle  de  pouvoir  parcourir  la  ligne  d'un 
bout  à  l'autre  pour  porter  successivement  l'unité  dans 
toute  son  étendue,  exclut  évidemment  déjà  la  très- majeure 
partie  des  distances  qui  nous  inléressent  le  plus;  d'abord 
toutes  les  dislances  entre  les  dill'érents  corps  célestes,  ou 
de  la  terre  à  quelque  autre  corps  céleste,  et  ensuite  môme  la 
plupart  des  distances  terrestres,  qui  sont  si  fréquemment 
inaccessibles.  Quand  cette  première  condition  se  trouve 
accomplie,  il  faut  encore  que  la  longueur  ne  soit  ni  trop 
grande  ni  trop  petite,  ce  qui  rendrait  la  mesure  directe 
également  impossible;  il  faut  qu'elle  soit  convenablement 
située,  etc.  La  plus  légère  circonstance,  qui  abstraitement 
ne  paraîtrait  devoir  introduire  aucuqe  nouvelle  difficulté, 
suffira  souvent,  dans  la  réalité,  pour  nous  interdire  toute 
mesure  directe.  Ainsi,  par  exemple,  telle  ligne  que  nous 
pourrions  mesurer  exactement  avec  la  plus  grande  facilité, 
si  elle  était  horizontale,  il  suffira  de  la  concevoir  redressée 


ENSEMBLE   DE   LA   SCIENCE   MATUÉMATIQUE.  9S 

Terticalement  pour  que  la  mesure  en  devienne  impossible. 
En  un  mot,  la  mesure  immédiate  d'une  ligne  droite  pré- 
sente une  telle  complication  de  difGcuités,  surtout  quand 
on  YBut  y  apporter  quelque  exactitude,  que  presque  ja- 
mais nous  ne  rencontrons  d'autres  lignes  susceptibles  d'être 
mesurées  directement  avec  précision,  du  moins  parmi 
celles  d'une  certaine  grandeur,  que  des  lignes  purement  ar- 
tificielles, créées  expressément  par  nous  pour  comporter 
une  détermination  directe,  et  auxquelles  nous  parvenons  à 
rattacher  toutes  les  autres. 

Ce  que  je  viens  d'établir  relativement  aux  lignes  se  con- 
çoit, à  bien  plus  forte  raison,  des  surfaces,  des  volumes, 
des  vitesses,  des  temps,  des  forces,  etc. ,  et,  en  général,  de 
toutes  les  autres  grandeurs  susceptibles  d'appréciation 
exacte,  et  qui,  par  leur  nature,  présentent  nécessairement 
beaucoup  plus  d'obstacles  encore  à  une  mesure  immédiate, 
il  est  donc  inutile  de  s'y  arrêter,  et  nous  devons  regarder 
comme  suffisamment  constatée  l'impossibilité  de  détermi- 
ner, en  les  mesurant  directement,  la  plupart  des  grandeurs 
que  nous  désirons  connaître.  C'est  ce  fait  général  qui  né- 
cessite la  formation  de  la  science  mathématique,  comme 
nous  allons  le  voir.  Car,  renonçant^  dans  presque  tous  les 
CâSy  à  la  mesure  immédiate  des  grandeurs,  l'esprit  humain 
a  dû  chercher  à  les  déterminer  indirectement,  et  c'est  ainsi 
qu'il  a  été  conduit  à  la  création  des  mathématiques. 

La  méthode  générale  qu'on  emploie  constamment,  la 
«euie  évidemment  qu'on  puisse  concevoir  pour  connaître 
des  grandeurs  qui  ne  comportent  point  une  mesure  directe, 
consiste  à  les  rattacher  à  d'autres  qui  soient  susceptibles 
d'être  déterminées  immédiatement,  et  d'après  lesquelles 
on  parvient  à  découvrir  les  premières,  au  moyen  des  rela- 
tions qui  existent  entre  les  unes  et  les  autres.  Tel  est  l'ob- 
jet précis  de  la  science  mathématique  envisagée  dans  son 


9  4  MATIIÉMATIQUES. 

ensemble.  Pour  s*en  faire  une  idée  suffisamment  étendue, 
il  faut  considérer  que  cette  détermination  indirecte  des 
grandeurs  peut  être  indirecte  à  des  degrés  fort  différents. 
Dans  un  grand  nombre  de  cas,  qui  souvent  sont  les  plus 
importants,  les  grandeurs,  à  la  détermination  desquelles 
on  ramène  la  recherche  des  grandeurs  principales  qu'on 
veut  connaître,  ne  peuvent  point  elles-mêmes  être  meso* 
rées  immédiatement,  et  doivent  par  conséquent,  à  leur 
tour,  devenir  le  sujet  d'une  question  semblable,  et  ainsi  de 
suite;  en  sorte  que,  dans  beaucoup  d'occasions,  l'esprit 
humain  est  oblige  d'établir  une  longue  suite  d'intermé- 
diaires entre  le  système  des  grandeurs  inconnues,  qui  sont 
l'objet  définitif  de  ses  recherches,  et  le  système  des  gran- 
deurs susceptibles  de  mesure  directe,  d'après  lesquelles 
on  détermine  finalement  les  premières,  et  qui  ne  parais- 
sent d'abord  avoir  avec  celles-ci  aucune  liaison. 

Quelques  exemples  vont  suffire  pour  éclaircir  ce  que  les 
généralités  précédentes  pourraient  présenter  de  trop  abs- 
trait. 

Considérons,  en  premier  lieu,  un  phénomène  naturel 
très-simple  qui  puisse  néanmoins  donner  lieu  à  une  ques- 
tion mathématique  réelle  et  susceptible  d'applications  e^ 
fectives,  le  phénomène  de  la  chute  verticale  des  corps  pe* 
sants. 

En  observant  ce  phénomène,  l'esprit  le  plus  étranger 
aux  conceptions  niathématiques  reconnaît  sur-le-champ 
que  les  deux  quantités  qu'il  présente,  savoir  :1a  hauteurd'où 
un  corps  est  tombé,  et  le  temps  de  sa  chute,  sont  néces- 
sairement liées  l'une  à  l'autre,  puisqu'elles  varient  ensem- 
ble, et  restent  fixes  simultanément;  ou,  suivant  le  langage 
des  géomètres,  qu'elles  sont  fonction  l'une  de  l'autre.  Le 
phénomène,  considéré  sous  ce  point  de  vue,  donne  donc 
lieu  à  une  question  mathématique,  qui  consiste  à  suppléer 


ENSEMBLE  DE   LA  SCIENCE   MATHÉMATIQUE.  95 

à  la  mesure  directe  de  l'une  de  ces  deux  grandeurs  lors- 
qu'elle sera  impossible,  par  la  mesure  de  l'autre.  C'est 
ainsi,  par  exemple^ qu'on  pourra  déterminer  indirectement 
la  profondeur  d'un  précipice,  en  se  bornant  à  mesurer  le 
temps  qu'un  corps  emploierait  à  tomber  jusqu'au  fond;  et, 
en  procédant  convenablement,  cette  profondeur  inaccessi- 
ble sera  connue  avec  tout  autant  de  précision  que  si  c'était 
ane  ligne  horizontale  placée  dans  les  circonstances  les  plus 
favorables  à  une  mesure  facile  et  exacte.  Dans  d'autres  oc- 
casions^ c'est  la  hauteur  d'où  le  corps  est  tombé  qui  sera 
facile  h  connaître,  tandis  que  le  temps  de  la  chute  ne  pour- 
rait point  être  observé  directement  :  alors  le  même  phéno- 
mène donnera  lieu  à  la  question  inverse,  déterminer  le 
temps  d'après  la  hauteur  ;  comme,  par  exemple,  si  l'on  vou- 
lait connaître  quelle  serait  la  durée  de  la  chute  verticale 
d'un  corps  tombant  de  la  lune  sur  la  terre. 

Dans  l'exemple  précédent,  la  question  mathématique 
est  fort  simple,  dû  moins  quand  on  n'a  pas  égard  à 
la  variation  d'inlensité  de  la  pesanteur,  ni  à  la  résistance 
do  fluide  que  le  corps  traverse  dans  sa  chute.  Mais, 
pour  agrandir  la  question,  il  suffira  de  consiilérer  le 
même  phénomène  dans  sa  plus  grande  généralité,  en 
supposant  la  chute  oblique,  et  tenant  compte  de  toutes  les 
circonstmces  principales.  Alors,  au  lieu  d'offrir  simple- 
ment d^ux  quantités  variables  liées  entre  elles  par  une  re- 
lation facile  à  suivre,  le  phénomène  en  présentera  un  plus 
grand  nombre,  l'espace  parcouru,  soit  dans  le  sens  verti- 
cal, soit  dans  le  sens  horizontal,  le  temps  employé  à  le 
parcourir,  la  vitesse  du  corps  h  chaque  point  de  sa  course, 
et  même  l'intensité  et  la  direction  de  son  impulsion  primi- 
tive, qui  pourront  aussi  être  envisagées  comme  variables, 
et  enfin,  dans  certains  cas,  pour  tenir  compte  de  tout, 
h  résistance  du  milieu  et  l'énergie  de  la  gravité.  Toutes 


96  «  MATHÉMATIQUES. 

ces  diverses  quantités  seront  liées  entre  elles,  de  telle  sor — 
te  que  chacune  à  son  lour  pourra  être  déterminée  indirec — 
tement  d'après  les  autres,  ce  qui  présentera  autant  de  re- 
cherches mathématiques  distinctes  qu'il  y  aura  de  gran- 
deurs coexistantes  dans  le  phénomène  considéré.  Ce  chan* 
gement  très-simple   dans    les  conditions  physiques  d'un 
problème   pourra  faire,   comme  il  arrive  en  effet   pour 
l'exemple  cité,  qu'une  recherche  mathématique,  primiti* 
Tement  fort  élémentaire,  se  place  tout  à  coup  au  rang  des 
questions  les  plus  difOciles^  dont  la  solution  complète  et 
rigoureuse  surpasse  jusqu'à  présent  toutes  les  plus  grandes 
forces  de  l'esprit  humain. 

Prenons  un  second  exemple  dans  les  phénomènes  géo- 
métriques. Qu'il  s'agisse  de  déterminer  une  distance  qui 
n'est  pas  susceptible  de  mesure  directe  ;  on  la  concevra 
généralement  comme  faisant  partie  d'une  figure^  ou  d'un 
système  quelconque  de  lignes,  choisi  de  telle  manière  que 
tous  ses  autres  éléments  puissent  être  observés  immédiate- 
ment; par  exemple,  dans  le  cas  le  plus  simple  et  auquel 
tous  les  autres  peuvent  se  réduire  finalement,  on  considére- 
ra la  distance  proposée  comme  appartenant  à  un  triangle, 
dans  lequel  on  pourrait  déterminer  directement,  soît  un 
autre  côté  et  deux  angles,  soit  deux  côtés  et  un  seul  angle. 
Dès  lors,  la  connaissance  de  la  distance  cherchée,  aa 
lieu  d'être  obtenue  immédiatement,  sera  le  résultat  d'ao 
travail  mathématique  qui  consistera  à  la  déduire  des  élé- 
ments observés,  d'après  la  relation  qui  la  lie  avec  eux.  Ce 
travail  pourra  devenir  successivement  de  plus  en  plus  corn* 
pliqué,  si  les  éléments  supposés  connus  ne  pouvaient,  à 
leur  tour,  comme  il  arrive  le  plus  souvent,  être  déterminés 
que  d'une  manière  indirecte^  à  l'aide  de  nouveaux  systèmes 
auxiliaires,  dont  le  nombre,  dans  les  grandes  opérations 
de  ce  genre,   finit  par  devenir  quelquefois  très-considé* 


ENSEMBLE  DE  LA  SCIENCE  MATHÉMATIQUE.  97 

rable.  La  distance  une  fois  déterminée,  cette  seule  con- 
naissance sofBra  fréquemment  pour  faire  obtenir  de  nou- 
velles quantités,  qui  offriront  le  sujet  de  nouvelles  questions 
matbématiques.  Ainsi,  quand  on  sait  à  quelle  distance 
est  situé  un  objet,  la  simple  observation,  toujours  pos- 
sible, de  son  diamètre  apparent,  doit  évidemment  per- 
mettre de  déterminer  indirectement,  quelque  inaccessible 
qu'il  puisse  être,  ses  dimensions  réelles,  et,  par  une  suite 
de  recherches  analogues,  sa  surface,  son  volume,  son 
poids  môme,  et  une  foule  d'autres  propriétés,  dont  la  con- 
naissance semblait  devoir  nous  être  nécessairement  in- 
terdite. 

C'est  par  de  tels  travaux  que  Tbomme  a  pu  parvenir  à 
coonattre  non-seulement  les  distances  des  astres  à  la 
terre,  et  par  suite,  entre  eux,  mais  leur  grandeur  effective, 
leur  véritable  figure,  jusqu'aux  inégalités  de  leur  surface, 
et,  ce  qui  semble  se  dérober  bien  plus  encore  à  nos  moyens 
d'investigation,  leurs  masses  respectives,  leurs  densités 
moyennes,  les  circonstances  principales  de  la  cbule  des 
corps  pesants  à  la  surface  de  chacun  d'eux,  etc.  Par  la  puis- 
sance des  théories  mathématiques,  tous  ces  divers  résul- 
tats, et  bien  d'autres  encore  relatifs  aux  différentes  classes 
^e  phénomènes  naturels,  n'ont  exigé  définitivement  d'autres 
mesures  immédiates  que  celles  d'un  très-petit  nombre 
de  lignes  droites,  convenablement  choisies,  et  d'un  plus 
C^nd  nombre  d'angles.  On  peut  même  dire^  en  toute  ri- 
^enr,  pour  indiquer  d'un  seul  trait  la  portée  générale  de 
la  science,  que  si  l'on  ne  craignait  pas  avec  raison  de  mui- 
^plier  sans  nécessité  les  opérations  mathématiques,  et  si, 
X>ar  cfbnséquent,  on  ne  devait  pas  les  réserver  seulement 
pour  la  détermination  des  quantités  qui  ne  pourraient 
nullement  être  mesurées  directement,  ou  d'une  manière 
hissez  exacte,  la  connaissance  de  toutes  les  grandeurs  sus- 

A.  Court.  Tome  !•  ^ 


i)8  MATHÉMATIQUES. 

ceptibles  d'estimation  précise  que  les  divers  ordres  de  phé- 
nomènes peuvent  nous  ofl'rir,  serait  finalement  réductible 
à  la  mesure  immédiate  d'une  ligne  droite  unique  et  d'an 
nombre  d'angles  convenable. 

Nous  sommes  donc  parvenu  maintenant  à  définir  av6c 
exactitude  la  science  mathématique,  en  lui  assignant  pooi 
but  la  mesure  indirecte-  des  grandeurs,  et  disant  qu'on  s'j 
propose  constamment  de  déterminer  les  grandeurs  les  uneà 
par  les  autres,  d'après  les*  relations  précises  qui  existent  entn 
elles.  Cet  énoncé,  au  lieu  de  donner  seulement  l'idée  d'un 
art^  comme  le  font  jusqu'ici  toutes  les  définitions  or- 
dinaires, caractérise  immédiatement  une  véritable  sciencty 
et  la  montre  sur-le-champ  composée  d'un  immense  encbal- 
nement  d'opérations  intellectuelles,  qui  pourront  évidem- 
ment devenir  très-compliquées,  à  raison  de  la  suite  d'int^ 
médiaires  qu'il  faudra  établir  entre  les  quantités  inconnueîB 
et  celles  qui  comportent  une  mesure  directe,  du  nombre 
des  variables  coexistantes  dans  la  question  proposée,  el 
de  la  nature  des  relations  que  fourniront  entre  toutes  ces 
diverses  grandeurs  les  phénomènes  considérés.  D'après 
une  telle  définition,  l'esprit  mathématique  consiste  à  re- 
garder toujours  comme  liées  entre  elles  toutes  les  quantités 
que  peut  présenter  un  phénomène  quelconque,  dans  la  voe 
de  les  déduire  les  unes  des  autres.  Or,  il  n'y  a  pas  évidem- 
ment de  phénomène  qui  ne  puisse  donner  lieu  à  des  con- 
sidéralions  de  ce  genre;  d'où  résulte  l'étendue  naturelle* 
ment  indéfinie  et  môme  la  rigoureuse  universalité  logique 
de  la  science  mathématique  :  nous  chercherons  plus  loin 
à  circonscrire,  aussi  exactement  que  possible,  son  exten- 
sion effective.  ^ 

Les  explications  précédentes  établissent  clairement  b 
justification  du  nom  employé  pour  désigner  la  science  que 
nous  considérons.  Cette  dénomination,  qui  a  pris  aujour- 


ENSEMBLE   DE. LA  SCIENCE   MATnÉMATIQUE.  99 

d'bui  une  acception  si  déterminée,  signifie  simplement 
par  elle-même  la  scterur^  en  général.  Une  telle  désignation, 
rigoureusement  exacte  pour  les  Grecs,  qui  n'avaient  pas 
d'autre  science  réelle,  n'a  pu  être  conservée  par  les  mo* 
dernes  que  pour  indiquer  les  mathématiques  comme  la 
science  par  excellence.  £t,  en  effet,  la  déûnition  à  laquelle 
nous  Tenons  d'être  conduits,  si  l'on  en  écarte  la  circonstance 
de  la  précision  des  déterminations,  n'est  autre  chose  que 
la  définition  de  toute  véritable  science  quelconque,  car 
chacune  *n'a-t-elle  pas  nécessairement  pour  but  de  déter- 
oainer  des  phénomènes  les  uns  par  les  autres,  d'après  les 
relations  qui  existent  entre  eux?  Toute  science  consiste 
dans  la  coordination  des  faits  ;  si  les  diverses  observation» 
étaient  entièrement  isolées,  il  n'y  auraH  pas  de  science. 
On  peut  même  dire  généralement  que  la  science  est  essen- 
tiellement destinée  à  dispenser,  autant  que  le  comportent 
les  divers  phénomènes,  de  toute  observation  directe,  en 
permellanl  de  déduire  du  plus  petit  nombre  possible  de 
données  immédiates  ie  plus  grand  nombre  possible  de 
résultats.  N'est-ce  point  là,  en  eUet,  l'usage  réel,  soit  dans 
la  spéculation,  soit  dans  l'action,  des  lois  que  nous  parve* 
nons à  découvrir  entre  les  phénomènes  naturels  ?  La  science 
mathématique  ne  fait,  d'après  cela,  que  pousser  au  plus 
baut  degré  possible,  tant  sous  le  rapport  de  la  quantité  que 
sous  celui  de  la  qualité,  sur  les  sujets  véritablement  de  son 
xressort,  le  même  genre  de  recherches  que  poursuit,  à  des 
<iegrés  plus  ou  moins  inférieurs,  chaque  science  réelle  dans 
Ha  sphère  respective. 

C'est  donc  par  l'étude  des  mathématiques,  et  seulement 
par  elle,  que  l'on  peut  se  faire  une  idée  juste  et  approfon- 
<lie  de  ce  que  c'est  qu'une  science.  C'est  là  uniquement 
«ju'OD  doit  chercher  à  connaître  avec  précision  la  mé- 
thode générale  que  l'esprit  humain  emploie  constamment 


100  MATUÉMATIQUES* 

dans  toutes  ses  recherches  positives^  parce  que  nulle  part 
ailleurs  les  questions  ne  sont  résolues  d'une  manière  aussi 
complète,  et  les  déductions  prolongées  aussi  loin  avec  une 
sévérité  rigoureuse.  C'est  là  également  que  notre  entende- 
ment a  donné  les  plus  grandes  preuves  de  sa  force,  parce 
que  les  idées  qu'il  y  considère  sont  du  plus  haut  degré 
d'abstraction  possible  dans  Tordre  positif.  Toute  éducation 
scientifique  qui  ne  commence  point  par  une  telle  étude 
pèche  donc  nécessairement  par  sa  base. 

Nous  avons  jusqu'ici  envisagé  la  science  mathématique 
seulement  dans  son  ensemble  total,  sans  avoir  aucun  égard 
à  ses  divisions.  Nous  devons  maintenant,  pour  compléter 
cette  vue  générale  et  nous  former  une  juste  idée  du  carac- 
tère philosophique  de  la  science,  considérer  sa  division 
fondamentale.  Les  divisions  secondaires  seront  examinées 
dans  les  leçons  suivantes. 

Cette  division  principale  ne  saurait  être  vraiment  ration- 
nelle, et  dériver  de  la  nature  môme  du  sujet,  qu'autant 
qu'elle  se  présentera  spontanément,  en  faisant  l'analyse 
exacte  d'une  question  mathématique  complète.  Ainsi,  après 
avoir  déterminé  ci-dessus  quel  est  l'objet  général  des  tra- 
vaux mathématiques,  caractérisons  maintenant  avec  préci- 
sion les  divers  ordres  principaux  de  recherches  dont  ils  se 
composent  constamment. 

La  solution  complète  de  toute  question  maihématique 
se  décompose  nécessairement  en  deux  parties  d'une  na- 
ture essentiellement  distincte,  et  dont  la  relation  est  inva- 
riablement déterminée.  En  effet,  nous  avons  vu  que  toute 
recherche  mathématique  a  pour  objet  de  déterminer  des 
grandeurs  inconnues,  d'après  les  relations  qui  existent 
entre  elles  et  des  grandeurs  connues.  Or  il  faut  évidem- 
ment d'abord,  à  celte  fin,  parvenir  à  connaître  avec  préci- 
sion les  relations  existantes  entre  les  quantités  que  Ton 


ENSEMBLE  DE  LA   SCIENCE   MATHÉMATIQUE.  101 

considère.  Ce  premier  ordre  de  recherches  constitue  ce 
que  j'appelle  la  partie  concrète  de  la  solution.  Quand  elle 
est  terminée,  la  question  change  de  nature  ;  elle  se  réduit 
à  une  pure  question  de  nombres,  consistant  simplement 
désormais  à  déterminer  des  nombres  inconnus,  lorsqu'on 
sait  quelles  relations  précises  les  lient  à  des  nombres  con- 
nus. C'est  dans  ce  second  ordre  de  recherches  que  consiste 
ce  que  je  nomme  la  partie  abstraite  de  la  solution.  De  là 
résulte  la  division  fondamentale  de  la  science  mathéma- 
tique générale  en  deux  grandes  sciences,  la  mathématique 
abstraite  et  la  mathématique  concrète. 

Cette  analyse  peut  être  observée  dans  toute  question 
mathématique  complète,  quelque  simple  ou  quelque  com- 
pliquée qu'elle  soit.  li  suffira,  pour  la  faire  bien  compren- 
dre, d'en  indiquer  un  seul  exemple. 

Reprenant  le  phénomène  déjà  cité  de  la  chute  verticale 
d'un  corps  pesant,  et  considérant  le  cas  le  plus  simple,  on 
voit  que,  pour  parvenir  à  déterminer  l'une  par  l'autre  la 
hauteur  d'où  le  corps  est  tombé  et  la  durée  de  sa  chute,  il 
faut  commencer  par  découvrir  la  relation   exacte  de  ces 
deux  quantités,  ou,   suivant  le   langage  des  géomètres, 
Véquatùm  qui  existe  entre  elles.  Avant  que  cette  première 
recherche  soit  terminée,  toute  tentative  pour  déterminer 
numériquement  la  valeur  de  l'une  de  ces  deux  grandeurs 
par  celle  de  l'autre  serait  évidemment  prématurée,  car  elle 
n'aurait  aucune  base.  Il  ne  suffit  pas  de  savoir  vaguement 
qu'elles  dépendent  l'une  de  l'autre,  ce  que  tout  le  monde 
aperçoit  sur-le-champ,  mais  il  faut  déterminer  en  quoi 
consiste  cette  dépendance  ;  ce  qui  peut  être  fort  difficile, 
et  constitue,  en  efi'et,  dans  le  cas  actuel,  la  partie  incompa- 
rablement supérieure  du   problème.  Le  véritable  esprit 
scientifique  est  si  moderne  et  encore  tellement  rare,  que 
personne  peut-être  avant  Galilée  n'avait  seulement  remar- 


lot  MATHÉMATIQUES. 

que  l'accroissement  de  vitesse  qu'éprouve  un  corps  dans  sa 
chute,  ce  qui  exclut  l'hypothèse  vers  laquelle  notre  intel- 
ligence, toujours  portée  involontairement  à  supposer  dans 
chaque  phénomène  les  fonctions  les  plus  simples,  sans  au- 
cun autre  motif  que  sa  plus  grande  facilité  à  les  concevoir, 
serait  naturellement  entraînée,  la  hauteur  proportionnelle 
au  temps.  En  un  mot,  ce  premier  travail  aboutit  à  la  décou- 
verte de  la  loi  de  Galilée.  Quand  celte  partie  concrète  est 
terminée,  la  recherche  devient  d'une  tout  autre  nature. 
Sachant  que  les  espaces  parcourus  par  le  corps  dans  cha- 
que seconde  successive  de  sa  chute  croissent  comme  la 
suite  des  nombres  impairs,  c'est  alors  une  question  pure- 
ment numérique  et  abstraite  que  d'en  déduire  ou  la  hau- 
teur d'après  le  temps,  ou  le  temps  par  la  hauteur,  ce  qui 
consistera  à  trouver  que,  d'après  la  loi  établie,  la  première 
de  ces  deux  quantités  est  un  multiple  connu  de  la  seconde 
puissance  de  l'autre,  d'où  Ton  devra  Gnalement  conclure 
la  valeur  de  l'une  quand  celle  de  l'autre  sera  donnée. 

Dans  cet  exemple,  la  question  concrète  est  plus  difficile 
que  la  question  abstraite.  Ce  serait  Tinverse,  si  l'on  coLsi- 
dérait  le  même  phénomène  dans  sa  plus  grande  généralité, 
tel  que  je  l'ai  envisagé  plus  haut  pour  un  autre  motif.  Sui- 
vant les  cas,  ce  sera  tantôt  la  première,  tantôt  la  seconde 
de  ces  deux  parties  qui  constituera  la  principale  difficulté 
de  la  question  totale;  la  loi  mathématique  du  phénomène 
pouvant  être  très-simple,  mais  difficile  à  obtenir,  et,  dans 
d'autres  occasions,  facile  à  découvrir,  mais  fort  compli- 
quée :  en  sorte  que  les  deux  grandes  sections  de  la  science 
mathématique,  quand  on  les  compare  en  masse,  doivent 
être  regardées  comme  exactement  équivalentes  en  étendue 
et  en  difficulté^  aussi  bien  qu'en  importance,  ainsi  que 
nous  le  constaterons  plus  tard  en  considérant  chacune 
d'elles  séparément. 


ENSEMBLE  DE  LA   SCIENCE  MATHÉMATIQUE.  108 

Ces  deux  parties,  essentiellement  distinctes,  d'après  l'ex- 
plicatioQ  précédente^  par  l'objet  que  Tesprit  s'y  propose, 
^e  le  sont  pas  moins  par  la  nature  des  recherches  dont  elles 
^e  composent. 

La  première  doit  porter  le  nom  de  concrète^  car  elle  dé- 
pend évidemment  du  genre  des  phénomènes  considérés, 
et  doit  varier  nécessairement  lorsqu'on  envisagera  de  nou- 
veaux phénomènes;  tandis  que  la  seconde  est  complète- 
ment iodépendante  de  la  nature  des  objets  examinés,  et 
porte  seulement  sur  les  relations  numériques  qu'ils  pré- 
sentent, ce  qui  doit  la  faire  appeler  abstraite.  Les  mômes 
relations  peuvent  exister  dans  un  grand  nombre  de  phéno- 
mènes différents,  qui,    malgré     leur   extrême   diversité, 
seront  envisagés  par  le  géomètre  comme  offrant  une  ques- 
tion analytique,  susceptible,  en  l'étudiant  isolément,  d'être 
résolue  une  fois    pour   toutes.  Ainsi,    par   exemple,  la 
même  loi   qui  règne  entre  l'espace  et  le  temps,  quand  on 
examine  la  chute  verticale    d'un   corps   dans    le    vide, 
se    retrouve  pour  d'autres  phénomènes  qui  n'offrent  au- 
cune analogie  avec  le  premier  ni  entre  eux  :  car  elle 
exprime  aussi  la  relation  entre  l'aire  d'un  corps  sphérique 
et  la  longueur  de  son  diamètre;  elle  détermine  également 
le  jdécroissement  de  l'intensité  de  la  lumière  ou  de  la  cha- 
leur à  raison  de  la  distance  des  objets  éclairés  ou  échauf- 
fés, etc.  La  partie  abstraite,  commune  à  ces  diverses  ques- 
tions mathématiques,  ayant  été  traitée  à  l'occasion  d'une 
seule  d'entre  elles,  se  trouvera  l'être,  par  cela  même,  pour 
toutes  les  autres;  tandis  que  la  partie  concrète  devra  né- 
cessairement être  reprise  pour  chacune  séparément,  saus 
€|ue  la  solution  de  quelques-unes  puisse  fournir,  sous  ce 
rapport,  aucun  secours  direct  pour  celle  des  suivantes.  Il 
est  impossible  d'établir  de  véritables  méthodes  générales 
qui,  par  une  marche  déterminée  et  invariable,  assurent. 


104  MATH£MATIQU£S. 

dans  tous  les  cas,  la  découverte  des  relations  existantes 
entre  les  quantités,  relativement  à  des  phénomènes  quel- 
conques :  ce  sujet  ne  comporte  nécessairement  que  des 
méthodes  spéciales  pour  telle  ou  telle  classe  de  phéno- 
mènes géométriques,  ou  mécaniques,  ou  thermologi- 
ques, etc.  On  peut,  au  contraire,  de  quelque  source  que 
proviennent  les  quantités  considérées,  établir  des  méthodes 
uniformes  pour  les  déduire  les  unes  des  autres,  en  suppo* 
sant  connues  leurs  relations  exactes.  La  partie  abstraite  des 
mathématiques  est  donc,  de  sa  nature,  générale;  la  partie 
concrète,  spéciale. 

En  présentant  cette  comparaison  sous  un  nouveau  point 
de  vue,  on  peut  dire  que  la  mathématique  concrète  a  un 
caractère  philosophique  essentiellement  expérimental, 
physique,  phénoménal;  tandis  que  celui  de  la  mathéma- 
tique abstraite  est  purement  logique,  rationnel.  Ce  n'est 
pas  ici  le  lieu  de  discuter  exactement  les  procédés  qu'em- 
ploie l'esprit  humain  pour  découvrir  les  lois  mathémati- 
ques des  phénomènes.  Mais,  soit  que  l'observation  précise 
suggère  elle-même  la  loi,  soit,  comme  il  arrive  plus  sou- 
vent, qu'elle  ne  fasse  que  confirmer  la  loi  construite  par  le 
raisonnement  d'après  les  faits  les  plus  communs;  toujours 
est-il  certain  que  cette  loi  n'est  envisagée  comme  réelle 
qu'autant  qu'elle  se  montre  d'accord  avec  les  résultats  de 
l'expérience  directe.  Ainsi,  la  partie  concrète  de  toute 
question  mathématique  est  nécessairement  fondée  sur  la 
considération  du  monde  extérieur,  et  ne  saurait  jamais, 
quelle  qu'y  puisse  être  la  part  du  raisonnement,  se  résou- 
dre par  une  simple  suite  de  combinaisons  intellectuelles^ 
La  partie  abstraite,  au  contraire,  quand  elle  a  été  d'abord 
bien  exactement  séparée,  ne  peut  consister  que  dans  une 
série  de  déductions  rationnelles  plus  ou  moins  prolongée. 
€ar,  si  l'on  a  une  fois  trouvé  les  équations  d'un  phénomène, 


ENSEMBLE  DE  LA   SCIENCE  MATHÉMATIQUE.  105 

\à  détermination  des  unes  par  les  autres  des  quantités  qu'on 
y  considère,  quelques  difficultés  d'ailleurs  qu'elles  puis- 
sent souvent  offrir^  est  uniquement  du  ressort  du  raisonne- 
ment. C'est  à  rintelligence  qu'il  appartient  de  déduire,  de 
ces  équations,  des  résultats  qui  y  sont  évidemment  com- 
pris, quoique  d'une  manière  peut-être  fort  implicite,  sans 
qu'il  y  ait  lieu  à  consulter  de  nouveau  le  monde  extérieur, 
dont  la  considération^  devenue  dès  lors  étrangère,  doit 
même  être  soigneusement  écartée  pour  réduire  le  travail  à 
sa  Térilable  difficulté  propre. 

On  voit,  par  cette  comparaison  générale,  dont  je  dois 
me  borner  ici  à  indiquer  les  traits  principaux,  combien 
est  naturelle  et  profonde  la  division  fondamentale  établie 
ci-dessus  dans  la  science  mathématique. 

Pour  terminer  l'exposition  générale  de  cette  division, 
il  ne  nous  reste  plus  qu'à  circonscrire,  aussi  exactement 
que  nous  puissions  le  faire  dans  ce  premier  aperçu,  cha- 
cune des  deux  grandes  sections  de  la  science  mathéma- 
tique. 

La  mathématique  concrète,  ayant  pour  objet  de  découvrir 
les  équations  des  phénomènes,  semblerait,  â  priori,  devoir 
se  composer  d'autant  de  sciences  distinctes  qu'il  y  a  de 
catégories  réellement  différentes  pour  nous  parmi  les  phé- 
nomènes naturels.  Mais  il  s'en  faut  de  beaucoup  qu'on  soit 
encore  parvenu  à  découvrir  des  lois  mathématiques  dans 
tous  les  ordres  de  phénomènes  ;  nous  verrons  môme  tout  à 
l'heure  que,  sous  ce  rapport,  la  majeure  partie  se  dérobera 
lrès*vraisemblabiement  toujours  à  nos  efforts.  En  réalité, 
dans  l'état  présent  de  l'esprit  humain,  il  n'y  a  directement 
qae  deux  grandes  catégories  générales  de  phénomènes 
dont  oo  connaisse  constamment  les  équations;  ce  sont 
d'aboi^  les  phénomènes  géométriques^  et  ensuite  les  phé- 
nomènes mécaniques.  Ainsi,  la  partie  concrète  des  mathé- 


106  MATHÉMATIQUES. 

matiques  se  compose  donc  de  la  géomélrie  et  de  la  méca- 
nique ralionnelle. 

Cela  sufût,  il  est  vrai,  pour  lui  donner  un  caractère  coai- 
plet  d'universalité  logique,  quand  on  considère  l'ensemble 
des  phénomènes  du  point  de  vue  le  plus  élevé  de  la  philo- 
sophie naturelle.  En  effet,  si  toutes  les  parties  deTunivers 
étaient  conçues  comme  immobiles,  il  n'y  aurait  évidem- 
ment à  observer  que  les  phénomènes  géométriques^  puis- 
que tout  se  réduirait  à  des  relations  de  forme,  de  grandeur 
et  de  situation;  ayant  ensuite  égard  aux  mouvements  qui 
s'y  exécutent,  il  y  a  lieu  à  considérer  de  plus  des  phéno- 
mènes mécaniques.  En  appliquant  ici^  après  l'avoir  suffi- 
samment généralisée,  une  conception  philosophique  due 
A  de  Biainville,  et  déjà  citée  pour  un  autre  usage  dans  la 
leçon,  on  peut  donc  établir  que,  vu  sous  le  rapport  sta- 
tique, l'univers  ne  présente  que  des  phénomènes  géomé- 
triques ;  et,  sous  le  rapport  dynamique,  que  des  phéno- 
mènes mécaniques.  Ainsi  la  géométrie  et  la  mécanique 
constituent,  par  elles-mêmes,  les  deux  sciences  naturelles 
fondamentales,  en  ce  sens,  que  tous  les  effets  naturels 
peuvent  être  conçus  comme  de  simples  résultats  néces- 
saires^ ou  des  lois  de  l'étendue^  ou  des  lois  du  mouve- 
ment. 

Mais,  quoique  cette  conception  soit  toujours  logiquement 
possible,  la  difOculté  est  de  la  spécialiser  avec  la  précision 
nécessaire,  et  de  la  suivre  exactement  dans  chacun  des  cas 
généraux  que  nous  offre  l'élude  de  la  nature,  c'est-à-dire 
de  réduire  effectivement  chaque  question  principale  de 
philosophie  naturelle,  pour  tel  ordre  de  phénomènes  déter- 
miné, à  la  question  de  géométrie  ou  de  mécanique,  à  la- 
quelle on  pourrait  rationnellement  la  supposer  ramenée. 
Cette  transformation,  qui  exige  préalablement  de  ^çrands 
progrès  dans  l'étude  de  chaque  classe  de  phénomènes,  n'a 


ENSEMBLE   DE   LA  SCIENCE   MATUÉMATIQUE.  107 

éléréellement  exécutée  jusqu'ici  que  pour  les  phénomènes 
astronomiques,  et  pour  une  partie  de  ceux  que  considère 
la  physique  terrestre  proprement  dite.  C'est  ainsi  que  l'as- 
tronomie, l'acoustique,  l'optique,  etc.,  sont  devenues  Ona* 
leinent  des  applications  de  la  science  mathématique  à  de 
certains  ordres  (d'observations  (1).  Mais,  ces  applications 
D'étant  point,   par  leur  nature,  rigoureusement  circons- 
crites, ce  serait  assigner  à  la  science  un  domaine  indélini 
et  entièrement  vague,    que  de  les   confondre  avec  elle, 
tomme  on  le  fait  dans  la  division  ordinaire,  si  vicieuse  à 
tant  d'autres  égards,  des  mathématiques  en  pures  et  appli- 
quées. Nous  persisterons  donc  à  regarder  la  mathématique 
concrète  comme  uniquement  composée  de  la  géométrie  et 
de  la  mécanique. 

Quant  à  la  mathématique  abstraite^  dont  j'examinerai  la 
division  générale  dans  la  leçon  suivante^  sa  nature  est  net- 
Ci)  Je  dois  faire  ici,  par  aoticipation,  une  mentiou  sommaire  de  la  ther- 
nologie,  à  laquelle  je  consacrerai  plus  tard  une  leçon  spéciale.  La  théorie 
mathématique  des  phénomènes  de  la  chaleur  a  pris,  par  les  mémorables 
travaux  de  son  illustre  fondsteur.un  tel  caractère,  qu'on  peut  aujourd'hui 
la  concevoir,  après  la  géométrie  et  la  mécanique,  comme  une  véritable  troi- 
sième section  distincte  de  la  mathématique  concrète,  puisque  M.  Fourier 
a  établi,  d'une  manièie  entièrement  direcic,  les  équations  thcrmologiques, 
ao  lieu  de  se  représenter  hypothétiquement  les  questions  comme  des  appli- 
«ttions  de  la  mécanique,  ainsi  qu'on  a  tenté  de  le  faire  pour  les  pliéno- 
mènes  électriques,  par  exemple.  Cette  grande  dtfcouverte,  qui,  comme 
tontes  celles  qui  se  rapportent  \  la  méthode,  n'est  pas  encore  convenable- 
ment appréciée,  mérite  singulièrement  notre  attention  :  car,  outre  son 
importance  immédiate  pour  l'étude  vraiment  rationnelle  et  positive  d*un 
ordre  de  phénomènes  aussi  universel  et  aussi  fondamental,  elle  tiMid  à 
relever  nos  espérances  philosophiques,  quanta  l'extension  future  des  appli- 
cationt  légitimes  de  l'analyse  mathématique,  ainsi  que  Je  Texpliquerai 
daoa  le  second  volume  de  ce  cours,  en  examinant  le  caractère  général  de 
cette  nouvelle  série  de  travaux.  Je  n'aurais  pas  hésité  dès  à  présent  à  traiter 
Uthermologie,  ainsi  conçue,  comme  une  troisième  branche  principale  de 
U  mathématjqne  concrète,  si  Je  n'avais  craint  de  diminuer  l'utilité  de  cet 
Mfrage  en  m'écartant  trop  des  habitudes  ordinaires. 


108  MATHÉMATIQUES. 

tement  et  exactement  déterminée.  Elle  se  compose  de  ce 
qu'on  appelle  le  calcul,  en  prenant  ce  mot  dans  sa  plus 
grande  extension,  qui  embrasse  depuis  les  opérations  nu» 
mériques  les  plus  simples  Jusqu'aux  plus  sublimes  combi- 
naisons de  l'analyse  transcendante.  Le  calcul  a  pour  objet 
propre  de  résoudre  toutes  les  questions  de  nombres.  Son 
point  de  départ  est,  constamment  et  nécessairement^  la 
connaissance  de  relations  précises,  c'est-à-dire  adéquations^ 
entre  les  diverses  grandeurs  que  l'on  considère  simultané- 
ment, ce  qui  est,  au  contraire,  le  terme  de  la  mathémati- 
que concrète.  Quelque  compliquées  ou  quelque  indirecte3 
que  puissent  être  d'ailleurs  ces  relations,  le  but  final  de  la 
science  du  calcul  est  d'en  déduire  toujours  les  valeurs  des 
quantités  inconnues  par  celles  des  quantités  connues.  Cette 
science,  bien  que  plus  perfectionnée  qu'aucune  autre,  est, 
sans  doute,  réellement  peu  avancée  encore,  en  sorte  que 
ce  but  est  rarement  atteint  d'une  manière  complètement 
satisfaisante.  Mais  tel  n'en  est  pas  moins  son  vrai  caractère. 
Four  concevoir  nettement  la  véritable  nature  d'une  science, 
il  faut  toujours  la  supposer  parfaite. 

Afin  de  résumer  le  plus  philosophiquement  possible  les 
considérations  ci-dessus  exposées  sur  la  division  fonda- 
mentale des  mathématiques,  il  importe  de  remarquer 
qu'elle  n'est  qu'une  application  du  principe  général  de 
classification  qui  nous  a  permis  d'établir,  dans  la  leçon 
précédente,  la  hiérarchie  rationnelle  des  différentes  sciences 
positives. 

Si  l'on  compare,  en  effet,  d'une  partie  calcul,  et  d'une 
Riitre  part  la  géométrie  et  la  mécanique,  on  vérifie,  relati- 
vement aux  idées  considérées  dans  chacune  de  ces  deux 
sections  principales  de  la  mathématique,  tous  les  carac- 
tères essenliels  de  notre  méthode  encyclopédique.  Le» 
idées  analytiques  sont  évidemment  à  la  fois  plus  abstraites. 


ENSEMBLE  DE    LA  SCIENCE   MATUÉMATTQUE.  109 

plus  générales  et  plus  simples  que  les  idées  géoméiriques 
ou  mécaniques.  Bien  que  les  conceptions  principales  de 
l'analyse   mathématique^   envisagées  historiquement,    se 
soient  formées  sous  l'influence  des  considérations  de  géo- 
métrie ou  de  mécanique,  au  perfectionnement  desquelles 
les  progrès  du  calcul  sont  étroitement  liés,  l'analyse  n'en 
estpas  moins,  sous  le  point  de  vue  logique,   essentielle- 
ment indépendante  de  la  géométrie  et  de  la  mécanique, 
lâodis  que  celles-ci   sont,  au  contraire,   nécessairement 
fondées  sar  la  première. 

L'analyse  mathématique  est  donc,  d'après  les  principes 
qae  nous  avons  constamment  suivis  jusqu'ici,  la  véritable 
base  rationnelle  du  système  entier  de  nos  connaissances  po- 
sitives. Elle  constitue  la  première  et  la  plus  parfaite  de 
toutes  les  sciences  fondamentales.  Les  idées  dont  elle  s'oc- 
cupe sont  les  plus  universelles,  les  plus  abstraites  et  les 
plus  simples  que  nous  puissions  réellement  concevoir.  On 
ne  saurait  tenter  d'aller  plus  loin,  sous  ces  trois  rapports 
équivalents,  sans  tomber  inévitablement  dans  les  rêveries 
métaphysiques.  Car  quel  substraium  effectif  pourrait-il 
rester  dans  l'esprit  pour  servir  de  sujet  positif  au  raisonne- 
ment, si  on  voulait  supprimer  encore  quelque  circonstance 
dans  les  notions  des  quantités  indéterminées,  constantes  ou 
variables,  tels  que  les  géomètres  les  emploient  aujourd'hui, 
afin  de  s'élever  à  un  prétendu  degré  supérieur  d'abstrac- 
tion, comme  le  croient  les  ontologisles? 

Cette  nature  propre  de  Tanalyse  mathématique  permet 
de  s'expliquer  aisément  pourquoi,  lorsqu'elle  est  convena- 
blement employée,  elle  nous  offre  un  si  puissant  moyen, 
non-seulement  pour  donner  plus  de  précision  à  nos  con- 
naissances réelles,  ce  qui  est  évident  de  soi-même,  mais 
surtout  pour  établir  une  coordination  infiniment  plus  par- 
faite dans  l'étude  des  phénomènes  qui  comportent  cette 


110  MATHÉMATIQUES. 

application.  Car,  les  conceptions  ayant  été  généralisées  et 
siaipliûées  le  plus  possible,  à  tel  point  qu'une  seule  question 
analytique,  résolue  abstraitement,  renferme  la  solution  im- 
plicite d'une  foule  de  questions  physiques  diverses,  il  doit 
nécessairement  en  résulter  pour  l'esprit  humain  une  plus 
grande  facilité  à  apercevoir  des  relations  entre  des  phéno- 
mènes qui  semblaient  d'abord  entièrement  isolés  les  uns 
des  autres,  et  desquels  on  est  ainsi  parvenu  à  tirer,  pour 
le  considérer  à  part,  tout  ce  qu'ils  ont  de  commun.  C'est 
ainsi  qu'en  examinant  la  marche  de  notre  intelligence  dans 
la  solution  des  questions  importantes  de  géométrie  et  de 
mécanique,  nous  voyons  surgir  naturellement,  par  Tinter^ 
médiaire  de  l'analyse,  les  rapprochements  les  plus  fré« 
quents  et  les  plus  inattendus  entre  des  problèmes  qui  n'of- 
fraient primitivement  aucune  liaison  apparente,  et  que 
nous  finissons  souvent  par  envisager  comme  identiques* 
Pourrions-nous,  par  exemple,  sans  le  secours  de  l'analyse, 
apercevoir  la  moindre  analogie  entre  la  détermination  de 
la  direction  d'une  courbe  à  chacun  de  ses  points,  et  celle 
de  la  vitesse  acquise  par  un  corps  à  chaque  instant  de  son 
mouvement  varié,  questions  qui,  quelque  diverses  qu'elles 
soient,  n'en  font  qu'une  aux  yeux  du  géomètre? 

La  haute  perfection  relative  de  l'analyse  mathématique, 
comparée  à  toutes  les  autres  branches  de  nos  connais- 
sances positives,  se  conçoit  avec  la  même  facilité,  quand 
on  a  bien  saisi  son  vrai  caractère  général.  Cette  perfection 
ne  tient  pas,  comme  l'ont  cru  les  métaphysiciens,  et  sur- 
tout Condillac,  d'après  un  examen  superficiel,  h  la  Uiiture 
des  signes  éminemment  concis  et  généraux  qu'on  emploie 
comme  instruments  de  raisonnement.  Dans  cette  impor- 
tante occasion  spéciale,  comme  dans  toutes  les  autres,  Tin* 
fluence  des  signes  a  été  considérablement  exagérée,  bien 
qu'elle  soit,   sans  doute,  très-réelle,  ainsi  que  l'avaient 


S.^SEMBLE  DE  LA   SCIENCE  MATHÉMATIQUE.  Ht 

reconnu,    avant  Condillac,  et   d'une  nnaniére   bien  plus 
exacte,  la  plupart  des  géomôlres.  En  rénlité,  toutes  les 
grandes  conceptions  analytiques  ont  été  formées  sans  que 
^es  signes  algébriques  fussent  d'aucun  secours  essentiel, 
anlrement  que  pour  les  exploiter  après  que  l'esprit  les  avait 
obtenues.  La  perfection  supérieure  de  la  science  du  calcul 
tient  principalement  à  l'extrême  simplicité  des  idées  qu'elle 
considère,  par  quelques  signes  qu'elles  soient  exprimées  : 
en  sorte  qu'il  n'y  a  pas  le  moindre  espoir,  à  l'aide  d'aucun 
artifice  quelconque  du  langage  scientifique,  môme  en  le 
supposant  possible,  de  perfectionner,  au  môme  degré,  des 
théories  qui,  portant  sur  des  notions  plus  complexes,  sont 
nécessairement  condamnées,  par  leur  nature,  à  une  infé- 
riorité logique  plus  ou  moins  grande  suivant  la  classe  cor* 
respondante  de  phénomènes. 

L'examen  que  nous  avons  tenté  de  faire,  dans  cette 
leçon,  du  caractère  philosophique  de  la  science  mathéma- 
tique, resterait  incomplet,  si,  après  l'avoir  envisagée  dans 
800  objet  et  dans  sa  composition,  nous  n'indiquions  pas 
quelques  considérations  générales  directement  relatives  à 
rétendue  réelle  de  son  domaine. 

A  cet  effet,  il  est  indispensable  de  reconnaître  avant 
tout,  pour  se  faire  une  juste  idée  de  la  véritable  nature  des 
mathématiques,  que,  sous  le  point  de  vue  purement  lo- 
gique, cette  science  est,  par  elle-môme,  nécessairement 
et  rigoureusement  univerbelle.  Car  il  n'y  a  pas  de  question 
quelconque  qui  ne  puisse  finalement  être  conçue  comme 
consistant  à  déterminer  des  quantités  les  unes  par  les  autres 
d'après  certaines  relations,  et,  par  conséquent,  comme 
réductible,  en  dernière  analyse,  à  une  simple  question  de 
nombres.  On  le  comprendra  si  l'on  remarque  effective- 
ment  que,  dans  toutes  nos  recherches,  à  quelque  ordre  de 
phénomènes  qu'elles  se  rapportent,  nous  avons  définitive  - 


112  MATHÉMATIQUES. 

ment  en  vue  d'arriver  à  des  nombres,  à  des  doses.  Quoique 
nous  n'y  parvenions  le  plus  souvent  que  d'une  manière  fort 
grossière  et  d'après  des  méthodes  (rès-incertaines,  il  n'en 
est  pas  moins  évident  que  tel  est  le  terme  réel  de  tous  nos 
problèmes  quelconques.  Ainsi,  pour  prendre  un  exemple 
dans  la  classe  de  phénomènes  la  moins  accessible  à  l'esprit 
mathématique,  les  phénomènes  des  corps  vivants,  consi- 
dérés même,  pour  plus  de  complication,  dans  le  cas  patho- 
logique, n'est-il  pas  manifeste  que  toutes  les  questions  de 
thérapeutique  peuvent  être  envisagées  comme  consistant  à 
déterminer  les  quantités  de  tous  les  divers  modificateurs 
de  Torganisme  qui  doivent  agir  sur  lui  pour  le  ramener  à 
l'état  normal,  en  admettant,  suivant  l'usage  des  géomètres, 
les  valeurs  nulles,  négatives,  ou  même  contradictoires, 
pour  quelques-unes  de  ces  quantités  dans  certains  cas? 
Sans  doute,  une  telle  manière  de  se  représenter  la  question 
ne  peut  être  en  effet  réellement  suivie,  comme  nous  allons 
le  voir,  pour  les  phénomènes  les  plus  complexes,  parce 
qu'elle  nous  présente  dans  l'application  des  difficultés 
insurmontables;  mais,  quand  il  s'agit  de  concevoir  abstrai- 
tement toute  la  portée  intellectuelle  d'une  science,  il  im- 
porte de  lui  supposer  l'extension  totale  dont  elle  est  logi- 
quement susceptible. 

On  objecterait  vainement  contre  une  telle  conception  la 
division  générale  des  idées  humaines  selon  les  deux  caté- 
gories de  Rant,  de  la  quantité  et  de  la  qualité,  dont  la 
première  seule  constituerait  le  domaine  exclusif  de  la 
science  mathématique.  Le  développement  môme  de  cette 
science  a  montré  positivement  depuis  longtemps  le  peu  de 
réalité  de  cette  superficielle  distinction  métaphysique.  Car 
la  conception  fondamentale  de  Descartes  sur  la  relation  du 
concret  à  l'abstrait,  en  mathématiques,  a  prouvé  que  toutes 
les  idées  de  qualité  étaient  réductibles  à  des  idées  de  quan- 


ENSEMBLE   DE   LA  SCIENCE   MATHÉMATIQUE.  H 8 

tité.  Cette  conception,  établie  d'abord,  par  son  immortel 
auteur,  pour  les  phénomènes  géométriques  seulement,  a 
été  ensuite  effectivement  étendue  par  ses  successeurs  aux 
phénomènes  mécaniques;  et  elle  vient  de  l'être  de  nos 
jours  aux  phénomènes  thermologiques.  En  résultat  de  cette 
généralisation  graduelle,  il  n'y  a  pas  maintenant  de  géomè- 
tres qui  ne  la  considèrent,  dans  un  sens  purement  théo- 
rique, comme  pouvant  s'appliquer  à  toutes  nos  idées 
réelles  quelconques,  en  sorte  que  tout  phénomène  soit 
l(^quement  susceptible  d'être  représenté  par  une  équation, 
aussi  bien  qu'une  courbe  ou  un  mouvement,  sauf  la  diffi- 
culté de  la  trouver,  et  celle  de  la  résoudre,  qui  peuvent  être 
€t  sont  souvent  supérieures  aux  plus  grandes  forces  de 
l'esprit  humain. 

Mais  si,  pour  se  former  une  idée  convenable  de  la  science 
mathématique,  il  importe  de  la  concevoir  comme  étant  né- 
cessairement douée  par  sa  nature  d'une  rigoureuse  univer- 
salité logique,  il  n'est  pas  moins  indispensable  de  considé- 
rer maintenant  les  grandes  limitations  réelles  qui,  vu  la 
faiblesse  de  notre  intelligence,  rétrécissent  singulièrement 
son  domaine  effectif,  à  mesure  que  les  phénomènes  se 
compliquent  en  se  spécialisant. 

Toute  question  peut  sans  doute,  ainsi  que  nous  venons 
de  le  voir,  être  conçue  comme  réductible  à  une  pure  ques- 
tion de  nombres.  Mais  la  difficulté  de  la  traiter  réellement 
sous  ce  point  de  vue,  c'est-à-dire  d'effectuer  une  telle 
transformation,  est  d'autant  plus  grande,  dans  les  diverses 
parties  essentielles  de  la  philosophie  naturelle,  que  Ton 
considère  des  phénomènes  plus  compliqués,  en  sorte  que, 
sauf  pour  les  phénomènes  les  plus  simples  et  les  plus  gé- 
néraux, elle  devient  bientôt  insurmontable. 

On  le  sentira  aisément,  si  Ton  considère  que,  pour  faire 
rentrer  une  question  dans  le  domaine  de  l'analyse  malbc- 

A.  CoMTP..  Tome  I.  8 


1 1  4  MATHÉMATIQUES. 

malique,  il  faut  d'abord  être  parvenu  à  découvrir  des  rela- 
tions précises  enlre  les  quantités  coexistantes  dans  le  phé- 
nomène étudié,  rétablissement  de  ces  équations  des  phé- 
nomènes étant  le  point  de  départ  nécessaire  de  tous  les 
travaux  analytiques.  Or,  cela  doit  être  évidemment  d'autant 
plus  difficile,  qu'il  s'agit  de  phénomènes  plus  particuliers, 
et  par  suite  plus  compliqués.  En  examinant  sous  ce  point 
de  vue  les  diverses  catégories  fondamentales  des  phéno- 
mènes naturels  établis  dans  la  leçon  précédente,  on  trou- 
vera que,  tout  bien  considéré,  c'est  seulement  au  plus  pour 
les  trois  premières,  comprenant  toute  la  physique  inorga- 
nique,  qu'on  peut  légitimement  espérer  d'atteindre  un  jour 
ce  haut  degré  de  perfection  scientifique,  autant  du  moins 
qu'une  telle  limite  peut  être  posée  avec  précision.  Comme 
je  dois  plus  tard  traiter  spécialement  cette  discussion  par 
rapport  à  chaque  science  fondamentale,  il  suffira  de  l'in- 
diquer ici  de  la  manière  la  plus  générale. 

La  première  condition  pour  que  des  phénomènes  com- 
portent des  lois  mathématiques  susceptibles  d'être  décou- 
vertes, c'est  évidemment  que  les  diverses  quantités  qu'ils 
présentent  puissent  donner  lieu  à  des  nombres  fixes.  Or, 
en  comparant,  à  cet  égard,  les  deux  grandes  sections  prin- 
cipales de  la  philosophie  naturelle,  on  voit  que  Idiphysique 
organique  tout  entière,  et  probablement  aussi  les  parties  les 
plus  compliquées  de  la  physique  inorganique,  sont  nécessai- 
rement inaccessibles,  par  leur  nature,  à  notre  analyse  ma- 
thématique, en  vertu  de  l'extrême  variabilité  numérique 
des  phénomènes  correspondants.  Toute  idée  précise  de 
nombres  fixes  est  véritablement  déplacée  dans  les  phéno- 
mènes des  corps  vivants,  quand  on  veut  l'employer  autre- 
ment que  comme  moyen  de  soulager  l'attention,  et  qu'on 
attache  quelque  importance  aux  relayons  exactes  des  va- 
leurs assignées.  Sous  ce  rapport,  les  réflexions  de  Bichat, 


ENSEMBLE  DE   LA   SCIENCE   MATHÉMATIQUE.  115 

sur  i'abus  de  l'esprit  mathématique  en  physiologie,  sont 
parfaitement  justes  ;  on  sait  à  quelles  aberrations  a  conduit 
cette  manière  vicieuse  de  considérer  les  corps  vivants. 

Les  différentes  propriétés  des  corps  bruts,  surtout  les 
plus  générales,  se  présentent  dans  chacun  d'eux  avec  des 
degrés  presque  invariables,  ou  du  moins  elles  n'éprouvent 
que  des  variations  simples,  séparées  par  de  longs  inter- 
valles d'uniformité,  et  qu'il  est  possible,  en  conséquence, 
d^assujettir  à  des  lois  précises  et  régulières.  Ainsi,  les  qua- 
lités   physiques  d'un  corps  inorganique,  principalement 
quand  il  est  solide^  sa  forme,  sa  consistance,  sa  pesanteur 
spécifique,  son  élasticité,  etc.,  présentent,  pour  un  temps 
considérable,  une  fixité  numérique  remarquable,  qui  per- 
met de  les  considérer  réellement  et  utilement  sous  un 
point  de  vue  mathématique.  Cm  sait  qu'il  n'en  est  déjà  plus 
ainsi  à  beaucoup  près  pour  les  phénomènes  chimiques  que 
présentent  les  mêmes  corps,  et  qui,  plus  compliqués,  dé- 
pendant d'un  bien  plus  grand  nombre  de  circonstances, 
présentent  des  variations  plus  étendues,  plus  fréquentes, 
et  par  suite  plus  irrégulières.  Aussi,  d'après  quelques  con- 
sidérations déjà  indiquées  dans  la  première  leçon  et  qui 
seront  spécialement  développées  dans. le  troisième  volume 
de  ce  cours,  on  ne  peut  pas  seulement  assurer  aujourd'hui, 
d'une  manière  générale,  qu'il  y  ait  lieu  à  concevoir  des 
nombres  fixes  en  chimie,  môme  sous  le  rapport  le  plus 
simple,  quant  aux  proportions   relatives  des  corps  dans 
leurs  combinaisons,  ce  qui  montre  clairement  combien  un 
tel  ordre  de  phénomènes  est  encore  loin  de  comporter  de 
véritables  lois  mathématiques.  Admettons-en  néanmoins, 
pour  ce  cas,  la  possibilité  et  môme  la  probabilité  Futures, 
afin  de  ne  pas  rendre  trop  minutieuse  la  discussion  de  la 
limite  générale  qu'il  s'agit  d'établir  ici  par  rapport  à  l'ex- 
tension, effectivement  possible,  du  domaine  réel  de  l'ana- 


116  MATHÉMATIQUES. 

lyse  mathématique.  Il  n'y  aura  plus  le  moindre  doute  aus- 
sitôt que  nous  passerons  aux  phénomènes  que  présentent 
les  corps, considérés  dans  cet  état  d'agitation  intestine  con- 
tinuelle de  leurs  molécules,  qui  constitue  essentiellement 
ce  que  nous  nommons  la  vie,  envisagée  de  la  manière  la 
plus  générale,  dans  Tensemble  des  ôtres  qui  nous  la  mani- 
Testent.  En  eCTet,  un  caractère  éminemment  propre  aux 
phénomènes  physiologiques,  et  que  leur  étude  plus  exacte 
rend  maintenant  plus  sensible  de  jour  en  jour,  c'est  Tex- 
trôme  instabilité  numérique  qu'ils  présentent,  sous  quel- 
que aspect  qu'on  les  examine,  et  que  nous  verrons  plus 
tard,  quand  l'ordre  naturel  des  matières  nous  y  conduira, 
ôtre  une  conséquence  nécessaire  de  la  déûnition  môme 
des  corps  vivants.  Quant  à  présent,  il  suffit  de  noter  cette 
observation  incontestable,  vérifiée  par  tous  les  faits,  que 
chaque  propriété  quelconque  d'un  corps  organisé,  soit 
géométrique,  soit  mécanique,  soit  chimique,  soit  vitale,  est 
assujettie,  dans  sa  quantité,  à  d'immenses  variations  numé- 
riques tout  à  fait  irrégulières,  qui  se  succèdent  aux  inter- 
valles les  plus  rapprochés  sous  l'influence  d'une  foule  de 
circonstances,  tant  extérieures  qu'intérieures,  variables 
elles-mêmes;  en  sorte  que  toute  idée  de  nombres  fixes,  et, 
par  suite,  de  lois  mathématiques  que  nous  puissions  espé- 
rer d'obtenir,  implique  réellement  contradiction  avec  la 
nature  spéciale  de  cette  classe  de  phénomènes.  Ainsi, 
quand  on  veut  évaluer  avec  précision,  môme  uniquement 
les  qualités  les  plus  simples  d'un  ôtre  vivant,  par  exemple 
sa  densité  moyenne,  ou  celle  de  l'une  de  ses  principales 
parties  constituantes,  sa  température,  la  vitesse  de  sa  cir- 
culation intérieure,  la  proportion  des  éléments  immédiats 
qui  composent  ses  solides  ou  ses  fluides,  la  quantité  d'oxy- 
gène qu'il  consomme  en  un.  temps  donné,  la  masse  de  ses 
absorptions  ou  de  ses  exhalations  continuelles,  etc.,  et,  à 


ENSEMBLE   DE   LA  SCIENCE   MATHÉMATIQUE.  117 

plus  forte  raison,  Ténergie  de  ses  forces  musculaires,  l'iu- 
tensilé  de  ses  impressions,  etc.,  il  ne  faut  pas  seulement, 
ce  qui  est  évident,  faire,  pour  chacun  de  ses  résultats,  au- 
tant d'observations  qu'il  y  a  d'espèces  ou  de  races  et  de  va- 
riétés dans  chaque  espèce;  on  doit  encore  mesurer  le 
changement  très-considérable  qu'éprouve  cette  quantité 
en  passant  d'un  individu  à  un  autre,  et  quant  au  môme 
individu,  suivant  son  âge,  son  état  de  santé  ou  de  maladie, 
sa  disposition  intérieure,  les  circonstances  de  tout  genre 
incessamment  mobiles  sous  l'influence  desquelles  il  se 
trouve  placé,  telles  que  la  constitution  atmosphérique,  etc. 
Que  peuvent  donc  signifier  ces  prétendues  évaluations  nu- 
mériques si  soigneusement  enregistrées  pour  les  divers 
phénomènes  physiologiques  ou  même  pathologiques,  et 
déduites,  dans  le  cas  le  plus  favorable,  d'une  seule  mesure 
réelle, -lorsqu'il  en  faudrait  une  multitude?  Elles  ne  peu- 
vent qu'induire  en  erreur  sur  la  vraie  marche  des  phéno- 
mènes, et  ne  doivent  être  appliquées  rationnellement  que 
comme  un  moyen,  pour  ainsi  dire  mnémonique,  de  fixer 
les  idées.  Dans  tous  les  cas,  il  y  a  évidemment  impossibi- 
lité totale  d'obtenir  jamais  de  véritables  lois  mathémati- 
ques. 11  en  est  encore  plus  fortement  de  môme  pour  les 
phénomènes  sociaux,  qui  offrent  une  complication  encore 
supérieure,  et,  par  suite,  une  variabilité  plus  grande, 
comme  nous  l'établirons  spécialement  dans  le  quatrième 
volume  de  ce  cours. 

Ce  n'est  pas  néanmoins  qu'on  doive  cesser,  d'après  cela, 
de  concevoir,  en  thèse  philosophique  générale,  les  phéno- 
mènes de  tous  les  ordres  comme  nécessairement  soumis 
par  eux-mêmes  à  des  lois  mathématiques,  que  nous  sommes 
seulement  condamnés  à  ignorer  toujours  dans  la  plupart 
des  cas,  à  cause  de  la  trop  grande  complication  des  phéno- 
mènes. Il  n'y  a,  en  effet,  aucune  raison  de  penser  que,  sous 


118  MATHÉMATIQUES. 

ce  rapport,  les  phénomènes  les  plus  complexes  des  corps 
vivants  soient  essentiellement  d'une  autre  nature  spéciale 
que  les  phénomènes  les  plus  simples  des  corps  bruts.  Car, 
s'il  était  possible  d'isoler  rigoureusement   chacune  des 
causes  simples  qui  concourent  à  produire  un  même  phé- 
nomène physiologique,  tout  porte  à  croire  qu'elle  se  mon- 
trerait douée,  dans  des  circonstances  déterminées,  d'un 
genre  d'influence  et  d'une  quantité  d'action  aussi  exacte- 
ment fixes  que  nous  le  voyons  dans  la  gravitation  univer- 
selle, véritable  type  des  lois  fondamentales  de  la  nature. 
Ce  qui  engendre  la  variabilité  irrégulière  des  effets,  c'est 
le  grand  nombre  d'agents  divers  déterminant  à  la  fois  un 
môme  phénomène  et  d'où  il  résulte  que,  dans  les  phéno- 
mènes très-compliqués,  il  n'y  a  peut-être  pas  deux  cas  ri- 
goureusement semblables.  Nous  n'avons  pas  besoin,  pour 
trouver  une  telle  difficulté,  d'aller  jusqu'aux  phénomènes 
des  corps  vivants.   Elle  se  présente  déjà  dans  ceux  des 
corps  bruts,  quand  nous  considérons  les  cas  les  plus  com- 
plexes ;  par  exemple,  en  étudiant  les  phénomènes  météo- 
rologiques. On  ne  peut  douter  que  chacun  des  nombreux 
agents  qui  concourent  à  la  production  de  ces  phénomènes 
ne  soit  soumis   séparément  à   des  lois  mathématiques, 
quoique  nous  ignorions  encore  la  plupart  d'entre  elles  ; 
mais  leur  multiplicité  rend  les  effets  observés  aussi  irré- 
gulièrement variables  que  si  chaque  cause  n'était  assujettie 
à  aucune  condition  précise. 

La  considération  précédente  conduit  à  apercevoir  un 
second  motif  distinct  en  vertu  duquel  il  nous  est  nécessai- 
rement interdit,  vu  la  faiblesse  de  notre  intelligence,  de 
faire  rentrer  l'élude  des  phénomènes  les  plus  compliqués 
dans  le  domaine  des  applications  de  l'analyse  mathéma- 
tique. En  effet,  indépendamment  de  ce  que,  dans  les  phé- 
nomènes les  plus  spéciaux,  les  résultats  effectifs  sont  telle- 


ENSEMBLE  DE   LA   SCIENCE  MATHÉMATIQUE.  119 

'^^ot  variables  que  nous  ne  pouvons  pas  môme  y  saisir  des 
^^Jean  fixes,  il  suit  de  la  complication  des  cas,  que,  quand 
'^^aie  nous  poumons  connaître  un  jour  la  loi  mathé- 
'^atique  à  laquelle  est  soumis  chaque  agent  pris  à  part,  la 
Combinaison  d'un  aussi  grand  nombre  de  conditions  ran- 
cirait le  problème  mathématique  correspondant  tellement 
Supérieur  à  nos  faibles  moyens,  que  la  question  resterait  le 
I>Ias  souvent  insoluble.  Ce  n'est  donc  pas  ainsi  qu'on  peut 
f&ire  une  étude  réelle  et  féconde  de  la  majeure  partie  des 
phénomènes  naturels. 

Pour  apprécier  aussi  exactement  que  possible  cette  dif- 
ficulté, considérons  à  quel  point  se  compliquent  les  ques- 
tions mathématiques,  môme  relativement  aux  phénomènes 
les  plus  simples  des  corps  bruts,  quand  on  veut  rappro- 
cher suffisamment  l'état  abstrait  de  l'état  concret,  en  ayant 
égard  à  toutes  les  conditions  principales  qui  peuvent  exer- 
cer sur  l'effet  produit  une  influence  véritable.  On  sait,  par 
exemple,  que  le  phénomène  très-simple  de  l'écoulement 
d'un  fluide,  en  vertu  de  sa  seule  pesanteur,  par  un  orifice 
donné,  n'a  pas  jusqu'à  présent  de  solution  mathématique 
complète,  quand  on  veut  tenir  compte  de  toutes  les  cir- 
constances essentielles.  Il  en  est  encore  ainsi,  même  pour 
le  mouvement  encore  plus  simple  d'un  projectile  solide 
dans  un  milieu  résistant. 

Pourquoi  l'analyse  mathématique  a-t-elle  pu  s'adapter, 
avec  un  succès  si  admirable,  à  Tétude  approfondie  des 
phénomènes  célestes  ?  Parce  qu'ils  sont,  malgré  les  appa- 
rences vulgaires,  beaucoup  plus  simples  que  tous  les  auires. 
Le  problème  le  plus  compliqué  qu'ils  présentent,  celui  de 
la  modification  que  produit,  dans  le  mouvement  de  deux 
corps  tendant  l'un  vers  l'autre  en  vertu  de  leur  gravitation, 
l'influence  d'un  troisième  corps  agissant  sur  tous  deux  de 
la  même  nanière,  est  bien  moins  composé  que  le  pro- 


190  MATHÉMATIQUES. 

blême  terreslre  le  plus  simple.  Et,  néanmoins,  il  offre  déjà 
une  telle  difficulté,  que  nous  n'en  possédons  encore  que 
des  solutions  approximatives.  Il  est  môme  aisé  de  voir,  en 
examinant  ce  sujet  plus  profondément,  que  la  haute  per- 
fection à  laquelle  a  pu  s'élever  l'astronomie  solaire  par 
l'emploi  de  la  science  mathématique  est  encore  essentielle- 
ment due  à  ce  que  nous  avons  profité  avec  adresse  de  tontes 
les  facilités  particulières,  et,  pour  ainsi  dire,  accidentelles, 
qu'offrait  pour  la  solution  des  problèmes  la  constitutioQ 
spéciale,  très-favorable  sous  ce  rapport,  de  notre  système 
planétaire.  En  effet,  les  planètes  dont  il  se  compose  sont 
assez  peu  nombreuses,  mais  surtout  elles  sont,  en  général, 
de  masses  fort  inégales  et  bien  moindres  que  celle  du  so- 
leil, et  de  plus  fort  éloignées  les  unes  des  autres,  elles  ont 
des  formes  presque  sphériques  ;  leurs  orbites  sont  presque 
circulaires,  et  présentent  de  faibles  inclinaisons  mutuelles, 
etc.  11  résulte  de  cet  ensemble  de  circonstances  que  les 
perburbations  sont  le  plus  souvent  peu  considérables,  etque, 
pour  les  calculer,  il  suffit  ordinairement  de  tenir  compte, 
concurremment  avec  l'action  du  soleil  sur  chaque  planète 
en  particulier,  de  l'influence  d'une  seule  autre  planète, 
susceptible,  par  sa  grosseur  et  sa  proximité,  de  détermi- 
ner des  dérangements  sensibles.  Mais  si,  au  lieu  d'un  tel 
état  de  choses,  notre  système  solaire  edt  éi6  composé  d'un 
plus  grand  nombre  de  planètes  concentrées  dans  un  moin- 
dre espace,  et  à  peu  près  égales  en  masses  ;  si  leurs  orbites 
avaient  offert  des  inclinaisons  fort  différentes,  et  des  excen- 
tricités considérables  ;  si  ces  corps  euss,ent  été  d'une  forme 
plus  compliquée,  par  exemple,  des  ellipsoïdes  très-excen- 
triques, etc.  ;  il  est  certain  qu'en  supposant  la  môme  loi 
réelle  de  gravitation,  nous  ne  serions  pas  encore  parvenus 
à  soumettre  l'étude  des  phénomènes  célestes  à  notre 
analy.^e  mathématique,  et  probablement  nous  n'eussions 


ENSEMBLE  DE    LA  SCIENCE   MATHÉMATIQUE.  Jit 

•   pas  même  pu  démêler  jusqu'à  présent  la  loi  principale. 

Ces  conditions  hypothétiques  se  trouveraient  précisé- 
ment réalisées  au  pins  haut  degré  dans  les  phénomènes 
chimiques,  si  on  voulait  les  calculer  d'après  la  théorie  de 
la  gravi  talion  générale. 

Ed  pesant  convenablement  les  diverses  considérations 
qaiprécèdent,  on  sera  convaincu,  je  crois,  qu'en  réduisant 
aux  diverses  parties  de  la  physique  inorganique  l'extension 
future  des  grandes  applications  réellement  possibles  de 
l'analyse  mathématique,  j'ai  bien  plutôt  exagéré  que  ré- 
tréci l'étendue  de  son  domaine  effectif.  Autant  il  importait 
de  rendre  sensible  la  rigoureuse  universalité  logique  de  la 
science  mathématique,  autant  je  devais  signaler  les  condi- 
tions qui  limitent  pour  nous  son  extension  réelle,  afln  de 
Qe  pas  contribuer  à  écarter  l'esprit  humain  de  la  véritable 
t'irectioD  scientifique  dans  l'étude  des  phénomènes  les  plus 
<H>njpliqués,  par  la  recherche  chimérique  d'une  perfection 

« 

'Qipossible. 
Ainsi,  tout  en  s'efforçant  d'agrandir  autant  qu'on   le 

Pourra  le  domaine  réel  des  mathématiques,  on  doit  recon- 
naître que  les  sciences  les  plus  difficiles  sont  destinées,  par 
'^or  nature,  à  rester  indéfiniment  dans  cet  état  prélimi- 
^Uûre  qui  prépare  pour  les  autres  l'époque  où  elles  devien- 
nent accessibles  aux  théories  mathématiques.  Nous  devons, 
I^Hir  les  phénomènes  les  plus  compliqués,  nous  contenter 
4*analyser  avec  exactitude  les  circonstances  de  leur  pro- 
duclion,  de  les  rattacher  les  uns  aux  autres  d'une  manière 
générale,  de  connaître  le  genre  d'influence  qu'exerce  cha- 
(|ue  agent  principal,  etc.;  mais  sans  les  étudier  sous  le 
point  de  vue  de  la  quantité,  et  par  conséquent  sans  espoir 
d'introduire,  dans  les  sciences  correspondantes,  ce  haut 
degré  de  perfection  que  procure,  quant  aux  phénomènes 
les  plus  simples,  un  usage  convenable  de  la  mathématique^ 


1  22      MATHÉMATIQUES.  —  ENSEMBLE  DE  LA  SCIENCE,  ETC. 

soit  SOUS  le  rapport  de  la  précision  de  nos  connaissances, 
soit,  ce  qui  est  peut-être  encore  plus  remarquable,  sous  le 
rapport  de  leur  coordination. 

C'est  par  les  mathématiques  que  la  philosophie  positive 
a  commencé  à  se  former  :  c'est  d'elles  que  nous  vient  la 
méthode.  11  était  donc  naturellement  inévitable  que,  lorsque 
la  même  manière  de  procédera  dû  s'étendre  à  chacune  des 
autres  sciences  fondamentales,  on  s'efforçât  d'y  introduire 
l'esprit  mathématique  à  un  plus  haut  degré  que  ne  le 
comportaient  les  phénomènes  correspondants  ;  ce  qui  a 
donné  lieu  ensuite  à  des  travaux  d'épuration  plus  ou  moins 
étendus,  comme  ceux  de  Berthoilet  sur  la  chimie,  pour  se 
dégager  de  celte  influence  exagérée.  Mais  chaque  science, 
en  se  développant,  a  fait  subir  à  la  méthode  positive  gêné- 
raie  des  modifications  déterminées  par  les  phénomènes 
qui  lui  sont  propres,  d'où  résulte  son  génie  spécial  ;  c'est 
seulement  alors  qu'elle  a  pris  son  véritable  caractère  défi- 
nitif, qui  ne  doit  jamais  être  confondu  avec  celui  d'aucune 
autre  science  fondamentale. 

Ayant  exposé,  dans  cette  leçon,  le  but  essentiel  et  la 
composition  principale  de  la  science  mathématique,  ainsi 
que  ses  relations  générales  avec  l'ensemble  de  la  philoso- 
phie naturelle,  son  caractère  philosophique  se  trouve  dé- 
terminé^ autant  qu'il  puisse  l'être  par  un  tel  aperçu.  Nous 
devons  passer  maintenant  à  l'examen  spécial  de  chacune 
des  trois  grandes  sciences  dont  elle  est  composée  :  le  calcul, 
la  géométrie  et  la  mécanique. 


QUATRIÈME  LEÇON 


Sommaire.  ~  Vue  générale  de  l'Analyse  mathématique, 


Dans  le  développement  historique  de  la  science  mathé- 
matique depuis  Descartes,  les  progrès  de  la  partie  abstraite 
ont  presque  toujours  été  déterminés  par  ceux  de  la  partie 
concrète.  Mais  il  n'en  est  pas  moins  nécessaire,  pour  con- 
cevoir la  science  d'une  manière  vraiment  rationnelle,  de 
considérer  le  calcul  dans  toutes  ses  branches  principales 
avant  de  procéder  à  l'étude  philosophique  de  la  géométrie 
et  de  la  mécanique.  Les  théories  analytiques  ,plus  simples 
et  plus  générales  que  celles  de  la  mathématique  concrète, 
en  sont,  par  elles-mêmes,  essentiellement  indépendantes  ; 
tandis  que  celles-ci  ont,  au  contraire,  de  leur  nature,  un 
besoin  continuel  des  premières,  sans  le  secours  desquelles 
elles  ne  pourraient  faire  presque  aucun  progrès.  Quoique 
les  principales  conceptions  de  l'analyse  conservent  encore 
aujourd'hui  quelques  traces  très-sensibles  de  leur  origine 
géométrique  ou  mécanique,  elles  sont  maintenant  néan- 
moins essentiellement  dégagées  de  ce  caractère  primitif, 
qui  ne  se  manifeste  plus  guère  que  pour  quelques  points 
secondaires;  en  sorte  que,  depuis  les  travaux  de  Lagrange 
surtout,  il  est  possible,  dans  une  exposition  dogmatique, 
de  les  présenter  d'une  manière  purement  abstraite,  en  un 
système  unique  et  continu.  C'est  ce  que  je  vais  entre- 
prendre dans  cette  leçon  et  dans  les  cinq  suivantes,  en  me 
bornant,  comme  il  convient  à  la  nature  de  ce  cours,  aux 


124  MATHÉMATIQUES. 

considérations  les  plus  générales  sur  chaque  branche  prin- 
cipale de  la  science  du  calcul. 

Le  but  définitif  de  nos  recherches  dans  la  niathématique 
concrète  étant  la  découverte  des  équations^  qui  expriment 
les  lois  mathénnatiques  des  phénomènes  considérés,  et  ces 
équations  constituant  le  véritable  point  de  départ  du  calcul, 
dont  l'objet  est  d'en  déduire  la  détermination  des  quantités 
les  unes  par  les  autres,  je  crois  indispensable,  avant  d'allei 
plus  loin,  d'approfondir,  plus  qu'on  n'a  coutume  de  le  faire, 
cette  idée  fondamentale  d'équation^  sujet  continuel,  aoil 
comme  terme,  soit  comme  origine,  de  tous  les  travam 
mathématiques.  Outre  l'avantage  de  mieux  circonscrire  U 
véritable  champ  de  l'analyse^  il  en  résultera  nécessaire 
ment  cette  importante  conséquence,  de  tracer  d'une  ma* 
nière  plus  exacte  la  ligne  réelle  de  démarcation  entre  II 
partie  concrète  et  la  partie  abstraite  des  mathématiques, 
ce  qui  complétera  l'exposition  générale  de  la  division  fon- 
damentale établie  dans  la  leçon  précédente. 

On  se  forme  ordinairement  une  idée  beaucoup  trop 
vague  de  ce  qnc  c'est  qu'une  équation,  lorsqu'on  donne  ce 
nom  à  toute  espèce  de  relation  d'égalité  entre  deux.fonc* 
lions  quelconques  des  grandeurs  que  l'on  considère.  Cari  si 
toute  équation  est  évidemment  une  relation  d'égalité*  il 
s'en  faut  de  beaucoup  que,  réciproquement,  toute  relalioo 
d'égalité  soit  une  véritable  équation,  du  genre  de  cellei 
auxquelles,  par  leur  nature,  les  méthodes  analytiques  sool 
applicables. 

Ce  défaut  de  précision  dans  la  considération  logique 
d'une  notion  aussi  fondamentale  en  mathématiques  en- 
traîne le  grave  inconvénient  de  rendre  à  peu  près  inexpli- 
cable, en  thèse  générale,  la  difficulté  immense  et  capitale 
que  nous  éprouvons  à  établir  la  relation  du  concret  à  l'abs- 
trait, et  qu'on  fait  communément  ressortir  avec  tant  de 


ANALYSE    MATHÉMATIQUE.  125 

raison  pour  chaque  grande  question  mathématique  prise 
à  part.  Si  le  sens  du  mot  équation  était  vraiment  aussi 
étendu  qu'on  le  suppose  habituellement  en  le  définissant, 
on  ne  voit  point,  en  effet,  de  quelle  grande  difficulté  pour- 
rait éti'e  réellement,  en  général,  rétablissement  des  équa- 
tions d'un  problème  quelconque.  Car  tout  paraîtrait  con- 
sister ainsi  en  une  simple  question  de  forme,  qui  ne  devrait 
pas  môme  exiger  jamais  de  grands  eiforts  intellectuels, 
attendu  que  nous  ne  pouvons  guère  concevoir  de  relation 
précise  qui  ne  soit  pas  immédiatement  une  certaine  re- 
lation d'égalité,  ou  qui  n'y  puisse  être  promptement  ra- 
menée par  quelques  transformations  très-fartiles. 

Ainsiy  en  admettant^  en  général,  dans  la  définition  de 
éguatiom^  toute  espèce  de  fonettons,  on  ne  rend  nullement 
raison  de  l'extrême  difficulté  qu'on  éprouve  le  plus  souvent 
émettre  un  problème  en  équation,  et  qui  est  si  fréquem- 
ment comparable  aux  efforts  qu'exige  l'élaboration  ana- 
lytique de  l'équation  une  fois  obtenue.  En  un  mot,  l'idée 
abstraite  et  générale  qu'on  donne  de  Véquation  ne  corres- 
pond aucunement  au  sens  réel  que  les  géomètres  attachent 
à  cette  expression  dans  le  développement  effectif  de  la 
science.  11  y  a  là  un  vice  logique,  un  défaut  de  corrélation 
qu'il  importe  beaucoup  de  rectifier. 

Pour  y  parvenir,  je  distingue  d'abord  deux  sortes  de 
fonctions  :  les  fonctions  abstraites,  analytiques,  et  les  fonc- 
tions concrètes.  Les  premières  peuvent  seules  entrer  dans 
les  véritables  équations^  en  sorte  qu'on  pourra  désormais 
définir,  d'une  manière  exacte  et  suffisamment  approfondie, 
toute  équation  :  une  relation  d'égalité  entre  deux  fonctions 
abstraites  des  grandeurs  considérées.  Afin  de  n'avoir  plus 
à  revenir  sur  cette  définition  fondamentale,  je  dois  ajouter 
ici,  comme  un  complément  indispensable  sans  lequel  l'idée 
ne  serait  point  assez  générale,  que  ces  fonctions  abstraites 


126  MATHÉMATIQUES. 

peuvent  se  rapporter  non-seulement  aux  grandeurs  que  le 
problème  présente  en  effet  de  lui-même,  mais  aussi  à 
toutes  les  autres  grandeurs  auxiliaires  qui  s'y  rattachent, 
et  qu'on  pourra  souvent  introduire,  simplement  par  arti- 
iice  mathématique,  dans  la  seule  vue  de  faciliter  la  décou- 
verte des  équations  des  phénomènes.  Je  ne  fais  ici,  dans 
cette  explication,  qu'emprunter  sommairement,  par  anti- 
cipation, le  résultat  d'une  discussion  générale  de  la  plus 
haute  importance,  qui  se  trouvera  à  la  fin  de  celte  leçon. 
Revenons  maintenant  à  la  distinction  essentielle  des  fonc- 
tions en  abstraites  et  concrètes. 

Cette  distinction  peut  être  établie  par  deux  voies  essen- 
tiellement différentes,  complémentaires  l'une  de  l'autre  : 
à  priori  et  à  posteriori^  c'est-à-dire  en  caractérisant  d'une 
manière  générale  la  nature  propre  de  chaque  espèce  de 
fonctions,  et  ensuite  en  faisant^  ce  qui  est  possible,  l'éuu- 
mération  effective  de  toutes  les  fonctions  abstraites  aujour- 
d'hui connues,  du  moins  quant  aux  éléments  dont  elles  se 
composent. 

A  priori,  les  fonctions  que  j'appelle  abstraites  sont  celles 
qui  expriment  entre  des  grandeurs  un  mode  de  dépendance 
qu'on  peut  concevoir  uniquement  entre  nombres,sans  qu'il 
soit  besoin  d'indiquer  aucun  phénomène  quelconque  où  il 
se  trouve  réalisé.  Je  nomme,  au  contraire,  fonctions  con- 
crètes celles  pour  lesquelles  le  mode  de  dépendance  exprimé 
ne  peut  être  défini  ni  conçu  qu'en  assignant  un  cas  physi- 
que déterminé,  géométrique,  mécanique,  ou  de  toute  autre 
nature,  dans  lequel  il  ait  effectivement  lieu. 

La  plupart  des  fonctions,  à  leur  origine,  celles  mêmes 
qui  sont  aujourd'hui  le  plus  purement  abstraites^  ont  com- 
mencé par  éire  concrètes  ;  en  sorie  qu'il  est  aisé  de  faire 
comprendre  la  distinction  précédente,  en  se  bornant  à  citer 
les  divers  points  de  vue  successifs  sous  lesquels,  à  mesure 


ANALYSE   MATUÉMATIQUE.  127 

9Uc  la  science  s'est  formée,  les  géomètres  ont  considéré 
'^s  fonctions  analytiques  les  plus  simples.  J'indiquerai  pour 
^^«mple  les  puissances,  devenues  en  général  fonctions  ab- 
straites, depuis  seulement  les  travaux  de  Viète  et  de  Des- 
^^rtes.  Ces  fonctions  j;',x^,  qui,  dans  notre  analyse  actuelle, 
^ont   si  bien  conçues  comme  simplement  abstraites,  n'é- 
taient, pour  les  géomètres  de  l'antiquité,  que  des  fonctions 
entièrenaent  concrètes,  exprimant  la  relation  de  la  superficie 
d'un  carré  ou  du  volume  d'un  cube  à  la  longueur  de  leur 
€^lé.  Elles  avaient  si  exclusivement  à  leurs  yeux  un  tel  ca- 
ractère, que  c'est  seulement  d'après  leur  définition  géomé- 
trique qu'ils  avaient  découvert  les  propriétés  algébriques 
élémentaires  de  ces  fonctions,  relativement  à  la  décom- 
position de  la  variable  en  deux  parties,  propriétés  qui  n'é- 
taient, à  cette  époque,  que  de  vrais  théorèmes  de  géomé- 
trie, auxquels  on  n'a  attaché  que  beaucoup  plus  tard  un 
sens  numérique. 

J'aurai  encore  occasion  de  citer  tout  à  l'heure,  pour  un 
autre  motif,  un  nouvel  exemple  très-propre  à  faire  bien 
sentir  la  distinction  fondamentale  que  je  viens  d'exposer; 
c'est  celui  des  fonctions  circulaires,  soit  directes,  soit  in- 
verses, qui  sont  encore  aujourd'hui  tantôt  concrètes,  tan- 
tôt abstraites,  selon  le  point  de  vue  sous  lequel  on  les  en- 
visage. 

Considérant  maintenant,  à  posteriori,  cette  division  des 
fonctions,  après  avoir  établi  le  caractère  général  qui  rend 
une  fonction  abstraite  ou  concrète,  la  question  de  savoir  si 
telle  fonction  déterminée  est  véritablement  abstraite,  et  par 
là  susceptible  d'entrer  dans  de  vraies  équations  analyti- 
ques, ?a  devenir  une  simple  question  de  fait,  puisque  nous 
allons  énumérer  toutes  les  fonctions  de  cette  espèce. 

Au  premier  abord,  cette  énumération  semble  impossible, 
les  fonctions  analytiques  distinctes  étant  évidemment  en 


128  MATHÉMATIQUES. 

nombre  infini.  Mais,  en  les  partageant  en  simples  ei compo- 
sées^ la  difficulté  disparaît;  car,  si  le  nombre  des  diverses 
fonctions  considérées  dans  l'analyse  mathématique  est  réel- 
lement infini,  elles  sont,  au  contraire,  même  aujourd'hui, 
composées  d*un  fort  petit  nombre  de  fonctions  élémen- 
taires, qu'on  peut  aisément  assigner,  et  qui  suffisent  évi- 
demment pour  décider  du  caractère  abstrait  ou  concret  de 
telle  fonction  déterminée,  qui  sera  de  l'une  ou  de  l'autre 
nature^  selon  qu'elle  se  composera  exclusivement  de  ces 
fonctions  abstraites  simples,  ou  qu'elle  en  comprendra 
d'autres.  Voici  le  tableau  de  ces  éléments  fondamentaux 
de  toutes  nos  combinaisons  analytiques,  dans  l'état  pré- 
sent de  la  science.  On  ne  doit  évidemment  considérer,  k 
cet  effet,  que  les  fonctions  d'une  seule  variable;  celles 
relatives  à  plusieurs  variables  indépendantes  étant  con- 
stamment, par  leur  nature,  plus  ou  moins  composées. 

Soit  X  la  variable  indépendante,  y  la  variable  corrélative 
qui  en  dépend.  Les  différents  modes  simples  de  dépendance 
abstraite  que  nous  pouvons  maintenant  concevoir  entre  y 
et  X  sont  exprimés  par  les  dix  formules  élémentaires  sui- 
vantes, dans  lesquelles  chaque  fonction  est  accouplée  avec 
son  inverse^  c'est-à-dire  avec  celle  qui  aurait  lieu,  d'après 
la  fonction  directe^  si  on  y  rapportait  x  à  y,  au  lieu  de  rap- 
porter ykx' 

i"  couple. .    1  *"*  y  =  û  +  ^ foncUon  somme, 

"'(2oy  =  a  — X lQiï(i\xQïi  différence i 

i''  y  =ax fonction produitj 

2""®  couple.,  l  ^  a 

»  2^  y  =  - fonction  quotieni, 


(i*y  = 

(2»y  = 


i'*  y  zzzxa fonction  puissance, 

3°»«  couple..^  « 

(/i fonction  racine. 


ANALYSE   MATHÉMATIQUE.  )«9 

^,^         .       j  1«  y  =  o» foDCtion  exponentielle, 

^    "    2^  y=zlx fonction  logarithmique, 

a 

s»«         I  m  (  **  ^  ^^  ''°  ' fonction  circulaire  directe, 

P    ^  '  J  2«y  =:arc  (sin  =x).  fonction  circulaire  inverse. 

Tels  sont  les  éléments  très-peu  nombreux  qui  composent 
liirectement  toutes  les  fonctions  abstraites  aujourd'hui  con- 


(1)  Dans  la  yne  d'augmenter  aotant  que  possible  les  ressources  et  reten- 
due si  insuffisantes  de  Tanalyse  mathématique,  les  géomètres  comptent  ce 
dernier  couple  de  fonctions  parmi  les  éléments  analytiques.  Quoique  cette 
inscription  soit  strictement  légitime,  il  importe  de  remarquer  que  les  fonc- 
tions  circulaires  ne  sont  pas  exactement  dans  le  môme  cas  que  les  autres 
fonctions  abstraites  élémentaires.  11  y  a  entre  elles  cette  différence  fort 
ecMDtielle,  que  les  fonctions  des  quatre  premiers  couples  sont  vraiment  à 
U  fois  simples  et  abstraites,  tandis  que  les  fonctions  circulaires,  qui  peu- 
Tent  manifester  successivement  l'un  et  Tautre  caractère,  suivant  le  point 
^  vue  sous  lequel  on  les  envisage  et  la  manière  dont  elles  sont  employées, 
ne  présentent  jamais  simultauément  ces  deux  propriétés. 

La  fonction  sin  x  est  introduite  dans  l'analyse  comme  une  nouvelle  fonc- 
tirni  simple,  quand  on  la  conçoit  seulement  comme  indiquant  la  relation 
géométrique  dont  elle  dérive  ;  mais  alors  elle  n'est  évidemment  qu'une 
fonction  concrète.  Dans  d'autres  circonstances,  elle  remplit  analytique- 
ment  les  conditions  d'une  véritable  fonction  abstraite,  lorsqu'on  ne  consi- 
dère sin  X  que  comme  l'expression  abrégée  de  la  formule 

X  V^—  1  —  X  V^—  I 

ou  de  la  série  équivalente  ;  mais,  sous  ce  dernier  point  de  vue,  ce  n'est 
pins  réellement  une  nouvelle  fonction  analytique,  puisqu'elle  ne  se  pré- 
sente que  comme  un  composé  des  précédentes. 

Néanmoins,  les  fonctions  circulaires  ont  quelques  qualités  spéciales  qui 
•permettent  de  les  maintenir  au  tableau  des  éléments  rationnels  de  l'ana- 
lyse mathématique. 

1«  Elles  sont  susceptibles  d'évaluation,  quoique  conservant  leur  carac- 
tère concret;  ce  qui  autorise  à  les  introduire  dans  les  équations,  tant 
qu'elles  ne  portent  que  sur  des  dénuées,  sans  qu'il  soit  nécessaire  d'avoir 
-égard  à  leur  expression  algébrique. 

V*  On  sait  effectuer  sur  les  différentes  fonctions  circulaires,  comparées 

A.  CoMTB.  Tome  1.  9 


130  MATHÉMATIQUES. 

nues.  Quelque  peu  multipliés  qu'ils  soient,  ils  suffisent  évi- 
demment pour  donner  lieu  à  un  nombre  tout  à  fait  infini 
de  combinaisons  analytiques. 

Aucune  considération  rationnelle  ne  circonscrit  rigou- 
reusement à  priori  le  tableau  précédent,  qui  n*esl  que 
l'expression  effective  de  Tétat  actuel  de  la  science.  Nos  élé- 
ments analytiques  sont  aujourd'hui  plus  nombreux  qu'ils 
ne  Tétaient  pour  Descaries,  et  môme  pour  Newton  et  Leib- 
nitz  ;  il  y  a  tout  au  plus  un  siècle  que  les  d^ux  derniers 
couples  ont  été  introduits  dans  l'analyse  par  les  travaux  de 
Jean  Bernouilli  et  d'Ëuler.  Sans  doute  on  en  admettra  de 
nouveaux  dans  la  suite;  mais,  comme. je  l'indiquerai  à  la 
fin  de  cette  leçon,  nous  ne  pouvons  pas  espérer  qu'ils  soient 
jamais  fort  multipliés,  leur  augmentation  réelle  donnant 
lieu  à  de  très-grandes  difficultés. 

entre  elles  seulemeat,  une  certaine  Buite  de  transformations,  qni  n'exigent 
pan  davantage  la  connaissance  de  leur  définition  analytique.  Il  en  résfdte 
évidemment  la  faculté  d'introduire  ces  fonctions  dans  les  équations,  mèittfr 
par  rapport  aux  inconnues,  pourvu  qu*il  n'y  entre  pas  concurremment 
des  fonctions  non  trigonométriques  des  mômes  variables. 

C'est  donc  uniquement  dans  les  cas  où  les  fonctions  circulaires,  relative- 
ment aux  inconnues,  sont  combinées  dans  les  équations  avec  des  fonctions 
abstraites  d'une  autre  espèce,  qu'il  est  indispensable  d'avoir  égard  à  leur 
interprétation  algébrique  pour  pouvoir  résoudre  les  équations,  et  dès  lors 
elles  cessent,  en  effet,  d'être  traitées  comme  de  nouvelles  fonctions  sim- 
ples. Mais  alors  même,  pourvu  qu'on  tienne  compte  de  cette  interpréta- 
tion, leur  admission  n'empêche  point  les  relations  d'avoir  le  caractère  de 
véritables  équations  analytiques,  ce  qui  est  ici  le  but  essentiel  de  notre 
énumération  des  fonctions  abstraites  élémentaires. 

Il  est  à  remarquer,  d'après  les  considérations  indiquées  dans  cette  note, 
que  plusieurs  autres  fonctions  concrètes  peuvent  être  utilement  introduites 
au  nombre  des  éléments  analytiques,  si  les  condftîons  principales  posées 
ci-dessus  pour  les  fonctions  circulaires  ont  été  préalablement  bien  remplies. 
C'est  ainsi,  par  exemple,  que  les  travaux  de  Lcgendre,  et  récemment  ceux 
de  M.  Jacobi,  sur  les  fonctions  elliptiques,  ont  vraiment  agrandi  le  champ 
de  l'analyse;  il  en  est  de  même  pour  quelques  intégrales  définies  obte- 
nues pour  Fourier,  dans  la  Théorie  analytique  de  la  chaleur,  Paris,  1822. 


ANALYSE   MATHÉMATIQUE.  iSl 

iVous  pouvons  donc  maintenant  nous  former  une  idée 
I^câitive,  et  néanmoins  suffisamment  étendue,  de  ce  que  les 
^ëomëtres  entendent  par  une  véritable  équation.  Cette  ex- 
l^lication  est  éminemment  propre  à  nous  faire. comprendre 
oombien  il  doit  être  difficile  d'établir  réellement  les  équa- 
tions des  phénomènes,  puisqu'on  n'y  est  efTectivement  par-  . 
^venu  que  lorsqu'on  a  pu  concevoir  les  lois  mathématiques 
<3e  ces  phénomènes  à  l'aide  de  fonctions  entièrement  com- 
posées des  seuls  éléments  analytiques  que  je  viens  d'énu- 
mérer.  11  est  clair,  en  effet,  que  c'est  uniquement  alors  que 
le  problème  devient  vraiment  abstrait^  et  se  réduit  à  une 
pure  question  de  nombres,  ces  fonctions  étant  les  seules 
relations  simples  que  nous  sachions  concevoir  entre  les 
nombres,  considérés  en  eux-mêmes.  Jusqu'à  celte  époque 
de  la  solution,  quelles  que  soient  les  apparences,  la  ques- 
tion est  encore  essentiellement  concrète  et  ne  rentre  pas 
dans  le  domaine  du  calcul.  Or  la  difficulté  fondamentale 
de  ce  passage  du  concret  à  Vabstrait  consiste  surtout,  en  gé- 
néral, dans  l'insuffisance  de  ce  très-petit  nombre  d'éléments 
analytiques  que  nous  possédons,  et  d'après  lesquels  néan- 
moins, malgré  le  peu  de  variété  réelle  qu'ils  nous  offrent, 
il  faut  parvenir  à  se  représenter  toutes  les  relations  précises 
qne  peuvent  nous  manifester  tous  les  différents  phéno- 
mènes naturels.  Vu  l'infinie  diversité  qui  doit  nécessairement 
exister  à  cet  égard  dans  le  monde  extérieur,  on  comprend 
sans  peine  combien  nos  conceptions  doivent  se  trouver  fré- 
quemment au-dessous  de  la  véritable  difficulté;  surtout  si 
l'on  ajoute  que,  ces  éléments  de  notre  analyse  nous  ayant 
élé  fournis  primitivement  par  la  considération  mathémati- 
que des  phénomènes  les  plus  simples,  puisqu'ils  ont  tous^ 
directement  ou  indirectement,  une  origine  géométrique, 
nous  n'avons  à  priori  aucune  garantie  rationnelle  de  leur 
aptitude  nécessaire  à  représenter  les  lois  mathématiques  de 


'  1  82  MATHÉMATIQU£S. 

toute  autre  classe  de  phénomènes.  J'exposerai  tout  à  l'heure 
l'artifice  général,  si  profondément  ingénieux,  par  lequel 
l'esprit  humain  est  parvenu  à  diminuer  singulièrement  cette 
difficulté  fondamentale  que  présente  la  relation  du  concret 
à  l'abstrait  en  mathématiques,  sans  cependant  qu'il  ait  été 
nécessaire  de  multiplier  le  nombre  de  ces  éléments  ana- 
lytiques. 

Les  explications  précédentes  déterminent  avec  précision 
le  véritcible  objet  et  le  champ  réel  de  la  mathématique  ab- 
straite; je  dois  passer  maintenant  à  l'examen  de  ses  divi- 
sions principales,  car  nous  avons  toujours  jusqu'ici  consi- 
déré le  calcul  dans  son  ensemble  total. 

La  première  considération  directe  à  présenter  sur  la 
composition  de  la  science  du  calcul  consiste  à  la  diviser 
d'abord  en  deux  branches  principales,  auxquelles,  faute  de 
dénominations  plus  convenables,  je  donnerai  les  noms  de 
calcul  algébrique  ou  algèbre,  et  de  calcul  arithmétique  ou 
arithmétique^  mais  en  avertissant  de  prendre  ces  deux  ex- 
pressions dans  leur  acception  logique  la  plus  étendue,  au 
lieu  du  sens  beaucoup  trop  restreint  qu'on  leur  attache 
ordinairement. 

La  solution  complète  de  toute  question  de  calcul,  depuis 
la  plus  élémentaire  jusqu'à  la  plus  transcendante,  se  com- 
pose nécessairement  de  deux  parties  successives  dont  la 
nature  est  essentiellement  distincte.  Dans  la  première,  on 
a  pour  objet  de  transformer  les  équations  proposées,  de 
façon  à  mettre  en  évidence  le  mode  de  formation  des  quan- 
tités inconnues  par  les  quantités  connues;  c'est  ce  qui  con- 
stitue la  question  algébrique.  Dans  la  seconde,  on  a  en 
vue  d'évaluer  les  formules  ainsi  obtenues,  c'est-à-dire  de 
déterminer  immédiatement  la  valeur  des  nombres  chei^ 
chés,  représentés  déjà  par  certaines  fonctions  expli- 
cites des  nombres  donnés  ;  telle  est  la  question  aritkml 


^ 


ANALYSE  MATHÉMATIQUE.  183 

ft4^(1).Onvoitqu£,  dans  toute  solution  vraimentrationnelle, 
elle  suit  nécessairement  la  question  algébrique,  dont  elle 
forme  le  complément  indispensable,  puisqu'il  faut  évidem- 
ment connaître  la  génération  des  nombres  cherchés  avant 
de  déterminer  leurs  valeurs  effectives  pour  chaque  cas 
particulier.  Ainsi,  le  terme  de  la  partie  algébrique  devient 
le  point  de  départ  de  la  partie  arithmétique. 

Le  calcul  algébrique  et  le  calcul  arithmétique  diffèrent 
donc  essentiellement  par  le  but  qu'on  s'y  propose.  Ils  ne 
diffèrent  pas  moins  par  le  point  de  vue  sous  lequel  on  y 
considère  les  quantités,  envisagées,  dans  le  premier,  quant 
à  leurs  relations,  et,  dans  le  second,  quant  à  leurs  valeurs. 
Le  véritable  esprit  du  calcul^  en  général,  exige  que  cette 
distinction  soit  maintenue  avec  la  plus  sévère  exactitude, 
et  que  la  ligne  de  démarcation  entre  les  deux  époques  de 
la  solution  soit  rendue  aussi  nettement  tranchée  que  le 


(I)  Supposons,  par  exemple,  qu'âne  question  fournisse  entre  une  gran- 
deur ioconnue  x  et  deux  grandeurs  connues  a  et  6  l'équation  : 

comme  il  arrÎTeraît  pour  la  trisection  d'un  angle.  On  voit,  tout  desuite, que 
la  dépendance  entre  x  d'une  part,  et  a,  6  de  l'autre,  est  complètement  déter- 
minée; mais,  tant  que  l'équation  conserve  sa  forme  primitive,  on  n'aper- 
çoit nullement  de  quelle  manière  l'inconnue  dérive  des  données.  C'est 
cependant  ce  qu'il  faut  découvrir  avant  de  penser  à  l'évaluer.  Tel  est  Tob* 
jet  de  la  partie  algébrique  de  la  solution.  Lorsque,  par  une  suite  de  trans- 
formations qui  ont  successivement  rendu  cette  dérivation  de  plus  en  plus 
tensiUe,  on  est  arrivé  à  présenter  l'équation  proposée  sous  la  forme 


le  r61e  de  l'algèbre  est  terminé  ;  et,  quand  môme  on  ne  saurait  point  effec- 
taer  les  opérations  arithmétiques  indiquées  par  cette  formule,  on  en  n'au- 
rait pas  moins  obtenu  une  connaissance  très-réelle  et  souvent  fort  impor- 
tante. Le  rôle  de  l'aritlimétique  consistera  maintenant,  on  partant  de  cette 
formule,  à  faire  trouver  le  nombre  x  quand  les  valeurs  des  nombres  a  et  6 
auront  été  fixées. 


!84  MATHÉMATIQUES. 

permet  la  question  proposée.  L'observation  attentive  de  ce 
précepte,  trop  méconnu,  peut  être  d'un  utile  secours  dans 
chaque  question  particulière,  en  dirigeant  les  efforts  de 
noire  esprit,  à  un  instant  quelconque  de  la  solution,  vert 
la  véritable  difficulté  correspondante.  A  la  vérité,  l'imper- 
féction  de  la  science  du  calcul  oblige  souvent,  comme  je 
l'expliquerai  dans  la  leçon  suivante,  à  môler  très-fréqaem* 
ment  les  considérations  algébriques  et  les  considérations 
arithmétiques  pour  la  solution  d'une  même  question.  Mais, 
quoiqu'il  soit  impossible  alors  de  partager  l'ensemble  du 
travail  en  deux  parties  nettement  tranchées,  l'une  purement 
algébrique,  et  l'autre  purement  arithmétique,  on  pourra 
toujours  éviter,  à  l'aide  des  indications  précédentes,  de  con- 
fondre  les  deux  ordres  de  considérations,  quelque  intime 
que  puisse  être  jamais  leur  mélange. 

En  cherchant  à  résumer  le  plus  succinctement  possible  la 
distinction  que  je  viens  d'établir,  on  voit  que  Valgèbre  peut 
se  déûnir,  en  général,  comme  ayant  pour  objet  la  résoluikm 
des  équations,  ce  qui,  quoique  paraissant  d'abord  trop  res- 
treint, est  néanmoins  suffîsamment  étendu,  pourvu  qu'on 
prenne  ces  expressions  dans  toute  leur  acception  logique, 
qui  signifie  transformer  des  fonctions  implicites  en  fonc- 
tions explicites  équivalentes  :  de  même,  Varithmétique  peut 
être  définie  comme  destinée  à  Vévaluation  des  fonctions. 
Ainsi,  en  contractant  les  expressions  au  plus  haut  degré, 
je  crois  pouvoir  donner  nettement  une  juste  idée  de  celte 
division,  en  disant,  comme  je  le  ferai  désormais  pour  évi- 
ter les  périphrases  explicatives,  que  Valgèbre  est  le  calcul 
des  fonctions,  et  Varithmétique  le  calcul  des  valeurs. 

Il  est  aisé  de  comprendre  par  là  combien  les  définitions 
ordinaires  sont  insuffisantes  et  môme  vicieuses.  Le  plat 
souvent,  l'importance  exagérée  accordée  aux  signes  a  con- 
duit à  distinguer  ces  deux  branches  fondamentales  de  la 


.ANALYSE   MATHÉMATIQUE.  185 

science  du  calcul  parla  manière  de  désigner  dans  chacune 
les  sujets  du  raisonnement^  ce  qui  est  évidemment  absurde 
en  principe  et  faux  en  fait.  Môme  la  célèbre  déflnitiôn  don- 
née par  Newton,  lorsqu'il  a  caractérisé  Valgèbre  comme 
Varithmétique  universelle,  donne  certainement  une  très- 
fausse  idée  de  la  nature  de  Talgèbre  cl  de  celle  de  Tarith- 
inétique(l). 

Après  avoir  établi  la  division  fondamentale  du  calcul  en 
deux  branches  principales,  je  dois  comparer,  en  général, 
l'étendue,  l'importance  et  la  difûculté  de  ces  deux  sortes 
de  calcul,  afin  de  n'avoir  plus  à  considérer  que  le  calcul 
desfonctionSy  qui  doit  être  le  sujet  essentiel  de  notre  étude. 
Le  calcul  des  valeurs,  ou  Varithmétique,  parait,  au  pre- 
mier abord,  devoir  présenter  un  champ  aussi  vaste  que  ce- 
lui de  Valgèbre,  puisqu'il  semble  devoir  donner  lieu  à  autant 
de  questions  distinctes  qu'on  peut  concevoir  de  formules 
algébriques  différentes  à  évaluer.  Mais  une  réflexion  fort 
simple  sufût  pour  montrer  que  le  domaine  du  calcul  des 
valeurs  est,  par  sa  nature,  inûniment  moins  étendu  que 
celui  du  calcul  des  fonctions.  Car,  en  distinguant  les  fonc- 
tions en  simples  et  composéesy  il  est  évident  que,  lorsqu'on 
sait  évaluer  les  fonctions  simples,  la  considération   des 
fonctions  composées  ne  présente  plus,  sous  ce  rapport, 
aucune  difficulté.  Sous  le  point  de  vue  algébrique,  une 
fonction  composée  joue  un  rôle  très-différent  de  celui  des 
fonctions  élémentaires  qui  la  constituent,  et  c'est  de  là 

(1]  J*ai  cru  deycir  signaler  spécialement  cette  défloition,  parce  qu'elle 
acrt  de  base  à  TopiuioD  que  beaucoup  de  bons  esprits,  étrangers  à  la  science 
mathéroaUque,  se  forment  de  la  partie  abstraite  de  cette  science,  sans 
considérer  qn'à  l'époque  où  cet  aperçu  a  été  formé,  l'analyse  mathéma- 
tique n'était  point  assez  développée  pour  que  le  caractère  général  propre 
à  chacune  de  ses  parties  principales  pût  être  convenablement  saisi,  ce 
qui  explique  pourquoi  Newton  a  pu  proposer  alors  une  définition  qu'il  re- 
jetterait certainement  aujourd'hui. 


136  MATHÉMATIQUES. 

précisément  que  naissent  toutes  les  principales  difficalté 
analytiques.  Mais  il  en  est  tout  autrement  pour  le  cacu 
arithmétique.  Ainsi,  le  nombre  des  opérations  arithméti 
ques,  vraiment  distinctes,  est  seulement  marqué  par  celui 
des  fonctions  abstraites  élémentaires,  dont  j'ai  présenté 
ci-dessus  le  tableau  très-peu  étendu.  L'évaluation  de  ces 
dix  fonctions  donne  nécessairement  celle  de  toutes  les 
fonctions,    en   nombre   infini,  que  l'on   considère   dans 
l'ensemble  de  l'analyse  mathématique,  telle,  du  moins, 
qu'elle  existe  aujourd'hui.  A  quelques  formules  que  puisse- 
conduire  l'élaboration  des  équations,  il  n'y  aurait  lieu  à  de 
nouvelles  opérations  arithmétiques  que  si  l'on  en  venait  à 
créer  de  véritables  nouveaux  éléments  analytiques,  dont  le 
nombre  sera  toujours,  quoi  qu'il  arrive,  extrêmement  petit. 
Le  champ  de  Varithmétique  est  donc,  par  sa  nature,  infini- 
ment restreint,  tandis  que  celui  de  Valgebre  est  rigoureu- 
sement indéfini. 

Il  importe  cependant  de  remarquer  que  le  domaine  du 
calcul  des  valeurs  est,  en  réalité,  beaucoup  plus  étendu  qu'on 
ne  se  le  représente  communément.  Car  plusieurs  ques- 
tions, véritablement  arithmétiques^  puisqu'elles  consistent 
dans  des  évaluations^  ne  sont  point  ordinairement  classées 
comme  telles,  parce  qu'on  a  l'habitude  de  ne  les  traiter 
que  comme  incidentes,  au  milieu  d'un  ensemble  de  re- 
cherches analytiques  plus  ou  moins  élevées  ;  la  trop  haute 
opinion  qu'on  se  forme  communément  de  l'influence  des 
signes  est  encore  la  cause  principale  de  cette  confusion 
d'idées.  Ainsi,  non-seulement  la  construction  d'une  table 
de  logarithmes,  mais  aussi  le  calcul  des  tables  trigonomé- 
triques,  sont  de  véritables  opérations  arithmétiques  d'un 
genre  supérieur.  On  peut  citer  encore  comme  étant  dans 
le  même  cas,  quoique  dans  un  ordre  très-distinct  et  plus 
élevé,  tous  les  procédés  par  lesquels  on  détermine  directe- 


ANALYSE  MATHÉMATIQUE.  1S7 

ment  la  valeur  d'une  fonction  quelconque  pour  chaque 
système  particulier  de  valeurs  attribuées  aux  quantités 
dont  elle  dépend,  lorsqu'on  ne  peut  point  parvenir  à  con- 
naître généralement  la  forme  explicite  de  cette  fonction. 
Sous  ce  point  de  vue,  la  résolution  numérique  des  équations 
qu'on  ne  sait  pas  résoudre  algébriquement ^  et  de  même  le 
calcul  des  intégrales  définies  dont  on  ignore  les  intégrales 
générales,  font  réellement  partie,  malgré  les  apparences, 
da  domaine  de  V arithmétique ^  dans  lequel  il  faut  nécessai- 
rement comprendre  tout  ce  qui  a  pour  objet  l'évaluation  des 
fonctions.  Les  considérations  relatives  à  ce  but  sont,  en 
effet,  constamment  homogènes,  de  quelques  évaluations 
qu'il  s'agisse,  et  toujours  bien  distinctes  des  considérations 
vraiment  algébriques. 

Pour  achever  de  se  former  une  juste  idée  de  l'étendue 
réelle  du  calcul  des  valeurs,  on  doit  y  comprendre  aussi 
cette  partie  de  la  science  générale  du  calcul  qui  porte  au- 
jourd'hui spécialement  le  nom  de  théories  des  nombres^  et 
qui  est  encore  si  peu  avancée.  Cette  bra^iche,  fort  étendue 
par  sa  nature,  mais  dont  l'importance  dans  le  système  gé- 
néral de  la  science  n'est  pas  très-grande,  a  pour  objet  de 
découvrir  les  propriétés  inhérentes  aux  différents  nombres 
en  vertu  de  leurs  valeurs  et  indépendamment  de  toute 
numération  particulière.  Elle  constitue  donc  une  sorte 
û*Qrùhmétique  transcendante;  c'est  à  elle  que  conviendrait 
effectivement  la  définition  proposée  par  Newton  pour 
Valgèàre. 

Le  domaine  total  de  Varithmétique  est  donc,  en  réalité, 
beaucoup  plus  étendu  qu'on  ne  le  conçoit  ordinairement. 
Mais,  néanmoins,  quelque  développement  légitime  qu'on 
puisse  lui  accorder,  il  demeure  certain  que,  dans  l'en- 
semble de  la  mathématique  abstraite^  le  calcul  des  valeurs 
ne  sera  jamais  qu'un  point,  pour  ainsi  dire,  en  compa- 


188  MATUÉMATIOUES. 

raison  du  calcul  des  fondions,  dans  lequel  la  science  con- 
siste essentiellement.  Cette  appréciation  va  devenir  encore 
plus  sensible  par  quelques  considérations  qui  me  restent 
à  indiquer  sur  la  véritable  nature  des  questions  arithmé- 
tiques en  général,  quand  on  les  examine  d'une  manière 
approfondie. 

En  cherchant  à  déterminer  avec  exactitude  en  quoi  con- 
sistent proprement  les  évalnationSy  on  reconnaît  aisément 
qu'elles  ne  sont  pas  autre  chose  que  de  véritables  trans- 
formations  des  fonctions  à  évaluer,  transformations  qui, 
malgré  leur  but  spécial,  n'en  sont  pas  moins  essentielle- 
ment de  la  même  nature  que  toutes  celles  enseignées  par 
l'analyse.  Sous  ce  point  de  vue,  le  calcul  des  valeurs  pourrait 
être  conçu  simplement  comme  un  appendice  et  une  appli- 
cation particulière  du  calcul  des  fonctions,  de  telle  sorte 
que  V arithmétique  disparaîtrait,  pour  ainsi  dire,  dans  l'en- 
semble de  la  mathématique  abstraite,  comme  section  dis- 
tincte. 

Pour  bien  comprendre  cette  considération,  il  faut  ob- 
server que,  lorsque  Ton  propose  â*émluer  un  nombre  in- 
connu dont  le  mode  de  formation  est  donné,  il  est,  par  le 
seul  énoncé  môme  de  la  question  arithmétique,  déjà  défini 
et  exprimé  sous  une  certaine  forme  ;  et  qu'en  Vévaluant^ 
on  ne  fait  que  mettre  son  expression  sous  une  autre  forme 
déterminée,  à  laquelle  on  est  habitué  à  rapporter  la  notion 
exacte  de  chaque  nombre  particulier,  en  le  faisant  rentrer 
dans  le  système  régulier  de  la  numération.  Vévaluation 
consiste  si  bien  dans  une  simple  transformation,  que,  lorsque 
l'expression  primitive  du  nombre  se  trouve  elle-même 
conforme  à  la  numération  régulière,  il  n*y  a  plus,  à  pro- 
prement parler,  dévaluation,  ou  plutôt  on  répond  à  la 
question  par  la  question  même.  Qu'on  demande^  par 
exemple,  d'ajouter  les  deux  nombres  trente  et  sept,  on 


ANALYSE    MATHÉMATIQUE.  189 

répondra  en  se  bornant  à  répéter  Ténoncé  même  de  la 
question,  et  on  croira  néanmoins  avoir  évalué  la  somme,  ce 
qui  signifie  que,  dans  ce  cas,  la  première  expression  de  la 
foncdon  n'a  pas  besoin  d'être  transformée  :  tandis  qu'il 
n'en  serait  point  ainsi  pour  ajouter  vingt- trois  et  quatorze, 
ciraiors  la  somme  ne  serait  pas  immédiatement  exprimée 
d'uoe  manière  conforme  au  rang  qu'elle  occupe  dans  Té- 
cbelie  fixe  et  générale  de  la  numération. 

En  précisant,  autint  que  possible,  la  considération  pré- 
cédente, on  peut  dire  qu'évaluer  un  nombre  n'est  autre 
chose  que  mettra  son  expression  primitive  sous  la  forme 

a  4-  i€  -|-  c€»  +  </Ê«  4-  c6* -H  p^^ 

tétant  ordinairement  égal  à  10;  et  les  coefQcienls  a,  6,  c, 
d,  etc. ,  étant  assujettis  h  ces  conditions  d'être  nombres 
(iBIiers  moindres  que  ^,  pouvant  devenir  nuls,  mais  jamais 
oégatifs.  Ainsi,  toute  question  arithmétique  est  susceptible 
d'être  posée  comme  consistant  à  mettre  sous  une  telle 
ibrine  une  fonction  abstraite  quelconque  de  diverses  quan- 
tités que  l'on  suppose  avoir  déjà  elles-mêmes  une  forme 
Semblable.  On  pourrait  donc  ne  voir  dans  les  différentes 
Opérations  de  l'arithmétique  que  de  simples  cas  particuliers 
de  cerlaines  transformations  algébriques,  sauf  les  difficultés 
Spéciales  tenant  aux  conditions  relatives  à  l'état  des  coef- 
ticienis. 

Il  résulte  clairement,  de  ce  qui  précède,  que  la  mathé- 

itnatique  abstraite  se  compose  essentiellement  du  calcul  des 

fonctions^  qui  en  était  évidemment  déjà  !a  partie  la  plus 

importante,  la  plus  étendue  et  la  plus  difflcile.  Tel  sera 

donc   désormais  le  sujet  exclusif  de  nos  considérations 

analytiques.  Ainsi,  sans  m'arrêler  davantage  au  calcul  des 

valeurs^  je  vais  passer  immédiatement  à  l'examen  de  la 

division  fondamentale  du  calcul  des  fonctions. 


1 4  0  MATHÉMATIQUES . 

Nous  avons  déterminé,  au  commencement  de  cette  leçon, 
en  quoi  consisle  proprement  la  véritable  difficulté  qu'on 
éprouve  à  mettre  en  équation  les  questions  mathématiques. 
C'est  essentiellement  à  cause  de  l'insuffisance  du  très-petit 
nombre  d'éléments  analytiques  que  nous  possédons,  que 
la  relation  du  concret  à  l'abstrait  est  ordinairement  si  dif* 
ficile  à  établir.  Essayons  maintenant  d'apprécier  pbiloso* 
phiquement  le  procédé  général  par  lequel  l'esprit  humain 
est  parvenu,  dans  un  si  grand  nombre  de  cas  importants. i 
surmonter  cet  obstacle  fondamental. 

En  considérant  directement  l'ensemble  de  cette  question 
capitale,  on  est  naturellement  conduit  à  concevoir  d'aboid 
un  premier  moyen  pour  faciliter  rétablissement  des  équa- 
tions des  phénomènes.  Puisque  le  principal  obstacle  à  ee 
sujet  vient  du  trop  petit  nombre  de  nos  éléments  analy- 
tiques, tout  semblerait  se  réduire  à  en  créer  de  nouveaux» 
Mais  ce  parti,  quelque  naturel  qu'il  paraisse,  est  véritabTe- 
menl  illusoire,  quand  on  Texamine  d'une  manière  appro- 
fondie. Quoiqu'il  puisse  certainement  être  utile,  il  est  aisé 
de  se  convaincre  de  son  insuffisance  nécessaire. 

En  efl'et,  la  création  d'une  véritable  nouvelle  fonction 
abstraite  élémentaire  présente,  par  elle-même,  les  plos 
grandes  difficultés.  Il  y  a  môme,  dans  une  telle  idéet 
quelque  chose  qui  semble  contradictoire.  Car  un  noafel 
élément  analytique  ne  remplirait  pas  évidemment  les  c(Ui« 
ditions  essentielles  qui  lui  sont  propres,  si  on  ne  pouvait 
immédiatement  Vévaluer:  or,  d'un  autre  côté,  commoil 
évaluer  une  nouvelle  fonction  qui  serait  vraiment  sinpkf, 
c'est-à-dire  qui  ne  rentrerait  pas  dans  une  combinaison 
de  celles  déjà  connues? Cela  parait  presque  impossibia. 
L'introduction,  dans  l'analyse,  d'une  autre  fonction  abs- 
traite élémentaire,  ou  plutôt  d'un  autre  couple  de  fonc- 
tions (car   chacune  serait  toujours  accompagnée  de  son 


ANALYSE   MATHÉMATIQUE.  14f 

inverse)^  suppose  donc  nécessairement  la  création  simul- 
tanée d'une  nouvelle  opéralion  arithmétique,  ce  qui  est 
certainement  fort  difficile. 

Si  nous  cherchons  à  nous  faire  une  idée  des  moyens  que 
l'esprit  humain  pourrait  employer  pour  inventer  de  nou* 
veaai  éléments  analytiques,  par  Texamen  des  procédés 
à  l'aide  desquels  il  a  effectivement  conçu  ceux  que  nous 
possédons,  l'observation  nous  laisse  à  cet  égard  dans  une 
entière  incertitude,  car  les  artifices  dont  il  s'est  déjà  servi 
pour  cela  sont  évidemment  épuisés.  Afin  de  nous  en  con- 
vaincre, considérons  le  dernier  couple  de  fonctions  sim- 
ples qui  ait  été  introduit  dans  l'analyse,  et  à  la  formation 
duquel  nous  avons  pour  ainsi  dire  assisté,  savoir  :  le  qua- 
trième couple,  car,  comme  je  l'ai  expliqué,  le  cinquième 
coaplene  constitue  pas,  à  proprement  parler,  de  véritables 
nouveaux  élémentsanalytiques.  La  fonction  a<,  et,  par  suite, 
son  inverse,  ont  été  formées  en  concevant  sous  un  nouveau 
point  de  vue  une  fonction  déjà  connue  depuis  longtemps, 
les  puissances,  lorsque  la  notion  en  a  été  suffisamment 
généralisée.  Il  a  suffi  de  considérer  une  puissance  relative- 
ment à  la  variation  de  l'exposant,  au  lieu  de  penser  à  la  varia- 
tion de  la  base,  pour  qu'il  en  résultât  une  fonction  simple 
vraiment  nouvelle,  la  variation  suivant  alors  une  marche 
toute  difTérente.  Mais  cet  artifice,  aussi  simple  qu'ingé- 
oieux,  ne  peut  plus  rien  fournir.  Car,  en  retournant,  de  la 
même  manière,  tous  nos  éléments  analytiques  actuels,  on 
n'aboutit  qu'à  les  faire  rentrer  les  uns  dans  les  autres. 

Nous  ne  concevons  donc  nullement  de  quelle  manière 
on  pourrait  procéder  à  la  création  de  nouvelles  fonctions 
abstraites  élémentaires,  remplissant  convenablement  toutes 
les  conditions  nécessaires.  Ce  n'est  pas  à  dire,  néanmoins, 
que  nous  ayons  atteint  aujourd'hui  la  limite  effective  posée 
k  cet  égard  par  les  bornes  de  nojre  intelligence.   11  est 


i  4 1  MATHÉMATIQUES. 

môme  certain  que  les  derniers  perfectionnements  spéciaux 
de  l'analyse  mathématique  ont  contribué  à  étendre  nos 
ressources  sous  ce  rapport,  en  introduisant  dans  le  domaine 
du  calcul  certiines  intégrales  définies,  qui,  à  quelques 
égards,  tiennent  lieu  de  nouvelles  fonctions  simples,  quoi* 
qu'elles  soient  loin  de  remplir  toutes  les  conditions  conve- 
nables, ce  qui  m'a  empêché  de  les  inscrire  au  tableau  des 
vrais  éléments  analytiques.  Mais^  tout  bien  considéré,  je 
crois  qu'il  demeure  incontestable  que  le  nombre  de  ces 
éléments  ne  peut  s'accroître  qu*avec  une  extrême  lenteur. 
Ainsi,  ce  ne  peut  être  dans  un  tel  procédé  que  l'esprit 
humain  ait  puisé  ses  ressources  les  plus  puissantes  pour 
faciliter  autant  que  possible  l'établissement  des  équations; 

Ce  premier  moyen  étant  écarté,  il  n'en  reste  évidemment 
qu'un  seul  ;  c'est,  vu  l'impossibilité  de  trouver  directement 
les  équations  entre  les  quantités  que  l'on  considère,  d'en 
chercher  de  correspondantes  entre  d'autres  quantités  auxi- 
liaires, liées  aux  premières  suivant  une  certaine  loi  déter- 
minée, et  de  la  relation  desquelles  on  remonte  ensuite  à 
celle  des  grandeurs  primitives.  Telle  est,  en  effet,  la  con« 
ception,  éminemment  féconde,  que  l'esprit  humain  est 
parvenue  fonder,  et  qui  constitue  son  plus  admirable  ins- 
trument pour  l'exploration  mathématique  des  phénomènes 
naturels,  Vanalyse  dite  transcendante, 

£n  thèse  philosophique  générale,  les  quantités  auxiliaires 
que  l'on  introduit,  au  lieu  des  grandeurs  primitives  ou 
concurremment  avec  elles,  pour  faciliter  l'établissement 
des  équations,  pourraient  dériver  suivant  une  loi  quelcon- 
que des  éléments  immédiats  de  la  question.  Ainsi,  cette 
conception  a  beaucoup  plus  de  portée  que  ne  lui  en  ont 
supposé  communément,  même  les  plus  profonds  géomd^ 
très.  Il  importe  extrêmement  de  se  la  représenter  dans 
toute  son  étendue  logique  ;  car  c'est  peut-être  en  établis^ 


ANALYSE   MATHÉMATIQUE.  143 

sant  un  mode  général  de  dérivation  autre  que  celui  auquel 
on  s'est  constanîment  borné  jusqu'ici,  bien  qu'il  ne  soit 
pasy   évidemment,  le  seul  possible,  qu'on  parviendra  un 
jour  à  perfectionner  essentiellement  l'ensemble  de  l'analyse 
mathématique,  et  par  suite  à  fonder,  pour  l'investigation 
des  lois  de  la  nature,  des  moyens  encore  plus  puissants 
que  nos  procédés  actuels,  susceptibles,  sans  doute,  d'é- 
puisement. 

Mais,  pour  n'avoir  égard  qu'à  la  constitution  présente 
de  la  science,  les  seules  quantités  auxiliaires  introduites 
habituellement  à  la  place  des  quantités  primitives  dans 
tanalgse  transcendante^  sont  ce  qu'on  appelle  les  éléments 
infiniment  petits^  les  différentielles  de  divers  ordres  de  ces 
quantités,  si  l'on  conçoit  cette  analyse  à  la  manière  de  Leib- 
nitz  ;  ou  les  fluxions,  les  limites  des  rapports  des  accrois* 
semants  simultanés  des  quantités  primitives  comparées  les 
unes  aux  autres,  ou,  plus  brièvement,  les  premières  et  det^^ 
nières  raisons  de  ces  accroissements,  en  adoptant  la  con- 
ception de  Newton  ;  ou  bien,  enûn,  les  dérivées  propre- 
ment dites  de  ces  quantités,  c'est-à-dire,  les  coefOcients 
des  différents  termes  de  leurs  accroissements  respectifs, 
d'après   la  conception  de    Lagrange.  Ces  trois  manières 
principales    d'envisager  notre  analyse  transcendante  ac- 
tuelle, et  toutes  les  autres  moins  distinctement  tranchées 
que  l'on  a  proposées  successivement,  sont,  par  leur  na- 
ture,  nécessairement  identiques,  soit  dans  le  calcul,  soit 
dans  l'application,  ainsi  que  je  l'expliquerai  d'une  manière 
générale  dans  la  sixième  leçon.  Quant  à  leur  valeur  rela- 
tive, nous  verrons  alors  que  la  conception  de  Leibnitz  a 
jusqu'ici,  dans  l'usage,  une  supériorité  incontestable,  mais 
que  son  caractère  logique  est  éminemment  vicieux  ;  tandis 
que  la  conception  de  Lagrange,  admirable  par  sa  simpli- 
cité» par  sa  perfection  logique,  par  l'unité  philosophique 


i 


i  4  4  MATHÉMATIQUES. 

qu'elle  a  établie  dans  l'ensemble  de  l'analyse  naatbématiqo^ 
jusqu'alors  partagée  en  deux  mondes  presque  indépen- 
dants, présente  encore,  dans  les  applications,  «de  graves 
inconvénients,  en  ralentissant  la  marche  de  Tintelligence  : 
la  conception  de  Newton  tient  à  peu  près  le  milieu  sous  ces 
divers  rapports,  étant  moins  rapide,  mais  plus  rationnelle 
que  celle  de  Leibnilz,  moins  philosophique,  mais  plus  ap- 
plicable que  celle  de  Lagrange. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'expliquer  avec  exactitude  com- 
ment la  considération  de  ce  genre  de  quantités  auxiliaires 
introduites  dans  les  équations  à  la  place  des  grandeurs 
primitives  facilite  réellement  l'expression  analytique  des 
lois  dçs  phénomènes.  La  sixième  leçon  sera  spécialement 
consacrée  à  cet  important  sujet,  envisagé  sous  les  différents 
points  de  vue  généraux  auxquels  a  donné  lieu  l'analyse 
transcendante.  Je  me  borne  en  ce  moment  à  considérer 
cette  conception  de  la  manière  la  plus  générale,  afin  d'en 
déduire  la  division  fondamentale  du  calcul  des  fonctions  en 
deux  calculs  essentiellement  distincts,  dont  Tenchalneroent, 
pour  la  solution  complète  d'une  môme  question  mathéma- 
tique, est  invariablement  déterminé. 

Sous  ce  rapport,  et  dans  l'ordre  rationnel  des  idées, 
l'analyse  transcendante  se  présente  comme  étant  néces- 
sairement la  première,  puisqu'elle  a  pour  but  général  de 
faciliter  l'établissement  des  équations,  ce  qui  doit  évidem- 
ment précéder  la  résolution  proprement  dite  de  ces  équa- 
tions, qui  est  l'objet  de  l'analyse  ordinaire.  Mais,  quoiqu'il 
importe  éminemment  de  concevoir  ainsi  le  véritable  en- 
chaînement de  ces  deux  analyses,  il  n'en  est  pas  moins 
convenable,  conformément  à  l'usage  constant,  de  n'étu- 
dier l'analyse  transcendante  qu'après  l'analyse  ordinaire  ; 
car,  si,  au  fond,  elle  en  est  par  elle-même  logiquement 
indépendante,  ou  que,  du   moins,   il  soit   possible  au- 


ANALYSE   MATHÉMATIQUE.  145 

Joiirdliui  de  l'en  dégager  essentiellement.  Il  est  clair  que, 
^oq  emploi  dans  la  solution  des  questions  ayant  toujours 
Plus  ou  moins  besoin  d'élre  complété  par.  celui  de  Ta- 
^aljse  ordinaire,  on  serait  contraint  de  laisser  les  ques- 
tions en  suspens,  si  celle-ci  n'avait  été  étudiée  préala- 
l^lement. 

£n  résultat  de  ce  qui  précède,  le  calcul  des  fonctions^  ou 
ValgèbrCy  en  prenant  ce  mot  dans  sa  plus  grande  extension, 
se  compose  de  deux  branches  fondamentales  distinctes, 
dont  l'une  a  pour  objet  immédiat  la  résolution  des  équa- 
lions,  lorsque  celles-ci  sont  immédiatement  établies  entre 
les  grandeurs  mêmes  que  Ton  considère  ;  et  dont  l'autre, 
partant  d'équations  beaucoup  plus  aisées  à  former  an  gé- 
néral, entre  des  quantités  indirectement  liées  à  celles  du 
problème,  a  pour  destination  propre  et  constante  d'en  dé- 
duire, par  des  procédés  analytiques  invariables,  les  équa- 
tions correspondantes  entre  les  grandeurs  directes  que  l'on 
considère,  ce  qui  fait  rentrer  la  question  dans  le  domaine 
du  calcul  précédent.  Le  premier  calcul  porte,  le  plus  sou- 
vent, le  nom  à*analyse  ordinaire^  ou  d'algèbre  proprement 
dite;  le  second  constitue  ce  qu'on  appelle  Vanalyse  trans- 
cendante^ qui  a  été  désignée  par  les  diverses  dénominations 
de  calcul  infinitésimal^  calcul  des  fluxions  et  des  fluentes, 
calcul  des  évanouissants^  etc.^  selon  le  point  de   vue  sous 
lequel   on  Ta  conçue.  Pour  écarter  toute  considération 
étrangère,  je  proposerai  de  la  nommer  calcul  des  fonctions 
indirectes^  en  donnant  à  l'analyse  ordinaire  le  titre  de  calcul 
des  fonctions  directes.  Ces  expressions,  que  je  forme  essen- 
tiellement en  généralisant  et  en   précisant  les  idées  de 
Lagrange,  sont  destinées  à  indiquer  simplement  avec  exac- 
titude le  véritable  caractère  général  propre  à  chacune  des 
deux  analyses. 
Ayant  établi  la  division  fondamentale  de  l'analyse  matbé- 
A.  CoMTi.  Tome  I.  10 


14e    MATHÉMATIQUES.  —  ANALYSE  MATHÉMATIQUE. 

matique,  je  dois  maintenant  considérer  séparément  I 
semble  de  chacune  de  ses  deux  parties,  en  commen 
par  le  calcul  des  fonctions  directes,  et  réservant  ensuite 
développements  plus  étendus  aux  diverses  branohes 
calcul  des  fonctions  indirectes. 


CINQUIÈME  LEÇON 


Sommaire.  —  Gonsidérationft  générales  sur  le  calcul  des  fonctions 

directes. 


D*après  TexplicatioD  générale  qui  termine  la  leçon  pré- 
cédente, le  calcul  des  fonctions  directes^  ou  Valgèbre  pro- 
prement dite,  suffit  entièrement  à  la  solution  des  questions 
maihématiques,  quand  elles  sont  assez  simples  pour  qu'on 
puisse  former  immédiatement  les  équations  entre  les  gran- 
deurs mômes  que  Ton  considère,  sans  qu'il  soit  nécessaire 
d'introduire  à  leur  place  ou  conjointement  avec  elles  aucun 
système  de  quantités  auxiliaires  dérivées  des  premières. 
A  la  vérité,  dans  le  plus  grand  nombre  des  cas  importants, 
son  emploi  a  besoin  d'être  précédé  et  préparé  par  celui  du 
calcul  des  fonctions  indirectes,  destiné  à  faciliter  rétablisse- 
ment des  équations.  Mais,  quoique  le  rôle  de  l'algèbre  ne 
soit  alors  que  secondaire,  elle  n'en  a  pas  moins  toujours 
une  part  nécessaire  dans  la  solution  complète  de  la  ques- 
tion, en  sorte  que  le  calcul  des  fondions  directes  doit  con- 
tinuer à  être,  par  sa  nature,  la  base  fondamentale  de  toute 
l'analyse  mathématique.  Nous  devons  donc,  avant  d'aller 
plus  loin,  considérer,  d'une  manière  générale,  la  compo- 
sition rationnelle  de  ce  calcul,  et  le  degré  de  développe- 
ment auquel  il  est  parvenu  aujourd'hui. 

L'objet  définitif  de  ce  calcul  étant  la  résolution  propre- 
ment dite  des  équations^  c'est-à-dire  la  découverte  du 
mode  de  formation  des  quantités  inconnues  par  les  quan- 


1 48  MATHÉMATIQUES. 

tîtés  connues  d'après  les  équations  qui  existent  entre  elles  ^ 
il  présente  naturellement  autant  de  parties  différentes  qu 
Ton  peut  concevoir  de   classes  d'équations  vraiment  dis 
tinctes;  et,  par  conséquent,  son  étendue  propre  est  rigou 
reusenfient  indéûnie,  le  nonabre  des  fonctions  analytiques 
susceptibles  d'entrer   dans  les    équations  étant  par  lui 
même  toutàfait  illimité,  bien  qu'elles  ne  soient  composées  ^ 
que  d'un  très-petit  nombre  d'éléments  primitifs. 

La    classification    rationnelle  des    équations  doit  être 
évidemment  déterminée  par  la  nature  des  éléments  ana-  - 
lytiques  dont  se  composent  leurs  membres  ;   toute  autre 
classification  serait  essentiellement  arbitraire.  Sous  ce  rap- 
port, les  analystes  divisent  d'abord  les  équations  à  une  ou 
à  plusieurs  variables  en  deux  classes  principales,  selon 
qu'elles  ne  contiennent  que  des  fonctions  des  trois  pre- 
miers couples  (voy.   le    tableau,   4""    leçon),  ou  qu'elles 
renferment  aussi  des  fonctions,  soit  exponentielles,   soit 
circulaires.  Les  dénominations  de  fonctions  algébriques  et 
fonctions  transcendantes^  données  communément  à  ces  deux 
groupes  principaux   d'éléments    analytiques,   sont,   sans 
doute,  fort  peu  convenables.  Mais  la  division  universelle- 
hient  établie  entre  les  équations  correspondantes  n'en  est 
pas  moins  très-réelle,  en  ce  sens  que  la  résolution  des 
équations  contenant  les  fonctions  dites  transcendantes  pré- 
sente nécessairement  plus  de  difficultés   que  celles  des- 
équations  dites  algébriques.   Aussi  l'étude  des  premières- 
est-elle  jusqu'ici  excessivement  imparfaite,  à  tel  point  quer- 
souvent  la  résolution  des  plus  simples  d'entre  elles  nous^^ 
est  encore  inconnue  (i);   c'est  sur  l'élaboration  des  se — 

(I)  Quelque  simple  que  puisse  paraître,  par  exemple,  l*éqaaUoD 

on  ne  aait  point  encore  la  résoudre  ;  ce  qui  peut  donner  une  idée  de  l'ei — - 
trème  imperfection  de  cette  partie  de  l'algèbre. 


CALCUL  DES  FONCTIONS  DIRECTES.  14f 

condes  que  porleol  presque  exclusivement  nos  méthodes 
analytiques. 

Ne  considérant  maintenant  que  ces  équations  algébri- 
ques, il  faut  observer  d'abord  que,  quoiqu'elles  puissent 
s^ouvent  contenir  des  fonctions  irrationnelles  des  inconnues, 
aussi  bien  que  des  fonctions  rationnelles,  on  peut  toujours, 
par  des  transformations  plus  ou  moins  faciles,  faire  ren- 
trer le  premier  cas  dans  le  second  ;  en  sorte  que  c'est  de 
ce  dernier  que  les  analystes  ont  dû  s'occuper  uniquement 
pour  résoudre  toutes  les  équations  algébriques. 

Dans  l'enfance  de  Talgèbre,  ces  équations  avaient  été 
classées  d'après  le  nombre  de  leurs  termes.  Mais  cette 
classification  était  évidemment  vicieuse  ;  comme  séparant 
des  cas  réellement  semblables,  et  en  réunissant  d'autres 
qui  n'avaient  rien  de  commun  qu'un  caractère  sans  au- 
cune importance  véritable  (1).  Elle  n'a  été  maintenue  que 
pour  les  équations  à  deux  termes,  susceptibles,  en  eCfet, 
d'une  résolution  commune  qui  leur  est  propre. 

La  classification  des  équations,  d'après  ce  qu'on  appelle 
leurs  degrés^  universellement  admise  depuis  longtemps 
par  les  analystes,  est,  au  contraire,  éminemment  naturelle, 
et  mérite  d'être  signalée  ici.  Car,  en  ne  comparant,  dans 
chaque  (kgré^  que  les  équations  qui  se  correspondent, 
quant  à  leur  complication  relative,  on  peut  dire  que  cette 
distinction  détermine  rigoureusement  la  difficulté  plus  ou 
moins  grande  de  leur  résolution.  Cette  gradation  est  sen* 
sible  elTectivement  pour  toutes  les  équations  que  l'on  sait 
résoudre.  Hais  on  peut  s'en  rendre  compte  d'une  manière 
générale,  indépendamment  du  fait  de  la  résolution.  Il 
suffit^  pour  cela,  de  considérer  que  l'équation  la  plus  gé- 

(1)  On  a  commis  plas  tmrd  Ii  même  erreur  momentanée  dans  les  pre- 
miers temps  do  Calcul  infinitésimal,  pour  l'intégration  des  équations  dif- 
féreotielles. 


150  MATHÉMATIQUES. 

nérale  de  chaque  degré  comprend  nécessairement  toutes 
celles  des  divers  degrés  inférieurs,  en  sorte  qu'il  en  doit 
être  ainsi  de  la  formule  qui  détermine  Tinconnue.  En  con- 
séquence, quelque  faible  qu'on  pût  supposer  â  priori  la 
difficulté  propre  au  degi'é  que  l'on  considère,  comme  elle 
se  complique  inévitablement,  dans  l'exécution,  de  celles 
que  présentent  tous  les  degrés  précédents,  la  résolution 
offre  donc  réellement  plus  d'obstacles  à  mesure  que  le 
degré  de  l'équation  s'élève. 

Cet  accroissement  de  difficulté  est  tel,  que  jusqu'ici  la 
résolution  des  équations  algébriques  ne  nous  est  connue 
que  dans  les  quatre  premiers  degrés  seulement.  Â  cet 
égard,  l'algèbre  n'a  pas  fait  de  progrès  considérables  de- 
puis les  travaux  de  Descartes,  et  des  analystes  italiens  du 
seizième  siècle,  quoique^  dans  les  deux  derniers  siècles,  il 
n'ait  peut-être  pas  existé  un  seul  géomètre  qui  ne  se  soit 
occupé  de  pousser  plus  avant  la  résolution  des  équations. 
L'équation  générale  du  cinquième  degré  elle-même  a 
jusqu'ici  résisté  à  toutes  les  tentatives. 

La  complication  toujours  croissante  que  doivent  néces- 
sairement  présenter  les  formules  pour  résoudre  les  équa- 
tions à  mesure  que  le  degré  augmente,  l'extrême  embarras 
qu'occasionne  déjà  l'usage  de  la  formule  du  quatrième 
degré,  et  qui  le  rend  presque  inapplicable^  ont  déterminé 
les  analystes  à  renoncer,  par  un  accord  tacite,  à  poursui- 
vre de  semblables  recherches,  quoiqu'ils  soient  loin  de 
regarder  comme  impossible  d'obtenir  jamais  la  résolution 
des  équations  du  cinquième  degré,  et  de  plusieurs  antres 
degrés  supérieurs.  La  seule  question  de  ce  genre,  qui 
offrirait  vraiment  une  grande  importance,  du  moins  sous 
le  rapport  logique,  ce  serait  la  résolution  générale  des 
équations  algébriques  d'un  degré  quelconque.  Or,  plus 
on  médite  sur  ce  sujet,  plus  on  est  conduit  à  penser,  avec 


CALCUL  DES  FONCTIONS  DIBECTES.  151 

LagraDge,  qu'il  surpasse  réellement  la  portée  effective  de 
notre  intelligence.  Il  faut  d'ailleurs  observer  que  la  for- 
mule qui  exprimerait  la  racine  d'une  équation  du  degré  m 
devrait  nécessairement  renfermer  des  radicaux  de  Tordre  m 
(ou  des  fonctions  d'une  multiplicité  équivalente),  à  cause 
des  m  déterminations  qu'elle  doit  comporter.  Puisque  nous 
avons  vu,  de  plus,  qu'elle  doit  aussi  embrasser,  comme 
cas  particulier,  celle  qui  correspond  à  tout  autre  degré 
inférieur^  il  s'ensuit  qu'elle  contiendrait,  en  outre,  iné* 
vitablement,  des  radicaux  de  l'ordre  m — 1,  d'autres  de 
Tordre  m — %  etc.,  de  telle  manière  que^  s'il  était  possible 
de  la  découvrir,  elle  off'rirait  presque  toujours  une  trop 
grande  complication  pour  pouvoir  être  utilement  em* 
ployée,  à  moins  qu'on  ne  parvint  à  la  simplifier,  en  lui 
conservant  cependant  toute  la  généralité  convenable,  par 
l'introduction  d'un  nouveau  genre  d'éléments  analytiques, 
dont  nous  n'avons  encore  aucune  idée.  Il  y  a  donc  lieu  de 
croire  que,  sans  avoir  déjà  atteint  sous  ce  rapport  les 
bornes  imposées  par  la  faible  portée  de  notre  intelligence, 
nous  ne  tarderions  pas  à  les  rencontrer  en  prolongeant 
avec  une  activité  forte  et  soutenue  celte  série  de  re- 
cherches. 

Il  importe  d'ailleurs  d'observer  que,  môme  en  supposant 
obtenue  la  résolution  des  équations  algébriques  d*un  degré 
quelconque,  on  n'aurait  encore  traité  qu'une  très-petite 
partie  de  Yalgèbre  proprement  dite,  c'est-à-dire  du  calcul 
des  fonctions  directes,  embrassant  la  résolution  de  toutes 
les  équations  que  peuvent  former  les  fonctions  analytiques 
aujourd'hui  connues.  Enfin,  pour  achever  d'éclaircir  la 
considération  philosophique  de  ce  sujet,  il  faut  recon- 
nattre  que,  par  une  loi  irrécusable  de  la  nature  humaine, 
nos  moyens  pour  concevoir  de  nouvelles  questions  étant 
beaucoup  plus  puissants  que  nos  ressources  pour  les  ré- 


i  &2  MATHÉMATIQUES. 

soudre,   ou,    en  d'autres  termes,   l'esprit  humain  étao 
bien  plus  apte  à  imaginer  qu'à  raisonner,  nous  resteron 
nécessairement  toujours  au-dessous  de  la  difficulté,  à  quel 
que  degré  de  développement  que  parviennent  jamais  no 
travaux   intellectuels.  Ainsi,  quand  môme  on  découvri-- 
rait  un  jour  la  résolution  complète  de  toutes  les  équations  - 
analytiques  actuellement  connues,  ce  qui,  à  l'examen, 
doit  dire  jugé  tout  à  fait  chimérique,  il  n'est  pas  douteux  z 
qu'avant  d'atteindre  à  ce  but,  et  probablement  même 

comme  moyen   subsidiaire,  on  aurait  déjà  surmonté  la 

difficulté  bien  moindre,  quoique  très-grande  cependant, 
de  concevoir  de  nouveaux  éléments  analytiques,  dont^ 
l'introduction  donnerait  lieu  à  des  classes  d'équations- 
que  nous  ignorons  complètement  aujourd'hui;  en  sorte 
qu'une  pareille  imperfection  relative  de  la  science  algé- 
brique se  reproduirait  encore,  malgré  l'accroissement 
réel,  très-important  d'ailleurs,  de  la  masse  absolue  de  nos 
connaissances. 

Dans  l'état  présent  de  l'algèbre,  la  résolution  complète 
des  équations  des  quatre  premiers  degrés,  des  équations 
binômes  quelconques,  et  certaines  équations  spéciales  des 
degrés  supérieurs,  et  d'un  très-petit  nombre  d'équations 
exponentielles,    logarithmiques,    ou  circulaires,    consti- 
tuent donc  les  méthodes  fondamentales  que  présente  le  cal* 
cul  des  fonctions  directes  pour  la  solution  des  problèmes 
mathématiques.  Mais,  avec  des  éléments  aussi  bornés,  les 
géomètres  n'en  sont  pas  moins  parvenus  à  traiter,  d'une  ma- 
nière vraiment  admirable,  un  très-grand  nombre  de  ques- 
tions importantes,  comme  nous  le  reconnaîtrons  successi- 
vement dans  la  suite  de  ce  volume.  Les  perfectioDoements 
généraux  introduits  depuis  un  siècle  dans  le  système  total 
de  l'analyse  mathématique  ont  eu  pour  caractère  principal 
d'utiliser  à  un  degré  immense  ce  peu  de  connaissances  ac- 


CALCUL  DES  FONCTIONS  DIRECTES.  16» 

quises  sur  le  calcul  des  fonctions  directes^  au  lieu  de 
tendre  à  les  augmenter.  Ce  résultat  a  été  obtenu  à  un  tel 
point,  que  le  plus  souvent  ce  calcul  n'a  de  rôle  effectif 
dans  la  solution  complète  des  diverses  questions  que  par 
ses  parties  les  plus  simples,  celles  qui  se  rapportent  aux 
équations  des  deux  premiers  degrés,  à  une  seule  ou  à 
plusieurs  variables. 

L'extrême  imperfection  de  Palgèbre  relativement  à  la 
résolution  des  équations  a  déterminé  les  analystes  à  s'oc- 
cuper d'une  nouvelle  classe  de  questions,  dont  il  importé 
de  marquer  ici  le  véritable  caractère.  Quand  ils  ont  cru 
devoir  renoncer  à  poursuivre  plus  longtemps  la  résolution 
des  équations  algébriques  des  degrés  supérieurs  au  qua- 
trième, ils  se  sont  occupés  de  suppléer,  autant  que  possi- 
ble» à  cette  immense  lacune,  par  ce  qu'ils  ont  nommé  la 
résolution  numérique  des  équations.  Ne  pouvant  obtenir, 
dans  la  plupart  des  cas,  la  formtde  qui  exprime  quelle 
fonction  explicite  l'inconnue  est  des  données,  on  a  cher- 
Cbé«  à  défaut  de  cette  résolution,  la  seule  réellement  algé^ 
brique^'k  déterminer,  du  moins,  indépendamment  de  cette 
formule,  la  valeur  de  chaque  inconnue  pour  tel  ou  tel 
système  désigné  de  valeurs  particulières  attribuées  aux 
données.  Par  les  travaux  successifs  des  analystes,  cette 
opération  incomplète  et  bâtarde,  qui  présente  un  mélange 
intime  des  questions  vraiment  algébriques  avec  des  ques- 
tions purement  arithmétiques,  a  pu,  du  moins,  être 
entièrement  effectuée  dans  tous  les  cas,  pour  des  équa- 
tions d'un  degré  et  môme  d'une  forme  quelconque. 
Sous  ce  rapport,  les  méthodes  qu'on  possède  aujourd'hui 
sont  suffisamment  générales,  quoique  les  calculs  aux- 
quels elles  conduisent  soient  souvent  presque  inexécu- 
tables à  cause  de  leur  complication.  Il  ne  reste  donc 
plus,  à  cet  égard,  qu'à  simplifier    assez  les   procédés, 


154  MATHÉMATIQUES. 

pour  qu'ils  deviennenl  régulièrement  applicables,  ce  qu'on 
peut  espérer  d'obtenir  dans  la  suite.  D'après  cet  état  du 
calcul  des  fonctions  directes,  on  s'efforce  ensuite,  dans 
l'application  de  ce  calcul,  de  disposer,  autant  que  possible, 
les  questions  proposées  de  façon  à  n'exiger  flnalement  que 
cette  résolution  numérique  des  équations. 

Quelque  précieuse  que  soit  évidemment  une  telle  res- 
source, à  défaut  de  la  véritable  solution^  il  est  essentiel  de 
ne  pas  méconnaître  le  vrai  caractère  de  ces  procédés,  que 
les  analystes  regardent  avec  raison  comme  une  algèbre  fort 
imparfaite.  En  effet,  il  s'en  faut  de  beaucoup  que  nous  pais- 
sions toujours  réduire  nos  questions  mathématiques  à  ne 
dépendre,  en  dernière  analyse,  que  de  la  résolution  numé' 
7'ique  des  équations.  Gela  ne  se  peut  que  pour  les  questions 
tout  à  fait  isolées,  ou  vraiment  finales,  c'est-à-dire  pourk 
plus  petit  nombre.  La  plupart  des  questions  ne  sont»  eo 
effet,  que  préparatoires  et  destinées  à  servir  de  prélimi* 
nairc  indispensable  à  la  solution  d'autres  questions.  .Or^ 
pour  un  tel  but,  il  est  évident  que  ce  n'est  pas  la  voter 
efl'ective  de  l'inconnue  qu'il  importe  de  découvrir,  tuaii  la 
formule  qui  montre  comment  elle  dérive  des  autres  quaiir 
tités  considérées.  C'est  ce  qui  arrive,  par  exemple»  dans 
un  cas  très-étendu,  toutes  les  fois  qu'une  question  déter- 
minée renferme  simultanément  plusieurs  inconnues.  11 
s'agit  alors,  comme  on  sait,  d'en  faire,  avant  tout,  la  sépa* 
ration.  En  employant  convenablement,  à  cet  effet,  le  ]ir(h 
cédé  simple  et  général  heureusement  imaginé  par  les 
analystes,  et  qui  consiste  à  rapporter  l'une  des  inconnues 
à  toutes  les  autres,  la  difficulté  disparaîtrait  constammeol» 
si  l'on  savait  toujours  résoudre  algébriquement  les  équa- 
tions considérées,  sans  que  la  résolution  numérique  puisse 
être  alors  d'aucune  utilité.  C'est  uniquement  faute  deooo- 
naitre  la  résolution  algébrique  des  équations  à  une  seule 


CALCUL   DES  FONCTIONS  DIRECTES.  1S5 

ÎQCODDue,  qu'on  est  obligé  de  traiter  l'élimination  comme 
une  question  distincte,  qui  forme  une  des  plus  grandes 
difBcallés  spéciales  de  l'algèbre  ordinaire.  Quelque  péni* 
bles  que  soient  les  méthodes  à  l'aide  desquelles  on  sur- 
moDle  cette  difficulté,  elles  ne  sont  pas  même  applicables, 
d'une  manière  entièrement  générale,  à  l'élimination  d'une 
iocooDue  entre  deux  équations  de  forme  quelconque. 

Dans  les  questions  les  plus  simples,  et  lorsqu'on  n'a  vé- 
ritablement à  résoudre  qu'une  seule  équation  à  une  seule 
iocoDQoe,  cette  résolution  numérique  n'en  est  pas  moins  un 
procédé  très-imparfait,  môme  quand  elle  est  strictement 
sofflsaDte.  Elle  présente,  en  effets  ce  grave  inconvénient 
d'obliger  à  refaire  toute  la  suite  des  opérations  pour  le  plus 
léger  changement  qui  peut  survenir  dans  une  seule  des 
fQantilés  considérées,  quoique  leur  relation  reste  toujours 
b  même,  sans  que  les  calculs  faits  pour  un  cas  puissent 
dispenser  en  aucune  manière  de  ceux  qui  concernent  un 
autre  cas  très-peu  différent,  faute  d'avoir  pu  abstraire  et 
traiter  distinctement  cette  partie  purement  algébrique  de 
b  question,  qui  est  commune  à  tous  les  cas  résultant  de  la 
^mple  variation  des  nombres  donnés. 

D'après  les  considérations  précédentes,  le  calcul  des 
fonctions  directes,  envisagé  dans  son  état  actuel,  se  di- 
^  donc  naturellement  en  deux  parties  fort  distinctes, 
suivant  qu'on  traite  de  la  résolution  algébrique  des  équa- 
tions ou  de  leur  résolution  numérique.  La  première  partie, 
1^  seule  vraiment  satisfaisante,  est  malheureusement  fort 
P^u  étendue,  et  restera  vraisemblablement  toujours  très- 
lK)rDée;  la  seconde,  le  plus  souvent  insufûsante,  a  du 
moins  l'avantage  d'une  généralité  beaucoup  plus  grande. 
U  Décessité  de  distinguer  nettement  ces  deux  parties  est 
évidente,  à  cause  du  but  essentiellement  différent  qu'on 
se  propose  dans   chacune,  et,  par  suite,   du  point  de 


156  MATHÉMATIQUES. 

vue  propre  sous  lequel  on  y  considère  les  quantités.  De 
plus,  si  on  les  envisage  relativement  aux  diverses  méthodes 
dont  chacune  est  composée,  on  trouve  dans  leur  distrihution 
rationnelle  une  marche  toute  différente.  En  effets  la  pre- 
mière partie  doit  se  diviser  d'après  la  nature  des  équations 
que  Ton  sait  résoudre,  et  indépendamment  de  toute  consi- 
dération relative  aux  valeurs  des  inconnues.  Dans  la  seconde 
partie,  au  contraire,  ce  n'est  pas  suivant  les  degrés  des 
équations  que  les  procédés  se  distinguent  naturellement, 
puisqu'ils  sont  applicables  à  des  équations  d'un  degré  quel- 
conque, c'est  selon  l'espèce  numérique  des  valeurs  des 
inconnues.  Car,  pour  calculer  directement  ces  nombres 
sansles  déduire  des  formules  qui  en  feraient  connaître  les 
expressions,  le  moyen  ne  saurait  évidemment  être  le  môme, 
quand  les  nombres  ne  sont  susceptibles  d'être  évalués 
que  par  une  suite  d'approximations  toujours  incomplète! 
que  lorsqu'on  peut  les  obtenir  exactement.  Cette  distinc- 
tion si  importante,  dans  la  résolution  numérique  des  équa- 
tions, des  racines  incommensurables,  et  des  racines  corn- 
mensurables,  qui  exigent  des  principes  tout  à  fait  différents 
pour  leur  détermination,  est  entièrement  insigniflante 
dans  la  résolution  algébrique^  où  la  nature  rationnelle  ou 
irrationnelle  des  nombres  obtenus  est  un  simple  accident  da 
calcul,  qui  ne  peut  exercer  aucune  influence  sur  les  procé- 
dés employés.  C'est,  en  un  mot,  une  simple  considération 
arithmétique.  On  en  peutdire  autant,  quoique  à  un  moindre 
degré,  de  la  distinction  des  racines  commensurables  elles- 
mêmes  en  entières  et  fractionnaires.  Enfin,  il  en  est  aussi 
de  même  à  plus  forte  raison,  pour  la  classification  la  plus 
générale  des  racines,  en  réelles  et  imaginaires.  Toutes  ces 
diverses  considérations,  qui  sont  prépondérantes  quanta 
la  résolution  numérique  des  équations,  et  qui  n'ont  aucune 
importance  dans  la  résolution  algébrique,  rendent  de  plus 


GALGITL  DES    FONCTIONS  DIRECTES.  167 

en  plus  sensible  la  nature  essentiellement  distincte  de  ces 
deux  parties  principales  de  Talgèbre  proprement  dite. 

Ces  deux  parties,  qui  constituent  l'objet  immédiat  du 
calcul  des  fonctions  directes,  sont  dominées  par  une  troi- 
sième purement  spéculative,  à  laquelle  Tune  et  l'autre  em- 
pruntent leurs  ressources  les  plus  puissantes,  et  qui  a  été 
très-exactement  désignée  par  le  nom  général  de  théorie  des 
éguatianSy  quoique  cependant  elle  ne  porte  encore  que  sur 
les  équations  dites  algébriques.  La  résolution  numérique 
des  équations,  à  cause  de  sa  généralité,  exige  spécialement 
celte  base  rationnelle. 

Cette  dernière  branche  si  importante  de  l'algèbre  se 
divise  naturellement  en  deux  ordres  de  questions,  d'abord 
celles  qui  se  rapportent  à  la  composition  des  équations,  et 
ensuite  celles  qui  concernent  leur  transformation;  ces  der- 
nières ayant  pour  objet  de  modiGer  les  racines  d'une  équa- 
tion sans  les  connaître,  suivant  une  loi  quelconque  donnée^ 
pourvu  que  cette  loi  soit  uniforme  relativement  à  toutes 
ces  racines  (1). 

(1)  Je  crois  devoir,  au  sujet  de  la  théorie  des  équations,  signaler  ici  une 
iacnne  de  quelque  importance.  Le  principe  fondamental  sur  lequel  elle 
repose,  et  qui  est  si  fréquemment  appliqué  dans  toute  l'analyse  matkéma- 
tiqae,  la  décomposition  des  fonctions  algébriques,  rationnelles  et  entières, 
d*iin  degré  quelconque,  en  facteurs  du  premier  degré,  n'est  jamais  employé 
que  pour  les  fonctions  d'une  seule  variable,  sans  que  personne  ait  exa- 
miné si  on  doit  retendre  aux  fonctions  de  plusieurs  variables,  ce  que 
néanmoins  on  ne  devrait  pas  laisser  incertain.  Quant  aux  fonctions  de 
deux  ou  de  trois  variables,  les  considérations  géométriques  décident  clai- 
rement, quoique  d'une  manière  indirecte,  que  leur  décomposition  en  fac- 
tanri  est  ordinairement  impossible  ;  car  il  en  résulterait  que  chaque  classe 
correspondante  d'équations  ne  pourrait  représenter  une  ligne  ou  une  sur- 
filée sut  generis^  et  que  son  lien  géométrique  rentrerait  toujours  dans  le 
système  de  ceux  appartenant  à  des  équations  de  degré  inférieur,  de  telle 
sorte  que,  de  proche  en  proche,  toute  équation  ne  produirait  jamais  que 
des  lignes  droites  ou  des  plans.  Mais,  précisément  à  cause  de  cette  inter- 
prétation concrète,  ce  théorème,  quoique  purement  négatif,  me  semble 


158  HATnÉHATlQUES. 

Pour  compléter  celte  rapide  énumération  générale  des 
diverses  parties  essentielles  du  calcul  des  fonctions  directes, 
je  dois  enfîn  mentionner  expressément  une  des  théories  les 
plus  fécondes  et  les  plus  imporlantes  de  Talgëbre  propre- 
ment dite,  celle  relative  à  la  transformation  des  fonctions 
en  séries  à  l'aide  de  ce  qu'on  appelle  la  méthode  des  coef- 
ficients indéterminés.  Cette  méthode,  si  éminemment  ana- 
lytique, et  qui  doit  être  regardée  comme  une  des  décou- 
vertes les  plus  remarquables  de  Descartes,  a  sans  doute 
perdu  de  son  importance  depuis  l'invention  et  le  dévelop- 
pement du  calcul  infinitésimal,  dont  elle  pouvait  tenir  liea 
si  heureusement  sous  quelques  rapports  particuliers.  Mais 
l'extension  croissante  de  l'analyse  transcendante,  quoique 
ayant  rendu  cette  méthode  bien  moins  nécessaire,  en  a, 
d'un  autre  côté,  multiplié  les  applications  et  agrandi  les 
ressources;  en  sorte  que,  par  l'utile  combinaison  qui  s'est 

avoir  une  si  grande  importance  pour  la  géométrie  analytique,  que  je  m'é- 
tonne qu'on  n'ait  pas  cherché  à  établir  directement  une  différence  auaai 
caractéristique  entre  les  fonctions  à  une  seule  variable  et  celles  à  plosieun 
variables.  Je  vais  rapporter  ici  sommairement  la  démonstration  abstraite 
et  générale  que  J'en  ai  trouvée,  quoiqu'elle  fût  plus  convenablement  placée 
dans  un  traité  spécial. 

l*Si  f{Xy  y)  pouvait  se  décomposer  en  facteurs  dn  premier  degré,  on  les 
obtiendrait  en  résolvant  l'équation  f\Xy  y)  =  o.  Or,  d'après  les  considéra- 
tions indiquées  dans  le  texte,  cette  équation,  résolue  par  rapport  à  t^ 
fournirait  des  formules  qui  contiendraient  nécessairement  divers  radicani, 
dans  lesquels  entrerait  y.  Les  fonctions  de  y,  renfermées  sous  cbaqoe  r»- 
dical,  ne  sauraient  évidemment  être  en  général  des  puissances  parfaites. 
Or,  il  faudrait  qu'elles  le  devinssent  pour  que  les  facteurs  élémentaire 
correspondants  de/*  (a;,  y),  et  qui  sont  déjà  du  premier  degré  en  x,  fussent 
aussi  du  premier  degré,  ou  même  simplement  rationnels,  relativement  h  y. 
Gela  ne  pourra  donc  avoir  lieu  que  dans  certains  cas  particuliers,  lorsque 
les  coefficients  rempliront  les  conditious  plus  ou  moins  nombreuses,  mais 
constamment  déterminées,  qu'exige  la  disparition  des  radicaux.  Le  même 
raisonnement  s'appliquerait  évidemment,  à  bien  plus  forte  raison,  aux 
fonctions  de  trois,  quatre^  etc.,  variables. 

2<>  Une  autre  démonstration,  de  nature  très-différente,  se  tire  de  la  me- 
sure du  degré  de  généralité  des  fonctions  à  plusieurs  variables,  lequel 


CALCUL  DES  FONCTIONS  DIRECTES.  169 

finalement  opérée  eiklre  les  deux  théories,  l'usage  de  la 
méthode  des  coefficients  indéterminés  est  devenu  aujour- 
d'hui beaucoup  plus  étendu  qu'il  ne  Tétait  même  avant  la 
formation  du  calcul  des  fonctions  indirectes. 

Âpres  avoir  esquissé  le  tableau  général  de  l'algèbre 
proprement  dite,  il  me  reste  maintenant  à  présenter  quel- 
les considérations  sur  divers  points  principaux  du  calcul 
des  fonctions  directes,  dont  les  notions  peuvent  être  utile- 
ment éclaircies  par  un  examen  philosophique. 

Les  difficultés  relatives  à  plusieurs  symboles  singuliers 
auxquels  conduisent  les  calculs  algébriques  et  notamment 
aux  expressions  dites  imaginaires^  ont  été,  ce  me  semble, 
beaucoup  exagérées  par  suite  des  considérations  purement 
métaphysiques  qu'on  s'est  efforcé  d'y  introduire,  au  lieu 
d'envisager  ces  résultats  anormaux  sous  leur  vrai  point  de 
vue,  comme  de  simples  faits  analytiques.  En  les  concevant 

t*flBtifDe  par  le  nombre  de  constantes  arbitraires  entrant  dans  leur  expi^s- 
ik>D  la  plus  complète  et  la  plus  simple.  Je  me  bornerai  à  Tindiqaer  pour 
leifooctions  de  deux  variables;  il  serait  aisé  de  l'étendre  à  celles  qui  en 
ontieDnent  davantage . 
On  tait  que  le  nombre  de  constantes  arbitraires  contenues  dans  la  for- 

mile  géoérale  d'une  fonction  du  degré  m  k  deux  variables,  est  ^  ^^  "^  ^^ 

Or,  si  one  telle  fonction  pouvait  seulement  se  décomposer  en  deux  fac- 
tetirs.  Tan  du  d^gré  n,  et  l'autre  du  degré  m  —  n,  le  produit  renfermerait 
im  nombre  de  constantes  arbitraires  égal  à 

n{n-\'Z)  ,   (m  —  n)  (w  —  /i  -f- 3) 

Ce  nombre  «tant,  comme  il  est  aisé  de  le  voir,  Inférieur  au  précédent  de 
*  (m  —  II),  il  en  résulte  qu'un  tel  produit,  ayant  moins  de  généralité  que 
■*  fonction  primitive,  ne  peut  la  représenter  constamment.  On  voit  même 
Qu'une  telle  comparaison  exigerait  n(m—  n),  relations  spéciales  entre  les 
^t^Qfllciento  de  cette  fonction,  qu'on  trouverait  aisément  en  développant 
VldeoUté. 

Ce  nouveau  genre  de  démonstration,  fondé  sur  une  considération  ordi- 
v^aSrement  négligée,  pourrait  probablement  être  employé  avec  avantage 
^«os  plusieort  antres  circonstances. 


^*»^  MATHÉMATIQUES. 

aiQsi,  il  est  aisé  de  reconnaître,  ei^  thèse  générale,  que, 
Tesprit  de  l'analyse  mathématique  consistant  à  considérer 
les  grandeurs  sous  le  seul  point  de  vue  de  leurs  relations, 
et  indépendamment  de  toute  idée  de  valeur  déterminée,  il 
en  résulte  nécessairement  pour  les  analystes  Tobligation 
constante  d'admettre  indifféremment  toutes  les  sortes 
d'expressions  quelconques  que  pourront  engendrer  les 
combinaisons  algébriques.  S'ils  voulaient  s'en  interdire 
une  seule,  à  raison  de  sa  singularité  apparente,  comme  elle 
est  toujours  susceptible  de  se  présenter  d'après  certaines 
suppositions  particulières  sur  les  valeurs  des  quantités  con- 
sidérées, ils  seraient  contraints  d'altérer  la  généralité  de 
leurs  conceptions,  et,  en  introduisant  ainsi,  dans  chaque 
raisonnement,  une  suite  de  distinctions  vraiment  étran- 
gères, ils  feraient  perdre  à  l'analyse  mathématique  son 
principal  avantage  caractéristique,  la  simplicité  et  l'uni- 
formité des  idées  qu'elle  combine.  L'embarras  que  l'intel- 
ligence éprouve  ordinairement  au  sujet  de  ces  expressions 
singulières  me  parait  provenir  essentiellement  de  la  con- 
fusion vicieuse  qu'elle  fait  à  son  insu  entre  l'idée  de  fonction 
et  l'idée  de  valeur^  ou,  ce  qui  revient  au  môme,  entre  le 
point  de  vue  algébrique  et  le  point  de  vue  arithmétique. 
Si  la  nature  de  cet  ouvrage  me  permettait  de  présenter  à 
cet  égard  lesdéveloppementssuffisants,  il  me  serait,  je  crois, 
facile,  par  un  usage  convenable  des  considérations  indi- 
quées dans  cette  leçon  et  dans  les  deux  précédentes,  de 
dissiper  les  nuages  dont  une  fausse  manière  de  voir  entoure 
habituellement  ces  diverses  notions.  Le  résultat  de  cet 
examen  démontrerait  expressément  que  l'analyse  mathé- 
matique est,  par  sa  nature,  beaucoup  plus  claire,  sous  les 
différents  rapports  dont  je  viens  de  parler,  que  ne  le 
croient  communément  les  géomètres  eux-mêmes,  égarés 
par  les  objections  vicieuses  des  métaphysiciens. 


CALCUL   DES   FONCTIONS   DIRECTES.  161 

Relativement  aux  quantités  négatives,  qui,  par  suite  du 
même  esprit  métaphysique,  ont  donné  lieu  à  tant  de  dis- 
cussions déplacées,  aussi  dépourvues  de  tout  fondement 
rationnel  que  dénuées  de  toute  vériUible  utilité  scientifique, 
il  faut  distinguer,  en  considérant  toujours  le  simple  fait 
analytique,  entre  leur  signification  abstraite  et  leur  inter- 
prétation concrète,  qu'on  a  presque  toujours  confondues 
jusqu'à  présent.  Sous  le  premier  rapport,  la  théorie  des 
quantités  négatives  peut  ôtre  établie  d'une  manière  com- 
plète par  une  seule  vue  algébrique.  Quant  à  la  nécetfsilé 
d'admettre  ce  genre  de  résultats  concurrement  avec  tout 
autre,  elle  dérive  de  la  considération  générale  que  je  viens 
de  présenter  :  et,  quant  à  leur  emploi  comme  arlilicc  ana- 
lytique pour  rendre  les  formules  plus  étendues,  ce  méca- 
nisme de  ca'cnl  ne  peut  réellement  donner  lieu  à  aucune 
difUculté  sérieuse.  Ainsi,  on  peut  envisager  la  théorie 
abstraite  des  quantités  négatives  comme  ne  laissant  rien 
d'essentiel  à  désirer  :  elle  ne  présente  vraiment  d'obstacles 
que  ceux  qu'on  y  introdu  t  mal  à  propos  par  des  considé- 
rations sophistiques.  Mais  il  n'en  est  nullement  de  même 
pour  leur  théorie  concrète. 

Sous  ce  point  de  vue,  elle  consiste  esseniiellement  dans 
cette  admirable  propriété  des  hignes  +  et  —  de  représen- 
ter analyliquement  les  oppositions  de  sens  dont  sont  sus- 
ceptibles certaines  grandeurs.  Ce  théorème  général  sur  les 
relations  du  concret  à  l'aLstrait  en  mathémalhique  est  une 
des  plus  belles  découvertes  que  nous  devions  au  génie  de 
Descartes,  qui  l'a  obtenue  comme  un  simple  résultat  de 
l'observation  philoso|)hique  convenablement  dirigée.  Un 
grand  nombre  de  géomètres  ont  tenté  depuis  d'en  établir 
directement  la  démonstration  générale.  Mais  jusqn'ici  leurs 
efforts  ont, été  illusoires,  ^oit  qu  ils  aient  essayé  de  tran- 
cher la  difGcullé  par  de  vaines  considérations  mélaphy- 

A.  Comte.  Tome  I.  i  i 


162  MATHÉMATIQUES. 

siques,oa  par  des  comparaisons  très-basardées,  soit  qu'ils 
aient  pris  de  simples  vériGcalions  dans  quelque  cas 
particulier  plus  ou  moins  borné  pour  de  véritables  dé- 
monstrations. Ces  diverses  tentatives  vicieuses,  et  le  mé- 
lange hétérogène  du  point  de  vue  abstrait  avec  le  point  de 
vue  concret,  ont  môme  introduit  communément  à  cet 
égard  une  telle  confusion,  qu'il  devient  nécessaire  d'énon- 
cer ici.  distinctement  le  lait  général,  soit  qu'on  veuille  se 
contenter  d'en  faire  usage,  soit  qu'on  se  propose  de  l'expli- 
quer. Il  consiste,  indépendamment  de  toute  explication, 
en  ce  que  :  si,  dans  une  équation  quelconque  exprimant  la 
relation  de  certaines  quantités  susceptibles  d'opposition  de 
sens,  une  ou  plusieurs  de  ces  quanlités  viennent  à  être 
comptées  dans  un  sens  contraire  à  celui  qu'elles  affectaient 
quand  l'équation  a  été  primitivement  établie;  il  ne  sera  pas 
nécessaire  de  former  directement  une  nouvelle  équation 
pour  ce  second  état  du  phénomène;  il  sufGra  de  changer, 
dans  la  première  équation,  le  signe  de  chacune  des  quan- 
tités qui  auront  changé  de  sens,el  l'équation  ainsi  modifiée 
coïncidera  toujours  rigoureusement  avec  celle  qu'on  aurait 
trouvée  en  recommençant  à  chercher  pour  ce  nouveau  cas 
la  loi  analytique  du  phénomène.  C'est  dans  cette  coïnci- 
dence constante  et  nécessaire  que  consiste  le  théorème  gé- 
néral. Or  jusqu'ici  on  n'est  point  parvenu  réellement  à 
s'en  rendre  compte  directement  ;  on  ne  s'en  est  assuré  que 
par  un  grand  nombre  de  \ériGcations  géométriques  et  mé- 
caniques, qui  sont,  il  est  vrai,  assez  multipliées  et  surtout 
assez  variées  pour  qu'il  ne  puisse  rester  dans  aucun  esprit 
juste  le  moindre  doute  sur  l'exactitude  et  la  généralté  de 
cette  propriété  essentielle,  mais  qui,  sous  le  rapport  philo- 
sophique, ne  dispensent  nullement  de  chercher  une  expli* 
cation  aussi  importante.  L'extrême  étendue  du  théorème 
doit  faire  comprendre  à  la  fois  et  la  dilXicuité  capitale  de 


CALCUL  DES   FONCTIONS   DIRECTES.  163 

cette  recherche  si  souvent  reprise  infructueusement,  et  la 
haute  utilité  dont  serait  sans  doute,  pour  le  perfectionne- 
ment de  la  science  mathématique,  la  conception  générale 
de  cette  grande  vérité,  l'esprit  ne  pouvant  évidemment  s'y 
élever  qu'en  se  plaçant  à  un  point  de  vue  d'où  il  découvri- 
rait inévitablement  de  nouvelles  idées,  par  la  considération 
directe  et  approfondie  de  la  relation  du  concret  à  l'abstrait. 
Quoi  qu'il  en  soit,  l'imperfection  que  présente  encore  la 
science  sous  ce  rapport  n'a  point  empêché  les  géomètres 
de  faire  l'usnge  le  plus  étendu  et  le  plus  important  de  cette 
propriété  dans  toutes  les  parties  de  la  mathématique  con- 
crète, où  l'on  en  éprouve  un  besoin  presque  continuel.  On 
peut  môme  retirer  une  certaine  utilité  logique  de  la  simple 
considération  nette  de  ce  f»iit  général,  tel  que  je  l'ai  décrit 
ci-dessus  ;  il  en  résulte,  par  exemple,  indépendamment  de 
toute  démonstration,  que  la  propriété  dont  nous  parlons 
ne  doit  jamais  être  appliquée  aux  grandeurs  qui  affectent 
des  directions  continuellement  variables,  sans  donner  lieu 
k  une  simple  opposition  de  sens  :  dans  ce  cas,  le  signe 
dont  se  trouve  nécessairement  affecté  tout  résultat  de  cal- 
cul n'est  susceptible  d'aucune  interprétation  concrète,  et 
c'est  à  tort  qu'on  s'efforce  quelquefois  d'en  établir;  cette 
circonstance  a  lieu,  entre  antres  occasions,  pour  les  rayons 
vecteurs  en  géométrie,  et  pour  les  forces  divergentes  en 
mécanique. 

Un  second  théorème  général  sur  la  relation  du  concret 
à  l'abstrait  en  mathématique,  que  je  crois  devoir  consi- 
dérer expressément  ici,  est  celui  qu'on  désigne  ordinaire- 
ment sous  le  nom  de  principe  de  V homogénéité.  Il  est  sans 
doute  bien  moins  important  dans  ses  applications  que  le 
précédent.  Mais  il  mérite  particulièrement  notre  attention, 
comme  ayant,  par  sa  nature,  une  étendue  encore  plus 
grande,  puisqu'il  s'applique  indistinctement  à  tous  les  phé- 


164  MATHÉMATIQUES. 

nomènes,  et  à  cause  de  Tulililé  réelle  qu'on  en  retire  sou- 
vent pour  la  vériGcation  de  leurs  lois  analytiques.  Je  puis 
d'ailleurs  en  exposer  une  démonstration  directe  et  géné- 
rale, qui  me  semble  fort  simple.  Elle  est  fondée  sur  celte 
seule  observation,  évidente  par  elle-même  :  l'exactitude  de 
tonte  relation  entre  des  grandeurs  concrètes  quelconques 
est  indépendante  de  la  valeur  des  unités  auxquelles  on  les 
rapporte  pour  les  exprimer  en  nombres.  Par  exemple,  la 
relation  qui  existe  entre  les  trois  côtés  d'un  triangle  rectan- 
gle a  lieu  soit  qu'on  les  évalue  en  mètres,  ou  en  lieues,  ou 
en  pouces,  etc. 

il  suit,  de  cette  considération  générale,  que  toute  équa- 
tion qui  exprime  la  loi  analytique  d'un  phénomène  quel- 
conque, doit  jouir  de  cette  propriété  de  n'être  nuilemeut 
altérée,  quand  on  fait  subir  simultanément  à  toutes  les 
quantités  qui  s'y  trouvent  le  changement  correspondant 
à  celui  qu'éprouveraient  leurs  unités  respectives.  Or  ce 
changement  consiste  évidemment  en  ce  que  toutes  les 
quantités  de  chaque  espèce  deviendraient  à  la  fois  m  fois 
plus  petites,  si  l'unité  qui  leur  correspond  devient  m  fois 
plus  grande,  ou  réciproquement.  Ainsi,  toute  équation  qui 
représente  une  relation  concrète  quelconque  doit  offrir 
ce  caractère  de  demeurer  la  môme,  quand  on  y  rend  m 
fois  plus  grandes  toutes  les  quantités  qu'elle  contient,  et 
qui  expriment  les  grandeurs  entre  lesquelles  existe  la  re- 
lation, en  exceptant  toutefois  les  nombres  qui  désignent 
simplement  les  rapports  mutuels  de  ces  diverses  grandeurs, 
lesquels  restent  invariables  dans  le  changement  des  unités. 
C'est  dans  cette  propriété  que  consiste  la  loi  de  rhomogé- 
néité,  suivant  son  acception  la  plus  étendue,  c'est-à-dire 
de  quelques  fonctions  analytiques  que  les  équations  soient 
composées. 

Mais,  le  plus  souvent,  on  ne  considère  que  les  cas  où  ces 


CALCUL  DES  FONCTIONS  DIRECTES.  165 

fonctions  sont  de  celles  qu'on  appelle  particulièrement 
algébriques,  et  auxquelles  la  notion  de  degré  est  applicable. 
Dans  ce  cas,  on  peut  préciser  davantage  la  proposition 
générale,  en  déterminant  le  caractère  analytique  que  doit 
présenter  nécessairement  l'équation  pour  que  cette  pro- 
priété soit  vérifiée.  Il  est  aisé  de  voir  alors,  en  effet,  que, 
parla  modification  ci-dessus  exposée,  tous  les  termes  du 
premier  degré,  quelle  que  soit  leur  forme,  rationnelle  ou 
irrationnelle,  entière  ou  fractionnaire,  deviendront  m  fois 
plus  grands;  tous  ceux  du  second  degré,  m^  fois;  ceux  du 
troisième,  m^  fois,  etc.  Ainsi  les  termes  du  môme  degré, 
quelque  diverse  que  puisse  être  leur  composition,  variant 
de  la  même  manière,  et  les  termes  de  degrés  difTérenls 
variant  dans  une  proportion  inégale,  quelque  similitude 
que  puisse  offrir  leur  composition,  il  faudra  nécessairement, 
pour  que  l'équation  ne  soit  pas  troublée,  que  tous  les 
termes  qu'elle  contient  soient  d'un  même  degré.  C'est  en 
cela  que  consiste  proprement  le  théorème  ordinaire  de 
Y  homogénéité  ;  et  c'est  de  cette  circonstance  que  la  loi  gé- 
nérale a  tiré  son  nom,  qui  cependant  cesse  d'être  exacte- 
ment convenable  pour  toute  autre  espèce  de  fonctions. 

Afin  de  traiter  ce  sujet  dans  toute  sou  étendue,  il  im- 
porte d'observer  une  condition  essentielle,  à  laquelle  on 
devra  avoir  égard  en  appliquant  cette  propriété,  lorsque 
le  phénomène  exprimé  par  l'équation  présentera  des  gran- 
deurs de  natures  diverses.  En  eflet,  il  pourra  arriver  que 
les  unités  respectives  soient  complètement  indépendantes 
les  unes  des  autres,  et  alors  le  théorème  de  l'homogénéité 
aura  lieu,  soit  par  rapport  à  toutes  les  classes  correspon- 
daott'S  de  quantités,  soit  qu'on  ne  veuille  considérer  qu'une 
seule  ou  plusieurs  d'entre  elles.  Mais  il  arrivera,  dans 
d'autres  occasions,  que  les  diverses  unités  auront  entre 
elles  des  relations  obligées,  déterminées  par  la  nature  de 


166  MATHÉMATIQUES. 

la  question.  Alors  il  faudra  avoir  égard  à  celte  subordina- 
tion des  unités  dans  la  vérification  de  l'homogénéité,  qui 
n'existera  plus  en  un  sens  purenaent  algébrique,  et  dont  le 
modeprécis  variera  suivantle  genre  des  phénomènes.  Ainsi, 
par  exemple^  pour  fixer  les  idées,  quand  on  considérera, 
dans  l'expression  analytique  des  phénomènes  géométriques, 
à  la  fois  des  lignes,  des  aires  et  des  volumes,  il  faudra  ob- 
server que  les  trois  unités  correspondantes  sont  nécessai- 
rement liées  entre  elles,  de  telle  sorte  que,  suivant  la  su- 
bordination généralement  établie  à  cet  égard,  lorsque  la 
première  devient  m  fois  plus  grande,  la  seconde  le  devient 
m*  fois,  et  la  troisième  m^  fois.  C'est  avec  une  telle  modifi- 
cation que  l'homogénéité  existera  dans  les  équations,  où 
l'on  devra  alors,  si  elles  sont  algébriques,  estimer  le  degré 
de  chaque  terme,  en  doublant  les  exposants  des  facteurs 
qui  correspondent  à  des  aires,  et  triplant  ceux  des  facteurs 
relatifs  à  des  volumes  (I). 

Telles  sont  les  principales  considérations  générales, 
très-insuffisantes  sans  doule,  mais  auxquelles  je  suis  con- 
traint de  me  réduire  par  les  limites  naturelles  de  ce  cours, 
relativement  au  calcul  des  fonctions  directes.  Nous  de- 
vons passer  maintenant  à  l'examen  philpsophique  du  cal- 
cul des  fonctions  indirectes,  dont  l'importance  et  l'étendue 
bien  supérieures  réclament  un  plus  grand  développement. 

(0  J*ai  été  conduit,  il  y  a  douze  ans,  par  mon  enseignement  journalier 
de  la  science  mathémaiiqne,  à  construire  ceite  théorie  générale  de  l'Iiomo- 
généité.  J'ai  trouvé  depuis  que  Fourier,  dans  sa  T/iéorie  analytique  de  la 
dialeur^  Paris.  1822^  avait  suivi,  de  son  cCté,  une  marche  essentiel lement 
semblable.  Malgré  cette  heureuse  coîucidence,  qu*a  dû  naturellement  dé- 
terminer la  considération  directe  d*un  sujet  aussi  simple.  Je  n*ai  pas  cru 
devoir  ici  renvoyer  à  sa  démonstration  ;  celle  que  je  viens  d*eiposer 
ayant  pour  principal  objet  d'embrasser  Tensemble  de  la  question, 
égard  à  aucuoe  application  spéciale. 


SIXIÈME  LEÇON 

Sommaire  :  —  Exposition  comparative  des  divers  points  de  vue  généraux 
sous  lesquels  on  peut  envisager  le  calcul  des  fonctions  indirectes. 


Nous  avons  déterminé,  dans  la  quatrième  leçon,  le  ca- 
ractère philosophique  propre  à  l'analyse  transcendante, 
de  quelque  manière  qu'on  puisse  la  concevoir,  en  consi- 
dérant seulement  la  nature  générale  de  sa  destination 
effeclive  dans  l'ensemble  de  la  science  mathémalique. 
Celle  analyse  a  été,  comme  on  sait,  présentée  par  les  géo- 
mètres sous  plusieurs  points  de  vue  réellement  distincts, 
quoique  nécessairement  équivalents,  et  conduisant  lou- 
jours  à  des  résultais  identiques.  On  peut  les  réduire  à  trois 
principaux,  ceux  de  Leibnitz,  de  Newton  et  de  Lagrange, 
dont  tous  les  autres  ne  sont  que  des  modifications  secon- 
daires. Dans  l'état  présent  de  la  science,  chacune  de  ces 
trois  conceptions  générales  offre  des  avantages  essentiels 
qui  lui  appartiennent  exclusivement,  sans  qu'on  soit  en- 
core parvenu  à  construire  une  méthode  unique  réunissant 
toutes  ces  diverses  qualités  caractéi'istiques.  En  méditant 
sur  l'ensemble  de  cette  grande  question,  on  est  convaincu^ 
je  crois,  que  c'est  dans  la  conception  de  Lagrange,  que 
s^opérera  un  jour  cette  combinaison.  Quand  cet  important 
travail  philosophique^  qui  exige  une  profonde  élaboration 
de  toutes  les  idées  mathématiques  fondamentales,  sera 
convenablement  exécuté,  on  pourra  se  borner  alors,  pour 
connaître  l'analyse  transcendante,  à  la  seule  élude  de  cette 


168  MATHÉMATIQUES. 

conception  définitive;  les  autres  ne  présentant  plus  essen- 
tiellement qu'un  intérêt  historique.  Mais,  jusqu'à  cette 
époque,  la  science  devra  élre  considérée,  sous  ce  rapport, 
comme  étant  dans  un  véritable  état  provisoire,  qui  exige 
absolument,  môme  pour  l'exposition  dogmatique  de  cette 
analyse,  la  considération  simultanée  des  divers  modes  gé- 
néraux propres  au  calcul  des  fonctions  indirectes.  Quelque 
peu  satisfaisante  que  puisse  paraître,  sous  le  rapport  lo- 
gique, cette  multiplicité  de  conceptions  d'un  sujet  toujours 
identique,  il  est  certain  que,  sans  cette  indispensable  con- 
dition, on  ne  pourrait  se  former  aujourd'hui  qu'une  notion 
très-insuffisante  de  cette  analyse,  soit  en  elle-même,  soit 
surtout  relativement  à  ses  applications,  quel  que  fût  le 
mode  unique  que  l'on  aurait  cru  devoir  choisir.  Ce  défaut 
de  systématisation  dans  la  partie  la  plus  importante  de 
l'analyse  mathématique  ne  paraîtra  nullement  étrange,  si 
l'on  considère,  d'une  part,  son  extrême  étendue,  sa  diffi- 
culté supérieure,  et,  d'une  autre  part,  sa  formation  presque 
récente.  La  génération  des  géomètres  est  à  peine  renou- 
velée depuis  la  production  primitive  de  la  conception  des- 
tinée sans  doute  à  coordonner  la  science,  de  manière  à  lui 
imprimer  un  caractère  fixe  et  uniforme;  ciinsi,  les  habi- 
tudes intellectuelles  n'ont  pu  encore,  sous  ce  rapport,  être 
suffisamment  formées. 

S'il  s'agissait  ici  de  tracer  l'histoire  rai^nnée  de  la  for- 
mation successive  de  l'analyse  transcendante,  il  faudrait 
préalablement  distinguer  avec  soin  du  calcul  des  fonctions  ' 
indirectes  proprement  dit  l'idée  mère  de  la  méthode  iu- 
finitésiR)ale,  laquelle  peut  être  conçue  par  elle-même» 
indépendamment  de  tout  calcul.  Nous  verrions,  dès  lors, 
que  le  premier  germe  de  cette  idée  se  trouve  déjà  dans 
le  procédé  constant,  employé  par  les  géomètres  grecs, 
sous  le  nom  de  méthode  (Texhaustion,  pour  passer  de  ce 


CALCUL  DES  FONCTIONS  INDIRECTES.         169 

qui  est  relatif  aux  lignes  droites  à  ce  qui  concerne  les 
lignes  courbes,  et  qui  consistait  essentiellenient  à  substi- 
tuer à  la  courbe  la  considération  auxiliaire  d'un  polygone 
inscrit  ou  circonscrit,   d'après    lequel  on   s'élevait  à  la 
courbe  elle-môitie,  en  prenant  convcnablennent  les  limites 
des  relations  primitives.  Quelque  incontestable  que  soit 
cette  Oliation  des  idées,  on  lui  donnerait  une  importance 
fort  exagérée,  en  voyant,  dans  cette  métbode  d'exbaustion, 
Téquivalent  réel  de  nos  méthodes  modernes,  comme  l'ont 
fait  plusieurs  géomètres.  Car  les  anciens  n'avaient  aucun 
moyen  rationnel  et  général  pour  la  détermin;ition  de  ces 
limites,  qui  constit  lait  ordinairement  la  plus  grande  diffl- 
colté  de  la  question;  en  sorte  que  leurs  solutions  n'étaient 
point  soumises  à  des  règles  abstraites  et  invariables,  dont 
l'application  uniforme  dût  conduire  avec  certitude  à  la 
connaissanre  cbercLée,  ce  qui  est  le  principal  caractère 
de  notre  analyse  transcendante.  En  un  mot,  il  restait  à 
généraliser  la  conception  employée  par  les  anciens,  et 
surtout,  en  la  considérant  d'une  manière  purement  abs- 
Iraite,  à  la  réduire  en  culcul,  ce  qui  leur  était  impossible. 
^  première  idée  qui  ait  été  produite  dans  cette  nouvelle 
direction  remonte  véritablement  à  notre  grand  géomètre 
^<?rmat,  que  Lagrange  a  justement  présenté  comme  ayant 
ébauché  la  formation  directe  de  l'analyse  transcendante 
Psrsa  métbode  pour  la  détermination  des  maxima  et  mi- 
tmia,  et  pour  la  recherche  des  tai)gcnle>,  qui  consistait 
essentiellement,  en  effet,  à  introduire  la  considération 
auxiliaire  des  accroissements  corrélatifs  des  vari<ibles  pro- 
posées,  accroissements  supprimés  ensuite  comme  nuls, 
après  que  les  équations  avaient  subi  certaines  transfor- 
mations convenables.  Mais,  quoique  Fermât  eût  le  premier 
conçu  celte  analyse  d'une  manière  vraiment  abstraite,  elle 
était  encore  loin  d'être  régulièrement  formée  en  un  calcul 


170  MATnÉMATIQUES. 

général  et  distinct,  ayant  sa  notation  propre,  et  surtout 
dégagé  de  la  considération  superflue  des  ternaes,  qui  fi- 
nissaient par  n'être  plus  comptés  dans  l'analyse  de  Fermât^ 
après  avoir  néanmoins  singulièrement  compliqué  par  leui 
présence  toutes  les  opérations.  C'est  ce  qu'a  si  heureuse- 
ment  exécuté  Leibnitz  un  demi-siècle  plus  tard,  après 
quelques  modiQcations  intermédiaires  apportées  par  Wal' 
lis,  et  surtout  par  Barrow,  aux  idées  de  Fermât;  et  pai 
là  il  a  été  le  véritable  créateur  de  l'analyse  transcendante, 
telle  que  nous  l'employons  aujourd'hui.  Cette  découverte 
capitale  était  tellement  mûre,  comme  toutes  les  grandes 
conceptions  de  l'esprit  humain  au  moment  de  leur  mani- 
festation, que  Newton,  de  son  côté,  était  parvenu  en  môme 
temps,  ou  un  peu  auparavant,  à  une  méthode  exactemenl 
équivalente,  en  considérant  cette  analyse  sous  un  poinl 
de  vue  très-différent,  et  qui,  bien  que  plus  rationnel  eo 
lui-môme,  est  réellement  moins  convenable  pour  donnei 
à  la  méthode  fondamentale  commune  toute  l'étendue  et  la 
facilité  que  lui  ont  imprimées  les  idées  de  Leibnitz.  Eufln, 
Lagrange,  écartant  les  considérations  hétérogènes  qui 
avaient  guidé  Leibnitz  et  Newton,  est  parvenu  plus  tard  à 
réduire  l'analyse  transcendante,  dans  sa  plus  grande  per- 
fection, à  un  système  purement  algébrique,  auquel  il  ne 
manque  encore  que  plus  d'aplitude  aux  applications. 

Après  ce  coup  d'œil  sommaire  sur  l'histoire  générale  de 
l'analyse  transcendante,  procédons  à  l'exposition  dogma- 
tique des  trois  conceptions  principales,  afin  d'apprécier 
exactement  leurs  propriétés  caractéristiques,  et  de  consia- 
ter  l'identité  nécessaire  des  méthodes  qui  en  dérivent.  Com- 
mençons par  celle  de  Leibnilz. 

Elle  consiste,  comme  on  sait,  à  introduire  dans  le  cal- 
cul, pour  faciliter  l'établissement  des  équations,  les  élé- 
ments infiniment  petits  dont  on  considère  comme  compo- 


CALCUL  DBS  FONCTIONS  INDIRECTES.         171 

séesles  quantités  entre  lesquelles  on  cherche  des  relations. 
Ces  éléinenls  ou  différentielles  auront  entre  eux  des  rela- 
tions constamment  et  nécesbairement  plus  simples  et  plus 
faciles  à  découvrir  que  celles  des  quantités  primitives,  et 
d'après  lesquelles  on  pourrait  ensuite,  par  un  calcul  spé- 
cial ayant  pour  destination  propre  l'élimination  de  ces 
infinitésimales  auxiliaires,  remonter  aux  équations  cher- 
chées, qu'il  eût  été  le  plus  souvent  impossible  d'obtenir 
directement.  Cette  analyse  indirecte  pourra  l'ôire  à  des 
degrés  divers  ;  car,  si  on  trouve  quelquefois  trop  de  difQ- 
coilé  à  former  immédiatement  l'équation  entre  les  dilTé* 
renliellcs  mômes  des  grandeurs  que  l'on  considère,  il 
faudra,  par  un  emploi  redoublé  du  môme  artifice  général, 
traiter,  à  leur  tour,  ces  différentielles  comme  de  nouvelles 
QQ^ulités  primitives,  et  chercher  la  relation  entre  leurs 
éléments  inflniment  petits,  qui,  par  rapport  aux  objets 
définitifs  de  la  question,  seront  les  différentielles  secondes, 
stainsi  de  suite,  la  môme  transformation  pouvant  ôlre  répé- 
tée un  nombre  quelconque  de  fois,  à  la  condition  toujours 
<l'éliminer  finalement  le  nombre  de  plus  en  plus  grand  des 
quantités  infinitésimales  introduites  comme  auxiliaires. 

Dn  esprit  encore  étranger  à  ces  considérations  n'aper- 
çoit pas  sur-le-champ  comment  l'emploi  de  ces  quantités 
auxiliaires  peut  faciliter  la  découverte  des  lois  analytiques 
des  phénomènes  ;  car  les  accroissements  infiniment  petits 
des  grandeurs  proposées  étant  de  môme  espèce  qu'elles, 
leurs  relations  ne  paraissent  pas  devoir  s'obtenir  plus  ai- 
sément, la  valeur  plus  ou  moins  petite  d  une  quantité  ne 
pouvant,  en  effet,  exercer  aucune  influence  sur  une  re- 
cherche nécessairement  indépendante,  par  sa  nature,  âfi 
toute  idée  de  valeur.  Mais  il  est  aisé,  néanmoins,  de  s'expli- 
quer très-nettement,  et  d'une  manière  tout  à  fait  générale, 
à  quel  point,  par  un  tel  artifice,  la  question  doit  se  trou- 


1 7  S  M  ATD  ÉM  ATIQUES. 

ver  simpliûée.  Il  faut,  ponr  cela,  commencer  par  distii- 
guer  les  difTérenls  ordres  d'infiniment  petits,  dont  on  peut 
se  faire  une  idée  fort  précise,  en  considérant  que  ce  sont 
ou  les  puissances  successives  d'un  même  inGniment  petit 
primilif,  ou  des  quantités  qu'on  peut  présenter  comme 
ayant  avec  ces  puissances  des  rapports  finis,  en  sorte  que, 
par  exemple^  les  difTérentielIes  seconde,  troisième,  etc., 
d'une  môme  variable,  sont  classées  comme  infiniment  pe- 
tits du  second  ordre,  du  troisième,  etc.,  parce  qu'il  est 
aisé  de  montrer  en  elles  des  multiples  finis  des  puissances 
seconde,  troisième,  etc.,  d'une  cerlaine  différentielle  pre- 
mière. Ces  notions  préliminaires  élant  posées,  l'esprit  de 
l'analyse  infinitésimale  consiste  à  négliger  constamment 
les  quantités  infiniment  petites  à  l'égard  des  quantités 
finies,  et,  généralement,  les  infiniment  petits  d'un  ordre 
quelconque  vis-à-vis  tous  ceux  d'un  ordre  inférieur.  On 
conçoit  immédiatement  combien  une  telle  faculté  doit 
faciliter  la  formation  des  équations  entre  les  différentielles 
des  quantités,  puisque,  au  lieu  de  ces  différentielles,  on 
pourra  substituer  tels  autres  éléments  qu'on  voudra,  et  qui 
seraient  plus  simples  à  considérer,  en  se  conTormant  à 
cette  seule  condition,  que  les  nouveaux  éléments  ne  diffè- 
rent des  précédents  que  de  quantités  infiniment  petites 
par  rapport  à  eux.  C'est  ainsi  qu'il  sera  possible,  en  géo- 
mélrie,  de  traiter  les  lignes  courbes  comme  composées 
d'une  infinité  d'éléments  rectilignes,  les  surfaces  courbes 
comme  formées  d'éléments  plans;  et,  en  mécanique,  les 
mouvements  variés  comme  une  suite  infinie  de  mouve- 
ments uniformes,  se  succédante  des  intervalles  de  temps 
infiniment  petits.  Vu  l'importance  de  cette  conception 
admirable,  je  crois  devoir  ici,  par  l'indication  sommaire 
de  quelques  exemples  principaux,  achever  d'éclaircir  son 
caractère  fondamental. 


CALCUL  DES  FONCTIONS  INDIRECTES.         17 S 

Qu'il  s'agisse  de  déterminer,  en  chaque  point  d'une 
courbe  plane  dont  l'équation  est  donnée,  la  direction  de  sa 
tangente,  question  dont  la  solution  générale  a  été  l'objet 
primitif  qu'avaient  en  vue  les  inventeurs  de  l'analyse  trans- 
cendante. On  considérera  la  tangente  comme  une  sécante 
qui  joindrait  deux  points  infiniment  voisins;  et  alors,  en 
nommant  dy  et  dx  les  ditTérences  inGniment  petites  des 
coordonnées  de  ces  deux  points,  les  premiers  éléments  de 

lagéomélrie  fourniront  immédiatement  l'équation  ^=  ^' 

pour  la  tangente  trigonométrique  de  l'angle  que  fait  avec 
l'axe  des  x  la  tangente  cherchée,  ce  qui,  dans  un  système 
de  coordonnées  rectilignes,  est  la  manière  la  plus  simple 
d'en  fixer  la  position.  Cette  équation,  commune  à  toutes 
les  courbes,  étant  posée,  la  question  est  réduite  à  un  simple 
problème  analytique,  qui  consistera  à  élimiler  les  infini- 
tésimales  dx  et  dy^  introduites  comme  auxiliaires,  en  déter- 
Qiinant,  dans  chaque  cas  particulier,  d'après  Téqu  ition  de 
^3  courbe  proposée  le  rapport  de  dy  à  rfx,  ce  qui  se  fera 
Constamment  par  des  procédés  uniformes  et  très-simples. 
En  second  lieu,  qu'on  veuille  connaître  la  longueur  de 
i'arc  d'une  courbe  quelconque,  considéré  comme  une  fonc- 
tion des  coordonnées  de  ses  extrémités.  11  serait  impossible 
^'établir  immédiatement  l'équation  entre  cet  arc  s  et  ces 
coordonnées,  tandis  qu'il  est  aisé  de  trouver  la  relation 
correspondante  entre  les  différentielles  de  ces  diverses 
grandeurs.  Les  plus  simples  théorèmes  de  la  géométrie 
élémentaire  donneront,  en  elFel,  sur-le-champ  en  considé- 
rant Tare  infiniment  petit  ds  comme  une  ligne  droite,  les 
équations 

(/>«  =  dy*  +  dx\  ou  cf4«  =  dj''  +  dy*  +  di\ 

suivant  que  la  courbe  sera  plane  ou  à  double  courbure. 
Dans  l'un  et  l'autre  cas,  la  question  est  maintenant  tout 


174  MATnÉHATIQUES. 

enlière  du  domaine  de  l'analyse,  qui  fera  remonter,  d*après 
celle  relation,  à  celle  qui  existe  entre  les  quantités  finies 
elles-mêmes  que  Ton  considère,  par  réliminalion  de  dif- 
fércnlielles,  qui  est  l'objet  propre  du  calcul  des  fonctions 
indirectes. 

Il  en  serait  de  même  ponr  la  quadrature  des  aires  cur- 
vilignes. Si  la  courbe  est  plane  et  rapportée  à  des  coordon- 
nées reclilignes,  on  concevra  Taire  A  comprise  entre  elles. 
Taxe  des  x,  et  deux  coordonnées  extrêmes,  comme  aug- 
mentant d'une  quantité  infiniment  peiite  c/A,  en  résultat 
d'im  accroissement  analogue  de  l'abcisse.  Alors  la  relation 
entre  ces  deux  difTcrentielIcs  pourra  s'obtenir  immédiate- 
ment avec  la  plus  grande  facilité,  en  substituant  à  l'élément 
curviligne  de  l'aire  proposée  le  rectangle  formé  par  l'ordon- 
née extrême  et  l'élément  de  l'abcisse,  dont  il  ne  diffère  évi- 
demment que  d'une  quantité  inflnimenl  petite  du  second 
ordre,  ce  qui  fournira  aussitôt,  quelle  que  soit  la  courbe, 
l'équation  différentielle  très-simple 

dA  =  ydxy 

d  où  le  Ctilcul  des  fonctions  indirectes,  quand  la  courbe 
sera  déûnie,  apprendra  à  déduire  l'équation  finie,  objet 
immédiat  du  problème. 

Pareillement,  en  dynamique ,  quand  on  voudra  con- 
naître l'expression  de  la  vitesse  acquise  à  chaque  instant 
par  un  corps  Huimé  d'un  mouvement  varié  suivant  une  loi 
quelconque,  on  considérera  le  mouvement  comme  uni- 
forme pendant  la  durée  d'un  élément  infiniment  petit  du 
temps  t,  et  on  formera  ainsi  immédialement  l'équation  dif- 
férentielle de  =-  vdt,  V  désignant  la  vitesse  acquise  quand 
le  corps  a  parcouru  l'espace  e,  et  de  là  il  sera  facile  de 
conclure,  par  de  simples  procédés  analytiques  invariables, 
la  formule  qui  donnerait  la  vitesse  dans  chaque  mouve- 


CALCUL  DES  FONCTIONS  INDIRECTES.         17» 

ment  particulier,  d'après  la  relation  correspondante  entre 
le  temps  el  l'espace;  ou,  réciproquement,  quelle  serait 
celte  relation  si  le  mode  de  variation  de  la  vitesse  était 
supposé  connu,  soit  par  rapport  à  l'espace,  soit  par  rap- 
port au  temps. 

Enfin,  pour  indiquer  une  autre  nature  de  questions,  c'est 
par  une  marche  semblable  que,  dans  l'étude  des  phéno- 
mènes thermologiques,  comme  l'a  si  heureusement  conçue 
Fourier,  on  peut  former  très-simplement,  ainsi  que  nous 
le  verrons  plus  tard,  l'équation  dilTérentielle  générale  qui 
exprime  la  répartition  variable  de  la  chaleur  dans  un  corps 
quelconque  à  quelques  influences  qu'on  le  suppose  soumis, 
d'après  la  seule  relation,  fort  aisée  à  obtenir,  qui  repré- 
sente la  distribution  uniforme  de  la  chaleur  dans  un  parai- 
lélipipède  rectangle,  en  considérant  géométriquement  tout 
autre  corps  comme  décomposé  en  éléments  infiniment 
petits  d'une  telle  forme,  et  thermologiquement  le  flux  de 
chaleur  comme  constint  pendant  un  temps  infiniment 
petit.  Dès  lors,  toutes  les  questions  que  peut  présenter  la 
thermologie  abstraite  se  trouveront  réduites,  comme  pour 
la  géométrie  et  la  mécanique,  à  de  pures  difficultés  d'ana- 
lyse, qui  consisteront  toujours  dans  l'élimination  des  dif- 
férentielles introduites  comme  auxiliaires  pour  faciliter 
l'établissement  des  équations. 

Des  exemples  de  nature  aussi  diverse  sont  plus  que 
saflisants  pour  faire  nettement  comprendre  en  général  l'im- 
mense portée  de  la  conception  fondamentale  de  l'analyse 
transcendante,  telle  que  Leibnitz  l'a  formée,  et  qui  cons- 
titue sans  aucun  doute  la  plus  haute  pensée  à  laquelle 
l'esprit  humain  se  soit  jamais  élevé  jusqu'à  présent. 

On  voit  que  celte  conception  était  indispensable  pour 
achever  de  fonder  la  science  mathématique,  en  permellant 
d'établir,  d'une  manière  large  et  féconde,  la  relation  du 


176  M  ATUÉM  ATIQUES. 

concret  à  TabstraiL  Sous  ce  rapport,  ello  doit  ôlre  envisa- 
gée comme  le  complément  nécessaire  de  la  grande  idée 
mère  de  Desc.irles  sur  la  repié>entalion  an;ilyliqne  générale 
des  phénomènes  nalurels,  idée  qui  n'a  commencé  à  ôlre 
dignement  appréciée  et  convenablement  exploitée  que 
depuis  la  formation  de  l'analyse  infinitésimale,  sans  la- 
quelle elle  ne  pouvait  encore  produire,  môme  en  géomé- 
trie, de  résultats  trôs-importauts  (1). 

Quoique  j'aie  cru  devoir,  dans  les  considérations  précé- 
dentes, insister  particulièrement  sur  raduiirablc  facilité 
que  présente  par  sa  nature  l'analyse  transcendante  pour  la 
recherche  des  lois  mathématiques  de  tous  les  phénomènes, 
je  ne  dois  pas  négliger  de  faire  ressortir  une  seconde  pro- 
priété fondamentale,  peut-être  aushi  importante  que  la 
première,  et  qui  ne  lui  e^t  pas  moins  inhérente  :  je  veux 
parler  de  l'extrême  généralité  des  formules  dilFérenlielles, 
qui  expriment  en  une  seule  équ;ition  cb  que  phénomène 
déterminé,  quelque  varias  que  puissent  èlre  les  sujets 
dans  lesquels  on  le  considère.  Ainsi,  sous  le  point  de  vue 
de  lanalyse  iiiQnitésimalo,  on  voit,  dans  les  exemples  qui 
précèdent,  une  seule  équation  difTcrenlielle  donner  les 
tangentes  à  toules  les  courbes,  une  autre  leurs  rectifica- 
tions, une  troisième  leurs  quadratures;  et  de  môme,  une 
formule  invariable  exprimer  la  loi  mathématique  de  tout 

(I)  II  est  bicîn  remarqnnblo,  en  offet,  que  des  Iiommo«,  tcii  que  Pascal, 
ainiit  lait  au«si  peu  d'utttfiiiion  h  Ih  conception  fondamentale  de  Descariet, 
sans  pi^s&ewiir  nullemoiit  lu  révointion  générale  qnVile  était  nécessaire- 
ment destinée  à  produire  dans  le  sys  {.'inconli.'r  île  la  science  niatliéioa- 
tique.  Cela  est  venu  do  ce  que,  sans  le  sc'onrsde  l'analyse  transcendante, 
cette  aJmirable  nirtliode  ne  pouvaii  r  eilcinent  encore  conduira  à  det 
résultats  essentiels,  qui  m^pussnt  ôire  obtentis  presque  awssi  bien  parla 
méiliod*.'  géoniiHriquc  des  ancif^ns.  Les  esprits  ni^nie  les  pins  éniinents 
ont  toujours  bien  nnins  npprécié  Jusqti*ici  les  méthodes  générales  par 
leur  simple  caractère  philosophique  que  par  les  counaissauces  cffectivse 
qu'elles  pouvaient  procurer  immédiatement. 


f  ■ 


CALCUL  DES  FONCTIONS  INDIRECTES.  177 

mouvement  varié  ;  enfin  une  éqnalion  unique  représen- 
ter constamment  la  répartition   de  la   cbaleur  dans  un 
corps  et  pour   un  cas  quelconques.  Celle  généralité  si 
éminemment  remarquable,   et  qui  est  pour  les  géomè- 
tres la  base  des  considérations  les  plus  élevées,  est  une 
beureuse  conséquence  nécessaire  et  presque  immédiate  de 
^'^spril  môme  de  l'analyse  Iranscendanle,  sui  tout  dans  la 
conception  de  Leibnilz.  Elle  résulte  de  ce  qu'en  substi- 
tuant aux  éléments  infininienl  petits  des  grandeurs  consi- 
<^érées,  d'autres  inûnilésimales  plus  simples,  qui  i!>eules 
^'ilreiit  dans  les  équaiions  diO'crenlielles,  ces  infinitési- 
'^ales  se  trouvent,  par  leur  nature,  être  conslanimenl  les 
'^Cmes  pour  chaque  classe  totale  de  questions,  quels  que 
^^îent  les  objets  divers  du  phénomène  étudié.  Ainsi,  par 
^^emple,  toute  courbe,  quelle  qu'elle  soit,  étant  toujours 
^^composée  en  éléments  reclilignes,  on  co:  çoit  à  priori 
^^ela  relation  entre  ces  cléments  uniformes  doit  nécessai- 
rement être  la  môme  pour  un  mOine  pliénomène  géomé- 
'^ique  quelconque,  quoique   l'équation   unie  corrospon- 
^anle  à  cette  loi  d.lTérentielle  doive  varier  d'une  courbe  à 
^ne  autre.  11  en  est  évidemment  de  môme  dans  loul  autre 
^as  quelconque.  L'analyse  iniinitésimale  n'a  donc  pas  seu- 
lement fourni  un  procédé  général  pour  former  indirecle- 
^eut  des  équaiions  qu'il  eût  élé  impossible  de  découvrir 
fj'uoe  manière  directe  ;  elle  i\  permis  en  outre  de  consi- 
tiérer,  pour   l'élude  mathématique  des  phénomènes  natu- 
rels, un  ordre  nouveau  de  lois  plus  générales  et  néanmoins 
offrant  une  signification  claire  et  précise  à  tout  esprit  ha- 
bitué à  leur  inlerprétalion.  Ces  lois  sont  constamment  les 
mônies  pour  chaque  phénomène,    dans  quelques  objets 
qu'on  l'étudié,  et  ne  change  qu'en  passant  d'un  phéno- 
mène à  un  autre  ;  d'où  l'on  a  pu  d'ailleurs,  en  comparant 
ces  variations,  s'élever  quelquefois,  par  une  vue  encore  plus 

A.  COMTE.  Tome  I.  ^2 


178  MATDÉNATIQUES. 

générale,   à  des  rapprochements  positifs  entre    diverse 
classes  de  phénomènes  lout  à  fait  divers,  d'après  les  anal 
gies  présentées  par  les  expressions  dilTérentielles  de  leur 
lois   mathématiques.    Dans  Tétude   philosophique   de  1 
mathématique  concrèie,  je  m'attacherai  à  faire  exactemea 
apprécier  cette  seconde  propriété  caractéristique  de  l'ana 
lyse  transcendante,  non  moins  admirable  que  la  première, 
et  en  vertu  de  laquelle  le  système  entier  d*une   science 
immense,  comme  la  géométrie  ou  la  mécanique,  a  pu  s^ 
trouver  condensé  en  un  petit  nombre  de  formules  analyti 
ques,  d'où   l'esprit  humain  peut  déduire,   par  des  règle 
certaines  et  invariables,  la  solution  de  tous  les  problèm 
particuliers. 

Pour  terminer  l'exposition  gét^érale  de  la  conception  d 
Leibnitz^  il  me  reste  maintenant  à  considérer  en  elle-mêm 
la  démonstration  du  procédé  logique  auquel  elle  conduit,, 
ce  qui  constitue  malheureusement  la  partie  la  plus  impar- 
faite de  cette  belle  méthode. 

Dans  les  premiers  temps  de  l'analyse  infinitésimale,  le 
géomètres   les  plus  célèbres,  tels  que  les  deux  illustres- 
frères  Joan  et  Jacques  Bernouilli,  attachèrent,  avec  raison^ 
bien  [ilus  d'importance  à  étendre,  en  la  développant,  l'im — 
mortelle  découverte  de  Leibnilz,  et  à  en  multiplier  les  a 
plications  qu'à  établir  rigoureusement  les  })ases  h  giquess 
sur  lesquelles  reposaient  les  procédés    de    ce  nouveau- 
calcul  (1).  Ils  se  contentèrent  pendant  longtemps  de  ré— 

(I)  On  ne  pout  contempler,  sans  un  profond  intérêt,  le  naïf  rnthoa- 
siasme  de  Til lustre  Hnygliens,  au  sujet  de  cette  udmirable  création, quoi>| 
80n  âge  avancé  ne  lui  permit  point  d'en  f.iire  lui-même  aucun  ii»aKe  i 
portant,  ei  qu'il  se  fût  déjà  éievé  sans  co  pui&sant  recours  à  dt*i  découvert 
capitales.  Je  voit  avec  surprise  et  avec  ta/miration,  écrivait-il,  rn  iCii} 
au  marquis  de  L*HôpitaI,  téien'fue  et  ia  /é-on^fHé  de  cet  nrt;  de  quel» 
que  cô  é  qu*  je  tourne  la  vue,  feti  aperçois  de  houvtaux  usaytM  ;  enfin, 
fy  conçoit  un  progrès  et  une  spéculation  infinis. 


CALCUL  DES  FONCTIONS  INDIRECTES.         179 

pondre  par  la  solution  inespérée  des  problèmes  les  plus 
difliciles  à  Topposilion  prononcée  de  la  plupart  des  géo- 
mètres du  second  ordre  contre  les  principes  de  la  nou- 
velle analyse,  persuadés  sans  doute,  contrairement  aux 
habitudes  ordinaires,  que,  dans  la  science  mathématique 
hien  plus  que  dans  aucune  autre,  on  peut  accueillir  avec 
hardiesse  les   nouveaux  moyens;  môme  quand  leur  ra- 
iionnalité  est  imparfaite,  pourvu  qu'ils   soient  féconds, 
puisque,  les  vériûcations  étant  bien  plus  faciles  et  plus 
•mullipliées,  l'erreur  ne  saurait  demeurer  longtemps  ina- 
perçue. Néanmoins,  après  le  premier  élan,  il  étail  impos- 
sible d'en  reslerlà;  et  il  fallait  revenir  nécessairement 
sur  les  fondements  mômes  de  l'analyse  leibnitzienne  pour 
constater  généralement  l'exactitude  rigoureuse  des  pro- 
eédés  employés,  malgré  les  infractions  apparentes  qu'on 
t'y   permettait  aux  règles   ordinaires   du  raisonnement. 
Leibnitz,  pressé  de  répondre,  avait  lui-môme  présenté  une 
explication  tout  à  fait  erronée,  en  disant  qu'il  traitait  les 
infiniment  petils  comme  des  incomparables,  et  q^'il  les  né- 
gligeait vis-à'Vis  des  quantités  finies  comme  des  grains  de 
sable  par  rapport  à  la  mer^  considération  qui  eût  complè- 
tement dénaturé  son  analyse,  en  la  réduisant  à  n'être  plus 
qu'un  simple  calcul  d'approximation,  qui,  sous  ce  rapport, 
serait  radicalement  vicieux,  puisqu'il  serait  impossible  de 
prévoir,  en  Ibèse  générale,  à  quel  point  les  opérations  suc- 
cessives peuvent  grossir  ces  erreurs  premières  dont  l'ac- 
croissement pourrait   môme   évidemment    devenir   ainsi 
quelconque.  Leibnitz  n'avait  donc  entrevu  que  d'une  ma- 
nière extrêmement  confuse  les  véritables  fondements  ra- 
tionnels de  l'analyse  qu'il  avait  créée.  Ses  premiers  suc- 
cesseurs se  bornèrent  d'abord  à  en  vérifier  l'exactitude  par 
la  conformité  de  ses  résultats,  dans  certains  usages  paiticu- 
iiers,  avec  ceux  que  fournissait  l'algèbre  ordinaire  ou  la 


180  MATHÉMATIQUES. 

géométrie  des  anciens,  en  reproduisant  autant  qu'ils  le 
pouvaient,  d'après  les  anciennes  méthodes,  les  solutions 
de  quelques    problèmes,  une    fois  qu'elles   avaient   été 
obtenues  par  la  méthode  nouvelle,  seule  c^ipable  primiti- 
vement de  les  faire  découvrir.  Qnand  cette  grande  question 
a  été  considérée  d'une  manière  plus  générale,  les  géomè- 
tres, au  lieu  d'aborder  directement  la  difliculié,  ont  préféré 
l'éluder  en  quelque    sorte,    comme   l'ont  fait  Eulcr  et 
d'Alemberl,  par  exemple,  en  démontrant  abstraitement  la 
conformité  nécessaire   et  constante  de  la  conception  de 
Leibnitz,  envisagée  dans  tous  ses  usages  quelconques,  avec 
d'autres  conceptions  l'ondamentales  de  l'analyse  Iranscen- 
dante,  celle  de  Newton  surtout,  dont  l'exactitude  était  à 
l'abri  de  toute  objection.  Une  telle  vérification  générale  est 
sans  doute  strictement  suffisante  pour  dissiper  toute  incer- 
titude sur  l'emploi  légitime  de  l'analyse  leibnilzienne.  Mais 
la  méthode  infinitébimale  est  tellement  importante,  elle 
présente  encore,  dans  presque  toutes  les  applications,  une 
telle  supériorité  efl*eclive  sur  les  autres  conceptions  géué* 
raies  successivement  proposées,  qu'il  y  aurait  véritablement 
imperfection  dans  le  caractère  philosophique  de  la  science 
à  ne  pouvoir  la  justifier  en  elle-même,  et  à  la  fonder  logi- 
quement sur  des  considérations  d'un  autre  ordre,  qu'on 
cesserait  ensuite  d'employer   efficarement.  11  était  donc 
d'une  importance  réelle   d'établir  directement'  et  d'une 
manière  générale  la  rationnalité  nécessaire  de  la  méthode 
infinitésimale.  Après  diverses  tentatives    plus  ou    moins 
imparfaites  pour  y  parvenir,  les  travaux  philosophiques  de 
Lagrahge  ayant  fortement  reporté,  vers  la  fin  du  siècle 
dernier,  l'attenlion  des  géomètres  sur  la  théorie  générale 
de  l'analyse  infinitésimale,  un  géomètre  très-reconriman- 
dable,  Carnot,  présenla  enfin  la  véritable  explication  lo- 
gique directe  de  hi  méthode  de  Leibnitz,  en  la  montrant 


CALCUL  DES  FONCTIONS  INDIRECTES.  181 

comme  fondée  sur  le  principe  de  la  compensation  néces- 
saire des  erreurs,  ce  qui  est  vraisemblablemcnl,  en  efTct, 
la  manirestalioa  précise  el  lumineuse  de  ce  que  Leibnitz 
a?ait  vaguement  et  confusément  aperçu,  en  concevant  les 
bases  ralioanelles  de  son  analyse.  Carnot  a  rendu  ainsi  à  la 
scieoce  un  service  essentiel  (I),  et  dont  Timporlance  me 
semble  n'être  pas  encore  suffisamment  appréciée,  quoique. 
Gomme  nous  le  verrons  à  la  un  de  cette  leçon,  tout  cet 
échafaudage  logique  de  la  méthode  infiniiésimale  propre- 
ment dite  ne  soit  susceptible  très-vraisemblement  que 
d'une  existence  provisoire,  en  tant  que  radicalement  vicieux 
parsa  nature.  Je  n'en  crois  pas  moins,  cependant,  devoir 
considérer  ici,  aûn  de  compléter  celle  importante  exposi- 
tion, le  raisonnement  géivêial  proposé  par  Carnot,  pour 
légitimer  directement  l'analyse  de  Leibnitz.  Voici  en  quoi 
il  consiste  essentiellement. 

Lorsqu'on  établit  l'équation  différentielle  d'un  phéno- 
mène, on  substitue,  aux  éléments  immédiats  des  diverses 
quantités  considérées,  d'autres  infinitésimales  plus  simples 
<lQi  en  durèrent  infiniment  peu  par  rapport  à  eux,  et  cette 
substitution  constitue  le  principal  artifice  de  la  méthode  de 
Leibnitz,  qui,  sans  cela,  n'offrirait  aucune  facilité  réelle 
pour  la  formation  des  équations.  Carnot  regarde  une  telle 
bfpothèse  comme  produisant  véritablement  une  erreur 
dans  l'équation  ainsi  obtenue,  et  que,  pour  cette  raison,  il 
î^ppelle  imparfaite  ;  seulement,  il  est  clair  que  celte  erreur 
iiepeut  être  qu'infiniment  petite.  Or,  d'un  autre  côlé,  tous 
1^ procédés  analytiques,  soil  de  dilTérentiation,  soit  d'iuté- 

(OVojei  rouvrage remarquable  qu'il  a  publié aoas  le  titre  de  Héfl^xifms 
'^  k.  Métaphysique  du  calcul  infinitésimal,  et  dans  lequel  on  troii?e 
^silleors  une  exposition  claire  et  utile,  quoique  trop  pou  npprofoiidie,  de 
^  les  di?ers  points  de  ?ue  sous  lesquels  a  été  conçu  le  système  général 
dQctkat  des  fonctions  indirectes. 


182  MATHÉMATIQUES. 

gration,  qu'on  applique  à  ces  équations  différentielles  pour 
s'élever  aux  équations  finies  en  éliminant  toutes  les  infini- 
tésimales introduites  comme  auxiliaires,  produisent  aussi 
constamment,  par  leur  nature,  ainsi  qu'il  est  aisé  de  le 
voir,  d'autres  erreurs  analogues,  en  sorte  qu'il  a  pu  s'o- 
pérer une  exacte  compulsation^  et  que  les  équations  défi- 
nitives peuvent,  suivant  l'expression  de  Carnot,  être  de- 
venues parfaites,  Carnot  considère  comme  un  symptôme 
certain  et  invariable  de  l'établissement  effectif  de  cette 
compensation  nécessaire  l'élimination  complète  des  di- 
verses  quantités  infiniment  petites,  qui  est  constamment, 
en  effet,  le  but  définitif  de  toutes  les  opérations  de  l'analyse 
transcendante.  Car,  si  on  n'a  jamais  commis  d'autres  in- 
fractions aux  règles  générales  du  raisonnement  que  celles 
ainsi  exigées  par  la  nature  môme  de  la  méthode  infinité- 
simale, les  erreurs  infiniment  petites  produites  de  cette 
manière  n'ayant  jamais  pu  engendrer  que  des  erreurs  in- 
finiment petites  dans  toutes  les  équations,  les  relations  sont 
nécessairement  d'uneexactitude  rigoureuse  aussitôt  qu'elles 
n'ont  plus  lieu  qu'entre  des  quantités  finies,  puisqu'il  ne 
saurait  évidemment  exister  alors  que  des  erreurs  finies, 
tandis  qu'il  n'a  pu  en  survenir  aucune  de  ce  genre.  Tout  ce 
raisonnement  général  est  fondé  sur  la  notion  des  quantités 
infinitésimales,  conçues  comme  indéfiniment  décroissan- 
tes, lorsque  celles  dont  elles  dérivent  sont  envisagées 
comme  fixes. 

Ainsi,  pour  éclaircir  cette  exposition  abstraite  par  un 
seul  exemple,  reprenons  la  question  des  tangentes,  qui 
est  la  plus  facile  à  analyser  complètement.  On  regardera 
l'équation  t  =j-  obtenue  ci-dessus  comme  affectée  d'une 
erreur  infiniment  petite,  puisqu'elle  ne  serait  tout  à  fait 
rigoureuse  que  pour  la  sécante.  Maintenant,  on  achèvera 
la  solution  en  cherchant,  d'après  l'équation  de  chaque 


CALCUL  DES  FONCTIONS  INDIRECTES.         188 

courbe,  le  rapport  entre  les  différentielles  des  coordonnées, 
^i  cette  équation  est,  je  suppose,  y  =:  ax^,  on  aura  évi- 
deoiment 

Dans  cette  formule,  on  devra  négliger  le  terme  dx'^ 
^omnie  inQniment  petit  du  second  ordre.  Dès  lors  la  com- 
binaison des  deux  équations  imparfaites 

/  =  -p>  dy  =  2axdx^ 

sofUsant  pour  éliminer  entièrement  les  infinitésimales, 
le  résultat  fini  t  =  2ax  sera  nécessairement  rigoureux 
par  l'effet  de  la  compensation  exacte  des  deux  erreurs 
commises  puisqu'il  ne  pourrait,  par  sa  nature,  être  affecté 
d'une  erreur  infiniment  petite,  la  seule  néanmoins  qu'il 
pût  y  avoir,  d'après  l'esprit  des  procédés  qui  ont  été  suivis. 
Il  serait  aisé  de  reproduire  uniformément  le  môme  rai- 
sonnement par  rapport  à  toutes  les  autres  applications  gé- 
nérales de  l'analyse  de  Leibnitz. 

Celte  ingénieuse  théorie  est  sans  doute  plus  subtile  que 
8olîde,  quand  on  cherche  à  l'approfondir.  Mais  elle  n'a  ce- 
Pendant  en  réalité  d'autre  vice  logique  radical  que  celui 
4e  la  méthode  infinitésimale  elle-même,  dont  elle  est,  ce 
<^e  semble,  le  développement  naturel  et  l'explication  gé- 
nérale, en  sorte  qu'elle  doit  être  adoptée  aussi  longtemps 
^u'on  jugera  convenable  d'employer  directement    cette 

Je  passe  maintenant  à  l'exposition  générale  des  deux 
boires  conceptions  fondamentales  de  l'analyse  transcen- 
dante, en  me  bornant  pour  chacune  à  l'idée  principale,  le 
^^ractère  philosophique  de  cette  analyse  ayant  été,  du 
^«sie,  suffisamment  déterminé  ci-dcdsus,  d'après  la  con- 
^^ption  de  Leibnitz^  à  laquelle  j'ai  dû  spécialement  m'at- 


184  MATHÉMATIQUES. 

tacher,   parce  qu'elle   permet  de  le  saisir  plus  aisément 
dans  son  ensemble,  et  de  le  décrire  avec  plus  de  rapidité. 

Nc'Wlon  a  présenté  successivement,  sous  plusieurs  formes 
différentes,  sa  manière  propre  de  concevoir  l'analyse  trans- 
cendante. Celle  qui  est  aujourd'hui  le  plus  communément 
adoptée,  du  moins  parmi  les  géomètres  du  continent,  a  été 
désignée,  par  Newton,  tantôt  sous  le  nom  de  méthode  de$ 
premières  et  dernières  raisons,  lanlôt  sous  celui  de  méthode 
des  limites,  qu'on  emploie  plus  fréquemment. 

Sous  ce  point  de  vue.  Tespril  général  de  t'analyse  trans- 
cendante consiste  à  introduire  comme  auxiliaires,  à  la 
place  des  quantités  primitives  ou  concurremment  avec 
elles,  pour  faciliter  rétablissement  des  équntions,  les  li- 
mites des  rapports  des  accroissements  simultanés  de  ces 
quantités^  ou,  en  d'autres  termes,  les  dernières  raisons  de 
ces  accroissements,  limites  ou  dernières  raisons  qu'oQ 
peut  aisément  montrer  comme  ayant  une  valeur  détermi- 
née et  flnie.  Un  calcul  spécial,  qui  est  l'équivalent  da 
calcul  infinitésimal,  est  ensuite  destiné  à  s'élever  de  ces 
équations  entre  ces  limites  aux  équations  correspondantes 
entre  les  quantités  primitives  elles-mêmes. 

La  faculté  que  présente  une  telle  analyse  pour  exprimer 
plus  aisément  les  lois  mathématiques  des  phénomènes 
tient,  en  général,  à  ce  que,  le  calcul  portant  non  sur  les 
accroissements  mêmes  des  quantités  proposées,  mais  sur 
les  limites  des  rapports  de  ces  accroissements,  on  pourra 
toujours  substituer  à  chaque  accroissement  toute  autre 
grandeur  plus  simple  à  considérer,  pourvu  que  leur  der- 
nière raison  soit  la  raison  d'égalité,  ou,  en  d'autres  termes, 
que  la  limite  de  leur  rapport  soit  l'unité.  11  est  clair,  en 
effet,  que  le  calcul  des  limites  ne  saurait  être  nullement 
affecté  de  cette  substitution.  En  partant  de  ce  principe, 
on  retrouve  à  peu  prés  l'équivalent  des  facilitéi  offertes  par 


CALCUL  DES  FONCTIONS  INDIRECTES.  185 

l'analyse  de  Leibnilz,  qui  sont  seulement  conçues  alors 
sous  un  autre  point  de  vue.  Ainsi,  les  courbes  seront  envi* 
sagées  comme  les  limites  d'une  suilc  de  polygones  recti- 
lignes,  les  mouvements  variés  comme  les  limites  d'un 
ensemble  de  mouvements  uniformes  de  plus  en  plus  rap- 
prochés, etc. 

Qu'on  veuille,  par  exemple,  déterminer  la  direction  de 
la  tangente  à  une  courbe  ;  on  la  regardera  comme  la  limite 
vers  laquelle  tendrait  une  sécante,  qui  tournerait  autour 
du  point  donné,  de  manière  que  son  second  point  d'in- 
tersection se    rapprochât  indéfiniment  du  premier.  En 
nommant  Ay  et  Aj?  les  différences  des  coordonnées  des 
deux  points,  on  aurait,  è  chaque  instant,  pour  la  tangente 
tHgonométrique  de  Tangle  que  fait  la  sécante  avec  l'axe  des 
ibcisseï, /=j^;  d'où,  en  prenant  les  limites,  on  déduira, 
l'eJativement  à  la  tangente  elle-môme,  cette  formule  gêné- 
^le  d'analyse  transcendante 

d*aprës  laquelle  le  calcul  des  fonctions  indirectes  ensei- 
gnera, dans  chaque  cas  particulier,  quand  l'équation  de  la 
bourbe  sera  donnée,  à  déduire  la  relation  entre  t  et  x,  en 
éliminant  les  quantités  auxiliaires  introduites.  Si,  pour 
^otever  la  solution,  on  suppose  que  y  =  ax^  soit  Téqua- 
^^on  de  la  courbe  proposée,  on  aura  évidemment 

'^*cù  l'on  conclura 

Ax  ' 

^r,  il  est  elair  que  la  limite  vers  laquelle  tend  le  second 
^^embre,  à  mesure  que  ôlx  diminue,  est  2  ax.  On  trouvera 

(I)  J'coiplole  la  caractéristique  L  ponr  désigner  la  limite. 


186  MATHÉMATIQUES. 

donc  par  cette  méthode,  t  =  i  ax,  comme  nous  l'avions 
obtenu  ci-dessus  pour  le  môme  cas,  d'après  l'analyse  de 
Leibiiitz. 

Pareillement,  quand  on  cherche  la  rectification  d'une 
courbe,  il  faut  substituer  à  l'accroissement  de  l'arc  «,  lai. 
corde  de  cet  accroissement,  qui  est  évidemment  avec  lui. 
dans  une  relation  telle,  que  la  limite  de  leur  rapport  est;^ 
l'unité,  et  alors  on  trouve,  en  suivant  d'ailleurs  la  mêm^ 
marche  qu'avec  la  méthode  de  Leibnitz,  cette  équation  gé— 
nérale  des  rectifications 


(^ë)'=  ' + {'■ïï 


ou 


selon  que  la  courbe  est  plane  ou  à  double  courbure.  Il  fau" 
dra  maintenant,  pour  chaque  courbe  particulière,  passer* 
de  cette  équation  à  celle  entre  l'arc  et  l'abcisse,  ce  qui  dé-^ 
pend  du  calcul  transcendant  proprement  dit. 

On  reprendrait  avec  la  môme  facilité,  d'après  la  méthode 
des  limites,  toutes  les  autres  questions  générales,  dont  la 
solution  a  été  indiquée  ci-dessus,  suivant  la  méthode  infini^ 
tésimale. 

Telle  est,  essentiellement,  la  conception  que  Newton  s'é- 
tait formée,  pour  l'analyse  transcendante,  ou,  plus  exacte-* 
ment,  celle  que  Maclaurin  et  d'Alembert  ont  présentée 
comme  la  base  la  p!us  rationnelle  de  cette  analyse,  en  cher- 
chant à  fixer  et  à  coordonner  les  idées  de  Newton  à 
ce  suji't. 

Je  dois  néanmoins,  avant  de  procéder  à  l'exposition  de 
la  conception  de  Lagrange,  signaler  ici  une  autre  forme 
distincte  sous  laquelle  Newton  a  présenté  cette  môme  mé- 


CALCUL  DES  FONCTIONS   INDIRECTES.  187 

thode,  et  qui  mérite  de  fixer  particiilièreraent  notre  aitea- 
tioDy  tant  par  son  ingénieuse  clarlé  dans  quelques  cas,  que 
comme  avant  fourni  la  notation  la  mieux  appropriée  à  cette 
manière    d'envisager   l'analyse    transcendante,  et^  enQn, 
comme  étant  encore  aujourd'hui  la  forme  spéciale  du  cal- 
cul des  fonctions  indirectes  communément  adoptée  par  les 
géomètres  anglais.  Je  veux  parler  du  calcul  des  fluxions  et 
iesfiuentes^  fondé  sur  la  notion  générale  des  vitesses. 

Pour  en  faire  concevoir  l'idée  mère  avec  plus  de  facilité, 
considérons  toute  courbe  comme  engendrée  par  un  point 
animé  d'un  mouvement  varié  suivant  une  loi  quelconque. 
Les  diverses  quantités  que  la  courbe  peut  offrir^  i'abcisse, 
l'ordonnée,  Tare,  Taire,  etc.,  seront  envisagées  comme 
simultanément  produites  par  degrés  successifs  pendant  ce 
mouvement.  La  vitesse  avec  laquelle  chacune  aura  été  dé- 
crite sera  dite  la  fluxion  de  celte  quantité,  qui,  en  sens  in- 
verse, en  serait  nommée  la  fluente.  Dès  lors,  Tanalyse 
Iranscendante  consistera,  dans  cette  conception,  à  former 
immédiatement  les  équations  entre  les  fluxions  des  quan- 
tités proposées  pour  en  déduire  ensuite^  par  un  calcul  spé- 
cial, les  équations  entre  les  fluentes  elles-mêmes.  Ce  queje 
^ens  d'énoncer  relativement  aux  courbes  peut  d'ailleurs 
^^idemment  se  tran^^porler  à  des  grandeurs  quelconques, 
envisagées,  à  l'aide  d'une  imige  convenable,  comme  pro- 
duites par  le  mouvement  les  unes  des  autres. 

H  est  aisé  de  comprendre  l'identité  générale  et  néces- 
^ire  de  cette  méthode  avec  celle  des  limites,  compliquée 
d^Tidée  étrangère  du  mouvement.  En  effet,  reprenant  le  cas 
^^  la  courbe,  si  l'on  suppose,  comme  on  peut  évidemment 
^^jours  le  faire,  que  le  mouvement  du  point  décrivant  est 
^'^îforme  suivant  une  certaine  direction,  par  exemple,  dans 
'^  Sens  de  I'abcisse,  alors  la  fluxion  de  I'abcisse  sera  con- 
^^ote,  comme  l'élément  du  temps.  Pour  toutes  les  autres 


188  MATHÉMATIQUES. 

quantités  engendrées,  le  mouvement  ne  pourrait  êlre 
conçu  comme  uniforme  que  pendant  un  lemps  inûniment 
petit.  Cela  posé,  la  vitesse  étant  généralement,  d'après  sa 
notion  mécanique,  le  rapport  de  chaque  esp<'ice  au  temps 
employé  à  le  parcourir,  et  ce  temps  étant  ici  proportionnel 
à  l'accroissement  de  l'abcisse,  il  s'ensuit  que  la  fluxion  de 
l'ordonnée,  de  l'arc,  de  l'aire,  etc.,  ne  sont  véritablement 
autre  chose,  en  faisant  disparaître  la  considération  inter- 
médiaire du  temps,  que  les  dernières  raisons  des  accrois- 
sements de  ces  diverses  quantités  comparés  à  celui  de  i'ab- 
cisse.  Cette  méthode  des  fluxions  et  des  fluentes  n'est  donc 
en  réalité  qu'une  manière  de  se  représenter,  d'après  une 
comparaison  mécanique,  b  méthode  des  premières  et  des 
dernières  raisons,  qui  seule  est  réductible  en  calcul.  Elle 
comporte  donc  nécessairement  les  mômes  avantages  géné- 
raux dans  les  diverses  applications  principales  de  l'analyse 
transcendante,  sans  que  nous  ayons  besoin  de  le  constater 
spécialement. 

Je  considère  enfln  la  conception  de  Lngrange. 

Elle  consiste,  dans  son  admirable  simplicité,  à  se  repré- 
senter Tanalyse  transcendante  comme  un  grand  artifice 
algébrique,  d'après  lequel,  pour  faciliter  l'établissement 
des  équations,  on  introduit^  au  lieu  de  fonctions  primitives 
ou  avec  elles,  leurs  fonctions  dérivées^  c'est-à-dire,  suivant 
la  définition  de  Lagrange,  le  coefficient  du  premier  terme 
de  l'accroissement  de  chaque  fonction,  ordonné  selon  les 
puissances  ascendantes  de  l'accroissement  de  sa  variable. 
Le  calcul  des  fonctions  indirectes  proprement  dit  est  tou- 
jours destiné,  ainsi  que  dans  les  conceptions  de  Leibnitz 
et  de  Newton,  à  éliminer  ces  dérivées  employées  comme 
auxiliaires,  pour  déduire  de  leurs  relations  les  équations 
correspondantes  entre  les  grandeurs  primitives. 

L'analyse  transcendante  n'est  alors  autre  chose  qu'une 


CALC  t)V    DES  FONCTIONS  INDIRECTES.  18  * 

simple  extension  très-considérable  de  l'analyse  ordinaire. 
C'éUit  déjà  depuis  longtemps  un  procédé  familier  aux 
géomètres,  que  d'introduire,  dans  les  considérations  ana- 
lytiques, au  lieu  des  grandeurs  mômes  qu'ils  avaient  à 
étudier,  leurs  diverses  puissances,  ou  leurs  logarithmes,  ou 
leur  sinus,  etc.,  aûn  de  simplifier  les  équations  et  môme 
de  les  obtenir  plus  aisément.  La  dérivation  successive  est 
un  artifice  général  de  la  môme  nature,  qui  présente  seule- 
ment beaucoup  d'étendue,  et  procure,  en  conséquence, 
pour  ce  but  commun,  des  ressources  bien  plus  impor- 
tantes. 

Mais,  quoiqu'on  conçoive  sans  doute  à  priori  que  la 
considération  auxiliaire  de  ces  dérivées  peut  faciliter  Téta- 
blis>ement  des  équations,    il   n'est    pas  aisé  d'expliquer 
pourquoi  cela  doit  ôtre  nécessairement  d'après  le  mode  de 
dérivation  adopté  plutôt  que  suivant  toute  autre  transfor- 
n^aiion.  Tel  est  le  côté  faible  de  la  grande  pensée  de  La- 
grange.  On  n'est  point,  en  efftît.  Tellement  parvenu  jus- 
qu'ici à  saisir  en  général  d'une  manière  abstraite,  et  sans 
''entrer  dans  les  autres  conceptions  de  l'analyse  transcen- 
dante,  les  avanUiges  précis  que  doit  constamment   pré- 
senter, par  sa  nature,   cette  analyse  ainsi  conçue,  pour  la 
Recherche  des  lois  mathématiques  des  phénomènes.  Il  est 
seulement  possible  de  les  constater,  en  considérant  sépa- 
^'éraent  chaque   question  principale,   et  cette  vérification 
^evienimôme  pénible,  quand  on  choisit  une  question  com- 
pliquée. 

Pour  indiquer  sommairement  comment  cette  manière  de 
Concevoir  l'analyse  transcendante  peut  s'adapter  ellecti- 
^ement  à  la  solution  des  problèmes  mathématiques,  je  me 
tiornerai  à  reprendre  sous  ce  point  de  vue  le  problème  le 
plus  simple  de  tous  ceux  ci-dessus  examinés,  celui  des 
^ngentes. 


190  MATHÉMATIQUES. 

Au  lieu  de  concevoir  la  tangente  comme  le  prolonge- 
ment de  l'élément  infiniment  petit  de  la  courbe,  suivant 
la  notion  de  Leibnilz,  ou  comme  la  limite  des  sécantes, 
suivant  les  idées  de  Newlon,  Lngrange  la  considère  d'après 
ce  simple  caractère  géométrique,  analogue  aux  définitions 
des  andens,  d*Otre  une  droite  telle  qu'entre  elle  et  la  courbe 
il  ne  peut  passer,  par  le  point  de  contact,  aucune  autre 
droite.  Dès  lors,  pour  en  déterminer  la  direction,  il  faut 
cbercber  l'expression  générale  de  sa  distance  à  la  courbe, 
dans  un  sens  quelconque,  dans  celui  de  l'ordonnée,  par 
exemple,  en  un  second  point  distioct  du  premier,  et  dis- 
poser de  la  constante  arbitraire  relative  à  l'inclinaison  de  la 
droite,  qui  entrera  nécessairement  dans  cette  expression, 
de  manière  à  diminuer  cet  écartement  le  plus  possible.  Or, 
cette  distance,  étant  év.demment  égale  à  la  d'O'érence  des 
deux  ordonnées  de  la  courbe  et  de  la  droite  qui  corres- 
pondent à  une  même  nouvelle  abcisse  ^r-f-^»  i>era  repré- 
sentée par  la  formule 

(/>  (x)  —  0  /*  +  qfi*  +  r/i»  4-  etc., 

où  t  désigne,  comme  ci-dessus,  la  tangente  trigonométri- 
gue  inconnue  de  l'angle  que  fait,  avec  l'axe  des  (x),  la 
droite  cbercliée,  et  /  (x)^  la  focictiou  dérivée  de  l'ordon- 
née /'  (x).  Cela  posé,  il  est  aisé  de  voir  qu'en  disposant  de  / 
de  façon  à  annuler  le  premier  terme  de  la  formule  précé- 
dente, on  aura  rendu  l'inlervalle  des  deux  lignes  le  plus 
petit  possible,  tellement  que  toute  autre  droite,  pour  la- 
quelle t  n'aurait  point  la  valeur  ainsi  déterminée,  s'écarte- 
rait nécessairement  davantage  de  la  courbe  proposée.  On 
a  donc,  pour  la  direction  de  la  tangente  chercbée,  l'ex- 
pression générale  t=f*(x)\  résult.it  exactement  équivalent 
à  ceux  que  fournissent  la  méthode  inflnilésimale  et  la 
méthoae  des  limites,  il  restera  maintenant,  dans  chaque 


CALCUL  DES  FONCTIONS  INDIRECTES.         191 

coarbe  parliculière,  à  trouver  f  (x),  ce  qui  est  une  pure 
question  d'analyse,  tout  à  fait  identique  avec  celles  que 
prescrivent  alors  les  autres  méthodes. 

Après  avoir  surûsamment  considéré  dans  leur  ensemble 
les  principales  conceptions  générales  successivement  pro- 
duites jusqu'ici  pour  l'analyse  transcendante,  je  ne  dois 
pasm'arrôter  à  l'examen  de  quelques  autres  théories  pro- 
posées, telles  que  le  calcul  ds  évanouissants  d'Ëuler,  qui 
De  sont  réellement  que  des  modiileaiions  plus  ou  moins 
importanlesy  et  d'ailleurs  inusitées,  des  méthodes  précé- 
dentes. Il  me  reste  maintenant,  afin  de  compléter  cet  en- 
semble de  considérations,  à  établir  la  comparaison  et  Tap- 
précialion  de  ces  trois  méthodes  fondamentales.  Je  dois 
préalablement  constater,  d'une  manière  générale,  leur  con- 
ibrmité  parfaite  et  nécessaire. 

11  est  d'abord  évident,  par  ce  qui  précède,  qu'à  considé- 
rer ces  trois  méthodes  quaiU  à  leur  destination  effective, 
indépendamment  des  idées  préliminaires,  elles  consistent 
toutes  en  un  même  artiOce  logique  général,  que  j'ai  ca- 
ractérisé dans  la  quatrième  leçon,  savoir  :  l'introduction 
d'uD  certain  système  des  grandeurs  auxiliaires,  uniformé- 
ment corrélatives  à  celles  qui  sont  l'objet  propre  de  la 
question*  et  qu'on  leur  substitue  expressément  pour  faci- 
liter l'expression  analytique  des  lois  mathématiques  des 
phénomènies,  quoiqu'elles  doivent  finalement  être  élimi- 
itées,  à  l'aide  d'un  calcul  spécial.  C'est  ce  qui  m'a  déler- 
ifiiné  à  définir  régulièrement  l'analyse  transcendante  le 
^kul  des  fonctions  indirectes^  afm  de  marquer  son  vrai  ca- 
ractère philosophique,  en  écartant  toute  discussion  sur  la 
Xûanière  la  plus  convenable  de  la  concevoir  et  de  l'appli- 
V^Bf.  L'effet  général  de  cette  analyse,  quelle  que  soit  la 
x&élhude  employée,  est  donc  de  faire  rentrer  beaucoup 
plu;i  promptement  chaque  question  mathématique  dans  le 


191  MATUÉMATIQUES. 

domaine  du  calcul^  et  de  diminuer  ainsi  considérablement 
la  dirOculLé  capitale  que  présenle  ordinairement  le  pas- 
sage du  concret  à  l'abstrait.  Quoi  qu'on  fasse,  on  ne  peut 
espérer  que  le  calcul  s'empare  jamais  de  chaque  question 
de  philosophie  naturelle,  géométrique,  ou  mécanique,  ou 
thermologique,  etc.,  immédiatement  à  sa  naissance,  ce 
qui  serait  évidemment  contradictoire.  Il  y  aura  constam- 
ment, dans  tout  problème,  un  certain  travail  préliminaire 
à  elTecluer  sans  ()ue  le  calcul  puisse  êlre  d'aucun  secours, 
et  qui  ne  saurait  être,  par  sa  nature,  assujetti  à  des  règles  ' 
abstraites  et  invariables;  c'est  celui  qui  a  pour  objet  pro- 
pre l'établissement  des  équations,  qui  sont  le  point  de  dé- 
part indispensable  de  toutes  les  recherches  analytiques. 
Mais  cette  élaboration  préalable  a  été  singulièrement  sim- 
pliûée  par  la  création  de  l'analyse  transcendante,  qui  a 
ainsi  hâté  l'époque  où  la  solution  comporte  l'application 
uniforme  et  précise  de  procédés  généraux  et  abstraits;  en 
réduisant,  dans  chaque  cas,  ce  travail  spécial  à  la  recher- 
che des  équations  entre  les  grandeurs  auxiliaires,  d'où  le 
calcul  conduit  ensuite  aux  équations  directement  relatives 
aux  grandeurs  proposées,  qu'il  fallait,  avant  cette  admi- 
rable conception,  établir  immédiatement.  Que  ces  équa- 
tions indirectes  soient  des  équations  différentielles,  suivant 
la  pensée  de  Leibnitz  ;  ou  des  équations  aux  limites,  con- 
formément aux  idées  de  Ncvvlon;  ou  enfin  des  équations 
dérivées,  d'après  la  théorie  de  Lagrange;  le  procédé  général 
est  évidemment  toujours  le  même. 

Mais  la  coïncidence  de  ces  trois  méthodes  principales  ne 
se  borne  pas  à  l'eû'et  commun  qu'elles  produisent;  elle 
existe,  en  outre,  dans«  la  manière  même  de  l'obtenir.  En 
effet,  non-rjculement  toutes  trois  considèrent,  à  la  place 
des  grandeurs  primitives,  certaines  grandeurs  auxiliaires; 
de  plus,  les   quantités  ainsi  introduites  subsidiairement. 


CALCUL  DES  FONCTIONS  INDIRECTES.         ]9t 

sont  exactement  identiques  dans  les  Irois  méthodes,  qui  . 
ne  diffèrent,  par  conséquent,  que  par  la  manière  de  les 
envisager.  C'est  ce  qu'on  peut  aisément  constater,  en  pre- 
nant pour  terme  général  de  comparaison  une  quelconque 
des  trois  conceptions,  celle  de  Lagrange  surtout,  la  plus 
propre  à  servir  de  type,  comme  étant  la  plus  dégagée  de 
considérations  étrangères.  N'est-il  pas  évident,  par  la  seule 
définition  des  fonctions  dérivées^  qu'elles  ne  sont  autre 
chose  que  ce  que  Leibnitz  appelle  les  coefficients  différent 
tieUy  ou  les  rapports  de  la  ditlérenlielle  de  chaque  fonc- 
tion à  celle  de  la  variable  correspondante,  puisque,  en 
déterminant  la  première  différentielle,  on  devra,  par  la 
nature  môme  de  la  méthode  inûnitésimale,  se  borner  à 
prendre  le  seul  terme  de  l'accroissement  de  la  fonction 
qui  contient  la  première  puissance  de  Taccroissement  in- 
finiment petit  de  la  variable?  De  môme,  la  fonction  déri- 
vée n'est-elle  pas  aussi  par  sa  nature  la  limite  nécessaire 
vers  laquelle  tend  le  rapport  entre  l'accroissement  de  la 
fonction  pricnitive  et  celui  de  sa  variable,  à  mesure  que  ce 
dernier  diminue  indéfiniment,  puisqu'elle  exprime  évi- 
demment ce  que  devient  ce  rapport,  en  supposant  nul  Tac- 
croiàsement  de  la  variable.  Ce  qu'on  désigne  par  ^  dans 

la  méthode  de  Leibnitz,  ce  qu'on  devrait  noter  Z^  dans 
celle  de  Newton,  et  ce  que  Lagrange  a  indiqué  par  /'(x), 
est  toujours  une  même  fonction,  envisagée  sous  trois  points 
de  vue  différents;  les  considérations  de  Leibnitz  et  de 
Newton  consistant  proprement  à  faire  connaître  deux 
propriétés  générales  nécessaires  de  la  fonction  dérivée. 
L'analyse  transcendante,  examinée  abstraitement  et  dans 
son  principe,  est  donc  toujours  la  m^me,  quelle  que  soit 
la  conception  qu*on  adopte  :  les  procédés  du  calcul  des 
fonctions  indirectes  sont  nécessairement  identiques  dans 
ces   diverses  méthodes,  qui,  pareillement,  doivent,  pour 

A.  Comte.  Tome  I.  1  ^ 


i  94  MATnÉMATIQUES. 

une  application  queironque,  conduire  constamment  à  des 
résultats  rigoureusement  conformes. 

Si  niaintenanl  nous  cherchons  à  apprécier  la  valeur  rela- 
tive (le  ces  trois  conce[)tions  équivalentes,  nous  trouverons 
dans  chacune  des  avantages  et  des  inconvénients  qui  lai 
sont  propres,  et  qui  empêchent  encore  les  géomètres  de 
s'en  tenir  strictement  à  une  seule  d'entre  elles,  considérée 
comme  définitive. 

La  conception  de  Leibnitz  présente,  incontestablement, 
dans  l'ensemble  des  applications,  une  supériorité  très- 
prononcée,  en  conduisant  d'une  manière  beaucoup  plus 
rapide,  et  avec  bien  moins  d'efTorts  intellectuels,  à  la  for- 
mation des  équalfions  entre  les  grandeurs  auxiliaires.  C*esl 
à  son  usage  que  nous  devons  la  haute  perfection  qu*ont  en- 
fin acquise  toutes  les  théories  générales  de  la  géométrie  et 
de  la  lîK^canique.  Quelles  que  soient  les  diverses  opinions 
spéculatives  des  géomètres  sur  la  méthode  infinitésimale, 
envisa^ri^e  abstraitement,  tous  s'accordent  tacitementà  l'em- 
ployer de  préférence,  aussitôt  qu'ils  ont  à  traiter  une  ques- 
tion nouvelle,  afin  de  ne  point  compliquer  la  difficulté 
nécessaire  par  cet  obstacle  purement  artificiel,  provenant 
d'une  obstination  déplacée  à  vouloir  suivre  une  marche 
moins  expéditive.  Lagrange  lui-môme,  après  avoir  recon- 
struit sur  de  nouvelles  bases  l'analyse  transcendante,  a 
rendu, avec  cette  haute  franchise  qui  convenait  si  bien  à  son 
génie,  un  hommage  éclatant  et  décisif  aux  propriétés  carae- 
téristiques  de  la  conception  de  Leibnitz,  en  la  suivant  exclu- 
sivemeiit  dans  le  système  entier  de  la  mécanique  analyiiqui. 
Un  tel  fait  nous  dispense,  à  ce  sujet,  de  toute  autre  réfiiexioQ. 

Mais,  quand  on  considère  en  elle-même,  et  sous  le  rap- 
port logique,  la  conception  de  Leibnitz,  on  ne  peuts'em- 
pocher  de  reconnaître  avec  Lagrange  qu'elle  est  radicale- 
ment vicieuse,  en  ce  que,  suivant  ses  propres  expressions, 


CALCUL  DES  FONCTIONS  INDIRECTES.         195 

ia  notion  des  infinimeot  petits  est  une  idée  fausse,  qu'il 
est  impossible^  en  effet,  de  se    représenter  nedement, 
quoiqu'on  se  lasse  quelquefois  illusion  à  cet  égard.  L  ana- 
ijse  transcendante,  ainsi  conçue,   présente,  à  mc>  yeux, 
oette  grande  imperfection  philosophique^  de  se  trouver 
encore  essentiellement  fondée  sur  ces  principes  mélaphysi- 
<]ues,  dont  l'esprit  humain  a  eu  tant  de  peine  à  dégager 
t4)Qtes  ses  théories  positives.  Sous  ce  rapport,  on  peut  dire 
<^e  la  méthode  inûnitésimale  porte  vraiment  Tempreinte 
^caractéristique  de  l'époque  de  sa  fondation  et  du  génie 
propre  de  sou  fondateur.  On  peut  bien,  il  est  vrai,  par  l'in- 
génieuse idée  de  la  compensation  des  erreurs,  s'expiitjuer 
d'une  mianiàre  générale,  comme  nous  l'avons  fait  ci-dessus, 
l'exactitude  nécessaire  des  procédés  généraux  qui  corupo* 
sent  la  méthode  infinitésimale.  Mais  cela  seul  n'eï»t-il  pas  un 
inconvénient  radical,  que  d'être  obligé  de  distinguer,  en  ma- 
thématique, deux  classes  de  raisonnements,  ceux  qui  sont 
panEaitement  rigoureux,  et  ceux  dans  lesquels  on  commet  à 
dessein  des  erreurs  quidevronl  se  compenser  plus  tard  ?  Une 
conception  qui  conduit  à  des  conséquences  aussi  élraiiges 
est,  sans  doute,  rationnellement,  bien  peu  satisfaisante. 

Ce  serait  évidemment  éluder  la  difficulté  sans  la  résou- 
dre, que  de  dire,  comme  on  l'a  fait  quelquefois,  qu'il  est 
possible,  par  rapport  à  chaque  question,  de  faire  rentrer 
^  méthode  infinitésimale  proprement  dite  dans  celle  des 
limites,  dont  le  caractère  logique  est  irréprochable.  D'ail- 
^eors,  une  telle  transformation  enlève  presque  enlièrecnent 
i  la  conception  de  Leibnitz  les  avantages  essentiels  qui 
la  recommandent  si  éminemment,  quant  à  la  facilité  et 
^U  rapidité  des  opérations  intellectuelles. 

Enfin  n'eût-on  môme  aucun  égard  aux  importantes  con- 
sidérations qui  précèdent,  la  méthode  infinitésimale  n'en 
présenterait   pas  moins  évidemment,  par  sa  nature,   ce 


196  MATUÉMATIQUES. 

défaut  capital  de  rompre  Tunité  de  la  malhémalique  abs- 
traite, en  créant  un  calcul  transcendant  fondé  sur  des  prin- 
cipes si  difTérents  de  ceux  qui  servent  de  base  à  l'analyse 
ordinaire.  Ce  partage  de  Tanalyse  en  deux  moudes  pres- 
que indépendants  tend  à  empocher  la  formation  de  con- 
ceptions analytiques  vcrilahlement  générales.  Pour  en  bien 
apprécier  les  conséquences,  il  faudrait  se  reporter,  par  la 
pensée,  à  Télat  dans  lequel  se  trouvait  la  science,  ayant 
que  Lagrange  eût  établi  entre  ces  deux  grandes  sections 
une  harmonie  générale  et  définitive. 

Passant  à  la  conception  de  Newton,  il  est  évident  que, 
par  sa  nature,  elle  se  trouve  à  l'abri  des  objections  logiques 
fondamentales  que  provoque  la  méthode  de  Leibuilz.  La 
notion  des  Imites  est,  en  effet,  remarquable  par  sa  netteté 
et  par  sa  justesse.  Dans  l'analyse  transcendante  présentée 
de  celte  manière,  les  équations  sont  envisagées  comra 
exactes  dès  l'origine,  et  les  règles  générales  du  raisonne 
ment  sont  aussi  constamment  observées  que  dans  l'unalys 
ordinaire.  Mais,  d'un  autre  côté,  elle  etit  bien  loin  d'offrir, 
pour  la  solution  des    problèmes,  d'aussi  puissantes  res 
sources  que  la  méthode  infinitébimale.   Cet!e  obligatio 
qu'elle  impose  de  ne  considérer  jamais  les  accroissements 
des  grandeurs  séparément  et  en  eux-mêmes,  ni  seulemen 
dans  leurs  rapports,  mais  uniquement  dans  les  limites  d 
ces  rapport^:,  ralentit  considérablement  la  marche  de  Tin 
telligence  pour  la  formation  des  équations  auxiliaires.  0 
peut  môme  dire  qu'elle  g<3ne  beaucoup  les  transformation 
purement  analytiques.  Aussi  le  c.ilcul  transcendant,  con 
sidéré  séparément  de  ses  applications,  est-il  loin  d'ofifrir 
dans  cette  méthode,  Téiendue  et  la  généralité  que  lui  a  im 
primées  la  conception  de  Leibnitz.  C'est  très-péniblement, 
par  exemple,  qu'on  parvient  à  étendre  la  théorie  de  Newtor 
aux  fonctions  de  plusieurs  variables  indépendantes.  Que 


CALCUL  DES  FONCTIONS  INDIRECTES.         197 

qu'il  en  soit,  c'est  surtout  par  rapport  aux  applications  que 
l'infériorité  relative  de  celle  Ihéorie  s«  trouve  marquée. 

Je  ne  dois  pas  né{;Iip:er  à  ce  sujet  de  faire  observer  que 
plusieurs  géomètres  du  continent,  en  adoptant,  comme 
plus  rationnelle,  la  méthode  de  Newton,  pour  servir  de 
base  à  l'analyse  transcendante,  ont  déguisé  en  partie  cette 
infériorité  par  une  grave  inconséquence,  qui  consiste  à 
appliquer  h  celte  méthode  la  notation  imaginée  par  Leibnitz 
pour  la  méthode  infînitésimale,  et  qui  n'est  réellement 
propre  qu'à  elle.  En  désignant  par  ^  ce  que,  ration- 
nellement, il  faudrait,  dans  la  théorie  des  limites,  no- 
ter Z^,  et  en  étendant  h  toutes  les  autres  notions  analyti- 
ques ce  déplacement  de  signes,  on  se  propose  sans  doute  de 
combiner  les  avantages  spéciaux  des  deux  méthodes;  mais 
on  ne  parvient,  en  réalité,  qu'à  établir  entre  elles  une  confu- 
sion vicieuse,  dont  l'habitude  tend  à  empêcher  de  se  former 
des  idées  nettes  et  exactes  de  l'une  ou  de  Taulre.  Il  serait 
sans  doute  étrange,  à  considérer  cet  usage  en  lui-môme,  que, 
par  le  seul  moyen  des  signes,  on  pût  elfecluer  une  véritable 
combinaison  entre  deux  lhéorii?s  générales  aussi  .dislincles. 

Enfin  la  méthode  des  limites  présente  aussi,  quoiqu'à 
on  moindre  degré,  l'inconvénient  majeur  que  j'ai  signalé 
ci-dessus,  dans  la  méthode  infinilésitnale,  d'établir  une 
séparation  totale  entre  l'analyse  ordinaire  et  l'-malyse 
transrendante.  Car  l'idée  des  Imites,  quoique  nette  et  ri- 
goureuse, n'en  est  pas  moins,  par  elle-môme,  comme 
Lagrange  Ta  remarqué,  une  idée  étrangère  dont  les  théo- 
ries analytiques  ne  devraient  pas  se  trouver  dépendantes. 

Cette  unité  parfaite  de  l'analyse,  ce  caractère  purement 
abstrait  de  ses  notions  fondamentales,  se  trouvent  au  plus 
haut  degré  dans  la  conception  de  Lagrange,  et  ne  se  trou- 
vent que  là.  Elle  est,  pour  cette  raison,  la  plus  rationnelle 
et  la  plus  philosophique  de  toutes.   Écartant  avec  soin 


!  9S  MATHÉMATIQUES. 

toute  considération  hélérogène,  Lagrange  a  réduit  l'a- 
nalyse transcendante  à  son  véritable  caractère  propre, 
celui  d'offrir  une  classe  très-étendue  de  transformations 
analytiques^  à  Taide  desquelles  on  facilite  singulièrement 
l'expression  des  conditions  des  divers  problèmes.  En 
môme  temps,  cette  analyse  s'est  nécessairement  présentée 
par  là  comme  une  simple  extension  de  l'analyse  ordinaire; 
elle  n'a  plus  été  qu'une  algèbre  supérieure.  Toutes  les 
divcri>es  parties,  jusqu'alors  si  incohérentes,  de  la  mathé- 
matique^ abstraite^  ont  pu  être  conçues,  dès  ce  moment, 
comme  formant  un  système  unique. 

Malheureusement,  une  conception  douée,  indépendam- 
ment de  la  notation  si  simple  et  si  lucide  qui  lui  corres- 
pond, de  propriétés  aussi  fondamentales,  et  qui  est,  sans 
doute,  destinée  à  devenir  la  théorie  définitive  de  l'analyse 
transcendante,  à  cause  de  sa  haute  supériorité  philoso- 
phique sur  toutes  les  autres  méthodes  proposées,  présente, 
dans  son  état  actuel,  trop  de  difficultés,  quant  aux  applica- 
tions, lorsqu'on  la  compare  à  la  conception  de  Newton,  et 
surtout  à  celle  de  Leibnitz,  pour  pouvoir  être  encore  exclu- 
sivement adoptée.  Lagrange  lui-même  n'est  parvenu  que 
très- péniblement  à  retrouver,  d'après  sa  méthode,  les  résul- 
tats principaux  déjà  obtenus  par  la  méthode  infinitésimale 
pour  la  solution  des  questions  générales  de  géométrie  et 
de  mécanique;  on  peut  juger  par  là  combien  on  trouverait 
d'obstacles  à  traiter,  de  la  môme  manière,  des  questions 
vraiment  nouvelles  et  de  quelque  importance.  U  est  vrai 
que  Lagrange,  en  plusieurs  occasions,  a  montré  que  les 
difOcultés,  môme  artiGcielles,  déterminent,  dans  les  hom- 
mes de  génie,  des  efforts  supérieurs,  susceptibles  de  con- 
duire à  des  résultats  plus  étendus.  C'est  ainsi  qu'en  tentant 
d'adapter  sa  méthode  à  l'étude  de  la  courbure  des  lignes, 
qui  paraissait  si  peu  pouvoir  en  comporter  l'application, 


CALCUL  DES  FONCTIONS  INDIRECTES.         J99 

il  s'est  élevé  à  cette  belle  théorie  des  contacts,  qui  a  tant 
perfectionné  cette  partie  importante  de  la  géométrie.  Mais, 
malgré  ces  heureuses  exceptions,  la  conception  de  Lagrange 
n'en  est  pas  moins  jusqu'ici  demeurée,  dans  son  ensem- 
ble, essentiellement  impropre  aux  applications. 

Le  résultat  final  de  la  comparaison  générale  que  je  viens 
d'esquisser,  et  qui  exigerait  de  plus  amples  développe- 
ments, est  donc,  comme  je  l'avais  avancé  en  commençant 
cette  leçon,  que,  pour  connaître  réellement  l'analyse 
transcendante,  il  faut  non-seulement  la  considérer  dans 
son  principe,  d'après  les  trois  conceptions  fondamentales 
distinctes,  produites  par  Leibnitz,  par  Newton  et  par  La- 
grange, mais,  en  outre,  s'habituer  à  suivre  presque  indiCfé- 
remroenl  d'après  ces  trois  méthodes  principales,  et  sur- 
tout d'après  les  deux  extrêmes,  la  solution  de  toutes  les 
questions  importantes,  soit  du  calcul  des  fonctions  indi- 
rectes en  lui-même,  soit  de  ses  applications.  C'est  une 
marche  que  je  ne  saurais  trop  fortement  recommander  à 
tous  ceux  qui  désirentjuger  philosophiquement  cette  admi- 
rable création  de  l'esprit  humain,  comme  à  ceux  qui  veu- 
lent essentiellement  apprendre  à  se  servir  avec  succès  et 
avec  facilité  de  ce  puissant  instrument.  Dans  toutes  les  autres 
parties  de  la  science  mathématique,  la  considération  de 
diverses  méthodes  pour  une  seule  classe  de  questions 
peut  être  utile,  même  indépendamment  de  l'intérOt  his- 
torique qu'elle  présente  ;  mais  elle  n'est  point  indispen- 
sable :  ici,  au  contraire,  elle  est  strictement  nécessaire. 

Ayant  déterminé  avec  précision,  dans  cette  leçon,  le 
caractère  philosophique  du  calcul  des  fonctions  indi- 
rectes, d'après  les  principales  conceptions  fondamentales 
dont  il  est  susceptible,  il  me  reste  maintenant  à  considé- 
rer, dans  la  leçon  suivante,  la  division  rationnelle  et  la 
composition  générale  de  ce  calcul. 


SEPTIÈME  LEÇON 


Sommaire  :  —  Tableau  général  da  calcul  des  fonctions  indiiecUs. 


Par  suite  des  considérations  exposées  dans  la  leçon  pré- 
cédente, on  conçoit  que  le  calcul  des  fonctions  indirectes 
se  divise  nécessairement  en  deux  parties,  ou,  pour  mieux 
dire,  se  décompose  en  deux  calculs  tout  à  fait  distincts, 
quoique^  par  leur  nature,  intimement  liés;  suivant  qu'on 
se  propose  de  trouver  les  relations  entre  les  grandeurs 
auxiliaires,  dont  Tintroduciion  constitue  Tesprit  général 
de  ce  calcul,  d'après  les  relations  entre  les  grandeurs  pri- 
mitives correspondantes  ;  ou  qu'on  cherche,  en  sens  îq- 
verse,  à  découvrir  ces  équations  directes  d'après  les  équa- 
tions indirectes  établies  immédiatement.  Tel  est,  en  effet, 
le  double  objet  qu'on  a  continuellement  en  vue  dans  l'a- 
nalyse transcendante. 

Ces  deux  calculs  ont  reçu  différents  noms,  selon  le  point 
de  vue  sous  lequel  a  été  envisagé  l'ensemble  de  cette  ana- 
lyse. La  méthode  infinitésimale  proprement  dite  étant 
jusqu'ici  la  plus  usitée,  par  les  raisons  que  j'ai  discutées, 
presque  tous  les  géomètres  du  continent  emploient  habi- 
tuellement, pour  désigner  ces  deux  calculs,  les  dénomina- 
tions de  calcul  différentiel  et  de  calcul  intégral^  établies  par 
Leibnitz,  et  qui  sont,  eu  eflet,  des  conséquences  trôs-ra- 
tionnelles  de  sa  conception.  Newton,  d'après  sa  méthode, 
a  nommé  le  premier  le  calcul  des  fluxionSy  et  le  second  le 
calcul  des  fluentes^  expressions  communément  adoptées  en 


CALCUL  DES  FONCTIONS   INDIRECTES.  tOl 

Angleterre.  Enfin,  en  suivant  la  théorie  éminemment  phi- 
losophique fondée  par  Lagrange,  on  appellerait,  Tun  le 
calcul  des  fonctions  dérivées,  et  l'autre  le  calcul  des  fonctions 
primitives.  Je  continuerai  à  me  servir  des  termes  de  Leib- 
nilz  comme  plus  propres,  dans  notre  langue,  à  la  forma- 
tion des  expressions  secondaires^  quoique  je  doive,  d'après 
les  explications  contenues  dans  la  leçon  précédente,  em- 
ployer concurremment  toutes  les  diverses  conceptions,  en 
me  rapprochant,  autant  que  possible,  de  celle  de  Lagrange. 

Le  calcul  différentiel  est  évidemment  la  base  ration- 
nelle du  calcul  intégral.  Car  nous  ne  savons  et  ne  pou- 
vons savoir  intégrer  immédiatement  que  les  expressions 
différentielles  produites  par  la  difTérenliation  des  diverses 
fonctions  simples  qui  constituent  les  éléments  généraux 
de  notre  analyse.  L'art  de  l'intégration  consiste  ensuite 
essentiellement  à  ramener,  autant  que  possible,  tous  les 
autres  cas  à  ne  dépendre  finalement  que  de  ce  petit  nom- 
bre d'intégrations  fondamenlales. 

En  considérant  l'ensemble  de  l'analyse  transcendante, 
tel  que  je  l'ai  caractérisé  dans  la  leçon  précédente,  on  ne 
voit  pas  d'abord  quelle  peut  être  l'utililé  propre  du  calcul 
différentiel,  indépendamment  de  cette  relation  nécessaire 
avec  le  calcul  intégral,  qui  semble  devoir  être,  par  lui- 
môme,  le  seul  directement  indispensable.  En  effet,  l'élimi- 
nation des  infinitésimales  ou  des  dérivées,  introduites 
comme  auxiliaires  pour  faciliter  l'établissement  des  équa- 
tions, constituant,  d'après  ce  que  nous  avons  vu,  l'objet 
définitif  et  invariable  du  calcul  dt>s  fonctions  indirectes  ;  il 
est  naturel  de  penser  que  le  calcul  qui  enseigne  à  déduire 
des  équations  entre  ces  grandeurs  auxiliaires,  celles  qui 
ont  lieu  entre  les  grandeurs  primitives  elles-mêmes,  doit 
strictement  suffire  aux  besoins  généraux  de  l'analyse 
transcendante,  sans   qu'on  aperçoive,   au  «premier  coup 


tôt  MATHÉMATIQUES. 

d'œil,  quelle  part  spéciale  et  constante  peut  avoir,  dans  une 
telle  analyse,  la  solution  de  la  question  inverse.  Ce  serait 
abusivement  que,  suivant  l'usage  ordinaire,  pour  expliquer 
l'influence  directe  et  nécessaire  propre  au  calcul  différen- 
tiel, on  lui  assignerait  la  destination  de  former  les  équa- 
tions différentielles,  d'où  le  calcul  intégral  fait  parvenir 
ensuite  aux  équations  finies.  Car  la  formation  primitive 
des  équations  différentielles  n'est,  et  ne  peut  ôtre,  à  pro- 
prement parler,  l'objet  d'aucun  calcul,  puisqu'elle  consti- 
tue^ au  contraire,  par  sa  nature,  le  point  de  départ  in- 
dispensable de  tout  calcul  quelconque.  Comment,  en 
particulier,  le  calcul  différentiel  qui,  par  lui-môme,  se  réduit 
à  enseigner  les  moyens  de  différentier  les  diverses  équa- 
tions, pourrait-il  être  un  procédé  général  pour  en  établir? 
Ce  qui,  dans  toute  application  de  l'analyse  transcendante, 
facilite  en  effet  la  formation  des  équations,  c'est  la  méthode 
infinitésimale,  et  non  le  calcul  infinitésimal,  qui  en  est  par- 
faitement distinct,  quoique  en  étant  le  complément  indispen- 
sable. Une  telle  considération  donnerait  donc  une  Fausseidée 
de  la  destination  spéciale  qui  caractérise  le  calcul  différen- 
tiel dans  le  système  général  de  l'analyse  transcendante. 

Mais  ce  serait,  néanmoins,  concevoir  bien  imparfaite- 
ment la  véritable  importance  propre  de  cette  première 
branche  du  calcul  des  fonctions  indirectes,  que  d'y  voir 
seulement  un  simple  travail  préliminaire,  n'ayant  d'autre 
objet  général  et  essentiel  que  de  préparer  au  calcul  inté- 
gral des  fondements  indispensables.  Comme  les  idées 
sont  ordinairement  confuses  à  cet  égard,  je  crois  devoir 
expliquer  sommairement  ici  cette  importante  relation, 
telle  que  je  la  conçois,  et  montrer  que,  dans  chaque  ap- 
plication quelconque  de  l'analyse  transcendante,  une  pre- 
mière part  directe  et  nécessaire  est  constamment  assignée 
au  calcul  différentiel. 


CALCUL  DES  FONCTIONS  INDIRECTES.         S03 

En  formant  les  équations  différentielles  d'un  phénomène 
^elconque,  il  est  bien  rare  qu'on  se  borne  à  introduire 
différentiellement  les  seules  grandeurs  dont  on  cherche 
les  relations.  S'imposer  cette  condition,  ce  serait  diminuer 
JDulilement  les  ressources  que  présente  l'analyse  transcen- 
dante pour  l'expression  des  lois  mathématiques  des  phé- 
nomènes. Le  plus  souvent  on   fait  entrer  aussi  par  leurs 
diCTérentielles,    dans   ces   équations    premières,    d'autres 
grandeurs,  dont  la  relation  est  déjà  connue  ou  supposée 
l'être,  et  sans  la  considération  desquelles  il  serait  fré- 
quemment impossible  d'établir  les  équations.  C'est  ainsi, 
par  exemple,  que,  dans  le  problème  général  de  la  rectifl- 
cation  des  courbes,  l'équation  difTércnlielle, 

rfs»  =  c/y«  -f  dx\  ou  (/««  =  rfx*  +  rfy»  -f  ds«, 

n'est  pas  seulement  établie  entre  la  fonction  cherchée  s  et 
la  variable  indépendante  x  à  laquelle  on  veut  la  rapporter; 
mais  on  a  introduit  en  môme  temps,  comme  intermé- 
diaires indispensables,  les  difl'érentielles  d'une  on  deux 
autres  fonctions  y  et  z^  qui  sont  au  nombre  des  données  du 
problème;  il  n'eût  pas  été  possible  de  formerimmédiatement 
l'équation  entre  ds  et  dx,  qui  serait  d'ailleurs  parliculière 
à  chaque  courbe  considérée.  Il  en  est  de  môme  pour  la 
plupart  des  questions.  Or,  dans  ces  cas,  il  est  évident  que 
l'équation  différentielle  n'est  pas  immédiatement  propre  à 
l'intégration.  Il  faut,  auparavant,  que  les  différentielles 
des  fonctions  supposées  connues,  qui  ont  été  employées 
comme  intermédiaires,  soient  entièrement  éliminées,  alin 
que  les  équations  se  trouvent  établies  entre  les  différen- 
tielles des  seules  fonctions  cherchées  et  celles  des  va- 
riables réellement  indépendantes,  après  quoi  la  question 
ne  dépend  plus  effectivement  que  du  calcul  intégral.  Or 
cette  élimination  préparatoire  de  certaines  différentielles, 


toi  MATHÉMATIQUES. 

afin  de  réduire  les  inflnilésimales  au  plus  petit  nombre  pos^ — 
sible,  est  siniplemenl  du  ressort  du  calcul  différentiel.  Car"' 
elle  doit  se  faire,  évidemment,  en  déterminant,  d'après  le^ 
équations  entre  les  fonctions  supposées  connues  prises 
pour  intermédiaires,  les  relations  de  leurs  différentielles^ 
ce  qui  n*est  qu'une  question  de  différentiation.  Ainsi,  pa 
exemple,  dans  le  cas  des  rectifîcaiions,  il  faudra  d'abor 
calculer  dy  ou  dy  et  e/z,  en  différentiant  l'équation  ou  I 
équations  de  chaque  courbe  proposée;  et,  d'après  ce 
expressions,  la  formule  différentielle  générale  énoncée  ci 
dessus  ne  contiendra  plus  que  ds  et  dx ;  parvenue  à  c 
point,  Tcliminalion  des  infinitésimales  ne  peut  plus  êtr 
achevée  que  par  le  calcul  intégral. 

Tel  est  donc  l'office  général  nécessairement  propre  a 
calculdifférentici  dans  la  solution  totale  des  questions  qu 
exigent  l'emploi  de  l'analyse  transcendante  :  préparer,  au 
tant  que  possible,  l'élimination  des  infinitésimales,  c'est- 
à-dire  réduire,  dans  chaque  cas,  les  équations  différentiell 
primitives  à  ne  plus  contenir  que  les  différoatielles  des^* 
variables  réellement  indépendantes  et  celles  des  fonctions 
cherchées,  en  faisant  disparaître,  par  la  différentiation^ 
les  différentielles  de  toutes  les  autres  fonctions  connues 
qui  ont  pu  être  prises  pour  intermédiaires  lors  de  la  for — 
malien  des  équations  différentielles  du'problome. 

Pour  certaines  questions,  qui,  quoique  en  petit  nombre, 
n'en  ont  pas  moins,  ainsi  que  nous  le  verrons  plus  tard, 
une  trôs-gran  le  importance,  les  grandeurs  cherchées  s 
trouvent  môme  entrer  directement,  et  non  par  leurs  diffé 
rentielles,  dans  les  équations  différentielles  primitives,  qui 
ne  contiennent  alors  différentiellement  que  les  divers 
fonctions  connues,  employées  comme  intermédiaires  d'a- 
près l'explication  précédente.  Ces  cas  sont,  de  tous,  le 
plus  favorables,  car  il  est  évident  que  le  calcul  différeo 


CALCUL  DES   FONCnOMS   INDIRECTES.  tOS 

tiel  suffit  alors  entièremenl  à  réiimination  complète  des 
inOoitésimales,  sans  que  la  question  puisse  donner  lieu  à 
aucune  intégration.  C'est  ce  qui  arrive,  par  exemple,  dans 
le  problème  des  tangentes,  en  géométrie  ;  dans  celui  des 
TÎtesses,  en  mécanique,  etc. 

Enfin  plusieurs  autres  questions,  dont  le  nombre  est 
anssi  fort  petit,  mais  dont  l'importance  n'est  p^s  moins 
grande,  présentent  un  second  cas  d'exception,  qui  est,  par 
sa  nature,  exactement  l'inverse  du  précédent.  Ce  sont 
celles  où  les  équ.itions  dilTérentielles  se  trouvent  être  im- 
médiatement propres  à  l'intégration,  parce  qu'elles  ne 
contiennent,  dès  leur  première  formation,  que  les  infi- 
nilésimales  relatives  aux  fonctions  cberchées  ou  aux  varia- 
bles réellement  indépendantes,  sans  qu'on  ait  été  obligé 
d'introduire  dilTérentiellemenl  d'autres  fonctions  comme 
intermédiaires.  Si,  dans  ces  nouveaux  cas,  on  a  eflective- 
ment  employé  ces  dernières  fonctions,  comme,  par  hy- 
pothèse, elles  entreront  directement  et  non  par  leurs  dif- 
férentielles, l'algèbre  ordinaire  suffira  pour  les  éliminer 
et  réduire  la  question  à  ne  plus  dépendre  que  du  calcul 
intégral.  Le  calcul  différentiel  n'aura  donc  alors  aucune 
part  spéciale  à  la  solution  complète  du  problème,  qui  sera 
tout  entière  du  ressort  du  calcul  intégral.  La  question  gé- 
nérale des  quadratures  en  offre  un  exemple  important, 
cap  l'équation  difl'érentielle,  étant  alors  </ A  =  ydx,  devien- 
dra immédiatement  propre  à  l'intégration  aussitôt  qu'on 
aura  éliminé,  d'après  l'équation  de  la  courbe  proposée,  la 
fonction  intermédiaire  y,  qui  n'y  entre  point  dilférenlielle- 
ment  :  la  môme  circonstance  a  lieu  pour  le  problème  des 
cobatures,  et  pour  quelques  autres  aussi  essentiels. 

En  résultat  général  des  considérations  précédentes,  il 
faut  donc  partager  en  trois  classes  les  questions  mathé- 
matiques qui  exigent  l'emploi  de  l'analyse  transcendante  : 


Î06  MATDÉMATIQUES. 

la  première  classe  comprend  les  problèmes  susceptibles 
d'ôlre  entièrement  résolus  au  moyen  du  seul  calcul  diffé- 
rentiel, sans  aucun  besoin  de  calcul  intégral  ;  la  seconde, 
ceux  qui  sont,  au  contraire,  entièrement  du  ressort  du 
calcul  intégral,  sans  que  le  calcul  différentiel  ait  aucune 
part  à  leur  solution;  enfin,  dans  la  troisième  et  la  plus 
étendue,  qui  constitue  le  cas  normal,  les  deux  autres  n'é- 
tant que  d'exception,  les  deux  calculs  ont  successive- 
ment une  part  distincte  et  nécessaire  à  la  solution  com- 
plète du  problème,  le  calcul  différentiel  faisant  subir 
•aux  équations  différentielles  primitives  une  préparation 
indispensable  à  Tappllcation  du  calcul  intégral.  Telles 
sont  exactement  les  relations  générales  de  ces  deux  cal- 
culs, dont  on  se  forme  communément  des  idées  trop  peu 
précises. 

Jetons  maintenant  un  coup  d'œii  général  sur  la  com- 
position rationnelle  de  chacun  d'eux,  en  commençant, 
comme  il  convient  évidemment,  par  le  calcul  différen- 
tiel. 

Dans  Texposilion  de  Tanalyse  transcendante,  on  a  l'ha- 
bitude de  mêler  à  la  partie  purement  analytique,  qui  se 
réduit  au  traité  abstrait  de  la  différentiation  et  de  l'inté- 
gration, l'étude  de  ses  diverses  applications  principales, 
surtout  de  celles  qui  concernent  la  géométrie.  Cette  confu« 
sion  d'idées,  qui  est  une  suite  du  mode  effectif  suivant 
lequel  la  science  s'est  développée,  présente,  sous  le  rap- 
port dogmatique,  de  graves  inconvénients  en  ce  qu'elle 
empêche  de  concevoir  convenablement,  soit  l'analyse,  soit 
la  géométrie.  Devant  considérer  ici  la  coordination  la  plus 
rationnelle  possible,  je  ne  comprendrai,  dans  le  tableaa 
suivant,  que  le  calcul  des  fonctions  indirectes  .proprement 
dit,  réservant,  pour  la  portion  de  ce  volume  relative  à 
l'étude  philosophique  de  la  mathématique  concrète,  l'exa- 


CALCUL  DBS  FONCTIONS   INDIRECTES.  i07 

men  général  de  ses  grandes  applications  géométriques  et 
mécaniques  (1). 

La  division  fondamentale  du  calcul  différentiel  pur,  ou 
da  traité  général  de  la  diiférentiation,  consiste  à  distinguer 
deux  cas,  suivant  que  les  fonctions  analytiques  qu'il  s'agit 
de  diiTérentier  sont  explicites  ou  implicites  ;  d'où  deux  par- 
ties ordinairement  désignées  par  les  noms  de  différentia- 
tîoD  des  formules  et  différentiation  des  équations.  Il  est  aisé 
de  concevoir  à  priori  l'importance  de  cette  classiQcation. 
En  eifety  une  telle  distinction  serait  illusoire  si  l'analyse 
ordinaire  était  parfaite,  c'est-à-dire  si  l'on  savait  résoudre 
algébriquement  toutes  les  équations;  car  alors  il  serait 
possible  de  rendre  explicite  toute  fonction  implicite  ;  et, 
en  ne  la  différentiant  que  dans  cet  état,  la  seconde  partie 
du  calcul  différentiel  rentrerait  immédiatement  dans  la 
première,  sans  donner  lieu  à  aucune  nouvelle  difficulté. 
Mais  la  résolution  algébrique  d^s  équations  étant,  comme 
nous  l'avons  vu,  encore  presque  dans  l'enfance,  et  ignorée 
jusqu'à  présent  pour  le  plus  grand  nombre  des  cas,  on 
comprend  qu'il  en  doit  être  tout  autrement;  puisqu'il 
s'agit  dès  lors,  à  proprement  parler,  de  différentier  une 
fonction  sans  la  connaître,  bien  qu'elle  soit  déterminée. 
La  dififérentiation  des  fonctions  implicites  constitue  donc, 
par  sa  nature,  une  question  vraiment  distincte  de  celle 
que  présentent  les  fonctions  explicites,  et  nécessairement 
plus  compliquée.  Ainsi  c'est  évidemment  par  la  différen- 
tiation  des  formules  qu'il  faut  commencer,  et  on  parvient 
ensuite  à  ramener  généralement  à  ce  premier  cas  la  diffé- 

(1)  J*ai  établi  depuis  longtemps,  dans  mon  enseignement  ordinaire  de 
Tanalyse  transcendante,  Tordre  que  je  vais  exposer.  Un  nouveau  profes- 
Kar  d'analyse  transcendante  à  1*  École  polytechnique,  avec  lequel  Je  me 
illicite  de  m*étre  rencontré,  M.  Mathieu,  a  adopté,  dans  son  cours  de 
eatte  année  (1830),  une  marche  essentiellement  semblable. 


Î08  MATHÉMATIQUES. 

renlialion  de»  équations,  par  certaines  considérations  ana — 
lytiques  invariables,  que  je  ne  dois  pas  mentionner  ici. 

Ces  deux  cas  généraux  de  la  diCférentiation  sont  encore 
distincts  sous  un  aulre  rapport  également  nécessaire,  et 
trop  important  pour  que  je  néglige  de  le  signaler.  La  rela- 
tion  obtenue  entre  les  din'érenlieiles  est   constamment 
plus  indirecte,  par  rapport  à  celle  des  quantités  finies, 
dans  la  différcnliation  des  fonctions  implicites  que  dans 
celle  des  fondions  explicites.  On  sait,  en  effet,  d*aprèsles 
considérations  présentées  par  Lagrange  sur  la  formation 
générale  des  équations  différentielles,  que,  d'une  part,  la. 
môme  équation  primitive  peut  donner  lieu  à  un  plus  ou_ 
moins  grand  nombre  d'équations  dérivées  de  formes  très — 
diverses,  quoique,  au  fond,  équivalentes,   suivant  celle 
des  constantes  arbitraires  que  l'on  élimine*  ce  qui  n'a  p 
lieu  dans  ladifl'érentiation  des  formules  explicites  ;  et  que, 
d'une  autre  pari,  le  système  infini  d'équations  priniitives-i 
diirérenles  qui  correspondent  à  une  môme  équation  dé- 
rivée, présente  une  variété  analytique  bien  plus  profonde- 
que  celle  des  diverses  fonctions  susceptibles  d'une  môme^ 
différentielle  ex];licite,  et  qui  ne  se  distinguent  les  une 
des  autres  que  par  un  terme  constant.  Les  fonctions  im 
pliciles  doivent  donc  être  envisagées  comme  étant  réelle 
ment  encore  plus  modifiées  par  la  différenliation  que  1 
fondions  explicites.  Nous  retrouverons  tout  à  l'heure  cett 
considération  relativement  au  calcul  intégral,  où  elle  ac 
quiei't  une  importance  prépondérante. 

Chacune  des  deux  parties  fondamentales  du  calcul  diffé 
reniiel  se  subdivise  elle-même  en  deux  théories  très-dis 
tinclc>,  suivant  qu'il  s'agit  de  différentier  des  fonctions 
une  seule  variable,  ou  des  fonctions  à  plusieurs  variabi 
indépendanlos.  Ce  second  cas  est,  par  sa  nature,  tout  à  fai 
distinct  du  premier,  cl  présente  évidemment  plus  de  com 


CALCUL  DES  FONCTIOiNS  INDIRECTES.  iOt 

plication,  môme  en  ne  considérant  que  les  fonctions  expli- 
dleSy  et  h  plus  forte  raison  pour  les  fonctions  impiicilos.  Do 
reste,  l'un  se  déduit  généralement  de  l'autre,  à  l'aide  d'un 
principe  invariable  fort  simple,  qui  consiste  à  regarder  la 
difTércnlielle  totale  d'une  fonction  en  vertu  des  accroisse- 
ments simultanés   des   diverses  variables   indépendantes 
qu'elle    contient,  comme    la    somme  des    difift  rcntielles 
jMirtielles  que  produirai!  l'accroissement  séparé  de  chaque 
variable  successivement,  si  toutes  les  autres  étaient  con- 
stantes. Il  faut,  d'ailleurs,  soigneusement  remarquer  à  ce 
sujet  une  notion  nouvelle  qu'introduit,  dans  le  système  de 
l'analyse  transcendante,  la  distinction  des  fonctions  à  une 
seule  variable  et  à  plusieurs  ;  c'est  la  considération  de  ces 
diverses  fonctions  dérivées  spéciales,  relatives  2i  chaque  va- 
riable isolément,  et  dont  le  nombre  croît  de  plus  en  plus 
à  mesure  que  l'ordre  de  la  dérivation  s'élùve,  et  ausM  quand 
les  variables  sont  plus  multipliées.  Il  en  résulte  que  les  re- 
lations diCférentielles  propres  aux  fonctions  de  plusieurs 
variables  sont,  par  leur  nature,  et  bien  plus  indirectes  et 
surtout  beaucoup  plus  indéterminées  que  celles  relatives 
aux  fonctions  d'une  seule  variable.  Cela  est  principalement 
sensible  pour  les  fondions  implicites  où,  au  lieu  des  sim- 
ples constantes  arbitraires  que  l'élimination  fait  disparaître 
quand  on  forme  les  équations  diifcrcntielles  propres  aux 
fonctions  d'une  seule  Vidiable,  ce  sont  des  fonctions  arbi- 
traires des  variables  proposées  qui  se  trouvent  élinjinées, 
d'où  doivent  résulter,  lors  des  intégrations,  des  difûcultés 
spéciales. 

EoOn,  pour  compléter  ce  tableau  sommaire  des  diverses 
parties  essentielles  du  calcul  différentiel  proprement  dit,  je 
dois  ajouter  que,  dans  la  différentiation  des  fonctions  im- 
plicites, soit  à  une  seule  variable,  soit  à  plusieurs,  il  fîiut 
encore  dibtinprucr  le  cas  où  il  s'agit  de  différenlier  à  la  fois 

A.  CouTB.  Tome  L  14 


s  1 0  MATHÉMATIQUES. 

diverses  fonctions  de  ce  genre,  mêlées  dans  certaines  équa- 
tions primitives,  de  celui  où  toutes  ces  fonctions  sont  sé- 
parées. 

Les  fonctions  sont  évidemment,  en  effet,  encore  plus 
implicites  dans  le  premier  cas  que  dans  le  second,  si  l'on 
considère  que  la  môme  imperfection  de  l'analyse  ordinaire, 
qui  empêche  de  convertir  toute  fonction  implicite  en  une 
fonction  explicite  équivalente,  ne  permet  pas  davantage  de 
séparer  les  fonctions  qui  entrent  simultanément  dans  un 
système  quelconque  d'équations.  Il  s'agit  alors  de  dififéren- 
licr,  non-seulement  sans  savoir  résoudre  les  équations  pri- 
mitives, mais  même  sans  pouvoir  effectuer  entre  elles  les 
éliminations  convenables,  ce  qui  constitue  une  nouvelle 
difûculté. 

Tels  sont  donc  Tenchalnemenl  naturel  et  la  distribution 
rationnelle  des  diverses  théories  principales  dont  se  com- 
pose le  traité  général  de  la  différenliation.  On  voit  que,  la 
différentiation  des  fonctions  implicites  se  déduisant  de 
celle  des  fonctions  explicites  par  un  seul  principe  constant, 
et  la  différentiation  des  fonctions  à  plusieurs  variables  se 
ramenant,  par  un  autre  principe  fixe,  à  celle  des  fonctions 
à  une  seule  variable,  tout  le  calcul  différentiel  se  trouve 
reposer,  en  dernière  analyse,  sur  la  différentiation  des 
fonctions  explicites  à  une  seule  variable,  la  seule  qui  s'exé- 
cute jamais  directement.  Or,  il  est  aisé  de  concevoir  que 
cette  première  théorie,  base  nécessaire  du  système  entier, 
consiste  simplement  dans  la  différentiation  des  dix  fonc- 
tions simples,  qui  sont  les  éléments  uniformes  de  loutes 
nos  combinaisons  analytiques,  et  dont  j'ai  présenté  le  ta- 
bleau (4*  Ic^Qon).  Car  la  différentiation  des  fonctions  com- 
posées se  déduit  évidemment,  d'une  manière  immédiate 
et  iK'ccssaire,  de  celle  des  fonctions  simples  qui  les  con- 
stituent. C'est  donc  à  la  connaissance  de  ces  dix  différen- 


CALCUL  DES  FONCTIONS  INDIRECTES.  Î11 

Ifelles  fondamentales,  et  à  celle  des  deux  principes  géné- 
raux, ci-dessus  mentionnés,  qui  y  ramènent  tous  les  autres 
cas  possibles,  que  se  réduit,  à  proprement  parler,  tout  le 
traité  de  la  différentialion.  On  voit,  par  la  combinaison  de 
ces  diverses  considérations,  combien  est  à  la  fois  simple  et 
parfait  le  système  entier  du  calcul  différentiel  proprement 
dit  II  constitue  certainement,  sous  le  rapport  logique,  le 
spectacle  le  plus  intéressant  que  l'analyse  mathématique 
paisse  présenter  à  notre  intelligence. 

Le  tableau  général  que  je  viens  d'esquisser  sommairement 
offrirait,  néanmoins,  une  lacune  essentielle,  si  je  n'indi- 
quais ici  distinctement  une  dernière  théorie,  qui  forme, 
par  sa  nature,  le  complément  indispensable  du  traité  de 
la  différentiation.  C'est  celle  qui  a  pour  objet  la  transfor- 
mation constante  des  fonctions  dérivées,  en  résultat  des 
changements  déterminés  de  variables  indépendantes,  d'où 
résulte  la  possibilité  de  rapporter  à  de  nouvelles  variables 
toutes  les  formules  différentielles  générales  établies  primi- 
tivement pour  d'autres.  Celte  question  est  maintenant  ré- 
solue de  la  manière  la  plus  complète  et  la  plus  simple, 
comme  toutes  celles  dont  se  compose  le  cah  ul  différentiel. 
On  conçoit  aisément  l'imporlance  générale  qu'elle  doit 
avoir  dans  les  applications  quelconques  de  l'analyse  trans- 
cendante, dont  elle  peut  être  considérée  comme  augmen- 
tant les  ressources  fondamentales,  en  permettant  de 
choisir,  pour  former  d'abord  plus  aisément  les  équations 
différentielles,  le  système  de  variables  indépendantes  qui  pa- 
nttr-a  le  plus  avantageux,  bien  qu'il  ne  doive  pns  ôlre  main- 
tenu plus  lard.  C'est  ainsi,  par  exemple,  que  la  plupart  des 
questions  principales  de  la  géométrie  se  résolvent  beau- 
coup plus  aisément  en  rapportant  les  lignes  et  les  surfaces 
k  des  coordonnées  reclllignes  cl  qu'on  peut  néanmoins 
^Ire  conduit  à  les  appliquer  à  des  formes  exprimées  ana- 


212  MATHEMATIQUES. 

lyliqiiement,  à  Taide  de  coordonnées  polaires,  ou  de  toute 
autre  manière.  On  pourra  commencer  alors  la  solution  dif- 
férentielle du  problème  en  employant  toujours  le  système 
rectiligne,  mais  seulement  comme  un  intermédiaire,  d'a- 
près lequel,  par  la  théorie  générale  que  nous  avons  en  vue 
ici,  on  passera  au  système  dcrinilif,  qu'il  eût  élé  quelque- 
fois impossible  de  considérer  direclement. 

Dans  la  classiJicatioii  rnlionnelle  que  je  viens  d'exposer 
pour  l'ensemble  du  calcul  différentiel,  on  serait  naturelle- 
ment tenté  de  signaler  une  omission  grave,  puisque  je  n*aî 
pas  sous-divisé  chacune  des  quatres  parties  essentielles 
d'après  une  autre  considération  générale,  qui  semble  d'a- 
bord fort  importante  en  elle-même,  celle  de  Tordre  plus 
ou  moins  élevé  de  la  différentiation.  Mais  il  est  aisé  de  com- 
prendre que  celte  distinction  n'a  aucune  influence  réelle 
dans  le  calcul  différentiel,  en  ce  qu'elle  n'y  donne  lieu  à 
aucune  difficulté  nouvelle.  En  effet,  si  le  calcul  différentiel 
n'ét^iit  pas  rigoureusement  complet,  c'est-à-dire  si  on  ne 
savait  point  différencier  indi^tinctement  loute  fonctioa> 
quelconque,  la  différentiation  au  second  ordre,  ou  à  uii> 
ordre  supérieur,  de  chaque  fonction  déterminée  pourrait 
engendrer  des  difficnltés  spéciales.  Mais  la  parfaite  uni- 
versalité du  calcul  différentiel  donne  évidemment  l'assu- 
rance de  pouvoir  différencier  à  un  ordre  quelconque  toutes 
les  fonctions  analytiqui's  connues,  la  question  se  rédui- 
sant sans  cesse  à  une  différentiation  au  premier  ordre,  suc- 
cessivement redoublée.  Ainsi,  la  considération  des  divers 
ordres  de  différentielles  peut  bien  donner  naissance  à  de 
nouvelles  remarques  plus  ou  moins  importantes,  surtout 
en  ce  qui  concerne  la  formation  des  équations  dififérea- 
tielles,  et  les  dérivées  partielles  successives  des  fonctions 
à  plusieurs  variables.  Mais  elle  ne  saurait,  évidemment, 
constituer  aucun  nouveau  problème  général  dans  le  traité 


CALCUL  DES  FONCTIONS   INDIRECTES.  iU 

-de  la  difTérentiation.  Nous  verrons  tout  à  l'heure  que  celte 
<]istinclion,  qui  n*a,  pour  ainsi  dire,  aucune  importance 
dans  le  calcul  différentiel,  en  acquiert,  au  contraire,  une 
t^rès-grande  dans  le  calcul  intégral,  en  vertu  de  rextrôme 
imperfection  de  ce  dernier  calcul. 

Enfin,  quoique  j*aie  cru,  en  thèse  générale,  ne  devoir 
«nullement  envisager  en  ce  moment  les  diverses  applica- 
't.ions  principales  du  calcul  différentiel,  il  convient  néan- 
snoins  de  faire  une  exception  pour  celles  qui  consisten 
-^ans  la  solution  de  questions  purement  analytiques,  qui   . 
-doivent,  en  effet,  être  rationnellement  placées  h  la  suite 
^u  traité  de  la  différentiation  proprement  dite,  à  cause  de 
l'homogénéité  évidente  des  considérations.  Ces  questions 
])euvent  se  réduire  à  trois  essentielles  :  i""  le   développe- 
ment en  séries  des  fonctions  à  une  seule  ou  à  plusieurs 
'Variables,  ou,  plus  généralement,   la  transformation  des 
^fonctions,  qui  constitue  la  plus  belle  et  la  plus  importante 
application  du  calcul  différentiel  à  l'analyse  générale,  et 
qui  comprend,  outre  la  série  fondamentale  découverte  par 
Taylor^  les  séries  si  remarquables  trouvées  par  Maclaurin, 
par  Jean  Bernouilli,  par  Lagrange,  etc.  ;  2*  la  théorie  gé- 
nérale des  valeurs  maxima  et  minima  pour  les  fonctions 
quelconques  à  une  seule  ou  à  plusieurs  variables,  un  des 
plus  intéressants  problèmes  que  puisse  présenter  l'ana- 
lyse,  quelque  élémentaire  qu'il  soit   devenu  aujourd'hui, 
et  à  la  solution  complète  duquel  le  calcul  différentiel  s'ap- 
plique très-naturellement  ;  3°  enfin,  la  détermination  gé- 
nérale de  la  vraie  valeur  des  fonctions  qui  se  présentent 
sous   une  apparence  indéterminée  pour  certaines  hypo- 
thèses faites  sur  les  valeurs  des  variables  correspondantes, 
ce  qui  est  le  problème  le  moins  étendu  et  le  moins  impor- 
tant des  trois,  quoiqu'il  mérite  d'être  noté  ici.  La  première 
quesliou  est,  sans  contredit,  la  principale  sous  tous  les  rap*- 


âl4  MATUÉMATIQUES. 

ports  :  elle  est  aussi  la  plus  susceptible  d'acquérir  dans  la 
suite  une  extension  nouvelle,  surtout  en  concevant,  d'une 
manière  plus  large  qu'on  ne  Ta  fait  jusqu'ici,  l'emploi  du 
calcul  différentiel  pour  la  transformation  des  fonctions,  au 
sujet  de  laquelle  Lagrange  a  laissé  quelques  indications 
précieuses,  qui  n'ont  encore  été  ni  généralisées  ni  suivies. 

Je  regrette  beaucoup  d'être  obligé,  par  les  limites  né- 
cessaires de  cet  ouvrage,  de  me  borner  à  des  considéra- 
tions sommaires  aussi  insuffisantes  sur  tous  les  divers 
sujets  que  je  viens  de  passer  en  revue,  et  qui  comporte- 
raient, par  leur  nature,  des  développements  beaucoup  plus 
étendus,  en  continuant  toujours  néanmoins  à  rester  dans  les 
généralités  qui  sont  le  sujet  propre  de  ce  cours.  Je  passe 
maintenant  à  l'exposition  également  rapide  du  tableau  sys- 
tématique du  calcul  intégral  proprement  dit,  c'est-à-dire 
du  traité  abstrait  de  l'intégration. 

La  division  fondamentale  du  calcul  intégral  est  fondée 
sur  le  môme  principe  que  celle  ci-dessus  exposée  pour  le 
calcul  différentiel,  en  distinguant  l'intégration  des  for- 
mules différentielles  explicites,  et  l'intégration  des  diffé- 
rentielles implicites,  ou  des  équations  différentielles. 
La  séparation  de  ces  deux  cas  est  même  bien  plus 
profonde,  relativement  à  l'intégration,  que  sous  le  simple 
rapport  de  la  différentiation.  Dans  le  calcul  différen- 
tiel, en  effet,  cette  distinction  ne  repose,  comme  nous 
l'avons  vu,  que  sur  l'extrême  imperfection  de  rana!]rse 
ordinaire.  Mais,  au  contraire,  il  est  aisé  de  voir  que,  quand 
même  toutes  les  équations  seraient  résolues  algébrique- 
ment, les  équations  difiérentielles  n'en  constitueraient  pas 
moins  un  cas  d'intégration  tout  à  fait  distinct  de  celui  que 
présentent  les  formules  différentielles  explicites.  Car,  en 
se  bornant,  par  exemple,  au  premier  ordre  et  à  une  fonc- 
tion unique^  d'une  seule  variable  x,  pour  plus  de  simpli- 


CALCUL  DES  FONCTIONS  INDIRECTES.         tl5 

€5Îtéy  si  Fon  toppose  résolue,  par  rapport  à  ^  une  équa- 

CioQ  différentielle  quelconque  entre  x,  y,  et  ^i  l'expres- 
^on  de  la  fonction  dérivée  se  trouvant  alors  contenir  géné- 
x-alement  la  fonction  primitive  el!e-môme  qui  est  l'objet  de 
la  recherche,  la  question  d'intégration  n'aurait  nullement 
<2hangé  de  nature,  et  la  solution  n'aurait  fait  réellement 
^'aulre  progrès  que  d'avoir  amené  l'équation  différentielle 
»posée  à  ne  plus  être  que  du  premier  degré  relativement 
la  fonction  dérivée,  ce  qui  est,  en  soi,  de  peu  d'impor- 
'K^nce.  La  différentielle  n'en  serait  donc  pas  moins  déter- 
xninée  d'une  manière  à  peu  près  aussi  implicite  qu'au para- 
'^ant,   sous  le  rapport  de  Tintégration,  qui  continuerait  à 
;présenter  essentiellement  la  môme  difficulté  caractéris- 
'^ique.  La  résolution  algébrique  des  équations  ne  pourrait 
^aire  rentrer  le  cas  que  nous  considérons  dans  la  simple 
intégration  des  diflérentielles    explicites,    que  dans    les 
occasions  très-particulières    où    l'équation    différentielle 
proposée  ne  contiendrait  point  la  fonction  primitive  elle- 
néme,  ce  qui  permettrait,  par  consé(juent,  en  la  résol- 
vant, de  trouver  -£  en  fonction  de  x  seulement,  et  de  ré- 
duire ainsi  la  question  aux  quadratures. 

La  considération  que  je  viens  d'indiquer  pour  les  équa- 
tions différentielles  les  plus  simples  aurait  évidemment 
encore  plus  d'importance  pour  celles  des  ordres  supéiieurs 
oa  qui  contiendraient  simultanément  diverses  fonctions 
de  plusieurs  variables  indépendantes.  Ainsi,  l'intégration 
des  difTérentielles  qui  ne  sont  déterminées  qu'impli- 
citement constitue  par  sa  nature,  et  sans  aucun  égard 
à  l'état  de  l'algèbre,  un  cas  entièrement  distinct  de  celui  re- 
latif aux  différentielles  explicitement  exprimées  en  fonction 
des  variables  indépendantes.  L'intégration  des  équations 
difTérentielles  est  donc  nécessairement  plus  compliquée 


il  6  MÀTnÉUATIQUES. 

que  celle  des  difTorentielles  explicites,  par  Télabora- 
tion  desquelles  le  calcul  intéf,TaI  a  pris  naissance,  et  dont 
ensuite  on  s'est  efforcé  de  faire,  autant  que  possible,  dé- 
pendre les  autres.  Tous  les  divers  procédés  analytiques 
proposés  jusqu'ici  pour  intégrer  les  équations  différen- 
tielles, soil  la  séparation  des  variables,  soit  la  méthode 
des  multiplicateurs,  etc.,  ont  en  effet  pour  but  de  rannener 
ces  intégrations  à  celles  des  formules  différentielles,  la 
seule  qui,  par  sa  nature,  puisse  être  entreprise  directe- 
ment. Malbeureusemenl,  quelque  imparfaite  que  soit  jus- 
qu'ici celte  base  nécessaire  de  tout  le  calcul  intégral,  Tart 
d'y  réduire  l'intégration  des  équations  différentielles  est 
encore  bien  moins  avancé. 

Chacune  de  ces  deux  branches  fondamenlales  du  calcul 
intégral  se  sous-divise  ensuite  en  deux  autres,  comme 
dans  le  calcul  différenliel,  et  par  des  motifs  exactement 
analogues  (que  je  me  dispenserai,  par  conséquent,  de  re- 
produire), suivant  que  Ton  considère  des  fonctions  à  une 
seule  variable  ou  des  fonctions  è  plusieurs  variables  in- 
dépendantes. Je  ferai  seulement  observer  que  celte  dis- 
tinction est,  comme  la  précédente,  encore  plus  importante 
pour  l'tnlégralion  que  pour  la  différcntiation.  Cela  est 
surtout  remarquable,  relativement  aux  équations  diffé- 
rentielles. En  effet,  celles  qui  se  rapportent  à  plusieurs 
variables  indépendantes  peuvent  évideumjent  présenter 
celte  dilficulté  caractéristique,  et  d'un  ordre  bien  plus 
élevé,  que  la  fonction  cherchée  soil  déQnie  différentielle- 
ment  par  une  simple  relation  entre  ses  diverses  dérivées 
spéciales  relatives  aux  différentes  variables  prises  séparé- 
ment. De  \h  résulte  la  branche  la  plus  difficile,  et  aussi  la 
plus  étendue  du  calcul  intégral,  ce  qu'on  nomme  ordinai- 
rement le  calcul  intégral  aux  différences  partielles^  créé  par 
d'Alembert,  et  dans  lequel,  suivant  la  ju»te  appréciation 


CALCUL  DES  FONCTIONS  INDIRECTES.         «17 

de  Lagrange,  les  géomètres  auraîenl  dû  voir  réellement 
un  calcol  nouveau,  dont  le  caractère  philosophique  n*est 
pas  assez  exactement  jngé.  Une  difTcrence  Irès-sailIante 
entre  ce  cas  et  celui  des  équations  à  une  seule  variable  in- 
dépendante consiste,  comme  je  l'ai  fait  observer  ci-dessus, 
dans  les  fonctions  arbitraires  qui  remplacent  les  simples 
constantes  arbitraires  pour  donner  aux  intégrales  corres- 
pondantes toute  la  généralité  convenable. 

A  peine  ai-je  besoin  de  dire  que  cette  branche  supé- 
rieure de  l'analyse  transcendante  est  encore  entièrement 
dans  Tcnfance,  puisque,  seulement  dans  le  cas  le  plus 
simple,  celui  d'une  équation  du  premier  ordre  entre  les 
dérivées  partielles  d'une  seule  fonction  à  deux  variables 
indépendantes,  on  ne  sait  point  même  jusqu'ici  complète- 
ment ramoner  l'intégration  à  celle  des  équations  différen- 
tielles ordinaires.  L'intégralion  relative  aux  fonctions  de 
plusieurs  variables  est  beaucoup  plus  avancée,  dans  le  cas, 
infiniment  plus  simple,  à  la  vérilé,  où  il  ne  s'agit  que  des 
formules  différenlielles  expliciles.  On  sait  alors,  en  effet, 
quand  ces  formules  remplissent  les  conditions  convenables 
d'intégralité,  réduire  constamment  leur  intégration  aux 
quadratures. 

Une  nouvelle  dislinction  générale  applicable,  comme 
sous-division,  à  l'intégraiion  des  différentielles  explicites 
on  implicites,  à  une  seule  variable  ou  à  plusieurs,  se  tire 
de  l'ordre  plus  ou  moins  élevé  des  différentiations,  qui  ne 
donne  lieu  à  aucune  question  spéciale  dans  le  calcul  diffé- 
rentiel, ainsi  que  nous  l'avons  remarqué. 

Relativement  aux  différentielles  explicites,  soit  ù  une 
variable,  soit  à  plusieurs,  la  nécessité  de  distinguer  leurs 
divers  ordres  ne  tient  qu'à  Textréme  imperfection  du  cal- 
cul intégral.  En  effet,  si  l'on  savait  constamment  intégrer 
toute  formule  différentielle  du  premier  ordre,  l'intégration 


218  HÀTOÉMATIQUES. 

d'une  formule  du  second  ordre  ou  de  tout  autre  ne  consti- 
tuerait point,  évidemment,  une  question  nouvelle,  puis- 
que, en  l'intégrant  d'abord  au  premier  ordre,  on  parviendrait 
à  l'expression  différentielle  de  Tordre  immédiatement  pré- 
cédent, d'où,  par  une  suite  convenable  d'intégrations  ana- 
logues, on  serait  certain  de  remonter  finalement  à  la 
fonction  primitive,  objet  propre  d'un  tel  travail.  Mais  le 
peu  de  connaissances  que  nous  possédons  sur  les  intégra- 
tions premières  fait  qu'il  n^en  est  point  ainsi,  et  que  l'or- 
dre plus  ou  moins  élevé  des  différenlielles  engendre  des 
difflcultés  nouvelles.  Car,  ayant  des  formules  difTorenli elles 
d'un  ordre  quelconque  supérieur  au  premier,  il  peut  arri- 
ver qu'on  sache  les  intégrer  une  première  fois  ou  plusieurs 
fois  de  suite,  et  que,  néanmoins,  on  ne  puisse  remonter 
ainsi  aux  fonctions  primitives,  si  ces  travaux  préliminaires 
ont  produit^  pour  les  différentielles  d'un  ordre  intérieur, 
des  expressions  dont  les  intégrales  ne  sont  pas  connues. 
Cette  circonstance  doit  se  présenter  d'autant  plus  fréquem- 
ment, le  nombre  des  intégrales  connues  étant  encore  fort 
petit,  que  ces  intégrales  successives  sont  généralement, 
comme  on  sait,  des  fonctions  très-différentes  des  dérivées 
qui  les  ont  engendrées. 

Par  rapport  aux  différentielles  implicites,  la  distinctioQ 
des  ordres  est  encore  plus  importante;  car,  outre  le 
motif  précédent,  dont  l'influence  est  évidemment  ici  ana- 
logue, et  môme  à  un  plus  haut  degré,  il  est  aisé  de  sentir 
que  l'ordre  supérieur  des  équations  différentielles  donne 
lieu  nécessairement  à  des  questions  d'une  nature  nou- 
velle. En  effet,  sût-on  môme  intégrer  indistinctement 
toute  équation  du  premier  ordre  relative  à  une  fonction 
unique,  cela  ne  sufûrait  point  pour  faire  obtenir  l'intégrale 
définitive  d'une  équation  d'un  ordre  quelconque,  toute 
équation  différentielle  n'étant  pas  réductible  à  celle  d'un 


CALCUL  DES  FONCTIONS  INDIRECTES.         il  9 

ordre  immédiatement  inréricur.   Si  ron  a,  par  exemple, 

ponr  déterminer  une  fonction  y  de  la  variable  Xy  une  rela- 

lion    quelconque  entre  x,  ^,  ^,  et  ^,  on  n'en  pourra 

point  déduire  immédiatement,  en  cfTectuanl  une  première 

intégration,  la  relation  diCrérenlielIe  correspondante  entre 

JCy  y,  et  ^,  d'où,  par  une  seconde  inli^gralion,  on  remon- 

'E.erait  à  Teqnation  primitive.  Cela  n'aurait  lieu^nécessaire- 

KXienty  du  moins   sans  introduire   de  nouvelles  fondions 

Sàuxîliaires,  que  si  Téquation  du  second  ordre  proposée  ne 

crontenait  point  la   (onclion  cherchée  y,  concurremment 

^?ec  ses  dérivées.  En  Ihèse  générale,  les  équations  difl'é- 

x^entielles  devront  donc  réellement  être  envisagées  comme 

présentant  des  cas  d'autant  plus  implicites,  que  leur  ordre 

^sst  plus  élevé,  et  qui  ne  pourront  rentrer  les  uns  dans  les 

autres  que  par  des  méthodes  spéciales,  dont  la  recherche 

^^onstilue,   par  conséquent,  une  nouvelle  classe  de  ques- 

Ijons,   à  l'égard  dt^squellcs  on  ne  sait  jusqu'ici   presque 

X'ien,  môme  pour  les  fonctions  d'une  seule  variable  (I). 

Au  reste,  quand  on  examine,  d'une  manière  très-appro- 
A)Ddie,  celle  distinction  des  divers  ordres  d'équations 
différentielles,  on  trouve  qu'elle  pourrait  rentrer  cons- 
tamment dans  une  dernière  distinction  générale,  relative 
aux  équations  différentielles,  que  j'ai  encore  à  signaler.  En 
effet,  les  équations  différentielles  à  une  seule  ou  à  plusieurs 
Tariables  indépendantes  peuvent  ne  contenir  simplement 
qu'une  seule  fonction,  ou  bien,  dans  un  cas  évidemment 
plas  compliqué  et  plus  implicite,  qui  correspond  à  la  diffé- 
rentiation  des  fonctions  implicites  simultmées,  on  peut 

(1)  Le  seul  cas  important  de  ce  genre  qui  ait  été  complètement  traité 
Jusqu'ici  est  Tiutégration  générale  des  équations  linéaires  d*iin   of'dre 
quelconque,  à  coerflcients  constants.  Encore  se  trouvo-t-olle  dépendre  fl- 
nalement  de  la  résolution  algébrique  des  équations  d'un  degré  égal  à  Tor- 
dre de  la  différentiatiun. 


tlO  MATHÉMATIQUES. 

avoir  à  déterminer  en  môme  temps  plusieurs   fondions 
d'après  des  équations  didén-nlielles  où  elles  se  trouvent 
mêlées,  concurremment  avec  leurs  diverses  dérivées.  Il 
est  clair  qu'un  tel  état  de  la  question  présente  nécessai- 
rement une  nouvelle  difficulté  spéciale,  celle  d'établir  la 
séparation  des  diffcrenles    fonctions   cherchées,   en  for- 
mant pour  chacune,  d'après  les  équations  diCfcrcntielles 
propo^^ées,  une  équation  différentielle  isolée,  qui  ne  con- 
tienne plus  les  autres  fonctions  ni  leurs  dérivées.  Ce  tra- 
vail préliminaire,  qui  est  Tanalogue  de  l'élimination  en 
algèbre,  est  évidemment  indispensable  avant  de    tenter 
aucime  intégration  directe,  puisqu'on  ne  peut  entrepren- 
dre généralement,  à  moins  d'artifices  spéciaux  très-rare- 
ment applicables,  de  déterminer  immédiatement  à  la  fois 
plusieurs  fonctions  distinctes.  Or  il  est  aisé  d'établir  la 
coïncidence  eracle  et  nécessiire  de  cette  nouvelle  distinc- 
tion avec  la  précédente,  relative  à  l'ordre  des  équations 
difiërentielles.  On  sait,  en  effet,  que  la  méthode  générale 
pour  isoler  les  fonctions,  dans  les  équations  différentielles 
simultanées,  consiste  essentiellement  à  former  des  équa- 
tions difiérentieiles,   séparément  relatives,  à  chaque  fonc- 
tion, et  dont  l'ordre  est  égal  à  la  somme  de  tous  ceux  des 
diverses  équations  propo>ées.   Cette  transformation  peat 
s'effectuer  constamment.  D'un  autre  côté,  toute  équation 
différentielle  d'un  ordre  quelconque  relative  à  une  seule 
fonction  pourrait  évidemment   se    ramener  toujours  aa 
premier   ordre,   en  ir.trocluisant  un  nombre  convenable 
d'équal'ons  diffcrenlielies  auxiliaires,  contenant  simultané- 
ment les  diverses  dérivées  antérieures  considérées  comme 
nouvelles  fonctions  à  déterminer.  Ce   procédé  a    môoie 
été  quelquefois  employé  avec  succès,  quoiqu'on  géuéral, 
il  ne  soit  pas  normal.  Ce  sont  donc  deux  genres  de  con- 
ditions nécessairement  équivalents,  dans  la  théorie  gêné- 


CALCUL   DES   FONCTIONS   INDIRECTES.  %%i 

raie  des  équations  diilërenliellos,  que  la  simullanéité  d'un 
plus   ou  moins  grand  nombre  do  fondions,  cl  Tordre  de 
difTérenlialioa  pids  ou  moins  élevé  d'une  Ibnclion  unique. 
£n  augmentant  l'ordre  des   équalions  diirérenlieiles,   on 
peut  isoler  toutes  les  fondions;  et,  en  multipliant  artifi- 
ciellement le  nombre  des    fondions,   on  peut  ramener 
toutes  les  équalions  au  premier  ordre.  II  n'y  a,  par  consé- 
queiity   dans  l'un  cl  l'aiilre  cas,  qu'une  môme  difdcullé, 
envisagée  sous  deux  points  de  vue  diflorents.  Mais,  dequel- 
C]ue  manière  qu'on   la  cor.çoive,  cette  nouvelle  difticullé 
c:ommune  n'en  est  pas  moins  réelle,  et  n'en  conslilue  pas 
moins,  par  sa  nature,  une  sép-aralion  tranchée  entre  l'iiité- 
^r-ilion  des  équations  du  premier  ordre  cl  celle  des  équa- 
tions d'un  ordre  supérieur.  Je  préfère  indiquer  la  distinc- 
tion sous  celte  dernière  forme,  comme  plus  simple,  plus 
générale  et  plus  rationnelle. 

D'après  les  diverses  considérations  indiquées  ci-dessus 
$UT  l'encbalnement  rationnel  des  diflércntcs  parties  prin- 
cipales du  calcul  intégral,  on  voit  que  l'inlégration  dos  for- 
mules dillcrcntiellcs  explicites  du  premier  ordre  à  une 
seule  variable  est  la  base  n(;cessaire  de  toutes  les  autres 
intégrations,  qu'on  ne  parvient  jamais  à  efl'ectuer  qu'autant 
qu'on  peut  les  faire  rentrer  dans  ce  cas  élémentaire,  le 
seul  é\idi'mmeni  qui,  par  sa  nature,  soit  susceptible  d'être 
traité  directement.  Cette  intégration  simple  et  fondamen- 
tale est  souvent  désignée  par  l'expression  commode  de 
quadratures^  attendu  que  toute  intégrale  de  ce  genre  <Sy(a!r) 
dx,  peut,  enclfel,  être  envisagée  comme  représentant  l'aire 
d'une  courbe  dont  l'équation  en  coordonnées  rectilignes 
serait  y  =  f{pc).  Une  telle  classe  de  questions  correspond, 
dans  le  calcul  différentiel,  au  cas  élémentaire  de  la  difl'é- 
rentialion  des  fonctions  explicites  à  une  seule  variable.  iMais 
la  question  intégrale  est,  pur  sa  nature,  bien  autrement 


su  MATHÉMATIQUES. 

compliquée,  et  siirloiit  beaucoup  plus  étendue  que  la 
question  différentielle.  Celle-ci  se  réduit  nécessai renient, 
en  effet,  comme  nous  l'avons  vu,  à  la  différentiation  des 
dix  fonctions  simples,  éléments  de  toutes  celles  que  l'ana- 
lyse considère.  Au  contraire,  l'intégration  des  fonctions 
composées  ne  se  déduit  point  nécessairement  de  celle  des 
fonctions  simples,  dont  chaque  nouvelle  combinaison  doit 
présenter,  sous  le  rapport  du  calcul  intégral,  des  difficultés 
spéciales.  De  là,  Télendue  naturellement  indéfinie,  et  la 
complication  si  variée  de  la  question  des  quadratures,  sur 
laquelle,  malgré  tous  les  efforts  des  analystes,  on  possède 
encore  si  peu  de  connaissances  complètes. 

En  décomposant  celte  question,  comme  il  est  naturel 
de  le  faire,  suivant  les  diverses  formes  que  peut  affecter  la 
fonction  dérivée,  on  dislingue  d'abord  le  cas  des  fonctions 
algébriques,  et  ensuite  celui  des  fonctions  transcendantes. 
L'intégration  vraiment  analytique  de  ce  dernier  ordre 
d'expressions  est  jusqu'ici  fort  peu  avancée,  soit  pour  les 
fonctions  exponentielles,  soit  pour  les  fonctions  loga- 
rithmiques, soit  pour  les  fonctions  circulaires.  On  n'a  traité 
encore  qu'un  très-petit  nombre  de  cas  de  ces  trois  divers 
genres,  en  les  choisissant  parmi  les  plus  simples,  qui  cod- 
duisent  môme  ordinairement  à  des  calculs  extrêmement 
pénibles.  Ce  que  nous  devons  surtout  remarquer  à  ce  sujet 
sous  le  rapport  philosophique,  c'est  que  les  divers  procédés 
de  quadrature  ne  tiennent  à  aucune  vue  générale  sur  l'in- 
tégration, et  consistent  en  de  simples  artifices  de  calcul 
fort  incohérents  entre  eux,  et  dont  le  nombre  est  très-mul- 
tiplié,  à  cause  de  retendue  très-bornée  de  chacun  d'eux. 
Je  dois  cependant  signaler  ici  un  de  ces  artifices  qui,  sans 
être  réellement  une  méthode  d'intégration,  est  néanmoins 
remarquable  par  sa  généralité  :  c'est  le  procédé  inventé 
par  Jean  Bernouilli,  et  connu  sous  le  nom  de  Vmtégraticn 


CALCUL  DES  FONCTIONS  INDIRECTES.         tlS 

par  parHeSf  d'après  lequel  toute  intégrale  peut  être  ra- 
menée à  nne  autre,  qui  se  trouve  quelquefois  être  plus 
facile  à  obtenir.  Cette  ingénieuse  relation  mérite  d'être 
notée  sous  un  autre  rapport,  comme  ayant  offert  la  pre- 
mière idée  de  celte  transformation  les  uns  dans  les  autres 
€ie8  intégrales  encore  inconnues,  qui  a  reçu  dans  ces  der- 
niers temps  une  plus  grande  extension,  et  dont  Fourier 
surtout  a  fait  un  usage  si  nouveau  et  si  important  pour 
les  questions  analytiques  engendrées  par  la  théorie  de  la 
chaleur. 

Quant  à  l'intégration  des  fonctions  algébriques^  elle  est 
plus  avancée.  Cependant,   on  ne  sait  encore  prc^^que  rien 
relativement  aux  fonctions  irrationnelles,  dont  les  inté- 
^ales  n'ont  été  obtenues  que  dans  des  cas  extrômemeat 
bornés,  et  surtout  en  les  rendant  rationnelles.  L'intégration 
des  fonctions  rationnelles  est  jusqu'ici  la  seule  théorie  de 
calcul  intégral  qui  ait  pu  être  traitée  d'une  manière  vrai- 
ment complète  :  sous  le  rapport  logique,  elle  en  constitue 
donc  la  partie  la  plus  satisfaisante,  mais  peut-être  aussi  la 
moins  importante.  Il  est  même  essentiel  de  remarquer, 
pour   avoir  une  juste  idée  de  l'extrême  imperfection  du 
calcul  intégrai,  que  ce  cas  si  peu  étendu  n'est  entièrement 
résolu  que  pour  ce  qui  concerne  proprement  l'intégration, 
envisagée  d'une  manière  abstraite  ;  car^  dans  rexécudon, 
la  théorie  se  trouve  le  plus  souvent,  indépendamment  de 
la  complication  des  calculs,  tout  à  fait  arrêtée  par  l'imper- 
fection de  l'analyse  ordinaire^  attendu  qu'elle  fait  dépendre 
finalement  l'intégration  de   la  r<^solulion  algébrique  des 
équations,  ce  qui  en  limite  singulièrement  l'usMge. 

Pour  saisir  d'une  manière  générale  l'esprit  des  divers 
procédés  d'après  lesquels  on  procède  aux  quadratures, 
nous  devons  reconnaître  d'ailleurs  que,  par  leur  nature,  ils 
ne  peuvent  être  fondés  primitivement  que  sur  la  différcn- 


%U  MATUÉHATIQUES. 

tintion  des  dix  fondions  simples,  dont  les  résiiHcils,  consi- 
dérés sous  le  point  de  vue  inverse,  établissent  autant  de 
théorèmes  immédiats  de  calcul  intégral,  les  seuls  qui  pnis- 
sent  être  connus  direclenient,  tout  Tart  de  l'intégration 
consisUuit  ensuite,  comme  je  Tai  exprimé  en  commençant 
cette  leçon,  à  faire  rentrer,  autant  que  possible,  toutes  les 
autres  quadratures  dans  ce  petit  nombre  de  quadratures 
élémentaires,  ce  qui  malheureusement  nous  est  encore  le 
plus  souvent  inconnu. 

Dans  cette  énuméralion  raisonnée  des  diverses  parties 
essentielles  de  calcul  intégral  suivant  leurs  relations  lo- 
giques, j'ai  négligé  h  dessein,  pour  ne  pas  interrompre 
l'euchainement,  de  considérer  distinctement  une  théorie 
fort  importante,  qui  forme  implicitement  une  portion  de  la 
théorie  générale  de  Tinlégration  des  équations  dillérea- 
tii'lles,  mais  que  je  dois  ici  signaler  séparément,  comme 
étant,  pour  ainsi  dire,  en  dehors  du  calcul  intégrai,  et 
oifrant  néanmoins  le  plus  grand  intérêt,  soit  par  sa  per- 
fection rationnelle,  soit  f)ar  l'étendue  de  ses  applications. 
Je  veux  parler  de  ce  qu'on  appelle  les  solutions  singulières 
des  équations  dilTérentielles,  dites  quelquefois,  mais  à  tort, 
solutions  particulières,  qui  ont  été  le  sujet  de  travaux  trùs- 
rcmarquables  de  la  part  d'Ëuler  et  de  Laplace,  et  dont 
L'igrange  surtout  a  présenté  une  si  belle  et  si  simple 
théorie  générale.  On  sait  que  Clairaut,  qui,  le  premier,  eut 
l'occasion  d'en  remarquer  l'existence,  y  vit  un  paradoxe 
de  calcul  intégral,  puisque  ces  solutions  ont  pour  carac- 
tère propre  de  satisfaire  aux  équations  différentielles  sans 
être  néanmoins  comprises  dans  les  intégr<iles  générales 
correspondantes.  Lagrange  a,  depuis,  expliqué  ce  para- 
doxe de  la  manière  la  plus  ingénieuse  et  la  plus  satisfai- 
sante, en  montrant  comment  de  telles  solutions  dérivent 
toujours  de  l'intégrale  générale  par  la  variation  des  con* 


CALCUL  DES  FONCTIONS  INDIRECTES.  MS 

stanles  arbitraires.  Il  a  aussi,  le  premier,  convenablement 
apprécié  l'importance  de  cette  théorie,  et  c'est  avec  raison 
qu'il  lui  a  consacré,  dans  ses  leçons  sur  k  calcul  des  fane- 
tims,  un  si  grand  développement.  Sous  le  point  de  vue  ra- 
tionnel, cette  théorie  mérite  en  effet  toute  notre  attention, 
par  le  caractère  de  parfaite  généralité  qu'elle  comporte, 
puisque  Lagrange  a  exposé  des  procédés  invariables  et  fort 
simples  pour  trouver  la  solution  singulière  ûe  toute  équation 
différentielle  quelconque  qui  en  est  susceptible  ;  et,  ce  qui 
n'est  pas  moins  remarquable,  ces  procédés  n'exigent  au- 
cune intégration,  consistant  seulement  dans  des  différen- 
ciations, et  par  là  même  toujours  applicables.  La  différen- 
tiation  est  ainsi  devenue,  par  un  heureux  artifice,  un 
moyen  de  suppléer  dans  certaines  circonstances  à  l'im- 
perfection du  calcul  intégral.  En  effets  certains  problèmes 
exigent  surtout,  par  leur  nature^  la  connaissance  de  ces 
solutions  singulières.  Telles  sont,  par  exemple,  en  géomé- 
trie, toutes  les  questions  où  il  s'agit  de  déterminer  une 
eonrbe  d'après  une  propriété  quelconque  de  sa  tangente 
ou  de  son  cercle  osculaleur.  Dans  tous  les  cas  de  ce  genre, 
après  avoir  exprimé  cette  propriété  par  une  équation  diffé- 
rentielle, ce  sera,  sous  le  rapport  analytique,  l'équation 
singulière  qui  constituera  l'objet  le  plus  important  de  la 
recherche,  puisqu'elle  seule  représentera  la  courbe  de- 
mandée, l'intégrale  générale,  qui  devient  dès  lors  inutile  à 
connaître,  ne  devant  désigner  autre  chose  que  le  système 
des  tangentes  ou  des  cercles  osculateurs  de  cette  courbe. 
On  conçoit  aisément,  d'après  cela,  toute  l'importance  de 
cette  théorie,  qui  me  semble  n'être  pas  encore  suffisam- 
ment appréciée  par  la  plupart  des  géomètres. 

Enfin,  pour  achever  de  signaler  le  vaste  ensemble  de  re- 
cherches analytiques  dont  se  compose  le  calcul  intégral 
proprement  dit,  il  me  reste  à  mentionner  une  théorie  fort 

A.  CoMTi.  Tome  I.  i  S 


216  M  ATH  ÉM  ATIQUES, 

importante  dans  toutes  les  applications  de  l'analyse  trans" 
cendante,  que  j'ai  dû  laisser  en  dehors  du  système  comm^ 
n'étant  pas  réellement  destinée  à  une  véritable  iulégration^ 
et  se  proposant,  au  contraire,  de  remplacer  la  connaissance 
des  intégrales  vraiment  analytiques,  qui  sont  le  plus  sou- 
vent ignorées.  On  voit  qu'il  s'agit  de  la  détermination  de» 
intégrales  définies. 

L'expression,  toujours  possible,  des  intégrales  en  série» 
indéûnies,  peut  d'abord  être  envisagée  comme  un  heureux 
moyen  général  de  compenser  souvent  l'extrême  imper» 
fectîon  du  calcul  intégral.  Mais  l'emploi  de  telles  séries,  k 
cause  de  leur  complication  et  de  la  difûcullé  de  découvrir 
la  loi  de  leurs  termes,  est  ordinairement  d'une  médiocre 
utilité  sous  le  rapport  algébrique,  bien  qu'on  en  ait  déduit 
quelquefois  des  relations  fort  essentielles.  C'est  surtout 
sous  le  rapport  arithmétique  que  ce  procédé  acquiert  une 
grande  importance,  comme  moyen  de  calculer  ce  qu'on  ap- 
pela les  intégrales  définies^  c'est-à-dire  les  valeurs  des 
'  fonctions  cherchées  pour  certaines  valeurs  déterminées  des 
variables  correspondantes. 

Une  recherche  de  celte  nature  correspond  exactement, 
dans  l'analyse  transcendante,  à  la  résolution  numérique 
des  équations  dans  l'analyse  ordinaire.  Ne  pouvant  obtenir 
le  plus  souvent  la  véritable  intégrale,  celle  qu'on  nomme, 
par  opposition,   l'intégrale   générale    ou   indéfinie,   c'est- 
à-dire  la  fonction  qui,  différentiée,  a  produit  la  formule 
diCTérentielle  proposée,  les  analystes  ont  dû  s'attacher  à  dé* 
terminer,  du  moins,  sans  connaître  une  telle  fonction,  les 
valeurs  numériques  particulières  qu'elle  prendrait  en  assi" 
gnant  aux  variables  des  valeurs  désignées.  C'est  évidem^ 
ment  résoudre  la  question  arithmétique,  sans  avoir  préala^ 
blement  résolu  la  question  algébrique  correspondante,  qui  «^ 
le  plus  souvent,  estprécisément  la  plus  importante.  Unetell^ 


CALCUL  DES  FONCTIONS  INDIRECTES.  117 

analyse  est  donc,  par  sa  nature,  aussi  imparfaite  que  nous 
afons  TU  l'être  la  résolution  numérique  des  équations.  Elle 
présente,  comme  celle-ci,  une  confusion  vicieuse  du  point 
de  yue  arithmétique  avec  le  point  de  vue  algébrique  ;  d'où 
Téaultent,  soit  sous  le  rapport  purement  logique,  soit  rela- 
tivement aux  applications,  des  inconvénients  analogues.  Je 
pais  donc  me  dispenser  de  reproduire  ici  les  considérations 
indiquées  dans  la  cinquième  leçon  au  sujet  de  l'algèbre.  On 
conçoit  néanmoins  que,  dans  l'impossibilité  où  nous  som- 
mes presque  toujours  de  connaître  les  véritables  inté- 
grales, il  est  de  la  plus  haute  importance  d'avoir  pu  obte- 
nir au  moins  cette  solution  incomplète  et  nécessairement 
insuffisante.  Or,  c'est  à  quoi  on  est  heureusement  parvenu 
aujourd'hui  pour  tous  les  cas,  l'évaluation  des  intégrales 
définies  ayant  été  ramenée  à  des  méthodes  entièrement  gé- 
nérales, qui  ne  laissent  à  désirer,  dans  un  grand  nombre 
d'occasions,  qu'une  moindre  complication  des  calculs,  but 
vers  lequel  se  dirigent  aujourd'hui  toutes  les  transforma- 
tions spéciales  des  analystes.  Regardant  maintenant  comme 
parfaite   cette  sorte  d'arithmétique  transcendante^  la  diffi- 
culté, dans  les  applications,  se  réduit  essentiellement  à  ne 
fiûre  dépendre  finalement  la  recherche  proposée  que  d'une 
simple  détermination  d'intégrales  définies,   ce  qui,  évi- 
demment, ne  saurait  être  toujours  possible,  quelque  ha- 
bileté analytique  qu'on  puisse  employer  à  effectuer  une 
transformation  ainsi  forcée. 

Par  l'ensemble  des  considérations  indiquées  dans  cette 
leçon,  on  voit  que,  si  le  calcul  différentiel  constitue,  de  sa 
nature,  un  système  limité  et  parfait  auquel  il  ne  reste  plus 
à  ajouter  rien  d'essenlî^l,  le  calcul  intégral  proprement  dit, 
ou  le  simple  traité  de  l'intégration,  présente  nécessaire- 
ment un  champ  inépuisable  à  l'activité  de  l'esprit  humain, 
indépendamment  des  applications  indéfinies  dont  Tana- 


2««  MATHÉMATIQUES. 

lyse  transcendante  est  évidemment  susceptible.  Les  motifs 
généraux  par  lesquels  j'ai  tâché  de  faire  sentir,  dans  la  cin- 
quième leçon,  rimpossibilité  de  découvrir  jamais  la  ré- 
solution algébrique  des  équations  d'un  degré  et  d'une 
forme  quelconque,  ont,  sans  aucun  doute,  infiniment  plus 
de  force  encore  relativement  à  la  recherche  d'un  procédé 
unique  d'intégration,  invariablement  applicable  à  tous  les 
cas.  Cest^  dit  Lagrange,  un  de  ces  problèmes  dont  on  ne  sau- 
rait espérer  de  solution  générale.  Plus  on  méditera  sur  ce 
sujets  plus  on  sera  convaincu,  je  ne  crains  pas  de  l'affir- 
mer,  qu*une  telle  recherche  est  totalement  chimérique, 
comme  étant  beaucoup  trop  supérieure  à  la  faible  portée 
de  notre  intelligence,  bien  que  les  travaux  des  géomètres 
doivent  certainement  augmenter  dans  la  suite  l'ensemble 
de  nos  connaissances  acquises  sur  l'intégration,  et  créer 
aussi  des  procédés  d'une  plus  grande  généralité.  L'analyse 
transcendante  est  encore  trop  près  de  sa  naissance,  il  y  a  sur- 
tout trop  peu  de  temps  qu'elle  est  conçue  d'une  manière 
vraiment  rationnelle,  pour  que  nous  puissions  nous  faire 
une  juste  idée  de  ce  qu'elle  pourra  devenir  un  jour.  Mais, 
quelles  que  doivent  être  nos  légitimes  espérances,  n'ou- 
blions pas  de  considérer  avant  tout  les  limites  imposées 
par  notre  constitution  intellectuelle,  et  qui,  pour  n'être 
pas  susceptibles  d'une  détermination  précise,  n'en  ont 
pas  moins  une  réalité  incontestable. 

Au  lieu  de  tendre  à  imprimer  au  calcul  des  fonctions 
indirectes,  tel  que  nous  le  concevons  aujourd'hui,  une 
perfection  chimérique,  je  suis  porté  à  penser  que,  lorsque 
les  géomètres  auront  épuisé  les  applications  les  plus  im- 
portantes de  notre  analyse  transce||dante  actuelle,  ils  se 
créeront  plutôt  de  nouvelles  ressources,  en  changeant  le 
mode  de  dérivation  des  quantités  auxiliaires  introduites 
pour  faciliter  l'établissement  des  équations,  et  dont  la 


CALCUL  DES  F0NCTI0r9S   INDIRECTES.  19» 

formation  pourrait  suivre  une  infinité  d'autres  lois  que  la 
relation  très-simple  qui  a  élé  choisie,  d'après  une  concep- 
tion que  j'ai  déjà  indiquée  dans  la  quatrième  leçon.  Les 
moyens  de  cette  nature  me  paraissent  susceptibles  en 
eux-mêmes,  d'une  plus  grande  fécondité  que  ceux  qui 
consisteraient  seulement  à  pousser  plus  loin  notre  calcul 
actuel  des  fonctions  indirectes.  C'est  une  pensée  que  je 
soumets  aux  géomètres  dont  les  méditations  se  sont  tour- 
nées vers  la  philosophie  générale  de  l'analyse. 

Du  reste,  quoique  j'aie  dû,  dans  l'exposition  sommaire 
qui  était  l'objet  propre  de  celte  leçon,  rendre  sensible 
l'état  d'extrême  imperfection  où  se  trouve  encore  le  calcul 
intégral,  on  aurait  une  fausse  idée  des  ressources  géné- 
rales de  l'analyse  transcendante,  si  on  accordait  à  celte 
considération  une  trop  grande  importance.  Il  en  est  ici,  en 
effet,  comme  dans  l'analyse  ordinaire,  où  Ton  est  parvenu 
à  utiliser,  à  un  degré  immense,  un  très-petit  nombre  de 
connaissances  fondamentales  sur  la  résolution  des  équa- 
tions. Quelque  peu  avancés  qu'ils  soient  réellement  jus- 
qu'ici dans  la  science  des  intégrations,  les  géomètres  n'en 
ont  pas  moins  tiré,  de  notions  abstraites  aussi  peu  multi- 
pliées, la  solution  d'une  multitude  de  questions  de  pre- 
mière importance  en  géométrie,  en  mécanique,  en  ther- 
mologie,  etc.  L'explication  philosophique  de  ce  double 
fait  général  résulte  de  l'importance  et  de  la  portée  néces- 
sairement prépondérantes  des  connaissances  abstraites, 
dont  la  moindre  se  trouve  naturellement  correspondre  à 
une  foule  de  recherches  concrètes,  l'homme  n'ayant  d'au- 
tre ressource  pour  l'extension  successive  de  ses  moyens 
intellectuels,  que  dans  la  considération  d'idées  de  plus  en 
plus  abstraites  et  néanmoins  positives. 

Pour  achever  de  faire  connaître,  dans  toute  son  étendue, 
le  caractère  philosophique  de  l'analyse  transcendante,  il 


180  M  ATnÉM  ATIQUES  • 

me  reste  à  considérer  une  dernière  conception  par  laquelle 
l'immortel  Lagrange,  que  nous  retrouvons  sur  toutes  les 
grandes  voies  de  la  science  mathématique,  a  rendu  cette 
analyse  encore  plus  propre  à  faciliter  l'établissement  des 
équations  dans  les  problèmes  les  plus  difficiles,  en  consi- 
dérant une  classe  d'équations  encore  plus  indirectes  que 
les  équations  différentielles  proprement  dites.  C'est  le  cal- 
cul ou  plutôt  la  méthode  des  variations^  dont  l'appréciation 
générale  sera  l'objet  de  la  leçon  suivante. 


HUITIÈME  LEÇON 


—  Considérations  générales  sur  le  calcul  des  ▼ariations. 


Afin  de  saisir  avec  plus  de  facilité  le  caractère  philoso- 
phique de  la  méthode  des  variations,  il  convient  d'abord 
de  considérer  sonimairenient  la  nature  spéciale  des  pro- 
blèmes dont  la  résolution  générale  a  nécessité  la  formation 
de  cette  analyse  hyper-transcendante.  Ce  calcul  est  encore 
trop  près  de  son  origine,  les  applications  en  ont  été  jus- 
qu'ici trop  peu  variées,  pour  qu'on  pût  en  concevoir  une 
idée  générale  suffisamment  claire,  si  je  me  bornais  à  une 
exposition  purement  abstraite  de  sa  théorie  fondamentale, 
bien  qu'une  telle  exposition  doive  être  ensuite,  sans  au- 
cun doute,  l'objet  principal  et  définitif  de  cette  leçon. 

Les  questions  mathématiques  qui  ont  donné  naissance 
^ucalcul  des  variations  consistent,  en  général,  dans  la  re- 
cherche des  maxima  et  des  minima  de  certaines  formules 
intégrales  indéterminées,  qui  expriment  la  loi  analytique 
de  tel  ou  tel  phénomène  géométrique  ou  mécanique,  con- 
sidéré indépendamment  d'aucun  sujet  particulier.  Les 
géomètres  ont  désigné  pendant  longtemps  toutes  les  ques- 
tions de  ce  genre  par  le  nom  commun  de  problèmes  des 

isopérimètres  y  qui  ne  convient  cependant  qu'au  plus  petit 

nombre  d'entre  elles. 
Dans  la  théorie  ordinaire  des  maxima  et  minima^  on  se 

propose  de  découvrir,  relativement  à  une  fonction  donnée 

d'une  seule  ou  de  plusieurs  variables,  quelles  valeurs  par- 


231  MATHÉMATIQUES. 

tîculières  il  fant  assigner  à  ces  variables  pour  que  la  va- 
leur correspondante  de  la  fonction  proposée  soit  un  maxi- 
mun\  ou  un  minimum^  par  rapport  à  celles  c(ui  précèdent  et 
qui  suivent  immédiatement,  c'est-à-dire  qu'on  ^cherche,  à 
proprement  parler,  à  quel  instant  la  fonction  cesse  de 
croître  pour  commencer  à  décroître,  ou  réciproquement. 
Le  calcul  différentiel  suffît  pleinement,  comme  on  sait,  à 
la  résolution  générale  de  cette  classe  de  questions,  en 
montrant  que  les  valeurs  des  diverses  variables  qui  con- 
viennent, soit  au  maximum^  soit  au  minimum^  doivent  tou- 
jours rendre  nulles  les  différentes  dérivées  du  premier 
ordre  de  la  fonction  donnée,  prises  séparément  par  rap- 
port à  chaque  variable  indépendante;  et  en  indiquant  de 
plus  un  caractère  propre  à  distinguer  le  maximum  du  mt- 
nimumy  qui  consiste,  dans  le  cas  d'une  fonction  d*une  seule 
variable,  par  exemple,  en  ce  que  la  fonction  dérivée  du  se- 
cond ordre  doit  prendre  une  valeur  négative  pour  le  maxi- 
mum,  et  positive  pour  le  minimum.  Telles  sont,  du  moins, 
les  conditions  fondamentales  qui  se  rapportent  au  plus 
grand  nombre  des  cas  ;  les  modifications  qu'elles  doivent 
subir,  pour  que  la  théorie  soit  complètement  applicable  à 
certaines  questions,  sont  d'ailleurs  également  assujetties 
à  des  règles  abstraites  aussi  invariables,  quoique  plus 
compliquées. 

La  construction  de  cette  théorie  générale  ayant  fait  dis- 
paraître nécessairement  le  principal  intérêt  que  les  ques- 
tions de  ce  genre  pouvaient  inspirer  aux  géomètres,  ils  se 
sont  élevés  presque  aussitôt  à  la  considération  d'un  nouvel 
ordre  de  problèmes,  à  la  fois  beaucoup  plus  importants  et 
d'une  difficulté  bien  supérieure,  ceux  des  isopérimètres.  Ce 
ne  sont  plus  alors  les  valeurs  des  variables  propres  au  maxi- 
mum ou  au  minimum  d'une  fonction  donnée,  qu'il  s*agit  de 
déterminer.  C'est  la  forme  de  la  fonction  elle-même  qu'on 


CALCUL  DES   VARIATIONS.  %%% 

propose  de  découvrir,  d'après  la  condition  du  maximum 
oodu  minimum  d*une  certaine  intégrale  définie,  seulement 
indiquée,  qui  dépend  de  cette  fonction. 

La  plus  ancienne  question  de  cette  nature  est  celle  du  so- 
lide de  nioindre  résistance,  traitée  par  Newton,  dans  le 
second  livre  des  Principes^  où  il  détermine  quelle  doit  être 
la  courbe  méridienne  d'un  solide  de  révolution^  pour  que 
la  résistance  éprouvée  par  ce  corps  dans  le  sens  de  son  axe, 
en  traversant  avec  une  vitesse  quelconque  un  fluide  im* 
mobile,  soit  le  plus  petite  possible.  Mais  la  marche  suivie 
par  Newlon  n'avait  point  un  caractère  assez  simple,  assez 
général  et  surtout  assez  analytique,  par  la  nature  de  sa 
méthode  spéciale  d'analyse  transcendante,  pour  qu'une 
telle  solution  pût  suffire  à  entraîner  les  géomètres  vers  ce 
nouvel  ordre  de  problèmes.  L'impulsion  vraiment  décisive 
à  cet  égard  ne  pouvait  guère  partir  que  de  l'un  des  géomè- 
tres occupés  sur  le  continent  à  élaborer  et  à  appliquer  la 
méthode  infinitésimale  proprement  dite.  C'est  ce  que  fit, 
en  4695,  Jean  Bernouilli,  en  proposant  le  problème  célèbre 
de  la  brachystochrone,  qui  suggéra  depuis  une  si  longue 
suite  de  questions  analogues.  Il  consiste  à  déterminer  la 
courbe  qu'un  corps  pesant  doit  suivre  pour  descendre  d'un 
pmnt  à  un  autre  dans  le  temps  le  plus  court.  En  se  bor- 
nant à  la  simple  chute  dans  le  vide,  seul  cas  qu'on  ait  d'à* 
bord  considéré,  on  trouve  assez  facilement  que  la  courbe 
cherchée  doit  être  une  cycloïde  renversée,  à  base  horizon- 
tale» ayant  son  origine  au  point  le  plus  élevé.  Mais  la  ques- 
tion peut  être  singulièrement  compliquée,  soit  en  ayant 
égard  à  la  résistance  du  milieu,  soit  en  tenant  compte  du 
changement  d'intensité  delà  pesanteur. 

Quoique  cette  nouvelle  classe  de  problèmes  ait  été  pri- 
mitivement fournie  par  la  mécanique,  c'est  néanmoins 
dans  la  géométrie  qu'on  a  puisé  plus  tard  les  sujets  des 


tlk  MATHÉMATIQUES. 

principales  recherches.  Ainsi,  on  s'est  proposé  de  décou— 
\rir,  parmi  toutes  les  courbes  de  môme  contour  (racées  en — 
Ire  deux  points  donnés^  quelle  est  celle  dont  l'aire  est  un 
maximun  ou  un  minimuny  d'où  est  venu  proprement  le 
nom  de  problème  des  ipérimètres  ;  on  bien  on  a  demandé 
que  le  maximum  et  le  minimum  eussent  lieu  pour  la  surface 
engendrée  par  la  révolution  de  la  courbe  cherchée  autour 
d'un  axe  ou  pour  le  volume  correspondant  ;  dans  d'autres 
cas,  c'était  la  hauteur  verticale  du  centre  de  gravité  de  la 
courbe  inconnue,  ou  de  la  surface  et  du  volume  qu'elle 
pouvait  engendrer,  qui  devait  devenir  un  moxrmum  ou  un 
minimum,  etc.  EnGn,  ces  problèmes  ont  été  successive- 
ment variés  et  compliqués,  pour  ainsi  dire  à  l'infini,  par 
les  Bernouilli^  par  Taylor,  et  surtout  par  Euler,  avant  que 
Lagrange  en  eût  assujetti  la  solution  à  une  mélhode  ab- 
straite et  entièrement  générale,  dont  la  découverte  a  fait 
cesser  l'empressement  des  géomètres  pour  un  tel  ordre  de 
recherches.  11  ne  s'agit  point  ici  de  tracer,  même  sommai- 
rement rhistoire  de  cette  partie  supérieure  des  mathéma- 
tiques, quelque  intéressante  qu'elle  fût.  Je  n'ai  fait  l'énumé- 
ralion  de  certaines  questions  principales  choisies  parmi 
les  plus  simples,  qu'afin  de  rendre  sensible  la  destioalion 
générale  qu'avait  essentiellement,  à  son  origine,  la  mé- 
thode des  variations. 

On  voit  que,  considérés  sous  le  point  de  vue  analytique, 
tous  ces  problèmes  consistent^  par  leur  nature^à  détermi- 
ner quelle  forme  doit  avoir  une  certaine  fonction  inconnue 
d'une  ou  plusieurs  variables,  pour  que  telle  ou  telle  ioté* 
grale  dépendante  de  cette  fonction  se  trouve  avoir,  entre 
des  limiles  assignées,  une  valeur  qui  soit  un  moûcimum  ou 
un  minimum,  relativement  à  toutes  celles  qu'elle  prendrait, 
si  la  fonction  cherchée  avait  une  autre  forme  quelconque. 
Ainsi,  par  exemple,  dans  le  problème  de  la  brachjsto— ^ 


CALCUL  DES    VARIATIONS.  385 

chrone,  od  sait  que  siy  =  f  (z),  x  =  9  (z),  sont  les  équa- 
tions reclilignes  de  la  courbe  cherchée,  en  supposant  les 
axes  des  x  et  des  y  horizontaux,  et  Taxe  des  z  vertical,  le 
temps  de  la  chute  d'un  corps  pesant  le  long  de  celte  courbe, 
depuis  le  point  dont  l'ordonnée  est  z,  jusqu'à  celui  dont 
Tordonnéc  est  z,  est  généralement  exprimé  par  l'intégrale 
définie  (1): 

^'1 

I  +  (A  (i)  )«  +  (c.' u)  )«  ^^ 

n  faut  donc  trouverquelles  doivent  ôtreles  deux  fonctions 
inconnues  /*et  9  pour  que  cette  intégrale  soit  un  minimum. 
De  même,  demander  quelle  est^  parmi  toutes  les  courbes 
planes  isopérimètres,  celle  qui  renferme  la  plus  grande 
aire,  c'est  proposer  de  trouver,  parmi  toutes  les  fonctions 
f{x)  qui  peuvent  donner  à  l'intégrale 


J'rfx  1/ i   +  (/' (X)  )« 


une  certaine  valeur  constante,  celle  qui  rend  un  maximum 

Hnlégrale    /  f{x)  dxy  prise  entre  les  mômes  limites.  Il  en 

est  évidemment  toujours  ainsi  dans  toutes  les  autres  ques- 
tions de  ce  genre. 

Dans  les  solutions  que  les  géomètres  donnaient  de  ces 
problèmes  avant  Lagrange,  on  se  proposait  essentiellement 
de  les  ramener  à  la  théorie  ordinaire  des  maxima  et  mi- 
nima.  Mais  les  moyens  employés  pour  elTectuer  cette  trans* 
formation  consistaient  en  de  simples  artifices  particuliers, 
propres  à  chaque  cas,  et  dont  la  découverte  ne  comportait 
point  de  règles  invariables  et  certaines,  en  sorte  que  toute 

(I)  J*emp]oie  It  notation  simple  et  lumineuse  propos(5e  par  Fourier 
pour  désigner  les  intégrales  définies,  en  mentionnant  distinctement  leurs 
limites. 


386  MATHÉMATIOUBS. 

question  vraiment  nouvelle  reproduisait  constamment  de^ 
difficultés  analogues,  sans  que  les  solutions  déjà  obtenues 
pussent  être  réellement  d'aucun  secours  essentiel,  autre — 
ment  que  par  les  habitudes  qu*elles  avaient  fait  contracter- 
à  rintelligence.  En  un  mot,  cette  branche  des  malhémati — 
ques  présentait  alors  Timperfection  nécessaire  qui  exist 
constamment  tant  qu'on  n'est  point  parvenu  à  saisir  distinc 
tement,  pour  la  traiter  d'une  manière  absiraite  et  dès  lor 
générale,  la  partie  commune  à  toutes  les  questions  d'un 
même  classe. 

En  cherchant  à  réduire  tous  les  divers  problèmes  des  is 
périnièlresà  dépendre  d'une  analyse  commune^  organisé 
abstiailement  en  un  calcul  distinct,  Lagrange  a  été  conduite 
à  concevoir  une  nouvelle  nature  de  différentiations,  aux^ 
quelles  il  a  appliqué  la  caractéristique  B,  en  réservant  la 
caractéristique  ^pour  les  simples  difTérenlielles  ordinaires. 
Ces  diCférentielles  d'une  espèce  nouvelle,  qu'il  a  désignées 
sous  le  nom  de  variations^  consistent  dans  les  accroisse- 
ments infiniment  petits  que  reçoivent  les  intégrales,  non 
en  vertu  d'accroissements  analogues  de  la  part  des  va- 
riables correspondantes,  comme  pour  l'analyse  transcen- 
dante ordinaire,  mais  en  supposant  que  la  forme  de  la 
fonction  placée  sous  le  signe  d'intégration  vienne  à  changer 
infiniment  peu.  Cette  distinction  se  conçoit,  par  exemple, 
avec  facilité,  relativement  aux  courbes,  où  l'on  voit  For- 
donnée  ou  toute  autre  variable  de  la  courbe,  comporter 
deux  sortes  de  différentielles  évidemment  très-différentes, 
suivant  que  l'on  passe  d'un  point  à  un  autre  infiniment 
voisin  sur  la  même  courbe,  ou  bien  au  point  correspon- 
dant de  la  courbe  infiniment  voisine  produite  par  une 
certaine  modification  déterminée  de  la  première  (1).  Il  est 

(I)  Leibnitz  avait  déjà  considéré  la  comparaisoa  d'une  courbe  à  aoe 
autre  infinimeoc  voisine;  c'est  ce  qu'il  appelait  differentiatio  de 


CALCUL  DES  VARIATIOMS.  387 

dair,  du  reste,  que,  par  leur  ualure,  les  variations  relatives 
de  diverses  grandeurs  liées  entre  elles  par  des  lois  quel- 
conques,  se  caiculeot,  à  la  caracléristique  près,  exacte- 
ment de  la  môme  manière  que  les  différentielles.  Enfin, 
on  déduit  également  de  la  notion  générale  des  variations 
les  principes  fondamentaux  de  Talgorithme  propre  à  cette 
méthode  et  qui  consistent  simplement  dans  la  faculté  évi- 
dente de  pouvoir  transposer  à  volonté  les  caractéristiques 
spécialement  affectées  aux  variations  avant  ou  après  celles 
qui  correspondent  aux  différentielles  ordinaires. 

Cette  conception  abstraite  une  fois  formée,  Lagrange  a 
po  réduire  aisément,  de  la  manière  la  plus  générale,  tous 
let  problèmes  des  isopérimètres  à  la  simple  théorie  or- 
dinaire des  maxima  et  des  mmima.  Pour  se  faire  une  idée 
nette  de  cette  grande  et  heureuse  transformation,  il  faut 
préalablement  considérer  une  distinction  essentielle  à  la- 
quelle donnent  lieu  les  diverses  questions  des  isopéri- 
mëtres. 

On  doit,  en  effet,  partager  ces  recherches  en  deux  classes 
générales,  selon  que  les  maxima  et  minima  demandés  sont 
abtolus  ou  relatifs,  pour  employer  les  expressions  abrégées 
des  géomètres.  Le  premier  cas  est  celui  où  les  intégrales 
définies  indéterminées  dont  on  cherche  le  maximum  ou  le 
minimum,  ne  sont  assujetties,  par  la  nature  du  problème, 
à  aucune  condition  ;  comme  il  arrive,  par  exemple,  dans 
le  problème  de  la  brachystochrone,  où  il  s'agit  de  choisir 
entre  toutes  les  courbes  imaginables.  Le  second  cas  a  lieu, 
quand,  au  contraire,  les  intégrales  variables  ne  peuvent 
changer  que  suivant  certaines  conditions,  consistant  or- 

éi  cmrvnm.  Mais  cette  comparaison  n^ayait  aucune  analogie  avec  la  con- 
eeption  de  Lagrange,  les  courbes  de  Leibnitz  étant  renfermées  dans  une 
nême  équiiion  générale,  d*où  elles  se  déduisent  par  le  simple  changement 
d'vne  constante  arbitraire. 


288  MATHÉMATIQUES. 

dinairement  en  ce  que  d'autres  intégrales  définies,  dépen- 
dant également  des  fonctions  cherchées,  conservent  con- 
stamment une  même  valeur  donnée;  comme,  par  exemple, 
dans  toutes  les  questions  géométriques  concernant  les 
figures  isopérimètres  proprement  dites,  et  où,  par  la  natore 
du  problème,  l'intégrale  relative  à  la  longueur  de  la  courbe 
ou  à  l'aire  de  la  surface,  doit  rester  constante  pendant  le 
changement  de  celle  qui  est  l'objet  de  la  recherche  pro- 
posée. 

Le  calcul  des  variations  donne  immédiatement  la  solu- 
tion générale  des  questions  de  la  première  espèce.  Car  il 
suit  évidemment  de  la  théorie  ordinaire  des  maxima  et 
minimay  que  la  relation  cherchée  doit  rendre  nulle  la  va- 
riation*  de  Tintégrale  proposée  par  rapport  à  chaque  va- 
riable indépendante,  ce  qui  donne  la  condition  commune 
au  maximum  et  au  minimum  ;  et,  comme  caractère  propre 
à  distinguer  l'un  de  l'autre,  que  la  variation  du  second 
ordre  de  la  môme  intégrale  doit  être  négative  pour  le 
maximum  et  positive  pour  le  minimum.  Ainsi,  par  exemple, 
dans  le  problème  de  la  brachyslochrone,  oh  aura,  pour 
déterminer  la  nature  de  la  courbe  cherchée,  l'équation  de 
condition  : 


qui,  se  décomposant  en  deux,  par  rapport  aux  deux  fonc- 
tions inconnues  /"  et  cp  qui  sont  indépendantes  l'une  de 
l'autre,  exprimera  complètement  la  définition  analytique 
de  la  courbe  demandée.  La  seule  difGcullé  propre  à  cette 
nouvelle  analyse  consiste  dans  l'élimination  de  la  caracté- 
ristique $,  pour  laquelle  le  calcul  des  variations  fournit  des 
règles  invariables  et  complètes,  fondées,  en  général,  sur 


CALCUL  DES   VARIATIONS.  tSf 

le  procédé  de  l'intégration  par  parties,  dont  Lagrange  a  su 
tirer  ainsi  un  parti  immense.  Le  but  constant  de  cette  pre- 
mière élaboration  analytique,  dans  l'exposition  de  laquelle 
je  ne  dois  nullement  entrer  ici,  est  de  faire  parvenir  aux 
équations  différentielles  proprement  dites,  ce  qui  se  peut 
toujours,  et  par  là  la  question  rentre  dans  le  domaine  de 
l'analyse  transcendante  ordinaire,  qui  achève  la  solution, 
du  moins  en  la  ramenant  à  l'algèbre  pure,  si  on  sait  effec* 
tuer  l'intégration.  La  destination  générale,  propre  à  la  mé- 
thode des  variations,  est  d'opérer  celte  transformation, 
pour  laquelle  Lagrange  a  établi  des  règles  simples,  inva- 
riables, et  d'un  succès  toujours  assuré. 

Je  ne  dois  pas  négliger,  dans  cette  rapide  indication  gé- 
nérale, de  faire  remarquer  comme  un  des  plus  grands 
avantages  spéciaux  de  la  méthode  des  variations  comparée 
aux  solutions  isolées  qu'on  avait  auparavant  des  problèmes 
des  isopérimètres,  l'importante  considération  de  ce  que 
Lagrange  appelle  les  équations  aux  limites,  entièrement  né- 
gligées avant  lui,  et  sans  lesquelles  néanmoins  la  plupart 
des  solutions  particulières  restaient  nécessairement  incom- 
plètes. Quand  les  limites  des  intégrales  proposées  doivent 
êtres  fixes,  leurs  variations  étant  nulles,  il  n'y  a  pas  lieu 
d'en  tenir  compte.  Mais  il  n'en  est  plus  ainsi  quand  ces  li- 
mites, au  lieu  d'être  rigoureusement  invariables,  sont  assu- 
jetties seulement  à  certaines  conditions  ;  comme,  par 
exemple,  si  les  deux  points  entre  lesquels  doit  être  tracée 
la  couibe  cherchée  ne  sont  pas  fixes,  et  doivent  seulement 
rester  sur  des  lignes  ou  des  surfaces  données.  Âlors^  il 
faut  avoir  égard  aux  variations  de  leurs  coordonnées,  et 
établir  entre  elles  les  relations  correspondantes  aux  équa- 
tions de  ces  lignes  ou  de  ces  surfaces. 

Celte  considération  essentielle  n'est  que  le  dernier  com- 
plément d'une  considération  plus  générale  el  plus  impor- 


•40  MATHÉMATIQUES. 

tante  relative  aux  variations  des  diverses  variables  indé- 
pendantes. Si  ces  variables  sont  réellement  indépendante! 
les  unes  des  autres,  comme  lorsqu'on  compare  toutes  les 
courbes  imaginables  susceptibles  d'être  tracées  entre  deu: 
points,  il  en  sera  de  même  de  leurs  variations^  et  par  suiti 
les  termes  relatifs  à  chacune  de  ces  variations  devront  ôtn 
séparément  nuls  dans  Téquation  générale  qui  exprime  Ii 
maximum  ou  le  minimum.  Mais  si,  au  contraire,  on  sup- 


pose les  variables  assujetties  à  de  certaines  condition 
quelconques,  il  faudra  tenir  compte  de  la  relation  qui  ei 
résulte  entre  leurs  variations,  de  telle  sorte  que  le  nomb 
des  équations  dans  lesquelles  se  décompose  alors  cettes 
équation  générale  soit  toujours  égal  à  celui  seulement  de^ 
variables  qui  restent  vraiment  indépendantes.  C'est  ainsi, 
par  exemple,  qu'au  lieu  de  chercher  le  plus  court  chemin, 
pour  aller  d'un  point  à  un  autre,  en  choisissant  parmi  toas^ 
les  chemins  possibles,  on  peut  se  proposer  de  trouver  sen* 
lement  quel  est  le  plus  court  entre  tous  ceux  qu'on  peut 
suivre  sur  une  surface  quelconque  donnée,  question  dont  la. 
solution   générale  constitue  certainement  une  des   plus 
belles  applications  de  la  méthode  des  variations. 

Les  problèmes  où  l'on  considère  de  telles  conditions 
modificatrices  se  rapprochent  beaucoup,  par  leur  nature, 
de  la  seconde  classe  générale  d'applications  de  la  méthode 
des  variations,  caractérisée  ci-dessus  comme  consistant 
dans  la  recherche  des  maxima  et  minima  relatifs.  Il  y  a 
néanmoins,  entre  les  deux  cas,  cette  différence  essentielle, 
que,  dans  ce  dernier,  la  modification  est  exprimée  par  une 
intégrale  qui  dépend  de  la  fonction  cherchée,  tandis  qae, 
dans  l'autre,  elle  se  trouve  désignée  par  une  équation  finie 
qui  est  immédiatement  donnée.  On  conçoit,  par  là,  que  la 
recherche  des  maxima  et  minima  relatifs  est  toujours  et- 
nécessairement  plus  compliquée  que  celle  des  maxima  et 


CALCUi.  DES  YA&IATIONS.  141 

HÛAÎma  aàsalus»  Heureusemenl,  un  théorème  général  ferl 
important,  troavé  avant  l'invention  dn  calcul  des  varia- 
lions,  et  qui  est  une  des  [dus  belles  découvertes  dues  au 
génie  du  grand  Euler,  donne  un  moyen  uniforme  et  tr es- 
simple  de  faire  rentrer  ces  deux  classes  de  questions  Time 
dans  l'autre.  Il  consiste  en  ce  que,  si  Ton  ajoute  à  l'intégrale, 
qui  doit  être  un  maximum  ou  un  minimum^  mi  mnltiplc 
constant  et  indéterminé  de  celle  qui  doit  rester  constante 
par  la  nature  du  problème,  il  suffira  de  chercher,  suivant 
le  procédé  général  de  Lagrange,  ci-dessus  indiqué,  le 
maximum  ou  le  minimum  absolu  de  cette  expression  totale 
On  peut  aisément  concevoir,  en  effet,  que  la  partie  de  ht 
variation  complète  qui  proviendrait  de  la  dernière  inté^ 
grale  doit  aussi  bien  être  nulle,  à  cause  de  la  constance  de 
celle-ci,  que  la  portion  due  à  la  première  intégrale,  qui 
s'anéantit  en  vertu  de  Tétât  maximum  ou  minimum.  Ces 
deux  conditions  distinctes  s'accordent  évidemment  pour 
produire,  sous  ce  rapport,  des  effets  exactement  sem*- 
blables. 

Telle  est,  par  aperçu,  la  manière  générale  dont  la  mé- 
thode des  variations  s'applique  à  toutes  les  diverses  ques- 
tions qui  composent  ce  qu'on  appelait  la  théorie  des  iso- 
périmètres.  On  aura  sans  doute  remarqué^  dans  cette 
exposition  sommaire,  à  quel  degré  s'est  trouvée  utilisée 
par  cette  nouvelle  analyse  la  seconde  propriété  fondamen- 
tale de  l'analyse  transcendante,  appréciée  dans  la  sixième 
leçon,  savoir  :  la  généralité  des  expressions  infinitésimales 
pour  représenter  un  môme  phénomène  géométrique  ou 
mécanique,  en  quelque  corps  qu'il  soit  considéré.  C'est,  en 
effet,  sur  cette  généralité  que  sont  fondées,  par  leur  nature, 
toutes  les  solutions  dues  à  la  méthode  des  variations.  Si 
one  formule  unique  ne  pouvait  point  exprimer  k  longueur 
ou  l'aire  de  toute  courbe  quelconque,  si  on  n'avait  point 

A.  €oHTB.  Tome  I.  iO 


343  *  MATHÉMATIQUES. 

une  autre  formule  fixe  pour  désigner  le  temps  de  la  chute 
d'un  corps  pesant,  suivant  quelque  ligne  qu'il  des- 
cende, etc.,  comment  eût-il  été  possible  de  résoudre  des 
questions  qui  exigent  inévitablement,  par  leur  nature,  la 
considération  simultanée  de  tous  les  cas  que  peuvent  dé- 
terminer dans  chaque  phénomène  les  divers  sujets  qui  le 
manifestent? 

Quelle  que  soit  l'extrême  importance  de  la  théorie  des 
isopérimètres,  et  quoique  la  méthode  des  variations  n'ait 
eu  primitivement  d'autre  objet  que  la  résolution  ration- 
nelle et  générale  de  cet  ordre  de  problèmes,  on  n'aurait 
cependant  qu'une  idée  incomplète  de  cette  belle  analyse, 
si  on  bornait  là  sa  destination.  En  effet,  la  conception 
abstraite  de  deux  natures  distinctes  de  différentiations  est 
évidemment  applicable  non-seulement  aux  cas  pour  les- 
quels elle  a  été  créée,  mais  aussi  à  tous  ceux  qui  présen- 
tent, par  quelque  cause  que  ce  soit,  deux  manières  diffé- 
rentes de  faire  varier  les  mômes  grandeurs.  C'est  ainsi  que 
Lagrangc  lui-môme  a  fait,  dans  sa  mécanique  analytique^ 
une  immense  application  capitale  de  son  calcul  des  va- 
riations, en  l'employant  à  distinguer  les  deux  sortes  de 
changements  que  présentent  si  naturellement  les  questions 
de  mécanique  rationnelle  pour  les  divers  points  que  l'on 
considère,  suivant  que  l'on  compare  les  positions  succes- 
sives qu'occupe,  en  vertu  du  mouvement,  un  môme  point 
de  chaque  corps  dans  deux  instants  consécutifs,  ou  que 
l'on  passe  d'un  point  du  corps  à  un  autre  dans  le  môme 
instant.  L'une  de  ces  comparaisons  produit  les  différen- 
tielles ordinaires;  l'autre  donne  lieu  aux  variations,  qui  ne 
sont,  là  comme  partout,  que  des  différentielles  prises  sous 
un  nouveau  point  de  vue.  C'est  dans  une  telle  acception 
générale  qu'il  faut  concevoir  le  calcul  des  variations,  pour 
apprécier  convenablement  l'importance  de  cet  admirable 


CALCUL  DES  VARIATIONS.  148 

iostrament  logique,  le  plus  paissant  qoe  l'esprit  hamain 
ail  construit  josqu'ici. 

La    méthode  des  variations   n'étant  qu'une   immense 
extension  de  l'analyse  transcendante  générale,  je  n'ai  pas 
besoin    de  constater  spécialement  qu'elle   est    suscepti- 
ble   d'être  envisagée  sous  les  divers  points  de  vue  fon- 
damentaux que  comporte  le  calcul  des  fonctions  indi- 
rectes, considéré  dans  son  ensemble.  Lagrange  a  inventé 
le   calcul  des  variations   d'après   la  conception  infinité- 
simale proprement  dite,    et  même    bien  avant   d'avoir 
entrepris  la  reconstruction  générale  de  l'analyse  trans- 
cendante. Quand  il  eut  exécuté  cette  importante  réfor- 
matîoDy  il  montra  aisément  comment  elle  pouvait  aussi 
s'appliquer  au  calcul   des  variations,   qu'il  exposa  avec 
tout   le    développement  convenable,   suivant   sa  théorie 
des    fonctions  dérivées.  Mais    plus    l'emploi  de   la  mé- 
thode des  variations  est  difficile  pour  l'intelligence  à  cause 
du  degré  d'abstraction  supérieur  des  idées  considérées, 
plus    il    iinporte  de  ménager  dans    son  application  les 
forces  de  notre  esprit,   en  adoptant  la  conception  ana* 
lytique  la  plus  directe  et  la  plus  rapide,  c'est-à-dire  celle 
de  Leibnitz.  Aussi  Lngrange  lui-môme  Ta-t-il  constamment 
prérérée  dans  l'important  usage  qu'il  a  fait  du  calcul  des  va- 
riations pour  la  mécanique  anal  y  tique.  Il  n'existe  pas,  en  i^fTet, 
la  moindre  hésitation  h  cet  égard  parmi  les  géomètres. 

Afin  d'éclaircir  aussi  complètement  que  possible  le  ca- 
ractère philosophique  du  calcul  des  variations,  je  crois  de- 
voir terminer  en  indiquant  sommairement  ici  une  consi- 
dération qui  me  semble  importante,  et  par  laquelle  je  puis 
le  rapprocher  de  l'analyse  transcendante  ordinaire  à  un 
plus  haut  degré  que  Liigrangc  ne  me  paraît  l'avoir  fait  (I). 

(1)  Je  me  propose  de  développer  plus  tard  ceue  considération  nouvelle, 
dans  un  travail  spécial  sur  le  co/cu/  de$  variationi^  qui  a  pour  objet  de 


344  MATHÉMATIQUES. 

Nous  avons  remarqué,  d'après  Lagrange,  dans  la  leçon 
précédente,  la  formation  du  calcul  aux  différences  par- 
tielles, créé  par  d'Alembert,  comme  ayant  introduit, 
dans  l'analyse  transcendante,  une  nouvelle  idée  élémen- 
taire, la  notion  de  deux  sortes  d'accroissements  distincts 
et  indépendants  les  uns  des  autres  que  peut  recevoir  une 
fonction  de  deux  variables,  en  vertu  du  changement  de 
chaque  variable  séparément.  C'est  ainsi  que  l'ordonnée 
verticale  d'une  surface,  ou  toute  autre  grandeur  qui  s'y 
rapporte,  varie  de  deux  manières  tout  à  fait  distinctes  et 
qui  peuvent  suivre  les  lois  1rs  plus  diverses,  en  faisant 
croître  tantôt  l'une,  tantôt  l'autre  des  deux  coordonnées 
horizontales.  Or  une  telle  considération  me  semble  très- 
rapprochée,  par  sa  nature,  de  celle  qui  sert  de  base  géné- 
rale à  la  méthode  des  variations.  Celle-ci,  en  effet,  n'a 
réellement  fait  autre  chose  que  transporter  aux  variables 
indépendantes  elles-mêmes  la  manière  de  voir  déjà 
adoptée  pour  les  fonctions  de  ces  variables,  ce  qui  en  a 
singulièrement  agrandi  l'usage.  Je  crois,  d'après  cela, 
que,  sous  le  seul  rapport  des  conceptions  fondamenta- 
les, on  peut  envisager  le  calcul  créé  par  d'Alembert, 
comme  ayant  établi  une  transition  naturelle  et  nécessaire 
entre  le  calcul  infinitésimal  ordinaire  et  le  calcul  des  va- 
riations, dont  une  telle  filiation  me  paraît  devoir  éclaircir 
et  simplifier  la  notion  générale. 

D'après  les  diverses  considérations  indiquées  dans  celte 
leçon,  la  méthode  des  variations  se  présente  comme  le 
plus  haut  degré  de  perfection  connu  jusqu'ici  de  l'analyse 
des  fonctions  indirectes.  Dans  son  état  primitif,  cette  der- 
nière analyse  s'est  présentée  comme  un  puissant  moyen 


présenter  Tensemble  de  cette  analjrse  hyper-transcendante  sous  an  non* 
veau  point  de  vue,  que  Je  crois  propre  à  en  étendre  la  portée  générale. 


CALCUL  DBS  PARUTIONS.  145 

géoéral  de  faciliter  l'étude  mathématique  des  phénomènes 
naturels,  en  introduisant,  pour  l'expression  de  leurs  lois,  la 
considération  de  grandeurs  auxiliaires  choisies  de  telle 
manière,  que  leurs  relations  soient  nécessairement  plus 
simples  et  plus  aisées  à  obtenir  que  celles  des  grandeurs 
^lircctes.  Mais  la  formation  de  ces  équations  différentielles 
n'était  point  conçue  comme  pouvant  comporter  aucunes 
règles  générales  et  abstraites.  Or  l'analyse  des  variations, 
-considérée  sous  le  point  de  vue  le  plus   philosophique, 
peut  être  envisagée  comme  essentiellement  destinée,  par 
-sa   nature,  à. faire  rentrer,  autant  que  possible,  dans  le 
«lomaine  du  calcul,  rétablissement  même  des  équations  dif- 
férentielles, car  tel  est,  pour  un  grand  nombre  de  ques- 
tions importantes  et  difficiles,   l'effet  générai  des  équa- 
tions  variées  qui,  encore  plus  indirectes  que  les  simples 
équations  différenlieiles  par  rapport  aux  objets  propres  de 
la  recherche,  sont  aussi  bien  plus  aisées  à  former,  et  des- 
quelles on  peut  ensuite,  par  des  procédés  analytiques  in- 
variables et  complets,  destinés  à  éliminer  le  nouvel  ordre 
d'infinitésimales  auxiliaires  introduit,  déduire  ces  équa- 
tions différentielles  ordinaires,  qu'il  eût  été  souvent  im- 
possible d'établir  immédiatement.  La  méthode  des  varia- 
tions constitue  donc  la  partie  la  plus  sublime  de  ce  vaste 
système  de  l'analyse  mathématique  qui,  partant  des  plus 
simples  éléments  de  l'algèbre,  organise,   par  une  succes- 
sion d'idées  non  interrompue,  des  moyens  généraux  de 
plus  en  plus  puissants  pour  l'étude  approfondie  de  la  phi- 
losophie naturelle,  et  qui,  dans  son  ensemble,  présente, 
sans  aucune  comparaison,  le  monument  le  plus  imposant 
et  le  moins  équivoque  de  la  portée  de  l'esprit  humain. 
Maisil  faut  reconnaître  aussi  que  les  conceptions  habituel- 
lement considérées  dans  la  méthode  des  variations  étant, 
par  leur  nature,  plus  indirectes,  plus  générales,  et  surtout 


346  MATHÉMATIQUES. 

beaucoup  plus  abstraites  que  toutes  les  autres,  l'emploi 
d'une  telle  méthode  exige  nécessairement,  et  d'une  ma- 
nière soutenue,  le  plus  haut  degré  connu  de  contention 
intellectuelle,  pour  ne  jamais  perdre  de  vue  l'objet  précis 
de  la  recherche  en  suivant  des  raisonnements  qui  offrent  à 
l'esprit  des  points  d'appui  aussi  peu  déterminés  et  dans 
lesquels  les  signes  ne  sont  presque  jamais  d'aucun  secours. 
On  doit,  sans  doute,  attribuer  en  grande  partie  à  celte  dif- 
ficulté nécessaire  le  peu  d*usage  réel  que  les  géomètres, 
excepté  Lagrange,  ont  fait  jusqu'ici  d'une  conception  aussi 
admirable. 


NEUVIÈME  LEÇON 


Sommaire.  —  Considérations  générales   sur  le  calcul  anz  différences 

finies. 


Les  diverses  considérations  fondamentales  indiquées 
dans  les  cinq  leçons  précédentes  constituent  réellement 
toutes  les  bases  essentielles  d'une  exposition  complète  de 
l'analyse  mathématique,  envisagéesous  le  point  de  vue  phi- 
losophique. Néanmoins,  pour  ne  négliger  aucune  concep- 
tion générale  vraiment  importante  relative  à  cette  analyse, 
je  crois  devoir,  avant  de  passera  Télude  philosophique  de 
la  mathématique  concrète,  expliquer  très-sommairement 
le  véritable  caractère  propre  à  un  genre  de  calcul  fort 
étendu,  et  qui,  bien  que  rentrant  au  fond  dans  l'analyse 
ordinaire,  est  cependant  encore  regardé  comme  étant 
d'une  nature  essentiellement  distincte.  Il  s'agit  dé  ce  qu'on 
appelle  le  calcul  aux  différences  finies,  qui  sera  le  sujet  spé- 
cial de  celte  leçon. 

Ce  calcul,  créé  par  Taylor,  dans  son  célèbre  ouvrage  in- 
titulé méthodes  incrumentorum,  consiste  essentiellement, 
comme  on  sait,  dans  la  considération  des  accroissements 
finis  que  reçoivent  les  fonctions  par  suite  d'accroissements 
analogues  de  la  part  des  variables  correspondantes.  Ces  ac- 
croissements ou  différences^  auxquels  on  applique  la  carac- 
térisque  A,  pour  les  distinguer  des  différentielles  ou  ac- 
croissements infiniment  petits,  peuvent  être,  à  leur  tour, 
envisagés  comme  de    nouvelles  fonctions,  et  devenir  le 


948  MATUÉM  ATIQUES. 

sujet  d'une  seconde  considération  semblable,  et  ainsi  de 
suite,  d*où  résulte  la  notion  des  différences  des  divers 
ordres  successifs,  analogues,  au  moins  «n  apparence,  aux 
ordres  consécutifs  des  différentielles.  Un  tel  calcul  pré- 
sente, évidemment,  comme  le  calcul  des  fonctions  indi- 
rectes, deux  classes  générales  de  questions  :  1*  déterminer 
les  différences  successives  de  toutes  les  diverses  fonctions 
analytiques  à  une  ou  à  plusieurs  variables,  en  résultat  d*un 
mode  d'accroissement  défini  des  variables  indépendantes, 
que  Ton  suppose,  en  général,  augmenter  en  progression 
arithmétique;  2*  réciproquement,  en  partant  de  ces  diffé- 
rences, ou,  plus  généralement,  d'équations  quelconques 
établies  entre  elles,  remonter  aux  fonctions  primitives 
elles-mêmes,  ou  à  leurs  relations  correspondantes.  D'où  la 
décomposition  de  ce  calcul  total  en  deux  calculs  distincts, 
auxquels  on  donne  ordinairement  les  noms  de  cakul  direct 
aux  différences  finies,  et  de  calcul  inverse  aux  différences  fi- 
nieSy  ce  dernier  étant  aussi  appelé  quelquefois  calcul  inté- 
gral aux  différences  finies.  Chacun  de  ces  deux  calculs  serait 
d'ailleurs  évidemment  susceptible  d'une  distribution  ra- 
fronnelle  semblable  à  celle  exposée  dans  la  septième  leçon 
pour  le  calcul  différentiel  et  le  calcul  intégral,  ce  qui  me 
dispense  d'en  faire  une  mention  distincte. 

Il  n'est  pas  douteux  que,  par  une  telle  conception,  Tay- 
loracru  fonder  un  calcul  d'une  nature  entièrement  nou- 
velle, absolument  distinct  de  l'analyse  ordinaire,  et  plus 
généra]  que  le  calcul  de  Leibnitz,  qnoique  consistant  dans 
une  considération  analogue.  C'est  aussi  de  cette  manière 
que  presque  tous  les  géomètres  ont  jugé  l'analyse  de  Tay- 
lor.  Mais  Lagrange,  avec  sa  profondeur  habituelle,  a  clai- 
rement aperçu  que  ces  propriétés  appartenaient  bien  plus 
aux  formes  et  aux  notations  employées  par  Taylor  qu'au 
fond  même  de  sa  théorie.  En  effet,  ce  qui  fait  le  caractère 


CALCUL  AUX  DIFfÉftBHCBS   FIIfIBS.  lit 

propre  de  Tanalyse  de  Leiboits,  et  la  constitue  en  un  calcul 
Traimeot  distinct  et  supérieur,  c'est  que  les  fonctions  dé- 
rivées sont,  en  général,  d'une  tout  autre  nature  que  les 
fonctions  primitives,  en  sorte  qu'elles  peuvent  donner  lieu 
à  des  relations  plus  simples  et  d'une  formation  plus  facile, 
d*oà  résultent  les  admirables  propriétés  fondamentales  de 
l'analyse  transcendante,  expliquées  dans  les  leçons  pré- 
cédentes* Mais  il  n'en  est  nullement  ainsi  pour  les  diffé- 
rence» considérées  par  Taylor.  Car  ces  différences  sont, 
par  leur  nature,  des  fonctions  essentiellement  semblables 
à  celles  qui  les  ont  engendrées,  ce  qui  les  rend  impropres 
i  faciliter  l'établissement  des  équations,  et  ne  leur  permet 
pas  davantage  de  conduire  à  des  relations  plus  générales. 
Toute  équation  aux  différences  finies  est  vraiment,  au 
fiond,  une  équation  directement  relative  aux  grandeurs 
mêmes  dont  on  compare  les  états  successifs.  L'échafau- 
dage de  nouveaux  signes,  qui  fait  illusion  sur  le  véritable 
caractère  de  ces  équations,  ne  le  déguise  cependant  que 
d*ane  manière  fort  imparfaite,  puisqu'on  pourrait  toujours 
le  mettre  aisément  en  évidence  en  remplaçant  constam- 
ment les  différences  par  les  combinaisons  équivalentes  des 
grandeurs  primitives,  dont  elles  ne  sont  réellement  autre 
chose  que  les  désignations  abrégées.  Aussi  le  calcul  de 
Taylor  n'a-t-il  jamais  offert  et  ne  peut-il  offrir,  dans  aucune 
question  de  géométrie  ou  de  mécanique,  ce  puissant  se- 
cours général  que  nous  avons  vu  résulter  nécessairement 
de  l'analyse  de  Leihnitz.  Lagrange  a,  d'ailleurs,  très-nette- 
ment établi  que  la  prétendue  analogie  observée  entre  le 
calcul  aux  différences  et  le  calcul  infinitésimal  est  radi- 
calement vicieuse,  en  ce  sens  que  les  formules  propres  au 
premier  calcul  ne  peuvent  nullement  fournir,  comme  cas 
particuliers,  celles  qui  conviennent  au  second,  dont  la  na- 
ture est  essentiellement  distincte. 


s 50  MATHÉMATIQUES.  ' 

D'après  l'ensemble  des  considérations  que  je  viens  d'in- 
diquer, je  crois  que  le  calcul  aux  différences  finies  est  or- 
dinairement classé  à  tort  dans  l'analyse  transcendante 
proprement  dite,  c'est-à-dire  dans  le  calcul  des  fonctions 
indirectes.  Je  le  conçois,  au  contraire,  en  adoptant  pleine- 
ment les  importantes  réflexions  de  Lagrange,  qui  ne  sont 
pas  encore  surfisamment  appréciées,  comme  étant  seule- 
ment une  branche  très-étendue  et  fort  importante  de  l'a- 
nalyse ordinaire,  c'est-à-dire  de  ce  que  j'ai  nommé  le  cal- 
cul des  fonctions  directes.  Tel  est,  en  effet,  ce  me  semble, 
son  vrai  caractère  philosophique,  que  les  équations  qu'il 
considère  sont  toujours,  malgré  la  notation,  de  simples 
équations  directes. 

En  précisant,  autant  que  possible,  l'explication  précé- 
dente, on  doit  envisager  le  calcul  de  Taylor  comme  ayant 
constamment  pour  véritable  objet  la  théorie  générale  des 
suites,  dont,  avant  cet  illustre  géomètre,  on  n'avait  encore 
considéré  que  les  cas  les  plus  simples.  J'aurais  dû,  rigou- 
reusement, mentionner  cette  importante  théorie  en  trai- 
tant, dans  la  cinquième  leçon,  de  l'algèbre  proprement 
dite,  dont  elle  est  une  branche  si  étendue.  Mais,  afin  d'é- 
viter tout  double  emploi,  j'ai  préféré  ne  la  signaler  qu'en 
considérant  le  calcul  aux  différences  finies,  qui,  réduit  à  sa 
plus  simple  expression  générale,  n'est  autre  chose,  dans 
toute  son  étendue,  qu'une  étude  rationnelle  complète  des 
questions  relatives  aux  suites. 

Toute  suite,  ou  succession  de  nombres  déduits  les  uns 
des  autres  d'après  une  loi  constante  quelconque,  donne 
lieu  nécessairement  à  ces  deux  questions  fondamentales  : 
i**  la  loi  de  la  suite  étant  supposée  connue,  trouver  l'expres- 
sion de  son  terme  général,  de  manière  à  pouvoir  calculer 
immédiatement  un  terme  d'un  rang  quelconque,  sans  être 
obligé  de    former  succe^ivement  tous   les  précédents; 


CALCUL  AUX  DIFFÉRENCES  FINIES.  t51 

^  dans  les  mêmes  circonstances,   déterminer  la  somme 
d'un  nombre  quelconque  de  termes  de  la  suite  en  fonction 
<)e  leurs  rangs,  en  sorte  qu'on  puisse  la  connaître  sans  être 
forcé  d'ajouter  continuellement  ces  termes  les  uns  aux  au- 
tres. Ces  deux  questions  fondamentales  étant  supposées 
résolues,  on  peut  en  outre  se  proposer  réciproquement  de 
trouver  la  loi  d'une  série  d'après  la  forme  de  son  terme 
général,  ou  l'expression  de  la  ^omme.  Chacun  de  ces  di- 
vers problèmes  comporte  d'autant  plus  d'étendue  et  de 
difûculté,  que  l'on  peut  concevoir  un  plus  grand  nombre 
de  lois  différentes  pour  les  séries,  suivant  le  nombre  de 
termes  précédents  dont  chaque  terme  dépend  immédiate- 
ment, et  suivant  la  fonction  qui  exprime  cette  dépendance. 
On  peut  même  considérer  des  séries  à  plusieurs  indices 
variables,  comme  Ta  fait  iKiplace  dans  la  théorie  analytique 
dei  probabilités^  par  l'analyse  à  laquelle  il  a  donné  le  nom 
de  théorie  des  fonctions  génératrices^  bien  qu'elle  ne  soit 
réellement  qu'une  branche  nouvelle  et  supérieure  du  cal- 
cal  aux  différences  finies,  ou  de  la  théorie  générale  des 
soi  les* 

Les  divers  aperçus  généraux  que  je  viens  d'indiquer  ne 
donnent  même  qu'une  idée  imparfaite  de  l'étendue  et  de 
là  variété  vraiment  infinie  des  questions  auxquelles  les 
géomètres  se  sont  élevés  d'après  celte  seule  considération 
des  séries,  si  .simple  en  apparence,  et  si  bornée  à  son  ori- 
gine. Elle  présente  nécessairement  autant  de  cas  divers  que 
la  résolution  algébrique  des  équations  envisagée  dans  toute 
son  étendue;  et  elle  est,  par  sa  nature,  beaucoup  plus 
compliquée,  tellement  même  qu'elle  en  dépend  toujours 
pour  conduire  à  une  solution  complète.  C'est  assez  fuisse 
pressentir  quelle  doit  être  encore  bon  extrême  imperfec- 
lioD,  malgré  les  travaux  successifs  de  plusieurs  géomètres 
do  premier  ordre.  Nous  ne  possédons,  en  eflet,  jusqu'ici 


iS2  MATHÉBIATIQUES. 

que  la  solution  tolale  et  rationnelle  des  plus  simples  qu 
tions  de  cette  nature. 

Il  est  maintenant  aisé  de  concevoir  l'identité  nécessair*^ 
et  parfaite  que  j'ai  annoncée  ci-dessus,  d'après  les  indica. — 
tions  de  Lagrange^  entre  le  calcul  aux  différences  finie»  ^ 
et  la  théorie  des  suites  prise  dans  son  ensemble.  En  effet .^ 
toute  différentiation  à  la  manière  de  Taylor  revient  évi — 
demment  à  trouver  la  loi  de  formation  d'une  suite  à  un 
à  plusieurs  indices  variables,  d'après  l'expression  de  soi 
terme  général;  de  même,  toute  intégration  analogue  peu 
être  regardée  comme  ayant  pour  objet  la  sommation  d'un 
suite,  dont  le  terme  général  serait  exprimé  par  la  diffé — 
rence  proposée.  Sous  ce  rapport,  les  divers  problèmes  de^ 
calcul  aux  différences,  direct  ou  inverse^  résolus  par  Tayloir* 
et  par  ses  successeurs,   ont  réellement  une  très-grande 
valeur,  comme  traitant  des  questions  importantes  relati- 
vement aux  suites.  Mais  il  est  fort  douteux  que  la  forme  et 
la  notation  introduites  par  Taylor  apportent  réellement 
aucune  facilité  essentielle  dans  la  solution  des  questions  de 
ce  genre,  il  serait  peut-être  plus  avantageux  pour  la  plu- 
part des  cas,  et  certainement  plus  rationnel,  de  remplacer 
les  différences  par  les  termes  mômes  dont  elles  désignent 
certaines  combinaisons.  Le  calcul  de  Taylor  ne  reposant 
pas  sur  une  pensée  fondamentale  vraiment  distincte,  et 
n'ayant  de  propre  que  son  système  de  signes,  il  ne  saurait 
y  avoir  réellement,  dans  la  supposition  même  la  plus  fa- 
vorable, aucun  avantage  important  à  le  concevoir  comme 
détaché  de  l'analyse  ordinaire,  dont  il  n'est,  à  vrai  dire, 
qu'une   branche  immense.  Cette  considération  des  diffé' 
renceSy  le  plus  souvent  inutile  quand  elle  ne  complique  pas, 
me  semble  conserver  encore  le  caractère  d'une  époque  où, 
les  idées  analytiques  n'étant  pas  assez  familières  aux  géo- 
mètres, ils  devaient  naturellement  préférer  les  formes  spé- 


CALCUL  AUX  DIFFÉRENCES  FINIES.  Sftt 

ciales  propres   aux  simples    comparaisons   numériques. 

Qaoi  qu'il  en  soit,  je  ne  dois  pas  terminer  celte  appré- 
ciation générale  du  calcul  aux  différences  finies,  sans  si- 
gnaler une  nouvelle  notion  à  laquelle  il  a  donné  naissance, 
et  qui  a  pris  ensuite  une  grande  importance.  C'est  la  con- 
sidération de  ces  fonctions  périodiques  ou  discontinues^  con- 
servant toujours  la  môme  valeur  pour  une  suite  infinie  de 
valeurs  assujetties  à  une  certaine  loi  dans  les  variables  cor- 
ret|X>ndantcs,  et  qui  doivent  être  nécessairement  ajoutées 
ans  intégrales  des  équations  aux  différences  finies  pour  les 
rendre  suffisamment  générales,  comme  on  ajoute  de  sim- 
ples constantes  arbitraires  à  toutes  les  quadratures  afin 
d'en  compléter  la  généralité.  Cette  idée,  primitivement 
introduite  par  Euler,  est  devenue,  dans  ces  derniers  temps, 
le  sujet  de  travaux  fort  étendus  de  la  part  de  Fourier, 
qni  Ta  transportée  dans  le  système  général  de  l'analyse, 
et  qui  en  a  fait  un  usage  tellement  neuf  et  si  essentiel  pour 
la  théorie  mathématique  de  la  chaleur,  que  cette  concep- 
tion, dans  son  état  actuel,  lui  appartient  vraiment  d'une 
manière  exclusive. 

Afin  de  signaler  complètement  le  caractère  philosophi- 
que du  calcul  aux  différences  finies,  je  ne  dois  pas  négliger 
de  mentionner  ici  rapidement  les  principales  applications 
générales  qu'on  a  faites  jusqu'à  présent. 

Il  faudrait  placer  au  premier  rang,  comme  la  plus  éten- 
due et  la  plus  importante,  la  solution  des  questions  rela- 
tives aux  suites,  si,  d'après  les  explications  données  ci- 
dessus,  la  théorie  générale  des  suites  ne  devait  pas  être 
considérée  comme  constituant,  par  sa  nature,  le  fond 
même  du  calcul  de  Taylor.  Cette  grande  classe  de  pro- 
blèmes étant  donc  écartée,  la  plus  essentielle  des  vérita- 
bles applications  de  l'analyse  de  Taylor  est  sans  doute, 
jusqu'ici,  la  mélhode  générale  des  interpolations^  si  fré- 


\ 


ÎS4  MATHÉMATIQUES, 

quemment  et  si  ulilemenl  employée  dans  la  recherche  d^^ 
lois  empiriques  des  phénomènes  naturels.  La  queslion  cot»^" 
siste,  comme  on  sail,  h  intercaler,  entre  certains  nombre 
donnés,  d'aulres  nombres  intermédiaires  assujettis  à  1 
même  loi  que  l'on  suppose  exister  entre  les  premiers.  0 
peut  pleinement  vérifier,  dans  cette  application  principale 
du  calcul  de  Taylor,  combien,  ainsi  que  je  l'ai  expliqua 
plus  haut,  la  considération  des  différences  est  vraiment, 
étrangère  et  souvent  gênante,  relativement  aux  questions 
qui  dépendent  de  cette  analyse.  En  effet,  Lagrange  a  rem — 
placé  les  formules  d'interpolation  déduites  de  l'algorithme^ 
ordinaire  du  calcul  aux  différences  unies  par  des  formules- 
générales  beaucoup  plus  simples,   qui  sont  aujourd'hui 
presque  toujours  préférées,  et  qui  ont  été  trouvées  direc- 
tement, sans  faire  jouer  aucun  rôle  à  la  notion  superflue 
des  différences^  qui  ne  faisaient  que  compliquer  la  question. 

Une  dernière  classe  importante  d'application  du  calcul 
aux  différences  finies,  qui  mérite  d'être  distinguée  de  la 
précédente,  consisti*  dans  l'usage  éminemment  utile  qu'on 
en  fait,  en  géométrie,  pour  déterminer  par  approximation 
la  longueur  et  l'aire  de  quelque  courbe  que  ce  soit,  et,  de 
même,  la  quadrature  et  la  cubature  d'un  corps  ayant  une 
forme  quelconque.  Ce  procédé,  qui  peut  d'ailleurs  être 
conçu  abstraitement  comme  dépendant  de  la  même  re- 
cherche analytique  que  la  question  des  interpolations, 
présente  souvent  un  supplément  précieux  aux  méthodes 
géométriques  entièrement  rationnelles,  qui  conduisent 
fréquemment  à  des  intégrations  qu'on  ne  sait  point  encore 
effectuer,  ou  à  des  calculs  d'une  exécution  très-compli* 
quée. 

Telles  sont  les  diverses  considérations  principales  que 
j'ai  cru  devoir  indiquer  relativement  au  calcul  des  diffé- 
rences (inies.  Gel  examen  complète  l'étude  philosophique 


CALCUL  AUX    DIFFERENCES  FINIES.  255 

^e  je  m'étais  proposé  d'esquisser  pour  la  mathématique 
abstraite.  Nous  devons  maintenant  procéder  à  un  travail 
semblable  sur  la  mathématique  concrète,  où  nous  nous 
attacherons  surtout  à  concevoir  comment,  en  supposant 
parfaite  la  science  générale  du  calcul,  on  a  pu,  par  des 
procédés  invariables,  réduire  à  de  pures  questions  d'ana- 
^86  tous  les  problèmes  que  peuvent  présenter  la  géométrie 
et  la  mécanique,  et  imprimer  ainsi,  à  ces  deux  bases  fonda- 
mentales de  la  philosophie  naturelle,  un  degré  de  pré- 
dsioii  et  surtout  d'unité,  en  un  mot,  un  caractère  de  haute 
p^ection^  qu'une  telle  marche  pouvait  seule  leur  com* 
moDiquer. 


DIXIÈME  LEÇON 


Sommaire.  —  Vue  générale  de  ]a  géométrie* 


D'après  Texplication  générale  présentée  dans  la  troisième 
leçon  relativement  au  caractère  philosophique  de  la  mathé- 
matique concrète,  comparé  à  celui  de  la  mathématique 
abstraite,  je  n'ai  pas  besoin  d'établir  ici,  d'une  manière 
spéciale,  que  la  géométrie  doit  être  considérée  comme  une 
véritable  science  naturelle,  seulement  bien  plus  simple  et 
par  suite  beaucoup  plus  parfaite  qu'aucune  autre.  Cette 
perfection  nécessaire  de  la  géométrie,  obtenue  essentielle- 
ment par  l'application,  qu'elle  comporte  si  éminemment, 
de  l'analyse  mathématique,  fait  ordinairement  illusion  sur 
la  nature  réelle  de  cette  science  fondamentale^  que  la  plu- 
part des  esprits  conçoivent  aujourd'hui  comme  une  science 
purement  rationnelle^  tout  à  fait  indépendante  de  l'obseï^ 
valion.  Il  est  néanmoins  évident,  pour  quiconque  examine 
avec  attention  le  caractère  des  raisonnements  géométri- 
ques, même  dans  l'état  actuel  de  la  géométrie  abstraite^ 
que,  si  les  faits  qu'on  y  considère  sont  beaucoup  plus  liés 
entre  eux  que  ceux  relatifs  à  toute  autre  science,  il  existe 
toujours  cependant,  par  rapport  à  chaque  corps  étudié  par  ' 
les  géomètres,  un  certain  nombre  de  phénomènes  primitifs, 
qui,  n'étant  établis  par  aucun  raisonnement,  ne  peu- 
vent être  fondés  que  sur  l'observation,  et  constituent  la  base 
nécessaire  de  toutes  les  déductions.  L'erreur  commune  à 
cet  égard  doit  élre  regardée  comme  un  reste  d'influence  de 


GÉOMÉTRIE.  t57 

Tesprit  mélapbysique,  qui  a  si  longtemps  dominé,  même 
dans  les  études  géométriques.  Indépendamment  de  sa 
graTÎté  logique,  cette  fausse,  manière  de  voir  présente 
eoDtinueliement,  dans  les  applications  de  la  géométrie 
rationnelle,  les  plus  grands  inconvénients,  en  ce  qu'elle 
empêche  de  concevoir  nettement  le  passage  du  concret  à 
l'abstrait. 

La  supériorité  scientifique  de  la  géométrie  tient,  en  gé- 
néral» à  ce  que  les  phénomènes  qu'elle  considère  sont,  né- 
cessairement, les  plus  universels  et  les  plus  simples  de 
tous.  Non-seulement  tous  les  corps  de  la  nature  peuvent 
évidemment  donner  lieu  à  des  recherches  géométriques, 
aussi  bien  qu'à  des  recherches  mécaniques,  mais,  de  plus, 
les  phénomènes  géométriques  subsisteraient  encore,  quand 
même  toutes  les  parties  de  l'univers  seraient  supposées  im- 
mobiles. La  géométrie  est  donc,  par  sa  nature,  plus  géné- 
rale que  la  mécanique.  En  môme  temps,  ses  phénomènes 
sont  plus  simples  ;  car  ils  sont  évidemment  indépendants 
des  phénj)mènes  mécaniques,  tandis  que  ceux-ci  se  com- 
pliquent toujours  nécessairement  des  premiers.  Il  en  est  de 
même,. en  comparant  la  géométrie  à  la  thermologie  ab- 
straite, qu'on  peut  concevoir  aujourd'hui,  depuis  les  tra- 
vaux de  Fourier,  ainsi  que  je  l'ai  indiqué  dans  la  troisième 
leçon»  comme  une  nouvelle  branche  générale  de  la  mathé- 
matique concrète.  En  effet,  les  phénomènes  thermologi- 
quesy  considérés  môme  indépendamment  des  effets  dyna- 
miques qui  les  acompagnentpresque  constamment,  surtout 
dans  les  corps  Huides,  dépendent  nécessairement  des  phé- 
nomènes géométriques,  puisque  la  forme  des  corps  influe 
singulièrement  sur  la  répartition  de  la  chaleur. 

C'est  pour  ces  diverses  raisons  que  nous  avons  dû  classer 
précédemment  la  géométrie  comme  la  première  partie  de 
la  mathématique  concrète,  celle  dont  l'étude,  outre  son 

A.  Comte.  Tome  I.  17 


258  MATHÉMATIQUES. 

importance  propre,  sert  de  base  indispensable  à  loules  les 
autres. 

Avant  de  considérer  xlireclemenl  Télude  philosophique 
des  divers  ordres  de  recherches  qui  conslilueul  la  géomé- 
trie actuelle,  il  faut  se  faire  une  idée  nette  et  exacte  delà 
destination  générale  de  cette  science,  envisagée  dans  sod 
ensemble.  Tel  est  Tobjet  de  cette  leçon. 

On  dcfinit  communément  la  géométrie  d*unc  manière 
très-vague  et  tout  à  fait  vicieuse,  en  se  bornant  à  la  présen- 
ter comme  la  5Ci*ewce  de  l'étendue.  11  conviendrait  d'abord 
d'améliorer  celte  définition,  eu  disant,  avec  plus  de  préci- 
sion, que  la  géométrie  a  pour  objet  la  mesure  de  l'étendue. 
Mais  une  telle  explication  serait,  par  elle-même,  fort  insuf' 
usante,  bien  qu'au  fond,  elle  soit  exacte.  Un  aperçu  aussi 
imparfait  ne  peut  nullement  faire  connaître  le  véritable  ca- 
ractère général  de  la  science  géométrique. 

Pour  y  parvenir,  je  crois  devoir  éclaircir  préalablement 
deux  notions  fondamentales,  qui,  très-simples  en  elles- 
mêmes,  ont  été  singulièrement  obscurcies  par  l'emploi  des 
considérations  méthaphysiques. 

La  première  est  celle  de  Vespace,  qui  a  donné  lieu  à  tant 
de  raisonnements  sophistiques,  à  des  discussions  si  creuses 
et  si  puériles  de  la  part  des  métaphysiciens.  Uéduite  àsoD 
acception  positive,  cette  conception  consiste  simplementeo 
ce  qu'au  lieu  de  considérer  l'étendue  dans  les  corps  eux- 
mêmes,  nous  l'envisageons  dans  un  milieu  indéfini,  qo^ 
nous  regardons  comme  contenant  tous  les  corps  de  l'uni' 
vers.  Cette  notion  nous  est  naturellement  suggérée  par  l'ob- 
servation, quand  nous  pensons  à  Vempreinte  que  laisserait  un 
corps  dans  un  fluide  où  il  aurait  été  placé.  Il  est  clair,  en 
effet,  que,  sous  le  rapport  géométrique,  une  telle  empré^^ 
peut  être  substituée  au  corps  lui-même,  sans  que  les  raison- 
nements en  soient  altérés.  Quant  à  la  nature  physique  de 


GÉOMÉTRIE.  t59 

cet  espace  indéfini,  nous  devons  spontanément  nous  le  re- 
présenter, pour  plus  de  facilité,  comme  analogue  au  milieu 
effectif  dans  lequel  nous  vivons,  tellement  que,  si  ce  milieu 
était  liquide,  au  lieu  d*ôtre  gazeux,  notre  espace  géométri- 
que serait  sans  doute  conçu  aussi  comme  liquide.  Cette  cir- 
constance n'est  d'ailleurs  évidemment  que  très-secondaire, 
Tobjet  essentiel  d'une  telle  conception  étant  seulement  de 
nous  faire  envisager  l'étendue  séparément  des  corps  qui 
nous  la  manifestent.  On  comprend  aisément  à  priori  l'im- 
portance de  cette  image  fondamentale,  puisqu'elle  nous 
permet  d'étudier  les  phénomènes  géométriques  en  eux- 
mêmes,  abstraction  faite  de  tous  les  autres  phénomènes 
qui  les  accompagnent  constamment  dans  les  corps  réels, 
sans  cependant  exercer  sur  eux  aucune  iniluence.  L'établis- 
sement r(^gulier  de  cette  abstraction  générale  doit  être  re- 
gardé comme  le  premier  pas  qui  ait  été  fait  dans  l'étude 
rationnelle  de  la  géométrie,  qui  eût  été  impossible  s'il  avait 
Gdla  continuer  à  considérer  avec  la  forme  et  la  grandeur 
des  corps  l'ensemble  de  toutes  leurs  autres  propriétés 
physiques.  L'usage  d'une  semblable  hypothèse,  qui  est 
peut-être  la  plus  ancienne  conception  philosophique  créée 
par  l'esprit  humain,  nous  est  maintenant  devenu  si  fami- 
lier, que  nous  avons  peine  à  en  mesurer  exactement  l'im- 
portance, en  appréciant  les  conséquences  qui  résulteraient 
de  sa  suppression. 

Les  spéculations  géométriques  ayant  pu  ainsi  devenir 
ibstraitesy  elles  ont  acquis  non-seulement  plus  de  simpli- 
dté,  mais  encore  p^us  de  généralité.  Tant  que  l'étendue 
est  considérée  dans  les  corps  eux-mêmes,  on  ne  peut  pren- 
dre pour  sujet  des  recherches  que  les  formes  eifectivement 
réalisées  dans  la  nature,  ce  qui  restreindrait  singulièrement 
le  champ  delà  géométrie.  Au  contraire,  en  concevant  re- 
tendue dans  Vespace^  Tesprit  humain  peut  envisager  toutes 


i  6  0  MATHÉMATIQUES. 

les  formes  quelconques  imaginables,  ce  qui  est  indispensa- 
ble pour  donner  à  la  géométrie  un  caractère  entièrement- 
rationnel. 

La  seconde  conception  géométrique  préliminaire  qu» 
nous  devons  examiner  est  celle  des  différentes  sortes  d'é- 
tendue, désignées  par  les  mots  de  volume  (i),  surface^  ligne 
et  même  points  et  dont  l'explication  ordinaire  est  si  peu  sa- 
tisfaisante. 

Quoiqu'il  soit  évidemment  impossible  de  concevoir  au- 
cune étendue  absolument  privée  de  l'une  quelconque  des 
trois  dimensions  fondamentales,  il  n'est  pas  moins  incon- 
testable que,  dans  une  foule  d'occasions,    même  d'une 
utilité  immédiate,  les  questions  géométriques  ne  dépen- 
dent que  de  deux  dimensions,  considérées  séparément  de 
la  troisième,  ou  d'une  seule  dimension,  considérée  sépa- 
rément des  deux  autres.  D'un  autre  c6lé,  indépendam- 
ment de  ce  motif  direct,  l'étude  de  l'étendue  à  une  seule 
dimension  et  ensuite  à  deux  se  présente  clairement  comme 
un  préliminaire  indispensable  pour  faciliter  l'étude  des 
corps  complets  ou  à  trois  dimensions,  dont  la  théorie  im- 
médiate serait  trop  compliquée.  Tels  sont  les  deux  motifs 
généraux  qui  obligent  les  géomètres  à  considérer  isolément 
l'étendue  sous  le  rapport  d'une  ou  de  deux  dimensions, 
aussi  bien  que  relativement  à  toutes  les  trois  ensemble. 

(1)  Lacroix  a  critiqué  avec  raison  I^expression  de  solide  communé- 
ment employée  par  les  géomètres  pour  désigner  un  volume.  Uest  certain, 
en  effet,  que,  lorsque  nous  voulons  considérer  séparément  une  certaine 
portion  de  l'espace  indéfini,  conçu  comme  gazeni,  nous  en  solidîilon»  par 
la  pensée  Tenceinte  extérieure,  en  sorte  qu'une  ligne  et  une  surface  soot 
habituellement,  pour  notre  esprit,  tout  aussi  solutés  qu'un  volume,  Oq 
peut  même  remarquer  quc^  le  plus  souvent,  afin  que  i«;s  corps  se  pé- 
nètrent mutuellement  avec  plus  de  facilité,  nous  soin  mes  obligés  de  noot 
représenter  comme  creux  l'intérieur  des  volumeSy  ce  qui  reiid  encort 
phiB  seoiibk  Timpropriété  du  mot  solidtm 


GÉOMÉTRIE.  SSI 

C'est  afin  de  pouvoir  penser,  d'une  manière  permanente, 
à  l'étendue  dans  deux  sens  ou  dans  un  seul,  que  l'esprit 
humain  se  forme  les  notions  générales  de  surface  et  de 
ligne.  Les  expressions  hyperboliques  habituellement  em- 
ployées par  les  géomètres  pour  les  définir  tendent  à  en 
faire  concevoir  une  fausse  idée.  Mais,  examinées  en  elles- 
mêmes,  elles  n'ont  d'autre  destination  que  de  nous  per- 
mettre de  raisonner  avec  facilité  sur  ces  deux  genres  d'é- 
tendue en  faisant  complètement  abstraction  de  ce  qui  ne 
doit  pas  être  pris  en  considération.  Or,  il  suffit,  pour  cela, 
de  concevoir  la  dimension  que  l'on  veut  éliminer  comme 
devenue  graduellement  de  plus  en  plus  petite,  les  deux 
autres  restant  les  niômes,  jusqu'à  ce  qu'elle  soit  parvenue 
à  un  tel  degré  de  ténuité  qu'elle  ne  puisse  plus  fixer  l'at- 
tention. C'est  ainsi  qu'on  acquiert   naturellement  l'idée 
réelle  d'une  surface^  et,  par  une  seconde  opération  ana- 
logue,  ridée  d'une  ligne^   en  renouvelant  pour  la  largeur 
ce  qu'on  a  d'abord  fait  pour  l'épaisseur.  Enfin,  si  l'on  ré- 
pète encore  le  môme  travail,  on  parvient  à  l'idée  d'un  points 
ou  d'une   étendue  considérée  uniquement  par  rapport  à 
son  lieu,  abstraction  faite  de  toute  grandeur,  et  destinée, 
par  conséquent,  à  préciser  les  positions.   Les  surfaces  ont 
d'ailleurs    évidemment  la  propriété  générale  de    circon- 
scrire exactement  les  volumes;   et  de  môme  les  lignes,  à 
leur  tour,  circonscrivent  les  surfaces,  et  sont  limitées  par 
les  points.  Mais  cette  considération,  à  laquelle  on  a  donné 
souvent  trop  d'importance,  n'est  que  secondaire. 

Les  surfaces  et  les  lignes  sont  donc  réellement  toujours 
conçues  avec  trois  dimensions:  il  serait,  en  effet,  impos- 
sible de  se  représenter  une  surface  autrement  que  comme 
une  plaque  extrêmement  mince,  et  une  ligne  autrement 
que  comme  un  fil  infiniment  délié.  Il  est  même  évident 
que  le  degré  de  ténuité  attribué  par  chaque  individu  aux 


iCt  MATHÉMATIQUES. 

dimensions  dont  il  veut  faire  abstraction,  n'est  pas  con- 
stamment identique,  car  il  doit  dépendre  du  degré  de 
finesse  de  ses  observations  géométriques  habituelles.  Ce 
défaut  d'uniformité  n'a  d'ailleurs  aucun  inconvénient  réel, 
puisqu'il  suffit,  pour  que  les  idées  de  surface  et  de  ligne 
remplissent  la  condition  essentielle  de  leur  destination, 
que  chacun  se  représente  les  dimensions  à  négliger  comme 
plus  petites  que  toutes  celles  dont  ses  expériences  journa- 
lières lui  donnent  occasion  d'apprécier  la  grandeur. 

On  doit  sans  doute  regretter  qu'il  soit  encore  nécessaire 
aujourd'hui  d'indiquer  expressément  une  explication  aussi 
simple  que  la  précédente,  dans  un  ouvrage  tel  que  celui-ci. 
Mais  j'ai  cru  devoir  signaler  rapidement  ces  considérations 
à  cause  du  nuage  ontologique  dont  une  fausse  manière  de 
voir  enveloppe  ordinairement  ces  notions  premières.  On 
voit  par  là  combien  sont  dépourvues  de  toute  espèce  de 
sens  les  discussions  fantastiques  des  métaphysiciens  sur 
les  fondements  de  la  géométrie.  On  doit  aussi  remarquer 
que  ces  idées  primordiales  sont  habituellement  présentées 
parles  géomètres  d'une  manière  peu  philosophique,  puis- 
qu'ils exposent,  par  exemple,  les  notions  des  différentes 
sortes  d'étendue  dans  un  ordre  absolument  inverse  de 
leur  enchaînement  naturel,  ce  qui  engendre  souvent,  pour 
l'enseignement  élémentaire,  les  plus  graves  inconvé- 
nients. 

Ces  préliminaires  étant  posés,  nous  pouvons  procéder 
directement  à  la  déOnition  générale  de  la  géométrie,  ea 
concevant  toujours  cette  science  comme  ayant  pour  but 
final  la  mesure  de  l'étendue. 

Il  est  tellement  nécessaire  d'entrer  à  cet  égard  dans 
une  explication  approfondie,  fondée  sur  la  distinction  des 
trois  espèces  d'étendue,  que  la  notion  de  mesure  n'est  pas 
exactement  la  même  par  rapport  aux  surfaces  et  aux  vo- 


GÉOMÉTRIE.  Î63 

lûmes  que  relalivement  aux  lignes,  en  sorte  que,  sans  cet 
examen,  on  se  formerait  une  fausse  idée  de  la  nature  des 
questions  géométriques. 

Si  Ton  prend  le  mot  mesure  dans  son  acception  m.alhé- 
matique  directe  et  générale,  qui  signifle  simplement  Té- 
valuation  des  rapports  qu'ont  entre  elles  des  grandeurs 
homogènes  quelconques,  on  doit  considérer,  en  géométrie, 
que  la  mesure  des  surfaces  et  des  volumes,  par  opposition  à 
celle  des  lignes,  n*esl  jamais  conçue,  môme  dans  les  cas  les 
plus  simples  et  les  plus  favorables,  comme  s'effectuant  im- 
médiatement. On  regarde  comme  directe  la  comparaison 
de  deux  lignes;  celle  de  deux  surfaces  ou  de  deux  volumes 
est,  au  contraire,  constamment  indirecte.  En  effet,  on 
conçoit  que  deux  lignes  puissent  être  superposées;  mais 
la  superposition  de  deux  surfaces,  ou,  à  plus  forte  raison, 
celle  de  deux  volumes,  est  évidemment  impossible  à  éta- 
blir dans  le  plus  grand  nombre  des  cas;  et,  lors  môme 
qu'elle  devient  ligoureusement  praticable,  une  telle  com- 
paraison n*cst  jamais  ni  commode  ni  susceptible  d'exac- 
titude. Il  est  donc  bien  nécessaire  d'expliquer  en  quoi 
consiste  proprement  la  mesure  vraimentgéométrique  d'une 
surface  ou  d'un  volume. 

11  faut  considérer,  pour  cela,  que,  quelle  que  puisse  ôtre 
la  forme  d'un  corps,  il  existe  toujours  un  certain  nombre 
de  lignes,  plus  ou  moins  faciles  à  assigner,  dont  la  lon- 
gueur suffit  pour  définir  exactement  la  grandeur  de  sa 
surface  ou  de  son  volume.  La  géométrie,  regardant  ces 
lignes  comme  seules  susceptibles  d'être  mesurées  immé- 
diatemeiit,  se  propose  de  déduire,  de  leur  simple  détermi- 
nation, le  rapport  de  la  surface  ou  du  volume  cherchés  à 
l'unité  de  surface  ou  à  l'unité  de  volume.  Ainsi  l'objet  gé- 
néral de  la  géométrie,  relativement  aux  surfaces  et  aux 
volumes,  est  proprement  de  ramener  toutes  les  comparai- 


264  MAïnÉMATIQUES. 

sons  de  surfaces  ou   de  volumes  à  de   simples    compa — 
raisons  de  lignes. 

Outre  la  facilité  immense  que  présente  évidemment  une 
telle  transformation  pour  la  mesure  des  volumes  et  des 
surfaces,  il  en  résulte,  en  la  considérant  d*une  manière 
plus  étendue  et  plus  scientifique,  la  possibilité  générale  de 
réduire  à  des  questions  de  lignes  toutes  les  questions  rela- 
tives aux  volumes  et  aux  surfaces,  envisagés  quant  à  leur 
grandeur.  Tel  est  souvent  Tusage  le  plus  important  des 
expressions  géométriques  qui  déterminent  les  surfaces  et 
les  volumes  en  fonction. des  lignes  correspondantes. 

Ce  n'est  pas  que  les  comparaisons  immédiates  entre 
surfaces  ou  entre  volumes  ne  soient  jamais  employées. 
Mais  de  telles  mesures  ne  sont  pas  regardées  comme 
géométriques,  et  on  n'y  voit  qu'un  supplément  quelquefois 
nécessaire,  quoique  trop  rarement  applicable,  à  TinsufC- 
sance  ou  à  la  difûcullé  des  procédés  vraiment  rationnels. 
C'est  ainsi  que  souvent  on  détermine  le  volume  d'un  corps, 
et,  dans  certains  cas,  sa  surface,  d'après  son  poids.  De 
môme,  en  d'autres  occasions,  quand  on  peut  substituer  au 
volume  proposé  un  volume  liquide  équivalent,  on  établit 
immédiatement  la  comparaison  de  deux  volumes,  en  pro- 
fitant de  la  propriété  que  présentent  les  masses  liquides 
de  pouvoir  prendre  aisément  toutes  les  formes  qu'on  veut 
leur  donner.  Mais  tous  les  moyens  de  cette  nature  sont 
purement  mécaniques,  et  la  géométrie  rationnelle  les 
rejette  nécessairement. 

Pour  rendre  plus  sensible  la  différence  de  ces  détermi- 
nations avec  les  véritables  mesures  géométriques,  je  citerai 
un  seul  exemple  très-remarquable,  la  manière  dont  Galilée 
évalua  le  rapport  de  l'aire  de  la  cycloïde  ordinaire  à  celle 
du  cercle  générateur.  La  géométrie  de  son  temps  étant 
encore  trop  inférieure  à  la  solution  rationnelle  d'un  tel  pro- 


GÉOMÉTRIE.  2C& 

blème,  Galilée  imagina  de  chercher  ce  rapport  par  une 
expérience  directe.  Ayant  pesé  le  plus  exaclement  possible 
deux  lames  de  même  matière  el  d'égale  épaisseur,  dont 
Tune  avait  la  forme  d'un  cercle  et  l'autre  celle  de  la  cycloïde 
engendrée,  il  trouva  le  poids  de  celle-ci  constamment 
triple  de  celui  de  la  première,  d'où  il  conclut  que  Taire  de 
la  cycloïde  est  triple  de  celle  du  cercle  générateur,  résultat 
conforme  à  la  véritable  solution  obtenue  plus  tard  par 
Pascal  et  Wallis.  Un  tel  succès,  sur  lequel  d'ailleurs  Galilée 
n'avait  pas  pris  le  change,  lient  évidemment  à  l'extrême 
simplicité  réelle  du  rapport  cherché  ;  et  on  conçoit  l'insuf- 
fisance nécessaire  de  semblables  expédients,  môme  lors- 
qu'ils seraient  effectivement  praticables. 

On  voit  clairement,  d'après  ce  qui  précède,  en  quoi  con- 
siste proprement  la  partie  de  la  géométrie  relative  aux 
surfaces.  Mais  on  ne  conçoit  pas  aussi  nettement  le  caracx 
tère  de  la  géométrie  des  lignes,  puisque  nous  avons  semblé, 
pour  simplifier  l'exposition,  considérer  la  mesure  des  lignes 
comme  se  faisant  immédiatement.  Il  faut  donc,  par  rapport 
à  elles,  un  complément  d'explication. 

A  cet  effet,  il  suffit  de  distinguer,  entre  la  ligne  droite  et 
les  lignes  courbes;  la  mesure  de  la  première  étant  seule 
regardée  comme  directe,  et  celle  des  autres  comme  con- 
stamment indirecte.  Bien  que  la  superposition  soit  quel- 
quefois rigoureusement  praticable  pour  les  lignes  courbes, 
il  est  évident  néanmoins  que  la  géométrie  vraiment  ration- 
nelle doit  la  rejeter  nécessairement,  comme  ne  compor- 
tant, lors  même  qu'elle  est  possible,  aucune  exactitude.  La 
géométrie  des  lignes  a  donc  pour  objet  général  de  ramener 
constamment  la  mesure  des  lignes  courbes  à  celle  des  li- 
gnes droites;  et  par  suite,  sous  un  point  de  vue  plus 
étendu,  de  réduire  à  de  simples  questions  de  lignes  droites 
toutes  les  questions  relatives  à  la.  grandeur  des  courbes 


S6G  MATHEMATIQUES. 

quelconques.  Pour  comprendre  la  possibilité  d'une  telle 
transformation,  il  faut  remarquer  que,  dans  toute  courbe 
quelconque,  il  existe  constamment  certaines  droites  dont 
la  longueur  doit  suffire  pour  déterminer  celle  de  là  courbe. 
Ainsi,  dans  un  cercle,  il  est  évident  que  de  la  longueur  du 
rayon  on  doit  pouvoir  conclure  celle  de  la  circonférence; 
de  môme,  la  longueur  d'une  ellipse  dépend  de  celle  de  ses 
deux  axes  ;  la  longueur  d'une  cycloïde,  du  diamètre  do 
cercle  générateur,  etc.  ;  et  si,  au  lieu  de  considérer  la  tota- 
lité de  chaque  courbe,  on  demande  plus  généralement  la  lon- 
gueur d'un  arc  quelconque,  il  sufOra  d'ajouter,  aux  divers 
paramètres  recliligues  qui  déterminent  Tensemble  de  la 
courbe,  la  corde  de  Tare  proposé,  ou  les  coordonnées  de 
ses  extrémités.  Découvrir  la  relation  qui  existe  entre  la 
longueur  d'une  ligne  courbe  et  celle  de  semblables  lignes 
droite's  :  tel  est  le  problème  général  qu'on  a  essentielle- 
ment en  vue  dans  la  partie  de  la  géométrie  relative  à  l'étude 
des  lignes. 

En  combinant  cetle  considération  avec  celles  précé- 
demment exposées  sur  les  volumes  et  sur  les  surfaces,  on 
peut  se  former  une  idée  très- nette  de  la  science  géomé- 
trique, conçue  dans  son  ensemble,  en  lui  assignant  pour 
destination  générale  de  réduire  finalement  les  comparai- 
sons de  toutes  les  espèces  d'étendue,  volumes,  surfaces,  ou 
lignes,  à  de  simples  comparaisons  de  lignes  droites,  les 
seules  regardées  comme  pouvant  être  effectuées  immédia- 
tement, et  qui,  en  effet,  ne  sauraient  évidemment  être  ra- 
menées à  d'autres  plus  faciles.  En  même  temps  qu'une 
telle  conception  manifeste  clairement  le  véritable  caraC' 
tère  de  la  géométrie,  elle  me  semble  propre  à  en  faire 
apercevoir,  d'un  coup  d'œil  unique,  l'utilité  et  la  perfection. 

Afin  de  compléter  rigoureusement  cette  explication 
fondamentale,  il  me  reste  à  indiquer  comment  il  peut  y 


GÉOMÉTRIE.  S  67 

avoir,  en  géométrie,  une  section  spéciale  relative  à  la  ligne 
droite,  ne  qui  paraît  d'abord  incompatible  avec  le  principe 
que  la  mesure  de  cette  classe  de  lignes  doit  être  toujours 
regardée  comme  immédiate. 

Elle  Test,  en  effet,  par  rapport  à  celle  des  lignes  courbes, 
et  de  tous  les  autres  objets  que  la  géométrie  considère. 
Mais  il  est  évident  que  l'estimation  d'une  ligne  droite  ne 
peut  être  envisagée  comme  directe  qu'autant  qu'on  peut 
immédiatement  porter  sur  elle  l'unité  linéaire.  Or,  c'est  ce 
qui  présente  le  plus  souvent  des  difûcultés  insurmon- 
tables, comme  j'ai  eu  occasion  de  l'exposer  spécialement 
pour  un  autre  motif  dans  la  troisième  leçon.  On  doit  alors 
faire  dépendre  la  mesure  de  la  droite  proposée  d'autres 
mesures  analogues,  susceptibles  d'être  immédiatement 
effectuées.  Il  y  a  donc  nécessairement  une  première  étude 
géométrique  distincte,  exclusivement  consacrée  à  la  ligne 
droite;  elle  a  pour  objet  de  déterminer  les  lignes  droites, 
les  unes  par  les  autres,  d'après  les  relations  propres  aux 
figures  quelconques  résultant  de  leur  assemblage.  Cette 
partie  préliminaire  de  la  géométrie,  qui  semble  pour  ainsi 
dire  imperceptible  quand  on  envisage  l'ensemble  de  la 
science,  est  néanmoins  susceptible  d'un  très-grand  déve- 
loppement, lorsqu'on  veut  la  traiter  dans  toute  son  éten- 
due. Elle  est  évidemment  d'autant  plus  importante,  que, 
toutes  les  mesures  géométriques  devant  se  ramener,  autant 
que  possible,  à  celle  des  lignes  droites,  l'impossibilité  de 
déterminer  ces  dernières  sufQrait  pour  rendre  incomplète 
la  solution  de  chaque  question  quelconque. 

Telles  sont  donc,  suivant  leur  enchaînement  naturel,  les 
diverses  parties  fondamentales  de  la  géométrie  rationnelle. 
On  voit  que,  pour  suivre  dans  son  étude  générale  un  ordre 
vraiment  dogmatique,  il  faut  considérer  d'abord  la  géo- 
métrie des  lignes,  en  commençant  par  la  ligne  droite,  et 


268  MATHÉMATIQUES. 

passer  ensuite  à  la  géométrie  des  surfaces,  pour  traiter  enff  ^ 
celle  des  volumes.  Il  y  a  lieu  de  s'étonner,  sans  doute» 
qu'une  classification  méthodique  qui  dérive  aussi  simple- 
ment de  la  nature  môme  de  la  science  n'ait  pas  été  con- 
stamment suivie. 

Après  avoir  déterminé  avec  précision  l'objet  général  el 
définitif  des  recherches  géométriques,  il  faut  maintenant 
considérer  la  science  sous  le  rapport  du  champ  embrassé 
par  chacune  de  ses  trois  sections  fondamentales. 

Ainsi  envisagée,  la  géométrie  est  évidemment  suscep- 
tible, par  sa  nature,  d'une  extension  rigoureusement  indé- 
finie; car  la  mesure  des  lignes,  des  surfaces  ou  des 
volumes,  présente  nécessairement  autant  de  questions  dis- 
tinctes que  l'on  peut  concevoir  de  formes  différentes,  assu- 
jetties à  des  définitions  exactes,  et  le  nombre  en  est  évi- 
demment infini. 

Les  géomètres  se  sont  bornés  d'abord  à  considérer  les 
formes  les  plus  simples  que  la  nature  leur  fournissait  im- 
médiatement, ou  qui  se  déduisaient  de  ces  éléments  pri- 
mitifs par  les  combinaisons  les  moins  compliquées.  Mais 
ils  ont  senti,  depuis  Descartes,  que,  pour  constituer  la 
science  de  la  manière  la  plus  philosophique,  il  fallait  né- 
cessairement la  faire  porter,  en  générai,  sur  toutes  les 
formes  imaginables,  lis  ont  ainsi  acquis  la  certitude  rai- 
sonnée  que  cette  géométrie  abstraite  comprendrait  inévi- 
tablement, comme  cas   particuliers,  toutes  les  diverses 
formes  réelles  que  le  monde  extérieur  pourrait  présenter, 
de  façon  à  n'être  jamais  pris  au  dépourvu.  Si,  au  contraire, 
on  s'était  toujours  réduit  à  la  seule  considération  de  ces 
formes  naturelles,  sans  s'y  être  préparé  par  une  étude  gé- 
nérale et  par  l'examen  spécial  de  certaines  formes  hypo- 
thétiques plus  simples,  il  est  clair  que  les  difficultés  au- 
raient été  le  plus  souvent  insurmontables  au  moment  de 


GÉOMÉTRIE.  «69 

l'application  elTective.  C'est  donc  un  principe  fondamental, 
dans  la  géométrie  vraiment  rationnelle,  que  la  nécessité  de 
considérer,  autant  que  possible,  toutes  les  formes  qu'on 
peut  concevoir  rigoureusement. 

L'examen  le  moins  approfondi  suffit  pour  faire  com- 
prendre que  ces  formes  présentent  une  variété  tout  à  fait 
infinie.  Relativement  aux  lignes  courbes,  en  les  regardant 
comme  engendrées  par  le  mouvement  d'un  point  assujetti 
h.  une  certaine  loi,  il  est  clair  qu'on  aura,  en  général, 
autant  de  courbes  différentes  que  l'on  supposera  de  lois 
différentes  pour  ce  mouvement,  qui  peut  évidemment  s'o- 
pérer suivant  une  infinité  de  conditions  distinctes,  quoi- 
qu'il puisse  arriver  accidentellement  quelquefois  que  de 
nouvelles  générations  produisent  des  courbes  déjà  obte- 
nues. Ainsi,  pour  me  borner  aux  seules  courbes  planes, 
si  un  point  se  meut  de  manière  à  rester  constamment  à  la 
même  distance  d'un  point  fixe,  il  engendrera  un  cercle  ; 
si  c'est  la  somme  ou  la  différence  de  ses  distances  à  deux 
points  fixes  qui  demeure  constante,  la  courbe  décrite  sera 
une  ellipse  ou  une  byperbole  ;  si  c'est  leur  produit,  on  aura 
une  courbe  toute  différente  ;  si  le  point  s'écarte  toujours 
également  d'un  point  fixe  et  d'une  droite  fixe,  il  décrira 
une  parabole  ;  s'il  tourne  sur  un  cercle  en  môme  temps 
que  ce  cercle  roule  sur  une  ligne  droite,  on  aura  une 
cycloîde  ;  s'il  s'avance  le  long  d'une  droite,  tandis  que 
cette  droite,  fixée  par  une  de  ses  extrémités,  tourne  d'une 
manière  quelconque,  il  eu  résultera  ce  qu'on  appelle,  en 
général,  des  spirales  qui,  à  elles  seules,  présentent  évi- 
demment autant  de  courbes  parfaitement  distinctes,  qu'on 
peut  supposer  de  relations  différentes  entre  ces  deux  mou- 
vements de  translation  et  de  rotation,  etc.,  etc.  Chacune 
de  ces  diverses  courbes  peut  ensuite  en  fournir  de  nou- 
velles, par  les  différentes  constructions  générales  que  les 


«70  MATIIÉMATIQUES. 

géomètres  ont  imaginées,  et  qui  donnent  naissance  aux 
développées,  aux  épicycloïdcs,  aux  caustiques,  etc.,  etc. 
Enfin  il  existe  évidemment  une  vanCié  encore  plus  grande 
parmi  les  courbes  à  double  courbure. 

Relativement  aux  surfaces,  les  formes  en  sont  néces- 
sairement bien    plus    diverses  encore,  en  les   regardant 
comme  engendrées  par  le  mouvement  des  lignes.  En  effietf 
la  forme  peut  alors  varier,  non-seulement  en  considérant, 
comme  dans  les  courbes,  les  dilTérenles  lois  en  nombre 
infini  auxquelles  peut  être  assujetti  le  mouvement  de  la 
ligne  génératrice,  mais  aussi  en  supposant  que  cette  ligne 
elle-même  vienne  à  cbangcr  de  nature,  ce  qui  n*a  pas  d'a- 
nalogue dans  les  courbes,  les  points  qui  les  décrivent  ne 
pouvant  avoir  aucune  figure  distincte.  Deux  classes  de 
conditions   très-diverses   peuvent    donc   faire   varier   les 
formes  des  surfaces,  tandis  qu'il  n'en  existe  qu'une  seule 
pour  les  lignes.  11  est  inutile  de  citer  spécialement  une 
série  d'exemples  propres  à  vériûer  celle  multiplicité  dou- 
blement inOnie  qu'on  remarque   parmi  les  surfaces.  11 
suffirait,  pour  s'en  faire  une  idée,  de  considérer  l'extrôme 
variété  que  présente  le  seul  groupe  des  surfaces  dites 
réglées^  c'est-à-dire  engendrées  par  une  ligne  droite,  et 
qui  comprend  toute  la  famille  des  surfaces  cylindriques, 
celle  des  surfaces  coniques,  la  classe  plus  générale  des 
surfaces  développables  quelconques,  etc.  Par  rapport  aux 
volumes,  il  n'y  a  lieu   à  aucune  considération  spéciale, 
puisqu'ils  ne  se  distinguent  entre  eux  que  par  les  surfaces 
qui  les  terminent. 

A6n  de  compléter  cet  aperçu  géométrique,  il  faut  ajou- 
ter que  les  surfaces  elles-mêmes  fournissent  un  nouveau 
moyen  général  de  concevoir  des  courbes  nouvelles,  puisque 
toute  courbe  peut  être  envisagée  comme  produite  par 
rintersection  de  deux  surfaces.  C'est  ainsi,  en  effet,  qu'ont 


GÉOMÉTRIE.  «71 

été  obtenues  les  premières  lignes  qu'on  puisse  regarder 
comme  vraiment  inventées  parles  géomètres,  puisque  la 
nature  donnait  immédiatement  la  ligne  droite  et  le  cercle. 
On  sait  que  l'ellipse,  la  parabole  et  Thyperbole,  les  seules 
courbes  complètement  étudiées  par  les  anciens,  avaient 
été  seulement  conçues,  dans  l'origine,  comme  résultant 
de  l'intersection  d'un  cône  à  base  circulaire  par  un  plan 
diversement  situé.  H  est  évident  que,  par  ren)ploi  combiné 
de  ces  dilTérenls  moyens  généraux  pour  la  formalion  des 
lignes  et  des  surfaces,  on  pourrait  produire  une  suile  ri- 
goureusement inAnie  de  formes  distinctes,  en  partant  seu- 
lement d'un  très-petit  nombre  de  ûgurcs  directement  four- 
nies par  l'observation. 

Du  reste,  tous  les  divers  moyens  immédiats  pour  l'in- 
vention des  formes  n'ont  presque  plus  aucune  importance, 
depuis  que  la  géométrie  rationnelle  a  pris,  entre  les  mains 
de  Descartes,  son  caractère  déOnitif.  En  effet,  comme  nous 
le  verrons  spécialement  dans  la  douzième  leçon,  l'invention 
des  formes  se  réduit  aujourd'hui  à  l'invention  des  équa- 
tions, en  sorte  que  rien  n*est  plus  aisé  que  de  concevoir 
de  nouvelles  lignes  et  de  nouvelles  surfaces,  en  changeant 
à  volonté  les  fonctions  introduites  dans  les  équations.  Ce 
simple  procédé  abstrait  est,  sous  ce  rapport,  infiniment  ' 
plus  fécond  que  les  ressources  géométriques  directes, 
développées  par  l'imagination  la  plus  puissante,  qui  s'ap- 
pliquera uniquement  h  cet  ordre  de  conceptions.  Il  expli- 
que d'ailleurs,  de  la  manière  la  plus  générale  et  la  plus 
sensible,  la  variété  nécessairement  infinie  des  formes 
géométriques,  qui  correspond  ainsi  à  la  diversité  des 
fonctions  analytiques.  Enfin,  il  montre  non  .moins  claire- 
ment que  les  différentes  formes  de  surfaces  doivent  être 
encore  plus  multipliées  que  celles  des  lignes,  puisque  les 
lignes  sont  représentées  analytiquement  par  des  équations 


^71  MATOÉMATIQUES. 

à  deux  variables,  tandis  que  les  surfaces  donnent  lieu  à  des 
équations  à  trois  variables,  qui  présentent  nécessairement 
une  plus  grande  diversité. 

Les  considérations  précédemment  indiquées  suffisent 
pour  montrer  nettement  l'extension  rigoureusement  in- 
finie que  comporte,  par  sa  nature,  chacune  des  trois 
sections  générales  de  la  géométrie,  relativement  aux  lignes, 
aux  surfaces  et  aux  volumes,  en  résultat  de  la  variété  in- 
finie des  corps  à  mesurer. 

Pour  achever  de  nous  faire  une  idée  exacte  et  suffisam- 
ment étendue  de  la  nature  des  recherches  géométriques, 
il  est  maintenant  indispensable  de  revenir  sur  la  définition 
générale  donnée  ci-dessus,  afin  de  la  présenter  sous  un 
nouveau  point  de  vue,  sans  lequel  l'ensemble  de  la  science 
ne  serait  que  fort  imparfaitement  conçu. 

En  assignantpour  but  à  la  géométrie  la  mesure  de  toutes 
les  sortes  de  lignes,  de  surfaces  et  de  volumes,  c'est-à-dire, 
comme  je  l'ai  expliqué,  la  réduction  de  toutes  les  com- 
paraisons géométriques  à  de  simples  comparaisons  de 
lignes  droites,  nous  avons  évidemment  l'avantage  d'indi- 
quer une  destination  générale  très-précise  et  très-facile  i 
saisir.  Mais  si,  écartant  toute  définition,  on  examine  la 
composition  efi'ective  de  la  science  géométrique,  on  sera 
d'abord  porté  à  regarder  la  définition  précédente  comme 
beaucoup  trop  étroite,  car  il  n'est  pas  douteux  que  la  ma- 
jeure partie  des  recherches  qui  constituent  notre  géomé- 
trie actuelle  ne  paraissent  nullement  avoir  pour  objet  la 
mesure  de  l'étendue.  C'est  probablement  une  telle  considé- 
ration qui  maintient  encore,  pour  la  géométrie,  l'usage  de 
CCS  définitions  vagues,  qui  ne  comprennent  tout  que  parce 
qu'elles  ne  caractérisent  rien.  Je  crois  néanmoins,  malgré 
celte  objection  fondamentale,  pouvoir  persister  à  indiquer 
la  mesure  de  l'étendue  comme  le  but  général  et  uniforme 


GÉOMÉTRIE.  t7t 

de  la  science  géométrique,  et  en  y  comprenant  cependant 
ioai  ce  qui  entre  dans  sa  composition  réelle.  En  effet,  si, 
au  lieu  de  se  borner  à  considérer  isolément  les  diverses 
recherches  géométriques,  on  s'attache  à  saisir  les  questions 
principales,  par  rapport  auxquelles  toutes  les  autres, 
quelque  importantes  qu'elles  soient,  ne  doivent  être  regar- 
dées que  comme  secondaires,  on  finira  par  reconnaître 
que  la  mesure  des  lignes,  des  surfaces  et  des  volumes,  est 
le  but  invariable,  quelquefois  direct,  et  le  plus  souvent 
miirecty  de  tous  les  travaux  géométriques.  Celte  proposi- 
tion générale  étant  fondamentale,  puisqu'elle  peut  seule 
donner  à  notre  définition  toute  sa  valeur,  il  est  indispen- 
sable d'entrer  à  ce  sujet  dans  quelques  développements. 

En  examinant  avec  attention  les  recherches  géométri- 
ques qui  ne  paraissent  point  se  rapporter  à  la  mesure  de 
rétendue,  on  trouve  qu'elles  consistent  essentiellement 
dans  l'étude  des  diverses  propriétés  de  chaque  ligne  ou  de 
chaque  surface,  c'est-à-dire,  en  termes  précis,  dans  la 
connaissance  des  différents  modes  de  génération,  ou  du 
moins  de  définitions  propres  à  chaque  forme  que  l'on  con- 
sidère. Or,  on  peut  aisément  établir,  de  la  manière  la  plus 
générale,  la  relation  nécessaire  d'une  telle  étude  avec  la 
question  de  mesure^  pour  laquelle  la  connaissance  la  plus 
complète  possible  des  propriétés  de  chaque  forme  est  un 
préliminaire  indispensable.  C'est  ce  que  concourent  à  prou- 
ver deux  considérations  également  fondamentales,  quoique 
de  nature  tout  à  fait  distincte. 

La  première,  purement  scientifique,  consiste  à  remar- 
quer que,  si  l'on  ne  connaissait,  pour  chaque  ligne  ou  pour 
chaque  surface,  d'autre  propriété  caractéristique  que  celle 
d'après  Inquelle  les  géomètres  l'ont  primitivement  conçue, 
il  serait  le  plus  souvent  impossible  de  parvenir  a  la  solution 
des  questions  relatives  à  sa  mesure.  En  efiet,  il  est  facile  de 

A.  CoHTE.  Tome  I.  18' 


174  MATHÉMATIQUES. 

sentir  que  les  différentes  défînitions  dont  chaque  forme 
esl  susceptible  ne  sont  pas  toutes  également  propres  à  une 
telle  destination,  et  qu'elles  présentent  même,  sous  ce 
rapport,  les  oppositions  les  plus  complètes.  Or,  d'un  autre 
côté,  la  définition  primitive  de  chaque  forme  n'ayant  pu 
évidemment  être  choisie  d'après  cette  condition,  il  est 
clair  qu'on  ne  doit  pas  s'attendre,  en  général,  à  la  trouver 
la  plus  convenable;  d'où  résulte  la  nécessité  d'en  décou- 
vrir d'antres^  c'est-à-dire  d'étudier,  autant  que  possible, 
1  es  propriétés  de  la  forme  proposée.  Qu'on  suppose,  par 
exemple,  que  le  cercle  soit  défini,  la  courbe  qui,  sous  le 
môme  contour,  renferme  la  plus  grande  aire^  ce  qui  est 
certainement  une  propriété  tout  à  fait  caractéristique,  od 
éprouverait  évidemment  des  difficultés  insurmontables 
pour  déduire  d'un  tel  point  de  départ  la  solution  des  ques- 
tions fondamentales  relatives  à  la  rectification  ou  à  la 
quadrature  de  cette  courbe.  Il  est  clair,  àpn'oriy  que  la 
propriété  d'avoir  tous  ses  points  à  égale  distance  d'un 
point  fixe  doit  nécessairement  s'adapter  bien  mieux  à  des 
recherches  de  cette  nature,  sans  qu'elle  soit  précisément 
la  plus  convenable.  De  môme^  Archimède  eût-il  jamais  pu 
découvrir  la  quadrature  de  la  parabole,  s^il  n'avait  connu 
de  cette  courbe  d'aulre  propriété  que  d'être  la  section  d'un 
cône  à  base  circulaire,  par  un  plan  parallèle  à  sa  géné- 
ratrice? Les  travaux  purement  spéculatifs  des  géomètres 
précédents,  pour  transformer  cette  première  définition^ 
ont  évidemment  été  des  préliminaires  indispensables  à  la 
solution  directe  d'une  telle  question.  11  en  est  de  même,  à 
plus  forte  raison,  relativement  aux  surfaces.  11  suffirait, 
pour  s'en  faire  une  juste  idée,  de  comparer,  par  exemple» 
quant  à  la  question  de  la  cubature  ou  de  la  quadrature,  la 
définition  ordmaire  de  la  sphère  avec  celle,  non  moins 
caractéristique  sans  doute,  qui  consisterait  à  regarder  un 


GÉOMÉTRIE.  «75 

corps  spbériqiie  comme  celui  qui,  sous  la  môme  aire,  con- 
tient le  plus  grand  volume. 

Je  n'ai  pas  besoin  d'indiquer  un  plus  grand  nombre 
d'exemples  pour  faire  comprendre,  en  général,  la  néces- 
sité de  connaître,  autant  que  possible,  toutes  les  propriétés 
de  cbaque  ligne  ou  de  chaque  surface,  afin  de  faciliter  la 
recbercbe  des  rectiflcations,  des  quadratures  et  des  cu- 
batures,  qui  constitue  Tobjel  Gnal  de  la  géométrie.  On  peut 
même  dire  que  la  principale  difficulté  des  questions  de  ce 
genre  consiste  à  employer,  dans  chaque  cas,  la  propriété 
qui  s'adapte  le  mieux  à  la  nature  du  problème  proposé. 
Ainsi,  en  continuant  à  indiquer,  pour  plus  de  précision,  la 
mesure  de  l'étendue  comme  la  destination  générale  de  la 
géométrie,  cette  première  considération,  qui  touche  di- 
rectement au  fond  du  sujet,  démontre  clairement  la  né- 
cessité d'y  comprendre  l'élude,  aussi  approfondie  que  pos- 
sible, des  diverses  générations  ou  définitions  propres  à  une 
même  forme. 

Un  second  motif,  d'une  importance  au  moins  égale,  con- 
siste en  ce  qu'une  telle  étude  est  indispensable  pour  orga- 
niser,  d'une  manière  rationnelle,  la  relation  de  l'abstrait 
au  concret  en  géométrie. 

La  science  géométrique  devant  considérer,  ainsi  que  je 
l'ai  indiqué  ci-dessus,  toutes  les  formes  imaginables  qui 
comportent  une  définition  exacte,  il  en  résulte  nécessaire- 
ment, comme  nous  l'avons  remarqué,  que  les  questions 
relatives  aux  forjnes  quelconques  présentées  par  la  nature 
loot  toujours  implicitement  comprises  dans  cette  géométrie 
abstraite,  supposée' parvenue  à  sa  perfection.  Mais,  quand 
il  faut  passer  eflectivement  à  la  géométrie  concrète,  on 
reocoDtre  constamment  une  difficulté  fondamentale,  celle 
de  savoir  auxquels  des  différenls  types  abstraits  on  doit 
rapporter,  avec  une  approximation  suffisante,  les  lignes  ov 


1 7  6  MATH  ÉM  ATIQUES. 

les  surfaces  réelles  qu'il  s'agit  d'étudier.  Or,  c'est  pour 
établir  une  telle  relation  qu'il  est  particulièrement  indis- 
pensable de  connaître  le  plus  grand  nombre  possible  de 
propriétés  de  chaque  forme  considérée  en  géométrie. 

En  effet,  si  l'on  se  bornait  toujours  à  la  seule  définition 
primitive  d'une  ligne  ou  d'une  surface,  en  supposantmême 
qu'on  pût  alors  la  mesurer  (ce  qui,  d'après  le  premier 
geure  déconsidérations,  serait  le  plus  souvent  impossible), 
ces  connaissances  resteraient  presque  nécessairement 
stériles  dans  l'application,  puisqu'on  ne  saurait  point  ordi- 
nairement reconnaître  cette  forme  dans  la  nature,  quand 
elle  s'y  présenterait.  Il  faudrait,  pour  cela,  que  le  caractère 
unique  d'après  lequel  les  géomètres  l'auraient  conçue  fût 
précisément  celui  dont  les  circonstances  extérieures  com- 
porteraient la  vérification,  coïncidence  purement  fortuite, 
sur  laquelle  évidemment  on  ne  doit  pas  compter,  bien 
qu'elle  puisse  avoir  lieu  quelquefois.  Ce  n^est  donc  qu'en 
multipliant  autant  que  possible  les  propriétés  caractéristi- 
ques de  chaque  forme  abstraite,  que  nous  pouvons  être 
assurés  d'avance  de  la  reconnaître  à  l'état  concret,  et  d'u- 
tiliser ainsi  tous  nos  travaux  rationnels,  en  vérifiant,  dans 
chaque  cas,  la  définition  qui  est  susceptible  d'être  constatée 
directement.  Cette  définition  est  presque  toujours  unique 
dans  des  circonstances  données,  et  varie,  au  contraire,  pour 
une  môme  forme,  avec  des  circonstances  différentes  :  dou- 
ble motif  de  détermination. 

La  géométrie  céleste  nous  fournit,  à  cet  égard,  l'exemple 
le  plus  mémorable,  bien  propre  à  mettre  en  évidence  la 
nécessité  générale  d'une  telle  étude.  On  sait,  en  effet,  que 
l'ellipse  a  été  reconnue  par  Kepler  comme  étant  la  courbe 
que  décrivent  les  planètes  autour  du  soleil,  et  les  satellites 
autour  de  leurs  planètes.  Or  cette  découverte  fondamen- 
tale, qui  a  renouvelé  l'astronomie,  eût-elle  jamais  été  pos- 


GÉOMÉTRIE.  177 

sible,  si  Ton  s'était  toujours  borné  à  concevoir  Tellipse 
comme  la  section  oblique  d'un  cône  circulaire  par  un 
plan?  Aucune  telle  définition  ne  pouvait  évidemment  com- 
porter une  semblable  vérification.  La  propriété  la  plus 
usuelle  de  l'ellipse,  que  la  somme  des  distances  de  tous 
ses  points  à  deux  points  fixes  soit  constante,  est  bien  plus 
susceptible  sans  doute,  par  sa  nature,  de  faire  reconnaître 
la  courbe  dans  ce  cas;  mais  elle  n'est  point  encore  direc* 
tement  convenable.  Le  seul  caractère  qui  puisse  alors  être 
vérifié  immédiatement  est  celui  qu'on  tire  de  la  relation 
qui  existe  dans  l'ellipse  entre  la  longueur  des  distances 
focales  et  leur  direction^  l'unique  relation  qui  admette  une 
interprétation  astronomique,  comme  exprimant  la  loi  qui 
lie  la  dislance  de  la  planète  au  soleil  au  temps  écoulé  de- 
puis  l'origine  de  sa  révolution.  Il  a  donc  fallu  que  les  tra- 
vaux purement  spéculatifs  des  géomètres  grecs  sur  les  pro- 
priétés des  sections  coniques  eussent  préalablement 
présenté  leur  génération  sous  une  multitude  de  points 
de  vue  différents,  pour  que  Kepler  ait  pu  passer  ainsi  de 
Tabstrait  au  concret,  en  choisissant  parmi  tous  ces  divers 
caractères  celui  qui  pouvait  le  plus  facilement  être  con- 
staté pour  les  orbites  planétaires. 

Je  puis  citer  encore  un  exemple  du  môme  ordre,  relati- 
Temement  aux  surfaces,  en  considérant  l'importante  ques- 
tion de  la  figure  de  la  terre.  Si  l'on  n'avait  jamais  connu 
d'autre  propriété  de  la  sphère  que  son  caractère  primitif 
d'avoir  tous  ses  points  également  distants  d'un  point  inté- 
rieur, comment  aurait-on  pu  jamais  découvrir  que  la  sur- 
face de  la  terre  est  sphérique  ?  Il  a  été  nécessaire  pour 
cela  de  déduire  préalablement  de  cette  définition  de  la 
sphère  quelques  propriétés  susceptibles  d'être  vérifiées 
par  des  observations  effectuées  uniquement  à  la  surface, 
comme,  par  exemple,  le  rapport  constant  qui  existe  pour 


S78  MATHÉMATIQUES. 

la  sphère  entre  la  longueur  du  chemin  parcouru  le  long 
d'un  méridien  quelconque  en  s'avançant  vers  un  pôl?«  et  la 
hauteur  angulaire  de  ce  pôle  sur  Thorizon  en  chaque  point. 
Il  en  a  été  évidemment  de  même,  et  avec  une  bien  plus 
longue  suite  de  spéculations  préliminaires,  pour  constater 
plus  tard  que  la  terre  n*est  point  rigoureusement  sphé- 
rique,  mais  que  sa  forme  est  celle  d'un  ellipsoïde  de  révo- 
lution. 

Après  de  tels  exemples,  il  serait  sans  doute  inutile  d'en 
rapporter  d'autres,  que  chacun  peut  d'ailleurs  aisément 
multiplier.  On  y  vérifiera  toujours  que,  sans  une  connais- 
sance très-étendue  des  diverses  propriétés  de  chaque 
forme,  la  relation  de  l'abstrait  au  concret  en  géométrie 
serait  purement  accidentelle,  et  que,  par  conséquent,  la 
science  manquerait  de  l'un  de  ses  fondements  les  plus  es- 
sentiels. 

Tils  sont  donc  les  deux  motifs  généraux  qui  démontrent 
pleinement  la  nécessité  d'introduire  en  géométrie  une  foule 
de  recherches  qui  n'ont  pas  pour  objet  direct  la  mesure  de 
l'étendue,  en  continuant  cependant  à  concevoir  une  telle 
mesure  comme  la  destination  finale  de  toute  la  science 
géométrique.  Ainsi,  nous  pouvons  conserver  les  avantages 
philosophiques  que  présentent  la  netteté  et  la  précision  de 
cette  définition,  et  y  comprendre  néanmoins,  d'une  ma- 
nière très-rationnelle,  quoique  indirecte,  toutes  les  re- 
cherches géométrique^'  connues,  en  considérant  celles  qui 
ne  paraissent  point  se  rapporter  à  la  mesure  de  l'étendue, 
comme  destinées  soit  à  préparer  la  solution  des  questions 
finales,  soit  à  permettre  l'application  des  solutions  ob- 
tenues. 

Après  avoir  reconnu,  en  thèse  générale,  les  relations  in- 
times et  nécessaires  de  l'étude  des  propriétés  des  lignes  et 
des  surfaces  avec  les  recherches  qui  constituent  l'objet 


GÉOMÉTRIE.  S79 

défloitif  de  la  géomélrie,  il  est  d'ailleurs  évident  que,  dans 
la  suite  de  leurs  travaux,  les  géomètres  ne  doivent  nulle- 
ment s'astreindre  à  ne  jannais  perdre  de  vue  un  tel  enchat- 
oement.  Sachant,  une  fois  pour  toutes,  combien  il  importe 
de  Tarier  le  plus  possible  les  manières  de  concevoir  chaque 
forme,  ils  doivent  poursuivre  cette  étude  sans  considérer 
immédiatement  de  quelle  utilité  peut  être  telle  ou  telle 
propriété  spéciale  pour  les  rectifications,  les  quadratures 
ou  les  cubalures.  Ils  entraveraient  inutilement  leurs  re- 
cherches, en  attachant  une  importance  puérile  à  rétablis- 
sement continu  de  cette  coordination.  L'esprit  humain  doit 
procéder,  à  cet  égard,  comme  il  le  fait  en  toute  occasion 
semblable,  quand,  après  avoir  conçu,  en  général,  la  desti- 
nation d'une  certaine  étude,  il  s'attache  exclusivement  à  la 
pousser  le  plus  loin  possible,  en  faisant  complètement 
abstraction  de  cette  relation,  dont  la  considération  perpé- 
tuelle compliquerait  tous  ses  travaux. 

L'explication  générale  que  je  viens  d'exposer  est  d'autant 
plus  indispensable,  que,  par  la  nature  môme  du  sujet,  et  tte 
élude  des  diverses  propriétés  de  chaque  ligne  et  de  chaque 
surface  compose  nécessairement  la  très-majeure  partie  de 
l'ensemble  des  recherches  géométriques.  En  effet,  les  ques- 
tions immédiatement  relatives  aux  rectifications,  aux  qua- 
dratures et  aux  cubatures,  sont  évidemment,  par  elles-mê- 
mes, en  nombre  fort  limite  pour  chaque  forme  considérée 
Au  contraire,  l'élude  des  propriétés  d'une  même  forme 
présente  à  l'activité  de  l'esprit  humain  un  champ  naturel- 
lement indéfini,  où  l'on  peut  toujours  espérer  de  faire  de 
nOQvelIes  découvertes.  Ainsi,  par  exemple,  quoique  les 
géomètres  se  soient  occupés  depuis  vingt  siècles,  avec  plus 
ou  moins  d'activité  sans  doute,  mais  sans  aucune  interrup- 
tion réelle,  de  l'étude  des  sections  coniques,  ils  sont  loin 
de  regarder  ce  sujet  si  simple  comme  épuisé  ;  et  il  est  cer- 


180  MATHÉMATIQUES. 

tain  en  effet  qu'en  continuant  à  s'y  livrer,  on  ne  manque- 
rait pas  de  trouver  encore  des  propriétés  inconnues  de  ces 
diverses  courbes.  Si  les  travaux  de  ce  genre  se  sont  consi- 
dérablement ralentis  depuis  environ  un  siècle,  ce  n'est  pas 
qu'ils  soient  terminés;  cela  tient  seulement,  comme  je 
l'expliquerai  tout  à  l'heure,  à  ce  que  la  révolution  philoso- 
phique opérée  en  géométrie  par  Descartes  a  dû  singulière- 
ment diminuer  l'importance  de  semblables  recherches. 

Il  résulte  des  considérations  précédentes  que  non-seule- 
ment le  champ  de  la  géométrie  est  nécessairement  infini  à 
cause  de  la  variété  des  formes  à  considérer,  mais  aussi  en 
vertu  de  la  diversité  des  points  de  vue  sous  lesquels  une 
même  forme  peut  être  envisagée.  Cette  dernière  conception 
est  même  celle  qui  donne  l'idée  la  plus  large  et  la  plus 
complète  de  Tensemble  des  recherches  géométriques.  On 
voit  que  les  études  de  ce  genre  consistent  essentiellement, 
pour  chaque  ligne  ou  pour  chaque  surface,  à  rattacher 
tous  les  phénomènes  géométriques  qu'elle  peut  présenter 
à  un  seul  phénomène  fondamental,  regardé  comme  défini- 
tion primitive. 

Après  avoir  exposé,  d'une  manière  générale,  et  pourtant 
précise,  l'objet  final  de  la  géométrie,  et  montré  comment 
la  science,  ainsi  définie,  comprend  une  classe  de  recherches 
très-étendue  qui  ne  paraissaient  point  d'abord  s'y  rapporter 
nécessairement,  il  me  reste  à  considérer  dans  son  ensem- 
ble la  méthode  à  suivre  pour  la  formation  de  cette  science. 
Cette  dernière  explication  est  indispensable  pour  compléter 
ce  premier  aperçu  du  caractère  philosophique  de  la  géo- 
métrie. Je  me  bornerai  en  ce  moment  à  indiquer  k  cet 
égard  la  considération  la  plus  générale,  cette  importante 
notion  fondamentale  devant  être  développée  et  précisée 
dans  les  leçons  suivantes. 

L'ensemble  des  questions  géométriques  peut  être  traité 


GÉOMÉTRIE.  28  f 

snivant  deux  méthodes  tellement  différentes,  qa'il  en  ré- 
sulte, pour  ainsi  dire,  deux  sortes  de  géométries,  dont  le 
caractère  philosophique  ne  me  semble  pas  avoir  été  encore 
convenablement  saisi.  Les  expressions  de  géométrie  syn- 
thétique et  géométrie  analytique,  habituellemeut  employées 
pour  les  désigner,  en  donnent  une  très-fausse  idée.  Je  pré- 
férerais de  beaucoup  les  dénominations  purement  histori- 
ques de  géométrie  des  anciens  et  géométrie  des  modernes,  qui 
ont,  du  moins,  l'avantage  de  ne  pas  faire  méconnaître  leur 
vrai  caractère.  Mais  je  propose  d'employer  désormais  les 
expressions  régulières  de  géométrie  spéciale  et  géométrie  gé- 
néraky  qui  me  paraissent  propres  à  caractériser  avec  pré- 
cision la  véritable  nature  des  deux  méthodes. 

Ce  n'est  point,  en  effet,  dans  l'emploi  du  calcul  comme 
on  le  pense  communément,  que  consiste  précisément  la 
différence  fondamentale  entre  la  manière  dont  nous  conce- 
vons la  géométrie  depuis  Descartes^  et  la  manière  dont  les 
géomètres  de  l'antiquité  traitaient  les  questions  géométri- 
ques. 11  est  certain,  d'une  part,  que  l'usage  du  calcul  ne 
leur  était  point  entièrement  inconnu,  puisqu'ils  faisaient, 
dans  leur  géométrie,  des  applications  continuelles  et  fort 
étendues  de  la  théorie  des  proportions^  qui  était  pour  eux, 
comme  moyen  de  déduction,  une  sorte  d'équivalent  réel, 
quoique  très-imparfait  et  surtout  extrêmement  borné,  de 
notre  algèbre  actuelle.  On  peut  môme  employer  le  calcul 
d'une  manière  beaucoup  plus  complète  qu'ils  ne  l'ont  fait 
pour  obtenir  certaines  solutions  géométriques,  qui  n'en 
auront  pas  moins  le  caractère  essentiel  de  la  géométrie  an- 
cienne ;  c'est  ce  qui  arrive  très-fréquemment,  par  rapport 
à  ces  problèmes  de  géométrie  à  deux  ou  à  trois  dimensions, 
qu'on  désigne  vulgairement  sous  le  nom  de  déterminés. 
D'un  autre  côté,  quelque  capitale  que  soit  l'influence  du 
calcul  dans  notre  géométrie  moderne,  plusieurs  solutions 


28 1  MATHÉMATIQUES. 

obtenues  sans  al^èbre^  peuvent  manifester  quelquefois  le 
caractère  propre  qui  la  distingue  de  la  géométrie  ancienne, 
quoiqu'en  thèse  générale,  l'analyse  soit  indispensable; 
j'en  citerai,  comme  exemple,  la  méthode  de  Roberval  pour 
les  tangentes,  dont  la  nature  est  essentiellement  moderne, 
et  qui  cependant  conduit,  en  certains  cas,  à  des  solutions 
complètes^  sans  aucun  secours  du  calcul.  Ce  n'est  donc 
point  par  l'instrument  de  déduction  employé  qu'on  doit 
principalement  distinguer  les  deux  marches  que  l'esprit 
humain  peut  suivre  en  géométrie. 

La  différence  fondamentale,  jusqu'ici   imparfaitement 
saisie,  me  paraît  consister  réellement  dans  la  nature  môme 
des  questions  considérées.  En  effet,  la  géométrie,  envisagée 
dans  son  ensemble,  et  supposée  parvenue  à  son  entière 
perfection,  doit,  comme  nous  l'avons  vu,  d'une  part,  em- 
brasser toutes  les  formes  imaginables,  et,  d'une  autre  part, 
découvrir  toutes  les  propriétés  de  chaque  forme.  Elle  est 
susceptible,  d'après  cette  double  considération,  d'être  trai- 
tée suivant  deux  plans  essentiellement  distinctifs  :  soit  en 
groupant  ensemble  toutes  les  questions,  quelque  diverses 
qu'elles  soient,  qui  concernent  une  même  forme,  et  isolant 
celles  relatives  à  des  corps  différents,  quelque  analogie  qui 
puisse  exister  entre  elles;  soit,  au  contraire,  en  réunissant 
sous  un  môme  point  de  vue  toutes  les  recherches  sembla- 
bles, à  quelques  formes  diverses  qu'elles  se  rapportent 
d'ailleurs,  et  séparant  les  questions  relatives  aux  propriétés 
réellement  différentes  d'un  môme  corps.  En  un  mol,  l'en- 
semble de  la  géométrie  peut  être  essentiellement  ordonné 
ou  par  rapport  aux  corps  étudiés,  ou  par  rapport  aux  phé- 
nomènes ft  considi'Ter.  Le  premier  plan,  qui  est  le  plus  na- 
turei,  a  été  celui  des  anciens;  le  second,  inGniment  plus 
rationnel,  est  celui  des  modernes  depuis  Descartes. 

Tel  est,  en  effet,  le  caractère  principal  de  la  géométrie 


GÉOMÉTRIE.  ISS 

ancienne,  qu'on  éludiait,  une  à  une,  les  diverses  lignes  et 
les  diverses  surfaces,  ne  passant  à  Texamen  d'une  nouvelle 
forme  que  lorsqu'on  croyait  avoir  épuisé  tout  ce  que  pou- 
vaient offrir  d'intéressant  les  formes  connues  jusqu'alors. 
Dans  cette  manière  de  procéder,  quand  on  entreprenait 
Tétude  d'une  courbe  nouvelle,  l'ensemble  des  travaux  exé- 
cutés sur  les  précédents  ne  pouvait  présenter  directement 
aucune  ressource  essentielle,  autrement  que  par  l'exercice 
géométrique  auquel  il  avait  dressé  l'intelligence.  Quelle 
que  pût  être  la  similitude  réelle  des  questions  proposées 
sur  deux  formes  différentes,  les  connaissances  complètes 
acquises  pour  Tune  ne  pouvaient  nullement  dispenser  de 
reprendre  pour  l'autre  l'ensemble  de  la  recherche.  Aussi 
la  marche  de  l'esprit  n'élait-elle  jamais  assurée  ;  en  sorte 
qu'on  ne  pouvait  être  certain  d'avance  d'obtenir  une  solu- 
tion quelconque,   quelque  analogue  que  fût  le  problème 
proposé  à  des  questions  déjà  résolues.  Ainsi,  par  exemple, 
la  détermination  des  tangentes  aux  trois  sections  coniques 
ne  fournissait  aucun  secours  rationnel  pour  mener  la  tan- 
gente à  quelque  autre  courbe  nouvelle,  comme  la  con- 
cholde,  la  cissoîde,   etc.  En  un  mot,  la  géométrie  des 
anciens  était,  suivant  l'expression  proposée  ci-dessus^  es- 
sentiellement spéciale. 

Dans  le  système  des  modernes,  la  géométrie  est,  au 
contraire,  éminemment  générale^  c'est-à-dire  relative  à  des 
formes  quelconques.  Il  est  aisé  de  comprendre  d'abord 
que  toutes  les  questions  géométriques  de  quelque  intérêt 
peuvent  être  proposées  par  rapport  à  toutes  les  formes 
imaginables.  C'est  ce  qu'on  voit  directement  pour  les  pro- 
blèmes fondamentaux,  qui  constituent,  d'après  les  expli- 
cations données  dans  celte  leçon,  l'objet  définitif  de  la 
géométrie,  c'est-à-dire  les  rectifications,  les  quadratures 
et  les  cubatures.  Mais  cette  remarque  n'est  pas  moins  in- 


à 


284  MATUÉMATIQUES. 

contestable,  môme  pour  les  recherches  relatives  aux  di- 
verses propriétés  des  lignes  et  des  surfaces,  et  dont  les  plus 
essentielles,  telles  que  la  question  des  tangentes  ou  des 
plans  tangents,  la  théorie  des  courbures,  etc.,  sont  évi- 
demment communes  à  toutes  les  formes  quelconques.  Les 
recherches  très-peu  nombreuses  qui  sont  ^aiment  parti- 
culières à  telle  ou  telle  forme  n'ont  qu'une  importance 
extrêmement  secondaire.  Cela  posé,  la  géométrie  moderne 
consiste  essentiellement  à  abstraire,  pour  la  traiter  à  part, 
d'une  manière  entièrement  générale,  toute  question  rela- 
tive à  un  même  phénomène  géométrique,  dans  quelques 
corps  qu'il  puisse  èlre  considéré.  L'application  des  théo- 
ries universelles  ainsi  construites  à  la  détermination  spé- 
ciale du  phénomène  dont  il  s'agit  dans  chaque  corps  parti- 
culier n'est  plus  regardée  que  comme  un  travail  subalterne, 
à  exécuter  suivant  des  règles  invariables  et  dont  le  succès 
est  certain  d'avance.  Ce  travail  est,  en  un  mot,  du  môme 
ordre  que  l'évaluation  numérique  d'une  formule  analyti- 
que déterminée.  Il  ne  peut  y  avoir  sous  ce  rapport  d'autre 
mérite  que  celui  de  présenter,  dans  chaque  cas,  la  solu- 
tion nécessairement  fournie  par  la  méthode  générale,  avec 
toute  la  simplicité  et  l'élégance  que  peut  comporter  la 
ligne  ou  la  surface  considérée.  Mais  on  n'attache  d'im- 
portance réelle  qu'à  la  conception  et  à  la  solution  com- 
plète d'une  nouvelle  question  propre  à  une  forme  quel- 
conque. Les  travaux  de  ce  genre  sont  seuls  regardés  comme 
faisant  faire  à  la  science  de  véritables  pas.  L'attention  des 
géomètres,  ainsi  dispensée  de  l'examen  des  particularités 
des  diverses  formes,  et  dirigée  tout  entière  vers  les  ques- 
tions générales,  a  pu  s'élever  par  là  à  la  considération  de 
nouvelles  notions  géométriques,  qui,  appliquées  aux  cour- 
bes étudiées  par  les  anciens,  en  ont  fait  découvrir  des 
propriétés  importantes  qu'ils  n'avaient  pas  môme  soupçon- 


GÉOMÉTRIE.  285 

nées.  Telle  est  la  géométrie,  depuis  la  révolution  radi- 
cale opérée  par  DescUrtes  dans  le  système  général  de  la 
science. 

La  simple  indication  du  caractère  fondamental  propre 
à  chacune  des  deux  géomélries  sufQt  sans  doute  pour 
mettre  en  évidence  Timmense  supériorilé  nécessaire  de  la 
géométrie  moderne.  On  peut  môme  dire  qu'avant  la 
grande  conception  de  Descaries,  la  géométrie  rationnelle 
n'était  pas  vraiment  constituée  sur  des  bases  définitives, 
soit  sous  le  rapport  abstrait,  soit  sous  le  rapport  concret. 
En  effet,  pour  la  science  considérée  spéoulativement,  il  est 
clair  qu'en  continuant  indéfiniment,  comme  l'ont  fait  les 
modernes  avant  Descartes  et  môme  un  peu  après,  à  suivre 
la  marche  des  anciens,  en  ajoutant  quelqnes  nouvelles 
courbes  au  petit  nombre  de  celles  qu'ils  avaient  étudiées, 
les  progrès,  quelque  rapides  qu'ils  eussent  pu  être,  n'au- 
raient été,  après  une  longue  suite  de  siècles^  que  fort  peu 
considérables  par  rapport  au  syslème  général  de  la  géomé- 
trie, vu  l'infinie  variété  des  formes  qui  seraient  toujours 
restées  à  étudier.  Au  contraire,  à  chaque  question  résolue 
suivant  la  marche  des  modernes,  le  nombre  des  problèmes 
géométriques  k  résoudre  se  trouve,  une  fois  pour  toutes, 
diminué  d'autant,  par  rapport  à  tous  les  corps  possibles. 
Sous  un  second  point  de  vue,  du  défaut  complet  de  mé- 
thodes générales  il  résultait  que  les  géomètres  anciens, 
dans  toutes  leurs  recherches,  étaient  entièrement  aban- 
donnés à  leurs  propres  forces,  sans  avoir  jamais  la  certitude 
d'obtenir  tôt  ou  tard  une  solution  quelconque.  Si  celte 
imperfection  de  la  science  était  éminemment  propre  à* 
mettre  dans  tout  son  jour  leur  admirable  sagacité,  elle 
devait  rendre  leurs  progrès  extrêmement  lents  :  on  peut 
s'en  faire  une  idée  par  le  temps  considérable  qu'ils  ont 
employé  à  l'étude  des  sections  coniques.   La  géométrie 


S86  MATHÉMATIQUES. 

moderne,  assurant  d'une  manière  invariable  la  marche  de 
notre  esprit,  permet,  au  contraire,  d'utiliser  au  plus  haut 
degré  possible  les  forces  de  Tinlelligence,  que  les  anciens 
devaient  consumer  fréquemment  sur  des  questions  bien 
peu  importantes. 

Une  différence  non  moins  capitale  se  manifeste  entre  les 
deux  systèmes,  quand  on  vient  à  considérer  la  géométrie 
sous  le  rapport  concret.  En  effet,  nous  avons  remarqué 
plus  haut  que  la  relation  de  l'abstrait  au  concret  en  géomé- 
trie ne  peut  être  solidement  fondée  sur  des  bases  ration- 
nelles qu'autant  qu'on  fait  directement  porter  les  recher- 
ches sur  toutes  les  formes  imaginables.  En  n'étudiant  les 
lignes  et  les  surfaces  qu'une  à  une,  quel  que  soit  le  nombre, 
toujours  nécessairement  fort  petit,  de  celles  qu'on  aura 
considérées,  l'apiilication  des  théories  semblables  aux 
formes  réellement  <  xistanles  dans  la  nature  n'aura  jamais 
qu'un  caractère  essentiellement  accidentel,  puisque  rien 
n'assure  que  ces  formes  pourront  effectivement  rentrer 
dans  les  types  abstraits  envisagés  par  les  géomètres. 

Il  y  a  certainement,  par  exemple,  quelque  chose  de  for- 
tuit dans  l'heureuse  relation  qui  s'est  établie  entre  les  spé- 
culations des  géomètres  grecs  sur  les  sections  coniques  et 
la  détermination  des  véritables  orbites  planétaires.  En  con- 
tinuant sur  le  môme  plan  les  travaux  géométriques,  on 
n'avait  point,  en  général,  le  droit  d'espérer  de  semblables 
coïncidences;  et  il  eût  été  possible,  dans  ces  études  spé- 
ciales, que  les  recherches  des  géomètres  se  fussent  diri- 
gées sur  des  formes  abstraites  indéfiniment  inapplicables, 
tandis  qu'ils  en  auraient  négligé  d'autres,  susceptibles 
peut-être  d'une  application  importante  et  prochaine.  Il  est 
clair,  du  moins,  que  rien  ne  garantissait  positivement  l'ap- 
plicabilité nécessaire  des  spéculations  géométriques.  Il  en 
est  tout  autrement  dans  la  géométrie  moderne.  Par  cela 


GÉOMÉTRIE.  S87 

seul  qu'on  y  procède  par  questions  générales  relatives  à 
des  formes  quelconques^  on  a  d'avance  la  certitude  évi- 
dente que  les  formes  réalisées  dans  le  monde  exlérieur  ne 
sauraient  jamais  échapper  à  chaque  théorie,  si  le  phéno- 
mène géométrique  qu'elle  envisage  vient  à  s'y  présenter. 

Par  ces  diverses  considérations,  on  voit  que  le  système 
de  géométrie  des  anciens  porte  essentiellement  le  carac- 
tère de  Tenfance  de  la  science,  qui  n'a  commencé  à  de- 
venir complètement  rationnelle  que  par  suite  de  la  révo- 
lution philosophique  opérée  par  Descartes.  Mais  il  est 
évident^  d'un  autre  côté,  que  la  géométrie  n'a  pu  être 
conçue  d'abord  que  de  cette  manière  spéciale.  La  géomé- 
trie générale  n'eût  point  été  possible,  et  la  nécessité  n'eût 
pu  môme  en  être  sentie,  si  une  longue  suite  de  travaux  spé- 
ciaux sur  les  formes  les  plus  simples  n'avait  point  préalable- 
ment fourni  des  bases  à  la  conception  de  Descartes,  et 
rendu  sensible  l'impossibilité  de  persister  indéfiniment 
dans  la  philosophie  géométrique  primitive. 

£n  précisant  autant  que  possible  cette  dernière  considé- 
ration, il  faut  môme  en  conclure  que,  quoique  la  géomé- 
trie que  j'ai  appelée  générale  doive  être  aujourd'hui  regardée 
comme  la  seule  véritable  géométrie  dogmatique,  celle  à 
laquelle  nous  nous  bornerons  essentiellement,  l'autre 
n'ayant  plus  principalement  qu'un  intérêt  historique,  néan- 
moins il  n'est  pas  possible  de  faire  disparaître  entièrement 
la  géométrie  spéciale  dans  une  exposition  rationnelle  de 
la  science.  On  peut  sans  doute  se  dispenser^  comme  on 
l'a  fait  depuis  environ  un  siècle,  d'emprunter  directement 
à  la  géométrie  ancienne  tous  les  résultats  qu'elle  a  fournis. 
Les  recherches  les  plus  étendues  et  les  plus  difficiles  dont 
elle  était  composée  ne  sont  plus  môme  habituellement 
présentées  aujourd'hui  que  d'après  la  méthode  moderne. 
Mai»,  par  la  nature  môme  du  sujet,  il  est  nécessairement 


à 


^S8  MATHÉMATIQUES. 

impossible  de  se  passer  absolument  de  la  méthode  an- 
cienne, qui,  quoi  qu'on  fasse,  servira  toujours  dogmatique- 
ment de  base  préliminaire  à  la  science,  comme  elle  l'a  fait 
historiquement.  Le  motif  en  est  facile  à  comprendre.  En 
eifet,  la  géométrie  générale  étant  essentiellement  fondée, 
comme  nous  l'établirons  bientôt,  sur  l'emploi  du  calcul, 
sur  la  transformation  des  considérations  géométriques  en 
considérations  analytiques,  une  telle  manière  de  procéder 
ne  saurait  s'emparer  du  sujet  immédiatement  à  son  ori- 
gine.  Nous  savons  que  l'application  de  l'analyse  mathéma- 
tique^ par  sa  nature,  ne  peut  jamais  commencer  aucune 
science  quelconque,  puisqu'elle  ne  saurait  avoir  lieu  que 
lorsque  la  science  a  déjà  été  assez  cultivée  pour  établir, 
relativement  aux  phénomènes  considérés,  quelques  équa- 
tions qui  puissent  servir  de  point  de  départ  aux  travaux 
analytiques.  Ces  équations  fondamentales  une  fois  décou- 
vertes, l'analyse  permettra  d'en  déduire  une  multitude  de 
conséquences,  qu'il  eût  été  môme  impossible   de  soup- 
çonner d'abord  ;  elle  perfectionnera  la  science  à  un  degré 
immense,  soit  sous  le  rapport  de  la  généralité  des  concep- 
tions, soit  quant  à  la  coordination  complète  établie  entre 
elles.  Mais,  pour  constituer  les  bases  mômes  d'une  science 
naturelle  quelconque,  jamais,  évidemment,  la  simple  ana- 
lyse mathématique  ne  saurait  y  suffire,  pas  môme  pour  les 
démontrer  de  nouveau  lorsqu'elles  ont  été  déjà  fondées. 
Rien  ne  peut  dispenser,  à  cet  égard,  de  l'étude  directe  du 
sujet,  poussée  jusqu'au  point  de  la  découverte  de  relations 
précises.  Tenter  de  faire  rentrer  la  science,  dès  son  origine, 
dans  le  domaine  du  calcul,  ce  serait  vouloir  imposer  à  des 
théories  portant  sur  des  phénomènes  effectifs,  le  caractère 
de  simples  procédés  logiques,  et  les  priver  ainsi  de  tout  ce 
qui  constitue  leur  corrélation  nécessaire  avec  le  monde 
réel.  En  un  mot,  une  telle  opération  philosophique,  si  par 


GÉOMÉTRIE.  S89 

elle-môme  elle  n'élait  pas  nécessairement  contradictoire, 
ne  saurait  aboutir  évidemment  qu'à  replonger  la  science 
dans  le  domaine  de  la  métaphysique,  dont  l'esprit  humain 
a  eu  tant  de  peine  h  se  dégager  complètement. 

Ainsi,  la  géométrie  des  anciens  aura  toujours,  par  sa 
nature,  une  première  part  nécessaire  et  plus  ou  moins 
étendue  dans  le  système  total  des  connaissances  géomé- 
triques. Elle  constitue  une  introduction  rigoureusement 
indispensable  à  ia  géométrie  générale.  Mais  c'est  à  cela 
que  nous  devons  la  réduire  dans  une  exposition  complète- 
ment dogmatique.  Je  considérerai  donc  directement,  dans 
la  leçon  suivante,  celte  géométrie  spéciale  ou  préliminaire^ 
restreinte  exactement  à  ses  limites  nécessaires,  pour  ne 
plus  m'occuper  ensuite  que  de  Texamen  philosophique  de 
la  géométrie  générale  ou  définitive^  la  seule  vraiment  ra- 
tionnelle^ et  qui  aujourd'hui  compose  essentiellement  la 
science. 


A.  Comte.  Tomcl.  19 


ONZIÈME   LEÇON 


Sommaire.  —  Considérations  générales  sur  la  géométrie  spéciale 

ou  préliminaire. 


La  méthode  géométrique  des  anciens  devant  avoir  né- 
cessairement, d'après  les  motifs  indiqués  à  la  fin  de  la 
leçon  précédente,  une  pari  préliminaire  dans  le  système 
dogmatique  de  la  géomélrie,  pour  fournir  à  la  géométrie 
générale  des  fondements  indispensables,  il  convient  main- 
tenant de  fixer  d*abord  en  quoi  consiste  strictement  cette 
fonction  préalable  de  la  géométrie  spéciale^  ainsi  réduite 
au  moindre  développement  possible. 

En  la  considérant  sous  ce  point  de  vue,  il  est  aisé  de  re- 
connaître qu'on  pourrait  la  restreindre  à  la  seule  étude  de 
la  ligne  droite  pour  ce  qui  concerne  la  géométrie  des 
lignes,  à  la  quadrature  des  aires  planes  rectilignes,  et  en- 
fin à  la  cubature  des  corps  termines  par  des  faces  planes. 
Les  propositions  élémentaires  relatives  à  ces  trois  questions 
fondamentales  constituent,  en  effet,  le  point  de  départ  né- 
cessaire de  toutes  les  recherches  géométriques;  elles  seules 
ne  peuvent  être  obtenues  que  par  une  étude  directe  du 
sujet  ;  tandis  qu'au  contraire  la  théorie  complète  de  toutes 
les  autres  formes  quelconques^  môme  celle  du  cercle  et 
des  surfaces  et  volumes  qui  s'y  rapportent,  peut  aujour- 
d'hui rentrer  entièrement  dans  le  domaine  de  la  géométrie 
générale  ou  analytique^  ces  éléments  primitifs  fournissant 
déjà  des  équations,  qui  suffisent  pour  permettre  Tapplica- 


GÉOMÉTRIE  SPÉCIALE  OU  PRÉLIMINAIRE.  191 

tioD  du  calcul  aux  questions  géométriques,  qui  n'eût  pas 
été  possible  sans  cette  condition  préalable. 

n  résulte  de  cette  considération  que,  dans  Tusage  ordi- 
naire/on  donne  à  la  géométrie  élémentaire  plus  d'étendue 
qu'il  ne  serait  rigoureusement  nécessaire ,  puisque,  outre 
la  ligne  droite,  les  polygones  et  les  polyèdres^  on  y  com- 
prend aussi  le  cercle  et  les  corps  ronds^  dont  l'étude  pour- 
rait cependant  être  aussi  purement  analytique  que  celle,. 
par  exemple,  des  sections  coniques.  Une  vénération  irré- 
fléchie pour  l'antiquité  contribue,  sans  doute,  à  maintenir 
ce  défaut  de  méthode.  Mais,  comme  ce  respect  n'a  point 
empêché  de  faire  rentrer  dans  le  domaine  de  la  géométrie 
moderne  la  théorie  des  sections  coniques,  il  faut  bien  que, 
relativement  aux  formes  circulaires,  l'habitude  contraire, 
encore  universelle,  soit  fondée  sur  d'autres  motifs.  La 
raison  la  plus  sensible  qu'on  en  puisse  donner,  c'est  le 
grave  inconvénient  qu'il  y  aurait,  pour  l'enseignement  or- 
dinaire, à  ajourner  à  une  époque  assez  éloignée  de  l'édu- 
cation mathématique  la  solution  de  plusieurs  questions 
essentielles,  susceptibles  d'une  application  immédiate  et 
continuelle  à  une  foule  d'usages  importants.  Pour  procé- 
der, en  effet,  de  la  manière  la  plus  rationnelle^  ce  ne  serait 
qu'à  l'aide  du  calcul  intégral  qu'on  pourrait  obtenir  les 
intéressants  résultats  relatifs  à  la  mesure  de  la  longueur 
ou  de  l'aire  du  cercle,  ou  à  la  quadrature  de  la  sphère,  etc., 
établis  par  les  anciens  d'après  des  considérations  extrême- 
ment simples.  Cet  inconvénient  serait  peu  important,  à 
l'égard  des  esprits  destinés  à  étudier  l'ensemble  de  la 
science  mathém^atique,  et  l'avantage  de  procéder  avec  une 
rationnante  parfaite  aurait,  comparativement,  une  bien 
plus  grande  valeur.  Mais,  le  cas  contraire  étant  encore  le 
plus  fréquent,  on  a  dû  s'attacher  à  conserver  dnns  la  géo- 
métrie élémentaire  proprement  dite  des   théories  aussi 


892  MATHÉMATIQUES. 

essentielles.  En  admettant  l'influonce  d*une  telle  considé- 
ration, et  ne  restreignant  plus  cette  géométrie  préliminaire 
à  ce  qui  est  strictement  indispensable,  on  peut  môme  con- 
cevoir l'utilité,  pour  certains  cas  particuliers,  d*y  intro- 
duire plusieurs  études  importantes  qui  en  ont  été  généra- 
lement exclues,  comme  celles  des  sections  coniques^  de  la 
cycloïde,  etc.,  afin  de  renfermer,  dans  un  enseignement 
borné,  le  plus  grand  nombre  possible  de  connaissances 
usuelles,  quoique,  même  sous  le  simple  rapport  du  temps, 
il  fût  préférable  de  suivre  la  marche  la  plus  rationnelle. 
Je  ne  dois  point,  à  ce  sujet,  tenir  compte  ici  des  avan- 
tages que  peut  présenter  cette  extension  habituelle  de  la 
méthode  géométrique  des  anciens  au  delà  de  la  destina- 
tion nécessaire  qui  lui  est  propre,  par  la  connaissance  plus 
profonde  qu'on  acquiert  ainsi  de  cette  méthode^  et  par  la 
comparaison  instructive  qui  en  résulte  avec  la  méthode 
moderne.  Ce  sont  là  des  qualités  qui,  dans  l'étude  d'une 
science  quelconque,  appartiennent  à  la  marche  que  nous 
avons  nommée  historique^  et  auxquelles  il  faut  savoir  re- 
noncer franchement,  quand  on  a  bien  reconnu  la  nécessité 
de  suivre  là  marche  vraiment  dogmatique.  Après  avoir 
conçu  toutes  les  parties  d'une  science  de  la  manière  la  plus 
rationnelle,  nous  savons  combien  il  importe,  pour  com- 
pléter cette  éducation,  d'étudier  l'A/s/otVe  de  la  science,  et, 
par  conséquent,  de  comparer  exactement  les  diverses  mé- 
thodes que  l'esprit  humain  a  successivement  employées; 
mais  ces  deux  séries  d'études  doivent  être,  en  général, 
comme  nous  l'avons  vu,  soigneusement  séparées.  Cepen- 
dant, dans  le  cas  dont  il  s'agit  ici,  la  méthode  géométrique 
des  modes  est  peut-être  encore  trop  récente  pour  qu'il 
ne  convienne  pas,  afin  de  la  mieux  caractériser  par  la  com- 
paraison, de  traiter  d'abord,  suivant  la  méthode  des 
anciens,  certaines  questions  qui,   par   leur  nature,  doi- 


GÉOHÉTRIB   8FÉCIALB  OU   PRÉLIMINAIRE.  i9S 

Teat  rentrer  ratioanellement  dans  la  géométrie  moderne. 

Quoi  qu'il  en  soit,  écartant  maintenant  ces  diverses  con- 
sidérations accessoires,  nous  voyons  que  celte  introduction 
à  la  géométrie,  qui  ne  peut  être  traitée  que  suivant  la  mé- 
thode des  anciens,  est  strictement  réductible  à  Tétude  de 
la  ligne  droite,  des  aires  polygonales  et  des  polyèdres.  Il 
est  môme  vraisemblable  qu'on  finira  par  la  restreindre 
habituellement  à  ces  limites  nécessaires,  quand  les  grandes 
notions  analytiques  seront  devenues  plus  familières,  et 
qu'une  étude  de  l'ensemble  des  mathématiques  sera  uni- 
versellement regardée  comme  la  base  philosophique  de 
réducation  générale. 

Si  cette  portion  préliminaire  de  la  géométrie,  qui  ne 
saurait  être  fondée  sur  l'application  du  calcul,  se  réduit, 
par  sa  nature,  à  une  suite  de  recherches  fondamentales 
très-peu  étendues,  il  est  certain,  d'un  autre  côté,  qu'on  ne 
peut  la  restreindre  davantage,  quoique,  par  un  véritable 
abus  de  l'esprit  analytique,  on  ait  quelquefois  essayé,  dans 
ces  derniers  temps,  de  présenter  sous  un  point  de  vue  pu- 
rement algébrique  l'établissement  des  théorèmes  princi- 
paux de  la  géométrie  élémentaire.  C'est  ainsi  qu'on  a  pré- 
tendu démontrer  par  de  simples  considérations  abstraites 
d'analyse  mathématique  la  relation  constante  qui  existe 
entre  les  trois  angles  d'un  triangle  rectiligne,  la  proposi- 
tion fondamentale  de  la  théorie  des  triangles  semblables, 
la  mesure  des  rectangles,  celle  des  parallélipipèdes,  etc., 
en  un  mot,  précisément  les  seules  propositions  géométri- 
ques qui  ne  puissent  être  obtenues  que  par  une  étude  di- 
recte du  sujet,  sans  que  le  calcul  soit  susceptible  d'y  avoir 
aucune  part.  Je  ne  signalerais  point  ici  de  telles  aberra- 
tions, si  elles  n'avaient  pas  été  déterminées  par  l'intention 
évidente  de  perfectionner,  au  plus  haut  degré  possible,  le 
caractère  philosophique  de  la  science  géométrique,  en  la 


194  MATHÉMATIQUES. 

faisant  rentrer  immédiatement,  dès  sa  naissance,  dans  le 
domaine  des  applications  de  l'analyse  mathématique.  Mais 
Terreur  capitale  commise  à  cet  égard  par  quelques  géo- 
mètres doit  être  soigneusement  remarquée,  parce  qu^elie 
résulte  de  l'exagération  irréfléchie  de  cette  tendance,  au- 
jourd'hui très-naturelle  et  éminemment  philosophique, 
qui  porte  à  étendre  de  plus  en  plus  Tinfluence  de  l'analyse 
dans  les  études  mathématiques.  La  contemplation  des  ré- 
sultats prodigieux  auxquels  l'esprit  humain  est  parvenu,  en 
suivant  une  telle  direction,  a  dû  involontairement  entraîner 
à  croire  que  môme  les  fondements  de  la  mathématique 
concrète  pourraient  être  établis  sur  de  simples  considéra- 
tions analytiques.  Ce  n'est  point,  en  effet,  pour  la  géométrie 
seulement  que  nous  devons  noter  de  semblables  aberra- 
tions; nous  aurons  bientôt  à  en  constater  de  parfaitement 
analogues  relativement  à  la  mécanique,  à  l'occasion  des  pré- 
tendues démonstrations  analytiques  du  parallélogramme 
des  forces.  Cette  confusion  logique  a  môme  aujourd'hui 
bien  plus  de  gravité  en  mécanique,  où  elle  contribue  effec- 
tivement à  répandre  encore  un  nuage  métaphysique  sur  le 
caractère  général  de  la  science;  tandis  que,  du  moins  en 
géométrie,  ces  considérations  abstraites  ont  été  jusqu'ici 
laissées  en  dehors,  sans  s'incorporer  à  l'exposition  normale 
de  la  science. 

D'après  les  principes  présentés  dans  cet  ouvrage,  sur  la 
philosophie  m.athématique,  il  n'est  pas  nécessaire  d'insister 
beaucoup  pour  faire  sentir  le  vice  d'une  telle  manière  de 
procéder.  Nous  avons  déjà  reconnu,  en  effet,  que  le  calcul 
n'étant  et  ne  pouvant  être  qu'un  moyen  de  déduction,  c'est 
s'en  former  une  idée  radicalement  fausse  que  de  vouloir 
l'employer  à  établir  les  fondements  élémentaires  d'une 
science  quelconque  ;  car  sur  quoi  reposeraient,  dans  une 
telle  opération,  les  argumentations  analytiques  ?  Un  travail 


GÉOMÉTRIE  SPÉCIALE  OU   PRÉLIMINAIRE.  295 

de  cette  nature,  bien  loin  de  perfectionner  véritablement 
le  caractère  philosophique  d'une  science,  constituerait  un 
retour  vers  l'état  métaphysique,  en  présentant  des  con- 
naissances réelles  comme  de  simples  abstractions  logiques. 
Quand  on  examine  en  elles-mêmes  ces  prétendues  dé- 
monstrations analytiques  des  propositions  fondamentales 
de  la  géométrie  élémentaire,  on  vérifie  aisément  leur  in- 
signiûance  nécessaire.  Elles  sont  toutes  fondées  sur  une 
manière  vicieuse  de  concevoir  le  principe  de  l'homogénéité, 
dont  j'ai  exposé,  dans  la  cinquième  leçon^  la  véritable  no* 
lion  générale.  Ces  démonstrations  supposent  que  ce  prin- 
cipe ne  permet  point  d'admettre  la  coexistence  dans  une 
même  équation  de  nombres  obtenus  par  des  comparaisons 
concrètes  différentes,  ce  qui  est  évidemment  faux  et  visi- 
blement contraire  à  la  marche  constante  des  géomètres. 
Aussi,  il  est  facile  de  reconnaître  qu'en  employant  la  loi 
de  l'homogénéité  dans  cette  acception  arbitraire  et  illégi- 
time, on  pourrait  parvenir  à  démontrer  avec  tout  autant  de 
rigueur  apparente  des  propositions  dont  l'absurdité  est 
manifeste  au  premier  coup  d'œil.  En  examinant  avec  atten- 
tion, par  exemple,  le  procédé  à  l'aide  duquel  on  a  tenté 
de  prouver  analytiquement  que  la  somme  des  trois  angles 
d'un  triangle  rectiligne  quelconque  est  constamment  égale 
à  deux  angles  droits,  on  voit  qu'il  est  fondé  sur  celte  no- 
tion préliminaire,  que,  si  deux  triangles  ont  deux  de  leurs 
angles  respectivement  égaux,  le  troisième  angle  sera  aussi, 
de  part  et  d'autre,  nécessairement  égal.  Ce  premier  point 
étant  accordé,  la  relation  proposée  s'en  déduit  immédia*^ 
tement,  d'une  manière  très-exacte  et  fort  simple.  Or,  la 
considération  analytique^  d'après  laquelle  on  a  voulu  éta- 
blir cette  proposition  préalable,  est  d'une  telle  nature,  que, 
si  elle  pouvait  être  juste,  on  en  déduirait  rigoureusement, 
en  la  reproduisant  en  sens  inverse,  cette  absurdité  pal- 


296  MATHÉMATIQUES. 

pable,  que  deux  côtés  d'un  triangle  snfBsent,  sans  aucun 
angle,  à  l'entière  détermination  du  troisième  côté.  On  peut 
faire  des  remarques  analogues  sur  toutes  les  démonstra- 
tions de  ce  genre,  dont  le  sophisme  sera  ainsi  vériGé  d'une 
manière  parfaitement  sensible. 

Plus  nous  devons  ici  considérer  la  géométrie  comme 
étant  aujourd'hui  essentiellement  analytique,  plus  il  était 
nécessaire  de  prémunir  les  esprits  contre  cette  exagéra- 
tion abusive  de  l'analyse  mathématique,  suivant  laquelle  on 
prétendrait  se  dispenser  de  toute  observation  géométrie 
que  proprement  dite,  en  établissant  sur  de  pures  abstrac- 
tions algébriques  les  fondements  mômes  de  cette  science, 
naturelle.  J'ai  dû  attacher  d'autant  plus  d'importance  à 
caractériser  des  aberrations  ainsi  liées  au  développement 
normal  de  l'esprit  humain,  qu'elles  ont  été  pour  ainsi  dire 
consacrées  dans  ces  derniers  temps  par  l'assentiment  for- 
mel d'un  géomètre  fort  distingué,  dont  l'autorité  exerce 
sur  l'enseignement  élémentaire  de  la  géométrie  une  très- 
grande  influence. 

Je  crois  devoir  remarquer  à  cette  occasion  que,  sous 
plus  d'un  autre  rapport,  on  a,  ce  me  semble^  trop  perdu 
de  vue  le  caractère  de  science  naturelle  nécessairement 
inhérent  à  la  géométrie.  Il  est  aisé  de  le  reconnaître,  en 
considérant  les  vains  efforts  tentés  si  longtemps  par  les 
géomètres  pour  démontrer  rigoureusement,  non  à  l'aide  du 
calcul,  mais  d'après  certaines  constructions,  plusieurs 
propositions  fondamentales  de  la  géométrie  élémentaire. 
Quoi  qu'on  puisse  faire,  on  ne  saurait  évidemment  évi- 
ter de  recourir  quelquefois  en  géométrie  à  la  simple  ob- 
servation immédiate,  comme  moyen  d'établir  divers  ré- 
sultats. Si,  dans  cette  science,  les  phénomènes  que  Ton 
considère  sont,  en  vertu  de  leur  extrême  simplicité» 
beaucoup  plus  liés  entre  eux  que  ceux  relatifs  à  toute  autre 


GÉOMÉTRIE  Sl'ÉCIALE  OU   rUÉLIMTNAIRE.  S97 

science  physique,  il  doit  néanmoins  b'cn. trouver  néces- 
sairement quelques-uns  qui  ne  peuvent  être  déduits,  et 
qui  servent,  au  contraire,  de  point  de  départ.  Qu'il  con- 
Tienne^  en  thèse  générale,  pour  la  plus  grande  perfection 
rationnelle  de  la  science,  de  les  réduire  au  plus  petit 
nombre  possible,  cela  est  sans  doute  incontestable  ;  mais 
il  serait  absurde  de  prétendre  les  faire  disparaître  complè- 
tement. J'avoue  d'ailleurs  que  je  trouve  moins  d'inconvé- 
nients réels  à  étendre  un  peu  au  delà  de  ce  qui  serait  stric- 
tement nécessaire  le  nombre  de  ces  notions  géométriques 
ainsi  établies  par  Tobservalion  immédiate,  pourvu  qu'elles 
soient  d'une  simplicité  suffisante,  qu'à  en  faire  le  sujet  de 
démonstrations  compliquées  et  indirectes,  même  quand 
ces  démonstrations  peuvent  être  logiquement  irrépro- 
chables. 

Après  avoir  caractérisé  aussi  exactement  que  possible 
la  véritable  destination  dogmatique  de  la  géométrie  des 
anciens  réduite  à  son  moindre  développement  indispen- 
sable, il  convient  de  considérer  sommairement  dans  son 
ensemble  chacune  des  parties  principales  dont  elle  doit  se 
composer.  Je  crois  pouvoir  me  borner  ici  à  envisager  la 
première  et  la  plus  étendue  de  ces  parties,  celle  qui  a  pour 
objet  l'étude  de  la  ligne  droite  ;  les  deux  autres  sections, 
savoir  :  la  quadrature  des  polygones  et  la  cubature  des 
polyèdres,  ne  pouvant  donner  lieu,  vu  leur  nature  trop 
restreinte,  à  aucune  considération  philosophique  de  quel- 
que importance  distincte  de  celles  indiquées  dans  la 
leçon  précédente  relativement  à  la  mesure  des  aires  et  des 
volumes  en  général. 

La  question  définitive  que  Ton  a  constamment  en  vue 
dans  Télude  de  la  ligne  droite  consiste  proprement  à  dé- 
terminer les  uns  par  les  autres  les  divers  éléments  d'une 
figure  rectiligne  quelconque,  ce  qui  permet  de  connaître 


298  MATHÉMATIQUES. 

toujours  indirectement  une  ligne  droite  dans  quelques 
circonstances  qu'elle  puisse  être  placée.  Ce  problème  fon- 
damental est  susceptible  de  deux  solutions  générales,  dont 
la  nature  est  tout  à  fait  distincte^  Tune  graphique,  l'autre 
algébrique.  La  première,  quoique  fort  imparfaite,  est  celle 
qu'on  doit  considérer  d'abord,  parce  qu'elle  dérive  spon- 
tanément de  l'étude  directe  du  sujet;  la  seconde,  bien 
plus  parfaite  sous  les  rapports  les  plus  importants,  ne 
peut  être  étudiée  qu'en  dernier  lieu,  parce  qu'elle  est 
fondée  sur  la  connaissance  préalable  de  l'autre. 

La  solution  graphique  consiste  à  rapporter  à  volonté  la 
figure  proposée,  soit  avec  les  mômes  dimensions,  soit 
surtout  avec  des  dimensions  variées  dans  une  proportion 
quelconque.  Le  premier  mode  ne  peut  guère  être  men- 
tionné que  pour  mémoire,  comme  étant  le  plus  simple,  et 
celui  que  l'esprit  doit  envisager  d'abord,  car  il  est  évidem- 
ment, d'ailleurs,  presque  entièrement  inapplicable  par  sa 
nature.  Le  second  est,  au  contraire,  susceptible  de  l'appli- 
cation la  plus  étendue  et  la  plus  utile.  Nous  en  faisons 
encore  aujourd'hui  un  usage  important  et  continuel,  non- 
seulement  pour  représenter  exactement  les  formes  des 
corps  et  leurs  positions  mutuelles,  mais  môme  pour  la 
détermination  effective  des  grandeurs  géométriques,  quand 
nous  n'avons  pas  besoin  d'une  grande  précision.  Les 
anciens,  vu  l'imperfection  de  leurs  connaissances  géomé- 
triques, employaient  ce  procédé  d'une  manière  beaucoup 
plus  étendue,  puisqu'il  a  été  longtemps  le  seul  qu'ils  pus- 
sent appliquer,  môme  dans  les  déterminations  précises  les 
plus  importantes.  C'est  ainsi,  par  exemple,  qu'Aristarque 
de  Samos  estimait  la  distance  relative  du  soleil  et  de  la 
lune  à  la  terre,  en  prenant  des  mesures  sur  un  triangle 
construit  le  plus  exactement  possible.de  façon  à  être 
semblable  au  triangle  rectangle  formé  par  les  trois  astres, 


GÉOMÉTRIE   SPÉCIALE  OU   PRÉLIMINAIRE.  299 

à  rîDstant  ofi  la  lune  se  trouve  en  quadrature,  et  où,  en 
conséquence,  il  sufûrait,  pour  déflnir  le  triangle,  d'ob- 
server l'angle  à  la  terre.  Archimède  lui-mômey  quoi- 
que ayant,  le  premier,  introduit  en  géométrie  les  détermi- 
nations calculées,  a  plusieurs  fois  employé  de  semblables 
moyens.  La  formation  de  la  trigonométrie  n'y  a  pas  fait 
même  renoncer  entièrement,  quoiqu'elle  en  ait  beaucoup 
diminué  l'usage  ;  les  Grecs  et  les  Arabes  ont  continué  à 
s'en  servir  pour  une  foule  de  recherches,  où  nous  regar- 
dons aujourd'hui  l'emploi  du  calcul  comme  indispensable. 
Cette  exacte  reproduction  d'une  figure  quelconque  sui- 
vant une  échelle  différente  ne  peut  présenter  aqcune 
grande  difficulté  théorique  lorsque  toutes  les  parties  de  la 
flgare  proposée  sont  comprises  dans  un  même  plan.  Mais, 
tà  Ton  suppose,  comme  il  arrive  le  plus  souvent,  qu'elles 
soient  situées  dans  des  plans  différents,  on  voit  naître 
alors  un  nouvel  ordre  de  considérations  géométriques.  La 
figure  artificielle,  qui  est  constamment  plane,  ne  pouvant 
plus,  en  ce  cas,  être  une  image  parfaitement  fidèle  de  la 
figure  réelle,  il  faut  d'abord  fixer  avec  précision  le  mode 
de  représentation,  ce  qui  donne  lieu  aux  divers  systèmes 
de  projection.  Cela  posé ,  il  reste  à  déterminer  suivant 
quelles  lois  les  phénomènes  géométriques  se  correspon- 
dent dans  les  deux  figures.  Cette  considération  engendre 
une  nouvelle  série  de  recherches  géométriques,  dont 
l'objet  définitif  est  proprement  de  découvrir  comment  on 
pourra  remplacer  les  constructions  en  relief  par  des  cons- 
tructions planes.  Les  anciens  ont  eu  à  résoudre  plusieurs 
questions  élémentaires  de  ce  genre,  pour  les  divers  cas  où 
nous  employons  aujourd'hui  la  trigonométrie  sphérique, 
et  principalement  pour  les  différents  problèmes  relatifs  à 
la  sphère  céleste.  Telle  était  la  destination  de  leurs  ana- 
lèmes^  et  des  autres  figures  planes  qui  ont  suppléé  pen- 


800  MATHÉMATIQUES. 

dant  si  longtemps  à  Tusage  du  calcul.  On  voit  par  là  que 
les  anciens  connaissaient  réellement  les  éléments  de  ce  que 
nous  nommons  maintenant  la  géométrie  descriptive^  quoi- 
qu'ils ne  les  eussent  point  conçus  d'une  manière  distincte 
et  générale. 

Je  crois  convenable  de  signaler  ici  rapidement,  à  cette 
occasion,  le  véritable  caractère  pbilosopbique  de  cette 
géométrie  descriptive,  bien  que,  comme  étant  une  science 
essentiellement  d*applicat\on,  elle  ne  doive  pas  ôlre  com- 
prise dans  le  domaine  propre  de  cet  ouvrage^  tel  que  je  l'ai 
circonscrit  en  commençant. 

Toutes  les  questions  quelconques  de  géométrie  à  trois 
dimensions  donnent  lieu  nécessairement,  quand  on  en 
considère  la  solution  graphique,  à  une  difficulté  générale 
qui  leur  est  propre,  celle  de  substituer  aux  diverses  cons- 
truclions  en  relief  nécessaires  pour  les  résoudre,  et  qui 
sont  presque  toujours  d'une  exécution  impossible,  de  sim- 
ples constructions    planes  équivalentes,    susceptibles  de 
déterminer  finalement  les  mômes  résultats.  Sans  cette  in- 
dispensable conversion,  chaque  solution  de  ce  genre  serait 
évidemment  incomplète  et  réellement  inapplicable  dans  la 
pratique,  quoique,  pour  la  théorie,  les  constructions  dans 
l'espace  soient  ordinairement   préférables    comme   plus 
directes.  C'est  aGn  de  fournir  les  moyens  généraux  d'effec- 
tuer constamment  une  telle  transformation  que  la  géomé- 
trie descriptive  a  été  créée  et  constituée  en  un  corps  de 
doctrine  distinct  et  homogène  par  une  vue  de  génie  de 
notre  illustre  Monge.  11  a  préalablement  conçu  un  mode 
uniforme  de  représenter  les  corps  par  des  figures  tracées 
sur  un  seul  plan,  à  l'aide  des  projections  sur  deux  plans 
différents,  ordinairement  perpendiculaires  entre  eux,  et 
dont  Tun  est  supposé  tourner  autour  de  leur  intersection 
commune  pour  venir  se  confondre  avec  le  prolongement 


GÉOMÉTRIE  SPÉCIALE   OU    PRÉLIMINAIRE.  801 

de  l'antre;  il  a  sufQ,  dans  ce  système,  ou  dans  tout  antre 
équivalent,  de  regarder  les  points  et  les  lignes  comme 
déterminés  par  leurs  projections,  et  les  surfaces  par  les 
projections  de  leurs  génératrice'^.  Cela  posé,  Mong«>,  ana- 
lysant avec  une  profonde  sagacité  les  divers  travaux  par- 
tiels de  ce  genre  exécnlés  avant  lui  d'après  une  foule  de 
procédés  incohérents,  et  considérant  môme,  d'une  manière 
générale  et  directe,  en  quoi  devaient  consister  constamment 
les  questions  quelconques  de  cette  nature,  a  recormu  qu'elles 
étaient  toujours  réductibles  à  un  très-petit  nombre  de 
problèmes  abstraits  invariables,  susceptibles  d'être  résolus 
séparément  une  fois  pour  toutes  par  des  opérations  uni- 
formes, et  qui  se  rapportent  essentiellement  les  uns  aux 
contacts  et  les  autres  aux  intersections  des  surfaces.  Ayant 
formé  des  méthodes  simples  et  entièrement  générales  pour 
la  solution  graphique  de  ces  deux  ordres  de  problèmes, 
toutes  les  questions  géométriques  auxquelles  peuvent 
donner  lieu  les  divers  arts  quelconques  de  construction, 
la  coupe  des  pierres,  la  charpente,  la  perspective,  la  gno- 
monique,  la  fortification,  etc.,  ont  pu  Ctre  traitées  dé- 
sormais comme  de  simples  cas  particuliers  d'une  théorie 
unique,  dont  l'application  invariable  conduira  toujours 
nécessairement  à  une  solution  exacte,  susceptible  d'être 
facilitée  dans  la  pratique  eu  profitant  des  circonstances 
propres  à  chaque  cas. 

Cette  importante  création  mérite  singulièrement  de 
fixer  l'attention  de  tous  les  philosophes  qui  considèrent 
l'ensemble  des  opérations  de  l'espèce  humaine,  comme 
étant  un  premier  pas,  et  jusqu'ici  le  seul  rée  lement  com- 
plet, vers  cette  rénovation  générale  des  travaux  humains, 
qui  doit  imprimer  à  tous  nos  arts  un  caractère  de  préci- 
sion et  de  rationnalité,  si  nécessaire  à  leurs  progrès  futurs. 
Une  telle  révolution  devait,  en  elTet,  commencer  inévita- 


802  MATHÉMATIQUES. 

blement  par  cette  classe  de  travaux  industriels  qui  se  rap- 
porte essei^tiellement  à  la  science  la  plus  simple,  la  plus 
parfaite  et  la  plus  ancienne.  Elle  ne  peut  manquer  de  s'é- 
tendre successivement  dans  la  suite,  quoique  avec  moins 
de  facilité,  à  toutes  les  autres  opérations  pratiques.  Nous 
aurons  môme  bientôt  occasion  de  remarquer  que  Monge, 
qui  a  conçu  plus  profondément  que  personne  la  véritable 
philosophie  des  arts,  avait  essayé  d'ébaucher  pour  l'in- 
dustrie mécanique  une  doctrine  correspondante  à  celle 
qu'il  avait  si  heureusement  formée  pour  l'industrie  géo- 
métrique, mais  sans  obtenir,  pour  ce  cas,  dont  la  difficulté 
est  bien  supérieure,  aucun  autre  succès  que  celui  d'indi- 
quer assez  nettement  la  direction  que  doivent  prendre  les 
recherches  de  cette  nature. 

Quelque  essentielle  que  soit  réellement  la  conception  de 
la  géométrie  descriptive,  il  importe  beaucoup  de  ne  pas 
se  méprendre  sur  la  véritable  destination  qui  lui  est  si 
expressément  propre,  comme  l'ont  fait,  surtout  dans  les 
premiers  temps  de  cette  découverte,  ceux  qui  y  ont  vu  un 
moyen  d'agrandir  le  domaine  général  et  abstrait  de  la 
géométrie  rationnelle.  L'événement  n'a  nullement  répondu 
depuis  à  ces  espérances  mal  conçues.  Et,  en  effet,  n'est-il 
pas  évident  que  la  géométrie  descriptive  n'a  de  valeur 
spéciale  que  comme  science  d'application,  comme  consti- 
tuant la  véritable  théorie  propre  des  arts  géométriques? 
Considérée  sous  le  rapport  abstrait,  elle  ne  saurait  intro- 
duire aucun  ordre  vraiment  distinct  de  spéculations 
géométriques.  Il  ne  faut  point  perdre  de  vue  que,  pour 
qu'une  question  géométrique  tombe  dans  le  domaine 
propre  de  la  géométrie  descriptive,  elle  doit  nécessaire- 
nient  avoir  toujours  été  résolue  préalablement  par  la 
géométrie  spéculative,  dont  ensuite,  comme  nous  l'avons 
vu,  les  solutions  ont  constamment  besoin  d'être  préparées 


GÉOMÉTRIE  SPÉCIALE  OU  PRÉLIMINAIRE.  iSOS 

pour  la  pratique  de  manière  à  suppléer  aux  constructions 
en  relief  par  des  constructions  planes,  substitution  qui 
constitue  réellement  la  seule  fonction  caractéristique  de  la 
géométrie  descriptive. 

11  convient  néanmoins  de  remarquer  ici  que,  sous  le 
rappport  de  Téducation  intellectuelle,  Tétude  de  la  géomé- 
trie descriptive  présente  une  importante  propriété  philoso- 
pbique>  tout  à  fait  indépendante  de  sa  haute  utilité  indus- 
trielle. C'est  l'avantage  qu'elle  offre  si  éminemment,  eu 
habituant  à  considérer  dans  l'espace  des  systèmes  géomé- 
triques quelquefois  très-composés,  et  à  suivre  exactement 
leur  correspondance  continuelle  avec  les  figures  effective- 
ment tracées,d'exercerainsiauplus  haut  degré  delà  manière 
la  plus  sûre  et  la  plus  précise  cette  importante  faculté  de 
l'esprit  humain  qu'on  appelle  Vimagination  proprement  dite^ 
et  qui  consiste,  dans  son  acception  élémentaire  et  positive, 
à  se  représenter  nettement,  avec  facilité,  un  vaste  ensemble 
variable  d'objets  fictifs,  comme  s'ils  étaient  sous  nos  yeux. 

Enfin,  pour  achever  d'indiquer  la  nature  générale  de  la 
géométrie  descriptive  en  déterminant  son  caractère  logi- 
que^ nous  devons  observer  que  si,  par  le  genre  de  ses  solu- 
tions, elle  appartient  à  la  géométrie  des  anciens,  d'un  autre 
côté  elle  se  rapproche  de  la  géométrie  des  modernes  par 
l'espèce  des  questions  qui  la  composent.  Ces  questions 
sont,  en  effet,  éminemment  remarquables  par  cette  géné- 
ralité que  nous  avons  vue,  dans  la  dernière  leçon,  consti- 
tuer le  vrai  caractère  fondamental  de  la  géométrie  moderne  ; 
les  méthodes  y  sont  toujours  conçues  comme  applicables 
à  des  formes  quelconques,  les  particularités  propres  à 
chaque  forme  n'y  pouvant  avoir  qu'une  influence  purement 
secondaire.  Les  solutions  y  sont  donc  graphiques  comme 
la  plupart  de  celles  des  anciens,  et  générales  comme  celles 
desinodernes. 


804  MATHÉMATIQUES. 

Après  celle  imporlanle  digression,  dont  le  lecteur  aura 
sans  doute  reconnu  la  nécessité,  poursuivons  l'examen 
philosophique  de  la  géomélrie  spéciale^  considérée  tou- 
jours comme  réduite  à  son  moindre  développement  pos- 
sible, pour  servir  d'introduction  indispensable  à  la  géomé- 
lrie générale.  Ayant  sufflsamment  envisagé  la  solution 
graphique  du  problème  fondamental  relatif  à  la  ligne 
droite,  c'est-à-dire  de  la  détermination  les  uns  par  les 
autres  des  divers  éléments  d'une  figure  rectiligne  quel- 
conque, nous  devons  maintenant  en  examiner  d'une  ma- 
nière générale  la  solution  algébrique. 

Cette  seconde  solution,  dont  il  est  inutile  ici  d'apprécier 
expressément  la  supériorité  évidente,  appartient  nécessai- 
rement, par  la  nature  môme  de  la  question,  au  système 
de  la  géométrie  ancienne,  quoique  le  procédé  logique 
employé  l'en  fasse  ordinairement  séparer  mal  à  propos. 
Nous  avons  lieu  de  vérifier  ainsi,  sous  un  rapport  très- 
important,  ce  qui  a  été  établi  en  général  dans  la  leçon  pré- 
cédente, que  ce  n'estpoint  par  l'emploi  du  calcul  qu'on  doit 
distinguer  essentiellement  la  géométrie  moderne  de  celle 
des  anciens.  Les  anciens  sont,  en  efi'et,  les  vrais  inventeurs  de 
la  trigonomélrie  actuelle,  tant  sphérique  que  rectiligne,  qui 
seulement  était  beaucoup  moins  parfaite  entre  leurs  mains, 
vu  l'extrôme  infériorité  de  leurs  connaissances  algébriques. 
C'est  donc  réellement  dans  cette  leçon,  et  non,  comme  on 
pourrait  le  croire  d'abord,  dans  celles  que  nous  consacre- 
rons ensuite  à  l'examen  philosophique  de  la  géométrie 
générale,  qu'il  convient  d'apprécier  le  caractère  de  cette 
importante  théorie  préliminaire,  habituellement  comprise 
à  tort  dans  ce  qu'on  appelle  la  géométrie  analytique,  et  qui 
n'est  effectivement  qu'un  complément  de  la  géométrie 
élémentaire  proprement  dite. 

Toutes  les  figures  reclilignes  pouvant  être  décomposées 


GÉOMÉTRIE   SPÉCIALE  OU    PRÉLIMINAIRE.  805 

en  triangles,  il  suffit  évidemment  de  savoir  déterminer  les 
uns  parles  autres  les  divers  éléments  d'un  triangle,  ce  qui 
réduit  Ibl  polygonométrie  k  la  simple  trigonométrie. 

Pour  qu'une  telle  question  puisse  ôlre  résolue  algébri- 
quement, la  difticulté  consiste  essentiellement  à  former 
entre  les  angles  et  les  côtés  d'un  triangle  trois  équations 
distinctes,  qui,  une  fois  obtenues,  réduiront  évidemment 
tous  les  problèmes  Irigonométriques  à  de  pures  recherches 
de  calcul.  En  considérant  de  la  manière  la  plus  générale 
rétablissement  de  ces  équations,  on  voit  naître  immédiate- 
ment une  distinction  fondamentale  relativement  au  mode 
d'introduction  des  angles  dans  le  calcul,  suivant  qu'on  les 
y  fera  entrer  directement  par  eux-mêmes  ou  par  les  arcs 
circulaires  qui  leur  sont  proportionnels,  ou  qu'au  con- 
traire, on  leur  substituera  certaines  droites,  comme,  par 
exemple,  les  cordes  de  ces  arcs  qui  leur  sont  inhérentes, 
et  que,  par  cette  raison,  on  appelle  ordinairement  leurs 
lignes  trigonomélriqnes.  De  ces  deux  systèmes  de  trigono- 
métrie, le  second  a  dû  être,  à  l'origine,  le  seul  adopté, 
comme  étant  le  seul  praticable^  puisque  l'état  de  la  géo- 
métrie permettait  alurs  de  trouver  assez  aisément  des  rela- 
tions exactes  entre  les  côtés  des  triangles  et  les  lignes  tri- 
gononnéiriques  des  angles,  tandis  qu'il  eût  été  absolument 
impossible,  à  cette  époque,  d'établir  des  équations  entre  les 
côtés  et  les  angles  eux-mêmes.  La  solution  pouvant  aujour- 
d'hui être  obtenue  indifféremment  dans  l'un  et  dans  l'autre 
système,  ce  motif  de  préférence  ne  subsiste  plus.  Mais  les 
géomètres  n'en  ontpas  moins  dû  persister  à  suivre  parcboix 
le  système  primitivement  admis  par  nécessité  ;  car,  la  même 
raison  qui  a  permis  ainsi  d'obtenir  les  équations  trigono- 
métriques  avec  beaucoup  plus  de  facilité  doit  également, 
comme  il  est  encore  plus  aisé  de  le  concevoir  d  prion\ 
rendre  ces  équations  bien  plus  simples,  puisqu'elles  existent 
A.  Comte.  Tome  1.  tO 


^  • 


806  MATHÉMATIQUES. 

alors  seulement  entre  des  lignes  droites,  au  lieu  d'être 
établies  entre  des  lignes  droites  et  des  arcs  de  cercle.  Une 
telle  considération  a  d'autant  plus  d'importance  qu'il  s'agit 
là  de  formules  éminemment  élémentaires,  destinées  à  être 
continuellement  employées  dans  toutes  les  parties  de  la 
science  mathématique  aussi  bien  que  dans  toutes  ses  di- 
verses applications. 

On  peut  objecter,  il  est  vrai,  que,  lorsqu'un  angle  est 
donné,  c'est  toujours  en  effet  par  lui-môme  et  non  par  sa 
ligne  trigonométrique  ;  et  que,  lorsqu'il  est  inconnu,  c'est 
sa  valeur  angulaire  qu'il  s'agit  proprement  de  déterminer, 
et  non  celle  d'aucune  de  ses  lignes  trigonométriques.  Il 
semble,  d'après  cela,  que  de  telles  lignes  ne  sont  entre  les 
côtés  et  les  angles  qu'un  intermédiaire  inutile,  qui  doit 
être  finalement  éliminé,  et  dont  l'introduction  ne  parait 
point  susceptible  de  simplifier  la  recherche  qu'on  se  pro- 
pose. Il  importe,  en  effet,  d'expliquer  avec  plus  de  généra- 
lité et  de  précision  qu'on  ne  le  fait  d'ordinaire  l'immense 
utilité  réelle  de  cette  manière  de  procéder.  Elle  consiste 
en  ce  que  l'introduction  de  ces  grandeurs  auxiliaires  par- 
tage la  question  totale  de  la  trigonométrie  en  deux  autres 
essentiellement  distinctes,  dont  l'une  a  pour  objet  de  pas- 
ser des  angles  à  leurs  lignes  trigonométriques  ou  récipro- 
quement, et  dont  l'autre  se  propose  de  déterminer  les  côtés 
des  triangles  parles  lignes  trigonométriques  de  leurs  angles 
ou  réciproquement.  Or  la  première  de  ces  deux  questions 
fondamentales  est  évidemment  susceptible,  par  sa  nature» 
d'être  entièrement  traitée  et  réduite  en  tables  numériques 
une  fois  pour  toutes,  en  considérant  tous  les  angles  pos- 
sibles, puisqu'elle  ne  dépend  que  de  ces  angles,  et  nulle- 
ment des  triangles  particuliers  où  ils  peuvent  entrer  dans 
chaque  cas;  tandis  que  la  solution  de  la  seconde  question 
doit  nécessairement  être  renouvelée,  du  moins  sous  le  rap- 


• 


GÉOMÉTRIE  SPÉCIALE  OU    PRÉLIMINAIRE.  $07 

pori  arithmétique,  à  chaque  nouveau  triangle  qu'il  faut  ré- 
soudre. C'est  pourquoi  la  première  portion  du  travail  total, 
qui  serait  précisément  la  plus  pénible,  n'est  plus  comptée 
ordinairement,  étant  toujours  faite  d'avance;  tandis  que,  si 
ane  telle  décomposition  n'avait  point  été  instituée,  on  se 
serait  trouvé  évidemment  dans  l'obligation  de  recommen- 
cer dans  chaque  cas  particulier  le  calcul  tout  entier.  Telle 
est  la  propriété  essentielle  du  système  trigonomélrique 
adoptée,  qui,  en  effet,  ne  présenterait  réellement  aucun 
avantage  effectif  si,  pour  chaque  angle  à  considérer,  il 
fallait  calculer  continuellement  sa  ligne  trigonomélrique 
ou  réciproquement  :  l'intermédiaire  serait  alors  plus  gê- 
nant que  commode. 

Afin  de  comprendre  nettement  la  vraie  nature  de  cette 
conception,  il  sera  utile  de  la  comparer  à  une  conception 
encore  plus  importante,  destinée  à  produire  un  effet  analo- 
gue, soit  sous  le  rapport  algébrique,  soit  surtout  sous  le  rap- 
port arithmétique,  l'admirable  théorie  des  logarithmes.  En 
examinant  d'une  manière  philosophique  l'influence  de  cette 
théorie,  on  voit,  en  effet,  que  son  résultat  général  est  d'a- 
voir décomposé  toutes  les  opérations  arithmétiques  ima- 
ginables en  deux  parties  distinctes,  dont  la  première,  qui 
est  la  plus  compliquée,  est  susceptible  d'être  exécutée  à 
J'avance  une  fois  pour  toutes,  comme  ne  dépendant  que 
des  nombres  à  considérer  et  nullement  des  diverses  com- 
binaisons quelconques  dans  lesquelles  ils  peuvent  entrer,  et 
qui  consiste  à  se  représenter  tous  les  nombres  comme  des 
puissances  assignables  d'un  nombre  constant;  la  seconde 
partie  du  calcul,  qui  doit  nécessairement  être  recommencée 
pour  chaque  formule  nouvelle  à  évaluer,  étant  dès  lors  ré- 
duite à  exécuter  sur  ces  exposants  des  opérations  corréla- 
tives infiniment  plus  simples.  Je  me  borne  à  indiquer  ce 
rapprochement,  que  chacun  peut  aisément  développer. 


808  MATH  ÉM  ATIQUES . 

Nous  devons  de  plus  observer  comme  une  propriété, 
secondaire  aujourd'hui,  mais  capitale  à  Porigine,  du  sys- 
tème trigonométrique  adopté,  la  circonstance  très-remar- 
quable que  la  détermination  des  angles  par  leurs  lignes 
trigonométriques  ou  réciproquement  est  susceptible  d'une 
solution  arithmétique,  la  seule  qui  soil  directement  indis- 
pensable pour  la  destination  propre  de  la  trigonométrie, 
sans  avoir  préalablement  résolu  la  question  algébrique 
correspondante.  C'est  sans  doute  è  une  telle  particularité 
que  les  anciens  ont  dû  de  pouvoir  connaître  la  trigono- 
métrie. La  recherche  ainsi  conçue  a  été  d'autant  plus 
facile  que,  les  anciens  ayant  pris  naturellement  la  corde 
pour  ligne  trigonométrique,  les  tables  se  trouvaient  avoir 
été  d'avance  construites  en  partie  pour  un  tout  autre  motif, 
en  vertu  du  travail  d'Archimède  sur  la  recliûcntion  da 
cercle,  d'où  résultait  la  détermination  eflective  d'une  cer- 
taine suite  de  cordes,  en  sorte  que,  lorsque  plus  tard  Hip- 
parque  eut  invente  la  trigonométrie,  il  put  se  bornera  com- 
pléter celte  opération  par  des  intercalations  convenables, 
ce  qui  marque  nettement  la  filiation  des  idées  à  cet  égard. 

Afin  d'esquisser  entièrement  cet  aperçu  philoso|/hique 
de  la  trigonométrie,  il  convient  d'observer  maintenant  que 
l'extension  du  même  motif  qui  conduit  à  remplacer  les 
angles  ou  les  arcs  de  cercle  par  des  lignes  droites,  dans  la 
vue  de  simplifier  les  équations,  doit  aussi  porter  à  em- 
ployer concurremment  plusieurs  lignes  trigonométriques, 
au  lieu  de  se  borner  à  une  seule,  comme  le  faisaient  les 
anciens,  pour  perfectionner  ce  système  en  choisissant  celle 
qui  sera  algébriquement  la  plus  convenable  en  telle  ou 
telle  occasion.  Sous  ce  rapport,  il  est  clair  que  le  nombre 
de  ces  lignes  n'e^t  par  lui-même  nullement  limité  ;  pourvu 
qu'elles  soient  déterminées  d'après  l'arc,  et  que  récipro- 
quement elles  le  déterminent,  suivant  quelque  loi  qu'elles 


GBOMkiTRIE   SPÉCIALE   OU   PHjLl1311NAIRË.  809 

en  dérivent  d'ailleurs,  elles  sont  aptes  à  lui  être  substituées 
dans  les  équations.  En  se  bornant  aux  conslniclions  les 
plus  simples,  les  Arabes  et  les  modernes  ensuite  ont  suc- 
cessivement porté  à  quatre  ou  à  cinq  le  nombre  des  lignes 
trigonométriques  directes^  qui  pourrait  être  étendu  bien 
davantage.  Mais,  au  lieu  de  recourir  à  des  formations  géo- 
métriques qui  finiraient  par  devenir  très-compliquées,  on 
conçoit  avec  une  extrême  facilité  autant  de  nouvelles  lignes 
trigonométriques  que  peuvent  l'exiger  les  transformations 
analytiques,  au  moyen  d'un  artifice  remarquable,  qui  n'est 
pas  ordinairement  saisi  d'une  manière  assez  générale.  Il 
consiste,  sans  multiplier  immédiatement  les  lignes  trigo- 
nométriques propres  à  chaque  arc  considéré,  à  en  intro- 
duire de  nouvelles  en  regardant  cet  arc  comme  déterminé 
indirectement  par  toutes  les  lignes  relatives  à  un  arc  qui 
soit  une  fonction  très-simple  du  premier.  C'est  ainsi,  par 
exemple,  que  souvent,  pour  calculer  un  angle  avec  plus  de 
facilité,  on  déterminera,  au  lieu  de  son  sinus,  le  sinus  de 
sa  moitié  ou  de  son  double,  etc.  Une  telle  création  de 
lignes  trigonométriques  indirectes  est  évidemment  bien  plus 
féconde  que  tous  les  procédés  géométriques  immédiats 
pour  en  obtenir  de  nouvelles.  On  peut  dire^  d'après  cela, 
que  le  nombre  des  lignes  trigonométriques  effectivement 
employées  aujourd'hui  par  les  géomètres  est  réellement 
indéfini,  puisqu'à  chaque  instant,  pour  ainsi  dire,  les 
transformations  analytiques  peuvent  conduire  à  Taugmen- 
ler  par  le  procédé  que  je  viens  d'indiquer.  Seulement,  on 
n'a  donné  jusqu'ici  de  noms  spéciaux  qu'à  celles  de  ces 
lignes  indirectes  qui  se  rapportent  au  complément  de  l'arc 
primitif,  les  autres  ne  revenant  pas  assez  fréquemment 
pour  nécessiter  de  semblables  dénominations,  ce  qui  a 
fait  communément  méconnaître  la  véritable  étendue  du 
système  trigonométrique. 


310  MATHÉMATIQUES. 

Cette  muUipIicité  des  lignes  irigonométriques  fait  naître 
évidemment,  dans  la  trigonométrie^  une  troisième  ques- 
tion fondamentale,  l'étude  des  relations  qui  existent  entre 
ces  diverses  lignes;  puisque,  sans  une  telle  connaissance, 
on  ne  pourrait  point  utiliser,  pour  les  besoins  analytiques, 
cette  variété  de  grandeurs  auxiliaires,  qui  n'a  pourtant 
pas  d'autre  destination.  Il  est  clair,  en  outre,  d'après  la 
considération  indiquée  tout  à  Theure,  que  cette  partie  es- 
sentielle de  la  trigonométrie,  quoique  simplement  prépa- 
ratoire, est,  par  sa  nature,  susceptible  d'une  extension 
indéûnie  quand  on  l'envisage  dans  son  entière  généralité, 
tandis  que  les  deux  autres  sont  nécessairement  circon- 
scrites dans  un  cadre  rigoureusement  défini. 

Je  n'ai  pas  besoin  d'ajouter  expressément  que  ces  trois 
parties  principales  de  la  trigonométrie  doivent  être  étu- 
diées dans  un  ordre  précisément  inverse  de  celui  suivant 
lequel  nous  les  avons  vues  dériver  nécessairement  de  la 
nature  générale  du  sujet,  car  la  troisième  est  visiblement 
indépendante  des  deux  autres,  et  la  seconde  de  celle  qui 
s'est  présentée  la  première,  la  résolution  des  triangles  pro- 
prement dite,  qui  doit,  pour  cette  raison,  être  traitée  en 
dernier  lieu,  ce  qui  rendait  d'autant  plus  importante  la 
considération  de  la  filiation  naturelle. 

Il  était  inutile  d'envisager  ici  distinctement  la  trigono- 
métrie sphérique,  qui  ne  peut  donner  lieu  à  aucune  consi- 
dération philosophique  spéciale,  puisque,  quelque  essen- 
tielle qu'elle  soit  par  Timportance  et  la  multiplicité  de  ses 
usages,  on  ne  peut  plus  la  traiter  aujourd'hui,  dans  son 
ensemble,  que  comme  une  simple  application  de  la  trigo- 
nométrie rectiligne,  qui  fournit  immédiatement  ses  équa- 
tions fondamentales,  en  substituant  au  triangle  sphérique 
Tangle  trièdre  correspondant. 

J^ai  cru  devoir  indiquer  cette  exposition  sommaire  de  la 


GÉOMÉTRIE  SPÉCIALE   OU   PRÉLIMINAIRE.  SU 

philosophie  trigonométrique,  qui  pourrait  d'ailleurs  don- 
ner lieu  à  beaucoup  d'autres  considérations  intéressantes, 
afin  de  rendre  sensibles,  par  un  exemple  important,  cet 
enchaînement  rigoureux  et  cette  ramification  successive 
que  présentent  les  questions  les  plus  simples  en  apparence 
de  la  géométrie  élémentaire. 

Ayant  ainsi  suffisamment  considéré  pour  le  but  de  cet 
ooTrage  le  caractère  propre  de  la  géométrie  spéciale^  réduite 
à  sa  seule  destination  dogmatique,  de  fournir  à  la  géomé- 
trie générale  une  base  préliminaire  indispensable,  nous  de- 
vons désormais  porter  toute  notre  attention  sur  la  véritable 
science  géométrique,  envisagée  dans  son  ensemble  de  la 
manière  la  plus  rationnelle.  Il  faut  d'abord,  à  cet  effet, 
soigneusement  examiner  la  grande  idée  mère  de  Descartes, 
sar  laquelle  elle  est  entièrement  fondée,  ce  qui  fera  l'objet 
de  la  leçon  suivante. 


DOUZIÈME  LEÇON 

Sommaire.  —  Conception  fondamentale  de  la  géométrie  générale 

ou  analytique. 


La  géométrie  générale  étant  entièrement  fondée  sur  la 
transformation  des  considérations  géométriques  en  consi- 
dérations analytiques  équivalentes,  nous  devons  d'abord 
examiner  directement  et  d'une  manière  approfondie  la 
belle  conception  d'après  laquelle  Descartes  a  établi  uni- 
formément la  possibilité  constante  d'une  telle  corrélation. 
Outre  son  extrême  importance  propre,  comme  moyen  de 
perfectionner  éminemment  la  science  géométrique,  ou 
plutôt  de  la  constituer  dans  son  ensemble  sur  des  bases 
rationnelles,  Tétude  philosophique  de  cette  admirable 
conception  doit  avoir  à  nos  yeux  un  intérêt  d'autant  plus 
élevé,  qu'elle  caractérise  avec  une  parfaite  évidence  l.i 
méthode  générale  à  employer  pour  organiser  les  relations 
de  Tabstrait  au  concret  en  mathématique,  par  la  repré- 
sentation analytique  des  phénomènes  naturels.  Il  n'y  a 
point,  dans  la  philosophie  mathématique,  de  pensée  qui 
mérite  davantage  de  ûxer  toute  notre  attention. 

Afin  de  parvenir  à  exprimer  par  de  simples  relations 
analytiques  tous  les  divers  phénomènes  géométriques  que 
l'on  peut  imaginer,  il  faut  évidemment  établir  d'abord  un 
mode  général  pour  représenter  analyliquement  les  sujets 
mêmes  dans  lesquels  ces  phénomènes  résident,  c'est-à-dire 
les  lignes  ou  les  surfaces  à  considérer.  Le  sujet  étant  ainsi 


GÉOMÉTRIE  GENERALE  OU  ANALYTIQUE.        SIS 

habituellement  envisagé  sous  un  point  de  vue  purement 
analytique,  on  comprend  que  dès  lors  il  a  été  possible  de 
concevoir  de  la  môme  manière  les  accidents  quelconques 
dont  il  est  susceptible. 

Pour  organiser  la  représentation  des  formes  géométri- 
ques par  des  équations  analytiques,  on  doit  surmonter 
préalablement  une  difliculté  fondamentale,  celle  de  réduire 
i  des  idées  simplement  numériques  les  éléments  généraux 
des  diverses  notions  géométriques;  en  un  mot,  de  substi- 
tuer, en  géométrie,  de  pures  considérations  de  quantité  à 
toutes  les  considérations  de  qualité, 

A  cet  effet,  remarquons  d'abord  que  toutes  les  idées 
géométriques  se  rapportent  nécessairement  à  ces  trois 
catégories  universelles  :  la  grandeur,  la  forme  et  la  posi- 
tion des  étendues  à  considérer.  Quant  à  la  première,  il  n'y  a 
éfidemment  aucune  difficulté  ;  elle  rentre  immédiatement 
dans  les  idées  de  nombres.  Pour  la  seconde,  il  faut  remar- 
quer qu'elle  est  toujours  réductible  par  sa  nature  à  la 
troisième.  Car  la  forme  d'un  corps  résuite  évidemment  de 
la  position  mutuelle  des  diCTérenls  points  dont  il  est  com- 
posé, en  sorte  que  l'idée  de  position  comprend  nécessai- 
rement celle  de  forme,  et  que  toute  circonstance  de  forme 
peut  être  traduite  par  une  circonstance  de  position.  C'est 
ainsi,  en  effet,  que  l'esprit  humain  a  procédé  pour  parvenir 
à  la  représentation  analytique  des  formes  géométriques, 
la  conception  n'étant  directement  relative  qu'aux  posi- 
tions. Toute  la  dilGculté  élémentaire  se  réduit  donc  pro- 
prement à  ramener  les  idées  quelconques  de  situation  à 
des  idées  de  grandeur.  Telle  est  la  destination  immédiate 
de  la  conception  préliminaire  sur  laquelle  Descaries  a 
établi  le  système  général  de  la  géométrie  analytique. 

Son  travail  philosophique  a  simplement  consisté,  sous 
ce     rapport,  dans  l'entière  généralisation  d'un  procédé 


Zih  MATHÉMATIQUES. 

élémentaire  qu'on  peut  regarder  comme  naturel  à  l'esprit 
humain,  puisqu'il  se  forme  pour  ainsi  dire  spontanément 
chez  toutes  les  intelligences,  môme  les  plus  vulgaires.  En 
effet,  quand  il  s'agit  d'indiquer  la  situation  d'un  objet  sans 
le  montrer  immédiatement,  le  moyen  que  nous  adoptons 
toujours,  et  le  seul  évidemment  qui  puisse  être  employé, 
consiste  à  rapporter  cet  objet  à  d'autres  qui  soient  con- 
nus, en  assignant  la  grandeur  des  éléments  géométriques 
quelconques,  par  lesquels  on  le  conçoit  lié  à  ceux-ci  (1). 
Ces  éléments  constituent  ce  que  Descartes,  et  d'après  lui 
tous  les  géomètres,  ont  appelé  les  coordonnées  de  chaque 
point  considéré;  qui  sont  nécessairement  au  nombre  de 
deux  si  Ton  sait  d'avance  dans  quel  plan  le  point  est  situé, 
et  au  nombre  de  trois  s'il  peut  se  trouver  indifféremment 
dans  une  région  quelconque  de  l'espace.  Autant  de  con- 
strurtions  différentes  on  peut  imaginer  pour  déterminer  la 
position  d'un  point,  soit  sur  un  plan,  soit  dans  l'espace, 
autant  on  conçoit  de  systèmes  de  coordonnées  distincts, 
qui  sont  susceptibles,  par  conséquent,  d'être  multipliés 
à  l'infini.  Mais,  quel  que  soit  le  système  adopté,  on  aura 
toujours  ramené  les  idées  de  situation  à  de  simples  idées 
de  grandeur,  en  sorte  que  l'on  se  représentera  le  déplace- 
ment d'un  point  comme  produit  par  de  pures  variations 
numériques  dans  les  valeurs  de  ses  coordonnées.  Pour  ne 
considérer  d'abord  que  le  cas  le  moins  compliqué,  celui 
de  la  géométrie  plane,  c'est  ainsi  qu'on  détermine  le  plus 
souvent  la  position  d'un  point  sur  un  plan,  par  ses  dis- 
tances plus  ou  moins  grandes  à  deuï  droites  fixes  sup- 
posées connues,  qu'on  nomme  axes,  et  qu'on  suppose  ordi- 
nairement perpendiculaires  entre  elles.  Ce  système  est  le 

(I)  C'est  ainsi,  par  exemple,  que  nous  déterminons  habituellement  la 
position  des  lieux  sur  la  terre  par  leurs  distances  plus  ou  moins  grandes 
à  Téquateur  et  à  un  premier  méridien. 


GÉOMÉTRIE  GÉNÉRALE   OU   ANALYTIQUE.  315 

« 

plas  adopté,  à  cause  de  sa  simplicité  ;  mais  les  géomètres 
en  emploient  quelquefois  encore  une  infinité  d'autres. 
Ainsi,  la  position  d'un  point  sur  un  plan  peut  être  déter- 
minée par  ses  distances  à  deux  points  fixes,  ou  par  sa 
distance  à  un  seul  point  fixe,  et  la  direction  de  cette  dis- 
tance, estimée  par  l'angle  plus  ou  moins  grand  qu'elle  fait 
avec  une  droite  fixe,  ce  qui  constitue  le  système  des  coor- 
données dites  polaires,  le  plus  usité  après  celui  dont  nous 
afons  parlé  d'abord  ;  ou  par  les  angles  que  forment  les 
droites  allant  du  point  variable  à  deux  points  fixes  avec  la 
droite  qui  joint  ces  derniers;  ou  par  les  distances  de  ce 
point  à  une  droite  fixe  et  à  un  point  fixe,  etc.  En  un  mot, 
il  n'y  a  pns  de  figure  géométrique  quelconque  d'où  l'on  ne 
poisse  déduire  un  certain  système  de  coordonnées,  plus  ou 
moins  susceptible  d'être  employé. 

Une  observation  générale  qu'il  importe  de  faire  à  cet 
^rd,  c'est  que  tout  système  de  coordonnées  revient  à 
déterminer  un  point,  dans  la  géométrie  plane,  par  Tinter- 
section  de  deux  lignes,  dont  chacune  est  assujettie  à  cer- 
taines conditions  fixes  de  détermination  ;  une  seule  de  ces 
conditions  restant  variable,  et  tantôt  Tune,  tantôt  une  au- 
tre, selon  le  système  considéré.  On  ne  saurait,  en  effet, 
concevoir  d'autre  moyen  de  construire  un  point  que  de  le 
marquer  par  la  rencontre  de  deux  lignes  quelconques. 
Ainsi,  dans  le  système  le  plus  fréquent,  celui  des  coordon- 
nêe$  rectUignes  proprement  dites,  le  point  est  déterminé 
par  l'intersection  de  deux  droites,   dont  chacune  reste 
constamment  parallèle  à  un  axe  fixe,  en  s'en  éloignant  plus 
on  moins  ;  dans  le  système  polaire^  c'est  la  rencontre  d'un 
cercle  de  rayon  variable  et  dont  le  centre  est  fixe,  avec 
ane  droite  mobile  assujettie  à  tourner  autour  de  ce  centre, 
qoi  marque  la  position  du  point;  en  choisissant  d'autres 
systèmes,  le  point  pourrait  être  désigné  par  l'intersection 


816  MATaKMATlQOES. 

é 

de  deux  cercles,  ou  de  deux  autres  lignes  queIcoD(iaes,  etc. 
Eq  uq  mot,  assigne»  la  valeur  d'une  des  coordonnées  d'un 
point  dans  quelque  systènr)e  que  ce  puisse  être,  c'est  tou- 
jours nécessairenaent  déterminer  une  certaine  ligne  sur 
laquelle  ce  point  doit  être  situé.  Les  géomètres  de  l'anti- 
quité avaient  déjà  fait  celte  remarque  essentielle,  qui  ser- 
vait de  base  à  leur  méthode  des  lieux  géométriques^  dont 
ils  faisaient  un  si  heureux  usage  pour  diriger  leurs  recher- 
ches dans  la  résolution  des  problèmes  de  géométrie  déter- 
minés^  en  appréciant  isolément  l'influence  de  chacune  des 
deux  conditions  par  lesquelles  était  déflni  chaque  point 
constituant  l'objet,  direct  ou  indirect,  de  la  question  pro- 
posée :  c'est  précisément  cette  méthode  dont  la  systéma- 
tisation générale  a  été  pour  Descartes  le  motif  immédiat 
des  travaux  qui  l'ont  conduit  à  fonder  la  géométrie  analy- 
tique. 

Après  avoir  nettement  établi  cette  conception  prélimi- 
naire, en  vertu  de  laquelle  les  idées  de  position,  et,  par 
suite  implicitement,  toutes  les  notions  géométriques  élé- 
mentaires, sont  réductibles  à  de  simples  considérations 
numériques,  il  est  aisé  de  concevoir  directement,  dans  son 
entière  généralité,  la  grande  idée  mère  de  Descartes,  re- 
lative à  la  représentation  analytique  des  formes  géométri- 
ques, ce  qui  constitue  l'objet  propre  de  cette  leçon.  Je 
continuerai  à  ne  considérer  d'abord,  pour  plus  de  facilité, 
que  la  géométrie  à  deux  dimensions,  la  seule  que  Des- 
cartes ait  traitée,  devant  ensuite  examiner  séparément  sous 
le  même  point  de  vue  ce  qui  est  propre  à  la  théorie  des 
surfaces  ou  des  courbes  à  double  courbure. 

D'après  la  manière  d'exprimer  analytiquement  la  posi- 
tion d'un  point  sur  un  plan,  on  peut  aisément  établir  que, 
par  quelque  propriété  qu'une  ligne  quelconque  puisse  être 
définie,  cette  définition   est    toujours  susceptible  d'être 


GÉOMÉTRIE  GÉNÉRALE  00   ANALYTIQUE.  817 

remplacée  par  une  équalion  correspoE^lànte  entre  les  deux 
coordonnées  variables  du  point  qui  décrit  celle  ligne, 
équation  qui  sera  dès  lors  la  représentation  analytique  de 
la  ligne  proposée,  dont  tout  phénomène  devra  se  tniduire 
par  une  cerlaine  niodincation  algébrique  de  son  équalion. 
Si  l'on  suppose,  en  effet,  qu'un  poinl  se  meuve  sur  un  plan 
sans  que  son  cours  soit  déterminé  en  aucune  manière,  on 
devra  évidemment  regarder  ses  deux  coordonnées,  dans 
quelque  système  que  ce  soit,  comme  deux  variables  en- 
tièrement indépendantes  Tune  de  l'autre.  Mais  si,  au  con- 
traire, ce  poinl  est  assujetti  à  décrire  une  certaine  ligne 
quelconque,  il  faudra  nécessairement  concevoir  que  ses 
coordonnées  conservent  entre  elles,  dans  toutes  les  posi- 
tions qu'il  peut  prendre,  une  certaine  relation  permanente 
et  précise,  susceptible,  par  conséquent,  d'ôtre  exprimée 
par  une  équation  convenable,  qui*  deviendra  la  définition 
analytique  très-nette  et  très-rigoureuse  de  la  ligne  consi- 
dérée, puisqu'elle  exprimera  une  propriété  algébrique 
exclusivement  relative  aux  coordonnées  de  tous  les  points 
de  cette  ligne.  11  est  clair,  en  effet,  que,  lorsqu'un  point 
n'est  soumis  à  aucune  condition,  sa  biluation  n'est  déter- 
minée qu'autant  qu'on  donne  à  la  fois  ses  deux  coordon- 
nées, distinctement  l'une  de  l'autre;  tandis  que,  quand  le 
point  doit  se  trouver  sur  une  ligne  déûnie,  une  seule  coor- 
donnée suffit  pour  fixer  entièrement  sa  position.  La  se- 
conde coordonnée  est  donc  alors  une  fonction  déterminée 
de  la  première,  ou,  en  d'autres  termes,  il  doit  exister  entre 
elles  une  certaine  équalion^  d'une  nature  correspondante 
à  celle  de  la  ligne  sur  laquelle  le  point  est  assujetti  à  res- 
ter. En  un  mol,  chacune  des  coordonnées  d'un  point  l'o- 
bligeant à  être  situé  sur  une  certaine  ligne,  on  conçoit  ré- 
ciproquement que  lu  condition,  de  la  pari  d'un  point,  de 
devoir  appartenir  à  une  ligne  définie  d'une  manière  quel- 


tl8  MATHEMATIQUES. 

conque,  équivaut  à  assigner  la  valeur  de  l'une  des  deux 
coordonnées,  qui  se  trouve^  dans  ce  cas,  ôlre  enlièrement 
dépendante  de  l'autre.  La  relation  analytique  qui  exprime 
cette  dépendance  peut  être  plus  ou  moins  difficile  à  dé- 
couvrir; mais  on  doit  évidemment  en  concevoir  toujours 
l'existence,  même  dans  les  cas  oix  nos  moyens  actuels  se- 
raient insuffisants  pour  la  faire  connaître.  C'est  par  celte 
simple  considération  que,  indépendamment  des  vérifica- 
tions particulières  sur  lesquelles  est  ordinairement  établie 
cette  conception  foudamenlaie  à  l'occasion  de  telle  ou 
telle  définition  de  ligne,  on  peut  démontrer,  d'une  ma- 
nière entièrement  générale,  la  nécessité  de  la  représenta- 
tion analytique  des  lignes  par  les  équations. 

En  reprenant  en  sens  inverse  les  mômes  réflexions,  on 
mettrait  aussi  facilement  en  évidence  la  nécessité  géomé- 
trique de  la  représentation  de  toute  équation  à  deux  va- 
riables, dans  un  système  déterminé  de  coordonnées,  par 
une  certaine  ligne,  dont  une  telle  relation  serait,  à  défaut 
d'aucune  autre  propriété  connue,  une  définition  très-ca- 
ractéristique, et  qui  aura  pour  destination  scientifique  de 
fixer  immédiatement  l'attention  sur  la  marche  générale 
des  solutions  de  l'équation,  qui  se  trouvera  ainsi  notée  de 
la  manière  la  plus  sensible  et  la  plus  simple.  Cette  pein- 
ture des  équations  est  un  des  avantages  fondamentaux  les 
plus  importants  de  la  géométrie  analytique,  qui  a  par  là 
réagi  nu  plus  haut  degré  sur  le  perfectionnement  général 
de  l'analyse  elle-même,  non-seulement  en  assignant  aux 
recherches  purement  abstraites  un  but  nettement  déter- 
miné et  une  carrière  inépuisable,  mais,  sous  un  rapport 
encore  plus  direct,  en  fournissant  un  nouveau  moyen  phi- 
losophique de  méditation  analytique,  qui  ne  pourrait  être 
remplacé  par  aucun  autre.  En  efi^et,  la  discussion  purement 
algébrique  d'une  équation  en  fait  sans  doute  connaître  les 


GÉOMÉTRIE    GÉNÉRALE  OU   ANALYTIOLR.  819 

solutions  de  la  manière  la  plus  précise,  mais  en  les  consi- 
dérant seulement  une  à  une,  de  telle  sorte  que;  par  cette 
voie,  leur  marche  générale  ne  saurait  être  conçue  qu'en 
résultat  définitif  d'une  longue  et  pénible  suite  de  compa- 
raisons numériques,  après  laquelle  l'activité  intellectuelle 
doit  ordinairement  se  trouver  émoussée.  Au  contraire,  le 
lieu  géométrique  de  l'équation,  étant  uniquement  destiné 
à  représenter  distinctement  et  avec  une  netteté  parfaite  le 
résumé  de  cet  ensemble  de  comparaisons,  permet  de  le 
considérer  directement  en  faisant  complètement  abstrac- 
tion des  détails  qui  l'ont  fourni,  et  par  là  peut  indiquer  à 
notre  esprit  des  vues  analytiques  générales  auxquelles  nous 
serions  difficilement  parvenus  de  toute  autre  manière, 
Êiute  d'un  moyen  de  caractériser  clairement  leur  objet.  Il 
est  évident,  par  exemple,  que  la  simple  inspection  de  la 
courbe  logarithmique  ou  de  la  courbe  ^  =  sin  o^  fait  con- 
naître d'une  manière  bien  plus  distincte  le  mode  général 
de  variations  des  logarithmes  par  rapport  aux  nombres 
ou  des  sinus  par  rapport  aux  arcs,  que  ne  pourrait  le 
permettre  l'étude  la  plus  attentive  d'une  table  de  loga- 
rithmes ou  d'une  table  trigonométrique.  On  sait  que  ce 
procédé  est  devenu  aujourd'hui  entièrement  élémentaire. 
et  qu'on  l'emploie  toutes  les  fois  qu'il  s'agit  de  saisir  nette- 
ment le  caractère  général  de  la  loi  qui  règne  dans  une  suite 
d'observations  précises  d'un  genre  quelconque. 

Revenant  à  la  représentation  des  lignes  par  les  équa- 
tions, qui  est  notre  objet  principal,  nous  voyons  que  celte 
représentation  est,  par  sa  nature,  tellement  iidèle,  que  la 
ligne  ne  saurait  éprouver  aucune  modification,  quelque 
légère  qu'elle  soit,  sans  déterminer  dans  l'équation  un 
changement  correspondant.  Cette  comi)lète  exactitude 
donne  même  lieu  souvent  à  des  difficultés  spéciales,  en  ce 
que,  dans   notre   système   de  géométrie  analytique^  les 


8S0  MATUEMATIQUES. 

simples  déplacemenls  des  lignes  se  faisant  aussi  bien  res- 
sentir dan^  les  équations  que  les  variations  réelles  de 
grandeur  ou  de  forme,  on  pourrait  être  exposé  à  confondre 
analytiquement  les  uns  avec  les  autres,  si  les  géomètres 
n'avaient  pas  découvert  une  méthode  ingénieuse  expressé- 
ment destinée  à  les  distinguer  constamment.  Cette  mé- 
thode est  fondée  sur  ce  que,  bien  qu'il  soit  impossible  de 
changer  analytiquement  à  volonté  la  position  d'une  ligne 
par  rapport  aux  axes  des  coordonnées,  on  peut  changer 
d'une    manière    quelconque  la   situation   des  axes   eux- 
mêmes,  ce  qui  est  évidemment  équivalent  ;  dès  lors,  à 
l'aide  des  formules  générales  très-simples  par  lesquelles 
on  opère  cette  transformation  d'axes,  il  devient  aisé  de  re- 
connaître si  deux  équations  différenles  ne  sont  que  l'expres- 
sion analytique  d'une  môme  ligne  diversement  située,  ou 
se  rapportent  à  des  lieux  géométriques  vraiment  dibtincts, 
puisque,  dans  le  premier  cas,  l'une  d'elles  doit  rentrer 
dans  l'autre  en  changeant  convenablement  les  axes  ou  les 
autres  constantes  du  système  de  coordonnées  considéré. 
Du  reste,  il  faut  remarquer  à  ce  sujet  que  les  inconvénients 
généraux  de  cette  naiure  paraissent,  en  géométrie  ana- 
lytique, devoir  être  strictement  inévitables;  puisque  les 
idées  de  position  étant,  comme  nous  l'avons  vu^  les  seules 
idées  géométriques  immédiatement  réductibles  à  des  con- 
sidérations numériques,  et  les  notions  de  forme  ne  pou- 
vant y  être  ramenées  qu'en  voyant  en  elles  des  rapports  de 
situation,  il  est  impossible  que  l'analyse  ne  confonde  point 
d'aliord  les  phénomènes  de  forme  avec  de  simples  phéno- 
mènes de  position,  les  seuls  que  les  équations  expriment 
directement. 

Pour  compléter  l'explication  philosophique  de  la  con- 
ception fondamentale  qui  sert  de  base  à  la  géométrie  ana- 
lytique, je  crois  devoir  indiquer  ici  une  nouvelle  considé- 


GÉOMÉTRIE  GÉNÉRALE  OU  ANALYTIQUE.        Sti 

ration  générale,  qui  me  semble  particulièrement  propre  à 
mettre  dans  tout  son  jour  celte  représentation  nécessaire 
des  lignes  par  des  équations  à  deux  variables.  Elle  consiste 
en  ce  que  non-seulement,  ainsi  que  nous  l'avons  établi, 
toute  ligne  définie  doit  nécessairement  donner  lieu  à  une 
certaine  équation  entre  les  deux  coordonnées  de  l'un  quel- 
conque de  ses  points  ;  mais,  de  plus,  toute  définition  de 
ligne  peut  être  envisagée  comme  étant  déjà  elle-même  une 
6quation  de  cette  ligne  dans  un  système  de  coordonnées 
convenable. 

Il  est  aisé  d'établir  ce  principe,  en  faisant  d'abord  une 
distinction  logique  préliminaire  relativement  aux  diverses 
sortes  de  définition.  La  condition  rigoureusement  indis- 
pensable de  toute  définition,  c'est  de  distinguer  l'objet 
défini  d'avec  tout  autre,  en  assignant  une  propriété  qui  lui 
appartienne  exclusivement.  Mais  ce  but  peut  être  atteint, 
en  général,  de  deux  manières  très-difi'érentes  :  ou  par  une 
définition  simplement  caractéristique  y  c'est-à-dire  indi- 
quant une  propriété  qui,  quoique  vraiment  exclusive,  ne 
bit  pas  connaître  la  génération  de  l'objet;  ou  par  une  dé- 
finition réellement  explicative,  c'est-à-dire  caractérisant 
l'objet  par  une  propriété  qui  exprime  un  de  ses  modes  de 
génération.  Par  exemple,  en  considérant  le  cercle  comme 
la  ligne  qui,  sous  le  même  contour,  renferme  la  plus 
grande  aire,  on  a  évidemment  une  définition  du  premier 
genre;  tandis  qu'en  choisissant  la  propriété  d'avoir  tous 
ses  points  à  égale  distance  d'un  point  fixe,  ou  toute  autre 
semblable,  on  a  une  définition  du  second  genre.  11  est,  du 
reste,  évident,  en  thèse  générale,  que,  quand  même  un 
objet  quelconque  ne  serait  d'abord  connu  que  par  une  dé- 
finition caractéristique^  on  ne  devrait  pas  moins  l'envisager 
comme  susceptible  de  définitions  explicatives^  que  ferait 
nécessairement  découvrir  l'étude  ultérieure  de  cet  objet 

A.  GoHTi.  Tome  L  ti 


322  MATHÉMATIQUES. 

Cela  posé,  il  est  clair  que  ce  n'est  point  aux  déOnitions 
simplennent  caractéristiques  que  peut  s'appliquer  Tobserra- 
(ion  générale  annoncée  ci-dessus,  qui  représente  toute  dé- 
finition de  ligne  comme  étant  nécessairement  une  équation 
de  celte  ligne  dans  un  certain  système  de  coordonnées.  On 
ne  peut  l'entendre  que  des  définitions  vraiment  explicatives. 
Mais,  en  ne  considérant  que  celle-ci,  le  principe  est  aisé  à 
constater.  En  effet,  il  est  évidemment  impossible  de  définir 
la  génération  d'une  ligne,  sans  spécifier  une  certaine  re- 
lation entre  les  deux  mouvements  simples,  de  translation 
ou  de   rotation,  dans  lesquels  se  décomposera  à  chaque 
instant  le  mouvement  du  point  qui  la  décrit.  Or,  en  se  for- 
mant la  notion  la  plus  générale  de  ce  que    c'est  qu'un 
système  des  coordonnées,  et  admettant  tous  les  systèmes  pos- 
sibles, il  est  clair  qu'une  telle  relation  ne  sera  autre  chose 
que  Véquation  de  la  ligne  proposée,  dans  un  système  de 
coordonnées  d'une  nature  correspondante  à  celle  du  mode 
de  génération  considérée.  Ainsi,  par  exemple,  la  définition 
vulgaire  du  cercle  peut  évidemment  être  envisagée  comme 
étant  immédiatement  Véqtiation polaire  de  cette  courbe,  en 
prenant  pour  pôle  le  centre  du  cercler  de  môme,  la  défi- 
nition élémentaire  de  l'ellipse  ou  de  l'hyperbole,  comme 
étant  la  courbe  engendrée  par  un  point  qui  se  meut  dételle 
manière,  que  la  somme  ou  la  différence  de  ses  distances  à 
deux  points  fixes  demeure  constante,  donne  sur-le-champ, 
pour  l'une  ou  l'autre  courbe,  Téquation  y-{-x=^c,en  pre- 
nant pour  système  de  coordonnées  celui  dans  lequel  on 
déterminerait  la  position  d'un  point  par  ses  distances  à 
deux  points  fixes,  et  choisissant  pour  ces  pôles  les  deux 
foyers  donnés  ;  pareillement  encore,  la  définition  ordinaire 
de  la  cyclolde  quelconque  fournirait  directement,  pour 
cette  courbe,  l'équation  y  =  mx,  en  adoptant  comme  coor- 
données de  chaque  point  l'arc  plus  ou  moins  grand  qu'il 


GÉOKÉTRIB  GÉNÉRAU   OU  ANALYTIQUE.  81 1 

marque  sur  un  cercle  de  rayon  inTariable  à  partir  du  point 
de  contact  de  ce  cercle  avec  une  droite  fixe,  et  la  dislance 
rectiligne  de  ce  point  de  contact  à  une  certaine  origine 
prise  sur  cette  droite.  On  peut  faire  des  vérificalions  ana- 
logues et  aussi  faciles  relativement  aux  déûnitions  habi- 
tuelles des  spirales,  des  épicycloîdes,  etc.  On  trouvera 
constamment  qu'il  existe  un  certain  système  de  coor- 
données, dans  lequel  on  obtient  immédiatement  une  équa- 
tion très-simple  de  la  ligne  proposée,  en  se  bornant  à 
écrire  algébriquement  la  condition  imposée  par  le  mode 
de  génération  que  l'on  considère. 

Outre  son  importance  directe,  comme  moyen  de  rendre 
parfaitement  sensible  la  rpprésentation  nécessaire  de  toute 
ligne  par  une  équation,  la  considération  précédente  me 
parait  pouvoir  offrir  une  véritable  utilité  scienliflque,  en 
caractérisant  avec  exactitude  la  principale  difficulté  géné- 
rale qu'on  rencontre  dans  l'établissement  effectif  de  ces 
équations,  et,  par  conséquent,  en  fournissant  une  indica- 
tion intéressante  relativement  à  la  marche  à  suivre  dans  les 
recherches  de  ce  genre,  qui,  par  leur  nature,  ne  sauraient 
comporter  des  règles  complètes  et  invariables.  En  effet,  si 
une  définition  quelconque  de  ligne,  du  moins  parmi  celles 
qui  indiquent  un  mode  de  génération,  fournit  directement 
l'équation  de  cette  ligne  dans  un  certain  système  de  coor- 
données, ou,  pour  mieuxdire,  constitue  par  elle-même  cette 
équation,  il  s'ensuit  que  la  difficulté  qu'on  éprouve  sou- 
vent à  découvrir  l'équation  d'une  courbe,  d'après  telle  ou 
telle  de  ses  propriétés  caractéristiques,  difficulté,  qui  quel- 
quefois est  très-grande,  ne  doit  provenir  essentiellement 
que  de  la  condition  qu'on  s'impose  ordinairement  d'expri- 
mer analytiquement  cette  courbe  à  l'aide  d'un  système  de 
coordonnées  désigné,  au  lieu  d'admettre  indifféremment 
tous  les  systèmes  possibles.  Ces  divers  systèmes  ne  peuvent 


8S4  MATHÉMATIQUES. 

pas  être  regardés,  en  géométrie  analytique,  comme  étant 
tous  également  convenables;  pour  différents  motifs,  dont 
les  plus  importants  vont  être  discutés  ci-dessous,  les  géo- 
mètres croient  devoir  presque  toujours  rapporter,  autant 
que  possible,  les  courbes  à  des  coordonnées  rectilignes 
proprement  dites.  Or  on  conçoit,  d'après  ce  qui  précède, 
que  souvent  ces  coordonnées  uniques  ne  seront  pas  celles 
relativement  auxquelles  Téquation  de  la  courbe  se  trouve- 
rait immédiatement  établie  par  la  définition  proposée.  La 
principale  difficulté  que  présente  la  formation  de  l'équa- 
tion d'une  ligne  consiste  donc  réellement,  en  général,  dans 
une  certaine  transformation  de  coordonnées.  Sans  doute, 
cette  considération  n'assujettit  point  l'établissement  de  ces 
équations  à  une  véritable  méthode  générale  complète,  dont 
le  succès  soit  toujours  assuré  nécessairement^  ce  qui,  par 
la  nature  môme  du  sujet,  est  évidemment  chimérique; 
mais  une  telle  vue  peut  nous  éclairer  utilement  à  cet  égard 
sur  la  marche  qu'il  convient  d'adopter  pour  parvenir  au  but 
proposé.  Ainsi,  après  avoir  d'abord  formé  l'équation  pré- 
paratoire qui  dérive  spontanément  de  la  définition  que  Ton 
considère,  il  faudra,  pour  obtenir  l'équation  relative  au 
système  de  coordonnées  qui  doit  être  admis  définitivement, 
chercher  à  exprimer  en  fonction  de  ces  dernières  coor- 
données celles  qui  correspondent  naturellement  au  mode 
de  génération  dont  il  s'agit.  C'est  sur  ce  dernier  travail 
qu'il  est  évidemment  impossible  de  donner  des  préceptes 
invariables  et  précis.  On  peut  dire  seulement  qu'on  aura 
d'autant  plus  de  ressources  à  cet  égard,  qu'on  saura  plus 
de  véritable  géométrie  analytique,  c'est-à-dire  qu'on  con- 
naîtra l'expression  algébrique   d'un  plus  grand  noaihre 
de  phénomènes  géométriques  différents. 

Pour  compléter  l'exposition  philosophique  de  la  concep- 
tion qui  sert  de  base  à  la  géométrie  analytique,  il  me  reste 


GÉOMÉTRIE  GÉNÉRALE  OU  ANALYTIQUE.       tl5 

à  indiquer  les  considérations  relatives  au  choix  du  système 
de  coordonnées  qui  est,  en  général,  le  plus  convenable,  ce 
qui  fournira  l'explication  rationnelle  de  la  préférence  una- 
nimement accordée  au  système  rectiligne  ordinaire,  préfé- 
rence qui  a  été  plutôt  jusqu'ici  TeiTet  d'un  sentiment  empi- 
rique de  la  supériorité  de  ce  système  que  le  résultat  exact 
d'une  analyse  directe  et  approfondie.' 

Afin  de  décider  nettement  entre  tous  les  divers  systèmes 
de  coordonnées,  il  est  indispensable  de  distinguer  avec 
soin  les  deux  points  de  vue  généraux,  inverses  l'un  de  l'au- 
tre, propres  à  la  géométrie  analytique,  savoir  :  la  relation 
de  l'algèbre  à  la  géométrie,  fondée  sur  la  représentation  des 
lignes  par  les  équations;  et  réciproquement  la  relation  delà 
géométrie  à  l'algèbre  fondée  sur  la  peinture  des  équations 
par  les  lignes. 

Il  est  évident  que,  dans  toute  recherche  quelconque  de 
géomélrfe  générale,  ces  deux  points  de  vue  fondamentaux 
se  trouvent  nécessairement  combinés  sans  cesse,  puisqu'il 
s'agit  toujours  de  passer  alternativement,  et  à'  des  inter- 
valles pour  ainsi  dire  insensibles,  des  considérations  géo- 
métriques aux  considérations  analytiques,  et  des  considé- 
rations analytiques  aux  considérations  géométriques.  Mais 
la  nécessité  de  les  séparer  ici  momentanément  n'en  est  pas 
moins  réelle  ;  car  la  réponse  à  la  question  de  méthode  que 
nous  examinons  est,  en  effet,  comme  nous  allons  le  voir, 
fort  loin  de  pouvoir  être  la  môme  sous  l'un  et  sous  l'autre 
de  ces  deux  rapports,  en  sorte  que  sans  cette  distinction 
on  ne  saurait  s'en  former  aucune  idée  nette. 

Sous  le  premier  point  de  vue,  rigoureusement  isolé,  le 
seul  motif  qui  puisse  faire  préférer  un  système  de  coordon- 
nées à  un  autre  ne  peut  être  que  la  plus  grande  simplicité 
de  l'équation  de  chaque  ligne,  et  la  facilité  plus  grande  d'y 
parvenir.  Or  il  est  aisé  de  voir  qu'il  n'existe  et  n^  doit 


8f6  MATHÉMATIQUES. 

exister  aucun  système  de  coordonnées  méritant  à  cet  égard 
une  préférence  constante  sur  tous  les  autres.  En  effet, 
nous  avons  remarqué  ci-dessus  que,  pour  chaque  définition 
géométrique  proposée^  on  peut  concevoir  un  système  de 
coordonnées  dans  lequel  l'équation  de  la  ligne  s'obtient  im- 
médiatement et  se  trouve  nécessairement  être  en  même 
temps  fort  simple  :  de  plus,  ce  système  varie  inévitablement 
avec  la  nature  de  la  propriété  cnractérislique  que  l'on  con- 
sidère. Ainsi,  le  système  rectiligne  ne  saurait  être,  en  ce 
sens,  constamment  le  plus  avantageux,  quoiqu'il  soit  sou- 
vent très-favorable  ;  il  n'en  est  probablement  pas  un  seul 
qui,  dans  certains  cas  particuliers,  ne  doive  à  cet  égard  lui 
être  préféré,  aussi  bien  qu'à  tout  autre  système. 

H  n'en  est,  au  contraire,  nullement  de  même  sous  le 
second  point  de  vue.  On  peut,  en  effet,  facilement  établir, 
en  thèse  générale,  que  le  système  recliligne  ordinaire  doit 
s'adapter  nécessairement  mieux  que  tout  autre  à  la  pein- 
ture des  équations  par  les  lieux  géométriques  correspon- 
dants, c'est-à-dire  que  cette  peinture  y  est  constamment 
plus  simple  et  plus  fidèle. 

Considérons,  pour  cela,  que,  tout  système  de  coordon- 
nées consistant  à  déterminer  un  point  par  l'intersection  de 
deux  lignes,  le  système  propre  à  fournir  les  lieux  géomé- 
triques les  plus  convenables  doit  être  celui  dans  lequel  ces 
deux  lignes  sont  le  plus  simples  possible,  ce  qui  restreint 
d'abord  le  choix  à  ne  pouvoir  porter  que  sur  des  systèmes 
recdiignes,  A  la  vérité,  il  y  a  évidemment  une  infinité  de 
systèmes  qui  méritent  ce  nom,  c'est-à-dire  qui  n'emploient 
que  des  lignes  droites  pour  déterminer  les  points,  outre  le 
système  ordinaire  qui  assigne  pour  coordonnées  les  dis- 
tances à  deux  droites  fixes  ;  tel  serait,  par  exemple,  celui 
dans  lequel  les  coordonnées  de  chaque  point  se  trouve- 
raien^étre  les  deux  angles  que  font  les  droites  qui  abou* 


GÉOMÉTBIE  GÉNÉRALE  OU  ANALYTIQUE.  Si7 

tissent  de  ce  point  à  deux  points  fixes  avec  la  droite  de 
jonclion  de  ces  derniers;  en  sorte  que  cette  première  con- 
sidération n'est  pas  rigoureusement  suffisante  pour  expli- 
quer la  pr(!^férence  accordée  unanimement  au  système 
ordinaire.  Mais,  en  examinant  d'une  manière  plus  approfon- 
die la  nature  de  tout  système  de  coordonnées,  nous  avons 
reconnu,  en  outre,  que  chacune  des  deux  lignes  dont  la 
rencontre  détermine  le  point  considéré,  doit  nécessaire- 
ment offrir  à  chaque  instant,  parmi  ses  diverses  conditions 
quelconques  de  détermination,  une  seule  condition  varia- 
ble,  qui  donne  lieu  à  l'ordonnée  correspondante,  et  toutes 
les  autres  Gxes,  qui  constituent  les  axes  du  système,  en 
prenant  ce  terme  dans  son  acception  mathématique  la  plus 
étendue  :  la  variation  est  indispensable  pour  que  toutes  les 
positions  puissent  être  considérées,  et  la  ûxité  ne  Test  pas 
moins  pour  qu'il  existe  des  moyens  de  comparaison.  Ainsi, 
dans  tous  les  systèmes  rectilignes,  chacune  des  deux  droi- 
tes sera  assujettie  h  une  condition  fixe,  et  l'ordonnée  ré- 
sultera de  la  condition  variable.  Sous  ce  rapport,  il  est  évi- 
dent, en  thèse  générale,  que  le  système  le  plus  favorable  à 
la  construction  des  lieux  géométriques  sera  nécessaire- 
ment celui  d'après  lequel  la  condition  variable  de  chaque 
droite  sera  le  plus  simple  possible,  sauf  à  compliquer  pour 
cela,  s'il  le  faut,  la  condition  fixe.  Or,  de  toutes  les  manières 
possibles  de  déterminer  deux  droites  mobiles,  la  plus 
aisée  à  suivre  géométriquement  est  certainement  celle 
dans  laquelle,  la  direction  de  chaque  droite  restant  inva- 
riable, elle  ne  fait  que  se  rapprocher  ou  s'éloigner  plus  ou 
moins  d'un  axe  constant.  II  serait,  par  exemple,  évidem- 
ment plus  difficile  de  se  figurer  nettement  le  déplacement 
d'an  point  produit  par  Tintersection  de  deux  droites,  qui 
tourneraient  chacune  autour  d'un  point  fixe  en  faisant  avec 
un  certain  axe  un  angle  plus  ou  moins  grand,  comme  dans 


828  MATHÉMATIQUES. 

le  système  de  coordonnées  précédemment  indiqué.  Telle 
est  la  véritable  explication  générale  de  la  propriété  fonda- 
mentale que  présente,  par  sa  nature,  le  système  rectiligne 
ordinaire,  d'être  plus  apte  qu'aucun  autre  à  la  représenta- 
tion géométrique  des  équations,  comme  étant  celui  dans 
lequel  il  est  le  plus  aisé  de  concevoir  le  déplacement  d'uD 
point  en  résultat  du  changement  de  valeur  de  ses  coor- 
données. Pour  sentir  nettement  toute  la  force  de  cette 
considération,  il  sufGrait,  par  exemple,  de  comparer  soi- 
gneusement ce  système  avec  le  système  polaire,  dans 
lequel  cette  image  géométrique  si  simple  et  si  aisée  à 
suivre,  de  deux  droites  se  mouvant  chacune  parallèlement 
à  Taxe  correspondant,  se  trouve  remplacée  par  le  tableau 
compliqué  d'une  série  infinie  de  cercles  concentriques 
coupée  par  une  droite  assujettie  à  tourner  autour  d'un 
point  fixe.  Il  est  d'ailleurs  facile  de  concevoir  à  priori 
quelle  doit  être,  pour  la  géométrie  analytique,  l'extrême 
importance  d'une  propriété  aussi  profondément  élémen- 
taire, qui,  par  cette  raison,  doit  se  reproduire  à  chaque 
instant  et  prendre  une  valeur  progressivement  croissante 
dans  tous  les  travaux  quelconques  de  celte  nature  (i). 

En  précisant  davantage  la  considération  qui  démontre 
la  supériorité  du  système  de  coordonnées  ordinaire  sur 
tout  autre  quant  à  la  peinture  des  équations^  on  peut 
même  se  rendre  compte  de  l'utilité  que  présente  sous  ce 

(I  )  Devant  me  borner  ici  à  la  comparaison  la  plus  générale,  Je  n'ai  point 
considéré  plusieurs  autres  inconvénients  élémentaires  de  moindre  impor- 
tance, mais  cependant  fort  graves,  que  présente  le  système  des  coordon- 
nées polaires,  comme  de  ne  point  admettre  d'interprétation  géométrique 
pour  le  signe  du  rayon  recteur,  et  même  d'assigner  quelquefois  un  point 
unique  pour  diverses  solutions  distinctes,  d'où  il  résulte  que  la  peinture 
des  équations  y  est  nécessairement  imparfaite.  Quels  que  soient  ces  incon- 
vénients, comme  plusieurs  systèmes  autres  que  le  système  rectiligne  ordi- 
naire pourraient  aussi  en  être  exempts,  il  ne  fallait  point  en  tenir  compte 
pour  établir  la  supériorité  générale  de  ce  dernier. 


GÉOMÉTRIE  GÉNÉRALE  OU  ANALYTIQUE.       819 

rapport  l'usage  habituel  de  prendre,  autant  que  possible,  les 
deux  axes  perpendiculaires  entre  eux  plutôt  qu'avec  aucune 
autre  inclinaison.  Sous  le  rapport  de  la  représentation  des 
lignes  par  les  équations,  cette  circonstance  secondaire  n'est 
pas  plus  universellement  convenable  que  nous  n'avons  vu 
l'être  la  nature  même  du  système  ;  puisque,  suivant  les 
occasions,  toute  autre  inclinaison  des  axes  peut  mériter  à 
cet  égard  la  préférence.  Mais,  sous  le  point  de  vue  inverse, 
il  est  aisé  de  voir  que  les  axes  rectangulaires  permettent 
constamment  de  peindre  les  équations  d'une  manière  plus 
simple  et  même  plus  fidèle.  Car,  avec  des  axes  obliques, 
l'espace  se  trouvant  partagé  par  eux  en  régions  dont 
lldentité  n'est  plus  parfaite,  il  en  résulte  que,  si  le  lieu 
géométrique  de  l'équation  s'étend  à  la  fois  dans  toutes  ces 
régions,  il  y  présentera,  à  raison  de  la  seule  inégalité  des 
angles,  des  différences  de  figure  qui,  ne  correspondant  à 
aucune  diversité  analytique,  altéreront  nécessairement 
Tezactitude  rigoureuse  du  tableau,  en  se  mêlant  aux  ré- 
sultats propres  des  comparaisons  algébriques.  Par  exemple, 
une  équation  comme  x"  -^y^  =  c,  qui,  par  sa  symétrie 
parfaite,  devrait  donner  évidemment  une  courbe  composée 
de  quatre  quarts  identiques,  sera  représentée,  au  con- 
traire, en  prenant  des  axes  non  rectangulaires,  par  un 
lieu  géométrique  dont  les  quatre  parties  seront  inégales. 
On  voit  que  le  seul  moyen  d'éviter  toute  disconvenance  de 
ce  genre  est  de  supposer  droit  l'angle  des  deux  axes. 

La  discussion  précédente  établit  clairement  que,  si,  sous 
Tnn  des  deux  points  de  vue  fondamentaux  continuellement 
combinés  en  géométrie  analytique,  le  système  de  coor- 
données rectilignes  proprement  dit  n'a  aucune  supériorité 
constante  sur  tout  autre  ;  comme  il  n'est  pas  non  plus  à 
cet  égard  constamment  inférieur,  sa  plus  grande  aptitude 
nécessaire  et  absolue  à  la  peinture  des  équations  doit  lui 


330  MATHÉMATIQUES. 

faire  généralement  accorder  la  préférence,  quoiqu'il 
puisse  évidemment  arriver^  dans  quelques  cas  parliculiers, 
que  le  besoin  de  simpliOer  les  équations  et  de  les  obtenir 
plus  aisément  détermine  les  géomètres  à  adopter  un 
système  moins  parfait.  C'est,  en  effet,  d'après  le  système 
rectiligne^  que  sont  ordinairement  construites  les  théories 
les  plus  essentielles  de  géométrie  générale,  destinées  à 
exprimer  analytiquement  les  phénomènes  géométriques 
les  plus  importants.  Quand  on  juge  nécessaire  d'en  choisir 
un  autre,  c'est  presque  toujours  le  système  polaire  auquel 
on  s'arrête,  ce  système  étant  d'une  nature  assez  opposée 
à  celle  du  système  rectilignc  pour  que  les  équations  trop 
compliquées  relativement  à  celui-ci  deviennent,  en  gé- 
néral^ suffisamment  simples  par  rapport  à  l'autre.  Les 
coordonnées  polaires  ont  d'ailleurs  souvent  l'avantage  de 
comporter  une  signiûcation  concrète  plus  directe  et  plus 
naturelle,  comme  il  arrive  en  mécanique  pour  les  ques- 
tions géométriques  auxquelles  donne  lieu  la  théorie  des 
mouvements  de  rotation,  et  dans  presque  tous  les  cas  de 
géométrie  céleste. 

Afin  de  simplifier  l'exposition,  nous  n'avons  jusqu'ici 
considéré  la  conception  fondamentale  delà  géométrie  ana- 
lytique que  relativement  aux  seules  courbes  planes,  dont 
l'étude  générale  avait  été  l'objet  unique  delà  grande  réno- 
vation philosophique  opérée  par  Descartes.  Il  s'agit  main- 
tenant, pour  compléter  cette  importante  explication,  de 
montrer  sommairement  de  quelle  manière  cette  pensée 
élémentaire  a  été  étendue,  environ  un  siècle  après,  par 
notre  illustre  Clairauly  à  l'étude  générale  des  surfaces  et 
des  courbes  à  double  courbure.  Les  considérations  indi- 
quées  ci-dessus  me  permettront  de  me  borner  à  ce  sujet  è 
l'examen  rapide  de  ce  qui  est  strictement  propre  à  ce  nou- 
veau cas. 


GÉOMÉTRIE  GENERALE  OU  ANALYTIQUE.       Stl 

L'entière  détermination  analytique  d'un  point  dans  l'es- 
pace exige  évidemment  qu'on  assigne  les  valeurs  de  trois 
coordonnées;  par  exemple,  d'après  le  système  le  plus  fré- 
quemment adopté  et  qui  correspond  au  système  rectiligne 
de  la  géométrie  plane,  des  distances  de  ce  point  à  trois 
plans  fixes,  ordinairement  perpendiculaires  entre  eux,  ce 
qui  présente  le  point  comme  l'intersection  de  trois  plans 
dont  la  direction  est  invariable.  On  pourrait  également 
employer  les  distances  du  point  mobile  à  trois  points  fixes, 
ce  qui  le  déterminerait  par  la  rencontre  de  trois  sphères 
à  centre  constant.  De  môme,  la  position  d'un  point  serait 
définie  en  donnant  sa  distance  plus  ou  moins  grande  à  un 
point  fixe,  et  la  direction  de  cette  distance,  au  moyen  des 
deux  angles  que  fait  cette  droite  avec  deux  axes  invaria- 
bles ;  c'est  le  système  polaire  propre  à  la  géométrie  à  trois 
dimensions;  le  point  est  alors  construit  par  l'intersection 
d'une  sphère  à  centre  constant  avec  deux  cônes  droits  à 
base  circulaire  dont  les  axes  et  le  sommet  commun  ne 
changent  pas.  En  un  mot,  il  y  a  évidemment,  dans  ce  cas, 
au  moins  la  môme  variété  infinie  entre  les  divers  systèmes 
possibles  de  coordonnées  que  nous  avons  déjà  observée 
pour  la  géométrie  à  deux  dimensions.  En  général,  il  faut 
concevoir  un  point  comme  toujours  déterminé  par  l'inter- 
section de  trois  surfaces  quelconques,  ainsi  qu'il  l'était  au- 
paravant par  celle  de  deux  lignes;  chacune  de  ces  trois 
surfaces  a  pareillement  toutes  ses  conditions  de  détermi- 
nations constantes^  excepté  une,  qui  donne  lieu  à  la  coor- 
donnée correspondante,  dont  l'infiuence  géométrique  pro- 
pre est  ainsi  d'astreindre  le  point  à  ôtre  situé  sur  cette 
surface. 

Cela  posé,  il  est  clair  que,  si  les  trois  coordonnées  d'un 
point  sont  entièrement  indépendantes  entre  elles,  ce  point 
pourra  prendre  successivement  dans  l'espace  toutes  les 


tSt  MATHÉMATIQUES. 

positions  possibles.  Mais^  si  le  point  est  assajeiti  à  rester 
sur  une  certaine  surface  définie  d'une  manière  quelcon- 
que, alors  deux  coordonnées  suffisent  évidemment  pour 
en  déterminer  à  chaque  instant  la  situation,  puisque  la  sur- 
face proposée  tiendra  lieu  de  la  condition  imposée  par  la 
troisième  coordonnée.  On  doit  donc  concevoir  nécessaire- 
ment dans  ce  cas,  sous  le  point  de  vue  analytique,  cette 
dernière  coordonnée  comme  une  fonction  déterminée  des 
deux  autres,  celles-ci  demeurant  entre  elles  complètement 
indépendantes.  Ainsi,  il  y  aura  entre  les  trois  coordonnées 
variables  une  certaine  équation  permanente,  et  qui  sera 
unique  afin  de  correspondre  au  degré  précis  d'indétermi- 
nation de  la  position  du  point.  Cette  équation,  plus  ou 
moins  facile  à  découvrir,  mais  toujours  possible,  sera  la 
définition  analytique  de  la  surface  proposée,  puisqu'elle 
devra  se  vérifier  pour  tous  les  points  de  cette  surface,  et 
seulement  pour  eux.  Si  la  surface  vient  à  éprouver  un 
changement  quelconque,  même  un  simple  déplacement, 
l'équation  devra  subir  une  modification  correspondante 
plus  ou  moins  profonde.  En  un  root,  tous  les  phénomènes 
géométriques  quelconques  relatifs  aux  surfaces  seront  sus- 
ceptibles d'être  traduits  par  certaines  conditions  analyti- 
ques équivalentes  propres  aux  équations  à  trois  variables, 
et  c'est  dans  l'établissement  et  l'interprétation  de  cette 
harmonie  générale  et  nécessaire  que  consistera  essentielle- 
ment la  science  de  la  géométrie  analytique  à  trois  dimen- 
sions. 

Considérant  ensuite  cette  conception  fondamentale 
sous  le  point  de  vue  inverse,  on  voit  de  la  môme  manière 
que  toute  équation  à  trois  variables  peut  être,  en  général, 
représentée  géométriquement  par  une  surface  déterminée, 
primitivement  définie  d'après  la  propriété  très-caractéris- 
tique, que  les  coordonnées  de  tous  ses  points  conservent 


GÉOMÉTBIE  GÉNÉRALE   OU  ANALYTIQUE.  tit 

toujours  entre  elles  la  relation  énoncée  dans  celte  équa- 
tion. Ce  lieu  géométrique  changera  évidemment,  pour  la 
môme  équation,  suivant  le  système  de  coordonnées  qui 
servira  à  la  construction  de  ce  tableau.  En  adoptant,  par 
exemple,  le  système  recliligne,  il  est  clair  que^  dans  Téqua- 
tion  entre  les  trois  variables  x,  y^  z,  chaque  valeur  parti- 
culière attribuée  à  z  donnera^  une  équation  entre  x  et  y^ 
dont  le  lieu  géométrique  sera  une  certaine  ligne  située 
dans  un  plan  parallèle  au  plan  des;r,  y^  et  à  une  distance  de 
ce  dernier  égale  à  la  valeur  de  z,  de  telle  sorte  que  le  lieu 
géométrique  total  se  présentera  comme  composé  d'unesuite 
inOnie  de  lignes  superposées  dans  une  série  de  plans  pa« 
rallèles^  sauf  les  interruptions  qui  pourront  exister,  et  for- 
mera, par  conséquent,  une  véritable  surface.  Il  en  serait  de 
même  en  considérant  tout  autre  système  de  coordonnées, 
quoique  la  construction  géométrique  de  Téquation  devint 
plus  difOcile  à  suivre. 

Telle  est  la  conception  élémentaire,  complément  de 
l'idée  mère  de  Descaries,  sur  laquelle  est  fondée  la  géomé- 
trie générale  relativement  aux  surfaces.  Il  serait  inutile  de 
reprendre  directement  ici  les  autres  considérations  indi- 
quées ci-dessus  par  rapport  aux  lignes,  et  que  chacun  peut 
aisément  étendre  aux  surfaces,  soit  pour  montrer  que 
toute  définition  d'une  surface  par  un  mode  quelconque  de 
génération  est  réellement  une  équation  directe  de  celte 
surface  dans  un  certain  système  de  coordonnées,  soit 
pour  déterminer  entre  tous  les  divers  systèmes  de  coor- 
données possibles  quel  est  généralement  le  plus  conve- 
nable. J'ajouterai  seulement^  sons  ce  dernier  rapport,  que 
la  supériorité  nécessaire  du  système  rectiligne  ordinaire, 
quant  à  la  peinture  des  équations,  est  évidemment  encore 
plus  prononcée  dans  la  géométrie  analytique  à  troL<  dimen- 
sions que  dans  celle  à  deux,  à  cuuse  de  la  complication 


8t4  MATHÉMATIQUES. 

géométrique  incomparablement  plus  grande  qu\  résulte- 
rait alors  du  choix  de  tout  autre  système,  ainsi  qu'on  peut 
le  vérifier  de  la  manière  la  plus  sensible  en  considérant, 
par  opposition,  le  système  polaire  en  particulier,  qui  est, 
pour  les  surfaces  comme  pour  les  courbes,  et  en  vertu  des 
mêmes  motifs,  le  plus  usité  après  le  système  rectiligne  pro- 
prement dit. 

AGn  de  compléter  l'exposition  générale  de  la  concep- 
tion fondamentale  relative  à  l'étude  analytique  des  surfaces, 
nous  aurons  encore  à  examiner  philosophiquement,  dans 
la  quatorzième  leçon,  un  dernier  perfectionnement  de  la 
plus  haute  importance,  que  Monge  a  récemment  indroduit 
dans  les  éléments  mômes  de  cette  théorie,  pour  la  classi- 
fication des  surfaces  en  familles  naturelles,  établies  d'après 
le  mode  de  génération,  et  exprimées  algébriquement  par 
des  équations  différentielles  communes,  ou  par  des  équa- 
tions finies  contenant  des  fonctions  arbitraires. 

Considérons  maintenant  le  dernier  point  de  vue  élémen- 
taire de  la  géométrie  analytique  à  trois  dimensions,  celui 
qui  se  rapporte  à  la  représentation  algébrique  des  courbes, 
envisagées  dans  l'espace  de  la  manière  la  plus  générale.  En 
continuante  suivre  le  principe  constamment  employé  Si- 
dessus,  celui  du  degré  d'indétermination  du  lieu  géomé- 
trique, correspondant  au  degré  d'indépendance  des  va- 
riables, il  est  évident,  en  thèse  générale,  que,  lorsqu'un 
point  doit  être  situé  sur  une  certaine  courbe  quelconque, 
une  seule  coordonnée  suffit  pour  achever  de  déterminer 
entièrement  sa  position,  par  l'intersection  de  cette  courbe 
avec  la  surface  qui  résulte  de  cette  coordonnée.  Ainsi, 
dans  ce  cas,  les  deux  autres  coordonnées  du  point  doivent 
être  conçues  comme  des  fonctions  nécessairement  déter- 
minées et  distinctes  de  la  première.  Par  conséquent,  toute 
ligne,  considérée  dans  l'espace,  est  donc  représentée  ana- 


GÉOMÉTRIE   GÉNÉRALE  OU  ANALTTTOUE.  885 

Ijtiquement,   non  plus  par  une  seule  équation,   mais  par 
le  système  de  deux  équations  entre  les  trois  coordonnées 
de  l'uD  quelconque  de  ses  points.  11  est  clair,  en  effet,  d'un 
autre  côté,  que  chacune  de  ces  équations  envisagée  sé- 
parément^ exprimant  une  certaine  surface,  leur  ensemble 
présente  la  ligne  proposée  comme  l'intersection  de  deux 
surfaces  déterminées.  Telle  est  la  manière  la  plus  géné- 
rale de  concevoir  la  représentation  algébrique  d'une  ligne 
dans  la  géon^étrie  analytique  à  trois  dimensions.   Cette 
conception  est  ordinairement    envisagée  d'une  manière 
trop  étroite,   lorsqu'on  se  borne  à  considérer  une  ligne 
comme  déterminée  par  le  système  de  ses  deux  projections 
sur  deux  des  plans  coordonnés,  système  caractérisé  ana- 
lytiquement  par  celte  particularité  que  chacune  des  deux 
équations  de  la  ligne  ne  contient  alors  que  deux  des  trois 
coordonnées,  au  lieu  de  renfermer  simultanément  les  trois 
Tariables.  Cette   considération,  qui  consiste  à  regarder  la 
ligne  comme  l'intersection  de  deux  surfaces  cylindriques 
parallèles  à  deux  des  trois  axes  des  coordonnées,  outre  l'in- 
convénient d'être  bornée  au  système  rectiligne  ordinaire, 
a  le  défaut,  lorsqu'on  croit  devoir  s'y  réduire  strictement, 
d'introduire  des  difGcuités  inutiles  dans  la  représentation 
analytique  des  lignes,  puisque  la  combinaison  de  ces  deux 
cylindres  ne  saurait  être  évidemment  toujours  la  plus  con- 
venable pour  former  les  équations  d'une  ligne.  Ainsi,  en- 
visageant cette  notion  fondamentale  dans  son  entière  gé- 
néralité, il  faudra,  dans  chaque  cas,  parmi  l'infinité  de 
couples  de  surfaces  dont  l'intersection  pourrait  produire 
la  courbe  proposée,  choisir  celui  qui  se  prêtera  le  mieux 
à  l'établissement  des  équations,  comme  se  composant  des 
surfaces  les  plus  connues.  Par  exemple,  s'agit-il  d'exprimer 
analytiquement  un  cercle  dans  l'espace,  il  sera  évidem- 
ment préférable  de    le  considérer  comme  l'intersection 


lie  MATHÉMATIQUES. 

d'une  sphère  et  d'un  plan,  plutôt  que  suivant  toute  autre 
combinaison  de  surfaces  qui  pourrait  également  le  pro- 
duire. 

A  la  vérité,  cette  manière  de  concevoir  la  représentation 
des  lignes  par  des  équations  dans  la  géométrie  analytique 
à  trois  dimensions  engendre,  par  sa  nature,  un  incon- 
vénient nécessaire,  celui  d'une  certaine  confusion  ana- 
lytique, consistant  en  ce  que  la  môme  ligne  peut  se  trouver 
ainsi  exprimée,  avec  un  môme  système  de  coordonnées, 
par  une  infinité  de  couples  d'équations  différents,  vu  l'in- 
finité de  couples  de  surfaces  qui  peuvent  la  former,  ce  qui 
peut  présenter  quelques  difficultés  pour  reconnaître  cette 
ligne  à  travers  tous  les  déguisements  algébriques  dont  elle 
est  susceptible.  Mais  il  existe  un  procédé  général  fort 
simple  pour  faire  disparaître  cet  inconvénient,  se  priver 
des  facilités  qui  résultent  de  celte  variété  de  constructions 
géométriques.  Il  suffit,  en  effet,  quel  que  soit  le  système 
analytique  établi  primitivement  pour  une  certaine  ligne, 
de  pouvoir  en  déduire  le  système  correspondant  à  un 
couple  unique  de  surfaces  uniformément  engendrées,  par 
exemple,  à  celui  des  deux  surfaces  cylindriques  qui  pro- 
jettent la  ligne  proposée  sur  deux  des  plans  coordonnés, 
surfaces  qui  évidemment  seront  toujours  identiques,  de 
quelque  manière  que  la  ligne  ait  été  obtenue,  et  ne  varie- 
ront que  lorsque  cette  ligne  elle-même  changera.  Or,  en 
choisissant  ce  système  fixe,  qui  est  effectivement  le  plus 
simple,  on  pourra  généralement  déduire  des  équations 
primitives  celles  qui  leur  correspondent  dans  cette  con- 
struction spéciale  en  les  transformant,  par  deux  élinxina- 
tions  successives,  en  deux  équations  ne  contenant  chacune 
que  deux  des  coordonnées  variables,  et  qui  conviendront 
par  cela  seul  aux  deux  surfaces  de  projections.  Telle  est 
réellement   la  principale  destination  de  cette  sorte  de 


GÉOMÉTRIE  GÉNÉRALE   OU   ANALYTIQUE.  887 

combinaison  géométrique,  qui  nous  offre  ainsi  un  moyen 
invariable  et  certain  de  reconnaître  Tidenlilé  des  lignes 
malgré  la  diversité  quelquefois  très-grande  de  leurs  équa- 
tions. 

Après  avoir  considéré  dans  son  ensemble  la  conception 
foodamentale  de  la  géométrie  analytique  sous  les  princi- 
paux aspects  élémentaires  qu'elle  peut  présenter,  il  con- 
vient, pour  compléter,  sous  le  rapport  philosophique,  une 
telle  esquisse,  de  signaler  ici  les  imperfections  générales 
que  présente  encore  cette  conception,  soit  relativement  à 
la  géométrie,  soit  relativement  à  l'analyse. 

Relativement  à  la  géométrie,  il  faut  remarquer  que  les 
équations  ne  sont  propres  jusqu'ici  qu'à  représenter  des 
lieux  géométriques  entiers,  et  nullement  des  portions  dé- 
terminées de  ces  lieux  géométriques.  H  serait  cependant 
nécessaire,  dans  plusieurs  circonstances,  de  pouvoir  expri- 
mer analytiquement  une  partie  de  ligne  ou  de  surface, 
et  même  une  ligne  ou  surface  discontinue  composée  d'une 
suite  de  sections  appartenant  à  des  figures  géométriques 
distinctes,  par  exemple  le  contour  d'un  polygone  ou  la  sur- 
face d'un  polyèdre.  La  thermologie  surtout  donne  lieu 
fréquemment  à  d^  semblables  considérations,  auxquelles 
notre  géométrie  analytique  actuelle  se  trouve  nécessaire- 
ment inapplicable.  Néanmoins  il  importe  d'observer  que, 
dans  ces  derniers  temps,  les  travaux  de  Fourier  sur  les 
fonctions  discontinues  ont  commencé  à  remplir  cette 
grande  lacune,  et  ont  par  là  directement  introduit  un 
nouveau  perfectionnement  essentiel  dans  la  conception 
fondamentale  de  Descartes.  Mais  cette  manière  de  repré- 
senter des  formes  hétérogènes  ou  partielles,  étant  fondée 
sur  l'emploi  des  séries  trigonométriques  procédant  selon 
les  sinus  d'une  suite  infinie  d'arcs  multiples,  ou  sur  l'usage 
de  certaines  intégrales  définies  équivalentes  à  ces  séries 
A.  Comte.  Tomel.  Î8 


3IS  MATHÉMATIQUES* 

et  dont  l'intégrale  générale  est  ignorée,  présente  encore 
trop  de  complication  pour  pouvoir  être  immédiatement 
introduite  dans  le  système  propre  de  la  géométrie  analy- 
tique. 

Relativement  à  l'analyse^  il  faut  commencer  par  recon- 
naître que  l'impossibilité  où  nous  sommes  de  concevoir 
géométriquement  pour  des  équations  contenant  quatre, 
cinq  variables  ou  un  plus  grand  nombre,  une  représenta- 
tion analogue  à  celles  que  comportent  toutes  les  équations 
à  deux  ou  à  trois  variables,  ne  doit  pas  être  envisagée  comme 
une  imperfection  de  notre  système  de  géométrie  analy- 
tique, car  elle  tient  évidemment  à  la  nature  même  du  sujet. 
L'analyse  étant  nécessairement  plus  générale  que  la  géo- 
métrie, puisqu'elle  est  relative  à  tous  les  phénomènes  pos- 
sibles, il  serait  peu  philosophique  de  vouloir  constamment 
trouver  parmi  les  seuls  phénomènes  géométriques  une  re- 
présentation concrète  de  toutes  les  lois  que  l'analyse  peut 
exprimer.  Mais  il  existe  une  autre  imperfection  de  moin- 
dre importance  qu'on  doit  réellement  envisager  comme 
provenant  de  la  manière  même  dont  nous  concevons  la 
géométrie  analytique.  Elle  consiste  en  ce  que  notre  repré- 
sentation actuelle  des  équations  à  deux  ou  à  trois  variables 
par  des  lignes  ou  des  surfaces  est  évidemment  toujours 
plus  ou  moins  incomplète,  puisque,  dans  la  construction 
du  lieu  géométrique,  nous  n'avons  égard  qu'aux  solutions 
réelles  des  équations,  sans  tenir  aucun  compte  des  solutions 
imaginaires.  La  marche  générale  de  ces  dernières  serait 
cependant,  par  sa  nature,  tout  aussi  susceptible  que  celle 
des  autres  d'une  peinture  géométrique.  11  résuite  de  cette 
omission  que  le  tableau  graphique  de  l'équation  est  cons* 
tamment  imparfait,  et  quelquefois  même  au  point  qu'il  n'y 
a  plus  de  représentation  géométrique,  lorsque  l'équation 
n'admet  que  des  solutions  imaginaires.  Cependant,  même 


GÉOMÉTRIE  GÉNÉRALE   OU  ANALYTIQUE.  |f39 

dans  ce  dernier  cas^  il  y  aurait  évidemment  lieu  de  distin- 
,guer  sous  le  rapport  géométrique  des  équations  aussi  dif- 
férentes en  elles-mêmes  que  celles-ci,  par  exemple  : 

On  sait  de  plus  que  celte  imperfection  principale  entraîne 
souvent,  dans  la  géométrie  analytique  à  deux  ou  à  trois 
dimensions,  une  foule  d'inconvénients  secondaires,  tenant 
à  ce  que  plusieurs  modifications  analytiques  se  trouvent 
ne  correspondre  à  aucun  phénomène  géométrique. 

Un  de  nos  plus  grands  géomètres  acluels,  Poinsot,  a 
présenté  une  considération  très-ingénieuse  et  fort  simple, 
à  laquelle  on  n'a  pas  fail  communément  assez  d'attention, 
et  qui  permet,  lorsque  les  équations  sont  peu  compliquées, 
de  concevoir  la  représentation  graphique  des  solutions 
imaginaires,  en  se  bornant  à  peindre  leurs  rapports  quand 
ils  sont  réels  (1).  Mais  cette  considération,  qu'il  serait  aisé 
degénéraliser  abstraitement,  est  jusqu'ici  trop  peu  suscep- 
tible d'être  effectivement  employée,  à  cause  de  l'état 
extrême  d'imperfection  où  se  trouve  encore  la  résolution 
algébrique  des  équations,  et  d'où  il  résulte  ou  que  la  forme 
des  racines  imaginaires  est  le  plus  souvent  ignorée,  ou 
qu'elle  présente  une  trop  grande  complication  ;  en  sorte 
que  de  nouveaux  travaux  sont  indispensables  à  cet  égard, 
avant  qu'on  puisse  regarder  comme  comblée  cette  lacune 
essentielle  de  notre  géométrie  analytique. 

L'exposition  philosophique  essayée  dans  cette  leçon  de 

(1)  Poinsot  a  montré,  par  exemple,  dans  son  excellent  Mémoire  sur  Va- 
nalyse  des  sections  anqulaires^  que  l'équation  x'-Hv'+û*  =ro,  ordi- 
nairement écartée  comme  n*ayant  pas  de  lieu  géométrique,  peut  être 
représentée,  de  la  manière  la  plus  simple  et  la  plus  nette,  par  une  hy- 
perbole équilatère,  qui  remplit  à  son  égard  le  même  ofUce  que  le  cercle 
pour  réquatioo  x*4-  y*  —  a* = o. 


1 4  •  MATHÉMATIQUES. 

la  conception  fondamentale  de  la  géométrie  analytique 
nous  montre  clairement  que  cette  science  consiste  esseu; 
tieilement  à  déterminer  quelle  est,  en  général,  l'expression 
analytique  de  tel  ou  tel  phénomène  géométrique  propre 
aux  lignes  ou  aux  surfaces,  et  réciproquement,  à  découvrir 
l'interprétation  géométrique  de  telle  ou  telle  considération 
analytique.  Nous  avons  maintenant  à  examiner,  en  nous 
bornant  aux  questions  générales  les  plus  importantes, 
comment  les  géomètres  sont  parvenus  h  établir  effective- 
ment cette  belle  harmonie,  et  à  imprimer  ainsi  à  la  science 
géométrique,  envisagée  dans  son  ensemble  total,  le  carac- 
tère parfait  de  rationnalité  et  de  simplicité  qu'elle  présente 
aujourd'hui  si  éminemment.  Tel  sera  l'objet  essentiel  des 
deux  leçons  suivantes,  l'une  consacrée  a  l'étude  générale 
des  ligues,  et  l'autre,  à  Tétude  générale  des  surfaces. 


TREIZIÈME  LEÇON 


Sommiire.  —  De  la  géométrie  générale  à  deux  dimoDiions. 


D'après  la  marche  habiluellement  adoptée  jusqu'à  ce 
jour  pour  rexposition  de  la  science  géomélrique,  la  desti- 
nation vraiment  essentielle  de  la  géométrie  analytique 
n'est  encore  sentie  que  d'une  manière  fort  imparfaite,  qui 
ne  correspond  nullement  à  l'opinion  que  s'en  forment  les 
Téritables  géomètres,  depuis  que  l'extension  des  concep- 
tions analytiques  à  la  mécanique  rationnelle  a  permis  de 
s'élever  à  quelques  idées  générales  sur  la  philosophie  ma- 
thématique. La  révolution  fondamentale  opérée  par  la 
grande  pensée  de  Descartes  n'est  point  encore  dignement 
appréciée  dans  notre  éducation  mathématique,  môme  la 
plus  haute.  A  la  manière  dont  elle  est  ordinairement  pré- 
sentée et  surtout  employée,  cette  admirable  méthode  ne 
semblerait  d'abord  avoir  d'autre  but  réel  que  de  simplifier 
l'étude  des  sections  coniques,  ou  de  quelques  autres 
courbes,  considérées  toujours  une  à  une,  suivant  l'esprit  de 
la  géométrie  ancienne,  ce  qui  serait  sans  doute  de  fort  peu 
d'importance.  On  n'a  point  encore  convenablement  senti 
que  le  véritable  caractère  distinctif  de  notre  géométrie 
moderne,  ce  qui  constitue  son  incontestable  supériorité, 
consiste  à  étudier,  d'une  manière  entièrement  générale, 
les  diverses  questions  relatives  à  des  lignes  ou  à  des  sur- 
filées quelconques,  en  transformant  les  considérations  et 
les  recherches  géométriques  en  considérations  et  en  re- 


8  42  MATHÉMATIQUES. 

cherches  analytiques.  II  est  remarquable  que,  dans  les 
établissements,  môme  les  plus  justement  célèbres,  consa- 
crés à  la  haute  instruction  mathématique,  on  n'ait  point 
institué  de  cours  vraiment  dogmatique  de  géométrie  géné- 
rale, conçu  d'une  manière  à  la  fois  distincte  et  complète  (1). 
Cependant  une  telle  étude  est  la  plus  propre  à  manifester 
clairement  le  vrai  caractère  philosophique  de  la  science 
mathématique,  en  démontrant  avec  une  netteté  parfaite 
l'organisation  générale  de  la  relation  de  l'abstrait  au  con- 
cret dans  la  théorie  mathématique  d'un  ordre  quelconque 
de  phénomènes  naturels. 

Ces  considérations  indiquent  assez  quelle  peut  être, 
outre  son  extrême  importance  philosophique,  l'utilité 
spéciale  et  directe  de  l'exposition  à  laquelle  nous  conduit 
maintenant  le  plan  de  cet  ouvrage.  Il  s'agit  donc,  en  par- 
tant delà  conception  fondamentale  expliquée  dans  la  leçon 
précédente,  relativement  à  la  représentation  analytique  des 
formes  géométriques,  d'examiner  comment  les  géomètres 
sont  parvenus  à  réduire  toutes  les  questions  de  géométrie 
générale  à  de  pures  questions  d'analyse,  en  déterminant  les 
lois  analytiques  de  tous  les  phénomènes  géométriques, 
c'est-à-dire  les  modiflcations  algébriques  qui  leur  corres- 
pondent dans  les  équations  des  lignes  et  des  surfaces.  Je 
ne  m'occuperai  d'abord  que  des  courbes,  et  même  des 
courbes  planes,  réservant  pour  la  leçon  suivante  l'élude 

(l)  La  profonde  médiocrité  qu'on  observe  généralement  à  cet  égard,  sur- 
tout dans  renseignement  de  la  partie  élémentaire  des  mathématiques, 
quoique  deux  siècles  se  soient  écoulés  déjà  depuis  la  publication  de  la 
Géométrie  de  Descartes,  montre  combien  notre  éducation  mathématique 
ordinaire  est  encore  loin  de  correspondre  au  véritable  état  de  la  science; 
ce  qui  tient  sans  doute,  en  grande  partie,  on  ne  doit  pas  se  le  dissimuler, 
à  l'extrême  infériorité  de  la  plupart  des  personnes  auxquelles  on  confie 
un  enseignement  aussi  important,  sur  la  haute  direction  duquel  les  vé- 
ritables chefs  de  la  science  ne  sont  d'ailleurs  admis  à  exercer  aucune  in- 
fluence régulière  et  permanente. 


6Ê0MÉTRIB  A  DEUX  DIMENSIONS.  SIt 

générale  des  surfaces  et  des  courbes  à  double  courbure. 
L'esprit  de  cet  ouvrage  'prescrit  d'ailleurs  de  se  borner  à 
rezamen  philosophique  des  questions  générales  les  plus 
importantes,  et  surtout  d'écarter  toute  application  à  des 
former  particulières.  Le  but  essentiel  que  nous  devons  avoir 
en  vue  ici  est  seulement  de  constater  avec  précision  com- 
ment la  conception  fondamentale  de  Descartes  a  établi  le 
tjrstème  général  de  la  science  géométrique  sur  des  bases 
rationnelles  et  déûnitives.  Toute  autre  élude  rentrerait 
dans  un  traité  spécial  de  géométrie;  mais,  quant  à  celle-ci, 
elle  est  indispensable  pour  l'objet  que  nous  nous  propo- 
sons. On  peut  sans  doute  concevoir  à  priori,  comme  je  l'ai 
indiqué  dans  la  leçon  précédente,  qu'une  fois  le  sujet  des 
recherches  géométriques  représenté  analytiquement^  tous 
les  accidents  ou  phénomènes  quelconques  dont  il  est  sus- 
ceptible doivent  comporter  nécessairement  une  interpréta- 
tion semblable.  Mais  il  est  clair  qu'une  telle  considération 
ne  dispense  nullement,  même  sous  le  simple  rapport  phi- 
losophique, d'étudier  l'organisation  effective  de  cette  har- 
monie générale  entre  la  géométrie  et  l'aualyse,  dont  on  ne 
se  formerait  sans  cela  qu'une  idée  vague  et  confuse,  entiè- 
rement insuffisante. 

La  première  et  la  plus  simple  question  qu'on  puisse  se 
proposer  relativement  à  une  courbe  quelconque,  c'est  de 
connaître,  d'après  son  équation  (1),  le  nombre  de  points 
nécessaire  à  sa  détermination.  Outre  l'importance  propre 
d'une  telle  notion,  qui  n'est  pas  établie  jusqu'ici  d'une 
manière  assez  rationnelle,  je  crois  devoir  exposer  avec 
quelque  développement  la  solution  générale  de  ce  pro- 
blème élémentaire,  parce  qu'elle  me  semble  éminemment 

(i)  Je  considérerai  toujours,  pour  fixer  les  idées,  à  moins  d'avertisse- 
ment formol,  le  système  de  coordonnées  rectilignes  ordinaire,  soit  dans 
Otttte  leçon,  soit  dans  la  suivante. 


844  MATHÉMATIQUES. 

apte,  SOUS  le  rapport  de  la  méthode,  vu  I*extrôrae  simpli- 
cité des  considérations  analytiques  correspondantes,  à 
faire  saisir  le  véritable  esprit  de  la  géométrie  analytique, 
c'est-à-dire  la  corrélation  nécessaire  et  continue  entre  le 
point  de  vue  concret  et  le  point  de  vue  abstrait. 

Pour  résoudre  complètement  cette  question,  il  faut  dis- 
tinguer deux  cas,  suivant  que  la  courbe  proposée  est  dé- 
finie analytiquement  par  son  équation  la  plus  générale, 
c'est-à-dire  convenant  à  toutes  les  positions  de  la  courbe 
relativement  aux  axes,  ou  par  une  équation  particulière  et 
plus  simple,  qui  n'a  lieu  que  dans  une  certaine  situation 
de  la  courbe  à  l'égard  des  axes. 

Dans  le  premier  cas,  il  est  évident  que  la  condition,  de  la 
part  de  la  courbe,  de  devoir  passer  par  un  point  donné, 
équivaut  analytiquement  à  ce  que  les  constantes  arbitraires 
que  renferme  son  équation  générale  conservent  entre  elles 
la  relation  marquée  par  la  substitution  des  coordonnées 
particulières  de  ce  point  dans  cette  équation.  Chaque  point 
donné  imposant  ainsi  à  ces  constantes  une  certaine  condi- 
tion algébrique,  pour  que  la  courbe  soit  enlièrement  dé- 
terminée, il  faudra  donc  assigner  un  nombre  de  points  égal 
au  nombre  des  constantes  arbitraires  contenues  dans  son 
équation.  Telle  est  la  règle  générale.  Il  convient  cependant 
d'observer  qu'elle  pourrait  induire  en  erreur,  et  indi- 
quer un  nombre  de  points  trop  considérable,  si,  dans 
l'équation  proposée,  le  nombre  des  termes  distincts  ren- 
fermant les  constantes  arbitraires  était  moindre  que  celui 
de  ces  constantes,  auquel  cas  il  faudrait  évidemment  juger 
du  nombre  de  points  nécessaire  à  l'entière  détermination 
de  la  courbe,  seulement  par  celui  de  ces  termes,  ce  qui 
signifierait  géométriquement  que  les  constantes  considé- 
rées pourraient  alors  éprouver  certains  changements  sans 
qu'il  en  résultât  aucun  pour  la  courbe.  Tel  serait,  par 


GÉOMÉTRIE  A  DEUX   DIMENSIONS.  t45 

exemple,  le  cas  du  cercle,  si  on  le  déûnissait  comme  la 
courbe  décrite  par  le  sommet  d'un  angle  de  grandeur  in- 
yariable  qui  se  meut  de  manière  à  ce  que  chacun  de  ses 
côtés  passe  toujours  par  un  certain  point  ûxe.  Il  faut  donc, 
pour  plus  de  généralité,  compter  séparément  le  nombre 
des  constantes  entrant  dans  l'équation  de  la  courbe  pro- 
posée et  le  nombre  des  termes  qui  les  contiennent,  et  dé* 
terminer  combien  de  points  exige  Tentière  spéciQcatioa 
de  la  courbe  par  le  plus  petit  de  ces  deux  nombres,  à  moins 
qu'ils  ne  soient  égaux. 

Quand  une  courbe  n'est  primitivement  déOnie  que  par 
une  équation  du  genre  de  celles  que  nous  avons  nommées 
plus  haut  particulières^  on  pout,  à  Taide  d'une  transforma- 
tion invariable  et  fort  simple,  faire  rentrer  ce  cas  dans  le 
précédent,  en  généralisant  convenablement  l'équation  pro* 
posée.  Il  suffit,  pour  cela,  de  rapporter  la  courbe,  d'après 
les  formules  connues,  à  un  nouveau  système  d'axes,  dont 
la  situation  par  rapport  aux  premiers  soit  regardée  comme 
indéterminée.  Si  celte  transformation  ne  change  pas  essen- 
Uellement  la  composition  analytique  de  l'équation  primi- 
tive, ce  sera  la  preuve  que  celle-ci  était  déjà  sufQsamment 
générale  ;  dans  le  cas  contraire,  elle  le  sera  devenue,  et 
dès  lors  la  question  se  résoudra  facilemeiU  par  l'applica- 
tion de  la  règle  précédemment  établie.  On  peut  môme  re- 
marquer, pour  simpliûer  encore  davantage  cette  solution, 
que  celte  généralisation  de  l'équation  introduira  toujours, 
quelle  que  soit  l'équalion  primitive,  trois  nouvelles  con- 
stantes arbitraires,  savoir  :  les  deux  coordonnées  de  la  nou« 
▼elle  origine  et  l'inclinaison  des  nouveaux  axes  sur  les 
anciens;  en  sorte  que,  sans  eifectuer  le  calcul,  on  pourra 
connaître  le  nombre  des  constantes  arbitraires  qui  entre- 
raient dans  réquation  la  plus  générale,  et  par  suite  en  dé- 
duire directement  le  nombre  de  points  nécessaire  à  la 


846  MATHÉMATIQUES. 

détermination  de  la  courbe  proposée,  toutes  les  fois  du 
moins  qu'on  pourra  être  certain  d'avance,  ce  qui  a  lieu 
très-fréquemment,  que  le  nombre  des  termes  qui  contien- 
draient ces  constantes  ne  serait  pas  moindre  que  celui  des 
constantes  elles-mêmes. 

Afin  de  montrer  à  quel  degré  de  facilité  peut  parvenir  la 
solution  générale  de  cette  question,  il  importe  de  remar- 
quer que,  l'opération  analytique  prescrite  pour  la  résoudre 
se  réduisant  à  une  simple  énumération,  cette  énumération 
peut  être  faite  avant  môme  que  l'équation  de  la  courbe  soit 
obtenue,  et  d'après  sa  seule  définition  géométrique.  Il 
suffit,  en  effet,  d'analyser  cette  définition  sous  ce  point  de 
vue,  en  estimant  combien  de  points  donnés,  ou  de  droites 
données  soit  en  longueur,  soit  en  direction,  ou  de  cercles 
donnés^  etc.,  elle  exige  pour  l'entière  détermination  delà 
courbe  proposée.  Cela  posé,  on  saura  aussi  d'avance  com- 
bien il  devra  entrer  de  constantes  arbitraires  dans  l'équa- 
tion la  plus  générale  de  cette  courbe,  en  considérant  que 
cbaque  point  i\xe  donné  par  la  définition  en  introduira 
deux,  chaque  droite  donnée  également  deux,  chaque  lon- 
gueur donnée  une,  chaque  cercle  entièrement  donné 
trois,  etc.  On  pourra  donc  juger  immédiatement  par  là  du 
nombre  de  points  qu'exige  la  détermination  de  la  courbe, 
avec  autant  d'exactitude  que  si  l'on  avait  sous  les  yeux  son 
équation  générale  ;  à  cela  près  néanmoins  de  la  restriction 
indiquée  ci-dessus  pour  le  cas  où  le  nombre  des  termes 
renfermantles  constantes  arbitraires  serait  inférieurà  celui 
des  constantes  ;  restriction  qu'on  pourra  souvent  recon- 
nailre  comme  inapplicable,  si  l'analyse  de  la  définition 
proposée  a  montré  clairement  que  les  données  qu'elle 
prescrit  ne  pourraient  nullement  varier,  soit  isolément, 
soit  ensemble,  sans  qu'il  en  résultât  pour  la  courbe  un 
changement  quelconque.   Mais,   lorsque  cette  restriction 


GÉOMÉTRIE  A   DEUX  DIMENSIONS.  847 

devra  être  réellement  appliquée,  celle  considération  ne 
fournira  d'abord  qu'une  limite  supérieure  du  nombre  cher- 
chéy  qui  ne  pourra  être  alors  entièrement  connu  qu'en 
consultant  effectivement  l'équation  générale. 

J'ai  supposé  jusqu'ici  que  les  points  par  lesquels  on  veut 
déterminer  le  cours  d'une  ligne  fussent  absolument  quel- 
conques ;  mais,  pour  compléter  la  méthode,  il  faut  exa- 
miner le  cas  où  l'on  introduirait  parmi  eux  des  points  sin- 
guliers, c'est-à-dire  distincts  de  tous  les  autres  par  une 
propriété  caractéristique  quelconque,  comme  ce  que  l'on 
nomme  les  foyers  dans  les  sections  coniques,  les  sommets, 
les  centres,  les  points  d'inflexion  ou  de  rehroussement,  etc. 
Ces  points  ayant  tous  pour  caractère  d'être  uniques,  ou  du 
moins  déterminés,  dans  une  même  courbe,  leurs  deux 
coordonnées  sont  donc  chacune  une  fonction  déterminée, 
connue  ou  inconnue,  des  constantes  qui  spécifient  exacte- 
ment la  courbe  proposée.  Ainsi,  donner  un  seul  de  ces 
points,  c'est  imposer  à  ces  constantes  arbitraires  deux  con- 
ditions algébriques,  ce  qui,  par  conséquent,  équivaut  ana- 
lytiquement  à  donner  deux  points  ordinaires.  La  règle 
générale  et  fort  simple  se  réduit  donc,  à  cet  égard,  à 
compter  toujours  pour  deux  chaque  point  singulier,  par 
quelque  propriété  qu'il  puisse  être  défini  :  à  cela  près,  on 
rentrera  dans  la  loi  établie  ci-dessus. 

Toute  application  spéciale  de  la  théorie  générale  que  je 
viens  d'indiquer  serait  ici  déplacée.  Je  crois  cependant 
utile  de  remarquer,  au  sujet  de  cette  application,  que  le 
nombre  de  points  nécessaires  à  l'entière  détermination  de 
chaque  courbe,  quoique  constituant  une  circonstance  fort 
importante,  n'est  point  aussi  intimement  lié  qu'on  le  croi- 
rait d'abord,  soit  à  la  nature  analytique  de  l'équation,  soit 
à  la  forme  géométrique  de  la  ligne.  Ainsi,  par  exemple,  on 
trouve,  d'après  la  méthode  précédente  que  la  parabole 


I 

K   ■.    .   I 


848  HATHÉMATTQUBS. 

ordinaire,  et  môme  les  paraboles  de  tous  les  degrés,  la  lo- 
garithmique, la  cycIo!de,  la  spirale  d'Archimôde,  etc., 
exigeui  égafement  quatre  points  pour  leur  détermination, 
quoiqu'on  n'ait  pu  découvrir  jusqu'ici  aucune  autre  pro- 
priété commune  entre  des  courbes  aussi  différentes  sous 
le  rapport  analytique  que  sous  le  rapport  géométrique.  11 
est  néanmoins  vraisemblable  que  cette  analogie  ne  doit 
pas  être  entièrement  isolée. 

Je  choisirai,  comme  second  exemple  intéressant  piirmi 
les  questions  élémentaires  relatives  à  l'étude  générale  des 
lignes,  la  détermination  des  centres  dans  une  courbe  plane 
quelconque.  Le  caractère  géométrique  du  centre  d'une 
figure  étant,  en  général,  d*ôtre  le  milieu  de  toutes  les 
cordes  qui  y  passent,  il  en  résulte  évidemment  que,  si  l'on 
y  place  l'origine  du  système  des  coordonnées  rectîlignes, 
les  points  de  la  figure  auront,  deux  à  deux,  par  rapport  à 
une  telle  origine,  des  coordonnées  égales  et  de  signe  con- 
traire. On  peut  donc  reconnaître  immédiatement,  d'après 
l'équation  d'une  courbe  quelconque,  si  elle  a  pour  centre 
l'origine  actuelle  des  coordonnées,  puisqu'il  suffit  d'exa- 
miner si  cette  équation  n'est  point  altérée,  en  y  changeant 
à  la  fois  les  signes  des  deux  coordonnées  variables,  ce  qui 
exige,  dans  le  cas  où  il  n'y  entre  que  des  fonctions  algé- 
briques, rationnelles  et  entières,  que  les  termes  soient 
tous  de  degré  pair  ou  tous  de  degré  impair,  suivant  le 
degré  de  l'équation.  Cela  posé,  quand  un  tel  changement 
trouble  l'équation,  il  faut  déplacer  l'origine  d'une  manière 
indéterminée,  et  chercher  à  disposer  des  deux  constantes 
arbitraires  que  celte  transformation  introduit  dans  l'équa- 
tion pour  les  coordonnées  de  la  nouvelle  origine,  de  façon  à 
ce  que  l'équation  puisse  jouir,  relativement  aux  nouveaux 
axes,  de  la  propriété  précédente.  Si,  par  des  valeurs 
réelles  convenables  des  coordonnées  de  la  nouvelle  ori- 


GÉOMÉTRIE  A  DEUX   DIMENSIONS.  94» 

gine»  on  peut  faire  disparaître  tous  les  termes  qui  empo- 
chaient l'équation  de  présenter  ce  caractère  analytique» 
la  courbe  aura  un  centre  dont  ces  valeurs  feront  connaître 
la  position  :  dans  le  cas  contraire,  il  sera  constaté  que  la 
courbe  n'a  point  de  centre. 

Parmi  les  questions  de  géométrie  générale  à  deux  di^ 
mensions  dont  la  solution  complète  ne  dépend  que  de 
l'analyse  ordinaire,  je  crois  devoir  encore  indiquer  ici 
celle  qui  se  rapporte  à  la  détermination  des  conditions  de 
la  similitude  entre  des  courbes  quelconques  d'un  même 
genre^  c'est-à-dire  susceptibles  d'une  môme  déûnition  ou 
équation^  qui  ne  les  distingue  les  unes  des  autres  que  par 
les  diverses  valeurs  de  certaines  constantes  arbitraires  re- 
latives à  la  grandeur  de  chacune  d'elles.  Cetle  question, 
importante  en  elle-même,  a  d'autant  plus  d'intérêt  sous 
le  rapport  de  la  méthode,  que  le  phénomène  géométrique 
qu'il  s'agit  alors  de  caractériser  analytiquement  est  évi- 
demment purement  relatif  à  la  forme,  et  nullement  un 
phénomène  de  situation,  ce  qui,  comme  nous  l'avons  re- 
marqué dans  la  leçon  précédente,  donne  toujours  lieu  à 
des  difflcultés  spéciales  par  rapport  à  notre  système  de 
géométrie  analytique,  où  les  idées  de  position  sont  seules 
directement  considérées. 

L'emploi  de  l'analyse  diiférentielle  fournirait  immédia- 
tement la  solution  de  ce  problème  général,  en  étendant 
aux  courbes,- comme  il  convient,  la  définition  élémentaire 
de  la  similitude  pour  les  figures  rectilignes.  Il  surfirait,  en 
effet,  1*  de  calculer,  d'après  l'équation  de  chacune  des 
deux  courbes,  l'angle  de  contingence  en  un  point  quelcon- 
que, et  d'exprimer  que  cet  angle  a  la  même  valeur  dans 
les  deux  courbes  pour  des  points  correspondants;  â*  d'a- 
près l'expression  différentielle  générale  de  la  longueur 
d'un  élément  infiniment  petit  de  chaque  courbe,  d'espri- 


3  50  MATHÉMATIQUES. 

mer  que  les  éléments  homologues  des  deux  courbes  soot 
entre  eux  dans  un  rapport  constant.  Les  conditions  analyti- 
ques de  la  similitude  se  trouveraient  ainsi  dépendre  des 
deux  premières  fonctions  dérivées  de  l'ordonnée  rapportée 
à  l'abcisse;  mais  le  problème  peut  être  résolu  d'une  ma- 
nière beaucoup  plus  simple,  et  néanmoins  tout  aussi 
générale,  quoique  moins  directe,  par  le  simple  usage  de 
l'analyse  ordinaire. 

Pour  cela,  il  faut  d'abord  remarquer  une  propriété  élé- 
mentaire que  peuvent  toujours  présenter  deux  figures 
semblables  de  forme  quelconque,  quand  elles  sont  placées 
dans  une  situation  parallèlcj  c'est-à-dire  de  telle  façon 
que  tous  les  éléments  de  chacune  soient  respectivement 
parallèles  aux  éléments  homologues  de  l'autre,  ce  que 
la  similitude  permet  évidemment  de  faire  constamment. 
Dans  cette  situation,  il  est  aisé  de  voir  que,  si  on  joint 
deux  à  deux  par  des  droites  les  points  homologues  des 
deux  figures,  toutes  ces  lignes  de  jonction  concourront 
nécessairement  en  un  point  unique,  à  partir  duquel  leurs 
longueurs,  comptées  jusqu'à  l'une  et  à  l'autre  des  deux 
figures  semblables,  auront  entre  elles  un  rapport  cons- 
tant, égal  à  celui  des  deux  figures.  11  résulte  immédiate- 
ment de  cette  propriété,  considérée  sous  le  point  de  vue 
analytique,  que,  si  l'origine  des  coordonnées  rectilignes 
est  supposée  placée  au  point  particulier  dont  nous  venons 
de  parler,  les  points  homologues  des  deux  courbes  sem- 
blables auront  des  coordonnées  constamment  proportion- 
nelles, en  sorte  que  l'équation  de  la  première  courbe  de- 
vra rentrer  dans  celle  de  la  seconde,  en  y  changeant  x  en 
mx,  et  y  en  my,  m  étant  une  constante  arbitraire  égale  au 
rapport  linéaire  des  deux  figures.  Avec  des  coordonnées 
polaires  z  etcp,  dont  le  pôle  serait  placé  au  môme  point,  les 
deux  équations  deviendraient   identiques   en   changeant 


GÉOMÉTRIE  A   DEUX   DIMENSIONS.  351 

seulement  z  en  mz  dans  l'une  d'elles,  sans  changer  9.  La 
Térification  d'un  tel  caractère  algébrique  suffira  donc  évi- 
demment pour  constater  la  similitude.  Mais,  de  sa  non- 
vérification,  il  est  clair  qu'on  ne  devra  point  conclure 
immédiatement  la  dissimilitude  des  deux  courbes  compa- 
rées, puisque  l'origine  ou  le  pôle  pourraient  n'être  pas 
placés  au  point  unique  pour  lequel  cette  relation  a  lieu, 
ou  môme  que  les  deux  courbes  pourraient  n'être  pas  po- 
sées actuellement  dans  la  situation  parallèle.  Il  est  néan- 
moins facile  de  généraliser  et  de  compléter»  la  méthode 
sous  l'un  et  l'autre  de  ces  deux  rapports,  quoiqu'il  sem- 
ble d'abord  impossible  analyliquement  de  modiûer  la  si- 
tuation relative  de  deux  courbes.  11  suffira  pour  cela  de 
changer,  à  l'aide  des  formules  connues,  à  la  fois  l'origine 
et  la  direction  des  axes  si  les  coordonnées  sont  rectilignes, 
ou  le  pôle  et  la  direction  de  l'axe  si  elles  sont  polaires, 
mais  en  effectuant  cette  transformation  seulement  dans 
Tune  des  deux  équations.  On  cherchera  alors  à  disposer 
des  trois  constantes  arbitraires  introduites  parla,  pour  que 
cette  équation  ainsi  modifiée  présente,  relativement  à  l'au- 
tre, la  propriété  analytique  indiquée.  Si  cette  relation  peut 
ayoîr  lieu  d'après  certaines  valeurs  réelles  des  constantes 
arbitraires,  les  deux  courbes  seront  semblables  ;  sinon, 
leur  dissimilitude  sera  constatée. 

Quoiqu'il  ne  convienne  point  de  considérer  ici  aucune 
application  spéciale  de  la  théorie  précédente,  je  crois  ce- 
pendant utile  d'indiquer  à  ce  sujet  une  remarque  générale. 
Elle  consiste  en  ce  que,  toutes  les  fois  que  l'équation  d'une 
courbe,  simplifiée  le  plus  possible  par  la  disposition  des 
axes,  ne  renfermera  qu'une  seule  constante  arbitraire, 
toutes  les  courbes  de  ce  genre  seront  nécessairement  sem- 
blables entre  elles.  On  peut  augmenter  l'utilité  de  cette 
observation,  en  ce  que,  sans  considérer  même  l'équation 


1 51  HATUÉMATTQUES. 

de  la  courbe,  il  suffira  d'examiner,  dans  ce  cas^  si  sa  défi- 
nition géométrique  primitive  ne  fait  dépendre  que  d*une 
seule  donnée  Tenlière  détermination  de  sa  grandeur  (I). 
Quand,  au  contraire,  l'équation  la  plus  simple  de  la  courbe 
proposée  contiendra  deux  constantes  arbitraires  ou  davan- 
tage, ou,  ce  qui  est  exactement  équivalent,  lorsque  la  dé- 
finition fera  dépendre  sa  grandeur  de  plusieurs  données 
distinctes,  les  courbes  de  ce  genre  ne  pourront  être  sem- 
blables qu'à  l'aide  de  certaines  relations  entre  ces  cons- 
tantes ou  ces  données^  qui  consisteront  ordinairement  dans 
leur  proportionnalité.  C'est  ainsi  que  toutes  les  paraboles 
d'un  môme  degré,  d'ailleurs  quelconque,  sont  semblables 
entre  elles,  aussi  bien  que  toutes  les  logarithmiques,  toutes 
les  cyclo!des  ordinaires,  tous  les  cercles,  etc.  ;  tandis  que 
deux  ellipses  ou  deux  hyperboles,  par  exemple,  ne  sont 
semblables  qu'autant  que  leurs  axes  sont  proportionnels. 

Je  me  borne  à  ce  petit  nombre  de  questions  générales 
relatives  aux  lignes,  parmi  celles  dont  la  solution  complète 
dépend  seulement  de  l'analyse  ordinaire.  On  n'y  doit  pas 
comprendre  la  détermination  de  ce  qu'on  appelle  les 
foyers,  la  recherche  des  diamètresj  etc.,  et  plusieurs  autres 
problèmes  de  ce  genre,  qui,  bien  que  susceptibles  d'être 
proposés  et  résolus  pour  des  courbes  quelconques,  n'ont 
de  véritable  intérôt  qu'à  l'égard  des  sections  coniques. 
Relativement  aux  diamètres^  par  exemple,  c'est-à-dire  aux 
lieux  géométriques  des  milieux  d'un  système  quelconque 
de  cordes  parallèles,  il  est  aisé  de  former  une  méthode  gé- 
nérale pour  déduire  de  l'équation  d'une  courbe  l'équation 

(1)  Cette  propriété,  qui  est  une  conséquence  évidente  de  Ifttliéorie  indi- 
quée ci-d(S8U8,  pourrait  d'nllleurs être  établie  directement  par  une  consi- 
dération fort  f-impie.  H  sufiirait  de  remarquer  que,  dans  ce  cas,  les  di- 
verses courtjes  de  ce  genre  pourraient  coïncider  en  les  construisant  sur 
une  échelle  difTèrente,  d*où  n'sulte  clairement  leur  similitude  nécessaire. 


GÉOMÉTRIE  A  DEUX  DIMENSIOlfS.  S5t 

commune  de  tous  ses  diamètres.  Mais  une  telle  considéra- 
tion ne  peut  faciliter  Tétude  d'une  courbe  qu'autant  que  les 
diamètres  se  trouvent  être  des  lignes  plus  simples  et  plus 
connues  que  la  courbe  primitive;  et  môme  cette  recherche 
n'a  Traiment  une  grande  utilité  que  lorsque  tous  les  dia» 
mètres  sont  des  lignes  droites.  Or  c'est  ce  qui  n'a  lieu  que 
dans  les  courbes  du  second  degré.  Pour  toutes  les  autres, 
les  diamètres  sont,  en  général,  des  courbes  aussi  peu  con- 
nues et  souvent  môme  d'une  étude  plus  dimciie  que  la 
courbe  proposée.  C'est  pourquoi  je  ne  dois  point  ici  consi- 
dérer une  telle  question,  ni  aucune  autre  semblable,  quoi- 
que, dans  les  traités  spéciaux  de  géométrie  analytique,  il 
con\int  d'ailleurs  de  les  présenter  d'abord,  autant  que  pos- 
sible, sous  un  point  de  vue  entièrement  générai. 

Je  passe  donc  immédiatement  à  l'examen  des  théories  de 
géométrie  générale  à  deux  dimensions  qui  ne  peuvent  être 
complètement  établies  qu'à  l'aide  de  l'analyse  transcen- 
dante. 

La  première  et  la  plus  simple  d'entre  elles  consiste  dans 
la  détermination  des  tangentes  aux  courbes  planes.  Ayant 
eu  occasion,  dans  la  sixième  leçon,  d'indiquer  la  solution 
générale  de  cet  important  problème,  d'après  chacun  des 
divers  points  de  vue  fondamentaux  propres  à  l'analyse 
transcendante,  il  est  inutile  d'y  revenir  ici.  Je  ferai  seule- 
ment observer  à  ce  sujet  que  la  question  fondamentale  ainsi 
considérée  suppose  connu  le  point  de  contact  de  la  droite 
avec  la  courbe,  tandis  que  la  tangente  peut  être  déterminée 
par  plusieurs  autres  conditions,  qu'il  faut  alors  faire  ren- 
trer dans  la  précédente,  en  déterminant  préalablement  les 
coordonnées  du  point  de  contact,  ce  qui  est  ordinairement 
très-facile.  Ainsi,  par  exemple,  si  la  tangente  e^t  assujettie  à 
passer  par  un  point  donné  extérieur  à  la  courbe,  les  coor- 
données de  ce  point  devant  satisfaire  à  la  formule  générale 

A.  Comte.  Tome  I.  23 


854  MATHÉMATIQUES. 

de  réquation  de  la  tangenie  à  celle  courbe,  formule  qui 
contient  les  coordonnées  inconnues  du  point  de  contacti 
ce  dernier  point  sera  dét^erminé  par  une  telle  relation  com- 
binée avec  l'équation  de  la  courbe  proposée.  De  nnéme, 
si  la  tangente  cherchée  doit  être  parallèle  à  une  droite  don- 
née, il  faudra  égaler  le  coefUcienl  général  qui  marque  sa 
direction  en  fonctions  des  coordonnées  du  point  de  contact 
à  celui  qui  détermine  celle  de  la  droite  donnée,  et  la  com- 
binaison de  cette  condition  avec  l'équation  de  la  courbe 
fera  encore  connaître  ces  coordonnées. 

AOn  de  considérer  sous  un  point  de  vue  plus  étendu  les 
problèmes  relatifs  aux  tangentes,  il  peut  être  utile  d'expri- 
mer  distinctement  la  relation  qui  doit  exister  entre  les 
deux  constantes  arbitraires  contenues  dans  l'équation  gé- 
nérale d'une  ligne  droite  et  les  diverses  constantes  propres 
à  une  courbe  quelconque  donnée,  pour  que  la  droite  soit 
tangente  à  la  courbe.  A  cet  effet,  il  suffit  de  remarquer  que 
les  deux  constantes  par  lesquelles  se  trouve  fixée  à  chaque 
instant  la  position  de  la  tangente  étant  des  fonctions  con- 
nuesdes  coordonnées  du  point  de  contact,  l'élimination  de 
ces  deux  coordonnées  entre  ces  deux  formules  et  l'équa- 
tion de  la  courbe  proposée  fournira  une  relation  indépen- 
dante  du  point  de  contact  et  contenant  seulement  les  con- 
stantes des  deux  lignes,  qui  sera  le  caractère  analytique 
cherché  du  phénomène  d'un  contact  indéterminé.  On  se 
servirait,  par  exemple,  de  telles  expressions  pour  déter- 
miner une  tangente  commune  à  deux  courbes  données,  en 
calculant  les  deux  constantes  propres  à  cette  droite  d'après 
les  deux  relations  qu'entraînerait  ainsi  son  contact  avec 
l'une  et  l'autre  courbe. 

La  question  fondamentale  des  tangentes  est  le  point  de 
départ  de  plusieurs  autres  recherches  générales  plus  ou 
moins  importantes  relativement  aux  courbes,  qu'il  est  aisé 


GÉOMÉTRIE  A  DEUX   DIMENSIONS.  S55 

d'en  faire  dépendre.  La  plus  directe  et  la  plus  simple  de  ces 
questions  secondaires  consiste  dans  la  détermination  des 
asymptotes^  ou  du   moins  des  asymptotes  rectilignes,  les 
seules,  en  général,  qu'il  soit  intéressant  de  connaître,  parce 
qu'elles  seules  contribuent  réellement  à  faciliter  l'étude 
d'une  courbe.  On  sait  que  Vasymptote  est  une  droite  qui 
s'approche  indéfiniment  et  d'aussi  près  qu'on  veut  d*une 
courbe,  sans  cependant  pouvoir  jamais  l'atteindre  rigou- 
reusement. Elle  peut  donc  être  envisagée  comme  une  tan- 
gente dont  le  point  de  contact  s'éloigne  à  l'infini.  Ainsi, 
pour  la  déterminer,  il  suffit  de  supposer  inûnies  les  coor- 
données du  point  de  contact  dans  les  deux  formules  géné- 
rales qui  expriment,  d'après  l'équation  de  la  courbe,  en 
fonction  de  ces  coordonnées,  les  deux  constantes  par  les- 
quelles est  flxée  la  position  de  la  tangente.  Si  ces  deux 
constantes  prennent  alors  des  valeurs  réelles  et  compati- 
bles entre  elles,  la  courbe  donnée  aura  des  asymptotes  dont 
un  tel  calcul  fera  connaître  le  nombre  et  la  situation;  si 
ces  valeurs  sont  imaginaires  ou  incompatibles,  ce  sera  la 
preuve  que  la  courbe  proposée  n'a  point  d'asymptotes,  du 
moins  rcctilignes.  On  voit  que  cette  détermination  est  exac- 
tement analogue  à  celle  d'une  tangente  menée  par  un  point 
de  la  courbe  dont  les  coordonnées  seraient  unies.  Il  arri- 
vera seulement,  dans  un  assez  grand  nombre  de  cas,  que 
les  deux  valeurs  cherchées  se  présenteront  sous  une  forme 
indéterminée,  ce  qui  est  un  inconvénient  général  des  for- 
mules algébriques,  quoiqu'il  doive  sans  doute  avoir  lieu 
plus  fréquemment  en  attribuant  aux  variables  des  valeurs 
infinies.  Mais  on  sait  qu'il  existe  une  méthode  analytique 
générale  pour  estimer  la  vraie  valeur  de  toute  expression 
semblable;  il  suffira  donc  alors  d'y  recourir. 

On  peut  rattacher  aussi,  quoique  d'une  manière  beau- 
coup moins  directe,  à  la  théorie  des  tangentes^  la  théorie 


8S6  MATHEMATIQUES. 

tout  entière  des  divers  points  singuliers,  dont  la  détermi- 
nation contribue  éminemment  à  la  connaissance  de  toute 
courbe  qui  en  présente,  comme  les  points  d'inflexion,  les 
points  multiples,  les  points  de  rebroussement,  etc.  Relative- 
ment aux  points  d'inflexion,  par  exemple,  c'est-à-dire  à 
ceux  où  une  courbe  de  concave  devient  convexe^  ou  de 
convexe  concave,  il  faut  d'abord  examiner  le  caractère 
analytique  immédiatement  propre  à  la  concavité  ou  à  la 
convexité,  ce  qui  dépend  de  la  manière  dont  varie  la  direc- 
tion de  la  tangente.  Quand  la  courbe  est  concave  vers  l'axe 
des  abcisses,  elle  fait  avec  lui  un  angle  de  plus  en  plus  petit 
à  mesure  qu'elle  s'en  éloigne  ;  au  contraire,  lorsqu'elle  est 
convexe,  l'angle  qu'elle  fait  avec  l'axe  devient  de  plus  en 
plus  grand   en  s'en  écartant  davantage.  On  peut    donc 
directement  reconnaître,  d'après  l'équation  d'une  courbe, 
le  sens  de  sa  courbure  à  chaque  instant  :  il  sufQt  d'exami- 
ner si  le  coefficient  qui  marque  l'inclinaison  de  la  tangente, 
c'est-à-dire  la  fonction  dérivée  de  l'ordonnée,  prend  des 
valeurs  croissantes  ou  des  valeurs  décroissantes  à  mesure 
que  l'ordonnée  augmente  ;  dans  le  premier  cas,  la  courbe 
tourne  sa  convexité  vers  Taxe  des  abcisses;  dans  le  second, 
sa  concavité.  Gela  posé,  s'il  y  a  inflexion  en  quelque  point, 
c'est-à-dire  si  la  courbure  change  de  sens,  il  est  clair 
qu^en  ce  point  l'inclinaison  de  la  tangente  sera  devenue 
un  maximum  ou  un  minimum,  suivant  qu'il  s'agira  du  pas- 
sage de  la  convexité  à  la  concavité,  ou  du  passage  inverse. 
On  trouvera  donc  en  quels  points  ce  phénomène  peut  avoir 
lieu,  à  r<iide  de  la  théorie  ordinaire  des  maxima  et  minimà, 
dont  l'application  à  cette   recherche  apprendra  évidem- 
ment que,  pour  l'abcisse  du  point  d'inflexion,  la  seconde 
fonction  dérivée  de  l'ordonnée  proposée  doit  être  nulle, 
ce  qui  suffira  pour  déterminer  l'existence  et  la  position  de 
ce  point.  Cette  recherche  peut  ainsi  être  rattachée  à  la 


GÉOMÉTRIE  A   DEUX   DIMENSIONS.  357 

théorie  des  tangentes,  quoiqu'elle  soit  ordinairement  pré- 
sentée d'après  la  théorie  du  cercle  osculateur.  Il  en  serait 
de  même,  avec  plus  ou  moins  de  difficulté,  relativement 
à  tous  les  autres  points  singuliers. 

Un  second  problème  fondamental  que  présente  l'étude 
générale  des  courbes,  et  dont  la  solution  complète  exige 
UD  emploi  plus  étendu  de  l'analyse  transcendante,  est 
l'importante  question  de  la  mesure  de  la  courbure  des 
courbes  au  moyen  du  cercle  osculateur  en  chaque  point, 
dont  la  découverte  sufQrait  seule  pour  immortaliser  le 
nom  du  grand  Huyghens. 

Le  cercle  étant  la  seule  courbe  qui  présente  en  tous  ses 
points  une  courbure  uniforme,  d'autant  plus  grande  d'ail- 
leurs que  le  rayon  est  plus  petit,  quand  les  géomètres  se 
sont  proposé  de  soumettre  à  une  estimation  précise  la  cour- 
bure de  toute  autre  courbe  quelconque,  ils  ont  dû  naturel- 
lement la  comparer  en  chaque  point  au  cercle  qui  pouvait 
avoir  avec  elle  le  plus  intime  contact  possible,  et  qu'ils 
ont  nommé,  pour  cette  raison,  cercle  osculateur ,  afin  de  le 
distinguer  des  cercles  simplement  tangents^  qui  sont  en 
nombre  inûni  au  même  point  de  courbe,  tandis  que  le 
cercle  osculateur  est  évidemment  unique.  En  considérant 
cette  question  sous  un  autre  aspect,  ou  conçoit  que  la 
courbure  d'une  courbe  en  chaque  point  pourrait  aussi  être 
estimée  par  l'angle  plus  ou  moins  grand  de  deux  éléments 
consécutifs,  qu'on  appelle  angle  de  contingence.  Mais  il  est 
aisé  de  reconnaître  que  ces  deux  mesures  sont  nécessaire- 
ment équivalentes,  puisque  le  centre  du  cercle  osculateur 
sera  d'autant  plus  éloigné,  que  cet  angle  de  contingence 
sera  plus  obtus  :  on  voit  même,  sous  le  point  de  vue  ana- 
lytique, que  l'expression  du  rayon  de  ce  cercle  fournit  im- 
médiatement la  valeur  de  cet  angle.  D'après  cette  confort 
mité  évidente  des  deux  points  de  vue,  les  géomètres  ont 


858  MATHÉMATIQUES . 

dû  préférer  babituellement  la  considération  du  cercle 
osculateur,  comme  plus  étendue  et  se  prêtant  mieux  à  la 
déduction  des  autres  théories  géométriques  qui  se  ratta- 
chent à  cette  conception  fondamentale. 

Gela  posé,  la  manière  la  plus  simple  et  la  plus  directe 
de  déterminer  le  cercle  osculateur  consiste  à  Tenvisager, 
d'après  la  méthode  inûuitésimale  proprement  dite,  comme 
p<issant  par  trois  points  inûniment  voisins  de  la  courbe  pro- 
posée, ou,  en  d'autres  termes,  comme  ayant  avec  elle  deux 
éléments  consécutifs  communs,  ce  qui  le  distingue  nette- 
ment de  tous  les  cercles  simplement  tangents,  avec  les- 
quels la  courbe  n'a  qu'un  seul  élément  commun.  Il  résulte 
de  cette  notion,  en  ayant  égard  à  la  construction  néce:<saire 
pour  décrire  un  cercle  passant  par  trois  points  donnés, 
que  le  centre  du  cercle  osculateur^  ou  ce  qu'on  appelle  le 
centre  de  courbure  de  la  courbe  en  chaque  point,  peut  être 
regardé  comme  le  point  d'intersection  de  deux  normales 
inûniment  voisines,  en  sorte  que  la  question  se  réduit  à 
trouver  ce  dernier  point.  Or  cette  recherche  est  facile,  en 
formant,  d'après  l'équation  générale  de  la  tangente  à  une 
courbe  quelconque,  celle  de  la  normale  qui  lui  est  perpen- 
diculaire, et  faisant  ensuite  varier  d'une  quantité  infiniment 
petite,  dans  cette  dernière  équation^  les  coordonnées  du 
point  de  contact,  afin  de  passer  à  la  normale  infiniment 
voisine  :  la  détermination  de  la  solution  commune  à  ces 
deux  équations,  qui  sont  du  premier  degré  par  rapport 
aux  deux  coordonnées  du  point  d'intersection,  suffit  pour 
faire  trouver  les  deux  formules  générales  qui  expriment 
les  coordonnées  du  centre  de  courbure  d'une  courbe  en  un 
point  quelconque.  Ces  formules  une  fois  obtenues,  la  re- 
cherche du  nnyon  de  courbure  n'ofi*re  plus  aucune  diffi- 
culté, puisqu'elle  se  réduit  à  calculer  la  distance  de  ce 
centre  de  courbure  au  point  correspondant  de  la  courbe. 


GÉOMÉTRIE  A   DEUX  DI1|BNSI0NS.  S  69 

En  appelant  a,  6,  les  coordonnées  reclilignes  du  centre  de 
courbure  d'une  courbe  quelconque  en  un  point  dont  les 
coordonnées  sont  Xy  y,  et  nommant  r  le  rayon  de  courbe, 
on  trouve  par  celte  méthode  les  formules  connues  : 

On  conçoit  de  quelle  importance  est  la  détermination  du 
rayon  de  courbure,  et  combien  lu  discussion  de  la  manière 
générale  dont  il  varie  aux  différents  points  d'une  courbe 
doit  contribuer  à  la  connaissance  approfondie  de  cette 
courbe.  Cet  élément  a  surtout  ceci  de  très-remarquable, 
entre  tous  les  autres  sujets  ordinaires  de  recherches  dans 
la  géométrie  analytique,  qu'il  se  rapporte  directement,  par 
sa  nature,  à  la  forme  môme  de  la  courbe,  sans  dépendre 
aucunement  de  sa  position.  On  voit  que,  sous  le  rapport 
analytique,  il  exige  la  considération  simultanée  des  deux 
premières  fonctions  dérivées  de  l'ordonnée. 

La  théorie  des  centres  de  courbure  conduit  naturelle- 
ment à  l'importante  notion  des  développées,  qui  sont  main- 
tenant déQnies  comme  étant  les  lieux  géométriques  de  tous 
les  centres  de  courbure  de  chaque  courbe  en  ses  différents 
points,  quoiqu'au  contraire,  dans  la  conception  primi- 
tive de  cette  branche  de  la  géométrie,  Tluyghens  eût  dé- 
duit l'idée  du  cercle  osculateur  de  celle  de  la  développée, 
directement  envisagée  comme  engendrant  par  son  déve- 
loppenfient  la  courbe  primitive  ou  la  développante.  Il  est 
aisé  de  reconnaître  que  ces  deux  manières  de  voir  rentrent 
l'une  dans  l'autre.  Cette  développée  présente  évidemment, 


860  M  ATD  ÉM  ATIQUES . 

par  quelque  mode  qu'on  Toblienne,  deux  propriétés  géné- 
rales et  nécessaires  reiativemenl  à  la  courbe  quelconque 
dont  elle  dérive  :  la  première,  d'avoir  pour  tangentes  les 
normales  à  celle-ci  ;  et  la  seconde,  que  la  longueur  de  ses 
arcs  soit  égale  à  celle  des  rayons  de  courbure  correspon- 
dants de  la  développante.  Quant  au  moyen  d'obtenir  l'é- 
qualion  de  la  développée  d'une  courbe  donnée,  il  est  clair 
qu'entre  les  deux  formules  citées  ci-dessus  pour  exprimer 
les  coordonnées  du  centre  de  courbure,  il  suffit  d'éliminer, 
dans  chaque  cas,  les  coordonnées  x,  y,  du  point  corres- 
pondant de  la  courbe  proposée,  à  l'aide  de  l'équation  de 
cette  courbe  :  l'équation  en  a,  ê  qui  résultera  de  l'élimina- 
tion sera  celle  de  la  développée  demandée.  On  pourrait 
également  entreprendre  de  résoudre  la  question  inverse, 
c'est-à-dire  de  trouver  la  développante  d'après  la  dévelop- 
pée. Mais  il  faut  remarquer  qu'une  élimination  analogue  à 
la  précédente  ne  fournirait  alors,  pour  la  courbe  cherchée, 
qu'une  équation  contenant,  outre  a:  et  y,  les  deux  fonctions 
dérivées  5j»  ^-  en  sorte  qu'après  cette  analyse  prépara- 
toire, la  solution  complète  du  problème  exigerait  encore 
l'inlégration  de  cette  équation  différentielle  du  second  or- 
dre, ce  qui,  vu  l'extrême  imperfection  du  calcul  intégral, 
serait  le  plus  souvent  impossible,  si,  par  la  nature  propre 
d'une  telle  recherche,  la  courbe  demandée  ne  devait  point, 
comme  j'ai  eu  occasion  de  Tindiquer  dans  la  septième  le- 
çon, être  représentée  par  la  solution  singulièrey  que  la  sim- 
ple difi'érenliation  peut  toujours  faire  obtenir,  l'intégrale 
générale  ne  désignant  ici  que  le  système  des  cercles  oscu- 
lateurs,  dont  la  connaissance  n'est  point  l'objet  de  la  ques- 
tion proposée.  11  en  serait  de  même  toutes  les  fois  qu'on 
aurait  à  déterminer  une  courbe  d'après  une  propriété  quel- 
conque de  son  rayon  de  courbure.  Cet  ordre  de  questions 
est  exactement  analogue  aux  problèmes  plus  simples  qui 


GÉOMÉTRIE  A  DEUX   DIMENSIONS.  S61 

constituent  ce  que,  dans  rorigine  de  Tanalyse  transcen- 
dante, on  appelait  la  Méthode  inverse  des  tangentes,  où  l'on 
se  proposait  de  déternainer  une  courbe  par  une  propriété 
donnée  de  sa  tangente  en  un  point  quelconque. 

Par  des  considérations  géométriques  plus  ou  moins  com- 
pliquées, analogues  à  celle  qui  fournit  les  développées,  les 
géomètres  ont  déduit  d'une  même  courbe  primitive  quel- 
conque diverses  autres  courbes  secondaires,  dont  les  équa- 
tions peuvent  être  obtenues  d'après  des  procédés  sem- 
blables. Les  plus  remarquables  d'entre  elles  sont  les 
caustiques  par  réflexion  ou  par  réfraction^  dont  la  première 
idée  est  due  à  Tschirnaûs,  quoique  Jacques  Bernouilli  en 
ait  seul  établi  la  véritable  théorie  générale.  Ce  sont,  comme 
OD  sait,  des  courbes  formées  par  l'intersection  continuelle 
des  rayons  de  lumière  infiniment  voisins  qu'on  supposerait 
réfléchis  ou  réfractés  par  la  courbe  primitive.  En  partant 
de  la  loi  géométrique  de  la  réflexion  ou  de  la  réfraction  de 
la  lumière,  consistant  en  ce  que  Tangle  de  réflexion  est  égal 
à  l'angle  d'incidence,  ou  en  ce  que  le  sinus  de  l'angle  de 
réfraction  est  un  multiple  constant  et  connu  du  sinus  de 
l'angle  d'incidence,  il  est  évident  que  la  recherche  de  ces 
caustiques  se  réduit  à  une  pure  question  de  géométrie,  par- 
faitement semblable  à  celle  des  développées,  conçues 
comme  formées  par  l'intersection  continuelle  des  normales 
infiniment  voisines.  Le  problème  se  résoudra  donc  analy- 
tiquement  en  suivant  une  marche  analogue,  au  sujet  de 
laquelle  toute  autre  indication  serait  ici  superflue.  Le  cal- 
cul sera  seulement  plus  laborieux,  surtout  si  les  rayons 
incidents  ne  sont  pas  supposés  parallèles  entre  eux  ou  éma- 
nés d'un  môme  point. 

Les  développées,  les  caustiques  et  toutes  les  autres  li- 
gnes déduites  d'une  même  courbe  principale  à  l'aide  de 
constructions  analogues,  sont  formées  par  les  intersections 


862  MATHÉMATIQUES. 

continuelles  de  droites  infiniment  voisines  soumises  à  une 
certaine  loi.  Mais  on  peut  aussi,  en  généralisant  le  plus 
possible  cette  considération  géométrique,  concevoir  des 
courbes  produites  par  Tintersection  continuelle  de  cer- 
taines courbes  infiniment  voisines,  assujetties  à  une  môme 
loi  quelconque.  Cette  loi  consiste  ordinairement  en  ce  que 
toutes  ces  courbes  sont  représentées  par  une   équation 
commune,  d'ailleurs  quelconque,  d'où  elles  dérivent  suc- 
cessivement en  donnant  diverses  valeurs  à  une  certaine 
constante  arbitraire.  On  peut  alors  se  proposer  de  trouver  le 
lieu  géométrique  des  points  d'intersection  de  ces  courbes 
consécutives,    qui    correspondent  à    des  valeurs  infini- 
ment rapprochées  de  cette  constante  arbitraire   conçue 
comme  variant  d'une  manière  continue.  Leibnitz  a  imaginé 
le  premier  les  recherches  de  cette  nature,  qui  ont  ensuite 
été  fort  étendues  par  Clairaut  et  surtout  par  Lagrange. 
Pour  traiter  le  cas  le  plus  simple,  celui  que  je  viens  de  ca- 
ractériser exactement,  il  suffit  évidemment  de  différentier 
l'équation  générale  proposée  par  rapport  à  la  constante  ar- 
bitraire que  l'on  considère,  et  d'éliminer  ensuite  cette  con- 
stante entre  cette  équation  difTérenlielIe  et  l'équation  pri- 
mitive; on  obtiendra  ainsi,  entre  les  deux  coordonnées 
variables,  une  équation  indépendante  de  cette  constante, 
qui  sera  celle  de  la  courbe  cherchée,  dont  la  forme  diffé- 
rera souvent  beaucoup  de  celle  des  courbes  génératrices. 
Lagrange  a  établi,  au  sujet  de  celte  relation  géométrique, 
un  important  théorème  général,  en  montrant  que,  sous  le 
point  de  vue  analytique,  la  courbe  ainsi  obtenue  et  les  cour- 
bes génératrices  ont  nécessairement  une  môme  équation 
différentielle,  dont  l'intégrale  complète  représente  le  sys- 
tème des  courbes  génératrices,  tandis  que  sa  solution  sm- 
gulière  correspond  à  la  courbe  des  intersections. 
J'ai  considéré  jusqu'ici  la  théorie  de  la  courbure  des 


GÉOMÉTRIE  A  DEUX  DIMENSIONS.  S6S 

courbes  suivant  Tesprit  de  la  mélhode  inûnitésimale  pro- 
prement dite,  qui  s'adapte  en  effet  bien  plus  simplement 
qu'aucune  autre  à  toute  recherche  de  ce  genre.  La  concep- 
tion de  Lngrange,  relativement  à  l'analyse  transcendante, 
présentait  surtout^  par  sa  nature,  de  grandes  difûcultés 
spéciales  pour  la  solution  directe  d'une  telle  question, 
comme  je  l'ai  déjà  remarqué  dans  la  sixième  leçon.  Mais 
ces  difDcultés  ont  si  heureusement  excité  le  génie  de  La- 
grange,  qu'elles  l'ont  conduit  à  la  formation  de  la  théorie 
générale  des  contacts,  dont  l'ancienne  théorie  du  cercle 
osculateur  se  trouve  n'être  plus  qu'un  cas  particulier  fort 
simple.  11  importe  au  but  de  cet  ouvrage  de  considérer 
maintenant  cette  belle  conception,  qui  est  peut-être,  sous 
le  rapport  philosophique,  l'objet  le  plus  profondément  inté- 
ressant que  puisse  ofl'rir  jusqu'ici  la  géométrie  analytique. 
Comparons  une  courbe  quelconque  donnée  y  =  f{x)  k 
une  autre  courbe  variable  z  =  çp(x),  et  cherchons  à  nous 
former  une  idée  précise  des  divers  degrés  d'intimité  qui 
pourront  exister  entre  ces  deux  courbes,  en  un  point  com- 
mun, suivant  les  relations  qu'on  supposera  entre  la  fonc- 
tion f  et  la  fonction  /.  Il  suffira  pour  cela  de  considérer  la 
distance  verticale  des  deux  courbes  en  unautre  point  de  plus 
en  plus  rapproché  du  premier,  afin  de  la  rendre  successive- 
ment la  moindre  possible,  eu  égard  à  la  corrélation  des  deux 
fonctions.  Si  h  désigne  Taccroissement  qu'éprouve  l'abcisse 
en  passant  à  ce  nouveau  point,  cette  distance,  qui  est  égale 
à  la  difTérencedes  deux  ordonnées  correspondantes,  pourra 
être  développée,  d'après  la  formule  de  Taylor,  suivant  les 
puissances  ascendantes  de  k,  et  aura  pour  expression  la 
série  : 

D=  ^/-(x)  ~  ç'(x))  A  -h  {f"  W  -  9"  W)  ^ 
+  (/^''(«)-rw)f^-hetc. 


S64  MATHÉMATIQUES. 

En  concevant,  ce  qui  esl  évidemment  toujours  possible, 
h  tellement  petit,  que  le  premier  terme  de  cette  série  soit 
supérieur  à  la  somme  de  tous  les  autres,  il  est  clair  que  la 
courbe  z  aura  avec  la  courbe  y  un  rapprochement  d'autant 
plus  intime,  que  la  nature  de  la  fonction  variable  9  per- 
mettra de  supprimer  un  plus  grand  nombre  de  termes  dans 
ce  développement,  à  partir  du  premier.  Le  degré  d'inti- 
mité des  deux  courbes  sera  donc  exactement  apprécié, 
sous  le  point  de  vue  analytique,  par  le  nombre  plus  ou 
moins  grand  de  fonctions  dérivées  successives  de  leurs 
ordonnées  qui  auront  la  même  valeur  au  point  que  ron 
considère.  De  là,  l'importante  conception  générale  des 
divers  ordres  de  contacts  plus  ou  moins  parfaits,  dont  la 
notion  du  cercle  osculateur  comparé  aux  cercles  simple- 
ment tangents  n'avait  présenté  jusqu'alors  qu'un  seul 
exemple  particulier.  Ainsi,  après  la  simple  intersection,  le 
premier  degré  de  rapprochement  entre  deux  courbes 
a  lieu  quand  les  premières  dérivées  de  leurs  ordonnées 
sont  égales;  c'est  le  contact  du  premier  ordre^  ou  ce  qu'on 
appelle  ordinairement  le  simple  contact,  parce  qu'il  a  été 
longtemps  le  seul  connu.  Le  contact  du  second  ordre  exige 
de  plus  que  les  secondes  dérivées  des  fonctions  /*  et  f 
soient  égales  :  en  y  joignant  encore  l'agilité  de  leurs  troi- 
sièmes dérivées,  on  constitue  un  contact  du  troisième  ordre^ 
et  ainsi  de  suite  à  l'infini.  Au  delà  du  premier  ordre,  les 
contacts  portent  souvent  le  nom  d'osculations  du  premier 
ordre,  du  second  ordre,  etc. 

Les  contacts  du  premier  et  du  second  ordre  peuvent  être 
caractérisés  géométriquement  par  une  observation  fort 
simple,  en  ce  qu'il  en  résulte  évidemment  que  les  deux 
courbes  comparées  ont  au  point  commun,  dans  un  cas,  la 
même  tangente,  et,  dans  l'autre,  le  même  cercle  de  cour- 
bure, puisque  la  tangente  à  chaque  courbe  dépend  de  la 


GÉOMÉTRIE  A    DEUX   DIMENSIONS.  S65 

première  dérivée  de  son  ordonnée,  et  le  cercle  de  cour- 
bure, des  deux  premières  dérivées  successives.  Mais  cette 
considération  ne  conviendrait  plus  au  delà  du  second  ordre 
pour  déterminer  l'idée^géomélrique  du  contact.  L'igrange 
8*est  borné,  sous  ce  rapport,  à  assigner  le  caractère  gé- 
néral qui  résulte  immédiatement  de  l'analyse  ci-dessus 
indiquée,  et  qui  consiste  en  ce  que,  lorsque  la  courbe  z  est 

• 

déterminée  de  manière  à  avoir  avec  la  courbe  y  un  contact 
de  l'ordre  n,  produit  analytiquemenl  par  IV'gaiilé  de  toutes 
les  fonctions  dérivées  jusqu'à  celle  de  l'ordre  n,  aucune 
autre  courbez,  de  môme  nature  que  la  précédente,  mais 
qui  ne  satisferait  qu'à  un  moindre  nombre  de  conditions 
analytiques,  et  qui,  par  conséquent,  n'aurait  avec  la  courbe 
y  qu'un  contact  moins  intime,  ne  pourrait  passer  entre  les 
deux  courbes,  puisque  l'intervalle  de  celles-ci  a  reçu  la 
plus  petite  valeur  dont  il  était  susceptible  d'après  une  telle 
relation  des  deux  équations. 

Lorsqu'on  a  particularisé  la  nature  de  la  courbe  z  ainsi 
comparée  à  une  courbe  quelconque  donnée  y,  l'ordre  du 
contact  le  plus  intime  qu'elle  peut  avoir  avec  celle-ci  dé- 
pend évidemment  du  nombre  plus  ou  moins  grand  de 
constantes  arbitraires  que  renferme  son  équation  la  plus 
générale,  un  contact  de  l'ordre  n  exigeant  n-f-  i»  conditions 
analytiques  qui  ne  sauraient  être  remplies  qu'avec  un  pa- 
reil nombre  de  constantes  disponibles.  Par  conséquent, 
une  ligne  droite,  dont  l'équation  la  plus  générale  contient 
seulement  deux  constantes  arbitraires,  ne  peut  avoir  avec 
une  courbe  quelconque  qu'un  contact  du  premier  ordre  ; 
d'où  découle  la  théorie  ordinaire  des  tangentes.  L'équa- 
tion du  cercle  renfermant,  en  général,  trois  constantes  ar- 
bitraires, le  cercle  peut  avoir  avec  une  courbe  quelconque 
un  contact  du  second  ordre,  et  de  là  résulte,  comme  cas 
particulier,  l'ancienne  théorie  du  cercle  osculaleur.  En  con- 


866  MATHÉMATIQUES. 

sidérant  une  parabole,  comnfie  il  y  a  quatre  constantes 
arbitraires  dans  son  équation  la  plus  cooiplète  et  la  plus 
simple,  elle  eat  susceptible,  comparée  à  toute  autre  courbe, 
d'une  intimité  plus  proFonde,  qui  peut  aller  jusqu'au  con- 
tact du  troisième  ordre  :  de  même  une  ellipse  comporte- 
rait un  contact  du  quatrième  ordre,  etc. 

La  considération  précédente  est  propre  à  suggérer  une 
interprétation  géométrique  de  cette  théorie  générale  des 
contacts,  qui  me  semble  destinée  à  compléter  le  travail  de 
Lagrange,  en  assignant,  pour  défînir  directement  les  divers 
ordres  de  contacts,  un  caractère  concret  plus  simple  et 
plus  clair  que  celui  indiqué  par  Lagrange.  En  effet,  ce 
nombre  plus  ou  moins  grand  de  constantes  arbitraires 
contenues  dans  une  équation  a  pour  signification  géomé- 
trique, comme  nous  l'avons  établi  en  commençant  cette 
leçon,  le  nombre  des  points  nécessaires  à  l'entière  déter- 
mination de  la  courbe  correspondante,  lequel  se  trouve 
ainsi  marquer  le  degré  d'intimité  dont  cette  courbe  est 
susceptible  relativement  à  toute  autre.  Or,  d'un  autre  côté, 
la  loi  analytique  qui  exprime  ce  contact  par  l'égalité  d'ua 
pareil  nombre  de  dérivées  successives  des  deux  ordonnées, 
indique  évidemment  que  les  deux  courbes  ont  alors  autant 
de  points  infiniment  voisins  communs;  puisque,  d'après  la 
nature  des  différentielles,  il  est  clair  que  la  différentielle 
de  l'ordre  n  dépend  de  la  comparaison  de  n  -f-  i  i  ordonnées 
consécutives.  On  peut  donc  se  faire  directement  une  idée 
nette  des  divers  ordres  de  contacts,  en  disant  qu'ils  con- 
sistent dans  la  communauté  d'un  nombre  plus  ou  moins 
grand  de  points  infiniment  voisins  entre  les  deux  courbes. 
En  termes  plus  rigoureux,  on  définirait,  par  exemple^  Tel- 
lipse  osculatrice  au  troisième  ordre,  en  la  regardant  comme 
la  limite  vers  laquelle  tendraient  les  ellipses  passant  par 
cinq  points  de  la  courbe  proposée,  à  mesure  que  quatre 


GÉOMÉTRIE  A   DEUX   DIMENSIONS.  867 

de  ces  points  supposés  mobiles  se  rapprocheraient  indé- 
flnimenl  du  cinquième  supposé  flxe. 

Cette  théorie  générale  des  contacts  est  évidemment  pro- 
pre, par  sa  nature,  à  fournir  une  connaissance  de  plus  en 
plus  profonde  de  la  courbure  d'une  courbe  quelconque,  en 
lui  comparant  successivement  diverses  courbes  connues, 
susceplibles  d'un  contact  de  plus  en  plus  intime;  ce  qui 
permettrait  de  rendre  aussi  exacte  qu'on  voudrait  la  me- 
sure de  la  courbure,  en  changeant  convenablement  le 
terme  de  comparaison.  Ainsi,  il  est  clair,  d'après  les  con- 
sidérations précédentes,  que  l'assimilation  de  tout  arc  de 
courbe  inûniment  petit  à  un  arc  de  parabole  en  ferait  con- 
naître la  courbure  avec  plus  de  précision  que  par  l'emploi 
du  cercle  osculateur;  et  la  comparaison  avec  l'ellipse  pro- 
curerait encore  plus  d'exactitude,  etc.  ;  en  sorte  qu'en 
destinant  chaque  type  primitif  à  approfondir  l'étude  du 
type  suivant,  on  pourrait  perfectionner  à  Tinûni  la  théorie 
des  courbes.  Mais  la  nécessité  d'avoir  une  connaissance 
nette  et  familière  de  la  courbe  ainsi  adoptée  comme  unité 
de  courbure  détermine  les  géomètres  à  renoncer  à  cette 
haute  perfection  spéculative,  pour  se  contenter,  en  réalité, 
de  comparer  toutes  les  courbes  au  cercle  seulement,  en 
vertu  de  l'uniformité  de  courbure,  propriété  caractéris- 
tique du  cercle.  Aucune  autre  courbe,  en  effet,  ne  peut  être 
regardée,  sous  ce  rapport,  comme  assez  simple  et  assez 
connue  pour  pouvoir  être  utilement  employée,  quoique 
l'on  n'ignore  plus  que  le  cercle  n'est  pas  l'unité  de  cour- 
bure la  plus  convenable  abstraitement.  Lagrange  s'est  donc 
borné  déGnitivement  à  déduire  de  sa  conception  générale 
la  théorie  du  cercle  osculateur,  ainsi  présentée  sous  un 
point  de  vue  purement  analytique.  Il  est  môme  remar- 
quable que  de  cette  seule  considération  il  ait  pu  conclure 
avec  facilité  les  deux  propriétés  fondamentales  ci-dessus 


368  MATHÉMATIQUES. 

indiquées  pour  les  développées,  que  la  simple  analyse  pa- 
raissait d'abord  si  peu  propre  à  établir. 

J'ai  cru  devoir  considérer  la  théorie  des  contacts  des 
courbes  dans  sa  plus  grande  extension  spéculative,  afin 
d'en  faire  saisir  convenablement  le  véritable  caractère. 
Quoiqu'on  doive  la  réduire  finalement  à  la  seule  détermi- 
nation effective  du  cercle  osculateur,  il  y  a  sans  doute,  sous 
le  rapport  philosophique,  une  profonde  différence  entre 
concevoir  cette  dernière  considération,  pour  ainsi  dire, 
comme  le  dernier  terme  des  efforts  de  l'esprit  humain 
dans  l'étude  des  courbes,  ainsi  qu'on  le  faisait  avant  La- 
grange,  et  n'y  voir,  au  contraire,  qu'un  simple  cas  parti- 
culier d'une  théorie  générale  très-étendue,  à  l'examen 
duquel  on  doit  habituellement  se  borner,  ensachant  néan- 
moins que  d'autres  comparaisons  pourraient  perfectionner 
davantage  la  doctrine  géométrique. 

Après  avoir  envisagé  les  principales  questions  de  géomé- 
trie générale  relatives  aux  propriétés  des  courbes,  il  me 
reste  à  signaler  celles  qui  se  rapportent  aux  rectifications 
et  aux  quadratures,  dans  lesquelles  consiste  proprement, 
suivant  l'explication  donnée  dans  la  dixième  leçon,  le  but 
définitif  de  la  science  géométrique.  Mais,  ayant  eu  occasion 
précédemment  {voyez  la  sixième  leçon)  d'établir  les  fo^ 
mules  générales  qui  expriment,  à  l'aide  de  certaines  inté- 
grales, la  longueur  et  l'aire  d'une  courbe  plane  quelconque 
dont  l'équation  rcctiligne  est  donnée,  et  devant  d'ailleurs 
m'interdire  ici  toute  application  à  aucune  courbe  parti- 
culière, cette  partie  importante  du  sujet  se  trouve  suffi- 
samment traitée.  Je  me  bornerai  seulement  à  indiquer  les 
formules  propres  à  déterminer  l'aire  et  le  volume  des  corps 
produits  par  la  révolution  des  courbes  planes  autour  de 
leurs  axes. 

Supposons,   comme  on  peut   évidemment  toujours  le 


GÉOMÉTRIE  A    DEUX   DIMENSIONS.  869 

faire,  que  l'axe  de  rotation  soit  pris  pour  axe  des  abcisses  ; 
et,  suivant  l'esprit  de  la  méthode  inOnitésimale  propre- 
ment dite,  la  seule  bien  convenable  jusqu'ici  aux  recher- 
ches de  cette  nature ,  concevons  que  Tabcisse  augmente 
d'une  quantité  infiniment  petite  :  cet  accroissement  déter- 
minera dans  l'arc  et  dans  l'aire  de  la  courbe  des  augmen- 
tations dilTérentielles  analogues  qui  ,  par  la  révolution  au- 
tour de  l'axe,  engendreront  les  éléments  de  la  surface  et  du 
volume  cherchés.  Il  est  aisé  de  voir  que,  en  négligeant 
seulement  un  infiniment  petit  du  second  ordre  tout  au 
plus,  on  pourra  regarder  ces  éléments  comme  égaux  à  la 
surface  et  au  volume  du  tronc  de  cône  ou  du  cylindre  cor- 
respondant, ayant  pour  hauteur  la  différentielle  de  l'abcisse, 
et  pour  rayon  de  sa  base  l'ordonnée  du  point  considéré. 
D'après  cela,  en  appelant  «S  et  7  la  surface  et  le  volume 
demandé,  les  plus  simples  propositions  de  la  géométrie 
élémentaire  fourniront  immédiatement  les  équations  dif- 
férentielles générales 

Ainsi,  lorsque  la  relation  entre  y  ti  x  sera  donnée  dans 
chaque  cas  parlPculier,  les  valeurs  de  5  et  de  V  seront 
exprimées  par  les  deux  intégrales 


S  =  'i'KJyd8,     V=7r/y«rfx, 


prises  entre  les  limites  convenables.  Telles  sont  les  for- 
mules invariables  d'après  lesquelles,  depuis  Leibnitz,  les 
géomètres  ont  résolu  un  grand  nombre  de  questions  de 
ce  genre^  quand  les  progrès  du  calcul  intégral  l'ont 
permis. 

On  pourrait  aussi  comprendre  au  nombre  des  recherches 
de  géométrie  générale  à  deux  dimensions,  l'importante 
▲.  GoMTR.  Tome  I.  *4 


S7  0  MATHÉMATIQUES. 

détermiDation  des  <;eDtres  de  gravité  des  arcs  ou  des  aires 
appartenant  à  des  courbes  quelconques,  quoique  celte 
considération  ait  son  origine  dans  la  mécanique  ration- 
nelle. Car,  en  définissant  le  centre  de  gravité  comme  étant 
le  centre  des  moyennes  distances^  c'est-à-dire  un  point  dont 
la  distance  à  un  plan  ou  à  un  axe  quelconque  est  la  moyenne 
arithmétique  entre  les  distances  de  tous  les  points  du  corps 
à  ce  plan  ou  à  cet  axe,  il  est  clair  que  cette  question  de- 
vient purement  géométrique,  et  peut  être  traitée  sans 
aucun  recours  à  la  mécanique.  Mais,  malgré  une  telle  con- 
sidération, dont  nous  reconnaîtrons  plus  tard  l'importance 
pour  généraliser  suffisamment  et  avec  facilité  la  notion  da 
centre  de  gravité,  il  est  certain,  d'un  autre  côté,  que  la 
destination  essentielle  de  cette  recherche  doit  continuer  i 
la  faire  classer  plus  convenablement  parmi  les  questions 
de  mécanique  ;  quoique,  par  sa  nature  propre,  et  aussi  par 
le  caractère  analytique  de  la  méthode  correspondante, 
elle  appartienne  réellement  à  la  géométrie,  ce  qui  m'a  en- 
gagé à  l'indiquer  ici  par  anticipation. 

Telles  sont  les  principales  questions  fondamentales  dont 
se  compose  le  système  actuel  de  notre  géométrie  générale 
à  deux  dimensions.  On  voit  que,  sous  le  rapport  analytique, 
elles  peuvent  être  nettement  distinguées  en  trois  classes  : 
la  première,  comprenant  les  recherches  géométriques  qui 
dépendent  seulement  de  l'analyse  ordinaire;  la  seconde, 
celles  dont  la  solution  exige  l'emploi  du  calcul  difiéren- 
tiel  ;  la  troisième,  enfin,  celles  qui  ne  peuvent  être  résolues 
qu'à  l'aide  du  calcul  intégral. 

Il  nous  reste  maintenant  à  considérer  sous  le  même 
aspect,  dans  la  leçon  suivante,  l'ensemble  de  la  géométrie 
générale  à  trois  dimensions. 


QUATORZIÈME    LEÇON 

Sommaire.  —  De  la  géométrie  gêné?  aie  k  trois  dimensioDs. 


L'étude  des  surfaces  se  compose  d'une  suite  de  questions 
générales  exactement  analogues  à  celles  indiquées  dans  la 
leçon  précédente  par  rapport  aux  lignes.  Il  est  inutile  de 
considérer  ici  distinctement  celles  qui  ne  dépendent  que 
de  l'analyse  ordinaire,  car  elles  se  résolvent  par  des  mé- 
thodes essentiellement  semblables;  soit  qu'il  s'agisse  de 
connaître  le  nombre  des  points  nécessaires  à  l'entière  dé- 
termination d'une  surface,  soit  qu'on  s'occupe  de  la  re-* 
cherche  des  centres,  soit  qu'on  demande  les  conditions 
précises  de  la  similitude  entre  deux  surfaces  du  môme 
genre,  etc.  Il  n'y  a  d'autre  différence  analytique  que  d'en- 
visager les  équations  à  trois  variables  au  lieu  d'équations 
à  deux  variables.  Je  passe  donc  immédiatement  aux  ques- 
tions qui  exigent  l'emploi  de  l'analyse  transcendante,  en 
insistant  seulement  sur  les  considérations  nouvelles  qu'elles 
représentent  relativement  aux  surfaces. 

La  première  théorie  générale  est  celle  des  plans  tan- 
gents. En  se  servant  de  la  méthode  infinitésimale  propre- 
ment dite,  on  peut  aisément  trouver  l'équation  du  plan 
qui  touche  une  surface  quelconque  en  un  point  donné,  et 
qui  est  alors  défini  comme  coïncidant  avec  la  surface  dans 
une  étendue  infiniment  petite  tout  autour  du  point  de 
contact.  11  suffit,  en  effet,  de  considérer  que,  afin  de  rem- 
plir une  telle  condition,  l'accroissement  infiniment  petit 


87i  MATHÉMATIQUES. 

reçu  par  l'ordonnée  verticale  en  résultat  des  accroisse- 
ments infiniment  petits  des  deux  coordonnées  horizon- 
tales, doit  être  le  même  pour  le  plan  que  pour  la  surface, 
et  cela  indépendamment  d'aucune  relation  déterminée 
entre  ces  deux  derniers  accroissements,  sans  quoi  la  coïn- 
cidence n'aurait  pas  lieu  en  tout  sens.  D'après  cette  idée, 
l'analyse  donne  immédiatement  l'équation  générale  : 

pour  celle  du  plan  tangent,  af,y\z\  désignant  les  coor- 
données du  point  de  contact.  La  détermination  de  ce  plan, 
dans  chaque  cas  particulier,  se  trouve  ainsi  réduite  à  une 
simple  diflérentiation  de  l'équation  de  la  surface  proposée. 
-    On  peut  aussi  obtenir  cette  équation  générale  du  plan 
tangent,  en  faisant  dépendre  sa  recherche  de  la  seule 
théorie  des  tangentes  aux  courbes  planes.  Il  faut,  pour 
cela,  considérer  ce  plan,  ainsi  qu'on  le  fait  habituellement 
en  géométrie  descriptive,  comme  déterminé  par  les  tan- 
gentes à  deux  sections  planes  quelconques  de  la  surface 
passant  au  point  donné.  En  choisissant  les  plans  de  ses 
sections  parallèles  à  deux  des  plans  coordonnés,  on  par- 
vient sur-le-champ  à  l'équation  précédente.  Cette  manière 
de  concevoir  le  plan  tangent  donne  lieu  d'établir  facile- 
ment un  important  théorème  de  géométrie  générale,  que 
Monge  a  démontré  le  premier,  et  qui  consiste  en  ce  que 
les  tangentes  à  toutes  les  courbes  qu'on  peut  tracer  en  un 
même  point  sur  une  surface  quelconque  sont  toujours 
comprises  dans  un  môme  plan. 

Enfin,  il  est  encore  possible  de  parvenir  à  l'équation  gé- 
nérale du  pian  tangent  en  le  considérant  coinme  perpen- 
diculaire à  la  normale  correspondante,  et  définissant  celle- 
ci  par  sa  propriété  géométrique  directe  d'être  le  chemin 


GÉOMÉTRIE  A   TROIS  DIMENSIONS.  378 

maximum  ou  minimum  pour  aller  d'un  point  extérieur  à  la 
surface.  La  mélhode  ordinaire  des  maxima  et  minima  sufût 
pour  former,  d'après  cette  notion,  les  deux  équations  de  la 
normale,  en  appliquant  cette  méthode  à  l'expression  de  la 
distance  entre  deux  points,  l'un  situé  sur  la  surface,  l'autre 
extérieur,  dont  le  premier,  conçu  comme  variable,  est  en- 
suite supposé  fixe  quand  les  conditions  analytiques  ont  été 
exprimées,  tandis  que  le  second,  primitivement  constant, 
est  alors  envisagé  comme  mobile,  et  décrit  la  droite  cher- 
chée. Les  équations  de  la  normale  une  fois  obtenues,  on 
en  déduit  aisément  celle  du  plan  tangent.  Cette  ingénieuse 
manière  de  l'établir  est  également  due  à  Monge. 

La  question  fondamentale  que  nous  venons  d'examiner 
devient,  comme  dans  le  cas  des  courbes,  la  base  d'un 
grand  nombre  de  recherches  relatives  à  la  détermination 
du  plan  tangent,  lorsqu'on  remplace  le  point  de  contact 
donné  par  d'autres  conditions  équivalentes.  Le  plan  tan- 
gent ne  peut  point  évidemment  être  déterminé  par  un 
seul  point  donné  extérieur,  comme  Test  la  tangente  :  il 
faut  l'assujettir  à  contenir  une  droite  donnée;  à  cela  près, 
l'analogie  est  parfaite,  et  les  deux  questions  se  résolvent  de 
la  môme  manière.  Il  en  est  de  môme  si  le  plan  tangent  doit 
ôtre  parallèle  à  un  plan  donné,  ce  qui  fixe  la  valeur  des 
deux  constantes  qui  assignent  sa  direction,  et  par  suite  dé- 
termine les  coordonnées  du  point  de  contact,  dont  ces 
constantes  sont,  pour  chaque  surface  désignée,  des  fonc- 
tions connues.  Enfin  on  peut  aussi  trouver,  comme  dans  les 
courbes,  la  relation  analytique  qui  exprime  généralement 
le  simple  phénomène  du  contact  entre  un  plan  et  une  sur- 
faeCy  sans  spécifier  le  lieu  de  ce  contact;  d'où  résulte  pa- 
reillement la  solution  de  plusieurs  questions  relatives  aux 
plans  tangents,  entre  autres  celle  qui  consiste  à  déterminer 
un  plan  qui  touche  à  la  fois  trois  surfaces  quelconques 


174  MATHEMATIQUES. 

données,  recherche  analogue  à  celle  de  la  tangente  com- 
mune à  deux  courbes. 

La  théorie  générale  des  contacts  plus  ou  moins  intimes 
qui  peuvent  exister  entre  deux  surfaces  quelconques  par 
suite  des  relations  plus  ou  moins  nombreuses  de  leurs 
équations,  se  forme  d'après  une  méthode  exactement  sem- 
blable à  celle  indiquée  dans  la  leçon  précédente  relative- 
ment aux  courbes,  en  exprimant,  à  l'aide  de  la  série  de 
Taylor  pour  les  fonctions  de  deux  variables,  la  distance 
verticale  des  deux  surfaces  en  un  second  point  voisin  de 
leur  point  d'intersection,  et  dont  les  coordonnées  hori- 
zontales auraient  reçu  deux  accroissements  h  et  k  entière- 
ment indépendants  l'un  de  Tautre.  La  considération  de 
cette  distance,  développée  selon  les  puissances  croissantes 
de  h  et  A:,  et  dans  l'expression  de  laquelle  on  supprimera 
successivement  les  termes  du  premier  degré  en  h  et  Ar,  en- 
suite ceux  du  second^  etc.,  déterminera  les  conditions  ana- 
lytiques des  contacts  de  différents  ordres  que  peuvent  avoir 
les  deux  surfaces  suivant  le  plus  ou  moins  grand  nombre 
de  constantes  arbitraires  contenues  dans  l'équation  gé- 
nérale de  celle  qu'on  regarde  comme  variable.  Mais, 
malgré  la  conformité  de  méthode,  cette  théorie  présentera 
avec  celle  des  courbes  une  différence  fondamentale  relati- 
vement au  nombre  de  ces  conditions,  par  suite  de  la  né- 
cessité où  l'on  se  trouve  dans  ce  cas  de  considérer  deux 
accroissements  indépendants  au  lieu  d'un  seul.  Il  en  ré- 
sulte, en  efl'et,  que,  afin  que  chaque  contact  ait  lieu  dans 
tous  les  sens  possibles  autour  du  point  commun,  on  doit 
annuler  séparément  tous  les  différents  termes  du  môme 
degré  correspondant,  et  dont  le  nombre  augmentera  d'au- 
tant plus  que  ce  degré  ou  l'ordre  du  contact  sera  plus 
élevé.  Ainsi,  après  la  condition  de  l'égalité  des  deux  or- 
données verticales  z,  nécessaire  pour  la  simple  intersec- 


GÉOMÉTRIE  A  TROIS  DIMENSIONS.  87 S 

tien,  on  trouvera  que  le  contact  du  premier  ordre  exige, 
en  outre»  deux  relations  distinctes,  consistant  dans  l'éga- 
lité respective  des  deux  fonctions  dérivées  partielles  du 
premier  ordre  propres  à  chaque  ordonnée  verticale.  En 
passant  au  contact  du  second  ordre,  il  faudra  ajouter  encore 
trois  nouvelles  conditions,  à  cause  des  trois  termes  dis- 
tincts du  second  degré  en  A  et  k  dans  l'expression  de  la 
distance,  et  dont  la  suppression  complète  exigera  l'égalité 
respective  des  trois  fonctions  dérivées  partielles  du  second 
ordre  relatives  au  z  de  chaque  surface.  On  trouvera  de  la 
même  manière  que  le  contact  du  troisième  ordre  donne 
lieu  en  outre  à  quatre  autres  relations,  et  ainsi  de  suite, 
le  nombre  des  dërivées^  partielles  de  chaque  ordre  restant 
constamment  égal  au  nombre  de  termes  en  A  et  /:  du  degré 
correspondant.  Il  est  aisé  d'en  conclure,  en  général,  que 
le  nombre  total  des  conditions  distinctes  nécessaires  au 

contact  de  l'ordre  n,   a  pour  valeur  (îLliy^Jtiî^   tandis 

que,  dans  les  courbes,  il  était  simplement  égal  à  n  -^  1. 

Par  suite  de  cetle  seule  différence  essentielle^  la  théorie 
des  surfaces  est  loin  d'offrir  à  cet  égard  la  môme  facilité 
et  de  comporter  la  môme  perfection  que  celle  des  courbes. 
Quand  on  se  borne  au  contact  du  premier  ordre,  il  y  a 
parité  complète,  puisque  ce  contact  n'exige  que  trois  con- 
ditions, auxquelles  on  peut  toujours  satisfaire  à  l'aide  des 
trois  constantes  arbitraires  que  renferme  l'équation  géné- 
rale d'un  plan;  de  là  résulte,  comme  cas  particulier,  fa 
théorie  des  plans  tangents,  exactement  analogue  à  celle 
des  tangentes  aux  courbes,  et  présentant  la  môme  utilité 
pour  étudier  la  forme  d'une  surface  quelconque.  Mais  il 
n'en  est  plus  ainsi  lorsqu'on  considère  le  contact  du  second 
ordre,  afin  de  mesurer  la  courbure  des  surfaces.  11  serait 
naturel  alors  de  comparer  toutes  les  surfaces  à  la  sphère, 


176  MATUÉMATIQUES. 

la  seule  qui  présente  une  courbure  uniforme,  comme  on 
compare  toutes  les  courbes  au  cercle.  Or,  le  contact  da 
second  ordre  entre  deux  surfaces  exigeant  six  conditions, 
tandis  que  l'équation  la  plus  générale  d'une  sphère  con- 
tient seulement  quatre  constantes  arbitraires,  il  n'est  pas 
possible  de  trouver,  en  chaque  point  d'une  surface  quel- 
conque, une  sphère  qui  soit  complètement  osculalrice  en 
tout  sens,  au  lieu  que  nous  avons  vu  un  arc  de  courbe  in- 
finiment petit  pouvoir  toujours  être  assimilé'à  un  certain 
arc  de  cercle.  D'après  celte  impossibilité  de  mesurer  la 
courbure  d'une  surface  en  chaque  point  à  l'aide  d'une 
seule  sphère,  les  géomètres  ont  déterminé  les  coordonnées 
du  centre  et  le  rayon  d'une  sphère  qui,  au  lieu  d'être  oscu- 
lalrice en  tout  sens  indistinctement,  le  serait  seulement 
dans  une  certaine  direction  particulière,  correspondante 
à  un  rapport  donné  entre  les  deux  accroissements  heik. 
Il  suffit  alors,  en  effet,  pour  établir  ce  contact  du  second 
ordre  relatifs  d'ajouter,  aux  trois  conditions  ordinaires  du 
contact  du  premier  ordre^  la  condition  unique  qui  résulte 
de  la  suppression  totale  des  termes  du  second  degré  en 
h  eik  envisagés  collectivement,  sans  qu'il  soit  nécessaire 
de  les  annuler  chacun  séparément  ;  le  nombre  des  rela- 
tions se  trouve  par  là  seulement  égal  à  celui  des  constantes 
disponibles  renfermées  dans  l'équation  générale  de  la 
sphère,  qui  est  ainsi  déterminée.  Ce  procédé  se  réduit 
proprement  à  étudier  la  courbure  d'une  surface  en  chaque 
point  par  celle  des  différentes  courbes  que  tracerait  sur 
cette  surface  une  suite  de  plans  menés  par  la  normale  cor- 
respondante. 

D'après  la  formule  générale  qui  exprime  le  rayon  de 
courbure  de  chacune  de  ces  sections  normales  en  fonction 
de  sa  direction,  Euler,  auquel  est  essentiellement  due  toute 
cette  théorie,  a  découvert  plusieurs  théorèmes  importants 


GÉOMÉTRIE  A  TROIS   DIMENSIONS.  177 

relatifs  à  ane  surface  quelconque.  Il  a  d'abord  aisément 
établi  que,  parmi  toutes  les  sections  normales  d'une  sur* 
face  en  un  môme  point,  on  en  pouvait  distinguer  deux  prin- 
cipales, dont  la  courbure,  comparée  à  celle  de  toutes  les 
autres,  était  un  minimum  pour  la  première,  et  un  maximum 
pour  la  seconde,  et  dont  les  plans  présentent  cette  cir- 
constance remarquable  d'être  constamment  perpendicu- 
laires entre  eux.  11  a  fait  voir  ensuite  que,  quelle  que  pût 
être  la  surface  proposée,  et  sans  qu'il  fût  môme  nécessaire 
de  la  définir,  la  courbure  de  ces  deux  sections  principales 
suffisait  seule  pour  déterminer  complètement  celle  d'une 
autre  section  normale  quelconque,  à  Taide  d'une  formule 
invariable  et  très-simple,  d'après  l'inclinaison  du  plan  de 
cette  section  sur  celui  de  le  section  de  plus  grande  ou  de 
plus  petite  courbure.  En  considérant  cette  formule  comme 
l'équation  polaire  d'une  certaine  courbe  plane,  il  en  a  dé- 
duit une  ingénieuse  construction,  éminemment  remarqua- 
ble par  sa  généralité  et  par  sa  simplicité.  Elle  consiste  en 
ce  que,  si  l'on  construit  une  ellipse  telle  que  les  distances 
d'un  de  ses  foyers  aux  deux  extrémités  du  grand  axe  soient 
égales  aux  deux  rayons  de  courbure  maximum  et  minimum^ 
le  rayon  de  courbure  de  toute  autre  section  normale  sera 
égal  à  celui  des  rayons  vecteurs  de  l'ellipse  qui  fera  avec 
l'axe  un  angle  double  de  Tinclinaison  du  plan  de  cette  sec- 
tion sur  celui  d'une  des  sections  principales.  Cette  ellipse 
86  change  en  une  hyperbole  construite  de  la  môme  manière, 
quand  les  deux  sections  principales  ne  tournent  pas  leur 
concavité  dans  le  môme  sens  ;  enfin  elle  devient  une  para- 
bole, lorsque  la  surface  est  du  genre  de  celles  qui  peuvent 
être  engendrées  par  une  ligne  droite,  ou  qu'elle  présente 
une  inflexion  au  point  que  l'on  considère.  De  cette  belle 
propriété  fondamentale,  on  a  conclu  plus  tard  un  grand 
nombre  de  théorèmes  secondaires  plus  ou  moins  intéres- 


M 


878  MATHÉMATIQUES. 

sants,  que  ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'indiquer.  Je  dois  seule- 
ment  signaler  le  théorème  essentiel  par  lequel  Meunier  a 
complété  le  travail  d'Ëuler,  en  rattachant  la  courbure  de 
toutes  les  courbes  quelconques  qui  peuvent  être  tracées 
sur  une  surface  en  un  même  point,  à  celle  des  sections 
normales,  les  seules  qu'Euler  eût  considérées.  Ce  théo- 
rème consiste  en  ce  que  le  centre  de  courbure  de  toute 
section  oblique  peut  être  envisagé  comme  la  projection  sur 
le  plan  de  cette  section,  du  centre  de  courbure  correspon- 
dant à  la  section  normale  qui  passerait  par  la  même  tan- 
gente :  d'où  Meunier  a  déduit  une  construction  fort  simple, 
d'après  laquelle,  par  l'emploi  d'un  cercle  analogue  à  l'el- 
lipse d'Ëuler,  on  détermine  la  courbure  des  sections  obli- 
ques, connaissant  celle  des  sections  normales;  en  sorte  que, 
par  la  combinaison  des  deux  théorèmes,  la  seule  courbure 
des  deux  sections  normales  princtijales  suffit  pour  obtenir 
celle  de  toutes  les  autres  courbes  qu'on  peut  tracer  sur 
une  surface  d'une  manière  quelconque  en  ehaque  point 
considérée. 

La  théorie  précédente  permet  d'étudier  complètement, 
point  par  point,  la  courbure  d'une  surface  quelconque. 
Afin  de  lier  plus  aisément  entre  elles  les  considérations 
relatives  aux  divers  points  d'une  môme  surface,  les  géo- 
mètres ont  cherché  à  déterminer  ce  qu'ils  appellent  les 
lignes  de  courbure  d'une  surface,  c'est-à-dire  celles  qui 
jouissent  de  la  propriété  que  les  normales  consécutives  à 
la  surface  peuvent  y  être  regardées  comme  comprises  dans 
un  même  plan.  En  chaque  point  d'une  surface  quelconque, 
il  existe  deux  de  ces  lignes,  qui  se  trouvent  être  constam- 
ment perpendiculaires  entre  elles,  et  dont  les  directions 
coïncident  à  leur  origine  avec  celles  des  deux  sections 
normales /}rmcî]pa/^s  considérées  ci-dessus,  ce  qui  peut  dis- 
penser d'envisager  distinctement  ces  dernières.  La  déter- 


GÉOMÉTRIE  A  TROIS  DIMENSIONS.  379 

mination  de  ces  lignes  de  courbures  s'effectue  très-simpie- 
ment  sur  les  surfaces  les  plus  usuelles,  telles  que  les 
surfaces  cylindriques,  coniques  et  de  révolution.  Cette 
nouvelle  considération  fondamentale  est  d'ailleurs  devenue 
le  point  de  départ  de  plusieurs  autres  recherches  générales 
moins  importantes,  comme  celle  des  surfaces  de  courbure^ 
qui  sont  les  lieux  géométriques  des  centres  de  courbure 
des  diverses  sections  principales;  celle  des  surfaces  déve- 
loppables  formées  parles  normales  à  la  surface  menées  aux 
diff'érents  points  de  chaque  ligne  de  courbure,  etc. 

Pour  terminer  l'examen  de  la  théorie  de  la  courbure,  il 
me  reste  à  indiquer  sommairement  ce  qui  se  rapporte  aux 
courbes  à  doubk  courbure  y  c'est-à-dire  à  celles  qui  ne  peu- 
vent être  contenues  dans  un  plan. 

Quant  à  la  détermination  de  leurs  tangentes,  elle  n'offre 
évidemment  aucune  difûculté.  Si  la  courbe  est  donnée  ana- 
lytiquement  par  les  équations  de  ses  projections  sur  deux 
des  plans  coordonnées,  les  équations  de  sa  tangente  seront 
simplement  celles  des  tangentes  à  ces  deux  projections,  ce 
qui  fait  rentrer  la  question  dans  le  cas  des  courbes  planes. 
Si,  sous  un  point  de  vue  plus  général,  la  déflnition  analy- 
tique delà  courbe  consiste,  ainsi  que  l'indique  la  douzième 
leçon,  dans  le  système  des  équations  des  deux  surfaces 
quelconques  dont  elle  serait  Tintersection,  on  regardera 
la  tangente  comme  étant  Tinterseclion  des  plans  tangents 
à  ces  deux  surfaces,  et  le  problème  sera  ramené  à  celui  du 
plan  tangent,  résolu  ci-dessus. 

La  courbure  des  courbes  de  cetle  nature  donne  lieu  à 
l'établissement  d'une  notion  nouvelle  fort  importante.  En 
effet,  dans  une  courbe  plane,  la  courbure  se  trouve  être 
suffisamment  appréciée  en  mesurant  l'inflexion  plus  ou 
moins  grande  des  éléments  consécutifs  les  uns  sur  les  au- 
tres^ qui  est  estimée  indirectement  par  le  rayon  du  cercle 


880  MATHÉMATIQUES. 

osculaleur.  Mais  il  n'en  est  nullement  ainsi  dans  une 
courbe  qui  n'est  point  plane.  Les  éléments  consécutifs  n'é- 
tant plus  alors  contenus  dans  un  même  plan,  on  ne  peut 
avoir  une  idée  exacte  de  la  courbure  qu'en  considérant 
distinctement  les  angles  qu'ils  forment  entre  eux  et  aussi 
les  inclinaisons  mutuelles  des  plans  qui  les  comprennent. 
Il  faut  donc,  avant  tout,  commencer  par  flxer  ce  qu'on  doit 
entendre  à  chaque  instant  par  le  plan  de  la  courbe,  c'est- 
à-dire  celui  que  déterminent  trois  points  inûnîment  voi- 
sins, et  qu'on  appelle,  pour  cette  raison,  le  plan  oscillateur^ 
qui  change  conlinuellement  d'un  point  à  un  autre.  La  po- 
sition de  ce  plan  une  fois  obtenue,  la  mesure  de  la  cour- 
bure ordinaire,  à  l'aide  du  cercle  osculateur,  ne  présente 
plus  évidemment  aucune  dilUculté  nouvelle.  Quant  à  la 
seconde  courbure,  elle  est  estimée  par  l'angle  plus  ou 
moins  grand  que  forment  entre  eux  deux  plans  osculateurs 
consécutifs,  et  dont  il  est  aisé  de  trouver  généralement 
l'expression  analytique.  Pour  établir  plus  d'analogie  entre 
la  théorie  de  cette  courbure  et  celle  de  la  première,  on 
pourrait  également  la  regarder  comme  mesurée  indirecte- 
ment d'après  le  rayon  de  la  sphère  osculatrice  qui  passerait 
par  quatre  points  inûniment  voisins  de  la  courbe  proposée, 
et  dont  l'équation  se  formerait  de  la  môme  manière  que 
celle  du  plan  osculateur.  On  l'apprécie  ordinairement  par 
la  courbure  maximum  que  présente,  au  point  considéré, 
la  surface  développable  qui  est  le  lieu  géométrique  de 
toutes  les  tangentes  à  la  courbe  proposée. 

Nous  devons  passer  maintenant  à  l'indication  des  ques- 
tions de  géométrie  générale  à  trois  dimensions  qui  dépen- 
dent du  calcul  intégral;  elles  comprennent  la  quadrature 
des  surfaces  courbes,  et  la  cubature  des  volumes  corres- 
pondants. 

Relativement  à  la  quadrature  des  surfaces  courbes,  il 


GÉOMiTBIE  A  TROIS  DIMENSIONS.  «SI 

faut,  pour  établir  l'équalîon  différentielle  générale,  con- 
cevoir la  surface  partagée  en  éléments  plans  inûniment 
petits  dans  tous  les  sens,  par  quatre  plans  perpendiculaires 
deux  à  deux  aux  axes  des  coordonnées  x  et  y.  Chacun  de 
ces  éléments,  situé  dans  Je  pian  tangent  correspondant, 
aurait  évidemment,  pour  projection  horizontale,  le  rectan- 
gle formé  par  les  différentielles  des  deux  coordonnées  ho- 
rizontales, et  dont  Taire  serait  dxdy.  Cette  aire  donnera 
celle  de  l'élément  lui-môme  d'après  un  théorème  élémen- 
taire fort  simple,  en  la  divisant  par  le  cosinus  de  l'angle 
que  fait  le  plan  tangent  avec  le  plan  des  x^  y.  On  trouvera 
ainsi  que  l'expression  de  cet  élément  est  généralement  : 


d^S=dxdysJ'^,^-.  +  ^ 


C'est  donc  par  la  double  intégration  de  cette  formule  diffé- 
rentielle à  deux  variables  qu'on  connaîtra,  dans  chaque  cas 
particulier,  l'aire  de  la  surface  proposée  autant  que  pourra 
le  permettre  l'imperfection  actuelle  du  calcul  intégral.  Les 
limites  de  chaque  intégrale  successive  seront  déterminées 
par  la  nature  des  surfaces  dont  l'intersection  avec  celle  que 
l'on  considère  devra  circonscrire  l'étendue  à  mesurer,  en 
sorte  que,  dans  l'application  de  cette  méthode  générale,  il 
faudra  apporter  un  soin  particulier  à  la  manière  de  fixer 
les  constantes  arbitraires  ou  les  fonctions  arbitraires  in- 
troduites par  l'intégration. 

Relativement  à  la  cubature  des  volumes  terminés  par  les 
surfaces  courbes,  le  système  de  plans  à  l'aide  duquel  nous 
venons  de  différenlier  l'aire  peut  aussi  servir  immédiate- 
ment à  décomposer  le  volume  en  éléments  polyèdres.  Il 
est  clair,  en  effet,  que  l'espace  infiniment  petit  du  second 
ordre  compris  entre  ces  quatre  plans  doit  être  envisagé, 
suivant  l'esprit  de  la  méthode  infinitésimale,  comme  égal 


88i  MATHÉMATIQUES. 

au  paraiiélipipède  rectangle  ayant  pour  hauteur  l'ordonnée 
verticale  z  du  point  que  Ton  considère  et  pour  base  le  rec- 
tangle dxdy^  puisque  leur  différence  est  évidemment  un 
infiniment  petit  du  troisième  ordre,  moindre  que  dzdydz. 
D'après  cela,  un  des  plus  simples  théorèmes  de  la  géomé- 
trie élémentaire  fournira  directement,  pour  rezpression 
différentielle  du  volume  cherché,  l'équation  générale 

â}  V=zzdxdy  ; 

d'où  l'on  déduira,  par  une  double  intégration,  dans  chaque 
cas  particulier,  la  valeur  effective  de  ce  volume,  en  ayant 
le  môme  égard  que  précédemment  à  la  détermination  des 
limites  de  chaque  intégrale,  conformément  à  la  nature  des 
surfaces  qui  devront  circonscrire  latéralement  le  volume 
proposé. 

Sans  entrer  ici  dans  aucun  détail  relatif  à  la  solution  dé- 
finitive de  l'une  ou  de  l'autre  de  ces  deux  questions  fonda- 
mentales, il  peut  être  utile  de  remarquer,  d'après  les  équa^ 
tions  différentielles  précédentes,  une  analogie  générale  et 
singulière  qui  existe  nécessairement  entre  elles,  et  qui  per- 
mettrait de  transformer  toute  recherche  relative  à  la  quadra- 
ture en  une  recherche  correspondante  relative  à  la  cubature. 
On  voit,  en  effet,  que  les  deux  équations  différentielles  ne 

diffèrent  que  par  le  changement  de  z  en  i/  ^{  4"^  +  *  ^"^ 

passant  de  la  seconde  à  la  première.  Ainsi  l'aire  d'une  sur- 
face courbe  quelconque  peut  être  regardée  comme  numé- 
riquement égale  au  volume  d'un  corps  terminé  par  une 
surface  dont  l'ordonnée  verticale  aurait  à  chaque  instant 
pour  valeur  la  sécante  de  l'angle  que  fait  avec  le  plan  ho- 
rizontal le  plan  langent  correspondant  à  la  surface  primi- 
tive, les  limites  étant  d'ailleurs  supposées  respectivement 
les  mêmes. 


GÉOMÉTRIE   A   TROIS   DIMENSIONS.  III 

Pour  terminer  l'examen  philosophique  de  la  géométrie 
,  générale  à  trois  dimensions,  il  me  reste  à  considérer  som- 
mairement la  belle  conception  fondamentale  établie  par 
Monge  relativement  à  la  classification  analytique  des  sur- 
faces en  familles  naturelles,  qui  doit  être  regardée  comme 
le  perfectionnement  le  plus  important  qu'ait  reçu  la  science 
géométrique  depuis  Descartes  etLeibnitz. 

Quand  on  se  propose  d'étudier,  sous  un  point  de  vue  gé- 
néral, les  propriétés  spéciales  des  diverses  surfaces,  la 
première  difficulté  qui  se  présente  consiste  dans  l'absence 
d'une  bonne  classiûcation,  déterminée  par  les  caractères 
géométriques  les  plus  essentiels,  et  d'ailleurs  suffisamment 
simple.  Dès  la  fondation  de  la  géométrie  analytique,  les 
géomètres  ont  été  involontairement  conduits  à  classer  les 
surfaces,  comme  les  courbes,  par  la  forme  et  le  degré  de 
leurs  équations,  seule  considération  qui  s'offrit  d'elle- 
même  à  l'esprit  pour  servir  de  base  à  une  distinction  dont 
l'importance  n'avait  d'abord  été  nullement  sentie.  Mais  il 
est  aisé  de  voir  que  ce  principe  de  classification,  convena- 
blement applicable  aux  équations  du  premier  et  du  second 
dçgré,  ne  remplit  aucune  des  conditions  principales  aux- 
quelles doitsatisfaire  un  tel  travail.  Ën'effetfOnsaitqueNew- 
ton,  en  discutant  l'équation  générale  du  troisième  degré  à 
deux  variables,  pour  se  borner  à  la  simple  énumération 
des  diverses  courbes  planes  qu'elle  peut  représenter,  a  re- 
connu que,  bien  qu'elles  fussent  toutes  nécessairement  in- 
définies en  tous  sens,  on  devait  en  distinguer  soixante- 
quatorze  espèces  particulières,  aussi  différentes  les  unes 
des  autres  que  le  sont  entre  elles  les  trois  courbes  du  se- 
cond degré.  Quoique  personne  n'ait  analysé  sous  le  même 
point  de  vue  l'équation  générale  du  quatrième  degré  à 
deux  variables,  il  n'est  pas  douteux  qu'elle  ne  dût  faire 
naître  un  nombre  beaucoup  plus  considérable  encore  de 


184  MATHÉMATIQUES. 

courbes  distinctes  ;  et  ce  nombre  devrait  uniformément  aug- 
menter avec  une  prodigieuse  rapidité  d'après  le  degré  de 
l'équalion.  Si  maintenant  l'on  passe  aux  équations  à  trois 
variables,  qui,  vu  leur  plus  grande  complication,  présen- 
tent nécessairement  bien  plus  de  variété,  il  est  incontes- 
table que  le  nombre  des  surfaces  vraiment  distinctes 
qu'elles  peuvent  exprimer  doit  être  encore  plus  multiplié, 
et  croître  beaucoup  plus  rapidement  d'après  le  degré.  Cette 
multiplicité  devient  telle,  qu'on  s'est  toujours  borné  à  ana- 
lyser ainsi  les  équations  des  deux  premiers  degrés,  aucun 
géomètre  n*ayant  tenté  pour  les  surfaces  du  troisième  de- 
gré ce  qu'a  exécuté  Newton  pour  les  courbes  correspon- 
dantes. 11  suit  donc  de  cette  considération  évidente  que, 
quand  même  l'imperfection  de  l'algèbre  ne  s'opposerait 
pas  à  l'emploi  indéûni  d'un  procédé  semblable,  la  classifi- 
cation générale  des  surfaces  par  le  degré  et  la  forme  de 
leurs  équations  serait  entièrement  impraticable.  Mais  ce 
motif  n'est  pas  le  seul  qui  doive  faire  rejeter  une  telle 
classification;  il  n'est  point  même  le  plus  important.  En 
efi'et,  cette  manière  de  disposer  les  surfaces,  outre  l'impos- 
sibilité de  la  suivre,  se  trouve  directement  contraire  à, la 
principale  destination  de  toute  bonne  classification  quel- 
conque, consistant  à  rapprocher  le  plus  les  uns  des  autres 
les  objets  qui  oflrent  les  relations  les  plus  importantes,  et  à 
éloigner  ceux  dont  les  analogies  ont  peu  de  valeur.  L'iden- 
tité du  degré  de  leurs  équations  est,  pour  les  surfaces,  uq 
caractère  d'une  valeur  géométrique  très-médiocre,  qui 
n'indique  pas  même  exactement  le  nombre  des  points  né- 
cessaires à  rentière  détermination  de  chacune.  La  propriété 
commune  la  plus  importante  à  considérer  entre  des  surfa- 
ces consiste  évidemment  dans  leur  mode  de  génération  ; 
toutes  celles  qui  sont  engendrées  de  la  même  manière 
devant  offrir  nécessairement  une  grande  analogie  géomé- 


GÉOMÉTRIE  A   THOIS   DIMENSIONS.  885 

triqae»  tandis  qu'elles  ne  sauraient  avoir  que  de  très-faibles 
resseoiblances  si  elles  sont  engendrées  d'après  des  modes 
essentiellement  différents.  Ainsi,  par  exemple,  toutes  les 
surfaces  cylindriques,  quelle  que  soit  la  forme  de  leur 
base^  constituent  une  môme  famille  naturelle,  dont  les  di- 
Tcrses  espèces  présentent  un  grand  nombre  de  propriétés 
communes  de  première  importance  :  il  en  est  de  môme 
pour  toutes  les  surfaces  coniques,  et  aussi  pour  toutes  les 
surfaces  de  révolution,  etc.  Or  cet  ordre  naturel  se  trouve 
complètement  détruit  par  la  classiBcation  fondée  sur  le 
degré  des  équations.  Car  des  surfaces  assujetties  à  un  môme 
mode  de  génération,  les  surfaces  cylindriques,  par  exem- 
ple, peuvent  fournir  des  équations  de  tous  les  degrés  ima- 
ginables, à  raison  de  la  seule  différence  secondaire  de  leurs 
bases;  tandis  que,  d'un  autre  côté,  des  équations  d'un  môme 
degré  quelconque  expriment  souvent  des  surfaces  de  na- 
ture géométrique  opposée,  les  unes  cylindriques,  les  au- 
tres coniques,  ou  de  révolution,  etc.  Une  telle  classification 
analytique  est  donc  radicalement  vicieuse,  comme  sépa- 
rant ce  qui  doit  ôtre  réduit,  et  rapprochant  ce  qui  doit 
être  distingué.  Cependant,  la  géométrie  générale  étant  en- 
tièrement fondée  sur  l'emploi  des  considérations  et  des 
méthodes  analytiques,  il  est  indispensable  que  la  classifi- 
cation puisse  prendre  aussi  un  caractère  analytique. 

Tel  était  donc  Tétat  précis  de  la  difficulté  fondamentale, 
si  heureusement  vaincue  par  Monge  :  les  familles  natu- 
relles entre  les  surfaces  étant  clairement  établies  sous  le 
point  de  vue  géométrique  d'après  le  mode  de  génération,  il 
fallait  découvrir  un  genre  de  relations  analytiques  destiné 
à  présenter  constamment  une  interprétation  abstraite  de 
ce  caractère  concret.  Cette  découverte  capitale  était  rigou- 
reusement indispensable  pour  achever  de  constituer  la 
théorie  générale  des  surfaces. 

A.  CoMTB.  Tome  I.  ^  B 


886  HATHÉMATIQUBS. 

La  considération  que  Monge  a  employée  pour  y  parve* 
nir^  consiste  dans  cette  observation  générale,  aussi  simple 
que  directe  :  les  surfaces  assujetties  à  un  môme  mode  de 
génération  sont  nécessairement  caractérisées  par  une  cer* 
taine  propriété  commune  de  leur  plan  tangent  en  un  point 
quelconque;  en  sorte  qu'en  exprimant  analytiquement 
cette  propriété  d'après  l'équation  générale  du  plan  tangent 
à  une  surface  quelconque,  on  formera  une  équation  diffé* 
rentielle  représentant  à  la  fois  toutes  les  surfaces  de  cette 
famille. 

Ainsi,  par  exemple,  toute  surface  cylindrique  présente 
ce  caractère  exclusif  :  que  le  plan  tangent  en  un  point  quel' 
conque  de  la  surface  est  constamment  parallèle  à  la  droite 
fixe  qui  indique  la  direction  des  génératrices.  D'après  cela, 
il  est  aisé  de  voir  que  les  équations  de  cette  droite  étant 
supposées  être 

x=zaz,  y  '^  bZj 

l'équation  générale  du  plan  tangent  établie  ci-dessus  don- 
nera, pour  l'équation  différentielle  commune  à  toutes  les 
surfaces  cylindriques, 

dx  dy 

De  môme,  relativement  aux  surfaces  coniques,  elles  sont 
toutes  caractérisées  sous  ce  point  de  vue  par  la  propriété 
nécessaire  que  leur  plan  tangent  en  un  point  quelconque 
passe  constamment  par  le  sommet  du  cône.  Si  donc,  a,  6,7, 
désignent  les  coordonnées  de  ce  sommet,  on  trouvera  im- 
médiatement 

(*-«)5j+(y-6),-  =  2-t. 

pour  l'équation  différentielle  représentant  la  famille  en- 
tière des  surfaces  coniques. 


,      GÉOMÉTRIE  A   TROIS  DIMENSIONS.  t%l 

Dans  les  surfaces  de  révolution,  le  plan  tangent  en  un 
point  quelconque  est  toujours  perpendiculaire  au  plan  mi- 
ridierij  c'esl-à-dire  à  celui  qui  passe  par  ce  point  et  par 
l'axe  de  la  surface.  Afin  d'exprimer  analytiquement  cette 
propriété  d'une  manière  plus  simple,  supposons  que  l'axe 
de  révolution  soit  pris  pour  celui  des  z  :  l'équation  diffé- 
rentielle commune  à  toute  cette  famille  de  surface  sera 

dz         d% 

y-, X  T-  :=  0. 

^  dx         dy  • 

Il  serait  superflu  de  citer  ici  un  plus  grand  nombre 
d'exemples  pour  établir  clairement,  en  général,  que,  quel 
que  soit  le  «mode  de  génération,  toutes  les  surfaces  d'une 
môme  famille  naturelle  sont  susceptibles  d'être  repré- 
sentées analytiquement  par  une  môme  équation  aux  diffé" 
rences  partielles  contenant  des  constantes  arbitraires,  d'a- 
près une  propriété  commune  de  leur  plan  tangent. 

Afin  de  compléter  cette  correspondance  fondamentale 
et  nécessaire  entre  le  point  de  vue  géométrique  et  le  point 
de  vue  analytique,  Monge  a  considéré  en  outre  les  équa« 
lions  finies  qui  sont  les  intégrales  de  ces  équations  diffé- 
rentielles, et  qu'on  peut  d'ailleurs  presque  toujours  facile- 
ment obtenir  aussi  par  des  recherches  directes.  Chacune 
de  ces  équations  finies  doit,  comme  on  le  sait  par  la  théorie 
générale  de  l'intégration,  contenir  une  fonction  arbitraire, 
si  l'équation  différentielle  est  seulement  du  premier  ordre; 
ce  qui  n'empôche  pas  que  de  telles  équations,  quoique 
beaucoup  plus  générales  que  celles  dont  on  s'occupe  or- 
dinairement, ne  présentent  un  sens  nettement  déterminé, 
soit  sous  le  rapport  géométrique,  soit  sous  le  simple  rap- 
port analytique.  Cette  fonction  arbitraire  correspond  à  ce 
qu'il  y  a  d'indéterminé  dans  la  génération  des  surfaces  pro- 
posées, à  la  base,  par  exemple,  si  les  surfaces  sont  cylin-. 


888  MATUÉMÂTIQUES.  « 

driques  ou  coniques,  à  la  courbe  méridienne,  si  elles  sont 
de  révolution,  etc.  (1).  Dans  certains  cas  môme^  l'équation 
finie  d'une  famille  de  surfaces  contient  à  la  fois  deux  fonc» 
tions  arbitraires,  affectées  à  des  combinaisons  distinctes 
des  coordonnées  variables  ;  c'est  ce  qui  a  lieu  lorsque  l'é- 
quation différentielle  correspondante  doit  être  du  second 
ordre  ;  sous  le  point  de  vue  géométrique,  cette  indétermi- 
nation plus  grande  indique  une  famille  plus  générale,  et 
néanmoins  caractérisée.  Tel  est,  par  exemple,  la  famille 
des  surfaces  développables,  qui  comprend,  comme  subdi- 
visions, toutes  les  surfaces  cylindriques,  toutes  les  surfaces 
coniques,  et  une  infinité  d'autres  familles  analogues,  et 
qui  peut  cependant  être  nettement  définie,  dans  sa  plus 
grande  généralité,  comme  étant  Venveloppe  de  l'espace  par- 
couru par  un  plan  qui  se  meut  en  restant  toujours  tangent 
à  deux  surfaces  fixes  quelconques,  ou  comme  le  lieu  géo- 
métrique de  toutes  les  tangentes  à  une  même  courbe  quel- 
conque à  double  courbure.  Ce  groupe  naturel  de  surfaces  a, 
pour  équation  différentielle  invariable,  cette  équation  très- 
simple,  découverte  par  Ëuler,  entre  les  trois  dérivées  par- 
tielles du  second  ordre 


\ax  dyj 


dx*dy^' 


L'équation  finie  contient  donc  nécessairement  deux 
fonctions  arbitraires  distinctes,  qui  correspondent  géomé- 
triquement aux  deux  surfaces  indéterminées  sur  lesquelles 

(1)  On  trouve^  par  exemple,  soit  d*aprës  les  considérations  directes  de 
géométrie  analytique,  soit  en  résultat  des  méthodes  d'intégration,  que  les 
surfaces  cylindriques  et  les  surls£c««  coniques  ont  pour  équations  finies 

a;  —  a:  =  9  (y  —  Az),  ^~  ^=ç  (  ^^^^  I 

z  —  y      ^  \z  —  Y/ 

|j.  désignant  une  fonction  entièrement  arbitraire. 


GÉOMÉTRIE   A   TROIS   DIMENSIONS.  889 

doit  glisser  le  plan  générateur,  ou  aux  deux  équations 
quelconques  de  la  courbe  directrice. 

Quoiqu'il  soit  utile  de  considérer  les  équations  finies  des 
familles  naturelles  de  surfaces,  on  conçoit  néanmoins  que 
l'indétermination  des  fonctions  arbitraires  qu'elles  renfer- 
ment inévitablement,  doit  les  rendre  peu  propres  à  des 
travaux  analytiques  soutenus,  pour  lesquels  il  est  bien  pré- 
férable d'employer  les  équations  différentielles,  où  i 
n^entre  que  de  simples  constantes  arbitraires,  malgré  leur 
nature  indirecte.  C'est  parla  que  l'étude  générale  et  régu- 
lière des  propriétés  des  diverses  surfaces  est  réellement 
devenue  possible,  le  point  de  vue  commun  ayant  pu  ainsi 
être  saisi  et  séparé  par  l'analyse.  On  conçoit  qu'une  telle 
conception  ait  permis  de  découvrir  des  résultats  d'un  degré 
de  généralité  et  d'intérêt  infiniment  supérieurs  à  ceux 
qu'on  pouvait  obtenir  auparavant.  Pour  ne  citer  qu^un 
seul  exemple  très-simple,  qui  est  fort  loin  d'être  le  plus 
remarquable,  c'est  par  une  semblable  méthode  de  géomé- 
trie analytique  qu'on  a  pu  reconnaître  cette  singulière  pro- 
priété de  toute  équation  homogène  à  trois  variables,  de  re- 
présenter nécessairement  une  surface  conique  dont  le 
sommet  est  situé  à  l'origine  des  coordonnées  ;  de  môme, 
parmi  les  recherches  plus  difficiles,  il  a  été  possible  de  dé- 
terminer, à  l'aide  du  calcul  des  variations,  le  plus  court 
chemin  d'un  point  à  un  autre  sur  une  surface  dévelop- 
pable  quelconque^  sans  qu'il  fût  nécessaire  de  la  particula- 
riser, etc. 

J'ai  cru  devoir  ici  accorder  quelque  développement  à 
l'exposition  philosophique  de  cette  belle  conception  de 
Honge,  qui  constitue,  sans  contredit,  son  premier  titre 
à  la  gloire,  et  dont  la  haute  importance  ne  me  semble  point 
avoir  encore  été  dignement  sentie,  excepté  par  Lagrange, 
si  juste  appréciateur  de  tous  ses  émules.  Je  regrette  même 


»90  MATHÉMATIOVES. 

d'être  réduit,  par  les  limites  naturelles  de  cet  ouvrage,  à 
une  indication  aussi  imparfaite,  où  je  n'ai  pu  seulement  si- 
gnaler l'heureuse  réaction  nécessaire  de  cette  nouvelle 
géométrie  sur  le  perfectionnement  de  l'analyse,  quant  à  la 
théorie  générale  des  équations  différentielles  à  plusieurs 
variables. 

En  méditant  sur  cette  classification  philosophique  des 
surfaces,  essentiellement  analogue  aux  méthodes  natu- 
relles que  les  physiologistes  ont  tenté  d'établir  en  zoologie 
et  en  botanique,  on  est  conduit  à  se  demander  si  les  courbes 
elles-mêmes  ne  comportent  pas  une  opération  semblable. 
Vu  la  variété  infiniment  moindre  qui  existe  entre  elles,  un 
tel  travail  est  à  la  fois  moins  important  et  plus  difficile, 
les  caractères  qui  pourraient  servir  de  base  n'étant  point 
alors  à  beaucoup  près  aussi  tranchés.  Il  a  donc  été  naturel 
que  l'esprit  humain  s'occupftt  d'abord  de  classer  les  sur- 
faces. Mais  on  doit  sans  doute  espérer  que  cet  ordre  de 
considérations  s'étendra  plus  tard  jusqu'aux  courbes.  On 
peut  môme  apercevoir  déjà  entre  elles  quelques  familles 
vraiment  naturelles,  comnie  celles  des  paraboles  quel- 
conques, et  celles  des  hyperboles  quelconques,  etc.  Néan- 
moins, il  n'a  été  encore  produit  aucune  conception 
générale  directement  propre  à  déterminer  une  telle  classi- 
fication . 

Ayant  ainsi  exposé  aussi  nettement  qu'il  m'a  été  possible, 
dans  cette  leçon  et  dans  l'ensemble  des  quatre  précédentes, 
le  véritable  caractère  philosophique  de  la  section  la  plus 
générale  et  la  plus  simple  de  la  mathématique  concrète, 
je  dois  maintenant  entreprendre  le  même  travail  relative- 
ment à  la  science  immense  et  plus  compliquée  de  la  mé- 
canique rationnelle.  Ce  sera  l'objet  des  quatre  leçons  sui- 
vantes. 


QUINZIÈME  LEÇON 

Sommaire.  —  Considérations  philosophiques  sur  les  principes 
fondaraentaux  de  la  mécanique  rationnelle. 


Les  phénomènes  mécaniques  sont,  par  leur  nature, 
comme  nous  l'avons  déjà  remarqué,  à  la  fois  plus  parti- 
culiers, plus  compliqués  et  plus  concrets  que  les  phéno- 
mènes géométriques.  Aussi^  conformément  à  Tordre  en- 
cyclopédique établi  dans  cet  ouvrage,  plaçons-nous  la 
mécanique  rationnelle  après  la  géométrie  dans  cette  expo- 
sition philosophique  de  la  mathématique  concrète,  comme 
étant  nécessairement  d'une  étude  plus  difficile,  et  par 
suite  moins  perfectionnée.  Les  questions  géométriques 
sont  toujours  complètement  indépendantes  de  toute  con- 
sidération mécanique,  tandis  que  les  questions  mécaniques 
se  compliquent  constamment  des  considérations  géomé- 
triques, la  forme  des  corps  devant  influer  inévitablement 
sur  les  phénomènes  du  mouvement  ou  de  Téquilibre.  Cette 
€oiD[>licalion  est  souvent  telle,  que  le  plus  simple  change- 
ment dans  la  forme  d*un  corps  suffit  seul  pour  augmenter 
extrêmement  les  difficultés  du  problème  de  mécanique 
dont  il  est  le  sujet,  comme  on  peut  s'en  faire  une  idée  en 
considérant,  par  exemple,  Timportante  détermination  de 
la  gravitation  mutuelle  de  deux  corps  en  résultat  de  celle 
de  toutes  leurs  molécules,  question  qui  n'est  encore  com- 
plètement résolue  qu'en  supposant  à  ces  corps  une  forme 
spbérique,  et  où,  par  conséquent,  le  principal  obstacle 
vient  évidemment  des  circons^nces  géométriques. 


392  MATHÉMATIQUES. 

Puisque  nous  avons  reconnu  dans  les  leçons  précédentes 
que  le  caractère  philosophique  de  la  science  géométrique 
était  encore  altéré  à  un  certain  degré  par  un  reste  dla- 
fluence  très-sensible  de  l'esprit  métaphysique,  on  doit 
s'attendre  naturellement,  vu  celte  plus  grande  complica- 
tion nécessaire  de  la  mécanique  rationnelle,  à  l'en  trouver 
bien  plus  profondément  affectée.  C'est  ce  qui  n'est,  en 
effet,  que  trop  facile  à  constater*  Le  caractère  de  science 
naturelle,  encore  plus  évidemment  inhérent  à  la  mécanique 
qu'à  la  géométrie,  est  aujourd'hui  complètement  déguisé^ 
dans  presque  tous  les  esprits,  par  l'emploi  des  considé- 
rations ontologiques.  On  remarque,  dans  toutes  les  notions 
fondamentales  de  cette  science,  une  confusion  profonde  et 
continuelle  entre  le  point  de  vue  abstrait  et  le  point  de 
vue  concret,  qui  empêche  de  distinguer  nettement  ce  qui 
est  réellement  physique  de  ce  qui  est  purement  logique, 
et  de  séparer  avec  exactitude  les  conceptions  artificielles 
uniquement  destinées  à  faciliter  l'établissement  des  lois 
générales  de  l'équilibre  ou  du  mouvement,  des  faits  na- 
turels fournis  par  l'observation  effective  du  monde  exté- 
rieur, qui  constituent  les  bases  réelles  de  la  science.  On 
peut  môme  reconnaître  que  l'immense  perfectionnement 
de  la  mécanique  rationnelle  depuis  un  siècle,  soit  sous  le 
rapport  de  l'extension  de  ses  théories,  soit  quant  à  leur 
coordination,  a  fait  en  quelque  sorte  rétrograder  sous  ce 
rapport  la  conception  philosophique  de  la  science,  qui  est 
communément  exposée  aujourd'hui  d'une  manière  beau- 
coup moins  nette  que  Newton  ne  l'avait  présentée.  Ce 
développement  ayant  été,  en  effet,  essentiellement  obtenu 
par  l'usage  de  plus  en  plus  exclusif  de  l'analyse  mathéma- 
tique, l'importance  prépondérante  de  cet  admirable  in- 
strument a  fait  graduellement  contracter  l'habitude  de  ne 
voir  dans  la  mécanique  rationnelle  que  de  simples  ques- 


PRINCIPES  DE  LA  MÉCANIQUE   RATIONNELLE.  89S 

lions  d'analyse;  et,  par  une  extension  abusive,  quoique 
très-naturelle,  d'une  telle  manière  de  procéder,  on  a  tenté 
d'établir,  à  priori^  d'après  des  considérations  purement 
analytiques,  jusqu'aux  principes  fondamentaux  de  la 
science,  que  Newton  s'était  sagement  borné  à  présenter 
comme  des  résultats  de  la  seule  observation.  C'est  ainsi, 
par  exemple,  que  Daniel  Bernouilli,  d*Alembert,  et,  de 
nos  jours,  Laplace,  ont  essayé  de  prouver  la  règle  élémen- 
taire de  la  composition  des  forces  par  des  démonstrations 
uniquement  analytiques,  dont  Lagrange  seul  a  bien  aperçu 
l'insuffisance  radicale  et  nécessaire.  Tel  est,  maintenant 
encore,  l'esprit  qui  domine  plus  ou  moins  chez  tous  les 
géomètres.  Il  est  néanmoins  évident  en  thèse  générale, 
comme  nous  l'avons  plusieurs  fois  remarqué,  que  l'analyse 
mathématique,  quelle  que  soit  son  extrême  importance, 
dont  j'ai  tâché  de  donner  une  juste  idée,  ne  saurait  être, 
par  sa  nature,  qu'un  puissant  moyen  de  déduction,  qui, 
lorsqu'il  est  applicable,  permet  de  perfectionner  une 
science  au  degré  le  plus  éminent,  après  que  les  fondements 
en  ont  été  posés,  mais  qui  ne  peut  jamais  suffire  à  établir 
ces  bases  elles-mêmes.  S'il  était  possible  de  constituer 
entièrement  la  science  de  la  mécanique  d'après  de  simples 
coqceptions  analytiques,  on  ne  pourrait  se  représenter 
comment  une  telle  science  deviendrait  jamais  vraiment 
applicable  à  l'étude  effective  de  la  nature.  Ce  qui  établit 
la  réalité  de  la  mécanique  rationnelle,  c'est  précisément, 
au  contraire,  d'être  fondée  sur  quelques  faits  généraux, 
immédiatement  fournis  par  l'observation,  et  que  tout  phi- 
losophe vraiment  positif  doit  envis<iger,  ce  me  semble, 
comme  n'étant  susceptibles  d'aucune  explication  quel- 
conque. Il  est  donc  certain  qu'on  a  abusé  en  mécanique  de 
l'esprit  analytique,  beaucoup  plus  encore  qu'en  géométrie. 
L'objet  spécial  de  cette  leçon  est  d'indiquer  comment,  dans 


894  MATHÉMATIQUBS. 

l'état  actuel  de  la  science,  on  peut  établir  nettement  son 
véritable  caractère  philosophique,  et  la  dégager  définitive- 
ment de  toute  influence  métaphysique ,  en  distinguant 
constamment  le  point  de  vue  abstrait  du  point  de  vue  con- 
cret, et  en  effectuant  une  séparation  exacte  entre  la  partie 
simplement  expérimentale  de  la  science,  et  la  partie  pure- 
ment rationnelle.  D'après  le  but  de  cet  ouvrage,  un  tel 
travail  doit  nécessairement  précéder  les  considérations 
générales  sur  la  composition  effective  de  cette  science, 
qui  seront  successivement  exposées  dans  les  trois  leçons 
suivantes. 

Commençons  par  indiquer  avec  précision  l'objet  géaéral 
de  la  science. 

On  a  rhabitude  de  remarquer  d'abord,  et  avec  beaucoup 
de  raison,  que  la  mécanique  ne  considère  point  non-seu- 
lement les  causes  premières  des  mouvements,  qui  sont  en 
dehors  de  toute  philosophie  positive,  mais  môme  les  cir- 
constances de  leur  production,  lesquelles,  quoique  consti- 
tuant réellement  un  sujet  intéressant  de  recherches  posi- 
tives dans  les  diverses  parties  de  la  physique^  ne  sont 
nullement  du  ressort  de  la  mécanique,  qui  se  borne  à 
envisager  le  mouvement  en  lui-même,  sans  s'enquérir  de 
quelle  manière  il  a  été  déterminé.  Ainsi  les  forces  ne  sont 
autre  chose,  en  mécanique,  que  les  mouvements  produits 
ou  tendant  à  se  produire  ;  et  deux  forces  qui  impriment  à 
un  même  corps  la  môme  vitesse  dans  la  môme  direction  sont 
regardées  comme  identiques,  quelque  diverse  que  puisse 
ôtre  leur  origine,  soit  que  l.e  mouvement  provienne  des 
contractions  musculaires  d'un  animal,  ou  de  la  pesanteur 
vers  un  centre  attractif,  ou  du  choc  d'un  corps  quelconque, 
ou  de  la  dilatation  d'un  fluide  élastique,  etc.  Mais,  quoique 
cette  manière  de  voir  soit  heureusement  devenue  aujour- 
d'hui tout  à  fait  familière^  il  reste  encore  aux  géomètres  à 


PRINCIPES  DE  LA   MÉCANIQUE   RATIONNELLE.  895 

opérer,  sinon  dans  la  conception,  môme,  du  moins  dans  le 
langage  habituel,  une  réforme  essentielle  pour  écarter 
entièrement  l'ancienne  notion  métaphysique  des  forces,  et 
indiquer  plus  nettement  qu'on  ne  le  fait  encore  le  véritable 
point  de  vue  de  la  mécanique  (I). 

Gela  posé,  on  peut  caractériser  d'une  manière  très-pré- 
cise le  problème  général  de  la  mécanique  rationnelle.  Il 
consiste  à  déterminer  l'effet  que  produiront  sur  un  corps 
donné  différentes  forces  quelconques  agissant  simultané*- 
ment,  lorsqu'on  connaît  le  mouvement  simple  qui  résulte- 
rait de  l'action  isolée  de  chacune  d'elles  ;  ou,  en  prenant  la 
question  en  sens  inverse,  à  déterminer  les  mouvements 
simples  dont  la  combinaison  donnerait  lieu  à  uni  mouve- 
ment composé  connu.  Cet  énoncé  montre  exactement 
quelles  sont  nécessairement  les  données  et  les  inconnues 
de  toute  question  mécanique.  On  voit  que  l'étude  de  l'ac- 
tion d'une  force  unique  n'est  jamais,  à  proprement  parler, 
du  domaine  de  la  mécanique  rationnelle,  où  elle  est  tou- 
jours supposée  connue,  car  le  second  problème  général 
n'est  susceptible  d'être  résolu  que  comme  étant  l'inverse 
du  premier.  Toute  la  mécanique  porte  donc  essentielle- 
ment sur  la  combinaison  des  forces,  soit  que  de  leur 
concours  il  résulte  un  mouvement  dont  il  faut  étudier  les 
diverses  circonstances,  soit  que  par  leur  neutralisation 
mutuelle  le  corps  se  trouve  dans  un  état  d'équilibre  dont  il 
s'agit  de  fixer  les  conditions  caractéristiques. 

(1)  Il  importe  de  remarquer  aussi  que  le  nom  môme  de  la  science  est 
extrêmement  vicieux,  en  ce  qu'il  rappelle  seulement  une  de  ses  applica- 
tions les  plus  secondaires,  ce  qui  devient  habituellement  une  source  de 
conftision,  qui  oblige  à  ajouter  fréquemment  radjectlf  rationnelle,  dont 
U  répétition,  quoique  indispensable,  est  fastidieuse.  Les  philosophes  alle- 
mands, pour  éviter  cet  inconvénient,  ont  créé  la  dénomination  beaucoup 
pins  philosophique  de  phoronomie,  employée  dans  le  traité  d'Hermann,  et 
iont  Tadoption  génénle  serait  très-déalrable. 


896  MATnÉUATIOUES. 

Les  deux  problèmes  généraux,  l'un  direct,  l'autre  in- 
verse, dans  la  solution  desquels  consiste  la  science  de  la 
mécanique ,  ont,  sous  le  rapport  des  applications,  une 
importance  égale;  car  tantôt  les  mouvements  simples  peu- 
vent être  immédiatement  étudiés  par  l'observation,  tandis 
que  la  connaissance  du  mouvement  qui  résultera  de  leur, 
combinaison  ne  saurait  être  obtenue  que  par  la  théorie  ; 
et  tantôt^  au  contraire,  le  mouvement  composé  peut  seul 
être  effectivement  observé,  tandis  que  les  mouvements 
simples,  dont  on  le  regardera  comme  le  produit,  ne  sont 
susceptibles  d'être  détermines  que  rationnellement.  Ainsi, 
par  exemple,  dansle  casde  lachuteoblique  des  corps  pesants 
à  la  surface  de  la  terre,  on  connaît  les  deux  mouvements 
simples  que  prendrait  le  corps  par  l'action  isolée  de  cha- 
cune des  forces  dont  il  est  animé,  savoir  :  la  direction  et  la 
vitesse  du  mouvement  uniforme  que  produirait  la  seule 
impulsion,  et  la  loi  d'accélération  du  mouvement  vertical 
varié,  qui  résulterait  de  la  seule  pesanteur  ;  dès  lors,  on  se 
propose  de  découvrir  les  diverses  circonstances  du  mouve- 
ment composé  produit  par  l'action  combinée  de  ces  deux 
forces,  c'est-à-dire  de  déterminer  la  trajectoire  que  décrira 
le  mobile,  sa  direction  et  sa  vitesse  acquise  à  chaque 
instant,  le  temps  qu'il  emploiera  à  parvenir  à  une  certaine 
position,  etc.  ;  on  pourra,  pour  plus  de  généralité,  joindre 
aux  deux  forces  données  la  résistance  du  milieu  ambiant, 
pourvu  que  la  loi  en  soit  également  connue.  La  mécanique 
céleste  présente  un  exemple  capital  de  la  question  inverse, 
dans  la  détermination  des  forces  qui  produisent  le  mouve- 
ment des  planètes  autour  du  soleil,  ou  des  satellites  autour 
des  planètes.  On  ne  peut  alors  connaître  immédiatement 
que  le  mouvement  composé,  et  c'est  d'après  les  circons- 
tances caractéristiques  de  ce  mouvement,  telles  que  les 
lois  de  Kepler  les  ont  résumées,  qu'il  faut  remonter  aux 


PRINCIPES   DE  LA   MÉCANIQUE  RATIONNELLE.  897 

forces  élémentaires  dont  les  astres  doivent  être  conçus 
animés  pour  correspondre  aux  mouvements  effectifs  ;  ces 
forces  une  fois  connues,  les  géomètres  peuvent  utilement 
reprendre  la  question  sous  le  point  de  vue  opposé,  qu'il 
eût  été  impossible  de  suivre  primitivement. 

La  véritable  destination  générale  de  la  mécanique  ration- 
nelle étant  ainsi  nettement  conçue,  considérons  mainte- 
nant les  principes  fondamentaux  sur  lesquels  elle  repose, 
et  d'abord  examinons  un  artifice  philosophique  de  la  plus 
haute  importance  relativement  à  la  manière  dont  les  corps 
doivent  être  envisagés  en  mécanique.  Cette  conception 
mérite  d'autant  plus  notre  attention  qu'elle  est  encore 
habituellement  entourée  d'un  épais  nuage  métaphysique, 
qui  en  fait  méconnaître  la  vraie  nature. 

Il  serait  entièrement  impossible  d'établir  aucune  pro- 
position générale  sur  les  lois  abstraites  de  l'équilibre  ou 
du  mouvement,  si  on  ne  commençait  par  regarder  les 
corps  comme  absolument  inertes,  c'est-à-dire  comme  tout 
à  fait  incapables  de  modifier  spontanément  l'action  des 
forces  qui  leur  sont  appliquées.  Mais  la  manière  dont  cette 
conception  fondamentale  est  ordinairement  présentée  me 
semble  radicalement  vicieuse.  D'abord  cette  notion  abs- 
traite, qui  n'est  qu'un  simple  artiOce  logique  imaginé  par 
l'esprit  humain  pour  faciliter  la  formation  de  la  mécanique 
rationnelle,  ou  plutôt  pour  la  rendre  possible,  est  souvent 
confondue  avec  ce  qu'on  appelle  fort  improprement  la  loi 
d'inertie,  qui  doit  être  regardée,  ainsi  que  nous  le  verrons 
plus  bas,  comme  un  résultat  général  de  l'observation.  En 
second  lieu,  le  caractère  de  cette  idée  est  d'ordinaire 
tellement  indécis,  qu'on 'ne  sait  point  exactement  si  cet 
état  passif  des  corps  est  purement  hypothétique,  ou  s'il 
représente  la  réalité  des  phénomènes  naturels.  Enfin,  il 
résulte  fréquemment  de  cette  indétermination,  que  l'esprit 


898  MATHÉMATIQUES. 

est  involontairement  porté  à  regarder  les  lois  générales 
de  la  mécanique  rationnelle  comme  étant  par  elles-mêmes 
exclusivement  applicables  à  ce  que  nous  appelons  les  corps 
bruts,  tandis  qu'elles  se  vérifient  nécessairement^  au  con- 
traire, tout  aussi  bien  dans  les  corps  organisés,  quoique 
leur  application  précise  y  rencontre  de  bien  plus  grandes 
difficultés.  Il  importe  beaucoup  de  reclifier  sous  ces  di- 
vers rapports  les  notions  babiluelles. 

Nous  devons  nettement  reconnaître  avant  tout  que  cet 
état  passif  des  corps  est  une  pure  abstraction,  directement 
contraire  à  leur  véritable  constitution. 

Dans  la  manière  de  philosopher  primitivement  employée 
par  Tesprit  humain,  on  concevait,  en  effet,  la  matière 
comme  étant  réellement  par  sa  nature  essentiellement 
inerte  ou  passive,  toute  activité  lui  venant  nécessairement 
du  dehors,  sous  l'influence  de  certains  êtres  surnaturels 
ou  de  certaines  entités  métaphysiques.  Mais  depuis  que 
la  philosophie  positive  a  commencé  à  prévaloir,  et  que 
l'esprit  humain  s'est  borné  à  étudier  le  véritable  état  des 
choses,  sans  s'enquérir  des  catises  premières  et  génératrices, 
il  est  devenu  évident  pour  tout  observateur  que  les  divers 
corps  naturels  nous  manifestent  tous  une  activité  spontanée 
plus  ou  moins  étendue.  Il  n'y  a  sous  ce  rapport,  entre  les 
corps  bruts  et  ceux  que  nous  nommons  par  excellence 
animés,  que  de  simples  différences  de  degrés.  D'abord,  les 
progrès  de  la  philosophie  naturelle  ont  pleinement  dé- 
montré, comme  nous  le  constaterons  spécialement  plus 
tard,  qu'il  n'existe  point  de  matière  vivante  proprement 
dite  fiwt^enerM,  puisqu'on  retrouve  dans  les  corps  animés 
des  éléments  exactement  identiques  à  ceux  que  présentent 
les  corps  inanimés.  De  plus,  il  est  aisé  de  reconnaître  dans 
ces  derniers  une  activité  spontanée  exactement  analogue 
à  celle  des  corps  vivants,  mais  seulement  moins  variée. 


I 


PRINCIPES  DE  LA  MÉCANIOUB  RATIONNELLE.  891 

• 

N'y  eût-il  dans  toutes  les  molécules  matérielles  d'autre  pro- 
priété que  la  pesanteur^  cela  suffirait  pour  interdire  à  tout 
physicien  de  les  regarder  comme  essentiellement  passifes. 
Ce  serait  vainement  qu'on  voudrait  présenter  les  corps 
sous  un  point  de  vue  entièrement  inerte  dans  l'acte  de  la 
pesanteur,  en  disant  qu'ils  ne  font  alors  qu'obéir  à  l'attrac* 
tion  du  globe  terrestre.  Cette  considération  fût-elle  exacte, 
on  n'aurait  fait  évidemment  que  déplacer  la  difficulté,  en 
transportant  à  la  masse  totale  de  la  terre  l'activité  refusée 
aux  molécules  isolées.  Mais,  de  plus^  on  voit  clairement 
que,  dans  sa  chute  vers  le  centre  de  notre  globe,  un  corps 
pesant  est  tout  aussi  actif  que  la  terre  elle-même,  puisqu'il 
est  prouvé  que  chaque  molécule  de  ce  corps  attire  une  par- 
tie équivalente  de  la  terre  tout  autant  qu'elle  en  est  attirée, 
quoique  cette  dernière  attraction  produise  seule  un  effet 
sensible,  à  raison  de  l'immense  inégalité  des  deux  masses. 
Enfin,  dans  une  foule  d'autres  phénomènes  également  uni- 
versels, thermologiques,  électriques,  ou  chimiques,  la 
matière  nous  présente  évidemment  une  activité  spontanée 
très-variée,  dont  nous  ne  saurions  plus  la  concevoir  entiè* 
rement  privée.  Les  corps  vivants  ne  nous  offrent  réellement 
à  cet  égard  d'autre  caractère  particulier  que  de  manifester, 
outre  tous  ces  divers  genres  d'activité,  quelques-uns  qui 
leur  sont  propres,  et  que  les  physiologistes  tendent  d'ail- 
leurs de  plus  en  plus  à  envisager  comme  une  simple  mo- 
dification des  précédents.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  incontes- 
table que  rétat  purement  passif,  dans  lequel  les  corps  sont 
considérés  en  mécanique  rationnelle,  présente,  sous  le 
point  de  vue  physique,  une  véritable  absurdité. 

Examinons  maintenant  comment  il  est  possible  qu'une 
telle  supposition  soit  employée  sans  aucun  inconvénient 
dans  rétablissement  des  lois  abstraites  de  l'équilibre  et  du 
mouvement,  qui  n'en  seront  pas  moins  susceptibles  ensuite 


400  MATHÉMATIQUES. 

d'être  convenablement  appliquées  aux  corps  réels.  Il  suffit» 
pour  cela,  d'avoir  égard  à  l'importante  remarque  prélimi- 
naire rappelée  ci-dessus,  que  les  mouvements  sont  simple- 
ment considérés  en  eux-mêmes  dans  la  mécanique  ra- 
tionnelle^ sans  aucun  égard  au  mode  quelconque  de  leur 
production.  De  là  résulte  évidemment,  pour  me  confor- 
mer au  langage  adopté,  la  faculté  de  remplacer  à  volonté 
toute  force  par  une  d'une  nature  autre  quelconque,  pourvu 
qu'elle  soit  capable  d'imprimer  au  corps  exactement  le 
même  mouvement.  D'après  cette  considération  évidente, 
on  conçoit  qu'il  est  possible  de  faire  abstraction  des  di- 
verses forces  qui  sont  réellement  inhérentes  aux  corps,  et 
de  regarder  ceux-ci  comme  seulement  sollicités  par  des  for- 
ces extérieures,  puisqu'on  pourra  substituera  ces  forces  in- 
térieures des  forces  extérieures  mécaniquement  équivalen- 
tes. Ainsi,  par  exemple,  quoique  tout  corps  soit  nécessai- 
rement pesant,  et  que  nous  ne  puissions  même  concevoir 
réellement  un  corps  qui  ne  le  serait  pas,  les  géomètres  consi- 
dèrent, dans  la  mécanique  abstraite,  les  corps  comme  étant 
d'abord  entièrement  dépouillés  de  cette  propriété,  qui  est 
implicitement  comprise  au  nombre  des  forces  extérieures, 
si  l'on  a  envisagé,  comme  il  convient,  un  système  de  forces 
tout  à  fait  quelconque.  Que  le  corps,  dans  sa  chute,  soit  mû 
par  une  attraction  interne,  ou  qu'il  obéisse  à  une  simple 
impulsion  extérieure,  cela  est  indifférent  pour  la  mécani- 
que rationnelle,  si  le  mouvement  effectif  se  trouve  être 
exactement  identique,  et  l'on  pourra,  par  conséquent, 
adopter  de  préférence  la  dernière  conception.  Il  en  est 
nécessairement  ainsi  relativement  à  toute  autre  propriété 
naturelle,  qu'il  sera  toujours  possible  de  remplacer  par  la 
supposition  d'une  action  externe,  construite  de  manière  à 
produire  le  même  mouvement,  ce  qui  permettra  de  se  re- 
présenter le  corps  comme  purement  passif;  seuloment. 


PRINCIPES   DE  LA  MÉCANIQUE   RATIONNELLE.  401 

à  mesure  que  Tobservation  ou  rexpérience  feront  con- 
naître avec  plus  de  précision  les  lois  de  ces  forces  inté- 
rieures, il  faudra  toujours  modifier  en  conséquence  le 
système  des  forces  extérieures  qu'on  leur  substitue  hypo- 
thétiquement,  ce  qui  conduira  souvent  à  une  très-grande 
complication.  Ainsi,  par  exemple,  l'observation  ayant 
appris  que  te  mouvement  vertical  d'un  corps  en  vertu  de 
sa-  pesanteur  n'est  point  uniforme,  mais  continuellement 
accéléré,  on  ne  pourra  point  l'assimiler  à  celui  qu'impri- 
merait au  corps  une  impulsion  unique  dont  l'action  ne  se 
renouvellerait  plus,  puisqu'il  en  résulterait  évidemment 
une  vitesse  constante  :  on  sera  donc  obligé  de  concevoir 
le  corps  comme  ayant  reçu  successivement,  à  des  inter- 
Talles  de  temps  infiniment  petits,  une  série  infinie  de 
chocs  infiniment  petits,  tels  que,  la  vitesse  produite  par 
chacun  s'ajoutant  d'une  manière  continue  à  celle  qui  ré- 
sulte de  l'ensemble  des  précédents,  le  mouvement  efi'ectif 
soit  indéfiniment  varié  ;  et  si  l'expérience  prouve  que  l'ac- 
célération du  mouvement  est  uniforme,  on  supposera  tous 
ces  chocs  successifs  constamment  égaux  entre  eux:  dans 
tout  autre  cas,  il  faudra  leur  supposer,  soit  pour  la  direc- 
tion, soit  pour  l'intensité,  une  relation  exactement  con- 
forme à  la  loi  réelle  de  la  variation  du  mouvement;  mais, 
à  ces  conditions,  il  est  clair  que  la  substitution  sera  tou- 
jours possible. 

Il  serait  inutile  d'insister  beaucoup  pour  faire  sentir  l'in- 
dispensable nécessité  de  supposer  les  corps  dans  cet  état 
complètement  passif,  où  l'on  a  plus  à  considérer  que  les 
forces  extérieures  qui  leur  sont  appliquées,  afin  d'établir 
les  lois  abstraites  de  l'équilibre  et  du  mouvement.  On 
conçoit  que,  s'il  fallait  d'abord  tenir  compte  de  la  modifi- 
cation quelconque  que  le  corps  peut  imprimer,  en  vertu 
de  ses  forces  naturelles,  à  l'action  de  chacune  de  ces  puis- 

A.  Comte.  Tome  L  2  a 


iOS  MATHÉMATIQUES. 

sances  extérieures,  on  ne  pourrait  établir,  en  mécanique 
rationnelle,  la  moindre  proposition  générale,  d'autant 
plus  que  cette  modification  est  loin,  dans  la  plupart  des 
cas,  d'être  exactement  connue.  Ce  n'est  donc  qu'en  com- 
mençant par  en  faire  totalement  abstraction,  pour  ne 
penser  qu'à  la  réaction  des  forces  les  unes  sur  les  autres, 
qu'il  devient  possible  de  fonder  une  mécanique  abstraite, 
de  laquelle  on  passera  ensuite  à  la  mécanique  concrète, 
en  restituant  aux  corps  leurs  propriétés  actives  naturelles, 
primitivement  écartées.  Cette  restitution  constitue,  en 
effet,  la  principale  difficulté  qu'on  éprouve  pour  opérer 
la  transition  de  l'abstrait  au  concret  en  mécanique,  diffi- 
culté qui  limite  singulièrement  dans  la  réalité  les  appli- 
cations importantes  de  cette  science,  dont  le  domaine  théo- 
rique, est  en  lui-même,  nécessairement  indéfini.  Afin  de 
donner  une  idée  de  la  portée  de  cet  obstacle  fondamental, 
on  peut  dire  que,  dans  l'état  actuel  de  la  science  ma- 
thématique, il  n'y  a  vraiment  qu'une  seule  propriété  na- 
turelle et  générale  des  corps  dont  nous  sachions  tenir 
compte  d'une  manière  convenable,  c'est  la  pesanteur,  soit 
terrestre,  soit  universelle;  et  encore  faut-il  supposer,  dans 
ce  dernier  cas,  que  la  forme  des  corps  est  suffisamment 
simple.  Mais  si  cette  propriété  se  complique  de  quelques 
autres  circonstances  physiques,  comme  la  résistance  des 
milieux,  les  frottements,  etc.,  si  même  les  corps  sont  seu- 
lement supposés  à  l'état  fluide,  ce  n'est  encore  que  fort 
imparfaitement  qu'on  est  parvenu  jusqu'ici  à  en  apprécier 
l'influence  dans  les  phénomènes  mécapiques.  A  plus  forte 
raison  nous  est-il  impossible  de  prendre  en  considération 
les  propriétés  électriques  ou  chimiques,  et,  bien  moins 
encore,  les  propriétés  physiologiques.  Aussi  les  grandes 
applications  de  la  mécanique  rationnelle  sont-elles  réelle- 
ment bornées  jusqu'ici  aux  seuls  phénomènes  célestes,  et 


PRINCIPES  DE   LA   MÉGANIQUE    RATIONNELLE.  408 

même  à  ceux  de  notre  système  solaire,  où  il  suffit  d'avoir 
uniquement  égard  à  une  gravitation  générale^  dont  la  loi 
est  simple  et  bien  déterminée,  et  qui  présente  néanmoins 
des  difficultés  qu'on  ne  sait  point  encore  surmonter  com- 
plètement, lorsqu'on  veut  tenir  un  compte  exact  de  toutes 
les  actions  secondaires  susceptibles  d'effets  appréciables. 
On  conçoit  par  là  à  quel  degré  les  questions  doivent  se 
compliquer  quand  on  passe  à  la  mécanique  terrestre,  dont 
la  plupart  des  phénomènes,  même  les  plus  simples,  ne 
comporteront  probablement  jamais,  vu  la  faiblesse  de  nos 
moyens  réels,  une  étude  purement  rationnelle  et  pourtant 
exacte  d'après  les  lois  générales  de  la  mécanique  abstraite, 
quoique  la  connaissance  de  ces  lois,  d'ailleurs  évidemment 
indispensable^  puisse  souvent  conduire  à  des  indications 
importantes. 

Après  avoir  expliqué  la  véritable  nature  de  la  conception 
fondamentale  relative  à  l'état  dans  lequel  les  corps  doivent 
être  supposés  en  mécanique  rationnelle,  il  nous  reste  à 
considérer  les  faits  généraux  ou  les  lois  physiques  du  mouve- 
ment qui  peuvent  fournir  une  base  réelle  aux  théories  dont 
la  science  se  compose.  Cette  importante  exposition  est 
d'autant  plus  indispensable,  que,  comme  je  l'ai  indiqué 
ci-dessus,  depuis  qu'on  s'est  écarté  de  la  route  suivie  par 
Newton,  on  a  complètement  méconnu  le  vrai  caractère  de 
ces  lois,  dont  la  notion  ordinaire  est  encore  essentiellement 
métaphysique. 

Les  lois  fondamentales  du  mouvement  me  semblent  pou- 
voir être  réduitesà  trois, qui  doivent  être  envisagées  comme 
de  simples  résultats  de  l'obser\'ation,  dont  il  est  absurde 
de  vouloir  établir  à  priori  la  réalité»  bien  qu'on  l'ait  tenté 
fréquemment. 

La  première  loi  est  celle  qu'on  désigne  fort  mal  à  pro- 
pos sous  le  nom  de  loi  d'inertie.  Elle  a  été  découverte  par 


404  MATHÉMATIQUES. 

Kepler.  Elle  consiste  proprement  en  ce  que  tout  mouvement 
est  naturellement  rectiligne  et  uniforme,  c'est-à-dire  que 
tout  corps  soumis  à  l'action  d'une  force  unique  quelconque, 
qui  agit  sur.  lui  instantanément,  se  meut  constamment  en 
ligne  droite  et  avec  une  vitesse  invariable.  L'influence  de 
l'esprit  métaphysique  se  manifeste  particulièrement  dans 
la  manière  dont  cette  loi  est  communément  présentée.  An 
lieu  de  se  borner  à  la  regarder  comme  un  fait  observé^  on 
a  prétendu  la  démontrer  abstraitement,  par  une  application 
du  principe  de  la  raison  suffisante,  qui  n'a  pas  la  moindre 
solidité.  En  effet,  pour  expliquer,  par  exemple,  la  nécessité 
du  mouvement  rectiligne,  on  dit  que  le  corps  devait  suivre 
la  ligne  droite,  parce  qu'il  n'y  a  pas  de  raison  pour  qu'il 
s'écarte  d'un  côté  plutôt  que  d'un  autre  de  sa  direction 
primitive.  Il  est  aisé  de  constater  l'invalidité  radicale  et 
même  Tinsignifiance  complète  d'une  telle  argumentation. 
D'abord,  comment  pourrions-nous  être  assurés  qui! n'y  a 
pas  de  raison  pour  que  le  corps  se  déVie?  que  pouvons-nous 
savoir  à  cet  égard,  autrement  que  par  l'expérience?  Les 
considérations  à  priori  fondées  sur  là  nature  des  choses  ne 
nous  sont-elles  pas  complètement  et  nécessairement  inter- 
dites en  philosophie  positive  ?  D'ailleurs,  un  tel  principe, 
même  quand  on  l'admettrait,  ne  comporte  par  lui-même 
qu'une  application  vague  et  arbitraire.  Car,  à  l'origine  du 
mouvement,  c'est-à-dire  à  l'instant  même  où  l'argument 
devrait  être  employé,  il  est  clair  que  la  trajectoire  du  corps 
n'a  point  encore  de  caractère  géométrique  déterminé,  et 
que  c'est  seulement  après  que  le  corps  a  parcouru  un  cer- 
tain espace  qu'on  peut  constater  quelle  ligne  il  décrit.  Il  est 
évident,  par  la  géométrie,  que  le  mouvement  initial,  au 
lieu  d'être  regardé  comme  rectiligne,  pourrait  être  indiffé- 
remment supposé  circulaire,  parabolique,  ou  suivant  toute 
autre  ligne  tangente  à  la  trajectoire  effective,  en  sorte  que 


k 


PRINCIPES  DE   LA  MÉCANIQUE  RATIONNELLE.  405 

la  môme  argumentation  répétée  pour  chacune  de  ces  li- 
gnes, ce  qui  serait  tout  aussi  légitime,  conduirait  à  une 
conclusion  absolument  indéterminée.  Pour  peu  qu'on  ré- 
îQécbisse  sur  un  tel  raisonnement,  on  ne  tardera  pas  à  re- 
connaître que,  comme  toutes  les  prétendues  explications 
métaphysiques,  il  se  réduit  réellement  à  répéter  en  termes 
abstraits  le  fait  lui-môme,  et  à  dire  que  les  corps  ont  une 
tendance  naturelle  à  se  mouvoir  en  ligne  droite,  ce  qui 
était  précisément  la  proposition  à  établir.  L'insignifiance 
de  ces  considérations  vagues  et  arbitraires  finira  par  deve- 
nir palpable,  si  Ton  remarque  que,  par  suite  de  semblables 
arguments,  les  philosophes  de  l'antiquité,  et  particulière- 
ment Aristote,  avaient,  au  contraire,  regardé  le  mouvement 
circulaire  comme  naturel  aux  astres,  en  ce  qu'il  est  le  plus 
parfait  de  tous,  conception  qui  n'est  également  que  re- 
nonciation abstraite  d'un  phénomène  mal  analysé. 

Je  me  suis  borné  à  indiquer  la  critique  des  raisonne- 
ments ordinaires  relativement  à  la  première  partie  de  la 
loi  d'inertie.  On  peut  faire  des  remarques  parfaitement 
analogues  au  sujet  de  la  seconde  partie,  qui  concerne  l'in 
variabilité  de  la  vitesse,  et  qu'on  prétend  aussi  pouvoir  dé- 
montrer abstraitement,  en  se  bornant  à  dire  qu'il  n'y  a 
pas  de  raison  pour  que  le  corps  se  meuve  jamais  plus 
lentement  ou  plus  rapidement  qu'à  l'origine  du  mouve- 
ment. 

Ce  n'est  donc  point  sur  de  telles  considérations  qu'on 
peut  solidement  établir  une  loi  aussi  importante,  qui  est 
un  des  fondements  nécessaires  de  toute  la  mécanique  ra- 
tionnelle. Elle  ne  saurait  avoir  de  réalité  qu'autant  qu'on 
la  conçoit  comme  basée  sur  l'observation.  Mais,  sous  ce 
point  de  vue,  l'exactitude  en  est  évidente  d'après  les  faits 
les  plus  communs.  Nous  avons  continuellement  occasion 
de  reconnaître  qu'un  corps  animé  d'une  force  unique  se 


406  MATHÉMATIQUES. 

meut  constamment  en  ligne  droite;  et,  s'il  se  dévie,  nous 
pouvons  aisément  constater  que  cette  modification  tient  à 
l'action  simultanée  de  quelque  autre  force,  active  ou  pas- 
sive :  enfin  les  mouvements  curvilignes  eux-mêmes  nous 
montrent  clairement,  par  les  phénomènes  variés  dus  à  ce 
qu'on  appelle  la  force  centrifuge^  que  les  corps  conservent 
constamment  leur  tendance  naturelle  à  se  mouvoir  en  ligue 
droite.  Il  n'y  a  pour  ainsi  dire  aucun  phénomène  dans  la 
nature  qui  ne  puisse  nous  fournir  une  vérification  sensible 
de  cette  loi,  sur  laquelle  est  en  partie  fondée  toute  Téco- 
nomie  de  l'univers.  Il  en  est  de  môme  relativement  à  l'uni- 
formité du  mouvement.  Tous  les  faits  nous  prouvent  que, 
si  le  mouvement  primitivement  imprimé  se  ralentit  toujours 
graduellement  et  finit  par  s'éteindre  entièrement,  cela  pro- 
vient des  résistances  que  les  corps  rencontrent  sans  cesse, 
et  sans  lesquelles  l'expérience  nous  porte  à  penser  que  la 
vitesse  demeurerait  indéfiniment  constante,  puisque  nous 
voyons  augmenter  sensiblement  la  durée  de  ce  mouvement 
à  mesure  que  nous  diminuons  l'intensité  de  ces  obstacles. 
On  sait  que  le  simple  mouvement  d'un  pendule  écarté  de 
la  verticale,  qui,  dans  les  circonstances  ordinaires,  se  main- 
tient à  peine  pendant  quelques  minutes,  a  pu  se  prolonger 
jusqu'à  plus  de  trente  heures,  en  diminuant  autant  que 
possible  le  frottement  au  point  de  la  suspension,  et  faisant 
osciller  le  corps  dans  un  vide  très-approché,  lors  des  expé- 
riences de  Borda  à  l'Observatoire  de  Paris  pour  déterminer 
la  longueur  du  pendule  à  secondes  par  rapport  au  mètre. 
Les  géomètres  citent  aussi  avec  beaucoup  de  raison,  comme 
une  preuve  manifeste  de  la  tendance  naturelle  des  corps  à 
conserver  indéfiniment  leur  vitesse  acquise,  l'invariabilité 
rigoureuse  qu'on  remarque  si  clairement  dans  les  mouve- 
ments célestes,  qui,  s'exécutant  dans  un  milieu  d'une  ra- 
reté extrême,  se  trouvent  dans  les  circonstances  les  plus 


PRINCIPES  DE   LA  MéCANIQUB   RATIONNELLE.  407 

favorables  à  une  parfaite  observation  de  la  loi  d'inertie,  et 
qui,  en  effet,  depuis  vingt  siècles  qu'on  les  étudie  avec 
quelque  exactitude,  ne  nous  présentent  point  encore  la 
moindre  altération  certaine,  quant  à  la  durée  des  rotations, 
ou  à  celle  des  révolutions,  quoique  la  suite  des  temps  et 
le  perfectionnement  de  nos  moyens  d'appréciation  doivent 
probablement  nous  dévoiler  un  jour  quelques  variations 
encore  inconnues. 

Nous  devons  donc  regarder  comme  une  grande  loi  de  la 
nature  cette  tendance  spontanée  de  tous  les  corps  à  se 
mouvoir  en  ligne  droite  et  avec  une  vitesse  constante.  Vu 
la  confusion  extrême  des  idées  communes  relativement  à 
ce  premier  principe  fondamental,  il  peut  être  utile  de  re- 
marquer expressément  ici  que  cette  loi  naturelle  est  tout 
aussi  applicable  aux  corps  vivants  qu'aux  corps  inertes 
pour  lesquels  on  la  croit  souvent  exclusivement  établie. 
Quelle  que  soit  l'origine  de  l'impulsion  qu'il  a  reçue,  un 
corps  vivant  tend  à  persister,  comme  un  corps  inerte,  dans 
la  direction  de  son  mouvement,  et  à  conserver  sa  vitesse 
acquise  :  seulement  il  peut  se  développer  en  lui  des  forces 
susceptibles  de  modifier  ou  de  supprimer  ce  mouvement, 
tandis  que,  pour  les  autres  corps,  ces  modifications  sont 
exclusivement  dues  à  des  agents  extérieurs.  Mais,  dans  ce 
cas  môme,  nous  pouvons  acquérir  une  preuve  directe  et 
personnelle  de  l'universalité  de  la  loi  d'inertie,  en  considé- 
rant l'effort  très-sensible  que  nous  sommes  obligés  de  faire 
pour  changer  la  direction  ou  la  vitesse  de  notre  mouvement 
effectif,  à  tel  point,  que,  lorsque  ce  mouvement  est  très- 
rapide,  il  nous  est  impossible  de  le  modifier  ou  de  le  sus- 
pendre à  l'instant  précis  où  nous  le  désirerions. 

La  seconde  loi  fondamentale  du  mouvement  est  due  à 
Newton.  Elle  consiste  dans  le  principe  et  l'égalité  constante 
et  nécessaire  entre  l'action  et  la  réaction,  c'est-à-dire  que 


40ft  MATUÉMATIOUES. 

tontes  les  fois  qu'un  corps  est  mû  par  un  autre  d'une  ma- 
nière quelconque,  il  exerce  sur  lui,  en  sens  inverse,  une 
réaction  telle,  que  le  second  perd,  en  raison  des  masses, 
une  quantité  de  mouvement  exactement  égale  à  celle  que 
le  premier  a  reçue.  On  a  essayé  quelquefois  d'établir  aussi 
à  priori  ce  théorème  général  de  philosophie  naturelle,  qui 
n'en  est  pas  plus  susceptible  que  le  précédent.  Mais  il  a 
élé  beaucoup  moins  le  sujet  de  considérations  sophisti- 
ques, et  presque  tous  les  géomètres  s'accordent  maintenant 
à  le  regarder  d'après  Newton  comme  un  simple  résultat 
de  l'observation,  ce  qui  me  dispense  ici  de  toute  discus- 
sion analogue  à  celle  de  la  loi  d'inertie.  Cette  égalité  dans 
l'action  réciproque  des  corps  se  manifeste  dans  tous  les 
phénomènes  naturels,  soit  que  les  corps  agissent  les  uns 
sur  les  autres  par  impulsion,  soit  qu'ils  agissent  par  attrac- 
tion ;  il  serait  superflu  d'en  citer  ici  des  exemples.  Nous 
avons  même  tellement  occasion  de  constater  cette  mutua- 
lité dans  nos  observations  les  plus  communes,  que  nous  ne 
saurions  plus  concevoir  un  corps  agissant  sur  un  autre, 
sans  que  celui-ci  réagisse  sur  lui. 

Je  crois  devoir  seulement  indiquer,  dès  ce  moment,  au 
sujet  de  cette  seconde  loi  du  mouvement,  une  remarque 
qui  me  semble  importante,  et  qui  d'ailleurs  sera  convena- 
blement développée  dans  la  dix-septième  leçon.  Elle  con- 
siste en  ce  que  le  célèbre  principe  de  d'Alembert,  d'après 
lequel  on  parvient  à  transformer  si  heureusement  toutes 
les  questions  de  dynamique  en  simples  questions  de  stati- 
que, n'est  vraiment  autre  chose  que  la  généralisation  com- 
plète de  la  loi  de  Newton,  étendue  à  un  système  quelcon- 
que de  forces.  Ce  principe  en  effet  coïncide  évidemment 
avec  celui  de  l'égalité  entre  l'action  et  la  réaction,  lors- 
qu'on ne  considère  que  deux  forces.  Un  telle  corrélation 
permet  de  concevoir  désormais  la  proposition  générale  de 


PRINCIPES   DE   LA   MÉCANIQUE   RATIONNELLE.  409 

d'Alembert  comme  ayant  une  base  expérimentale,  tandis 
qu'elle  n'est  communément  établie  jusqu'ici  que  sur  des 
coDsidératioDS  abstraites  peu  satisfaisantes. 

La  troisième  loi  fondamentale  du  mouvement  me  parait 
consister  dans  ce  que  je  propose  d'appeler  le  principe  de 
l'indépendance  ou  de  la  coexistence  des  mouvements,  qui 
conduit  immédiatement  à  ce  qu'on  appelle  vulgairement 
la  composition  des  forces.  Galilée  est,  à  proprement  parler, 
le  véritable  inventeur  de  cette  loi,  quoiqu'il  ue  Tait  point 
conçue  précisément  sous  la  forme  que  je  crois  devoir  pré- 
férer ici.  Considérée  sous  le  point  de  vue  le  plus  simple, 
elle  se  réduit  à  ce  fait  général,  que  tout  mouvement  exac- 
tement commun  à  tous  les  corps  d'un  système  quelconque 
n'altère  point  les  mouvements  particuliers  de  ces  différents 
corps  les  uns  à  l'égard  des  autres,  mouvements  qui  conti- 
nuent à  s'exécuter  comme  si  l'ensemble  du  système  était 
immobile.  Pour  énoncer  cet  important  principe  avec  une 
précision  rigoureuse,  qui  n'exige  plus  aucune  restriction, 
il  faut  concevoir  que  tous  les  points  du  système  décrivent 
à  la  fois  des  droites  parallèles  et  égales,  et  considérer  que 
ce  mouvement  général^  avec  quelque  vitesse  et  dans  quel- 
que direction  qu'il  puisse  avoir  lieu,  n'affectera  nullement 
les  mouvements  relatifs. 

Ce  serait  vainement  qu'on  tenterait  d'établir  par  aucune 
idée  à  priori  cette  grande  loi  fondamentale,  qui  n'en  est 
pas  plus  susceptible  que  les  deux  précédentes.  On  pourrait, 
tout  au  plus,  concevoir  que,  si  les  corps  du  système  sont 
entre  eux  à  l'état  de  repos,  ce  déplacement  commun,  qui 
ne  change  évidemment  ni  leurs  distances  ni  leurs  situa- 
tions respectives,  ne  saurait  altérer  cette  immobilité  rela- 
tive :  encore,  même,  l'ignorance  absolue  où  nous  sommes 
nécessairement  de  la  nature  intime  des  corps  et  des  phé- 
nomènes ne    nous   permet  point  d'affirmer  rationnelle- 


41»  XATHÊHATIQUES. 

ment,  arec  une  féeorité  parfaite,  que  lliitrodiiclioQ  de 
cette  cîrcoDstanee  nooTelle  ne  modifiera  pas  d'une  ma- 
nière ioconnue  les  conditions  primitives  da  système.  Mais 
rinsnfûsance  d'une  telle  argumentation  devient  surtout 
sensible  quand  on  essaye  de  l'appliquer  au  cas  le  plus 
étendu  et  le  plus  important,  à  celui  où  les  différents  corps 
du  système  sont  en  mouvement  les  uns  à  l'égard  des  autres. 
En  s'attachant  à  faire  abstraction,  aussi  complètement  que 
possible,  des  observations  si  connues  et  si  variées  qui  nous 
font  reconnaître  alors  l'exactitude  physique  de  ce  principe, 
il  sera  facile  de  constater  qu'aucune  considération  ration- 
nelle ne  nous  donne  le  droit  de  conclure  à  priori  que  le 
mouvement  général  ne  fera  naître  aucun  changement  dans 
les  mouvements  particuliers.  Cela  est  tellement  vrai,  que, 
lorsque  Oalilée  a  exposé  pour  la  première  fois  cette  grande 
loi  de  la  nature,  il  s'est  élevé  de  toutes  parts  une  foule  d'ob- 
jections à  priori  ienô^ni  à  prouver  l'impossibilité  ration- 
nelTè  d'une  telle  proposition,  qui  n'a  été  unanimement 
admise,  que  lorsqu'on  a  abandonné  le  point  de  vue  logique 
pour  se  placer  au  point  de  vue  physique. 

C'est  donc  seulement  comme  un  simple  résultat  général 
de  l'observation  et  de  l'expérience  que  celte  loi  peut  être 
en  effet  solidement  établie.  Mais,  ainsi  considérée,  il  est 
évident  qu'aucune  proposition  de  philosophie  naturelle 
n'est  fondée  sur  des  observations  aussi  simples,  aussi  di- 
verses, aussi  multipliées,  aussi  faciles  à  vérifier.  11  ne  s'o- 
père point  dans  le  monde  réel  un  seul  phénomène  dyna- 
mique qui  n'en  puisse  offrir  une  preuve  sensible  ;  et  toute 
l'économie  de  l'univers  serait  évidemment  bouleversée  de 
fond  en  comble,  si  l'on  supposait  que  celte  loi  n'existât  plus. 
C'est  ainsi,  par  exemple,  que,  dans  le  mouvement  général 
d'un  vaisseau,  quelque  rapide  qu'il  puisse  être  et  suivant 
quelque  direction  qu'il  ait  lieu,  les  mouvements  relatifs 


PRINCIPES  DE  LA  MÉCANIQUE   RATIONNELLE.  4M 

continuent  à  s'exécuter,  sauf  les  altérations  provenant  du 
roulis  et  du  tangage,  exactement  comme  si  le  vaisseau  était 
immobile,  en  se  composant  avec  le  mouvement  total  pour 
un  observateur  qui  n'y  participerait  pas.  De  môme,  nous 
voyons  continuellement  le  déplacement  général  d'un  foyer 
chimique,  ou  d'un  corps  vivant,  n'affecter  en  aucune  ma- 
nière les  'mouvements  internes  qui  s'y  exécutent.  C'est 
ainsi  surtout,  pour  citer  l'exemple  le  plus  important,  que 
le  mouvement  du  globe  terrestre  ne  trouble  nullement 
les  phénomènes  mécaniques  qui  s'opèrent  à  sa  surface  ou 
dans  son  intérieur.  On  sait  que  l'ignorance  de  cette  troi- 
sième loi  du  mouvement  a  été  précisément  le  principal 
obstacle  scientiOque  qui  s'est  opposé  pendant  si  longtemps 
à  rétablissement  de  la  théorie  de  Copernic,  contre  laquelle 
une  telle  considération  présentait  alors,  en  effet,  des  ob- 
jections insurmontables^  dont  les  coperniciens  n'avaient 
essayé  de  se  dégager  que  par  de  vaines  subtilités  méta- 
physiques avant  la  découverte  de  Galilée.  Mais,  depuis  que 
le  mouvement  de  la  terre  a  été  universellement  reconnu, 
les  géomètres  l'ont  présenté,  avec  raison,  comme  offrant 
lui-môme  une  confirmation  essentielle  de  la  réalité  de 
cette  loi.  Laplace  a  proposé  à  ce  sujet  une  considération 
indirecte  fort  ingénieuse,  que  je  crois  utile  d'indiquer  ici, 
parce  qu'elle  nous  montre  le  principe  de  l'indépendance 
des  mouvements  sous  la  vérification  d'une  expérience  con- 
tinuelle et  très-sensible.  Elle  consiste  à  remarquer  que,  si 
le  mouvement  général  de  la  terre  pouvait  altérer  en  aucune 
manière  les  mouvements  particuliers  qui  s'exécutent  à  sa 
surface^  cette  altération  ne  saurait  évidemment  ôtre  la 
môme  pour  tous  ces  mouvements,  quelle  que  fût  leur  di- 
rection, et  qu'ils  en  seraient  nécessairement  diversement 
affectés  suivant  l'angle  plus  ou  moins  grand  que  ferait  cette 
direction  avec  celle  du  mouvement  du  globe.  Ainsi,  par 


4 1  s  MATHÉMATIQUES. 

exemple,  le  mouvement  oscillatoire  d'un  pendule  devrait 
alors  nous  présenter  des  différences  très-considérables  selon 
Tazimuth  du  plan  vertical  dans  lequel  ii  s'exécute,  et  qui 
lui  donne  une  direction  tantôl  conforme,  tantôt  contraire, 
et  fort  inégalement  contraire  à  celle  du  mouvement  de  la 
terre  ;  tandis  que  l'expérience  ne  nous  manifeste  jamais^  à 
cet  égard,  la  moindre  variation,  môme  en  mesurant  le  phé- 
nomène avec  l'extrême  précision  que  comporte,  sous  ce 
rapport^  l'état  actuel  de  nos  moyens  d'observation. 

Afin  de  prévenir  toute  interprétation  inexacte  et  toute 
application  vicieuse  de  la  troisième  loi  du  mouvement,  il 
importe  de  remarquer  que,  par  sa  nature,  elle  n'est  relative 
qu'aux  mouvements  de  translation^  et  qu'on  ne  doit  jamais 
l'étendre  à  aucun  mouvement  de  rotation.  Les  mouvements 
de  translation  sont  évidemment,  en  effet,  les  seuls  qui  puis- 
sent être  rigoureusement  communs,  pour  le  degré  aussi 
bien  que  pour  la  direction,  à  toutes  les  diverses  parties 
d'un  système  quelconque.  Cette  exacte  parité  ne  saurait 
jamais  avoiblieu  quand  il  s'agit  d'un  mouvement  de  rota- 
tion, qui  présente  toujours  nécessairement  des  inégalités 
entre  les  diverses  parties  du  système,  suivant  qu'elles  sont 
plus  ou  moins  éloignées  du  centre  de  la  rotation.  C'est 
pourquoi  tout  mouvement  de  ce  genre  tend  constamment 
à  altérer  l'état  du  système,  et  l'altère  en  effet  si  les  condi- 
tions de  liaison  entre  les  diverses  parties  ne  constituent 
pas  une  résistance  suffisante.  Ainsi,  par  exemple,  dans  le 
cas  d'un  vaisseau,  ce  n'est  pas  le  mouvement  général  de 
progression  qui  peut  troubler  les  mouvements  particuliers  ; 
le  dérangement  n'est  dû  qu'aux  effets  secondaires  du  roulis 
et  du  tangage,  qui  sont  des  mouvements  de  rotation.  Qu'une 
montre  soit  simplement  transportée  dans  une  direction 
quelconque  avec  autant  de  rapidité  qu'on  voudra,  mais 
sans  tourner  nullement,  elle  n'en  sera  jamais  affectée  ; 


PRINCIPES  DE   LA  MÉCAKIQUE   RATIONNELLE.  413 

tandis  qu'un  médiocre  mouvement  de  rotation  suffira  seul 
pour  déranger  promptement  sa  marche.  La  différence  entre 
ces  deux  effets  deviendrait  surtout  sensible,  en  répétant 
Texpérience  sur  un  corps  vivant.  Enfin,  c'est  par  suite  d'une 
telle  distinction,  que  nous  ne  saurions  avoir  aucun  moyen 
de  constater,  par  des  phénomènes  purement  terrestres,  la 
réalité  du  mouvement  de  translation  de  la  terre,  qui  n'a  pu 
être  découvert  que  par  des  observations  célestes  ;  tandis 
que,  relativement  à  son  mouvement  de  rotation,  il  déter- 
mine nécessairement  à  la  surface  de  la  terre,  vu  l'inégalité 
de  force  centrifuge  entre  les  différents  points  du  globe,  des 
phénomènes  très-sensil^les,  quoique  peu  considérables, 
dont  l'analyse  pourrait  suffire  pour  démontrer,  indépen- 
damment de  toute  considération  astronomique,  l'exis- 
tence de  cette  rotation. 

Le  principe  de  l'indépendance  ou  de  la  coexistence  des 
mouvements  étant  une  fois  établi^  il  est  facile  de  concevoir 
qu'il  conduit  immédiatement  à  la  règle  élémentaire  ordi- 
nairement usitée  pour  ce  qu'on  appelle  la  composition  des 
forces^  qui  n'est  vraiment  autre  chose  qu'une  nouvelle  ma- 
nière de  considérer  et  d'énoncer  la  troisième  loi  du  mou- 
vement. En  effet,  la  proposition  du  parallélogramme  des 
forces,  envisagée  sous  le  point  de  vue  le  plus  positif^  con- 
siste proprement  en  ce  que,  lorsqu'un  corps  est  animé  à  la 
fois  de  deux  mouvements  uniformes  dans  des  directions 
quelconques,  il  décrit,  en  vertu  de  leur  combinaison,  la 
diagonale  du  parallélogramme  dont  il  eût  dans  le  môme 
temps  décrit  séparément  les  côtés  en  vertu  de  chaque 
mouvement  isolé.  Or  n'est-ce  pas  là  évidemment  une  sim- 
ple application  directe  du  principe  de  l'indépendance  des 
mouvements,  d'après  lequel  le  mouvement  particulier  du 
corps  le  long  d'une  certaine  droite  n'est  nullement  troublé 
par  le  mouvement  général  qui  entraîne  parallèlement  à 


414  MÂTaÉMATIQUES. 

elle-môme  la  totalité  de  cette  droite  le  long  d'une  autre 
droite  quelconque?  Cette  considération  conduit  sur-le- 
champ  à  la  construction  géométrique  énoncée  par  la  règle 
du  parallélogramme  des  forces.  C'est  ainsi  que  ce  théorème 
fondamental  de  la  mécanique  rationnelle  me  parait  être 
présenté  directement  comme  une  loi  naturelle,  ou  du 
moins  comme  une  application  immédiate  d'une  des  plus 
grandes  lois  de  la  nature.  Telle  est,  à  mon  gré,  la  seule  ma- 
nière vraiment  philosophique  d'établir  solidement  cette 
importante  proposition,  pour  écarter  définitivement  tous 
les  nuages  métaphysiques  dont  elle  est  encore  enTironnée 
et  la  mettre  complètement  à  l'abri  de  toute  objection  réelle. 
Toutes  les  prétendues  démonstrations  analytiques  qu'on  a 
successivement  essayé  d'en  donner  d'après  des  considé- 
rations purement  abstraites,  outre  qu'elles  reposent  ordi- 
nairement sur  une  interprétation  vicieuse  et  sur  une  fausse 
application  du  principe  analytique  de  l'homogénéité,  ap- 
posent d'ailleurs  que  la  proposition  est  évidente  par  elle- 
môme  dans  certains  cas  particuliers,  quand  les  deux  forces, 
par  exemple,  agissent  suivant  une  même  droite,  évidence 
qui  ne  peut  résulter  alors  que  de  l'observation  effective  de 
la  loi  naturelle  de  l'indépendance  des  mouvements,  dont 
l'indispensabilité  se  trouve  ainsi  irrécusablement  mani- 
festée. Il  serait  étrange,  en  effet,  pour  quiconque  envisage 
directement  la  question  sous  un  point  de  vue  philosophie 
que  que,  par  de  simples  combinaisons  logiques,  l'esprit 
humain  pût  ainsi  découvrir  une  loi  réelle  de  la  nature,  sans 
consulter  aucunement  le  monde  extérieur. 

Cette  notion  étant  de  la  plus  haute  importance  quant  à 
la  manière  de  concevoir  la  mécanique  rationnelle,  et  s'é- 
cartant  beaucoup  de  la  marche  habituellement  adoptée  au- 
jourd'hui, je  crois  devoir  la  présenter  encore  sous  un  der- 
nier point  de  vue  qui  achèvera  de  l'éclaircir,  en  montrant 


PRINCIPES  DE  LA    MÉCANIQUE   RATIONNELLE.  415 

que,  malgré  tous  les  efforts  des  géomètres  pour  éluder  à 
cet  égard  l'emploi  des  considératioos  expérimentales,  la 
loi  physique  de  l'indépendance  des  mouvements  reste  im- 
plicitement, môme  de  leur  aveu  unanime,  une  des  bases 
essentielles  de  la  mécanique,  quoique  présentée  sous  une 
forme  différente  et  à  une  autre  époque  de  Texposition. 

Il  suffit,  pour  cela,  de  reconnaître  que  cette  loi,  au  lieu 
d'être  exposée  directement  dans  l'étude  des  prolégomènes 
de  la  science,  se  retrouve  plus  tard  admise  par  tous  les 
géomètres,  comme  établissant  le  principe  de  la  propor- 
tionnalité des  vitesses  aux  forces,  base  nécessaire  de  la 
dynamique  ordinaire. 

Afin  'de  saisir  convenablement  le  vrai  caractère  de  cette 
question,  il  faut  remarquer  que  les  rapports  des  forces 
peuvent  être  déterminés  de  deux  manières  différentes,  soit 
par  le  procédé  statique,  soit  par  le  procédé  dynamique. 
En  effet,  nous  ne  jugeons  pas  toujours  du  rapport  de  deux 
forces  d'après  l'intensité  plus  ou  moins  grande  des  mou- 
vements qu'elles  peuvent  imprimer  à  un  même  corps. 
Nous  l'apprécions  fréquemment  aussi  d'après  de  simples 
considérations  d'équilibre  mutuel,  en  regardant  comme 
égales  les  forces  qui,  appliquées  en  sens  contraire,  suivant 
une  même  droite,  se  détruisent  réciproquement,  et  ensuite 
comme  double,  triple,  etc.,  d'une  autre,  la  force  qui  ferait 
équilibre  à  deux,  trois,  etc.,  forces  égales  à  celle-ci,  et 
toutes  directement  opposées  à  la  seconde.  Ce  nouveau 
moyen  de  mesure  est,  en  réalité,  tout  aussi  usité  que  le 
précédent.  Gela  posé,  la  question  consiste  essentiellement 
à  savoir  si  les  deux  moyens  sont  toujours  et  nécessaire- 
ment équivalents,  c'est-à-dire  si,  les  rapports  des  forces 
étant  d'abord  seulement  définis  par  la  considération  sta- 
tique, il  s'ensuivra,  sous  le  point  de  vue  dynamique, 
qu'elles  imprimeront  à  une  même  masse  des  vitesses  qui 


4 1  6  MATUÉMATTQUES. 

leur  soient  exactement  proportionnelles.  Cette  corrélation 
n'est  nullement  évidente  par  elle-môme  ;  tout  au  plus  peut- 
on  concevoir  à  priori  que  les  plus  grandes  forces  doivent 
nécessairement  donner  les  plus  grandes  vitesses.  Mais 
l'observation  seule  peut  décider  si  c'est  à  la  première  puis- 
sance de  la  force  ou  à  toute  autre  fonction  croissante  que 
la  vitesse  est  proportionnelle. 

C'est  pour  déterminer  quelle  est,  à  cet  égard,  la  véri- 
table loi  de  la  nature,  que,  de  l'aveu  de  tous  les  géomètres 
et  particulièrement  de  Laplace,  il  faut  considérer  le  fait 
général  de  l'indépendance  ou  de  la  coexistence  des  mou- 
vements. Il  est  facile  de  voir,  d'après  le  raisonnement  de 
Laplace,  que  la  théorie  de  la  proportionnalité  des  vitesses 
aux  forces  est  une  conséquence  nécessaire  et  immédiate 
de  ce  fait  général,  appliqué  à  deux  forces  qui  agissent  dans 
la  môme  direction.  Car,  si  un  corps,  en  vertu  d'une  cer- 
taine force,  a  parcouru  un  espace  déterminé  suivant  une 
certaine  droite,  et  qu'on  vienne  à  ajouter,  selon  la  même 
direction,  une  seconde  force  égale  à  la  première;  d'après 
la  loi  de  l'indépendance  des  mouvements,  cette  nouvelle 
force  ne  fera  que  déplacer  la  totalité  de  la  droite  d'appli- 
cation d'une  égale  quantité  dans  le  môme  temps,  sans 
altérer  le  mouvement  du  corps  le  long  de  cette  droite,  en 
sorte  que,  par  la  composition  des  deux  mouvements,  ce 
corps  aura  effectivement  parcouru  un  espace  double  de 
celui  qui  correspondait  à  la  force  primitive.  Telle  est  la 
seule  manière  dont  on  puisse  réellement  constater  la  pro- 
portionnalité générale  des  vitesses  aux  forces,  que  je  dois 
ainsi  me  dispenser  de  regarder  comme  une  quatrième  loi 
fondamentale  du  mouvement,  puisqu'elle  rentre  dans  la 
troisième. 

11  est  donc  évident  que,  quand  on  a  cru  pouvoir  se  dis- 
penser en  mécanique  du  fait  général  de  l'indépendance 


PRINCIPES  DE   LA  MÉCANIQUE  RATIONNELLE.  417 

des  mouvements  pour  établir  la  loi  fondamentale  de  la 
composition  des  forces,  la  nécessité  de  regarder  cette 
proposition  de  philosophie  naturelle  comme  une  des  bases 
indispensables  de  la  science  s'est  reproduite  inévitablement 
pour  démontrer  la  loi  non  moins  importante  des  forces 
proportionnelles  aux  vitesses,  ce  qui  met  cette  nécessité 
hors  de  toute  contestation.  Ainsi  quel  a  été  le  résultat  réel 
de  tous  les  efforts  intellectuels  qui  ont  été  tentés  pour 
éviter  d'introduire  directement,  dans  les  prolégomènes  de 
la  mécanique,  cette  observation  fondamentale  ?  seulement 
de  paraître  s'en  dispenser  en  statique,  et  de  ne  la  prendre 
évidemment  en  considération  qu'aussitôt  qu'on  passe  à  la 
dynamique.  Tout  se  réduit  donc  effectivement  à  une  simple 
transposition.  Il  est  clair  qu'un  résultat  aussi  peu  impor- 
tant n'est  nullement  proportionné  à  la  complication  des 
procédés  indirects  qui  ont  été  employés  pour  y  parvenir, 
quand  môme  ces  procédés  seraient  logiquement  irrépro- 
chables, et  nous  avons  expressément  reconnu  le  contraire* 
Il  est  donc,  sous  tous  les  rapports^  beaucoup  plus  satis- 
faisant de  se  conformer  franchement  et  directement  à  la 
nécessité  philosophique  de  la  science^  et,  puisqu'elle  ne 
saurait  se  passer  d'une  base  expérimentale,  de  reconnaître 
nettement  cette  base  dès  l'origine.  Aucune  autre  marche 
ne  peut  rendre  complètement  positive  une  science  qui, 
sans  de  tels  fondements,  conserverait  encore  un  certain 
caractère  métaphysique. 

* 

Telles  sont  donc  les  trois  lois  physiques  du  mouvement 
qui  fournissent  à  la  mécanique  rationnelle  une  base  expé- 
rimentale suffisante,  sur  laquelle  l'esprit  humain^  par  de 
simples  opérations  logiques,  et  sans  consulter  davantage  le 
monde  extérieur,  peut  solidement  établir  l'édifice  systéma- 
tique de  la  science.  Quoique  ces  trois  lois  me  semblent 
pouvoir  suffire,  je  ne  vois  à  priori  aucune  raison  de  n'en 
A.  Comte.  Tome  L  27 


A  18  MATUEMATIQUES. 

point  augmenter  le  nombre,  si  Ton  parvenait  effectivement 
à  constater  qu'elles  ne  sont  pas  strictement  complètes. 
Cette  augmentation  me  paraîtrait  un  fort  léger  inconvé- 
nient pour  la  perfection  rationnelle  de  la  science,  puisque 
ces  lois  ne  sauraient  jamais  évidemment  être  très-multi- 
pliées;  je  regarderais  comme  préférable,  en  thèse  générale, 
d'en  établir  une  ou  deux  de  plus,  si,  pour  l'éviter,  il  fallait 
recourir  à  des  considérations  trop  détournées,  qui  fussent 
de  nature  à  altérer  le  caractère  positif  de  la  science.  Mais 
Tensemble  des  trois  lois  ci-dessus  exposées  remplit  conve- 
nablement, à  mes  yeux,  toutes  les  conditions  essentielles 
réellement  imposées  par  la  nature  des  théories  de  la  mé- 
canique rationnelle.  En  effet,  la  première,  celle  de  Kepler, 
détermine  complètement  l'effet  produit  par  une  force  uni- 
que agissant  instantanément  ;  la  seconde,  celle  de  Newton, 
établit  la  règle  fondamentale  pour  la  communication  du 
mouvement  par  l'action  des  corps  les  uns  sur  les  autres; 
enfin  la  troisième,  celle  de  Galilée,  conduit  immédiatement 
au  théorème  général  relatif  à  la  composition  des  mouve- 
ments. On  conçoit,  d'après  cela,  que  toute  la  mécanique  des 
mouvements  uniformes  ou  des  forces  instantanées  peut 
être  entièrement  traitée  comme  une  conséquence  directe 
de  la  combinaison  de  ces  trois  lois,  qui,  étant  de  leur  na- 
ture extrêmement  précises,  sont  évidemment  susceptibles 
d'être  aussitôt  exprimées  par  des  équations  analytiques  fa- 
ciles à  obtenir.  Quant  à  la  partie  la  plus  étendue  et  la  plus 
importante  de  la  mécanique,  celle  qui  en  constitue  essen- 
tiellement la  difficulté,  c'est-à-dire  la  mécanique  des  mou- 
vements variés  ou  des  forces  continues,  on  peut  concevoir, 
d'une  manière  générale,  la  possibilité  de  la  ramener  à  la 
mécanique  élémentaire  dont  nous  venons  d'indiquer  le  ca- 
ractère, par  l'application  de  la  méthode  infinitésimale,  qui 
permettra  de  substituer,  pour  chaque  instant  infiniment 


PRINCIPES  DE   LA   MÉCANIQUE   RATIONNELLE.  419 

petit,  un  mouvement  uniforme  au  mouvement  varié,  d'où 
résulteront  immédiatement  les  équations  différentielles  re- 
latives à  cette  dernière  espèce  de  mouvements.  U  sera  sans 
doute  fort  important  d'établir  directement  et  avec  préci- 
sion, dans  les  leçons  suivantes,  la  manière  générale  d'em- 
ployer une  telle  méthode  pour  résoudre  les  deux  problèmes 
essentiels  de  la  mécanique  rationnelle,  et  de  considérer 
soigneusement  les  principaux  résultats  que  les  géomètres 
ont  ainsi  obtenus  relativement  aux  lois  abstraites  de  Téqui- 
libre  et  du  mouvement.  Mais  il  est,  dès  ce  moment,  évident 
que  la  science  se  trouve  réellement  fondée  par  l'ensemble 
des  trois  lois  physiques  établies  ci-dessus,  et  que  tout  le 
travail  devient  désormais  purement  rationnel,  devant  con- 
sister seulement  dans  l'usage  à  faire  de  ces  lois  pour  la  so^ 
lution  des  différentes  questions  générales.  £n  un  mot,  la 
séparation  entre  la  partie  nécessairement  physique  et  la 
partie  simplement  logique  de  la  science  me  semble  pou- 
voir être  ainsi  nettement  effectuée  d'une  manière  exacte  et 
définitive. 

Pour  terminer  cet  aperçu  général  du  caractère  philoso- 
phique de  la  mécanique  rationnelle,  il  ne  nous  reste  plus 
maintenant  qu'à  considérer  sommairement  les  divisions 
principales  de  cette  science^  les  divisions  secondaires  de- 
vant être  envisagées  dans  les  leçons  suivantes. 

La  première  et  la  plus  importante  division  naturelle  de 
la  mécanique  consiste  à  distinguer  deux  ordres  de  ques- 
tions, suivant  qu'on  se  propose  la  recherche  des  conditions 
de  l'équilibre,  ou  l'étude  des  lois  du  mouvement,  d'où  la 
statique  et  la  dynamique.  11  suffit  d'indiquer  une  telle  divi- 
sion, pour  en  faire  comprendre  directement  la  nécessité 
générale.  Outre  la  différence  effective  qui  existe  évidem- 
ment entre  ces  deux  classes  fondamentales  de  problèmes, 
il  est  aisé  de  concevoir  à  priori  que  les  questions  de  sta- 


420  MATHÉMATIQUES. 

tiqne  doivent  être,  en  général,  par  leur  nature,  bien  plus 
faciles  à  traiter  que  les  questions  de  dynamique.  Cela  ré- 
sulte essentiellement  de  ce  que,  dans  les  premières,  on  lait, 
comme  on  Ta  dit  avec  raison,  abstraction  du  temps;  c'est- 
à-dire  que,  le  phénomène  à  étudier  étant  nécessairement 
instantané,  on  n'a  pas  besoin  d'avoir  égard  aux  variations 
que  les  forces  du  système  peuvent  éprouver  dans  les  di- 
vers instants  successifs.  Cette  considération  qu'il  faut,  au 
contraire,  introduire  dans  toute  question  de  dynamique, 
y  constitue  un  élément  fondamental  de  plus,  qui  en  fait 
la  principale  difficulté.  Il  suit,  en  thèse  générale,  de  cette 
différence  radicale,  que  la  statique  tout  entière,  quand  on 
la  traite  comme  un  cas  particulier  de  la  dynamique,  cor- 
respond seulement  à  la  partie  de  beaucoup  la  plus  simple 
de  la  dynamique»  à  celle  qui  concerne  la  théorie  des  mou- 
vements uniformes,  comme  nous  l'établirons  spécialement 
dans  la  leçon  suivante. 

L'importance  de  cette  division  est  bien  clairement  véri- 
fiée par  l'histoire  générale  du  développement  effectif  de 
l'esprit  humain.  Nous  voyons,  en  elfet,  que  les  anciens 
avaient  acquis  quelques  connaissances  fondamentales  très- 
essentielles  relativement  à  l'équilibre,  soit  des  solides, 
soit  des. fluides, comme  on  le  voit  surtout  par  les  belles  re- 
cherches d'Archimède,  quoiqu'ils  fussent  encore  fort 
éloignés  de  posséder  une  statique  rationnelle  vraiment 
complète.  Au  contraire  ,  ils  ignoraient  entièrement  la 
dynamique,  même  la  plus  élémentaire;  la  première  créa- 
tion de  cette  science  toute  moderne  est  due  à  Galilée. 

Après  cette  division  fondamentale^  la  distinction  la  plus 
importante  à  établir  en  mécanique  consi^le  à  séparer,  soit 
dans  la  statique,  soit  dans  la  dynamique,  Tétude  des  so- 
lides et  celle  des  fluides.  Quelque  essentielle  que  soit  cette 
division,  je  ne  la  place  qu'en  seconde  ligne,  et  subordon- 


PBINCIPBS  DE  LA   MÉCANIQUE  RATIONNELLE.  411 

née  à  la  précédente,  suivant  la  méthode  établie  par  La- 
grange,  car  c'est,  ce  me  semble,  s'exagérer  son  influence 
que  de  la  constituer  division  principale,  comme  on  le  fait 
encore  dans  les  traités  ordinaires  de  mécanique.  Les  prin- 
cipes essentiels  de  statique  ou  de  dynamique  sont,  en  effet, 
nécessairement  les  mômes  pour  les  fluides  que  pour  les  so- 
lides ;  seulement  les  fluides  exigent  d'ajouter  aux  condi- 
tions caractéristiques  du  système  une  considération  de 
plus,  celle  relative  à  la  variabilité  de  forme,  qui  définit  gé- 
néralement leur  constitution  mécanique  propre.  Mais,  tout 
en  plaçant  cette  distinction  au  rang  convenable^  il  est  fa- 
cile de  concevoir  à  priori  son  extrême  importance,  et  de 
sentir,  en  général,  combien  elle  doit  augmenter  la  diffl- 
culté  fondamentale  des  questions^  soit  dans  la  statique, 
soit  surtout  dans  la  dynamique.  Car  cette  parfaite  indé- 
pendance réciproque  des  molécules,  qui  caractérise  les 
fluides,  oblige  de  considérer  séparément  chaque  molécule^ 
et,  par  conséquent,  d'envisager  toujours,  môme  dans  le 
cas  le  plus  simple,  un  système  composé  d'une  infinité  de 
forces  distinctes.  Il  en  résulte,  pour  la  statique,  Tintroduc- 
tion  d'un  nouvel  ordre  de  recherches,  relativement  à  la 
figure  du  système  dans  l'état  d'équilibre,  question  très- 
diffcile  par  sa  nature,  et  dont  la  solution  générale  est  en- 
core peu  avancée,  môme  pour  le  seul  cas  de  la  pesanteur 
universelle.  Mais  la  difficulté  est  encore  plus  sensible  dans 
la  dynamique.  En  efi*et,  l'obligation  où  l'on  se  trouve  alors 
strictement  de  considérer  à  part  le  mouvement  propre  de 
chaque  molécule,  pour  faire  une  étude  vraiment  complète 
du  phénomène,  introduit  dans  la  question,  envisagée  sons 
le  point  de  vue  analytique,  une  complication  jusqu'à  pré- 
sent inextricable  en  général,  et  qu'on  n'est  encore  parvenu 
à  surmonter,  môme  dans  le  cas  très-simple  d'un  fluide 
uniquement  mû  par  sa  pesanteur  terrestre,  qu'à  l'aide 


4il  MATHÉMATIQUES. 

d'hypothèses  fort  précaires,  comme  celle  de  Daniel  Ber- 
Douilli  sur  le  parallélisme  des  tranches,  qui  altèrent  d'une 
manière  notable  la  réalité  des  phénomènes.  On  conçoit 
donc,  en  thèse  générale,  la  plus  grande  difficulté  néces- 
saire de  rhydrostatique^  et  surtout  de  Thydrodynamique, 
par  rapport  à  la  statique  et  à  la  dynamique  proprement 
dites,  qui  sont  en  effet  bien  plus  avancées. 

Il  faut  ajouter  à  ce  qui  précède,  pour  se  faire  une  juste 
idée  générale  de  cette  différence  fondamentale,  que  la  dé- 
finition caractéristique  par  laquelle  les  géomètres  distin- 
guent les  solides  et  les  fluides  en  mécanique  rationnelle, 
n'est  véritablement,  à  Tégard  des  uns  comme  à  Tégard  des 
autres,  qu'une  représentation  exagérée,  et,  par  consé- 
quent, strictement  infidèle  de  la  réalité.  En  effet,  quant 
aux  fluides  principalement,  il  est  clair  que  leurs  molécules 
ne  sont  point  réellement  dans  cet  état  rigoureux  d'indé- 
pendance mutuelle  où  nous  sommes  obligés  de  les  suppo- 
ser en  mécanique,  en  les  assujettissant  seulement  à  con- 
server entre  elles  un  volume  constant  s'il  s'agit  d'un 
liquide,  ou,  s'il  s'agit  d'un  gaz,  un  volume  variable  suivant 
une  fonction  donnée  de  la  pression,  par  exemple,  en  rai- 
son inverse  de  cette  expression,  d'après  la  loi  de  Mariette. 
Un  grand  nombre  de  phénomènes  naturels  sont,  au  con- 
traire, essentiellement  dus  à  l'adhérence  mutuelle  des  mo- 
lécules d'un  fluide,  liaison  qui  est  seulement  beaucoup 
moindre  que  dans  les  solides.  Cette  adhésion,  dont  on  fait 
abstraction  pour  les  fluides  mathématiques,  et  qu'il  sem- 
ble, en  effet,  presque  impossible  de  prendre  convenable- 
ment en  considération,  détermine,  comme  on  sait^  des 
différences  très-sensibles  entre  les  phénomènes  effectifs  et 
ceux  qui  résultent  de  la  théorie,  soit  pour  la  statique,  soit 
surtout  pour  la  dynamique ,  par  exemple  relativement  à 
Técoulement  d'un  liquide  pesant  par  un  orifice  déterminé, 


PRINCIPES  DE   LA  MÉCANIQUE   RATIONNELLE.  413 

OÙ  Tobservation  s'écarte  notablement  de  la  théorie  quant 
à  la  dépense  de  liquide  en  un  temps  donné. 

Quoique  la  définition  mathématique  des  solides  se  trouve 
représenter  beaucoup  plus  exactement  leur  état  réel,  on  a 
cependant  plusieurs  occasions  de  reconnaître  la  nécessité 
de  tenir  compte  en  certains  cas  de  la  possibilité  de  sépara- 
tion mutuelle  qui  existe  toujours  entre  les  molécules  d'un 
solide^  si  les  forces  qui  leur  sont  appliquées  acquièrent 
une  intensité  suffisante,  el  dont  on  fait  complètement  abs- 
traction en  mécanique  rationnelle.  C'est  ce  qu'on  peut  ai- 
sément constater,  surtout  dans  la  théorie  de  la  rupture  des 
solides,  qui,  à  peine  ébauchée  par  Galilée^  par  Huyghens 
et  par  Leibnitz,  se  trouve  aujourd'hui  dans  un  état  fort 
imparfait  et  même  très-précaire,  malgré  les  travaux  de 
plusieurs  autres  géomètres,  et  qui  néanmoins  serait  im- 
portante pour  éclairer  plusieurs  questions  de  mécanique 
terrestre,  principalement  de  mécanique  industrielle.  On 
doit  pourtant  remarquer,  à  ce  sujet,  que  cette  imper- 
fection est  à  la  fois  beaucoup  moins  sensible  et  bien 
moins  importante  que  celle  ci-dessus  notée,  relativement 
à  la  mécanique  des  fluides.  Car  elle  se  trouve  ne  pouvoir 
nullement  influer  sur  les  questions  de  mécanique  céleste, 
qui  constituent  réellement,  comme  nous  avons  eu  plusieurs 
occasions  de  le  reconnaître,  la  principale  application,  et 
probablement  la  seule  qui  puisse  être  jamais  vraiment 
complète,  de  la  mécanique  rationnelle. 

Enfin  nous  devons  encore  signaler,  en  thèse  générale, 
dans  la  mécanique  actuelle,  une  lacune,  secondaire  il  est 
vrai,  mais  qui  n'est  pas  sans  importance,  relativement  à  la 
théorie  d'une  classe  de  corps  qui  sont  dans  un  état  inter- 
médiaire entre  la  solidité  et  la  fluidité  rigoureuses,  et 
qu'on  pourrait  appeler  semi-fluides,  ou  semi-solides  :  tels 
sont,  par  exemple,  d'une  part,  les  sables,  et,  d'une  autre 


414  MATHÉMATIQUES. 

part,  les  flaides  à  l'état  gélatineux.  Il  a  été  présenté  quel- 
ques considérations  rationnelles  au  sujet  de  ces  corps, 
sous  le  nom  de  fluides  imparfaits^  surtout  relativement  à 
leurs  surfaces  d'équilibre.  Mais  leur  théorie  propre  n'a 
jamais  été  réellement  établie  d'une  manière  générale  et 
directe. 

Tels  sont  les  principaux  aperçus  généraux  que  j'ai  cm 
devoir  indiquer  sommairement  pour  faire  apprécier  le  ca- 
ractère philosophique  qui  distingue  la  mécanique  ration- 
nelle, envisagée  dans  son  ensemble.  Il  s'agit  maintenant, 
en  considérant  sous  le  môme  point  de  vue  philosophique 
la  composition  effective  de  la  science,  d'apprécier  com- 
ment, par  les  importants  travaux  successifs  des  plus  grands 
géomètres,  cette  seconde  section  générale  si  étendue,  si 
essentielle  et  si  difficile  de  la  mathématique  concrète,  a 
pu  être  élevée  à  cetéminent  degré  de  perfection  théorique 
qu'elle  a  atteint  de  nos  jours  dans  l'admirable  traité  de 
Lagrange,  et  qui  nous  présente  toutes  les  questions  abs- 
traites qu'elle  est  susceptible  d'offrir,  ramenées,  d'après 
un  principe  unique^  à  ne  plus  dépendre  que  de  recherches 
purement  analytiques,  comme  nous  l'avons  déjà  reconnu 
pour  les  problèmes  géométriques.  Ce  sera  l'objet  des  trois 
leçons  suivantes  ;  la  première  consacrée  à  la  statique^  la 
seconde  à  la  dynamique,  et  la  troisième,  à  l'examen  des 
théorèmes  généraux  de  la  mécanique  rationnelle. 


SEIZIÈME    LEÇON 

Sommaire.  —  Vue  générale  de  la  statique. 


L'ensemble  de  la  mécanique  rationnelle  peut  ôtre  traité 
d'après  deux  méthodes  générales  essentiellement  distinctes 
et  inégalement  parfaites,  suivant  que  la  statique  est  conçue 
d'une  manière  directe,  ou  qu'elle  est  considérée  comme 
an  cas  particulier  de  la  dynamique.  Par  la  première  mé- 
thode, on  s'occupe  immédiatement  de  découvrir  un  prin- 
cipe d'équilibre  suffisamment  général,  qu'on  applique 
ensuite  à  la  détermination  des  conditions  d'équilibre  de 
tous  les  systèmes  de  forces  possibles.  Par  la  seconde,  au 
iïontraire,  on  cherche  d'abord  quel  serait  le  mouvement 
résultant  de  l'action  simultanée  des  diverses  forces  quel- 
conques proposées,  et  on  en  déduit  les  relations  qui  doî- 
Tent  exister  entre  ces  forces  pour  que  ce  mouvement 
soit  nul. 

La  statique  étant  nécessairement  d'une  nature  plus 
simple  que  la  dynamique,  la  première  méthode  a  pu  seule 
être  employée  à  l'origine  de  la  mécanique  rationnelle. 
C'est,  en  effet,  la  seule  qui  fût  connue  des  anciens,  entiè- 
rement étrangers  à  toute  idée  de  dynamique,  môme  la 
plus  élémentaire.  Archimède,  vrai  fondateur  de  la  sta- 
tique, et  auquel  sont  dues  toutes  les  notions  essentielles 
que  l'antiquité  possédait  à  cet  égard,  commence  à 
établir  la  condition  d'équilibre  de  deux  poids  suspendus 
aux  deux  extrémités  d'un  levier  droit,  c'est-i-dire  la  néces- 


«26  MATHÉMATIQUES. 

site  que  ces  poids  soient  en  raison  inverse  de  leurs  distances 
au  point  d'appui  du  levier  ;  et  il  s'efTorce  ensuite  de  ra- 
mener autant  que  possible  à  ce  principe  unique  la  re- 
cherche des  relations  d'équilibre  propres  à  d'autres 
systèmes  de  forces.  Pareillement,  quant  à  la  statique  des 
fluides,  il  pose  d'abord  son  célèbre  principe,  consistant  en 
ce  que  tout  corps  plongé  dans  un  fluide  perd  une  partie  de 
son  poids  égale  au  poids  du  fluide  déplacé  ;  et  ensuite  il 
en  déduit  dans  un  grand  nombre  de  cas  la  théorie  de  la 
stabilité  des  corps  flottants.  Mais  le  principe  du  levier 
n'avait  point  par  lui-môme  une  assez  grande  généralité 
pour  qu'il  fût  possible  de  l'appliquer  réellement  à  la  déter- 
mination des  conditions  d'équilibre  de  tous  les  systèmes 
de  forces.  Par  quelques  ingénieux  artifices  qu'on  ait  succes- 
sivement essayé  d'en  étendre  l'usage,  on  n'a  pu  effective- 
ment y  ramener  que  les  systèmes  composés  de  forces 
parallèles.  Quant  aux  forces  dont  les  directions  concourent, 
on  a  d'abord  essayé  de  suivre  une  marche  analogue,  en 
imaginantde  nouveaux  principes  directs  d'équilibre spécia- 
lementpropres  à  ce  cas  plus  général,  et  parmi  lesquels  ilfaut 
surtoutremarquerrheureuseidéedeStévin,relativeàréqui- 
libre  du  système  de  deux  poids  posés  sur  deux  plans  inclinés 
adossés.  Cette  nouvelle  idée  mère  eût  peut-être  suffl  stric- 
tement pour  combler  la  lacune  que  laissait  dans  la  statique 
le  principe  d'Archimède,  puisque  Stévin  était  parvenu  à  en 
déduireles  rapports  d'équilibre  entre  trois  forces  appliquées 
en  un  môme  points  dans  le  cas  du  moins  où  deux  de  ces 
forces  sont  à  angles  droits  ;  et  il  avait  môme  remarqué  que 
les  trois  forces  sont  alors  entre  elles  comme  les  trois  côtés 
d'un  triangle  dont  les  angles  seraient  égaux  à  ceux  formés 
par  ces  trois  forces.  Mais,  la  dynamique  ayant  été  fondée 
dans  le  même  temps  par  Galilée,  les  géomètres  cessèrent 
de  suivre  l'ancienne  marche  statique*  directe,  préférant 


STATÏQUE.  4Î7 

procédera  la  recherche  des  conditions  d'équilibre  d'après 
les  lois  dès  lors  connues  de  la  composition  des  forces.  C'est 
par  cette  dernière  méthode  que  Varignon  découvrit  la  véri- 
table théorie  générale  de  l'équilibre  d'un  système  de  forces 
appliquées  en  un  môme  point,  et  que  plus  tard  d'AIem- 
bert  établit  enfin,  pour  la  première  fois,  les  équations 
d'équilibre  d'un  système  quelconque  de  forces  appliquées 
aux  différents  points  d'un  corps  solide  de  forme  invariable. 
Cette  méthode  est  encore  aujourd'hui  la  plus  universelle- 
ment employée. 

Au  premier  abords  elle  semble  peu  rationnelle,  puisque, 
la  dynamique  étant  plus  compliquée  que  la  statique,  il  ne 
parait  nullement  convenable  de  faire  dépendre  celle-ci  de 
l'autre.  II  serait,  en  effet,  plus  philosophique  de  ramener 
au  contraire,  s'il  est  possible,  la  dynamique  à  la  statique, 
comme  on  y  est  parvenu  depuis.  Mais  on  doit  néanmoins 
reconnaître  que,  pour  traiter  complètement  la  statique 
comme  un  cas  particulier  de  la  dynamique,  il  suffit 
d'avoir  formé  seulement  la  partie  la  plus  élémentaire 
de  celle-ci,  la  théorie  des  mouvements  uniformes,  sans 
avoir  aucun  besoin  de  la  théorie  des  mouvements  variés. 
Il  importe  d'expliquer  avec  précision  cette  distinction  fon- 
damentale. 

A  cet  effet,  observons  d'abord  qu'il  existe,  en  général, 
deux  sortes  de  forces  :  1*^  les  forces  que  j'appelle  instan- 
tanées^ comme  les  impulsions,  qui  n'agissent  sur  un  corps 
qu'à  l'origine  du  mouvement,  en  l'abandonnante  lui-même 
aussitôt  qu'il  est  en  marche  ;  2^  les  forces  qu'on  appelle 
assez  improprement  accélératrices^  et  que  je  préfère 
nommer  continues^  comme  les  attractions,  qui  agissent 
sans  cesse  sur  le  mobile  pendant  toute  la  durée  du  mou- 
vement. Cette  distinction. équivaut  évidemment  à  celle  des 
mouvements  uniformes  et  des  mouvements  variés;  car  il 


418  MATHÉMATIQUES. 

est  clair,  en  vertu  de  la  première  des  trois  lois  fondamen- 
tales du  mouvement  exposées  dans  la  leçon  précédente, 
que  toute  force  instantanée  doit  nécessairement  produire 
un  mouvement  uniforme,  tandis  que  toute  force  continue 
doit,  au  contraire,  par  sa  nature,  imprimer  au  mobile  un 
mouvement  indéfiniment  varié.  Gela  posé,  on  conçoit  fort 
aisément,  à  priori^  comme  je  Tai  déjà  indiqué  plusieurs 
fois,  que  la  partie  de  la  dynamique  relative  aux  forces 
instantanées  ou  aux  mouvements  uniformes  doit  être,  sans 
aucune  comparaison,  infiniment  plus  simple  que  celle  qui 
concerne  les  forces  continues  ou  les  mouvements  variés,  et 
dans  laquelle  consiste  essentiellement  toute  la  difficulté  delà 
dynamique.  La  première  partie  présente  une  telle  facilité, 
qu'elle  peut  ôtre  traitée  dans  son  ensemble  comme  une 
conséquence  immédiate  des  trois  lois  fondamentales  du 
mouvement,  ainsi  que  je  l'ai  expressément  remarqué  à  la 
fin  de  la  leçon  précédente.  Or  il  est  maintenant  aisé  de 
concevoir,  en  thèse  générale,  que  c'est  seulement  de  cette 
première  partie  de  la  dynamique  qu'on  a  besoin  pour 
constituer  la  statique  comme  un  cas  particulier  de  la 
dynamique. 

En  effet,  le  phénomène  d'équilibre,  dont  il  s'agit  alors 
de  découvrir  les  lois,  est  évidemment,  par  sa  nature,  un 
phénomène  instantané,  qui  doit  ôtre  étudié  sans  aucun 
égard  au  temps.  La  considération  du  temps  ne  s'introduit 
que  dans  les  recherches  relatives  à  ce  qu'on  appelle  la  sta- 
bilité de  l'équilibre  ;  mais  ces  recherches  ne  font  plus,  i 
proprement  parler,  partie  de  la  statique,  et  rentrent  essen- 
tiellement dans  la  dynamique.  En  un  mot,  suivant  l'apho- 
risme ordinaire  déjà  cité,  on  fait  toujours,  en  statique» 
abstraction  du  temps.  Il  en  résulte  qu'on  y  peut  regarder 
comme  instantanées  toutes  les  forces  que  l'on  considère, 
sans  que  les  théories  cessent  pour  cela  d'avoir  toute  la 


STATIQUE.  419 

généralité  nécessaire.  Car,  à  chaque  époque  de  son  action, 
une  forme  continue  peut  toujours  évidemment  être  rem- 
placée par  une  force  instantanée  mécaniquement  équi- 
valente, c'est-à-dire  susceptible  d'imprimer  au  mobile  une 
vitesse  égale  à  cell«  que  lui  donne  elTectivement  en  cet 
instant  la  force  proposée.  A  la  vérité,  il  faudra,  dans  le 
moment  infiniment  petit  suivant,  substituer  à  cette  force 
instantanée  une  nouvelle  force  de  même  nature,  pour  re- 
présenter le  changement  effectif  de  la  vitesse,  de  telle  sorte 
que,  en  dynamique,  où  Ton  doit  considérer  l'état  du  mo- 
bile dans  les  divers  instants  successifs,  on  retrouvera  né- 
cessairement par  la  variation  de  ces  forces  instantanées  la 
difficulté  fondamentale  inhérente  à  la  nature  des  forces 
continues,  et  qui  n'aura  fait  que  changer  de  forme.  Mais, 
en  statique,  oix  il  ne  s'agit  d'envisager  les  forces  que  dans 
un  instant  unique,  on  n'aura  point  à  tenir  compte  de  ces 
variations,  et  les  lois  générales  de  l'équilibre,  ainsi  établies 
en  considérant  toutes  les  forces  comme  instantanées,  n'en 
seront  pas  moins  applicables  à  des  forces  continues,  pourvu 
qu'on  ait  soin,  dans  cette  application^  de  substituer  à  cha- 
que force  continue  la  force  instantanée  qui  lui  correspond 
en  ce  moment. 

On  conçoit  donc  nettement  par  là  comment  la  statique 
abstraite  peut  être  traitée  avec  facilité  comme  une  simple 
application  de  la  partie  la  plus  élémentaj^'e  de  la  dyna- 
mique^ celle  qui  se  rapporte  aux  mouvements  uniformes. 
La  manière  la  plus  convenable  d'efi'ectuer  cette  appli«> 
cation  consiste  à  remarquer  que,  lorsque  des  forces  quel- 
conques sont  en  équilibre,  chacune  d'entre  elles,  consi- 
dérée isolément,  peut  être  regardée  comme  détruisant 
l'efTet  de  l'ensemble  de  toutes  les  autres.  Ainsi  la  recher- 
che des  conditions  de  l'équilibre  se  xéduit,  en  général,  à 
exprimer  que  l'une  quelconque  des  forces  du  système  est 


^  ^. 


430  MATHÉMATIQUES. 

égale  et  directement  opposée  à  la  résultante  de  toutes  les 
autres.  La  difficulté  ne  consiste  donc,  dans  cette  méthode, 
qu'à  déterminer  cette  résultante,  c'est-à-dire  à  composer 
entre  elles  les  forces  proposées.  Cette  composition  s'effec- 
tue immédiatement  pour  le  cas  de  deux  forces  d'après  la 
troisième  loi  fondamentale  du  mouvement,  et  l'on  en 
déduit  ensuite  la  composition  d'un  nombre  quelconque  de 
forces.  La  question  élémentaire  présente,  comme  on  sait, 
deux  cas  essentiellement  distincts,  suivant  que  les  deux 
forces  à  composer  agissent  dans  des  directions  convergentes 
ou  dans  des  directions  parallèles.  Chacun  de  ces  deux  cas 
peut  être  traité  comme  dérivant  de  l'autre,  d'où  résulte 
parmi  les  géomètres  une  certaine  divergence  dans  la  ma- 
nière d'établir  les  lois  élémentaires  de  la  composition  des 
forces,  suivant  le  cas  que  l'on  choisit  pour  point  de  départ. 
Mais,  sans  contester  la  possibilité  rigoureuse  de  procéder 
autrement,  il  me  semble  plus  rationnel,  plus  philosophique 
et  plus  strictement  conforme  à  l'esprit  de  cette  manière  de 
traiter  la  statique,  de  commencer  par  la  composition  des 
forces  qui  concourent,  d'où  l'on  déduit  naturellement  celle 
des  forces  parallèles  comme  cas  particulier,  tandis  que  la 
déduction  inverse  ne  peut  se  faire  qu'à  l'aide  de  considé- 
rations indirectes^  qui,  quelqueingénieuses  qu'elles  puissent 
être,  présentent  nécessairement  quelque  chose  de  forcé. 
Après  avoir  établi  les  lois  élémentaires  de  la  composi- 
tion des  forces,  les  géomètres,  avant  de  les  appliquer  à  la 
recherche  des  conditions  de  l'équilibre,  leur  font  éprouver 
ordinairement  une  importante  transformation,  qui,  sans 
être  complètement  indispensable,  présente  néanmoins, 
sous  le  rapport  analytique,  la  plus  haute  utilité,  par 
l'extrême  simplification  qu'elle  introduit  dans  l'expression 
algébrique  des  conditions  d'équilibre.  Cette  transformation 
consiste  dans  ce  qu'on  appelle  la  théorie  des  moments,  dont 


STATIQUE.  «SI 

la  propriété  essentielle  est  de  réduire  analytiquement 
toutes  les  lois  de  la  composition  des  forces  à  de  simples 
additions  et  soustractions.  La  dénomination  de  moments, 
entièrement  détournée  aujourd'hui  de  sa  signification  pre- 
mière, ne  désigne  plus  maintenant  que  la  considération 
abstraite  du  produit  d'une  force  par  une  distance.  11  faut 
distinguer,  comme  on  sait,  deux  sortes  de  moments^  les 
moments  par  rapport  à  un  point,  qui  indiquent  le  produit 
d'une  force  par  la  perpendiculaire  abaissée  de  ce  point  sur 
sa  direction,  et  les  moments  par  rapport  à  un  plan,  qui 
désignent  le  produit  de  la  force  par  la  distance  de  son 
point  d'application  à  ce  plan.  Les  premiers  ne  dépendent 
évidemment  que  de  la  direction  de  la  force,  et  nullement 
de  son  point  d'application;  ils  sont  spécialement  appro- 
priés par  leur  nature  à  la  théorie  des  forces  non  parallèles  : 
les  seconds,  au  contraire,  ne  dépendent  que  du  point  d'ap- 
plication de  la  force,  et  nullement  de  sa  direction;  ils  sont 
donc  essentiellement  destinés  à  la  théorie  des  forces  pa- 
rallèles. Nous  aurons  occasion  d'indiquer  plus  bas  par 
quelle  heureuse  idée  fondamentale  Poinsot  est  parvenu  à 
attribuer  généralement,  et  de  la  manière  la  plus  naturelle, 
une  signification  concrète  directe  à  Tun  et  à  l'autre  genre 
de  moments,  qui  n'avaient  réellement  avant  lui  qu'une 
valeur  abstraite. 

La  notion  des  moments  une  fois  établie,  leur  théorie 
élémentaire  consiste  essentiellement  dans  ces  deux  proprié- 
tés générales  très-remarquables,  qu'on  déduit  aisément  de 
la  composition  des  forces  :  i^  si  Ton  considère  un  système 
de  forces  toutes  situées  dans  un  même  plan^  et  disposées 
d'ailleurs  d'une  manière  quelconque,  le  moment  de  leur 
résultante,  par  rapport  à  un  point  quelconque  de  ce  plan, 
est  égal  à  la  somme  algébrique  des  moments  de  toutes  les 
composantes  par  rapport  à  ce  même  point,  en  attribuant  à 


4  Si  MATHÉMATIQUES. 

ces  divers  moments  le  signe  convenable,  d'après  le  sens 
suivant  lequel  chaque  force  tiendrait  à  faire  tourner  son 
bras  de  levier  autour  de  l'origine  des  moments  supposée 
fixe  ;  2**  en  considérant  un  système  de  forces  parallèles  dis- 
posées d'une  manière  quelconque  dans  l'espace,  le  mo- 
ment de  leur  résultante  par  rapport  à  un  plan  quelconque 
est  égal  à  la  somme  algébrique  des  moments  de  toutes  les 
composantes  par  rapport  à  ce  même  plan,  le  signe  de  cha- 
que moment  étant  alors  naturellement  déterminé,  confor- 
mément aux  règles  ordinaires,  d'après  le  signe  propre  à 
chacun  des  facteurs  dont  il  se  compose.  Ce  premier  de  ces 
deux  théorèmes  fondamentaux  a  été  découvert  par  un  géo- 
mètre auquel  la  mécanique  rationnelle  doit  beaucoup,  et 
dont  la  mémoire  a  été  dignement  relevée  par  Lagrange  d'un 
injuste  oubli,  Varignon.  La  manière  dont  Varignon  établit 
ce  théorème  dans  le  cas  de  deux  composantes,  d'où  résulte 
immédiatement  le  cas  général,  est  même  spécialement  re- 
marquable. En  effet,  regardant  le  moment  de  chaque  force 
par  rapport  à  un  point  comme  évidemment  proportionnel 
à  l'aire  du  triangle  qui  aurait  ce  point  pour  sommet  et  pour 
base  la  droite  qui  représente  la  force,  Varignon,  d'après  la 
loi  du  parallélogramme  des  forces,  présente  d'abord  le 
théorème  des  moments  sous  une  forme  géométrique  très- 
simple,  en  démontrant  que  si,  dans  le  plan  d'un  parallélo- 
gramme, on  prend  un  point  quelconque,  et  que  l'on  consi- 
dèreles  trois  triangles  ayant  ce  point  pour  sommet  commun, 
et  pour  base  les  deux  côtés  contigus  du  parallélogramme 
et  la  diagonale  correspondante,  le  triangle  construit  sur  la 
diagonale  sera  constamment  équivalent  à  la  somme  ou  à  la 
différence  des  triangles  construits  sur  les  deux  côtés;  ce 
qui  est  en  soi,  comme  l'observe  avec  raison  Lagrange,  un 
beau  théorème  de  géométrie,  indépendamment  de  son  uti- 
lité en  mécanique. 


STATIQUE.  433 

A  Taide  de  cette  théorie  des  moments,  on  parvient  à  ex- 
primer aisément  les  relations  analytiques  qui  doivent  exis- 
ter entre  les  forces  dans  Tétat  d'équilibre,  en  considérant 
d'abord,  pour  plus  de  facilité,  les  deux  cas  particuliers  d'un 
système  de  forces  toutes  situées  d'une  manière  quelconque 
dans  un  môme  plan,  et  d'un  système  quelconque  de  forces 
parallèles.  Chacun  de  ces  deux  systèmes  exige,  en  général, 
trois  équations  d'équilibre,  qui  consistent  :  1^  pour  le  pre- 
mier, en  ce  que  la  somme  algébrique  des  produits  de  cha- 
que force,  soit  par  le  cosinus,  soit  par  le  sinus  de  l'angle 
qu'elle  fait  avec  une  droite  fixe  prise  arbitrairement  dans  le 
plan,  soit  séparément  nulle,  ainsi  que  la  somme  algébrique 
des  moments  de  toutes  les  forces  par  rapport  à  un  point 
quelconque  de  ce  plan  ;  2^  pour  le  second,  en  ce  que  la 
somme  algébrique  de  toutes  les  forces  proposées  soit  nulle, 
ainsi  que  la  somme  algébrique  de  leurs  moments  pris  sé- 
parément par  rapport  à  deux  plans  différents  parallèles  à  la 
direction  commune  de  ces  forces.  Après  avoir  traité  ces 
deux  cas  préliminaires,  il  est  f.icile  d'en  déduire  celui  d'un 

• 

système  de  forces  tout  à  fait  quelconque.  Il  suffit,  pour 
cela,  de  concevoir  chaque  force  du  système  décomposée 
en  deux,  l'une  située  dans  un' plan  fixe  quelconque,  l'autre 
perpendiculaire  à  ce  plan.  Le  système  proposé  se  trouvera 
dès  lors  remplacé  par  l'ensemble  de  deux  systèmes  secon- 
daires plus  simples,  l'un  composé  de  forces  dirigées  toutes 
dans  un  môme  plan,  l'autre  de  forces  toutes  perpendicu- 
laires à  ce  plan  et  conséquemment  parallèles  entre  elles. 
Comme  ces  deux  systèmes  partiels  ne  sauraient  évidem- 
ment se  faire  équilibre  l'un  à  l'autre,  il  faudra  donc,  pour 
que  l'équilibre  puisse  avoir  lieu  dans  le  système  général 
primitif,  qu'il  existe  dans  chacun  d'eux  en  particulier,  ce 
qui  ramène  la  question  aux  deux  questions  préliminaires 
déjà  traitées.  Telle  est  du  moins  la  manière  la  plus  simple 

A.  GoMTE.  Tome  !•  tl 


484  MATHÉMATIQUES. 

de  concevoir,  en  traitant  la  statique  par  la  méthode  dyna- 
mique, la  recherche  générale  des  conditions  analytiques 
de  réquilibre  pour  un  système  quelconque  de  forces  ;  quoi- 
qu'il fût  d'ailleurs  possible  évidemment,  en  compliquant 
la  solution,  de  résoudre  directement  le  problème  dans  son 
entière  généralité,  de  façon  à  y  faire  rentrer,  au  contraire, 
comme  une  simple  application,  les  deux  cas  préliminaires. 
Quelque  marche  qu'on  juge  à  propos  d'adopter,  on  trouve, 
pour  l'équilibre  d'un  système  quelconque  de  forces,  les  six 
équations  suivantes  : 

SP  COS  tt  ^  0,  SP  cos  €  :=  0,  SP  cos  7  =  0, 

SP  (y  cos  a  —  X  cos  €)  =  o,  SP  {z  cos  a  —  x  cos  7)  =  o, 

SP  (y  c(?s  7  —  z  cos  6)  =  0  ; 

en  désignant  par  P  l'intensité  de  l'une  quelconque  des 
forces  du  système,  para,  6,  y,  les  angles  que  forme  sa  di- 
rection avec  trois  axes  fixes  rectangulaires  choisis  arbi- 
trairement, et  par  Xy  y,  2,  les  coordonnées  de  son  point 
d'application  relativement  à  ces  trois  axes.  J'emploie  ici  la 
caractéristique  5pour  désigner  la  somme  des  produits  sem- 
blables, propres  à  toutes  les  forces  du  système  P,  F, 
P",  etc. 

Telle  est,  en  substance,  la  manière  de  procéder  à  la  dé- 
termination des  conditions  générales  de  l'équilibre,  en  con- 
cevant la  statique  comme  un  cas  particulier  de  la  dyna- 
mique élémentaire.  Mais,  quelque  simple  que  soit  en  effet 
cette  méthode,  il  serait  évidemment  plus  rationnel  et  plus 
satisfaisant  de  revenir^  s'il  est  possible,  à  la  méthode  des 
anciens,  en  dégageant  la  statique  de  toute  considération 
dynamique,  pour  procéder  directement  à  la  recherche  des 
lois  del'équilibre  envisagé  en  lui-môme,  à  l'aide  d'un  prin- 
cipe d'équilibre  suffisamment  général,  établi  immédiate- 


STATIQUE.  435 

ment.  C'est  elfectivement  ce  que  les  géomètres  ont  tenté, 
quand  une  fois  les  équations  générales  de  l'équilibre  ont 
été  découvertes  par  la  méthode  dynamique.  Mais  ils  ont  sur- 
tout été  déterminés  à  établir  une  méthode  statique  directe, 
par  un  motif  philosophique  d'un  ordre  plus  élevé  et  en 
même  temps  plus  pressant  que  le  besoin  de  présenter  la 
btatique  sous  un  point  de  vue  logique  plus  parfait.  C'est 
maintenant  ce  qu'il  nous  importe  éminemment  d'expli- 
quer, puisque  telle  est  la  marche  qui  a  conduit  Lagrange 
à  imprimer  à  l'ensemble  delà  mécanique  rationnelle  cette 
haute  perfection  philosophique  qui  la  caractérise  désor- 
mais. 

Ce  motif  fondamental  résulte  de  la  nécessité  où  l'on  se 
trouve  pour  traiter,  en  général,  les  questions  les  plus  dif- 
ficiles et  les  plus  importantes  de  la  dynamique,  de  les  faire 
rentrer  dans  de  simples  questions  de  statique.  Nous  exami- 
nerons spécialement,  dans  la  leçon  suivante,  le  célèbre 
principe  général  de  dynamique  découvert  par  d'Alembert, 
et  à  l'aide  duquel  toute  recherche  relative  au  mouvement 
d'un  corps  ou  d'un  système  quelconque  peut  être  con- 
vertie immédiatement  en  un  problème  d'équilibre.  Ce  prin- 
cipe, qui,  sous  le  point  de  vue  philosophique,  n'est  vrai- 
ment, comme  je  l'ai  déjà  indiqué  dans  la  leçon  précédente» 
que  la  plus  grande  généralisation  possible  de  la  seconde 
loi  fondamentale  du  mouvement,  sert  depuis  près  d'un 
siècle  de  base  permanente  à  la  solution  de  tous  les  grands 
problèmes  de  dynamique,  et  doit  évidemment  désormais 
recevoir  de  plus  en  plus  une  telle  destination,  vu  l'admi- 
rable simplification  qu'il  apporte  dans  les  recherches  les 
plus  difficiles.  Or  il  est  clair  qu'Qne  semblable  manière  de 
procéder  oblige  nécessairement  à  traitera  son  tour  la  sta- 
tique par  une  méthode  directe,  sans  la  déduire  de  la  dyna- 
mique, qui  ainsi  est,  au  contraire,  entièrement  fondée  sur 


436  MATOéMATIQCES. 

elle.  Ce  n'est  pas  qu'il  y  ait,  à  proprement  parler,  aucun 
véritable  cercle  vicieux  à  persister  encore  dans  la  marche 
ordinaire  exposée  ci-dessus,  puisque  la  partie  élémentaire 
de  la  dynamique^  sur  laquelle  seule  on  a  fait  reposer  la  sta- 
tique, se  trouve,  en  réalité,  être  complètement  distincte 
de  celle  qu'on  ne  peut  traiter  qu'en  la  réduisant  à  la  sta- 
tique. Mais  il  n'en  est  pas  moins  évident  que  l'ensemble  de 
la  mécanique  rationnelle  ne  présente  alors,  en  procédant 
ainsi,  qu'un  caractère  philosophique  peu  satisfaisant,  à 
cause  de  Talternative  fréquente  entre  le  point  de  vue  sta- 
tique et  le  point  de  vue  dynamique.  En  un  mot,  la  science, 
mal  coordonnée,  se  trouve,  par  là,  manquer  essentielle- 
ment d'unité. 

L'adoption  définitive  et  l'usage  universel  du  principe  de 
d'Âlembert  rendaient  donc  indispensable  aux  progrès  fu- 
turs de  l'esprit  humain  une  refonte  radicale  du  système 
entier  de  la  mécanique  rationnelle,  où,  la  statique  étant 
traitée  directement  d'après  une  loi  primitive  d'équilibre 
suffisamment  générale,  et  la  dynamique  rappelée  à  la  sta- 
tique, l'ensemble  de  la  science  pût  acquérir  un  caractère 
d'unité  désormais  irrévocable.  Telle  est  la  révolution  émi- 
nemment philosophique  exécutée  par  Lagrange  dans  son 
admirable  traité  de  mécanique  analytique^  dont  la  concep- 
tion fondamentale  servira  toujours  de  base  à  tous  les  tra- 
vaux ultérieurs  des  géomètres  sur  les  lois  de  l'équilibre  et 
du  mouvement,  comme  nous  avons  vu  la  grande  idée  mère 
de  Descartes  devoir  diriger  indéfiniment  toutes  les  spécu- 
lations géométriques. 

En  examinant  les  recherches  des  géomètres  antérieurs 
sur  les  propriétés  de  l'équilibre,  pour  y  puiser  un  principe 
direct  de  statique  qui  pût  ofi'rir  toute  la  généralité  néces- 
saire, Lagrange  s'est  arrêté  à  choisir  \e  principe  des  vitesses 
virtuelles^  devenu  désormais  si  célèbre  par  l'usage  immense 


STATIQUE.  417 

et  capital  qu'il  en  a  l'ail.  Ce  principe,  découvert  primitive- 
ment par  Galilée  dans  le  cas  de  deux  forces,  comme  une 
propriété  générale  que  manifestait  l'équilibre  de  toutes  les 
machines,  avait  été,  plus  tard,  étendu  par  Jean  Bernouilli 
à  un  nombre  quelconque  de  forces,  constituant  un  sys- 
tème quelconque;  et  Yarignon  avait  ensuite  remarqué 
expressément  l'emploi  universel  qu'il  était  possible  d'en 
faire  en  statique.  La  combinaison  dece  principe  avec  celui 
de  d'Alembert  a  conduit  Lagrange  à  concevoir  et  à  traiter 
la  mécanique  rationnelle  tout  entière  comme  déduite  d'un 
seul  théorème  fondamental,  et  à  lui  donner  ainsi  le  plus 
haut  degré  de  perfection  qu'une  science  puisse  acquérir 
sous  le  rapport  philosophique,  une  rigoureuse  unité. 

Pour  concevoir  nettement  avec  plus  de  facilité  le  prin^ 
cipe  général  des  vitesses  virtuelles,  il  est  encore  utile  de  le 
considérer  d'abord  dans  le  simple  cas  de  deux  forces, 
comme  l'avait  dit  Galilée.  Il  consiste  alors  en  ce  que,  deux 
forces  se  faisant  équilibre  à  l'aide  d'une  machine  quelcon- 
que, elles  sont  entre  elles  en  raison  inverse  des  espaces  que 
parcourraient  dans  le  sens  de  leurs  directions  leurs  points 
d'application,  si  on  supposait  que  le  système  vint  à  pren- 
dre un  mouvement  infiniment  petit  :  ces  espaces  portent  le 
nom  de  vitesses  virtuelles^  afin  de  les  distinguer  des  vitesses 
réelles  qui  auraient  effectivement  lieu  si  l'équilibre  n'exis- 
tait pas.  Dans  cet  état  primitif,  ce  principe,  qu'on  peut 
très-aisément  vérifier  relativement  à  toutes  les  machines 
connues,  présente  déjà  une  grande  utilité  pratique,  vu 
l'extrême  facilité  avec  laquelle  il  permet  d'obtenir  efifecti- 
vement  la  condition  mathématique  d'équilibre  d'une  ma- 
chine quelconque,  dont  la  constitution  serait  même  entière- 
ment inconnue.  En  appelant  moment  virtuel  ou  simplement 
moment^  suivant  l'acception  primitive  de  ce  terme  parmi  les 
géomètres,  le  produit  de  chaque  force  par  sa  vitesse  vir- 


4S8  MATHÉMATIQUES. 

tuelle,  produit  qui,  en  effet,  mesure  alors  TefiForlde  la  force 
pour  mouvoir  la  machine,  on  peut  simplifier  beaucoup  l'é- 
noncé du  principe  en  se  bornant  à  dire  que,  dans  ce  cas,  les 
moments  des  deux  forces  doivent  être  égaux  et  de  signe 
contraire  pour  qu'il  y  ail  équilibre;  le  signe  positif  ou  né- 
gatif de  chaque  moment  est  déterminé  d'après  celui  de  la 
vitesse  virtuelle,  qu'on  estimera,  conformément  à  l'esprit 
ordinaire  de  la  théorie  mathématique  des  signes,  positive 
ou  négative  selon  que,  par  le  mouvement  fictif  que  l'on  ima- 
gine, la  projection  du  point  d'application  se  trouverait 
tomber  sur  la  direction  môme  de  la  force  ou  sur  son  pro- 
longement. Cette  expression  abrégée  du  principe  des  vi- 
tesses virtuelles  est  surtout  utile  pour  énoncer  ce  principe 
d'une  manière  générale,  relativement  à  un  système  de  forces 
tout  à  fait  quelconque.  II  consiste  alors  en  ce  que  la  somme 
algébrique  des  moments  virtuels  de  toutes  les  forces,  esti- 
mée suivant  la  règle  précédente,  doit  être  nulle  pour  qu'il 
y  ait  équilibre  ;  et  cette  condition  doit  avoir  lieu  distincte- 
ment par  rapport  à  tous  les  mouvements  élémentaires  que 
le  système  pourrait  prendre  en  vertu  des  forces  dont  il  est 
animé.  En  appelant  P,  F,  F\  etc.,  les  forces  proposées,  et 
suivant  la  notation  ordinaire  de  Lagrange,  5p,  5p',  ôp",  etc., 
les  vitesses  virtuelles  correspondantes,  ce  principe  se  trouve 
immédiatement  exprimé  par  l'équation 

P  ^P  +  P'  ^P'  +  F"  ^p"  -h  etc,  =  0, 
ou,  plus  brièvement 


/ 


P^?=:0, 


dans  laquelle,  par  les  travaux  de  Lagrange,  la  mécanique 
rationnelle  tout  entière  peut  être  regardée  comme  implici- 
tement renfermée.  Quant  à  la  statique,  la  difficulté  fonda- 
mentale de  développer  convenablement  cette  équation  gé- 


STATIQUE.  «19 

nérale  se  réduira  essentiellement,  lorsque  toutes  les  forces 
dont  il  faut  tenir  compte  sont  bien  connues»  à  une  diffi- 
culté purement  analytique,  qui  consistera  à  rapporter,  dans 
chaque  cas,  d'après  leé  conditions  de  liaison  caractéristi- 
ques du  système  considéré,  toutes  les  variations  infiniment 
petites  $j9,  $/)',  etc.,  au  plus  petit  nombre  possible  de  va- 
riations réellement  indépendantes,  afin  d'annuler  séparé- 
ment les  divers  groupes  de  termes  relatifs  à  chacune  de 
ces  dernières  variations,  ce  qui  fournil,  pour  l'équilibre, 
autant  d'équations  distinctes  qu'il  pourrait  exister  de  mou- 
vements élémentaires  vraiment  différents  par  la  nature  du 
système  proposé.  En  supposant  que  les  forces  soient  en- 
tièrement quelconques,  et  qu'elles  soient  appliquées  aux 
divers  points  d'un  corps  solide,  qui  ne  soit  d'ailleurs  assu- 
jetti à  aucune  condition  particulière,  on  parvient  aussi  im- 
médiatement et  de  la  manière  la  plus  simple  aux  six  équa- 
tions générales  de  l'équilibre  rapportées  ci-dessus  d'après 
!a  méthode  dynamique.  Si  le  solide,  au  lieu  d'être  complè- 
tement libre,  doit  être  plus  ou  moins  gêné,  il  suffit  d'intro- 
duire au  nombre  des  forces  du  système  les  résistances  qui 
en  résultent  après  les  avoir  convenablement  définies,  ce 
qui  ne  fera  qu'ajouter  quelques  nouveaux  termes  à  l'équa- 
tion fondamentale.  Il  en  est  de  même  quand  la  forme  du 
solide  n'est  point  supposée  rigoureusement  invariable,  et 
qu'on  vient,  par  exemple,  à  considérer  son  élasticité.  De 
semblables  modifications  n'ont  d'autre  efi*et,  sous  le  point 
de  vue  logique,  que  de  compliquer  plus  ou  moins  l'équation 
des  vitesses  virtuelles  qui  ne  cesse  point  pour  cela  de  coor 
server  nécessairement  son  entière  généralité,  quoique  ces 
conditions  secondaires  puissent  quelquefois  rendre  pres- 
que inextricables  les  difficultés  purement  analytiques  que 
présente  la  solution  efi*ective  de  la  question  proposée. 
Tant  que  le  théorème  des  vitesses  virtuelles  n'avait  été 


4  40  MATIIKMATIQUES. 

conçu  que  comme  une  propriété  générale  de  Téquilibre, 
avait  pu  se  borner  à  le  vérifier  par  sa  conformité  cons- 
tante avec  les  lois  ordinaires  de  l'équilibre  déjà  obtenues 
autrement,  et  dont  il  présentait  ainsi  un  résumé  très-utile 
par  sa  simplicité  et  son  uniformité.  Mais,  pour  faire  de  ce 
théorème  fondamental  la  base  effective  de  toute  la  méca- 
nique rationnelle,  en  un  mot,  pour  la  convertir  en  un  vérita- 
ble principe,  il  était  indispensable -de  l'établir  directement 
sans  le  déduire  d'aucun  autre,  ou  du  moins  en  ne  suppo- 
sant que  des  propositions  préliminaires  susceptibles  par 
leur  extrême  simplicité  d'être  présentées  comme  immé- 
diates. C'est  ce  qu'a  si  heureusement  exécuté  Lagrange  par 
son  ingénieuse  démonstration  fondée  sur  le  principe  des 
moufles  et  dans  laquelle  il  parvient  à  prouver  générale- 
ment le  théorème  des  vitesses  virtuelles  avec  une  extrême 
facilité,  en  imaginant  un  poids  unique,  qui,  à  l'aide  de 
moufles  convenablement  construites,  se  trouve,  remplacer 
simultanément  toutes  les  forces  du  sv2>tème.  On  a  successi- 
vement  proposé  depuis  quelques  autres  démonstrations  di- 
rectes et  générales  du  principe  des  vitesses  virtuelles,  mais 
qui,  beaucoup  plus  compliquées  que  celle  de  Lagrange,  ne 
lui  sont^  en  réalité,  nullement  supérieures  quant  à  la  rigueur 
logique.  Pour  nous,  sous  le  point  de  vue  philosophique, 
nous  devons  regarder  ce  théorème  général  comme  une  con- 
séquence nécessaire  des  lois  fondamentales  du  mouve- 
ment, d'où  elle  peut  être  déduite  de  diverses  manières*,  et 
qui  devient  ensuite  le  point  de  départ  effectif  de  la  méca- 
nique rationnelle  tout  entière. 

L'emploi  d'un  tel  principe  ramenant  l'ensemble  de  la 
science  à  une  parfaite  unité,  il  devient  évidemment  fort 
peu  intéressant  désormais  de  connaître  d'autres  prin- 
cipes plus  généraux  encore,  en  supposant  qu'on  puisse  eo 
obtenir.  On  peut  donc  regarder  comme  essentiellement 


STATIQUE.  4  41 

oiseuses  par  leur  nature  les  tentatives  qui  pourraient  être 
projetées  pour  substituer  quelque  nouveau  principe  à 
celui  des  vitesses  virtuelles.  Un  tel  travail  ne  saurait  plus 
perfectionner  nullement  le  caractère  philosophique  fonda- 
mental de  la  mécanique  rationnelle,  qui,  dans  le  traité 
de  Lagrange ,  est  aussi  fortement  coordonnée  qu'elle 
puisse  jamais  Tétre.  On  n'y  pourrait  réellement  avorr  en 
vue  d'autre  utilité  effective  que  de  simplifier  considérable- 
ment les  recherches  analytiques  auxquelles  la  science  est 
maintenant  réduite,  ce  qui  doit  paraître  presque  impossi- 
ble quand  on  envisage  avec  quelle  admirable  facilité  le 
principe  des  vitesses  virtuelles  a  été  adapté  par  Lagrange 
à  l'application  uniforme  de  l'analyse  mathématique. 

Telle  est  donc  la  manière  incomparablement  la  plus 
parfaite  de  concevoir  et  de  traiter  la  statique,  et  par  suite 
l'ensemble  de  la  mécanique  rationnelle.  Dans  un  ouvrage 
tel  que  celui-ci  surtout  nous  ne  pouvions  hésiter  un  seul 
moment  à  accorder  à  cette  méthode  une  préférence  écla- 
tante sur  toute  autre,  puisque  son  principal  avantage  ca- 
ractéristique est  de  perfectionner  au  plus  haut  degré  la 
philosophie  de  cette  science.  Cette  considération  doit 
avoir  à  nos  yeux  bien  plus  d'importance  que  nous  ne  pou- 
vons en  attribuer  en  sens  inverse  aux  difficultés  propres 
qu'elle  présente  encore  fréquemment  dans  les  applications, 
et  qui  consistent  essentiellement  dans  l'extrême  conten- 
tion intellectuelle  qu'elle  exige  souvent,  ce  qui  peut  être 
regardé  comme  étant  jusqu'à  un  certain  point  inhérent  à 
toute  méthode  très-générale  ob  les  questions  quelconques 
sont  constamment  ramenées  à  un  principe  unique.  Néan- 
moins ces  difficultés  sont  assez  grandes  jusqu'ici  pour 
qu'on  ne  puisse  point  encore  regarder  la  méthode  de  La- 
grange comme  vraiment  élémentaire,  de  manière  à  pouvoir 
dispenser  entièrement  d'en  considérer  aucune  autre  dans 


44  i  MATHÉMATIQUES. 

un  enseignement  dogmatique.  C'est  ce  qui  m'a  déterminé 
à  caractériser  d'abord  avec  quelques  développements  la 
méthode  dynamique  proprement  dite,  la  seule  encore  gé- 
néralement usitée.  Mais  ces  considérations  ne  peuvent  être 
évidemment  que  provisoires  ;  les  principaux  embarras  qu'oc 
casionne  l'emploi  de  la  conception  de  Lagrange  n'ayant 
réellement  d'autre  cause  essentielle  que  sa  nouveauté.  Une 
telle  méthode  n'est  point  indéfiniment  destinée  sans  doute 
à  l'usage  exclusif  d'un  très-petit  nombre  de  géomètres,  qui 
en  ont  seuls  encore  une  connaissance  assez  familière  pour 
utiliser  convenablement  les  admirables  propriétés  qui  la 
caractérisent  :  elle  doit  certainement  devenir  plus  tard  aussi 
populaire  dans  le  monde  mathématique  que  la  grande  con- 
ception géométrique  de  Descartes,  et  ce  progrès  général 
serait  vraisemblablement  déjà  presque  effectué  si  les  no- 
tions fondamentales  de  l'analyse  transcendante  étaient  plus 
universellement  répandues. 

Je  ne  croirais  pas  avoir  convenablement  caractérisé 
toutes  les  notions  philosophiques  essentielles  relatives  à 
la  statique  rationnelle,  si  je  ne  faisais  maintenant  une 
mention  distincte  d'une  nouvelle  conception  fort  impor- 
tante, introduite  dans  la  science  par  Poinsot,  et  que  je 
regarde  comme  le  plus  grand  perfectionnement  qu'ait 
éprouvé,  sous  le  point  de  vue  philosophique,  le  système 
général  de  la  mécanique,  depuis  la  régénération  opérée 
par  Lagrange,  quoiqu'elle  ne  soit  pas  exactement  dans  la 
môme  direction,  il  s'agit,  comme  on  voit,  de  l'ingénieuse 
et  lumineuse  théorie  des  couples,  que  Poinsot  a  si  heureu- 
sement créée  pour  perfectionner  directement,  dans  ses  con- 
ceptions fondamentales,  la  mécanique  rationnelle,  et  dont 
la  portée  ne  me  parait  point  avoir  été  encore  sufûsam- 
ment  appréciée  par  la  plupart  des  géomètres.  On  sait  que 
ces  couples,  ou  systèmes  de  forces  parallèles  égales  et  con- 


STATIQUE.  4  43 

traires,  avaient  à  peine  été  remarqués  avant  Poinsot  comme 
une  sorte  de  paradoxe  en  statique,  et  qu'il  s'est  emparé  de 
cette  notion  isolée  pour  en  faire  immédiatement  le  sujet 
d'une  théorie  fort  étendue  et  entièrement  originale  rela- 
tive à  la  transformation,  à  la  composition  et  à  l'usage  de 
ces  groupes  singuliers,  qu'il  a  montrés  doués  de  proprié- 
tés si  remarquables  par  leur  généralité  et  leur  simplicité. 
Ces  propriétés  fondamentales  consistent  essentiellement  : 
1®  sous  le  rapport  de  la  direction,  en  ce  que  l'effet  d'un 
couple  dépend  seulement  de  la  direction  de  son  plan 
ou  de  son  axe,  et  nullement  de  la  position  de  ce  plan  ni  de 
celle  du  couple  dans  le  plan;  2^  quant  à  l'intensité,  en  ce 
que  l'effet  d'un  couple  ne  dépend  proprement  ni  de  la  va- 
leur de  chacune  des  forces  égales  qui  le  composent,  ni  du 
bras  de  levier  sur  lequel  elles  agissent,  mais  uniquement 
du  produit  de  cette  force  par  cette  distance,  auquel  Poin- 
sot a  donné  avec  raison  le  nom  de  moment  du  couple. 

En  adoptant  la  méthode  dynamique  proprement  dite 
pour  procéder  à  la  recherche  des  conditions  générales  de 
l'équilibre,  Poinsot  l'a  présentée  sous  un  point  de  vue 
complètement  neuf  à  l'aide  de  sa  conception  des  couples, 
qut  l'a  considérablement  simplifiée  et  éclaircie.  Pour  ca- 
ractériser ici  sommairement  cette  variété  de  la  méthode 
dynamique,  il  suffira  de  concevoir  qu'en  ajoutant  en  un 
point  quelconque  du  système  deux  forces  égales  à  chacune 
de  celles  que  l'on  considère  et  qui  agissent ,  en  sens  con- 
traire l'une  de  l'autre,  suivant  une  droite  parallèle  à  sa 
direction,  on  pourra  ainsi,  sans  jamais  altérer  évidemment 
l'état  du  système  proposé,  le  regarder  comme  remplacé  : 
1*  par  un  système  de  forces  égales  aux  forces  primitives 
transportées  toutes  parallèlement  à  leurs  directions  au 
point  unique  que  Ton  aura  choisi,  et  qui,  en  conséquence, 
seront  généralement  réductibles  en  une  seule  ;  ^^  par  un 


444  MATHÉMATIQUES. 

système  de  couples  ayant  pour  mesure  de  leur  intensité  les 
moments  des  forces  proposées  relativement  à  ce  même 
point,  et  dont  les  plans,  passant  tous  en  ce  môme  point, 
les  rendront  aussi  réductibles  généralement  à  un  couple 
unique.  On  voit,  d'après  cela,  avec  quelle  facilité  on  pourra 
procéder  ainsi  à  la  détermination  des  relations  d'équilibre, 
puisqu'il  suffira  de  trouver,  par  les  lois  connues  de  la  com- 
position des  forces  -convergentes,  cette  résultante  unique, 
afin  d'exprimer  qu'elle  est  nulle  ;  et  ensuite,  par  les  lois 
que  Poinsot  a  établies  pour  la  composition  des  couples, 
obtenir  également  ce  couple  résultant^  et  l'annuler  aussi 
séparément;  car  il  est  clair  que,  la  force  et  le  couple  ne 
pouvant  se  détruire  mutuellement,  l'équilibre  ne  saurait 
exister  qu'en  les  supposant  individuellement  nuls. 

Il  faut,  sans  doute,  reconnaître  que  cette  nouvelle  ma- 
nière de  procéder  n'est  point  indispensable  pour  appliquer 
la  méthode  dynamique  à  la  détermination  des  condilioos 
générales  de  l'équilibre.  Mais,  outre  l'extrême  simplifica- 
tion qu'elle  introduit  dans  une  telle  recherche,  nous  de- 
vous  surtout  apprécier,  quant  aux  progrès  généraux  delà 
science,  la  clarté  inattendue  qu'elle  y  apporte,  c'est-à-dire 
l'aspect  éminemment  lucide  sous  lequel  elle  présente  une 
partie  essentielle  de  ces  conditions  d'équilibre,  toutes 
celles  qui  sont  relatives  aux  moments  des  forces  proposées, 
et  qui  constituent  la  plus  importante  moitié  des  équations 
statiques.  Ces  moments^  qui  n'indiquaient  jusqu'alors  qu'uni 
considération  purement  abstraite,  artificiellement  intro- 
duite dans  la  statique  pour  faciliter  l'expression  algébrique 
des  lois  de  l'équilibre,  ont  pris  désormais  une  signification 
concrète  parfaitement  distincte,  et  sont  entrés  aussi  natu- 
rellement que  les  forces  elles-mêmes  dans  les  spéculations 
statiques,  comme  étant  la  mesure  directe  des  couples  aux- 
quels ces  forces  donnent  immédiatement  naissance.  On 


STATIQUE.  445 

conçoit  aisément  à  prtort  quelle  facilité  cette  interprétation 
générale  et  élémentaire  doit  nécessairement  procurer  pour 
la  combinaison  de  toutes  les  idées  relatives  à  la  théorie  des 
moments,  comme  on  en  voit  déjà  d'ailleurs  la  preuve  effec- 
tive dans  l'extension  et  le  perfectionnement  de  cette  im- 
portante théorie,  par  les  travaux  de  Poinsot  lui-môme. 

Quelles  que  soient,  en  réalité,  les  qualités  fondamentales 
de  la  conception  de  Poinsot  par  rapport  à  la  statique,  on 
doit  néanmoins  reconnaître,  ce  me  semble,  que  c'est  sur- 
tout au  perfectionnement  de  la  dynamique  qu'elle  se  trouve, 
par  sa  nature^  essentiellement  destinée;  et  je  crois  pouvoir 
assurer,  à  cet  égard,  que  cette  conception  n'a  point  encore 
exercé  jusqu'ici  son  influence  la  plus  capitale.  11  faut  la 
regarder,  en  effet,  comme  directement  propre  à  perfec- 
tionner sous  un  rapport  très-important  les  éléments  mômes 
de  la  dynamique  générale,  en  rendant  la  notion  des  mou- 
vements  de  rotation  aussi  naturelle,  aussi  familière,  et 
presque  aussi  simple  que  celle  des  mouvements  de  transla- 
tion. Car  le  couple  peut  ôtre  envisagé  comme  Télément 
naturel  du  mouvement  de  rotation,  aussi  bien  que  la  force 
l'est  du  mouvement  de  translation.  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu 
d'indiquer  plus  distinctement  cette  considération,  qui  sera 
convenablement  reproduite  dans  les  leçons  suivantes.  Nous 
devons  seulement  concevoir,  en  thèse  générale,  qu'un 
usage  bien  entendu  de  la  théorie  des  couples  établit  la  pos- 
sibilité de  rendre  l'étude  des  mouvements  de  rotation,  qui 
constitue  jusqu'ici  la  partie  la  plus  compliquée  et  la  plus 
obscure  de  la  dynamique,  aussi  élémentaire  et  aussi  nette 
que  l'étude  des  mouvements  de  translation.  Nous  aurons 
occasion  de  constater  effectivement  plus  tard  à  quel  degré 
de  simplicité  et  de  clarté  Poinsot  est  parvenu  à  réduire 
ainsi  diverses  propositions  essentielles,  relatives  aux  mou- 
vements de  rotation,  et  qui  n'étaient  établies  avant  lui  que 


A 


446  MATHÉMATIQUES. 

de  la  manière  la  plus  pénible  et  la  plus  indirecte,  principa- 
lement en  ce  qui  concerne  les  propriétés  des  aires^  dont  il  a 
même  sensiblement  augmenté  l'étendue  et  régularisé  l'ap- 
plication  sous  divers  rapports  importants,  surtout,  en  der- 
nier lieu,  quant  à  la  détermination  de  ce  qu'on  appelle  le 
plan  invariable. 

Pour  compléter  ces  considérations  philosophiques  sur 
l'ensemble  de  la  statique,  je  crois  devoir  ajouter  ici  l'indi- 
cation sommaire  d'une  dernière  notion  générale,  qu'il  me 
parait  utile  d'introduire  dans  la  théorie  de  l'équilibre,  de 
quelque  manière  qu'on  ait  d'ailleurs  jugé  convenable  de 
l'établir. 

Quand  on  veut  se  faire  une  juste  idée  de  la  nature  des 
diverses  équations  qui  expriment  les  conditions  de  l'équili- 
bre d'un  système  quelconque  de  forces,  il  est,  ce  me  sem- 
ble, insuffisant  de  se  borner  à  constater  que  l'ensemble  de 
ces  équations  est  indispensable  pour  l'équilibre,  et  l'éta- 
blit inévitablement.  Il  faut,  de  plus,  pouvoir  assigner  net- 
tement la  signification  statique  distinctement  propre  à 
chacune  de  ces  équations  envisagée  isolément,  c'est-à-dire 
déterminer  avec  précision  en  quoi  chacune  contribue  sé- 
parément à  la  production  de  l'équilibre,  analyse  à  laquelle 
on  ne  s'attache  point  ordinairement,  quoiqu'elle  soit,  sans 
doute,  importante.  Par  quelque  méthode  qu'on  procède 
à  l'établissement  des  équations  statiques,  il  est  clair  à 
priori  que  l'équilibre  ne  peut  résulter  que  de  la  destruc- 
tion de  tous  les  mouvements  élémentaires  que  le  corps 
pourrait  prendre  en  vertu  des  forces  dont  il  est  animé,  si 
ces  forces  n'avaient  point  entre  elles  les  relations  néces- 
saires pour  se  contre-balancer  exactement.  Ainsi  chaque 
équation  prise  à  part  doit  nécessairement  anéantir  un  de 
ces  mouvements,  en  sorte  que  l'ensemble  de  ces  équations 
produise  l'équilibre,  par  l'impossibité  où  se  trouve  dès 


STATIQUE.  447 

lors  le  corps  de  se  mouvoir  d'aucune  manière.  Examinons 
maintenant  sommairement  le  principe  général  d'après 
lequel  une  telle  analyse  me  semble  pouvoir  s'opérer  dans 
un  cas  quelconque. 

En  considérant  le  mouvement  sous  le  point  de  vue  le 
plus  positif,  comme  le  simple  transport  d'un  corps  d'un 
lieu  dans  un  autre,  indépendamment  du  mode  quelconque 
suivant  lequel  il  peut  être  produit,  il  est  évident  que  tout 
mouvement  doit  être  envisagé,  dans  le  cas  le  plus  général, 
comme  nécessairement  composé  à  la  fois  de  translation  et 
de  rotation.  Ce  n'est  pas,  sans  doute,  qu'il  ne  puisse  réelle- 
ment exister  de  translation  sans  rotation,  ou  de  rotation 
sans  translation  ;  mais  on  doit  regarder  l'un  et  l'autre  cas 
comme  étant  d'exception,  le  cas  normal  consistant  en  effet 
dans  la  coexistence  de  ces  deux  sortes  de  mouvements,  qui 
s'accompagnent  constamment  à  moins  de  conditions  parti- 
culières très-précises,  et  par  suite  fort  rares,  relativement 
aux  circonstances  du  phénomène.  Gela  est  tellement  vrai, 
que  la  seule  vérification  de  l'un  de  ces  mouvements  est 
habituellement  regardée  avec  raison  par  les  géomètres, 
qui  connaissent  toute  la  portée  de  celte  observation  élé- 
mentaire, comme  un  puissant  motif,  non  d'affirmer,  mais 
de  présumer  très-vraisemblablement  l'existence  de  l'autre. 
Ainsi,  par  exemple,  la  seule  connaissance  du  mouvement 
de  rotation  du  soleil  sur  son  axe,  parfaitement  constaté 
depuis  Galilée,  serait  à  priori  pour  un  géomètre  une 
preuve  presque  certaine  d'un  mouvement  de  translation 
de  cet  astre  accompagné  de  toutes  ses  planètes,  quand 
même  les  astronomes  n'auraient  point  commencé  déjà 
à  reconnaître  effectivement,  par  des  observations  directes, 
la  réalité  de  ce  transport,  dans  un  sens  encore  peu  déter- 
miné. Pareillement,  c'est  d'après  une  semblable  considé- 
ration qu'on  admet  communément,  avec  raison,  outre  le 


4  48  MATDÉMATIQUES. 

motif  d'analogie,  rexistence  d'un  mouvement  de  rotation 
dans  les  planètes  même  à  l'égard  desquelles  on  n'a  point 
encore  pu  le  constater  directement^  par  cela  seul  qu'elles 
ont  un  mouvement  de  translation  bien  connu  autour  du 
soleil. 

Il  résulte  de  cette  première  analyse  que  les  équations 
qui  expriment  les  conditions  d'équilibre  d'un  corps  solli- 
cité par  des  forces  quelconques  doivent  avoir  pour  objet, 
les  unes  de  détruire  tout  mouvement  de  translation,  les 
autres  d'anéantir  tout  mouvement  de  rotation.  Voyons 
maintenant,  d'après  le  même  point  de  vue,  aûn  de  com- 
pléter cet  aperçu  général,  quel  doit  être  à  priori  le  nom- 
bre des  équations  de  chaque  espèce. 

Quant  k  la  translation,  il  suffit  de  considérer  que,  pour 
empêcher  un  corps  de  marcher  dans  un  sens  quelconque, 
il  faut  évidemment  l'en  empêcher  selon  trois  axes  princi- 
paux situés  dans  des  plans  différents,  et  qu'on  suppose 
d'ordinaire  perpendiculaires  entre  eux.  En  effet,  quelle 
progression  serait  possible,  par  exemple,  dans  un  corps 
qui  ne  pourrait  avancer  ni  de  l'est  à  l'ouest  ou  de  l'ouest  à 
l'est,  ni  du  nord  au  sud  ou  du  sud  au  nord,  ni  enfin  du  haut 
en  bas  ou  du  bas  en  haut?  Toute  progression  dans  en 
autre  sens  quelconque,  pouvant  évidemment  se  concevoir 
comme  composée  de  progressions  partielles  correspon- 
dantes dans  ces  trois  sens  principaux,  serait  dès  lors  de- 
venue nécessairement  impossible.  D'un  autre  côté,  il  est 
clair  qu'on  ne  doit  pas  considérer  moins  de  trois  mouve- 
ments élémentaires  indépendants,  car  le  corps  pourrait  se 
mouvoir  dans  le  sens  d'un  des  axes,  sans  avoir  aucune 
translation  dans  le  sens  d'aucun  des  deux  autres.  On 
conçoit  ainsi,  qu'en  général,  trois  équations  de  condition 
seront  nécessaires  et  suffisantes  pour  établir,  dans  un  sys- 
tème quelconque,  l'équilibre  de  translation;  et  chacune 


STATIQUE.  449 

d'elles  sera  spécialement  destinée  à  détruire  un  des  trois 
mouvements  de  translation  élémentaires  que  le  corps 
pourrait  prendre. 

On  peut  présenter  une  considération  exactement  ana- 
logue relativement  à  la  rotation  :  il  n'y  a  de  nouvelle  diffi- 
culté que  celle  d'apercevoir  distinctement  une  image  mé- 
canique plus  compliquée.  La  rotation  d'un  corps  dans  un 
plan  ou  autour  d'un  aie  quelconque  pouvant  toujours  se 
concevoir  décomposée  en  trois  rotations  élémentaires  dans 
les  trois  plans  coordonnés  ou  autour  des  trois  axes,  il  est 
clair  que,  pour  empêcher  toute  rotation  dans  un  corps,  il 
faut  aussi  l'empêcher  de  tourner  séparément  par  rapporta 
chacun  de  ces  trois  plans  ou  de  ces  trois  axes.  Trois  équa- 
tions sont  donc,  pareillement,  nécessaires  et  suffisantes 
pour  établir  l'équilibre  de  rotation  ;  et  l'on  aperçoit,  avec  la 
môme  facilité  que  dans  le  cas  précédent,  la  destination 
mécanique  propre  à  chacune  d'elles. 

En  appliquant  l'analyse  précédente  à  l'ensemble  des  six 
équations  générales  rapportées  au  commencement  de  cette 
leçon,  pour  l'équilibre  d'un  corps  solide  animé  de  forces 
quelconques,  il  est  aisé  de  reconnaître  que  les  trois  pre- 
mières sont  relatives  à  l'équilibre  de  translation,  et  les 
trois  autres  à  l'équilibre  de  rotation.  Dans  le  premier 
groupe,  la  première  équation  empêche  la  translation  sui- 
vant l'axe  des  x,  la  seconde  suivant  l'axe  des  ^,  et  la  troi- 
sième suivant  l'axe  des  z.  Dans  le  second  groupe^  la  pre- 
mière équation  empêche  le  corps  de  tourner  suivant  le 
pian  desâ:,^,  la  seconde  suivant  le  plan  des  x,  z,  et  la  troi- 
sième suivant  le  plan  des^,  z.  On  conçoit  nettement  par  là 
comment  la  coexistence  de  toutes  ces  équations  établit 
nécessairement  l'équilibre. 

Cette  décomposition  serait  encore  utile  pour  réduire, 
dans  chaque  cas,  les  équations  d'équilibre  au  nombre stric- 
A.  Comte.  Tome  I.  %  ^ 


450  MATHÉMATIQUES. 

iement  nécessaire,  quand  on  vient  à  particulariser  plus  ou 
moins  le  système  de  forces  considéré,  au  lieu  de  le  sup- 
poser entièrement  quelconque.  Sans  entrer  ici  dans  aucun 
détail  spécial  à  ce  sujet,  il  suffira  de  dire,  conformément 
au  point  de  vue  précédent,  que,  la  particularisation  du 
système  proposé  restreignant  plus  ou  moins  les  mouve- 
ments possibles,  soit  quant  à  la  translation,  soit  quanta  la 
rotation,  après  avoir  d'abord  exactement  déterminé,  dans 
chaque  cas,  ce  qui  sera  toujours  facile,  en  quoi  consiste 
cette  restriction,  il  faudra  supprimer  comme  superflues 
les  équations  d'équilibre  relatives  aux  translations,  ou  aux 
rotations  qui  ne  peuvent  avoir  lieu,  et  conserver  seulement 
celles  qui  se  rapportent  aux  mouvements  restés  poi»sibles. 
C'est  ainsi  que,  suivant  la  limitation  plus  ou  moins  grande 
du  système  de  forces  particulier  que  Ton  considère,  il  peut, 
au  lieu  de  six  équations  nécessaires  en  général  pour  l'é- 
quilibre, n'en  plus  subsister  que  trois,  ou  deux,  ou  même 
une  seule,  qu'il  sera  par  là  facile  d'obtenir  dans  chaque  cas. 
On  doit  faire  des  remarques  parfaitement  analogues  quant 
aux  restrictions  de  mouvements  .qui  résulteraient,  non  de 
la  constitution  spéciale  du  système  des  forces,  mais  des 
gênes  plus  ou  moins  étroites  auxquelles  le  corps  pourrait 
être  assujetti  dans  certains  cas,  et  qui  produiraient  des 
etl'ets  semblables.  Il  suffirait  également  alors  de  voir  net-' 
tement  quels  mouvements  sont  rendus  impossibles  par  la 
nature  des  conditions  imposées,  et  de  supprimer  les  équa- 
tions d'équilibre  qui  s'y  rapportent,  en  conservant  celles 
relatives  aux  mouvements  restés  libres.  C'est  ainsi,  par 
exemple,  que,  dans  le  cas  d'un  système  quelconque  de 
forces,  on  trouverait  que  les  trois  dernières  équations  suf- 
fisent pour  réquilibre,  si  le  corps  est  retenu  par  un  point 
fixe  autour  duquel  il  peut  tourner  librement  en  tout  sens, 
tout  mouvement  de  translation  étant  alors  devenu  impos- 


STATIQUE.  45 1 

sible;  de  môme  on  verrait  les  équaiions  d'équilibre  être 
au  nombre  de  deux,  ou  môme  se  réduire  à  une  seule,  s'il 
y  avait  à  la  fois  deux  points  fixes,  suivant  que  le  corps  pour- 
rait ou  non  glisser  le  long  de  Taxe  qui  les  joint;  et  enfin 
on  arriverait  à  reconnaître  que  l'équilibre  existe  nécessai- 
rement sans  aucune  condition,  quelles  que  soient  les  forces 
du  système,  si  le  corps  solide  présente  trois  points  fixes 
non  en  ligne  droite.  Enfin  on  pourrait  encore  employer  le 
même  ordre  de  considérations  lorsque  les  points,  au  lieu 
d'être  rigoureusement  fixes,  seraient  seulement  astreints 
à  demeurer  sur  des  courbes  ou  des  surfaces  données. 

L'esprit  de  l'analyse  que  je  viens  d'esquisser  est,  comme 
on  le  voit,  entièrement  indépendant  de  la  méthode  quel- 
conque d'après  laquelle  auront  été  obtenues  les  équations 
de  l'équilibre.  Mais  les  diverses  méthodes  générales  sont 
loin  cependant  de  se  prêter  avec  la  même  facilité  à  l'appli- 
cation de  cette  règle.  Celle  qui  s'y  adapte  le  mieux,  c'est 
incontestablement  la  méthode  statique  proprement  dite^ 
fondée,  comme  nous  l'avons  vu,  sur  le  principe  des  vitesses 
virtuelles.  On  doit  mettre,  en  efi*et,  au  nombre  des  pro- 
priétés caractéristiques  de  ce  principe,  la  netteté  parfaite 
avec  laquelle  il  analyse  nalurellement  le  phénomène  de 
réquilibre,  en  considérant  distinctement  chacun  des  mou- 
vements élémentaires  que  permettent  les  forces  du  sys- 
tème, et  fournissant  aussitôt  une  équation  d'équilibre  spé- 
cialement relative  à  ce  mouvement.  La  méthode  dynamique 
ne  présente  point  cet  avantage  important.  II  faut  recon- 
naître toutefois  que,  dans  la  manière  dont  Poinsot  l'a 
conçue,  elle  se  trouve  à  cet  égard  considérablement  amé- 
liorée, puisque  la  seule  distinction  des  conditions  d'équi- 
libre relatives  aux  forces  et  de  celles  qui  concernent  les 
couples,  distinction  qui  s'établit  alors  nécessairement, 
réalise  par  elle-même  la  détermination  séparée  entre  l'é- 


4  5t  MATHÉMATIQUES. 

quilibre  de  translation  et  Téquilibre  de  rotation.  Mais  la 
méthode  dynamique  ordinaire,  exclusivement  usitée  en 
statique  avant  la  réforme  de  Poinsot,  et  que  j'ai  caracté- 
risée dans  son  ensemble  au  commencement  de  cette  leçon, 
ne  remplit  nullement  cette  condition  essentielle,  sans 
laquelle  néanmoins  il  me  paraît  impossible  de  concevoir 
nettement  Texpression  analytique  des  lois  générales  de 
l'équilibre. 

Après  avoir  considéré  les  diverses  manières  principales 
de  parvenir  aux  lois  exactes  de  l'équilibre  abstrait  pour  un 
système  quelconque  des  forces,  en  supposant  les  corps 
dans  cet  état  complètement  passif  que  nous  avions  d'abord 
reconnu,  quoique  purement  hypothétique,  être  strictement 
indispensable  à  l'établissement  des  principes  fondamentaux 
de    la  mécanique   rationnelle;   nous  devons  maintenant 
examiner  comment  les  géomètres  ont  pu  tenir  compte  des 
propriétés   générales  naturelles  aux  corps  réels,  et  aux- 
quelles il  faut  nécessairement  avoir  égard  dans  toute  ap- 
plication effective  de  la  mécanique  abstraite.  La  seule  que 
l'on  sache  jusqu'ici  prendre  en  considération  d'une  ma- 
nière  vraiment  complète,   c'est    la  pesanteur  terrestre. 
Voyons  comment  on  a  pu  l'introduire,  en  effet,  dans  les 
équations  statiques.  Cet  important  examen  constitue,  sans 
doute,  dans  l'ordre   strictement   logique  de  nos  études 
philosophiques,  une  anticipation  vicieuse  sur  la  partie  de 
ce  cours  relative  à  la  physique  proprement  dite,  où  nous 
envisagerons    spécialement  la  science    de   la  pesanteur. 
Mais  la  théorie  des  centres  de  gravité,  à  laquelle  se  réduit 
essentiellement  cette  étude  statique  de  la  pesanteur  ter- 
restre, joue  un  rôle  trop  étendu  et  trop  important  dans 
toutes  les  parties  de  la  mécanique  rationnelle,  pour  que 
nous  puissions  nous  dispenser  de  l'indiquer  ici,  à  l'exem- 
ple de  tous  les  géomètres,  quoique  ce  ne  soit  pas  stricte- 


STATIQUE.  45 1 

ment  régulier.  Du  reste,  je  dois  faire  observer  à  ce  sujet 
qu'on  éviterait  presque  entièrement  tout  ce  qu'il  y  a  vrai- 
ment d'irrationnel  dans  cette  disposition  scientifique,  sans 
se  priver  néanmoins  des  avantages  capitaux  que  présente 
la  résolution  préalable  d'une  telle  question,  si  l'on  contrac- 
tait l'habitude  de  classer  la  théorie  des  centres  de  gravité 
parmi  les  recherches  de  pure  géométrie,  comme  je  Tai 
proposé  à  la  fin  de  la  treizième  leçon. 

Pour  tenir  compte  de  la  pesanteur  terrestre,  dan«  les 
questions  statiques,  il  suffit^  comme  on  sait,  de  se  repré- 
senter, sous  ce  rapport,  chaque  corps  homogène  comme 
un  système  de  forces  parallèles  et  égales,  appliquées  à 
toutes  les  molécules  du  corps,  et  dont  il  faut  déterminer 
complètement  la  résultante,  qu'on  introduira  dès  lors  sans 
aucune  difficulté  parmi  les  forces  extérieures  primitives.  £b 
réalité,  ce  parallélisme  et  cette  égalité  des  pesanteurs  mo- 
léculaires ne  sont  effectivement  que  des  approximations, 
puisque,  de  fait,  toutes  ces  forces  concourraient  au  centre 
de  la  terre  si  cette  planète  était  rigoureusement  sphérique, 
et  que  leur  intensité  absolue,  indépendamment  des  iné- 
galités qui  tiennent  à  la  force  centrifuge  produite  par  le 
mouvement  de  rotation  de  la  terre,  varie  en  raison  inverse 
des  carrés  des  distances  des  molécules  correspondantes  au 
centre  de  notre  globe.  Mais,  quand  il  ne  s'agit  que  des 
masses  terrestres  à  notre  disposition,  auxquelles  sont  or- 
dinairement destinées  ces  applications  de  la  statique,  les 
dimensions  n'en  sont  jamais  assez  grandes  pour  que  le 
défaut  de  parallélisme  et  d'égalité  entre  les  pesanteurs  des 
diverses  molécules  de  chaque  masse  doive  être  réellement 
pris  en  considération.  On  suppose  donc  alors,  avec  raison, 
toutes  ces  forces  rigoureusement  parallèles  et  égales,  ce 
qui  simplifie  extrêmement  la  question  de  leur  composi- 
tion. £n  effet,  leur  résultante  est,  dès  ce  moment,  égale  à 


454  MATHÉMATIQUES. 

leur  somme,  et  agit  suivant  une  droite  parallèle  à  leur  di- 
rection commune,  en  sorte  que  son  intensité  et  sa  direction 
sont  immédiatement  connues.  Toute  la  difQculté  se  réduit 
donc  à  trouver  son  point  d'application,  c'est-à-dire  ce 
qu'on  appelle  le  centre  de  gravité  du  corps.  D'après  les 
propriétés  générales  du  point  d'application  de  la  résultante 
dans  un  système  quelconque  de  forces  parallèles,  la  dis- 
tance de  ce  point  à  un  plan  quelconque  est  égale  à  la 
sonune  des  moments  de  toutes  les  forces  du  système  par 
rapport  à  ce  môme  plan,  divisée  par  la  somme  de  ces  forces 
elles-mêmes.  En  appliquant  cette  formule  au  centre  de 
gravité,  et  ayant  égard  à  la  simplification  que  produit  alors 
l'égalité  de  toutes  les  forces  proposées,  on  trouve  que  la 
distance  du  centre  de  gravité  à  un  plan  quelconque  est 
égale  à  la  somme  des  distances  de  tous  les  points  du  corps 
considéré,  divisée  par  le  nombre  de  ces  points,  c'est-à-dire 
que  celte  distance  est  ce  qu'on  appelle  proprement  la 
moyenne  arithmétique  entre  les  distances  de  tous  les  points 
proposés.  Cette  considération  fondamentale  réduit  évi- 
demment la  notion  du  centre  de  gravité  à  être  purement 
géométrique,  puisqu'en  le  cherchant  ainsi  comme  centre 
des  moyennes  distances^  suivant  la  dénomination  très-ration- 
nelle des  anciens  géomètres,  la  question  ne  conserve  plus 
aucune  trace  de  son  origine  mécanique,  et  consiste  seule- 
ment dans  ce  problème  de  géométrie  générale:  Étant 
donné  un  système  quelconque  de  points  disposés  entre  eux 
d'une  manière  déterminée,  trouver  un  point  dont  la  dis- 
tance à  un  plan  quelconque  soit  moyenne  entre  les  distances 
de  tous  les  points  donnés  à  ce  même  plan.  Il  y  aurait, 
comme  je  l'ai  déjà  indiqué,  des  avantages  importants  à 
concevoir  habituellement  ainsi  la  notion  générale  du  cen- 
tre de  gravité,  en  faisant  complètement  abstraction  de 
toute  considération  de  pesanteur,  car  cette  idée  simple  et 


STATIQUE.  465 

purement  géométrique  est  précisément  celle  qu'on  doit 
s'en  former  dans  la  plupart  des  théories  principales  de  la 
mécanique  rationnelle,  surtout  quand  on  envisage  les  gran- 
des propriétés  dynamiques  du  centre  des  moyennes  dis- 
tances, où  ridée  hétérogène  et  surabondante  de  la  gravité 
introduit  ordinairement  une  complication  et  une  obscurité 
vicieuses.  Cette  manière  de  concevoir  la  question  conduit 
naturellement,  il  est  vrai,  à  Tezclure  de  la  mécanique  pour 
la  faire  rentrer  dans  la  géométrie,  comme  je  Tai  proposé. 
Si  je  ne  Tai  pas  ainsi  classée  effectivement,  c'est  unique- 
ment aQn  de  ne  m'écarler  que  le  moins  possible  des  habi- 
tudes universellement  reçues,  quoique  je  fusse  très-con- 
vaincu qu'une  telle  transposition  serait  la  seule  disposition 
vraiment  rationnelle.  Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  discussion 
d'ordre,  ce  qui  importe  essentiellement,  c'est  de  ne  point 
se  méprendre  sur  la  véritable  nature  de  la  question,  è 
quelque  époque  et  sous  quelque  dénomination  qu'on  juge 
convenable  de  la  traiter. 

La  seule  définition  géométrique  du  centre  de  gravité 
donnerait  immédiatement  le  moyen  de  le  déterminer,  si  le 
système  des  points  que  l'on  considère  n'était  composé  que 
d'un  nombre  fini  de  points  isolés,  car  il  en  résulterait  di- 
rectement alors  des  formules  très-simples  et  qui  n'au- 
raient nullement  besoin  d'être  transformées  pour  exprimer 
les  coordonnées  du  point  cherché,  relativement  à  trois 
axes  rectangulaires  fixés  arbitrairement.  Mais  ces  formules 
fondamentales  ne  peuvent  plus  être  employées  sans  trans- 
formation, aussitôt  qu'il  s'agit  d'un  système  composé  d'une 
infinité  de  points  formant  un  véritable  corps  continu,  cid 
qui  est  le  cas  ordinaire.  Carie  numérateur  et  le  dénomina- 
teur de  chaque  formule  devenant  dès  lors  simultanément 
infinis,  ces  formules  n'offrent  plus  aucune  signification 
distincte,  et  ne  sauraient  être  appliquées  qu'après  avoir  été 


456  MATHÉMATIQUES. 

convenablement  transformées.  C'est  dans  cette  transfor- 
mation générale  que  consiste,  sous  le  rapport  analytique, 
toute  la  difficulté  fondamentale  de  la  question  du  centre  de 
gravité  envisagée  sous  le  point  de  vue  le  plus  étendu.  Or  il 
est  clair  que  le  calcul  intégral  donne  immédiatement  les 
moyens  de  la  surmonter,  puisque  ces  deux  sommes  infinies 
qui  constituent  les  deux  termes  de  chaque  formule  sont 
évidemment  par  elles-mêmes  de  véritables  intégrales,  dont 
celle  qui  exprime  le  dénominateur  commun  des  trois  for- 
mules se  rapporte  aux  éléments  géométriques  infiniment 
petits  de  la  masse  considérée,  et  celle  qui  représente  le 
numérateur  propre  à  chaque  formule  se  rapporte  aux  pro- 
duits de  ces  éléments  par  leurs  coordonnées  correspon- 
dantes. Il  suit  de  là,  pour  ne  considérer  ici  que  le  cas  le 
plus  général,  qu'en  décomposant  le  corps  seulement  en 
éléments  infiniment  petits  dans  deux  sens  par  deux  séries 
de  plans  infiniment  rapprochés  parallèles  les  uns  au  plan 
des  x^  z,  les  autres  au  plan  des  ^,  z,  on  trouvera  aussitôt 
les  formules  fondamentales, 

j    1  xzdxdy  1    1  yzdxdy  l    l  5*  Jx  dy 

j    I  z  dx  dy  I    I  z  dx  dy  j    j   z  dy  di 

qui  feront  connaître  les  trois  coordonnées  du  centre  de  gr»- 
vite  du  volume  d'un  corps  homogène  de  forme  quelconque, 
limité  par  une  surface  dont  Téquation  en  x,  y,  et  z,  est 
supposée  donnée.  On  obtiendra  de  la  môme  manière  pour 
le  centre  de  gravité  de  la  surface  seule  de  ce  corps,xles  for- 
mules 


STATIQUE.  457 


dy* 


La  détermination  des  centres  de  gravité  sera  donc  réduite 
ainsi,  dans  chaque  cas  particulier,  à  des  recherches  pure- 
ment analytiques,  tout  à  fait  analogues  à  celles  qu'exigent, 
cooQme  nous  Tavons  vu,  les  quadratures  et  les  cubatures. 
Seulement,  ces  intégrations  étant,  en  général,  plus  com- 
pliquées, rétat  d'extrême  imperfection  dans  lequel  se 
trouve  jusqu'ici  le  calcul  intégral  permettra  bien  plus  ra- 
rement encore  de  parvenir  à  une  solution  définitive.  Mais 
ces  formules  générales  n'en  ont  pas  moins,  par  elles-mêmes, 
une  importance  capitale,  pour  introduire  la  considération 
du  centre  de  gravité  dans  les  théories  générales  de  la  mé- 
canique analytique,  ainsi  que  nous  aurons  spécialement 
occasion  de  le  reconnaître  bientôt.  Il  faut  d'ailleurs  consi- 
dérer, quant  à  la  question  même,  que  ces  formules  éprou- 
Tcnt  de  très-grandes  simplifications,  quand  ou  vient  à  sup- 
poser que  la  surface  qui  termine  le  corps  proposé  est  une 
surface  de  révolution,  ce  qui  heureusement  a  lieu  dans  la 
plupart  des  applications  vraiment  importantes. 

Telle  est  donc  essentiellement  la  manière  de  tenir 
compte  de  la  pesanteur  terrestre  dans  les  applications  de  la 
statique  abstraite.  Quant  à  la  pesanteur  universelle,  on  peut 
dire  que  jusqu'ici  elle  n'a  été  prise  en  considération  d'une 
manière  vraiment  complète,  que  relativement  aux  corps 
sphériques.  Ce  n'est  pas  que,  lorsque  la  loi  de  la  gravitation 
est  supposée  connue,  et  surtout  en  la  concevant  inversement 


458  MATHÉMATIQUES. 

proportionnelle  au  carré  de  la  distance,  comme  dans  la 
véritable  pesanteur  universelle,  on  ne  puisse  aisément  con- 
struire, à  l'aide  d'intégrales  convenables,  des  formules  qui 
expriment  l'attraction  d'un  corps  de  figure  et  de  consti- 
tution quelconques  sur  un  point  donné,  et  même  sur  un 
autre  corps.  Mais  ces  expressions  symboliques  générales 
sont  demeurées  jusqu'ici  le  plus  souvent  inapplicables, 
faute  de  pouvoir  effectuer  les  intégrations  qu'elles  indi- 
quent, môme  quand  on  suppose,  pour  simplifier  la  ques- 
tion, que  chaque  corps  est  homogène.  Ce  n'est  encore  que 
par  une  approximation  fort  imparfaite  qu'on  a  pu  parvenir 
à  la  détermination  définitive  dans  le  cas  très-simple  de 
l'attraction  de  deux  ellipsoïdes,  et  les  approximations  n'ont 
pu  être  conduites  jusqu'au  degré  de  précision  convenable, 
qu'en  supposant  ces  ellipsoïdes  très-peu  différents  de  la 
sphère,  ce  qui  a  lieu  heureusement  pour  toutes  nos  planètes. 
Il  faut  d'ailleurs  considérer  que,  dans  la  réalité,  ces  formules 
supposent  la  connaissance  préalable  de  la  loi  de  la  densité 
à  Tintérieur  de  chaque  corps  proposé,  ce  que  nous  igno- 
rons jusqu'ici  complètement. 

Dans  l'état  présent  de  cette  importante  et  difficile  théo- 
rie, on  peut  dire  que  les  théorèmes  primitifs  de  Nev^ton 
sur  l'attraction  des  corps  sphériques  constituent  effective- 
ment encore  la  partie  la  plus  utile  de  cet  ordre  de  notions. 
Ces  propriétés  si  remarquables,  et  que  Newton  a  si  simple- 
ment établies,  consistent,  comme  on  sait,  en  ce  que 
i°  l'attraction  d'une  sphère  dont  toutes  les  molécules  atti- 
rent en  raison  inverse  du  carré  de  la  distance,  est  la  même, 
sur  un  point  extérieur  quelconque,  que  si  la  masse  entière 
de  cette  sphère  était  toute  condensés  k  son  centre; 
2o  quand  un  point  est  placé  dans  Tintérieur  d'une  sphère 
dont  les  molécules  agissent  sur  lui  suivant  cette  même  loi, 
il  n'éprouve  absolument  aucune  attraction  de  la  part  de 


STATIQUE.  459 

toute  la  portion  du  globe  qui  se  trouve  à  une  plus  grande 
distance  que  lui  'du  centre,  du  moins,  en  supposant,  si  le 
globe  n'est  pas  homogène,  que  chacune  de  ses  couches 
sphériques  concentriques  présente  en  tous  ses  points  la 
même  densité. 

La  pesanteur  est  la  seule  force  naturelle  dont  nous  sa- 
chions réellement  tenir  compte  en  statique  ralionnello  : 
encore  voit-on  combien  cette  étude  est  peu  avancée  par 
rapport  à  la  gravité  universelle.  Quant  aux  circonstances 
extérieures  générales,  dont  on  a  dû  également  faire  d'a- 
bord complètement  absti^ction  pour  établir  les  lois  ra- 
tionnelles de  la  mécanique,  comme  le  frottement,  la 
résistance  des  milieux,  etc.,  on  peut  dire  que  nous  ne 
connaissons  encore  nullement  la  manière  de  les  introduire 
dans  les  relations  fondamentales  données  par  la  méca- 
nique analytique,  car  on  n'y  est  parvenu  jusqu'ici  qu'à 
l'aide  d'hypothèses  fort  précaires,  et  môme  évidemment 
inexactes,  qui  ne  peuvent  être  réellement  considérées, 
dans  le  plus  grand  nombre  des  cas,  que  comme  propres  à 
fournir  des  exercices  de  calcul.  Du  reste,  nous  devrons 
naturellement  revenir  sur  ce  sujet  dans  la  partie  de  ce  cours 
relative  à  la  physique  proprement  dite. 

Pour  compléter  l'examen  philosophique  de  l'ensemble 
de  la  statique,  il  nous  reste  enfin  à  considérer  sommaire- 
ment la  manière  générale  d'établir  la  théorie  de  l'équi- 
libre, lorsque  le  corps  auquel  les  forces  sont  appliquées 
est  supposé  se  trouver  à  l'état  fluide,  soit  liquide,  soit 
gazeux. 

L'hydrostatique  peut  être  complètement  traitée  d'après 

deux  méthodes  générales  parfaitement  distinctes,  suivant 

qu'on  cherche   directement  les  lois  de  l'équilibre  des 

fluides  d'après  des  considérations  statiques  exclusivement 

-propres  à  cette  classe  de  corps,  ou  qu'on  se  borne  à  les 


460  MATHÉlCATrOUES. 

déduire  simplement  des  principes  fondamentaux  qui  ont 
déjà  fourni  les  équations  statiques  des  corps  solides,  en 
ayant  seulement  égard,  comme  il  convient,  aux  nouTclIes 
conditions  caractéristiques  qui  résultent  de  la  fluidité. 

La  première  méthode  a  dû  naturellement  commencer 
par  ôtre  la  seule  employée,  comme  étant  primitiTement  la 
plus  facile,  sinon  la  plus  rationnelle.  Tel  a  été  effeclÎTe- 
ment  le  caractère  des  travaux  des  géomètres  du  dix- 
septième  et  du  dix-huitième  siècle  sur  celte  importante 
section  de  la  mécanique  générale.  Divers  principes  stati- 
ques particuliers  aux  fluides,  et  plus  ou  moins  satisfai- 
sants, ont  été  successivement  proposés,  principalement  à 
l'occasion  de  la  célèbre  question  dans  laquelle  les  géomè- 
tres se  proposaient  de*  déterminer  à  priori  la  véritable 
figure  de  la  terre,  supposée  originairement  toute  fluide, 
question  capitale,  qui,  envisagée  dans  son  ensemble,  se 
rattache  en  efi^et,  directement  ou  indirectement,  à  toutes 
les  théories  essentielles  de  Thydrostatique.  On  sait  que 
Huyghens  avait  d'abord  essayé  de  la  résoudre,  en  prenant 
pour  principe  d'équilibre  la  perpendicularité  évidemment 
nécessaire  de  la  pesanteur  à  la  surface  libre  du  fluide. 
Newton  de  son  côté  avait,  à  la  môme  époque,  choisi  pour 
considération  fondamentale  la  nécessité  non  moins  évi- 
dente de  Tégalite  de  poids  entre  les  deux  colonnes  fluides 
allant  du  centre,  l'une  au  pôle,  l'autre  à  un  point  quel- 
conque de  l'équateur.  Bouguer,  en  discutant  plus  tard 
cette  importante  question,  montra  clairement  que  ces  deux 
manières  de  procéder  étaient  également  vicieuses,  en  ce 
que  le  principe  d 'Huyghens  et  celui  de  Newton,  bien  que 
tous  deux  incontestables,  ne  s'accordaient  point,  dans  un 
grand  nombre  de  cas,  à  donner  la  môme  forme  à  la  masse 
fluide  en  équilibre,  ce  qui  mettait  pleinement  en  évidence 
leur  insuffisance  commune.  Mais  Bouguer  se  trompa  gra- 


STATIQUE.  461 

vemeivt  à  son  tour,  en  croyant  que  la  réunion  de  ces  deux 
principes,  lorsqu'ils  s'accordaient  à  indiquer  une  môme 
figure,  était  entièrement  suffisante  pour  l'équilibre.  Clai« 
raul,  dans  son  immortel  traité  de  la  Figure  de  la  terre,  dé- 
couvrit, le  premier^  les  véritables  lois  générales  de  l'équi- 
libre d'une  masse  fluide,  en  parlant  de  la  considération 
éTidente  de  l'équilibre  isolé  d'un  canal  quelconque  infini- 
ment petit  ;  et,   d'après  ce  critérium  infaillible,  il  montra 
qu'il  pouvait  exister  une  infinité  de  cas  dans  lesquels  la 
combinaison  exigée  par  Bouguer  se  trouvait  observée  sans 
que  cependant  l'équilibre  eût  lieu.  Depuis  que  l'ouvrage 
de  Clairaut  eut  fondé  dans  son  ensemble  l'hydrostatique 
rationnelle,    plusieurs   grands  géomètres,    continuant   à 
adopter  la  môme  manière  générale  de  procéder,  s'occu- 
pèrent d'établir  la  théorie  mathématique  de  l'équilibre  des 
fluides  sur  des  considérations  plus  naturelles  et  plus  dis- 
tinctes que  celle  employée  par  son  illustre  inventeur.  On 
doit  principalement  distinguer,  à  cet  égard,  les  travaux  de 
Maclaurin  et  surtout  ceux  d'Ëuler,   qui  ont  donné  à  cette 
théorie  fondamentale  la  forme  simple  et  régulière  qu'elle 
a  maintenant   dans  tous  les  traités  ordinaires,  en  la  fon* 
dant  sur  le  principe  de  l'égalité  de  pression  en  tout  sens, 
qu'on  peut  regarder  comme  une  loi  générale  indiquée  par 
l'observation  relativement  à  la  constitution    statique  des 
fluides.  Ce  principe  est  incontestablement,  en  effet,  le  plus 
convenable  qu'on  puisse  employer  dans  une  telle  recher- 
che, lorsqu'on  veut  traiter  directement  par  quelque  consi- 
dération propre  aux  fluides  la  théorie  de  leur  équilibre^ 
dont  il  fournit  immédiatement  les  équations^   générales 
avec  une  extrême  facilité.  Il  suffit  alors,  pour  les  obtenir 
le  plus  simplement  possible,  après  avoir  conçu  la  masse 
fluide  partagée  en  molécules  cubiques  par  trois  séries  de 
plans  infiniment  rapprochés,   parallèles  aux  trois  plans 


46 1  MATHÉMATIQUES. 

coordonnés,  d'exprimer  que  chaque  molécule  est  égale- 
ment pressée  suivant  les  trois  axes  perpendiculaires  à  ses 
faces  par  l'ensemble  des  forces  du  système,  la  pression  de 
la  molécule  en  chaque  sens  étant  égale  à  la  difTérence  des 
pressions  exercées  sur  les  deux  faces  opposées  correspond 
dantes.  On  trouve  ainsi  que  la  loi  mathématique  de  l'équi- 
libre d'un  fluide  quelconque,  par  quelques  forces  qu'il  soit 
sollicité,  est  exprimée  par  les  deux  équations  : 

oii  p  exprime  la  pression  supportée  par  la  molécule  dont 
les  coordonnées  sont  x,  y,  z,  et  la  densité  ou  pesanteur 
spécifique/),  et  X,  Y,  Z,  désignent  les  composantes  totales 
des  forces  dont  le  fluide  est  animé  suivant  les  trois  axes 
coordpnnés.  Comme  on  peut  évidemment  déduire,  de  l'en- 
semble de  ces  trois  équations,  la  formule 


P=  Çp{Xdx  -f-  Ydy  +Zdz) 


pour  la  détermination  de  la  pression  «n  chaque  point,  quand 
les  forces  seront  connues  ainsi  que  la  loi  de  la  densité,  il 
est  possible  de  donner  une  autre  forme  analytique  à  la  loi 
générale  de  l'équilibre  des  fluides,  en  se  bornant  à  dire 
que  la  fonction  difi'érentielle,  placée  ici  sous  le  signe  S, 
doit  satisfaire  aux  conditions  connues  d'intégrabilité  rela- 
tivement aux  trois  variables  indépendantes  x,  y,  2,  ce  qui 
est  précisément  l'expression  très-simple  trouvée  primitive- 
ment par  Glairaut  quant  à  la  théorie  mathématique  de 
l'hydrostatique. 

L'étude  de  l'équilibre  des  fluides  donne  constamment 
lieu  à  une  nouvelle  question  générale  fort  importante  qui 
leur  est  propre,  celle  qui  consiste  à  déterminer,  dans  le 


STATIQUE.  463 

cas  d'équilibre,  la  figure  de  la  surface  qui  limite  la  masse 
fluide.  La  solution  abstraite  de  cette  question  est  implici- 
tement comprise  dans  la  formule  fondamentale  précé- 
dente, puisqu'il  suffit  évidemment  de  supposer  que  la 
pression  est'uulle  ou  du  moins  constante,  pour  caractériser 
les  points  de  la  surface,  ce  qui  donne  indistinctement 

Xdx-^  Ydy  +  Zdz  =  0 

quant  à  l'équation  différentielle  générale  de  cette  surface. 
Toute  la  difficulté  concrète  se  réduit  donc  essentiellement, 
en  chaque  cas,  à  connaître  la  loi  réelle  relative  à  la  va- 
riation de  la  densité  dans  Tintérieur  de  la  masse  fluide 
proposée,  à  moins  qu'elle  ne  soit  homogène,  détermination 
qui  présente  des  obstacles  tout  à  fait  insurmontables  dans 
les  applications  les  plus  importantes.  Si  l'on  en  fiiit 
abstraction,  la  question  ne  présente  dès  lors  qu'une  re- 
cherche analytique  plus  ou  moins  compliquée,  consistant 
dans  l'intégration,  le  plus  souvent  encore  inconnue,  de 
l'équation  précédente.  On  doit  remarquer  d'ailleurs  que 
cette  équation  est,  par  sa  nature,  assez  générale  pour 
qu'on  puisse  l'appliquer  môme  à  l'équilibre  d'une  masse 
fluide  qui  serait  animée  d'un  mouvement  de  rotation  dé- 
terminé, comme  l'exige  surtout  la  grande  question  de  la 
figure  des  planètes.  11  suffit  alors  en  effet  de  comprendre, 
parmi  les  forces  du  système  proposé,  les  forces  centrifuges 
qui  résultent  de  ce  mouvement  de  rotation. 

Telle  est,  par  aperçu,  la  manière  générale  d'établir  la 
théorie  mathématique  de  l'équilibre  des  fluides,  en  la  fon- 
dant directement  sur  des  principes  statiques  particuliers  à 
ce  genre  de  corps.  On  conçoit,  comme  je  l'ai  déjà  indiqué, 
que  cette  méthode  ait  dû  d'abord  être  seule  employée  ;  car, 
à  l'époque  des  premières  recherches,  les  différences  carac- 
téristiques entre  les  solides  et  les  fluides  devaient  nécessai- 


4  6  i  MATHÉMATIQUES. 

rement  paraître  trop  considérables  pour  qu'aucun  géomètre 
pût  alors  se  proposer  d'appliquer  à  ceux-ci  les  principes 
généraux  uniquement  destinés  aux  autres,  en  ayant  seule- 
ment égard,  dans  celte  déduction,  à  quelques  nouTclles 
conditions  spéciales.  Mais,  quand  les  lois  fondamentales 
de  rbydrostatique  ont  enfin  été  obtenues,  et  que  Tesprit 
humain,  cessant  d'être  préoccupé  de  la  difficulté  de  leur 
établissement,  a  pu  mesurer  avec  justesse  la  diversité  réelle 
qui  existe  entre  la  théorie  des  fluides  et  celle  des  solides, 
il  était  impossible  qu'il  ne  cherchât  point  à  les  ramener  tou- 
tes deux  aux  mômes  principes  essentiels,  et  qu'il  ne  recon- 
nût pas,  en  thèse  générale,  l'applicabilité  nécessaire  des 
règles  fondamentales  de  la  statique  à  l'équilibre  des  fluides, 
pourvu  qu'on  tînfcompte  convenablement  de  la  variabilité 
de  forme  qui  les  caractérise.  En  un  mot,  la  science  ne  pou- 
vait rester  sous  ce  rapport  dans  son  état  primitif,  où  l'on 
accordait  une  importance  évidemment  exagérée  aux  con- 
ditions propres  aux  fluides.  Mais,  pour  subordonner  l'hy- 
-  drostatique  à  la  statique  proprement  dite,  et  augmenter 
ainsi  par  une  plus  grande  unité  la  perfection  rationnelle  de 
la  science,  il  était  indispensable  que  la  théorie  abstraite  de 
l'équilibre  fût  préalablement  traitée  d'après  un  principe 
statique  suffisamment  général,  qui  seul  pouvait  être  direc- 
tement appliqué  aux  fluides  aussi  bien  qu'aux  solides,  car 
on  ne  pouvait  point  recourir,  à  cet  effet,  aux  équations  d'é- 
quilibre proprement  dites,  dans  la  formation  desquelles  on 
avait  toujours  eu,  nécessairement,  plus  ou  moins  égard  à 
l'invariabilité  du  système.  Cette  condition  inévitable  a  été 
remplie,  lorsque  Lagrange  a  conçu  la  manière  de  fonder  la 
statique,  et  par  suite  toute  la  mécanique  rationnelle,  sur  le 
seul  principe  des  vitesses  virtuelles.  Ce  principe  est  évi- 
demment, en  effet,  par  sa  nature,  tout  aussi  directement 
applicable  aux  fluides  qu'aux  solides,  et  c'est  là  une  de  ses 


STATIQUE.  4G5 

propriétés  les  plus  précieuses.  Dès  lors  Thydrostatique, 
philosophiquement  classée  à  son  rang  naturel,  n'a  plus  été, 
dans  le  traité  de  Lagrange,  qu'une  divisioQ  secondaire  de 
la  statique.  Quoique  cette  manière  de  la  concevoir  n'ait  pas 
encore  pu  devenir  suffisamment  familière,  et  que  la  mé- 
thode hydrostatique  directe  soit  restée  jusqu'ici  la  seule 
usuelle,  il  n'est  pas  douteux  que  la  méthode  de  Lagrange 
unira  par  être  habituellement  et  exclusivement  adoptée, 
comme  étant  celle  qui  imprime  à  la  science  son  véritable 
caractère  définitif,  en  la  faisant  dériver  tout  entière  d'un 
principe  unique. 

Pour  se  représenter  nettement,  en  général,  comment  le 
principe  des  vitesses  virtuelles  peut  conduire  aux  équations 
fondamentales  de  l'équilibre  des  fluides,  il  suffit  de  consi- 
dérer que  tout  ce  qu'une  telle  application  exige  de  parti- 
culier consiste  seulement  à  comprendre  parmi  les  forces 
quelconques  du  système  une  force  nouvelle,  la  pression 
exercée  sur  chaque  molécule,  qui  introduira  un  terme  de 
plus  dans  l'équation  générale,  ou,  plus  exactement,  qui 
donnera  lieu  à  trois  nouveaux  moments  virtuels,  si  l'on 
distingue,  comme  il  convient,  les  variations  séparément 
relatives  à  chacun  des  trois  axes  coordonnés.  £n  procédant 
ainsi,  on  parviendra  immédiatement  aux  trois  équations 
générales  de  l'équilibre  des  fluides^  qui  ont  été  rapportées 
ci-dessus  d'après  la  méthode  hydrostatique  proprement 
dite.  Si  le  fluide  considéré  est  liquide,  il  faudra  concevoir 
le  système  assujetti  à  cette  condition  caractéristique  de  pou- 
voir changer  de  forme,  sans  cependant  jamais  changer  de 
volume.  Cette  condition  d'incompressibilité  s'introduira 
d'autant  plus  naturellement  dans  l'équation  générale  des 
vitesses  virtuelles,  qu'elle  peut  s'exprimer  immédiatement, 
comme  l'a  fait  Lagrange,  par  une  formule  analytique  ana- 
logue à  celle  des  termes  de  cette  équation»  en  exprimant 

A.  CoHTB.  Tome  !•  30 


^66  MATnÉMATIQUES. 

que  la  variation  du  volume  esl  nulle,  ce  qui  même  a  permis 
à  Lagrange  de  se  représenter  abstraitement  cette  incom- 
pressibilité comme  l'effet  d'une  certaine  force  nouvelle, 
dont  il  suffit  d'ajouter  le  moment  virtuel  à  ceux  des  forces 
du  système.  Si  l'on  veut  établir,  au  contraire,  la  théorie  de 
l'équilibre  pour  les  fluides  gazeux,  il  faudra  remplacer  la 
condition  de  l'incompressibilité  par  celle  qui  assujettit  le 
volume  du  fluide  à  varier  suivant  une  fonction  déterminée 
de  la  pression,  par  exemple  en  raison  inverse  de  cette  pres- 
sion, conformément  à  la  loi  physique  sur  laquelle  Mariotte 
a  fondé  toute  la  mécanique  des  gaz.  Cette  nouvelle  circon- 
stance donnera  Heu  à  une  équation  analogue  à  celle  des  li- 
quides, quoique  plus  compliquée.  Seulement  cette  dernière 
section  de  la  théorie  générale  de  Téquilibre,  outre  les 
grandes  difficultés  analytiques  qui  lui  sont  propres,  se  res- 
sentira nécessairement,  dans  les  applications,  de  l'incerti- 
tude 011  Ton  est  encore  sur  la  véritable  loi  des  gaz  relative- 
ment à  la  fonction  de  la  pression  qui  exprime  réellement  l;i 
densité,  car  la  loi  de  Mariotte,  si  précieuse  par  son  extrême 
simplicité,  ne  peut  malheureusement  être  regardée  que 
comme  une  approximation,  qui,  suffisamment  exacte  pour 
des  circonstances  moyennes,  ne  saurait  être  étendue  rigou- 
reusement à  un  cas  quelconque. 

Tel  est  le  caractère  fondamental  de  la  méthode  incontes- 
tablement la  plus  rationnelle  qu'on  puisse  employer  pour 
former  la  théorie  abstraite  de  l'équilibre  des  fluides,  et  que 
nous  devons  regarder,  surtout  dans  cet  ouvrage,  comme 
constituant  désormais  la  conception  définitive  de  l'hydro- 
statique. Celle  conception  paraîtra  d'autant  plus  philosophi- 
que que,  dans  la  statique  ainsi  traitée,  on  trouve  une  suite  de 
cas  en  quelque  sorte  intermédiaires  entre  les  solides  et  les 
fluides,  lorsqu'on  considère  les  questions  relatives  aux 
corps  solides  susceptibles  de  changer  de  forme  jusqu'à  ud 


STATIQUE.  467 

certain  degré  d'après  des  lois  déterminées,  c'est-à-dire 
quand  on  tient  compte  delà  flexibilité  et  de  l'élaslicilé,  ce 
qui  établit,  sous  le  rapport  analytique,  une  filiation  natu- 
relle qui  fait  passer,  par  une  succession  de  recherches  pres- 
que insensible,  des  systèmes  dont  la  forme  est  rigoureuse- 
ment invariable  à  ceux  où  elle  est,  au  contraire,  éminemment 
variable. 

Après  avoir  examiné  sommairement  comment  la  sta- 
tique rationnelle,  envisagée  dans  son  ensemble,  a  pu  ôlre 
élevée  enfin  à  ce  haut  degré  de  perfection  spéculative  où 
toutes  les  questions  qu'elle  est  susceptible  de  présenter, 
constamment  traitées  d'après  un  principe  unique  directe- 
ment établi^  sont  uniformément  réduites  à  de  simples  pro- 
blèmes d'analyse  mathématique,  nous  devons  maintenant 
entreprendre  la  môme  étude  relativemennt  à  la  dernière 
branche  de  la  mécanique  générale,  nécessairement  plus 
étendue,  plus  compliquée,  et  par  suite  plus  difficile,  celle 
qui  a  pour  objet  la  théorie  du  mouvement.  Ce  sera  le  sujet 
de  la  leçon  suivante. 


DIX-SEPTIÈME  LEÇON 


Sommaire.  —  Vue  générale  de  la  dynamique 


L'objet  essentiel  de  la  dynamique  consiste,  comme  nous 
l'avons  vu,  dans  l'étude  des  mouvements  variés  produits 
par  les  forces  continues^  la  théorie  des  mouvements  uni- 
formes dus  aux  forces  instantanées  n'étant  entièremeat  qu'une 
simple  conséquence  immédiate  des  trois  lois  fondamentales 
du  mouvement.  Dans  cette  dynamique  des  mouveoients 
variés  ou  des  forces  continues  on  distingue  ordinairement 
et  avec  raison  deux  cas  généraux,  suivant  qu'on  considère 
le  mouvement  d'un  point  ou  celui  d'un  corps.  Sous  le  point 
de  vue  le  plus  positif,  cette  distinction  revient  à  concevoir 
que,  dans  certains  cas,  toutes  les  parties  du  corps  prennent 
exactement  le  môme  mouvement,  en  sorte  qu'il  suf6t  alors 
en  effet  de  déterminer  le  mouvement  d'une  seule  molécule, 
chacune  se  mouvant  comme  si  elle  était  isolée,  sans  aucun 
égard  aux  conditions  de  liaison  du  système;  tandis  que, 
dans  le  cas  le  plus  général,  chaque  portion  du  corps  ou 
chaque  corps  du  système  prenant  un  mouvement  distinct, 
il  faut  examiner  ces  divers  effets  et  connaître  l'influence 
qu'exercent  sur  eux  les  relations  qui  caractérisent  le  sys- 
tème considéré.  La  seconde  théorie  étant  évidemment  plus 
compliquée  que  la  première,  c'est  par  celle-ci  qu'il  con- 
vient nécessairement  de  commencer  l'étude  spéciale  de  la 
dynamique,  môme  quand  on  les  déduit  toutes  deux  de  prin- 
cipes uniformes.  Tel  est  aussi  l'ordre  que  nous  adopterons 


DYNAMIQUE.  469 

ici  dans  Tindicaiion  de  nos  considérations  philosophiques. 

Relativement  aa  mooyement  d'un  point,  nous  savons  déjà 
que  la  question  générale  consiste  k  déterminer  exactement 
toutes  les  circonstances  du  mouvement  curviligne  composé, 
résultant  de  l'action  simultanée  de  diverses  forces  conti- 
nues quelconques,  en  supposant  entièrement  connu  le  mou- 
vement rectiligne  que  prendrait  le  mobile  sous  Tinfluence 
exclusive  de  chaque  force  envisagée  isolément.  Nous  avons 
également  constaté  que  ce  problème  était  susceptible, 
comme  tout  autre,  d'être  considéré  en  sens  inverse,  lors- 
qu'on se  proposait,  au  contraire,  de  découvrir  par  quelles 
forces  le  corps  est  sollicité,  d'après  les  circonstances  carac- 
téristiques directement  connues  du  mouvement  composé. 

Mais,  avant  d'entrer  dans  l'examen  philosophique  de  ces 
deux  questions  générales,  nous  devons  d'abord  arrêter  notre 
attention  sur  une  théorie  préliminaire  fort  importante, 
celle  du  mouvement  varié  envisagé  en  lui-même,  c'est- 
à-dire  conformément  à  l'expression  ordinaire,  la  théorie  du 
mouvement  rectiligne  produit  par  une  seule  force  conti- 
nue, agissant  indéfiniment  selon  la  même  direction.  Cette 
théorie  élémentaire  est  indispensable  pour  établir  les  no- 
tions fondamentales  qui  se  reproduisent  sans  cesse  dans 
toutes  les  parties  de  la  dynamique.  Voici  en  quoi  elle  con- 
siste essentiellement,  d'après  notre  manière  de  concevoir 
la  mécanique  rationnelle. 

Nous  avons  précédemment  remarqué  que,  dans  la  ques- 
tion dynamique  directe,  il  fallait  nécessairement  supposer 
connu  l'effet  de  chaque  force  unique,  la  véritable  inconnue 
du  problème  général  étant  l'effet  déterminé  par  le  concours 
de  toutes  les  forces.  Cette  observation  est  incontestable. 
Mais,  d'après  cela,  quel  peut  être  l'objet  de  cette  partie 
préliminaire  de  la  dynamique  qu'on  destine  à  l'étude  du 
mouvement  résultant  de  Taclion  d'une  seule  force  conti- 


A 


4*7  0  MATHÉMATIQUES. 

nue?  La  contradiction  apparente  ne  tient  qu'aux  expres- 
sions peu  exactes  qu'on  emploie  ordinairement,  et  d'après 
lesquelles  une  telle  question  semblerait  aussi  distincte  et 
aussi  directe  que  les  véritables  questions  dynamiques,  tan- 
dis qu'elle  n'est  réellement  qu'un  préliminaire.  Pour  en 
concevoir  nettement  le  vrai  caractère,  il  faut  observer  que 
le  mouvement  varié  produit  par  une  seule  force  continue 
peut  être  défini  de  plusieurs  manières,  qui  dépendent  les 
unes  des  autres,  et  qui,  par  conséquent,  ne  sauraient  ja- 
mais être  données  simultanément,  quoique  chacune  puisse 
être  séparément  la  plus  convenable^  d'où  résulte  la  né- 
cessité de  savoir  passer,  en  général,  de  Tune  quelconque 
d'entre  elles  à  toutes  les  autres  :  c'est  dans  ces  transfor- 
mations que  consiste  proprement  la  théorie  générale  pré- 
liminaire du  mouvement  varié,  désignée  fort  inexactement 
sous  le  nom  d'étude  de  l'action  d'une  force  unique.  Ces 
diverses  définitions  équivalentes  d'un  même  mouvement 
varié  résultent  de  la  considération  simultanée  des  trois 
fonctions  fondamentales  distinctes,  quoique  corrélatives, 
qu'on  y  peut  envisager,  l'espace,  la  vitesse  et  la  force,  con- 
çus comme  dépendant  du  temps  écoulé.  La  loi  du  mouve- 
ment peut  être  immédiatement  donnée  par  la  relation  entre 
l'espace  parcouru  et  le  temps  écoulé,  et  alors  il  importe 
d'en  déduire  la  vitesse  acquise  par  le  mobile  à  chaque  in- 
stant, c'est-à-dire  celle  du  mouvement  uniforme  qui  aurait 
lieu  si,  la  force  continue  cessant  tout  à  coup  d'agir,  le  corps 
ne  se  mouvait  plus  qu'en  vertu  de  l'impulsion  naturelle 
résultant,  d'après  la  loi  d'inertie,  du  mouvement  déjà  effec- 
tué :  il  est  également  intéressantde  déterminer  aussi  quelle 
est,  à  chaque  instant,  l'intensité  de  la  force  continue,  com- 
parée à  celle  d'une  force  accélératrice  constante, bien  con- 
nue, telle,  par  exemple,  que  la  gravité  terrestre,  la  seule 
force  de  ce  genre  qui  nous  soit  assez  familière  pour  servir 


DYNAMIQUE.  471 

habiluellement  de  type  convenable.  Dans  d'autres  occa- 
sions, au  contraire,  le  mouveraent  pourra  être  naturelle- 
ment défini  par  la  loi  qui  règle  la  variation  de  la  vitesse 
en  raison  du  temps,  et  d'où  il  faudra  conclure  celle  relative 
à  l'espace,  ainsi  que  celle  qui  concerne  la  force.  Il  en  serait 
de  môme  si  la  définition  primitive  du  mouvement  consis- 
tait dans  la  loi  de  la  force  continue,  qui  pourrait  n't^tre  pas 
toujours  immédiatement  donnée  en  fonction  du  temps, 
mais  quelquefois  par  rapport  à  l'espace,  comme  par  exem- 
ple lorsqu'il  s'agit  de  la  gravitation  universelle,  ou  d'autres 
fois  relativement  à  la  vitesse,  ainsi  qu'on  le  voit  pour  la 
résistance  des  milieux.  Enfin,  si  l'on  considère  cet  ordre 
de  questions  sous  le  point  de  vue  le  plus  étendu,  il  faut 
concevoir,  en  générai,  que  la  définition  d'un  mouvement 
varié  peut  être  donnée  par  une  équation  quelconque,  pou- 
vant contenir  à  la  fois  ces  quatre  variables  dont  une  seule 
est  indépendante,  le  temps,  l'espace,  la  vitesse  cl  la  force; 
le  problème  consistera  à  déduire  de  cette  équation  la  dé- 
termination distincte  des  trois  lois  caractérisliques  relati- 
ves à  l'espace,  à  la  vitesse  et  à  la  force,  en  fonction  du 
temps,  et,  par  suite,  en  corrélation  mutuelle.  Ce  problème 
général  se  réduit  constamment  à  une  recherche  purement 
analytique,  à  l'aide  des  deux  formules  dynamiques  fonda- 
mentales qui  expriment,  en  fonction  du  temps,  la  vitesse 
et  la  force,  quand  on  suppose  connue  la  loi  relative  à  l'es- 
pace. 

La  méthode  infinitésimale  conduit  à  ces  deux  formules 
avec  la  plus  grande  facilité.  11  suffit  en  effet,  pour  les  ob- 
tenir, de  considérer,  suivant  l'esprit  de  cette  méthode,  le 
mouvement  comme  uniforme  pendant  la  durée  d'un  niéme 
intervalle  de  temps  infiniment  petit,  et  comme  uniformé- 
ment accéléré  pendant  deux  intervalles  consécutifs.  Dès 
lors,  la  vitesse,  supposée  momentanément  constante,  d'à- 


472  MATHÉMATIQUES. 

près  la  première  considération,  sera  naturellement  expri- 
mée par  la  différentielle  de  l'espace  divisée  par  celle  du 
temps  ;  et,  de  môme,  la  force  continue,  d'après  la  seconde 
considération,  sera  évidemment  mesurée  par  le  rapport 
entre  Taccroissement  infiniment  petit  de  la  vitesse^  et  le 
temps  employé  à  produire  cet  accroissement.  Ainsi,  en 
appelant  t  le  temps  écoulé,  e  l'espace  parcouru,  v  la  vi- 
tesse acquise  et  ç  l'intensité  delà  force  continue  à  chaque 
instant,  la  corrélation  générale  et  nécessaire  de  ces  quatre 
variables  simultanées  sera  exprimée  analytiquement  par  les 
deux  formules  fondamentales, 

de  dv      fih 

^^di    '^'^Tt'^d?'' 

D'après  ces  formules,  toutes  les  questions  relatives  à  cette 
théorie  préliminaire  du  mouvement  varié  se  réduiront  im- 
médiatement à  de  simples  recherches  analytiques,  qui 
consisteront  ou  dans  des  dilTérentiations,  ou,  le  plus  sou- 
vent, dans  des  intégrations.  En  considérant  le  cas  le  plus 
général,  où  la  définition  primitive  du  mouvement  proposé 
serait  donnée  seulement  par  une  équation  entre  les  quatre 
variables,  le  problème  analytique  consistera  dans  l'intégra- 
tion d'une  équation  différentielle  du  second  ordre,  rela- 
tive à  la  fonction  e,  et  qui  pourra  être  fréquemment 
inexécutable,  vu  Textrôme  imperfection  actuelle  du  calcul 
intégral; 

La  conception  fondamentale  de  Lagrange,  relativement 
à  l'analyse  transcendante,  l'ayant  nécessairement  obligé  à 
se  priver  des  facilités  qu'offre  l'eniploi  de  la  méthode  infi- 
nitésimale pour  l'établissement  des  deux  formules  dynami- 
ques précédentes^  il  a  été  conduit  à  présenter  celte 
théorie  sous  un  nouveau  point  de  vue,  dont  on  n'a  pas  com- 
munément, ce  me  semble,  assez  apprécié  l'importance,  et 


DnfAMTQUE.  47  a 

qui  me  parait  singulièrement  propre  à  éclaîrcir  la  véritable 
nature  de  ces  notions  élémentaires.  Lagrange  a  montré 
dans  sa  théorie  des  fonctionê  analytiques  que  celte  considéra- 
tion dynamique  consistait  réellement  à  concevoir  un  mou- 
vement  varié  quelconque  comme  composé  à  chaque  instant 
d'un  certain  mouvement  uniforme  et  d'un  autre  mouvement 
uniformément  varié,  en  Tassimilant  au  mouvement  vertical 
d'un  corps  pesant  lancé  avec  une  impulsion  initiale.  Mais» 
pour  donnera  cette  lumineuse  conception  toute  sa  valeur 
philosophique,  je  crois  devoir  la  présenter  sous  un  point  de 
vue  plus  étendu  que  ne  l'a  fait  Lagrange,  comme  donnant 
lieu  à  une  théorie  complète  de  Tassimilation  des  mouve- 
ments, exactement  semblable  à  la  théorie  générale  des  con- 
tacts des  courbes  et  des  surfaces,  exposée  dans  les  treizième 
et  quatorzième  leçons. 

A  cet  effet,  supposons  deux  mouvements  rectilignes 
quelconques,  déûnis  par  les  équations  e=  /(O,  E  =  F{i)\ 
que  les  deux  mobiles  soient  parvenus  au  bout  du  lemps  tk 
une  môme  situation  ;  et  considérons  leur  distance  mutuelle 
après  un  certain  temps  ^-f-^.  Cette  distance,  qui  sera  égale 
à  la  différence  des  valeurs  correspondantes  des  deux  fonc- 
tions f  elF  aura  évidemment  pour  expression,  d'après  la 
formule  de  Tajlor,  la  série 

(ir  (0  -  F'{oy +(/"  w  -  F"  (o)i5:  + 


(/-(0-/^'^(0)^+etc. 


A  Taide  de  cette  série,  on  pourra,  par  des  considérations 
entièrement  analogues  à  celles  employées  dans  la  théorie 
des  courbes,  se  faire  une  idée  nette  de  l'assimilation  plus 
ou  moins  parfaite  des  deux  mouvements,  suivant  les  rela- 
tions analytiques  plus  ou  moins  étendues  des  deux  fonctions 


47  4  MATHÉMATIQUES. 

primitives /et  F.  8i  leurs  dérivées  du  premier  ordre  ODt 
une  môme  valeur,  il  existera  entre  les  deux  mouvements  ce 
qu'on  pourrait  appeler  une  assimilation  du  premier  ordre^ 
semblable  au  contact  du  premier  ordre  dans  les  courbes, 
et  qu'on  pourra  caractériser,  sous  le  rapport  concret,  en 
disant  alors  que  le  mouvement  des  deux  corps  sera  le 
môme  pendant  un  instant  infiniment  petit.  Si,  en  outre, 
les  deux  dérivées  du  second  ordre  prennent  encore  la 
aiême  valeur,  l'assimilation  des  mouvements  deviendra 
plus  intime,  et  s'élèvera  au  second  ordre;  elle  consistera 
physiquement  alors  en  ce  que  les  deux  mobiles  auront  le 
môme  mouvement  pendant  deux  instants  infinimeni  petits 
consécutifs.  Pareillement,  en  ajoutant  à  ces  deux  premières 
relations  l'égalité  des  troisièmes  dérivées,  on  établira,  en- 
tre les  mouvements  considérés,  une  assimilation  du  troi- 
sième ordre,  qui  les  fera  coïncider  pendant  trois  instants 
consécutifs,  et  ainsi  de  suite  indéfiniment.  Le  degré  de  si- 
militude des  deux  mouvements,  déterminé  analytiquement 
par  le  nombre  de  fonctions  dérivées  successives  qui  auront 
respectivement  la  môme  valeur,  aura  toujours  pour  inter- 
prétation concrète  la  coïncidence  des  deux  mobiles  pen- 
dant un  nombre  égal  d'instants  consécutifs  ;  comme  nous 
avons  vu  l'ordre  du  contact  des  courbes  mesuré  géométri- 
quement par  la  communauté  d'un  nombre  correspondant 
d'éléments  successifs.  Si  la  loi  caractéristique  de  l'un  des 
mouvements  proposés  contient,  dans  son  expression  analy- 
tique, quelques  constantes  arbitraires,  on  pourra  VassimUer 
à  un  autre  mouvement  quelconque  jusqu'à  un  ordre  marqué 
par  le  nombre  de  ces  constantes,  qui  seront  alors  détermi- 
nées d'après  les  équations  destinées  à  établir,  suivant  la 
théorie  précédente,  ce  degré  d'intimité  entre  les  deux 
mouvements. 
Cette  conception  fondamentale  conduit  à  apercevoir  la 


DYNAMIOCE.  47  5 

possibilité,  du  moins  sous  le  point  de  vue  abstrait,  d'acqué- 
rir une  connaissance  de  plus  en  plus  approfondie  d'un  mou- 
vement varié  quelconque,  en  le  comparant  successivement 
à  une  suite  de  mouvements  connus,  dont  la  loi  analytique 
dépende  d'un  nombre  de  plus  en  plus  grand  de  constantes 
arbitraires,  et  qui  pourront,  par  conséquent,  avoir  avec  lui 
une  coïncidence  de  plus  en  plus  prolongée.  Mais,  de  même 
que  nous  avons  vu  la  théorie  générale  des  contacts  des 
lignes,  appliquée  à  la  mesure  de  la  courbure  les  unes  par 
les  autres,  devoir  se  réduire  effectivement  à  la  comparai- 
son d'une  courbe  quelconque  d'abord  avec  une  ligne  droite 
et  ensuite  avec  un  cercle,  ces  deux  lignes  étant  les  seules 
qu'on  puisse  regarder  comme  assez  connues  pour  servir 
utilement  de  type  à  l'égard  des  autres,  pareillement  la 
théorie  dynamique  relative  à  la  mesure  des  mouvements 
les  uns  par  les  autres  doit  être  réellement  limitée  à  la  com- 
paraison effective  de  tout  mouvement  varié,  d'abord  avec 
un  mouvement  uniforme  où  l'espace  est  proportionnel  au 
temps,  et  ensuite  avec  un  mouvement  uniformément  varie 
où  l'espace  croit  en  raison  du  carré  du  temps  ;  ou  bien, 
afin  de  tout  embrasser  en  une  seule  considération,  avec  un 
mouvement  composé  d'un  mouvement  uniforme,  et  d'un 
autre  uniformément  varié,  tel  que  celui  d'un  corps  pesant 
animé  d'une  impulsion  initiale.  Ces  deux  mouvements  élé- 
mentaires sont,  en  effet,  comme  le  remarque  Lagrange, 
les  seuls  dont  nous  ayons  réellement  une  notion  assez  fa- 
milière pour  que  nous  puissions  les  appliquer  avec  succès 
à  la  mesure  de  tous  les  autres.  En  établissant  cette  assimi- 
lation, on  trouve,  d'après  la  théorie  précédente,  que  tout 
mouvement  varié  peut  être  à  chaque  instant  comparé  à  ce- 
lui d'un  corps  pesant  qui  aurait  reçu  une  vitesse  initiale 
égale  à  la  première  dérivée  de  l'espace  parcouru  envisagé 
comme  une  fonction  du  temps  écoulé,  et  qui  serait  animé 


A7C  MATUÉMATIQUES. 

d'une  gravité  mesurée  par  la  seconde  dérivée  de  celte  môme 
fonction,  ce  qui  nous  fait  rentrer  dans  les  deux  formules 
fondamentales  obtenues  ci-dessus  par  la  méthode  infinitési- 
male. Le  mouvement  proposé  coïncidera  pendant  un  ins- 
tant infmiment  petit  avec  le  mouvement  uniforme  exprimé 
dans  la  première  partie  de  cette  comparaison,  et  pendant 
deux  instants  consécutifs  avec  le  mouvement  uniformé- 
ment accéléré  qui  correspond  à  la  seconde  partie.  On  se 
formera  donc  ainsi  une  idée  nette  du  mouvement  du  mo- 
bile à  chaque  moment,  et  de  la  manière  dont  il  varie  d'un 
moment  à  l'autre,  ce  qui  est  strictement  suffisant. 

Quoique  la  conception  de  Lagrange,  telle  que  je  l'ai  gé- 
néralisée, conduise  finalement  aux  mômes  résultats  que  la 
théorie  ordinaire,  il  est  aisé  de  sentir  cependant  sa  supé- 
riorité rationnelle,  puisque  ces  deux  théorèmes  fondamen- 
taux, dans  lesquels  on  avait  vu  jusqu'alors  le  terme  absolu 
des  efforts  de  l'esprit  humain,  relativement  à  l'étude  des 
mouvements  variés,  peuvent  ôtre  envisagés  maintenant 
comme  une  simple  application  particulière  d*une  méthode 
très-générale,  qui  nous  permetabstraitement  d'entrevoir  une 
mesure  beaucoup  plus  parfaite  de  tout  mouvement  varié, 
quoique  de  puissants  motifs  de  convenance  nous  obligent  à 
considérer  seulement  la  mesure  primitivement  adoptée.  On 
conçoit,  diaprés  cequi  précède,  que,  si  la  nature  nous  offrait 
un  exemple  simple  et  familier  d'un  mouvement  rectiligne 
dans  lequel  l'espace  croîtrait  proportionnellement  au  cube 
du  temps,  en  ajoutant  à  nos  notions  dynamiques  ordinaires 
la  considération  habituelle  de  ce  mouvement,  nous  obtien- 
drions une  connaissance  plus  approfondie  de  la  nature  d'un 
mouvement  varié  quelconque,  qui  pourrait  alors  avoir  avec 
le  triple  mouvement  ainsi  composé  une  assimilation  du 
troisième  ordre,  ce  qui  nous  permettrait  d'envisager  direc- 
tement, par  une  seule  vue  de  l'esprit,  l'étnt  du  mobile  pen- 


DYNAMIQUE.  47  7 

daot  trois  instants  consécutifs,  tandis  que  nous  sommes 
maintenant  forcés  de  nous  arrêter  à  deux  instants.  Sous  le 
rapport  analytique,  au  lieu  de  nous  borner  aux  deux  pre- 
mières fonctions  dérivées  de  l'espace  relativement  au  temps, 
cette  méthode  reviendrait  à  considérer  simultanément  la 
troisième  dérivée,  qui  aurait  dés  lors  aussi  une  significa- 
tion dynamique,  dont  elle  est  actuellement  dépourvue. Dans 
cette  supposition,  de  môme  que  nous  concevons  habituelle- 
ment la  force  accélératrice  pour  nous  représenter  les  chan- 
gements de  la  vitesse,  nous  aurions  pareillement  une  con- 
sidération dynamique  propre  à  nous  figurer  les  variations 
.de  la  force  continue.  Notre  étude  générale  des  mouvements 
variés  deviendrait  encore  plus  parfaite  si,  étendant  cette 
hypothèse,  il  existait  en  outre  un  mouvement  connu  dans 
lequel  l'espace  fût  proportionnel  à  la  quatrième  puissance 
du  temps,  et  ainsi  de  suite.  Mais,  en  réalité,  parmi  les  mou- 
vements simples  où  l'espace  parcouru  se  trouve  croître  pro- 
portionnellement à  une  puissance  entière  et  positive  du 
temps  écoulé,  l'observation  ne  nous  faisant  connaître  que 
le  mouvement  uniforme  produit  par  une  impulsion  unique 
et  le  mouvement  uniformément  accéléré  qui  résulte  de  la 
pesanteur  terresti;e  suivant  la  découverte  de  Galilée,  nous 
sommes  contraints  de  nous  arrêter  aux  deux  premiers  de- 
grés de  la  théorie  précédente  pour  la  mesure  générale  des 
mouvements  variés  quelconques.  Telle  est  la  véritable 
explication  philosophique  de  la  méthode  universellement 
adoptée,  estimée  à  sa  valeur  réelle. 

J'ai  cru  devoir  insister  sur  cette  explication,  parce  que 
cette  conception  fondamentale  me  semble  n'être  pas  encore 
appréciée  d'une  manière  convenable,  quoiqu'elle  soit  la 
base  de  la  dynamique  tout  entière. 

Après  l'examen  général  de  cette  importante  théorie  pré- 
liminaire, je  passe  maintenant  à  considérer  sommairement 


47  8  MATHÉMATIQUES. 

le  caractère  philosophique  de  la  véritable  dynamique  ra- 
tionnelle directe,  c'est-à-dire  de  Tétude  du  mouvement 
curviligne  produit  par  l'action  simultanée  de  diverses  for- 
ces continues  quelconques,  en  continuant  à  supposer  d'a- 
bord que  le  mobile  soit  regardé  comme  un  point,  ou,  ce 
qui  revient  au  môme,  que,  toutes  les  molécules  du  corps 
prenant  exactement  le  même  mouvement,  chacune  se 
meuve  isolément  sans  être  affectée  par  sa  liaison  avec  les 
autres. 

On  doit  distinguer,  en  général,  dans  le  mouvement  cur- 
viligne d'une  molécule  soumise  à  l'action  des  forces  quel- 
conques, deux  cas  très-différents,  suivant  qu'elle  est  d'ail- . 
leurs  entièrement  libre,  de  manière  à  devoir  décrire  la 
trajectoire  qui  résultera  naturellement  de  la  combinaison 
des  forces  proposées,  ou  que,  au  contraire,  elle  est  astreinte 
à   se  mouvoir  sur  une  seule  courbe  ou  sur  une  surface 
donnée.  La  théorie  fondamentale  du  mouvement  curviligne 
peut  être  établie  dans  son  ensemble  suivant  deux  modes 
fort  distincts,  en  prenant  pour  base  l'un  ou  l'autre  de  ces 
deux  cas,  car  chacun  d'eux  peut  être  traité  directement  et 
se  trouve  en  môme  temps  susceptible  de  se  rattacher  à 
l'autre,  les  deux  considérations  étant  presque  également 
naturelles  selon  le  point  de  vue  où  l'esprit  se  place.  En 
partant  du  premier  cas,  il  suffira,  pour  en  déduire  le  se- 
cond, de  regarder  la  résistance,  tant  active  que  passive,  de 
la  courbe  ou  de  la  surface  sur  laquelle  le  corps  est  assujetti 
à  rester,  comme  une  nouvelle  force  à  joindre  à  celles  du 
système  proposé,  ainsi  que  nous  avons  vu  qu'on  a  cou- 
tume de  le  faire  en  statique.  Si,  au  contraire,  on  préfère 
d'établir  d'abord  la  théorie  du  second  cas,  on  y  ramènera 
ensuite  le  premier,  en  considérant  le  mobile  comme  forcé 
à  décrire  la  courbe  qu'il  doit  effectivement  parcourir,  ce 
qui  suffira  entièrement  pour  former  les  équations  fonda- 


DYNAMIQUE.  47  9 

mentales,  quoique  cette  courbe  soit  alors  primitivement 
inconnue.  Bien  que  cette  dernière  méthode  ne  soit  point 
ordinairement  employée,  il  convient,  je  crois,  de  les  ca- 
ractériser ici  toutes  deux,  pour  donner  le  plus  complète- 
ment possible  une  juste  idée  de  la  théorie  générale  du 
mouvement  curviligne,  car  chacune  d'elles  a,  ce  me  sem- 
ble, des  avantages  importants  qui  lui  sont  propres.  Consi- 
dérons d'abord  la  première. 

Examinant,  en  premier  lieu,  le  mouvement  curviligne 
d'une  molécule  entièrement  libre  soumise  à  l'action  de 
forces  continues  quelconques,  on  peut  former  de  deux 
manières  distinctes  les  équations  fondamentales  de  ce 
mouvement,  en  les  déduisant  par  deux  modes  différents  de 
la  théorie  du  mouvement  rectiligne.  Le  premier  mode,  qui 
a  d'abord  été  le  plus  employé  par  les  géomètres,  quoique, 
sous  le  rapport  analytique,  il  ne  soit  pas  le  plus  simple,  con- 
siste à  décomposer  à  chaque  instant  la  résultante  totale  des 
forces  continues  qui  agissent  sur  le  mobile  en  deux  forces, 
l'une  dirigée  selon  la  tangente  à  la  trajectoire  qu'il  décrit, 
l'autre  suivant  la  normale.  Considérons  alors,  pendant 
un  instant  infiniment  petit,  le  mouvement  comme  rec- 
tiligne et  ayant  lieu  dans  la  direction  de  la  tangente, 
d'après  la  première  loi  fondamentale  du  mouvement.  La 
progression  du  corps  en  ce  sens  ne  sera  évidemment  due 
qu'à  la  première  de  ces  deux  composantes,  à  laquelle,  par 
conséquent,  on  pourra  appliquer  la  formule  élémentaire 
rapportée  ci-dessus  par  le  mouvement  rectiligne.  Cette 
composante,  qui  est  d'ailleurs  égale  à  la  force  accéléra- 
trice totale  multipliée  par  le  cosinus  de  son  inclinaison 
sur  la  tangente,  sera  donc  exprimée  par  la  seconde  fonc- 
tion dérivée  de  l'arc  de  la  courbe  relativement  au  temps. 
En  développant  cette  équation  par  les  formules  géométri- 
ques connues,  et  introduisant  dans  le  calcul  les  composan- 


480  MATUÉMATIQUES. 

tes  de  la  force  accélératrice  totale  parallèlement  aux  trois 
axes  coordonnés  rectangulaires,  on  parvient  finalement  aux 
trois  équations  fondamentales  ordinaires  du  mouvement 
curviligne.  Le  second  mode,  plus  simple  et  plus  régulier, 
dû  à  Ëuler,  et  depuis  généralement  adopté,  consiste  à 
obtenir  immédiatement  ces  équations  en  décomposant 
directement  le  mouvement  du  corps  à  chaque  instant,  ainsi 
que  la  force  continue  totale  dont  il  est  animé,  en  trois 
autres  dans  le  sens  des  trois  axes  coordonnés.  D'après  la 
troisième  loi  fondamentale  du  mouvement,  le  mouvement 
selon  chaque  axe  étant  indépendant  des  mouvements 
suivant  les  deux  autres  n'est  dû  qu'à  la  composante  totale 
des  forces  accélératrices  parallèlement  à  cet  axe,  en  sorte 
que  le  mouvement  curviligne  se  trouve  ainsi  continuelle- 
ment remplacé  par  le  système  de  trois  mouvements  rec* 
tilignes,  à  chacun  desquels  on  peut  aussitôt  appliquer  la 
théorie  dynamique  préliminaire  indiquée  ci-dessus.  En 
nommant  X,  F,  Z,  les  composantes  totales,  parallèlement 
aux  trois  axes  des  x^  des  y,  et  des  z,  des  forces  continues 
qui  agissent  à  chaque  instant  dt  sur  la  molécule  dont  les 
coordonnées  sont  x,  y,  z,  on  obtient  ainsi  immédiatement 
les  équations  : 

rfi«"~^' rf?r  —  •''dT»""    ' 

auxquelles  on  ne  parvient  que  par  un  assez  long  calcul  en 
suivant  le  premier  mode. 

Telles  sont  les  équations  différentielles  fondamentales 
du  mouvement  curviligne,  d'après  lesquelles  les  questions 
quelconques  de  dynamique  relatives  à  uu  corps  dont  toutes 
les  molécules  prennent  exactement  le  même  mouvement 
se  réduisent  immédiatement  à  des  problèmes  purement 
analytiques,  lorsque  les  données  ont  été  convenablement 


DYNAMIQUE.  481 

exprimées.  En  considérant  d'abord  la  question  générale 
4lirecfe^  qui  est  la  plus  importante,  on  se  propose,  con- 
naissant la  loi  des  forces  continues  dont  le  corps  est  animé, 
de  déterminer  toutes  les  circonstances  de  son  mouvement 
effectif.  Pour  cela,  de  quelque  manière  que  cette  loi  soit 
donnée,  ou  en  fonction  du  temps,  ou  en  fonction  des 
coordonnées,  ou  en  fonction  de  la  vitesse,  il  sufGra  en  gé- 
néral d'intégrer  ces  trois  équations  du  second  ordre,  ce 
qui  donnera  lieu  à  des  difficultés  analytiques  plus  ou  moins 
élevées,  que  l'imperfection  du  calcul  intégral  pourra  ren- 
dre fréquemment  insurmontables.  Les  six  constantes  arbi- 
traires successivement  introduites  par  cette  intégration  se 
détermineront  d'ailleurs  en  ayant  égard  aux  circonstances 
de  l'état  initial  du  mobile,  dont  les  équations  différentielles 
n'ont  pu  conserver  aucune  trace.  On  obtiendra  ainsi  les 
trois  coordonnées  du  corps  en  fonction  du  temps,  de  ma- 
nière à  pouvoir  assigner  exactement  sa  position  à  chaque 
instant;  et  on  trouvera  ensuite  les  deux  équations  carac- 
téristiques de  la  courbe  qu'il  décrit,  en  éliminant  le  temps 
entre  ces  trois  expressions.  Quant  à  la  vitesse  acquise  par 
le  mobile  à  une  époque  quelconque,  on  pourra  dès  lors  la 
déterminer  aussi  d'après  les  valeurs  de  ses  trois  compo- 
santes, dans  le  sens  des  axes,  —♦  —»  -4:  H    est  d'ailleurs 

at     as     ai 

utile  de  remarquer,  à  cet  égard,  que  cette  vitesse  v  sera 
souvent  susceptible  d'être  immédiatement  calculée  par  une 
combinaison  fort  simple  des  trois  équations  différentielles 
fondamentales,  qui  donne  évidemment  la  formule  générale 

t*  =  2  C(Xdx  +  Ydy  +  Zdz)j 

à  l'aide  de  laquelle  une  seule  intégration  suffira  pour  la  dé- 
termination directe  de  la  vitesse,  lorsque  l'expression  placée 

sous  le  signe  /  satisfera  aux  conditions  connues  d'intégra- 
A.  CoMTB.  Tome  I.  -81 


4  82  MATHÉMATIQUES . 

bilité  relativement  aux  trois  variables  x,  y,  z,  envisagées 
comme  indépendantes.  Cette  propriété  n'a  pas  lieu,  sans 
doute,  relativement  à  toutes  les  forces  continues  possibles, 
ni  même  par  rapport  à  toutes  celles  que  nous  présentent 
en  eQet  les  phénomènes  naturels,  puisque,  par  exemple, 
elle  ne  saurait  se  vériûer  pour  les  forces  qui  représentent 
la  résistance  des  milieux,  ou  les  frottements,  ou,  en  géné- 
ral, quant  à  toutes  celles  dont  la  loi  primitive  dépend  do 
temps  ou  de  la  vitesse  elle-même.  La  remarque  précédente 
n'en  est  pas  moins  regardée  avec  raison  par  les  géomètres 
comme  ayant  une  extrême  importance  pour  simpliûer  les 
recherches  analytiques  auxquelles  se  réduisent  les  pro- 
blèmes de  dynamique,  car  la  condition  énoncée  se  vérifie 
constimment,  ainsi  qu'il  est  aisé  de  le  prouver,  dans  un 
cas  particulier  fort  étendu,  qui  comprend  toutes  les  gran- 
des applications  de  la  dynamique  rationnelle  à  la  mécani- 
que céleste,  c'est-à-dire  celui  où  toutes  les  forces  continues 
dont  le  corps  est  animé  sont  des  tendances  vers  des  centres 
fixes,  agissant  suivant  une  fonction  quelconque  de  la  dis- 
tance du  corps  à  chaque  centre,  mais  indépendamment  de 
la  direction. 

Si,  prenant  maintenant  en  sens  inverse  la  théorie  géné- 
rale du  mouvement  curviligne  d'une  molécule  libre,  on  se 
propose  de  déterminer,  au  contraire,  d'après  les  circon- 
stances caractéristiques  du  mouvement  eO*ectif,  la  loi  des 
forces  accélératrices  qui  ont  pu  le  produire,  la  question 
sera  nécessairement  beaucoup  plus  simple  sous  le  rapport 
analytique,  puisqu'elle  ne  consistera  essentiellement  qu'en 
dos  difi'érentialions.  Car  il  sera  toujours  possible  alors,  par 
des  recherches  préliminaires  plus  ou  moins  compliquées, 
qui  ne  pourront  porter  que  sur  des  considérations  pure- 
ment géométriques,  de  déduire,  de  la  définition  primitive 
du  mouvement  proposé,  les  valeurs  des  trois  coordonnées 


DYNAMIQUE.  A  8» 

du  mobile  à  chaque  instant  en  fonction  du  temps  écoulé  ; 
et  dès  lors,  en  différentiant  deux  fois  ces  trois  expressions, 
on  obtiendra  les  composantes  des  forces  continues  suivant 
les  trois  axes,  d'où  Ton  pourra  conclure  immédiatement  la 
loi  de  la  force  accélératrice  totale,  de  quelque  nature 
qu'elle  soit.  C'est  ainsi  que  nous  verrons,  dans  la  seconde 
section  de  ce  cours,  les  trois  lois  géométriques  fondamen* 
taies  trouvées  par  Kepler  pour  les  mouvements  des  corps 
célestes  qui  composent  notre  systèn^e  solaire,  nous  con- 
duire nécessairement  à  la  loi  de  gravitation  universelle, 
qui  devient  ensuite  la  base  de  toute  la  mécanique  générale 
de  l'univers. 

Après  avoir  établi  la  théorie  du  mouvement  curviligne 
d'une  molécule  libre,  il  est  aisé  d'y  faire  rentrer  le  cas  où 
cette  molécule  est  assujettie,  au  contraire,  à  rester  sur  une 
courbe  donnée.  Il  suffit,  comme  je  l'ai  indiqué,  de  com- 
prendre alors,  parmi  les  forces  continues  auxquelles  la  mo- 
lécule est    primitivement  soumise,    la  résistance  totale 
exercée  par  la  courbe  proposée,  ce  qui  permettra  évidem- 
ment de  considérer  le  mobile  comme  entièrement  libre. 
Toute  la  difficulté  propre  à  ce  second  cas  se  réduit  donc 
essentiellement  à  analyser  avec  exactitude  cette  résistance. 
Or  il  faut,  à  cet  effet,  distinguer  d'abord,  dans  la  résistance 
de  la  courbe,  deux  parties  très-différentes  qu'on  pourrait 
appeler,  pour  les  caractériser   nettement^  l'une  statique^ 
l'autre  dynamique.  La  résistance  statique  est  celle  qui  aurait 
lieu  lors  môme  que  le  corps  serait  immobile  ;  elle  provient 
de  la  pression  exercée  sur  la  courbe  proposée  par  les  for- 
ces accélératrices  dont  il  est  animé  ;  ainsi  on  l'obtiendra 
en  déterminant  la  composante  de  la  force  continue  totale 
suivant  la  normale  à  la  courbe  donnée  au  point  que  l'on 
considère.  La  résistance  dynamique  a  une  origine  toute  dif- 
férente ;  elle  n'est  engendrée  que  par  le  mouvement,  et  ré* 


484  MATHÉMATIQUES. 

suite  de  la  tendance  perpétuelle  du  corps  à  abandonner  la 
courbe  qu'il  est  forcé  de  décrire,  pour  continuer  à  suivre, 
en  vertu  de  la  première  loi  fondamentale  du  mouvement, 
la  direction  de  la  tangente.  Cette  seconde  résistance,  qui 
se  manifeste  dans  le  passage  du  corps  d'un  élément  de  la 
courbe  à  l'élément  suivant,  est  évidemment  dirigée  à  cha- 
que instant  selon  la  normale  à  la  courbe  située  dans  le  plan 
osculateur,  et  pourra,  par  conséquent,  n'avoir  pas  la  même 
direction  que  la  résistance  statique,  si  le  plan  osculateur 
ne  contient  pas  la  droite  suivant  laquelle  agit  la  force  accé- 
lératrice totale.  C'est  à  cette  résistance  dynamique  qu'on 
donne,  en  général,  le  nom  de  force  centrifuge^  tenant  à  ce 
que  les  seules  forces  accélératrices  considérées  d'abord 
par  les  géomètres  étaient  des  {ovcqs  centripètes^  ou  des  ten- 
dances vers  des  centres  fixes.  Quant  à  son  intensité,  en  con- 
cevant cette  force  centrifuge  comme  une  nouvelle  force  ac- 
célératrice, elle  sera  mesurée  par  la  composante  normale 
que  produit,  dans  chaque  instant  infiniment  petit,  la  vi- 
tesse du  mobile,  lorsqu'il  passe  d'un  élément  de  la  courbe 
à  un  autre.  On  trouve  aisément  ainsi,  après  avoir  éli- 
miné les  infinitésimales  auxiliaires  introduites  d'abord 
naturellement  par  cette  considération,  que  la  force  centri- 
fuge est  continuellement  égale  au  carré  de  la  vitesse  effec- 
tive du  mobile  divisé  par  le  rayon  de  courbure  correspon- 
dant de  la  courbe  proposée.  Du  reste,  cette  expression 
fondamentale,  aussi  bien  que  la  direction  même  de  la  force 
centrifuge,  pourraient  être  entièrement  obtenues  par  le 
calcul,  en  introduisant  préalablement  celle  force,  d'une 
manière  complètement  indéterminée,  dans  les  trois  équa- 
tions différentielles  générales  du  mouvement  curviligne 
rapportées  ci-dessus.  Quoi  qu'il  en  soit,  après  avoir  déter- 
miné la  résistance  dynamique,  on  la  composera  convena- 
blement avec  la  résistance  statique,  et,  en  faisant  entrer  la 


DYNAMIQUE.  485 

résistance  totale  parmi  les  forces  proposées,  lé  problème 
sera  immédiatement  ramené  au  cas  précédent.  La  question 
la  plus  remarquable  de  ce  genre  consiste  dans  l'étude  du 
mouvement  oscillatoire  d'un  corps  pesant  sur  une  courbe 
quelconque  (et  particulièrement  sur  un  cercle  ou  sur  une 
cycloïde),  dont  Texamen  philosophique  doit  naturellement 
être  renvoyé  à  la  partie  de  ce  cours  qui  concerne  la  physi- 
que proprement  dite. 

Il  serait  superflu  de  considérer  distinctement  ici  le  cas 
où  le  mobile,  au  lieu  de  devoir  décrire  une  courbe  donnée, 
serait  seulement  assujetti  à  rester  sur  une  certaine  sur- 
face. C'est  essentiellement  par  les  mêmes  considérations 
qu'on  ramène  ce  nouveau  cas,  d'ailleurs  peu  important 
dans  les  applications,  à  celui  d'un  corps  libre.  II  n'y  a 
d'autre  différence  réelle  qu'en  ce  qu'alors  la  trajectoire  du 
mobile  n'est  pas  d'abord  entièrement  déterminée,  et  qu'on 
est  obligé,  pour  la  connaître,  de  joindre  à  l'équation  de  la 
surface  proposée  une  autre  équation  fournie  par  l'étude 
dynamique  du  problème. 

Considérons  maintenant,  par  aperçu,  le  second  mode 
général  distingué  précédemment  pour  construire  la  théorie 
fondamentale  du  mouvement  curviligne  d'une  molécule 
isolée,  en  partant,  au  contraire,  du  cas  où  la  molécule  est 
préalablement  assujettie  à  décrire  une  courbe  donnée. 

Toute  la  difficulté  réelle  consiste  alors  à  établir  direc- 
tement le  théorème  fondamental  relatif  à  la  mesure  de  la^ 
force  centrifuge.  Or  c'est  ce  qu'on  peut  faire  aisément^, 
en  considérant  d'abord  le  mouvement  uniforme  du  corps^ 
dans  un  cercle,  en  vertu  d'une  impulsion  initiale,  et  sans- 
aucune  force  accélératrice,  ainsi  que  l'a  supposé  Huyghens^. 
auquel  est  due  la  base  de  cette  théorie.  La  force  centrifuge 
est  dès  lors  évidemment  proportionnelle  au  sinus-verse 
de  l'arc  de  cercle  décrit  dans  un  instant  infiniment  petite 


486  MATHÉMATIQUES. 

convenablement  comparé  au  temps  correspondant,  d'où  il 
est  facile  de  conclure,  comme  l'a  fait  Huyghens,  qu'elle  a 
pour  expression  le  carré  de  la  vitesse  constante  avec  laquelle 
le  mobile  décrit  le  cercle  divisé  par  le  rayon  de  ce  cercle. 
Ce  résultat  une  fois  obtenu,  en  le  combinant  avec  une  autre 
notion  fondamentale  due  à  Huygbens,  on  en  déduit  immé- 
diatement la  valeur  de  la  force  centrifuge  dans  une  courbe 
quelconque.  Il  suffit,  pour  cela,  de  concevoir  que  la  déter- 
mination de  cette  force  exigeant  seulement  la  considéra- 
tion simultanée  de  deux  éléments  consécutifs  delà  courbe 
proposée,  le  mouvement  peut  être  continuellement  envi- 
sagé comme  ayant  lieu  dans  le  cercle  osculaleur  corres- 
pondant, puisque  ce  cercle  présente  relativement  à  la 
courbe  deux  éléments  successifs  communs.  On  peut  donc 
directement  transporter  à  une  courbe  quelconque  l'expres- 
sion de  la  force  centrifuge  trouvée  primitivement  pour  le 
cas  du  cercle,  et  établir,  comme  dans  la  première  méthode, 
mais  bien  plus  simplement,  qu'elle  est  généralement  égale 
au  carré  de  la  vitesse  divisé  par  le  rayon  du  cercle  oscu- 
lateur.  Cette  manière  de  procéder  présente  l'avantage  de 
donner  une  idée  plus  nette  de  la  force  centrifuge. 

Le  cas  du  mouvement  dans  une  courbe  déterminée 
étant  ainsi  traité  préalablement  avec  toute  la  généralité 
convenable,  il  est  aisé  d'y  ramener  celui  d'un  corps  entiè- 
rement  libre,  décrivant  la  trajectoire  qui  doit  naturelle- 
ment résulter  de  Taclion  simultanée  de  certaines  forces 
accélératrices  quelconques.  Il  suffit,  en  effet,  suivant  l'in- 
dication précédemment  exprimée,  de  concevoir  le  corps 
comme  assujetti  à  rester  sur  la  courbe  qu'il  décrira  réel- 
lement, ce  qui  revient  évidemment  au  môme,  puisqu'il 
importe  peu,  en  dynamique,  le  corps  ne  pouvant  point 
véritablement  parcourir  toute  autre  courbe,  qu'il  y  soit 
contraint  par  la  nature  des  forces  dont  il  est  animé,  ou 


DYNAMIQUE.  487 

par  des  conditions  de  liaisons  spéciales.  Dès  lors  ce  mou- 
vement donnera  naissance  à  une  véritable  force  centrifuge, 
exprimée  par  la  formule  générale  trouvée  ci-dessus.  Main- 
tenant il  est  clair  que,  si  la  force  continue  totale  dont  le 
mobile  est  animé  a  été  d'abord  conçue  comme  décomposée 
à  chaque  instant  en  deux  autres^  Tune  dirigée  suivant  la 
tangente  à  la  trajectoire,  et  Tautre  selon  la  normale  située 
dans  le  plan  osculateur,  cette  dernière  doit  nécessaire- 
ment être  égale  et  directement  opposée  à  la  force  centri- 
fuge. Or,  cette  composante  normale  ayant  pour  expression 
la  force  continue  totale  multipliée  par  le  cosinus  de  Tangle 
que  sa  direction  forme  avec  la  normale,  en  égalant  cette 
valeur  à  celle  de  la  force  centrifuge,  on  formera  une  équa- 
tion fondamentale  d'où  Ton  pourra  déduire  les  équations 
générales  du  mouvement  curviligne  précédemment  obte- 
nues par  une  autre  méthode.  On  n'aura,  pour  cela,  d'autre 
transformation  à  faire  que  d'introduire  dans  cette  équation, 
au  lieu  de  la  force  continue  totale  et  de  sa  direction,  ses 
composantes  selon  les  trois  axes  coordonnés,  et  de  rem- 
placer, dans  la  formule  qui  exprime  la  force  centrifuge,  la 
vitesse  et  le  rayon  de  la  courbure  par  leurs  valeurs  générales 
en  fonctions  des  coordonnées.  L'équation  ainsi  obtenue  se 
décomposera  naturellement  en  trois,  si  l'on  considère  que, 
devant  avoir  lieu  pour  quelque  système  que  ce  soit  de  forces 
accélératrices  et  pour  une  trajectoire  quelconque,  elle  doit 
se  vérifier  séparément  par  rapport  à  chacune  des  trois  coor- 
données, envisagées  momentanément  comme  trois  varia- 
bles entièrement  indépendantes.  Ces  trois  équations  se 
trouveront  être  exactement  identiques  à  celles  rapportées 
ci-dessus.  Quoique  cette  manière  de  les  obtenir  soit  bien 
moins  directe,  et  qu'elle  exige  un  plus  grand  appareil  ana- 
lytique, j'ai  cependant  cru  nécessaire  de  l'indiquer  distinc- 
tement, parce  qu'elle  me  semble  propre  à  éclairer,  sous  un 


488  MATHÉMATIQUES. 

rapporl  fort  important,  la  théorie  ordinaire  du  mouvement 
curviligne,  en  rendant  sensible  l'existence  de  la  force  cen- 
trifuge, même  dans  le  cas  d'un  corps  libre,  notion  sur 
laquelle  la  méthode  habituellement  adoptée  aujourd'hui 
laisse  communément  beaucoup  d'incertitude  et  d'obscurité. 

Ayant  suffisamment  étudié,  dans  ce  qui  précède,  le  ca- 
ractère général  de  la  partie  de  la  dynamique  relative  au 
mouvement  d'un  point,  ou,  ce  qui  revient  au  même,  d'un 
corps  dont  toutes  les  molécules  se  meuvent  identiquement, 
nous  devons  maintenant  examiner,  sous  un  semblable 
point  de  vue,  la  partie  de  la  dynamique  la  plus  difficile  et 
la  plus  étendue,  celle  qui  se  rapporte  au  cas  plus  réel  du 
mouvement  d'un  système  de  corps  liés  entre  eux  d'une 
manière  quelconque,  et  dont  les  mouvements  propres  sont 
altérés  par  les  conditions  dépendantes  de  leur  liaison.  Je 
considérerai  soigneusement,  dans  la  leçon  suivante,  les  ré- 
sultats généraux  obtenus  jusqu'ici  parles  géomètres^  rela- 
tivement à  cet  ordre  de  recherches.  Je  dois  donc  me  borner 
strictement  ici  a  caractériser  la  méthode  générale  d'après 
laquelle  on  est  parvenu  à  convertir  tous  les  problèmes  de 
cette  nature  en  de  pures  questions  d'analyse. 

Dans  cette  dernière  partie  de  la  dynamique,  il  faut  préa- 
lablement établir  une  nouvelle  notion  élémentaire,  rela- 
tivement à  la  mesure  des  forces.  En  effet,  les  forces  consi- 
dérées jusqu'ici  étant  toujours  appliquées  à  une  molécule 
unique,  ou  du  moins  agissant  toutes  sur  un  même  corps, 
leur  intensité  se  trouvait  être  suffisamment  mesurée,  en 
ayant  seulement  égard  à  la  vitesse  plus  ou  moins  grande 
qu'elles  pouvaient  imprimer  au  mobile  à  chaque  instant. 
Mais,  quand  on  vient  à  envisager  simultanément  les  mou- 
vements de  plusieurs  corps  difi'érents,  cette  manière  de 
mesurer  les  forces  devient  évidemment  insuffisante,  puis- 
qu'on ne  saurait  se  dispenser  de  tenir  compte  de  la  masse 


DYNAMIQUE.  489 

de  chaque  mobile,  aussi  bien  que  de  sa  vitesse.  Pour  la 
prendre  convenablement  en  considération,  les  géomètres 
ont  établi  cette  notion  fondamentale,  que  les  forces  sus- 
ceptibles d'imprimer  à  diverses  masses  une  même  vitesse 
sont  exactement  entre  elles  comme  ces  masses  ;  ou,  en 
d'autres  termes,  que  les  forces  sont  proportionnelles  aux 
masses^  aussi  bien  que  nous  les  avons  reconnues,  dans  la 
quinzième  leçon,  d'après  la  troisième  loi  physique  du  mou- 
vement, être  proportionnelles  aux  vitesses.  Tous  les  phé- 
nomènes relatifs  à  la  communication  du  mouvement  par  le 
choc,  ou  de  toute  autre  manière,  ont  constamment  con- 
firmé la  supposition  de  cette  nouvelle  proportionnalité.  U 
en  résulte  évidemment  que,  lorsqu'il  faut  comparer,  dans 
le  cas  le  plus  général^  des  forces  qui  impriment  à  des 
masses  inégales  des  vitesses  difTcrentes,  chacune  d'elles 
doit  être  mesurée  d'après  le  produit  de  la  masse  sur  la- 
quelle elle  agit  par  la  vitesse  correspondante.  Ce  produit, 
auquel  les  géomètres  ont  donné  communément  le  nom  de 
quantité  de  mouvement,  détermine  exactement,  en  effet,  la 
force  d'impulsion  d'un  corps  dans  le  choc,  la  percussion 
proprement  dite,  ainsi  que  la  pression  qu'un  corps  peut 
exercer  contre  tout  obstacle  fixe  à  son  mouvement.  Telle 
est  la  nouvelle  notion  élémentaire  relative  à  la  mesure  gé- 
nérale des  forces  dont  il  serait  peut-être  convenable  de 
faire  une  quatrième  et  dernière  loi  fondamentale  du  mou- 
vement, en  tant  du  moins  que  cette  notion  n'est  point  réel- 
lement susceptible,  comme  quelques  géomètres  l'ont 
pensé,  d'être  logiquement  déduite  des  notions  précé- 
dentes, et  ne  saurait  être  solidement  établie  que  sur  des 
considérations  physiques  qui  lui  soient  propres. 

Cette  notion  préliminaire  étant  établie,  examinons  main- 
tenant la  conception  générale  d'après  laquelle  peut  être 
traitée  la  dynamique  d'un  système  quelconque  de  corps 


4  90  MATHÉMATIQUES. 

soumis  à  Taction  de  forces  quelconques.  La  difficulté  carac- 
téristique de  cet  ordre  de  questions  consiste  essentielle- 
ment dans  la  manière  de  tenir  compte  de  la  liaison  des 
différents  corps  du  système,  en  vertu  de  laquelle  leurs  réac- 
tions mutuelles  altéreront  nécessairement  les  mouvements 
propres  que  chaque  corps  prendrait,  s'il  était  seul,  par 
l'influence  des  forces  qui  le  sollicitent,  sans  qu'on  sache 
nullement  à  priori  en  quoi  peut  consister  cette  altération. 
Ainsi,  pour  choisir  un  exemple  très-simple,  et  néanmoins 
important,  dans  le  célèbre  problème  du  mouvement  d'un 
pendule  composé,  qui  a  été  primitivementle  principal  su- 
jet des  recherches  des  géomètres  sur  cette  partie  supérieure 
de  la  dynamique,  il  est  évident  que,  par  suite  de  la  liaison 
établie  entre  les  corps  ou  les  molécules  les  plus  rappro- 
chés du  point  de  suspension,  et  les  corps  ou  les  molécules 
qui  en  sont  les  plus  éloignés,  il  s'exercera  une  réaction  telle, 
que  ni  les  uns  ni  les  autres  n'oscilleront  comme  s'ils  étaient 
libres,  le  mouvement  des  premiers  étant  retardé,  et  celui 
des  derniers  étant  accéléré  en  vertu  de  la  nécessité  où  ils  se 
trouvent  d'osciller  simultanément,  sans  qu'aucun  principe 
dynamique  déjà  établi  puisse  faire  connaître  la  loi  qui  dé- 
termine ces  réactions.  Il  en  est  de  môme  dans  tous  les  au- 
tres cas  relatifs  au  mouvement  d'un  système  de  corps.  On 
éprouve  donc  évidemment  ici  le  besoin  de  nouvelles  con- 
ceptions dynamiques.  Les  géomètres,  obéissant,  à  ce  sujet, 
k  l'habitude  imposée  presque  constamment  par  la  faiblesse 
de  l'esprit  humain,  ont  d'abord  traité  cette  nouvelle  série 
de  recherches,  en  créant  pour  ainsi  dire  un  nouveau  prin- 
cipe particulier  relativement  à  chaque  question  essentielle. 
Telles  ont  été  l'origine  et  la  destination  des  diverses  pro- 
priétés générales  du  mouvement  que  nous  examinerons 
dans  la  leçon  suivante,  et  qui,  primitivement  envisagées 
comme  autant  de  principes  indépendants  les  uns  des  au- 


DYNAMIQUE.  491 

très,  ne  sont  plus  aujourd'hui,  aux  yeux  des  géomètres,  que 
des  théorèmes  remarquables  fournis  simultanément  par 
les  équations  dynamiques  fondamentales.  On  peut  suivre, 
dans  la  Mécanique  analytique,  l'histoire  générale  de  cette 
série  de  ti4ivaux,  que  Lagrange  a  présentée  d'une  manière 
si  profondément  intéressante  pour  l'étude  de  la  marche 
progressive  de  l'esprit  humain.  Celte  manière  de  procéder 
a  été  continuellement  adoptée  jusqu*à  d'Alembert,  qui  a 
mis  fln  à  toutes  ces  recherches  isolées,  en  s'élevantà  une 
conception  générale  sur  la  manière  de  tenir  compte  de  la 
réaction  dynamique  des  corps  d'un  système  en  vertu  de 
leurs  liaisons,  et  en  établissant  par  suite  les  équations  fon- 
damentales du  mouvement  d'un  système  quelconque.  Cette 
conception,  qui  a  toujours  servi  depuis,  et  qui  servira  în- 
déûniment  de  base  à  toutes  les  recherches  relatives  à  la 
dynamique  des  corps,  consiste  essentiellement  à  faire  ren- 
trer les  questions  de  mouvement  dans  de  simples  questions 
d'équilibre,  à  j'aide  de  ce  célèbre  principe  général  auquel 
l'accord  unanime  des  géomètres  a  donné,  avec  tant  de  rai- 
son, le  nom  de  principe  ded'Alemberl.  Considérons  donc 
maintenant  ce  principe  d'une  manière  directe. 

Lorsque,  par  les  réactions  que  divers  corps  exercent  les 
uns  sur  les  autres  en  vertu  de  leur  liaison,  chacun  d'eux 
prend  un  mouvement  différent  de  celui  que  les  forces  dont 
il  est  animé  lui  eussent  imprimé  s'il  eût  été  libre,  on  peut 
évidemment  regarder  le  mouvement  naturel  comme  décom- 
posé en  deux,  dont  l'un  est  celui  qui  aura  effectivement 
lieu,  et  dont  l'autre,  par  conséquent,  a  été  détruit.  Le  prin- 
cipe de  d'Alembert  consiste  proprement  en  ce  que  tous  les 
mouvements  de  ce  dernier  genre,  ou,  en  d'autres  termes, 
les  quantités  de  mouvements  perdues  ou  gagnées  par  les 
différents  corps  du  système  dans  leur  réaction,  se  font  né- 
cessairement équilibre,  en  ayant  égard  aux  conditions  de 


492  MATnÉMATIQUES. 

liaison  qui  caractérisent  le  système  proposé.  Cette  lumi- 
neuse conception  générale  a  été  d'abord  entrevue  par  Jac- 
ques Bernouiili  dans  un  cas  particulier;  car  telle  est  évi- 
demment la  considération  qu'il  emploie  pour  résoudre  le 
problème  du  pendule  composé,  lorsqu'il  regarde  la  quan- 
tité de  mouvement  perdue  par  le  corps  le  plus  rapproché 
du  point  de  suspension,  et  la  quantité  de  mouvement  ga- 
gnée par  celui  qui  en  est  le  plus  éloigné,  comme  devant 
nécessairement  satisfaire  à  la  loi  d'équilibre  du  levier,  re- 
lativement au  point  de  suspension,  ce  qui  le  conduit  à  for- 
mer immédiatement  une  équation  susceptible  de  détermi- 
ner le  centre  de  l'oscillation  du  système  de  poids  le  plus 
simple.  Mais  cette  idée  n'était,  pour  Jacques  Bernouiili, 
qu'un  artifice  isolé  qui  n'ôte  rien  au  mérite  de  la  grande 
conception  de  d'Alembert,  dont  la  propriété  essentielle 
consiste  dans  son  entière  généralité  nécessaire. 

En  considérant  le  principe  de  d'Alembert  sous  le  point 
de  vue  le  plus  philosophique,  on  peut,  ce  me  semble,  en 
reconnaître  le  véritable  germe  primitif  dans  la  seconde  loi 
fondamentale  du  mouvement  (voyez  la  quinzième  leçon), 
établie  par  Nev^ton  sous  le  nom  d'égalité  de  la  réaction  à 
l'action.  Le  principe  de  d'Alembert  coïncide  exactement, 
en  effet,  avec  cette  loi  de  Nev^ton,  quand  on  envisage  seu- 
lement un  système  de  deux  corps,  agissant  l'un  sur  l'autre 
suivant  la  ligne  qui  les  joint.  Ce  principe  peut  donc  être 
envisagé  comme  la  plus  grande  généralisation  possible  de 
la  loi  de  la  réaction  égale  et  contraire  à  l'action  ;  et  cette 
manière  nouvelle  de  le  concevoir  me  paraît  propre  à  faire 
ressortir  sa  véritable  nature,  en  lui  donnant  ainsi  un  ca- 
ractère physique,  au  lieu  du  caractère  purement  logique 
qui  lui  avait  été  imprimé  par  d'Alembert.  En  conséquence, 
nous  ne  verrons  désormais  dans  ce  grand  principe  que 
notre  seconde  loi  du  mouvement  étendue  à  un  nombre 


DYNAMIQUE.  493 

quelconque  de  corps,  disposés  entre  eux  d'une  manière 
quelconque. 

D'après  ce  principe  général,  on  conçoit  que  toute  ques- 
tion de  dynamique  pourra  être  immédiatement  convertie 
en  une  simple  question  de  statique,  puisqu'il  sufGra  de 
former,  dans  chaque  cas,  les  équations  d'équilibre  entre 
les  mouvements  détruits  ;  ce  qui  donne  la  certitude  néces- 
saire de  pouvoir  mettre  en  équation  un  problème  quelcon- 
que de  dynamique,  et  de  le  faire  ainsi  dépendre  unique- 
ment de  recherches  analytiques.  Mais  la  forme  sous  laquelle 
le  principe  de  d'Alembert  a  été  primitivement  conçu  n'est 
point  la  plus  convenable  pour  effectuer  avec  facilité  cette 
transformation  fondamentale,  vu  la  grande  difficulté  qu'on 
éprouve  souvent  à  discerner  quels  doivent  être  les  mouve- 
ments détruits,  comme  on  peut  pleinement  s'en  convaincre 
par  l'examen  attentif  du  Traité  de  dynamique  de  d'Alembert, 
dont  les  solutions  sont  ordinairement  si  compliquées.  Her- 
mann,  et  surtout  Euler,  ont  cherché  à  faire  disparaître  la 
considération  embarrassante  des  quantités  de  mouvement 
perdues  ou  gagnées,  en  remplaçant  les  mouvements  dé- 
truits par  les  mouvements  primitifs  composés  avec  les 
mouvements  eff'ectifs  pris  en  sens  contraire,  ce  qui  revient 
évidemment  au  môme,  puisque,  quand  une  force  a  été  dé- 
composée  en  deux,  on  peut  réciproquement  substituer  à 
l'une  des  composantes  la  combinaison  de  la  résultante  avec 
l'autre  composante  prise  en  sens  contraire.  Dès  lors  le  prin- 
cipe de  d'Alembert,  envisagé  sous  ce  nouveau  point  de  vue, 
consiste  simplement  en  ce  que  les  mouvements  effectifs 
conformes  à  la  liaison  des  corps  du  système  devront  né- 
cessairement, étant  pris  en  sens  inverse,  faire  toujours 
équilibre  aux  mouvements  primitifs  qui  résulteraient  de 
la  seule  action  des  forces  proposées  sur  chaque  corps  sup- 
posé libre;  ce  qui  peut  d^ailleurs  être  établi  directement. 


494  MATHÉMATIQUES. 

car  il  est  évident  que  le  système  serait  en  équilibre  si  on 
imprimais  à  chaque  corps  une  quantité  de  mouvement 
égale  et  contraire  à  celle  qu'il  prendra  effectivement.  Cette 
nouvelle  forme  donnée  par  Euler  au  principe  de  d'Alem- 
bert  est  la  plus  convenable  pour  en  faire  usage,  comme  ne 
prenant  en  considération  que  les  mouvements  primitifs 
et  les  mouvements  effectifs,  qui  sont  les  véritables  éléments 
du  problème  dynamique,  dont  les  uns  constituent  les 
données  et  les  autres  les  inconnues.  Tel  est,  en  effet,  le 
point  de  vue  définitif  sous  lequel  le  principe  de  d'Alembert 
a  été  habituellement  conçu  depuis. 

Les  questions  relatives  au  mouvement  étant  ainsi  géné- 
ralement réduites,  de  la  manière  la  plus  simple  possible, 
à  de  pures  questions  d'équilibre,  la  méthode  la  plus  phi- 
losophique pour  traiter  la  dynamique  rationnelle  consiste 
à  combiner  le  principe  de  d'Alembert  avec  le  principe  des 
vitesses  virtuelles,  qui  fournit  directement,  comme  nous 
l'avons  vu  dans  la  leçon  précédente,  toutes  les  équations 
nécessaires  à  l'équilibre  d'un  système  quelconque.  Telle 
est  la  combinaison  conçue  par  Lagrange,  et  si  admirable- 
ment développée  dans  sa  Mécanique  analytique,  qui  a  élevé 
la  science  générale  de  la  mécanique  abstraite  au  plus  haut 
degré  de  la  perfection  que  l'esprit  humain  puisse  ambi- 
tionner sous  le  rapport  logique,  c'est-à-dire  à  une  rigou- 
reuse unité,  toutes  les  questions  qui  peuvent  s'y  rapporter 
étant  désormais  uniformément    rattachés  à  un    principe 
unique,  d'après  lequel  la  solution  définitive  d'un  problème 
quelconque  ne  présente  plus  nécessairement  que  des  dif- 
ficultés analytiques.  Pour  établir  le  plus  simplement  possi- 
ble la  formule  générale  de  la  dynamique,  concevons  que 
toutes  les  forces   accélératrices  du  système  quelconque 
proposé  aient  été   décomposées  parallèlement  aux  trois 
axes  des  coordonnées,  et  soient  X,  Y,  Z,  les  groupes  de 


DYZfAMIOUE.  495 

forces  correspondant  aux  axes  des  x,  y,  z  ;  en  désignant 
par  m  la  masse  du  système,  il  devra  y  avoir  équilibre,  d*après 
le  principe  de  d'AIembert,  entre  les  quantités  primitives  de 
mouvement  mX^  m  F,  mZ,  et  les  quantités  de  mouvement 
effectives  prises  en  sens  contraire,  qui  seront  évidemment 
exprimées  par  — «i-j^»—»»^»  ^m-^^  suivant  les  trois  axes. 
Ainsi ,  appliquant  à  cet  ensemble  de  forces  le  prin- 
cipe général  des  vitesses  virtuelles,  en  ayant  soin  de  dis- 
tinguer les  variations  relatives  aux  différents  axes,  on 
obtiendra  Téquation 

+/"(''-S)»'-''' 

qui  peut  être  regardée  comme  comprenant  implicitement 
toutes  les  équations  nécessaires  pour  l'entière  détermi- 
nation des  diverses  circonstances  relatives  au  mouvement 
d'un  système  quelconque  de  corps  sollicités  par  des  forces 
quelconques.  Les  équations  explicites  se  déduiront  con- 
venablement, dans  cbaque  cas,  de  cette  formule  générale, 
en  réduisant  toutes  les  variations  au  plus  petit  nombre 
possible,  d'après  les  conditions  de  liaison  qui  caractéri- 
seront le  système  proposé,  ce  qui  fournira  autant  d'équa- 
tions distinctes  qu'il  restera  de  variations  réellement  indé- 
pendantes. 

Afin  de  faire  ressortir,  sous  le  point  de  vue  philosophi- 
que, toute  la  fécondité  de  celte  formule,  et  de  montrer 
qu'elle  comprend  rigoureusement  l'ensemble  total  de  la 
dynamique,  il  convient  de  remarquer  qu'on  en  pourrait 
même  tirer,  comme  un  simple  cas  particulier,  la  théorie 
du  mouvement  curviligne  d'une  molécule  unique,  que 
nous  avons   spécialement  considérée    dans    la  première 


496  MATHÉMATIQUES. 

partie  de  celle  leçon.  En  effet,  il  est  évidenl  que,  si  toules 
les  forces  continues  proposées  agissent  sur  une  seule  mo- 
lécule, la  masse  m  disparail  de  Téqualion  générale  précé- 
dente, qui,  en  dislinguanl  séparément  le  mouvement  vir- 
tuel, relatif  à  chaque  axe,  fournit  immédiatement  les  trois 
équations  fondamentales  établies  ci-dessus  pour  le  mouve- 
ment d'un  point.  Mais,  bien  qu'on  doive  considérer  cette 
filiation,  sans  laquelle  on  ne  concevrait  pas  toute  l'étendue 
réelle  de  la  formule  générale  de  la  dynamique,  la  théorie 
du  mouvement  d'une  seule  molécule  n'exige  point  vérita- 
blement l'emploi  du  principe  de  d'Alembert,  qui  est  essen- 
tiellement destiné  à  l'élude  dynamique  des  systèmes  de 
corps.  Cette  première  théorie  est  trop  simpTe  par  elle- 
même,  et  résulte  trop  immédiatement  des  lois  fondamen- 
tales de  mouvement,  pour  que  je  n'aie  pas  cru  devoir, 
conformément  à  l'usage  ordinaire,  la  présenter  d'abord 
isolément,  afin  de  rendre  plus  nettes  les  importantes 
notions  générales  auxquelles  elle  donne  naissance,  quoi- 
que nous  devions  finir  par  la  faire  rentrer,  en  vue  d'une 
coordination  plus  parfaite,  dans  la  formule  invariable  qui 
renferme  nécessairement  toutes  les  théories  dynamiques 
possibles. 

Ce  serait  sortir  des  limites  naturelles  de  ce  cours  que 
d'indiquer  ici  aucune  application  spéciale  de  celte  for- 
mule générale  à  la  solution  effective  d'un  problème  dyna- 
mique quelconque,  la  méthode  devant  être  le  seul  objet 
essentiel  de  nos  considérations  philosophiques,  sauf  l'in- 
dication des  résultats  principaux  qu'elle  a  produits,  et 
dont  nous  nous  occuperons  dans  la  leçon  suivante.  Je  crois 
cependant  devoir  rappeler  à  ce  sujet,  comme  une  concep* 
tion  vraiment  relative  à  la  méthode  bien  plus  qu'à  la  science^ 
la  distinction  nécessaire,  signalée  dans  la  leçon  précé- 
dente, entre  les  mouvements  de  translation  et  les  mouve- 


DYNAMIQUE.  4»7 

ments  de  rotation.  Pour  étudier  convenablement  le  mou- 
vement d'un  système  quelconque,  il  faut,  en  effet, 
l'envisager  comme  composé  d'une  translation  commune  à 
toutes  ses  parties,  et  d'une  rotation  propre  à  chacun  de  ses 
points  autour  d'un  certain  axe  constant  ou  variable.  Par 
des  motifs  de  simplification  analytique  dont  nous  aurons 
occasion,  dans  la  leçon  suivante,  d'indiquer  l'origine,  les 
géomètres  considèrent  toujours  de  préférence  le  mouve- 
ment de  rotation  d'un  système  quelconque  relativement 
à  son  centre  de  gravité,  ou,  pour  mieux  dire,  à  son  centre 
des  moyennes  distances,  qui  présente,  sous  ce  rapport, 
des  propriétés  générales  très-remarquables,  dont  la  dé- 
couverte est  due  à  Eulcr.  Dès  lors  l'analyse  complète  du 
mouvement  d'un  système  animé  de  forces  quelconques 
consiste  essentiellement  :  i^à  déterminera  chaque  instant 
Ja  vitesse  du  centre  de  gravité  et  la  direction  dans  laquelle 
il  se  meut,  ce  qui  suffit  pour  faire  connaître,  comme  nous 
le  constaterons,  tout  ce  qui  concerne  la  translation  du 
système  ;  2°  à  déterminer  également  à  chaque  instant  la 
direction  de  l'axe  instantané  de  rotation  passant  par  le  cen- 
tre de  gravité,  et  la  vitesse  de  rotation  de  chaque  partie  du 
système  autour  de  cet  axe.  Il  est  clair,  en  effet,  que  toutes 
les  circonstances  secondaires  du  mouvement  pourront 
nécessairement  être  déduites,  dans  chaque  cas,  de  ces 
deux  déterminations  principales. 

La  formule  générale  de  la  dynamique,  établie  ci-dessus, 
est  évidemment,  par  sa  nature,  tout  aussi  directement  ap- 
plicable au  mouvement  des  fluides  qu'à  celui  des  solides, 
pourvu  qu'on  prenne  convenablement  en  considération  les 
conditions  qui  caractérisent  Tétat  fluide,  soit  liquide,  soit 
gazeux,  ce  que  nous  avons  eu  occasion  d'indiquer  dans  la 
leçon  précédente  au  sujet  de  l'équilibre.  Aussi  d'Alembert, 
après  avoir  découvert  le  principe  fondamental  qui  lui  a 

A.  Comte.  Tome  1.  32 


49  8  MATHÉMATIQUES. 

permis,  vu  les  progrès  de  la  statique,  de  traiter  dans  son 
ensemble  la  dynamique  d'un  système  quelconque,  en  a-t-il 
fait  immédiatement  application  à  l'établissement  des  équa- 
tions générales  du  mouvement  des  fluides,  entièrement 
inconnues  jusqu'alors.  Ces  équations  s'obtiennent  surtout 
avec  une  grande  facilité  d'après  le  principe  des  vitesses  vir- 
tuelles, tel  qu'il  est  exprimé  par  la  formule  générale  pré- 
cédente. Cette  partie  de  la  dynamique  ne  laisse  donc  réel- 
lement rien  à  désirer  soua  le  rapport  concret,  et  ne 
présente  plus  que  des  difficultés  purement  analytiques, 
relatives  à  l'intégration  des  équations  aux  différences  par- 
tielles auxquelles  on  parvient.  Mais  il  faut  reconnaître  que, 
cette  intégration  générale  offrant  jusqu'ici  des  obstacles  in- 
surmontables, les  connaissances  effectives  qu'on  peut  dé- 
duire de  cette  théorie  sont  encore  extrêmement  imparfaites, 
même  dans  les  cas  les  plus  simples;  ce  qui  nous  semblera 
sans  doute  inévitable,  en  considérant  lagrande  complication 
que  nous  avons  déjà  reconnue  à  cet  égard  dans  les  questions 
de  pure  statique,  dont  la  nature  est  cependant  bien  moins 
complexe.  Le  seul  problème  de  l'écoulement  d'un  liquide 
pesant  par  un  orifice  donné,  quelque  facile  qu'il  doive  pa- 
raître, n'a  pu  encore  être  résolu  d'une  manière  vraiment 
satisfaisante.  Afin  de  simplifier  suffisamment  les  recher- 
ches analytiques  dont  il  dépend,  les  géomètres  ont  été 
obligés  d'adopter  la  célèbre  hypothèse  proposée  par  Da- 
niel Bernouilli,  sous  le  nom  de  parallélisme  des  tranches^ 
qui  permet  de  ne  considérer  le  mouvement  que  par  tran- 
ches, au  lieu  de  devoir  l'envisager  molécule  à  molécule. 
Mais  cette  hypothèse,  qui  consiste  à  regarder  chaque  sec- 
tion horizontale  du  liquide  comme  se  mouvant  en  totalité 
et  prenant  la  place  de  la  suivante,  est  évidemment  en  con- 
tradiction formelle  avec  la  réalité  dans  presque  tous  les 
cas,  excepté  dans  un  petit  nombre  de  circonstances  choisies 


DYNAMIQUE.  499 

pour  ainsi  dire  expressément,  à  cause  des  mouvements  la- 
téraux dont  une  telle  hypothèse  fait  complètement  abstrac- 
tion et  dont  Texistence  sensible  impose  nécessairement  la 
loi  d'étudier  isolément  le  mouvement  de  chaque  molécule. 
La  science  générale  de  Thydrodynamique  ne  peut  donc 
réellement  être  encore  envisagée  que  comme  étant  à  sa 
naissance^  môme  relativement  aux  liquides,  et  à  plus  forte 
raison  à  Tégard  des  gaz.  Mais  il  importe  éminemment  de 
reconnaître,  d'un  autre  côté,  que  tous  les  grands  travaux 
qui  restent  à  faire  sous  ce  rapport  consistent  essentielle- 
ment dans  les  progrès  de  la  seule  analyse  mathématique, 
les  équations  fondamentales  du  mouvement  des  fluides 
étant  irrévocablement  établies. 

Après  avoir  considéré  sous  ses  divers  aspects  principaux 
le  caractère  général  de  la  méthode  en  mécanique  ration- 
nelle, et  indiqué  comment  toutes  les  questions  qu'elle  peut 
offrir  se  réduisent  à  des  recherches  purement  analytiques, 
il  nous  reste  maintenant,  pour  compléter  l'examen  philo- 
sophique de  cette  science  fondamentale,  à  envisager,  dans 
la  leçon  suivante,  les  résultats  principaux  obtenus  par  l'es- 
prit humain  en  procédant  ainsi,  c'est-à-dire  les  propriétés 
générales  les  plus  remarquables  de  l'équilibre  et  du  mou- 
vement. 


DIX-HUITIÈME   LEÇON 

Sommaire.  —  Considérations  sur  les  théorèmes  géoérauii  de  Is^  mécanique 

rationnelle. 


Le  but  et  Tesprit  de  cet  ouvrage,  aussi  bien  que  son  éten- 
due naturelle,  nous  interdisent  nécessairement  ici  tout  dé- 
veloppement spécial  relatif  à  l'application  des  équations 
fondamentales  de  l'équilibre  et  du  mouvement,  h  la  solu- 
tion effective  d'aucun    problème  mécanique  particulier. 
Néanmoins  on  ne  se  formerait  qu'une  idée  incomplète  du 
caractère  philosophique  de  la  mécanique  rationnelle  envi- 
sagée dans  son  ensemble,  si,  après  avoir  convenablement 
étudié  la  méthode,  on  ne  considérait  enfin  les  grands  ré- 
sultats théoriques  de  la  science,  c'est-à-dire  les  principales 
propriétés  générales  de  l'équilibre  et  du  mouvement  dé~ 
couvertes  jusqu'ici  par  les  géomètres,  et  qui  nous  restent 
maintenant  à  examiner.   Ces  diverses  propriétés  ont  été 
conçues  dans  l'origine  comme  autant  de  véritables  prin- 
cipesy  dont  chacun  était  destiné  primitivement  à  procurer 
la  solution  d'un  certain  ordre  de  nouveaux  problèmes  mé- 
caniques, supérieurs  aux  méthodes  connues  jusqu'alors. 
Mais,  depuis  que  Tensemble  de  la  mécanique  rationnelle 
a  pris  son  caractère  systématique  définitif,  chacun  de  ces 
anciens  principes  a  été  ramené  à  n'être  plus  qu'un  simple 
théorème  plus  ou  moins  général,  résultat  nécessaire  des 
théories  fondamentales  de  la  statique  et  de  la  dynamique 
abstraites  :  c'est  seulement  sous  ce  point  de  vue  philoso- 


THÉORÈMES  DE  MÉCANIQUE  RATIONNELLE.  601 

phique  que  nous  devons  les  envisager  ici.  Commençons  par 
ceux  qui  se  rapportent  à  la  statique. 

Le  tbéoréme  le  plus  remarquable  qui  ait  été  déduit 
jusqu'à  présent  des  équations  générales  de  l'équilibre  est 
la  célèbre  propriété,  primitivement  découverte  par  Torri- 
celli,  relativement  à  l'équilibre  des  corps  pesants.  Elle 
consiste  proprement  en  ce  que,  quand  un  système  quel- 
conque de  corps  pesants  est  dans  sa  situation  d'équilibre, 
son  centre  de  gravité  est  nécessairement  placé  au  point  le 
plus  bas  ou  le  plus  haut  possible,  comparativement  à  toutes 
les   positions  qu'il  pourrait  prendre  d'après  toute  autre 
situation  du  système.  Torricelii  a  d'abord  présenté  cette 
propriété  comme  immédiatement  vérlBée  par  les  condi- 
tions d'équilibre  connues  de  tous  les   systèmes  de  poids 
considérées  jusqu'alors.  Mais  les  considérations  générales 
d'après  lesquelles  il  a  tenté  ensuite  de  la  démontrer  direc- 
tement sont  réellement  peu  satisfaisantes,  et  offrent  un 
exemple  sensible  de  la  nécessité  de  se  déûer,   dans  les 
sciences  mathématiques,  de  toute  idée  dont  le  caractère 
n'est  point  parfaitement  précis,  quelque  plausible  qu'elle 
puisse  d'ailleurs  paraître.  En  effet,  le  raisonnement  de 
Torricelii  consiste  essentiellement  à  remarquer  que  la  ten- 
dance naturelle  du  poids  étant  de  descendre,  il  y  aura 
nécessairement  équilibre  si  le  centre  de  gravité  se  trouve 
placé  le  plus  bas  possible.  L'insufGsance  de  cette  considé- 
ration est  évidente,  puisqu'elle  n'explique  point  pourquoi 
il  y  a  également  équilibre  quand  le  centre  de  gravité  est 
placé  le  plus  haut  possible,  et  qu'elle  tendrait  môme  à 
démontrer  que  ce  second  cas  d'équilibre  ne  peut  exister^ 
tandis  que,  sous  le  point  de  vue  théorique,  il  est  aussi  réel 
que  le  premier,  quoique,  par  le  défaut  de  stabilité,  on  ait 
rarement  occasion  de  l'observer  dans  la  pratique.  Ainsi, 
pour  choisir  un  exemple  très-simple,   la  loi  d'équilibre 


602  MATHÉMATIQUES. 

d'un  pendule  exige  que  le  centre  de  gravité  du  poids  soît 
placé  sur  la  verticale  menée  par  le  point  de  suspension,  ce 
qui  offre  une  vérification  palpable  du  théorème  die  Torri- 
celli;  mais,  quand  on  fait  abstraction  de  la  stabilité,  il  est 
évident  que  ce  centre  de  gravité  peut  d'ailleurs  être  indif- 
féremment au-dessus  ou  au-dessous  du  point  de  suspension, 
l'équilibre  ayant  également  lieu  dans  les  deux  cas. 

La  véritable  démonstration  générale  du  théorème  de 
Torricelli  consiste  à  le  déduire  du  principe  fondamental 
des  vitesses  virtuelles,  qui  le  fournit  immédiatement  avec 
la  plus  grande  facilité.  Il  suffit,  en  effet,  pour  cela,  d'ap- 
pliquer directement  ce  principe  à  l'équilibre  d'un  système 
quelconque  de  corps  pesants,  à  Tégard  duquel  il  donne 
aussitôt  l'équation 


/ 


Pdz^O, 


OÙ  P  désigne  un  quelconque  des  poids,  et  z  la  hauteur 
verticale  de  son  centre  de  gravité.  Or,  d'après  la  définition 
générale  du  centre  de  gravité  de  tout  système  de  poids,  on 
a  évidemment,  en  nommant  P  le  poids  total  du  système, 
et2,  l'ordonnée  verticalede  son  centre  de  gravité,  la  relation 


/ 


Pdi^P,dz,. 

Ainsi  l'équation  des  vitesses  virtuelles  devient,  dans  ce 
cas,  dz^=0;  ce  qui,  conformément  à  la  théorie  analytique 
générale  des  maxima  et  minima^  démontre  immédiatement 
que  la  hauteur  verticale  du  centre  de  gravité  du  système 
est  alors  un  maximum  ou  un  minimum,  comme  l'indique  le 
théorème  de  Torricelli. 

Celle  importante  propriété,  indépendamment  du  grand 
intérôt  qu'elle  présente  sous  le  point  de  vue  physique,  peut 


THÉORÈMES   DE  MÉCANIQUE   RATIONNELLE.  50  3 

môme  être  avantageusement  employée  pour  faciliter  Ja 
solution  générale  de  plusieurs  problèmes  essentiels  de 
statique  rationnelle,  relativement  aux  corps  pesants.  Ainsi, 
par  exemple,  elle  suffit  à  l'entière  résolution  de  la  célèbre 
question  de  la  chaînette^  c'est-à-dire  de  la  figure  que  prend 
une  chaîne  pesante  suspendue  à  deux  points  fixes,  et  en- 
suite librement  abandonnée  à  la  seule  influence  de  la  gra- 
vité, en  la  supposant  parfaitement  flexible,  et  de  plus 
inextensible.  En  effet,  le  théorème  de  Torricelli  indiquant 
alors  que  le  centre  de  gravité  doit  être  placé  le  plus  bas 
possible,  le  problème  appartient  immédiatement  à  la 
théorie  générale  des  isopérimètres,  indiquée  dans  la  hui- 
tième leçon,  puisqu'il  se  réduit  à  déterminer,  parmi  toutes 
les  courbes  de  même  contour  tracées  entre  les  deux  points 
fixes  donnés,  quelle  est  celle  qui  jouit  de  cette  propriété 
caractéristique,  que  la  hauteur  verticale  de  son  centre  de 
gravité  totale  soit  un  minimum^  condition  qui  suffit  pour 
déterminer  complètement,  à  l'aide  du  calcul  des  varia- 
tions, l'équation  différentielle,  et  ensuite  l'équation  finie 
de  la  courbe  cherchée.  11  en  est  de  môme  dans  quelques 
autres  questions  intéressantes  relatives  à  l'équilibre  des 
poids. 

Le  théorème  de  Torricelli  a  éprouvé  plus  tard  une  im- 
portante généralisation  par  les  travaux  de  Maupertuis,  qui, 
sous  le  nom  de  loi  du  repos,  a  découvert  une  propriété 
très-étendue  del'équilibre,  dont  celle  ci-dessus  considérée 
n'est  plus  qu'un  simple  cas  particulier.  C'est  seulement  à' 
la  pesanteur  terrestre,  ou  à  la  gravité  proprement  dite, 
que  s'applique  la  loi  trouvée  par  Torricelli.  Celle  de  Mau- 
pertuis s'étend,  au  contraire,  à  toutes  les  forces  attractives 
qui  peuvent  faire  tendre  les  corps  d'un  système  quel- 
conque vers  des  centres  fixes,  ou  les  uns  vers  les  autres, 
suivant  une  fonction    quelconque  de  la   distance,  indé- 


50  4  MATHÉMATIQUES. 

pendanle  de  la  direction,  ce  qui  comprend  toutes  les 
grandes  forces  naturelles.  On  sait  que,  dans  ce  cas,  l'expres- 
sion PBp  +  F^p'  -4-  etc.,  qui  forme  le  premier  membre 
de  l'équation  générale  des  vitesses  virtuelles,  se  trouve 
nécessairement  être  toujours  une  différentielle  exacte.  Par 
conséquent,  le  principe  des  vitesses  virtuelles  consiste 
alors  proprement  en  ce  que  la  variation  de  son  intégrale 
est  nulle,  ce  qui  indique  évidemment,  d'après  la  théo- 
rie fondamentale  des  maxima  et  minimal  que  cette  inté- 
grale I   P^p  est  constamment,  dans  le  cas  d'équilibre, 

un  maximum  ou  un  minmum.  C'est  en  cela  que  consiste  la 
loi  de  Maupertuis,  considérée  sous  le  point  de  vue  le  plus 
général,  et  déduite  ainsi  directement  avec  une  extrême 
simplicité  du  principe  fondamental  des  vitesses  virtuelles, 
qui  doit  nécessairement  renfermer  implicitement  toutes 
les  propriétés  auxquelles  peut  donner  lieu  la  théorie  de 
l'équilibre.  Le  théorème  de  Maupertuis  a  été  présenté  par 
Lagrange  sous  un  aspect  plus  concret  et  plus  remar- 
quable, en  le  rattachant  à  la  notion  des  forces  vives,  dont 
nous  nous  occuperons  plus  bas.  Lagrange,  considérant  que 

l'intégrale  i  PBp  envisagée  par  Maupertuis  est  nécessai- 
rement toujours,  d'après  la  théorie  analytique  générale 
du  mouvement,  le  complément  de  la  somme  des  forces 
vives  du  système  à  une  certaine  constante,  en  a  conclu 
que  cette  somme  de  forces  vives  est  un  minimum  lorsque 
l'intégrale  précédente  est  un  maximum,  et  réciproque- 
ment. D'après  cela,  le  théorème  de  Maupertuis  peut  être 
envisagé  plus  simplement  comme  consistant  en  ce  que  la 
situation  d'équilibre  d'un  système  quelconque  est  con- 
stamment celle  dans  laquelle  la  somme  des  forces  vives 
se  trouve  ôtre  un  maximum  ou  un  minimum,  U  est  évident 
que,  dans  le  cas  particulier  de  la  pesanteur  terrestre,  cette 


iiw 


THÉORÈMES   DE  MÉCANIQUE  RATIONNELLE.  505 

loi  coïncide  exactement  avec  celle  de  Torricelli,  la  force 
vive  élai\t  alors  égale,  comme  on  sait,  au  produit  du  poids 
par  Ja  hauteur  verticale  du  centre  de  gravité,  laquelle  doit 
donc  devenir  nécessairement  un  maximum  ou  un  minimum^ 
s'il  y  a  étfuilibre. 

Une  autre  propriété  générale  très-remarquable  de  l'é- 
quilibre, qui  peut  être  regardée  comme  le  complément 
indispensable  du  théorème  de  Torricelli  et  de  Maupertuis, 
consiste  dans  la  distinction  fondamentale  des  cas  de  stabi" 
litéoM  dUnstabilité  de  Téquilibre.  On  sait  que  Téquilibre 
peut  être  stable  ou  instable,  c'est-à-dire  que  le  corps,  infi- 
niment peu  écarté  de  sa  situation  d'équilibre,  peut  tendre 
à  y  revenir,  et  y  retourne,  en  effet,  après  un  certain  nombre 
d'oscillations  bientôt  anéanties  parla  résistance  du  milieu, 
les  frottements,  etc.,  ou  bien  qu'il  tend,  au  contraire,  à 
s'en  éloigner  de  plus  en  plus,  pour  ne  s'arrêter  que  dans 
une  nouvelle  position  d'équilibre  stable.  Ce  que  nous  ap- 
pelons physiquement  l'état  de  repos  d'un  corps  n*est  réelle- 
ment autre  chose  que  Véquilibre  stable,  car  le  repos  abstrait, 
tel  que  les  géomètres  le  conçoivent,  lorsqu'ils  supposent 
un  corps  qui  ne  serait  sollicité  par  aucune  force,  ne  sau- 
rait évidemment  exister  dans  la  nature,  où  il  ne  peut  y 
avoir  que  des  équilibres  plus  ou  moins  durables.  L'équi- 
libre instable,  au  contraire,  constitue  effectivement  ce  que 
le  vulgaire  appelle  proprement  équilibre,  qui  désigne  tou- 
jours un  état  plus  ou  moins  passager  et  artificiel.  La  pro- 
priété générale  que  nous  considérons  maintenant,  et  dont 
la  démonstration  complète  est  due  à  Lagrange,  consiste  en 
ce  que,  dans  un  système  quelconque,  l'équilibre  est  stable 
ou  instable,  siii\aini  que  l'intégrale  envisagée  par  Mauper- 
tuis,  et  qui  a  été  indiquée  ci-dessus,  se  trouve  être  un 
minimum  ou  un  maximum;  ou,  ce  qui  revient  au  même, 
comme  nous  l'avons  dit,  suivant  que  la  somme  des  forces 


506  HATHÉMATIQUES. 

vives  est  un  maximum  ou  un  minimum.  Ce  beau  théorème 
de  mécanique,  appliqué  au  cas  le  plus  simple  et  le  plus 
remarquable,  à  celui  de  Téquilibre  des  corps  pesants  con- 
sidéré par  Torrîcelli,  apprend  alors  que  le  système  est  dans 
un  état  d'équilibre  stable  quand  le  centre  de  gravité  est 
placé  le  plus  bas  possible,  et  dans  un  état  d'équilibre 
instable  quand,  au  contraire,  le  centre  de  gravité  est  placé 
le  plus  haut  possible,  ce  qu'il  est  aisé  de  vérifier  directe- 
ment pour  les  systèmes  les  moins  compliqués.  Ainsi,  par 
exemple,  l'équilibre  d'un  pendule  est  évidemment  stable, 
quand  le  centre  de  gravité  du  poids  se  trouve  être  situé  au- 
dessus  du  point  de  suspension,  et  instable,  quand  il  est  au- 
dessous.  De  même,  un  ellipsoïde  de  révolution,  posé  sur 
un  plan  horizontal,  est  en  équilibre  stable  quand  il  repose 
sur  le  sommet  de  son  petit  axe,  et  en  équilibre  instable 
quand  c'est  sur  le  sommet  de  son  grand  axe.  La  seule  ob- 
servation aurait  suffi  sans  doute  pour  distinguer  les  deux 
états  dans  des  cas  aussi  simples.  Mais  la  théorie  la  plus 
profonde  a  été  nécessaire  pour  dévoiler  aux  géomètres  que 
cette  distinction  fondamentale  était  également  applicable 
aux  systèmes  les  plus  composés,  en  montrant  que,  lorsque 
l'intégrale  relative  à  la  somme  des  moments  virtuels  est  un 
minimum,  le  système  ne  peut  faire  autour  de  sa  situation 
d'équilibre  que  des  oscillations  très-petites  et  dont  l'éten- 
due est  déterminée,  tandis  que,  si  cette  intégrale  est,  au 
contraire,  un  maximum^  ces  oscillations  peuvent  acquérir 
et  acquièrent,  en  effet,  une  étendue  finie  et  quelconque.  Il 
est  d'ailleurs  inutile  d'avertir  que,  par  leur  nature,  ces 
propriétés,  ainsi  que  les  précédentes,  ont  lieu  dans  les 
fluides  tout  aussi  bien  que  dans  les  solides,  ce  qui  est 
également  le  caractère  de  toutes  les  propriétés  mécani- 
ques générales  à  l'examen  desquelles  nous  avons  destiné 
cette  leçon. 


THÉORÈMES   DE  MÉCANIQUE  RATIONNELLE.  507 

Considérons  maintenant  les  théorèmes  généraux  de  mé- 
canique relatifs  au  mouvement. 

Depuis  que  ces  propriétés  ont  cessé  d'être  envisagées 
comme  autant  de  principes^  et  qu'on  n'y  a  vu  que  de  sim- 
ples résultats  nécessaires  des  théories  dynamiques  fonda- 
mentales,  la  manière  la  plus  directe  et  la  plus  convenable 
de  les  établir  consiste  à  les  présenter,  ainsi  que  Ta  fait 
Lagrange,  comme  des  conséquences  immédiates  de  l'équa- 
tion générale  de  la  dynamique,  déduite  de  la  combinaison 
du  principe  de  d*Alembert  avec  le  principe  des  vitesses  vir- 
tuelles, telle  que  nous  l'avons  exposée  dans  la  leçon  précé- 
dente. On  doit  mettre  au  nombre  des  avantages  les  plus 
sensibles  de  cette  méthode,  comme  Lagrange  l'ajustement 
remarqué,  cette  facilité  qu'elle  offre  pour  la  démonstration 
de  ces  grands  théorèmes  de  dynamique  dans  leur  plus 
grande  généralité,  démonstration  à  laquelle  on  ne  pouvait 
autrement  parvenir  que  par  des  considérations  indirectes 
et  fort  compliquées.  Néanmoins  la  nature  de  ce  cours  nous 
interdit  d'indiquer  spécialement  ici  chacune  de  ces  dé- 
monstrations, et  nous  devons  nous  borner  à  considérer  seu- 
lement les  divers  résultats. 

Le  premier  théorème  général  de  dynamique  est  celui  que 
Newton  a  découvert  relativement  au  mouvement  du  centre 
de  gravité  d'un  système  quelconque,  et  qui  est  habituelle- 
ment connu  sous  le  nom  de  principe  de  la  conservation  du 
mouvement  du  centre  de  gravité.  Newton  a  reconnu  le  pre- 
mier et  a  démontré  par  des  considérations  extrêmement 
simples,  au  commencement  de  son  grand  traité  des  Prin- 
cipes mathématiques  de  la  philosophie  naturelle^  que  l'action 
mutuelle  des  corps  d'un  système  les  uns  sur  les  autres,  soit 
par  attraction,  soit  par  impulsion,  en  un  mot,  d'une  ma- 
nière quelconque,  en  ayant  convenablement  égard  à  Téga- 
lité  constante  et  nécessaire  entre  la  réaction  et  l'action,  ne 


50  8  MATOÉMATIQUES. 

peut  nullement  altérer  l'état  du  centre  de  gravité,  en  sorte 
que,  s'il  n'y  a  pas  d'autres  forces  accélératrices  que  ces 
actions  réciproques,  et  si  les  forces  extérieures  du  système 
se  réduisent  seulement  à  des  forces  instantanées,  le  centre 
de  gravité  restera  toujours  immobile  ou  se  mouvera  uni- 
formément en  ligne  droite.  D'Alembert  a,  depuis,  géné- 
ralisé cette  propriété,  et  prouvé  que,  quelque  altération  que 
puisse  introduire  l'action  mutuelle  des  corps  du  système 
dans  le  mouvement  de  chacun  d'eux,  le  centre  de  gravité 
n'en  est  jamais  affecté,  et  que  son  mouvement  a  constam- 
ment lieu  comme  si  toutes  les  forces  du  système  y  étaient 
directement  appliquées  parallèlement  à  leur  direction, 
quelles  que  soient  les  forces  extérieures  de  ce  système,  et 
en  supposant  seulement  qu'il  ne  présente  aucun  point  fixe. 
C'est  ce  qu'il  est  aisé  de  démontrer,  en  développant,  dans 
la  formule  général^  de  la  dynamique,  les  équations  rela- 
tives au  mouvement  de  translation,  qui^  par  la  propriété 
analytique  fondamentale  du  centre  de  gravité,  se  trouvent 
coïncider  avec  celles  qu'aurait  fourni  le  mouvement  isolé 
de  ce  centre  si  la  masse  totale  du  système  y  eût  été  suppo- 
sée condensée,  et  qu'on  l'eût  conçue  animée  de  toutes  les 
forces  extérieures  du  système.  Le  principal  avantage  de  ce 
beau  théorème  est  de  pouvoir  ainsi,  en  ce  qui  concerne  le 
mouvement  du  centre  de  gravité,  faire  rentrer  le  cas  .d'un 
corps  ou  d'un  système  quelconque  dans  celui  d'une  molé- 
cule unique.  Comme  le  mouvement  de  translation  d'un 
système  doit  être  estimé  par  le  mouvement  de  son  centre 
de  gravité,  on  parvient  donc  de  cette  manière  à  réduire  la 
seconde  partie  de  la  dynamique  à  la  première  pour  tout 
ce  qui  se  rapporte  aux  mouvements  de  translation,  d'où 
résulte,  ainsi  qu'il  est  aisé  de  le  sentir,  une  importante 
simplification  ilans  la  solution  de  tout  problème  dyna- 
mique particulier,  puisqu'on  peut  alors  négliger,  dans  cette 


THÉORÈMES  DE    MÉCANIQUE    RATIONNELLE.  509 

partie  de  la  recherche,  les  effets  de  l'action  niuluelle  de 
tous  les  corps  proposés,  dont  la  détermination  constitue 
ordinairement  la  principale  difficulté  de  chaque  question. 
On  ne  se  fait  pas  communément  une  assez  juste  idée  de 
rentière  généralité  théorique  des  grands  résultats  de  la 
mécanique  rationnelle,  qui  sont  nécessairement  applica- 
bles, par  eux-mêmes,  à  tous  les  ordres  de  phénomènes  na- 
turels; puisque  nous  avons  reconnu  que  les  lois  fondamen- 
tales sur  lesquelles  repose  tout  Tédifice  systématique  de  la 
science  ne  souffrent  d'exception  dans  aucune  classe  quel- 
conque de  phénomènes,  et  constituent  les  faits  les  plus 
généraux  de  l'univers  réel,  quoiqu'on  paraisse  ordinaire- 
ment, dans  ce  genre  de  conceptions,  avoir  seulement  en 
vue  le  monde  inorganique.  Aussi  est-il  à  propos,  ce  me 
semble,  de  faire  remarquer  formellement  ici,  au  sujet  de 
celte  première  propriété  générale  du  mouvement,  que  le 
théorème  a  également  lieu  dans  les  corps  vivants  comme 
dans  les  corps  inanimés.  Quelle  que  puisse  être,  en  effet, 
la  nature  des  phénomènes  qui  caractérisent  les  corps  vi- 
vants, ils  ne  sauraient  consister  tout  au  plus  qu'en  certaines 
actions  particulières  des  molécules  les  unes  sur  les  autres, 
qui  ne  s'observeraient  point  dans  les  corps  bruts,  sans 
qu'on  doive  douter  d'ailleurs  que  la  réaction  y  soit  toujours, 
aussi  bien  qu'en  tout  autre  cas,  égale  au  contraire  à  l'ac- 
tion. Ainsi,  par  la  nature  môme  du  théorème  que  nous  ve- 
nons de  considérer,  il  doit  nécessairement  se  vérifier  aussi 
bien  pour  les  corps  vivants  que  pour  les  corps  bruts,  puis- 
que le  mouvement  du  centre  de  gravité  est  indépendant  de 
ces  actions  intérieures  mutuelles.  11  en  résulte,  par  exem- 
ple, qu'un  corps  vivant,  quel  que  soit  le  jeu  interne  de  ses 
organes,  ne  saurait  de  lui-môme  déplacer  son  centre  de 
gravité,  quoiqu'il  puisse  faire  exécuter  à  quelques-uns  de 
ses  points  certains  mouvements  pareils  autour  de  ce  cen- 


510  MATHÉMATIQUES. 

tre.  Ne  vérifie-t-on  pas  clairement,  en  effel,  que  la  locomo- 
tion totale  d'un  corps  vivant  serait  entièrement  impossible 
sans  le  secours  extérieur  que  lui  fournit  la  résistance  et  le 
frottement  du  sol  sur  lequel  il  se  meut,  ou  du  fluide  qui  le 
contient?  On  peut  faire  des  remarques  exactement  analo- 
gues, relativement  à  toutes  les  autres  propriétés  dyna- 
miques générales  qui  nous  restent  à  considérer,  et  pour 
chacune  desquelles  je  me  dispenserai,  par  conséquent, 
d'indiquer  spécialement  son  applicabilité  nécessaire  aux 
corps  vivants  aussi  bien  qu'aux  corps  inertes. 

Le  second  théorème  général  de  dynamique  consiste  dans 
le  célèbre  et  important  principe  des  aires ^  dont  la  première 
idée  est  due  à  Kepler,  qui  découvrit  et  démontra  fort  sim-^ 
plement  cette  propriété  pour  le  cas  du  mouvement  d'une 
molécule  unique,  ou,  en  d'autres  termes,  d'un  corps  dont 
tous  les  points  se  meuvent  identiquement.  Kepler  établit, 
par  les  considérations  les  plus  élémentaires,  que,  si  la  force 
accélératrice  totale  dont  une  molécule  est  animée  tend 
constamment  vers  un  point  fixe,  le  rayon  vecteur  du  mo- 
bile décrit  autour  de  ce  point  des  aires  égales  en  temps 
égaux,  de  telle  sorte  que  l'aire  décrite  au  bout  d'un  temps 
quelconque  croit  proportionnellement  à  ce  temps.  Il  fit 
voir  en  outre  que,  réciproquement,  si  une  semblable  rela- 
tion a  été  vérifiée  dans  le  mouvement  d'un  corps  par  rap- 
port à  un  certain  point,  c'est  une  preuve  suffisante  de  l'ac- 
tion sur  ce  corps  d'une  force  dirigée  sans  cesse  vers  ce 
point.  Cette  belle  propriété  se  déduit  d'ailleurs  très-aisé- 
ment des  équations  générales  du  mouvement  curviligne 
d'une  molécule,  exposées  dans  la  leçon  précédente,  en  pla- 
çant l'origine  des  coordonnées  au  centre  des  forces,  et  con- 
sidérant l'expression  de  l'aire  décrite  sur  l'un  quelconque 
des  plans  coordonnés  par  la  projection  correspondante  du 
rayon  vecteur  du  mobile.  Cette  découverte  de  Kepler  est 


THÉORÈMES  DE  MÉCANIQUE  RATIONNELLE.      511 

d'autanl  plus  remarquable,  qu'elle  a  eu  lieu  avant  que  la 
dynamique  eût  été  réellement  créée  par  Galilée.  Nous  au- 
rons occasion  de  remarquer^  dans  la  partie  astronomique 
de  ce  cours,  que  Kepler,  ayant  reconnu  que  les  rayons  vec- 
teurs dès  planètes  décrivent  autour  du  soleil  des  aires  pro- 
portionnelles aux  temps,  ce  qui  constitue  la  première  de 
ses  trois  grandes  lois  astronomiques^  en  conclut  ainsi  que 
les  planètes  sont  continuellement  animées  d'une  tendance 
vers  le  soleil,  dont  il  était  réservé  à  Newton  de  découvrir 
la  loi. 

Mais,  quelle  que  soit  l'importance  de  ce  premier  théo- 
rème des  aires,  qui  est  ainsi  une  des  bases  essentielles  de 
la  mécanique  céleste,  on  ne  doit  plus  y  voir  aujourd'hui 
que  le  cas  particulier  le  plus  simple  du  grand  théorème 
général  des  aires,  découvert  presque   simultanément  et 
sous  des  formes  différentes  par  d'Arcy,  par  Daniel  Ber- 
nouilli  et  par  Ëuler,  vers  le  milieu  du  siècle  dernier.  La  dé- 
couverte de  Kepler  n'était  relative  qu'au  mouvement  d'un 
point  :  celle  de  d'Arcy  se  rapporte  au  mouvement  de  tout 
système  quelconque  de  corps  agissant  les  uns  sur  les  au- 
tres d'une  manière  quelconque,  ce  qui  constitue  un  cas, 
non-seulement  plus  compliqué,  mais  môme  essentielle- 
ment différent,  à  cause  de  ces  actions  mutuelles.  Le  théo- 
rème consiste  alors  en  ce  que,  par  suite  de  ces  influences 
réciproques,  l'aire  que  décrira  séparément  le  rayon  vecteur 
de  chaque  molécule  du  système  à  chaque  instant  autour 
d'un  point  quelconque  pourra  bien  être  altérée,  mais  que 
la  somme  algébrique  des  aires  ainsi  décrites  par  les  pro- 
jections sur  un  plan  quelconque  des  rayons  vecteurs  de 
toutes  les  molécules,  en  donnant  à  chacune  de  ces  aires  le 
signe  convenable  d'après  la  règle  ordinaire,  ne  souffrira 
aucun  changement,  en  sorte  que,  s'il  n'y  a  pas  d'autres 
forces  accélératrices  dans  le  système  que  ces  actions  mu- 


8 1  s  H  ATHÉMATIQUES . 

iuelles,  cette  somme  des  aires  décrites  demeurera  invaria- 
ble en  un  temps  donné,  et  croîtra  par  conséquent  propor- 
tionnellement au  temps.  Quand  le  système  ne  présente 
aucun  point  fixe,  cette  propriété  remarquable  a  lieu  relati- 
vement à  un  point  quelconque  de  l'espace  ;  tandis  qu'elle 
se  vérifie  seulement  en  prenant  le  point  fixe  pour  centre 
des  aires,  si  le  système  en  offre  un.  Enfin,  lorsque  les  corps 
du  système  sont  animés  de  forces  accélératrices  extérieures, 
si  ces  forces  tendent  constamment  vers  un  môme  point,  le 
théorème  des  aires  subsiste  encore,  mais  uniquement  à  l'é- 
gard de  ce  point.  Cette  dernière  partie  de  la  proposition 
générale  fournit  évidemment,  comme  cas  particulier,  le 
théorème  de  Répler,  en  supposant  que  le  système  se  ré- 
duise à  une  seule  molécule. 

Dans  l'application  de  ce  théorème,  on  remplace  ordinai- 
rement la  somme  des  aires  correspondantes  à  toutes  les 
molécules  du  système  par  la  somme  équivalente  des  pro- 
duits de  la  masse  de  chaque  corps  par  l'aire  qui  s'y  rap- 
porte, ce  qui  dispense  de  partager  le  système  en  molécules 
de  môme  masse. 

Telle  est  la  forme  sous  laquelle  le  théorème  général  des 
aires  a  été  découvert  par  d'Arcy  ;  c'est  celle  qu'on  emploie 
habituellement.  Comme  l'aire  décrite  par  le  rayon  vecteur 
de  chaque  corps  dans  un  instant  infiniment  petit  est  évi- 
demment proportionnelle  au  produit  de  la  vitesse  de  ce 
corps  par  sa  dislance  au  point  fixe  que  l'on  considère,  on 
peut  substituer  à  la  somme  des  aires  la  somme  des  mo» 
ments  par  rapport  à  ce  point  de  toutes  les  forces  du  système 
projetées  sur  un  môme  plan  quelconque.  Sous  ce  point  de 
vue,  le  théorème  des  aires  présente,  suivant  la  remarque 
de  Laplace*  une  propriété  générale  du  mouvement  ana- 
logue à  une  de  celles  de  l'équilibre,  puisqu'il  consiste  alors 
en  ce  que  celte  somme  des  moments,  nulle  dans  le  cas  de 


THÉORÈMES   DE   MÉCANIQUE   RATIONNELLE.  518 

réqiiilîbre,  est  constante  dans  le  cas  du  mouvement.  C'est 
ainsi  que  ce  théorème  a  été  trouvé  par  Euler  et  par  Daniel 
Bernouilli. 

Quelle  que  soit  l'interprétation  concrète  qu*on  juge 
convenable  de  lui  donner,  il  est  une  simple  conséquence 
analytique  directe  de  la  formule  générale  de  la  dynamique. 
Il  suffit,  pour  l'en  déduire,  de  développer  cette  formtile 
en  formant  les  équations  qui  se  rapportent  au  mouvement 
de  rotation,  et  dans  lesquelles  on  apercevra  immédiate- 
ment l'expression  analytique  du  théorème  des  aires  ou 
des  moments,  en  ayant  égard  aux  conditions  ci-dessus  in- 
diquées. Sous  le  rapport  analytique,  on  peut  dire  que 
l'utilité  de  ce  théorème  consiste  essentiellement  à  fournir 
dans  tous  les  cas  trois  intégrales  premières  des  équations 
générales  du  mouvement  qui  sont  par  elles-mêmes  du  se- 
cond ordre,  ce  qui  tend  à  faciliter  singulièrement  la  solu- 
tion définitive  de  chaque  problème  dynamique  particulier. 

Le  théorème  des  aires  suffit  pour  déterminer,  dans  le 
mouvement  général  d'un  système  quelconque,  tout  ce  qui  se 
rapporte  aux  mouvements  de  rotation,  comme  le  théorème 
du  centre  de  gravité  détermine  tout  ce  qui  est  relatif  aux 
mouvements  de  translation.  Ainsi,  parla  seule  combinaison 
de  ces  deux  propriétés  générales,  on  pourrait  procéder  a 
l'étude  complète  du  mouvement  d'un  système  quelconque 
de  corps,  soit  quant  à  la  translation,  soit  quant  à  la  ro- 
tation. 

Je  ne  dois  pas  négliger  de  signaler  sommairement  ici^ 
au  sujet  du  théorème  des  aires,  la  clarté  inespérée  et  la 
simplicité  admirable  que  Poinsut  y  a  introduites  en  y  appli* 
quant  sa  conception  fondamentale  relative  aux  mouve- 
ments de  rotation,  que  nous  avons  considérée  sous  le  point 
de  vue  statique  dans  la  seizième  h  çon.  En  substituant  aux 
aires,  ou  aux  moments  considérés  jusqu'alors  par  les  géo- 
A.  GoMTB.  Tome  I.  SB 


51 4  MATHÉMATIQUES. 

mètres,  les  couples  qu'engendrent  les  forces  proposées, 
Poinsot  a  fait  éprouver  à  cette  théorie  un  perfectionne- 
ment philosophique  très-important,  qui  ne  me  parait  pas 
encore  avoir  été  suffisamment  senti.  II  a  donné  ainsi  une 
valeur  concrète,  un  sens  dynamique  propre  et  direct,  à  ce 
qui  n'était  auparavant  qu'un  simple  énoncé  géométrique 
d'une  partie  des  équations  fondamentales  du  mouvement. 
Une  aussi  heureuse  transformation  générale  est  destinée, 
sans  doute,  à  accroître  nécessairement  les  ressources 
de  l'esprit  humain  pour  Télahoration  des  idées  dynami- 
ques, en  tout  ce  qui  concerne  la  théorie  des  mouvements 
de  rotation.  On  peut  voir  dans  le  beau  mémoire  de  Poinsot 
sur  les  propriétés  des  moments  et  des  atres^  qui  se  trouve 
annexé  à  sa  Statique^  avec  quelle  facilité  il  est  parvenu, 
d'après  cette  lumineuse  conception,  non-seulement  à  ren- 
dre élémentaire  une  théorie  jusqu'alors  fondée  sur  la  plus 
haute  analyse,  mais  à  découvrir  à  cet  égard  de  nouvelles 
propriétés  générales  très-remarquables,  que  nous  ne  de- 
vons point  considérer  ici,  et  qu'il  eût  été  difûcile  d'obtenir 
par  les  méthodes  antérieures. 

Le  théorème  des  aires  a  élé^  pour  l'illustre  Laplace, 
l'origine  de  la  découverte  d'une  autre  propriété  dyna- 
mique très-rcmarquable,  celle  de  ce  qu'il  a  nommé  \eplan 
invariable,  dont  la  considération  est  surtout  si  importante 
dans  la  mécanique  céleste.  La  somme  des  aires  projetées 
par  tous  les  corps  du  système  sur  un  plan  quelconque  étant 
constante  en  un  temps  donné,  Laplace  a  cherché  la  direc- 
tion du  plan  à  l'égard  duquel  cette  somme  se  trouvait  être 
le  plus  grande  possible.  Or,  d'après  la  manière  dont  ce 
plan  de  la  plus  grande  aire  ou  du  plus  grand  moment  est 
déterminé,  Laplace  a  démontré  que  sa  direction  est  néces- 
sairement indépendante  de  la  réaction  mutuelle  des  diffé- 
rentes parties  du  système,  en  sorte  que,  par  sa  nature»  ce 


THÉOBÂMES  DE   MÉCANIQUE   RATIONNELLE.  515 

plan  doit  rester  continuellement  invariable,  quelles  qoe 
puissent  jamais  être  les  altérations  introduites  dans  la  si- 
tuation de  ces  corps  par  leurs  influences  réciproques, 
pourvu  qu'il  ne  survienne  aucune  nouvelle  force  exté- 
rieure. On  conçoit  aisément  de  quelle  importance  doit  être, 
comme  nous  l'expliquerons  spécialement  dans  la  seconde 
partie  de  ce  cours,  la  détermination  d'un  tel  plan  relative- 
ment à  notre  système  solaire,  puisqu'on  y  rapportant 
tous  nos  mouvements  célestes,  il  nous  procure  l'inappré- 
ciable avantage  d'avoir  un  terme  de  comparaison  néces- 
sairement Qxe,  à  travers  tous  les  dérangements  que  l'action 
mutuelle  de  nos  planètes  pourra  faire  subir  dans  la  suite 
des  temps  à  leurs  distances,  à  leurs  révolutions  et  même 
aux  plans  de  leurs  orbites,  ce  qui  est  une  première  condi- 
tion évidemment  indispensable  pour  que  nous  puissions 
exactement  connaître  en  quoi  consistent  ces  altérations. 
Malheureusement  nous  aurons  occasion  de  remarquer  que 
rincertitude  oii  nous  sommes  jusqu'ici,  relativement  à  la 
valeur  exacte  de  plusieurs  données  essentielles,  ne  nous 
permet  pas  encore  de  déterminer  avec  toute  la  précision 
sufûsantela  situation  de  ce  plan.  Mais  cette  difQculté  d'ap- 
plication n'affecte  en  aucune  manière  le  caractère  de  ce 
beau  théorème,  considéré  sous  le  point  de  vue  de  la  méca- 
nique rationnelle,  le  seul  que  nous  devions  adopter  ici. 

La  théorie  du  plan  invariable  a  été  notablement  perfec* 
tionnée  par  Poiusot,  qui  a  dû  naturellement  y  transporter 
sa  conception  propre  relativement  à  la  théorie  générale  des 
aires  ou  des  moments.  Il  a  d'abord  considérablement  sim* 
pliflé  la  notion  fondamentale  de  ce  plan,  de  façon  à  la 
rendre  aussi  élémentaire  qu'il  est  possible,  en  montrant 
qu'un  tel  plan  n'est  réellement  autre  chose  que  le  plan  du 
couple  général  résultant  de  tous  les  couples  engendrés  par 
les  différentes  forces  du  système,  ce  qui  le  définit  immé- 


516  MATOÉMATIQUES. 

diatement  par  un^  propriété  dynamique  très-sensible,  au 
lieu  de  la  seule  propriété  géométrique  du  maximum  des 
aires.  Quand  une  conception  quelconque  a  élé  vraiment 
simpliGée  dans  sa  nature,  l'élaboration  en  étant  par  cela 
même  facilitée,  elle  ne  saurait  manquer  de  prendre  plus 
d'extension  et  de  conduire  à  des  résultats  nouveaux  :  telle 
est,  en  effet,  la  marcbe  ordinaire  de  l'esprit  humain  dans 
les  sciences,  que  les  théories  les  plus  fécondes  en  décou- 
vertes n'ont  élé  ie  plus  souvent,  à  leur  origine,  qu'un  moyen 
de  r^endre  plus  simple  la  solution  de  questions  déjà  traitées. 
Le  travail  que  nous  considérons  ici  en  a  offeit  une  nouvelle 
preuve.  Car  la  théorie  de  Poinsot  a  permis  d'introduire  un 
plusbaui  degré  de  précision  dans  la  détermination  du  plan 
invaiiable  propre  à  notre  systènie  solaire,  en  signalant  eten 
rectifiant  une  importante  lacune  que  Laplacey  avait  laissée. 
Ce  grand  géomètre,  en  calculant  la  situation  du  plan  du 
maximum  des  aires,  avait  cru  ne  devoir  prendre  en  consi- 
dération que  les  aires  principales,  produites  par  la  circula- 
tion des  planètes  autour  du  soleil,  sans  tenir  aucun  compte 
de  celles  dues  aux  mouvements  des  satellites  autour  des 
planètes,  ou  à  la  rotation  de  tous  ces  astres  et  du  soleil  lui 
même.  Poinsot  vient  de  prouver  la  nécessité  d'avoir  égard 
à  ces  divers  éléments,  sans  quoi  le  plan  ainsi  déterminé 
ne  pourrait  point  être   regardé  comme  rigoureusement 
invariable  ;  et,  en  cherchant  la  direction  du  véritable  plan 
invariable  aussi  exactement  que  le  comporte  l'imperfection 
actuelle  de  la  plupart  des  données,  il  a  fait  voir  que  ce  plan 
diffère  sensiblement  de  celui  trouvé  par  Laplace  ;  ce  qu'il 
ebt  Facile  de  concevoir  par  la  seule  considération  de  Taire 
immense  que    doit  introduire  dans  le   calcul  la   masse 
énorme  du  soleil,  quoique  sa  rotation  soit  très-lente. 

Pour  compléter  l'indication  des  propriétés  dynamiques 
les  plus  importantes  relatives  au  mouvement  de  rotation, 


TOÉORÂMES  DE  MÉCANIQUE  RATIONNELLE.  517 

il  convient  maintenant  de  signaler  ici  les  beanx  théorèmes 
découverts  par  Euler  sur  ce  qu'il  a  nommé  les  moments 
d'inertie  et  les  axes  principaux,  qu'on  doit  mettre  au  nom- 
bre des  résultats  généraux  les  plus  importants  de  la  mé* 
canique  rationnelle.  Euler  a  donné  le  nom  de  moment  d'i^^ 
nertie  d'un  corps  à  l'intégrale  qui  exprime  la  somme  des 
produits  de  la  masse  de  chaque  molécule  par  le  carré  de 
sa  distance  à  r.ixe  autour  duquel  le  corps  tourne,  intégrale 
dont  la  considération  doit  évidemment  ôlre  très-cssen- 
tielle,  puisqu'elle  peut  être  naturellement  regardée  comme 
la  mesure  exacte  de  l'énergie  de  rotation  du  corps.  Quand 
la  masse  proposée  est  homogène,  ce  moment  d'inertie  se 
détermine  comme  les  autres  intégrales  analogues  relatives 
à  la  forme  d'un  corps  ;  lorsqu'au  contraire,  cette  masse 
est  hétérogène,  il  faut  de  plus  connaître  la  loi  de  la  den- 
sité dans  les  diverses  couches  qui  la  composent,  et,  à  cela 
près,  rint<^gration  n'est  alors  seulement  que  plus  compli- 
quée. Celte  notion  étant  établie,  Euler,  comparant,  en  gé- 
néral, les  moments  d'inertie  d'un  môme  corps  quelconque 
par  rapport  à  tous  les  axes  de  rotation  imaginables  passant 
en  un  point  donné,  détermina  les  axes  relativement  aux- 
quels le  moment  d'inertie  doit  être  un  maximum  ou  un 
minimum,  en  considérant  surtout  ceux  qui  se  coupent  au 
centre  de  gravité,  et  qui  se  distinguent  en  ce  qu'ils  pro- 
duisent nécessairement  des  moments  moindres  que  si,  avec 
la  môme  direction,  ils  étaient  placés  partout  tailleurs.  Il 
découvrit  ainsi  qu'il  existe  constamment,  en  un  point  quel- 
conque d'un  corps,  et  particulièrement  au  centre  de  gra- 
vité, trois  axes  rectangulaires  tels,   que  le  moment  d'i* 
nertie  du  corps  est  un  maximum  à  l'égard  de  l'un  d'entre 
eux,  et  un  minimum  à  l'égard  d'un  autre.  Ces  axes  sont 
d'ailleurs  caractérisés  par  une  autre  propriété  commune 
qui  leur  sert  habituellement  aujourd'hui  de  définition  ana- 


518  MATHÉMATIQUES. 

lytiqae,  et  qai  constitue,  en  effet,  pour  l'analyse,  le  prin- 
cipal avantage  que  Ton  trouve  à  rapporter  le  mouvement  du 
corps  à  ces  trois  axes.  Celte  propriété  consiste  en  ce  que, 
lorsque  ces  trois  axes  sont  pris  pour  ceux  des  coordonnées 

X,  y,  s,  les  intégrales  1  xsrfm,  /  xydm^  l  yzdm  (m  expri- 
mant la  masse  du  corps),  sont  nulles  relativement  au  corps 
tout  entier,  ce  qui  simpliRe  notablement  les  équations  gé- 
nérales du  mouvement  de  rotation.  Mais  le  principal  théo- 
rème dynamique  découvert  par  Euler  à  l'égard  de  ces  axes, 
et  d'aprôs  lequel  il  les  a  justement  appelés  axes  principaux 
de  rotation,  consiste  dans  la  stabilité  des  rotations  qui  leur 
correspondent  ;  c'est-à-dire  que,  si  le  corps  a  commencé  à 
tourner  autour  d'un  de  ces  axes,  cette  rotation  persistera 
indéfiniment  de  la  môme  manière,  ce  qui  n'aurait  pas  lieu 
pour  tout  autre  axe  quelconque,  la  rotation  instantanée 
s'exécutant  en  général  autour  d'un  axe  continuellement 
variable.  Ce  système  des  axes  principaux  est  généralement 
unique  dans  chaque  corps  :  cependant,  si  tous  les  mo- 
ments d'inertie  étaient  constamment  égaux  entre  eux,  la 
direction  de  ces  axes  deviendrait  totalement  indéterminée, 
pourvu  qu'on  les  choisit  toujours  perpendiculaires  entre 
eux,  ce  qui  a  lieu,  par  exemple,  dans  une  sphère  homo- 
gène, où  l'on  peut  regarder  comme  des  axes  permanents  de 
rotation  tous  les  systèmes  d'axes  rectangulaires  passant 
par  le  centre.  Il  y  aurait  encore  un  certain  degré  d'indé- 
termination si  le  corps  était  un  solide  de  révolution,  l'axe 
géométrique  étant  alors  un  des  axes  dynamiques  princi- 
paux ;  mais  les  deux  autres  pouvant  évidemment  être  pris 
i  volonté  dans  un  plan  perpendiculaire  au  premier.  La  dé- 
termination des  axes  principaux  présente  souvent  de 
grandes  difOopltés  en  considérant  des  corps  de  figure  et  de 
constitution  quelconque  ;  mais  elle  s'effectue  avec  une 
extrême  facilité  dans  les  cas  peu  compliqués,  que  la  mé- 


TQÉORÉMES   DE   MÉGANIQUE  RATIONNELLE.  519 

canique  céleste  nous  présente  heureusement  comme  les 
plus  communs.  Par  exemple,  dans  un  ellipso^ide  homogène, 
ou  même  seulement  composé  de  couches  semblables  et 
concentriques  d'inégale  densité,  mais  dont  chacune  est 
homogène,  les  trois  diamètres  conjugués  rectangulaires 
sont  eux-mêmes  les  axes  dynamiques  principaux  :  le  mo- 
ment d'inertie  du  corps  est  un  maximum  relativement  au 
plus  petit  de  ces  diamètres^  et  un  minimum  à  Tégard  du 
plus  grand.  Quand  les  axes  principaux  d'un  corps  ou  d'un 
système  sont  déterminés  ainsi  que  les  moments  d'inertie 
correspondants,  si  le  système  ne  tourne  pas  autour  de  l'un 
de  ces  axes,  £uler  a  établi  des  formules  générales  très- 
simples,  qui  font  connaître  constamment  les  angles  que 
doit  faire  avec  eux  la  droite  autour  de  laquelle  s'exécute 
spontanément  la  rotation  instantanée,  et  la  valeur  du  mo- 
ment d'inertie  qui  s'y  rapporte,  ce  qui  suffit  pour  l'analyse 
complète  du  mouvement  de  rotation. 

Tels  sont  les  théorèmes  généraux  de  dynamique  qui 
se  rapportent  directement  à  l'entière  détermination  du 
mouvement  d'un  corps  ou  d'un  système  quelconque,  soit 
quant  à  la  translation,  soit  quant  à  la  rotation.  Mais,  outre 
ces'propriétés  fondamentales,  les  géomètres  en  ont  encore 
découvert  plusieurs  autres  très-générales,  qui,  sans  être 
aussi  strictement  indispensables,  méritent  singulièrement 
d'être  signalés  dans  un  examen  philosophique  de  la  mé- 
canique rationnelle,  à  cause  de  leur  extrême  importance 
pour  la  simplification  des  recherches  spéciales. 

La  première  et  la  plus  remarquable  d'entre  elles^  celle 
qui  présente  les  plus  précieux  avantages  pour  les  appli- 
cations, consiste  dans  le  célèbre  théorème  de  la  conserva^ 
tion  des  forces  vives.  La  découverte  primitive  en  est  due  à 
Huyghens,  qui  fonda  sur  cette  considération  sa  solution  du 
problème  du  centre  d'oscillation.  La  notion  en  fut  ensuite 


520  MATHÉMATIQUES. 

généralisée  par  Jean  Bernouilli,  car  Huygbens  ne  TaTail 
établi  que  relalivemenl  au  mouvement  des  corps  pesants. 
Mais  Jean  Bernouilli,  accordant  une  importance  exagérée 
et  vicieuse  à  la  fameuse  distinction  introduite  parLeibnitz 
enlre  les  forces  mortes  et  les  forces  vives,  tenta  vainement 
d'ériger  ce  tbéorème  en  une  loi  primitive  de  la  nature^ 
tandis  qu'il  ne  saurait  êlre  qu'une  conséquence  plus  ou 
moins  générale  des  théories  dynamiques  fondamentales. 
Les  travaux  les  plus  importants  dont  cette  propriété  du 
mouvement  ait  été  le  sujet  sont  certainement  ceux  de 
l'illustre  Daniel  Bernouilli,  qui  donna  au  théorème  des 
forces  vives  sa  plus  grande  extension,  ainsi  que  la  forme 
systématique  sous  laquelle  nous  le  concevons  aujourd'hui, 
et  qui  en  fit  surtout  un  si  heureux  usage  pour  l'étude  du 
mouvement  des  fluides. 

On  sait  que,  depuis  Leibnitz,  les  géomètres  appellent 
force  vive  d'un  corps  le  produit  de  sa  masse  par  le  carré  de 
sa  vitesse,  en  faisant  d'ailleurs  complètement  abstraction 
des  considérations  trop  vagues  qui  avaient  conduit  Leibnitz 
è  former  une  telle  expression.  Le  théorème  général  que 
nous  envisageons  ici  consiste  en  ceque,  quelques  altérations 
qui  puissent  survenir  dans  le  mouvement  de  chacun  des 
corps  d'un  système  quelconque  en  vertu  de  leur  action 
réciproque,  la  somme  des  forces  vives  de  tous  ces  corps 
reste  constamment  la  môme  en  un  temps  donné.  C'est  ce 
qu'on  démontre  aujourd'hui  avec  la  plus  grande  facilité 
d'après  les  équations  fondamentales  du  mouvement  d'un 
système  quelconque,  et  surtout,  comme  l'a  fait  Lagrange, 
en  partant  de  la  formule  générale  de  la  dynamique  exposée 
dans  la  leçon  précédente.  Sous  le  point  de  vue  analytique, 
l'extrême  utilité  de  ce  beau  théorème  consiste  essentiel- 
lement en  ce  qu'il  fournit  toujours  d'avance  une  première 
équation  finie  entre  les  masses  et  les  vitesses  des  différents 


THÉORÈMES   DE   BtÉCAIflQUE   RATIONNELLE.  5SI 

corps  dusyslôme.  Cette  relation,  qui  peut  ôlre  envisagée 
conDine  une  des  intégrales  déllnitives  des  équations  diffé- 
rentielles du  mouvement,  suffil  à  l'entière  solution  du 
problème,  toutes  les  fois  qu'il  est  réductible  à  la  déter- 
mination  du  mouvement  d'un  seul  des  corps  que  l'on  coq* 
sidère,  détermination  qui  s'effectue  alors  avec  une  grande 
facilité. 

Mais, pour  se  faire  une  juste  idée  de  cette  importante' 
propriété,  il  est  indispensable  de  remarquer  qu'elle  est 
assujettie  à  une  limitation  considérable,  qui  ne  permet 
point,  sous  le  rapport  de  la  généralité,  de  la  placer  sur  la 
môme  ligne  que  les  théorèmes  précédemment  examinés. 
Cette  limitation,  découverte  à  la  fin  du  dernier  siècle  par 
Carnot,  consiste  en  ce  que  la  somme  des  forces  vives  subit 
constamment  une  diminution  dans  le  choc  des  corps  qui 
ne  sont  pas  parfaitement  élastiques,  et  généralement  toutes 
les  fois  que  le  système  éprouve  un  changement  brusque 
quelconque.  Carnot  a  démontré  qu'alors  il  y  a  une  perte 
de  forces  vives  égale  à  la  somme  des  forces  vives  dues  aux 
vitesses  perdues  parce  changement.  Ainsi  le  théorème  de 
la  conservation  des  forces  vives  n'a  lieu  qu'autant  que.le 
mouvement  du  système  varie  seulement  par  degrés  insen- 
sibles, ou  qu'il  ne  survient  de  choc  qu'entre  des  corps 
doués  d'une  élasticité  parfaite.  Cetle  importante  considé- 
ration complète  la  notion  générale  qu'on  doit  se  former 
d'une  propriété  aussi  remarquable. 

De  tous  les  grands  théorèmes  de  mécanique  rationnelle, 
celui  que  nous  venons  d'envisager  est  sans  contredit  le 
plus  important  pour  les  applications  à  la  mécanique  in*- 
dustrielle;  c'est-à-dire  en  ce  qui  concerne  la  théorie  du 
mouvement  des  machines,  en  tant  qu'elle  est  susceptible 
d'être  établie  d'une  manière  exacte  et  précise.  Le  théo- 
rème des  forces  vives  a  commencé  à  fournir  jusqu'ici. 


52S  MATUÉMATIQUES. 

SOUS  ce  point  de  vue,  des  iadications  générales  très-pré- 
cieuses, qui  ont  été  surtout  présentées  avec  une  netteté  et 
une  concision  parfaites  dans  le  travail  de  Carnot,  auquel 
on  n'a  ajouté  depuis  rien  de  vraiment  essentiel.  Ce  théo- 
rème présente  directement,  en  effet,  la  considération  dyna- 
mique d'une  machine  quelconque  sous  son  véritable 
aspect,  en  montrant  que,  dans  toute  transmission  et  mo- 
dification du  mouvement  effectuée  par  une  machine,  il  y  a 
simplement  échange  de  force  vive  entre  la  masse  du  mo- 
teur et  celle  du  corps  à  mouvoir.  Cet  échange  serait  com- 
plet,  c'est-à-dire  toute  la  force  vive  du  moteur  serait 
utilisée  en  évitant  les  changements  brusques,  si  les  frotte- 
ments, la  résistance  des  milieux,  etc.,  n'en  absorbaient 
nécessairement  une  portion  plus  ou  moins  considérable 
suivant  que  la  machine  est  plus  ou  moins  compliquée. 
Cette  notion  met  dans  tout  son  jour  l'absurdité  de  ce  qu'on 
a  appelé  le  mouvement  perpétuel,  en  indiquant  môme 
d'une  manière  générale  à  quel  instant  la  machine  aban- 
donnée à  sa  seule  impulsion  primitive  doit  s'arrêter  spon- 
tanément;  mais  cette  absurdité  est  d'ailleurs  de  sa  nature 
tellement  sensible,  qu'Huyghens  avait,  au  contraire,  fondé 
en  partie  sa  démonstration  du  théorème  des  forces  vives 
sur  révidence  manifeste  d'une  telle  impossibilité.  Quoi 
qu'il  en  soit,  ce  théorème  donne  une  idée  nette  de  la  véri- 
table perfection  dynamique  d'une  machine,  en  la  rédui- 
sant à  utiliser  la  plus  grande  fraction  possible  de  la  force 
vive  du  moteur,  ce  qui  ne  peut  avoir  lieu  généralement 
qu'en  s'efforçant  de  simpliûer  le  mécanisme  autant  que  le 
comporte  la  nature  du  moteur.  On  conçoit,  en  effet,  que,  si 
l'on  mesure,  comme  il  semble  naturel  de  le  faire,  l'effet 
dynamique  utile  d'un  moteur  en  un  temps  donné  par  le 
produit  du  poids  qu'il  peut  élever  et  de  la  hauteur  à  la- 
quelle il  le  transporte,  cet  effet  équivaut  immédiatement, 


TnÉORÈMES  DE  MÉCANIQUE  RATIONNELLE.  5Î8 

d'après  les  lois  du  mouvement  vertical  des  corps  pesants, 
à  une  force  vive,  et  non  à  une  quantité  de  mouvement. 
Sous  ce  point  de  vue,  la  fameuse  discussion  soulevée  par 
Leibnilz  au  sujet  des  forces  vives,  et  à  laquelle  prirent  part 
tous  les  grands  géomètres  de  celte  époque,  ne  doit  point 
être  regardée  comme  aussi  dépourvue  de  réalité  que  d'A- 
lembert  a  paru  le  croire.  On  s'était  sans  doute  mépris  en 
pensant  que  la  mécanique  rationnelle  était  intéressée  dans 
cette  contestation,  qui  ne  saurait  en  effet,  selon  la  remar- 
que de  d'Alembert,  exercer  sur  elle  la  moindre  influence 
réelle.  Le  point  de  vue  théorique  et  le  point  de  vue  pra- 
tique n'avaient  pas  été  assez  soigneusement  séparés  par  les 
géomètres  qui  suivirent  celte  discussion.  Mais,  sous  le  seul 
point  de  vue  de  la  mécanique  industrielle,  elle  n'en  avait 
pas  moins  une  véritable  importance.  Elle  pourrait  môme 
être  utilement  reprise  aujourd'hui,  car  les  objections  qui 
ont  été  faites  contre  la  mesure  vulgaire  de  la  valeur  dyna- 
mique des  moteurs  méritent  d'être  prises  en  sérieuse 
considération^  vu  qu'il  semble,  en  effet,  peu  rationnel  de 
prendre  pour  unité  un  mouvement  qui  n'est  point  uniforme. 
Mais^  quelque  décision  qu'on  flnisse  par  adopter  sur 
cette  contestation  non  terminée,  l'application  du  théorème 
des  forces  vives  n'en  conservera  pas  moins  toute  son  im- 
portance pour  montrer  sous  son  vrai  jour  la  destination 
réelle  des  machines,  en  prouvant  que  nécessairement  elles 
font  perdre  en  vitesse  ou  en  temps  ce  qu'elles  font  gagner 
en  force  ou  réciproquement,  de  telle  sorte  que  leur  utilité 
consiste  essenliellement  à  échanger  les  uns  dans  les  autres 
les  divers  facteurs  de  l'effet  à  produire^  sans  pouvoir  jamais 
l'augmenter  par  elles-mêmes  dans  sa  totalité,  et  en  lui 
faisant  constamment  subir  au  contraire  une  inévitable  di- 
minution, ordinairement  très-notable.  Il  est  douteux,  du 
reste,  que  l'application  de  ce  théorème  puisse  à  aucune 


i 


534  MATHÉMATIQUES. 

époque  ôtre  poussée  beaucoup  plus  loin  que  les  indications 
générales  de  ce  genre,  car  le  vérilable  calcul  à  priori  de 
relTet  précis  d'une  machine  quelconque  donnée  présente, 
comme  problème  de  dynamique,  une  trop  grande  compli- 
cation, et  exige  la  connaissance  exacte  d'un  trop  grand 
nombre  de  relations  encore  complètement  inconnues,  pour 
pouvoir  être  efficacement  tenté  dans  la  plupart  des  cas  (1). 

(1)  La  véritable  théorie  propre  de  la  mécanique  iDdustrieUe,  qai  n'est 
nullement,  ainsi  qu'on  le  croit  souvent,  une  simple  dérivation  de  la/>^o* 
ronomie  ou  néamoins  rationnelle,  et  qui  se  rapporte  &  un  ordre  d'idées 
complètement  distinct^  n'a  point  encore  été  conçue.  11  en  est,  à  cet  égard, 
comme  de  toute  tiutre  science  cTappiicHtion  dont  l'esprit  humain  ne  possède 
Jusqu'ici  que  quelques  éléments  insuffisants,  selon  la  remarque  indiquée 
dans  notre  seconde  leçon.  La  mécanique  industrielle,  abstraction  faite  de 
la  formation  des  moteurs,  qui  dépend  de  l'ensemble  de  nos  connaissances 
sur  la  nature^  se  compose  de  deux  classes  de  recherches  très-différentes, 
les  unes  dynamiques,  les  autres  géométriques.  Les  premières  ont  pour 
obj^t  la  détermination  des  appareils  les  plus  convenables,  afin  d'utiliser 
autant  que  possible  les  forces  motrices  données;  c'est-à-dire  d'obtenir 
entre  la  force  \ive  du  corps  à  mouvoir  et  celle  du  moteur  le  rapport  le 
pliis  rapproché  de  l'unité,  en  ayant  égard  aux  mortifications  exiguës  dans 
la  vitesse  par  la  destination  connue  de  la  machine.  Quant  aux  autres,  on 
s'y  propose  de  changer  à  volonté,  à  l'aide  d'un  mécanisme  convenable,  les 
lignes  décrites  parles  points  d'application  des  forces.  En  un  mot,  le  mou- 
vement est  modifié,  dans  les  unes,  quant  à  son  intensité  ;  dans  les  autres, 
quant  à  sa  direction.  Les  premières  se  rapportent  à  une  doctrine  entière- 
ment neuve,  au  sujet  de  laquelle  il  n'a  encore  été  produit  aucune  concep- 
tion directe  et  vraiment  rationnelle.  Il  en  est  à  peu  près  de  même  pour  les 
autres,  qui  dépendent  de  cette  géométrie  de  situation  entrevue  parLeib- 
nitz,  mais  qui  n'a  fait  jusqu'ici  presque  aucun  progrès.  Je  ne  connais,  à 
cet  égard,  d'autre  travail  réel  qu'une  ingénieuse  considération  élémen- 
taire présentée  par  Monge,  et  qui,  quoique  simplement  empirique,  mérite 
d'être  notée  ici,  ne  fût-ce  que  pour  indiquer  la  véritable  nature  de  cet 
ordre  d'idées. 

Monge  est  parti  de  cette  observation,  très-plansible  en  effet,  que,  dans 
la  réalité,  les  mouvements  exécutés  par  les  machines  sont  on  rectilignes 
ou  circulaires,  chacun  pouvant  être  d'ailleurs  ou  continu  ou  alternatif.  Il 
a,  dès  lors,  envisagé  toute  machine  comme  destinée,  sous  le  rapport  géo- 
métrique, à  transformer  ces  divers  mouvements  élémentaires  les  uns  dans 
les  autres.  Cela  posé,  en  épuisant  toutes  les  combinaisons  diverses  qa'noe 


THÉORÈMES  DE  MÉCANIQUE   RATIONNELLE.  5SS 

Le  mouvement  d'un  système  quelconque  présente  une 
autre  propriété  générale  très-remarquable,  quoique  moins 
importante^  soit  sous  le  rapport  analytique,  soit  surtout 
sous  le  rapport  physique,  que  celle  qui  vient  d'ôtre  exa- 
minée :  c'est  la  prospérité  exprimée  par  le  célèbre  théo- 
rème général  de  dynamique  auquel  Maupertuis  a  donné  la 
dénomination  si  vicieuse  de  principe  de  la  moindre  action, 

La  filiation  des  idées  au  sujet  de  cette  découverte  re- 
monte à  une  époque  très-éloignée,  car  les  géomètres  de 
l'antiquité  avaient  déjà  fait  quelques  remarques  qu'on  peut 
concevoir  aujourd'hui  comme  équivalentes  à  la  vérification 
de  ce  théorème  dans  le  cas  particulier  le  plus  simple.  Pto- 
lémée,  en  effet,  observe  expressément,  quant  à  la  loi  de  la 
réflexion  de  la  lumière,  que  par  la  nature  de  cette  loi,  la 
lumière,  en  se  réfléchissant,  se  trouve  suivre  le  plus  court 
chemin  possible  pour  parvenir  d'un  point  à  un  autre.  Lors- 
que Descartes  et  Snellius  curent  découvert  la  loi  réelle  de 
la  réfraction.  Fermât  rechercha  si  on  ne  pourrait  point  y 
arriver  à  priori  d'après  quelque  considération  analogue  à 
la  remarque  de  Ptolémée.  Le  minimum  ne  pouvant  alors 
avoir  lieu  relativement  à  la  longueur  du  chemin  parcouru, 
puisque  la  route  rcctiligne  eût  été  possible  dans  ce  cas. 
Fermât  présuma  qu'il  existerait  à  l'égard  du  temps.  Il  se 
proposa  donc,  en  regardant  la  route  de  la  lumière  comme 
composée  de  deux  droites  différentes^  séparées,  sous  un 
angle  inconnu,  à  la  surface  du  corps  réfringent^  quelle  de- 
telle  transformation  peut  offrir,  il  en  a  vu  résulter  nécessairement  dix  sé- 
ries d'appareils  dans  lesquelles  peuvent  être  rangées  toutou  les  machines 
connues,  ainsi  que  celles  qu'on  imaginera  plus  tard.  Les  tableaux  résul- 
tant de  cette  classification  peuvent  donc  être  envisagés  comme  présentant 
au  mécanicien  les  moyens  empiriques  de  résoudre,  dans  chaque  cas,  le 
problème  de  la  transformation  du  mouvement,  en  choisissant,  parmi  tous 
les  appareils  propres  à  remplir  la  condition  proposée,  celui  qui  présente 
d'ailleurs  le  plus  d'avantages. 


BS6  HATUÉMATIQUES. 

Tait  être  celle  direction  relative  pour  que  le  temps  employé 
par  la  lumière  dans  son  trajet  fût  le  moindre  possible,  et 
il  eut  le  bonheur  de  trouver  d'après  cette  seule  considé- 
ration une  loi  de  la  réfraction  exactement  conforme  à  celle 
directement  déduite  des  observations  par  Snellius  et  par 
Descartes.  Cette  belle  solution  est  d'ailleurs  éminemment  re- 
marquable dans  l'histoire  générale  des  progrès  de  l'analyse 
mathématique,  comme  ayant  offert  à  Fermât  la  première 
application  importante  de  sa  célèbre  méthode  de  maximis 
etmmimis,  qui  contient  le  véritable  germe  primitif  du  calcul 
dilTérentiel. 

La  comparaison  de  la  remarque  de  Ptolémée  avec  le 
travail  de  Fermât  envisagé  sous  le  point  de  vue  dynamique 
devint  pour  Maupertuis  la  base  de  la  découverte  du  théo- 
rème que  nous  considérons.  Quoique  égaré,  bien  plus  que 
conduit,  par  de  vagues  considérations  métaphysiques  sur 
la  prétendue  économie  des  forces  dans  la  nature,  il  finit 
par  arriver  à  ce  résultat  important,  que  la  trajectoire  d'un 
corps  soumis  à  l'action  de  forces  quelconques  devait  néces- 
sairement ôlre  telle,  que  l'intégrale  du  produit  de  la  vitesse 
du  mobile  par  l'élément  de  la  courbe  décrite  fût  toujours 
un  minimum,  relativement  à  sa  valeur  dans  toute  autre 
courbe.  Mais  Lagrange  est  avec  justice  généralement  re- 
gardé par  les  géomètres  actuels  comme  le  véritable  fonda- 
teur de  ce  théorème,  non-seulement  pour  l'avoir  généralisé 
autant  que  possible,  mais  surtout  pour  en  avoir  découvert 
la  véritable  démonstration  en  le  rattachant  aux  théories 
dynamiques  fondamentales,  et  en  le  dégageant  des  notions 
confuses  arbitraires  que  Maupertuis  avait  employées.  II 
ne  subsiste  maintenant  d'autre  trace  du  travail  de  Mauper- 
tuis que  le  jiom  qu'il  a  imposé  à  ce  théorème,  et  dont  l'im- 
propriété" est  universellement  reconnue,  quoique,  pour 
plu  i  de  brièveté,  on  ait  continué  à  s'en  servir.  Le  théorème, 


TnÉOBÈMES   DE    MÉCANIQUE  RATIONNELLE.  527 

tel  qu'il  a  été  établi  par  Lagrange  relativement  h  un  système 
quelconque  de  corps  consiste  en  ce  que,  quelles  que  soient 
leurs  attractions  réciproques,  ou  leurs  tendances  vers  des 
centres  fixes,  les  trajectoires  décrites  par  ces  corps  sont 
toujours  telles,  que  la  somme  des  produits  de  la  masse  de 
cbacun  d'eux,  et  de  l'intégrale  relative  à  sa  vitesse  multi- 
pliée par  l'élément  de  la  courbe  correspondante,  est  né- 
cessairement un  maximum  ou  un  minimumy  cette  somme 
étant  étendue  à  la  totalité  du  système.  Il  importe  d'ailleurs 
de  remarquer  que,  la  démonstration  de  ce  tbéorème  gé- 
néral étant  fondée  sur  le  tbéorème  des  forces  vives,  il  est 
inévitablement  assujetti  aux  mômes  limitations  que  celui-ci. 
Outre  la  belle  propriété  du  mouvement  contenue  dans 
celle  proposition  remarquable,  on  conçoit  que,  sous  le 
rapport  analytique,  elle  peut  être  envisagée  comme  un 
nouveau  moyen  de  former  les  équations  difTérenlielIes  qui 
doivent  conduire  à  la  détermination  dccbaque  mouvement 
spécial.  Il  sufOt,  en  effet,  conformément  à  la  méthode  gé- 
nérale des  maxima  et  minima  fournie  par  le  calcul  des  va« 
riations,  d'exprimer  que  la  somme  précédemment  indi- 
quée est  un  maximum  ou  un  minimum  (soit  absolu,  soit 
relatif  suivant  les  cas),  en  rendant  sa  variation  nulle.  La- 
grange  a  expressément  montré  comment,  d'après  cette 
seule  considération,  on  peut,  en  général,  retrouver  la  for- 
roule  fondamentale  de  la  dynamique.  Mais,  quelque  utile 
que  puisse  ôlre  en  certains  cas  une  telle  manière  de  pro- 
céder, il  ne  faut  point  s'exagérer  son  importance  ;  car  on 
ne  doit  pas  perdre  de  vue  qu'elle  ne  fournit  par  elle-même 
aucune  intégrale  finie  des  équations  du  mouvement;  elle 
se  borne  seulement  à  établir  ces  équations  d'une  autre 
manière,  qui  peut  quelquefois  ôlre  plus  convenable.  Sous 
ce  rapport,  le  théorème  de  la  moindre  action  est  certaine- 
ment moins  précieux  que  celui  des  forces  vives.  Quoi  qu'il 


518  M  ATD  ÉMATIQUES. 

en  soit,  il  convient  de  remarquer  ici  avec  Lagrange  que 
rensemble  de  ces  deux  théorèmes  peut  être  regardé,  en 
thèse  générale,  comme  surûsant  pour  Tenlière  détermina- 
tion du  mouvement  d'un  corps. 

Le  théorème  de  la  moindre  action  a  aussi  été  présenté 
par  Lagrange  sous  une  autre  forme  générale,  spécialement 
destiné''  à  rendre  plus  sensible  son  interprétation  concrète. 
En  effet,  Télément  de  la  trajectoire  pouvant  évidemment 
être  remplacé  dans  renoncé  de  ce  théorème  par  le  produit 
équivalent  de  la  vitesse  et  de  l'élément  du  temps,  le  théo- 
rème consiste  alors  en  ce  que  chaque  corps  du  système 
décrit  constamment  une  courbe  telle,  que  la  somme  des 
forces  \ives  consommées  en  un  temps  donné  pour  parvenir 
d'une  position  à  une  autre  est  nécessairement  un  maximum 
ou  un  minimum. 

L'histoire  philosophique  des  travaux  relatifs  au  théorème 
de  la  moindre  action  est  particulièrement  propre  à  mettre 
dans  tout  son  jour  l'insuTûsance  complète  et  le  vice  radi- 
cal des  considérations  métaphysiques  employées  comme 
moyens  de  découvertes  scientiflques.  On  ne  peut  nier  sans 
doute  que  le  principe  tbéologique  et  métaphysique  des 
causes  finales  n'ait  eu  ici  quelque  utilité,  en  contribuant 
dans  l'origine  à  éveiller  l'attention  des  géomètres  sur  cette 
importante  propriété  dynamique,  et  même  en  leur  four- 
nissant à  cet  égard  quelques  indications  vagues.  L'esprit  de 
ce  cours,  tel  que  nous  l'avons  déjà  expressément  signalé, 
et  tel  qu'il  se  développera  de  plus  en  plus  par  la  suite, 
nous  prescrit,  en  effet,  de  regarder,  en  thèse  générale,  les 
hypothèses  théologiques  et  métaphysiques  comme  ayant 
été  utiles  et  même  nécessaires  aux  progrès  réels  de  l'intel- 
ligence humaine,  en  soutenant  son  activité  aussi  long* 
temps  qu'a  duré  l'absence  de  conceptions  positives  d*une 
généralité  suffisante.  Mais,  alors  môme,  les  nombreux  in- 


THÉORéMES   DE  MÉCANIQUE    BATIONNELLE.  Stf 

coDvénients  fondamentaux  inhérents  à  une  telle  manière 
de  procéder  Yérifient  clairement  qu'elle  ne  peut  être  en- 
visagée que  comme  provisoire.  L'exemple  actuel  en  offre 
une  preuve  sensible.  Car,  sans  l'introduction  des  considé* 
rations  exactes  et  réelles  fondées  sur  les  lois  générales  de 
la  mécanique,  on  disputerait  encore,  ainsi  que  le  remarque 
Lagrange  avec  tant  de  raison,  sur  ce  qu'il  faut  entendre 
par  la  moindî^e  action  de  la  nature,  la  prétendue  économie 
des  forces  consistant  tantôt  dans  l'espace,  tantôt  dans  le 
temps,  et  le  plus  souvent  n'étant,  en  effet,  ni  l'une  ni  l'autre. 
Il  est  d'ailleurs  évident  que  cette  propriété  n'a  point  ce 
caractère  absolu  qu'on  avait  d'abord  voulu  lui  imposer, 
puisqu'elle  éprouve  dans  un  grand  nombre  de  cas  des  res* 
trictions  déterminées.  Mais  ce  qui  rend  surtout  manifeste 
le  vice  radical  des  considérations  primitives,  c'est  que, 
d'après  l'analyse  exacte  de  la  question  traitée  par  Lagrange, 
on  voit  que  l'intégrale  ci-dessus  définie  n'est  nullement 
assujettie  à  être  nécessairement  un  mnimum^  et  qu'elle 
peut,   au  contraire,  être  tout  aussi  bien  un  maxùnmmj 
comme  il  arrive  effectivement  en  certains  cas,  le  véritable 
théorème  général  consistant  seulement  en  ce  que  la  varia- 
tion de  cette  intégrale  est  nulle  :  que  devient  alors  l'éco- 
nomie des  forces,  de  quelque  manière  qu'on  prétende  ca- 
ractériser Vaction?  L'insuffisance  et  même  l'erreur  de 
l'argumentation  de  Maupertuis  sont  dès  lors  pleinement 
évidentes.  Dans  cette  occasion,  comme  dans  toutes  celles 
où  il  a  pu  jusqu'ici  y  avoir  concours,  la  comparaison  a 
expressément  constaté  la  supériorité  immense  et  néces- 
saire de  la  philosophie  positive  sur  la  philosophie  théolo- 
gique et  métaphysique,  non-seulement  quant  à  la  justesse 
et  à  la  précision  des  résultats  effectifs,  mais  même  quant 
à  l'étendue  des  conceptions  et  à  l'élévation  réelle  du  point 
de  vue  intellectuel. 

A.  GoMTi.  Tome  I.  S  4 


580  MATHÉMATIQUES.     ' 

Pour  compléter  cette  énumération  raisonnée  des  pro- 
priétés générales  du  mouvement,  je  crois  devoir  enfin 
signaler  ici  une  dernière  proposition  fort  remarquable, 
qu'on  ne  place  point  ordinairement  dans  la  même  caté- 
gorie que  les  précédentes,  et  qui  mérite  cependant,  à  un 
aussi  haut  degré,  de  fixer  notre  attention,  soit  par  sa  beauté 
intrinsèque,  soit  surtout  par  l'importance  et  l'étendue  de 
ses  applications  aux  problèmes  dynamiques  les  plus  dif- 
ficiles.  Il  s'agit  du  célèbre  théorème  général  découvert 
par  Daniel  Bernouilli,  sur  la  coexistence  des  petites  oscilla' 
tions.  Voici  en  quoi  il  consiste. 

Nous  avons  vu,  en  commençant  cette  leçon,  qu'il  existe, 
pour  tout  système  de   forces,  une  situation   d'équilibre 
sfablcy  celle  dans  laquelle  la  somme  des  forces  vives  est  un 
des  maximum,  suivant  la  loi  de  Maupertuis  généralisée  par 
Lngrange.  Quand  le  système  est  infiniment  peu  écarté  de 
celle  situation  par  une  cause  quelconque,  il  (end  à  y  re- 
venir, en  faisant  aulour  d'elle  une  suite  d'oscillations  in- 
finiment petites^  graduellement  diminuées  et  bientôt  dé- 
truites par  la  résistance  du  milieu  et  par  les  frottements,  et 
qu'on  peut  assimiler  à  celles  d'un  pendule  d'une  longueur 
convenable  soumis  à  l'influence  d'une  gravité  déterminée. 
Mais  plusieurs  causes  différentes  peuvent  faire  simultané- 
ment osciller  le  système  de  diverses  manières  autour  de 
la  position  de  stabilité.  Gela  posé,  le  théorème  de  Daniel 
Bernouilli  consiste  en  ce  que  toutes  les  espèces  d'oscilla- 
tions infiniment  petites  produites  par  ces  divers  dérange- 
ments simultanés,    quelle  que  soit  leur  nature,  ne  font 
simplement  que  se   superposer^   en  coexistant   sans   se 
nuire,  chacune  d'elles  ayapl  lieu  comme  si  elle  était  seule. 
On  conçoit  aisément  l'extrême  importance  de  cette  belle 
proposition  pour  faciliter  l'étude  d'un  tel  genre  de  mou- 
vements, puisqu'il  suffît  d'après  cela  d'analyser  isolément 


TUÉORÈMES  DE  MÉCANIQUE  RATIONNELLE.      581 

chaque  sorte  d 'oscillations  produites  par  chaque  perlurba- 
tion  séparée.  Cette  décomposition  est  surtout  de  la  plus 
grande  utilité  dans  les  recherches  relatives  au  mouvement 
des  fluides,  où  un  tel  ordre  de  considérations  se  présente 
presque  constamment.  Mais  la  propriété  découverte  par 
Daniel  Bernouilli  n'est  pas  moins  intéressante  sous  le  rap* 
port  physique  que  sous  le  point  de  vue  logique.  En  effets 
envisagée  comme  une  loi  de  la  nature,  elle  explique  direc- 
tement^ de  la  manière  la  plus  satisfaisante,  une  foule  de 
faits  divers,  que  l'observation  avait  depuis  longtemps  con- 
statés, et  qu'on  cherchait  vainementà  concevoir  jusqu'alors. 
Telle  est,  par  exemple,  la  coexistence  des  ondes  produites 
à  la  surface  d'un  liquide^  lorsqu'elle  se  trouve  agitée  à  la 
fois  en  plusieurs  points  différents  par  diverses  causes  quel- 
conques. Telle  est,  surtout  dans  l'acoustique,  la  simul- 
tanéité des  sons  distincts  produits  par  divers  ébranlements 
^e  Tair.  Cette  coexistence,  qui  a  lieu  sans  confusion  entre 
les  différentes  ondes  sonores,  avait  évidemment  été  souvent 
observée,  puisqu'elle  est  une  des  bases  essentielles  du  mé- 
canisme de  notre  audition  ;  mais  elle  paraissait  inexpli- 
cable; on  n'y  voit  plus  maintenant  qu'une  conséquence 
immédiate  du  beau  théorème  de  Daniel  Bernouilli. 

En  considérant  ce  théorème  sous  le  point  de  vue  le  plus 
philosophique,  on  ne  le  trouve  peut-être  pas  moins  remar- 
quable par  la  manière  dont  il  résulte  des  équations  géné- 
rales du  mouvement,  que  par  son  importance  analytique 
ou  physique.  En  effet,  cette  coexistence  des  divers  ordres 
d'oscillations  infiniment  petites  d'un  système  quelconque, 
autour  de  sa  situation  de  stabilité,  a  Heu  parce  que  l'équa- 
tion différentielle  qui  exprime  la  loi  de  l'un  quelconque  de 
ces  mouvements  se  trouve  être  linéaire^  et  conséquemment 
de  la  classe  de  celles  dont  l'intégrale  générale  est  néces- 
sairement la  simple  somme  d'un  certain  nombre  d'inté- 


5SS  MATBÉHATIQUES. 

grales  particulières.  Ainsi,  sous  le  rapport  analytique^  la 
superposition  des  divers  mouvements  oscillatoires  a  pour 
cause  l'espèce  de  superposition  qui  s'établit  alors  entre  les 
différentes  intégrales  correspondantes.  Cette  importante 
corrélation  est  certainement,  comme  l'observe  avec  raison 
Laplace,  un  des  plus  beaux  exemples  de  cette  harmonie 
nécessaire  entre  l'abstrait  et  le  concret,  dont  la  philoso- 
phie mathématique  nous  a  offert  tant  de  vériûcatioos  ad- 
mirables. 

Telles  sont  les  principales  considérations  philosophiques 
relatives  aux  différents  théorèmes  généraux  découverts 
jusqu'ici  dans  la  mécanique  rationnelle,  et  qui  tous  déri- 
vent, comme  de  simples  déductions  analytiques  plus  ou 
moins  éloignées,  des  lois  fondamentales  du  mouvement 
sur  lesquelles  repose  le  système  entier  de  la  science  phoro- 
nomique.  L'examen  sommaire  de  ces  théorèmes,  dont 
l'ensemble  constitue  un  des  monuments  les  plus  impesants 
de  l'activité  de  l'intelligence  humaine  convenablement  di- 
rigée, était  indispensable  pour  achever  de  déterminer  le 
caractère  philosophique  de  la  science  de  l'équilibre  et  dn 
mouvement,  déjà  suffisamment  tracé  dans  les  leçons  précé- 
dentes, à  regard  delà  méthode.  Nous  pouvons  donc  main- 
tenant nous  former  nettement  une  idée  générale  de  la 
nature  propre  de  cette  seconde  branche  de  la  mathéma- 
tique concrète,  ce  qui  devait  être  le  seul  objet  essentiel  de 
notre  travail  à  ce  sujet. 

Je  me  suis  efforcé,  dans  ce  volume,  de  faire  sentir,  au- 
tant qu'il  a  été  en  mon  pouvoir,. en  quoi  consiste  réelleiDent 
la  philosophie  mathématique^  soit  quant  à  ses  conceptions 
abstraites,  soit  quant  à  ses  divers  ordres  de  considérations 
concrètes,  soit  enfin  quant  à  la  corrélation  intime  et  per- 
manente qui  existe  nécessairement  entre  les  unes  et  les 


THÉORÈMES  DE  MJÉCANIQUB   RATIONNELLE.  538 

autres.  Je  regrette  vivement  que  les  limites  dans  lesquelles 
j'ai  dû  me  renfermer,  vu  la  destination  de  cet  ouvrage,  ne 
m'aient  point  permis  de  faire  passer,  autant  que  je  l'aurais 
désiré,  dans  l'esprit  du  lecteur  mon  sentiment  profond  de 
la  nature  de  cette  immense  et  admirable  science,  qui,  base 
nécessaire  de  la  pbilosopbie  positive  tout  entière,  constitue 
d'ailleurs  évidemment,  en  elle-même,  le  témoignage  le 
plus  irrécusable  de  la  portée  du  génie  humain.  Mais  j'es- 
père que  les  penseurs  qui  n'ont  pas  le  malheur  d'être  en- 
tièrement étrangers  à  celte  science  fondamentale  pourront, 
d'après  les  réflexions  que  j'ai  indiquées,  parvenir  à  en  con- 
cevoir nettement  le  véritable  caractère  philosophique. 

Pour  présenter  un  aperçu  vraiment  complet  de  la  philo- 
sophie mathématique  dans  son  état  actuel,  j'ai  indiqué 
d'avance  (voyez  la  troisième  Leçon)  qu'il  me  reste  encore  à 
considérer  une  troisième  branche  de  la  mathématique  con- 
crète, celle  qui  consiste  dans  l'application  de  l'analyse  à 
l'étude  des  phénomènes  thermologiques,  dernière  grande 
conquête  de  l'esprit  humain,  due  à  l'illustre  ami  dont  je 
déplore  la  perte  récente,  l'immortel  Fourier,  qui  vient  de 
laisser  dans  le  monde  savant  une  si  profonde  lacune,  long- 
temps destinée  à  être  de  jour  en  jour  plus  fortement  sentie. 
Mais,  afin  de  ne  m'écarter  que  le  moins  possible  des  habi- 
tudes encore  universellement  adoptées,  j'ai  annoncé  que  je 
croyais  devoir  ajourner  cet  important  examen  jusqu'à  ce 
que  l'ordre  naturel  des  considérations  exposées  dans  cet 
ouvrage  nous  ait  conduits  à  la  partie  de  la  physique  qui 
traite  de  la  thermoiogie.  Quoiqu'une  telle  transposition  ne 
soit  point  véritablement  rationnelle,  il  n'en  saurait  résulter 
cependant  qu'un  inconvénient  secondaire,  l'appréciation 
philosophique  que  je  présenterai  ayant  d'ailleurs  exacte- 
ment le  même  caractère  que  si  elle  eût  été  placée  à  son 
véritable  rang  logique. 


534  MATHÉMATIQUES. 

Considérant  donc  maintenant  la  philosophie  mathéma- 
tique comme  complètement  caractérisée,  nous  devons  pro- 
céder à  Texamen  de  son  application  plus  ou  moins  parfaite 
à  l'étude  des  divers  ordres  de  phénomènes  naturels,  suivant 
leur  degré  de  simplicité,  application  qui,  par  elle-même, 
est  d'ailleurs  évidemment  propre  à  jeter  un  nouveau  jour 
sur  les  vrais  principes  de  cette  philosophie,  et  sans  la- 
quelle, en  effet,  ils  ne  sauraient  être  convenablement  ap- 
préciés. Tel  sera  l'objet  du  volume  suivant,  en  nous  confor- 
mant à  l'ordre  encyclopédique  rigoureusement  déterminé 
dans  la  seconde  leçon,  d'après  la  nature  spéciale  de  cha- 
cune des  classes  principales  de  phénomènes  que  nous  avons 
établies,  et,  par  conséquent,  en  commençant  par  les  phé- 
nomènes astronomiques,  à  l'étude  approfondie  desquels  la 
science  mathématique  est  éminemment  destinée. 


FIN   ou  TOME    PREMIER. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


CONTENUES  DANS  LE  TOME  PREMIER 


(Préllmlnalrei  ^teéravz  et  philosophie  mathématlqae) 


PnKFACK  d'i'n  DISCIPLE,  par  E.  Littré > 

Table  alphabétique  des  matières u 

DÉDICACE 1 

AVEBTISSEMENT  DE  L*ADTEOK 3 

Tableau  synoptique  de  l'ensemble  du  cours  de  philosophie  positive.        7 

r<-  LEÇON.  —  Eiposition  du  but  de  ce  cours,  ou  considérations 
générales  sur  la  nature  et  l'importance  de  la  phi- 
losophie positive 7 

11'  LEÇON.  —  Exposition  du  plan  de  ce  cours,  ou  considérations 

générales  sur  la  hiérarchie  des  sciences  positives.      4  7 

III'   LEçoiv.  —  Considérations  philosophiques  sur  l'ensemble  de 

la  science  mathématique 80 

i\''  LEÇON.  —  Vue  générale  de  l'analyse  mathématique 123 

V  LEi^o\.  —  Considérations  générales  sur  le  calcul  des  fonc- 
tions directes • 147 

vi>  LEÇON.  —  Exposition  comparative  des  divers  points  de  vue 

généraux  sous  lesquels  on  peut  envisager  le  cal- 
cul des  fonctions  indirectes 1C7 

vii«-  LEÇON.  —  Tableaa  général  du  calcul  des  foDctloni  indirectes.    200 
VI II**  LEÇON.  —  Gontidérations  générales  sur  le  calcul  des  varia- 
tions     231 

IX''  LEÇON.  —  CoDsidéntiona  générales  sur  le  calcul  aux  difT- 

rences  finies 24: 


586  TABLE  DBS  MATIÈRES  DU  TOME   PEBMŒR. 

x«  LEÇON.  —  Vue  générale  de  Ift  géométrie 2S6 

xii'  LEÇOM.  —  Considérationsgéoéralestur  la  géométrie  «js^ïo/^ 

ou  préliminaire 290 

xii«  LEÇON.  —  Conception  fondamentale  de  la  géométrie  générale 

ou  analytique 312 

xiii«  LEÇON.  —  De  la  géométrie  générale  à  deux  Amnaions. ...  S41 

xiv«  LEÇON.  —  De  la  géométrie  générale  à  trois  dimenaiont 97t 

xv<!  LEÇON.  —  Considérations  philosophiques  sur  les  principes 

fondamentaux  de  la  mécanique  rationnelle. ...  391 

xvie  LEÇON.  —  Vue  générale  de  la  statique 424 

xvii«  LEÇON.  —  Vue  générale  de  la  djmamiqtie. 4M 

xviii«  LEÇON.  —  Considérations   sur  les    théorèmes  généraux  de 

mécanique  rationnelle SOO 


FIN  DE  LA  TABLE  DES  UATlkRBS  OD  TOME  PREMIER. 


CoEBEiL.  —  Typ.  et  ttér.  d«  CaixÉ. 


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DATE  DUE                                   1 

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