Skip to main content

Full text of "Crime passionnel! Pièce en un acte"

See other formats


i:cxi:i-L-fcs^ 


Crime  passionnel! 

PIÈGE    EN    UN    ACTE 

Représentée  pour  la  première  fois,  à  Monte-Carlo,  sur  le  tbéâtre  des 
Biaux-Arts,  le  3  février  1908. 


DU  MEME  AUTEUR 


Vingt  Jours  à  l'ombre,  piècfi  en  trois  actes. 

Vous  n'avez  rien  à  déclarer?,  pièce  en  trois  acies. 

Florette  et  Patapon,  pièce  en  trois  actes. 

Le  Gant,  pièce  en  un  acte. 

La  Gueule  du  loup,  comédie  en  trois  actes. 

Les  Dragées  d'Hercule,  pièce  en  trois  actes. 

Heureuse!  comédie  en  trois  actes. 

M' amour,  comédie  en  trois  actes. 

Nelly  Rozier,  comédie  en  trois  actes. 

La  famille  Boléro,  pièce  en  trois  actes. 

Le  Paradis,  pièce  en  trois  actes. 

Monsieur  Irma,  comédie  en  un  acte. 

La  Guerre  joyeuse,  opéra-comique  en  trois  actes. 

Le  Marquis  de  Kersalec,  comédie  en  un  acte. 

Les  Vacances  du  mariage,  comédie  en  trois  actes 

Les  Oiseaux  de  passage,  comédie  en  un  acte. 

Un  Mariage  au  téléphone,    —  — 

Un  P)'ix  Montyon,  comédie  en  trois  actes. 

La  Petite  Poucelte,  opérette  en  cinq  actes. 

Le  Système  Ribadier,  comédie  en  trois  actes. 

La  Femme  du  commissaire,  vaudeville  en  trois  actes. 

Les  Joies  du  foyer,  comédie  en  trois  actes. 

Le  5°"=  Hussards,  opéra-comique  en  trois  actes. 

Les  Ricochets  de  l'amour,  comédie  en  trois  actes. 

Inviolable  !  —  '  — 

Sa  Majesté  l'Amour,  opérette  en  trois  actes. 

Le  Terre-Neuve,  comédie  en  trois  actes. 

Les  Fêtards,  opérette  on  trois  actes. 

Place  aux  Femmes!  comédie  en  quatre  actes. 

La  Poule  Blanche,  opérette  en  quatre  actes. 

Coralie  et  C'«,  pièce  en  trois  actes. 

Le  Remplaçant,  comédie  en  trois  actes. 

Le  Coup  de  Fouet,  comédie-vaudeville  en  trois  actes. 

Le  Voyage  autour  du  Code,  pièce  en  quatre  actes. 

Totale  et  Boby,  comédie  en  un  acte. 


MAURICE  HENNEQUIN 

Crime 


passionnel  ! 


PIÈCE  EN  UN  ACTE 


PARIS.  -  P^ 
P.-V.   STOCK,   ÉDITEUR 

(Ancienne  Librairie   TKESSE  «Se   STOCK) 

l55,    RUE    SAINT-HONORÉ,     l55 

Devant  le  Théâtre-Français 
1908 

Ions  droits  de  rcproduclion,  de  traduction  et  d'analyse  réservés  pour  tous 
les  pays,  y  compris  la  Suède  et  la  Norvège. 


^SONVÎAGES 

GRIZÏÏE'Tn^^^Tt  ....  MM.  Berthelier. 

THOMERY .  Launay. 

BLANCHE M"  Suzanne  Garlix. 

FLIPOTE Garon. 


A  Paris,  de  nos  jours. 


A  Mademoiselle  Suzanne  CARLIX, 
Affectueux  hommae^ 


CRIME  PASSIONx\EL! 


Un  salon.  Portes  au  fond  et  à  droite;  à  gauche  une  chemi- 
née; à  droite  une  table;  canapé  à  gauche,  au  fond,  un  peu  à 
gauche,  une  fenêtre.  —  Fauteuils,  chaises,  etc.. 


SCÈNE   PREMIÈRE 
BLANCHE,  FLIPOTE. 

Au  lever  du  rideau  la  scène  est  vide.  —  Entre  Blanche  par 
le  fond.  —  Elle  sonne,  puis  va  devant  la  glace  et  ôte  son 
chapeau.   —  Flipote  entre  par   la  droite. 

BLAXGHE. 

Flipote. 

FLIPOTE. 

Madame  ? 

BLANCHE. 

Sais-tu  d'où  je  viens  ? 

FLIPOTE. 

Madame  vient  de  chez  sa  couturière,   de  chez  sa 
modiste,  ou  bien... 

BLANCHE. 

Non,  non,  ne  cherche  pa'^,  je  viens  de  chez  deux 
somnambules. 


8  CRIME    PASSIONNEL 

FLIPOTE. 

Madame  est  allée  consulter  ? 

BLANCHE. 

Oui,  Flipote.  Et  sais-tu  pourquoi  j'ai  été  consul- 
ter deux  somnambules  extra-lucides? 

FLIPOTE. 

Mon  Dieu... 

BLANCHE. 

Parce  que  je  suis  incapable  de  prendre  une  déci- 
sion... Rien  que  cette  idée  me  bouleverse  ! 

Elle  s'assied  sur  le  canapé. 
FLIPOTE. 

Il  y  a  des  natures  comme  ça! 

BLANCHE. 

Hélas!...    Flipote,  si  tu  étais   veuve,    lequel  des 
deux  choisirais-tu? 

FLIPOTE. 

Ah!  les  deux  soupirants  de  madame  ! 

BLANCHE. 

Oui,  M.  Georges  Thomery  et  M.  Edouard  Grizol. 

FLIPOTE. 

Deux  amis   qui  tombent   amoureux  de   la  même 
femme  ! 

BLANCHE. 

Et  qui  ne  se  sont  pas  brouillés! 

FLIPOTE. 

Rivaux  et  amis,  comme  ils  disent! 

BLANCHE. 

Voyons,  lec^uel  épouserais-tu  ? 


CRIME    PASSIONNEL  9 

FLIPOTE. 

Dame!  je  ne  sais  pas,  je  flotte. 

BLANCHE. 

Et  moi  aussi,  je  flotte,  Flipote,  et  je  ne  peux  pas 
flotter  éternellement  comme  ça,  ainsi  qu'un  bou- 
chon au  bout  d'une  ligne  !  Ce  n'est  pas  une  solu- 
tion, même  pour  une  veuve  ! 

FLIPOTE. 

C'est  évident,  madame. 

BLANCHE. 

Certes,  M.  Georges  Thomery  est  un  homme  char- 
mant... 

FLIPOTE. 

Avec  une  jolie  moustache  blonde  en  croc. 

BLANCHE. 

Il  est  élégant,  spirituel,  enfin  il  me  plait  infini- 
ment. 

FLIPOTE. 

.    S'il  plait  infiniment  à  madame! 

BLANCHE. 

Malheureusement,  M.  Edouard  Grisol  me  plait 
tout  autant. 

FLIPOTE. 

Aïe  !  Aïe  ! 

BLANCHE. 

Il  est  aimable,  lui  aussi,  et  spirituel,  et  élégant. 

FLTPOTE. 

Et  puis,  il  a  une  jolie  moustache  brune  frisée. 

BLANCHE. 
Oui!  (se    levant  et  passant  à  droite.)  Voilà  donc  pour- 

1. 


10  CRIME    PASSIONNEL 

quoi,  ne  sachant  où  donner  du  cœur,  je  suis  allée 
trouver  madeinoiselle  Marguerite,  somnambule 
extra-lucide. 

FLIPOTE. 

63,  rue  d'Amsterdam. 

BLANCHE. 

C'est  bien  ça!  Tu  la  connais  donc  ? 

FLIPOTE. 

J'ai  été  la  consulter  la  semaine  dernière  pour  sa- 
voir si  le  valet  de  chambre  du  premier  ne  me 
trompait  pas  avec  la  cuisinière  du  troisième...  Et 
qu'a-t-elle  répondu  à  madame  ? 

BLANCHE. 

Elle  m'a  répondu  :  «  N'hésitez  pas,  ma  petite, 
choisissez  le  blond.  » 

FLIPOTE. 

M.  Thomery! 

BLANCHE. 

«  Lui  seul  vous  rendra  heureuse!  »  Et  je  nf'en 
allais,  bien  décidée  à  suivre  son  conseil,  lorsque  la 
concierge  m'a  arrêtée  au  passage  :  «  Madame  vient 
de  chez  mademoiselle  Marguerite?...  Oui!...  Ah! 
madame,  aucun  savoir!  une  vraie  mazette!  Il  n'y  a 
qu'une  somnambule  qui  suit  vraiment  extra-lucide, 
dans  le  quartier,  c'est  uiademoiselle  Augusta!  » 

FLIPOTE. 

En  face,  au  08  ! 

BLANCHE. 

Gomment!  Tu  y  es  donc  allée  aussi? 

FI,IPOTE. 

Oui,  madame,  seulement  moi,  c'est  par  made- 
moiselle Augusta  que  j'ai  commencé. 


CRIME    PASSIONNEL  11 

BLAXCHE. 

Et  qui  t'a  envoj'é  chez  mademoiselle  Margue- 
rite? 

FLIPÛTE. 

La  concierge  de  mademoiselle  Augusta. 

BLANCHE. 

Non? 

FLIPOTE. 

En  me  disant  textuellement  de  sa  locataire  ce 
que  la  concierge  de  mademoiselle  Marguerite  vous 
a  dit  de  la  sienne! 

BLANCHE,  riant.  '  "     , 

Ces  dames  se  renvoient  leurs  clients! 

FLIPOTE. 

Ah!  madame!  à  qui  se  fier  désormais  si  les  som- 
nambules s'entendent  pour  rouler  le  pauvre  monde  ! 

BLANCHE. 

Nous  vivons  à  une  triste  époque! 

Elle    s'assied    à    gauche  de   la    table,    Flipote    gagne  la 
droite  en  passant  derrière  la  table. 

FLIPOTE. 

Oh  !  ça  !  Et  qu'est-ce  que  mademoiselle  Augusta 
a  répondu  à  madame  ? 

BLANCHE. 

Elle  m'a  répondu  :  «  N'hésitez  pas,  ma  petite, 
choisissez  le  brun.  » 

FLIPOTE. 

M.  Grizol! 

BLANCHE. 

«  Lui  seul  vous  rendra  heureuse.  » 


12  CRIME    PASSIONNEL 

FLIPOTE. 

Et  madame  n'est  pas  plus  avancée? 

BLANCHE. 

Hélas! 

FLIPOTE. 

Et  ces  messieurs  s'impatientent? 

BLANCHE, 

Dame  !  ils  voudraient  être  fixés. 

FLIPOTE. 

C'est  tout  naturel. 

BLANCHE. 

Moi,  je  resterais  volontiers  dans  cette  indécision; 
c'est  charmant,  tu  sais,  le  veuvage. 

FLIPOTE. 

On  est  courtisée,  choyée,  adulée. 

BLANCHE. 

Sans  avoir  à  craindre  les  remontrances  d'un  ja- 
loux. 

FLIPOTE. 

C'est  l'idéal  pour  une  personne  coquette. 

BLANCHE. 

Et  quelle  est  la  femme  qui  n'est  pas  un  peu  co- 
quette?. 

FLIPOTE. 

Quel  est  l'homuie  qui  n'est  pas  un  peu  très  égoïste? 

BLANCHE. 

Ce  sont   là  deux  phénomènes  qui  n'existent  pas! 

FLIPOTE. 

Pas  plus  chez  les  domestiques  que  chez  les  maî- 
tres. Et  quand  madame  doit-ollc  rendre  à  ces  mes- 
sieurs une  réponse  définitive  ? 


CRIME    PASSIONNEL  13 

BLANCHE. 

Aujourd'hui  à  trois  lieures. 

FLIPOTE. 

Et  il  est  trois  heures  moins  le  quart  ! 

BLANCHE. 

Plus  que  quinze  minutes  pour  prendre  une  déci- 
sion !...  Quel  dommage  qu'on  ne  puisse  pas  épouser 
deux  hommes  à  la  fois  ! 

FLIPOTE. 

En  effet  cela  arrangerait  tout! 

BLANCHE. 

L'un  aurait  les  jours  pairs,  l'autre  les  jours  im- 
pairs ! 

FLIPOTE. 

Pendant  que  celui-ci  serait  en  fonction,  celui-là 
irait  relayer! 

BLANCHE. 

Et  les  maris,  se  reposant  un  jour  sur  deux,  résis- 
teraient davantage  ! 

FLIPOTE. 

Tout  le  monde  y  trouverait  son  compte  ! 

BLANCHE. 

Oui,  mais  puisque  c'est  impossible,  ne  nous  arrê- 
tons pas  à  cette  idée-là.  Ah!  Flipote,  que  faire? 
donne-moi  un  conseil!... 

FLIPOTE. 

Mon  Dieu,  madame,  c'est  assez  délicat... 

BLANCHE. 

Si  tu  étais  à  ma  place  pourtant? 

FLIPOTE. 

Si  j'étais  à  la  place  de  madame,  enfin  si  j'hésitais 


14  CRIME    PASSIONNEL 

entre  les  deux,  eh  bien,  je  soumettrais  ces  messieurs 
à  une  épreuve. 

BLANCHE. 

Une  épreuve  ? 

FLIPOTE. 

Gomme  je  ne  sais  plus  dans  quelle  comédie,  et  ma 
main  appartiendrait  au  vainqueur. 

BLANCHE, 

Mais  oui,  tu  as  raison!  Ton  idée  est  excellente! 
Une  épreuve!  Ah!  Flipote,  tu  es  une  fille  précieuse  ! 

FLIPOTE,  modeste. 

J'ai  servi  autrefois  chez  une  actrice,  et  je  connais 
le  répertoire,  voilà  tout  ! 

BLANCHE. 

Et  dans  le  cas  présent,  ton  ancienne  maîtresse  eût 
agi  de  même  sans  doute? 

FLIPOTE. 

Oh!  madame,  elle  ne  se  serait  pas  donné  tant  de 
mal  ;  elle  aurait  pris  n'importe  lecjuel  de  ces  mes- 
sieurs comme  mari  et  elle  aurait  gardé  l'autre 
comme  amant! 

BLANCHE. 

Oui,  c'est  ce  qu'on  appelle  garder  une  poire  pour 

la  soif,   (coup  de  sonnette  à  la  cantonade.)  On  a  SOnné. 
FLIPOTE. 

Ces  messieurs  sans  doute...  Je  vais  ouvrir...  (sor- 
tant par  le  fond  ot  à  part.)  Ah!  les  maîtres,  si  les  do- 
mestiques n'étaient  pas  là! 


CRIME    PASSIONNEL  15 


SCENE   II 
BLANCHE,  puis  THOMERY,  et  GRIZOL. 

BLANCHE,  seule,   gageant  la  droite. 

Une  épreuve,  oui,  mais  quelle  épreuve...  J'aurais 
dû  demander  à  Flipote,  elle  connaît  le  répertoire!... 
Si  je...  non...  ce  moyen  ne  vaut  rien...  (Frappée  d'une 
idée.)  Ah  !  j'ai  trouvé!...  Oui!  c'est  ça!... 

Paraissent  au  fond  ïhomery  et  Grizol,  tenant  chacun  un 
bouquet  de  rose  à  la  main,  ils  s'arrêtent  sur  le  seuil 
de  la  porte. 

THOMERY,    très    aimable. 

Passez,  mon  cher  Grizol  ! 

GRIZOL,   même  jeu. 

Je  n'en  ferai  rien,  mon  cher  Thomery. 

THOMERY. 

Après  vous,  je  vous  prie  ! 

GRIZOL. 

N'insistez  pas,  vous  me  désobligeriez. 

THOMERY. 

Cependant... 

GRIZOL. 

Je  vous  assure  ! 

THOMERY. 

Ensemble,  alors? 

GRIZOL. 

Ensemble! 

Ils   entrent  en  môme  temps. 


16  CRIME    PASSIONNEL 

BLANCHE,  à  part,  les   regardant. 

Et  dire  que  je  n'ai  aucune  préférence. 

THOMERY  et  GRIZOL,  d'un  pas  égal  se  dirigent  vers 
Blanche,  celle-ci  leur  tend  les  mains  et  Grizol  baise  la 
main  droite  de  Blanche  tandis  que  Thomery  baise  la  main 
gauche,  puis  ensemble,  offrant  leurs  bouquets. 

Permettez-moi,  de  vous  offrir  ces  fleurs. 

BLANCHE,   prenant  les  bouquets  qu'elle  pose  sur    la  table. 

Merci  !  vous  me  gâtez  tous  les  deux  !  Elles  embau- 
ment ! 

THOMERY. 

Elles  viennent  de  chez  la  même  Ueuriste. 

GRIZOL. 

Chaque  jour  nous  lui  commandons  deux  bouquets 
absolument  semblables. 

BLANCHE,  riant. 

Afin  qu'il  n'y  ait  pas  de  jaloux  ! 

GRIZOL. 

Voilà  ! 

THOMERY. 

Si  le  ciel  a  voulu  que  deux  amis... 

GRIZOL. 

Deux  amis  très  chers. . . 

THOMERY. 

Tombent  amoureux  de  la  même  femme... 

GRIZOL. 

Du  moins  la  lutte  fut-elle  égale  ! 

BLANCHE,  approuvant. 

Oh!  ça! 

THOMERY. 

Chevaleresque. 


CRIME    PASSIONNEL  17 

BLANCHE,  même  jeu. 

Oh  !  ça  ! 

GRIZOL. 

Georges  Thomery  est  le  plus  loyal  des  hommes. 

THOMERY. 

Edouard  Grizol  est  la  loyauté  môme  ! 

GRIZOL. 

C'est  un  cœur  d'or  ! 

THOMERY. 

C'est  une  âme  d'élite  ! 

GRIZOL. 

Rivaux  I 

THOMERY. 

Mais  amis! 

BLANCHE,  à  part. 

Ils  sont  vraiment  gentils  tous  les  deux.  (Leur  indi- 
quant un  siège,  et  prenant  la  chaise  qui  est  derrière  la  ta- 
ble.) Asseyez-vous!... 

GRIZOL   et  THOMERY,  ensemble. 

Volontiers  ! 

On   s'asseoit.  Blanche   au  milieu. 
THOMERY. 

Ma  chère  Blanche... 

GRIZOL. 

Ma  Blanche  chère. 

THOMERY. 

Nous  voilà  tous  les  deux  devant  vous. 

GRIZOL. 

Emus,  anxieux... 


18  GRIME   PASSIONNEL 

THOMERY. 

En  l'attente  d'une  réponse... 

GRIZOL. 

Qui  doit  faire  de  l'un  de  nous  le  plus  heureux  des 
hommes... 

THOMERY. 

Et  de  l'autre  le  plus  malheureux  ! 

BLANCHE. 

Mes  amis... 

GRIZOL,  vivement,  l'interrompt. 

Non!  non!  ne  parlez  pas  encore! 

THOMERY. 

Celui  que  ne  sera  pas  l'élu  de  votre  cœur... 

GRIZOL,  avec  émotion. 

S'éloignera  d'ici... 

THOMERY,  même  jeu. 

Sans  colère  et  sans  haine  ! 

GRIZOL. 

Il  partira  pour  un  long  voyage. 

THOMERY. 

Le  tour  du  monde  ! 

GRIZOL. 

Et  à  chaque  escale... 

THOMERY. 

H'-^ous  enverra  des  cartes  postales  qu'il  arrosera 
de  ses  larmes  ! 

GRIZOL. 

Et  maintenant,  i)arlez  Blanche! 

THOMEIIY. 

Blanche,  parlez! 


CRIME    PASSIONNEL  19 

BLANCHE. 

Eh  bien!... 

GRIZOL,  montrant  Thomery  et  se  levant. 

C'est  lui? 

BLANCHE. 

Non! 

THOMERY,  même  jeu. 

C'est  lui,  alors  ? 

BLANCHE. 

Non  plus  ! 

GRIZOL. 

Comment  !  ce  n'est  ni  lui,  ni  moi  ? 

THOMERY. 

Serait-ce  un  troisième  ? 

BLANCHE,  se  levant. 

Non  mes   amis,  non  !    (on  se  rassied.)  Seulement, 
voilà,  je  ne  me  suis  pas  encore  décidée. 

THOMERY. 

Gomment!  malgré  votre  parole... 

GRIZOL. 

De  nous  dire  aujourd'hui  à  3  heures,   lequel  des 
deux?... 

BLANCHE,  l'interrompant. 

Eh  !  oui,  je  sais  !  Mais,  si  j'hésite  toujours,  n'est- 
ce  pas  un  peu  votre  faute  à  tous  les  deux?... 

THOMERY'  et  GRIZOL. 

Notre  faute  ? 

BLANCHE. 

Certes  !  chaque  fois  que  vous  venez  seul  ici,  mon 
cher  Grizol,  c'est  pour  me  dire  du  bien  de  M.  Tho- 


20  CRIME    PASSIONNEL 

mery,  pour  me  vanter  ses  qualités,  sa  bonté,  sa 
loyauté  ;  et  vous,  mon  cher  Thomery,  vous  ne  cessez 
de  meparler  deM.  Grizol en  des  termes  chaleureux, 
enthousiastes! 

GRIZOL. 

Rivaux  ! 

THOMERY. 

Mais  amis  ! 

BLANCHE. 

Je  sais  !  Mais  aussi  qu'arrive-t-il  ?  Lorsque  je  suis 
avec  l'un  de  vous,  c'est  toujours  à  l'autre  que  je 
pense,  et  je  ne  peux  me  décider  à  choisir  entre  le 
cœur  d'or  et  l'âme  d'élite! 

THOMERY. 

Mais  notre  situation  ne  peut  pourtant  pour  s'éter- 
niser ! 

BLANCHE. 

Elle  ne  le  peut  pas,  c'est  certain. 

GRIZOL. 

Tout  plutôt  que  cette  incertitude! 

THOMERY, 

Si  vous  saviez  à  quel  point  je  vous  aime  ! 

BLANCHE. 

Je  le  sais  ! 

GRIZOL. 

Combien  je  vous  adore  ! 

BLANCHE. 

Je  le  sais  aussi  ! 

THOMERY,  montrant  Grizol. 

Il  n'en  dort  plus,  le  nialheureux  ! 


CRIME    PASSIONNEL  2\ 

BLANCHE,  appitoj'ée. 

Oh! 

GRIZOL,  montrant  Thomery. 

Il  en  a  perdu  l'appétit,  le  pauvre  1 

BLANCHE,  même  jeu  que  plus  haut. 

Oh! 

THOMERY,  montrant  Grizol. 

Les  nuits,  il  les  passe  à  se  promener  de  long  en 
large  dans  sa  chambre  en  murmurant  (D'une  voix 
douce.)  Blanche  !  Blanche!  Blanche! 

BLANCHE,  émue. 

C'est  vrai  ? 

GRIZOL,  montrant  Tliomery. 

Et  lui.  Madame  il  le  murmure  également  toutes 
les  nuits,  ce  nom  si  doux  :  (criant.)  Blanche!  Blan- 
che !  Blanche! 

BLANCHE,  émue. 

Lui  aussi! 

GRIZOL. 

Et  VOUS  voudriez   remettre  encore  à  huit  jours? 

BLANCHE,  se  levant. 

Non! 

GRIZOL   et  THOMERY,   ensemble  se  lovant. 

Enfin! 

BLANCHE. 

Seulement! 

GRIZOL, 

Seulement  ? 

THOMERY, 

.Seulement  ? 


22  CRIME    PASSIONNEL 

BLANCHE. 

Ne  pouvant  me  décider  à  choisir  entre  vous  deux. . . 

GRIZOL  et  THOMERY. 

Eh  bien  ? 

BLAXGHE. 

Ma  main  sera  à  celui  qui,  avant  que  sonnent  3 
heures,  m'aura  donné  la  plus  grande  preuve  d'amour 
qu'un  homme  puisse  donner  à  une  femme. 

THOMERY. 

Par  exemple  ! 

GRIZOL. 

La  plus  grande  preuve  d'amour  ? 

BLANCHE, 

Qu'un  homme  puisse  donner  à  une  femme. 

THOMERY. 

Mais  il  est  3  heures  moins  cinq  ! 

BLANCHE. 

Vous  avez  donc  cinq  minutes. 

GRIZOL  et  THOMERY. 

Cinq  minutes  ! 

BLANCHE. 

Je  vous  laisse...  Je  vais  mettre  ces  Heurs  dans 
mon  boudoir  (Elle  prend  les  doux  bouquets.)  Cherchez, 
réfléchissez...  mais  ne  perdez  pas  de  temps,  vous 
n'avez  que  cinq  minutes. 

GRIZOL   ol  THOMERY. 

Cinq  minutes  ! 

BLANCHE. 

A  tout  à  l'heure!  (a  part.)  Quel  dommage  de  ne 
pouvoir  les  épouser  tous  les  deux  ! 


CRIME    PASSIONNEL  23 


SCÈNE  III 

THOMERY,  GRIZOL. 

THOMERY. 

Donner  la   plus   grande    preuve  d'amour   qu'un 
homme  puisse  donner  à  une  femme! 

GRIZOL. 

En  cinq  minutes! 

THOMERY. 

Juste  le  temps  de  taire  griller  une  entrecôte  ! 

GRIZOL. 

Mon  cher  Thomery  ! 

THOMERY. 

Mon  cher  Grizol  ? 

GRIZOL. 

Qu'est-ce  que  vous  pensez  de  ça? 

THOMERY. 

Que  madame  Bernières  n'est  qu'une  coquette. 

GRIZOL. 

C'est  également  mon  avis. 

THOMERY. 

Une  coquette  qui  se  moque  de  nous  depuis  un 
mois. 

GRIZOL. 

Et  qui  a  trouvé  plaisant  d'atïoler  deux  amis. 

THOMERY. 

Pensant  peut-être  qu'ils  allaient  s'égorger  pour 
ses  beaux  yeux,  car  ils  sont  beaux  ! 


24  CRIME  PASSIONNEL 

GUIZÛL. 

Divinement  beaux  ! 

TIIOMERY. 

Gomme  ses  cheveux  I 

GRIZOL. 

Ses  dents  ! 
Ses  épaules  ! 
Ses  bra3  ! 
Sa  taille! 


THOMEUY. 


GRIZOL. 


THOMERY. 


GRIZOL. 

Cette  femme  a  le  charme  et  la  ])eauté  ù  tous  les 
étages  ! 

THOMERY. 

A  qui  le  dites-vous!  Et  maintenant  qu'elle  est  au 
pied  du  mur... 

GRIZOL. 

Madame  se  dérobe  en  disant  :  Je  vous  accorde 
cinq  minutes... 

THOMERY. 

Pour  me  donner  la  i)lus  grande  preuve  d'amour 
qu'un  liomme  puisse  donner  à  une  femme! 

GRIZOL,  regardant  l'houre. 

Plus  que  trois  minutes  et  demie  ! 

THOMERY. 

Allons-nous-en. 

Il  remonte,  Grizul   l'arrôto. 


CRIME   PASSIONNEL  25 

GRIZOL. 

Partir  sans  avoir  donné  à  cette  coquette  la  leçon 
qu'elle  mérite  ? 

THOMERY. 

Une  leçon  ? 

GRIZOL. 

Parfaitement,  une  leçon  qui  lui  ôtera,  j'espère, 
l'envie  de  se  moquer  à  l'avenir  de  deux  braves  gar- 
çons comme  nous. 

THOMERY. 

Que  voulez-vous  faire,  mon  cher  Grizol  ? 

GRIZOL. 

Etendez-vous  à  terre,  mon  cher  Thomery. 

THOMERY. 

M'étendre  à  terre  ? 

GRIZOL. 

Oui,  tenez,  là,  près  du  canapé. 

THOMERY. 

Expliquez-moi... 

GRIZOL. 

Inutile,  plus  qu'une  minute  et  demie. 

THOMERY. 

Mais  encore  ! 

GRIZOL. 

Etendez-vous  donc. 

THOMERY. 

Soit  !  sur  le  dos  ou  sur  le  ventre  ? 

GRIZOL. 

Sur  le  dos. 


26  CRIME    PASSIONNEL 

THOMERY. 

Bien. 

Il  s  étend  sur   le  dos,  devant  le   canapé. 
GRIZOL. 

Ah!  chère  luadame,  vous  voulez  une  preuve  d'a- 
mour!... Eh  bien  !  vous  allez  être  servie  à  souhait! 
Vous  y  êtes  ? 

THOMERY. 

J'y  suis, 

GRIZOL. 

Parfait!  Et  maintenant... 

Il    tiro  un   revolver  de   sa  pocho, 
THOMERY.  so  levant  sur  son  séant. 

Un  revolver  ?  Eh  !  là  !  pas  de  bêtises! 

GRIZOL. 

Ne  bougez  donc  pas  et  ne  craigniez  rien  ;  vous 
êtes  mort! 

THOMERY,   reprenant  sa  position. 

Gomment!  je  suis  mort? 

Grizol   tire  un  coup  de  revolver  par  la  fenêtre.    Thomery 
se  relève  effrayé, 

GRIZOL. 

Etendez-vous  donc,  saprelotte  ! 

THOMERY. 

Oui,  oui  ! 

GRIZOL. 

On  vient  !...  Ne  bougez  pas  !  (paraît  uianche.)  C'est 
elle! 


CRIME    PASSIONNEL  27 


SCENE   IV 
Les  Mêmes,  BLANCHE. 

BLANCHE,  entrant  vivement  de  droite. 

Vous  avez  entendu  ?  On  a  tiré  un  coup  de  revol- 
ver. 

GRIZOL,  d'un  air  égaré. 

C'est  moi  ! 

BLANCHE. 

Vous  ? 

GRIZOL. 

Moi  !  Vous  nous  avez  accordé  cinq  minutes  pour 
vous  donner  la  plus  grande  preuve  d'amour  qu'un 
homme  puisse  donner  à  une  femme  !  Eh  bien!... 

BLANCHE. 

Eh  bien? 

GRIZOL. 

Eh  bien,  il  est  trois  heures,  madame,  et  pour  l'a- 
mour de  vous,  j'ai  tué  mon  ami! 

Il   montre  Thomery. 
BLANCHE,   avec  un  grand  cri. 

Ah! 

GRIZOL. 

Mon  ami  que  j'aimais  comme  un  frère. 

BLANCHE, 

Mort  ?  Il  est  mort  ? 

GRIZOL. 

En  murmurant  :  «  Au  moins  rendez-la  heureuse, 
Edouard!  » 


28  CRIME    PASSIONNEL 

BLANCHE. 

Mais  c'est  horrible,  épouvantable  ! 

GRIZOL. 

Gomme  Gain,  j'ai  tué  Abel,  seulement,  lui,  c'était 
avec  une  mâchoire  d'àne  qu'il  a  tué  son  frère,  les 
revolvers  n'étaient  pas  encore  inventés. 

BLANCHE. 

Mais  dites-moi  que  c'est  un  rêve,  un  cauchemar 
effrayant! 

GRIZOL. 

Non  madame,  ce  n'est  pas  un  rêve,  c£  n'est  pas 
un  cauchemar!  J'ai  vu  rouge,  et  demain  dans  le  Ma- 
tin, le  récit  de  ce  drame  passionnel  s'étalera  tout 
au  longdanslesnouvellesen  trois  lignes  :  «  Edouard 
Grizol  pour  conquérir  veuve  Dernières  envoya  balle 
dans  cœur  de  son  rival.  Pan  !  Et  Georges  Thomery 
succomba. 

BLANCHE,  tombant  assise  à   gauche   de  la  table. 

Ah  !  Je  ne  tiens  plus  ! 

GRIZOL. 

Eh!  bien,  madame,  est-ce  là  une  preuve,  une 
preuve  d'amour  ?  Et  je  vous  défie  d'en  trouver  une 
équivalente  dans'  l'Histoire.  Tenez,  Abélard,  Abé- 
lard  lui-même,  a-t-il  été  jusqu'au  crime  à  seule  fin 
de  plaire  à  la  belle  Héloïse?  Et  pourtant  s'il  avait 
tué  Ful])ert,  la  postérité  lui  aurait  trouvé  deux  cir- 
constances atténuantes  ! 

BLANGHK. 

Un  crime!  mais  malheureux,  je  n'en  demandais 
pas  tant  ! 

(iUI/OL. 

Possible,  mais  je  ne  suis  })as  de  ceu\  qui  rcgar- 


GRIME    PASSIONNEL  29 

dent  à  la  dépense  !  Et  si  cette  preuve  iramoui"  ne 
vous  suffit  pas,  il  reste  cinq  balles  dans  mon  revol- 
ver, indiquez-moi  les  victimes  :  il  n'y  a  que  la  pre- 
mière Lalle  qui  coûte! 

BLANCHE. 

Non  !  non  !  assez  ! 

Elle  lui  arrache  le  revolver  des  mains  et  le  pose  sur  la 
table. 

GRIZOL. 

Une  victime  vous  suffit,  soit  !  Da  reste,  le  temps 
presse,  il  faut  fuir*... 

BLANCHE. 

C'est  ça,  partez,  partez  ! 

GRIZOL. 

Avec  vous  ! 

BLANCHE. 

Fuir  avec  un  assassin  ?  Jamais  ! 

GRIZOL. 

Gomment!  vous  avez  armé  mon  bras  ! 

BLANCHE,  l'interrompant. 

Moi  ? 

GRIZOL. 

Parfaitement  !  Vous  m'avez  grisé,  affolé,  et  main- 
tenant que  je  ne  suis  plus  que  de  la  chair  à  bagne, 
vous  viendriez  me  répondre  tranquillement  :  fuir 
avec  un  assassin  jamais  I  Ah!  non!  Madame,  ce  se- 
Jait  vraiment  trop  commode! 

BLANCHE. 

Mais... 

GRIZOL. 

Non!  madame  !  non!  il  ne  fallait  pas  me  soumet- 

2. 


30  CRIME    PASSIONNEL 

tre  à  une  épreuve.  Si  j'ai  tué  cet  âiiii  que  j'aimais 
comme  un  i'rère,  ce  n'est  pas  pour  lui  faire  sa  mon- 
tre, mais  celle  qu'il  aimait,  comme  dans  tous  les 
opéras  qui  se  respectent! 

BLANCHE,   à   elle-même. 

Ah  !  Mon  Dieu  !  pourquoi  ai-je  écouté  Flipote  ? 

GRIZOL. 

Le  sang  de  l'infortuné  a  rejailli  sur  nous  deux! 

BLANCHE. 

Gomme  dans  Macbeth  ! 

GRIZOL. 

Oui  !  Et  vos  mains  comme  celles  de  Macbeth  sont 
teintes  du  même  sang! 

BLANCHE,   poussant  un  cri. 

Ah! 

GRIZOL,  se  frottant  les  mains  et  imitant  Moynet-SuUy. 

Va-t-en,  va-t-en,  maudite  tache  ! 

BLANCHE,  même  jeu,  imitant    Sarah  Bernhardt. 

Ah!  ces  mains  ne  seront  donc  jamais  propres! 

GRIZOL. 

Mettez  votre   robe  de  nuit,  et    tâchez  de  ne   pas 
être  si  pâle! 

BLANCHE,  reprenant  sa    voix   naturelle. 

Que  je  mette  ma  robe  de  nuit? 

GRIZOL,  même  jeu. 

C'est  dans  Macbeth. 

BLANCHE,   imitant   Sarah   Bernhardt. 

Ah!  oui...  Nous  ;nagcons  en  plein  Shakespeare! 

GHIZOL,  imitant  Mounel. 

En  plein  ;  aussi  quoi  que  vous  fassiez,   quoi  que 


CRIME    PASSIONNEL  31 

VOUS  disiez,  nous  sommes  éternellement  réunis,  l'un 
à  l'autre  pour  le  même  crime. 

BLANCHE. 

C'est  vrai!    _ 

GRIZOL. 

Les  mêmes  remords  nous  attendent, 

BLANCHE,    affolée. 

Taisez-vous  ! 

GRIZOL. 

Et,  tel  que  le  spectre  de  Banco,  il  nous  apparaî- 
tra toutes  les  nuits  à  minuit! 

BLANCHE. 

Taisez-vous!  Taisez-vous  ! 

Elle  va  s'asseoir  à  droite  de  la  table. 
GRIZOL. 

C'est  effroyable  ! 

Il  s  assied  à  gauche  de  la  table. 
BLANCHE, 
Effroyable  !...  (Un  silence.  Reprenant  sa  voix  naturelle.) 

Croyez-vous  que  les  remords  soient  éternels? 

GRIZOL,  de  sa    voix   naturelle. 

Je  ne  sais  pas...  C'est  la  première  fois  que  je  tue 
un  ami  ! 

BLANCHE. 

C'est  juste!  Et  où  irons-nous  cacher  les  nôtres? 

GRIZOL. 

Nos  quoi  ? 

BLANCHE. 

Nos  remords,  voyons! 

GRIZOL. 

Ahl  oui!  Où  vous  voudrez.  En  Italie! 


32  CRIME    PASSIONNEL 

BLANCHE. 

Non,  pas  en  Italie...  j'y  ai  été  l'année  derrière... 
Autant  cacher  ses  remords  dans  un  pays  qu'on  ne 
connaît  pas  ! 

GRIZOL. 

L'Espagne,  alors  ? 

BLANCHE, 

Oui...  Nous  visiterons  Madrid.  Tolède. 

GRIZOL. 

Séville  ! 

BLANCHE. 

Nous  irons  voir  danser  le  fandango.  (Avec  émo- 
tion.) Pour  tâcher  d'oublier! 

GRIZOL. 

Oui!  Ollé!  Ollé! 

BLANCHE. 

Et  nous  ne  manquerons  pas  une  course  de  tau- 
reaux!... Toujours  pour  tâcher  d'oublier! 

GRIZOL. 

Naturellement! 

BLANCHE,  avec  une  tristesse  comique. 

Voilà  des  années  que  j'ai  envie  de  voir  ça! 

GRIZOL. 

Moi  aussi! 

BLANCHE. 

Il  paraît  que  c'est  passionnant. 

GRIZOL. 

Il  paraît! 

THOMERY,  à  part. 

Mais  ça  devient  un  voyage  d'agrément 


CRIME    PASSIONNEL  33 

BLANCHE. 

Et  qui  Sait  ?  Nous  finirons  peut-être  par  oublier! 

THOMERY,  d  une  voix  caverneuse. 

Non!  VOUS  n'oublierez  jamais! 

BLANCHE,  se  levant    poussant  un  cri  d'effroi. 

Ahl 

GRIZOL. 

Le  mort  a  parlé,  comme  dans  le  Bossu  ! 

BLANCHE,  affolée. 

lia  parlé!...  Il  a  parlé!...  Ah! 

Elle  tombo  évanouie,  dans  un  fauteuil  à  droite  de  la  ta- 
ble. 

TH0.ML!:;RY,  se  lovant  sur  son   séant. 

Evanouie  ? 

GRIZOL. 

Oui  !  Vite,  levez-vous,  je  vais  prendre  votre  place! 

THOMERY, 

Gomment? 

GRIZOL. 

Mais  dépêchez-vous  et  tapez-lui  <lans  les  mains. 

THOMERY,  qui  s'est  relové. 

Compris! 

GRIZOL. 

Et  je  crois  que  la  leçon  sera  complète! 

Il  s'étend  à  terre  à  la  place  même  où  était  Thomery.  Ce- 
lui-ci s'assied  à  gauche  delà  table  tape  dans  les  mains 
do  Blanche. 

THOMERY. 

Blanche!  ma  chère  Blanche! 


34  CRIME    PASSIONNEL 

BLANCHE,  revenant  à  elle. 
Cette   voix!...  (Reconnaissant  Thomery.)  Ah! 

Elle   se  lève  affolée, 
THOMEllY,  se    levant. 

Eh  bien,  qu'avez-vous  ? 

BLANCHE. 

Vous?  C'est  bien  vous? 

THOMERY. 

Oui,  c'est  bien  moi. 

BLANCHE. 

Vous  n'êtes  pas  mort? 

THOMERY. 

Moi?...  Mais  pas  du  tout!  C'est  lui. 

Il  montre  Grizol   étendu  à  terre. 
BLANCHE. 
Lui!...   (poussant  un  cri  on  voyant  Grizol.)  Ah! 
THOMERY. 

L'infortuné  Grizol  que  j'ai  tué  d'un  coup  de  re- 
volver!... Pan!  En  plein  dans  le  cœur! 

BLANCHE. 

Lui  ?  Lui?  Voyons,  voyons,  je  suis  bien  éveillée... 

THOMERY. 

Ah!  ça,  mais  qu'avez-vous? 

BLANCHE,   passant  au  milieu. 

Mais  tout  à  l'heure,  c'était  vous,  vous  qui  étiez 
là  étendu... 

THOMERY. 

Moi?  Mais  jamais  de  la  vie! 

B I,  A  N  C 1 1  K  . 

Ce  n'était  pas  vous  ? 


CRIME    PASSIONNEL  35 

THOMERY. 

Je  VOUS  répète  encore  une  fois. 

BLANCHE. 

Aht  ça  mais!  ah!  ça  mais  ! 

ÏHOMMRY. 

Vous  aurez  rêvé! 

BLANCHE. 

Rêvé?  (a  part,  frappé  d'un  soupçon.)  Est-ce  que  par 
hasard  ? 

THOMERY. 

Et  maintenant,  avant  de  fuir  tous  les  deux  en  Es- 
pagne, il  faut  nous  débarrasser  de  ce  cadavre  en- 
combrant. 

BLANCHE.    . 

Vous  avez  raison. 

THOMERY. 

Avez-vous  une  malle  ? 

BLANCHE, 

Une  malle  ? 

THOMERY^ 

Nous  le  mettrons  dedans  et  nous  l'expédierons 
n'importe  où.  Ça  se  fait  beaucoup  depuis  quelque 
temps. 

BLANCHE. 

Oui!  oui!...  (Poussant  un  cri.)  Ail!  monDieu! 

THOMERY. 

Qu'y  a-t-il  ? 

BLANCHE,  montrant    Grizol. 

Il  a  remué  ! 


30  CRIME    PASSIONNEL 

THÛMERY. 

Mais  non!  mais  non! 

BLANCHE. 

Je  vous  dis  qu'il  a  remué  :  il  n'est  peut-être  que 
blessé, 

THOMERY. 

Il  est  mort,  je  vous  assure,  tout  ce  qu'il  y  a  de 
plus  mort! 

BLANCHE. 

Attendez.  Pour  plus  de  sûreté... 

Elle     va    prendre    le    revolver    de    Crizol    posé    sur    la 
table. 

THOMERY, 

Qu'allez-vous  faire  ? 

BLANCHE,   braquant  le  revolver   sur  Grizol. 

Nous  allons  l'achever! 

THOMERY. 

Sapristi  ! 

GRIZOL,  se  levant  vivement  sur  son  séant. 

Ne  tirez  pas  ! 

BLANCHE,  triomphanto. 

Ah!  Vous  voj'ezbicn  qu'il  n'est  pas  mort!     , 

GRIZOL,  penaud. 

Blanche  ! 

BLANCHE, 

Et  tout  cela  n'était  qu'une  comédie  I 

THOMERY,  se  levant. 
Pour  punir  une  coquette  ! 

BLANCHE. 

Vraiment!  Ainsi  pas  un  instant  vous  ne  vous  êtes 


CRIME    PASSIONNEL  37 

dit  que  mon  indécision  pouvait  être  réelle,  sincère  ; 
que  j'avais  pour  vous  deux  un  penchant  égal;  non, 
vous  n'avez  vu  en  moi  qu'une  coquette  qui  se  mo- 
quait de  vous  peut-être... 

THOMERY. 

Certainement. 

BLANCHE. 

Et  votre  orgueil  s'en  est  froissé,  votre  amour 
propre  en  a  été  blessé,  vous  vous  êtes  dit  :  cela  crie 
vengeance!...  Et  bravement,  courageusement,  vous 
vous  êtes  mis  à  deux  pour  mystifier  une  pauvre 
petite  femme  qui  n'a  eu  qu'un  tort,  c'est  d'avoir 
du  cœur. 

THOMERY. 


Mais... 
Madame  ! 


GRIZOL. 


BLANCHE. 

Vous  vous  êtes  tués  tour  à  tour...  pour  rire, 
comme  les  hommes  se  tuent  généralement  pour  les 
femmes,  du  reste!  Pas  un  instant  non  plus  vous 
ne  vous  êtes  dit  à  quel  point  je  pourrais  être  ef- 
fraj'ée,  angoissée... 

GRIZOL. 

Mais  elle  a  raison! 

THOMERY. 

Mais  oui  ! 

GRIZOL. 

Nous  nous  sommes  conduits... 

THOMERY. 

Gomme  deux  polissons  ! 


38  CRIME    PASSIO.N'XEL 

GRIZOL. 

Pis  que  ça,  monsieur,  cornue  deux  goujats! 

BLANCHE. 

Je  suis  ravie  de  vous  l'entendre  dire.  Je  n'ajou- 
terai plus  qu'un  mot  ;  il  y  a  un  instant,  j'hésitais 
encore,  eh  bien,  maintenant  je  n'hésite  plus. 

•     THOMERY   et  GRIZOL,  avec  joie. 

Enfin! 

BLANCHE,  montrant   la  porte. 

Adieu,  messieurs! 

GRIZOL. 

"Vous  nous  chassez? 

THOMERY. 

Vous  nous  chassez  ? 

BLANCHE. 

Nous  n'avons  plus  rien  à  nous  dire! 

THOMERY. 

Eh  bien,  si,  madame,  nous  avons  encore  quelque 
chose  à  nous  dire  ! 

GRIZOL. 

Eh  bien,  si,  madame  nous  avons  encore  quelque 
chose  à  nous  dire  ! 

TIIOMKIIY,  onervo. 

Ah!  ça,  mon  cher,  quand  vous  aurez  lini  do  me 
chiper  mes  phrases  ? 

GRIZOL,  même  jeu. 

Eh!  Monsieur,  je  pe  chipe  pas  vos  phrases,  seule- 
ment vous  parler  toujours  le  premier,  je  suis  bien 
forcé  pour  exprimé  la  même  pensée  de  me  servir 
des  mêmes  expressions. 


CRIME    PASSIONNEL  39 

THOMERY. 

On  cherche  des  synonymes,  monsieur! 

GRIZOL. 

Et  puis,  fichez-moi  la  paix! 

THOMERY. 

Monsieur! 

Pendant  cette   dispute,  Blanche   a  pris  un  livre   et  se  met 
à   lire  tranquillement,  assise  à   la  gauche  de  la  table. 
GRIZOL. 

Monsieur  ! 

THOMERY. 

C'est  VOUS  qui  êtes  cause  de  tout! 

GRIZOL. 

Moi? 

THOMERY. 

Parfaitement,  c'est   vous   qui-  avez    eu  l'idée  de 
cette  comédie  ridicule,  et  disons  le  mot,  odieuse  ! 

GRIZOL. 

A  laquelle  vous  vous   êtes  empressé  de   collabo- 
rer! 

THOMERY. 

Je   le  regrette   assez!  (Allant  à  Blanche.)   Ecoutez 
madame,  écoutez-moi.  II  est  trois  heures  et  quart. 

Il  gagne    la  droite  ea  passant  derrière  la  table. 
GRIZOL,  à  Blanche. 

Accordez-moi  encore  un  quart  d'heure. 

THOMERY. 

Tenez,  dix  minutes  seulement! 

GRIZOL. 

Cinq  minutes  ! 


40  CRIME    PASSIONNEL 

TilOMERY. 

Trois! 

GRIZOL   et  THOMIlRY.  ensemble. 

Pour  vjus  donner  la  pi  is  grande  preuve  d'amour 
qu'un  homme  puisse  donner  ù  une  femme  ! 

Blanche  se  lève  tranquillement  et  va  sonner. 
THOMERY,  montrant  Grizol . 

Voulez-vous  que  je  le  tue,  et  sérieusement  cette 
fois? 

GRIZOL,  montrant  Thomery. 

Je  Suis  prêt  à  l'envoyer  avec  joie  dans  un  monde 
meilleur  ! 

Paraît  Flipote  pnr  la  droite. 

SCÈNE  V 
Les  Mêmes,  FLIPOTE. 

BLANCHE. 

Flipote! 

FLTPOTE. 

Mailame  ? 

BLANCHE. 

Reconduis  ces  messieurs. 

KI.IPOTE. 

Ah!  bah! 

GUIZOr^,   à  Blani;lio  assise  sur   le   canapé. 

Ainsi,  rien  ne  peut  touv-her  votre  cœuc  ? 

THOMEllY. 

Rien? 

Blanche  se  replonge  dans  sa  lecture. 


CRIME    PASSION.XKL  41 

GRIZOL. 

Allons,    VOUS  n'êtes  décidément  qu'une  coquette! 
(a  Thomery.)  Venez -VOUS,  monsieur  ? 

THOMERY. 
Un  instant,  monsieur!  (Allant  à  Blanche  et  avec  émo- 
tion.) Madame,  avant  de  vous  quitter  pour  toujours, 
je  tiens  à  vous  demander  humblement  pardon  de 
vous  avoir  oftensée,  croyez  que  je  regrette  profon- 
dément ce...  cette...  enfin.  (Eclatant  en  sanglots.)  Ah! 
je  suis  bien  malheureux! 

BLANCHE,    ee  levant  émue,  à   part. 

Il  pleure! 

FLIPOTE,    qui  a  gagné    la    gauche    en  passant    derrière   le 
canapé. 

Oh!...  Madame! 

BLANCHE. 

11  pleure! 

THOMERY,  essuyant   ses  yeux. 

Excusez  moi,  je  dois  vous  paraître  ridicule. 

BLANCHE. 

Non,  mon  ami,  vous  n'êtes  pas  ridicule,  au  con- 
traii-e, 

THOMERY,    avec  joie. 

Vraiment  ? 

BLANCHE. 

Flipote,   ci-ois-tu  qu'une   lai-.ae   S3it   une  preuve 
d'amour? 

FLIPOTE. 

Oh!  Maîame,  au  théâtre,  toujours! 

BLANCHE. 

Et  comme  le  théâtre  est  ïi.naoQ  de  la  vie.  'len- 


42  CRIME    PASSIONNEL 

dant  la  main  à  Tbomery.)   Voici   lua  main,  moii  ami, 
C'est  vous  qui  êtes  le  vainqueur  ! 

THOMERY. 

Ah  !  Blanche,  ma  chère  Blanche  ! 

Il   lui  baise  la  main. 
GRIZOL,   qui   a    tiré  vivement    son    mouchoir,  et  des   larmes 
dans  les  yeux. 

Mais  madame,  moi  aussi,  je  pleure,  regardez,  je 
pleure  comme  un  veau! 

BL.\XGHE,    passant  au  milieu. 

Un  peu  tard,  mon  ami! 

THOMERY,    à  Grizol. 

Vous  pouvez  rentrer  le  mouchoir! 

BLANCHE,  à  Thomery  et  à  Grizol. 

Vous    voyez    que   pour    toucher    le  cœur    d'une 
femme... 

FLIPOTE.  '       ■ 

Il  suffit  parfois  d'une  larme  ! 

BL.WCHE. 

Seulement,  il  faut  qu'elle  soit  versée  à  temps  ! 


Rideau. 


Imprimerie  Gdudralc  de  Chàti  Ion-sur  Seine.  —  A.  Pichat. 


PQ     Hennequin,  Maurice 
2615      Crime  passionnel! 


PLEASE  DO  NOT  REMOVE 
CARDS  OR  SLIPS  FROM  THIS  POCKET 

UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY